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G-U^^Y /li^M C O^ J^.OLA^'^l^^
Le
Monde Modetne
4« ANNEE
VIII. — 1.
1! E IM! O D U C T I O N 1 N ï K 1! D I T E
des articles et des illustrations.
DROITS DE TUADUCTION nESEUVÉS
)Our tous pays, y conipi-is la Suède et In Norvèg-e.
Le
Monde Moderne
Tome VIII
Juillet - Décembre 1898
PAR I S
Albert QUANT IN*, Éditeur
5, Rue Saint-Benoît, 5
LA CHAGONNE
— Ah ! Lisoii, que jai peur el que
M. le baron de Mournioulon a donc une
idée sauj^a^enue de nous convier au bal
al de payer les violons par ce brouillard
épais! Jamais cette petite ville ne me
parut si triste et si déserte ! NJeût été la
crainte d'affliger le baron par mon
absence, je serais demeurée en mon
hôtel. Mais tu n'ignores pas, mon en-
fant, que M. de Mourmoulon a un neveu
et que ce noble jeune homme, affriolé
d'accordailles, a prié son parent de pour-
voir à son établissement. Ce galant
seigneur, venu tout exprès de Paris,
doit paraître en héros de la fête, et, en-
core que ce neveu, invisible jusqu'ici,
me laisse fort indifférente et que je ne
me sente aucune inclination au mariage,
je ne pouvais décemment refuser de dan-
ser avec lui la première chaconne sans
que... Ah 1 Lisette, arrêtons !... Je fris-
sonne !... Ne vois-tu cet homme noir
qui se dresse pour nous barrer la route?
— Eh ! non, ma foi, cela n'est pas un
homme, mademoiselle, mais bien plutôt
le pilier qui soutient l'auvent de cette
échoppe close. A vous alarmer de tout,
Aotre peur finira par me gagner moi-
même. Et puisque vous redoutez telle-
ment de vaguer par les ruelles de la
ville, la nuit une fois tombée, et puisque
ni mariage, ni neveu de M. de Mourmou-
lon ne vous disent rien qui vaille, il fallait
ce tantôt vous hâter un tantet tantinet
davantage à votre toilette, ne me pas
tenir tant d'heures devant le miroir à
refriser les boucles et crochets de votre
coiffure en papillon; ni changer de jupes
par dix fois avant de choisir celte mous-
seline volante à chicorée de chenille; ni
de même hésiter devant cent tours de
gorge en gaze, tulle, dentelle, ou réseau
Juillet 1898.
bniiillomié. Sans compter le temps passé
pour les mouches et le rouge !
— Ne me gronde pas, Lisette? Quand
serai-je coquette, sinon maintenant où
je suis encore fraîche et jolie. Reproche-
moi bien plutôt, si tu as cette rigueur,
de n'avoir point songé à me faire ac-
compagner d'un de ces deux indolents
laquais qui, à cette heure, ronflent
dans la cuisine. Mais je voulais, ingrate,
bavarder avec toi librement. Puis pou-
A^ais-je imaginer les rues si noires et si
désertes? D'ailleurs, l'hôtel de Mour-
moulon est proche. Et pour ce qui est
de monter, soit dans un de ces carrosses
de louage dont les fenêtres sont garnies
de planches en guise de glaces, soit dans
une de ces laides vinaigrettes où les
rudes Savoyards vous secouent si effroya-
blement, je n'y saurais consentir pour
l'empire du monde. Par tout ceci, con-
fesse, mon enfant, que je suis à plaindre,
non à blâmer, et qu'une fille de première
qualité, orpheline, affligée de quelque
bien, venue à l'âge où le roi lui retire
toute tutelle, se trouve en butte aux
pires désagréments du sort... Ah ! Dieu !
Lison, quel est ce bras qui sort de l'ombre
et nous menace ?
— Ouf! attendez un peu... Eh ! made-
moiselle, n'est-ce pas bonnement une
enseigne pendue à sa potence de fer?
De votre cri, le cœur me bat encore.
Ainsi dans leur babillage frivole, en-
trecoupé de petits cris de détresse,
Ty,|Ue Armande de La Maille et sa sui-
vante Lisette, toutes deux frileusement
emmitouflées de mantes et pelisses four-
rées, dans la bruine grise d'automne, se
rendaient au bal de M. de Mourmoulon
par les carrefours el les ruelles hérissées
de pignons et de saillies de toits, encom-
brées de bornes et de bancs d'étal pareils
à autant de Irébuchels. Lisette, d'abord,
I.A CIIACONXK
.ivail ri des terreurs de sa inaîlressc;
mais le tremblement du bras appuyé sur
son bras semblait insensiblement lui
communiquer le frisson ; et quand, sorties
des rues, elles se trouvèrent devant le
mail désert où les arbres, encore l'euillus,
avaient des profondeurs de forêt, où les
murailles démantelées du rempart proche
surbaissaient en silhouettes de ruines fan-
tastiques, elles s'arrêtèrent ensemble et
le cœur leur défaillit. M"'^ Armande,
tirant sa sei^vante en arrière, j.,a*mit d'une
voix tout altérée :
— Ah! Lison, es-tu sûre du chemin?
Ne nous sommes-nous pas égarées? Ne
sais-tu le moyen d'éviter ce mail d'obscu-
rité, de solitude terribles? Nous faut-il
absolument passer auprès de ces murailles
croulantes dont les brèches et les voûtes
béantes semblent faites à souhait pour
servir d'embuscade, repaire, guet-apens
et coupe-gorge aux pires bandits? Et
n'est-ce point précisément ce matin,
qu'on me contait que ce redoutable Man-
drin — dont le ciel nous préserve ! ■ —
courait les environs, faisant maintes pil-
leries et qu'à deux ou trois relais d'ici,
il s'était présenté au château de I^oussy
avec toute sa bande, masque an nez et
pistolet au poing?
— Ah ! ma line, mademoiselle, que
voici bien le moment de vous rappeler
cette malencontreuse histoire ! Que cela
est de votre part joliment avisé ! Vous
êtes-vous donc juré de m'ôter j)ar vos
propos le peu de vaillance que j ai de
reste? Où voulez- vous, maintenant,
pour traverser ce mail sombre et mysté-
rieux, que je trouve des jambes? Les
miennes tïageolent à faire pitié.
— - Rebroussons chemin, Lisette : aussi
bien tout courage m'abandonne; j'aide
la neige dans les veines. Le neveu de
M. de Mourmoulon dansera sa chaconne
avec telle bourgeoise ou fille de robin
(jui lui plaira. Il n'est pas de violons
<|ui tiennent à ces peurs-là. Rebrous-
sons, mon enfant.
Si terriliée que fût la voix de M"*^^ de
La Maille, Lisette y distingua, parmi les
angoisses de la peur, quelques soupirs
de regret. Ce fut assez pour que la
dévouée soubrette retrouvât nu semblant
de fermeté.
— Nenni, mademoiselle, iimis voici
trop avancées. Retourner sur nos pas
serait vraiment de trop petit courage et
le prétexte, dont vous pourriez excuser
votre absence, si ingénieux qu il fût, ne
vous sauverait pas d'être, pour notre
timidité, la risée de la ville. Le moyen
après cela que le neveu de M. de Mour-
moulon, qu'on dit brave et ardent ofli-
cier, veuille jamais prendre pour femme
une dame apeurée d'arbres noirs et de
pierres branlantes?
Sensible à ces belles raisons. M''" Ar-
mande approuva, quoique bien défail-
lante.
Le long des ruines, elles s'engagèrent
sous les ormes. Le son de sa propre voix
la rassurant sans doute, M"*^ de La
Maille continua à causer, mais en même
temps la crainte obsédait ses esprits à ce
point, qu'elle ne pouvait parler que de
Mandrin et de sa bande.
— (Conçois-tu, mon enfant, l'audace
de ces brigands ! N'assure-t-on pas aussi,
qu'alin d'épouvanter les pauvres bonnes
gens, ils se passent le visage à la suie,
ce qui, avec les balafres sanglantes
dont leurs faces rugueuses sont tailla-
dées, doit être de l'elfet le plus diabo-
lique ! Qui sait s'ils ne connaissent ces
ruines et n'y font pas chaque nuit...
— Ah ! mademoiselle, si vous n'avez
juré de me faire pâmer ici, ne me narrez
pas ces contes à donner la petite mort !
Lisette achevait à peine, que M"*^ Ar-
mande, étoulfant un cri léger, lui serra le
bras nerveusement et, l'arrêtant, souffla
dune voix blanche de terreur :
— Ah ! Lisette, vois-tu cette l'ois se
dresser, sur l'éboulis des créneaux, un
homme au manteau noir dans la brume
grise? Il vient de notre côté! Soutiens-
moi, mon enfant, je me sens tondier de
faiblesse...
— Eh ! non, non, mademoiselle, choi-
sissez mieux votre temps pour des va-
peurs ! .Allons, je vous prie, rappelez
vos esprits. Peut-être ce sombre per-
I.A Cil ACdNN K
s(>iui;i};e ne nous a-l-il poiiil vues. Péiié- j (inelles inireiil on ce mouvement ;illiiii
Irons pins ;iv;in( sons les ormes : lenr 1 rallenlion de l'inconnu. Il se^relonrna
omhre nous caclicra. Ilâlons le pas sans , vers elles Ion! à l'ail el. ahandoinianl le
hruil el, une l'ois en vue des lumières de
l'holel, nous ne redouterons plus rien.
Le Ion résolu de Lisette ranima quelque
peu sa maîtresse. Elles s'engagèrent sous
les arbres, mais la brusquerie même
sentierqui contournait le rempart, il entra
à son tour dans le couvert d'ormes d'un
pas qui semblait mesuré tout exprès pour
le mener droilemenl à lenr rencontre.
— Ah 1 Lisette. L'émit la demoiselle
LA CHACONNK
perdant la tùle, il iTy a plus de doute :
cet homme a les allures sburnoises du
pire scélérat. Il Aient en noire chemin
afin de nous couper toute retraite. Je ne
me sens plus la force d'avancer. Je mets
mon dernier espoir en la bonté de
Dieu,... quant à toi, prends la fuite,
sauve-loi vite, Lison !
Mais le danger même rendait quelque
présence d'esprit à la soubrette. Elle
serra plus fort contre elle le bras de la
noble demoiselle et s'efforça de l'en-
traîner :
— Fuir seule? La belle avance! En
deux bonds, avec ses g-randes jambes,
ce vilain diable d'homme m'aurait tôt
rattrapée. Non ! non ! mademoiselle, je
ne vous quitte pas. Failes un effort
suprême, s'il vous plaît, et marchons de
notre pas le plus ferme. Si ce prome-
neur nocturne a de méchantes inten-
tions, notre assurance seule peut lui en
imposer. D'ailleurs, a-l-il vraiment
l'allure si sournoise et la mine si fa-
rouche ?
— Ah ! mon enfant, le cruel Mandrin
non plus n'a pas la mine farouche. Ne
lui attribue-t-on pas de grands yeux
noirs et de belles moustaches? Il va tou-
jours superbement vêtu et porte un bel
habit gris blanc avec boutons d'arg-ent.
Il a l'épée de gentilhomme à fine poi-
gMiée d'ivoire. Mais, de ce qu'il se plaît
à imiter les façons du beau monde, il
n'en demeure pas moins un homme
épouvantable. Regarde, Lisette, cet
homme n'a-t-il pas tout justement de
ces airs-là ? Le voici qui s'arrête et attend.
On le distingue mieux... Oh! mon en-
fant, je ne respire plus : autant que j'en
puis juger, ce sont bien là les yeux et
les moustaches de ce Mandrin lui-même !
— Croyez-vous?
— Au portrait qu'on m'en fil, je le
reconnaîtrais entre mille, mon enfant.
Plus de doute, c'est lui, c'est le bri-
gand!... Lisette, par pitié, n'allons pas
plus avant... c'en est fait ! Abandonne-
moi, laisse-moi mourir ici...
— Ce serait folie! Courage jusqu'au
bout, mademoiselle ! Toute fille que je
suis, jai la poigne solide pour deux.
Cédez-moi le pas et vous cachez der-
rière moi. S'il me touche, j'enlends faire
une si belle défense, que vous aurez loi-
sir de prendre la fuite en crianl " au
meurtre! » de tout votre souille.
— Et le moyen de crier lorsque la
frayeur m'ôte jusqu'à la force de res-
pirer. Puis aussi, brave Lison, étant
maîtresse et toi suivante, n'est-ce pas à
moi de marcher la première en dépit de
ma faiblesse ? Fais-moi donc place, en-
fant. Je me veux déparer de ce que sur
moi je porte de précieux. Mais mes
doigts tremblent tant qu'il faut que lu
m'aides à retirer mes bagues et mes bra-
celets et, s'il reste à ce Mandrin la
moindre pitié des femmes, il se conten-
tera de cette prise. Dieu ! Il vient ! Non,
te dis-je, ne le mets pas devant moi,
méchante fille, je veux qu'il ail ma vie
avant la tienne...
L'homme au manteau sombre appro-
chait, en effet, mais si lentement que
M"" de La Maille et Lisette eurent tout
le temps de se débattre à qui l'affronte-
rait. Finalemenl, de par autorité, la jeune
demoiselle en obtint le dernier. Toute
pâle, elle avança, tomba à genoux sur
le bas de sa pelisse et, tendant vers l'in-
connu ses petites mains ouvertes et
tremblantes où brillaient les joyaux ar-
rachés de sa jupe et de son corsage,
elle implora :
— Ah ! monsieur de Mandrin, prenez :
voici ma montre avec sa chaîne de
jaseran, puis mes bagues, puis ma pa-
rure de perles et de gros béryls, puis
mes rubans de corsage enchâssés de
roses et de diamants bleus. Sur l'hon-
neur, ce qui me reste n'est que clin-
quant, freluches, pretintailles, paillettes
et affiquets de petit prix. Mais, en re-
tour, ah 1 monsieur de Mandrin, laissez-
vous attendrir. A ma suivante Lison,
pauvre fille dévouée, qui se tient der-
rière moi, ne causez aucun mal... nia
moi, s'il vous est quelque bonté de
siirplus !
Cette belle demoiselle, à genoux, dé-
bitait sa prière de ton si ingénu et, au-
LA CIIACONXE
laiil ({iiOii en pouvait ju};er sous les j — Oui, mousieur, j'en appelle à la
j;rau(ls ormes, par celte brume du soir | j^alanlerie dont vous fûtes coutumier
iiyjiia.fiV;' ,-»•;
que la lune perçait parfois d'un
rayon pâle, cette demoiselle était
si gracieuse et si douce en sa sup-
plication, que riiomme au manteau
noir, interdit, sans trouver de ré-
plique à propos, l'enveloppait d'un
regard complaisant et sans rien de
trop féroce. Son attitude même,
en l'instant décisif, trahissait une
surprise émue dont M^'** Armande, sou-
dain encouragée, prit prétexte pour
redoubler d'instances :
maintes fois envers les dames, ^'ous
n'userez pas de violence envers deux
pauvres femmes qui vous livrent de
10
I.A CllACOXNi:
hon gré, sans doléyiiccs ou simagrées,
ce qu'elles ont de précieux.
F^es yeux noirs du hrigjuid se faisaienl
de j)lus en plus caressants, il avait toutes
les peines du monde à se tenir de sou-
rire, mais, soit qu il prît un plaisir ral-
liné à se voir imploré d'une si belle de-
moiselle, soit que la scène lui parût d un
plaisant achevé, il neut aucune hâte
d'en brusquer le dénouement et ne
manifesta pas ouvertement le sentiment
de mansuétude qui, dès le premier mol,
lui avait louché le cœur. Néanmoins
sans trop grossir sa voix, il répliqua :
— Ouais ! mesdames les fines mou-
ches, nous n'en sommes donc pas à
notre premier voleur? M'est avis que
vous êtes expertes en la façon d'en conter
aux routiers et de les berner en godi-
neltes. Point ne me paye de cette mon-
naie de pape, mes jeunesses. Toutefois
— parce que vous m'avez su chatouiller
au point faible qui est galanterie —
je n'userai de contrainte envers vous.
Nonobstant, votre maréchaussée nous
faisant le métier rude et les aubaines
rares, j'accepterai la rançon que vous
jn'offrez de belle grâce. Voyons ce qu en
vaut l'once ?
Vivement, M"*^ de La Maille lui versa
ses joyaux dans les mains, et tandis que
sa fidèle Lison l'aidait à se relever, le
voleur feignait d'examiner les bijoux
un à un.
— Penh ! ])euh ! — exclamait-il. —
En ma paume, celte chaîne de jaseran
pèse moins qu'une pincée de pois chiches
et, de bagues et de bracelets tels, les
coti'res de nos cavernes regorgent. Vos
fameux diamants bleus m'ont tout l'air
de simples améthystes et ces perles me
paraissent orientées à l'écaillé d'ablette!
Lindignatioii fit sur M"'" Armande
le même eflel que la peur, elle suffo-
(|ua :
— Peut-on dire 1 Lison, explique donc
à monsieur que toutes ces pierreries sont
dinestimable valeur et que je les tiens
de mes nobles aïeules.
Lisette expliqua. Le lirigand secoua
la léte d'un air de doute mortifiant et
leui- remit les joyaux dans les mains
avec un superbe dédain.
— Non, en bonne vérité, — puisque ce
soir je me targue de galanlerie, — cette
quincaille ne vaut pas que je sois galanl
à demi. Reprenez tout ceci, mademoi-
selle; d'ailleurs n allez-vous pas au bal
de ce bon pas?
— Si l'ail, monsieur.
— l^]t où cela, sauf indiscrétion?
— En l'hôtel de ^L le baron de Mour-
nioulon.
— Ah I ah! chez le baron. Fort bien.
Parez-vous à nouveau de ces babioles,
belle dame, car, en celte fête provin-
ciale, hobereaux et béjaunes de maintes
gentilhommières les admireront sans
faute et naïvement. El, de grâce, à cause
de moi, ne vous attardez point à gre-
lotter en celle bruine, tandis que, là-bas,
sont peut-être commencés menue's, ga-
vottes, courantes et chaconnes qui vous
réchau lieraient très agréablement. Non.
ne lardez pas, daulanl qu'une autre
petite all'aire promptement expédiée,
j'entends vous rejoindre là.
Lison en pâma de surprise :
— Nous rejoindre chez M. le baron?
— Hé! sans doute, — sourit eifron-
tément le brigand en découvrant toutes
ses dents blanches — j'espère de ce gala
un excellent butin, et j'y compte faire
râtle de tout ce qu'on y verra briller de
précieux.
M"'' de La Ma'dle avait secoué sa
pelisse, rajusté ses parures, renfilé ses
bagues et ses bracelets. Remise de ses
vapeurs, observant par surplus que ce
Mandrin était un de ces voleurs avec
lesquels on se peut entretenir sur le ton
de la bonne compagnie, elle ne dédaigna
pas, par gratitude, de lui marquer quelque
intérêt.
— ( )h ! monsieur, si les instances
d une personne qui vous a les dernières
obligations vous peuvent émouvoir, ne
venez point à ce bal. Vous y seriez si-
gnalé, arrêté tout d'un train, et une
telle violence, sous mes yeux, me lais-
serait inconsolable.
— Je serai signalé et arrêté si, au
I.A (.11 AC.OXXK
l);il, \i)iis parle/ de moi; mais si \ous ne
sonniez mol de voire récente avenlure,
el si, à mon aspect, vous ne tiahissez
nulle émotion, M. le baron lui-même
ne se doutera de rien et parmi vos hobe-
reaux je me divertirai en toute commo-
dité. Jeslime que ce n'est pas exiger
trop qu imposer le silence à une per-
sonne c[ui m'est redevable de la vie.
— Oh! monsieur! Combien il m'en
coulerait de m'acquitler envers vous
aux dépens de tant de jucns de la pre-
mière qualité !
— Hahl lit insoucieusement .Mandrin,
vous n'en aurez nulle honte avouée,
.lai la main tort experte au jeu de l'es-
camote et vous-même, madame, ouvrant
tout grands vos grands beaux yeux, n'y
verrez que du feu. Pour ce qui est de
l'apparence, du beau langage et des ma-
nières, ne redoutez rien pour moi. Et
saut' mes menus tours de passe-passe,
je saurai me conduire le plus honnête-
ment du monde.
— Vous êtes le maître, monsieur, de
me réduire à cette extrémité qui, pour
vous-même, m'épouvante. Afin de vous
en détourner, je ne puis, hélas ! que
vous répéter ceci : » Vous êtes si connu,
que, ne vous connaissant pas, je vous ai
reconnu ! »
Ce bel argument fit une impression
médiocre sur notre scélérat. Il en sourit
impudemment.
— Je veux croire, mademoiselle, pour
ma sûreté propre, que votre perspicacité
est sans rivale possible, car ma témérité
ne se bornera pas à parader au bal de
M. le baron : j'entends bien y danser et
vous me ferez Thonneur de votre pre-
mière chaconne.
— Envisagez, je vous prie, les ter-
l'ibles conséquences où vous vous expo-
sez pour le plaisir fugitif et très vain de
mener une chaconne avec une personne
qui, pensant à tous vos risques, n'y saura
goûter aucun plaisir.
— Tout bien envisagé, madame, c'est
mon caprice... et je n'en démordrai pas.
— ■ Vous vous jouez de ma frayeur,
monsieur : vous ne me mettrez pas en
cette alternative cruelle ou de trahii-mos
amis ou de vous trahir vous-même 1
— Vous ne me trahirez pas, je l'es-
père, reprit l'inconnu d'une voix très
assurée et en i-egardanl lixemetd son
interlocutrice. — Mais le feriez-vous,
je ne renoncerais pour cela au plaisir
que je me promets de mener avec vous
cette première chaconne.
M^''^ de La -Maille ajouta force autres
réflexions émouvantes et faites pour
amollir le cœur de tout autre homme
moins opiniâtre que Mandrin. Celui-ci
n'y voulut rien entendre et prit congé
de la demoiselle et de sa suivante en un
salut familier de gens qui se vont revoir.
Puis, laissant le chemin libre, il s'en-
fonça sous les ormes et, du côté des
ruines, se perdit dans la brume si rapi-
dement qu'elles crui'ent avoir rêvé.
Appuyée au bras de la soubrette, la
noble demoiselle acheva le trajet. De
cette rencontre avec Mandrin, sa crainte
des voleurs était fort diminuée. Mais
une peur d'autre sorte, non moins vive,
la faisait se dolenter :
— Oh I Lison, conçois-tu la folie d'un
homme qui, pour danser une chaconne
avec moi, s'expose à la prison, et ne se
tirera de la question ordinaire et de l'ex-
traordinaire que pour être écartelé en
place de grève ! Cette vision, mon en-
fant, me remplit l'âme d'une épouvante
auprès de laquelle mes pâmoisons d'an-
tan n'étaient que baguenaudes. De quel
air l'accueillerai-je et quelle contenance
tenir alors que, par sa seule présence,
je perdrai tout d'un fil ma force et mes
esprits ?
On commençait d'entendre plusieurs
roulements de carrosse. Lisette, tout en
entraînant sa maîtresse vers les lueurs
de torches et de lanternes qui perçaient
le brouillard , la réconfortait de son
mieux et retrouvait sa langue à mesure
qu'était plus proche l'hôtel de Mour-
moulon.
— N'ayez souci, mademoiselle, disait-
elle, je vous baille ma meilleure parole
que ce larron, s'il danse la chaconne, la
dansera dans les ruines avec les rats et
12
LA GHACONNE
les huloltes. Il n'a parlé du bal de M. de
Mourmoulon que par pure jactance de
Gascon. Il n'a garde d'y risquer le fin
bout de son nez !
— • Puisses-lu dire vrai, Lisette ! Et
cependant si, comme moi, tu avais vu
de près son regard tour à tour lier et
doux, impérieux d'abord, puis caressant,
tu ne douterais point cpiil n'eût cette
belle audace !
— En ce cas, mademoiselle, faites
avertir ou le guet ou les quatre esta-
liers de M. le baron. On le viendra
prendre au bal ainsi qu'un lièvre au
gîte !
— Oh ! fi, Lisette, l\ d'une telle vile-
nie ! Ma parole serait- elle engagée au
dernier scélérat, que je n'y voudrais
manquer, même au prix de ma vie...
— Eh! mais, mademoiselle, depuis
quand ce monstre de Mandrin n'est-il
plus cent fois pis que le dernier scé-
lérat ?
— Chut ! ne prononce plus son nom,
on pourrait nous entendre et ce serait
le perdre ! fit M"« de La Maille avec
un à-propos de prudence qu'on n'eût
pas attendu d'une personne si troublée.
Et l'avis n'était pas superflu, car on
touchait au portail de l'hôtel. Les gens
de M. le baron, tenant très haut torches,
lanternes et flambeaux, s'avancèrent vers
les deux jeunes femmes et leur firent
escorte jusqu'au perron.
II
Les yeux encore remplis de l'ombre
des ruelles tortueuses, encore frisson-
nante de la brume du mail désert, M"'^ de
La Maille eut une sorte d'éblouissement
à l'éclat de la fête. Le tout était d'un
ordre et d'une magnificence qui faisaient
grand honneur à M. de Mourmoulon. Le
baron avait paré sa galerie de tapisseries
magnifiques. Le grand salon s'éclairait
de douze lustres. On ne comptait pas
moins de vingt- quatre violons et il y
avait déjà beaucoup de monde. Les
dames, fort ajustées, toutes pimpantes
de gazes d'or et d'argent sous leurs pas-
sements de Venise et leurs fils de perles,
avec leurs cheveux en poudre piqués de
huppes blanches, incarnates, roses et
couleur de feu, étincelant de mille cl
mille pierreries, dansaient avec des gen-
tilshommes en bas de soie et en habits
couverts de broderies à passepoil do
velours et de satin. Dans une salle
proche était servie une superbe colla-
tion, composée de huit bassins de ver-
meil et d'argent, contenant, avec des
viandes froides et d'exquises rissoles,
les fruits et les confitures les plus rares.
M. le baron de Mourmoulon vint re-
cevoir M"*^ de La Maille à la première
chambre et, se confondant en mille soins
empressés et galantes complaisances ,
singéniant à lui rendre tous les hon-
neurs imaginables, il lui otTrit le poing
jusqu'au fauteuil.
Le contraste qu'il y avait entre cette
fête brillante et la rencontre mystérieuse
du mail était si grand que M^'® de La
Maille commençait à se persuader que
ce pouvait bien être quelque songe ou
vision. Cédant aux pensées plus riantes
qu'éveillait la musique et aux mille dis-
tractions d'une compagnie courtoise, elle
se remettait peu à peu de son trouble
lorsque son attention se trouva attirée
par une sorte de murmure et d'agitation.
Toutes les personnes présentes tour-
nèrent en même temps la tête vers le
seuil du grand salon où venait d'appa-
raître, vêtu d'un habit à broderies d'ar-
gent et garni d'une merveilleuse quan-
tité de rubans incarnat, un cavalier
d'allure si accomplie, en son bel air et
sa bonne grâce, que l'assemblée en eut
un frémissement de surprise. Mais
M"*" Armande de La Maille n'eut pas
plus tôt jeté les yeux de ce côté, qu'elle
devint mortellement pâle ; car , bien
qu'il eût quitté son grand manteau cou-
leur de nuit, elle reconnut, au premier
regard, l'homme du mail.
Sans la plus petite hésitation , dans
une assurance que , en dépit de son
trouble profond, la pauvre demoiselle
ne put se tenir d'admirer, il s'avança,
et, faisant devant les dames ses pas-
LA CIIACONNE
13
sades pour saluer de droite et de gauche,
il balaya superbement le parquet du
panache incarnat et blanc de son cha-
peau. Le cfeur dArmande battait éper-
sonne parmi tant de gens. Il eut tôt l'ait
de démêler M"" de La ALiille des autres
femmes de condition et, du plus loin
qu'il l'aperçut, il lui tira ses révérences
S^
dûment. En son émoi, elle se faisait
petite et inclinait obstinément la tète,
n'ayant plus d'autre espoir que de n'être
point vue de lui. Mais le visage mobile
et passionné du cavalier n'exprimait que
trop bien qu'il cherchait une seule per-
et prit tous les menus soins dont un
homme s'avise pour faire connaître à
tous la dame qu'il distingue. De ceci
M"^ de La Maille ressentit le déplaisir
qu'on peut imaginer. Lorsqu'il fut auprès
d'elle, bien que résolue à tenir les pau-
I.A CIIACONXK
pières baissées aliii de ne lui marquer
aucune attention, elle les leva malgré
elle et se sentit défaillir en croisant ce
reyard d'homme tout empreint d'une
sorte de tendresse violente. I*]lle fris-
sonna de crainle, mais ce fut dune (oui
autre crainte que sous le mail. I']n j;rande
aisance, de voix chaude et vibrante, ce
seigfneur, que personne, hors notre de-
moiselle , ne paraissait connaître , lui
déboisa son compliment, puis implora
l'honneur de mener avec elle la première
chaconne. Armande de La Maille sentait
peser sur elle les regards intrigués de
toute la compagnie, et, comprenant que
le moindre geste on le moindre mot don-
neraient l'éveil et trahiraient ce fou qui,
sous l'impression d'un sentiment trop
vif, risquait sa vie en une romanesque
équipée, elle s'ell'orça de vaincre l'affreux
émoi qui s'était emparé d'elle. Le plus
prudent lui parut, pour l'instant, de ne
provo([uer aucune explication dange-
reuse et, espérant que sa fantaisie' pas-
sée, une fois la chaconne dansée, Tin-
connu se voudrait bien retirer, elle se
leva silencieusement et tenta de sourire.
Mais à la gêne de sa respiration, à l'aban-
don de ses dernières forces, elle pres-
sentit que l'eil'orl ne la soutiendrait pas
longtemps.
A ce moment, le son des violons lit
heureuse diversion à la curiosité. Le
branle commença et le mouxement gé-
néral lui permit d'exprimer à voix basse
la crainte qui lui déchirait le creur. Elle
dit dans un soupir où semblait s'exhaler
toute sa vie :
— De mon mieux, monsieur, vous
vovez que je remplis ma promesse ;
mais vous devez voir aussi que votre
audace me livi-e au dernier désespoir. Je
manque à chaque pas la cadence cl pense
défaillir à chaque révérence. Par grâce,
ne me soumettez pas à de plus longues
épreuves. Conduisez-moi à mon siège,
je vous prie, et donnez-moi celte joie de
vous esquiver promplement.
Mandrin lui répondit du ton le plus
galant :
— Ah ! madame, il ferait beau \o\v
que je payasse l'extrême ci\ilitéque vous
avez- pour moi de l'incivilité de vous
mener à votre chaise avant la dernière
révérence. Dieu merci! le respect que je
dois à \'ns ordres ne m'oblige aucune-
ment à une impertinence comme serait
celle (le cpiilter nue dame au milieu de la
chacoiuie, — d autant que vous la dansez
d'un agrément et dune perfection qui
ne se peuvent représenter. Si je n'ai que
peu d'instants à jouir d'une telle félicité,
ne me les gâtez point d'instances et
prières propres à m'attesler que les assi-
duités d'un homme de ma sorte vous
sont à grande honte et humiliation.
— N'en croyez rien, monsieur, je ne
me veux sonvenii- que de vos bons
oflices. Ce n'est aucunement par honte
ou humiliation de faire ligure avec vous
que je m'émeus ainsi, car il n'y va pour
moi que de la confusion de danser à
conlrelemjjs. Mais je perds mes esprits
à la seule pensée de ce que celte impru-
dence vous peut coûter de souffrances.
— Madame, en vérité, (|ue vous im-
porte?
— Ah 1 lit-elle d'une voix qui le
loucha, ne pressentez- vous pas qu'il
m'importe bien plus que je ne puis ici
vous l'exprimer hautement?
— lié ! madame, reprit-il doucement,
s'il m'agrée d'oublier tant de risques,
est-ce à vous d'y songer plus que moi-
même? Et si j'affronte ce risque en toute
gaieté de c(eur, n'est-ce pas que les dou-
ceurs c|ue je goûte près de vous m'en
payent au centuple? Tenez-moi lidèle-
menl \olre promesse jusqu'au bout et, si
celle chacoime doit être la dernière que
je mène en ce monde, dansez -la -moi
entière sans ])lus de fausses excuses et
prenez bien à cteur d'y déployer, pour
mon ]ilaisir suprême, toutes vos perfec-
tions.
Le \if (le ces propos ne laissa pas que
de rendre quelque vie à M'"' de La Maille.
Ses joues s'empourprèrent légèrement et
léclat de ses yeux réapparut. Jugeant
enhn (piaucune imploration, si fervente
fût-elle, n'aurait raison de la volonté
diui tel homme et qu'aucune raison ne
LA CIIACOXNK
1.)
le [loiiri'iiil (lé ( (III nier du 110 perte assurée,
elle r(!'S()lut au nioiiis de lui (lonner, pour
Tunique el derui('r(> lois de sa vie, tout
le plaisir qu'il sollicitait d'elle. Elle raj)-
pela ses es|)rils, se rallerniit sur ses
f^riserie légère, IVolaul à peine le sol de
ses petits pieds coquets, telle qu une fée
voltigeant à (leur d'herbe, avec des }.;estes
pareils à autant de compliments, elle
commença ses «grâces, ses bercements.
c/'SjRe^^':^?
'f K><c :•.<>- o
menus talons. cand)ra la taille, anoiidit
ses bras et saisit les plis de ses paniers du
bout de ses doij^ts tins, de ses doij^ls très
joliment ouverts comme pour prendre
leur vol. Et ainsi, soit en branle dans le
ses tours et ses dt*tours. Pai instant,
preste et leste, tantôt lente et dolente,
elle sut ajouter, à tous les pas réglés,
maintes li;4urcs de fantaisie si souple et
si décente, survenant en si juste et mei-
mème temps que les autres danseurs, \eilleuse cadence, que dames et sei-
soil par deux seulement, comme au | gneurs s'arrêtèrent de sauter pour la
menuet, toute rose et pimpante dune I mieux admirer.
LA CIIACONNE
Quand elle pressentit raccord iinal,
elle prit son espace et son temps de révé-
rence dernière. Déjà, d'un geste d'am-
pleur charmante, elle ramenait à elle
ses jupes bouffantes et, le demi-sourire
aux lèvres, les paupières pudiquement
baissées, elle s'inclinait devant son cava-
lier tout aussi gracieusement qu'elle eût
pu le faire devant Sa Majesté, quand,
au travers de ses cils, elle vit paraître
Lisette sur le seuil. Et, du doigt, à quel-
ques estafiers qui se tenaient derrière
elle, la soubrette désignait le danseur de
sa maîtresse.
Subitement, cruellement, ce geste rap-
pela à la demoiselle ce qu'elle avait
oublié dans l'ivresse de cette dernière
chaconne. L'émotion fut trop forte. Son
visage prit instantanément une blan-
cheur de mort, son regard s'éteignit, ses
doigts s'ouvrirent laissant glisser les plis
de sa robe, ses lèvres, sans pouvoir pro-
férer une parole, exhalèrent un soupir
de douleur infinie... et la belle révérence
s'acheva en pâmoison.
III
Lorsque M'"* de La Maille, étendue
sur un lit de repos, sentit qu'une main
délicate lui bassinait les tempes dune
fine toile mouillée, elle retrouva ses
esprits et lentement releva les paupières.
Le premier regard que son regard croisa
fut celui de son danseur de chaconne.
Elle s'écria d'une voix tout éperdue :
— Eh ! quoi, monsieur, êtes- vous en-
core ici? Que sont donc devenus ces
méchants estafiers?... Se peut-il que
vous ne courriez maintenant aucun dan-
gers ? Ai-je rêvé ? N'êtes-vous plus Man-
drin?
Toutes les personnes qui s'empres-
saient autour du lit se prirent d'une
belle risée. Mais, pâle d'émotion, le pré-
tendu Mandrin se pencha vers M"*' Ar-
mande et il lui murmura :
■ — Non, mademoiselle, c'était là une
méprise dont Lison et ses quatre esta-
tiers m'ont fait cent mille excuses.
— Ah! monsieur... quel bonheur I
s'écria M"'' de La Maille en telle exubé-
rance de joie que tout le UKMide i-it de
plus belle. Elle en reprit son entière
connaissance dans une rougeur de con-
fusion.
— Non, mademoiselle, non, il n'y a
plus de Mandrin, répéta le jeune homme
avec une énergie nouvelle. Vous voyez
devant vous le neveu de M. le baron de
Mourmoulon, qui. contrit, du plus pro-
fond du cœur, vous demande très hum-
blement pardon de sa mystification.
Amusé de votre peur imprévue, piqué
du neuf de l'aventure, épris enfin de
votre grâce ingénue et de l'expression
de votre beauté touchante, je n'ai su me
défendre, en l'occasion que m'offi-ait
votre méprise, de m'assurer des senti-
ments que vous nourrissiez pour moi.
De cette indigne comédie, ah ! madame,
qu'amèrement je me repens ! Et de cette
épreuve odieuse dont vous pensâtes
mourir, je me voudrais à mon tour mor-
tellement punir, si je n'y avais puisé la
divine certitude que, même en la figure
d'un horrible brigand, j'eus le bonheur
ineffable de ne vous point déplaire !
A ce moment, fort à propos ma foi,
les violons recommencèrent de jouer
dans la galerie, et ce fut bon prétexte à
M. de Mourmoulon de ramener — sauf
le neveu et la belle demoiselle — tous
les autres danseurs vers la salle du bal.
Par quoi notre jeune seigneur eut
toute liberté d'effusions et de serments.
— En vérité, monsieur, soupira en
souriant M"** de La Maille quand il eut
débité beaucoup plus que l'essentiel, je
ne me veux point faire plus romanesque
que je ne suis et vous confesse tout droit
que, sans comparaison, je préfère l'hon-
nête gentilhomme au célèbre brigand.
Aussi ne me dédirai-je pas de l'aveu
que, fort étourdiment, j'ai laissé échap-
per au sortir de ma sotte pâmoison.
Je vous pardonne donc et ne vous retire
pas cette main que vous baisez tendre-
ment, encore que votre moyen de sur-
prendre le secret d'un ctKur candide soit
un peu bien dans la façon d'un vrai Man-
drin !
Cn ARLES F OLE Y.
UNE SOCIÉTÉ DE CHARITÉ
Paris a loiijours eu un charme parti-
culier, qui Ta fait dans tous les temps
g^oûter par tous ceux qui, se sentant
quelque envie de sortir d'eux-mêmes,
de fuir la monotonie de la province,
de rechercher les plaisirs et d échapper
aux médiocrités de leur ville, avaient la
force, l'énergie nécessaire pour affronter
les chances et les périls dune vie nou-
velle et inconnue.
Avant 1789, celte attirance de Pai'is i
ne s'exerçait guère que sur les ambitieux,
sur les nobles qui désertaient la cam-
pagne poup Qourir après des privilèges
et des plaisirs qu'ils croyaient plus faci-
lement trouvera la cour; sur les amis
des sciences et des arts, et aussi sur les
gens desprit qui commençaient à remuer
des idées nouvelles et à philosopher.
C était la grande mode à la fin du
xviii^ siècle.
Quelques ouvriers, des maîtres en
leur profession, tentaient bien 1 aven-
ture; mais ce n était encore qu une
exception. Le paysan, l'artisan, man-
quant d argent et d'esprit d'initiative,
restait chez lui. C était d'ailleurs, à cette
époque, toute une affaire que d'aller à
Paris, il fallait dépenser beaucoup d'ar-
gent et de temps. En partant, on crai-
gnait de ne plus revenir et, avant le
départ, on faisait son testament, on em-
brassait les siens dans un adieu qui
semblait à tous devoir être éternel. Si,
plus tard, on revenait, on était fêté,
admiré comme un homme fort, comme
un protégé du bon Dieu.
La Révolution, en bouleversant l'ordre
ancien de toutes choses, a manifeste-
ment aussi et plus vite qu on le croit
changé les idées, les habitudes, les
mœurs. Puis, ce qu on appelle le pro-
grès a mis à la portée de tous des faci-
lités nouvelles, et peu à peu le pays
tout entier s'est mis en marche vers
Paris. On ne fait plus son testament en
partant; on se dit : bah! si ça ne va pas
là-bas, je reviendrai bien vite, il n'y en
VIII. — 2.
a jjas pour longtemps. La facilité du
retour et le développement de toutes
les industries, ces grandes mangeuses
d'hommes, encouragent tout le monde
à partir. Il est à remarquer que cette
impulsion est devenue toujours plus
grande après chaque révolution. L'exode
de la province ne cesse ainsi d'aug-
menter. Il devient un danger social. La
province se meurt, et Paris est atteint
d'un mal, la pléthore, qui a bien aussi
ses dangers.
Cette réunion surabondante de ceux
qui pensent et travaillent a permis à
Victor Hugo, le plus grand imagier des
poètes, d'appeler Paris : la Ville lumière.
Malheureusement toute clarté produit
des ombres, et celte grande lumière
qu'est Paris, en éclairant le monde, en-
fante, elle aussi, des ombres, et quelles
ombres ! L'âme sensible et le cœur juste
qui les traversent en sortent tout saisis
d'horreur et de commisération.
Dans cette ruche en travail, combien
n'ont pu surmonter 1 obstacle, vaincre
les difficultés de la lutte et, arrêtés dans
leur labeur, sont tombés laissant passer
devant eux les plus forts, les plus chan-
ceux! Les moins malheureux ne sont-ils
pas ceux qui sont morts tout de suite
en combattajit?
Pour quelques-uns qu'un coup d'éner-
gie a fait remonter au-dessus de ce re-
mous humain, combien tombent dans
la misère, accablés de maux de toutes
sortes, et les maux, les maladies, plus
encore que les prospérités, ont le privi-
lège de s'engendrer surtout quand le
secours vient à manquer !
Le malheur en est souvent privé par
la bonne raison que les lutteurs, la plu-
part du temps, ne regardent pas derrière
eux, et que les arrivés, ceux qui ont
atteint le port, passant le reste de leur
existence à se glorifier ou à jouir des
avantages que leur donne le succès, dé-
tournent volontiers les yeux de l'hor-
rible spectacle de la misère comme d'un
18
UNE SOCIÉTÉ DE CHARITÉ
danger auquel ils ont échappé et dont
ils ont rétrospectivement encore peur.
Puis n'arrive-t-il pas trop souvent que
d'autres, toujours habitués à une exis-
tence facile, se laissant absorber par
Toisivelé et les plaisirs, oublient trop
facilement qu'il y a autre
chose dans le monde?
Mais il y a aussi des
âmes charitables dont
le dévouement a
toujours essayé
MAISON DE LA RUE LABAT
Réunissant un asile de nuit pour femmes, un dispensaire
de venir au secours des douleurs et des
souffrances des éprouvés de ce monde.
L'histoire de ces belles âmes, de ces
nobles dévouements serait longue à ra-
conter, mais combien intéressante !
Avant la Révolution , à Paris, les
corporations prenaient volontiers à leur
charge les compagnons tombés dans la
misère ; puis de nombreux couvents
s'occupaient généreusement des misé-
reux, et les pauvres, cantonnés chacun
dans son quartier, étaient plus volon-
tiers secourus par les habitants qui les
connaissaient pour ainsi dire indivi-
duellement; les pauvres n'étaient pas
encore nomades.
Pendant la Révolution, la nation était
occupée à faire sortir du platonique
pour les mettre en pratique les idées
des encyclopédistes et de Rousseau, qui
lui paraissaient logiquement déduites
et vraies. La conviction que ce travail
la conduirait au bonheur lui faisait
croire qu'elle n'avait déjà plus de maux.
Sous l'Empire, les victoires, qui suc-
cédaient aux victoires, enthousiasmaient
le peuple. Chaque victoire était pour
lui l'occasion d'une fête, et à peine
une fête était-elle terminée qu'il fallait
assister à une autre. Il n'avait pas le
temps de songer à ses douleurs, pas plus
d'ailleurs que les heureux celui de penser
à les soulager. La gloire,
semblait-il, nourrissait
tout le monde.
Mais après la tempête,
après l'enivrement de la
gloire, quand le canon
cessa de tonner, le calme
vint et les généreuses
idées de liberté, d'éga-
lité, de fraternité, qu'on
avait jetées en pâture à
la multitude, ne suffirent
plus pour empêcher les
malheureux fatigués d'a-
gitations et de gloire, de
sentir leurs misères et de
les constater plus nom-
breuses encore.
Pendant ces temps
troublés, l'assistance publique, créée
par la ville de Paris et soutenue par
l'État, était bien venue avec ses hôpi-
taux et ses bureaux de Lienfaisance au
secours des malheureux les plus néces-
siteux. Mais les ressources de l'assis-
tance publique sont forcément limitées,
et elle se trouva bientôt impuissante
devant l'accroissement rapide de la po-
pulation, accroissement qui augmenta
encore dans les années de repos et de
et un fourneau.
UNE SOCIÉTÉ DE CHARITÉ
19
paix (louiices au pays par la Reslaura-
tion et le f^ouveruemeiil bourgeois de
I^ouis-Philippe.
L'assistance publi-
que est devenue for-
cément un rouage
minislration ; elle
HABITATION É C 0 X O M I Q U E
Rue d'Alsace à Clichy, façade
sur le jardin.
est toujours imperson-
nelle, et ses employés
ne sont que les exécu-
tants désintéressés des
ordres donnés par un
conseil supérieur loin
des malheureux. Aussi
ils ne peuvent avoir cet
esprit de charité et ce
sentiment du dévouement, qui animent
ceux que les soulîrances vues de près
excitent à donner eux-mêmes leur propre
argent et la sympathie de leur cœur.
Donner est bien, mais mieux encore est
de donner d'une certaine manière qui,
au lieu d humilier les pauvres, les relève
à leurs yeux en leur
faisant comprendre
quils sont sympa-
thiques. Ce témoi-
gnage double le se-
cours donné et
accepté. Eux aussi
ont une âme et un
cœur sensibles. La
charité ofticielle est
froide, la charité
privée est du
cœur en ac-
tion.
La charité
HABITATION ÉCONOMIQUE, avenue de Saint-Mindé.
MEME MAISON
Façade sur la rue.
privée, mise en éveil
par linsuflisance des
secours donnés, a su,
avec le génie et le
dévouement qui la ca-
ractérisent, créer un
très grand nombre
d'œuvres charitables
adaptées à tous les
genres de soulTrances
que doit engendrer une
population presque de
3 millions d'âmes.
Ce mouvement cha-
20
UN?: SOCIÉTÉ DE CHARITÉ
ritable a commencé surtout avec la tran-
quillité donnée à la nation par la fin
des guerres de l'Empire et s'est continué
depuis sans arrêt, allant toujours en
progressant. Il semblait que la création
d'œuvres nouvelles faisait surgir la
nécessité d'en créer d'autres pour les
compléter. Aujourd'hui, si les pauvres
sont nombreux à Paris, les œuvres
charitables se comptent par centaines,
et les sommes qu'elles reçoivent et dé-
pensent au profit des pauvres sont
incalculables.
En compulsant toutes ces additions, on
se demande si véritablement le peuple est
en droit de s'insurger contre les riches et
de dire qu'ils ne font rien pour les malheu-
reux. Pour se rassurer à cet égard, il ne
faut que feuilleter le livre d'or de la cha-
rité qui, comme le mal, est contagieuse.
Parmi la grande quantité d'œuvres qui
existent aujourd'hui et sont prospères,
deux seulement sont centenaires. Il y a
d'abord la Société de Sainl-\'inccnt-de-
Paul, dont tout le monde connaît l'ori-
gine, et ensuite la Société philanthro-
pique, fondée en 1780.
Avant la Révolution, on ne connais-
sait que la charité d'homme à homme; il
n'y avait pas ce qu'on appelle aujour-
d'hui des œuvres de charité ou des socié-
tés de charité, c'est-à-dire l'union volon-
taire de personnes qui se réunissent dans
le but de se dévouer personnellement au
soulagement des, misères quelles qu'elles
soient. On peut cependant trouver l'em-
bryon de cette sorte de société quelques
années avant 1789 dans la réunion des
sept personnes qui occupaient des charges
importantes; elles mirent en commun
leur argent et leur dévouement pour
venir, au moyen de pensions, au secours
d'octogénaires et de nonagénaires aban-
donnés. Devenus plus nombreux, ils for-
mèrent une société à laquelle ils donnè-
rent le nom de Société philanthropique.
Avoir ainsi inauguré ce genre nouveau
d'association est tout à l'honneur de cette
Société. Partie d'aussi petits commence-
ments, elle a vite grandi, tant est grande
la force de l'esprit de charité. C'est elle
qui légua ses jeunes aveugles à M. Haiiy
et sut, par ses subventions, l'aider à fon-
der V Institut des jeunes aveugles. Après
diverses péripéties, presque toujours con-
séquences involontaires des événements
politiques, elle n'a eu une existence assu-
rée que le jour où elle a été reconnue
Etablissement d\itilité publique, en sep-
tembre 1839. A partir de ce moment,
devenue personne civile, capable de rece-
voir, elle vit arriver à elle des dons et
des legs qui lui permirent un développe-
ment presque régulier, et aujourd'hui elle
dirige avec succès de nombreuses œuvres
de charité qu'elle a inventées et créées.
Ces œuvres charitables s'adressent à
presque tous les genres de misères.
On ne peut malheureusement pas sup-
primer toutes les souffrances, mais il suf-
ht d'en rechercher les causes principales
pour y trouver sinon un remède radical,
tout au moins une grande atténuation.
Dans cet ordre d'idées, les membres de
la Société philanthropique ont beaucoup
osé et leurs entreprises ont eu celte faveur
particulière de voir leurs succès consa-
crés par la création d'œuvres similaires.
Se voir ainsi suivis dans la voie ouverte
par eux a été la récompense de leurs
efforts dévoués à la cause des pauvres.
La Société philanthropique a com-
mencé par essayer de soulager la plus
dure de toutes les souffrances, la faim, et
elle a créé les fourneaux économiques.
Elle a en ce moment vingt -huit four-
neaux ouverts et en plein exercice.
Le fourneau a toujours deux pièces.
La première est une grande salle ayant
au milieu plusieurs tables entourées de
bancs. Dans un fourneau les tablés sont
en marbre. Cette pièce est séparée .de
la cuisine par une cloison vitrée dans
laquelle est ménagé un guichet qui per-
met à la directrice du fourneau ou à ses
aides de passer au pauvre la portion
qu'il a demandée en échange d'un bon
de la Société ou contre argent : un ou
deux sous. Les soupes sont servies dans
de grands bols accompagnés d'une cuil-
ler en étain. Les autres mets sont don-
nés dans des assiettes blanches et on
UNE SOCIÉTÉ DE Cil A RITE
21
prêle des l'ourchelles eu mêlai blanc.
Le clienl, après avoir reçu sa portion,
va s asseoir devanl la table recouverte
dune toile cirée, lavée plusieurs fois par
jour. Il peut ainsi manger en toute tran-
quillité dans une pièce chauil'ée.
Pour un sou on peut avoir un gros
morceau de pain ou un bol dune bonne
Une fontaine remplie deau de café ou
de coco, selon la »aison, est toujours pla-
cée dans un coin de la salle et mise gra-
tuitement à la disposition du pauvre. Les
fourneaux sont ouverts tons les jours de
la semaine jusqu à midi, quelques-uns
jusqu'à sept heures du soir.
Les bons de la Société philanthropique
FOURXEAU ÉCONOMIQUE DE LA SOCIÉTÉ PHILANTHROPIQUE, RUE CORIOLIS
soupe bien chaude, quelquefois c'est du
bouillon. Le menu varie chaque jour.
Il est affiché dans le réfectoire et le
pauvre peut choisir. Il y a toujours plu-
sieurs plats : ragoût , bœuf, saucisses,
lard, macaroni , pommes de terre, fro-
mage, chocolat, etc. Toutes les portions
sont de 10 centimes payés soit en argent,
soit par un bon de la Société. On peut
aussi recevoir contre un bon, du char-
bon, de la braise ou des fagotins. De-
puis quelques années, on donne pour un
sou une bonne tasse de café avec deux
ou trois morceaux de sucre.
représentent l'ancien cachet de la So-
ciété : un champ sur lequel tombe leau
bienfaisante d'un arrosoir tenu par une
main à demi cachée dans un nuage. La
bienfaisance vient du ciel.
Les clients des fourneaux ne sont pas
tous des mendiants. Beaucoup d'hon-
nêtes ouvrières, occupées hors de chez
elles et n'ayant pas le temps de prépa-
rer leur repas ou celui du mari et des
enfants, viennent y chercher leur pain
et plusieurs portions qu'elles emportent
chez elles pour les manger en famille. II
est rare qu'on se dispute dans les four-
UNE SOCIÉTÉ DE CHARITÉ
neaux cl on y remarque Cfue la pauvreté
ne fait pas perdre à la l'emnie les privi-
lèges dus à son sexe.
- Les maladies ne sont guère moins
dures aux pauvres que la faim et le mal-
heureux malade qui manque de secours
est véritablemenl misérable. Il y avait
bien les hôpitaux où il pouvait aller;
mais ceux-ci ne peuvent pas recevoir
tous les malades qui se présentent ; les
règlements sont sévères et la place
manque souvent.
Le remède à cet état de choses a été
la création de dispensaires où le malade
peut, à son choix et à son heure, avoir
la consultation dun bon médecin et rece-
voir gratuitement les médicaments or-
donnés. Dès 1803, une carte de la Société
philanthropique donnait droit à l'entrée
dans l'un des trois dispensaires créés à
cette époque, j^a carte coûtait 10 francs.
Aujourd'hui, la Société a vingt-huit
dispensaii'es pour adultes et sa clientèle
augmente tous les jours. Elle ne se com-
pose pas seulement de personnes tout à
fait pauvres, mais aussi de celles qui
fuient l'hôpital par orgueil ou par un
sentiment de dignité compréhensible et
qui, s'efforçant de cacher leur état de
misère, craignent de la trop montrer en
y allant. Les pauvres honteux sont plus
nombreux qu'on le pense.
Mais une des créations les plus inté-
ressantes de la Société philanthropique,
ce sont les dispensaires d'enfants, dont
le premier a été ouvert , en 1883, dans
la maison hospitalière de la rue de Gri-
mée, n" 166, sur le modèle d'un dispen-
saire à peu près semblable, fondé et dirigé
au Havre par le docteur Gibert.
On ne peut pas visiter ces dispensaires
sans éprouver quelque vive émotion cau-
sée par le nombre vraiment incroyable
des pauA'res petits êtres chétifs et malin-
gres, aux figures blêmes et déjà étiolées,
qui viennent y faire soigner des maux
de toute sorte et c'est aussi un réel sou-
lagement d'y acquérir la certitude qu'ils
seront guéris ou soulagés, grâce aux soins
des docteurs et des Sœurs qui dirigent
les disj^ensaires.
Les petits enfants, dans les quartiers
ouvriers surtout, sont chétifsel malades.
Les familles y sont nombreuses, les loge-
ments étroits, la nourriture souvent
insuffisante, l'hygiène mal observée. Dans
ces milieux misérables les enfants se dé-
veloppent mal et prennent, faute de soins
donnés en temps opportun, les germes
de maladies graves qui se développent
avec la croissance, sans compter tous les
petits maux qui s'aggravent faute d'une
opération faite sur le moment. Les mères,
dans ces occurrences, n'ont d'autres res-
sources que le médecin de quartier, ce
qui coûte cher quand les visites du mé-
decin et aussi les médicaments doivent se
multiplier, ou bien encore l'hôpital pour
enfants; mais alors il faut un cas grave.
La place manque presque toujours, et il
faut que l'enfant attende longtemps son
tour, tandis qu'un traitement, appliqué
à temps, pourrait arrêter le mal dans sa
germination et guérir le petit malade.
D'un enfant chélif, destiné tôt ou tard
aux infirmités ou à la mort, on pourrait,
en le traitant tout de suite, faire un
enfant sain et capable de vivre. Les
exemples sont nombreux.
G'est cette pensée du secours donné
immédiatement, en temps voulu, sans
perte de temps, qui a inspiré la Société
dans la création de ses dispensaires.
Dans ces dispensaires les enfants sont
admis depuis le premier âge jusqu'à
douze ans. Les consultations ont lieu
deux ou trois fois par semaine.
A la consultation, on fait toutes les
opérations de la petite chirurgie: ce
n'est pas le seul avantage qu'offre le dis-
pensaire. L'œuvre est complétée par une
mesure excellente qui en double les mé-
rites. Pour s'assurer que les ordonnances
seront bien exécutées et régulièrement
appliquées, on exige que les enfants re-
viennent chaque jour au dispensaire jus-
qu'à complète guérison pour y prendre,
sous l'œil de la directrice, les remèdes
ordonnés. On leur donne ainsi sur place
des bains, des douches, des. sirops, de
l'huile de foie de morue, du lait, du vin
de quinquina, etc. On fait les pansements.
UNE SOCIÉTK DE CHARITE
23
Les enfanls les plus pauvres viennent le
malin prendre une soupe chaude et
reçoivent des vêtements que les direc-
trices prennent dans un vestiaire fjéné-
reusement entretenu par les dames
patronnesses.
Les soins et les médicaments sont
donnés j^ratuitement sur la présentation
dune carte achetée
par une personne
charitable et don-
née à lenfant.
Le dernier dis-
pensaire, de fon-
dation récente, est
connu dans le
monde de la cha-
rité sous le joli
nom de la Maison
des bijoux. L his-
toire mérite d'être
contée.
Un jour, une
dame, désireuse de
faire la charité
d'une manière plus
particulièrement
utile, vint apporter
à la Société philan-
thropique un don
g- é n é r e u X en la
priant de l'appli-
quer à une de ses
œuvres. Elle visita
alors un dispen-
saire d'enfants.
Après avoir con-
staté tout le bien
qu il faisait, elle re-
marqua combien
peu d'enfants dans Paris pouvaient en
profiter. Les seuls enfants du quartier
pouvaient y venir, c'était trop loin pour
tous les autres. Elle revint le lendemain,
son cœur et son imagination de grande
artiste avaient été émus et elle apportait
tous ses bijoux, beaux et nombi-eux. en
disant : Avec cela vous pourrez construire
un nouveau dispensaire dans un autre
coin de Paris, et il y aura un peu plus
d'enfants soignés et de mères consolées.
! L'n an après, le dispensaire était con-
i struit et à son inauguration le prince
I d'Arenberg, président de la Société phil-
anthropique, le baptisa : la Maison des
bijoux et le nom lui est resté.
Des dispensaires d'enfants aux asiles
, de nuit pour femmes, il n'y a pas loin,
puisqu'ils sont tous ouverts dans les
D I s P E X .s
AIRE D'EXFAXTS ET FOTRXEAU
RUE JEAX-MARIE-JÉGO
: mêmes maisons, et s'il est intéressant de
voir les uns, il n'est pas moins curieux
I de visiter les autres. La Société philan-
I thropique a beaucoup fait pour les
I femmes que leur faiblesse et leur condi-
! tion. souvent si misérable, rendent inca-
pables de se défendre sans protection
dans la dure lutte pour la vie.
! Pour elles, la Société a d'abord créé
I les asiles de nuit, puis les dortoirs pour
femmes enceintes et enfin une maison
UNE SOCIETE DE CHARITÉ
dite Asile maternel où on soigne avec
leurs enfants les femmes nouvellement
accouchées. Ces différentes œuvres sont,
pour ainsi dire, nées les unes des autres
et se complètent.
Il y a aujourd'hui trois asiles de nuit,
tous disposés et réglés dans le même
un grand lavabo. Le long du mur court
une conduite d'eau avec de petits robi-
nets de distance ç\\ dislance et une
large gouttière au-dessous destinée à
recevoir les eaux pour Tablution. Dans
un coin sont cinq cases séparées par un
rideau et à hauteur suffisante un réser-
INTÉRIEUR DE FOURNEAU. Tableau d'après nature, de Geolïro}-.
ordre d'idées. Le premier est celui de la
rue de Crimée. Au rez-de-chaussée se
trouve le bureau du gardien, à la suite
une grande salle, très haute de plafond,
chaufTée en hiver par un grand poêle.
Elle contient vingt lits en fer suffisam-
ment espacés entre eux. Les lits sont
garnis d'un sommier élastique, d'un bon
matelas et de couvertures chaudes. Au-
dessus du lit, on a placé un numéro et
une plaque portant le nom du donateur.
Au premier étage, il y a deux dortoirs
meublés de la même façon, sauf que dans
l'un d'eux, auprès de chaque lit, il y a
un petit berceau tout garni. A côté du
dortoir du rez-de-chaussée, on a établi
voir d'eau permet de prendre une douche
de propreté. Plus loin, il y a une
chambre à soufrer, sorte de grande
étuve hermétiquement close.
Quand une femme arrive pour de-
mander l'hospitalité, elle se présente
d'abord au bureau du gardien ; elle
donne ses nom et prénoms ; oh ne lui
demande rien autre chose. Elle reçoit
alors un numéro qui lui indique la salle
dans laquelle elle doit aller et le lit
qu'elle occupera. Si la femme est sale,
on l'envoie dans le dortoir du rez-de-
chaussée. Quand elle est couchée, on
prend ses vêtements qu'on porte à l'étuve.
La femme dont la tenue est décente,
UNE SOCIKTK DE CHARITÉ
'Ib
el qui paraît plus malheureuse que mi-
sérable, est placée dans le dortoir du
l)remier étage et, si elle a avec elle un
ou plusieurs enfants, on la met, avec sa
petite famille, dans le dortoir aux ber-
ceaux. Il est de règle que toutes les
femmes doivent, avant d'entrer au dor-
dc très honnêtes filles qui perdent leurs
places et ne savent plus que devenir;
d'autres qui viennent de la province
avec un tout petit pécule, le dépensent
vile pendant qu'elles cherchent inutile-
ment une occupation et, les ressources
épuisées, ne savent plus où aller. Elles
A S I L K .M A T E R S E i, A \- E N u E 1) T M A 1 N E. Salle de travail.
loir, passer par le lavabo ou la salle des
douches.
Les femmes peuvent coucher trois
nuits de suite à Tasile ; le matin, elles
font leurs lits, prennent une soupe et
sortent pour aller chercher du travail.
Les femmes, qui viennent à Tasile,
sont souvent des femmes battues, chas-
sées de chez elles par de mauvais maris,
de méchants pères qui, au lieu de paye,
rapportent le soir des coups et de Tivro-
gnerie, et que Ton fuit en emportant
avec soi les enfants ; il y a aussi des
filles malheureuses que l'inconduite a
réduites à la plus afîreuse misère. Il y a
encore, et elles sont assez nombreuses.
viennent alors à l'hospitalité de nuit
toutes désespérées. Souvent, en venant
frapper à cette porte, elles trouvent
sinon la fortune, tout au moins le salut.
L'expérience des directrices de ces
maisons a vite fait de les reconnaître
et leur dévouement sait trouver pour
celles-là, aussi bien que pour les autres,
du travail ou une place.
Mais il n'y a pas que ces femmes qui
viennent se réfugier dans les asiles.
Récemment, une jeune femme de vingt-
huit à trente ans, bien mise et de tour-
nure assez distinguée , vint frapper, à
une heure assez avancée de la nuit, à la
porte de l'une de ces maisons hospi-
26
UNE SOCIÉTÉ DE CHARITÉ
SALLE D'HOPITAL DE LA SOCIÉTÉ PHILANTHROPIQUE, A C L I C H Y
talières. Elle était tout émue, tout
agitée, toute tremblante et en pleurs.
Aux coups redoublés qu'elle frappe sur
la porte, le g-ardien ouvre. Elle demande
à voir la directrice. Sur le refus du gar-
dien, elle insiste tellement, et pleure
tant, que la supérieure est avertie, arrive
et emmène la jeune femme dans son
cabinet. Là, les pleurs redoublent, et la
pauvre femme, toute honteuse, conte
son histoire à la sœur.
Elle était la femme d'un grand bou-
tiquier de Paris et mère d'une toute
petite fille. Depuis quelque temps, elle
soupçonnait son mari d'infidélité et elle
venait, il y avait seulement quelques
heures, de le surprendre en complète
intimité avec sa servante. Furieuse, elle
avait fait à son mari de vifs reproches.
Une scène violente s'en était suivie et,
affolée, elle avait quille la maison, aban-
donnant tout et ne sachant où elle irait.
Pendant qu'elle courait ainsi, incer-
taine, la nuit se faisait plus grande, les
rues devenaient désertes; ne sachant
que faire et courant toujours et igno-
rant même, dans son trouble, où elle se
trouvait, elle avait eu peur et, aperce-
vant l'asile de nuit, l'idée lui était venue
de frapper à la porte et de demander un
abri. En terminant son récit, elle s'était
jetée dans les bras de la directrice en
disant qu'elle était trop malheureuse.
Touchée, la directrice la console de
son mieux, la garde la nuit et, le len-
demain malin, avec son consentement,
écrit au mari.
Celui-ci, qui avait partout inutile-
ment cherché sa femme, arrive tout dé-
solé. La réconciliation se fait sous les
doux auspices de la supérieure. Au
reproche que le mari fait à sa femme de
s'être réfugiée dans un pareil lieu de
misère, elle répond qu'à une heure aussi
avancée de la nuit, c'était le seul endroit
où elle pouvait être à l'abri et hors de
tout soupçon. Depuis cette soirée mé-
morable, le jeune ménage, redevenu
heureux, envoie, chaque année, des
fleurs à la directrice de l'asile et de l'ar-
gent pour ses pauvres. Ces sauvetages
sont plus fréquents qu'on le pense.
UNE SOCIÉTÉ DE CHARITÉ
27
Souvent des lemmes assez avancées
dans leur ^^rossosse pour ne pouvoir plus
travailler sont venues passer la nuit
dans ces asiles et ne savaient plus ni
où coucher, ni e( miment vivre après les
trois nuits ré-^lenientairement accordées.
Alors il est arrivé que, par pitié, une
salle spéciale leur a été réservée, et
qu'on les a f^^ardées jusqu'à leur entrée
à la Maternité. Cela a été l'origine des
dortoirs des femmes enceinles.
Mais comme les idées heureuses vont
toujours à leur entier développement,
cette pi^emière création a conduit à la
fondation de l'asile maternel.
On s'est aperçu que ces malheureuses
femmes, accouchées à la Maternité, en
sortent obligatoirement au neuvième
jour de leurs couches, et que cette sévé-
rité du règlement a souvent pour elles
des conséquences très dures.
Pas assez remises pour travailler à la
sortie de Thôpital, elles sont alors
exposées ou à la misère dans le moment
présent ou, plus tard, si malgré tout
elles travaillent, à des infirmités qui les
condamneront à gagner leur vie en souf-
frant toujours.
Alors on a songé à créer un établis-
sement dans lequel on garderait les
femmes accouchées et leurs enfants pen-
dant neuf jours après leur sortie de la
COUR INTÉUIEIUE DU DullToIU DES FEMMES EXCEIXTES ET DU FOURNEAU
DE LA RUE S A I X T - J A C Q U E S
38
UNE SOCIÉTÉ DE CIIAUITÉ
Maternité. Un legs important, donné
par une jeune dame charitable, a permis
de fonder cet établissement auquel on a
donné le nom d'Asile maternel.
Le nom lui a porté bonheur ; depuis
sa fondation , de nouveaux dons ont
permis de reconstruire lasile et d'y ap-
porter tous les perfectionnements mo-
dernes d'une parfaite hygiène.
L'asile maternel a été placé dans un
quartier sain et aéré.
Il est situé avenue du Maine, près de
l'église de Montrouge, au fond d'un
jardin. Il a ainsi, devant lui, de grands
espaces qui lui assurent beaucoup d'air
et de soleil. Sur la façade, une plaque
de marbre porte les noms des donateurs,
î^'asile est tenu par des religieuses dé-
vouées qui savent, à force de bonté et
de douceur, se faire aimer même par les
plus indifférentes de leurs pensionnaires.
En entrant, à gauche, le cabinet de
la supérieure s'ouvre sur le vestibule.
Il est, comme toutes les pièces de la
maison, très haut de plafond, éclairé
par une grande fenêtre qui le remplit
de lumière et de soleil. Il ne peut donner
à la pauvre nouvellement accouchée qui
y entre qu'une impression de gaieté et
un avant-goût de bien-être.
Dans une des cloisons du bureau, on
aperçoit un grand châssis vitré et cou-
vert d'un rideau blanc. Ce vitrage
permet à la supérieure de surveiller, tout
en travaillant, la grande salle où les
femmes se tiennent pendant la journée
avec leurs bébés. C'est une grande pièce
plus longue que large, de 5 mètres d'élé-
vation de plafond, ayant sept à huit
fenêtres qui tiennent toute la hauteur
de la pièce. Au milieu, il y a une longue
table autour de laquelle les femmes se
tiennent ; puis le long des murs, de chauds
berceaux dans lesquels les mères peuvent
déposer leurs bébés pendant qu'ils dor-
ment.
Après avoir donné à la supérieure ses
noms et tous les renseignements qu'elle
est libre de garder pour elle, la jeune
mère qui se présente à l'Asile maternel
monte au dortoir, dépose dans une petite
armoire personnelle tout ce qu'elle ap-
porte. Presque toujours un simple mou-
choir suffit pour contenir toute sa petite
fortune. Le rangement fait, la femme
redescend et va dans la salle commune
se mêler à ses nouvelles compagnes.
Le soir, quand elle remonte au dor-
toir, elle trouve sur le berceau de son
enfant toute une petite layette qu'elle
emportera à sa sortie de l'asile.
Il y a trois dortoirs. On a ainsi voulu
éviter, pour la nuit, une trop grande
agglomération de femmes et d'enfants
dans la même pièce. Ils sont très éclairés,
irèsr aérés et suffisamment chaulfés.
Chacun n'a que douze lits et douze ber-
ceaux ornés de rideaux. A côté de
chaque dortoir, il y a un grand cabinet
de toilette contenant douze lavabos,
chaque femme peut ainsi conserver la
même toilette pendant son séjour. A
côté, on a établi une salle spéciale pour
les douches et les soins particuliers à
donner aux femmes qui sont souffrantes.
Enfin, dans l'aile de l'asile qui fait pen-
dant à la salle de travail, se trouve le
réfectoire, grande pièce très haute de
plafond. I^es femmes y viennent le ma-
tin prendre ou du lait ou de la soupe.
A midi, elles ont un déjeuner composé
d'un plat de viande, de légumes et de
fromage ; le soir, à six heures et demie,
le dîner est plus important. Le pot-au-
feu et le gigot alternent , on donne à
chaque femme un quart de vin et le pain
à discrétion,
A ce régime réconfortant, les pauvres
femmes prennent quelques forces et sont
alors en état d'allaiter leurs bébés jus-
qu'au jour où elles doivent quitter l'asile.
Elles ont droit à neuf jours; il arrive
quelquefois qu'on les garde un peu plus.
L'œuvre ne serait pas complète si les
sœurs ne s'occupaient que de donner
des soins à ces femmes et à leur rendre
les forces perdues. Pour quelques-unes,
femmes honnêtes, qui en sortant retrou-
veront ou un mari ou une place momen-
tanément quittée, combien sont complè-
tement sans ressources, incapables de se
procurer du travail, dont elles ont corn-
UXH SOCIÉTÉ DE CHARITÉ
2a
plèLemeiil perdu rii;il)ilii(le, el ne sau-
ront que devenir, elles et leurs eufanls,
à la sortie de l'Asile !
C'est à ramener le calme dans leur
cœur, à les aider à sortir d'embarras, à
leur assurer, si faire se peut, tout au
moins le présent, que la charité des
sœurs s'emploie.
Elles pensent tout d'abord aux petits
venir les mensualités , de prendre des
nouvelles de l'enfant qu'elles donnent
ensuite à la mère. Ces sollicitudes sont
un véritable bienfait pour la pauvre mère
qui, se sentant ainsi soutenue, reprend
conrag-e, s'attache mieux à son enfant et
s'ellorcede travailler pour payer au moins
une partie des mois de nourrice. Il en est
qui, remontées par cette assistance, con-
VVF. PUISE AU FOTRNE.VU DE LA RUE AMBROlSE PARÉ (le matin.)
enfants quelles font baptiser avec le
consentement des mères et celles-ci sont
toujours les premières à le demander.
Puis elles s'occupent de leur placement
en nourrice soit avec le secours de
l'Assistance publique, soit avec laide de
personnes charitables.
La sollicitude des sœurs ne se contente
pas de trouver une nourrice, elle va plus
loin. Les sœurs s'intéressent à la mère et
à l'enfant même après la sortie de l'Asile.
Elles se chargent souvent de rester en
rapport avec la nourrice, de lui faire par-
sacrent par fierté tout leur g-ain pour l'en-
tretien de leur enfant.
La vie de l'enfant assurée, les sœurs
s'occupent de la mère. N'est -il pas à
craindre que ses bonnes dispositions ne
persistent pas après la sortie de l'Asile
et qu'elle ne retombe dans son ancienne
vie faite d'insouciance et de débauche ?
Le travail seul pourra la sauver. Mais
comment se le procurer? la chose est
souvent très difficile. C'est alors qu'in-
tervient la supérieure. Son dévouement
et sa patience réussissent souvent à trou-
30
UNE SOCIÉTÉ DE CHARITÉ
ver pour ces femmes un travail honnête
en rapport avec leurs aptitudes.
Les sœurs reçoivent aussi des confi-
dences. Ce sont de pauvres filles hon-
nêtes qui ont sincèrement aimé le père
de Tenfant et ont cru qu'elles seraient
épousées par lui. L'abandon les rend
toutes malheureuses et toutes honteuses
et elles prient la supérieure d'intervenir.
D'autrefois le père et la mère de l'enfant
ne demandent pas mieux que de se
marier ; mais les dépenses à payer, les
démarches à faire, la toilette qui manque
les empêchent de réaliser le mariage. La
jjrotection de la directrice supérieure,
dans ce cas, est doublement heureuse
et elle a, chaque année, le plaisir de
faire ainsi plusieurs mariages.
Pour récompense, la supérieure a le
sentiment d'avoir, par son dévouement
et par le travail, procuré et sauvé quel-
ques-unes d'entre elles et les témoignages
de reconnaissance de ces mères malheu-
reuses relevées à leurs propres yeux,
témoignages plus fréquents qu'on ne le
pense, l'encouragent à renouveler conti-
nuellement ses efforts de charité, d'au-
tant plus que souvent ces femmes re-
viennent à l'Asile pour visiter la direc-
trice, lui demander des conseils et, ce
qui est plus étonnant, les suivre.
A toutes ces œuvres, si utiles à divers
titres, la Société philanthropique a voulu
en ajouter une autre qui semble, par son
développement progressif, être appelée
à diminuer dans l'avenir le besoin des
secours donnés par les œuvres dont nous
venons de conter les merveilles.
Les habitations économiques est le
nom donné à cette nouvelle institution
jusqu'alors inconnue à Paris et copiée
sur pareille création faite à Londres.
Cette œuvre, créée en 1889, indique,
par son nom seul, le but qu'elle se pro-
pose ; ce but est de donner aux ouvriers
pour habitation autre chose qu'un taudis
infect où l'air et la place manquent
pour eux, pour leur famille et dans
lequel, ordinairement, la promiscuité
met en danger la morale et la santé de
tous; sans compter que souvent, après
le travail, le chef de famille ne trou-
vant, dans ce milieu peu agréable, aucun
repos, aucun bien-élre, le déserte, lais-
sant la mère seule avec les enfants et va
retrouver les camarades an cabaret, ce
soi-disant salon des pauvres. S'il est
faible de caractère, il y contracte de
mauvaises habitudes et apprend quelque-
fois à oublier ses devoirs, à se désinté-
resser de cette famille qui toujours lui
demande quelque chose.
Dans ces nouvelles habitations écono-
miques on offre aux ouvriers, à des prix
souvent inférieurs à ceux des mansardes
ou des logements insalubres et étroits
qu'ils occupent dans des maisons mal
tenues, de véritables appartements don-
nant sur la rue ou sur de vastes cours
et dans lesquels l'air, le soleil entrent par
de vastes et nombreuses fenêtres appor-
tant avec eux la gaieté et la santé, ces
deux réconfortants par excellence de
tous ceux qui travaillent.
Chaque appartement se compose de :
une petite entrée, une cuisine avec un
fourneau économique, l'eau et le gaz et
deux grandes chambres ayant chacune
une cheminée et une glace, puis, sous la
même clef, dans l'appartement, un cabi-
net d'aisances personnel confortablement
établi, en tout semblable à ceux des plus
somptueux appartements. Le prix varie,
selon l'étage, de 3'20 à 210 francs.
Quelle différence et combien l'ouvrier
se trouve confortablement dans ces nou-
velles maisons! Quel contraste avec son
ancien logement ! L'escalier est propre,
clair et aéré; rien qu'en y entrant pour
monter chez lui, l'ouvrier reçoit une
impression de confort que ne peuvent
lui donner ces escaliers sombres, toujours
mal lavés, mal balayés, pleins des mau-
vaises odeurs des cabinets communs
mal entretenus. Puis, quand il pénètre
chez lui, au lieu d'un fouillis de choses
mal rangées faute de place pour les
serrer, au lieu d'une atmosphère sur-
chauffée et pleine des odeurs de la cui-
sine, qui souvent se l'ait dans la seule
pièce habitée par la famille, il trouve une
chambre propre, bien ensoleillée, pour
UNE SOCIETE DE CHARITE
31
ses enfants, une autre pour lui et sa
femme dans laquelle il peut se reposer
agréablement. La femme elle-même est
encouragée à bien tenir cet intérieur
gai et confortable. Ce bien-être ne peut
manquer d'avoir une grande iniluence
sur Tavenir de la petite famille; le mari
n'a plus besoin d'aller au dehors pour se
de ces maisons à la lin de 1889 jusqu'au-
jourd'hui, en six ans, la Société en a
construit quatre et la cinquième, élevée
près des Buttes-Chaumont, vient d'être
inaugurée.
Le donateur généreux qui a donné
les importants capitaux nécessaires pour
la construction des deux premières habi-
HOPITAL DE CHIRUR(4IE A CLICHY (cÔté jardin.)
distraire de tout un milieu laid et désa-
gréable. Les idées, les habitudes changent
malgré soi avec le milieu dans lequel on
vit. C'est pour cette raison que la So-
ciété philanthropique pense faire une
œuvre sociale en construisant ces mai-
sons économiques. Elle est tellement
dans la vérité que pour chaque maison
nouvellement construite les apparte-
ments sont toujours retenus avant que
la construction soit terminée. Les ou-
vriers les connaissent et les aiment.
Depuis l'inauguration de la première
talions économiques a mis, paraît-il, à
son don des conditions ingénieuses qui
permettent de dire que ces maisons naî-
tront les unes des autres et pourront
ainsi se multiplier à l'infini dans un
temps relativement court, ainsi que ces
familles nombreuses qui se rattachent à
un patriarche commun. Le donateur a
voulu que les loyers des maisons, après
prélèvement des frais généraux, fussent
capitalisés, puis que le capital obtenu par
cette capitalisation annuelle servît, arrivé
à un chiffre suffisant, à construire une
32
UNE SOCIÉTÉ DE CHARITÉ
nouvelle maison dont le revenu sera
lui-même soumis à la même condition.
Les ouvriers, en payant réi^ulièrement
leurs loyers, participent, eux aussi, à
cette belle œuvre qui doit assurer les
mêmes avantages à d'autres ouvriers.
C'est là de la bonne et saine fraternité.
On pourrait calculer, puisque la chose est
mathématique, les progrès de cette
institution et dire combien elle aura de
maisons dans cinquante ans, et assurer
que le nom du donateur des premières
pierres sera universellement béni.
Pour être complet, il faudrait bien en-
core conter l'histoire de la dernière créa-
tion de cette Société philanthropique,
qui ne recule devant aucun obstacle
quand il s'agit d'œuvres charitables ;
mais la place manque, on ne peut que
la signaler. La Société vient d'ouvrir un
hôpital de chirurgie à Clichy, dans un
quartier plein d'usines et d'ouvriers.
Il est construit entre deux jardins et
on a apporté dans cet hôpital tous les
perfectionnements de la science moderne.
Les salles d'opération y sont vastes, très
hautes de plafond. Les murs recouverts
de stuc ont leurs angles arrondis; le jour
y arrive très abondant par de grandes
baies et par un plafond en grande partie
vitré. Les tables sont en marbre et le
fer est remplacé par le nickel. Les ins-
truments de chirurgie sont enfermés dans
des armoires tout en verre; le bois est
partout proscrit; c'est la guerre aux
microbes; puis, à côté de chaque salle
d'opération, il y a un petit laboratoire
où les aides de l'opérateur peuvent pré-
parer tout ce qui est nécessaire pour
assurer la réussite des opérations.
On a placé les salles d'opération
auprès des dortoirs et des chambres ré-
servées aux malades qui préfèrent être
seuls pour éviter de trop cruels transbor-
dements aux malheureux opérés. La
lumière pénètre partout. Il semble, quand
on visite ces salles ensoleillées, que cette
gaieté lumineuse doit tout au moins aider
les pauvres malades à mieux supporter
leurs souffrances.
On le voit, les institutions créées et
entretenues par la Société philanthro-
pique sont nombreuses et variées ; elles
s'adressent à toutes les misères. Mais en
fait de charité il ne doit pas suffire d'in-
diquer les œuvres fondées et de les
expliquer, il faut, et cela vaut mieux
encore, montrer quelle somme de bien
elles peuvent faire. Cette démonstration
sera le mot de la fin. Des chiffres plus
et mieux que des raisonnements m'aide-
ront à le donner concluant.
Ainsi la Société philanthropique a dans
son exercice 1896-1897 distribué dans
ses 29 fourneaux : 3,241,466 portions.
Les asiles de nuit oui reçu 10,056 fem-
mes etl, 343 enfants dont 3. 040 ont obtenu
du travail par l'entremise des directrices.
On leur a distribué 2'2,418 vêtements.
Dans les dispensaires d'adultes on a
soigné 2,403 malades et donné 31,609
consultations gratuites donnant droit à
une réduction sur le prix des médi-
caments. Le dortoir des femmes enceintes
a hospitalisé 485 femmes.
L'Asile maternel a reçu 814 femmes
accouchées et 803 nourrissons. On leur
a distribué 4,629 vêtements et la direc-
trice a pu procurer du travail pour le
jour de la sortie de l'asile à 401 femmes.
Dans les quatre dispensaires d'enfants,
on a traité 15,502 enfants qui ont reçu
30,245 vêtements sans compter les bains,
soupes, etc. Il y a eu 31,178 consulta-
tions gratuites.
Enfin on a distribué, en primes d'en-
couragement, aux ouvriers et ouvrières
de Paris, une somme de 6,978 francs.
Ces chiffres démontrent avec élo-
quence ce que peut faire pour le soula-
gement de toutes les misères la chanté
privée bien dirigée par des hommes d'un
dévouement complètement désintéressé
et secondée par de nombreux associés
généreusement charitables.
A côté de la Société philanthropique
d'autres œuvres se sont fondées dans
ces dernières années ; elles sont égale-
ment intéressantes, mais il est difficile
de dire en une fois tout le bien fait in-
génieusement par la charité privée.
FiîLix Sangnier.
PUVIS DE GHAVANNES
A l'occasion de son cinquantenaire de
peintre, célébré il y a trois ans, il a été
beaucoup écrit sur Puvis de Chavannes;
on a raconté en tlélail sa vie, on a dé-
sonnalité. Parmi les informations bio-
graphiques recueillies sur lui, il en est
une qui a surpris, de prime abord invrai-
semblable, tant elle semble être en con-
Puvis DE Chavannes (Photogi'aphie de 1896)
crit, analysé et commenté son œuvre,
qui sont, Tune et l'autre, le témoignage
éclatant d'un talent aussi original que
puissant, d'une haute et noble per-
VIII. — 3.
tradiction avec le tempérament et le
caractère de l'artiste : Puvis de Cha-
vannes était destiné, dans la pensée et
les ambitions de ses parents, à suivre la
34
PUVIS DE CIIAVANNES
carrière paternelle, radministralion des
ponts et chaussées.
pris goût; et, bientôt, très ferré sur
toutes les matières de science, il allait
EccE Homo (Tableau de jeunesse).
Ses études furent activement poussées 1 entrer brillamment à TÉcole polytech-
dans ce sens ; le jeune homme y avait | nique, sans aucun doute, lorsqu'une ma-
PUVIS DE CIIAVANNKS
35
ladie grave vint ruiner son rêve (Tiiigé-
nieur.
Puvis de Chavannes mathémalicien !
Sous l'obsession d'une idée aussi étrange,
on s'attend à voir sortir de la bouche
de sa Sorbonne un phylactère d'X,
comme Botticelli a mis aux lèvres d'une
des nymphes du Printemps une branche
lleurie. Eh bien , pour qui étudie de
toutes les conséquences de cette con-
viction — que la pratique de l'art n'est
pas une partie de plaisir, une distrac-
tion de dilettante, une fantaisie d'ama-
teur, mais qu'elle constitue une fonction
sociale, sérieuse, grave, difficile à rem-
plir, toute de sacrifices, d'abnégations,
de renoncements et de luttes perpé-
tuelles. Le métier sévère, régulier et
Marseille, porte de l'Orient (Palais de Longcbamp, à Marseille).
très près le grand artiste, qui cherche
avec soin la genèse de ses nombreuses
créations, cette antinomie apparente se
transforme en évidente logique; et, si
paradoxal que cela en ait l'air, j'ai la
conviction profonde qu'en la démontrant
avec précision, c'est le plus bel hommage
(ju'on puisse rendre au maître du Luchis
pro patria, du Bois sacré et du Doux
pays.
Dès son apprentissage du métier de
peintre, Puvis de Chavannes a i^econnu
et admis — en acceptant avec stoïcisme
loyal lui est apparu l'unique moyen
d'expression de la pensée, et la première
conquête à entrepi^endre. Voilà certes
un but, précis, positif, nettement défini,
hardiment proposé à une imagination
juvénile, ardente et ambitieuse ! C'est
le théorème dans toute sa simplicité
d'exposition, dans toute sa rigueur de
déduction. La ligne droite, dit-on en
géométrie, est le plus court chemin d'un
point à un autre. Il y voit aussitôt le
moyen pratique d'atteindre le but, il le
choisit avec décision; et, pendant cet
apprentissage, comme toute la vie du-
rant, rien ne pourra le détourner de son
36
Pl'X'IS DK CIIAVANXKS
but ni le faire dévier de sa ligne droite.
N'est-ce point là tempérament et con-
duite de mathématicien?
Pourtant, il n'est pas beaucoup de
jeunesses et d'âges mûrs de maîtres qui
aient vu s'entasser plus de difficultés de
tout genre, de nati,u^e à mettre con-
stamment obstacle à une piarche régu-
lière et sûre vers l'avenir. Dès les dé-
buts dans la vie artistique, l'artiste
apprend à connaître l'injustice, non l'in-
justice éclatante, publique, qui est un
énergique stimulant et le pronostic
certain du succès, mais celle qui est
faite d'indilTérence,
de dédain, et qui
étrangle sans bruit,
dans l'ombre. Quand
pour la première fois,
en 1850, il se pré-
sente au Salon, son
tableau est refusé;
les deux années sui-
vantes, le jury ne
veut pas davantage
recevoir ses envois.
Alors il prend part
à des expositions
privées, en compa-
gnie d'autres victi-
mes de l'ostracisme
systématique de l'A-
cadémie à l'égard de
ceux qui ne pensent
et ne travaillent pas
suivant les idées et
les formules qu'elle
patronne et qu'elle
enseigne. A ses cô-
tés, il y a Courbet ;
mais on discute vio-
lemment le paysan
d'Ornans qui, ayant
bec et ongles, se dé-
fend avec énergie ;
on l'injurie, il ri-
poste par plus d'in-
jures encore; on le
traite de fou furieux.
Lui, le doux et mo-
deste Lyonnais, à
l'éducation raffinée, il passe simplement
pour un fou tranquille, qui n'effraye per-
sonne, et dont il n'y a pas lieu, par con-
séquent, de s'occuper. De guerre lasse,
devant une ténacité et une foi irréducti-
bles et inébranlables, on ouvrira, au bout
de neuf ans d'expulsions consécutives, à
Puvis de Chavannes les portes du Salon ;
mais son supplice n'est point fini ; il
s'est transformé. A l'ostracisme succède
l'obstruction. Il aura contre lui l'Insti-
tut qui dispose des commandes et des
honneurs, la bourgeoisie qui achète, la
critique qui fait les réputations; à tous
L A .'S A o N I. 1 i'.ilais des Arts
I^.
l'L\'IS DE CIIAVANNES
37
suffisent les tableaux de genre amusant
et la peinture historique d'après les ro-
mans, suivant le mot spirituel de Louis-
Philippe à Paul Delaroche, au lende-
main de Jane Grey. Et, pendant cette
longue période de luttes, il aura même
manqué au combattant cette force mo-
rale, si puissante, qui a soutenu tant
d'artistes engagés comme lui dans la
bataille des idées, Millet, Delacroix,
Diaz, Chintreuil, etc. : la pauvreté.
Brillamment apparenté, riche d'une for-
lune personnelle, n'a-t-il pas plus de
mérite, n"a-l-il pas fait preuve d'une
Le Rhône (Palais des Art?, à Lyon).
plus grande conviction, à avoir choisi
sans hésitation et suivi sans défaillances
le sentier, raide et dangereux des nova-
teurs, où les buissons et les cailloux
ensanglantent, où l'on se casse le cou ;
au lieu de la grande route, ombreuse et
fleurie, en compagnie de la foule joyeuse
des heureux du jour? Le sentier était
pour ce malhémaliciçn de l'art la ligne
droite, le chemin le plus court, pour
atteindre l'idéal rêvé.
Les paysans de la vallée de Campan
ont l'habitude de répondre aux artistes
qui demandent combien il faut de temps
pour arriver au Pic
du Midi : « Quatre
heures si vous allez
doucement, six si
vous allez vite. »
C'est encore là une
loi — tout au moins
morale — de ma-
thématique. Puvis
de Chavannes s'y
pliera tout de suite,
assouplissant à une
discipline sévère de
travail méthodique
un tempérament ori-
ginellement fou-
gueux. 11 se garde
des impatiences des
médiocres, mécon-
tents du présent
dans l'inquiétude de
l'avenir, et ne s'ir-
rite point de se voir
dépasser par les agi-
tés et les ambitieux.
Sa force sera de ne
pas devenir un ré-
volté, aigri, mais
de poursuivre son
(L'uvre imperturba-
blement, sans fai-
blesses, ni incerti-
tudes; étouffant, du
même effort éner-
gique et conlinu, ses
propres décourage-
ments passagers et
3S
l'UVIS DE CHAVANNES
les résistances extérieures, permanentes :
s'imposant au public, au lieu d'en subir
les incohérences et les caprices, résolu
qu'il est à allerjusqu'au bout et à durer,
dans l'impassibilité d'un homme assuré
de réussir, parce qu'il sait qu'il a pour
lui la logique et la vérité. Il appar-
tient au groupe de ces évolutionnistes
— bien plutôt que révolutionnaires — -
l'opinion publique, quelque durcie à la
surface qu'elle ait pu être par la rou-
tine et le snobisrne, comme le terrain
d'une place battue par les piétinements
incessants de la foule immense des ba-
dauds.
Si de l'esquisse de la personnalité
L'Inspiration chrétienne (Palais des Arts, à Lyon).
qui, par la démonstration, pour ainsi
dire quotidienne, de la sincérité de leurs
convictions et de l'unité de leurs œuvres,
deviennent, après avoir été longtemps
bafoués et honnis, des chefs d'école incon-
testés, dans l'art transformé insensible-
ment sous l'influence des idées nouvelles,
dont ils ont été les apôtres, et qui ont
fait, d'une façon latente, mais inces-
sante et vigoureuse, leur travail d'infil-
tration, puis de métamorphose, dans
morale du lutteur, de la période de 1850
à 1875, — un quart de siècle de com-
bats singuliers héroïques, — nous pas-
sons à celle du peintre, étudié au point
de vue de ses idées et de ses principes
d'art, les mêmes qualités de mathéma-
ticien s'y observent aisément. De ses
déclarations, de ses conseils, contenus
dans sa correspondance avec des écri-
vains, des amis et des élèves, on peut
extraire un véritable corps de doctrine,
PUVIS DK CHA^'A^'NES
39
OÙ l'on ne sait ce qui doit être le plus
admiré, l'élévation, la netteté, la sim-
plicité ou la logique. Ce que le chef
d'atelier prise le plus, et dont il conseille
l'acquisition ou le développement à ceux
qui viennent recevoir ses leçons, c'est
l'ordre, la mesure et le discernement :
Tra\aillez bien, écrit-il à un jeune artiste
qui le consulte sur ses incertitudes, ayez
primordial d^esthétique, dont il fait la
base de son enseignement, que le peintre
ne doit peindre que lorsqu'il a quelque
chose à dire, que ce qu'il veut dire lui
apparaît nettement comme utile, indis-
pensable, représentant ce que Kant, le
grand philosophe, appelle 1' « impératif
catégorique de la moralité » ; et, dans
cette certitude, le peintre a l'obligation
Pauvre Pêche un (Musée du Luxembourg).
beaucoup d'ordre dans tout ce que vous faites,
un ordre de géomètre dans' ses calculs. Rien
nest au-dessus de l'attention d'un artiste qui
vise à s'exprimer purement...
J'ai tant abattu de besogne dans ma vie
que je peux prétendre à beaucoup d'expérience
à défaut d'autre chose. Ma conviction est que
je pourrais être très utile à qui se livrerait à
moi, d'autant plus que je ne m'en prendrais
jamais au sentiment qui est chose sacrée,
mais à la tenue, à l'ordre, nécessaires pour
venir sûrement à bout d'un tableau.
Puvis de Chavannes a pour principe
sociale de le dire hautement, sans cesse,
envers et contre tous, quelques consé-
quences que cette affirmation puisse
avoir pour lui. La solution d'un pro-
blème de mathématique n'a pas plus
de vigueur et d'impassibilité. Aussi,
dans l'œuvre d'un artiste qui a fait l'ap-
plication complète de ce principe, on
ne doit point s'aviser de chercher midi
à quatorze heures. C'est ce que le maître
lui-même déclare, avec autant d'humour
PU VIS DE CllAVANNES
rcTTs PiîO PATRIA — PARTIE GATCIIE (Musée de Picardie, ù Amiens).
spirituelle que d'ironie charmante, à un
écrivain qui l'interroge un peu indiscrè-
tement sur son esthétique et sur son
idéal :
Je serais plus qu'embarrassé de développer
une esthétique quelconque, étant un être
essentiellement instinctif, et juste le contraire
d'un compliqué. S'il m'arrive de penser à ce
que j ai pu faire jusqu'ici, j'y découvre non
pas la recherche, mais le besoin de la synthèse,
sans jamais tomber dans l'épisodique ; les
scènes que j'imagine restant néanmoins pro-
bables et humaines. Je ne crois pas qu'on
puisse analyser un cerveau comme on décrit
les rouages d'une montre. L'artiste est insai-
sissable; en lui prêtant une technique et des
intentions en dehors de l'évidence, on est à
peu près sur de se tromper. Sa technique
n'est autre chose que son tempérament; et
ses intentions, s'il est sain d'esprit, relèvent
du simple bon sens; c'est déjà bien joli. Il
n'y a qu'à regarder le tableau bien en face,
tranquillement, et jamais par derrière où le
peintre n'a rien caché.
Et maintes anecdotes, pittoresques,
piquantes, montrent la idéalisation lo-
g-ique de ces principes et de ces idées,
autant de mathématicien que d'artiste.
Puvis de Chavannes travaillait dans
l'atelier de Couture. Le « patron » entre
et commence sa tournée quotidienne de
corrections. Arrivé devant le chevalet
du jeune débutant, il lui dit avec colère :
« Vous n'y êtes pas du tout; donnez-moi
votre palette. » Et aussitôt le peintre
des Romains de la décadence compose
un ton de lumière, mélangeant — sui-
vant la formule classique — un tas de
choses, du blanc d'argent, du jaune de
Naples, du vermillon et du cobalt, une
mixture semblable à celle du pinceau de
la Douleur de Young, qui,
Trempé dans la mélancolie, brunit tout.
En un instant , l'étude tripatouillée
furieusement changeait du tout au tout;
le « patron » entassait les empâtements
fuligineux, ponctuant chaque coup de
pinceau d'une malédiction contre Ingres
et Delacroix pour leur influence funeste
sur la jeunesse : « Comment, monsieur
Couture, s'écria Puvis de Chavannes,
c'est vraiment ainsi que vous voyez le
modèle ? » Et sa ligure exprimait un
douloureux étonnement. Laissant là
toile et pinceaux, il sortit; on_ne le
revit plus.
Le principe qu'un peintre ne doit
peindre que quand il a quelque chose
à dire rendra Puvis de Chavannes in-
transigeant sur celui de l'indépendance
absolue dans le choix du sujet et dans
la manière de le traiter. Il refusera
même la commande de travaux impor-
tants où cette indépendance n'aura pas
été reconnue. En voici un exemple entre
plusieurs : en 1879, la Chambre de
commerce de Boixleaux , après l'achè-
vement de la restauration de la Bourse,
pr\-is Di-: c. II A\ANNi:s
Lu DUS PRO i'ATniA — PARTIE DROITE (Musée de Picardie, à Amiens).
songea à faire décorer de peintures le
grand escalier de ce palais. L'artiste en
reçut la proposition et l'accepta. Tout
était de nature à lui sourire dans ce
projet : un monument public, chef-
d'œuvre d'architecture ; un emplace-
ment exceptionnel permettant, par ses
dimensions, d'y développer, en toute
liberté d'espace, une vaste composition;
une ville riche, luxueuse, qui aime les
arts.
Peu de temps après, au moment
où il se préoccupait de chercher le
sujet qui pourrait le mieux convenir, la
Chambre de commerce lui lit trans-
mettre un programme, rédigé par un
comité de fonctionnaires, d'érudits et
de négociants ; Puvis de Ghavannes
répondit courtoisement qu'il désirait,
suivant son habitude et ses principes,
choisir lui-même sa composition, et qu'il
s'empresserait d'en faire connaître le
thème aussitôt que le choix serait défi-
nitivement arrêté. On lui répliqua que
l'adoption d'un programme sous la forme
délibérative accoutumée le rendait obli-
gatoire ; l'artiste refusa la commande et
les relations furent rompues. Ce n'est
point un sentiment puéril de vanité qui
lui inspire cette ligne de conduite intran-
sigeante, mais exclusivement l'instinct
que la première condition de succès en
art est d'être soi-même, de ne relever
que de sa conscience comme ordre et
comme responsabilité.
L'amour de la logique et de la vérité
a conduit Puvis de Chavannes à la con-
ception, si personnelle, de la peinture
murale, qui en a fait le plus grand déco-
rateur de ce temps. Il ne comprend et
n'admet que la peinture qui donne au
spectateur l'illusion d'une baie ouverte
sur la vie réelle : « le véritable rôle de
la peinture est d'animer les murailles » ;
et il répudie, avec une énergie farouche,
tout ce qui peut aboutir à une défor-
mation de ce que le bon Dieu a fait.
Ainsi, son aversion pour la peinture
en plafond est absolue. En effet, le
Victor Hugo offrant sa lyre à la ville
de Paris, de l'escalier de la préfecture
de la Seine, a été peint en tableau et
encadré comme tel dans la voûte ; et le
peintre a fait là du décor si simple, si
logique, si natui^el, en même temps que
délicat et gracieux ; de cette peinture et
de celles qui l'accompagnent dans les
tympans et les écoinçons , *la lumière
tombe et rayonne, si douce et si fraîche
dans sa clarté sereine, que le spectateur
en jouit instinctivement dans la pléni-
tude de la satisfaction de tous ses sens.
Les mathématiciens assurent que la solu-
tion parfaite d'un beau problème procure
aussi des jouissances infinies, pour les
mêmes raisons, dans l'ordre intellectuel.
42
PU VIS DE CHAVANNES
L E N F A N (.' !•; i> K s A I .N 'J !•; <j E A V. \ Ui V E ( Pauthéon ).
L'œuvre de Puvis de Ghavannes est
tout logique, "unité, harmonie. On pour-
rait, semble-t-il, tant au point de vue
de ridée génératrice que de Texécution
technique, Fanalyser mathématique-
ment,-le réduire, en théorème. Rien n'y
l'UVIS DK CIIAVAWEy
est laissé au liasarcl, rien n'esl le ré-
sultat d'un caprice, d'une boutade,
d'une fantaisie. Tout répond à une vaste
conception sociale, rêvée et méditée au
début de la vie, et dont chaque compo-
sition est une partie intégrante, indi-
visible, la complétant au fur et à me-
sure de son développement. Tout est
étudié, observé, contrôlé, mesuré et
distribué avec méthode, après mûres ré-
flexions et longs raisonnements. La
décoration du Musée de Picardie —
■spiralion chrélienne et la \ision an-
tique, il évoquera la grandeur et la
puissance de ce Lugdunum, qui, par
son rôle politique et sa mission civili-
satrice, fut la Rome des Gaules; il sym-
bolisera les sources du génie littéraire
et artistique de cette fîère race gallo-
romaine, dont le christianisme a atten-
dri d'un doux mysticisme l'âme païenne,
éprise de lumière, amoureuse de vie.
A Rouen, dans Inier arles el naturam,
il célébrera la Normandie, florissante par
Dorx Pays (Hôtel de M. Bonuat).
la première — est la représentation de
la vie dans ses fonctions sociales les
plus générales : la Paix et la Guerre,
le Travail et le Repos, suivie bientôt
de celle de la synthèse d'une province
remplissant ces fonctions : Ave Picar-
dia nutrix et Ludus pro patria : sym-
bole de l'activité physique ayant pour
but de mettre en valeur les richesses du
sol et des eaux, et allégorie vivante du
patriotisme. A cette apothéose dune
province de France viendra s'ajouter
celle de la Cité, dans sa gloire histo-
rique et dans sa richesse commerciale :
Marseille, colonie grecque et Marseille,
porte de l'Orient. A Lyon, dans le Bois
sacré cher aux arts et aux Muses, i fu-
ses artistes, ses industriels et ses pay-
sans. Puis, du provincialisme, il s'élève
à la nationalité, dans la Sainte Rade-
gonde et le Charles Martel, de Poitiers,
dans l'Enfance de sainte Geneviève, du
Panthéon , pages toutes vibrantes de
patriotisme et de foi; dans les peintures
de l'escalier de la préfecture de la Seine,
gloritication du génie, et des vertus de
Paris. Enfin, à la Sorbonne et dans la
Bibliothèque de Boston, il consacrera à
l'esprit humain un magnifique poème
pictural, où, après tant de créations po-
pulaires de grands maîtres inspirées du,
même sujet, il saura donner, à l'imagi-
nation et aux yeux de la foule, un spec-
tacle imposant par l'élévation de la
PU VIS DE CHAVANNES
L'Hiver (Hôtel de Ville de Paris).
pensée et par la beauté de son expres-
sion.
Dans ce vaste ensemble d'œuvres, la
réalisation de la pensée ne présentera
pas moins de logique, d'unité et d'har-
monie que sa conception. L'artiste en a
résumé lui-même avec précision la mé-
thode : « La réalité remplaçant le rêve,
Cupjii^l.l l,j U,.i.ui, Clrnicnl cl CIc
L'Eté (Hôtel de Ville de Paris).
PU\'IS DK CIIAVANXES
et toujouis do la simplicité, de la joie
et de la lumière. » Pour la plupart, sinon
la généralité, des décorateurs, la figure
humaine ou féminine n'a été qu'un niolil"
d'ornementation, de rin-
ceaux, de cariatides, un
mannequin à étoffes, dra-
peries et joyaux. Pu vis
de Cha vannes lui res-
tituera son âme, la fera
vivre dune vraie vie,
pour exprimer une noble
pensée, un sentiment
délicat, une action bien-
faisante ; et même
quand, empoiJ.é par son
idéal au-dessus de la
réalité, il peuple les com-
positions d'apparitions
poétiques, sa conscience
ne laisse point de de-
mander à la nature,
comme il le dit lui-même
avec simplicité, « la per-
mission » d'une inter-
prétation fidèle. Ses
grandes peintures déco-
ratives d'Amiens, du
Panthéon, de la Sor-
bonne, de l'Hôtel de \^ille
de Paris, du Palais de
Longchamp, du Musée
de Rouen, etc., sont
remplies de paysans et
d'ouvriers qui travaillent,
de mères qui allaitent et
caressent leurs enfants,
de jeunes filles qui s'ini-
tient aux devoirs du
ménage, de femmes qui
se baignent pour être
bien portantes, déjeunes
hommes qui s'exercent,
pour la patrie, aux jeux
de force et d'adresse : la
-grande famille de l'hu-
manité. Et elles sont
toutes sœurs, les bergères de Sainte
Geneviève, les paysannes du Ludus pro
palria, les cueilleuses de grenades du
Doux Pays, personnifications radieuses
de l'aurore de la vie; les muses du Bois
sacré et de Boston, qui rêvent au pied
des arbres ou au bord du lac, dont les
eaux reflètent les nuages d'or crépuscu-
La Céramique (Musée de Rouen).
laires et le blanc croissant de la lune
naissante, qui planent dans le ciel en
chantant , et celles qui, effleurant à peine
le gazon de leurs pieds nus, accourent
40
PUVIS m: CUAVANNES
au-devant du dieu
messager de lumière;
les vierges laïques de
la Sorbonne, allégo-
ries, dans leur fière
jeunesse et leur grâce
sévère, de la science
immortelle; et les
Vertus de Paris qui
font escorte à la Poé-
sie, dans Tapothéose
de Victor Hugo, en-
veloppées de lumière,
entre les palmes et les
rameaux d'olivier.
Le paysage appa-
raissait jusqu'ici com-
me un simple fond de
• toile pittoresque,
n'ayant pour but que
de mettre en relief les
personnages de la
composition histori-
que ou allégorique.
Puvis de Chavannes
a lu et médité la pa-
role de rÉcriture :
« Le ciel, la terre et
les eaux racontent la
gloire de Dieu. » Et
il en a fait le motif
essentiel de ses com-
positions; il a mis
triomphalement, aux
premiers plans, nos
arbres, nos bois, nos
prairies, nos rivières,
nos lacs, nos plaines,
nos collines et notre
soleil ; et, grâce â lui,
sur les murs de nos
palais et de nos mu-
sées, la France sourit
à tous, dans la fécon-
dité de sa terre, dans
la splendeur de son
ciel.
Va\ conformité de
ces principes, dans le
travail défmitif d'exé-
cution, tout — per-
PU VIS DK CHAVANNES
sonnages, paysage — se meut malhémati-
quenienl; chaque figure traitée en vue
de l'idée décorative générale, avec la
l'orme, le geste et la couleur essentiels,
strictement nécessaires pour la caracté-
riser au point de vue de son rn\e per-
sonnel, dans l'action du groupe d'abord
et de la collectivité ensuite, si la com-
vérilé, a conduit Puvis de Chavannes
à une puissance de production peu com-
mune. Aussi, chez lui, le travail est-il
tout de joie et d'expansion physique
et morale. 11 faut voir, dans l'immense
hall de Neuilly, le maître vêtu de sa
longue blouse blanche, tête nue, de-
vant l'énorme châssis, à la main sa
Les Mu.se 8 inspiratrices acclamant ue i, knie (Fragment. — Bibl. de Boston).
position contient des éléments nom-
breux de figuration et de décor. A ce
propos, encore, l'artiste se montre dune
intransigeance irréductible :
Jamais, dit-il, on ne doit admettre une
figure, un motif qui ne se lie étroitement au
sujet, qui ne soit absolument indispensable à
sa représentation. Le plus petit bouche-trou
suffit à faire crouler iédifice tout entier, en
éveillant la méfiance du regard ; un détail
insignifiant, étranger à lidée mère, est capable
d'en détruire toute la puissance démotion.
Une telle méthode de conception et
d'exécution, basée sur la logique et la
large palette alimentée à la truelle dans
des baquets de couleurs, peignant avec
ardeur et énergie ce qu'il appelle plai-
samment ses « bonshommes » , ses
« bonnes femmes » et comme un fier
ouvrier à sa besogne, chantant des coq-
à-l'àne musicaux, ou les airs de bravoure
de son opéra favori : Guillaume Tell;
il est superbe. On ne trouverait guère
à proposer à la jeunesse artistique
de plus bel exemple de la passion du
travail.
Marti s \ achon.
[bs§) ©^disr®?)
(C®i53^^
« L'armée coûte cher. » \'oilà qui est
entendu. Mettons-nous en règle tout
d'abord, par celle constatation, avec le
conlribuahle d'humeur incommode. Les
pessimistes endurcis complètent la for-
mule en ajoutant : » ... et elle ne rap-
porte rien. » C'est à ceux-là que nous
allons tenter de donner aujourd'hui un
des nombreux démentis possibles.
11 y a toute une foule, en eflel, qui
ne voit dans les grandes armées mo-
dernes que des monstres géants et para-
sitaires attachés aux flancs des sociétés,
qui ne perçoit à aucun degré le rende-
ment de ces colossales machines, dont
les rouages, pourtant, ne sont ni rouilles,
ni arrêtés, ni même ralentis par le temps
de paix.
Pour convaincre les esprits rebelles
aux aperçus philosophiques, nous dis-
posons d'arguments concrets. La ques-
tion des caries coloniales, par exemple,
porte en elle-même des ressources de
démonstration tangibles à l'appui de
cette thèse : la productivité des armées
en temps de paix.
Qu'est-ce que dresser une carte colo-
niale? C'est refaire par le compas et le
niveau la conquête d'une terre déjà
conquise par les armes.
l*^t notre armée ne con-
sidère sa tâche comme ache-
-■ vée qu'après avoir assuré
celte double conquête.
Alors, seulement, elle livre la place aux
colons, aux industriels, aux ingénieurs,
et... aux fonctionnaires! Pendant que
frissonne le pavillon aux trois couleurs
fraîchement hissé aux toitures bizarres
des pagodes ou des palais barbares,
boussoles, sextants et théodolites se dis-
persent par les forêts, les rizières et les
arroyos. L'œuvre patiente et obscure
succède sans répit à l'œuvre de gloire
et d'éclat.
En esquivant toute technique ardue,
nous allons tenter de donner une idée
des travaux complexes et multiples que
comporte rétablissement dune carte
coloniale après la conquête.
Supposons donc une expédition colo-
niale menée à bien. Quel va être le pre-
mier souci du vainqueur? Gouverner le
pays suivant un mode provisoire, mais
appuyé sur des bases suffisamment so-
lides pour parer aux retours oftènsifs,
aux soulèvements fanatiques qui pour-
raient compromettre hi conquête ; créer
LES CARTES COLONIALES
de firantls commaiidemenls militaires
territoriaux; refiler le jeu des convois
qui alimenteront ce;> réj^ions de toutes
manières; l'aire la centralisation ou res-
pecter lautonomie. selon les cas. En un
mol, conquérir au plus vite le nouveau
peuple jusque dans ses mœurs, jusque
dans ses intérêts, après lavoir soumis
par les armes; lui faire sentir le prix de
la civilisation et de la justice, avec le
poids nécessaire de lautorité ; lui faire
aimer ses nouA'eaux maîtres, s'il se peut ;
les lui faire craindre eu tout cas.
Or il tombe sous le sens que celle
première et -urgente ébauche dorgani-
salion réclame un document essentiel :
une carte.
Une cfivte topoçjraphîque simpose
donc, et il faudra lentreprendre aussi-
tôt que les premiers succès auront as-
suré le libre parcours d une portion ap-
préciable du pays.
Il est admis que \ échelle qui con-
vient pour ce premier document est le
1/200,000. Celle échelle, en effet, réduit
à un minimum indispensable les rensei-
g-nements jji'raphiques de détail deman-
dés à une carte. On va le comprendre
sans peine : dire que 1 échelle dune
carte est de 1 20O.000, c est dire que
tout accident du sol qui, réduit 200,000
fois en dimension, tomberait à moins
d un (' quart de millimètre », cesserait
d être expressible sur la carte. Cela
étant, tout détail d une importance
moindre que 50 mètres en étendue ou
en altitude ne sera pas représenté au
1 200,000. et tout accident de dimen-
sions supérieures à 50 mètres le sera.
Léchelle du 1 200.000 répond conve-
nablement au but poursuivi : établir
dans un minimum de temps la carie
suffisamment détaillée d'un pays.
La nécessité, l'urgence de cette carte
au 1/200,000 est suffisamment démon-
trée. Entrons, sans plus tarder, dans les
détails d exécution.
Imaginons un territoire hypothétique
touchant à la mer, par exemple. Ce sera
le cas le plus habituel. Le titre et la
fonction de directeur des travaux de la
carte sont pré\us par avance dans Télai-
majur du corps expéditionnaire. Quel va
être le rôle de ce directeur? quelles
connaissances spéciales exigera ce rôle?
Le directeur de la carte aura une part
personnelle de collaboration à fournir,
en dehors de la direction d'ensemble à
exercer.
Celte part de travail consistera dans
Texéculion d'une chaîne de stations as-
tronomiques,* c'esi-k-diro de points dé-
finis en latitude et loncjitude.
On sait que la latitude d'un poiid a
du globe est mesurée par l'arc ab qui
- sépare ce point
t5 (le l equateur, et
sa longitude par
l'arc ho, compté
- sur l'équateur à
partir d une ori-
gine convenue
(le méridien de
Paris .
Cette chaîne, dite primordiale, par-
tant de la côte, en A par exemple, ira se
propageant, de sommet en sommet,
dans la dimension la plus longue du pavs
ABC DE F.
La détermination de la latitude et de
la longitude d'un point du globe, avec
les instruments portatifs qu'un explora-
teur peut emporter au loin et utiliser
dans des conditions d'installation tou-
VIII.
50
IJ: S C A R T E S C O J. O N I A L E S
jours rudimentaires et souvent périlleu-
ses, constitue une opération difficile, pé-
nible, et toute dépendante, dans son exac-
titude, de riiabileté, de Texpérience du
^•éoyraphe. Qu'on se remémore seulement
l'aspect ordinaire des observatoires astro-
nomiques de nos ^^randes villes, leurs
masses imposantes, leur isolement voulu
au centre de vastes jardins, sur quelque
colline dominante. Quelle distance de
moyens, de confort et de toutes condi-
tions ambiantes entre ces temples de la
science, protégés et clos comme des
forteresses, et le trépied sommaire ou le
bloc de rocher vaguement aplani qui
doit suffire à l'astronome militaire en
campagne ! Sa tâche, cependant, n'est
pas également pénible dans ses deux
parties : la détermination de la latitude
est relativement simple; elle s'accom-
mode d'un outillage portatif sans perdre
trop de sa précision. Mais la détermina-
tion de la longitude demande les plus
grands soins. Le transport, sans altéra-
tion de réglage, sans avarie aucune, des
chronomètres très sensibles, réglés au
départ, constitue le point délicat, la
base même de l'opération.
En tout cas, pour l'une et l'autre opé-
ration, notre directeur-astronome doit
être pourvu d'un de ces livres volumi-
neux où sont enregistrées, d'après des
milliers d'observations patientes, les,
coordonnées des étoiles les plus visibles
des principales constellations, c'est-à-
dire les places précises, rigoureusement
repérées, des astres dans le ciel. Connais-
sance des temps, Naulical almanach nu
Berlinerjahrhuch, peu importe ; l'une
quelconque de ces encyclopédies chif-
frées, toutes en signes d'algèbre et de
cabale, contenant le mystère de la grande
horloge de l'univers. L'explorateur qui
braque sa lunette méridienne sur le ciel
voit défiler les étoiles comme les heures
d'un immense cadran mobile dont l'axe
de visée de son instrument forme pour
ainsi dire l'aiguille fixe. Voici un atome
de feu scintillant à des millions de kilo-
mètres, tel un petit diamant suspendu
dans les espaces ; il s'avance lentement,
il progresse sur le velours bleu sombre
des infinis : c'est alpha du Taureau,
véga de la Lyre, gamma des Poissons,
ou tout autre de ces soleils innombrables
autour desquels d'autres planètes,
d'autres « terres » gravitent, portant
sans doute aussi d'autres espèces, pri-
sonnières comme la nôtre et courbées
comme elle sous la douleur ?... La petite
pierre précieuse parvient au centre du
champ d'observation. Deux fils d'arai-
gnée tendus en croix, quelque part dans
le cylindre de cuivre, à distance calculée
des lentilles, paraissent la subdiviser
maintenant en quatre parcelles rigou-
reusement égales. A cet instant précis,
l'astronome note l'heure de son chrono-
mètre, ouvre le volume cabalistique et,
d'un calcul complexe et délicat, déduit
sa place précise sur le globe (longitude
et latitude). Répétés dix, quinze, trente
fois, sur autant d'étoiles difi'érentes, les
calculs s'acheminent, de décimale en
décimale, vers l'exactitude absolue ; et,
dans la nuit mystérieuse des continents
barbares, la science, la géante invisible,
enfonce son aiguille acérée en quelque
place inexplorée, intacte, de l'écorce
tei'restre.
A, B, C, D, E, E De pic eu pic,
de grosses pyramides de pierre s'élèvent,
visibles de loin. La plus éloignée est à
LKS CARTES COLONIALES
cent, cent cinquante, deux cents kilo-
mètres de la côte. Mais ce n'est là qu'un
(( câble f,^éo>,M-aiihic|ue » pour ainsi dire,
tendu par-dessus les monts et les plaines,
insuffisant à lui seul pour porter les
« amarres » transversales du canevas.
De ce câble, il faut faire une solide
échelle à nceuds multiples, à mailles
Qu'est-ce qu'un système de prujec-
lion ?... Lecteur, ne vous effrayez pas :
nous ne méditons pas de vous emmener
traîtreusement sur le terrain meurtrier
des mathématiques. Considérez simple-
ment ceci :
La terre est ronde, n'est-il pas vrai?
Alors, les continents et les parcelles de
r X CONVOI DE L I E r T E X A X T TOPOGRAPHE EX MARCHE
rigides ; on y parvient par triangulation.
D'autres sommets a, h, c, cl, moins
culminants, serviront de points d attache.
La trigonométrie permet de souder
rigoureusement une chaîne de ces
triangles, d'en calculer un à un les côtés
et les angles, en partant de l'un d'eux
soigneusement mesuré. Et voici que
Varête dorsale de notre carte se précise
de cette façon par un double contrôle
de calculs et de mesures astronomiques.
Mais l'œuvre personnelle du directeur
de la carte ne s arrête pas là. Avant de
tailler leur tâche à ses collaborateurs, il
lui faut encore choisir et tracer le
système de projection.
continents, pour être représentés fidè-
lement, devraient être dessinés sur des
fragments de calottes sphériques et non
sur des feuilles de papier planes. Essayons
d'aplatir la moitié d'une peau d'orange
soigneusement évidée ; elle se déchirera
quelque part. Le quart même de l'enve-
loppe du fruit se refuserait encore à ce
changement de forme sans déchirure ;
seul un fragment assez petit de l'écorce
pourra se confondre avec un plan, et
encore y faudra-t-il l'élasticité naturelle
de la substance dont les portions cen-
trales se plisseront, se serreront, se
comprimeront pendant que les parties
périphériques se distendront. Donc,
52
LES CARTES COLONIALES
(léformalion ou déchirure : le dessiu
tracé sur une calotte sphérique n'accepte
pas de se transporter immuable sur un
plan. Et conçoit-on, d'autre part, des
collections de cartes sous forme de sur-
laces bombées, semboîtant les unes
dans les autres en un bizarre atlas en
l'orme de dôme ou de vasque? Non. Il
faut donc, vaille que vaille, trouver un
moyen de traduire
rima^^e des pays
sur des feuilles
planes. Cette né-
cessité a 1) s o 1 u e
nous conduit à une
définition sufii-
sante du système
de projection :
Ùest une con-
vention graphique
permettant de tra-
duire sur une
feuille de papier,
avec le minimum
de déformations
possible, les fi-
gures sphériques,
et par suite non
développahles, non
aplatissahles , des
continents.
Il y a divers systèmes de projection,
selon le rôle qu'on demande aux cartes.
Dans telles cartes, il importera essen-
tiellement de conserver aux territoires
leurs surfaces, leurs étendues relatives,
en déformant quelque peu, pour y par-
venir, certaines valeurs angulaires. Ce
sera le cas normal des cartes terrestres.
Dans d'autres, au contraire, les valeurs
auf^ulaires devront être respectées avant
tout, car de ces valeurs dépendra la
sûreté des directions.
La déformation d'un territoire sera
sans importance, pour\u que nous
ayons la certitude, en marchant sous
tel angle, d'aborder à tel point de la
côte, d'éviter tel écueil. Ces dernières
conditions délinissent la structure même
des cartes marines et font entrevoir
la convention j^raphique spéciale, le
système de projection particulier qui
leur convient.
Sans nous étendre plus lon;;temps sur
cette seconde partie de la préparation
de la carte qui incombe encore au
directeur, appelons simplement l'atten-
tion du lecteur sur l'aspect ordinaire
d'un système de projection pour cartes
terrestres de quelque étendue. C'est un
y'stème de projecii
quadrillante à grandes mailles, conforme
à la ligure W. Les mailles du centre sont
presque rectangulaires ; celles des régions
éloignées du centre se déforment plus
ou moins en losanges, dont les côtés
sont légèrement courbes. VA les deux
séries de lignes représentent : l'une, les
méridiens successifs, espacés de dix en
dix minutes, par exemple, tout autour
de la sphère terrestre ; l'autre, les paral-
lèles successifs tracés au même espace-
ment angulaire. De telle sorte que tous
les points terrestres de même latitude
prendront place sur un même parallèle,
tous ceux de même longitude sur un
même méridien, et tout point détlni en
latitude et longitude sera logiquement
intercalé dans le losange dont les côtés
encadrent les valeurs des deux coor-
données terrestres du point.
I.KS CAUTKS COI.OXIALKS
53
1—
— l —
1
—
1
1
__
Nous voici en possession d'un K'n'''^-
lesque canevas, si i; ranci même qu'on
n'aura pas pu l'élalilir dune seule pièce,
mais bien par feuilles joinlives se rac-
cordant slriclemenl aux amorces des
lij^nes en bordure. Alors, une feuille du
centre de la carte présentera un tracé de
li<;nes sensiblement symétrique tel que
F , pend an t
qu'une feuille
éloignée de ce
centre, afférente
à des régions
extrêmes d u
pays, très dis-
tantes de la
chaîne médiane,
s offrira sous
l'aspect F', au
ï" quadrillage dis-
symétrique et
légèrement in-
curvé.
De tout ce qui précède, le lecteur peut
conclure de lui-même que toute r(XHivre
préparatoire dont le directeur des tra-
vaux reste chargé persoimellement
appelle une véritable spécialité. Le
service géographique de larmée recrute
et forme le petit nombre d'officiers
qui pourra être appelé à ce rôle. Ce sont
les véritables successeurs des Ingénieurs
géographes d'autrefois, institution i-e-
levée depuis quelque vingt ans par feu
le général Perrier et très prospère
aujourd'hui sous l'appellation moins
pompeuse de Section de géodésie el
d'astronomie du service géographique
de V armée.
Nous en avons fini avec la part de
collaboration elîective du directeur des
travaux, part considérable, puisqu'elle
va servir de base, de « squelette ■> à la
carte tout entière. Arrivons mainte-
nant à la subdivision du travail.
A droite et à gauche de la chaîne
principale, le directeur des travaux, au
cours de ses stations, aura pu découvrir
des zones de terrain bien tranchées.
liniilées à des cours d'eau, à des chaînes
de hauteurs, etc. Ces zones, telles que
1, "2, 3, i, ."), <■) seront confiées à autant
de brigades.
Chaque brigade comporte un chef et
des opérateurs. Le chef, dans l'étendue
de sa brigade, aura, comme le directeur
des travaux dans l'ensemble, une part
importante de collaboration à fournir:
et voici en c[uoi elle consistera :
Considérons la brigade 1, par exem-
ple. Avant tout, le chef de brigade, aidé
de ses opérateurs, devra mesurer une
base telle que ab (fig. 6 , appuyée à
des points convenablement choisis et
longue de 10 kilomètres au moins. Cette
mesure pourra s'effectuer avec le maté-
riel très simple, très portatif, et néan-
moins assez précis, qui a servi à mesurer
la première base de Tunisie. Ce matériel
de mesure se compose d'un jeu de che-
valets sur lesquels on tend, de portée en
portée, un ruban métallique étalonné.
Ce ruban est tendu par un système de
poids consistant en rondelles de plomb.
L'horizontalité des portées est contrôlée
LES CARTES COLONIALES
au moyen de niveaux que Ion pose suc-
cessivement sur les chevalets; enfni, la
température du métal, qui donne ma-
tière à des corrections de longueurs, est
lue sur des thermomètres fixés aux cha-
peaux supérieurs des chevalets.
Une fois la base mesurée, on la rat-
tache par triangulation à un ou deux des
sommets de la chaîne primordiale, et on
greffe sur cette base, toujours par Irian-
g^ulation, un réseau de triangles Inen
conformés et dont les côtés se tiennent
entre 8 et 10 kilomètres. La superlicie
de teri^ain confiée à la brigade f est bien-
tôt couverte ainsi d'un rde't aux mailles
assez serrées ef dont chaque nœud est un
•sommet bien reconnaissable, marqué
d'un signal artificiel ou dun accident
caractéristique quelconque, pouvant
jouer le rôle de signal. Telle est la part
de travail du chef de brigade.
Le canevas, ainsi établi, se superpose
donc au quadrillage du système de pro-
jection. Et peut-être se demande-t-on
dans quel but cette double trame? C'est
qu'il faut bien remarquer que les méri-
diens et parallèles du système de pro-
jection ne sont pas matérialisés sur le
sol, au lieu que la triangulation du chef
de brigade se traduit à la fois sur le pa-
pier et dans la campagne où apparais-
sent les nœuds des mailles en signaux
bien visibles et bien distincts établis sur
les sommets principaux. Si bien que les
points du sol repérés de proche en pro-
che par simple triangulation se trouvent
tout naturellement placés du même coup
à leurs places géographiques véritables ;
leurs latitudes et longitudes réelles ré-
sultent de leurs situations graphiques
dans tel losange bien défini des méri-
diens et parallèles.
On voit que tout ce travail du chef de
brigade implique encore une certaine
spécialité, moins poussée évidemment
que celle du directeur, mais encore déli-
cate et supposant quelques antécédents
de géodésie et d'astronomie.
C'est maintenant le tour des simples
opérateurs, qui Aonl remplir les mailles
du canevas. Ici toute spécialité dispa-
i^aîf : lieutenants et sous-lieutenants de
toutes armes, indistinctement, doivent
pouvoir concourir comme opérateurs à
l'établissement d'une carte coloniale.
L'enseignement donné dans les écoles
militaires assure celte condition.
Voici donc notre feuille de brigade
ofirant à peu près 1 aspect d'ensemble
représenté par la figure 6; celui d'un
canevas homogène, aux mailles variant,
en largeur, entre 8 et 10 kilomètres. La
broderie finale, les travaux de détail
vont commencer.
Le chef de brigade réunit tout son
monde en un point initial, l'un des
termes de la base ah, par exemple. Il
décide un premier itinéraire d'ensemble
à parcourir dans les conditions que
voici : le gîte du soir est désigné ap-
proximativement et l'heure du rallie-
ment fixée avant la chute du jour, pour
éviter que des groupes ne s'égarent. Les
opérateurs sont dispersés de manière à
suivre des itinéraires parallèles, départ
et d'autre de \ itinéraire d'axe suivi par
le chef de brigade; ils partent munis
d'un extrait du canevas de la brigade,
sur lequel ils exécuteront le travail de
la journée; ils opèrent, bien entendu,
sous la protection de détachements de
troupes spécialement affectés aux bri-
gades fopographiques. Tous les travaux
antérieurs, du reste, se sont accom-
plis dans les mêmes conditions de pro-
tection ; on risquerait, faute de ces
précautions, de perdre fréquemment du
monde, du matériel et des documents
déjà établis. Tous ces opérateurs sont
munis des instruments usuels dont nous
dirons un mot un peu plus loin : bous-
LKS CARTKï^ CO LON I A I.KS
55
sole éclinièlre, rapporleur en celluloïd,
règle spéciale graduée à l'échelle même
du dessin el baromètre anéroïde.
Le soir, la hrii;acle se concentre au
point convenu et passe la nuit sous la
protection de son escorte. Elle repart le
lendemain dans les mêmes conditions,
se dispersant, ou, plus exactement,
élargissant son front de travail pour se
concentrer encore. Tous les trois ou
brigades, et enfin celles du détail. Mais
cet ordre lof^ique, adopté pour la clarté
de l'exposition, disparaît dans la pra-
tique. On n attendra pas qu une opéra-
tion soit terminée dans son entier pour
entreprendre la suivante : dès que la
chaîne primordiale oITrira un tronçon
appréciable, les deux brijjades attenantes
entreprendront leurs canevas; dés que
ces canevas seront amorcés suflisam-
OBSEIl V ATiiI l; i: asti; ÔN OMIQCE ET G E O D E S I (,i T !-
(Emploi du cercle azimutal.i
quatre jours, une journée est consacrée
au repos et à lassemblage des travaux
sur le canevas densemble de la brigade.
Progressant de cette manière, chaque
brigade aura couvert, au bout dun cer-
tain temps, toute l'étendue de terrain
qui lui est conlîée. Les raccords entre
brigades sont discutés et arrêtés par
le directeur des travaux.
Pour épuiser cette partie de notre
sujet, il reste à faire une ou deux re-
marques : nous avons présenté succes-
sivement les opérations de la chaîne
primordiale, puis celles des canevas de
ment, le levé de détail sera attaqué. Et
la carte s'avancera ainsi, faisant tache
sur le pays en quelque sorte, tache plus
lente ou plus rapide selon les difficultés
rencontrées, mais tache définitive; c est-
à-dire qu'en arrière des fronts de bri-
iiades, tout le terrain aura été entière-
ment et définitivement levé. Il n'y aura
plus à y revenir.
La méthode que nous venons d expo-
ser a été appliquée intégralement à la
carte au 1 •200,000 de Tunisie, qui peut
servir jusqu'à ce jour de type normal.
Les travaux ont duré quatre ans. Avec
56
LES CARTES COLONIALES
rexpérieiice acquise aiijuurcrhui et le
nombre beaucoup plus ^-^rand d'opéra-
teurs exercés, il est permis de croire
qu'une œuvre de même étendue pour-
rait être édifiée en un an et demi ou
deux ans.
Donc, dans toute exj)édilion à venir,
la carte coloniale au 1/200, 000 suivra de
tout près la conquête; elle sera 1 un des
la méthode. Il faut toujours passer par
trois (cuvres essentielles pour aboutir à
une carte, quelle cpie soit son' échelle :
Vœuvre astronomique, V œuvre géodé-
sique ou de grande triangulation, et
enlin Vœuvre topographique qui arrive
comme tissu définitif par-dessus les
trames préalablement tendues.
Notre carte régulière d'Algérie, au
li E T U A V A I I,
L A TEXTE
premiers actes du vainqueur. Ces idées
ont aujourd'hui force de doctrine. Et
cette carte provisoire devra suffire aux
premièi^es années d'occupation et d'or-
ganisation, en attendant la carte au
1/50,000, œuvre ultérieure, de longue
haleine, et dont 1 entreprise marquera
1 instant où la colonie commencera à se
rattacher par son degré de civilisation
et de prospérité aux conditions nor-
males de la métropole.
Le mode d'exécution d'une carie régu-
lière au 1/50,000 ne se distingue pas du
précédent dans les lignes générales de
l/5(>,000, a été entreprise il y a dix-
neuf ans. Elle touche aujourd hui à sa
fin. Elle s'étend strictement au Tell et à
l'Atlas, dont elle englobe toutes les
chaînes dérivées, jusque dans leurs ex-
trêmes contreforts sud. On peut dire
que la limite précise de cette carte est
tracée sur le sol par les premières toufles
d'alfa qu'on rencontre en descendant
droit de la cote vers le désert.
Au delà, pour toute la région des
hauts plateaux, des chotts et des petites
oasis qui marquent nos postes avancés,
Aïn-Sefra, Géryville, Djenien-Bou-rez-
gue, etc., une carte au 1/200,000 est en
cours d'exécution. On conçoit qu'elle
I.KS CARTKS COI.ONIA LKS
sullise comme dociimeiit déliiiitir pour
dos régions de sable el dall'a, où nulle
colonisation ne pourra jamais simplan-
ter el cpii consliluenl siniplemenl la
roule des jurandes oasis et du Soudan,
en même temps que le renqiart néces-
saire de notre tlorissaute colonie contre
les poussées fanatiques du mystérieux
désert, toujours possibles.
La carte au 1/50,000 d'Algérie, image
complète du sol, accueillie avec empres-
sement, dès l'éclosion de ses premières
Veuilles, par les divers services publics
LA BOUSSOLE ÉCLIMÈTRE
Instrument topograpbique fondamental adopté dans tous les travaux
topographiques du service géographique de l'armée.
de la colonie, ponts et chaussées, che-
mins de fer, administration départemen-
tale, etc., est un monument qui fait le
plus grand honneur aux officiers de la
jeune génération dont il est 1 tenvre
exclusive.
Chacpie aimée, depuis vingt ans bien-
l('il, aux derniers jours de noxembre.
une sélection de lieutenaids et de capi-
taines de toutes armes quittent leurs
garnisons et se concentrent au service
géographique de larmée qui est une
annexe du ministère. Trois semaines
environ sont consacrées à préparer les
documents du travail, à vérifier les ins-
truments, à s'équiper de tous points. Les
brigades de cinq ou six opérateurs sont
constituées à raison de
trois ou quatre par pro-
vince; soit dix ou douze
brigades en tout. Les chefs
de brigades sont des ca-
pitaines très expérimentés
avant déjà plusieurs années
de pratique, les lieute-
nants opérateurs sont an-
ciens aussi pour la plupart.
Les quelques nouvelles
recrues incorporées an-
nuellement ont été exer-
cées d'ailleurs préalable-
ment dans les travaux de
revision de la carte de
France et dans les levés
spéciaux exécutés par le
service du génie, sur les
frontières ou aux abords
des places fortes.
Un officier supérieur,
chef de bataillon ou lieu-
tenant-colonel, dirige l'en-
semble des brigades et
doit exercer une impul-
sion rayonnante sur les
travaux en cours dans les
quatre provinces, de la
ïripolitaine au Maroc.
Tout ce personnel est
celui de la carte propre-
ment dite. Il entame son
elYort annuel vers la lin
de décembre et le termine aux j)remiers
jours de juin.
Mais dautiH-s groupes, plus indépen-
dants, quittent le service géographique
5«
LES CARTES COLONIALES
à d'autres époques; ce sont les astrono-
mes cl les f:;éodésiens. Ceux-là, dont la
besogne doit toujours j^arder une avance
C) U T I L L A U E
COMPLET
DE
l'officier
topographe
de deux ou trois ans sur celle des topo-
graphes, repèrent astronomiquement les
sommets principaux, y érigent des
signaux durables et les enchaînent par
des mesures trigonométriques d'angles
et de distances.
Le simple lieutenant topographe, nous
Tavons dit i)lus haut, n'est pas un spé-
cialiste. 11 applique des connaissances
acquises dans les écoles et entretenues
par une pratique constante dans mille
occasions du service de garnison. Son
outillage technique est simple et por-
tatif : une boîte cylindrique en fer-blanc
renferme et protège la feuille de projec-
tion, quadrillée de méridiens et paral-
lèles et ponctuée des repères primor-
diaux antérieurement calculés et délinis
par les géodésiens et les astronomes.
Une forte feuille de carton , aux dimen-
sions exactes du travail à exécuter en
cinq mois, et dénommée la mappe, est
vissée sur une planchette protégée par
un étui en toile cirée. Sur cette mappe
s'exécutera, au jour le jour, à' après
nature, l'image rigoureuse et complète
des terrains ; et de cette souche aux
couleurs passées, aux marges flétries de
petites macules d'insectes, à la tranche
éraillée par le frottement des bras; de
cette mappe, ombrée, en tin de cam-
pagne, dune belle patine qui révèle
l'elfort tenace et prolong'é sous les
brûlures du soleil, l'officier tirera plus
tard une mise au net sur la feuille de
projection tenue en réserve.
Ses instruments ? — Ils sont quatre
exactement : la boussole-éclimètre, qui
fournit les angles horizontaux et les
angles verticaux, d'où se déduisent les
distances et les altitudes ; c'est l'instru-
ment topographique fondamental. Un
rapporteur en celluloïd, qui transporte
les mesures angulaires sur le papier.
Une règle graduée à l'échelle même du
travail. Enfin, un petit baromètre holos-
térique de la grosseur d'une forte
montre et gradué de manière à déduire
facilement l'altitude de la pression at-
mosphérique. Ce dernier instrument
sert à déterminer les cotes de fond, aux
creux des ravins boisés, d'oîi nul signal
de visée ne peut s'apercevoir.
Quatre mulets pour les bagages, un
cheval pour l'officier; deux tringlos-
muletiers, une ordonnance et un tirail-
leur indigène comme porte-boussole et
interprète. Telle est la « maison » du
lieutenant topographe. Charmante et
fragile maison de toile qui ai'rête cepen-
dant les pluies et les neiges, qui fris-
sonne avec des claquements de voiles
par les nuits d'ourag'an, qui tamise le
soleil et laisse passer le sourire des
étoiles. Serre chaude, où se développe à
merveille le bourgeon saint-cyrien frais
éclos. Heureu\ les jeunes officiers qui
peuvent, au cours de ces longues années
de paix, aller chercher en Afrique, sous
cette forme d'une collaboration à la carte,
leurs premières empreintes d'âme et
faire provision de lumière pour toute
la vie.
Mais voici les géodésiens et les astro-
nomes. Pour ceux-ci, la tâche est plus
rude, plus exilée ; elle demande une
patience plus tenace, un moral plus
rassis ; elle réclame aussi des moyens
matériels plus complets. Eux, nous
LKS CARTKS CO I.O N I A LKS
59
la VOUS dit, sont des spécialistes. L as-
tronome, suiioul, doit être pourvu niaté-
riellcMiieiU mieux que tous. Il doit
Iransjiorter sa vie et ses facultés de
travail sui' les pics neigeux du Djur-
djura, de l'Aurès, des Bibans, etc. Il
doit vivre des semaines entières dans la
seule compaf^nie des étoiles, dans le
culte attentif de ses instruments de
haute précision, que toute inlluence
autre, dans les bourgades al^^érienues,
venant au ravitaillement; mais la petite
baraque cubique, lobservatoire volant,
restera perché là-haut, dans lempirc
des aif^les et des vautours, tant que son
maître n'aura pas dérobé quelques chif-
fres à la nature hostile, éni}?matique.
Une douzaine de mulets aux fardeaux
disparates; une dizaine de lrinf,''los en
espadrilles et bourgeron, le fouel autour
r X CAMP DE T O F () li K A P H I E ( A L (i É \\ \ e)
peut faire mentir : température, vent,
humidité , sécheresse , variations de
lumière. Il doit établir sur place la
chaîne probante des longs calculs et des
com^ections multiples. Il vit tour à tour
dans les nuages opaques et glacés, sous
les rayons solaires implacables, dans les
rafales perfides qui viennent assaillir son
frêle observatoire, comme si les génies
de l'espace s'impatientaient de la trop
longue présence de cet intrus.
Voyez défiler son convoi sur la route.
^'ous ne le reverrez plus de sitôt.
Quelques-uns de ces mulets et de ces
tringlos reparaîtront, de temps à
du cou, la blague à fleur de lèvres, en-
fants de Paris pour la plupart, heureux
de faire provision de souvenirs et de
pittoresque. Derrière, c'est une escouade
de six ou huit zouaves, la gorge à l'air,
la chéchia chllfonnée sur la nuque, les
mollets en valeur sous la guêtre blanche ;
ceux-ci sont des ordonnances, ouvriers,
maçons, menuisiers, indispensables pour
l'érection des signaux, la construction
des mires et les mille besoins du camp.
Fermant la marche, c'est un maréchal
des logis de chas. dWf., sur son gris
pommelé. Il est chef de détachement,
chargé de la discipline et du service
60
LES CARTES COLONIALES
courant. Il a pour rôle d'assurer le boa
ordre, le silence et ractivité autour de
Tofficier absorbé dans ses travaux. C'est
une aubaine que d être désigné pour
u aller en mission >•> : une forte paye
(3 fr. 50 par jour), la vie au grand air,
loin de la di.scipline étroite des casernes,
et le fusil de chasse de rofficier pour se
distraire et corser le menu des popottes.
N y va pas qui veut, « en mission »! Il
faut une page toute blanche au livret,
la page aux punitions.
Mais là-bas, en tête, à quelque cent
mètres d'avance sur le convoi, un bur-
nous rouge ondule au pas élastique d'un
petit arabe bai dont la robe miroite au
soleil. Un nuage de fumée bleue s'é-
chappe périodiquement du capuchon,
un chanl nasillard interminable répond
aux trilles des alouettes. C'est le spahi,
le précieux spahi, courrier, vaguemestre,
estafette, interprète, négociateur de
marchés avec les douars qui viendront
proposer leurs poules, leurs œufs, leurs
moutons, à la petite colonie militaire
campée là-haut, dans les nuages.
Ces caisses massives qui balancent
aux lianes des mulets, ce sont les ins-
truments : lunette méridienne, cercle
azimutal, théodolite, appareil télégra-
phique Demanc/e. Couchés sur des rem-
bourrages de tlanelle verte, maintenus
par des étais ingénieux, les chefs-d'œu-
vre d'optique et de micrométrie sont
là, au centre de ces prisons cubiques
renforcées de cuivrures et armées de
chaînes : la lunette méridienne pour
les opérations astronomiques, le cercle
azimutal et le théodolite pour les me-
sures de trigonométrie, les appareils
de télégraphie optique pour préciser
mathématiquement les sommets du
tour d'horizon et assurer des visées
exactes.
Dans peu de jours, le convoi fera
halte à quelque 2,900 mètres au-dessus
du niveau de la mer. Voici la plate-forme
étroite, pierreuse et pauvrement cheve-
lue où Ion va dresser le camp et ériger
la baraque démontable à volets. Puis,
les jours passeront, avec les nuits froi-
des, silencieuses; seule, la voix de l'of-
ficier, prononçant des chiffres sous la
petite baraque, viendra couper le souflle
du camp endormi... Enfin, certain soir,
après une pleine journée de calculs, l'as-
tronome semblera plus gai, moins ab-
sorbé; on l'entendra fredonner sous sa
tente, il se montrera cordial et commu-
nicatif avec tout son monde. Alors,
zouaves et tringlos, en piquant an rata,
échangeront leurs pronostics :
— Sans doute que le travail marche
bien, puisque le capitaine chante. On va
changer de pays bientôt?
— Où c'est-y qu'on va, après ici? de-
mande un lourdaud.
— Là-bas I répond avec assurance le
zouave-secrétaire, en désignant un pic
sombre à l'horizon, sur le ciel vert pâle.
— Mince alors! Faudra grimper!
Et l'air important, un pli de respon-
sabilité aux sourcils, le secrétaire, le
lettré, l'instruit, celui qui enregistre
chaque soir les chilfres sur les carnets
d'observations, sous la dictée de l'astro-
nome, ajoutera dans un soupir :
— Oui. nous n'avons plus que douze
étoiles à faire.
Bonne chance, capitaine! Que
les étoiles brillent bien là-haut! Que les
logarithmes et les sinus vous soient lé-
gers ! Que votre courrier vous parvienne
régulièrement surtout ! Que votre spahi
ne sème pas vos lettres dans la brousse
et n'égare pas vos journaux dans les
cafés maures ! Oh ! la douceur des petites
pages apportant un peu de la tiédeur des
amitiés, de la chaleur des foyers, dans
les matins glacés de la montagne ! La
saveur insoupçonnée des chroniques et
des échos dévorés le soir, la pipe aux
dents, la peau de bique sur les épaules,
à la lueur du grand feu de bivouac !
Bonne chance, capitaine!
Lux.
HENRI IBSEN
Les célél)rilés cenle-
naires et fulmirées sont
rares, — les Chevreul sont
hélas ! peu nombreux !
Aussi les contemporains
d'Ibsen, tout en formant
des vœux pour sa longé-
vité, ont-ils ^■oulu donner
à l'illuslre écrivain, à l'oc-
casion du soixante-dixième
anniversaire de sa nais-
sance, le 20 mars dernier,
un témoignage public de
leur admiration.
Des l'êtes auxquelles s'est
associé tout le peuple Scan-
dinave, lettrés, étudiants,
fonctionnaires el journa
liers, ont eu lieu en son
honneur. Commencées à
Christiania, où lui fut
donné le titre de bourgeois
de la cité, elles se poursui-
virent à Copenhague après
son arrivée dans la capitale
danoise, le 30 mars. Mar-
quées notamment par une
soii'ée brillante au Théàtre-Royal, à
l'issue de laquelle les étudiants de la
ville avaient organisé une retraite aux
flambeaux, elles s'y. terminèrent digne-
ment par l'inauguration solennelle d'un
cycle de représentations ibséniennes au
théâtre Dagmar.
Ici même, à Paris, ce jubilé nous a
valu deux manifestations artistiques.
Les Bevenauts, qui avaient été joués
pour la première fois en France à la fin
de mai 1890, au Théâtre-Libre, nous
ont été redonnés par la même direction,
au Théâtre-Antoine, et c'est également
pour commémoi'er l'anniversaire d'Ibsen
qu'une représentation de gala d'Un
ennemi du peuple, patronnée par des
littérateurs connus et interprétée par la
troupe de l'Œuvre, a permis, le 29 mars,
au public qui emplissait la salle de la
IBSEN A TRENTE AXS
Renaissance d'applaudir généreusement
cette œuvre si poignante. D aucuns ont
dit qu'elle avait été choisie intention-
nellement comme évocatrice d'événe-
ments récents qu'elle rappelle souvent
de façon saisissante ; mais, malg^ré le
caractère des ovations du début, la
soirée s'est terminée sans incident re-
grettable et jNI""^ Séverine a pu recueillir
les signatures d'une adresse à Ibsen,
gage respectueux de sympathie, hom-
mage des Lettres françaises.
C'est encore à cette même occasion
qu'un livre d or vient d'être imprimé
par la maison Grieg, de Berg-en, sous la
direction habile de M. Gerhard Gran,
rédacteur en chef d un journal de cette
ville, le Contemporain (Samtiden). Des
épitres en vers s'y trouvent suivies de
lignes sympathiques de plusieurs écri-
02
HENRI IBSEN
vains de valeur. Et voici, comme pré-
face, Tadresse dont Sa Majesté Oscar II,
roi de Suède et de Norvège et littérateur
à ses heures, a salué son sujet :
A HENRI IBSEN
« Les esprits bien doués ne sont pas
seulement la fierté de leur patrie, mais
ils sont aussi les précurseurs du progrès
et de la mise en application dans la vie
des élans généreux que la Providence
suscite au plus profond du cœur hu-
main. Et si le bon et le beau qu'ils
révèlent ne peuvent être de suite com-
pris et appréciés de tous dans leur en-
tière plénitude, la bonne graine cepen-
dant n'est pas semée en vain. Les temps
futurs la verront g-ermer et porter des
fruits pour leur prospérité.
(( C'est la récompense des esprits éle-
vés, c'est leur impérissable honneur. »
OsCAB.
Cette royale prose adressée à celui
qui fut longtemps considéré dans son
pays comme un farouche révolté, comme
un dangereux sectaire, nous remettait
en mémoire ces vers de Béranger :
Vieux soldats de plomb que nous sommes,
Au cordeau nous alignant tous.
Si des rangs sortent quelques hommes
Tous nous crions : A bas les fous !
On les persécute, on les tue.
Sauf, après un lent examen,
A leur dresser une statue,
Pour la gloire du genre humain !
Ibsen n'a pas eu à attendre la réhabi-
litation posthume que la satire du bon
chansonnier laisse attendre de l'humaine
justice. Mais, dans sa poursuite de la
forme nouvelle, quelles barrières ne lui
ont pas opposées ces compatriotes mêmes
qui, aujourd'hui, l'appellent le Store
Norsk kancl (le gi^and Norvégien) !
Vers 1720 un capitaine de navire da-
nois. Peter Ibsen, arrivait à Bergen, y
épousait la fille d'un émigré allemand
et en avait un fils, Petersen. Plus tard,
capitaine de navire à son tour, Petersen
Ibsen s'unissait à Wenche Dischington,
fille d'un Écossais naturalisé. La jeune
femme mil au monde Henri Ibsen, pre-
mier du nom ; mais, veuve peu après le
mariage, elle se l'emaria avec un prévôt
de Solum, près Skien. Telle est l'ori-
gine de l'établissement des Ibsen dans
cette région. Skien, dont la population
a augmenté dans ce demi-siècle, ne
compte guère cependant plus de neuf
mille habitants. Situé à l'embouchure
de la rivière du même nom, Skien, chef-
lieu de la province de Bradsberg, appar-
tient orographiquement au plateau de
Telemark. Comme beaucoup d'autres
petites villes norvégiennes, celle-ci vit
surtout des industries du bois. Ibsen
y naquit le 20 mars 1828. Mais repre-
nons la filiation interrompue.
Henri Ibsen, l'aïeul, avait aussi épousé
une fille d'Allemands, les Plesner, mar-
chands à Skien; mais il avait conservé
néanmoins la profession des ancêtres.
Veuve à la suite d'un naufrage, en vue
de Grimstad, du bateau dirigé par son
mari, la grandmère d'Ibsen s'était re-
mariée ; mais sa première et courte
union avait été féconde. Knud Ibsen,
pèi^e du dramaturge, esprit caustique,
en était né. Quant à sa mère, Maria
Cornelia Altenburg, fille d'un riche mar-
chand de Skien, nature renfermée et
religieuse comme la grand'mère, elle
était également d'origine allemande.
La critique scientifique s'est plu à
voir dans cette filiation compliquée la
genèse du talent d'Ibsen. Elle l'a re-
trouvée dans son cpsmopolitisme, elle
a suivi les origines dans l'œuvre. A
côté du Norvégien à l'esprit curieux,
elle a reconnu le Danois au lyrisme
sensitif des premières productions, elle
a souligné, dans les dernières, l'idéa-
lisme, le mysticisme du puritain écos-
sais, elle a vu enfin l'Allemagne dans la
sentimentalité, dans le goût du système,
dans les tendances h l'abstraction que
révèle l'ensemble de ses créations.
Et cette loi d'hérédité qu'Ibsen lui-
même a montrée si implacable dans les
Revenants, ses partisans n'en cherche-
ront-ils pas encore un témoignage dans
la physionomie énergique du descen-
dant de marins. Debout au gouvernail.
HENRI IBSEN
63
clans la contemplation de l'immense
ociéan où la nature seule simule des
frontières, il dirig;e stoïquement et sim-
plement sa barque. Précurseur des
Nansen, ouvrant à son pays le monde
des idées, il avance
toujours sous la me-
nace des nuages, car
fl a n s la nuit qui
vient a brillé une
étoile.
Ibsen avait huit
ans lorsque son père,
alors marchand à
Skien.fit faillite. Le
couple dut se retirer
dans une humble
maisonnette à proxi-
mité du bourg. Une
calme indigence al-
lait succéder à la vie
presque opulente
que la famille avait
connue jusquà ce
jour. Taciturne et
inquiet, le jeune Ib-
sen a fie c t i o n n a i t
Tisolèment dans les
chantiers du père. Il
s'exerçait à peindre
et eût aimé devenir
architecte : il dut
commencer par être
apothicaire. Il lui
fallut à seize ans en-
trer comme aide
dans la pharmacie
d'une petite ville
voisine, Grimstad.
Au milieu de cette
société oisive, à l'é-
troite vertu, sa personnalité va com-
mencer à se développer (1844-1849).
Ses caricatures, ses épigrammes ne lui
attirent pas les sympathies de tous, et
s'il s'égare dans quelque bal, c'est pour
épier dans son coin le mensonge des
sourires, pour s'isoler dans un immaté-
riel idéal. Longtemps sa vision du
monde restera Grimstad agrandi.
Dans ses heures libres, il cherche à
développer ses connaissances et prépare
l'examen qui lui ouvrira les portes de
ILniversité. La muse commence aussi
à lui sourire et voici 1848, les élans
vers la liberté, les doux rêves de frater-
LE LIEU DE XAISSAXCE D'IBSEN
(La dernière maison à droite, avant l'église.)
ni té. Même à Grimstad, on sent dans
l'air de l'enthousiasme; Ibsen a vingt
ans, et il respire cet air à pleins pou-
mons. La révolution du Schleswig-
Holstein, le soulèvement de la Hon-
grie, la lutte pour la liberté de la
presse lui inspirent ses premières poé-
sies, et dans Cicéron et Salluste, ses
livres d'étude, son idéalisme exalté va
trouver, par contraste avec ses mo-
Ui
IIKXHI IBSEN
dèles, les éléments d'un drame à ten-
dances subversives, Calilina (1849i,
dont il voudrait faire le sauveur de
Rome. Mais il ne trouve personne pour
imprimer cette (imvre : avec le con-
cours d'un ami, il se fait éditeur et, se
privant même du nécessaire, il la pu-
bliera lui-même, Calilina passe ina-
(^est encore à cette époque qu'aux
cris de « Vive la Liberté! » il mani-
festait avec son camarade d'études,
Bjôrnson, en faveur d'IIarring, l'écri-
vain libertaire expulsé pour sa pièce,
le Testament d'Amérique.
En août 1850, il se présente à la Fa-
culté de philosophie pour subir les
IBSEN U A .\ S ,S ( I X C A H 1 N ET JJ E TRAVAIL (70 ANS)
perçu : à peine en vend-il trente exem-
plaires. En mars 1850, l'approche des
examens l'appelle à Christiania. Dans
les vacances de la Pentecôte, il com-
pose un petit drame en vers d'un acte,
le Tumuhis i Kjœmpehôjeu) ., dont il
prendra les héros chez les ^'ikings. Une
traduction allemande en est publiée à
Berlin. Joué trois fois à Christiania, cet
acte émouvant, où Roderik, ensevelis-
sant sous le tertre les attributs de l'an-
cien roi de mer, évoque ainsi la con-
quête du Nord par le christianisme, est
assez goûté par la critique. Ibsen, ce-
pendant, est toujours peu connu.
épreuves de l'examen préparé {examen
artium). ^'oici , d'après le parchemin
officiel daté du 3 septembre de la même
année, les notes obtenues par le candi-
dat : composition norvégienne : bien:
— traduction latine : bien; — style la-
tin : assez bien; — latin (oralj : pas-
sable; — grec : mal; — allemand : très
bien ; — français : bien ; — religion,
histoire et géographie: bien; — arith-
métique : mal; : — géométrie : bien.
Enflammé par les idées sociales-démo-
cratiques, il fonde un journal, l'Homme
(Manden), où il donne des vers peu
goûtés, et une pièce de lui représentée
IIKNIU IBSKN
65
à Bergen, la Nuit de Saint-Jean, a uu
complet insuccès. Ibsen est dans une
détresse extrême; mais, en 1852, Ole
Bull, qui vient de fonder un nouveau
théâtre à Bergen, s'adresse, pour la
direction de sa scène, au jeune et infa-
liiiable auteur. Une très modeste somme
pièces qu'il écrit à Bergen (I852-I(S57),
si Tart du dramaturge se révèle déjà,
Tâme véritable manque et la personna-
lité lulte, cachant ses sympathies pour
la réalité. La plupart des sujets de ces
pièces sont empruntés au moyen âge,
tel celui de Madame Inger (1854), où il
iiU
iA^Lyiy iAAJ
7
^^^^ ^JA-iXiAj h^^^KM^flù (/2aJ^ •
^tnt. -jBfe/ //1
FAC-SIMILÉ DE L'ÉCRITURE D'IBSEN EN 18G3
Ces quatre vers se rattachent à une suite de poésies indignées (Vaisseaux Brûlés, etc.) écrites en 1863 et 1864, .à
l'époque des hostilités austro-allemandes contre le Danemark, le frère eu détresse que la Suède et la Korvège
allaient laisser dépouiller des duchés de Slesvig et Holstein.
Traduction : Un Frère en détresse! (primitivement TU Norge! à la Norvège).
C'était un songe. Que ton réveil soit puissant et hardi 1 Un frère en détresse ! Tout le monde sur le pont !
Du sommeil du peuple à l'action ! I II faut ici une décision rapide I
lui est allouée pour aller étudier Tart
scénique à l'étranger. A Copenhague, à
Dresde, il se familiarise avec la scène,
et il revient à Bergen plein d'idées nou-
velles sur la technique du théâtre.
Il y avait alors en Norvège un fort
courant national. La poésie populaire,
avec Asbjôrnson et Mœ, avait pris son
essor, et la vitalité de la littérature
norvégienne se révélait dans les œuvres
des jeunes. Ibsen suit le mouvement,
mais ce n'est pas sans effort qu'il se
conforme au goût du public pour le
clinquant romantique. Dans la série de
VIII. — 5.
met en conflit l'amour maternel et le
patriotisme; tel celui de la Fêle de
Solhaug, drame passionnel aux allures
lyriques, assez goûté, et qui est joué
successivement à Bergen (1856), Chris-
tiania, Copenhague, Stockholm, C'est
des « sagas » Scandinaves qu'il tire le
thème de la tragique épopée des Guer-
riers (Hœrmœndene paa Helgeland).
La situation d'Ibsen redevient peu
brillante. En 1857, la place de direc-
teur du Théâtre Norvégien lui est
offerte à Christiania. Il quitte Bergen
et n'y retourne qu'un an après, pour y
66
HENRI IBSEN
épouser la fiancée si souvent j^lorifîée
dans ses vers, Suzanne Thoresen, fille
d'un pasteur de celte ville. M'"*' Ibsen-
Thoresen vit aujourd'hui très retirée.
La capitale reprend Ibsen (1858-1864) :
il y écrit la Comédie de l'Amour f 186"2),
^^^-dU
suivant, Copenhague lui lait une en-
thousiaste réception. Son talent, dans
cette nouvelle période, s'était tourné de
plus en plus vers la solution des pro-
blèmes sociaux et sa langue elle-même
s'était nationalisée, s'affranchissant de
plus en plus des
-^ ^ influences de l'é-
iiX- (WVA^vi — vu^AruU— ï cole danoise. A
-^t/<Lrv\XV. cwAA_ ^fi>>>— Vaj^JLjv» — «
FAC-SIMILÉ DE l/ÉCKITlRE D'IBSEN EN 1894
TuADrcTiox : Voici ma signature actuelle.
Christiania, le 4 septembre 1894.
satire de l'amour dans le mariage. Heu-
reux les époux qui, dans les cendres de
ce feu de paille, ont su trouver la mu-
tuelle sympathie. Le public norvégien
accueille mal cette thèse. Puis, comme
un écho de son premier drame his-
torique, Ibsen écrit en six semaines
une nouvelle tragédie, les Prétendants
[Kongsœmnerne, 1863), de grande puis-
sance dramatique.
Le Théâtre Scandinave fait faillite,
la gêne revient, en habituée, et la presse
se montre mauvaise pour Ibsen. Dans
des vers généreux, il appelait alors ses
concitoyens au secours de leurs frères
danois, à la veille de la guerre contre
l'Allemagne (1863-1864). Leur réserve
met le comble à ses chagrins.
Isolé dans une patrie qui lui devient
hostile, il la quitte. Ce n'est qu'en 1874
qu'il reverra la Norvège, mais cette fois
pour y être acclamé : les ovations ont
l'ait suite aux sifflets. Parti de Chris-
tiania le 2 avril 1864, il était à Berlin
en mai, puis il gagnait, ignoré, Trieste
et Rome. Après un séjour de plusieurs
années dans la ville éternelle, il revient
en Allemagne (1868), habitant tour à
tour Dresde et Munich. En 1869, il fait
une courte visite à Stockholm et, l'été
Rome, tandis que
sa pensée allait vers
la nature norvé-
gienne , il avait
écrit /ira7ic?( 1866],
incarnant dans ce
prêtre l'idéal du
renoncement, puis
Peer Gynt (1867j,
inspiré par cette
société dont il avait
fui le cercle étroit.
En octobre 1869, Ibsen assistait, en
Egypte, comme hôte du khédive, à l'ou-
verture du canal de Suez ; c'est sur ces
entrefaites que furent données dans son
pays les premières représentations de
r Union des Jeunes {De Unges Forhund),
vigoureuse satire de la vie politique en
Norvège. L'opinion n'y vit d'abord
qu'une profession de foi mise en scène
et les critiques hardies de l'auteur à
l'égard de l'hypocrisie politicienne sou-
levèrent de vives polémiques.
Entre temps, il continuait la publi-
cation de ses poésies et travaillait à un
volumineux drame historique, l'Empe-
reur et le Galiléen, transition entre le
fanatisme de Brand et le mysticisme des
oeuvres de vieillesse. Deux nouveaux
drames viennent peu après : les Soutiens
de la société, et Nora ou Maison de pou-
pée {Et Dukkehjem), l'homme et le mari
flagellés dans leur rôle social (1870).
A l'étranger, le grand public ne com-
prend pas encore pleinement la rude et
saine franchise de cette plume. Après
Maison de poupée, quelques années pas-
sent sans productions saillantes, puis
les Revenants {Gengancjere) vont appe-
ler de nouveau le lutteur sur la brèche.
Longtemps interdits à Stockholm, ils le
HENRI IHSKN
67
l'urenl aussi à Berlin ; yrâce au duc de
Saxe-Meiningen, une première représen-
tation en eut lieu peu après àWeimar et
Je soir de cette première, le duc lit asseoir
Ibsen dans sa lo;^e. L'Allemagne s'inclina.
L'œuvre suivante, V Ennemi du peuple,
apparaît comme une brillante réponse
aux attaques de la Norvège. L'ennemi,
c'est le docteur Stockmann , apôtre
.d'humanité, polémiste épris de vérité et
-qui la veut proclamer au risque de ruiner
sa ville : w J'aime tant ma ville natale,
dit-il, que je verrais plus volontiers sa
a'uine que sa prospérité fondée sur un
mensonge. » Et c'est là tout Ibsen !
Puis voici le Canard sauvage et les
•dernières œuvres. L'intrigue, tantôt in-
signifiante, tantôt fantastique, s'imma-
lérialise de plus en plus et ces pièces à
idées sont, dans l'ordre chronolog'ique :
Rosn\ersholni; la Dame de la mer, où il
fait allusion aux lois de l'évolution ;
Hedda Gabier, création de pareil esprit
que l'on a appelée, dans la patrie même
de l'auteur, l'Evangile de la décadence;
le Constructeur Solness ; Lille Eifolf
.et enfin John Gabriel Borkman , —
que le théâtre de l'OEuvre mettait en
scène ici il y a quelques mois, — épopée
de l'impossible, a-t-on dit, dans laquelle,
comme dans Solness, dramatisant l'ir-
réalisable, Ibsen semble jeter un coup
.d'œil en arrière sur ses propres efforts.
Si les généalogistes ont trouvé à gla-
ner dans les antécédents de l'écrivain,
la graphologie a pu faire, à travers les
modifications successives de son écri-
ture, d'amples moissons d'observations.
Il nous a semblé curieux de rapprocher
d'un autographe récent d'Ibsen (1894)
quatre vers écrits en 1863, quand il fai-
sait retentir sa Volée de cloches en
faveur du Danemark.
Au commencement de 1880, Ibsen
était retourné à Rome. Il fit aussi, vers
cette époque, un court séjour à Berch-
lesgaden et revit Munich, où le café
Maximilien a gardé son souvenir. Il y a
seulement un petit nombre d'années
qu'Ibsen, las de sa vie nomade, revint
se fixer à Christiania, malgré de pénibles
IBSEN EN VILLE
(D'après un croquis du peintre norvégien Gust. Lœram.)
souvenirs. Nous avons emprunté au
journal Hver 8 Dag quelques renseigne-
ments sur l'existence intime du septua-
génaire.
Ibsen habite un quartier distingué de
Christiania. Entouré d'un luxe de bon
goût, il possède notamment, dans son
cabinet de travail, de bonnes et authen-
tiques toiles de la Renaissance. Avec les
années, le vif penchant de l'adolescent
pour la peinture s'était changé en inté-
rêt et Ibsen, homme, utilisa même son
68
HENRI IBSEN
séjour en Italie pour se mettre en quête
de vieilles peintures et les acquisitions
de Rome embellissent aujourdhui le
logis de Christiania.
II a été dit de Tenthousiaste Rjornson
Grand-Café et s'assoit à une table qui
lui est réservée. Il prend une consom-
mation déterminée, recherche dans ses
journaux habituels ce que Ton dit de
lui (il lit peu à part cela), répond à un
IBSEN AU « GRAND-CAFÉ » DE CHRISTIANIA (G. LœrUID, dcl.)
qu'il était le cœur de la Norvège et
d'Ibsen, plus pondéré, qu'il en était la
tête. Nous avons déjà rencontré Bjôrn-
son sur la route d'Ibsen; rappelons ici
que sa fille a épousé le fils unique du
dramaturge, le D'' Sigurd Ibsen.
— A midi précis, Ibsen quitte sa mai-
son du Drammensvejen, se dirige, avec
une correction majestueuse, vers le
nombre fixé d'admirateurs norvégiens
et étrangers et quitte le café à l'heure
réglementaire.
Mais que nous importent dinnocentes
manies? Ce vieillard laisse derrière lui
de nombreuses années de lutte honorable
et de noble indépendance.
D.-E. Matot.
L'IDYLLE DE POLICHINELLE
I
Le rideau était tombé d'un seul coup,
comme dans tous les petits théâtres, où
il se manœuvre avec deux cordelettes
enfilées dans des anneaux de 1er. Après
quelques applaudissements, Fentr acte
commença... On était en avril, et dans
cet édifice sans ouvertures, s'amassait
une atmosphère chaude et lourde ; les
lampes à pétrole fumaient un peu; dans
la salle longue et étroite llottait une
buée légère. Les gamins qui s'entas-
saient au dernier amphithéâtre avaient
•ôté leur veste et restaient démocrati-
quement en manches de chemise. Le
parterre se vidait; le long des corridors
étroits circulait le vendeur de rafraî-
chissements, annoncé de loin par sa voix
monotone et par une forte odeur d'anis.
Dans les loges, les éventails palpi-
taient aux mains des dames, parmi
lesquelles il n'y avait du reste aucune
étoile du firmament aristocratique. Le
public des loges se composait, ce soir-là,
àe trois ou quatre familles de grosse
bourgeoisie, frisées et vêtues de bruis-
sante soie dominicale; d'un employé
municipal accompagné d'une véritable
arche de Noé ; des petites filles d'un jour-
naliste, allé à San Carlo avec sa femme;
des sœurs de l'imprésario, quotidiennes
et gratuites habituées du théâtre; d'une
bande d'Anglais, vêtus de toile blanche
avec voile vert au chapeau; enfin d'un
jeune homme mystérieux, seul dans
sa loge, écoutant la représentation, le
dos tourné à la scène, et bâillant dei'-
rière sa main gantée. Personne ne lor-
gnait, c'eût été ridicule à trois mètres
de distance. Le chef d'orchestre, un
malheureux payé 1 fr. 50 par soirée,
feuilletait sur son pupitre la « mazurka »
usée, en jetant des regards de compas-
sion aux huit professeurs, ses collègues,
qui, eux, jouissaient de cachets variant
de 0 fr. 75 à 1 franc.
Sur la scène, il y avait un moment de
répit. La chaleur y était suffocante; de
nulle part n'arrivait un souffle d'air. 1-a
duègne, qui figurait dans la pièce une
vieille femme riche et bienfaisante, avait
enlevé sa perruque à boucles majes-
tueuses, que surmontait une coilîe de
dentelles, ornée de rubans et de fleurs;
l'on voyait ses mèches naturelles rares
et grisonnantes, la bonne dame appro-
chant de la soixantaine. Donna Carmela,
l'amoureuse, marchait de long en large,
s'évenlant avec son tablier de soie noire.
Son vingtième fiancé — elle avait conclu
et rompu dix-neuf mariages — s'était
échappé pouravaler un verre d'eau glacée
et de sirop de cerises. Polichinelle, assis
sur quelques vieilles planches, soulevait
son lourd masque noir de toile cirée
pour respirer un peu plus aisément.
Polichinelle rêvait: qu'on ne s'en étonne
pas, il était fort jeune.
On ne pouvait voir s'il était ou non
beau garçon. Sous le bonnet pyramidal
de drap d'un gris laiteux, ses cheveux
étaient recouverts d'une calotte noire,
plus grande que celle des moines, et
fort collante, qui les cachait complète-
ment. Son visage, jusqu'à la bouche,
disparaissait sous le masque noir à nez
magistral ; le corps était enfoui dans la
camisole de mousseline blanche à plis
multiples, à manches larges tombant
jusqu'au bout des doigts, dans le vaste
pantalon blanc qui recouvrait les pan-
toufles de toile, grises comme le bonnet.
On ne voyait de sa personne qu'un
coin de menton, le cou, les mains :
impossible de le reconnaître. Mais le
public aime son Polichinelle comme
une gloire nationale et ne cherche ja-
mais la figure cachée sous le masque.
70
L'IDYLLE DE POLICHINELLE
Pour lui, Polichinelle n'est ni un acteur,
ni une personnalité comme une autre,
mais un type, un caractère, une mani-
festation ; c'est l'esprit populaire, sar-
castique, rebelle, philosophe, qui éclate;
le masque incarne le tempérament napo-
litain, mélange de feu et d'indolence.
Polichinelle offre l'aspect protéiforme
du peuple même; il est tout, hors un
individu. On sait parfois son nom, c'est
vrai, mais fort peu connaissent son vi-
sage.
Gaetano Starace, nous pouvons ce-
pendant l'affirmer, sans être un modèle
de beauté, était fort sympathique, avec
ses cheveux noirs légèrement bouclés,
ses yeux vifs, son teint blanc comme
celui d'une femme. Ce n'était point un
être héroïque, ni un homme à grands
sentiments; mais il avait un cœur d'or
et conservait fidèlement la tradition de
sa famille, où, depuis trois générations,
on était u Polichinelle » par inclination,
par habitude, par transmission du sang
comme les maladies héréditaires. Chez
ces gens-là, si un garçon venaitau monde,
on ne pensait à le préparer à aucune
carrière, à aucun emploi; son métier
était tout trouvé et superbe; sa voca-
tion : celle d'endosser le travesti et d'a-
muser chaque soir le public. C'était un
labeur fastidieux, exclusif, oppressant,
un labeur sans gloire et de peu de pro-
fit; mais, dans ces esprits étroits et bons
des Starace, l'idée n'entrait pas de se
révolter contre les injustices sociales.
Cétaient gens humbles, polis, d'humeur
gaie, sans prétention, fidèles au théâtre
où ils étaient nés et où ils devaient
mourir, dévoués à leur public qu'ils res-
pectaient, incapables de s'irriter contre
ses caprices, toujours prêts à le caresser,
à le divertir, à tout lui sacrifier. Donc,
l'enfant allait à l'école, apprenait à lire
et à écrire, s'enfarinait légèrement de
quelques autres connaissances ; mais il
passait les soirées dans les coulisses à
voir jouer son père, à l'entendre dé-
clamer. À seize ans, il débutait dans
quelque petit rôle; à vingt, suppléait
le père quand celui-ci était malade; à
sa mort, il devenait Polichinelle. Et cela
i^égulièrement, sans hésitation, sans un
doute, comme une obligation, un devoir,
une fatalité.
Ainsi de Gaetano Starace. Ajoutons^
que, grâce à un génie naturel, il se ren-
dait utile en adaptant des comédies
italiennes au dialecte napolitain, en re-
faisant du neuf avec du vieux, en écri-
vant des parodies d'opéras, qui, çà et
là, ne manquaient pas d'esprit; non du
plus fin : de gros sous-entendus, mais
suflisants et au delà pour les habitués
du théâtre. Comme acteur, Gaetano était
svelte, 1res vivant, avec une voix agréa-
ble qu'il savait moduler.
Son père était mort de bonne heure,
et le fils unique lui avait succédé, comme
dans un royaume constitutionnel. Il dé-
clamait bien, avait un caractère gai,
était jeune et plaisait.
Il devint le Benjamin du public. Son
métier ne lui était pas à charge, au con-
traire ; il y mettait un certain enthou-
siasme. Dans sa cervelle, ne naissait au-
cune idée de la mission de l'art, ni de
vocation, de fibre artistique, d'inter-
prétations diverses, de vieille et de nou-
velle école, et autres formules dont bon
nombre d'acteurs se torturent l'esprit...
Rien de tout cela! Cependant, comme à
la grosse, il comprenait que les specta-
teurs du parterre et du « poulailler »
étaient le peuple, ce peuple qui souffre,
qui travaille, qui peine, et, quand il peut
disposer de quelques sous, vient au
théâtre pour oublier en riant les misères
de sa vie.
Et dans son cœur d'homme du peuple
il se sentait tout heureux d'être ainsi
voué à réjouir, à consoler, à alléger les
maux de son prochain. Quand il mettait
son masque et enfilait sa camisole, son
cœur était plus léger; il devenait gai de
la gaieté qu'il allait faire épanouir chez
autrui. Quand tout un parterre éclatait
d'un rire homérique, ce cœur se gonflait
de contentement, comme s'il avait fait
une bonne action.
Le plus souvent, quelques minutes
avant la représentation, il mettait l'œil
L'IDYLLE DE POLICHINELLE
au trou du rideau, pour observer atten-
tivement son public. Il notait les visages
graves, les figures tristes, et rentrait
dans les coulisses, se frottant les mains,
souriant et murmurant à part soi : —
Nous verrons, nous
verrons , si vous
pourrez nous résis-
ter ! — Quand il
avait atteint son but
et voyait devant lui
une foule souriante,
il se félicitait,
comme s'il venait
de remporter une
grande victoire. Par-
fois, quelque specta-
teur isolé s'entêtait à
demeurer sérieux,
ne souriant pas
même à ses plaisan-
teries les plus gra-
cieuses. Alors Poli-
chinelle s'obstinait
dans son rôle, s'en-
llammait, se multi-
pliait, et jouait pour
ce seul spectateur,
jusqu'à ce qu'il l'eût
enfin dominé et
vaincu, jusqu'à ce
qu'il vît sa bouche
contractée d'un rire
réprimé. Il appelait
ces spectateurs-là
d'un nom pittores-
que et énergique :
ses « écueils ».
Ce soir-là, il avait
trouvé un « écueil »
et des plus durs, qui
ne voulait pas rire, absolument pas.
Gaetano avait fait tous ses efforts, mo-
difié profondément la banale comédie
qu'il jouait, la fleurissant de spirituelles
improvisations; mais le spectateur ne
s'était pas donné la peine de comprendre,
il était demeuré indifférent et immobile.
Polichinelle s'y perdait : ce spectateur
était plus fort que lui.
A dire vrai, le spectateur était une
spectatrice, une jeune fille assise face à
la scène, dans une loge de premier rang,
et tout près, puisqu'elle avait le numéro
deux. Une jeune fille au visage pâle
et long, un peu maigre; sur les lignes
frêles du cou retombaient' deux grosses
tresses noires, semées, avec une élé-
gante simplicité, de quelques étoiles
d'écaillé blonde ; elle était vêtue de laine
grise; au cou, une ruche de dentelle
lalanche fermée par une étoile d'écaillé
un peu plus grande; des gants noirs.
Elle écoutait fort attentivement, mais
son visage sérieux ne se déridait pas; le
front blanc et étroit, le menton ferme
72
L'IDYLLE DE POLICHINELLE
avaient même quelque chose de farouche.
Elle n'était pas belle, elle avait une de
ces physionomies intéressantes, tout à
fait personnelles, qu'on ne peut oublier.
Près d'elle, une dame mûre, simplement
habillée de noir, lui ressemblait, avec
des traits plus doux, presque amollis
par les cheveux blancs et le bienveillant
sourire: sa mère, sans doute.
Gaetano ne se souciait guère de ces
détails; il était préoccupé de la gravité
de la jeune fille. Il ne s'agissait ni de
mélancolie, ni de douleur, ni même d'in-
différence; le sentiment qui se lisait sur
ce visage était celui d'une supériorité
grave, presque inconsciente, mais certes
naturelle. Gaetano se demandait pour-
quoi une fillette, pas même habillée de
deuil, à l'âge du sourire, dans un théâtre
où l'on venait pour s'amuser, se refusait
à toute joie. Maintenant elle parlait len-
tement à sa compagne, sans un geste,
avec un regard intelligent, remuant à
peine les lèvres. Que disait-elle? Quel
étrange aspect était le sien? Tout le
monde riait; elle, non; tout le monde
s'amusait, elle ne s'ennuyait pas; que
faisait-elle, que pensait-elle donc? Il re-
tournait cette idée en lui-même et de-
meurait le visage collé à la toile mal-
propre du rideau, l'œil fixé sur ce pâle
visage, perdu dans ses suppositions, tour-
menté un peu de cette énigme de vingt
ans qui occupait la loge numéro deux.
— Personne sur la scène ! cria l'ap-
peleur.
Malgré lui, Gaetano dut rentrer dans
la coulisse. Arrivé là, il crut avoir une
idée lumineuse, une idée qui lui plaisait
et lui déplaisait à la fois : la jeune fille
était sûrement éprise de quelqu'un.
— Alors je vais la mettre de bonne
humeur, — dit-il, à part soi, — justement,
au troisième acte, il y a une scène d'amour.
Il poussa une pointe jusqu'à la loge
exiguë où Donna Carmela, l'amoureuse,
à la faible lueur d'une chandelle fumeuse,
devant un miroir de quarante centimes,
s'arrangeait au cou un fichu de soie
rose : elle avait les joues grossièrement
fardées de blanc et de rouge.
— Je vous recommande. Donna Car-
mela, dit Gaetano, un peu de feu, dans
notre grande scène.
— Vraiment ! il n'y a pas besoin de
me faire cette recommandation, fit-elle,
lui décochant un regard tendre. Pour-
tant ce n'était point le vingtième fiancé.
Mais Gaetano n'y parut guère sensible.
En effet, la scène d'amour, qui était
la dernière, et le point culminant de la
pièce, fut jouée à merveille. Carmela se
piqua d'honneur, elle parut presque
savoir son rôle; ses yeux, agrandis par
le bistre, étincelaient ; sa voix rauque
avait presque des intonations intelli-
gentes. Mais Gaetano se surpassa; cha-
cun de ses mots fut heureux, il se
montra tour à tour spirituel, ridicule,
baroque; le parterre, tout le théâtre
même se tordait dans des convulsions
de gaieté; il éprouvait une véritable
admiration devant son propre génie,
et quand, à la fin, de bruyants applau-
dissements couronnèrent la pièce, il
jeta un coup d'œil à la jeune fille en
gris, sûr d'avoir agi sur elle et de l'avoir
fait rire.
Mais non, ce visage n'avait pas changé
d'expression. Les yeux fiers rassem-
blaient Carmela et Gaetano dans un
seul regard, et la bouche gracieuse se
plissait d'un mépris dur et énergique.
Il en resta glacé, immobile, stupide.
Pourquoi ce mépris?
Ce fut ainsi que Gaetano Starace,
Polichinelle du théâtre populaire San
Carlino, devint amoureux d'une in-
connue.
II
11 n'était pas philosophe, et cependant,
un jour, passant la main sur son front
rêveur, il s'écria : « Comme l'amour est
différent dans la vie et dans les co-
médies! » Et sa tête s'inclina sur sa
poitrine, sous le poids de cette amère
vérité.
Chaque soir, il l'avait feint, l'amour
de comédie : cet amour tout extérieur,
démonstratif, bavard, plein de flammes,
rude, caressant, passionné, du peuple
L IDYI.LE DK P( ) L I Cil I XEL LK
napolitain. 11 lavait exprimé chaque
soir à Donna Garmela, l'amoureuse, et à
donna Checchina, la soi-disant ingénue.
Chaque soir, Tune ou l'autre de ces deux
femmes l'avait aimé, lui avait adressé
des paroles d'amour. Il avait été tour à
tour amant heureux, jaloux trahi, sé-
ducteur effronté, amoureux sans espoir,
mais régulièrement tout s'arrangeait au
troisième acte, le mariage s'accomplis-
sait et Ion dansait la tarentelle à la
lueur des feux de Bengale. Toujours son
amour avait été joyeux, brutal, grossier,
vulgaire, offert à toutes, sans quejamais
une palpitation intérieure correspondît
à ce luxe de démonstrations. Mais dans
la vie, quelle différence!
Depuis ce fameux soir, il avait passé
une semaine dans l'inquiétude et l'agi-
tation. Mille doutes, mille soupçons l'as-
saillaient ; un tourbillon de pensées ba-
layaient son cerveau, il ne pouvait
s'expliquer la physionomie de cette jeune
fille. Mais, sans parvenir à se l'expliquer,
à quelque occupation qu'il se livrât, dans
quelque lieu qu'il allât, il revoyait la
froideur de ces yeux, et le dédain de ces
lèvres, avec le visage pâle et sympathique,
les tresses noires semées de blondes
étoiles d'écaillé : toujours la même image.
Au théâtre, c'était pire : son regard ne
cessait de revenir à ce premier rang des
loges, s'attendant presque à l'y voir ap-
paraître, s'irritant contre ceux qui
occupaient sa place. S'il venait au trou
du rideau, c'était pour la chercher; si
Donna Carmela lui parlait, il songeait
à elle: s'il jouait la même comédie que
le soir où il l'avait vue, il lui semblait
souifrir de nouveau les mêmes angoisses
et la même désillusion. Bref, sa vie
était profondément troublée.
Un instinct secret le portait à ne pas
s'informer de son inconnue. Cependant
il la revit, il sut son nom. sa famille, son
histoire. C'était la vieille et trop fré-
quente histoire des familles nobles
appauvries par une mauvaise adminis-
tration et par des procès malheureux :
une mère et une fille vivant dune pe-
tite rente qui suffisait à les faire
subsister; une existence toute bour-
geoise et restreinte. Mais, dans les
veines de cette jeune Sofia Canlelmo
coulait un sang bleu, très pur; delà, cette
sévérité sculpturale de sa taille, cette
démarche un peu allière, ces pieds et
ces mains allongés et fins, et cet air de
princesse qu'on a, mais qu'on n'acquiert
jamais. Gaetano apprit tout cela, et
cinquante fois par jour il renouvela sa
résolution de fuir Sofia, de ne plus penser
à elle, de se dédier entièrement à son
humble vie de Polichinelle ; mais le
pauvre garçon n'y réussissait pas. Il
n'avait jamais été amoureux et ne par-
venait pas à se vaincre.
Ses matinées se passaient à arpenter
la place Cavour, sous les acacias des
squares, à regarder le balcon d'un second
étage, qui s'ouvrait trop rarement pour
son désir. Sofia y paraissait seulement
par les beaux jours et y demeurait peu;
elle ne voyait pas Gaetano, ou, si elle le
voyait, ne s'en souciait guère. Le di-
manche, elle se rendait à la messe dans
la vieille église Santa Maria de Constan-
tinople, avec sa mère, et Gaetano, dévot
comme tous ceux qui aiment, y entrait
derrière elle et priait. Puis les deux
femmes s'en allaient faire une prome-
nade, lui derrière, à dix pas, feignant
l'indifférence, mais les suivant comme
un chien fidèle. Le reste de la journée,
il était pris par ses répétitions; il courait
chez lui avaler une bouchée, retournait
au théâtre pour la représentation de
l'après-niidi et n'en sortait plus qu'à
minuit. Mais à minuit, avant de rega-
gner son logis, mort de fatigue, écrasé
de chaleur, il allait d'un trait, jusqu'à la
place Cavour, revoir un balcon éclairé,
et parfois une ombre haute et svelte
passer derrière les rideaux.
Cela dura des semaines entières, sans
varier; mais sa patience, cette sorte de
bonté innée, d'humilité résignée qui se
contentait de contempler Sofia sans autre
espérance, cette voix intérieure qui lui
disait de renoncer, se lassèrent. Il était
jeune, il n avait jamais aimé ; le sang lui
bouillonnait dans les veines et lui affluait
L'IDYLLE DE POLICHINELLE
au cerveau ; cette tension, cette passivité
lui devinrent insupportables; il eut
besoin de prendre une décision, d'agir,
de faire une démarche, d'apprendre ce
qu'il devait en être de son cœur et de
lui.
Il lui adressa une, deux, cinq lettres.
Ces lettres étaient mal écrites, il faut
l'avouer. Quelques expressions, quelques
phrases, étaient assurément empruntées
aux comédies du répertoire; quelques
fautes d'orthographe s'y rencontraient
par inadvertance. Mais elles respiraient
un amour si profond, si sincère, on y
sentait un désir si vif d'une seule parole,
d'un seul sourire, que toute jeune fille
ne pouvait manquer d'en être touchée.
Il y avait longtemps que, sous la brune
frange de ses cils, Sofia remarquait la
fidélité de Gaetano à se présenter chaque
matin sous sa fenêtre. Il y avait long-
temps qu'elle s'était habituée à le re-
trouver invariablement à l'église, à la
promenade, toujours modeste, toujours
un peu triste. Et lentement, dans ce cœur
froid et solitaire, s'imprimait l'image du
jeune amoureux. Sofia était un de ces
caractères entiers, tout d'une pièce, in-
capables de céder à une faiblesse, mais
incapables de mentir aux autres et à eux-
mêmes. Elle était altière, mais, par suite,
elle ne soufTrait pas les demi-mesures ;
soit qu'elle aimât, soit qu'elle n'aimât
pas, elle irait jusqu'au bout. Les malheurs
de son enfance lui avaient été une sévère
leçon; ils lui avaient enseigné que la no-
blesse de la naissance ne signifie rien à
une époque où seul l'argent compte pour
quelque chose; qu'à côté du blason, la
noblesse du travail est également belle
et honnête. Ce jeune homme avait assu-
rément une profession; il travaillait sans
doute aux heures où on ne le voyait pas
paraître; c'était peut-être par suprême
humilité qu'il n'avait signé ses lettres que
de son nom de baptême, dans la crainte
qu'un nom trop bourgeois n'offensât la
jeune fille. Sofia éprouvait de l'estime
pour sa conduite passée, pour celle d'au-
jourd'hui; sa mère, désireuse, comme
toutes les mères, de marier sa fille, l'en-
courageait doucement: elle répondit
donc à Gaetano en peu de paroles, graves,
mais sans froideur. Elle l'estimait, elle
consentait à le recevoir, peut-être l'aime-
rait-elle plus tard.
La première fois qu'il entra dans cette
maison, tremblant d'émotion, dominé
par une étrange angoisse, il aurait voulu
être parfaitement heureux et s'imaginait
l'être. Malgré cela, sa joie était voilée
comme d'une nuée obscure et il se sentait
épouvanté d'un péril ignoré. Puis, il se
traitait de fou, de présomptueux, d'homme
impossible à contenter ; il appelait à l'aide
son amour, sa franchise, la loyauté de
son cœur et de ses intentions, il se disait
qu'un mois, une semaine plus tôt, il n'au-
rait jamais rêvé pareille fortune... et il
se rassurait. Mais, en présence des deux
dames, il fut timide et embarrassé, il
n'osa pas regarder Sofia, il ne sut s'il
devait lui parlera la troisième personne,
selon l'usage toscan, ou à la seconde,
suivant la coutume napolitaine. Les pa-
roles lui venaient lentement; un invin-
cible doute l'arrêtait. La jeune fille le
comprit et vit qu'il fallait l'aider, lui
rendre un peu décourage. Elle lui parla
avec bonté, s'efforçant de radoucir l'ex-
pression de son visage, arrivant presque
à sourire. Il s'anima, devint plus loquace,
domina tout à fait son embarras. L'en-
tretien marchait assez bien, quand la si-
gnora Cantelmo eut l'idée de faire cette
question :
— Où donc nous avez-vous connues?
— Je vous ai vues au théâtre, répon-
dit-il, saisi d'une hésitation nouvelle.
— Au théâtre? reprit Sofia. Nous y
allons bien rarement.
— En avril dernier, au théâtre San
Garlino.
Gaetano n'ajouta rien de plus.
— Je m'en souviens: c'est quand Marie
Desanctis nous avait envoyé cette loge...
Quelle vilaine soirée!...
— Pourquoi? demanda Gaetano, sans
oser accentuer sa question.
— -Je n'aime pas ce théâtre; on y rit
trop et on n'y apprend rien. Tout ce qui
s'y dit est trivial, vulgaire, bas, et me
LIDYLLE DE Po L IC II I N K L LE
répuj^ne. Ces rires du parterre ont
quelque chose de sauvage. Et ce Poli-
chinelle, ce grossier bouffon, qui caresse
de la parole et de l'intention tous les
instincts brutaux du peuple... je ne puis
le soulFrir! Comment un homme se rési-
gne-t-il à un pa-
reil métier?
— Tu es sévère,
Sofia, interrompit
sa mère, mitigeant
le reproche d'un
doux sourire.
— Non, maman.
Sans doute n'a-t-il
pas su trouver un
moyen honnête de
gagner sa vie ?
Mieux vaut un tra-
vail manuel que ce
métier ridicule et
indécent ! Mais en-
lin, que nous irh-
porte tout cela? Je
ne vous ai point
vu ce soir-là.
— Vous ne pou-
viez me voir, ré-
pondit Gaetano,
pâlissant.
— Allez - vous
souvent au théâ-
tre? fit la mère.
N'êtes- vouspas oc-
cupé le soir?
— Si, tous les
soirs, répliqua-t-il,
faisant un effort
pénible, tous les
soirs je vais tra-
vailler.
— C'est un tra-
vail fatigant ? interrogea
bonté.
— Non, pas beaucoup; d'ailleurs, j'y
suis habitué.
— Vous êtes peut-être dans le com-
merce?
Que répondre? Lui jeter la vérité au
visage et s'enfuir? Il l'aimait, il l'ai-
mait passionnément, il l'aimait pour
son mépris môme. Il l'aimait, il
mentit.
— Oui, dans une maison de banque.
J'y vais à quatre heures et n'en sors
qu'à minuit.
Il ajouta son prénom et le nom de
Sofia avec
famille de sa mère : BosaU. Ainsi l'alibi
était complet. Alors il prit congé des
deux dames et rentra chez lui, abattu,
pâle, blessé au cœur. Sur le théâtre,
l'amour lui avait toujours paru une
joyeuse comédie, mais dans la vie il
prenait la forme d'un drame poignant.
Le premier jour de son bonheur, Gae-
tano était bien malheureux 1
76
L'IDYLLE DE POLICHINELLE
III
Désormais il passa les matinées près
d'elle, assis sur le tabouret où s'ap-
puyaient ses pieds, jouant avec l'éche-
veau de laine dont elle se servait pour
sa tapisserie, lui paillant d'une voix très
basse, pendant que la mère allait et ve-
nait dans l'appartement. Ces dames re-
cevaient peu de visites; la pièce était
silencieuse, pleine de lumière et de
soleil. Çà et là, des fleurs emplissaient
de grands vases de cristal. Sofia dai-
gnait parler, de sa voix gravement mu-
sicale qui avait quelque chose d'intime
et d'airectueux ; Sofia daignait lui ac-
corder quelqu'un de ces beaux sourires
qui corrigeaient la pureté trop statuesque
de ses traits. Gaetano se sentait pénétré
d'une grande paix, d'une tranquillité sa-
tisfaite. Il jouissait de mille petites
choses ; les doigts fuselés et blancs de
Sofia, ornés d'une bague de turquoise
qu'il lui avait donnée, volaient sur le
canevas, comme des papillons de neige.
Quand elle finissait son aiguillée de laine,
elle la tranchait net avec de jolis ciseaux
étincelanls; quand elle commençait une
fleur, elle appelait Gaetano à donner son
avis sur la gradation des teintes. Parfois
la jeune fille laissait aller son ouvrage et
se distrayait à causer lentement avec
lui, n'accentuant ses paroles que par un
regard. Elle lui disait que le soir d'avant,
à la brune, elle était sortie sur le balcon,
qu'en Aojant tant de monde dans la
rue, elle avait soudain pensé à lui, en-
fermé dans une chambre éloulfanle,
courbé sur un grand livre, en compa-
gnie de ses chiil'res, et qu'elle avait eu
pitié de lui. Elle lui disait que si l'autre
dimanche il avait fait un gai soleil, tous
trois seraient allés se promener au bois
de Capodimonte; elle lui aurait montré
de jolies allées, de vieux arbi*es, très
vieux, qui avaient l'air gai. Elle lui
contait qu'elle avait lu un livre qui lui
avait plu, surtout certains passages. Le
livre était sur la table, il n'avait qu'à
l'ouvrir à telle page et à lire tout haut.
Et il obéissait en souriant; il lisait avec
emphase, comprenant plutôt avec son
cœur qu'avec son esprit; elle l'écoutait,
fermant à demi ses yeux bruns. Alors ils
restaient silencieux, se regardant lon-
guement avec un tendre sourire. Jamais
ils ne discutaient : ils se trouvaient tou-
jours d'accord; Sofia était un peu exclu-
sive dans ses opinions, inflexible dans
ses idées; mais Gaetano l'aimait et l'ad-
mirait tant qu'il acquiesçait à tout ce
qu'elle disait. Il y avait en elle un senti-
ment tellement grandiose , tellement
juste de la probité, un dédain si complet
de la facile morale du monde, que le
jeune homme se sentait près d'elle de-
venir plus fort, plus ferme, plus coura-
geux. 11 l'aimait comme une enfant, une
femme, une amie, une sœur ; elle le
charmait, il l'admirait, ill'aimait d'amitié
et d'amour, il l'aimait jusqu'à l'adora-
tion.
Mais la porte à peine franchie, ses
blessures recommençaient à saigner. Il
était un menteur, un traître, un lâche, qui
trompait une jeune fille noble et pure !
Il était indigne de son amour, lui, le
bouffon, le polichinelle ! Jusqu'alors, son
esprit était demeuré obtus ; il goûtait son
métier, n'en voyant que le bon côté; il
ne s.e sentait pas au-dessous des autres
travailleurs.
Mais les paroles de Sofia lui ouvraient
l'intelligence et déchiraient le voile dont
celle-ci s'enveloppait. Son père lui avait
laissé la honte en héritage ; ce qu'il fai-
saitchaque soirétait une besogne indigne.
11 se mit à nourrir dans son cœur une
invincible haine pour ce qui avait été sa
consolation : la scène étroite, pou-
dreuse; les coulisses noires, malpropres,
étouffantes, pleines d'araignées; l'odeur
de pétrole, de fumée, d'haleines puantes;
les compagnons vulgaires et grossiers,
les femmes peintes, barbouillées de fa-
rine, chargées de bijoux faux, parlant le
dialecte populaire, criant, se querellant,
réclamant les unes contre les autres,
tantôt vicieuses, tantôt simplement mi-
sérables. Et sa livrée blanche de poli-
chinelle, le masque noir qui le défigu-
L'IDYLJ.K DK rOLICHINKLLE
77
rail; le bonnet obligatoire; ce rùle de
boulFon, de peureux, d'ég-oïste, d'intri-
gant qu'il était obligé de représenter;
ces plirases à double entente, ces plai-
santeries mordantes qui emportaient le
morceau, cet amour bruyant qu'il lui
fallait feindre sans cesse... tout lui
sembla ignoble! La vie qu'il menait le
matin l'ennoblissait et développait en lui
toutes ses facultés morales; celle de
chaque soir, au théâtre, l'avilissait, l'op-
primait, l'abrutissait.
Avec un courage désespéré, il avait
cherché à s'en délivrer, il avait voulu
rejeter ce fardeau pénible. Mais il était
incapable de remplir un autre emploi.
Il ne savait rien, ou un peu de tout, ce
qui revient au même : il n'était qu'un
ignorant. Personne n'avait voulu de lui,
même comme gratte-papier ; on deman-
dait des renseignements sur son compte,
et lorsqu'on apprenait qu'il était le poli-
chinelle de San Garlino, on haussait les
épaules et on souriait : puisqu'il était au
théâtre, il n'avait qu'à y rester. Deux ou
trois refus analogues lui tirent sentir
tout le ridicule de sa situation, et il re-
venait chaque soir reprendre sa chaîne,
douloureusement, souffrant le martyre,
grinçant des dents, quand le public l'ap-
plaudissait, haïssant l'univers, se haïs-
sant lui-même... mais adorant Sofia.
11 finit par ne plus avoir un instant
de paix, même ceux qu'il passait près
d'elle, car il n'arrivait plus à oublier
sa vraie personnalité, et la pensée de sa
misérable condition triomphait de la
douceur de cette présence aimée. Sofia,
d'ailleurs, lui demandait de minutieux
détails sur sa vie d'employé : si le
labeur n'était pas trop pénible, si son
patron le traitait avec bonté; si les af-
faires marchaient bien ; et lui s'embrouil-
lait, appelait au secours ses connais-
sances restreintes, pour y puiser quelques
données commerciales, pour entasser
mensonge sur mensonge. Quand, bien
rarement, sonnait la cloche d'entrée, il
tressaillait, craignant de voir apparaître
une personne qui le connût: chaque fois
il se levait, comme pour fuir. Quand
Sofia recevait une lettre en sa présence,
il tremblait que ce ne fût une dénoncia-
tion anonyme. Si la jeune fille lui sem-
blait mélancolique, le sang se glaçait
dans ses veines, et il pensait : « Elle a
appris quelque chose! » Il lui avait
promis de la mener chez sa mère, une
bonne paysanne; mais, sous mille pré-
textes, il n'avait pas tenu cette pro-
messe.
Par les belles matinées d'été, durant
ses rares jours de congé, Sofia insistait
pour qu'il sortît avec elle et sa mère. Il
choisissait alors les rues désertes, regar-
dait tout autour de lui, avec la crainte
d'apercevoir quelque ami qui l'appelle-
rait par son nom. Il y avait plus : même
dans leurs plus beaux moments de paix
et de sérénité, ces moments où 41 aurait
voulu s'agenouiller devant Sofia et la
prier comme une madone, il était as-
sailli d'un tumulte de pensées impures.
Des bouffées de cynisme lui montaient
au cerveau; des souvenirs de théâtre
salissaient son esprit, il se sentait rede-
venir vulgaire et bas ; il se demandait si
ces mensonges, ces feintes, ces délica-
tesses n'étaient pas des exagérations,
des déguisements inutiles envers Sofia.
Les maris sont rares et, pour en con-
quérir un, les jeunes filles ferment l'œil,
les deux yeux souvent, sur le physique
et la profession du prétendant. Il avait
énoncé cette affirmation sur la scène,
aux applaudissements du parterre. D'un
coup d'aile de son imagination malade,
il voyait Sofia, devenue sa femme et lui
ayant pardonné son mensonge, Sofia as-
sistant à ses représentations et l'applau-
dissant. Pourquoi pas? Dans ces ins-
tants-là, il était sur le point de tout lui
avouer; mais Sofia levait sur lui ses
yeux sereins et chastes, et il reculait,
plus, affolé, plus cruellement angoissé
que jamais.
Une fièvre nerveuse le prit; il espéra
mourir. Au lieu de cela, trois jours après,
il était guéri, et son imprésario vint
lui rendre visite, pour causer, dit-il,
de choses importantes. Le théâtre fai-
sait peu d'engagements, manquait de
78
L'IDYLLK D1-: POLICHINELLE
nouveautés, et voyait disparaître son
public. Les trois soirs où Gaetano
n'avait pas paru, la salle était demeurée
vide. Il fallait donc travailler, inventer
quelque chose, risquer quelque dépense,
battre la grosse caisse pour rassembler
des spectateurs. L'imprésario avait une
idée, même deux : on pouvait monter
une parodie de Rigolcllo, qui jaillirait,
vive et spirituelle, de la plume de Gae-
tano ; reprendre une comédie du réper-
toire, oubliée depuis trente ans et à
laquelle on ferait des modifications...
Qu'en disait ce cher Gaetano, l'appui du
théâtre San Carlino ?
Gaetano répondit affirmativement. Il
fit la parodie, refit la comédie. Il était,
en elfet, l'appui du théâtre San Carlino,
il le sentait peser sur ses épaules, d'un
poids lourd qu'il ne pouvait rejeter. Il
écrivit à Sofia qu'une importante opéra-
tion financière, une grosse liquidation
l'empêchait d'aller la voir d'ici quatre
ou cinq jours, qu'il reviendrait le plus
tôt possible, qu'il l'adorait toujours. En
pastichant de son mieux Rigoletlo, il
éprouva un amer plaisir à se retrouver
sous les traits du malheureux bossu,
dont l'unique adoucissement à sonrôlede
bouifon était l'amour de sa fille. Il se
complut férocement à s'acharner contre
lui-même, caricaturant la tendresse du
père et l'innocence de la fille, glorifiant,
au contraire, la joyeuseté dissolue du
duc et de Maddalena. Lui-même devait,
costumé en femme, jouer le rôle de
Gilda, descendant ainsi au dernier degré
de l'avilissement. Et les jours suivant
les jours, il s'enfonça plus avant dans la
chair cette épine, souriant, comme les
anciens martyrs, à voir couler son sang.
Les grandes affiches rouges et vertes,
collées sur tous les murs de la ville, an-
nonçaient au public napolitain <( la nou-
velle et brillante parodie de Rigoletlo,
expressément écrite par le polichinelle
Gaetano Starace, qui y tiendrait un
rôle, ainsi que le boulîon Barilotto, Don
Felice Sciosciammocca, le Tartaglia, la
duègne, et dix autres acteurs ». Les
journaux consacraient dix lignes de leur
chi'onique théâtrale à recommander à
leurs lecteurs la première représenta-
tion. Ce serait un succès retentissant,
une soirée fort divertissante, un « brio à
ressusciter les morts ». Un chroniqueur
qui mâchait quelque peu de français pro-
phétisait un succès de fou rire. Tous, au
reste, annonçaient qu'il y aurait foule.
En effet, le dimanche de la première^
le théâtre regorgeait de monde et l'im-
présario était fou de joie. Avec une ac-
tivité fiévreuse, Gaetano allait et venait
pour diriger les machinistes. 11 ne parut
que dans la troisième scène, fut salué
d'applaudissements bruyants, comme
auteur et comme acteur, salua et pro-
nonça les premières phrases. Soudain il
fut pris d'un frisson mortel. Son regard,
faisant le tour de la salle, avait aperçu
Sofia et sa mère dans la fatale loge de
premier rang : Sofia, vêtue de bleu, im-
mobile, sérieuse, attentive. Elle aussi, à
sa voix, avait tressailli.
Alors Gaetano se sentit un courage
désespéré, le courage d'une âme vail-
lante aux prises avec la situation la plus
terrible, la plus douloureuse de sa vie.
Ce qui le lui donna fut la frayeur aveu-
gle de perdre cette jeune fille qui pour
lui était tout. Il eut l'énergie de trans-
former sa voix naturelle en un désagréa-
ble fausset. Pour le reste, il était mé-
connaissable. Exalté par tant de mois
de luttes, par la fièvre, par la présence
de Sofia, il déploya ce soir-là toute la
souplesse de son talent pour séduire les
spectateurs. Costumé en Gilda, il fut
grotesque jusqu'à la caricature, forçant
la voix et les gestes ; il imita, en les exa-
gérant, tontes les grâces ridicules d'une
actrice de troisième ordre. Puis, vêtu
en homme, il prit tous les aspects,
dansa, chanta, joua du violon, déclama,
fut bâtonné et bâtonnant, feignit l'ivresse,
i-emplit la scène et tout le théâtre de sa
voix et de sa personne. Il se grisait de
bruit, regardait Sofia, la provoquait, la
défiait intérieurement, certain de ne pas
être reconnu, irrité de son malheur, avec
une exaltation nerveuse arrivée au pa-
roxvsme.
LIDVLLE DE POLICHINELLE
79
La représentation tirait à sa fin. Gae-
lano y aspirait, pour être délivré de ce
cauchemar, de cet étranglement qui lui
montait du cœur à
la gorge, pour sortir
triomphant de ce pé-
ril... On y était : les
derniers applaudis-
sements s'ache-
vaient. Le public des
loges se préparait à
sortir. Sofia était
déjà debout.
Mais la foule, sa-
tisfaite de son bien-
aimé Polichinelle,
l'applaudissait sans
fin. 11 dut attendre
une minute en scène ,
pour recommencer
à saluer. Enfin le
rideau descendit :
un soupir de soula-
gement lui échappa !
Pas du tout : les ap-
plaudissements aug-
mentaient; il fallut
faire relever le ri-
deau, saluer encore.
Sofia jetait sur ses
épaules une échai'pe
blanche, mais gar-
dait les yeux fixés
sur la scène. Tout
d'un coup, une voix
lança un mot, un
cri, que dix, cin-
quante voix répé-
tèrent :
— Le masque
bas!
11 était perdu, le
public voulait voir
son visage , voir
l'homme qui se ca-
chait sous le masque
de Polichinelle. So-
fia regardait, avec son air froid et dé-
daigneux du premier soir. 11 hésita.
— Le masque bas ! rugit le public
souverain.
Avec un geste désespéré, Gaetano
arracha son masque et montra le visage
blême d'un mourant. Son regard s'at-
tacha sur la jeune fille, mais il lut dans
sa physionomie une douleur si fière, un
mépris si intense, qu'il baissa la tête,
se sentant condamné.
80
L'IDYLLE DE POLICHINELLE
• Ainsi finit l'idylle de Polichinelle, car
Gaetano n'osa jamais revoir Sofia Can-
telmo, et elle ne lui donna plus jamais
signe de vie. Gaetano Starace n'était
point un héros, il ne mourut pas. Il ne
chercha pas à se suicider. Non, il se
consuma lentement, jouant tous les
soirs, répétant tous les matins, divertis-
sant le peuple, écrivant des parodies,
vivant dans ce théâtre étroit, noir, avec
des comiques vulgaires et des actrices 1
criardes, bon pour tous, mais un peu
distrait.
Jour par jour, il se consuma sans se
plaindre. Mais, après lui, nul autre de
son nom n'a hérité du masque de Poli-
chinelle.
Car il mourut seul, sans famille, sans
enfants.
jMatiiilde Serao.
Traduit par A. Chevalier.
■%.
L'œuvre de M""" Mathilde Serao , déjà
considérable et extrêmement variée , a
pour caractère la vie, une vie intense qui
anime ses romans, ses articles, ses nou-
velles. On en pourra juger en lisant le
Pays de cocagne, récemment traduit en
français, où se meuvent et s'agitent toutes
les classes de la population napolitaine,
prises dans les multiples trames d'une
action étendue.
M™^ Serao a d'abord appartenu à l'école
vériste née en Italie de l'influence de
notre école naturaliste; même alors il se
mêlait à ses créations romanesques une
bonne part d'idéal qui n'était pas levu-
moindre charme, avec la vivacité et le na-
turel de ses dialogues, et pouvait faire pré-
voir l'évolution qui s'est produite dans son
talent. Aujourd'hui, elle s'efl"orce vaillam-
ment, avec Fogazzaroet plusieurs autres, de
susciter un mouvement de réaction idéa-
liste dans la littérature italienne. Elle a
publié à ce sujet une série d'articles : les
Chevaliers de l'esprit, et écrit un récit de
son voyage à Jérusalem sous ce titre : Au
Pays du Christ.
Lors des débuts de la romancière, toute
jeune fdle à cette époque, un journaliste,
M. Ed.Scarfoglio,critiquaassez sévèrement
les incorrections de son style, qu'elle-
même ne ftiait pas. Le résultat assez pi-
quant de cette entrée en relations fut
un mariage, et aujourd'hui, tous deux diri-
gent ensemble, à Naples, le grand journal
quotidien II Mattino, auquel est annexé le
Matin littéraire.
Ajoutons que M""' Serao donne des confé-
rences fort brillantes, dirige la partie poli-
tique de son journal avec habileté, prend à
cœur les intérêts du peuple de Naples qu'elle
aime et qui lui répond par un culte enthou-
siaste; elle trouve le temps, avec cela, d'être
femme du monde accomplie, mère de famille
dévouée à l'éducation de ses quatre enfants.
La manière dont cette femme remarquable
suffit à autant de tâches écrasantes serait
un bel argument en faveur de la cause fémi-
niste, si ce n'était une rare exception.
LE PALAIS DE L'ELYSÉE
Quoique n'ayant pas encore deux
«iècles crexislence, Tr^lysée est sans
<)ontreclit Tédilice parisien qui a été le
témoin des événements les plus mémo-
rables de notre histoire, et qui a abrité le
plus grand nombre de personnages
illustres à des titres divers.
Construit en 1718 par Molel, pour
Henri -Louis d'Auverg-ne, comte d'E-
vreux, ancien colonel général de la
cavalerie, il fut acquis trente ans plus
tard par la marquise de Pompadour,
moyennant la somme de 650,000 livres.
La belle favorite y joignit un terrain
contigu qui lui coûta 80,000 livres. Ses
comptes, conservés aux archives de la
préfecture de \'ersailles, établissent
qu'elle y dépensa 95,169 livres dans la
seule année 1754. Elle y venait aussi
souvent que Louis XV le lui permettait,
et considérait comme sa paroisse la pe-
tite église de la Madeleine de la \ ille-
l'Evêque, située à l'entrée du faubourg'
Saint-IIonoré. Dès qu'elle eut rendu le
dernier soupir, — on connaît son mot
au curé de A'ersailles, qui était venu lui
administrer l'extrême-onction et faisait
mine de se retirer : u Attendez-moi un
instant, monsieur le curé, nous nous en
irons ensemble », — son corps fut ra-
mené à l'hôtel d'Evreux, suivant la vo-
lonté formelle qu'elle avait exprimée
dans son testament daté de 1757, et on
lïnhuma dans un caveau de l'ég'lise des
religieuses capucines de la place Ven-
dôme, sur l'emplacement de laquelle on
a ouvert la rue de la Paix.
Pendant qu'il appartenait à M'"® de
Pompadour, l'hôtel d'Evreux vit des
fêtes splendides; l'une d'elles est restée
légendaire à la suite de l'incident bur-
lesque qui s'y produisit. Les berg-eries
A\ atteau étaient en pleine vogue, aussi
avait-on imaginé d'en mettre une en
action. Un petit troupeau de vrais mou-
tons, coquettement lavés, peignés et
enrubannés de rose tendre et de vert
chou, conduits par d'élégants bergers
VIII. — 0.
vêtus de satin de même couleur, avaient
été amenés dans une galerie écartée
ornée de g-laces et resplendissante de
lumière. Le secret avait été bien gai^dé,
personne ne connaissait la surprise. A
un signal donné, les portes s'ouvrent
pour permettre aux invités d'admirer ce
tableau vivant. Trop vivant, hélas! Les
moutons, surpris par le bruit et le mou-
vement de la fête, prennent peur et se
sauvent, affolés, vers l'extrémité de la
galerie. Un magnifique bélier, arrivé en
face d'une glace, croit se trouver en
présence d'un rival, fond sur lui tête
baissée ; tous les animaux l'imitent, la
glace vole en éclats; le bruit et le dé-
sordre sont à leur comble, les femmes
prennent peur, s'évanouissent, et l'on
assure que plus d'un cavalier trouva
son compte à ces pâmoisons.
Le frère de M™® de Pompadour, Abel-
François Poisson, marquis de Marigny,
directeur-administrateur des bâtiments
royaux, déjà propriétaire d'une partie
du faubourg, où il a laissé d'impéris-
sables souvenirs, recueillit son immense
succession, à l'exception toutefois de
l'hôtel d'Evreux. Une clause du testa-
ment de la marquise était ainsi conçue :
« Je supplie le roy d accepter le don
que je lui fais de mon hostel à Paris,
étant susceptible de faire le palais d'un
de ses petits-fils. Je désire que ce soit
pour Monseigneur le comte de Pro-
vence. » •
Louis XV accepta l'immeuble, et en
attendant que le comte de Provence,
qui avait alors neuf ans, pût l'habiter
seul, il l'affecta au logement des ambas-
sadeurs étrangers envoyés en mission
extraordinaire. Mais bientôt il y fit
transporter le mobilier de la couronne
dont on ne savait que faire jusqu'à
l'achèvement du garde-meuble élevé,
d'après les plans de l'architecte Gabriel,
sur la place Louis XV.
On "ne sait trop comment le riche
linancier Beaujon devint propriétaire de
82
cette magriifique
toujours est -il
appartint à partir
et qu'il y iit faire
chitecte Boullée
des embellisse-
LE PALAIS DE L'ELYSÉE
À
demeure,
qu'elle lui
de 1773,
par lar-
l'entrée Dr PALAIS
ments considérables. Mais dès cette \
époque il était dans sa destirjée d'appar-
tenir au chef de l'État. Louis XVI s'en- i
thousiasma à son tour de Thôtel d'Evreux |
et voulut l'acheter à tout prix. Beaujon |
céda aux instances royales et accepta
comme prix 1,100,000 livres, plus
200,000 livres pour les glaces et les ta-
bleaux , sous la réserve d'y pouvoir
habiter jusqu'à sa mort, qui survint
en 1786.
Ce n'était vraiment pas cher, si l'on
se reporte à une description minutieuse
qu'a laissée un contemporain ; la g:a-
lerie ne contenait que des toiles de
maîtres, et quels maîtres : Rubens,
Mieris, David Teniers, \'an Ostade,
Jordaens, Rembrandt, Murillo, le Pous-
sin, sans parler de vingt autres de même
valeur. Ce court extrait, relatif aux
appartements particuliers, indiquera
comment on entendait le luxe à cette
époque et nous reporte loin du lit de
fer sans rideaux de M. le Président de
la République :
(I La chambre à coucher est revêtue
depuis le haut jusqu'en bas d'étolfes
plissées. Le lit, agencé avec
grâce, est placé dans un ren-
foncement, dans le fond duquel
est une glace qui, lorsqu'on
ouvre la porte de la pièce voi-
sine , oll're le tableau des
Champs-Elysées se déroulant
en face ; cette pièce est éclairée
par le haut. En traversant un
cabinet fort agréable, vous en-
trez dans le boudoir qui ter-
mine l'aile. On ne sait ce qu on
doit le plus admirer dans cette
pièce, de la richesse du décor^
de la beauté des glaces, dispo-
sées de manière qu'elles pro-
duisent des elTets variés et pi-
quants, ou du choix des étoffes
drapées avec goût. » — Tout
fait supposer que la chambre
dont il est question est aujour-
d'hui le cabinet de M. Blondel.
Le roi n'exerça son di'oit de
propriétaire qu'en invitant la
duchesse de Bourbon-Condé à venir
habiter l'hôtel d'Evreux. Celle-ci ne le
quitta qu'aux jours de la tourmente révo-
lutionnaire pour monter sur l'échafaud.
D'après la tradition, c'est elle qui aurait
donné à la demeure encore embellie par
ses soins le nom d'Elysée -Bourbon,
Acquis par un groupe d'entrepreneurs
comme propriété nationale en 1793, il
devint un lieu de plaisir rival des jardins
de Tivoli, de Monceaux, d'Idalie, de
Marbeuf, de Paphos.
Fêtes champêti'es, ascensions aéro-
statiques, feux d'artifices, concerts et
bals se succédaient en plein air, tandis
que les appartements étaient transformés
en salles de jeux où se réunissaient les
fervents de la roulette et du trente-
et-un. A la première direction succéda
celle du glacier ^'elloni, qui gratifia son
établissement du nom de Hameau de
LK PALAIS DE LKLYSKE
83
Chantilly, sunîsammeiil justifié à ses
yeux par les maisonnettes couvertes de
chaume et les sites pittoresques rappe-
lant le hameau de fantaisie que le prince
de Condé avait fait élever dans son parc
de Chantilly. Pour les curieux du menu
détail, notons que le prix du billet d'en-
trée était de 1 fr. 20, dont 75 centimes
pouvaient être dépensés en consomma-
tions ou en distractions.
I']a 1803 se présenta un acquéreur
que, pour plusieurs bonnes raisons, l'ad-
Murat. Pourtant un seul salon est
resté intact depuis cette époque, aussi
lui a-t-on donné le nom du j^iorieux
f^^énéral.
Mais rÉlysée ne resta pas abandonné
à la suite du départ du nouveau roi de
Naples; Napoléon, conquis à son tour
par les séductions de l'élégante demeure,
l'acheta à son beau-frère et vint y rési-
der de temps à autre, quand il voulait
fuir le bruit et l'étiquette des Tuileries.
Il s'y fit conduire après Waterloo, le
LA COUR D ' H 0 X N E r It
ministration préféra aux locataires qui
avaient fait de l'Elysée-Bourbon un bal
public. Cet acquéreur, c'était Murât qui
n'était pas fâché de graviter dans l'or-
bite d'élégance de son beau-frère le
premier consul et d'avoir, lui aussi, sa
petite cour. Il passa à 1 Elysée tous les
intervalles de ses campagnes, nul mieux
que lui ne s'entendit à jeter par les fe-
nêtres l'argent que Napoléon prodiguait
à ses lieutenants à la seule condition de
mener grand train. Il tenait à l'Elysée
une véritable cour, s'exerçant,en compa-
gnie de sa femme, la belle Caroline,
sœur de l'empereur, au métier de sou-
verain, jusqu au momentoù il alla pren-
dre possession du trône de Naples. A
chaque pas que l'on fait dans le palais,
on trouve des vestiges de ce séjour de
21 juin 1815, à onze heures du soir.
L'histoire a enregistré les premières pa-
roles qu'il adressa à Caulaincourt, duc
de Vicence, accouru pour le recevoir.
« L'armée avait fait des prodiges, une
terreur panique l'a vaincue; tout a été
perdu... Je n'en puis plus .. il me faut
quelques heures de repos pour être à
mes affaires... j'étoulTe là ! » Et il mon-
trait son cœur. Pendant le court séjour
qu'il fit à l'Elysée, dès qu'il mettait le
pied dans les jardins, la foule qui le
guettait pai'-dessus le mur de l'avenue
Marigny, très peu élevé à cette époque,
l'acclamait. Benjamin Constant dit dans
ses Mémoires sur les Cent Jours : « Une
foule d'hommes, pour la plupart de la
classe indigente et laborieuse, se pressait
dans cette avenue, saisie d'un enthou-
Si
LE PALAIS DE L'ELYSEE
siasme en quelque sorte sauvage et ten-
tant d'escalader les murs de l'Elysée
pour offrir à Napoléon de l'entourer et
de le défendre. » L'empereur eut plus
d'une fois la pensée de se rendre
au vœu de ces fidèles; il n'aurait pas
eu g-rand'peine à subjuguer la Chambre
des députés et le gouvernement provi-
soire pour aller se mettre à la tête des
soixante-dix mille hommes survivants de
Waterloo ou soldats du corps de Grou-
chy resté intact. Un jour que les accla-
mations étaient plus vibrantes :
— Osez, lui dit son frère Lucien.
— Hélas 1 répondit-il, je n'ai que trop
osé. Je serais obligé de m'appuyer sur
la portion violente de la population; je
paraîtrais l'empereur des jacobins lut-
tant pour sa couronne contre l'Europe
et contre les honnêtes gens. C'est un
rôle qui n'est ni honorable ni possible.
Son abdication avait été signée le 22,
il quitta l'Elysée pour la Malmaison le
25 à midi. Il monta en voiture dans le
jardin ; les cris de vive l'empereur le
suivirent longtemps ; il salua la foule,
« triste, a dit un spectateur, comme s'il
avait assisté à ses propres funérailles ».
Pourtant on avait tout fait pour trom-
per la population de Paris, l'attirer sur
l'autre façade. En même temps qu'il
s'éloignait ainsi avec le général Bertrand,
sa voiture d'apparat attelée à grand fra-
cas sortait brillamment escortée et em-
menant le général Gourgaud. C'était là
une idée de Fouché qui pendant ces jours
néfastes fut le maître de Paris.
La période impériale consacra défini-
tivement une usurpation déjà ancienne.
Voici comment.
La marquise de Pompadour avait
agrandi ses jardins aux dépens des
Champs-Elysées; le terrain usurpé fut
repris par la nation pendant la Révolu-
tion. Mais Murât s'en empara de nou-
veau, et comme ce qui est bon à prendre
est bon à garder, personne n'a jamais
songé à restreindre l'enceinte de l'Elysée
aux anciennes limites du jardin de l'hô-
tel d'Evreux. Aujourd'hui, d'ailleurs, le
larcin est sanctionné par le temps. Les
promeneurs, en faisant un circuit pour
contourner la saillie que les jardins du
président de la République font sur
l'avenue Gabriel, courbe en cet endroit,
ignorent qu'ils subissent les conséquences
d'un caprice de la marquise de Pompa-
dour.
L'empereur Nicolas avait voulu habi-
ter l'Elysée en 1814, après la campagne
en France; en 1815, à la deuxième entrée
des alliés, ce fut l'empereur d'Autriche
qui en fit sa résidence, il y avait été
précédé par Wellington. A parlir de
1816,1e palais reprit le nom d'Elysée-
Bourbon et fit partie de l'apanage du
duc de Berry. On y apporta son corps
après l'attentat de Louvel le 13 février
1820. Mais la duchesse prit en horreur
cette résidence pleine de souvenirs , qui
réveillaient à chaque instant sa douleur.
L'Elysée resta inhabité jusqu'en 1830,
sauf de très rares apparitions qu'y fit
le jeune duc de Bordeaux.
A la suite de la révolution de juillet,
ce palais fut incorporé à la liste civile ;
mais le roi Louis-Philippe y fit loger
quelques serviteurs de la monarchie dé-
chue, qui d'ailleurs n'occupèrent pas les
appartements principaux. Ceux-ci ser-
virent à héberger quelques hôtes prin-
ciers de passage à Paris. L'Elysée avait
en outre une affectation qui resta pure-
ment nominale : il devait servir d'asile
à la reine Marie-Amélie pour le cas où
elle survivrait à son royal époux.
Pendant les deux premières années
de la république de 1848, il reçut une
destination qui fait un peu sourire, mais
qui en dit long sur les idées à la fois
utopiques et généreuses des gouvernants
d'alors. Ce palais fut exclusivement
réservé aux réunions de la commission
des récompenses nationales.
Comme pour renouer de plus près le
lien qui unissait son pouvoir naissant à
l'Empire, c'est à l'Elysée que le prince
Louis-Napoléon voulut être conduit le
20 décembre 1841), après la proclama-
tion de l'élection du 10 décembre pré-
cédent, qui l'appelait à la présidence de
la République. Il y résida pendant les
LE PALAIS DE LELVSEE
deux années de ses fonctions; c'est dans
le salon qui sert encore pour les séances
du conseil des ministres, qu'entouré de
ses lidèles il attendit les résultats du
coup d'État du 2 décembre 1851. La
veille il y avait eu réception comme
tous les lundis, et Taffluence avait été
telle qu'il avait fallu ouvrir plus de
salles qu'à l'ordinaire; aussi la réunion
n'avez pas bougé, c'est bien, vous êtes
très fort. Pouvez-vous m'assurer qu'au-
cune convocation de la garde nationale
n'aura lieu, que le rappel ne sera battu
nulle part?
— Très facilement, pourvu que j'aie
des estafettes à ma disposition.
— Vovez pour cela le ministre de la
guerre. Partez maintenant, mais pas
L'ELYSEE VU DU JARDIN
s'était-elle prolongée fort tard. Pourtant
le secret avait été bien gardé. \'ers dix
heures le prince, adossé à une cheminée,
appela d'un signe le colonel Vieyra
nommé la veille chef d état-major de la
garde nationale :
— Colonel, lui dit-il en souriant, êtes-
vous assez maître de votre visage pour
n'y rien laisser paraître d'une forte
émotion ?
— Je le crois, mon prince, fit M. de
^ ieyra.
— Fort bien alors... Et avec un sou-
rire plus accentué, il ajouta toujours à
mi-voix. — C'est pour cette nuit !... Vous
tout de suite, on croirait que je vous ai
donné un ordre.
Prenant alors le bras de l'ambassadeur
d'Espagne, le prince fît le tour des sa-
lons en conservant son sourire énigma-
tique. Peu d'heures plus tard, le coup
d'État était chose faite.
Quand il fut devenu empereur. Na-
poléon III s'installa aux Tuileries ; mais
il conserva une prédilection pour l'Elysée
et, dans les semaines qui précédèrent
son mariage, il en fît la résidence de sa
fîancée, M""^ de Montijo.
A cette époque, c'est-à-dire en 1855,
d'importants travaux y furent exécutés
LE PALAIS DE L'ELYSEE
sous la direction de M. Lacroix. On
construisit notamment, en façade sur le
faubourg- Saint- Honoré, une galerie
composée d'un étage et d'un attique
que surmonte une terrasse et que cou-
ronne une balustrade en pierre à la ma-
nière italienne. Au milieu s'ouvre une
porte monumentale en forme d'arc de
triomphe. De chaque côté des grilles
d'entrée, un groupe de colonnes corin-
thiennes supporte un trophée d'armes
et de drapeaux.
La galerie se prolonge en retour sur
lavenue Marigny à l'ouest et, de l'autre
côté, sur la rue de l'Elysée, percée en
partie sur les terrains de l'hôtel Sébas-
tiani, tristement célèbre par l'assassinat
de la duchesse de Praslin, et de l'hôtel
de Castellane qui, sous la présidence,
avait été affecté aux bureaux de M. Moc-
quart, le fidèle chef de cabinet de
Napoléon III, et de M. Sacaley, son
sous-chef.
Plusieurs immeubles de la rue de
l'Elysée appartenaienft à l'impéi'atrice ;
elle avait acheté le terrain à beaux de-
niers comptants, et les constructions
furent élevées à ses frais. Après 1870,
elle olîrit le n" 4 comme résidence à
M. Rouherqui y habita plusieurs années.
Napoléon III devint propriétaire,
dans des conditions analogues, du n" 20,
qui fait le coin du faubourg Saint-
Honoré. Il s'en défit au cours de son
règne, à une époque où la liste civile se
trouvait en déficit, un acquéreur s'étant
présenté en la personne du baron Ilirsch
qui en offrit 350,000 francs. Mais l'em-
pereur réprimanda vertement son archi-
tect, M. Lacroix, qui allait traiter pour
ce prix. « Vous savez, lui dit-il, que
terrain et construction ne représentent
que 300,000 francs de débours. Je ne
veux pas vendre l'immeulile un sou de
plus. »
Ce M. Lacroix était le frère de
M"'" Cornu, sœur de lait de l'empereur;
il dirigea les travaux qui se prolon-
gèrent de 1858 à 1864. D'après les pro-
jets primitifs, les constructions nou-
velles élevées dans la partie est du palais
étaient destinées : le rez-de-chaussée
aux appartements de l'empereur, le pre-
mier étage à ceux du prince impérial,
sauf la partie centrale réservée aux ré-
ceptions, et le deuxième étage aux ap-
partements privés de l'impératrice. En
fait, la souveraine n'a pas passé une
seule nuit dans le palais depuis le 30 jan-
vier 1853, jour de son mariage, où la
duchesse de Bassano, sa première dame
d'honneur, vint la chercher en voiture de
gala pour l'accompagner à Notre-Dame.
Une fête, considérée comme l'inaugu-
ration du palais transformé, fut donnée,
en 1805, au corps diplomatique, avec
illumination des jardins et concert sous
la direction dAuber, qui prenait au
sérieux ses fonctions de chef de musique
de la chapelle et de la chambre im-
périales.
Dès 1866, il fallut improviser des
ameublements pour recevoir les souve-
rains qui devaient accepter l'invitation
de la France à l'occasion de l'exposition
de 1867.
L'empereur de Russie, Alexandre II,
le sultan Abdul-Aziset l'empereur d'Au-
triche firent successivement un séjour
d'environ trois semaines. Leur suite,
composée d'une centaine de personnes,
était défrayée de tout par la liste civile,
et, pour donner une idée des frais que
comportait cette hospitalité , notons
qu'un seul article de ce budget spécial,
celui des vins et liqueurs, a toujours dé-
passé quotidiennement le chiffre de
mille francs... et, détail imprévu, les
Turcs n'étaient pas les plus sobres.
Vinrent ensuite le roi Oscar de Suède,
sa sœur, la reine Sophie des Pays-Bas,
et le fils de celle-ci, le prince d'Orange,
irrévérencieusement surnommé le prince
Citron, mais leur suite seule habita le
palais, ils voulurent être logés rue de
l'Elysée pour plus d'indépendance.
En juillet 1870, le vice-roi d'Egypte,
Ismaïl pacha, clôtura la série des hôtes
royaux de l'Elysée. Peu de semaines
après, l'impératrice-régente y autorisa
la formation du corps des francs-tireurs
Lafont-Mocquart.
LE PALAIS DE L'ELYSEE
87
Au 4 septembre, le ministre des
linances, Ernest Picart, lit installer à
rÉlysce rétat-major de la Garde Natio-
nale. Le général Clément-Thomas, qui
devait être si malheureusement fusillé
le 18 mars, y fixa sa résidence; mais une
partie des bâtiments lut réservée à la
société de secours aux blessés. La
grande salle à manger servait de ma-
gasin pour les appareils de pansement;
les dames patronnesses, présidées par
à Paris au commencement de mars 1871
et avait élu domicile au ministère des
affaires étrangères; pendant tout le
temps de son séjour à Versailles, la pré-
fecture fut sa résidence officielle. Il ne
se montra à TElysée qu'à de longs
intervalles, soit, en tout, pendant trois
mois à peine ; il se contentait d'une
maison militaire modeste se composant
de trois officiers seulement.
Quelques semaines après le "24 mai 1 873,
LE SALON DE L " il E M I C Y C L E — TAPISSERIE DU J U U E JI E N T DE PARIS
la comtesse de Flavigny, se réunissaient
dans le salon Murât.
Si le palais n'a pas subi 1^ moindre
détérioration pendant la Commune, c'est
grâce à la présence d'esprit de M. de
Gourlet, le conservateur actuel, qui mit
comme condition à l'entrée des insurgés
qu'ils se contenteraient d'occuper les
postes affectés aux soldats de garde.
De concert avec M. Hippolyte Vavin,
un des commissaires préposés à l'examen
des papiers des Tuileries, il avait impro-
visé des scellés dont l'authenticité ne
fut pas mise en doute. De frêles bandes
de toile protégèrent le palais contre le
pillage et l'incendie.
M. Thiers, d'aboi'd chef du pouvoir
exécutif, n'avait fait qu'une apparition
le maréchal de Mac-Mahon donna à
l'Elysée une grande fête en l'honneur
du shah de Perse Nasser-Eddhin. Dans
la suite, tout en continuant à résider
officiellement à Versailles, le maréchal
se fit autoriser à donner des récep-
tions à l'Elysée, et pendant les der-
nières années de sa présidence il y
habita presque continuellement.
En 1879, le siège du gouvernement
ayant été transporté à Paris, M. Grévy
prit possession de l'Elysée. Renseigne-
ments pris à des sources sûres, sous sa
magistrature tout s'est passé au moins
aussi correctement et aussi convenable-
ment que sous ses successeurs. Les fêtes
données de son temps n'ont pas été les
moins brillantes. Légende, les prétendues
«8
LE PALAIS DE LÉLYSEE
distributions quotidiennes de pain aux
canards de la pièce deau ; légende, les
interminables parties de billard. En
réalité, on fait actuellement autant de
carambolag^es que jamais dans la salle
de billard du premier étage.
M. Carnet, qui fut élu en 1887, signala
sa présidence par la construction d'an-
nexés du plus déplorable effet dont nous
parlerons tout à IJieure. L'Exposition
de 1889 fut l'occasion de fêtes extrême-
ment brillantes données à l'Elysée. Mais
le président d'alors put faire honora-
blement les choses sans y être de sa
poche, grâce aux 500,000 francs de frais
de représentation supplémentaires que
le Parlement alloua au chef de l'Etat en
cette période exceptionnelle. Après l'at-
tentat de Caserio, en juin 1894, le corps
du président Garnot, ramené à l'Elysée,
fut exposé dans le salon de l'hémicycle,
et pendant quatre jours la population
parisienne, défilant sous la véranda le
long de la façade du jardin, lui rendit
1 un suprême hommage.
Rien n'a marqué le court passage à
l'Elysée de M. Casimir-Perier; M. Félix
Faure lui a succédé en janvier 1895.
Pour obtenir une audience du prési-
dent dé la République, il suffit d'adres-
ser au secrétaire général de la présidence
une lettre indiquant l'objet dont on dé-
sire entretenir le chef de l'État. Dans
un très court délai, on reçoit avis du jour
où l'on devra se présenter à l'Elysée.
Souhaitez-vous de connaître par le menu
le cérémonial de ces audiences? Il est
des plus simples.
Après avoir franchi la porte d'hon-
neur sur le pas de laquelle il a trouvé
le concierge gileté de rouge qui lui
indique le perron, le visiteur, pour y
arriver, traverse la cour, gravit l'esca-
lier recouvert d'un moelleux tapis rouge
à bandes jaunes, — au haut duquel deux
soldats en gants blancs veillent jour et
nuit, — et remet sa lettre d'audience à
l'huissier d'annonce à chaîne d'argent,
qui, toute la journée, se tient assis der-
rière une table. Ils sont trois, trois ser-
viteurs d'élite , tous d'extérieur égale-
ment décoratif qui se relayent à ce poste
d'honneur.
Tandis que l'un d'eux vérifie ses nom
et qualités, le visiteur a le loisir de jeter
un coup d'œil sur ce premier vestibule
d'où part l'escalier d'une'rigidité froide
et nue, mais ne manquant pas d'un cer-
tain caractère, aménagé au commence-
ment du siècle par Percier et Fontaine.
Lorsque, sous le second Empire, il fut
question de l'embellir, Napoléon III s'y
opposa formellement, — il en avait le
droit, la restauration se faisant à ses
frais, l'entretien des palais nationaux
incombait, en effet, à la liste civile, —
il tenait à ce souvenir des jours de sa
première enfance où il venait visiter sa
grandmère, l'impératrice Joséphine.
Le porteur d'une lettre d'audience est
introduit d'abord dans le salon de Cléo-
pàti'e, qui doit son nom à la belle et
grande tapisserie de Gozette , d'après
Natoire, représentant le fameux repas,
où, en présence de Marc-Antoine, la
reine d'Egypte s'otTrit, pour dessert, une
perle valant 100,000 sesterces, assouplie
dans du vinaigre.
De là on le fait entrer dans le cabinet
des officiers de service où il peut voir
en passant l'esquisse de la grande toile
de Détaille, aujourd'hui détruite, repré-
sentant la distribution des drapeaux sur
le terrain de Longchamp, le 14 juil-
let 1880. Tous les personnages qui figu-
raient aux places d'honneur de cette
imposante solennité sont morts, à com-
mencer par le président Grévy, Gam-
betta, les généraux Farre, Mac-Mahon,
Ganrobert, etc. On a également accro-
ché dans ce salon la dramatique toile de
Goulurier, Un homme à la mer, et de
jolis dessus de portes de la première
manière de Ghaplin. Une magnifique
armoire vitrée de style empire en acajou,
avec ornements en cuivre doré, est pla-
cée entre les deux fenêtres; on y a en-
fermé la volumineuse collection des
Victoires et conquèles des Français.
Mais le meuble le plus curieux pour les
I-K PALAIS DE I,1:LYSKE
S9
profanes est rincomparable carlonnier
avec ses cases savamment disposées ,
prèles à happer tous les papiers à desti-
nation des dlIFérents ministères. Napo-
léon III avait ce cartonnier dans son
cabinet aux Tuileries; il y conservait les
fiches et les dossiers qu'il entendait con-
sulter seul. Si ce meuble a échappé à
lincendie de la Commune, c'est qu'il
Un des huissiers d'annonce ouvre la
porte et prononce le nom du visiteur,
tandis que M. Félix Faure, se levant
du bureau où il est assis , face à la
fenêtre, l'accueille avec cette simplicité,
cette aisance qui n'ont pas peu contri-
bué à sa popularité.
Ce qui frappe tout d'aJDord dans le
cabinet du Président de la République,
LA GRANDE SALLE DES FETES
AU F ( I X D LE J A R D I X D ' H I V E R
avait été envoyé en réparation au mo-
ment du 4 Septembre.
Avant d'arriver jusqu'au Président de
la République, le visiteur doit encore
traverser le cabinet du g'énéral Hagron,
secrétaire général et chef de la maison
militaire. C'est lui qui règle toutes les
questions de représentation ; les visites,
les voyages sont du ressort. Comme le
salon des officiers de service qui le pré-
cède et comme celui du Président qui
le suit, le cabinet du général donne sur
le jardin , aussi la lumière entre-t-elle
à flots pour éclairer les tableaux qui
ornent les murs et notamment un cu-
rieux épisode de la bataille de la Fère-
Champenoise, en 1814.
c'est la grande tapisserie décorant une
sorte d'hémicycle ménagée dans le mur
faisant face aux fenêtres. Cette tenture,
du plus pur style Louis XI\ , représente
les quatre éléments, on y voit Eole et sa
famille soufflant la tempête à travers les
airs et faisant choir sur la terre des tor-
rents d'eau, tandis que le feu du ciel
sillonne les nuages.
Cet hémicycle a été ménagé sur
l'emplacement de la bibliothèque que
Napoléon III avait fait placer là et qui se
composait de volumes ayant appartenu
à la reine Hortense, réunis à grandpeine
par Jules Sandeau. Comme ils étaient la
propriété particulière de Napoléon III,
ces livres lui ont été restitués en 1871.
00
LE PALAIS DE L'ELYSÉE
L ameublement de Beauvais a été
apporté de Compiègae depuis peu d'an-
nées. M. Félix Faure a fait acte d'homme
de goût en faisant enlever les fauteuils
de damas roug-e dont ses prédécesseurs
s'étaient contentés.
Quant au siège sur lequel s assoit le
Président, c'est un de ces simples fau-
renseignements, à commencer par le
Code, les annuaires militaires, de la ma-
rine, commerciaux, etc.
Sur la cheminée, une jolie pendule
Louis XVI et un souvenir (oh ! bien dis-
cret!) des affections de famille apporté
dans le cabinet du chef de l'État, par...
le grand-père, le portrait-carte d'un en-
L A SALLE DU C O X S E I L DES MINISTRES
teuils cannés en bois courbe, monté sur
pivot, comme en ont bon nombre de
commerçants ; il a remplacé, depuis la
même époque, le fauteuil du roi Luuis-
Philippe, qui a été affecté à l'usage de
M. Le Gall.
Sur le grand et beau bureau Louis X\\
orné de bronze doi'é, rien qu'un sous-
main très ordinaire, un encrier, une
loupe carrée et un jeu complet de bou-
tons électriques , — dix , pas un de
moins.
Une bibliothèque tournante est à la
portée de la main du Président; elle
contient exclusivement des ouvraares de
fant fort gentil tenant un petit cheval...
c'est M. Jacques Berge.
Si, laissant le visiteur se retirer, nous
pénétrons chez M. Le Gall, nous trou-
vons le directeur du cabinet de la Pré-
sidence, dont la courtoisie et l'affabilité
dépassent tout ce qu'on peut imaginer,
assis devant le bureau dont Louis-Phi-
lippe s'est servi pendant tout son règne.
La grande alcôve de cette pièce où cou-
chait le prince Louis-Napoléon pendant
sa présidence a été transformée en biblio-
thèque. C'est là également qu'ont cou-
ché la plupart des souverains A-enus en
France en 1867.
M-: PALAIS DE 1/ ELYSEE
91
Dans le salon \x)isin, en relonr sur le
jardin, se lient M. Blondel, le laborieux
et discret sous-directeur du cabinet.
Enfin, à rextréniité de cet avant-corps
s'ouvre le salon ^ris argent, un bijou de
style empire avec ses meubles du temps,
restauré sous la direction de M. de Gour-
lel, l'éminent conservateur du Palais,
Nous pénétrons d'abord dans les con-
structions vitrées où sont établis les
vestiaires; ces déplorables annexes, édi-
fiées par les soins et sous la direction de
M. Carnot, ont le triple inconvénient
d'être fort laides, de masquer la façade
et de diminuer d'un tiers la cour d'hon-
neur.
FELIX F A r R E D A X S SON CABINET DE T R A \' A I L
inconsolable de n'avoir pu empêcher la
construction des annexes d'un f.;oùt dé-
plorable cpii déshonorent l'Elysée depuis
la présidence de 'SI. Carnot. Ce petit
coin, très calme aujourd'hui, avait une
grande animation au temps où M. Wilson
y avait établi son quartier général dans
une pièce voisine du salon gris argent.
Pour connaître 1 Élvsée dans son en-
tier, nous n'avons plus qu'à parcourir
les appartements qui sont ouverts aux
invités les soirs de bal. Suivons, pour
cela, leur itinéraire.
Nous passons de là dans le vestibule
de Percier et Fontaine, dont il a été
parlé plus haut, et nous entrons dans le
salon des tapisseries qui offre à l'admi-
ration des amateurs de magnifiques spé-
cimens de la fabrication des Gobelins
au xviii" siècle sous la forme de pan-
neaux décoratifs dans les trumeaux et
de vastes tentures retraçant l'histoire
de Scipion.
Le salon des officiers, qui fait suite,
est oiMié de boiseries de style Louis XV,
provenant du château de Bercy, les
dessus de portes sont peints par Landelle ;
il précède le grand salon, qui a con-
92
LE PALAIS DE L'ELYSÉE
serve une partie de sa décoration primi-
tive. Les panneaux de style Louis XIV,
notamment, rappellent ceux des salons
de Versailles; ils datent de la construc-
tion de FElysée et ont été mis en place
en 1718, sous les yeux du comte d'Evreux.
Vient ensuite le salon de l'hémicycle.
Cet hémicycle était autrefois tout pro-
et Vénus se soient présentées nues ou
tout au moins rejetant leurs vêtements
en arrière pour mettre Paris en état de
juger leurs avantages respectifs.
Ne soyez pas surpris que M"^^ de Main-
tenon ait eu Toccasion de voir et de
faire modifier la tapisserie qui est au-
jourd'hui à 1 Elysée. Sous la monarchie,
;-E SALON GRIS ARGENT
saïquement l'alcôve dans laquelle cou-
chait Napoléon I*"'. Elle porte aujour-
d'hui une incomparable tapisserie des
Gobelins représentant le jugement de
Paris et oll'rant cette particularité —
dont les traces sont parfaitement appa-
rentes — que les trois déesses primiti-
vement nues ont été habillées par ordre
de M'"^ de Maintenon. Cette adjonction
de vêtements a été si habilement faite
qu'on ne peut la soupçonner si on n'est
pas prévenu. Pourtant il est plus vrai-
semblable et plus conforme à la tradi-
tion mythologique que Junon, Minerve
la destination des tapisseries n'était pas
de rester fixées à un mur, on les em-
ployait à la décoration et à l'ornemen-
tation des salles où se donnaient des
fêtes. On faisait de même pour les tapis
qui n'étaient pas fixés au parquet des
salles comme de nos jours. Ainsi, il y a
encore au garde-meuble des tapis de la
Savonnerie qu'on plaçait dans les pièces
que le roi devait traverser.
Nous arrivons dans la salle du conseil
des ministres dont la décoration de
style Louis XV a été souvent remaniée,
d'où les cordons, les glands, les pieds
LE PALAIS DE L'ELYSEE
0:5
de bouc el autres ornements Louis X\'I.
Les glaces, trop grandes pour n'être pas
modernes, accusent des restaurations
plus récentes. A une certaine hauteur
et dans des cadres unii'ormes, les por-
traits en bustes des souverains régnants,
d'ailleurs fort médiocrement peints, ont
été placés là, il y a une quarantaine
le salon Murât disposé, en 1806, par les
soins du roi de Xaples, et qui n'a pas
beaucoup changé depuis cette époque.
Outre les larges glaces qui ne parvien-
nent pas à augmenter la lumière parci-
monieusement ménagée par deux fenê-
tres, on y remarque notamment deux
toiles de Carie \'ernet : lune représente
LA SALLE A M A X G E II DE M. LE PRÉSIDENT DE LA REPUBLIQUE
d'années, par ordre de Napoléon IlL
François-Joseph d'Autriche, Victor-
Emmanuel, Nicolas P"" de Russie, la
reine \'ictoiùa à vingt ans, le roi de
Wurtemberg, Frédéric- Guillaume de
Prusse et Pie IX semblent ainsi écouter
de haut les discussions de nos ministres.
Il va sans dire que, les soirs de bal, on
fait disparaître la table ovale avec ses
sous-mains noirs, les chaises d'acajou
en cuir vert où s'assoient les ministres
et le fauteuil en marquetterie réservé au
Président de la République.
En revenant sur nos pas et à 1 extré-
mité occidentale du palais, nous trouvons
le château de Benrath ayant appartenu
à Murât, actuellement aux mains du
prince de Hohenzollern, qui a épousé la
fille de la reine Dona Maria, l'autre
montre l'entrée de Murât à Naples en
1799. On peut voir encore dans cette
salle, entre les deux fenêtres, le premier
projet de la colonne \'endôme. Elle est
surmontée de la statue de Napoléon l"
en César romain, ce qui prouve que
c'est bien là la statue primitive.
Sur le salon Murât, s'ouvre la grande
salle à manger, élevée sur l'emplacement
de l'orangerie du palais où l'on installe
le buffet les soirs de bal. Les travaux.
îti
LE PALAIS DE L'ELYSÉE
commencés sous le second empire et
poursuivis sous la présidence du maré-
chal de Mac-Mahon, n'ont été terminés
que sous celle de M. Grévy. On a édifié,
à cette époque, un vaste jardin dliiver,
énorme vaisseau treillage et éclairé par
le haut, qui au point de vue esthétique
ne rappelle pas autre chose que le pa-
lais des Singes.
du jardin. Outre qu'elle dépare cette
façade, elle a l'inconvénient, tant elle
emmagasine la chaleur du soleil de
midi, de rendre tous les appartements
du rez-de-chaussée inhabitables. Avec
les annexes vitrées, cela l'ait trois mé-
faits graves au compte de M. Carnot.
Nous ne terminerons pas notre visite
sans pénétrer dans les pièces du pi'emier
LE (;i!A-\D SALOX T) V PREMIER ETAliE
Enfin, à la suite et également sur la
partie du jardin qui borde l'avenue
Marigny, M. Carnot a fait construire
ce qu'on appelle pompeusement la salle
des fêtes. AfTreuse annexe, faite de fonte
et de briques, qui ressemble extérieure-
ment à un manège, et que ne réussissent
pas à rendre belle à l'intérieur les deux
jolies tapisseries de Médée et la coquette
série de don Quichotte, de Coypel.
Les soirs de bal, tous les apparte-
ments qui viennent d'être décrits com-
muniquent avec une galerie improvisée
sous l'horrible véranda régnant tout
le long de la façade du palais, du côté
étage dont bon nombre sont ouvertes
les soirs de bal. I^es soupers sont servis
dans la salle à manger particulière où
M. Félix Faure et sa famille prennent
leurs repas quotidiens. De modernes ta-
pisseries de Beauvais représentant des
natui-es mortes et deux grands panneaux,
d'après les tableaux de Desportes qui
sont au LouA're, ornent les mui^s.Le Pré-
sident, qui déjeune à midi et dîne à sept
heures et demie, s'assoit le dos au feu,
sa femme en face de lui, sa fille à sa
droite. Même dans la plus stricte inti-
mité, il ne prend jamais son repas du
soir sans avoir revêtu son habit noir.
LE PALAIS DK LKLYSKE
9â
Sur la table, toujours ornée d'un joli
surtout en biscuit de Sèvres, le couvert
est des plus simples. Les repas sont ser-
vis dans des assiettes dorées remontant
à Louis-Philippe. Trois plats le matin,
quatre le soir, avec des desserts, voilà
le menu présidentiel.
De Tautre côté, le salon blanc com-
munique avec le i^rand salon de
bibliothèques peintes en blanc, et enfin
le petit boudoir en places décoré de
peintures par Chaplin, primitivement
destiné à être la salle de bains de l'im-
pératrice Eugénie, ce qui explique son
analogie avec les salles de bains de
^L^rie-Antoinette à \'ersail!cs et à Fon-
tainebleau.
A cette partie du palais accède un
LA CHAMBRE A COCCHER DE M. FELIX FAURE
jyjme pélix Faure, orné de décorations
murales peintes sous le second empire.
Les meubles Louis XVI, en tapisserie
de Beauvais à sujets, offrent un véri-
table intérêt artistique. Des fenêtres
cintrées augmentent l'originalité de
cette pièce , où Ton a mis en bonne
place le buste de M. Félix Faure,
par Saint-Marceaux. L'échiquier de
Louis X^'III, réduit à l'humble emploi
de table, est dans cette pièce.
\'iennent ensuite la salle de billard,
où l'on remarque le portrait en pied de
M. Félix Faure, par Bonnat, le cabinet
de travail du président, avec ses trois
escalier intérieur faisant communiquer
le rez-de-chaussée avec les apparte-
ments particuliers du Président de la
République, comprenant un petit salon,
servant surtout à M"*^ Lucie Faure pour
recevoir les visites multiples occasion-
nées par les bonnes œuvres dont elle
s'occupe, sa chambre, celle de son père,
et enfin en retour celle de M™® Félix
Faure. Le président a ainsi sa chambre
exactement au-dessus de son cabinet.
Signalons enfin, sur la cour intérieure,
quatre pièces qui sont mises à la dispo-
sition des parents, des amis, à qui on
veut offrir l'hospitalité.
06
LE PALAIS DE L'ELYSÉE
Au rez-de-chaussée de cette partie du
palais sont aménagés les services du
secrétariat, qui occupent bon nombre
de scribes; du coté opposé, dans la
cour ouest, dont un des côtés borde
Tavenue Mariyny, se trouvent les écu-
ries et les remises, tenues avec une
remarquable correction sous l'œil vigi-
M 0 N T J A II R E T A L ' E N T R É E DES É l' U R I E S
lant du piqueur Montjarret. Mais leur
installation matérielle laisse beaucoup à
désirer ; faute de place, les douze demi-
sang, tous grands carrossiers bai brun,
et les trois chevaux de selle sont ré-
partis en plusieurs écuries, dont une ne
contient qu'un attelage, Brest et Cher-
bourg, les deux carrossiers de gala qui
ont eu l'honneur de traîner l'empereur
Nicolas II et l'impératrice. On les attelle
habituellement à la daumont présiden-
tielle : ils ne valent pas moins de
15,000 francs. Pluton et Jupiter for-
ment le deuxième attelage de la dau-
mont. Rob-Roy et Coquelicot sont ré-
servés pour le coupé ou la victoria.
Quant à Vizir, un joli cheval de selle, il
est monté par Montjarret les jours de
grand gala. Malgré ses innombrables
occupations, M. Félix Faure trouve le
temps de visiter souvent ses écuries,
non sans distribuer à la valetaille le
blâme ou l'éloge, en homme qui voit de
l'œil du maître.
Eté comme hiver, il quitte 1 Elysée à
sept heures , en voiture , accompagné
tantôt du général Hagron, lant()t du
commandant de La Garenne; il prend
dans l'avenue du Bois les chevaux préa-
lablement amenés par Montjarret et,
après une heure et demie de trot et de
galop, rentre en voiture à 1 Elysée. Il ne
se prive de cette sortie matinale que les
jours où il fait une visite à une caserne
ou à un établissement de bienfaisance.
Outre les deux grands bals annuels,
pour lesquels il est envoyé près de dix
mille invitations, — fort heureusement
plus d'un tiers des invités s'abstiennent,
sans quoi on s'écraserait dans les salons,
— M. et M"*" Félix Faure donnent au
mois de juillet une garden-party, à la-
quelle le magnifique jardin de l'Elysée
forme un cadre incomparable.
Enlln, plusieurs grands dîners d'une
centaine de couverts, servis dans la
grande salle à manger, et plus souvent
dans la grande salle des fêtes, sont
offerts régulièrement par le chef de
l'État : dîner diplomatique pour les
ambassadeurs et les ministres étran-
gers ; dîner parlementaire pour les
ministres, les membres des bureaux, les
questeurs et certaines personnalités des
deux Chambres ; dîner des grandes com-
missions (armée, marine, finances, etc.);
dîner des généraux. Ces repas sont mis
au point dans les vastes cuisines du pa-
lais, mais ils ont été préparés au préa-
lable par la grande maison qui en a
l'entreprise.
En résumé, quoiqu'il nait pas les pro-
portions des palais des Tuileries, de
Versailles, de Fontainebleau affectés
jadis à la résidence des souverains fran-
çais, l'Elysée, par sa situation, ses amé-
nagements intérieurs et son admirable
jardin, est une des plus agréables de-
meures de Paris.
PlERRK d'EcOI.LES.
LE ROLE DES MICROBES
EX AGRICULTURE
Bon nombre de phénomènes ayant
pour résultai iinal la transformation de
la matière, cpii, il y a quelques années
entore, étaient attribués à des actions
purement chimiques, reconnaissent en
réalité comme cause déterminante lac-
tion dètres infiniment petits, qui tra-
vaillent pour leur propre compte. C'est
1 immortel j^énie de Pasteur qui a mis
ces faits en évidence, créant ainsi une
science nouvelle, la microbiolofjie, c'est-
à-dire la science des microbes et des
transformations qu'ils opèrent au sein
des substances dans lesquelles ils vivent.
Le mot microbe, qui a été proposé par
Sédillot, et non pas par Pasteur, comme
on le croit communément, évoque la
plupart du temps l'idée d'un animal mi-
croscopique grouillant et remuant. C'est
là une erreur! Les microbes ne sont pas
des infusoires, mais bien plutôt des végé-
taux tout à fait inférieurs, des sortes
d'algues uni-cellulaires, c'est-à-dire for-
mées dune seule cellule et privées de
chlorophylle ou matière verte.
Ces microbes ont été diversement
classés ; cependant on s'accorde assez
bien généralement , aujourd'hui , à les
grouper en trois groupes : 1*^ les bacté-
ries, qui sont des cellules plus ou moins
allongées et douées de mouvements ra-
pides ; 2" les bacilles, en forme de bâton-
nets plus ou moins incurvés ; 3*' les
vibrions, allongés en forme de petits ser-
pents qui se déplacent par ondulations.
Ces micro-organismes se trouvent par-
tout ; 1 air le plus pur n'en contient pas
moins de 5,000 par mètre cube ; les
eaux en nourrissent des quantités pro-
digieuses ; c'est ainsi que, dans un cen-
timètre cube d'eau de Seine, prélevé au
pont de lAlma. M. Miquel a compté
38,955 microbes. On rencontre les micro-
bes dans les aliments, sur les matériaux
de construction, dans la terre, et même,
VIII. — 7.
et surtout dans notre propre corps. 11 ne
faudrait pas croire que tous ces êtres
microscopiques fussent nuisibles ; loin de
là. S'il en est qui sont franchement à
redouter en ce sens qu ils constituent
les agents de transmission de certaines
maladies, il en est d'autres, par contre,
qui sont notoirement utiles. L'industrie
utilise aujourd'hui l'activité Aitale des
microbes qui transforment le sucre en
alcool ou l'alcool en vinaigre. La méde-
cine elle-même, qui a tant à lutter con-
tre les microbes nuisibles appelés y;a//?0'
gènes, emploie les vaccins, qui sont de
véritables microbes bienfaisants, pour
conférer l'immunité contre certaines
maladies et même en guérir quelques-
unes.
Même en agriculture, les microbes
jouent un rôle de première importance
qu'on était encore bien loin de soup-
çonner il y a vingt ans à peine.
Les phénomènes agricoles qu'on
croyait dus, il y a peu d'années encore,
à l'intervention des agents purement
mécaniques, physiques ou chimiques,
reconnaissent en réalité pour cause
l'action de ces micro-organismes, que
des microscopes puissants ont permis
d'isoler. Aussi, aujourd hui, lorsque le
laboureur ouvre son sillon, ce n est pas
uniquement, comme on le croyait na-
guère, pour aérer le sol et le rendre plus
perméable, c est pour permettre aux
infiniment petits bienfaisants de vivre
et de fonctionner à notre profit ; car la
plupart des microbes dits agricoles sont
utiles, comme nous allons le voir.
Ainsi la germination des semences est
impossible dans un milieu privé de cer-
tains microbes, comme l'a annoncé il
y a peu de temps M. Duclaux. qui a suc-
cédé au maître à la direction de 1 Institut
Pasteur.
11 existe une autre action agricole.
98
LE ROLE DES MICROBES EX AGRICULTURE
d'une extrême importance pratique, égn-
lement due à des microbes.
On sait que l'azote est l'élément le
plus actif des engrais, c est un des prin-
cipaux agents de la fertilité. Mais il ne
faut pas croire que ce soit l'azote
gazeux, tel qu'on le trouve dans l'air, qui
serve de nourriture aux plantes. Dans
les engrais, ce corps est engagé dans
diverses combinaisons, n'ayant pas toutes
la même valeur. Le fumier de ferme, par
exemple, qui est le type des matières
fertilisantes, renferme de 4 à 5 pour 1000
d azote, dit organique, insoluble dans
l'eau et par suite non utilisable directe-
ment par les plantes. Pour qu'il profite
à celles-ci, il faut d'abord que cet azote,
pour ainsi dire inerte, soit transformé en
ammoniaque; celui-ci, à son tour, est
métamorphosé en acide nilreux et enfin
cet acide nitreux est lui-même changé en
acide nitrique, qui, en se combinant, en
s'unissant intimement avec la chaux, la
potasse, la soude, voire même avec la
magnésie de la terre, forme des nitrates,
essentiellement solubles dans l'eau et
par suite assimilables par les plantes.
Or ces multiples transformations de
l'azote du fumier sont produites par
autant de microbes diiTércnts, qui ne
fonctionnent que dans des conditions
déterminées. Si une cause ou une autre
vient, non pas à supprimer ces microbes
nitrificatenrs (car ils sont abondamment
répandus dans toutes les terres), mais si
on les empêche simplement de fonc-
tionner, le fumier restera des années et
des années enfoui dans le sol, sans se
décomposer et sans profiter aux récoltes.
C'est ce qui a lieu, par exemple, dans les
terres acides ou tourbeuses et les défri-
chements, où cependant ni l'azote ni les
microbes ne font défaut, mais où l'ac-
tivité de ces derniers est paralysée.
Ces microbes de la nitrification, comme
disent les agronomes, ne peuvent fonc-
tionner qu'en présence de l'air, ce qui
explique les bons effets des labours et
des binages ; en outre, il leur faut une
température convenable, voisine de 25
ou 30^ C. ; en dessous de 5", ils sont
engourdis et ne transforment rien, de-
même au-dessus de 50". De plus, ils ne
peuvent fonctionner que dans un milieu
alcalin, ce qui fait comprendre pourquoi
les terres tourbeuses dont la réaction est
acide sont improductives et ne devien-
nent fertiles que lorsque leur acidité a
été détruite par 1 apport de la chaux ou
de la marne.
Dans une terre sèche, ces micro-orga-
nismes cessent également d'agir; il leur
faut une humidité convenable, soit 10 à
15 centièmes du poids de la terre d'eau.
Il suffit d'ailleurs, pour arrêter l'ac-
tion de ces microbes dans uneterre réu-
nissant les conditions requises pour leur
bon fonctionnement, de la chaufTer au
delà de 105" C, température où ces êtres
sont non pas paralysés, mais bel et bien
tués. On peut les empêcher momentané-
ment d'agir en arrosant la terre avec du
chloroforme, qui les anesthésie, tout
comme les organismes d'une structure
plus élevée.
Donc, quand le cultivateur laboure la
terre, c'est pour l'aérer, dans le but de
permettre à ces microbes de fonctionner
à son profit. On conçoit également que
les labours, à ce point de vue, puissent
être préjudiciables lorsqu'ils sont effec-
tués en été, alors que la chaleur est assez
forte. En effet, ils rendent l'azote soluble,
et s'il n'y a pas à ce moment des plantes
pour s'en emparer, cet azote si utile est
perdu dans les profondeurs du sous-sol
où il s'infiltre.
Ce qui précède explique également
les bons effets du binage des plantes en
été, opération qui consiste, comme on le
sait, à rompre et à briser la croûte dure,
que la sécheresse a formée à la surface
du sol. L'aération qui en résulte réveille
la vitalité des microbes et la végétation
reprend de plus belle.
Les figures ci -contre montrent les
deux principaux microbes de cette trans-
formation des engrais azotés, à un très
fort grossissement.
Mais là ne se borne pas le rôle des.
infiniment petits en agriculture. Point
n'est besoin d'être un aiiriculteur émérite
LE ROLE DES MICROBES E\ AGRICULTURE
99
jxnii- savoir que le runiier de ferme,
lorsqu il est abandonné à lui-même en
tas ou en fosses, s'appauvrit en éléments
utiles et surtout en azote. On a l)ien
conseillé, pour éviter une déperdilif)n si
préjudieiabie, de se servir du tumier
aussitôt qu il est produit, ce qui nest
pas toujours réalisable dans la pratique.
Comme cet appauvrissement est surtout
déperditions dazote dont il vient d être
parlé ; en effet, M. Grandeau conseille
d'ajouter aux fumiers des superphos-
phates, c'est-à-dire des phosphates traités
par un excès d acide sulfurique, pour
tuer ces micro-oryanismes qui, eux, sont
franchement nuisibles.
Au demeurant, cette adjonction des
superphosphates au fumier ne consti-
FERMENT X 1 T It E T X
F E K JI E X T X I T i; I g U E
Grossissement de 1,600 diamètres.
dû à un dégaj,''ement de gaz ammoniac,
quelques auteurs ont même conseillé
d'ajouter aux fumiers, en attendant leur
enfouissement, diverses substances, telles
que du plâtre ou du sulfate de fer qui
empêchent la volatilisation de 1 ammo-
niaque. Mais ces moyens n ont pas
donné de résultats satisfaisants. Tout
récemment, un at;"ronome allemand, le
D"" Stutzer, a démonti^é que les excré-
ments du fumier contiennent toujours
deux bactéries antagonistes des micro-
bes de la nitrification et qui décom-
posent les nitrates au fur et à mesure
qu'ils se forment. Gomme les microbes
précédents , ceux-ci ne fonctionnent
qu'entre 1:2 et 37'^, et ils exigent un cer-
tain degré d'humidité ; mais comme les
précédents aussi , les acides entravent
leur action. Gette dernière remarque a
conduit au moyen pratique d'éviter ces
tuerait pas une complication bien sé-
rieuse pour le cultivateur, car dans cer-
taines fermes, où lés fumiers sont l'objet
de soins intelligents, on répand, depuis
plusieurs années déjà, sur les conseils
donnés par plusieurs agronomes, des
phosphates naturels ou phosphates
fossiles, dont nous possédons en France
de si nombreux et si importants gise-
ments.
En outi'e, dans bon nombre d'exploi-
tations, on fait usage de superphos-
phates, comme engrais complémentai-
res. Or, en les incorporant au fumier,
on éviterait des frais dépandage, puisque
toute la fumure serait charriée en une
seule fois. Petite économie, direz-vous.
G'est possible; mais nous estimons que,
dans l'état actuel des choses, étant
donné le bas prix des produits de la
terre, il n'y a pas de petites économies.
100
LE ROLE DES MICROBES EN AGRICULTURE
Diminuer le prix de revient d'un hecto-
litre de blé de vingt-cinq centimes seu-
lement, c'est s'assurer, pour une récolte
de trente hectolitres par hectare, un
surcroît de bénéfice de six francs, ce qui
n'est pas à dédaigner.
Nous devons reconnaître toutefois que
cette adjonction de superphosphates
acides au fumier n'est pas conseillée par
tous les agronomes. M. Dehérain, pour
des raisons qu'il serait trop long de dé-
velopper, n'en est nullement partisan.
Puisque nous parlons du fumier de
ferme, qu'il nous soit permis d'ajouter
un mot à ce sujet.
Depuis quelques années, on a beau-
coup insisté sur la nécessité de lui ad-
joindre d'autres engrais, pour obtenir
de hauts rendements ; aussi l'emploi des
engrais commerciaux et notamment des
engrais chimiques, tels que le nitrate de
soude, superphosphate, chlorure de po-
tassium, etc., est-il très courant aujour-
d'hui.
Loin de nous l'idée de prétendre que
ces substances sont inutiles! Bien loin
de là, il nous faut reconnaître que, lors-
quelles sont employées avec discerne-
ment, elles produisent, en général, d'ex-
cellents résultats. Mais il faut bien
avouer aussi que le vieil et antique
fumier, dont on a dit, notons-le en pas-
sant, beaucoup trop de mal, doit rester
la base, le pivot de toute fertilisation
rationnelle, puisqu'il est le résiflu, ou
plutôt le produit complémentaire des
opérations d'élevage et d'engraissement
des bestiaux, qui ont une si grande im-
portance aujourd'hui. Mais ce fumier
n'est pas toujours traité comme il de-
vrait l'être. Trop souvent, même dans
les pays avancés, c'est un amas de
pailles et de déjections que les eaux plu-
viales épuisent, que le soleil dessèche;
et alors ce pseudo-fumier étant notoire-
ment insuflisant pour restituer à la terre
ce que les récoltes lui ont enlevé, on
voit ces mêmes cultivateurs, qui négli-
g'ent leurs fumiers, faire des dépenses
souvent considérables pour se procurer
des engrais complémentaires, qui d'ail-
leurs ne sont pas toujours appropriés.
11 serait pourtant bien plus simple,
tout en faisant un usage modéré d'en-
grais chimiques, de soigner ce fumier,
qui agit non seulement comme engrais,
mais encore comme amendement, c'est-
à-dire comme améliorateur des pro-
priétés physiques de la terre arable.
L'illustre agronome Boussingault, le
fondateur de la chimie agricole, a dit
avec raison :
« On peut juger du degré d'intelli-
gence et du sens pratique d'un cultiva-
teur par les soins qu'il donne à son tas
de fumier. »
Rien de plus juste.
Mais trop souvent le cultivateur s'il-
lusionne sur la portée de ces soins, il
craint les fortes dépenses et le temps à
y consacrer, et cependant rien n'est plus
simple et plus économique que de faire
du bon fumier, chose d'ailleurs assez
rare dans nos campagnes.
Pour cela, il suffit d'aménager près
de la fumière une fosse ou citerne des-
tinée à recueillir le purin ou jus de
fumier, qui constitue la partie la plus
riche de lengrais, puis à tasser conve-
nablement le tas, ce qui est facile à ob-
tenir en y mettant les bestiaux quelques
heures par jour. Enfin, par les temps
secs, on arrosera le fumier avec le purin
qu'on aura mis en réserve; on évitera
ainsi la production de ces moisissures
désignées sous le nom de blanc de fu-
mier, qui se développent toujours aux
dépens des principes utiles; en outre, la
fermentation qui s'accomplit dans le
fumier doit être favorisée par une humi-
dité constante. Cet arrosage n'est nulle-
ment dispendieux, car on construit
aujourd'hui des pompes dites à purin,
dont le prix varie entre 30 et 60 francs,
et qui fonctionnent à merveille.
Or, ne l'oublions pas, la faible dé-
pense occasionnée par la construction
d'une citerne et l'établissement d'une
pompe sera bien vite couverte par le
surcroît de valeur du fumier ainsi ob-
tenu.
Laménayement des fumiers est un
LE ROLK DES MICROBES EN AGRICULTURE
JOl
problème cipilal pour r;i,L;i-iciiU uro ; il
esl regrettable cprelle ne s'en préoccupe
pas davantage, et pourtant ce nVst pas
i'aule crensei^nenienl à cet éf^ard, car
Bernard Palissv avait déjà insisté sur ce
BACTÉRIES DES LÊC4U MINE USES
Grossissement de 1,600 diamètres.
point, et bien avant lui les agronomes
latins, Caton, \'aron et Columelle,
avaient donné d'excellents préceptes sur
ce sujet.
Mais nous nous sommes quelque peu
écarté de notre sujet; il est grand temps
d'y revenir.
Depuis de nombreuses années, les cul-
tivateurs désignent sous le nom de
plantes améliorantes certaines récoltes,
telles que le trèfle, la luzerne, le sain-
foin, les pois, etc., plantes appartenant
à la famille des légumineuses, qui, loin
d'appauvrir le sol, Tenrichissent au con-
traire en azote.
Déjà en 18(39, M. Georges Ville, pour
expliquer ce fait, avait prétendu que ces
végétaux avaient la faculté d'absorber
directement l'azote de l'air, qui, comme
on le sait, se trouve simplement mélangé
à l'oxygène. Cette assimilation, dont le
savant professeur ne donnait pas le
mécanisme, avait été mise en doute et
même vivement combattue par le non
moins illustre chimiste Boussingault.
Les choses en étaient là lorsqu'on 1886.
deuxphysiologislesallemands,MM. Ilell-
riegel et Wilfarth, lirent connaître au
Congrès des naturalistes allemands, tenu
cette même année à Berlin, que le rôle
amélioraleur de ces plantes était dû à
l'action de microbes particuliers, de bac-
téries également bienfaisantes. Ils firent
remarc[uer que l'assimilation de l'azote
libre de l'air par les plantes légumi-
neuses était corrélative de l'existence,
sur les racines de ces plantes, de sortes
de nodosités ou renflements minuscules,
auxquelles donnent naissance et où se
développent des bactéries visibles seu-
lement au microscope.
Il suiTit d'arracher avec précaution
un plant de trèfle ou de luzerne vigou-
reux pour voir ces renflements sur les
racines; en piquant une de ces nodo-
sités et en portant le liquide qui s'en
écoule sous l'objectif du microscope,
F R A « M E N T DE R A C I X E DE T R^È F L E
PRÉSENTANT DES NODOSITÉS
A BACTÉRIES
Grandeur naturelle.
on aperçoit avec un grossissement suffi-
sant ces microbes qui ont une forme
allongée et quelque peu ramifiée.
Les expériences d'Hellriegel et Wil-
farth furent reprises et complétées en
Fi-ance, notamment par MM. Schlœsing
102
LE ROLE DES MICROBES EX AGRICULTURE
el Laurent, qui monlrèrcnl que ces bac-
téries des nodosités fixaient bien l'azote
libre de ratmosjDbère, puisqu ils purent
constater chimiquement Tappauvrisse-
ment en azote de lair où vé^'^étaient des
plantes g"arnies de ces renflements sur
leurs racines.
Enfin, un agronome français, M. Bréal,
a démontré que c'étaient bien les bac-
téries des nodosités qui étaient actives,
en inoculant ces microbes sur les racines
de plantes qui étaient dépourvues de
ces renllements et qui, peu de temps
après, en présentèrent à leur tour.
Cette bactérie fixatrice d'azote est gé-
néralement connue des microbiologistes
sous le nom de Rhizohium leçfumiuo-
sarum.
A propos de cette belle découverte, le
savant professeur du Muséum de Paris,
M. P. -P. Dehérain , fait la remarque
suivante, dont limportance est hors de
doute :
<i Si les faits précédents sont les seuls
qui aient été démontrés jusqu'à présent,
on peut considérer comme vraisemblable
que la famille des légumineuses n'est
j)as la seule qui jouisse de la propriété
de fixer l'azote atmosphérique, el qu'entre
les graminées qui paraissent vivre, peut-
être exclusivement, des matières azotées
du sol, et les légumineuses qui vivent
surtout de l'azote atmosphérique fixé
par les bactéries des racines, il existe
une série de transitions insensibles.
(I I^a longue querelle dans laquelle
Boussingault et M. Georges A'ille ont été
engagés pendant si longtemps touche
donc à sa fin, et si M. Georges \'ille
n'a pas su indiquer les conditions dans
lesquelles la fixation de l'azote devient
évidente, il est manifeste que c'est son
opinion qui finit par triompher et
qu'il serait injuste de ne pas proclamer
la justesse de lensemble de ses obser-
vations. »
Mais il arri\e parfois que le sol ne
renferme pas ces bactéries si utiles, c'est
ce qui explique pourquoi certaines terres
ne se prêtent nullement à la culture du
trèfle ou de la luzerne, par exemple ;
aussi a-t-on proposé A inoculer le sol au
moyen de ces microbes.
Un chimiste allemand, ^1. Nobbe, est
même parvenu à isoler et à préparer ces
bactéries qui, fixées sur de la gélatine,
sont enfermées dans des tubes qui
peuvent être expédiés au loin. Il existe
depuis peu à Hoscht-sur-le-Mein, près
de Francfort, une usine qui s'occupe
spécialement de la préparation et de la
vente de ce produit qui a reçu le nom
de nilragine.
Cette vaccination du sol en vue de la
culture des légumineuses est actuelle-
ment l'objet d'études très sérieuses et
très intéressantes non seulement en
Allemagne, mais encore en France et en
Angleterre. Comme elle est d'une appli-
cation pratique très facile et tout à fait à
la portée des cultivateurs, il y a tout lieu
d'espérer qu'elle fournira de bons résul-
tats, tout au moins dans certaines terres.
Or la nitragine est à peine essayée
pour la culture des légumineuses, qu on
expérimente dès maintenant en Alle-
magne, des cultures de bactéries spé-
ciales aux céréales découvertes et isolées
par M. Caron d'Ellenbach (Hesse), et
vendues en tubes, comme la nitragine,
sous le nom d alinite. Ce microbe per-
mettrait aux céréales de se développer
de la façon la plus remarquable sans le
secours d'engrais azotés.
Comme on le voit par le simple exposé
qui précède, le rôle des microbes en
agriculture n'est pas de minime impor-
tance. E action de ces infiniment petits
nous donne lexplication de bien des
faits que la chimie seule était impuis-
sante à expliquer. Le jour n'est peut-
être pas loin, du train dont marche la
bactériologie, où l'agronome devra être
doublé non seulement d'un analyste
hors ligne, mais encore d'un micro-
graphe de première force, car ces êtres
si actifs sont, en g-énéral, d'une petitesse
infinie. Tant il est Arai que les plus
petites causes produisent souvent les
plus grands elTels !
Albert L arbalétrier.
VUE
DE LA COLLÉGI A LE
11 semble que La Bruyère pensait à
Loches lorsqu'il écrivait sa description
si connue et si fréquemment citée :
« J'approche dune petite ville et je suis
déjà sur une hauteur d'où je la dé-
couvre. Elle est située à mi-côte ; une
rivière bai<^ne ses murs et coule ensuite
dans une belle prairie. Elle a une forêt
épaisse qui la couvre des vents froids
et de l'aquilon. Je la vois dans un jour
si favorable que je compte ses tours et
ses clochers : elle me paraît peinte sur
le penchant de la colline. Je me récrie
et je me dis : quel plaisir de vivre
1SOUS un si beau ciel et dans ce séjour si
délicieux. » Puis l'ironiste reparaît, et
il ajoute en matière de conclusion : « Je
descends dans la ville où je n'ai pas
couché deux nuits que je ressemble à
ceux qui l'habitent ; j'en veux sortir. »
Loches mériterait assurément de re-
tenir plus de deux journées le touriste
tju'ont attiré la douceur du climat de
Touraine et le charme de la contrée ;
seuls, les monuments anciens qui la dé-
corent suffiraient à occuper plus long-
temps celui qui a le souci des choses de
1 art et de l'archéologie. Peu de petites
villes, en effet, réunissent en un espace
aussi restreint autant de spécimens inté-
ressants d'architecture civile, militaire
et religieuse aux différentes époques de
son histoire.
Au surplus, le premier aspect sous
lequel elle se présente au voyageur qui
descend du train est bien fait pour le
séduire d'abord et pour le captiver. Au
pied de la colline, comme une sentinelle
gardant l'entrée de la vieille ville, la
tour Saint-Antoine dresse son aiguille
grise surmontée de son campanile
ajouré. Au-dessus, montent et s'étagent
en amphithéâtre, comme émergeant d'un
fond de verdure, les maisons construites
en pierres de tuffeau d'une blancheur de
craie et couvertes en ardoises dont la
couleur foncée tranche sur le bleu pâle
d'un ciel de printemps. Au sommet, le
coteau a pour couronnement en pre-
mière ligne les tourelles du palais royal,
laissant se proliler au second plan les
pyramides de la vieille collégiale; puis,
plus loin, tout à l'extrémité de la motte
104
LOCHES
fortifiée qui domine la vallée, surgit au
sud le donjon géant que la guerre et
les siècles ont démantelé. Le regard em-
brasse, sur tout le pourtour de la butte
qui forme la ville primitive, les restes
de la triple enceinte qui enserrait autre-
PORTE DES CORUELIERS
fois le château et en défendait Faccès.
Les murailles sur bien des points sont
tombées pierre à pierre ; bastions, cour-
tines et redans se sont écroulés, com-
blant les fossés, et les débris des forti-
fications ont servi plus d'une fois à la
construction d'habitations bourgeoises
sur l'emplacement des anciennes douves.
La seconde enceinte supérieure reste
cependant debout, soutenant les terres
de la butte, et maintenant encore intacte,
dans ses limites du moyen âge, la cité
féodale que comtes d'Anjou et rois de
France ont successivement agrandie et
fortifiée.
Que Loches ait été à l'origine l'em-
placement dune bourgade celtique ou
gauloise, que les Romains aient établi
sur le plateau, dès le v** siècle, un camp
retranché, cela paraît évident, non seu-
lement parce que certain texte de Gré-
goire de Tours le laisse supposer, mais
surtout parce que cette position straté-
gique, dominant le cours de l'hidre,
était de celles que les conquéi'ants du
pays ne pouvaient négliger. Mais il ne
s'agissait à vrai dire que de fortifications
légères, composées de palissades et de
fossés au milieu desquels se dressait
un donjon probablement en bois. Rien
ne permet de supposer qu'aucune con-
struction importante ait été édifiée à
cette époque, ni dans les siècles qui sui-
virent, car on ne retrouve pas de ves-
tiges datant de l'occupation romaine ni
de la domination des ^"isigoths, puis des
ducs d'Aquitaine qui possédèrent suc-
cessivement le pays. D'ailleurs, Loches
qui, en 7i"2, était entrée pour la pre-
mière fois dans le domaine de la cou-
ronne, devait passer, à la fin du ix'' siècle,,
à 1 époque des invasions des Normands,
sous le gouvernement , puis au pouvoir
des comtes d'Anjou. Elle y demeura
pendant plus de trois siècles, 886-1205.
De cette époque date sa prospérité.
Placée aux confins de l'Anjou et de
la Touraine, Loches devint lavant-poste
fortifié des Foulques dans leurs luttes
séculaires. C'est Foulques le Bon, fils
de Foulques le Roux, qui commença à
relever les défenses de Loches ruinées
par les Normands ; c'est Geoffroy Grise-
Gonelle, son fils, qui fonda, en 965, la
célèbre collégiale de Notre - Dame de
Loches ; c'est Foulques Nerra qui con-
struisit en 1007, non loin de la ville, la
superbe abbaye de Beaulieu, où son
corps devait reposer. C'est lui enfin qui,
après avoir vaincu tous ses voisins coa-
lisés, lit dresser au milieu de l'enceinte
un donjon destiné à mettre la place à
l'abri de toute surprise et à la rendre
presque imprenable. Son fils, Geoffroy
Martel, assura son triomphe en ache-
vant la conquête de la Touraine et en
la soumettant à la domination de la
maison d'Anjou.
Foulques le Réchain, qui lui succéda,
avait pour la ville et le château de
Loches une prédilection toute particu-
lière ; il y tenait le plus habituellement
LOCHES
io:>
GUÉRITES
S U R M 0 X T A X T LA PORTE D ' E N T R É E
sa cour. Lorsque les comtes d'Anjou
réunirent à leurs domaines de France la
couronne d'Angleterre, Loches perdit
beaucoup de son importance ;
plus tard, après que Philippe-
Auguste eut enlevé la Touraine
à Jean sans Terre, la citadelle
de Loches fut encore une des
dernières places sur lesquelles
la maison d'Anjou appuya sa
résistance ; elle ne tomba qu'en
1205 aux mains du roi de
France.
Mais il est temps de visiter
le vieux donjon, unique débris
de cette époque reculée. On
passe sous la belle porte des
Cordeliers qui faisait partie de
l'enceinte basse construite par
Charles VII pour protéger la
ville du xv"^ siècle, et l'on monte
par les rues étroites et escar-
pées jusqu'à l'enceinte supé-
rieure du xiv'^ siècle qui délimite
lesplanade. Une seule entrée
y donne accès. C'est un solide
portail flanqué de deux tours sui'-
montées de guérites en pierre
qui servaient de postes aux sen-
tinelles et aux veilleurs. Tout de suite
on tourne à droite, laissant à gauche
le château royal et la collégiale,
et l'on gagne le terre-plein où
s'élève l'ancienne citadelle con-
vertie aujourd'hui en prison.
Le morceau principal de cet
ensemble de constructions de
diverses époques est la grande
tour carrée, si élégante avec ses
contreforts ornés de colonnes
cylindriques, qu'on ne peut son-
ger à l'attribuer, comme beau-
coup l'ont fait, à Foulques Nerra,
qui vivait au commencement du
xi" siècle. L'éminent archéolo-
gue, M. de Caumont.juge qu'elle
est très probablement du xn*";
ce qui paraît certain, lorsqu'on
sait que le château de Loches fut
détruit en 1173 par un incendie.
Telle qu'elle est, toute déman-
telée, cette tour, qui s'élève encore à
plus de cent pieds au-dessus du sol,
est un des plus beaux spécimens d'ar-
TOUR DE L'EXCEIXTE BASSE
PRÈS LA PORTE DES CORDELIERS
lOG
LOCHES
•chileclure militaire. Elle se complète
par une seconde tour carrée, plus petite,
formant addition au corps principal, et
qu'on peut considérer comme le vesti-
hule du vieux donjon. Au point où, du
côté du couchant, venaient se relier
toutes les courtines, formant comme
blutant de ceintures autour de la cita-
delle, se trouve le donjon du xv'' siècle,
composé de deux tours rondes , dont
l'une, celle du Martelel, est
aujourd'hui à moitié écroulée.
C'est dans cette
suivants qu'il ne reste presque plus rien
de l'édifice primitif, sinon le plan ori-
ginaire qui a été scrupuleusement res-
pecté. Tout au plus peut-on attribuer
au x"^ siècle la voûte en berceau qui se
voit à l'entrée de l'éj^lise avec les deux
arcs-doubleaux qui la supportent, les
quatre colonnes, surmontées de chapi-
teaux, remarquables par leurs lig-ures
méplates, leurs grossiers feuillages et
V U K D r D O N J O N
forteresse transformée en
prison d'État que furent détenus plu-
sieurs personnages célèbres — sous
Louis XI, le cardinal La Balue — sous
Charles VIII, Philippe de Commines —
sous Louis XII, Ludovic Sforza, duc de
Milan, et quelques conspirateurs moins
connus : Pierre de Navarre, Jean de Poi-
tiers, comte de Saint-Vallier, Oudart de
Biez, maréchal de France, et François de
Uochechouart. Le donjon sert encore
aujourd'hui de maison de détention pour
les prisonniers de droit commun.
A l'autre extrémité de l'esplanade se
dressent côte à côte l'église et le châ-
teau. La belle collégiale du x'^ siècle a
été si profondément remaniée aux siècles
leurs volutes exagérées.
C'est, à vrai dire, à
Thomas Pactius, qui fut
prieur eu 1160, que nous devons l'église
actuelle. C'est lui qui fit élever les deux
clochers en forme de pyramides octaè-
dres qui lencadrent; c'est lui qui fit sur-
monter la nef des deux dômes pyrami-
daux qui donnent à l'édifice un aspect
si étrangement original. Le narthex et la
porte de l'église sont de la même époque.
Sur les voussures du portail s'étalent
deux rangs en relief d'images grotesques
et grimaçantes, tètes d'hommes et corps
d'animaux fantastiques; au-dessus les
figures des bienheureux placées circulai-
rement autour du cintre; le long du mur,
les statues hiératiques des saints, toutes
LOCHES
107
<U'capilées ou niulilées |i;ir l;i main des
ho m mes.
Mais ce nesl pas ici que doivent s'ar-
rêter ceux qui viennent en pèlerinaf^e au
tombeau d'Agnès Sorel, ceux qu'attire,
à Loches, le souvenir de la dame de
L'quel repose une statue en stuc, repro-
duction plus ou moins fidèle de 1 an-
cienne statue en marbre blanc qui ornait
l'élégant monument de la Renaissance.
Agnès, vêtue de la cape et du béguin,
est étendue, les mains jointes, la tête
PORTAIL DE LA COLLÉGIALE
Beauté. Son corps ne repose plus aujour-
d'hui dans la Collégiale; le mausolée qui
le contenait fut détruit lors de la Révo-
lution, et lorsqu'en 1806 « des hommes-
sensibles I) recueillirent les restes d'Agnès,
le tombeau, restauré tant bien que mal,
fut replacé dans le vestibule de la tour
d'entrée du château royal donnant accès
sur la terrasse. C'est là qu'il faut aller le
chercher.
Le sarcophage est en marbre noir sur
entourée de deux anges, les pieds repo-
sant sur deux agneaux. La ligure est line
et gracieuse et répond bien à l'épithète
de « douce et simple colombe » dont
parle une des inscriptions latines gra-
vées sur le tombeau. En revanche, elle
s'accorde mal avec l'idée qu'on se fait
de cette femme dont Chateaubriand a
dit qu'elle fut « la seule maîtresse de nos
rois qui ait été utile au prince et à la
patrie » et qu'on nous représente comme
108
LOCHES
avant éneryiquement poussé rapalliique
Charles VII aux résolutions viriles. La
légende serait -elle donc, sur ce point
comme sur tant d'autres, formellement
contredite par Fhistoire?
Il est de coutume, à propos de la favo-
rite de Charles ^'II, de rappeler le qua-
situation du pays, une des plus brillantes
de TEurope. Charles ^ II, frappé de son
esprit et de sa beauté, jeta les yeux sur
elle ; il la nomma aussitôt dame dhon-
neur de la reine. Agnès ne paraît pas
avoir opposé une bien vive résistance
aux eiitreprises du prince. Elle n'eut.
•^1 ru ''''' ""-^^ ^
I I
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*i
'%
LE CHATEAU ROYAL
Irain célèbre que François P'"mit, dit-on,
au bas de son portrait :
Gentille Agnès ! plus de loz tu mérite,
La cause étant de France recouvrer,
Que n'en pourroit dedans un cloistre ouvrer
Close nonnain ou bien dévot herniite.
J'incline à penser qu'il y a dans cet
éloge plus de fantaisie que de raison,
que ce n'est pas le seul patriotisme qui
poussa Agnès dans les bras du roi, et que
l'expulsion des Anglais ne fut pas Tunique
prix qu'elle mit à ses faveurs.
Agnès Seurelle (car la postérité a déna-
turé jusqu'à son nom), fille sans fortune
et de petite noblesse, était attachée à la
personne d'Isabeau de Lorraine, duchesse
d'Anjou, lorsque celle-ci la présenta à la
cour du roi de France, qui se tenait alors
à Chinon et qui était, malgré la triste
d'ailleurs, pas à s'en repentir, car il lui
donna successivement en apanage le
comté de Penthièvre , les seigneuries
de Roqueserien, de Vernon- sur -Seine
et d'Issoudun , sans oublier plusieurs
domaines et plus particulièrement le
château de Beauté-sur-Marne, d'où elle
prit le nom de M"" de Beauté.
A cette époque, le roi, inquiet de l'es-
prit turbulent des Parisiens, avait fixé
sa résidence dans cette belle province
de Touraine, qui était alors <( comme le
centre et le cœur même de la France ».
C'est là que , pendant près de vingt
ans (1431-1450), Agnès vécut près de
son royal amant dont l'alfection triom-
pha de toutes les intrigues dirigées
contre la favorite par le parti du dau-
phin. Celui-ci, qui devait régner plus
LOCHES
ir'j
tard sous le nom de I.<uiis XI,
s'élanl un jour laissé aller à ;< des
prompliludes », comme disen
les chroniques du lemps,et ayant
levé la main sur elle, Agnès
quitta Chinon et se relira à Lo-
^ ■ le roi lui avait lad
ches, ou
réserver et meubler a '^
'■randi;
CLOCHER DE BEATLIEC
frais les appartements du château, dont
on venait de terminer la construction.
Elle V demeura plusieurs années, ne
quittant cette magnifique résidence que
pour passer quelques jours, soit dans
PORTE PICOTS ET HOTEL DE VILLE
un petit hôtel qu'elle possédait près
de Beaulieu, soit dans le vieux manoir
de la Guerche, à quelques lieues de
Loches, ou enfin pour aller retrouver
à Chinon le roi qui ne pouvait se
consoler de son absence. Dans le châ-
teau de Loches, elle habitait de pré-
férence la tour ronde qui porte encore
son nom et la partie que 1 on ap-
pelle aujourd'hui les « viedles salles »,
pour les distmguer de l'aile gauche du
château, qui ne fut construite que sous
Louis XII. Lorsque Charles \ H, après
avoir chassé les Anglais du centre de la
France se rendit en Normandie pour
en achever la conquête, Agnès le suivi
et vint s'établir dans son château du
110
LOCHES
Ménil, près de l'abbaye de Juniièges.
Elle y mourut h làge de quarante et un
ans, le 9 février 1450, après quelques
jours d'une maladie dont la cause fut,
TOMBEAU D'AGNÈS SOI! EL
sans beaucoup de fondement, attribuée
au poison. Le dauphin et largentier,
Jacques Cœur, qui lui avaient toujours
témoigné une si profonde aversion ,
furent désignés par l'opinion comme
n'étant pas étrangers à cette mort presque
subite. Rien ne vint, d'ailleurs, par la
suite, confirmer ces soupçons. Le roi
eut vite fait d'oublier celle qui avait été
si longtemps son idole ; mais la posté-
rité conserva plus lidèlement son sou-
venir ; sa mémoire est encore, à l'heure
actuelle, honorée dans cette ville de
I^oches, qu'elle combla jadis de ses dons
et de ses faveurs et dont la réputation
est demeurée inséparablemeul liée à la
renommée de la « Belle des Belles ».
La partie moderne du château , qui
date du début de la Renaissance, fait
contraste avec les constructions de
Charles VIL Plus de petites fenêtres
percées dans les tourelles massives, plus
d'étroites galeries prises dans l'épais-
seur des murs, comme au temps où
toute demeure de plaisance devait se
transformer en quelques heures en for-
teresse. Sur la façade du château de
Louis XII s'ouvrent largement les belles
croisées à meneaux ornées de cordons,
les lucarnes historiées aux tympans
sculptés se terminant en pinacles. L'in-
térieur du château, transformé aujoui'-
d'hui en bureaux et en appartements
privés pour le sous-préfet, ne présen-
terait plus aucun intérêt si l'oratoire
d'Anne de Bretagne ne méritait pas une
courte visite. C'est une petite pièce de
quelques mètres carrés avec voûte en
arête, dont les murs forment une den-
telle de pierre représentant des her-
mines. L'autel est en ogive, des corde-
lières sculptées courent sur les croisées
et les manteaux des cheminées; le tout^
peint autrefois à fresque en or sur fond
bleu, est livré aujourd'hui au plus com-
plet abandon.
Du haut de la terrasse du château de
Charles VII, le regard embrasse un admi-
rable panorama. L'Indre glisse paresseu-
sement au pied de la colline, à travers
de vertes prairies émaillées de boutons-
d'or; aussi loin que la vue s'étend, la
plaine est couverte d'habitations dissi-
mulées par des rideaux de peupliers. La
rivière, partagée en plusieurs bras, tra-
versés par autant de ponts, sépare Loches
LOCHES
lit
(le la i)clile ville de Heaulieii. A moitié
chemin, on aperçoit le charmant caslel
(le Sanzac (|ui ser\ait de rendez-vous de
chasse à Fran(,'ois I'"" et où le roi de
France reçut Charles-Quint en 1539.
Plus loin, le clocher de Beaulieu, der-
nier vesti{;e de la célèbre
abbaye. A l'horizon, vers
le nord-est, s'étend sur
le coteau le périmètre de
limmense massif boisé
qui forme la forêt do-
maniale de Loches, une
des plus belles du centre
de la France.
De la terrasse du châ-
teau de Louis XII tournée
vers le sud, Tœil con-
temple la ligne imposante
des remparts à pic avec
leurs lourds contreforts,
leurs bastions crénelés
mouchetés de traces de
boulets et de balles. Au
pied sétale dans la plaine
la ville moderne avec ses
maisons neuves et son
Palais de Justice, de con-
struction et d'architec-
ture trop récentes pour
intéresser le voyageur.
Le goût artistique est
plus délicatement satis-
fait par les quelques mo-
numents de la Renais-
sance qui nous restent
à voir. Le plus remar-
quable est le gracieux
Hôtel de Mlle construit
sous François I®"" et qui
fut adossé au mur d'enceinte du xv'' siècle
le long de la porte Picoys, de telle
sorte que le portail fortifié forme lui-
même une des parties de léditîce. Les
deux styles se c(3toient sans se con-
fondre dans les deux corps de bâtiments
juxtaposés. Le tout présente un ensemble
des plus parfaits, bien propre à servir
de sujet d'étude à l'architecte qui trou-
vera ici réunis ces deux spécimens de
caractères si différents et pourtant si
harmonieusement assemblés. Un coup
d'œil, dans la rue du Château, sur rh(")tel
de la Chancellerie, bâti sous Henri II„
dont la façade porte le millésime L"3."3f ;
quelques instants pour admirer, à
l'extrémité de la rue Saint-Antoine, la
"^^
T 0 r R D ' A G X È s s O II E L
petite maison seigneuriale, datant de 1»
bonne époque de la Renaissance, et qui
est connue à Loches sous le nom de logis;
Nau. Nous voilà revenus au point de
départ devant la tour Saint-Antoine,
beau monument du commencement du
xvi*^ siècle, qui servait tout à la fois de
beffroi à la ville et de clocher à la cha-
pelle du même nom, aujourd'hui dis-
parue. Au sommet des galeries sculptées
qui couronnent le campanile se voient
112
LOCHES
l^ssé, sans parler de bien
d'autres, Loches n'est qu'un
point sur la carie de cette
province d'élite; mais c'est
à vrai dire un des plus plai-
sants parmi les sites qu'on a
viis sans déception et qu'on
vient revoir sans ennui,
LE L O (i I S N A U
deux écussons aux armes de F'rance et
de la ville.
Mais le temps nous presse, et nous ne
pouvons même pas consacrer à Loches
les deux journées qui, au dire de l'au-
teur des Caractères, suffisent à lasser
l'admiration d'un touriste. N'avons-nous
pas demain et les jours suivants bien
d'autres merveilles à ^'oir dans ce doux
pays, si plein de souvenirs, justement
nommé le >' Jardin de la France » parce
qu'il fut pendant des siècles comme le
parc de prédilection où souverains et
|j^rands seigneurs semèrent de tous côtés
châteaux, maisons de plaisance et rési-
dences favorites? Au milieu de ces villes
qui s'appellent Tours, Blois, Amboise,
Chinon, de ces habitations princières
qui se nomment Chambord, Chaumont,
Chenonceaux, Azay-le-Iiideau, Langeais,
■iÉfS^
T O un s A I N T - A N T O I X E
un des plus riants parmi les coins de
Touraine.
IL Paye.
LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
M"" Henri Grévillc vient de publier
chez Plon«èt Nourrit un nouveau roman,
Villoré, snobs de prorince, que les jeunes
filles pourront lire et qui n'est cependant
ni fadasse, ni ennuyeux, malgré rhonnêteté.
Voici l'hisloire. Landry est un brave et
intelligent gentilhomme de province. Il
aime Antoinette, jeune fille légèrement en-
tachée de snobisme et pervertie d'esprit
par des échos du Chat Noir. L'action se
passe à Bourges. Dans un château voisin
vit une ancienne intendante qui s'est fait
épouser par son maître. Elle est veuve et
elle a une fille, Adèle Destournelles, qui
orthographie son nom Yolande des Tour-
nelles, très snob, aimant l'ameublement
modem style, les chaises nues et angu-
leuses, les robes princesse mauves et vert
d'aurore.
Yolande avait vingt- trois ans; son estomac
naturellement mauvais, que l'ordinaire du
couvent n'avait pas amélioré, lui donnait un
teint verdàtre et une maig'reur qui pouvait, à
la rigueur, passer pour de l'élégance. Elle se fai-
sait envoyer ses robes de Paris...
Elle attire au château un jeune poète
décadent et décavé, Jean Olivier, qui
orthographie son nom Jehan d'Olivettes,
et qui fait des vers « avec un nombre infini
de pieds i>.
C'était un grand garçon dégingandé, pas
beau, mais prétentieux, poète néo-décadent et
musicien à ses heures. Beaucoup de raideur
et d'aplomb, mêlés de temps en temps d'un
peu de condescendance, ne pouvaient manquer
d'attirer la curiosité de Yolande.
Il séduit d'abord la belle Antoinette, à
qui il dédie des vers. Mais celle-ci, qui est
de grande famille et de droit sens, recon-
naît bientôt le sot personnage et s'en lasse.
Cependant, elle a honte de cette infidélité
de pensée au brave Landry qui l'aime, et
elle est en proie à des combats intérieurs
pour se persuader qu'elle peut encore
l'aimer et l'épouser sans crime après cette
faute morale. Elle se purifie par l'aveu.
Accessoirement, il y a le cas de la tante
de Landi'y, une veuve âgée qui habite un
domaine où elle fut associée aux savants
travaux de son mari, un membre de l'Ins-
titut. Elle a pour propriétaires des cousins
de Yolande, qui sont gens butors et bru-
taux ; ils lui rendent leur voisinage insup-
portable, usant de toutes les tracasseries;
elle tombe malade à en mourir. Ces mé-
chantes gens sont punis comme il convient.
VIII. — 8.
Le récit est agrémenté d'agréables épi-
sodes, notamment la comédie décadente
que Yolande joue dans le parc sur un
théâtrede verdure avec le poète ténébreux,
Jehan des Olivettes, et la jeune fille de
compagnie, très distinguée, très noble et
très sympathique, qui fait un superbe
mariage inespéré. Quant à Yolande, elle
ne se marie pas, parce (|u'elle voulait le
régime de la séparation de biens, qui ne
fait point l'afTaire de Jehan.
Voici un morceau de celte représenta-
tion ultra-moderne, dont' la touche est si
délicate et si timide qu'elle demeure en-
core beaucoup au-dessous de la réalité.
L'auteur n'a pas très fréquenté à Mont-
martre, ce dont on ne peut que la louer :
Un gong caché derrière le rideau retentit
sous lui coup bien asséné qui fit tressauter
Tassistance. Une fois, deux fois, trois fois, son
frémissement gradué s'éteignit et mourut.
— Qu'est-ce que c'est que cela ? demanda la
tante à sa nièce.
— C'est un gong, une espèce de bassine
japonaise en bronze, expliqua Antoinette.
Le rideau se fendit en deux : le tapissier
n'avait pas osé le faire relever, de ]ieur d'ac-
cident, et un décor vraiment exquis parut aux
yeux charmés de l'assistance; tout le monde
iDattit des mains.
Ce décor était l'allée elle-même, où jouait le
soleil tamisé par les feuilles.
Lhie écliappée de ciel bleu se voyait à tra-
vers les branches; un jet d'eau — manœuvré
par deux invisibles jardiniers au moyen de la
pompe à arroser les gazons — retombait nu
loin dans une grande vasque créée pour la cir-
constance ; des buissons de feuillages de serre,
habilement groupés, formaient les portants.
C'était vraiment joli, et surtout inattendu.
Du coup, le public fut conquis, au point d'en
oublier M^'e des Tournelles qui venait de
passer et de s'asseoir sur un fauteuil réservé
pour elle au premier rang. En ce moment, si
elle avait su l'histoire, elle se serait rappelée
les fêtes du grand roi; mais elle n'y songea
pas.
Le premier moment de surprise et d'admi-
ration passé, on aperçut Jehan d'Olivettes,
vêtu d'un pourpoint et de chausses bouffantes
en velours noir. Malgré tout son désir, il
n'avait osé arborer le maillot.
— On dirait un cycliste déguisé, glissa dans
l'oreille de Landry un voisin railleur.
Si le récit, dans ses incursions sur le
domaine du droit et du code, offre quel-
ques invraisemblances, cette œuvre pré-
sente un ensemble de caractères bien
tracés, bien posés, bien distincts, qui est
peut-être le plus réel mérite du livre ;
Yolande, l'esthète maigre, drapée en Bot-
11
LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
ticella, Antoinette, la jeune fille provin-
ciale romanesque, Jehan, le poète de la
jeune école à raffut d'un beau mariage,
Landry, l'homme de sens et de tact, le
brutal et grossier Chantefleur, la désœu-
vrée amie, M"^"' d'Ornys, et d'autres : tout
cela vit, s'agite, et compose un pittoresque
tableau de la vie de province, sous le
règne du Chat Noir.
Voici un très bon livre de Jules Breton,
de l'Institut, Savarette, publié chez Lemerre.
C'est une touchante histoire d'un jeune
paysan que découvre, que guide et qu'aime
un peintre d'expérience. C'est comme le
journal d'une vocation d'artiste.
Jean Gérard a une enfance qui rappelle
celle de F. Millet, racontée par Sensier.
Tout jeune, il charbonne des personnages,
et il grandit tout imprégné par la grande
poésie de la nature.
Ses yeux s'ouvrirent aux rêves confus de
la vie, comme ceux des petits oiseaux exta-
siés d'aurore, au milieu de choses primitives:
grand ciel, larges horizons, toits de chaume,
murs blanchis des granj^es ; ils s'ouvrirent,
tels les bluets dans les blés, parmi la paille
et les fumiers ardents, comme sa chevelure
au soleil. Leurs premiers éveils, au bourdon-
nement des mouches têtues qui voletaient
dans un rythme monotone et sans fin autour
du bouquet de thym suspendu au plafond de
sa chambre, avaient vu trembler sur le mur
les premiers rayons roses de l'aube.
Toute cette « enfance», comme on appe-
lait autrefois les récits des premières
années d'un héros, est charmante, poétique,
d'un style ferme, précis, exact et pitto-
resque. C'est un hymne merveilleux des
sentiments de la nature. Millet a écrit des
choses de ce genre en parlant de son vil-
lage de Gruchy, de son arrivée à Paris, de
ses jeunes années. Il y a telle autre page
descriptive qui fait songer aux scènes al-
saciennes de Massenet, comme ceci :
Les dimanclies le ravissaient. Ils lui sem-
blaient plus clairs que les autres jours. Il
était aussi plus gai lui-même dans sa blouse
de mérinos bleu et son col brodé, si blanc et
sentant la propreté. Dans la petite église hu-
mide, il était pris d'un somnolent respect,
d'une sorte de contentement craintif à tra\ers
lesquels il contemplait les fidèles prosternés
sur leurs chaises, et leurs figures n'avaient
plus leur expression de la rue... Puis il rêvait
dans une confuse douceur d'encens, une odeur
du bon Dieu... Alors une extase l'enveloppait,
surtout lorsque le lutrin chantait, alternant
avec la voix du vieux curé dont le fausset
tremblait. La cérémonie se faisait longue,
longue... un blanc soleil luisait au dehors, des
moineaux faisaient leur nid dans une fente de
l'ogive près du chi'issis de la fenêtre. Ils y
arrivaient par instants, ruisselants dans les
rayons... ses paupières devenaient lourdes,
alors il fermait les yeux pour voir passer les
anges.
Ce Jean Gérard, fils de fermier, a le don
divin. Il est né peintre. C'est Savarette
qui le découvre et qui le guide. On fait
d'abord faire au petit quelques études.
Mais l'écolier était déjà peintre-
Or, en récitant sa déclinaison, celui-ci ob-
servait en peintre son professeur, sa peau
rose et luisante, ses cheveux gras, sa grasse
soutane soulevée par le naissant bedonnement
du ventre, ses doigts faits de fossettes et de
coussinets, les ongles retrousses; il écoutait
son glouglou guttural lorsqu'il interrompait sa
leçon pour avaler une gorgée de cassis. Tout
cela était bien plus intéressant que le latin,
surtout la vieille mère du vicaire qui avait les
yeux aussi noirs que ceux des hannetons et
des cils roux ; petite sexagénaire courte et
obèse, avec de dures moustaches. Il la regar-
dait fumer sa pipe culottée qu'elle avait tou-
jours à sa portée sur la cheminée. Elle parlait
peu, mais il put cependant recueillir, au sortir
de sa bouche édentéc, quelques observations
profondes, fruit de sa vieille expérience et
qu'il n'a jamais oubliées.
Nous le suivons à Paris, aux ateliers, à
l'Ecole des beaux-arts, au musée du
Louvre. Il rencontre là de gentils garçons
et de jolies filles, et il se heurte à tous les
écueils que son âge et son déracinement
comportent. Il va au musée du Louvre:
Il monte l'escalier monumental. Il est de-
vant la Victoire fie Samothrace. Cette fois, c'est
bien le frisson du beau qui traverse son âme
entraînée au souffle épique du plus bel élan
de l'art, de la plus éclatante manifestation du
génie humain que possède Paris! Rien de
plus sublime que cette immortelle mutilée!
Il entre, frémissant démotion, dans le salon
carré. Il s'assied sur la première banquette.
Ses regards embrassent l'effet d'ensemble; ils
errent çà et là, sans se fixer, confusément,
dans l'intense perception de toutes ces toiles
entrevues comme par lambeaux, comme une
merveilleuse apparition de rêve, supprimant
tout jugement, pour réveiller les larmes d'en-
thousiasme.
Parmi de délicieuses pages de sentiment
et d'amour, il y a place pour toute une
esthétique de peintre très posé, très sensé,
indifférent aux maladives recherches des
impressions non encore ressenties, qui in-
quiètent les jeunes de l'atelier, ainsi ce
jeune Garniton, garçon de valeur, esthète
à pantalon large serré dans le bas, à l'hu-
meur triste, à renthousiasme figé :
C'était un des forts de l'atelier, ou plutôt il
l'avait été, ayant obtenu le second prix de
Rome. Par malheur, il venait de se lancer dans
la recherche des frisions nouveaux et du non
encore ressenti. Il devait cette belle préoccupa-
tion à un jjersonnage mystérieux, un certain
^^'alund, qui avait exercé sur lui un singulier
empire. 'U^alund n'acceptait que le contraire
LE MOUVEMENT LITTÉUAIRE
115
<los apparences, la raison oriUnaire ne lui
semlilail (|ne \uI,uai'iLé. Il était venu des
hords (le l'oeran Arelicpie, et les banquises
auraient dû le proléy^er contre la contagion
d'une telle folie. Heureusement son cas ne
peut être cité comme représentant une doc-
trine ([uclconque : mais, on le voit, ce n'était
plus tout à l'ail un solitaire, puisqu'il entraî-
aiait (iarniton. Ancien élève de Denevers, il
faisait de fréquentes apparitions à l'atelier,
■où sa qualité de » plus c]uc Scandinave <> lui
donnai! ime sorte d'autorité. Il la méritait si
4)n considère que sa peinture était si extraordi-
naire, si nouvelle, si originale d'inspiration
que personne, sauf (îarniton, n'était encore
assez initié poui- y voir quoi que ce fût. Et il
n'avait pas encore atteint son idéal.
Savarelle, le vieux mentor de ce jeune
Télémaque de la palette, lui écrit des
lettres pleines de sens et de raison, qui
constitueraient, extraites à part, une inté-
ressante correspondance d'artiste.
Laisse crier contre les Ecoles! lui écrivait-
il. L'Ecole des beaux-arts procure des mo-
dèles et des ateliers gratuitement; l'Ecole de
Rome assure quelques années d'études loin
des soucis inq^oi-tuns. des préoccupations ma-
térielles de la vie, dans un des pays les plus
beaux du monde, avec, pour logement, un
palais merveilleusement approprié aux besoins
de l'art.
Il y a des gens très forts qui ont fait cette
<lécouverte étonnante : son enseignement ne
donne pas le génie. Parbleu! Mais il faut
avouer que, loin de lui être contraire, l'Aca-
démie de Rome fournil des éléments pour son
développement : la paix, la beauté et les
chefs-d'œuvre. Je ne crois pas à la tyrannie de
son enseignement. On y apprend, au moins,
le respect de la forme. D'ailleurs, rien n'ar-
rête les fortes personnalités.
Rien n'empêche, chez elles, le choix des re-
cherches.
Quand il voyage, il lui envoie des cro-
quis à la plume qui ont bien de la saveur,
comme cette page à propos de la vieille
ville flamande de Gand, qui est bien l'une
des plus justes impressions que jamais
touriste ait fixées dans sa mémoire et
dans ses notes en longeant les canaux et
ie beffroi de l'antique cité de Philippe van
Artevelde.
La page est à citer :
Je ne connaissais que par quelques petites
parties restées visibles le grand château des
■comtes de Flandre, de toute part enfoui sous
de noires fabriques qui s'y étaient greffées,
utilisant jusqu'à son haut donjon. On l'a en-
tièrement dégagé. Il apparaît barbare et
sombre, colossal, sous sa cuirasse orientale,
plus par ses proportions que par sa dimension,
ce château des Baudouin du Hainaut, qui furent
empereur de Constantinople et roi de Jérusa-
lem. Il est avec les Halles d'Ypres la mer-
veille historique des Flandres.
Et je rêvais en passant sur le vieu.v pont.
La vue du canal me réveilla. Comme deux
jumeau.v flamands-espagnols, deux hauts pi-
gnons jaunes, tachés de l'Ose, des fonds de
maisons de dilTérents âges, des pans de brique
rouge plus ou moins brunie, tombaient per-
pendiculairement, sans ombre de quai, dans
l'eau remuante et moirée, mystérieusement
agitée par une houle de dessous, car il n'y
avait pas un souille dans l'air. Plus loin, fer-
mant la perspective, le palais ruine, le géant
des croisades, tout bardé d'argent mat, bai-
gnant son monstrueux cimier dans l'éclat d'un
ciel d'opale clair.
Le tout se répétait en larges plaques dislo-
quées jaunes, blanches et brunes, comme si
le canal eût voidu nous montrer, d'une façon
visible, le lent écroulement des siècles.
C'était la vie éternelle dans la mort. La
fierté des vieilles corporations bourgeoises
que respirent encore ces pignons délabrés,
l'héro'isme, le formidable, toujours menaçants
sous cette énorme panoplie muette.
Voilà bien des mérites qui recomman-
dent ce livre par sa poésie pittoresque, le
sentiment de la nature, les aspirations
idéales, le style très ferme et juste, sans
préjudice du touchant roman d'amour qui
met en vue un type aimable d'héro'ine,
dont le portrait, nous dit l'auteur, a une
clef: ce qui vaut nos compliments à l'ori-
ginal.
Mon Petit Trott, par André Lichten-
berger, chez Plon et Nourrit, est un bien
délicat roman que les enfants et les grands
liront avec plaisir. Trott est un type d'en-
fant qui s'ajoute à ceux que d'autres ont
créés, le Bob de Gyp, le Fontanet d'Ana-
tole France, dans le Livre de mon ami, le
Bébé de Gustave Droz, et autres. Mais
Trott a sa physionomie bien particulière
entre eux tous, et on le voit nettement,
vêtu à l'anglaise , avec de grands yeux
bleus, très anglais déjà, raisonnant, pe-
sant le pourquoi des choses, et épris
d'un idéal tout évangélique de bonté et de
charité. C'est un petit pasteur. A ses
côtés. Bob, le vicieux, gambade comme
un triangle scalène ; Fontanet, faubourien
de Paris, rêve des niches à faire ; Trott
évangélise, et il est exquis.
Nous le suivons à travers les différentes
péripéties de sa vie puérile ; il reçoit des
joujoux de Noël, et M. Aaron ayant donné
des fleurs à sa mère, il fait manger les
fleurs par un âne, parce que M. le curé a
dit qu'il faut penser aux humbles. La mère
se fâche. Le petit dit ingénument :
— Je ne savais pas que vous aimiez tant
M. Aaron!
Alors la mère bout. Tout cela est ob-
servé.
Trott reçoit les leçons d'une miss fort
maigre qui lui raconte les héro'ismes cé-
lèbres depuis Mucius Scévola jusqu'à
Nelson. Trott résume sa leçon :
Elle m'a raconté l'histoire de M. Cervelas
116
LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
qui a brûlé trois cents Sarrasins qui étaient
Spartiates. Sa main aussi était brûlée sur la
lampe, mais avec l'autre bras qui a été em-
porté, il commandait la manœuvre sur le
pont.
Tous ces épisodes sont gracieux, et
quand il a entendu dire à M. Aaron qu'en
charité c'est tout ou rien qu'il faut donner;
cependant M. Aaron ne donne que deux
sous à un pauvre; et quand il regarde la
vieille Thérèse de son œil bleu de petit
philosophe :
Et tout à coup un grand froid vient au
cœur de Trott. Et il tremble de la tète aux
pieds sur sa petite chaise. Car une pensée
qu'il n'a jamais eue l'a traversé. Elle a été
une jolie petite fille aux joues roses, aux longs
cheveux blonds, Thérèse. Et maintenant c'est
une vieille femme qui a des cheveux gris et
des mains toutes crochues. Trott est un petit
garçon blond et rose; est-ce que par hasard
un jour il aura aussi des rides, des cheveux
gris et des mains crochues ?
Ailleurs, Trott tente vainement un essai
de réconciliation — c'est un vrai pasteur
— entre le chat Puss et le ioquet Jip; il
lire un grand profit pour son édification
morale d'un entretien avec un petit men-
diant. A chaque pas dans la vie, il se
heurte à des difficultés. Il voit un escargot
qui menace une rose. Que faire'? le tuer?
Il ne faut pas tuer les créatures auxquelles
Dieu a donné la vie. Notre petit anglican
raisonne, cherche :
C'est mal de tuer un mouton. Mais si on le
mange, ce n'est pas mal. C'est mal de tuer un
escargot, mais...
Et pour sauver la rose, il avale l'es-
cargot, devant la maigre miss épouvantée.
Oh! Trott! for shame ! comment pouvez-
vous ! comme c'est malsain ! naugiity boy !
quelle horreur!
Trott laisse tomber l'averse avec calme. Il
est plus préoccupé de ce qui se passe dans
son intérieur. Il a un peu d'inquiétude pour
son estomac. Ça gargouille drôlement ; sans
doute l'escargot se promène.
Mais non. C'est fini. Il doit être digéré.
Alors Trott retourne à son jardin; il con-
temple la rose avec un redoublement de ten-
dresse et se sent fier d'avoir protégé sa beauté
sans avoir sacrifié inutilement la vie de son
humble agresseur.
Le petit Trott n'a pas seulement des
idées ingénieuses; il en a souvent de tou-
chantes.
Le papa de Trott est revenu d'une ab-
sence pendant laquelle il trouve que sa
femme a été trop courtisée et frivole. Il se
fâche, fait des scènes, injurie les galants.
Trott voit cette fâcherie. Il est triste. C'est
le soir, sur la plage, par la nuit bleue et
étoilée. Monsieur, Madame et Bébé se sont
assis sur le sable, en silence. Trolt se
sent pris par le sommeil, mais il veut faire
sa prière avant de dormir, et, en regar-
dant le ciel, il la fait à haute voix. Le
père et la mère, boudeurs, regardent l'ho-
rizon.
Et tout à coup, arrachant papa et maman
aux pensées sombres qui les assiègent, une
petite voi.x monte qui vient frapper à la porte
de leurs cœurs.
— Oh ! mon cher petit bon Dieu! j'ai si mal
que papa soit fâché contre maman! Oh! si
vous saviez comme j'ai mal ! Oh ! je vous en
prie, faites qu'il ne soit plus fâché, pour que
je n'aie plus peur et pour que ces terribles
choses, Aous savez, soient loin de moi, parce
que je suis un petit enfant. Et faites que je
puisse de nouveau aimer papa et maman de
tout mon cœur tout plein; parce que, voyez-
vous, mon petit bon Dieu, quand on est
fâché, j'ai trop mal et j'ai trop peur, et puis
je suis un petit enfant, amen.
Une grande paix solennelle tombe des
cieux rayonnants. La mer murmure le refrain
tranquille de sa chanson apaisante. Le sourire
de la terre assoupie répond au sourire calme
des étoiles. Et la voix de Trott a retenti
comme une petite voix secrète et très forte
qui est au fond de tous les cœurs. Papa s'est
penché vers maman. Il a pris sa main dans
la sienne. Et peu à peu maman s'est rappro-
chée et a mis sa tète sur son épaule. Elle
sanglote très doucement. Quelques paroles
définitives montent du cœur aux lèvres. Et le
pardon, la confiance et la bonne volonté se
lèvent et s'épandent comme des vols soyeux
de papillons de nuit.
Voilà le ton de ce livre délicat, gracieux
et édifiant, qui amusera les grands, et qui
constitue une précieuse contribution au
genre délaissé et difficile de la littérature
enfantine.
Guy Tomel vient de mourir à l'âge de
trente-neuf ans. C'était un curieux, un
chercheur. II venait de publier un nouveau
volume qui fait le pendant du précédent,
le Bas du Pavé /)ar«iê». Celui-ci s'appelle
Petits Métiers ixirisiens. Ces titres disent le
genre de l'auteur. II allait scruter ces Coins
de Paris où nous-mêmes nous sommes plu
souvent à nous égarer, et dont nous connais-
sons trop la poésie et le charme curieux,
pour ne pas comprendre l'attrait de ces
études. Il savait faire ces petits voyages
intra mnros et nous en raconter des
relations intéressantes. C'est une ma-
nière de reportage pittoresque. Il s'en
tirait bien. II fréquentait parmi les petits
et les humbles, les interviewait, les con-
fessait et il nous donnait cette sensation
de l'inconim qui nous surprend au sein
même de Paris. Cette grande ville a tant
de dessous, de subslructions compliquées.
lp: mouvkment littiïuaihe
H7
noires cl profondes, que ceux qui y sont
allés ont l'air de revenir de loin. Il y a
des mondes et des mondes à explorer et
à découvrir dans le bas Paris. Tels coins
ne sont connus que de quelques agents
de la paix, qui y représentent seuls, de
temps en temps, la société polie, et quand
je dis polie, c'est pour les llatter.
Les petits métiers parisiens? lien est
•d'aussi cocasses que de peu connus, de-
puis le professeur de chiens savants, le
jM-éparateur de ténias, les professeurs de
l'Ecole normale d'acrobatie jusqu'à tous
les types variés de la bohème d'aujour-
d'hui. Voici ^I. Ledain, qui a le monopole
de la chasse aux blattes dans les hôpitaux
de Paris et ({ui est l'inventeur d'un « ca-
l'ardicide universel ». Il travaille à raison
de 2^(0 francs pour un hôpital. Le tailleur
pour chiens a de quoi s'occuper, car on
voit aux devantures des magasins qu'on
fait pour les chiens des paletots, bottes,
gants, chapeaux, sticks, avec la douzaine
de mouchoirs au chiffre et aux armes de
la maîtresse, pour mettre dans la petite
poche de côté, bracelets et colliers d'or
à pendeloques, toilette de mariée. Savez-
vous ce que coûte un trousseau de chien ?
271 francs répartis entre le collier, 12 fr.,
le bracelet, S francs; la demi-douzaine de
chemises, 60 francs; demi-douzaine de
mouchoirs, 6 francs ; deux paires de bot-
tines dont une en chevreau, l'I francs ;
un costume saut-de-lit, i'I francs; un cos-
tume bains de mer, 15 francs; costume de
voyage , 2.") francs ; pelisse d'hiver avec
fourrures, 35 francs, etc. C'est à humilier
la Levrette en paletot, de Chàtillon. On nous
dit là encore, de façon curieuse, comment
se forment les acrobates, comment vivent
les Pieds-Humides, ce que vaut l'aune de
ces annonces si souvent lues dans les jour-
naux : (< 5 francs par jour, travail facile
pour qui dispose de deux heures. » Ce sont
vilaines escroqueries. Nous entrons à l'école
des gardiens de la paix, à celle des cochers ;
nous fréquentons les figurants, les souf-
fleurs, les devineurs de rébus, caste aussi
intéressante que mal connue.
Il y a, en France, 2:;, 000 à 30,000 per-
sonnes dont la principale distraction, pour
ne pas dire la plus quotidienne occupation,
consiste à chercher la solution des rébus
que certains journaux illustrés et quelques
feuilles de modes publient dans leurs co-
lonnes.
Le fabricant de rébus s'adonne à un
entraînement sérieux sur le calembour. Il
arrive à des effets ingénieux. Un Grec qui
méprise Homère donne du blé à des oisons.
Il faut lire :
Aux petits des oies Zoïle donne la pâture.
Un gendarme ferme une vanne. Lisez :
('eiui qui met un frein à la fureur des flots
Sait aussi des méchants arrêter les complots.
C'est Maurisset qui fit les plus beaux
rébus. Sur sa tombe, Dantan a gravé la
mort qui hisse une poutre : mort-hisse-
ais. — Elle est au cimetière de Passy.
C'est un nid à petits documents curieux
et inédits , la lecture en est amusante et
l'œuvre constate une longue patience d'in-
vestigation.
Ces petites monographies, c'est ce que
Nadar appelait de la petite histoire, de la
petite histoire des mœurs, et elles ne se-
ront pas inutiles aux historiens futurs de
notre société. Tout ce qu'on fait, si on le
fait bien et avec suite, est profitable. De
quelle utilité serait un pareil livre, par
exemple, sur la ville de Rome antique !
Cet ouvrage documentaire et anecdotique
a sa valeur, son intérêt, son utilité même
au point de vue de l'histoire générale. Il
est édité par la librairie Flammarion.
M. Paul Bluysen a consacré au Président
de la République une monographie docu-
mentée et illustrée dans Félix Faure intime
(chez Juven). C'est de la petite histoire
encore, anecdotique, vivante et utile.
Nous suivons F. Faure depuis son enfance
jusqu'à ce jour, ce qui nous donne l'occa-
sion d'aller au Havre, à l'Elysée, à Ram-
bouillet, de suivre tous les voyages prési-
dentiels en France et au dehors. On nous
le montre dans l'intimité, se levant tôt,
actit et robuste, sportif, aimable et cor-
rect. De curieuses photogravures animent
le récit joliment conduit. Et ces indiscré-
tions me remettent en mémoire une anec-
dote. J'avais écrit une histoire du chapeau
haut de forme dans un journal illustré,
dont le directeur envoya un reporter chez
le chapelier de Félix Faure, estimant qu'il
fallait terminer cet historique de la coif-
fure par le couvre-chef présidentiel, sur le-
quel je n'avais pas l'ombre d'une donnée.
Le reporter qui fut envoyé trouva un cha-
pelier souriant et atTable qui lui donna les
mesures du conformateur présidentiel, la
largeur des bords, le nombre de chapeaux
usés par an et autres éléments de statis-
tique. Le directeur mayant demandé la
permission de glisser ces chiffres dans
mon histoire du chapeau, je n'y vis pas
d'inconvénient. Hélas ! mon travail sur la
coiffure des hommes passa assez inaperçu,
mais les chitfres du chapeau présidentiel
furent aussitôt happés par la badauderie
publique. Ils furent implacablement repro-
duits par deux mille journaux, et toujours
avec ma signature, ce qui était un honneur
bien usurpe dont, à vrai dire, je me serais
118
LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
volontiers passé. Sic vos non vobis ! Voilà
du moins qui est d'un bon augure pour le
livre de M. Bluysen.
Or çà, des vers !
En voici d'éloquents, des poésies d'A-
lexandre Parodi, Vaincus et vainqueurs,
chants patriotiques d'un philhellénisme
ardent, précédés d'une intéressante pré-
face sur la poésie, par l'auteur qui déclare
spirituellement avoir fait aussi sa préface
de Cromwell, devant ce volume qui pour-
rait aussi s'appeler Orientales. Cet avant-
propos contient des choses fort judicieuses
sur divers sujets, et on ne lira pas sans
intérêt ce jugement neuf et sincère sur
l'alliance franco-russe ; il donne à réflé-
chir :
Me pardonnera-t-on d'avoir peu admiré le
rôle que la Russie nous a fait jouer i\ sa
suite? et d'avoir, ce qui est plus hasardeux,
trouvé excessifs nos enthousiasmes pour son
amitié? Prodigue de fêtes et de caresses,
saluée dans toutes nos villes comme l'aube
de la résurrection attendue, cette alliance,
qui a eu tant de peine à s'avouer, est de-
meurée jusqu'à ce jour platonique et semble
ne nous avoir rouvert les portes de l'espé-
rance que pour les refermer sur le traité de
Francfort. 11 est vrai qu'elle a rétabli l'équi-
libre politique en Europe et qu'elle y a fait
cesser notre long isolement; mais, si elle n'a
pour objet unique que de consolider la paix,
elle sert moins nos intérêts que ceux de l'Al-
lemagne, dont elle assui^e les possessions con-
quises sur nous. Aujourd'hui que notre puis-
sance militaire est reconstituée, la paix n'a
peut-être plus de raison d'être et risque de
porter atteinte, en se prolongeant, aux qua-
lités de notre race : elle nous déshabitue des
énergies et des dévouements mis au service
de la patrie, elle nous énerve, nous corrompt
et nous divise. Que le jeune souverain à qui
Paris, dans l'élan de sa gratitude, a fait un
si triomphal accueil, pardonne à un poète,
soucieux avant tout de la grandeur française,
de révéler hautement, sans ambages diplo-
matiques, la secrète amertume et l'angoisse
inavouée, la vraie et noble cause du malaise
de ce pays que la prospérité matérielle ne
saurait contenter : la France n'a plus besoin
de paix, elle a besoin de gloire.
C'est ce ton belliqueux qui éclate en
fanfare sonore dans cette épopée des
luttes de la Grèce contre le Turc. Les
vers sont sobres, nets, sans acrobatie, car
l'auteur de Rome vaincue répudie les arti-
fices et les virtuosités du tour de main, et
il s'en réfère à Lamartine qui a stigmatisé
cette poésie.
Se dégradant au tour de force comme une
danseuse de corde! oubliant le sens pour ne
s'occuper que des mètres ou des rimes de
leurs compositions, et finissant par se glorifier
eux-niêmes du nom de funambules de la poésie!
Un jeu en un mot, au lieu d'un talent! un
effort, au lieu d'une grâce! un caprice, au
lieu d'une àme ! une profanation, au lieu d'un
culte! un sacrilège, au lieu d'une adoration
du bien et du beau dans l'art.
Aussi ses vers sonnent clair et beau,
soit qu'il chante la Grèce, soit qu'il im-
plore la France. C'est un fort beau poème
que celui du Laurier de Tempe sur ce motif
d'Ottfried Muller :
Tous les huit ans, Delphes envoyait une
théorie solennelle couper à Tempe une branche
de laurier.
11 débute ainsi par ces vers imagés et
harmonieux :
Au pied du sombre Olympe et du rebelle Ossa,
Parmi les flots brillants du sonore Pénée,
Dans l'antique vallée où d'abord il poussa,
Le laurier d'Apollon, sous sa feuille fanée.
Ne sentait plus frémir la serpe au manche d'or
Qui, de Delplies venue, écimait son branchage.
Coronéos, VEphèbe, le Stabat mater ont du
souflle et de l'émotion. La guerre de Crète
a trouvé dans son cœur un écho dou-
loureux et pathétique. L'antiquité et ses
gloires immortelles lui inspirent de belles
périodes :
Où sont de val en val les campagnes dorées
Et dans les bois riants les nymphes adorées,
Habitantes de l'arbre aux rameaux embaumants
Qui mêlaient leur murmure au soupir des amants,
Lorsque leurs yeux rêveurs dans la nuit enchantée
Suivaient Diane errant sur sa sphère argentée ?
Quelle flamme inconnue a, parmi les roseaux,
Tari l'âme limpide et chantante des eaux?
Terre aride est la vigne oii les roses vermeilles
Buvaient leur frais cristal sous le pampre des treilles,
Et poussière est le marbre où souriaient les Dieux,
Hiérophantes blancs des temples radieux,
Ils sont donc morts aussi, les immortels ! Et, sombre,
La Parque a dissipé leurs rayons dans son ombre !
Dans toutes ces pages passe le souffle
vigoureux des haines l^ien senties et des
impérissables souvenirs.
Lko Claretie.
CAUSERIE SCIENTIFIQUE
Le siècle ([ui va finir aura été fécond en
inventions merveilleuses; cependant une
encore manque à sa gloire, c'est la trans-
mission des images à distance. Le pro-
blème n'est pas insoluble et bien des cher-
cheurs sont à l'œuvre, mais la solution n'est
pas encore complète. Dans une des der-
nières séances de l'Académie des sciences,
M.d'Arsonval a présenté un appareil, ima-
giné par M. Dussaud, qui donne déjà des
résultats encourageants, sinon complets.
Comme tous les inventeurs qui l'ont
précédé dans cette voie, M. Dussaud a
recours au sélénium, substance qui, dans
certaines conditions de préparation, a la
propriété d'être plus ou moins conductrice
de l'électricité, suivant qu'elle est plus ou
moins éclairée. Du moment que les inten-
sités lumineuses peuvent être transformées
en intensités électriques, on entrevoit la
possibilité de transmettre au loin l'image
d'un objet au moyen d'un fil conducteur;
mais il faut trouver le dispositif approprié
et cela n'est pas aussi simple que cela en
a l'air. MM. Aryton et Perry ont essayé,
il y a une vingtaine d'années, le moyen
suivant : dans un circuit électrique com-
posé d'un fil reliant une pile à un galvano-
mètre, on interpose, en un certain endroit
représentant le poste transmetteur, une ré-
sistance au sélénium convenablement pré-
parée ; le galvanomètre représente le poste
récepteur et peut être placé à une distance
quelconque. Son aiguille dévie d'autant
plus que le sélénium est plus éclairé et il
est facile d'imaginer un dispositif par
lequel on utilise celte déviation pour
démasquer plus ou moins une petite ouver-
ture par laquelle tend à passer un rayon
lumineux, provenant d'une source quel-
conque, pour aller se projeter sur un
écran. Ayant ainsi la possibilité de trans-
mettre l'image d'un point, il fallait, pour
en transmettre plusieurs, disposer d'autres
circuits, composés comme le premier; en
plaçant toutes les résistances l'une près de
l'autre, de façon à former un plan placé au
fond d'une chambre noire, on pouvait y
projeter au moyen d'une lentille limage de
l'objet à représenter, et au poste récepteur
le galvanomètre correspondant à chaque
point démasque plus ou moins l'ouverture
donnant passage au rayon lumineux local.
En pratique, cela devenait d'une instal-
lation fort difficile, pour ne pas dire im-
possible, et on abandonna l'idée
M. Dussaud a tourné la difficulté d'une
façon très heureuse et, bien que son
système ne soit encore qu'à l'état d'étude,
il a donné des résultats qui méritent d'être
signalés. Il a remplacé le galvanomètre
par le téléphone, qui est un instrument
infiniment plus sensible et plus apte à tra-
duire les plus petites variations du courant
électri(j[ue; sous l'inlluence de ce dernier
sa plaque vibre et se déplace de quantités
infiniment petites, mais toujours propor-
tionnelles à son intensité. En outre, il ne
se sert que dune seule résistance au sélé-
nium. Son appareil se compose en prin-
cipe, au poste transmetteur (fig. 1), d'une
chambre noire avec objectif O et prisme P
Fig. 1. — Principe de l'appareil de M. Dussaud
pour essais de transmission des images à dis-
tance. — Transmetteur.
0 objectif, P prisme reiii-essaiit l'image, S résistance au
sélénium intercalée dans le circuit électrique E B,
M mécanisme d'horlogerie imprimant un mouvement
régulier au disque D, aj fils de ligne se rendant au
récepteur.
destiné à redresser l'image; au fond se
trouve la résistance au sélénium S devant
laquelle tourne un disque D animé, par un
mécanisme d'horlogerie M, d'un mouve-
ment régulier de rotation et percé de trous
disposés de telle sorte que tous les points
de l'image viennent successivement frapper
la résistance S. Celle-ci est intercalée dans
le circuit formé par une pile E et une
bobine d'induction B : c'est la disposition
employée pour toutes les installations
téléphoniques. Au poste récepteur fig. 2),
se trouve le téléphone à la membrane du-
quel est attachée une petite plaque métal-
lique P percée de fentes étroites, à côté
de laquelle se trouve une plaque fixe F
identique; au repos, les fentes des deux
plaques ne sont pas en face lune de l'autre
et le faisceau de lumière D envoyé sur
elles, par l'ouverture de la chambre où
elles sont enfermées, ne peut passer. Mais
si la membrane du téléphone vient à se
déplacer, l'écran qu'elle porte se déplace
aussi, ses fentes tendent à se placer en
regard de celles de l'écran fixe et la
lumière passe plus ou moins suivant la
position respective des fentes. Cette lumière
est de nouveau interceptée par un disque
identique à celui du transmetteur; les
trous dont il est percé doivent avoir à
120
CAUSERIE SCIENTIFIQUE
chaque inslanl la même posilion que ceux
de ce dernier et permettre d'éclairer suc-
cessivement toute la surface de l'écran
récepteur E; en ayant soin que chaque
point se succède à un intervalle inférieur
à 1/10 de seconde, la persistance des
impressions sur la rétine suffit pour que
l'œil perçoive en même temps tous les
points qui forment l'image. Un tel appa-
Récepteur.
D faisceau de lumière artificielle frappant la plaque mé-
tallique P percée de fentes et attacùée à la membrane
d'un téléphone, F plaque fixe également percée de
fentes. L disque identique à celui du transmetteur, H
objectif avec prisme projetant l'image sur l'écran E.
reil présente de grandes difficultés d'exé-
cution et M. Dussaud n'est pas encore
arrivé à le réaliser d'une façon tout à fait
satisfaisante; mais, d'après la note com-^
muniquée à l'Académie des sciences, il
est parvenu malgré cela à transmettre
l'image d'objets de forme simple, très
éclairés, et on peut, même s'ils sont en
mouvement, reconnaître leur forme avec
plus ou moins de facilité au poste récep-
teur. Ces résultats, tout incomplets qu'ils
soient, n'en sont pas moins fort intéressants
et doivent être signalés, ne serait-ce que
pour montrer la possibilité d'arriver à une
solution.
Un autre problème, mais insoluble ce-
lui-là , auquel de malheureux inventeurs
persistent à s'acharner, c'est le mouve-
ment perpétuel. On ne fera jamais entrer
dans certaines têtes que tous les principes
de la physique et de la mécanique s'oppo-
sent à sa réalisation; il y a, il est vrai,
des circonstances atténuantes. Nous avons
reçu dernièrement une lettre qui nous en-
gage h dire quelques mots à ce sujet :
un jeune inventeur, mécanicien de son
état, nous signale une pendule qu'on voit
en ce moment chez un horloger de la rue
de Rivoli et qui, il en est convaincu, est
la solution du fameux problème ; lui aussi
avait eu la même idée, mais il n'a pu con-
struire ^'appareil. Comment se fait-il que
les journaux spéciaux soient restés muets
devant une aussi belle découverte? Au pre-
mier abord, cette pendule parait, en elTel,
être mue par une grande roue à aubes, sur
laquelle tombent des billes ; lorsqu'elles
abandonnent la roue, après l'avoir fait tour-
ner d'une certaine quantité, elles suivent
un couloir qui les conduit à une chaîne à
godets, mue par la roue elle-même, qui les
remonte à leur point de départ. C'est très
séduisant d'aspect, mais nous avons ré-
pondu à notre jeune inventeur que, même
sans avoir démonté la machine, nous étions
absolument sûr qu'il y a un ressort caché
qui met tout en mouvement et que les
billes, qui semblent tout faire, ne sont là
que comme accessoires. Rien d'étonnant à
ce qu'un jeune homme s'arrête à des exem-
ples de ce genre, quand des esprits qu'on
devrait considérer comme sérieux, en rai-
son des diplômes dont ils sont pourvus,
patronnent des inventions qui ne sont pas
réalisables. Nous en avons eu un exemple
il y a une quinzaine d'années ; il nous est
tombé sous la main un prospectus destiné
Fig. 3. — Un faux mouvemeut perpétuel.
V vessie pleine d'air plongeant dans l'eau, A vessie vide,
R robinet fermant le tube qui les relie, P plateau
guidé portant des poids. Malgré le faible effort déployé
pour enfoncer la vessie au fond du vase plein d'eau,
lorsqu'on ouvre le robinet les poids sont soulevés. Ou
dispose ainsi d'une grande force et on on dépense une
petite (mais il ne faut pas oublier les chemins par-
courus).
à réunir les fonds nécessaires à la construc-
tion d'un moteur merveilleux, qui n'était
autre, en somme, qu'un mouvement per-
pétuel. Parmi les membres du comité d'ini-
tiative, nous avons été fort surpris de trou-
ver les noms d'ingénieurs, d'anciens élèves
de l'Ecole polytechnique, d'officiers de
CAUSERIE SCIENTIFIQUE
121
marine, de médecins, elc. Or, voici l'ex-
périence à latjuelle l'inventeur conviait les
l'ulurs souscripteurs : dans un vase pro-
fond (fig-. .<), il enfonçait sans effort une
vessie gonllée dair montée à l'exlrémité
d'un tube fermé par un robinet ; près de
celui-ci, h l'autre extrémité du tube,
était fixée une autre vessie dégonflée, sur
lacjuelle reposait un plateau portant des
poids représentant un nombre respec-
table de kilogrammes. 11 ouvrait alors
le robinet et l'air passait d'une vessie
à l'autre, soulevant les poids de quelques
centimètres. Il ne restait plus qu'à con-
struire la macliine qui devait faire auto-
matiquement ces opérations et on faisait
remarquer qu'une très majeure partie de
la puissance qui avait soulevé les poids
restait disponible, puisqu'il avait suffi d'un
faible effort pour enfoncer la vessie. On
oubliait seulement une chose : c'est le
chemin parcouru. Les poids se soulevaient
de quelques centimètres, la vessie gonflée
était enfoncée à 1"',:>0 dans le vase et on
disposait en réalité du poids de la colonne
d'eau qui pesait sur elle 1 Inutile d'ajouter
que la machine ne fut jamais construite ;
mais de tels exemples sont bons à con-
naître pour se mettre en garde contre les
chercheurs de mouvement perpétuel , si
bien patronnés qu'ils soient.
On est arrivé aujourd'hui à liquéfier tous
les gaz ; le plus réfractaire de tous, l'hydro-
gène, a cédé, le 10 mai dernier, aux in-
stances de M. Dewar qui le taquinait
depuis quelques mois et qui est arrivé à
ce résultat en le comprimant à 180 atmo-
sphères, à la température de 20o degrés
au-dessous de zéro. Il ne s'en est pas tenu
à une simple expérience de laboratoire,
donnant quelques gouttes de liquide ; son
appareil permet d en fabriquer plus d'un
litre en dix minutes. C'est un liquide
incolore qui s'évapore assez facilement,
mais pas assez cependant pour qu'on ne
puisse l'étudier à son aise. Il y a déjà
quelque temps que M. Dewar était arrivé
au même résultat pour l'air et, depuis,
M. Linde en Allemagne , M. Tripler en
Amérique, obtiennent l'air liquide en
grande quantité. En France, on monte en
ce moment les appareils de M. Linde, au
Collège de France, dans le laboratoire de
M. d'Arsonval, et on va pouvoir étudier
ses curieuses propriétés. Au sortir de l'ap-
pareil, l'air liquide est recueilli dans des
vases entourés de feutre; ou mieux, formés
dune double enveloppe dans laquelle on
a fait le vide de manière à l'isoler autant
([ue possible de la température ambiante.
Dans ces conditions, une dizaine de litres
de liquide mettent dix à douze heures à
s'évaporer. Si on le laisse séjourner quel-
ques minutes dans une casserole en fonte,
la température extrêmement basse à
laquelle elle se trouve portée la rend tel-
lement friable qu'elle se brise en mille
morceaux au moindre choc (fig. 4, n" 2 .
En contact avec la peau, il y aurait désor-
ganisation des tissus, c'est-à-dire bri^dure
intense, et cependant on peut tremper la
main dans l'air liquide sans danger, si elle
est un peu moite. 11 se passe alors un phé-
nomène analogue à celui bien connu de la
fonte en fusion dans laquelle on peut
tremper la main mouillée : l'eau se trans-
Fig. 4. — Liquéfaction de l'air.
forme immédiatement en vapeur et forme
de petits globules qui empêchent le con--
tact avec la peau ; mais dans un cas comme
dans l'autre, il ne faudrait pas prolonger
l'épreuve et nous pensons même qu'il se-
rait préférable de ne pas la faire. Le
Scientific American nous signale une série
d'expériences très curieuses qui seront
reproduites en France avant peu. On sa-
vait déjà que l'oxygène est, comme le fer,
influencé par l'aimant ; on le constate
d'une façon très nette avec l'air liquide,
qui est naturellement un mélange d'azote
et d'oxygène ; si on approche un électro-
aimant du tube qui le renferme, il est
dévié de sa position ifig. 4, n" 1) et il s'y
colle même, comme le ferait un morceau
de fer, si on l'en approche suffisamment.
Avant de reprendre sa forme gazeuse, l'air
liquide passe par l'état de vapeur et
celle-ci étant, contrairement à celle de
l'eau, plus lourde que l'air atmosphérique,
on la voit former une sorte de cascade
par-dessus les bords du vase fig. 4, n" 3j.
Mais le phénomène le plus curieux qu'on
puisse voir, c'est le feu formant la neige.
Un charbon incandescent plongé dans
l'air liquide continue à brûler, puisqu'il se
trouve en présence de l'oxygène; mais
122
CAUSERIE SCIENTIFIQUE
cette combustion dégage du gaz acide car-
bonique qui se liquéfie et se solidifie à
une température beaucoup moins basse
que l'air; on voit donc la neige d'acide
carbonique se former à l'extrémité incan-
descente du charbon (fig. 4, n" 4). Une
conquête reste encore à faire, c'est la so-
lidification de l'air et de l'hydrogène ; il
n'y a pas de raison pour qu'on n'y arrive
pas. On obtiendra peut-être alors le zéro
absolu : — 273 degrés, point extrême où
le calcul indique qu'il n'y a plus de cha-
leur du tout.
Parmi les forces énormes qui sont dis-
ponibles dans la nature, nous ne savons
guère utiliser que les cours d'eau. Le vent
est à peine employé, le mouvement de la
marée très peu, le mouvement des vagues
pas du tout; et cependant il y a là un joli
lot de kilogrammètres en réserve. On
n'est pas certainement sans s'en être déjà
aperçu et quelques tentatives ont été
faites, parfois avec un certain succès ;
mais nous croyons que si on n'y a pas donné
suite, c'est que cette force, toujours irré-
gulière et localisée à des endroits où les
constructions sont difficiles, ne trouvait
pas son emploi sur place. Aujourd'hui où
le transport de force par l'électricité est
Fig. 5. — Utilisation du mouvement des vagues.
Appareil fonctionnant depuis un an en Californie. Le
mouvement des flotteurs actionne une pompe qui
refoule de l'eau et de l'air dans un réservoir. Cette
eau est ensuite employée sur une roue Pelton qui
actionne une dynamo servant à l'éclairage.
chose courante, il serait temps d'y revenir
et c'est ce que vient de faire une Société
américaine dans l'Etat de Californie. On a
établi sur un warf s'avançant de 110 mè-
tres dans la mer trois flotteurs (fig. ">) de
3 mètres de côté, se terminant par des
tiges verticales guidées de façon que la
vague leur fasse accomplir un mouve-
ment de montée et de descente. Le plus
petit déplacement est de 15 centimètres,
Fig. G. — Roue Pelton utilisant l'eau sous pres-
sion et remplaçant sous un très petit volume les
roues à augets de grand diamètre.
le plus grand de 2'",r)0 ; la moyenne de fré-
quence des vagues est de 3 à 5 par mi-
nute. Par un mécanisme approprié on a
relié ces tiges à une pompe qui refoule
l'eau dans un réservoir hermétiquement
clos, de telle sorte qu'à mesure que l'eau
y entre, elle comprime l'air qui se trouve
en dessus. On dispose alors d'eau sous
pression qui est employée à faire tourner
une roue Pelton attelée à une dynamo ;
jusqu'à présent on n'a utilisé le courant
qu'à allumer quelques lampes. La moyenne
de la puissance motrice dont on dispose
est de 2 à 4 chevaux ; mais la dépense
d'installation a été seulement d'une dizaine
de mille francs et la Compagnie estime
qu'avec une installation plus importante
on pourrait obtenir une puissance qui re-
viendrait à 6.') francs par an et par cheval,
ce qui fait moins de 20 centimes par
jour. Avec un moteur relativement faible
on ne peut guère songer qu'à charger des
accumulateurs ; mais si on disposait de plu-
sieurs centaines de chevaux, on pourrait
distribuer à distance l'énergie électrique
produite surplace.
Nous avons parlé tout à l'heure de la
roue Pelton, ce n'est pas une invention
nouvelle; ses premières applications re-
montent à une quinzaine d'années, mais
elle est assez peu connue. Le principe de
cette roue consiste à utiliser l'eau animée
d'une grande vitesse, comme quand elle
tombe de 5 à 600 mètres de haut ou qu'elle
est chassée par l'air comprimé ; elle porte
sur sa circonférence (fig. G) des palettes
en forme de cuvettes, avec une arête
coupante au milieu. L'eau, en sortant de
l'ajutage, qu'on règle avec un robinet
comme une lance d'arrosage, frappe ces
CAUSEKIE SCIENTIFIQUE
12.»
paloltes cl tombe après Icuravoir commu-
niqué la vitesse dont elle est animée.
L'installation de ce type de roue est très
élémentaire; sa puissance varie avec le
diamètre et avec la vitesse d'arrivée de
l'eau, mais elle est déjà avantageuse avec
une chute de ('> mètres.
On en construit (jui, avec seulement
0"',1,^> de diamètre, ont une puissance de
plusieurs chevaux ; les plus grandes n'ont
pas "2 mètres. Elles remplacent avantageu-
sement les roues h augets avec eau en
dessus qui, pour produire la même puis-
sance, doivent avoir des dimensions dix
fois plus grandes et nécessitent des frais
d'installation très considérables. Une roue
Pelton de 0™,90 pesant 80 kilogrammes
produit 100 chevaux avec une chute de
()00 mètres; elle tourne à la vitesse de
1 UiO tours à la minute. Un moteur à au-
gets n'utiliserait pas la force vive de la
chute, mais seulement le poids de l'eau
sur un bras de levier qui ne dépend que du
diamètre de la roue; dans certains cas on
est quelquefois amené à le portera 20 mè-
tres, comme cela eut lieu dans une cer-
taine mine d'Irlande, où cette construc-
tion gigantesque est un véritable objet de
curiosité.
Puisque nous parlons de roues hydrau-
liques, disons qu'on pourrait plus souvent,
nous semble-t-il, utiliser sans grande dé-
pense les cours d'eau rapides en y plaçant,
comme cela se pratique souvent sur le
Danube, des roues à palettes montées sur
des bateaux amarrés à la rive ; c'est tou-
jours grâce à l'électricité que ce serait
avantageux : une dynamo tient fort peu de
place et l'énergie électrique qu'elle en-
gendre se transmet n'importe où au moyen
d'un simple fil sur des poteaux ; c'est cer-
tainement par son intermédiaire que nous
arriverons à asservir peu à peu toutes les
forces de la nature.
Bien que l'automobilisme soit à l'ordre
du jour, il y a encore des gens qui aiment
h employer des moyens de transport plus
élémentaires, et voici un sport peu connu
imaginé par quelques désœuvrés qui pas-
sent leur hiver en Suisse pour cause de
santé; ils parcourent une piste de neige
en pente, ce qui est facile à trouver dans
ce pays, sur un traîneau de forme spéciale
où l'on est, non pas assis, mais couche à
plat ventre, et dont l'origine est due, pa-
raît-il, aux sauvages canadiens ; mais on a
perfectionné l'instrument en le rendant
plus léger et plus confortable, si tant est
qu'on puisse demander du confort dans
une telle position. C'est une sorte de dou-
ble patin qui supporte un bâti de 1™,50
de long sur 0™,40 de large, sur lequel est
cloué un matelas léger où l'on sl' couche
la tête en avant (fig. 7); les jambes dé-
passent un peu, de façon à permettre de
loucher le sol avec la pointe des pieds,
soit pour activer, soit pour retarder la
marche ou donner la dircclion. 11 paraît
que ce sport est remjili d'altrait cl (ju'on
arrive à parcourir le kilomètre à la minute,
comme certaine voilurette automobile;
mais au moins si on risque un peu sa tête,
^^à;* ^,*M?<»^,..i
Fig. 7. — Traîneau employé pour descendre des
pentes neigeuses, aménagé pour ce nouveau sport.
on ne gêne personne, car on est loin des
grandes routes.
La médecine vétérinaire vient de s'en-
richir d'un nouveau vaccin. MM. Nocard
et Roux sont parvenus, après une série de
recherches qui remontent à plus de
deux ans, à découvrir et asservir le mi-
crobe de la péripneumonie bovine, qui
cause des pertes énormes à l'agriculture,
car on est obligé, pour enrayer la maladie,
d'abattre toutes les bêtes atteintes, sans
tenter aucune chance de guérison. Le mi-
crobe est tellement petit ({uc, jusqu'à pré-
sent, il avait échappé à tous les yeux, et
ce n'est qu'avec un grossissement de
2 000 diamètres qu'on est parvenu à le
voir. Cela ne suffisait pas, il fallait le cul-
tiver pour en faire des vaccins atténués,
et ceci présentait de grandes difficultés,
attendu que les petits animaux tels que le
chien, le lapin, le cobaye, qui sont ordi-
nairement les premiers éléments de ce
genre de travaux, sont réfractaires à la
maladie. On est arrivé cependant à l'ino-
culer au lapin par un artifice assez curieux
qui consiste à enfermer le liquide pulmo-
naire dans une capsule de coUodion ; dans
ces conditions, le microbe, à l'abri des
globules du sang, se développe, puis filtre
à travers le collodion et se répand dans
l'organisme du lapin. Mais ce moyen un
peu'détourné n'était pas très pratique pour
avoir du vaccin en quantité suffisante, et,
depuis, MM. Nocard et Roux ont découvert
une méthode d'ensemencement dans un
milieu convenable et plus facile à sur-
124
CAUSERIE SCIENTIFIQUE
veiller que le ventre du lapin. Voici donc
encore une nouvelle con([uète due à la
méthode de notre grand Pasteur : ses
élèves sont dignes de lui.
On ne verra peut-être plus de piétons
au XX'' siècle, ceux qui n'auront pas leur
automobile ou leur bicyclette s'attache-
ront des roulettes aux pieds ; on rencontre
déjà au bois de Boulogne des amateurs
de ce nouveau mode de locomotion. L'an-
cien patin à roulettes est détrôné ; aussi
bien il ne pouvait servir qu'en chambre,
une surface absolument plane lui étant
indispensable à cause de ses trois rou-
lettes de très petit diamètre. Aujourd'hui
Fig. 8. — Patins portant deux roues garnies de
caoutchoucs creux et permettant de courir sur
les routes ordinaires.
on a imaginé de lui donner deux roues
seulement, mais on les place l'une devant
l'autre, ce qui le rend tout à fait analogue
au patin à glace ; de plus, on leur donne un
diamètre de 0™,lu à U"',20 et on les garnit
de caoutchouc creux comme les bicyclettes.
Elles sont montées (fig. 8; sur une arma-
ture en acier de 0'",.S0 de long, qui se fixe
aux chaussures par des courroies. On peut,
parait-il, faire de i'I à 20 kilomètres à l'heure
sur une bonne route, c'est une machine à
courir; mais il est probable qu'on se fa-
tigue plus vite que sur une bicyclette.
Les allumettes de la régie sont deve-
nues légendaires et font depuis longtemps
le sujet de plaisanteries faciles ; mais cela
va changer. On sait que la fabrication au
phosphore blanc est très nuisible aux ou-
vriers, chez lesquels il produit une attaque
du système osseux. Depuis longtemps on
cherchait une substance qui pût rempla-
cer le phosphore blanc sans présenter ses
dangers; mais tous les essais faits dans
cette voie, même ceux qu'une expérience,
peut-être un peu hâtive, avait fait consi-
dérer comme un triomphe de la science,
ont échoué pitoyablement dès qu'on a
voulu entrer dans la fabrication pratique.
Deux ingénieurs des manufactures de
l'Etat, MM. Sévène et Cahen, se sont mis
à l'œuvre et, après de patientes et labo-
rieuses recherches, sont arrivés à trouver
une nouvelle pâte à base de sesquisulfure
de phosphore. Sous celte forme, le phos-
phore conserve toutes ses qualités et peut
se manipuler sans répandre de vapeurs.
Nous avons reçu de la manufacture de Tré-
lazé quelques boites d'échantillon de la
nouvelle fabrication; elles sont en tout
semblables à celles déjà connues, qu'on
vend Ofr. 0^)C., et elles seront du même
prix, mais elles portent une étiquette avec
les lettres S. C, initiales des deux inven-
teurs.
Comparativement, il y a à l'odorat une
très notable difi'érence avec les anciennes
boites qui dégagent une odeur accentuée
de phosphore. A l'usage nous devons dé-
clarer que, sur douze boites, nous n'avons
pas eu un raté et nous avons essayé le
frottement sur des surfaces et dans des
conditions très différentes ; ces allumettes
prennent feu même après avoir été mouil-
lées, ce qui va reléguer bien loin les vieilles
légendes sur l'incombustibilité des allu-
mettes de la régie.
Nous nous souvenons avoir vu dans une
féerie un personnage qui avait les oreilles
tellement fines qu'il entendait l'herbe
pousser ; nous ne savons pas si le mi-
crophone permettra jamais d'atteindre ce
résultat, qui, en somme, serait de peu
d'intérêt ; mais le microscope peut nous
faire assister à la germination d'une
graine. Pour cela, dit la Vie scientifique,
il suffit de prendre une graine de millet,
d'en découper une fine tranche et de la
placer entre deux verres sous le micro-
scope. On met l'instrument au point et on
fait glisser une goutte d'eau sous le verre,
de manière qu'elle soit absorbée par la
graine. Aussitôt on voit une série de fibres
en spirale s'étendre dans toutes les direc-
tions et donner l'apparence d'une véritable
germination.
G. Mareschal.
Les renseigneme7its de cet article sont donnés au point de vue scientifique et en dehors de toute réclame. Aussi il ne
sera pas répondu aux demandes d'adresses ou de renseignements commerciaux.
EVENEMENTS GEOGRAPHIQUES
ET COLONIAUX
... El les Ira vaux de In Commission anglo-
française continuaient.
C'ettc commission a mission, vous le
savez, de préparer le partage des terri-
toires de la boucle du Niger. Prévue par
un accord du r> janvier 189(), elle s'est
réunie le 27 octobre 1897. Depuis lors, elle
a « travaillé activement»; le ministre des
alTaires étrangères l'a solennellement dé-
claré à la tribune, le 1'^'' mars dernier.
Aussi bien, a-t-on vu la preuve de la
parole ministérielle dans l'annonce, non
de la terminaison des travau.^, mais de la
maladie de plusieurs commissaires, sur-
menés assurément. « L'Afrique a été créée
pour être la plaie des ministères des af-
faires étrangères », disait au dernier ban-
quet du Guild-Hall lord Salisbury ; voici
qu'elle met sur le flanc nos diplomates.
C'est fâcheux pour les diplomates; cela
pourrait bien l'être, au surplus, pour nous
tous. Quand le négociateur s'alite, c'est la
négociation, souvent, qui est la malade.
On ne saurait mettre en doute l'indisposi-
tion de M. Binger ; il n'en reste pas moins
que le désaccord entre l'Angleterre et la
France, ces mois derniers, s'est aggravé,
est devenu querelle. Nos justes demandes
étaient qualifiées à l'ordinaire, et jusque
dans les colonnes du Times, de prepostc-
rous, ce qui veut dire : absurdes, impu-
dentes. Ce journal nous déclarait net :
M Dans l'Afrique occidentale, nous n'avons
pas la plus petite intention de céder. "
La Pall Mail Gazette disait : « Les officiers
français se conduisent là-bas comme de
vulgaires brigands. Aussi faudra-t-il que
notre gouvernement en impute la respon-
sabilité au quai d'Orsay, dans un langage
sur lequel on ne pourra pas se méprendre
et sur un ton de commandement. » Et le
gouvernement anglais ? 11 avait tout l'air
de se laisser mener par ses troupes ; le
chef, lord Salisbury, criait bien haut :
« Nous ne pouvons permettre que nos
droits les plus élémentaires soient foulés
aux pieds. »
Le gouvernement anglais se calomniait.
Il se posait en victime : personne ne le
crut.
La question, cependant, devenait fâ-
cheuse; elle pouvait devenir pis encore.
Les troupes des deux nations avaient oc-
cupé progressivement la zone neutre qui
les séparait, avaient presque pris le con-
tact. 11 suffisait d'un hasard, ou d'une
mauvaise volonté pour amener un conflit.
De plus, — il faut être juste envers soi-
même, — il règne en notre pays un état
d'esprit qui est peu fait pour nous rendre
philosophes h l'endroit des procédés inju-
rieux des Anglais.
La politique extérieure, c'est le choix
de ses ennemis. Le choix de l'ennemi en-
traine forcément celui des alliés. Le pre-
mier principe de cette politique doit être
de n'avoir dans le même temps qu'un en-
nemi. Nous n'avons pas su faire ce choix ;
c'est la cause de notre faiblesse.
Nous avons deux ennemis : 1" l'Alle-
magne. Nous affectons de parler de paix
plus qu'il ne serait nécessaire. Le tsar, à
Paris, a lu sur tous les arcs de triomphe
(de quel triomphe?) : Fax; il a lu der-
rière la statue de Strasbourg, sur la ter-
rasse : Fax. Or la paix sous le régime
de laquelle nous vivons est la paix de
Francfort-sur-le-Mein (Allemagne,. Et ce-
pendant, si le tsar, devant ces inscrip-
tions intentionnellement répétées, a cojiclu
que nous étions plus chrétiens qu'on ne
le dit et que nous pratiquions l'oubli des
injures, il a fait, sauf respect, erreur.
Nous espérons, au contraire, que, malgré
ses guides officiels et les inscriptions, il
a deviné le cri qui était au fond de
toutes ces poitrines d'hommes frémis-
santes sur son passage, et qu'on ne rete-
nait que par respect, et qu'il a compris que
ce peuple n'avait fait choix de son amitié
que par haine. Si vous doutez de ces sen-
timents de la France, arrêtez le premier
ouvrier, le premier paysan venu et lui
dites , sans discours : Prussien ! L'Alle-
magne est toujours notre ennemie. Mais
nous en avons une deuxième : l'Angleterre.
L'Angleterre est notre ennemie depuis
le combat de Brenneville, en 1 1 l'J. Depuis,
nous avons eu avec elle deux guerres de
cent ans : 1338-14:i3, iG88-17I.j. S'il est
ennemi héréditaire, c'est bien celui-là. La
querelle, cependant, s'était apaisée. L'An-
gleterre nous avait combattu, tout le long
du siècle dernier, pour nous prendre nos
colonies : elle les avait prises. Elle se mit
alors à nous embrasser en la personne de
Louis-Philippe. Mais voilà-t-il pas que nous
nous refaisons un nouvel empire colonial"?
que la République se mêle de questions
africaines, asiatiques, qui ne la regardent
point, qui ne regardent que l'Angleterre"?
Et la querelle renait entre les coloniaux
anglais, c'est-à-dire entre tous les Anglais,
et les coloniaux français, qui commencent,
Dieu merci! à faire nombre.
Voilà pourquoi, depuis vingt ans, nous
grognons vers l'Est , nous aboyons vers
l'Ouest. Cela est très fatigant, et ce pour-
12(5
ÉVÉNEMENTS GÉOG H A PH IQUES
rait L'Ire dangereux. Ce que nous risquons,
en effet, et à tout moment , c'est de faire
sur notre dos l'accord entre nos deux en-
nemis. M. Chamberlain, ministre anglais
des colonies, ne vient-il pas de le proposer
formellement à l'empereur allemand"? Nous
referions ainsi la faute et de Louis XV et
de Napoléon. L'historien anglais, Seeley,
recherchant les causes de la décadence
politique de la France au xyiii*^ siècle, con-
clut : « On peut dire d'elle qu'elle avait
trop de fers au feu. » N'ayons qu'un fer au
l'ensemble de son commerce maritime
atteint la somme de 20 milliards. Ces deux
chiffres comportent un enseignement. Les
journaux anglais nous menacent, nous
insultent : ouvrons le parapluie du philo-
sophe; insultes et menaces ruisselleront
par-dessus, et puis viendra le beau temps.
Ces journaux veulent nous intimider. S'ils
nous voient souriants et fermes, ils change-
ront d'attitude;... et nous pourrons espérer
apprendre, de notre vivant, que la Commis-
sion franco -anglaise a terminé ses travaux.
Ca/oftie, P'ctcclorH) f^ — ,
Ed>glb
L ' A F H I Q U E OCCIDENTALE ET CENTRALE FRANÇAISE DU S É N iî (i A L AT NIL
feu et battons-le bien. Il est donc néces-
saire de choisir.
Qu'on s'allie avec l'Allemagne et qu'on
se batte avec l'Angleterre pour le Niger :
je le veux bien; mais qu'on se décide. S'al-
lier avec l'Allemagne ! Quel Français ne
sent quelque part, dans son être le plus
intime, sa chair se révolter à la seule
pensée de ce fait"? Donc, la supposition
est absurde. Mais alors n'est-il point puéril
de montrer les dents à l'Angleterre quand
nous avons la conscience d'autres devoirs
à accomplir ?
Montrer les dents à quelqu'un, quand on
ne veut ou qu'on ne peut se battre, est
toujours^angereux ; cela peut être parfois
nécessaire. Je ne crois pas que ce soit ici
le cas, et que l'Angleterre elle-même
veuille réellement la guerre. Dans une
lutte avec une grande puissance maritime,
l'Angleterre, fût-elle pleinement victo-
rieuse, aurait trop à perdre et trop peu à
gagner. M. John Morley rappelait, l'autre
jour, que le commerce de l'Angleterre avec
toutes ses colonies de l'ouest africain
s'élève à 160 millions de francs, tandis que
x\ussi bien aurions - nous aujourd'hui
mauvaise grâce à nous plaindre trop fort
de la lenteur de ces travaux. Pour la pre-
mière fois, depuis octobre 18'J7, quelque
bruit perce le mystère de la négociation ;
dans le môme temps, des nouvelles nous
arrivent des quatre coiijs de cette Afrique
centrale française, qui s'étend désormais
de l'Atlantique au Nil. A l'ouest, dans la
boucle du Niger, prises de Bondoukou, de
Sikasso, deTs'ikki; au centre, ai'rivée de
l'exploration Gentil au Tchad; à l'est, vers
le Nil, progrès de la mission Liotard Mar-
chand. Toutes ces questions, si impor-
tantes, viennent à la fois au jour de r«ac-
tualité'»; sans attendre les conclusions,
nous commencerons leur examen.
Dans les pays qu'enserre la boucle du
Niger, l'action de la France se heurtait à
deux obstacles. A l'ouest, entre le Cavally
et la Volta, les bandes de Samory cou-
paient notre Côte d'Ivoire de notre Soudan.
A l'est, entre le Dahomey, le Bas et le
Moyen Niger, l'Angleterre opposait à nos
ÉVÉNEMENTS G ÉOG 11 A PII IQ UES
revendications dinjuslifiables prélentions.
Dans noire relation de la belle explo-
ration du lieutenant Voulot , en octobre
dernier, nous montrions le danger que
présentait pour nous la présence sur nos
territoires des sofas de Samory — dont la
mort n'a pas été conlirméo — et de son
fils Sarali-Kéni, et demandions « la des-
truction immédiate de ces bandes ou bien
— ce qui peut-être est plus difficile — un
arrano-emcnl immédiat avec leur chef •>.
dames à agir. Toutes les ouvertures de
paix, neuf tentatives de négociation, faites
par le lieutenant Alakamessa, au nom du
commandant de Monségur, par le colonel
Frey, le colonel Gallieni, le colonel Ar-
chinard, M. Grodet, le lieutenant-colonel
Monteil, la mission Braulot-Lasnet (1896),
MM. Nebout et Le Filliàtre (1897), avaient
été repoussées. Même, le capitaine Braulot,
le lieutenant Hunas, le sergent Myskiewicz
avaient été massacrés aux portes de
SUR I. E HAUT XIGER — VUE DU FORT DE BAMMAKO
Depuis cette époque, la situation est allée
en s'aggravant. L'exemple des sofas, la
crainte qu'ils inspirent, ont poussé les indi-
gènes à la résistance, encouragé les pré-
dications des marabouts fanatiques. '■ Jus-
qu'au Sénégal, les noirs en arrivent à
douter de notre puissance, nos tirailleurs
mêmes croient les sofas plus forts que nous,
puisque nous ne les écrasons pas, et sont
tentés par l'exemple de leurs pillages.
Bref, ce seul point, sur lequel notre auto-
rité n'a pas encore triomphé, est une
cause d'inquiétude et d'incertitude pour
tout le Soudan; il compromet l'équilibre
que nous avons à maintenir pour garder
d'immenses régions avec les faibles effec-
tifs dont nous disposons. » De cette situa-
tion, les Anglais ont profité. Ils se sont
rapprochés de Samory, ont affiché pour
ce chef esclavagiste des sentiments d'a-
mitié, ont parlé de protectorat. Déjà, ils
émettaient la prétention d'intervenir entre
nous et lui, déjà ils occupaient Bondoukou,
Bouna, villes françaises, longtemps exploi-
tées par Samory. Alors, nous nous déci-
Bouna 20 août 1897). Il n'était plus permis
de conserver quelque illusion sur les bons
sentiments de Samory ; et nous nous dé-
cidâmes à l'action.
Les bandes de Samory tenaient tout le
pays de Kong et de Bouna, du Cavally à
la Volta noire. Elles séparaient nos postes
du Soudan central et ceux de la Côte
d'Ivoire. Le plan adopté fut de les refouler
progressivement vers le centre de la ré-
gion qu'elles dévastaient, de leur enlever
les centres de population, de les diviser,
de les disperser dans la brousse. D'une
façon particulière, il était recommandé de
couper le contact entre ces bandes et les
postes anglais de la Côte d'Or. De février
à mai 1897, le lieutenant Blondiaux par-
courut, étudia et occupa le pays à l'ouest
de Kong, de Beyla à Sakala. Dans l'est,
en décembre, l'administrateur Clozel, parti
d'Assikasso, poste dans le nord-est de la
Côte d'Ivoire, atteignait Bondoukou et s'y
installait. 11 trouvait cette ville ruinée et
rendue déserte par Samorj'; sur la route,
des crânes blanchissaient au soleil. En
128
ÉVÉNEMENTS GÉOGRAPHIQUES
janvier de cette année, les lieutenants De-
mars et Méchet, partis, ainsi que M. Clo-
zel, de la Ilaute-Comoé, apprenaient que
le centre important de Kong était presque
démuni de défense , et y pénétraient.
Samory accourut, investit la ville, l'at-
taqua avec 2,000 à 3,000 sofas, armés de
fusils à tir rapide. Du 12 au 27 février,
nos tirailleurs défendirent héroïquement
leur poste improvisé ; le commandant
au point du jour, dura jusqu'à trois heures
de l'après-midi. 11 fallut ouvrir une brèche
avec les obus à méliiiite, puis conquérir le
village, maison par maison. Le roi nègre
se fit tuer, avec toute sa garde. Les lieu-
tenants Gallet et Loudy furent tués.
La prise de Sikasso, l'occupation de
Kong et de Bondoukou nous assurent la
possession tranquille de la vaste région
comprise entre le Haut-Niger et la Volta
DANS LE SOUDAN FRANÇAIS
Caudrelier put enfin être prévenu et ac-
courut. Plus au Nord, nous occupions dans
le même temps Bobodioulasou. Ainsi était
accomplie la jonction entre nos postes du
Nord et ceux du Sud; Samory, désormais
Jjattu de toutes parts, est entouré de postes
français. Il esta notre merci.
Babemba,/a?nrt de Sikasso, avait songé
dans ces derniers temps à se ranger aux
côtés de Samory, contre nous. Celte dé-
fection — son prédécesseur, Tiéba, avait
été notre fidèle allié — menaçait de porter
le tçouble jusqu'au centre de notre Sou-
dan, sur les bords du Haut-Niger. En
février dernier, le capitaine Morisson fut
envoyé en mission auprès do Babemba ; il
fut fort mal reçu. Le 1" mai, le lieutenant-
colonel Audéoud, lieutenant-gouverneur
du Soudan français, attaquait Sikasso. La
place était fortifiée ; l'attaque, commencée
noire. Après un dernier effort, ([ui nous
délivrera définitivement de l'esclavagiste
Samory, notre œuvre de conquête sera
terminée en ce pays ; il ne nous restera
plus qu'à le mettre en valeur.
Dans la moitié orientale de la boucle du
Niger, à l'est de la Volta noire, nous
sommes aux prises — diplomatiquement —
avec les Anglais. Et c'est ici le lieu d'ex-
poser la tâche de la Commission anglo-
française.
Voici les prétentions des deux pays.
En 181)0, sur Taflirmation que la Compa-
gnie Royale du Niger avait fait accepter
son protectorat au grand empire du Sokoto,
M. Ribot abandonna à l'Angleterre le So-
koto et le Bornou ; une ligne partant de
Say, sur le Niger, et aboutissant à Baroua,
ÉVÉNEMENTS GÉOGRAPHIQUES
129
sur le Tchad, formait la limite sud des
territoires soumis à notre influence, dans
l'arrière-pays de l'Algéric-Tunisie. Nous
verrons ce que nous gagnions à cet arran-
gement. Mais ce succès ne suffit pas à
l'Angleterre. Deux ans plus tard, lord
Rosebery émit la prétention que la ligne
de démarcation, depuis Say, devait, dans
l'intention des négociateurs, tomber droit
au sud vers la mer. « En octobre 1894,
avons acquis, par traités en bonne et due
forme, Gomba et Boussa : nous laisserons-
nous dépouiller?
Cette question s'adresse à nos commis-
saires. 11 faut avouer que la tâche de ces
derniers est des plus difficiles. Pour les
territoires dont il s'agit, aucun traité anté-
rieur n'est valable. La convention du
5 août 1890 dit en propres termes : <( Les
commissaires auront également pour mis-
D A N s LE SOUDAN FRANÇAIS
Intérieur d'un village indigène après l'attaque.
révèle le Times, son gouvernement notifia
à l'Allemagne l'extension du protectorat
britannique sur toute la région située à
l'est d'une ligne tirée de la frontière du
Lagos jusqu'à Say, el, en janvier 1895, la
même notification l'ut faite à la France. »
Aujourd'hui, semble-t-il, les prétentions
anglaises ont été encore augmentées. Une
carte récente de VAfrican Revieic donne à
nos voisins non seulement le Nikki et le
Borgou tout entier, mais encore le Gourma,
le Mossi, le Gourounsi, tout le pays entre
le moyen Niger et la Volta noire. — En
France, nous considérons justement que la
convention de 1890 n'intéressait que les
pays de la rive gauche du Niger et nous
prétendons garder, sur la rive droite, les
protectorats que nous avons trop souvent
payés du sang de nos officiers. Nous avions
besoin de ports sur le moyen Niger ; nous
VIII. — 9.
sion de déterminer les zones d'influences
respectives des deux pays dans la région
qui s'étend à l'ouest et au sud du moyen
et du haut Niger. ->■> Ou les mots ne signi-
fient rien, ou lord Salisbury et M. Wad-
dington, les signataires de cet accord,
entendaient qu'à l'ouest du moyen Niger
la (c détermination des zones d'influences»
restait à faire. Sur quelle base devait se
faire cette future détermination ? L'acte
général de la conférence de Berlin, qui fait
loi en cette matière, déclare que les puis-
sances auront l'obligation d'assurer « l'exis-
tence d'une autorité suffisante » dans les
territoires occupés par elle, pour « faire
respecter les droits acquis ». C'est donc
Voccupation effective qui crée le droit des
nations européennes en Afrique.
Pour la plupart, les territoires dont il
s'agit ont été parcourus par des envoyés
130
ÉVÉNEMENTS GÉOGRAPHIQUES
des deux pays. Si nos commissaires sont
munis des traités que nos officiers ont
signés à l'ouest du Niger, les commissaires
anglais ont les poches bourrées des traités
de leurs officiers. Quels sont les traités
valables? Nous sommes payés pour savoir
DANS LE SOUDAN PRANf'AIS
ce que valent les papiers dont se prévaut
contre nous l'Angleterre. Nous rappelions
la convention de 1890; le souvenir en est
instructif pour nous. L'influence anglaise,
affirmait-on à cette date, s'étend jusqu'à
Sokoto : elle dépassait à peine Lokodja!
Nous y fûmes pris ; notre heureux adver-
saire, lord Salisbury, eut le triomplie mé-
chant : « Le terrain cédé à la France,
déclara-t-il publiquement, est ce qu'un
agriculteur appellerait un sol léger, très
léger; en fait, c'est le désert du Sahara. »
Ce traité ne nous donnait que du sable.
Nous voudrions bien, cette fois, un sol
moins léger. Depuis 1890, ce jeu des petits
papiers a continué ; mais aujourd'hui nous
sommes fixés sur la valeur des traités
anglais.
Quelle que soit leur valeur, ces papiers
servent d'arguments aux commissaires an-
glais ; nous ne pouvons ne
pas en tenir compte. Or la
détermination de leur valeur
exacte est bien difficile à
faire, parfois même impos-
sible : et c'est précisément
pourquoi la négociation ac-
tuelle se poursuit si long-
temps . Malgré tous nos
droits, elle ne pourrait abou-
tir, si nous nous refusions à
toute concession ; et il est
nécessaire qu'elle aboutisse
sans relard. La mise en va-
leur de vastes régions est à
ce prix. Comme nous le
fîmes avec l'Allemagne, l'an
passé, pour le Gourma que
nous gardâmes et le San-
sanné-Mango que nous aban-
donnâmes, nous devons par-
tager le différend. Sans
aller, comme en 1890, jus-
qu'à des concessions ridi-
cules et dont nos adversaires
ont ri les premiers, nous
devons nous pénétrer de
cette idée, que cette portion
du Soudan ne nous servira,
ne sera exploitable que lors-
que nos titres de possession
y seront indiscutés.
Nous venions d'écrire ces
lignes, lorsque la nouvelle
fut publiée que la Commis-
sion venait de terminer ses
travaux. Les commissaires
ont signé, le 14 juin, l'ar-
rangement relatif aux affai-
res de l'Afrique occidentale
et du Niger. Nous exami-
nerons celte convention le
mois prochain. Nous ne
pouvons dire aujourd'hui
que ceci : la convention territoriale, qui
nous laisse Bouna et Nikki, nous prend
Oua, Ilo et Boussa, est faite de bonne
volonté mutuelle et de concessions réci-
proques. Il faut regretter toutefois que
désormais nos colonies de la côte et du
Niger soient ouvertes, jusqu'au dixième
parallèle, au commerce anglais. Les colo-
nies anglaises, il est vrai, sont dans la
même mesure ouvertes au nôtre. 11 semble
donc qu'il y ait égalité de droits ; mais,
à Liverpool, on nous connaît et on a illu-
miné.
Gaston Rouvier.
JEUNE FILLE
CHRONIQUE THÉÂTRALE
Les clichés ont fait leur temps, et qui
sait observer remarque, à d'innombrables
et indéniables signes, une transformation
lente, mystérieuse et certaine dans les
coutumes, les mœurs spéciales du monde
des théâtres... C'est ainsi que, du temps
quasi préhistorique (déjà!) où Auguste Vil-
lemot étincelait en chroniques figaresques,
le public des premières brillait d'un
éblouissant éclat. Il suffit de relire les
Premiers-Paris de l'aimable écrivain bou-
levardier pour se rendre compte de l'abîme
creusé entre ce qu'on appelait alors la So-
ciété et la coterie liigarrée qui tiendrait à
l'heure actuelle le haut du pavé, s'il y
avait encore un « pavé » quelconque, et si
« haut » et « bas « n'étaient depuis long-
temps confondus. Au temps, relativement
récent, des « crinolines », Paris appar-
tenait à une élite qui faisait et défaisait à
sa guise les réputations, proclamait les cé-
lébrités et rendait sur tout ce qui se rap-
portait aux plaisirs, aux arts, aux mani-
festations de l'esprit, des jugements
définitifs qui, pour n'être pas toujours
ratifiés immédiatement par l'opinion pu-
blique, n'en étaient pas moins sans appel
et Unissaient à la longue, étant, en somme,
rendus par des juges dont la compétence
ne pouvait être mise en doute, par s'im-
poser au grand public et prenaient dès
lors l'autorité de la chose jugée... Quand
une première avait été bonne, la pièce
était certaine de fournir une belle car-
rière, et le public — j'entends le vidgum
2)eciis — se répétait : « Il faut aller voir ça!
II paraît que c'est très bien ! >> Aujour-
d'hui il en va tout différemment. Le public
des premières a perdu toute autorité ! Que
dis-je? Il suffit même, en bien des cas, et
les exemples sont si nombreux que je dé-
daigne d'en citer un seul, que telle pièce
ait remporté un succès le premier soir,
succès constaté par toute la presse, pour
que le public se tienne sur ses gardes. Par
contre, telle autre aura été accueillie froi-
dement par les esthètes, qui s'éternisera
sur les affiches. Il n'est pas rare, dans
tous les mondes — je veux dire ceux qui,
dans un journal, lisent autre chose que les
échos à scandale, les polémiques enveni-
mées, les crimes sensationnels ou le ré-
sultat complet des courses — d'entendre
des dialogues de ce genre : n Que dit-on
de la pièce d'Un Tel? — • C'est un succès !
La presse est excellente ! — Diable! je me
méfie. ') Et vice versa! Comment cela
a-t-il marché, hier soir, aux Fantaisies-
Dramatiques? — Un four ! Presse détes-
table! — Tiens! tiens ! mais alors... J'irai
voir ça ! » Soyons sincères et reconnais-
sons la vérité, quelque humiliation qu'il y
ait pour notre amour-propre. Pourquoi?...
Ah ! pourquoi ! Les causes de cette défaveur
sont multiples et il serait trop long de les
étudier ici en détail... L'élite d'autrefois a
disparu ou s'abstient. Les journaux se
sont multipliés. La quantité des critiques
ne supplée pas à la qualité de jadis. A
part quelques maîtres survivants de l'an-
cienne magistrature esthétique, et un
nombre restreint de nouveaux, experts as-
surément, mais hautains dans leurs juge-
ments, méprisant — non sans raison peut-
être — les compromis et l'indulgence, et,
par ce fait, étrangers au public sans cesse
plus nombreux qui fréquente les théâtres,
le sacerdoce est exercé actuellement par
d'honnêtes gens auxquels les questions
théâtrales sont absolument étrangères,
qui ne s'y intéressent que pour le plaisir
snob qu'elles procurent et ignorent volon-
tairement les obligations ({u'elles impo-
sent. Peu habitués à penser par eux-
mêmes, à juger, à exprimer judicieusement
et suivant un critérium indépendant une
opinion motivée, ils s'embrigadent doci-
lement derrière un chef de file, élu au
hasard des popularités de couloirs, et ren-
dent, sans savoir au juste pourquoi, des
jugements frappés inévitablement d'in-
capacité... M. Tout le Monde, qui n'est
point un sot, les casse, parfois injustement,
je le concède, et prend un malin plaisir à
s'inscrire en faux... Coteries! direz-vous?...
Eh! non. 11 y avait tout autant de coteries
jadis, peut-être plus même qu'aujourd'hui,
mais du moins le niveau était sensiblement
plus élevé, l'instruction plus complète,
l'éducation plus parfaite. Le critique pos-
sédait, à défaut d'autres mérites, une qua-
lité assez utile dans cette profession qui
était un art et qui est tombée presque au
métier, il avait le sens critique ! ... M. de la
Palisse en conviendrait sans peine et
M. de la Palisse n'était pas le premier
venu... encore moins le dernier... Etaient-
ils donc infaillibles? Oh! que non! mais
'du moins leurs jugements étaient raisonnes,
sinon raisonnables, et quand Villemot —
je cite de nouveau ce nom puisqu'il est
venu tout à l'heure au bout de ma plume —
prenait, avec une partialité évidente, fait et
cause pour la Ristori contre Rachel, ses
jugements étaient, sinon irréfutables, du
moins difficiles à réfuter...
II y a donc antagonisme évident entre
le critique et le public ; demain il y aura
schisme. Ceci est de toute évidence, si on
n'y prend garde et si la critique, à qui, en
somme, incombe la responsabilité entière
de l'état de choses actuel, ne prend pas
132
CHHONIQUE THEATRALE
rapidement les mesures radicales que com-
porte la situation. Déjà elle a été obligée
en bien des cas de céder la place « au
compte rendu », le jour n'est pas éloigné
oîi elle se verra dépossédée de son fief
parla « réclame payée... » à l'américaine,
et alors, bonsoir l'illustre compagnie ! La
plume de Jules Janin, de Théophile Gau-
tier, de Sainte-Beuve, de Saint-Victor et
de J.-J. Weiss sera définitivement brisée,
quand... X..., Y..., Z,.., n'en citons aucun
pour ne pas froisser les autres, ne seront
plus là pour la tenir.
La presse est devenue depuis dix ans la
proie du reportage grand et petit, — petit
surtout et policier même, — c'est là une
des causes principales de sa décadence
évidente. Girardin, en tuant Carrel, a tué
l'ancien journalisme, doctrinaire peut-être,
mais digne et sachant à coup sûr, et pour-
tant le domaine des arts : théâtre, musi-
que, peinture, sculpture, etc., était de-
meuré longtemps inviolé. 11 n'est déjà
plus inviolable...
C'est une question [ilus grave qu'elle ne
parait au premier abord. On s'en préoc-
cupe dans les milieux spéciaux, et avant
l'hiver vous la verrez s'imposer à tous.
J'ai voulu vous tenir au courant, lecteurs,
et — puisque informations il y a — vous
informer les premiers.
Et maintenant voici Zaza la pièce de
résistance du mois. Sur Zaza, ô miracle !
il y a eu entente. Critique et public se
sont mis d'accord, et encore bien que les
points de vue soient difTérents et les mo-
tifs de satisfaction divers, le plaisir des
uns a été partagé par les autres. On a dit
de Zaza que la pièce était bien faite : on
a même ajouté qu'elle était peut-être trop
bien faite ! La mariée était trop belle !
Comme si les pièces bien faites couraient
les rues! Mon Dieu! que nous sommesdonc
difficiles à contenter! Toujours est-il que
ces tableaux successifs oîi Zaza nous appa-
raît dans les diverses évolutions de son
cœur amoureux sont constamment atta-
chants par leur pittoresque et leur sincé-
rité. Il y a dans la pièce de MM. Pierre
Berton et Ch. Simon une observation très
exacte et très joyeuse à la fois d'un monde
tout spécial, celui des bouibouis de pro-
vince. C'est la seule œuvre de ce genre
que je connaisse, qui, mettant à la scène
un milieu aussi en dehors de la vie cou-
rante, ait réussi à intéresser le public. Jus-
qu'alors, le « monde théâtral » au théâtre,
ou bien le " monde journalistique », par
exemple, ne franchissaient pas la rampe.
La première passée, la masse du public
qui ne connaît pas les mœurs spéciales
s'en désintéresse d'ordinaire... D'oîi vient
alors que, dans Zaza, il soit pris jusqu'au
bout, qu'il rie et pleure, — car dans ce
drame on rit, car dans cette comédie on
pleure jusqu'à la fin, — c'est qu'il y a là
quelque chose de plus qu'une simple étude
de mœurs, il y a l'étude d'un cœur; on
nous y décrit avec une exactitude singu-
lière les angoisses, les élans, les douleurs
d'une âme féminine, et que c'est là un sujet
éternel. Qu'importe alors que la femme,
au lieu des classiques tuniques de la tra-
gédie noble, porte les oripeaux criards
d'une goualeuse de « beuglant » ! Phèdre,
Bérénice, Zaza sont des femmes , des
femmes qui aiment, qui souffrent, et le
langage dans lequel elles expriment leurs
joies ou leurs douleurs pénètre jusqu'au
fond des cœurs, parce qu'il exprime des
sentiments vrais. En écoutant le dialogue
d'une vérité phonographique , on songe
involontairement aux scènes de la comé-
die humaine d'Henri Monnier. C'est une
reproduction fidèle, saisissante par sa vé-
rité sans apprêts. Les auteurs se sont
effacés devant le réalisme ; ils n'ont re-
culé devant aucun truisme , parce que,
dans le cabaret du père Malardot, les liai-
sons grammaticales sont aussi dangereuses
que les autres et que les imparfaits du
subjonctif sont des Heurs délicates qui ne
s'épanouissent que difficilement dans ces
jardins mal entretenus. Mais, par une co-
quetterie dont il faut leur tenir compte,
ils prennent leur revanche d'écrivains sou-
cieux de la forme au dernier acte, celui où
Zaza devenue grande artiste peut, sans
étonner, respecter les règles de la syntaxe
et célébrer l'accord des participes. La
pièce est bien montée et le principal rôle
est tenu par M""' Réjane.
A part la Grand'mère, à l'Odéon, une
page du Ihéâtre en liberté, de Victor Hugo,
qu'on aurait aussi bien fait de laisser au
livre sans la transporter sur la scène, le
mois ne nous a fourni que des reprises.
Célimare le bien-aimé à la Comédie fran-
çaise et le Chapeau de paille d'Italie aux
Variétés... Du Labiche sur toute la ligne.
Les deux ouvrages, d'une fantaisie légère
et sans façon, étaient bien à leur place sur
les planches bon enfant du Palais-Royal...
Oh ! Valmajour, tambourinaire de Numa
Boiimextan , pourquoi as-tu quitté ta rouge
Provence, où tu grilles sans te consumer
au soleil, pour venir brûler tes ailes et
flamber ton galoubet à la flamme des lus-
tres parisiens ?
Maurice Lefevre.
P. -S. — S'il est vrai que les théâtres à
côté et les sociétés dramatiques ont rendu
et rendront encore d'inappréciables ser-
CHRONIQUE THÉÂTRALE
133
vices à l'arl théâtral, l'expérience faite à
la Bodinière, le mois dernier, par le Gar-
dénia, en est une preuve convaincante. Le
Ciardénia est un cercle privé dont les
membres appartiennent au monde des
lettres et des arts. Chaque année, dans
une fête qui a lieu tantôt ici ou tantôt là,
il produit une œuvre inédite, olfre ensuite
un souper, et le tout se termine par une
intime sauterie. Comme vous le voyez,
c'est charmant ; mais nul ne s'avisait de
penser que sous ces apparences bénévoles,
qu'en dehors de petits actes en vers joli-
ment tournés , d'à-propos en prose élé-
gante, il pût sortir de là, non pas une
nouvelle formule d'art dramatique, mais
un élan énergiquement poussé vers la
représentation ejacte de la vie au théâtre?
C'est pourtant ce qui a eu lieu l'autre fois
et vous m'en voyez encore tout étonné,
charmé même. Abandonnant les petits
actes aimables, les à-propos gracieux dont
je parlais tout à l'heure, le Gardénia s'est
pris corps à corps avec une étude de mœurs
en trois actes. Notre oncle, dont l'auteur est.
le signataire habituel de ce feuilleton dra-
matique.
Je n'ai pas à faire, ici surtout, l'éloge de
Maurice Lefevre, de l'écrivain charmant,
du conférencier disert et documenté, —
ceux qui le lisent et ceux qui l'entendent
l'ont depuis longtemps jugé ; c'est assez
dire que sa pièce, qu'on savait violente,
était attendue avec impatience et déjà dis-
cutée devant que les chandelles fussent
allumées. Cette curiosité n'a pas été dé-
çue. Notre oncle est certainement l'étude,
la plus aiguë qui soit, d'une situation et
de trois caractères.
Un usinier, M. Lormier, a recueilli la fil-
lette d'un ouvrier tué à son service acciden-
tellement ; cette enfant a grandi ; devenue
jeune fille, elle passe pour être la maî-
tresse de son protecteur, lequel, autant
pour faire taire les médisants que pour gar-
der auprès de lui cet enfant qu'il aime, un
peu en égoïste d'ailleurs, ceci est à retenir,
lui demande de devenir vraiment sa femme.
Juliette, surprise, révoltée, consent pour-
tant, par reconnaissance un peu et aussi
par peur de celle misère entrevue dans
son enfance et dont elle gardé l'épouvante.
Tout ceci s'est passé avant que la toile
se lève sur l'acte premier et quand celui-ci
commence, nous voyons Lormier faire
donation de sa fortune à sa femme, malgré
les remontrances de son ami et notaire,
M® Lampérière, finement silhouetté par
M. Th. Huguenet. Juliette dérange les
deux hommes. Elle descend au salon pour
se mettre à la disposition d'un peintre,
Lucien Montclair, auquel Lormier a com-
mandé le portrait de sa femme. Dès ce
moment, l'auteur, avec une énergie habile,
entre dans la brutalité de son action :
Lormier est là qui cause avec sa femme.
Juliette, par son attitude, son instinctive
répugnance, nous montre tout ce qui
l'éloigné de Ihomme à qui elle est liée.
Montclair survient pour la dernière séance
et Juliette renvoie son mari, qui, causant
art avec le peintre, lui fait perdre son
temps. Aussitôt que Lormier est sorti^
Montclair s'exclame :
— Il est rigolo, le vieux.
— Tu trouves, loi, répond Juliette.
Ainsi c'est fait ! Sans préparation, sans
artifice, sans même prendre la précaution
d'atténuer ce que la situation a de violent,
l'auteur pose son problème, comme le
chirurgien porte son outil sur une chair
malade, sans laisser au patient le temps
de s'angoisser dans l'altenle.
Juliette est donc la maîtresse de Mont-
clair, et cela, c'était fatal. Vivant en de-
hors d'un monde qui la méprisait avant
son mariage et quelle méprise depuis,
Juliette devait se trouver sans force devant
le joyeux garçon, gouailleur, un peu
bohème, au rire clair, amoureux de la vie
et de l'amour, qui s'est trouvé sur son
passage. Elle lui conte sa vie, son mariage,
celle nuit de noces, où, blessée dans toutes
les délicatesses de la vierge, elle resta
victorieuse devant l'unique tentative de
Lormier, qui depuis est redevenu le père,
le tuteur, n'ayant été le mari que de nom.
Juliette à ses propres yeux est toujours
une honnête femme, elle n"a aimé qu'un
homme, à cet homme elle sesl donnée,
elle le suivra, malgré tous, et en cela Ju-
liette nous apparaît bien comme une femme
obéissant avant tout à son instinct et rien
qu'à lui. L'acte se termine par la fuite des
deux amants et le retour de Lormier au
foyer désert, à jamais endeuillé par le dé-
part de celte femme qu'il aimait comme
on aime surtout son enfant. En partant
Juliette a pris quelque argent; mais elle a
laissé, indifférente, l'acte en vertu duquel
Lormier lui abandonnait une partie de sa
fortune.
Au deuxième acte, dans une mansarde,
Juliette et Montclair, comme c'était à pré-
voir, sont dans la misère, dans celte hor-
rible misère, contre laquelle les cœurs
s'émoussent et se brisent. Il n'y a plus
rien dans la chambre, mais il y a toutes
les heures un créancier à la porte. Rien,
plus rien, ni à vendre, ni à mettre au clou.
Si fait, pourtant, encore quelque chose,
un morceau de Chantilly que Juliette a
sur sa dernière robe propre. Montclair,
insouciant, inconscient aussi, dégringole
les six étages pour engager ce bout de den-
telle qui représente au moins de quoi man-
ger. Juliette reste seule. On sonne, mais son
apprentissage est fait, elle sait que ce n'est
13 i
CHRONIQUE THÉÂTRALE
pas une commande, plutôt une récla-
mation, elle n'ouvre pas ; on resonne encore,
et chaque fois d'une façon plus persuasive,
plus douce. Comme entraînée, elle ouvre :
c'est Lormier ! Oui, c'est lui ; mais non
pas en mari outragé, armé de son droit,
mais en père qui veut le bonheur de son
enfant, qui ne voit que son devoir après
son erreur et qui dit : J'ai eu tort de te
prendre pour femme, tu étais ma fille —
ma fille tu es toujours, et quand Montclair
remonte chargé de victuailles, Lormier,
après avoir démontré jusqu'à l'évidence
pourquoi, dans l'intérêt du bonheur même
de Juliette, il ne peut et ne doit ni di-
vorcer ni la reprendre, dicte ses condi-
tions : Montclair a du talent, mais il est
bohème, ce sera toujours la misère, la
médiocrité si un être sensé et pratique ne
dirige l'intérieur : cet être sera ce Lormier.
Lormier qui n'a été mari que de nom, mais
qui est resté le père moral de Juliette. Tous
les amis de Montclair croient Juliette sa
femme légitime, il n'y aura rien de changé
et puisqu'on sait Juliette orpheline, que
Lormier ne peut être ni son père, ni son
mari, il sera son oncle. Notre oncle. Au
troisième acte, Lormier a tenu parole, Mont-
clair est célèbre, officier de la Légion d'hon-
neur, en passe d'être de l'Institut, mais
hélas! l'amour n'est plus là et Montclair
n'hésite pas à faire la cour à une certaine
M'"" Thi\onier, vieille rouleuse des salons
académiques, escornifleuse d'art et de
lettres, qui, par son mari et ses amants,
dispose de trois voix. Juliette le sait, elle
souffre, elle essaye d'empêcher Lucien d'al-
ler à un rendez-vous avec la Thivonier, mais
inutilement. Celui-ci parti, elle s'en prend à
Lormier, lui reprochant en termes amers
et injustes son indifférence, elle le conjure,
elle le supplie de lui ramener Lucien,
sa vie, son amour. Le bonhomme a tout
vu, mais prudemment s'était tu pour re-
culer une catastrophe qu'il sent, hélas!
inévitable; il promet de tout faire, il a
des droits, des pouvoirs, et si quelqu'un
se brise dans l'alTaire, ce ne sera pas lui.
Quand Montclair revient, furieux d'avoir
manqué le rendez-vous , l'explication a
lieu, Lormier démontre à Montclair qu'il
est son prisonnier, qu'il ne peut rien faire
sans lui. En effet, pour tout ce beau
monde auquel Montclair s'est mêlé, il est
le mari de Juliette. Lormier, c'est le parent
dévoué, l'oncle ! Que dira-t-on en appre-
nant l'existence de ce ménage à trois ? Ce
sera le discrédit, la vengeance de tous les
jaloux, des envieux, des amis. Ce sera
l'Institut flambé et Montclair, convaincu.
mais mis hors de lui par cette fatalité
contre laquelle il ne peut rien, en proie à
une rage froide, insulte Lormier à son
tour, l'accuse d'infâmes choses ; les deux
hommes, comme des brutes déchaînées, se
sautent à la gorge et Montclair tombant se
tue sur l'angle d'une cheminée, mais en
mourant il jette à Lormier une dernière
insulte. Cependant que Lormier, debout
devant le cadavre, dit à Juliette éplorée :
Ma pauvre enfant, vous êtes veuve! Toute la
moralité de la pièce est là : un homme
reprend son rôle de père, après avoir été
mari seulement aux termes delà loi et pour-
suit son rôle de père jusqu'au dernier mot.
Tel est dans ses grandes lignes ce drame
cruel et vrai, écrit sobrement, clairement,
avec une grande habileté; il n'y faut pas
voir une pièce de théâtre. L'auteur se dé-
fend d'en avoir voulu faire une, et il a
raison, car le théâtre ne peut être exploité
que par des sentiments et des cas géné-
raux; s'il reste l'éducateur qu'on veut faire
de lui, l'exception d'une situation, si bien
traitée qu'elle soit, est en dehors de ce
caractère. II faut donc savoir gré à Mau-
rice Lefevre de n'avoir obéi qu'au souci
de noter sincèrement et avec art un fait
dont il a été instruit, de l'avoir fait avec
une aisance et une énergie peu communes,
d'en être resté, en un mot, l'historien et
le commentateur, sans vouloir songer
qu'en l'atténuant on en pouvait battre
monnaie.
M'^'' Dauphin, du Gymnase, avait assumé
la lourde tâche de personnifier Juliette; la
besogne n'était ni commode, ni dépourvue
de danger. M"® Dauphin s'en est tirée avec
un véritable triomphe, le jouant en comé-
dienne experte et sûre d'elle-même, pleine
d'énergie et de volonté, sachant aussi
rester femme. Cette création fait le plus
grand honneur à cette jeune fille et marque
pour elle le début d'une carrière dont
nous saluerons les succès.
M. Mayer, du Grand-Guignol, a créé le
rôle épineux de Lormier d'une façon ma-
gistrale, tour à tour câlin , bonhomme,
autoritaire et brutal. M. Henri Girard, de
la Renaissance, a su mettre en relief les
deux aspects de Montclair, le bohème et
l'homme arrivé, tour à tour insouciant,
gouailleur, léger, puis hautain, dur, vio-
lent ; il a su tirer parti de tous ces effets
avec une autorité incontestable et une
grande intelligence. Je renomme pour mé-
moire M. Th. Huguenet, qiii a finement
dessiné la silhouette du notaire.
E.-M. Laumann.
LA MUSIQUE
D'un bout à l'autre de Fervmi!, M. d'Iiiily fait
œuvre d'artiste ; sans une faiblesse comme sans une
concession.
LÉON Kkrst.
Fervaal, Taclion musicale en trois actes
et un prologue de M. d'Indy, est une
oeuvre fertile en discussions. Mais avant
toute chose, il convient de féliciter M. Al-
bert Carré d'avoir courageusement pré-
senté au public la première et sérieuse
récolte de l'influence faste ou néfaste —
l'avenir se prononcera — non de l'esthé-
tique musicale de Wagner, mais de ses
formules.
M. d'Indy a écrit (très louable tentative
qui lui a pleinement réussi) un poème en
vers libres, ou plutôt en prose assonnante
et rythmée, qui renferme des
beautés littéraires et poétiques
de premier ordre.
Prologue. — Fervaal par-
court, en compagnie du druide
Arfagard, l'extrême midi de la
France. Ils sont assaillis, et,
en se défendant, Fervaal trans-
percé par une flèche tombe
inerte au pied d'un arbre.
Arfagard, une hache à la main,
veut le défendre jusqu'à la
mort; lorsque Guilhen l'en-
chanteresse, vêtue de riches
étofl"es d'Orient, escortée d'une
nombreuse suite de cavaliers
maures, vient les secourir. Elle
offre à Arfagard, qui, après
bien de farouches hésitations,
accepte, de sauver Fervaal.
Premier acte. — Arfagard
réveille Fervaal endormi sous
un vieil olivier. Il l'engage ii
revêtir ses armes, à fuir, main-
tenant que la blessure est cica-
trisée ; et, pour le décider, il
lui révèle sa destinée. Fervaal
est le dernier descendant des
Nuées, race de chefs, race de
dieux ! En lui repose tout l'es-
poir de Cravann qui, seule
parmi les nations celtiques, a
conservé les croyances antiques.
Ce mot « seule » explique les
invraisemblances historiques
du poème plus fantastique que
réel de M. d'Indy.
L'orgueil a enthousiasmé le
jeune héros : il s'arme. Guilhen
apparaît. Pour s'armer de la sorte, oii
donc veut-il aller chasser? demande-t-elle.
Les traits de Fervaal s'attristent. Guilhen
redoute que la blessure ne se soit rou- I
verte, mais F'ervaal la rassure en lui
disant qu'il songe tristement à sa chère
patrie lointaine. Guilhen l'invite à lui
dévoiler sa souffrance cachée. Alors Fer-
vaal épanche son âme; il évoque (en fort
belles strophes littéraires dont la musique
embrume malheureusement la pénétrante
et enthousiaste poésie) les souvenirs de
son enfance, de ses premières armes, de
sa retraite au fond des bois sacrés. Alors,
celait la libre, la fière, Vauguste joie! jus-
qu'au jour où, mourant, Guilhen lui ap-
parut et lui apporta avec la guérison du
Vincent d'Indy, auteur de Fervaal.
corps l'incurable blessure de l'âme, la
douleur ! Mais cette douleur, Guilhen la
ressent, elle aussi : c'est l'amour ! Irrésis-
tiblement jetés dans les bras l'un de
136
LA MUSIQUE
Fautre, Fervaal s'écrie étonné, effrayé :
O prodige ! comme autrefois
En mon âme renaît la joie,
La joie de mes jeunes années...
Fervaal veut ravir Guilhen qui, douce-
ment, se laisse choir en ses bras. La joie
renaît douloureusement! ils murmurent en
restant tendrement enlacés :
GUILHEN
Dou . Icnr char . mante!
(Comme le faisait souvent Gounod, cette
jolie phrase se répète à la tierce.)
A l'appel d'Arfagard, l'ervaal s'écrie :
Voix de la douleur, tais-toi, tais-toi!
Guilhen consent à partir avec lui. Mais
non, il se souvient, il ne peut l'emmener,
ce serait un crime !... Guilhen lui décrit
avec enthousiasme le chaud pays où naît
le soleil, le sien ; où fleurit l'amour aux
jjarfuvis mystiques !... Je t'aime! Je suis à
toi! murmure Fervaal oubliant et parju-
rant le serment de Véternel renoncement au
charme impur de la femme. Lorsqu'il sort
de son égarement, réappelé par Arfagard,
éperdu, il se dégage de l'étreinte de Guil-
hen, qui se traîne à ses pieds, et il s'enfuit
en s'écriant : Maudit soit Vamour ! Abandon-
née, Guilhen revient peu à peu à elle : et,
lorsqu'elle ne peut plus douter de son iso-
lement, sa douleur se change en colère,
en haine, en esprit de vengeance! Elle
évoque les invincibles forces destructives
de la nature, et répondant à son peuple
révolté par la misère, elle lui prêche l'in-
vasion de Cravann où il trouvera tout en
abondance!
Deuxième acte. — Au moment où Fer-
vaal veut avouer à Arfagard qu'il a violé
son serment, celui-ci lui impose silence.
En effet, un mystère se prépare, un miracle
s'accomplit sur l'autel druidique. On voit
apparaître les formes primordiales, puis
les nuées, sous l'aspect d'un reptile fabu-
leux; et finalement, Kaito qui réédite la
terrible prophétie :
Si le serment est violé,
Si la loi antique est brisée.
Si l'amour règne sur le monde.
Le cycle d'Esus est fermé.
Seule la mort.
L'injurieuse mort appellera la vie.
La nouvelle vie naîtra de la mort.
Arfagard est troublé. Ressaisissant ses
esprits, il envoie Fervaal revêtir ses armes
pour paraître devant le conseil qui va se
réunir. En effet, les chefs sont arrivés ;
Arfagard leur annonce que Cravann est
menacée ! Tous veulent être nommés
Brenn de guerre. Zèle, ambition inutiles !
car le chef désigné par l'oracle est Fer-
vaal, fils de Raidrig, qui apparaît superbe
en son armure étincelante.
Ici, la musique, je ne dirais pas beau-
coup plus conventionnelle, mais beaucoup
moins égoïste, en ce sens que l'auteur n'a
plus écrit pour lui, mais pour le public ;
Lent et majestueux
Ped * Ped *
ici, la musique est plus adéquate avec le
livret. Et, jusqu'à la fin de cet acte, nous
trouverons, enfin! quelques beaux motifs
musicaux, larges et majestueux.
Le chœur sonore et martial qui précède
Ten
le discours qu'adresse Fervaal à tous les
chefs des libres pays celtiques, est réelle-
ment d'une belle allure.
La cérémonie druidique commence par
ce chœur d'un joli caractère religieux :
Ténors
j j Jinj
troit IVn . vre dn Fen maodit;
L'épée est dévolue à Fervaal : on arme
les clans, une agitation fiévreuse s'empare
de tous ; et, pendant que les chefs avertis
par un messager de l'approche de l'ennemi
se préparent h la lutte, Fervaal annonce à
Arl'agard qu'il va mourir.
LA MUSIQUE 137
entonne, à bouche fermée, le Pange lingna.
on Ferv;i.il, oe par. le pa
répond le druide ému qui recule épou-
vanté lorsque Fervaal ajoute:
Je ne suis pas l'élu, rappelc,
LMionime i)ur désigné par la voix deroraclc...
J'aimai Guillien...
Je l'aime ! mon àme est liée à son âme ;
En moi je garderai son amour k jamais !
Puis il continue en lui rappelant l'oracle :
Seule la mort peut appeler la vie ;
La nouvelle vie naîtra de la mort!...
Esus réclame un sacrifice,
Et la victime sera moi !
Et tandis que Arfagard, anéanti, s'appuie
à l'autel, Fervaal entonne son chant de
guerre que la foule armée et* belliqueuse
redit avec enthousiasme, en allant prendre
ses postes de combat.
Seul et désespéré, Arfagard s'écrie :
Esus est mort...
Et Cravann va périr !
Troisième acte. — La montagne d'Iser-
lech est revêtue de neige et jonchée de
cadavres. Au milieu de son armée mas-
sacrée, P'ervaal est seul. Cherchant à re-
connaître les cadavres, Arfagard l'aperçoit :
il ne sait si c'est lui ou son âme errante.
Avec désespoir, Fervaal lui raconte sa
défaite et le conjure d'assouvir la ven-
geance d'Esus en le sacrifiant, en ofTrant
son sang en holocauste.
Ah ! Fervaal, mon cher fds,
Dernier espoir de ma vieillesse.
Je te retrouve enfin digne de tes a'ieux !
répond avec attendrissement Arfagard.
Fervaal s'agenouille, le sacrifice humain
va s'accomplir; lorsqu'au loin, une voix
chère, une voix aimée et reconnue, appelle
Fervaal. C'est Guilhen ! L'amour me reste
encore!... s'écrie le héros vaincu, qui ne
veut plus mourir et renie ses dieux! D'un
revers d'épée il abat Arfagard, et pour
tendre plus tôt les bras à Guilhen défail-
lante, frissonnante, il marche sur le corps
du druide qui l'a élevé. Guilhen est mou-
rante : ces brouillards, ce froid, cette neige
l'ont tuée; elle est morte!
La nuit est venue. Entre les deux ca-
davres de ceux qu'il aimait, Fervaal perd
peu à peu la raison et, prenant le cadavre
inerte de Guilhen dans ses bras, il esca-
lade les morts, tandis qu'un chœur lointain
Ici, je ne comprends pas que M. d'indy,
qui a voulu symboliser, me semble-t-il,
parle rappel de cette hymne liturgique, la
déroute des antiques croyances devant
l'aube du christianisme, ait dérythmé plu-
sieurs fois, et d'aussi flagrante façon, un
chant connu, populaire, et dont le rythme
Texte liturgique
P.in.ge lia. ga .
Rythme adopte'
Glo . ri . 0
lin . gn . a
solennel eût été beaucoup plus majestueux
que toutes ces tortures, toutes ces désar-
ticulations musicales.
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Elève de César Franck, M. d'indy n'en
a pas la simplicité émue : disciple de
Wagner, il en a récolté les principaux dé-
fauts sans s'en assimiler les moindres qua-
lités. Le rythme de Chabrier l'obsède, et
il l'atteint parfois avec bonheur. Dans son
archéologie musicale (acte II, scènes ii
et m), il évoque souvent le souvenir de
Meyerbeer ; et au beau milieu des modu-
lations les plus ardues, il écrit ce récit à
l'allure poncive :
Si j'ouvre la partition, j'y trouve, page
114, une mesure à lo/S, c'est-à-dire une
mesure à 9 8 et une mesure à 6/8, comme
l'a tout simplement écrit Gounod, dans le
duo de Mireille. Plus loin, pages 1 17 et 327,
il y a une mesure à 2 = 3/4, c'est-à-dire
une mesure que la main droite joue à trois
temps et la main gauche à deux. Si ces dif-
ficultés inutiles étaient motivées par une
beauté mélodique, elles seraient sinon
138
LA MUSIQUE
acceptables, du moins excusables. La mu-
sique qui dans ce passage devrait être pas-
sionnée, troublante (Guilhen appuie avec
passion ses lèvres sur celles de Fervaal,
dit le livret), est froide, insignifiante.
La lecture de cette partition est fort
difficile: pour éviter au lecteur de bien na-
turelles hésitations, l'auteur est obligé, à
chaque instant, de mettre entre guille-
mets un rappel des accidents à la clef.
Voilà un fragment de symphonie des-
criptive vraiment réussi. Le livret dit : la
forme disparaît, tout redevient sombre.
Ce qui disparaît, ce qui redevient sombre,
c'est la forme musicale, c'est la compré-
hension de ce que l'auteur a bien voulu
faire. Croyez-vous que ce si (A) qui n'est
que l'appoggiature d'un la sous-entendu
soit bien agréable? et que la phrase chan-
tante ne gagnerait pas à être écoutée avec
cette dissonance en moins? Et dans cet
autre fragment : voilà un sol % écrit la^ (A)
et appoggiature du sol l^ suivant qui est
bien désagréable à l'oreille; mais pas au-
tant que le la t] (B), retard bien inutile ;
placé pour faire détonner, comme à plaisir,
le chanteur qui, quelle que soit sa science
musicale, hésitera toujours, en entendant
deux intonations {la \ et la [>), à prendre
celle qui est réellement écrite pour la
partie vocale. De même et fatalement, le
spectateur, ignorant delà partition, dira, en
entendant l'orchestre jouer sol j?, et l'ar-
tiste chanter la\y : « Ce soprano chante
faux, c'est horrible ! »
Que voulez-vous, l'art pour l'art, c'est
très beau ; mais ne faudrait-il pas un peu
songer au public? Cela, je le dirai et re-
dirai au risque de me répéter, chaque fois
que je me trouverai en face d'une œuvre
créée et conçue plus pour la satisfaction
de l'auteur, de quelques initiés, que pour
le grand et vrai public.
L'œuvre d'art qui reste dans le domaine
d'un public restreint tombe au rang d'un
bibelot d'étagère, plus curieux par sa ra-
reté que par, sa vraie valeur.
M. d'Indy, qui est un symphoniste de
premier ordre, un maître, un poète plein
d'élan, d'enthousiasme, mérite les repro-
ches que lui adressait M. S. Rousseau, dont
la critique musicale fait autorité.
Saidant de plus de trente thèmes, ce qui
est beaucoup, les juxtaposant minutieusement
sur les fréquents états d'âme de ses héros,
complexe, rapide, inquiet, M. d'Indy semble
toujours craindre de s'attarder en quelque
mélodie trop claire. Le fantôme de la conces-
sion le hante: il le fuit avec terreur, décidé à
tous les sacrifices plutôt que de consentir à
l'apparence d'une jibrase ou d'une suite d'ac-,
cords dont l'imprévu ne fût pas absolument
démontré.
Il est certain que M. Vincent d'Indy a
voulu faire quelque chose qui ne s'était
jamais fait. L'intention est fort louable,
mais il ne faut pas oublier que, si dans
l'art symphonique la palette fait passer le
dessin , dans l'art théâtral , la palette
la plus chatoyante n'est qu'un informe
gribouillage si elle n'est absolument au
service du dessin mélodique.
Et qu'importent au spectateur les thèmes,
les harmonies, si ce que dit l'artiste en
scène lui semble incompréhensible ! Si dès
les premières mesures l'étonnement se
change on désorientation, si après le dé-
sappointement vient la lassitude, puis la
fatigue qui, finalement, fait place au dé-
couragement. Que fera le public? Il déser-
tera les salles de spectacle, jusqu'au jour
où une inévitable réaction artistique nous
fera revenir, non au Pardon de Ploermel,
non au Roi d'Ys, non au Roi malgré lui ;
mais, horreur! à Fra Diavolo, au Voyage
en Chine, au SeriJfnt à plumes.
Guillaume Dan ver s.
FERVAAL
ACTION MUSICALI-: UN TROIS ACTES ET UN PUOLOGUE, DE M. VINCENT DINDY
Représentée pour la première fois, à Paris, le 10 mai 1893, au tléitre uatioiial de l'Opéra-Comique.
Fervaal (M. ImbarL de la Tour) prend Guilhen (M™" Raunay) doucement entre ses bras et l'assoit
à coté de lui sur une roche. (Acte lll, scène ii.)
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Publié avec l'autorisation de MM. Durand et fils, éditeurs, Paris. — Tous droits réservés.
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MEMENTO ENCYCLOPÉDIQUE
Événements de Mai 1898.
l''''. — La jouriu'e du premier mai se passe sans
aucun incillent. — Mort ilo M. Linard, sénateur des
Ardennes. — Mort de M. Paulin Ménier, artiste
dramatique. — La hausse du prix du pain provoque
des désordres en Turquie. — li'exposition ilu Cente-
naire du statut est inaugurée à Rome, en présence des
souverains italiens.— L'interdiction de fêter le l""' mai
occasionne des troubles à Boka (Hongrie). Il
morts et de nombreux; blessés.
2. — M. Hanotaux clôture les travaux de la com-
mission lie l'emprunt hellénique. — Dans une course
d'automobiles, organisée à Périgueux, deux automobiles
se rencontrent. M. le marquis de Montaignac
est tué et deux autres personnes blessées. —
Mort de M?"" Hugonin, évêque de Bayeux.
— L'état de siège est proclamé à Madrid.
— Le marquis Saionyi, ministre de l'instruc-
tion publique au Japon, démissionne. Il est
remplacé par le professeur Xogoma. — Des
troubles graves se produisent eu Italie par
suite de la cherté du pain et du manque de
travail. Les manifestants saccagent des mai-
sons particulières et pillent des magasins.
Dans une collision avec la
police il y a deo tues et
des blesses
associés nationaux de l'Académie de médecine. — Le
congrès du 'Venezuela rejette le protocole signé entre
MM. Hanotaux et l'ietri, envoyé du Venezuela pour la
LES TROUBLES A MILAN — PRISE D'UNE BARRICADE PAR LES BERSAGLIERI
3. — Sur avis du conseil supérieur de l'agriculture, la
perception du droit île douane sur les blés est sur-
pendue jusqu'au 1" juillet. — M. Napias est nommé
directeur de l'assistance publique, en remplace-
ment de M. Peyron, admis à la retraite. — MM. Grasset,
de Montpellier, et Pitres, de Bordeaux, sont nommés
reprise des relations diplomatiques, rompues depuis 189.5.
4. — Pose de la première pierre de la chapelle édifiée
rue Jean-Goujon en commémoration de la catastrophe
du Bazar de la Charité. Le cardinal-archevêque
de Paris préside la cérémonie. A. cette occasion, le czar
fait parvenir au gouvernement français l'expression de
142
MEMENTO ENCYCLOPÉDIQUE
ses profondes condoléances. — Mort de M. Steeg,
ancien député, directeur de l'Ecole normale de Pon-
tenay-aux-Roses. — En Italie, Vétat de siège est pro-
clamé dans les provinces de Plaisance, Ancône, Bologne
et Bari. — Le droit sur les blés est suspendu jus-
qu'au 30 juin. — En Espagne, l'état de siège est pro-
clamé dans les provinces d'Oviedo, Valence et Cartha-
gène. La Chambre vote la réduction des droits de
douane sur les céréales et interdit leur exportation.
5. — Une circulaire du ministre de l'intérieur décon-
seille aux Français de se rendre aux mines d'or du
M. GLADSTONE
Klonillke à cause des difRcultés presque insurmontables
et du peu de chances de réussite. — 2,038 candidats ont
fait leur déclaration pour les élections législatives.
6. — M. Bormel est chargé de mission au Congo et
au Tchad pour ravitailler la mission de Béhagle.
— Arrivée à Paris de M. Campos Salles, président
de la république du Brésil, élu le l'^"' mars et devant
entrer eu fonctions le 15 novembre. — Mort du général
en retraite de La Jarrige. — La flotte américaine
capture le transatlantique français Lafayette. Après
explications, ce paquebot est relâché. — Les Améri-
cains échouent dans une tentative de débarquement à
Salado (Cuba). — Inauguration du monument élevé à
la mémoire des soldats français morts à la Canée (Crète).
— Clôture du parlement allemand. — Le prince de
Hohenlohe est nommé président du district de la haute
Alsace.
7. — Les nouvelles de la mission Marchand
disent qu'elle poursuit méthodiquement son achemine-
ment vers le haut Nil. — M. Bernier, architecte du
nouvel Opéra-Comique, est élu membre de l'Académie
des beaux-arts, en remplacement de M. Ginain, décédé.
— L'Académie exprime le vœu que l'hôtel Lauzun,
17, rue d'Anjou, soit conservé comme monument histo-
rique. — La Chine paye au Japon le solde de l'in-
demnité de guerre. — Des troubles graves se produi-
sent en Toscane et à Milan, où la populace élève des
barricades. De violentes collisions se produisent entre
les troupes et les émeutiers. Il y a un grand nombre de
tués et de blessés. L'état de siège est proclamé. — Dans
une note collective à la Porte, les ambassadeurs annon-
cent la conclusion d'arrangements financiers pour le
payement de l'indemnité de guerre par la Grèce et la
date pour l'évacuation de la Tliessalie.
8. — Premier tour de scrutin pour le renou-
vellement de la Chambre. 401 députés sont élus et il y
a 180 ballottages. — Les étudiants de Pavie (Italie)
tendent d'entrer à Milan en armes. Ils sont repoussés
par la troupe. Deux tués, deux blessés et nombreuses
arrestations parmi lesquelles celles de plusieurs députés.
— A Linaris (Espagne), les émeutiers pillent l'hôtel
de ville. Dans une bataille avec les
gendarmes, il y a 12 tués. Des désordres
se produisent sur plusieurs autres
points. Ils sont causés par la cherté
des vivres. — Les membres du cabinet
espagnol rendent leur portefeuille à
M. Sagasta.
9. — Dans une rencontre de
trains sous le tunnel de la Pommeraie
(Haute-Marne), 5 voyageurs sont tués
et 15 blessés. — Mort du marquis de
Cherville. — Mort du comte Maurice
d'Hérisson, auteur de mémoires sur
la campagne de Chine et le siège de
Paris. — A la suite des troubles de
Milan, la classe 1872 est rappelée
sous les drapeaux. Des désordres se
produisent encore dans plusieurs villes,
particulièrement à Naples. — A
Athènes , exécution de Karditzy et
Georgis, qui avaient tiré sur le roi de
Grèce.
10. — La Chambre espagnole
vote les ressources pour faire face aux
frais de la guerre. — Un important
mouvement se produit parmi les Ita-
liens réfugiés en Suisse. Ils se portent
en grand nombre vers la frontière
italienne.
11. — Entrevue des princes Nicolas
de Monténégro et Ferdinand de Bul-
garie à Abbazia. — Lord Salisbury
prononce un discours très pessimiste
au sujet de la situation internationale
et de l'attitude de l'Angleterre. Ce
discours est très commenté dans tous les
cercles politiques d'Europe. — Les
Américains échouent dans deux
nouvelles tentatives de débarquement à
Cienfuegos et à Cardenas. — Dans une
violente tempête sur la côte nord du
.Japon, 200 bateaux et 1,500 marins
engloutis.
12. — M. F. Faure assiste à l'inau-
guration de l'exposition des œuvres des trois Vernet à
l'Ecole des beaux-arti. — Le prince royal de Dane-
mark arrive à Paris. — La flotte américaine bom-
barde San-Juan de Porto-Rico. — Le gouvernement
fédéral suisse décide d'empccher les Italiens de
franchir la frontière italienne par bandes. — Dans un
manifeste, les députés républicains italiens disent que
les dernières émeutes n'ont rien de politique, qu'elles
sont le résultat de la misère et du mécontentement.
13. — M. F. Faure reçoit M. Campos Salles,
nouveau président de la république du Brésil. — La
mission du capitaine Morisson ayant été mal accueillie
par le roi Babemba, de Sikasso, une colonne va être
envoyée contre Sikarasso. — Le prince Henri de
Prusse arrive à Pékin. — Les troupes turques com-
mencent à évacuer la Thessalie. — Dans un discours
sensationnel, lonl Chamberlain parle en termes hos-
tiles de la France et de la Russie, et préconise l'alliance
entre tous les peuples d'origine anglo-saxonne.
14. — M. F. Faure rend visite à M. Campos
Salles, président de la république du Brésil. — Mort
de M. Alfred Ernst, critique musical. — En Russie,
une ordonnance impériale accorde aux femmes le droit
de faire partie des services de l'Etat.
15. — Course vélocipédique annuelle de Bordeaux-
Paris. Rivierre arrive premier, ayant fait le parcours
en 20 h. S9' 1" 4/5. — Le prince Henri de Prusse
est reçu par l'empereur de Chine, à Pékin. — Le roi
des Belges arrive à Madrid et rend visite à la reine
régente. — A la suite des troubles qui se sont produits
MEMENTO ENCYCLOPÉDIQUE
143
en Italie, de nombreuses sociétés politiques sont dis-
soutes, des perquisitions sont opérées, des journaux sup-
primés et plusieurs députés incarcérés.
16. — Le ministère espagnol démissionne. M. Sa-
pasta est chargé do former le nouveau cabinet. —
L'évacuation de la Tliessalie s'est efEectuée sans incident.
— M. Gladstone, dont les jours sont comptés, reçoit
de la reine Victoria une lettre autographe lui exprimant
sa gratitude pour les grands services rendus au pays
pendant sa longue carrière. — L'empereur d'Alle-
magne visite le réservoir d'Altfe'd, eu Alsace, près de
la frontière française.
17. — M. Ehrmann, chirurgien à Mulhouse, est nommé
membre associé national de l'Académie de médecine.
^-^
le duc d'Almodovar, affaires étrangères; M. Groizard,
justice ; général Correa, guerre; amiral Aunon, marine ;
Puigierver, finances; Capdepon, intérieur; Gamazo, tra-
vaux publics et instruction; Romeo Giron, colonies. —
La commission des affaires étrangères de la Chambre
des représentants des Etats-Unis se déclare en faveur
de l'annexion des îles Ilawaï.
19. — Une commission supérieure de l'éducation phy-
sique de la jeunesse est constituée au ministère de
l'instruction publique. — Le P. Augier est élu supérieur
général des Oblats, en remplacement du P. Sollier,
décédé. — L'escadre espagnole, sous les ordres de
l'amiral Cervera, partie du Cap-Vert, force le blocus et
arrive à Santiago de Cuba, où elle est accueillie avec
enthousiasme. La reine régente envoie un télégramme
de félicitations à l'amiral Cervera. — Mort de M. Glad-
stone, né le 29 décembre 1809. La Chambre des Com-
munes lève sa séance en signe de deuil. — Par suite de
divergences d'opinions entre ministres, le ministère
du Pérou est modifié comme suit : Loazio, premier
ministre et justice ; Cuadros, guerre ; Parras, affaires
étrangères ; de la Puente, intérieur ; Ke7, finances ; Butler,
travaux publics.
20. — M. Sagasta présente les nouveaux ministres à
la Chambre espagnole. Il déclare que l'Espagne
n'acceptera pas la paix si l'intégrité territoriale n'est pas
maintenue.
21. — M. Boutroux, professeur à la Faculté de Paris,
CHATEAU DE HAWARDEN, OU EST MORT M. GLADSTONE
— Tous les journaux républicains et socialistes d'Italie
sont supprimés. Le nombre des individus arrêtés et de-
vant passer devant les tribunaux est de plus de 1,000.
— Les Chinois occupent Weï-Haï-Weï aussitôt après
le départ des Japonais, et les Anglais débarquent
également pour prendre possession de Heï-Haï-Weï, qui
leur est cédé par la Chine.
18. — Une colonne de 1,500 hommes, sous le com-
mandement du lieutenant-colonel Adéoud, envoyée
contre le roi Babemba, pour venger le mauvais accueil
fait au capitaine Morisson, s'empare de Sikasso après
une brillante action. Babemba est tué, ainsi qu'un grand
nombre de rebelles. — M. F. Faure inaugure l'exposition
de la Société d'horticulture. — Ouverture de la
vingt-cinquième exposition canine. — Mort de
M. Ludovic Lalanne, bibliothécaire de l'Institut.
— Mort de M. Sotirapoulo, ancien président du
conseil de Grèce. — Le ministère espagnol, défini-
tivement constitué, comprend : MM. Sagasta, présidence ;
est élu membre de l'Académie des sciences morales et
politiques, en remplacement de M. OIlé-Laprune, décédé.
— Mort de M. Ducoudray, sénateur de la Nièvre. —
Mort du duc de Bassano, ex-grand chambellan de
Napoléon III, fils aine de Maret, secrétaire de Xapoléon le'.
— Le docteur Leyds est nommé ministre plénipotentiaire
de la république du Sud-Africain à Paris, Berlin, la Haye
et Lisbonne. — Par suite do démissions, le nouveau
ministère chilien est composé comme suit : C. Wal-
ker Martinez, intérieur , J.- J. Latorre, affaires étrangères ;
Zanartu, finances ; V. Blanco, guerre et marine ; A. Or-
rego Luco, travaux publics. — Mort du comte Antoine
Zichy, membre de l'Académie des sciences de Buda-
Pesth.
22. — Scrutin de ballottage pour l'élection de la
Chambre des députés. D'après la statistique du ministère
de l'intérieur, les républicains gagnent 51 sièges et en
perdent 47. — Inauguration, à Versailles, du monument
élevé à la mémoire du naturaliste Hardy, l'an des fon-
144
MEMENTO ENCYCLOPÉDIQUE
DESTRUCTION DE LA FLOTTE ESPAGNOLE A MANILLE (deSsin américain)
dateurs de la Société d'horticulture de France. — Les
élections pour le renouvellement de la moitié de la
Chambre et du Sénat de Belgique sont favorables au
gouvernement.
23. — Devant la cour d'assises de Versailles, dé-
bats du procès contre M. Zola, sur plainte du conseil de
guerre qui jugea l'affaire Esterhazy. La cour rejette les
conclusions de M"" Lab'ori, tendant à ce que la cour d'as-
RÉSISTANCE HÉROÏQUE DE LA FLOTTE ESPAGNOLE A MANILLE (dessin espagnol)
MEMENTO ENCYCLOPÉDIQUE
li5
sises do Versailles soit déclarée iiicoinpétoiito, le délit
ayant été commis à Paris. M. Zola se pourvDit en cassa-
tion et les débats sont renvoyés. — M. Lebon, député,
ministre des colonie.-;, et M. Delpeuch, sous-secrétaire
d'Ktat aux postes et télégraplios, non rééhiij, donnent
leur démission.
24. — Les ouvriers niét:illurgistes des chantiers de
Brest se mettent en grève. — Mort île M. Auguste
Blanchardi graveur, membre de l'Académie des beaux-
.irts. — Mort de M. Brin, ministre de la marine en
Italie.— Le blocus de Manille est annoncé. — La reine
Victoria entre dans sa quatre-vingtième année. Elle
rogne depuis soi.xante et un ans. — Mort de M. Wal-
pole, doyen d'âge des ex -ministres anglais.
25. — M'""' F. Faure inaugure l'Exposition des
travaux de la femme, organisée par l'Union cen-
trale des arts décoratifs. — Réunion du Congrès inter-
national d'agriculture. — Les nouvelles de la mis-
sion Gentil au lac Tchad disent que cette mission a
lileinement réussi. Elle a exploré les affluents du Cluiri
et, sur son vapeur démontable, a n.avigué sur le Tchad.
— Une proclamation de M. Mac-Kinley appelle sous
les drapeaux 75,000 nouveaux volontaires américains. —
Le prince royal de Grèce et sa femme, sœur de
l'empereur Guillaume, arrivent k Berlin. L'accueil qui
leur est fait par les souverains allemands démontre qu'il
ne reste plus trace de la tension de rapports qui existait
entre les cours de Ber.in et d'Athènes.
26. — M. Guillaume, directeur de l'Académie de
France à Rome, est élu membre de l'Académie fran-
çaise en remplacement du duc d'Aumale. Après six
tours de scrutin, l'Académie renvoie à une date ulté-
rieure l'élection du remplaçant de M. Meilhac. Les
médailles d'honneur pour le Salon sont attribuées à
MM. Henner, pour la peinture ; txardet, pour la sculp-
ture; Patricot, pour la gr.avure et la lithographie. —
Première séance du Conseil de l'office national du com-
merce extérieur, sous la présidence de M. Boucher. —
M. F. Faure donne un dîner en l'honneur du prince
(Jrousoff, ambassadeur de Russie. — L'empereur d'Alle-
magne et le prince royal de Grèce passent en revue les
troupes de Berlin. La princesse royale est nommée chef
du régiment d'Elisabeth. — Le vapeur lidgoland part
lie Geestemunde avec l'expédition polaire dirigée par
M. Lerner. — -Le prince Ferdinand de Bulgarie est reçu par
le sultan. — Les Américains tentent de débarquer à
Binacayan (Manille). Ils sont repousses et les Espagnols
s'emparent des armes et des munitions destinées aux in-
surgés.
27. — Duel, motivé par une polémique de presse,
entre MM. Gérault-Richard et Rochefort. Ce dernier est
blessé. — Par décret est créé un Conseil supérieur de
renseignement agricole. — M. Bouché-Leclercq, profes-
seur à la Faculté des lettres de Paris, est élu membre
libre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres en
remplacement de M. Schefer, décédé. — Le Prix du
Salon est décerné à M. Henri Royer. — L'expédition
anglaise du major Gibbons part de la côte portugaise
de l'Afrique orientale, se proposant de remonter le Zam-
bèze, de gagner l'Ougaudi, puis le Nil, et de tenter
d'atteindre le Caire. — Le gouvernement espagnol
décide d'adresser une communication aux puissances sur
les agissements des Américains à Cuba. — Deux journa-
listes américains, prisonniers à Cuba, sont échangés
contre deux officiers esjiignols faits prisonniers à bord
de VAryoïKiiili'.
28. — M. F. Faure quitte Paris, allant à Saint-
Etienne. — Mort de 'Mfi' Baron, évêque d'Angers. —
Mort de Rosenthal, connu dans la presse sous le
pseudonyme de Jacques Saint-Cère. — Signature de la
convention de réciprocité commerciale entre la France
et les Etats-Unis. — Do grandioses obsèques sont
faites à M. Gladstone. Le corps est déposé à West-
minster. — Par suite de divergences de vues entre les
membres du cabinet italien sur la question des tra-
vaux parlementaires, le ministère démissionne et le roi
charge M. di Rudini de former un nouveau cabinet.
29. — Dans un banquet qui lui est offert par la muni-
cipalité de Saint-Etienne, M. F. Faure constate que
l'alliance franco-russe fortifie la position de la France.
M. F. Faure assiste à l'inauguration du monument
élevé à la mémoire des combattants de 1870. — A Nantes,
inauguration du monument élevé à la mémoire du général
Mellinet. — A Malesherbes (Loiret), inauguration du
monument élevé à la mémoire du capitaine Lelièvre,
défenseur de Mazagran. — Les socialistes révolu-
tionnaires vont manifester au cimetière dn Père-
Lachaise. Des bigarres se produisent entre manifestants.- —
Grand steeple-chase d'Auteuil, gagné par « Marise »,
à M. Faider.
30. — Mort de M. Rouland, sénateur de la Seine-
Inférieure. — Fête fédérale de gymnastique à Saint-
Etienne, M. F. Faure y assiste. — Congrès des Eglises
réformées à Nantes, à l'occasion du 3*^ centenaire de la
révocation de l'Edit de Nantes.
31. — M. Hanotaux est chargé de l'intérim du
ministère des colonies en remplacement de
M. Lebon, démissionnaire, et M. Boucher est chargé de
l'intérim du sous-secrétariat des pOSteS et télé-
graphes, eu remplacement de M. Delpeuch, démis-
sionnaire. — La grève de métallurgistes de Brest est
terminée. — La flotte américaine bombarde San-
tiago. Les forts ripostent et obligent la flotte américaine
à se retirer. — La Chambre hollandaise adopte le
service militaire obligatoire et personnel, sauf en ce qui
concerne les ecclésiastiques de tous cultes. — Le nou-
veau ministère italien est ainsi constitué : MM. di
Rudini, président et intérieur ; Capelli, vice-président de la
Chambre des députés (de droite) , affaires étrangères ;
Bonacci, député de gauche, justice ; amiral Canevaro,
sénateur, marine; Cremona, sénateur, instruction pu-
blique; Luzzatti, député de droite, trésor; Brauca, dé-
puté de gauche, finances ; Frôla, député de gauche,
postes et télégraphes ; général Afaa de Rivera, député
de gauche, travaux publics ; général Sanffarzano, séna-
teur, guerre. Le titulaire du portefeuille de l'agriculture
n'est pas encore désigné; M. di Rudini est chargé de l'in-
térim.
LA B.-ilE DE SANTIALiu
VIII. — 10.
LA MODE DU MOIS
En dépit de la bouderie du ciel pendant tout le
commencement de la belle saison, la mode est
aux nuances claires et aux tissus légers. La toile
batiste obtient un grand succès. Elle remplace
presque partout le piqué, — avec avantage dirais-je,
fantaisie noire, ornée d'un nœud cerise et d'une
plume de Tirtirk, est gracieusement posée un peu
de côté sur les cheveux ondes.
Le souple ayant définitivement remplacé le
raide, si en faveur pendant ces dernières années,
• — car elle est plus fraîche et plus souple que lui.
Notre modèle n" 1 est précisément en batiste
blanche, il compose un charmant costume de vil-
légiature ou de station balnéaire ou thermale.
La jupe, coupée suivant le goîit moderne, est
unie et légèrement longue. Le corsage absolument
ajusté forme, derrière, habit à la française. Il est
fermé devant en festons retenus par des boutons
et des ganses en passementerie noire. Le col et
les revers premier Empire sont en satin noir, tandis
que la ceinture et la cravate sont en liberty cerise
à pois blancs.
Comme chapeau, une toque-page en paille de
le cachemire est forcément très apprécié aujour-
d'hui. Voici une délicieuse toilette d'après-midi
pour garden-party, dîner de campagne, visites, etc.,
qui affirme ce dire. Cette robe (n" 2) est en cache-
mire beige clair, toujours mi-longue, avec applica-
tions ou incrustations, suivant le goiit, de brode-
ries rousses recouvrant tout le corsage à basques
rondes, et la jupe, en partie. La ceinture, en soie
ibis, est fermée derrière par une boucle assez volu-
mineuse en argent ciselé.
Du tulle brodé voile la guimpe, également en
soie ibis ; un liséré noir souligne le décolletage
du corsage et borde les trois petits jockeys qui
LA MODE DU MOIS
147
ornent le haut des manches toujours longues et
ajustées. Chapeau Cleo en paille ibis très légère,
très enlevée, et fort gracieusement ornée de fleurs
et de rubans de gaze l)lé... Gants blancs. Bas de
soie noire, et souliers Richelieu en peau de renne.
La mode des robes à, volants, renouvelée de
jadis, comme tant d'autres, hélas ! est de nouveau
devant. Des nœuds de velours, ou de faille noire,
suivant le goût, avec des couteaux pailletés
d'acier, lui servent d'ornement.
Gants de suède, souliers de cuir de Russie, et
bas de fil d'Ecosse noir ou bleu pâle.
Enfin voici pour les amateurs de pleine eaa un
coquet et gentil costume (n" 4).
fort prisée. Ce modèle (n° 3) a été porté aux
courses d'Auteuil par la jolie M^'"' Sorei. Il est
en drap noisette et signé d'un maître eu l'art de
la couture. Cinq volants, de hauteurs graduées,
garnissent la jupe, sauf sur le milieu du devant.
Une double petite pèlerine Directoire orne le
corsage-veste dont le second revers est en drap
blanc. La chemisette intérieure est en mousseline
de soie ciel d'Orient très pâle, plissée accordéon,
et la cravate en tulle blanc.
La ceinture est en faille blanche, fermée par une
boucle, en or, comme les boutons. Le cha.peau est
en paillasson noir, noué en deux coques et relevé
Il est en serge bleu marine avec applications de
drap blanc, découpé, ou en broderie. Le chapeau
greenaway est en foulard caoutchouté gracieuse-
ment noué. Les bras sont nus, mais les jambes
recouvertes par des bas' de fil d'Ecosse noir; un
poignet de drap blanc boutonné, terminant la
culotte courte à la zouave, sert de jarretière, et de
fins souliers de caoutchouc à cothurne achèvent ce
costume d'une exécution facile.
Pour le peignoir, en flanelle, le blanc uni ou le
blanc rayé de bleu ou de rose sont tout à fait
charmants. Les manches sont longues et larges,
comme des manches de religieuse.
148
LA MODE DU MOIS
ARRANGEMENTS
Avec le lé qu'une fetnme soigneuse garde tou-
jours en prévision d'accident, on coupe le petit
tablier représenté sur la figurine (n^ 1), auquel
on rattache le reste de la jupe, ce qui permet de
renvoyer l'ampleur plus en arrière ; piiis, afin de
donner à la robe plus de longueur et plus d'éva-
sement par le bas, pour rappeler la forme dite plu-
meau, on l'agi-émente de deux petits volants froncés
superposés. Le second volant forme tête. Ces
volants peuvent se faire en étoffe pareille ou en
taffetas assorti. Dans ce cas, cette garniture serait
rappelée, sur le corsage, par les revers et les
]ockeys. Les manches, légèrement bouffantes
l'année dernière, sont tout à fait collantes
cet été. Quant au corsage, il reste blousé
et ouvert sur une chemisette de fantaisie.
Ce modèle peut se faire en foulard, en
mousseline de laine ou de coton, ou en
gaze. Il est très coquet et constitue
une charmante toilette demi-habillée
pour la belle saison.
devant, viennent précisément se perdre sur le bord
de la redingote et semblent ainsi faire corps avec
elle. Sur les manches, dont on diminue un peu le
bouffant à l'emmanchure, de longs ornements de
passementerie terminés en crosses rappellent le reste
de la garniture. Les revers sont plats et brodés,
et la chemisette de fantaisie, ornée, sur toute la
hauteur, d'un jabot
de dentelle.
La Rohe de bal
(no 3) est en taf-
fetas rose glacé de
blanc, ornée dans le
bas de quatre rubans
de velours lileu ou
En pacha, ou en tout autre tissu un peu ferme,
le modèle n° 2 se trouve rajeuni par l'adjonction
d'une haute basque simulant une polonaise ou une
redingote de demi-hauteur, très ajustée sur les
hanches, et à laquelle se monte, à partir de la cou-
ture de côté du tablier, le bas de la jupe qui n'est
plus alors qu'un haut volant à larges plis.
Des ornements de passementerie contournent la
redingote et ornent le boléro long, dont les pointes,
rose vif en pente. Le corsage drapé
et croisé est garni de la même façon.
Une guirlande de roses et de myo-
sotis suit le mouvement de la dra-
perie et forme épaulette à droite. Les
manches courtes sont composées d'un
'\ simple bouillonné de taffetas.
Un petit tablier rond, en taffetas
glacé, bien ajusté et encadré
par une guirlande de roses et
de myosotis, suffit pour rajeunir cette toilette de
l'année dernière. Pas de ceinture, mais une jolie
agrafe en bijouterie au bas du dos. Gants longs
en suède ou en chevreau blanc ; bas de soie
blanche et souliers de satin rose. Eien dans les
cheveux qu'une fantaisie en bijouterie.
Au lieu de laisser les bras nus, on pourra
ajouter à cette robe des manches, toujours en
gaze ou en tulle coulissé, ou encore des manches
en taffetas coupées par des entre-deux de dentelle
ou de tulle brodé, les manches longues se portant
au bal avec les robes les plus décolletées. Cette
mode est même plus nouvelle que celle des man-
ches courtes. On peut aussi moins accentuer le
décolletage ou bien mettre à l'intérieur une guimpe
dans le même esprit que les manches, ce qui
rendra . la robe montante, quoique décolletée k
clair, et d'un porter plus facile par conséquent.
LA MODE DU MOIS
14a
BONNETS BAINS DE MER
Bunuel à In pat/mnne en foulard imperméabilisé,
:\ dessin ancien. Ce bonnet, à deux pièces, est
bordé tout autour
d'une ruche, soit
eu galon de laine,
assorti de ton,
soit en foulard
imperméabilisé.
Les brides se
nouent sous le
menton.
Celui-ci, dit à
la Cérès, égale-
ment en foulard
imperméabilisé, à,
disposition écos-
saise, est fait un
peu comme un
sac à éponges.
Il enveloppe très
bien la tête et
permet de loger,
sans se décoiffer,
les gros rouleaux
ondulés que l'on
porte à présent,
en guise de ban-
deaux. Légère-
ment froncé tout
autour, un petit
galon ruche le ter-
mine et retombe
sur les frisettes
qui s'échappent
de cette prison
momentanée. Les
lirides, de chaque
côté, partent de
deux gros choux,
toujours en galon
de laine , foncé
comme les brides.
NOS PATRONS
Costume de bain pour jeune jiUe. — Nous don-
nons, dans notre patron, la moitié du dos et du
devant de la blouse.
"tmX
Ce dernier est
simplement un
foulard noué en
marmotte sur le
milieti de la tête,
au-dessus du
front. Ce n'est ni
le moins seyant,
ni le moins pra-
tique. En tout cas,
il est le plus
simple, puisqu'il
ne demande à la
\,^ femme qu'un peu
d'adresse et de
goût pour le
nouer avec co-
quetterie.
Ce costume se fait en serge noire ou bleu ma-
rine. La culotte, froncée, est montée sur une
ceinture. Un poignet boutonné la ferme au-
dessus du genou et sert de jarretière. Le même
poignet se répète au bord des bouillons servant
de manches courtes. On peut, à volonté, orner ce
costume de galons blancs en laine, cousus et dis-
posés au gré de la fantaisie. Les boutons en
nacre foncée ou en corozo noir sont très bien.
La ceinture se ferme par des boutons ou des
agrafes.
J50 LA MODE DU MOIS
OUVRAGES DE DAMES
Porte-jouriianx. — Il se compose de deux rubans
brodés, parallèlement posés, et retenus en haut et
en bas à la paroi de la cabine par des choux de
ruban foncé.
Cabine portative pour jardin ou bain de mer en
vannerie, drapée à l'intérieur d'étoffe de fantaisie,
avec coussins accoudoirs, vide-poches et porte-
journaux.
Petit vide-poches pour la cabine, eu étoffe unie
fond crème ou en audrinople, brodée en laine au
gros passé. Ce petit sac est retenu à la paroi de la
cabine par un nœud de ruban. Si ce sac est en
audrinople, la broderie se fera noire.
Les coussins et les accoudoirs sont brodés de
même.
Le petit rideau, fermant l'ouverture de côté de
la cabine, est en audrinople.
Serpielte-poche à mufs (intérieur) en tissu de fan-
taisie écru, doublé et ouatiné. De petits nœuds-
de ruban assorti à la broderie du dessus ferment et
retiennent les coins des pliures.
Broderie extérieure de la serviette-poche à œufs
eu soie lavable ; feston tout autour, et ourlet .1
jour.
Quant à cette bande de broderie russe, elle se
brode en deux tons et sert à orner nappe, nap-
peron ou serviette.
Si le tissu choisi ne se prête pas à la broderie,
on exécutera le point sur canevas fi.xé, puis ou
tirera les fils ensuite. Le bleu et le rouge sont
toujours les deux couleurs préférables.
On peut exécuter cette broderie soit en soie
lavable, soit en cotou.
Berthe de Présillt.
LA CUISINE DU MOIS *
Potage Hochepot. — (^oupcr l kilo-
fïraniim' tli- iim'iie de lj(L'uf en inorccaux de
2 ceiiliiiièlres, les laver et laisser tremper
5 ou 6 heures. Foncer une casserole un i)cu
haute et épaisse avec des couennes de lard,
étendre au-dessus un lit de rouelles d"oipions
et de carottes ; étaler la queue de Ixeuf
éfTouttée, couvrir et laisser pincer sur un feu
pas trop vif. Verser un décilitre de vin blanc
sec et laisser retomber à f;lace, c'est-à-dire A
sec. sans laisser brûler. Mouiller avec deux
litres d'eau froide, faire bouillir et écumer.
Ajouter un abatis de poularde, un peu de
célei'i, une feuille de sauge, une g-ousse d'ail,
un oignon piqué de deux clous de girolle, un
ou deux poireaux, laisser cuire très doucement
5 heures.
La garniture. — Monder 3 belles carottes
crécy, enlever avec la cuiller à légumes,
creuse, de 1 centimètre de diamètre, IS boules;
leur faire faire un bouillon dans deux fois
leur A'olume d'eau, très peu salée. Mettre dans
une sauteuse un peu forte 30 grammes de
graisse de rôti ou de pot-au-feu et sauter les
carottes sur un feu doux. Monder 15 petits
oignons et les ajouter aux carottes à moitié
cuites. Saupoudrer légèrement de sucre en
poudre et glacer le tout. Mouiller avec un
décilitre de vin blanc, faire réduire à sec.
Passer le bouillon au tamis de soie, le dé-
graisser complètement; trier les morceaux de
queue de bœuf, les mettre dans la soupière,
y réunir les carottes et les oignons, verser le
bouillon et servir.
Timbale de langouste. — Formule pour
10 personnes : 1 kilogramme de langouste,
18 crêtes et 18 rognons de coq, 250 grammes
de quenelles de poisson, 150 grammes de
champignons, 6 écrevisses, 3 décilitres de
lait. 20 grammes de farine, 100 grammes de
beurre fin, un petit verre de cognac, sel,
muscade et pointe de cayenne.
Opération. — Cuire la langouste 25 minutes
dans le court-bouillon suivant : 3 litres d'eau,
50 grammes de sel, 1/2 décilitre de vinaigre,
25 grains de poivre, une feuille de laurier,
persil et thym. Ajouter les écrevisses après
15 minutes de cuisson, laisser refroidir et
égoutter. Piler les écrevisses au mortier, mé-
langer en pilant toujours 50 grammes de
beurre, passer au tamis et mettre la purée au
frais. Acheter une boite de financière prête
ou faire les quenelles, cuire les crêtes et les
rognons 5 minutes avec un peu d'eau, les
champignons suivant la formule donnée sou-
vent dans le Monde Moderne. Fondre 30 gr.
de beurre, y mélanger la farine et le lait
bouillant, donner un coup de fouet pour lisser
la sauce, ne pas laisser bouillir; tenir au chaud
au bain-marie. Décortiquer la langouste, la
couper en tranches minces, les pattes en
petits bouchons, réunir toutes les garnitures
dans la sauce. Au moment de servir, ajouter
le beurre qui reste et la purée d'écrevisses en
tournant la casserole doucement. Servir dans
une timbale en argent à double fond garni
d'eau bouillante. A défaut de timbale en
argent on fait une croûte dans un moule à
charlotte uni. de 12 centimètres sur 10 centi-
mètres avec la pâte suivante :
Pâte a timbale. — 400 grammes de farine,
150 grammes de saindou.x ou de beurre,
5 grammes de sel, 1 décilitre de lait ou d'eau.
Mélanger le sel, le beurre ou le saindoux
avec la fai-ine en les frôlant entre les deux
mains allongées et horizontales; ayant obtenu
une semoule un peu grasse, mouiller, lier la
pâte, la laisser reposer au frais au moins
deux heiu'es. Beurrer légèrement le moidc à
charlotte, étendre la jiàte en forme de poche,
recouvrir l'intérieui' du moule; garnir d'un
papier soiii)le beuri-é du côté qui adhère;
emplir avec du riz, des lentilles ou haricots,
cuire au foiu" une heure.
Selle de pré-salé à la Richelieu. —
La selle cumpreutl les deux filets à partir du
gigot, jusqu'il la première côtelette. La garni-
ture Richelieu se compose de laitues braisées
au jus, de pommes nouvelles sautées au
beurre, de champignons et de tomates farcies.
Cuisson de la selle. — Enlever la peau,
couper les bavettes de chaque côté, enlever
presque toute la graisse qui tapisse l'inté-
rieur; cuire à la broche 30 minutes par kilo-
gramme de chair; au four, il faut 5 minutes
de plus, poser la selle sur une grille. Xe pas
arroser et saler en sortant du feu.
Les laitues. — Débarrasser les feuilles
vertes, les laver, les blanchir à grande eau
10 minutes, les égoutter et laisser refroidir;
les presser pour éponger l'eau. Couvrir le
fond d'une casserole avec une barde de lard,
poser les laitues, recouvrir de lard, arroser
avec un décilitre de vin blanc et autant de
bouillon. Laisser mijoter une heure et demie.
Les pommes. — Choisir des pommes grosses
comme une noix, les monder bien rondes, les
laver, les couvrir d'eau froide et faire bouillir;
égoutter et sauter 18 minutes avec du beurre
à la noisette. Saler, saupoudrer de persil
haché et servir. Choisir un beau champignon
par personne, enlever la queue et les laver.
LTne petite tomate, couper le côté de la queue,
enlever les semences et l'eau.
Passer au beurre un peu d'échalote sans la
brunir, ajouter 250 grammes de champignons
hachés, une cuiller à bouche de mie de pain,
sel, poivre, persil, garnir les champignons et
les tomates, gratiner et servir ces garnitures
alternées aut<jur de la selle.
Macédoine de fruits, à la gelée. —
Formule : 375 grammes de sucre cassé à la
main, 3 décilitres d'eau fraîche, 12 grammes
de gélatine, un verre à madère de kirsch, le
jus d'un demi-citron, 275 grammes de fraises,
125 grammes de bananes, deux belles oranges,
150 grammes de raisins noirs, une ou deux
pèches, deux abricots, un moule à cylindre
festonné contenant un litre et demi, demi-
blanc d'œuf.
Opération. — Peler les oranges à "sif et
enlever les quartiers entre les cloisons, couper
les bananes, les pêches et les abricots en dés,
réunir tous les fruits et les mariner au kirsch.
Battre l'œuf avec l'eau et le citron, ajouter
le sucre et la gélatine lavée, faire bouillir en
remuant. Passer à la serviette fine. Entourer
le moule de glace non salée, couler un centi-
mètre de gelée, poser un joli dessin avec des
fruits variés, recouvrir d'un peu de gelée et
laisser prendre, nouvelle couche de fruits et
de gelée, successivement jusqu'à la fin. Raf-
fermir 3 heures. Tremper à l'eau tiède, ren-
verser sur plat et servir.
A. Colombie.
Jeux et Récréations, par m. g. Bi
N" 224. — Haut : Noirs. — Bas : Blancs.
WM/,_ ^^ ^^M_ wm
§3À * ^ ^m. ^
BW«^ «^^
Les blancs jouent et gaf^nenl.
N° 225. — Haut : Noirs. — Bas : Blancs.
M0M H H
mf^m. ^ mpm. m,
m^m^ mf->M. •,
'm
Les blancs jouent et gagnent.
N°226. — WHIST
8uil a la miin suivante :
^ A, D, V, 9.
V V, 8, 6, 4 (atouts).
•J. D, 6, 3.
4. 8, 4.
Cœur a été déclaré atout. Est joue premier. Voici le
jeu dans le premier tour : Est, 3 de cœur. — Sud, 9 de
cœur. — Ouest, 7 de cœur. — Nord, 2 de cœur.
Quel est le jeu correct de Sud qui l'emporte, dans le
tour suivant ?
N° 227.
LOGOGRIPHE
Sur mes huit pieds je vagabonde
Par les chemins, à travers champs ;
Un pied de moins, j'habite l'onde
Des ruisseaux et des océans.
Que maintenant sous cette forme
Tu veuilles m'arracher le cœur,
Sans hésiter, je me déforme
Et cause alors vive douleur.
De cette figure nouvelle
Retranches-tu la tête ? Oiseau
Je me présente et, de mon aile,
Je frappe et je sillonne l'eau.
Sur quatre pieds, je suis légume
Qu'on a raison d'apprécier,
Et, blessé, de rage j'écume,
Car je suis aussi carnassier.
Puis, j'ai pour synonyme : honnête ;
Dans la terre, je suis creusé ;
Sur la peau de plus d'une bête
Chacun peut me voir exposé.
Enfin sur trois pieds, je figure
Avec honneur dans le jardin,
Et je parcours, la chose est sûre,
En peu de temps très long chemin.
N° 228. — CURIOSITE
GÉOGRAPHIQUE
Trouvez les noms de sept départements français dont les
initiales réunies forment le nom d'une province afri-
caine.
SOLUTIONS
N° 218. — 1. D 2 R. 1. P 6 D forcé.
2. D 2 C D échec. 1. R 5 F D.
3. D 4 C D échec et mat.
26 21 43 39 47 42 36 31
35 24 60 33 33 47 47 36
- fait dame et gagne facilement
N° 219. -
21 17 27
49 43
33 SU
21 21
11 22 36
27
N" 220. — Nord doit débuter de toutes façons par
atout sans s'inquiéter de sa faiblesse dans cette couleur,
car il sera impossible à ses adversaires d'établir aucune
suite contre lui. Il ne doit pas courir le risque de voir
une de ses hautes cartes coupées sous prétexte de montrer
sa force dans une couleur. Il devra persister dans le jeu
d'atout chaque fois qu'il aura la main, car plus il en
fera tomber, plus il aura de chances de faire les hautes
cartes qu'il possède. Nord doit aussi jouer atout afin' de
ne pas permettre que ses hautes cartes puissent être
coupées séparément dans de possibles p7-ises croisées.
N" 221. — Le faux savant ne souffre point d'inter-
rogation.
L'œuf; os avant ne sous fre; point d'interrogation.
N" 222.
P
PAR
A R 0 S
R 0 L 0
0 L E T
SOT
S
N" 223. — Non.
Adresser les communications pour cette paffe à M. G. Beudin, à Billancourt (Seine), avec timbre pour réponse.
L'Editeur- Gérant
14259. — Llb.-Imp. réunies, Mottkroz, D'', 7, rue Saint-Benoît, Paris.
Le
Monde Modetne
Août 1898
VIII. — 11.
L'HÉRITAGE DE L'ONGLE FLOROT
Le bonheur tient souvent dans un
petit espace, au besoin clans la boîte
capitonnée d'un compartiment dex-
press ; ou sinon le bonheur, quelque
-chose d'approchant comme le plaisir de
contempler une jolie figure inconnue et
de sentir son cœur sépanouir au voisi-
nage d'une charmante personne de vingt
xinsysi réservée sous ses cheveux blonds,
si fière en son air doux, à côté d'une
maman d'aspect si respectable et si dé-
bonnaire qu'on se surprend tout de
suite une grande tentation damitié et
de lier connaissance...
Tel était le bonheur échu à Maurice
Girard, depuis son départ de Paris pour
la petite localité des Ardennes, où il se
rendait. Un voyage contre lequel il avait
d'abord protesté en lui-même, de déran-
gement fâcheux en son farniente de
garçon, et que ne justifiaient pas suffi-
samment, lui semblait-il, des intérêts
^l'ailleurs fort aléatoires.
Un héritage à recueillir peut-être,
peut-être rien du tout.
— Quelle idée, maugréait -il, a eue
ce notaire de m'écrire, comme si j'avais
personnellement rien à espérer de la suc-
cession de l'oncle Florot !
La lettre de maître Boubert, notaire
à Sancy (Ardennes), évasive comme il
importait, était conçue, en effet, en des
termes aussi peu précis qu'encoura-
geants :
« Monsieur,
« J ai l'honneur de vous informer
qu'à la suite du décès de votre parent,
M. Florot, la levée des scellés apposés
sur les meubles aura lieu le mardi
15 courant.
« En votre qualité de pai'ent et d'ayant
■droit, vous êtes invité à assister à ladite
levée, en présence du juge de paix et
des autres parents, dans l'intérêt de vos
droits personnels et sous toute réserve
•de la découverte d'un testament qui
pourrait être trouvé parmi les papiers
du défunt, décédé jusqu'ici intestat.
« Recevez, monsieur, etc. »
L'oncle Florot, un misanthrope, un
solitaire, un vieux bonhomme, bizarre
et soupçonneux, qui depuis des années
avait vécu dans sa propriété de Sancy,
en pleins bois, à l'écart de la vie et du
peu de famille qui lui restait, après avoir
cessé toutes relations. A tel point qu'on
l'avait oublié, que la nouvelle de son
décès même n'était parvenue à Maurice
que par 1 entremise de la lettre du no-
taire, sans laquelle il l'aurait ignoré.
— Ce pauvre vieux bonhomme n'aura
même pas tenu à ce que j'assiste à ses
obsèques, pensait Maurice. A plus forte
raison n"a-t-il pu songer à moi dans son
testament, s'il en a fait un, et je n'ai
rien à en attendre, à moins qu'il n'ait
négligé d'en écrire un. En ce cas, j'héri-
terais pour ma part de la moitié de ses
biens, en concurrence avec je ne sais plus
quels parents qu'avait encore M. Florot,
d'une autre branche, et auxquels il aura
plutôt tout donné.
Soucis d'héritier qui laissaient d'ail-
leurs Maurice très calme, assez fortuné
lui-même pour ne pas se préoccuper
outre mesure de l'héritage de l'oncle
Florot, qu'il n'avait jamais attendu.
C'était donc plutôt par acquit de
conscience et comme on remplit une
formalité qu'il se rendait à l'invitation
du notaire, curieux seulement de con-
naître le pays, le coin boisé et sauvage
où l'oncle Florot s'était isolé, et de
retrouver les traces de l'existence ori-
ginale du bonhomme, ennuyé pour le
reste du dérangement occasionné et pes-
tant contre la corvée du voyage.
Mauvaise humeur pourtant vite dis-
sipée, dès le début, comme nous l'avons
indiqué précédemment, par la surprise
agréable que le jeune homme venait
d'éprouver, dès la minute où il avait
164
L'IIKRITAGE DE L'ONCLE FLOROT
pénétré, si maussademenl, dans le com-
partiment de l'express.
Surprise simplement agréable au pre-
mier moment, mais qui, au bout de trois
heures de confrontation qu'avait duré le
voyage, et à la suite de multiples obser-
vations de la part de Maurice, achevait
de se résoudre pour lui en une véri-
table découverte. Quelque chose comme
la découverte psychologique d'un autre
monde, apparu sous l'ancien, un monde
beaucoup plus séduisant et paradis ter-
restre que le monde jusqu'ici connu,
l'ancien, l'actuel jusqu'à nouvel ordre...
Une découverte vraiment historique
dans les annales encore juvéniles de
l'existence de Maurice et qui risquait
de faire époque vraisemblablement et
de toutes façons... Découverte passion-
nante, mais qui ne s'était pas révélée
comme cela tout d'un coup, qui n'était
elle-même que la somme de petites
découvertes successives , insignifiantes
en apparence, pour commencer.
Telle , par exemple , celle-ci , assez
banale, dès l'entrée dans le wagon :
— Quelle jolie jeune fille !
Premier aperçu , vite complété par
celui-ci, déjà plus analytique :
— Comme elle a l'air sérieux et résolu
sous sa gentille mine blonde !
Mais les épithètes « sérieux et résolu »
semblèrent vite à l'observation d'ailleurs
correcte et dissimulée de Maurice, des
termes quelconques, très inférieurs en
réalité aux qualités évidentes de la jeune
fille.
Dans son attitude, en effet, les quel-
ques rares gestes échappés, je ne sais
quoi de noble, de déterminé et comme
d'un joli héroïsme émanait d'elle, qui
remplit instinctivement Maurice d'une
admiration recueillie. Et le regard bleu,
lumineux et fier de la jeune fille, surpris
un instant, acheva, en l'intimidant, de
troubler l'observateur, au point qu'il ne
se reconnaissait plus lui-même. Volon-
tiers un peu fat et si sûr de lui jusqu'à
présent, il se sentait tout à coup plein
d'humilité , tout petit garçon , d'une
essence grossière et inférieure, un peu
honteux de lui-même en face de la
beauté de visage et d'âme entrevue,
modestement renfoncé dans son coin
et rougissant malgré lui.
Des poètes orientaux comparent les
yeux de la bien-aimée à des soleils et
nous sourions volontiers de leur em-
phase. N'y a-t-il pas cependant, se
demandait Maurice, quelque chose de
vrai dans leur métaphore déclamatoire?
Et la pure lumière de vie et de pensée,
levée tout d'un coup sur nous, sous de
soyeuses paupières, n'a-t-elle pas cette
puissance parfois d'éclairer subitement
l'obscurité de notre cœur et notre grise
existence crépusculaire comme d'une
nouvelle aurore, d'une lueur merveil-
leuse qui nous fait voir le monde autre-
ment, plus vaste, plus clair et plus
joyeux que nous ne l'aurions jamais
imaginé, comme si le soleil lui-même en
effet avait redoublé d'éclat...
Ainsi la découverte allait son train,
un train d'express, dans l'esprit de
Maurice Girard et aussi dans son cœur,
quand la voix de la jeune fille, entendue
dans une minute de conversation avec
sa mère, pendant un arrêt du convoi,
acheva d'émouvoir Maurice délicieu-
sement.
— Eolienne! s'exclama -t-il en lui-
même dans son lyrisme. Je ne trouve
pas d'autre mot. Eolienne! On dirait à
chaque syllabe une musique, une corde
de harpe vibrante. Cela tombe aussi
dans l'oreille, mot par mot, comme une
petite pierre précieuse.
Et, se reprenant soudain, tandis que
le train repartait, avec son bourdonne-
ment de vapeur :
— Ah çà ! maugréa Maurice, où ai-je
la tête ! Est-ce que je serais en passe de
devenir amoureux? C'est stupide...
Mais qu'est-ce qui était stupide?
— Parbleu, se répondit machinale-
ment Maurice, bougon dans son coin et
parachevant ainsi sa découverte, de
vivre comme je vis. Est-ce une existence
aussi de végéter ainsi, tout seul, ou en
compagnie d'amis qui se moquent de
vous, d'aller à droite et à gauche, sans
I. lllOmrAGK 1)K L OXCLL FLOHOT
165
but, sans savoir, de mener enfin celle
*otte vie de garçon, une vie d'ours,
<rinutile, de borne au coin d'une rue,
d araignée dans sa loile et de rat dans
t;on trou, comme ce vieux maniaque
d'oncle Florol , tandis qu'on pourrait
être si heureux autrement !
Le fait est que maintenant, sans ajjpro-
— Parbleu, j irais bien jusqu au bout
du monde comme cela, se disait-il à
présent, inconscient du temps écoulé.
Quand le train eut une secousse, s'ar-
rêta.
Un employé criait :
— Sancy ! . . .
Maurice eut un ré\eil désagrréable.
fondirpourquoi, depuis l'aurore entrevue
dans les clairs yeux bleus, la vie, comme
il l'avait vécue jusqu'à présent, appa-
raissait à Maurice Girard la plus triviale
des occupations et la moins intéressante.
L n mirage sétait interposé devant lui.
qui éclipsait le reste. Et jamais, lui sem-
blait-il, il n'avait éprouvé une pareille
sensation du bonheur que depuis qu'il
avait mis le pied, en bougonnant, dans
1 étroit compartiment de l'express.
— Gomment, déjà ?
Il fallait descendre, quitter pour
jamais le joli rêve d'un moment, le mi-
rage éphémère, anonyme, déjà effacé,
envolé...
— Non, se dit Maurice, on rompra
les scellés sans moi. Je reste, je con-
tinue.
Mais les deux dames elles-mêmes
sciaient levées, descendaient.
— Gomment, elles aussi!
166
L'HERITAGE DE L'ONCLE ELOIîOT
Alors seulement il remarqua qu'elles
étaient en deuil comme lui.
Il s'était précipité et, la mémoire lui
revenant tout à coup, il s'avança.
— Pardonnez-moi, madame, fit-il en
saluant la mère, si je me permets de
vous adresser la parole, mais notre com-
mune arrivée en ce petit pays éloigné
me fait supposer que nous nous trou-
vons réunis ici pour la même circon-
stance... N'est-ce pas à madame Delize
que j'ai l'honneur de parler?
]y[me Delize, Maurice se rappelait
à présent, l'unique parente, d'une autre
branche que la sienne, de l'oncle Florot,
convoquée également et dont il con-
naissait le nom, sans l'avoir d'ailleurs
jamais vue.
— Madame Delize, en effet, monsieur.
— Permettez-moi de me présenter à
mon tour, Maurice Girard.
— Le petit-neveu de M. Florot, dont
je suis une cousine germaine. C'est
presque une parenté entre nous, mon-
sieur, fit aimablement la vieille dame.
En même temps, un domestique s'ap-
prochait :
— Le notaire a fait préparer des
chambres à la maison de M. Florot. Il y
a là une voiture.
jyjme Delize montait avec la jeune
fdle.
— Vous ne venez pas à la maison,
monsieur?
— Excusez-moi, dit Maurice, je pré-
fère descendre, à l'auberge. Mais la levée
des scellés n'est que pour demain. Vous
me feriez le plus grand honneur, ma-
dame, en m'autorisant à aller vous pré-
senter mes respects dans la soirée.
— Avec plaisir, monsieur.
La; voiture roulait déjà, Maurice res-
tait sur la route, sa valise à la main,
encore tout abasourdi.
— Ah ! bien, fit-il seulement, est-ce
que la Providence s'en mêlerait?
Pour la première fois, l'héritage de
l'oncle Florot commençait à l'intéresser
et, en jetant ses regards autour de lui,
le pays tout à coup apparu, avec ses
coteaux boisés, sous le grand ciel clair
de deux heures, lui sembla le plus beau'
du monde.
Mais si pour Maurice le voyage de
Sancy, après s'être présenté d'abord
comme une corvée et être devenu le
plus agréable des voyages de décou-
verte dans le féerique pays des merveilles
sentimentales, restait d'une importance
secondaire, quant à la perspective aléa-
toire de l'héritage de l'oncle Florot, il
n'en était pas de même pour ses deux
compagnes de wagon. La question de
l'héritage, pour M™^ Delize et pour sa
fille, comportait, au contraire, un intérêt
poignant, et ce n'était pas sans une
émotion anxieuse, bravement dissimulée
sous la bonne grâce et la tranquillité
extérieures, que le lendemain elles
attendaient la levée des scellés qui allait
prononcer sur leur sort.
Veuve d'un ancien officier de marine,
]yjme Delize venait, en effet, de se voir
récemment, par une suite de placements
malheureux, dépouillée de la petite for-
tune qui la faisait vivre avec sa fille. Et
de cruels soucis dévoraient le cœur des-
deux femmes, de la mère surtout. La
dot même de Georgette, son enfant,
sombrée dans le désastre, M'"^ Delize
voyait sa fille, à l'âge de se marier et
dans tout l'éclat d'une beauté char-
mante, avec la noblesse d'un caractère
d'élite et les élégances d'une éducation
distinguée, promise à brève échéance à
toutes' les duretés d'un avenir besogneux
et subalterne. Telle était effectivement
la détresse actuelle des deux femmes que
Georgette, dans l'énergie de son âme
courageuse, avait pris la résolution de
s'expatrier, était déjà en pourparlers-
pour entrer comme institutrice dans une
riche famille américaine. Et plus encore
que l'humilité, fièrement supportée, de
leur situation précaire, le déchirement
de la séparation, nécessaire et prochaine,
agitait leurs âmes de toute la doulou-
reuse angoisse des résolutions désespé-
rées, quand la lettre du notaire était
arrivée, avec la nouvelle de la mort de
I/IIÉRITAC.E DE I/ONCLE ELOROT
167
Toncle Florot et l'espérance d'un héri-
tage qui semblait devoir au dernier
moment tout réparer.
Un héritage sur lequel elles étaient
en droit de compter, M. Florot ayant
entretenu longtemps avec ses parentes
des relations amicales et manifesté à
plusieurs reprises pour Geor-
i^elte des intentions paternelles,
lusquau moment où la vieil-
■ ; lesse Tavait définitivement
rendu hypocondriaque et soli-
taire, enfermé dans son do-
maine de Sancy comme dans une tanière.
S'il n'avait pas pensé dans tous les cas à
avantager Georgette, il avait pu, espérait
M""^ Delize, ne pas faire de testament.
Ainsi elles hériteraient naturellement de
la moitié qui leur revenait de droit,
ce qui les sauverait, comme elle di-
f68
L IIÉRITAGiE DE L'ONCLE FLOROT
sait, sans jDorter préjudice à personne.
Sinon, déshéritées, c'était pour les
deux femmes l'avenir cruel, un instant
écarté, devenu le présent douloureux,
et le départ forcé de Geor^-^elte... De là
l'émotion qui leur serrait le cœur, en dé-
pit d'une résignation, fermement arrêtée
d'avance, en cas de désillusion, lorsque,
le lendemain, elles se retrouvèrent avec
Maurice, le notaire et le juge de paix
devant les tiroirs scellés des meubles de
l'oncle F'iorot, d'où allait peut-être sortir
pour elles, comme un billet de loterie,
le bonheur ou le malheur, écrit sur un
bout de papier par la plume incertaine
d'un vieillard.
Malgré leurs préoccupations pourtant,
elles ne purent s'empêcher de sourire à
Maurice qui, après la visite autorisée et
faite la veille, les abordait avec un
visage éclatant malgré lui de la joie
toujours plus grande de revoir la jeune
fille, et une vivacité tempérée seulement
par le respect qui le rendait devant elle
tout timide.
Depuis la veille au soir où, dans le
jardin de l'oncle Florot, en face du
magnifique horizon des coteaux boisés
qui entourent de toutes parts la pro-
priété et où le soleil couchant abaissait
de longues ombres majestueuses, depuis
ce soir où il avait pu s'entretenir quel-
ques minutes avec la mère et la jeune
'fille, dans l'intimité brève et délicieuse
de sa présence, de sa parole et de son
regard, l'enthousiasme à la fois juvénile
et viril de Maurice n'avait fait qu'aug-
menter, au point d'en prendre le parti
délibéré de se reconnaître définitivement
amoureux.
De sorte que, dans le bonheur de se
retrouver de nouveau en face de Geor-
gette, il ne savait plus bien au juste, ce
jour-là, pourquoi il était là et ce qu'y
faisaient aussi ce petit bonhomme de
notaire, joufflu et cordial, et ce grand
juge de paix taciturne, à mine rogue,
solennel dans sa redingote étriquée.
L'héritage de l'oncle Florot lui impor-
tait si peu, à Maurice, et qu'est-ce que
tous les biens de la terre, qu'une pous-
sière méprisable, à côté des trésors de
beauté et de jeunesse que lui représen-
tait Georgette?
Aussi ne prêtait-il attention à rien, ni
à personne, qu'à elle-même, absorbé de
sa place dans la contemplation assidue
de la jeune fille, assise auprès de sa
mère, devant une table sur laquelle, au
fur et à mesure que les scellés étaient
brisés, les papiers trouvés dans les
tiroirs venaient un à un s'amonceler.
L'opération, suivie par les deux
femmes avec les transes que Ion devine
sous leur calme impeccable, durait de-
puis longtemps déjà, et tous les papiers
avaient été examinés sans qu'on eût
encore rien découvert.
— Je le pensais bien, fit M*' Boubert.
A mon avis, il n'y a pas de testament.
— Bon, fit Maurice, sans savoir au
juste ce qu'il disait.
]y[me Delize et sa fille se rassuraient.
Quand un dernier tiroir fut vidé et une
enveloppe tomba sur la table.
— Hé! hé! fit M" Boubert, en rajus-
tant ses lunettes. J'aurai peut-être parlé
trop tôt.
Avec une lenteur grave, il avait ouvert
l'enveloppe. C'était un testament, en
effet, très court, quelques lignes à peine,
mais décisif.
M Sancy, le... juin 189...
« Sain de corps et d'esprit, j'écris
ici mon testament.
« J'institue M. Maurice Girard, mon
petit-neveu, mon légataire universel... »
M'' Boubert s'était tourné vers Mau-
rice :
— C'est vous qui héritez, monsieur.
— Comment? demanda Maurice qui
avait à peine écouté. Je n'hérite pas seul?
— Pardon, monsieur. Vous êtes léga-
taire universel.
— Il n'y a pas d'autres legs, de
clauses?...
— Rien.
— C'est un peu fort, s'écria Maurice.
Confus de son avantage, sans soup-
çonner, d'ailleurs, toute la cruauté du
coup secret porté aux deux malheu-
reuses femmes, il lançait un regard
I/IIKlUTACrK 1)K I/t)NCI.l-: FI.OUOT
169
clexcuse du coté de M""-" Dclize. El un
iustanl, il crut la voir pâle, comme si
elle allait défaillir. Mais tout de suite,
elle sélait remise. Cicorj.;etle n'avait pas
eu un mouvement. Nul ref,n'et, nulle
rancune n'avait paru troubler le teint
pur de son visaf;e.
— C'est un peu fort! répéta Maurice,
vraiment contrit. Mon oncle me con-
naissait si peu. Il m'avait oublié. Vous
devez vous tromper; il doit y avoir
autre chose.
— Il peut exister un second testament,
mais il n y a rien d'autre sur celui-ci.
On chercha encore. Mais le reste des
papiers n'offrait rien que d'insignifiant.
— C'est clair, conclut le juge de paix.
Nous avons tout examiné. Nul autre
testament n'a été jusqu'ici, à notre con-
naissance, déposé chez un notaire. C'est
bien vous qui héritez, monsieur.
Déjà M'"® Delize et sa fille s'étaient
levées.
— \'ous vous relirez, madame? de-
manda Maurice avec désolation.
;^jme Jjelize trouva courageusement un
sourire.
— Nous sommes pressées de repartir
par le premier train. Nous vous laissons
chez vous, monsieur.
— Chez moi ! s'écria Maurice. Mais je
n en veux pas, de l'héritage, je renonce
au testament, je n'accepte pas, je n'ac-
cepte que ma part...
^yjaie Delize s'était retournée :
— Vous êtes trop bon, monsieur. Mais
nous n'acceptons pas non plus dans ces
conditions. Le bien retournera à l'Etat.
Maurice était de plus en plus désolé.
11 s apparaissait à lui-même comme un
monstre d'égoïsme, un accapareur. Si le
notaire ne l'eût retenu, il eût déchiré le
testament malencontreux.
— Est-ce bête ! fit-il encore, les deux
dames sorties. A moi 1 quand ce vieux
maniaque d'oncle Florot possédait une
petite-cousine lù gentille, si adorable, si. ,.
Devant l'enthousiasme du jeune
homme, M*' Bouberl, malicieux sous ses
lunettes, eut un sourire.
— Allons, fit-il de sa fine voix claire.
tout peut encore s arranger. Qui sait?
Ce qui serait fort à souhaiter dans l'in-
térêt de ces dames, ajouta-t-il en sou-
pirant, pour lesquelles je crains que
cette déception ne constitue un ^'éritable
désastre.
— Comment cela? demanda vivement
Maurice, encore plus inquiet et plus
mécontent.
M" Boubert, au courant de la situa-
tion de M""" Delize, ne crut pas devoir,
devant les bonnes dispositions de Mau-
rice, taire la vérité. En quelques mots
il le renseigna.
Cette fois, Maurice quitta tout, le
notaire, le juge de paix et le testament,
lancé à la recherche de M'"" Delize.
Certes non, il n'accepterait jamais main-
nant ! Lui qui croyait simplement, de
sa part, à une vexation possible d'héri-
tière déçue, et qui déjà s'en trouvait
contristé. Et c'était leur ruine même
qui était ainsi consommée! Ce n'était
plus possible, moins que jamais ! Et il
se considérerait comme un voleur, un
bandit, digne d'exécration, s'il acceptait
de dérober, lui, sans soucis, riche,
amoureux par-dessus le marché, le bien-
être des deux femmes, la fortune même
de Georgette. Il n'y consentirait pas, il
forcerait bien M""® Delize à reprendre la
part qui lui revenait légitimement, qui
leur était si nécessaire.
Les deux femmes, au moment de leur
départ, se préparaient déjà à monter en
voiture, quand Maurice arriva comme
un fou.
— Madame! madame! criait-il.
^jme jJelize le regardait avec surprise.
— Eh bien, monsieur?
Georgette, elle, veillait aux derniers
préparatifs, de son air fier et paisible.
— Eh bien, monsieur? demanda
encore M""*^ Delize, un peu froissée.
Et Maurice resta court, tout honteux
de lui-même, de son élan, de son atti-
tude. Il se reconnaissait indiscret, im-
portun et ne savait plus que dire. Il
comprenait tout ce qu il y avait de bles-
sant dans son insistance. Il n'avait pas
le droit de connaître, de toucher, si dé-
170
L'HERITAGE DE L'ONCLE FLOROT
licatement que ce fût, au malheur caché | Georg-ette pencha légèrement la tète,
de M""' Delize. Devant la fierté ombra- 1 Maurice fit un; grand salut,
geuse et fermée des deux femmes, il se | Et, la voiture partie vers la gare, dans
un petit nuage de poussière,
Maurice, d'abord triste, puis
ragaillardi soudain, allait re-
I V -"^i- trouver M'' Boubert. Adieu!
' ' ' oui, mais pas pour longtemps.
M'' Boubert connaissait l'a-
dresse de ces dames à Paris.
Et Maurice avait maintenant
son idée, une idée fixe, arrê-
tée, qui le consolait d'avance,
même le transportait dans une
crise de joie, retenue à grand-
peine, et dont il aurait volon-
tiers battu des deux bras,
comme des ailes. Ainsi que
le disait M'' Boubert, tout
pouvait encore
s'arranger. Et il
y avait manière
quand même d'hé-
r i l e r ensemble,
tous les deux, avec
Georgette.^ Pour-
quoi n'y avoir pas
pensé tout de suite?
Car c'était cela
^t dont Maurice ne
1^ voulait pas à toute
force, décidément,
hériter tout seul, en
avare, en égo'ïste,
en célibataire...
Aussi, dans son
impatience, la
crainte que, dans
leur position pré-
caire, M'"« Delize et
Georgette ne prissent des résolutions
contraires et hâtives, Maurice, après
quelques jours, de retour à Paris, en-
voyait M'"^ Carlier, sa tante, sa plus
proche parente, chez M""* Delize, en
grande cérémonie, avec la mission offi-
cielle de demander pour lui Georgette
en mariage.
— Et tu sais, ma tante, avait recom-
sentit plein de remords; il rougit, s'in-
clina.
— Madame, pardonnez-moi, je dési-
rais seulement vous saluer une dernière
fois et vous présenter mes respects avant
votre départ.
— Vous êtes trop aimable, monsieur,
nous vous rendons votre salut de grand
LIIKUITAGE DE LONCLK FLOUOT
171
mandé Maurice, dans tous ses états,
fais bien comprendre à M"'^ Delize com-
bien j'aime sa fille, combien j'en suis
fou, depuis que je l'ai vue, combien je
serais fier si elle consentait, et malheu-
reux autrement... Car qui sait, hélas!
si elle voudra de moi et si je lui ai plu?
Sincèrement, Maurice restait plein d in-
quiétude, imaginant malgré tout avec
difficulté comment la belle, la noble,
l'exquise Georgette pourrait jamais ac-
cepter un malotru de son espèce gros-
sière et barbue.
Le fait est que M™'' Carlier revint ce
jour-là avec une réponse évasive.
M™® Delize avait été très froide. Mais
elle ne s'était pas prononcée, elle con-
sulterait sa fille.
— C'est fini, soupira Maurice, déjà
au désespoir. C'est par politesse.
172
L'HÉRITAGE DE LONCLE FLOROT
M"*' Delize ne peut vouloir de moi, c'est
é\'idenl.
— Elle serait sotte, observa M""^ Car-
lier. KWe qui n'a pas de fortune.
— Il n'y a pas que la fortune, fit
Maurice.
C'est, en elï'et, ce qu'à la seconde
entrevue. M'"" Delize, posément et fer-
mement, fit entendre à M'"'' Carlier. Et
même la fortune de Maurice, comme on
le laissa deviner, n'était pas un des
moindres obstacles à l'union désirée.
Dans sa fierté sensitive, Georgette décli-
nait un mariage disproportionné en ce
qui la concernait, et auquel les circon-
stances prêtaient un certain air de com-
pensation qu'il n'était certainement pas
dans les intentions de Maurice de lui
donner, mais qui n'en existait pas
moins et auquel Georgette refusait de
se prêter. M"*^ Delize avait d'ailleurs des
intentions arrêtées; elle allait partir pro-
chainement pour l'Amérique.
Va Maurice, au moment même où sa
tante, de retour de sa mission, lui an-
nonçait la décision qui anéantissait ses
rêves, se trouvait comme précipité au
fond d'un véritable trou de désespoir,
quand un télégramme arriva, de M'" Bou-
bert :
« Second testament, déposé chez no-
taire à Paris, annulant le précédent et
instituant M"" Delize légataire. »
Un testament déposé, par une lubie
du vieillard, chex le premier notaire
rencontré, pendant un voyage de l'oncle
Florot à Paris, et dont on venait seule-
ment de découvrir l'existence, l'oncle
Florot n'en ayant jamais parlé à per-
sonne, et le notaire de Paris ayant jus-
que-là ignoré le décès qu'un hasard
venait seulement de lui faire connaître.
D'ailleurs peu importait à Maurice le
comment et le pourquoi.
Du trou profond de son désespoir, il
sortait comme dans un bond d'allégresse,
repris de confiance. Il ne laissa même
pas à la bonne M'"^ Carlier le temps de
reprendre haleine.
— Tu as encore ton chapeau, vite,
cours, retourne... Si c'est seulement
scrupule et délicatesse de la part de
Georgette à qui répugnait un mariage
comme de charité et de consolation, tu
comprends, maintenant, tout est changé,
sauvé; elle dira oui...
j\,pne Carlier, un peu bousculée, mais
compatissante, était repartie.
Elle revint une demi -heure après,
soufflante, harassée et gaie.
— Eh bien? demanda Maurice,
anxieux.
— Eh bien, M'"^ Delize a reçu la
même dépêche que toi.
— Je le pense bien, dit Maurice, mais
alors ?
— Alors elle va de nouveau consulter
sa fille.
— Eh! fit Maurice impatienté, ne
pouvait-elle la consulter tout de suite?
— Comme tu y vas, mon enfant ! Ces
choses-là ne se mènent pas tambour
battant.
— Enfin, je ne peux rien savoir?
— Rien de précis, fit M"*" Carlier, en
souriant, mais à l'air affable et plus
ouvert de M""' Delize, à je ne sais quoi
de bienveillant pour toi que j'ai cru
surprendre cette fois chez elle, cela
m'étonnerait beaucoup si maintenant
c'était non...
Maurice s'était jeté au cou de M""' Car-
lier.
— Oh! ma tante, ma tante, comme
tu es bonne !
Quelques jours après, Maurice était
autorisé à se présenter chez M"^"^ Delize
et à faire sa cour à Georgette ; une
Georgette nouvelle, dont la beauté un
peu éclatante semble s'adoucir, encore
plus séduisante ainsi, dont la fierté gra-
duellement s'atténue et s'enjoue dans la
société du jeune homme, et qui s'atten-
drit un peu plus tous les jours, à mesure
qu'approche le mariage.
H E N R Y F Ù V R E .
LE NIL
L'ILE DE PHIL^
Serrée clans sa fraîche ceinture de
palmiers et, de lentisques, couverte d'an-
tiques monuments, se détachant lumi-
neuse contre les sombres rochers de
Bigeh, l'île de Phike, toute blanche, re-
pose dans le Nil, mirant dans ses eaux
les cimes démeraude de ses palmiers,
les élégantes silhouettes de ses temples.
En face, au Nord, apparaissent à perte
vue, noirs, déchiquetés, abrupts, des
milliers d'îlots, de caps, de promon-
toires étrangement entremêlés, consti-
tuant la première cataracte et s'étendant
sur une longueur de 11 kilomètres jus-
qu'à Assouan.
Au seuil de la Nubie, elle forme l'ex-
trême limite de la haute Egypte. Située
par 24M'34" de latitude sur SC^Sriô"
de longitude du méridien de Paris, elle
est de minimes dimensions , mesurant
environ 400 mètres de long par 135 de
large.
Une muraille de pierres de taille lui
sert de rempart contre la force des eaux
et l'entoure de tous côtés, sauf au sud,
où un énorme bloc de granit, dominant
l'île de 4 ou 5 mètres, forme un éperon
contre lequel se brise l'impétuosité du
courant. Suffisamment élevée, l'île est
complètement à l'abri des plus hautes
inondations.
Si le projet, à peu près abandonné
aujourd'hui, de construire une digue à
l'entrée de la cataracte eût été mis à
exécution, le niveau du fleuve eût dé-
passé de 4 ou 5 mètres le sol de l'île et
la double action des eaux et du courant,
dont rien alors n'eût modéré la furie,
eût en quelques années détruit cette mer-
veille d'autrefois, respectée jusqu'à ce
jour par le temps et les hommes.
Huit heures, nos hommes sont dans
la chaloupe, étendus sur les bancs, atten-
dant qu'on embarque. J'allume une pipe
et je saute dans l'embarcation.
Les six matelots saisissent les rames.
Mohammed, accroupi à l'arrière sur le
plat-bord, manœuvre le gouvernail; le
vieux Mahmoud commence, sur un ton
suraigu, une chanson triste et monotone ;
l'équipage entonne en chœur le refrain,
et l'esquif fend les eaux qui miroitent
avec d'atroces reflets.
La chaloupe talonne et s'arrête à 2 ou
1"4
suit LE NIL
3 mètres du rivage. Mohammed, qui s'est
mis à l'eau, m'a pris sur ses épaules et
délicatement déposé sur la berge, longue,
en pente douce, de sable fin.
Hassan est là, me guettant depuis une
heure, avec son âne, un bel âne gris au
poil ras orné d'arabesques dextrement
découpées à coups de ciseau. Un beau
sourire éclaire sa jolie face aux traits
réguliers, finement ciselés, et sur sa
jambe maigre, dure, au mollet haut et
grêle, une fine poussière blonde s'est
déposée, mettant sur les chairs brunes
un fin glacis ambré.
Nous suivons un instant le quai à
l'ombre de hauts palmiers. Chacun a le
tronc protégé par un mur circulaire de
maçonnerie blanchie à la chaux, ce qui,
de loin, leur donne l'aspect de longs cous
minces sortant de faux-cols trop larges.
On tourne à droite et on suit le bazar
bas et couvert. Puis nous prenons une
rue latérale. Les boutiques se font rares,
la foule diminue, des pigeons picorent
jusque dans vos jambes. Nous passons
devant la mosquée en briques crues de
Hadji-Hassan-Mohammed, avec sa large
cour à ciel ouvert, où se dresse un gi-
gantesque palmier. On traverse la vieille
ville, on côtoie quelques masures, des
murs ruinés et nous débouchons dans
une plaine aride et sablonneuse.
Nous sommes dans le désert où se dé-
ploie indéfiniment la nécropole d'As-
souan, une vaste étendue terne, pou-
dreuse, parsemée à perte de vue de
tombes, de coupoles, les unes toutes
grises en pisé, les autres blanchies à la
chaux, la plupart effondrées, laissant voir
le ciel à travers leurs voûtes crevées. A
nos pieds, le sol est jonché de débris, de
stèles brisées; sur les unes sont gravés
des caractères grecs, sur d'autres on lit
des inscriptions romaines, sur un cer-
tain nombre sont dessinés des hiérogly-
phes. Parfois, semblable à un masto-
donte au repos, un bloc de granit noir
perce le sol, portant incisés sur ses faces
polies le cartouche d'un Pharaon, la
date d'une expédition contre les tribus
du Sud.
Nous laissons le cimetière sur la
gauche et obliquons à droite, dans la di-
rection du Nil. La plaine s'élève
bordée d'amoncellements de rochers qui
nous dérobent' la vue du fleuve. A
gauche, ce sont des fondrières, des
tranchées abruptes, ravagées, semblables
à des lits de torrents desséchés qui au-
raient roulé du feu, tant les bords
friables sont noircis, rongés, calcinés.
Soudainement, tranchant sur ces tons
sombres et gris, une tache blonde étin-
celante apparaît, et une coulée de sable
se déroule, comblant les profondeurs
obscures, envahissant les rochers, lais-
sant seulement à découvert leurs arêtes
aiguës. Puis les ravins mornes reparais-
sent, les gigantesques massifs de blocs
superposés en un équilibre dangereux,
blocs arrondis, usés, gercés, fendus, s'en
SUIl LE NIL
175
allant par squames sous la morsure de
la terrible chaleur.
De temps en temps, à travers une
coupure de cette muraille de pierre, on
aperçoit le Nil, et alors c'est un mer-
veilleux spectacle d'une sauvage gran-
deur.
Sur une étendue de 3 ou 4 kilomè-
tres, des milliers d'îles, d'îlots faits de
rochers de granit ou de
basalte, d'un noir uni-
forme, aiïectant, dans
leurs bizarres grou-
pements, des :';
noirs à la base, luisants comme s'ils eus-
sent été fraîchement goudronnés. De-
vant cet éperon de pierre le fleuve se
brise et bouillonne. Derrière, entre le
double courant débordant de chaque
côté, s'allonge une nappe blonde de
sable fin frangée d'écume et coupée de
stries horizontales s'étageant en gradins
parallèles, empreintes laissées par les
basses eaux dans leurs re-
traits successifs.
Par places, dans un peu
de terre déposée par l'i-
nondation, dans un creux
de rocher, une fissure, un
coin en contre-bas, un len-
tisque verdoie, un palmier
a pris racine. Dans des
- r*.4^. > ^
formes étranges, des
silhouettes de bêtes
monstrueuses et in-
connues, se dé-
ploient jusqu'aux
sables jaunes liby-
ques , trouant de
leurs sommets som-
bres et déchiquetés
la surface miroitante du Nil. Les eaux
du fleuve, démesurément élargi, se pré-
cipitent tumultueuses à travers ces ob-
stacles qui obstruent son cours, et une
rumeur sourde monte d'en bas. emplit
l'air de sa plainte continue.
Çà et là, dans l'enchevêtrement inex-
tricable de ces îles, de ces îlots surgit un
promontoire aux formes extravagantes
dont le sommet surplombant la base
semble déconcerter toutes les lois de
l'équilibre, ou bien se dresse un rem-
part composé de rocs de granit, fendus
en long et en large, roses au sommet.
LE LONG DE LA CATARACTE
bouquets de verdure entourés d'herbes
maigres, des notes claires, à peine visi-
bles indiquent une coupole de Khouba,
un toit de cabane, isolés sur un îlot.
Parfois, à travers ce chaos pointe, in-
cliné sur son mât grêle, semblant sortir
d'un rocher, le triangle d'une voile. Un
moment la blanche vision apparaît, puis
tout à coup, à un tournant, s'évanouit,
reparaît un peu plus loin, glisse toute
pâle le long des granits sombres et de
nouveau, subitement, disparaît, masquée
par un cap, pour se montrer à quelques
mètres de là, fuir encore et s'échapper
ne
SUR LE NIL
LA CATARACTE AVANT D'ARRIVER A PHIL.E
derrière une pile de rocs. Et ce jeu de
cache-cache à travers les rochers mons-
tres dure des heures.
Sur tout cela, l'ardent soleil épand
son éblouissante splendeur, illuminant
les ondes, ruisselant en Ilots d'or sur la
nuque rosée des formidables animaux de
granit ou de basalte. Et de leurs robustes
flancs noircis, des ombres projetées d'un
bleu violet aux contours durement ac-
centués courent sur les eaux, se brisent,
escaladant les rochers, décrivant de fan-
tastiques silhouettes.
Tout en haut, s'arrondit limpide, pro-
fonde, intensivement bleue, la voûte cé-
leste, étendant sur cette grandiose con-
fusion la majesté de sa paisible et
éternelle solennité.
Pendant quelque temps nous suivons
le sentier abrupt, taillé dans le versant
de la falaise. La chaleur réverbérée par
le sol est étouffante, on est presque
aveuglé par les reflets qui rayonnent des
parois des rochers.
Nous regagnons la route du désert. A
notre gauche, nous retrouvons les vastes
fondrières au delà desquelles se trouvent
les fameuses carrières de granit. Mainte-
nant le terrain s'abaisse, insensiblement
d'abord, puis la pente s'accentue et.
après une rampe brusque, nous voici
dans une vallée de sables d'où montent,
à une hauteur considérable, accolés,
superposés, furieusement mêlés, des
entassements vertigineux de granits de
grès, de basalte. Les parties terminales
reposant en porte-à-faux se tiennent en
un équilibre incompréhensible, et l'as-
pect farouche de ces agglomérats gigan-
tesques donne l'impression, très nette-
ment définie, de barricades de Titans à
demi écroulées.
Et on dirait, à voir ces blocs saillants,
débordant en saillies menaçantes, qu'à
tout moment, au plus faible choc, à la
plus légère secousse, à la moindre pieiTC
se détachant, ils vont s'écrouler, provo-
quant dans leur chute uu efl'ondrement
général.
Sur les faces de certains, sont gravés
des cartouches de rois, des dates d'ex-
péditions guerrières , des louanges
adressées aux divinités et aux Pharaons,
vieilles de 2,600 ans avant notre ère,
pages d'histoire colossales ouvertes en
plein désert.
Le sable est menu, impalpable ; on y
enfonce jusqu'à mi-jambe. Surla gauche,
les successifs khamsin l'ont chassé contre
la chaîne de rochers formant l'autre ver-
sant de la vallée. Et la fine poussière
s'est amoncelée, envahissant graduelle-
SUR LE NIL
177
ment les assises de la pierre, comblant
les fentes, les creux, les anfractuosités,
recouvrant même par endroits les som-
mets, ne laissant voir que les crêtes su-
périeures, une suite de pitons et d'arêtes,
ressortant violemment en noir sur le
clair linceul déposé par les vents, vous
faisant éprouver l'illusion de névés et de
glaciers.
Au fond de la vallée sortent du sol,
sentinelles mornes et solitaires, de larges
granits arrondis et polis, sur lesquels on
retrouve aussi des inscriptions hiéro-
glyphiques, remontant aux différentes
époques de l'antiquité pharaonique.
Parallèlement à la route, la même qui
conduisait autrefois à Phila*, celle que
Strabon disait avoir parcourue envoitui'e,
on rencontre les restes d'une ancienne
muraille en briques cuites, le Megatichos
de Juba s'étendant autrefois d'Assouan
à Philœ. Elle avait été construite pour
protéger l'Egypte contre les invasions
des nomades de la Nubie, les Oua-ouaï,
les Khesa, etc., des Egyptiens, les Blem-
myes des Romains, que la légende
disait être sans tête, sans cou et avoir
les yeux et la bouche sur la poitrine,
et qui ne sont autres que les Bicharis
d'aujourd'hui.
La vallée débouche dans un terrain
plat où s'allonge la voie ferrée que nous
côtoyons. Un coup de sifflet retentit :
derrière nous, on entend comme un
souffle puissant de bête, un roulement
sourd ; une masse sombre, allongée, se
précipite avec un bruit de tonnerre, fai-
sant trembler le sol, laissant derrière elle
un nuage opaque, qui reste en suspension
dans l'air, trop lourd pour s'élever, souil-
lant de sa vapeur épaisse la pure trans-
parence de l'atmosphère, le bleu exquis
du ciel... C'est la civilisation qui passe,
l'implacable et incessant destructeur du
passé, anachronisme hurlant dans la
solitude du désert, parmi ces immuables
souvenirs des temps disparus, ces gra-
nits sculptés célébrant les hauts faits des
Pharaons, la gloire des dieux à têtes
d'animaux.
Depuis un moment, nous ne foulons
Vin. — 12.
plus les cailloux rugueux du désert, le
sol s'est amolli, la terre se montre, la
bonne terre féconde. On aperçoit des
alignements de palmiers, des groupes
d'acacias, des bouquets de tamaris.
UN BICHARI
d'épais massifs de sycomores, au-dessus
desquels pointe le sommet d'un minaret.
A travers le rideau, d'un vert pâle pou-
dreux, des arbres, on distingue çà et là
des façades blanches de maisons; nous
sommes à Chellal qui fait face à
Philœ. Un temps de galop nous amène
178
SUR LE NIL
au village que nous traversons et, devant
nous, paisiblement assise au milieu du
Nil, apparaît Phila- l'île sainte, la véné-
rable relique du passé, Phila' la perle
de rÉgypte, ce joyau architectural serti
dans le plus admirable décor imaginable
et que veut engloutir sous les eaux,
pour élever je ne sais quelle construction
ridicule, quelle digue impossible, une
poignée de (rousseurs d'affaires et d'en-
légèrement en recul, une seconde cein-
ture verdoyante dont les tons foncés font
ressortir la blancheur des édifices. Au
dernier plan, au delà du bras du Nil, qui
contourne la rive occidentale de Phihe,
et lui servant de fond, se tassent les
masses granitiques de l'île de Bigeh,
surpassant de leurs crêtes tourmentées
l'ensemble des monuments.
C'est d'abord le kiosque de Tibère, le
PHIL^. — Vue prise des rochers de Bigeh.
trepreneurs grotesques réunis en com-
pagnie.
De la rive on embrasse d'un coup
d'œil l'île entière : une série de temples
reliés entre eux, d'autres isolés et, tout
autour, des fondations bouleversées de
murs en briques crues, des monceaux de
poteries brisées, des fragments de statues
ou de colonnes couvrant le sol.
Une haute muraille entoure l'île
presque en entier et la protège contre
les crues du Nil. Une guirlande de cassis,
de mimosas épineux, d'où s'élancent de
superbes palmiers, court parallèlement
au mur d'enceinte, formant en dessus, et
temple hypèthre précédé de sa large ter-
rasse dont le pied trempe dans le Nil.
Ses lignes gracieuses se détachent fines
et claires, en partie sur le ciel, en partie
sur le sinistre arrière-plan de Bigeh. Ses
sveltes colonnes de grès, surmontées de
dés allongés qui en exagèrent l'effet en
hauteur, leur donnent une ténuité remar-
quable qui s'écarte tout à fait de la ma-
nière ordinaire égyptienne. Des brous-
sailles, un fourré de mimosas, un groupe
pittoresque de palmiers, qui ont poussé
sur le terre-plein, appuyé au mur d'en-
ceinte, lui font un ravissant premier
plan. Une petite crique de sable, toute
su H LE NIL
179
striée par le retrait des eaux, part de la
base de la terrasse et descend, en pente
très douce, jusqu'au fleuve où repose à
Tancre une dahabieh.
Le Nil est d'un calme parfait, et Télé-
gant monument, avec son délicieux
paysage, s'y reflète avec une netteté de
lignes, une transparence inexprimable.
A gauche, à la pointe sud, un éperon
de rochers de granit protège l'île contre
la violence du courant. Devant moi, et
en arrière du kiosque, sur la rive occi-
construits sur le même modèle, mais
sans blindage; des dahabiehs, des pon-
tons, des barques de pêche et une flottille
de canots.
Le quai est encombré de monde, poli-
cemen, marins de l'I^tat, matelots, sol-
dats du Soudan, employés de Cook et
de Gaze, fonctionnaires ouvriers, méca-
niciens cosmopolites, Bicharis, fellahs,
Arabes, Bédouins. On entend le bruit
de marteaux frappant l'enclume, marte-
lant le fer, dans les ateliers installés le
5*«^.
G .MONrBATlt».
^
p H 1 1. .E. — Vue prise de Chellal.
dentale de l'île, se détache en clair, do-
minée par les crêtes chauves de Bigeh,
la masse puissante du grand temple
d'Isis, une suite de constructions reliées
ensemble et dont aucune ne rentre dans
l'axe du monument principaL Une
rangée de palmiers se prolonge jusqu'à
l'extrémité nord du Nil, terminée par le
mur d'enceinte.
Des barques chargées de touristes et
rayées transversalement de bandes alter-
nativement peintes en indigo, en blanc,
en ocre rouge, vont d'une rive à l'autre.
D'autres barques sont au bas de la
berge attendant ou sollicitant des clients.
Le long de la rive, sont ancrés des va-
peurs blindés du gouvernement, à roue
double placée à l'arrière, prêts à partir
pour le Sud; des steamers de Cook,
long du quai. On déménage de daha-
biehs ou de steamers retournant du Sud,
on emménage dans d'autres à la veille
d'y aller. Des bandes tumultueuses et
bigarrées, se querellant 'entre elles avec
d'abominables clameurs, transportent
des meubles: matelas, oreillers, chaises,
fauteuils de canne, tapis, etc. ; des pa-
niers de vaisselle, des caisses de provi-
sions, amenés dans le train d'Assouan,
les déposent sur le pont ou les rangent
dans les cabines des bâtiments à desti-
nation de Ouadi Halfa.
De temps en temps, le coup de sifflet
strident et prolongé d'un steamer en par-
tance déchire l'air, le roulement d'un
train résonne sourdement. La foule houle
et bruisse, et ce sont des cris, des ap-
pels, des disputes, où se mêlent des
180
SUR LE NIL
aboiements rauques de chiens étiques
errant furtivement, la queue basse,
l'échiné pelée, au bas de Feau, guettant
et dévorant gloutonnement les détritus
lancés des bateaux.
Et entre ces montagnes d'aspect ter-
rible, aux flancs gravés de cartouches
royaux datant de milliers d'années, de-
vant cette île couronnée d'antiques mo-
numents, dans la tranquillité sereine et
sévère de ce paysage grandiose, l'écho
banal de. ces bruits modernes, l'aspect de
ces choses d'aujourd'hui vous choquent
comme une profanation et détonnent
comme un contresens.
J'ai pris place sur une barque qui m'a
conduit dans l'île. Au haut d'un étroit
sentier jalonné de pierres, qui part du
pointde débarquement et longe le kiosque
de Tibère, le gardien, un fellah en robe
noire portant un brassard de cuivre
mentionnant son nom, son numéro et sa
qualité de fonctionnaire, m'a gravement
demandé mon permis de visiter; c'est
une carte délivrée moyennant cent
piastres par le service de conservation
des monuments de l'Egypte. Je le lui ai
montré et il s'est incliné avec un sourire
des plus courtois et flairant fortement le
bakchich.
Me voici devant le temple hypèthre,
presque intact, au cartouche de Tibère,
le moins ancien et le plus élégant édi-
fice de Phila'. Ses colonnes ainsi que
les dés qui les surmontent attendront à
jamais l'ouvrier qui les terminera, tail-
lant et polissant les parties ébauchées
des colonnes, sculptant sur la piéride
lisse des dés les faces monstrueuses de
Typhon .
En forme de rectangle allongé, avec
le grand axe dirigé perpendiculairement
au Nil, il commande le fleuve, précédé
de sa belle terrasse aux murs d'appui
solides et superbement appareillés. Qua-
torze colonnes, dont les chapiteaux re-
présentent des fleurs de lotus à dilférents
états de croissance, reposent à mi-hau-
teur de l'édifice sur les larges murs. Les
dés, aux parois unies, qui les surmontent
supportent un entablement à corniche
proéminente. Une porte s'ouvre à chaque
extrémité du grand axe.
Le soleil joue à travers toute cette
pierre taillée, glisse le long des colonnes,
s'accroche aux chapiteaux, aux cham-
branles des portes, fait rayonner les
lotus, ceint le bas de la corniche d'un
bandeau radieux, et de fortes ombres
transparentes et nettement accusées s'a-
battent sur le sol, s'enroulent autour des
fûts, accentuent le relief des sculptures,
cerclant d'une bande sombre la partie
terminale de la corniche.
Un air pur et frais, chargé de forts
effluves de plantes, venant de la rive
arabique et traversé de courants tièdes,
partis des sables libyques, palpite sur
les grès polis, frôle les belles colonnes
pâles, les murs robustes, court en ondes
légères sur les fins profils des sommets.
Des moineaux qui ont construit leurs
nids dans le temple pépient à plein go-
sier, voltigent, se posent sur les pétales
des lotus, les bords des chapiteaux,
piètent en sautillant d'un bout à l'autre
de la corniche. Des abeilles bourdonnent.
Des papillons roses, des bleus, tourbil-
lonnent au souffle des douces haleines.
Sur le sol, parmi les décombres, des
fourmis forment de longues traînées,
des insectes lourds se meuvent lente-
ment, de gros scarabées bruns se tien-
nent tapis entre des éclats de pierres.
En haut, dans le carré d'azur découpé
par le rigide entablement de l'édifice,
on aperçoit des gypaètes décrivant des
cercles concentriques. De temps en temps
passe un triangle d'oies sauvages se diri-
geant vers le Nord, un flamant rose fend
l'air, la tête repliée vers le dos, la poi-
trine tendue en avant, les pattes rejetées
en arrière.
Au dehors, les mimosas et les pal-
miers bruissent, frissonnant sous la ca-
resse des souffles parfumés, et le Nil
immobile luit avec des reflets bleuis
d'acier, ourlant la petite plage de sable
d'un imperceptible fil d'argent.
Et dans le sanctuaire abandonné,
inondé de soleil, tout imprégné d'arômes,
où vit seulement maintenant ce petit
SUR LE NIL
181
TEMPLE HYPÈTHRE, DIT KIOSQUE DE TIBÈRE
SUR LE NTL:
peuple ailé, ce monde inlime d'insectes,
l'âme est involontairement émue et la
pensée s'égare vers les merveilleuses
choses d'autrefois.
De là, je me suis dirigé au sud de l'île.
Là, en haut de la terrasse dont la base
baigne dans le Nil, un obélisque brisé
s'élève auprès d'un temple hypèthre
isolé et ruiné, à colonnes ornées de fleurs
de lotus et de têtes d'Hathor, consacré à
Isis par Nectanebo. C'est le seul monu-
ment de lîle, datant des Pharaons. De
là partent, s'orientant vers le Nord, deux
colonnades formant le dromos et se diri-
geant, en s'écartant au fur et à mesure
qu'elles s'en rapprochent, vers le Grand
Temple. La plus longue, parallèle au
fleuve, compte une trentaine de colonnes,
l'autre moitié moins. Sur les chapiteaux.
P H I L iE. — Vue prise du sud.
tous de formes variées, qui les surmon-
tent, sont des sculptures dont les motifs
sont tirés des lotus et des palmiers. La
plupart des larges dalles constituant le
plafond sont tombées. Sur celles restées
en position se dessinent des semis d'é-
toiles sur fond bleu. Des images incisées
et peintes de Tibère et de Caligula pré-
sentent encore une certaine fraîcheur.
Au milieu de la plus longue colonnade
et taillé dans l'épaisseur de la maçon-
nerie s'ouvre un escalier, descendant
jusqu'au rivage, mais à moitié obstrué
par un dépôt de limon et de sable laissé
par l'inondation.
Des fragments de pierres, de poteries,
de briques crues, des tronçons de co-
lonnes parsèment le sol dont le niveau
s'élève à plus d'un tiers de la hauteur
des colonnes.
Je me suis dirigé vers le premier
pylône du Grand Temple où aboutit le
dromos. Avant d'y arriver, on rencontre,
à l'extrémité du portique de l'Est, une
sorte de petite chapelle obscure, aux
portes couvertes d'inscriptions et d'hié-
roglyphes et consacrée à Imhotep par
Ptolémée Epiphane.
Le premier pylône est immense et,
sur ses faces planes et lisses mesurant
près de quarante mètres de haut, de
gigantesques sculptures s'étalent, taillées
en pleine pierre.
Une large cour entourée de portiques
SUR LE NIL
183
rcKe le premier pylône au se-
cond, qui ne lui est pas paral-
lèle. Le portique occidental fait
partie d'un petit temple isolé,
un mammisi dédié à Hathor
par Ptolémée Evergète U et
sa femme Gléopâtre. Sous le
portique oriental sont percées
des portes, communiquant cha-
cune avec une chambre sépa-
rée. Dans la première de ces
chambres, près du pylône d'en-
trée, un escalier conduit aux
étages supérieurs et à la ter-
rasse; la dernière chambre près
du deuxième pylône renfermait
la bibliothèque.
Le second pylône, fermant
la cour et de dimensions plus
restreintes que le premier, dis-
paraît littéralement sous les
figures, les hiéroglyphes, qui
le recourrent. Il conduit à un
premier portique, communi-
quant par une porte, située
dans Taxe de l'ouverture du py-
lône, avec un second portique.
Dix colonnes énormes soutien-
nent ce pronaos. Des restes
effacés de couleur montrent
que leurs fûts étaient peints.
Les chapiteaux le sont encore
et leurs couleurs bleues et blan-
ches, fraîches comme si on les
avaitrécemmentappliquées, in-
diquent avec une très grande
netteté les contours des palmes
et des feuilles de lotus. Des
aigles, des inscriptions, des
figures de divinités peintes sur
le plafond ont conservé leurs
surprenantes qualités de ton.
Le naos se compose d'une
série de pièces, les unes dans Taxe du
temple, les autres latérales. En face de
cette pièce, à gauche de la porte d'en-
trée, se trouve un corridor communi-
quant d'un côté avec l'extérieur, de
l'autre à un escalier menant à une cha-
pelle d'Osiris située sur la terrasse.
Dans la dernière chambre centrale du
EXTRÉMITÉ SUD DE L'ILE DK PHIL^E
fond, l'adytum, qui constitue le sanc-
tuaire proprement dit et où se voit une
niche à épervier en granit rose ; les murs
sont décorés de sculptures, une, entre
autres, représentant Ptolémée II Phila-
delphe allaité par Isis.
Onse sent singulièrement impressionné
quand on parcourt ces vastes salles silen-
184
SUR LE NIL
COLONNADE DU DROMOS
CONDUISANT AU GRAND TEMPLE D'ISIS
cieuses sur les parois desquelles, muets,
immobiles, la plupart affreusement mu-
tilés, terribles dans leur hiératique ma-
jesté, s'alignent, profondément incisés
dans le grès, ces anaglyphes, ces fantas-
tiques figures de dieux, d'animaux sacrés,
de rois figés dans leurs poses raides. Et
on subit cette obsession persistante, irré-
sistible, et qui n'est pas sans charmes, du
passé, passé lointain, étrange et à peine
deviné.
Mais, hélas! combien ces géants d'ar-
chitecture ont été ravagés par le temps
et surtout par les hommes ! Combien la
rage fanatique des chrétiens s'est exercée
contre ces superbes édifices, ces splen-
dides tableaux de pierre ! Partout où ils
ont pu atteindre facilement les sculp-
tures, les têtes de dieux, de rois, d'ani-
maux, indistinctement, ont été impitoya-
blementmartelées ; celles queleur hauteur
protégeait un peu plus ont moins souf-
fert. Le sanctuaire, aujourd'hui dé-
blayé, avait été partout enduit d'un
épais lit de limon et de chaux et comblé
avec des débris et des immondices. De
tous côtés le sol est jonché d'éclats de
statues, brisées par ces forcenés dans
l'accès de leur fureur iconoclaste.
Et, aujourd'hui encore, tandis que
l'Europe savante fouille l'Egypte, pro-
tège ses monuments avec un soin jaloux,
met à jour d'inappréciables trésors, les
classe dans ses musées avec une inépui-
sable sollicitude, des gens se sont trouvés
qui, froidement, se sont proposé de dé-
truire Phihe, et cela avec l'accord tacite,
la sanction du plus haut fonctionnaire
du pays, de lord Cromer, l'homme qui
est virtuellement maître des destinées
de l'Egypte.
Je suis monté sur la terrasse du grand
pylône. La vue de là est féerique. De
chaque côté de l'île, le Nil coule paisi-
blement. A l'Ouest, entre les entasse-
ments de rocs cyclopéens de la pointe
de Bigeh et le prolongement des masses
granitiques calcinées de la chaîne ara-
bique, s'ouvre l'entrée de la cataracte,
entre une succession de caps, de pro-
montoires, d'étroites plages de sable.
Dans des interstices de rochers, des eu-
phorbes, des mimosas, quelques palmiers
puisent un peu de vie dans une poignée
de terre laissée par les eaux en se reti-
rant. Plus loin, le Nil s'élargit en. lac
parsemé d'îlots noirs. A droite, bordant
une berge étroite, appuyée à la base d'un
SUR LE NIL
185
;XTRÉMITÉ NORD DU TEMPLE D'ISIS
rempart de rochers, s'allonge, formant | une bande d'un vert gris, une ligne de
186
SUR LE NIL
palmiers aux liges d'un rose violacé.
Puis, tout au loin, fermant l'horizon, ce
sont les sables jaunes de la chaîne H-
byque, troués de place en place par les
sombres aspérités du roc.
En plein Nord, à droite et tout près
de l'entrée de la cataracte, au bas de la
chaîne arabique, touchant presque le
fleuve, se dressent deux énormes rochers
joints l'un à l'autre, que les Arabes dési-
gnent sous le nom de Kousi Faraoun, le
trône de Pharaon. Leurs flancs sont cou-
verts d'inscriptions et d'hiéroglyphes...
les fastes de l'Egypte incisés sur le gra-
nit. Derrière et les dominant, monte,
hérissée et sauvage, la chaîne arabique
dévorée par le soleil. Quelques palmiers,
des mimosas grêles ont poussé au bas de
la pente décharnée. Sur la droite, un
peu plus loin, se trouve un énorme syco-
more trapu, arrondi, gros à lui seul
comme quatre ou cinq arbres réunis.
Sous son ombre des Arabes sont accrou-
pis auprès de chameaux agenouillés.
A l'Est, entre deux collines de rochers,
s'étend un espace plat, nu, absolument
aride, le désert conduisant à Assouan.
Au premier plan, à partir de l'énorme
sycomore, la rive se développe en un long
ruban verdoyant de champs en culture.
Sur ce fond d'émeraude, d'ocre, de brun
rouge, aux tons atténués, des arbres
ressorlent vigoureusement en taches vio-
lentes : de robustes acacias, des syco-
mores à l'épaisse ramure, des panaches
touffus de palmiers. Des nappes blanches
oujaunes de maisons, une grêle silhouette
de minaret, rompent de leurs notes
claires la monotonie des verts.
Au Sud, c'est d'abord à droite Bigeh,
avec ses rochers mornes, sa ceinture
d'arbres bordant la berge et coupée de
temps en temps par une avancée de rocs
pointant en cap dans le Nil. A gauche
s'élève la chaîne arabique, pelée, dessé-
chée, d'un noir gris sale. Entre le fleuve
et le pied de la montagne, dans des reculs
de terre, apparaissent deux oasis ver-
doyantes, des massifs de sycomores, de
mimosas, d'acacias dominés par des
cimes de palmiers. De ce nid de verdure
s'élancent, très blanches, les fines ai-
guilles de minarets. Tout au fond, blo-
quant l'horizon comme un mur, se dres-
sent presque verticalement les monts
libyques. Une étroite lisière d'arbres en
longe la base et des pointes aiguës et
dentelées percent à travers les sables
recouvrant leurs sommets.
Sur le fleuve, des pêcheurs relèvent
leurs filets, soutenus à fleur d'eau par de
grosses gourdes évidées, des barques
accostent, d'autres, leur voile unique à
demi déployée et ballante, attendent un
peu de brise. Un steamer vient remon-
tant le fleuve, troublant cette grande
tranquillité, et disparaît aussitôt derrière
les monts arabiques à un coude brusque
que fait le Nil.
Dans les espaces bleus, le soleil, arrivé
à son zénith, flambe, éblouissant avec
d'infinis rayonnements, calcinant les
rocs, fendant les terres, chauiî'ant les
sèves, resplendissant sur les eaux, em-
brasant tout de sa magnificence.
Je suis redescendu. Une fois encore
j'ai parcouru l'île, contemplé les augustes
monuments, examiné à nouveau les
ruines éparses. J'ai erré parmi les vieux
murs écroulés, les monticules de poteries
brisées, les éclats de sculpture semés de
tous côtés, puis j'ai gagné la berge. Les
matelots nubiens, à l'eau jusqu'aux
genoux, ont avancé une planche hors de
la barque, en guise de passerelle et,
m'appuyant de la main sur leurs épaules,
j'ai embarqué et pris place à l'arrière.
Ils ont entonné leur refrain au rythme
sauvage et m'ont ramené à Chellal.
Hassan m'attendait sur la berge, et,
par la route du désert, je suis revenu à
Assouan.
Geokges Montbard.
LES MAITRES
DE LA LITTÉRATURE CONTEMPORAINE
DU NORD
La Scandinavie est actuellement dans
une période d'épanouissement poétique
comme il s'en rencontre peu dans l'his-
toire de la littérature. Et celte période
d'épanouissement n'est pas seulement
AUGUSTE STRIXDBERG
(Né en 1849.)
constituée par l'œuvre importante d'un
Ibsen, si novateur dans la forme, mais
elle se distingue aussi par la pléiade
considérable de poètes qui ont surgi
dans ces contrées , talents éminents,
indiscutablement personnels, créant sous
l'inspiration d'un pur sentiment d'art.
Laissant de côté Ibsen, Bjornson et
01a Hansson dont il a été parlé si sou-
vent déjà, nous nous bornerons à citer
les plus intéressants de ces poètes et à
noter sommairement la caractéristique
de leurs créations d'art.
Parmi les auteurs suédois, Auguste
Strindberg occupe la première place. II a
la caractéristique du génie, mais, sans
cesse porté à 1 analyse, il est plutôt un
penseur et un chercheur qu'un poète.
De bonneheure il s'abîma anxieuxdevant
l'énigme de son moi et, le disséquant en
artiste, il Aoulut le connaître. Par là,
il trouva en lui, comme en l'humanité,
VICTOR HEDBERG
(Né en 1861.)
la dualité des aspirations de l'esprit et
des désirs de l'instinct, la lutte des bons et
des mauvais penchants. Sa volonté, son
sentiment de la justice, le poussaient en
bas, vers la masse ; ses aspirations, ses
sensations affinées, en haut, vers l'élite.
La solution du problème allait lui être
apportée par la doctrine de Nietzsche
sur l'homme supérieur. Et, comme
membre de la « noblesse des nerfs et de
l'esprit », il se haussa victorieux au-
dessus du troupeau banal de l'humanité
des sens. Par ce contraste se développa
sa conception de la femme, comparaison
tragique entre elle et lui. Il la méprise
parce qu'il la classe parmi les créatures
d'instinct, et il a cependant pour elle
188
LES MAITRES DE LA LITTÉRATURE DU NORD
GUSTAVE DE GEIJERSTAM
(Né en 3 858.)
un culte inné de mère et de madone que
l'éducation n'a fait qu'augmenter. Le
désir des sens le porte vers la femme,
son intellectualisme l'en éloigne épou-
vanté. L'adorateur de la femme devient
l'ennemi de la femelle, dont il ne sau-
rait se passer. On sent aussi dans la
poésie de Strindberg une science rare,
une admiration intime de la nature, et
cela donne au monde poétique de ses
comparaisons une signification toute
révolutionnaire.
On rencontre de même chez Victor
Hedberg cette anxiété mélancolique fré-
quente chez les poètes suédois. Il vou-
drait approfondir et dévoiler, par l'expo-
sition des destins humains, le but et le
sens de la vie. Ses poésies révèlent ses
aspirations à la recherche du bonheur
et de la joie, on y sent la troublante
question de la voie à suivre pour y parve-
nir, notre être étant ainsi fait, que même
le bonheur acquis ne se saurait con-
server. Mais Victor Hedberg n'est pas un
pessimiste; il trouve une solution dans
l'amour compris. Certes, celui-ci ne
donne pas l'allégresse exubérante, car
il est le plus souvent le résultat final
d'une destinée pénible, seulement il
apporte la paix consolatrice. Ses poésies
ALFRED D'HE DENST JERNA
(Né en 1862.)
sont douces et profondes; il a la vision
réaliste des choses, mais il les immerge
dans le rayonnement d'une radieuse
beauté.
Gustave de Geijerstam commença sa
carrière poétique par des nouvelles na-
turalistes, d'une étroite réalité, tantôt
tragiques, tantôt humoristiques. Par
contre, dans ses principaux romans, il
chercha un terrain d'accord pour l'être
double qui était en lui : le jouisseur désa-
busé et pratique renonçant à son idéal,
d'une part, et de l'autre l'individualiste
morose, déduction ultime de sa person-
nalité. Dans Erik Grane, il croit avoir
trouvé le moyen de supporter une exis-
tence banale sans s'y étioler ; mais, dans
Meclasas Hufvued, il reconnaît la supé-
riorité de l'idéaliste individualiste dont
l'esprit se fait pierre devant la misère
et l'injustice du monde (devant la Tête
de Méduse). C'est l'arrêt tragique de la
victoire du médiocre, de l'abaissement
du noble et du grand. Les rapports mys-
tiques de l'être moral sont en même
temps mis à jour et Geijerstam consacre
de plus en plus à leur analyse les ten-
dances nouvelles de son art.
Alfred d'Hedenstjerna est le poète
de la foule. Il sait comment l'on fait
LES MAITRES DE LA L ITTEH A T UR E DU NORD 189
PIERRE HALSTROM
(Né en 1866.)
rire les uns, comment Ton amène aux
paupières des autres la larme de Témo-
tion. Il dit le bonheur de l'amour, l'exis-
tence facile de l'homme bon, il parle de
la lutte et de la souffrance, avec cette
mélancolie sentimentale évocatrice de
choses laissées loin derrière soi, dans
le crépuscule doré du souvenir. Ou bien
il prend la souffrance par le côté co-
mique, il efface, en provoquant le rire,
la pénible impression du sérieux. Sou-
vent, chez lui, la tragédie de la vie se
change en farce. Son comique a quelque
chose de superficiel, d'affecté, de gro-
tesque, mais il agit par une certaine
naïveté originelle. Son étonnante ferti-
lité, sa fantaisie inépuisable exposent
son œuvre à un sévère examen sous la
loupe de la critique.
Parmi les jeunes poètes suédois, il faut
mentionner Pierre HalstrÔiM. Le poète
des Oiseaux sauvages est un de ces im-
pressionnistes devenus possibles dans
notre siècle nervosé, chez lesquels le mot
est pour ainsi dire un élément de pitto-
resque, sur l'âme desquels toute percep-
tion extérieure agit comme le coup
d'archet sur l'instrument. Tout l'art d'un
tel artiste est dans le style ; il voit dans
la résonance de la phrase comme la
CHARLES A. TAVASTSTJBRNA
(Né eu 1860.)
matérialisation symbolique d'une sen-
sation. Dans la vie moderne, insoucieuse
du style, dans la lutte de l'individu pour
l'indépendance, obstacle à l'harmonie
de la société, il sent comme une disso-
nance. Et, en son cœur, il évoque, avec
des regrets, les temps de la foi humble
et de l'obéissance ; mais son être intel-
lectuel sourit de ces regrets. Dans ces
alternatives de scepticisme désespéré et
d'exaltation généreuse, de mordante
ironie et d'amère compassion, il trouve
le ton du burlesque et de l'humour sen-
timental ; mais il se laisse également
aller à la psychologie dissolvante, aux
fantaisies d'un farouche romantisme, à
la peinture plate et affligeante de la
réalité. Comme le profond et le beau,
le mystique l'attire, mais il a peur de
pénétrer dans ce sanctuaire de l'âme.
Charles A. Tavaststjerna est le plus
en vue des auteurs finlandais écrivant
en suédois. C'est aussi un sceptique et
il contemple la société avec une ironie
amère, toute personnelle ; dans l'hu-
manité, ce n'est pas la lutte des idées
qui le préoccupe, c'est le mécanisme
compliqué des âmes. De la dualité de
son être même, il tire deux types pri-
mordiaux : l'homme du monde souple,
100
LES MAITRES DE LA LITTÉRATURE DU NORD
JONAS LIE
(Né en 1833.)
élégant et sceptique, qui a toutes chances
de vaincre dans la vie sociale, et le sen-
timental isolé, quelque peu brutal, à la
pensée lourde, mais à Tâme profonde,
symbole de la Finlande, calme comme
un crépuscule, et c'est vers celui-ci que
vont les sympathies de son cœur.
Après Ibsen et Bjôrnson, on ne sau-
rait refuser à Jonas Lie la première
place parmi les Norvégiens. C'est une
nature des plus complexes. Dans son
caractère, comme dans ses poésies, sa
double origine s'est synthétisée et le
Norvégien froid, pratique et mordant
se retrouve chez le Finnois (Lapon) à la
fantaisie débordante. Lorsqu'il eut con-
staté dans son esprit cette dernière ten-
dance, Jonas' Lie se mit à écrire : il
évoqua d'abord, en même temps que
leur beauté si originale, la terreur im-
pressionnant les âmes des paysages du
Nord d'où il venait, et cette vie du Nord
oîi son imagination exubérante décou-
vrait, au cours de l'âpre lutte, des héros
et des génies de civilisation. Puis il se
tourna vers les problèmes sociaux mo-
dernes, mais sans se montrer jamais
poète à tendances, sachant s'élever au-
dessus des partis par l'universalité de
son tour d'esprit. Dans la question de
ALEXANDRE KIELLAND
(Né en 1849.)
la femme, dont il s'est beaucoup occupé,
il chante l'hymen, lorsque celui-ci donne
à l'homme une compagne de lutte, mais
il fait une satire pleine d'humour des
tentatives d'émancipation anticonju-
gales. Partout, même dans ses poésies
les plus modernes, perce une foi mys-
tique en la nature et en l'âme et, bien
qu'il en puisse rire, elle le pénètre encore
aujourd'hui.
Alexandre Kielland est surtout un
satirique mondain, il cherche le côté
typique des choses. Il n'est pas psycho-
logue. L'étude, faite en France, des
oppositions de classes lui permet de
jeter les clartés de la satire sur la société
de son pays : sur l'hypocrisie, l'étroi-
tesse de vue, la perversion morale de la
classe élevée, sur la misère, sur l'exploi-
tation de la classe inférieure qui, rustre
et naïve, n'a jamais su se rendre compte
de sa situation. Ce n'est pas un polé-
miste qui cherche à convaincre ; c'est
un humoriste froid, sarcastique qui veut
effrayer. Mais, à travers son aigre rire,
il y a comme u-n soupir étouffé de com-
passion. Ses œuvres sont des tableaux
fouillés de l'avilissement de la bour-
geoisie, perdant, par suite de son arro-
gance présomptueuse, sa situation pré-
LES MAITIIES I) K LA F, ITT K 11 AT U H E DU NORD
191
A R N E (J A R B O R G
(Né en 1851.)
pondérante d'autrefois, réduite à son
rôle actuel de dominatrice par l'ar-
gent et par l'hypocrisie, et sous cette
domination, pense-t-il, gronde un vol-
can.
Arne Garborg est aussi, au plus haut
degré, un peintre de la civilisation,
moins de la vie sociale extérieure que
de la vie intellectuelle de la Norvège à
l'époque présente. Par l'objectivité du
naturaliste, il met à jour, avec une égale
intensité de lumière, les divers courants
d'esprit qu'il prête à des personnalités
nettement caractérisées. Bien qu'il les
fasse vivre dans un milieu foncièrement
national, celles-ci ont cependant quelque
chose de si humain, de si typique,
qu'elles semblent avoir été prises à
même l'humanité. Il est porté vers la
lutte, tel le paysan norvégien, et il
combat avec une âpre verve l'ennuage-
ment des esprits, la chute dans les rêvas-
series romantiques, l'hypocrisie reli-
gieuse et la corruption politique de sa
patrie; il prêche une union des sexes
plus idéale et plus libre, une éducation
produisant des individualités complètes,
robustes, et non des touche-à-tout, des
moitiés d'hommes. Sa polémique est
négative par suite de sa conception de
holger drachmann
(Né en 1846.)
la vie et de la description pessimiste
qu'il en fait.
Si les Norvégiens sont presque tous
des poètes chercheurs de problèmes, les
Danois sont des sensitifs et des stylistes.
HoLGER Drachmann est un lyrique;
son moi le dicte et c'est de ce moi
qu'il s'entretient, mais il révèle une
personnalité essentiellement géniale et
vastement douée. Véritable tempéra-
ment d'artiste, il est l'impressionniste,
vite enflammé et presque aussi vite déçu,
farouche jusqu'à la brutalité inconsi-
dérée, puis d'une tendresse de rêve,
d'une sensibilité délicate et compatis-
sante, tantôt d'une présomption sans
bornes, tantôt d'une modestie puérile,
éternellement mécontent de ses créations
et fier cependant de sa vocation de
poète. Son sens de la justice fait de lui
un révolutionnaire , un évocateur de
l'héroïsme des pauvres et des opprimés,
un ironiste plein de sarcasmes pour les
dirigeants. Malgré sa vision aiguë de la
réalité, il est au fond le romantique
qu'attirent sans cesse le fantastique et
l'irréel. Le thème principal de ses poésies
est la glorification de lamour et la
louange de la femme, douée du talent
de souffrir.
192
LES MAITRES DE LA LITTERATURE DU NORD
CHAULES GJELLEIIUP
(Né eu 1857.)
La sensibilité de Charles Gjellerup a
porté ce poète vers la sentimentalité de
l'Allemagne, vers sa musique, puis fina-
lement vers toute l'Allemag-ne elle-
même. Sans doute, Fauteur cV Un Idéa-
liste n'est-il pas complètement exempt
du scepticisme danois, mais avec plus
de profondeur dans le sentiment et
comme un désir de ne pas laisser fuir
l'illusion, de se rendormir dans la dou-
ceur du rêve. Ses poésies sont le rayon-
nement d'un esprit riche et vaste, d'une
âme de poète éprise de la beauté; elles
sont remplies de délicatesses profondes
et trahissent une vision infiniment artis-
tique des choses. Le développement
harmonieux de l'individu fixe son idéal
et il voit dans l'amour pur, né de la
sympathie de l'esprit et du cœur, la plus
grande force de la raison humaine, le plus
puissant agent de son épanouissement.
La littérature danoise a certes, en
Charles Larsen, le représentant le plus
typique de la décadence moderne, de
cette conception dédaigneuse de la vie
qui fait que l'on rit de toutes choses,
moitié ironiquement, moitié plaintive-
ment, que l'on ne s'exalte pour rien et
que l'on ne flétrit rien, parce que, toutes
illusions perdues, l'on ne croit plus à
CHARLES LARSEN
(Né en 1860.)
aucune chose. Cette éducation intel-
lectuelle engendre, chez qui l'a reçue,
une sensibilité affinée ; mais à côté de
sensations pénibles, elle lui permet
aussi d'éprouver, impressionné par le
beau, des émotions esthétiques, des
jouissances d'artiste là où l'homme
médiocre passerait indifférent. Une struc-
ture dame telle permet de s'aventurer
dans les dédales de la psychologie, de
pénétrer la sensibilité tout instinctive
des femmes, et cela avec une délicatesse
de style infinie. L'œuvre ainsi érigée est
le procès de la société, de son indiffé-
rence impitoyable, de ses tendances au
dogmatisme mesquin. Enfin, dans cette
compréhension de tout, un double dan-
ger ne tarde pas à se révéler aussi,
celui de l'ironie dirigée contre soi-même
et de la mise à nu de sa propre indivi-
dualité.
A cette liste de poètes dont la person-
nalité nous a paru plus particulièrement
primesautièi'e, il faudrait, dans une plus
longue étude, ajouter bien des noms,
car, sur l'Hélicon Scandinave, il est
d'autres luths qui vibrent, maints ta-
lents qui ajoutent encore à la magnifi-
cence actuelle des Lettres dans ces pays.
D'après E. Brausewetter.
ANNECY
AnnecY ! La ville et le paysaj;e divin
qui rentourc tiennent tout entiers dans
la douceur et la grâce de ces syllabes.
A la voir silencieuse et calme, au pied
des monts grandioses, baignée par un
lacde légende, il semble que pour elle le
temps n'ait point marché, que la grande
tempête qui a mêlé les peuples, boule-
versé les mœurs, les lois, les croyances,
ait épargné, par une singulière antithèse,
le berceau presque du philosophe qui a
fait la Révolution. Pas une page des Con-
fessions qui ne renferme un souvenir
attendri pour les chères et innocentes
années vécues là. Les rues pavées de
pierres moussues, les vieilles maisons
appuyées sur leurs arcades séculaires
ont elles-mêmes conservé le charme et
l'émotion de ce passé troublant. Il y est
si facile d'oublier l'heure présente, que
l'on s'attend, dès les premiers pas, à
rencontrer le carrosse de Jeanne de Chan-
tai discutant mystérieusement avec Fran-
çois de Sales les règles de la Visitation;
ou la chaise à porteurs de M™® de
Warens, jolie et affairée, suivie de
Claude Anet et de Jean-Jacques, et pen-
chant au dehors sa tête poudrée, avec
une mouche au coin de la lèvre...
Ces noms, que l'on évoque en traver-
sant la ville, en semblent la raison
d'être, et on les éloigne à regret pour
remonter le cours des siècles, car bien
qu'heureuse, Annecy a une histoire; his-
toire plutôt politique que sanglante.
Depuis sa fondation, que des fouilles
récentes établissent comme romaine, elle
a tenté et satisfait bien des convoitises.
Dès l'an 867, remp.ereur Lothaire la
donne à Thieteberge, son épouse; au
x^ siècle, elle devient la capitale des
comtes de Genevois qui la cèdent au
xni® aux comtes de Savoie. Le xvi*' et le
XVII® siècle en font l'apanage des comtes de
VIII. - 13.
Genevois-Xemours, et la mort d'Henri II
la livre aux ducs de Savoie. A partir de
cette époque, sa conquête devient moins
facile : ce sont les armes qui en déci-
dent: Henri IV, Louis XIII, Louis XIV,
l'Autriche en 1814, prennent tour à
tour Annecy, jusqu'à son annexion défi-
nitive à la France en 1860.
Le château qui domine la ville et
autour duquel elle se groupe synthétise,
par son double caractère de demeure
seigneuriale et de forteresse, ces deux
aspects de transaction et de conquête.
Annecy était fermée par trois murs d'en-
ceinte, dont on retrouve çà et là des ves-
tiges, et par un canal très large qui con-
stituait un de ses principaux éléments de
défense. A mesure que les maisons et les
rues s'éloignent de ce point culminant,
elles s'élargissent et se modernisent au
point que le voyageur qui descend du
train croit arriver dans une cité récente
et que le contraste qui l'attend bientôt
double l'intensité de son impression.
Comme le château est la première chose
qui frappe les regards, c'est à lui que le
touriste consacre sa première visite. On
Y accède par la côte de Nemours ou la
côte Perrière. La sévère construction,
avec ses tours carrées et ses toits pointus,
garde sous le plâtre et les ardoises
modernes une allure si fière, qu'en arri-
vant devant la porte découpée en ogive,
sillonnée de tores, on s'attend à voir
sortir quelque archer ou quelque per-
tuisanier pour en défendre l'entrée.
Un des plus érudits archéologues de la
Haute-Savoie, M. Jules Philippe, a par-
faitement défini les différences de carac-
tère et de style de l'ancienne résidence
des comtes de Genevois et de Nemours.
Les tours qui commandent la ville, le
corps de logis central percé d'étroites
fenêtres divisées par des croix de pierre,
les substructions de l'aile nord, les
grandes salles du rez-de-chaussée, en-
19i
ANNECY
combrées de colonnes aux chapiteaux
grossièrement équarris, ainsi que l'ini-
mense cuisine, dont les manteaux de
cheminées couvrent tout un pan de mur,
font sans doute partie du château qu'ha-
bitaient les comtes de Genevois.
A gauche du portail surmonté d'une
ligne de mâchicoulis et d'échauguettes,
on remarque un grand corps de logis
construit en pierres de taille blanches,
percé de fenêtres ornées de moulures
ENTRÉE DU CHATEAU
concaves et traversées par des meneaux
prismatiques. Cette aile, la plus consi-
dérable de l'édifice, tranche sur les autres
par la richesse de son ornementation et
l'élévation de ses appartements lam-
brissés. Elle porte la date de 1532 et
a dû être construite par Philippe, pre-
mier duc de Genevois-Nemours. Déjà
on remarque dans le sens g'énéral de
l'architecture une plus g'rande préoccu-
pation de confortable et de paix qu'un
souci de défense et de combats. Le châ-
teau est flanqué, au midi, d'une tour
énorme et carrée, en pierres jaunâtres,
qui porte le nom de tour de la Reine.
Elle communique avec le reste de l'édi-
fice par une coursière et par le mur
d'enceinte qui renfermait une galerie
couverte dont on voit encore la porte
murée. A peine deux ou trois fenêtres
étroites en percent-elles la muraille
monotone. On dit qu'une princesse de
la famille voulait lui donner une éléva-
tion telle qu'on pût voir de son sommet
la ville de Lyon, où résidait un seigneur
qu'elle aimait. C'était une façon comme
une autre de vouloir atteindre le ciel...
Aussi bien, continue la légende. Dieu
renouvela-t-il en cette occurrence la
confusion des langues, ainsi que le
prouve la multiplicité des signes gravés
par les maçons sur les murs et les
marches d'escalier de
cette tour inachevée.
Un scepticisme plus
prudent incline à croire
que les maçons qui y
ont travaillé se sont
contentés d'y apposer
leur marque, ainsi qu'il
était d'usage en cette
corporation , surtout
dans les xni" et xiv^ siè-
cles. En bas la salle de
torture, avec une trappe
.^^ " s'ouvrant sur des ou-
bliettes.
A parcourir les vastes
salles froides et nues
du château, on a peine
à ressusciter le luxe et
la splendeur des tentures et des meubles
qui les ornaient autrefois. Le livre des
Contiez de Madame Mahaut de Boulon
en fait une énumération grandiose :
bahuts sculptés et armoiries, coffres
d'acier ciselé, tapisseries de haute lisse,
enrichies de personnages historiques,
reliquaires, ornements d'églises, etc. Les
comtes de Genève y menaient joyeuse
vie, un train presque royal, avec une
maison somptueusement organisée dont
le bruit n'arrivait pas sans doute jusqu'à
la ville douce et silencieuse...
II
On peut redescendre par la côte Per-
rière. Ce n'est certes pas là que les
pages aux livrées, de velours et d'or
se sont jamais égarés ; mais dans leur
genre ces bicoques de bois, agrafées bi-
zarrement les unes aux autres et presque
aussi vieilles que leurs augustes sœurs
de pierre, ont un intérêt tout particu-
A N iN E C Y
195
lier. » Une maille rongée pourrait bien
emporter tout l'ouvrage », mais les pro-
priétaires de ces taudis ont l'air de ne
vouloir rien laisser emporter du tout :
presque tous chif-
fonniers, une sorte
de ghetto toléré là
par la force des
choses et qui n'a
d'excuse que dans
son pittoresque.
La porte qui ter-
mine la côte prend
le soir, et surtout
par les clairs de
lune, un aspect
étrange et fantasti-
que qu'accentue en-
core le timbre lu-
gubre d'une vieille
horloge ; et l'on ne
serait guère surpris
de voir toutes les
sorcières du lieu en-
fourcher pour un
sabbat farouche le
balai dont elles sont
armées toute la jour- -"
née...
Le canal circulaire qui protégeait
autrefois la ville féodale s'est divise
de nos jours en deux branches qu'on
nomme le Vassé et le Thiou c'est par
elles que le lac déverse le tiop-plein
de ses eaux dont la couleur tient le mi-
lieu entre le bleu turquoise et le bleu
électrique, d'une transparence telle que
les moindres détails du fond s'accusent
avec une netteté photographique On
l'explique par la présence dune argile
en suspens, colorée et impalpable, dont
le lac possède sans doute une inépui-
sable palette. Les blanchisseuses qui
lavent auprès des ponts leur linge à
grand renfort de battoirs n'ont plus
besoin du bleu classique qui empoi-
sonne les fines batistes et donne au
linge une blancheur indécise.
Dès son entrée dans la ville, le canal
de Thiou se subdivise pour former une
île dont le Palais de l Isle occupe une
des extrémités. Avec la lourde inélé-
gance d'un cuirassé moderne, il avance
sa proue d'un air peu rassurant. Ses
trois petites fenêtres en hublot, figurant
des yeux et un nez sur
un visage ravagé, ses
toits lépreux et aigus
lui donnent une allure
louche et retorse de
vieil homme de loi.
C'est une ancienne
prison. Au xiv'' siècle,
les comtes de Gene-
vois y établirent une
« frappe » de monnaie,
et jusqu'au xvi'' siècle
il fut la propriété des
PORTE RUE DU SÉPULCHRE
comtes de Monthoux qui y avaient un
droit de juridiction. Pour se débarrasser
de ce droit, le duc Jacques de Genevois-
Nemours acheta le bâtiment et le con-
vertit en palais de justice avec auditoires,
bureauxdu conseil, chambredes comptes,
196
ANNECY
archives, greffes, prisons, etc. La cour
elle-même se transforma en cabinets de
consultation. C'est dans une des salles
que rilluslre président Favre rendait la
justice, et c'est de là que sont parties les
fameuses remontrances supérieures aux
cours de droit les plus
estimés du temps.
Si l'on consent à
suivie l'oidie chiono-
logique des monu-
IMPASSE DU TRIPOT
Annecy, et à étudier la longue filière
des styles et des architectures jusqu'aux
conceptions hétéroclites du siècle, on
pourra s'arrêter d'abord à l'église Notre-
Dame-de-Liesse. Reconstruite dans le
style de la Renaissance, elle est plus
intéressante par ses origines que par sa
beauté actuelle. Elle a d'abord été une
fertile en miracles, puis elle fut trans-
formée en une église à trois nefs par
Amé III, comte de Genevois, dont le
fils Clément VII, pape à Avignon, pour-
suivit l'œuvre d'embellissement. Elle
devint le tombeau des princes de Gene-
vois-Nemours. Si l'en-
semble de celte église
n'offre rien de très re-
marquable, il n'en est
pas de même de son
clocher romano-byzan-
tin du xii® siècle. On
voulut le détruire en
1793 : la flèche et les
quatre clochetons re-
construits aujourd'hui
cédèrent facilement ,
mais les pics des ou-
vriers se brisèrent sur
les assises du couron-
nement. En 1878, on y
a installé un énorme
bourdon du poids de
5,000 kilos.
On visitera ensuite
la cathédrale et l'évê-
ché bâtis en face l'un
de l'autre, au xvi^ siè-
cle, par Pierre de Lam-
bert, évêque de Ca-
serte. L'évêché était
d'abord un couvent de
Célestins qui furent
remplacés successive-
ment par des Cordeliers
et des Dominicains. Le
voisinage de l'église fut
une cause de petites
^' guerres qui tinrent
longtemps en lutte les
religieux et les chanoi-
nes de Notre-Dame, ces derniers revendi-
quant le droit de possession du couvent
et de son église. Un arrêté du Sénat
donna la victoire aux religieux, que le
pape Clément XIV déposséda à son
tour pour donner le tout à l'évêque de
Genève. Le style de transition de la ca-
thédrale est un peu froid. Les trois
petite chapelle dédiée à la Vierge, très I portes rectangulaires sont surmontées
ANNECY
197
crun fronton aigu ; des pilastres, indi-
qués par deux lilets se détachant à
peine des murs, supportent un lourd
entablement; sur ce dernier, un attique
terminé par des armoiries; cependant
une immense i^ose étale
ses élé;;anls pétales au
milieu de l'attiquc. A
lintéricur, c'est un rap-
pel de l'ornementation
fleurie du xv^ siècle :
teintes d'a/.ur étoile
d'or, nervures bron-
zées, cavets nuancés de
blanc, de vert, de rouge ;
des autels avec dais,
pinacles, statues colo-
riées... Un beau tableau
de Mazzola de Valdug-
gia. Saint Pierre se-
couru par l'ange, donne
une note vraiment ar-
tistique.
Il est impossible, de-
vant le perron de la
cathédrale, de ne point
songer à la première en-
trevue de Jean-Jacques
Rousseau avec M°^' de
Warens, et à la page
émue des Confessions :
« Je ne trouvai point
M*"® de Warens; on me
dit qu'elle venait de
sortir pour aller à l'é-
glise. C'était le jour
des Rameaux de l'an-
née 1728. Je cours pour
la suivre ; je la vois, je
l'atteins, je lui parle...
Je dois me souvenir du
lieu, je l'ai souvent de-
puis mouillé de mes
larnles et couvert de mes baisers. Que ne
puis-je entourer d'un balustre d'or cette
heureuse place I... C'était un passage
derrière sa maison, entre un ruisseau à
main droite qui la séparait du jardin et
le mur de la cour à gauche, conduisant
par une fausse porte à l'église des Cor-
deliers. M'"*' de Warens avait alors
vingt-huit ans, elle était née avec le
siècle. »
Avec un zèle évidemment louable
quelques Savoisiens montrent aux étran-
gers une maison d'assez simpleapparence,
MONTÉE PERRIÈRE
avec un perron à grille ouvragée, qu'ils
prétendent être celle de M™® de Warens ;
mais la demeure authentique a disparu
en 1784, lors delà construction de l'évê-
ché actuel. Démolie aussi celle où était
installée la maîtrise, et où le philosophe
morose passa des jours si gais au milieu
des enfants de chœur, sous la direction
198
ANNECY
•J-Hl'.
RUE DE LA FILATERIE ET PORTE
NOTRE-DAME
de Jacques-Louis Nicoloz, que Ton ap-
pelait M. le Maître, et où il répétait
« un petit motet cVA/ferte qu'il chanta
avec M"*^ Merceret, la femme de chambre
de maman ».
En quittant la rue Notre-Dame, on se
dirige tout naturellement vers le Grand
Séminaire; mais on cherche inutilement
sur lembrasure de la fenêtre du n° 48
la date de séjour et la signature de Jean-
Jacques : tout a disparu sous une couche
banale de plâtre. On ne rencontre même
plus dans les couloirs la fig-ure terrible
du surveillant à la barrette graisseuse.
Seul le visage aimable et accueillant de
1 abbé Gros, qui in-
spira le Vicaire Sa-
voyard, y fait de
fréquentes résurrec-
tions...
On montera ensuite
au château de Trézun,
bâtiment inachevé ,
construit par Charles-
Auguste de Sales,
évêque de Genève et
neveu de saint Fran-
çois. Son nom est un
hommage à la Sainte
Trinité : 1res in unum;
mais il n'a de remar-
quable que la vue
dont on jouit du haut
de sa galerie vitrée et
qui commande la ville, la plaine, les
monts et le lac.
III
En redescendant vers le port, on
se trouve bientôt devant l'église du
premier monastère de la Visitation.
François de Sales, Jeanne de Chantai,
singulière antithèse à Jean-Jacques
et à M"" dé Warens ! Les deux pre-
miers ont eu, il faut l'avouer, une
influence plus durable en ce pays où
s'est répandu et fixé leur esprit de
bienveillance et de charité. En face
du christianisme étroit et chagrin,
tel que le voulait le jansénisme,
l'héroïsme aimable de la Visitation
devait séduire de nombreuses âmes.
(( Savez-vous, écrivait en 1619 saint
F'rançois de Sales à sa collaboratrice,
que l'on m'a dit aujourd'hui que la dou-
ceur de notre institut est tellement du
goût des esprits français, que vous ôte-
iMez la A^ogue aux autres maisons l'eli-
gieuses et que, quand on aurait vu (fette
M""" de Chantai, il n'y en aurait que
pour elle... » Il avait dit aussi d'elle à leur
première rencontre : w J'ai trouvé à Di-
jon ce que Salomon était en peine de
trouver à Jérusalem : la femme forte eu
M""^ de Chantai. » Mais il ignorait alors
à quel point il pressentait juste. On ne
ANNECY
19»
peut lire sans une émotion poif^nante le
récit du départ du château de Monthelon
pour Annecy, écrit avec une simplicité
tragi([ue par un témoin du temps, et où
M""' de Chaulai, quelques jours à peine
après la perle de sa plus jeune fille, s'ar-
rache « pour répondre
à Dieu » aux bras de
son père, de ses deux
fdles, de son fils :
« Après que les
cœurs eurent été épui-
sés de tendresse, pour
mettre fin à une scène
qui l'accablait, elle re-
poussa durement son
fils et voulut passer
outre. Ce fut alors
que Celse. désespéré
de ne pouvoir retenir
sa mère, se coucha en
travers de la porte en
disant : — - Eh bien,
ma mère, si je ne puis
vous retenir, du moins
vous passerez sur le
corps de voire fils. A
ces mots, elle chan-
cela; mais M. Robert
s'avança : — Eh quoi,
madame, les pleurs
d'un enfant?... Alors
elle leva les yeux au
ciel et passa sur le
corps de son fils... »
La façade de l'église
du premier couvent
de la Visitation est
ornée de deux ordres
d'architecture super-
posés : pilastres do-
riques soutenant un
entablement surlequel
reposent deux pilas-
tres ioniques qui sup-
portent un fronton
terminal ; puis une
fenêtre cintrée dont le
tympan, tapissé d'une
immense coquille, est couronné par un
pignon affectant la forme d'une anse de
panier. Les murs latéraux sont soutenus
par des contreforts dont les arcs-bou-
tants, accentués en forme de croissant,
se terminent par une énorme boule de
pierre. Les corps des fondateurs y de-
meurèrent jusqu'en 1792. Ils dorment
LE THIOTJ DERRIÈRE LES VIEILLES PRISONS
aujourd'hui, rue Royale, dans le couvent
de la ^'isitation, en une châsse d'or
200
ANNECY
merveilleuse donnée par Marie-Christine
de France, duchesse de Savoie.
Lorsqu'on sort d'Annecy pour se
rendre sur les bords du lac, on ne tarde
pas à rencontrer sur la droite une petite
maison de modeste apparence, percée
de rares fenêtres très étroites. La porte
vermoulue laisse encore apercevoir la
ouverts à la lumière : c'est un berceau.
Vers le milieu de la rue Sainte-Claire,
dont les portiques servent de marché
couvert , se trouve Vancieti évêché
qu'habita saint François de Sales. Res-
tauré à plusieurs reprises, il ne rappelle
que vaguement les hôtels du xvi® siècle.
On a néanmoins respecté son portail
VIEILLES PRISONS
grille en fer que sainte Chantai y avait
fait mettre; maison ne voit plus aucune
trace de la galerie en bois couverte qui,
passant par-dessus le chemin, condui-
sait de la maison dans le verger en face.
C'est là que s'écoulèrent les premières
années de l'Ordre. La Visitation a eu
depuis des maisons célèbres : celle de
Lyon, qui conserve le cœur du fonda-
teur; celle de Moulins, qui recueillit le
dernier soupir de la fondatrice. Mais
aucune de ces maisons n'a laissé de sou-
venirs plus intenses que celle de la Gale-
rie. Elle est dans son histoire ce qu'est
dans la vie d'un homme le lieu où
pour la première fois ses yeux se sont
édifié dans le style de la Renaissance el
terminé par un pignon supportant des
colonnes corinthiennes cannelées.. Cet
hôtel a appartenu au président Antoine
Favre, qui le donna à François de Sales,
et dont la fille fut une des premières
religieuses de la Visitation.
IV
Le mouvement de construction mo-
derne qui s'ébauche du côté de la gare
s'accentue entre Annecy et Annecy-le-
Vieux, sur la promenade du Pâquier et
l'avenue d'Albigny. L'hôtel de ville, tout
de marbre gris, et le jardin public, qui
s'étend jusqu'au lac, occupent l'empla-
ANNECY
■201
pP5r«3S^&»^ - "SgSiï9%"
cément de l'ancien clos Lombard. Par
les deux portes monumentales de la fa-
çade et du dos du bâtiment, placées dans
le même axe, on aperçoit la statue du
chimiste Berlhollet qui
se détache sur un fond
de verdure. Cette sta-
tue avait d'abord été
placée sur le Pàquier ;
elle est l'œuvre du ba-
ron Marochetti. Le mu-
sée et la bibliothèque
sont installés dans Ihô-
tel de ville. Le musée a
été fondé par AL Eloi
Serand en 1842; mais
dès 1846, M. Louis
Coppier lui donna une
très grande extension,
et M. Ravon, jusqu'en
1884, acheva sa par-
faite organisation.
Presque tous les su-
jets qui forment la col-
lection des oiseaux ont
été pris en Savoie :
comme ils appartien-
nent aux climats les
plus différents, ce détail
ne laisse pas que d'être
curieux. Les salles ar-
chéologiques sont les
plus importantes : les
amphores, les lampes,
les dalles gravées, les
statuettes et les mon-
naies qui les remplis-
sent témoignent de
l'origine romaine d'An-
necy-le -Vieux qu'on
aperçoit au loin sur la
colline.
La bibliothèque est
riche en manuscrits
précieux dont les principaux ont été
écrits de mains illustres : Henri II,
Louis XIV, Sully, Favre, saint François
de Sales, M"'*' de Warens...
En face l'hôtel de ville, l'église Saint-
Maurice s'élève dans une forme discrète
et simple qui ne laisse pas deviner l'élé-
gance et le charme de sa disposition
intérieure. La nef principale, de style
gothique, est surtout remarquable par
la hardiesse de sa coupe, la légèreté de
PORTE PERRIÈRE
ses arcs-doubleaux et de ses arceaux.
Son maître-autel est finement découpé
en clochetons. Plusieurs bas-reliefs rela-
tifs au martyre de saint Maurice en dé-
corent les murs.
Plus loin, et près de la promenade du
Pâquier, on admire le palais de la pré-
202
ANNECY
fccture, qui semble une sompLueuse
maison de plaisance. La statue de Som-
meiller, qui a percé le mont Cenis,
s'élève auprès.
En se retournant on a devant soi le
iac, comme un changement à vue dans
une féerie. Rien de plus admirable que
ce paysage de rêve. Près du bord, Tîle
des cygnes semble un bouquet d'arbres
posé sur le miroir des eaux. Entre Tazur
du ciel et celui du lac, la chaîne tour-
mentée des montagnes élève une gamme
de tons bruns, rouges, gris, violacés,
adoucis parfois par une teinte verte d'où
surgissent de petites maisons blanches
aux toits bleus. Sur le cristal immobile,
les flancs sauvages du Veyrier, le front
chauve du Parmelan, la cime neigeuse
de la Tournette, les aiguilles de Lan-
font, le roc de Chère, les pics d'Enlre-
vernes, le Semnoz géant de la Savoie se
reflètent dans tous leurs délails, comme
pour permettre aux yeux de les contem-
pler sans efi'ort.Çà et là de petites voiles
frissonnent comme des ailes et un stea-
mer tout blanc plisse de rides égales le
velours de l'onde.
On comprend, à ce spectacle, ratta-
chement des Savoisiens à leur sol natal.
Les nécessités d'une vie plus active les
obligent souvent à un exil temporaire.
Ils emportent la vision de leur lac de
légende, l'empreinte de cette nature
indomptée et rière,et la rumeur de Paris
n'étouffe pas le chant des clochettes...
En continuant l'avenue d'Albigny on
arrive à la colline des Barattes, sur la-
quelle on a découvert un grand nombre
d'antiquités romaines, puis à Annecy-
le-Vieux où l'on remarque un clocher
romano-byzantin du xi" siècle que toute
une armature de fer réussit à maintenir
encore debout, (^ette tour se découpe
dans sa partie supérieure en arcades à
plein ceintre que supportent des colon-
nettes terminées par des chapiteaux
cubiques.
Beaucoup de maisons contiennent des
vestiges de thermes, et des inscriptions
peu épargnées par le temps, mais qui
ont permis de considérer Annecy-le-
Vieux comme la villégiature d'Annecy
et non comme la ville elle-même.
\'
Malgré le grand intérêt qui s'attache
aux souvenirs d'Annecy et aux monu-
ments qui les consacrent, on doit con-
venir que le lac est la seule cause d'une
admiration qui ne s'est jamais démentie.
On peut parcourir rapidement ses
17 kilomètres sur l'un des deux bateaux
i^x
I.. f\ ■*it r?Vw V . '■*
sJlf
PLACE DU MARCHÉ ET CHATEAU
ÉGLISE DU PREMIER MONASTÈRE DE LA VISITATION (adroite)
ANNECY
203
à vapeur qui en
l'ont le service ;
mais un touriste
avisé ne se per-
mettra cette pro-
m e n a cl e trop
courte que pour
avoir une idée
creusemlile. Il se
fera ensuite un
devoir de suivre
à pied en deux
ou trois jours, s'il
le faut, ses rives
enchantées.
En quittant la-
venue d'Albigny
et en se rappro-
chant de la rive
orientale, on re-
marque, à mi-
côte au-dessous
du rocher de Ta-
labar, unemaison
d'apparence modeste, la Tour, où de-
meurait et où est mort le romancier
Eugène Sue. Malgré beaucoup de diver-
g^ences d'opinions, les Savoisiens lui ont
gardé une grande reconnaissance de sa
fidélité à la Savoie et de ses longs efForts
à la faire connaître et admirer. Tous s'ac-
cordent, malgré des légendes contraires,
à reconnaître la gravité et l'austérité
dans laquelle il acheva là une existence
de labeur acharné, à peine interrompu
par de solitaires promenades dans les
bois et sur les monts.
On aperçoit ensuite une maisonnette en
ruines auprès des hameaux de Ghavoires,
celle de J.-J. Rousseau : une terrasse
couverte de mousse et de ronces, dont le
toit a disparu et dont les pierres se
détachent une à une; un petit sentier
s'amorce à droite pour pénétrer dans le
bois. Quelques écrivains locaux ont beau-
coup reproché au grand philosophe de
n'avoir accordé aucun souvenir à ce
petit coin délicieux. <( Que de fois, dit
Jacques Replat, au lever et au déclin du
jour, assis sur une pierre de l'escalier de
Rousseau, j'essayais de faire dans mes
pssnnEjrsE
-.-,"^-:i.r,,--.'
Le village
de Veyrier
est le pre-
mierquel'on
trouve sur
les flancs de la montagne du même nom,
il s'abrite sous un manteau de noyers
qui le laissent à peine deviner et d'où
émerge sa jolie église construite récem-
ment dans le style gothique. Puis la
pente s'adoucit pour former un vallon.
Derrière le pli du terrain apparaît
Menthon. Un vieux manoir à l'allure
fîère et menaçante domine le frais vil-
lage. Ce sont des murs percés d'étroites
fenêtres carrées ou taillées en cintre
trilobé accusant une origine latine; un
donjon du xiii^ siècle avec une ligne de
mâchicoulis et une tourelle. Des croi-
sées divisées par des meneaux montrent
la main du xv'^ siècle. On parcourt à
l'intérieur de grandes salles lambrissées,
20i
ANNECY
avec des bancs de pierre dans lembra-
sure des fenêtres, sur lesquelles les châ-
telaines rêveuses posaient des coussins
de velours ; des chambres ménagées dans
Tépaisseur môme des murs, des corri-
dors sinistres coupés par des escaliers
en spirales aux voûtes basses. Çà et là
des portes bardées de fer, aux verrous
PERRON DE l'ancien HOTEL DE VILLE
implacables. On voit que les sires de
Menthon y menaient une vie sévère,
agitée par des guerres fréquentes. C'est
là que demeurait saint Bernard « dont
un ange descella les barreaux de la
chambre pour lui permettre de fuir un
mariage imposé par son père » ; on
montre au pied de la tour Tempreinte
des pieds du saint dans le roc. Menthon
a été une station balnéaire; on y voit
de nombreux vestiges d'aqueducs, de
piscines, de corridors semblant se ratta-
cher à des cabinets symétriques ; mais
la source a disparu. On prétend qu'elle
s'est ouvert un chemin souterrain pour
gagner le lac ; d'autres assurent que sei-
gneurs et curés du lieu, fatigués d'une
hospitalité coiîteuse, 1 auraient, à une
certaine époque, fait disparaître par le
mercure qui avait alors la grande spé-
cialité de débarrasser des choses et des
gens...
Une source d'eau sulfureuse a néan-
moins échappé aux escamoteurs, et beau-
coup d'étrangers viennent à Menthon
joindre l'utile à l'agréable. Peu de sites
jouissent d'une pareille beauté et d'une
telle douceur de climat. C'est la station
balnéaire classique et il est permis d'es-
pérer pour elle un brillant avenir.
Le paysage qui s'était
adouci en prés verdoyants
et en frais jardins reprend
sa sévérité aride sur le
roc de Chère qui sépare
Menthon de Talloires. A
cet endroit les deux rives
se rapprochent comme
pour se refermer, mais au
détour du roc un nouveau
lac apparaît plus troublant
et plus mystérieux encore.
Le promontoire qui s'a-
vance ainsi dans les eaux
est couronné par le tom-
beau de Taine, que le phi-
losophe lit construire de
son vivant. C'est un mau-
solée d'une blancheur écla-
tante qui semble posé sur
le sol désolé comme une
espérance. Les 2,000 mètres de la Tour-
nette dominent cette lande silencieuse.
Au pied, Talloires découvre ses petites
maisons enchantées et son abbaye au
long toit d'ardoises, dont les ruines dis-
paraissent sous un rideau de pampres.
De gros bouquets d'arbres descendent
jusqu'à la rive, que des pelouses vertes
bordent d'un tapis moelleux. Des anses
dissimulent des barques sveltes qui
attendent le promeneur. Un calme heu-
reux règne dans ce séjour bien fait pour
expliquer et atténuer la légende qui
plane sur ses anciens habitants. L'oi'i-
gine de l'abbaye remonte à Charlemagne :
c'était d'abord une celle composée de
deux ou trois religieux et qui était placée
dans le vignoble qui porte le nom de
clos du Moine. Cette celle devint prieuré
en 103L Les bâtiments qui ont survécu
gardent des vestiges de l'ornementation
du xiu" siècle : quelques ogivettes gémi-
ANNECY
ro:>
nées et tréllées. Une tour, des
oubliettes, une double en-
ceinte, témoignent du carac-
tère dcfensit que le prieuré
avait été forcé de prendre.
C'est vers 1674 qu'il fut érig-é
.--^i-
PONT DES AMOURS
en abbaye et que furent construits les
bâtiments actuels. La décoration inté-
rieure en est étrange et fornîe un mé-
lange bizarre de sacré et de profane :
des amours enguirlandés voisinent avec
d'augustes figures d'apôtres. La pi"é-
sence sur les coteaux de Talloires de
vignobles renommés n'a pas laissé intacte
la réputation des bons religieux. « Les
cartes et les dés, les violons et les flûtes
charmaient leurs immenses loisirs, et
dans leurs cellules, arquebuses et mous-
quetons étaient moins rares que chape-
lets et bréviaires. Mais ce ne sont point
là cas pendables, et pourquoi n'auraient-
ils pas glané çà et là les petites et
benoîtes douceurs de la vie? »
Sans partager tout à fait l'indulgence
de leur historien, on peut ne se souvenir
que de leurs bonnes œuvres qui furent
grandes. Saint François de Sales triompha
par sa patience et sa douceur du gai
penchant de ses administrés, et il ne
reste plus aujourd'hui que la bonne
i^éputation de leurs vertus... et du cru.
Le couvent renferme des inscriptions
romaines. L'une, portant le nom de Ruti-
lius Celtus, est gravée sur une marche
de l'escalier qui descend au lac. Lautre
est de beaucoup plus importante. Sa
206
ANNECY
traduction fait connaître que « Caïus
Blasius Gratus, de la tribu Voltinia, fils
de Caïus, donne de ses deniers cette
horloge avec son édifice, toutes ses
figures et ses grilles, d'une valeur de...
sesterces; et de plus il donne quatre
à Doussard, village situé à l'entrée de la
Combe Noire, une forêt impénétrable
que l'on dit habitée par des ours de
haute taille. Ce fond de tableau conserve
un caractère grandiose et sauvage dont
rien ne peut traduire l'effet quand on
M E N T H O N
mille sesterces pour l'esclave chargé de
cette horloge ». On a donné l'explication
du fonctionnement de cette horloge :
une statuette, debout sur l'eau du bas-
sin, descendait ou montait, suivant que
l'eau s'écoulait ou que le bassin se rem-
plissait. Avec le bout d'une baguette
dont elle était armée, la figurine indi-
quait les heures qui étaient gravées sur
un pilastre.
A quelques kilomètres plus loin, le
lac vient mourir sur un lit de verdure,
oppose ses tons sinistres au miroir lumi-
neux qui le baigne.
On redescend à Annecy par la rive
orientale. A l'extrémité d'une presqu'île
d'un vert sombre, le château de Duingt,
d'une blancheur égale aux neiges de la
Tournette, surgit pour éclairer la vallée
obscure d'Entrevernes. Une très naïve
légende attribue sa construction à une
fée adroite : pour jeter un pont jusquà
Talloires, la gentille architecte ne de-
ANNECY
207
manda qu'un peu de beurre et de sel...
les constructeurs modernes sont plus
exigeants ! En réalité, le château fut
bâti au x" siècle, ce qui explique le nom
de Ghâteauvieux donné aussi à la pi-es-
qu'île. Il a été restauré avec un tel souci
(jui émergent parfois, et au pied desquels
on a trouvé des objets de bron/e et des
débris de poterie.
Derrière le château de Duingt s'élève
une vieille tour hexagone qu'un exa-
men minutieux accorde au ix" siècle.
:?fi^if'^\
DUINGT ET TALLOIRES
du moderne, que son belvédère et sa
décoration xvia'^ siècle ont effacé com-
plètement la note primitive. Il a appar-
tenu aux Genevois-Nemours, aux Mon-
thoux, aux de Sales.
C'est à quelques mètres de cette pres-
qu'île que se trouve le Roselet, un des
quatre groupes d'habitations lacustres
dont on a découvert les vestiges, les
trois autres se nommant Larnaudien,
en face de Sévrier, et la plus avancée
dans le lac ; Morgien, au pied du Veyrier,
et Robenhausien, à l'entrée même du
port d'Annecy. Ce sont de vieux pilotis
Découronnée, et démantelée par place,
flanquée de lierre, elle n'a plus que
l'aspect auguste des choses presque dis-
parues et qui gardent jusqu'au bout le
mystère de leur existence. Par un en-
traînement des terres, la porte de cette
tour se trouve aujourd'hui à plusieurs
mètres du sol. Quelques ouvertures au
mur, obliques et rectangulaires. Elle a
sans doute fait partie des ouvrages avan-
cés qui défendaient le château.
A un quart d'heure de marche, ou
trouve le château de Dérée. Sa restaura-
tion adroite n'empêche point de lire son
208
ANNECY
origine sur le portail en ogive hérissé
de mâchicoulis et d'embrasures pour les
canons. La tour centrale est percée de
meurtrières : on lui donne pour pi^e-
miers propriétaires des présidents du
conseil Genevois et de Chambéry.
De Duingt à Saint-Jorioz la rive est
plus solitaire; à peine quelques maison-
nettes dont le toit fumant trahit la vie
intérieure. Les pentes adoucies d'Entre-
vernes semblent, avec leurs carrés de cul-
tures diverses, un riant manteau d'arle-
quin. Saint-Jorioz, qui doitsonnom à un
moine de Savigny, fondateur d'un prieuré
disparu, n'est qu'un modeste hameau,
avec la même note apaisée de tous les
villages qui entourent le lac.
Un peu plus loin, on rencontre Sé-
viner, aux pieds du Semnoz, dont les
flancs abrupts dominent Annecy, et
qu'on surnomme le Righi de la Savoie.
Gomme Saint-Jorioz, Sévrier possédait
un prieuré qui fut réuni à l'abbaye de
Talloires. Situé dans un véritable bois
d'arbres fruitiers, d'où s'échappe le clo-
cher léger de son église gothique, il ne
possède de vraiment curieux que les
portraits de la blonde Doguine et de la
brune Tontine, les deux plus jolies et
spirituelles femmes de Paris, à ce que
prétendait Regnard, il y a quelque trois
cents ans.
Et l'on rentre à Annecy en chemi-
nant le long du quai. De nombreuses
barques amarrées auprès des deux ba-
teaux à vapeur invitent aux heures poé-
tiques d'une promenade à Talloires ou à
Duingt. L'attrait le plus irrésistible du
lac est sa dissemblance continuelle avec
lui-même. Le paysage partage cette in-
constance qui supprime « l'ennui nais-
sant de l'uniformité » par des spectacles
toujours nouveaux. Au lever du jour,
un brouillard très léger couvre l'onde
et la rive ; il se convertit bientôt, sous
les rayons du soleil leA^ant, en une gaze
transparente et rose qui forme avec
l'azur de l'eau un pompadour subtil et
tendre. A midi, tout resplendit dans le
triomphe de la lumière : l'œil, dans
l'éloignement supprimé, scrute les dé-
tails les plus infîmes des monts, des
vais, des forêts, des hameaux; tout se
reflète sur le merveilleux miroir avec
une telle fidélité qu'on finit par ne plus
savoir de quel côté se trouve le ciel...
Le soir, tout s'endort dans une sym-
phonie suave de lilas et de mauve ;
seules, les cimes gardent en bandes
pourprées le dernier regard du soleil.
On comprend difficilement, quand on
a vu les deux lacs, que le succès ait été à
celui du Bourget et Lamartine y a-t-il été
pour quelque chose, avec la fameuse
poésie qui a charmé notre jeunesse?
Il ne pourrait certes pas dire aujour-
d'hui : u Regarde, je viens seul m'as-
seoir! » Ou bien les sources d'Aix, d'où
Ton n'aperçoit même pas le lac, ont-elles
pour principale vertu celle d'empêcher
les étrangers d'aller plus loin? Le Bour-
get qui n'a qu'une note : la tristesse 1
note auguste mais bientôt énervante.
Le lac d'Annecy les a toutes et dans
quel cadre de souvenirs! Les eaux de
Menthon, en partie disparues, seraient
facilement captées de nouveau si les
touristes et les convalescents s'enten-
daient pour jeter le mouvement et la
vie sur ces sites si doucement mélan-
coliques. Annecy a eu ses poètes, quel-
ques-uns sont aujourd'hui célèbres ; peut-
être ont-ils mis un peu d'égoïsme dans
leur enthousiasme et voulu garder le
pays pour eux seuls, dans la crainte de
n'y pouvoir plus rêver à leur aise. Mais
le lac rayonne pour tout le monde.
Le mouvement d'expansion qui s'ac-
centue de jour en jour englobera bien-
tôt ce paradis méconnu. Annecy parta-
gera un jour avec Aix le rôle enviable
de charmer et de guérir. La France se
doit à elle-même d'étendre à la sœur ju-
melle, plus jolie et mieux parée encore,
la faveur de son choix, quand ce ne
serait que par reconnaissance à cette
terre, si souvent française dans l'his-
toire, de l'être devenue tout à fait...
Paul de Gh ampeaille.
LES SALONS DE 1898
Par suite des démolitions du Palais
de rindustrie aux Champs-Elysées et du
Palais des Beaux-Arts au Champ de
Mars, la Sociélé des arliales français et
la Sociale nationale des Beaux-Arts ont
dû s'abriter cette année sous le même
toit. Elles ont trouvé dans la galerie
des Machines, qui a conquis du coup la
faveur des Parisiens, un emplacement
à souhait, où elles ont pu développer
de plain-pied leurs larges installa-
tions.
La Société des artistes français a
donné à ses façades une ordonnance un
peu solennelle, mais de très bon ton ;
la Société des Beaux-Arts, plus pim-
pante, a remplacé, par un gracieux por-
tique, les marbres trop rares de son joli
jardin. Toutes les deux ont eu, avant
même l'examen des œuvres exposées, un
succès vif et mérité. Les anciens locaux
démolis ont été vite oubliés, et le seul
respect dû à leurs loyaux services rete-
nait les comparaisons désobligeantes.
Il faut dire aussi que le public était
mis en bonne humeur par la réunion
des deux Sociétés, par un seul voyage à
faire et un seul tourniquet à passer. Car
les deux Sociétés ont reculé devant le
double tourniquet. Pourquoi? Elles
avaient cependant des limites distinctes,
des catalogues spéciaux. Mais elles
ARRIVEE DANS LA GALERIE DES MACHINES
EXPOSITION DE LA SOCIÉTÉ DES ARTISTES FRANÇAIS
VIII. — 14.
210
LES SALONS DE IS9S
n'onl pas osé aller jusqu'au bout, car
aucune des deux ne se serait résignée au
second rang-, et établir deux entrées sous
le même toit n'a pas semblé possible. Il
aurait fallu établir deux vestiaires, et la
patience du bon public a des bornes.
Encore un pas à franchir, une petite
barrière à abattre, et la fusion sera faite.
La division des artistes a pu avoir en
un temps des causes sérieuses qu'il ne
s'agit pas de discuter, elle aura fait
naître des idées et donné lieu à des ré-
formes qui s'affirmeront dans une en-
tente ; mais cette entente s'impose désor-
mais. La retarder ferait naître des
suppositions, fausses assurément, mais
DEUXIÈME PARTIE DE LA GALERIE DES ÎIACHINES
EXPOSITION DE LA SOCIÉTÉ NATIONALE DES BEAUX- ARTS
Elle est attendue et elle sera la bien-
venue. On devra cette réunion à la ga-
lerie des Machines qui a montré, en
permettant d'aller facilement de salle
en salle, qu'il n'y avait point de dé-
marcation artistique tranchée entre les
deux Sociétés. Tel est dans l'une qui
pourrait être dans l'autre ; il n'est point
besoin d'être enrôlé sous une bannière
pour suivre le drapeau de l'art, qui
flotte au vent de la seule inspiration
personnelle.
qui persisteraient, sur des questions de
personnalités ou d'argent. Le public
ferait encore crédit en 1899, mais c'est la
dernière limite. Lnagine-t-on, à l'expo-
sition du siècle, l'art français divisé en
deux camps?
En attendant, comme la postérité se
souciera fort peu de savoir si un artiste
appartenait à telle ou telle société, nous
ferons comme elle, et nous parlerons
des œuvres en nous occupant seulement
de leur valeur.
LES SALONS DK IS9K
21 1
Puisque la sculpture se présente d'a-
bord aux yeux, on aurait mauvaise grâce
à ne pas lui laisser la première place.
Le sculpteur, mieux peut-être encore
que le peintre, mérite le respect de ses
... L'arl auguste
Seul a rétcrnité ;
Le buste
Survit à la cité.
L'attitude du public devant les œuvres
FÉLIX SouLÈs. — Tombeau.
œuvres. C'est un dur labeur que celui
qui pétrit la glaise, gâche le plâtre et
fouille le marbre ; ces ateliers ne sont
point des boudoirs; les belles dames y
entrent peu et la foule passe souvent
indifférente. L'artiste n'y est soutenu
que par la foi et il lui faut se dire que
de la statuaire est d'ailleurs remarquable.
Il comprend que la critique ne peut être
légère et le plus souvent il s'abstient,
par une déférence assez touchante pour
quelque chose qui lui échappe peut-être,
mais qu'il sent être d'essence supérieure.
Rien n'est plus matériel qu'un bloc taillé
212
LES SALONS DE 1898
et rien, en art, ne contient plus clidéal.
M. Félix Soulès expose un Tombeau
de grande allure, d'une belle foi chré-
tienne, d'une ordonnance solide et ren-
dant bien la pensée de ceux qui pleu-
rent le mort, mais qui se consolent dans
l'éternel au delà.
La Résurreclion, de M. Albert Roze,
est dans le même ordre d'idée, mais
d'une composition plus simple. Le corps,
qui se dresse dun beau mouvement, est
encore de forme humaine très parfaite,
Albert Roze. — Résurrection.
mais déjà il semble que l'immortalité
l'a pénétré. Il monte toutefois assez len-
tement, comme s'il hésitait et attendait
l'appel. Ce marbre, de lignes si distin-
guées, n'est pas d'une religiosité exclu-
sive et l'on pourrait y attribuer une
idée simplement spiritualisle; l'extase
n'a point ravi la vie et cette complexité
n'est pas pour en diminuer l'eiTet.
Avec V Enrôlé de 1792, de M. Cmoppin,
nous revenons à la vie ardente, jeune,
pleine d'entrain et de bonne humeur.
Sous ce chapeau à la
Watteau et cette veste
ouverte, c'est la grâce du
xviii" siècle expirant, mais
c'est le mouvement qui
mène aux frontières, à
l'une des quatorze armées
de la République.
Et c'est encore un sol-
dat, mais avec la grave
figure du marin, que M. D.
PuECH nous présente dans
son monument à Francis
Garnier qui doit être élevé
sur la place de l'Observa-
toire. Le buste est bien
campé sur une colonne
aux opportunes figures
tonkinoises, accroupies
dans leurs poses de fata-
lisme ; une jeune femme
gracieuse, la France colo-
niale, offre ses lauriers au
mort victorieux, que re-
garde le fleuve, témoin des
combats. L'ensemble est
très décoratif.
Le Retour, de M. Seysses,
est un groupe de force et
de tendresse, très poussé
au point de vue du métier
et d'un heureux arrange-
ment. La difficulté est
cherchée dans l'opposition
de ces deux corps éprou-
vant la même joie de se
retrouver avec les atti-
tudes dilTérentes de leurs
sexes, et elle est vaincue.
LES
L'ensemble est calme, chaste et
peut se montrer aux yeux clans un
jardin public.
C'est clans le parc du château de
\'aux, le château de Fouc|uet, que
les lions de M. Gaudet seront
placés, encore qu'ils pourraient
l'être au Luxembourg-. On peut
l'aire le tour de ce groupe magis-
tral, reg^arder sous toutes leurs faces
la figure de la lionne, si câline, tout en
restant féline et prête à la défense, celle
du lion si expi^essive dans sa rude ten-
dresse, les corps de ces deux superbes
bêles, et l'on sera saisi de la vérité el de
la puissance de cette œuvre de maître.
SALONS DE 1 H 9 S
D. PuECH. — Monument Francis Garnie?-.
Choppin. — Enrôle de 1792.
Nous ne savons à quel
heureux propriétaire est des-
tinée la cheminée monumen-
tale de M. Baffier, mais
nous connaissons en Bour-
gogne un antique vendan-
geoir où elle ferait merveil-
leux elTet.
C'est une œuvre d'un style
bien français et d'un art bien
moderne. Dans quelques siè-
cles d'ici, si on la découvre
sous les murs écroulés d'un
château perdu sous les ronces.
214
LES SALONS DE 1H9S
les musées de l'avenir pourront la mettre
en regard des cheminées gothiques.
Les peintures de M. Louis Boucher
qui l'encadreront auront disparu, et ce
sera dommage. C'est la rivière aux pois-
sons d'argent, les pâturages aux bœufs
gras, les champs aux blés mûrissants,
les bois giboyeux, tout ce qui, avec la
vendange sculptée sur le manteau de la
cheminée, constitue la terre de France.
Terre de l'ancêtre à la barbe fleurie et
du solide paysan, cariatides qui soutien-
nent l'édifice, de la grand'mère aussi,
conteuse de légendes, qui semble sur-
veiller le foyer familial. C'est la vieille
terre nourrisseuse d'hommes.
Cet ensemble décoratif est d'un ordre
tout à fait supérieur.
Si l'on voulait donner quelque liai-
son à ces études isolées d'œuvres qui
n'ont de commun que la fraternité de
l'art, nous rapprocherions des figures de
cette cheminée le groupe de M. Steiner,
G. Gardet.
Lion et lionne.
l.liS SALONS 1)K 1X9X
215
le Déclin. Ces deux bons vieux sont au
soir de leur vie, mais leur résignation
est douce. Ils portent sur leur visage la
satisfaction du devoir accompli. Quelque
chose de supérieur les a accompagnes et
soutenus dans leur existence : la paix.
Le marbre a été couvert d'une patine
s'adresse, chercheurs d'idéal qui ne vou-
lez point être apaisés.
Sur le Balzac, de M. Rodin, deux cri-
tiques autorisés ont exprimé ces deux
opinions opposées. Dans le Temps ,
M. Thiébault-Sisson, en termes conve-
nables, a dit que l'œuvre produisait « un
J. Bapfier. — Cheminée de salle à manger.
sombre, sans doute pour revêtir de mo-
destie l'éclat du marbre, mais l'eiretn'en
est pas heureux et il le sera sans doute
encore moins sous les averses, car le
groupe appartient à la ville de Paris,
qui le destine à un de ses jardins.
M. DK Saint-Marceaix uous transporte,
au contraire, dans le pays des orages et
des passions. Cette vision, qui fuit Vers
Vinconnu, c'est l'image de nos destinées.
Fuite éperdue et angoissée, rêve tou-
jours poursuivi et jamais atteint, c'est
à vous que cette belle composition
effet de stupeur; résultat d'une aber-
ration passagère, elle attristera les admi-
rateurs sincères de l'artiste ; dans le
Figaro, M. Arsène Alexandre a pro-
clamé d'un air de bataille : u Elle cho-
quera, dès l'abord, beaucoup de gens,
je le sais et j'en ris de joie, car c'est le
propre des choses vraiment belles et
vraiment neuves de donner un coup de
poing... » Et ce fut une tempête où les
camps ennemis se traitaient réciproque-
ment de la belle manière. Je n'hésite
pas, pour mon compte, à me ranger dans
216
LES SALONS DE 1S98
De Saint-Marceaux. — Vers l'Inconni
Steiner. — Le Déclin.
LES SALONS DE ! s 9 S
217
la foule ([iii prêle à rire à
ISI. Alexandre. Je me permets
même dajoulcr qu'un comité
qui élèverait celte statue sur
une [ilace de Paris, avec le nom
de Balzac, commellrait un acte
semblable à la [)ubliealion dune
édition du Père Goriot, dont
on aurait modifié toutes les
phrases. I.cs héritiers du roman-
cier (il y en a seraient en droit
de poursuivre, car même sous
prétexte de transliguration, nul
n"a le droit de modifier une
physionomie. Balzac avait la
sienne propre, guenille si l'on
veut, mais qui lui était chère.
Et il n'en va pas encore de lui
comme pour Homère, dont la
ligure au moins est indétermi-
née, puisque sept villes se dispu-
tent son berceau.
Il ne faudrait pas croire ce-
pendant que M. Uodin a voulu
épater le bourgeois et se li-
vrer à son sujet à des plai-
santeries irrespectueuses. Ses
nombreuses maqueltes, ses pré-
parations de toutes formes, té-
moignent de sa bonne foi. Il a
voulu exprimer le génie de
Balzac et produire une œuvre
abstraite ; mais, en s'écartant
du modèle, il s'est trompé, sim-
plement.
D'ailleurs, au milieu des dis-
putes, une personne surtout a
gardé son sang-froid, et c'est
M. Rodin lui-même. Dignement
et honnêtement, laissant de côté
des olfres plus ou moins dénuées
de l'éclame, il a rendu l'argent et a repris
son œuvre. Rien n'est enlevé à sa gloire,
une des plus grandes de la statuaire
moderne, et il aura liberté, à son heure.
Au G. Ko DIX.
Balzac.
de produire à nouveau celte statue en
l'appelant VEcrivain, le Génie, ou tout
autre titre impersonnel, et de la voir
alors justement triompher.
LES SALONS DE 1898
LA PEINTURE
CORMON. — Le Bn
Une salle entière a été consacrée aux
toiles de M. Gormon destinées à la déco-
ration des nouveaux bâtiments du Mu-
séum. C'est une œuvre considérable par
son étendue et aussi par TelTort artis-
tique dont elle témoigne.
Dans le grand plafond sont réunies
les races humaines, aryenne, sémitique,
jaune, noire, rouge. Au premier plan,
Thomme primitif; sur la gauche les
races aryennes sont entraînées à la civi-
lisation et à la lumière par les Grecs.
Nous ne pouvons donner ici qu'une
trop petite réduction de cette toile
immense, mais elle suffit pour faire res-
sortir l'ampleur de l'ordonnance et le
beau mouvement qui l'anime.
Dans des panneaux, les âges du monde
sont figurés : l'époque glaciaire, l'homme
primitif, l'âge de la pierre, celui du
iDronze (que nous reproduisons) , les
populations lacustres, les Gaulois et le
fer, pour ne citer que les principales
compositions.
L'exposition comprend, à côté des
toiles définitives, les cartons qui en ont
CoRMON. — Les Races huniaines. (Plafond.)
LES SALONS DE IS9S
219
G. ROCHEGROSSE. — Le Chant des Muses expédie l'âme humaine
été la préjoaralion et la conscience de
l'artiste y apparaît d'une façon saisis-
sante. Les formes sont généralement
rudes et les lignes peu curieuses d'une
grâce qui ne serait pas ici à sa place.
Bien que les documents soient nom-
breux, dans les musées et surtout dans
celui de Saint-Germain, il est évident
que bien des détails ont dû être ima-
ginés. Les modèles du peintre n'ont
pas pu dépouiller, en posant, leur en-
veloppe du xix'' siècle; mais on ne
conçoit pas cependant d'autres atti-
tudes ni des gestes différents, et il
L. B u li X A X D. — Les Disciples.
LES SALONS DE 1898
semble que ce ne soit pas un mince éloge.
Rarement une décoration a été
mieux expressive et, pendant un temps
Le grand panneau de M. Uochegrosse
est destiné à Tescalier de la bibliothèque
de la nouvelle Sorbonne et le sujet, le
LÉON Bonn AT. — J/^e Rcse Caron.
que la qualité et le ton ds la peinture
rendront à peu près indélini, les visi-
teurs du Muséum admireront cette ma-
g'istrale mise en scène des êtres dont ils
auront sous les yeux des restes d'une
matérialité réelle.
Chant des Muses éveille l' âme humaine,
ne pouvait être mieux choisi. La com-
position est heureuse. Sur la droite, les
luttes de la brute s'arrêtent; à gauche,
un moribond se soulève d'espérance et
la femme du milieu, bien mise en
LKS SALONS DK 18JS
'21\
valeur en avanl du j^roupc qui tciul les
bras vers les divines chanteuses, sym-
bolise à souhait la nouvelle humanité.
Les tons de la peinture sont peut-être
un peu trop vifs, mais cet effet s'atté-
nuera dans le cadre de Tarchitecture et
le dessin s'affirmera. Les contours des
personnages sont cernés d'un trait
foncé qui atteint presque un centimètre
de largeur. A quelques pas, ce trait dis-
paraît et la silhouette se dégage avec
une étonnante netteté. Ce trait est
d'une belle hardiesse et l'artiste prouve
ainsi qu'il n'a aucune défail-
lance de lignes à escamoter.
Les Disciples de iVL Blk-
NAND ne dépassent pas les
dimensions d'un tableau ordi-
naire, mais ils appartiennent
au genre décoratif. Le fond
de la toile, sous le jaune
doré du soleil levant, prend
un caractère byzantin qui
ferait merveille dans une
église. Pierre et Jean courent
au sépulcre, le malin de la
résurrection, et leur allure
penchée en avant, leurs yeux
fixés sur le but donnent la
sensation étrange de les voir
marcher, bien que le cadre
les coupe à mi-corps. Cette
toile est d'une vie intense.
Nous mettrons ensemble
ici les portraits à signaler,
mais sans prétendre les pré-
senter par ordre de mérite.
J^fme Caron, par Bonnat,
cause d'abord un certain
étonnement, et les habitués
de l'Opéra hésiteront à re-
connaître la divine. Ce sont
bien ses yeux, cependant, si
difficiles à rendre dans leur
naïveté tourmentée, sa bouche
irrégulière et expressive : c'est
bien le mélange d'humanité
et d'inspiration de sa figure.
Si AL Bonnat n'a point
adouci pour elle la rude vi-
gueur de son pinceau, c'est
qu'il l'a peinte sous le costume et le fard
et non dans l'intimité de la maison.
Par quoi donc alors est-on dérouté?
C'est qu'on ne s'imagine pas M""^ Caron
autrement qu'en pied, avec son allure,
ses gestes et la majesté gracieuse de
ses mouvements. L'artiste passionnée
semble ici figée dans l'immobilité. S'il
est vrai que le peintre est maître de ses
poses, le public a le droit d'exprimer
des regrets.
Le catalogue ne dirait pas que la
jeune fille peinte par M. Paul Dubois
Paul Dubois. — Marchesina.
222
LES SALONS DE 1898
est une petite marquise, qu'on le devi- 1 sobre qui est le propre des toiles des
nerait à son allure. Incessu patuil Dea. I maîtres, et c'est par galanterie pour la
KiXENS.
Portrait.
C'est une toile d'une distinction suprême,
comme toutes les œuvres de l'éminent
directeur de l'École des beaux-arts. Les
couleurs se tiennent dans cette harmonie
jeune fille que l'artiste a égayé d'une l'ose
très rouge à la ceinture la sévérité habi-
tuelle de son grand talent.
Les étotTes habilement drapées, l'arli-
LES SALONS DE 1898
fice de la coiffure, tous
les charmes voulus de pose
et d'allure dont s'arme
leur coquetterie avertie
aident le peinlre dans \e^
portraits de femmes. Mais
devant une toute jeune
fille, presque une enfant,
il est devant la simplicité
et il lui faut un art supé-
rieur pour pouvoir faire
dire, comme devant cette
toile : voici certainement
une future grande dame.
Le gracieux modèle dont
il expose le portrait
prêtait certainement à
M. RixExs l'appui de son
bon goût et de ses belles
toilettes, et l'artiste a au
moins eu le mérite d'en
tirer un joli parti. L'ex-
pression un peu mélan-
colique de la figure, qui
semble chercher autre
chose que le luxe dont elle
D r F F A U D
Jiotdlier.
M"e AbbÉMA. — Portrait.
224
LES SALONS DE 189 s
Jules F l a n d r i n.
est entourée, est rendue avec sentiment.
C'est un portrait où il y a en même
temps du décor et de la pensée, ce qui
ne va pas toujours ensemble.
Toute en pensées est la respectable
dame que nous présente M. Duffaud, et
en pensées du passé, car les cheveux
sont d'un beau blanc et les rides aussi
nombreuses que lînes. La vie éprouvée
n'a pas enlevé, a donné au contraire, un
touchant caractère de bonté à ce portrait
de grand'mère, joyau d'un salon de fa-
mille.
Fleurs rouges sur peau blanche en-
châssée dans l'écrin noir de la robe,
cheveux d'un jaune idéal, pose et bou-
quet, voilà le chic,
la fleur de chic.
Ce n'est pas une
critique de la toile
de M"" Abbém.\.
N'est pas, comme
cela, chic qui veut,
et c'est du chic
d'art !
Tel n'est point
le genre cherché
par M. Flandrix.
Il s'est dit : je
prendrai un décor
laid, une robe
laide, d'une étoire
plus laide encore
que sa coupe, et
là dedans je pré-
senterai une femme
qui ne se sera pas
coiffée et qui pren-
dra volontaire-
ment une pose
raide. Et, par la
qualité de la pein-
ture et l'expression
contenue de la li-
gure, je produirai
une œuvre d'art.
Et il a produit une
œuvre d'art, quel-
que chose comme
Portrait. la Jocoiicle, toute
révérence gardée.
M"*" RiTCHiE non plus n'a pas tenu à
faire du joli avec sa Suzanne, mais l'es-
sai est moins franc. Le costume est an-
cien, la coiffure aussi, la pose de même,
les tons de la peinture sont passés, mais
l'œil est moderne. Il semble même vous
surveiller de côté. Le tableau est inté-
ressant et dénote de très grandes qua-
lités de peinture.
Pourl'habiletéja prestigieuse habileté,
il faut tirer l'échelle après M. Weerts.
Il présente une série de portraits bien
habillés sous leur vernis et dans leurs
cadres, qui arrêtent le passant avec
un désir visible de lier conversation
avec lui. Il y a de la vie et de la bonne
I-KS SALONS DE ISO s
225
humeur daus ce^ pctiLcs toiles dont la j duc-lion Irop admiuislrativement réglée,
ressomblance doit être parfaite. Mais la II faut croire M. Monchablon sur
liberlr du nombre laissée par la Société 1 parole quand il met le mot « Portrait »
M"'- MAC-PtiTtH lE. — Suzanne.
nationale des Beaux-Arts joue un mau- | au bas de son tableau représentant une
vais tour à l'artiste. Il expose quatorze jeune mère avec son enfant sur ses ye-
portraits, et cette quantité donne Tim- noux. Les modèles se sont prêtés à un
pression — comment dirions- nous arrangement rappelant- les composi-
pour rester respectueux?— d"une pro- 1 tiuns religieuses, mais avec des chairs
VllI — 15.
226
LES SALONS DE 1S9S
dune parftiile huma-
nité. La toile est jolie
et solidement peinte.
Les portraits
d'hommes ont paru
être, d'une façon gé-
nérale, supérieurs aux
portraits de femmes.
Entre tous, celui de
M.Jules Lema'dre, par
M. HUMBERT, a été
remarqué. L'auteur
sarrête d'écrire, non
pour chercher une
pensée — car elles lu
arrivent d'abondance,
ni l'expression juste
— car il la rencontre
toujours, mais sans
doute pour se de-
mander sous quel an^le
il doit présenter l'argu-
ment qui fortifiera une
de ces <> opinions » qu'il
répand en ce moment
avec une si courageuse
vaillance.
Pendant longtemps,
M. Jules Lemaître, bercé
par le souffle du scep-
ticisme, se complaisait
aux linesses apaisantes
des doctrines de Renan.
Il pratiquait volontiers
M < J N C H A B L O > ,
Portrait.
LES SALONS DE IS9.s
227
le doute de ses propres idées, trouvait
éléf^ante la théorie de rà-quoi-bon et
semblait mettre Tesprit au-dessus de
l'action. 11 s'est produit chc/. lui un chan-
gement complet, tout au moins en appa-
c'est tout un. Il faut pouvoir causer
avec un portrait en éprouvant la sensa-
tfon qu'il vous comprend et va vous
répondre. Cela existe sur les belles toiles,
sur celle-ci entre autres, et c'est ce rien
H U M B E 1! T. — .U. Jules Lcmakre.
rence. Car peut-être préparait-il lente-
ment cette évolution, en se fortifiant aux
futurs combats. L'œil indique qu'il est
entré dans l'arène et qu'il se réjouit de
ses propres elTorts. 11 veut l'action
féconde et la vie productive, la voie
ouverte et déblayée d'entraves, l'ini-
tiative triomphant des préjugés abolis.
Son rare talent, son esprit lucide sont
aux service de t< la plus grande France «,
suivant l'expression anglaise, et les dif-
ficultés prévues le font sourire.
Peut-être le peintre n'a-t-il pas voulu
mettre toutes ces choses sur la figure de
son modèle, mais on peut les y lire, et
— un rayon d'âme fixé — qui creuse
l'abîme entre l'œuvre de l'artiste et la
plus merveilleuse des photographies.
Le portrait d'une des notabilités de la
société hollandaise, par M. Jules Le-
FEBVRE, est également de premier ordre.
La reproduction ne peut rendre la
vijrueur de cette toile, ni la vie conte-
nue sous la chaude coloration du visage.
La pose, la sévérité de l'ensemble, la
qualité d'une peinture achevée et solide
font penser au fameux portrait de
Bertin par Ingres.
M. Benjamin-Constant, qui aime à
symboliser l'esprit de ses personnages
228
LES SALONS DE 1898
par leurs altitudes, a pu se demander
dans quelle pose il présenterait M. Hano-
rouge du cardinal dont le ministre acadé-
micien a écrit Thistoire. Le portrait rend
Jules Lefebvue.
Le Comte de Kerdiore de l>eiiter(jhem.
taux. Sans doute en se conformant au
désir de son modèle, il s'est heureuse-
ment résolu à une manière intime et
simple. Ce n'est point un tableau pom-
peux, évoquant les traités signés, et rien
n'y lait penser non plus à la robe
bien le caractère du personnage, à la fois
l'ésolu et prudent. Il est discret comme
sa politique et la tête seule apparaît en
vigueur, dédaigneuse des accessoires.
M. Marcel Basciiet nous présente un
vieux savant, aux allures d'un Erasme
LES SALONS DE Isox
229
Benjamin- Constant. — .1/. TTaitotaux.
moderne, clans une peinture qui fait
penser à la fois à Holbein et à Bastien-
Lepage. C'est une toile savoureuse
pleine d'un métier qui témoigne sans
afTectation que rien ne lui est étranger
et contenant la forte dose d'émotion
contenue propre aux œuvres exécutées
pour la satisfaction personnelle de l'ar-
tiste. Les amateurs n'en éprouvent pas
une moindre devant un morceau aussi
délicat.
M. -AiMK MoROT n'a pas recherché ce
230
LES SALONS DE isos
caractère d'inlimilé dans son portrait
du Duc de La Rochefoucauld-Doudeaa-
ville. Le duc Sosthène, frère aîné du
duc actuel, est mort il y a déjà quel-
ques années, et Ton peut supposer que
cette peinture a été exécutée d'après des
documents, ce qui expliquerait pourquoi
elle est plus décorative que vivante.
d'art que de se servir de cette expres-
sion pour la qualifier.
Dans ce monsieur au portefeuille ,
tout de noir habillé et sérieux comme...
quelqu'un de très sérieux, qui recon-
naîtrait le grand évocateur du rire,
Georges Courteline lui-même? On ne
peut accuser M. L. Stihens de l'avoir
Marcel B archet. — Portrait.
Bien que le duc soit représenté dans ses
bois, sans doute sa forêt de la \'ille-aux-
Clercs près Vendôme, sa pose est dé-
nuée d'aisance et le cheval lui-même
semble être à la parade. Mais l'ensemble
est de noble allure et la toile aura g^rand
air dans une salle de château.
Le jeune homme peint par M. Muraton
se présente dans une attitude naturelle ;
il est solidement campé et sa fiyure est
expressive. C'est un très bon portrait,
élégant et sobre, de parfaite compagnie,
si ce n'était pas diminuer une œuvre
flatté; car, si les plis des vêtements sont
raides, la peinture est terne et le visage
se jaunit comme un pain d'épice vieillis-
sant. Peintre et modèle auront sans
doute voulu faire une farce au public et
monti'er en allure de pompe funèbre
celui qu'on s'attendait à voir avec des
grelots. Eh! non; pas du tout. M. Cour-
teline n'est pas un joyeux, si ses œuvres
sont désopilantes. C'est un amer philo-
sophe qui raille et qui souvent doit
souffrir d'entendre, tel Aristophane au-
trefois, le public rire un peu gros. Et
LKS SALONS DI<: ISOH
231
c'csl là au contraire
une œuvre de con-
science qui a même
le mérilc d'avoir
dédaigné de rendre
la vérité aimable,
l'n peintre suisse,
M. lIoKi.ixGEii, a
envoyé le portrait
de M'-''^ Kneipp.
M*"'"' Kneipp est
connu en France
sous le nom du
curé Kneipp, et
c'est le père du fa-
meux mail qui
porte son nom. Ce
portrait est d une
vigueur étonnante,
bien que d'une exé-
cution très sobre.
[ja tète se détache
absolument de la
toile et il semble
qu'elle va parler.
Les adeptes de sa
méthode reconnaî-
tront dans ces yeux
scrutateurs la puis-
sance de diagnostic
du guérisseur. En
nous e n \' o y a n t
lautorisation de
reproduire ce por-
trait, exécuté pour
la maison Bruch-
mann, de Munich,
le peintre nous a gracieusement donné
des détails que nous croyons intéres-
sant de résumer, bien qu ils soient un
hors-d'œuvre dans une critique d'art.
Le père Kneipp, comme ses adeptes
nommaient le vieux curé de Worishofen,
et que S. S. Léon XIII avait nommé
camérier secret, est mort en juin 1897, à
soixante-seize ans. On sait que son trai-
tement consistait surtout dans des ablu-
tions d'eau froide, dans des promenades
pieds nus à travers l'herbe mouillée et
dans un régime rafraîchissant.
Mais aussi sa personnalité originale
Aimé ^IhuùT. — Lf Duc 'le /.iinjchefoucauIJ-Doudeaurille
et puissante impressionnait tellement les
malades que Kneipp les suggestionnait
sans le vouloir. — Cela est vraiment
rendu dans le portrait. — On se sentait
déjà revivre par un seul mot consolant
tombé de sa bouche.
Aussi les malades accouraient en
foule. Petit bourg autrefois ignoré dans
la Bavière, Worishofen vit sa popula-
tion flottante dépasser 80,000 âmes en
moins de six ans. Une industrie considé-
rable y est née ; une seule des fabriques
du café-malt en livre 12 millions de kilo-
grammes par an. La doctrine a survécu
232
LES SALONS DE isos
Mur AT ON. — Portrait.
au fondateur. Elle a, d'ailleurs, disent
les incrédules, le grand mérite de ne pas
faire de mal et le malt est très écono-
mique.
M. Henner a remporté la médaille
d'honneur avec son Lévile d'Ephraïm :
mais ce n'est pas pour ce tableau en
particulier que cette juste récompense a
été décernée à un rare artiste qui la
méritait depuis longtemps ; c'est un
hommage rendu à une vie exclusi-
vement consacrée aux nobles soucis de
l'art. On a fait à M. Henner le reproche
de se répéter. Il conviendrait mieux de
voir dans ces éludes
constantes du corps
féminin la recherche
de la perfection. Et
rarement, d'ailleurs,
il l'a serrée d'aussi
près que dans ce corps
étendu, figé, mais pas
encore refroidi par la
mort, sur lequel
l'époux désolé veut
surprendre encore les
dernières traces de la
vie. On peut être
assuré qu'il serait
facile à M. Henner
de présenter des su-
jets aimables; mais
sa hautaine maîtrise
se complaît ailleurs,
et c'est son droit.
Dans son étude,
M'"® Demont- Breton
n a pas esquivé la dif-
ficulté ! Dc7ns l'Eau
bleue, une toute jeune
fille montre chaste-
ment le haut de son
corps, et elle s'élance
avec un joli mouve-
ment de nageuse.
L'eau et le corps hu-
main, rien autre. L'in-
saisissable est ce qu'il
y a de plus difficile à
rendre. C est une toile
courageuse, d'un art
pur et très élevé. Elle semble d'ailleurs
avoir atteint son but en fixant la lumière
et la vie.
U Andromède de M. H. F'antin-
Latour est plus romantique ; mais c'est
également une toile de grand mérite,
d'un dessin savamment enveloppé et
d une solide pâte de peinture.
Avec le tableau de M. Besxard, nous
abordons les œuvres qui ont été la cu-
riosité du Salon et aucune, le Balzac
excepté, n'a soulevé autant de discus-
sions que son Portrait de Théâtre. Si
M. Besnard n'est pas compris de beau-
LES SALONS DE 1898
233
coup de personnes, il a aussi
ses i'anatiques, et il faut re-
connaître que son tempéra-
ment est de nature à provo-
quer les opinions extrêmes.
Mais il faut aussi faire justice
tout dabord du reproche
qu'on lui a adressé de vouloir
épater son public. Sans doute
il arrive qu'un jeune peintre,
pour attirer l'atlention de la
foule, tire un pétard dont il
est le premier à bla{.;uer le
faux éclat. L'effet produit, il
ne tardera pas à changer de
procédé. Mais peut-on com-
parer cette attitude passagère
à la constance dune manière
que sa persistance même rend
respectable?
M. Besnard n'est plus un
jeune homme, et depuis long-
temps il demeure dans sa vi-
sion des choses. 11 peint ainsi
parce qu'il voit ainsi et son
art est sincère. Gomment
pourrait-on consacrer sa vie
entière à une erreur voulue 1
C'est là une supposition qui
ne ferait pas seulement injure
à un galant homme, mais qui
prouverait une grande igno-
rance de l'état d'âme des ar-
tistes en général.
Seulement M. Besnard est
d'une foi intransigeante. 11
se rend bien compte qu'il ne
voit pascomme tout le monde,
et il ne fera rien pour adoucir l'anti-
thèse. Volontiers même, cela étant dans
la loi des choses, il irait à l'outrance
plutôt qu'à la concession.
Et d'ailleurs il a la science pour lui.
Quand M. Lippmann a photographié le
prisme, il a montré une fois de plus
qu'il était bien <i violet, indigo, bleu,
vert, jaune, orange, rouge » et que ni
le noir ni le gris n'existaient dans la
nature. Mais il a prouvé surtout qu'il
n'y avait pas d'ombres noires. Les
ombres ne sont que les reflets des cou-
L. Stevex!
G. Courteline.
des gris
leurs. M. Besnard n'emploie donc que
les couleurs du prisme. N'est-il pas dans
la nature mieux qu'en broyant la gamme
antique et conventionnelle des bruns et
9
Mais, si sa couleur est discutée, son
dessin ne peut rencontrer que des admi-
rateurs.
Nul n'a plus de souplesse, plus d'élé-
gance. Nul mieux que lui ne donne sur
la toile l'impression du mouvement et
ne fixe avec plus de maîtrise cette chose
insaisissable qu'est la vie.
234
LES SALONS DE 189S
A. HôFLiNUER. — J/ë'' Kneipp.
Vie de rêve, souvent; vie d idéal, en-
core; vie de convention, jamais. C'est
une nuance, mais c'est tout Fart.
Aussi, comme il anime toujours la
matière humaine d'une irréalité supé-
rieure, M. Besnard s'est bien gardé de
mettre le nom de M""" Réjane au bas de
sa toile. C'est un Portrait de Théâtre;
c'est, si vous aimez mieux, la Comé-
dienne. Ainsi aurait dû faire M. Uodin ;
mais il ne le pouvait pas, puisqu'il y
avait commande.
Sans doute M°^*^ Réjane a servi de
modèle, puisque
c'est elle qui semble
personnifier actuel-
lement la c o m é-
(licnne et quelle est
la femme de théâtre
par excellence. Et
c'est bien sa figure
mobile , ses traits
propres à toutes les
émotions , ses yeux
projetant les rayons
de son esprit mo-
queur. C'est la grâce
de l'attitude et le
port du costume.
C'est l'artiste prête
à la compréhension
de tous les rôles, et
ce n'est aucun de ces
rôles, pas même ce-
lui de Zazci, parce
que c'est la synthèse
de tous les rôles à la
fois.
Aussi l'œuvre est-
elle de généralisa-
t ion plus haute qu'un
portrait; elle est phi-
losophique et forte
et destinée à la con-
sécration de l'avenir.
11 est difficile de
parler de M. Puvis
Diî Chavannes, parce
que, si l'on n'em-
ploie pas à son
égard le ton du di-
thyrambe, on court le risque d'être la-
pidé. Le simple éloge paraît une injure
à la garde qui veille aux barrières de son
atelier. Le maître a exposé, cette année,
une Sainte Geneviève, dont les dimen-
sions excessives s'expliquent par l'em-
placement réservé au Panthéon. La sainte
veille la nuit sur sa ville endormie. Il
paraît que le coup de génie s'est surtout
révélé par le vase rempli de fleurs; car,
pour être sainte, Geneviève n'en était
pas moins femme. Nous nous contentons
d'y voir un détail bien à sa place et de
LES SALONS DK isos
235
Hennei!. — Le Lévite d'Ephraïm.
Irouver que le mérite de la composition
est dans sa belle ordonnance et dans la
linesse de la silhouette de la sainte. Ce
vaste panneau ne paraît pas vide, parce
qu'il est évocateur de pensées, qualité
qui appartient aux maîtres seuls et que
M. Puvis de Ghavannes peut incontes-
tablement revendiquer.
M. BouGUEREAu, s'il n'a pas dee ado-
rateurs aussi fervents que M. Puvis de
Ghavannes, a des détracteurs aussi pas-
sionnés. N'a pas des ennemis qui veut!
Mme De mont-Breton. — Dans l'Eau bleue.
236
LES SALONS DE 1S9K
()n connaît la critique, et nous nous con-
tenterons de renvoyer à l'article de
M. Bayard, publié dans cette Revue.
Mais il y a un moyen bien simple de
iJ . V A N T 1 N - L A T U U l; .
AnJiomul<
s'assurer de la valeur des tableaux de
M. Bouguereau : c'est de placer à leur
côté ceux de ses imitateurs.
Chez le maître, le dessin est arrivé
à une qualité de perfection d'autant
plus surprenante qu'aucune trace d'efTort
n'apparaît. Il semble que le pinceau
trouve infailliblement le contour exact,
de même qu'il a pris sur la palette
la couleur à souhait. 11 en est de cela
comme du style de Fénelon, si limpide
et de premier jet en apparence, alors
que les manuscrits du prélat étaient
tourmentés d'in-
cessantes correc-
tions. Nous ne sa-
vons si M. Bougue-
reau, pour son
Assaut en particu-
lier, a dessiné de
nombreuses prépa-
rations; mais ses
cartons, pleins
d'innombrables
dessins, prouvent
quelle est sa vo-
lonté du mieux et
sa recherche con-
stante de l'art.
Jamais, en tout
cas, l'artiste n'a
mis autant d'a-
mours autour
d'une femme que
dans cet Assaut,
et jamais il n'a
mieux affirmé la
manière dont il
entend ne pas se
départir. Et pour-
quoi transigerait-
il, lui aussi ? Voici
une preuve bien
évidente que l'art
n'a point de for-
mules précises et
que son code n'est
écrit nulle part.
Les trois toiles dont
nous venons de
parler et celle de
M. J.-P. Laurkns que nous présentons
ensuite sont profondément dissembla-
bles. Ne sont-elles pas de belles œuvres
d'art, sans avoir rien de commun entre
elles... rien que l'étincelle. Et cela suffît.
Tous les moyens sont bons quand ils
atteignent le but et ce but est très net-
tement défini : il consiste à procurer la
sensation du beau.
LES SALONS UK 1.S9S
237
Besxard. — Portrait de Théâtre.
Mais alors on est amené à vouloir
détinir le beau, et de nombreux volumes
ont déjà été consacrés à cette définition
périlleuse. Depuis l'antiquité, les plus
hauts esprits en ont fait l'objet de leurs
méditations, et Tolstoï, le dernier en
date, vient de déclarer que le beau dans
l'art consistait uniquement dans l'amé-
lioration de l'humanité.
Ajoutez que le beau dans l'art n est
25 s
LES SALONS DE 1898
pas identique au beau clans la poésie,
dans la morale : l'art lui-même admel
des subdivisions et, pour être beaux
Tu VIS DE Ch A VAN NES. — Suintc Genccicvc.
tous les deux, il est évident qu'un mo-
nument ou un tableau produisent des
effets qui ne sauraient être identifiés.
Au surplus, il s'agit ici du seul beau
plastique, celui qui s'obtient par la
forme ou par les couleurs qui donnent
l'illusion des formes.
II paraît simple pour défi-
nir ce beau de prétendre qu'il
suffit de s'en rapporter à la
foule dont- le cri. « Gomme
c'est bien cela ! » serait la
pierre de touche. Mais il y a
mille choses que la foule ne
peut pas reconnaître, car elle
ne les a jamais vues : par
exemj)le sainte Geneviève sur
les remparts, ou une femme
entourée de petits amours.
Elle a encore moins vu une
descente de croix ou une
assomption.
Il est vrai que les critiques
non plus n'ont pas vu ces
scènes, et les artistes eux-
mêmes n'en ont pas été spec-
tateurs. Si l'objection était
sérieuse contre la foule ,
elle le serait contre tout le
monde.
Gar la réalité matérielle
n'est que contingente; ce qui
importe, c'est la vérité morale.
Et chacun, le plus simple
comme le plus raffiné, porte
en soi la faculté d'apprécier
ce qu'il y a de vie- et de pen-
sée dans une œuvre d'art.
Si bien que toutes les for-
mules sont vaines et toutes
les classifications futiles. Le
dessin lui-même, cette pro-
bité de l'art, est insuffisant;
car il y a des formes fuyantes
et des expressions qui se tra-
duisent autrement que par
des lignes.
Des siècles d'étude ne don-
neraient pas le rayon à ceux
qui ne l'ont pas et, aux
artistes nés, il suffit d'aller de
l'avant, d'exprimer ce qu'ils sentent.
Qu'ils traduisent la nature ou expriment
des pensées, il leur suffira d'être vrais.
LES SALONS DE 1«98
23«)
EOUGUEKEAl". — L'AssaïU.
LaFoule,ceUefouledonLnousparlions 1 Parlement eut, comme on sait, de fré
_ ,.. . . 1 n i„„ j;„„..^.-;^.-.<^ r,,Tor> In rpo-pntp
tout à rheiire et à laquelle nous reve-
nons, les comprendra et les consacrera.
Pendant la minorité de Louis XIV le
'queutes discussions avec la régente.
Sous la direction de iMathieu Mole il
avait contraint Anne d'Autriche à signer
240
LES SALONS DE 189 s
des édits portant atteinte aux préroga- l ver pour réclamer sa liberté, le conseiller
tiv^es de la monarchie absolue. Mais le 1 Broussel, entre autres, fut arrêté. C'est
J E A N - P A U L L A U R E N 5 .
Copyright, l»a8, ty J.-P. Laurens.
L'Arrestation de Broussel.
pouvoir n'entendait pas désarmer et, 1 la scène choisie par ^1. Ji:a>-Pai'l Lau-
malgré les barricades qui devaient s'éle- 1 rens.
LES SALONS DE lS9s
241
Ce tableau csl une belle pa^-^e dhis- 1 M. Rovbkt a ég'alement obleiiu un
toire, d'une composition bien ordonnée franc succès avec son Astronome. Il a
et d'un grand elTet. Le capitaine aux réuni ses amis autour de la sphère, à
gardes ouvre la marche, précédant le ' gauche Jean-Paul Laurens, ensuite Jules
conseiller, qu'entourent et suivent les Lefebvre, etc., et il leur a donné des
hommes d'armes. Le prisonnier dit adieu j costumes et des altitudes en rapport
à sa l'amille qui se lamente et il semble ! avec leurs caractères. A tous, il a géné-
ROTBET.
L'Astronome.
la rappeler au calme par un lier mouve-
ment de tête. Tout le groupe descend
un vaste escalier dont le peintre a pu
trouver des modèles place des A'osges,
et ce mouvement qui se déroule produit
sur la toile une animation très heureuse
et très naturelle.
Le dessin est moins rude que dans la
manière habituelle du peintre. Soutenus
et dans 1 harmonie des costumes, les
tons sont sévères sans être sombres. Ce
tableau comptera parmi les meilleurs du
maître.
VIII. — 16.
reusement distribué les splendeurs de sa
palette et les magnificences de ses grasses
couleurs aux tons rutilants. M. Roybet
peint avec une maestria sans rivale et sa
peinture est d'une pâte incomparable.
On lui reprochait parfois la vulgarité
de ses scènes, encore que bien des chefs-
d'œuvre classiques ne représentent point
des grandes dames; mais cette fois, son
art a voulu s'appliquer à de plus dignes
modèles. Il y a certainement gagné, non
en virtuosité, car il avait atteint le
sommet, mais en noblesse.
242
.LES SALONS DE 1898
Dans un tableau, dont les couleurs
atténuées et les dimensions restreintes
ne sont pas faites pour adirer les yeux,
un très consciencieux artiste, M. Lionel
RoYER, nous Tait assister à une réception
de Louis XI dans la cathédrale du Mans.
Le clerj^é était venu au-devant de lui
en grande pompe et on lui avait remis
les insicnes des chanoines. Ces cha-
quences. Il méritait cependant un exa-
men sérieux. Le vaisseau le Tonnant
est jonché de morts et de débris. Son
capitaine, le chef de division Aubert
Dupetit-Thouars, qui avait eu les deux
bras coupés, était malgré tout resté à
son poste, menant l'héroïque combat.
Un autre boulet lui ayant emporté la
jambe droite, il se fait porter dans un
Lionel Royek. — l.<.nh XI au Man^.
noines et autres dignitaires de TEglise
forment, sur la gauche du tableau, un
groupe curieux et fouillé, les figures et
les poses sont très naturelles dans cette
cérémonie de représentation et révoca-
tion de la scène est très vivante.
M. FouQUERAY a poussé le souci de
l'exactitude jusqu'à envelopper son ta-
bleau delà /^a/aj/Zec/'AAou/ctr (août 1798)
du brouillard de la fumée des canons ;
il a de plus exclu de sa palette les cou-
leurs vives que la réalité devait aussi
avoir chassées de la scène. C'est un
excès de vérité et le tableau, mal placé
d'ailleurs, en a supporté les consé-
baquet de son, et, se survivant à lui-
même, donne quelques derniers ordres :
l'un d'eux est pour qu'on cloue son dra-
peau.
Il est difficile de rendi^e avec plus de
fougue l'elfroyable tumulte d'une bataille
navale concentrée sur le pont d'un vais-
seau, et tous ces personnages, si nom-
breux et animés chacun de son mouve-
ment propre, n'en sont pas moins
disposés avec beaucoup d'art pour con-
courir à l'efTel du groupe central.
M. Le Dru a exposé une bataille de
Jemmapes où le duc de Chartres mène
l'attaque, entouré de troupes pleines
LKS SALONS DE 1898
243
crenlrain. La toile est hieii ordonnée et
1res vivante. Les silhouettes se détachent
nettement, peut-être un peu trop pour
la nature ; la toile est claire et propre
au possible, peut-être trop propre pour
la vérité. Il y a donc de la convention,
mais comment peut-on peindre autre-
ment une bataille?
De toutes les toiles militaires, la
Bévue de ChAlons (9 octobre 1896), de
M. Edolahd Dktam.i.e, était naturelle-
ment, par le grand renom du peintre et
la scène représentée, celle qui attirait
le plus la curiosité. 11 faut bien recon-
naître qu'on était quelque peu désap-
pointé et qu'on éprouvait la sensation
d'un grand spectacle saisi à un mauvais
moment. C'est le départ, et les départs
sont toujours tristes. Le cortège enti-e
dans la nuit, et le soleil couchant
qui rougit les cuirasses n'apparaît pas
comme un soleil de gloire. La régularité
dans les rangs est d'une parade trop
immobile, et il semble qu'un protocole
glacé soit venu lîger les enthousiasmes.
Les gens simples s'étonnaient du visage
de l'impératrice de Russie qu ils ne
reconnaissaient pas telle qu'ils l'avaient
vue à Paris; de même notre Président
leur paraissait changé. D'autres remar-
quaient que le cheval de tête de l'atte-
lage paraissait être monté par deux cava-
liers et, de fait, cette illusion d'optique
est absolue. C'est une remarque qui ne
prend d'importance que par le souci du
détail cher à l'artiste.
Celte œuvre aura subi le sort des
choses trop officielles. Le tempérament
d'un artiste n'est plus à 1 aise devant la
commande. Celte revue ne diminuera
pas la gloire de M. Détaille, mais elle
n'y ajoutera rien. Ses nombreux admi-
rateurs regretteront de n'avoir pas vu
dans cette toile, ne fût-ce que sur la
figure d'un simple soldat, le reflet d'une
grande pensée, comme celle qui illumi-
nait le sublime petit lambourde la sortie
d'Huningue.
L'artiste qui a trouvé cette expression
incomparable et qui a évoqué le rêve du
drapeau a dû souffrir de ne pouvoir
exprimer sa pensée entière.
FouQUERAT. — Aboukh:
244
LES SALONS DE 1898
Le Dbtj. — Le Une ne ( nurtres à Jemmapes.
Les tableaux militaires nous ont paru
être plus l'ares cette année qu'aux expo-
sitions précédentes. Dans tous les cas,
ils traitent presque tous d'événements
antérieurs à 1870. C'est qu'il devient
difficile de toucher à l'année terrible.
Question de patriotisme à part, les pein-
tres qui auraient assisté à ces combats
se font rares.
S'il faut bien admettre la convention
pour les époques anciennes, on la sup-
porte plus difficilement pour des faits
encore récents. On en est à la méthode
de Stendhal pour Waterloo : des coins
seulement, pourvu qu'ils aient été vus.
11 n'est pas évident que ce soit un bon
système; tout au moins, il manque de
jrrandeur.
L'o]i.vriglit lf<',iN l>y Jean Boussod, Manzi, Joyant et C .
Détaille. — Chalons : 9 octobre 1896.
LES SALONS 1)1-: IS'.is
215
Groupant niainlenant ensemble les
scènes de coniposilion, nous rencontre-
rons le Repas iVadieu, de M. Cn. Got-
TKT. G'est la partie centrale d'un trip-
tyque consacré aux gens de la mer; le
doux chez la femme qui aime l'homme
qu'elle possède encore, rigide chez la
mère qui en a trop vu partir qui ne sont
pas revenus! G'esl là une (euvre forte.
Les femmes de marins ne sont pas
C H. COTTET. — Le Repns d'adieu.
panneau de gauche représente ceux qui
s'en vont et celui de droite ceux qui res-
tent. L'allégorie est complète, mais je
me trompe, car cette expression d'allé-
gorie est la dernière qu'il semble conve-
nir d'employer. G'est la réalité, au con-
traire, la dure réalité que l'artiste entend
serrer de près avec sa peinture dédai-
gneuse de tout embellissement, son des-
sin dur et ses couleurs dénuées de flat-
terie. Et cependant, pour être prises sur
le vif, ces figures n'en sont pas moins
symboliques. G'est que l'artiste en ex-
prime la pensée maîtresse et crée ainsi
des types. Tristes visages, vague chez
la jeune fille qui peut encore espérer,
seules à pleurer, mais l'habitude de l'an-
goisse les rend plus dures à la souffrance
que la veuve peinte par M'"' Durruthy.
Elle est brisée et semble ne pas vouloir
trouver de consolation, même dans sa
fdle, dont le mouvement de tendresse
est cependant bien trouvé. Le groupe
est touchant, d'un art souple et d'une
peinture sans truquage.
11 est temps de retrouver de la joie,
et M"*^ Georges Acuille-Folld nous en
sert une jolie tranche avec ses Joyeuses
Commères de Windsor. Nous remar-
quons ici que, sans les avoir cherchés,
nous trouvons, cette année, nombre
de bons tableaux dus à des femmes.
246
LES SALONS DE 1S9S
Falstall est dans le panier au linj^e,
puni de sa galanterie, et les deux bonnes
pièces rient à gorge déployée. La brune
pèse de tout son poids, tant pis si le
pauvre homme étouffe. La l)]onde ne
niérée, peut-être parce qu'elle est plus
moderne. Elle étudie ses poses et sa cou-
turière doit avoir quelques difficultés à
la satisfaire. Le petit trottin qui, du fond
de la toile, la regarde avec tristesse, n'en
M"'' Dur RUT H y.
Consolation.
s'appuie que sur le bord et, voyant la
main qui semble implorer, elle penche à
la clémence. Est-ce un si grand crime
de les avoir désirées? Tableau de bonne
humeur, gracieux sans afféterie, franc
de jeu et d'art franc.
La dame de M. Joannon est plus ma-
demanderait pas tant. L'ensemble est
gracieux et l'artiste mérite d'être loué
pour avoir donné à ce tableau élégant
une coloration d'une lumière un peu
fantaisiste, mais d'une tonalité discrète.
Avec les Enfants de Marie , de
M. GiiMER, il ne s'agit plus de pari-
LES SALONS DE IS98
247
^ia.usme Ces jeunes filles sous leurs I quotidien avec la nature el racceplation
voiles blancs, ces parents avec leurs I de ses lois. C/est une bonne loile d ob-
JOANNON. — L'Eu
ayage.
vêlerrients du dimanche ont la raideur
coutumière aux gens de la campagne en
habits de lete; et il y a sur leurs visages
cette gravité que donnent le contact
servation exacte, mais où le feu de l'art
n'est pas assez apparent.
M. Wéry expose une Fille de Pen-
march, casquée d'une coille de Pont-
24S
LES SALONS DE 1S9S
lïAbbé, qui lui donne un faux air de
Hollandaise dans un décor flamand. L'ex-
pression de la femme, chargée de mé-
peut rechercher la perfection de l'ex-
pression avec des visions plus justes de
Tespace.
M"<= GEORciES ACIIILLE-FOULD. — Les Joyeuses commères de Windsor.
lancolie, est très étudiée ; mais poui-quoi
cette perspective conventionnelle ou qui
ne peut être tout au moins que le ré-
sultat d'une position anormale? Les pri-
mitifs, qui sont les modèles de M. Wéry,
avaient des excuses qu'il n'a pas et on
Nous ne quitterons pas la mer sans
la voir, avec M. Lk (Iout-Gérard, sous
un aspect moins cruel, dans le mouve-
ment animé d'un port de pêche, sans
doute Concarneau. Mais encore le
temps est-il gris, et, pour le rendre, le
LES SALONS DK lf<9s
249
H. Lt r I X I E i;. — A ///W„/,s de Mai
WÉRY. — FlUe de Ptnmarch.
250
LES SALONS DE 1898
peintre n'a pas craint d'embrumer ses
couleurs, habituellement chaudes et
lumineuses. M. Le Goul-Gérard est un
délicat qui aime la mer avec passion et
qui expose chaque année une série de
toiles qui en rapportent la vision très
nette, très franche et très artiste.
Décidément cette année les peintres
repos, rentrer avec M. Kahn dans sa
maison de pêcheurs. La paix y est com-
plète et familiale, dans la propreté lui-
sante de la Hollande. L'enfant bercé
sera pêcheur, lui aussi, et le grand-
père, aux années déjà nombreuses,
témoigne que les flots ne sont pas sans
merci. Ce tableau luisant, comme s'il
Le Gout-Gérard. — Temps gris.
n'ont pas vu la « grande bleue » sous
des couleurs riantes, et c'est encore en
tempête qu'elle déferle sur la jetée de
Dieppe dans le tableau de M. de Brou-
TELLES. La toile est trop grande, car
l'immensité peut s'exprimer autrement
que par des dimensions; mais la pein-
ture est bonne. Cette pauvre femme,
seule devant les flots, suffit à animer
d'une pensée ce vaste espace d'une na-
ture brutalement en colère.
Aussi faut-il , pour trouver quelque
avait été frotté et ciré, n'en est pas
moins une peinture agréable.
M. MuEMER expose diverses toiles
d'une variété de facture déconcertante,
car il paraît difficile qu'elles soient
d'une égale vérité. Suivant notre mé-
thode, nous n'en retiendrons qu'une, le
Dimanche à Fribourg, qui est d'un
erand elTel et d'une extrême habileté de
o
facture. Le paysag-e est d'un roman-
tisme à le faire supposer d'invention, et
il est peint avec des tons qui sont peut-
LES SALONS 1)K IS9S
251
être clans la nature, mais aussi avec des
j;i'as qui n'y sont certainement pas. Il
attire néanmoins de loin, pour inquiéter
de près ; mais on est heureux de s'être
arrêté pour jouir de 1 admirable mor-
ceau du premier plan. Ces deux person-
nages sont exquis à tous points de vue;
dans mon jugement, mais en me laissant
simplement aller au charme personnel-
lement ressenti. J'emporterais le Soir,
d'Ai.BivRT I^YNcu. Quelles sont ces jeunes
tilles qui vont au milieu des myrtes, des
lauriers et des roses, dans une cam-
pagne indéterminée, fixée seulement
De Brotttelles. — La Jetée de Dieppe.
la nuque de la femme est à prendre
avec la main, doucement, pour faire re-
tourner la tête. Et alors on peut croire
que, pour le reste, l'artiste voit la na-
ture comme elle est, car là c'est la vie
même qu'il a prise avec son pinceau et
qu'il a fixée sur sa toile, où elle con-
serve sa vibration.
Au milieu de tant de toiles, dont
beaucoup sont pleines de mérite et qui
attirent si diversement l'attention, la
critique se fatigue et le critérium, en
tant qu'il en existe un, disparaît. Qui
donc entreprendrait de classer ces
tableaux par ordre de mérite ? et lequel
même choisirait-on? Je n'hésiterais pas
cependant ; non certes par confiance
par un petit temple dont le grec fronton
se profile au loin ? Leur costume est
dune date imprécise, car elles sont du
passé comme du présent. Elles sont de
tous les temps : c'est la jeunesse. Elles
marchent au soir du jour, mais au matin
de leur vie, confiantes et radieuses. En
cueillant des narcisses, la plus jeune
s'attarde à se mirer dans l'eau; l'autre
s'attendrit devant une rose, et l'aînée
va de l'avant tout entière aux pensées
plus graves qui l'inspirent. La gravure
peut exprimer la grâce de cette toile ;
mais ce qu'elle ne saurait rendre, c'est
la chaleur de sa peinture qui semble
avoir emmagasiné le soleil , un soleil
de vie.
252
LES SALONS DE 189S
M. Guillaume Dubuffe a peint, avec
les tons habituels de sa riche palette, le
mythe de Cypris en un dessus de che-
le tapissier. Il peut accepter le litre,
dans le sens qu'on lui donnait autrefois
aux Gobelins.
K A H N. — FamUle de pêcheurs.
minée d'une pièce où le rêve pourra se
donner carrière...
Le paon bleu met son ombre à ton ardent sommeil
Et sa queue arrondie en un vivant soleil
D'une auréole d'or coiffe ta tête blonde!
Et le peintre, pour qui ces tons n'étaient
pas encore assez riches, a donné comme
couche à Cypris la nacre irisée d'un
prestigieux coquillage. M. Dubutîe pos-
sède au plus haut degré le ton de la
décoration, c'est lui qui a été l'orga-
nisateur de Texposition de la Société
nationale où ses camarades l'appellent
Puisque nous sommes aux composi-
tions gracieuses, mentionnons le tableau
de M. Etcheverry, « Ils ne lisaient
plus )), dit la légende, et ce n'est pas
comme dans le Dante ; la mort ne vient
point les interrompre, mais la joie de
vivre et de s'aimer. La composition,
les costumes et la peinture semblent
remonter aux premières années du siècle
et ce recul des choses les enveloppe
agréablement.
M. Geoffroy nous ramène à la mo-
dernité la plus réelle avec son Ecole
malernelle oîi, une nouvelle fois, il
LES SALONS DE 1S9S
253
nous présente ces enfants du peuple
qu'il aime assez pour avoir voulu vivre
la même idée. Dans l'enfant, M. Lo-
brichon voit le rose des chairs, les fos-
MUEXIER. — Un Dimanche à Frihourg.
au milieu d'eux. Son atelier est toujours
voisin d'une école. M. Lobrichon, lui
aussi, nous montre ses modèles habi-
tuels. Il est difficile de rencontrer plus
de contrastes dans deux toiles nées de
settes rieuses et tous ces contours ar-
rondis qui, de tout temps, ont été
l'apanage des petits amours. M. Geof-
froy cherche la pensée de leurs yeux le
plus souvent pleins de larmes, mais
254
LES SALONS DE 1898
Albert Lynch. — Le Soir.
LES SALONS DE 1«9
Guillaume Dubitfpe. — Cypris, dessus de cheminée.
que vient tout à coup illuminer un sou-
rire.
M. Lobrichon veut du joli, et M. Geof-
froy ne peint que les humbles.
Il serait curieux de voir, pour une
fois, M. Lobrichon peindre des enfants
de Belleville, et M. Geoffroy se trans-
porter faubourg Saint-Honoré ; mais il
est à croire qu'ils ne changeront pas de
quartier, même en art.
Etcheverry. — Ils ne lisaient plus
LES SALONS DE 1 sfts
Geoffroy. — Ecole maternelle.
LoBRiCHON. — Mes modèles.
LES SALONS DE isos
25T
S'il fallail avoir sous les yeux une
toile uni(|uo. toujours la même, on la
choisirait sans doute parmi les paysages,
essor à ces pensées el procurent aux
captifs des villes la sensation de la liberté
dans l'espace.
Fr. Montexard. — La Cueillette des olives.
car les paysages ne sont pas seulement j M. Montenard, dont le grand talent
évocateurs de pensées ; ils laissent tout j s'affirme par des œuvres d'un degré
Vlll.
L !•: s SALONS D !<; 1 s 0 s
Garibaldi. — Ahbaye de Montmajour.
Pu É VOT-V AL ÉRi. — Le Soir.
I.ES SALONS DE ISOH
259
K x y (; II T.
Sur la terrasse.
chaque fois supérieur, a eu celle année
une exposition des plus remarquables.
Nous" ne reviendrons pas sur sa belle
décoration destinée à l'hôtel de la So-
ciété des agriculteurs de France, puis-
qu'il en a été parlé dans un précédent
Emile Ad an. — La Lectrice.
ijoiiynglu, ISitS, by Brauii, Clément et V
260
LES SALONS DE 1898
article de celle revue, encore que sa
f;rande composition 0 Forlunatos ni-
mium ne saurait être trop louée.
Assurément ils seraient trop heureux
s'ils connaissaient tout leur bonheur,
les paisibles travailleurs de la terre.
Je crois cependant que beaucoup s'en
doutent et en particulier dans ce Midi
campagne d'Arles et le soleil du Midi ;
dans l'autre ce sont les humbles mai-
sons d'un village et les vergers du centre
de la France. La couleur de ces peintures
rend l'opposition plus frappante encore
et ces deux toiles sont largement traitées
dans un exact sentiment du plein air.
Le paysage, chez M. Knight, est
G EL H A T. — Un Coin de province.
provençal, cher à l'artiste, où il nous
montre une des scènes de leur labeur
heureux, dans sa Cueilleile des olives.
Ce tableau, largement composé, d'un
calme tranquille, chaudement lumineux,
est une des belles toiles de paysage qui
se puisse voir.
Sans pouvoir entrer plus avant dans
l'examen des nombreux aspects sous les-
quels la nature est représentée au Salon,
nous mettrons à côté l'un de l'autre les
deux tableaux de M. Garibaldi et de
M. Prévôt- Valkri. Dans l'un, entou-
rant une ruine majestueuse, c'est la
animé de ligures au premier plan qui
semblent vouloir retenir le regard. Il
les dépasse cependant et suit le cours
de la Seine dont la fuite est rendue avec
une extrême habileté. Une immobilité
un peu lourde pèse sur cette toile; c'est
qu'on est à l'heure indécise où le jour
va devenir le soir et où la marche des
heures paraît s'arrêter un instant, comme
incertaine.
La nature n'est plus qu'un décor pour
M. Emile Adan qui expose une Lectrice
où l'on retrouve toutes ses qualités ha-
bituelles de délicatesse et de sentiment
LES SALONS DE 1898
261
conleiui. Emile Adan est rAiulré Theii-
riel de la peinlui-e, loiis deux ennemis
du tapaj^e, se conlentanl de plaire à
ceux qui les comprennent cl ne se for-
çant jamais à dépasser leur pensée. Et
il se trouve, comme leurs pensées sont
très nettes et leur c(our très chaud, qu'ils
sont justement compris par beaucoup
Falaise est autrement animé. Le mou-
\'emenl même y surabonde et la couleur
aussi avec les tons crus des légumes et
des fruits. On se croirait devant un des
tableaux destinés à illustrer les voyages
pittoresques et romantiques dans l'an-
cienne France, édités jadis par le baron
Taylor, avec la collaboration d'artistes
F R A I P Ù N T.
Marché à Falaise.
de monde ; compris, appréciés et aimés.
La manière de M. Emile Adan est
manifestement suivie par M. Gelhav,
qui nous donne un fort joli tableau dans
son Coin de province, où une jeune
femme essaye de tromper par la lecture
les ennuis d'une monotonie pesante.
Elle aura du mérite si elle y arrive, car
sa modernité doit étoufier dans ce cadre
de vieilles choses dont il semble ne rester
que des pierres, sous ces arbres dont les
feuilles sont promptes à jaunir.
L'autre coin de province que nous
montre ^L Fraipont dans son Marché à
comme Viollet-le-Duc, Cicéri, Fran-
çais, fctc, et qui restent comme un mo-
nument de notre art national. Cette
toile est l'œuvre de prodigalité d'un ar-
tiste, au dessin facile, qui accumule
sans compter les détails et les person-
nages pour produire une œuvre très in-
téressante.
Les Deux souverains de M. G. ^^ eiss
sont autant un paysage qu'une toile
d'histoire, car les beaux arbres de la
forêt de Fontainebleau y jouent le prin-
cipal rôle. Pie VII descend de sa ber-
line avec une bonne humeur relative et
262
LES SALONS DE 189.S
G. Weiss. — T.eg Deux souverains.
Z u LiEi;. ^ Le l'anit.
LKS SALONS UK |sos
263
S ù R I A X 0. — .VaUteurense .'
ce n'est pas de bon pré qu'il ira au-de-
vant de l'empereur qui l'attend, campé
au milieu de l'allée, et qui l'attendra de
manière à bien marquer qu'il est le
maître. Le pape s'en consolera en l'ap-
pelant commecliante. La toile est spiri-
tuelle et aiiréable.
Le tableau de ^L Zi ber est à souhait
pour clore la série des paysages :
Tout a fui'... Des grandeurs tu n'es plus le séjour,
Frédéric. — Les Affes de l'ouvrier.
264
LES SALONS DE J89S
^Taphique. Ce n'est pas
pour cela que son tableau
nous paraît à citer, mais
pour le sentiment qu'il
y a mis et qui vient
corriger ce que cette fin
de mélodrame peut avoir
d'un peu vulgaire. Les
personnages jouent leur
rôle au naturel et l'alti-
tude du père exprime
un sentiment "\'rai.
II semble que l'idée
des Acfes de l'ouvrier, de
M. Frkdkric, ne pouvait
naître que dans les Flan-
disait déjà André Ché-
nier dans son ode à Xer-
sailles et le peintre a
parfaitement rendu, sous
les feux éteints d'un
soleil couchant, le grand
air de cette noble soli-
tude empreinte de la
morne majesté du passé.
Deux peintres étran-
gers ont envoyé des
toiles où se reconnaissent
facilement leurs nationa-
lités. M. SoRiANo est
Espagnol par sa couleur
vive et heurtée ; il l'est
aussi, à la manière mo-
derne des peuples latins,
par un réalisme pholo-
Bergeret. — Un Électeur.
LES SALONS DE 1S98
265
dres et qu'il fallût en quelque sorte un
atavisme de patience pour serrer ainsi
les uns contre les autres, sur une toile
relativement petite, une bonne centaine
de personnaiTi'es.
Les mouvements
ne se développent
que dans l'espace,
et une foule en-
tassée modilie tou-
jours d'elle-même
ses attitudes habi-
tuelles. L'oubli de
cette loi naturelle
est étonnant chez
un artiste soucieux
d être vrai , volon-
tiers même plus
vrai que nature,
car il y a, au de-
vant du tableau,
un fâcheux tas
d'épluchures qui
s'impose à l'examen
et que ne recon-
naîtrait cepen-
dant aucune cui-
sinière; et aussi,
sur la g-auche, des
cailloux d'un roug'e
inconnu aux cas-
seurs de pierres.
Ces petites que-
relles vidées, il
faut reconnaître là
un réel effort, une
série d'études qui
ont été, isolément,
poussées très loin,
et un art capable de produire plus sim-
plement une émotion moins éparpillée.
Dans les petits tableaux qui se don-
nent la salutaire mission de faire rire un
peu, nous citerons avec plaisir le Ca-
ramha! de M. Gogghe. Il est difficile de
donner plus de finesse à la plus banale
des scènes. Le monsieur avantageux qui
renverse le verre ne la pas fait exprès,
mais il est bien de ceux qui cassent sou-
vent quelque chose, et la pauvre vic-
time est bien de la race destinée à en
pâtir. Ces scènes ont souvent leur pen-
dant où les rôles sont renversés, et l'on
peut souhaiter ici rire deux fois.
h Electeur de M. Bi:uGi:Rr:T est aussi
Joseph Bail. — Jiefiet <ie cuivre.
dune philosophie plaisante. C'est une
critique de pince-sans-rire, car ce brave
« ou verrier », s'il avait rédig'é le pro-
gramme électoral qu'il lit, ne l'aurait
probablement pas imaginé plus bête.
Enfin, M. Joseph B.\il nous éblouit
de cuivres plus étourdissants que jamais
et en tire cette fois un reflet à la Rem-
brandt. On peut se demander comment
s'obtient un trompe-l'œil aussi saisissant.
Approchez-vous tout près et vous verrez
que, pour accrocher la lumière, la pâte
2C6
LES SALONS DE 1.S9S
G É R ù M E . — 7"/ m oiir-l.a ny.
de la peinture se boursoufle en spirale
à plus d'un demi-centimètre de la toile.
En s'éloignent cpielque peu, la ma-
çonnerie disparaît subitement; mais la
lumière reste fixée. On ne peut pousser
plus loin une babileté c|ui produit, en
somme, des elFets amu-
sants.
Nous ne prétendons
aucunement avoir épuisé
toutes les bonnes toiles
du Salon ni que toutes
celles que nous avons
citées soient supérieures
aux autres. 11 faut se
borner, et aussi il faut
dire ce que Ton pense,
quand on trouve quelque
chose à dire. On ne
trouve pas toujours. La
critique d'art n'a de
valeur, si elle en a, que
par la simplicité d'une
expression spontanée.
Etre une des voix de la
foule suffit à notre am-
bition et c'est, à bien
prendre, une fausse mo-
destie.
Les tableaux n'appor-
tant rien de nouveau à
la manière de l'artiste
ne prêtent guère aux
discours. D'autres témoi-
gnent d'une défaillance
passagèi'e qu'il est inutile
de signaler.
11 en est aussi que nous aurions pré-
sentés avec plaisir à nos lecteurs. Mais
leurs propriétaires refusent d'en auto-
riser la reproduction et l'on peut se
demander alors dans quel but les ar-
tistes exécutent ces peintures et surtout
M^'-^ SONREL. — L'Offrande à la Vierge
m:s salons 1)1-: isns
267
[)ourquoi ils les exposciil.
l'^iiliii nombre dd'uvi-es
mérileraient assurénienl des
éloges, mais cet article n'est
point un palmarès. Bien qu'il
ait élé achevé d'écrire après
la distribution des récom-
penses, nous n'avons pas
voulu le modifier d'après ces
consécrations olficielles, con-
tre lesquelles nous ne protes-
tons certes pas, mais qui
n'ont pas déranf^é la libre
fantaisie de notre façon de
sentir.
Nous n'avons pas parlé, à
la sculpture, du Timour-
Lang de M. Gkrôme, parce
que ses petites dimensions le
M™e Pelle. — Quatre sœun
M"« Grâce Kelly. — Po> irait de 3/"« C.
font plutôt rentrer dans les
objets d'art, mais nous avons
eu tort, car cette œuvre relève
vraiment de la statuaire.
M. Gérôme ne connaît pas
de diflicultés, et toutes les
formes de l'art lui sont fami-
lières. Il s'est arrêté cette
fois dans le domaine des
Benvenuto Cellini et s'y est
amoureusement attardé. Une
attention soutenue de cette
œuvre curieuse est récom-
pensée par la découverte
incessante de détails exquis,
et l'on pouri^ait même recon-
naître quelques-unes des
têtes entassées aux pieds du
conquérant.
La gracieuse composition
de M"*^ SoNRi-.i. appartient au
genre décoratif autant qu'à la
peinture.
Ces religieuses qui vont
porter leur Offrande à la
Vierge ont des silhouettes
de châtelaines et si les mo-
nastères du XIV*' siècle étaient
ainsi peuplés, la foi revêtait
alors des formes bien élé-
26S
LES SALONS DE 1S9.S
par M"'' Pelle d'une manière
assez larg"e; — un portrait de
madame C, par M"" Grâce
Kelly, d'une expression très
vivante ; l'artiste y a prati-
qué la vraie méthode qui
veut que la miniature soit un
bon portrait ayant seulement
de petites dimensions ; — une
tête, face et profil, par M""" Cu-
rot-Barberel, d'un sentiment
très élevé ; — un portrait en-
core, par M"*^ Brunet, repré-
sentant une dame en cheveux
blancs au port assez altier
de douairière.
M>"= Cu rot-Bar HERE L. - Face et profil Beaucoup d'autres minia-
tures mériteraient de retenir
gantes. Joli costume à prendre pour des | l'attention, mais il faut nous borner,
sœurs d'une maison d'éduca-
tion mondaine.
Après les statues et les ta-
bleaux, quand on arrive, déjà
chargé d'une juste fatigue,
devant les miniatures, on est
pris d'un lâche désir de fuite.
Elles sont trop ! Les numéros
sont trompeurs, un seul cadre
en contenant plusieurs, et
c'est par milliers qu'il fau-
drait les passer à la loupe.
Aussi sont-elles toujours sa-
crifiées. Cet abandon est- in-
juste. Il est néfaste à la tenue
de cet art qui nous a laissé
des chefs-d'œuvre payés pro-
portionnellement plus cher
que les toiles du prix le plus
fameux. Aussi la miniature
s'est- elle insensiblement ré-
duite aux portraits comman-
dés, elle qui ne craignait pas
d'aborder autrefois les ker-
messes et les batailles. Il
semble toutefois qu'il y ait
un relèvement, et leur expo-
sition de cette année est très
intéressante.
Nous citerons, en les re-
produisant, une gracieuse fa-
mille de quatre sœurs traitée M"'' Brinet. — Portrait.
LES SALONS DK IS08
269
Il nous serait impossible de parler
(les innombrables dessins dont un petit
nombre, d'ailleurs, présente un inté-
rêt particulier. Quelques-uns de ces des-
sins sont des préparations de toiles que
nous retrouvons dans les salles de la
peinture, d'autres ne dépassent pas la
moyenne d'études d'atelier; les uns sont
qu'il est impossible de passer en revue
dans le compte rendu des Salons et qui
seraient mieux remarqués à une autre
époque.
Les éludes d'architecture, curieuses
surtout dans les restaurations, témoi-
gnent encore d'une tendance très mo-
dérée à l'affranchissement des antiques
I
René Lalique. — Peignes de coiffure.
des croquis ou des carnets de voyage,
d'autres ont servi à des illustrations de
journaux. Ces salles n'ont presque pas
de visiteurs. Dans l'intérêt des artistes,
il vaudrait mieux en faire l'objet d'expo-
sitions spéciales.
On peut en dire autant des salles de
la gravure. Bien que l'eau-forte ne soit
pas en progrès et que la gravure sur
bois soit écrasée par les procédés chi-
miques, l'exposition des estampes com-
porte des morceaux très intéressants.
formules. Il ne faut pas trop s'en plain-
dre, car pour vouloir trouver du nou-
veau, l'architecture moderne des autres-
pays a payé quelques trouvailles heu-
reuses de monuments parfaitement désé-
quilibrés et il n'y a pas compensation.
Les objets d'art sont beaucoup moins
nombreux cette année que les années
précédentes et, là encore, l'originalité
quand même a joué quelques mauvais
tours. Sans doute, il y a parfois des
éclosions spontanées, mais en décoration ,
270
LES SALONS DE isos
comme ailleurs, lart veut la malurilé
pour être savoureux.
Le public, même celui qui n'achètera
jamais de ses bijoux, s'arrêtait devant
les vitrines de M. René Laliquk et se
plaisait à contempler les formes origi-
nales et d'un cachet si particulier que
ce délicat artiste donne à ses créations.
Un bijou de Lalique, et leur usage est
pourtant varié à l'infini, se reconnaît à
V. Prouvé.
Cu
ir répons
G. Obiols. — Lampe électrique.
première vue, tant la griffe du maître
est personnelle.
Il met à contribution l'archéologie et
celle d'Egypte surtout, mais il introduit
un motif moderne dans les lignes an-
ciennes, ou bien enveloppe de contours
actuels une figure antique. Ce mélange,
qui pourrait paraître hétérogène , est
opéré dans une si parfaite mesure qu'il
semble au contraire indiqué. M. Lalique
a aussi le mérite de reléguer les gemmes
à leur véritable rôle : elles servent au
décor, mais ce nest pas elles que Ton
enchâsse.
AL Prouvé continue ses travaux de
L K s SALONS DE 1 s 9 s
271
Loris Majorelle. — Bu(,
cuir repoussé et la peau tannée prend
sous ses manipulations des apparences
de bas l'elief. Il la martèle, il l'incise, il
la teint par des procédés chimiques, il
la charge d'applications de cuivre et, en
somme, il en obtient des effets inédits.
La question est de savoir si la matière
vaut tant d'efforts ; espérons-le, sur la
foi des vieux cuirs de Cordoue.
L'Electricité a fait naître pour son
service un style nouveau de porte-
lumière. Il a le mérite d'être forcément
très varié pour se
prêter à ses diverses
applications. La lampe
de M. Obiols, éditée
par la maison Coupiei",
est très gracieuse.
Cette femme qui se
balance « sous les
Campanules » peut
prétendre symboliser
la fée nouvelle et
vraiment ne fait point
regretter la Carcel
dantan.
M. M.\joRELLK, de
Nancy, a exposé un
mobilier de salle à
manger, exécuté eu
collaboration avec
M. Camille Gauthier
et nous en reprodui-
sons le grand buffet.
Ce sont là des formes
essentiellement mo-
dernes, dont les An-
glo-Américains sont
les initiateurs et qui
auront donné, dans le
mobilier, la seule note
de style caractéristi-
que du xi.v'' siècle ;
car rien ne restera de
tout ce qui a été pro-
duit depuis la Restau-
ration jusqu'à la tin
du second, Empire.
Son principe heureux
est dans lappiication
des formes de la na-
ture prises dans sa flore et sa faune,
et son défaut g'énéràl est dans le manque
d'aplomb. Le buffet de M. Majorelle
échappe à ce reproche. Il est d'une ri-
chesse de tons et d'une abondance de
détails extrêmement soignés, à réjouir
les yeux. Ce mobilier veut un cadre spé-
cial et entraîne tout un remaniement de
la décoration et de la disposition des
intérieurs. Nous en trouverons proba-
blement la formule définitive à l'Elxpo-
silion de 1900,
LES SALONS DE isgs
cle, faisant bas-re-
lief au-dessous du
cadran. Ces « cou-
reurs », inspirés de
Lucrèce, représen-
tent la science qui
marche toujours et
ne s'éteint jamais.
'Juand une main
défaillante ne peut
plus soutenir son
flambeau, une plus
forte le reprend
pour le porter plus
loin en avant. Et
nous sommes heu-
reux d'avoir ren-
contré dans un coin
perdu du Salon
cette belle allégo-
rie, parfaitement
exprimée, car elle
peut aussi servir
de symbole à Fart,
et nous ne saurions
mieux finir.
A. QUANTIN.
Flanagax. — Horloçi'.
M. Flanagan exécute en
ce moment une horloge
monumentale destinée à la
bibliothèque du monu-
ment du Congrès à Wash-
ing-ton et la i^eproduction
de sa maquette, que l'ar-
tiste a bien voulu nous,
communiquer, nous mort--
tre qu'elle sera d'une allure
tout à fait remarquable. Il
a exposé le motif du so- ^
LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
Catulle Mendès nous donne un nouveau
roman, le Chercheur de tares, œuvre étrange
qui fait songer à Edgar Poë et à Baude-
laire, d'une inspiration cruelle, maladive,
d'une facture curieuse, qui est loin d'être
indifTérente. Après un prologue d'une in-
vention osée, qui ne fait d'ailleurs point
corps avec le reste, et dont la fantaisie,
pour être risquée, n'en est pas moins dro-
latique, l'auteur nous donne à lire sept
cahiers écrits par un personnage singu-
lier, un fou par atavisme qui est possédé
par le génie du mal, par la passion de re-
garder toute chose sous l'angle de la mi-
sère, de la hideur, de l'horrible, par la
manie de tout voir en noir et en sale, de
chercher en tout et partout le vice et le
laid, — un chercheur de tares.
Ces sept cahiers contiennent sa biogra-
phie, qui est mouvementée, bousculée,
secouée par les épouvantes et les délires.
Voici le portrait du personnage à qua-
rante-cinq ans, tel que l'auteur l'a rencon-
tré dans une auberge de Meudon en des
circonstances qu'il est inutile de vous
dire :
Quarante ou quarante-cinq ans, sinon cin-
quante, l'apparence d'âge plus vieille jjcut-
ctre que l'àg'e réel, comme cliez les gens ron-
gés d'un cancer ou atteints d'ictéricie chro-
nique, il était tout petit, non pas de nature,
semblait-il, car il avait les bras étrangement
longs, mais comme par ratatinement, et sa
maigreur, très arquée au buste, était telle, en
la redingote strictement boutonnée, que l'on
devinait vraiment les creux entre les côtes du
squelette à des cannelures obliques du drap
très tendu. De courts cheveux, gris, çà d'un
gris de blanc sale, là d'un gris roussàtre de
fer rouillé, se crispaient plutôt qu'ils ne fri-
saient, en mèches torses, sur un même front
toujours remué de petites rides ; et dans une
jjeau terreuse, ocreuse, couleur de bile é])an-
due et, par endroits, comme caillée en plaques
de fiel plus opaques et plus livitles, il avait,
sous un nez rebroussé qui, humant, s'ouvrait
extraordinairement, puis, après avoir humé,
se restreignait bien vite jusqu'à clore les na-
rines, une bouche sans couleur, aux lèvres
rentrantes, qu'on ne voyait presque pas, et le
menton s'avançait en pointe de sabot de poli-
chinelle. Presque toujours, il gardait les yeux
baissés ; s'il levait ses paupières, on voyait
deux petites plaies creuses, roses, aux orbes
de sanie, comme si on lui avait crevé les pru-
nelles.
Et, en outre, je remarquai en lui une singu-
larité faciale, une singularité de transforma-
tion faciale, qui m'étonna au dernier point,
qui m'alarma presque. Quand il tournait les
regards vers Stéphanie, il y a\ait une très
rapide ilambée dans ses creux yeux vermeils,
et du désir, de la joie même. Mais, tout à
coup, son nez rebroussé, sa bouche rentrante
s'allongeaient, proéminaient. comme en forme
de cul de poule ou de museau flaireur. On
\\\l. — is.
eût dit, véritablement, d'une béte dont l'ap-
pareil aspiratoire et dégustateur aurait la
faculté de s'allonger en manière de tentacule;
puis l'avancement très vite se renfonçait,
comme chez une pieuvre qui se reforme en
boule ; et c'était alors la face accoutumée
d'Ai'sène Gravache ; seulement, ses petits yeux
rouges devenaient tout humides, comme un
vieux mal qui ressaigne.
Le portrait a de la vigueur et est rude-
ment buriné. Voyons l'enfance étonnante
de ce surprenant personnage.
Arsène Gravache avait une mère bonne
et dévouée, qu'il appelle gracieusement
« Maman toute en soie ». Le récit de son
enfance est si pur, si angélique, qu'il semble
que rien ne puisse être plus rose, plus
frais, plus charmant; c'est de la mousse-
line, de la candeur, de la poésie. Il faut
ce point de départ pour préparer et faire
saillir le contraste. Il faut ce sourire avant
les grimaces, ces chants doux et touchants
avant les grincements et les hurlements
de l'horreur. Perraud, ni Florian, ni M""^ de
Genlis n'ont fait un conte plus charmant
que ce conte d'enfant entendu par le petit
Arsène sur les genoux de Maman toute en
soie :
L'archiduchesse Brioche était la plus belle
personne du pays des gâteaux ; elle avait une
toute petite tète ronde, avec un très gros
corps, tout rond aussi, ce qui est la plus
grande beauté pour les brioches, et elle était,
tète et corps, si dorée et sentait si bon, que
tout le monde, pour la regarder et pour avoir
le plaisir de son parfum, s'arrêtait devant le
jialais de l'archiduc, son père, qui était le
plus fameux de tous les pâtissiers du monde.
Ah 1 le beau palais, avec des murs de nougat,
des corniches en sucre de pomme et des
vitres en sucre candi. C'était, vraiment, une
pâtisserie royale ; les éclairs au chocolat ou
au café formaient la garde de l'entrée; avec
leurs chamarrures de sucre blanc, rose doré,
les biscuits pralinés étaient des chambellans :
au milieu de beaucoup de babas, un plus
grand baba était le premier ministre et tous
les petits fours de toutes les couleurs, c'étaient
les petits pages...
J'ai oublié de te dire qu'il y avait au comp-
toir une grosse dame qui faisait les comptes,
elle s'appelait l'Indigestion.
Mais l'archiduchesse Brioche était la plus
précieuse gourmandise de l'étalage. Beaucoup
de gens se pressaient pour l'acheter, pour la
manger. Mut un jeune passant qui avait une
couronne d'étoiles et qui était seigneur dans
une ville où tout est bâti de nuages et où les
maisons ont le ciel pour toiture. Le pâtissier
lui dit : « Qu'est-ce que vous feriez de Son
Altesse la Brioche, ma fille? Chez vous, on se
nourrit de l'air du temps et de la musique
des mouches. » Puis se présentèrent les rois
mages: ils étaient trois, avec de grandes
robes de brocart et de gros turbans ; ils di-
rent : « C'est ce soir l'Epiphanie, et nous
274
LE MOUVEMENT LITTERAIRE
savons que, dans beaucoup de familles, on va
manger une galette en notre honneur ou une
brioche. Eh bien, nous aussi, nous fêtons
notre fête. Vendez-nous Son Altesse, afin que
nous nous réjouissions en buvant du vin
blanc. — Hélas ! dit le maître de la boutique,
je ne voudrais pas tromper d'honnêtes rois
mages comme vous ; Son Altesse archiducale
n'est pas ce que vous croyez. — Eh ! quoi ?
dirent les rois mages, n'a-t-elle point de fève ?
— Au contraire, elle en a une, mais voici ce
qui est arrivé : une fois que je n'étais pas
dans ma boutique, quelqu'un est entré, je ne
sais qui, et, depuis ce temps, il y a dans la
brioche une mauvaise fève, une fève noire, une
fève empoisonnée ! C'est pourquoi, rois mages,
je vous conseille d'aller chez un autre pâtissier. »
Ils s'en allèrent. Ce qu'ils avaient appris, ils
le contèrent à qui voulut l'entendre. Et
personne ne regardait plus la belle brioche à
cause de la mauvaise fève.
Le petit Arsène est vivement frappé par
cette fève noire — la tare de la brioche,
— comme il était maladivement attiré par
le crapaud accroupi sur la lettre C de son
alphabet. Nous sommes étonnés, intrigués
par l'épouvante que cause à sa mère cette
disposition d'esprit chez son enfant :
Ma mère m'empoigna, se leva, m'emporta,
en me baisant, en me riant aux lèvres, en me
riant aux yeux, elle descendit vite, sans pas-
ser par Te salon, l'escalier de la terrasse.
« Faut-il que tu sois béte! Je te demande un
peu, est-ce que ça existe, les fèves noires, les
crapauds! » De quoi s'inquiétait-elle? Qu'avait-
elle deviné en moi ? <> Viens ! viens ! tu vas voir. »
Nous étions derrière la maison, dans le ver-
ger. « Regarde, mon chéri, regarde. » Tout
le ciel rayonnait d'un merveilleux couchant
rouge et d'or. Toutes les feuilles autour de
nous étaient des flammes roses. « Regarde !
regarde ! regarde ! comme c'est beau ; comme
c'est clair! C'est le bon Dieu qui donne une
fête dans le ciel. » Et j'avais mes petits yeux
éblouis de tant de clarté. Un bruit vint de la
vallée, de tout là-bas dans la vallée. Le bruit
de quelque fête foraine. « Ecoute ! dit maman.
C'est la musique. Il y a une fête sur la terre,
comme dans le ciel. Tout le monde s'amuse,
tout le monde est gai, tout le monde est
bon. » La musique montait plus vive. « Et il
faut danser ! » dit maman, et, me tenant les
deux mains, elle me fit tourner en tournant
elle-même, et elle riait, et je riais, et nous dan-
sions en rond dans la joie lumineuse de la vie.
Évidemment, il y a quelque chose. En
effet, les crapauds font perdre la tête à ce
petit fou prédestiné. Il tombe en démence
et ne revient à lui que vers l'âge de quinze
ans. La raison se remet lentement, vacil-
lante, affaiblie, dans un complet oubli des
années d'aliénation, qui sont comme un
trou derrière lui. Au dos de son être actuel
s'accrochait du passé, « comme une hotte
mystérieuse ».
Le travail de cet esprit renaissant va
maintenant être de percer ces ténèbres
antérieures, de chercher, de vouloir sa-
voir, de se livrer à une enquête tenace,
de mener une inquisition soupçonneuse,
au cours de laquelle il est occultement
guidé par un démon intérieur, une vision
infernale d'un petit domestique nègre ap-
pelé Nyx, transfiguré et évoqué dans les
apparitions mystérieuses des nuits, un
génie qui dédouble curieusement cette per-
sonnalité morbide, le Méphistophélès de ce
Faust des enquêtes. Les dialogues de ce
Nyx et d'Arsène, conversations intimes
entre le Conscient et l'Inconscient dans le
même être, sont frappants et menés avec
un art cruel. Ce sont des cauchemars où
Nyx gambade, piétine la bougie éteinte,
s'accroupit à croppetons sur le lit et pose
avec une logique implacable les questions
qu'Arsène redoute même de formuler. Il
y a dans ces scènes de songeries creuses
et douloureuses une maîtrise implacable
qui semble prendre plaisir à ses propres
peurs. C'est par la logique inéluctable de
Nyx — ou la voix impérieuse de la pensée
inconsciente en travail — qu'Arsène dé-
couvre, lambeaux par lambeaux, les véri-
tés redoutables, et d'abord, ce qu'on lui
cachait, qu'il a été fou.
Mais cet objet brillant qui a quelquefois
éclairé les ténèbres de sa folie? C'était un
rond, une petite lueur ronde, un rond de
verre, semblable à l'œil du crapaud. Il faut
citer un morceau de ce dialogue satanique :
— Je te dis que si. Et tu sais bien que c'est
vrai, tu sais bien que tout ton besoin de sa-
voir s'acharne en ton obstination vers cette
lueur ronde, pareille à une espèce d'œil.
— Maman ! maman !
— Eh ! oui, il s'agit de ta mère, de ta
maman toute en soie. C'est pourquoi tu as
crié. C'est pourquoi tu n'auras ni trêve, ni
somme, tant que tu ne sauras point ce que
c'était que cette rondeur claire qui ressemble
à un œil souterrain ou à un trou vers le fond
d'un vertigineux mystère. Va, tout est tou-
jours, partout, la même chose. Tout se résume,
ici-bas, et tu verras, tu verras, dans le monde
intra ou supra-terrestre, en quelque chose en
forme de puits, où il y a, au fond, quelque
chose en forme de crapaud qui écarquille un
œil. Mais regarde donc encore, dans ta sombre
mémoire, regarde, regardons mieux.
— Ah ! ah ! ah ! ah !
— Oui, c'est très drôle.
— Ah ! ah ! ah ! ah !
— Ris, ris encore.
— Suis-je bête !
— Parbleu!
— Autour de cette clarté, qui m'attirait,
qui m'effrayait, je vois maintenant...
— L'n visage.
— Un visage d'homme. La lueur ronde, c'est
un lorgnon, un monocle. Il n'y a rien d'ef-
frayant à cela.
— Tu crois ?
— Je... nui. nui... je crois...
— Tu crois tout le contraire ! C'est ce visage
surtout qui t'alarme et t'épouvante, et te
L K M O U V E M K NT L I T T É H A I R E
275
cliannc. Tu mourras si tu n'apprends pas de
quel homme il était, il est la face ou le masque,
tjui est-il, cet homme? Cherche, cherche.
— Non
— Pourquoi dis-tu non, puisque (u cherches,
en oll'et '.'
— C'est N'rai. Malgré moi.
Cherche-le, retrouve-le, dans autrefois.
Ainsi causent Arsène et son démon ,
l'horrible petit Nyx , le nègre accroupi.
Toutes les facultés du pauvre être vont
se tourner vers ce but. Quel était l'homme
au monocle? Séance tenante, il cherche, il
rassemble ses souvenirs. Qui interroger"?
Il se lève, va chez sa mère, qu'il trouve
debout, effrayée, et il lui pose la question
brutale :
— Il faut que je sache. Parle. Dis-moi. Cet
homme qui venait, quelquefois, quand j'étais
tout petit, cet homme qui te prenait les
mains, quand j'étais malade, quand j'étais
fou, qui était-ce ?
Maman toute en soie tombe évanouie.
Tout cela, sans doute, ainsi dégarni des
ornements étoffés du développement, pa-
rait un peu gros, un peu mélo. Cela n'a
pas ce caractère dans le livre, où le déve-
loppement est conduit avec un art expert
de terroriseur Je vous montre le manne-
quin du spirite, auquel je sens que j'en-
lève les draperies du suaire.
Chaque nuit la terreur revient au petit
fou de revoir son démon :
S'il était revenu, X\x"? S'il m'attendait,
assis à croppetons sur mon lit, avec, au-dessus
de la tote, l'espèce de cierge qui change les
drai)s en linceul ?
Le voilà dès lors aux aguets, à lalTût.
11 épie sa mère pour surprendre le secret
de sa vie, ce qui ne nous étonne pas de
la part de ce maniaque dément et sacri-
lège. Il se trouve qu'il y a un secret. Il a
vu sa maman toute en soie cacher des
lettres dans un bonheur du jour. 11 lui
vole sa clé et s'empare des lettres. Elles
lui apprennent que sa mère a aimé un
poète, et que ces amours ont abouti à un
événement grave que couvre un pâté
d'encre, une rature. Il y a à Paris un
Fabien Liberge qui sait tout. Il va le
voir. Il sait à présent. Ce Lil)erge, plu-
mitif venimeux, folliculaire stercoraire,
dont la plume bave le poison et crache
l'ordure, est le fds de la pourriture, né du
baiser de deux plaies , fils d'un vieil
homme, gros et suant, et d'une rôdeuse
en guenilles. Fabien vécut d'une vie im-
monde, déshonora Hélène, que M. le comte
d'Aprenève, ruiné, épousa malgré la tache
et pour son argent. Voilà comment le fds
du comte d'Aprenève était l'enfant du vice
et de la honte. Il faudrait ouvrir une pa-
renthèse ici pour analyser un des mor-
ceaux les plus remarquables du volume,
la vie de Fabien Liberge contée par un
ami de la famille, dans un récit interca-
laire qui a une saveur forte, acre ; il en
sort une figure étrangement et puissam-
ment burinée, grimaçante comme un
estropié de Callot, ou un monstre de
Goya, ou un pécheur formant gargouille
au faite d'une cathédrale gothique. On a
trouvé longue cette analyse du caractère
de Fabien Liberge, qui tient bien vingt-
cinq pages. Certes, il y a dans ce livre
des longueurs, et nous aurons occasion
tout à l'heure de les constater et de les
expliquer. Mais, si l'on songe que ce Fa-
bien Liberge, ascendant direct de notre
sujet, est la cause primordiale et domi-
nante de toute la psychologie de son fils,
on jugera qu'on ne pouvait pas trop lon-
guement nous l'expliquer.
Arsène apprit de cet homme hideux à
la figure huileuse, à l'âme lépreuse, qu'il
pouvait l'honorer comme un père et se
parer de son vrai nom, non pas Liberge,
mais bien en réalité Cravache. Et c'est
ainsi qu'Arsène d'Aprenève quitta son
nom usuel pour celui de sa race, Arsène
(iravachc.
Alors, il se rue par le monde, il sent
peser sur lui l'atavisme du dégoûtant
Liberge; tout lui parait hideux, mal-
propre, dégradant, partout le ver rongeur
lui gâte les plus belles choses; il a le pes-
simisme violent et impitoyable, il devient
un Leopardi du charnier, un Schopen-
hauer de la tourbe, un La Rochefoucauld
de légout. La gloire militaire lui apparaît
dans une puanteur fumeuse de victuailles;
l'art est une ambition insatiable qui crée
le suicide ; l'héro'isme est l'ivresse d'un
mouchard. Le comte d'Aprenève devient
un buveur d'absinthe; la comtesse ouldie
sa vie dans le cloître, que les ambitions,
les intrigues, l'intérêt et l'égo'isme ron-
gent comme le reste.
L'amour'.' Arsène aimait une petite sau-
vage, Myrrhine, fille d'un original, Ernan
Ferdoc. Mais ce Ferdoc a gagné son or
dans la traite féroce des nègres, et Arsène
le prouve à Mj'rrhine, innocente et igno-
rante. Celle-ci presse alors un l)outon
électrique qui déclenche le plafond des
caves d'or, tandis que Ferdoc, ivre, y
descend, et celui-ci y meurt, écrasé, dans
une bouillie de son sang et de ses pièces
d'or. Myrrhine meurt.
Ce livre est le journal d'un mécontent,
qui étale sur le monde et la vie son âme
immonde, et les regarde, ainsi souillés.
L'auteur dit dans sa préface :
La raison qui, plus qu'aucune autre, me re-
tint d'ouvrir pour tout le monde les sept
cahiers, c'est que l'époque où ils me furent
remis et beaucoup d'années suivantes n'étaient
276
LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
pas des temps propices à leur publication.
Lamentables jours de vigueur abolie, d'hé-
bétée torpeur, où notre race s'étirait, bâillait,
ne sachant plus, ne croyant plus, ne rêvant
plus... La nation ne voulait pas revivre, se
renfonçait dans l'opacité de l'abrutissement,
préférait même d'afl'reux cauchemars, men-
songes du moins, à la réalité de son désastre.
Des millions de vivants étaient un tas im-
mense de ressorts brisés! Ne pouvant plus
l'amour, ni l'art, ni la gloire, ni même l'es-
poir, l'homme français fut, une heure de la
durée, comme s'il n'existait point. Quel crime
c'aurait été d'ofi'rir à la foule aveulie et dé-
solée, des spectacles, des leçons, de jjIus de
doute et de plus de désillusion et (le plus
d'inespérance encore, en les navrants récits
des sept cahiers.
Hélas ! nous n'avions pas besoin d'apprendre
le dégoût — ni le néant.
Mais une autre ère, aux roses fraîcheurs
d'aube, et déjà aux vives santés d'avant-midi,
s'est levée et s'éploie. Il semble que la lan-
gueur et l'abominable ennui se dispersent
comme de vaines brumes. L'activité sort du
lit des mauvais songes et des paresses; il y a
des frissonnements d'essor, vers où, vers
quoi, on ne sait, n'importe, pourvu que les
Ames s'ouvrent et palpitent. On dirait que
tressaillent dans la société un tumulte et une
joie de ruche près d'essaimer ! Notre récente
humanité a des clameurs' et des gestes de
mise en marche, la diane a sonné dans les
esprits, la jeunesse croit à la beauté et à la
bonté de vivre.
Acceptons-en l'augure. Il a raison. Ce
livre est déprimant, et le Gravache est le
pessimisme fait homme.
S'il faut rendre une justice à ce fouil-
leur de verrues, à ce chasseur de vermine,
à ce chiffonnier de l'âme^ à ce boueux de
la vie, ce ramoneur de la beauté, c'est
qu'il pratique abondamment le Tvwôi
asauTov. Il se connaît à merveille et se
décrit avec complaisance. Il analyse son
propre caractère avec une subtilité péné-
trante et perspicace, et, comme il est
l'apôtre du Laid, l'étude qu'il fait de lui
devient une admirable philosophie de la
laideur.
Il se peut que. du verbe créateur, la lumière,
à un moment du temps immémorial, soit née,
la lumière où il y avait, parfaites, la beauté, la
A'ertu et la joie, mais en même temps une
autre voix a dit : Fiat Xox ! et si, d'abord
moins puissante, toute l'ombre n'a pas absorbé
toute la clarté, si même elle en fut trouée et
disijersée, sa défaite a tenté des revanches de
blessure ; et de son éparpillement, jaloux et
obstiné, gouttes de sang sombre de la nuit
vaincue, elle a fait des taches à la joie, à la
vertu, à la beauté, à toute la lumière. Il y a
eu, inévitablement, le laid dans le beau, le
mal dans le bien, le désastre dans le bonheur.
Et, d'âge en âge, les taches se sont élargies,
gagnant en extension sans perdre en intensité ;
elles s'élargissent encore, elles gagnent, elles
gagnent, avec la lente sûreté d'un accrois-
sement de dartre ou de cancer, et elles gagne-
ront toujours davantage, pour le triomphe dé-
finitif de celui qui proféra la noire parole,
écho révolté du verbe clair... Pas de parole
qui n'ait en elle son mensonge, jjas de bonheur
qui n'ait en lui son ironie, pas d'espérance
qui ne soit la jeune pousse d'une désillusion ;
il y a dans tout serment le ver du parjure ;
mirez le rêve dans la réalité, il apparait or-
dure. Un peu de puanteur sort du plus frais
parfum; l'auguste et fougueux idéal est un
lion mangé de poux.
Comme à chaque instant de sa vie, à
chaque seconde de son être pensant, il
tend violemment son cou étiré de goule
hideuse vers le mal qu'il renifle et suit à
la piste, il se donne à chaque page l'oc-
casion de s'observer et de s'affirmer :
Misérable, misérable ! et imbécile 1 il y avait
dans le paradis un point sombre, un point
noir, que les joyeux anges n'avaient jamais
soupçonné, que les anges tristes, eux-mêmes,
n'avaient jamais cherché. Mais, toi, ce jjoint
sombre, ce point noir, par un abominable
instinct, tu l'as trouvé. Et tu l'as marqué de
l'ongle de ton index, et tu as enfoncé ton
doigt, et tu as fait du point un trou, et tu as
élargi le trou, et tu as attroupé les passants
de l'idéal, et ils se sont ])récipités vers ce trou
devenu gouffre, et le paradis sest effondré
dans l'enfer, et l'Idéal s'est évanoui dans la
Tare.
Ailleurs :
Tu n'es pas l'observateur des âmes, tu en es
le mouchard. Tu ne conquiers pas la réalité,
tu filoutes la probabilité du mal ! et — au lieu
d'être un leveur de sombres étendards mena-
çants, comme Juvénal, Agrippa d'Aubigné, ou
Hugo — tu fais les mouchoirs où la médi-
sance de tous les concierges s'est déjà mouchée.
C'est sa nature. Comme il le dit aussi,
il est celui qui cherche " la mauvaise rime
qu'il y a au cinquième acte de Ruy Blas, la
fausse note du cor dans la Synq^honie ^jas-
torale, et l'huître mauvaise de la bonne
douzaine, et la goutte de raisin sec dans
un verre de Château-Yquem ».
Ecoutez-le raconter ses impressions
quand il épie, collé au volet de la fenêtre,
le secret de l'ignoble et fantastique Ernan
Ferdoc, le bourreau de l'or au palais étin-
celant comme dans un. conte de fée :
Je mens.
Oui, en écrivant ceci, après tant d'années,
je mens.
Ce n'était pas quelque chose de sublime que
j'attendais; c'était quelque chose d'infâme que
j'espérais ! et, seul, le papillon-Myrrhine trou-
blait, d'un bruit de petite aile d'idéal, l'at-
tention forcenée, acharnée, abominable, dont
je guettais le mal. Il me fallait le mal! Je
bayais vers lui ! J'étais l'amoureux, l'amant du
mal.^Te l'aimais vraiment. Je le désirais, comme
on aime, comme on désire une maîtresse. Je
lui aurais donné des sérénades ! Je l'aurais
enlevé dans une gondole ! J'étais le Roméo
de la Juliette-Monstruosité.
Et sa joie quand il assiste du trou de la
LE MOUVEMENT LITTÉHAIHE
277
serrure, au désespoir du grand, noble, hon-
nête Josias Stock, cette âme si blanche,
si pure, si belle, cet homme lilial dont on
pouvait dire — le mot est charmant :
Comme il se couche de très bonne Iicure
et qu'il ne sV'\cillc qu'après l'aurore, il n'a
jamais vu de tc'nèbres, ni dans le ciel ni dans
les âmes; il croit peut-être que la nuit est
une calomnie.
Et cependant Josias Stock n'est pas heu-
reux, et il a sa tare aussi, son ambition
impuissante qui le fait crier :
Impossible ! impossible ! La beauté, ici-bas,
c'est impossible. On croit la suivre, la saisir,
la tenir, non, elle fuit, elle fuit, elle n'est plus
là, elle n'y a jamais été. Tous, nous tous, les
meilleurs, les plus grands, les plus purs, les
plus hauts — des impuissants! Et, plutôt
que de souIVrir ainsi, mieux \aut mourir,
mourir, mourir, tout de suite mourir!
Arsène Cravache boit ces paroles douces,
à son goût, comme le pus et la sanie que
lèchent les mouches noires. Et il en res-
sent une horreur délicieuse, une torture
lancinante, un bonheur atroce :
Je soufTrais épouvantablement parmi les
spectres évoqués de la ^■ilenie de tout; je
ressortais de mes e-ffroyables fouilles avec des
glùmcnts de limace acharnés à tous mes
membres ; j'étais vêtu de mon cauchemar
réalisé, purulent.
Cette abondance fluide dans l'analyse,
elle est parto\it. L'auteur a la facilité exu-
bérante, et l'acharnement sur ce qu'il fait.
Il ne quitte un sujet qu'après l'avoir épuisé
d'une exhaustion complète ; expliquer pour
lui, c'est dessécher. 11 piétine, il écrase la
pensée sous des foulées répétées et renou-
velées; il a la touche insistante jusqu'à la
satiété ; il retourne la même pensée sous
toutes les faces, et se redit sous toutes les
formes. Il est le Sénèque du roman ; et
cela même ne nous étonne pas, car cette
faculté est en accord avec son talent, dont
l'une des caractéristiques est la préciosité.
Or la loi de la préciosité est — voyez les
Femmes savantes — d'épuiser les sujets et
les comparaisons.
Précieux, il l'est, cet Arsène Cravache
qui dit de si mièvres choses :
K Elle fit une moue, ce fut comme si
s'était serrée en s'avançant une toufîette
de roses blanches et roses...
K Un peu loin, son visage, ses cheveux,
sa robe étaient comme des choses roses
et blondes, de la vie en fleur et en or. »
Précieux aussi, il l'est par la recherche
des expressions, « une primordiale non-
vie », des choses « immémoriales », terme
dont il abuse, pour dire « oubliées », le
« remugle des viandes >>, une rive " ac-
core », des flacons « allaient, immobiles,
rouler » ; quant à " l'ichor >>, il s'en fait
ci-dedans une assez frrande consommation.
Précieux, il l'est encore quand il verse
dans la subtilité alexandrine , devenu
incompréhensible, comme dans cette
glose obscure du miroir dans une chambre
close conservant « la faculté constatatrice
des images » :
La puissance visionnaire, survivant à l'oc-
casion disparue des images, renou\'elle, sinon
par la réalité de l'objet, du moins par la
cause subjective de sa réalisation, la possi-
bilité des reflets évanouis. Et le regard psy-
chique, rebroussé, reconnaît les empreintes
glissantes et furtives des ombres qui pas-
sèrent, en la capacité rénovée et exaspérée par
le persistant vouloir, de les avoir vues et re-
tenues.
C'est bien la chambre noire, et l'expres-
sion est adéquate à l'idée.
Ces réserves n'entament pas la valeur
de ce livre, dont nous ne nous fussions
pas occupé si longuement sans des rai-
sons de croire qu'il prendra place au pre-
mier rang des meilleurs de l'auteur par la
conscience et la pénétration de l'analyse,
la variété des épisodes, le talent de l'écri-
vain. 11 y a là une très forte somme d'ef-
forts, qui ne devaient pas rester stériles.
La galerie des caractères, inaugurée par
La Bruyère, compte un type de plus.
M""' Judith Cautier a publié chez Armand
Colin un recueil de nouvelles et d'impres-
sions, Khou-N-Atonou, h Prince à la tête
sanglante, Zingom, des vues de Tokio.
Khou-N-Atonôu, qui baptise le volume,
est un fragment de papyrus, dont la pu-
blication a peut-être exigé un usage exces-
sif de points de suspension. Il y a des
chapitres qui sont composés de trois pages
de points de suspension au milieu des-
quels nagent sept ou huit mots espacés,
commme anchois dans l'huile. Je sais bien
que c'est la faute du papyrus, qui a pro-
bablement des déchirures ou des macula-
tures. Mais cette imitation des éditions
critiques à propos d'une fantaisie égyp-
tienne est un peu puérile.
Au demeurant, le récit, fort simple, a
des pages de relief et d'une puissante
vertu pittoresque; ce sont de beaux pan-
neaux égyptiens d'un orientalisme tout
parfumé d'encens et de lotus.
Le bateau remontait lentement, vers l'est,
avec toute la lumière derrière lui ; aussi
paraissait-il roux et comme brûlé, et le roi,
couché à l'avant, sur des nattes et des cous-
sins, ressemblait à un sphinx de bronze.
Très nombreuses, d'autres barques, moins
grandes, suivaient à la file, et l'on eût dit les
vertèbres d'un grand serpent se déroulant sur
l'eau d'or.
Le roi du Midi et du Nord, seigneur de la
Double Terre, Ra-Néfer-Khepru-Xanra, Fils
du Soleil, \'ivant de Justice, Seigneur des
27S
LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
Diadèmes, dans une complète immobilité,
regardait de ses yeux iixes, plus loin que tout
l'espace devant lui dans le mystère de son
rêve.
Les musiciens, debout à l'arrière, étoull'aient
sous leurs paumes les dernières A'ibralions
des harpes, dont la mélodie avait rytlimé le
mouvement des rameurs.
Le titre Khou-N-Atonou signifie le res-
plendissement d'Atonou ou Adona'f.
Atonou est le nom égyptien d'Adona'i,
le dieu de Mo'ise. Atonou fut d'abord le
dieu du pharaon Amenophis IV, qui essaya
de le faire triompher, et de l'imposer à
l'Egypte en renversant tous les autres
dieux.
Il est vraisemblable, d'après les concor-
dances chronologiques, que c'est une des
princesses, fille de ce roi, qui recueillit et
éleva Moïse. La révolution qui termina le
règne expliquerait comment le jeune Hé-
breu fut séparé de sa royale famille et
rejeté à sa condition première. Mais les
cérémonies d'un culte identique, et surtout
l'hymne à Atonou où sont pris textuelle-
ment les versets principaux des psaumes
à Adona'i, ne laissent pas de doute sur
l'origine de cette religion dont est née la
nôtre et qui, vaincue en Egypte, triompha
en Israël.
L'hymne à Atonou a été recopié sur les
nombreux exemplaires gravés dans les
tombeaux de la ville fondée par le Pha-
raon réformateur en l'honneur de son
dieu, découverte récemment et dont les
fouilles ne sont que commencées. Voici
cet hymne :
L'artiste, allongeant ses bras nus, fit vibrer
les cordes et chanta, tandis que Ta'ia, à voix
basse, faisait remarquer à son fils que chaque
verset du poème commençait par un nom de
fleur et que la sonorité du mot, dune façon
très ingénieuse, trouvait un écho dans l'un
des mots suivants.
Le poète chantait ainsi :
01 acacia du bien-ainié! qu'affaça la brise,
tandis qu'il passait devant moi, serrant la
tige du bout de ses doigts pareils aux pétales ! . . .
Que ne suis-je le souffle qui caresse tes doigts,
ils cai'essaient mes lèvres!
0! papyrus du bien-aimé ! alors que par ruse
il parle à des indifTérents, disant ce que je
dois savoir!... Tes paroles, pierres précieuses
qui s'égrènent, je les recueille avec l'avidité
qu'aurait un mendiant.
0! marjolaine de mon frère! tandis qu'il
marche auprès de moi, se faisant, avec les
guirlandes, un double collier pour se rendre
au festin!... A moi, tu es le festin!... A moi,
tu es le festin : le breuvage enivrant, c'est le
son de ta voix !
01 lotun bleu du bien-aimé! quand il ôte une
à une les fleurs de ma coifl'ure et les cache
sur sa poitrine!... Je suis jalouse de ces
fleurs, n'est-ce pas ma place qu'elles occupent?
0 ! pourpier de mon frère, à l'heure où s'em-
pourpre le ciel, alors qu'il m'entraîne, m'en-
ferme en ses bras ! Gomme le soleil au-dessus
de la nuit, mon cœur, tout rouge et brûlant,
reste suspendu, avant de s'abimer dans ton
amour!
On peut voir, au musée du Louvre, des
bas-reliefs antiques où le nom d'Amon est
martelé par ordre de ce roi qui n'adorait
qu'un Dieu, et faisait efï'acer de tous les
monuments de son royaume le nom du
plus puissant des dieux reniés.
L'indignation causée aux pontifes des
autels désertés est facile à concevoir. Ils
envoient vers le roi, pour tâcher de le re-
conquérir, une étrange et merveilleuse
femme, prêtresse d'Amon, initiée aux
mystères, et dont la beauté n'a pas d'égale.
C'est l'histoire de cette séduction, mêlée
à celle de la réforme religieuse, qui est le
sujet de Khou-N-Atonou.
Le récit de la découverte de Moi'se est
gracieusement fait par la princesse Méri
Atonou :
L^n soir. a\-cc mes filles, je marchais sous
les palmiers, le long du fleuve. J'entendis des
cris plaintifs et étouffés, que je pris pour
ceux d'une bête blessée. Mais voici : dans le
fouillis des roseaux et des lotus, un coll're en
papyrus tressé, enduit de poix et de bitume,
s'était arrêté, et l'on devinait, dedans, un
être qui se débattait, frappait des poings, agi-
tait ses pieds, criant de toute sa voix et hâ-
tant par ses mouvements de détresse l'enghni-
tissement du fragile bateau... N'est-ce pas.
père, comme cela ressemble à ime des légendes
des anciens dieux? celle où le corps d'Osiris,
enfermé dans un coffre, est poussé par les
flots aux pieds d'Isis ! Une de mes suivantes
dut entrer dans l'eau jusqu'aux cuisses pour
atteindre le coll're et on me l'apporta. Celui
qu'il enfermait était bien vivant. C'était un
bel enfant de quelques mois, que je reçus
comme un don d'Atonou. Je l'appelai : No-
hemtou-Em-Mou, puisque je l'avais sauvé de
l'abîme des eaux, (^est ainsi qu'il fut mon
fils.
Dans le décor poétiquement exotique et
archaïque, sous les colonnades aux piliers
gigantesques, sur le fleuve d'argent
qu'émaillent les étoiles d'or du ciel, et les
barques chargées de musiciens mystérieux,
entre les grandes tiges des lotus et des
roseaux qui bruissent, dans l'étincelle-
ment des ceintures, des boucles ciselées,
des étoffes rayées, des poignards à têtes
de génies, au pied des colossales masses
de pierres qui recouvrent l'obscurité silen-
cieuse des temples, on se plaît à suivre le
récit des amours sanglantes du roi et de
la belle Menko Tira, inutile vengeresse des
dieux abolis.
Léo Claretie.
GAUSERIK SCIENTIFIQUE
Nous aurions tort de considérer comme
infécond un siècle où les découvertes et
les inventions importantes abondent ; mais
il ne faudrait pas croire cependant qu'il ne
reste plus rien à trouver et que, dans toutes
les applications de la science, nous avons
atteint le dernier degré de la perfection;
nous en sommes encore fort éloignés. La
machine à vapeur, par exemple, que nous
considérons à juste titre comme notre plus
grande conquête et comme notre principal
auxiliaire, transforme en puissance utili-
sable une quantité très minime de lénerg-ie
que nous lui fournissons sous forme de
chaleur; pas plus de 10 à 12 pour 100 pour
les grands moteurs et moitié moins pour
ceux de ^0 chevaux et au-dessous. Tout
travail se transforme en chaleur, et, si réci-
proquement la chaleur se transforme en
travail, le moteur le plus parfait sera celui
qui accomplira la transformation la plus
complète. Théoriquement, on doit obtenir
42.'j kilogrammètres par calorie, cest-à-dire
que la quantité de chaleur nécessaire pour
élever de zéro à 1 degré 1 kilogramme
d'eau devrait nous donner une puissance
d'un peu plus de 7 chevaux-vapeur. On
voit que nous sommes loin de compte !
On ne pourra jamais, bien entendu, arriver
à un tel résultat ; mais, en présence d'un
pareil déficit, il est permis d'espérer qu'on
trouvera mieux que ce que nous avons.
Les moteurs à air chaud, à gaz ou à pé-
trole, sont déjà un progrès dans cette voie;
ils ont un rendement très supérieur à celui
de la machine à vapeur. Malheureusement
ils ont d'autres inconvénients et dans bien
des cas on préfère encore cette dernière;
mais elle est arrivée à un degré de perfec-
tionnement tel qu'on ne pense pas pouvoir
en obtenir beaucoup plus. Les efforts se
portent donc d'un autre côté, et récemment
M. Diesel, ingénieur allemand, a construit
un moteur de 20 chevaux qui parait être
pour le moment celui qui donne le meil-
leur rendement, car on arrive à environ
2o à 30 pour 100 de l'énergie fournie par
le pétrole lampant. Celui-ci est introduit
dans le piston sous forme de pluie et il
s'y enflamme spontanément, parce qu'il se
trouve en contact avec de l'air comprimé
à 40 atmosphères, auquel le travail de la
compression a donné une température suf-
fisante pour produire cette inflammation;
il n'y a pas explosion, mais simple com-
bustion qui dilate le mélange et pousse le
piston; d'autre part, on sait qu'en se raré-
fiant les gaz se refroidissent; or, à mesure
que le piston avance, l'espace où est
renfermé le mélange augmente, la tempé-
ra tvue s'abaisse donc; les choses sont dis-
posées de telle sorte qu'il y a compensation
entre l'élévation de température que pro-
duit la combustion du pétrole et l'abaisse-
Fig. 1. — Le moteur Diesel fonctionnant
par le pétrole brûlant dans l'air comprimé.
L, réservoir d'air comprimé ; Q, pompe de compression
de l'air; Y", tube d'injection du pétrole pulvérisé;
C, enveloppe pour circulation d'eau froide.
ment que produit la dilatation du mélange
gazeux, de sorte que le piston s'avance
sous une pression constante, comme dans
la machine à vapeur, et non par chocs brus-
ques, comme dans le moteur à gaz où il y
a explosion. Lair est dans le réservoir L
(fig. 1) et la compression est entretenue par
la pompe Q, actionnée par le moteur lui-
même ; il est admis dans le cylindre par
la soupape Y, qui laisse également passer,
au moment voulu, le pétrole pulvérisé par
une autre petite pompe, non représentée
sur le dessin ; une enveloppe C permet de
faire circuler de l'eau froide autour du cy-
lindre, comme dans la plupart des moteurs
à gaz. Jusqu'à présent ce moteur n'a en-
core été construit que comme appareil
d'étude, mais les résultats obtenus permet-
tent de croire qu'on est dans la bonne voie.
Dans le même ordre d'idées, nous pou-
vons dire que nos moyens d'éclairage sont
aussi très imparfaits ; jusqu'à présent tous
280
CAUSERIE SCIENTIFIQUE
les appareils qui produisent de la lumière
font, sous forme de chaleur qu'on ne leur
demande pas, un gaspillage énorme de
l'énergie qui leur est fournie. Ils nous ren-
dent à peu près 5 pour 100; c'est-à-dire
que théoriquement nous devrions, avec la
même dépense, avoir quatre-vingt-quinze
fois plus de lumière que nous n'en avons!
Il faudrait, pour obtenir mieux, pouvoir
produire de la lumière froide. On y arrive
déjà dans un petit appareil bien connu et
Fig. 2. — Eclairage installé par ]\I. Moore, au
moyen de la lumière froide produite dans des
tubes vides d'air.
qui n'est guère utilisé que comme jouet
d'enfant ; c'est le tube de Geissler où
l'étincelle électrique de la bobine d'induc-
tion, se produisant dans le vide, ou plutôt
dans un gaz très raréfié, donne une lueur
qu'on peut presque considérer comme de
la lumière, mais qui est cependant encore
insuffisante pour être pratiquement em-
ployée. C'est là-dessus qu'a déjà été ap-
pelée depuis longtemps l'attention des
physiciens, et récemment un Américain,
M. Moore, est arrivé à augmenter l'éclat
de ce genre de tubes dans des proportions
assez considérables pour que, dans une
exposition d'électricité, il ait réussi à
éclairer une petite chapelle qu'il avait fait
construire et dont nous reproduisons l'as-
pect d'après le Scientific american (fig. 2).
La lumière est, paraît-il, assez intense et
d'une grande douceur. Pour obtenir ce
résultat, il a modifié l'interrupteur de la
bobine d'induction. On sait que ces appa-
reils se composent d'un circuit électrique,
formé d'un fil assez gros et d'un autre cir-
cuit, isolé du premier, formé d'un fil très
fin et très long. En faisant, dans le pre-
mier circuit, des interruptions fréquentes
du courant, on détermine, dans le second
circuit, un courant d'une haute tension.
Le moyen ordinairement employé pour
produire ces interruptions consiste à inter-
caler dans le circuit du gros fil un électro-
aimant A (fig. 3) en face duquel est une
armature T montée sur une lame de ressort ;
une vis de réglage V, reliée à la pile P,
Fig. B. — Principe
des interrupteurs
électriques.
P, source d'électricité ;
A, électro-aimant at-
tirant la lame de res-
sort T par laquelle
passe le courant ve-
nant par la vis V.
amène le courant à cette armature, de sorte
qu'il se trouve coupé aussitôt qu'il y a
attraction, pour être rétabli immédiate-
ment après, l'électro devenant inactif dès
que le courant ne le traverse plus; c'est ce
qu'on appelle un trembleur. Son emploi
est bien connu, puisqu'il suffit d'ajouter un
petit marteau à l'extrémité de l'armature
et de mettre un timbre en regard pour con-
stituer une sonnerie électrique. Or, dans
le cas particulier de son application à la
bobine d'induction, il arrive que la couche
d'air qui se trouve au point de rupture est
la cause de la production d'une assez forte
Fig. 4.
Fig.
Fig. 4.
- Interrupteur Moore fonctionnant
dans un tube vide d'air.
Fig. 5. — Autre mode d'interrupteur au moyen
d'un petit moteur dans le vide.
M, moteur recevant le courant d'une source électrique
par les fils c, d et coupant à chaque tour aux points P
et L le courant du circuit mri, sur lequel est branché
le tube à illuminer ; V, volant du moteur.
étincelle, qui entrave la marche du trem-
bleur et retarde ses oscillations. M. Moore
a eu l'idée d'enfermer l'appareil dans un
CAUSKRIE SCIENTIFIQUE
281
tube de verre (fig. 4) où le vide a été
poussé aussi loin que possible et il a ainsi
supprimé l'étincelle et augmenté le rende-
ment dans de grandes proportions.
Dans une autre disposition , il a rem-
placé le trembleur par un moteur élec-
trique minuscule M (fig. î>), auquel le cou-
rant de la pile est amené par deux lils c, d
et qui tourne avec une extrême rapidité,
en coupant à chaque tour, en PL, le lil mn,
qui fait partie du circuit primaire de la
bobine. Avec ces différentes dispositions,
cette dernière ne devient même plus indis-
pensable et Télectro-aimant de l'interrup-
teur, dans lequel il se produit aussi des
courants d'induction par suite de l'action
des spires les unes sur les autres, suffit
pour illuminer le tube ; l'expérience prend
alors une autre forme (fig. 6) et il suffit de
relier les extrémités d'un tube vide d'air T
aux extrémités du fil ab qui forme l'électro-
aimant. On arriverait ainsi, avec une source
d'électricité relativement faible, à obtenir
économiquement une lumière plus douce
C^
Fig.
Lumière froide.
T, tube vide d'air s'illuminant par
suite lies interruptions produites
dans le vide, eu M, sur le cou-
rant venant de cib.
et plus agréable que celle que nous em-
ployons. Il est vrai qu'en consentant à
perdre encore une partie de cette lumière,
déjà si coûteuse comparativement à l'éner-
gie fournie, on peut avoir un éclairage
très doux. L'expérience en a été faite l'an
dernier dans un nouveau bâtiment de l'U-
niversité de Colombia : on a disposé au
centre d'une grande salle de lecture une
boule L, peinte en blanc, et l'on a projeté
dessus les faisceaux de quatre puissants
réflecteurs P dissimulés dans le cintre
(fig. 7). La boule prend alors l'aspect de
la pleine lune; mais elle est loin, parait-il,
de donner la même clarté, et l'on a seule-
ment un jour crépusculaire qui ne dispense
pas d'employer des lam})es à incandes-
cence ordinaires sur les tables. Ceci dit
pour renseigner ceux qui seraient tentés
de faire la même expérience.
Il est préférable, si l'on veut éviter la
lumière directe, de recevoir le faisceau
lumineux sur un réflecteur peint en blanc,
mais formant une surface plane; un pla-
fond remplit parfaitement cet office et
renvoie 70 pour 100 de la lumière qu'il re-
çoit ; cet artifice est, du reste, souvent em-
ployé, et il est recommandé pour les salles
d'étude et de dessin : on tourne l'abat-jour
vers le plafond bien blanchi et la lumière
Fig. 7. — La lune artificielle éclairant (?)
la bibliothèque de l'Université de Colombia.
ainsi difTusée est très agréable et ne donne
pas d'ombre portée sur les tables. Nous
vivons, dit-on volontiers, dans un siècle
de lumière; mais il serait bon d'ajouter
que, si nous sommes éclairés, c'est à
grands frais, et des progrès importants
restent à réaliser.
Nous avons, il y a quelque temps, à
propos de la guerre hispano-américaine,
donné quelques types de torpilles auto-
mobiles; mais ce ne sont pas les seules
employées ; elles ont des steurs qui, bien
que dormantes, n'en sont pas moins dan-
gereuses et sont chargées de garder la
passe qui donne entrée au port. Ce sont
des calottes sphériques en fonte (fig. 8)
remplies de l'un des explosifs connus, tels
que fulmicoton , dynamite, etc., qu'on
immerge à des endroits déterminés et
parfaitement repérés. Il y a deux moyens
de les employer : les unes reposent sur le
fond et l'on y met le feu électriquement ; les
autres sont amarrées de façon à flotter, à
une distance de la surface telle que le choc
de la carène du vaisseau les fasse éclater.
Pour les premières, on dispose sur la côte
des guetteurs chargés de déterminer
l'explosion au moment voulu, en fermant
le circuit électrique qui les relie au rivage.
Une disposition qui a été préconisée est la
suivante : deux guetteurs, éloignés l'un de
l'autre, sont munis de lunettes; ces deux
postes forment la base d'un triangle dont
le sommet est le point oi^i repose la tor-
pille. Dès qu'un vaisseau ennemi est en
vue, les guetteurs le suivent avec leurs
lunettes qui sont montées sur un pivot fixé
à une table ; en tournant autour de ce pivot,
ellesentraînent un contact qui, en un point
2S2
CAUSERIE SCIENTIFIQUE
déterminé, ferme le circuit dont fait partie
le câble de la torpille. Ces conlacls sont
disposés de telle sorte qu'il faut, pour que
la fermeture ait lieu, que les deux lunettes
soient en même temjis braquées sur le
point où est immergée la torpille et, comme
les guetteurs suivent tous deux en même
temps le vaisseau, l'explosion a lieu auto-
matiquement au moment précis où il passe
au-dessus de l'engin.
Pour les secondes , il y a un percu-
teur (fig. 8, n" 2) qui se compose d'un
petit tube de plomb B renfermant un tube
de verre A contenant de l'acide sulfurique ;
on dispose plusieurs percuteurs de ce
genre sur la surface de la torpille, et, si
la carène du navire vient à en briser un,
Fig. 8, n" 1. — Torpilles dormantes destinées
à garder l'entrée des ports.
C, corps de la torpille; T, introduction de la charge;
H, charge ; E, amorce réunie au câble électrique F,
venant du rivage.
N" 2. — Percuteur fonctionnant à la rencontre
d'un navire.
C, corps de la torpille ; B, tube de plomb ; A, tube de
verre qui répand quand il est brisé l'acide sulfurique
qu'il contient sur un mélange K de sucre et de chlorate
de potasse; H, D, explosif de la torpille.
l'acide sulfurique se répand sur le mélange
de sucre et de chlorate de potasse qui est
disposé autour; la chaleur produite par la
réaction de ce mélange est telle que
l'amorce prend feu et détermine l'explo-
sion. Les engins de ce dernier genre sont
fort dangereux, non seulement pour l'en-
nemi, mais pour les amis ; car il n'est
guère admissible qu'on puisse fermer la
passe d'une façon définitive, il faut donc
placer les torpilles seulement quand on
craint une attaque et les enlever à un mo-
ment donné, mais il ne faut pas en oublier!
Si les Américains cherchent à détruire
les Espagnols, ils protègent les oiseaux.
Ils viennent d'édicter une loi par laquelle
le commerce de leur dépouille et de leur
plumage est interdit, sous peine d'une
amende de 250 francs, sur tout le terri-
toire des Etats-Unis. La raison de cette
mesure est que l'oiseau est indispensable
à l'agriculture, car, s'il mange quelque peu
les fruits, il mange aussi beaucoup d'in-
sectes qui, eux, se chargeraient de dé-
truire rapidement toute une récolte. On
a fait le dénombrement des oiseaux utiles
et de ceux qui sont nuisibles, et l'on a con-
staté que ces derniers forment le plus
petit nombre ; ce sont eux pourtant qu'on
respecte : on chasse peu les éperviers et
autres oiseaux de proie qui mangent des
milliers d'oiseaux utiles. C'est surtout au
moment des migrations qu'on fait, dans le
midi de la France, des hécatombes ; on
massacre les hirondelles pour les expé-
dier à nos restaurateurs parisiens sous le
nom de mauviettes; on massacre du reste
partout toutes les espèces sans distinction
et par tous les moyens possibles, et, si cela
continue, dans une cinquantaine d'années
on s'apercevra que ces petits charmeurs
de nos bois et de nos jardins manquent à
l'agriculture. Il serait temps qu'une loi
intervint, non seulement en France,
mais, après entente, dans toute l'Europe,
pour interdire le commerce des petits
oiseaux ; les dames trouveront autre chose
pour leurs chapeaux et les gourmets se
passeront de mauviettes.
La distribution des billets de chemin de
fer, dans une grande gare comme celles
qui desservent la banlieue de Paris, est
une opération qui exige un temps toujours
trop long au gré du voyageur qui fait
queue pour attendre son tour.
La personne préposée à cette distribu-
tion ne perd pas son temps ; mais il faut
qu'elle cherche dans un casier où sont
classés les tickets parmi des milliers d'au-
tres, car, sans compter que, pour chaque
station, il y a les divisions par classes, il
y a encore des tarifs divers : place entière,
demi ou quart de place pour chaque classe.
On a pensé qu'il serait possible d'aller
plus vite en fabriquant le billet demandé
au moment de le remettre au voyageur.
La machine imaginée à cet effet (fig. 9) se
compose d'un cylindre C sur lequel sont
enroulées des bandes de carton; contre ce
cylindre et sur le môme axe est montée
une roue A qui porte à sa circonférence le
nom de toutes les stations. Pour délivrer
un billet, on tourne la roue jusqu'à ce que
le nom de la station demandée se trouve
en face d'une fenêtre pratiquée dans la
monture et formant point de repère ; ce
mouvement a déterminé dans le cylindre
le jeu d'un certain nombre de compos-
teurs et il suffit alors d'appuyer, suivant
la classe désirée, sur une des manettes
CAUSERIE SCIENTIFIQUE
2S3
martjuôes I, 2, '.] pour que le billel arrive
tout coupé dans la main de l'employé ; il
porte, outre le nom de la station, toutes
les indications des billets ordinaires, telles
que la date, la série, le numéro d'ordre, etc.
En même temps que se fait celte opération,
une bande de papier, placée également
dans la machine, s'imprime pour servir de
Fig. 0. — Machine à fabriquer les billets •
de chemin de fer au moment de leur distribution.
contrôle, elle porte le numéro d'ordre, la
destination et les prix placés au-dessous
les uns des autres ; une simple addition
permet donc de vérifier la caisse à chaque
instant. Ces appareils, qui fonctionnent à
la gare du Nord et à la gare Saint-Lazare,
à Paris, depuis le commencement de
l'année, ont donné de bons résultats, et,
en généralisant leur emploi, les compa-
gnies, tout en y trouvant un moyen de
contrôle efficace et une simplification de
la besogne de l'employé, donneront aussi
satisfaction au public, qui posera moins
longtemps au guichet.
Mettre de la couleur sur du papier, c'est
chose trop banale pour M. Ch. Henry, qui
prétend cependant obtenir du papier de
tenture au plus joli coloris sans y mettre
autre chose qu'une mince couche d'une
substance incolore ; les résultats que nous
avons pu voir sont réellement très inté-
ressants. En somme, la couleur d'un objet
n'est que l'effet de la réflexion de la lu-
mière blanche, composée, comme on sait.
de sept couleurs primaires, sur la matière
dont est composé l'objet ; si cette ma-
tière est telle que par sa nature elle
absorbe six de ces couleurs, c'est la sep-
tième qui sera réiléchie et que nous ver-
rons ; ce sera sa couleur propre. C'est
pourquoi la couleur peut varier, pour un
même objet, avec la nature de la source
de lumière : telle étofTe, qui paraît bleue
au jour, sera verte à la lumière artificielle,
car le spectre de cette lumière ne sera pas
le même que celui du soleil. D'autre part,
il est facile, en se plaçant dans certaines
conditions, de voir à la fois plusieurs cou-
leurs du spectre ; cela se présente même
fréquemment à Paris, les jours de pluie, à
certaines portes d'octroi où il passe beau-
coup de voitures automobiles ; obligées de
s'arrêter un moment pour satisfaire aux
dures lois du fisc, elles laissent tomber
quelques gouttes d'huile qui s'étendent en
couche mince sur les larges mares d'eau.
L'épaisseur de cette lame d'huile se mesure
par des millièmes de millimètre et rentre
dans un ordre de grandeur (on pourrait
dire plutôt de petitesse) qui est du même
ordre que celui des vibrations lumineuses ;
à sa rencontre il y a perturbation dans les
vibrations propres à chaque couleur, et
nous voyons apparaître ces vives nuances
que les bulles de savon ou la nacre nous
ont déjà fait connaître. Ce sont ces cou-
leurs que M. Ch. Henry a voulu, nous ne
dirons pas fixer, mais provoquer sur un
papier préparé industriellement et destiné
à obtenir des effets nouveaux dans l'orne-
ment de nos demeures. Pour cela, il fal-
lait recueillir et fixer les lames minces ;
il y arrive en faisant dérouler d'une façon
continue le papier dans une cuve d'eau,
sur laquelle on a projeté quelques gouttes
d'une solution de résine dans de l'essence
de térébenthine; la lame mince formée se
trouve ramassée par la surface du papier,
sur laquelle elle s'attache. Portée au jour,
cette résine devient insoluble, et la couche
mince se trouve fixée sur le papier, qui
retlète alors toutes les couleurs et prend
les teintes les plus variées, suivant l'angle
sous lequel on le regarde et suivant aussi
le milieu dans lequel il se trouve. C'est
une nouvelle industrie qui trouvera son
application dans l'art de l'ameublement
moderne.
Nous avons dit tout à l'heure que toutes
les lumières n'ont i)as la même compo-
sition, ne donnent pas absolument le même
spectre quand on les décompose, et nous
voulons revenir un moment là-dessus à
propos d'une découverte qui vient d'être
faite précisément par l'analyse spectrale.
On sait que dans le spectre solaire on
28'.
CAUSERIE SCIENTIFIQUE
trouve, outre les bandes formées des sept
couleurs primaires , beaucoup de lignes
peu apparentes qui coupent ces bandes en
des points déterminés; or ces lignes chan-
gent de couleur et de position avec la na-
ture de la lumière qui forme le spectre, et
chaque corps donne toujours des raies
identiques de couleur et de position : on
a donc là un moyen d'identifier les corps
connus, chacun d'eux donnant des lignes
qui ne ressemblent en rien à celles données
par son voisin. Dernièrement, un physi-
cien bien connu de Londres, M. Ramsay,
ayant re(,'u une petite fiole d'air liquide,
eut l'idée de l'analyser en absorbant
d'abord, par les procédés ordinaires, l'oxy-
gène et l'azote; cette absorption terminée,
il restait encore quelque chose, ce qui
n'était pas fait pour l'étonner, puisque c'est
lui qui, il y a quatre ans, avait découvert
que ce quelque chose est un gaz consti-
tutif de l'air qu'il nomma l'argon. Mais,
soupçonnant que notre atmosphère avait
encore quelque secret, il soumit son ré-
sidu à l'analyse spectrale, qui lui décela
d'abord, bien entendu, les raies de son
nnii argon, mais aussi d'autres raies, très
apparentes, qui ne se rapportaient à aucun
gaz connu : il s'agit donc encore d'un nou-
vel élément do l'air qu'il baptisa provisoi-
rement crypton, ce qui veut dire qu'il est
caché ; il est bien possible qu'on en trouve
encore d'autres! Voilà donc tous nos ma-
nuels de chimie à refaire, la composition
de l'air y étant donnée d'une façon impar-
faite; heureusement que cela ne nous em-
pêche pas de resjnrer !
Le moyen de transport le plus écono-
mique, pour l'expédition en grande quan-
tité des marchandises lourdes, est le ca-
nal ; mais il a l'inconvénient d'être d'une
lenteur désespérante. Qui n'a vu ces
énormes péniches remorquées pénible-
ment par deux chevaux, quelquefois deux
hommes, à raison de 2 ou .'1 kilomètres
à l'heure ! C'est sûrement le moyen de
transport qui détient le record de la len-
teur ; aussi a-t-on souvent cherché à remé-
dier à cet état de choses et par ces temps
d'automobiles, où le cheval tend tous les
jours à être supplanté par un moteur mé-
canique, il serait étonnant qu'on ne trouvât
pas une solution satisfaisante. L'emploi
d'un propulseur mû par la vapeur, comme
sur les fleuves, aurait, paraît-il, l'inconvé-
nient de détériorer assez vite le canal, à
cause de l'agitation qu'il provoque. Aussi
est-ce en conservant le halage qu'on cherche
une solution et déjà quelques essais plus ou
moins heureux ont été faits. La locomotive
Fig. 10. — Halage des bateaux sur les canaux au
moyen d'un tracteur électrique à crémaillère.
à vapeur roulant sur une voie ferrée, placée
le long du canal, a été considérée comme
trop coûteuse et ne paraît pas avoir donné
des résultats avantageux. On a proposé de
la remplacer par un moteur électrique,
auquel le courant serait fourni par une
dynamo, actionnée soit par un moteur à
vapeur, soil par une chute d'eau prise sur
le canal même, quand cela serait possible.
Nous ne croyons pas que, jusqu'à présent,
en France, des essais de ce genre aient
été tentés; mais le Cazier's Magazine nous
donne quelques détails sur une installation
récente (fig. 10) faite, en Amérique, par
M. Schatz.
Pour obtenir une adhérence suffisante,
sans être obligé d'exagérer le poids du
tracteur, la voie porte une crémaillère sur
laquelle engrène la roue motrice ; le cou-
rant est amené par des fils placés le long
de la voie et reliés au moteur par un trol-
ley, comme cela a lieu pour les tramways.
Le tracteur peut être conduit soit par un
homme monté dessus, soit depuis le bateau
même, en disposant des fils qui permettent
de couper ou de renverser le courant au
moment opportun. Ce n'est qu'au bout de
quelque temps d'exploitation qu'on pourra
se rendre compte des conditions écono-
miques de cette exploitation ; on ne cher-
chera jamais la vitesse sur un canal, les
éclusages s'y opposeront toujours ; mais il
ne serait pas mauvais tout de même, pour
que certaines marchandises qui ne se con-
servent pas indéfiniment pussent profiter
de ce mode économique de transport, qu'on
arrivât à marcher un peu plus vite qu'une
charrue.
G. Maresciial.
Les renseignements de cet article sont donnés mi point de vue scientifique et en dehors de toute réclame. Aussi il ne
sera pas répondu aux demandes d'adresses ou de renseignements commerciaux.
ÉVÉNEMENTS GEOGRAPHIQUES
ET COLONIAUX
Faisons nos excuses au lecteur. Il faut
que nous revenions au Niger, sujet de
notre dernière chronique.
Le métier de chroniqueur colonial a de
ces tristesses-là. L'événement nous im-
pose sa présence. Or il arrive à son heure,
non h la nôtre. Etre prophète? La chose
ne va point, outre le ridicule, sans quelque
difficulté. Il vaut mieux se résig-ner. On
s'est plaint, tout le long d'une page,
des lenteurs d'une Commission : est-on
obligé trois pages après, le lendemain,
d'annoncer que la Commission a abouti ?
Est-on obligé, le mois suivant, de traiter
le même sujet ? Vite, des excuses au lec-
teur, et... on finit, assez souvent, par se
consoler.
Nous avons exposé, il y a un mois, le
litige qui divisait, dans la boucle du Niger,
l'Angleterre et la France. Sans explica-
tions préliminaires, analysons la conven-
tion qui a mis fin le 14 juin dernier à ce
litige. (Consulter, pour cette chronique,
notre Carfs de l'Afrique occidentale et cen-
trale française, publiée dans le dernier nu-
méro, p. 12B.)
Il s'agissait, tout d'abord, de régler une
question territoriale. Voici dans ses grandes
lignes, la solution intervenue :
A l'ouest du Niger, entre la française
Côte-d'Ivoire et l'anglaise Côte-d'Or, la
nouvelle frontière part du 9" degré latitude
nord (convention du 12 juillet 1893), re-
monte la Volta noire jusqu'au IL* degré,
suit ce dernier parallèle jusqu'à la fron-
tière franco-allemande, déterminée par la
convention du 23 juillet dernier. Entre le
Dahomey français et les protectorats an-
glais du Niger, la nouvelle frontière part
également du 9'^ degré latitude nord (con-
vention du 12 octobre 1896 i, se dirige vers
le nord-est-nord, passe à l'est de Nikki et
de Kandi, et atteint le Niger à 10 kilomè-
tres en amont de Guiris, ou Géré, port d'Ilo.
A l'est du Niger, elle conserve la même
direction jusqu'à 1(10 kilomètres de Sokoto ;
elle contourne cette ville, la laissant au
sud, suit quelque temps le 14" degré, con-
tourne Zinder, la laissant au nord, rejoint
ce parallèle et ne s'en écarte plus jusqu'au
Tchad ; elle atteint ce lac un peu au nord
de Barroua.
Nous conservons Bouna et Nikki, nous
perdons Oua, Ilo et Boussa ; la ligne Say-
Barroua est modifiée à notre avantage : au
total, pertes et gains se compensent. Il
est aisé de s'en rendre compte, approximati-
vement, sur la carte ; de la partie teintée
en gris — le territoire français — nous
n'abandonnons que deux triangles de
superficie relativement restreinte : ceux
d'Oua et de Boussà ; par contre, il nous
faudrait teinter à présent un triangle au
sud-ouest de Say, et un rectangle long de
400 kilomètres, entre Sokoto et Kouka.
Cependant, ce n'est pas sans regrets que
nous évacuerons Ilo, où sont morts des
Français, comme le maréchal des logis de
Bernis, assassiné en janvier dernier, et
Boussa, dont la « capacité » commerciale,
grâce à la situation de ce point en amont
des premiers rapides du Niger, est peut-être
fort grande. Mais toute entente exige des
concessions réciproques. Nous ne pou\ions
nous flatter de voir les Anglais nous céder
en tous points; et il était urgent d'aboutir.
Etait-il nécessaire, alors que la question
territoriale devait être seule posée, de
nous laisser entraîner dans la voie des
concessions d'ordre économique? L'ar-
ticle 9, qui règle la question commerciale,
est bien fait pour éveiller les appréhen-
sions et appeler la critique. Le voici :
A l'intérieur d'une ligne qui englobe la
Côte-d'Ivoire jusqu'au nord de Kong, le
Gourounsi et une partie de Mossi jusqu'à
Ouaghadougou, le haut Dahomey jusqu'au
lO*' degré latitude nord, les citoyens et pro-
tégés des deux nations jouiront, pendant
trente années, du même traitement, a pour
tout ce qui concerne la navigation fluviale,
le commerce, le régime douanier et fiscal
et les taxes de toute nature ». A l'exté-
rieur de cette ligne, ajoute l'article, liberté
entière est laissée aux deux nations con-
tractantes. Ceci est fort heureux, et nous
devons remercier les Anglais de nous lais-
ser la libre disposition d'une partie de
notre bien. Quant à « l'intérieur de la
ligne », il faut en prendre notre parti.
Une fois de plus, nos soldats seront morts
pour le plus grand profit des négociants
anglais. — Mais nous pourrons, à notre
tour, trafiquer chez nos voisins ! — Le bon
billet ! Comment? Vous ferez chez autrui,
au milieu de difficultés de tout ordre,
ce que vous ne faites pas chez vous ? Je
vous dis qu'on a illuminé à Liverpool.
On a juré, sauf respect, à Marseille.
— Vous oubliez les enclaves commer-
ciales.
Nous y voici. L'Angleterre loue à la
286
EVENEMENTS GEOGRAPHIQUES
République, par bail, pour trente ans, deux
terrains d'une superficie qui n'excédera
pas pour chacun d'eux 50 hectares et
situés l'un sur la rive droite du Niger,
entre Léaba et le confluent de la rivière
Moussa (Mochi) avec ce Qeuve, l'autre sur
les embouchures du Niger. Ces terrains ne
cessent pas de faire partie du protectorat
anglais du Niger ; nous n'en devenons que
les locataires.
Le Gouvernement de la République s'en-
p^afie à payer, tous les ans, au Goin-ernemcnt
de Sa Majesté, le l'"" janvier, un loyer de
1 franc.
Un franc par an, voilà, certes ! qui n'est
pas ruineux pour le gouvernement de la
République. Mais ne trouvez-vous point
qu'un pareil bail ne va point sans quelque
humiliation? Lorsqu'un peuple paye à un
autre, pour un territoire, une somme d'ar-
gent, cette somme prend le nom de tribut.
Désormais il est permis de dire , en un
sens, que la France paye à l'Angleterre
un tribut de 1 franc. Criez-vous à l'exa-
gération? Lisez le bail (art. 'ij :
Le Gouvernement de la République s'en-
gage :
a) A entourer la partie du territoire sus-
mentionnée à l'article i d'un mur ou d'une
palissade ou de toute autre clôture qui aura
au 7notns 3 mi'tres de haut. Il n'y aura qu'une porte
sur chacune des trois faces.
b) A ne pas permettre, dans ladite partie, ni
l'entrée, ni la sortie de maroliandises contraires
au règlement des douanes anglaises...
c) A ne pas vendre et à ne pas permettre
la vente des marchandises en détail dans
ladite partie du terrain....
d'i Les ]:)lans de tous les bâtiments seront
soumis à l'examen des autorités britanniques...
e\ Il est entendu que les opérations de dé-
barquement et d'ennnagasinement des mar-
chandises sur ladite partie seront conduites
conformément aux règlements en vigueur dans
le protectorat anglais.
Est-ce assez pi-écis?et nous répéterons :
assez humiliant? L'Angleterre nous per-
met de construire deux magasins chez elle,
deux magasins dont elle aura la police : il
n'y a vraiment là aucun motif d'aller « con-
templer la Colonne! »
En résumé, cette convention n'a guère
d'autre mérite que d'avoir été nécessaire.
Mais nécessaire, elle l'était vraiment; et
voilà pourquoi les Chambres feront bien
de l'adopter.
Nos explorateurs viennent d'accomplir,
sur les bords du lac Tchad et dans la ré-
gion du Haut-Nil, une œuvre autrement
glorieuse que celle de nos diplomates de
la commission anglo-française.
Le bassin du Tchad forme aujourd'hui
le centre de notre zone d'influence en
Afrique. Les rives du grand lac sont à peu
près à égale distance de El Golea, dans le
Sud algérien, de Toinbouctou , dans le
Soudan français, de Brazzaville, dans le
Congo français, de Fachoda, sur le Haut-
Nil. Outre les avantages de cette situation
centrale, le Tchad emprunte une singu-
lière importance à ce fait que notre Afrique
occidentale et notre Afrique centrale, cou-
pées l'une de l'autre par les Protectorats
anglais du Niger et le Cameroun allemand,
s'unissent l'une à l'autre sur ses rives.
Celles-ci, pour les trois quarts de leur
étendue, sont françaises. Le Tchad, enfin,
est un centre hydrographique qui, placé
sur la lisière du désert, peut présenter un
intérêt extrême. Du Niger au Nil, c'est
dans ses eaux que viennent se jeter les
seules rivières navigables.
Mais cette région de l'Afrique était fort
mal connue. Elle n'avait guère été explorée
que par Clapperton (IS22-1824), Denham,
Overweg, mort à Kouka, surtout par Barth,
le compagnon d'Overweg (1851-I8;')2), par
Nachtigal (1869), par Monteil, après 1890.
Nos connaissances étaient sommaires,
même parfois contradictoires. Pour les
uns, les pays du Tchad étaient parmi les
plus riches d'Afrique ; c'était vers eux que
devait diriger ses efîorts une politique
prévoyante. H était urgent de construire
le chemin de fer, qui relierait, à travers
l'immensité du Sahara, la Méditerranée au
Tchad. — Ces pays ne valent pas la peine
qu'on y aille, s'écriait-on dans le camp
adverse. C'est déjà le désert; vous ne
trouverez là ni populations ni richesses.
La région, de plus, est ruinée par l'inva-
sion. Et l'on racontait le terrible passage
de Rabalî, pillant, en 1892, le Gribingui,
forçant, en 1893, Kouka, menaçant, en
1894, le Sokoto. Quant au Tchad, ajou-
tait-on, ce n'est qu'un cul-de-sac qui ne
mène nulle part, qu'un immense marécage.
Devant ces affirmations contradictoires,
il parut nécessaire de se rendre compte
tout d'abord de la valeur du pays, pour,
si cette valeur élait réelle, implanter là
notre inlluence.
Les Français se sont dirigés vers le
Tchad par l'ouest et par le sud.
Par l'ouest, le capitaine Cazemajou, en-
voyé par le Comité de l'Afrique française,
partit du Soudan français et s'avança le
long de l'ancienne ligne frontière Say-
Barroua. En avril dernier, il était à Ar-
goungou, non loin de Sokoto.
Par le sud, deux expéditions furent or-
ganisées : celles de l'administrateur Gentil
et de M. de Béhagle. On vient d'annoncer
que, de ces deux expéditions, la première
avait réussi, était sur le chemin du retour,
la seconde était en route.
ÉVÉNEMENTS GÉOGRAPHIQUES
287
M. lienlil quitta la Franco en avril 1S9.');
il emportait un petit vapeur, démontable
en sept tranches, le Léon-Blot. En juin, il
atteignait Loango. Au prix de grands efforts,
le vapeur fut porté à bras d'hommes à
Brazzaville. Par le Congo, par l'Oubangui,
on gagna le poste dOuadda, ((ui est proche
du contluenl de la Kémo. Sur la Tomi,
aflluent de la Kémo, visitée par Maistre
en tS'J2, un poste fut établi à Krebedgé.
Kn avril IS',17, deux ans après le départ de
France, la Xana, affluent du Gribingui,
une lutte de six mois, par Rabah le con-
quérant. Habah se détourna ensuite vers
les régions plus riches du Bornou ; mais
il a laissé des garnisons dans tout le bas
Chari, à Logone, Koussouri, (ioulfeï. Le
sultan du Baguirmi conseilla à M. (ientil
de craindre Rabah et de ne pas pousser
plus loin. M. Gentil avait en garde, dans
ces régions placées sous notre influence,
le prestige de la France ; il se hâta de
gagner Goulfeï. Cette ville, posée dans une
bonne situation stratégique, était en mesure
AU C 0 X ti O F i; A X Ç A I s
U X POSTE SUR L ' o G 0 0 U É
dans le bassin du Chari, c'est-à-dire du lac
Tchad, était atteinte. Le Léon-Blot monté,
on procéda aux essais en mai, au départ,
dès l'arrivée des hautes eaux, en juin.
La véritable exploration commenc^'ait.
Le Gribingui fut reconnu sur presque la
totalité de son cours, jusqu'à son confluent
avec le Chari. On sut qu'il n'était qu'un
affluent, non une branche, de ce fleuve :
au point de rencontre, la largeur du Gri-
bingui n'est à peine que de 70 mètres,
celle du Chari est trois fois plus grande.
Dans le Baguirmi, M. Gentil séjourna
deux mois. Grâce au faible tirant d'eau de
son vapeur, il remonta le Ban Erguieg ou
Ban Hin, jusqu'à l'i kilomètres de Massinia.
Cette ville est aujourd'hui la capitale du
pays. Le sultan y réside, depuis qu'il a été
chassé de Maïnheffa, sur le Chari, après
de couper la route à l'expédition. Mais la
population fut terrifiée à la nouvelle de
l'approche des « frères de Crampel ». Sur
le Niger, M. Hourst avait passé, nous
l'avons vu, pour le neveu de Barth. Au
Tchad, M. Gentil fut le frère du malheu-
reux explorateur, massacré en 18U0 à l'insti-
gation de Rabah. A la nouvelle de son
arrivée, la terreur fut si grande que la gar-
nison de Goulfe'ï s'enfuit précipitamment
à Dikoa; la population accueillit les Fran-
çais en libérateurs, les combla de riz et de
poules. La ville est située sur la rive gauche
d'un des bras du Chari; close de murs,
elle mesure plus de 2 kilomètres de
front ; ses maisons en pisé, recouvertes de
chaume, et dont quelques-unes sont sur-
montées d'un étage, renferment une popu-
lation d'environ 10,000 habitants.
288
EVENEMENTS GÉOGRAPHIQUES
Le l"'' novembre 1897, la mission, sans
quelle eût à tirer un coup de fusil, attei-
gnait le Tchad.
« Je vous assure, écrit M. Gentil, que
c'était un spectacle merveilleux — une
vraie mer, d'autant plus que, pour com-
pléter l'illusion, une jolie brise soufllait,
qui formait un clapotis assez sérieux. » Le
Tchad n'est donc pas que marécages ; mais
il en est entouré : <i Pour pouvoir parler
du Tchad, il faut pouvoir y pénétrer. Or,
étant donné le fouillis inextricable d'iles
plaça son propre l^eau-père, Souleyman.
Le ■■) décembre 1897, M. Gentil était de
retour au poste de Gribingui. A l'heure où
nous écrivons, il est attendu en France.
Pour une fois la mission politique aura
été suivie de fort près par un essai d'ex-
ploitation commerciale. Même avant que
nous fût parvenue la nouvelle du succès
de M. Gentil, MM. de Béhagle et de
Mézières étaient partis sur ses traces, pour
la région du Tchad. Anciens membres
tous deux de la mission de Maistre, ils ont
AU CONGO F I! A N Ç A I S — UNE .MISSION CATHOLIQUE
qui se trouve à son cnlrée, il est impos-
sible d'apercevoir, de la terre ferme, autre
chose que des herbes, des joncs ou des
papyrus, seuls végétaux du lac. )> Le
manque de bois et d'approvisionnements
se lit bientôt sentir, et le Léon-Blot dut
retourner dans le Chari.
Avant de regagner le Baguirmi, M. tienlil
écrivit à Rabah : il lui demandait de nous
rendre les derniers survivants de la mis-
sion Crampel. Mais les Baguirmiens étaient
peu soucieux de renouer des relations avec
l'envahisseur; ils ont très pr()bal)lement
arrêté le message, et M. (ienlil ne reçut
point de réponse. De retour à Massinia, il
signa avec le sultan un traité de protec-
tion et de commerce. Le sultan, de plus,
le pria de conduire en France une ambas-
sade baguirmienne, à la tête de laquelle il
cet avantage de connaître déjà le Ilaut-
Congo français. Tandis que M. de Mézières
organisait en France un premier ravitail-
lement, M. de Béhagle transportait le très
considérable matériel de la mission —
20 tonnes de marchandises et de vivres
de réserve — de Loango h Brazzaville.
M. de jNlézières est reparti le 0 mai der-
nier.
La nouvelle mission est surtout commer-
ciale. Son plan est de s'installer sur le
Gribingui, d'utiliser le réseau de voies na-
vigables qui entourent le Tchad, pour se
mettre en contact avec les populations in-
digènes, de créer le long de ces voies des
comptoirs, d'établir un relevé exact et
méthodique des richesses du sol. Ses
chefs doivent tenter ensuite de pénétrer
dans rOuadai, en se présentant unique-
ÉVÉNEMENTS GÉOGRAPHIQUES
289
ment comme des commerçants. Ils sont
résolus à ne contrarier en rien les liabi-
tudes du commerce local. Les Belges de
l'Etat indépendant, pour avoir voulu for-
cer les Arabes à traliquer, non plus avec
Zanzibar, mais avec le lias-Cono'o, se sont
heurtés aux plus sérieuses dii'iicultés; ils
ont dû longtemps combattre. Les Anglais
de la Royal Niger Company ont commis la
même faute lorsqu'ils ont voulu détourner
vers le Bas-Niger le commerce des Etats
musulmans de leur Soudan avec le nord
franco-allemande du 4 février 1894 déli-
mitait la frontière entre le Cameroun et
notre Congo : tous les pays à l'est de la
frontière étaient reconnus partie intégrante
de notre sphère d'influence. La convention
franco-congolaise du 14 août 1894 fixait
au M'Bomou la limite de l'Etat indépen-
dant ; au nord de cette ligne, la France do-
minait. Ainsi nos voisins avaient reconnu
nos droits; les Anglais, qui n'avaient ici
rien à voir, s'avisèrent de les contester :
ce Une marche sur ces territoires, dit en
AU CONGO FRANÇAIS
UNE MISSION PROTESTANTE
de l'Afrique. 'SIM. de Béhagle et de Mézières
suivront le courant commercial établi
entre le Soudan et le nord; ne se livrant
qu'au trafic, payant avec exactitude les
droits de rigueur, ils se feront convoyer à
travers le désert par les Touaregs, et se
flattent d'établir, à notre profit, un com-
merce régulier entre notre Maghreb et
notre Soudan congolais.
L'idée est nouvelle; elle peut être fé-
conde. Nous souhaitons qu'elle soit appli-
quée au plus vite.
La région du Bahr-el-Gazal forme l'ex-
trémité orientale de l'Afrique centrale
française ; elle touche au Nil.
Nos droits sur cette région remontent à
quelques années à peine. La convention
VIII. — 10.
pleine Chambre des Communes, en mars
1895, sir Edward Grey, alors sous-secré-
taire aux Affaires étrangères, une telle
marche ne serait pas seulement un acte
inconsistant et inattendu, mais en outre il
doit être parfaitement connu du gouver-
nement français, que ce serait un acte
d'inimitié, considéré comme tel par l'An-
gleterre. » Ceci voulait simplement dire
que les projets de l'Angleterre étaient
contrariés ; et cette puissance montrait,
quelques jours après, le bout de l'oreille :
« 11 est évident, déclarait un représentant
des Communes, que l'avenir de l'Egypte
sera aux mains de qui réussira, le premier,
à s'assurer la domination effective du
cours du Nil. »
Nous avons tenté d'être ces premiers.
Dès juin 1896, le capitaine Marchand
290
ÉVÉNEMENTS GÉOGRAPHIQUES
s'embarquait pour aller occuper les postes
du Haut-Oubangui, évacués par l'Etat indé-
pendant. Déjà," M. Liotard, commissaire
du gouvei-nement dans la région, avait
traité avec les chefs de la vallée de
rOuellé : Rafaï, Semio, Tambourah, et
avait établi auprès de leurs résidences des
postes, qui avaient pris leurs propres
noms. Même, le poste de Taml^ourah
n'était plus qu'à 50 kilomètres de la rive
gauche du Soueh, qui est un affluent du
Bahr-el-Gazal. En 1897, nouveau pas en
à dos d'hommes. Le Faiclherhe était parvenu,
vers la fin mai, à l'entrée du M'Bomou; là,
il fut démonté et ses morceaux suivirent
la même route que les chalands.
Le 27 août, la flottille était arrivée au
Soueh; le capitaine Germain, l'enseigne
Dyé, l'administrateur Bobichon dirigeaient
le montage, tandis que le capitaine Mar-
chand et le lieutenant ^langin faisaient des
reconnaissances, le premier, à l'est, vers
Roumbeck, le second, au nord, par Djour-
Ghattas, vers Meschra-el-Resk. Aux der-
DANS LA RÉGION DU TCHAD — UNE lî É S I D E N C E ROYALE
avant : M. Liotard fonde, au nord de
Zemio, dans la vallée du Biri, affluent
de Bahr-el-llomr, qui est une des têtes du
Bahr el-Gazal, le poste de Dem-Ziber.
Pour pousser plus avant et s'engager dans
la région, coupée de marécages, qui mène
au Nil, il fallait et des renforts et des em-
barcations.
Transporter de la côte aux eaux navi-
gables du bassin du Nil la canonnière, le
Faidherbe, des boats en fer et des cha-
lands, fut la dure tâche à laquelle tra-
vailla, jusqu'en octobre dernier, le gros
de la mission Marchand.
La flottille, dont l'enseigne de vaisseau
Dyé est le commandant, fut transportée
par vapeurs de Brazzaville à Bangui, sur
l'Oubangui, par pirogues jusqu'à Ban-
gasso, sur l'Ouellé, et de là jusqu'au Soueh
nières nouvelles, toutes les charges avaient
rejoint le centre d'organisation, Tam-
bourah ; la moitié de la mission était éche-
lonnée le long du Soueh; Koutchouk-Ali,
au confluent de cette rivière et de la
Ouaou, et qui devait servir de port d'em-
barquement, allait être occupé. Le mon-
tage du Fakllurhe était presque terminé.
Mais ces nouvelles — les dernières pu-
bliées — sont vieilles de neuf mois. A
cette heure, le drapeau tricolore flotte cer-
tainement sur le Nil. Il flotte sur la lar-
geur presque tout entière de l'Afrique, de
Saint-Louis à Fachoda : la largeur tout en-
tière de r Europe, de Brest à la Caspienne!
Et plus à l'est, encore, il flotte à Djibouti.
Nos explorateurs et nos soldats ont bien
travaillé.
Gaston Rouvier.
CHRONIQUE THÉÂTRALE
Grâce à la température hivernale dont
nous jouissons en ce singulier été de 1808,
la saison théâtrale se prolonge bien au
delà des limites ordinaires... Ce n'est pas
moi certes qui m'en plaindrai. Il y a tou-
jours dans ces post-scriptum des surprises
agréables. Au milieu d'un fatras d'inutiles
ou mauvaises soirées, il en surgit une du
plus haut intérêt. C'est ce qui s'est produit
cette fois, grâce — il faut l'avouer — non
pas aux auteurs, ni aux artistes français,
mais grâce à M. Novelli, le très curieux et
très célèbre acteur italien, qui est venu à
la Renaissance — sur les planches mêmes
où triompha M""^ Duse avec tant de fracas
— lancer le fameux ancKio son...
Il n'y a point à faire de comparaisons entre
le phénomène que le snobisme a couvert
de lauriers tapageurs et l'artiste véritable
au talent souple et superbe qui vient de
recueillir pendant quinze jours des applau-
dissements infiniment plus discrets, mais
beaucoup plus sincères. Cependant un rap-
prochement s'impose entre ces deux inter-
prètes qui semblent avoir été tous deux
élevés à la même école : celle de la sim-
plicité. C'est un fait digne de remarque et
d'une jolie ironie que ce soit de l'Italie, la
terre classique des mimes, des exagérés, des
échevelés, que nous vienne à cette heure la
plus admirable leçon de naturel et de pon-
dération. Ceci doit nousdonnerà réfléchir et
rabattre un peu de notre orgueil et de notre
faconde... Avons-nous assez souvent crié
avec une fanfaronnade insupportable que
nous étions le peuple sage par excellence,
le peuple du juste milieu et du bon sens!
A nous entendre, il ne pouvait être ques-
tion de quoi que ce fût en dehors de nous.
Nos artistes étaient des modèles que l'uni-
vers entier copiait servilement, sans, bien
entendu, atteindre jamais au même degré
de perfection... Il va, dans ce panégyrique
que nous nous plaisons à faire de nous-
mêmes, une inconscience et une naïveté
enfantines tout à fait réjouissantes, à moins
qu'elles ne soient fort tristes à constater...
La fin du siècle ne nous aura pas été très
favorable, et, pour peu qu'on ait un peu
voyagé, on est bien forcé de convenir que
le charme est rompu... C'en est fini de
notre prépondérance universelle, nous
avons cessé d'encoml)rer le monde, et les
désastres d'il y a vingt-cinq ans ont éteint
notre auréole... C'est là une vérité peu
agréable à entendre, mais qu'il faut dire
cependant et dire bien haut... Nous ne
sommes plus les premiers en quoi que ce
soit, et ce n'est pas notre assurance, ce
n'est pas notre aveuglement qui change-
ront ce qui est... Je ne dis pas que nous
« dégringolons » — passez-moi cette
expression peu académique qui fait image
— mais ce qu'il y a de certain, c'est que
nous sommes stationnaires, tandis ({ue les
autres marchent. Une seule supériorité
nous restait — ou du moins nous le disions
si haut et si souvent que les esprits les
moins susceptibles d'emballement finis-
saient par y croire — c'était le théâtre!...
Il faut déchanter. Autour de nous, on a
fait de très grands progrès, tandis que
nous ne bougeons plus depuis longtemps.
En Angleterre, en Allemagne, et aujour-
d'hui en Italie, il a poussé de solides reje-
tons, greffes prises, si l'on veut, sur notre
vieil arbre national; mais les boutures
sont devenues arbres à leur tour et déjà
leurs rameaux nous couvrent de leur
ombre... Déjà la troupe de Meïningen,
avec son jeu si curieux et l'intellect de
ses masses, avait fait réfléchir les metteurs
en scène de nos « figurations » mouton-
nières; déjà le final du deuxième acte des
2/aîtres chanteurs, tel qu'on le « joue « a
Bayreuth et à Munich, semblait impossible
à exécuter en France, et il a fallu copier
à notre tour le modèle allemand pour
atteindre le but ; déjà aussi notre machi-
nerie théâtrale, nos jeux de lumière sem-
blaient d'un archaïsme invraisemblable...
Mais voilà qui est plus grave, des indivi-
dualités percent au delà de nos frontières
et viennent jusque chez nous nous con-
traindre à l'admiration.
L'an dernier, à New-York, j'avais eu
l'occasion de faire cette remarque en assis-
tant à une représentation d'Hamlet dans
laquelle M. Berboom-Tree, le célèbre ac-
teur anglais, émule de sir Irving, inter-
prétait le rôle du prince de Danemark : —
Ah ! mes amis, ne touchons pas à ce rôle
dont nous n'avons aucune idée. Si vous
saviez quelle révélation ! et combien sem-
blent ridicules — j'écris le mot à dessein
— les Hamlet barbus et musclés ; les
Hamlet à la voix de cuivre, aux biceps
d'athlètes, aux métacarpes de lutteurs; les
Hamlet bruns , farouches et redondants ;
les Hamlet mâles enfin ! Irving est vieux
à cette heure, le geste est toujours beau ;
mais l'œil est vitreux et la voix est pâteuse.
Tandis que Berboom-Tree! Mince, élégant,
distingué, l'œil bleu et limpide, le geste
gracile , indécis parfois , plein d'autorité
aussi : le voilà le « chétif » (l'épithète est
de Shakespeare) enfant royal , l'éphèbe
inquiétant, dont toute la force réside dans
la révélation que lui fit le spectre et dont
la main, trop débile pour manier une épée,
292
CHRONIQUE THEATRALE
fait pourtant reculer le bandit couronné...
Et la diction !... C'est lui qu'il faut entendre
pour comprendre et sonder toute la pro-
fondeur philosophique du célèbre To he!
or...not... tohe!... Un grand artiste, vous
dis-je. Et, le lendemain, je le voyais dans
ce fameux Tr'dhy, pièce étrange , succé-
dané bizarre de notre Vie de bohème, qui se
joua deux mille ou trois mille fois dans tous
les pays de langue anglaise et où il rem-
plissait le rôle d'un hypnotiseur, raté de
génie, macabre et falot comme une espèce
de docteur miracle hoffmanesque ; puis, un
autre jour, je le revis encore dans une bien
mauvaise pièce, d'ailleurs , bâtie sur un
épisode de la conquête du Canada par les
Anglais, où il jouait le rôle d'un Français,
bâtard de je ne sais quel Louis XV d'opé-
rette auquel il donnait une allure d'une
élégance suprême; et je me demandais
lequel de nos artistes si parfaits, si cor-
rects, serait capable d'interpréter avec au-
tant d'art des œuvres de valeur et de ten-
dance aussi opposées. Inutile d'ajouter que
ma question demeurait sans réponse... Le
même fait m'avait frappé quelques années
plus tôt à Ischl, dans le Tyrol, où, sur la
petite scène du minuscule théâtre, des co-
médiens, des chanteurs de Vienne et de
Munich jouaient en présence de S. M. Fran-
çois-Joseph, empereur et roi, dans la même
soirée, Cavalleria rusticana, et le ballet ■ — •
vous avez bien lu le « ballet » — Die Pup-
penfee. Et ce n'étaient pas les premiers
venus au moins. Des personnages d'im-
portance de VAn der Wien Tlieater, et de
l'Opéra de Munich, des premiers rôles, s'il
vous plaît, les équivalents de nos Bartet,
de nos Caron, de nos Mounet et de nos
Alvarez nationaux... Mimes, chanteurs,
danseurs même , comédiens, tragédiens,
ils étaient tout cela tour à tour et avec
maîtrise, ne se croyant pas le moins du
monde déshonorés, faisant honnêtement,
brillamment tout ce qui concernait leur
état et pas « fonctionnaires » pour un ^J^'e«-
nig !... Voyez-vous nos admirables comé-
diens s'abaisser aux rôles d'histrions ? Fi !
vous n'y pensez pas. Ces rôles ne sont pas
de leur emploi !...
Ah 1 l'emploi ! Voilà le grand mot. L'em-
ploi, la spécialité. L'un tient article de
rire, l'autre de larmes, celui-ci de ganache,
celui-là de grimaces : mais, pour faire
vendre à aucun d'autre marchandise que
celle que permet son enseigne, n'y comptez
pas. On se doit à sa gloire !
M. Novelli met la sienne à vendre de tout.
Pour lui, il n'est pas de petit emploi. Tout
ce qui est artistique se trouve dans sa
boutique et son mérite est précisément
dans la multiplicité et la perfection de ses
transformations : Lebonnard ou Michel Per-
rin, la Morts civile, la Prima Volta, l'En-
tr'acte, le Drame nouveau, l'AUehija, il nous
a donné dans chacune de ces pièces des
impressions diverses de terreur ou de
joie. Je ne prétends pas qu'il ait été égal
dans toutes, mais du moins — comme
disent les tâcherons — c'était de l'ouvrage
bien faite !.. . Sa « compagnie », sa troupe
était homogène, comme celle de la Duse,
et l'ensemble, très soigné, témoignait d'un
souci artistique dont nos étoiles en tour-
nées devraient bien s'inquiéter un peu.
Ce furent là de très intéressantes soirées
où beaucoup auraient pu prendre d'excel-
lentes leçons. M. Novelli a quitté Paris
comme il y était arrivé ; sans réclame
tapageuse, sans banquets, sans couronnes,
sans qu'aucun théâtre lui ait dit : « Rien
ne manque à ta gloire, tu manques à la
nôtre ! » Il est vrai, a dit quelque scep-
tique, qu'un pareil « battage » n'aurait sans
doute affligé personne et que par suite il
était inutile. Quoi qu'il en soit, cette ma-
nifestation d'un art étranger devrait être
pour nous un avertissement salutaire...
En profiterons-nous?... That is the ques-
tion!
L'Odéon a repris, du diable si je sais pour-
quoi, le Chien de garde de Jean Richepin.
Est-ce parce que le Chemineau avait fait
encaisser à ce théâtre, que la subvention
rend insubmersible, des recettes superbes,
que notre camarade Ginisty s'est tout à
coup senti féru d'amour pour ce vieux
mélo sans importance ni valeur? C'est la
seule explication que je trouve pour justi-
fier cette fantaisie, car, si
... sur une personne on prétend se régler,
C'est par ses beaux côtés qu'il lui faut ressembler!...
c'est aussi sur les œuvres intéressantes
d'un poète qu'il faut jeter les yeux pour
consacrer sa gloire et non pas sur ses ou-
vrages inférieurs et de pure spéculation.
Le Chien de garde n'ajoute rien à la répu-
tation de l'auteur de Par le Glaive et au-
rait bien pu diminuer celle du poète du
Chemineau, si Paris n'avait pour ceux qu'il
aime — et M. Jean Richepin est au pre-
mier rang de ceux-là — des trésors de
mansuétude.
De son côté, la Comédie-Française a
senti l'impérieux besoin de reprendre
Adrienne Découvreur. La pièce de Scribe et
Legouvé a été jouée avec un excellent en-
semble. M"" Bartet y est délicieuse, M. de
Féraudy est un excellent Michonnet,
M. Baillet, dans le joli rôle de Maurice de
Saxe, est... M. Baillet, comme toujours,
et M"« Marsy est une belle, sinon bonne.
c ri R o N I Q u i<: T n k a t r a l e
293
duchesse de Bouillon... Là! Et mainte-
nant veut-on nous dire pourquoi on a re-
monté en plein mois de juin ISUS cette
pièce, très bien faite, mais parfaitement
insupportable, parce que surannée?... Oh!
la pièce bien faite ! Qui donc, avec du
génie, bien entendu, nous en délivrera?...
En a-t-on assez tué de ces œuvres, peut-
être mal bâties, mais où se révélait une
originalité, un tempérament, un désir de
nouveau, de puissant, avec ce vocable
odieux : la pièce bien faite.
La pièce bien faite, c'est Teau tiède, le
triomphe de la médiocrité, le correct, le
ratissé, le déjà vu, le déjà entendu... La
pièce bien faite, c'est la bourgeoisie du
théâtre, c'est la correction, oui, mais c'est
surtout la froideur, la respectabilité, le
quelconque, la terreur de 1' « au delà »,
l'effroi de 1' « en avant » ! Mon Dieu, vous
qui savez si bien ordonnancer cette comé-
die à facettes qui s'appelle la vie, vous
dont les coups de théâtre sont subits, ja-
mais les mêmes, toujours imprévus, vous
qui d'un chaos, scénario informe, avez tiré
ce drame tragi-comique que nous jouons
tous avec tant de succès depuis des mil-
liers et des milliers d'années, débarrassez-
nous de ce qu'on est convenu en ce monde
sublunaire d'appeler la « pièce bien faite »,
où tous les effets sont prévus, catalogués,
étiquetés, rangés comme dans un mé-
daillier, ou plutôt comme dans un herbier,
avec les noms de genre, famille et espèce
écrits en belle bâtarde rouge et bleue !
Oh ! l'odieuse chose qu'une pièce bien
faite, où rien n'est imprévu, où les événe-
ments se succèdent avec une régularité
automatique, ceci engendrant fatalement
cela, sans que rien puisse déranger l'ordre
établi par le bon auteur expert en son
métier... Et nous admirons Shakespeare,
et nous balançons l'encensoir sous le nez
de Molière ! Ce qu'ils doivent rire de leurs
notaires de fils, ces deux génies, dont pas
une œuvre que nous acclamons de con-
fiance ne serait même admise à la lecture.
Soyons donc logiques une bonne fois, et,
si Advienne Lecouvrear, morceau de vir-
tuose, nous semble l'idéal du théâtre, brû-
lons sans regret le Misantlirope et jetons
Hamlet au pilon. Nous ne pouvons de
bonne foi admirer l'une sans mépriser les
autres. Et pourtant il semble bien tout de
même que Molière et Shakespeare ne sont
pas les premiers venus...
Combien plus je préfère ce Tricorne
enchanté, de Th. Gautier, que la même Co-
médie a révélé la semaine dernière. Ah !
pour le coup, en voilà une pièce mal faite !
Mais quelle joie que cette langue si riche,
si colorée, si fantasque, et quelle heure, ou
plutôt quelle demi-heure exquise ! C'est un
fruit savoureux dont on a le palais tout
parfumé. Qu'en reste-t-il ?Pas grand'chose
mais ce peu est délicieux. C'est le sou-
venir d'une œuvre d'art, très jeune, très
folle, très parfaite, malgré ou plutôt à
cause de ses imperfections. Et il faut voir
quel entrain parmi tous ces comédiens ad-
mirables qui n'ont qu'un défaut, le fonc-
tionnarisme. Mais avec quelle joie ils font
l'école buissonnière, comme ils gambadent
avec gaieté parmi ces vers somptueux et
cette fantaisie étincelante! On dirait le
Sous-préfet aux champî^, de Daudet! Vous
savez, ce représentant du gouvernement
qui rêvait étendu dans un ihamp de vio-
lettes, tandis que les merles et les pin-
sons lui fredonnaient des ariettes... Ils ne
demandent pas mieux que de se débar-
rasser de leur gourme officielle, les pau-
vres! Mais, sitôt qu'ils se permettent une
petite débauche, tout de suite la pièce bien
faite, insupportable gouvernante, les rap-
pelle à l'ordre : « De la tenue, messieurs
de Montpavon, de la tenue! » Et ils en-
dossent leur bel habit brodé, refont le
nœud de leur cravate blanche et redevien-
nent notaires et fonctionnaires!... Oh! je
sais bien ce qu'on peut arguer : ces esca-
pades sont bonnes pour l'Odéon! Mais,
puisque l'Odéon fait le devoir de l'Am-
bigu, faites au moins le sien et soyez
vivants et jeunes.
D'ailleurs , pourquoi l'Odéon empiète-
t-il sur le terrain de l'Ambigu et du Châ-
teau-d'Eau? Ces deux théâtres remplissent
à merveille le rôle qui leur est dévolu, et
je vous assure que la Bande à Fiji qu'on
donne sur la scène du premier et les Vo-
lontaires de la Loire qui triomphent sur les
planches du second répondent congrûment
à ce qu'on attend de ces deux établisse-
ments.
Les deux maisons suffisent à leur tâche,
et les assassinats, les vols, les viols, les rapts,
les innocents persécutés, les fripouilles
triomphantes, tout le menu de ces festins
populaires, sont assaisonnés au piment
comme il est prescrit. On ne peut rien dé-
sirer de plus et bien fâcheux qui voudrait
y trouver à redire ! Les mélos sont bien
joués, suffisamment écrits en somme, et
la vertu est toujours récompensée au dé-
nouement, ce qui procure au public les
nuits calmes, exemptes de cauchemars,
qu'il est en droit de réclamer. On aurait
mauvaise grâce à s'en plaindre, f Soyez
j)lutôt maçon si c'est votre talent! » On
est maçon et bon maçon, rue de Malte
comme boulevard Saint-Martin, et tout est
pour le mieux ainsi dans la plus durable
des Républiques. C. Q. F. D.
Maurice Lefevre.
LA MUSIQUE
La réaction commence plus lot, beau-
coup plus tôt que je ne l'aurais cru, que je
ne l'aurais espéré. En l'espace de six jours,
deux grands succès dont les applaudisse-
ments ont vibré avec enthousiasme à
l'Opéra, avec la Cloche du Rhin, de M. Sa-
muel Rousseau (8 juin), à l'Opéra-Comique,
avec la Vie de bohème, de M. Giacomo
passant, et de beaucoup, ce que l'on était
en droit d'espérer.
Et pourtant, faut-il le dire? jouée il y a
quelques années, à l'époque de la 3Ianon
de Massenet, par exemple, la comédie
lyrique de M. Puccini n'aurait pas, malgré
toute sa valeur, suscité un pareil enthou-
siasme. C'est qu'alors on n'était pas saturé
Cliché Pivul Boyer. M. de ^amt-Pliar. Musette.
M. Jacquet. M"* Tiphaine.
Uolline. Scha,uimrd. Rodolphe. Mirai. Marcel.
M. Isnardon. M. Fugère. M. Maréchal. M"' Guii-audon. M. Bouvet.
La Vie de bohème. — Deuxième acte.
Le réveillon au quartier latin et au café Momus. Paris, 1840.
Puccini (13 juin), ont sanctionné la vic-
toire du bon sens, du bon goût artistique,
la renaissance d'une esthétique fortifiée
par les conquêtes modernes, mais libre et
affranchie des cangues dans lesquelles on
voudrait étrangler tout ce qui n'est pas
d'un art absolument conventionnel.
Le sujet de la Vie de bohème, de Miirger,
est trop connu pour qu'il me soit utile
d'en narrer les humoristiques et navrants
épisodes.
Composée sur le livret de MM. Giuseppe
Giacora et Luigi lllica, traduite en fran-
çais par M. Paul Ferrier, la partition de
M. Puccini a eu un très grand succès, dé-
de symphonies impressionnistes, disso-
nantes, et qu'après ces œuvres ténébreuses,
la partition de la Vie de bohème, avec toutes
ses oppositions, fait l'effet d'un bienfaisant
rayon de soleil pénétrant subitement et
triomphalement dans la plus froide, la plus
obscure des caves.
Entre Massenet et M. Puccini, il y a toute
la distance du chef d'école au disciple.
Chez l'un, on retrouve l'influence de
l'autre : et tenez, dans l'air que M. Ma-
réchal chante si bien, de sa jolie et sym^
pathique voix de ténor, ne retrouVez-
vous pas la mélancolie distinguée de
Werther?
LA MUSIQUE
295
RODOLPHE
Qufllt'est ma tâ.cht? j'e.cris
De même que le souvenir d' Ilérodiade se
ravive rien que par ces mesures qui ser-
vent d'introduction à l'air que M"" Gui-
raudon détaille si poétiquement.
MIMI
N llJl,'
»n 9. N } l;0 I . ^r.' U
nJ' IIV'I
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m'appt'l.le Mi.mi.raaismon
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ffi"
H
^ ]f) \ y — ^ — * — 3 — 1
est Lu
Cl . e,.
Ce ne sont pas des réminiscences, mais,
je me permets de le croire, c'est la bonne
influence du maître qui fait école, de Mas-
senet. Du reste, dans les nombreux pas-
sages où l'esprit et l'ironie débordent,
M. Puccini est bien lui-même.
MUSETTE
Oh! eh! cre'tiii Cette as.sietteempoi.
(elle la jette i la volée.)
.son. ne la vais.seLle!
Avant la mort si émotionnante de Mu-
sette, il a su trouver une page d'une pbilo-
sophie si résignée, que, malgré la situation
pathétique, le public a bissé les touchants
adieux de Colline à son mince paletot.
COLLINE
nous, com.pagne de tant de jours de diète...
A l'Opéra, la Cloche du Rhin a valu à
son jeune auteur une légitime moisson de
bravos sincèrement mérités.
Une ouverture nommée prélude — con-
cession au modernisme intransigeant mu-
sical — commence l'œuvre de M. Rous-
seau. On y entend les thèmes — il y en a
sept, comme on peut le voir en comparant
les exemples que nous donnons — du
paganisme germain lutter désespérément
contre ceux du mysticisme chrétien triom-
phant.
Premier acte. — Liba (M'"® Héglon) im-
plore Odin; Ilalto (M. Bartet) conjure son
petil-fils Konrad (AI. Vaguet) de rendre
aux dieux germains les autels du vieux monde.
Courroucé, les yeux hagards, il s'écrie :
Tous les vôircs ont connu que leur mort était proche
Quand du cloître, )à bas, résonnait cette cloche...
Et, à l'orchestre, la cloche vibre mysté-
rieusement. Halluciné, Ilatto s'écrie :
Elle sonne pourtant... Ce n'est donc que pour moi !
Konrad et Liba n'entendent rien. Celle-ci
calme le vieillard en lui disant :
LIBA foaressante)
Thème de Liba-
et de.vi . nelespre . sa.ges:
L'écuyer Ilermann (M. Noté) revient
chargé de butin. 11 amène une captive,
Ilervine (^P'c Ackté), religieuse du cloître
voisin, qui venait porter la parole de vé-
rité.
Sans chanvre, ni marteau, sans l'effori du sonneur,
Libre, elle vibre.
C'est un ange qui vient à certains jours vers elle,
Il la frôle de son aile,
Dictant l'ordre de Dieu par son timbre d'argent.
Les guerriers et le peuple murmurent ; ils
ne voient dans les avertissements d'IIer-
vine que des injures, des insolences. Je
n\ù de repentirs que ma faiblesse lâche,
répond avec fureur Ilatto, qui, fier de son
long passé de carnages impies, ajoute :
IMPRÉCATIONS DE HATTO (Finale du premier acte), chantées par M. Barti:t.
HATTO
PIANO
Et qiiemon dor.njpr rpgard pré.sideaux he'catom . bes; Qu'unsanglot de la ' ter . re aux
cIpux dise ma mort Mon glai . ve rou . ge n'est pas as . sez rouge enco
.rail . tes en flam . mes Soient en.fin com. me ma suprême offrande auxdieuxgermains..
Publié avec l'autorisation de M. Choudens, éditeur, Paris. — Tous droits réservés.
LA MUSIQUE
297
La fureur sanguinaire de Hatto ne fait
que croître ; il tire son épée et veut lui-
même immoler Ilervine, lorsque tout à
coup, au loin, la cloche tinte.
(Cloche dans la coulisse)
Ilatto est terrifié, et, léguant sa ven-
geance à Konrad, il meurt. Puisqu'il est
admis que l'on peut transporter au théâtre
certains souvenirs liturgiques, en prenant
pour thème de la cloche les quatre pre-
mières notes du Dies irœ, M. Rousseau ne
pouvait, à mon avis, mieux choisir.
Altère de vengeance, le peuple veut
répandre le sang de la captive ; mais il
avait compté sans Konrad, qui, peu à peu
Cliché Pierre Petit.
M. Samuel Rousse AT-, auteur de la Cloche du
épris de la jeune chrétienne, la protège et
fait différer son supplice.
Deuxième acte. — Si, dans le premier
acte, le compositeur a fait preuve d'une
conception vigoureuse fort bien secondée
par le poétique livret de MM. G. Montor-
gueil et Gheusi, ici, il nous donne toute la
mesure de son inspiration mélodique et
professe franchement son credo artistique,
dont je ne puis résister au plaisir de citer
un fragment :
« Je suis fermement convaincu que le
drame lyrique moderne ne saurait se pas-
ser du leitmotiv... S'ensuit-il pour cela que
servilement nous devions imiter Wagner,
qui, si heureusement, employa cet artifice
musical ; devons-nous, pour nous mettre à
la remorque du maitre allemand, renoncer
à nos précieuses qualités françaises : la
clarté, la rapidité, la logique et la forme ?
Je ne le crois pas. J'ai donc tenté dans la
Cloche du BJtin de conserver l'air, le duo,
l'ensemble, le chœur, oasis dans le steppe
musical si justement chères à tant d'audi-
teurs... »
Les guerriers sont vaincus et découra-
gés ; ils ne répondent que par des gémis-
sements aux exhortations de la prêtresse
d'Odin. Les dieux nous abandonnent, disent-
ils ; iMr les lumières qu'ils te donnent, Liha,
dis-nous pourquoi. Pourquoi f s'écrie-t-elle :
c'est parce que Konrad a violé
la loi, qu'il n'ose frapper Iler-
vine. A 7nort la chrétienne ! A
mort Hervine! répliquent Her-
mann et les guerriers. Konrad
entre. Au nom des dieux ger-
mains, il renie tout sacrifice
humain, et leur ordonne de
sortir. Seule, Liba l'épie. Voyant
que Konrad se fait amener la
captive, elle murmure avec
haine et mépris : L'amour t'a
soufflé sa démence... Les dieux se
vengeront !
Seuls, en présence l'un de
l'autre, la douceur de la cap-
tive s'unit peu à peu à la pitié
du jeune chef. Cette scène est
le point culminant de l'œuvre
de M. Rousseau. Les rythmes
et les chants de l'orchestre
s'enlacent et soulignent, sans
les écraser jamais, les accents
passionnés du jeune chef, les
rigueurs delà captive, qui, après
un long et chaste combat, cède
à cette musique d'amottr à nulle
autre pareille!
Charmée, la jeune fille oublie
ses vœux religieux; et, s'aban-
donnant dans les bras de Kon-
rad, elle chante avec lui, leurs
jeunes cœurs vibrant à l'unisson :
Rhin.
FRAGMENT DU DUO (Acte II, scène m), chanté par M. Vaguet et M"*' Ackté.
Allegretto presse/
HERVINE
K0NR4D
PIANO
Viens,
ô vierge blon .de; .viens, et que ta che.ve.iure i .
1
OÙ s'e' . tan.che.ra la soif dont ma leNre est brû.
DDolto aliar"
Ped. ^, Ped. *
Publié avec l'autorisation de M. Choudens, éditeur, Paris. — To is droits réservés.
LA MUSIQUE
299
Ilorvine, qui s'était laissée aller an
charme de l'étreinte, s\irrache des bras de
Konrad en entendant, au loin, un pieux
cantique. Repentante, elle s'écrie :
Je suis au fiancé des noces éternelles,
Et les amours charnelles
N'ont pas de bagues pour mes doigts.
Conduit par Liha, le peuple envahit la
scène et conjure Konrad de s'arracher des
bras d'une femme pour repousser les chré-
tiens. Prenant ses armes, Konrad fait ser-
ment d'incendier le cloître et de jeter au
Rhin ensanglanté cette cloche maudite.
Les combattants s'éloignent tumultueuse-
ment. Montée sur un rocher, Liba suit
anxieusement des yeux la bataille qui se
livre. Après un premier succès, les soldais
de Konrad se replient en désordre : voyant
Hervine en prière, la farouche prêtresse
l'offre en holocauste aux dieux germains,
et la fait précipiter dans le Rhin. Dès que
la vierge a disparu sous les Ilots, dans les
rangs des païens la victoire renaît.
Ténors et Basses dans la coulisse
En avant! noort auxchre.tiens.
Thème barbare païen
La nuit est éclairée des rouges lueurs de
l'incendie du cloître. Konrad victorieux ne
revient que pour réclamer Ilervine. Her-
vine est dans les flots, les dieux sont apaisés !
lui répond Liba, mêlant aux chants de
triomphe l'ironie de sa vengeance.
Troisième acte. — Konrad erre doulou-
reusement. Il a renié tout pouvoir, et ne
veut plus que pleurer son amour. Appe-
lant à tous les échos Ilervine, il poursuit
sa route. Errants et fugitifs, les Germains
traversent le bois profond qui côtoie la
rive du fleuve. Au pied d'un chêne, Liba
veut offrir aux dieux le sacrifice humain.
Ici la mélodie aux harmonies modernisées
chante et se déroule dans toute sa beauté :
Les jeones filles e'tendent do feoillage snr l'aotel.
elles y disposent des vases poor les libations
des vases ponr
Ped. * Ped. * Ped
Le compositeur ne craint pas de répé-
ter deux fois de suite (A et Ri la même
mesure, et en cela il a bien raison : le
sens mystérieux de la première étant
affirmé par la seconde, qui en est l'écho,
si vous voulez, mais un écho d'une ma-
gniflque ampleur.
Le sacrifice va s'accomplir. Konrad
apparaît et veut s'y opposer. Se dressant
menaçant en face de Liba, qui le renie, il
l'accuse d'égorger là où priaient les an-
cêtres, et, portant les mains sur l'autel, il
brise les vases sacrés. Furieux, les Ger-
mains le frappent et, terrifiés par le sacri-
lège, ils s'enfuient en le laissant pour mort.
Au loin, la cloche résonne mystérieuse-
ment. Le blessé revient à lui : « Hervine ! d
soupire-t-il une dernière fois, les yeux
tournés vers le Rhin. O prodige! surgis-
sant des flots, la jeune martyre apparaît.
Sans faire un mouvement, elle glisse sur
l'onde, et près de Konrad agenouillé, en
extase, elle dit :
Thème
Peu à peu elle entraîne le jeune guerrier
dans les flots, et, tandis que la cloche
vibre, qu'un chœur mystique chante leur
épithalame, les deux martyrs du christia-
nisme naissant murmurent : L'amour ne
finit pas, à la mort il commence.
Guillaume Dan vers.
LA MODE DU MOIS
En foulard rose et blanc, voici un charmant et
très nouveau modèle (n" 1). La jupe, sans aucune
garniture qu'un haut volant en forme, est demi-
longue. Le corsage ajusté,;à taille ronde, et rentré.
Non moins jolie, pour casino ou visites, est cette
robe en gaze rose de Chine, à larges dessins gris
argent, ornée de galons de taffetas camaïeu, c'est-
à-dire du même ton, mais plus foncé (n» 2).
est orné, sur le devant seulement, par un grand
entre-deux en vieille guipure bise, partant d'une
couture à l'autre, sous les bras, et emboîtant bien
la poitrine. Le dos est uni, les manches plates, et
le col toujours montant. La ceinture est en cuir
bis, les gants en suède naturel, les bas de soie
noire et les souliers en chevreau glacé. Une grande
et très élégante capeline en paille d'Italie noire,
empanachée de plumes noires, achève cette toi-
lette d'un genre très comme il faut.
Ces galons sont eux-mêmes lisérés par d'autres
en soie blanche formant trèfles. Des losanges en
incrustation de guipure à larges dessins ornent
le bas de la jupe. L'ouverture du corsage est de
forme tout à fait nouvelle ; encadrée par un galon
noir, elle laisse entrevoir une guimpe en linon
blanc plissé. Le chapeau, en paiUe de fantaisie
blanche, est recouvert de longues plumes blan-
ches genre amazone. Gants de chevreau blanc,
souliers de daim blanc et bas roses, en soie brodée.
LA MODE DU MOIS
301
Le mois d'août, étant par excellence le mois
des vacances, est aussi celui des excursions.
Voici, h cet effet, un costume spécial que l'on
pourra à volonté transformer en costume de
chasse (n° 3) ; il est en drap havane foncé, la jupe
est courte avec pattes de piqué blanc ornées de
boutons, sur les ouvertures des poches, de chaque
côté du tablier. Corsage -jaquette à basques
appréciés de nos jours, même par les femmes, on
adopte des toilettes spéciales, genre tailleur.
Celle-ci est en lainage bleu foncé (n° 4), avec jupe
fermée sur les hanches par des boutons d'or. Des
boutons d'or disposés en plastron ornent encore
le boléro-veste, dont les revers sont en toile ciel
avec galons blancs. La guimpe est assortie.
Chajieau de Panama naturel, garni, sur le côté,
courtes et à revers de piqué blanc, serré à la taille
par une ceinture de cuir blanc. La cravate est à
damier havane et blanc, et le chapeau, à calotte
fendue, en feutre léger havane clair, agrémenté
sur le côté d'une plume de faisan. Souliers à hautes
guêtres assorties; plaid gracieusement jeté sur
l'épaule gauche, et fusil passé en bandoulière.
Pour excursions, le bâton ferré remplace le fusil ;
on le tient alors à la main.
Enfin, pour le yachting, un des sports les plus
avec des ailes de mouette et. tout autour de la
calotte, d'un velours noir souligné par une torsade
de gaze gris argent.
Bas de fîl noir et souliers Richelieu en chevreau
mat. Gants gris en suède ou en peau de daim.
Le chapeau pour aller en bateau, sur mer ou
sur l'eau douce, peut fort bien se remplacer par
la casquette de marin. C'est [même parfois plus
élégant encore, pour toute jeune personne s'en-
tend.
LA MODE DU MOIS
LES PARFUMS
Le parfum est presque devenu le complément
obligatoire de la toilette.
On a beau médire de lui et prétendre que la
meilleure de toutes les odeurs est encore celle qui
ne sent pas, bien rares sont les femmes qui ne
mêlent pas à l'eau de leur toilette quelque essence
plus ou moins fine ou plus ou moins forte.
LANGAGE DES PARFUMS
L'élégance a pour symbole l'acacia; la bonté
se retrouve dans l'amande, la tranquillité dans
l'ambre, la fierté dans l'amaryllis, l'autorité dans
le benjoin, la fidélité dans la citronnelle.
Le chèvrefeuille désigne l'amour; la clématite,
la tendresse; la coronjV^?, l'ingénuité; la ca»iom!7^e^
la soumission; le cytise, la vivacité; le cèdre, la
sérénité.
Le foin coupé est synonyme de tempérance ; le
géranium, de sottise; le genêt, de préférence; la
giroflée, de charité; la glycine, d'amitié.
'L'héliotrope veut dire amour éternel; l'iris, Iq
bonheur; la jaciw^/i*?, l'amour du jeu; le Jasmin,
l'amabilité; la Jonqtdlle, l'égoïsme et l'orgueil.
La lavande veut dire tempérance; le laurier-
rose, perfection ; le lilas, l'amour ; le lilas blanc,
jeunesse et grâce; le lis, pureté; le liseron, mo-
destie.
Le magnolia exprime l'amitié ; la marjolaine, la
consolation ou la plus heureuse; la mauve, la flat-
terie ; la mélisse, la gaieté ; la menthe, la sagesse ;
le wùuosffj l'amour discret ; le muguet, le bonheur ;
le muguet des bois, le dédain.
h'œillet symbolise la finesse ; l'œillet musqué, le
mépris; le /)ow de s??i<e(tr^ la délicatesse; l'oranger,
la générosité; l'orchidée, l'élégance; le jjélargo-
nium, la pureté d'intention.
La rose blanche signifie candeur; la rose rose,
beauté; la rose rouge, amour; la l'ose musquée,
coquetterie ; le réséda, perfection et modestie ; le
sa 171 fo in, pmdence; le safran, modération; le til-
leul, rêverie : la tubéreuse, amour passionné ; la
vanille, douceur; le vétiver, le calme; la violette,
le charme ; la verveine, habileté.
PARFUMS A LA MODE
L'amande, l'ambre, l'amaryllis, le benjoin, la
citronnelle, le coréopsis, le foin coupé, le géranium,
l'iris, le jasmin, la lavande, le lilas blanc, la
menthe, le muguet, l'orchidée, la rose blanche, le
réséda, le vétiver, la violette et la verveine.
CHOIX d'un P a K F U M
D'après le tableau qui précède, on voit que, du
choix d'un parfum favori, les étrangers peuvent
déduire les tendances de notre caractère. Il est
donc prudent de bien réfléchir avant de se décider.
En tous les cas, si l'on choisit des essences diverses
pour les différents usages de la toilette, faut-il
rechercher dans l'ensemble une certaine harmonie ;
les discordances sont aussi désagréables dans les
parfums que dans les couleurs.
NOS PATRONS
Veste quart ier-maifre. — Cette veste, en drap ou
molleton bleu marine, peut se porter aussi bien
par une fillette que par un garçonnet. Pour la
première, elle doit être accompagnée par la jupe
courte plissée ; pour le second, le costume est com-
plété par le pantalon de matelot long et tout droit.
Le dos, droit fil et sans couture, se coud, pour
les garçons, du haut en bas, sous les bras; mais
pour les filles, à cause de l'ampleur de la jupe, il
est préférable de ne coudre le dessous de bras que
jusqu'à la taille.
Le devant de la veste est ouvert sur un maillot
en tricot de coton rayé bleu et blanc.
Le col est, comme le dos, droit fil et sans cou-
ture derrière.
LA MODE DU MOIS
303
COIFFURES DE FANTAISIE
Pour les excursions, si nombreuses pendant le
mois d'août, le bih-vt est le favori. Il se fait en
molleton et se porte blanc, bleu marine ou noir.
C'est à la femme de le poser sur se.s cheveux
de la façon la plus coquette et la plus seyante à
son genre de beauté. Maintenu par des épingles.
le béret ne redoute ni le vent, ni les bois taillis.
.'\ la mer, la casquette est de beaucoup la pré-
férée. Les femmes, souvent fort intrépides, ne re-
doutent pas la fureur des flots ; elles manient avec
adresse le gouvernail et l'aviron. Et lorsqu'elles
vont en mer à la pêche, ou simplement en pro-
menade, elles adoptent, comme coifiEure, la cas-
quette de marin, en drap blanc, avec visière en
vernis noir. Un caoutchouc, voire une jugulaire,
empêche cette coiffure de céder aux caprices de
l'ouragan et de s'envoler vers le large.
Pour les bébés et les fillettes, quand on veut
garantir leur nuque du soleil sans les encombrer
d'une coiffure chaude et lourde, on doit choisir
la grande capeline bonne- femme.
Celle-ci se fait en batiste blanche, crème, bleu
ou rose pâle, avec bouillons formés par des cou-
lisses à l'intérieur desquelles on passe des rubans
pour les fronces; un joli nœud de ruban assorti
ou formant légèrement ca-
maïeu avec la batiste, «e
pose un peu à gauche, sui
le bouillonné du milieu, et
orne gracieusement cette
capote dont les
joues et les bavolets
sont bordés par une
dentelle de fantaisie
qu'une jeune mère
peut fort bien s'a-
muser à faire elle-
même au crochet,
au tricot ou au fu-
seau. Brides assor-
ties au nœud.
Le fond est fron-
cé au milieu par
une coulisse inté-
rieure que l'on des-
serre à volonté, ce
qui rend des plus simples et des plus
faciles le blanchissage et le repassage de
cette coquette et très pratique coiffure.
OMBRELLES ET PARAPLUIES
Le parapluie élégant est forcément toujours un
parapluie-aiguille en belle soie cuite carmélite,
bleu marine ou vert myrte. Le manche, foncé et
très fin, est orné d'une cordelière terminée par des
glands. La haute nouveauté le veut terminé par
une grosse boule de cristal dans laquelle se meu-
vent de petits grains multicolores.
Le parapluie ordinaire peut se faire en S(7('VieH)ic^
un peu plus lourde,
il est vrai, mais
plus solide que la
soie pure. Le man-
che en bois rus-
tique, avec béquille
en bois ou en argent
nickelé, est tout à
fait gracieux. Ce
parapluie est aussi
agrémenté d'une
cordelière en passe-
menterie.
Les ombrelles
claires sont très
prisées cet été. Celle que représente notre dessin
est en soie fond blanc, rayée en travers de noir
ou de couleur. Cette disposition se fait en toutes
les nuances. Assez grande, cette ombrelle est
bordée par un large volant de dentelle.
Un petit ruban-comète, de la nuance des rayures,
compose la tête du volant et forme, à chaque
pointe, de jolis petits nœuds Louis XVL
Iliche milord en or ciselé uni ou incrusté de
pierreries, au bout d'un manche rigidement cra-
vaté de ruban très ferme, toujours de ton assorti.
304
LA MODE DU MOIS
OUVRAGES DE DAMES
La broderie se transporte facilement : c'est sans
iloute ce qui explique son succès comme travail
mauuel pendant les mois de vacances ou de villé-
giature. Dans la pensée d'être aussi agréables
qu'utiles à nos abonnées, nous leur oflfrons donc
aujourd'hui un service de table complet comme
spécimen des nouveautés de la saison.
Suivant le goût, ce service peut se faire en gra-
nité, en toile blanche ou bise, en toile russe et en
tissu de fantaisie de couleur.
Sur fond roux, bis ou blanc, les glycines qui
lui servent d'ornement devront se broder dans
les , nuances naturelles, mauve pour les fleurs
et vert pour le feuillage. On fait à présent les
fleurs et les feuilles d'un seul ton, ce qui en sim-
plifie beaucoup l'exécution.
Sur tissu de couleur, on fera les fleurs du ton
N° 2.
qui^ s'harmonisera le mieux avec le fond ; ceci
étant du domaine de la fantaisie, aucune règle
n'est applicable. On n'a donc qu'à laisser courir
son imagination.
y° 1. — Vue d'ensemble d'une table recouverte
d'une nappe avec serviettes et dessous de verre
assortis.
La nappe est bordée par un ourlet à jours de
quatre centimètres de hauteur, avec motif de bro-
derie dans le coin et motif détaché formant semis
sur le reste de la longueur.
L'ourlet, pour la serviette, doit avoir de deux
centimètres à deux centimètres et demi de hauteur
. 4&*t H .... i.
N" 3.
et d'un centimètre à un centimètre et demi pour le
dessous de verre.
N" 2. — Chemin de table. Même ourlet et
mêmes motifs aux deux bouts que sur la nappe ; en
montant le long de l'ourlet, petits motifs formant
également semis.
Ce chemin se pose, comme ou le sait, sur la
table, dans le sens de la longueur.
N" 3. — Service à thé assorti, avec feston en
bordure au lieu d'ourlet. La serviette doit être
carrée et avoir trente centimètres de côté seule-
ment. La nappe se proportionne à la table qu'on
doit recouvrir.
jV» 4. — Détail du point. Fleurs et feuilles
sont contournées au point de tige. L'intérieur se
N» 4.
brode au point lancé, toujours dans le sens des
pétales, mais en ayant soin.de laisser jouer du
fond dans le centre, ce qui donne plus de légèreté
au travail.
Berthe de Présilly,
MEMENTO ENCYCLOPÉDIQUE
Événements de Juin 1898.
1. — St^ance de rentrée du Parlement. Par suite
lia renouvellement, la Chambre est appelée à nommer
sou bureau ; il est procédé au scnitiu pour l'élection du
président provisoire. Votants : .").")3 ; majorité absolue : 277.
obtiennent : M. Deschanel, 277 voix; M. Brisson, 27U voix.
Un bultetin étant contesté, le vote est incertain et le
bureau décide qu'il n'y a pas élection. AIM. Sarrien et
Leygues sont élus vice-présidents. Cette première séance
4. — Le groupe socialiste de La Chambre lance
un manifeste au pays. — Le Sénat des Etats-Unis
vote la loi pour les dépenses de la guerre. — M. Pincliia
est nommé sous-secrétaire d'Etat à l'instruction publique,
et M. Gabra, sous-.secrétaire d'Etat aux travaux publics
en Italie.
5. — M. F. Faure assiste au Grand Prix de Paris,
(jui est gagné par Le Roi-Soleil à M. de Rothschild.
CARTE DU THÉÂTRE DE LA GUERRE H I S F A X 0 - A M É R I C A I N E
(Pour la description de la Havane, voir le n» 28 du Jfonde Moderne, avril 189", page
577.)
est très orageuse. — M. Xavarre est réélu président du
Conseil municipal de Paris. — Le gouvernement
américain nomme le général Merritt gouverneur des
Philippines. — ■ AI. Reitz est nommé secrétaire d'Etat
au Transvaal, en remplacement de il. le docteur Leyds,
nommé représentant du Transvaal en Europe. — Ouver-
ture du Congrès du Chili. Le message fait espérer
une prompte solution du litige avec la République
Argentine.
2. — M. Deschanel est élu président de la Cham-
bre par 282 voix, contre 278 à M. Brisson, sur .5{i2 vo-
tants. — M. F. Faure reçoit M. Navarre et les membres
du Conseil municipal de Paris. — M. Polo de Barnabe
est nommé sous-secrétaire d'Etat aux affaires étrangères
en Espagne.
3. — Démission de M. Morel, sénateur de la llau-
che, nommé sous-gouverneur de la Banque de France.
— Après la prise de Sikasso et la mort du roi de
Babemba.tout le pays fait sa soimiission. — MM. BaiUy-
Foreiliére et Pauly sont massacrés au cours d'un
voyage d'exploration dans la République de Libéria. —
Le général Tardité est nommé sous-secrétaire d'Etat à
la guerre eu Italie. — La flotte américaine recom-
mence le bombardement de Santiago. Le croiseur amé-
ricain Merrimac est coulé par les Américains pour obstruer
la passe de Santiago et empêcher l'amiral Cervera de
sortir. — Un vote populaire se prononce contre la fédé-
ration des colonies australiennes.
VllI. — 20.
— Dix navires américains lancent une énorme quantité
de projectiles contre les forts de Santiago. — Les
troupes grecques réocoupent Larissa, Tournavos et 'Volo.
L'évacuation est terminée. — Les élections pour la
Skoupchtina de Serbie donnent une majorité favo-
l'able au gouvernement.
6. — La Chambre commence la vérification des
pouvoirs. 30 7 députés sont validés. — M. de Rothschild
donne aux pauvres de Paris les 2.5(i,OUO francs ga-
gnés par son cheval au Grand Prix. — Violents troubles
à Belfast occasionnés par une rencontre entre oran-
gistes et nationalistes. Une centaine d'agents et autant
de civils sont blessés. Nombreuses arrestations.
7. — M. Hanotaux fait connaître au Conseil des mi-
nistres que la Chine a donné toute satisfaction au
sujet des réclamations concernant l'assassinat du
P. BerthoUet dans le Kuang-Si. La Chine accorde,
en outre, la concession de lignes de pénétration du Tonkin
en Chine. — Ouverture, à Bruxelles, d'mie conférence
internationale au sujet de la suppression des primes
de sortie pour les sucres. — Le ministre de la
marine annonce à la Chambre espagnole que le
général Liuarès a repoussé les Américains qui tentaient
de débarquer à Aguadores (Cuba). — Inauguration, à
Saint-Pétersbourg, du pont Troitzky, dont la pre-
mière pierre fut posée en présence de M. F. Faure.
8. — Le Conseil municipal de Paris adopte la propo-
sition d'élever un monument à la mémoire des victimes
306
MEMENTO ENCYCLOPEDIQUE
non reconnues «le l'incendie de l'Opéra-CoHiique.
— (luvcrture du dix-septième congrus de la Société
d'Economie sociale et des Unions de la paix sociale.
— L'escadre de la Méiliterranée simule une attaque
contre Marseille, qui est considérée comme prise. —
Le prince de Hohenlohe, chancelier de l'empire alle-
mand, visite les chantiers de l'Exposition de 1900. —
L'insurrection, ayant à sa tête A guinaldo, triomphe aux
Philippines et s'étend à tout l'archipel.
9. — M. Deschanel est élu président définitif de
la Chambre par 2K7 voix, contre 277 à M. Brisson.
MM. Lej'gues, Sarrien, Krantz et Mesureur sont élus
vice-présidents. — A l'occasion du centenaire de
Michelet, inauguration du buste du célèbre historien,
(Buvre d'Antonin Mercié, au lycée Michelet à Vanves. —
Le maréchal Blanco, gouverneur de Cuba, propose
au général insurgé Gomez de s'allier aux Espagnols pour
repousser les Américains. Gomez refuse.
10. — Ouverture du congrès organisé à l'occasion du
cinquantenaire de la Société des ingénieurs civils
lie France. — A la Chambre des Communes d'Angleterre,
M. Chamberlain, défendant la politique étrangère du ca-
binet, dit qu'une alliance avec les Etats-TJnis
serait un bienfait pour les deux pays et pour la civi-
lisation. — Les Américains débarquent à Guanta-
namo sous la protection du feu des navires. I
échouent daus leurs tentatives de débarquement i
Santiago.
11. — A l'Hôtel de "\rille de Paris, fête des
Beaux-Arts en l'honneur des artistes francai»
ayant exposé aux Salons de IKll.S. — La Chambit,
après l'élection des membres du bureau restant i
nommer, est définitivement constituée. — On
apprend par une lettre du capitaine Mar-
chand, en date du l'"' décembre 18'J7, que
la première partie de sa mission, et la plus
périlleuse, est termiuée. — Mort de M'"'= Po-
tonié-Pierre, propagandiste féministe. —
La Diète du Japon, ayant rejeté divers
bills présentés par le gouvernement, est dis-
soute. — L'escadre américaine bombarde Bai-
quiri (Cuba) et les troupes américaines
débarquées livrent combat aux troupes espa-
gnoles à Caimanera. — Mort, à Bial\ stock,
du rabbin Mohilever, qui se proposait de
reconstituer le royaume de Judée.
12. — Inauguration du monument élevé
à la mémoire d'Eugène Flachat, ingé-
nieur, fondateur de la Société des Ingénieurs
civils. — Mort du peintre Auguste Tru-
phème. — Inauguration, Bizerte, du
pont à transbordeur reliant les deux rives du
chenal conduisant de la mer au lac de
Bizerte. — Mort de l'historien suisse
Pierre Vaucher, qui soutint que
Guillaume Tell ét.iit un personnage légendaire. — Mal-
gré l'oiiposition du khédive, les chemins de fer du
Soudan égyptien sont cédés à une compagnie anglaise.
— Le général sénateur Roca est élu pour la seconde fols
président de la République Argentine. — Les
insurgés des Philippines proclament leur indé-
pendance.
13. — Création de la ligue française pour la
défense des droits de l'homme et du citoyen. —
A la Chambre, M. Deschanel prononce le discours
d'usage en prenant définitivement la présidence. Il insiste
sur la nécessité d'une politique nettement réformatrice.
— Un décret impérial ordonne la prorogation du
Reichsrath d'Autriche-Hongrie. — Le général
vénézuélien Hernandez, qui avait provoqué un
mouvement révolutionnaire à la suite de son échec à la
présidence, est fait i)risonuier et la révolution est ter-
minée.
14. — Signature de l'arrangement franco-
anglais relatif au Niger. — A la suite d'une interpel-
lation de M. Millerand, la Chambre adopte un ordre
du jour de confiance et, malgré les observations du pré-
sident du conseil, une motion additioimelle disant que
« la Chambre soutiendra le ministère sous
réserve qu'il s'appuiera sur une majorité
exclusivement républicaine ». — Trente-
cin 1 tiinspoit^ améilcains e certes par
[Uit ize nivires de guerre quittent Tampa
a destination de Cuba Les Américains
et les insuigés atta-
quent le camp espa-
gnol de Guantanam >ct
détruisent les leti ui-
thements Les Amcri-
cains occupent Acoe-
F^
VMIRVL CLUVEKA
Le luii'a.
NAVIRE DE GUERRE AMÉRICAIN, AVEC SON FILET DE PROTECTION
M E M K \ T ( ) K X C ^' C I, O P 1-: D I Q V K
307
BATTERIE DE 60 MORTIERS, A SAXDT HOOK, POUR LA DÉFENSE DE XEW-TORK
(Une décharge des 60 pièces coîiterait 50,000 dollars.)
V N DÉPART I) ' A r. T 1 1> I. E r R S A M É R I C A I X S P O V R CUBA
30iS
MEMENTO ENCYCLOPÉDIQUE
raderos. — Uu mouvement insurrectionnel à Saint-
Domingue, contre le président Heureaux, est réprimé.
15. — II. Mélint remet au président de la Répu-
blique la démission du cabinet, qui est acceptée.
— Vn groupe franco-belge obtient la concession du
Grand Central chinois llankeou-Pekin et l'annexe
du Grand Central est concédée au groupe français. —
M. Tbuillier est élu président du Conseil général
former le nouveau cabinet. — Une commission est
chargée par le Saint-Siège de réviser toutes les condam-
nations d'ouvrages prononcées depuis 300 ans par la
congrégation de l'index. — Le président de l'As-
semblée Cretoise adresse aux amiraux un mémoire récla-
mant la prompte application des réformes promises
en mai ls;)7. — Un combat a lieu sur la frontière du
Monténégro entre chrétiens et Albanais. Il y a de
nombreux tués et blessés.
18. — M. Ribot ayant décliné la mission de
former le cabinet, M. F. Faure la confie à
M. Sarrien. — M. Aimé Morot est élu
membre de l'Académie des beaux-arts, en rem-
placement de M. Gustave Moreau, décédé. —
Mort, à Montpellier, du général Potiron de
Boisfleury. — Le cabinet italien démis-
sionne. — Dans une proclamation, M. Bartulomé
Masso, président de la République Gu-
de la Seine. — Ouverture de l'exposition inter-
nationale d'automobiles au jardin des Tuileries. --
La Chambre des Etats-Unis se prononce en faveur de
l'annexion des îles Hawaï. — Mort de M. Toth, pré-
sident de la Chambre des Magnats de Hongrie.
— Un immense incendie détruit 1,2(I0 maisons et
de nombreux édifices au centre de Tokio (Japon). — Les
insurgés de Manille entourent la ville, les Espagnols
se replient. — Les Américains bombardent pour la troi-
sième fois Santiago.
16. — La Cour de cassation rejette le pourvoi de
M. Zola contre l'arrêt de la Cour d'assises de Versailles
se déclarant compétente. — Un décret impérial porte
création d'un ministère du commerce en Chine.
— Mort du baron Thirane, ministre des postes du
Japon. — Des représentations sont faites à la Porte par
le ministre du Monténégro et l'agent bulgare au sujet de
l'incendie, par les Albanais, de plusieurs villages du
district de Berassa. — Les libéraux sont battus aux
élections pour le renouvellement du Reichstag alle-
mand. — L'escadre de réserve quitte Cailix.
17. — M. F. l'aure confie à M. Ribot la mission de
LE 2e D'iNFANTKRIE
AU CAMP DE CHICKAMANGA
baine, repousse l'offre d'alliance du maréchal Blanco et
se prononce en faveur de l'intervention des Etats-Unis.
Une partie des troupes américaines débarque aux en-
virons de Santiago. i
19. — Inauguration de l'Exposition de Roche-
fort. — Inauguration, dans le jardin du Luxeml)Ourg,
du buste de Sainte-Beuve, reuvre de Denys Puech. —
Distribution des prix à l'Association polytechnique
en présence de M. F. Faure. — Le Père Willi est nommé
évêque de Limbourg. — Les ministres de la justice
et des finances de Valparaiso, démissionnaires, sont
remplacés par MM. J.-A. Orrégon et R. Soto Mayor.
20. — Ouverture du Congrès des architectes
français. — Le président de la République du
Brésil visite la manufacture de Sèvres. — Le Conseil
numicipal de Paris émet le vreu que les exécutions
capitales aient lieu dans l'intérieur des prisons. —
L'armée américaine commandée par le général Schaf-
ter arrive devant Santiago. Des troupes espagnoles
sont envoyées de la Havane au secours de Santiago.
21. — M. Sarrien renonce à former le cabinet. —
M. Richet est élu associé de l'Académie de médecine
eu remplacement de M. Mesnet, décédé. — De violents
combats ont lieu aux environs de Manille. — La
Chambre espagnole prend en considération la pro-
position instituant le service militaire obligatoire. —
Au lancement du croiseur Albion à BlackwoU
(Angleterre), une estrade occupée par quatre cents per-
sonnes est balayée par l'eau que soulève le navire et
plus de soixante spectateurs sont noyés ou tués. — La
ville de Sunyacs (Hongrie) est détruite par un incendie.
MEMENTO ENCYCLOPÉDIQUE
LE (tOUAERNEUR hartixg
ET SOX ÉTAT-MAJOR
Commissionnant les officiers de la garde de Pennsylvanie
— M. Clafson est nommé ministre des cultes de Suède
en remplacement de M. le D'' Gilliam, démissionnaire.
22. — M. Peytral est chargé de former le nouveau
cabinet. — L'Allemagne loue la baie de Samsoh
(Chine) à l'embouchure de la rivière Min, près de
Fou-Tchéou. — Les Américains débarquent à Da'ikin
Baiquiri, à 17 milles de Santiago, pendant que la flotte
liombarde plusieurs ports.
23. — M. F. Faure inaugure les nouvelles instal-
lations du Musée Carnavalet. — M. Campos
Salles, président de la République du Brésil, assiste à
un banquet qui lui est offert par le commerce et l'in-
dustrie français. — Cérémonie de la première com-
munion du roi d'Espagne à Madrid. — La Chambre
de Capetown émet un vote de défiance contre le
ministère. Ce vote atteint le parti de M. Cecil Rhodes.
— M. Grobler est nommé secrétaire pour les afïaires
étrangères au Transvaal.
24. — Fêtes du centenaire du Conservatoire des
arts et métiers. M. F. Faure y assiste. — M. F. Faure
se rend au tombeau du président Carnot, au Pan-
théon. — Une nouvelle expédition part de Christiania
pour le Pôle Nord, à bord du Fram, sous le comman-
dement de M. Sverdrup. — Le cabinet de CapetO'wn
dissout le parlement. — Mort de don José Elduayen,
ancien ministre espagnol, ancien président du Sénat. —
En Danemark, fête commémorative des événements
de 1848 à la suite desquels le Schleswig-Holstein fut
incorporé à la monarchie danoise.
25. — M. Peytral renonce à former le cabinet et
M. F. Faure confie cette mission à M. Brisson. —
M. de Bonchamp, chargé de partir d'Abyssinie
au-devant de la mission Marchand, débarque à Marseille.
Les difficultés rencontrées dans un pays inexploré ne
lui ont lias permis de mener sa mission à bonne fin. —
De sanglantes escarmouches ont lieu entre Amé-
ricains et Espagnols aux environs de Santiago de Cuba.
— Un protocole met fin aux difficultés entre la France
et l'Uruguay. — Wang-Wen-Shao est nommé ministre-
président du conseil de Chine et membre du Tsong-li-
Yamen.
26. — Inauguration, à Clermont-Ferrand, du monu-
ment des Croisades. — Inauguration, à Arras, du
monument élevé à la mémoire des officiers et soldats
tués en 1H7U-1871. — M. F. Faure préside la distribution
des prix aux ouvriers des cours professionnels de la
Fédération des mécaniciens et chauffeurs. —
Le marquis Ito, présiilent du conseil du Japon,
démissioinie. — Le capitaine Miaoulis est nommé
ministre de la marine de Grèce en remplacement du
capitaine Hadjkyriakos, démissionnaire. — La démis-
sion du cabinet italien est acceptée et le général
Pelloux est chargé de former le nouveau cabinet. —
M. Alf. River est choisi comme arbitre par l'Angleterre
et la Russie pour trancher le différend qui les divise.
27. — Le Conseil municipal de Paris vote 80,000 fr.
pour la célébration du centenaire de Michelet. —
Quatre mille hommes sont embarqiiés à San Francisco
pour Manille.
28. — Aux Invalides, cérémonie de la remise du
drapeau du régiment d'Algérie de Madagascar.
— M. Ribemont-Dessaignes est élu membre de
l'Académie de médecine en remplacement de M. Tarnier,
décédé. — Le nouveau ministère est composé
comme suit : présidence du conseil et intérieur, M. Henri
Brisson; affaires étrangères, M. Delcassé ; finances,
M. Peytral ; justice, M. Sarrien ; instruction publique,
M. Léon Bourgeois ; guerre, M. Cavaignac ; marine,
M. Lockroy; colonies, M. Trouillot; commerce, M. Ma-
ruéjouls; agriculture, M. Viger; travaux publics, M. Til-
laye. M. Vallé est nommé sous-secrétaire d'Etat au
ministère de l'intérieur, et M. Mougeot est nommé
sous-secrétaire d'Etat des postes et télégraphes. — Le
cabinet japonais est formé. M. Oknma prend la pré-
sidence du conseil et les affaires étrangères; M. Itagaki,
l'intérieur ; M. Matsuda-Masihisa, les finances ; M. Ohi-
gashi-Gitutsu, la justice ; M. Hayashi-Vuzo, les postes et
télégraphes ; M. Oishi-Masami, le commerce ; M. Osaki-
Yukis, l'instruction publique. Les portefeuilles de la
marine et de la guerre ne changent pas : général Kat-
sura, marquis Saïjo.
29. — Le président de la République du Brésil,
M. Campos Salles, quitte Paris se renilant à Berlin.
— Le nouveau ministère italien est ainsi composé :
présidence du conseil et intérieur, le général Pelloux ;
affaires étrangères, M. Canevaro ; justice, M. Finoc-
chiaro Aprile, député; finances, M. Carcano, député;
trésor, M. Yacclielli, sénateur ; guerre, le général di San
Marzano ; marine, amiral Palumbo, député ; instruction
publique, M. Baccelli ; travaux publics, M. Lacava, dé-
puté ; agriculture, M. Foi-tis, député ; postes et télé-
graphes, M. Nuncio Nasi, député. — Ouverture de la
Skouptchina de Serbie par le roi Alexandre.
30. — i: u;,1icii'l publie les décrets réorganisant le
marché financier. — A la Chambre et au Sénat,
lecture de la déclaration ministérielle. — A la Cheimbre,
une interpellation sur la politique générale du nouveau ca-
binet se termine par le vote d'un ordre du jour île confiance.
BOURSE DE PARIS (Comptant). — Cours extrêmes de Juin 1898.
FONDS D'ETAT ET DE VILLES
3 % français perpétuel
Z % d° amortissable
3 1/2 jr d»
Obligations tunisiennes 3 % 1892. . . .
Emprunt Annam et Tonkin 2 1/2 %.
Emprunt de Madagascar 2 1/2 %
Angleterre, consolidés 2 3/4 %
République argentine 5 % 1886
Autriche 4 % 1876, or
Belge 3 % 1873 couv. (2" série)
Brésilien 4 % 1S89
Cliiiie i% 1895, or
État indép' du Congo, lots 1888
Egypte 7 %, dette unifiée nouvelle. .
— 3 1/2 %, dette privil., conv. .
Espagne extérieure 4 % 1882, perpét.
Hongrois 4 % 1881, or
Italien 5 %
Portugais 1853 % %
Roumain 4 % 1890
Russe 4 % 1880 (6« émission)
— i% 1889, or
— i % consol. (l" et 2" séries). .
— i % 1890 (2" et 3« séries)
— Z % 1891, or
— i% 1893, or
— 3 1/2 1894, libéré
— Z % 1896
Serbie 4 % 1S95
Suisse (chemins de fer) Z %
Turquie, dette convertie (D) i % . . . .
— oblig. consolidé 1890, i %
— — ottom. priorité 1890, 4 %.
— — privil. douanes 5 %
— - ottom. 1894,4 %
— — 1896, 5 %
Ville de Paris 1865, 4 ^
— 1869, Z%
— 1871,3^
— 1875, i%
— 1876, i%
— 1886, si'
— 1892, 2 l/2_^tout payé,
— 1894-96,2 1/2^ d"
Ville de Marseille 1877, Z %
— d'Amiens 1871, i %...
— de Bordeaux 1863, Z %
— de Lille 1860, Z %
— — 1893, 3 1/2^
— de Lyon 1880, Z %
ÉTABLISSEMENTS DE CRÉDIT
Banque de France (Actions)
Banque Paris et Pays-Bas . d°
Banque Transatlantique . . d"
Compagnie Algérienne ... d°
Comptoir d'Escompte d"
Crédit Foncier de France.. d°
Foncières 1879, Z%... (Obligations)
— 1883, Z % d-
— 1885, 3 J d"
— 1895, 2,80 ^lib. d°
Communales 1879, 2,60 % . d"
— 1880, Z % ... d"
— 1891, Z % ... d"
— IS92,Z%.... d»
Crédit Industriel (Actions)
Crédit Lyonnais . . d°
Société Générale d"
Ret.nel
Ret
np||
d'impôl
Plus haut.
Plus bas.
d'im
pOt
Plus haut.
3 ))
103 2.j
102 40
Banque Afrique du Sud . . (Actions)
»
80 »
3 »
101 9U
101 35
Banque Ottomane d"
12
50
568 f>
3 5U
106 50
106 10
15 »
504 »
499 »
CHEMINS DE FER
2 50
91 lu
90 50
Est 500 fr. tout payé (Actions)
32
16
1085 »
12 50
90 75
90 25
P.-L.-M d» d°
49
70
1950 »
»
25 »
112 »
459 »
111 25
447 »
Midi d" d"
45
55
42
90
14S5 »
2190 »
Nord d" d»
4 »
103 60
102 70
Orléans d" d»
52
99
1890 »
3 »
lui 90
101 90
Ouest d» d»
34
75
1222 »
4 »
55 80
51 2-3
Bôue-Gueîma. . d° d"
26
97
810 »
20 »
106 50
106 »
Est-Algérien ... d° d»
25
10
725 »
»
94 25
91 25
Ouest -Algérien . d" d"
22
78
690 »
20 08
109 30
108 50
Andalous d» d»
5
»
65 »
17 57
104 90
104 j)
Autrichiens. ... d" d"
31
»
785 50
4 »
37 20
33 50
Sud-Autriche . . à" d»
4
»
175 »
4 »
104 95
103 70
Nord-Espagne.. d° d"
5
»
63 »
4 »
93 80
92 50
Saragosse d" d"
4
25
120 50
» 93
19 »
18 »
Est 3 Z nouveau (Oblig.)
13
44
480 ).
4 )>
96 25
94 40
P.-L.-M. 3 f nouveau d»
13
44
482 50
4 X
102 55
102 »
Midi 3 % nouveau d°
13
44
481 ),
4 »
103 »
101 GO
Nord-Est français Z % d»
13
44
476 B
4 »
4 ))
104 50
104 9.3
103 50
102 55
Orléans 1884 d"
13
13
44
44
476 25
480 »
Ouest 3 ,^ nouveau d"
3 »
4 »
9/ »
106 50
95 65
105 45
13
13
46
50
476 50
473 »
Est-Algérien Z % d»
3 50
102 25
101 15
Ouest- Algérien Z X ^°
13
48
470 »
3 »
4 «
96 80
61 75
95 60
59 25
Médoc 3 ^ d"
13
11
54
»
440 »
157 »
Andalous 3 % estamp d»
3 »
101 >;
100 GO
Autrichiens 3 ^ 1'" hypoth. d"
15
»
476 50
1 »
22 75
21 5.j
Nord-Espagne l''^ hypothèque. d°
11
»
200 »
20 »
409 »
390 »
14
30
251 »
20 »
475 »
463 »
25 »
509 »
499 »
VALEURS DIVERSES
20 »
460 »
448 »
25 »
Docks et Entrep. de Marsellle.(Action)
16
43
475 »
18 08
560 50
560 25
Entrep. et Mag. Gén. de Paris. d"
25
72
755 »
10 66
431 »
428 50
C'« G'"^ Transatlantique d»
17
30
375 »
10 68
421 »
416 50
C" française des Métaux. ... d°
27
95
650 »
18 06
580 »
571 »
C'= générale des Tramways ... d"
)
1070 »
18 06
682 »
570 »
C" générale des Eaux d»
59
98
2100 »
10 68
404 »
401 »
C'^ du Gaz de Bordeaux. ... d"
82
66
1915 ).
8 82
410 »
396 »
C" du Gaz général de Paris. d"
20
32
460 »
8 82
398 75
398 »
C'^ du Gaz de Marseille d°
45
60
1152 »
10 70
412 J)
406 50
Aciéries de France d»
34
44
1058 »
3 60
121 »
119 »
Forges et Chantiers Méditer. d"
25
30
760 »
3 »
12S »
12G 1)
Bateaux Parisiens à"
63
855 »
2 64
132 75
127 50
C franc, des Chargeurs réunis, d"
55
04
1560 »
3 16
509 »
506 »
C"' des Lits militaires d"
44
79
1655 »
2 67
104 75
102 50
Société de la Tour Eiffel d°
5
15
534 »
C"^ intern''^ des Wagons-lits.. d"
30
»
776 »
Régie des tabacs ottomans.. d"
25
»
296 »
C'"- générale des Eaux 3 J' . . (Oblig.)
13
46
475 »
115 ).
3630 »
3550 »
- - 5jr.. do
22
94
520 »
36 95
954 »
930 »
C'" Parisienne du Gaz i % . . A"
18
16
516 »
11 68
44S »
423 »
Gaz central 500 fr. 4 ^ d"
18
16
517 »
29 60
7H.3 »
780 »
C'" du gaz p. France et Et. 4 %. d"
18
20
508 75
25 ),
5SS »
573 50
C'« des Messag. Marit. 3 1/2 ,%'. d°
15
84
510 »
24 96
6SÏS »
662 »
C'= G'" Omnibus de Paris 4 ^ . d°
18
»
524 »
13 40
504 »
500 50
Qie Gie Voitures à Paris4^. d"
18
18
519 »
13 48
474 »
471 »
Qie Qie Voitures Urbaine 5% . d»
23
30
330 »
13 40
503 »
500 25
C'* des Lits militaires i % . . d°
21
81
620 »
12 46
503 »
492 »
Canal de Panama, lots, t. p . . d"
>
115 »
11 50
501 »
500 »
— — 210 p d"
o
254 »
13 40
502 »
500 »
— — bons à lots 89. d°
)
115 »
10 72
402 »
400 »
C^ du Canal de Suez b % ... d"
24
50
660 »
14 36
505 »
501 »
— Z % (!■■* série). d»
13
40
492 50
12 »
604 50
600 »
— 3 ^ (2e série) . do
13
50
488 »
32 05
847 »
811 50
12 »
532 »
529 »
Obligations du Monde Moderne
5
«
100 »
Plus bas.
LA CARICATURE
LASGLAIS. — 8i nous raehfTinns, pour l'ompOcher Ht: souffrir. (D'après un dessin de Jeauniot, dans le Eire.)
tatêtlude (d'après Itels, gi^mre faisant allusion i\ la cassation du
procès Zola et puMiée dans le i>ifflel avant l'audience de Versailles '.
— î^^on Beulemcnt remettre ça, mais retourner encore là-tas !.. .
A Vcfsailles (d'après Forain, dans lo Psfl). — Mesdames et mes-
sieurs, la petite comùdie représentée devant vous est deMM. Schen-
rer-Kcstner, Joseph Reinaeh et Zola.
LA VIE PRATIQUE
Odeur des éviers. — Les éviers, surtout au
moment des chaleurs, dégagent une odeur
fort désagréable et malsaine. Comment peut-on
la faire disparaître ? Si cette odeur est due à
la pierre d'évier, assez poreuse et souvent
encrassée, un bon moyen consiste à la bros-
ser avec une solution de permanganate de
potasse fi gramme pour 1 litre, par exemple).
Au contact des matières grasses ou orga-
niques, il se forme du peroxyde de man-
ganèse hydraté qui s'élimine facilement par
un lavage avec de l'eau acidulée d'acide chlor-
hydrique (10 grammes pour 1 litre); il y a
un léger dégagement de chlore qui décompose
les matières organiques et les entraîne. Un
excès d'eau acidulée a l'avantage de décaper
légèrement la pierre en produisant un peu
d'ert'ervescence et de la nettoyer plus profon-
dément. La permanganate de potasse et l'acide
chlorhydrique ne coûtent presque rien.
Si la pierre est propre et si l'odeur persis-
tante est due aux débris organiques en dé-
composition dans le tuyau de descente, il
suffit d'y verser une des solutions suivantes,
au choix :
y Chlorure de chaux, 50 grammes pour
1 litre d'eau ;
2" Lait de chaux fraîchement préparé,
100 grammes de chaux se débitant dans
50 grammes d'eau ; ainsi éteinte, la chaux est
délayée dans un demi-litre d'eau et versée
dans le tuyau. Très ellicace, mais assez en-
nuyeux à manipuler;
3" Solution de sulfate de cuivre 1 100 grammes
pour 1 litre . Bon marché; facile à faire et à
renouveler.
Sirop de mûres. — Le sirop de mûres, par
sa saveur aigrelette, est agréable à boire. Il
est très facile à fabriquer :
1" Réduire en poudre 1 kilogramme de sucre ;
2" prendre 1 kilogi'amme de mûres récoltées
un peu avant leur complète maturité;
3° mettre les mûres dans une bassine sans les
écraser et en les saupoudrant au fur et à me-
sure de sucre; 4" faire chaufl'er sur un feu
très doux; 5° laisser faire quelques bouillons;
6° passer au travers d'un tamis, sans presser.
Le sirop passe clair. Ne pas tarder à le boire
parce qu'il fermente.
Conservation des artichauts. — Le meilleur
moyen de conserver les fonds d'artichauts est
de les dessécher. On coupe les feuilles à leur
base de manière à isoler le fond, et l'on enlève
le foin. On fait, d'autre part, bouillir de l'eau
acidulée à l'aide d'un peu de vinaigre, et l'on y
jette les fonds d'artichauts. Quand ils sont à
moitié cuits, on les retire et on les laisse
égoutter sur des claies. Lorsqu'ils sont bien
égouttés, on les enfde en chapelets à l'aide
d'une corde que l'on suspend dans un endroit
sec et bien aéré. Bien tendre la ficelle de ma-
nière que les fonds ne se touchent pas. Quand
ils sont secs, on doit les conserver dans un
endroit non humide. Si le temps est humide,
on peut faire séclier au four, mais à une douce
chaleur.
Liqueur rustique. — Dans 1 litre de bonne
cau-de-vie, on fait infuser, pendant deu.x mois,
une poignée de serpolet, de menthe poivrée,
de citronnelle, et une dizaine de feuilles de
sauge, de verveine et d'absinthe. Finalement
on filtre avec du papier buvard et l'on ajoute
du sirop de sucre. Cette liqueur est très
tonique.
Une boisson bon marché. — Voici, pour se
désaltérer en été, une boisson excellente et
qui ne revient qu'à quelques centimes le litre :
Eau 1 litre.
Glycérisine 50 centigr.
Acide citrique 50 —
Teinture de gentiane . . 1 gramme.
C'est cette boisson que l'on donne aux ou-
vriers de l'Exposition. Cela rafraîchit sans
griser.
Couleur noire de l'argenterie. — On peut
enlever la couleur noire que les œufs commu-
niquent à l'argenterie, en frottant les cou-
verts avec de la suie. Il faut rincer à l'eau
chaude et faire briller à la peau de chamois.
Objets en étain. — Pour donner aux objets
en étain l'apparence d'objets antiques, on les
plonge pendant quelques instants dans une
solution d'alun à laquelle on ajoute quelques
gouttes d'acide sulfurique ou d'acide chlor-
hydrique.
Fermeture hermétique des flacons. — "Voici
un procédé pour oblitérer d'une façon tout à
fait hermétique les flacons qui se bouchent
avec des bouchons de liège. On commence
par laver ceux-ci à l'eau tiède. L^ne fois séchés,
on les plonge dans un bain de paraffine fon-
due. Au bout d'une heure, on les en retire.
Avant de les placer sur le goulot de la bou-
teille, on trempe celui-ci un instant dans l'eau
chaude ou tiède. De cette façon, la paraffine
fond et colle entièrement le bouchon au verre.
De plus, les pores du bouchon sont oblité-
rés par la paraffine. A recommander aux
ménagères qui font des conserves ; par ce pro-
cédé, elles sont mises tout à fait à l'abri de
l'air extérieiu'.
Préservation des dessins. — On a toujours
cherclié un moyen simple et surtout efficace
pour garantir les dessins contre la détériora-
tion qu'ils subissent , afin de prolonger leur
durée ou d'assurer leur conservation. Diverses
recettes ont été proposées cpii atteignent plus
ou moins — surtout moins — ce but, et plu-
sieurs sont employées depuis de longues
années dans certains ateliers, malgré leur
insuffisance relative. En voici une, d'après le
Monitem- industrielj dont on dit grand bien,
qui serait applicable aux dessins au crayon
comme aux dessins industriels. Recouvrir le
dessin d'une couche de collodion à 2 pour 100
de stéarine. On étend le dessin sur une plaque
de verre ou sur une planchette et l'on fait
ra]i]îlication du collodion de la même manière
ciue jDOur la préparation des plaques destinées
à la photographie. Après dix à vingt minutes,
le dessin est sec et tout à fait blanc, d'aspect
mat. La protection est telle qu'on peut le
laver à grande eau sans craindre de le dété-
riorer le moins du monde.
Victor de C m'î v e s .
L.\ CUISINE DU MOIS
Concombres, beurre et crevettes. —
En voyant nianj^er tles concombres à la croque
au sel à un paysan des Vosjîfes, je lui de-
mandai i)ourquoi il ne les préparait pas ainsi
((u'on le l'ait partout. Il me répondit qu'il
aimait mieux les manj^jer bons que mauvais et
indi;;estes. Dernièrement une de mes élèves
me lit observer aussi que ce qui rendait les
concombres lourds et indij^estes, c'est parce
qu'on s'appliquait à les durcir en les salant
d'avance et en Taisant couler Teau qui les ren-
dait i)lus dij;estibles. L'essai fut fait et le
résultat est excellent.
Pelez les concombres au dernier moment,
enrobez- les d'un peu d'huile avant de les
saler et ]ioi\'rer, allonf;'ez de jus de citron ou
de bon vinaigre et délectez-vous.
Poulet sauté à la DemidolT. — Fou-
MUi.iî. — Un poulet gras de 12 à 1500 grammes,
100 grammes de jambon cru, 150 grammes de
beurre, 2 cuillers à bouche d'huile, une carotte
un peu grosse, un oignon et 2 tomates
moyennes, 150 grammes de riz, 50 grammes
de glace de viande ou l quart de litre de
bon jus, sel, pointe de cayenne, 1 décilitre de
vin blanc, 1 demi-litre de bouillon.
Opération. — Découper le poulet ainsi que
nous l'avons expliqué dans les numéros pré-
cédents. Couper les carottes et les oignons en
tout petits dés, tremper les tomates dans l'eau
bouillante et enlever la peau, les couper en
deux et jeter les semences. Couper le jambon
en dés un peu plus gros que les légumes, le
faire blondir avec un peu de beurre, ajouter
les carottes et les dorer 10 minutes en re-
muant souvent, puis les oignons et dorer éga-
lement, finalement la tomate, et laisser mijoter
très doucement à côté du feu.
Le hiz. — Etaler le riz sur un linge propre,
le trier, plier le torchon pour bien enfermer
le riz et le secouer de droite à gauche pour
enlever la poussière. Mettre dans une cas-
serole 50 grammes de beurre, le fondre et
blondir le riz en le remuant 5 minutes, saler,
pimenter suivant le goût et mouiller avec le
demi-litre de bouillon ; couvrir herméti-
quement et cuire au four de 25 à 30 minutes.
Le poulet sauté. — Mettez dans un sau-
toir de 22 centimètres de diamètre les 2 cuil-
lers d'huile et un soupçon de beurre, chaufl'ez
fortement, posez l'intérieur des cuisses sur le
fond et du côté de la queue du sautoir, le
blanc en travers sur le côté, les ailes sur le
devant et autour les morceaux de carcasse et
le cou sectionné par le milieu. Ralentissez le
feu, dans 7 minutes retournez les morceaux,
dans 5 minutes poussez au four et laissez de
8 à 10 minutes à découvert. Enlevez les mor-
ceaux sur une assiette, égouttez la graisse et
déglacez l'osmazome du poulet avec le vin
blanc en remuant avec une cuiller, ajoutez la
glace de viande ou le jus, un peu de sel,
poivre et les légumes, laissez cuire 2 minutes,
retirez à côté, faites un peu pocher le poulet
dans cette garniture, aans bouillir et dressez
le riz dans un moule à savarin uni, de 10 à
12 centimètres de diamètre, que vous avez huilé
pour l'empêcher de prendre : le riz doit être tassé
avec la cuiller pour qu'il ne se démoule pas.
Renversez-le sur un plat rond ; mettez les
carcasses du poulet dans le puits, les deux
cuisses en sautoir, le blanc au milieu et une
aile sur chaque cuisse. Liez la sauce avec ce
qui reste de beurre et queUpies gouttes de
citron. Arrosez le poulet avec la moitié et
servez le reste à part. Une manchette aux
4 os et servez des assiettes chaudes.
Entrecôte à la tonnelière. — Pour
manger im bon morceau, il faut prendre l'en-
trecôte sous l'épaule un peu loin du cou ; la
viande doit être un peu faite, sans odeur,
rosée et veinée de filets d'un blanc d'ivoire;
l'entrecôte doit être un peu épais et peser
près de 1 kilogramme. L'arroser d'huile, ne
pas le saler avant de le cuire, avoir un feu de
braise un peu amorti et le griller S minutes de
chaque côté; avec le gaz il faut exactement le
même temps, mais avoir soin de chaufl'er le
gril afin de saisir la viande.
La GAnMTURE. — Hacher très fin deux
échalotes pesant 20 grammes, 5 grammes de
persil et 60 grammes de moelle de bœuf ; le
tout doit être haché ensemble avec un fort
couteau trempé dans l'eau chaude pour éviter
que la moelle ne se colle et saute. Aussitôt l'en-
trecôte retourné, éparpiller dessus le hachis,
saler et poivrer, enlever l'entrecôte bien
d'aplomb avec un couteau un peu large, ar-
roser sur le plat chaud avec un peu de citron
et servir de suite avec des assiettes chaudes.
Pommes de terre comtesse. — Laver
et monder deux pommes de terre dites royale
de Hollande, par personne, les relaver et les
mettre à couvert avec de l'eau fraîche dans
une casserole, saler un peu et faire bouillir.
Chauffer un petit sautoir contenant 50 grammes
de beurre, le pousser à la noisette, y jeter les
pommes égouttées, les laisser dorer au feu un
peu vif 3 minutes, les sauter et les mettre au
four couvertes 15 minutes, les saler avec du
sel fin. Avec un couteau on fait une incision
d'un bout à l'autre de la pomme de terre; au
moment de servir mettre une tranche de
beurre fin dans cette entaille, dresser dans un
légumier et servir avec l'entrecôte.
Tarte aux reines-claude. — Le^ muxEs.
— Choisissez de 600 à 700 grammes de reines-
claude bien mûres, coupez-les par le milieu et
mettez-les mariner dans un saladier avec un
verre à madère de rhum, 1 quart de jus de
citron et 100 grammes de sucre, couvrez et
tenez au frais.
La tate. — Pesez 150 grammes de farine,
60 grammes de beurre, 20 grammes de sucre,
un peu de sel et un (euf de 60 grammes, mé-
langez le sucre avec l'œuf, puis le beurre,
finalement la farine, le tout étant bien homo-
gène, fraisez la pâte trois fois, c'est-à-dire que,
la pâte étant en boule devant soi, on la
chasse en avant en appuyant sur une petite
quantité, avec la paume du pouce, la ra-
mener et recommencer trois fois, en faire une
boule parfaite, la mettre reposer sur une as-
siette 1 heure dans un endroit bien fi-ais.
Beurrer avec du beurre non fondu, avec
l'index, un cercle à tarte de 20 centimètres de
diamètre, étendre la pâte en rond et d'égale
épaisseur, habiller l'intérieur du cercle jus-
qu'en haut, garnir l'intérieur avec les moitiés
de prunes posées l'intérieur en haut, et les
chevaucher légèrement, arroser avec le jus,
saupoudrer d'une cuiller de sucre, cuire au four
pas trop chaud, environ 40 minutes. Servir
froid.
A. Colombie.
Jeux et Récréations, par m. g. Beudin.
N° 229. — Haut : Noirs. — Bas : Blancs.
Les blancs jouent et font mat en trois coups.
N° 230. — Haut : Noirs. — Bas : Blancs.
Les blancs jouent et gagnent.
N° 231. — WHIST
Une discussion s'étaut produite au sujet de la
suivante, nous vous serions reconnaissants de
donner votre avis.
Trèfle est atout.
^ A, 9, 8.
V D.
4. 0, 8, 7, 6, 3 (atouts).
4 R, 8, 6, 2.
mam
nous
N- 232. — Mots carrés intervei
(de 5 mots.)
ENVOI d'une LECTniCE
Devin finaud, de ce problème
Les mots trouveras aisément ;
■ Mais, au moyen d'un stratagème,
Je vais fausser ton juge-ment.
Adresser les communications pour cette page à M.
J'ai pris, vois donc ma prévoyance,
Cinq numéros faits à l'avance,
Puis les mettant dans mon chapeau
Au hasard et tous pêle-mêle.
En sautant je les entremêle.
Ce travail fait, dans mon boisseau
Plongeant la main de l'innocence.
Je les sors pour la circonstance,
Pour aussitôt les définir ;
Dépêchons-nous donc de finir ;
A l'amante personne chère ; —
Certain travail d'horticulteur ; —
G-avroche badaud, pauvre hère; —
Pierre de certaine valeur. —
Verbe à l'indicatif : il... sonne?
Non, moins encore, il... carillonne.
N° 233. — Double acrostiche.
X D E X
X E N X
X L 0 X
X 0 D X
X B I X
X G E X
En verticale deux contrées de l'Europe.
N°234. — Méli-méloanagrammatique.
Avec les mots : EUsp, f/arnis, I.éon, trouver le nom
d'un amiral français.
SOLUTIONS
N° 224. — 1. T 4 D échec. 1. R 4 F D.
2. T .') D échec. 2. P pr. T meilleur.
3. P 4 D échec. 3. R 3 F D ou 5 F D.
4. F 8 R ou 2 R suivant le coup des
noirr fait échec et gagne la dame et la pirtie.
N» 225. —
3^ 34 34 29 43 38 48 8 21 12
41 32 au cboix. au choix. 12 3 7 18
— gagne par une fin assez facile.
N" 226. — 'Sud n'a pas joué le jeu correct au pre-
mier tour. Il eût dû jouer le valet, car le trick eût pu
être fait par le 10, si ce dernier s'était trouvé dans les
mains de Ouest. Le correct jeu de <S'Md au second tour
devrait être, à notre avis, un atout. S'il joue un trèfle, il
réduit beaucoup la chance de la dame de faire un trick.
Le jeu d'un des carreaux jjeut de plus porter préjudice
à son partenaire. Le jeu d'atout reste donc le seul bon.
C'est celui contre lequel théoriquement il y a le moins
d'objections à présenter et qui, dans la majorité des cas,
rtlS. donnera certainement les meilleurs résultats.
N° 227. — Polisson, dans lequel on trouve : poisson,
poison, oison, pois, lion, poli, silo, poil, lis, son.
N" 228. — Solution de l'auteur : Algérie. — Ain,
Lot, Gers, Eure, Rhône, Isère, Eure-et-Loir.
Nota. — Il existe d'autres solutions.
G. Beudin, à Billancourt {Seine), avec timbre p"ur réponse.
BIBLIOGRAPHIE
Tai Jiihliofhi'qxc de l'EDsciffiicmciit i/cx Beaxx-
Arl.i, à la librairie Ma\-. \ioiil de s'oiiriciiir
irmu' liisloirt- (le la Peinture française, leuvrc
poslliiiine de' Paul Maiilz. i'.c vaste sujet
n'est traité que du ix" à la fin du xvi"^ siècle,
(le l'époque où l'art n'était qu'un tâtonne-
ment jusqu'au joiu- où il a alîirmé sa maî-
trise. 123 j;ra\ures ornent ce curieux volume,
précédé d'une intéressante introduction par
M. O. Merson.
Dans la même collection, M. Albert Soubies
aborde aujourd'hui l'étude de la Musique en
Russie. Fort documenté, ce travail, sur une
donnée très neuve, retrace, depuis les cri
faines jusqu'à nos jours, l'histoire de l'art en
Russie et en Polog^ne. Musique populaire ou
musique sacrée, composition na'ive ou savante,
j^enre vocal ou g^enre instrumental, lente pro-
pagation de la culture esthétique, progrès de
la technique, naissance et développement de
la littérature musicale, évolution de la virtuo-
sité sous ses différents aspects, M. Soubies n'a
négligé aucune portion de ce vaste sujet.
Les librairies Iletzel et May vicnnentdecom-
pléter Toute la Lyre, de Victor Hugo, par deux
volumes de leur jolie édition à 2 francs. Ces vo-
lumes comprennent l'Art, le « Moi •>. l'Amour,
la Fantaisie et le Cercle d'airain. Cette édition,
véritablement nouvelle, renferme plus de cent
poésies absolument inédites, et il s'en trouve
des plus curieuses et des plus belles. Le der-
nier volume finit par ces vers où Hugo " le
Père ", comme l'appelait F^mile Augier, pense
au.x ancêtres et (lit d'eux :
Qu'ils n'avaient point do sacs d'argent ni d'or en piles,
Mais qn'ils faisaient l'Argonne égale aux Thermopyles,
Qu'ils enjambaient le Rhin dont nous nous éloignons,
Et que ce n'étaient pas de petits compagnons.
Elles ont également publié les Années fu-
nestes 1852-1870), qui peuvent passer pour
un volume de vers inédits de ^'ictor Hugo.
Aux célèbres pièces, la Mort de Saint- Arnaud,
Mentana , etc., qui ont été publiées, s'ajoutent
ici nombre de pièces nouvelles qui ne le cè-
dent en rien au.x anciennes et qui, dans leur
ensemble , forment la suite indispensable des
Châtiments. On ne peut s'empêcher d'un senti-
ment d'étonnement, les autres formules de
louanges étant épuisées devant une pareille
puissance de création.
Dans les œuvres jîosthumes de la même
édition, parait le Théâtre en liberté. Il con-
tient ces curieuses pièces, presque toutes
injouables, mais si originales et si variées: la
drand'Mère, touchante et charmante ; l'Epée,
héroïque; Mangeront-ils? la délicieuse fan-
taisie ; la Forêt mouillée, l'amusante comédie des
bêtes et des choses mêlées aux hommes, etc.
. Un passe-temps à Trianon est le titre d'une
agréable saynète, composée par Eugène Al-
berge. avec musique de Prosper Mortou,
éditée avec soin à la librairie May. C'est une
gracieuse petite pièce à jouer dans un salon,
légère et de bon ton, avec des couplets fort
bien tournés qui fleurent leur xviii'' siècle.
^L Jean Dornis a publié chez OUendorfF un
volume fortement documenté sur la Poésie
italienne contemporaine. Nous vivons géné-
ralement dans une grande ignorance des lit-
tératiu-es qui nous entourent et, au milieu
des occupations qui remplissent la vie mo-
derne et aussi des abondantes productions de
nos propres écrivains, cette ignorance est
presque excusable. Aussi des volumes comme
celui-ci sont-ils ])récieux pour les esprits
curieux de suivre les évolutions de la pensée
humaine. L'ne table de noms, heureusement
rédigée, rend les recherches faciles ; les cita-
tions sont nombreuses, texte italien avec tra-
duction française. Ce livre présente donc le
caractère pratique d'une sorte d'anthologie et
cette utilité complète l'agrément et la solidité
de sa critique.
En une retraite attachante,
Sans poser pour le fort ténor,
Je chante, je chante, je chante
Mes petits airs au frêle essor 1
dit M. Adolphe Ribaux, dans le recueil publié
chez Lemerre, où. Comme le Grillon, il chante
en effet pour son plaisir... et pour celui des
autres. C'est faire (cuvre de vrai poète que
d'exhaler ses pensers en jolis rjthmes, et
d'ajouter ainsi un volume à cette innombrable
bibliothèque de l'idéal où les âmes tendres
peuvent puiser un peu de joie.
" Montaigne se présente volontiers à nous,
a dit Sainte-Beuve, donnant la main à son
ami Etienne de La Boétie, suivi de sa fille
d'alliance M""^ de Gournay, et accompagné de
son second et discijjle Charron. »
Ce mot du grand critique pourrait servir
d'épigraphe aux deux volumes que M. Paul
Bonnefon vient de consacrer à Montaigne et
ses amis, à la librairie Colin, et dans lequel
figurent, à côté du portrait en pied de Mon-
taigne, les médaillons de La Boétie, de Charron
et de M''*' de Gournay.
F]xpliquer le plus personnel des livres en
essayant de déterminer le caractère vrai de
son auteur, tel est le but que s'est proposé
M. Paul Bonnefon. Avec une science critique
très avisée, il mêle la biographie de l'écrivain
à l'examen de son œuvre.
Dans les autres parties du livre sont éluci-
dés encore plusieurs points importants. Avec
La Boétie revit, sous tous ses aspects, une
amitié de jeunesse que le temps a immortalisée.
Avec Charron, au contraire, et yV^" de Gournay,
les admirateurs des dernières années, on suit
le développement de la pensée du maître et
l'on voit le culte dont son souvenir fut entouré.
Le commandant Guitry vient de publier :
l'Armée de Bonaparte en Egypte, dans la
jolie collection des mémoires militaires éditée
par la librairie E. Flammarion.
Des récits de témoins oculaires, dont beau-
coup extraits des archives historiques de la
guerre, habilement choisis et groupés, mon-
trent quel était l'état d'esprit de cette armée
à tous les degrés de la hiérarchie, sa vie
intime pendant les différentes phases de
l'expédition, comment elle fut tour à tour
enthousiaste et découragée, sombre et gaie,
toujours admirable au feu. Ces vi\ants récits
du passé sont d'un enseignement précieux.
316
BIBLIOGRAPHIE
De récentes et assez retentissantes polé-
miques ont prouvé que l'art de la Restau-
ration des Tableaux soulevait bien des diffi-
cultés. Tout le monde, cependant, se rallie à
cette opinion qu'il faut, avant tout, resjjecter
l'œuvre des maîtres et ne point les défigurer
sous prétexte de remise en état. C'est le point
de départ de M.Charles Dalboy dans le traité
technique et raisonné qu'il vient de publier
sur cette matière à la librairie May. Le vokmie
n'est point pédant, mais appuyé sur l'expé-
rience. L'auteur i^réfère aux jurandes phrases
les conseils clairs et faciles à suivre. Aussi cet
utile petit ouvrage rcndra-t-il de réels services
même aux conservateurs des musées, et aussi
aux nombreux détenteurs de vieux tableaux
qu'ils aiment, qu'ils ne voudraient point voir
périr, mais qu'ils redoutent, non sans raison,
de livrer à des mains insuffisamment respec-
tueuses.
Les 'eetS'^livraisons de l'Œuvre de Rabelais,
illustrée d'après les tableaux de Jules (iarnier,
viennent de paraître chez les éditeurs E. Ber-
nard et C''=.
Au moment où, par suite de la vente qui
vient d'en être faite, les toiles du maître sont
désormais dispersées chez de nombreux ac-
quéreurs, il est heureux qu'on puisse encore,
au moyen de cette seule publication, consi-
dérer l'ensemble de cette œuvre unique.
On aura ainsi à la fois le texte complet de
Rabelais et l'interprétation si vivante qu'en a
faite Garnier; les 160 planches, grâce aux pro-
cédés phototypiques les plus perfectionnés,
sont reproduites avec les couleurs mêmes des
tableaux.
L'organisation sanitaire rationnelle des
troupes coloniales en garnison et en expé-
dition n'a cessé de préoccuper l'opinion pu-
blique depuis les dernières expéditions du
Tonkin et de Madagascar; tout le monde était
d'accord pour reconnaître, devant l'énormité
des sacrifices qu'elles coûtaient, l'urgence de
réformes indispensables.
Les réformes ne sont pas encore opérées;
aussi les Considérations sanitaires sur l'Ex-
pédition de Madagascar, par le docteur
G. -A. Rej'naud, médecin en chef des colonies,
viennent-elles à propos à la librairie May.
Pour démontrer avec plus de force leur né-
cessité, le D'' Reynaud ne se borne pas à
l'examen des événements de la récente expé-
dition de Madagascar. Il passe en revue les
faits principaux des guerres coloniales exécu-
tées par les Français et les Anglais au cours
des quarante dernières années, et du parallèle
très instructif qu'il établit entre elles, il tire
les enseignements les plus précieux pour la
conduite de ces opérations.
Sur ces_ données, il établit les bases de l'or-
ganisation rationnelle d'une armée coloniale
qui est encore à créer.
M. de Mahy, l'éminent député, dont le pa-
triotisme et la science médicale marchent de
pair, a écrit une vibrante préface.
M. Edmond Demolins, dont le dernier
ouvrage, A quoi tient la supériorité des Anglo-
Saxons, a fait tant de bruit, vient de publier à
la maison Didot un volume sur les Français
d'aujourd'hui qui mérite également de retenir
l'attention. Fidèle aux traditions de son maître
Frédéric Le Play, M. Demolins veut dégager
les vérités générales de l'examen séparé des
classifications. Pour mettre en lumière l'âme
française, il étudiera successivement l'Auver-
gnat, le Normand, le Provençal. La méthode
est bonne; elle est scientifique et philoso-
phique; et elle a le mérite d'intéresser chacun
à la description de son propre type pour voir
s'il s'y reconnaîtra. " Cette nouvelle géogra-
phie de la France me transporte », disait
Alphonse Daudet, qui rêvait, lui aussi, d'en
établir une à sa façon.
Nous sommes à une heure grave, où la
France se recueille. Les destinées futures
dépendent de l'orientation morale qu'elle va
prendre. Les peuples jeunes, comme les
enfants, vont de l'avant quand même. Les
peuples vieux ont des âmes compliquées.
Aussi de pareils ouvrages, aidant à la con-
naissance de soi-même, sont d'un intérêt pri-
mordial; car il faut partir de là, c'est le com-
mencement de tout.
Avec moins de méthode scientifique, mais
plus de poésie, M. André Petitcolin étudie
l'âme bretonne dans son volume Arvor, paru
chez Pion. Il a voulu assister à la vie, la sai-
sir dans ses manifestations, regarder le passé
et voir les tendances de l'avenir. C'est une
enquête aussi, conduite avec amour, car des
nombreux pays qu'il a visités, c'est la Bretagne
qui l'attire, et c'est elle qu'il quitte toujom's
à regret.
La tendresse éparse dans ce livre est
communicative. Les impressions relevées ont
la force persuasive des notes justes, et les des-
criptions la saveur des tableaux vécus. Très
rarement une étude de pays procure autant de
plaisir à la lecture et laisse autant de souve-
nirs féconds dans l'esprit.
Sous une apparence de caractère local,
M. le D'' Porquet vient de publier à Vire, à
la librairie Fng, une étude sur la Peste en
Normandie, qui est d'un intérêt général. La
peste récente des Indes, combattue victorieu-
sement par le D'' Yersin, qui a fait descendre
la mortalité de 95 à 7 pour 100 chez les ma-
lades traités par la méthode pastorienne, rend
actuelles les recherches sur les invasions an-
ciennes du fléau. On verra dans ce livre, où
de savantes études sont clairement présentées,
à quels dangers nos anciennes ci\ilisations
étaient exposées, comment elles les suppor-
taient et combien, si la science était alors
incertaine, les âmes étaient souvent coura-
geuses et élevées.
On trouvera également un puissant récon-
fort moral à la lecture de Quand même! par
Léon Berthaut, publié à la Société d'éditions
littéraires.
Nous sommes jiendant l'année terrible, et
ce volume est plutôt un récit de guerre qu'un
roman. Les survivants de notre défense na-
tionale revivront des heures qui les feront
tressaillir. (îuerre folle... a-t-on dit en parlant
de sa seconde période; guerre sainte, par qui
l'on ne ])eut pas dire que l'honneur a été sauvé,
les morts de Gravelotte et de Reichshoffen
l'ayant déjà mis hors de cause, mais par qui
l'espoir est permis, par cela même qu'on n'a
jamais désespéré.
BIBLIOGKAIMIIE
317
La librairie Flammanon a cnfichi sa laryc
collection de voyaj^es par 3 volumes intércs-
i-cssanls :
Les Siestes d'Afrique, par M. Viî,^n<i dOc-
tnii, S(jiit des souvenirs de la Mellacorée et
<lu pays lies Sousous. Impression poignante,
sensation aif;uo du continent noir dont lame
reste niv s terrien se ; (vuvre d'artiste, d'une
haute saveur littéraire: œuvre de vérité aussi,
autrement pénétrante que les relations offi-
cielles. La note est triste, car, si le sanj;- versé
l'est toujours avec f^loire, la lutte contre les
maladies n'inspire que la mélancolie. Le cli-
mat est toujours le grand ennemi des entre-
prises coloniales, et les précautions ne sont
jamais assez prises pour protéger nos soldats.
Quand donc aurons-nous une armée coloniale,
dont l'entraînement rendrait impossibles des
désastres comme l'hécatombe inexpiable de
Madagascar, et tant de morts isolées, journa-
lières et inutiles ?
Douze ans en Abyssinie, par Paul de Lami-
bar, ne sont pas un récit de voyages vécus.
Ce sont des mémoires, surtout d'officiers, sur-
tout d'officiers italiens, réunis et coordonnés.
L'histoire militaire de l'Italie en Afrique y est
passée en revue avec équité et il ne faut ])as
mesurer l'elTort déployé au triste résultat
acquis. C'est un volume utile sur ce pays qui
captive à juste titre l'attention actuelle.
Le Nil est jusqu'à nouvel ordre et pour
longtemps le but capital de toutes les explo-
rations françaises en Afrique; un intérêt
puissant le recommande et l'impose à tous
ceux qui suivent le mouvement d'expansion
coloniale aujourd'hui communiqué à toute
l'Europe. Aussi l'ouvrage 'Vers le Nil fran-
çais, du peintre-explorateur Castellani, est-il
particulièrement intéressant. Le coté humoris-
tique et original de cette œuvre, qui donne
au lecteur une sensation vécue d'un voyage
avec la mission Marchand, n'exclut pas le
côté sérieux et souvent dramatique de cette
odyssée d'un artiste à travers ce qui restait de
moins connu de la mystérieuse terre d'Afrique.
C'est la peinture d'un monde resté primitif
et barbare jusqu'au cannibalisme.
Ce volume très documenté, rempli d'anec-
dotes amusantes et curieuses, de renseigne-
ments précieux, de réflexions profondes et
d'idées originales, est illustré d'un grand
nombre de dessins de (Castellani qui ajoutent
presque l'intérêt de l'album à celui du livre.
Le Monde Moderne a publié un article docu-
menté sur le Chat noir, où il faisait ressortir
l'importance prise par la littérature qui na-
quit sous les humoristiques boniments de
Rodolphe Salis. Il a été publié de nombreux
volumes sur ce sujet. Nous signalons avec
plaisir le dernier sans doute, le Roman comi-
que du Chat noir, encore chez Flammarion,
écrit avec verve par Gabriel Montoya, un des
poètes du cénacle. Il se termine par la mort
du pauvre Salis, qui avait gagné le château
que Scarron ne possédait qu'en rêve, mais
qui n'en jouit pas davantage.
Sans quitter cette active maison d'édition,
nous citerons enciare plusieurs ouvrages :
D'abord, les Gopurchics, par Edgar Monteil,
qui sont aujourd'hui célèbres. Leur nom est
connu dans les deux hémisphères et le mot est
entré dans la langue française et se trouve
dans les dictionnaires. L'histoire des Copnr-
chics est, d'ailleurs, assez gaie pour justifier
leur succès. Ils aiment les femmes et les
femmes les adorent. D'un bout à l'autre du
v'olume, on s'amuse, on rit. Aussi ce livre, il-
lustré par Tauzin, est-il bien à sa place dans
la collection des auteurs gais... qualité si
rare aujourd'hui !
L'abbé Fesch nous donne les Souvenirs d'un
abbé journaliste, et ce n'est pas un spectacle
banal que de le voir évoluer dans ce monde
de publicistes, de rejjorters, de camelots, ces
rois du jour, dont il nous dépeint la \ie si
mouvementée. On trouvera dans ces pages
écrites d'une plume alerte, dans une langue
très primesautière, des tableaux animés, des
silhouettes presque transparentes, des idées
qui ne manqueront pas de susciter d'ardentes
discussions.
M. Goron a terminé la publication de ses
mémoires; pour qui sait lire, il s'en dégage
de précieux enseignements.
Une philosophie humanitaire, essentielle-
ment douce aux malheureux, anime ces pages.
L'auteur se révèle psychologue, pénètre l'âme
des malfaiteurs qu'il arrête; il y voit un
gouffre désolé, où aucune clarté vivifiante ne
brille, et lui, qui a dû jouer du revolver plus
d'une fois pour défendre sa vie, il se sent pris
pour eux d'une sincère commisération. Ces
mémoires sont œuvre d'honnête homme.
M. Charles Ba'ihaut y a publié ses Impres-
sions cellulaires. Nous ne parlerons pas des
révélations, peu inédites d'ailleurs, que ce livre
peut contenir, mais nous dirons qu'il s'en dé-
gage une triste philosophie du temps présent.
L'ancien ministre des travaux publics a été
coupable, mais il a été frappé plus sévèrement
que d'autres qui l'étaient autant que lui. La
vertu, de nos jours, est difficile; ce n'est pas
une raison pour ne pas l'exiger. Mais les
jeunes ambitieux feraient bien de lire ces
Images jîour mesurer le néant des grandeurs
politiques.
Enfin, après Ilichepin , après M. Armand
Dayiit, qui a fait précéder ce livre de quelques
lignes émues, après M. Le Gollic et d'autres,
M. Pierre Lemonnier nous parle de Ceux de
la mer. Et c'est toujours leur dure vie, leurs
misères, leurs morts prématurées. On ne peut,
cependant, supprimer les dangers de la mer;
les marins eux-mêmes l'aimeraient moins si
sa beauté ne cachait pas de la perfidie ; on
ne peut demander non plus que le labour des
flots n'ait point ses duretés comme celui de la
terre. Mais de ces ouvrages, tous sincères et
sentis, naîtront un jour prochain les adoucis-
sements et les règlements que la raison ré-
clame, autant que la pitié.
Dans un précédent numéro nous avons
parlé de la Cathédrale de ^L Huysmans. Nous
devons à la vérité de signaler une brochure
de M. l'abbé Périès, parue chez Lamulle et
Poisson, où cette nouvelle Littérature reli-
gieuse est prise à partie vigoureusement et
où M. Huysmans reçoit une assez jolie volée
de critique.
L' Editeur-Gérant : A. Quanti N.
14398. — Lib.-Imp. réunies, Motteroz, D', 7, rue Saiut-Benoît, Paris.
fiy© d© P-apl
EMPRUNT DE 1898
CONDITIONS PRINCIPALES
J/empruntque la Ville de PaiMS a été autorisée à contracter parla loi du 6 janvier 1898
sera réalisé au moyen de l'émission d'obligations municipales de 500 francs en nombre
égal (unités et quarts) à celui des obligations de l'emprunt de 1886 restant à amortir au jour
du remboursement anticipé dudit emprunt.
Chaque obligation sera remboursable au capital de 500 francs, produira un intérêt
fixe de 10 francs par an, payable par moitié chaque semestre, et participera chaque année,
à partir du 5 décembre 1898, aux tirages détaillés ci-dessous.
Les coupures, au capital nominal de 1"25 francs (quarts d'obligation), donneront droit
au quart des avantages attribués aux obligations entières.
Le premier coupon sera payable le 15 mars 1899.
DÉSIGNATION DES TIRAGES
Le premier numéro sorti aux tirages des 5 décembre et 5 juin de chaque année aura
droit à un lot de , Fr. 200.000 »
Le deuxième, à un lot de 50.000 »
Les troisième, quatrième, cinquième et sixième, chacun à un lot de
1 0,000 francs, soit ensemble 40 . 000 »
Les septième, huitième, neuvième et dixième, chacun à un lot de
5,000 francs, soit ensemble '20.000 »
Les quarante numéros suivants, chacun à un lot de l,000fr., soit ensemble. 40.000 »
Total pour un tirage Fr. 350.000 »
Le premier numéro sorti aux tii^ages des 5 mars et 5 septembre de chaque
année aura droit à un lot de Fr. 100 ..000 »
Le deuxième, à un lot de 50 . 000 »
Les troisième, quatrième, cinquième et sixième, chacun à un lot de
10,000 francs, soit ensemble 40.000 »
Les septième, huitième, neuvième et dixième, chacun à un lot de
5,000 francs, soit ensemble 20.000 »
Lesquarante numéros suivants, chacun à un lot de 1 ,000 fr,, soit ensemble. 40.000 »
Total pour un tirage Fr. "250.000 »
Soit, par année et pour l'ensemble des quatre tirages, 1,200,000 francs de lots,
DROIT DE PRÉFÉRENCE
Pendant le délai de trois mois compris entre le 15 septembre et le 15 décembre 1898,
les porteurs de titres de l'emprunt 188t) qui n'en auront pas demandé le remboursement
en numéraire seront admis à souscrire par préférence aux obligations du nouvel emprunt
pour un nombre et une nature (unités ou quarts) identiques à ceux des titres dont ils sont
détenteurs.
Ces derniers titres seront reçus en payement du prix de la souscription jusqu'à concur-
rence de leur valeur de remboursement, nette d'impôt (399 fr. 14 c. pour les unités et
99 fr. 78 c. pour les quarts).
Les titres remis en échange de ceux de l'emprunt 1886 seront munis du coupoh
payable le 15 mars 1899.
Les conditions réglementaires de l'émission et de l'échange des titres seront détermi-
nées par arrêtés du Préfet de la Seine sur avis de la Commission spéciale des emprunts, et
portées en temps voulu à la connaissance du public.
Le
Monde Modetne
Septembre 1898
VIII. — 21.
G É N I K
A là^e de seize ans, Eugénie Martin
(lut quitter son village de Bretagne
pour venir à Paris.
Elle y lut appelée par une sœur de
son père, la vieille Marie, qui servait
depuis douze ans au moins, chez des
bourgeois de l'île Saint-Louis.
Réduite par l'âge à prendre du repos,
et avant le sentiment de la famille, elle
souhaitait voir l'enfant de son frère lui
succéder dans la bonne maison qu'elle
quittait. Afin que M'"'^ Heurtaut, sa
maîtresse, consentît à voir l'enfant, elle
en lit de grands éloges, bien qu'elle ne
la connût guère que par ouï-dire, par
les lettres envoyées du pays.
Elle assura à « madame » que sa nièce
était « une bien brave petite ».
« Depuis la mort de ses parents, maître
Nigoullet, le fermier, l'avait toujours
employée, à faire ceci, cela, à conduire
les bêtes aux champs... même que ça
l'avait em.pêchée d'aller à l'école ap-
prendre à lire. Elle aidait aussi à la les-
sive et repassait comme un ange. Avec
ça, propre comme tout sur elle ; toujours
des coiffes blanches raidies à l'amidon
et des nippes bien raccommodées...
jamais une déchirure... Enfin, madame
verrait... »
Dès qu'elle eut reçu la lettre pressante
de la tante Marie, Eugénie s'embarqua,
docile et le cœur gros. Elle emportait
son bagage au complet dans un grand
panier à couvercle dont elle ne voulut
pas se dessaisir de tout le voyage, et
qu'elle garda sur ses genoux avec ses
deux mains croisées sur l'anse.
Tandis que roulait le train, il lui sem-
blait qu'elle s'en allait dans un rêve.
Tout ce tapage de chemin de fer ignoré
d'elle jusque-là troublait sa tête déjà
bourdonnante de tant de choses. Long-
temps elle demeura effarée par la bous-
culade des voyageurs de « troisièmes »
se disputant les meilleures places sur
les banquettes des wagons.
Une stupeur hébétait ses yeux gris,
encore pleins du souvenir de tout ce
qu'elle quittait. Ses oreilles gardaient
le son des cloches qui sonnaient VAn-
(jélus du matin où elle passait devant
l'église, dans la Grand'rue du village.
Pour gagner la gare, elle avait fait
trois kilomètres à travers champs, dans
la carriole au grand Yves, un voisin de
maître Nigoullet. Elle revoyait en pen-
*sée la forte carrure du gars sous sa
blouse de toile bleue, et le rire avec
lequel il lui avait dit :
— Tâche voir un peu d'y faire for-
tune dans ton Paris !
Sa mémoire s'attarda à cette figure
amie. Autour d'elle, maintenant, étaient
des gens qu'elle n'avait jamais vus. Au
village, elle connaissait tous les habi-
tants et chacun l'appelait par son nom.
Aussi s'étonna-t-elle en découvrant que
la terre était assez grande pour contenir
tant de monde, tout ce monde dont elle
ne soupçonnait pas l'existence.
Le train ralentit enfin pour s'arrêter
dans les rails, au milieu d'un vacarme
de tempête où l'on entendait grincer
des machines, haleter la vapeur, rouler
des chariots dans un tumulte de voix
et un fracas de portières jetées. A tra-
vers son trouble, elle entendit quelqu'un
l'avertir :
— C'est Paris 1
Et elle descendit, en cherchant éper-
dument, parmi tous ces gens affairés qui
la bousculaient, la coiffe de son pays
que devait porter la tante Marie.
Tout à coup une voix cria dans son
dos un appel en patois. S'étant retournée,
elle vit s'approcher une petite femme
jaune et sèche, reluisante comme un objet
neuf, qui la bécotta sur les deux joues.
Emue, sans paroles, étourdie par le
tapage, elle se laissa conduire hors de
la gare et pousser sur l'impériale d'un
tramway comblé de voyageurs qui allait
partir.
324
GENIE
En route, la tante Marie causait beau-
coup; mais Génie, qu'assoui'dissait com-
plètement le bruit de la rue, n'entendit
rien, sinon que « madame » l'attendait.
Une appréhension l'oppressa.
Qu'allait-on lui dire ? Peut-être la
renverrait-on dans son pays si elle ne
plaisait pas à « madame ».
Son angoisse et la peur confuse qu'elle
avait de Paris s'atténuèrent en pénétrant
dans l'île Saint-Louis. Il lui sembla
même avoir vu un endroit pareil un
jour que maître Nigoullet l'avait em-
menée à la sous-préfecture.
Le petit coin déployait dans le soir '
tombant sa sérénité vieillotte et sa poé-
sie coutumière. Dans la rue, allongée
par la perspective des ponts et du fleuve,
il n'y avait plus de voitures. Sous la
voûte qui tourne dans la rue Breton-
villiers, un groupe d'enfants jouait aux
billes; d'autres se poursuivaient sur les
trottoirs, traversaient la chaussée en
criant. D'un seuil à l'autre, des commer-
çants s'envoyaient le bonsoir. Le clo-
cher de Saint-Louis élançait sa flèche
dans la brume rose du couchant; des
hirondelles tournoyaient alentour.
Le sourire du créj)uscule dans lîle
accueillait la villageoise, tandis que sa
tante lui faisait les honneurs du quar-
tier dont elle connaissait toutes les mai-
sons. A mesure qu'elle passait devant
chacune, elle en nommait les habitants
de marque.
Au tournant de la seconde rue, la
vieille femme ralentit son pas énergique,
et visant de son doigt tendu une façade
brune, proche du quai, elle expliqua, un
peu fière :
— C'est notre maison... Tu verras
comme c'est tranquille. Et si bien ha-
bité ! Du haut en bas, rien que des
bourgeois...
La demeure était une des plus an-
ciennes de cette « rue de la femme sans
teste » devenue la rue Le Regrattier;
elle avait l'aspect solennel et froid d'un
couvent de province. A chaque étage
les rideaux retombaient avec le même
soin sur les doubles vitres des hautes
fenêtres, dérobant au dehors le secret
des intérieurs. Ses balcons de fer forgé
à la mode du xvn" siècle se rouillaient
d'abandon, et les figures sculptées des
frontons, entamées par le temps, avaient
tout à fait l'air de fondre dans leurs
larmes.
Une émotion religieuse fit trembler
Génie quand, sur les pas de sa tante,
elle gravit un large escalier de pierre
aux degrés usés par plusieurs généra-
tions d'habitants. La fraîcheur des mu-
railles l'enveloppa d'un suaire de peur.
La pensée de « madame » lui traversa
le cœur comme un couteau.
Poussée par la vieille Marie, elle pé-
nétra pourtant dans un appartement du
second étage , tourna des portes , se
trouva enfin dans une grande chambre
à coucher où M'"'' Heurtant était assise
dans un fauteuil, contre la clarté d'une
fenêtre qui voyait la cour.
C'était une femme de cinquante ans,
grande et décharnée, aux yeux décolo-
rés, à la bouche dédaigneuse, qui s'ha-
billait de robes à traîne et portait une
fanchon de chantilly à boufi'eltes en
satin jaune.
Elle prit une face-à-main marquant la
page d'une revue ouverte sur ses ge-
noux pour observer Génie, que rendait
confuse sa robe de laine brune rallongée
aux poignets. La coiffe blanche sur les
cheveux plats de la petite sembla d'un
effet déplorable à la vieille dame. Elle
parla d'une voix dolente :
— C'est bien vilain, ce bonnet...
Vous paraissez assez douce, mon enfant.
Ici, il faudra l'être... et ne pas faire de
bruit surtout, car j'ai constamment mal
aux nei"fs. Vous obéii^ez bien, n'est-ce
pas ? Votre tante restera huit jours
encore pour vous mettre au courant.
Pi'ofitez de ses leçons... apprenez les
habitudes de la maison; que je ne trouve
aucun changement.
Comme le ton n'avait rien de mé-
chant. Génie se rassura et osa lever les
yeux sur sa maîtresse, ce qui lui fit voir
GÉNMK
325
quV'n parlant M'"" Heurtaut monlrait
(les dents déchaussées, toutes jaunies.
pourtant, lui parut étouffante et exiguë
au souvenir des vastes salles de fermes
Mi
II
^
fm^^M
II
f
■^•^T
f^- ^
1
i
■■w^^|W§?»>"'
Enfin, sa tante l'ayant tirée par la
jupe remmena hors de la chambre, jus-
qu'à la cuisine.
Cette pièce, de moyenne grandeur
avec leurs cheminées géantes. L'air mé-
lancolique de la cour entrait par la
croisée ouverte, avec une dernière lueur
du couchant qui frappait les cuivres.
326
G K N 1 E
. Une odeur de bouillon et de viande
cuite montait d'une marmite en terre
posée sur le fourneau.
— Faut que j écume mon pot-au-feu,
déclara la vieille Marie.
Elle ceignit un tablier blanc, remua
le feu maintenu étouffé sous une couver-
ture de cendres; puis, tout en faisant
passer et repasser avec précaution son
écumoire à la surface du bouillon, elle
ouvrit le chapitre des révélations et des
conseils.
— Ici, vois-tu, ma fille, si tu es rai-
sonnable, tu seras bien heureuse, c'est
moi qui te le dis. « Madame » n'est pas
ennuyante ; elle a un peu des goûts à
elle, voilà tout. C'est une bonne per-
sonne au fond, pas regardante pour un
sou. « Monsieur »... oh ! « monsieur », lui,
il ne s'occupe de rien. Pourvu que le
manger soit prêt à l'heure, le reste n'y
fait pas grand'chose. Tu auras de bons
gages, et puis encore le sou du franc
chez les fournisseurs; tu peux t'amasser
un joli magot pour le cas où tu voudrais
le marier plus tard... Il y a aussi les
étrennes. On n'est pas rat, ici... D'ail-
leurs, monsieur et madame ont des
moyens et rien qu'un enfant. Ah ! m'sieu
Léon, c'est le plus gentil de tous! En
voilà un qui l'aime bien sa Marie... Je
l'ai connu si petit! Il vient d'avoir
quinze ans. Il est pensionnaire dans un
grand lycée... Quand il sortira de là, il
ira à Saint-Cyr, parce qu'il veut être
officier. Tous les quinze jours, il vient
passer son dimanche. Tout de suite, il
court à la cuisine : « Bonjour, Marie!...
comment vas-tu, ma pauvre vieille ! »
et patati, et patata... Il bavarde, faut
voir ! Il me raconte des choses du lycée,
de la boîte, comme il dit. Si bien que
« madame » se fâche des fois de le voir
toujours fourré ici... Tiens, voilà qu'on
sonne! C'est monsieur. Va ouvrir. Tu
m'aideras ensuite à mettre le couvert.
En huit jours. Génie acquit l'habitude
du service, et la tante Marie s'en alla.
La villageoise s'acclimatait peu à peu
à cette nouvelle existence. L'atmosphère
de l'antique rue devint moins hostile à
sa poitrine. Les concierges, un vieux
ménage de braves gens, la saluaient
maintenant d'un « mam'zelle Génie »
paternel, quand elle descendait au matin
faire ses provisions.
On eut beaucoup de mal à lui faire
abandonner la coiffe bretonne qui dé-
plaisait à sa maîtresse. La première fois
qu'elle aperçut dans la glace son visage
désencadré des petites ailes de linge
empesé, elle rougit comme si on l'avait
mise nue; il lui semblait que tout le
monde allait se la montrer du doigt en
riant, et elle ne se sentit plus sous la
pi'otection de la bonne sainte Vierge de
Lannion. Des larmes lui montèrent jus-
qu'au bord des paupières, mais elle les
contint, n'osant pas pleurer. Avec le
temps, elle se fît à ce changement.
Le deuxième dimanche qui suivit son
entrée dans la maison, vers dix heures
du matin, le carillon prolongé de la son-
nette ébranla l'appartement. Epouvantée
par le tapage, elle courut tout d'un trait
à la porte, et, l'ayant ouverte, l'esta
interdite devant un collégien qui la dé-
visagea d'un œil étonné en question-
nant :
— M'man est là, c'pas?
Il passa devant elle comme un ou-
ragan, réveillant, au seul bruit de ses
talons, tous les échos assoupis dans les
vieilles murailles, secouant les portes
par l'élan de sa joie.
De la cuisine, en terminant les ap-
prêts du repas, Génie percevait sa voix
monter sous les plafonds, traverser les
pièces avec des vibrations de gong et
des saccades de cloche. Lorsqu'elle fut
dresser le couvert dans la salle à manger
où toute la famille était déjà réunie, la
petite bonne entendit M'"*^ Heurtant,
impuissante devant ce débordement de
jeunesse, s'en plaindre d'une voix exté-
nuée : « Ce malheureux enfant est sans
pitié... Mes pauvres nerfs! »
M. Heurtant écoutait son fils avec un
sourire placide et, à une question de
(ÎENIE
327
celui-ci qui examinait Génie tournant
autour de la table, il répondit :
— Mais oui... c'est la nièce de notre
vieille Marie.
Elle sentit que le jeune (garçon la dé-
visaj^eait encore de ses prunelles hardies
et elle perdit la tête, lue rougeur subite
lui endamnia la ligure jusqu'aux che-
veux. Dans son trouble, elle choqua
maladroitement deux assiettes qu'elle
abandonna sur la nappe et sortit préci-
pitamment, remplie d'émotion et de
désespoir comme s'il venait de lui arri-
ver un grand malheur.
Depuis lors, elle nosa plus regarder
Léon qu'à la dérobée, incapable de sou-
tenir sans émoi la clarté de ses yeux
posée sur les siens. Mais un peu de cette
lueur l'avait pénétrée et devait lui tenir
chaud au cœur pour toujours. Elle se
prit à admirer et à aimer son jeune
maître avec une sorte d'ardeur dévote,
subjuguée par sa désinvolture et ses
élégances de potache présomptueux ; car
elle le sentit vraiment pétri dune chair
supérieure à la sienne. C'était la pre-
mière fois qu'elle voyait un garçon avec
une aussi jolie figure de fille aux yeux
moqueurs, des mains si blanches, une
tenue si soignée. Chacun de ses gestes,
ses moindres paroles, la façon alerte et
drôle dont il jetait les mots, restèrent
dans son souvenir.
Elle pensa à lui tout le temps, inno-
cemment, avec ferveur, dans un mys-
tère profond qui ne devait jamais être
pénétré. Et ce germe d'amour, pieuse-
ment enfoui, se développa de jour en
jour, dans son humble pureté de fleur
rustique, éclose à l'ombre et qu'aucun
souffle ne froissa.
Du temps glissa ; quatre années furent
franchies. En sortant du lycée, Léon
entra à Saint-Cyr. Il était devenu un
grand jeune homme, mince et souple,
portant l'uniforme avec art.
Comme autrefois, il venait le dimanche
voir ses parents, mais ses visites se fai-
saient de plus en plus courtes.
Génie s'attristait devant la mine con-
trainte qu'il apportait et soupirait en se
rappelant les grands airs de joie qu'il
avait jadis, et ses rires éclatants qui per-
çaient les murailles. Aujourd'hui, jamais
on ne l'entendait rire, et il avait une
façon de traîner la voix pleine de lassi-
tude ennuyée.
Toujours soigneux de sa personne et
sentant bon les essences, les mains vêtues
de gants blancs intacts, il continuait à
fasciner, par son élégance, la servante
qui écartait de son voisinage, avec des
précautions religieuses, son tablier de
cuisine et ses mains rouges.
Il n'y prenait pas garde, sans intérêt
d'ailleurs pour l'humble fille, lui portant
à peine la considération indulgente
qu'il avait pour les objets usuels de la
maison auxquels son regard était accou-
tumé.
Chaque fois qu'il franchissait, pour
l'arrivée ou le départ, la porte de l'ap-
partement, il lui disait d'un ton distrait :
« Bonjour, Génie... Bonsoir, Génie...»
sans se douter que ces simples paroles
tombaient comme de la manne d'amour
dans un cœur brûlant et l'exaltaient de
joie, le rendaient prêt à tous les dévoue-
ments, lui faisaient appeler tous les
sacrifices.
Chaque soir, ses maîtres causaient à
table, faisant durer le dessert jusqu'à
l'heure du sommeil, et Génie traînait
derrière eux. dans l'ombre, ses pas silen-
cieux.
Elle entendait ainsi la voix plain-
tive de sa maîtresse ressasser une litanie
de griefs reprochés à Léon, évoquer
avec des hochements de tête indignés,
qui faisaient frissonner sur sa tête la
fanchon de chantilly, « certaines créa-
tures du quartier latin... certaines orgies
dans les restaurants de nuit... » Ces
mots prenaient, dans la bouche de la
vieille dame, une ampleur abominable.
Parfois, M. Heurtant, qui écoutait sa
femme avec bonhomie , haussait dou-
cement les épaules, et disait :
— Voyons, Clarisse, tu exagères... tu
prends tout au tragique... Patiente un
32K
r; E N I E
peu. Il a vingt ans, ce gamin... il s'as-
sagira...
Et Génie, que déchirait ainsi qu'une
griffe la voix incisive de « madame », se
sentait réjouie du coup, apaisée par le
ton bonasse du vieillard. Elle le jugeait
brave homme tout à fait, conciliant
comme il fallait; dans le fond obscur
de son âme, elle admirait trop Léon pour
trouver ses actions blâmables et pour
ne pas croire que tout lui fût permis.
Le soir , enfermée dans sa petite
chambre, sous les toits, elle pensait à
Léon librement, avec sa tendresse ingé-
nue. Elle délassait son cœur sans con-
trainte , laissait déborder son dange-
reux secret, tandis que la nuit berçait
la maison du haut en bas, dans un
silence ouaté! Elle faisait des réflexions
en marchant sur le sol carrelé , à la
façon des gens obsédés. Parfois, elle
s'imaginait qu'/M'écoutait , et, comme
elle n'avait personne à qui confier la
joie ou la peine de ses jours , elle se
mettait à causer, à lui raconter toutes
sortes de choses. Elle parlait de son pays,
auquel elle pensait toujours , de ses
parents, qu'elle avait à peine connus,
des misères de son enfance, des menus
faits quotidiens traversant son exis-
tence. Quand elle éprouvait trop de
chagrin, elle le suppliait, l'implorait
vraiment comme l'esclave tombée aux
pieds du maître pour lui demander grâce.
Sur une étagère parée d'une dentelle
de papier et„de deux rameaux bénits,
elle avait placé une statuette en plâtre
de la sainte Vierge, et au-dessus, tenant
à la muraille par deux petits clous, une
photographie ancienne, un peu jaune,
montrait un groupe de collégiens, de-
bout dans un jardin. Le troisième de
la seconde rangée représentait Léon à
quinze ans, en uniforme de potache, tel
qu'elle l'avait vu pour la première fois.
Ayant trouvé ce portrait, un jour, en
déplaçant un meuble derrière lequel il
était tombé, elle l'avait emporté comme
un trésor ; c'était le seul larcin qu'elle
eût commis dans la maison et la force
de son amour l'en excusait.
Chaque soir, glissée dans son lit froid,
à la lueur terne de la petite lampe qui
fumait en répandant une acre senteur
de pétrole, elle contemplait longtemps
la sainte Vierge et l'image, et elle pleu-
rait en s'endormant, après avoir prié le
bon Dieu de protéger le jeune homme
Ce fut un grand bonheur pour elle
quand M. Heurtant, par désœuvrement,
proposa de lui apprendre à lire.
Depuis longtemps elle avait honte de
son ignorance, et la pensée que peut-être
Léon l'approuverait lui donna le cou-
rage de surmonter la peine des pre-
mières leçons. Elle prit donc l'habitude,
tous les jours après le dîner, la table des-
servie et sa vaisselle faite, d'apporter son
livre sur la nappe et elle épelaitles mots
que M monsieur » désignait du bout de
son ongle taillé en pointe. « Madame »,
immobile et droite sur son siège, écou-
tait pendant quelques minutes, puis agi-
tant ses paupières alourdies, s'endormait,
bercée par le lent murmure de voix.
Elle s'appliqua pour arriver à écrire
passablement, et fut très fière d'envoyer
au pays des lettres naïves , dans les-
quelles, invariablement, elle demandait
des nouvelles de maître Nigoullet, de la
tante Marie, retirée là-bas, d'un oncle
qui demeurait du côté de Tréguier, de
M. le curé qui lui avait fait faire sa pre-
mière communion.
Ses maîtres étaient contents d'elle ;
ils comprenaient sa bonne volonté, et
M'"" Heurtant, cependant peu louan-
geuse, disait souvent :
— C'est une bonne fille, économe et
sage, une nature dévouée.
Elle prenait, d'ailleurs, leurs intérêts
comme les siens , ne permettant pas
qu'on les volât chez les fournisseurs,
défendant leur argent avec âpreté pour
grossir l'épargne qui reviendrait un jour
à Léon.
Il arrivait assez souvent que la vieille
dame, s'ennuyant d'être seule, l'appelait
dans l'après-midi, afin qu'elle vînt, avec
un ouvrage de couture, lui tenir compa-
( ; 1-: x 1 !•:
329
jj;^iiie, et elles causaient doucenienl, avec
confiance.
jyjme Heurtant, que son esprit maladif
portait à se tracasser perpétuellement
et à tout propos, lui avoua même une
fois :
— Ma fille, je crois que j'aurais bien
de la peine à vous remplacer si vous par-
tiez !
Elle s'ingéniait alors à poser des ques-
tions dont s'étonnait Génie, pour savoir
si par hasard elle ne pensait pas à se
marier, ou si quelque ouvrier du voisi-
nage ne lui faisait pas la cour.
33-0
GENIE
La jeune bonne, un peu gênée, répon-
dait chaque fois : « Pour sûr que non,
madame, » sans oser raconter combien
le garçon laitier la mettait mal à Taise
depuis quelque temps, avec sa façon
drôle de la regarder, en lui parlant près
de la figure.
C'était un grand gaillard , d'allure
solide, au visage ouvert et jovial, qu'elle
rencontrait à la vacherie où elle allait
chercher son lait, l'après-midi, à l'heure
de la traite. Son grand plaisir était d'en-
trer dans l'écurie, dont les senteurs fer-
mentécs et l'odeur du purin coulant des
litières éveillaient, en atteignant ses
narines, le souvenir de la ferme à maître
Nig-oullet et des troupeaux conduits au
pâturage.
Elle goûtait un bonheur stupide à res-
pirer ces émanations, en caressant les
vaches qui tournaient vers elle leurs
yeux énormes et léchaient sa main d'une
langue rcâpeuse, humide de bave.
Derrière elle, le garçon (iuillaume
survenait, en cotte bleue, la chemise
ouverte sur une poitrine velue , les
manches troussées sur des bras muscu-
leux , tenant d'une main un escabeau
aux pieds courts, portant de l'autre un
grand seau de fer-blanc qu'il secouait
bruyamment. Il criait de sa grosse voix
joyeuse : « Allons, la Grise!... allons, la
Normande!... » Poussée par le sabot
bourré de paille où s'allongeait le pied
nu du valet, la vache tournait le dos,
ramassait son gros corps sur ses jarrets
robustes et se dressait lentement, en
présentant sa mamelle alourdie. Génie
s'approchait, une boîte entre les doigts,
attendant que la traite fut terminée pour
avoir son lait tout chaud. Intéressée,
se rappelant ses anciennes besognes de
la ferme, elle suivait les mouvements
adroits du travailleur dont les deux
mains, accrochées aux pis élastiques,
alternaient en va-et-vient leurs pres-
sions rapides, tandis que le lait jaillis-
sait, cinglant de fdets blancs les parois
du seau où moussait une écume fine.
Flatté par son attention, Guillaume
prit l'habitude de causer, et il se trouva
justement qu'il avait longtemps vécu
dans la Bretagne où il lui restait encore
des parents. Génie devint plus fami-
lière, contente de ce hasard ; ils parlè-
rent amicalement de leur pays , des
choses de là-bas, du temps qui était
favorable ou nuisible aux récoltes.
Guillaume disait parfois :
— Oh ! moi, j veux retourner chez
nous... un jour ou l'autre... Je louerai
une ferme et je serai mon maître.
Et il regardait la jeune bonne avec
un sourire un peu niais qui semblait
sous -entendre des intentions mysté-
rieuses.
Elle soupirait sans répondre, d'un air
résigné, tandis que sa pensée attendrie
s'en allait vers la côte où elle avait
grandi, vers la campagne un peu sau-
vage où elle poussait ses bestiaux sur
les routes que balaye le grand souffle
venu de la mer.
Cette camaraderie durait depuis deux
mois et Guillaume s'enhardissait.
Ses yeux devenaient brillants quand
il regardait les joues fraîches de Génie,
son buste plein, ses hanches fortes bom-
bant les plis de sa jupe. Il causait aussi
d'une façon plus intime, contait avec de
petits rires sournois des plaisanteries
qui déconcertaient la fille. Mais c'était
une manière de lui montrer qu'il la
trouvait agréable , qu'elle lui faisait
envie et qu'il avait en même temps de
l'amitié pour elle.
Un après-midi qu'elle se tenait debout
derrière lui, à le regarder traire une
grosse vache blonde qui mâchait avec
bonheur un reste de foin arraché au
râtelier, il se retourna brusquement,
avec résolution, et bourdonna un peu
ému :
— Voilà... le temps me dure trop...
je m'en vas au pays... Seulement... faut
que j'emmène une femme... une fille
honnête qui me faudrait... avec quéques
économies... Je travaille d'attaque... on
serait heureux, pas vrai?
Il se tut, soulagé d'avoir dit ça et
attendit, pendant que ses mains beso-
gnaient plus vite.
GÉNIE
331
Comme Génie ne répondait rien,
inquièle d'instinct, mais sans bien com-
prendre ce qu'il avait voulu déclarer, il
Huit par demander en bredouillant :
Ses idées tournoyaient dans sa tête;
elle ne savait quoi répondre tant elle était
désolée, et par peur aussi de le fâcher.
A la fin elle trouva : « C'est... c'est
à cause de madame. » Mais
elle se sentait mal à Taise,
— Enfin... ça vous va-t-il?... voilà!
Elle fut consternée, stupide de sur-
prise et touchée par l'air ému du garçon.
Elle balbutia : « Vous êtes bien hon-
nête, mais... mais... je ne peux pas... »
Il insista, soudain mécontent et déçu :
— A cause?
ainsi que dans le voisinage d'un danger,
et ses regards effarés sautaient à travers
la cour jusqu'à la rue qu'on apercevait
au bout d'une longue voûte; tout d'un
coup elle prit son élan, laissa Guillaume
ahuri et partit à grandes enjambées,
sans tourner la tête.
332
GENIE
Le lendemain, qui était un dimanche,
comme Génie revenait d'assister aux
vêpres à Saint- Louis, elle trouva
M"^^ Heurtant avec un visag'e g-rave et
contrarié :
— Ma fille, soyez franche, questionna
la vieille dame. Il est venu un homme
qui désire vous épouser... il voulait
savoir si je consentirais. Je n'ai rien à
voir à vos sentiments. Vous êtes libre.
Est-ce que vous voulez me quitter?...
Enfin... quelles sont vos intentions?
Génie mit sa figure dans ses mains
et une tempête de sang-lots creva dans
sa gorge. A travei^s ses larmes ruisse-
lantes, elle bégayait : « Oh ! mon Dieu ! . . .
oh! mon Dieu!... » comme si le plus
grand des malheurs venait de l'atteindre.
Sa maîtresse, dont les nerfs se cris-
paient, demanda avec impatience :
— Enfin, voulez-vous vous marier?
La petite bonne secoua la tête avec
une énergie si désespérée que M'"" Heur-
tant se rassura ; puis, devant ses pleurs
persistants, elle la renvoya, ennuyée et
singulièrement étonnée de cette crise.
Génie pleura encore plus fort cette
nuit-là, devant le portrait de Léon et
la statue de la Vierge, répandant son
cœur douloureux en phrases incohé-
rentes où sa détresse se lamentait.
« Comme elle l'aimait! Elle ne pour-
rait jamais vivre auprès d'un autre...
jamais. Elle se sentait à lui, bien qu'il
ne voulût pas d'elle. Elle lui apparte-
nait ainsi qu'un chien fidèle. Elle l'ai-
mait sans rien espéi^er ; elle l'aimerait
toujours, voilà tout. Elle ne souhaitait
rien, rien que le voir heureux. Et si peu
de fiel enti^ait dans son âme qu'elle se
trouvait sans haine contre celle à qui il
s'était donné; elle se sentait capable de
la chérir et de lui vouloir du bien,
parce que c'était un être qu'il aimait.
Au printemps suivant, u madame »,
dont l'état nerveux ne s'améliorait pas,
fit de telles scènes à son fils qu'il déserta
la maison pendant un mois. Mais, sans
doute parce que Génie éplorée lança
des prières vers le ciel avec ardeur,
Léon finit par reparaître, apportant une
mine un peu plus maussade, un sourire
un peu plus ennuyé qu'auparavant.
Les rapports du fils et de la mère
demeurèrent dépourvus d'expansion,
vernis seulement d'une politesse exces-
sive qui n'était pas sans ironie.
Les entrevues restaient pénibles. La
vieille dame, d'une froideur implacable,
digne dans l'allure, sentait bouillonner
en elle une amertume de mère dépos-
sédée; derrière cet enfant à qui ne suf-
fisait plus sa tendresse, constamment,
elle entrevoyait Vautre, celle que redou-
tent les familles, l'éternelle luxurieuse
qui détache les fils du giron maternel.
11 lui semblait qu'il apportait dans ses
habits, et jusque sur sa peau fraîche,
des odeui's qui venaient d'elle. Dans
l'ombre de sa tête. M'"'' Heurtaut ana-
lysait chacune des phrases qu'il pro-
nonçait, comme pour faire un tri, et
découvrir ce qu'on lui avait soufflé.
Mais elle dédaignait de poser des ques-
tions à Léon et de dire sa colère contre
« cette créature ». En parler, c'eût été
avouer sa peur, reconuciître du pouvoir
à l'ennemie méprisée. Pourtant, mal à
l'aise, vaguement irrité et incapable de
trouver quoi lui dire après les politesses
courantes commençant chaque visite,
Léon craignait toujours qu'une parole
malveillante de sa mère se glissât dans
un silence. Aussi se lançait-il en des
conversations puériles et interminables,
dont il bouchait les trous avec une volu-
bilité inquiète.
La bonhomie tranquille de M. Heur-
taut, qui alïectait de ne pas saisir le gel
de l'atmosphère autour de lui, aidait la
situation à se maintenir. Il y eut une
détente, un soulagement seci-et chez
chacun d'eux, quand, sortant de Saint-
Cyr avec son galon de sous-lieutenant,
Léon vint annoncer qu'on l'envoyait
rejoindre un régiment d'infanterie, qui
tenait garnison dans une ville du Midi.
Le soir qu'il partit. Génie entendit
M""* Heurtaut demander à monsieur
avec un soupir funèbre :
(ÎKNIK
333
— Ainsi, malj^ré nos remontrances,
il emmène « cette créature! »
Soulevant ses épaules en un geste
d'impuissance, le vieillard mima : « Que
veux-tu? Nous n'y pouvons rien. »
Génie, le cœur saig^nant, pensait au
bonheur de cette femme qui le suivait,
qui partagerait son existence, vivrait
dans son ombre et sous la lumière de
ses yeux ! Comme elle avait raison !
Pouvait-on l'abandonner, lui !
Mais dès lors, quelque chose de noir
s'appesantit sur elle. Quand elle ne vit
plus le joli visage mélancolique et froid
de Léon, le jet de soleil qui l'éclairait
parut s'être retiré de sa vie, et il se fit
de tels changements dans son humeur
que M™'' Heurtant s'en aperçut et se
demanda si elle ne nourrissait pas
quelque regret d'avoir dit « non » si
vite au garçon laitier. Les plaques roses
de ses joues avaient disparu et elle
maigrissait visiblement. Elle gardait
son humilité douce pour parler à ses
maîtres ou recevoir leurs observations,
mais elle avait constamment l'air hébété
des gens dont le cerveau est vide ou
bien égaré par l'amas de choses qui y
tournoient. « Madame » s'impatientait
même les fois où ses nerfs lui faisaient
mal, et gémissait en frappant du pied :
« Mon Dieu, ma pauvre fille, que vous
êtes fatigante ! »
Génie paraissait insensible, mais elle
approuvait docilement, la pensée ab-
sente, à tout ce qu'on lui disait.
Dans ses jours d'expansion, quand
elle l'appelait pour coudre auprès de
son fauteuil, « madame », toujours triste
et rongée par la rancune, lui parlait de
Léon, soupirait de petites phrases :
— • Je n'ai qu'un enfant... il ne m'aime
pas ! Ah ! vous êtes bien heureuse...
Vous ne connaissez pas ces douleurs...
La bonne baissait les yeux sur son
ouvrage sans répondre, mais ses mains
se mettaient à trembler.
En trois années, Léon ne parut que
deux fois rue Le Reerrattier. Lors du
second séjour qu'il y lit, il venait d'être
nommé lieutenant; sa manche portait
en galon neuf de hautes arabesques d'or
qui luisaient.
A le revoir enfin. Génie palpita d'une
émotion céleste.
Pendant les premiers jours, elle vécut
dans une atmosphère chimérique, flotta
dans le bonheur vertigineux. Elle se
retenait de dormir la nuit pour penser
à lui plus longtemps, incrustant en sa
mémoire, de manière indélébile, la face
un peu pâlie, mais toujours fière et
charmante du jeune homme. Dans l'exal-
tation de sa joie, des rêves extravagants
modifiaient son calme cerveau. 11 lui
semblait parfois qu'iY était revenu pour
toujours, qu'i7 ne parlerait jamais de
départ, et qu'une façon d'exister toute
nouvelle allait dérouler des heures de
calmes espoirs au profond de son être.
Elle avait si souvent répandu l'amer-
tume de ses larmes aux pieds de la petite
statue veillant en sa mansarde, tant
imploré Celui qui dispense de ses mains
glorieuses le chagrin ou le plaisir aux
pauvres créatures, qu'une miséricorde
enfin descendait vers sa dure vie.
Le bonheur lui venait tout à coup, et
sous une forme qu'elle n'avait point
imaginée avant cet instant. Léon avait
repris possession d'une chambre au fond
de l'appartement, qui de tout temps lui
était réservée. Déjà il vivait là pendant
ses vacances de collégien et ses congés
de Saint-Cyr; Génie se persuadait de
l'y voir toujours désormais, et que
chaque matin lui apporterait l'aubaine
du sourire un peu las, teinté aussi de
lointaine mélancolie, dont il répondait
à son timide salut. Vers neuf heures,
elle lui portait son déjeuner : deux
croissants tièdes, dorés et croquants,
choisis avec tendresse, du beurre frais
et la tasse de café flanquée du petit pot
à crème, sur un plateau de laque. Ces
fragiles et menus objets lui devenaient
chers, vaguement sacrés, d'être ainsi
employés au service de Léon ; elle les
touchait avec des mains allégées, cares-
santes, un peu fiévreuses, et les gardait
334
GENIE
loute la journée dans sa cuisine, sur
une étagère vers laquelle son regard
montait souvent. La vue de la tasse de
porcelaine blanche, à fil doré, où il
posait ses lèvres pour boire, la péné-
trait d'une émotion réelle et très douce,
lui rappelant des gestes, la façon dont
il laissait tomber les deux morceaux de
sucre dans le café, le mouvement de son
bras en versant le lait, avec, chaque
fois, réclair vacillant d'un petit diamant
à son annulaire.
Car elle s'attai^dait autour de lui sans
qu'il y fît guère attention, tant elle pre-
nait garde à glisser doucement sur le
parquet, souple et lente à la besogne
qui servait de prétexte à sa présence.
Et tandis qu'elle ouvrait la fenêtre à
l'air frais du matin, ou mettait un peu
d'ordre dans la pièce, ses yeux aimantés
l'épiaient furtivement, l'admiraient en
toutes ses attitudes.
Comme elle le trouvait beau avec sa
figure mignonne, et ses airs de douceur
que n'avaient pas les autres hommes !
Ce joli visage ressuscitait dans sa mé-
moire l'image lointaine d'un prince,
rayonnant comme le jour et vêtu d'ha-
bits dorés, dont elle avait entendu par-
ler à la ferme, aux veillées d'hiver, contre
l'âtre rougeoyant, par les paysannes
d âge qui savaient de si belles histoires.
Seulement, elle s'étonnait toujours,
un peu révoltée aussi devant ce mystère
de la perpétuelle tristesse qui figeait le
regard de Léon et fronçait sa bouche
dans une moue fréquente. « A quoi
pensait-il donc dans ces moments-là?
Est-ce qu'on lui faisait de la peine?
Peut-être bien qu'il n'était pas heu-
reux? » Pas heureux ! Mais Génie priait
si fort tous les soirs la petite Vierge de
plâtre de le bénir et de lui envoyer
toutes les joies de la terre ! Elle ne
pouvait croire que quelqu'un lui voulût
du mal; et, son amoureux enthousiasme
l'imaginant supérieur à la portion de
l'humanité qu'elle connaissait, il lui sem-
blait naturel que cette souveraineté dût le
protéger, comme une cuirasse invulné-
rable aux maux ordinaires ou aux dé-
boires qui aftligent le reste du monde.
Elle finit par penser qu'il avait des
tourments de son métier, ou bien que
(i madame » lui faisait trop de chagrin
en lui laissant entendre qu'elle souhai-
tait le voir marié.
Car la lutte continuait sourdement
entre la mère et le fils, au sujet du mé-
nage irrégulier de celui-ci. Chaque soir,
quand Léon n'était pas là, M'"*^ Heur-
tant retenait son mari dans la salle à
manger pour lui montrer, avec plus de
véhémence chaque fois, la plaie de son
cœur épuisé et l'exhorter à agir. Sous
la clarté de la suspension, parmi les
relents de la table que Génie n'osait
aller desservir, la vieille dame s'agitait
avec des gémissements, des soupirs de
désespoir destinés à pénétrer, un par
un, la lourde placidité de M. Heurtant.
Et quand elle avait réussi à effarer le
vieillard dont l'égoïsme tranquille tenait
aussi peu à prendre au sérieux les re-
proches de sa femme que les fredaines
de son fils, elle résumait sa peine en
quelques hoquets douloureux qui al-
laient, à travers la porte, troubler la ser-
vante dans sa cuisine. Les sanglots de
sa maîtresse la révolutionnaient, sa na-
ture aimante étant portée à la compas-
sion, et elle ne pouvait alors s'empêcher
de se mettre à pleurer aussi, avec abon-
dance, tout en commençant sa vaisselle;
elle laissait couler ses yeux comme un
ruisseau, tout son cerveau fondant en
eau, jusqu'à ne plus savoir ce qui lui
faisait verser le plus de larmes, du gros
chagrin de « madame » ou de son obsti-
nation à tourmenter Léon.
Un matin, elle allait sortir de la
chambre après avoir posé le plateau de
laque du déjeuner devant le jeune
homme, qui, en veston d'intérieur de
flanelle blanche, roulait distraitement
une cigarette, auprès d'un guéridon où
traînaient des lettres ouvertes, quand
une phrase l'arrêta :
— Vous préparerez ma malle, Génie...
si vous avez un moment dans l'après-
midi. Je pars demain.
Elle ne tressaillit pas, n'articula pas
(;i;xiK
;535
une parole, mais, hél)éléc, elle regarda
Léon comme un condamné à mort peul
regarder le bourreau qui va lui ôler la
vie... Elle ne bou-
«•eait point, ne
songeait plus à
s'en aller, décbi-
rée par une con-
V 11 1 s i o n i n t é -
rieure, larrache-
menl brusque du
b o n h e u r q u i
sommeillait si
doucement a u
fond d'elle.
Mais le jeune
homme a y a n t
evé la tète, éton-
né de son silence,
Génie se retrouva
soudain, par la
force de l'habi-
tude, la domes-
tique docile que
les yeux du maître
font agir, l'être
servile aux gestes
mécaniques dont
on ne soupçonne
pas le sentiment.
Ses mains actives
saisissant aus-
sitôt des habits
jetés sur un fau-
teuil, les agitè-
rent pour en
effacer les frois-
sements, les éten-
dirent avec soin ;
puis d'autres menues
besognes l'occupèrent,
usant un peu de sa
iièvre douloureuse, tandis que
Léon l'examinait machinale-
ment, tout en rêvassant dun ■
air ennuyé. Et parce qu'il était triste,
et qu'il voyait tourner autour de
lui, sans bruit, cette douce et impéné-
trable figure de servante, il s'imagina
tout à coup la monotonie lamentable
de cette humble existence et il v com-
patit dans une pitié solidaire. Il pensa :
« En voilà une!... Qu'a-t-elle de bon
sur la terre? Elle est jeune, après tout,
cette fille; elle aurait bien le droit de
connaître un peu le bonheur, comme
celles de son âge... Elle en voit tant qui
sont jolies, parées, aimées... Elle n'a
rien... rien. "S'oilà des années qu'elle
336
(1 E N I E
obéit, courbée sous les ordres capricieux
d'une maîti-esse qui a des crises de nerfs.
Ça n'esl pas drôle, fichtre! A quoi peut-
elle bien penser, toute la journée, sans
rien dire, à répéter les g-estes de la
veille qu'elle recommencera le lende-
main? Nom d'un chien... ce qu'elle doit
s"embêter! »
Il dit tout haut, avec un apitoiement
réel et par curiosité aussi de la réponse :
— Dites donc, Génie?... Vous devez
joliment vous ennuyer ici? Ça n'est pas
folâtre de vivre à la maison.
Elle tressaillit, tellement éperdue et
surprise qu'il l'interpellât ainsi sur ce
ton de bonté, qu'elle répondit dans l'im-
pression du moment, ses yeux attendris
d'une soudaine lueur et la voix balbu-
tiante : ^
— Oh! non, monsieur Léon... je ne
m'ennuie jamais... jamais.
L'émotion la suffoqua, la retint d'en
dire davantage et elle comprit plus tard,
quand la réflexion lui revint, que ce fut
bien heureux, car, emportée par l'élan
qui la soulevait d'inconscience , elle
aurait avoué simplement : « Je pense
à vous toujours... J'ai un bonheur que
personne ne sait... Je suis heureuse
jusque dans les larmes que je répands
à cause de vous. »
Mais un incident l'avait sauvée de
Ihorreur d'un aveu si formidable, et
elle retrouva sa froide raison de fille
sage pour expliquer :
L'ennui, voyez-vous, monsieur
Léon, ce n'est pas bon pour moi... c'est
affaire aux riches qui ont le temps...
une maladie un peu comme les nerfs de
« madame », quoi !...
Elle dit cela sans malice, d'une voix
si sérieuse que le jeune homme sourit.
11 pensa : « Décidément, elle est sans
rancune contre les événements ! »
Suivant l'impulsion de pitié qui l'avait
poussé à l'interroger, il atteignit dans
sa poche un porte -monnaie où il prit
une pièce d'or qu'il lui tendit :
Tenez, vous achèterez un colifichet.
Au contact du louis dans sa main
refermée. Génie devint toute rouge.
dune joie si évidente que Léon s'étonna :
« Bah! elle aime l'argent? » Un peu de
dédain lui fit hausserlégèrement l'épaule,
mais son opinion s'adoucit en songeant
à la nature fruste de cette malheureuse,
héritière aussi sans doute des instincts
avides d'une génération campagnarde :
« Après tout, elle n'a que ça. » Puis,
bientôt, cessant de la voir, il pensa à
autre chose.
Mais Génie devait garder un souve-
nir ineffaçable du court instant où, pour
la première et la dernière fois, il lui
témoigna une fugitive sympathie. La
pièce d'or qu'il lui avait donnée devint
pour elle une relique sainte.
Quelques mois plus tard, un soir, un
grand coup de sonnette éclatant dans le
vestibule fit sursauter Génie. Il venait
peu de visites, et jamais à cette heure.
A part Léon, dans les rares moments où
il était à Paris, il n'y avait giière que le
petit pâtissier, apportant le godiveau du
dimanche, pour oser sonner si fort. Elle
courut ouvrir, surprise et un peu mé-
contente du tapage, à cause des nerfs
de « madame » et trouva un télégra-
phiste porteur d'un papier bleu pour
M. Heurtant.
Le bonhomme, ayant fini de dîner,
fumait tranquillement sa pipe, accoudé
à la croisée de la salle à manger, tandis
que sa femme vidait à petites gorgées
une tasse de thé pour la digestion.
La feuille bleue aperçue aux mains
de Génie fit pousser une exclamation à
la vieille dame. Son tempérament fra-
gile redoutait les émotions et elle était
persuadée que les télégrammes n'appor-
tent jamais que de mauvaises nouvelles.
M. Heurtant prit le pli avec étonnemenl,
le scruta dans tous les sens avant de
l'ouvrir et murmura :
— Je parie que c'est de Léon.
Il lut et ses traits se tendirent dans
une épouvante; sa femme, qui l'obser-
vait, devina une catastrophe avant même
qu'il eût parlé. Pourtant il bégaya, les
mâchoires tremblantes, affolé de brus-
GKNIE
337
que aiij^oissc ; '■ Il veul me voir... 1res
malade... partir de suite... >
La mère fît seulement : <■ Oh !... oh !...
oh I... ') en portant les mains à sa poi-
trine d'un geste de souffrance, comme
si le souffle lui manquait, et elle se ren-
versa dans son fauteuil, évanouie. Le
vieillard se précipita, la tète perdue,
rappelant la bonne d'une voix étranglée.
Elle arriva, effarée par ces cris, et porta
<( madame » dans sa chambre, aidée par
H monsieur >•> qui gémissait, avec des
larmes plein les yeux. Mais, compre-
nant alors qu'un malheur était arrivé,
la pensée de Léon l'atteignit comme du
feu. La volonté desavoir, de savoir tout
de suite, la jeta vers son maître dans un
élan de prière désespérée :
— Quoi ? qu'est-ce qu'il a ?
Trop ému pour s'étonner, le vieil
homme, enroué de pleurs, relut la dépê-
che, puis ajouta :
— Allons, ma lille, faites ma valise...
la petite valise, vite... mon Dieu!...
avec deux chemises... mon chapeau...
mon pardessus... Et V Indicateur des
chemins de fer... Je prendrai le premier
train...
Il se jeta sur un siège en soupirant,
porta un regard hébété vers sa pipe à
peine éteinte, déposée tout à l'heure sur
la cheminée. Devant ce foyer, oîi sa
place habituelle restait marquée par une
chaise en permanence, devant sa vieille
pipe surtout, si savamment culottée, il
eut la perception plus nette du réel, la
sensation fut plus aiguë du bouleverse-
ment survenu dans son existence mono-
tone et douce qui, toujours, avait coulé
sans drames et sans chagrins. Il s'atten-
drit en constatant Télendue de son mal-
heur et maudit l'injuste destin qui le
frappait ainsi, luil... lui I... Un bruit de
sanglots le fit se retourner et il vit Gé-
nie, la figure dans ses mains, accotant
sa défaillance au chambranle de la porte.
Il ne put se retenir de songer avec une
vague satisfaction, en dépit du moment :
Bonne fille, elle comprend que ses
maîtres ont de la peine...
Mais cette douleur pesant sur la
VllI. — 22.
sienne limpalienla vile, et son candidr
égoïsme se lamenta :
— Voyons, (lénie... va méfait du mal
de vous entendre... vous ravivez... vous
augmentez...
La parole de son maître passa sur elle
ainsi qu'un fluide galvanique. Une éner-
gie désespérée la redressa : elle essuya
sa ligure ruisselante et courut faire la
valise du vieil homme pour qu'il partît
bien vite puisque Léon souffrait, atten-
dait... Puis elle poussa vers la porte le
vieillard qui, sans paroles, et voûté sous
sa lourde émotion, s'en allait, éperdu,
comme en un cauchemar.
Pendant trois jours, on fut sans nou-
velles. M™'' Heurtaut, brisée par l'in-
quiétude, gardait le lit avec une grosse
fièvre et, muette, sombre, semblait rou-
ler en sa tête alourdie des visions tristes.
Génie passait les jours et les nuits dans
les pièces désertes de l'appartement; au
milieu du vaste silence, son idée fixe,
son angoisse farouche, prenaient des
proportions infinies. Elle marchait, allant
et venant d'un pas saccadé, du soir jus-
qu'au matin et du matin à la nuit; et si
par hasard elle sortait pour une course,
elle se mettait à courir dans la rue, afin
qu'on ne lui parlât pas. Mais, un soir
que sa maîtresse s'était endormie, elle
voulut se rendre furtivement à l'église
dont on entendait les cloches chanter
gravement au-dessus des toits.
Il lui semblait que, là, elle parlerait
de plus près à ce Dieu de sa foi qui
écoutait les prières des malheureux. Elle
lui dirait sa peine ; il faudrait bien qu il
l'entendît, qu'il vît ses larmes !
L'église était presque déserte à cette
heure tardive; le feu des lampes sespa-
çant sur des piliers laissait deviner des
ombres affaissées dans la supplication,
l'extase, la plainte ou le remords. Quel-
ques flammes de cierges, sur l'autel,
entouraient d'une couronne de petites
étoiles la face du Sauveur.
Génie s'agenouilla, toute tremblante,
sur une marche de pierre et, joignant
les mains, laissa parler son âme comme
à la confession :
338
GENIE
(' ... Vous ne voulez pas le faire mou-
rir, n'est-ce pas ?... Vous savez bien que
je n'ai que lui... Je l'aime tant, voyez-
vous I... depuis si longtemps, il est tout
mon bonheur sur la terre... je n'avais
rien avant... j'étais toujours seule... je
ne vous comprenais pas non plus comme
à présent... Du jour où il est venu, c'a
été pareil à une grande lumière qui
serait entrée dans mon cœur tout d'un
coup... je vous ai mieux prié... j'ai
compris que vous étiez bon... Mon Dieu,
si vous me le preniez, je ne pourrais
plus vivre... la grande lumière s'en
irait... je ne vous verrais plus... Dites
donc à un ang^e d'aller le g'uérir... Faites-
moi mourir à sa place, si vous voulez...
qu'il vive seulement, qu'il vive !.. Il
n'a que vingt-cinq ans, song'ez donc !...
et il est trop beau, trop mignon, pour
s'en aller dans la terre... «
Cessant de parler, elle se tint devant
Dieu , immobile dans le geste fervent
qui tendait vers lui ses tristes mains de
bonne, des mains épaisses, aux ongles
usés par les besognes quotidiennes
accomplies depuis tant d'années ; le voû-
tement lassé de ses épaules disait le far-
deau trop lourd qui les avait courbées;
sa figure était amaigrie et jaunie par la
fièvre du désespoir et ses yeux, mainte-
nant que l'exaltation de la prière n'y
allumait plus de reflets, devenaient deux
trous mornes ouverts sur un horizon
noir... C'étaient vingt-six ans de misère,
une adolescence orpheline, sa jeunesse
aride et toute une longue vie de servi-
tude, à venir encore sans doute, qui
se présentaient devant l'autel, attendant
de la justice divine un peu de com-
passion.
Puis elle s'enfuit de l'église...
En pénétrant chez sa maîtresse, elle
n'eut presque pas d'étonnement de
trouver les portes ouvertes, une agita-
tion insolite, le concierge et sa femme
penchant des figures bouleversées sur le
lit où M"'" rieurtaut se débattait dans
une crise. Un papier bleu, tombé à terre,
aimanta son regai^d... Elle comprit... Un
frisson terrible la parcourut et elle s'abat-
tit sur les genoux, rudement, avec un
grand cri.
Quand Génie rouvrit les yeux, un peu
après, elle s'étonna, ayant pensé mourir
sous ce choc qui lui écrasait le cœur.
A part cette stupeur, il n'y avait que du
vertige dans sa tête endolorie.
Elle regarda avec douceur « madame »,
qu'une fatigue nerveuse venait d'endor-
mir lourdement. Sur une chaise, auprès
du lit, se tenait la concierge, grosse
femme apitoyée, émue autant que si elle
avait perdu son propre fils, et qui lui
conseilla, parmi des soupirs bruyants
soulevant à chaque mot sa vaste poi-
trine :
— Allons, mam'zelle Génie, faut vous
reposer... v'ià trois nuits que vous êtes
debout... J' veillerai bien madame à mon
tour... N'vous inquiétez de rien...
Docile et sans forces. Génie quitta
l'appartement. Mais quand elle ouvrit
la porte de sa mansarde, cette petite
chambre solitaire et nue, son lit aux
draps froids, lui firent soudain peur
comme si elle apercevait un linceul et
un tombeau. Redescendant l'escalier,
elle s'échappa dans la rue, sans savoir
où elle irait, poussée par un instinct
pareil à celui des bêtes blessées qui cou-
rent, affolées, jusqu'au coin obscur où
elles se laisseront tomber pour mourir.
L'île dormait, déserte. Le long des
quais, de vieux hôtels tassaient dans
l'ombre leurs pignons rébarbatifs, de
larges portes cadenassées , de hautes
fenêtres à croisillons , et les balcons
ventrus se penchaient, semblables à de
grands nids de fer, prêts à choir sur
le pavé.
Génie longea le parapet du fleuve.
Un peu de brise murmurait dans les
peupliers de la berge, un clapotis léger
fouettait les arches; de loin en loin, le
reflet d'un bec de gaz jetait un brasille-
ment coloré sur l'eau sombre et mou-
vante.
La douceur de la nuit, cette sérénité
répandue autour d'elle, l'enveloppèrent
GÉNIE
330
crunc caresse amollissante, et la pensée
(le Léon la ressaisit comme une proie.
KWe s'assit sur le bord du trottoir, les
jambes brisées, pour rétléchir. Il était
mort. Mort!... Pour la première fois,
elle se fit une idée nette et profonde de
celle chose alîreuse. Elle se souvenait
(l'avoir, dans son enfance, vu périr des
bêtes au fond des établcs, mais elle n'avait
point approché de cadavre humain. Elle
se représenta un corps étendu, des jeux
qui ne voyaient pas, une bouche qui ne
parlerait plus jamais... Plus jamais!
Pourquoi?... Et subitement le souvenir
la poigna, du collégien de jadis avec ses
cheveux blonds, sa figure pâle et ses
grands rires; du saint-cyrien coquet,
avec des gants blancs sur ses mains
fines, et un pli boudeur à la bouche.
Elle regardait dans le passé comme en
un livre; des images plus vives s'y dé-
tachaient parmi des éclairs. Sa jeunesse
redevint une ombre qui courut devant
elle, en coilTe bretonne, au côté de la
tante Marie; c'était par un soir d'été,
plein d'hirondelles... des gens inconnus
la reg'ardaient passer. . . Puis elle grandit,
dépouilla un peu de sa rude écorce,
apprit les délicatesses à servir « ma-
dame », oublia son pays... Pourtant,
elle avait le cœur gros chaque fois qu'un
des bateaux amarrés contre l'île, portait
un nom de là-bas... elle les venait con-
templer dans ses promenades du di-
manche, à la sortie des vêpres, pensant
avec un petit soupir : « Tout de même...
voilà un Marie-Yvonne... ou un Goé-
land qui va remonter du côté de chez
nous... » Et elle faisait le voyage en
imagination. Depuis dix ans, toute sa
vie tenait dans ce coin d'île où elle
retrouvait des souvenirs le long de toutes
les pierres... Elle se rappela que l'in-
scription gravée sur le pilier du pont
Marie était une des premières qu'elle
eût déchiffrées toute seule, et combien
il lui avait d'abord paru dur d'apprendre
à épeler... Sachant lire, elle ne crut plus
aux contes de fées ; et pour avoir vu de
vrais princes qui habitaient l'antique
hôtel, à la pointe de l'île, se promener
sans habits dorés ni carrosse de verre,
elle pensa que les vieilles femmes de
son pays, qui contaient des histoires à la
veillée, se moquaient des gens ou étaient
bien sottes...
Cette petite campagnarde un peu dé-
niaisée, dont le fantôme dansait auprès
d'elle, affligea Génie. Son souvenir, en
se détournant, remonta vers le mort ;
son nom lui vint aux lèvres, à plusieurs
reprises, et elle chercha à se représenter
les lignes de son visage qu'elle n'aper-
cevait plus nettement. Elle marcha
contre le parapet, les yeux tournés vers
l'eau, en continuant son appel dévo-
tieux : « Léon... Léon... » avec un peu
de difficulté, comme si elle avait sou-
levé un poids lourd sur sa langue. La
brise plus vive creusait la surface du
fleuve en petites vagues ourlées de
clarté; cela faisait partout des flaques
blanches où quelque chose se mouvait...
Génie finit par apercevoir une face pâle
qui flottait doucement, et dont les pru-
nelles au regard lointain étaient pleines
de reproches... Tout de suite une autre
figure s'agita près de la première;
d'autres parurent encore... il en vint
cent, mille, qui poussaient sur les vagues
comme de grandes fleurs de lis, et dont
les traits étaient ceux de Léon, avec un
regard voilé et des lèvres tremblantes
au cri désolé : « \'iens... pourquoi
m'abandonnes-tu?... Viens!... »
Alors, d'un élan fou, elle se mit à
courir vers l'escalier de la berge, pour
s'aller jeter dans le fleuve... Mais des
voix glapirent dans son dos, un bruit de
course sonna sur le quai, des mains
rudes la harponnèrent...
Elle se trouva enire deux sergents de
ville effarés. L'un d'eux, qui habitait
dans l'île, la reconnut et se mit à rire :
— Excusez... vous m'avez fait une
fière peur... J'ai cru que c'était une
payse qui voulait se fiche dans le bouil-
lon.
A ces paroles, Ihallucination de la
malheureuse s'éteignit brusquement,
ainsi qu'une flamme sous un coup de
vent. Le fleuve redevint uni, silencieux
3-40
GÉNIE
el noir. La raison rentra en sa tête...
Devant la gaieté de ces hommes qui
clignaient les yeux luisants, elle se
sentit confuse. Rusée, voulant défendre
son triste secret, elle expliqua comment,
regagnant la maison à cette heure tar-
dive, elle avait eu peur et s'était mise à
courir. Ils continuèrent de rire en la^
plaisantant.
G 1-: N I !•;
S'il
— Connu!., on s'est attardé avec
son bon ami... un rude veinard !... ben
<|Uoi... y a pas d'honte à avoir... une
belle iille comme vous...
Ils s'obstinèrent à la reconduire jus-
qu'à sa porte et lui souhaitèrent encore
le bonsoir, tandis qu'elle se précipitait
dans la maison.
M. Ileurtaut ayant annoncé son re-
tour, c< madame » et Génie l'attendaient.
La maîtresse, installée dans le grand
fauteuil garni d'oreillers, contre la vitre
tiédie par le soleil, tendait l'oreille aux
rares bruits de la rue, tandis que la
bonne, précautionneuse, préparait déjà
le couvert de son maître sur une petite
table. Ni l'une ni l'autre ne parlait,
suffoquées de souvenirs, fiévreusement
impatientes d'écouter les tristes récits
du vieillard, de boire à longs traits le
poison qu'il allait leur verser.
— J'entends un fiacre... C'est mon-
sieur... avertit la voi.K de « madame » aux
aguets.
Génie s'empressa ; on entendait dans
l'escalier le pas un peu traînant du vieil
homme. Il entra, essoufflé, en nage, les
bras alourdis d'un gros paquet d'étoffes
noires qu'il tendit à la bonne. Un léger
sourire de mystère, d'embarras et de
joie, luisait sur la fatigue de son visage.
Il courut embrasser sa femme, cordiale-
ment, sur les deux joues, puis se retourna
vers Génie qui suivait...
Elle regardait avec des yeux éperdus
le fardeau doux et tiède tenu contre sa
poitrine, un petit enfant blond, aux
traits délicats, à la bouche si mignonne,
malgré son pli boudeur, et qu'elle croyait
reconnaître.. .
M. Heurtant murmura, attendri et
plein d'espoir, presque sans regrets
maintenant, gagné au seul plaisir des
habitudes et du logis reconquis :
— C'est l'enfant de notre Léon... il
est à nous... il va nous rajeunir, ce
bonhomme-là...
Violemment émue. M""' Ileurtaut
garda le silence une minute, puis cria,
haletante, toujours armée de rancune :
" Et la mère ? »
— Elle est morte, il y a six mois »
répondit-il.
Une paix brusque rasséréna la vieille
dame et elle tendit les mains vers son
petit-fds. On le lui mit sur les genoux.
Elle contempla avidement ce jeune être
qui riait avec innocence. Puis d'une
voix sourde, venue des profondeurs
bouleversées de sa chair, elle dit tout à
coup :
— Oh! oh!... comme il lui res-
semble !...
Elle se détourna, et, voyant qu'elle
allait pleurer, son mari enleva le bébé
qu'il rendit à Génie. Mais la vieille
dame balbutia :
— C'est vous. Génie... c'est vous qui
rélèverez... Car vous ne nous quitterez
jamais, ma fille, n'est-ce pas?... Vous
nous fermerez les yeux... vous...
Elle ne put achever, tant elle suffo-
quait, enlisée sous ces choses funèbres.
Génie s'était saisie de l'enfant dans
un transport farouche.
Un délire de joie la parcourut, des
ondes froides, puis brillantes, passèrent
sur ses moelles.. Elle comprit que cela
était possible... certain. Tout le bon-
heur surhumain qu'elle n'avait pas osé
rêver tenait dans ses bras. Un enfant !...
un enfant de Lui !... Elle adora ce petit
avec des yeux éblouis, avec toute son
âme qui venait sourdre en lumière à sa
face... Elle ne pensa plus qu'il fût né
d'une autre femme ; il lui semblait créé
par son amour, sorti de son flanc, pour
g'arder vivante l'image de l'homme tant
aimé... Elle se sentait forte à jamais,
soudain heureuse, protégée contre tout.
Edg Y.
BOULOGNE-SUR-MER
LA
PECHE DU HARENG A BOULOGNE-SUR-MER
Au moment où les questions sociales
surexcitent l'opinion de toutes parts,
celles qui intéressent la pêche et les
diverses industries qui s'y rattachent
méritent de ne point rester dans
romhre.
Jadis dédaignées et languissantes,
elles sont devenues aujourd'hui, grâce
aux progrès modernes, une des sources
de la fortune puhlique.
Ahondante moisson pour le pauvre,
la pêche lui fournit à la fois un gain et
un aliment; elle satisfait, en outre, le
luxe des tables somptueuses et contri-
bue à donner au commerce des côtes
un élément continuel de prospérité; à
la marine marchande et à la flotte des
équipages audacieux, endurants et rom-
pus à tous les accidents de mer.
(c Quoique la pêche, écrivait \"ol-
iaire, et Tart de saler le poisson ne
paraissent point un objet important
dans l'histoire du monde, c'est là cepen-
dant la grandeur d'Amsterdam en par-
ticulier, et, pour dire quelque chose de
plus, ce qui a fait d'un pays autrefois
méprisé une puissance riche et respec-
table. »
Gomme la reine de la Hollande, Bou-
logne-sur-Mer est bâtie sur des arêtes
de hareng.
Si la partie commerçante et élégante
de la ville s'est développée sur les bords
sinueux et verdoyants de la rivière la
Liane, le quartier maritime s'est accro-
ché et suspendu aux flancs de la falaise,
à une hauteur d'où l'œil embrasse un
horizon immense. C'est de ce même
point culminant que Napoléon P'', dans
sa baraque légendaire, dardait sur les
côtes d'Albion ses regards chargés de
haine et s'écriait : u Que je sois maître
de la mer seulement pendant vingt-
quatre heures et l'Angleterre a vécu! »
Ils sont là à peu près vingt mille, qui
vivent dans des ruelles étroites, bor-
LA PECIIK DU HAUKNG A BOI'LUCÎNE SUK-MKH
• 343
«'
ips^!
BARAQUE DE X A P 0 L E O X l^' S U R LA FALAISE
dées de maisons à un étage et d'esca-
liers abrupts, sur une colline fort
déclive, vaste amphithéâtre avec gra-
dins, que domine 1 église de Saint-
Pierre-des-Marins.
Ils forment une grande famille que
distinguent ses mœurs, ses coutumes,
ses alliances.
L'esprit de corps et de solidarité a
fait longtemps et fait encore leur force.
« Le pêcheur, suivant la remarque de
George Sand, échappe à la misère par
lassociation. On voit en lui Ihomme
d'action, descendant de la primitive
famille des hommes de proie, rebelle à
l'esclavage du labeur sédentaire. II y en
a de très vieux, qui sont encore droits
comme des mâts. De père en fils, ni la
pioche, ni le hoyau, ni les maigres bras
de la charrue n'ont alourdi les mains,
rétréci le thorax et voûté les reins. Ils
ont le grand nez en bec de harpon,
l'œil rond, clair et saillant des plon-
geons ailés, rien du marsouin ni du
phoque. »
Boulogne pourrait fournir de nom-
breux spécimens de ce type.
Les marins qu'on y rencontre sont
toujours bien musclés, agiles malgré un
équipement com-
pliqué et de pe-
santes bot tes, hauts
en couleur, quoi-
que bronzés j)ar le
Jiâle et la rafale.
La mer est le do-
maine du matelot.
Enfant, la vue
de la mer est la
première qui
frappe ses regards.
Cette magicienne
Ihypnotise pour
toute son exis-
tence, et quelles
que soient ses ri-
gueurs ou ses
cruautés, il lui
restera toujours
attaché.
La plage est aussi
son bien, il n'a point d'autre lieu de
récréation. Il prend ses ébats au fond des
barques amarrées au quai ou qui viennent
échouer sur les bancs de sable, ou bien
il s'exerce à manœuvrer un canot à la
godille. La témérité de certains n'a
point de bornes. Une cinquantaine de
ces précoces navigateurs tombent ou
glissent dans le port chaque année, et
ils seraient victimes de leur imprudence
si les matelots occupés à bord des
bateaux de pêche et les douaniers en
faction sur les quais ne se portaient
rapidement à leur secours, soit à la
nage, soit en leur jetant une ligne
Brunel.
Les flaques d'eau que le flot laisse en
se retirant servent plus tard au mousse
de champ d'expérience. C'est là que, les
jambes nues, il va lancer les bateaux
qu'il a taillés de sa main, petits chefs-
d'œuvre sans couleur, mais d'une par-
faite stabilité et d'une marche régu-
lière, auprès desquels les modèles
informes que débite le commerce pa-
raissent être des corps sans âme, ou
plutôt des jouets à la merci du vent.
Il se forme lui-même, et l'expérience
remplace l'instruction navale qu'il ne
344
LA PKCIIl': 1)1' IIAUENG A lîO U LOG N E-S U H-M EH
saurait, et pour cause, puiser dans des
cours théoriques. Il passe, du reste, à
peine par lécole.
Mousse à douze ans et même plus tôt,
il retrouve une famille nouvelle dans
Téquipage, dont il fait la joie par son
aplomb et ses invectives précoces. Il a
conscience de 1 importance du rôle qu'il
joue déjà dans la famille, car il rap-
porte fidèlement au foyer domestique la
UNE VUE DU QUARTIER MARITIME
pari du moiisbe. A dix-huit ou vinj^t
ans, la vie en plein air dépourvue de
microbes et les durs labeurs de son
métier, que traversent les mille péri-
péties de la navigation et les dangers
des tempêtes du noroit et du suroit, en
font un homme trempé physiquement
et moralement.
Le marin a l'esprit de famille très
développé. Il serait exempt de reproches
si l'usage de
1 alcool, nécessité
par les travaux
des pêches d'hi-
ver, les pluies, les
nuits froides, ne
lui faisait point
contracter des
habitudes qu'il
conserve r a à
terre, mais dans
des conditions
hygiéniques et
c 1 i m a t é r i q u e s
tout autres.
Son tempéra-
ment, à moins
d'excès persis-
tants, n'en reste
])as moins vigou-
reux.
A peine est-il
formé que le ser-
vice le réclame.
Il n'en est pas
un dans ce port
qui se rende
ilans- les équi-
pages de la Hotte,
à Brest, ou à
Cherbourg, ou à
I j o r i e n l , sans
avoir préalable-
m e n t é c h a n g é
a\ec sa promise
la bague des lian-
çailles.
Pendant qua-
rante-huit mois,
celle-ci, irrépro-
chablement fidèle
I,A PKCIIK Dr IIAIJKNC. A I5( ) T I.OG N K-SU H-M Kli
:5i5
jusqu'au retour du <■ bon
iuui )', ne sonj^a'ra qu'au
niariaj,^e qui en sera la
conséquence inimédiale.
A trente ans, sa famille
comptera déjà six ou sept
enfants dont chacun pourrait
souvent répéter le mol
d'Érasme : " Je ne suis pas
le fruit d'un ennuyeux
devoir matrimonial, je suis
né des baisers de l'amour.
Aussi quelle grande et forte
race! Les beaux gars et les
belles filles!
I.a Boulonnaise étonne,
par sa beauté affinée et sa
robustesse, les étrangers
qui la voient pour la pre-
mière fois.
Ils admirent, surtout
lorsqu'elle se rend aux ate-
liers de salaison, sis à (Japé-
ciire, partie suburliaine de
l)Oulognc, sa démarche
hardie et la cambrure de sa
taille qu'enserre un rigide
corset dont sa poitrine pour-
rait au besoin se passer. Il
n est point jusqu à son
bonnet blanc garni de den-
telles, irradiant comme un
soleil et rappelant, par sa
forme, la coquille de Saint-
Jacques, qui ne donne un
cadre élégant à ses traits
réguliers et fleuris et à son opulente
chevelure.
La plupart des pécheurs, après une
rude et laborieuse carrière, abandonnent
les grosses bottes et le suroît non sans
regrets, trouvent quelque emploi dans
les ateliers des armateurs ou vivent de
modiques revenus, fruit de patientes
économies auxquelles vient s'ajouter
l'appoint fourni par la Caisse des
Invalides et pour la constitution duquel
ils ont été annuellement obligés de
verser une somme prélevée sur leurs
gains. Il n'était point rare cependant,
avec les voyages à la part, de voir les
plus intelligents, les plus labo-
rieux et les plus économes cesser
la navigation pour vivre de leurs
rentes avec un capital de
150,000 à 200,000 francs.
D'autres plus instruits de-
\\kw
X N M A li 1 X
viennent, encore jeunes, écoreurs ou
armateurs.
Quant aux vieillards, ils passent leur
vie sur le quai, devisant avec les amis,
donnant des conseils aux jeunes ou in-
terrogeant mélancoliquement l'horizon.
Ainsi vont-ils de génération en géné-
ration, et, prolifiques comme tous les
peuples ichthyophages, ils se multiplient
si rapidement que, dans cinquante ans,
toutes proportions gardées, ils auront
envahi toute la ville. Ils pi'isent les théo-
ries de Malthus comme les risques de la
mer, les épidémies et les infortunes de
toute nature.
3i6
LA PECIIK DU HARENG A BOU LOGNE-SU R-^MER
La population du quartier maritime
de Boulof^ne s'alimente continuellement
de celle des petits ports d'Equihen, du
Portel, d'h^taples, d'Ambleleuse, d'Au-
dresselles et de Wissant. Les hommes
viennent compléter les équipages des
bateaux de pèche boulonnais et beaucoup
s'y établissent sans esprit de retour.
Les marins du Portel sont d'une très
f^rande vij,^ueur, mais les femmes, quoique
belles, sont plus lourdes que celles des
pêcheurs de Boulogne. Ils présentent
des caractères de race qui attirent l'allen-
tion du touriste.
Plusieurs ethnographes, M. Duchenne
de Boulogne, M. ^^-J. \'aillant font
remonter leur origine à une immigration
de Basques ou d'Espagnols dans la
Gaule septentrionale. Les cheveux noirs
et crépus, le nez droit bien attaché au
front, la petitesse des mains et une
courbure sacro-lombaire la décèlent
d'une manière aussi évidente que la lé-
gende qui la leur attribue. Le costume
éclatant que les femmes portent dans
les processions et les jours de fêtes, et
dans lequel le l'ouge, 1 or et la blancheur
des dentelles forment la note dominante
et le principal ornement, est un des
plus riches et des plus pittoresques de
France. Il est le même que celui que
portaient les aïeules au siècle dernier.
Dans ces bourgades de pêcheurs, les
traditions restent immuables et la pureté
même du type primitif s'est conservée
intacte grâce à des alliances entre
proches, qui n'ont jamais admis que de
rares exceptions en faveur des familles
de marins de Boulogne ou d'Equihen.
Toutes ces races, depuis Wissant jus-
qu'à Equihen et Etaples, viennent sou-
vent s'unir à la population de la ville
de Boulogne et elles ont contribué à
faire de son port le premier de France.
LA GRANDE PÉCHE
Les pêches peuvent se diviser en
grandes pêches et petites pêches, et la
pêche fraîche ou le frais-pesché.
Lés premières comprennent la pêche
au hareng et au maquereau, et les autres
celles qui se font au chalut ou à la corde.
Le quartier de Boulogne possède d'a-
bord 500 grands bateaux de pêche,
flottille qui tient la mer presque con-
stamment, sauf en février, et 150 chalu-
tiers, fins voiliers qui la fouillent en
tous sens et bravent même les tempêtes.
Les gros temps sont pour eux une au-
baine; ils remuent les bas-fonds et leur
assurent une marche rapide. Quoique
leur tonnage soit supérieur à celui des
sloops, ils tiennent, d'ailleurs, très bien
la mer. Il n'est pas, sur toutes les côtes
de France, ainsi que l'affirmait, il y a
quelque temps, un expert du Havre en
mission à Boulogne, de bateaux de pêche
taillés avec plus d'élégance et mieux
appropriés et outillés pour les campa-
gnes hardies et longues auxquelles ils
sont spécialement destinés.
Ils sont l'objet d'innovations et d'amé-
liorations continuelles.
Depuis quelques mois, MM. Duchesne
et G'*^, constructeurs, viennent de mettre
à l'eau des bateaux de pêche en fer
et à hélice, le Sadi-Carnot, Vlnlran-
sigeant et autres, qui sont appelés dans
un bref délai à supplanter la voile et le
bois et à opérer une véritable révolution
dans cette partie de notre marine. Ges
petits bateaux de marche rapide pour-
raient même, en cas de guérite, rendre
de signalés services et être sur les côtes
les auxiliaires des escadres.
Les grands bateaux sont généralement
gréés en loucfres, les autres en dandy.
Les équipages des premiers se com-
posent de vingt à vingt-deux hommes
avec deux ou trois mousses, et ceux des
seconds de sept à huit hommes avec un
mousse.
Les armements se font actuellement
soit sous le régime ancien, celui de
Vécorage, soit sous le régime nouveau,
dit des armateurs. Avant 1790, les pê-
cheurs étaient soumis au régime étroit
de Vhôlage. Les hôtes étaient des négo-
ciants bourgeois qui faisaient des avances
aux matelots ; ils tiraient des ventes le
meilleur parti au mieux des intérêts de
LA PÉCIIE Dr HAIJEN'G A BOULO (î NE-SUR-MEll
317
lôquipage et répoiKhiieiit des recouvre-
ineiils.
Ij'hôlc iiviuiv.iit donc les deniers né-
cessaires pour la construction des ba-
teaux, rcnlretien des filets et les vivres
de rcqui[)age et, en retour, il avait
droit à un sol par livre sur la pèche totale
du marinier.
Ce prélèvement était la rémunération
du risque couru en cas de perte du ba-
teau et eu égard à l'insolvabilité presque
générale du patron. Aux halos ont suc-
cédé les écoreurs. L'étymologie de ce
mot vient d'e.score, rocher escarpé; pri-
mitivement, on entendait désigner par
écoreurs les escorteurs des navires, qui
étaient à la fois, très vraisemblablement,
des pilotes et des marchands, un four-
nisseur de navires, un courtier sui ge-
neris. Littré le délinit :
l'homme chargé par
l'équipage de tenir
compte du poisson li-
vré aux marchands.
L'écorage ressemble
à l'hôtage, mais avec
C3tte différence essen-
tielle que l'engagement
n'est plus irrévocable
et que l'exclusion de
tout individu non bour-
geois n'est plus obliga-
toire.
Sous le régime actuel,
Vécoreur fournit au
patron les fonds pour • '
l'achat ou la construc-
tion d'un bateau ; le
patron rembourse Véco- .— — — -
reur sur le montant '
des bénéfices de ses
voyages, de sorte que,
dans un laps de temps
déterminé, il en devient
propriétaire.
L'écoreur fait également des avances
pour les vivres, le charbon, le sel, la
bière, l'eau-de-vie, etc., appelées avaries
ou le commun, et il se rembourse en
prélevant 5 pour 100 sur le produit brut
de la pêche.
Ce produit, après la déduction des
dépenses, se divise en parts : les {)arts du
bateau, celles du patron, la demi-part
d'homme, la demi-part de
filets. Ce système coopé- O
ratif lient à la fois du M
contrat de société, du ^'
louage d'industrie, du
prêt et de l'assu-
r a n ce m a r i l i m e .
PÊCHEUSES
Dans le régime de Varmateur, celui-ci,
considéré comme propriétaire, prélève
les parts des filets qu'il embarque et du
bateau qui lui appartient
Les marins n'ont plus droit qu'à
une demi-part, et le patron à celle
3iS
LA PKCIIK DU HARENG A BOULOGNE-S U U-MER
qu'il perçoit poui' son commandement.
Il résulte de ce qui précède que, jadis,
Téquipai^e d'un bateau formait une vé-
ritable association. L'exploitation avait
lieu en commun et le partage des béné-
fices aussi.
La navigation c'U/ moi.s substituée à la
navigation à la pari a été depuis quel-
((ues années l'objet de vives discussions.
l']lle a opéré dans le régime économique
de ce port une vé-
ritable révolution ;
elle a fait naître de
nombreuses protes-
tations et provoqué
une grève générale.
Dans les années
heureuses , lorsque
le marin naviguait
à la part, il touchait
d'assez fortes som-
mes, mais il devait
fournir et prélever
sur ces gains les
filets et autres en-
gins ou agrès. Il
vivait un })eu plus
largement, lautiiis
vivebal, suivantl'ex-
pression du juris-
consulte romain ; et,
lorsque les mau-
vaises saisons so
multipliaient, elles
amenaient la gêne à
son foyer et elles
l'exposaient aux
poursuites de ses
fournisseurs. Les ar-
chives des tribunaux de commerce pour-
raient, au besoin, en servir la preuve.
Actuellement, les hommes sont nour-
ris en mer et, au lieu de 80 francs par
mois, ils touchent 90 francs, soit net
H7 francs, déduction faite des 3 francs
([ue prélève sur leurs gains la Caisse des
Invalides.
Au début, cette innovation a été
l'objet de récriminations qu'enveni-
maient encore des menées socialistes.
Que firent les armateurs, après une
expérience de quelques mois? Ils offri-
rent à de nombreux équipages de navi-
guer de nouveau à la pari. Ceux-ci
refusèrent.
Patrons et marins sont néanmoins
encore intéressés à la réussite des pêches.
ilil^^wa
BATEAU U E P Ê C H E
Les statistiques démontrent que, loin
de diminuer, elles ont progressé d'une
façon considérable et constante.
Les produits les plus divers afiluent
chaque jour sur les carrés de la halle,
construite, en 1867. sur les plans de
l'architecte Leroux.
Dans les ports du Nord, la vente a
lieu soit aux enchères, soit au mynck
ou minque, système diamétralement
opposé à l'enchère. Les crieurs baissent,
en effet, successivement la mise à prix
I,A PKCIIK Dr IIAUKNC. A HO l' L( Ml N H-S T H - M KH 3iî>
iuscurà ce que rachclonr cne : mnuf.c. Les .nn.-chés sont appropriés à cHIIe-
Ll' llamand cp.i si,niHe mien ou en .enles pêches : celles .lu hnren,, du
VENTE DU POISSON A LA CRIEE
d'anlres termes, à moi. Le mynck nVsL | maquereau de la morue, de la poche.
plus en usage à Boulogne. I fraîche et des grèves.
350
LA PÈCHE DU lIxVRKNG A BOULOGNE-SUR-MER
LA PKCIIE DU HARENG
Le précieux clupée qui a nom haren^^
a dû servir (l'aliment aux peuples pri-
mitifs.
Nos ancêtres, les Gaulois, en étaient
très friands, mais ce n'est guère que
vers le ix'^ et le x*' siècle que la pêche
qui le concerne commence à être men-
tionnée.
Il dut être d'un précieux secours dans
les années de disette.
Un poème très connu du xv*^ siècle,
intitulé: Vie de sainct Harenc, glorieux
martyr, cite Boulogne à cette occasion :
Entre Bouloigne et l'An^fleteri-e
Fut prins le corps de sainct Harenc
Qui souffrit plus que sainct Laurent, etc.
Un écrivain du temps de François P"^,
Jehan Maillard, dans sa description des
ports de l'univers, — les contemporains
de Marot dissertaient déjà de omni
re scihili, — a publié les vers suivants,
dans un poème de la Bibliothèque na-
tionale (fonds La Vallière), n" 2940 :
De ce pays la ville sur la mer
•Qui derrière est, Boulof,^ne est appelée,
Lieu très dévot, qui se fait réclamer
Par maintes gent, qui, pour ce, est consolée.
La ville est forte et le havre est bon port,
Où de grandes nefs et marchand apport
Pour les harengs illec sors et saliez.
La pêche, à cette époque, était déjà
fort active. Mais pendant que les An-
glais se dirigeaient vers le Nord, les
pêcheurs boulonnais ne s'écartaient
point du détroit et de la bassure de hass.
La mer, alors comme aujourd'hui, était
-une source intarissable de poissons, et,
^u début même du xvni'' siècle, les trans-
ports s'efîecluaienl jusqu'à Beims et
Orléans, et rapportaient déjà près de
400,000 livres, qu'il faudrait tripler pour
.avoir la valeur représentative de notre
monnaie actuelle.
Le Languedoc même était tributaire
du Nord.
On ne dédaigne point encore aujour-
d'hui les harengs sors ou saliez. L'usage
en est très répandu en Angleterre; en
France, le modeste gendarme ou serin
de côte reçoit au foyer du paysan, comme
à celui de l'ouvrier, un parfait accueil.
Ce poisson est, du reste, nutritif,
riche en azote, et l'huile qu'il renferme
est, dans les grands froids de l'hiver,
un aliment de premier ordre.
Avec quelle ardeur nos marins ne
s'élancent-ils point à sa rencontre jus-
qu'au Dogger's Bank, de février à
juillet?
De juin à septembre, ils se livrent
à la pêche du hareng d'Ecosse; puis de
septembre jusqu'au 25 décembre à celle
du hareng d"iarmouth, de Gallowper,
et à la pêche côtière en aval, jusqu'à
Fécamp et même au delà.
Ils évitent avec soin les premiers
bancs que poursuivent et déciment les
chiens de mer. L'impétuosité de ces
affreux poissons de proie est telle qu'ils
traversent, emmêlent, coupent les filets
et leur causent des avaries souvent irré-
parables qui font le désespoir des équi-
pages. Cette redoutable avant -garde
passée, les pêcheurs travaillent avec
plus de confiance à recueillir la manne
providentielle que la mer leur offre
chaque année vers la fin de l'automne.
On pourrait discuter longuement sur
l'habitat des harengs ; les uns les consi-
dèrent comme des poissons migrateurs,
descendant périodiquement des contrées
hyperboréennes, les autres soutiennent
qu'ils sont sédentaires et cantonnés, et
que leur levée n'a lieu qu'à des époques
cléterminées et notamment à l'apparition
des premiers froids.
Quoi qu'il en soit, c'est surtout pen-
dant les nuits froides et brumeuses de la
Toussaint que les bancs de hareng-s
pullulent. En l'année 1896, ils sont arri-
vés avec vingt jours au moins d'avance
sur l'année précédente et, le 22 octobre,
la gare de Boulogne avait pu expédier
près de 100 wagons de harengs!
On peut, des jetées du port, aperce-
voir des myriades de bateaux qui, la
nuit, portent tous des fanaux multico-
lores. Il est facile alors de suivre la
marche et les mouvements des bancs de
harengs. Leurs yeux étincellent et leurs
LA 1MU:I1K 1)1' IlAHKNd A lU) U LOG N E-SU U-M KU
351
écailles sont phosphorescenles. Ils voya-
gent par masses compactes et viennent
naisdéveloppent leurs tessures,etlorsque
le bateau s'est établi sur le fond qu'il
recherche, toutes les voiles, à
l'exception de celle d'arrière,
sont larguées.
La tessure est un vaste et
complexe engin de pêche.
Elle se compose d'une
série de filets en plusieurs
pièces échelonnées et
nommées lès, de
•250 à 300 mailles
de profondeur et
de 27 mètres de
j«r.
LES QUAIS PENDANT LA SAISON DE PECHE
donner de la tète et se prendre par les
ouïes dans les mailles des filets.
C'est sur la longueur d'une lieue
environ que les grands bateaux boulon-
longueur, reliés étroitement les uns aux
autres sur une étendue d'une lieue ou
une lieue et demie.
Ces filets sont soutenus perpendiculai-
352
LA PÈCHE DU HARENG A BOUEO(î N E-SU R-M ER
rement dans Fean, d'abord par des ba-
rillets vides et goudronnés, appelés
quarts à poche, au-dessous desquels
pend une corde appelée handincjue, qui
se rallache à Vaiissière ou halin, câble
Une sorte de crépitation d'une nature
spéciale se fait entendre : telles des gout-
telettes tombant dans une mare. Ce
bruit est celui du bareng qui monte et
se répand presque à la surface de l'eau;
;>_. 6 ë^4-'-^
BATEAUX r f: C H A N T LE HARENG EN VUE DE B 0 U L O ( J N E
parallèle au lilct auquel se rattachent
les bciraouins, cordes qui tiennent en
suspens le lilet. Les harsouins et les
hamlingaes, allongés ou raccourcis,
permettent d'immerger le filet à plus ou
moins de profondeur.
C'est surtout par les nuits froides,
l)rumeuses et sombres, que les pêcheurs
aiment à jeter leurs filets.
Le fanal, seul, éclaire le pont et les
allées et venues des gens de l'équipage.
ses bancs irisés font de la mer un lac
féerique.
On peut alors percevoir et suivre ti'ès
distinctement la voie régulièrement
suivie par cet éternel migrateur. 11
donne dans les lessuj-es, où il passe à
travers les claires-voies des carrés for-
mées par l'aussière et les barsouins.
Sa tête, comme nous l'avons déjà fait
remarquer, s'engage dans les mailles du
filet et s'enfonce jusqu'aux ouïes. Il est
I.A PKC.HK 1)1' IIAHKNd A HO M I.()(î X K-S U R-MER
353
pris. A (les inlervalles fixes, on li'vc les
lilels.
Jadis, on lirail le halin, à bras, sur le
bateau; un homme de Téquipage prenait
le lîlet par la tête, un autre par le pied,
pendant que d'autres démaillaient le
poisson dont Tabondance est quelque-
fois extraordinaire.
Plus tard, on employa le virage au
cabestan. C'était une manœuvre pénible
qui croquait les hommes avant cinquante
ans.
Depuis une quin/ainc d'années, l'usage
d'une machine à vapeur, qui sert au
halage des filets, au chargement et au
déchargement des blocs de glace, des
vivres, au mâtage et au démâtage, etc.,
est venu réaliser un progrès considé-
rable, activer et régulariser les opéra-
tions de pêche. Les harengs sont se-
coués par les hommes dans de grands
bacs fixes et les fdets empilés de côté
et d'autre, puis lavés.
Le poisson est vendu frais ou salé. On
ne caque plus le hareng en mer comme
autrefois. Cette opération consistait à
lui enlever les ouïes avec un couteau, à
le priver entièrement de ses hreuiUés.
Les premiers harengs pris sont salés en
mer et mis en tonne; les derniers sont
brailles, c'est-à-dire salés à terre, en
vrac, dans des bacs spéciaux.
La supériorité du poisson ainsi pré-
paré sur celui qui est salé à tei^re est
incontestable.
C'est ce qu'a supérieurement établi
M. le docteur Sauvage, aide-naturaliste
au Muséum, ancien directeur de la Sta-
tion aquicole, dans un rapport très do-
cumenté sur la pêche en Hollande.
(I Le pêcheur hollandais tue son pois-
son, fait-il remarquer; le pêcheur fran-
çais le laisse lentement mourir; le hareng
hollandais est salé vivant encore, pour
ainsi dire; le hareng français est salé
mort souvent depuis longtemps.
« Jamais le pêcheur hollandais ne sale
à terre, et cette méthode présente les
plus grands avantages. La salaison à
bord évite toute dépense inutile de
main-d'œuvre, le travail étant fait par
VIII. — 23.
les hommes mêmes de 1 équipage...
« Cependant, ajoute-t-il, la pêche du
hareng se faisant une partie de l'année,
vers l'époque de la Toussaint à Bou-
logne, dans des parages rapprochés des
ports, et dans ces conditions la salaison
en atelier pouvant et devant se faire
économiquement, // ne faut pas prohiber
la salaison à terre; mais il est néces-
saire de recommander hautement à nos
saleurs de n'admettre dans leurs ateliers
que du hareng d'une nuit et d'éviter,
autant que faire se peut, toute ma-
nœuvre pouvant flétrir le poisson. »
C'est précisément ce qui se pratique
dans ce port et donne aux harengs qu'on
y prépare une plus-value sur tous les
marchés.
La pêche du hareng frais a lieu spé-
cialement aux mois d'octobre et de no-
vembre, lorsque les bancs passent devant
Boulogne.
A la Toussaint,
Hareng plein.
Aussitôt que le bateau est rentré au
port, la vente en gros a lieu dans une.
salle spéciale de la halle, et sur un échan-
tillon appelé huque t. La cargaison s'éva-
lue au last : le last comprend cent me-
sures; la mesure est un double décalitre.
C'est la -pêche au hareng qui assigne
au port de Boulogne le premier rang
parmi les ports de pêche de France.
Déjà au xvni*' siècle, elle y était très
active.
En 1776, trente-huit bateaux vendent
892 lasts 226,200 francs.
Dans ce siècle, les chiffres varient.
En 1830, la pêche rapportait 1 million
14,974 fr. 01, tandis qu'en 1848, elle
n'atteignait que 908,659 francs.
En 1860, elle était de 3 millions
54,422 fr. 60.
. En 1894, cinq cents bateaux ont rap-
porté 16,706,394 francs.
Ce chiffre doublerait si les grandes
compagnies de chemin de fer s'enten-
daient pour le transport rapide de cette
pêche et favorisaient l'accès et le déve-
loppement des débouchés.
354
LA PECIIK DU IIAKKNG A 130 ULO(i N K-S U U-M E H
Cette industrie comprend aussi celle
du hareu},^ saur, dont la préparation a
fait, depuis quelques années, aussi bien
en France qu'en Angleterre et en Hol-
lande, des proijrès considérables. Le
bareuf;" saur, dit bouffi, accompagné de
quelques pommes de terre est, Tbiver,
pour le pauvre et même le ricbe, une
nourriture aussi saine que délicate. Sa
préparation a lieu dans des coresses,
sortes de hangars enfumés par des feux
de bois de chêne et de sciure de bois
déposés sur de la paille, et pourvus de
hautes cheminées, dans lesquelles le
hareng est suspendu, jusqu'à ce qu'il ait
atteint un certain degré de dessiccation.
Plus de deux mille ouvrières sont em-
ployées à Boulogne pendant la majeure
partie de l'année dans les ateliers de
salaisons, destinés à sa préparation et à
son expédition.
La pêche de cet abondant et fécond
clupée a fait la fortune de cette ville.
Elle alimente encore
une foule d'indus-
tries, celles des ton-
neliers, voiliers, pou-
lieurs, constructeurs,
charretiers, etc. Aussi
d'octobre à février, le
port de Boulogne offre
un spectacle plein
d'animation. Les
quais sont rem-
plis d'une foule gi-ouillante et parsemés
de mannes de poissons, de voilures, de
glaces, d'agrès, de victuailles, et d'allées
et venues de matelotes, avec leur bonnet
en éventail, et de leurs hommes qui
portent le traditionnel siiroil jaune ci-
tron et de pesantes bottes. Ils olfrent des
scènes pittoresques qui, prises sur le vif,
ont tenté le crayon de plus d'un artiste,
et dont nous nous faisons un plaisir de
donner quelques spécimens.
La pêche au hareng se pratique égale-
ment tlans les ports voisins.
Quelque intéressant qu en soit le côté
artistique, la partie économique qui y a
trait l'est bien plus encore.
La conclusion de cette étude, en etfet,
est que tous, marins et classes labo-
rieuses, demandent que le transport du
hareng soit facilité par les voies ferrées
et qu'il ne soit pas frappé de droits dé-
passant plusieurs fois sa valeur.
La ruine de cette industrie appauvri-
rait une population saine et valeureuse,
qui serait forcée d'abandonner le métier
qui la fait vivre.
Il est superflu d'ajouter que le fonds
commun de la richesse publique y per-
drait une vingtaine de millions, et l'Etat
des hommes vigoureux et rompus à
toutes les fatigues pour le recrute-
ment de son armée de mer.
Émi
Mar-
!1^:^.
Types du JuJge, de New-York.
LA CARICATURE A L'ÉTRANGER
Les revues de caricature sont très
nombreuses à l'étranger et elles mêlent
généralement la satire politique à la cri-
tique des mœurs. Il est assez difficile de
bien les comprendre. C'est qu'il y est fait
allusion à des coutumes locales, à des
dictons populaires,
à des traditions de
plaisanterie dont le
sens nous échappe
le plus souvent. Le
tragique est tou-
jours et partout à
peu près le même;
mais le comique
varie suivant les
milieux. Ces petits
journaux sont,
mieux que bien des
organes plus gra-
ves, le vrai miroir
de l'esprit des
peuples.
On a souvent
reproché à ces
feuilles d'être hos-
tiles à la France,
surtout celles de la
triplice. Il ne faut
pas exagérer ce re-
proche ou tout au
moins avouer que
nous le méritons
nous-mêmes. Il
faut toujours un
peu de méchanceté
pour faire rire du
prochain et un
journal comique est bien obligé de
manier le fouet de la satire.
L'Angleterre nous olfre tout d'abord
son Punch (Polichinelle), dont l'hosti-
lité contre la France serait agaçante si
ses plaisanteries n'étaient pas toujours
Frontispice du Punch.
350
LA CARICATURE A L'ÉTRANGER
Vœ Viciis! (Fun, mai 1897).
d'une lourdeur qui trahit une mauvaise
humeur chronique. Le Punch semble,
d'ailleurs, vivre sur son antique répu-
tation et ne plus faire grand'chose pour
la soutenir.
Judy (la Femme de Polichinelle )
imite consciencieusement son mari et
pousse plus loin encore, si possible, l'af-
firmation de l'amour -propre anglais.
Constatons, ne critiquons pas trop ; cet
esprit est la force du pays et cela vaut
encore mieux que de se déchirer soi-
même, comme nous le faisons.
Fun (la Farce) imite encore les deux
précédents; la note est toujours la
même. Les caricatures politiques de ces
journaux ne sont pas toujours faciles
à interpréter. On en jugera par ce Vse
Victis, publié par le Fun en mai 1897.
Blâme- 1- il ou approuve -t -il les dures
conséquences de la dé-
faite? 11 semble cepen-
dant que ses sympathies
ne soient pas pour le
plus faible.
Moonshine (Clair de
lune ) sort encore du
même moule. Comme
dans les autres, la poli-
tique extérieure se ré-
sume dans la suprématie
de John Bull. Voyez,
dans la gravure que nous
reproduisons, de quel air
il met à la raison le Turc
et le Grec. Nul doute
qu'il ne se croie capable
d'en faire autant, le cas
échéant , envers toutes
autres puissances.
Pick-Me-Up (achetez-
moi ! ) est un fantaisiste
plus gai; mais l'humour
Ally Sloper.
LA CARICATURE A L'ETRANGER
357
Peace '. (Gravure réduite du Moonshine.)
britannique, le vieil humoui' des anciens
auteurs se retrouve dans Ally Sloper.
C'est le nom intraduisible d'un per-
sonnag"e symbolique, dont nous repro-
duisons la silhouette, qui se promène
au milieu du peuple anglais, frondant
librement ses ridicules. Ses plaisanteries
sont substantielles et ses féminités d'une
allure convenable, comme il sied dans
la pudique Albion.
L'Allemagne est, de tous les pays, le
plus riche en journaux comiques et le
grave Teuton semble, mieux que tout
autre, se plaire au rire. Ce rire n'est
même point épais comme nous le croi-
rions volontiers des buveurs de bière;
il est, au contraire, généralement franc,
de bon aloi et d'une très jolie finesse.
Kladderadatsch (Claquement) est le
Punch de Berlin et la politique est sa
préoccupation dominante. Comme son
confrère de Londres le fait pour l'Angle-
terre, il chante la grandeur de l'Alle-
magne et l'établit le plus souvent sur le
dos des voisins. Son indépendance appa-
rente est d'un air assez bon enfant, et le
bonhomme de son en-tête rend assez bien
son caractère.
C'est à Munich que se publient les
célèbres et antiques Fliegende Blatter
(Feuilles volantes), fidèles aux vieilles
méthodes de dessin et un des derniers
refuges de la belle gravure sur bois. Les
illustrations de ce recueil sont de tout
premier ordre ; toutes ont été l'objet
d'un dessin minutieusement étudié et
leur gravure est d'une finesse extrême
sans tomber dans l'excès qui nuit à
l'effet.
Nulle part l'expression de la physiono-
mie n'est rendue avec plus de vérité, un
peu forcée pour la charge, mais d'une
Kladderadatsch.
358
LA CARICATURE A LÉTRANGER
Enfin ! après tant de courbettes !
(Gravure réduite du Kladdemdatsch.)
vie saisissante. Les bêtes elles-mêmes y
ont une figure parlante.
Ni la politique, ni la galanterie ne
préoccupent les artistes des Fliegencle
Blatter, c'est l'âme humaine qu'ils pour-
suivent de leur crayon, l'étudiant en
philosophes et en psychologues, et la
mettant à nu dans ses faiblesses et ses
ridicules. Encore leur critique n'est-elle i enfants, piquant toujours, n'écorchant
point acerbe. Ils sont indulgents et bons | jamais.
p, La comédie humaine défile dans ces
->; feuilles attachantes, où la décence est
O . toujours obser-
Histoire sans texte {Fl'tegende Blâtter).
LA CAHICATURK A L KT I« A N CKH
3n9
Types pris dans les Fliegende Bldtter.
les types sont Allemands et allemandes
les mœurs; mais la nature humaine
étant partout un peu la même, tous les
peuples peuvent se reconnaître dans ces
scènes originales où la fantaisie s'ap-
puie toujours sur
un fonds de réa-
lité.
Les Fliegenile
BlUller ont le
grand succès
qu'elles méritent
et sont devenues
comme le rendez-
vous de la publi-
citéalle mande
qui y remplit cha-
que semaine de
nombreuses pa-
ges-annexes. Les
résultais finan-
ciers sont plus
que prospères,
mais quels soins
constants il a
fallu pour réunir
et conserver une
semblable école
d'artistes ! Une partie seulement de ces
éloges peut s'adresser à la concur-
rence, les Lustige Bldtter (Feuilles
amusantes), publiées à Berlin, Ici la poli-
tique joue un plus grand rôle et ses
Bismarck triomphant. (Gravure réduite des Lustige Bldtter.)
3G0
LA CARICATURE A L'ÉTRANGER
préoccupations ne sont pas toujours du i comme on peut en juger par la réduc-
domaine artistique. Lors de sa quatre- | tion que nous donnons. Les scènes de
Composition allégorique tirée du Jugend.
vingtième année, en 1895, Bismarck n'a
pas été abandonné par cette revue,
mœurs y sont aussi fréquentes, assez
fines et bien traitées. En somme, le
LA CARICATURE A L ÉTRANGER
361
Allégorie tirée du Jugend.
niveau artiste est encore ici très conve-
nable.
La revue Jugend (Jeunesse), qui se
publie chaque semaine à Munich dans
la célèbre maison G. Hirth, mériterait
plutôt d'être classée parmi les revues
d'art que dans les journaux de carica-
ture. Cependant l'ironie y domine, mais
dans une note des plus élevées. Ce n'est
point la satire politique, ni même la ca-
ricature de l'individu, c'est la cruelle
mise à nu des âmes. Cette revue,
d'une originalité étonnante et qui ne
peut être comparée à aucune autre, est
Types de sJ Humoristisches
Deutschland.
Le peuple français et la goutte [de vin] russe.
(Gravure réduite du Ull\)
tout à fait remarquable. Les Allemands
ne sont pas seuls à y collaborer ; on y
rencontre des dessins d'artistes français.
Cet ensemble de compositions fantai-
sistes témoigne d'une vitalité intense
dans le monde de la jeunesse artiste et
d'une variété de conception surprenante.
Le symbolisme y domine en maître peut-
être trop absolu et l'effet y est recherché
avec une passion qui méprise un peu
trop les formules anciennes.
LA CARICATURE A L'ÉTRANGER
Le nu s'y rencontre sou-
vent, mais sans être re-
cherché et si de nombreux
dessins sont d'une liberté
très audacieuse, la polis-
sonnerie en est exclue.
L'impression, où les cou-
leurs se jouent avec un art
consommé, produit des
effets remarquables. Nous
n'avons pas en France, il faut le recon-
naître avec regret, une feuille d'aussi
verte allure.
Nous trouvons encore à Munich Sim-
plicissimus où la politique joue un rôle
assez effacé et où la note comique imite
de loin celle de Jugend.
Das Humoristische Deutschland
(l'Allemagne humoristique) et Lustige
Welt (le Monde comique) publiés par la
même maison de Berlin sont aussi dans
le genre de Fliegende Blatter, avec une
nuance caricaturale plus accentuée, et
soutiennent sans trop de désavantage la
comparaison.
Citons encore Unsere Gesellschaft à
Berlin. Son titre veut dire « Notre so-
ciété ^> et, comme on le suppose, ce
3t-
^]
fe
r^iS^
"wl'^" 1
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Tt.
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■,. ;- :■■'--■
La Grèce et la Turquie (Gravure réduite du Floh, de Vienne).
LA CARICATURE A LKTR AN (1 K R
.-îrs
n'est pas pour la
montrer sous son
beau jour; — Ulk
la Farce I, encore
à Berlin, dont les
dessins, noirs et
coloriés, sont sou-
vent embrumés ;
l)er Wahre Jacob
(le Vrai Jacob), de
Stuttgart, qui ne
contient pas que
des caricatures.
En Autriche-
Ilongrie la censure
est facile. Elle per-
met dans Figaro
et dans Wiener
Caricatiiren des
dessins où le lais-
ser-aller autrichien
se donne libre car-
rière. Ce dernier
journal s'occupe à
peu près exclusi-
vement des petites
femmes et sa li-
berté y est habillée
dans un décolle-
lage qui descend
aussi bas que pos-
sible. Il est vrai
que les dessins sont
souvent soignés et
artistiques.
Neue Glûhlich-
ler (les Nouvelles
"k^P
"^erfc^iebene
Tiré du Puck, de Copenhague.
Types des Wiener Caricaturen.
étincelles) jettent leurs feux sur les hommes politiques
et les bourgeois.
Der Floh fait des piqûres comme peut le faire sup-
poser son nom qui veut dire la puce. La France y est
bien un peu malmenée, mais en compagnie des autres
puissances.
Citons aussi le Kiheriki, interdit en Hongrie, ce
qui indique ses tendances ; — le Borsszem Janko 'Grain
xle Poivre) de Buda-Pest, qui travaille de son mieux à
mettre du vinaigre sur la plaie séparatiste; — et
YHumoristicke Listy, de Prague, qui apporte aussi son
contingent de difficultés à l'entente des fractions divi-
sées de la monarchie.
A Rotterdam, Uilenspiegel (l'Espiègle) publie heb-
361
LA CARICATURE A L'ÉTRANGER
Le rôle du Tsar eu Europe (Gravure de Nehelspalster , de Zurich).
domadairement des espiègleries assez I grandes puissances d'un œil narquoi-
anodines. On voit, avec plaisir pour | sèment indifférent.
eux, que les tran- • __ Puk est le Polichinelle de
quilles Hollan- -(P^ËtJBrfe» Copenhague qui fronde les
dais considèrent ^g^^^^B^^ mœurs plus que la politique,
la politique des ^^^^^l^^^lBfL ^' ^^^ assez peu respectueux
de la femme,
comme on peut
en juger par le
petit croquis
que nous don-
nons.
Nebelspalter
(le Pourfendeur
des nuages) de
Zurich, qui pu-
blie de grandes
pages coloriées,
est volontiers
allemand, ce qui
ne l'empêche
pas de taquiner
vivement Guil-
laume II.
Avec l'Italie,
nous entrons
dans la vio-
lence, dont
L'Espagne en pleurs {Don Quijote, de Madrid). PasqumO, de
LA CARICATURE A L'ÉTRANGER
367
Le Pape bénissant la France et la Russie. (D'après // Fischietto, de Turin.)
Turin, est le type. On est étonné que
l'esprit latin soit souvent aussi lourd et
que les artistes qui collaborent à ces
recueils soient aussi dépourvus d'élé-
gance. La race italienne a pourtant une
réputation de finesse. Ne serait-ce qu'une
légende ? Et si les journaux comiques
reflètent l'esprit d'un peuple, il faut
certainement en rabattre. La crudité
des tons rouges qui abondent dans ces
gravures ne contribue pas à les adoucir
et leurs légendes non plus, où l'on voit
rouge comme dans l'impression, quand
il s'agit de la France.
C'est aussi avec des encres rouges et
noires que les presses turinoises impri-
ment il Fischietto (le Sifflet). Les pré-
tentions de cette feuille satirique sont
plus larges, car elle s'intitule humoris-
tique, politique et sociale. Il semble
que sa critique se borne à souffler tou-
jours dans son sifflet, un peu contre
tous. Elle est violemment gallophobe
et, ce qui pourrait nous consoler, n'hé-
site pas à malmener la personne même
de Guillaume II et celle du pape, comme
le montre notre réduction d'une de ses
gravures. Les dessins sont plus éner-
giques que fins, et l'élégance féminine
lui est inconnue.
La Luna, toujours à Turin, est plus
fantaisiste. La politique la préoccupe
moins que les petites femmes, encore
que celles de ses dessins soient d'une
légèreté relative.
En Espagne, nous trouvons le Don Qui-
366
LA CARICATURE A L'ÉTRANGER
'joie, à Madrid, exclusivement politique
et ne s'occupant que de la politique
espagnole. Le journal est libéral et ses
critiques illustrées revêtent des formes
assez vives, sans être grossières. Son
attitude dans la question de Cuba se
résume dans notre gravure de la Mater
Dolorosa, triste Espagne qui pleure de
donner ses enfants, mais qui les donne.
Citons aussi Gedeon, moins important.
Il existe de nombreux journaux co-
miques, surtout à Barcelone, mais ce
sont des journaux pour rire plutôt que
des feuilles satiriques, à moins qu'ils ne
tournent au socialisme.
Nous ne trouvons pas de recueils du
genre à citer en Portugal.
Le gouvernement russe serait peu
tolérant à la satire politique, mais il se
publie à Saint-Pétersbourg une revue
Choiil (le Fou) qui, tout en rentrant
dans la famille des revues comiques, est
d'un genre très particulier et d'une note
artistique un peu comparable à celle de
Jiigend, de Munich. C'est une publi-
cation très typique, très caractéristique
des mœurs du pays, et nous lui avons
consacré une étude spéciale. Il faut citer
aussi Strekoza (la Cigale) à Saint-Pé-
tersbourg, et Mucha (la Mouche) à
Varsovie.
Enfin, les Etats-Unis possèdent, entre
plusieurs autres, deux recueils comiques
très importants. Le Puck (Lutin), de
New-York , ne ressemble en rien à son
presque homonyme de Londres.
Ses dessins sont très soignés et ses
silhouettes féminines souvent gracieuses.
Le flirt y est toujours convenable et les
femmes habillées. Il aime les petites his-
toires en image et les traite avec une
grande finesse. En politique, il a la par-
faite indifférence des choses de l'Europe
et il faut qu'un événement soit de haute
importance pour retenir son attention. Il
s'en tient aux questions américaines et
comme les discussions municipales et
financières le préoccupent beaucoup, la
matière ne lui manque pas Nous devons
tout au moins lui savoir gré d'une chose,
c'est de ne pas être partisan des tarifs
Histoire sans texte du Piick (de New-York).
douaniers, connue le prouve la gravure
que nous reproduisons.
Judge (le Juge), son concurrent, est
conçu dans le même style.
Les allusions à la politique intérieure
des Etats-Unis sont souvent difficiles à
LA CAHICAÏURK A L'ÉTRANGER
367
La Foire aux maris. {Puck, de New- York.)
comprendre pour nous autres Français
trop peu au courant des choses d'outre-
mer.
Le Judge semble avoir trouvé, pour
symboliser la grande République, un
assez joli type de femme coiffée du
Critique des tarifs excessifs, dans le Puck.
30S
LA CARICATURE A L'ÉTRANGER
Un type du Puck.
croissant et même du bonnet phrygien.
La fabrication de ces deux journaux
est très soignée. Les gravures en couleur
sont exécutées par un procédé où la
litho est mariée à la typo et qui don-
nent de grandes vigueurs.
Dans ce genre de publication, bien des
La République américaine du Judge.
feuilles n'ont qu'une exis-
tence éphémère et beau-
coup sont d'un intérêt trop
local pour avoir pu être
citées ici. Mais c'est assez
pour se rendre compte du
désir qui poursuit partout
l'humanité et qui a été
formulé par Beaumarchais :
« Il faut se hâter de rire de
tout, pour ne pas avoir à
en pleurer. »
La République américaine du Judge.
A. Ganier.
LES ANIMAUX DE BOUCHERIE
I.
LE BOEUF.
pi
On éprouve une certaine surprise à la
rue des quantités énormes de
viandes journellement en-
glouties dans le ventre de
Paris. En jetant un coup d'œil
sur les affiches administra-
tives placardées autour de la
svelte colonne qui décore la
cour de l'abattoir de la Vil-
lette, on peut évaluer le
nombre des animaux li-
vrés à la consommation.
Les abatages moyens ,
par jour, s'élèvent à
650 bœufs, GOO veaux,
650 porcs et 3,000 mou-
te^
Pv
^
nant des bêtes de boucherie et de char-
cuterie expédiées de tous les points de
notre pays.
Dans les premiers siècles du monde,
l'espèce humaine dédaignait l'alimenta-
tion animale pour se nourrir exclusive-
ment de racines et de fruits sauvages.
C'était l'âge d'or du végétarisme. A ces
époques lointaines nos auxiliaires do-
mestiques sont immolés en l'honneur des
divinités. Suivant une tradition antique,
l'usage alimentaire de la viande re-
monte au temps de Pygmalion.
La légende qui s'y rattache mérite
d'être rapportée. Le bœuf offert en
holocauste vient d'être égorgé et ses
y^-
■^.
f
"■•'^'mm^-:
COLONNE DE L'HORLOGE A L'ABATTOIR DE LA VILLETTE
tons. Ces hécatombes gigantesques com-
prennent des sujets de sexe, de taille,
d'embonpoint variables. Mais la gour-
mandise humaine dévore avec un appétit
insatiable les chairs savoureuses prove-
VIII. — 24.
chairs grésillent à la faveur d'un brasier
ardent. Mais un morceau tombe du bû-
cher : le prêtre le ramasse et porte in-
stinctivement les doigts à ses lèvres.
Ayant trouvé le jus délicieux, il révèle
370
LES ANIMAUX DE BOUCHERIE
aussitôt sa découverte, qiii est approuvée
par les sacrificateurs présents. Le goût
pour les chairs rôties serait donc l'œuvre
d'un pur hasard.
Quoi qu'il en soit, l'organisation des
sociétés a été la principale cause de la
domestication et de l'élevage du bétail.
Et de tout temps les animaux ont lar-
gement contribué à la richesse des
peuples.
La Finance se trouve heureusement
dotée, et son exploitation agricole est
féconde.
Nos races bovines, ovines et porcines
TAUREAU NORMAND
ne cessent de faire l'admiration des
autres pays. Gest pourquoi la fortune
doit sourire à tous ceux qui font preuve
d'intelligence dans l'engraissement des
animaux de la ferme.
Les débouchés deviennent de plus en
plus vastes, parce que la consommation
de la viande augmente chaque jour da-
vantage. Les sectes végétariennes ful-
minent en vain contre nos habitudes
culinaires, et nous continuerons de sa-
vourer des biftecks juteux et des gigots
exquis.
]*]n principe, le consommateur français
dédaigne les morceaux surchargés de
tissu adipeux ou pénétrés d'une quantité
exagérée de graisse. Il lui répugne sur-
tout de manger les chairs appartenant à
des bêtes âgées ou malades.
L'appréciation judicieuse de la viande
au double point de vue de la qualité et
de la salubrité n'appartient pas au do-
maine public. Les spécialistes et les per-
sonnes qui justifient de connaissances
techniques peuvent donner sur la ma-
tière des indications précises. De là la
nécessité de confier aux vétérinaires
l'inspection des viandes de boucherie et
des denrées alimentaires.
Chez les bovidés adultes, on recherche
des chairs persillées, fines, marbrées,
qui laissent sourdre à la coupe un li-
quide rosé. La race, le sexe, l'âge et
mille autres circons-
tances apportent dans
l'organisme des modi-
fications importantes.
En général, l'en-
graissement rapide et
poussé à l'excès s'op-
pose à la pénétration
régulière de la graisse
dans les interstices
musculaires. Le plus
souvent, le dépôt des
cellules adipeuses se
montre plus abondant
à l'extérieur qu'à l'in-
térieur, ce qui fait
dire au boucher que
l'animal est fleuri.
On tient grand compte de l'odeur, de
la consistance, delà couleur des viandes.
Ne sait-on pas que l'ingestion de cer-
taines plantes communique aux tissus
une odeur spéciale? Les feuilles d'ab-
sinthe offrent celte curieuse particula
rite. Si les animaux ont absorbé une
dose plus ou moins forte d'ammoniaque,
de chloroforme, d'éther, on perçoit très
nettement, même après la cuisson, l'o-
deur que dégage chaque substance mé-
dicamenteuse.
Le taureau. — On éprouve de sé-
rieuses difficultés à réhabiliter le tau-
reau, dont la viande est classée dans les
morceaux de basse boucherie. L'expli-
cation de cette défaveur semble toute
naturelle. Car nombre de propriétaires
ont la mauvaise habitude d'attendre
LES ANIMAUX DE BOUCFIEHIE
371
trop longtemps pour envoyer leurs ani-
maux à l'abaLloir. C'est ainsi que Ton
obtient des chairs dures, fades, résis-
tantes à la mâche. Et la dent ne les
trouvera jamais assez tendres, même
après avoir été vigoureusement marte-
lées à coups de couperet.
Ces inconvénients n'existent plus
quand les sujets, convenablement nour-
ris et reposés, sont sacrifiés de bonne
heure. Nous voyons tous les jours à la
Villette des taureaux de dix-huit mois à
deux ans qui attei-
gnent presque la
perfection. Il faut
parfois un œil exercé
pour reconnaître à
première vue l'ori-
gine de la viande.
Aussi les pachas,
c'est leur nom, font-
ils bonne figure au
voisinage des quar-
tiers de bœuf et de
vache. Les taureaux
noi^mands préparés
pour la boucherie
arrivent sur le mar-
ché de Paris dans
d'excellentes condi-
tions de santé et
d'embonpoint.
La vache. — r A la campagne, la vache
est une véritable fortune pour les petits
ménages. Car elle fournit du lait en
abondance, du beurre et des fromages
délicieux. Ses qualités comme animal
de boucherie sont également des plus
précieuses. Malheureusement il règne à
cet égard des préjugés profondément
enracinés. L'expression manc/er Je la
vache enragée révèle bien la nature
des préventions si répandues dans le
public. L'erreur remonte à des causes
excessivement simples. Toute bêle épui-
sée par la lactation, la souffrance ou la
maladie est indigne d'entrer dans l'ali-
mentation publique. Au lieu de la con-
duire à l'abattoir, il faut lui réserver le
clos d'équarrissage. Mais la vache en-
core jeune, convenablement soignée.
soumise à un engraissement rationnel,
donne d'excellents produits. Sa viande
fournit, comme celle du bœuf, des pot-
au-feu odorants et des daubes succu-
lentes. C'est pourquoi les éleveurs ont
intérêt à vendre leurs animaux avant
que l'usure et la maladie puissent les
faire éliminer de la consommation de
l'homme.
Bovidés indigènes. — Les races bo-
vines françaises font à juste titre l'admi-
ration des connaisseurs du monde entier.
BŒUF GARONNAIS
Plus on les étudie, plus on distingue
les perfections de chaque type. Pierre
Dupont a rendu hommage au bœuf li-
mousin :
Les voyez-vous, les belles bétes,
Creuser profond et tracer droit,
Bravant la pluie et les tempêtes,
Qu'il fasse chaud, qu'il fasse froid ?
Ajoutons que la viande de l'animal
offre un persillé remarquable, une finesse
de grain extraordinaire, une saveur des
plus exquises.
Les normands, nivernais, manceaux,
cliarolais, bretons elles nombreux métis
durham obtiennent la faveur des bou-
chers et des consommateurs.
Si nous prenons la taille et le volume
en considération, nous devons une merï-
372
LES ANIMAUX DE BOUCHERIE
lion spéciale aux bovidés vendéens, au-
vergnats et garonnais.
Ces derniers surtout, imposants par
le poids, l'ampleur des formes, la beauté
des lignes, constituent une mine d'or
pour les pays d'élevage. Ils fournissent
des chairs d'excellente qualité.
Nos colonies d'Afrique et de Tunisie
nous envoient chaque année des ani-
maux engraissés à point. Nous n'avons
peut même rivaliser avec nos bonnes
races de boucherie. Ses caractères zoo-
techniques tendent à le rattacher au
bœuf vendéen. Cette hypothèse, soutenue
par notre distingué collègue M. Pautel,
semble justifiée. Les chairs des bovidés
portugais sont persillées, juteuses, fines
et délicates.
Les États-Unis d'Amérique menacent
de faire une sérieuse concurrence à nos>
BŒUF AMÉRICAIN SANS CORNES
BŒUF PORTUGAIS
pas besoin d'en faire l'éloge, parce que
leurs qualités sont bien connues du com-
merce et du public.
Les bœufs étrangers. — Les bovidés
exotiques contribuent à grossir nos ap-
provisionnements. Au point de vue de
la qualité, il y a des distinctions à établir
entre les bœufs espagnols, hongrois,
italiens et autres.
Tout se trouve subordonné à la nature
des individus, au mode d'engraissement,
aux conditions de transport. On ne peut
méconnaître la réelle valeur de plusieurs
races.
Le bœuf du Portugal, par exemple,
atteint un haut degré de perfection. 11
éleveurs, car leurs animaux ne man-
quent pas de qualité.
Les Américains ont sacrifié des sommes
importantes pour l'amélioration des bo-
vidés indigènes. C'est au poids de l'or
qu'ils se sont procuré des taureaux
durham, angus, devon et d'autres re-
producteurs anglais de grande marque.
Les croisements ont donné les meil-
leurs résultats, car nous recevons des
animaux véritablement remarquables
par leur conformation et leur embon-
point. La viande est persillée, tendre et
d'une coupe parfaite. Elle a un goût
excellent et elle convient indistinctement
aux diverses préparations culinaires.
LES ANIMAUX DE BOUCHERIE
373
Ces faits ont frappé les personnes
qui portent intérêt à notre agriculture,
parce que les importations étrangères
peuvent avoir pour l'élevage national
des conséquences désastreuses.
Un des agronomes les plus éminents
de noti'e siècle, M. E. Tisserand, direc-
teur au ministère de l'agriculture, a
procédé personnellement à plusieurs
enquêtes, afin de pouvoir renseigner le
monde savant et tirer profit des choses
vues.
Il a aussitôt reconnu chez les indi-
vidus croisés avec le Durham des formes
fines, régulières, et un embonpoint par-
fait.
« Tous ces animaux, dit j\I. Tisse-
rand, paraissent peu affectés par les fa-
tigues du voyage, car leur locomotion
est aisée et leurs membres purs de tout
œdème résultant d'une stabulation ou
d'un repos prolongés. Leur taille est
moyenne, et leur poids vif ne dépasse
guère le chiffre moyen de 550 kilo-
grammes. Après l'abatage, ils doivent
donner 337 kilogrammes de viande
nette, soit 61 pour 100. D'ailleurs, ils
ont été classés dans la sorte de choix
par les commissionnaires en bestiaux
et par les bouchers, puis rapidement
enlevés par la boucherie foraine comme
pour la boucherie de Paris. »
Ces renseignements, rigoureusement
exacts, constituent le plus chaleureux
plaidoyer en faveur du bœuf durham.
Si les détracteurs de certaines races an-
glaises ne désarment pas, ils y mettront
une opiniâtreté ridicule.
Au départ, les bestiaux ont subi l'in-
spection vétérinaire sanitaire, et toute
bête suspecte est immédiatement élimi-
née. Une petite plaque en métal, por-
tant les lettres U. S. A., United Slates
America : Etats-Unis d'Amérique) et un
numéro d'ordre, est accrochée aux oreilles
de chaque animal. Elle permet de re-
trouver, le cas échéant, sur des registres
spéciaux, tous les renseignements qui le
concernent et qui forment son état
civil.
Ilahillage du Jxeuf ahallii. — A re-
gorgement succède l'habillage du bœuf.
Ici, le travail du personnel de l'échau-
doir est réglé par le maître garçon. Ce
dernier est seul responsable de la bonne
exécution des opérations et, en qualité
d'ancien dans le métier, le patron lui
accorde toute sa confiance.
Il occupe une situation bien rétribuée
(80 à ] 20 francs la semaine! et partant
r X MAITRE GARÇON BOUCHER
enviable. Du reste, c'est un cheiillard
en perspective, et il arrivera au patronat
par son intelligence, son travail, sa
bonne conduite. Robuste, bien musclé,
fort comme un athlète, il se montre
idoine à sa profession. Ne faut-il pas un
cou souple, des bras d'acier, des reins
puissants pour accrocher, porter, char-
ger les lourds fardeaux? Coiffé du bon-
net traditionnel, chaussé de gros sabots,
les bras nus, le pantalon relevé à mi-
jambe, la boutique enserrée autour du
corps et garnie de lames tranchantes, son
37 s
LES ANIMAUX DE BOUCHEIUK
aspect donne le frisson. Rassurons-nous,
c'est un travailleur pacifique, n'ayant de
terrible que la mine et l'accoutremenl.
Pour faciliter le dépouillement, il faut
procéder au brochage. La bête est mise
sur le dos : l'ouvrier pratique une ou-
verture dans la région sternale, il y in-
troduit la douille d'un énorme soufflet
et, par l'insufflation de l'air, gonfle le
LA TOILETTE DU BŒUF
cadavre. De vigoureux coups de bâton
appliqués sur la peau aident au ballon-
nement. Le brochage est condamné par
les hygiénistes les plus éminents, car
l'introduction mécanique de l'air à tra-
vers les tissus précipite la décomposition.
En outre, cette poussée d'air où pullu-
lent des légions de microbes ne semble
guère rationnelle, et nous comptons sur
des règlements de police pour en obtenir
la suppression.
Lorsque la peau se trouve tendue à
l'excès, elle est incisée de l'anus au cou,
puis détachée méthodiquement, roulée
et pesée.
Entre temps, un aide fait pénétrer
dans la corde des jarrets le linet ou pièce
de bois qui servira à suspendre l'animal
la tête en bas. Dans cette position il est
commode d'enlever les organes inté-
rieurs. Les poumons, le cœur, le foie,
la rate sont accrochés à des chevilles en
fer, pendant que la panse et les intes-
tins sont traînés dans la cour de travail.
C'est alors que l'on procède à leur net-
toyage et à leur dégraissage.
Un petit chariot appelé corbillard
reçoit la graisse, et le tonneau à nivet se
remplit de déchets ou de résidus divers.
Pendant ces travaux variés, le maître
garçon ne reste pas inactif. Il manie
dextrement le couteau en faisant dispa-
raître les traces de sang, les parties apo-
névrotiques et graisseuses portant des
macules quelconques. Pour que la toi-
lette soit irréprochable, il éclaire succes-
sivement les régions avec un tube en
caoutchouc relié au bec de gaz.
Le dépeçage nécessite la division du
bœuf en quatre quartiers. L'ouvrier sé-
pare les épaules, puis, juché sur l'esca-
beau, fend le reste du corps en deux
parties égales. Celles-ci, minutieusement
ressuyées avec des linges très propres,
sont adossées en lignes uniformes jus-
qu'à la livraison au boucher de détail.
IL —
LE VEAU.
Arraché de sa chaude étable, violem-
ment cahoté dans une lourde guimbarde,
le veau arrive enfin au lieu du supplice,
l'^n quelques instants il est couché sur
un banchet, ligotté, égorgé. Le sang,
précieusement recueilli, est vendu au
charcutier, qui l'utilise comme complé-
ment du sang de porc dans la fabrica-
tion des boudins.
La tête séparée du tronc et les pieds
désarticulés font partie des abats. Ils
subissent des préparations indispen-
sables pour les rendre comestibles. Le
travail de la tête n'est point banal.
L'ouvrier plonge dans les naseaux
l'extrémité d'un long tuyau relié à la
machine qui renferme de l'air comprimé.
LES ANIMAUX DE lîOU CHERIE
• 375
En ouvrant le robinet, l'air s'échappe
avec force et produit instantanément un
gonflement énorme des tissus. Ensuite,
on plonge la tête, dont le volume a pres-
que doublé, dans une vaste cuve remplie
d'eau chaude, où elle est épilée, raclée,
échaudée. Le dégorgement des matières
sanguinolentes se fait au moyen de la-
vages prolongés dans une eau courante.
Après ces opérations, les têtes, bien rin-
cées, peuvent être soumises aux nom-
breux modes de cuisson que tout le
monde connaît.
Les pieds, préalablement lavés, net-
toyés, blanchis, entrent au même titre
dans notre alimentation. Ces divers pro-
duits fournissent des mets excellents à
la condition d'être frais. En été, leur
avarie se manifeste rapidement. 11 con-
vient de rejeter de l'office toute partie
qui offre, à un degré quelconque, l'as-
pect grisâtre, terne, visqueux, caracté-
risant des altérations. Et la moindre
odeur suspecte mérite d'éveiller l'atten-
tion de nos ménagères.
Le dépouillement du veau demande
une réelle habileté de la part du garçon
boucher.
Car il est d'une rigueur absolue de
ménager la peau, d'ouvrir proprement
le cadavre, de donner aux chairs, par
un savoir-faire spécial, une tournure
séduisante. Aussi le veautier — c'est le
nom usuel — qui arrive à préparer les
veaux dans des conditions irréprocha-
bles, jouit-il à la Villette d'une réputa-
tion enviée. Il procède d'abord à linsuf-
flation, telle qu'elle se pratique chez le
bœuf.
La peau, suffisamment distentlue, est
détachée sans coupure ni déchirure. La
moindre détérioration lui cause une
dépréciation. Plus tard, le mégissier la
façonnera en vue des industries de la gan-
terie et de la pelleterie. Les peaux mu-
nies de leurs poils et mégies servent à
confectionner des sacs à soldat, des
mules, des pantoufles, des fourrures di-
verses. Les plus minces et les plus déli-
cates sont réservées pour la maroqui-
nerie.
Le garçon boucher révèle son adresse
par la manière de blanchir le veau. C'est
en sillonnant l'animal de raies longues
et peu profondes, mais tracées avec art,
qu'il met en relief les tissus. Quand le
ton rose des chairs se marie heureuse-
LE DÉPEÇAGE
ment avec la couleur immaculée de la
graisse, on dit que la bête se distingue
par une blancheur parfaite.
Le boucher prend en grande considé-
ration cette qualité. Il recherche à l'envi
la viande blanche ou légèrement rosée
avec une graisse intérieure agréable à
l'fcil. Chez le veau convenablement en-
376
LES ANIMAUX DE BOUCHERIE
graissé, nous trouvons les rognons noyés
au milieu d'une couche épaisse de tissu
adipeux d'une blancheur très pure.
li'ÉGORGEMENT DU VEAU
Lorsque les chairs se montrent foncées
en couleur av?c présence d'une graisse
rougeâtre, on en conclut que la bête a
été mal nourrie ou mal soignée. Cela
arrive encore pour les sujets qui ont
subi de mauvais traitements. Nous de-
vons donc encourager de tous nos ef-
forts les Sociétés qui répandent partout
les bienfaits de la protection envers nos
utiles auxiliaires. On connaît les heu-
reux résultats obtenus, sous ce rapport,
à Paris, par la Société protectrice des
animaux, qui est administrée par des
hommes du plus grand mé-
rite.
Nos cultivateurs ne devraient
jamais oublier qu'ici leurs inté-
rêts sont enjeu.
Les mauvais traitements con-
courent à diminuer la valeur des
produits. Ne sait-on pas que la
peur, les angoisses, la douleur
ont des répercussions très fu-
nestes sur l'organisme?
Les coups, les heurts violents
se traduisent fatalement par des
suffusions sanguines, des infil-
trations abondantes dans l'épais-
seur des muscles et des autres tissus.
Les altérations envahissent promptement
la viande, ce qui porte de graves préju-
dices aux propriétaires.
IIL LE PORC.
Si nous voulions faire l'éloge du co-
chon domestique, nous dirions simple-
ment que toutes les parties de son corps
s'offrent en tribut à la sensualité de
l'homme. Malgré cela, il a été pendant
des siècles méconnu, dédaigné, avili.
Plusieurs peuples déclarent sa chair im-
monde et en prohibent la consomma-
tion.
En Europe, l'animal a été victime de
notre ingratitude; car, vivant, il partage
les mauvais traitements réservés aux
parias de la création. Quoique tardive,
l'heure de la réhabilitation a sonné, et
aujourd'hui le précieux pachyderme de-
vient l'objet de meilleurs soins. Sous
l'influence d'un régime copieux, d'une
bonne hygiène, l'engraissement se montre
rapide et tous les produits acquièrent
une grande délicatesse. Aussi les poètes
lesplus renommés ont-ils idéalisé la mort
du cochon. On se souvient que, tout
récemment, son image ciselée dans les
plus riches métaux était réputée pour
un joyau de prix et un talisman efficace.
Les mœurs, les instincts et les habi-
tudes du porc ont soulevé des appré-
ciations contradictoires. Quelques au-
teurs lui attribuent une voracité brutale,
l'insufflation nu veau
des goûts grossiers, de grandes imper-
fections des sens et de l'intelligence. Ces
accusations ne sont pas justifiées, et les
naturalistes qui l'ont mieux observé lui
LES ANIMAUX DE BOUCHERIE
3-7
reconnaissent des facultés supérieures.
Il possède à un haut degré le sentiment
LE LANGUETAGE DU PORC
de la conservation et sa mémoire lui
permet de discerner les bons et les mau-
vais traitements. L'opinion d'un grand
physiologiste moderne vient à l'appui de
ce que nous avançons : « Le porc, dit
]\L Colin, donne encore plus que le
bœuf des preuves de i^éflexion et de ju-
gement. »
Dans les campagnes où l'élevage laisse
à désirer, l'espèce porcine souffre non
seulement de la mauvaise alimentation,
mais surtout d'une hygiène déplorable.
On réserve aux animaux des réduits
obscurs, humides, malsains. On les laisse
vaguer au hasard dans les rues, dans les
cours, sur les fumiers. Poussés par la
faim, ils fouillent les immondices et dé-
vorent les matières insalubres qu'ils
rencontrent.
La ladrerie, maladie parasitaire bien
connue, n a pas d'autre origine. C'est
en consommant des détritus de toute
nature que le porc peut ingérer les larves
du iœnia solium.
Arrivés dans le tube digestif sous
forme embryonnaire, les parasites enva-
hissent les tissus et constituent des vé-
sicules ovoïdes, blanchâtres, atteignant
le volume d'un grain de chènevis et
même d'un pois. Ces viandes deviennent
manifestement insalu-
bres, parce que, con-
sommées par l'homme,
elles engendrent le ver
solitaire. Si cette affec-
tion apporte quelque
profit au pharmacien,
elle est fort désagréable
pour celui qui en est
atteint.
Aussi cause-t-elle un
légitime effroi au. char-
cutier parisien. Et son
empressement à faire
visiter ses porcs prouve
combien il désire sau-
vegarder la santé des
clients.
Chezlecochon, l'exis-
tence de la ladrerie se
révèle à la présence,
dans l'épaisseur de la langue de petits
grains caractéristiques. C'est ce qui
oblige les gens du métier à explorer cet
organe. L'opération appelée langueyage
coûte 1 franc par tête. Quand le nombre
des animaux est plus important, le visi-
teur émet des exigences moins élevées.
Peleu
Casse-brochet.
Billot.
La tuerie. — Le porc est dirigé sur
l'abattoir soit à pied, soit en voiture. Il
est claquemuré dans une case en atten-
dant le coup de masse.
378
LES ANIMAUX DE BOUCHERIE
Le tueur provoque rétourdissement
en frappant le front avec un long maillet
de bois. Aussitôt il saisit l'animal par
Toreille et le renverse sur le côté droit.
La section des veines jugulaires prati-
quée, séance tenante, fait jaillir le sang.
On connaît les avantages multiples de
l'assommage avant la saignée. Il diminue
les souffrances de la bête, supprime ses
l'ouverture des poncs
cris déchirants, paralyse les mouvements
désordonnés, en un mot simplifie énor-
mément la sanglante besogne. Nous en
conseillons vivement l'emploi général.
L'outillage du tueur est varié.
Il comprend les chaudières, poêles,
cuillères, la masse, le couteau à saigner,
le couteau, diipeleu, pour gratter, peler,
nettoyer la peau, le couteau pour sé-
parer le sternum.
Mentionnons encore les billots, les
brosses, les éponges, les attelles de bois
destinées à maintenir ouverte lentrée de
la poitrine.
En même temps que le sang s'écoule,
on l'agite avec la main ou bien on le
fouette à l'aide d'une cuiller pour pré-
venir la coagulation. Ce liquide, mélangé
d'oignons et de gras hachés, servira à la
confection du boudin.
L'enlèvement de la soie se fait avec
un instrument analogue à un crochet à
boutons de gros calibre. Ce travail est
exécuté par des femmes qui
s'en acquittent parfaite-
ment.
La toilette du porc va
commencer. On range plu-
sieurs animaux côte à côte
par nombre de dix ou douze
et on les recouvre de paille.
Quelques instants après, les
flammespétillent, les peaux
grésillent et la case où s'ef-
fectue le travail est trans-
formée en fournaise ar-
dente.
Le porc, flambé d'un
côté, est retourné et la si-
nistre besogne continue.
On le transporte dans le
pendoir pour être échaudé,
lavé et vidé.
L'ouverture des cavités
thoracique et abdominale
exige des précautions mi-
nutieuses, car il faut l'es-
pecter les organes du tube
digestif", et un coup de cou-
teau maladroit occasionne-
rait l'écoulement du sang,
de spumosités ou de matières alimen-
taires. La viande perdrait, de ce chef,
le coup d'œil et l'aspect désirables.
Ouverture des porcs. — Le cadavre
est suspendu, la tête en bas, aux che-
villes en fer du pendoir. On le fend dans
sa longueur et les viscères sont détachés
avec le plus grand soin. Lorsque l'inté-
rieur du corps se trouve débarrassé des
poumons, du C(eur, du foie, de la rate,
de l'estomac et des intestins, on fait dis-
paraître par des lavages successifs toute
trace de sang. II ne reste plus qu'à dé-
tacher la tête et à fendre l'animal en
LES ANIMAUX DE HOL'CIIKUIK
379
deux quartiers. Ceux-ci seront accrochés
aux ridelles d'une voiture ad hoc et con-
duits à l'étal du charcutier.
Les boyaux portent la dénomination
de Iripée.
Leur nettoyage est assuré par la li-
reuse de menu. C'est ainsi qu'on désigne
la femme chargée de vider les matières
contenues dans le tube digestif, de re-
tourner et laver les intestins.
Ce travail ne présente rien de sugges-
tif, et celui qui en est témoin éprouve
pour quelque temps le dégoût des an-
douilles, boudins, saucisses et victuailles
similaires. Néanmoins la nature reprend
ses droits, et toute cette tripaille, com-
pulsoires de buvettes, disait Rabelais,
emmaillote mille produits chéris des
amis de Bacchus.
TniîoDORE Bourbier.
NETTOYAGE DES TRIPES
LE
MODERNE ÏRAINEUR DE SABRE
Il est, chez un peuple aussi chauvin
que le peuple français, un fait étran{,^e à
constater : le manque absolu d'idées
justes où Ton est sur l'armée.
Pour expliquer cette ig'norance, on
peut, il est vrai, alléguer que lonj^lemps
l'armée fut une caste, dans toute l'étroite
acception de ce mot. Elle fut une caste
par l'instabilité qu'eurent les rég-iments,
qui passaient brusquement d'un bout de
la France à l'autre ; par la non-connais-
sance où habitants et militaires demeu-
raient les uns des autres en ces rapides
passages ; par le mode de recrutement
des soldats, presque tous remplaçants
et professionnels.
Si cette ignorance avait peu d'impor-
tance tant qu'il s'agissait des soldats,
qu'on pouvait juger d'irresponsables ins-
truments entre les mains de leurs chefs,
elle prenait un tout autre caractère de
gravité vis-à-vis des officiers, sur les-
quels se portaient des jugements tout
faits et sans appel. Ceux-ci, n'ayant pas
le temps ou la volonté de se créer des
relations, vivaient entre eux, ne sortant
guère de leur cercle restreint : le régi-
ment devenait une grande famille. Alors,
il arrivait ce qui arrive fatalement à
toute individualité noyée dans une collec-
tivité : chacun — suivant l'inflexible loi
de l'influence du milieu — s'imprégnait
profondément des idées de son entou-
rage et perdait peu à peu son caractère
propre pour revêtir celui de la masse.
A de rares exceptions près, on était sol-
dat, et rien que soldat.
L'armée fut donc très longtemps mal
connue, crainte un peu, respectée presque
toujours, mais avec, parfois, une nuance
de dédain pour des hommes auxquels
certains esprits se refusaient à accorder
la moindre intellectualité.
Mais une lente modification s'est pro-
gressivement opérée en elle. Au service
demi-obligatoire, dont s'exemptaient les
riches, a succédé un service rigoureuse-
ment personnel, auquel il n'est guère
possible de se soustraire. De sept ans, le
temps à passer sous les drapeaux a été
réduit à cinq, puis à trois... à un an pour
la plupart : un bien plus grand nombre
d'hommes peut, de la sorte, être exercé
dans un temps donné. Au lieu d'être en-
combrés de /'em/j/cifci?if*^ soldats quelque
peu mercenaires, les rangs inférieurs
renferment maintenant des jeunes gens
de toutes les classes de la société.
Notre armée est devenue une armée
nationale : c'est la nation elle-même por-
tant les armes.
Les changements de garnison sont au-
jourd'hui l'exception ; les régiments, de-
meurant dans une même ville, arrivent
à en faire, en quelque sorte, partie inté-
grante. Les officiers sont devenus comme
des fonctionnaires d'un ordre particulier,
en uniforme.
Eh bien 1 malgré celte communauté
de vie du pays avec l'armée et cette
intime fusion du citoyen et du soldat,
l'armée est encore inconnue et mécon-
nue.
Encore, sur le mécanisme même de
cette grande machine, est-il facile de se
faire des idées assez nettes , soit en
ouvrant des règlements ou en interro-
geant des militaires, soit en s'aidant des
souvenirs d'un passage à la caserne.
Ceux-là seuls, d'ailleurs, qui ont fait
leur temps, peuvent parler du service
militaire avec quelque autorité, et encore
ils n'ont vu que superficiellement s'en
mouvoir les rouages. S'ils connaissent
les petits dessous de la vie du soldat, il
leur est bien difficile de voir plus loin "
que la caserne.
Au demeurant, combien se donnent
LK MODE RM-: TRAINEUR DE SABRE
381
la peine de chercher à l'aire cette étude?
La plupart se contentent de suivre le
Irantran coutumier en faisant le moins
de service possible. Les plus intelligents
d'entre les dispensés, étudiants ou élèves
d'écoles favorisées, considérant — pres-
que tous — comme une corvée indigne
(i'eux le métier qu'on leur impose durant
un an, méprisent indifféremment égaux
et supérieurs, et n'aspirent qu'au mo-
ment où ils pourront reprendre leur vie
civile.
Des artistes, pourtant, se sont ren-
contrés, qui ont trouvé dans la caserne
une inépuisable mine de lestes croquis
et de charges drôles.
Mais, pour le chercheur désireux de
pénétrer jusqu'au tréfonds des choses,
pour un psychologue de collectivité, où
pourra se trouver l'âme de ce grand
corps qu'est l'armée? Est-ce chez les
soldats, chez ces hommes qui ne font
que passer sous les drapeaux, ne voyant
surtout du service militaire que les
petites vexations et les petits ennuis?
Est-ce dans le cadre si restreint des
sous-officiers rengagés, braves gens fai-
sant consciencieusement leur devoir,
mais dont la pluralité ne vise qu'un
modeste emploi civil?
Evidemment non. Dans une armée où
le service est, pour les hommes, aussi
rapide, il ne saurait être question d'étu-
dier l'esprit militaire ailleurs que dans
le corps des officiers, de ceux qui, ayant
de leur plein gré choisi la carrière des
armes, la poursuivent durant de longues
années.
Ils sont, ces professionnels du sabre,
l'objet des jugements les plus bizarres et
les plus ditférents suivant ceux qui les
conçoivent. Faute de documents précis,
chacun se crée de l'officier un idéal à
part, flatteur ou insultant, rose ou
sombre, généreux ou mesquin, suivant
le tempérament , les aspirations et le
milieu habituel de celui qui juge. L'édu-
cation première, l'influence ambiante, le
caractère, la naïveté ou l'expérience, les
rêves ou les désillusions de chaque indi-
vidu se retrouvent assez exactement dans
son opinion pour qu'il soit intéressant
de les passer tous en revue.
Honneur aux dames! Pour les jeunes
filles, pour les femmes, l'officier incarne
le mondain insouciant, le valseur infa-
tigable, le cavalier hardi et accompli. Sa
grande influence sur elles vient surtout
de ce qu'il n'est pas vêtu comme tout le
monde.
C'est le fiancé !
Pour les jeunes gens sans parti pris,
c'est le gai compagnon, le déluré fêtard,
le casse-cou, ne donnant à son service
que tout juste le temps nécessaire,
n'ayant ni la volonté ni le loisir d'être
trop « rosse » avec ses hommes... le
vin, le jeu, les belles...
C'est le viveur.
Pour le naïf chauvin dont Theureuse
confiance en notre gloire future ne
s'atténuera jamais, c'est l'homme des
études arides, la tête uniquement
occupée de la revanche attendue, prépa-
rant sans relâche à la guerre et ses
homme et lui-même.
C'est l'avenir.
Pour les gens graves, <( établis », lof-
ficier se personnifie dans le cavalier,
riche, un peu hautain, aimant avant tout
le sport et le plaisir, être non nuisible,
mais bien coûteux au budget : ^< Ah !
monsieur, quand nous n'aurons plus
d'armées permanentes!,.. «
C'est l'inutile.
Pour les esprits « supérieurs », il repré-
sente l'être ignorant, la « culotte de
peau «.
C'est RamoUot !
Pour le pâle voyou qui attend l'émeute,
pour le socialiste et l'anarchiste, il fait
partie des « bourgeois ». C'est l'homme
qui enlève les barricades et qui fusille.
C'est le TRAÎNELR DE S.\BRE ! ! !
Eh ! oui, Tofficier est tout cela, galant,
viveur, travailleur, sportsman, soldat,
traîneur de sabre ! Il est tout cela —
sauf inutile — et il n'est particulière-
ment rien de tout cela. Car, si les rares
qualités et tous les défauts que nous
382
LE MUDEIINE TllAIXEUR DE SABRE
venons d'énumérer trouvent leurs repré-
sentants parmi nous, chacun de nous n'a
pas toutes ces qualités ou tous ces
défauts.
Merci, pourtant, mon brave Chauvin,
qui vous découvrez devant le petit sous-
lieutenant que vous voyez quitter tôt
son cercle, le soir, et rentrer chez lui.
Merci de croire qu'il va se plonger dans
quelque grande œuvre de tactique, ou
méditer — tel jadis, à Valence, notre
Grand — quelque plan gigantesque din-
vasion.
Et vous ne lui en voulez pas, n'est-ce
pas? de prendre une brève distraction
et de chercher quelques doux encoura-
gements au travail d'hiver qu'il fait
quand même, sans y être forcé, brave-
ment, par devoir...
Lofticier d'aujourd'hui est un êti^e
complexe. Pour l'apprécier et le con-
naître, il ne faut pas observer seulement
le lieutenant A, le capitaine B ou le
colonel G. Il faut étudier tous ces carac-
tères épars, les réunir dans un même
travail de comparaison, en faire l'amal-
game, et juger du composé ainsi produit,
bien sûr que chacun a au fond de soi-
même, à une dose plus ou moins forte,
un peu du caractère multiple ainsi obtenu
par la fusion de tous.
Les guerres, aujourd'hui, sont deve-
nues l'occupation la plus rare des
soldats. On ne parle qu'en tremblant de
la mêlée qui mettrait aux prises les
grandes armées européennes. Le rôle
actif — militant — de lofticier a di-
minué dans de notables proportions. Ne
pouvant exercer ses qualités combatives,
celles du champ de bataille, il aura à
déployer celles qu'il doitavf)ir en temps
de paix, et ce ne sont pas là les
moindres.
Nous n'avons pas entrepris ici la glo-
i-ification du militaire professionnel.
Comme tout ce qui est humain, il a ses
défauts. Mais il a aussi ses qualités et
l'on semble beaucoup trop ignorer celles-
ci pour ne parler que de ceux-là. Faire
connaître quelque peu ces qualités, tel
est le but modeste de cette étude.
De tous les idéals déjà cités, lequel
choisirons-nous?... Aucun, évidemment,
puisque — nous l'avons dit — le ca-
ractère de l'officier bien équilibré n'est
qu'une synthèse de tous les caractères
étudiés.
L'exagération d'aucun défaut n'existe
plus. Le vieux soldat, arrivé aux galons
à force de courage et sentant un peu
trop son brisquard, a disparu : les si
fréquents examens du temps de paix
l'ont tué. Le joueur invétéré et le buveur
rebelle ont eu le même sort ; mais ici les
exécuteurs s'appellent non-activité et
réforme, arrivant à temps pour sauve-
garder l'honneur de l'uniforme et écarter
du troupeau les brebis galeuses.
Ces exceptions mises à part, il reste
un certain nombre de qualités et de
défauts entre lesquels le triage se fait
naturellement.
Certains de nos brillants cavaliers
sacrifient à l'élégance, au snobisme, et
sont néanmoins de parfaits instructeurs
et d'excellents entraîneurs de leurs
hommes.
La plupart de nos jeunes officiers
sont des mondains achevés et d'infati-
gables cotillonneurs.
Mais cela ne les empêche pas, au
matin, après une nuit passée à valser,
de reprendre très lucidement — les
yeux un peu battus — les fautes com-
mises par un caporal à ïinstruction
individuelle.
Il y a aussi, il y a beaucoup d'ambi-
tieux qui pompent dans l'espoir des
aiguillettes et d'un bel avenir. Quelques-
uns même, dans cette lutte pour le
galon, marchent sans scrupule sur le
A'entre des voisins. Mais n'est-ce pas
là le continuel struggle for life?
Quant à l'idéal unique de l'officier
bornant sa vie à la seule pensée de la
revanche, il peut s'incarner en certains
hauts dignitaires, mûrs, rassis, à l'am-
bition noble... Mais ne serait-ce pas
folie que de demander d'aussi sages
pensées à une tête de vingt-cinq ans ?
LK MODKHNK TH A I .\ KU II DE SABRE
383
Pour éliulier sur le vif et peindre
sans i)arti pris le « moderne traîncur
de sabre », réliminalion précédente
s'imposait, et dès lors notre besogne
ardue s'aplanit^.
Dans quelles fonctions choisirons-
nous l'ofllcier à étudier? Nous ne pou-
vons songer à le prendre parmi les
spécialistes, attachés à un déprimant
travail de bureau. Pendant la période
qu'il passe à s'initier aux détails de la
comptabilité, rofllcier n'est qu'un fonc-
tionnaire galonné, comme d'ailleurs
tous les militaires employés, quel que
soit leur grade. Pour le bien connaître,
il faut le prendre au milieu de ses
hommes, « officier de troupe », dans le
rôle d'instructeur et d'éducateur que
tout le monde remplit.
Instructeur, l'officier a dû l'être en
tout temps : c'est sa première raison
d'être. Avant de conduire des hommes
sur le champ de bataille, il faut les
instruire, leur apprendre leur métier,
les habituer à la fatigue, à l'ennui des
longues marches, les familiariser, dans
une toute petite mesure, avecles épreuves
si dures qu'ils auraient à supporter en
campagne.
Il y a quelque trente ans, lofficier
pouvait jusqu'à un certain point se
borner à ce rôle. On restait si longtemps
sous les drapeaux ! Des vieux, blanchis
dans le métier, faisaient, par leurs
exemples et leurs récits, l'éducation
militaire des recrues, et les conscrits
timides devenaient vite de bons et solides
soldats.
Mais, s'ils étaient bons instructeurs et
superbes entraîneurs d'hommes, les chefs
d'alors manquaient peut-être de science.
On comptait sur l'expérience acquise
et, dédaignant l'aridité des études théo-
riques, on restait au café une trop grande
partie de la journée. Et, cette légende
de l'étrangleur de perroquets s'étant
malheureusement perpétuée dans le
public jusqu'à nos jours, on en était
arrivé à se demander si l'officier faisait
autre chose que boire et jouer, si l'ofli-
cier servait, si l'officier était utile.
S'appesantir sur une pareille question
serait en ce moment naïveté et préten-
tion. Et, puisqu'il est impossible de
raisonner comme si l'ère souhaitée de la
paix universelle était arrivée, comme il
faut encore des armées, et aux armées
des chefs, nous nous contenterons de
voir ce que devront être ces chefs, au
déclin du xix^ siècle.
Par une loi encore assez récente, la
France leur confie tous ses enfants.
Pauvres d'esprit ou intelligents, ils vont
tous passer par leurs mains. Ces chefs
sont-ils vraiment dignes de cette tâche
glorieuse, et sauront-ils être pour tous
ces jeunes cerveaux les éducateurs qui
se font comprendre et respecter?
Après nos désastres de 1870, l'armée
a éprouvé l'impérieuse nécessité de se
refaire un sang nouveau. Nos voisins
d'outre-Rhin nous avaient vaincus, parce
que, à des braves confiants dans le prin-
cipe « on se débrouillera toujours », ils
avaient opposé de savants tacticiens qui,
depuis longtemps, se préparaient, étu-
diaient, réglaient tout pour que mobili-
sation et concentration fussent des opé-
rations rigoureusement mathématiques.
L'habileté raisonnée avait eu raison du
courage mal utilisé. A notre tour, il fal-
lait faire comme eux, devenir savants,
puisque la science était désormais indis-
pensable pour vaincre. Et, tout aussitôt,
le programme des écoles militaires a été
fait plus difficile, d'une difficulté qui
croît chaque jour.
En réponse à une accusation d'inca-
pacité qui serait portée contre les offi-
ciers, il suffit de mettre sous les yeux
des détracteurs un programme actuel
d'admission à Saint-Gyr ou à Polytech-
nique. Les écoles de sous-officiers sont
d'une difficulté relative tout aussi grande,
d'autant plus que le rapport entre le
nombre des appelés et celui des élus fait
penser au Royaume des Gieux.
384
LE MODERNE TRAINEUR DE SABRE
Nous n'avons donc plus pour candi-
dats-officiers que des gens instruits.
Que seront-ils plus tard, ces candidats
devenus officiers?
Pendant le temps qu'ils passent dans
les écoles, on leur a imposé — sous peine
d'exclusion — un programme très chargé,
où toutes les sciences militaires sont
étudiées dans le plus grand détail. Si le
cerveau humain était tel qu'il pût retenir
tout ce qu'il absorbe — même avec
peine — nos officiers seraient tous des
savants à lunettes. Mais, si tout ne reste
pas dans leur mémoire, du moins des
germes précieux ont été déposés, qu'ils
n'auront ensuite qu'à faire fructifier s'ils
le veulent.
En garnison, il n'y a guère à compter
sur des loisirs, car les journées de tra-
vail seraient trop courtes pour regagner
le temps perdu.
Dans le petit cercle du bataillon, la
théorie pure est étudiée et commentée
une fois par semaine par tous les offi-
ciers réunis autour de leur chef. Les
simples règlements, bien appris autre-
fois, n'exigent qu'un petit effort de
mémoire pour être sus de nouveau. On
les passe rapidement, et l'on arrive aux
théories nouvelles; on commente les
progrès accomplis dans l'armement, le
tir, la tactique... et, dans ces réunions,
chacun est obligé de payer de sa per-
sonne, de parler, par conséquent de
préparer ses réponses à l'avance, de tra-
vailler.
En outre des théories, il se fait, dans
le cercle plus élargi du régiment ou de
la garnison, des conférences suivies. Un
officier — quel que soit son grade, quelle
que_ soit sa compétence — est désigné
pour traiter tel sujet choisi avec soin
pour l'instruction technique de ses cama-
rades et de ses chefs. Il a tout le temps
nécessaire à la préparation et, au jour
fixé, développe sa conférence, où tout le
monde est teiiu d'assister. Les sujets les
plus divers sont ainsi traités avec une
indiscutable autorité.
En dehors de ce travail en commun,
il existe encore un moyen de s'occuper
personnellement par les « travaux d'hi-
ver ». Obligatoires, et sur des sujets
imposés dans certains corps, ils sont,
dans d'autres, facultatifs et laissés au
choix. Cette dernière méthode semble
devoir être la bonne, car le travail forcé
se fait sans soin, par compilation hâtive,
et ne profite pas.
Durant toute l'année, on est tenu en
haleine. Interrogations du commandant,
du lieutenant-colonel, du colonel, visites
du brigadier, du divisionnaire, inspec-
tion générale, sont autant de sujets d'une
crainte salutaire qui retient chez eux
plusieurs jours les officiers qui ne veu-
lent pas rester cois. Et l'année se passe
ainsi dans une suite à peine interrompue
d'examens successifs, qui ne laissent pas
à la mémoire le temps de se rouiller.
Puis, lors de l'examen pour le grade
supérieur, c'est toute la partie technique
du métier qu'il faut revoir de nouveau
et apprendre avec soin.
Rappelons, d'ailleurs, que l'Ecole de
guerre offre à chacun, en récompense
d'un travail acharné, la perspective d'un
brillant avenir.
Nous n'avons parlé jusqu'à présent
que des occupations intellectuelles pure-
ment techniques des officiers. Tous se
rendent parfaitement compte qu'il est
indispensable de sortir de son métier,
quel qu'il soit, sous peine de devenir
un professionnel automatique. Pas un
ne peut rester en dehors du mouvement
littéraire de notre époque. Il y a, d'ail-
leurs, pour faciliter ces heureuses dispo-
sitions, toutes les facilités désirables.
Tout régiment possède une bibliothèque
où arrivent, au fur et à mesure de leur
publication, les productions nouvelles,
que l'on s'arrache aussitôt. Dans chaque
garnison aussi, le Cercle militaire con-
tient une collection de volumes plus
riche encore, où tous les journaux et
toutes les i-evues sont reçus et active-
ment feuilletés.
Le seul énoncé de ces faits doit suf-
LE M()1)1:HXK tuaixkur dk sarhk
385
firr ]>oiir l'îiirc lompreiidre labsurdilé —
(le nos jours — de la légende de Ramol-
lol. Si le physique du célèbre colonel se
retrouve souvent chez quelques vieux
militaires, la ressemblance se borne là.
Kl le langage qui a rendu le type popu-
laire n'existe plus, est-il besoin de le
dire?...
Il suffit, pour s'en convaincre, de
passer quelques heures dans un cercle
militaire, en ce milieu si peu connu. Il
l'audrail aussi s'asseoir souvent aux
tables d'officiers. Les célibataires sont
aujourd hui en minorité presque partout,
et ces réunions restreintes ont un charme
tout particulier de petit comité. Toutes
les conversations s'y entendent — sauf
celles par trop vulgaires. Un << président
de table » île plus ancien) use, quand il le
faut, de son autorité pour éliminer tel
sujet qui pourrait blesser un des cama-
rades présents ou amener des dissensions
trop grandes. Chacun tire profit des dis-
cussions soulevées, et l'on passe ainsi de
très agréables moments.
Cette .«impie expérience permettrait
de constater que 1 intellectualité est
aussi développée dans l'armée que dans
toute autre collection d individus.
L'armée d aujourd'hui — redisons-le
encore sans crainte de nous répéter —
c'est la nation elle-même. Tous y vien-
nent, nobles et plébéiens, riches et
pauvres, bourgeois et ouvriers, savants
et illettrés. Toutes les classes se mé-
langent, fusionnent, disparaissent sous
l'identité du costume. De cette masse
hétérogène, il faut faire un tout homo-
gène, un seul corps avec une seule âme.
C est à 1 officier, à 1 officier « de
troupe » surtout, que ce grand rôle
incombe, sous la direction des hauts
grades.
Tous ces jeunes gens arrivent au régi-
ment avec ennui, beaucoup avec crainte,
quelques-uns avec dégoût. Il faut, à ces
âmes si diverses, faire comprendre la
nécessité du service militaire, donner la
notion de l'honneur, iiicukpier la reli-
gion du drapeau... Il faut arriver à faire
aimer le service ! ! !
C'est là, il faut l'avouer, une tâche
difficile.
La plupart de ces âmes jeunes sont
frustes. Pour gagner leur confiance, il
faut faire sentir aux bleus tout craintifs
que l'on s'intéresse à eux, que l'on s'oc-
cupe de leurs besoins matériels. Ils ont
vu l'officier à l'exercice. Il s'y est appli-
qué d'abord à connaître leurs noms, puis
à étudier leurs caractères, pour traiter
chacun suivant ses mérites. Ils le crai-
gnent, même s il ne punit pas. Pour la
plupart, dans les débuts, c'est un être
un peu d'une autre essence qu'eux... et
ils seront d'autant plus touchés lorsqu'ils
sauront que leur chef s'occupe des dé-
tails matériels de leur existence.
Le règlement actuel — très sage en
cela — assigne au capitaine commandant
d'unité des attributions qui font de lui
un véritable père de famille. Il a à
nourrir, à habiller, à instruire, à élever
ses hommes. Dans ces multiples occu-
pations, il est aidé par ses lieutenants.
Ce système excellent crée un lien très
étroit entre le soldat et l'officier, qui
n'apparaît plus, dès lors, comme un
maître plein de rigueur, mais comme le
chef d'une famille où les enfants, débar-
rassés du souci matériel de l'existence,
n'ont qu'à se laisser instruii^e et à marcher
droit.
\'oyez, au quartier, cet officier à la
fin de l'exercice. Au lieu de rentrer chez
lui pour bien vite oublier le service, il
se rend à la cuisine goûter la soupe de
ses hommes, soulève le couvercle des
grands plats de fer-blanc pour voir si
les portions sont bien égales et si tel
n'est pas favorisé au détriment de tel
autre. Voyez-le parcourant le réfectoire
à l'heure de la soupe pour s'assurer que
chacun est bien servi et que nul n'a de
réclamations à faire.
Il revient au bureau du sergent-major
et fait appeler un sous-officier qui a
infligé une punition. Lui congédié, il
voit ensuite l'homme, l'interroge, tâche
VIII. — 2:
3.S6
I.K MOhKRXE THAlNEl'U l)!-] S A lUi K
de se i'aire une opinion jusle, auj;nieule
ou diminue la punition; s'ell'orce, eu un
UKtl, (le traiter chacun, suivant l'expres-
sion du règlement, » uvec une justice
éclairée ».
Après son déjeuner, il est dans les
chambres pour une « revue de détail »,
visitant de près — en une besogne
quelque peu répugnante — tous les
effets, le linge, la chaussure de ses
hommes. Comme il y a mis toute son
attention, il sort de là avec une migraine
atroce; mais il sait que, dans quelques
jours, toutes les réparations ordonnées,
tous les changements prescrits seront
exécutés, et que ses hommes seront
chaudement vêtus el chaussés.
Voyez-le, prenant à part une « mau-
vaise tête » qui glisse tout doucement
sur le chemin de Biribi. Il semonce
ferme, parle des parents, du pays, el
parfois fait pleurer le soldat, qui est
sauvé, alors.
Nous voici en nuuKcuvres. Depuis des
heures la pluie tombe sans discontinuer.
Malgré la pèlerine de caoutchouc et les
houseaux de cuir, il est trempé jusqu'aux
os, comme ses hommes, le lieutenant ou
le capitaine. Sans doute il va aller se
sécher au plus vite : une bronchite est
si vite prise!... Point. Il faut songer
d'abord aux hommes. Il va voir la grange
qui les abritera, tâche d'obtenir, pour
eux, de l'habitant le plus d'avantages
possible, les force à se changer, fait
activer les préparatifs du rata et ne s'en
va que lorsque la soupe est en train.
Nous le retrouvons en caserne, faisant
à ses hommes une théorie morale. 11
leur dit, en des termes simples, pour-
quoi on les a obligés à interrompre leurs
travaux et à venir ainsi passer trois
années bien longues au régiment. Il leur
rappelle que, tout autour de nous, des
ennemis nous guettent, qu'ils entre-
tiennent des armées toujours plus nom-
breuses et que nous, pour ne pas être
dévorés, nous devons aussi être nom-
breux et forts. Que si on les astreint à
de durs exercices, c'est qu'un marcheur,
c'est qu'un tireur, c'est qu'un soldat...
ne se forme pas en un jour. Que pour
manœuvrer très médiocrement sous le
feu, il faut le faire d'une manière impec-
cable sur la |)lace d'exeix'ice, et qu'on
n'y arrive qu'à la longue; et que, enfin,
pour suivre son chef courant à l'ennemi,
pour obéir à l'ordre qui envoie à la mort,
il faut une longue accoutumance de
l'obéissance irraisonnée.
Puis il leur parle de la patrie. Il leur
dit qu'elle est plus loin que le clocher
du village, qu'elle est l'ensemble de tous
ces clochers à l'ombre desquels chacun
de nous a un amour, et que, pour sau-
vegarder le sien, on doit verser son sang
pour tous. Il évoque les ombres fîères de
tous les devanciers, conte ce qu'ils firent,
ce que lit le régiment, aux jours radieux
ou sombres de notre histoire.
l^nsuite il dit que cette Patrie pour
laquelle tant de sang" généreux a été
répandu, elle se matérialise dans les plis
de cette soie signée de noms de victoire,
à qui ils ont hier présenté les armes,
tandis qu'aux sons gueriners de la
musique passait dans les rangs comme
un long frisson de bravoure...
Et, leur temps fini, ces jeunes gens
arrivés si gauches retourneront chez
eux dégourdis, devenus hommes, en un
clair après-midi d'automne. Ils se seront
peut-être ennuyés parfois au régiment,
mais, du moins, ils auront appris pour-
quoi on les y a envoyés, et quelle pensée
plus haute doit les soutenir dans les
moments pénibles.
Et telle sera l'œuvre du moderne trai-
neur de sabre... Aussi sa conscience
est-elle tranquille et laisse-t-il, sans
s'émouvoir, sourire le sceptique. L'offi-
cier d'aujourd'hui entend légitimer le
noble titre qu'on lui a donné, d' « édu-
cateur moral de la Nation ».
Un lieutenant.
OllCHI UE l-.S
En r H Y r k •>
1)1.
Jï A D A G A s C A U
L'HISTOIRE NATURELLE
MADAGASCAR
Madagascar esl un paradis pour les
naturalistes. Peu de localités en effet pré-
sentent, rassemblés, autant de plantes
et danimaux intéressants et curieux.
Encore inexplorée il y a une quinzaine
d'années, l'histoire naturelle de notre
future colonie commence aujourd'hui
à être bien connue, au moins dans ses
traits généraux , grâce aux savantes
recherches de plusieurs naturalistes, et
notamment de M. Grandidier. On n'at-
tend pas de nous, bien entendu, que
nous donnions ici une énumération des
animaux, plantes ou minéraux que Ton
rencontre le plus fréquemment et dont
beaucoup de nos lecteurs ont pu voir
de nombreux représentants à l'Exposi-
tion spéciale du Muséum. Nous nous
contenterons de traiter la question
d'une manière aussi générale que pos-
388
L'HISTOIRE NATURELLE DE iMADAGASCAR
sible et en insislaiil surtout sur les
espèces digues d'intérêt pour le grand
public auquel s'adresse le Monde Mo-
derne.
La llore, comme partout ailleurs, est
en relation étroite avec la nature du ter-
rain. Aussi se divise-t-elle, comme la
géographie de l'Ile, en trois régions.
La région orientale comprend l'espace
situé entre la mer et la grande chaîne de
montagnes qui parcourt l'île dans toute
sa longueur. Formée surtout d'argile
i"ouge et de micaschistes, elle est très
montagneuse et, malgré la pauvreté chi-
mique de son sol, offre une végétation
luxuriante favorisée par des pluies
abondantes et presque continues. Les
crêtes des montagnes sont couronnées
par des forêts souvent épaisses, surtout
quand le terrain sur lequel elles crois-
sent est volcanique. Les versants sont
recouverts d'une épaisse végétation her-
bacée. Quant aux vallées, par suite de
la présence d'un sous-sol argileux, elles
sont marécageuses et habitées par des
bambous, des ouvirandra, des fougères
en arbre, etc.
La région centrale est formée d'un
amas montagneux que Ton a comparé à
une mer agitée subitement figée. Elle
est presque entièrement dépourvue de
végétaux : il faut aller dans les vallées
étroites, le long des petites rivières, pour
rencontrer de rares arbustes ne se déve-
loppant qu'avec peine.
Enfin, dans la région occidentale, on
ne rencontre plus ni marécages ni grandes
chaînes de montagnes; c'est une région
plate, où il ne tombe pas plus de 0"\30 à
0'",40 d'eau par an. Cette zone est oc-
cupée par des euphorbiacées arbores-
centes, des tamariniers, des lataniers,
des baobabs, des sakoas, toutes plantes
adaptées à la sécheresse.
Madagascar est, on peut le dire, la
patrie des orchidées. La plupart de ces
merveilleuses plantes viennent en effet
de la région orientale de l'île, où des
commerçants envoient des explorateurs
spéciaux pour les récolter. On sait com-
bien Vorchidophilie, ou plutôt Vorchidu-
imuiie^ a pris de l'importance parmi nos
horticulteurs amateurs. Les orchidées les
plus en faveur sont celles qui croissent
dans les forêts, sur les arbres, les orchi-
dées épiphyles, comme on les appelle.
Pour s'en procurer, il faut donc aller
dans les forêts vierges, se faire un pas-
sage à coups de sabre, affronter les
miasmes des marais et, ce qui est encore
plus redoutable, l'hostilité des indigènes.
Mais aussi quelle joie pour l'amateur
qui a pu se procurer une espèce nouvelle
et quel bénéfice pour le commerçant au-
quel son agent rapporte des pieds en bon
état! Les orchidées atteignent, en effet,
des prix fantastiques : l'année dernière,
on a vendu 4,250 francs un seul pied de
Catlleya Mossieo^ variété Beineckenna!
En Europe, on ne cultive pas moins de
deux mille variétés d'orchidées; il paraît
qu'il y en a encore au moins deux mille
à découvrir encore. On voit que le
champ est encore vaste et peut offrir de
beaux bénéfices à ceux qui l'exploitent.
Mais les difficultés à surmonter sont
beaucoup plus grandes qu'on ne pourrait
le croire, et mille dangers menacent les
intrépides chercheurs. Nous n'en citerons
qu'un exemple : « Huit d'entre eux, ra-
conte M. Ch. Marsillon, attachés à la
même maison anglaise, avaient résolu
de parcourir isolément l'île de Mada-
gascar, afin de rapporter les orchidées
les plus rares. En une année, septavaient
disparu. L'unique survivant, atteint de
fièvres très graves, rentra en Angleterre
sans espoir de guérison. Dès les premiers
mois de leur séjour dans celte île, deux
mouraient des fièvres paludéennes. Le
quatrième, dans ses recherches, avait,
sans le vouloir, profané une idole mal-
gache. Saisi par les prêtres et enduit de
paraffine, on le brûla vif. Sous prétexte
de montrer à deux autres de ces chercheurs
une orchidée remarquable, les naturels
les entraînèrent dans les montagnes et les
massacrèrent. Le septième mourut de faim
au milieu d'une forêt vierge. Le huitième
enfin se tua en tombant d'un arbre
élevé. » Quand on songe à ces faits, on
est presque étonné du faible prix auquel
LIIISTOIRK NATURELLE DE MADAGASCAR
3S9
on peut se j)rocurer la plupart des or-
chitlées si utilisées aujourd hiii dans les
bouquets ou les couronnes. C'est cpi'uue
variété une fois ramenée chez nous se
multiplie presque indéfiniment par bou-
tures dans les serres. Certains amateurs
cependant, quand ils possèdent deux
pieds d'une variété nouvelle, en détrui-
sent un pour donner plus de valeur à
celui qui reste : c'est là un acte de \an-
dalisme contre lequel on ne saurait trop
protester.
I/un des traits qui donnent parfois
au\ paysages malgaches un aspect bien
particulier, c'est la présence de baobabs,
dont les formes majestueuses sortent de
l'ordinaire. Ce sont des sortes de longs
cierges dont le sommet, arrondi en pain
de sucre, donne naissance à des branches
qui divergent dans tous les sens. Quel-
quefois le tronc est très court, et les
branches, très longues, retombent jus-
qu'à terre pour former un dôme de ver-
dure. Les baobabs, qui peuvent atteindre
des dimensions colossales, se de\elop-
pent avec une extrême rapidité et presque
indéfiniment : leur nom veut dire, d'ail-
leurs, arbre de mille ans. Adanson en
a trouvé un exemplaire auquel il a été
amené à assigner un âge de cinq mille
cent cinquante ans. Les baobabs sont
toujours habités par une multitude
d'oiseaux, aigrettes, marabouts, péli-
cans, etc., qui y trouvent un domicile.
Les indigènes se servent de presque
toutes les parties des baobabs : avec les
troncs, ils font des pirogues; avec les
feuilles, une tisane contre les fièvres;
avec la pulpe du fruit, une boisson et
du savon.
Les baobabs sont les arbres les plus cé-
lèbres de Madagascar. Il en est d'autres
aus*si qui possèdent une certaine noto-
riété : ce sont les ravenals ou ravenalas.
Ce sont des sortes de palmiers portant
à leur sommet de larges feuilles dressées,
placées presque dans un même plan et
dont le limbe, d'abord entier, se divise
à la longue en lanières irrégulières. Le
ravenal porte aussi le nom d'arbre des
voijacjeurs, parce qu'il sert à des usages
multiples : les gaines des feuilles, con-
caves et fixées presque au même endroit,
constituent une sorte de coupe où s'ac-
cumule l'eau de pluie. Cette eau, dit-on
habituellement, est une grande ressource
pour le voyageur altéré qui rencontre
des ravenals sur sa route. C'est là sans
doute une simple légende, car ces arbres
croissent toujours dans les régionsmaré-
cageuses,etron ne voit jtas très bien corn-
€ ,-V,
,v^*-.,
BAOBAB (Ailanxo)iia).
ment un explorateur peut rester altéré
dans un endroit abondamment pourvu
d'eau. Quoi qu'il ensoit, les feuillesdes ra-
venals sont très utiles aux Malgaches, qui
s'en servent pour faire des assiettes, des
nappes, des cuillers, des écopes pour
vider les pirogues, les toitures des mai-
sons, etc.
A citer encore parmi les plantes cu-
rieuses de Madagascar YOan'raiidra fe-
uestralis, dont les feuilles, aquatiques,
forment une véritable dentelle par suite
de la disposition du parenchyme entre
les nervures; des pandanus au tronc
trifurqué et aux branches terminées par
390
LIII?TOIRK NATURELLE DE MADAGASCAR
des panaches analogues à des yuccas
aux feuilles retombantes, des lnuqhiniH,
dont la graine contient un suc vénéneux
qui constituait jadis le tanqhin, c'est-
à-dire le célèbre poison judiciaire des
Malgaches, etc.
]^a faune ne présente pas de caractères
Il A V E N A L s
moins singuliers. Quand, nous autres Eu-
ropéens, nous cherchons à nous repré-
senter, par l'imagination, un paysage
exotique et sauvage, nous nous figurons
une forêt vierge avec des singes courant
parmi les branches et des animaux fé-
roces se glissant sur le sol, prêts à faire
un mauvais parti à l'explorateur qui
viendrait les étudier. A Madagascar, il
n'y a rien de tout cela, et les singes,
comme les bêtes féroces, font absolument
défaut.
Si les singes n'existent pas à Mada-
gascar, ils y sont i^emplacés par des ani-
maux voisins des mahis, qui présentent
avec eux une certaine analogie dans les
formeset les mœurs. Le pi us grand d'entre
eux est Vindrio ouhahakoule. Certaines
peuplades s'imaginent que ce sont des
hommes réfugiés dans les forêts et trans-
formés en bêtes. Leur démarche rappelle
en elTet un peu celle de 1 homme, en ce
qu'ils progressent sur les membres pos-
térieurs. Bras et jambes sont terminés
par de véritables mains à pouce oppo-
sable. Les indris vivent dans les forêts,
soignant leurs petits avec une grande
sollicitude et poussant de temps à
autre un cri à la fois lamentable et vio-
lent. La légende veut que, dans une
époque plus ou moins reculée, les indris
aient donné l'éveil de l'arrivée d'ennemis,
grâce à leur cri strident. Voilà une con-
currence sérieuse pour les oies du Ca-
pitole.
Les indris n'ont pas de queue. Les
propithèques, qui leur ressemblent, en
ont une au contraire, bien développée.
Ils ont d'ailleurs les mêmes mœurs et
vivent par troupes de sept à huit. Le
matin, au moment oi^i le soleil se montre,
ils ont la singulière habitude de lever les
bras vers le ciel dans une pose d'adora-
tion. Y aurait-il là un rudiment de re-
ligion? Les propithèques sont de très
habiles sauteurs, on les voit parfois
sauter sur une branche par des bonds
d'une dizaine de mètres. Pendant ce
saut, les petits restent cramponnés soli-
dement à la toison de leur mère. En
France, après l'expédition qui vient
d'avoir lieu, nous pouri'ions espérer en
voir au Jardin des Plantes; il n'en sera
malheureusement rien, car les propi-
thèques, malgré leur caractère plutôt
doux, ne peuvent supporter la captivité
et ne tardent pas à mourir de langueur.
Il est d'ailleurs assez difficile de s'en
procurer, non seulement parce qu'ils
L'IIISTOIRH \ATURELLK DE MADAGASCAR
391
sont rares, mais aussi parce qu'ils sont
en quelque sorte protégés par les indi-
^••ènes. M. Milne-Iùhvards racontait ré-
cenimenl que, en 1S66, M. Grandidier
OUVIRANDRA FENESTRALIS
rencontra quelques-uns d'entre eux,
d'une espèce encore inconnue, dans une
immense plaine couverte d'euphorbia-
cées, de petits arbustes épineux et de
quelques bouquets de bois ; mais, au
moment où, afin de la conserver, il en-
levait la peau du premier qu'il avait
tué, les sauvages qui l'entouraient s'y
opposèrent et, pour les apaiser, il dut
enterrer la chair du propithèque et
planter des nopals sur la tombe.
Les animaux à la fois les plus carac-
téristiques et les plus communs de Ma-
dagascar sont les makis, dont il existe de
nombreuses espèces. Tandis que les
indris et les propithèques marchent dans
l'attitude verticale, les makis, qui ap-
partiennent cependant au même groupe,
ont le corps horizontal comme devrait
l'avoir tout mammifère qui se respecte.
Je gagerais qu'après la conquête, nos ma-
telots ont tous ramené un maki dans
leur musette. Ces charmants animaux
sont en effet inoiîensifs et très doux; ils
vivent par bandes nombreuses dans les
forêts, où ils font la chasse aux insectes,
aux œufs, aux petits oiseaux et aux
reptiles dont ils se nourrissent, k Les
makis, raconte M. Milne-Edwards, peu-
vent vivre longtemps à côté de l'homme,
à condition d'y trouver une température
convenable. Ils s'apprivoisent facilement
et deviennent plus caressants qu'un
chien, ne quittant pas, à moins d'y être
forcés, l'épaule de leur maître, accou-
rant à son appel et lui prodiguant des
marques d'amitié. J'ai connu pendant
de longues années, chez M. Henri Ber-
llioud, un mongous parfaitement appri-
voisé et d'un commerce fort agréable;
son extrême agilité lui permettait d'at-
teindre les plus hautes corniches pour
s'y blottir, et ses mouvements étaient
si bien mesurés qu'à moins de surprise
ou d'effroi, il sautait sur tous les meubles
sans rien briser autour de lui. Parfois
les makis se reproduisent dans ces con-
ditions, et c'est un spectacle charmant
que de voir le petit, tantôt attaché au
travers de la poitrine de sa mère, tantôt
fixé aux poils de son dos et ne la quit-
tant jamais, malgré ses courses légères.
Chez eux, ils vivent en troupes, can-
M A K I M 0 K 0 K O
tonnés dans certains domaines, et, si un
intrus s'égare dans une partie qui lui est
interdite, tous ses congénèresl'attaquent.
A Madagascar, M. Humblot, notre ré-
sident aux îles Comores, avait mis à
392
L'HISTOIRE NATURELLE DE MADAGASCAR
profit lacharnemenl avec lequel les
makis crun bois chassent les makis du
bois voisin; il attachait Tun de ceux-ci
à une branche, et il était sûr de voir
bientôt les propriétaires légitimes du
lieu accourir et se précipiter sur le nou-
veau venu, sans se préoccuper du chas-
seur, qui pouvait alors, à l'aide d'un
lacet, en prendre autant qu'il le vou-
lait. »
Certains makis sont nocturnes. Ils
sont g'énéralement plus petits que ceux
qui ont des mœurs diurnes ; l'un d'eux
même n'est pas plus gros qu'un rat. Ils
construisent leur nid dans les arbres,
principalement au milieu des feuilles des
ravenals. Ces animaux présentent une
particularité physiologique très curieuse.
Un peu avant l'arrivée de la saison
sèche, ils mangent beaucoup et accumu-
lent une grande quantité de graisse dans
leur queue, qui se transforme en un vo-
lumineux saucisson. Quand les pluies
cessent et que la nourriture devient rare,
ces makis nocturnes s'endorment et
réabsorbent leur matière de réserve.
C'est, on le voit, tout à fait l'histoire
de la marmotte, avec cette différence
que, chez elle, la période de sommeil a
lieu pendant l'hiver, tandis que c'est en
été que les makis s'endorment du som-
meil du juste ou mieux du monsieur qui
a bien dîné.
Mais le maki le plus singulier est cer-
tainement l'aye-aye, pour lequel les Mal-
gaches manifestent une crainte super-
stitieuse. L'aspect de l'aye-aye est d'ail-
leurs bien fait pour inspirer l'étonnement.
C'est une sorte d'écureuil au poil rude,
à la longue queue touffue, avec des
oreilles rappelant un peu celles des
chauves-souris, et des yeux ronds au
regard effaré. On connaît peu d'animaux
aussi franchement nocturnes que lui : il
ne sort absolument que la nuit, et la
plus faible lumière, voire même celle
d'une bougie, l'incommode. Ce qui
achève de donner à l'aye-aye un aspect
étrange, c'est la présence de deux dents
incisives à chaque mâchoire, et ressem-
blant par leur ensemble à un bec de per-
roquet. Grâce à ces incisives tranchantes,
l'animal gratte l'écorce et les troncs
des arbres pour y chercher les insectes
dont il fait sa nourriture. Quand la ga-
lerie est trop profonde, il y introduit
son troisième doigt, grêle et terminé par
un ongle crochu. On n'a ramené que ra-
rement des aye-ayes en Europe, car il
est assez difficile de les nourrir; ils n'ai-
ment que les larves de certains insectes
ou, à défaut, le lait concentré, qu'ils
n'acceptent d'ailleurs qu'avec beaucoup
de difficultés. D'autre part, on est obligé
de les placer dans des cages blindées,
car ils percent en un rien de temps les
planches les plus épaisses.
Les tigres, les lions, les panthères, les
renards, les loups, etc., font absolument
défaut à Madagascar. Il n'y a en fait de
bêtes féroces qu'un carnassier, le faussa
ou criiplopvocte, qui, d'ailleurs, ne s'at-
taque jamais à l'homme. C'est une sorte
de gros chat bas sur pattes et marchant
sur la plante des pieds, tandis que les
vrais matous marchent sur leurs doigts.
Le nom bizarre de cryptoprocte vient de
la présence de glandes cachées à la base
de la queue. Un fait singulier, c'est qu'en
France, on rencontre, dans les terrain?
tertiaires, les débris fossiles d'un animal
très voisin du cryptoprocte. Il semblerait
que la faune de Madagascar a été ar-
rêtée dans son évolution.
Parmi les insectivores, nous nous con-
tenterons de citer les tanrecs, qui, pen-
dant la saison sèche, s'endorment à la
manière des makis dont nous avons
parlé plus haut. On donne quelquefois à
ce phénomène le nom à'estivation, par
opposition à l'hibernation qui se produit
pendant l'hiver sous nos climats.
On sait que les grands herbivores font
défaut à Madagascar. Les bœufs zébus,
qui constituent la richesse la plus claire
du pays, paraissent avoir été importés
par l'homme. On les emploie à toutes
sortes d'usages, même comme monture,
à l'instar des chevaux. Pour leur donner
même une certaine ressemblance avec
ces derniers, les Malgaches leur coupent
les cornes et une partie de la bosse, opé-
I/IIISTOIRE NATUREI.LE DE MADAGASCAR
393
ration très cruelle et qui les lait beau-
coup souffrir, sans jurande utilité pour
l'éleveur. Les rongeurs sont très rares.
Parmi les oiseaux actuels, aucun d'eux
n'attire l'attention d'une manière spé-
ciale et nous nous contenterons ici de
citer les noms de quelques-uns : les
vezas, les couas, les falculies, les mé-
sites. Tous ces oiseaux sont surtout
nombreux sur les bords du littoral, tandis
qu'ils sont rares au centre de l'île où la
végétation est rare. On peut faire ici une
remarque qui pourrait
s'appliquer à tous les
autres groupes de la
l'aune malgache, c'est que
cette faune a beaucoup
plus d'analogie avec la
faune indienne qu'avec
la faune africaine, mal-
gré ce que pourrait faire
penser la position géo-
graphique de l'île. Il
semble donc probable,
d'après cette remarque,
que, dans les temps
géologiques, Madagascar
était rattachée aux Indes
et à la Malaisie, et ne se
continuait pas avec le
continent africain.
Si les oiseaux actuels
de Madagascar ne pré-
sentent qu'un intérêt i^elatif, il n'en est
pas de même des oiseaux éteints, dont
l'un surtout, ï^piornis, est bien l'un
des plus curieux que l'on ait jamais
vu. Cet irpiornis. dont on retrouve des
débris et des œufs dans cei'tains endroits
marécageux, ressemblait à une autruche
ou à un casoar, mais de taille g'igan-
tesque, près de 4 ou 5 mètres de haut.
On a trouvé plusieurs œufs intacts :
l'un d'eux aurait pu contenir 50,000 œufs
doiseau-mouche ou 150 œufs de poule
ou 6 œufs d'autruche. Quelle omelette!
Les sepiornis, dont le squelette est au-
jourd'hui connu entièrement, grâce aux
recherches de MM. Grandidier et Milne-
Edwards, paraissent être éteints depuis
une époque relativement récente. En
ellet, sur les os on remarque des en-
tailles très nettes, faites évidemment par
la main d'un homme. En lisant plus
haut ce que nous disions de l'absence
des bêtes féroces à Madagascar, le lec-
teur s'imagine peut-être que les recher-
ches d'histoire naturelle dans l'île de la
reine Ranavalo ne présentent aucun
danger. Qu'il se détrompe! Ainsi, pour
ne citer qu'un exemple, les a^piornis
nous sont connus surtout par les fouilles
de MM. Grevé, Muller et Grandidier.
CRYPTOPROCTE FEROX
Le premier, pris comme otage par les
Ilovas, a été fusillé en février 1895; le
second a également été assassiné au com-
mencement de l'année dernière. Quant à
M. Grandidier, il n'a échappé que par
miracle à la mort. Tout n'est pas rose,
on le voit, dans le métier d'explorateur.
Les reptiles sont représentés par deux
espèces de crocodiles. « L'une, dit
M. Milne-Edwards, se trouve dans tous
les lacs et dans les grandes rivières;
l'autre est confinée dans la région cen-
trale. Ils atteignent une taille considé-'
rable, et l'on en voit qui dépassent
G mètres de long. Les Malgaches les crai-
gnent beaucoup, car les accidents sont
fréquents, et souvent les femmes qui
puisent de l'eau à la rivière, ou les
39 i
L'HISTOIRE NATURELLE DE MADAGASCAR
hommes qui s'en^^ag-ent clans un gué,
sont enlevés par ces terribles reptiles.
Après avoir saisi leur victime, ils Ten-
traînent sous l'eau et la déposent clans
quelque anfractuosité, attendant que la
chair se soit suffisamment faisandée,
pour revenir le dévorer quand ils jugent
qu'elle doit être à point. Grâce à ce goût
particulier, il n'est pas rare que des
hommes aient pu être retirés vivants du
garde-mang-er des crocodiles. » Les rep-
tiles les plus abondants sont les camé-
léons, dont il existe toute une série d'es-
pèces plus étranges les unes que les
autres. Ils pullulent dans les forêts, où,
g'râce à leur couleur, ils ne se distinguent
pas des branches sur lesquelles ils pas-
sent leur existence. Quant aux serpents,
ils sont de petite taille et inoifensifs.
Nous avons insisté un peu sur les
« grosses bêtes », parce que ce sont gé-
néralement celles qui intéressent le plus
le public. Les « petites bêtes » présen-
tent cependant beaucoup de particula-
rités intéressantes. C'est ainsi que cer-
tains papillons, certains homhifx, vivent
en société sur les acacias et donnent des
cocons réunis à plusieurs en masses de
plus dun mètre de long. La soie, cardée
et tîlée à la cjucnouille, sert à faire des
étoffes. Une araignée donne aussi une
soie susceptible d'être filée : on la re-
cueille au fur et à mesure de sa sortie
du corps de l'insecte. Un magnifique
papillon, Vactias comètes, atteint des
dimensions extraordinaires : ses ailes
n'ont pas moins de 20 centimètres d'en-
vergure.
La flore et la faune de Madagascar,
d'après le très faible aperçu que nous
venons d'en donner, présente, on le voit.
des intérêts multiples. Le gouvernement
se propose d'envoyer sous peu dans l'île
une mission scientifique, composée de
savants éprouvés, cjui compléteront les
notions cjue nous possédons surlaF/'a/?ce
orienlale, comme on l'appelait déjà il y a
deux siècles. Ce sera peut-être le béné-
fice le plus clair que nous retirerons de
notre coûteuse expédition.
Henri Goupin.
PAPlLLflN BE MADARASCAR
(Salami.1 Dapre'i).
PEPITA GARBAJAL
ÉPISODE DE LA VIE MILITAIRE AU MEXIQUE
Ce récit est l'un des mille épisodes
qui ont surj^i sous les pieds de nos sol-
dais pendant la campagne du Mexique.
Ivmprunté au journal de marche de la
compagnie franche du (ri*' régiment d'in-
fanterie de ligne que commanc-!ait alors
le capitaine Maurand, il prouve, jusqu'à
l'évidence, combien est grande la puis-
sance d'un peuple quand il combat pour
son indépendance et le salut de la patrie
envahie.
I
C'était le -29 décembre 18(V4. On cam-
pait dans une éclaircie au milieu des
forêts vierges de la Cordillère des Andes
occidentales, gardant le défilé de VEspi-
nnzo ciel Diabolo, sur la route qui mène
de Durango à Los Veranos.
Il tombait une neige intense. Un vent
glacial balayait le givre et rendait impos-
sible l'habitation sous la tente. Nos sol-
dats se contentèrent, ce jour-là, de for-
mer les faisceaux et d'allumer de grands
feux devant eux.
Dix heures du soir venaient de sonner
au monastère de Durasnito, lorsque fut
introduit sous la tente du lieutenant-
colonel Cottret, la seule dressée dans
tout le camp, un Espagnol arrêté aux
avant-postes et qui, enveloppé de son
long manteau de laine brune et portant
sur l'épaule la lourde carabine des con-
trebandiers, déclara se nommer Lazaro
et avoir des révélations importantes à
faire au commandant de la colonne fran-
çaise :
— ^'otre seigneurie, dit cet homme,
veut-elle tenter un joli coup de main
celte nuit ? Le guérillero Salazar, qui
intercepte toutes vos dépêches et que
vous cherchez, n'est pas loin d'ici. A'ou-
lez-vous que je vous le livre?
A ce mot de Salazar, l'officier releva
la tête :
— l'^t où est-il, ce Salazar?
— Al Ilijo ciel Dinholo.
— Combien de temps faut-il pour s'y
rendre ?
— Une demi-heure avec de bons che-
A'aux, une heure pour des fantassins.
— Tu t'engages à nous servir de guide?
— Si, cahallero.
— Rétléchis bien ; si lu me trompais,
tu n'aur.vis pas une heure à vivre.
— Je ne crains rien ; je connais le
chemin du Trou du Diable aussi bien
que la calle de la Annunciacla de Mazat-
lan et je pourrais vous y conduire les
yeux fermés.
— Tu es bien décidé?
— Oui. Mais hâtons-nous, le temps
presse. Dans deux heures, le nid sera
vide et les oiseaux envolés pour long-
temps... peut-être pour toujours.
Des ordres furent immédiatement don-
nés et la conversation suivante s'engagea
entre le lieutenant-colonel Cottret et
le capitaine Adam, du S*" chasseurs
d'Afrique :
— Combien avez-vous de chevaux dis-
ponibles, ce soir, capitaine?
— La situation, mon colonel, en porte
vingt-cinq. Aucun accident depuis ce
matin.
— C'est bien. Trois jointées d'orge à
vos chevaux. Ma montre marque dix
heures et demie. \'os deux pelotons en
armes dans une demi-heure.
— Mais, permettez... mon colonel,
hasarda timidement l'officier, mes cava-
liers sont sur les dents. Ils n'ont pas
encore mangé la soupe... Depuis ce ma-
tin, ils n'ont vécu que d'oignons crus,
de biscuits et de cigarettes...
— A'ous m'avez compris, capitaine...
Pas d'observations... Je ne les aime pas.
396
PEPITA CARBAJAL
Voici vinyt ans que je lais la yuerre en
Algérie et je ne me suis jamais occupé
de la nourriture des hommes et des che-
vaux dans les expéditions urgentes...
Cet ordre impératil' sentait la poudre.
Il fallait obéir, et, à onze heures du
soir, vingt-cinq cavaliers du S*' chasseurs
dAlrique vinrent se ranger derrière les
cinquante plus vigoureux fantassins du
(ri*" de ligne, qui attendaient sans sacs,
sous les ordres du capitaine Maurand,
Tordre de se porter en avant pour une
expédition nocturne dont on ignorait la
destination.
A peine cette petite colonne a-t-elle
franchi la limite du camp quelle sen-
gage dans un véritable sentier de bêtes
fauves, au travers d'une montagne rocail-
leuse et boisée, dans laquelle le désordre
de la nature indiquait assez combien elle
était propice aux embuscades. Partout le
terrain présente un véritable chaos d'em-
pierrement, un déluge d'embroussaille-
ment, une immensité de lianes et de
ronces interceptant les fourrés.
Les branches jaillissent de partout;
de droite, de gauche, d'en bas, d'en
haut ; elles sont horizontales, perpendi-
culaires, obliques ; il en sort de terre,
il en tombe du ciel. On dirait un en-
vahissement d'arbres moussus, tordus,
noueux ; une irruption de buissons épi-
neux, impénétrables ; un immense réseau
de plantes, grimpant le long de tout ce
qui veut de leur embrassement volup-
tueux, roulant leurs tiges flexibles sur
des rochers verdàtres ou autour des
troncs d'arbres pourris, enfouis comme
dans un linceul, sous une montagne de
feuilles sèches.
Cavaliers et fantassins se frayent un
passage à travers celle nature incohé-
rente comme ils peuvent et où ils peu-
vent ; les premiers, en suivant le sentier
à peine tracé qui serpente sur les flancs
de la montagne; les seconds, en escala-
dant les escarpements, qui sur les ge-
noux, qui sur les coudes, saidant des
mains et des ongles; les uns et les autres
se meurtrissant le visage, se déchirant
les vêtements aux ronces du chemin.
Par intervalles, une pierre cède sous
les pieds ou sous les doigts, roule dans
le précipice, frappant les arbres, écra-
sant les rochers et, dans l'alvéole produit
par ce déplacement, on sent, rien qu'au
toucher, s'agiter de nombreux scara-
bées, d'immenses fourmis de feu, qui,
dérangés de leurs lieux de retraite or-
dinaire, voltigent en tous sens, traçant
leur sillon dans l'obscurité.
,\près une demi-heure d ascension des
plus pénibles, la vaillante petite ti^oupe
rencontre une harranco très profonde,
mais tellement étroite que le son de la
voix pouvait arriver dune berge à une
autre. Les cavaliers mettent pied à terre,
les fantassins baïonnette au canon, et,
malgré tous les éboulements de cailloux
croulant sous les pas, les uns et les
autres s'engagent sur les pentes rapides
et sinueuses du gouiTre dont les siècles
ont creusé le lit souterrain ravagé par
les eaux. On parvient ainsi àl'aulre pente.
Puis, on gagne le point culminant de la
montagne. La neige avait subitement
cessé; la lune, jusqu alors cachée, mon-
trait son disque argenté entre deux gros
nuages. Le leri^ain se détachait sec et
sombre sous un ciel presque lumineux.
Tout à coup, Lazaro s'arrêta, humant
l'air comme un limier tombant sur une
piste, interrogea l'horizon du regard et
jeta un coup d'œil sur les lichens mous-
sus qui tapissaient les rochers.
— C'est ici, fit le guide à voix basse.
En vérité, seiîores, il faut que les bandits
soient bien occupés ; ils n'ont pas même
songé à mettre une sentinelle sur la plate-
forme qui domine le Trou du Diable.
Puis, s'adressant au colonel Cotlrel :
— Cette lumière qui perce le brouillard
et que votre seigneurie peut aperce-
voir dans le lointain, c'est la Grula
de la Muerle. Nous y serons dans quel-
ques minutes. Redoublons de prudence
et de vigilance. En suivant ce chemin
creux, je gage ma tête que nous ne se-
rons aperçus par aucun des guérilleros
occupés en ce moment à faire leurs pré-
paratifs de départ.
Il était minuit.
IMUMTA CAIUÎAJAL
397
I.;i petite trouiie se remit en marche
silcncicusemeiil et bientôt ou put ilis-
tiuf^uer, au milieu de la broussaille, uue
léf;ère colonue de fumée qui se perdait
dans ratmosphère.
Devant une sorte de cabane l'aile de
branches et de feuilla{jes, quelques
tisons fumaient, et autour de ce foyer
agreste une quinzaine d'individus, dé-
guenillés, chargeaient leurs mules.
L'apparition imprévue de nos chas-
seurs d'Afrique roulant, comme une
avalanche, sur les déclivités de la mon-
tagne, mit le désordre dans le camp
improvisé des guérilleros, qui, surpris
et troublés, n'eurent que le temps de
fuir en désordre dans toutes les direc-
tions. Mais le Trou du Diable ainsi que
la Grotte des Morts, qui lui sert de sou-
terrain, étaient cernés. Plus d'issues
pour échapper et gagner la forêt. Ce ne
sont alors que duels particuliers entre
nos soldats et leurs adversaires ; on
n'entend que la respiration haletante
des combattants, le bruit strident de
l'acier des armes qui se croisent dans le
silence de la nuit.
— Quien vive? crie le lieutenant de
Briand, en se présentant à l'entrée de
la Grotte des Morts.
Deux hommes sont devant lui, ainsi
qu'un jeune garçon d'une douzaine
d'années; une Indienne, la torche à la
main, attise le feu. Au bruit des crosses
de fusil, fi^appant le sol, l'enfant tourne
la tête, fait le signe de la croix et se
glisse derrière un tronc d'arbre servant
de banc et au-dessus duquel est placée
une madone dans sa niche.
— Nous ne sommes pas des malfai-
teurs, répond le plus âgé des deux
Mexicains, mais de simples bûcherons,
ayant cherché cette nuit un abri contre
le mauvais temps. Ce petit garçon nous
sert de domestique, et cette Indienne,
c'est Pépita, sa S(cur.
— ^'ous Aoulez nous en imposer,
réplique le capitaine Maurand. Nous
sommes ici à la recherche de la bande
Salazar et nous savons que vous êtes
des siens.
— Nous, guérilleros !... Allons donc?
Voyez plutôt nos fusils qui gisent à
terre; ils sont chargés avec de l'inno-
cente cendrée. Nous chassons les petits
oiseaux entre deux coups de cognée
dans la forêt.
— Vous êtes tous les mêmes, les
guérilleros, de prétendus chasseurs.
Mais, quand vous êtes seuls dans la pro-
fondeur des bois, vous vous installez
commodément dans le creux d'un arbre,
le trou d'un rocher ou derrière un
buisson, et, si vous voyez venir à vous
un inconnu, voire même un de nos
soldats, vous suivez ses mouvements,
faites silencieusement couler une bonne
balle dans le canon de votre fusil et,
lorsque l'homme épié est au point
voulu, immanquable, le coup part et
l'homme est à bas... Jusqu'à preuve du
contraire, empoignez-moi ces deux
hommes, ajoute l'officier, en se tour-
nant vers le sergent qui le suivait.
Sur ces entrefaites, le soldat Teyssier,
à la faible lueur d'une allumette frottée
sur sa manche, aperçoit un monceau de
feuilles sèches sur lequel est jeté un
mauvais sarape. Il pique dans le tas
avec la pointe de sa baïonnette, sent
delà résistance; les feuilles s'agitent,
remuent, et un homme à figure hideuse
ne tarde pas à en sortir. Une torche de
résine trouvée dans un coin est aussitôt
allumée. L'aspect de cet homme, qu'on
prendrait pour un i^evenant, est repous-
sant; la chemise entrouverte démasque
une poitrine velue comme celle d'un
ours; le pantalon, retenu à la taille par
une corde, laisse apercevoir, au travers
d'une des poches béantes, le grossier
manche en bois d'un machele; le visage
est en partie caché par un immense
sombrero, surmonté d'une plume cras-
seuse ; la chevelure grisonnante est
épaisse et broussailleuse. Demi-bandit,
demi-soldat, cet individu, à la figure
osseuse et jaunâtre, u a qu un œil; mais
cet œil est celui d un oiseau de proie.
— Qui es-tu? lui demande le lieute-
nant-colonel Cottrcl, devant lequel il
est amené.
â9K
PKPÎTA CARBA.tAL
— Eleazard, senor.
— Comment, Elea/ard? Tu n"ey donc
pas Salazar?
— No, senor.
— Tu mens, et nous avons dans nos
rangs quelqu'un qui le connaît... Ap-
proche ici, Lazaro. Connais-tu cet
homme?
— Parl'aitemenl. Cet homme est bien
cehii qui intercepte toutes vos corres-
pondances et assassine vos corremn.
— Ah! c est toi qui mas vendu, huide
ce dernier; combien de réaux l'a-l-on
donné pour ceh»?
— Aucun réal , maUlilo ; je viens
venger Carmencila, ma sii'ur, que lu as
assassinée en l'absence de son mari, mu-
letier dans la montagne, parce qu'il sert
ûarriero aux troupes françaises.
Et Lazaro, auquel on avait enlevé ses
entraves pour mieux guider nos soldats,
bondit comme un tigre, frappant de
deux coups de couteau Salazar, qui n'a
que le temps de murmurer d'une voix
éteinte, mais empreinte d'une sorte
d'orgueil et de haine :
— Triuin fados, los deinonios! Mexico
pierdii uno de sus mus fidelos servi-
dores, y los afrancesados, su mas im-
placable enemigo !
Puis Lazaro s'enfonça dans la grotte,
disparut et échappa à toutes nos re-
cherches.
A ce moment-là, les deux guérilleros
saisis par le lieutenant de Briand, profi-
tant de l'obscurité et du Irouble amené
par cet incident, se jettent sur les sol-
dats qui les gardent; l'un reçoit un coup
de baïonnette; l'aulrc, un coup de feu.
Tous les deux tombent inanimés sur le
terrain, sont laissés sur place faute de
mulets pour les transporter. Et la petite
colonne expéditionnaire rentre au camp
d'El Favor, comme l'aube blanchissait,
poussant devant elle ses prisonniers de
la nuit.
(^ette sortie était la premièi-e carie de
visite des troupes françaises aux bandits
de la Sierra Madré.
A la même heure, les Indiens attardés
dans les parages du Trou du Diable,
pouvaient voir une jeune Mexicaine
pai'courir lentement le théâtre de la
lutte, examinant silencieusement le ter-
rain et cherchant dans la broussaille les
deux blessés qu'elle savait avoir été
oubliés par nos soldats. Son épaisse
chevelure d'un noir d'ébène a des reflets
de salin ; le rouge vif de ses joues fait
ressortir la blancheur nacrée de ses
dents; son regard, qui a une expression
pensive et profonde, lance par moments
des reflets de flamme.
La lumière du jour, en perçant à tra-
vers le feuillage, laisse apercevoir des
taches de sang répandues çà et là sur
les feuilles mortes. Deux cadavres sont
là; ils gisent cote à côte derrière une
touffe d arbustes. La jeune Indienne
s approche; l'un ne donne plus aucun
signe de vie, mais 1 autre attire son
attention (ce n'est pas un mort, mais
un blessé). Sa respiration est haletante,
son pouls o])pressé.
— Beher! dil-il dune voix élcintc en
sentant une main froide lui relever la
tète.
La jeune fille tressaille. Celle voix
est celle de Juan Ramirez, son fiancé,
celui dont elle avait partagé les dangers
il y a quelques heures à peine.
Son parti est bientôt pris. Après s'être
fait reconnaître, felle prend le blessé
dans ses bras, l'aide à se relever, i^amasse
une carabine qui gît à terre, la lui donne
pour s'en servir comme d'une béquille,
et le ramène à la grotte de la Miierie.
Deux heures après, Juan Ramirez était
installé dans un bon lit, à V hacienda
del Puenle, domicile de Cyrillo Carba-
jal, sou futur beau-père.
Ce dernier avait autrefois comballu,
en IHl'i, sous les ordres du curé Morel-
los ; mais trop vieux dorénavant pour
prendre part à la lutte nouvelle qui s'en-
gageait contre les ennemis de sa pairie,
il s'était contenté d'enrôler, dans les
bandes de (]orona, son fils Eslivan, et
un ami de la famille, Juan Ramirez, qui
briguait l'honneur d'oblenir la main de
sa fille Pépita.
— Volo â Dios, s'écria le hatiendero
PKl'tTA C.AUBA.IAL 3Ô9
("larbiiial, en vovaiil le blessé ([u'oii lui ] t';i/(le/)cri;(s\ un llacoii de reflno et une
amenait. Allons, Pépita, cours au sellier j gargoulette de lepache; nous allons
et va me chercher une bouteille de I boire, avec lio et Yacinto, au rétablisse-
400
PEPITA CARBAJAL
ment de la saiilé de ranii Juan cl à la
liberté du Mexique.
— Oui, muerle h los nfruncesados,
répondit Yacinto, vieil haciendero, com-
pagnon fidèle des orgies de Carbajal,
qui habitait un rancho voisin de \ ha-
cienda del Puenle.
Pépita s'empressa de satisfaire son
j)ère et posa de sa jolie main les trois
llacons sur la table, autour de laquelle
se tenaient les deux vieillards, puis se
retira.
— Comment, tu ne bois pas avec
nous? lui dit Carbajal.
— Non, merci.
— Tiens! voilà un verre de valde-
penas; bois au moins à la santé de ton
fiancé.
— Non, mon père, encore une fois,
merci. D'autres devoirs m'appellent ail-
leurs.
— Je comprends. Tu as hâte de voir
ce qu'est devenu ton frère Estivan. Va,
mon enfant; prends Fidelio à l'écurie;
c'est mon meilleur cheval. Les Français
seront dans quelques jours à Los \'era-
nos; il faut que tu les y devances. Un
de nos peones t'accompagnera. Corona
a dans cette localité des partisans très
dévoués, tu te faufileras parmi eux ;
tu essayeras de savoir tout ce qui se
dit dans les camps français. Je compte
sur toi pour en informer Estivan, qui
occupe en ce moment les environs de la
Noria.
Le lendemain de cet entretien, une
belle amazone montée sur un coursier
aux allures dégagées, blanchissant son
mors d'écume, faisait son entrée à Los
\'eraiios, et s'installait à la posada
tenue par la mère Felipe, comme Ki
deuxième colonne conduite par le gé-
néral de Castagny y arrivait, le 9 jan-
vier 1865.
C'était Pépita Carbajal.
II
Cette deuxième colonne se composait
du 7*" bataillon de chasseurs (comman-
dant Hréart ; de deux bataillons du .Tf
(colonel Garnien; du 1''' bataillon du 62**
(commandant Lambert); de deux esca-
drons du 3'^' chasseurs d'Afrique (com-
mandant de Montarby) et d'une batterie
d'artillerie (capitaine Martel).
l^e piiehlo de Los Veranos (les Prin-
temps) situé à douze lieues de Mazatlan
et à soixante-dix de Durango, est bâti
sur une hauteur, au pied de laquelle
coule une petite rivière ombragée de
mimosas, de bananiers et d'avas, for-
mant tout autour du village un rempart
presque impénétrable, deiM'ière lequel
s'épanouissent des myriades de fleurs
odorantes. Les chênes blancs, les hêtres,
les acacias croisent leurs feuillages avec
ceux des lilas, des noisetiers et des
églantiers. Dans le village même, les
vignes vierges rampent le long des ran-
chos; ici les liserons s'infiltrent dans
toutes les fissures des murs crevassés ou
lézardés; là des rosiers géants grimpent
jusque sur les toits et leurs boutons
semblent vouloir pénétrer par toutes les
ouvertures.
Le campement de nos troupes, autour
de cette bourgade, a la forme d'une
circonférence; toutes les compagnies
d'infanterie sont séparées entre elles par
des intervalles de 300 à 400 mètres. Les
Mexicains, agiles comme des singes, et
rusés comme des renards, avaient donc
toutes les facilités pour passer dans les
intervalles et se ruer sur notre convoi,
qui, mal gardé, occupait le centre de la
circonférence. Dans la nuit du 9 au
10 janvier, quelques guérilleros de la
bande Corona, montés sur des juments
d'une vigueur extrême, se faufilèrent
entre les compagnies, pénétrèrent dans
le camp et enlevèrent tous nos mulets
en les chassant devant eux. Les arriéras
tirèrent quelques coups de feu sur les
voleurs, mais ce fut tout, et, lorsque le
camp fut mis en éveil par ce hardi
coup de main, les mulets étaient déjà
loin.
La division de Castagny, privée de
ses moyens de transport, était immobi-
lisée et ne pouvait plus continuer sa
PEPITA CAUBAJAL
401
route. Deux uégocianls
a ni é r i c a i n s s u i ^■ a i e n l
cette colonne, avec en-
viron deux cents mules
charçées d'étoffes de
laine, de -sarapes; ils
campaient en dehors,
veillaient sur leurs mar-
chandises, avec leurs
domestiques. Corona ne
les inquiéta nullement ;
le général de Gastagny
crut devoir réquisi-
tionner leurs mules pour
remplacer celles qui nous
avaient été enlevées par
le chef juariste.
Pour pallier cette
faute, due en grande
partie au manque de
surveillance des arriéras
préposés à la garde du
convoi, Tadministratiou
militaire ne trouva rien
de mieux que de faire
déposer dans l'église de
Los Veranos les mar-
chandises des deux né-
gociants américains, sous
la garde d'une compagnie
du 7" bataillon de chas-
seurs. Le commandant
Bréart désigna celle du
lieutenant Chauffeur.
La localité ne ren-
ferme guère que 1,800 ha-
bitants. La posada de la
mère Felipe, rendez-vous
habituel des Mexicains,
qui viennent y discuter
les événements, a une réputation de bon
aloi.
Dans certains jours, lanimation y est
très grande; c'est là que se traitent les
affaires commerciales du pays, et que
les consommateurs apprennent les nou-
velles du jour. Veuve d'un Espagnol,
dont les ancêtres descendaient des pre-
miers conquérants venus dans l'Etat de
Sinaloa à la suite de Fernand Cortez,
la mère Felipe, bien que d'origine fran-
VIII. — 2C.
çaise, connaît toutes les
traditions du pays ; les
haines des deux partis en lutte, les ma-
chos comme les puros; elle a aussi la ré-
putation d'v fabriquer des tortillas d'une
saveur particulière et ressemblant à s'y
méprendre à nos galettes de France; de
plus, elle a chez elle une collection
d'Indiennes, véritables servantes, toutes
plus jolies les unes que les autres.
402
PEPITA CARBAJAL
Cet établissement, on le comprend,
devint, pendant le séjour de nos troupes
à Los Verafios, le rendez-vous ordinaire
de nos jeunes officiers, qui venaient y
prendre leurs joyeux ébats, dans les mo-
ments de loisir que leur laissait le ser-
vice. Pour quelques piastres et même
pour quelques réaux, on pouvait exami-
ner à son aise, entre un bock de bière
détestable et un veiTc de moscatel, les
plus beaux types en ce genre de la
Sierra Madré.
Le 10 janvier 1865, il y avait foule
au café-restaurant de la mère Felipe,
les officiers de la colonne de Gastagny
faisaient leurs adieux à la 4® com-
pagnie du 7" bataillon de chasseurs, qui
allait être laissée seule à la garde de
Los Veranos.
Le départ du reste de la colonne pour
Mazatlan était fixé au lendemain.
Toute une jeunesse, insouciante du
danger et enthousiaste des expéditions
aventureuses, se fêtait réciproquement,
et de bruyants éclats de rire intercep-
taient souvent les conversations.
— Que s(a diciendo el senor ? de-
manda tout à coup une Indienne à un
sous-lieutenant du ôl'^qui se pâmait sur
sa chaise et riait à gorge déployée.
— Il dit : 0 la plus ravissante fille des
tribus Apaches, que tes yeux sont d'azur,
tes dents d'ivoire, ta taille, un palmier,
et tes charmes, le paradis de Mahomet.
(Comprends-tu?
— Voya pues, sefior.
Et, pendant que cet officier dessinait
rindienne sur son calepin, de profil et
de face ;
— Quel est ton nom? lui demanda un
autre.
— Pépita.
La bande joyeuse riait toujours.
— Que sla diciendo el senor ? répéta
rindienne, dont le regard brillant lan-
çait des éclairs.
— Il dit : 0 Pépita ! ù pedazo de
cielo, que la mère Felipe ressemble à la
Vierge de la Guadeloupe.
— Sta un hombre muy diciende, el
senor, ajouta l'Indienne.
— X..., mon ami. — dit un convive,
— tu parles comme un majordome.
— Et toi, chicana de mon cœur,
comme une giberne.
La conversation tournait à l'aigre; il
était temps qu'on se séparât. Vers
six heures du soir, on se serra la main,
et chacun rejoignit son campement.
C'est ici que se place un des épisodes
les plus douloureux de notre campagne
au Mexique.
Le brave Chanfi'eur a toute sa com-
pagnie massée dans l'église de Los Ve-
ranos. Ses avant-postes le couvrent
dans toutes les directions : au pied du
mamelon, sur les bords de la rivière, et
sur les points dominants ayant des vues
du côté du sud, à l'est et à l'ouest. A la
nuit, les postes sont doublés; tout le
monde, cependant, dort autour de lui,
sous un magnifique ciel étoile, au milieu
duquel la lune rayonne dans tout son
éclat. Lui seul veille, roulé dans son
caban, devant un feu presque éteint.
Le silence est complet. Tout d'un
coup, il se sent frapper sur l'épaule par
une main qu'au contact seul il recon-
naît ne pas être celle d'un homme. L'of-
ficier se dresse aussitôt, comme mû par
un ressort; derrière lui se tient une
femjne, drapée dans sa mantille, un
doigt sur les lèvres.
— Caballero, murmura-t-elle à voix
basse, demain tu seras seul ici, méfie-
toi. Corona est prévenu, tu ne saurais
lui résister. Il a avec lui deux mille cava-
liers et des fantassins bien plus nom-
breux que ceux dont tu disposes. Te
voilà prévenu. Adieu.
Puis cette femme disparut dans la
nuit, derrièi'e les faisceaux d'armes.
Qui était cette enchanteresse?... Au
son de la voix, Chanfi'eur a reconnu la
mère Felipe.
Cette apparition soudaine ne le rend
pas moins perplexe, carie lendemain est
vite arrivé, et, s'il est attaqué, comment
pourra-t-il résister aux bandes de Corona
avec un effectif de soixante et un chas-
l'KPlTA CARBA.TAL
403
scurs, lui compris cl son sous-licutcnanl
Jeansclme?
Le crépuscule est court sous la lati-
tude du Mexique. L'aube rayait Thori-
zon comme la diane joyeuse, véritable
chant de l'alouelle, sonnait dans les airs
son refrain matinal, et comme aussi la
cloche de l'église appelait les pieux
Indiens à la prière de l'angélus.
Les troupes dans les différents camps,
autour de Los Veraiïos, se préparent au
déparl. Les tentes sont abattues, les
capotes roulées, les bêtes chargées ; cava-
liers et fantassins sous les armes. Enfin,
la colonne se met en route et il est près
de neuf heures du matin lorsque la der-
nière mule du convoi disparaît sous
bois, enfilant la route de Mazatlan.
Laissé seul. Chauffeur sait qu'il n'a
aucun secours à attendre de la colonne
Cottret, qui est encore à deux journées
de marche de Los Veraiîos. Cela lui im-
porte peu, il fera son devoir... tout son
devoir.
La population de Los Veranos est
inquiète. Les habitants que cet officier
rencontre sur son chemin, en visitant ses
avant-postes, ne savent quelle contenance
tenir devant lui. Certains groupes chu-
chotent dans les rues et regardent nos
soldats de travers. L'établissement de la
mère Felipe est ouvert, comme d'ha-
bitude ; mais quelques-unes des jolies
servantes de la veille ont pris la clef des
champs. Pépita, entre autres, a été ren-
contrée ce matin à cheval dans les bois.
Cette attitude hostile inspire peu de con-
fiance ! Le lieutenant ne perd pas la tête
et se rend chez Valcade.
— Sefior Bartholomeo, lui dit-il, j'ai
fait un drôle de rêve cette nuit.
— Et lequel, lieutenante ?
— J'ai rêvé que je vous brûlais la
cervelle.
L'alcade releva brusquement la tête et
pâlit, comme s'il eût été touché en plein
cœur, puis ajouta :
— Et pourquoi, lieutenante?
— Tenez, Bartholomeo, êtes-vousbien
sûr de vos administrés?
— Aussi sûr que de moi-même, lieu-
tenante.
— Eh bien-, moi j'ai des doutes.
Puis appelant un de ses chasseurs :
— Dans tous les cas, pour plus de sécu-
rité, voilà un lapin à la disposicion de V^.
Et un vieux chasseur à barbe mo-
nacale, portant trois chevrons sur sa
manche gauche, s'approcha de l'alcade,
en faisant sonner distinctement les crans
de la noix de sa carabine et en sifflant
la Casquette du père Bucjeaud.
Bartholomeo comprit, se le tint pour
dit et rentra au logis.
Les terrains couverts sont dangereux,
en ce sens qu'on ne peut voir ce qui s'y
passe et qu'on ne peut s'y mouvoir à
l'aise une fois qu'on y est engagé. Nous
allions encore une fois en faire la triste
expérience.
Parmi nos officiers et nos soldats habi-
tués depuis deux ans à une sécurité
relative, dans les postes occupés par
eux au Mexique, y en avait-il un seul
qui fût capable de distinguer, la nuit,
confondu dans les murmures du vent,
dans le gémissement des eaux d'un tor-
rent courant sur un lit de cailloux, le
bruit léger de l'espadrille du guérillero
descendant les sentiers de la montagne?
En était-il un seul capable de recon-
naître la voix humaine dans ces cris que
fait entendre le partisan mexicain, imi-
tant de façon à tromper l'oreille la plus
exercée les plaintes des oiseaux noc-
turnes, le son rauque, lugubre de la bête
fauve, et composant tout un langage de
signaux intelligibles pour ceux-là seule-
ment qui les employaient?...
Il est six heures du soir. Les hommes
mangent la soupe, à l'intérieur d'un
parapet élevé à la hâte autour de l'église
de Los Veranos pour les couvrir. La nuit
commence à venir. Soudain, une vive
fusillade éclate sur tout le pourtour du
village; le cri : A las armas ! a las armas!
PEPITA CARBAJAL
retentit de toutes parts. Chacun court à
sa carabine, et la défense commence.
Mais nos sentinelles avancées ont été
enlevées au lazzo; dès le premier feu,
un caporal et le chasseur- qui gardent
l'alcade tombent foudi-oyés. Au bout
d'une heure, la compagnie avait déjà huit
tués, douze blessés et vingt prisonniers.
Les chasseurs serrent les rangs autour
de leurs officiers; chefs et soldats sont
décidés à tenir jusqu'au bout et s'en-
couragent mutuellement.
L'ennemi cependant est arrivé à
cent mètres de l'ouvrage, il faut essayer
d'en dégager les abords. Chanfreur prend
avec lui dix chasseurs et tente une sor-
tie. Assailli par une grêle de balles, il
perd encore cinq hommes ; lui-même
est blessé, et reçoit une balle qui lui
brise le poignet. Il rentre à l'intérieur
du réduit, dont toutes les issues, même
celles qui donnent dans l'église, sont
barricadées au moyen des étofTes de
laine, vêtements ou autres marchan-
dises dont on dispose.
La défense en est là lorsque les Mexi-
cains jettent contre toutes ces ouver-
tures des étoupes enflammées, des herbes
sèches enduites de résine. Les plus har-
dis vont chercher du bois, des fagots,
de la paille, entassent contre la porte
de l'église combustible sur combustible.
Le feu ne tarde pas à se déclarer par-
tout, et ce qui reste de la compagnie de
chasseurs combat littéralement au centre
d'un incendie. La fumée aveugle les
défenseurs, la chaleur y est suffocante ;
les blessés endurent des souffrances
atroces. Pas un médecin n'est là pour
faire les premiers pansements.
A la nuit, l'incendie est dans toute sa
force. Le feu pétille; on entend le cra-
quement des bois qui tombent dans la
fournaise. La position n'était plus te-
nable.
Il fallait prendre un parti : se laisser
enfumer, griller vifs, ou sortir de l'église
et se défendre en rase campagne pied à
pied. Ghanffeur prit ce dernier parti. Il
fit remplir de cartouches les poches de
ses soldats ; lui-même s'arma d'une
carabine. Hommes valides et blessés
pouvant marcher sortent de l'église et
gagnent en courant la lisière du bois
voisin. Les cavaliers mexicains les y
suivent ; Chanfïeur fait filer ses chasseurs
devant lui ; il reste seul pour défendre
pied à pied un petit sentier étroit et
encaissé dans lequel la cavalerie mexi-
caine ne peut s'engager; il reçoit là,
coup sur coup, trois coups de lance qui
heureusement ne font que traverser les
chairs et un coup de feu qui lui brise le
tendon d'Achille.
Pendant cet intervalle, la lune s'était
levée. Les chasseurs se comptent alors;
ils ne sont plus que neuf. Ce combat
avait duré quatre heures à raison d'un
Français contre dix Mexicains.
Toute la nuit, cette poignée d'hommes
erre dans les bois, sans orientation, ne
sachant quelle direction prendre. La
Providence vint au secours de Chanffeur
et de ses compagnons d'infortune, qui
purent enfin rallier la colonne de Cas-
tagny au village de Figuereros.
Il était huit heures du matin. Les
chasseurs avaient perdu quarante px'i-
sonniers, presque tous blessés, quinze
tués, total cinquante-cinq hommes, sur
un effectif de soixante et un. Les survi-
vants n'étaient donc plus qu'au nombre
de six, dont deux officiers.
Et si l'on veut savoir maintenant com-
ment sont morts les quarante prison-
niers tombés entre les mains des Mexi-
cains, qu'on lise ce récit que nous tenons
de la bouche du soldat Maréchal, le seul
prisonnier échappé des mains de l'en-
nemi, qui rejoignit Mazatlan un mois
après et qui, connue le dernier Léoni-
das, a pu faire le récit du massacre de
ses compagnons d'armes.
Traînés de village en village, montés
sur des mules, les mains derrière le dos,
flagellés à coups de bambou, ces qua-
rante victimes du devoir ont une mort
digne des temps antiques. Ils furent
attachés à des arbres et servirent de cibles
aux cavaliers mexicains, qui s'élancèrent
contre chacun d'eux à fond de train la
lance en arrêt, en criant à l'un :
i06
PEPITA CARBA.TAL
— Yo apanto al corazon.
A un autre :
— Mira, yo apiinto d las ajos.
Plusieurs furent lacérés à coups de
machete.
Pas un cri, pas une plainte ne s'est
échappé de la poitrine de ces malheu-
reux atrocement mutilés ; c'est ce qui a
fait dire depuis à nos ennemis : « Ces
Français sont de bronze ; la mort elle-
même ne les fait pas plier. »
Leurs cadavres pendus à des arbres,
le long de la route suivie par la colonne
Cottret, furent retrouvés bien des jours
après par le commandant Desportes de
Lignière du5P, qui leur donna la sépul-
ture avec tous les honneurs dus à de
braves soldats morts au champ d'hon-
neur.
Une femme seule s'était faite l'instru-
ment des atrocités commises par les
bandes de Gorona au nom de l'indépen-
dance du Mexique, et cette femme était
Pépita Carbajal, la nièce du chef jua-
riste qui tenait tête à nos troupes dans
l'Etat du Tamaulipas.
Le général de Gastagny usa de repré-
sailles ; il prit des otages dans la localité
de Los Veranos, fit incendier quelques
ranchos des environs. Les flammes
pétillantes des cases auxquelles on avait
mis le feu s'élancèrent en gerbes de
toutes couleurs à travers les branches
des vieux géants de la forêt. L'horizon
était chargé de nuages et parfois les
rafales du vent promenaient la flamme,
comme une torche, sur les lauriers-roses
et les mimosas aux parfums enivrants
qui tapissaient les murs extérieure-
ment.
Nos sentinelles, abritées derrière des
troncs d'arbres, pouvaient entendre le
bruissement des serpents à sonnettes
fuyant ce foyer incandescent et se glis-
sant dans les hautes fougères. Et, lorsque
les débris fumants ne jetèrent plus dans
la campagne qu'une lueur incertaine,
semant partout la ruine et la désolation,
on se mit à la poursuite des bandes de
Gorona.
Les Gaulois prétendaient que les
femmes possédaient un sens de plus que
nous. Ils avaient peut-être raison. La
nature leur a fait deux présents doulou-
reux, mais célestes : la pitié et l'enthou-
siasme qui les élèvent au-dessus des
hommes. Par la pitié, elles se dévouent;
par l'enthousiasme, elles s'exaltent et se
sacrifient.
Dix-huit mois après l'épisode que
nous venons de raconter, le 11 sep-
tembre 1866, au combat de Palos Pie-
tros, Pépita Garbajal, servant dans les
bandes de Gorona, sous un déguisement
d'homme, se faisait blesser mortelle-
ment dans une reconnaissance, et tom-
bait entre nos mains.
Drapée dans son sarape qui ne lui
.laisse voir que la moitié du visage, elle
est amenée devant le docteur Ghevassu,
qui ne put que constater l'arrêt du cœur.
A la vue de cette jeune fille, morte en
héroïne pour l'indépendance de son
pays, le docteur, muet d'étonnement et
gagné par l'émotion, ne put que se
voiler les yeux et se découvrir lentement.
Aujourd'hui une pierre tombale, où
l'oiseau de mort vient égrener ses notes
li'istes et mélancoliques, marque seule
l'emplacement où repose cette victime
du devoir et de l'honneur mexicain.
Une haie de cactus aux épines blanches
et longues l'entoure ; une colonne
brisée la surmonte ; de grands euca-
lyptus, plantés par une main amie, om-
bragent cette tombe ; leurs branches
s'inclinent vers la terre... La route de
Los Veraùos, qui se déroule poudreuse,
longe ce mausolée, grand suaire de
de pierre blanchie à la chaux. L'Indien
se rendant à l'église de Mazallan s'y
arrête forcément. Il se découvi-e alors,
l'âme emplie d'une dévotion touchante.
Gar, comme le dit Victor Hugo :
Ceux qui, pieusement, sont morts pour la patrie,
Ont droit qu'à leur cercueil la foule vienne et prie.
Gomniandant Grandin.
L'ART D'EXPOSER ET D'ENCADRER
Bien encadrer un tableau, un dessin
ou une gravure n'est pas chose aussi fa-
cile qu'on pourrait le croire ; bien pré-
senter une œuvre d'art, l'exposer con-
venablement est aussi chose délicate.
L'art de l'encadrement, a dit Charles
dure non moins décorative et se i^eliant
avec l'ensemble, mais formant néan-
moins un véritable cadre au tableau.
L'Italie surtout a produit à cette époque,
.^jri^l
C i;' : :.-'!'jJ|!!!n!!ll!!!!!!!!!!<!i.!!!!!!!!.'H!!!!!!!!1!!l!!!!!
; iïilinVmïiiïiinViii'it'iiiiifVii»
Effet comparatif d'un portrait encadré dans un cadre doré avec cartouche
et dans une large moulure sombre.
Blanc — avec un peu de solennité,
mais avec beaucoup de justesse, — loin
d'être une affaire de caprice, est assu-
jetti à plusieurs conditions essentielles
dictées par les lois du sentiment.
Le caprice, la mode, si l'on aime
mieux, il faut pourtant en tenir compte,
et depuis le xvi*' siècle jusqu'à nos jours
les encadrements ont bien varié.
Le moyen âge ne connut pas le ta-
bleau encadré ; à proprement parler, il
ne connut que les tableaux portatifs, les
tableaux à volets.
Mais au xvi*^ siècle on commence à
suspendre des tableaux encadrés sur les
panneaux recouverts de tapisserie ou de
cuir de Cordoue. Parfois aussi la pein-
ture, limitée par un entre-colonnement
architectural, était encadrée d'une bor-
a inventé des cadres monumentaux avec
pilastres ou colonnes torses, avec caria-
tides, avec frontons, avec écussons et
armoiries, qui sont d'une richesse et
d'une dimension telles que des vastes
murailles de palais pouvaient seules les
recevoir. Sous Louis XIII, le cadre
reste un peu lourd, et sous Louis XIV
il est exceptionnellement majestueux et
somptueux. II devient capricieux et lé-
ger sous Louis XV; sous Louis XVI, il
est formé de perles et d'oves, il est dé-
coré de nœuds de rubans et de mi-
gnonnes guirlandes de fleurs. Sous le
premier empire, les palmettes antiques
réapparaissent et... ici s'arrête le cadre
historique.
A ces époques fortunées — où l'ar-
chéologie n'était pas inventée — chaque
40S
L'ART DEXPOSER ET D'ENCADRER
peintre, sauf pour les sujets d'histoire
ou les sujets religieux — et encore ces
derniers étaient-ils traités avec de cer-
taines conventions très admises, —
chaque peintre ne peignait que peu ou
point de sujets de genre rétrospectifs, il
reproduisait des scènes de son temps
et dès lors il les encadrait tout naturel-
lement dans le goût architectural et
dans le style du mobilier de son temps.
Cela était tout simple, et il est aussi
fort simple, quand on trouve non enca-
vient voir les tableaux avant qu'on
les ait mis dans leurs bordures, c'est à
peu près comme une femme qui est
surprise à sa toilette avant de l'avoir
achevée.
Bien des artistes, en effet, ne posent la
dernière touche que la toile encadrée...
Mais ce tableau terminé, comme on
Effet comparatif d'une esquisse de tonalité
et dans un
claire encadrée dans une bordure simple et sévère
cadre fantaisiste.
drée une esquisse de Fragonard, de lui
donner une bordure dans le goût de
celle que le peintre aurait choisie lui-
même chez un doreur. De même, aussi,
si Ton veut encadrer un portrait de Da-
vid ou une figure de Girodet, les cadres
à palmettesdu premier empire sont tout
indiqués. C'est là l'enfance de l'art.
A notre époque, tel artiste produisant
des scènes antiques, tandis que tel autre
est confiné dans les épisodes du Direc-
toire, l'encadrement de chaque œuvre
est indiqué en quelque sorte par les
exemples antérieurs; mais, en dehors de
ces règles bien précises, il en est d'autres
dont il faut tenir compte.
Un artiste, disait-on un jour, dont on
peut en augmenter ou en diminuer la
valeur par un cadre plus ou moins heu-
reux !
Il y a d'abord deux principes coii-
(raires, mais tous deux applicables dans
l'art de l'encadrement — comme dans
bien d'autres cas.
On peut encadrer une œuvre d'art —
tableau, dessin ou gravure — soit par
similitude, soit par contraste.
Une scène rustique, par exemple,
peut fort bien s'accommoder de deux
cadres : l'un, très simple; l'autre, très
riche. Le premier s'harmonisera mieux
que le second, évidemment, l'œuvre
ainsi présentée aura plus d'unité; mais
le second rehaussera la valeur du ta-
I.'ART D'EXPOSER ET D'ENCADHEll
AGÙ
bleau ; l'œuvre ainsi entourée, récliaufTée
par la chaleur des dorures, paraîtra un
objet précieux. Cela est si vrai que les
toiles de Millet, — les célèbres, bien
entendu, celles qui se couvrent d'or et
de diamants, — après avoir été modes-
tement encadrées, sont aujourd'hui en-
châssées dans des bordures d'un luxe
drant un portrait, par exemple, soit
avec une bordure étroite, avec car-
touches et armoiries si l'effîg'ie le com-
porte, soit avec une bordure sombre à
filets alternés unis et guillochés.
Dans le premier cas, l'œuvre paraît
plus grande que dans le second, et dans
EfEet comparatif d'une figure traitée en esquisse, placée dans une bordure simple
et dans une bordure très large.
excessif. Il en est de même des Meis-
sonier : jamais la plus insignifiante
esquisse du maître n'est présentée sans
bordure richissime. On a beau être pré-
venu, toujours, toujours le cadre riche
en impose au spectateur, il n'échappe
jamais à cette attraction, et ce cadre
riche, soulignant la valeur de l'œuvre,
prédispose déjà à l'admiration. La loi
des encadrements contraires appliquée
sans relâche a ses dangers cependant.
Ainsi un simple coup d'œil jeté sur
les vignettes qui accompagnent cet ar-
ticle permet de se rendre compte de la
différence d'aspect obtenue en enca-
le second cas elle paraît plus sévère que
dans le premier. Et, indépendamment de
l'effet produit sur l'œuvre elle-même, il
faut tenir compte de la destination du
tableau.
Dans le premier cas, l'œuvre enca-
drée prendra place aisément dans un
salon ; dans le second cas, elle paraîtrait
trop sérieuse, et sa véritable place serait
dans quelque bibliothèque ou dan&
quelque cabinet de travail tendu de
vieilles tapisseries ou de vieux cuirs de
Cordoue.
Par contre, voici une petite esquisse
dans le goût du siècle dernier ou, si
410
L'ART D'EXPOSER ET D'ENCADRER
Effet d'une marge blanche et d'une marge teintée sur un dessin avec demi-teintes.
Ton veut, c'est un de ces petits pan-
neaux dans le goût de Chéret, avec de
légers frottis. Si l'on encadre l'œuvre
dans une simple bordure à filets — la
mettant en saillie, — elle paraît rigide
et froide. La fantaisie, au contraire,
s'accommodera aisément des bandes
d'étoffes de couleurs variées tendues sur
de larges planchettes.
Des angles ornés de feuillages bron-
zés ou dorés, des nœuds de rubans
capricieusement jetés et irrégulièrement
placés, surtout, donneront au contraire
un effet pimpant et brillant et s'har-
moniseront à souhait avec le panneau.
Ici, c'est l'œuvre encadrée par le sys-
tème de similitude qui est préférable.
Nous avons, au contraire, une
simple pochade d'atelier, une figure
à grands plans à peine indiqués,
nous jugeons bon de ne donner à
cette esquisse, dont la silhouette est
accentuée, qu'une simple baguette d'en-
tourage aussi simple que possible. L'effet
obtenu est mesquin et insignifiant. Nous
lui donnons, au contraire, une bordure
de velours, large et d'un joli ton, nous
plaçons dans l'angle un simple cartel,
avec le nom de l'auteur, et le résultat
est tout autre.
L'œuvre encadrée n'a pas changé
de valeur : elle était simple; encadrée
par similitude, elle ne se présentait pas
à son avantage; encadrée richement,
au contraire , elle devient attirante ;
voilà un exemple des avantages de l'en-
cadrement par contraste.
De même pour les marges d'un des-
Efïet d'une marge blanche et d'une marge teintée sur un dessin d'une tonalité claire.
L'ART DEXPOSKU ET DENGADIiER
'.Il
sin ou d'une gravure, largeur et colora-
lion, cela n'est pas indifférent.
La marge claire a pour but de faire
ressortir les vigueurs du dessin ou de la
gravure, la marge bleutée — inventée,
dit-on, par le célèbre collectionneur
Mariette ■ — remplit le même but ; mais
cette dernière, destinée aux dessins ou
aux esquisses, a pour but de faire valoir
les vigueurs aussi bien que les clairs de
la pièce encadrée.
Prenons pour exemple ce petit paysage
avec ciel crépusculaire. Une marge
teintée qui lutte avec les demi-teintes de
l'original donne un aspect très mou au
dessin. Une marge blanche, au contraire,
fait valoir l'intensité du ton de l'œuvre.
Regardons maintenant ce petit cro-
quis, souvenir de Hollande, dont la
tonalité est exceptionnellement claire, il
est absolument noyé si on l'entoure d'une
marge blanche. Plaçons, au contraire,
ce même dessin sur une marge teintée,
large, bien large, donnons-lui une bor-
dure étoffée aussi, l'aspect est tout autre,
la tonalité générale du dessin prend
une importance exceptionnelle, l'œuvre
s'impose.
Maintenant, autre procédé, un dessin
— très petit, de préférence — peut sup-
porter une marge égale à ses dimensions,
double, triple et même quadruple...
mais c'est l'extrême limite, les croquis
ci-joints en font foi, et de plus les
marges doivent toujours être plus larges
dans le bas que dans le haut. Dans nos
croquis nous avons, au contraire, dis-
posé nos marges également sur les
quatre côtés ^du dessin, pour bien faire
saisir combien cette égalité de propor-
tions déroute le regard. II semble que
l'œil, toujours habitué aux bases solides,
est dérouté par cette égalité, et persiste
quand même, en outre, à trouver plus
petite cette marge inférieure, dont il
exige impérieusement l'augmentation;
c'est un effet d'optique contre lequel il
est inutile de lutter.
Enfin, disons, à propos de ces marges
plus ou moins grandes à donner à un
sujet, qu'un dessin encadré par une très
Marge ég^ile.
Marge double.
Marge triple
Marge quadruple.
Effet comparatif d'un même sujet encadré
avec une marge égale,
double, triple et quadruple.
large marge prend parfois un caractère
de préciosité très particulier. Cet isole-
ment— d'un très petit dessin surtout —
412
L'ART D'EXPOSER ET D'ENCADRER
Effet d'un ^ujet encadré avec ou sans marge.
lui donne une importance exceptionnelle,
le moindre croquis ainsi présenté ne
devient plus quantité négligeable. Mais
le procédé n'est applicable qu'aux œuvres
de petite dimension; pour les œuvres
moyenn es ,
ces marges
exagérées
seraient pu-
rement ridi-
cules; pour
les œuvi'es de
grande di-
mension, elles
seraient ab-
surdes et im-
possibles à
réaliser.
Mais, pour
Profil de cadre , * ..
mettant en avant le plan ^^^ marges, il
d'un tableau. y a a U S S i
lécole du pour et du contre. Les uns
prétendent que les marges sont nui-
sibles; les autres, qu'elles sont indispen-
sables. Les uns et les autres ont rai-
son... suivant les cas.
Voici un
sujet pitto-
resque en
hauteur , par
exemple une
rue de vieille
ville : nous
l'encadrons
sans marge,
nous l'entou-
rons d'une
bordure assez
papillotante,
assez riche ;
puis nous pj.Qgj ^g ^^^i^g éloignant
encadrons le ig pian d'un tableau.
I.ART D'EXPOSER ET DENCADUER
413
même sujet avec une marge teintée,
pour en bien faire ressortir les blancs,
Angle extérieur avec bordures dépassant.
et nous plaçons le tout également dans
une bordure ornementée. Evidemment,
dans le premier cas, le sujet encadré
paraît beaucoup plus grand que dans le
second. C'est encore une illusion de
Toeil contre laquelle il est impossible de
réagir; mais, dans le second, les clairs
du dessin ressortent beaucoup mieux.
Pour une œuvre polychrome ou mo-
nochrome, le problème de l'encadrement
est toujours celui-ci : faire valoir les
tonalités, faire exprimer aux clairs et
aux vigueurs leur maximum d'effet.
Partant de ce principe, quelques gra-
veurs, Calamatta, Bracquemond et d'au-
tres encore ont exposé leurs œuvres
sans marge. Les uns ont laissé toutefois
quelque filet blanc au pourtour de la
planche... c'était une concession au goût
des marges; mais ce filet clair n'est pas
utile, au contraire. Si l'on supprime la
marge blanche, c'est pour faire valoir
les blancs, et ce compromis est nuisible,
car ces filets trop étroits ne donnent
pas complètement leurs valeurs aux
noirs.
Le goût est donc un des premiers
principes de l'art de l'encadrement. Peu
d'encadreurs ont ce don de bien voir
d'un seul coup d'œil ce qu'il faut faire
pour l'œuvre d'art qu'on leur confie.
Bien des artistes même se trompent de
la meilleure foi du monde et imposent
souvent bien à tort leurs idées. Il faut
tenir compte aussi de la mode et de la
destination de l'œuvre. Y songe-t-on
toujours?
Il y a des profils de cadre qui mettent
le tableau en saillie, il y en a d'autres
qui le renfoncent, qui l'éloignent pour
ainsi dire du spectateur, qui semblent
creuser la paroi du mur sur laquelle
l'œuvre est placée. Ces derniers profils
sont les plus fréquemment employés. On
a inventé aussi les cadres fantaisistes,
les uns aux coins de bambous superposés
qui rendent les angles extérieurs pour
ainsi dire moins durs, les autres formés
de petites cannelures se traduisant par
des filets minces qui accrochent la
lumière au passage et accentuent le
profil légèrement convexe de la mou-
lure. Ces derniers cadres blancs, d'un
blanc absolu, ont été adoptés par cer-
tains peintres de l'école moderne qui
cherchent avant tout les tonalités claires.
L'effet obtenu était parfois heureux,
mais bien plutôt dans un intérieur que
Profil de cadre convexe à filets multiples.
dans une Exposition où les cadres juxta-
posés se nuisent tous, le plus souvent,
bien que l'art d'exposer soit pourtant le
complément de l'art d'encadrer.
411
LART D'EXPOSER ET D'ENCADRER
Tout d'a-
bord on rit
souvent de
l'amour im-
modéré des
artistes pour
la cymaise.
Voir son ta-
bleau exposé
en hauteur,
c'est pour un
artiste la
plus grande
des calami-
tés. Le pu-
Augile de cadre décoré par application
de feuillages réels et métallisés.
dessus de la plate-forme sur laquelle la
figure est posée, l'œuvre placée sur la
cymaise produira son effet, les rayons
visuels du spectateur se confondant avec
le tracé perspectif du peintre. Mais, si
l'œuvre est placée en hauteur, le specta-
teur croira voir en dessous les surfaces
dont le peintre désirait faire voir le
dessus, et tout l'elîet du tableau sera
détruit. Combien de tableaux ainsi haut
perchés paraissent tomber sur la tête
du visiteur, passant en maugréant sur
l'ignorance du peintre, qui n'est pas
coupable !
Les tableaux mobiles — comme les dé-
corations immobiles — devraient tou-
jours être faits et encadrés spécialement
en vue de l'emplacement qui leur est
destiné.
L'isolement est, d'ailleurs, la meilleure
manière de faire valoir un tableau.
Champfleury disait souvent que chez
soi on ne devrait placer qu'un seul
tableau sur chaque panneau. Il est évi-
dent que, si l'on considère un paysage,
une marine bien encadrés, comme une
fenêtre ouverte sur l'horizon, l'effet de
blic ne voit souvent dans le méconten-
tement de l'artiste qu'une vanité blessée.
Le public a tort.
Voici deux croquis qui juxtaposent la
différence d'aspect d'une même œuvre
Effet perspectif d'un tableau
placé à la hauteur prévue par l'artiste.
Effet perspectif
d'un tableau placé trop haut.
exposée sur la cymaise et placée en
hauteur. Si l'on suppose, par exemple,
une figure assise, dont le peintre a cal-
culé les lignes perspectives pour que le
regard du spectateur puisse voir le
concentration produit par une œuvre
unique est incontestable. Malheureuse-
ment, la place manque souvent à tout le
monde pour appliquer de semblables
théories.
L'ART D'EXPOSER ET D'ENCADRER
il»
Elle manque même aux Expositions,
où les tableaux sont juxtaposés de telle
façon parfois que les bordures se tou-
chent, se superposent et se nuisent aussi
complètement que possible. Et pourtant
il ne faut pas exagérer les excuses de
défaut d'emplacement. Voici un exemple
de panneau sur lequel on a neuf tableaux
à placer. H n'y a pas à le contester, la
disposition des tableaux espacés est de
Ton est placé dans un appartement un
peu sombre, et qu'une fenêtre s'ouvre
subitement devant vous, le paysage, le
lointain ainsi entrevu prend une impor-
tance exceptionnelle ; les tonalités claires
exaltées par le premier plan sombre
prennent une intensité extraordinaire.
Il en est de même d'un paysage vu
sous l'arcade d'un pont, d'une perspec-
rn
Disposition de neuf tableaux sur un panneau
pour occuper le moins de place possible.
Disposition de neuf tableaux sur un panneau
en isolant les cadres.
beaucoup préférable à la disposition des
tableaux juxtaposés. Indépendamment
des œuvres mieux en valeur dans le
premier cas, cette même disposition
offre un ensemble plus agréable et mieux
pondéré. Eh bien, entre l'une et l'autre
de ces dispositions, il n'y a pas un cin-
quième de différence entre les deux sur-
faces murales utilisées. Cela n'est pas
énorme et l'effet obtenu est tout autre.
Aussi les Expositions, comme celle du
Champ de Mars, où les tableaux n'étaient
placés que sur deux rangs au maximum,
tandis que toutes les bordures laissaient
voir entre elles une large bande de la
tenture rouge servant de fond, ces Expo-
sitions dans lesquelles on prenait soin
de tenir à une juste distance le visiteur
— sans qu'il s'en doutât presque — - en
lui traçant son chemin par une bande
de tapis, étaient absolument réussies,
car elles contribuaient ainsi à donner
aux œuvres exposées toute leur valeur
en y ajoutant encore le prestige de
l'éclairage.
Tout le monde sait, en effet, que, si
tive de rue encadrée sous la voûte d'un
portail. Tous ces premiers plans som-
bres rendent les fonds plus lumineux.
Et, dès que vous avez dépassé la voûte
ou l'arcade, l'effet disparaît instantané-
ment, le tout semble pâlir.
Dans les Expositions, il faut obtenir
cet effet de repoussoir — ou à peu près.
Et on l'obtient dans les grandes galeries
en disposant une sorte de faux plafond
opaque qui projette ombre sur le spec-
tateur, tandis que la lumière, limitée
par les bords de ce plafond, frappe di-
rectement les tableaux. On a souvent
exposé aussi avec le même artifice les
tableaux isolés, et là, le spectateur restant
dans l'ombre, tandis que la vive lumière
frappait sur la toile, l'œuvre ainsi pré-
sentée prenait un relief extraordinaire.
Mais on a fait mieux encore et l'on se rap-
pelle dans la galerie Sedelmeyer le bril-
lant effet des toiles de Munckacsy. En
avant de ces vastes compositions, des co-
lonnes dorées formaient premier plan, et,
toute la salle étant plongée dans l'ombre,
le jrrand tableau seul était inondé de lu-
416
L'ART D'EXPOSER ET D'ENCADRER
mière. La mise en scène était tellement
habile que la même œuvre exposée
en 1889 — selon les errements accou-
tumés — parut terne et sombre à tous
Effet d'un tableau exposé isolément avec rayon
de lumière spécial,
laissant le spectateur dans l'ombre.
ceux qui l'avaient vue quelques années
auparavant.
L'isolement, quand on le peut, et la
lumière habilement distribuée, tels sont
les deux grands éléments de succès d'une
bonne exposition.
Il y a de longues années déjà qu'au
musée d'Amsterdam on a résolu ce pro-
blème, en présentant la célèbre Ronde
de nuit dans son vrai jour. On a placé le
chef-d'œuvre dans une bordure d'ébène,
qui illumine par contraste les profon-
deurs du clair-obscur dans lequel se
meut cette multitude de personnages
énigmatiques,si fantastiquement éclairés
par le pinceau de Rembrandt. Quand
verrons-nous en France, à Paris, dans
ces musées où l'on persiste à suivre les
anciens errements, une salle ainsi com-
prise? Pense-t-on que les Noces de Cana
ne nous donneraient pas encore une
bien plus belle impression de fête, si,
au lieu d'être vulgairement suspendues
contre une muraille, elles apparaissaient
en arrière d'un riche portique, répétant
l'ordonnance du splendide palais entrevu
par Véronèse?
Pense-t-on que dans des musées tout
l'écemment agencés — au lieu des cor-
niches étonnantes où les reliefs et les
ors semblent combinés à souhait pour
éteindre l'effet des toiles les plus vi-
brantes — il ne serait pas plus ration-
nel d'ouvrir, de simuler des arcatures
sur les grands panneaux pour bien isoler
et faire tomber un rayon de lumière
spécial sur des toiles comme les Croisés
de Delacroix, ou V Orgie romaine de
Couture, dont on quadruplerait ainsi le
grand effet ?
Exposer une toile tant bien que mal
dans son propre intérieur, c'est admis-
sible, chacun fait comme il peut ; dans une
Exposition passagère, c'est encore com-
préhensible; mais dans un musée, dans
une demeure définitive, dans une col-
lection nationale où ne doivent prendre
place que les œuvres d'art vraiment
Décorations réelles formant au premier plan
repoussoir pour un tableau
exposé en un emplacement spécial.
dignes de passer à la postérité, c'est
presque un crime que de ne pas tirer
parti de toutes les ressources de la mise
en scène pour donner à ces chefs-
d'œuvre toute leur valeur.
Jules Adelink.
LE CHEMIN DE FER DE LA JUNGFRAU
La Suisse était autrefois le jardin
d'été des Anglais ; ils la traitaient en
pays conquis. A voir le sans-^êne in-
croyable avec lequel ils monopolisaient
les compartiments des waj^ons et les
coupés des diligences, sans nul souci
des autres vovai^eurs, on les eût cer-
faut attribuer Téclosion de tous les pro-
jets fantastiques dont les inventeurs ont
nag^uère entretenu le grand public? Il
est malaisé de répondre. Et cependant
la coïncidence semble assez parfaite
pour permettre de Taffirmer. Depuis
quelques années, en effet, il ne se passe
/
jf-'
^1 ^ -H ïïj'^^Mon^hS-^
;v^:^
La i.-^erbTUTn'°n . '^^t.^.-^"
LE TRACÉ DU CHEMIN DE FER DE LA JUNGFRAU (CARTE SIEGFRIED)
tainement crus chez eux. Aujourd'hui
cet état de choses sest modifié, partiel-
lement du moins, et la terre helvétique
donne asile, quand vient la belle saison,
aux touristes de toutes les nations.
L'Angleterre continue, sans doute, à
fournir un contingent fort important,
mais la France, lAllemagne, l'Amé-
rique surtout, ne sont pas moins lar-
gement représentées dans ce flot humain
qui se met en mouvement à la fonte des
neiges.
Est-ce à l'invasion américaine qu'il
VIII. _ 27.
guère de mois sans que l'on n'en-
tende parler d'une nouvelle entreprise,
plus hardie que ses devancières, et des-
tinée, dans l'esprit de ses promoteurs, à
détenir le record de l'audace et de la
témérité. Mais à peine l'œuvre est-elle
terminée qu'une nouvelle proposition
voit le jour : elle est accueillie favora-
blement, les travaux commencent et
c'est ainsi qu'après le chemin de fer du
Rigi est venu celui du Pilate, puis toute
cime a dû posséder sa ceinture de fer :
funiculaires du Stanserhorn (1,900 m.l,
418
LE CHEMIN DE FER DE LA JUNGFRAU
à traction électrique, du Giessbach, de
Glion, etc. ; chemins de fer à crémail-
lère du Rothhorn, de Brienz ("2,351 m.),
des Rochers de Naye (2,075 m.), de la
Wengernalp, etc., etc.
Lorsque chaque sommet de quelque
importance eut été ainsi pourvu d'un
réseau spécial, il fut difficile de faire
apparaît dans toute son éclatante blan-
cheur et sa majesté sans pareille. 11
n'est donc pas étonnant qu'elle ait séduit
les techniciens toujours curieux de nou-
velles tentatives. Comme on le sait,
d'ailleurs, il n'est pas question ici d'un
projet fantaisiste destiné à dormir son
dernier sommeil dans un casier, avec
L'Kigi
LA PETITE SCHEIDEGG
P A N (J R A M A
mieux sans s'attaquer aux glaciers.
Aussi les éminents ingénieurs qui sont
chargés du service des communications
à l'usage des étrangers visitant la Suisse
truquée n'ont-ils pas hésité un seul
instant. La plus haute cime d'Europe, le
Mont-Blanc, n'appartenant pas au sol
helvétique, malgré l'obstination de cer-
tains géographes, il n'était guère pos-
sible de porter son choix sur une som-
mité plus intéressante que ne l'est la
Jungfrau.
Cachée sous son voile éternel de
neige, comme dit poétiquement le pro-
saïque Bœdecker, la Vierge (Jungfrau)
une étiquette pour épitaphe ; il s'agit
d'une entreprise absolument réelle et
même en cours d'exécution à l'heure
actuelle. A ce point de vue, le chemin
de fer de la Jungfrau présente certai-
nement un intérêt spécial.
L'Oberland bernois constitue le centre
de toute excursion en Suisse : il n'est
guère de touriste qui n'ait elfectué le
charmant voyage circulaire qui com-
prend les lacs de Thoune, de Brienz et des
Quatre-Cantons, en passant par Inter-
laken et Lucerne. Lorsque le temps est
beau, cette promenade en pleine Suisse
classique est réellement arlmirable. Les
LE CHEMIN DE FEH DE I.A .lUNGFRAU
419
lacs bleus, les sombres lorêls de sapins,
les chalets aux toits pointus et, dans le
fond du tableau, les glaciers éblouis-
sants, charment le regard et le retien-
nent. La longue chaîne qui borne Tho-
rizon vers le sud est celle de la Jungl'rau :
le Wetterhorn, le Schreckhorn, le Fins-
teraarhorn, FEiger, le MitMich, la Jung-
à l^auterbrunnen. Enlh), Je chemin de
l'er de la Wengernalp, réunissant Lau-
terbrunnen à (îrindelwald, permet de
franchir la troisième. C'est, en ellet, de
Tune des stations de cette ligne de
haute montagne que part le chemin de
fer de la Jungfrau. Cette station, placée
au sommet du col de la Petite Scheidegg,
INTERLAKEN ET LA JUKGPRAU
frau, puis le Breithorn, le Schildhorn for-
ment un long rideau dont on aperçoit tour
à tour quelques plis. C'est d'Interlaken
que la Jungfrau semble le plus belle.
Du Hœheweg, la promenade des An-
glais du lieu, où les palmiers de Nice
sont remplacés par une double allée de
superbes noyers, on peut la contempler
dans toute sa splendeur. Mais, pour s'ap-
procher d'elle, il est nécessaire de
quitter la grande ligne qui va de Thonne
à Lucerne par le Brûnig. Un chemin de
fer spécial, créé il n'y a que peu d'an-
nées, permet de franchir la seconde
étape en allant, soit à Grindelwald, soit
est à 2,069 mètres d'altitude. Elle jouit
d'une vue admirable : à l'est, la vallée
de Grindelwald ; au sud, l'Eiger, le
Mœnch et la Jungfrau, qu'il s'agit main-
tenant d'atteindre.
On ne pouvait évidemment songer à
établir, comme certains inventeurs fan-
taisistes le proposaient, un ascenseur
avec tunnel central et galerie d'accès.
On ne pouvait non plus faire usage d'un
funiculaire, par suite de la marche des
glaciers. On a donc eu recours à un sys-
tème mixte ayant déjà fait ses preuves.
Pour la plus grande partie du tracé, on
s'est adressé à la crémaillère qui fonc-
420
LE CHEMIN DE FER DE LA JUNGFRAU
lionne au Rigi, au Pilate, au Monte-
Generoso et ailleurs. De plus, on a
substitué rélectricité à la vapeur, ce
qui représente une solution non seule-
ment plus élégante et plus moderne du
L ^, — , ^ ~~y7
LES TUNNELS — PROFIL
problème, mais surtout plus pratique et
plus économique ; la seule d'ailleurs
dont il pouvait être question dans le cas
présent. L'énergie est empruntée aux
eaux de la Lûtschine, de sorte que le
glacier fournit lui-même la force qui
permet de le vaincre.
La Lûtschine est cette rivière qui se
jette dans le lac de Brienz, tout près
d'Interlaken (à Bônigen) ; elle est formée
de deux cours d'eau, la Lûtschine
blanche et la Lûtschine noire, qui pren-
nent leur source en des points assez
éloig-nés. La première descend du Wet-
terhorn par la vallée de Lauterbrunnen,
la seconde vient des glaciers de Grin-
delwald. Il s'ensuit que Ton peut atta-
quer la Jungfrau des deux côtés, à Test
ou à l'ouest, en uti-
lisant la puissance
hydraulique. Dans
/^ \' le projet qui reçoit
un commencement
d'exécution actuel-
lement, M. Guyer-
Zeller choisit la se-
conde hypothèse :
la ligne part de la
Petite Scheidegg et
franchit l'Eiger et
le Mœnch pour at-
teindre la Jungfrau.
Deux usines sont
donc établies à
proximité, qui uti-
lisent la force mo-
trice des Lûtschines
en la transformant
en courant électri-
que, transmis par
câbles aériens aux
moteurs des wagons
automobiles. La pre-
mière, établie près
de Lauterbrunnen,
est alimentée par
l'eau de la Lûtschine
blanche; la seconde,
édifiée à Burglaue-
nen, au pied du
Ma?nnlichen, reçoit
l'eau de la Lûtschine noire.
La force motrice des deux rivières est
utilisée à l'aide de turbines donnant
plus de 6,000 chevaux, soit 1,500 che-
vaux pour la première station et 4,800
pour la seconde. Cette énergie est
transformée en électricité au moyen de
machines dynamos produisant du cou-
rant alternatif.
Ce mode de faire est celui que l'on
emploie actuellement dans tous les cas
analogues. On sait, en elfet, que l'ex-
traction de la <' houille blanche » n'est
LE CHEMIN DE FER DE LA JUNGFRAU
421
devenue réellement pratique qu'à partir
(lu jour où, grâce au fluide électrique,
elle a pu être effectuée même loin des
centres industriels.
Sans doute, il existe des exemples
de transmission hydraulique à d'assez
recours pour actionner les wagons du
chemin de fer de la Jungfrau. Mais
d'une part, si les courants alternatifs de
haut voltage se prêtent mieux au trans-
port de la force aux longues distances,
ils présentent d'autre part le désavan-
tage réel d'être très dangereux et de ne
convenir que médiocrement à la pro-
duction du mouvement ; c'est du moins
l'un des freins AC4ISSANT SUR LE RAIL CENTRAL
grandes distances (certaines villes pos-
sèdent un réseau complet de canali-
sation d'eau sous pression), mais ce sont
là des cas exceptionnels, et la déper-
dition de force, consécutive aux frot-
tements qui se produisent à l'intérieur
des tuyaux, pour ne parler que de cet
inconvénient, empêchera toujours ce
système de se généraliser. Avec l'élec-
tricité, les conditions du problème chan-
gent du tout au tout : un fil de section
convenable réunit les stations de pro-
duction et d'utilisation du courant et, si
le voltage — c'est-à-dire la tension ou
la pression — est suffisamment élevé,
la perte de fluide sur la ligne est en
somme très faible.
C'est donc à l'énergie électrique, pro-
duite hydrauliquement, que l'on a eu
ce qu'affirment certains électriciens.
Aussi le courant alternatif produit
dans les usines hydrauliques est-il
transformé en courant continu. Ces
transformateurs ont donc un double
effet ; ils modifient la nature du cou-
rant qui devient continu, d'alternatif
qu'il était ; et, de plus, ils abaissent le
voltage, de manière à obtenir une ten-
sion normale, n'exposant pas aux graves
accidents.
La question de la production de la
force motrice nécessaire pour atteindre
le sommet du glacier étant résolue,
vovons comment cette force est utilisée
et par quels chemins les ingénieurs ont
décidé de franchir les 2,101 mètres qui
séparent la Petite Scheidegg de la cime
de la Jungfrau. Cette partie du pro-
422
LE CHEMIN DE FER DE LA .TUNGFRAU
blême n'est pas la moins intéressante, ni
surtout la moins difflcultueuse. Gomme
on Ta déjà dit, c'est à la Petite Schei-
degg (Kleine Scheidegg, 2,066 m.), que
commence, à proprement parler, la
li^'^ne de laJungi'rau. Elle part de la sta-
tion du chemin de fer de Lauterbrunnen-
Grindelwald pour arriver à 2,307 mè-
tres au pied du glacier de l'Eiger oîi se
trouve la station de l'F^igergletscher.
ASCENSEUll TERMINUS DE LA LIGNE
(Projet).
Cette première section, longue de
1,950 mètres, ne présente aucune diffi-
culté spéciale comme construction. La
pente n'est que de 12,4 pour 100. Le
tracé indiqué est définitif et les ti^avaux
de terrassements s'effectuent depuis le
1<"" août de l'année 1896.
C'est au-dessus de cette première sta-
tion que commence le tunnel de la Jung--
frau. La ligne entre résolument dans la
montagne pour n'en sortir qu'aux sta-
tions, peu nombreuses d'ailleurs. La
première qu'elle atteint est celle de
l'Eiger (3,270 m.), après avoir franchi,
en tunnel bien entendu, des pentes de
25 pour 100. De la station de l'Eiger,
d'où Ton jouit d'un panorama admi-
rable, la ligne se dirige, toujours dans
les flancs du massif, vers le Mœnch
(4,104 m.). Cette partie du tracé est
rectiligne; la pente ne dépasse pas 15,5
pour 100. La ligne franchit l'arête qui
unit l'Eiger au Mœnch et, passant sous
le sommet de ce dernier mont, vient ap-
paraître à la lumière vers 3,550 mètres,
en un des points culminants du tracé
('station du Mœnch, 3,550 m.). La vue
dont on jouit est fort belle.
Pour atteindre la Jungfrau, qui n'est
décidément pas une conquête facile, il
est alors nécessaire de redescendre. Le
Moine (Mœnch) est, en effet, séparé de
la Vierge (Jungfrau) par un col cou-
vert de glaciers (Jungfraujoch), Pour
retrouver le roc solide, car on ne peut
songer à asseoir la ligne sur le sol mou-
vant des glaciers, il faut abandonner les
hauteurs et passer de l'altitude de
3,550 mètres à celle de 3,393 (station
d'Alelsch-Guggiou de la Jungfraujoch).
La pente est de 10 pour 100 environ. De
ce point, le tracé s'engage de nouveau
dans la montagne et, par une série de
courbes et de pentes (25 pour 100),
aboutit à la station d'Elevator, située
exactement au-dessous de la cime de la
Jungfrau. Un ascenseur électrique
permet de franchir les quelques mètres
(75 environ) qui séparent cette station
du point terminus de la ligne (4,166 m.).
Diverses variantes ont été proposées.
L'une des plus intéressantes est celle du
professeur Becker, d'après laquelle le
tracé serait demeuré complètement sur
le vei^sant bernois du massif de la Jung-
frau. Le tunnel serait ainsi raccourci de
3 kilomètres, sans que la pente dépasse
jamais 25 pour 100. Il est probable
d'ailleurs que le projet de M. Guyer-
Zeller, indiqué plus haut, sera modifié
dans plusieurs de ses parties essen-
tielles.
Des objections de diverses natures
ont été formulées, en effet, et l'impar-
tialité oblige à constater qu'elles n'ont
pas toutes été réfutées avec le même
bonheur. Celles qui ont trait à l'hygiène
\.K CHKMIX DE FK1{ DK LA JUNGFRAU
423
et au c()lé purtMiieiil technique de la
question ont été assez victorieusement
annihilées par le promoteur de rentre-
prise, dans la hrochnrc qu'il a publiée à
ce sujet. On n'oserait affirmer le même
optimisme à l'endroit des objections
d'ordre financier et de celles tirées des
données ^éoloj^iques.
nelati\-ement à rhvi;ièno, deux c:-ueils
parviennent parfaitement à s'habituer
aux atmosphères raréfiées. On sait que
l'accoutumance se produit également
pour les hautes pressions, comme le té-
moignent les plongeurs et les scaphan-
driers. Quant aux voyageurs, ne devant
effectuer aucun travail pénible, puis-
qu'ils seront confortablement assis dans
les wagons automobiles, ils n'auront
CHEMIN DE FEU DE JX U R U E N
étaient à redouter. D'une part, on pen-
sait,qu à partir d'une certaine altitude
(environ 3,000 mètres), les ouvriers em-
ployés à la construction de la ligne ne
pourraient fournir la somme de travail
ordinaire ; d'autre part, il semblait à
craindre que les voyageurs, transportés
rapidement à plus de 4,600 mètres de
iiauteur. ne sentissent les atteintes du
mal de montagne. Or ces craintes ne
paraissent pas fondées. Par un entraîne-
ment progressif, que la construction de
la ligne produit d elle-même, les ouvriers
pas le mal de montagne, causé en grande
partie, à ce qu'attestent les aéronautes,
par la dépense musculaire, lorsqu'il s'agit
du moins de faibles altitudes.
L'hygiène n'aura donc pas trop à souf-
frir ; en sera-t-il de même du capital
engagé dans l'entreprise? Il est permis
d'en douter. On peut se demander, en
elîet, avec une certaine anxiété, lors-
qu'on est actionnaire, comment l'exploi-
tation d une semblable ligne, ouverte
pendant quelques semaines seulement
chaque année, pourra donner des béné-
424
LE CHEMIN DE FER DE LA JUNGFRAU
fices proportionnels aux frais énormes
causés par la construction et l'entre-
tien ?
Des calculs très détaillés, avec chiffres
très précis, ont été faits par Tingénieur
Guyer-Zeller dans le but de démontrer
l'excellence de l'affaire. On dit même
que les fonds ont été souscrits. Voici le
résumé très succinct des supputations
du promoteur de l'entreprise.
Frais d'établissement :
Concession, émission des actions. 500,000
Établissement de la lig;ne (projet,
plans, tunnels, terrassements). 5,574,600
Établissement de la voie (rails,
traverses, etc. 554, iOO
LTsines hydroélectriques pour la
production de la force 800,000
Matériel de transport : wa-
gons, etc 821,000
Stations, restaurants, etc 180,000
Personnel et mobilier 210,000
8,800,000
Imprévu 1,200,000
Total 10,000,000
OU , en comprenant l'ascenseur termi-
nus, 780,000 francs par voiture-kilo-
mètre.
Les frais d'établissement s'élèveraient
donc à environ 10 millions de francs.
On a admis que le mètre courant de
tunnel ne reviendrait qu'à 350 francs
(10,400 mètres à 3,040,000 fr.), ce qui
est évidemment très peu.
Après les dépenses, les recettes. Ces
dernières sont encore plus malaisées à
établir. Comment prévoir , en effet ,
quelle sera l'affluence de voyageurs sur
une lig-ne aussi peu semblable à toutes
les autres? Il y a donc des aléas et les
chiffres proposés ne peuvent être accep-
tés qu'avec une extrême réserve.
D'après la concession, le prix du
voyag'e aller et retour (jusqu'au sommet
de la Jungfrau) ne doit pas dépasser
45 francs. On s'est arrêté à la somme
de 40 francs, ce qui donne une moyenne
de 35 francs seulement par suite des
réductions (billets circulaires, etc.). Si
l'on admet que le nombre de touristes
sera de 20,000 pour la première station
(glacier de l'Eiger), et de 10,000 pour la
dernière (cime de la Jungl'rau), les taxes
de course étant '2 fr. 50 et 35 francs, on
obtient la somme de 400,000 francs. En
ajoutant quelque 3(M),0(M> francs pour les
quatre stations intermédiaires, on voit
que la recette brute sera voisine de
700,000 francs. Si Ion rapproche ces
chitîres de ceux donnés plus haut pour
les frais d'établissement et d'exploita-
tion, on constate que le bénéfice annuel
atteindra 350,000 à 400,000 francs. Les
actionnaires recevront donc un divi-
dende voisin de 6,8 pour 100. Il ne
s'agit pas ici d'une chronique financière,
mais du simple exposé des évaluations
publiées par M. Guyer-Zeller dans son
rapport technique. On ne peut certaine-
ment que souhaiter la réalisation de ces
prévisions optimistes.
Les objections tirées de la géologie
sont de divers ordres. D'une part, en
effet, la nature du sol est assez mal
connue dans les massifs de hautes mon-
tagnes ; de plus , on ignore générale-
ment quelle est l'épaisseur des glaciers.
De là deux difiicultés assez sérieuses
pour l'établissement du tunnel.
Relativement au massif de la Jung-
frau, on admet qu il est constitué en
grande partie (3/4), dans la section que
doit traverser la voie , par du cal-
caire du Jura, roche très homogène qui
forme les parois abruptes de l'Eiger.
Pour l'autre quart du tunnel, les pro-
fesseurs Golliez et JMoesch supposent
qu'il est compris dans du gneiss. De la
sorte, le revêtement intérieur du tunnel
sera des moins coûteux et la maçonnerie
pourra être évitée dans un grand nombre
de cas.
Les connaissances géologiques que
l'on possède actuellement permettent
donc de procéder avec une sûreté suf-
fisante et sans trop d'appréhensions. II
est juste d'ajouter toutefois que cer-
taines parties du tracé né laissent pa§
que dinquiéter sérieusement les ingé-
nieurs. Tel est le cas, par exemple, de
celle qui est comprise entre le Mœnch et
la Jungfrau. A quelle profondeur au-des-
sous de la surface lii)re du glacier fau-
LE CHEMIN DE FER DE I,A .lUNGFRAU
425
dra-t-il descciitlro pour trouver le sol
ferme ?
On sait que, lors tle riiistallatiQn de
l'observatoire du mont Blanc, on a dû
renoncer à le fixer directement sur le roc.
Des vérins , convenablement disposés,
permettent de redresser l'édifice et das-
H. Meyer, d'Aarau, liront la jn'emière
ascension connue de la Jungl'rau. La
cime ne méritait donc plus son nom.
Qu'en sera-t-il lorsque des trains com-
plets amèneront, de tous les points du
globe, des innombrables voyageurs,
avides sans doute de contempler un
STATION DE LA PETITE SCHEIDEUfi
surer sa stabilité lorsque les mouvements
du glacier Font compromise.
Dans le sous-sol delà Jungfraujoch, il
ne saurait être question d'employer un
semblable artifice. La voie doit absolu-
ment reposer sur la terre ferme. On sera
donc peut-être obligé d'établir le tunnel
beaucoup plus bas qu'on ne le pense, de
manière à éviter, non seulement le gla-
cier lui-même, mais les failles de glace
que l'on ne manquerait pas de rencon-
trer si l'on se maintenait trop près de la
surface du col.
C'est en 1811 que MM. Rod et
spectacle incomparable, mais plus dési^
reux encore de pouvoir se vanter d'un
exploit qui, en somme, n'exigera qu'une
minime dépense de courage et même une
assez médiocre mise de fonds?
Les vrais admirateurs de la nature
déserteront ces sommets envahis par le
snobisme et se mettront en quête de
nouvelles cimes inexplorées jusqu'à ce
que la science, aidée de la spéculation,
les chasse de nouveau de ce qu'ils consi-
déraient comme leur domaine.
A . R E R T H I E p .
LES ALGUES
Les véyélaux les plus anciens, c'est-à-
dire ceux qui, les |)remiers, ont habité la
planète, vivaient certainement dans Teau
des mers. Ils sont actuellement repré-
sentés par rim-
mense yroupe
Fiff. 1. —
Wraiigelia muJtiJida. Floridée Célidiée,
Qinrt grandeur naturelle.
des Algues» si nombreux qu'à lui seul il
peut conlre-balancer Tensemble des
autres plantes.
Les Algues ne possèdent aucun des
oi'ganes qui caractérisent les
A'égétaux terrestres, elles sont
adaptées à un régime aquatique
et dépourvues de racines, de
tiges, de feuilles et
de fleurs.
Le corps d une
Algue est nommé
thalle ou fronde:
c'est tantôt une
simple cellule, tantôt
un blâment grêle,
un ruban ou une
lame plus ou moins
dentelée, tantôtenlin
une apparence d'ar-
buste aACC branches
el appendices ressendjlant à des feuilles.
Si Ton examine à l'aide du micro-
scope la structure interne d'une .Algue
quelconque, on ne trouve chez elle ni
tubes, ni vaisseaux conducteurs de la
sève, mais seulement des cellules se répé-
tant indéfiniment, identiques à elles-
mêmes dans toutes les parties de
la plante. Il n'y a, pour ainsi dire,
pas de tissus différenciés.
Malgré celte simplicité de
structure, les Algues offrent des
formes et des dimensions extrê-
mement variées. Les protocoques
des ruisseaux , qui
donnent aux pavés
leur couleur verte,
sont des disques très
petits, puisqu'ils ne
dépassent pas un cinq-
centième de millimètre
de diamètre; les tri-
chodesmes d'Ehren-
berg sont plus petits
encore, ils mesurent à peine un millième
de mijlimètre et ce sont eux qui par
leur extraor-
dinaire accu-
Fig. 2. — Spliœrucoccus
<:oronopifolius.
Floridée Sphœrococcacée
Demi-grandeur naturelle.
mutation pro-
duisent la co-
loration à la-
quelle la mer Rouge doit son nom ! tandis
que les macrocystesdes mers australes at-
teignent un demi-kilomètre de longueur.
LKS ALGUES
427
Fig. 3: —.Lomehtaria clavellosa. Floridée Rhodyméniée.
Doini-graiuleur naturelle.
Les Algues fixées couvrent les rochers
de la plag'e, mais elles deviennent très
rares lorsque la profondeur du fond sur-
passe trois cents mètres, elles ne s'éloi-
}:;nent donc pas beaucoup des rivages.
Fortes marées, courants violents arra-
chent et dispersent
les forêts sous-ma-
rines. Les plantes détachées des corps
résistants sur lesquels elles étaient cram-
ponnées se séparent, les unes pour
échouer sur les côtes, les autres pour
aller rejoindre dans la haute mer les
tapis épais de sargasses péla-
giques flottantes, dont les dé-
pouilles se carbonisent au plus
profond des Océans. Les varechs
fournissent aux agriculteurs
un engrais qu'on recueille soi-
gneusement. M La côte
est la ceinture dorée de
la Bretagne. » Les Bre-
tons distinguent les va-
rechs d'échouage et les
varechs de rochers, ils
coupent méthodiquement
ces derniers et les pré-
fèrent aux autres à cause
de la supériorité de leur
action.
Quelques Algues sont
comestibles, d'autres sont
employées dans l'indu-
strie pour l'extraction
des sels de soude, de l'iode, du brome
ou de substances gommeuses spéciales.
La foule innombrable des Algues a été
classée par les naturalistes d'après la
nature des pigments colorés qui les
diversifient et aussi d'après le degré de
perfection des organes reproducteurs
quelles possèdent.
Fig. 4. — Chylocladia haliformif
Floridée Rhodyméniée.
Quart grandeur naturelle.
Fig. 5. — Bostrychia scorpioïdes.
Floridée Rhodomélée.
Demi-grandeur naturelle.
428
LES ALGUES
On n"a pas fait intervenir l'habitat, car
les types primitivement marins ont en-
vahi la terre ferme et leurs familles sont
aujourd'hui représentées dans les eaux
Fig. 6.
Laurencia tenuissima .
Floridée Rhodomélée.
Quart grandeur
douces des rivières, des torrents, des
ruisseaux et des mares, ainsi que sur le
sol humide.
La classe des Algues se partage en
quatre ordres :
Les Algues bleues (cyanophycées) ;
Les Algues vertes (chlorophycées i ;
Les Algues brunes (phéo-
phycées) ;
Les Algues rouges (rho-
dophycées).
Ces derniè-
res se font re-
marquer par
leur port gra-
cieux, par
l'éclat de leurs
brillantes cou-
leurs, ce sont
les vraies
« fleurs de la
mer », les flo-
ridées, comme
a dit Lamou-
Quelles élé-
gances ne
développent-
elles pas dans
Fig. 7.
PoJysiphonia urceolata.
Fig. 8. — Polysiphonia penicillata.
Floridée Rhodomélée.
Demi-grandeur naturelle.
les flaques limpides au pied des rochers
ensoleillés ? Doucement balancées par
les petits remous, elles font onduler
leurs crinières, dressant à côté des
Actinies paresseuses
leurs rouges panaches
que froissent les crabes
brutaux.
Quelques floridées ter-
ripètes ont quitté les
rivages pour s'engager
dans les eaux
saumàtres et
gagner les
fontaines les
plus pures ,
les plus vifs
torrents dont
elles embellis-
sent les bords.
Chez les
floridées, les
frondes sont
filiformes, tu-
Floridée Rhodomélée. buleuses OU
Demi-grandeur naturelle. très ramifiées
LES ALGUES
42«
^céramies), ou rameuses et foliacées
(délesséries). I-,eurs nuances varient du
rose le plus tendre au pourpre et au
violet le plus foncé qu'avivent encore la
lumière et Taction atmosphérique.
L'intensité de la lumière diminue rapi-
dement à mesure qu on pénètre plus
profondément dans la mer; les radiations
très réfrangibles, moins facilement absor-
bées que les autres, plongent pourtant
aux environs de trois cent
cinquante mètres; plus bas,
c'est la nuit !
Les Algues n'aimtnt p.is
l'obscurité; les verte^ n a-
b a n d o n n e nt
\
\^
\
£^
jamais les
eaux superfi-
cielles, parce
que l'activité
de la chloro-
phyllequ'elles
ren ferm e n t
serait anni-
hilée dans un
milieu som-
bre; les brunes
s'enfoncent
un peu plus
loin ; mais ce
sont les rou-
ges, nos ilo-
ridées , qui
ont le record
de l'adapta-
tion, elles
brillent encore où les autres meurent.
Les floridées peuvent se multiplier
par segmentation de leur thalle, par
spores ou par œufs.
Dans le premier cas, il y a séparation
de jeunes rameaux servant de propa-
^u/es capables de se bouturer imélobé-
sie, griftithsie ; ce procédé de multipli-
cation est assez rare.
Le second cas est absolument général :
on voit quatre petites cellules naître
dans un tétrasporange et quitter la
plante pour aller germer dans un endroit
favorable. Les tétraspores sont tantôt
plongées dans l'épaisseur du thalle, tan-
tôt rangées sur des rameaux spéciaux,
tantôt groupées au fond d'un concep-
tacle; elles émigrent au gré des cou-
rants.
Les phénomènes de la reproduction
sexuée présentent chez les floridées plus
d'intérêt que les précédents, mais ils sont
moins facilement observables. Les petits
corpuscules fécondateurs produits en
o-rand nombre dans les chambrettes dites
anthéridies restent immobiles et
n'arrivent en contact avec les
oiganes femelles que par l'inter-
mediane de la vague qui les
porte Les organes femelles
compi ennent une masse
cellulaire et
-Z -« ^
-£^^^
Fig. 9 — P Ày^iiphonia Biodicet
I loi idée Rhodomelee
Deiu gr II le ir n itnrcllc
th-*!^^^
une soie plus
ou moins lon-
gue, qui sert
à pêcher et
à retenir les
corpuscules
mâles au pas-
sage. Après
fécondation,
c'est-à-dire
après la péné-
tration des
cellules mâles
dans la soie
( trichogyne ) ,
on voit la
masse cellu-
-5^ laire femelle
donner nais-
sance à des spores capables de germer,
ce sont les prolospores. — Ce qui est ici
absolumentremarquable, c'est de trouver
l'œuf fécondé végétant sur la plante
mère à la façon d'un parasite et produi-
sant, après un certain temps, iion pas la
plante elle-même, mais des protospores
légères capables de germer I
L'étude purement scientifique des flo-
ridées offre de sérieuses difficultés, elle
ne convient, en réalité, qu'aux natura-
listes déjà mûrs; mais la récolte et la
mise en herbier de ces magnifiques
représentants de la flore marine sont
des occupations intéressantes, même
530
LES ALGUES
pour les plus jeunes écoliers que les
vacances amènent sur les bords de la
mer.
Armez-vous donc d'une canne à pêche
en bambou portant un crochet à Tune
Fig. 10. — Polysiphonia parasitica.
Floridée Rhortomélée.
■ Demi-grandeur naturelle.
de ses exti'éniilés ; entrez dans Teau
jusqu'aux genoux si cela est nécessaire,
fouillez les flaques, détachez doucement
les échantillons qui vous plaisent et
plongez-les dans un bocal plein d'eau de
mer pour les transporter jusqu'à la
maison. Vous pouvez remplacer ce bocal
par un seau de fer-blanc.
Les points du territoire français les
plus favorables à la récolte des Algues
sont en Normandie et en Bretagne,
depuis Arromanches jusqu'à l'embou-
chure de la Loire.
Notre ami P. Hariot, dans son Atlas
des Algues marines, indispensable aux
collectionneurs, recommande : Arro-
manches, Saint- Vaast-de-la-Hougue,
Cherbourg, Granville , Saint- Malo,
Brest, Belle-Isle, Le Croisic.
Beaucoup d'autres stations fournis-
sent leur contingent plus ou moins riche,
par exemple : les côtes du Calvados,
Dieppe, Étretat, Saint- Valéry, Bou-
logne, Fécamp, Roscoff, Concarneau et
les îles Glénans, Les Sables-d'Olonne,
Royan, Fouras, etc.
On retrouve également quelques plages
fertiles de Biarritz à la frontière d'Es-
pagne.
Dans la Méditerranée, les meilleures
stations sont : Marseille, Toulon, les
îles Lérins et la pointe d'Antibes. Mais
la Méditerranée n'a pas de marées, les
herborisations y sont moins faciles et
les plantes moins belles et moins abon-
dantes.
Sur les rochers, à très basse mer, en
été et en automne, vous trouverez la
Wrangélie aux crampons fibreux, à la
fronde purpurine. Elle prend une cou-
leur rouge brique en se desséchant (fig. 1 ) .
Vous trouverez aussi le Sphérocoque
dont la consistance est cartilagineuse, il
est souvent rejeté à la côte après les
fortes marées ; sa couleur est cai'niin
vif en échantillon frais, pourpre en
sec (fig. 2).
Pendant toute l'année, sur les Algues
des plages sablonneuses vit la Lomen-
larie, de consistance presque gélatineuse,
carminée comme la Chylocladie sa voi-
sine qui s'applique aux galets (fig. 3 et4).
Le Bostryche en queue de scorpion
peut être récolté en tout temps sur les
roches vaseuses et dans les rivières
marines. Sa couleur, qui se conserve
bien en herbier, est un violet livide fort
joH (fig. 5).
Fig. 11.
Polysiphonia pa)-asitlca
dressé.
ridée Rhodomélée.
Demi-grandeur
naturelle.
IJ-:S ALC. UKS
431
Les Laurenoies ont des couleurs j)lus
ternes, d'un brun clair ou jaunâtre;
elles sont facilement recueillies à basse
Fig. 12. — Polysiphoniavarivgata. Floridée Rhodomélée.
Demi-grandevu' naturelle.
mer au milieu des pierres et des ro-
chers (fîg\ 6).
Les variétés de Polysiphonies sont
très nombreuses, toutes extrêmement
gracieuses, aux nuances vives, brun
foncé, violet foncé, marron, sienne
clair, lie de vin et rouge sang (fig. 7
à 13).
La Dasye est peut-être la plus élé-
gante des lloridées ; elle est d'un joli
carmin qui devient rouge violacé par
dessiccation. On la trouve sur les rochers
à très basse mer, en septembre, ou fré-
quemment rejetée sur la plage (fig. 14).
Api^ès la récolte des Algues, il faut,
sans trop tarder, procéder à leur mise
en herbier. Trois précautions sont indis-
pensables : 1° éviter de plonger les
plantes dans leau douce ; "2'^ ne les
comprimer que le moins possible, et
3" conserver Therbier dans un endroit
sec.
Une cuvette de porcelaine, semblable
à celles qu'emploient les photographes,
est tout d'abord remplie d'eau de mer
très limpide, de façon à déborder. On y
plonge l'échantillon, qu'on nettoie avec
un pinceau monté sur un manche de
porc-épic bien lisse et bien pointu.
L'une des extrémités de l'instrument
sert à brosser légèrement la préparation,
l'autre à l'étaler et à
l'agiter.
Si l'individu est trop
loulïu, on en coupe quel-
ques parties avec des ci-
seaux tins, en ayant soin
de ne pas le défigurer.
On glisse ensuite sous la
plante une feuille de pa-
pier fort et on l'enlève de
la cuvette pour poser le
tout sur une vitre inclinée.
Avec des pinces bru-
celles, le pinceau et la
pointe de porc-épic on
place l'Algue d'une façon
gracieuse sur la feuille de
papier. Cette opération
est facilitée par l'écoule-
ment d'un petit jet d'eau
de mer qui soulève l'échantillon aux
points voulus. Quand l'effet est obtenu,
il ne reste plus qu'à séparer le papier
13. — rolysiphonia clongata.
Floridée Rhodomélée.
Demi -grandeur naturelle.
de la vitre pour le porter sur une
planchette de bois blanc où il s'égoutte.
432
LES ALGUES
Une ou deux heures plus tard, avec
une toile line et du papier à fdtre gris,
on achève de pomper l'humidité par
des compi-essions successives graduées,
puis on fait des cahiers d'échantillons
enfermés dans les papiers non collés; le
tout est pressé sous une grosse pierre.
L'adhérence de la plante au papier
blanc est presque toujours suffisante,
parce que les floridées produisent de la
gélose qui les fixe sur l'herbier.
Au bout de quelques jours, les échan-
tillons sont complètement secs e^ prêts
à recevoir des étiquettes portant indi-
cation du nom de la plante, du lieu et
de la date de sa récolte, etc.
Ainsi se constitue une charmante
collection <( Herbier d'Algues », dont
l'examen fait revenir à la mémoire des
jours heureux, des excursions joyeuses.
Chaque échantillon évoque une série de
souvenirs qui en augmentent énormé-
ment la valeur.
LiÉON Gérardin.
Fig. 14. — iJasla coccinea Floridée Rhodomélée.
Demi-grandeur naturelle.
LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
La Bonne Souffrance (chez LEMERRii) est
un livre bien particulier de François Cop-
pée. C'est un acte de foi, une déclaration
de conversion, une confession pul>lique,
des impressions du chemin de Damas. Le
ton est inspiré et éloquent. Après saint
Augustin, après Pascal, l'auteur nous dit
comment la lumière lui est apparue au
cours d'une longue et douloureuse mala-
die : car il est trop vrai que la souffrance
est la bonne pourvoyeuse de la religion.
On lui objecte qu'il est étonnant combien
ce changement intime a apporté peu de
modification à son apparence extérieure, à
son genre de vie. Vous êtes toujours le
même ! lui disent ses amis. Il répond :
Ils ne font c|ue prouver ainsi, une fois de
plus, combien l'honime csl impénétrable à
l'homme : car je sais bien, moi, que je suis
devenu tout autre. Il est clair que le fait de
dire mes prières matin et soir, d'aller à
l'église les dimanches et les jours de fête et
d'accomplir mes devoirs relif;ieux n'a pas sen-
siblement modifié ma vie apparente. Evidem-
ment on ne lit sm* ukiu front, ni les réformes
que j'ai pu accomplir clans mes actions et
tlans mes pensées, ni la résistance que j'op-
pose maintenant à des tentations auxquelles
j'aurais cédé jadis. C'est pourtant l'exacte vé-
rité.
Qu'on ne me trouve pas changé, je ne m'en
étonne point, après tout, car mes progrès
dans la vie chrétienne, c'est-à-dire vers la
perfection morale, sont encore bien faibles.
Cependant je suis devenu pour moi-même
aussi sévère que possible ; ceux que j'aimais,
je les aime mieux et autrement que naf;uère.
et je fais de constants efforts pour devenir
plus charitable et meilleur. Oui, malgré de
trop nombreuses défaillances dans ma con-
duite et — ce dont je m'accuse avec encore
plus de douleur, — malgré quelques derniers
accès de doute et de sécheresse de coïur, je
me déplais moins qu'autrefois et, très sou-
vent, quand je songe aux joiu's attristés qui
me restent à vivre et à la mort qui s'ap-
proche, j'éprouve un sentiment de douceur
C[ui me surprend moi-même.
Celte paix de l'àme ne s'obtient que par
l'admirable discipline de la religion, par
l'examen de conscience, par la prière. Aussi
n'ai-je plus de meillcvu's instants c[ne ceux où
je m'adresse à Dieu, en lui otTrant le repentir
de mes fautes passées et toute ma bonne vo-
lonté pour l'avenir, et où je lui demande
cette paix qu'il nous a promise dans l'autre
vie et dont sa grâce nous donne, en ce
monde, le délicieux pressentiment. Oui, il n'y
a de vraiment belle que l'heure où l'on prie,
où l'on se met en présence de Dieu. Cent
fois bénie soit donc la soull'rance qui m'a ra-
mené vers lui. Car je le connais à présent,
l'Inconnaissable ! L'Évangile me l'a révélé.
Il est le père, il est mon père ! Je puis lui
parler avec abandon et il m'écoute avec ten-
dresse.
La page est belle, et a une particulière
saveur de sincérité, de conviction, déjà
d'apostolat, un parfum d'oratoire discret
et obscur où le malade cause et s'humilie
devant le prêtre ami, prêt> à dire comme
le P. Beurrier, curé de Saint-Etienne, en
sortant de chez Pascal, déclarant à sa sœur
Gilberte Pascal : •< C'est un enfant, il est
humble, il est soumis comme un enfant! •>
La foi nouvelle l'illumine de rayons dif-
fus dont il voit déjà les autres illuminés
comme lui, et il suppute avec orgueil et
joie le nombre des récents élus qu'il a ren-
contrés et déjà dépassés sur le chemin de
la vérité, où il ne se sent pas seul, car la
raison et la science ont naguère subi de
plus discrètes, mais de semblables déser-
tions :
Je le demande à tnus les esprits sincères.
Ce fait n'est-il pas très remarquable — et
peut-on n'y voir qu'une rencontre fortuite —
que plusieurs écrivains la'ics, tout à l'ait indé-
pendants et désintéressés, puisqu'ils n'ont à
attendre inmiédiatement de leur acte que des
moqueries et des injures, confessent ainsi pu-
bliquement leur retour aux croyances reli-
gieuses? Et n'est-ce pas là une preuve mani-
feste que, parmi tant de ruines accumulées
par la banqueroute sentimentale, philosophique,
politique et sociale de cette désastreuse lin de
siècle, la foi reste debout, pareille à ces im-
posantes cathédrales qui, fermes sur leurs
assises depuis tant de siècles, attestent la'
force inébranlable du christianisme et la per-
manence de l'Eglise?
Le livre qu'il nous offre à la suite de sa
pressante préface est un recueil d'articles
parus dans un journal, ce qui paraîtrait un
souci peu eucharistique si l'auteur n'y.
mettait l'espérance d'aider par cette diffu-
sion au prosélytisme et d'entraîner l'exem-
ple. On connaît ces pages, et on les relit
avec plaisir, « Pour celle qui priait, Renais-
sancechrétienne,Confidenceet confession >>
et les autres. Reboul fit-il une plus gra-
cieuse image que ce petit tableau de l'en-
fant en prière !
Parmi tous les spectacles que peut offrir le
genre humain, en est-il un plus aimable, plus
doux, plus touchant que l'enfant en prières?
Sa mère l'a mis à genoux dans son jiiron. le
tient embrassé et joint ses petites mains sous
les siennes. Elle lui fait redire une à une les
paroles de la courte oraison — s'il est tout
petit, quelques mots seulement, par exemple
le cri na'if : » Mon Dieu, je vous donne mon
cœur! » et, s'il est un peu plus grand, l'ad-
mirable texte du » Notre Père » ou le déli-
cieux appel « Je vous salue, Marie! »
Si c'est le matin, l'enfant lève les yeux vers
l'azur du ciel, et ces deux puretés se contem-
plent. Est-ce le soir, près de la lampe voilée,
VIII.
2S.
434
LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
dans la chambre tiède et calme? Alors il
semble que dans ronibrc, derrière la b'an-
cheiir des rideaux, un anf;e se lient immobile
et assiste, pour aller en témoifiner dans le
Pai^adis, à cet adoraljle acte de loi.
Un autre jour, il assiste à cette cérémo-
nie saisissante du baise-pieds, le jour du
départ des partants, dans la cliapelle des
Missions étrang-ères, et parmi les fortes et
belles impressions qu'il rapporte de ce
spectacle, il mêle de charmants souvenirs
d'enfance :
Je les retrouve dans le plus profond recid
de ma mémoire, ces prêtres des Missions
étrangères; car, en ce coin du faubourg Saint-
Germain où je suis né — il y aura bientôt
cinquante-six ans — et où je demeure encore
aujourd'hui, on les rencontre fréquemment
sur les larges trottoirs de la rue de Sèvres
ou parmi la cohue de la rue du Bac.
Quand jetai-* petit, ils excitaient au plus
haut degré mon enfantine curiosité. Je les
trouvais si différents des autres ecclésiastiques !
Leur teint bronzé, leur grande barbe, leur
démarche vive et liardie qui faisait claquer la
soutane, et, dans toute leur personne, on ne
sait quoi de viril et, jjour ainsi dire, de mili-
taii-e, tout cela me remplissait de surprise.
Quelques-uns — on sait que souvent ils ren-
dent de grands services à la France dans
leurs missions lointaines — étaient décoi'és
comme des soldats.
Parfois, devant un hôtel meublé d'appa-
rence cléi'icale, que les envahissantes con-
structions du Bon Marché ont fait depuis
longtemps disparaître, je voyais descendre de
• voiture un vieil évêque, avec la ganse verte
et or autour du chapeau romain et la croix
pastor-ale qui brillait entre les ruisseaux d'ar-
gent d'une barbe de ]iatiiarche. Et les bonnes
gens du quartier se disaient respectueuse-
ment le nom du prélat exotique et celui de
son diocèse, chez les noirs dans la morne
Afrique, ou chez les jaunes au fond de l'ef-
frayante Asie.
A l'aspect de ces prêtres voyageurs, l'éco-
lier que j'étais alors songeait aux vastes mers
et aux pays mystérieux indiqués sur son
atlas, rêvait de longues traversées, de nau-
frages dans les îles inconnues, d'aventures
extraordinaires chez les suu\'ages armés d une
massue et coiffés d'un diadème de plumes,
comme des volants de raquette.
Voilà le souffle nouveau et impérieux
qui anime ce livre ; c'est un cri de foi,
d'amour et d'espoir, le cri que Pascal avait
transcrit sur son amulelte après une nuit
d'insomnie : « Joie ! Joie ! Pleurs de joie ! »
ce Pascal à qui cette conversion éloquente
fait songer en rappelant les si admii'aMes
pages du génial solitaire de Port-Royal
Sîir la conversion du j^écheiir :
La première chose que Dieu insj)ire à l'âme
qu'il daigne toucher véritablement est une
connaissance et une vue tout extraordinaire
par laquelle l'âme considère les clioses et
elle-même d'une façon toute nouvelle...
Elle commence à considérer comme un
néant tout ce qui doit retourner dans le
néant: le ciel, la terre, son esprit, son corps,
ses parents, ses amis, ses ennemis; les biens,
la pauvreté; la disgrâce, la prospérité; l'hon-
neur, l'ignominie; l'estime, le mépris; l'auto-
rité, l'indigence; la santé, la maladie, et la
vie même. Enfin tout ce qui doit moins durer
que son âme est incapal^le de satisfaire le
désir de cette âme, qui recherche sérieuse-
ment à s'établir dans une félicité aussi durable
qu'elle-même.
Elle commence à s'étonner de l'aveuglement
où elle a vécu et, quanti elle considère d'une
part le long tem))s qu'elle a vécu sans faire
ces réflexions et le grand nombre de per-
sonnes ciui vivent de la sorte, et de l'autre
combien il est constant que l'âme, étant
immortelle comme elle est, ne ];)eut trouver
sa félicité parmi des choses périssables et
qui lui seront ôtées au moins à la mort, elle
entre dans une sainte confusion et dans un
étonnement qui lui porte un trouble bien
salutaire...
Cette élévation est si éminente et si trans-
cendante qu'elle ne s'arrête pas au ciel : il
n'a pas de c|uui la satisfaire ; ni au-dessus du
ciel, ni aux anges, ni aux êtres les plus par-
faits. Elle traverse toutes les créatures et ne
peut ar.-êter son cœur qu'elle ne se soit
rendue jusqu'au trône de Dieu.
Et c'est par ces chemins flamboyants
que les élus atteignent ces hauteurs
mystérieuses jusqu'auxqnelles Lamartine
souhaitait vainement de s'élever :
Là je m'enivrerais à la source où j'aspire;
Là je retrouverais et la vie et l'amour.
Et ce bien idéal que toute âme désire
Et qui n'a pas de nom au terrestre séjour!
M. Léon de Tinseau raconte une tou-
chante histoire dans son roman Un nul
dans les ruines. C'est l'autobiographie de
M"" Iledwige de Tiesendorf, qui se pré-
sente ainsi elle-même :
J'étais blonde, non pas connue les blés,
mais comme l'or sortant du polissoir d'un
orfèvre; je ne savais littéralement que faire
de mes cheveux, à cause de leur longueur et
de leur abondance. Avec ce'a des yeux bleus,
francs et honnêtes, passablement éveillés,
une peau très blanche, im air de santé, des
dents que j'aurais pu montrer par coquetterie,
mais que je monti-ais par la seule raison de
ma bonne humeur continuelle : voilà pour la
tête de ]M"'= Iledwige de Tiesendorf. Cette
jeune beauté n'eût rien perdu à grandir de
deux pouces; du moins elle avait une main
de race, des pieds montrables, des mou\e-
ments souples et, sans l'iiorreur qu'elle avait
d'être sanglée, on eût peut-être parlé de sa
taille.
Elle eut une jeunesse brillante, choyée
aux Tuileries et à la cour du roi de son
pays. Son père avait un chef de cuisine
peu ordinaire, que voici :
LE MOUVEMENT LITTÉHAIRE
435
Alors le ^rand homme, qui était petit avec
une physioiiDiiiic ravai^'oc d'aitiste, l'cji'tait sa
toque en ai'i-ière et tne coulait l'iiistoire de
sou inspiration. Tantôt (,'•• I^'' «-'tait venu pen-
dant une promenade (non solitaire sans dou'e)
dans les allées du bois, sous un clair de lune
poétique, entre deux rossignols qui se répon-
daient d'un buisson à l'autre. Ou bien l'esprit
avait pai'lé |).^-nclant cpie Hi-nneau écoutait
l'opéra, car il était mélomane. On i)ien l'éclair
avait lui pendant ces insomnies cpii tourmen-
tent les jjoètes. Bruueau quittait alors sa
chambre, allumait son l'ourneau et composait...
Il fallait vous présenter ce Wellington
du fourneau, qui aura son rôle.
Hedwige était follement aimée par son
cousin Otto de Flatinark. Elle le dédaigna
pour un bellâtre à l'œil de faucon, M. de
Noircombe, qui fascine les femmes avec
son regard fatal. Hedvvige tombe, médu-
sée, — bien vite ! — sous la grilfe de cet
oiseau de proie en jouant Hamlet avec lui
dans un salon. En vain son père lui recom-
mande Otto, un brave garçon. C'est Noir-
combe qui l'emporte, un peu grâce au doc-
teur qui déclare quelle deviendra folle si
elle ne l'épouse pas, et surtout grâce à la
dame de compagnie, vendue à lui.
Bientôt Hedwige, d'abord heureuse, doit
déchanter. Elle découvre que le manoir de
Noircombe est une masure ruinée, que tout
a été vendu, que son mari est un fielTé
joueur. Quand elle le présente à son roi,
qui l'invite à son jeu et qui n'aime pas
perdre, il lui gagne quelques billets de
mille. Il avait un procédé. Ayant joué à
peu près tout ce que possédait sa femme,
il se fait surprendre à tricher au cercle et
voilà un homme bon à jeter par-dessus
bord. Sa femme l'apprend par hasard, eu
voyant qu'à son jour il ne vient pas une
âme après ce scandale qu'elle ignore.
Même un amoureux qu'elle avait s'éclipse
après ce désastre.
Noircombe disparut. Hedwige se pré-
para à rentrer en Allemagne. Elle gardait
le fidèle cuisinier Bruneau , attaché par
sympathie, sans doute, et puis :
Et puis, ajoutait-il, je ne retrouverai jamais
un four comme celui de la cuisine de madame
la marquise. Là, je suis maître de la nuance
de mes rissolés, comme si je les peig'nais à
l'aquarelle.
Il veilla comme un chien fidèle, Une
nuit, il empoijjna un voleur au collet, dans
le corridor de l'hôtel. Le voleur avait une
fausse barbe. Il reconnut Noircombe, son
maître, qui venait dérober des bijoux. Il
le laissa s'enfuir pour épargner une honte
nouvelle à sa chère maîtresse.
Hedwige retourna au pays, e(, pour vivre,
elle tint une family house. Elle fut aidée
dans son entreprise par des voisins, M. et
M™" Mathieu Kardann, qui avaient une fille.
Mina. Les Kardann avaient de l'argent; le
père, ancien boulanger, avait fait fortune
à Omaha. Hedwige avait la noblesse. Les
écus s'appuyèrent sur le blason. La ieune
Mina était jolie, fine, intelligente. Son père
acheta fort cher du terrain appartenant à
Hedwige , et celle-ci en retour présenta
Mina à la cour, la fit danser avec le dau-
phin, car cette tenancière de family house
fait à la cour ce qu'elle veut, ce qui n'est
pas banal. Mina voudrait épouser Rupert,
un superbe offif-ier de hussards, neveu de
cet Otto, dont Hedwige n'avait pas voulu.
Mais les circonslances font que Rupert
épouse la lille d'IIedwige et dédaigne la
belle Mina, la fille du boulanger, qu'on
avait surnommée la belle Fornarina.
Tout ce récit est écrit dans un style pur
et simple, bien conduit, avec une grande
variété qui fait défiler devant nous les pay-
sages américains d'Omaha et les bals de la
cour. La peinture du grand monde inspire
plus heureusement l'auteur, dont la family
house, dans son roman, demeure vague,
imprécise et incertaine. Les scènes de sa-
lons, le soir d'Hamlet, le jeu du roi, la
vie au château de Noircombe, ont plus de
relief.
Cela est dit avec finesse, élégance; le
mot risqué ne se risque jamais au delà
des bornes que doit connaître un homme
du monde, et il y a de-ci de-là de jolies
pensées à épingler :
— Pour les belles-mères, un gendre est
toujours un rival heureux.
A propos des comédies de salons :
— Je me demande pourquoi les femmes
du monde se donnent tant de mal pour
nous faire regretter les comédiennes.
Au total, livre très distingué, de tenue
élégante, que termine une petite nouvelle,
récit de mœurs modernes, malgré l'anti-
quité du titre, la Lampe de Psyché, histoire
touchante d'un amour entre inconnus avec
un type agréable de père qui aime bien
sa fille.
Leméncige du pasteur Naudié, par Edouard
Rod, paru chez Fasquelle, est un lirre
de valeur, d'une forme châtiée, avec une
étude approfondie des caractères qui
viennent en plein relief. L'invention est
quelijue peu tirée au point de vue de la
vraisemblance , mais le vrai peut quel-
quefois n'être pas vraisemblable. Le pas-
teur Naudié, de La Rochelle, rencontre
dans le train le riche M. Defos, sincère
protestant, qui l'invite à dîner. Etant
donné que M. Defos ne fait jamais rien
sans un but, et que Naudié n'a jamais eu
pareil honneur, c'est donc qu'il y a quelque
chose. En effet, il y a que la nièce de
536
LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
M. Defos, la belle Jane, qui est une éva-
porée, une écervelée, une indépendante,
s'est mis dans la tète, après avoir eu
presque un amant à Londres, une nouvelle
lubie, qui est d'épouser le pasteur Naudié,
veuf avec quatre enfants, pour jouer à la
sœur et à la mère de charité. Naudié
tombe là-dedans comme un château de
cartes, et épouse.
Ce n'est pas long à aller mal. Jane en a
vite assez de son veuf et de sa marmaille;
elle les laisse là comme une enfant pose
sa poupée ; et elle va faire des promenades
à cheval avec son cousin, qu'elle invite
indécemment et vainement à la valse.
Joseph a encore une fois raison de M""' Pu-
tipjiar. Jane a beau entraîner le cousin
Henri dans les galets, celui-ci est un pieux
jirotestant qui ne commettra pas d'indéli-
catesse, et qui, pour échapiier à la ten-
tation, se fait envoyer en voyage commer-
cial en Norvège. Vous imaginez, pendant
ce temps, tout ce que souffre et endure
le pauvre Naudié : la peinture de ses an-
goisses est une des meilleures parties du
livre. Par amour et par jalousie, il en vient
à négliger ses enfants, son père mourant,
tant il a peur de s'absenter et de laisser
Jane et Henri ensemble pendant qu'il sera
iiu chevet du moribond.
Tout le pays se gausse. Naudié est ridi-
cule. Cela craque à la fin, et Jane rentre
dans sa famille. Naudié se fait mission-
naire.
Il risque un peu, dame! qu'on lui dise
qu'il ne l'a pas volé. 11 a bien cherché ce
qui lui est arrivé, car un tel mariage ne
pouvait lui apporter que quelque chose
d'analogue. Aussi ce pauvre homme pa-
raît-il un i)eu niais et naïf, ce qui nuit à
notre pitié. Il est roulé par tout le monde.
Les Defos ont une nièce hurluberlu qui
les compromet. Il faut trouver un homme
de bonne volonté pour épouser. Ce sera
Naudié. Jane le berne. Le cousin Henri le
remplace presque. La mère du cousin
Henri qui, pour une matrone protestante,
a de bien vilains principes, favorise les
amours de son fils chéri avec la jeune ma-
riée. Naudié s'est fourré dans un guêpier.
Ce n'est là qu'une face de l'œuvre, l'affa-
bulation dramatique. Il y a tout un côté
très important, par lequel le sujet se loca-
lise, se précise, se comj)lique. La scène est
intimement liée à son milieu, qui est la
société protestante, la famille d'un célèbre
pasteur. Ce n'est sans doute pas cette
part qui alléchera le grand public; les
mœurs particulières des protestants n'of-
frent pas un caractère assez spécial, assez
tranché, pour déterminer une bien vive
curiosité. Il paraît que, dans le Midi, à
Nîmes, par exemple, les deux éléments
catholique et protestant sont en antago-
nisme jierpétuel et se livrent des escar-
mouches jusque dans la boutique des
fournisseurs. Cela est assez local. Les pro-
testants ne forment plus une société dans
la nôtre ; depuis Calvin et depuis la Main-
tenon, tout cela a bien fondu.
Le choix de ce milieu a néanmoins
fourni à l'auteur de beaux portraits, de
belles têtes de huguenots et de beaux ser-
mons dont les textes évangéliques émail -
lent curieusement l'histoire pathétique,
vivante et excellemment conduite de
l'amour malheureux du pasteur Naudié
pour sa légère épouse.
M. Adolphe Aderer a réuni, en un volume,
le Vœu, sept délicates Nouvelles qui se re-
commandent par la belle tenue de la forme
et l'originalité de l'invention. Je n'en pren-
drai pour garant que le premier de ces
contes, celui qui a baptisé le volume, le
Vœu.
L'idée en est ingénieuse ; elle est expli-
quée dans cet avant-propos :
L'admirable tragédie de Phèdre, de Racine,
a été l'objet de commentaires nonilDreux. Après
l'héroïne de la tragédie, le personnage d'Hip-
polyte fut le plus étudié. Un jour, un maître
en littérature — trop tôt enlevé à l'afTection
des siens et de ses disciples — disait devant
moi que le farouclie et beau chasseur, prêtre
dévot du culte mystérieux delà cliaste Diane,
mis en scène par le poêle grec, ne pourrait
être comparé dans notre civilisation chrétienne
qu'à quelque moine très jeune et très saint,
voué à la Vierge Marie.
Sans doute, Racine, qui était vm érudit pé-
nétrant et délicat, entrevit cette « transposi-
tion 11 ; mais s'il l'entrevit, comme il fut tou-
jours f(irt pieux, il se signa devant elle. Et il
en fut mieux ainsi. La tentation, fa^■orisée par
Vénus, d'un prêtre de Diane ne nous choque
point sur la scène. L'Eglise et Louis XIV n'au-
raient ])oint permis à Racine de transporter sur
le théâtre l'aventure ])lus moderne — dont
peut-être il entendit parler — que nous es-
sayons de raconter ici.
Cette idée de moderniser, de catholici-
ser le sujet pa'ien est tout à fait neuve et
elle a inspiré l'auteur. Dans le ton des
mémorialistes d'autrefois, avec la plume
d'Hamilton , il nous dit l'histoire amou-
reuse de la cour du Grand Roi, comment la
marquise de las Fuentès y ravit tous les
cœurs , comment son mari jaloux la fit
se retirer dans les montagnes du Guipuz-
coa, en compagnie d'un cousin prêtre, dont
elle s'éprend. Elle est jalouse des adora-
tions du jeune lévite pour la Vierge; elle
le tente, l'attire; le mari les surprend et
l'orage les engloutit.
Le récit est pathétique. C'est Phèdre
jalouse de Diane, devenue la sainte Vierge :
Combien elle souffre, quand l'apôtre du
LH MOUVEMENT LITTÉRAIRE
437
Cœur Sacré de Marie passe sans la rej^^ardcr
et se détourne de la femme terrestre pour ne
penser qu'à l'I^pouse divine, \'ierf;e immacu-
lée!... L'indill'éreni'e de Fray An^ellexaspère.
Elle ne voit ])lus en lui le prêtre : elle ne \'oiL
que l'homme jeune aux yeux ardents, aux
traits superbes, dont il n'est point de femme
qui ne serait é])erdument épi-ise. Toutes les
ressources dont une femme dispose ))onr plaire,
elle les em])loie : ])()ur rehausser encore son
éclatante beauté, elle use des artifices que le
costume et la i^arin-e comportent.
Souvent elle apporte son miroir — ô im-
piété! — près d'une imaj^e sainte de la \'ieri;e
suspendue à la droite de son lit, elle compare
les deux ])hysii momies. Elle se demande com-
ment une ligure aussi calme, aussi modeste,
aussi chaste que celle de la ^'ierg■e peut oc-
cuper et passionner l'imagination d'un homme
jeune, cjuand il a auprès de lui une femme
désirable entre toutes qui lui ouvre les bras.
Le ton est charmant par un air wii*^ siècle
tout à fait de mise dans une transposition
d'une tragédie racinienne. M'"'' de Motte-
ville prend souvent la parole au cours du
récit, qu'émaillent des mots de Bossuet et
des souvenirs de la grande vie de Ver-
sailles. C'est comme un coquet pavillon
que l'auteur a adossé à l'imposante archi-
tecture du palais de Louis XIV.
La place manque pour vous parler des
autres récits, le Garde, l'Abbé Lauran,
Sergine, l'Oubliée : ce sont de bonnes et
agréables pages d'un écrivain qui sait à
la fois inventer, ressentir et exprimer.
Miquette est une blonde enfant, le petit
dernier de Gyp ; c'est une enfant terrible
par ses questions embarrassantes, sa lo-
gique implacable et ses réllexions impré-
vues que lui inspirent les diverses circon-
stances qu'elle traverse , soit qu'elle se
promène aux Champs-Elysées, ou qu'elle
joue avec Totote au Bazar incendié, ou
qu'elle assiste aux cinq heures de maman,
ou à un grand dîner , ou à la foire de
Neuilly. Elle a des mots drôles qui lui
partent avec un naturel amusant et une
verve sans apprêt. Elle les éternue.
Les enfants jouent à côté du salon où
maman reçoit des visites, entre autres un
monsieur dont on dit qu'il s'est mal sauvé
à l'incendie du Bazar de charité. On en-
tend les fdlettes :
Voix de Miquette, /'«r/eitsc. — Non, je n'joue
plus!... non!... ça m'assomme de brûler tout
i'temps!... c'est à mon tour de faire l'homme,
et j'vcux l'faire!... pour pouvoir nie sauvai-...
{Un froid dans le salon de maman.)
La futée Miquette en conversation avec
un jeune dindonneau de petit garçonnet :
Miquette. — Vous aimez ça, militaire?...
Le petit garçox, avec effroi. — Non... oh!
non!... D'abord, j'vuudrais pas être tué...
Mi(iuellc ex|ili(|ue à sa façon les pires
phénomènes de la tératologie, et les fillettes
à deux lêtes et quatre jambes n'ont point
de secret pour sa perspicacité :
Miquette. — Connnent c'est-y qu'veus per-
sez (lu'c'est arrivé, c't'airaire-là '.'...
(iiiAND-i'ÈnE. — Quelle aflaire?...
Miquette. — Hen, les p'tites filles?...
GuAXD-rKRE. — Je n'en sais rien abs(,)!u-
ment...
Miquette. — Moi, jTsais bien!
(iRAND-PÈHE, saisi. Toi ?
Miquette. — Oui... J'suis sûre qu'on a rcn-
\"ersé im pot de colle dans leur chou...
Elle a aussi des mots drôles dans ses
interprétations très logiques du vocabu-
laire de sa langue maternelle :
Miquette. air sai.ii. — Oh! l'est député in'sieu
d'Kerfleury ?...
GitAND-pÈHE. — Mais oui...
Miquette. — La même chose qu'lonclc
Jean?...
Ga.ANn-pîcnE. — La même chose., c'est-à-
dire, non... lui. il est rallié...
Miquette. — Non... C'est pas ça... j'tle-
mande s'il est un député pareil à l'oncle Jean...
un député du même grade?...
GiîAND-pÈKE. — II n'y a pas de grades...
tous les députés sont pareils...
Miquette. — Oh!... m'sieu d'Kerfleury est
pareil à l'oncle Jean!... Un homme c[ui a été
domestique...
Grand-père, ahuri. — Domestique!... mais
tu ne sais ce que tu. dis...
Miquette, i^exée. — V'Ià la s'conde fois qu'vous
m'dites que j'sais pas c'que j'dis quand j'ie
sais très bien!... M'sieu d'Kertleury a été do-
mestique... chez les Valtanant, qu'il a été...
Gr.and-père. — Mais c'est absurde!... Où
as-tu pris ça?...
Miquette. — J l'ai pas pris nulle part... c'est
m'sieu d'Rupin qui l'a dit...
Grand-père, de ^)/t(s en 2)lus ahuri. — Rupin
t'a dit que...
Miquette. — Y m Ta pas dit à moi... mais
y la dit un jour à la maison que j'étais là...
Grand-père. — Que Kerfleury avait été do-
mestique?
Miquette. — Oui...
Gr\nd-père. — Mais comment a-t-il pu dire
ça!...
Miquette. — Comment?... Ben û a dit en
racontant qué'qu'chose... " C'était dans le temps
où Mfue de ^'altanant était la maîtresse de
d'Kerfleury... ■> (Un temps.) Vous voyez bien?
La lexicologie se venge d'elle par des
tours plaisants :
Miquette. — Et alors y bafouille!... C'esl
pas pour attraper m'sieu le curé c'que j'dis,
toujours!... qu'il est bon... bon comme un
amour... et qu'je l'aime tout plein... et qu'c'est
pas d'sa faute s'il est prolitique, l'pauv' bon-
homme !...
L'abbé. — S'il est quoi?...
Miquette. — Prolifique... qu'a dit grand-
père...
L'adbé, étonné. — Monsieur votre grand-père
vous a dit que M. le curé...
-la H
LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
MiQUETTE, interrompant. — C'est pas trm'sicii
l'curé qu'y mTa dit... c'est d'vous.
L'aiîpé, ahuri. — De moi?...
MiQciETTE. — Oui... pac'que j'disais que
jvous comprenais pas toujours quand v's ex-
pliquiez quéqu'chose. {Mouvement de l'abbé.)
Oh!...J'vous comprends tout d'même, mieux
que in'sieu l'curé!...
L'AiinF, pointu. — Je vous remercie...
MiouETTE. — Alors, V m'a répondu... :■ M'sicu
l'abbé est p't-êt' un ptu prolilique... »
L'abbé, un peu pincé. — C'est prolixe, je sup-
p<isc, qu'a dit monsieur votre...
MiQi'ETTE. — Oui... vous avez raison, c'est
prolixe qu'il a dit... prolifique, c'est aut'chose...
c'est les Ccipucines qu'avaient jjoussé tout
partout.
Elle a aussi ses minutes de poésie délicate
et langoureuse, avec des mots charmants,
comme ceci :
MiQUETTR. — Aimeriez-vous mieux des
contes de Fées?... Oh ! pour ça, j'ies sais tous !
c'est ça qu'est chic, des Fées!... (Robert kau.ise
les épaules.) Vous n'ics aimez pas, les fées?...
les bonnes, bien entendu... pac'que les autres...
(Consternée.) Comment, vous n'ies aimez pas?...
Hen, moi, après l'bon Dieu, et la Sainte Vierge,
et les saints, et les anges, j'tr-ouve qu'c'est les
l'Y'es c'qu'y a de plus imposant...
RoBEKT. — Ce sont des mensonges les Fées...
MiQUETTE, attristée. — Pourquoi des men-
songes?... (Bèjléchissant.) C'est p't-être des in-
ventions, mais c'est pas des mensonges... c'est
laid les mensonges, et les fées, c'est si joli!
Ce brin de rêverie poétique achève le
portrait et le rend tout à fait exquis. Il
corrige la gaminerie garçonnière, il fémi-
nise l'enfant terrible, il met à la petite
sauvage un rayon gracieux qui éclaire les
broussailles blondes et vaporeuses de sa
chevelure de petite Fadette.
Voici un autre livre de ce même style
u gypique ».
Les Petites rosseries de Marie- A une de
Bovet (chez Lemekre), sont drôles. C'est
l'histoire de tous les tours pendables que
les femmes peuvent jouer aux hommes ou
à leurs semblables pour peu qu'elles ne
soient pas gênées par des scrupules de
pudeur ou de délicatesse. Une mère,
M""" Hesdigneul, probe, austère, « épouse
sans reproche, mère mt)dèle, parangon de
toutes les vertus sociales et de toutes les
convenances mondaines » se désole de
voir son fils faire la fête. Ce n'est pas,
comme vous croyez, pour le fait même de
la fête, qui est en soi chose immorale.
Point : mais c'est que cette fête coulait
cher, et M""' Hesdigneul était un tantinet
avare, ce qui concorde avec l'austérité.
Comme Ferdinand était prodigue, " la
mère devait casquer, pari âgée entre une
incurable faiblesse pour cet être rare sorti
de son Ilanc et le regret cuisant de prodi-
galités si peu dans son caraclère. » Le
moyen qu'elle liouva, on le donnerait en
mille à toutes les honnêtes femmes, ses
sœurs. Elle lui procura une femme du
monde, espéiant qu'elle ne coûterait rien.
Mais celle-ci ayant vu l'enclouure simula
des besoins d'argent à Ferdinand émer-
veillé :
11 en avait tant l'habitude que, la première
fois où il la vit soucieuse, il lui dit :
(( Des embêtements de monnaie, hein? »
Sans se faire prier plus qu'il ne fallait, elle
avoua ime bagatelle de cinq cents louis de
dettes. Pas de quoi crier au feu.
'( Bah ! déclara-t-il, quand elle voulut le
remercier, j'ai été assez tapé par des grues
poiu" être trop heureux d'obliger une amie. »
Lorsqu'on n'a pas été élevée à cela, on est
tout de même un peu gênée aux entournures
d'abord. Mais Eliane songea à la petite femme
pas chère qu'une mère prudente avait si astu-
cieusement ménagée à son iils.
« Vieille rosse, va ! » s'écria-t-elle.
Voilà quelle est la note.
La jeune et belle M™" Eliane soutira
ainsi, en fort peu de temps, trois cent
mille livres à la trop économe et vertueuse
^jrac Hesdigneul, qui fut ainsi punie de sa
ladrerie : car il faut toujours que le vice
soit puni, pour la morale.
Voilà le ton de ces historiettes pleines
d'un entrain endiablé, et qui rappellent
les fabliaux de nos pères. Mais, comme
dit Jacques Normand, ce n'est pas pour
les jeunes filles. Le style gagnerait à être
plus calme, moins épileptique. L'auteur
veut créer le mouvement et l'entrain en
secouant sa plume tant qu'elle peut. Par
moments, celte agitation est factice; la
vraie gaieté sort du sujet même, et non
des contorsions extérieures, des trivialités
trop voulues : » Un mari à la clé » ou bien
« feu son panier percé de mari, » ou « elle
aimait la bonne galette, » ou « un beau
blond légèrement argenté de poil et con-
sidérablement de bourse » ; tout ce sans-
gêne est maniéré; on sent trop la re-
cherche étudiée du va-comme-je-te-pousse,
pour donner l'impression de ces héro'ines
hurluberlu, fantasques, désossées de prin-
cipes et fleurant le scandale. Au demeu-
rant, beaucoup d'entrain, de verve, d'in-
vention dans cet amusant pandémonium
de la rosserie moderne.
Léo Claretie.
CAUSERIE SCIENTIFIQUE
Nous ne sommes peut-être pas encore à
la veille de nous promener dans les airs
comme de simples moineaux, mais il en
est question, (^est une nouvelle qu'on nous
donne de temps en temps pour nous faire
prendre palience sans doute, et nous au-
rions pu celte fois encore la passer sous
silence si la personnalité de l'inventeur et
de ses parrains ne lui donnait une impor-
tance spéciale. Ce sont, en etl'et, MM. Ma-
rey, Maurice Lévy et Sarrau, qui viennent
de présenter à leurs collègues de l'Acadé-
mie des sciences une note très suggestive
sur une machine volanle, construite par
M. Ader, dont les inventions en téléphonie
et en télégraphie sont bien connues. Il y a
environ six ou sept ans, nous avons eu
l'occasion de voir chez M. Ader lui-même
des dessins de sa machine ; les rensei-
gnements qu'il nous avait donnés alors
nous avaient laissé quelque peu rêveur, et
nous n'étions pas très étonné de ne plus
en avoir entendu parler. Il ne s'agit pas
de ballon dirigeable, mais bien d'un avia-
teur muni de grandes ailes et d'une hélice.
Le moteur est le plus puissant qu'on ait
jamais construit ; car on arrive au chiffre
vraiment extraordinaire de 3 kilogrammes
du poids total par force de cheval, ce poids
comprenant le générateur, le moteur et le
condenseur.
La machine est montée sur un bâti
de tubes d'acier de façon à obtenir légè-
reté et solidité; les ailes, qui ont près
de 10 métrés d'envergure, se replient et
s'ouvrent par une manœuvre simple et
rapide; elles sont en soie vernie, suppor-
tée par une carcasse en bambou ; entre
ces ailes et en avant se trouve une grande
hélice, de construction analogue, mise en
mouvement par le moteur. Celui-ci est
une machine à vapeur, à condensation, uti-
lisant toujours la même eau et munie d'un
chauffage au pétrole ; tout cet ensemble
pèse environ 500 kilogrammes. Le conduc-
teur se place sur un petit siège et conserve
à portée de la main toutes les pièces de
commande lui permettant de plier ou dé-
plier les ailes instantanément, forcer ou
diminuer la pression de la vapeur, actionner
l'hélice, etc., mais quel sera ce conduc-
teur? Jusqu'à présent, on n'a pas vu encore
l'aviateur Ader s'élever dans les airs; quel-
ques expériences, faites de concert avec le
ministère de la guerre, ont prouvé qu'il y
avait beaucoup de bon, mais elles ne sont
pas tout à fait concluantes; le ministre a
laissé à l'inventeur toute sa liberté d'ac-
tion, se réservant seulement l'application
du moteur à l'aérostation. 11 nous semble,
en effet, que le ballon offrira toujours plus
de sécurité que les ailes ; car entîn une ma-
chine, si bien faile qu'elle soit, est sujette
à dérnugement. Qu'un airêt involontaire se
produise, ne serait-ce que pendant quel-
ques secondes: en voilà assez pour com-
promettre tout l'appareil (jue l'inéluctable
loi de la pesanteur écrasera sur le sol, avec
son conducteur. Si jamais il y a des lignes
concurrentes pour faire le service du ciel,
nous choisirons celle qui utilisera l'aéros-
tat, ce sera plus prudent.
En attendant, nous continuons à ramper
sur la terre et nous cherchons à perfec-
tionner pour le moment les moyens rapides
de transport dans les grandes villes. Au
mois de juin dernier eut lieu, à Paris, uTi
Fig. 1. — Un fiacre électrique.
La caisse carrée figurée sous la voiture
reu ferme les accumulateurs.
concours de fiacres qui mit en lumière la
voiture électrique, jusque-là presque incon-
nue dans la capitale. L'automobile à pé^
trole, qui sillonne depuis plusieurs années
nos rues et nos boulevards, n'avait en
cette circonstance d'autre représentant
qu'un coupé de la maison Peugeot. Les
constructeurs s'étaient d'avance rendu
compte des désavantages du moteur à pé-
trole lorsqu'il s'agit d'une exploitation de
ce geni-e : il fait trop de bruit et demande
quelque temps pour sa mise en marche,
de sorte qu'on est obligé de le laisser tour-
ner à vide pendant les arrêts qui ne doi-
vent pas se prolonger, d'où dépense inu-
tile et trépidations désagréables. Le moteur
électrique est beaucoup plus silencieux et
se met en marche immédiatement ; il dé-
pense l'électricité proportionnellement au
travail qu'on lui demande, contrairement
au moteur à pétrole avec lequel les dilîé-
rentes vitesses sont obtenues par un chan-
gement d'engrenages, sans rien changer à
sa consommation.
L'expérience a, du reste, prouvé que ces
liO
CAUSERIE SCIENTIFIQUE
pressentiments étaient justes et on doit à
ce point de vue savoir gré à la maison Peu-
geot d'avoir affronté le concours. Son fiacre
a parfaitement fonctionné el les itinéraires
variés, mais toujours de 00 kilomètres, ont
toujours été parcourus par lui avec la plus
Fig. 2. — Un fiacre à pétrole.
Le moteur et tous les accessoires sont au-dessus de l'axe
des roues d'arrière.
grande facilité; seulement il dépensait jus-
qu'à 16 litres d'essence, ce qui à raison de
0 fr. 70, représente plus de li francs ;
c'est un prix absolument prohibitif pour
un fîacre ; un cheval qui mangerait pour
11 francs par jour d'avoine serait consi-
déré comme un phénomène un peu trop
coûteux ! Le fiacre électrique consomme
beaucoup moins, mais l'expérience n'a pas
été d'assez longue durée pour qu'on puisse
être fixé d'une façon absolue sur la dé-
pense réelle. En effet, on est obligé d'avoir
recours aux accumulateurs comme source
d'énergie, et c'est un appareil assez délicat
qui doit se détériorer rapidement, surtout
lorsqu'il est soumis aux trépidations que
lui font subir les pavés. On estime que la
charge nécessaire pour une journée ne dé-
passera pas .3 francs, mais on ne tient
compte dans ce calcul que du courant em-
magasiné el on n'y fait pas entrer la vie
de l'accumulateur ; il n'y a que l'expé-
rience qui pourra nous renseigner exacte-
ment a cet égard. Cependant, la Société
Fulmen, qui avait fourni les accumula-
teurs et qui a déjà fait des essais à ce
sujet, estime qu'elle pourrait prendre l'en-
tretien de ceux-ci à forfait moyennant
3 fr. 50 par jour et par voiture, ce qui
nous mettrait bien au-dessous du prix de
revient du pétrole. Il est donc à présumer
que c'est l'électricité qui l'emportera. La
voiture est toujours un peu encombrée
par le volume et le poids de la batterie
qui nécessite des dispositions spéciales;
on voit généralement, en dessous, une
caisse carrée (fig. 1) assez disgracieuse qui
la renferme ; il faut, en effet, s'arranger
autant que possible de façon à pouvoir l'en-
lever et la remplacer très facilement — l'une
étant en charge à l'usine pendant que l'au-
tre roule, car il faut huit à dix heures pour
la charger. La voiture à pétrole (fig. 2) est
à ce point de vue très avantageuse et,
pour le moment , il ne faut pas penser à
autre chose pour faire de grands trajets
en dehors des villes.
Il arrivera peut-être un moment où la
vapeur , qui a servi pour les premiers
types d'automobiles, reprendra sa place ;
car M. SerpoUet, qui est l'inventeur d'un
générateur spécial, y ti'availle activement.
Le moteur à vapeur a sur celui à pétrole
cet avantage qu'il est beaucoup plus souple
et ])ermet à un moment donné un vigou-
reux coup de collier si cela est nécessaire.
Le principe de la machine Serpollet est la
suppression de la ciiaudière ; il emploie
un serpentin ES formé d'un tube d'acier à
très faible section, placé au milieu du
foyer A (fig. 3) et dans lequel, au moyen
d'une pompe, actionnée par le moteur lui-
même, on envoie de l'eau qui se transforme
immédiatement en vapeur pour aller ac-
tionner le piston. Dans son dernier modèle.
Fig. 3. — Principe de la chaudière Serpollet.
Sur un foyer A un tube en spirale à section très étroite
reçoit l'eau en E par une petite pompe de compres-
sion ; cette eau est immédiatement vaporisée et sort
en S à l'état de vapeur pour agir sur le piston.
l'inventeur a remplacé le foyer à coke par
des chalumeaux fonctionnant au pétrole, ce
qui réduit le volume et permet d'entretenir
Ijeaucoup plus facilement la température
nécessaire à la vaporisation.
L'automobile n'a pas dit son dernier
mot, tant s'en faut; nous ne sommes en-
core qu'à ses débuts.
On a expérimenté récemment les nou-
veaux canons dont notre armée est aujour-
C A U S I'] R 1 1<: s C I IC N T I F I Q U E
4 il
d'imi pourvue ; les résultais ont été des
plus satisfaisants : le tir peut être exces-
sivement rapide, la pièce se remettant en
hatlerie d'elle-même sans se dépointer. 11
est probaljle que les puissances étrangères
ne tarderont pas à avoir les détails de
notre nouvelle artillerie, si elles ne les ont
déjà ; mais nous n'en conserverons pas
moins sur elles une avance de plusieurs
années. Parmi les inventions faites der-
nièrement en fait de pièces de canon, il
en est une assez bizarre <]ui permettrait de
faciliter le transport des <;rosses pièces en
les fractionnant eu plusieurs i)arties. Un
Fig. 4. — Canon démontable.
L'âme est d'une seule pièce assez mince ; on la renforce
par des ronde. les d'acier réunies par quatre boulons
qui les pressent l'une contre l'autre, de la gueule à la
culiisse.
Américain a eu l'idée de construire un
canon démontable (fig. 4) dont l'âme seule,
portant les rayures, est d'un seul mor-
ceau, mais à parois assez minces pour que
le poids soit réduit à son minimum ; pour
lui donner ensuite la résistance suffisante,
on enfile par-dessus des rondelles d'acier
qui s'appliquent les unes contre les autres
et qu'on réunit solidement entre elles au
moyen de tiges boulonnées. Outre la faci-
lité de transport, cette pièce présenterait
l'avantage d'être moins coûteuse qu'une
autre, puisque lame seule serait à rem-
placer au bout d'un certain temps de ser-
vice et qu'en outre chacune de ses parties,
étant de petit volume, se travaille plus faci-
lement sans nécessiter un outillage puis-
sant ; mais il est à craindre qu'un tel
assemblage, si l:)ien fait qu'il soit, ne pré-
sente pas un tout suffisamment homogène
pour résister aux énormes pressions de la
poudre. On a calculé qu'un canon qui lance
un projectile de 1000 kilogrammes, comme
certains canons de marine, produit un tra-
vail de 17 millions de chevaux-vapeur et
cela en 1/100" de seconde ; comme au bout
de cent coups il peut être considéré comme
hors d'usage, la vie des gros canons est
donc d'environ une seconde !
Chaque fois qu'il arrive un accident do
chemin de fer ou un naufrage , on ne
manque pas d'indicfuer les remèdes, les
ap|)ai'eils de sauvetage ou de sécurité
(pi'il conviendrait d'employer pour évitei'
à l'avenir de semblables catastrophes. Cela
n'a pas man(pié après le désastre de la
Bourgor/ne, et on a rais en avant la télé-
graphie sans fil comme devant servir à
coup sûr à éviter les abordages en mer.
Nous avons expliqué ici , il y a j)eu de
temps, en (}uoi consiste la télégraphie
sans fil; nous rappellerons seulement au-
jourd'hui que, grâce au tube à limailles de
notre compatriote, M. Branly, tul)e qui est
la base du système, l'appareil récepteur
enregistre les ondes ou décharges élec-
triques qui se produisent à une distance
[)lus ou moins grande, 25 à 30 kilomètres
jusqu'à présent. Mais il ne faut pas oul)lier
<pie l'orientation lui fait absolument défaut ;
il enregistre l'onde de (juelque côté qu'elle
vienne ; en supposant que tous les navires
soient pourvus des appareils nécessaires
pour produire les ondes et les recevoir,
appareils délicats et difficiles à régler,
on serait peut-être bien prévenu qu'il
y a quelqu'un dans le voisinage; on
pourrait même, puisqu'on fait à volonté
les signaux Morse, entrer en conversation
avec lui, mais en plein brouillard il serait
assez difficile aux deux navires de se rendre
un compte exact de leur position respec-
tive, et si l'orage s'en mêle ou qu'un troi-
sième navire se trouve aussi dans les
l)arages, cela deviendrait tout à fait impos-
sible. En supposant seulement deux na-
vires, l'un d'eux indiquant ([u'il va de l'es!
à l'ouest, du nord au sud, ou toute direc-
tion intermédiaire, la seule ressource de
l'autre serait de suivre la même direction,
mais encore il ne serait pas bien sûr qu'il
n'est pas exactement sur la même ligne que
l'autre qui pourrait le rattraper s'il marche
plus vile que lui. Il y aurait, certes, un peu
moins de chances d'abordage, mais cela
nécessiterait des complications que peu de
navires pourraient supporter. On a proposé
aussi d'assigner des routes différentes bien
déterminées aux i)aquebots; mais il y a bien
d'autres bateaux qui, eux, ont un service
irrégulicr, vont tantôt à un endroit, tantôt
à un autre et coupent la route des paque-
bots sur tous les points. Il n'y a, en somme,
que les signaux sonores ou lumineux, et
même les deux à la fois, qui puissent être
efficaces ; en temps de brouillard, un bateau
devrait lancer constamment des fusées très
Ijrillantes et détonant en l'air. Malgré
cela, il y aurait encore des abordages; on
ne pourra jamais les éviter complètement,
sans compter ceux qui peuvent avoir lieu
avec des épaves de grandes dimensions,
comme il y en a tant sur l'Océan, et des
montagnes de glace, ou icebergs, qui déva-
Ai2
causerip: scientifique
Icnl des mers arctiques. On devient insou-
ciant du dang'er par riiabiludo et on ne
veut pas troubler la quiétude des passa-
f^ers en leur faisant faire, au premier jour
de chaque embarquement, des simulacres
de sauve-qui-peut où on leur apprendrait
à se servir rapidement des Ijouées, radeaux
et autres appareils de sauvetage qui se
trouvent à bord; c'est certainement un
tort. On en jiarle un peu pendant quelques
semaines après une catastrophe, puis on
n'y pense plus... jusqu'à la suivante. Et il
en sera probablement toujours ainsi, car
telle est la nature de Tliomme !
Le clou de l'Exposition de 1900 n'est pas
encore trouvé, et il est probable, vu l'heure
avancée, qu'il faudra s'en passer — -à moins
qu'on ne considère comme tel la grande
roue de 100 mètres destinée à promener
Fig. 5. — La grande roue de Paris
en construction.
La jante de la roue est construite avant les rayons
qui seront formés de fils d'acier la reliant à l'axe.
circulairement en l'air les visiteurs avides
d'émotions. Cela n'est pas une nouveauté :
Chicago et Vienne avaient eu la primeur
de cette attraction, car c'en est une, pa-
raît-il; nous ne voyons pas très bien, pour
notre compte, quel plaisir on peut avoir à
tourner ainsi en l'air pendant (juelques mi-
nutes; mais des goûts, etc., il ne faut pas
discuter. Quoi qu'il en soit, la construction
de cet appareil aura été fort intéressante
pour ceux qui ont pu la suivre depuis le
commencement. On pourrait penser qu'on
a d'abord placé l'axe sur ses piliers, puis
les rayons et que, sur ceux-ci, on a établi
la jante ; mais on a procédé tout autre-
ment en commençant par la jante. On a
d'abord établi deux échafaudages en bois :
l'un de 76 mètres, l'autre de 62 de hau-
teur et on les a consolidés contre laction
du vent par des câbles en acier reliés à
des poids de 20 tonnes.
En haut de chaque échafaudage se trouve
une grue qui peut enlever 100 tonnes par
jour et se déplace de façon à amener chaque
pièce au point qui lui est assigné ; l'arc de
cercle s'est ainsi élevé symétriquement de
chaque côté jusqu'à ce que, petit à petit, la
jante, qui a 3™,:J0 de haut sur 8 mètres de
large, se trouve complètement fermée telle
que la représente notre dessin (fig. a) ; en
même temps, on a construit les pilones de
60 mètres de haut qui supportent Taxe,
formé d'une pièce d'acier de 13 mètres de
long, pesant .32 tonnes. La jante est réunie
à cet axe par des cfdîles en fil d'acier qu'elle
tend par son propre poids et quarante wa-
gons, pouvant contenir chacun quarante
voyageurs, seront suspendus entre ses
faces. La durée d'une rotation complète
sera d'environ vingt minutes pendant les-
quelles le voyageur pourra avoir, s'il a
beaucoup d'imagination, la sensation d'une
ascension en aérostat.
Bien qu'il ait beaucoup plu cette année,
il faut prévoir les temps de sécheresse
qui, certains étés, ont été d'autant plus
pénibles pour les Parisiens que c'est à ce
moment-là qu'on leur donne le moins
d'eau. L'approvisionnement est cependant
d'environ 70 millions de mètres cubes par
an, en eau de source ; mais cela ne suffit
pas et souvent il faut, vers le mois de
juillet et août, y ajouter la nauséabonde
eau de Seine.
Le conseil municipal a donc dû aviser à
amener de nouvelles sources et c'est sur
les eaux du Loing et de son affluent le
Lunain [dg. 6) qu'il a jeté son dévolu.
Par une loi du 21 juillet 1897 il a été
autorisé à commencer les opérations.
On n'a pas rencontré, chez les habitants
de Seine-et-Marne, riverains de ces deux
petites rivières, les oppositions qu'avaient,
énergiquement formulées ceux de l'Avre
et les travaux ont pu être rapidement
commencés ; du reste, on s'est acquis tout
de suite la population de Nemours en lui
assurant 800 mètres cubes par jour. Comme
on pense pouvoir disposer de plus de
50 000 mètres, le sacrifice n'était pas très
grand.
Les travaux, qui sont estimés à 25 mil-
lions, consistent en deux conduites, l'une
de 15 kilomètres pour le Loing, l'autre de
7 pour le Lunain, qui amènent les eaux à
Sorques où elles sont élevées par des
C A U S E H I E S C I E N T I F I Q U E
/.'i.'ï
pompes à 35 mètres de haut. Elles se
trouvent alors au niveau de l'aqueduc de
la Vanne qui sera doublé, sur une lon<i^ueur
de 7.'{ kilomètres,
d'un autre a(|ueduc
beaucoup plus grand
arrivant comme lui
au réservoir de
Montsouris et pou-
vant le remplacer
en cas de répara-
tions, les eaux de
la Vanne étant, dans
ce cas, réunies à
Fig. G. — Les nouvelles canalisations
amenant les eaux du Loing et du Lunain à Paris.
celles nouvellement captées ; il se pour-
rait même que plus tard elles y coulent
définitivement si, comme on se le propose,
on continue à capter d'autres sources du
bassin supérieur de la Seine; car le Pari-
sien aime l'eau. Ce n'est pas qu'il soit
méchant, il ne boit pas tout, mais il a pris
depuis quelque temps des habitudes d'hy-
giène dont on ne peut que le féliciter : il
va pouvoir disposer de 12S litres par jour.
Ce n'est pas tout d'avoir beaucoup d'eau,
il faut pouvoir s'en débarrasser après usage
et avec le système du tout à l'égout, qui
se généralise tous les jours, on aurait vite
fait d'empoisonner complètement la Seine.
Après bien des projets et des discussions,
on s'est arrêté, comme nous avons déjà eu
l'occasion de le dire ici, au système de
l'épandage et, à mesure qu'on capte de
nouvelles sources pour l'alimentation, on
ouvre de nouveaux champs d'épandage à
l'évacuation des eaux d'égout. En ce mo-
ment on construit une conduite qui doit
traverser l'Oise en siphon, près de Chen-
nevières; on emploie, pour cela, le ciment
armé, c'est-à-dire dans lequel est noyée
une armature métallique; c'est un système
préconisé depuis quelques années et qui
présente des avantages de légèreté et de
solidité qui le rendent précieux dans beau-
coup de cas. Ici l'armalure se compose de
grands cercles de fer (fig. 7) reliés entre
eux et formant un squelette qu'on descend
dans la tranchée, puis qu'on emprisonne
dans le ciment.
On espère que pour 1900 les champs
d'épandage de Pierrelaye, Méry, Triel et
Carrières-sous-Poissy seront complètement
organisés ; il y a une commission spéciale
qui surveille la quantité d'eau à déverser
pour ne pas dépasser le point de saturation
des terres et qui fait en outre des
analyses bactériologiques pour se ren-
dre compte de l'efticacité de l'épuration
par épandage; on a constaté que,
de 1896 à 1897, le nombre de microbes-
contenus dans un centimètre cube d'eau
de Seine prise en dessous des déver-
soirs avait diminué dans des proportions
considérables : il est passé de 5 millions
à 1 million. On pourra se demander ce
que deviennent ceux qui manquent à
l'appel : ils restent dans les champs
d'épandage où ils reconstituent les
éléments fertilisants enlevés par les
récoltes, et les superbes produits
maraicliers qui nous arrivent de ces
terres prouvent une fois de plus que
rien ne se perd dans la nature.
Le nombre des amateurs de photo-
graphie augmente en raison de la
facilité qu'on trouve dans la série des
manipulations nécessaires à l'obtention
de l'épreuve définitive. Depuis quelques
Fig. 7. — ■ Pose des armatures en fer destinées
à la conduite^ du siphon de Chennevières en
ciment armé.
années l'emploi des petites chambres à
main, dénommées jumelles à cause de
leur ressemblance plus ou moins grande
CAUSERIE SCIENTIFIQUE
avec la jumelle de théâtre, s'est beau-
coup répandu, mais on s'est vite aperçu
que le format un peu petit des images
obtenues pourrait être une objection sé-
rieuse de la part des amateurs. Aussi
a-t-on construit en même temps des
amplificateurs automatiques, qui ne sont
pas autre chose en principe que des
appareils d'agrandissement ordinaires,
dans lesquels on simplifie les manipulations
en limitant à un seul format la faculté
(l'agrandissement. Ce sont, en général, des
OiC,-f-
Fig
8. — Principe de l'appareil automatique de
M. Carpectier jiour faire des agrandissements à
toutes les échelles.
A, équerre pivotant sur son sommet. La petite branche,
par le système H M, fait coulisser l'avant C de la
chambre quand on manœuvre l'Hrrière P qui est relié
par le système L R à la grande branche. Par construc-
tion, les <lêplacements relatifs de P et C sont tels que
la mise au point reste constante.
boîtes en forme de pyramide tronquée fer-
mées à la grande base par un châssis des-
tiné au papier sensible et portant vers
l'extrémité supérieure un objectif devant
lequel, sur un petit cadre ad hoc fermant
la petite base, on place le cliché : c'est
toujours au point et toujours en i)laque, il
n'y a point de tâtonnements. Mais à mesure
qu'on devient plus habile dans l'art photo-
graphique, on devient aussi plus exigeant
et beaucoup ne veulent pas rester esclaves
d'un format unique; ils veulent faire mieux
et choisir la partie intéressante du cliché
qui seule mérite d'être agrandie à tel ou
tel format. Dans ce cas, il faut avoir
recours à un appareil un peu plus encom-
jjrant : c'est la chambre ordinaire composé
de trois corps réunis par des soufflets. Le
cliché étant à un ])out sur une glissière
qui permet de mettre la partie choisie en
face de ro]:)jectif monté sur le corps du
milieu, il ne reste qu'à faire la mise en
plaque et la mise au point' sur le verre
dé^poli situé à l'opposé. Cette opération est
très délicate : si on approche le cliché de
l'objectif pour agrandir davantage, le point
n"y est plus et, quand on a rectifié celui-ci,
l'échelle choisie a changé. M. Carpentier
vient de construire un appareil qui sim-
plifie beaucoup l'opération en ce sens que
la mise au point est toujours faite et qu'on
a à s'occuper seulement de voir quel est
le meilleur effet produit suivant l'échelle
d'agrandissement choisie. On sait que
l'objectif obéit à la loi des foyers conju-
gués qui règle les distances auxquelles il
doit se trouver, de l'objet et de l'écran,
pour donner une image nette à une dimen-
sion donnée. C'est la résolution automa-
ti(jue de cette équation qu'elTeclue méca-
niquement l'appareil de M. Carpentier, et
le système est très simple : il consiste à
relier au moyen d'une équerre à angle
droit (fig. 8) pivotant à son sommet A les
deux extrémités C et P de la chambre.
Deux coulisseaux H et L glissant dans une
rainure portent l'un l'avant, l'autre l'ar-
rière de la chamlîre et ils sont reliés le
premier au petit bras, le second au grand
bras de l'équerre par \\n bouton coulissant
dans les rainures M et R pratiquées dans
ceux-ci. On voit de suite au simple examen
de la figure que, dans ces conditions, à
tovit déplacement de l'arrière P de la
chambre correspond un déplacement plus
petit de l'avant C et qu'il y a entre les deux
.une relation constante. Le constructeur
n'a qu'à régler avec soin cette relation une
fois pour toutes, en raison du foyer de
l'objectif employé O dont la position N
est immuable, et la mise au point se
trouve faite pour toutes les positions;
l'opérateur n'a plus alors d'autre préoccu-
pation que de chercher sur le verre dépoli
quel est le meilleur format à donner à son
image pour en obtenir le meilleur effet.
Les photographes étant, en général, plutôt
artistes que savants et habiles opérateurs,
ils ont là un auxiliaire précieux qui ne se
trompe jamais.
Le préfet de police de Paris a signé en
juin dernier une ordonnance aux termes
de laquelle dans un délai de six mois les
propriétaires d'usines, situées dans l'inté-
rieur de la ville, devront faire en sorte de
supprimer les fumées noires et épaisses
qui incommodent tout le voisinage. H y a
souvent un peu trop de sans-gêne chez
ces industriels qui, en modifiant les foyers,
ou en choisissant des houilles plus maigres,
pourraient avoir beaucoup moins de fumée ;
on a proposé plusieurs systèmes de che-
minées et de foyers; on saura bientôt s'il
en est un qui remplisse un rôle réellement
efficace, car un concours est ouvert en ce
moment par la ville de Paris à ce sujet
et nous y reviendrons.
G. Maresciial.
Les renseignemejits de cet article sont donnés au point de vue scientifique et en dehors de toute réclame. Aussi il ru
sera pas répondu uux demandes d'adresses ou de rensHç/nements commerciaux.
ÉVÉNEMENTS GÉOGRAPHIQUES
ET COLONIAUX
La guerre, les préparatifs accomplis, a
|)récipilé son cours.
Les flottes espagnoles sont détruites ;
Santiago de Cuba, la pointe orientale de
la grande île, concjuises ; Porto-Rico, en-
vahi : le gouvernement espagnol a reconnu
sa défaite et demandé la paix. La paix sera-
t-elle pour demain? Nous n'en savons rien.
Les hommes se décident à la paix plus dif-
Gcilement, plus lentement qu'à la guerre,
et comme à regret. Cela est naturel. Ils se
décident à la guerre, parce qu'ils savent
qu'elle est un jeu de hasard, et parce qu'ils
sont joueurs, et aussi parce qu'ils ont de
leurs forces une idée toujours exagérée,
des forces de l'ennemi une idée toujours
incomplète et qu'ils sont orgueilleux. Lors-
que, au contraire, ils sont forcés de parler
de la paix, ils ne savent que trop quel
sera son prix; ils espèrent toujours, les
insensés, comme s'ils attendaient une
intervention divine ; ils balancent, ils ne
font que s'abîmer plus profondément dans
leur défaite. — Vers la fin de la guerre
gréco-turque, un grand journal avait ouvert
une rubrique : Vers la paix ; la rubrique se
perpétua durant trois ou quatre mois.
Aussi convient-il d'attendre encore avant
de parler de la présente guerre. Le lecteur,
au mois le mois, trouve, dans l'excellent
.}femento encyclopédique de cette revue, la
suite des faits accomplis. Les commenter
serait imprudent à cette heure. Il est, dans
les choses d'ici-bas, d'étranges retours. Ce
que l'épée fit hier, demain l'épée peut le
défaire. L'espérance peut être insensée :
les fils du pays que sauva Jeanne d'Arc ne
jetteront pas la pierre à ceux que tient de-
bout la folie d'espérer. Attendons la fin.
... 11 est cependant un petit fait qui s'im-
pose, dès aujourd'hui, à notre attention. Il
passa inaperçu dans le tumulte delà canon-
nade qui faisait rage autour de Santiago.
Il est d'une importance historique de pre-
mier ordre :
« Le Président Mac Kinley, disait, en une
ligne, un télégramme du 7 juillet, a signé,
mercredi, la résolution annexant les lies Hawaï
aux Etats-Unis. »
Si le lecteur a la bonté d'àme de se rap-
peler notre chronique sur les iles Hawaï,
du l'^'' septembre 1897, besoin sera de peu
de mots pour lui démontrer l'importance
de ce télégramme. Les Etats-Unis, on le
sait, se sont mêlés de bonne heure à la vie
politique de l'Etat hawaïen. Dès I8.")3, puis
en i89.'U on crut que l'annexion était immi-
nente. Le 1 G janvier de cette dernière année.
les Américains renversaient la reine Lydia
K. Liliuokalani, établissaient la République.
Le 2 février, à Ilonolulu, était proclamé le
protectorat provisoire des Etats-Unis ; le L"»,
à 'Washington, le président Ilarrison, dans
un message au Sénat , recommandait for-
mellement l'annexion. Mais M. Cleveland,
qui succéda peu après à M. Ilarrison, aban-
donna ce projet ; les annexionnistes durent
attendre le retour au pouvoir du parti répu-
blicain avec M.Mac Kinley. Le 16 juin 1897,
un traité d'annexion était signé par la Ré-
publique des Etals-Unis et la République
d'Hawaï ; le président en recommandait
immédiatement l'adoption au Sénat.
II a fallu la guerre avec l'Espagne, l'en-
traînement de la victoire, la révolution
morale que cet entraînement opère à cette
heure aux Etals-Unis, pour supprimer
brusquement l'opposition que beaucoup
de ])ons esprits faisaient au projet d'an-
nexion. 291 représentants contre 91, 42 sé-
nateurs contre 21 ont voté oui. Le 6 juillet
au soir, vers six heures, le vote eut lieu au
Sénat, « au milieu d'une sensation pro-
longée, suivie d'un silence ému qu'ont ter-
miné de longs applaudissements ». Aussi-
tôt, les mesures nécessaires ont été prises :
une commission, chargée de l'organisation
politique des îles; le croiseur Phi/adel2}kia,
le premier bataillon des volontaires de
New-York, envoyés à Ilonolulu.
L'ancienne colonie anglaise, révoltée
contre les lois et les soldats de sa métro-
pole, devient métropole à son tour, con-
quiert une colonie, envoie aux indigènes
et ses lois et ses soldats : sic vos non vobis.
Que les Etats-Unis s'emparent d'îles
lointaines, riches par la culture de la canne
à sucre, situées sur les avenues qui mè-
nent d'Amérique en Asie et en Océanie :
ce fait, par lui-même, est déjà de quelque
importance. Mais si on le rapproche
d'autres faits récents, si on le considère
comme un symptôme, cette importance
grandit singulièrement. Dans la séance du
Sénat, que nous rappelions, de graves pa-
roles ont été dites; voici comment s'ex-
prima M. le sénateur Teller, du Colorado :
Je crois que partout où flotte notre drapeau,
soit par droit de conquête, soit par le consente-
ment du peuple qui le laisse arborer, là il
doit rester. Et le parti ou les hommes qui
proposent de le retirer auront à compter avec
la grande ma>se du peuple américain qui croit
que c'est le meilleur drapeau du meilleur
gouvernement, plus capable d'apporter la
paix et la prospérité que n'importe quel autre
.'liG
KVKNEMENTS GÉOGRAPHIQUES
EUROPE/
LE A' OTAGE DE M. MARCEL MONNIER AUTOUR DE L'ASIE
drapeau ou quel autre gouvernement sous le
ciel.
Et maintenant, soyez avertis. Après
l'Angleterre, l'Allemagne, la Russie, le
Japon, voici que les Etats-Unis — une ré-
publique — adoptent avec enthousiasme
une polili(|ue « impériale », rêvent d'ac-
croissement indéfini, parlent de conquêtes
et, rejetant aux vieilles lunes la doctrine
de Monroô, s'écrient déjà : « Le monde
aux Américains! )> Nous aurons à commen-
ter plus d'une fois les conséquences de
cette révolution si brusque d'un peuple si
puissant.
S'il était besoin de transitions entre les
pages de nos causeries mensuelles, nous
rappellerions que les îles Hawaï ont été
visitées et décrites en un beau livre par
M. Marcel Monnier, et nous serions ainsi
amené à vous présenter le rude explora-
teur qu'est ce dernier. Il nous revient
d'Asie, où il voyagea sans trêve durant
trois ans et demi.
Un voyageur peut être utile de bien des
façons. Son action sert son pays; ses dé-
couvertes servent la science; les qualités,
qui lui sont 'nécessaires pour parvenir au
terme qu'il s'est donné, sont exemplaires.
Lorsque, dans un long voyage, un homme
a rempli ces trois conditions, cela suffit :
les critiques qu'on peut découvrir en son
endroit sont négligeables, le voyageur est
à louer. De ces trois conditions, celle que
nous mettrons délibérément la première,
c'est la dernière. Notre pays, dont le
grand ressort a été cassé il y a vingt-huit
ans, et dont, depuis, l'état s'est aggravé
par cause d'alcoolisme, de fonctionna-
risme, etc., a besoin surtout d'exemples,
— exemples de volonté, d'énergie, de
bonne humeur. Le voyage de M. Marcel
Monnier, outre les enseignements sur
l'histoire, le commerce, la politique des
Etats visités, peut donner à notre pays
une salutaire leçon morale.
M. Marcel Monnier quitta la France dans
l'automne de 1894. Il était envoyé par le
journal le Temps; il devait faire le tour du
continent d'Asie, via Indo-Chine, Chine,
Japon, Sibérie, Turkestan, Perse : et on
dirait, à l'entendre, qu'il part pour Pon-
toise. (( Le tour d'Asie ! écrit-il, au large
de Ceylan, en décembre : tel, naguère, le
tour de France. Les fatigues de la route
seront peu de chose auprès de ce qu'en-
duraient stoïquement nos grands-pères,
véhiculés par le coche entre la capitale
et la province. ■> Ainsi muni de belle
humeur, il débarque à Saigon ; immédia-
tement, il court à Pnom-Penh, à Angkor,
dans le Cambodge français et dans le sia-
mois. Cet homme, qui a déjà traversé de
part en part les deux Amériques, qui a vu
éMlement l'Océanie du Nord et celle du
ÉVÉNEMENTS G EOG II A PII IQ U ES
i47
Sud, qui a exploré avec Binger la Guinée
française et le pays de Kong, n'a pas
encore rassasié son besoin d'action, sa
curiosité du non-vu. L'admirable géogra-
phie qu'il pourra nous donner, plus tard,
quand il aura parcouru toute la terre, que
sa tôle sera chenue et ses pieds alourdis!
A Angkor, il visite les temples klimers.
La place nous manque pour décrire en
leur magnificence les énor-
mes monuments. Angkor,
d'ailleurs, c'est la banlieue
de Saigon ; vite, une histo-
riette, et courons à l'ex-
ploration véritable.
L'historiette se passe à
Siem-Reap.
Il faut rendre visite au
gouverneur siamois , et
l'usage ne permet point de
le faire les mains vides.
Qu'apporter? « Du pain,
est-il répondu à M. Mon-
nier. — Comment? du
pain? — Parfaitement.
C'est denrée rare à Siem-
Reap, et Son Excellence
en est friande. Apportez-
lui du pain et des liqui-
des. » M. Monnier apporte
six pains de deux livres,
six bouteilles de cognac,
vermout, bitter, etc., plu-
sieurs boîtes de conserves,
un kilogramme de sucre, a Un joli cadeau,
ajoute-t-il, à faire à un gouverneur. >>
U revient à Saigon, visite la Cochinchine,
fait une excursion à Bangkok, repart,
débarque à Tourane, court à Hué, repart,
débar(pie à Haïphong, visite llong-IIay,
voit Hanoï, pousse jusqu'à Lang-Son, jus-
qu'à Long-Tcheou, qui est dans le Kouang-
Si, revient, parcourt dans tous les sens le
delta du fleuve Rouge, repart, débarque au
Japon, parcourt dans, toute sa longueur
l'île de Nippon, puis l'île de Yeso, puis...
Ouf! débarque à Tien-tsin, puis... Ouf!
Suivra M. Monnier qui pourra ! Arrêtons-
nous. Et vous pensez que son esprit est
fatigué? sa bonne humeur diminuée? De
Pékin, il s'amuse à nous envoyer le menu
du repas qu'il fit chez le <c Voisin » de l'en-
droit. Voici le document, fi Jèlement tra-
duit, dans sa disposition quelque peu
anormale pour nous autres, barbares occi-
dentaux.
I) o u c E u H s
Raisins, poires, pommes, châtaignes d'eau,
graines de pastèques confites, noix glacées,
gelées de fruits, noisettes grillées au safran.
110RS-d'œ u VRE
Poulets fumés, poissons fumés au vinaigre
de riz, œufs de canard conserves (cinq ans)
dans la chaux, crevettes à l'huile de ricin,
fromage aux pois, jambon fumé, choux de
mer marines, choux salés, côtes de laitues
salées.
n î N E n
Potage aux nids d'hirondelles, ailerons de
requin au jambon, canard laqué, pois au
miel, llleLs de poisson aux légumes, holoturies
au ffien tseng, pousses de bambou d'hiver,
crevettes au sucre, filets de poussins frits,
CHINE DU N o It D — h A GRANDE M U 11 A 1 L L E
porc bouilli, poisson sauce chrysanthèmes,
champignons au gras, soupe aux graines de
lotus, crème de poix aux fleurs bleues, soupe
de chrysanthèmes.
Pain de maïs à l'étuvée, pains à la viande.
Jaune de Shao-Sing, liqueur de rose, liqueur
des académiciens.
N'allez pas croire, cependant, que
M. Monnier ne donne son attention qu'à
l'art culinaire des pays qu'il traverse. On
est au lendemain de la guerre sino-japo-
naise; c'est précisément pour étudier
« les fluctuations de la politique et les
mouvements de l'opinion dans le Céleste-
Empire ^> et chez son vainqueur, que
notre voyageur est parti. Mais si nous
voulons arriver, avant la fin de celte chro-
nique, au terme du voyage, il faut nous
hâter, nous résoudre à brûler des étapes,
repartir sans cesse. Au reste, nous nous
proposons de donner, cet hiver, un tableau
d'ensemble des événements survenus,
cette année, en Chine: les dévelnppemenls
et les conclusions de M. Monnier y trou-
veront leur place.
Jusqu'à Pékin, il ne s'est guère éloigné
de la côte; il n'a étudié, du continent
d'Asie, que la façade orientale. 11 se dirige
4i8
ÉVÉNEMENTS GÉOGRAPHIQUES
maintenant vers l'intérieur, remonte le
fleuve Bleu et rencontre, au beau milieu
des défilés, une de nos connaissances,
lecteur : M. Madrolle, que nous suivîmes
naguère au Yunnan et dans Tile de Haïnan.
Les deux voyageurs se reconnaissent ;
certainement ils se sont déjà vus : mais
oi!i? Ils cherchent : u Eh! parbleu! fit
M. Monnier. Au théâtre, au Gymnase, à
l'orchestre ! » Et de bavarder pendant des
heures. Chacun reprend sa route. M. Mon-
nier continue la lente montée du fleuve ;
celui-ci est de plus en plus coupé de ra-
pides, impétueux, dangereux. On parcourt
en une journée trois kilomètres; on tra-
vaille une heure et demie durant pour
avancer de cinquante pas. Mais le voya-
e li I iN ii (_ b i\ r li A ]j I'. — • SUR LE Y A X
geur en prend gaiement son parti : « Ce
mode de transport a ceci de bon qu'il
permet au voyageur de combiner, à son
gré, les douceurs de la navigation et le
plaisir de la promenade. » De Chung-
King, on gagne en chaise Tching-tou, ca-
pitale du Sé-Tchouen : ci, cent lieues.
M. Monnier continue à s'amuser. Les
auberges sont d'épouvantables taudis : il
s'en accommode, observe les gens et les
choses, rit de l'inscription que ses boys
ont fait peindre sur les lanternes de la
caravane : Tà-Fa-Tà-Jtn : «. Grands
hommes du grand pays de France » ; et
lorsque l'hôtelier, né malin, installe dans
sa cour des estrades, d'où mandarins,
bourgeois et clercs viennent, contre ar-
gent, contempler à leur aise l'emména-
gement, la toilette et le repas des « bar-
bares n, se fâche-t-il? Il rit encore, et le
premier... Les Chinois, qui voient Anglais
bien plus souvent que Français, ne de-
vaient pas en croire leurs oreilles.
Du Se-Tchouen on gagna, par les routes
malaisées et les montagnes désertes du
Yunnan, Manhao , le Fleuve- Rouge, le
Tonkin.
M. Monnier est de retour sur terre fran-
çaise. Il a visité tout le Japon, toute la
Chine. Ses explorations ont duré déjà un
an et demi. Il pense à la douce France; il
voit le paquebot qui l'emmènerait vite,
vite. Mais il ne balance point; il a une
lâche à accomplir, il repart. — M. Mon-
nier repart toujours.
Il revoit Tien-tsin et Pékin. Durant
l'automne, il visite la Mongolie orienlale,
la Terre des Herbes,
que les Chinois ont
à peine colonisée, et
J qui n'est chinoise ni
^^gÉO d'aspect, ni de cli-
j^Ê^^^^ mat, ni de popula-
'^^^^^^H tion. A cheval il par-
;3^^^H^| court des déserts
"^^^^^^ d'herbes séchées, du-
rant des semaines ;
nulle piste, nul point
de repère, et cepen-
dant le guide mon-
gol va devant, im-
passible, le regard
perdu, les rênes flot-
tantes, « avec la sé-
curité d'un pilote
muni de la boussole
et du sextant ». A
Khalgang, à Jehol,
M. Monnier s'amuse
encore. La drôle
d'idée que les Cé-
lestes ont même au-
T;^ii-K I A.\(, jourd'hui de l'art
militaire! Voici pas-
ser le régiment « des tigres ». Ces braves
sont vêtus d'un maillot fauve slriéde noir;
ils ont le visage masqué d'un cartonnage
hideux ; ils n'ont point d'armes. Leur tac-
tique ? bondir et rugir, pour porter l'épou-
vante et le désordre dans les rangs enne-
mis. D'autres bataillons sont entièrement
composés d'hommes-orchestre. Sun-tsé,
l'éminent stratège chinois, dont les ouvra-
ges sont depuis trois mille ans en honneur,
n'a-t-il pas écrit ce précepte : « Qu'une
musique voluptueuse amollisse le cœur de
l'ennemi »? — Ne trouvez-vous pas qu'on
va chercher bien loin les raisons de la
défaite des Chinois par les Japonais?
M. Monnier revit encore Pékin et Tien-
tsin, puis il partit pour la Corée. Il tra-
versa la péninsule du Royaume Ermite de
part en part, de Séoul à Wou-San. La ré-
gion qu'il visita, le massif de Keum-Kang-
ÉVÉNEMENTS GÉOGRAPHIQUES
449
CHINE DE l'ouest
TN PONT STJSPENDTT
San, " la Montagne-d'Or », souvent célé-
brée par les vieux poètes chinois et les
peintres de l'ancienne école,
est fort mal connue des Euro-
péens. MM. C.-W. Campbell,
du service des douanes impé-
riales chinoises, et J. Curzon,
aujourd'hui sous-secrétaire d'E-
tat pour les colonies au Foreign
Office, sont les seuls, croyons-
nous, qui l'aient parcourue
avant M. Monnier. Ce dernier
put pénétrer dans de curieux
monastères, fort anciens, puis-
qu'ils datent des premiers
temps de l'importation du
bouddhisme en Extrême-Orient
(iv"^ siècle de notre ère).
11 songea ensuite au retour.
De Vladivostok, il gagna, par
la route que nous avons suivie
en partie avec M. Chaffanjon,
l'Amour et la Chilka. Entre la
frontière mandchoue et le lac
Baïkal, il visita les chantiers
du chemin de fer transsibérien.
Allait-il rentrer en Europe par
la Sibérie ? La route était ba-
nale. M. Monnier tourna au sud
et entreprit une nouvelle explo-
ration. Il rentra en Chine par
Khiatka et parcourut toute la
Mongolie, d'Ourga à Kobdo. Il
visita, dans la région de Kara-
korum, les vestiges de la capi-
tale de Gengis-Khan : ce désert
était le centre du puissant em-
pire mongol, au temps où l'Asie
se ruait sur l'Europe, où le
«péril jaune » était une réalité.
A toute bride, abattant chaque
VIII — 29.
jour, sur une selle de bois,
ses vingt lieues, M. Monnier
parcourut ces solitudes. Il
sortit de Mongolie par la
route peu fréquentée de
l'Altaï et des sources de
l'Obi. Il y a sept cents ans,
un frère minime, Guillaume
de Rubrouk, envoyé par
Louis IX à la cour du grand
Khan, avait suivi cet iti-
néraire ; sa curieuse rela-
tion de voyage servit à
M. Monnier de Guide Joanne.
Le voyageur contemporain
retrouva les forêts de pins
et de mélèzes et les « mon-
tagnes glacées », dont par-
lait la narration naïve de
son prédécesseur. De Biisk,
dans la plaine de l'Obi, il
gagna Sémipalatinsk, au
seuil du steppe des Kirghiz.
Dans cette ville russe, il apprit le voyage
de M. Félix Faure à Saint-Pétersbourg et
CHINE DU SUD — UNE VALLÉE DANS LE TUNNAN
450
ÉVÉNEMENTS GÉOGRAPHIQUES
la proclamation de l'al-
liance. L'enthousiasme avait
gagné, par vagues rapides,
ce coin retiré de l'Asie cen-
trale, et notre voyageur en
profita. Durant trois jours,
ce ne furent que fêtes et que
banquets. Mais cette récep-
tion n'amollit pas le cœur
de M. Monnier. Il eut beau
se dire que, par les chemins
de fer russes, il pouvait être
en trois semaines en P'rance,
que son voyage avait duré
déjà trois ans — on était en
octobre 181)7 — il voulut
suivre jusqu'au boutson pro-
gramme.
Exploration du lac Issyk-
Koul, visite du Ferghana,
« cette Provence de l'Asie
centrale )>, de Tachkent, de
Samarcancle, de la Bouk-
harie : telles furent les prin-
cipales étapes, de Sibérie en Perse. On tra-
versa le Khorassan sous une bourrasque
continuelle, qui ajoutait encore à l'aspect
sévère et morne de la contrée. Méchhed,
qui en est la capitale, ville sainte des mu-
sulmans chiites, est particulièrement triste.
M. Monnier trouva Téhéran sous la neige
et les routes du Nord, vers la Transcau-
casie, obstruées. Comme il n'était pas
encore fatigué, il profita de l'hiver pour
faire un voyage circulaire en Perse. Il visita
les anciennes capitales : Hamadan, qui fut
Ecbatane, Bagdad, Chiraz, Persépolis,
LEXPLORATETR MARCEL MONNIER
CHINE MONGOLE — LA PLAINE DE KAUAKOUUM
Téhéran. Les beaux jours revenus, il re-
partit... mais cette fois pour l'Europe.
Nous avons vu M. Marcel Monnier : il a
le teint frais et reposé. Il classe ses notes
et médite de nouveaux voyages.
La mort nous force à ajouter un 2^ost-
seriptum à notre dernière chronique.
Dans le même temps que M. Gentil arri-
vait à Paris, recevait les félicitations et les
remerciements que lui vaut sa belle explo-
ration du Tchad, on apprenait que le capi-
taine Cazemajou avait été assassiné, le
6 mai, à Zinder.
Nous avons parlé de la mission du capi-
taine. Connu par la reconnaissance qu'il fit,
en mars-avril 1893, dans le Sud-Tunisien,
jusqu'à Ghadamès, par ses voyages dans
la boucle du Niger, et notamment dans le
Mossi, le Gourounsi et à Say, M. Cazema-
jou avait reçu du Comité de l'Afrique fran-
çaise la mission de relier par un itinéraire
nouveau le Niger au Tchad. Nous avons
signalé son passage à Argoungou, où il
arriva fin janvier de cette année. Sa der-
nière lettre était du 6 mars; elle était datée
de Konni, au nord-est de Sokoto : « Tout
le personnel est en bonne santé, écrivait-il,
et le matériel est en bon état. »
Le 6 mai, à Zinder, le capitaine Caze-
majou, M. Olive, interprète judiciaire à
Mostaganem, six hommes de leur escorte
sénégalaise, ont été assassinés par des
Touaregs, sans doute dans un guet-apens.
L'œuvre de Crampell, assassiné, a été
reprise et menée à bonne fin par M. Gentil.
L'œuvre du capitaine Cazemajou sera
reprise.
Gaston Bouvier.
LA MUSIQUE
Ce qui caractérise le plus la fin de la
saison artistique de Paris, c'est l'éclosion
d'une quantité de petites solennités, c'est
l'audition d'œuvrettes qui, tard venues,
se présentent précipitamment au public
tout en ayant l'air de protester contre un
imaginaire ostracisme, bien mérité parfois.
Il est certain qu'en ouvrant la saison
lyrique estivale au théâtre des Variétés,
MM. Milliaud frères ont fait, ou voulu
faire, une sorte de protestation contre
l'abandon définitif, par le conseil munici-
pal, du projet de théâtre lyrique subven-
tionné. Entre les auditions de musique
avancée, genre Feri-aal, et la reprise de
navrants Pont -Neufs, genre Voyage en
Chine, il y a un juste et équitable milieu
que personne n'a proposé d'exploiter. Et,
ne voulant délier les cordons de sa bourse
pour une formule d'art par trop égoïste et
qui ne plaît à personne, ou un genre rococo
qui ennuie tout le monde, la ville a enterré
la question. De sacrifice, elle ne veut s'en
imposer que pour encourager les talents
qui veulent bien se révéler au profit d'un
art facile à vulgariser. Et afin de prouver
à la gent musicale qu'on ne saurait l'ac-
cuser injustement de désintéressement, et
que tout ce qui touche à son bon renom
artistique l'intéresse, la ville a fait exécu-
ter, à ses frais, la Muse de Paris, pitto-
resque partition du compositeur montmar-
trois Gustave Charpentier, l'auteur de la
Vie du poète de triomphante mémoire.
La Muse de Paris! quel joli titre, et
surtout quelle jolie idée dont nous sommes
redevables à ce jeune et sympathique
poète-musicien dont l'œuvre s'est épanouie
en plein air. Mais qu'est-ce que c'est
qu'une muse?... C'est, si je ne me trompe,
la figure allégorique de l'inspiration : or
j'aurais compris que l'on eût choisi, pour
la représenter, une personne se recom-
mandant soit par sa beauté intellectuelle,
soit par sa beauté plastique; et que l'on
ne risquât pas de jeter le désarroi dans
l'esprit d'une modeste enfant qui, par la
minorité qui l'a élue, ne représente pas
même une millième partie des ouvrières
parisiennes.
Ce poème musical et symbolique qui de-
vait être exécuté le 13 juillet, place de
l'Hôtel-de-Ville , en l'honneur du cente-
naire de Michelet et dont l'exécution fut
reculée au 24 juillet par un malencontreux
orage, est divisé en sept parties : la Marche
des Cris de Paris, les Crieurs publics, le
Ballet du plaisir dansé par M"'' Blanche
Mante et seize demoiselles du corps de
ballet de l'Opéra, l'Apothéose de la Beauté,
le Couronnement de la Muse, les Souf-
frances de l'Humanité, mimées par M. Sé-
verin, et l'Apothéose finale.
Je ne puis mieux exprimer la différence
qui existe, à l'audition, entre cette œuvre
et la musique telle que l'on est habitué à
l'entendre dans une salle close, qu'en la
eom[)arant à un beau décor théâtral repré-
sentant le même sujet qu'un tableau de
chevalet. Les harmonies sont dosées par
touches vigoureuses et hardies ; mais ce
n'est que du son et de la lumière, non de
la ligne et de la mélodie. Et, si vous aimez
les décors, la Muse de Paris est un beau
décor musical dont se dégage une impres-
sion de grandiose noyée malheureusement
dans le chaos. Je m'explique.
Dansée, mimée, chantée, exécutée en
plein air au milieu du brouhaha de la foule
curieuse et turbulente, bousculée et mé-
contente de ne rien voir, de ne rien
entendre d'une fête célébrée à son inten-
tion, les rythmes et les chants de cette
œuvre s'évaporent, se sauvent de çà de là,
se courent les uns après les autres, et,
tuant une harmonie par un écho, un inano
retardataire par un forte anticipé, donnent
une confuse idée de ce qu'elle peut bien être.
Aussi un impartial jugement étant impos-
sible, du trottoir passons aux coulisses.
Là, aux Variétés, malgré une mise en
scène burlesque , une exécution tâton-
nante, et une bien médiocre interpréta-
tion, Lucie et le Trouvère, — œuvres où
le génie a mis son impérissable griffe !
— plaisent encore et toujours à la foule.
Il n'en est pas de même de l'œuvre de
M. F. Le Rey , Sœur Marthe (histoire
d'amour d'une religieuse hypnotisée par
un disciple de Mesmer) ; et de la nouvelle
scénique de M. Samara, Martyre (un époux
débauché dont l'enfant meurt et la femme
s'asphyxie). De ces œuvres, je ne puis
dire qu'une chose : rien dans l'audition
n'en justifie la mise à la scène, et la cri-
tique n'a aucune prise sur l'indigence des
livrets ou la nullité des partitions. Heu-
reusement qu'en de petites séances artis-
tiques, certains compositeurs font appré-
cier leurs sincères talents. Parmi eux, je
citerai M™" Hedwige Chrétien, qui, avec
le concours de M. Fournets, de l'Opéra,
fit interpréter ses œuvres et récolta d'am-
ples moissons de bravos. M™" H. Chrétien
a bien voulu donner au Monde Moderne la
primeur d'une de ses plus délicates com-
positions pour piano, ce dont nous la
remercions sincèrement.
Guillaume Danvers.
Tarentelle
Danse napolitaine pour piano (inédite)
de Madame Hedwige CHRÉTIEN
Dédiée à M"^^ A. Paquet-Mille, directrice de V Institut i^oly technique de Passy
Jouez avec une grande vivacité, un entrain endiablé, cette danse qui est, pour les Italiens, ce que la
farandole est pour nos compatriotes de Provence.
A Naples, lors des fêtes de la Saint-Janvier, martyr de Pouzzoles et patron fanatiquement vénéré de la
ville (19 septembre), fêles qui coïncident avec la lin des vendanges, la tarentelle se danse dans les
rues, les carrefours, les villages, aux lueurs de gais feux de joie.
Tout en observant avec soin les nuances que l'auteur a indiquées et bien voulues, accentuez la pédale
qui se trouve, tantôt à la basse, tantôt à l'aigu, et qui doit maintenir la danse dans un rythme tou-
jours très égal, afin d'éviter une allure trop rapide ou des ralentis qui enlèveraient à cette page
musicale sa légèreté et sa couleur locale. Très vivement, et avec sonorité, articulez les appogiatures,
qui doivent, comme les minuscules cymbales serties dans le cercle de bois des tambours de basque,
clairement vibrer.
Allegro vivo
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Tous droits de reproduction réservés pour tous pays.
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MEMENTO ENCYCLOPEDIQUE
Événements de Juillet 1898.
1. — M. Félix Faure va au camp de Chàlons pour
assister aux manœuvres des bataillons de Saint-Cyr et
aux expériences avec le nouveau canon. — Le droit
de 7 francs sur les blés étrangers, suspendu provi-
soirement. e*:t rétabli. — ■ L'Etat prend possession du
canail du Midi et du canal latéral à la Garonne. — La
recherche d'Andrée. — En Italie, M. Zeppa est
nommé sous-secrétaire d'Etat pour le Trésor et M. Bo-
nardi pour la Justice. — Un mouvement insurrec-
tionnel est provoqué à Montevideo par le 4<' régi-
ment d'artillerie. Après une vive fusillade, les rebelles
font leur soumission. — Pour se conformer aux instruc-
UNE SCÈNE DE LA BATAILLE NAVALE DE SANTIAGO
(Guerre hispano-américaine.)
première Chambre de Hollande adopte le projet sur le
service militaire obligatoire et personnel. — L'armée
américaine et la flotte américaine attaquent simulta-
nément Santiago, que les Espagnols défendent avec
acharnement. De part et d'autre il y a de nombreux
tués et blessés. Les Espagnols sont obligés d'abandonner
la première ligne de défense, mais les Américains,
épuisés par le combat, ne peuvent s'emparer de la
seconde ligne.
2. — L'Académie des beaux-arts décide de ne pas
décerner cette année de 1<^'' grand prix de Rome. Le
l*'"' second grand prix est décerné à M. Malherbe. —
Par décret, 26,000 hommes de l'armée espagnole
sont appelés sous les drapeaux. — Après un nouveau
combat devant Santiago, les Américains gagnent
encore du terrain.
3. — Aux Toileries, 11"^ concours national de
l'Union des sociétés d'instruction militaire,
en présence de M. F. Faure. — Inauguration du buste
de Maria Deraismes au square des Epinettes. — Célé-
bration du cinquantenaire de Chateaubriand. —
Fête des Félibres, à Sceaux. — L'explorateur Sie-
"Wert-Brackmoc part pour les mers polaires à la
tions de son gouvernement, l'amiral Cervera,
bloqué dans la baie de Santiago, tente de sortir. L'es-
cadre américaine ouvre un feu terrible sur la flotte esi)a-
gnole, qui fait couler ou échouer ses vaisseaux plutôt
que de se rendre. Cinq navires espagnols sont détruits,
350 Espagnols sont tués et 1,600 prisonniers, parmi
lesquels l'amiral Cervera.
4. — Le D' Leyden, de l'Université de Berlin, est
élu membre correspondant de l'Académie des sciences
en remplacement du D' Tholozan. — Une ambassade
envoyée par Ménélick auprès du gouvernement
français arrive à Marseille. — Mort du peintre Auguste
Allongé. — Une collision se produit, près Sable-Island,
entre le transatlantique « Bourgogne » et le
Cromirtyshire. La Bourgogne coiile ; 625 passagers et
marins sont noyés, 184 sont sauvés. — L'empereur
d'Allemagne part pour un voj'age en Norvège.
5. — M'"" Dreyfus écrit au garde des sceaux pour
demander qu'il poursuive l'annulation du jugement pro-
noncé contre son mari, la loi ayant été violée par la
communication de pièces secrètes au conseil de guerre.
— - Le D'' Peyrot est élu membre de l'Académie de
médecine en remplacement du D'' Péan, décédé. —
«LA BOURGOGNE))
(de la Compagnie transatlantique). — Avant le naufrage
du 4 juillet.
L'ambassade abyssine, accompagnée de M. La-
garrto, ministre plénipotentiaire, arrive à Paris.
6. M. Vallé est nommé sous-secrétaire d'Etat à
l'Intérieur et M. Mougeot aux Postes et Télégraphes.
— Mort de Cornélius Herz à Bournemouth. — Le
Sénat américain vote l'annexion des îles Hawai. Le
président Mac-Kiiilev signe une réso'ution dans ce sens.
— Le prince et la princesse de Bulgarie vont
rendre visite aux souverains de Roumanie.
7. — Mort de M. Buffet, sénateur inamovible. —
Mort de M. Gaillard, sénateur du Puy-de-Dôme. —
Sont nommés : évêque de Biyeux, l'abbé Amette;
évêque de Coutances, l'abbé Guéraud ; évêque d'Angers,
l'abbé Rumeau; évêque d'Oran, l'abbé Cantel; arche-
vêque d'Alger, Ms"- Oury, évêque de Dijon. — En réponse
à une interpellation à la Chambre, M. Cavaignac,
ministre de la guerre, affirme que Dreyfus est coupable
et donne connaissance d'un certain nombre de pièces
tendant à établir la culpabilité. Li Chambre vote l'affi-
chage du discours du ministre. — L'empereur d'Allemagne
adresse à M. F. Faure un télégramme de condo-
léances au sujet du naufrage de la Bourgogne. — Le
khédive, venant d'Alexandrie, arrive en Italie. — Le
lieutenant Dubois, parti pour occuper Kiou (Congo
belge), est surpris par les révoltés et tué avec _3J de
ses soldats. — Les amiraux communiquent aux Cretois
leurs décisions concernant l'administration provisoire de
la Crète. Les amiraux exerceront l'autorité dans les villes
et les troupes musulmanes sont maintenues provisoirement
dans l'île.
8. — Le tsar et la reine Victoria adressent des télé-
grammes particuliers de condoléances à M. F. Faure
au sujet du naufrage de la Bourgogne. — L'ambas-
sade abyssine est reçue à l'Elysée. — Inauguration,
au cimetière Montparnasse, du monument élevé à
Tolain. — L'escadre de l'amiral Camara repasse
le can.al de Suez pour revenir en Espagne. — La Porte
proteste contre le régime provisoire élaboré pour la
Crète par quatre grandes puissances sur six. — Ré-
volte des Pavillons-Noirs en Chine.
9. — D lus une lettre adressée au président du conseil,
le lieutenant-colonel Picquart conteste l'authen-
ticité ou la valeur des pièces communiquées à la
Chambre par le ministre de la guerre. — Inauguration,
à Altona, du momiment élevé en l'honneur du prince
de Bismarck.
10. — Inauguration du monument élevé dans les
j;inlins du Luxembourg k la mémoire de Leconte de
Lisle. — Le général Toral ayant refusé de rendre
Santiago sans conditions, les Américains recom-
mencent à bombarder la ville. — Inauguration du
chemin de fer du Congo.
11. — La Chambre vote le projet des quatre
contributions. — La ligue internationale des femmes
pour le désarmement général demande au président
Mac-Kinley de tendre un rameau d'olivier à celle
qui gouverne si noblement l'Espagne.
12. — Le ministre de la guerre adresse une plainte
au garde des sceaux contre le lieutenant-colonel
Picquart et contre M"^ Leblois. Des perquisitions sont
opérées au domicile de M. Picquart. — Arrestation du
commandant Esterhazy et de sa maîtresse. Ils
sont poursuivis pour faux. — M Schagdenhaufifen
est élu associé national de l'Académie de médecine. —
La jeunesse des écoles se rend eu pèlerinage au tombeau
de Michelet.
13. — Arrestation du lieutenant-colonel Pic-
quart. — Clôture de la session parlemientaire. —
Fête du Centenaire de Michelet au Panthéon, en
présence de M. P. Faure et des ministres. — A l'Hôtel
de Ville, banquet offert aux maires des grandes
villes de France. — La France fait opposition sur les
sommesàprovcnir de l'indemnité de guerre (guerre gréco-
turque) jusqu'à concurrence des réclamations, la Turquie
ayant décliné toute responsabilité dans les massacres
d'Arménie.
M I-: M KN TO EN C V C LO PEl) I g U E
459
Cl, E. Piroii, St-(
M. BUFFET
Sénateur inamovible, décéilé le 7 juillet.
14. — Fête nationale. L'ambassade abyssine as
siste à la revue de Longchamp. — Au carrefour de l'Ob-
serviitoire, inauguration du monument érigé à
la mémoire du lieutenant de vaisseau
Francis Gaurnier. — La place de San-
tiag^O, dépourvue de vivres et de munitions,
capitule.
15. — En Espagne, un décret suspend les
droits individuels contenus dans la
Constitution de la monarchie. — Ouverture
du congrès des habitations ouvrières à
Bruxelles. — Le gouvernement italien de-
mande à la Colombie d'exécuter à bref
délai la sentence arbitrale prononcée par le
président des Etats-Unis, le 3 mars 18i)7,
dans l'affaire Cerruti, accordant une somme
d'argent au citoyen italien lésé.
16. — A l'occasion du 14 juillet, M. F. Faure
signe un décret de grâces. — Le Jourmil
officùl publie un important mouvement
administratif. Douze préfets sortent de
l'administration. — Les préliminaires pour
la capitulation de Santiago sont signés.
Les troupes espagnoles sortiront avec les
honneurs de la guerre et seront rapatriées
aux frais des Etats-Unis.
17. — M. Gontaut tst élu sénateur des
Ardennes par 422 voix, en remplacement de
M. Linard, décédé. — Inauguration du mo-
nument d'Alain Chartier à Bayeux. —
Inauguration du monument de Carnot à la
Fertè-Alais (Seine-et-Oise). — Inauguration
du tunnel de 8,100 mètres à travers le col
de Tende, sur la ligne de chemin de fer de
Cimco, par les Alpes-Maritimes, à Vintimille
et à Nice. — Le général Shafter prend
possession de Santiago et remet les pouvoirs
à la municipalité espagnole. — Le général
M,
arts.
insurgé Calixto Garcia, mécontent de
n'avoir pas été chargé de coopérer il l'ocoi-
pation de Santiago, se sépare des Américains
et se retire avec ses troupes.'
18. — La cour d'assises de Versailles,
jugeant par défaut, condiinme £mile Zola
et Ferreux chacun à un an de prison et
3,0UO francs d'amende pour diffamation
envers le premier conseil de guerre. A la
suite d'incidents qui se produisent à la
sortie de l'audience, un duel a lieu entre
MM. Déroulède et Hubbard. Ce der-
nier ayant fait usage de la main gauche, le
combat est arrêté. — Les Américains bom-
bardent Manzanillo. — Le prince de
Galles se fracture la rotule du genou en
tombant dans un escalier.
19. — Inauguration du musée des
moulages au Louvre. — Inauguration de
la prison de Fresnes-lez Rungis,
remplaçant les prisons de Mazas, la Grande-
Roquette et Sainte-Pélagie. — M. Emile
Zola part pour l'étranger. — Le Journal
ojfjciel publie un deuxième mouvement
administratif portant sur 12.j sous-pré-
fectures et secrétariats généraux. — A la
distribution des prix de l'Ecole Albert
le Grand, à Arcueil, le P. Didon prononce
un discours en faveur de la subordination
du pouvoir civil au pouvoir militaire. Le
général Jamont présidait cette cérémonie.
— La Turquie refuse de faire droit aux
réclamations de la France concernant les
dommages causés par les massacres
d'Arménie. — Reddition des places de
Caïinanera et Guantanamo (Cuba).
20. — Arrivée à Marseille de l'explora-
teur Gentil, qui, le premier, a fait navi-
guer lui bateau à vapeur sur le lac Tchad.
— Arrivée du roi de Grèce à Aix-les-
Bains. — Arrivée des ambassadeurs
n- £j3yssins à Vichy. — Une émeute est
provoquée à 'Valparaiso par le vote de la
Chambre eu faveur de l'émission de papier-
monnaie.
21. — Inauguration des nouvelles galeries
au muséum d'histoire naturelle. —
Flameng est élu membre de l'Académie des beaux-
en remplacement de M. Blanchard, décédé. — Le
l'ambassade AB'iSSIXE
460
MEMENTO ENCYCLOPÉDIQUE
LE MONUMENT ÉLEVÉ AU LU
A LA MÉMOIRE
DU POÈTE LECONTE DE
(Puech, sculpteur.)
prince de Bulgarie et la princesse sont reçus au
château Alexamlria, à Saint-Pétersbourg, par les souve-
rains russes. — Découverte d'un complot contre le pré-
sident de l'Uruguay, M. Cuestas. — Le Président
de la République du Brésil rend visite au roi
d'Italie.
22. — Aux Philippines, le chef insurgé Aguinaldo
abau'ionne Cavité aux Américains et établit son quartier
général à Bacoor. 11 proclame la dictature et forme un
ministère. — La Chambre des Communes d'Angleterre
vote une somme de 200 millions pour l'augmentation de
la flotte. — Les puissances approuvent le refus des
amiraux de laisser débarquer des troupes turques en
Crète.
23. — Dans une circulaire aux commandants de corps
d'armée, le ministre de la guerre fixe les conditions dans
lesquelles les chefs militaires pourront accepter de pré-
sider «les distributions de prix. — Inauguration de
la mairie de Vanves. — Ma-
nifestations anti -juives à
Alger. La troupe charge. Il y a
plusieurs blessés. — L'Assemblée
nationale de Crète accepte le
projet d'administration provisoire
présenté par les amiraux. — Les
Américains attaquent Nippe (Cuba),
qui se rend. — L'escadre italienne
arrive à Carthngéna et somme
le gouvernement de Co-
lombie de donner satisfaction dans
les vingt jours aux demandes de
l'Italie.
24. — Inauguration de la passe-
relle de Créteil. — Célébration de
la fête de la Muse, sur la place
de l'Hôtel-de-Ville. — Mort de
M. Chaulin-Serviniére, député
de la Mayenne. — M. Fortier est
élu sénateur de la Seine-Inférieure,
par 825 voix, en remplacement de
M. Eouland, décédé. — M. Bazire
est élu sénateur de la Manche, par
808 voix, en remplacement de
M. Morel, nommé sous-gouverneur
de la Banque de France, démission-
naire. — Le Khédive arrive à
Paris, venant de Vienne. — Arrivée
du comte Leontieff, venant
d'Abyssinie pour subir une opération
nécessitée par des blessures reçues
au cours de son exploration. —
Reprise des relations amicales entre
la France et le Paraguay, relations
suspendues depuis trois ans. — Les
Américiins envoient une armée de
40,000 hommes à Porto-Rico.
25. — Ouverture du Congrès
de navigation à Bruxelles.
26. — M. F. Faure part pour
Le Havre. — M. Laferrière, vice-
président du Conseil d'État, est
nommé gouverneur général de
l'Algérie en remplacement de M. Lé- •
pine. — M. Cambon, ambassadeur
de France à Washington, présente,
au nom de l'Espagne, un message
au président Mac-Kiuley dans le but
de mettre fin à la guerre, lui de-
mandant de faire connaître les con-
ditions de la paix. — L'armée anglaise
reprend sa marche vers l'Omdurman
(Soudan égyptien). — Le comte
Minto est nommé gouverneur du
Canada.
27. — Prix de Rome, pein-
ture : 1" grand prix, M. CUbert,
élève de ftérôme; deuxième l'"' grand
prix, M. Laparra, élève de Lefebvre.
— Un décret suspend les droits de
M. Zola comme officier de l.i Légion
d'honneur. — Ouverture du Congrès
de 11 tuberculose. — La province de
Kouang-Si (Chine) est toujours
en rébellion. Les insurgés sont au
nombre de 40,000. Leur but est le
renversement de la dynastie actuellement régnante.
28. — La mission commandée par le capitaine
Cazemajou, allant du Niger au lac Tchad, est attaquée
par les indigènes de Zinder. Le capitaine et sept hommes
sont tués. — L'accord s'étant fait entre les puissances
et la Porte au sujet de l'autonomie de la Crète,
les amiraux demandent à leurs gouvernements d'accéder
au retrait des autorités et des troupes turques, demandé
par les Cretois. — Le roi et le prince de Roumanie
arrivent à Saint-Pétersbourg, où ils sont reçus par le
tsar. — Réunion du Congrès international des chi-
mistes, à Vienne (Autriche).
29. — Distribution des prix du Concours général
sous la présidence de M. Bourgeois, ministre de l'instruc-
tion publique. — Conditions de paix imposées par
le cabinet américain : les États-Unis ne demandent
aucune indemnité pécuniaire, mais ils exigent l'abandon
de la souveraineté espagnole sur Cuba et l'évacuation
XEMBOURG
L I S L E
MEMENTO ENCYCLOPÉDIQUE
•i61
immédiate de cette île; la cession aux États-Unis et
l'évacuation immédiate de Porto-Rico et des autres îles
LE PRINCE DE BISMARCK
(Ex -chancelier de l'empire d'Allemagne.)
placées sous la souveraineté de l'Espagne dans les Indes
occidentales ; la cession semblable d'une des îles Ladrone.
Les Etats-Unis occuperont et garderont la ville, la baie
et le port de Manille pendant la conclusion du traité
de paix qui déterminera le sort des Philippines, leur
administration et leur gouvernement. — La ville de
Ponce (Porto-Rico) se rend aux Américains. — Arrivée
à Manille de la troisième expédition sous les ordres dn
général Merrit.
30. — Calixto Garcia, mécontent de l'attitude deî
Américains, abandonne le commandf>ment des insurges
de la province de Santiago. — Les rebelles de
l'Yemen (Turquie) sont battus à Cazinaïs par les
troupes turques. — Mort du prince de Bismarck,
ex-premier, chancelier de l'empire d'Allemagne. Il était
né le l''"' avril 1815.
31. — Elections au Conseil général et au Conseil
d'arrondissement. Les partis conservent leurs positions.
— Bourrillon gagne le Grand Prix cycliste de Paris. —
Mort de M. Félix Pécaud, inspecteur général de l'en-
seignement. — La Skouptchina de Serbie décerne
le titre de « Grand » au prince Milosch, fondateur de la
dynastie des Obrenovitch et créateur de la Serbie
moderne. — M. Cambon, ambassadeur de France à.
Washington, obtient du président Mac-Kinley des adou-
cissements aux conditions de paix avec l'Espagne.
— L'empereur d'Allemagne rentre de Norvège à la
nouvelle de la mort de M. de Bismarck.
LA MODE DU MOIS
Lorsque l'été s'est montré de méchante humeur,
l'arrière-saison est généralement belle. Septembre,
si le proverbe est vrai, nous promet donc d'heu-
reux jours. On s'amusera encore aux eaux, aux
bains de mer et à la campagne. Aussi, cette élé-
gante toilette se portera-t-elle avec non moins
lirelle est assortie à la toilette, mais en mousseline
de soie au lieu d'être en mousseline de l'Inde.
Elle est montée sur un manche de bambou, ter-
miné par un milord en or.
Toutes les femmes qui savent s'habiller doivent
avoir dans leur garde-robe une jupe de satin noir.
-iiS^2;^J - ^-^
d'agrément dans un casino qu'à une réception
champêtre (n° 1).
Elle est en mousseline citron, garnie de guipure
bise. Le haut volant composant le bas de la jupe
et les entre-deux ornant le tablier en pointe sont
en guipure. Le corsage, blousé, est en mousseline,
ouvert sur un intérieur en taffetas citron, rayé
en travers par des petits velours noirs. Le volant,
qui forme berthe autour de l'ouverture du corsage,
est liseré par un entre-deux en guipure bise. Bas
de soie écrue et souliers en cuir de Russie. Gants
de Suède citron et chapeau rond, en paille de riz
très légère, couronné de fleurs de saison. L'om-
Rien n'est plus commode, le noir allant avec tout
et pouvant se porter un peu en toute circonstance.
Celle-ci (n° 2) est soulevée, non pas doublée, sur
un dessous en faille rouge. Elle est coupée en
forme; le haut volant, qui compose en partie la
jupe, est légèrement long et monté sur un tablier
rond, orné d'un triple rang de doubles piqûres. On
peut, à volonté, remplacer ces piqûres par un
entre-deux de guipure noire, un galon de fantaisie,
du jais. etc. La veste-habit, comme une veste de
chasse, est en drap rouge, ornée de boutons d'or.
Les revers et le col rabattu sont en drap blanc,
de même que le gilet, que l'on peut fort bien
LA MODE DU MOIS
463
mettre aussi en piqué. Chemise à jabot, avec col
droit et cravate de satin noir.
Le chapeau, tout à fait inédit, est en paille
manille maïs foncé, orné de coques de velours
noir posées en aigrette, bien en avant et retenues
par une boucle ancienne en strass. Des plumes
grises et des roses roses achèvent l'ornementation
de ce chapeau de genre tout à fait coquet.
Chez elle, une femme est infiniment mieux mise
avec un élégant déshabillé ou une coquette robe
de chambre, qu'avec la plus belle des robes, le
matin surtout. Notre modèle (n° 3), qu'une jeune
mi're pourrait fort bien accepter pour ses relevailles,
est en surah crème. On pourrait le choisir rose,
bleu, mauve, jonquille ou blanc. C'est une robe
''W^'^* "(jlflN >^
princess: ajustée dans le dos et vague devant.
Elle est à longue traîne avec pli Watteau rapporté
dans le dos. Un fichu Marie-Antoinette, dont les
pans accompagnent la jupe jusqu'en bas, devant,
lui sert de garniture. Ce fichu croisé est en mous-
seline de soie blanche ou assortie de ton avec la
robe, orné de dentelle ou de trois volants ourlés
de dentelle moins haute. Les manches s'arrêtent
aux coudes. Un coquille assorti à la garniture du
fichu en souligne la couture extérieure, et forme
sabot au bas du coude.
Il est bien entendu qu'on pourrait à volonté
porter les manches longues ; et que ce modèle, en
petit drap, en mousseline de laine, en cachemire,
en crêpe de chine ou en tissu de fantaisie serait
également joli.
Cette fois-ci la jupe est en petit drap noir, au
lieu d'être en satin (n° 4). Très collante elle est
doublée de tafi'etas mauve, ou noir, suivant l'usage
qu'on en veut faire. Elle est agrémentée d'un
volant en forme, très haut derrière, très bas devant
et appuyant à terre.
Le corsage peut se faire de deux façons : en
taffetas noir, il composera une très jolie toilette
de petit deuil ; dans ce cas, le haut des manches
devra être orné d'un léger bouffant. En taffetas
crème ou de nuance claire, avec motifs de guipure
formant épaulettes sur les épaules, il fera une
blouse habillée très gentille.
Le chapeau, relevé devant, est en paille d'Italie
garnie de velours noir et de deux plumes, que l'on
peut à volonté porter blanches, grises dégradées
ou noires.
Bas de soie ou de fil d'écosse noir, et souliers de
chevreau glacé à barrettes boutonnées.
Gants de chevreau crème ou noir.
D'ores et déjà, je puis annoncer que les jaquettes
d'hiver se feront à basques longues. Ce seront
presque des hasquines, comme au temps jadis.
464
LA MODE DU MOIS
PRESEANCE
Il y a dans la vie mondaine un code de bien-
séance, tout comme il y a un protocole pour régler
les rapports que doivent avoir entre eux les
membres du monde diplomatique et du monde
oflBciel. C'est à l'observance des règles de ce code
que l'on reconnaît les personnes de bonne édu-
cation.
En voiture. — Lorsqu'on fait une promenade en
voiture, la femme s'assied toujours à droite et son
mari à gauche. La femme garde la droite, même
lorsqu'elle invite une de ses amies à sortir avec
elle. Elle ne cède sa place qu'à une personne plus
âgée, ou à laquelle elle tient à rendre un respec-
tueux hommage. Elle cède le pas, par exemple, et
fait monter la première la personne invitée. Au
contraire, elle descend en avant, et offre la main
à son amie pour l'aider à mettre pied à terre.
L'homme monte le dernier et descend toujours
le premier de voiture. Il oflFre la main à la femme
et veille à ce qu'aucun accident ne lui arrive.
A pied. — La bienséance veut que, dans la rue,
l'homme prenne le bord du trottoir et fasse passer
la femme du côté des maisons.
Une femme agira de même à l'égard d'une autre
femme plus âgée qu'elle, ou d'un enfant.
Lorsqu'un homme offre son bras à une femme,
c'est toujours le bras gauche, afin de garder le
bras droit libre pour la défendre le cas échéant.
Les officiers seuls, en raison de l'épée qu'ils
portent à gauche, oiïrent le bras droit.
Il est de très mauvais ton qu'un homme s'ap-
puie sur le bras d'une femme, quoique certains
snobs cherchent à implanter chez nous cette
mode d'outre-Manche et d'outre- Rhin.
Le salut. — La galanterie française traite la
femme en reine. Or, c'est à la reine que s'adressent
toujours tous les hommages. Un homme, dans un
salon, doit donc s'avancer respectueusement vers
une femme pour la saluer; il ne lui tend jamais
la main le premier, quel que soit l'âge respectif
de cet homme et de cette femme, à moins, bien
entendu, qu'ils n'aient ensemble des rapports
d'une grande intimité.
Cette même raison fait que, dans la rue ou tout
autre lieu public, un homme ne doit pas saluer
une femme sans y avoir préalablement été invité
par un regard l'assurant qu'il a été reconnu, et
qu'il a le droit d'en faire autant.
La révérence, pour les femmes, redevient à la
mode; elle remplace avec avantage le salut à la
russe raide et un peu cavalier.
Dans l'escalier. — Lorsqu'un homme et une
femme montent ensemble un escalier, l'homme
précède la femme ; quand ils descendent, c'est le
contraire qui se produit.
Un homme doit toujours saluer une femme,
même inconnue, qu'il croise dans un escalier.
Enfin, lorsqu'il est obligé de donner le bras à
une femme souffrante, infirme ou âgée, l'homme
prend le côté de la rampe, c'est-à-dire celui où les
marches de l'escalier sont le plus étroites.
NOS PATRONS
Mante Louis XV. — Cette mante se fait longue,
en drap clair, mastic, noisette, gris argent ou
poussière, beurre frais, cuir, etc., doublé de satin
liberty assorti. Elle est bordée, tout autour du
vêtement, par un volant eu forme; on peut, à
volonté, en mettre deux ou trois. Un volant
intérieur, en soie, augmente l'élégance du vête-
ment, et lui donne plus de flou. Le col Valois est
légèrement godaillé ; le manteau se ferme par une
boucle normande ancienne, en vieil argent. Ce
vêtement se coupe droit fil. Il prend en moyenne
3"", 50 de drap et de 5 à 6 mètres de doublure sui-
vant qu'on fait le volant intérieur simple ou
double. Le même modèle se fait également en
noir pour les personnes en deuil.
LA MODK DU MOIS
465
OUVRAGES DE DAMES
L'automne, dont nous approchous à grands pas,
est la saison des réinstallations intérieures, à la
campagne comme à la ville. Les soirées devien-
nent plus fraîches, les fenêtres commencent à se
fermer, et comme les jours diminuent sensible-
ment, on allume de nouveau les lampes. C'est donc
l'instant de songer à les parer. De même, aux
boissons fraîches succède le thé, plus tonique et
plus réconfortant, après les belles promenades à
travers les bois, sur les falaises, ou au sommet des
montagnes. Pendant les jours de pluie, la lecture
redevient une distraction appréciée. J'ai donc
pensé à donner, comme travaux de fantaisie, aux
lectrices du Monde Moderne des objets appropriés
à, tous les besoins imposés par la saison nouvelle.
A'o 1. — Stores Richelieu. — Ce sont d'abord
deux petits stores disposés de façon à produire
l'efïet d'un seul. L'avantage d'en avoir deux au
lieu d'un est de pouvoir ouvrir facilement les fe-
nêtres, même quand celles-ci sont au niveau du
mur, et, lorsqu'on travaille ou qu'on lit, de ne
donner du jour, en relevant le store, que du côté
où l'on en a besoin. Notre dessin n» 1 représente
une vue d'ensemble des deux stores, dont la bor-
dure, en broderie, est disposée, je le répète, de
façon à jouer l'eflFet d'un seul.
N" 2. — Détail d'un des petits stores. — Ces
stores sont ravissants en toile bise. On peut éga-
lement les faire en soie écrue. A la hauteur de la
broderie, on double la toile par une étamine un
VIII. - 30.
peu solide, en fil, en soie, en coton ou en ficelles ;
on brode sur la toile, en mordant sur l'étamine,
avec du coton ou de la soie d'un blanc absolument
pur. La broderie doit former ce que l'on appelle
du galon brodé, absolument comme dans la bro-
derie Richelieu. On borde tout l'extérieur par un
feston, toujours comme dans la broderie Richelieu.
Puis on découpe toute la toile du fond qui se
trouve remplacée par l'étamine du dessous, ce qui
met la broderie en relief.
-V" 3. — Détail d'un des motij'^ de bordure. —
Broderie en galon autour et à l'intérieur de la
fleur, festons à l'endroit qui forme bordure.
.V" 4. — Couverture de livre. — Une femme
élégante de notre temps ne se contente plus de
recouvrir soigneusement avec du papier le livre
qui channe ses loisirs. Elle l'habille au contraire
fort élégamment, et, quand elle le peut, d'étoffes
anciennes, ou de broderies rappelant les siècles
passés. La couverture que nous donnons est en
soie gris argent, brodée de coucous aux nuances
naturelles, mais un peu éteintes, jaune pour les
LA MODE DU MOIS
fleurs, et vei-t pour le feuillage. La bande orne-
mentale qui coupe en biais le dessus de la couver-
ture, en bas, à gauche, est en galon ancien vieil or,
ou vieil argent, brodé en fils d'or japonais. L'im-
portant est que cela brille, et que cela joue le
genre moyen âge vieilli par le temps. Les fermoirs
sont brodés d'or, les contours doivent être en
liroderie épaisse, très bourrée à l'intérieur, afin de
donner du relief et de jouer aux vieux fermoirs.
La broderie intérieure, au contraire, est en fil
simple, et plate par conséquent. Des rubans, pris
sous les fermoirs, sont destinés à fermer le livre.
La doublure est en soie ancienne. Le montage
se fait comme celui d'un portefeuille ou d'un
porte-musique, ainsi que l'indique la rayure inté-
rieure sur le dessin. La couverture du livre se
glisse sous le pli, de chaque côté, et maintient le
volume dans cette reliure mobile.
On peut faire encore cette couverture en cuir
brodé de soie, ou bien peinte sur une toile bise,
et ne broder que le galon et les fermoirs.
.Y" 5. — Détail d'une flcnr. — Les fleurs, en
soie jaune, sont brodées en plein et bourrées en
des petits rubans rococos verts, cousus à plat. Ces
petits rubans sont noués sur le bord en nœuds
Louis XVI ; les bouts, formant frange, retombent
relief pour imiter les vieilles broderies. Les feuilles,
au contraire, sont brodées au point de tige et à
plat, de façon à donner plus de légèreté au dessin.
Avec un fond en peluche de couleur passée,
vieux bleu ou vieux rouge, cette broderie aurait
tout à fait l'aspect d'une broderie ancienne.
X° 6. — Abat-jour en taffetas rose, rayé par
sur une dentelle blanche ou crème. On peut dou-
bler cet abat-jour en lustrine de soie blanche si
on tient à obtenir sur la table une lumière plus
éclatante.
Tout blanc, ou tout crème, avec des rubans as-
sortis, ou de nuances tranchées, mais claires,
jaune, bleu, rose, vert, cet abat-jour serait encore
ravissant.
A^" 7. — Cache-théière en bengaline crème,
monté à soufflets. Les contours sont marqués par
un bouillonné en même étofl^e blanche, ou en mous-
seline de soie également blanche. La broderie,
blanche aussi, et contournée d'un léger fil d'or,
fera de ce rien, très utile, un objet de délicate
élégance. En nuance de fantaisie avec fleurs de
couleur, le cache-théière sera moins fragile, sans
perdre de sa coquetterie. En cela, le goût person-
nel a libre cours. On peut aussi le faire en laine
ou en étamine.
L'intérieur se double en soie ou en tissu de
coton, et se ouate chaudement pour maintenir la
chaleur de la théière, mais surtout de son contenu.
Berthe de Présilly.
QUESTIONS FINANCIÈRES
Dispensons nos lecteui's de l'ennuyeuse
formalité des préambules, et, après avoir
constaté que la Bourse, somme toute, est
pleine de ces bonnes tendances que jus-
tifie la paix hispano-américaine, — mais
calme, comme il convient en une saison
aussi caniculaire, — allons tout de suite
où l'actualité nous appelle.
Elle nous appelle du côté des valeurs
industrielles, qui sont les seules dont on
s'occupe avec un peu de suite. Voilà déjà
plusieurs mois que cela dure ; mais le
mouvement, loin de trahir un peu de fa-
tigue, est, au contraire, plus vif que jamais.
Un économiste connu, M. E. Théry, a
tout récemment constaté que, pendant le
premier semestre de ISltS, les valeurs à
revenu fixe, rentes, obligations des che-
mins de fer et des villes, bons du Tré-
sor, etc., avaient fléchi, et qu'au contraire
les valeurs à revenu variable, actions des
chemins de fer, des grands établissements
de crédit et des principales entreprises
industrielles, avaient progressé d'une ma-
nière fort sensible. Tous comptes faits, la
dépréciation des premières se trouve
compensée par la plus-value des dernières,
et même plus que compensée, puisque,
somme toute, le bénéfice total des por-
teurs de grandes valeurs françaises s'éta-
blit aux environs de 94 à 9.'> millions.
Dans ce bénéfice, la part la plus impor-
tante provient de la hausse des valeurs
mdustrielles , et c'est sur ce point que
nous désirons appeler surtout Tattention.
Nous comprenons fort bien que le capi-
taliste se préoccupe de la baisse constante
du taux de capitalisation. Aujourd'hui,
lorsqu'il a de l'argent à placer et qu'il
s'adresse aux valeurs à revenu fixe qui
jadis étaient l'objet de ses préférences,
que trouve-t-il ? Si c'est de la rente qu'il
achète, c'est 2.90 pour 100 d'intérêt annuel
qu'il reçoit. S'il prend des obligations de
chemins de fer, le pourcentage n'est plus
que de 2.7"! pour 100 (défalcation faite des
impôts) ; il est moindre encore pour cer-
taines obligations à lots. Toutes ces va-
leurs, depuis plusieurs années, ont été
constamment poussées en avant par des
achats persistants, si bien qu'elles n'offrent
plus qu'une trop faible rémunération.
Dès lors, il est tout naturel que le capi-
taliste, désireux d'améliorer sa situation,
se soit tourné vers les valeurs à revenu
variable. En prenant les meilleures , il
saute aux yeux qu'il n'a pas grand 'chose
à craindre au point de vue de la sécurité,
et il touche, pour le loyer de son argent,
un intérêt moins chétif. Nous ajouterons
que, pour notre pari, nous sommes ravis
que son attention ait été attirée surtout
par les valeurs industrielles.
Mais il y a des limites à tout. Quelques-
unes des valeurs à revenu variable ont été
l'objet d'une telle faveur, qu'à l'heure qu'il
est et aux cours actuels, il se trouve que
leur revenu est plutôt inférieur à celui de la
rente ! C'est le cas, par exemple, du Suez ; et
c'est le cas aussi de la Bancpie do France;
et c'est le cas surtout des actions des
grandes Compagnies de chemins de fer.
On escompte, en ce qui concerne ces der-
nières, les augmentations de dividendes à
provenir des accroissements de recettes.
Il est certain qu'un jour ou l'autre ces ré-
sultats seront obtenus en effet ; mais il v
faudra beaucoup de temps ; car il faut,
avant de songera accroUre les dividendes
de leurs actionnaires, que les Compagnies
commencent par rembourser les énormes
avances à elles consenties par l'Etat. Et
cela ne se fera pas de sitôt !
Encore, si la faveur publique n'allait que
vers des valeurs de cette indiscutable sé-
curité, n'aurions-nous pas grand'chose à
y reprendre; mais le malheur est qu'on
commence à trouver trop chères — ce qui
est d'ailleurs la vérité — les actions de
nos grandes Compagnies, et qu'on cherche
d'autres emplois. On prend des titres d'un
rang moins comment dirons-nous?
moins illustre; et, j)eu à peu, on s'habitue
à aller, par une pente dangereuse, vers
des valeurs |)lus ou moins sujettes à cau-
tion, et sur le compte desquelles on n'est
pas sufiisaniment documenté. Ajoutons
qu'il se trouve des... financiers qui, cher-
chant à profiter de l'engouement du pu-
blic pour les valeurs industrielles, lancent
de ces valeurs avec une profusion qui fait
})lus d'honneur à leurs facultés inventives
qu'à leurs scrupules.
Il y a là un très gros danger, et contre
lequel nous ne saurions trop mettre en
garde le public. Va pour les valeurs indus-
trielles, mais, quand vous n'êtes pas ren-
seigné congrùment, n'achetez pas. Il vous
est facile d'être informé; pour ma part,
je donnerai tous les» renseignements dont
on pourra avoir besoin. C'est ma fonction
et ma raison d'être dans ce journal.
... En réponse à diverses lettres, je re-
dirai que les obligations de la Revue du
Monde Moderne rapportent 5 pour 100 nets.
L'affaire étant en pleine prospérité el le
nombre de titres en circulation étant peu
considérable , l'obligation constitue une
valeur de portefeuille de premier choix et
de tout repos.
E. Ben 0 1 ST.
Adresser les r:>mmiinic<ilions pour cette page ;) M. i!mHe Benoist. 17, rue du Paul-Neuf.
BOURSE DE PARIS (Comptant). — Cours extrêmes de Juillet 1898.
FONDS D'ÉTAT ET DE VILLES
3 % français perpétuel
% % d" amortissable
3l/2^d°
Obligations tunisiennes 3 % 1892. . . .
Emprunt Annam et Tonkin 2 1/2 %
Emprunt de Madagascar 2 1/2 %
Angleterre, consolidés 2 3/4 ^
République argentine 5 % 1886
Autriche 4 % 1876, or
Belge 3 % 1873 conv. (2^ série)
Brésilien 4^ 1889
Chine 4 % 1895, or
État indép' du Congo, lots 1888
Egypte 7 %, dette unifiée nouvelle..
— 3 1/2 %, dette privil., conv..
Espagne extérieure 4 % 1882, perpét .
Hongrois 4 % 1881, or
Italien 5 %
Portugais 1853 Z %
Roumain 4 % 1890
Russe 4 % 1880 (e* émission)
— 4i' 1889, or
— i% consol. (1" et 2= séries). .
— i% 1890 (2» et 3<= séries)
— %,% 1891, or
— i % 1893, or
— 3 1/2 % 1894, libéré
— Z % 1896
Serbie 4 % 1895 ■
Suisse (chemins de fer) Z %
Turquie, dette convertie (D) i. % . . . .
— oblig. consolidé 1890, i %
— — ottom. priorité 1890, 4 %
— — privil. douanes 5 %....
— — ottom. 1894,4^
— — 1896, 5 %
Ville de Paris 1865, i%
— 1869, % %
— 1871, %%
— 1875, 4 i'
— 1876,4^
— 1886, % %
— 1892, 2 l/2^toutpayé.
— 1894-96,2 1/2 % d'
Ville de Marseille 1877, % %
— d'Amiens 1871, 4 ^
— de Bordeaux 1863, % %
— de Lille 1860, % %
— — 1893, 3 1/2,?'
Deï.nfl
d'impùl
3 »
3 »
3 50
15 »
2 50
12 50
»
20
08
17
57
4
»
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»
93
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»
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3
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25
20
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10 66
10 68
18 06
18 06
10 68
8 82
8 82
10 70
3 60
3 »
2 64
3 16
de Lyon 1880, % % 2 67
ETABLISSEMENTS DE CREDIT
Banque de France (Actions)
Banque Paris et Pays-Bas . d"
Banque Transatlantique . . d"
Compagnie Algérienne ... d"
Comptoir d'Escompte d°
Crédit Foncier de France. . d"
Foncières 1879, %%... (Obligations)
— 1883, 3 i" d»
— 1885, 3 J' d"
— 1895, 2,80^ lib. d»
Communales 1879, 2,60 % . d»
— 1880, % % ... d»
— 1891, % % ... d»
— 1892, si'.... d»
Crédit Industriel (Actions)
Crédit Lyonnais d"
Société Générale d°
115 »
36 95
11 68
29 60
25
24 96
13 40
13 48
13 40
12 46
11 50
13 40
10 72
14 36
12 »
32 06
12 »
Plus haut.
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504 »
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509 »
461 »
462 50
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585 »
685 »
406 »
412 »
398 75
412 »
123 B
124 25
129 75
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i04 76
44.-)
77-')
615
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472
502
501
501
50r.
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50G
610
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Plus bas.
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100 00
106 65
490 50
91 10
90 50
111 »
427 »
103 30
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104 20
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108 50
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102 50
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17 50
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102 30
102 05
102 70
96 25
105 80
101 »
97 10
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100 60
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410 »
467 »
493 »
445 )j
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392 »
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119 »
124 i.
127 ))
500 »
101 26
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770 »
585 »
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461 »
601 25
500 »
500 »
501 »
401 »
500 »
600 »
845 »
530 s
Banque Afrique du Sud .
Banque Ottomane
(Actions)
d"
CHEIVIINS DE FER
Est 500 fr. tout payé (Actions)
P.-L.-M
Midi
Nord
Orléans
Ouest
Bône-Guelma. .
Est-Algérien . . .
Ouest-Algérien .
Andalous
Autrichiens. . . .
Sud-Autriche . .
Nord-Espagne. .
Saragosse
d»
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d°
d°
d"
d»
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d»
d»
lie», netl
d'iopot Plus hauL
32 16
49 70
45 42
55 90
52 99
34 75
26 97
25 10
22 78
Est 3 % nouveau (Oblig.)
P.-L.-M. 3 % nouveau d»
Midi 3 % nouveau d°
Nord-Est français % % d»
Orléans 1884 d»
Ouest 3 % nouveau d»
Bône-Guelma Z % d»
Est- Algérien Z % d"
Ouest- Algérien Z % d»
Médoc Z % d»
Andalous 3 % estamp d"
Autrichiens 3 % V^ hypoth. d°
Nord-Espagne 1" hypothèque. d°
Saragosse d°
VALEURS DIVERSES
Docks et Entrep. de MarseiUe.(Actions)
Entrep. et Mag. Gén. de Paris. d"
Qie (jis Transatlantique d"
C'" française des Métaux .... d"
C* générale des Tramways ... d"
C'« générale des Eaux d"
C" du Gaz de Bordeaux d"
C'* du Gaz général de Paris. d°
C'° du Gaz de Marseille d"
Aciéries de France d»
Forges et Chantiers Méditer. d"
Bateaux Parisiens d°
G'" franc, des Chargeurs réunis, d"
0'*= des Lits militaires d"
Société de la Tour Eiffel d»
C'«interni<î des Wagons-lits. . d"
Régie des tabacs ottomans.. d"
C'« générale des Eaux Z % .. (Oblig.)
- - 5^.. do
C'" Parisienne du Gaz i % . . d»
Gaz central 500 fr. 4 |' d"
C'*" du gaz p. France et Et. 4 %. d»
C'^ des Messag. Marit. 3 1/2 %. d"
Ci<'G'>' Omnibus de Paris4^. d»
Cie (jie Voitures à Paris4^. d»
Qie (jie Voitures Urbaine b% . d"
C'"^ des Lits militaires i % . . d"
Canal de Panama, lots, t. p. . d»
— — 210 p d»
— — bons à lots 89. d°
C» du Canal de Suez & % . . . d»
— Z % (1" série). d"
— 3 ^ (2e série) . d"
5 »
31 »
4 »
5 )>
4 25
13 44
13 44
13 44
13 44
13 44
13 44
13 46
13 50
13 48
13 54
11
15
11
14 30
1100 »
19G7 »
1485 »
2204 »
1900 »
1235 »
810 »
734 »
685 »
86 »
784 »
174 »
74 »
14 7 »
482 »
482 »
483 X
478 »
483 »
483 »
48S
475 50
471 »
440 »
182 »
478 76
219 »
290 »
16 43
25 72
17 30
27 95
»
59 98
82 66
20 32
45 60
34 44
25 30
22 63
65 04
44 79
6 15
30 »
25 »
13 46
22 94
18 16
18 16
18 20
15 84
18 »
18 18
23 30
21 81
»
»
24 60
13 40
13 50
Obligatiouo du Monde Moderne loi) 100 » 100 »
Plus bas.
79 11
63',i 50
1083 »
1942 »
1452 60
2152 »
1882 »
1212 50
786 5'J
721 »
665 »
68 50
760 »
171 ).
58 »
117 »
476 »
471 »
476 60
474 75
477 25
476 •»
472 50
464 »
467 ï>
42S »
150 »
474 50
191 50
238 »
473 »
743 50
369 »
670 »
1150 »
2400 »
);
450 »
»
1200 »
840
850 »
1539 50
1700 »
520 »
770 »
295 »
475 »
522 »
507 »
613 »
511 )i
515 »
517 »
625 »
323 »
620 »
119 »
268 »
116 »
660 »
495 »
490 »
LA VIE PRATIQUE
Futailles moisies. — Pour enlever aux l'u-
tailK's le i;()iU de moisi qu'elles contracteni
lorsque les parois ont été envahies par les
moisissures, \-oici comment l'on doit procéder :
1" Défoncer le fût ;
2° Fi'otter l'intérieur avec ime brosse de
chiendent ;
.H" Rincer éneri^iquement avec de l'eau aci-
dulée à 10 pour 100 d'acide sull'urique ;
4" Hincer plusieurs fois à l'eau simple;
5° Mécher.
Futailles à goût de lie. — r Délayer 1 à
3 kilos de tan dans une lessive de soude:
2" Laisser séjourner le liquide précédent
pendant quatre ou cinq jours dans la futaille;
3" La\er à l'eau (jrdinaire;
4" Mécher.
Rinçage des futailles. — l*^'' procédé. —
On rince d'abord à l'eau chaude, puis on
égoutte. On introduit ensuite dans la futaille
un kilogramme de chaux vive en petits frag-
ments, que l'on promène partout à l'intérieur,
puis on ajoute un peu d'eau. On ferme la
bonde et on roule la futaille de manière à bien
imbiber toutes les parois.
Une ou deux heures après, on rince à plu-
sieurs eaux.
1" procédé. — Ce procédé est meilleur que
le précédent.
On fait dissoudre 2 à 3 kilos de soude dans
20 litres d'eau. On ferme la bonde et on roule
dans tous les sens.
Finalement, on laisse égoutter et on rince à
plusieurs eaux.
Pommade pour les touristes. — Les tou-
ristes et les chasseurs connaissent trop bien ces
ampoides qui se forment sur les pieds après
ime marche pénible. On peut les guérir rapi-
dement avec la pommade ci-dessous :
Savon TiO grammes.
Suif .50 —
Alcool camphré 25 —
Vinaigre camphré. ... 25 —
Préparation des poires tapées. — Pour
faire des poires tapées, il faut choisir des fruits
non encore très mûrs, et qu'on reconnaît à ce
que la queue est encore adhérente. Voici les
opérations que l'on doit leur faire subir :
1" Mettre les poires avec un peu d'eau dans
un chaudron et chauffer jusqu'à demi-cuisson;
2» Enlever la peau en grattant avec l'ongle;
3" Mettre les poires sur un plateau, la queue
en l'air ;
4" Laisser les poires s'égoutter et mettre à
pai-t le jus qui s'écoule;
5" Mettre les poires sur les claies et les in-
troduire dans le four chauH'é à environ 90°,
pendant 12 heures;
6" Mettre dans le jus du sucre, de la can-
nelle et des clous de girolle. Y plonger les
poires après les avoir comprimées avec la
main ou un appareil spécial.
'° Remettre les poires dans le four, puis re-
commencer les opérations précédentes jusqu'à
ce que leur coloration soit brun clair et leur
chair ferme et demi-transparente. Si le jus
n'est pas en quantité sullisante, on fait bouillir
les pelures dans de l'eau sucrée et on y ajoute
ce sirop.
Si l'on veut avoir un beau produit, on plonge
les poires sèches dans du sucre fondu pour les
glacer.
(Conserver à l'abri de l'humidité.
Liqueur de prunelles. — Prendre des pru-
nelles fruits de l'épine noire, quand elles
sont bien mûres (fin septembre', les dé-
pouiller de leur chair en les plongeant dans
l'eau bouillante, faire sécher les noyaux à
l'ombre complètement: les concasser et les
mettre dans vuie bouteille qui doit en être
remplie à moitié. Achever de remplir avec de
l'eau-de-vie de très bonne qualité; laisser
infuser six semaines, puis tirer au clair et ^
ajouter un demi-litre de lait bouillant par lilrc
de liqueur et une livre de sucre en poudre ;
remuer le tout pendant quelques minules;
filtrer ensuite au papier gris.
Nettoyage de la passementerie et de la
broderie en or. — La passementerie, la bro-
derie ou le tissage en or demandent beaucoup
de soin, quant au nettoyage. Les liquides alca-
lins éclairciraient nécessairement, mais on ne
doit pas en faire usage parce qu'ils brûlent la
soie et changent les couleurs. Le savon aussi
altère la nuance et même la teinte de certaines
couleurs. La seule chose dont on puisse se
servir fructueusement, assure le Métal, c'est
l'esprit-de-vin ; on peut l'employer sans nul
danger d'altérer soit la couleur, soit la qualité
de l'étofl'e, et. en beaucoup de cas, il rend à
l'or son lustre aussi bien que les corrosifs. Un
riche brocard présentant une grande variélç
de couleurs et absolument terni se trouve mis
à neuf si on le frotte avec une brosse douce
trempée dans de l'esprit-dc-vin chaud, et les
couleurs de la soie qui étaient fanées redevien-
nent en même temps vives et brillantes. L'es-
prit-de-vin est la seule substance qui con-
vienne, et le secret que jjrétendent posséder
les artistes pour nettoyer la passementerie ou
la broderie en or n'est autre que de l'esprit-
. de-vin plus ou moins déguisé.
Vernissage des objets en argent. — Un
excellent moyen, assure l'Invention, pour em-
pêcher de ternir les objets en argent, con-
siste à les recouvrir dune mince couche au
collodion. Ce procédé, qui vient d'Allemagne,
semble donner d'excellents résultats. On coni-
mence par chauffer les objets à recouvrir, puis
on les vernit avec un collodion léger et étendu
d'alcool, en employant une brosse large et
douce. Une seule couche suffît. Il parait que
l'argent ou le plaqué ainsi recouvert, exposé
dans la devanture d'une boutique pendant
plus d'une année, était resté aussi brillant
qu'au début, tandis que des pièces non pro-
tégées, placées côte à côte, étaient devenues
absolument noires au bout de quelques mois.
Victor de Ci.rvES.
LA CUISINE DU MOIS
Potage aux nids d'hirondelles. — Lavez,
à T) ou (i eaux ahonilanlcs. un niil de salan-
f^'ane par personne, laissez-les tremper 4 heures,
fjpérezun nouveau nettoyapre et laissez tremper
autant. L)ébari'asscz-!es de toutes les impuretés
qui ])ourraient adhérer encore avec la pointe
du couteau, rafraîchissez une dernière fois,
cou\'rez-les larfïement de bouillon de ])Oularde
un ])eu ^ras, faites sourire et tenez-les cou-
verts au bain-marie 2 heures. Garnissez la
sou]3icre de consommé de poularde dégraissé
et relevé d'un filet de bon madère, égouttez
les nids. f>arnissez le consommé et servez.
Filets de soles à la cardinale. — For-
mule. — 2 soles de 400 grammes chacune,
12 écrevisses, 120 g-rammes de beurre, 1 quart
de litre de vin blanc, 1 petit œuf, 2 jaunes,
1 demi-citron, 30 grammes de mie de pain,
1 bouquet garni, sel, épices, petit verre de
cognac, 5 grammes de farine.
Oi'HUATiox. - — Cuire les écrevisses avec le
cognac, le vin, le bouquet, 10 grammes de sel
et une pointe de cayenne, 6 minutes, laisser
refroidir. Peler les soles, lever les filets,
tremper la mie de pain dans un peu de lait.
Piler les deux plus laids filets de soles, ajouter
la mie de pain pressée, 50 grammes de beurre
et le petit œuf, saler et poivrer, passer au
tamis de crin. Diviser cette farce en 6 et
napper les 6 filets de soles, les doubler la
farce en dedans, choisir les 6 plus beaux
coffres d'écrevisses, les vider complètement,
couper les petites pattes aux ciseaux, entrer
le côté pointu des filets dans les coffres et les
poser à mesure sur un plat beurré, arroser de
citron. Enlever les 12 queues d'écrevisses et
les couper en deux dans leur longueur, met-
tre de côté. Piler toutes les parures avec
40 g-rammes de beurre et passer au tamis.
Mouiller les filets de soles avec la cuisson
des éc7'evisses passée, faire cuire au four,
couverts d'un papier beurré, 15 minutes.
Fondre ce qui reste de beurre, mélanger la
farine, mouiller avec la cuisson des soles, lier
avec les jaunes et un peu de citron, ajouter
le beurre d'écrevisses.
Dresser les filets sur un plat ovale chaud,
mettre les queues en bordure, arroser avec la
sauce et servir.
Perdreaux à la bigarade. — Plumer,
vider, flamber et trousser 3 perdreaux, ne
jeter ni les têtes, ni les gésiers ; foncer une
casserole avec couennes de lard frais, un lit
d'oignons et de carottes émincées, un petit
bouquet garni et les débris de perdreaux.
Couvrir d'un papier beurré, faire suer 5 mi-
nutes sur un feu doux; mouiller avec 1 quart
de litre de vin blanc et autant de bouillon,
laisser cuire 1 heure à tout petit feu en arro-
sant les i)erdreaux 4 fois.
Pousser 40 grammes de beurre à la noi-
sette, roussir 30 grammes de farine, mouiller
avec le jus des perdreaux passé, laisser réduire
en remuant afin que la sauce soit bien liée.
Goûter l'assaisonnement. Enlever le zeste de
deux oranges bigarades, le couper en julienne
très fine, cuire à l'eau 3 minutes, égoutter et
mettre dans la sauce ; ne plus laisser bouillir.
Peler à vif les bigarades, enlever les quartiers
avec un couteau en les coupant dans leurs
cloisons respectives et les ajouter à la sauce.
Un filet de bon cognac est nécessaire.
Déljrider les j^erdreaiix. les dresser çt saucer,
Gigot rôti. — Pour qu'un gigot soit tendre,
il a besoin d'être amorti longtemps. Pour cela
il faut le prendre chez le boucher tout frais,
un peu gras et la graisse bien blanche, la jieau
très fine : le suspendre dans un courant d'air
sec. à l'abri des odeurs et de l'humidité.
8 jours sont nécessaires. La viande tourne si
on ne tient ]^as compte rigoureusement de
ces prescriptions. J'en ai conservé un 21 jours
et il n'avait aucune atteinte.
Le cuire à la broche devant un feu clair
30 minutes par kilo, une fois paré, sans l'ar-
roser ni le saler. Egoutter la graisse de la
lèchefrite, passer un i:)eu d'eau froide pour
lever l'osmazone rissolée, saler le gigot, l'ar-
roser du jus et servir.
N.-B. — Si on veut le manger bon, il faut
avoir soin de le découper à table et non à la
cuisine.
Riz à l'impératrice. — Formule pouh le
RIZ. — 100 grammes de riz Caroline, 1 demi-
litre de lait, 100 grammes de sucre semoule,
10 grammes de sel, 80 grammes angélique
confite ou des chinois verts, 100 grammes de
cerises mi-sucre, vanille. Un moule festonné
à cylindre de 15 centimètres de diamètre.
Opération. — Laver le l'iz avec soin, le
tremper 2 heures. Le saler et faire bouillir
dans 1 litre d'eau, le rafraîchir et le verser
dans le demi-litre de lait bouillant, laisser
cuire sur un feu très doux 30 minutes. Ajouter
le sucre et 1 quart de gousse de vanille ; tenir
au chaud sans bouillir.
L.v CRÈME. — Délayer avec 6 jaunes
125 grammes de sucre et travailler 5 minutes ;
ajouter un autre quart de vanille, 1 demi-litre
de lait bouillant et 4 feuilles de gélatine bien
lavée: faire sourire, retirer du feu et refroidir
à moitié en remuant souvent pour éviter
qu'elle fasse croûte, mélanger avec le riz et
1 décilitre de crème fouettée. Huiler très peu
le moule, verser ime couche de riz de 1 cen-
timètre, une couche de cerises mi -sucre
entières, une nouvelle couche de riz, de chi-
nois ou de l'angélique en dés, du riz, des cerises
coupées en deux, du riz et des chinois ou
angélique, finir par du riz jusqu'au ras du
moule. Entourer de glace non salée et laisser
rafl'ermir 3 heures. Sans glace, il faut exposer
dans un courant d'air frais 4 ou 5 heures.
Tremper le moule à l'eau tiède 30 secondes,
essuyer, renverser et servir.
Sabaillon au kirsch. — Formule. —
3 jaunes, 1 œuf entier moyen, 80 grammes de
sucre semoule, 1 décilitre de très bon kirsch
et non de fantaisie, le quart d'un jus de ci-
tron, 2 décilitres de vin blanc sec.
Opération. — Travailler les jaunes avec
l'œuf entier dans une casserole étroite et de
haute forme, mélanger le sucre et travailler
5 minutes ; ajouter le Ain blanc, battre au
bain-marie pour faire bien mousser et épais-
sir; dès que la cuiller est masquée par cette
espèce de crème, retirer du feu, ajouter le
kirsch peu à peu en battant toujours, la crème
doit se lier davantage; renverser le riz sur un
plat rond, arroser avec le quart du sabaillon
et servir ce qui reste en saucière en même
temps. Cet entremets se sert froid de préfé-
rence. Si on veut le servir chaud, il faut sup-
primer la gélatine.
A. Colombie.
Jeux et Récréations, par m. g. Beudin.
N° 235. — Haut : Noirs. — Bas : Blancs.
Les blancs jouent et font mat en deux coups.
N° 236. — Haut : Noirs. — Bas : Blancs.
» m
W(f ^^Wf ^Ê^W^ ^^W^/ ^p!
Les blancs jouent et gagnent.
N'^ 237.
LOSANGE
SONNET
Envoi d'un Lecteur.
Lettre que dans rintimité
Forcément on voit apparaître,
Et qu'amant plus on moins fêté
.Jamais n'osera méconnaître.
— N'ayant rien des traits d'Astarté.
Quoique de Jupin tenant l'ctre,
Une antique divinité
A désinvolture champêtre.
— De son urne aux riclies couleurs,
A flots, sur les mignonnes fleurs,
Il fait descendre la rosée.
— Un asiatique cours d'eau ;
Bt pour compléter le tableau,
Début de l'affreuse nausée.
N" 238. — ENIGME
Par A. Elliveiitac, de Villeneuve-les-Béziers.
Uq sentiment
Qui chez l'amant
Doit apparaître
Et bien souvent
Le contrevent
D'une fenêtre.
SOLUTIONS
N° 229.
1. IJ pr. C éoliec. 1. R pr. D.
2. C pr. P. 2. r 7 T D.
3. C 2 P D échec et mat.
1. R G C D.
2. C G C D. 2. P 7 T
D.
3. D 2 C D échec et mat.
" 230.
47 41 37 32 2» 23 30 24
36 38 2« û7 lis 2U IS) 3'.»
26 10 25 3 , .,
— gagne facilement.
44
7
11
IG
N" 231. — Il y a deux façons de jouer ce jeu. L'une
est le jeu de la courte couleur dans lequel la dame de
cœur devra être jouée ; et l'autre, le jeu de la lo-nçiue cou-
leur dans lequel le meilleur début sera le quatrième meil-
leur atout. Si votre partenaire aime le jeu de la courte
couleur, la dame de cœur ne le gênera pas, mais nous
estimons que la jouer ne serait pas bon par la raison
que l'on pourrait faire un trick en ne débutant pas avec
elle. Si votre partenaire a l'as et la quatrième main le
roi, vous perdrez sûrement un trick en jouant cœur.
Avec cinq petits atouts, il est de règle de balovcer les
atouts et d'attendre que le développement du jeu ait
déterminé la couleur à jouer. Avec une telle main, le
début a nue grande importance si vous désirez faire
tomber les atouts, car si vous attendez un peu il faudra
une carte assez forte pour ravoir la main, et comme
ce n'est pas précisément le cas ici, le mieux est de faire
bon usage de la main pendant qu'on la possède. Si vous
jouez atout d'abord, le développement du jeu vous mon-
trera probablement dans quelle couleur votre partenaire
se trouve fort, et cela vous évitera de courir la chance
d'ouvrir une couleur dans laquelle il peut être très
faible.
Tout bien considéré, il semble donc que le quatrième
meilleur atout soit la meilleui'e carte à jouer en la cir-
constance.
N" 232.
N° 233.
A
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N" 234. — La G-alissonnière.
Adresser les communications pour cette page à M. G. Beudin, à Billancourt (Seine), avec timbre pour réponfc.
LA CARICATURE INTERNATIONALE
La prnmitre cho^e à faire (d'après Puck, New- York). — L'OSCI.E Sam, regardant l'Eiiro])e occupée à détruire les murs de Chine pour
ouvrir l'empire du Milieu au commerce international : — Par Jingo ! cela me rappelle que j'ai un mur du même genre à démolir, et
mieui vaut que je fasse le travail moi-même que de le laisser faire jiar d'autres. (Allusion aux droits iirotecteurs exagérés entravant
rini)iortation étrangère aux Etats-Unis : l^rvhibitivc tariff.)
Doctrine, et pratique (d'après Punch, Londres).
L'EUUOPK, froidement, à l'oncle Sara. — Et qui me fait l'hon-
neur de cette intervention (dans mes propres affaires) ?
L'OXOI.K Sam. — Madame, je suis l'oncle Sam.
L'EunoPE. — Seriez-vous donc un parent de feu le colonel
Monroe ? (Allusion à la doctrine du président Monroe : « Chacun
chez soi » et à sa piditique de <i non-intervention » mal observée
aujourd'hui par les Etats-Unis).
!•' Angleterre et les Elntti-Unis.
(D'ai)rès Chout, Saint-Pétersbourg)
L'ONCLE Sam, à tnhle.
te donner !
nu peu, je n ai encore r\^n
BIBLIOGRAPHIE
M'"" Camille Bruno a publié chez Flamma-
rion un très délicat roman dont le sujet est
l'éternelle course au bonheur par les chemins
de l'amour. Le titre, l'Essai du bonheur,
ferait croire qu"il y a vraiment en essai, alors
que l'héroïne s'est arrêtée avant la chute, la
faute, l'irréparable ou toute autre fornmle
employée pour désigner ce que vous savez
bien. Un ne peut donc rien en conclure, car il
ne suflit pas de mettre les lèvres au bord de
la coupe pour connaître le jïoût d'im breu-
vaj;e et l'amertume qu'il peut laisser.
Mais bien des délicats se plairont au spec-
tacle des combats que Sabine d'Estaing livre
à sa tendresse et au triomphe fhial de sa
vertu, plus qu'à des expériences physiolo-
giques.
L'œuvre est écrite avec beaucoup de charme
et une grande élégance de style. Les tableaux
mondains qui s'y déroulent sont d'une touche
exacte, sans outrance, et c'est un fort rare
mérite. L'exactitude du décor donne ici la sé-
curité voulue pour atlirmer la vérité du fond.
M™e Camille Bruno se révèle dans ce volume
comme un écrivain d'avenir qui marquera sa
jilace parmi les meilleurs romanciers contem-
jjoi'ains.
^L Charles Rozan vient de publier chez
Ducrocq des souvenirs et impressions qu'il
intitule : Parmi les femmes. Le nom si connu
de l'auteur de la Boyxtr, de la Jeune Fille et de
tant d'autres ouvrages d'ime philosophie char-
mante, indique suffisamment qu'il ne s'agit
point d'excursions galantes. C'est une en-
quête subtile des sentiments des plus fins, et
un voyage autour des cœurs pour en exprimer
ce qu'ils ont de tendre et de délicat. L'ouvrage
procède par notes, par petites touches, qui
se lisent comme des maximes sans en avoir
la pédanterie. Le conseil est donné si direc-
tement qu'on ne s'aperçoit point l'avoir reçu
et sa morale n'en pénètre que plus sûrement.
Ce volume de choix consacre ses dernières
pages aux vieilles femmes, à celles que l'expé-
rience de la vie a rendues les meilleures, et
qu'on peut en sécurité appeler des amies.
Toujours aimé, de M. Ferdinand Lafargue,
est une exquise et dramatique étude de la
fidélité morale de la femme à un premier
aimé. Les femmes mariées sans amour, qui
sont restées dans le de^■oir de la fidélité ma-
térielle, s'enthousiasmeront de la noblesse
d'âme de l'héroine de Toujours aimé, tout en
excusant son perpétuel adultère de pensée, si
chaste et si subtil!
Les conséquences du culte du Souvenir,
gardé par une femme honnête à un amour
avouable de sa jeunesse, sont à la fois si na-
turelles et si inattendues, que nous prédisons
à ce nouveau roman de l'auteur d'Une seconde
femme, un vif succès de curiosité féminine.
M. Pierre de Lano et ^L Knuiianuel (îallus,
connu des lecteurs du Momie Moderne, ont
publié chez Flammarion 1 Homme au capu-
chon gris, qui est la première partie d'un de
ces bnns romans d'à \-en turc qui faisaient les
délices de nos pères et ilont la tradition sem-
blait s'être un peu perdue. C'est une œu\ re
d'une grande intensité de vie, dont l'ardeur
est attendrie par de jolis sentiments.
L'n galant jurisconsulte, dont nos lecteurs
ont \m également apprécier les articles, a
publié sous le pseud()n\me de Stéfane-Pol, à
la même lil^rairie, des études critiques très
fouillées sur G. Sand, Flaubert et Michelet.
Sorte de triptique littéraire, cet ouvrage est
l'œuvre consciencieuse d'un artiste qui nous
transmet ses vives impressions et qui met en
valeur, par sa délicate façon de les sentir, des
beautés que l'on se reprocherait de n'avoir
pas suffisamment appréciées.
Paris est une mine inépuisable. Les publi-
cations à son sujet se succèdent sans relâche
et toutes ont du succès. Il en est peu cepen-
dant d'aussi originales que le Paris instantané
édité par les librairies Baschet et May.
C'est Paris tout entier qui tient dans
ces pages, l'immense ville, non pas immobile
et froide, nuiis vivante, saisie sous ses aspects
innombrables, avec sa physionoiftie, son mou-
vement et son atmosphère.
Dans ce décor changeant, la foule passe !
Foule laborieuse, foule indolente, foule d'en
haut et d'en bas. Et, parmi cette cohue,
apparaît une fleur d'esprit et de grâce, — le
délice des yeux, — la Parisienne !
Il faut plus d'une année d'eflorts pour pou-
voir réunir de pareils documents et pour saisir
les scènes animées qui se déroulent dans ces
pages. Cet album restera comme un tableau
brillant et complet du Paris contemporain.
La lilirairie May continue, avec trois vo-
lumes sur l'Art romain, l'Art égyptien et la
Lithographie, sa bibliothèque de vulgari-
sation artistique qui mérite un vif succès, la
propagation de l'art étant par excellence
œuvre d'amélioratiim sociale.
Les amateurs de plein air pourront aussi
trouver des indications précieuses sur les
monuments d'art cpi'ils rencontrent sur leur
chemin en compulsant la charmante collection
des Guides Flammarion publiée sous la direc-
tion de M. .\. Sauvert. Ces petits volumes
sont parfaitement compris et exécutés d'une
façon charmante. Les notes sont substantielles
et suffisantes, les illustrations gracieuses et
fidèles, les cartes abondantes. Par un oubli
qui devra être réparé à la prochaine édition,
elles négligent trop souvent d'indiquer l'em-
placement des curiosités décrites.
Errata. — Dans notre compte rendu du Salon, page 226 du numéro d'août 189S, nous
avons attribué par erreur à M. MonchaWon un tableau qui est de M-"» p. Delacroix-Garnier.
— A l'article de notre numéro de juillet 1S98 sur l'Elysée, il faut ajouter que M. le baron
Basset de Belavalle était régisseur du palais en 1S71 et qu'il a largement contribué, en cette
qualité, à l'apposition des scellés fictifs qui ont sauvé le monument du pillage.
BIBLIOGRAPHIE
Le cinquième volume de la Peinture en Eu-
rope, rintéressante collection dont la librai-
rie May poursuit la publication, vient d'être
mis en vente. Il est consacré à la Hollande et
renferme une description minutieuse et rai-
sonnée de toutes les œuvres picturales con-
servées tant dans les musées roj-aux et mu-
nicipaux que dans les collections particulières.
MjM. Georg-es Lafenestre et Eugène Richten-
berger ne se sont pas contentés de faire con-
naître au lecteur les richesses accumulées dans
les galeries justement célèbres d'Amsterdam
et de La Haye, de Haarlem et de Rotterdam,
ils ont tenu à appeler son attention sur les
œuvres de premier ordre réunies dans les villes
de moindre importance et aussi dans les
grandes collections particulières. Ce volume,
le plus complet qui ait paru sur la Hollande,
est enrichi de cent photogravures parfaite-
ment réussies.
Sous le titre : la Tradition dans la peinture
française, M. G. Lafenestre a réuni à la
même librairie quelques études, critiques ou
biographiques, où l'on peut suivre, durant
notre siècle, chez les peintres français, l'in-
fluence des pratiques et des idées transmises
par leurs devanciers. L'étude principale, la
Peinture du XIX'' siècle à l'Exposition unioerseUe
de 1SS9, montre, à travers les périodes clas-
siques, romantiques, éclectiques, la persistance
de ces traditions, techniques ou intellectuelles,
l'observation constante de la nature A'ivante
éclairée par l'étude respectueuse et libre des
œuvres du passé, la science scrupuleuse du
dessin et l'intelligence de la composition
expressive.
La maison Hanfstaengl, de Munich, pour-
suit sa voie de vulgarisation artistique par
tous les moyens graphiques où elle excelle.
Aujourd'hui, elle public les chefs-d'œuvre de
la vieille Pinacothèque de Munich, reproduits
par les procédés typograjïhiques de simili-
gravure, appliqués avec une supériorité remar-
quable. Cette perfection du procédé n'em-
pêche pas d'offrir au public, ]30ur 9 marks,
la reproduction de plus de deux cents chefs-
d'œuvre.
M. Halperine-Kaminski ajHiblié une traduc-
tion de l'ouvrage du comte Léon Tolsto'i sur
l'art : Qu'est-ce que l'art? Ce n'est pas une
question que se pose l'auteur, car son opinion
est faite. On peut même trouver, cette fois,
qu'elle est un peu complexe et touffue. L'élé-
vation de l'esprit de Tolsto'i ne lui permet
pas d'échapper complètement aux diffîcultés
d'une pareille démonstration. La cause est
vieille, depuis Platon, et les meilleures intel-
ligences ne s'y sont pas toujours rencontrées.
En art, moins peut-être que partout, il ne
faut être intransigeant, et le chemin du su-
blime ne se rencontre pas à chaque tournant
de route. Est-il même indispensable de ne
viser qu'au sublime ? « De notre temps, dit
l'auteur, la mission de l'art est nette et défi-
nie : la réalisation de l'union fraternelle entre
les hommes. » Eh! oui. Mais, pour adoucir,
qu'il soit aimable. Il dit encore : « L'art doit
supprimer la violence, et seul il peut le faire. »
Cela est moins sûr, car on a élevé de tout
temps des monuments de gloire guerrière qui
sont souvent de fort belles choses.
A l'occasion de la récente exposition de
l'École des beaux-arts, M. Armand Dayot a
publié, chez Magnicr, un fort volume consa-
cré aux Vernet, Joseph, Carie et Horace.
C'est un beau livre, bien documenté et abon-
damment illustré. L'auteur est un critique
d'art très fin qui n'abuse pas des grandes
phrases d'esthétique, et chez qui l'histoire et
la philosophie ne perdent jamais leurs droits.
Il ne s'agenouille point devant les maîtres
qu'il présente et sait leur dire quelques véri-
tés avec une courtoisie constante qui lui aurait
permis la même liberté de leur vivant. Les
Vernet étaient des artistes épris de leur art,
mais aussi pleins de vie et de mouvement,
parfois même quelque peu encombrants. L'n
appendice curieux, reproduisant le carnet des
recettes d'Horace, montre qu'elles n'étaient
pas minces. Il sort, en 1807, de l'Ecole des
beaux-arts; de 1811 à 1820, il gagne en
moyenne 15,000 francs par an, plus de 65,000 fr.
par an de 1835 à 18 44 ; 139, H6fr. 20 en 18 i9, etc.
Le détail de ces recettes est amusant ; il y
avait des rentes et des traitements... Mais
l'ordre bourgeois est -il donc incompatible
avec le talent ?
Après ces ouvrages consacrés aux beaux-
arts, nous signalerons quelques petits volumes
d'utilité pratique :
Chez Mendel, un Photo-guide aux environs
de Paris, par M. Bertot. 11 fait partie de ces
petits volumes, déjà si nombreux, que les ha-
lîitudes nou\elles de déplacements, faciles
grâce à la bicyclette et agréables grâce à
l'objectif, ont introduits dans les bibliothèques
modernes, peut-être au regret des amateurs
de lectures plus reposées.
Chez Larousse, un petit manuel très pra-
tique et très utile que le docteur Galtier-Bois-
sière publie, sous le titre : Cycliste et bicy-
clette. L'hygiène y joue son rôle, mois aussi
la mécanique, et même les règlements admi-
nistratifs. Ceux qui pédalent sans trop réflé-
chir y trouveront de très judicieuses re-
marques.
On apprendra aussi des choses d'un intérêt
plus grand encore, et d'une utilisation plus
fréquente qu'on ne i^ense. dans le volume de
M. Michotte, sur l'Incendie, ce que l'on doit
savoir et ce que l'on doit faire.
L'Escrime au sabre, trop délaissée en
France, nous met en état d'infériorité vis-à-
vis d'autres nations, notamment de l'itahc.
Le lieutenant-colonel Dérué, dont l'autorité
est reconnue, vient de lui consacrer, chez May,
un petit volume substantiel qui plaira aux
amateurs et décidera les hésitants.
M. Gustave Heuzé vient de faire paraître,
à la Librairie agricole, un volume sur les
Plantes légumières cultivées en plein champ,
qui est du plus vif intérêt. Le savant inspec-
teur général de l'agriculture n'est pas un théo-
ricien de laboratoire, mais un praticien d'ex-
périmentation. Ses conseils se compi-ennent
et peuvent être suivis. Des ouvrages de cett,e
natui'e, en accroissant largement les possibi-
lités de rendement du sol, enrichissent notre
patrimoine national.
n I n M O G R A P H I K
475
Aux adeptes du spiritisme, nous avons deux
ouvraj^es à signaler. Le nouveau volume de
M. Léon Denis. ]iaru clicz Le\mapio. sous le
titre de Christianisme et Spiritisme. La doc-
trine des Esprits, pour l'auteur, contluira l'hu-
nianité à un rapprochement de tous les sys-
tèmes et à la réunion, par une même foi, dans
un unique idéal de lumière. On peut former
de pioindres rêves, mais il ne faut décourager
personne et c'est bien de vouloir, comme le
dit l'auteur, cpie chacun devienne meilleur
à la lecture de semblables conceptions.
yi. le docteur Surbled, bien connu par ses
travaux de psycho-physioloiîie, a fait une
œuvre opportune en publiant, chez Téqui,
Spiritualisme et Spiritisme. Qu'est-ce que le
spiritualisme? Comment le dédain dont il
était autrefois victime a-t-il fait place à une
faveur croissante, à une victoire prochaine?
Comment l'esprit est-il envisagé par la philo-
sophie, par la science, par les savants même
libres penseurs de l'Ecole de médecine? Toutes
ces questions sont abordées et développées
avec intérêt.
Mais l'esprit n'est pas isolé, sans rapports
avec la matière, il est lié à la sensation, à la
vie; et c'est l'occasion d'exposer en détail les
théories si curieuses et si captivantes de l'in-
flux nerveux, du fluide vital et du magné-
tisme. Des auteurs peu précis ou des sectaires
comme les spirites et les occultistes ont cher-
ché à confondre le fluide magnétique ou vital
avec l'esprit même, et celui-ci avec le corps
astral ou le périsprit. Exploitant habilement
la vogue dont jouit le spiritisme, ces derniers
ont prétendu dériver le courant de sympathie
du côté de leur doctrine fausse et dangereuse.
M. le docteur Surbled signale le piège tendu
aux âmes crédules, montre les différences
essentielles qui séparent la vraie doctrine des
philosophes des vaines conceptions du spiri-
tisme. Sa conclusion est aussi courte que pré-
cise : le spiritisme, voilà l'ennemi I Une re-
marquable lettre de M?'' Méric précède et
recommande l'ouvrage du docteur Surbled.
L'éminent professeur de Sorbonne remarque
avec l'auteur l'éclatant triomphe du spiritua-
lisme, et la curiosité de l'invisible, cette soif
de l'autre vie, qui tourmente les consciences
contemporaines.
Les publications sur les nécessités de re-
former l'âme de la France se succèdent avec
une abondance qui devient troublante. On
commence à s'y perdre au milieu de tant de
programmes. ^I. Léon Bazalgette. à la Société
d'éditions littéraires, étudie à son tour l'Es-
prit nouveau dans ses diverses manifes-
tations. Il apporte à cette étude une méthode
qui lui est personnelle et une philosophie
quelque peu mystique. C'est, pour employer
une expression scientiQque, une bonne con-
tribution au monumental progrès qui se pré-
pare.
Nombreux sont les annuaires et nombreuses
les publications d'allure encyclopédique ; si
nombreux qu'on désirerait un syndicat intel-
lectuel et éditorial qui permettrait de réunir
en un seul tous ces documents épars. Le
Répertoire de M. Grenier, public pour sa
deuxième année chez Berger-Levrault, re-
prend une idée déjà appliquée plusieurs fois,
notamment par M. \'alframbert il y a quelque
vingt ans, et dans le Mémento encyclopédique
mensuel du Monde Moderne. Nous devons donc
trouver l'idée heureuse, et nous devons
dire aussi que l'ouvrage de M. Grenier est
bien conçu, a^■ec une table précieuse, et qu'il
serait facile d'écrire l'histoire si de pareils
travaux avaient été poursuivis depuis l'in-
vention de l'imprimerie. Sans attendre les
historiens futurs, ce volume rendra les plus
grands ser\ices aux contemporains qui ont
besoin de retrouver un fait quelconque,
encore récent, mais dont la fuite rapide du
temps a vite aboli le sou\'enir.
La librairie Schleicher inaugure par le Pa-
norama des siècles, de M. J. ^\'eber, une
nouvelle encyclopédie populaire illustrée à
1 franc le volume, dont le succès permettra de
mesurer la culture intellectuelle de notre pays,
car cette collection est conçue dans un réel
esprit de vulgarisation scientifique. Elle est
sérieuse, fabriquée avec soin et vraiment
utile. Le second volume, les Races jaunes,
par M. Edmond Plauchut, n'a pas tardé à
suivre le premier et ils forment à eux deux
un excellent début.
La librairie Bouillon a publié, en 3'" édition, le
Musée de la conversation, de M. Roger
Alexandre. C'est un sujet qui ne sera jamais
épuisé, comme le reconnaît l'auteur dans son
avertissement, et il est si vaste qu'il est diffi-
cile de s'y tracer un programme. Aussi n'est-ce
pas seulement ici un répertoire des citations
françaises, ce qui serait assez précis, mais des
petits voyages à travers les curiosités litté-
raires, ce qui devient plus vague et trop vague.
Dans son ouvrage si connu sur les Petites
Ignorances de la conversation , M. Rozan a
procédé avec plus de méthode, et avec plus
de précision dans ses Petites Ignorances his-
toriques et littéraires. Encore le volume de
>L Roger Alexandre reste-t-il curieux et amu-
sant, susceptible de donner de l'esprit à ceux
qui n'en trouvent pas habituellement dans
leur propre fonds.
Sous ce titre. Nos Terrains, M. Stanislas
Meunier nous donne une géologie de la France
cjui est un modèle de vulgarisation. Un fond
d'une exactitude absolue, une forme attrayante,
telles sont les qualités maîtresses du livre. On
y voit que la géologie n'est pas l'histoire de
corps inertes, que les roches, que l'écorce
terrestre sont, comme les êtres vivants,
comme les plantes et comme les animaux,
sujettes à d'incessantes métamorphoses,
qu'elles naissent et qu'elles meurent. Et c'est
l'étude de notre sol qui sert à cette intéres-
sante démonstration. Tous les jeunes gens
qui ont le goût de l'histoire naturelle, tous
les amateurs de science et de beaux livres
voudront avoir dans leur bibliothèque cet ou-
vrage, illustré de très nombreuses figures
noires et en couleurs et édité avec beaucoup
de soin par la maison Colin.
41 r,
BIBLIOGRAPHIE
Le baron Heckedorn, iiseudonyine qui cache
lin écrivain bien connu des lecteurs du Monde
^foderne, a pubbé chez Dcntu un A-olume sur
Bismarck au h-ndemain même de la mort du
chancelier. L'auteur, familier avec la langue
allemande, avait pu recueillir nombi-e de ren-
seijjnements et d anecdotes publiés çà et là.
11 en a i'ornié un ensemble ciu'ieux qui éclaire
la phvsii momie du ])rince. ("e -s-olume n'est
pas ime œu\ re tle sympathie et on ne jieut
demander ce sentiment à un Français. Il s'at-
tache surtout aux petits côtés des choses et
n'aborde pas le côté philoso])hique de l'œuvre
de lîismarck. Il semble même ne lui accorder
aucune importance disant : Pidvù ex et in pul-
vprem reverteris. Sans doute ; et les plus j^rands
hommes aussi ne sont jilus que poussière.
Mais cela n'est i)as un argument.
M. Henri Tausin a pul)lié chez Lechevalicr
une ancienne brochure sur les Villes déCOrées
de la Légion d'honneur. Klles sont huit en
tout : Chalon-sur-Saône. Tournus, Saint-Jean-
de-Losne et Roanne pour faits de f^uerre ])en-
dant l'invasion de 181 i; Châteaudun, Belfort,
Hamhervillers et Saint-l^uentin pour leur vail-
lante défense en 1.S70-1S7J.
Belfort et Ramber\illers ont attendu ,jus-
qu'en J896 et Saint-Quentin jusqu'en 1897
cette juste consécration de leur courage, et ce
retard honteux est une ]}reuve de plus du
mal d'apathie dont nous sommes en train de
mourir.
L'auteur s'est abstenu des phrases inutiles
et a laissé parler les faits, assez éloquents
par eux-mêmes. L'étoile de la Légion d'hon-
neur doit figurer dans le blason même, et
non être suspendue sous l'écusson. La bro-
chure reproduit les armes des villes ainsi
étoilées et l'on peut dire que ce sont des
armes parlantes, car elles glorifient l'amour
de la patrie.
M. Gustave Guiches est un écrivain de beau-
coup de talent; il est l'auteur d'un livre qui
est bien près d'être un chef-d'œuvre. Céleste
Prudhommat; mais il a un défaut : il se bla-
gue lui-même. Pour mieux nous exprimer, il
entend étoufl'er son cccur sous son esprit. Son
nouveau volume, chez Flammarion, est une
preuve nouvelle à l'appui de notre opinion.
Entre autres nouvelles. Trop de zèle, qui
sert de titre au volume, commence bien et
finit mal. La première ])artie finit sur une
scène que l'auteur a voulu jolie et qui est belle
par la force des choses. Une femme y est
touchée par l'amour vrai du mari qu'elle dé-
testait. Mais il ne faut pas s'attendrir et, dans
la seconde partie, ledit mari se rend ridicule.
Pourquoi avoir poussé au noir? Est-il donc
inférieur de préférer les bons sentiments aux
mauvais. Nous croyons que M. Guiches pour-
rait, avec la certitude que son tempérament
le garderait de la fadeur, ne pas craindre
d'-être un peu tendre. Dans cette note, nou-
velle pour lui, il produirait certainement
quelque chose de remarquable.
Dans Mulot et gendres, chez Ollendorf,
M. Charles Foley a voulu aussi nous montrer
le vilain côté de l'humanité. Son odieux bon-
homme, qui ne pense qu'à l'argent, est un
père Grandet moderne, dont l'avarice n'a pas
même la grandeur de l'outrance. Ses calculs
sont mesquins. Sa femme pense à peu près
comme lui, ses deux filles aînées et leurs
maris sont des êtres imbéciles, et son Eugénie
Grandet est sal troisième fille. Annette.
Elle en meurt et son mari avec elle, mais
ils meurent autant du fait de leur i)ropre na-
ture que du fait du père Mulot.
L'idée philosophique est assurément celle-
ci : " les tendres ont tort ». Eh bien! nf)n,
malgré les auteurs, les tendres sont encore
les heureux, car ils ont des bonheurs que
n'ont ]3oint les autres. M. Foley le sent bien,
qui est lui-même un doux, et son gracieux
talent se prête mieux à l'idylle qu'au drame.
Il est de ceux qui peuvent donner de la joie
en écri\ant, encore que cela ne soit point loi-
sible à tout le monde.
Notre confrère Edouard de Perrodil conti-
nue la publication de ses grands voyages à
travers le continent. Les Briseurs de chaînes,
qui parait aujourd'hui, chez Flammarion, est
le dernier de cette séi-ie, brillamment mar-
quée par Vélo ! Toro, A vol de vélo et A travers
les cactus.
Cette fois, ce n'est pas dans des pays neufs
et quasi inexplorés à bicyclette que l'auteur
nous emmène. (Test tout bonnement de Paris
à Milan, avec un fort crochet par Marseille et
la Côte d'azur. Mais cette traversée à bicj'-
clette d'un pays des plus civilisés n'est pas
moins curieuse par les réflexions qu'elle pro-
voque dans le cerveau d'un homme capable à
la fois de cycler sur un aussi long parcours
et de penser sur la route.
La traversée des Alpes, entre autres, a in-
spiré à notre confrère plusieurs pages à la
fois intéressantes et émues. Une fois de plus,
l'auteur a vécu de la vie large et saine des
grandes routes,' et il nous en a rapporté un
écho fidèle qui vibre d'une façon assez inat-
tendue, mais pleine d'un charme puissant et
sauvage, dans l'atmosphère surchauffée du
Paris d'aujourd'hui.
On sait (jue la Nouvelle-Ecosse, dont la ca-
pitale est Halifax, est une presqu'île de l'Amé-
rique anglaise du Nord, dans le golfe du
Saint-Laurent; on sait encore que Longfellow
y a placé les scènes admirables de son Eran-
fféline ; on sait déjà moins qu'elle fut appelée
Acadie en 1524, au nom de François l'^'' qui
en prit possession pour la France; mais qui
se rappelle les luttes qu'eurent à supporte
les premiers Acadiens, leur fidélité à leur
patrie et à leur mère jiatrie et leui- dis]>ersion
presque totale? lis semblent cependant devoir
renaître et se retrouver, et c'est avec ime
curiosité légitimement intéressée qu'on lirait
à ce sujet l'ouvrage que M. Pascal Poirier
vient de consacrer, chez Beauchemin, à
Montréal, au Père Leîebvre, le héros de leur
réorganisation. Il ne mani[ue à ce livre de foi
qu'une préface, ra]3pelant briè\ement l'his-
toire de l'Acadie ; mais elle se trouvera sans
doute dans la nouvelle et prochaine édition.
L'Editeur -Gérant : A. Quantin,
HT) 13. — Lib.-Imp. réunie;., Motteroz, D'', 7, rue Saint-Benoît, Paris.
Le
Monde Modetne
Octobre 1898
VIII. — 3J.
LE
CHATEAU DAGOU
M"' Chloé d'Agor, qui ne s'éluiL pas
mariée parce qu'elle n'avait pu se rési-
g^ncr à échanger son nom contre un
autre, habitait, derrièi^e les Invalides,
un vieil hôtel avec un grand jardin, trop
grands pour une vieille liUe, mais qu'elle
avait toujours refusé de vendre, n'ayant
pas besoin d'argent. Ce n'était, d'ail-
leurs, pas un mauvais placement, car
on lui en offrait tous les ans cent mille
Francs de plus.
Ce jour-là, on avait ouvert le grand
^alou d honneur, dressé la table dans la
salle à manger, et tous les domestiques,
tirés de leur habituelle torpeur, étaient
à leur poste. M"^ d'Agor attendait son
neveu, revenant du Sénégal, où il avait
conquis à la pointe de l'épée, presque
coup sur coup, son grade de capitaine
et la croix.
Le capitaine Jehan d'Agor, des comtes
d'Agor, dernier du nom et pas encore
marié, était pauvre comme feu Job : à
peine aui'ait-il pu justifier d'une ving-
taine de mille livres de rente, tout juste
de quoi ne rien devoir à personne et
pouvoir donner le louis de pourboire
cjuand c'est convenable.
Il y a des gens qui peuvent se passer
de fortune, n'en ayant jamais eu. Il leur
suffit de bien dîner, d'avoir de beaux
habits, daller aux bains de mer l'été et
l'hiver au spectacle ; pour peu qu'on
sache profiler du mécanisme des agences,
on vit largement sans pi'esque rien
dépenser. Il en va tout autrement quand
on s'appelle d'Agor; on éprouve chaque
jour quelque gêne ou quelque humilia-
tion à ne pouvoir seulement disposer de
cent mille francs à la fois.
On ne pouvait reprocher à Jehan
d'avoir dissipé son patrimoine ; c'était
son père qui avait englouti toute la for-
tune de la maison dans des spéculations
audacieuses, en poursuivant le rêve de
racheter le château d'Agor, qui avait été
vendu, sous la Révolution, comme bien
d'émigré.
M"*^ d'Agor commença par se faire
raconter les campagnes de son neveu.
Rien ne l'amusait comme les histoires
de batailles; quand on arrivait à l'as-
saut, elle ne pouvait rester assise; elle
aurait voulu en être. Et elle ne se rési-
gnait jamais à battre en retraite.
— Enfin, dit-elle, comme le déjeuner
tirait à sa fin, te voilà capitaine et
décoré. Ils doivent être bien contents
d'avoir un d'Agor dans leur Légion
d'honneur, mais cela m'a fait plaisir
tout de même. Qu'est-ce que tu veux?
Il faut être de son temps. Maintenant,
tu es à point : trente ans, beau cavalier,
un peu bronzé par le soleil d'Afrique,
tu peux faire ton choix. Plus tôt, tu
n'aurais pas eu toute ta valeur; mais, à
attendre, tu ne ferais plus que perdre.
— Oh ! je me maintiendrai quelque
temps. Et combien estimez-vous que je
vaux sur le marché?
— Ce n'est pas une question d'argent.
Des millions, parbleu ! tu en trouveras
toujours. ïu n'aurais qu'à épouser une
Juive ou une Américaine, celle que tu
484
LE CHATEAU D'AGOR
voudrais. Mais cela l'avancerait bien !
Ce qu'il te faut, c'est le château d'Agor.
Tu ne seras complet que quand lu auras
repris le château d'Agor.
— Et pour le reprendre ?
— Le mieux évidemment serait de le
reprendre à main armée. Tu arriverais
dans le pays à la tête de ta compagnie,
lu soulèverais les paysans, tu marche-
rais sur le château et tu l'emporterais
de vive force. Ça, c'est le rêve. Mais je
veux bien tenir compte des circon-
stances.
— Ma tante, vous devenez trop mo-
derne.. Je ne vous reconnais plus.
— Puisqu'il le faut, nous allons nous
y prendre autrement.
— Je vous vois venir. Il s'agit d'épou-
ser une jeune fille ti^ès laide dont la dot
sera employée à racheter le château.
— Non. D'abord, tu as droit à une
jolie femme. Et puis le château n'est
pas à vendre et ne le sera pas de
longtemps.
— Quelles sont les belles jeunes lilles
entre lesquelles je vais avoir à faire mon
choix?
M"" d'Agor se recueillit un instant.
Elle désirait ne pas heurter son neveu,
mais elle ne voulait pas non plus ruser
avec lui.
— 11 n'y en a qu'une, répondit-elle.
Mais, comme c'est celle-là qu'il te faut,
à quoi servirait-il qu'il y en eût d'autres?
— Ce serait pour lui donner la préfé-
rence.
— Elle s'appelle Odette de Brécourt.
Elle n'a pas de naissance ; mais peu
importe son nom, puisqu'elle portera le
tien. Elle est jolie, élégante, bien éle-
vée, pas sotte, et elle sera très riche.
Mais le point essentiel, c'est qu'elle est
la filleule et qu'elle sera l'héritière de
M. Delaroche, un vieux bonhomme qui
a gagné beaucoup d'argent à fabriquer
des clous...
— Un maître de forges?
— C'est cela... et qui occupe le châ-
teau d'Agor depuis vingt-cinq ans en
vertu d'un prétendu contrat de vente,
comme si l'on avait pu lui vendre ce qui
t'appartient. Mais enlin il 1 occupe. Il
n'a d'autres parents qu'une nièce, avec
laquelle il est brouillé, et son testament
est fait en faveur d'Odette.
— Mais, objecta Jehan, si elle a toutes
les qualités que vous dites, elle sera fort
exigeante.
— Et qu'est-ce qu'elle pourrait exiger
de plus qu'un d'Agor? C'est elle qui
fera une bonne affaire, puisque, grâce à
toi, elle pourra entrer le front haut dans
ce château qu'autrement elle ne détien-
drait que comme bien volé.
— Ah! c'est vrai. A-t-elle de la
chance, cette petite, de me trouver
ainsi sur son chemin ! Et au moins est-
elle amoureuse de moi?
— Pas encore, polisson. J'ai voulu te
laisser quelque chose à faire.
Jehan ne pouvait guère refuser ce que
sa tante lui offrait. Puisque aussi bien il
fallait toujours qu'il iinît par se marier,
celle-là ou une autre, il n'y attachait pas
d'importance.
— Ah ! j'oubliais de te dire, reprit
]\/[iie cPAgor, il paraît qu elle est fiancée
à un certain Robert Villarmont.
— Fiancée! Vous m'offrez en mariage
une jeune fille qui est déjà fiancée à un
autre !
— La belle affaire ! Tu la prendras à
l'autre. Voilà tout.
Au bal, chez le baron Samuel, dans
l'intime téte-à-tête que procure la valse
au milieu de la foule, Jehan et Odette se
regardèrent dans les yeux. Lui, avant
d'aller pljus loin, il n'était pas fâché de
la voir de près et de se rendre un peu
compte par avance de Feiret qu'elle lui
ferait dans les bras. Elle, presque fiancée
à Robert Villarmont, elle ne s'occupait
plus de ses danseurs, mais Jehan méri-
tait une exception. C'était lui qui por-
tait le nom de la terre dont elle serait
un jour propriétaire, et elle ne pouvait
pas s'empêcher de penser que pour
habiter le château d'Agor, au lieu de
s'appeler tout simplement M'"** A^illar-
I-K CHATEAU D A<;()H
485
mont, il serait plus correct et plus élé-
<;ant de s'appeler comtesse d'Ayor.
— Vous aussi, dit-elle avec une petite
moue de sarcasme, vous êtes explorateur.
— Il faut bien faire quelque chose :
c'est ce qui a remplacé les croisades.
— \'ous aimez les pays où il faut tou-
jours se tenir en g^arde, où Ton se dis-
Odette s'aperçut que Jehan ne voulait
pas lui répondre sérieusement et elle en
éprouva quelque dépit. C'était elle qui
avait mal engaj;^é la conversation. D'or-
dinaire, elle avait l'espril net et le verbe
bref, n'était jamais embarrassée; même
elle manquait de cette nuance de timi-
dité et de j^aucherie par laquelle une
'--^^.
^«^^
pute sans cesse avec ses porteurs et où
l'on se concilie la faveur des nèf^res avec
de 1 eau-de-vie et des cotonnades.
— C'est tout à fait comme à Paris.
— Et puis, ajouta Odette, vous vous
exposez à mourir prématurément, ce qui
est toujours une maladresse.
— La mort violente ! Mais c'est le
seul moyen d'éviter les horreurs de la
vieillesse.
— Est-ce qu'on rencontre quelquefois
des femmes dans le désert?
— Non, il n'y a que des Anglaises.
jeune fille sait quelquefois se donner
tant de grâce. Mais avec Jehan, bien
qu'elle ne fût guère empêtrée de pré-
jugés, elle se sentait presque mal à l'aise,
et c'était pour ne pas paraître de condi-
tion inférieure devant un d'Agor qu'elle
avait pris dès le début un ton presque
impertinent.
Comprenant quelle faisait fausse
route, elle radoucit subitement sa voix
et, passant d'un extrême à l'autre, ce
fut avec un délicieux sourire qu'après
la valse elle demanda à faire le tour des
serres.
— Qui est ce jeune homme? demanda
Jehan.
— M. Robert \'illarmont.
— Il est très bien.
— Qu est-ce que vous lui trouvez
d extraordinaire?
— D'abord il est joli homme.
— Est-ce qu'on fait attention à cela?
■«Stî
r,K CIFATKAU ])'A(;(JI{
— L air (lisLin;4;ut' 1
— Vous trouvez ?
— Inlelligent, spirituel!
— Oh! pas tant que cela, je vous
assure.
Pour un peu, elle aurait dit du mal
de sou fiancé, tant c'était agaçant d'en-
tendre faire de lui cet éloge démesuré,
et c'était bien sur quoi Jehan avait
compté. D'ailleurs, elle ne discernait
pas bien ce qu'il pouvait y avoir d'ironie
dans ces louanges, et, quand elle revint
à sa place, elle était mécontente à la fois
de Jehan et d'elle-même.
— Eh bien? demanda M"'^ d'Agor le
lendemain.
. — Mes affaires sont en bonne voie.
Pour le moment, nous nous détestons :
mais cela ne durera pas.
En effet, Odette, pendant les jours
suivants, fut d'une humeur exécrable.
Ce fut Robert Villarmont qui eut à sup-
porter le premier choc. Comme il s'était
permis de lui dire qu'elle faisait une
moue délicieuse, elle faillit le mettre à
la porte. Ensuite, elle s'en prit à sa
mère. Pourquoi ne l'avait-on pas pré-
venue? On lui avait présenté Jehan à
l'improviste : elle n'avait rien dit de ce
qu'il fallait. Mais elle voulait sa revanche,
et tout de suite. Cependant il fallut bien
attendre la visite de Jehan ; mais, aussitôt
après le délai de rigueur, M'"'^' de Bré-
court lui écrivit un billet plein de grâce
et d'affection pour l'inviter à dîner.
Jehan répondit que justement pour ce
jour-là il avait déjà promis. Il éclatait
aux yeux que ce n'était pas vrai. Mais
Odette ne voulut pas en avoir le démenti,
et, l'invitation ayant été renouvelée pour
un autre jour, il fallut bien que Jehan
s'exécutât.
Cette fois, (Jdelle y mit vraiment de
la bonne volonté et déploya toutes ses
grâces : assise, elle regarda Jehan de-
bout; ce regard de bas en haut avait
quelque chose d'humble et de câlin à
quoi les hommes ne résistaient pas, mais
Jehan ne fut pas troublé ! Elle avait
aussi une manière de s'asseoir d'une
jambe sur le bord d'une chaise en don-
nant à sa hanche ui\e ligne flexucuse qui
aurait captivé le regard le plus distrait.
?]lle lit encore plusieurs autres tours
sans que Jehan parût s'en apercevoir.
A chaque instant, Odette avait envie
de parler à Jehan du château d'Agor,
mais elle ne trouvait pas le joint. Elle
ne voulait pas avoir l'air de lui dii'e :
« Eh bien ! votre château, vous ne le
connaissez pas ; moi, j'y vais tous les ans,
et bientôt il sera à moi. » Elle aurait
voulu que ce fût lui qui en parlât le
premier, et il commençait à lui sembler
qu'en se mettant d'accord ils pourraient,
à eux deux, former un ensemble complet .
— As-tu fait ta déclaration? demanda
M"" d'Agor.
— Une déclaration ! Mais c est elle
qui me la fera.
— Ce sera plus long.
Tout d'un coup on apprit que M. Dela-
roche était mort.
Les vieux garçons ont du moins un
mérite qu'il ne faut pas leur contester:
quand ils meurent, ils ne font de chagrin
à personne. Au retour de l'enterrement,
les Brécourt prirent le deuil comme il
convient à de futurs héritiers, mais ils
n'affichèrent pas une douleur de mauvais
goût, et personne ne pensa plus à M. De-
laroche.
— Tu devrais aller faire un tour par
là, dit M"" d'Agor. En attendant l'ou-
verture du testament, il n'y a personne
au château; tu trouveras facilement un
prétexte pour le visiter, tu verras dans
quel état il est, ce qu'il y a à faire pour
le remettre à vieux, et, quand tu y l'en-
treras, tu n'auras pas l'air d'un nouveau
venu.
Jehan quitta le chemin tie fer à i;i
ville la plus voisine; comme le château
d'Agor était à quatre kilomètres, il par-
tit à pied et, quittant la grande route,
il prit un sentier qui grimpait tout droit.
Le château se présentait fièrement sur-
la crête d'une colline, d'où il comman-
dait tout le pays environnant; la grande
tour carrée, couronnée de créneaux,
IJ-; CHATEAU D AGOH
487
llanquait des oonstruclions irrégulières,
massives, percées de rares ouvertures,
et les toits profilaient sur le ciel un en-
chevêtrement de lif^'ncs capricieuses.
au d<îtour d'une allée, il se trouva face
à face avec une jeune fille de vinj^t ans
et une petite fille de sept. La jeune fille
était en deuil, autant du moins rpie la
Avant d'arriver au pied des
bâtiments, Jehan fut arrêté
par un saut de loup; pour
aller gagner la grille d'en-
trée, il aurait dû faire un dé-
tour, et il n'aimait pas les
obstacles. Il pensa qu'après
tout il ne faut pas tant de
manières pour regarder du
dehors un château inhabité :
il sauta au fond du fossé et
il lui suffit de déplacer quel-
ques pierres qui tenaient à peine pour
se faire une sorte d'escalier.
— Ce mur n'est pas solide, pensa-t-il.
Il faudra que je le fasse reconstruire.
Une fois dans le parc, il se dirigeait
tranquillement vers la terrasse, quand.
jeunesse peut être en deuil : le noir ne
paraît presque pas quand il encadre un
visage blanc et rose avec des yeux bril-
lants de vie et des cheveux d'une opulence
mal contenue. Jehan fut extrêmement
contrarié de paraître d'une façon aussi
488
LE CHATEAU DA(;()U
irrég'ulière devant ces jeunes personnes
qui avaient l'air d'être chez elles.
— Excusez-moi, mademoiselle, dit-il
d'un air penaud. Je ne suis pas un vo-
leur; on m'avait dit que ce domaine
était à vendre, je voulais le visiter et, le
croyant inoccupé, je n'avais pas cru
nécessaire d'entrer par la porte.
— Le domaine n'est pas à vendre,
monsieur; mais vous pouvez le visiter,
si cela vous agrée.
— Je suis confus de votre bonté. J'ai
encore bien plus envie de le connaître
maintenant que je vois comment il est
habité.
— Ne vous méprenez pas, monsieur.
Je ne suis ici que gardienne des scellés.
Jehan pensa que des scellés gardés de
la sorte ne devaient pas avoir envie de
s'en aller, mais il n'osa pas le dire dans
la crainte de paraître stupide.
— Des scellés ' dit-il hypocritement.
11 y a donc un mort?
— Mon oncle, M. Delaroche.
— Ah ! le pauvre monsieur, fit Jehan,
qui ne pouvait détacher ses yeux de la
jeune fille et ne trouvait pas une parole.
Il n'aurait voulu lui faire qu'un joli
compliment, et il craignait toujours
que ce qu'il allait dire ne fût pas assez
bien pour elle.
Quand on fut devant le perron, la
jeune fille, d'un joli geste accompagné
d'un petit sourire, invita Jehan à entrer.
— Mimi, dit-elle à sa petite cousine,
va prévenir maman.
Jehan était gêné. Ce n'était pas ainsi
qu'il aurait voulu entrer en relations
avec M"« Delaroche ; mais il se dit
qu'après tout cela n'importait guère
puisqu'elle ne savait pas qui il était et
qu'il ne la reverrait jamais. Il n'avaitqu'à
continuer son rôle de passant qui vou-
lait visiter une propriété à vendre. Mais,
quand il fut entré dans le salon où ve-
nait d'arriver M"'" Delaroche, quelle ne
fut pas sa stupéfaction en entendant la
jeune fille le présenter :
— M. d'Agor, ma mère.
— Et comment le savez-vous ? de-
manda-t-il.
Elle lui montra, au-dessus de la che-
minée, le portrait en pied d'un chevalier
armé, un d'Agor de 1500. La ressem-
blance était frappante. Alors la glace
fut rompue et l'on se mit à causer;
mademoiselle Mimi s'était d'abord tenue
à l'écart, ne sachant trop que penser du
visiteur qui était entré par escalade ;
mais, quand elle vit que tout le monde
lui faisait accueil, elle se rapprocha par
degrés et finit par s'installer entre les
jambes de Jehan.
Jehan apprit que M. Delyroche avait
eu un frère cadet, le père de Sylvie, avec
qui il s'était fâché parce qu'il voulait le
protéger. Le cadet avait préféré réussir
tout seul. Et alors M. Delaroche avait
passé sa vie à lui susciter des ennuis et
à lui jouer de mauvais tours. Finalement
il s'était pris d'une grande affection pour
sa filleule dans le but de contrister son
frère. Celui-ci étant venu à mourir,
M. Delaroche avait dû reporter sa mal-
veillance sur Sylvie.
dépendant, au cours de sa dernière
maladie, il avait été bien aise que Syl-
vie vînt le voir; elle avait adouci ses
derniers moments et, s'étant trouvée là
au moment de la mort, y était restée en
attendant qu'on pût lever les scellés;
cette opération était fixée au lendemain.
On devait trouver alors dans les papiers
du défunt le testament par lequel il
instituait Odette sa légataire univer-
selle.
— Si vous voulez bien nous faire le
plaisir de revenir demain, dit M""® Dela-
roche, vous pourrez porter à M"-^** de
Brécourt des nouvelles toutes récentes.
Jehan se garda d'y manquer, revoir
Sylvie étant ce qu'il désirait le plus en
ce moment. Il assista donc à la levée
des scellés : le juge de paix, assis à une
petite table sur laquelle il écrivait son
procès-verbal, fit ouvrir successivement
le bureau de M. Delaroche, le coffre-
fort, le secrétaire, tous lés tiroirs de
tous les meubles. On fouilla partout, on
ne laissa aucun coin sans l'explorer,
aucun papier sans l'ouvrir, on ne trouva
pas de testament.
Ll>: CHATEAU I)A(;OR
489
— C'est qu'il l'aura déposé chez son
notaire, tlil Sylvie. Je suis sûre qu'il l'a
fait : il nie l'a dit à moi-même.
(^omme Jehan retournait le soir à la
ville, on le pria de passer chez le no-
taire pour lui demander s'il avait le
teslamenl. Quand Jehan arriva chez le
nf>laire, il trouva l'élude sens dessus
dessous. Par une de ces coïncidences qui
arrivent toujours mal à propos, le no-
taire venait justement de lever le pied.
Il avait naturellement emporté la caisse
pour subvenir aux besoins d'une vie dé-
contempler les yeux bleus de Sylvie,
son teint clair qui laissait comme trans-
paraître son âme, et ses adorables mains
qu'il avait toujours peur de lui voir
abîmer quand elle s'en servait.
Dans sa manière d'être avec sa petite
cousine, il y avait une tendresse à la
fois virginale et maternelle, quelque
sormais errante et déclassée; il n'était
pas probable qu'il eût emporté le testa-
ment, dont il n'avait que faire. C'eût
été méchanceté pure. Mais la justice
avait mis son nez dans les affaires du
notaire en fuite; il y en avait pour quel-
que temps avant qu'on pût ravoir un
papier quelconque.
Logiquement, Jehan aurait dû être
contrarié de cette complication, qui re-
lardait pour le moins, qui pouvait même
mettre en doute les droits d'Odette; mais
au contraire il n'avait jamais été plus
joyeux. Cela lui fournissait l'occasion
de retourner une fois de plus au châ-
teau d'Agor, où il ne se lassa pas de
chose de ferme et de craintif à la fois
qui lui donnait une grâce singulière. Et
puis elle acceptait avec tant de bonne
grâce ce teslamenl qui la déshéritait !
Elle ne semblait même pas se douter
que son oncle aurait pu prendre d'autres
dispositions ou tout simplement n'en
prendre aucune, ce qui l'aurait laissée
héritière de droit. Ce dédain de la for"-
tune, sans réflexion et sans effort, ache-
vait de lui donner la haute élégance à
laquelle les cœurs d'élite sont si heureux
de se reconnaître entre tous.
— Quand est-ce que tu auras fini de
visiter le château? télégraphia M"'' d'.A-
gor.
490
LE CHATEAU DAGOH
— Comment ;is-(u livnivé Ayor? de-
manda-t-elle.
— En manvais clal, répondit Jehan.
Il y avait là M'"" Delarochc, sa fille Syl-
vie et une petite cousine.
— Ah ! est-ce que le château tombe
en ruine?
— Oh ! non. Avec trois ou quatre cent
mille francs de réparations on en fera
quelque chose. M"*^ Delaroche a les yeux
les plus étonnants.
— On n'a pas touché aux portraits,
au moins?
— Pas du tout. C'est même à la res-
semblance que Sylvie m'a reconnue.
— Tu m'ennuies avec cette Sylvie. Et
le testament ?
— Il n'y en a pas. On croit qu'il y en
a un chez le notaire dont les papiers sont
sous séquestre, mais pour le moment il
n'y a rien.
— Nous voilà dans une belle passe I
s'écria M"'' d'Agor en laissant tomber
ses bras. Est-ce que tu es engagé avec
Odette?
— Pas le moins du monde. Nous
sommes à couteaux tirés.
— Et, si on ne trouve pas de testa-
ment, qu'est-ce qui arrivera?
— C'est M""^ Delaroche (pii hériterait
de plein droit.
— Ah! vraiment. Et lu dis qu'elle est
bien, cette jeune personne?
— Je ne voudrais plus vous en parler,
ma tante, je crains de vous ennuyer.
— Va toujours. Elle me paraît sym-
pathique, ta Sylvie. Où demeure-t-elle?
— Au château des Fontinettes, à trois
lieues d'Agor. Mais vous vous méprenez,
ma tante. Ce n'est pas cela que je vou-
drais. Mon désir, c'est qu'on trouve le
testament, qu'Odette hérite, et puis alors
j'irais trouver Sylvie et je lui demande-
rais d'être ma femme.
— Tu es fou ! Tu veux te mettre en
ménage avec une petite femme à ton
goût pour aller demeurer au troisième
étage et lire ton journal, le soir au coin
du feu, au milieu de les marmots. La
comtesse d'Agor ira à pied faire ses
emplettes au Bon Marché, tu prendras
l'omnibus pour qu'elle puisse acheter
des gants et vous finirez par mettre vos
enfants au lycée, avec des bourses de
l'Élat !
— Peul-être serions- nous très heu-
reux.
— On n'a pas le droit d'être heureux
hors de son rang. Les petites gens peu-
vent vivre comme il leur plaît. Je com-
prends que ceux-là tiennent à être amou-
reux de leur femme. C'est une économie.
Leur femme leur sert de maîtresse, en
même temps que de bonne. Mais toi,
Jehan, le seul survivant de ta race, tu
irais mener dans l'isolement et la dé-
chéance une misérable existence de
bourgeois ! Tu renoncerais à occuper au
grand soleil la place qu'y ont tenue
avant toi quatorze générations d'Agor !
Allons donc ! '
Quelques jours après, on apprit qu'en-
fin les recherches avaient jm être faites
dans l'étude du notaire. Aucun testa-
ment n'y avait été déposé par M. Dela-
roche. Alors M"° d'Agor revint à la
charge :
— Jusqu'à présent, dit-elle, je n'ai
pas insisté : il y avait un doute à éclair-
cir. Mais maintenant la situation esl
nette. C'est Sylvie qui va hériter.
Epouse-la. Je t'avais d'abord conseillé
Odette, parce que le mariage est une
chose et l'amour en est une autre : on
ne peut pas tout faire à la fois. Mais il
se trouve que, par une chance inespé-
rée, tu peux faire en même temps un
mariage de raison et d'inclination. 11
serait plaisant que l'amour t'empêchât
d'épouser celle que tu aimes.
— Epouser Sylvie, répondit Jehan,
ce serait le rêve. Seulement, ce n'est pas
possible. J'aurais épousé Odette sans
scrupule pour rentrer en possession du
château d'Agor, parce qu'Odette m'es!
bien égale. Mais Sylvie ! Comment vou-
lez-vous que, le lendemain du jour où
j'apprends qu'elle hérite, j'aille lui par-
ler d'amour?
— C'est vrai, dit M"*" d'Agor, je recon-
I.K CHATKAU 1) Ac.on
i<ll
unis que lu as raison; tu vois que je n'y
mois pas (rcnlêlcmcnt. En efl'et, tu ne
peux pas aller Imil de suite au château
(les Fonlinelles : il faut atleiulre huit
jours.
Et elle ne lui en parla plus.
Jehan pensa qu'il ne pouvait s'ahste-
nirde revoir Odette après la déconvenue
qui venait de lui échoir. Odette ne s'était
pas fait d'illusion : elle avait bien senti
que le château constituait sa seule chance
(le devenir comtesse d'Agor, et, quand
elle s'était vue déshéritée, elle avait
retrouvé pour Robert Villarmont quel-
ques sourires d'encouragement. Il est
toujours bon d'avoir un mari sous la
main. Cependant, quand Jehan se mon-
tra pour elle plus attentif et plus galant
qu'il n'avait jamais été, ne pouvant
(leviner que c'était par égard pour son
malheur, elle se reprit à espérer.
A l'expiration des huit jours,
M"*^ d'Ag'or. qui suivait son idée, dit
à Jehan :
— Maintenant qu'il s'est écoulé un
temps moral, il me semble que lu dois
une visite à M""^ Delaroche.
— Pourquoi faire? répondit-il. L'idée
que Sylvie pourrait attribuer ma dé-
marche à un calcul me rendrait odieux
à moi-même.
Puis, après un instant de réllexion,
il ajouta :
— Pourtant, si vous croyez que cette
visite soit nécessaire, je ne veux pas être
impoli.
— C'est entendu, mon petit; va voir
Sylvie et promène-toi avec elle au clair
de la lune. Tu lui expliqueras que ce
n'est pas pour sa fortune que tu la
recherches; elle te croira, puisque c'est
vrai. Si ce n'était pas vrai, elle te croi-
rait aussi. Et puis, quand même elle ne
te croirait pas, elle serait encore bien
contente tout de même. Bon voyage !
Amuse-toi bien et ne reviens pas sans
le château d'At^or.
l^e château des Fonlinelles, silué à
mi-c("tte, se détachait en clair sur une
forêt. D'un côté, l'horizon était borné
par un pli de terrain, comme pour me-
surer l'espace aux facultés humaines,
et de l'autre une large échappée sur la
plaine donnait l'impression de rinfini.
Dans tout le pays à l'entour, des sources
vives dévalaient en cascades, saulanl
d'un rocher à l'autre en flots d'écume
blanche avec un bruit gai, puis dispa-
raissaient sous les lianes pour ressortir
quelques pas plus loin en nappe tran-
quille et bleue. Tout semblait facile. On
ne voyait pas de noirs ouvriers peinant
pour arracher à la terre de quoi soutenir
une misérable existence, les herbes pous-
saient toutes seules, pour leur plaisir,
les animaux pacageaient à loisir sans le
souci d'être gras à date fixe, et les
hommes eux-mêmes, épars dans la
campagne, s'attardaient sans remords,
comme sachant bien qu'ils trouveraient
toujours assez de lait et de châtaignes
pour leur souper.
Jehan trouva la grille ouverte. Au
bruit que firent les pas de son cheval
sur le sable de l'allée, une fenêtre s'ou-
vrit et il entendit crier : « Voilà le capi-
taine ! » C'était mademoiselle Mimi, qui
accourut à sa rencontre et voulut monter
en croupe pour arriver avec lui. En re-
voyant Sylvie, Jehan sentit tout de
suite qu'il n'était plus maître de lui.
Mais son plan était fait ; il avait prévu
qu'à la campagne, après la longue course
qu'il venait de faire, on voudrait le
retenir à dîner, et il avait sa réponse
toute prête pour refuser; il ne put la
retrouver au moment voulu et fut obligé
de rester.
Sylvie était encore plus jolie chez elle
qu'au château d'Agor. C'est surtout au
milieu de la nature, sur fond vert, que
la femme apparaît comme la reine de la
création. La grâce de ses mouvements,
le gontlement rythmé de ses seins, les
nuances délicates que donne à sa peau
le cours d'un sang vermeil, font l'effet
de phénomènes merveilleux dans le
cadre de la simple végétation, Jehan
fut bientôt imprégné d'un charme pé-
LE CHATEAU DAGOR
nétrant, qui ne lui laissa qu'une con-
science vague de ce qui se passait autour
(le lui, avec le seul sentiment du bon-
heur de vivre.
Mademoiselle Mimi, 1res indiscrète,
avait fini par monter sur les genoux de
Jehan pour lui tirer la moustache. Sylvie
A'oulut mettre fin à un jeu qui pouvait
devenir importun, et, dans le brusque
mouvement qu'elle fit pour enlever l'en-
iant, sa main frôla presque le visage de
Jehan. Un frisson lui courut dans les
veines. Mais ce fut bien autre chose
quelques instants plus tard : mademoi-
selle Mimi, qui ne tenait, pas en place,
venait d'embrasser Sylvie ; tout dun
coup, comme si elle avait eu peur de faire
un jaloux, elle vint câlinement jeter ses
bras autour du cou de Jehan et elle l'em-
brassa aussi. En sentant sur sa joue ces
petites lèvres qui venaient à peine de
quitter la joue de Sylvie, Jehan crut
qu'il allait défaillir ; Sylvie s'aperçut
qu'une sorte de communication venait de
s'établir ainsi entre elle et lui, elle rougit
et dit sévèrement à mademoiselle Mimi
de se tenir tranquille. L'enfant ne com-
prit pas ce qu'elle avait fait de mal;
mais il est bon d'être quelquefois injuste
avec les enfants pour leur donner d'a-
vance une exacte notion de la vie.
Le temps passa si vite que, lorsqu'on
se mit à table, Jehan pensa avec effroi
que l'heure de partir allait sonner tout
de suite. Quand on lui fit remarquer que
la nuit serait très noire, qu'il y aurait
imprudence à s'aventurer dans des che-
mins difficiles avec un cheval qu'il ne
connaissait pas et qu'il fallait de toute
nécessité remettre son départ au lende-
main, un secret instinct l'avertit de
décliner cette invitation ; il se rappela
confusément qu'il était venu avec la
volonté formelle et mûrement délibé-
rée de ne faire qu'une simple visite, et
qu'il avait pour cela d'excellentes rai-
sons, mais il ne put retrouver lesquelles,
et il fut sans force quand mademoiselle
Mimi A'int lui dire dans l'oreille : « Ac-
ceptez, cela fera plaisir à Sylvie. »
Jehan dormit mal; il essayait tout le
temps de mettre ses idées à la suite l'une
de l'autre, mais il en revenait sans cesse
à l'impression qui l'avait bouleversé
quand il avait presque senti la joue de
Sylvie par l'innocente entremise de ma-
demoiselle Mimi.
De son côté, Sylvie avait beaucoup
réfléchi. Dès la première fois qu'elle
avait vu Jehan, elle s'était sentie aimée.
Une femme ne s'y trompe pas. En le
voyant arriver aux Fontinettes, elle ne
douta pas qu'il venait le lui dire, et sa
réponse était prête : elle voulait bien.
Elle se leva de très bonne heure, des-
cendit joyeusement au jardin, d'où elle
passa dans le bois attenant pour attendre
seule, dans le silence et à l'ombre des
futaies, le bonheur qui planait sur elle.
A peine y eut-elle fait quelques pas
qu'elle rencontra Jehan. Un tumulte
s'éleva dans son cteur. Dans ce temple
de la vie, sous les grands arceaux de
verdure, aux premières lueurs du soleil
levant, au milieu de cette grande paix
des choses qu'accompagnent le murmure
des ruisselets et le concert des oiseaux,
elle se dit que le moment sacré était
venu.
Non. Ils errèrent dans les sentiers,
s'assirent sur de vieux troncs, frandlii-
rent des ravins. Jehan ne dit pas les
paroles que Sylvie attendait. A chaque
instant, il ouvrait la bouche, comme
pour commencer une explication de
longue haleine, et il finissait par se taire.
Il partit sans avoir rien dit : l'orgueil
avait été plus fort que l'amour; il n'avait
pu se décider à demander la main de
l'héritière d'Ag^or.
Sylvie demeura étonnée, mais telle
est la force de l'amour qu'elle ne douta
pas de Jehan. Bien qu'il n'eût pas parlé,
elle était sûre d'être aimée et elle dé-
bordait de joie. Elle pensa seulement
qu'il y avait quelque obstacle qu'elle
connaîtrait plus tard. Pour deviner ce
que ce pouvait être, elle se mit à la place
de Jehan, elle essaya d'imaginer ce
qu'elle penserait si elle était lui, et, par
un éclair subit, il lui apparut, avec la
force de l'évidence, que Jehan ne l'avait
I>K CHATEAU D' Ali OR
•193
pas deniaiulée parce qu^clle allail être 1 Icrail, puisqu'ellf ii'élail j)as parente.
trop riche. I Quel malheur fpiVm ne reli'ouvàt pas ce
Maudite l'ortune! Si ce malencon-
treux héritage n'avait pas été sus-
j)enclu sur sa tète, elle aurait vu Je-
han à ses pieds, elle aurait goûté le
délice de lui donner ses mains, son
cœur, sa vie. Eh bien, elle n'avait
cpi'à renoncer à l'héritage. C'était
d'autant plus facile que jamais elle
n avait fait entrer dans ses prévisions
une succession qui semblait assurée à
Odette. Seulement, pouvait-elle y renon-
cer? Ce n'était pas Odette qui en prolî-
damné testament qui, en la déshéritant,
devait combler ses vœux! C'est qu'on
avait mal cherché.
Alors elle partit un jour pour le châ-
i94
LE CHATEAU D'AGOIJ
leau crAyor, toute seule. Couime il n y
avait, poui" le moment, pas d'autre héri-
tière qu'elle, il lui fut loisible (Tailer
partout; elle s'ingénia à visiter tous les
coins qui avaient pu échapper à l'inven-
taire et ne trouva rien. De f^uerre lasse,
elle revint dans le cabinet de M. Dela-
roche, s'assit à la place d'où le juge de
paix avait présidé au récolemeni de
tous les papiers et chercha du regard où
il y aurait bien quelque cachette. Enlin,
avant d'y renoncer, elle souleva machi-
nalement le buvard sur lequel le juge
de paix avait écrit son procès-verbal.
C'était le seul endroit où l'on n'eût pas
songé à regarder. Un large pli cacheté
s'y trouvait, avec cette suscription en
iiros caractères : Ceci est mon teslamenl.
En apprenant la découverte du testa-
ment, Odette se dit qu'elle tenait, lehan ;
mais, comme elle n'avait pas eu jus-
qu'alors de grands succès dans ses ma-
nèges avec lui, elle pensa qu'il serait
])eut-être plus habile de se concilier la
faveur de M''° d'Agor, et elle voulut lui
annoncer elle-même l'incident qui allait
mettre fin à une situation jusqu'alors si
tourmentée.
M"" d'Agor eut peine à cacher son
Irouble en recevant ce coup inattendu,
dont elle comprit aussitôt la portée. 11
allait être beaucoup plus difficile de
ramener Jehan à l'idée d'épouser Odette,
après l'avoir laissé s'engager à la pour-
suite de Sylvie. Cela lui parut impos-
sible. Jehan aurait eu trop beau jeu à
lui répondre : «J'y ai mis toute la bonne
volonté imaginable : vous avez voulu
que je plusse à M'^'' de Brécourt, je lui
ai plu ; puis il vous a semblé que je
ferais mieux d'aimer M'"* Delaroche, je
l'aime. Mais je ne peux pas changer tous
les jours, et cette fois je m'y tiens. »
Alors, avec la résolution que deman-
dent les conjonctures graves, M""^ d'Agor
changea toutes ses dispositions et, sur-
montant une répugnance invétérée, elle
(lit à Odette :
— Vous aile/ partir pour le château
d'Agor, ma belle enfant. Vous m'en
rapporterez des nouvelles, car, moi, je
ne l'ai jamais vu.
Odette saisit l'occasion au bond et ré-
pondit aussitôt :
— Vous nous feriez tant de plaisir à
tous, mademoiselle, si vous vouliez bien
y venir avec nous !
C'était ce que voulait M'"^ d'Agor.
Elle accepta l'invitation pour elle et
pour son neveu. Jehan n'était pas encore
rentré à Paris. En quittant le château
des Fontinettes, il avait éprouvé le be-
soin de se ressaisir et était allé passer
quelques jours chez un ami en Ecosse.
]\|ne j'Agor ai'riva donc seule au châ-
teau, peu de temps après la famille de
Brécourt, et, dès le lendemain, Sylvie
Delaroche lui fut présentée. Sylvie était
déjà animée des meilleurs sentiments
pour la tante de Jehan, et M"'' d'Agor,
à qui sa hauteur habituelle permettait
d'être facilement charmante, n'eut pas
besoin de long temps ni de grands efforts
pour captiver Sylvie. Quand elle jugea
que l'intimité était suffisamment établie,
et ce fut précisément la veille du jour
où Jehan était attendu, M"" d'Agor tint
à Sylvie ce discours :
— Vous pensez bien, ma chère petite,
que ce n'est pas pour me promener que
je suis venue ici. Je peux vous confier
ce secret, bien sûre de votre discrétion.
Il s'agit d'un ^iiariage entre Jehan et
Odette. Jehan n'a pas l'air d'être encore
tout à fait décidé, mais il faudra bien
qu'il se décide. C'est une combinaison
tout indiquée pour faire rentrer le châ-
teau d'Agor dans la famille, et je ne
comprendrais pas que Jehan se dérobât
à cette obligation. Si malgré mes con-
seils il refusait ce mariage, Dieu sait
que je n'aime pas les béguines, mais je
léguerais toute ma fortune à un couvent,
je laisserais Jehan se débrouiller comme
il pourrait, sans plus jamais vouloir en-
tendre parlée de lui, et je ne le reverrais
de ma vie.
Cela dit, elle alla se coucher, bien
tranquille.
LK ciiArKAr I) A cou
/.as
Le lendemain, Jehan an-ivail, radieux.
Maintenant que Sylvie n'héritait plus,
il était décidé à lui dire tout ce qu'il
avait tu aux Fonlinettcs, dût-il n'avoir
pas l'approbation de sa tanle. Il choisit
le moment où Sylvie était seule sur la
terrasse, d'où la vue embrassait tout le
pays : il lui semblait qu'il n'y aurait
jamais assez d'espace pour contenir son
jjonheur.
— Quelle joie de vous rexoir! dit-il.
Je suis parti des Fontineltes un peu
brusquement et je n'ai pas su vous
dire...
A mesure qu'il parlait, eu regardant
Svlvie, il ne lui trouvait plus le même
air : ses yeux étaient comme éteints, sa
bouche semblait fermée au sourire.
— Je n'ai pas su vous dire, reprit-il,
combien je vous suis i*econnaissant...
— Ma mère et moi, nous avons été très
heureuses de votre visite.
— Depuis le jour où je vous ai vue
ici pour la pi^emière fois...
— A^oulez-vous que nous rentrions?
— Est-ce que j'ai fait quelque chose
qui vous ait déplu? demanda-t-il.
— A moi! Pourquoi donc?
— Je ne sais. Je ne vous retrouve pas.
— Excusez-moi. Il y a des jours maus-
sades.
Jehan se dit que pourtant il ne pou-
\ ail s'être mépris à ce point. 11 y a un
instinct de l'amour. Et, comme Sylvie,
auxFontinettes, n'avait pas douté de lui,
malgré ce qu'il y avait d'imprévu dans
le silence qu'il avait gardé, à son tour
il ne doutait pas d'elle au milieu de
cette froideur alî'ectée. Mais il ne pou-
vait deviner l'abominable manœuvre
de M"" d'Agor, et il ne comprenait rien
à cette indifférence subitement épandue
sur un visage où naguère il avait pu
lire tant de subtile tendresse.
— Vous restez ici quelque temps? de-
manda-t-il encore.
— Non. Je crois que nous allons partir
demain.
— Et ce sera tout? Je ne vous re-
verrai plus? Vous n'aurez paru un in-
stant que pour disparaître, vous m'aurez
mf)ntréce qu'il peut y avou- de douceur
et de joie dans la vie pour me retirer
aussitôt tout espoir et me rejeter dans
la sombre solitude, dans le néant de
l'avenir !
— De quoi m accusez-vous, monsieur?
Le hasard qui nous avait assemblés
nous sépare. J'ai goûté, en votre com-
pagnie, les plaisirs que donne la société
d'un galant homme, je n'ai rien fait qui
puisse iniluer sur votre vie, et nos des-
tinées suivront chacune leur cours.
— J'avais espéré qu'elles pourraient
suivre un cours commun. Et je ne puis
m'empècher de croire encore que la
même pensée vous était venue.
— Je vous assure que vous vous êtes
lrom])é.
Mais le mensonge lui coûtait tant
qu'elle n'osa regarder Jehan, de peur
qu'à travers le cristal de ses yeux il ne
vît ce qu'elle pensait. Elle rougit et pâlit
tour à tour. Ses lèvres frémissaient de
contredire les battements de son cœur.
Jehan vit bien qu'elle était troublée,
mais ce fut en vain qu'il essaya de lui
arracher l'aveu de ce qui la torturait.
Elle avait fini par se reprendre et ne se
départit plus d'une attitude de correcte
et banale sympathie Pour la seconde
fois ils se séparèrent sans avoir pu se
dii*e ce qu'ils avaient tant de peine à
taire.
Quand M"" d'Agor vit venir son neveu
avec la figure bouleversée, elle commen-
çait à s'applaudir du succès de ses
menées; mais Jehan, ne voyant plus rien
au monde qui valût la peine d'être vécu,
lui dit simplement :
— - Ma tante, je viens prendre congé
de vous.
— Qu'est-ce que cela signifie ? Ce
n'est pas l'heure de partir. Le nouveau
notaire vient d'arriver. On va ouvrir le
testament et, je m'y connais, Odette
n'attend que ce moment pour te dire
que, si tu veux, le château d'Agor est à
toi, avec elle par-dessus le marché. Et
c'est maintenant que tu veux t'en aller!
— Ma résolutif)n est prise : je n'épou-
serai pas Odette, quoi qu'il arrive. Et je
496
LE CHATEAU D'AGOR
n'épouserai pas Sylvie non plus, parce
qu'elle ne veut pas de moi.
— Oh ! tu comprends : quand j'ai con-
senti à venir ici, c'était avec l'intention
d'y rester. Je m'y considère dès à pré-
sent comme chez moi. Tu ne voudras
pas que j'en aie le démenti et tu ne
m'exposeras pas à l'alFront de quitter
Agor comme une étrangère.
— Vous vous en tirerez comme vous
pourrez, ma
tante, dit Jehan;
moi j e repars pour
le Soudan.
En quittant Je-
han, Sylvie était
au bout de ses
r o r c e s ; c'était
tout ce qu'elle
avait pu faire de
le laisser partir
sans lui crier
grâce. Elle rentra
dans sa chambi^e
et, se laissant
tomber à genoux
sur le prie-Dieu,
elle put enfin lais-
ser couler ses
larmes.
Mademoiselle
Mimi, qui guet-
tait pour venir la
retrouver le mo-
ment où elle se-
rait seule, la
t r o u \' a ainsi;
ayant toujours
vécu au milieu
de gens heureux,
ellen'avaitjamais
vu pleurer, et ce
spectacle la jeta
dans une pro-
fonde consterna-
tion. 11 lui sem-
bla que tout était
Uni, qu'on ne ver-
rait plus jamais
le soleil et que le
monde allait s'é-
crouler dans un abîme. Elle n'essaya
même pas de s'approcher et d'embrasser
Sylvie, comme si elle avait déjà su qu'on
ne console pas les personnes qui ont
du chagrin.
Pendant ce temps, le notaire avait tout
préparé pour la lecture du testament, à
laquelle furent convoquées toutes les
personnes présentes. Mademoiselle Mimi,
chargée de prévenir Jehan, alla frappe*-
L1-: CHATEAU DAdOlî
497
â sa porte : il venait de fermer sa valise
et cherchait Theure du premier train.
— On vous attend, méchant capitaine,
dit-elle dun ton de violent reproche.
— Pourquoi méchant? demanda Jehan.
— Je vous déteste.
— \'ous me délestez, mademoiselle !
Et me ferez-vous riionneur de me dire
pourquoi ?
— Oh! vous a\e/. l)eau me regarder
avec de grands yeux. Je n ai pas peur
de votre sabre.
— Mais qu'est-ce que je vous ai l'ait?
demanda Jehan, interloqué de cette
.scène.
— Sans c(X'url ^'ous laites i)leurer
Sylvie.
— Je fais pleurer...
— Ne dites pas que ce n'est pas vous.
Je A ous ai vus causer ensemble. En
vous quittant, elle est revenue dans sa
chaml)re et elle s'est mise à pleurer.
— Taisez-vous, mademoiselle Mimi !
On ne vous a pas chargée de me le
dire.
— Cela m'est égal. Je vous le dis tout
de même. Pourquoi lui faites-vous du
chagrin ?
— Elle a jjleuré ! s'écria Jehan. Quel
bonheur! Ah! que je suis content!
Pour le coup, mademoiselle Mimi fut
sulî'oquée d'indignation et elle s'enfuit
sans plus rien dire, ne pouvant rester da-
vantage en présence d'un pareil monstre.
Jehan était ravi. Il n y avait plus de
doute possible : on ne |)leure pas de
haine. Seulement il n'y com[:^'enait
rien. En entrant dans le cabinet de
M. Delaroche, où tout le monde était i
déjà réuni, il regarda Sylvie : elle avait
repris un maintien pui)lic, mais elle
semblait relever de maladie. Il faut si
peu de larmes pour ravager le visage
d'une femme !
Le testament, comme on s'y était
toujours attendu, instituait Odette lég^a-
taire universelle des biens du défunt :
terres, maisons à Paris et en province,
actions, obligations, parts d'intérêts et
créances, argent comptant et joyau.x,
sauf pourtant une réserve : par une dis-
position spéciale, le château d'Agor
avec ses dépendances, sans rien plus,
était légué à Sylvie.
M. Delaroche, qui savait que le châ-
teau d'Agor, loin de pouvoir rien rap-
porter, n'était habitable qu'à grands
frais, avait voulu être désagréable une
dernière fois à la mémoire de son frère.
Mais cette méchanceté posthume man-
qua son but. Car, le soir, M"*^ d'Agor
prit à part Jehan et Sylvie et leur dit :
— Mes enfants, il m'est venu une
idée : vous êtes faits l'un pour l'autre;
vous devriez vous marier. Je vous ferai
réparer le château d'Agor, et vous vous
chargerez de le peupler.
Ainsi fut fait. Seulement on eut quel-
que peine à faire comprendre à mademoi-
selle Mimi comment Sylvie pouvait se
résig-ner à devenir la femme d'un homme
assez féroce pour témoigner de la joie en
apprenant qu'elle avait pleuré.
G.\sT(jN Bergeret.
-^i}t><=>-
VIII. — 32.
M A U 1 .N A -«. U ANDE, 1. l-, 1 u 1; I PK 1 N ( 1 1' A I. UE CAPRI
L'ILE DE CAPRI
Rien n'esl plus intéressant, quand on
a voyagé soi-même ou lu beaucoup de
récits de voyages écrits par des conci-
toyens, de comparer ses propres impres-
sions et celles qu'éprouvèrent les per-
sonnes de sa race et de son pays avec
la manière de voir et de sentir des
étrangers. Cet intéi^êt se double lorsque
le narrateur appartient à un peuple neuf,
libre de nos traditions et de notre édu-
cation classiques, et que son observation
porte justement sur des contrées qui
lurent le berceau de ces traditions et
dont les noms, avec les souvenirs qui
s'y rattachent, nous sont familiers dès
l'enfance. C'est vraiment une bonne
fortune pour les esprits curieux que
d'apprendre, par exemple, ce que peut
suggérer à un Américain intelligent et
instruit, mais nullement européanisé,
une visite à l'île de Capri — l'antique
Caprée de Tibère !
Un écrivain du Godeys Magazine,
Mr J.»Howe Adams, m'offre cette au-
baine, que je voudrais faire partager à
nos lecteurs. J'aurai soin de respecter
scrupuleusement le caractère propre
de son récit, tout en l'abrégeant et, s'il
se peut, en l'allégeant, pour le mettre
mieux à notre usage.
C'est loin en mer, à l'endroit même
où les eaux bleues de la Méditerranée
se rencontrent avec le bleu du ciel, plus
intense encore, pour former la ligne de
l'horizon, qu'on aperçoit, du fond de la
baie de Naples, la masse sombre de
Capri, (( l'île des Chèvres ». Elle mérite
bien son nom, avec ses bords abrupts
I/II.K DK (:aF1{I
499
éinerf;"eanl à j)ic des Ilots pour aboutir
au sommet du Monte Solaro, à deux
mille pieds au-dessus. Masse pittores-
quement découpée, elle apparaissait aux
yeux de Jean-Paul sous la lif;upe d'un
sphinx; un autre y voyait un lion
au repos. Quoi qu'il en soit de ces
rcssendîlances que l'imagination peut
varier à Tinlini, cette île rocheuse, d'as-
pect rébarbatif et désolé, qui fut, aux
temps préhistoriques, l'extrémité de la
presqu'île de Sorrente, contient aujour-
d'hui deux petites villes, Capri et Ana-
capri , et nourrit environ cinq mille
habitants. Les fruits y sont abondants;
on y fait de l'huile et de très bons
vins, blancs et rouges, et les côtes four-
nissent des bancs de corail inépuisa-
bles aux insulaires, qui sont de hardis
pécheurs. Mais ce qui fait la vi^aie ri-
chesse de l'île, c'est l'affluence des étran-
gers qui, de tous les points du monde
et d'un bout de l'année à l'autre, s'y
succèdent en une procession sans fin.
L'intention évidente de la
Nature a toujours été de faire
de Capri un séjour d'agré-
ment, un lieu de curiosité et
de plaisir. De tout temps,
d'ailleurs, les hommes se sont
empressés de suivre en cette
occasion les indications de la
Nature. Capri était, pour les
Romains, un but d'excursions
ou un séjour de villégiature.
Auguste y bâtit des palais,
des thermes, des aqueducs.
Tibère, l'unique ligure légen-
daire dans l'histoire de l'île,
y choisit les douze sites les
plus remarquables pour y
faire construire douze villas,
en 1 honneur des douze grands
dieux. Capri tombe ensuite
dans l'obscurité, pour en res-
sortir en 1803, année où sir
Sidney Smith en prit posses-
sion pour l'Angleterre et en
fortifia les points stratégiques,
pensant en faire un petit
Gibraltar. Smith eutpour suc-
cesseur sir Ihulson [>o\\e, qui devait être
plus tard le geôlier de Napoléon à Sainte-
Hélène. Mais, en 1808, les Français
reprirent lîle, et dès lors son rôle histo-
ri(|ue devient nul. Découverte à nou-
\eau par les touristes il y a quelque
vingt ans, elle est aujourd'hui tout à fait
à la mode, et il n'est plus permis d'aller
à Naples sans la visiter.
La façon la plus commode et la plus
agréable d'y arriver, c'est de prendre le
bateau à vapeur de la « Società Napole-
lana di Navigazione ». Ceux qui veulent
raccourcir la traversée attendent le l)a-
teau à Sorrente et le i-ejoignent en
canot, à son passage, car il n'y a point
d'escale. Chaque hôtel a son canot au
quai, comme il a un omnibus à la gare,
à la disposition de ses voyageurs. Mais
un trait bien italien, c'est qu'avant
d'aborder le steamer, il faut aller prendre
le billet pour le passage, le ticket, à une
sorte de bureau flottant construit sur
un petit bateau à cinq ou six cents
UNE COUR INTERIEURE, A C A P K I
500
L'ILE DE CAPRI
mètres en mei". Le prix ol'liciel, indiqué
par le Baedeker, est, pour un billet
d'aller et retour, dix francs; mais
riiomme du bureau flottant en demande
quatorze. Il déclare en même temps que
seuls les passagers munis de billets sont
admis à bord du steamer qui se balance
au large et va repartir. Il faut retourner
à terre et renoncer à voir Capri, ou
subir Textorsion. On la subit en mau-
gréant.
Les brigands ont disparu d'Italie,
dit-on. Gom-
ment en se-
rait-il autre-
ment, puis-
qu'on y a
d é c o u \' e r t
une façon de
prendre plus
facile, beau-
coup plus
profitable et
quasi m e n t
officielle ?
Le pont du
petit steamer
est encom -
bré d'indus-
triels habiles
à soutirer les
sous du voya-
geur naïf.
Les uns vendent de ces jolies boîtes en
bois d'olivier incrusté de mosaïques, qui
rappellent les boîtes à ou\'rage de nos
grand'mères; les autres olfrent, dans des
flacons clisses, du vin de Chianti que
les Italiens boivent comme de l'eau.
Mr J. Howe Adams y rencontra trois
joueurs de guitare, tous les trois bons
chanteurs et l'un d'eux comique désopi-
lant, qui tour à tour charmaient et
égayaient les passagers et, à chaque
morceau, quêtaient le prix de leur talent.
Enfin, tous les hôtels de l'île ont à bord
un représentant ou commissionnaire; et
tous ces braves gens se pressent autour
de vous, vous engageant par des éloges
hyperboliques à choisir la maison qu'ils
représentent. Il arrive fréquemment
COMMENT ON PORTE LES F A 11 D E A T X
qu'une fois le choix fait, on s'aperçoit
que le commissionnaire, le portier, le
garçon qui sert à table et le propriétaire
ne font en somme qu'un seul et même
personnage. On ne voit pas le cuisinier;
mais ce doit être sa femme ou lui.
Le bateau à vapeur s'arrête d'abord à
l'entrée de la fameuse « grotte Bleue »,
creusée au pied d'une haute muraille
rocheuse, qui s'étage en terrasses cou-
vertes d'oliviers. A peine le steamer
s'est-il arrêté qu'une nuée de bateaux
se détachent
du rivage,
chacun d'eux
montéparun
homme ro-
buste qui
rame debout
très agile-
ment. Ces
e m b a r c a -
tions n'ont
ni poupe ni
proue, et le
rameur les
pousse indif-
féremment
des deux cô-
tés. Les pas-
sagers s'y en-
tassent, et
sur une mer
semée d'astéries et de méduses aux
couleurs brillantes, au fond et aux pa-
rois tapissés de corail rouge, on s'avance
vers l'entrée de la grotte, qu'une saillie
de la falaise dérobe aux regards. Il
faut s'asseoir au fond du bateau pour
passer sous la voûte, qui a bien vingt
pieds de long. L'obscurité, la proximité
de cette voûte que l'on touche de la tête,
donnent une sensation d'étoulTement.
Tout à coup on se trouve au large, flot-
tant dans une région sombre et mvsté-
rieuse, qui paraît s'étendre indéfiniment.
Au bout dune seconde, une lueur bleue
se distingue, qui s'accroît de plus en plus à
mesure que l'œil s'accommode au milieu.
Tout semble revêtu d'une teinte bleue
très prononcée ; l'atmosphère même est
L'ILE D1-: CAPlîI
bleue. C'est un spectacle indescriptible,
dont l'œil est ébloui, f.a voûte s'élève
maintenant à quarante pieds et l'eau n'est
pas moins profonde, (^ette eau a la vertu
de recouvrir tous les objets qu'on y
plonj^e dune sorte de couche lumineuse
et argentée d'un elîet ma^^ique. L'n des
guides s'y jette tout nu; on dirait un
Un écrivain contemporain, M. Charles
P^oley, a mis dans le cadre gracieux d'un
conte, ou plutôt dune romanesque et
chaste idylle, une description qui ne peut
être qu'une réminiscence de la grotte de
Capri, vue par des yeux de poète amou-
reux de la couleur. Elle fera comprendre,
mieux que le sec « étal des lieux » dressé
h A G R A X D E SALLE LE L H ( ) T E L P A (i ANC), AVEC SES PEINTURES M r R A L E S
triton nageant dans de l'argent liquide..
On explique ce phénomène par ce l'ait
que la lumière solaire, qui pénètre à cer-
taines heures du jour dans la caverne,
est reflétée par l'eau, dont elle prend la
couleur bleue. D'un auti'ecôté, le soleil
envoie ses rayons, non seulement par
l'entrée, mais par d'autres ouvertures
dans le roc qui se trouvent à trois ou
quatre pieds sous l'eau : de là celte
lueur argentée, difîuse dans la masse
liquide, et qui s'attache aux corps que
Ion y jette.
par le reviewisl américain, le charme
prestigieux de l'atmosphère et des eaux.
« Sous les étranges stalactites où le re-
flet vacillant des frissons de la mer bleue
faisait courir des frissons bleus », dit
le prince, héros de la féerique histoire,
(I Maggia et Beffa atterrirent sur le
sable lin d'une plage, puis disparurent
dans une anfractuosité glauque, après
mavoir repoussé dans la barque, qui
vogua au hasard de faibles souffles, les
rames paredlcs à des ailes repliées.
(i La lumière semblait venir des pro-
502
L'ILE DE CAPHI
fondeurs de celte eau de saphir, des
profondeurs d'une eau de saphir si fée-
riquement limpide qu'on dislinguail au
fond les broussailles pétrifiées d'une
forêt de corail bleu, où s'échevelaient
en lianes mouvantes des algues bleues,
où s'étoilait et s'épanouissait une pro-
digieuse flore d'astéries, de méduses et
de zoophytes bleus, où vaguaient et
passaient, parmi les branchages et les
ramures bleus, en une aisance et une
souplesse de vol, des crustacés de tur-
quoises et des dorades de lazulite.
ENTRÉE DE LA GROTTE R L E IT E
K Puis des voix lointaines el joyeuses
éveillèrent les échos de la gi'otle. Les
têtes charmantes de Bell'a et de Maggia
surgirent d'une dentelure de roche, paru-
rent à fleur de vague. Elles nagèrent au-
tour de moi, doucement, indolemment,
en sirènes familières, et, pénétrées sans
doute de la fraîcheur délicieuse du bain,
de l'éblouissement de cette atmosphère
d'apothéose, elles alanguirent levn^s voix,
elles la voilèrent d'une expressive mélan-
colie, d'un attendrissement de jouissance
surhumaine. Leurs corps flexibles de
jeunes déesses s'ébattaient librement et,
dans ces magiques réverbérations, leurs
jambes fines s'allumaient de furtifs éclats
d'argent, de lueurs passagères d'albâtre,
puis se veloutaient d'ombre opaline. De
leurs bras levés tour à tour, les gouttes
d'eau retombaient sans bruit dans un
égrènement fantastique de perles multi-
colores et leur sillage laissait des bulles
et de l'écume semblables à des mousses
de pierreries.
« Au dehors, un nuage passa, sans
doute, voilant le soleil. La mer et la grotte
s'assombrirent d'un fantastique crépus-
cule d'améthyste, où Beifa et Maggia ne
furent plus que deux blancheurs impré-
cises. Puis le nuage s'enfuit et, de la
mer, la clarté s'irradia en rayonnement
de fusées, les stalactites étin-
celèrent, les roches humides,
les mousses marines s'irisè-
rent de toutes leurs splen-
deurs. »
Après cela, il me semble
que toute explication phy-
sique est une vaine super-
fé ta lion.
Celle grotte communi-
quait par un escalier dont
on voit encore les marches
disloquées, mais qui est au-
jourd'hui bouché à son ori-
fice supérieur, avec la villa
de Tibère dont les ruines
occupent le promontoire
au-dessus. Elle était donc
connue des anciens. Ce n'est
pourtant que depuis 1826
quelle a été signalée à la curiosité des
touristes, bien qu'elle ait été visitée
au xvii'' et au xvni*^ siècle par plusieurs
personnes qui en ont parlé, parmi les-
quelles on peut citer le grand écrivain
anglais Addison.
Il ne faut que quelques minutes pour
aller de la grotte à Marina-Grande, port
principal de l'île. C'est une grève sablon-
neuse, entourée de hautes falaises. Une
jetée de pierre s'avance dans la mer,
mais juste assez pour que les petites
barques du pays puissent seules y ac-
coster. Les indigènes la démoliraient
avec fureur si elle permettait aux
steamers et aux grands bateaux d'y dé-
barquer directement leurs passagers.
On dirait que tous les hommes valides
LIIJ-: i)i<; CAiMîi
503
(le l'île (jui lie sont pas occupés à la
f^rotte Bleue se réunissent ici pour s'em-
parer des voyageurs et les conduire à
terre. l'ist-ce la concurrence, est-ce l'ob-
stination des voya'^'eurs à se débattre,
toujours est-il que les bateliers sont
moins exif^eanls et de meilleure loi qu'ils
nier; elles les chargent sur leur tête et
parcourent, dans cet équipage, des dis-
tances de plusieurs kilomètres, au pas
de course.
La ville de Capri ne commence guère
à se réveiller (;|ue vers le milieu du jour.
Elle a une place centrale sur laquelle se
LA (iUOTTE BLEUE, D ' A P 11 È S LA F K E M 1 È K E P U O T O G i; A 1' Il I K
QUI EN AIT ÉTÉ PRISE
ne l'étaient naguère. Mais à peine a-t-on
mis le pied dans lîle qu'on est tiraillé
de côtés divers par des marchandes
ambulantes, qui vous pressent d'acheter
des colliers et autres ornements en
corail à des prix exorbitants, quitte à
se contenter du quart de ce qu'elles ont
demandé d'abord.
Ce sont des femmes aussi qui trans-
portent les bagages du débarcadère aux
différents hôtels. Les plus grosses malles
ne leur paraissent pas lourdes à ma-
dressent des halles, où les artistes expo-
sent pour la vente les vues et paysages
qu'ils ont pris dans les environs. C'est
là que les paysans viennent faire leurs
achats et apportent leurs marchandises,
dans de bizarres charrettes à deux roues,
trahîées par deux petits chevaux maigres.
Au-dessus du bâtiment principal s'élève
un beffroi d'architecture orientale.
Une des curiosités de Capri, c'est la
salle à manger de VAlhergo Pagano.
La plupart des peintres — et ils sont
504
L'ILE DE CAPRl
légion — qui sont venus faire des études
dans nie ont laissé sur les murs de
l'originale petite auberge des spécimens
de leur talent. Il n'y a plus un empla-
cement de vide. Tous les genres s'y
heurtent et s'y mêlent; la caricature et
la pochade y ont une place considé-
rable, comme on le pense bien; mais il
avec complaisance. Au-dessous, l'in-
scription :
Wer nicht liebt Wein. Weil^ iind Gesnng.
I)er hleibl ein Xarj' sein Lelirnlnng.
« Celui qui n'aime ni le vin, ni les
femmes, ni les chansons, restera un sot
toute sa vie. »
iu';ffi!(ii 1)E c a im: 1
y a aussi des paysages et des compositions
sérieuses qui ne sont pas sans valeur.
Un panneau de porte représente un âne
chevauché par Cupidon, dont on voit
la face espiègle rire entre les oreilles de
sa monture; dans le lointain, les col-
lines et les rivages ensoleillés de l'île.
Au-dessus de cette même porte, un
artiste allemand a peint une vigne dont
un jeune homme à demi nu presse les
grappes dans une coupe, tandis que, plus
Jîas, vui amoureux joue de la mandoline
sous la fenêtre de sa belle, qui le regarde
Des portraits d'artistes et de touristes,
jetés çà et là sans aucune symétrie, rem-
plissent les intervalles entre les tableaux.
A l'autre bout de la salle, deux grandes
vues de Capri, dans chacune desquelles
Ihôtel Pagano et le palmier célèbre qui
fait l'honneur de son jardin figurent au
premier plan et complètent la déco-
ration.
L'hôtel lui-même est situé dans un
des quartiers les plus pittoresques de
Capri. De son petit balcon, la vue s étend
au loin sur la mer et jusqu'au rivage
I/ILE DE CAPHI
505
italien, de laulre coté. Les nuirs blancs,
se (lccoii|)anl en li^^nes droites snr le
ciel bien, sont diin ellel vraiment artis-
licpie el Ini donnent un caractère orien-
tal ((ui s'accorde bien avec le climat.
La première chose à l'aire après avoir
suffisamment \u la ville, c'est de se
faire conduire en voilure à Anacapri,
bâtie sur un plaleau, au nord-est de
lîle. à plusieurs centaines de pieds an-
dessus du niveau de la mer. Jusqu'en
IS7i, on n y pouvait atteindre que par
un raide et interminable escalier de près
de six cents marches. Aujourd'hui une
lar!;c- route ladlée dans le roc déroule
ses sinuosités de terrasse en terrasse
entre les deux villes. A mi-chemin, on
rencontre les ruines du château Barbe-
rousse, << Castello Barbarossa », ainsi
appelé parce qu'un des pirates de ce
nom le détruisit au xvi'' siècle. Il est
perché sur la pointe d'une falaise à pic,
qui n'est reliée au massif que par un
étroit contrefort de la montapie. La vue
qu'on a de là, au-dessus d'un promon-
toire aii;u qui semble aller au-devant de
Sorrente,à cinqmillesplusloin, à travers
l'étincellement des eaux bleues, avec la
baie de Naples ouverte devant soi et
le Vésuve fumant dans le fond, n est
pas inférieure en beauté à celle dont on
jouit de Tavimina. devant le mont Etna,
avec le temple grec au premier plan.
Anacapri est une petite ville mono-
tone et tranquille, moins fréquentée par
les étrangers et, par conséquent, plus
agréable et plus intéressante pour l'ob-
servateur. Le plateau sur lequel elle est
bâtie a une étendue de plusieurs milles,
et l'on ne croirait pas, à voir la vaste
plaine environnante, que l'on est à une
si grande élévation.
Derrière Anacapri, au sud, se dresse
la principale montagne de l'île. Monte
Solaro, dont il faut faire l'ascension si
l'on veut avoir une impression exacte
et complète des beautés pittoresques de
l'île. On s'arrête d'abord à l'ermitage,
sur une plate-forme qui se projette du
liane de la montagne, et où vit un
ermite très décoratif, qui vous olfre un
peu de chianti et attend, en retour,
quelques sous. De l'ei-mitage. on aper-
çoit toute l'île, cl au-dessus, tout au
sommet de la monl;igne, à quelques cen-
taines de pieds, les ruines d'une antique
forteresse. Lorsqu'on est parvenu jus-
qu'à ces ruines, le spectacle est encore
plus grandiose, admirable surtout au
lever du soleil et par un clair de lune.
D'un côté, Xaples avec le ^'ésuve; au
midi, le golfe de Salerne, au fond duquel
on distingue les temples en ruine de
Pa-stum. .Au nord, la baie de Gaëte; à
l'ouest, dans le bleu de la Méditerranée,
les îles Ponza. Tout au loin s allonge la
chaîne des Apennins, continuée par les
collines de Calabre; et, se détachant en
vigoureux relief au premier plan, Sor-
rente, et toute l'île au-dessous de soi.
L'île est semée de petits sanctuaires
ou chapelles, qui donnent de la couleur
et de l'animation au paysage. Plus fré-
quentes encore sont les fontaines, dont
les plus modestes ont néanmoins un
caractère architectural, et où les enfants
du voisinage viennent puiser le peu
d'eau nécessaire à un ménage italien
dans des cruches de terre qui descendent
en droite ligne des poteries étrusques.
506
I/IIJO DE CAPHI
Telles sont les choses que MrJ. Ilowe
Adams a vues dans Tîle de Gapri et qui
Font frappé. En vrai fils du nouveau
monde, qui veut prouver qu'il n'a rien
à envier à Tancien, il tient à linir sur
un trait d'érudition.
(( La principale villa de Tibère, dil-il,
se trouve dans une partie basse de l'île,
à l'extrémité orientale, appelée Lo Capo.
u Les abords difficiles, sinon inacces-
sibles, de l'île, non moins que la salu-
brité du climat, furent sans doute les
motifs puissants qui y retinrent l'empe-
reur romain tant d'années. Les cruautés
et les débauches de l'empereur pendant
son séjour dans l'île ont été ^n^andement
exagérées. Quant à l'assertion qu'il fai-
sait jeter ses victimes du haut de la
I- E (.■ H A T K AU DE B A 1! B E K U U S S E
Les ruines couvrent un vaste espace et
consistent en salles voûtées et en corri-
dors, dont l'usage qu'en faisaient les
anciens ne saurait être exactement
déterminé aujourd'hui. Mais les habi-
tants ont résolu le problème à leur profit
en s'en servant comme détables pour
leurs vaches. Ce fut probablement la
résidence favorite de Tibère après qu'il
eut abandonné les rênes du gouverne-
ment, en l'an 27 avant J.-C, époque où
il s'ensevelit dans une retraite absolue
jusqu'à sa mort, survenue dix ans après.
falaise dans la mer, il est hors de doute
qu'elle ne repose sur aucun fondement. »
Cette courte leçon d histoire est amu-
sante dans la concise assurance de son
diagnotisme ; et un écrivain finançais
n'aurait certainement pas songé à ter-
miner de cette manière un article des-
criptif. C'est justement pour cela que
j'ai cru devoir reproduire ce passage à
la place même où l'a mis, de propos
délibéré, l'auteur américain.
Bernard dk la Mothe.
LA BIBLIOTHÈQUE DE L'ARSENAL
A ceux que leurs goûts ou leurs occu-
pations attirent vers les livres, il n'est
pas besoin d'apprendre ce qu'est la bi-
bliothèque de l'Arsenal. Les ressources
de ce riche dépfM sont bien connues des
bibliophiles et prétendre les leur révéler
serait outrecuidant. Mais il ne saurait
être téméraire d'appeler l'attention du
public sur cette renommée peu bruyante
et, en la lui expliquant, de lui en faire
sentir la justesse et la raison d'être.
La plupart des Parisiens ne connais-
sent f^uère l'Arsenal que pour l'avoir
côtoyé, au temps des vacances, quand
la voiture file vers la gare de Lyon ou
celle d Orléans. On longe alors un vaste
bâtiment d'aspect tranquille et déco-
ratif, en façade sur le boulevard Mor-
land. C'est la portion ])rincipale et la
plus en vue de la bibliothèque de l'Ar-
senal, dont l'entrée est à quelques pas
de là, dans la petite rue de Sully. Cette
façade a été rebâtie en 1718 par l'archi-
tecte Germain Bolfrand, qui en a décoré
le sommet d'une balustrade de pierre
à l'italienne, de trophées et de canons
placés sur le corps avancé du milieu.
Ces attributs guerriers ne manquent pas
d'attirer le regard. Et, si Ton aperçoit
en même temps, au travers des grilles
des fenêtres, les rayons de livres an-
ciens rangés en bel ordre, on ne sait
comment expliquer un pareil voisinage
d'objets si disparates.
Pourquoi, en efl'et, ce nom martial
donné à une paisible bibliothèque? Tout
simplement parce qu'elle est installée
dans un reste de l'Arsenal de l'ancienne
monarchie française. Un des gouver-
neurs de l'Arsenal d'alors fut un fervent
bibliophile; il réunit dans sa demeure
une très belle collection de livres, qui
est devenue, après des transformations,
le premier et très précieux noyau de la
bibliothèque actuelle. Mais, avant de
devenir ainsi l'asile de l'étude, l'Arsenal
avait un passé célèbre, quoique fort dif-
férent de ce que lui réservait l'avenir.
C'est, dit-on, lorsque Charles V trans-
porta à l'hôtel Saint-Paul le siège du
gouvernement royal qu'on commença à
fabriquer et à déposer les engins de
guerre dans le quartier actuel, de l'Ar-
senal. François 1'"' y inaugura la fonte
des canons dans des granges qui appar-
tenaient à la ville de Paris. L'installa-
tion ne devint pourtant définitive que
sous les derniers Valois. Un incendie
ayant pris, le 30 janvier 1563, au mi-
lieu de tous ces bâtiments provisoires
et ayant fait sauter l'amas de poudre
qu'ils contenaient, Charles IX profita du
désastre pour faire reconstruire des édi-
fices plus solides et mieux appropriés à
leur destination. Telle fut l'origine vé-
i-itable de l'Arsenal, divisé bientôt en
errand Arsenal, consacré à la fonderie
proprement dite, et en petit Arsenal,
servant aux travaux accessoires de ser-
rurerie et de charronnage, et abintant
tous les deux, avec les munitions et les
armes, le nombreux personnel chargé
de les confectionner. C'était un établis-
sement considérable, dont les bâtiments,
les cours, les jardins occupaient la ma-
jeure partie du vaste quadrilatère formé
maintenant par la rue du Petit-Musc,
la Seine, le canal Saint-Martin et la
rue Saint-Antoine. Une porte monu-
mentale y donnait accès, en face du
quai des Célestins, à la hauteur de la
rue du Petit-Musc.
Bien entendu, le grand maître de lar-
tillerie royale devait habiter cet établis-
sement soumis à sa haute direction; un
important corps de logis lui était ré-
servé, avec des quinconces, des par-
terres, des jardins. C'est ainsi que Sully
vint y demeurer, lorsqu'il fut élevé à
cette charge, après Antoine d'Estrées,
LA BIBLIOTHÈQUE DE L ARSENAL
y^
\j\m i i m
FAÇADE SUR LE BOfLEVARD M O 1! L A X D
^^-.8,. f en 1599.1; Ar-
1 s e n a 1 é t a i t
f alors, paraît-
il, « très mal
bâti et encore
plus dénué de pièces de canon, munitions
et poudres », si Ton en croitl6s£'co7i07?i?'e5
roi/ales du grand ministre. Aussi celui-ci
se mit-il avec ardeur à travailler tout en-
semble aux embellissements de l'Arsenal
et à confectionner des armes et des
canons. Bientôt on disait dans le peuple
parisien qu'il a\ail réuni assez de muni-
tions pour mettre sur pied cinquante
mille hommes. C'étaient là des réserves
énormes et pourtant ce n'était pas tout.
Comme Sully avait encore la fonction
de surintendant du trésor i^oyal, c'est là
que s'entassèrent aussi toutes les écono-
mies du ministre. Il y a plus : l'Arsenal
devint de la sorte le véritable siège du
gouvernement, tant qu'il abrita l'homme
qui tenait dans ses mains toutes les
hautes charges du royaume. Henri IV,
qui s'y rendait fréquemment pour les
aiï'aires publiques, y vint aussi pour son
plaisir, car c'était un lieu de plus en
plus agréable, et le monde élégant com-
mençait à se porter chaque jour davan-
tage vers le quartier du Marais et vers
la place Royale, alors en construction.
La fine tleur de la noblesse affluait
maintenant vers l'Arsenal restauré et
embelli. D'agréables jardins y avaient
été ménagés; une terrasse plantée d'ar-
bres le reliait à la Baslille et une autre
promenade, le Mail, le bordait le long
de la Seine. Une salle de théâtre, vaste
et élégante, avait été construite pour y
donner en spectacle des ballets et des
comédies, tandis que la jeune aristo-
cratie s'exerçait à la paume ou aux
bagues, sur le Mail ou dans les jardins.
Quotidiennement le roi se rendait à
l'Arsenal par devoir ou par plaisir et il
s'y plaisait beaucoup. Si l'on en croit
lesEconomies royales de Sully, Henri IV
eut même la pensée de s"y faire accom-
moder un petit appartement pour son
usage personnel. Sully raconte assez
longuement cet épisotle dans ses Mé-
moires (édition Michaud et Poujoulat,
1. 1", p. 275). Le 25 mars 1609, Henri IV
s'invita à dîner chez lui, par un billet,
avec douze personnes. Il s'y trouva si
bien traité qu'il voulut même que son
ministre lui donnât encore à dîner le
lendemain. C'est à ce nouveau dîner
que l'idée lui vint de se réserver pour
l'avenir de pareilles bonnes fortunes, et
qu'il commanda à Sully " de lui faire
accommoder une salle, une chambre,
une garde-robe et un cabinet dans l'Ar-
senal, sans toucher à ce qui était de son
LA' 1UI5I lO 1 m gi 1 1)L I AUSLXAI
\?-v
FAÇADE SUR LA RTE DE SULLT
logement, parce quil y voulait Acnir
loger dorénavant deux ou trois jours
par chacun mois et y être traité comme
il Tétait >'. sans faire apporter ses ali-
ments ni faire venir ses oflîciers, se liant
pour toutes choses à raiï'ection et aux
soins de Sully, à qui il donnerait pour
cela six mille écus de plus tous les ans.
On sait combien cet amour pour l'Ar-
senal fut fatal au roi et que c'est en se
rendant chez son ministre que Henri I\
fut frappé par le couteau de Ravaillac,
dans la rue de la Ferronnerie. Mais est-ce
au désir exprimé plus haut qu il faut faire
remonter l'origine des deux pièces riche-
ment décorées, désignées très impropre-
ment sous le nom de Cabinet de Sully,
qui sont maintenant l'ornement de la
bibliothèque de l'Arsenal? Jadis, ces
deux pièces s'élevaient en encorbelle-
ment sur le A'ieux mur de Charles V,
le loue- du Mail et de la rivière, avec
lesquels un escalier les mettait en com-
munication directe. Depuis quelques
années seulement, elles ont été trans-
portées dans une aile de la bibliothèque
actuelle, restaurées et rétablies telles
qu'elles devaient être primitivement.
Lune et l'autre sont de ces apparte-
ments — cabinets ou galeries, ainsi
qu'on disait alors et comme on en con-
struisait tant — décorés avec un art
somptueux, mais un peu banal, froid,
mais habile, ingénieux, logique et clair.
Par malheur, le temps n'a guère épar-
gné les œuvres décoratives conçues et
exécutées à cette époque-là. Aussi ces
deux salles de la bibliothèque de l'Ai'-
senal ont-elles pour le public, parmi
d'autres attraits, celui déti^e une curio-
sité intéressante et instructive.
Et d'abord, l'ornementation de ces
pièces est assurément postérieure à
Henri I\' et à Sullv. Elle ne remonte
510
LA BIBLIOTHÈQUE DE L'ARSENAL
qu'au successeur de celui-ci dans la
charge de grand maître de l'arLillerie
royale, au maréchal duc de La Meille-
raye, ou plutôt à sa seconde femme,
Marie de Cossé-Brissac, Tamie du car-
dinal de Retz et que Richelieu distingua
aussi, dit-on. C'est elle qui accommoda
ces deux salles, dont la plus vaste lui
servit de chambre à coucher d'apparat
et l'autre de réduit pour s'isoler, sorte
de boudoir ou d'oratoire destiné à la
méditation d'une femme à la mode. La
disposition de la grande pièce ne per-
met pas de doute sur sa destination :
une partie, en effet, est bien visiblement
disposée pour servir de chambre à cou-
cher telle qu'on l'entendait alors, avec
l'alcôve, la ruelle et le lit de bout. Les
voussures du plafond .lui-même repré-
sentent le dieu du sommeil, entouré des
songes heureux et accoudé sur les armes
des La Meilleraye., Ailleurs, le souvenir
des La Meilleraye a été aussi soigneuse-
ment, conservé et ceci montre bien que
la pièce entière fut décorée pour ces
possesseurs. A peine un panneau est-il
consacré à la gloire de Henri IV ; il
représente l'entrée du roi à Paris en 1594,
et encore est-ce également une scène de
famille, car le duc de Brissac, qui ouvrit
au Vert- Galant les portes de sa capi-
tale, était le propre beau-père du duc de
La Meilleraye. Et tout le reste est con-
sacré uniquement à rappeler les hauts faits
personnels de celui-ci.
Il est bien difficile, après cela, de
faire remonter l'origine de cette déco-
ration au delà de celui qui a pris un
semblable soin de se rappeler lui-même
sur tous les lambris. Quoi qu'il en soit
de cette origine, l'aspect général de la
pièce est séduisant, avec ses ors rehaus-
sés de guirlandes fleuries, ses soubas-
sements ornés d'oiseaux et d'arbustes,
ses plafonds mythologiques pleins d'al-
légories faciles, harmonieuses et aima-
bles. L'impression d'ensemble ne manque
pas de grandeur, tant s'en faut, bien que
l'art s'y révèle superficiel et éclatant.
Les figures sont nobles, charmantes d'at-
titude et de forme, sans énergie pour-
tant et parfois sans vérité, molles,
peintes d'un pinceau conventionnel et
d'une couleur peu sincère, mais éclai-
rées à merveille, surtout lorsque la
lumière doit se jouer sur les atours qui
font valoir les chairs. Les ornements
accessoires, guirlandes ou trophées, sont
plus vrais, en effet, d'une exécution plus
serrée et moins arrondie. Quel est l'ar-
tiste qui traita ainsi cet ensemble déco-
ratif? Si l'on ne peut guère dire positi-
vement quel il est, il n'est pas difficile
de répondre quel il devait être. Peut-
être est-ce Simon Vouet. Assurément,
c'est un peintre formé à son école et à
celle de l'Italie. Tous ou presque tous
les artistes d'alors se formèrent ainsi, et
Vouet, fort à la mode, accablé de com-
mandes auxquelles il ne pouvait suffire,
même malgré la précipitation de son
travail, traçait souvent l'esquisse de
sujets que ses élèves traitaient ensuite
sous sa surveillance. Il en résulta une
abondance d'œuvres trop nombreuses,
aussi hâtives que peu personnelles, et
qui ont particulièrement souffert du
temps. A peine quelques tableaux de
chevalet, peintures allégoriques ou reli-
gieuses, ou quelques tapisseries ont-ilsété
épargnés. Il ne reste rien ou presque
rien des travaux décoratifs de Vouet et
c'était là la note principale de son talent.
Il n'est donc pas inutile d'appeler tout
particulièrement l'attention sur la déco-
ration des deux pièces de l'Arsenal, si
instructive à examiner à quelque ori-
gine qu'on l'attribue, qu'on la fasse
remonter au maître lui-même ou qu'on
la croie seulemenl exécutée sous sa
direction.
Jetons encore un regard sur le petit
oratoire voisin avant de passer outre.
L'ornementation est dans le même goût,
mais moins riante, plus intime. Aux
extrémités du plafond, des cartouches
représentent des emblèmes et des sujets
religieux, tandis que le caisson central
forme un tableau plus grand de la
Religion triomphante. Les lambris du
pourtour offrent la galerie des femmes
fortes de l'histoire biblique et profane,
I- A B I r. L I () T 1 1 K Q V K 1) K 1/ A H S K N A L
ôll
Sémiramis, Judith, Débora, Anliope,
liUcrèce, Bérénice, Jeanne d'Arc et
c|uclques autres, parmi lesquelles M""' de
La Mcillcraye, sous le nom et sous le
costume de Marie Stuart. Dans ce réduit
aux proportions modestes, les défauts de
ce système décoratif paraissent mieux ;
le plafond, trop bas, donne l'impression
la lumière qui convieiidi-ail rornemen-
tation intérieure.
L'Arsenal servit aussi à des usages
fort divers sous l'ancienne monarchie.
C'est là que s'assembla la cour chargée
de faire le procès du surintendant Nico-
las Fouquet. C'est là qu il fut jugé et
condamné. C'est là encore que se dé-
t' A B I N E T DE SULLY
d'ornements pesants; les parois man-
quent aussi du recul nécessaire pour que
l'œil en juge l'ensemble et perde de vue
le détail. Malgré cela, l'allure générale
est agréable et harmonieuse, plus impo-
sante que gracieuse, plus somptueuse
que charmante et éblouit le regard plus
qu'elle le séduit. Par malheur, les vieilles
masures qui masquent encore l'entrée
principale de la bibliothèque de l'Arse-
nal s'élèvent précisément en face des
fenêtres de ces deux pièces et ne per-
mettent pas d'en apprécier avec toute
roula plus tard le procès de la marquise
de Brinvilliers et de ses nombreux com-
plices ou imitateurs, dont l'examen retint
pendant trois ans la Chambre ardente
de l'Arsenal. Mais ne nous arrêtons pas
outre mesure à ce lugubre passé. Est-ce
lui qui déplut à la duchesse du Maine,
si vive par nature et si écervelée sous
son ambition frivole et têtue? Toujours
est-il qu'elle ne goûta guère l'Arsenal,
quand son mari fut nommé, en l(50i,
grand maître de l'artillerie royale. Pour-
tant le duc du Maine ou sa femme
512
LA BIBLIOTHÈQUE DE L'ARSENAL
son^^èrent à embellir 1" Arsenal. Mais
lorsque, en 1"18, le célèbre architecte
Germain BollVand, auquel ces amélio-
rations avaient été contiées, commença
à les exécuter, le duc et la duchesse du
Maine, impliqués dans la conspiration
de Cellamare, étaient prisonniers Tun à
remontait à Sully, se trouvaient réunis
et soudés l'un à l'autre. La décoration
intérieure de ce nouveau corps de logis
avait été également confiée à BofïVand.
On la retrouve encore dans les petits
appartements en enfilade du premier
étage, qui conduisent à l'ancien salon
de musique de la duchesse du Maine
— actuellement la salle où se consul-
PETIT S A li O X BLEU
Doullens el l'autre à Dijon. Dans ces
nouveaux travaux, l^oUVand respecta
autant fjuil le put le vieil Arsenal
habité par Sully. Au lieu de le recon-
struire, il le couvrit en partie, au midi,
par un nouveau corps de logis longeant
de plus près la rivière. C'est la façade
actuelle du boulevard Morland avec son
élégance sobre et bien insjjiréc. De la
sorte les deux édifices, celui qu'on ve-
nait de construire sur des proportions
plus vastes et plus décoratives, et celui,
moins imposant, dont la construction
tent les manuscrits de la bibliothèque.
Là s'épanouit toute la grâce, toute
l'élégance, toute l'ingéniosité d'inven-
tion de l'architecte décorateur. Les
sculptures de ce salon sont exécutées
avec une délicatesse raffinée, qui en
fait un vrai chef-d'œuvre de goût. De
I nombreux trophées d'instruments de
j musique surmontent les panneaux et
les trumeaux des glaces, tandis que les
dessus de porte en grisaille représen-
tent les quatre saisons. L'ensemble est
i clair, plein de fraîcheur et de grâce, tel
I.A lUlJLIoTHKQUK DE L'ARSENAL
513
qu on pouvait rattemlre de cet incom-
parable artiste en décoration.
La destination belliqueuse de lAr-
senal allait diminuant chaque jour.
En 1755, la charge de grand maître de
l'artillerie fut rattachée directement au
département de la guerre, mais le bail-
liage de l'Arsenal conserva son organi-
sation et ses Iranchisc^ particulières. Si
nombreuses et fort diverses, de sorte
qu'il lui fallut, pour les abriter, con-
struire à ses frais de coûteuses galeries.
Les livres et les papiers de sa famille
formèrent le premier embryon de sa
bibliothèque : on y retrouve les livres
j recueillis par son père René-Louis,
i marquis d'Argenson, ministre des
affaires étrangères, et les papiers de son
les armes y abondèrent moins, les livres
commencèrent à y affluer, car c'est
aloi's qu'Antoine -René de ^'oye^ de
Paulmy vint y demeurer en qualité de
bailli et de gouverneur. Son goût pour
les lettres donna bien vite à cette vieille
demeure une autre réputation, et dès la
fin du siècle la bibliothèque du marquis
de Paulmy était pour le moins aussi
connue que les débris du musée d'ar-
tillerie créé par Sully.
Par la variété et l'ardeur de ses
goûts, ^L de Paulmy était un véritable
collectionneur. Bientôt il sut rassembler
dans son logis de l'Arsenal des richesses
VIII. — 33.
oncle, le comte d Argenson, le fameux
lieutenant de police. ^Lais le marquis
de Paulmy ne s en tint pas là, tant s'en
faut. Pendant près de quarante ans, il
accrut son butin par tous les moyens
en son pouvoir. Tandis que des limiers
dressés à cet usage recherchaient par-
tout pour lui des raretés bibliogra-
phiques, eu France comme à l'étranger,
en Hollande et en Ralie, lui-même ne
perdit pas un seul instant de vue l'aug-
mentation d'une collection de livres qui
était désormais le but principal et la
passion de sa vie. C'est ainsi qu'il forma
une bibliothèque qui est peut-être la
514
LA BIBLIOTHEQUE DE L'ARSENAL
plus belle qu'un particulier ait jamais
réussi à constituei'. Non seulement il ne
manquait pas de profiter des occasions
particulières qui lui permettaient d'en-
richir ses rayons de tel ou tel ouvrage
précieux, mais encore il ne reculait pas
devant Tacquisition en bloc d'autres
collections de livres, comme celle de
Charles-Adrien Picard, par exemple,
ou bien la dernière partie, plus impor-
tante encore, de la bibliothèque du duc
de La Vallière, dont le catalogue dressé
par le libraire Nyon n'occupe pas moins
de six volumes. Toutes ces ressources,
rassemblées avec autant de patience,
avaient fini par former un véritable
trésor, que son possesseur mettait vo-
lontiers à la disposition des travailleurs.
Livres, estampes, médailles, tableaux,
curiosités d'histoire naturelle, M. de
Paulmy avait tout réuni à l'Arsenal et
faisait les honneurs de tout avec la
même bonne grâce accueillante. Il n'é-
tait pas de ces bibliophiles jaloux pour
lesquels l'habit fait le moine, qui se
contentent de regarder la condition
extérieure des ouvrages, ne les lisent
pas et ne les mettent pas davantage à la
portée de ceux qui seraient capables
d'en profiter. M. de Paulmy lisait ses
livres, ainsi qu'en témoignent les notes
écrites de sa main sur la garde de la
plupart; il aimait à en dresser les cata-
logues, appréciant ses richesses avec le
tact d'un connaisseur, sachant ce qui
faisait défaut à ses collections et s'efTor-
çant d'en combler les vides avec le flair
d'un véritable amateur. Et, quand il
voyait la possibilité d acquérir quelque
rareté nouvelle, il y travaillait en dépit
des obstacles, malgré les compétitions
des autres et la médiocrité de sa propre
fortune, heureux d acheter la possession
d'un objet désiré au prix de quelque
sacrifice, ventre fraudalo.
Il eût été bien regrettable qu'une col-
lection aussi considérable, formée avec
tant de soins par un tel ami des livres,
se dispersât à sa mort. Cette éventualité
ne se produisit pas. En prévision de son
décès, M. de Paulmy céda de son vivant
sa bibliothèque au comte d'Artois — le
futur Charles X — sous la réserve d'en
garder l'usufruit. Puis, les événements
se précipitèrent. Le l*^"" mai 1793, la
bibliothèque du comte d'Artois était
mise sous séquestre comme bien d'é-
migré et faisait retour à l'Etat. Cette
mesure fut loin d'être aussi nuisible
qu'on pourrait le croire : au lieu d'y
perdre, la bibliothèque du comte d'Ar-
tois y gagna sensiblement, car elle s'en-
richit alors des établissements religieux
également mis sous séquestre et profita
des ressources diverses que les mesures
législatives de la Convention avaient
fait venir de toutes parts dans les dépôts
littéraires de la Nation. Grâce aux con-
naissances bibliographiques d'Hubert-
Pascal Ameilhon, ces opérations aug-
mentèrent dans des proportions notables
les collections de l'Arsenal. Aussi, lorsque
plus tard le Directoire décida que le
public serait librement admis à l'Arse-
nal, il mit à la disposition des recher-
ches une mine riche et abordable (9 flo-
réal an V— 28 avril 1797). Bien vite le
monde studieux prit l'habitude d'y re-
courir et, au retour des Bourbons, quand
le comte d'Artois crut devoir se faire
restituer un bien dont il semble n'avoir
qu'imparfaitement payé l'acquisition, il
dut laisser aux travailleurs la disposition
des volumes de l'Arsenal, désigné sous
le nom de Bibliothèque de Monsieur.
En ce temps-là, l'Arsenal fut célèbre
et sa réputation passa les bornes étroites
du cercle des érudits et des chercheurs.
Charles Nodier avait été nommé biblio-
thécaire de la bibliothèque de Monsieur,
pour avoir composé jadis, sous l'Em-
pire, le Napoléone , une ode satirique
contre Napoléon. En celte qualité, il
vint habiter le vieil Arsenal de Sully, et
c'est là que s'écoulèrent les dernières
années - — les plus heureuses — de sa
vie mouvementée. Le quartier était
éloigné, le bâtiment solitaire et tinste,
dominant la Seine en face de l'île Lou-
viers qui, depuis, a été réunie à la rive
droite du fleuve. La présence de Nodier
fut assez puissante pour attirer dans ce
LA BIBLIOTHKcjL K DK I/AHSKNAI,
515
logis écarté loul ce C[ue Paris comptait
alors de brillantes espérances et pour
animer ces réunions : car Nodier avait
dans sa conversation une verve singu-
lièrement captivante, qui se refroidis-
sait dans ses livres et se calmait.
Ami du romantique et de la bonne chère.
Il visite souvent Ladvocat et Véry,
Et fait payer à son libraire
I>c nectar varié dont son teint est nourri.
Ainsi parlait Nestor Roqueplan de ce boa
vivant, accueil-
lant aux jeunes.
Les audaces du
romantisme nef-
frayaient pas
Nodier, dont li-
magination dé-
bridée pouvait
sui^'re toutes les
folies et dont la
vie avait toujours
été pleine d'im-
prévu. Il se fit le
patron des nova-
teurs, les accueil-
lit à TArsenal.
leur ouvrit son
salon et réussit à
les garder par
l'ingéniosité de
son esprit, secon-
dée par la bonne
grâce de sa fille,
Marie.
Nous connais-
sons la physio-
nomie de ce salon
hospitalier grâce
à ce qu'en ont
écrit quelques-
uns de ceux qui
le fréquentèrent.
Alexandre Du-
mas surtout en a
laissé un tableau
bien vivant, qui
n'a pas peu"]contribué à faire connaître du public
ces réunions de l'Arsenal. On y venait le diman-
che soir vers neuf heures et, comme ceux qui s'y
rendaient étaient surtout riches d'espérances de
gloire, on y venait à pied, les femmes
en socques et les hommes les abritant
sous des parapluies contre les intempé-
ries du chemin. Manteaux, chapeaux,
socques et parapluies s'entassaient pêle-
mêle dans la salle à manger, et les visi-
teurs passaient bien vite au salon, peint
en blanc, avec sa boiserie ancienne, son
meuble de casiniir rouge, orné de
quelques portraits, éclairé de trois ou
quatre quinquets. Ce n'était donc pas
516
LA BIBLIOTHÈQUE DE L'AUSENAL
le luxe qui attirail ainsi chez Nodier la
foule des jeunes gens d'avenir; c'était
l'accueil des hôtes, l'esprit des com-
mensaux, les promesses de gloire que
tous apportaient plus ou moins. Tandis
que les plus âgés jouaient devant cette
d'autres noms qui l'ont de celte liste
comme le livre d'or de l'art et de la lit-
térature du temps. La danse finie, on se
groupait autour de ceux qui guidaient
la jeunesse : Lamartine, Hugo, Celui-ci,
imberbe et grave, émettait sous les lam-
bris de l'Arsenal les théories qui de-
vaient se retrouA'er dans la préface de
Ci-omwell. C'est aussi, dit-on, en con-
templant le chevet de Notre-Dame du
haut du balcon de Nodier que Hugo
consul l'idée de son roman. Au-
jourd'hui le balcon n'existe plus et les
maisons, d'ailleurs, empêchent de"
\ oir Tabside de l'église. Mais le
-alon subsiste. Le flot sans cesse
croissant des libres a envahi
le logis de Nodier et la pièce
qui donna asile à tant de visi-
teurs glorieux abrite n'^in-
lenant une belle collection
d'estampes, des chefs -
d'œuvre de Rembrandt ou
de Walteau.
table d'écarté à laquelle Nodier s'as-
seyait volontiers, les plus jeunes impro-
visaient un bal plein d'entrain. Marie
Nodier, au piano, faisait tourbillonner
les couples et c'était, dans les quadrilles,
toute cette génération de f830 qui a
laissé depuis une trace si glorieuse :
Dumas, Musset, Hligo, Vigny, Dela-
croix, Lamartine, Eugène Devéria, Louis
Boulanger, les frères Johannot et tant
On ignore da-
\ a n ta g e que,
tandis que le ro-
mantisme nais-
sant accourait de
la sorte chez No-
dier, les classi-
ques, eux aussi,
fréquentaien t
l'Arsenal, se
groupant volon-
tiers autour d'A-
lexandre 13uval,
qui fut successi-
vement marin,
militaire , ingé-
nieur, acteur et
auteur dramatique, et qui, pour l'instant,
administrait lavieille bibliothèque. Resté
ardent dans ses aversions, Alexandre
Duval avait lancé sa fameuse Lettre à
M. Victor Hugo sur la littérature roman-
tique. C'était un coryphée des survi-
vants de jadis et les nouvelles phalang:es
ne lui pardonnaient pas de ne pas quit-
ter la place sans coup férir, de ne pas
s'avouer vaincu sans combattre. Une
LA lUHMOTIIKgrK \)K I/AHSKNAL
517
fois, au ThéAlrc-Fraiivais , un soir de
représentation de quelcjne drame roman-
tique, les hoii.singots, rencontrant dans
les couloirs Alexandre Duval et Népo-
mucène Lemercier, leur avaient bruta-
lement crié aux oreilles : « Enfoncées,
les vieilles perruques ! » Qui sait si
quelque couloir de TArsenal, témoin de
ressources actuelles de la bibliothèque,
on peul dire du moins qu'elle est parti-
culièrement riche en ouvrages de belles-
lettres et d'histoire. Les souvenirs du
passé, qui y dominent, se trouvent dans
un cadre tout à fait digne d'eux, logés
comme ils le sont dans ces pièces dont
quelques-unes oui gardé toutes les élé-
pareille rencontre, n'en-
tendit pas semblable apo-
strophe? A la distance de deux esca-
liers, il était le quartier général de
deux camps rivaux. Eternel symbole
de la vie, tandis que les uns, ardents
et jeunes, gravissaient les degrés comme
à l'assaut, les autres, las mais non dé-
couragés, concertant encore la riposte,
descendaient les marches à regret, dis-
putant pied à pied le terrain de la vie
que le passé cède si malaisément à
l'avenir.
Toutes ces circonstances donnèrent à
l'Arsenal une réputation littéraire qui
s'adaptait bien avec la nature même de
ses collections et que les successeurs des
Nodier et des Duval se sont plu à entre-
tenir de leur mieux. S'il n'est pas permis
d'espérer résumer en quelques mots les
gances de jadis. Il y a une belle collec-
tion de poètes français, en particulier
du xvi*" siècle, et les œuvres de plusieurs
d'entre eux ne se retrouvent guère que
là aujourd'hui. Le roman y est égale-
ment représenté par une abondante série
de ses productions d'autrefois, moins
abondante toutefois que la collection
théâtrale, qui contient à peu près toutes
les productions dramatiques françaises
depuis les origines jusqu'à nos jours.
L'histoire, elle aussi, tient une large place
sur ces rayons, surtout l'histoire con-
temporaine, depuis 1789, et les mémoires
rus
LÀ iUHLIOTIIÈgUE DE L' ARSENAL
publiés maintenant en si grand nombre
sur les hommes et les événements de
cette période se t^ou^'ent là à peu près
ail complet. Ajoutons encore, sans pré-
tendre avoir tout dit , qu'un arrêté
de 1880 a désigné la bibliothèque de
l'Arsenal pour recueillir les journaux
paraissant à Paris et leur donner asile.
Ce sera encore une source abondante
d'informations à laquelle devront recou-
rir les historiens futurs de notre temps.
A ces volumes imprimés, dont le total
arrive aux environs de cinq cent mille.
il convient de joindre dix mille manu-
scrits. Un grand nombre d'entre eux,
comme pour les volumes imprimés,
mériteraient d'être signalés eu particu-
lier, soit pour leur valeur propre, soit à
cause des souvenirs qu'ils évoquent.
Nous mentionnerons tout d'abord
Psautier dit de saint Louis
n" 1180), qui provient de la
Sainte-Chapelle. Les spécia-
listes discutent sur le point
de savoir si ce manuscrit ap-
partint véritablement à saint
Louis ou bien à sa mère
Blanche de Castille. Il
est, en tout cas, hors de
doute que la tradition
qui l'attribue à saint
Louis est fort ancienne,
puisqu'elle re-
monte au xiv'' siè-
cle, et que ce beau
manuscrit est un
spécimen très re-
marquable de l'art
de l'époque, avec
ses grandes minia-
tures sur fond d'or
et la variété de ses
ornements en cou-
leurs. Le manuscrit
qui contient les
comédies de Té-
rence en latin
(n° 664) est posté-
rieur au précédent
et a appartenu à ce
fin bibliophile
qu'était Jean, duc de Berry, frère de
Charles V. Il est splendide. Chaque
scène de chaque comédie est précédée
d'une miniature qui en représente le
sujet aux yeux du lecteur. Il est im-
possible de pousser plus loin la finesse
et le g'oût que dans les illustrations de ce
volume, vrai chef-d'œuvre de décora-
tion délicate et vraie. Citons encore
quelques romans de chevalerie, des
livres d'heures, un exemplaire des
Triomphes, de Pétrarque, exécuté pour
François L' et qui contient d'exquises
ANCIEN
LA lU HI.IOTIIKQrK DK 1/ ARSENAL
519
niiiiialiires (ii" 6iS0). Nous nienlionne-
roiis eiilin la collection des manuscrits
de (^onrard, le ])reniier secrétaire per-
pétuel de l'Académie Irançaise, immor-
talisé par un vers fameux de Boileau,
et aussi la série des papiers de l'an-
cienne lieutenance de police, qui, clas-
sés et cataloi;ués à part, forment un
fonds important, connu sous le nom
iV Archives de la Bastille.
Le marquis de Paulmy avait ég'ale-
ment réussi à former un très beau ca-
binet d'estampes. Jusqu'en 18G1, les
plancbes ainsi réunies demeurèrent à
l'Arsenal; mais, à cette date, la Biblio-
thèque nationale — alors impériale —
obtint le droit de choisir dans les autres
dépôts publics les dessins ou les gra-
vures qui lui faisaient défaut. Presque
toutes les pièces rares ou curieuses pas-
sèrent ainsi de la bibliothèque de la rue
de Sully dans celle de la rue de Riche-
lieu. Il est vrai que celle-ci cédait, en
échange, quelques-uns de ses doubles,
ce qui, joint aux éléments laissés dans
leur fonds primitif, a constitué un ca-
binet d'estampes aussi considérable par
le nombre, sinon par la valeur des pièces,
sélevant à une centaine de mille en-
vi i-on.
Telle est, indiquée à grands traits, la
physionomie générale de La bibliothèque
de l'Arsenal. On ne saurait dire qu'elle
ait une spécialité, car ses collections
sont multiples et variées, mais toutes
contiennent des morceaux de choix,
précieux à bien des titres. Son caractère
propre lui a été donné, il y a un siècle,
lorsque M. de Paulmy rassemblait pour
lui-même des livres rares, en bel état
de conservation, des ouvrages aussi re-
marquables par leur contenu que par
leur apparence extérieure, des exem-
plaii'es tout à fait dignes et pour le fond
et pour la forme d'attirer les regards
d'un bibliophile consommé. Le premier
possesseur rêvait de faire de ses collec-
tions un véritable musée bibliogra-
phique, et ce caractère s'est maintenu
depuis lors, accru encore de ce fait que
les livres se trouvent placés maintenant
dans des salles dont la décoration s'har-
monise si bien avec les richesses qu'elles
abritent. Aujourd'hui ces richesses,
amassées par un amateur fervent, aug-
mentées par d'autres, sont à la portée
du public, toute l'année — sauf quinze
jours en août, du 15 au 31, pendant les-
quels on procède à des travaux de net-
toyage — et tous les jours de l'année,
les jours fériés exceptés, de dix heures
du matin à quatre heures du soir. Elles
sont mises à la disposition de tous avec
compétence et libéralité. 11 ne peut me
convenir de faire l'éloge du personnel
actuel de l'Arsenal. Mais il m'est bien
permis de payer, en terminant, un tribut
de juste gratitude à ceux qui nous pré-
cédèrent et qui ne sont plus, depuis
II. -P. Ameilhon, le premier en daté
des administrateurs de la bibliothèque
publique, jusqu'à Edouard Thierry, le
dernier : dom Poirrier, l'abbé Grégoire,
Cayx, Charles Lenormant, Le Roux dç
Lincy, Berger de Xivrey, Paul Lacroix
(le bibliophile Jacob), François Ra-
vaisson, P. Malitourne, Louis Ulbach.
Ceux-ci datent d'hier à peine, mais tous,
qu'ils soient de la fin ou du commen-
cement du siècle, ont contribué à établir
la réputation commune de bonne grâce
accueillante et simple; et ceux auxquels
ils l'ont transmise ne peuvent que les
saluer avec sympathie et avec respect.
Paul Bonnefon.
LE COUVENT DES CÉLESTINS
La collection de M. de Paulmy, cédée
au comte d'Artois et qui forme une par-
tie du fonds actuel de l'Arsenal, avait été
constituée en partie par l'acquisition des
livres les plus précieux provenant de la
bibliothèque des Célestins.
Donnons donc un souvenir au célèbre
monastère qui, presque jusqu'à la Révo-
portail, fut bâtie par ses soins et consa-
crée en 1370. Son extérieur n'indiquait
pas les richesses qu'elle devait contenir
plus tard, surtout dans ses annexes.
Le cloître était un des plus beaux de
Paris. Type parfait de l'architecture de
la Renaissance, ses arcades étaient sou-
tenues par de petites colonnes corin-
LE CLOITRE DES CÉLESTINS
lution, détenait tout le quartier qui a
conservé son nom.
Les Célestins, fondés vers le milieu du
xiii^ siècle, prirent leur nom du pape
Célestin V, qui était de leur ordre, et
devinrent rapidement une des commu-
nautés les plus riches de l'Église. A
Paris, le i^oi Charles V fut le fondateur
de leur maison et ne cessa de les com-
bler de bienfaits.
L'église, dont nous reproduisons le
tlîiennes accouplées d'une très élégante
proportion.
Construit en dix années, de 1539
à 1550, par Pierre Hamon, <( tailleur de
pierres et maçon », il coûta la minime
somme de 10,778 livres 9 deniers. Ce
chiffre, malgré la grande différence de
la valeur de l'argent, donne à réfléchir
sur le prix de revient des choses, il y
a trois siècles. Bien des merveilles de
l'époque gothique et de la Renaissance
I,K COUVENT DES CÉLESTINS
521
trouvent clans ce bas prix de la main-
d'œuvre Tcxplication de leur possibilité
matérielle.
I/église des Célestins fut toujours
choisie de préférence par les grands
seignieurs pour y dormir leur dernier
sommeil, et rédificalion de leurs su-
perbes mausolées n'allait pas sans de
riches offrandes au monastère qui leur
donnait aussi Tliospitalité dernière.
La chapelle dite des Dix mille Mar-
tyrs, puis de Gèvres, était pleine de
monuments qui rivalisaient de munifi-
cence funéraire.
Mais, en entrant dans la chapelle d'Or-
léans, on se serait cru (* transporté dans
un atelier de sculpteur », suivant l'ex-
pression de Millin dans son ouvrage sur
les antiquités nationales, qu'il présenta
le 9 décembre 1790 à l'Assemblée natio-
nale et qui est un précieux inventaire
des monuments existant encore dans
Paris à cette époque.
Cette chapelle avait été bâtie par
Louis d'Orléans, fils puîné de Charles V,
et, depuis la fin du xiv® siècle, elle ne
cessa pas de servir de sépulture à des
personnages illustres.
On y remarquait entre autres :
Le tombeau de Henri Chabot, œuvre
de Michel Anguier (1655) ; celui de l'ami-
ral Philippe Chabot, par Jean Cou-
sin (1543); la colonne supportant le
cœur de François II, ornée de trois
enfants sculptés par Paul Ponce (1562) ;
le célèbre monument de Germain Pilon,
que nous reproduisons ; la sépulture
d'Anne de Montmorency, par Jean
Bulland.
Le fondateur de la chapelle, Louis
d'Orléans, y avait naturellement son
mausolée. On sait que ce triste prince
fut assassiné le 24 novembre 1407, alors
qu'il venait de souper chez la reine, à
l'hôtel Barbette, par les partisans du duc
de Bourgogne. Les instructions qu il avait
données de son vivant pour l'érection de
son tombeau ne furent point suivies, et
son corps resta sous l'autel de sa chapelle
jusqu'à ce que son petit-lils, Louis XII,
fît élever, en 1504, le superbe monu-
ment qui réunit aux restes de Louis
d'Orléans ceux de son fils aîné, Charles
cil
LES TROIS UKACES, DE « E R M A I X PILOX
Monument exécuté par ordre de Catlierine de Médi-
cis, pour contenir les cœurs de Henri II, de
Charles IX et de Fraliçois de France.
522 LE COUVENT DES CÉLESTINS
(rOrlénns, mort à Amboise, en 1466, el | et aussi ceux de sa femme, \'alentine de
Jeaune de Uuiabuu. Le pape Ce.e^tiii A .
PORTAIL DE l'ancienne ÉGLISE DES CÉLESTINS
Chirles V
dont le corps était resté dans l'ép^lise 1 Milan, et de son second tils, Philippe,
collégiale de Saint-Sauveur, de Blois, I dont les corps étaient également demeu-
I.K {:()U\i;XT DES CKLESTINS
PORTE DE LA N 0 T V E L L E CASERNE DES GARDES DE PARIS
rés à Blois. La chapelle contenait encore | le monument de Renée d'Orléans, petite-
52-4
LE COUVENT DES CÉLESÏINS
fille (lu fameux Dunois, morte à sept ans,
en 1525; la pyramide de la maison de
Longueville, merveille de François An-
guier ; la pyramide de Timoléon de Cossé-
Brissac, mort en 1569 — et d'avitres
nombreux tombeaux.
Il ne reste plus rien du couvent des
Célestins, de son église ni de ses cha-
pelles. De ces beaux monuments, gloire
de la sculpture française, plusieurs ont
été heureusement conservés, mais en
partie seulement.
Avant la Révolution, les Célestins
avaient été sécularisés et leurs biens
mis sous séquestre en 1785; une partie
des bâtiments du monastère reçut le
nouvel institut des sourds-muets, fondé
par l'abbé Sicard, et une auti^e fut con-
vertie en caserne de cavalerie. Mais
Téglise, les chapelles et les monuments
qu'elles contenaient subsistaient en 1789.
Marie-Alexandre Lenoir, dont le nom
doit à jamais être honoré, obtint de
l'Assemblée constituante la permission
de réunir les objets d'art qui allaient être
dispersés et fonda aux Petits-Augustins
le célèbi^e musée des monuments fran-
çais. Ce musée fut supprimé en 1816,
mais beaucoup des chefs-d'œuvre qu'il
contenait se retrouvent aujourd'hui au
musée du Louvre.
Sur une partie du terrain occupé jadis
par le monastère s'élève aujourd'hui
une monumentale construction, qui dé-
roule sa blanche façade sur le boulevard
Henri-IV.
Au-dessus de son portail d'entrée,
dont le style rappelle peu l'ancienne
porte de l'église des Célestins, apparaît
le lion populaire, frère de celui qui
occupe si fièrement le piédestal de la
statue de la Liberté, sur la place de la
République.
C'est ici la nouvelle caserne des gardes
de Paris. Ils sont logés magnifique-
ment, comme il convient à la Ville
d'abriter ceux qui ont mission de la
protéger. Puissent-ils la défendre au
besoin contre elle-même et éviter de
nouvelles ruines !
LA CASERNE DES GARDES DE PARIS — FAÇADE SUR LE BOITLEVARD HENRI-IV
PEINTURE SUR TOILES
EN IMITATION DE TAPISSERIE
Dans la société actuelle, rhoninie et
la femme, simplement appareilles à l'ori-
gine, tendent de plus en plus à devenir
pareils, et les carrières et les arts de la
femme sont les carrières et les arts de
l'homme. L'éducation féminine conduit
présentement à tout, sauf à la magistra-
ture et au sacei'doce. A part l'épée de
combat, la femme manie tous les instru-
ments et tous les outils : Tébauchoir, le
ciseau, le pinceau, la varlope et le rabot
ne pèsent pas plus à ses doigts que le
fuseau et l'aiguille. Elle entend ainsi
contribuer au bien-être de la famille,
prendre sa part de labeur et de respon-
sabilité. Dès lors Futile devient l'estam-
pille de son éducation artistique, et, s'il
faut en croire la duchesse d'Uzès, même
la femme du monde en s'adonnant aux
travaux d'art vise à obtenir une com-
mande d'un fabricant du Marais.
Lexposition des arts féminins est
particulièrement suggestive. L'esprit
demeure confondu devant ces œuvres
de patience savante : bahuts délicate-
ment fouillés, tables d'argent repoussé,
missels dignes des enlumineurs du
xv^ siècle, tapisseries incomparables,
foison de merveilles pour tout dire.
Le plus pratique de ces arts et le plus
aisément praticable est la peinture en
imitation de tapisserie. Les anciennes
tentures artistiques bien conservées
constituent des trésors rarissimes; le
plus souvent, les panneaux authentiques
sont dans un état lamentable ou réduits
à des fragments exigus. L'art tout mo-
derne qui permet de tirer parti de ces
superbes débris et d'imiter, à tromper
un œil exercé, les œuvres anciennes, est
à la portée de tout le monde. Pour un
prix qui n'excède guère celui d'une cor-
beille d'orchidées, on se procure les ma-
tériaux indispensables.
Jusqu'à ces dernières années, on ne
connaissait d'autre moyen de réparer
les belles tapisseries que le ren(rai/a(/e,
lequel s'exécute à l'aiguille ou à la na-
vette. C'est un procédé long, partant
dispendieux, et de plus imparfait, car il
est à peu près impossible d'obtenir avec
des laines neuves, si habilement teintes
qu'elles soient, l'effet harmonieux et les
tons fondus des panneaux anciens. Le
raccommodage, en dépit de l'habileté
de l'ouvrière, reste sensible. La peinture,
au contraire, arrive à la perfection
absolue dans l'imitation; bien habile qui
découvre les morceaux peints dans les
magnifiques pièces de la « Dame à la
licorne » au musée de Cluny !
Des toiles, dites toiles Binant, à grain
carré, à grosses et à petites côtes, tissées
avec des fils spéciaux, permettent de
reproduire les points de Bayeux, des
Gobelins, de Flandre, de Saumur, de
Beauvais, de Fontainebleau, d'Aubus-
son, etc. La largeur de ces toiles va de
0"\70 à 8'", 10, et, suivant la finesse du
grain, la matière du tissu : coton, laine,
ou soie, le prix du mètre carré varie de
12 à 40 francs. La toile de soie s'emploie
peu, sauf pour de petites pièces; les
tentures d'un haut caractère ai^tistique
s'exécutent de préférence sur tissus de
laine ; les couleurs y sont inaltérables,
tandis que sur les toiles de fil ou de
coton les tons passent légèrement sous
Finfluence de la lumière et de l'humi-
dité.
Pour la restauration des pièces an-
ciennes, il suffit de prendre le point qui
contient par centimètre carré le même
nombre de fils que l'original ; le morceau
ajouté étant posé dans le sens des côtes,
la couture disparaît. De la même façon,
526
PEINTURE SUR T(3ILES
on agrandit par des bordures les pan-
neaux trop étroits, en observant toute-
fois que ces panneaux soient postérieurs
au xv*^ siècle; auti^ement l'adjonction de
la bordure serait un anachronisme; il
faudrait se contenter d'un encadrement
de peluche. En effet, jusqu'au xv*' siècle,
une simple lisière entourait les tapisse-
ries; ces lisières s'élargissent et s'ornent
à partir de la Renaissance, mais les or-
nements changent avec les époques :
l'antique fournit au xvi*' siècle des motifs
et des figures ; au milieu et aux angles
des bandes se placent des médaillons ou
des écus; au xvii" siècle, les bordures,
seulement verticales, se fleuronnent ; de
petites figures s'encadrent en des rin-
ceaux délicats, des lacs savamment con-
tournés; dans les fonds clairs dominent
les rehauts d'or. Aujourd'hui la fantaisie
artistique règne souverainement.
L'initiative de l'artiste n'a point à
s'exercer lorsqu'il s'agit de la réparation
de pièces authentiques; il se contente de
chercher la pensée primitive et la suit
docilement; dessin et coloris lui sont
imposés par le souci de l'exactitude.
Il n'en est pas de même dans l'exécu-
tion d'une œuvre nouvelle ; le choix est
libre, sans autre restriction que celle du
bon sens et du bon goût. Tel pèche
contre l'un et l'autre qui copie des sujets
ne convenant en aucune façon à des
tentures, des sièges ou des portières.
Les pans de ciel aux lointains profonds,
les plans de paysage uniformes, les per-
sonnages aux contours précis et délicats
font mal en tapisserie : les clairs ne sont
pas meuhlanls, et le grain des toiles
empêche de modeler les ligures avec une
délicatesse rigoureuse ; alors les lignes
se déforment et l'harmonie disparaît.
L'exécution, si parfaite qu'elle soit, ne
saurait racheter l'erreur initiale d'un
choix défectueux ; il faut donc repro-
duire dans l'œuvre de certains maîtres :
Raphaël, Rubens, Boucher, non leurs
tableaux de musée, mais leurs cartons
de tapisserie; d'autres, tels Walteau et
Téniers, fournissentdes modèles pai'faits.
Copier au hasard le sujet qui plaît sans
examiner sa convenance à l'usage auquel
on le destine, c'est commettre un crime
de lèse-esthétique.
Le bagage d'un peintre sur toiles est
sensiblement différent de celui des autres
artistes du pinceau. Les couleurs sont
contenues en des flacons ronds à goulot
assez large pour qu'une brosse de trois
centimètres de diamètre puisse y entrer.
Flacon à couleurs liquides.
Les flacons bouchés à l'émerietdecinq
centimètres de hauteur sont au nombre
de vingt-sept pour les teintures M,
de trente pour les couleurs /. S. Ces
marques sont les meilleures et nous en
donnons la liste complète :
TEINTURES
Jaune pâle.
Jaune moyen.
Jaune orange.
Rouge.
Écarlate.
Rose n" 1.
Rose n» 2.
Magenta.
Cobalt.
Outremer.
Brun de Venise.
Sépia.
Marron.
Noir.
Vei't jaune.
Vert ancien.
Vert turquoise.
Vert bleu.
Laque jaune.
Carmin.
Laque violette.
COULEURS
Jaune de chrome clair
Jaune foncé.
Jaune de cadmium.
Terre d'Italie.
Sienne naturelle.
Sienne brûlée.
Terre d'ombre.
Terre de Gassel.
Brun rouge.
Brun Van Dyck.
Rouge de Saturne.
Vermillon.
Garance.
Violet bleu.
Violet pourpre.
Bleu turquoise.
Cobalt.
Outremer.
Bleu de Prusse.
Indigo.
Vert végétal.
PEINTURE SUR TOILES
T E 1 N T U II i; s
(îi'os bleu.
Stil de }j;rain bleu.
Sienne naturelle.
Terre d'Italie claire.
Terre d'Italie foncée.
Rousre indien.
c (I V L E u n s
Vert olive.
Vert émeraudo.
Vert printemps.
Vert de Prusse.
Laque carminée.
Sépia colorée.
Gris de Peyne.
Noir d'ivoire.
Carmin.
Une personne très au fait de la com-
position des tons peut, avec huit ou dix
couleurs, préparer elle-même toutes les
autres. Ces couleurs primordiales sont
les suivantes :
Jaune de chrome clair.
Jaune de chrome foncé,
Vermillon,
Bleu de cobalt.
Bleu de Prusse,
Brun Van Dyck,
Vert de Prusse,
Sépia,
Carmin.
D'aucuns proscrivent le noir rigou-
reusement.
Autour de la palette à rebord se
Palette pour les couleurs liquides.
rangent les pots destinés à contenir les
couleurs ; ils sont en porcelaine, en verre
ou en terre, jamais en métal, assez
semblables à ceux qui contiennent les
onguents pharmaceutiques ; leur hauteur
varie de trois à dix centimètres. Un pot
plus grand sert au lavage des pinceaux;
un autre est rempli d'eau toujours claire
pour la composition des tons.
Cette palette se pose sur une lable ou
mieux encore se remplace par une table
à roulettes et à tablettes superposées,
portant tous les accessoires de la pein-
ture-tapisserie. Quelques palettes sont
à couvercle et forment boîtes.
Boîte garnie de pots et de flacons.
Plus simplement une table ordinaire
ou un vulgaire petit banc reçoivent les
pots alignés; un plat de fa'ience ou de
porcelaine remplace la palette.
Palette à couvercle formant boîte.
Outre les pots et les flacons, une boîte
contient en nombre variable des pin-
ceaux en martre rouge, demi-longs,
pointus, et de diverses grosseurs pour
les esquisses et les fines retouches, une
douzaine de brosses rondes en soies
courtes pour l'application des petites
teintes, et deux grosses brosses ou pin-
ceaux carrés, pour les grandes teintes.
Deux éponges fermes, de moyenne gros-
seur, servent à laver la toile, à étendre
les tons et à étancher les brosses.
Un appui-main complète ce bagage.
Le chevalet n'est usité que pour les pe-
tites pièces : dessus de portes, sièges,
stores, paravents, écrans. Les panneaux
de grandes dimensions s'appuient sim-
plement contre un mur.
528
PEINTURE SUR TOILES
Table-palette.
La peinture sur toiles n'est qu'une
variété d'aquarelle et n'offre en soi au-
cune difficulté. Voici comment on pro-
cède :
La toile est tendue sur un châssis, les
côtes dans le sens horizontal. La tension
raide, qu'il faut se g'arder d'exagérer,
s'obtient en fixant les bords à l'aide de
clous à tête plate, dits seineuces. 11 est
Pinceaux.
mieux d ourler la toile, de choisir un
châssis un peu plus grand qu'elle, d'en-
filer en un carrelet (grosse aiguille) une
ficelle solide et de lacer, la ficelle pas-
sant dans l'ourlet de cinq en cinq centi-
mètres. On peut ainsi tendre à volonté
et supprimer le châssis à clef, toujours
d'un prix plus élevé.
Quelques peintres mouillent la toile et
la laissent sécher au préalable; c'est inu-
tile, les pliures s'efTaçant au cours du
travail.
Un talent sûr de soi peut dessiner
directement, mais les novices agissent
prudemment en décalquant le sujet sur
du papier à piquer; sur
un fond sali, les tons
perdent de leur trans-
parence.
Le dessin décalqué
est piqué à la pointe et
à la roulette; l'une
s'emploie dans le tracé
des angles et des lignes
courtes et courbes,
l'autre dans les lignes
assez longues. La pointe
doit être tenue très
droite, afin que les trous
bien ouverts permettent
un poncis régulier.
Cette pointe est sim-
plement une aiguille Toile Binant
enfoncée par la tête lacée sur un châssis.
dans un morceau de
bois; la roulette ressemble à une roulette
à patrons ou à une molette d'éperon.
Le dessin est ensuite poncé sur la
Roulette à piquer.
toile. La poncette est un nouet de gaze
de mousseline ou de toile mi-usée for-
mant tamis, rempli de
charbon de bois fine- „,-v„^_
ment pulvérisé, de cen-
dre ou de talc, suivant
que la toile est écrue,
blanche ou gris brun.
Le papier piqué ou
poncis, étant appliqué
sur la toile et maintenu
à l'aide de punaises au bord du châssis,
frotter la poncette sur les traits du des-
sin ; ne pas tamponner, ce qui nuirait à
la netteté du tracé.
Poncette.
PKINTURE SUR TOILES
529
Il va de soi que le décalque et le
poncis s'exécutent le châssis à plat.
C'est une opération des plus délicates,
le trait doit êti'e sans lacunes; on s'as-
sure de sa pureté en soulevant légère-
ment le papier; s'il est nécessaire d'y
apporter des corrections, on repose la
feuille avec précaution et l'on ponce de
nouveau.
Il s'agit à présent d'achever le tracé,
dont le ponçage n'est que la prépara-
tion. Le trait définitif est fort léger, afin
de ne pas gêner dans l'application des
couleurs; il s'exécute à l'aide d'un pin-
ceau fin en martre rouge trempé dans
un ton neutre uniforme, ou, ce qui vaut
mieux, dans une teinte verte pour les
arbres, sépia ou Van Dyck pour les
terrains, rose chair pour les figures. On
peut aussi se servir d'un crayon litho-
graphique ordinaire. Moins on appuie,
mieux le trait marque. Ne pas négliger
d incliner le châssis en avant, afin d'évi-
ter que des gouttes de couleur ne tom-
bent sur le fond; ensuite battre la toile
à l'envers avec une baguette, ce qui fait
disparaître toute trace de poudre.
Il est indispensable d'avoir une brosse
spéciale pour chaque gamme de cou-
leurs : les verts, les bruns, les bleus^
les rouges et les jaunes. Une gamme en
peinture est la série des nuances d'une
même coloration, du plus clair au plus
foncé; elle est foi^mée de quatre teintes
principales, que l'on ^'arie à l'infini en
ajoutant plus ou moins d'eau et de
médium.
Le médium est un produit en suspen-
sion dans toutes les teintures dont il
augmente l'adhérence. Lorsque le ton
primitif doit être dégradé, il faut, pour
maintenir l'affinité de la couleur étendue
d'eau et l'empêcher de filer, ajouter du
médium une quantité variable, qui ne
se détermine que par des essais suc-
cessifs, mais quantité d'autant plus
grande que la nuance est plus claire.
Des quatre teintes fondamentales, la
première est dite ton clair, la seconde,
ton local, la troisième, ton à tailler
(on l'emploie pour les ombres), la qua-
VllI. — 34.
trième, ton à piquer (s'applique à l'aide
de petites brosses et donne les valeurs
finales).
L'ébauche se traite largement, les
masses nettement tracées, les contours
accentués, ce qui constitue la différence
essentielle entre la tapisserie et la pein-
ture à la manière ordinaire. On se sert
dans ce travail préparatoire de grosses
brosses à soies courtes, et l'on frotte vi-
goureusement, afin quela couleur pénètre
bien dans le grain de la toile. Il im-
porte de réserver les blancs et tous les
clairs ; si par erreur on a forcé une valeur,
il n'est à ce mal nul remède ; il y a tache
et tache indélébile; il faut alors en
appeler à son ingéniosité, à sa fantaisie
artistique et modifier le dessin primitif
de façon à tirer le meilleur parti possible
de l'accident.
Ce n'est que lorsque Tébauche est
bien sèche que l'on peut se rendre
compte de la valeur du ton. Il est pré-
férable de pécher par défaut que par
excès, car il est plus facile d'accentuer
que de diminuer et l'on ai'rive à la teinte
cherchée par superposition de couleurs;
l'erreur serait grande de la vouloir obte-
nir d'un seul coup.
On revient ensuite sur le travail pré-
cédemment exécuté; mais il ne faut pas
négliger, au début de chaque séance, de
brosser fortement sa toile, afin d'enlever
la poussière et les menues granulations
que forme la peinture en séchant.
Peu à peu, les tons trop faibles
s'avivent, se détachent. Afin d'éviter à
l'œil la sensation pénible de nuances
heurtées, on les relie par de petites
hachures verticales exécutées sur les
bords.
Le travail achevé, on y étend une
couche de l'eau salie par le lavage des
pinceaux : cette eau a pris une teinte
indéfinie qu'on essayerait en vain d'ob-
tenir autrement, et elle donne aux
peintures fraîches l'aspect vieillot, pa-
tiné, des tapisseries d'autrefois.
Si le sujet est une nature morte, il
s'enlève ordinairement sur un fond qu'il
est essentiel de préparer à l'avance et
530
PEINTURE SUR TOILES
de laisser sécher exactement. La quan-
tité de teinture doit être tout de suite
suffisante pour couvrir la surface ; elle
s'applique dans le sens de la toile à l'aide
d'une large brosse à vernir, de haut en
bas et sans reprise. L'égalité du fond en
est le principal mérite ; on y dessine
comme sur la toile non peinte.
Les fonds d'or sont de préparation
moins simple. Comme ils reviennent,
dans le commerce, à 28 francs le mètre
carré pour l'or moyen, à 34 francs pour
l'or fin, il y a avantage à opérer soi-
même. Une mixtion qui se trouve chez
tous les marchands de couleurs est ap-
pliquée au pinceau sur la toile dans les
intervalles du dessin, et sur un vernis
de gomme laque ; laisser sécher jusqu'à
ce qu'elle ne conserve sous la pression
du doigt qu'une légère adhérence; ap-
pliquer l'or avec un pinceau spécial à
cet usage, en commençant par le bas de
la toile, épousseter avec un tampon
d'ouate ou un putois.
L'emploi du vernis Sœhnée à l'or, ou
de l'étain glacé, donne à l'œil l'illusion
de l'or fin, et l'économie- est sensible.
Les rehauts (filets) d'or, d'argent ou
de bronze s'exécutent à l'aide d'encres
délayées dans un vernis à tableaux; la
gomme, usitée par quelques peintres,
est moins solide.
Les « verdures » sont les plus faciles
à imiter; les personnes peu habiles y
réussissent aisément, et il est telles de
ces verdures qui produisent un joli
eflFet, lorsqu'il s'y trouve un filet d'eau
bleue, quelques fleurs extravagantes, un
oiseau fantastique. On en décore agréa-
blement l'antichambre de son logis; les
natures mortes prendront place dans la
salle à manger; les chasses et les marines
anciennes ou modernes, dans la salle de
billard; les scènes de Boucher, de
Watteau, de Téniers sont réservées au
salon.
Les tapisseries tendent — et ceci pour
réjouir les gens de goût — à détrôner
le papier peint. Elles transforment l'ap-
partement le plus banal, l'emplissent de
vie, de gaieté, de couleur et d'harmonie.
Si riche qu'il soit, le papier auprès
d'elles semble mesquin. Et combien plus
hygiénique est cette décoration ! Sim-
plement attachées par le chef, à l'antique,
marouflées (collées) sur un mur, tendues
sur châssis, les tapisseries secouées et
brossées à volonté ne peuvent emma-
gasiner la poussière, tandis que le papier,
que l'humidité désagrège, sert de ré-
ceptacle à toutes les impuretés du voi-
sinage.
Les toiles Binant s'accommodent
d'autres procédés que l'aquarelle et les
couleurs liquides; on peint à l'huile en
délayant la peinture, à l'œuf, à la cire,
à l'essence. Tout est bien qui laisse au
tissu sa souplesse, qui lui permet de
flotter à plis libres. Même lorsque la
toile doit être tendue sur les parois et
non suspendue, il convient encore qu'elle
puisse se déplacer, se rouler, s'emporter
au gré de nos fantaisies.
La peinture-tapisserie est un art
aimable et précieux, qui donne de vives
jouissances immédiates. Toute femme
douée d'adresse et de goût — et ces
deux qualités sont essentiellement fé-
minines — peut tout de suite produire
une œuvre originale. Le logis porte
ainsi l'empreinte de celle qui l'anime de
sa vie ; on y goûte ce charme intime et
doux que dégagent les choses qui sont
de nous-mêmes.
Bon courage donc « à toutes les ver-
tueuses dames et autres gentils esprits
qui besongnent d'art », pour parler
comme un vieil auteur.
M. C.
l.A
VIE MILITAIRE EN AUTRICHE
Chaque troupe européenne a sa carac-
téristique.
La bonhomie et la jovialité sont les
traits distinctifs de Tarmée autrichienne,
ou, pour employer des termes plus exacts,
de l'armée austro-hongroise.
Quoique presque toujours battue dans
les innombrables guerres auxquelles elle
a pris part, elle est restée l'une des meil-
leures du monde, assurément l'une des
plus intéressantes à étudier, des plus
amusantes à observer.
Songez qu'elle abrite sous ses dra-
•j ~ """""" "
i
&
1^
^^^^
s^r
-^
peaux des Allemands, des Madgyars, des
Tchèques, des Polonais, des Ruthènes,
des Slovènes, des Croates, des Serbes,
des Italiens, des Roumains, des Armé-
niens, des Tziganes... et nous en ou-
blions.
La garnison (?) de la tour de Babel
a-t-elle été plus panachée que cela?
Et pourtant cette armée forme un
tout bien uni, bien solide.
I. E S n L D A T
UARDE DE LA COURONNE (HONGROIS)
TENUE DU JOUR
Pris individuellement, il n'a pas cette
allure automatique chère aux Allemands,
surtout aux Prussiens.
Affaire de costume.
La blouse (espèce de vareuse) est un
vêtement ample, ne gênant ni la respi-
ration, ni les mouvements. Pour cette
raison même, elle ne donne pas à ceux
qui la portent l'air martial, gourmé,
raide, qu'ont les Allemands dans leurs
tuniques, mères de congestions sans
nombre.
Ceux-ci, que leurs succès passés nont
pas rendus tendres au pauvre monde,
n'hésitent pas à qualifier leurs amis et
alliés fidèles de salopp (débraillés).
Il est vrai qu'ils prodiguent assez
bénévolement cette épithète : il y a
belle heurette qu'ils en ont gratifié Tar,-
mée française.
Dès son entrée au service, le soldat
autrichien se montre plein d'entrain.
Pendant que le conscrit allemand s"en
va d'un pas morne, les reins déjà pru-
demment rentrés, coiffé généralement
d'une casquette d'uniforme, l'Autri-
chien crie, chante, s'agite, couvert des
pieds à la tête de rubans, de fleurs et
de petites images dans le genre de celles
que l'on voit sur les boîtes de baptême,
ou de portraits de l'empereur, de l'im-
pératrice, d'un archiduc ou d'un géné-
ral populaire.
532
LA VIE MILITAIRE EN AUTRICHE
Scribe, dans le Chalet, fait chanter à
ses troupiers autrichiens :
Vive le vin, l'amour et le tabac !
Voilà {1er) le refrain du bivouac.
Le tabac n'intervient en cette chanson
que pour donner la rime à bivouac. Si
M. Scribe avait tant soit peu connu l'ar-
mée qu'il a chantée, il aurait fait dire à
ses bonshommes :
Vive rameur, la musique, le vin, le tabac!
Le vers a treize pieds, mais il a le
mérite de classer par ordre de préfé-
rence les goûts des militaires autri-
chiens.
Encore, si nous n'avions craint d'être
assimile, prosodiquement parlant, au
général du Monde où l'on s'ennuie,
aurions-nous intercalé, entre la musique
et le vin, la bonne nourriture.
Il y a déjà longtemps que l'autorité a
concédé aux troupiers le droit de pro-
céder à une sorte de référendum en
matière de cuisine. Chaque mois, ils
sont appelés à émettre leur vote sur le
menu de l'ordinaire. Gela donne fré-
quemment lieu à de vives discussions
entre eux, mais sans amener de grands
changements dans ce dernier. Avec les
ressources très restreintes dont on dis-
pose, on ne peut faire autrement que
de leur donner chaque jour la soupe, le
bœuf, des légumes frais ou secs et, de
temps à autre, en supplément, un de
ces mehlspeise (mets à la farine) consti-
tuant le manger favori de tous les Alle-
mands du Sud. Le vendredi, on fait
maigre dans toutes les casernes.
D'une façon générale, on peut dire
que le soldat autrichien est sobre, dis-
cipliné, dévoué à ses chefs et grand
observateur des traditions militaires.
Il faut voir les dragons de Windisch-
graetz ( 14" régiment) se pavaner au
milieu des autres troupiers.
A l'époque de la guerre de Sept Ans,
ce régiment, qui se recrutait dans les
pays v^^illons, s'était distingué tout par-
ticulièrement à la bataille de Kollin, et
le vieux mai^échal Daun n'avait pu dis-
simuler son admiration pour la conduite
de ces hlancs-becs.
A dater de ce jour, pour commémo-
rer les hauts faits accomplis par ces
jeunes gens, l'empereur décida que les
officiers et la troupe de ce régiment
auraient à l'a-
venir la mous-
tache et la barbe
rasées et ne
porteraient plus
que les favoris.
Même respect
de la tradition
chez les chas-
seurs tyroliens
(qui forment
encore, actuel-
lement, un ré-
giment à 20 ba-
taillons), chez
les Hoch und
Deutschmeister
et tutti quanti.
Frondeur,
comme le sont
tous les soldats
quand leurs
chefs ont le dos
tourné, l'Autri-
chien ne fait
cependant que
très peu de mots, beaucoup moins que
l'Allemand. Il ne donne que rarement des
surnoms, tandis que l'autre en prodigue
à tous ses supérieurs. La plaisanterie
de ce dernier a toujours un fond de
méchanceté ; celle de l'Autrichien, au
contraire, est anodine, témoin l'inscrip-
tion suivante, relevée dans les environs
d'un camp d'instruction :
Miider Wanderer, entfleuch von fiier!
Sonst kommt ein General,, und ererciert mit dir.
(Voyageur fatigué, sauve-toi bien vite !
Sinon, il viendra un général qui te fera
faire l'exercice.) On voit que ce n'est pas
méchant.
Notons, en passant, que le soldat au-
trichien n'est pas gâté comme son cama-
sous-offioier
d'infanterie
LA VI K MI LIT A IKK EN AUTHICIIK
533
rade allemand, à roccasion de la fête
de Noël. Ceci tient à ce que la monar-
chie austro-hongroise est un pays essen-
tiellement catholique, observant les
jours fériés de l'Église, mais n'attachant
pas à la Noël l'importance
considérable qui lui est
accordée dans les pays pro-
testants.
LE VOLONTAIRE D UN AN
Tout jeune homme qui a
subi l'examen spécial, ou
qui a suivi jusqu'au bout
L'institution du volontariat ne jouit
pas d'une grande faveur en Autriche.
Cela tient à bien des causes, dont les
principales sont les suivantes.
Au lieu d'être affectés à des unités
distinctes, à raison de deux,
trois ou plus par compagnie,
escadron ou batterie, comme
cela se fait en Allemagne, les
volonlaii-es de chaque corps
sont groupés en un peloton
^^'^^^..CN^'^I
DRAGON (14e KÉGIMENT)
les cours d'un établissement d'instruction
secondaire, a le droit d'entrer au ser-
vice comme volontaire d'un an. Après
les douze mois de service révolus, il est
tenu de satisfaire à l'examen d'aptitude
pour le grade d'officier de réserve. S'il
échoue, il est obligé de passer une
deuxième année sous les drapeaux.
spécial, commandé par un ou plusieurs
officiers, suivant le cas. Première cause
de mécontentement, et pour les capi-
taines, qui se voient enlever des offi-
ciers dont ils auraient besoin à leurs
compagnies, et pour les lieutenants, qui
assument un service plus lourd.
Ensuite, en raison des fréquents chan-
5:;4
LA VIE MILITAIUE EN AUTRICHE
gements de garnison, qui sont demeurés
de règle en Autriche, ces jeunes gens ne
sont jamais affectés comme officiers de
i?,Kf^
C H A S S E U K T Y K ( ) I. 1 K N
réserve au corps dans lequel ils ont fait
leur service.
Il résulte de là que Tinslruction leur
est donnée sans enthousiasme par les
officiers, et qu'ils la reçoivent avec une
certaine indifférence. Tandis que les
volontaires allemands fréquentent leurs
officiers et mangent à leur table, les
Autrichiens sont tenus complètement à
l'écart.
RECRUTEMENT DES C) F 1 I C I E R S
Le corps d'officiers se recrute parmi
les cadets et les élèves des écoles spé-
ciales militaires. Ces dernières portent
en Autriche le nom d'académies mili-
taires. Elles sont au nombre de deux :
P celle de Wiener-Neustadt, pour l'in-
fanterie, la cavalerie et les pionniers ;
2° l'académie technique de Vienne,
pour l'artillerie et le génie.
La durée des cours dans les deux
écoles est de trois ans. Les élèves en
sortent avec le grade de sous-lieutenant.
Quatre écoles secondaires et une école
supérieure préparent à ces deux aca-
démies, savoir : P Giins, Eisenstadt,
Saint -Pôlten et Kaschau; 2^* Weiss-
kirchen.
Quant aux cadets, les uns provien-
nent des écoles spéciales et sont entrés
dans l'armée avec le grade de kadett,
les autres le sont devenus après avoir
franchi successivement tous les échelons
de la hiérarchie des sous-officiers.
Les uns et les autres ne peuvent être
OOMPAaNIB u'iNFANTERlJi DU CORPS
lieutenants qu'au bout d'un an de pré-
sence sous les drapeaux et après avoir
été agréés par le corps d'officiers.
LA VIE MILITAIUK EN AUTUICHK
53&
La loi ne fixe aucune proportion entre
les cadets et les élèves des académies
pour la nomination au premier grade
d'officier.
LE CAO !•; T
Le cadet — tout le monde est d'ac-
cord pour le reconnaître — est un être
hybride.
Pourvu du brevet d'aptitude au grade
d'officier, il est — contrairement à ce
que semblerait indiquer sa dénomina-
tion — le plus ancien sous-ofiicier de
sa compagnie.
Il porte la casquette d'officier, mais
avec les galons de sous-officier; le sabre
d'officier, mais avec la dragonne des
sous-officiers. Gomme ces derniers, il
touche son prêt tous les cinq jours; en
revanche, il perçoit, comme les officiers,
par mois, son supplément de solde.
En voyage, il doit prendre des se-
condes, comme ceux-ci ; par contre,
il n'a droit qu'à l'indemnité de route
des sous-officiers.
En station, il
compte comme vi-
vant à l'ordinaire
de la troupe et
reçoit son pain de munition; mais il
prend ses repas avec les officiers.
En sa qualité de sous-officier, il lui
est interdit de se battre en duel, et, en
môme temps, il est soumis à la juridic-
tion des tribunaux d'honneur.
Cet être singulier n'engendre pas la
mélancolie ; il a même donné son nom
à un genre de farces de mauvais goût
[kadeltenstreiche), dont l'énumération,
bien que fort drôle, n'a rien à voir ici.
l'aC ADKMICIKN MI LIT AI RK
Le demi-dieu académique, c'est ainsi
que les cadets appellent l'élève ancien
(3« année) de l'académie de Wiener-
Neustadt, se présente avec l'équipement
suivant : un képi de dimensions phéno-
ménales, avec deux jugulaires, une tu-
nique aux jupes minuscules, un pan-
talon basané constellé de reprises
innombrables, de grosses bottes avec
d'énormes éperons, une latte de cuiras-
sier à moitié rouillée et une cravache.
Par-dessus tout cela, un air de profond
détachement des choses de ce monde
autres que l'étoile de sous-lieutenant
qui lui sourit.
Quelques mois avant la sortie, le mi-
nistère fait parvenir à l'acadé-
mie une liste des régiments dans
lesquels il y a des vacances, et
parmi lesquels les jeunes gens
peuvent exercer leur choix,
celui-ci demeurant
toutefois subordonné
à leur numéro de
classement. En d'au-
tres termes, de deux
élèves demandant un
même régiment où il
n'y a qu'une vacance
de sous-lieutenant,
celle-ci revient de
droit au mieux classé.
(En France, le même
procédé est employé.)
Généralement, un
mois avant la sortie,
HouzARo ge passe un evéne-
536
LA VIE MILITAIRE EN AUTRICHE
ment considérable : c'est le maître
tailleur H..., de Vienne, qui vient
essayer leurs uniformes aux futurs sous-
lieutenants, et qui leur apprend ainsi les
numéros des corps où ils seront nommés.
Et alors, on entend une série d'excla-
mations dans le
genre de celles-ci :
— Hurrah! Je
vais aux dragons
de Savoie.
— Oué ! Petit
chasseur.
— Aïe ! Aïe !
Baka. (C'est le
surnom de l'infan-
terie de ligne.)
— Hurrah ! Je
vais aux hussards
de Radetzky.
— Malheur ! Je
vais aux jaune sou-
fre de Warasdin.
C'est un mélange
confus de
cris d'al-
légresse
et de dés-
enchan-
tement .
Tel, qui avait demandé Prague, est
nommé à Budua. Tel autre, qui désirait
Gratz, est désigné pour Fogaras.
On se demandera peut-être comment
ce tailleur fait son compte pour connaître
un mois à l'avance l'affectation de ces
jeunes gens.
Cela tient à des causes très naturelles,
à une coutume touchante qui existe de
toute éternité dans l'armée autrichienne :
l'empereur offre à chaque sous-lieutenant
nouvellement promu sa première grande
tenue, un couvert en argent, une malle
et une sacoche. Jusqu'il y a trente ans,
il donnait également à chacun une
montre en or.
l'officier
Le corps d'officiers autrichiens se dis-
tingue par sa camaraderie extrême.
Tous les officiers du même grade se
OFFICIER n'iNFAXTERIE
tutoient en dehors du service, qu'ils se
connaissent ou non. Voilà le principe
strict.
Mais on conçoit aisément que deux
personnes d'âges différents, qui ont pris
l'habitude de se dire lu^ pendant
quelques années, ne renoncent pas à
cette pratique lorsque l'une d'entre elles
monte en grade. On voit donc assez
fréquemment de jeunes officiers supé-
rieurs échanger le tutoiement fraternel
avec de vieux lieutenants. Le seul tem-
pérament que l'usage impose en cette
occurrence, c'est que l'inférieur donne
toujours son titre au supérieur. Exemple :
— Monsieur le major, offre-moi un
cigare, je te prie.
Voilà la réalité. Elle nous paraît sin-
gulière à nous. Français. Quant aux
Allemands, aux Prussiens surtout, elle
les révolte.
En 1864, au moment de la guerre du
Danemark, un jeune lieutenant autri-
chien, de passage à Berlin, rencontre un
officier de la garde prussienne, l'aborde
et lui adresse la parole, bien entendu en
le tutoyant.
Le Prussien, suffoqué, fait un haut-le-
corps, ajuste son monocle, toise quelque
peu l'Autrichien, qui reste là, devant
lui, avec un air bon enfant, et dit, en
appuyant très fortement sur la parti-
cule :
— Mon nom est von N...
L'autre, qui n'avait rien perdu de son
calme, lui répond aussitôt :
■ — Ah ! mon Dieu ! la belle affaire !
Moi, je suis le prince Windischgraetz.
Il n'en faut pas davantage pour mar-
quer les différences, nous semble-t-il.
Toutefois, pour être exact, il convient
de remarquer — et cette observation a
déjà été faite, il y a des années, par le
général russe Kaulbars, au cours d'une
mission qu'il avait remplie en Autriche
— que, d'une façon générale, les chefs
supérieurs traitent leurs subalternes avec
une hauteur excessive, n'admettant pas,
fût-ce en dehors du service, les relations
courtoises d'homme à homme, et même
entre les familles.
LA Vit: MILITAIRE EN AUTRICHE
53 •?
Sous ce rapport, lavanlage revient
aux Allemands; car, chez eux, les géné-
raux reçoivent à leur table tous les offi-
ciers mariés et ne dédaignent pas les
.^è^fe
GÉNÉRAL
invitations qui leur sont adressées, même
par des lieutenants.
Le feldzeugmestre comte Giulay sifflait
ses officiers d'ordonnance.
Celui d'entre eux qui était de jour
devait se tenir en permanence dans l'an-
tichambre. Au premier coup de sifflet
parti du bureau de son chef, il devait se
précipiter pour recevoir les ordres de
Son Excellence.
Un nouvel aide de camp, plus indé-
pendant que ses camarades, entré en
fonctions depuis quelques minutes seu-
lement, se prélassait dans un fauteuil,
lorsque retentit un coup de sifflet aigu.
Il ne bougea point.
Au bout d'une minute, nouveau coup
de sifflet, plus violent que le précédent
et accompagné du refrain « pas gymnas-
tique ». Aussitôt après, nouvel appel
suivi du même refrain... et enfin appa-
rition de l'Excellence en personne, les
yeux hors de la tête et la figure cra-
moisie.
— Ne m'avez-vous donc pas entendu
siffler?
— Pardon, Excellence, mais je n'ai
eu garde de venir déranger Votre Excel-
lence dans ses distractions.
— Votre prédécesseur ne vous a-t-il
pas prévenu d'entrer dans mon cabinet
au premier coup de sifflet?
— Pardon, Excellence. Il m'a bien
raconté une histoire dans ce genre, mais,
je ne m'y suis pas arrêté, la considérant
comme une très mauvaise plaisanterie.
SOLDAT D'IXFAXTERIE (AT7TEICHIEN)
L'officier fut relevé de ses fonctions,
et la manœuvre au sifflet reprit de plus
belle.
Ce même feldzeugmestre Giulay avait
encore une autre marotte.
LA VIE MILITAIRE EN AUTRICHE
GARDE DU CORPS (HONGROIS)
GRANDE TENUE
A l'époque où il prit la succession de
Hadetzky, il donna l'ordre que : pour les
revues, chaque officier ou soldat devait
être porteur d'une moustache noire. Il
ne voulait pas savoir autre chose. Ceux
qui avaient la moustache blonde étaient
forcés de la teindre pour la circonstance ;
quant à ceux qui n'en avaient pas du
tout, ils s'en faisaient une, soit avec du
cirage, soit avec des postiches. (Mémoires
du lieutenant -colonel autrichien von
Foedransperg. — Dresde, 1895.)
Le général Giulay — un cousin du
précédent — mort il y a deux ans,
jouissait d'une réputation universelle de
errossièreté dans le service.
Le maréchal Clam-Gallas (un descen-
dant de celui qui avait perdu sa per-
ruque... et la tête devant Saint-Jean-
de-Losne, pendant la guerre de Trente
Ans) a pendant longtemps été la fable
de la population viennoise : il avait la
rage de se faire saluer. Dès que sa pré-
sence était signalée dans une rue, offi-
ciers et soldats s'enfuyaient, craignant
d'être interpellés, voire même punis par
lui, sous prétexte de l'avoir salué insuf-
fisamment, mal ou pas du tout.
Membre à vie de la Chambre des Sei-
gneurs, Clam-Gallas n'a jamais pris la
parole dans cette noble assemblée. Mais,
lorsqu'un orateur libéral apportait à la
tribune des discours en' opposition avec
ses idées, on le voyait se dresser comme
un père Fouettard, donner un coup de
poing furibond sur le fouri^eau de son
sabre... puis, sans dire mot, il se ras-
seyait au milieu des éclats de rire de ses
collègues.
Nous pourrions citer encore les gé-
néraux von Rosenzweig, von Drun-
wehr, etc., etc., tous réputés pour leur
manque d'égards envers leurs subor-
donnés.
Mieux vaut revenir à notre sujet.
Les officiers autrichiens sont des
gentlemen dans toute l'acception du
terme, accueillants et aimables pour les
camarades étrangers, et surtout offrant
leur hospitalité sans la moindre affecta-
tion. Le genre de vie qu'ils mènent est
très simple; l'ordinaire de leurs pen-
sions, modeste. Voyez plutôt : à chaque
repas, la soupe, le Ijouilli, un légume et
un mets à la farine; trois fois par se-
maine, un rôti en supplément. C'est
tout. Leurs i^elations mondaines sont
presque nulles en général. Cela s'ex-
plique par la fréquence des change-
ments de garnison — un régiment ne
séjournant jamais plus de trois ans dans
la même localité.
Le général Kaulbars dit à ce propos :
« Quiconque visite l'Autriche est
quelque peu étonné de ce fait que, dans
les salons, surtout dans ceux de la haute
société, l'uniforme de l'officier est
presque une exception, alors qu'il
semble que l'officier, en sa qualité de
défenseur de l'unité de l'empire et de
l'ordre intérieur, devrait, comme il
arrive en Allemagne, prendre partout
le premier rang. La haute société autri-
chienne, encore imbue des idées du
moyen âge, traite avec mépris presque
LA VIE MILITAIRE EN AUTRICHE
539
tous ceux qui ne peuvent pas produire
de parchemins. Il existe à ce sujet une
phrase usuelle très caractéristique :
Der Mensch fa.ngt ersl mit dein Baron
nu (l'homme ne commence qu'au baron).
On va jusqu'à dire que les relations
avec le corps diplomatique sont, excepté
dans des cas particuliers, interdites aux
jeunes officiers. Il est certain que la
fréquentation des cercles diplomatiques,
et surtout des cercles étrangers, serait une
très mauvaise note pour un officier. »
Est-ce bien vrai, cela? Cette absten-
tion ne s'explique-t-elle pas d'une façon
plus simple d'après les raisons que nous
avons données?
Sans aucun esprit de critique, voici
quelques détails sur l'étiquette mondaine.
Les visites se font entre midi et deux
heures.
Généralement, quand il n'y est pas
invité formellement, l'officier garde sa
coilTure à la main; sinon, il la dépose
sous le siège qu'il occupe. (En Alle-
magne, la maîtresse de maison bondit
-sur vous et vous arrache votre coiffure,
qu'elle dépose soit sur une table, soit
sur une chaise.)
Pour les cartes de visite, il y a une
réglementation assez compliquée, venue
en ligne droite de Berlin. La corne à
gauche et en avant signifie : « Je suis
venu vous voir et je regrette bien de
n'avoir pas été reçu. » La corne à
droite et en arrièie marque une visite
de condoléance ou de félicitation.
Plus habituellement, ces messieurs
portent sur leurs cartes des abréviations
en un français très louable comme in-
tention, quoique peu correct.
Exemple :
p. f. — pour féliciter.
p. f. /. n. a. — pour féliciter la nou-
velle année. (?)
p. c. — pour condoler. (?)
p- P- c. — pour prendre congé.
p. r. V. — pour rendre visite. (Dame!)
Ce ne sont là que détails.
Le corps d'officiers autrichien est
brillant, aimable, sympathique au plus
haut point.
Et, pour nous résumer, nous dirons
que l'armée austro-hongroise occupe
avec honneur l'une des premières places
parmi les forces militaires des nations
européennes.
Elle sera, dans la prochaine guerre,
un adversaire très sérieux; on peut la
considérer comme un des éléments
essentiels parmi ceux qui interviendront
pour résoudre dans l'avenir les ques-
tions internationales encore pendantes.
ORGANISATION K T C Cl M 1>0 S I ï I f) N
DE
l'armée Al'STRO-IKtNGROISE
L'armée se compose de : 1° l'armée
active; 2° la landwehr cisleithane;
3° la landwehr
hongroise, qui
porte le nom de
honved ; 4° du
landsturm.
L'empereur
en est le chef
suprême.
Le s e r \^ i c e
universel et
obligatoire a été <^fA*
introduit en
Autriche après
la désastreuse
campagne de
Bohême. (Loi
du 5 décembre
1868, complétée
par celle du
II avril 1889.)
Il est réglé de
la façon que
voici :
a. Armée ac-
tive :
3 ans sous les
drapeaux;
7 ans dans la
réserve.
h. Réserve de remplacement: 10 ans.
Cette réserve se compose de tous les
hommes qui, pour une raison ou une
autre, n'ont pas été appelés à servir
dans l'armée active.
SOLDAT
d'infanterie
hongrois
540
LA VIE MILITAIRE EN AUTRICHE
INFANTERIE BOSNIAQUE
c. Landwehr : 2 ans
pour ceux qui ont
servi dans Farmée
active ou dans la
réserve de remplace-
ment; 12 ans pour
ceux qui n'appar-
tiennent pas aux caté-
gories précédentes.
d. Landsturm, se
composant de tous les
hommes valides de
19 à 42 ans, et des
officiers et assimilés
de 19 à 60 ans.
Les étudiants en
médecine font un an
de service, dont
6 mois dans la troupe
et 6 dans les hôpi-
taux ou infirmeries.
Les pharmaciens et
vétérinaires servent également pendant
un an, mais sont employés dans leur
spécialité.
Les réservistes de la catégorie a sont
astreints à trois périodes d'instruction,
de 4 semaines chacune ; ceux de la
catégorie h font une période de 8 se-
maines et trois de 4.
Les hommes de la landw^ehr qui ont
servi dans l'armée active peuvent être
rappelés une fois pour une période de
4 semaines (les Hongrois pour 5). Le
landsturm est dégagé de toutes obliga-
tions en temps de paix.
Le contingent annuel, fixé pour
10 ans par la loi de 1889, s'élève
à 125,600 hommes; 103,100 sont affec-
tés à l'armée active proprement dite.
La monarchie austro- hongroise est
divisée en 15 districts territoriaux, cor-
respondant chacun à un corps d'armée
et un district militaire (Zara).
Chaque corps d'armée se compose de
2 divisions d'infanterie ( sauf celui de
Vienne, qui en a 3) à 2 brigades de
2 ou 3 régiments ; de 1 brigade d'artil-
lerie à 4 régiments (dont 1 de corps et
'^
3 ^
LA VIE MIMTAIIIE EN AUTRICHE
541
3 divisionnaires). La cavalerie est assez
inégalement répartie entre les corps
d'armée : 2 d'entre eux n'en ont pas;
4 ont chacun une division à 2 brig^ades;
un autre a 2 brigades à 3 régiments, etc.
Le lô*^ corps (en Bosnie) n'a ni cavale-
rie, ni brigade d'artillerie.
Infunferie.
104 régiments à 4 bataillons actifs et
1 bataillon de remplacement ;
4 régiments indigènes ( Bosnie ) à
3 bataillons de 4 compagnies.
Les chasseurs à pied se composent de :
26 bataillons de chasseurs de cam-
pagne et 26 cadres de compagnies de
dépôt.
SOLDAT DU GÉNIE
1 régiment de chasseurs impériaux
(Tyrol), à 15 bataillons actifs et 4 cadres
de bataillons de dépôt;
LANDSTCRM TYROLIEN
Tous les bataillons sont à 4 compa-
gnies.
Cavalerie.
La cavalerie a la composition sui-
vante :
1 escadron de Reiter de la garde ;
15 régiments de dragons ;
16 régiments de hussards;
11 de uhlans.
Chaque régiment est à 6 escadrons,
1 peloton de pionniers et 1 cadre d'es-
cadron de dépôt.
Artillerie.
L'artillerie comprend :
14 régiments de corps ;
42 régiments divisionnaires.
Chacun d'eux est à 4 batteries mon-
542
LA VIE MILITAIRE EN AUTRICHE
ARCHER («ARDES DES PALAIS)
tées, 2 batteries de montagne, I cadre
de dépôt et 1 cadre de section de muni-
tions. En outre, 8 régiments de corps
ont chacun 2 batteries à cheval. Gela
fait au total (avec les batteries spéciales
au territoire d'occupation) 264 batte-
ries avec 1,894 pièces.
L'artillerie de forteresse comporte :
6 régiments à 2 ou à 3 bataillons.
Et 3 bataillons indépendants.
Pionniers e( troupes techniques.
15 bataillons de pionniers (à 5 com-
pagnies chacun, plus 1 cadre de compa-
gnie de dépôt et 1 de réserve);
1 régiment de chemins de fer et de
télégraphes (à 3 bataillons de 4 compa-
gnies et 1 cadre de bataillon de réserve /
et une école de télégraphistes.
Le train forme 3 régiments à 5 divi-
sions.
EFFECTIF. s DE PAIX ET DE GUERRE
Sur le pied de paix, l'armée autri-
chienne comprend :
18,790 ofiiciers;
273,503 hommes ;
21,897 hommes employés en Bosnie;
13,000 chasseurs tyroliens et hommes
de la landwehr autrichienne ;
19,000 hommes de la honved.
Soit : 1 8,790 officiers, 327,400 hommes
de troupe, 1,984 pièces de canon et
52,515 chevaux.
Sur le pied de guerre, son effectif —
non compris le landsturm — est ap-
proximativement de 1,500,000 hommes
et 2,200 canons.
Pour terminer , disons que l'armée
active et la landwehr sont armées du
fusil Mannlicher (calibre de 8™'"), tan-
dis que le landsturm a encore le fusil
Werndl.
Les pièces d'artillerie (calibres 87"""
et 75°™) sont en bronze-acier, avec fer-
meture Krupp.
L'Autriche fabrique elle-même son
artillerie (Vienne), son armement d'in-
fanterie (manufactures de Steyr et de
Budapest) et ses munitions (à Stein et
à Blumau).
La cavalerie est armée du sabre et de
la carabine, à l'exclusion de la lance.
P. Di. Pardi ELI. AN.
1 ) H A (; O N s
Le précédent article évoque en nous
un détail particulier concernant les dra-
gons autrichiens : depuis plus de cent
ans, ils portent le même type de coiffure.
C'est toujours une bombe en cuir; la
chenille qui la surmontait jadis a été
1893.
DRAGOXS RUSSES
DRAGONS FRANÇAIS
remplacée par un cimier, et c'est tout.
A part FAutriche, il n'y a qu'un pays
où la coiffure des dragons n'ait subi que
des modifications insensibles. Ce pays,
bien connu pour la stabilité de ses insti-
tutions et pour sa haine de change-
ments d'uniforme, c'est... la France.
544
DRAGONS
DRAGONS ;ANGLAIS
Depuis cent cinquante ans nos dra-
gons portent le même casque.
En Prusse, la coiffure des dragons a eu
bien des avatars.
C'a été, pour commencer, le tricorne,
à peu près semblable à celui des An-
glais de 1751, puis le bicorne placé en
bataille, puis le casque à chenille.
Enfin celui-ci a été remplacé par le
casque à pointe (en cuir bouilli) d'un
modèle à très peu de chose près pareil à
celui de l'infanterie.
En Russie, les modifications ont en-
core été plus pi'ofondes.
Le tricorne en usage dans la plupart
des armées européennes vers 1756 fut
remplacé par le disgracieux bonnet en
fer-blanc, le casque à mèche héroïque.
Celui-ci fut détrôné à son tour par une
coiffure d'un aspect assez original : une
bombe en cuir bouilli surmontée d'une
chenille allant d'une oreille à l'autre.
Puis vint le casque de 1812, pareil à
celui des Autrichiens et des Prussiens,
surmonté d'une crinière taillée en brosse.
Il fut remplacé, dès 1818, par le shako,
meuble de dimensions extravagantes, ne
pouvant être porté que par de fortes
têtes. Celui-ci fut détrôné à son tour
par le casque de 1840, le même que
celui de 1786.
Depuis 1881, les dragons russes ont
pour coiffure le bonnet fourré, merveil-
leusement approprié aux rigueurs du
climat et qui, pour cela, restera défini-
tivement, selon toutes apparences.
N'oublions pas les Anglais.
Voici d'abord la tenue qu'ils portaient
à Fontenoy, puis celle de la guerre d'In-
dépendance de l'Amérique, celle de la
guerre d'Espagne sous le premier Em-
pire ; plus loin, celle des dragons de
Balaklava et Inkermann ; enfin les Royal
Scols Greys et les dragons de 1893.
Tout cela fait bien des changements,
en comparaison de la constance autri-
chienne et française, et nous ne pou-
vons que regretter une fois de plus la
mort prématurée d'Aristote. Ce n'est
plus un chapitre, c'est un volume qu'il
nous aurait écrit.
VIII. — 35.
"■-^
0 temps de loyauté, de gloire et de vaillance!
Sans reproche et sans peur, sans une défaillance.
Ils mouraient, nos Bayard, comme ils avaient vécu,
Et vainqueurs, s'il fallait un poids à la balance,
Ils jetaient le pardon, non le fer de leur lance,
S'écriant : « Honneur au vaincu 1 »
Car, un soir de combat, Teau sainte du baptême
A du Brennus antique effacé l'anathème ;
Le Sicambre a taillé la croix dans son épieu ;
Sûr désormais du but vers lequel il s'efforce.
Il va par les chemins, en sa loyale force,
our accomplir l'œuvre de Dieu.
Soldat du Christ armé pour la longue épopée,
Le flambeau, d'une main, et, de l'autre, l'épée,
Il sème aux bois profonds la divine clarté;
Devant lui le gui sèche, et du chêne qu'il touche
Sort, verdoyant rejet d'une stérile souche,
Le rameau de la Liberté.
Et notre France est née, et Dieu veille près d'elle...
Que d'au delà des monts vienne donc l'Infidèle !
Que piaffe au sang chrétien le sabot du coursier !
Dans le terrible heurt de la lutte géante,
11 apprendra comment sui' tète mécréante
Sait marteler hache d'acier.
Vous le sûtes aussi. Sarrasins de Solyme,
Quand, du haut de vos murs battus d'un flot sublime,
Vous voyiez, vague immense, avancer ces héros
Dont plus d'un, loin des siens, comme feuille qui tombe,
Devait, pour mieux payer la rançon d'une tombe.
Semer la route de ses os !
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Car leur mère est la France et pareil nom oblige...
Chaque âge fait éclore une fleur à sa tige ;
Le preux se change en roi : le cercle d'or qu'il ceint,
S'élargissant parfois en couronne d'empn-e,
Devient, au lit de cendre où le monarque expire,
Le nimbe radieux d'un saint.
Ah ! souvent l'heure est rude et gros d'éclairs l'orage :
Mais plus haut que l'épreuve a monté le courage :
Et, quand Durandal manque à l'appel du danger.
C'est elle, la Patrie, éployant l'oriflamme.
Qui, par ordre du ciel, prend les traits d'une femme
Pour exterminer l'étranger.
Plus belle alors peut-être, en ces jours de défaite,
Forte de la vertu dont sa grande âme est faite.
Elle n'a qu'un serment et l'engage au vain(|ucur.
Afin de mieux prouver à la fourbe impunie
Que, si du monde entier la foi restait bannie,
Elle aurait pour temple son cœur.
Et, tandis qu'elle inscrit, par la main de l'Histoire,
Bouvine et Marignan au front de la Victoire,
Ferme en l'adversité, souriante au bonheur.
Elle a, du même trait, pour l'éternelle vie,
Près de ces noms fameux voulu graver Pavie
Où tout fut perdu... fors l'honneur!
L'honneur, amant jaloux, Tiionneur, c'est lui qu'elle aime
Le Lys, fleur de ses rois, n'est-il pas son emblème ?
Sa bannière en portait le signe immaculé ;
Mais, que chantât le coq ou que tournoyât l'aigle.
L'honneur restait le dieu, l'honneur était la règle
De qui n'a jamais reculé.
f\
C'est pour lui que, le jour où TEurope se lève,
Dédaigneuse du nombre, elle a tiré le glaive;
Pour lui qu'en souvenir du vieux bardit gaulois.
Elle inarcliait, au bruit des strophes enflammées,
Faisant du sol sacré jaillir quatorze armées,
Moisson riche de mille exploits;
Pour lui que de son astre éblouissant la terre,
Comme elle avait jadis brisé le cimeterre.
Quinze ans e'.le enchaîna les peuples, vain troupeau,
A l'essieu triomphal de son char de conquête, —
Et, tel un arc-en-ciel, jeta sur la tempête
Les trois couleurs de son di'apeau.
Et cet honneur, on veut qu'un peu d'encre le souiHe
Et l'on va s'étonnant qu'aux veines le sang bouille !
Et ce drapeau sorti troué dé cent combats.
Drapeau n'ayant connu pour tache que la poudre.
On voudrait, fol orgueil, lui debout sous la foudre.
Qu'un souffle impur le jetât bas !
Non!... chassons loin de nous l'obsession sans trêve
Ce n'est pas un Français qui put faire un tel rêve !
Car devant le soupçon brutal, injurieux.
Les Hoche, les Condé, les Dunois, les Turenne,
Réveillés à la voix de la « bonne Lorraine »,
Se dresseraient, morts glorieux !
G France, ô mon pays, soi de toutes les gloires.
Toi qui de tes hauts faits as rempli les mémoires.
Toi dont la coupe d'or verse le divin miel,
Toi. terrestre jardin à Teiiivrant arôme
Que le Dieu de Clotilde eût choisi pour royaume
Si son palais n'était le ciel :
L'amour dont nous t'aimons est une amour profonde !
Nous savons que sans toi rien de grand ne se fonde,
^ . Qu'à ternir ton éclat nul n'est assez puissant,
^""f Qu'un traître peut parfois te convoiter pour proie,
K^ l\Iais que, toujours aussi, le Vengeur qui foudroie
Naquit des gouttes de ton sang...
Et nous t'aimons plus fort en tes crêpes de veuve,
Car ta splendeur rayonne, ô France, dans l'épreuve
La palme verdit mieux près de ton sein blessé...
Ils viennent, les voici, les fils de ton génie,
.Apportant à tes nuits la douceur infinie
Du songe longtemps caressé;
g Les voici prêts à tendre à ta main désarmée
L'outil du travailleur ou le fer de l'armée,
— L'armée, auguste espoir en qui nous avons foi ! -
Et l'olivier de paix, au travers de ses branches,
Laisse à nos yeux ravis entrevoir les revanches
Qui fleuriront bientôt pour toi.
Stephen Liégeard.
A TRAVERS LA NOUVELLE-AUTRICHE
DU DANUBE A L ADRIATIQUE
La nouvelle, terrifiante, se répandait
clans Vienne. L'archiduc Rodolphe ve-
nait d'être tué. Comment? A la chasse,
disaient les uns; un mari jaloux, affir-
maient les autres.
Finalement, ce fut
un suicide, offî-
ciellement du
moins. Mais, dans
le moment, un seul
fait se présentait
dans toute sa bru-
talité : le prince
était morl. Et,
Parfois, une version nouvelle produisait
une émotion, un incident, sur un point
ou sur un autre. Devant le guichet, par
lequel on parvient aux appartements
LK DÉFILÉ LE NA 11 ENTA PRÈS GLOCOSNICA.
comme il jouissait d'une grande popu-
larité, et qu'il était même très aimé, la
foule, avide de nouvelles, emplissait la
ville, s'arrachant les suppléments des
journaux, encadrés de noir.
La rue principale, le Graben, four-
millait de monde, ainsi que la voie qui
mène au château, dont l'immense cour
semblait une ruche en travail. Dans les
groupes, on supputait, on discutait.
particuliers de l'empereur, des gens, en
rangs serrés, regardaient silencieuse-
ment la porte fermée, derrière laquelle
devait se passer un drame qu'on de-
vinait.
J'étais du nombre et ne prenais garde
à ceux qui m'entouraient, lorsque l'im-
mobilité troublante d'un voisin me fit dé-
tourner la tête. L'impression fut curieuse
et pleine de surprise, car j'avais près de
A TIJAVKHS LA X O U V K L L E- A U T R IC II E
551
moi le type le plus étrange que j'eusse
jamais rencontré. C'était un homme de
haute et large carrure, un vrai géant,
couleur brou de noix, avec des yeux
farouches et des moustaches démesu-
rées, que faisaient ressortir le fez rutilant
et la veste de velours grenat, très cha-
marrée d'or, sur laquelle s'étalait tout
un arsenal de poignards, de stylets et
d'épingles en filigrane d'argent.
En vérité, cet homme incarnait l'Orient,
et, malgré le recueillement du lieu, je
ne pouvais détacher mes yeux de sa
physionomie si captivante. Puis, par ce
hasard particulier, mais fatal, qui met
quinze jours de suite sur votre route
une personne que vous n'y aviez jamais
vue, je le retrouvai, le soir même et les
jours suivants, au restaurant, où il venait,
suivant l'habitude viennoise, proposer,
de table en table, sa marchandise. Seu-
lement, à l'inverse des juifs qui ont, en
général, le monopole de ce petit com-
mei'ce, il ne soufflait mot, se plantait-
devant vous, les yeux dans vos yeux,
attendait un instant, puis, qu'il eût vendu
ou non vendu, s'éloignait dédaigneu-
sement, pour recommencer plus loin.
Ses poignards, très primitifs, à manche
de corne garni de clous, étaient enfer-
més dans une gaine en bois, recouverte
d'une feuille de cuivre à soudure gros-
sière, et ses épingles à cheveux, ter-
minées par une boule capricieusement
ajourée, pesaient si peu qu'on en pou-
vait mettre deux dans une lettre, sans
surtaxe.
Pourquoi ces bibelots me donnèrent-ils
le goût de l'Orient ? En être si près, et,
par devoir professionnel, n'y pouvoir
jeter un coup d'œil. Les jours d'effer-
vescence ou d'émeute, et ils sont nom-
breux à Budapest, j'étais envoyé dans
la capitale hongroise; mais Budapest
n'est pas l'Orient ! Enfin, après une
longue attente, une occasion se présenta.
Déplacé, comme correspondant d'un
journal parisien, de Vienne à Rome, je
me rappelai à propos que tout chemin
mène à la Ville Éternelle... Et voilà
comment, par un beau matin de prin-
temps, j'eus la joie d'entendre un chef
de train crier : Bosna-Brod !
Le voilà, l'Orient! Quelques mé-
chantes masures, une misérable mos-
quée : c'est peu de chose; mais c'est un
monde qui commence, et l'impression
est aussi grande que si l'on mettait les
pieds, pour la première fois, en Chine
ou au Gabon.
Hélas! pourquoi faut-il qu'une police
Iracassière vous arrache à votre extase ?
Des agents en uniforme bleu de ciel,
coiffés du fez rouge, qui désormais
émaillera tous les pays que vous traver-
serez, vous demandent vos papiers, vous
harcèlent de questions, d'indiscrétions, et
ne vous remettent en liberté qu'au mo-
ment même où la locomotive-bijou du
petit chemin de fer à 0™,76 d'écarte-
ment donne, en sifflant, le signal du
départ.
Nous sommes donc en Bosnie, la
patrie de mon marchand de poignards
et l'une des deux provinces qui forment
la Nouvelle-Autriche. Est-ce une illu-
sion? Mais, en vérité, le paysage n'a
plus rien de commun avec celui que
nous avons laissé de l'autre côté de la
Save. Les montagnes bosniaques ne res-
semblent ni aux petites Karpathes, ni
aux monts de Varasdin. Elles n'offrent
pas ces arêtes franches, ces envolées
rocheuses qui font la beauté des Alpes
bavaroises ou tyroliennes ; encore moins
la hardiesse et la majesté du réseau de
la Suisse; mais elles ont leur cachet
spécial et leur originalité dans leurs
boursouflures émoussées qui s'estom-
pent au loin, bleues ou violettes.
Après une course à travers la plaine
marécageuse d'Ivansko, le train s'ac-
croche aux flancs de collines escarpées,
en décrivant des courbes qui l'ont fait
justement comparer à un serpent qui
cherche à se mordre la queue. On gagne
ainsi la crête du système orographique
qui sépare les eaux de la Bosna de
celles de l'Oukréna. Là, les sinuosités
s'accusent encore davantage : c'est une
gageure contre le bon sens, une protes-
tation, par le mépris, contre les craintes
552
A TRAVERS LA NOUVELLE- A UTR IC II E
de déraillement. Aussi le voyageur ne 1 vant à la station de Dervent, où, de
peut-il s'empêcher, malgré la nouveauté \ plus, il a la surprise d'un bulFet à l'au-
LA SOURCE DE LA COMA DINA
de cette ascension serpentine, de res-
sentir un contentement très réel en arri-
trichienne, bien fourni et pas cher, ce
qui est un doux répit quand on arrive
A TU A VERS LA XO U VEL L lî- A U T U I C II E
553
(le Vienne, où tout est hors de prix.
De la crête on descend comme on 'y
est monté. De temps à autre, quelque-
fois dans une gorge où le petit train
passe comme un ouragan, un village de
cabanes pouilleuses s'agrippe aux aspé-
rités d'un roc abrupt. La vision dure
une seconde: c'est comme au chemin
de la Corniche, entre Gênes et La
Spezia, la sensation d'un paysage dans
un éclair, avec, en plus, le minaret
obligé — vrai minaret, pas pour la
montre, pas pour la tradition, mais ser-
vant à sa destination, avec, au soir, le
muezzin pour la prière. Maglaj, sur la
rive droite de la Bosna, possède en plus
un caste! qui a l'air dune grive sortant
dune croûte de pâté. Il fut pris, pa-
raît-il, par le prince Eugène de Savoie,
en 1697, et fort récemment, en 1878,
malgré sa vétusté, servit de théâtre au
massacre d'un escadron de hussards
autrichiens.
De plus inolTensive apparence est le
château délabré de Branduc, qui, au
tournant d'un roc, apparaît soudaine-
ment au flanc d'une falaise hérissée de
petites maisons noires, suspendues en
l'air et se tenant par la force de Thabi-
tude. Les Turcs, qui l'occupèrent long-
temps, le regardaient cependant comme
imprenable, et Ion tient sur son passé
des récits à faire pâlir les plus san-
glantes traditions de l'époque féodale :
on y aurait, dit-on, découvert un puits
profond rempli d'ossements humains.
Mais bientôt la vallée s'élargit, et nous
saluons, au passage, de véritables villes,
comme Zenica, centre industriel assez
considérable, et Visoko, dont les tanne-
ries de cuir sont renommées.
M. Elisée Reclus a qualifié la Bosnie
de Suisse sans neiges éternelles ; mais
pour le moment il en existe encore, en
un endroit au moins, car la Biélasnika,
dont la cime dépasse les montagnes vio-
lettes qui s'étendent devant nous, en est
couverte. La beauté du paysage y gagne
certainement et fait paraître moins mo-
notone la traversée de la campagne de
Sarajevo. Nous sommes sur le territoire
bosniaque depuis dix heures, nous avons
parcouru près de 270 kilomètres, et ce
n'est pas sans une certaine satisfaction
que nous saluons la jolie capitale de la
Nouvel le- Au triche.
Sarajevo, ou Bosna -Serai, dont le
nom s'approprie mieux à son caractère
oriental, s'étage en pente douce sur les
deux bords de la Miljacka ou P Aimable.
Et, vraiment, jamais rivière ne fut plus
justement nommée, car elle semble faite
pour le plaisir des yeux. Sinueuse et
garnie de plusieurs ponts qui relient les
deux parties de la ville, elle baigne le
pied de maisons pittoresques, entre-
coupées de jardins et de bouquets d'ar-
bres. Des fleurs, partout, nous souhai-
tent la bienvenue; tout est riant autour
de nous; les minarets scintillent comme
des bougies allumées : décidément nous
sommes en Orient, et le Prater et la
tour de Saint-Etienne sont bien, bien
loin.
Cependant, au sortir de la gare, l'Oc-
cident se rappelle à nous sous la forme
d'un tramway — oh ! le seul de la
ville ! Après tout, ce moyen de locomo-
tion est le bienvenu partout, et surtout
en un lieu où les rues sont le plus sou-
vent remplacées par des escaliers bran-
lants, fort raides; aussi le prendrons-
nous sans vergogne pour gagner le
camp retranché, construit dans les pre-
miers temps de l'occupation autrichienne
pour assurer la sécurité publique, très
menacée, mais qui maintenant, l'émo-
tion primitive calmée, sert de caserne,
où l'on fraternise entre képis et turbans.
Cette agglomération de bâtiments mi-
litaires n'olTre rien de remarquable, et
bien autrement curieuse est la manufac-
ture de tabac qui en est proche. C'est là
qu'une centaine de jolies filles prépa-
rent l'herbe parfumée d'Herzégovine,
qui se vend sous le nom de tabac de
Bosnie. A l'heure de la sortie des ou-
vrières, c'est un spectacle bariolé qui
évoque l'image de Carmen et de ses
compagnes. Elles portent le gracieux
costume osmanli : la calotte de velours
rejetée en arrière, la veste ronde, le
554
A TRAVERS LA NOUVEL LE- AUTRICH E
collier à sequins,
le pantalon très
ample
ottoman, marchent le visage découvert,
c6 qui donne raison au proverbe : o Va
en Bosnie si tu veux voir ta fiancée. »
Seules, les matrones et les duègnes por-
tent encore le voile pudique des filles
de rislam, et même il est si laid et si
épais qu'elles font l'efTet de guerriers
touaregs.
Les hommes ont aussi conservé le
vêtement turc.
Ils portent même
plus souvent
lame
CONSTRUCTION DT PONT DE LA DRINA
d'or, et, contrairement à l'usage | l'antique turban. Et quelle couleur dans
A TlîAVKUS I.A X0U\M<:LLK-AUTI{1CIIK
555
leur tenue : la vesle de soie claire, la
jaquette écarlate, le caleçon vert, très
ample, les bas blancs, et les babouches
en cuir jaune, pointues comme des
souliers à la poulaine.
A côté de ces indigènes, demeurés
fidèles à la relig'ion qui leur fut imposée
sous l'occupation mahomélane, se meu-
vent les orthodoxes, qualifiés de Serbes,
venus des provinces danubiennes ou de
la Galicie ; les catholiques, identifiés
avec les Croates, et les juils, immigrés
d'Espagne à l'époque de l'Inquisition,
et qu'on appelle, pour cette raison, les
Spanicols. Ceux-là ont conservé, plus
encore que les autres, les traditions du
passé. Ils portent, comme leurs aïeux,
la toque pointue, la lévite de couleur, la
ceinture bariolée; ils tiennent à la main
le bâton de Jacob, et, comme dans tous
les pays qui leur donnent asile, ils font
du commerce, petit et grand.
C'est dans le quartier oriental de
Carsia qu'il faut voir cette foule bigar-
rée, qui va, A'ient, se croise et remplit
les ruelles étroites, garnies de boutiques
en bois, où se vendent les élolfes
voyantes, les tabourets incrustés de
nacre, les pipes garnies d'ambre, les
bijoux en faux et, en général, toute la
bimbeloterie des bazars orientaux. Un
parfum de pastilles du sérail vous prend
à la gorge, vous suit, vous obsède. \'ous
pouvez déjà vous croire à Constanti-
nople ou au Caire, et, en vérité, vous
n'avez pas tort, car ces villes n'offrent
rien de plus curieux que ce coin de
Sarajevo, au milieu duquel s'élève une
mosquée du plus pur style byzantin, qui
remonte au xvi® siècle. Pour la visiter,
nous chausserons la pantoufle du pro-
fane, et ce n'est pas là le moindre agré-
ment pour l'Européen de l'Est, avide
d'émotions nouvelles.
Sur les bords d'un ruisseau, le Kosovo,
où nous passons en descendant de la
manufacture de tabac, les chants nasil-
lards, les grincements d'archets sans
colophane et les accents lourds des
longs tambours nous rappellent l'espla-
nade des Invalides et la rue du Caire, à
l'Exposition du Centenaire. Mais, il
faut bien le dire, la musique turque est
un de ces produits qui n'ont de véritable
saveur que sur place. Il en est de même
du fin moka qu'on nous sert au Bend-
basi-Kavana, sur une terrasse au bord
de l'eau, et qui ne coiile guère que deux
sous de notre monnaie. 0 pays neufs,
que ne restez-vous toujours neufs? Je
parierais que le café se paye trois sous
maintenant sur la rive du Kosovo.
Mais nous avons encore à voir le
castel, d'où l'on jouit d'une vue magni-
fique sur Sarajevo; puis le palais du
gouverneur, proche la mosquée d'Ali-
Pacha, qui fut, à l'intérieur, le théâtre
d'une mêlée sanglante, d'une vraie bou-
cherie, le 19 août 1878. Mais cet inci-
dent et plusieurs autres du même temps
sont oubliés, et le soldat autrichien et
le fonctionnaire échappé des bureaux de
Vienne ou de Budapest se promènent
dans les rues, gravement, et sans autre
inconvénient que celui de gâter l'aspect,
si pittoresque, de la foule. Leur quar-
tier général est la rue François-Joseph,
ou la rue Rodolphe. Ils y trouvent des
cafés viennois, où des garçons en habit
leur servent le café noir accompagné de
petits dés de sucre et suivi du verre
d'eau traditionnel. Non loin de là, un
lieu de plaisir, les Folies -Bergère de
l'endroit, envoie aux échos d'alentour
les numéros variés de ses orchestres de
dames, de ses bandes de tziganes et de
ses compagnies de chanteurs tyroliens.
A ces enchantements, nous préfére-
rions les exercices des derviches, qui,
dans leur vieux couvent, se livrent, les
jeudis soirs, aux pratiques de leurs
extases et de leurs contorsions. Les
A'i'oussas sont, paraît-il, dépassés par
eux, mais le plus grand mystère plane
sur leurs réunions; et puis le hasard
nous a fait arriver à Bosna-Seraï tout
juste un vendredi.
Contentons-nous donc de jeter un
dernier coup d'œil sur cette population
si bizarre, que nous voudrions connaître
à fond, car ses mœurs sont distinctes de
celles de tous les autres peuples. Il est,
556
A THAVEHS LA NOU V E LLE- A U TR I Cil E
en Bosnie, des compromis curieux entre
gens de race et de croyance opposées.
Ils ne se fréquentent guère entre ci-
toyens; mais, en bloc, ils se rappro-
chent. C'est ainsi que, chaque année,
la ville de Sarajevo voit partir ensemble
les pèlerins chrétiens et les pèlerins
la plaine d'abord, avec des montagnes
bleues d'un contour aimable. Bientôt la
ligne incline à gauche, et l'on passe
devant la station thermale d'Ilidze-Onis.
Puis on monte en pente douce vers le
mont Ivan. La voie est libre, et, sur les
côtés, des troupes de cavaliers, sur de
VUE DE SA K \ I 1 \ O
mahométans pour Jérusalem et La
Mecque.
Il y a mieux. Lorsqu'un Turc vient à
mourir, ses proches, en le parant de sa
dernière toilette, lui mettent en main
trois pièces d'or et un bâton, afin de lui
faciliter le passage du paradis des chré-
tiens, qu'il faut, paraît- il, traverser
pour arriver à celui de Mahomet. L'ar-
gent est destiné à séduire saint Pierre,
et le bâton à le convaincre, en cas d'hé-
sitation.
Nous quittons donc avec peine la jolie
capitale bosniaque, pour nous rappro-
cher de la mer, par l'Herzégovine. C'est
tout petits chevaux, pleins de feu, cher-
chent à l'emporter de vitesse sur le che-
min de fer. Dans les champs, des
femmes décolletées comme pour le bal
s'interrompent de leurs travaux pour se
moquer, à belles dents, de ces jockeys
audacieux. Ils luttent longtemps, ce-
pendant; mais, à la fin, dépassés, ils
abandonnent la partie.
Le chemin se déroule à travers des
prairies et des forêts de hêtres , il suit
ensuite de jolies vallées, et finalement
atteint la hauteur de l'Ivan. Là, soudai-
nement, le décor change. Tout à l'heure,
c'était la douce verdure, avec ses fleurs
A r l{ A \- E 1{ s L A X C) i: \- i: I, L E - A L"l' l{ I C 1 1 !•;
557
et ses fruits; maintenant c'est IHerzé-
govine au sol pierreux, aride, brûlant.
Les montaj^nes all'ectent des formes gro-
tesques : on dirait l'entrée d'une gorge
infernale, propre à la fonte de balles
magiques; on s'étonne presque de n'y
pas voir chevaucher des sorcières sur
un balai ; mais bientôt le paysage
s'adoucit, s'humanise et s'anime. Sur
les bords de la Narenla, Konjica, la
première ville herzégovienne, se montre,
encastrée dans la montagne comme un
bas-relief dans son cadre. La voie longe
le fleuve, et les beaux sites, sauvages
mais impressionnants, se succèdent sans
discontinuer. On passe à Jablanica;
puis le train s'engage dans le défilé de
la Narenta.
Là, c'est un délicieux chaos. Le fleuve
coule, torrentueux, parmi les pierres
tombées de la montagne. Des deux côtés,
entre les rochers aux arêtes fantastiques,
il y a place tout juste, à gauche, pour les
piétons; à droite, pour la voie ferrée.
Quelquefois, les premiers se hasardent
au long des rails pour les traverser.
C'est ainsi que, près de Glocosnica,
nous croisons, à la sortie d'un tunnel,
une jolie fille, à la gorge nue, campée
comme un modèle de la statuaire antique.
Elle vient de puiser de l'eau à la rivière
et s'apprête à la remonter à son logis,
qu'on se figure semblable aux cabanes
primitives qu on aperçoit deci, delà,
pendues comme des cages d'oiseaux aux
murs des falaises les plus abruptes.
Charmante apparition, disparue aussitôt
qu'apparue.
Un peu plus loin, nouvelle surprise,
mais cette fois de la nature. 11 s'agit
des sources de la Comadina, qui s'efTon-
drent en cascade mugissante. L'aspect
en est des plus grandioses, terriliant
même, car celle masse d'eau se précipite
d'une hauteur vertigineuse, non en
poussière ou en nappe, mais en paquets
qui semblent une mer en furie, rompant
une digue.
Deux heures durant, nous suivons la
vallée de la Narenta, passant en revue
castels, villages et cataractes, el tel est
le charme particulier qu'on éprouve au
milieu de celle nature fantastique, qu'on
s'en détache à regrel, quand, à l'approche
du soir, le train débouche sur le plateau
fertile où s'élève Mostar, la capitale
de l'Herzégovine.
Mostar, dont la vraie orthographe de-
vrait être MosI sfar, qui, en slave, veut
dire N'ieux pont, doit, en elfet, son nom
à un pont très ancien. D'une seule arche,
il s'élève à quatre-vingts pieds au-dessus
de la Narenta. C'est un travail d'une
grande hardiesse, que la tradition popu-
laire attribue aux Romains. D'aucuns lui
assignent même une date fixe : 98 ans
après Jésus-Christ, sous le règne de Tra-
jan; d'autres pensent qu'il est l'œuvre
d'Adrien. Quant aux Turcs, ils tiennent
pour Soliman le Magnifique; mais il est
plus probable qu'il fut construit sous
les Slaves, au xv« siècle, sans doute
lorsque, en 1430, le chef Radivoj-Gost
s'établit à l'endroit où se trouve Mostar.
Ce qui est certain, c'est que les Turcs
le firent réparer en 1659, comme il res-
sort d'une inscription sur une de ses
pierres.
D'après une légende du pays, l'ingé-
nieur chargé de sa reconstruction fut
un chrétien du nom de Rade, prisonnier
des Osmanlis, auquel le sultan donna sa
liberté pour prix de sa réussite, consi-
dérée comme très problématique; car
le pont s'était écroulé toutes les fois
qu'on avait tenté de le rétablir. De nom-
breux ouvriers y avaient perdu la vie,
et l'opinion publique le regardait comme
ensorcelé. La fée A\ ila, qui tient ses
assises dans la montagne, avait même,
dit-on, conseillé d'enfermer un couple
d'amoureux dans ses fondations; mais,
en dépit de cet extrême moyen, le pont
s'était effondré, comme devant.
Maintenant on y passe en toute sécu-
rité; mais il est très aigu, très étroit, et
surtout très insuffisant pour les besoins
modernes, d'autant que c'est le seul sur
la Narenta, jusqu'à son embouchure.
Mais il suffit aux gens du pays, el les
étrangers s'en contenlent également,
car il constitue la plus grande curiosité
558
A TRAVERS LA NOU VELLE- AUTR IGH E
de la ville, qui, malgré ses cou-
poles et ses minarets, présente
un aspect très occidental. Ses
cafés, à l'italienne, ont remplacé
les bons kavanas des bords du
Kosovo; ses boutiques, à l'eu-
ropéenne, ne rappellent que de
très loin les bazars orientaux;
et ses maisons, à toits vul-
gaires, font re-
gretter les con-
structions iné-
gales, mais pit-
toresques en
diable, de
Bosuc
loin des rives levantines envoie
dans l'air pur toute une éruption
volcanique de fumée noire et grasse.
Les roues se mettent en mouve-
ment, et bientôt l'Adriatique, cette
enchanteresse aux yeux d'azur, nous
apparaît limpide et calme comme
un lac de la Suisse... quand il est
calme.
Edmond N e u k o m m .
^1>
RUE TURQUE A SARAJEVO
Il faut donc le quitter, cet Orient si
rapidement entrevu. De Mostar à Met-
kovic, qui est le port de l'Herzég-ovine,
à peu de distance de la mer, on ne met
guère que deux heures en chemin de
fer. Le paquebot qui doit nous emporter
Ce récit coloré et inédit date de quelques
années. Depuis, le gouvernement autrichien
a inauguré avec éclat de nouvelles lignes de
chemins de fer, mais rien n'est changé dans
l'aspect de ce pittoresque pays.
N. d. i. n.
L'ASTROLOGUE PISAN
A Pise, F'rancesco Savelli passait pour
fou depuis son retour de Grèce.
Et comment croire qu'il n'avait pas
l'esprit troublé par toutes sortes de chi-
mères, quand sa manière de vivre était
si extravagante ?
Il portait une longue robe de lin toute
blanche, parsemée de signes mystérieux :
il était coitTé d'un haut chapeau pointu
où étaient fixés une étoile d'or aux sept
rayons, un croissant d'argent et d'autres
métaux aux formes bizarres; il ornait
son doigt d'une lourde bague dont le
chaton était formé de sept pierres pré-
cieuses rangées en cercle avec un dia-
mant au milieu ; il ne chaussait point
des brodequins de cuir, mais marchait
les pieds enveloppés de simples sandales
de toile, maintenues par un lacet qui
serrait la jambe de sept tours. Il vivait
dans un jeûne perpétuel, un jeûne tel
que les moines franciscains réfugiés en
solitaires dans une des gorges des monts
Pisans l'auraient difficilement observé
en temps de carême. Jamais ne parais-
saient sur sa table les viandes saignantes
des animaux domestiques, ni les chairs
savoureuses du gibier tué sur la mon-
tagne, ni les membres rissolés d'une sar-
celle aux pattes noires, ni le long corps
tacheté des truites nourries dans les
sources de San Giuliano, ni rien de ce
qui avait appartenu à un être vivant.
Des herbes, des légumes, des fruits, du
pain de froment et de l'eau formaient
sa seule nourriture. Pendant de longs
mois il restait renfermé, invisible, sans
communication avec personne autre que
sa vieille nourrice, qui commençait à
prendre les allures suspectes d une je-
teuse de sorts. Il ne parlait pas, et, si
quelqu'un se hasardait à lui poser une
question, il semblait ne rien entendre :
ses lèvres demeuraient closes et immo-
biles comme les lèvres de marbre dune
statue, et ses yeux, indifférents aux objets
voisins, regardaient bien loin quelque
coin invisible de l'espace. Dans de rares
occasions il avait rompu ce silence.
Alors, d'une voix douce, mais monotone
et sans accent, il laissait tomber des mots
bizarres, associés d'une façon si étrange
qu'ils formaient des phrases obscures,
énigmatiques. inintelligibles. ..
Cependant beaucoup — surtout des
femmes — leur cherchaient un sens :
car plus d'une fois le mystère s'était
éclairci et, bien interprétées, ces formules
avaient pu s'appliquer à des événements
qui s'étaient réalisés plus tard. Pour
ceux-là Francesco n'était pas fou, mais
avait plutôt le don merveilleux de pré-
voir l'avenir.
Ce qui confirmait les femmes de Pise
dans cette opinion, c'est qu'il avait une
longue barbe lustrée et que ses cheveux
tombaient en boucles noires sur sa robe
blanche ; c'est qu'il passait auprès des
plus belles sans voir l'éclair curieux de
leurs yeux ou la blancheur nacrée de
leurs sourires; c'est qu'il était beau,
jeune, de noble famille et que dédai-
gneux de ces avantages il fuyait les
fêtes, restant sur la tour de sa maison
la moitié des nuits à regarder les étoiles.
Sa science devait être admirable : car il
lisait des manuscrits dont les lettres
avaient la forme de clous ; il traçait sur
le parchemin des cercles avec des signes
inconnus; il savait le nom des astres, la
nature bienfaisante ou maligne des gé-
nies qui les habitent, les influences que
les planètes projettent à travers l'espace
et qui au jour de la naissance marquent
l'âme des enfants d'un sceau indélébile.
Son bonheur, pensaient les gens de
Pise, devait être d'une essence bien su-
périeure ou sa tristesse d'une amertume
bien indomptable : car il ne s'associait
à aucune des joies communes. La chose
560
L ASTROLOGUE l'ISAxN
leur paraissait d auLunt plus étonnante
que sept ans auparavant nul plus que
Francesco ne montrait d'ardeur dans la
poursuite du plaisir, de goût pour les
divertissements, de recherche dans la
mise, dans la tenue, dans tout ce qui
pouvait provoquer Tadmiration. Avant
son voyage nul ne conduisait avec plus
de sûreté une barque sur l'Arno, nul ne
chantait d'une voix plus pénétrante en
s'accompagnant de la mandoline, nul
n'était plus élégant dans la tarentelle,
nul ne disait un conte d'un air aussi fin
et en le relevant d'idées plus ingénieuses.
Un jour il était parti brusquement et
après une longue absence il était re-
venu tout autre.
La lég^ende, comme il arrive, avait
recouvert la réalité de ses broderies l'an-
taisistes.
Francesco n'était pas fou ; mais il avait
été si malheureux à la mort de son amie
Margarita qu'aucune des consolations
communes n'avait pu soulager sa peine.
Il avait pleuré, quand il avait entendu
sa mère lui dire que les hommes sont
oublieux; il avait souri tristement en
hochant la tête, quand ses amis lui par-
laient d'autres filles de Pise, et il s'était
fâché, quand frère Bartolomeo lui avait
défendu sous peine de péché de songer
à la morte. Tant de dureté l'avait même
révolté et il avait rejeté un culte qui
proscrivait le souvenir des choses belles
et pures, comme Margarita.
Dans sa mémoire avait chanté l'écho
des religions primitives si douces à
l'amour, où les âmes communiquent
entre elles malgré la mort, et il avait ré-
solu daller bien loin cultiver la science
des anciens sages. Pendant sept ans,
perdu dans une bourgade de la Grèce,
il avait suivi les leçons d'un philosophe
chassé de Byzance quand la ville fut
prise par les Turcs. C'est là qu'il avait
été initié aux mystères des philosophies
anciennes et à l'antique sagesse de la
Ghaldée et de l'Egypte.
Aloi's il avait eu la révélation d'un
monde nouveau, plein d'ordre et d'har-
monie, où la vie est partout présente,
où les mystères dévoilés deviennent
des instruments de puissance. Point
d'êtres morts, inertes, formés d'éléments
incohérents ou hostiles, mais des corps
pénélrables à l'intelligence, dont les
parties se tiennent parles lois du nombre,
et qui, reliés au Tout, subissent des
influences lointaines et réglées. L'homme
n'est plus ce roi maussade de la création
qui s'isole dans son orgueil, mais il n'est
qu'un anneau de la chaîne universelle
des êtres. Tout a un sens, et, par la
liaison réciproque des parties, tout est
signe, manifestation, symbole!
Il n'avait pas seulement ces enchante-
ments de l'esprit, mais de vraies extases
où son âme, parcelle du divin, déta-
chée un instant de son corps, semblait
remonter à sa céleste origine et se mêler
au chœur des étoiles, habitées toutes par
des génies.
Dans une de ces visions il avait vu la
morte, dont la robe blanche serrée à la
taille fuyait en arrière et se perdait en
ondes vaporeuses. Margarita portait dans
sa main droite une marguerite à sept
pétales et sa main gauche tenait un
anneau brisé; ses yeux, bleus comme
l'azur du ciel de mai, étaient doux,
mais fixes. Llle était dans le signe du
Zodiaque, sur lequel règne la vierge Eri-
gone, et portait à son front l'étoile bril-
lante que les Grecs ont nommée Stachys.
Depuis cette époque, il n'avait qu'à
regarder l'étoile pour évoquer l'image,
dont la bouche éternellement muette lui
inspirait cependant, par une influence
certaine, les hautes pensées et les pres-
sentiments d'avenir.
C'était surtout cette image qui avait
donné à son idéal philosophique la vie
et l'eflicacité; c'était elle la gardienne
vigilante de l'harmonie, de la règle, de
la loi ; c'était elle qui lui rappelait ses
résolutions vertueuses au moment où la
passion menaçait de les exclure de la
conscience. Quand l'instinct frémissait
et que l'idée du Bien, abstraite et déco-
lorée, allait s'évanouir, la figure de la
vierge se dressait devant lui lumineuse,
la figure de la morte aimée. Elle deve-
L'ASTKOLOGUK PISAN
561
nait la raison visible, pleine de charme,
qui attire, rend Tobéissance agréable et
le dévouement facile. Elle le défendait
contre les oublis, contre les faiblesses,
contre les entraînements et les retours
sournois de l'habitude banale. Elle l'at-
tirait en haut, lui faisait perdre de vue
les réalités mesquines et l'amenait à
concentrer toutes les énergies de son
être sur un point unique : agir de façon
que l'image aimée garde tout son rayon-
nement, qu'elle ne s'obscurcisse et ne
se voile d'aucune ombre !
C'est pour cela qu'il était sobre, pur,
silencieux, solitaire, contemplateur.
C'est aussi pour cela que le peuple des
marchands le traitait de fou, mais que
les femmes prenaient pour un devin cet
amoureux des étoiles.
Un soir de mai, Francesco était sur
la terrasse de la tour, autrefois protec-
trice de la maison de ses pères, main-
tenant couronnée de créneaux inutiles
depuis que Pise — achetée 200,000 flo-
rins d'or — s'était engourdie sous la
domination de Florence.
La lumière expirait au loin sur la mer
au delà des montagnes de la Corse ;
Jupiter commençait à paraître dans le
ciel près du lieu où devaient bientôt
s'allumer les feux des Gémeaux ; la nou-
velle lune, dune teinte l'ousse, bandait
lare qui blesse de ses flèches les frêles
bourgeons de la vigne. Le silence s'éten-
dait sur la ville en même temps que
l'obscurité; les rues ne bourdonnaient
plus des bruits de la foule et les places
vides s'étaient faites silencieuses comme
le Campo-Santo.
Francesco pourrait entendre le clapo-
tement des eaux qui, d'un bruit mono-
tone, viennent frapper le pied de sa
tour, mais ses oreilles restent fermées
aux bruits d'en bas et ne troublent pas
de sensations importunes son âme atten-
tive aux voix intérieures. Debout, le
visage tourné vers le sud, il contemplait
dans une muette adoration le fantôme
VIII. — 36.
sidéral, lorsqu'un bruissement inaccou-
tumé le tire de sa rêverie et dissipe sa
vision : un bruit plus doux que le bat-
tement d'ailes de quelque oiseau noc-
turne, aussi léger que le frémissement
des esprits de l'air qui palpitent autour
de lui dans les soirs obscurs. Il se re-
tourne, et la surprise l'immobilise dans
son attitude quand il voit une tête
radieuse de femme qui émerge par l'es-
calier de la tour.
Du haut des demeures astrales, l'âme
de la morte bien-aimée a sans doute
entendu ses vœux et, rassemblant pour
lui la poussière vénérée de son corps,
elle vient sous une forme moins intan-
gible lui dire les secrets des mondes et
lui inspirer par une action plus immé-
diate la vertu, cette puissance émanci-
patrice de la vie. C'est elle qui, touchée
de son amour, a consenti à quitter un
instant les sphères supérieures pour lui
donner cet avant-goût des joies célestes,
c'est Elle ! Car une femme vivante n'a
pas cette figure aux blancheurs lactées
et lumineuses, ni ces yeux qui éclairent
l'obscurité, ni cette taille souple comme
les joncs qui se courbent au moindre
souffle sur les bords d'un ruisseau, ni
cette démarche onduleuse , glissante,
semblable au passage silencieux du
nuage qui fuit dans le bleu du ciel 1
Pourtant ce n'était pas elle, mais la
plus jolie fille de Pise, la belle Paola
Sismondi qui, après plusieurs tentatives
infructueuses, avait, cette fois, vaincu
les résistances de la vieille nourrice,
d'habitude gardienne inexorable du logis
de son maître.
Le père de Paola était un bourgeois
à l'âme marchande qui, dans ses rêves
ambitieux, voulait marier sa fille au
comte Pozzo di Strozzi, un riche sei-
gneur, mais capitaine de la garnison
florentine et Florentin lui-même. Paola
avait tenu à consulter l'astrologue dans
l'idée que les astres seraient contraires
à ce mariage et avec l'espoir que l'in-
différence de son cousin — qu'elle aimait
— n'était pas sans remède.
— Signor Francesco, dit-elle d'une
562
L' ASTROLOGUE PIS AN
voix douce et un peu Iremblante, vous
qui avez la science des anciens mag^es et
qui pouvez lire dans le ciel comme dans
un livre ouvert les événements futurs,
regardez pour moi les astres et dites si
la volonté de mon père ou la mienne se
réalisera... Ne m'entendez- vous pas?
Car vos lèvres restent serrées , votre
figure semble de marbre et vos yeux,
levés en haut, dédaignent de s'abaisser
jusqu'à moi. J'ai bravé les ordres de
mon père pour venir ici seule, la nuil,
à travers l'obscurité effrayante des rues...
Me laisserez-vous partir sans me dire
un mot?
Francesco demeure immobile et muet.
Fâché contre lui-même d'avoir pu con-
fondre l'image céleste avec une forme
matérielle, avec une beauté qui est l'en-
veloppe d'une âme mal épurée des désirs
d'en bas, il regarde plus obstinément
l'étoile et, dans un immense effort de
volonté, essaye de ressusciter le fantôme
aérien. Inutilement.
— Signor Savelli, reprend Paola d'une
voix plus ferme, n'est-il pas vrai que le
Ciel condamne les mariages sans amour ?
Le cœur d'une femme ne s'achète pas
avec des florins d'or, ni avec un palais
aux colonnes de marbre blanc, ni avec
le triste honneur de commander sur
notre ville sujette... Il se donne mais
ne se vend pas... N'est-il pas vrai que
les astres se choqueraient furieusement
entre eux et annonceraient de grands
malheurs, si je consentais à subir la
honte d'un pareil marché? Dites un
mot, signor, pour que j'aie la force de
lutter contre l'amour despotique et avare
de mon père ; dites, je vous en prie !
Un petit tressaillement passe sur la
ligure de Francesco, mais ses lèvres ne
s'entr'ouvrent point et ses paupières,
qui n'achèvent pas le clignement com-
mencé, se relèvent dans leur froide
fixité. Les yeux de Paola deviennent
implorants et s'obscurcissent d'une
larme. Elle dit sur un ton de reproche
attendri :
— Francesco, vous ne vous souvenez
donc plus de votre petite cousine que
vous conduisiez en barque sur l'Arno
les soirs d'été? J'aimais tant le son de
votre voix, le rythme de vos chansons
berceuses comme les vagues de la mer
Toscane... Un jour que je cherchais à
cueillir la feuille verte d'un nénuphar,
je fis un faux mouvement, je tombai et
j'aurais été noyée si vous ne m'aviez
retirée du fond de la rivière, déjà toute
froide et sans souffle... Il aurait mieux
valu pour moi mourir ! Si j'étais morte,
je ne souffrirais plus, je ne sentirais
plus au cœur cette blessure toujours
saignante : la honte d'aimer et de n'être
pas aimée...
La pauvre blessée d'amour ne peut
continuer; sa gorge se serre et une
larme coule lentement sur sa joue comme
une goutte de pluie surl'écorce blanche
du bouleau. Elle baisse la tête, se re-
tourne et s'en va : ses pieds un peu
alourdis traînent à regret sur la tentasse
et déjà sa robe aux plis sinueux allait
disparaître dans le noir de lescalier,
quand l'astrologue , ne pouvant plus
longtemps dompter sa pitié, la rappelle :
— Viens, Paola, dit-il.
D'un geste il lui désigne un escabeau,
s'assied en face d'elle, allume un cierge
dont la flamme un peu inclinée par la
brise fait pleurer la cire, puis il saisit
sa main gauche qui tremble et il regarde.
Il regarde la forme de la main, la lon-
gueur des doigts, leur extrémité en
forme de fuseau, les ongles arrondis et
roses, les articulations à peine visibles ;
il examine les monts qui sont sous la
dépendance des différentes planètes; il
cherche les signatures de chacune d'elles,
signatures qui sont les marques secrètes
de leur influence, puis il suit avec un
effort d'attention visible le lacis inextri-
cable des lignes qui s'entrecroisent, se
coupent, se séparent, se rejoignent, se
brisent, s'allongent, se creusent, mais
jamais au hasard. Francesco regarde
toujours : la peau de son front se plisse,
les arcades sourcilières se rapprochent
et creusent un sillon à la racine du nez,
une sorte d'inquiétude assombrit son
visage.
I.ASTl{()I.<)(;rK l'ISA N
533
— Paola, les signes de ta main sont
jieu rassurants. Faut-il continuera intor-
rdffer l'avenir?
ses larmes de cire et, poiii' né négliger
aucun indice, fixe les yeux sur le visage
[Kili de sa cousine. De nouveau la pu-
reté (les lignes, le diaphane de
la peau, l'auréole des cheveux
rappellent l'image vaporeuse de
a vierge sidérale. Mais cette
fois F'rancesco ne s'irrite pas
de cette union qui lui semble
plutôt l'expression
— Oui, balbutie Paola dans un faible
murmure.
L'astrologue approche de la figure de
la patiente le cierge qui pleure toujours
de quelque volonté supérieure et dou-
cement il interroge Paola sur l'année,
le mois, le jour et l'heure de sa nais-
sance. Alors il consulte un vieux ma-
564
L'ASTIÎOLOGUE PISAN
nuscrit, dont les feuilles de parchemin
toutes jaunies sont enfermées dans une
couverture en bois, bordée d'énormes
caboches de cuivre. Puis il trace des
figures, dessine des symboles, fait des
calculs ; de temps en temps il se lève,
regarde la position des astres ; ensuite
il s'assoit, sa tête se penche, ses lèvres
remuent et, mal assuré, il recommence
ses calculs, ne pouvant se décider à
conclure.
— Francesco, interroge anxieusement
Paola, vos yeux se détournent et vos
lèvres tremblent comme si vous aviez
quelque terrible révélation à me faire.
Est-ce que les présages sont funestes ?
— Puissé-je me tromper et ma science
lentement acquise n'être qu'un jeu!
— Quoi donc? Vous m'effrayez...
— Quand l'avenir est sombre, il vaut
mieux se taire... A moins que cette
révélation ne tombe dans une âme cou-
rageuse qui soit capable de profiter de
l'avertissement.
— Dites, Francesco, je tâcherai d'être
courageuse...
Alors d'une voix lente, grave, mono-
tone, l'astrologue lui dit les mystères
des astres, les liens infrangibles des con-
cordances comme les hostilités insur-
montables des oppositions stellaires : les
événements ne sont le résultat ni du
hasard, ni des volontés humaines, mais
sont placés sous la dépendance des
génies qui habitent les sphères supé-
rieures. Gardiens vigilants de l'har-
monie, ce sont les astres qui dominent
en maîtres sur ce monde sublunaire.
Toute la sagesse consiste à concourir au
maintien de l'ordre, à pénétrer les vo-
lontés de ces puissances dominatrices et
à ne pas briser sa faiblesse contre des
décrets invincibles.
Puis, d'une voix plus basse et un peu
attendrie, il ajoute :
— Paola, les astres sont contraires à
ton amour... Des malheurs te mena-
cent... Chose étrange! l'étoile de ta
destinée est rouge comme si tes mains
devaient un jour se teindre de sang...
Je vois des pleurs... puis une longue
paix triste... une sorte de mort qui n'est
pourtant pas la vraie mort...
Persuadée que tous ces maux vien-
draient de son mariage avec le comte,
Paola s'en alla toute triste, mais plus
résolue que jamais à repousser la de-
mande du gouverneur.
Ce comle Pozzo di Strozzi était un
condoltiere qui avait, suivant les ca-
prices de la politique des Médicis, pro-
mené sa bande de mercenaires de Rome
à Ferrare et de Naples à Milan. Dans
ses courses guerrières à travers l'Italie,
il avait appris à estimer par-dessus tout
deux choses : les florins d'or et les
armes. Certes, une bourse remplie de
beaux écus d'or valait mieux que toutes
les finesses diplomatiques d'un nonce
et les bons coups d'estoc et de taille
avaient plus d'elFet que les phrases
ajustées d'un humaniste tout farci de
latin. C'était un esprit lourd où n'avait
pénétré aucunç des nouveautés intellec-
tuelles de l'époque. Si par hasai'd la con-
versation venait à tomber devant lui
sur les arts ou la philosophie, il soule-
vait avec peine ses paupières de plomb
et il s'endormait effrontément au beau
milieu dune période cicéronienne. Plu-
sieurs fois il s'était pris la tête dans les
mains pour comprendre comment les
riches et puissants Médicis avaient
attiré au Palazzo Vecchio Chrysoloras,
Argyropoulos et d'autres bavards grecs.
Mais cet effort insolite de pensée avait
inutilement gonflé les Veinules de ses
yeux et il n'avait pas compris.
Maintenant il avait renoncé à com-
prendre : il faisait montre de son igno-
rance et l'étalait aussi complaisamment
que son manteau broché d'or des grandes
cérémonies. Il aimait à répéter que la
main d'un homme n'est pas faite pour
manier des plumes d'oie, mais pour
serrer la garde d'une épée. Il disait
aussi qu'une bouche est assez éloquente
quand elle sait accompagner son « je
veux » d'un juron énergique.
LASTROLOGUE IMSAN
b'ib
Un soir de juin, il venait de terminer son repas en
vidant d'un trait une grande coupe d'argent remplie
jusqu'aux bords de vin de Chypre, lorsqu'un domes-
tique pénètre dans la salle.
— Pielro, as- tu fidèlement exécuté mes ordres?
— Oui, seigneurie.
— Ils consentent pour la somme que j'avais
fixée ?
— Ils ont demandé le double. J'ai pro-
mis. Mais vous serez libre. .
Il complète sa phrase d'un geste signi-
ficatif. Le domestique a compris et avec
— C'est bon ! Tu payeras tout Mais I un sourire :
à la première occasion... 1 — Per dio! Ce n'est pas la corde de
566
LASTHOLOGUE PISAN
chanvre qui manque à Pise... el sa sei-
gneurie pourra...
— Tais-toi! interrompt brusquement
le comte. Tu as bien dit : « ce soir, à la
cloche de dix heures qui sonne la prière
au couvent des Annonciades? »
— Oui, seigneurie, c'est bien ainsi
convenu.
Le comte reprend ensuite à voix plus
basse :
— Le père de Paola a-t-il consenti à
ma demande?
— Il n'a pas fait de difficulté pour
lui, mais il a eu toutes les peines du
monde à décider sa fille à l'accompagner
dans cette pi'omenade le soir sur les
bords de l'Arno. Elle a pleuré, et ce
n'est que sur les plus vives instances de
son père qu'elle a consenti à supporter
la présence de votre seigneurie...
— Tu avais pourtant répété que c'était
la seule et dernière faveur que je récla-
mais de sa courtoisie ?
— Oui, seigneurie. Mais on dit quelle
devient de plus en plus extravagante
par amour pour son cousin l'astrologue.
Elle refuse de manger de la chair, ne
prend plus part à aucune réjouissance,
fuit les jeunes filles de son âge, s'habille
d'une pauvre robe de lin sans soie ni
velours, et s'enlaidit à étudier de vieux
papiers que son père lui achète pour
satisfaire sa manie... On dit qu'elle
reste le soir sur sa terrasse, occupée
aussi pendant des heures à regarder les
étoiles. ..
Mais, impatient d'être seul, le comte
renvoie son domestique d'un geste
rapide.
Maintenant que l'heure décisive ap-
proche, il se sent troublé, hésitant. Ce
n'est pas le sang qu'il redoute de verser :
car pour lui la vie d'un homme n'a
guère plus de prix que celle du sanglier
poursuivi par la meute aboyante des
chiens à travers les pentes boisées des
monts Pisans. Mais est-il bien sûr que
le plaisir de la vengeance l'emportera
toujours sur les regrets de perdre à
jamais l'amour de Paola?
Quand il pense aux maléfices de l'as-
trologue, il n'est point de torture qui
lui paraisse trop cruelle. Car c'est lui,
cet amasseur de billevesées, qui a, par
ses prédictions sinistres, troublé l'esprit
de Paola ! C'est par des artifices, des
sortilèges, des incantations qu'il est par-
venu à régner en maître sur ce cœur
ingénu ! . . . Mais il pense aussi qu'il aurait
beau le jeter dans une prison souter-
raine ou le bannir du territoire de la
Toscane, ce devin diabolique n'en serait
pas moins — par l'aide servile des puis-
sances de l'air — en communication
avec l'esprit de Paola et resterait tou-
jours son inspirateur et son guide. Oui,
lors qu'il ferait courir le poison dans
ses veines, qu'il le coudrait tout vivant
dans un sac pour le jeter dans l'Arno,
qu il laisserait son hideux squelette sus-
pendu au gibet et secoué par le vent
avec des craquements d'os, son image
exécrée vivrait dans la mémoire de Paola
et triompherait encore !
Il lui en coûte de renoncer même en
pensée à la volupté de la vengeance. Et
cependant, si par quelque moyen il pou-
vait conquérir l'amour ou seulement la
main de Paola, cela ne vaudrait-il pas
mieux encore? Elle est si belle, si jeune
et lui si isolé et déjà si vieux ! Personne
qui l'aime pour lui et non pour son vin
de Chypre ou pour son or ou pour
quelque faveur. Des flatteurs qui puent
le mensonge, des lâches qui blêmissent
à sa vue, des ambitieux qui dressent
autoui de lui leurs pièges... Pas un œil
qui se ] -ve sur lui sans indifïérence,
sans colère, sans mépris ou sans calcul I
Pas une bouche qui lui sourie et qui lui
murmure une caressante parole ! Pas un
frais visage qui embellisse son foyer
pendant les soirs d'hiver et qui rayonne
le bonheur à travers les chambres dé-
sertes de son palais!
A ces pensées, son cœur s'amollit et
cette pitié sur lui-même fait fléchir sa
résolution. Avant que l'heure fatale ne
sonne, il veut tenter une démarche su-
prême auprès de l'astrologue. Pour se
le rendre favorable, il est décidé à agir
avec les ruses d'un procureur ou l'habi-
LASTHOI.OdUK IMSAN
567
lelc d'un clerc vieilli à la cour de Home :
il veut le séduire par des olFres magni-
fiques, Tacheter avec son or ou, à défaut,
le terroriser par la menace d'une mort
prochaine.
Escorté de deux gardes, il pénètre
dans la maison de Savelli et arrive sur
la tour au moment où Francesco com-
mençait à voir dans le crépuscule
assombri les lueurs enct>re un peu dou-
teuses de Stachi/s. Après la visite de
sa cousine pendant plusieurs jours,
l'image de la morte Margarita, rebelle
aux invocations, n'avait point paru.
Mais depuis, elle s'était peu à peu dé-
gagée du nuage vaporeux qui la cachait
et maintenant elle avait repris aux yeux
de l'amant la netteté de ses contours, la
Dureté de ses lignes et son radieux éclat.
Le comte s'avance et Francesco ne
tourne pas les yeux, tant il craint que
le divin fantôme ne s'évanouisse de
nouveau et ne le prive du rayonnement
de sa beauté. Cette immobilité choque
le visiteur qui, renonçant aux habiletés
oratoires qu'il avait méditées, éprouve
le besoin de faire sonner ses titres :
— C'est le comte Pozzo di Strozzi, gou-
verneur de Pise, qui vient vous paider.
Ces titres fastueux frappent inuti-
lement les oreilles de Francesco qui
semble n'avoir rien entendu.
— Signor Savelli, reprend le comte à
plus haute voix, m'entendez-vous? Je
vous apporte une grosse somme d'or.
Même immobilité et même silence
chez Francesco qui reste de pierre dans
son attitude contemplative. Habitué à
l'obéissance servile, le comte s'étonne
de ce silence prolongé et, ne pouvant
point croire qu'il est la marque dun
immense dédain, il continue ses offres
sans perdre patience encore.
— - Signor astrologue , rompez le
charme de Paola et, foi de Strozzi! tout
ce que vous demanderez, vous l'aurez I
Quelle folie, pense Francesco, de
croire que le bonheur puisse se vendre
comme on vend une langouste sur la
place du marché! Pauvre fou qui t'ima-
gines pouvoir donner aux autres ce qui
te manque à toi-même! Mais cette
pensée intérieure ne se traduit au dehors
par aucun mot, aucun geste, aucun
signe. Le comte s'irrite d'autant plus
que cette scène se passe en présence de
ses gardes, et d'une voix impérative :
— ^ Réponds, Savelli, réponds! ou
bientôt tu auras à le repentir de ton
silence offensant... Va ! je te ferai bien
ouvrir ces lèvres que tu serres insolem-
ment l'une contre l'autre... Regarde
là-haut tes astres et, s'ils ne sont pas
menteurs, ils te diront que tes minutes
sont comptées... Moi aussi, je suis devin
et je te prédis que bientôt ta bouche
toute béante poussera un appel inutile...
Oui, tu parleras en cris de douleur,
mais trop tard ! Oui, Sangue di Cristo !
Le gouverneur part et l'astrologue
délivré de sa présence sourit. Que lui
importe la mort? Elle est un affranchis-
sement, une renaissance, un envolement
délicieux dans l'espace... Son âme
allégée montera dans les sphères supé-
rieures, aidée dans cette ascension par
Margarita, la vierge qui brille resplen-
dissante dans le ciel les soirs d'été,
Margarita la bien-aimée. Il lui semble
que les esprits de l'air lui chuchotent
des paroles amies et il sourit de nouveau.
Il est près de dix heures. Sur le quai
de l'Arno, un groupe chemine silen-
cieusement. Paola se tient à côté de son
père qui baisse la tête d'un air soucieux ;
elle marche en regardant la tour où la
silhouette de son cousin se détache sur
l'horizon droite et blanche. C'est pour
lui qu'elle vient de refuser encore une
fois la main du comte qui a cherché,
mais en vain, à l'elFrayer de ses vagues
menaces. Celui-ci contient avec peine
les bouillonnements de sa colère; il
tord sa moustache d'une main fébrile et
tourne à chaque instant la tête d'un air
impatient.
Enfin deux hommes glissent le long
des murs dans l'ombre. Le comte qui
surv^eille avec avidité leur marche les
voit s'introduire dans la maison de l'as-
568
L'ASTROLOGUE PISAN
Irologue. Alors il se redresse, hume
l'air embaumé de vengeance et attend.
11 n'attend pas longtemps. La cloche
des Annonciades commençait à tinter la
prière du soir quand le bruit d'une
courte lutte se fait entendre; puis un
grand cri, une chute lourde sur
le pavé de la rue, une
masse blanche étendue
sans mouvement.
Paola se précipite.
Quand, penchée «it
,|a(3,i,>i(Jil,'i::. i
M
la lumièi'e. Et elle priait pour l'âme du
trépassé devant la flamme nourrie d'une
huile toujours pure.
mh.
^EiP"
ï
'>''
sur le cadavre à la robe de lin tachée
de sang, elle a reconnu la face pâlie de
son cousin, elle s'afTaisse sur le sol,
évanouie.
Le lendemain, elle coupe les longues
tresses de ses cheveux et entre dans ce
couvent des Annonciades qui avait
donné, sans le savoir, le signal de
mort.
Suivant la prédiction de l'astrologue,
elle y vécut de longues années dans une
paix triste. Comme insigne faveur, elle
avait obtenu d'entretenir une lampe à
la mémoire de celui qui avait tant aimé
Bien des années passèrent. Paola
vieillie priait toujours les yeux tixés
sur l'étoile terrestre. Un soir d'été, le
soir anniversaire de la chute sanglante,
Paola, malade, entendait dans son éter-
nelle angoisse la cloche de dix heures,
dont le tintement se transformait de
plus en plus en un glas de mort. Quand
les dernières vibrations cessèrent, sa
poitrine cessa de haleter et, en même
temps qu'elle expira son dernier souffle,
la lampe, jetant sa dernière lueur trem-
blante, s'éteignit.
A. Baure.
LE TOURISME
Cherchons (durisnie dans un diction-
Tiaire... Tour... Tourelle... \o\\h des
vocables qui sentent bon le tourisme !..
Tourisme cependant n'existe pas ! Le
d'hommes névrosés chercher dans des
voyages languissants l'oubli de leur
ennui, mais tout un peuple — on peut
l'écrire sans exagération — se ruer vers
le tourisme. Aujourd'hui toute machine
« a faire du tourisme » est l'objet pres-
que d'un culte. Une bicyclette est un
peu plus qu'une mécanique;
c'est la brave petite camarade
des jours de liberté. Si le
cycliste a horreur qu'une main
étrangère la touche, c'est moins
peut-être parce qu'il
redoute une égra-
tignure de l'émail
que parce qu'il voit
impudemment
manier l'in-
strument de
tant de joies
bien intimes.
Littré eût
aperçu le matin
mot n'est pas
français — et
la chose l'est
si bien pourtant !
Cherchons touriste.
Les dictionnaires don-
nent ce mot. Littré le
connaît; mais si mal ! Il nous enseigne
que le « touriste est l'homme qui voyage
par curiosité ou par désœuvrement ».
Comme on devine, sous les lunettes du
célèbre linguiste, le coup d'œil dédai-
gneux dont il dut accompagner son
ironique définition!...
Mais faut-il en vouloir à un savant
de n'avoir su apprécier que le tourisme
des péripatéticiens déambulant dans le
jardin d'Académus !... Ah ! le beau tou-
riste qu'Aristote !
Bref, Litti'é mourut à temps pour
n'avoir pas un démenti de son jugement.
11 eût vu non plus une exception
des journées chômées, lorsque le soleil
peint en blanc les routes, la fièvre nou-
velle secouer les villes, les touristes ga-
gner les portes de l'octroi, s'y grouper,
tournoyer au rendez-vous avec des ca-
marades qui accourent suivis d'autres
encore. Ces hirondelles en mal de dé-
part viennent de tous les quartiers, de
toutes les maisons, de tous les étages.
Il s'en amoncelle des réeriments entiers
LE TOURISME
qui jacassent, s'appellent, se disent
bruyamment le bonheur du tourisme.
Puis peu à peu tout s'envole. Les tou-
ristes s'égrènent dans les chemins divers.
L'un reviendra ce soir : c'est un em-
ployé que rappellera demain l'heure
maudite du bureau ! Celui-là pique vers
la Bretagne : c'est un étudiant qui va
demander à la mer les forces nécessaires
pour suivre ses cours de droit !. .. Cet
autre part aux châteaux de la Loire, par
curiosité certes, mais non par curiosité
de désœuvré, par curiosité saine d'art,
pour satisfaire en homme intelligent
son instinct d'apprendre. Et celui-ci
s'en va ne sachant où, s'en va où le
poussera sa fantaisie, courir à travers
côtes et plaines ; il va s'éreinter pour son
repos. Connaît-on, en effet, à la fatigue
du cerveau d'apaisement plus radical
que la fatigue des muscles ? l'n roman-
cier qui pédale songe-t-il au tracas de
ses romans ?
Qu'est-ce que ces mœurs nouvelles
du « tourisme », dont le terme est de
foi'ge moderne ?
Le tourisme, je le définirais volon-
tiers : le voyage libre. C'est le voyage
avec ses charmes et sans ses ennuis.
C'est le voyage débarrassé des
horaires des chemins de fer et du
contact de co-voyageurs demi-
sympathiques ; le voyage dé-
livré de la volonté d'autrui
qui, pour vous rendre de Paris
à Mantes, vous oblige à passer
par la rive gauche de la Seine
alors que vous auriez des pré-
férences pour la rive droite; le
voyage exonéré des conven-
^ tions de la chemise empesée,
du col étrangleur et des bottines
miroitantes comme les joues
d'un Soudanais. C'est le voyage où
l'on voyage pour soi seul, où l'on
n'a pas le souci d'être vu, mais simple-
ment celui de voir ; c'est le voyage^ étant
fait par roules, où la poussière est de
bonne tenue, où quelques grains de
boue même sont estimés grains de beauté,
où la propi'eté élémentaii^e de bête civi-
lisée est un minimum accepté, où la
chemise de flanelle et les bas de laine
donnent à l'homme la liberté.
Le vrai et bon tourisme ne va donc
pas sans quelque goût d'indépendance
et quelque esprit capricieux. Fais ce
que veux ! Sur les voies ferrées, il n'y
a par conséquent que des voyageurs ;
il n'y a de touristes que sur les routes.
Lorsqu'un touriste pur-sang entend par-
ler de ces longues boîtes à roulettes
remorquées par des locomotives, où,
parqués huit à huit, dix à dix, à l'instar
des chevaux qu'on loge six à six « en
long », les colis vivants n'aperçoivent
du pays traversé que les poteaux télé-
graphiques qui montent la faction le
long des rails, toute sa pitié lui vient
aux lèvres :
« Moi, dit-il, qu'ai-je besoin d'un in-
LK TOURISMK
f)'l
(licaleur? Je ne consulte que le soleil
et la pluie. Je pars, et j'ai la jouissance
délicate de ne jamais savoir l'heure, dont
je n'aurais que faire. Je cours sur les
chemins, entouré d'arbres et de champs
de tous côtés, seul dans mon océan,
tantôt dans le fond d'une descente,
tantôt sur le sommet d'un raidillon,
comme dans les va{,''ues. Voici des mai-
sons; je déjeune quand mon estomac
me dit que l'heure de la côtelette est
sonnée. Et puis je m'endors dans les
bois, s'il me plaît, ou je me laisse
bronzer la peau dans les plaines ; au-
cun domestique ne vient interrompre
la rêvasserie de ma cigarette pour
m'apprendre que le train part à deux
heures quarante-sept. Tiens, du lierre
sur des ruines I... C'est du Louis XIII,
ma foi!... Vite, une photographie! Un
souvenir de plus, à côté du petit bou-
vier que j'ai enregistré tout à l'heure à
l'entrée de l'allée couverte, poussant ses
vaches. Et je roule; et, tous les kilomè-
tres, l'horizon change de décor pour
moi. Voici les toiles do-
rées, pourpres, peintes
en couleurs feu, qui
annoncent que la repré-
sentation du jour V
cesser. Où couche-
rai-je? Dans l'hôtel
prétentieux d'une
ville ou dans l'au-
berge bon enfant
d'une campagne?
Mon bonheur est de
l'ignorer, et mon
indépendance de
tout me donne au
cœur une telle
ivresse, que je vou-
drais l'herbe des
fossés un peu moins
humide pour y aller
passer ma nuit. »
Est-ce là un enthou-
siasme disproportionné
avec sa cause? Qui
s'étonnera qu'un peu de lyrisme agite le
touriste lorsque tout à coup, la laisse dé-
crochée pour quelques heures, il se « déso-
cialise », n'appartient pas à autrui et
redevient à lui-même son propre bien?'
«
• «
Ces mœurs nouvelles, latentes dans
toute âme humaine, je l'espère, sont
nées d'un simple progrès industriel.
Pour fuir au loin, partir à chaque sortie-
à la découverte de paysages nouveaux,
noire appareil naturel de locomotion
pourrait-il suffire? Jusqu'où vont des
jambes bien exercées? A dix kilomètres
du lieu où elles reviendront se reposer!
Encore même est-ce un effort devant
lequel la majorité des fémurs se récuse!
Ce fut donc une des géniales inven-
tions de notre siècle que celle de la
« machine à multiplier les forces ambu-
latoires de l'homme », le vélocipède,,
désormais un instrument classique,
comme le piano ou le fusil, sous sa
forme légère et simple de bicyclette .
572
LE TOURISME
Ah ! l'arrivée de la première bicy-
•clette à Paris, il y a quelque douze ans!
Quelle émotion, naïve si l'on veut, mais
si sentie! Notre accoutumance actuelle
aux deux petites roues nous fait peut-
être sourire des élans d'autrefois ! Mais
alors vraiment il sembla aux impatients
du voyage libre qu'une grande découverte
venait d'êlre faite qui ouvrait à leur
curiosité toutes les belles contrées de
France !
Ce que devint l'outil, amélioré, amené
peu à peu à la portée non seulement des
individus les plus maladroits et les plus
faibles, mais encore des bourses les plus
débiles, on m'en voudrait de l'écrire.
Est-il aujourd'hui un coin de notre pays
■où une bicyclette ne soit passée? Est-il
une industrie, un commerce, un sport,
métallurgie, librairie, tissage, équi-
tation, qu'elle n'ait modifiés?
La bicyclette est évidemment par
excellence l'instrument du touriste.
C'est la monture passe - partout, aux
pieds étroits et sûrs qui galope sur un
ruban de terrain de dix centimètres de
largeur; c'est un cheval qu'on nourrit
•avec une pompe à air, qu'on abreuve
avec une burette d'huile, et qu'on porte
sous son bras pour lui faire sauter
une haie; c'est la bête jamais lassée
dont la vigueur n'a d'autres bornes que
celle de son cavalier ; c'est la silencieuse
•qui ne trouble pas le calme des champs
et fdesous bois sans déranger un oiseau.
La bicyclette est donc, et demeurera,
quoi qu'on fasse, reine du tourisme.
Il serait plus juste, d'ailleurs, d'écrire
qu'elle en est seule la créatrice. Elle a
révélé aux trois quarts des Parisiens
que Versailles n'est pas relégué en une
province trop barbare, que Meaux n'est
pas aux confins de la frontière alle-
mande, et que Rouen porte quelques
traces de civilisation. Elle a prépai'é la
voie aux autres engins de tourisme, a
fait désirer des machines plus rapides
■encore qu'elle-même et, si des voitures
automobiles vont aujourd'hui de la porte
Maillot à la mer en six heures, c'est à la
frêle petite bécane qu'elles le doivent.
Les instruments de tourisme actuels
rempliraient d'ailleurs un parc d'ar-
tillerie.
Etes-vous seul, vigoureux, sans désir
de vitesses anormales, satisfait de 60
à 80 kilomètres en votre journée? Prenez
la bicyclette.
Etes-vous marié? Achetez un tandem.
Vous éviterez à votre compagne le souci
de la direction et aurez la galanterie de
lui prêter dans les côtes l'aide de vos jar-
rets. Si, à l'instant du départ, vous la
voyez bourrer dans les sacs de la ma-
chine un paquetage d'escouade entière,
poussez l'amabilité jusqu'à sourire, et,
vous mettant en selle, songez bien que,
si les roses voyageaient, elles empor-
teraient certainement leurs épines.
Etes-vous de tempérament pressé
ou bien, si j'ose le dire, êtes-vous de
complexion plutôt paresseuse? Voici
l'instrument qui flattera vos petits dé-
fauts : le tricycle à pétrole ! Pour le
conduire en maître, un quart d'heure
d'apprentissage, trois manettes à étudier.
Pour l'alimenter, tous les cinquante kilo-
mètres, trois litres d'essence et un verre
d'huile. Ainsi monté, les pieds immo-
biles, vous parcourrez aisément vos huit
lieues dans l'heure.
Mais ce motocycle, ne le trouvez-vous
pas bien égoïste ? Quelques fabricants
ont jugé que le public se plairait davan-
tage à ces automobiles-jouets si elles
pouvaient emporter deux personnes ;
ils ont adroitement ajouté pour une per-
sonne de poids léger une place à l'avant.
La vitesse obtenue demeure encore aux
environs de 25 kilomètres à l'heure.
Le tourisme à trois, à quatre, à six,
se fait souvent en voitures automobiles.
Le prix de ces machines dépend à la
fois de la renommée de leur construc-
teur, de la force de leur moteur et des
perfectionnements de détail apportés à
l'ensemble. Une voiture à pétrole de
bonne marque, de construction récente,
est toujours d'une valeur élevée.
Mais dans l'échelle de tous ces prix,
chacun peut se décider suivant ses con-
venances et, si l'on faisait la balance de
LE TOURISME
573.
tous les frais, on verrait que ce sport
est encore le moins cher de tous.
Enfin si votre fortune vous autorise
bon faiseur une roulotte automobile !
Plus d'hôtels jamais, plus de draps dou-
teux, plus de promiscuités ! Désormais
à réaliser ce rêve exquis d'être, en
grand format, le colimaçon heureux qui
voyage avec sa maison, commandez au
vous dînerez avec votre fourchette sur
votre table, sur l'herbe aujourd'hui, sur
la mousse demain ; vous dormirez chaque-
LE TOURISME
nuit dans votre lit en des sites toujours
-chanfés. 11 y a ainsi des bohémiens
millionnaires !
Aussi élait-elle jolie l'inspiration de
ce touriste l'an dernier qui, trop pauvre
pour la roulotte -maison, installa lui-
même sur deux fines roues de bi-
cyclette une légère cabane de
bambous et de toile où, le soir venu,
il se glissait et dormait. Il cheminait
^insi à pied, tirant par les brancards
sa frêle niche. Il l'avait baptisée du nom
grec à'écocycle, le cycle-maison. Parti
de Paris, il s'en fut de la sorte au lac du
Bourget et fitun voyage ravissant. C'était
d'un poète ingénieux. Que d'historiettes
charmantes inspira ainsi le tourisme,
amour de la nature, désir de faire connais-
sance qu'a le Français pour sa France !
Les cinq cent mille touristes que la
bicyclette a levés chez nous forme-
raient, on le conçoit, si un accord com-
mun pouvait les réunir pour la défense
de leurs droits ou la recherche de pri-
vilèges, une armée vraiment redou-
table. On se demande par exemple à
quel bon marché fantastique un fabri-
■ cant de casquettes, de
maillots ou de lainages
livrerait à chacun d'eux
sa marchandise, si le re-
présentant de l'association
de tous les touristes fran-
çais lui apportait cette
fabuleuse clientèle. On
cherche également quelle
attitude prendrait la
Chambre si, dans chaque
département, les touristes
s'entendaient pour récla-
mer tous énergiquemenl
auprès de leurs députés
l'abolition ou la diminu-
tion de la taxe excessive
qui frappe les bicyclettes.
C'est cette lourde tâche
d'agglomérer les uns aux
autres les touristes sous
une idée commune, dans
un pays pourtant où la
cohésion est si difficile,
qu'a assumée le Touring-
Club de France et qu'il a
portée avec un éclatant
succès. Le nombre seul de
ses membres, qui va atteindre les six
chiffres, est plus éloquent que toutes
phrases qui voudraient le démontrer.
Le T. C. F. — appelons-le des trois
initiales qui brillent à la boutonnière
de ses adhérents — poursuit un double
objet : défendre les cyclistes dans leurs
revendications et leur procurer les
avantages auxquels leur nombre et leur
qualité leur donnent droit.
Défendre les touristes n'est pas une
sinécure. Chaque semaine se dresse
quelque cas particulier de douane, de
passage à niveau, de circulation, etc.,
qui, généralisé, intéresse au plus haut
LK TOUHISMK
575
point le monde lourisle. Le comité de
contentieux de Tassociation prend en
mains la cause, la soutient, et par là
établit peu à peu une jurisprudence
précieuse pour tous. Pour exemple, je
rappellerai que c'est aux efîorts con-
stants du T. G. F. que nous devons le
rèfjlement de circulation enfin raison-
nable qu'a donné aux cyclistes le mi-
nistère de l'intérieur.
Procurer des avantag'es aux to
n'est pas une moindre difli-
culté que les défendre. Le
T. G. F. installe dans chaque
ville, dans chaque localité
importante, un délégua,
personne toujours notable,
qui met son expérience
des hommes et des choses
du pays à la disposition
du u touringuiste >' de
passage. G'est là un cama-
rade inconnu qui dit en
quel hôtel la table est le
mieux garnie et les lits
sont le moins durs, où
sont les curiosités à visiter,
par quelle route enfin se
poursuit l'itinéraire pro-
jeté.
Le T. G. F. veille au
touriste jusque sur la route
même. Sa caisse remercie
les cantonniers du soin
qu'ils prennent du macadam ; souvent
aussi elle met à sa charge la réfection
entière d'une route de grand passage et
notoirement détériorée... Tout à coup,
au détour du chemin, un poteau de fonte
se dresse, tout bleu, avec cet écriteau en
lettres blanches : «T. G. F. — Attention !
Descente dangereuse ! » Le cycliste est
prévenu, le voituriste s?rre le frein.
Voilà peut-être un accident conjuré.
Au pont du Ramingao, plusieurs fois des
cyclistes, emballés dans la descente ra-
pide, avaient franchi le parapet et s'é-
taient tués. Le T. G. F. fît placer un filet
au-dessus du trou il y a deux ans ; plus
de dixcyclistes déjà s'y sonlfaitprendre,
penauds, mais réellement convaincus
des services que rend l'association !
Bref, le Touring-Club de France est
le ministère du tourisme. Gontre la
minuscule cotisation annuelle qu'il de-
mande à ses membres, que d'amélio-
rations n"a-t-il pas apportées déjà à la
situation difficile jadis d'excursionniste !
Que d'encouragements n'a-t-il pas
fournis à ces nouvelles mœurs qui re-
font au corps et à l'esprit leurs forces et
leur santé?
L'n pays a-t-il donc à gagner à la
propagation du tourisme? Répondons à
la question par l'analyse des effets que
produit sur la société et sur l'individu
l'habitude du voyage par les routes.
Pour le pays même, le tourisme,
c'est la rénovation des routes, de leur
commerce, de leur vie, que les dili-
gences avaient emportés avec leurs der-
niers postillons; c'est la revanche des
bourgades jadis prospères, des auberges
autrefois achalandées, sur le chemin de
fer qui les avait amenées à l'agonie;
c'est la décentralisation si demandée de
576
LE TOURISME
la capitale et des grandes villes vers les
banlieues et la province, le commerce
plus g-énéralisé et partout le bien-être.
Pour le pays encore, le tourisme,
c'est une immense industrie neuve, aux
usines innombrables, qui le vivifie ; c'est
un antidote contre le jeu du dimanche
et contre l'alcoolisme. C'est un lent,
La liberté? L'essence même du tou-
risme en est faite. Marche, touriste, to»
seul maître, désormais, c'est toi!
L'égalité? Le touriste est aux prises-
avec les forces aveugles de la nature ou
des choses, pour qui l'argent et le nom
ne sont rien, contre qui l'intelligence et
l'adresse sont tout. L'égalité devant la
côte pénible, devant la machine
brisée et devant l'orage, l'égalité
môme devant la mauvaise ome-
lette de rencontre que les
pièces d'or n'amélioreront pas,
l'égalité devant la fatigue et le
découragement sont de petites
écoles dont les esprits sages
mais sûr l'éforma-
teur d'une race.
Pour l'individu,
le tourisme est
mieux encore que
le vivifiant d élite
de ses poumons et
de sa chair, mieux
que le guérisseur
infaillible de tant
de maladies dues
à l'inaction, mieux
même que le professeur profond de son
esprit; c'est le grand philosophe qui
enseigne le courage et l'initiative. Il
n'y a pas de tourisme plaisant pour les
lâches.
Nos monuments nationaux portent
gravés sur leurs flancs les trois mots :
Liberté, Egalilé, Fraternité, qui indi-
quent du moins l'idéal vers lequel tend
notre civilisation. Il n'est pas lieu ici
de mesurer la distance qui sépare en-
core la pratique de la théorie. Mais
quelle institution, mieux que le tou-
risme, met à exécution ce libéral pro-
gramme?
comprennent l'enseigne-
ment élevé.
La fraternité? Croyez
bien qu'un cycliste sur route n'inter-
roge pas tout d'abord son camarade
d'aventure pour savoir s'il est prince
ou manant. A l'infortuné qui, loin de
secours, se lamente prosaïquement sur
son pneumatique crevé, le touriste qui
passe ne demande pas si ses mains sont
caleuses ou douces. Tenez, voici ma
pompe; prenez, voilà ma dissolution !...
Je l'écris en souriant; je le pense gra-
vement.
La route est bonne conseillère du
L. Baudry de Saunier.
LES SCEAUX
1
I/élude des sceaux, comme celle des
chartes, a pris depuis quelques années
un très };rand essor. Outre que ce sont
des documents historiques qui olFrent
un très f,n-and intérêt, ils sont de [)lus la
preuve manifeste qu'au moyen âge le
sentiment de Tart avait pris chez nous
un assez grand développement.
Les sceaux proprement dits nont pas
été connus des temps anciens, c"est-à-
dire des Assyriens, des Égyptiens, des
Grecs, ni même des Romains. Cepen-
dant c'est chez ces peuples qu'ils trouvent
leur origine. Sans doute, il n'y avait pas
chez eux des sceaux, dans l'acception
que nous donnons à ce mot, c est-à-dire
des coins de métal qui représentent le
moule ou la planche de la gravure; mais
il existait des pierres lines intaillées,
enchâssées dans le chaton des bagues,
qui tenaient lieu de sceaux à cette
époque reculée. Si réellement — ce qui
est incontestable — le sceau a été la
marque de l'individu et comme son
représentant, servant à témoigner de sa
présence, de son consentement, de sa
possession, ou même d un droit quel-
conque, on peut dire, sans crainte d'er-
reur, qu'il a dû exister dès les premiers
temps. Le besoin d'une telle marque,
d'une telle représentation, n'a point pu
ne pas se faire sentir. Et, de fait, Ihis-
toire, lue et étudiée avec intelligence,
nous fait connaître que ce double instinct
de la propriété et de la personnalité
avait de bonne heure trouvé son expres-
sion. Ce n'était pas, je le répète, la
plaque de métal à laquelle nous donnons
et nous réservons ce nom de sceau, mais
c'était un autre objet, une autre matière
qui avait encore une autre destination,
mais avait aussi celle-là.
L'anneau que Pharaon tira de son
doigt pour le donner à Joseph, en lui
VIII. — 37.
conféranl lautorilé suprême, était,
d'après iMabillon {De re diplomalica), un
anneau sigillaire; cet acte équivalait à
la remise du sceau de l'Etat. C'est à
coup sûr le premier exemple que l'his-
toire nous fournisse; ce qui ne signifie
nullement que le sceau ait été inventé
du vivant du fils de Jacob, ni môme qu il
doive son origine aux Egyptiens. Car,
presque à la même époque, des objets,
tenant assurément lieu de sceaux, sont
répandus chez les .Assyriens et les Baby-
loniens.
Le musée du Louvre en possède plu-
sieurs qui ont été trouvés à Khorsabad,
et qui portent, avec des inscriptions
cunéiformes gravées en creux, l'efligie
d'un roi d Assyrie. D'autres représentent
un animal fantastique combattu par une
divinité. Ce sont en général des pierres
dures qui ont plus particulièrement
servi d'amulettes, de talismans pour la
protection des personnes qui les por-
taient, mais qui servaient aussi à mar-
quer des objets. Nous ne prendrons
comme témoin de cette double destina-
tion que le petit cylindre de jaspe rose,
conservé au cabinet royal de La Haye e(
qui a appartenu à Ourçana, roi de Mou-
çacir, au viii'' siècle avant Jésus-Christ.
Il porte en efTet, en caractères cunéi-
formes, qu'il est le « sceau d'Ourçana,
roi de Mouçacir » ; et quelques autres
mots attestent sa puissance protectrice.
Les Grecs, un peuple artiste s'il en
fut jamais, n'eurent pas non plus des
sceaux proprement dits ; mais ils enchâs-
sèrent dans le chaton de leurs bagues
des pierres dune grande finesse, in tail-
lées, avec le nom d'un homme, écrit au
rebours, ce qui les caractérise très bien.
Indubitablement, ces bagues, si elles
servaient d'ornement, étaient aussi des-
tinées à donner des empreintes sur une
matière molle, de la cire ou de la craie
d'Asie. Ces cachets des Grecs représen-
578
LES SCEAUX
talent des figures mythologiques, des
personnages, de simples léles, quelque-
fols aussi des scènes entières, comme
l'enlèvement de Proserplne. On conçoit
quelle finesse devaient exiger de tels
sujets sur un si petit champ d'exécution.
Aux amateurs, on peut conseiller de
visiter les musées de Paris, de Vienne,
de Ne^^'-York. Ils seront émerveillés de
la délicatesse de ces intailles grecques.
La g"lyptique, ou l'art de graver sur les
pierres précieuses, n'a jamais fait plus
beau. Quelle beauté, quel fini, par
exemple, dans cette intaille du musée
de New- York, représentant la Némésis
antique faisant un geste de menace et
accompagnée d'un serpent lui aussi
menaçant !
Les Romains, comme on le sait, furent
de grands admirateurs de l'art grec.
Combien de chefs-d'œuvre ne transpor-
tèrent-ils pas à Rome, à l'époque de la
conquête de la Grèce, et même plus
tard! Pourtant ils ne se contentèrent
pas de piller ce pays et de s'approprier
une grande part de ses richesses, ils
essayèrent aussi d'imiter les œuvres de
génie de ce peuple; et, s'ils restèrent
inférieurs presque en tous genres, ils
n'en ont pas moins la gloire d'avoir
marché sur les traces de leurs devan-
ciers, de les avoir suivis de près, de les
avoir même égalés peut-être, au moins
pour l'éloquence. Dans la glyptique, ce
traA'ail délicat par excellence, ils demeu-
rèrent au-dessous. Les sujets les plus
intéressants pour nous sont ceux qui ont
appartenu aux principaux personnages
connus. Sur l'anneau de Sylla, on voyait
Jugurtha dans les fers, et, sur celui de
Pompée, un faisceau de trophées. Celui
de Jules César possédait au centre une
Vénus armée ; celui d'Auguste, un sphinx,
n pai'aît même que ce dernier ne plut
pas à une certaine catégorie de citoyens
romains, ceux qui sans doute déploraient
la perte des libertés publiques; ils pré-
tendirent que le princeps — ainsi appe-
lait-on Auguste — scellait ses lettres
de mystérieuses énigmes. L'opposition
cria si fort que le sphinx fut supprimé
et remplacé par une tête d'Alexandre !
Et, chose singulière, cette tête servit
ensuite de cachet à tous les empereurs jus-
qu'à l'avènement de Galba. On n'ignore
pas combien absolu devint le pouvoir
des empereurs. L'un d'eux poussa — il
faut dire le mot — sa folie jusqu'à
nommer consul son cheval favori. Il ne
faut donc pas s'étonner que Commode
ait eu l'audace de cacheter ses ordres
impériaux avec l'effigie de sa maîtresse
Marcia.
A cette époque, le chaton prit de plus
gi'andes proportions, et, au lieu d'une
pieri'e précieuse, il ne porta le plus sou-
vent qu'un champ de métal, en or, en
argent ou même en fer, mais toujours
également gravé. C'était le commence-
ment des sceaux. Il n'y avait plus qu'une
seule différence : malgré leurs propor-
tions, ces plaques de métal étaient encore
fixées à l'anneau ; et ce que nous dénom-
mons proprement un sceau n'est qu'un
objet qui a été spécialement destiné à
donner des empreintes.
A côté des empereurs païens, l'anti-
quité chrétienne nous a aussi laissé des
gemmes finement travaillées et repré-
sentant, qui le Christ, qui la Vierge, qui
les anges ou même saint Pierre et saint
Paul. D'autres aussi offrent des sujets
symboliques : une colombe, un poisson,
une croix. Il n'y a pas jusqu'à la secte
des gnostiques qui n'ait eu ses anneaux
sigillaires, entre autres celui dont la
pierre portait le type d'Abraxas Panthée,
ce personnage fantastique à la tête de
coq, aux jambes terminées en queue de
serpent, et qui portait pour armes un
fouet et un bouclier.
Les Romains léguèrent aux peuples
qui leur succédèrent l'usage de sceller
et de cacheter avec leurs intailles.
Cependant il ne paraît pas que les rois
barbares aient employé tout d'abord, et
communément, les pierres précieuses.
Ils les gardaient plutôt comme des objets
curieux et leur préféraient des anneaux
d'or avec plaque de même métal.
Il faut arriver aux Carlovmgiens pour
voir reparaître communément la pierre
I.KS SCKAIX
570
liiie sij;ill;tiro. (lliarlemayiic, le pt're
(111110 i)remii>re, bien que modeste, re-
naissaiite artistique et littéraire, adopte
piiur sceaux deux intailles adniira])le-
menl ti-availlées et conservées parfaites.
Pour ne parler que de l'une d'elles, c est
un Jupiter Serapis aux cheveux bouclés,
à la barbe irisée, le mocliiis sur la tète,
tel enlin que le représentent les chefs-
d'œuvre de la sculpture antique. Cette
pierre était montée en bajoue, bien
qu'elle ait 0"','i8 de diamètre. Sous les
successeurs de ce fi^rand prince, on grava
sans doute sur le cristal de roche, mais
très souxent aussi, le plus souvent peut-
être, sur une pâte de verre imitant tout
à fait la cornaline. Alors les cachets
montés sur bagues prirent de plus
grandes proportions, comme d'ailleurs
cela avait eu lieu à la fin de l'empire
romain, et l'on sonfjea à détacher les
sceaux des anneaux.
Les Bénédictins ont dit : " A force
d'augmenter le volume des anneaux, on
en a fait des sceaux, et, à force de dimi-
nuer celui des sceaux, on en a fait des
cachets. » La belle époque des sceaux
commence donc avec la séparation opé-
rée par les premiers Capétiens et finira
au moment où reparaîtra la mode des
petits cachets encore en usage.
Il ne paraît pas que Hugues Capet, le
roi qui a donné son nom à cette race,
laquelle a fourni des monarques à la
P'rance durant une si longue suite de
siècles, sans être prête à s'éteindre, il
n'est pas probable, dis-je, que ce prince
ait introduit l'innovation des sceaux.
Nous n'en avons aucun de lui. Un di-
plôme original délivré par ce roi en
988, et portant le mot annulus avec
la trace d un cachet de cire d assez petite
dimension, semble contredire une telle
hypothèse. C'est plus probablement Ro-
bert, son fils, à qui doit être attribuée
cette transformation. Le sceau de Robert,
en effet, ne s'appelle plus simplement
annulus, mais annulus niajesfati's. Par-
fois aussi il porte le nom de sigilluni,
que l'on chercherait vainement sous les
deux [)remières races. Rn outre, si l'effi-
gie nest pas un roi sur le lr(')iie. il y a
plus qu'une tête; on y voit les attributs
souverains avec l'énoncé complet et
définitif de sa dignité : Bohertns, qracià
Dei, francoruni rex.
Cette invention coïncide, pour ainsi
dire, avec la naissance du régime féodal
et l'organisation de la monarchie capé-
tienne. Ce n'est pas là une rencontre
SCEAU DE KOBEKT
fortuite. Le sceau fut 1 arme de la royauté
nouvelle, qui voulait maintenir sa condi-
tion de supériorité sur de grands vas-
saux, naguère les égaux des princes
régnants.
Le sceau fut donc d'abord l'expression
de la royauté. L'Angleterre et les autres
puissances ne tardèrent pas à imiter le
roi de France. Mais les grands vassaux,
ayant presque tous les droits royaux et
principalement le droit de justice, s'at-
tribuèrent bientôt le droit de sceau qui
symbolisait les autres; si bien qu'à la tin
du xii" siècle, les grands seigneurs et les
grands corps avaient tous leur sceau, à
Légal du roi.
Au xHi® siècle, les plus petites juri-
dictions réclament du roi, qui le leur
vend, le droit d'apposer le sceau au bas
de leurs actes. Sous Philippe le Bel,
c'est un véritable envahissement. La
580
ij:s sceaux
royauté plus avide ou plus besogneuse
fît argent de ce désir universel de pos-
séder un sceau.
Tout marquis veut avoir des pages!
Une foule tle corporations laïques et
SCEAU DE HENRI VIII, ROI D ' A X G L E T E U R K
ecclésiastiques, des bourgeois, des arti-
sans, des vilains même en obtinrent la
jouissance.
II
Donner une connaissance complète de
tout ce que Ton peut savoir sur la ques-
tion des sceaux, tel n'est pas notre but.
Nous sommes trop j-esserré dans les
bornes d'un article, quelque longueur
que nous soyons autorisé à lui donner. Il
faudrait des volumes, et même assez
étendus, pour la seule nomenclature des
empreintes qui sont en la possession des
musées. Toutefois, nous pouvons faire
que les lecteurs aient une idée de l'im-
porlance et de l'intérêt de cette haute
question.
Procédons par élimination, pour ne
pas nous perdre dans l'immensité de ce
champ presque sans limites. Nous laisse-
rons de côté d'abord les sceaux étrangers,
qui poun^aient faire l'objet d'une élude
spéciale, bien qu'ils ne soient jamais
marqué au coin, d'une parfaite origina-
lité, sauf pourtant quelques-uns de la
collection anglaise. Presque toujours les
étrangers ont suivi la mode française;
rarement ils l'ont devancée. Le roi assis
sur un trône, même en Angleterre, ne
commence pas à paraître avant que
la France en ait fourni le vrai type.
Et presque toujours les additions à
cette première et persistante donnée
ont été copiées sur des modèles fran-
çais. Quand ils ont voulu faire du
nouveau, leurs essais n'ont pas été
des plus heureux. Témoin la bulle
(1 oi- de Henri VIII, roi d'Angleterre.
(]e roi, sans doute, eut la fatuité de
vouloir prouver à François I""" que ses
artistes n'étaient pas étrangers aux
j)rogrès de la Renaissance. Et son
graveur fournit assurément un travail
d une grande richesse, mais qui n'était
que le comble de la recherche, un
luxe de détails, à tout le moins un peu
lourd. N'insistons pas. Pourtant, si
nous ne citons pas les étrangers ; si
nous ne parlons pas même de la bulle
d'or de Ferdinand III, empereur d Alle-
magne, presque aussi connue que celle
de Henri VHI; si enfin nous écartons
tînalement les étrangers, il ne serait
peut-être pas hors dé propos de dire un
mot de ce que l'on entend par une bulle.
Les btdles,
qu'elles
soient en or
(il y en a eu
très peu), en
argent i c'est
la grande
exception),
en bronze (il
faut les reje-
ter au rang
des légen-
des), ou eniin
en plomb (et ce sont les plus communes),
les bulles, dis-je, ne sont jamais appo-
sées sur le parchemin comme les em-
preintes qui, en France, précédèrent
l'an mille, ou comme celles quedonnèrent
les premiers sceaux. Elles sont toujours
15 U L L E DE PATI. II
Ij;S SCKAIX
581
peiidanles en raison de leur nialière el
(le leur poids, el rallacliées à Tacle par
des cordons de soie de difFércnles cou-
leurs. Les peu nombreuses exce|)lions
(|ue 1 on pourrait sif^^naler ne foiil que
conlirmer la refile. De plus, loules ces
huiles sont des sceaux de nature excep-
tionnelle, fabriqués j)our une tircoii-
slance non moins exceptionnelle, lùifin
elles sont, ])our la majeure partie, com-
posées de deux plaques de métal qui ont
été frappées séparément sur une face el
réunies ensuite et soudées par les bords.
(Juand les bulles ont une certaine épais-
seur, on peut croire que les deux plaques
ont entre elles un gâteau de cire recou-
\ ert par un cylindre de métal.
I/Ej,dise, qui conserve toujours les
mêmes usages, en a surtout fait un em-
ploi fréquent, tandis que chez nous
elles sont, pour ainsi dire, à létat d ex-
ception. Elles commencent avant les
sceaux proprement dits. Les anciens
empereurs romains en avaient appendu
à leurs actes pour leur donner un ca-
chet dauthenticité, et la plus ancienne
bulle pontificale que Ion connaisse date
de 614 et est conservée au A'atican.
L'une des faces présente 1 image du
lîon Pasteur entre la première el la
dernière lettre de 1 alphabet grec; laulre
ne porte que les mots Deus dédit papa.
VA\e est appendue à un acte du pape,
Deuii dédit. Toutefois, cette figure du
Bon Pasteur ne se maintint pas. Elle
fut bientôt remplacée, au viii'" siècle,
par le sujet classique définitif, les têtes
de saint Pierre el de saint Paul, avec le
nom du pape au revers, suivi de son
numéro d'ordre parmi les papes du
même nom. Il y eut bien quelques in-
terruptions; mais dès la fin du xi'' siècle
lusage devint tout à fait fixe.
A côté des bulles, il y a. pour les
papes, Vanneau du pêcheur, cachet
analogue à ceux dont se servaient les
souverains avant l'invention du grand
type royal et conservé, malgré tout, par
le saint-siège pour être placé sur le par-
chemin ou le papier. Les bulles sont
réservées pour les lettres solennelles,
lesquelles portent elles-mêmes le nom
de bulles, du nom de leur marque;
l'anneau du pêcheur est une empreinte
apposée sur les billets ou les lettres
particulières appelées ordinairement
/)refs.
Mais loin de nous la velléilé de nous
égarer dans le nombre si considérable
des bulles pontificales et surtout des'
sceaux ecclésiastiques, qui consliluenl
TYPE DE .SCEAU ÉPISCOPAL
GUILLAUME DE M A C O X
Évêque d'Amiens.
une mine insondable. Chaque évèché,
chaque paroisse, chaque communauté
enfin, n avait-il pas le sien? Et le
plus souvent, à la nomination du nou-
veau chef de toute communauté reli-
gieuse, le sceau ne subissait-il pas une
modification?
C'est encore avec un grand regret
que nous nous voyons privé du plaisir
de faire une excursion soit dans les
sceaux des universités, des ordres mili-
taires, des corporations et des métiers,
des villes grandes et petites, soit danis
ceux des seigneurs qui ont exercé un
grand rôle dans l'histoire de notre chère
France. Il y aurait certainement quelque
plaisir à jeter les yeux sur le sceau de
Guillaume le Conquérant, duc de Nor-
Li:S SCKAIX
SCEAU DE l'université DE TAIilS
GUI DE CHATILLOX (Type équestre)-
nianclie, et plus tard roi crAngleterre à
la faveur de Tunique victoire de Has-
lings; sur ceux de Philippe de Rouvre,
de Philippe le Hardi, de Charles le
Téméraire, tous
trois nobles ducs
de Bourgogne;
sur celui de Du
Guesclin, le bras
droit de Ghai'les
le Sage, etc. Quels
souvenirs se-
raient évoqués,
glorieux et che-
valeresques ! Et
en même temps
c o m b i e n F œ i 1
éprouverait de
sensations agréa-
bles à considérer
les traits de ces
guerriers, rendus
avec plus de fi-
nesse et de déli-
catesse qu'on ne
saurait le dire. Toute l'âme de larliste a
passé dans ces œuvres d'un autre âge
Nous nous rattraperons, il est vrai,
ailleurs. Qu'il me soit permis de dire
cependant un mot des différents types
qui ont caractérisé ces productions ar-
PHILIPPE LE HARDI, DUC DE H 0 U II G O G X E
listiques dont beauccuip, hélas! sont
perdues à jamais.
Le premier type des sceaux des sei-
gneurs est le type équestre. Le cheval
est en principe
le signe distinctif
et l'attribut es-
sentiel du gentil-
homme: je n'en
\- e u X d a u t r e
preuve {|ue ce
nom de chevalier
donné dès l'ori-
gine de la féoda-
lité à la plupart
des nobles. En
paix, comme en
guerre, le pro-
priétaire du fief,
le défenseur du
sol n'est bien que
sur son destrier;
il est rivé à ses
lianes. Il le pare
avec orgueil, il le
choie comme un ami, comme l'insépa-
rable compagnon de la bonne et de la
mauvaise fortune. Il lui parle comme à
un autre lui-même : « Bon Morel ! toi
qui m'as conduit tant de fois au dan-
ger, tu vas me conduire aujourd'hui en
i,i:s s<:j:al'x
583
paradis! » Et, en disant cela, le cheva-
lier se précipite tête baissée contre les
Sarrasins. Il est donc bien naturel que
les seigneurs soient ligures à cheval :
armés pour le combat, s'ils vivent en
temps de guerre; équipés pour la
chasse, si les temps sont moins trou-
blés. El, dans Tun et Tautre de ces deux
sujets, quelle variété, quelle vie, quelle
linesse, quelle richesse de détails 1 Tan-
tôt le gentilhomme chevauche tran-
quillement, casque en télé et lance au
dans cette dernière altitude, parce
qu'alors la noblesse commence à des-
cendre de son piédestal pour se mêler
au commun des hommes et que le châ-
teau féodal ([uille les hauteurs pour les
plaines.
Il y eut aussi la représenlation armo-
riée. Les premiers écussons avec armes
ne font guère leur apparition que vers
la lin du xii'' siècle. Unis au portrait
équestre ou isolés sur le champ de mé-
tal, ils désignaient avec une certitude
SCEAU DE LOUIS II DE BAVIÈRE
(Tyi» debout).
ADÈLE, COMTESSE DE SOISSOX.S
(Type d'un sceau de châtelaine).
poing; tantôt il se penche en avant ou
en arrière, le corps abrité sous un vête-
ment de fer. Puis le destrier lui-même
est caparaçonné et rendu invulnérable
comme celui qui le monte. Et tout cet
appareil d'homme et de cheval, qui ne
semblent faire qu un, est couvert d'or-
nementations variées qui font recon-
naître le maître.
Si du type équestre nous passons à la
représentation debout, que les seigneurs
ont aussi adoptée, nous constatons
qu'elle, n'est pas aussi fréquente et
qu'elle n'est venue que plus tard. Ce
n'est guère que dans le cours du
xiv'' siècle que les princes et les gen-
tilshommes consentent à se montrer
parfaite le possesseur du sceau sur le-
quel ils étaient gravés. Toutefois, quand
ils ont existé concurremment avec les
autres types, les écussons armoriaux,
dont les rois eux-mêmes ont usé,
comme du type équestre, n'ont servi
qu à la composition de sceaux à desti-
nation particulière.
Derrière la triple rangée de cheva-
liers bardés de fer, soit montés, soit à
pied, ou resplendissants de l'éclat des
armoiries, se dissimule timidement le
petit essaim des châtelaines et des da-
moiselles dont la cire nous a transmis
l'intéressante physionomie. Gomme les
reines, d'ailleurs, dont nous nous
abstiendrons de parler, généralement
584
I.KS SCEAUX
elles sont restées debout. Rarement les
règles si rigoureuses de la hiérarchie
féodale leur ont permis de s'asseoir sur
la haute chaise à dossier et à coussin
qui orne la grande salle de leur manoir.
C'est à peine si quelquefois elles sont
représentées montées sur leurhaquenée
pour aller à la chasse à Toiseau. Et,
MATRICE DU SCEAU BE L' ABBAYE T)E SAINT-DENIS
cpiand la dame est debout, ce qui se
rencontre, comme nous Taxons dit, le
plus souvent, elle porte à la main une
Heur, un livre, un objet à son usage, ou
assez fréquemment un oiseau de chasse
attaché par un filet reposant sur sa
main gantée. Pour la forme du sceau,
dans ce cas elle est ogivale.
Mais pourquoi nous arrêter sur ces
types, qui pourtant pourraient être
une occasion de moisson bien fruc-
tueuse? Nous pourrions, en elîet, faire
une étude des mœurs de ces dilFérents
âges. Les vêtements et leurs variations,
les occupations diverses du grand
monde d'alors pourraient bien être
accusés dans toute leur N'érité. Il res-
sortirait, par exemple, avec la dernière
évidence que le gentilhomme allait le
plus souvent à la chasse monté sur son
coursier, tandis que la châtelaine se
livrait à ce facile plaisir dans son pai'c,
à la promenade, un peu partout, et
principalement à pied. Malgré cet
avantage, il vaut mieux nous en tenir
aux sceaux des rois de France, dont
l'importance
primordiale n'é-
chappera à per-
sonne. En
dehors du mé-
rite qu'ils ont
de nous fournir
toute une ga-
lerie de por-
traits aulhen-
liques, ils nous
mettent de plus
sous les yeux
une étude du
graveur sur le
costume et le
mobilier de l'é-
poque ; ce qui,
sans contredit,
double leur prix
pour les archéo-
logues. Sur un
petit rond de
cire de quelques
centimètres on
voit revivre tout l'appareil royal, toute
la physionomie des anciennes cours du
moyen âge. C'est ce qui les difTérencie
des monnaies où le portrait du souverain
se trouve aussi, mais isolé et hors de
son milieu.
111
Nous avons vu que dès le roi Robert
le sceau fut trouvé. Le type de majesté,
tel qu'il s'est perpétué presque jusqu'à
nos jours, c'est-à-dire le portrait du roi
avec ses insignes et ses attributs, re-
monte aussi à ce prince. Si celui-ci ne
se fit pas représenter en entier et assis,
comme son fds Henri I^"", il est vu jus-
I.KS se K AUX
(|u";i la ceinlure et il porte le sceptre et
la eouronne royale. l'^a d'autres termes,
il a les attributs i)riiu'i|)au\ de la
ro\auté.
Henri l'"' a de [)liis tpie son père un
Irone ou plutôt, pour être exact, un
sièf:;e sculpté à jour, imitant un édicule
à deux étages percé d'arcades romanes;
ses pieds, que le
bas de sa tunique
laisse à découvert,
reposent sur un
escabeau.
Des modifications
accessoires ne tar-
dent pas à s'intro-
duire. Sous Phi-
1 i j) p e I *" "■ , par
exemple, le siège à
arcades cède la place
à un vrai trône ou.
si vous voulez, à un
fauteuil dont les
pieds sont formés de
tètes et de pattes
d'animaux. Quelques
archéologues ont
prétendu que tel
était le siège du roi
Dagobert, et que
c'était celui-ci qu'a-
vaient voulu repré-
senter les graveurs
de 1 époque. Les rai-
sons apportées pour
soutenir leur opi-
nion sont purement
gratuites et consé-
quemment sont loin d'être de taille à
détruire l'idée que les premiers rois
capétiens devaient être plus conforta-
blement assis que le bon roi Dagobert,
de populaire mémoire, et que c'est bien
le siège du roi de 1 an mille et non un
autre dont les graveurs avaient en \ ue
de fournir l'empreinte.
Ces premiers Capétiens ont tous un
visage allongé et un air de famille très
reconnaissable. Ce type originel dispa-
raît cependant avec Louis le Gros, à
qui sa mère, une princesse hollandaise,
sendjle avoir communicjué la tournure
un peu épaisse et aussi la patiente
énergie de la race à laquelle elle appar-
tenait. La ligure est plus large, la barbe
plus courte.
Le sceau est formé de deux éléments
qui se trouvent réunis : le premier, qui
relève uniquement de la gravure, est ce
LOUIS VI (Typ? ihi sceau plaque)
qu'on appelle plus proprement le tijpt';
le second, qui relève de l'écriture, con-
stitue la légende. Celle-ci s'est conser-
vée dans la suite sans variations inté-
ressantes, sinon dans le fond, du moins
dans sa position. Elle suit ordinaire-
ment le contour extérieur du type ou
de l'eftigie et est disposée de façon à se
lire en dedans. En général, elle porte en
écriture du temps le nom et le titre du
propriétaire du sceau, et cela sans
abréviations, à moins qu'il ne s'y trouve
des abréviations qui étaient ou pou-
LES SCEAl'X
vaienl facilement être connues de tous.
Dans les premiers temps, la cire, ayant
subi plus ou moins de préparation, était
appliquée au bas des actes, après les
t'ormules finales et à côté de la signa-
ture ou du monogramme; puis avec la
matrice pressée fortement on obtenait
l'empreinte : c'est ce qu'on nomme les
plaqués. C'est le chancelier, c'est-<à-dire
celui qui avait la garde du sceau, ou
son aide, qui accomplissait cette opéra-
lion importante. D'habiles faussaires —
il y en a eu de tout temps — imagi-
nèrent de détacher ces larges cachets de
cire de certains actes authentiques et
parvinrent à les rattacher à d'autres qui
ne l'étaient pas. Voici comment ces
malins s'y prenaient : ils faisaient
chaulfer une lame de couteau très
mince, puis ils la faisaient glisser avec
précaution entre la cire et le parchemin
ou l'attache qui la supportait, de façon
que l'empreinte se décollât d'elle-même
SAINT LOUIS (Tj-pe d'un sceau sur lé de soie).
sans aucune altération ; puis ils chauf-
faient légèrement celle-ci sur sa face
postérieure, la recollaient sur un autre
parchemin ou sur une nouvelle attache,
et le tour était joué.
Qu'était-ce que l'attache? Louis le
Gros — comme les rois d'Angleterre
avant lui — avait trouvé que la couche
de cire exigée par l'accentuation des
reliefs et le diamètre des sceaux (jus-
qu'à 70 millimètres) courait le risque
d'être endommagée sous les plis du par-
chemin ou même de se détacher. Il usa
des sceaux pendants, c'est-à-dire appen-
dus au bas des pièces à l'aide d'un lien
tenant à la cire par un bout et au par-
chemin par l'autre. On le voit, c'étaient
toujours des plaqués que l'on avait ainsi.
Or, que le sceau fût appliqué sur l'at-
tache ou sur le parchemin, la difficulté
était également surmontée par les faus-
saires. En vain, on avait fait usage de
sous-sceaux^ cachets plus petits, que l'on
apposait au-dessous
des premiers ; on avait
aussi bien raison de
ceux-ci que de ceux-là,
et la validité des actes
ne se trouvait pas suf-
fisamment garantie.
C'est alors que Louis
le Jeune se résolut à
employer le contre-
sceau. Le gâteau de
cire reçut dans ses
lianes l'une des deux
extrémités de l'at-
tache, ordinairement
un large ruban de soie,
variant de couleur, au
gré du chancelier,
comme d'ailleurs la
cire elle-même, et
reçut des deux côtés
une empreinte diffé-
rente . Comme les
bulles pontificales, les
deux côtés du sceau
avaient chacun une
effigie ou une inscrip-
tion.
I.KS SCKAl'X
587
Le foiilre-scciiu de Louis le Jeune lui
le fypt^ équestre qui aj)])artenail plus
proprement aux seif^iicurs. Mais la pre-
mière lace le sceau proprement dit, qui
généralement était plus large que le
contre-sceau , fut toujours le tyi)e de
majesté. Il lut à peu près le même dans
lensendile (jue ceux de ses prédéces-
seurs. Il en ditlera cependant. La barbe
disparut, les cheveux s'allongèrent et
tombèrent, le manteau se raccourcit et
se noua sur les épaules, le sceptre se ter-
mina vaguement en Heur de lis. Enfin,
le dessin a plus de mérite : les coups de
burin sont plus nets, les traits mieux
dessinés, les détails plus visibles.
Philippe-Auguste est un jeune homme
à la mine fleurie, à lair avenant. Il ne
rappelle en rien le vainqueur de Bou-
vines, mais plutôt lesprit jovial auquel
la tradition populaire a prêté tant de
saillies et de bons mots. Il est vrai que
chaque souverain, taisant graver son
sceau à son avènement, y est naturel-
lement représenté sous les traits qu'il
avait alors ; par conséquent, il a presque
toujours un aspect juvénile, à moins que,
dans le cours de son règne, il n'ait fait
renouveler la matrice. Et ceci arrivait
parfois, quand, par exemple, la première
avait été ou volée adroitement ou imitée
par un faussaire avec une certaine habi-
leté.
Le contre-sceau de Louis le Lion est
un type armorié, un écu semé de fleurs
de lis sans nombre. Si la cire ou le métal
pouvaient nous rendre leur ton doré avec
la teinte azurée du champ, nous aurions
exactement le drapeau national du temps.
Notons en passant qu'à la fin du
xii*^ siècle et au commencement du xiii'',
des lettres royales avaient le sceau
appendu à ce qu'on appelait queue de
parchemin. Le tranchant acéré d'un
couteau avait vite fait d'obtenir une
lumière qui restait adhérente sur un
quart ou un cinquième de la largeur du
parchemin.
Sous le règne de saint Louis, le luxe
de fabrication permit aux chancelleries
des hauts et puissants seigneurs de se
procurer |)ou)" les attaches des tissus de
soie aux brillantes couleurs, des rouges
éclatants, des bleus célestes au ton chaud,
des ganses, des tresses d'or. La queue de
parchemin fut donc à j)eu près aban-
donnée.
Le sceau de saint Louis ne nous a
légué que des empreintes laissant beau-
coup à désirer quant aux traits du visage.
Quel dommage! car le reste est d'une
rare perfection. Nous y retrouvons les
mêmes qualités que dans la sculpture et
l'architecture du xiii" siècle : style sobre,
lignes simples, ornementation élégante
sans richesse, pose naturelle et digne.
Le costume s'est modifié dans un sens
plus artistique. Le manteau prend l'as-
pect de l'antique chlamyde et ses plis
tombent verticalement; la fleur de lis
a maintenant la forme héraldique immo-
bilisée depuis par la tradition.
Ce prince, dont l'esprit d'équité et de
justice est connu de tous, qui ne crai-
gnait pas de s'abaisser à pacifier les dif-
férends sous le chêne légendaire de
Vincennes, ne pouvait manquer de don-
ner l'exemple du plus grand respect
pour les marques de validité et d'au-
thenticité qu'étaient les sceaux de cette
époque. Tant qu'il subsistait des frag-
ments, l'acte qui les portait était consi-
déré comme valide. Le sire de Joinville
nous raconte un trait à l'honneur de son
maître. M*''' Renaud de Trie apporta au
saint homme une charte, laquelle don-
nait aux héritiers de la comtesse de Bou-
logne le comté de Dammartin-eu-Goële.
Le sceau ne laissait voir que la moitié
des jambes et l'escabeau sur lequel repo-
saient les pieds. Quand le roi eut la
charte entre les mains : <( Voici le sceau
dont j'usais avant que j'allasse outre-
mer, et l'on voit par ce sceau que l'em-
preinte du sceau brisé est semblable au
sceau entier ; c'est pourquoi je n'oserais
en bonne conscience retenir ledit comté.»
Et il le rendit à M^"' Renaud de Trie, héri-
tier de la comtesse.
Cependant la scrupuleuse probité de
ce prince pouvait bien ne pas être imitée
par tous; aussi ceux qui avaient au bas
LKS SCEAUX
C H A R L E s \-
(le leurs parchemins des sceaux plus ou
moins oblitérés les faisaient-ils renou-
veler par le chancelier.
Le luxe et la richesse
(lu dessin deviennent, à
partir de ce moment, les
({ualités les plus recher-
chées par lesg'raveurs du
sceau royal. La draperie
et Fornementation sont
plus développées pour
Philippe le Hardi et
Philippe le Bel. Le pre-
mier de ces princes a un
visage rond, ouvert ; c'est
hien l'expression du ca-
ractère que lui prête
l'histoire. Le second a
les traits un peu durs et
lexpression sévère. Si,
mal|j;-ré cette physiono-
mie, ses contemporains
le surnommèrent le Bel,
qu'est-ce à dire, si ce n'est
que la douceur n'était
point pour eux l'idéal de
la beauté? C'est bien là
l'homme qui ne courbait
pas dexant Rome et fai-
sait plier les Templiers
et tous ses sujets devant
ses exigences fiscales !
Ses trois fils ont à peu
près même visage, quoi-
(pie moins imposant,
liemarquons seulement
(pie Louis le Hutin tient
en maui, au lieu d'une
Heur (le lis, le bâton de
justice surmonté d'une
main. Au-dessus de sa
tête, on remarque un petit
clocheton gothique : c'est
l'embryon d'où sortira
})lus tard le dais d'archi-
tecture sous lequel frei-
nera le monarque repré-
senté.
Arrive la branche des
Capétiens- Valois. Le vi-
sage redevient plus mai-
gre et les traits plus prononcés, parti-
culièrement sur le sceau du roi Jean le
LOUIS XI
LES SCEAUX
5S!)
FRANÇOIS !<''
Bon. Sous les premiers Valois, l'étude
du règne animal a dû faire un grand pas,
car le trône est flanqué de deux aigles
ou de deux dauphins et les pieds du roi
Jean s'appuient
sur deux lions
couchés dans
une attitude na-
turelle. Lespoi'-
traits que les
peintres sur vé-
lin nous ont
laissés de ce
prince sont
assez ressem-
blants à celui
du sceau. Nou-
velle preuve, et
incontestable
celle-là, que les
graveurs ne fai-
saient pas de
figures de con-
vention dans le
sceau du roi.
Quelques
princes eurent un sceau à destination
spéciale, « le sceau ordonné en l'absence
du grand ». Tel celui de Charles V. Ce
n'était ni un type de majesté, ni un type
équestre, mais simplement l'écu de
France à trois fleurs de lis qui recouvre
FRANÇOIS II ET MARIE STUART
LOUIS XIV
à moitié le roi debout; le tout est en-
fermé dans un riche encadrement qua-
drilobé où se jouent deux dauphins. Les
dauphins resteront plus d'un siècle un
emblème joint
aux attributs
royaux , sans
doute à cause
de la réunion
du Dauphiné ;i
la couronne.
Charles VI,
Charles Vil
sont abrités
sous un dais
d'architecture
de plus en plus
développé, c[ni
finira par faire
corps avec le
trône ; car l'an-
c i e n banc à
têtes et à pieds
d'animaux dis-
paraîtra pour
faire place à la
chaière gothique en bois sculpté, munie
d'un dossier et surmontée d'un ciel de
semblable façon. Puis la tenture fleur-
delisée vient rejoindre ce couronnement
du trône, et ainsi se trouve formé tout
naturellement, par une suite continue
590
LES SC1']AUX
LOUIS XVI APRÈS I, A LOI CONSTITUTIONNELLE
NAPOLÉON 1*"^
(le perrectionuements et
de m b e 1 1 i s s e m e n l s, le
laig^e manteau ou/jari7/o/j
à dais qui sera désormais
le cadre indispensable de
la majesté royale. La li-
f;ure de Louis XI se déta-
cha la première sur ce fond
somptueux, qui n'obtint
toute sa splendeur
([u'avec Charles VI IL
I\'
C'est ici que finit la
belle époque des sceaux,
non jjas des sceaux des
souverains, car ils ont
conlinuéjusqu'auxix''siè-
cle, mais des seig'neurs et
des particuliers qui en
(ont plus rarement usag'e.
Le sceau était pour
ainsi dire la légalisation
de la signature. Aussi
empruntait-on celui du
Noisin quand on n'en
avait pas soi-même ou
qu'on avait besoin d'en
user loin de chez soi. En
ce cas, le fait était men-
tionné dans le corps de
l'acte ou du contrat
Quelles précautions ne
prenait -on pas pour
aflirmer le caractère au-
thentique des empreintes?
Tantôt les parties enfon-
çaient dans la cire la
marque d'un de leurs
doigts, tantôt elles y in-
séraient, avant qu'elle
fût sèche, des poils de
barbe, des cheveux ou
quelque autre signe in-
contestable de leur pré-
sence et de leur consen-
tement. Ainsi la lettre
adressée par Jeanne d'Arc
aux habitants de Riom,
et conservée dans les
I.i:S SCKAIX
591
archives municipales de
celle ville, pbrlc encore,
passé à Iravers le cachet,
un cheveu noir pris sur
sa lête ; c'est môme là le
seul indice matériel qui
nous révèle que Théroïque
tille était brune.
La vulgarisation de
récriture qui donna à
tous la possibilité de
sig^ner, et plus encore la
substitution du papier
au parchemin qui rendait
presque impossible le
sceau pendant, ame-
nèrent vite la disparition
du sceau. D'autre part,
la charte remplacée par
la lettre missive, la lettre
close, comme on disait
d'abord, qu'on pliait,
quon mettait sous enve-
loppe et dont on voulait
dérober le contenu aux
regards indiscrets, fut la
cause de l'invention des
petits cachets approxima-
tivement les mêmes que
ceux que nous avons
encore aujourd'hui. C'est
au XVI® siècle que s'opéra
cette révolution, si bien
que nous pourrions nous
arrêter ici et prétendre
que notre tâche est finie
Cependant nous nous
en voudrions de ne pas
dire un mot des sceaux
que nos souverains ont
encore employés jusqu'à
la Révolution française.
Ce sera le couronnement
de ce petit travail, que
certains auraient pu. ac-
cuser de n'être pas assez
complet.
Bien qu à l'avènement
de Louis XII le talent
des graveurs se relève
légèrement, le sceau de
I, f) r I s X \' 1 1 1
X A P 0 L E <) X III
J02
LES SCEAUX
ce prince est peu cHlférent de ceux de
ses prédécesseurs immédiats.
François I" figure sur le sien sous
les traits d'un jeune homme imberbe ;
mais, dès Tannée suivante, il revêt sur
(( le sceau en l'absence du grand » la
physionomie historique popularisée par
tant d'artistes célèbres : visage allongé,
barbe en pointe, à peu près le physique
des premiers Capétiens.
La Renaissance se fait sentir déjà
avec Henri II et dune façon indiscu-
table : deux anges, qui ressemblent pas-
sablement à des amours, soutiennent le
pavillon qui abrite la physionomie toute
capétienne du monarque.
Signalons en- passant Theureuse inno-
vation qui n'a pas eu de suite et nous
olfre, sous un même dais, les deux juvé-
niles figures de François II et de Marie
Stuart. Assurément, c'était déroger à
la règle ; mais la touchante figure de la
princesse, qui plus tard devait être si
malheureuse, nous plaît sous cet appa-
reil de triomphe, portant môme sceptre,
même main de justice que son royal
époux, égale à lui par la puissance
comme par l'amour !
Pourquoi faut- il que Charles IX et
Henri III perdent de leur importance
par trop de richesse dans la gravure,
par ce fouillis de contours et de plis
tourmentés, et que les deux anges qui
soutiennent le pavillon en gagnent à
ses dépens?
Les sceaux n'étant plus guère en usage
que dans les chancelleries royales, l'in-
dustrie ne s'appliquait plus à fournir
de cire de la meilleure qualité. Cette
circonstance nous prive malheureuse-
ment du portrait de Henri IV, devenu
presque entièrement fruste.
La même cause nous aurait privés du
portrait de Louis XIII, si, à la fin de
son règne, en 1642, l'un de ses sceaux
de majesté n'était parvenu à nous lais-
ser une empreinte plus solide et plus
nette. Le visage est mince, les cheveux
longs, la barbiche en pointe et la colle-
rette épaisse.
Louis XIV se servit surtout de scenux
secrets, c'est-à-dire de cachets peu difïé-
férents de ceux des particuliers et qui don-
nèrent leur nom à ces lettres fameuses qui
vous envoyaient, sans autre raison que
le bon plaisir du roi, dans les sombres cel-
lules de la Bastille. Il existait cependant
un sceau de majesté, gravé à l'avènement
de ce prince. Louis XIV y était re-
présenté toul enfant. Il est plutôt gra-
cieux qu'il ne rappelle la majesté du
grand et puissant monarque qui a mé-
rité l'honneur de donner le nom à son
siècle.
Les premiers sceaux de Louis XV ne
diffèrent guère et ne pouvaient guère
difïérer de celui-là. Comme son glorieux
prédécesseur, il était monté si jeune sur
le trône !
Ce qui caractérise celui de Louis XVI,
c'est le soin et la recherche d'un artiste
tout à fait moderne. Au demeurant,
faut-il le dire? le portrait est peu l'es-
semblanl.
Ici finit la longue série des types
de majesté proprement dits ; car, si
Louis XVIII s'en fit graver un pendant
l'émigration, sur le modèle de celui de
son frère, il est d'une exécution si mau-
vaise qu'il peut à peine compter, et les
gouvernements qui suivirent n'eurent
plus que des types de fantaisie, qui ne
rappellent point du tout le beau type de
majesté, sauf peut-être celui de Napo-
léon P', qui pourtant reste loin, bien
loin en arrière.
Disons, pour terminer, que la sigillo-
graphie, quand elle aura son musée de
moulages au complet, moulages triés
sur le volet et rangés méthodiquement,
sera, pour les chercheurs et les érudits,
une source inappréciable de richesses.
A. Lecoy de la Marche.
LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
Dans une dédicace à M'"° Malhilde Serao,
M. Paul Bour{Tet explique ce qu'il aurait
voulu faire dans son nouveau roman la
Duchesse bleue paru à la librairie Lcmerre.
Il s'agit d'un problème de psychologie
qu'il ne craint pas de poser sous cette
forme bien austère et scolastique :
— Des rapports de l'impression et de
l'expression.
Voilà le thème qui lui a fourni les varia-
tions. Ce que cela veut dire ? C'est la ques-
tion de savoir s'il faut éprouver les im-
pressions, sentiments, amours, haines,
douleurs, pour bien les exprimer.
Pour in'arracher des pleurs il faut que vous pleuriez,
a dit Boileau après Horace. M. Bourget
ajoute :
— Oui, mais il faut que ce soient larmes
de crocodiles !
Vous voyez la thèse. L'artiste, l'auteur
doivent imaginer, et non ressentir ce qu'ils
peignent. Diderot avait fait le Paradoxe
du comédien pour recommander à l'acteur
de ne rien donner au hasard de l'inspira-
tion, de tout préparer, de rester toujours
maître de lui. M. Bourget reprend l'idée
en l'étalant à tout, Musicien, poète, écri-
vain, sculpteur, peintre, acteur, garde-toi
de souffrir ou tu es perdu. Vous allez
sans doute me citer Musset,, Lamartine,
Beethoven et bien d'autres qui ont vécu
leur art, et mis leur être, leur âme, leur
substance dans leur œuvi-e, et vous auriez
bien raison de les citer, car c'est la preuve
la plus claire qu'ici encore, comme en
toute autre chose, rien n'est absolu, tout
est relatif et contingent. Tout dépend de
la personne de l'artiste et de son tempé-
rament. Mounet-Sully ne joue pas deux
fois de la même façon: c'est selon la dis-
position de l'instant. 11 se monte plus ou
moins, et il vibre en proportion. Tel
autre a le jeu, au contraire, étudié et figé
dans sa fantaisie apparente. Diderot n'a
fait que conseiller aux gens de se confor-
mer au second de ces modèles. Mais ceux
du premier renieront toujours cet avis.
Plus spécialement, M. Bourget demande
si l'artiste a besoin d'éprouver ce qu'il
exprime. Evidemment, c'est selon les cas.
On a assez raillé les chantres de l'Iris en
l'air. Un amour profondément ressenti,
une douleur intimement portée sera pour
le peintre moral le meilleur des exem-
plaires à copier. S'il invente, il fera du
•chic. Il faut souvent qu'il en fasse. Il peut
VIII. — .38.
jieindreles affres du condamné à mort sans
y avoir passé. Il y a une part à faire à
l'imagination. Il suppose, il devine par
intuition des états d'âme ({ui ne sont pas
le sien. Ce n'est pas dédoublement de son
moi, c'est imagination. Nous avons tous
part à la nature humaine. Nous pouvons
tous prédire et nous représenter ce que
fera ou pensera un de nos semblables
dans telle conjoncture, dans telle situation
morale. Nous le savons et par nous-mêmes
en nous supposant dans ce cas, et par les
données de l'expérience d'autrui racontée
dans l'histoire, la chronique, le journal.
Celui qui imagine plus vivement cette
invention est plus artiste.
Dès lors, on voit que le <( moi du talent >!,
comme dit notre auteur, est distinct « du
moi de la vie » dans la mesure où le moi
de nos rêves, de nos suppositions, de nos
imaginations diffère du moi de la réalité.
Une jeune femme qui pique des bottines,
occupation essentiellement prosaïque, peut
être une rêveuse poétique, lleurir sa fenê-
tre et suivre sur le cours des nuages le
caprice de ses songes fantastiques.
M. Bourget a posé le problème et l'a
résolu dans le sens de la séparation absolue
de la vie et du talent. Il nous dit que ce
roman de la Duchesse bleue s'appela d'abord
Trois âmes d'artistes, qui sont trois exem-
ples et trois preuves de ce séparatisme,
de cette exclusion, de cette divergence
entre le domaine de la vie et le domaine
de l'art.
Jacques Molan est un auteur dramati-
que. Il écrit des drames pleins de passion
ardente et folle. A la ville, c'est pourtant
un cœur sec, égoïste, un homme rangé,
calculateur, commercial, pratique, un es-
prit d'affaires, une âme vile et légère, un
faucon perché sur un encrier.
Camille Favier ? Elle a eu un grand
chagrin d'amour. Elle l'a oublié. Elle est
une actrice frivole et lancée, et elle joue
la passion à ravir, sans l'éprouver. — Oui,
mais elle l'a ressentie autrefois, jusqu'à
en mourir, et l'exemple est mauvais, car
on pourra prétendre que son jeu passionné,
elle le doit à son expérience et à sa mé-
moire. Alors, la vie inspire le talent.
Vincent Lacroix ? C'est un sculpteur
timide et sensitif. Il aime profondément,
il ressent les sentiments à l'état aigu,
il est incapable d'en rien faire paraître ni
d'en rien faire savoir au public par le
moyen de son art. L'impression tue en lui
l'expression. C'est un raté.
594
LE MOUVEMENT LITTERAIRE
Telle est la thèse, fort discutable dans
cette démonstration trop peu probante,
car on n'a jamais vu que ressentir trop
vivement émousse et paralyse le talent de
l'artiste. L'expression artistique est une
émanation de la personnalité et ne peut
se dégag-er de son origine.
11 est possible à Jacques Molan de mettre
à la scène de fortes peintures de sentiments
qu'il ne ressent pas, s'il a l'imagination du
cœur, comme l'eut Racine qui n'a pas vécu
ses tragédies, et qui a su peindre le cas
de Phèdre sans avoir été lui-même une
belle-mère qui aime son beau-fds.
11 n'est pas prouvé que Camille F'avier
ne sait pas si bien jouer la passion pour
en avoir été elle-même une terrible vic-
time, et qu'elle eût été aussi pathétique
sans avoir jamais aimé. Enfin si Vincent
Lacroix est un raté, ce ne sont peut-être
pas ses sentiments qui le gênent, et ce
peuvent être mille autres causes différentes
d'éducation, de savoir, de métier.
D'ailleurs, voici le cas.
L'histoire est courte. C'est un simple
fait-divers enflé aux proportions d'un vo-
lume.
Camille Favier, actrice, a débuté au
théâtre avec un grand succès dans une
comédie de Jacques Molan.
On l'appelle la Duchesse Bleue, parce
que, dans la pièce qu'elle joue, elle repré-
sente une duchesse dont un peintre a fait
le portrait en bleu, de manière à rappeler
le Blue Boy de Gainsborough. C'est à la
fois titré et tiré. Elle est devenue éperdu-
ment éprise de son auteur, qui lui fait la
grâce de la prendre pour maîtresse, sans
l'aimer.
Jacques Molan n'aime rien ni personne.
Il n'a que de l'égoïsme et de l'ambition. Il
vise une femme du monde, M™** de Bonni-
vet, dont il fait savamment le siège en se
servant de sa petite actrice comme d'un
appeau pour prendre la grande dame par la
jalousie.
M°"= de Bonnivet fait le faux pas. Ca-
mille l'apprend. Elle se propose de fus-
tiger sa puissante rivale. Mais au moment
de surprendre les amants perfides, elle voit
que le mari est là qui guette, le revolver
à la main. Elle adore tellement Jacques
qu'elle aime mieux le sauver en sauvant
son ennemie. Elle se substitue à celle-ci
et sort du petit rez-de-chaussée au bras de
Jacques devant Bonnivet stupéfait de sa
méprise. La voici aux aguets, dans la rue,
pour la vengeance :
Elle passa la nuit du jeudi au vendredi lit-
téralement comme folle, et, quand elle partit
de la rue de la Barouillère pour g-a^ner la rue
Nouvelle, il y avait trente-six heures qu'elle
ne dormait ni ne mangeait. Elle avait entendu
M™« de Bonnivet et Jacques fixer le rendez-
vous pour quatre heures. A trois heures et
demie, elle était sur le trottoir, en face des
fenêtres du petit appartement, occupée à faire
les cent pas, enveloppée de sa mante, mécon-
naissable sous le double voile roulé autour
de sa figure, et ne perdant pas de vue la
porte par où sa rivale devait passer. Il y avait
alors, à l'angle de la rue Nouvelle et de la rue
de Clichy, une station de fiacres qui devint
aussitôt le ternie de sa promenade. Car, à
chaque fois que sa marche la ramenait du coté
de l'horloge de cette station, elle pouvait voir
que l'aiguille marchait, comme elle-même, et
rapprochait l'instant où elle allait enfin
étreindre sa vengeance. Trois heures qua-
rante... Plus que vingt minutes à attendre,
iiKjins peut-être. Trois heures cinquante, en-
core dix minutes. Quatre heures Ils sont en
retard.... Quatre heures dix.... Personne....
L'aiguille est maintenant sur le chiflVe vingt
et ni Jacques ni M'"'' de Bonnivet n'ont
paru !...
Que se passe-t-il '.'... Elle se préparait à s'en
aller, lorsqu'en fouillant de ses yeux une der-
nière fois cette courte rue, elle aperçut, arrêté
de l'autre côté, en face de la station, un
fiacre qu'elle n'avait pas encore remarqué, et,
penchée hors de la portière, une figure qui lui
donna un de ces accès de terreur où se dis-
solvent toutes les forces du corps et de l'âme :
elle venait de reconnaître, sous le rideau à
demi baissé du coupé immobile, Pierre de
Bonnivet en personne !
Oui, c'était bien le mari de la maîtresse de
Molan, non plus dans sa fonction risible
d'époux, ombrageux et intimidé, d'une femme
à la mode et qui soufl're des coquetteries de
celle qui porte son nom, en les subissant pour
en profiter. C'était l'assassin à l'affût chez qui
la jalousie a soudain éveillé le mâle primitif,
la brute meurtrière, et dont les yeux, les
narines, la bouche, annoncent la volonté de
tuer, quoi qu'il doive arrivei-. Il était là, fouillant
la rue, lui aiAsi, de ce fauve regard. Le collet
de loutre de son pardessus à demi relevé
donnait à son poil roux et à son teint sanguin
un reflet plus sinistre, et sa main qui levait
le rideau pour lui permettre de mieux voir,
dégantée et nue, semblait prête à saisir
l'arme qui allait venger son honneur, là sur
ce coin de trottoir, — sans plus de souci du
monde et du scandale que si Paris était encore
la forêt d'il y a trois mille ans où des demi-
gori'.les se disputaient à coups de pierre une
femelle vêtue de peaux de bêtes.
Elle sauva le perfide ami. Après ce su-
blime héro'isme, elle quitte Jacques, et
comme il y a soirée ce jour-là chez les
Bonnivet, elle borne sa vengeance à imiter
Adrienne Lecouvreur devant la duchesse
de Bouillon ; elle regarde M'""' de Bonni-
vet en récitant des vers destinés à gêner
celle-ci; elle manque, d'ailleurs, son effet,
M'"*^ de Bonnivet étant cuirassée. Encore est-
ce là beaucoup de bruit pour rien, car tout
rentre, après tant de dramatique émotion,
dans l'ordre le plus calme et le plus bo-
nasse : Jacques Molan se marie bien ;
M™*' de Bonnivet, devenue veuve, se rema-
rie mieux ; Camille Favier devient une ac-
LK MOUVEMENT LITT HU A 1 R E
595
trice de yenre fêtée, joyeuse cl dépravée.
El tous sont contents.
Tous, non. Il y a un attristé : c'est le
héros de ce récit , celui qui nous le fait
en son nom personnel , sous forme de
journal, le timide raté Vincent Lacroix.
C'est un tort pour un personnage de ro-
man comme de théâtre d'être toujours en
scène et de ne rien faire qu'écouter. C'est
le rôle de Vincent Lacroix. C'est toujours
à lui que nous avons affaire, c'est toujours
lui que nous entendons, et il est là comme
une cinquième roue à un carrosse. Il écoute
et il rco^arde. 11 n'a rien d'autre chose à
faire. Etrange idée de mettre ce récepteur
en vedette. C'est Arbate ou Arcas passant
au rang de protagoniste.
Il est le plus terne des cinq ou six per-
sonnages qui animent cette courte histoire
de leur physionomie claire et très étudiée.
Dans sa lettre à M^^ Serao, M. Bourget
envie le talent de cette dame qui sait
peindre les foules et les ensembles. Pour
lui, romancier d'analyse, il est obligé, par
la nature de son œuvre et par la pente de
son esprit, de restreindre le nombre de
ses figures afin de fouiller davantage l'étude
de chacune d'elles.
Oui, romancier d'analyse, il l'est dans
ce volume autant qu'on peut l'être. Il s'en-
lise même dans son travail de sondeur, et
il n'avance pas. Sur trois cent soixante
pages, les cent trois premières, qui sont
le tiers du volume, racontent simplement
la rencontre de deux camarades et la façon
dont ils ont passé leur soirée, d'abord en
dînant, puis en allant au théâtre, sans
qu'aucun événement important ne sur-
gisse : ce n'est qu'analyse et souvenirs;
sans doute, c'est perspicace, pénétrant,
aigu; mais, comme on dit en Espagne,
hasta porfiar ! On dirait une gageure,
ou bien un exercice pour voir jusqu'à
quelles limites se peut pousser l'art d'étu-
dier et d'expliquer des actes. Il en résulte
que la composition de l'œuvre est fâcheuse.
Tout le noyau de l'intrigue, qui est le sau-
vetage d'une rivale par son ennemie, tient
en cinquante feuillets trop longtemps an-
noncés et attendus. Trop souvent le con-
teur nous promet le coup de théâtre espéré
au milieu de cette sécurité de la paisible
analyse. Il nous dit trop : « Attendez com-
ment tout cela va finir ! Ah ! si vous sa-
viez comment cela a fini ! J'arrive à la
scène (p. 212)! Comment se serait-on
attendu à la révélation qui mil fin à cette
incertitude (p. 216)! » Eh oui! arrivons-y
enfin 1 On dirait du Bourget jeune revu
et repris par Bourget mûr. Le récit ne
coule pas avec aisance. C'est dogmatique
comme un devoir de logique : '< La pre-
mière période, celle de la joie (p. 198); Ca-
mille triste, c'est la devise de la seconde
période (p. 202); la troisième période, celle
de la certitude furieuse et du désespoir
exasi)éré (p. 212). » Cela est bien lourd, et
le scul[)leur qui numérote ainsi son jour-
nal est un tantinet méticuleux.
Le style même a des surprises, des dé-
faillances, comme si c'était mal relu. « Nous
étions à la i)orle de la baignoire; il s'ar-
rêta pour échanger quelques mots avec la
femme préposée à la porte. « L'un parle
de « sordidité », l'autre déclare : « Mon âme
a chaud. » Il est vrai que c'est un sculp-
teur qui écrit.
Ces vétilles disparaissent, hâtons-nous
d'ajouter, dans le nombre des belles et
éloquentes pages où l'auteur scrute et
interroge l'humaine nature.
Tantôt ce sont de fines remarques qui
constatent une perspicace psychologie :
Chacun a, dans son caractère, des parties
fortes qui correspondent exactement à des par-
ties faibles. Celles-ci sont la rançon de celles-là.
Mon manque d"énergie dans laction jjositiye
se compense par une rare puissance d'éneryie
passive, si je peux dire. Incapable daller de
l'avant avec une certaine vigueur, mêrne
lorsque mon plus vif désir m'y pousse, je suis
capable d'une endurance singulière dans l'ab-
stention, dans le renoncement, dans l'absence.
Et ceci, sur l'indifférence désintéressée
des bonnes grosses natures bourgeoises :
Elle avait assisté à sa vie comme une
femme assise au comptoir dans un magasin
assiste à la vente. Je rends mal une chose
humaine que je vois si bien, et qui est si fré-
quente chez les créatures voisines du peuple :
leur sort leur demeure extérieur et imper-
sonnel.
Et cette note si juste, que la jalousie n'a
rien à voir avec l'amour.
Il y a là quelques portraits moraux, si
l'on peut dire, qui sont de haute touche et
de beau relief, surtout ce Jacques Molan,
un parvdieur, si l'on pouvait employer ce
mot pour désigner toute cette race de lut-
teurs pour la vie, la fortune et la gloire,
depuis Julien Sorel et Rastignac jusqu'à
Bel Ami. Un type bien vivant, ce Jacques
dont la vie a une régularité féroce, impla-
cable, méthodiquement puissante, toute
faite de patience et d'obstination, parce
que la patience est ce qui se rapproche le
plus des procédés que la nature emploie
pour atteindre ses résultats. Elégant et
fleurant doux, il est snob, à la fois rangé
et dérangé; son intérieur est tenu avec
une propreté ordonnée et hollandaise;
dans le cabinet où il reçoit, il a placé,
reliées, les œuvres des jeunes auteurs de
son temps, afin que ceux-ci flattés le gra-
cieusent dans leurs journaux. Rien que des
objets de prix chez lui : il soigne d'avance
sa vente possible. L'empereur romain
disait : Pas un jour sans écrire une ligne!
596
LE MOUVEMENT LITTERAIRE
Jacques écrit chaque jour quatre pages,
pas une de plus, pour la vie matérielle.
Homme étrange, dont le plan de vie est
comme un quadrillage de papier d'archi-
tecte, et dont l'existence a l'air extrava-
gant , désordonné, ultra-mondain. Pas
l'ombre d'un sentiment vrai ou profond.
Il fait souffrir d'amour sa petite Camille
sans s'en douter, sans regret, sans y croire,
quand on lui en parle.
Suivons-le dans la loge de Camille; il la
taquine à dessein et lui fait venir les
larmes à propos de cette M™"^ de Bonnivet
qui est dans la salle.
On voit ce qu'a cherché l'auteur : des-
sécher ce cœur, durcir cette roche, pour
s'étonner qu'il en sorte une source douce
et suave qui est l'exquise sensibilité dont
il adoucit son œuvre et qui pénètre ses
écrits. Ce Jacques n'est tendre que la
plume en main. 11 y a scission, divorce,
dissidence entre sa vie vraie et celle de
son esprit. Ses imaginations sont aux an-
tipodes de ses actes. C'est un argument.
Il n'est pas très neuf, à vrai dire, et l'on
soupçonnait déjà avant ce livre qu'il y a
une imagination du cœur et de l'âme, et
qu'Homère a inventé Andromaque sans
être mère et que Virgile a fait pleurer
Didon sans s'être trouvé dans son cas.
Il se produit vers la fin une légère dé-
viation dans la thèse, qui demeure un peu
flottante. Vincent a assisté au drame qui
mit Camille près de la mort ; il retrouve
celle-ci adulée, grande artiste, en pleine
possession de son talent et de ses moyens,
et il en conclut qu'il faut avoir éprouvé et
étouffé une grande douleur pour devenir
plus tard un génie; ce passé douloureux
devient alors comme un engrais pétri de
sang et de larmes sur lequel fleurit le
talent somptueux. Voici la page :
Et c'est alors que j'ai vraiment compris
pourquoi je ne serai jamais un grand artiste.
Pour eux, pour les êtres comme je l'ai tou-
jours connu, lui, comme elle est devenue,
elle, api'ès la première épreuve, la vie tout
entière, leur cœur y compris, n'est qu'une
occasion de produire cet acte spécial qu'ils
ont à produire, cette précieuse sécrétion qu'ils
élaborent comme l'abeille fait son miel, comme
l'araignée fait sa toile, par un instinct aveugle
et féroce à la manière de tous les instincts. —
Un amour, une haine, une joie, une douleur,
c'est du terreau h faire pousser la fleur de
leur talent, fleur de délicatesse et de passion
vivante. Pour un mot à dire sur la scène,
pour une phrase à écrire dans un livre, cette
femme et cet homme vendraient leur père et
leur mère, — Camille ne m'a même pas parlé
de la sienne! — ils vendraient leur ami, leur
enfant, leur plus doux souvenir I Et moi qui
aurai passé ma vie à sentir ce qu'ils expri-
ment si bien, lui avec du noir sur du blanc,
elle avec des gestes et des accents émus,
n'arriverai-je jamais qu'à me paralyser avec
ce qui les exalte, ces natures d'expression, à
m'épuiser par ce qui les nourrit, ces âmes de
proie? Et la destinée veul-elle que les artistes,
petits ou grands, se distribuent nécessaire-
ment entre ces deux races : celle qui traduit
merveilleusement , sans les sentir, les pas-
sions que l'autre race éprouve sans pouvoir
les traduire ?
Ceci change un peu les choses, car s'il
faut au talent le « terreau » d'une souf-
france vécue, l'expression a donc besoin
de l'impression antérieure pour naître? Ce
qui ne serait pas juste, car les romanciers
ne sont pas tous obligés de faire de l'auto-
biographie.
Plusieurs scènes se détachent de ce
récit et laissent dans l'esprit, on dirait
presque dans l'œil, un souvenir net et vif :
les visites de Jacques dans la loge de la
petite actrice entourée de ses stupides
adulateurs, la belle et sèche M""" de Bon-
nivet dans sa loge de balcon, ou chez elle,
à la soirée oîi elle essuie sans broncher
les allusions du rôle récité à bout portant
par Camille ; les rendez-vous de la grande
dame au cimetière du Père-Lachaise, et au
petit rez-de-chaussée de la rue Nouvelle,
avec Camille cachée derrière un meuble ;
le faux duel du gros critique, les soup-
çons du terrible et rougeaud mari, M. de
Bonnivet; tout ce monde remue, s'agite
et donne une impression délicieusement
voilée de tout un coin de société pari-
sienne, dont il faut louer le perspicace et
compétent historien.
L'Inquisition a eu ses mystères, ses
secrets, ses voies fortes et ses terribles
indiscrétions qu'apportait au saint-office
la sainte llermandad. En Italie, le Conseil
des Dix a eu un tel pouvoir d'informations
que le drame de Victor Hugo, Angelo, tyran
de Padoue, est à faire frémir : « La nuit,
j'entends des pas dans mon mur. » C'est
un attrait du même genre qui distingue le
nouveau livre de M. Charles Edmond,
le Neveu du comte Sérédine, scènes de la vie
russe, paru chez Pion et Nourrit. C'est ici
le nihilisme qui représente la puissance
occulte et inéluctable partout invisible et
présente.
A Moscou, une nuit de janvier, en 1880.
C'est grande fête au palais du nouveau
gouverneur, comte Sérédine, chargé de
surveiller les nihilistes. Le bal est masqué.
Beaucoup d'entrain et de Champagne. Les
masques et les travestis tourbillonnent.
Deux Hindous apportent un palanquin
doré, le déposent sous la loggia de l'or-
chestre et s'en vont. Il contenait un ma-
harajah. La farce parut drôle.
Immobile, celui-ci, comme pétrifié. Quel
rôle jouait-il, que signifiait son attitude ? On
LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
5S7
l'examina, on essaya de lui soutirer une pa-
role. En vain ! Tout à coup, les observateurs
partirent d'un formidable éclat de rire. Par-
bleu ! Il n'y avait pas à s'y méprendre, rien
qu'à voir cette tète masquée, ])cnchée sur la
poitrine. Le maliarajah dormait d'un sommeil de
plomb. Il dormait, mais pourquoi dormait-il
ainsi? L'énij^me, gjràce à l'esprit collectif des
assistants, ne tarda pas à livrer son mot. Les
bons apôtres avaient sans contredit fait pré-
céder le bal d'un repas plantureux; ils y
avaient pjrisé à mort un de leurs convives, un
soutTre-douleur à qui on voulait ménager
l'humiliante surprise d'un réveil en plein bal.
Le bal tournoie autour du palanquin.
L'aube blanchit. Il va falloir songer au dé-
part. Le maharajah dort toujours. C'en est
trop, la farce fait long feu :
On s'empressa autour du palanquin ; une
main s'y introduisit de chaque côté et secoua
le dormeur. Celui-ci ne bougea point.
Hommes et femmes se groupaient tumul-
tueusement autour de la litière :
— E.\tirpez-le de sa boite? Dehors! dehors!
Voyons s'il tiendra debout !
En un clin d'œil, le [lalanquin fut dépecé et
vola en éclats.
Le masque du fantoche se détache dans la
bousculade. Un cri d'horreur retentit. Cela un
mannequin? Non pas! Un cadavre! La tète
livide, monstrueusement convulsée, hideuse;
la bouche suintant une bave sanguinolente, les
yeux entrouverts et vitreux. Dans la tempe,
un petit trou perforé jiar une balle. Et jour
de Dieu ! la tête reconnaissable ! Oui, c'est
bien lui, Philippe Karlowitch Milders, le
vaillant colonel de gendarmerie, la terreur des
nihilistes.
Ce sont donc eux qui ont fait le coup !
Les visages, tantôt rayonnants de joie, se
décomposent en un instant. La stupeur glace
les regards, l'efTroi tord le sourire, la peur,
une peur blême, contracte les traits et tenaille
les cœurs. La musique, ignorant ce qui se
passait au-dessous de son balcon, continue
inconsciemment et avec frénésie le galop
infernal. Des cris rauques, des gestes exas-
pérés lui imposent silence. La foule consternée
livre enfin passage au maître de la maison.
Les bras derrière le dos, le visage impas-
sible, le comte Sérédine s'approche du cadavre.
Il aperçoit sur la poitrine de l'assassiné un
bout de papier avec quelques mots régulière-
ment tracés. Il les déchiffre, et de sa voix
habituelle, claire, doucement sonore, articule
l'inscription ; < Par ordre du Comité exécutif. »
Voilà les choses macabres que la secte
révoltée ménage à la Russie contempo-
raine. 11 y a lieu de faire des romans avec
les dramatiques audaces de cette police
insinuante et habile. Ne disait-on pas que
la bougie du bougeoir impérial posé sur la
table de nuit de l'empereur fut trouvée
un soir chargée de dynamite '?
M. Charles Edmond nous donne bien
l'impression de cette terreur latente qui
pèse sur la Russie, minée de sourdes gale-
ries. Dans l'ombre et à l'insu de tous, des
gens travaillent à des buts lointains et
périlleux, sans peur ni souci de leur vie.
Entrons dans ce cénacle de conjurés, et
voyez quels hommes !
l'n pas lourd dans l'escalier coupa court au
tlithyrambe. La porte s'ouvrit et l'hôte attendu
apparut. Une apparition, en effet, et au sur-
plus stupéfiante.
Que lui était-il donc arrivé à Malojev ?
Avant-hier encore vaillant et robuste ; aujour-
d'hui courbé en deux, livide, les traits tirés
comme à la suite d'une horrible souffrance.
On s'empressa autour de lui, on l'installa
sur un siège.
— Des explications, par pitié!
Malojev respira péniblement. Sans ouvrir la
bouche, il avança la tête et souleva les mains.
Son front portait la trace sanguinolente d'un
fil métallique qui se serait fort avant incrusté
autour de son crâne. Ses deux pouces étaient
écrasés.
— Un guet-apens, un supplice inou'i, infligé,
par qui ? Où cela ? A quel propos ?
Malojev hocha la tête en signe de dénéga-
tion. Le guet-apens, en son aventure, n'entrait
pour rien.
— Quoi donc...
— Les enquêtes se poursuivent aujourd'hui
avec accompagnement de torture. Cette jolie
musique est destinée à vous faire chanter tout
ce que l'on a sur le cœur. Les forts résistent
à l'invitation, les faibles succombent. Etais-je
fort? Etais-je faible? Comment savoir? Il me
le fallait savoir cependant, sous peine de
trahir la cause, d'appeler le malheur sur la
tête des amis, de se couvrir soi-même d'op-
probre. Je me suis appliqué la torture.
— Malojev ! mon pauvre Malojev ! tu as fait
cela! s'écria Sévrouk.
— Au commencement, cela n'a pas mal
marché, répondit celui-ci d'un air d'humble
excuse; je serrais les dents, je me raidissais,
je me sentais le plus fort. Je me soumis
alors à des épreuves plus énergiques. Bientôt
la douleur reprit le dessus. Terrassé par elle,
vaincu, mon corps me sembla passer à l'état
de loque, de chiffe, de quelque chose de
veule, d'odieux. Ma résolution s'envola au
diable. Pour un instant de répit à mon sup-
plice, je n'aurais pas hésité à dénoncer mon
propre père. L'expérience a été concluante.
Plus bon à rien qu'à croupir dans mon coin
et cuver la honte de m'ètre cru meilleur,
plus apte à travailler avec vous que je ne le
suis en réalité. Pardonnez-moi et adieu.
Voilà de nos gens! Un de leurs plus
beaux coups dans ce livre est la délivrance
de leur frère, le nihiliste Nikitine, qui
attend en prison le jour du supplice.
C'est la fête de Pâques. Les prisonniers
ont un peu plus de relâche.
11 a suffi de cette fissure dans la capti-
vité pour sauver Nikitine. Deux hommes
ont pu entrer chez le prisonnier Yakimov,
qui est mourant, et qui est aussi moins
suspect, parce qu'on sait qu'il va expirer.
Oui, il va mourir; mais dans le parti, il ne
faut pas de mort inutile. Moins surveillé.
59S
LE MOUVEMENT LITTERAIRE
il a pu recevoir et cacher deux bouteilles
de pétrole; il en inonde sa cellule, y met
le feu et, tandis qu'il périt dans les flammes,
le désordre g-agne toute la prison avec l'in-
cendie, les portes sont défoncées; dans la
fumée on ne surveille plus rien, et voilà
Nikiline arraché aux fers et emporté bien
loin par ses compagnons. Ce tableau de
l'incendie de la prison est animé et large-
ment peint.
Le régime redoutable des prisons, des
mines, de l'exil en Sibérie, les horreurs
de la répression auprès de la hardiesse
implacable de l'attaque, le récit palpitant
de l'exécution d'un nihiliste pendu , tels
sont les épisodes dramatiques qui mar-
quent l'aventure du neveu du comte Séré-
dine, dont nous n'avons point encore
parlé, il est vrai, sans doute parce que
les épisodes tiennent une place plus large
et plus belle que le cas de Paul Sérédine.
C'est le neveu de l'intendant général
chargé de surveiller les nihilistes. Or ce
neveu est un nihiliste ardent et convaincu.
Il est découvert et dénoncé. La scène où
il s'explique avec son oncle gouverneur,
et où il fait l'historique de sa conversion
devant le spectacle des campagnes russes,
est fort belle et touchante. L'oncle est
furieux, car ce neveu le compromet et va
lui faire perdre sa brillante situation en-
viée par tant d'ennemis. C'est le neveu
qui pâtira, car son prudent parent le fait
aussitôt incarcérer et rend compte à l'em-
pereur de son zèle, ce qui pare le coup :
l'ambition s'assoit plus solide sur les
ruines de la parenté.
Dans Pointes sèches, Adolphe Brisson a
buriné d'une touche délicate et bienveil-
lante quelques physionomies littéraires :
des prosateurs, M'"<= Adam, Legouvé, Lar-
roumet, Marcel Prévost, Pierre Loti,
Courteline , Henry Fouquier, etc. ; des
poètes, comme Armand Silvestre, Riche-
pin, Jean Rameau, Léon Dierx ; des dra-
maturges, comme Becque, Sardou, Pail-
leron, Porto- Riche ; et aussi des acteurs,
des actrices. C'est un album intéressant,
vivant, des célébrités contemporaines. A
la fin, il y a un récit de tournée artistique
à travers la France, en compagnie d'une
troupe de la Comédie-Française , tout
comme au temps de Molière.
Il est regrettable que l'auteur n'ait pas
été tenté de corser son récit par un paral-
lèle piquant avec le Roman comique de
Scarron. Que les temps sont changés ! Le
trait plaisant est ici le transbordement
d'une ville à l'autre du buste de Molière,
qui perd une oreille par-ci, un nez par-là,
et qu'on remballe tous les soirs dans le
foin pour l'étape suivante.
En Fiqiie-nique est une publication que
fait, chaque année, le comité de la Société
des gens de lettres; le volume est vendu
au profit de la Caisse de secours. Il est
rédigé par tous les membres du comité, qui
fournissent une nouvelle ou une étude. La
valeur de ce volume annuel est donc su-
bordonnée au hasard des années et à la
composition du comité. Il est édité par
Armand Colin, éditeur de la Société des
gens de lettres. Que contient-il cette an-
née ? De tout un peu. Léon Barracand a
raconté la touchante histoire (ÏAïa Tota;
Ernest Benjamin a mis de l'émotion vraie
dans son Drame intime ; puis ce sont de
beaux vers du regretté Edouard Cadol sur
Sedan : Sedantag ! La Paulinetle, de Charles
Chincholle, est un affriolant modèle ; Albert
Cim nous narre une émouvante histoire
d'Attaque nocturne; après une nouvelle de
votre serviteur, Ministre et Paysan, Henri
Datin dit son conte. Poste restante, d'une
invention touchante. A qui le tour? Voici
venir Henri Demesse, qui fait le conte
rouge de la Demeure ensorcelée ; Alfred
Duquet nous narre un cas curieux et ma-
cabre de voyage en Train de plaisir ; puis,
de belles pages de Henry Houssaye, la
Journée de Naiwléon /™, que suit une bonne
farce de Marc Mario , Effet raté ; car ce
volume est fort panaché. Edouard Mon-
tagne fait un joli conte, la Dernière maî-
tresse; le comte Charles de Mouy étudie
les Primitifs italiens au musée de Berlin. Le
défilé continue : le Petit Soldat, joliment
dit par Jacques Normand ; Affaire crimi-
nelle, par Lucien Pâté ; la Seine, histoire
d'un monomane, par Marcel Prévost ; la
Sonnette d'alarme, par Jean Rameau ; Rêve
d'été, par Jean Reibrach ; le Petit Frère,
par Paul Robiquet; la Lande, par Raoul de
Saint-Arroman ; Martin Luther, par E.Thiau-
dière ; le Paradis des chats, par Emile Zola :
voilà du choix. Vingt-deux signatures pour
un volume ! Allons , mesdames , achetez-
nous ! C'est pour nos pauvres assistés ;
c'est une lecture de charité, un achat de
bienfaisance, une œuvre humanitaire; nous
lui avons donné notre encre ; donnez-lui
aussi quelque chose. Si tout ne vous plaît
pas dans le volume, vous en aimerez tou-
jours bien une moitié et vous aurez fait
œuvre pie en secourant les malheureux au
profit de qui se fait cette publication pana-
chée, cette macédoine, — qui est la soupe
du pauvre !
Léo Claretie.
CAUSEllIK SCIENTIFIQUE
Lune des principales curiosités scienti-
fiques de l'Exposition de lUOO sera la
Cfrandc lunclle astronomique, à laquelle le
public a tout d'abord attribué une puis-
sance bien exagérée en disant qu'elle au-
rait un grossissement tel que la lune
paraitrail à 1 mètre de nous. Les auteurs
■du projet n'ont pas eu une telle préten-
tion et cependant ils n'ont pas lésiné sur
les dimensions, car leur lunette a OO mè-
tres de long et 1"',2^) de diamètre! Cela
ne constitue pas un instrument très ma-
niable, aussi a-t-on résolu de la fixer sur
le soi d'une façon immuable, et pour exa-
miner les dilTérents points du ciel on se
servira d'un miroir de 2 mètres de diamètre,
placé en avant, qui renverra à l'objectif
limage des astres ; un mouvement d'horlo-
gerie lui permettra de les suivre dans leur
déplacement apparent ; l'ensemble de ce
sidérostat pèsera 14t)00 kilogrammes.
Au point de vue de l'optique astronomique
nous pouvons dire que la France tient le
premier rang : c'est grâce aux ateliers de
M. Gautier et des frères Henry, à la fon-
derie de verres spéciaux de M. Mantois et
■aux glaceries de Jeumont qu'on pourra
mener à bien une telle entreprise. En ce
Jiioment on termine le miroir qui est formé
d'un disque de verre de 2 mètres de dia-
mètre et 0"\30 d'épaisseur. La difficulté
ne consiste pas à avoir de la transpa-
rence, elle est inutile puisque la surface
seule est utilisée, pour supporter la mince
couche d'argent qui doit réiléchir l'image;
ce qu'il faut, c'est une surface d'une homo-
généité de trempe qui permette de lui
donner une planétie et un poli parfaits ; la
■chose n'est pas simple puisque l'usine de
Saint-Gobain refusa d'essayer et que celle
de Jeumont, qui réussit du premier coup
le disque actuellement au montage, ne
put en réussir un second semblable dans
les onze essais qui suivirent la coulée du
premier. C'est avec une machine spéciale-
ment construite dans ce but que M. Gau-
tier a procédé au polissage de l'une des
surfaces du disque; un plateau muni d'un
mouvement de va-et-vient voyage à une
distance variable de cette surface et y pro-
mène une boue d'émeri dont la finesse va
en s'accentuant chaque jour. Cela parait
très simple au premier abord, mais pour
donner au lecteur une idée de la minutie
d'un tel travail, nous dirons que la moindre
variation de température dans les diffé-
rentes parties de la machine peut entraver
sa marciie régulière ; les quatre glissières
qui supportent le rodoir sont munies de
thermomètres indiquant le 1/10 de degré;
au moyen de becs de gaz allumés à des
distances variables on les maintient rigou-
reusement à la même température ; si
l'ouvrier qui surveille le travail séjourne
un peu trop longtemps auprès de l'un d'eux,
on constate une différence qu'il importe
de rectifier. On arrive peu à peu à appro-
cher le rodoir à moins de l/TiO de milli-
mètre et on vérifie la planétie [)ar des
méthodes optiques spéciales qui sont d'une
délicatesse telle que la faible dilatation
produite sur le disque par l'approche de
la main peut être constatée !
Pour les objectifs, il faut se livrer à un
travail analogue, qui se complique de la
difficulté d'obtenir d'abord une masse
homogène et transparente. Nous aurons
occasion de revenir sur cette question.
Pour le moment, le travail est en bonne
voie et nous pouvons espérer qu'en 19t)0
il nous sera permis de voir la lune, non
pas à 1 mètre, mais à 65 kilomètres. C'est
déjà suffisant pour qu'un objet de 130 mè-
tres de long ait pour nous l millimètre,
ce qui est déjà une dimension appréciable.
Si les armées lunaires font les grandes
manœuvres, nous pourrons étudier les qua-
lités stratégiques de leurs généraux et
peut-être nous en inspirer. Habitants d'un
monde plus vieux, ils ont sans doute plus
d'expérience !
On a beaucoup parlé, à propos du ter-
rible déraillement de Lisieux, de l'incon-
vénient d'atteler deux locomotives à un
même train ; les Compagnies savent très
bien à quoi s'en tenir là-dessus, mais il
faut bien qu'elles utilisent le matériel exis-
tant ; cependant, en présence de l'impor-
tance des convois actuels, elles tendent de
plus en plus à employer les machines Com-
pound et à boggie. Ces deux termes, dont
il a été souvent question depuis quelque
temps, ne sont pas compréhensibles pour
tout le monde au premier abord; cepen-
dant ils ne cachent rien de diabolique.
Compound veut dire que la vapeur est
utilisée en deux fois dans une machine com-
2)oiiée de plusieurs pistons. En effet, on a
remarqué, il y a déjà longtemps, qu'au sor-
tir du cylindre où elle a poussé le piston,
la vapeur n'a pas perdu toute sa force et
on a eu l'idée de l'utiliser dans un autre
cylindre de dimensions plus grandes pour
agir sur un autre piston ; on peut même
encore parfois l'employer sur un troisième
et un quatrième; cela dépend de sa pres-
sion initiale dans la chaudière. On com-
prend l'importance de cette découverte qui,
appliquée aux machines marines, a permis
de réduire le combustible de plus de moitié.
600
CAUSERIE SCIENTIFIQUE
Dans les locomotives, l'application de ce
principe est plus récente, et, pour ne pas
trop compliquer le mécanisme, on se con-
tente de deux cylindres pour chacune des
deux machines motrices agissant de chaque
côté sur les essieux. Outre l'avantage qui
permet de mieux utiliser la détente de la
vapeur, on a encore celui de pouvoir à
l'occasion, par un mécanisme spécial, em-
ployer la haute pression dans les deux cy-
lindres à la fois, ce qui est précieux pour
les démarrages et pour les rampes. En
outre, chaque piston travaille sur un essieu
différent, ce qui répartit l'effort sur deux
manivelles au lieu d'une et, au point^ de
vue de la rupture possible de cette pièce,
cela est à considérer, car chacune d'elles
ne supporte plus que moitié de l'effort
total qui, dans certaines locomotives, at-
teint 18 000 kilogrammes.
On remarquera sur le type que représente
Fig. 1. — Locomotive Compound à boggie.
C'est-à-dire composée de plusieurs pistons dans lesquels
la vapeur agit successivement et dont l'avant M est
supporté par un petit chariot articulé.
notre gravure (fîg. 1) que les roues mo-
trices sont reportées vers l'arrière de la
locomotive, Favant est supporté par un
petit chariot M ou boggie, qui ne fait pas
corps avec la machine, mais est articulé
au moyen d'une cheville ouvrière; dans
les courbes, l'ensemble des points d'appui
de la machine sur les rails peut donc ne
pas être en ligne droite, ce qui fatigue
beaucoup moins la voie et permet des
vitesses plus considérables. C'est avec une
machine de ce genre que, depuis six ou
sept ans, la Compagnie du Nord fait cir-
culer, entre Paris et Amiens, un train dont
la vitesse de 85 kilomètres à l'heure se
maintient à peu près uniforme pendant
tout le parcours, malgré les rampes et les
courbes. Aussi, comme nous le disions
plus haut, toutes les Compagnies tendent
à adopter peu à peu ce genre de machines.
Parmi les nouveautés de l'exposition
d'automobiles qui eut lieu à Paris en juillet
dernier, nous avons remarqué une pompe
à incendie construite par M. Combler.
C'est une voiture à vapeur (fig. 2) dont le
moteur de 15 à 18 chevaux actionne à vo-
lonté les roues motrices, ou une pompe
débitant un mètre cube à la minute, avec
Fig. 2. — Pompe à vapeur automobile.
La machine à vapeur sert à mettre en mouvement le
véhicule avec une vitesse de 2Ù kilomètres à l'heure
et fait ensuite mouvoir la pompe qui lance à 40 mètres
un mètre cube d'eau à la minute.
un jet de 40 mètres; elle peut porter huit
pompiers et pèse 3 000 kilogrammes ; sa
vitesse de marche est d'environ 20 kilo-
mètres à l'heure. L'idée n'est pas nou-
velle, et à New-York il existe une puis-
sante pompe automobile dont les pompiers
américains sont 1res fiers; il est tout natu-
rel, puisqu'on dispose d'un moteur puis-
sant, de chercher a l'utiliser pour la pro-
Fig, 3. — Poste de pompe à vapeur, à Paris.
Les sapeurs descendent en se laissant glisser le long
d'une perche. Les harnais sont suspendus tout préparés
au-dessus de l'emplacement du cheval. La pompe part
en pression trois minutes après le signal d'alarme reçu.
pulsion du véhicule, et il est certain que
dans bien des cas cela permettra de ga-
gner du temps; mais la pompe à vapeur
traînée par des chevaux ne doit pas être
pour cela supprimée, car elle seule pourra
CAUSERIE SCIENTIFIQUE
601
passer dans certains chemins encombrés
ou peu carrossables.
A Paris, où il y a une moyenne de trois
incendies par jour et deux f^rands feux par
mois, le service des incendies csl remar-
qual)lement organise; on n'utilise jus(iu'à
présent que les chevaux, mais toutes les
précautions sont prises pour ne pas perdre
de temps : les conducteurs, logés aux
étages supérieurs, ne prennent pas l'es-
calier, mais se laissent glisser par des
perches (fig. 3) qui les amènent directe-
ment dans la remise où le véhicule est
disposé en face de la porte ; les harnais
sont suspendus à un fd au-dessus des
brancards, et les chevaux sont dressés à
s'y placer d'eux-mêmes; pendant ce temps
la chaudière est i-emplie d'eau maintenue
à 80 degrés et le feu est allumé. Trois mi-
nutes après que le signal a été donné, la
pompe sort avec sa chaudière en pression.
Avec la pompe automobile, on ne sera pas
prêt plus vite, mais on pourra gagner du
temps dans le parcours; c'est une arme
nouvelle à introduire dans l'arsenal des
grandes compagnies de pompiers.
Puisque nous parlons d'automobile, si-
gnalons une idée originale; nous n'avons
pas vu la réalisation et le modèle ne figu-
rait pas à l'exposition dont nous parlions
plus haut, mais on nous assure qu'il est en
voie de réalisation. L'inventeur, M. Mille,
fait remarquer que l'homme et les animaux
ne se font pas volontiers aux aspects nou-
veaux ; le premier critique la forme de la
Fig. 4.
Tracteur Mille.
Le moteur à gaz est logé dans une enveloppe ayant la
forme d'un cheval afin de ne pas changer l'aspect
général des véhicules.
voiture automobile , les seconds s'en
effrayent, et tout cela simplement parce
qu'elle semble toujours attendre un che-
val; c'est pourquoi M. Mille lui en donne
un, mais il est automobile! Il construit un
tracteur dont la forme est telle que toute
la machine est supportée par deux roues
motrices et directrices en môme temps,
et il enferme le tout dans une enveloppe
métallique à la([uelle il donne l'aspect d'un
cheval (fig. 4). Après tout, l'idée n'est pas
mauvaise, si toutefois on accepte un trac-
teur indépendant de la voiture, ce que
jusqu'à présent on ne semble avoir fait
que pour traîner de grosses charges ou les
très légères. Le tricycle de Dion Bouton,,
que nous voyons souvent remorquer un
fauteuil, est certainement un achemi-
nement vers le cheval automobile de
M. Mille.
«
* *
Tout le monde connaît, au moins de ré-
putation, le marteau pilon à vapeur, qui
est depuis longtemps la gloire des grandes,
usines où il fait tout trembler en projetant
une gerbe étincelante autour de lui. On est
en train de le détrôner pour le remplacer
par la presse hydraulique qui, sous un vo-
lume moindre et sans bruit, fait un meil-
leur travail. Le marteau pilon, dont le prin-
cipal défaut est d'être un peu brutal, exige
une enclume très coûteuse, et les vibra-
tions qu'il communique au sol présentent
de noml)reux inconvénients ; en outre, il
ne forge pas d'une façon parfaite, attaquant
surtout la superficie sans comprimer suffi-
samment la masse totale des grosses
pièces; il s'ensuit qu'au centre les molé-
cules ne sont pas aussi rapprochées qu'à la
surface, d'où défaut d'homogénéité. C'est
pour remédier à ces défauts que depuis
quelque temps on emploie les presses à
forger (fig. o) qui ne sont pas, en somme,
autre chose que des presses hydrauliques.
On sait que ces dei'nières sont basées sur
le principe d'égalité de pression dans les
liquides : toute pression exercée en un
point se transmet proportionnellement à la
surface qui la reçoit ; si deux corps de
pompe communiquant ensemble sont rem-
plis d'eau, la pression exercée sur l'un se
transmet à l'autre; mais si l'un est très pe-
tit et l'autre très gros la pression sur
chaque portion de surface de ce dernier
est égale à celle exercée sur le premier,
c'est-à-dire que si la surface du grand pis-
ton est cent fois plus grande que celle du
petit piston, lefTet exercé sur ce dernier
sera multiplié par cent. On comprend
qu'on arrive de cette façon à des pressions
énormes, même à bras d'homme, et on peut
dès lors se faire une idée de la puissance
qu'on peut obtenir si le petit piston est
actionné par une machine à vapeur ; c'est
précisément le cas dans les presses à for-
ger. Elles sont surtout répandues en An-
gleterre où on en construit qui ont jusqu'à
5 000 tonnes de puissance. Un distributeur
spécial permet de régler très facilement
■C02
CAUSERIE SCIENTIFIQUE
leur action et de faire varier la rapidité
<Vécartement et de rapprochement des
mâchoires, ainsi que la puissance avec la-
quelle elles doivent écraser la pièce qu'on
Fig. 5. — Presse à forger.
Sorte de presse hydraulique remplaçant le marteau pilon
à vapeur et ayant l'avantage d'agir moins brutalement,
plus sûrement et de tenir moins de place à force
leur présente. On arrive avec ces engins à
travailler, avec une précision mathéma-
tique et presque sans bruit, les grosses
pièces de fer et d'acier destinées aux plus
]iuissantes machines à vapeur.
L'utilisation complète des résidus est
une cause de prospérité d'une industrie, et
de même qu'on caractérise l'économie à
outrance dans une famille en disant qu'on ne
laisse même pas sortir la fumée, il semble
que l'industrie des hauts fourneaux s'in-
spire de ce principe en captant les gaz, qui
se perdaient jus([u'à présent dans l'atmo-
sphère, pour les utiliser dans des moteurs
ai)propriés.
L'idée de cette utilisation remonte déjà
à })lusieurs années, mais on avait rencon-
tré jusqu'alors des objections Inéoriques
si nombreuses qu'on ne faisait même pas
d'essais. Récemment des analyses mieux
conduites et des calculs plus complets ont
prouvé que les gaz , jusqu'alors perdus,
renfermaient des hydrocarbures en quantité
et de qualité suflisantes pour produire,
dans des moteurs à gaz , une puissance
utilisable très appréciable. Mais ce n'est
pas sans peine que les ingénieurs spéciaux
se sont mis d'accord là-dessus, car si l'un
estimait qu'on devait avoir 40 chevaux
disponibles par tonne de fonte, un autre
n'en trouvait que 20 et encore estimait que,
dans la pratique, ce serait peut-être sur
10 seulement qu'il fallait compter.
Quoi qu'il en soit, la discussion a porté
ses fruits et, dans une usine du Lanark-
shire, M. Thwaite a le premier tenté
l'expérience ; il a réussi à faire fonctionner
un moteur de 30 chevaux qui actionnait
une dynamo pour la production de la
lumière électrique.
En Allemagne et en Belgique, on a
suivi l'exemple, et prochainement, en
France, dans une usine du Pas-de-Calais,
M. G. Robert se propose de faire une in-
stallation de ce genre. La question est
donc maintenant à peu près sortie de la
période de tâtonnement, et l'industrie mé-
tallurgique va bénéficier d'une nouvelle
force que jusqu'alors elle avait dédaignée.
L'aspect d'un scaphandrier, revêtu de son
vêtement de travail, est bien connu, et
beaucoup de nos lecteurs ont sans doute,
comme nous, eu l'occasion de constater
l'impression presque de frayeur qu'il cause
en sortant de l'eau ; le nouveau cos-
tume (fig. 6), imaginé par M. Gordon, n'est
pas fait pour calmer cette impression, car,
dans cette nouvelle carapace, l'aspect gé-
néral est encore plus fantastique. La trans-
formation proposée, et déjà expérimentée
Scaphandre Gordon.
Nouvelle forme de scaphandre formant un vêtement
complètement rigide dans lequel l'homme ne supporte
pas la pression de la colonne d'eau, ce qui permet de
descendre à de grandes profondeurs.
en Angleterre, a pour but de permettre à
l'ouvrier de pouvoir séjourner plus long-
temps sous l'eau sans fatigue. Dans le sys-
tème ordinaire, le casque seul offre de la
C A U s 1<: R 1 1<: s C I E N T I F I Q U E
oo:î
rigidité, il csl soudé au reste du vêtement
<]ui est en caoutchouc souple; il en ré-
sulte que la pression extérieure est entiè-
rement supportée par le corps de Thomme
et (ju'il faut, pour la combattre, lui en-
voyer de l'air comprime cpii est fort pé-
nible h supporter, même à des profondeurs
assez faibles. Le but de M. Gordon est
donc de rendre toutes les parties du vê-
tement rigides, de façon qu'elles sup-
portent seules la pression sans que le
corps de l'ouvrier y participe, la contre-
pression à exercer de l'extérieur, devenant
à peu prés inutile, se trouve réduite à la
(juantité nécessaire à la respiration.
Le casque se continue jusqu'à la cein-
ture par une cuirasse qui pèse plus de
100 kilogrammes; des manches et des
jambes formées de tubes en spirales, ana-
logues à ceux qu'on vend depuis quelques
années pour les lampes à gaz, complètent
l'attirail et laissent aux bras et aux jambes
une liberté de mouvements suffisante pour
le travail à elTectuer; nous ne dirons pas
qu'on est absolument à l'aise, mais on ne
revêt généralement pas ce costume pour
jouer au tennis.
Des expériences qui ont été faites der-
nièrement, il résulte que des plongeurs
exercés ont pu rester une heure par
TiT) mètres de fond avec cet appareil, ce
qui serait absolument impossible avec le
vêtement ordinaire qui restera comme par
le passé réservé aux faibles profondeurs.
On a déjà réduit le calibre des fusils de
guerre, et il était même question derniè-
rement de le diminuer encore, en donnant
comme raison qu'il suffit de mettre les
hommes hors de combat et qu'il n'est pas
nécessaire de leur faire des blessures mor-
telles. Mais si c'est là la seule raison, elle
semble mauvaise d'après les constatations
faites à la suite des derniers troubles sur-
venus à Milan, où la troupe a eu à tirer
sur les émeutiers précisément avec des
armes de petit calibre ; contrairement aux
prévisions, les blessures étaient terribles.
L'orifice d'entrée du projectile est en effet
très petit, mais la sortie est très grande
et les désordres causés sur son parcours
sont fort graves. Les principales causes de
ces résultats sont dues à la rotation du
projectile et à sa grande vitesse initiale ;
on s'explique assez facilement l'effet de la
première qui a pour but d'entraîner dans
une sorte de tourbillon toutes les particules
de chair et d'os qu'elle arrache sur son
passage; l'effet de la seconde cause est
moins direct; mais la Revue italienne d'ar-
tillerie et du génie nous fournit une compa-
raison qui la fera saisir. Le major Miche-
lini, en faisant des essais d'armes, tira un
jour dans la mer et fut étonné d'avoir tué
un poisson; il répéta l'expérience et re-
marqua qu'il continuait sa pêche miracu-
leuse sans viser, mais qu'avec des fusils
dont la balle avait une faible vitesse initiale,
il ne péchait plus rien. Il en conclut qvie
les poissons étaient étourdis par le choc
violent ([ui se transmet par l'eau, incom-
pressible comme on sait; la balle qui
frappe l'eau avec une vitesse de (>00 mètres
à la seconde fait l'ellet d'une cartouche de
dynamite et son choc est transmis à tout
ce qui se trouve dans un certain rayon,
peu étendu du reste.
Partant de là, on peut admettre qu'une
balle pénétrant à cette vitesse dans le
corps de l'homme produit sur les liquides
(sang, humeurs) qu'il renferme le même
elTet que sur l'eau et que le choc se géné-
ralise en produisant des désordres plus
considérables.
Si donc on veut faire la guerre avec hu-
manité, ce qui parait plutôt difficile, on
fera bien de revenir aux vieux fusils à
piston; c'est une façon de désarmement.
Tous les ans, au moment des grandes
chaleurs, on constate une recrudescence
dans la mortalité des enfants en bas âge ;
cette année, où les mois d'août et de sep-
tembre ont été exceptionnellement chauds,
la moyenne des décès de cette catégorie
a été, à Paris, d'environ trois fois supé-
rieure à celle de l'an dernier. Il n'y a pas
à chercher d'où vient le mal, il n'est que
trop certain que c'est le lait qui en est la
principale cause. Dans les classes aisées,
on a déjà assez de mal pour faire com-
prendre que l'allaitement au biberon doit
être l'objet d'une surveillance incessante ;
on peut se faire une idée de ce qu'il en est
dans la classe pauvre où l'intelligence et
la bonne volonté ne manquent pas, mais
où le temps et l'argent font défaut pour se
conformer aux prescriptions de l'hygiène.
Aussi ne peut-on qu'insister auprès des
Sociétés de bienfaisance pour qu'elles faci-
litent par tous les moyens en leur pouvoir
l'exécution des procédés très simples pré-
conisés pour obtenir des biberons et du
lait stérilisés; le séjour prolongé pendant
au moins vingt minutes dans l'eau bouil-
lante est déjà une excellente mesure qui
suffirait dans la plupart des cas, mais c'est
encore trop compliqué dans certains mi-
lieux où pendant l'été (et même aussi quel-
quefois l'hiver) on n'a pas toujours du feu.
Le bacille de la tuberculose est un des
plus résistants et, jusqu'à présent, on n'est
pas arrivé à le combattre d'une façon
efficace. Le congrès, qui s'est constitué il
604
CAUSERIE SCIENTIFIQUE
y a dix ans pour l'étude de cette terrible
maladie, s'est réuni, pour la quatrième fois,
au mois de juillet dernier, sous la prési-
dence de M. Nocard. Malgré les études
incessantes des hommes les plus éminents
et les plus compétents de tous les pays,
le remède n'est pas encore trouvé.
Ce qu'on sait, c'est que le bacille de
Koclî n'est pas héréditaire, comme on a
le tort de le croire généralement, mais il
est éminemment contagieux. Des parents
tuberculeux engendrent des enfants qui
ne le sont pas; ils sont peut-être plus que
d'autres aptes à le devenir, et les attou-
chements continuels, les baisers, la coha-
bitation étroite dans un milieu contaminé,
sont les causes directes qui lui font con-
tracter rapidement la maladie. M. Nocard
estime que sur 150 000 Français qui meu-
rent tous les ans de la tuberculose, 125 000
pourraient être sauvés par l'observation
rigoureuse des règles de l'hygiène. Au
premier rang de l'agent de contamination,
il faut placer les crachats des personnes
atteintes; là pullulent les microbes, qui,
après la dessiccation, se répandent partout ;
voilà le foyer de propagation qu'il faut
combattre par tous les moyens.
On sourit parfois en voyant une affiche
qui défend de cracher, on l'attribue aux
domestiques qui veulent s'éviter l'entretien
du plancher; tout le monde n'est pas
tuberculeux.
C'est certain, mais il faut des mesures
générales, et ceux-là qui ne le sont pas
n'ont qu'à penser avec quelle facilité ils
pourraient le devenir, et ils prêcheront
d'exemple en s'abstenant de cracher par
terre. Il faudra de longues années, ne nous
le dissimulons pas, pour obtenir cela (si
jamais on y arrive) ; mais on ne saurait
trop méditer sur l'influence du crachat
dans la vie d'un peuple.
et dont il se dégage en grande quantité par
la chaleur; une lampe spéciale permet de
faire facilement et sûrement cette opéra-
Nous avons eu l'occasion de parler déjà
ici de l'aldéhyde formique ou formol et
de ses propriétés désinfectantes. Jusqu'à
présent, les appareils proposés pour pro-
duire ce gaz étaient basés sur la décompo-
sition de l'alcool méthylique ou esprit de
bois en présence du platine incandescent.
Plusieurs lampes ont été imaginées à cet
effet et elles donnent de bons résultats
tant qu'il ne s'agit pas de produire de
grandes quantités de formol et qu'on a
pour but plutôt d'enlever une mauvaise
odeur que de stériliser un local. Dans ce
dernier cas, il faut produire de grandes
quantités de gaz et fermer hermétique-
ment la pièce pendant douze ou vingt-
quati-e heures ; on fabrique depuis peu
dans ce but des pastilles dans lesquelles
l'aldéhyde est pour ainsi dire condensé
Les renseignementi de cet article sont donnés au point de vue scientifique et en dehors de toute réclame. Aussi il ne
sera pas r^ondu uux demandes d'adresses ou de renseignements commerciaux.
Fig. 7. — Lampe à formol pour assainissement
des appartements.
La lampe à alcool A supporte une enveloppe en cristal B
sur laquelle se placent les petites capsules 1 et 2 où
l'on met les pastilles qui dégagent le formol.
tion. Elle se compose (fig. 7) d'un réservoir
à alcool A et d'une enveloppe en cristal B
au-dessus de laquelle viennent s'ajuster
deux capsules 1 et 2, de forme spéciale, dans
lesquelles on place les pastilles. La flamme
de l'alcool produit en brûlant dans l'air de
la vapeur d'eau qui, par des ouvertures
ménagées dans la capsule, se mélange au
formol à mesure qu'il se produit et aide à
sa diffusion dans la pièce à désinfecter.
Pour une chambre de grandeur ordinaire,
il ne faut pas plus d'une heure pour pro-
duire la quantité de gaz nécessaire ; les
pastilles sont du reste dosées et on indique
quelle est la quantité à employer par mètre
cube du local à stériliser.
Nous avons signalé, dans notre dernier
numéro, une ordonnance du préfet de po-
lice enjoignant aux propriétaires d'usines
de supprimer les fumées qui incommodent
leur voisinage. A New-York, dans certains
quartiers élégants, on a dû déjà prendre
des mesures du même genre et on cite une
usine très importante qui lave sa fumée
avant de la laisser s'échapper dans l'atmo-
sphère. Afin que la chaleur soit aussi bien
utilisée que possible, les gaz de la combus-
tion passent avant de se rendre à la che-
minée dans une série de conduits où ils
abandonnent encore de la chaleur qui est
utilisée, puis ils sont envoyés par un puis-
sant ventilateur dans une caisse de 2 mètres
de large et 7 mètres de haut où de l'eau
tombant sur des cloisons en chicane forme
une série de cascades; on assure ainsi un
lavage intime des gaz et les matières so-
lides qu'ils contiennent en suspension étant
entraînées par l'eau, on peut alors sans
inconvénient les laisser passer à la chemi-
née, d'où ils sortent invisibles.
G. Mareschal.
EVENEMENTS GÉOGRAPHIQUES
ET COLONIAUX
Un empire s'est écroulé cette semaine.
Le khalife, souverain absolu du Soudan
égyptien, est en fuite; ses émirs sont
morts ou dispersés, et sur les ruines de sa
capitale, Omdourman, flottent au vent du
désert le drapeau égyptien et le drapeau
anglais.
La campagne de deux ans et demi, qui a
mené l'armée anglo-égyptienne des con-
fins de l'Egypte au confluent des deux
Nils, la grande bataille du 2 septembre
qui l'a terminée, l'arrivée des Anglais dans
une région dont nous dirons l'importance
politique, et que se sont efl'orcés d'atteindre
et les Italiens de l'Erythrée, et les Abys-
sins, et les Belges du Congo, et les Fran-
çais de rOubangui, exigeraient toute l'at-
tention vigilante de notre pays, si ce pays
n'était pas occupé pour l'heure à une
«euvre maudite de désunion... Disputons,
soyons les uns et les autres de mauvais
citoyens, travaillons avec fureur à ruiner
notre force morale, source de toute force :
les Etats-Unis s'agrandissent victorieuse-
ment; l'Angleterre conquiert la vallée du
Nil ; l'empereur allemand s'apprête à pro-
mener dans l'Orient, amoureux de tout
prestige, le prestige des peuples victo-
rieux; l'empereur russe est devenu en un
jour les délices du genre humain, en prê-
chant une paix dont son empire a besoin,
el nous, nous devenons un objet de risée,
de pitié demain... Voulez-vous que nous
nous réfugions aux colonies, où les Hourst,
les Voulet, les Gentil, les Marchand aug-
mentent nos anciens titres de gloire, et
que nous nous réconfortions en parlant
d'une victoire'.' d'une victoire anglaise,
hélas 1
Quelques personnes se souviennent sans
doute des événements qui se passèrent en
Egypte vers 1882. Le khédive, Tewfik
pacha, avait accepté le contrôle de la
France et de l'Angleterre sur ses finances.
D'où mécontentement; un parti national
se forma, qui eut Arabi pacha pour chef.
Ce parti fit de grands progrès, si bien que
la position des puissances protectrices fut
menacée. Comme le ministre français,
M. de Freycinet, s'inspirait pour sa poli-
tique de l'exemple ancien de Fabius
Cunctator et ne se décidait à rien, le mi-
nistre anglais, lord Granville, se décida à
agir sans lui; le II juillet 1882 la flotte
anglaise bombardait Alexandrie. Peu de
jours après, la facile victoire de Tel-el-Kébir
livrait le Caire et l'Egypte aux Anglais.
Et nous? Nous criâmes, comme Fenfant
auquel un camarade escamote la tartine
de beurre. La tartine était grosse : nous
crions encore, et le bon camarade mange
toujours.
Dans le même temps que l'Egypte était
ainsi enlevée au pouvoir efi'ectif du khé-
dive, les immenses provinces du Soudan
égyptien se rendaient indépendantes.
Ces provinces s'étendaient sur tout le
domaine du Nil supérieur et du Nil
moyen : de Ouadi-Halfa aux Grands-Lacs,
du Darfour à la mer Rouge. Leur conquête,
entreprise dès 1821, sous Méhémet-Ali, ne
fut achevée que sous Ismaïl, après 1870.
Leur perte devait être plus rapide. Les
exactions des fonctionnaires égyptiens, la
présence parmi eux de chrétiens, la tutelle
imposée au khédive par deux puissances
d'Europe, le réveil de l'esprit musulman,
le rappel dans la basse Egypte de la plus
grande part des forces égyptiennes, avaient
préparé les voies à une rébellion. Un
homme extraordinaire le sentit et en pro-
fita. 11 était né à Dongola, dans le Soudan
septentrional; mais il vivait dans le Khor-
dofan, et sa réputation d'éloquence et de
sainteté s'était répandue jusque dans les
pays du Sud. Aussi, en 1881, lorsque
Mohammed-Ahmed jugea l'heure venue, se
proclama Mahdi, c'est-à-dire l'homme de
la justice, lança son appel à tous les chefs
religieux du Nord, du Sud, de l'Ouest et
de l'Est du Soudan, les populations se
levèrent et le suivirent. Les derviches, les
soldats du Mahdi, pressés par l'enthou-
siasme religieux, prirent leur élan, s'abat-
tirent sur El-Obéid, dans le Khordofan,
anéantirent l'armée de Hiks pacha dans
les défilés, de Kasghil, roulèrent comme
une vague tumultueuse jusqu'à Tokar et
Sinkat, non loin de la mer Rouge. L'An-
glais Gordon s'enferma dans Khartoum
pour la défendre ; mais la défense fut
bientôt impossible. La ville tomba et Gor-
don fut tué. Deux jours après, le 28 janvier
1885, arrivait devant Khartoum l'armée
de secours, qu'amenait Wolseley ; mais
elle fut rappelée aussitôt par le gouverne-
ment anglais. Ce rappel, les hésitations
du ministère anglais, à l'ordinaire si
résolu, qui avaient fait retarder de trois
mois l'envoi de celte armée et avaient
ainsi causé la catastrophe, furent l'objet de
nombreux commentaires; il sembla que la
perte du Soudan égyptien avait été prévue
et permise par l'Angleterre et qu'elle était
entrée dans ses plans.
L'année même où périt Gordon, mourut
le Mahdi ; et son empire aussitôt se lézarda,
tomba en pièces.
606
EVENEMENTS GEOGRAPHIQUES
A rOuest le Darlbur et au Sud le Bahr-
cl-Gazal se détachent. Au Nord ot à lEst,
les Anglais reprennent roffensive ; dès
1891, ils entrent à Sinkat, à Tokar. Les
Belges, au Sud-Ouest, les Italiens, à l'Est,
profitent des querelles intestines des der-
viches, occupent, les
premiers Lado, les se-
conds Kassala. Cepen-
dant, le successeur du
Mahdi, le khalife Ab-
dullah, occupait forte-
ment la vallée du Nil.
En face de Khartoum
délaissée, s'élevait sur
la rive gauche du fleuve
la nouvelle capitale,
Omdourman ; là rési-
dait la force de l'em-
pire, là seulement il
pouvait être frappé à
mort.
Brusquement, le
14 mars 1896, ordre
était donné au Caire
de prendre Dongola.
Les derviches pres-
saient en ce moment
les Italiens de Kassala :
il ne s'agissait, affir-
mait-on, que d'une di-
version utile aux Ita-
liens. L'activité, la hâte
avec laquelle fut entre-
prise la campagne ne
laissa point de con-
traster avec la lenteur
du gouvernement an-
glais en 1884. Dès avril,
les opérations com-
mencent; le 7 juin
t'erkeb, le i'.i septembre
Dongola sont occupés.
Cependant, un chemin
de fer latéral au Nil est
construit; dès la fin
d'août les trains arri-
vent à Kocheh. L'année
suivante, dès la crue
du Nil, la campagne
reprend. 11 devenait manifeste qu'il ne
s'agissait plus des Italiens. Le 7 août 1897,
un assaut meurtrier fait tomber Abou-
Ilamed ; les derviches se replient sur
Omdourman. La route de Berber était libre.
Cette place est occupée. Alors, avec la plus
grande activité, les Anglais poussent, au
nord, le chemin de fer jusqu'à Abou-Hamed,
rétablissent, à l'est, les communications
entre Berber et Souakim, le Nil moyen et
la mer Rouge, se font céder, au sud-est,
par les Italiens, Kassala : de cette dernière
place, leurs auxiliaires arabes s'avancent
juscju'à 240 kilomètres de Khartoum.
L'effort définitif fut accompli cette
année.
Dès le printemps, sir Herbert Kitche-
ner — le plus jeune général anglais — sii'-
dar ou général en chef de l'armée égyp-
tienne, est rentré en campagne. Le 8 avril,
7* EÙlCÙUUi. det
LES ANGLAIS ET LES FRANÇAIS SUR LE HAUT-NIL
KHARTOUM ET FACHODA
grande bataille sur les bords de l'Atbara :
des marches forcées ont amené les Anglo-
Egyptiens devant le camp de l'émir Mah-
moud, parent et l'un des meilleurs capi-
taines du khalife; le camp est pris d'assaut,
.'5,000 derviches blessés ou tués. Les An-
glais n'avaient eu que 10 morts, les Egyp-
tiens que 05. 11 fallut attendre pour pousser
plus loin la montée des eaux du Nil. Cepen-
dant l'armée expéditionnaire recevait des
renforts. A l'origine, elle n'était composée
que de troupes égyptiennes; désormais,
elle comprenait avec ces dernières deux
brigades d'infanterie, deiix batteries d'ar-
É V EN EM K N TS G KO G R A PHI Q U ES
60'
lillerie, le 21'' lanciers et un escadron du
3" hussards de l'armée l^ritannique. Au
total, le sirdar coniinandail à 22 bataillons
d'infanterie (soit environ 1 il, 000 hommes),
i,;)00 cavaliers, 28 canons, 12 mitrailleuses
Maxim et 700 méharistes avec leurs cha-
meaux. Le 1 t août, l'armée commença sa
concentration vers les avant-postes. La
marclie fut pénible; les derviches avaient
ruiné le l>ays et l'avaient rendu désert.
Les bagages furent réduits à l'indispen-
sable; on brûla des étapes, et le I"^sep-
dura un quart d'heure. Ils essayèrent alors
de charger le centre; ils furent balayés
également par un feu nourri. Leur bra-
voure avait été extraordinaire; les émirs
à cheval, les porte-fanions avaient poussé
jusqu'à quelques centaines de mètres seu-
lement des solides lignes anglo-égyp-
tiennes. Tandis que les derviches se reti-
raient, le corps expéditionnaire quitta le
camp et se dirigea, en échelons de bataille,
vers Omdourman. 11 venait de gagner
les hauteurs qui avoisinent le Nil, lorsque
LES ANGLAIS EN EGYPTE
LE CAIRE
VUE DE LA CITADELLE
tembre, le sirdar campait à 10 kilomètres
d'Omdourman ; les postes ennemis s'étaient
repliés à son approche, mais l'on pouvait
voir, rangés en bataille sous les murs, les
35,000 hommes du khalife. La bataille eut
lieu le lendemain, le vendredi 2.
Ce fut une belle Ijatailie.
A sept heures vingt, l'armée derviche
s'avança en formation enveloppante ; au-
dessus de ses rangs flottaient d'innombra-
bles fanions, et sur toute l'étendue de son
front de bataille, long de 5 à 6 kilomètres,
retentissaient des chants de guerre. L'in-
fanterie anglaise avait à sa droite les Sou-
danais et ceux-ci avaient à leur droite les
Egyptiens. A sept heures quarante, l'ar-
tillerie anglaise commença de tonner. Les
derviches cependant continuèrent leur
marche et chargèrent la gauche anglaise;
ils furent arrêtés par un feu général qui
brusquement lij,000 derviches, reformés
autour de l'étendard noir du khalife, fon-
dirent sur les soldats égyptiens de l'aile
droite. Le sirdar ordonna alors une ma-
nœuvre, qui a été justement admirée ; il
fit pivoter sur la droite sa gauche et son
centre : la manœuvre se fit avec la plus
grande régularité, comme au champ d'exer-
cices d'Aldershot : quand elle fut terminée,,
l'ennemi se trouva pris entre des feux
croisés. Malgré leur héroïsme, les derviches
furent décimés ; un instant après, le sol, jon-
ché de leurs cadavres enveloppés de bur-
nous blancs, ressemblait à un pré où la
neige s'est amoncelée par places. A onze
heures un quart, le sirdar commanda
l'avancée générale. La cavalerie — le
21*^ lanciers accomplit une charge désor-
mais célèbre — coupa la retraite vers la
ville aux fuyards, qui furent rejetés avec le
«os
ÉVÉNEMENTS GÉOGRAPHIQUES
khalife vers le désert. La colonne anglaise
pénétra ensuite dans la ville : le sirdar Kit-
■chener marchait à sa tête, à cheval, tout
vêtu. de blanc, tenant dans sa main l'éten-
dard noir du khalife vaincu.
Gordon était vengé.
S'agissait-il uniquement de venger
Gordon ?
La prise d'Omdourman a provoqué chez
la calme nation anglaise un enthousiasme
Soudan égyptien, à la puissance du khalifat,
nous rendrons à l'humanité un très grand
service. » Ainsi les Anglais auraient entre-
pris une guerre longue et rude, d'abord
par fidélité à la mémoire d'un de leurs
héros, et aussi par amour pour l'humanité.
Voilà bien des raisons sentimentales, et
qui ne laissent point de surprendre : nous
aurait-on changé nos Anglais?
Hélas ! on ne nous les a point changés ;
et ils ont pris soin bien vite de faire sa-
voir eux-mêmes que leurs mobiles étaient
LES ANGLAIS EN EGYPTE — UN CAMP
singulier. La reine, dès le premier jour,
a télégraphié au sirdar ses félicitations.
Il a été arrêté que celui-ci serait reçu so-
lennellement au Guildhall, où on lui offrira
— dans une cassette d'or, selon la cou-
tume — le brevet de membre de la cité
de Londres. Les journaux, de plus, s'ac-
cordent à annoncer son élévation à la
pairie. S'il ne s'agissait que du pauvre
Gordon, ces marques de reconnaissance
envers son vengeur paraîtraient peut-être
un peu exagérées. Mais écoutez lord Salis-
bury : « Une moitié de la puissance égyp-
tienne a été enlevée et est restée au pou-
voir du despotisme le plus infernal qui
ait jamais affligé une portion quelconque
de l'humanité », disait-il, en 1896, à la
réunion de la Primrose League; et, le
29 juin 1898, il répétait, au banquet annuel
■de V United cluh : <^ En mettant fin, dans le
intéressés et leur joie toute politique.
Omdourman est tombée, non parce que
Gordon y avait été assassiné, non parce
qu'il y régnait un despotisme « infernal »,
mais parce que cette ville se trouvait sur
le chemin qui mène d'Alexandrie au Cap.
On doit rendre cette justice aux Anglais
que leur ambition politique n'a jamais été
médiocre. Ce peuple de commerçants ne
travaille qu'à fonder des empires; et peut-
être, depuis le peuple romain , est-il le
premier qui se soit complu à rêver sérieu-
sement de domination universelle. Il con-
quiert l'Amérique du Nord, il conquiert
l'Inde, grande et peuplée comme un con-
tinent, il conquiert l'Australie, cet autre
continent; à cette heure, il travaille à la
conquête de l'Afrique, de toute l'Afrique.
Il l'a attaquée par le Nord et par le Sud.
Au nord, l'Angleterre a occupé l'Egypte ;
ÉVÉNEMKNTS GÉOGR APH igU KS
609
malgré le protocole de désintéressement
de 1882, malgré les promesses, malgré les
engagements, elle l'occupe encore et elle ne
parle point de partir. Il lui fallait, disait-
elle, remettre l'ordre dans ce pays. L'ordre
remis, elle inventa le péril mahdiste, ne
se hâta point de secourir Gordon, rappela
l'armée de Wolseley.et onpeut dire qu'elle
a permis aux derviches de fonder leur
empire. ^ Abandonner l'Egypte? disait-elle.
Mais vous n'y pensez pas, mes bons mes-
sieurs 1 Le Mahdi n'en ferait qu'une
la seconde jonction. Nous avons déjà conté
cette histoire au lecteur. Au nord de la
Zambézie, le Congo belge et l'Est-Africain
allemand se rejoignent sur les rives du
Tanganyika et barrent la route. Le
12 mai 18'.»'*, l'Angleterre se fit céder par
le Congo, à bail, une bande de terre entre
le Tanganyika, dont les eaux étaient dé-
clarées neutres, et le lac Albert-Edouard :
la jonction était accomplie. L'opposition
de la France et de l'Allemagne rendit ca-
duque la convention; mais aujourd'hui
LES A X G L A I ^^ EX EGYPTE — LES CONTINGENTS I N D I E N .S
bouchée. » Et elle occupait l'Egypte,
l'Afrique du Nord. Au sud, elle avait une
excellente base d'opérations, la colonie
du Cap. C'est de là qu'elle partit pour
occuper, massacrant les indigènes, violant
à l'égard du Transvaal le droit des gens,
forçant le Portugal à démembrer de ses
propres mains son empire colonial, les
immenses territoires des Betchouanas, des
Matabélé, des Barotsé, jusqu'au Zambèze,
puis jusqu'au lac Tanganyika. Lord Cromer,
au nord, M. Cecil Rhodes, au sud, avaient
bien mérité de l'empire. Au centre de la
fameuse ligne Alexandrie-le Cap , l'Ou-
ganda devenait le prolongement de
l'Afrique orientale anglaise. 11 ne restait
plus, pour réaliser le rêve, qu'à joindre
l'Ouganda à l'Egypte, l'Ouganda à la Zam-
bézie.
L'Angleterre tenta de réaliser d'abord
Vin. — 39.
l'Allemagne et le Congo sont au mieux
avec l'Angleterre, et celle-ci espère bien
que la jonction de l'Ouganda et de la Zam-
bézie n'est plus tju'une affaire de temps.
Il semblait, jusque dans ces dernières
années, que la jonction de l'Ouganda et
de l'Egypte dût présenter moins de diffi-
cultés encore. Les Anglais savaient que
l'obstacle qui se dressait de ce côté de-
vant eux, l'empire des derviches, ne serait
insurmontable qu'aussi longtemps qu'ils le
voudraient bien. Le péril mahdiste, auquel
il leur était nécessaire que l'Europe crût,
ils étaient assurés de le faire disparaître à
leur heure. Mais, en 1895, ils s'aperçurent
que des difficultés nouvelles se préparaient.
La France, ne pouvant obtenir de l'Angle-
terre l'exécution d'engagements solennels,
l'évacuation de l'Egypte, avait regardé,
elle aussi, vers le Soudan égyptien. Dès
610
ÉVÉNEMENTS GÉOGRAPHIQUES
février ISOîl, M. de Brazza disait : « L accès
par le sud de la vallée du Nil est le seul
moyen qui permettra un jour de trancher
conformément à nos intérêts la question
d'Egypte. » On apprenait peu après qu'une
expédition française allait partir du Gabon
et se diriger vers le Bahr-el-Gazal. L'émoi
fut grand en Angle-
terre. Sir Edward
Grey, sous- secré-
taire d'Etat aux
affaires étrangères,
déclarait aux com-
munes que cette
expédition serait
considérée par le
gouvernement an-
glais comme un acte
« non amical » ;
mais, ne se fiant
pas trop à la vertu
efficace de celte
parole menaçante,
ce gouvernement
décidait dans le
même temps de
supprimer l'empire
des derviches et
d'arriver au plus tôt
dans le Bahr-el-Ga-
zal. Telle est la
raison de la cam-
pagne que nous ve-
nons de raconter.
Le sirdar Kitchener
commença la lente
remonte du Nil et
le capitaine Mar-
chand celle du
Congo.
Dès que le sirdar
fut entré à Omdour-
man, le 2 septembre
dernier, il dépêcha
immédiatement cinq
canonnières pour
remonter le Nil
blanc. Ce simple fait
disait beaucoup. Le bruit avait couru que
Marchand était arrivé sur le Nil, à Fachoda :
c'est à Marchand que pensait, tout en com-
battant les derviches, le sirdar, c'est Fa-
choda, non Omdourman, qui devait être le
terme de son expédition. Il paraîtrait que,
pour une fois, nous sommes arrivés bons
premiers. Un télégramme d'Omdourman,
daté du 7 septembre, annonce que des
blancs sont installés à Fachoda et qu'ils
ont repoussé victorieusement un parti de
derviches : « Ce sont les Français ! » s'est-on
écrié à Londres; et, immédiatement, récri-
minations et menaces sont tombées sur
nous comme pluie. Casus helli, a même
prononcé un journal.
Nous ne savons d'abord rien de l'au-
thenticité du sensationnel télégramme; il
convient d'attendre froidement. Mais que
nous soyons, dès aujourd'hui, à Fachoda,
nous le souhaitons, nous l'espérons ; et ce
serait notre droit. Ou bien ce pays est
sous la suzeraineté du khédive, et, dans
DANS LE SOUDAN EGYPTIEN
TIRAILLEURS INDIGÈNES
ce cas, les Anglais n'ont rien à voir ici : noua
ne les reconnaissons pas comme les protec-
teurs du khédive, — ou bien le khédive n'a
plus aucun droit sur lui, — et on ne voit
pas d'où les Anglais tiendraient un droit
quelconque sur un pays qu'ils n'ont jamais
occupé.
Souhaitons que Marchand soit à Fa-
choda : le rêve britannique ne sera pas
réalisé et nous tiendrons une des portes
de l'Egypte. Alors, messieurs les Anglais,
il faudra bien causer, si vous le voulez
bien , de ce dernier pays.
Gaston Bouvier.
LA MUSIQUE
Malgré une chaleur accablante. MM. Mil-
liaud frères, dircclours du théâtre des
Variétés-Lyri(|ues, ont continué couraf;eu-
scment leur tentative artistique. Peu à
peu la cohésion sest faite dans leur troupe.
Les ensembles se sont fondus, l'orchestre
a pris un peu plus d'assurance, et, sans
assister à des représentations d'un art tout
à fait impeccable, nous avons constaté de
louai)les et sincères eH'orts vers le mieux,
ce dont il faut les féliciter.
M""^ Jenny Passama a été fort habile
chanteuse dans le rôle de Rosine du
Barbier de Séville, et M. Rou<i^on a été un
aussi excellent Basile qu'il fut un brillant
capitaine Roland dans la bonne reprise
des Mousquetaires de la reine, un des chefs-
d'œuvre d'Halévy. Cette partition, dédai-
gnée maintenant à TOpéra-Comique, con-
tient de bien jolies pages lyriques qui,
malgré leur âge, — les Mousquetaires furent
joués p'our l'T première fois le 3 février 1846
— n'ont pas encore de rides.
Ne serait-ce que pour citer l'air : Bocage
épais qu'une jeune et charmante débutante,
M"'' Tasma, a chanté avec une fort jolie
voix et un style de bonne école.
Mais laissons de côté les reprises et
félicitons MM. Milliaud frères d'avoir
monté VAmour blanc, un pimpant et gra-
cieux petit opéra-comique en un acte de
M. Marins Lambert, pour la musique ; et
de MM. Jost et J.-L. Croze pour les pa-
roles. Le sujet en est charmant et spirituel,
comme vous allez le voir.
Une jeune et accorte veuve, Thérèse,
a trois galants qui convoitent : le fermier,
sa fortune; le bailli, sa fortune et son
cœur ; le berger, son cœur tout simple-
ment.
Thérèse n'est pas insensible aux doux
et tendres regards du jeune berger qui
pousse la hardiesse jusqu'à lui chanter
d'amoureuses cantilènes sous sa fenêtre,
et auxquelles elle répond en laissant
tomber une rose. Au moment où le jeune
berger prend et cache sur son cœur ce
témoignage de sympathie, les deux vieux
barbons arrivent, ils devinent l'amour du
jeune homme et jurent de se débarrasser
de ce dangereux rival.
Le fermier lui retire la garde de ses
troupeaux et le chasse.
Le bailli lui ordonne de quitter le pays
à l'instant même.
Devant le chômage et l'autorité, le
malheureux paysan ne peut que se rési-
gner. Pourtant, il a un espoir. N'a-t-il pas
sauvé, il y a quelques jours, la fille dun
marquis, le seigneur du pays, et une ré-
compense ne lui a-t-elle pas été promise?...
Ce rival dangereux étant éloigné, le
i)ailli et le fermier font alliance pour con-
quérir le cœur et la dot de la belle Thérèse.
La fine mouche a entendu tout ce qui
vient de se |)asser. Aussi, adroitement, se
débarrasse-t-oUe de ses deux vieux pré-
tendants en avouant — subtils mensonges
— au fermier, (ju'elle est ruinée, et au
bailli, qui l'épouserait même sans fortune,
si grande est sa flamme, qu'elle ne veut
faire qu'un mariage blanc, c'est-à-dire,
ô désappointement du bonhomme 1 que
mari et femme, ils seront bons amis, mais
qu'ils vivront, condition sine qua non,
chacun chez eux, très fraternellement.
Nos deux soupirants se refusent à subir
l'épreuve du désintéressement et de la
sagesse ; ils s'éloignent, chacun de leur
côté, pour savoir : l'un, jusqu'à quel point
elle est ruinée ; l'autre, pour réfléchir.
Thérèse est seule lorsque le jeune berger
revient avec mille écus, la récompense
promise et accordée. Il a appris, par les
bavardages du fermier, que la belle meu-
nière était maintenant pauvre, et, de tout
cœur, il lui offre sa petite fortune.
Fixée du côté désintéressement, Thérèse
lui demande s'il accepterait l'amour blanc.
Cette épreuve bien dure pour un jeune
homme si épris, le berger l'accepte. Ne
veut-il pas vivre près d'elle, et la vue de
ses beaux yeux ne lui suffit-elle pas?
Tant de bon cœur, tant de sagesse déci-
dent la belle Thérèse à accorder sa main
au jeune berger, en présence des deux
bons vieillards tout déconfits de s'être
laissé berner et de n'avoir pas su être
désintéressés et sages. La ruine, l'amour
blanc, n'étaient que ruses!... car avec le
jeune berger Thérèse avoue qu'elle espère
voir la vie et l'amour en rose.
Fort bien chanté par M^''= Nixau, une de
nos plus charmantes artistes parisiennes, et
dont le nom pourrait être synonyme de
succès, le rôle de Thérèse contient de
fort jolies ariettes et de spirituels couplets
auxquels répondait la jolie voix de ténor
de M. Guéry, un chanteur d'avenir.
La partition de M. Marius Lambert a le
grand mérite d'être simple. L'orchestra-
tion sonore et délicate, la mélodie facile
et abondante, nous ont révélé un tempé-
rament musical personnel. Chose rare en
cette époque où tant d'artistes semblent
s'ingénier à ressembler à leurs collègues
heureux et applaudis, plutôt qu'à être eux-
mêmes, quelles qu'en puissent être les dif-
ficultés présentes, les réussites futures.
Depuis que les établissements de spec-
tacles divers ont intelligemment imité les
612
LA MUSIQUE
Music-Hall de Londres, aux équilibristes,
aux acrol:)ates, ont été joints des corps
de ballet, des chd'urs, des artistes qui inter-
prètent de fort jolies choses d'un art mu-
sical incontestable et parfois très pur.
Au Théâtre-Marigny, en pleins Champs-
Elysées, la Cigale et la Fourmi, panto-
mime de M. Edmond Char, musique de
M.André Colomb, ont eu un très grand
succès. Pierrot, peintre et amant de l'in-
souciante Cigale, rentre un soir et ne
trouve rien à dîner. La Fourmi, qui aime
Pierrot, guette son désappointement. Pro-
fitant de sa mauvaise humeur, elle lui ofTre
de partager son repas aux fumets délicieux.
Séduit d'abord par le confortable jusqu'à
ce jour inconnu, Pierrot s'aperçoit bientôt
que la Fourmi n'est qu'une sotte et vulgaire
personne dont l'esthétisme ne dépasse pas
les fourneaux de sa cuisine.
Mieux vaut côtoyer la misère et chevau-
cher l'idéal que de subir, dans une vie
terre à terre, un vulgaire bien-être.
Pierrot chasse la Fourmi et tend les bras
à cette charmante Cigale qui, sans ran-
cune et en chantant, lui revient comme si
rien ne s'était passé.
La partition de M. Colomb contient de
bien jolies choses, et M. Séverin, qui mime
le rôle de Pierrot, est un bien grand artiste
dont les gestes, les jeux de physionomie,
les attitudes émotionnent et égayent tour
à tour avec un incomparable succès.
A l'Olympia, Folles amours, scène de
carnaval en deux tableaux de M. Th. Théo,
musique de M. H. Hirschmann, ont eu un
très grand et très légitime succès. Le sujet
est peut-être bien un peu trop sévère pour
l'endroit, mais il n'en reste pas moins fort
joli, dans sa triste réalité. Pierrot, accom-
pagné de sa fidèle Pierrette, vient au bal
masqué qu'ofirent à leurs invités le baron
et sa femme, la séduisante Irma. On rit, on
danse; mais ne voilà-t-il pas qu'afTolée de
passion pour Pierrot, la maîtresse de la
maison fait en sorte d'être seule, en tête-
à-tête avec lui. Elle l'invite à s'asseoir
près d'elle, tout près; et, énervée par la
bienséante réserve de Pierrot qui se tient
respectueusement à une distance conve-
nable, la jeune femme s'approche de lui
impétueusement et lui avoue son amour.
Tout interloqué. Pierrot s'etTraye. Ne ris-
que-t-il pas de paraître ridicule en jouant
les personnages chastes et bibliques?... Il
est perplexe, d'autant plus qu'Irma est fort
belle : le tendre souvenir de sa gentille
petite femme, Pierrette, le respect du toit
hospitalier, la crainte du scandale, lui font
éviter le plus longtemps possible l'irrépa-
rable.
Mais ce que femme veut!... et l'impérieuse
Irma lui impose son amour, l'hypnotise
presque par d'irrésistibles regards, et fina-
lement, lui faisant perdre la tête, obtient
ce ({u'elle voulait tant. Ils sont surpris. Le
baron, très digne, reproche amèrement à
Irma sa conduite coupable. 11 refuse la
réparation d'honneur que lui ofTre Pierrot,
et se retire.
Repoussé par Pierrette, blâmé par tous,
Pierrot perd la tête et s'enfuit.
C'est alors que les deux femmes, l'épouse
et la maîtresse, se provoquent en duel.
Au deuxième tableau, nous sommes dans
la campagne. La neige a étendu son blanc
linceul. Les deux groupes des témoins dis-
cutent les conditions du combat sans merci,
pendant que, l'une à droite, l'autre à gau-
che, les deux irréconciliables adversaires
attendent, le torse nu, l'épée en main, le
traditionnel : « Allez... mesdames ! »
Les fers sont croisés. Au cliquetis des
lames, on pressent que la lutte est ar-
dente. Le corps à corps est imminent,
quand Pierrot arrive comme un fou — par
d'indiscrets petits domestiques, il a su la
provocation, le duel, le lieu de la rencontre
— et se jette entre les combattantes.
Payant de sa vie le caprice, la faiblesse
d'un instant; mortellement frappé par Irma,
il tombe et meurt pardonné par cette
pauvre Pierrette qui se désole.
En écrivant sa jolie partition, M. H.
Hirschmann, un tout jeune compositeur,
a heureusement souligné et mis en valeur
les scènes gaies et pathétiques de cette
pantomime. Citerai-je la valse lente, la
scène de la séduction, dont le violoncelle
chante la mélodie passionnée ; l'agonie de
Pierrot?... toutes ces pièces mélodiques
sont fertiles en trouvailles rythmiques et
instrumentales, finement nuancées par l'or-
chestre de M. 0. de Lagoanère.
M. Thaïes (Pierrot) est un excellent
mime, et M"'' Louise Willy (Irma) joint à
sa triomphante beauté un talent tour à
tour câlin et caressant, impétueux et dra-
matique. Dans le rôle de Pierrette,
M"'' Julyette a été très digne et très tou-
chante, et, au milieu d'un gracieux ba-
taillon de légères danseuses, la joUe
M"'' Cammaranoest étoile, plus que jamais.
La mt)de est de plus en plus aux petites
auditions consacrées exclusivement à
l'œuvre d'un seul auteur.
Dans une séance où la musique de Cha-
brier était au programme, nous avons en-
tendu Credo d'amour, mélodie si peu connue
qu'elle a le charme de l'inédit.
Aussi le Monde Moderne n'a-t-il pas hé-
sité à la reproduire pour ses lecteurs, étant
certain, ou du moins espérant leur être
agréable.
Guillaume Danvers.
>l I' s Itj II E
dKMMAMEi, CIIABRIEH
18 42-1894
Credo d'Amour
A Madame 11'. Enoch.
d'AnMAND SILVESTRE
Le cUé caracU'risliquc du fiileiit orif^inal cl capricieux de cet artiste, c'est que sa musique aux rythmes
bizarres, aux allures dôbraillécs et sensuelles, est toujours d'une l'orme très pure, je dirais même
classique, très correcte, excessivement idéaliste. Elle donne l'impression, de prime abord, de ces
farouches batailleurs qui, lorsqu'on les coimait, nous apparaissent comme les meilleurs et les plus
doux des hommes. ,, -, i . •
Chabrier fut employé au Ministère de l'Intérieur depuis 1 sr,2 Jusqu'en 1877, époque a laquelle d démis-
sionna pour se consacrer entièrement à la composition musicale.
Élève d'Aristide Ilipnard, il écrivit deux partitions de premier oi'dre : Girendullne. opéra en 3 actes et
2 tableaux, représenté au Théâtre royal de la Monnaie le 10 avril 188()-, et le lioi malgré lui, 3 actes,
joué à rOpéra-(^omique le 18 mai 1887. Sa réputation fut universalisée en décembre 1883, lorsque
Vorchestre des Concerts Lamoureux jeta pour la première fois dans l'espace les chatoyantes har-
monies i.Vl':spai'ut. L'année suivante, mars 1884, les mêmes Concerts exécutèrent une autre belle œuvre,
la Sulamile. . ,, . ,.,-,■. ...
Chantez cette mélodie avec beaucoup de conviction, élargissez bien les cmq dernières mesures chantées
des couplets, et d'une voix ample et sonore, proclamez avec énergie cet acte de foi.
(^)ue l'accompagnement soit joué rigoureusement, comme en fugue, tout en évitant avec soin la sécheresse
de doigté. Cette mélodie est un alléluia profane.
Maestoso san< lenteur
PIANO
_ mièreetde Va . mour !
Car la beauté' com _ me le jour, Al _ lu .
^ I ^
me un feu ~^ ^^ daus les prunel _
- les! Car les fem _ mes portent en
a Tempo
Publié avec l'autorisation de M. Enoch, éditeur. Paris. Tous droits réservés.
614
CREDO D'AMOUR
3
aux cho.ses e .ter _ nel _ les De la lu_mièreet de
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re! Car la dou _ leur, di.vin
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Je crois
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CREDO D'AMOUIl
se- Hors ce que nous ver.sent di.vres _ se Ou lesou.rireou le so_leil!
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Je crois que tout meurt et se pres_seVers l'ombre du dernier sommeil !
-0\-m . . 0 '%'
f-^r ^ f ff^
UN ESSAI
RÉSURRECTION DU THEATRE GREC
La prcinière représontation de Déjanire
aux Arènes de Béziers a été plus qu'œuvre
louable de décentralisalion ; elle a été sur-
tout une curieuse tentative de résurrection
do l'art dramatique grec.
Je dis intentionnellement résurrection et
non reconstitution ; car le drame de Louis
Gallet n'a pas ce caractère d'identité par-
faite de reconstruction intégrale et précise
des choses d'autrefois ; il est simple-
ment la restitution de la vie — et d'une
vie factice — à une chose qui avait cessé
d'être, telle que la trouva le moment qui
la reprit à la mort du passé, je veux dire
dans l'état de modification, de décomposi-
tion même produit par l'effort des siècles
écoulés, ce ({ui est bien le propre des ré-
surrections.
Le théâtre grec fut, en Grèce, le prolon-
gement des dogmes religieux, dont il était
né. Alors que l'essence divine du culte se
cachait sous le mystère jaloux des initia-
tions , les grandes épopées mystiques
étaient, du haut de la scène, livrées à la
foi simpliste de la foule qu'elles remuaient
profondément. L'art dramatique était
comme une sorte de service divin agi et
déclamé où les passions purement humaines
avaient peu de part. Dans le drame an-
ti(|ue, les personnages se meuvent, pal-
pitent, soulTrent, aiment, haïssent, sont
criminels ou adultères non parce que des
passions intérieures les sollicitent, mais
parce que, dès les premiers âges du Monde,
en ses arcanes inéluctables, le Destin l'avait
réglé ainsi. D'où le caractère surhumain
des grandes tragédies grec(|ues dominées
par l'impitoyable loi de Fatalité. Et si plus
tard Euripide conçut et réalisa un drame
plus près de l'homme , il ne se libéra
jamais de la conception primordiale de
génie antique, non peut-être ([u'il eût en-
core la foi en la vieille loi du Destin, mais
parce qu'il n'eût été ni compris, ni sup-
porté s'il ne l'avait pas respectée.
De ce génie particulier du drame antique
était née une mise en scène spéciale, adé-
quate aux exigences de sa modalité.
Les passions venant aux héros non d'eux-
mêmes, mais de l'extérieur, selon une loi
prévue et nécessairement connue de lous,
le rôle des acteurs se simplifiait singuliè-
rement. Les jeux de physionomie, les effets
de scène étaient inutiles. 11 n'y avait qu'à
exprimer des sentiments généraux en des
gestes pres(pu> conventionnels devenu en
([uelque sorte hiérati({ues. Pour exprimer
sa personnalité, il ne restait à l'acteur que
les inflexions dramati([ues de la voix enflée
par les résonnateurs du masf[ue. Et l'on
sait que certains en tiraient de si puissants
effets (ju'ils soulevaient la foule comme
d'une passion divine.
Mais ces gestes, il fallait que le specta-
teur le plus éloigné les pût voir ; ces sen-
timents , il était nécessaire qu'il pût les
partager. Or, comme le caractère de ser-
vice religieux du drame antique compor-
tait la réunion sur les gradins de la tota-
lité des citoyens, les dimensions du théâtre
s'étaient singulièrement élargies; malgré
(juoi il fallait voir et entendre de partout.
Ces exigences de vue et d'audition provo-
quèrent l'invention et l'emploi du mascjue,
du cothurne et autres accessoires trop
connus pour ((ue j'insiste et qui placent
le théâtre anti(jue si loin du nôtre.
Par contre, si le jeu des acteurs était
réduit presque à rien, l'art du machiniste
était des plus compliqués et perfectionnés.
L'intervention des dieux était fréquente
dans le déroulement de la tragédie grecque ;
les divinités arrivaient sur la scène un peu
de tous côtés, aussi bien par les airs que
par les entrailles de la terre : il importait
de leur éviter le ridicule d'une entrée
ratée.
Bien différente est notre conception dra-
matique. De nos jours, la scène s'est rape-
tissée, la salle s'est resserrée, faite unique-
ment pour un public spécial et restreint.
Les dieux sont morts et l'homme a pré-
tendu mettre sur la scène la seule multi-
plicité de ses passions et de ses sentiments.
L'acteur a cessé d'être un singe doublé
d'un perroquet; il est devenu une incar-
nation. Sauf dans les féeries, la machinerie
est disparue et il n'est plus resté que la
vie et l'âme humaine disséquées.
Nous ne sommes, du reste, pas plus
près de la vérité que les anciens ; notre
théâtre est aussi conventionnel f|ue le
618
UN ESSAI DE RÉSURRECTION DU THEATRE GREC
leur; seulement la convention est autre.
De même pour le jeu de nos acteurs, qui
M pourtant la prétention de nous donner
la réalité même; du convenu encore et
souvent fatigant, sinon détestable.
Je n'ai, bien entendu, pas l'intention de
faire le parallèle ressassé du théâtre grec
et du théâtre moderne, joie des profes-
seurs de rhétori(jue. J'ai voulu seulement
rappeler quelle diflérence profonde éloi-
gnait l'âme moderne de l'âme anti(|ue pour
bien faire comprendre <[ue si Z)e7on«?'e avait
été réellement selon la conception même
des tragédies grec(|ues, le génie de son
intrigue eût dérouté et dépaysé le public
c[ui ne l'aurait certainement pu ni com-
prendre ni accepter.
Car le public n'a mar((ué aucune sur-
prise. Il a écouté ces quatre actes comme
choses accoutumées, d'où je tire une pre-
mière preuve — ce que je pourrais appe-
ler une preuve impressionniste — que
l'œuvre ne lui a donné ([ue l'illusion falla-
cieuse des pièces grec({ues, vues à travers
le prisme de nos habitudes théâtrales mo-
dernes, accommodées au goût du jour.
Au surplus, une reconstitution du théâtre
grec n'est ni possible, ni désirable. Tant
pour créer (jue pour com}>rendre des
œuvres selon le mode antique, il faudrait
refaire complètement notre psychologie,
changer du tout au tout notre état d'âme.
Pour s'intéresser à l'intrigue du drame
antifjue, tout comme aux mystères du
moyen âge — je ne parle pas des comédies
satiriques et des farces ([ui sont de tous
les âges — il faudrait la foi profonde et
naïve ipie nous avons perdue. Comment
pourrions-nous accepter sans sourire les
contes mensongers d'une foi qui n'est pas
la nôtre, nous qui n'avons plus guère foi en
notre propre Foi !
Que le lettré en son cabinet, à la lecture
des chefs-d'cpuvre du théâtre grec, s'efforce
de vivre en ces temps passés et se figure
y réussir, à la rigueur je le veux bien.
Mais la foule, c'est impossible.
A l'imitation des Grecs, Louis Gallet, à
chaque impulsion ([ue reçoit le person-
nage, lui fait invo(juer la loi du Destin.
Au cours des deux représentations données,
j'ai parcouru les divers rangs des specta-
teurs. Partout, à cette invocation, je
voyais sourire ; personne, même parmi les
plus lettrés, cpii ne vit là prétexte à excu-
ser les désirs coupables, un moyen de les
satisfaire à l'abri du remords. Ou finissait
par trouver (jue de cette excuse commode,
le personnage se servait un peu trop sou-
vent. Môme j'ai entendu un spectateur, pas
des plus lins sans doute, fredonner le re-
frain connu de la Belle Hélène : « c'est la
Fa Fa... » Remarque ({ue je ne fais que
pour noter l'état d'esprit inévitable d'un
public moderne devant les grands mystères
de foi; et j'en conclus que, si même elle
était possible, la reconstitution de la tra-
gédie antique n'est pas désirable. Ne ré-
veillons pas les morts pour qui nous pour-
rions manquer de respect.
Ces réflexions sont à la fois une indica-
tion et une excuse des nombreux défauts
et des fréquentes faiblesses du drame de
Louis Gallet.
Il serait intéressant d'étudier les avatars
du mythe de la mort d'Hercule, mis à la
scène par les tragiques grecs, repris par
Sénèque en bon rhéteur dont Fart est plus
habile que sincère et mis par lui au goût
romain qui n'était pas des meilleurs, et
enfin — malheureusement sur la version
de Sénèque, déjà inférieure — affabulé par
Louis Gallet pour l'année 1898. Mais ce
n'est pas de notre sujet. Le mythe légen-
daire est assez connu pour (ju'il suffise,
afin de montrer toute la dislance dont
Gallet s'en éloigne, de donner l'analyse
de Déjanire.
[Introduction sijnvphonique — double cha'ur
— les Héraclides célèbrent la gloire d'Her-
cule, vainqueur d'Eurytus. Les Œchaliennes
déplorent le sort d'Iole et pleurent sur laruine
de leur patrie.)
Pour tirer vengeance d'un outrage. Her-
cule a tué Eurytus, roi d'OEchalie, et sac-
cagé la ville. La fille d'Eurytus, lole, est
retenue prisonnière dans le gynécée.
Epris de sa jeunesse, Hercule est devenu
follement amoureux de la jeune vierge.
Ignorant l'amour réciprocjue d'Iole et de
son fidèle ami Philoctète, le héros charge
précisément celui-ci d'informer la fille
d'Eurytus de sa volonté de l'épouser.
Rien — car la fatalité le pousse — ne
pourra le retenir d'assouvir sa passion :
ni les liens qui l'unissent à Déjanire, sa
femme, qu'il répudiera s'il le faut; ni
l'aversion que doit avoir lole pour le
meurtrier de son père. «J'ai versé le sang
de son père, je lui dois l'appui d'un
époux » explique tout naturellement Her-
cule, ce qui ne laisse pas que d'être une
raison bien étonnante. [Musique de scène.)
Philoctète et lole, seuls, cherchent le
moyen de détourner Hercule de son
projet.
Cependant, fatiguée d'attendre à Clia-
lidôn le retour d'Hercule qui ne reve-
nait jamais, Déjanire est arrivée à
UEchalie. Elle envoie son esclave Phénice
avertir Hercule qu'elle veut le revoir. Le
demi-dieu refuse de la recevoir et lui
donne l'ordre de retourner à Chalidôn et
d'y rester.
UN ESSAI DK HKSURHKCTION DU TIIKATRK GREC
«19
[Double chœur annonçant Varrivée, de Dé-
janire.)
Dépitée d'uno telle réception à ses
avances, Déjanire monte sur son char et
se dirif>,e vers le palais irHercuIe — cette
arrivée par la piste, nouveauté de mise on
scène, a surpris et beaucoup plu. Elle
demande à Junon d'assurer sa vengeance.
{Musique de scène.) En vain Philoclète et
Phénice s'etTorcent de calmer sa colère,
le second acte \a se CDiiliuucr et finir
ainsi en «^ros mélo.
Déjanire partie [musique de scène), Him--
cule ap})reiid île la bouche même d'Iole
son relus de partager un amour impos-
sible. Fureur dllercule qui, soupçonnant
soudain lexislence d'un rival, découvre
(jui est ce rival heureux par un moyen
que je ne saisis pas bien. Philoctète entre
bruscpiement ; lole pousse un cri (pour-
Déjanire pénètre dans le gynécée maudire
sa, rivale. [Musique de scène.)
Acte II. [Symphonie accompagnant
les lamentations d'Iole.)
Déjanire menace lole de sa vengeance
(le chœur annonce la venue d'Hercule) lorsque
le demi-dieu paraît qui lui reproche sa
désobéissance et qui de nouveau lui or-
donne de se retirer. Une scène violente
éclate entre les deux époux, scène dune
psychologie médiocre, avec de grands
mots, de gros gestes, qui ferait peut-être
de l'eflet dans un drame à mouchoirs de la
Porte-Saint-Martin, mais qui n'est pas à
sa place dans une tragédie voulue grecque.
Elle nous fait oublier que ce sont des
héros qui agissent sur la scène pour ne
l)lus nous donner que l'impression d'êtres
l)urement humains et un [jeu ridicules. Et
quoi?) et aussitôt Hercule d'en conclure
ce qui est du reste la vérité. Plus perspi-
cace que généreux, le héros fait jeter Phi-
loctète en un noir cachot [musique de scène.
Le chœur s'interroge avec crainte sur les ré-
solutions d'Hercule), puis annonce que poui'
se venger il va épouvanter le monde de
ses fureurs. [Tout le chœur emplit la scène.
Les groupes consternés s'interrogent, se de-
mandent quelle rnctime va faire Hercule,
conjurent les Euménides de s'éloigner de lui,
supplient Juinter et Pallas de venir en aide
au héros.)
Acte III. (Musique de scène Jusqu'à la fin
du récit de Déjanire. )
Déjanire se résout à employer la tunitpie
laissée i)ar Nessus dont elle raconte la
légende à Phénice, lorsque paraît lole, en
suppliante, demander le secours de la
620
UN ESSAI DE RÉSURRECTION DU THÉÂTRE GREC
f(Mnme du demi-dieu contre lui-même
(juelle ne saurait aimer. Et les deux
femmes conviennent de fuir à Chalidôn.
[Le chœur décrit la colère d'Hercule qui reinent
après avoir épouvanté les campagnes par
l'excès de ses fureurs.) En une scène qui est
une des meilleures du drame, Déjanire,
sa jalousie rassurée, s'efforce de con-
vaincre Hercule de sa soumission complète
{musique de scène); mais comme Hercule
s'interroge sur la sincérité de cette obéis-
sance, lole, se dissimulant, essaye de fuir
le gynécée.
Hercule l'arrête et sous menace de faire
périr Philoctète arrache à la jeune vierge
le serment de se donner à lui. La scène
fait grand effet, quoique peu neuve. (Musique
et chœur triomphal au dehors.) Malheureuse-
ment, un peu après, Philoctète, rendu à la
liberté, accuse lole de parjure, lui fait une
scène d'amoureux malheureux qui nous
ramène à la Porte-Saint-Martin.
lole a juré! Rien ne pourra contre ce
serment que les philtres et les talismans
d'amour capables de ramener à Déjanire
le cœur de l'infidèle, et les deux femmes
conviennent que lole offrira à Hercule
comme cadeau nuptial la tunicjue de Nessus,
laquelle, selon la promesse perfide du cen-
taure, doit rendre à Déjanire l'amour du
demi-dieu. (Chœur filial. Invocation à l'A-
mour.)
Acte IV. (Fête nuptiale. Ballet.)
Tout est prêt pour les noces. (Le cory-
phée chante VEpithalame — chœur dansé et
suite de ballet.) Hercule revêt la tunique
fatale. Voici qu'il fait les libations propi-
tiatoires lorsque, soudain, pénétré du
poison dévorant, il éclate en rugissements
de douleur. Il arrache le tissu ardent et sa
chair vient avec les fds de la trame. Les
pires tourments le font hurler de souf-
france. Poussé par le poison tortionnaire,
affolé de rage impuissante, il se précipite
dans le bûcher allumé pour célébrer son
prochain hymen. Emue de ses tortures
effroyables, lole pleure sur le héros et lui
pardonne, ce qui est sans doute de bonne
morale chrétienne, mais n'est nullement
grec ; les anciens avaient la rancune plus
solide. Déjanire se tue de désespoir. Une
nuée s'élève de terre — l'effet en fut assez
réussi, grâce à des jets violents de vapeur
d'eau — et le demi-dieu apparaît en une
apothéose divine. (Chœur des Olympiens et
des hommes.)
D'après l'analyse même, le premier re-
proche que l'on peut faire à Louis Gallet
est d'avoir introduit une intrigue d'amour
parasitaire dans l'action si simple et si
dramatique du mythe primordial de la
mort d'Hercule. Ce n'est plus directement,
involontairement frappé par la femme qui
l'aime, victime des décrets du destin, que
meurt le héros, mais par suite d'une in-
trigue de femmes liguées contre lui. La
femme a plus de part que l'anankè dans
ce dénouement et le drame perd à la sub-
stitution toute sa fatalité tragique. En fait,
la fatalité n'intervient plus ({ue comme un
souvenir littéraire nous rappelant la grande
action qu'elle avait dans la tragédie an-
tique. On en parle souvent, on en parle
tout le temps, et pas un instant on n'en
sent le poids sur la marche des événe-
ments. On peut regretter qu'à tenter une
reconstitution du théâtre grec, Louis Gallet
n'ait pas osé aller jusqu'au bout et nous
donner la réalité au lieu de l'apparence, —
l'expérience y eût pris plus d'intérêt —
mais sans doute, selon les raisons déjà
exprimées, pour captiver l'attention d'un
public moderne s'est-il légitimement cru
obligé de greffer sur la légende primitive
cet élément d'intérêt au goût présent.
Seulement il en résulte ([ue Déjanire est
plutôt une pièce moderne et par là même
s'offre aux critiques sévères et justifiées.
On ne s'en est pas fait faute. Psycliologie
misérable et même absence de psycho-
logie, invraisemblance de sentiments, dia-
logue tombant souvent dans le mélo, dé-
nouement trop bien préparé qui relève
plus de la féerie que du vrai drame, telles
sont les principales fautes relevées et non
sans raison.
Ce n'est pas à dire que le libretto de
Louis Gallet soit sans valeur. L'écrivain
est trop habile pour réaliser un drame
sans mérites. Mais il porte à la fois le
poids de l'antinomie inconciliable entre
les conceptions scéniques grecques et les
modernes et le poids de ce fait que, étant
donnés les éléments de la tentative, on
attendait un chef-d'œuvre et que l'on a eu
seulement une œuvre ordinaire, en tout
cas honnête et homogène. L'œuvre n'a pu
résister à l'écrasante splendeur du spec-
tacle.
Et c'est Ijieii là, en effet, le mot de vé-
rité. Déjanire est un spectacle, ce n'est
pas une œuvre. Si bien que, formée d'élé-
ments inférieurs, à les considérer chacun
en soi (exception faite de l'interprétation
des artistes femmes), la représentation a
été par leur réunion un incontestable et
légitime triomphe. Cette contradiction est
plus apparente (jue réelle. Combien de
fois des pièces médiocres n'ont-elles pas
été sauvées par la chaleur de l'interpré-
tation ou le faste du décor? Il en a été un
peu de même en cette occurrence. C'était
un spectacle nouveau donné dans des
UN ESSAI 1)K HKSUUHKCTION DU TIIKATHK U.KKC
comliliDiis m'uves (U'v;inl un |)ul)lic dc'cidi'
un peu à ;i|)i)laudii' ([u;uul uiônu', mais
qui, jr me hâte de rajouter, a donné très
sincèrement ses applaudissements. Et de
fait, là, en plein jour, en plein air, dans
un espace sans limite, ((ue le décor si-f-
i'orçait d'agrandir encore' et y réussissait,
dans celte vaste étendue des arènes, de-
vant cette foule surcliaufTée do soleil,
limpression était vraiment saisissante.
|)lus près de loeuvre et dans des condi-
tions tout autres de représentation.
Acceplera-t-il de même le mode adopté
par Louis Gallet pour écrire sou ma-
nuscrit, je veux dire la prose cadencée?
Je ne sais; je le désirerais, car à Béziers
ce fut un fi^rand charme que cette langue
nous donnant, avec une plus grande
liberté (rallure,la douce musique du vers.
Sans doute, en ce qui concerne l'inler-
Oiclv Taruiqiict
Déjani
P II E M I E R ACTE
A 1{ It I V E E D E 1) E .r A M R E
Tout s'estompait pour faire un ensemble
|)resque excellent. Dans des conditions
pareilles tout se fond, s'atténue, les dé-
fauts disparaissent, les fail)lesses restent
dissimulées. Et vraiment j'ai participé de
grand cœur et tout entier à la passion
de la foule, que je ressentais et parta-
geais.
Mais le devoir du criti([ue est de ne pas
s'arrêter à l'impression superficielle res-
sentie sous l'enthousiasme d'une pre-
mière représentation. Il doit, à tête repo-
sée, réfléchir et peser les mérites réels
d'une œuvre. C'est ce que j'ai fait, re-
grettant que les deux verdicts n'aient pas
été identiques.
Le directeur de l'Odéon compte monter
Dêjanire sur la scène nationale. Il est à
craindre que le public blasé et scepti(jue
de Paris ne retrouve point l'impression
qui souleva celui de Béziers, car il sera
prétation, l'espace restreint d'une scène
parisienne évitera l'impression désagréable
que j'ai ressentie à Béziers. J'ai éprouvé
combien un large espace s'accommode
mal de la convention des gestes selon
l'enseignement du Conservatoire. On con-
naît ces gestes à ressort, accentués chez
les niauvais comédiens, dont même ne
peuvent se débarrasser complètement les
bons artistes : bras qui se soulèvent et ne
peuvent se résoudre à retomber, jambes
qui se déclenchent et se lancent en avant
pour arpenter la scène, le tout avec temps
d'airêt et points d'orgue sous prétexte de
gestes nobles ou tragiques. Cela m'a été
particulièrement pénible à Béziers. A dis-
tance on ne pouvait plus voir les jeux de
physionomie et les acteurs ressemblaient
à des pantins automates dont la méca-
nique est mal huilée ; critique, d'ailleurs,
qui s'adresse moins aux interprètes de
622
UN ESSAI DE RÉSURRECTION DU THEATRE GREC
Déjanire qu'à l'enseignement de l'école.
La musique est de Saint-Saëns. On y
retrouve toutes les qualités du maître sans
en découvrir de nouvelles. Beaucoup de
science, une inspiration coulante, une
grande conscience d'écriture, c'est, je
crois, tout ce que j'en puis dire.
L'association de la musique au libretto
a été réalisée d'une façon assez curieuse
pour que je m'y arrête un instant.
La mise en œuvre de la musique, comme
lo libretto, est géminée. Tout comme dans
le mode antique, elle aide à exprimer les
sentiments et les émotions du peuple dans
les dialogues entre les coryphées el^ le
chœur, ce dernier placé sur une scène
surbaissée ainsi que chez les Grecs, mais
dont on avait supprimé les évolutions.
D'autre part, et ceci est plus moderne de
conception, elle souligne, pondue en
quelque sorte les passages les plus drama-
tiques de l'œuvre, ou bien s'égrène en
préludes, en finales, voire en ballet... Seu-
lement un ballet dans une tragédie antique,
c'est drôle I... Mais jamais elle n'est
chantée par un des protagonistes du
drame, uniquement elle soutient certaines
parties du dialogue de phrases harmo-
mieuses.
J'ai indiqué suffisamment dans l'analyse
les passages où elle intervient pour que
l'on comprenne de reste le rôle que le
compositeur, lui avait donné.
Quoique les impressions et par suite les
appréciations musicales soient essentielle-
ment subjectives, je signalerai quelques
motifs qui m'ont retenu.
Le prologue est accompagné en sourdine
d'un prélude d'une grande délicatesse et
d'une saveur pénétrante. Il se continue
par un chœur d'hommes d'allure sévère
célébrant avec feu les exploits d'Hercule
et comme antithèse est la délicieuse plainte
des OEchaliennes berçant la désespérance
d'iole. L'arrivée de Déjanire un peu
bruyante a beaucoup de mouvement.
Le prélude du second acte est d'une mé-
lancoUe navrante qui rend bien la tristesse
d'iole, mais il faut aller au troisième acte
pour trouver les belles pages de la parti-
tion : un chœur avec un effet merveilleux
de harpes, conçu dans le mode wagnérien,
d'une symphonie douce et captivante et
une invocation à Eros, large, magnifique,
passionnée. Le quatrième acte a été sa-
crifié au ballet, dont un motif rappelle un
peu trop celui de Samson et Dalila ; mais
il nous permet d'entendre un épithalame
d'une passion pénétrante et d'une intime
douceur.
Le décor était bien ce qu'il y avait de
plus impressionnant dans la représenta-
tion et il. n'a pas peu contribué au succès
de Déjanire. 11 était composé de deux par-
ties : une plutôt aiTérente à la pièce elle-
même, l'autre qui s'étendait derrière la
scène en un panorama merveilleux où
s'élevaient les temples et les monuments
d'une cité grecque à la manière d'Athènes.
Il est regrettable que la perspective aé
rienne fît un peu défaut aux monuments
et aux bâtisses, lesquels, gardant leur
aspect de zinc découpé, ne fuyaient pas
assez et étaient trop sur le décor de pre-
mier plan. Puis pourquoi peindre, dans le
décor, les ruines du temple de Bacchus,
fort pittoresques, d'ailleurs? Serait-ce
(ju'aux temps légendaires d'Hercule , il
existait une commission des monuments
historiques? J'imagine que, en ces temps
reculés, les édifices religieux et les palais
étaient en meilleur état que M. Jambon
ne semble le croire.
En somme, surtout si l'on considère le
spectacle dans la splendeur ensoleillée
qui lui fut donnée à Béziers, Déjanire con-
stitue l'œuvre intéressante d'esprits cu-
rieux des choses du passé, mais peut-être
trop timides dans leur volonté de recon-
stitution. De telles tentatives sont à en-
courager, malgré leurs imperfections iné-
vitables, non qu'elles puissent faire revivre
de toutes pièces ce qui fut la joie ou
l'émotion des ancêtres de notre pensée,
mais parce qu'à ces choses rajeunies on
pourra peut-être trouver une nouvelle
formule d'art.
A. Demeure de Beau m ont.
-<=>«»><=>-
MEMENTO ENCYCLOPÉDIQUE
Événements d'Août 1898.
1. — L'AcailOniie îles beaux-arts décerne le prise de
Rome (architecture) à M. Léon Chifflot. — Ouver-
ture (lu congrès des médecins aliénistes à Angm--!.
— Le tribunal militaire condamne les députés socia-
listes italiens Andreis et Turati à douze ans de
réclusion. — La famille du prince de Bismarck refuse
les funérailles solennelles et l'inhuma-
tion au Dôme de Berlin offertes par l'eni-
pereur Guillaume. - Ouverture du con-
grès international des mineurs à
Vienne.
2. — M. F. Faure pose la première pierre
du couronnement des digues du nouvel
avant-port du Havre. ^ L'empereur
et l'impératrice d'Allemagne arrivent à
Friedrichsruhe. Ils assistent à une cé-
rémonie funèbre intime. — L'armée amé-
ricaine opérant contre Porto-Rico ar-
rive à Coamo. — Le premier coup de pioche
est donné pour le percement du Sim-
plon. — Ouverture du congrès ilu tou-
risme à Luxembourg.
3. — Mort de Charles Garnier,
architecte de l'i^péra. — Mort ilu vicomte
de Castex, ancien chambellan de Xaiio-
léon III. — Le D'' Emile Berger est élu
membre de l'Académie royale de médecine
de Belgique, en remplacement du D'' Péan.
— Un rescrit de l'empereur Guillaume
exprime la douleur que lui cause la mort
de Bismarck et sa reconnaissance pour
son oeuvre, qu'il défendra au prix de son
sang.
4. — A Nantes, ouverture du congrès
de l'association française pour l'avance-
ment des sciences. M. Orimaux, an-
cien professeur à l'Ecole polytechnique,
qui avait déposé en faveur de Zola dans le
récent procès en cour d'assises, étant pré-
sident du congrès, les adversaires de Zola
provoquent des scènes tumultueuses tant
dans la salle qu'au dehors. La police et la
troupe interviennent pour rétablir l'or-
dre. — Dos cérémonies funèbres en l'hon-
neur de Bismarck sont ordonnées par
l'empereur CTuillaume. Il assiste à l'une
d'elles. — Le colonel espagnol San-Martin
est fusillé pour avoir abandonné Ponce à
Porto-Rico.
5. — La cour de cassation rejette les
pourvois de AIM.Zola et Perrenx contre
les arrêts de la cour de Versailles. — L'Aca-
démie des beaux-arts décerne le prix de
Rome (gravure) à M. Corabœuf. — Le
général Miles occupe Guyama (Porto-
Rico).
6. — A la suite de démarches de M. Cam-
bou, ambassadeur de France, le gouver-
nement américain fait relâcher le paque-
bot français Manoubia capturé par les
Américains. — L'Académie des sciences
morales et politiques décerne le prix
Jean Reynaud à M. Paul Janet, membre de l'Institut.
— A Agen, commencement des fêtes du centenaire du
poète Jasmin et des Cadets de Gascogne. — Mort
de M. Martin-Feuillèe, ancien ministre de 1<» justice.
— Echange des ratifications du traité d'arbitrage relatif
au contesté franco-brésilien.
7. — A Saint-Malo, célébration du cinquantenaire de
Chateaubriand. — Scrutin de ballottage pour les
élections cantonales. — Mort du peintre Eugène
Boudin. — Le tsar décide que le cap Oriental, sur le
dé-troit de Behring, portera le nom de cap Dejncw, en
mémoire de celui qui le découvrit. — En Crète, les
amiraux ayant empêché le débarquement de troupes
turques, la Porte se prétend en droit d'envoyer des
troupes de relève.
8. — Violentes tempêtes sur les côtes de l'Océan.
Nombreux sinistres. — Encyclique du pape, protes-
tant contre la guerre faite aux institutions catholiques
en Italie.
9. — M. Bourgeois, ministre de l'instruction publique,
va assister à Toulouse aux fêtes des Cadets de Gas-
cogne, qui inaugurent le monument du poète Ve.stre-
Cl. Pierre Petit.
M. CHARLES (i AI: NI EU
pain, posent la première pierre du monument du poète
Goudouli et inaugurent la salle des illustres au Capitole.
— M. Cambon remet au gouvernement américain la
réponse de l'Espagne aux conditions de paix, que
celle-ci accepte.
4 0. — Ouverture du congrès dentaire à Lyon.
— M. Georges Curzon est nommé vice-roi des Indes
anglaises. — Le gouvernement américain et M. Cambon,
ambassadeur de France, représentant l'Espagne, tombent
il'accord sur les termes des préliminaires de paix.
11. — Arrivée au Havre ilu roi des Belges voya-
geant incognito. — Mort de M. Georges de France,
doyen des journalistes. — A la suite des troubles pro-
voqués par la pré.sidence de M. Grimaux au congrès
pour l'avancement des sciences, celui-ci quitte
Nantes et M. Brouardel le remplace à la présidence du
624
MEMENTO ENCYCLOPÉDIQUE
congrès. — Le gouvernement espagnol approuve le pro-
tocole des préliminaires de paix. — Malgré les
réclamations de l'Angleterre, la Chine ratifie le contrat
concédant à un syjidicat franco-belge la construction
du chemin de fer de Pékin à Han-Ko%v. — A Cuba,
Garcia occupe Gibara, évacué par les Espagnols et il
assiège Halguin. — Le congres de la République
Argentine proclame président de la République
M. Julio Roca à partir du 12 octobre. M. Quirino Costa
est désigné comme vice-président.
12. — Arrivée à Paris du prince Henri d'Or-
léans revenant d'Abyssinie. — Mort du général de
division Renaud. — Signature du protocole des préli-
minaires de paix entre l'Espagne et les Etats-
Unis. Ordre est donné de susponilre les hostilités.
— Clôture du parlement anglais et lecture du dis-
cours du trône. — Ouverture du congrès interna-
tional de lithographes à Berne.
13. — Les gouvernements américain et espagnol
adressent au gouvernement français leurs remercie-
ments pour ses bons offices qui ont facilité le rétablis-
sement de la paix. — Les ambassadeurs abyssins,
revenant de 'V'ichy, arrivent à Paris. — Le Jonninl offi-
ciel publie les décrets concernant la nouvelle organisation
administrative de l'Indo-Chine. — La Bulgarie et
le Monténégro conclut une alliance avec l'approbation
de la Russie. — La junte cubaine notifie au gouver-
nement américain que les insurgés acceptent le protocole
et cesseront les hostilités. — Le Congres de Macédoiae
demande, dans une note aux puissances, l'autonomie de
la Macédoine sous la suzeraineté du sultan.
14. — Un train déraille sur la ligne de Paris à
Lisieux. 8 morts et 40 blessés. — Ouverture du 6» Con-
grès de la mutualité, à Reims. — Inauguration, à
Montreuil-Bellay, d'un monument à la mémoire de
Moreau, Ouret, Dovalle et Toussenel. — Inau-
guration de la statue «lu maréchal Exelmans, à
Bar-le-Duc. — M. F. Faure et le ministre de la marine
passent en revue l'escadre du Nord en rade du Havre.
Le roi des Belges assiste à la revue. — Le comte d'Aul-
nay, radical, est élu sénateur de la Nièvre eu remplace-
ment de M. Ducoudray, radical, décédé.
15. — MM. Sarrien, Cavaignac et Mougeot assistent
aux fêtes du Concours international de gymnas-
tique de Màcon. — Ouverture du Congrès du Club
alpin, à Barcelonnette. — Le ministère portugais
démissionne. M. Joes Luciana est chargé de former le
nouveau ministère. — Le maréchal Blanco et le général
Augusti démissionnent pour ne pas diriger l'évacua-
tion de Cuba et des Philippines. Le g.^uvernement
espagnol n'accepte pas ces démissions. — En Irlande,
fêtes du centenaire de la révolution de 1798.
16. — M. F. Faure reçoit au Havre les membres de
la mission abyssine qui lui font leurs adieux. — Le
Gouvernement colombien se soumet à la sentence
du président Cleveland et accepte l'ultimatum de l'Italie.
L'incident est clos. — Nomination de la commission
américaine chargée d'organiser l'évacuation de Cuba.
— Le nouveau ministère portugais est composé de
MM. Luycias de Castro, présidence et intérieur ; colonel
Sébastien Telles, guerre ; Beirao, affaires étrangères ;
Espregueiria, finances; Alpoin, justice; Villaea, marine;
Elvino Brito, travaux punies II n'en résultera pas de
changement dans l'orientation politique.
17. — Mort du général Jourdan, inspecteur du
génie. — Les généraux Duchesne et Zédé sont
nommés membres du Conseil supérieur de guerre Le
général Jeannerod est nommé au commandement
du i" corps d'armée. — Les présidents F. Faure et
Mac-Kinley inaugurent le nouveau câble transatlan-
tique entre la France et l'Amérique, de Brest à Cap-
Rod, en échangeant des télégrammes se félicitant des
relations amicales entre les deux pays. — Le vice-ami-
ral Kournier est nommé commaiulant de l'escadre du
Levant ; le vice-amiral Sallandrouze de Lamor-
naix est nommé commandant de l'escadre du Nord et le
vice-amiral Barrera est nommé préfet maritime à
Brest. — Mort du général russe Tchernaiefif, qui prit
une grande part à la conquête du Turkestan.
18. — Le commandant Esterhazy est déféré à un
conseil d'enquête. — Fêtes en Autriche à l'o-îcasion du
cinquantenaire du régne de l'empereur François-
Joseph. — Eruption du 'Vésuve.
19. — De violents orages dans l'ouest de la
France occasionnent d'énormes dégâts. Plusieurs per-
sonnes sont tuées par la foudre. — Malgré l'armistice,
les insurgés de Manille continuent à tenir la campagne
contre les Espagnols. — Le gouvernement espagnol
désigne la commission chargée d'organiser l'évacuation
de Cuba.
20. — La chaleur exceptionnelle et persistante
occasionne un grand nombre d'accidents. — Lancement
sur la Seine de la passerelle qui servira au montage du
pont Alexandre III. — L'empereur Guillaume
arrive à Mayence pour assister aux manœuvres. — Un
pont construit par le génie militaire sur l'Arad (Au-
triche) s'écroule au moment du passage des troupes. Une
centaine de soldats sont tués.
21. — Le thermomètre marque 35 degrés k Paris.
L^ne vingtaine de personnes sont frappées d'insolation.
— A Fontenay-le-Château, inauguration du monument
élevé à la mémoire du poète Gilbert. — A Hodenc-en-
Bray, inauguration du monument élevé à la mémoire de
Gui Patin, célèbre médecin, né eu 1602. — Le retour
à Alger de l'ancien commissaire central, récemment
dép'acé, donne lieu à des manifestations violentes
de la part des antijuifs. La troupe est requise pour ré-
tablir l'ordre. — Sir Georges Newues et le géographe
Borcbgrevink s'embarquent pour le Pôle sud a bord
du Soul/wrn-Crose, construit sur le modèle du Fnim. —
Levée du blocus de Cuba et de Porto-Rico.
22. — Ouverture de la session d'automne des Con-
seils généraux. — 'Violents incendies <ians les
forêts de pins de la Gironde et des Landes. Des centaines
d'hectares de forêts sont détruits. Un enfant et un vieil-
lard surpris par les flammes sont carbonisés. — Arrivée
des réservistes. En raison de la température excep-
tionnellement élevée, le ministre de la guerre prescrit
de ne faire que les manœuvres indispensables. — Mort à
Auckland (Nouvelle-Zélande) de Malietao, roi des îles
Samoa.
23. — Mort du sculpteur Ding, auteur du monument
élevé à Vizille à la Révolution française. — M. Cam-
pos-Salles, jirésident de la République du Brésil, rentre
a Rio-de-Janeiro après un long voyage en Europe. La
population lui fait un accueil chaleureux. — La peste
est officiellement constatée dans le sud de l'Inde. Elle fait
de grands ravages. — Le roi d'Italie signe un décret
établissant un règlement pour la participation de l'Italie
à l'Exposition de 1900. — La reine régente d'Es-
pagne signe un décret de convocation pour les élections
des conseillers généraux. — Mort de M?"' Angerer,
évêque de Vienne. — Ouverture à Londres du 4<" Congrès
international de zoologie. M. Milne-Edwards y repré-
sente la France. — A Cuba, Calixto Garcia donne sa
démission de commandant des troupes insurgées de
Cuba. — On apprend que dans la matinée du 12 août a
eu lieu la cérémonie officielle de l'annexion de Ha'wai
' aux Etats-Unis, en présence des commissaires américains
et du président de la République d'Hawaï Sewall.
24. — Le Jourwil officiel publie des décrets relatifs à
l'Algérie, modifiant les pouvoirs du gouverneur général,
instituant des délégations financières, modifiant l'orga-
nisation du Conseil supérieur, réformant l'organisation
des consistoires Israélites algériens, etc. — La reine
régente d'Espagne signe un décret convoquant les
Chambres pour le 5 septembre. — Les relations sont
tendues à Cuba entre Américains et insurgés.
25. — La division anglo-égyptienne quitte Wad-
Hamed, se dirigeant vers Omdurmaa. Outre l'armée
de terre, la division comprend 14 vapeurs dont l'artillerie
participera au bombardement d'Omdurman. — On an-
nonce que Samory a quitté la région de Kong pour
s'établir dans le hinterland de la République de Libéria.
26. — Le ministre de la guerre assiste aux expé-
riences de tir avec le nouveau canon au camp de
Chàlons. — A l'occasion de l'anniversaire du voyage de
M. F. Faure en Russie, des télégrammes de sympathie
sont échangés entre le président de la République
et le tsar. — Des troubles se produisent en Perse
par suite de l'accaparement des grains. Il y a plusieurs
tués. — Les premiers navires rapatriant l'armée espa-
gnole de Cuba quittent Santiago. — La Commission
américaine de la paix est composée de MM. Day,
Davis, Frve, White et Whitelaw-Reid.
27. — M">- Ch. Garnier fait don à l'Etat des ma-
quettes et esquisses des peintures qui décorent l'Opéra.
— Signature de la convention pour la constitution des
Etats-IJnis de l'Amérique centrale, comprenant
le Salvador, le Honduras et le Nicaragua. — L'empereur
MEMENTO ENCYCLOPÉDIQUE
625
et l'iiiipénitrice do Russie assistent aux fêtes (loiiiiùes à
Mo>;coii ;'i l'occiisioii (le l'inauguration du monument
d'Alexandre II.
28. — Oc iKjnibreux Conseils génér.iux émettent le
voeu que le gouviTiienient, par une action énergique,
mette fin à l'agitation Dreyfus. — A Muntbarl,
inauguriition du nioiuuiient ikvù h la mémoire du gé-
néral Junot duc d'Abnintis ( 1 77 1-lsi:!). — A Haie,
ouverture du 2' Congrès sioniste, où toutes les
colonies juives du mon le sont rupnscnti'cs. Le Sionisme
a pour but de « créer au peuple juif, en Palestine, un
domicile ganinti j)ar le droit public ». — Le Afessager
officM de Saint-Pétersbourg annonce que, par ordre de
protestations de la part du gouvernement turc. — Ouver-
ture du ;;■' congrès des Trades-Unions à Bristol.
— L'épidémie de peste fait des progrés terrifiants aux
Indes anglaises.
30. — Dans lo oabinpt du ministre de la guerre, le
lieutenant-colonel Henry est reconnu et se recon-
naît lui-même l'auteur de la lettre en date d'octobre 189(j,
où Dreyfus est nommé. Le ministre de la guerre
ordonne immédiatement l'arrestation du lieutenant-
colonel Henry, qui est conduit à, la forteresse du mont
Valérien. — Dans une édition spéciale le Journal
officiel d'Amsterdam publie une proclamation de
la reine régente contresignée de tous les ministres, dans
LE CHATEAU DE FR I E D R I C H S R U H E, OU EST MORT BISMARCK
Vu du parc
l'empereur, le comte Mouraview a remis le 12/24 août, à
tous les représentants étrangers accrédités à Saint-Pé-
tersbourg, une communication concernant la réduction
possible des armements excessifs en vue du
maintien de la paix. Le d^ cument dit : c( Pénétré de ce
sentiment, Sa Majesté a daigné m'ordonner de proposer
à tous les gouvernements dont les représentants sont
accrédités près de la cour impériale la réunion d'une
conférence qui aurait à s'occuper de ce grave problème. »
La publication de ce document produit une vive sensa-
tion dans toute l'Europe. — Fin de la grève des mi-
neurs de Cardiff. — Le général Merritt reçoit l'ordre
de se l'endre immédiatement de Manille à Paris pour
assister aux séances de la Commission de la paix.
— La fièvre jaune et la fièvre typhoïde fout de nom-
breases victimes parmi les troupes américaines de l'armée
d'occupation de Cuba.
29. — Congrès de géologie à Xancy. — Les
membres espagnols de la commission de la paix
sont MM. Léon y Castillo, atub.assadeur à Paris ; de la
Vignaza, ministre à Bruxelles; le duc de Majera, gou-
verneur de Cadix ; Mlarco Artu, sénateur ; Abarzuza. —
Les amiraux représentant les puissances en Crète sont
autorisés par leurs gouvernements k percevoir les
revenus des dîmes pour subvenir aux dépenses du gou-
vernement provisoire. Cette nouvelle est accueillie avec
satisfaction par le coipité exécutif, mais provoq.ne des
VIII. — 40.
laquelle elle déclare se démettre de ses fonctions. —
L'expédition polaire Wellmann rentre à Tromsoe
après avoir vainement recherché les traces de l'explo-
rateur Andrée.
31. — Le Jourmil officiel publie un décret moililîant
l'organisation de l'administration de la côte française
des Somalis et spécialement de Djibouti. — M. La-
ferrière, nouveau gouverneur général de l'Algérie,
arrive à Alger sur le croiseur Chnnzy. Quelques troubles
se produisent à l'occasion de l'arrivée du gouverneur.
Des magasins juifs sont pillés. L'ordre est rétabli dans
la soirée. — Le Journnl officiel publie un décret réorga-
nisant l'administration centrale du ministère de la
marine. — Le lieutenant-colonel Henry, arrêté
le 30 août, se suiciile daus sa cellule du mont Valérien
en se coupant la gorge avec un rasoir. — Le général
de Boisdefifre donne sa démission de chef d'état-
mîijor général. — Après de nombreuses conférences et
plusieurs entrevues avec l'empereur, les ministres autri-
chiens et hongrois se sont mis d'nccord sur les con-
ditions du compromis. — Tewfik pacha, mi-
nistre des finances de Turquie, est remplacé par Rechad
bey. — Wilhelmine V, née le 31 août 1880, devenant
majeure, prend efiectivement possession du pouvoir
comme reine des Pays-B:is. — A la suite du rapport du
Conseil d'enquête, le commandant Esterhazy est mis en
réforme par décret du président de la République.
LA MODE DU MOIS
Les volants en forme ont ramené les doubles et
les triples jupes, ainsi que le prouve notre mo-
dèle (n" 1).
Celui-ci est en joli lainage gris dont les trois
volants, ou jupes en forme, sont lisérés par un
entre-deux de guipure posé sur transparent. La
jupe est ronde, ce costume étant surtout destiné
à la promenade.
Le corsage croisé, légèrement blousé et fermé
nœuds en velours noir, si le chapeau est gris, de
velours foncé formant camaïeu s'il est d'une autre
nuance. Fantaisie en ailes de mouettes sur le
devant. Bas et souliers noirs.
Les grandes mantes Louis XV, si anormales à
de côté, à droite, est serré à la taille par une
longue écharpe de surah blanc servant de cein-
ture; cette écharpe est négligemment nouée de-
vant. Un coquille de surah forme jabot à la
fermeture. Le corsage s'ouvre sur une guimpe
couverte d'incrustations de guipure; un entre-
deux de guipure l'encadre et orne l'unique revers
de cette gracieuse blouse dont les manches sont
longues et tout à fait simples. Gants de chevreau
blanc et en-cas de fantaisie. Grand chapeau de
feutre léger gris, ou assorti de ton au costume
qui peut se faire d'une autre couleur, garni de
l'époque où elles ont été créées, en été, sont
aujourd'hui, au contraire, tout à fait de saison.
Nous leur devons le retour de la mode pour les
vêtements longs et pour les formes fuyantes de-
vant.
La grande redingote que nous donnons au-
jourd'hui (n» ,2) est une des dernières créations
parues. Je dirai.s même que c'est un modèle avant
la lettre.
Ce vêtement de demi-saison est en drap noir à
coutures rapportées. Le col et les revers sont en
LA MODE DU MOIS
C27
velours rouge, bordés d'uu galou île velours ou de
drap blanc. La martingale, qui le serre ;'i la
taille, derrière, est assortie. Quant au.x volants,
ils forment jupe.
Ce manteau, croisé, s'agrafe sur le côté.
La toque qui l'accompagne doit être comuie les
revers, en velours rouge ; mais on peut, à volonté,
la faire aussi en velours noir, seulement elle seia
ainsi moins élégante. Une plume assortie, mais
plus claire, part du cache-peigne, en fleurs de
.saison, et vient se croquer en avant, couchée, sui
la calotte souple du chapeau.
soie de fantaisie nouée eu nœud papillon sous le
menton.
Grand chapeau de feutre cerise, plume amazone
noire et traîne de passeroses à gauche.
Gants de chevreau bruns. Souliers en chevreau
boutonnés et bas noirs.
Les chasses amenant dans les château.x de nom-
breux visiteurs, les toilettes de soirée com-
mencent donc à avoir leur utilité. En voici
une (n» 4) qui peut servir pour grand dîner,
soirée, bal, ou réception de tout genre pour les
manoirs ou les simples villas. Elle est en foulard
rouge ou citron, à pois blancs, tous les volants en
forme, et la ceinture, h longs pans noués derrière,
Gants de Suède de nuance naturelle
et bottines en chevreau mat.
bas noirs
Pour aller en voyage, voici un costume tail-
leur (n° 3) est tout à fait pratique. Il est orné
d'un biais piqué en forme. En drap noir, avec
un col et des revers de drap ou de velours
cerise, il est à la fois pratique et élégant. Les
revers sont eux-mêmes lisérés de drap ou de ve-
lours blanc.
Le gilet croisé est en drap blanc laissant aper-
cevoir une chemise de batiste à plis. Cravate en
garnis de ruches en mousseline de soie noire.
Autour du décolleté carré, large bande de gui-
pure crème ; et manches longues, emboîtant bien
les épaules, entièrement en guipure.
Chrysanthèmes teintés à gauche, et petite plume
noire dans les cheveux gracieusement ondulés et
frisés.
G-ants blancs, bien entendu, et petits souliers de
satin rouge ou citron, avec bas de soie crème
brodée.
La jupe appuie légèrement à terre sans être
longue. Elle est soulevée sur le fond de soie.
628
LA MODE DU MOIS
CHAPEAUX DE SAISON
NO 1. — Capote en velours améthyste orné
d'une large cocarde-nœud, en dentelle d'argent,
retenue par une boucle en argent et cailloux du
Rhône. Une touffe d'aigrettes recourbées blanches
s'échappe de cette cocarde et achève l'élégance de
cette coiffure.
Un peigne Empire, en écaille brune, posé en
bas du chignon, retient la capote derrière.
jq^o 2. — Chapeau rond, pour jeune fille oa très
jeune femme. Ce modèle, de demi-saison, se fait à
bords assez larges, légèrement cambrés et relevés
à gauche. La calotte en est très basse. Ce chapeau
est en velours incarnat très clair, avec ruban de
satin assorti dont le nœud, à la base, est retenu
par une boucle en stras et grenat. Sous la passe,
et se perdant dans la frisure des cheveux, touffe
bien fournie de roses thé.
Le même modèle peut se répéter en velours
noir avec ruban de satin noir et roses thé, roses,
ou rouges, suivant le goût.
COLS ET CRAVATES
N° 1. — Col en batiste blanche, rabattu et à
ourlet à jour. Cravate en linou blanc extrêmement
fin, formant un nœud papillon. Cette cravate est
plissée avec deux rangs de petits rubans de satin
tout autour.
N" 2. — Col en toile extra. — Ce col se fait de
façon à supporter l'empois un peu ferme. Il est
droit, fermé, mais roulé en pointes rabattues de-
vant. La cravate qui l'accompagne imite le nœud
à la marinière; ce nœud est terminé par un seul
pan garni tout autour d'un plissé en mousseline
de soie. On fait la cravate en peau de soie du ton
que l'on choisit. Ou peut, à volonté, assortir le
plissé comme nuance, ou le faire, au contraire,
d'un ton bien tranchant.
Ces cravates sont précieuses pour mettre avec
les corsages-blouses, les jaquettes, dont elles ac-
compagnent, en les terminant, les gilets, les
vestes de bicyclistes et les costumes tailleur. Eu
satin noir ou en batiste blanche, elles vont avec
tous les costumes.
Ou peut également faire ces modèles en den-
telle, ou en surah de nuance claire, mélangé de
dentelle. Ces cravates seront alors plus coquettes
et pourront facilement se porter avec une robe de
soie ou \va. corsoge de théâtre élégant. Nous
donnons des idées. C'est à nos lectrices de savoir
les appliquer, en les modifiant plus ou moins, à
leurs besoins.
LA MODE DU MOIS
629
LES PIERRES PRECIEUSES
On lionne le nom de pierres précieuses ou de
pierres ^nes à des quartz ou productions natu-
relles que l'on trouve enfouies au fond de la terre.
Quelques-unes d'entre elles ont une grande
valeur, principalement dans celles dites cristaux:
au nombre de celles-là le diamant occupe le pi'e-
luier l'ang. Le rubis, Vémeraude, le saphir, la
topaze, VamctJit/ste, \e ffrenat et le cristal de roche
viennent ensuite.
Il faut encore compter : Vaigue-marine, la tur-
^/uoise, Vaffate, le bcri/l, Vaimant, Vamhre, Vaven-
(nrine, Vhyacinthe, le jade, le lapis-lasuli, la
malachite, Vœil-de-chat ou de tigre, l'obsidienne,
Vopale, le péridot, la pierre de lune, etc.
Le diamant jette des feux étincelants et multi-
colores. Il y en a de plusieurs couleurs, les blancs
sont les plus chers; mais les noirs, foi't rares, sont
d'un prix inestimable. Louis XYIII, dit-on, en
possédait un de toute beauté. On eu cite encore
des verts, des jaunes, des bleus et des roses.
Suivant la taille qu'on lui fait subir, le diamant
prend différents noms. Le brillant est le plus
l)eau; sa table de dessus est taillée à huit ou
douze pans, et sa "partie inférieure, dite culasse,
ost également taillée à facettes d'un nombre équi-
valant aux pans supérieurs.
Le brillant double ne compte pas moins de
soixante-quatre facettes.
Le demi-brillant, très à la mode en Orient, n'a
pas de culasse et il est plat sur le dessus.
La rose est plate dessous, et la pierre de dessus,
saillante, se compose d'une couronne en forme de
pyramide, à six faces, encadrée par une multitude
de petites facettes.
Le rubis, d'un rouge vif, vient immédiatement
après le diamant. C'est un produit de l'Orient.
La Syrie, le Tyrol, la Bohême et la Hongrie
fournissent le grenat d'un rouge foncé, tirant
parfois sur le violet.
L'émeraude, d'un beau vert, se taille ordinai-
rement en carré. On la trouve rarement pure, et
comme elle est, de toutes les pierres précieuses,
celle qu'on imite avec le plus de succès, ne la
uionte-t-on jamais qu'à jours.
'L'améthyste, d'un beau violet, s'emploie surtout
I»our les bijoux de deuil. On la transforme sou-
vent en camée par la gravure.
La topaze, originaire du Brésil, est, ou jaune
d'or, ou jaune plus foncé ; on la désigne alo)s
sons le nom de topaze brûlée.
Jjaigue-marine, moins à la mode que les pierres
jirécédrntes, est d'un blanc verdâtre, rappelant
assez la nuance de la mer. Comme l'améthyste,
elle se taille en camée, ou en intaille, c'est-à-diie
en creux au lieu d'être en relief.
Le saphir, très apprécié et ti-ès cher, est d'un
beau bleu céleste. Originaire de Sibérie, de Ceylan,
de Pégu ou du pays d'Ava, il rivalise eu cherté
avec le diamant et le rubis.
La turquoise, le lapis-lazuli , la malachite, etc.,
sont des pierres opaques.
NOS PATRONS
Jupe fourreau avec volant en forme. — . Cette
jupe se coupe droit fil devant et derrière. Elle doit
emboîter absolument les hanches, c'est-à-dire être
tout à fait collante devant et sur les côtés. L'am-
pleur se trouve ramenée derrière dans les fronces,
peu nombreuses du reste.
Le volant, taillé en biais devant, est droit fil
derrière.
La jupe en forme ne se double pas. Elle est ce
iiu'on appelle soulevée. On la monte sur un fond
de jupe de soie. Pour faire ce fond de jupe, il faut
environ huit mètres de tissu et quatre mètres en
un mètre de large pour la jupe elle-même.
Ces proportions sont établies pour une femme
au-dessus de la movenne.
€30
LA MODE DU MOIS
TRAVAUX DE DAMES
No 1. — Bande de broderie. — Voici une bande
de broderie, très facile à exécuter et tout à fait
jolie, pour bandeau d'autel. Elle sera particuliè-
rement bien appliquée à l'autel de la Vierge ou
à celui de Saint-Joseph.
Elle se fait à volonté sur tissu de soie, de laine,
de fil ou de coton ; mais elle se brode toujours en
soie et au passé. Les fleurs, des lis, sont blanches,
mais de deux tons ; les feuilles d'un vert très
doux et de deux tons également ; quant aux pis-
tils, ils se font en fils d'or.
L'étofiie peut être crème, blanche, ou bleu pâle.
Et rien n'empêche de terminer le bandeau, eu
bas, par une petite dentelle ou une passementerie
de fantaisie, cette dernière en soie, bien entendu.
N° 2. — Autre bande brodée. — Cette autre
bande, des orchidées, est également brodée au
passé. Les fleurs sont mauves de trois tons. Les
points bruns et noués en relief. Les tiges sont
vertes, mais de deux tons.
Cette bande peut s'appliquer à toute espèce
d'objets d'ameublement, bandeau de cheminée, de
tapis de table, bordure de rideau, bande pour
sièges, etc.
Si on désire un travail plus simple, d'un usage
plus journalier, ou moins susceptible, on exécu-
tera cette bande avec de la laine, sur de la grosse
toile. On pourrait, au besoin, agir de même avec
la première bande.
N" 3. — Corbeille à pain. — Cette corbeille se
fait en vannerie japonaise. On l'agrémente de
deux petits noeuds très enlevés aux deux auses.
L'intérieur se garnit avec une petite serviette en
granité blanc ou crème, brodé tout autour. On
peut mettre dans le fond le chiffre de la personne
à laquelle on désire offrir ce rien en souvenir.
N° 4. — Détail de la broderie de la serviette. —
Cette broderie se fait en soie lavable, les fleurs eu
rouge coquelicot de deux tons, les feuilles en vert
glauque de deux tons, mais celles-ci brodées à
plat, taudis que les fleurs doivent être rembourrées
pour leur donner plus de relief.
Cette même broderie pourrait s'appliquer à une
serviette destinée à recouvrir un plateau, une
petite table à thé, une servante, ou tout autre
objet du même genre.
DE LA POUDRE DE RIZ
L'usage de la poudre de riz est aujourd'hui tel-
lement répandu que je n'essayerai même pas de
réagir contre lui, quoique l'approuvant peu ; la
poudre ne devrait s'employer que comme hygiène
pour se sécher, après avoir fait sa toilette, ou
lorsque, au retour d'une longue course, on est
mouillé par la transpiration. On devrait choisir
alors de la poudre médicinale de pharmacien, sans
odeur, c'est-à-dire de la véritable fleur de riz, ou
de la poudre à l'amidon, ou au lycopode. La fécule
de pomme de terre est excellente. Quelques per-
sonnes emploient encore la poudre d'iris; cepen-
dant celle-ci, étant plus irritante, doit être écartée
pour les épidermes susceptibles.
La poudre d'amidon, plus lourde que la véritable
poudre de riz, est également plus adhérente que
celle-ci. Mais, en général, lorsqu'on veut maintenir
sur la peau ce léger duvet blanc, Rachel ou rosé,
faut-il auparavant passer sur son visage une légère
couche d'une crème quelconque. Le blanc dont ou
enduit les masques avec lesquels les coquettes se
couvrent la figure pendant la nuit, pour effacer
leurs rides et maintenir leur peau fraîche, a l'avan-
tage de n'être pas gras et de ne pas rendre la
peau luisante au bout de quelques heures.
L'amidon provenant du blé, du seigle, de l'a-
voine, de l'orge, du maïs, des glands, des fèves,
des pois et des pommes de terre est plus adhérent
que le véritable amidon de riz. Celui-ci disparaît
au moindre frottement ou au plus léger courant
d'air.
Il y a des blancs liqiiidesj qui donnent absolu-
ment l'illusion de la poudre quand ils sont bien
appliqiTés et qui n'ont pas, comme elle, l'inconvé-
nient de tomber sous l'action de la marche ou
l'influence du vent ; ceux-là, à la vérité, rentrent
dans la catégorie des fards.
Mais encore une fois, rien ne vaut, je le répète,
la peau à sou état naturel.
Berthe de Présilly.
QUESTIONS FINANCIKUES
Nous sommes eiicliault's (Tavoii" ;\ coii-
slalcr que les circonslaiiccs doiinenl |)lci-
iicment raison aux prévisions (jue nous
avons formulées en nolio dornicr ailicU'.
Vous savez, ce qui s'osl jiassé (h'pnis lors.
Vous connaissez l'accumulalion d'événe-
ments ([ui onl surfïi, qui se sont précipités
avec une foudroyanlc rapidité, et dont
beaucoup sont tragiques. Les révélations
les plus inattendues, les crises ministé-
rielles, les arrestations, les suicides, l'as-
sassinat de S. M. rim|)ératrice d'Autriche,
le bruit d'une entente entre l'Allemagne et
l'Angleterre, le bombardement de Candie,
les événements do Crète, et d'autres faits
encore, beaucoup d'autres faits, ont été
soumis à l'appréciation du personnel finan-
cier, toujours si susceptible, toujours si
impressionnable lorscju'il s'agit de choses
touchant de près ou de loin à la politique
intérieure ou internationale.
Le moindre de ces événements était fait
pour exercer une sérieuse influence sur
l'esprit de la spéculation. Et, si cette
influence ne s'est pas manpiée par des
oscillations bien profondes de la cote, cela
tient surtout à ce (jue nous sommes encore
dans la période des vacances, et que, par
conséquent, un grand nombre des per-
sonnes qui passent pour diriger le marché
ne sont pas encore rentrées. Si nous
étions dans ce que l'on appelle la saison
des affaires, il est hors de doute que nous
assisterions à des mouvements considé-
rables. Or, précisément, c'est l'aléa résul-
tant de mouvements de ce genre que nous
désirons éviter aux lecteurs de cette Revue,
qui ne sont point recrutés dans les rangs
(les joueurs. C'est pour cela que nous leur
avons recommandé des valeurs ({ui, par
leur nature, échappent et écliappcront tou-
jours aux influences de la spéculation et
des événements, quelque graves que puis-
sent être ces derniers.
Voyez ce qui s'est passé pendant la pé-
riode qui vient de s'écouler. Alors qu'à
diverses reprises nos rentes ont subi l'as-
saut des ventes au comptant et que nos
chemins de fer, classés par le public de
l'épargne au même niveau élevé que nos
fonds nationaux, ont vu leurs cours s'a-
moindrir assez sensiblement sous le poids
d'offres provoquées par les impressions
résultant des événements intérieurs, — les
valeurs industrielles n'ont pas bronché,
ou si peu, que ce n'est point la peine de
s'y arrêter. Seul, le Suez a été un peu
lourd, parce qu'il subit forcément la ré-
percussion des événements orientaux.
Mais le reste? On sent bien que ce qui se
passe ne saurait empêcher les gens de se
cliausser, ou de se nourrir, ou de slia-
biller, ou de voyager à l'étranger, ou de
s'éclairer. Dès lors, et sans hésitation au-
cune, l'épargne a conservé en portefeuille
les actions des compagnies qui exploitent
les chaussures, ou l'alimentation, ou les
moyens de transports extérieurs, ou le
gaz, ou l'électricité, etc. Rien de plus
normal, rien de plus logique.
Et c'est pourquoi nous insistons sur
l'avantage qu'il y a pour le public à s'orien-
ter dans la voie que nous indiquons. Les
valeurs industrielles, — ne sortez pas des
valeurs industrielles jusqu'à nouvel ordre.
Cela dit, il va de soi qu'il faut procéder
avec une certaine circonspection et ne pas
se jeter sur les valeurs industrielles uni-
quement parce qu'elles portent l'étiquette
« industrielle ". Grâce à l'ingéniosité de
certaines gens, ce pavillon, depuis quelque
temps surtout, couvre une marchandise
discutable ; je vous ai dit cela déjà dans
mon précédent article et j'y reviens au-
jourd'hui, parce que plusieurs lecteurs, qui
m'ont fait l'honneur de m'écrire ou de me
venir voir, m'ont semblé un peu plus en-
thousiastes qu'il n'aurait fallu de certaines
valeurs nouvelles et dont ils connaissaient
presque par cœur les grandiloquents pros-
pectus. Je suis arrivé à les dissuader et
pense leur avoir rendu ainsi un service,
que je suis d'ailleurs disposé à rendre à
toutes les personnes qui voudront bien
avoir recours à moi.
En ce moment, tout au moins, nous
n'avons que faire des valeurs « indus-
trielles » étrangères. Nous ne poussons
pas le chauvinisme jusqu'à prétendre que
l'argent français ne doit sous aucun pré-
texte sortir de France : l'argent est une
marchandise comme les autres, et nous
avons beaucoup à gagner en le faisant cir-
culer; mais c'est à la condition que nous
n'en trouverons pas l'emploi chez nous.
Or il suffit de lire la cote avec attention
pour se rendre compte que tel n'est point
le cas, et que notre stock de valeurs natio-
nales et assez fourni pour n'exiger points
l'exportation de nos capitaux. Evidemment,
il y a un choix à faire. Pour nous, nous
croyons sincèrement que le capitaliste fera
bien de renoncer aux valeurs anciennes,
qui ont atteint maintenant des cours tels
que leur taux de capitalisation se réduit à
presque rien. C'est dans les affaires déjà
en exploitation qu'il faut chercher, — dans
le groupe de celles qui, bien que de fon-
dation récente, ont pu néanmoins donner
des preuves de vitalité. Celles-là, on les
découvrira sons peine.
E. Benoist.
Adresser les commiinicatioixs pour celle paye à M. liniile Heiuiisl. 17, rue du Ponl-Aeuf.
BOURSE DE PARIS (Comptant). — Cours extrêmes d'Août 1898.
FONDS D'ÉTAT ET DE VILLES
ReT.net
d'impùl
3 »
3 )i
3 50
15 »
2 50
12 50
»
3 % français perpétuel
Z % d" amortissable
3l/2jrd<'
Obligations tunisiennes 3 % 1892. . .
Emprunt Annam et Tonkin 2 1/2 %.
Emprunt de Madagascar 2 1/2 %
Angleterre, consolidés 2 3/4 ^
République argentine 5 % 1886
Autriche 4 % 1876, or
Belge 3 % 1873 conv. (2'^ série)
Brésilien 4 % 1889
Chine 4^ 1895, or
État indépt du Congo, lots 1888 »
Egypte 7 %, dette unifiée nouvelle . . 20 08
— 3 1/2^, dette privil., conv.. 17 57
Espagne extérieure 4 % 1882, perpét. 4
Hongrois 4 ^ 1881, or 4
Italien h % 4
Portugais 1853 Z % » 93
Roumain 4 % 1890 4
Riisse 4 % 1880 (6" émission). .
— 4: % 1889, or 4 »
— i % consol. (1" et 21^ séries). . 4
— i.% 1890 (2« et 3« séries) 4
— Z % 1891, or 3
— i.% 1893, or 4
— 3 1/2 % 1894, libéré 3 60
— Z % 1896 • 3
Serbie 4 % 1895 4
Suisse (chemins de fer) Z % 3
Turquie, dette convertie (D) 4 ^ 1
— oblig. consolidé 1890, 4 ^ 20
— — ottom. priorité 1890, 4 %. 20
— — privil. douanes h % 26
— — ottom. 1894, A.% 20
— — 1896,6 % 25
Ville de Paris 1865, 4% 18 08
— 1869, Z% 10 66
— 1871, Z% 10 68
— 1876, i.% 18 06
— 1876, i.% 18 06
— 1886, Z % 10 68
— 1892, 2 l/2^toutpayé,
— 1894-96, 2 1/2 % d"
Ville de Marseille 1877, Z %
— d'Amiens 1871, 4 ^
— de Bordeaux 1863, Z %
— de Lille 1860, Z %
— — 1893, 3 1/2^
— de Lyon 1880, Z %
ÉTABLISSEMENTS DE CRÉDIT
Banque de France (Actions)
Banque Paris et Pays-Bas . d°
Banque Transatlantique . . d"
Compagnie Algérienne ... d°
Comptoir d'Escompte d">
Crédit Foncier de France. . d"
Foncières 1879, Z%... (Obligations)
— 1883, 3 ir d»
— 1885,3^ d»
— 1895, 2,80 ^lib. d°
Communales 1879, 2,60 % . d"
— 1880, Z % ... d°
— 1891,3 1"... d"
— 1892, 3 J.... d»
Crédit Industriel (Actions)
Crédit Lyonnais d"
Société Générale d°
Cïnque Ottomane d"
Plus haut.
103
75
102
25
106
40
603
»
91
00
91
»
112
30
449
»
104
50
101
65
63
25
105
75
93
)i
110
70
106
25
46
60
103
40
92
76
20
80
8 82
10 70
3 60
3 »
2 64
3 16
2 67
115 )i
36 95
11 68
29 60
25
24 96
13 40
13 48
13 40
12 46
11 50
13 40
10 72
14 36
12 »
32 05
12 »
12 50
94 50
103 95
103 85
104 80
104 25
97 50
106 80
103 »
98 20
60 05
101 25
25 »
425 »
490 »
602 »
460 »
467 60
668 50
432
420
585
683
410
407
399 25
410 60
125 »
125 »
130 »
605 »
102 50
3600
968
438
778
607
69a »
512 »
471 »
602 »
501 60
603
506 50
405 »
501 »
612 »
880 »
650 »
558 SO
Plus bas.
103 25
101 70
105 95
500 50
90 25
90 50
110 75
425 »
104 10
101 65
50 ).
103 50
92 »
109 25
104 45
40 90
102 80
92 10
17 85
93 15
103 ))
103 20
103 90
103 60
96 80
104 60
101 50
96 60
68 50
100 70
22 30
415 »
474 »
493 £
451 50
460 »
656 »
424 »
414 75
580 »
879 »
405 »
401 »
398 75
406 »
119 »
120 •»
125 »
500 »
101 25
3550 »
944 »
430 »
770 »
682 »
680 »
504 60
468 »
501 »
500 »
600 »
503 »
403 »
600 »
605 »
870 »
548 »
550 »
P.-L.-M
d»
Midi
d"
Nord
d»
Orléans
d»
Ouest
d»
Bône-Guelma. .
d»
Est-Algérien . . .
d°
Ouest-Algérien .
d»
Andalous
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Autrichiens. . . .
d»
Sud-Autriche . .
d«
Nord-Espagne. .
do
Saragosse
d»
31 »
4 »
5 »
4 25
13 44
13 44
13 44
13 44
13 44
13 44
13 46
13 50
13 48
13 54
11 »
15 »
11 »
14 30
CHEMINS DE FER
Est 500 fr. tout payé (Actions) 1 32 16
d» 49 70
d» 45 42
d» 55 90
d» 52 99
d» 34 75
d" 26 97
d» 25 10
d» 22 78
d" 5
d»
d»
d»
d»
Est 3 % nouveau (Oblig.)
P.-L.-M. 3 % nouveau d°
Midi 3 % nouveau d"
Nord-Est français Z % d"
Orléans 1884 d"
Ouest 3 % nouveau d"
Bône-Guelma Z % d»
Est-Algérien Z % d»
Ouest- Algérien 3 ^ d»
Médoc Z % d»
Andalous 3 % estamp d"
Autrichiens 3 % V' hypoth. d°
Nord-Espagne l'* hypothèque. d"
Saragosse d"
VALEURS DIVERSES
Docks et Entrep. de MarseiUe.(Actions)
Entrep. et Mag. Gcn. de Paris. d"
C'e Q-ie Transatlantique d"
C'" française des Métaux .... d"
C'° générale des Tramways ... d"
C'" générale des Eaux d"
C'* du Gaz de Bordeaux. ... d°
C'*^ du Gaz général de Paris . d"
C'° du Gaz de Marseille d»
Aciéries de France d"
Forges et Chantiers Méditer. d"
Bateaux Parisiens d'
C''^ franc, des Chargeurs réunis, d"
C'*' des Lits militaires d"
Société de la Tour Eiffel d"
C'* intern'"' des Wagons-lits . . d"
Régie des tabacs ottomans . . d»
C* générale des Eaux Z % .. (Oblig.)
- - 6^.. do
C''^ Parisienne du Gaz i^ % . . d"
Gaz central 500 fr. 4 ^ d"
C''^ du gaz p. France et Et. 4 ^. do
C'<^ des Messag. Marit. 3 1/2 %. d»
C'« G'« Omnibus de Paris 4 ^ . do
Oie Gie Voitures à Paris 4 J". do
Cie Gie Voitures Urbaine h% . do
C'« des Lits militaires 4 % . . do
Canal de Panama, lots, t. p . . do
— — 210 p d»
— — bons à lots 89. do
C'o du Canal de Suez f> % . . . do
— Z % (l'« série). do
— Z% (2e série). d»
Obligations du Monde Moderne (5 fr.
net de revenu). — Coupons payables
le l'''' avril et le l'''' octobre aux
bureaux du Monde Moderne ou an
Comptoir géncnd de crédit, 17, rue
du Pont-Kc'uf.
IRfT. nrt'
d' impôt Plus haut. Plus bas.
16 43
25 72
17 30
27 95
»
59 98
82 66
20 32
45 60
34 44
25 30
22 63
85 04
44 79
5 15
30
25 »
13 46
22 94
18 16
18 16
18 20
15 84
18 »
18 18
23 30
21 81
»
»
»
24 50
13 40
13 50
1100 »
1960 »
1470 »
2180 »
1907 60
1239 »
812 »
740 »
678 »
110
778 »
177 »
81
154
484
479 25
483 75
481 »
485 »
483 »
479 »
466 60
477 »
435 »
200 50
483 »
225 »
290 »
470 »
719 60
358 B
670 »
1150 »
2320 »
1955 »
466 »
1200 »
1196 »
890 »
865 »
1642 »
1700 »
617 »
778 »
296 80
478 50
625 »
507 80
610 »
512 »
615 »
817 »
522 »
186 »
623 »
130 50
264 »
124 50
667 »
498 »
489 »
1090 »
1940 »
1447 »
2160 »
1890 »
1228 »
802 80
728 »
670 »
83 B
763 »
173 »
72 »
142 »
480 »
476 »
480 80
476 »
481 »
480 »
466 50
464 »
469 »
428 »
180 »
479 B
215 ))
280 »
455 50
710 »
350 n
661 »
1101 »
2270 »
1920 »
460 »
1179 »
1150 »
835 »
826 »
1520 »
1650 »
806 »
760 S
290 »
473 76
623 »
806 »
607 »
806 K
612 »
814 80
817 »
151 »
615 »
116 »
253 25
113 »
652 »
489 50
486 »
LA VIE PRATIQUE
Nettoyage des gants de peau. — Au nio-
înenL des \-isites, on salit Ijcaucoiip de gants ;
il est donc bon de sa\()ir les nettoyer. C'est
d'ailleurs très facile. On fait dissoudre à froid
f) {grammes de carbonate de soude dans
100 grammes de lait écrémé. On frotte les
gants avec cette mixture à l'aide d'un morceau
de flanelle très propre. Quand les taches sont
parties, on frotte les gants avec ,unc flanelle
sèche et on laisse sécher. Autant que possible,
lendre les gants sur luio main de bois.
Conservation des châtaignes. — Les châ-
taignes di)i\'enl éliv récollées au moment de
leur parfaite maturité, c'est-à-dire lorsqu'elles
tombent spontanément de l'arbre. Si on doit les
utiliser tout de suite, on les isole de leur pe/on,
c'est-à-dire de leur pelure épineuse, à coups
de pied. Si on veut les conserver quelque
temps, on emporte les châtaignes dans leur
|)elon et on les met en paquets, soit à l'air,
soit dans des chambres basses, des tonneaux,
du sable, etc., mais non dans des caves où la
température est élevée. Il faut bien se garder
de répandre de l'eau sur les tas, ainsi que le
fontcertaines personnes poui' leur donner « une
belle appai-ence ». Cette conservation ne peut
guère durer que deux semaines ou au plus un
mois. Après ce temps, il fautenlever le pelonet
conserver les châtaignes dans un endroit sec
et en petits tas. Le mieux est de les mettre
dans des caisses en les stratifiant a\ec du
sable: les châtaignes restent ainsi fraîches
jusqu'au milieu de l'été.
Conservation des citrons. — On les enve-
loppe de papier de soie et on les plonge en-
tièrement dans du sable bien sec, le pédoncule
tourné vers le bas.
Enlèvement des taches d'encre. — Voici
la rentrée des classes. Les petits écoliers vont
répandre de l'encre sur le papier, les vête-
ments et le parquet. Il faut savoir remédier
au mal causé par ces petits garnements. Pour
les taches sur le papier et les en'els. il faut
faire usage de deux solutions.
( Hypochlorite de potasse.
A < Chlorure de potassium.
( Essence de menthe.
( Acide muriatique.
B < Sel marin.
( Eau pure de citron.
Tout cela en proportions égales.
On dépose sur les taches im peu de la li-
queur A, puis on fait sécher à une douce cha-
leur. En touchant ensuite les taches avec un
peu du liquide H, elles disparaissent.
Pour le parquet, on frotte les taches avec
de la paille de fer jusqu'à disparition presque
complète et on achève avec du papier de
verre. Un peu d'encaustique et un coup de
chifTon de laine, il n'y aura plus rien.
Nettoyage des bijoux. — On frotte les bi-
jou.x avec une brosse douce trempée dans de
l'eau de savon épaisse. On essuie avec une
peau de gant, puis avec de la mie de pain.
Si les bijoux sont volumineux, on les frotte
avec du colcotar, ou rouge d'.Vngleterre, dé-
layé dans un peu d'alcool ordinaire. On frotte
avec une peau de gant et on essuie avec une
peau de chamois.
Manière de s'orienter à l'aide d'une mon-
tre. — La montre étant nuse à l'iieure. tenez-
la horizonlalement de manière que la petite
aiguille soit dans la direction du soleil : la
bissectrice de l'angle que formerait cette ai-
guille avec une autre aiguille marquant midi
vous donnera la direction du sud (iui moins
dans nos régions,. Pour vous rendre compte
de l'exactitude relative de ce procédé, sup-
posez une montre placée à midi sur une ta-
ble, de manière que la petite aiguille regarde
le soleil. Lorsque cette aiguille marquera trois
heures, par exemple, elle regardera le point
de l'horizon où le soleil ne sera qu'à six heures.
Si donc, en faisant tourner la montre, on
place la petite aiguille de manière qu'elle
marque trois heures sur le cadran du ciel,
une aiguille marquant midi sur la montre
marquerait neuf heures sur le ciel; et, par
conséquent, la bissectrice de l'angle de ces
deux aiguilles serait dans la direction du sud.
Cela résulte évidemment de ce que dans sa
marche apparente autour de la terre, le soleil
décrit une circonférence en vingt-quatre heures
et non en douze heures.
N. B. — L'angle à partager en deux parties
égales étant de six heures et quelques minutes
du matin à six heures moins quelques minutes
du soir, toujours plus petit que 180 degrés, on
ne peut courir le risque de prendre le nord
pour le sud. Avant six heures du matin et
après six heures du soir, il suffira de se rap-
peler, pour éviter toute erreur, que si dans la
matinée on se tourne vers le soleil, on a le
sud vers sa droite, et que dans l'après-midi
on la dans les mêmes circonstances vers sa
gauche.
Vin de Madère simple. — 'Voici une re-
cette que donne l'Apiculleur pour la fabrica-
tion d'une liqueur c[ui rappelle absolument,
paraît-il, le meilleur vin de Madère : ayez du
cidre très nouveau, mélangez-le avec du miel
en quantité suffisante pour que le nouveau
liquide puisse maintenir un œuf à la surface,
sans qu'il s'enfonce. Placez alors cidre et
miel dans une bassine étaniée, mettez-le dans
un baril où vous le laisserez cinq ou six
mois, avant de le mettre en bouteilles, vous
aurez alors un excellent madère, qui gagnera
en vieillissant, tout comme s'il venait, en
droite ligne, des crus renommés de Madère.
Quantité pour six litres : mettez 2'', 500 granmies
de miel pur, pesez: le liquide doit marquer
20 à 21. au pèse-sirop.
Pour lustrer le linge. — Quand l'empois
d'amidon est encore bouillant, on y ajoute
un morceau de bougie stéarique de première
([ualité. Il faut environ un morceau de 0™,6
à Ora,7 pour un litre d'empois. On repasse le
linge imprégné de cette solution, ce qui lui
donne un éclat et un poli remarquables; il
est ferme sans être cassant et les poussières
ne s'y attachent pas.
On peut remplacer la bougie par quantité
égale de blanc de baleine.
\'lCTûn DE Ci. KVES.
LA CARICATURE INTERNATIONALE
La Turquie, la Diplumatic européenne et la Crète (d'aprèB le
Choul, Saiiit^Pétcrebiiurg.) — En Orient, toujours les mêmes
personnages et à ])nrt cela, rien de cliangé. (Sur le Hacon on lit :
Jiéforme.''.)
Y nnlee jouant au /oat-baU avec la terre en guinc (Je ImIU.
il'iiiirès Ltwti'je Blœlter. Berlin).
Nt.KicUe I isiun du moule cVni.iès Kla<hl<',r„h,ifcl,, B.rliii.) - Un couy. .VaJ Jans 1. W
rjUcoui-s de M. Zola td'Bprèa Pset... !) : — a Messieurs !...
Hier encore, le monde comptait deux géants... Aujourd'hui je
reste le seul !... « (Et il continiif.)
Kslerhazy aiu: funérailles de Binnarck (d'&piis le SiffleX .
— « Esterhazy, à s m grand regret, ne pourra y assister... iV»
le maintiennent toujours en prison... »
— Qui TOUS a télégraphié oela ?
— (■ -t mi uiemhre de la ligue antisémitiqne de France!
Dam le manjca'je politique (d'après Der Flvli, Vienne). — L'Autrielie anxieuse : .< Nons ne sortirons pas de là ! Ces messieurs nt;
font rien pour s'entendre. Quand ce n'est pas le baron Banffy (président du Conseil hongrois) qui néglige le gonyemail, c'est le comte
Thnn (président de la Chambre autriehienue) qm laisse les rames aller à vau-l'eau ? » (Allusion aux difficultés actuelles entre l'Autricl-o
""t la Hongrie pour le renouvellement des lois constitutionnelles dites du •< Compromis ".)
LA CUISINE DU MOIS
Œufs mollets, sauce aurore. — Pour
six personnes, faites bouillir 1 litre d'eau fil-
trée avec 20 grammes de g^ros sel, dans une
casserole un peu large, posez doucement avec
une écumoire 9 œuCs frais, laissez reprendre
le bouillon et comptez exactement 5 minutes.
Versez l'eau chaude doucement pour ne pas
bousculer les œufs et les casser, car ils sont
plus fragiles qu'étant crus; faites couler de
Teau fraîche par-dessus et laissez-les refroidir
complètement. Prenez un œuf dans le creux
de la main gauche, avec un couteau à lame un
peu large et pas trop lourde, frappez dessus à
plat et pas trop fort ; il faut briser la coquille
complètement, mais ne pas écraser l'œuf ; en-
levez un peu de coquille délicatement et toute
suivra ainsi qu'un ruban, si vous avez bien
exécuté le mouvement.
L\ SAUCK AUROuiî. — Faites cuire 250 gr.
de tomates fraîches pendant une petite demi-
heure, à feu doux, assaisonnées ainsi qu'il suit:
une petite gousse d'ail, un soujiçon de thym
et de laurier, un verre à bordeaux de vin
blanc sec, 10 grammes de sel (une cuiller à
café pleine), un soupçon de sucre, une couenne
de lard ou de jambon, si on la fait au gras ;
pour la faire au maigre on ajoute un oignon
moyen au lieu du lard ; passez la sauce au
tamis de crin sur une assiette, mettez dans
une petite casserole 20 grammes de beurre fin,
une cuiller à café de farine, chauffez et mé-
langez, mouillez avec la tomate et un peu
d'eau ou de vin blanc si la sauce est un peu
épaisse; faites bouillir en remuant, retirez du
feu, ajoutez 2 jaunes d'œuf délayés avec
quelques gouttes de citron et un peu de
beurre, versez d'une main et tournez avec
l'autre, incorporez 60 grammes de beurre
fondu en tournant toujours, la sauce doit être
liée et d'un jaune orangé très appétissant,
(chauffer les œufs dans de l'eau chaude, que le
doigt y résiste pourtant, essuyez-les sur une
serviette, posez-les dans un plat rond sur un
croûton frit ou sans croûton, nappez avec la
moitié de la sauce et envoyez le restant à
part.
Escalopes de levraut, sauce onc-
tueuse. — Levez les filets à deux râbles de
levraut, énervez-les complètement en enle-
vant les deux épidémies qui les recouvrent,
sectionnez-les en trois ou deux suivant qu'ils
sont gros ou petits, aplatissez-les avec la
batte, sur la table un peu humide et rangez-
les sur une assiette. Préparez un sautoir à
fond épais et bien plat, dans lequel vous
mettez une cuillerée à bouche de saindoux et
quelques gouttes d'huile. Tenez également
tout prêt dans un bol 1 décilitre de sang des
levrauts, de pigeon ou poulet à défaut du pre-
mier, dans lequel vous avez mis un petit verre
de cognac pour l'empêcher de coaguler. Pré-
parez également dans un bol 2 décilitres de
crème de lait épaisse et un peu faite, 3 jours
environ, saupoudrez-la fortement de poivre et
de 2 cuillers à café de jus de citron.
L'opiiuATioN. — Les œufs étant prêts à être
dressés, dès que les convives attaquent les
hors-d'œuvre, on pose le sautoir à plein feu et
vif, aussitôt chaud, poser à plat les escalopes
côte à côte très vivement, sinon les premières
sont trop cuites, les retourner avec la pointe
d'un grand couteau en leur faisant faire un
demi-tour, les enlever sur une assiette — il
faut exactement 4 minutes pour les deux
côtés — ren\'erser la graisse, mettre la crème
dans le sautoir et à plein feu, la \anncr pour
la réduire au quart, saler, retirer du feu,
verser d'une main le sang et toin-ner avec
l'autre, ajouter 30 grammes de beurre fin et
quelques gouttes de citron, s'assurer que la
sauce est relevée et ne pas laisser bouillir.
Dresser les escalopes en coiu-onne et les ar-
roser. On peut les séparer par une jietite
tranche de langue écarlate ou de jambon,
chauH'ée dans un peu de bouillon, ou simple-
ment un croûton frit au beurre.
Côtes de pré-salé grillées au cresson.
— Dès que la boucherie arrive, on s'empresse
de mettre à la marinade les côtelettes ou les
biftecks que l'on doit servir à déjeuner. On
les pose sur un large plat et on les arrose
d'un j)cu d'huile d'olives, non seulement cela
les attendrit, mais aussi cela permet de les
saisir plus vite, d'imperméabiliser la siu-face
et d'emprisonner le jus. Le gril doit être
élevé de 8 centimètres au-dessus du feu et la
braise doit être un peu amortie. 6 ou 1 mi-
nutes suffisent de chaque côté pour cuire des
côtelettes de 150 à 180 grammes. Les dresser
en couronne sur im plat rond, une manchette
à chaque os, un bouquet de cresson au milieu,
c'est coquet et meilleur si on donne des as-
siettes chaudes.
Cerfeuil bulbeux sauté. — On com-
mence tout de même à faire pousser de joli
cerfeuil ; c'est un légume très sain, diuré-
tique et léger; le monder avec soin, le laver
à plusieurs eaux, le mettre au feu couvert
d'eau froide et salée, au premier bouillon
régoutter; mettre dans un sautoir 60 grammes
de beurre pour 500 grammes de cerfeuil, le
pousser à la noisette et y verser le cerfeuil,
le sauter 3 fois à 5 minutes d'intervalle, saler
et sucrer légèrement, verser dans un légiunier
après avoir ajouté un peu de beurre frais pour
les rendre plus délicats.
Crème au chocolat. — Formule. —
1 litre de lait, 250 grammes de sucre, 120 gr.
de bon chocolat, 8 jaunes d'œuf, un peu de
sel.
OrÉRATiox. — Travailler avec une cuiller de
bois dans une casserole lui peu forte le sucre
avec les jaunes et la pincée de sel, verser le
lait froid et bien mélanger, ajouter le cho-
colat concassé et non râpé, poser sur un feu
doux et remuer avec une spatule ou cuiller
de bois jusqu'au premier sourire, retirer du
feu, vanner pour refroidir la crème 5 bonnes
minutes, verser dans un compotier et servir
très froid.
Pains de la Mecque. — Formule. —
1 décilitre d'eau, 80 grammes de beurre,
100 grammes de farine, 5 grammes de sel, un
quart de zeste de citron, 3 œufs moyens.
Oi'ÉRATioN. — Réunir l'eau, le sel, le zeste
et le beurre dans une casserole, faire bouillir,
retirer du feu, mélanger la farine, sécher sur
le feu 1 minute.
Laisser refroidir un instant. Incorporer un
œuf, un deuxième, puis le dernier.
Prendre une cuiller à bouche de pâte et la
poser de forme ovale sur une plaque un peu
forte. Saupoudrer de gros sucre cristallisé,
cuire à four doux 25 minutes.
A. Coi. OMiiiÉ.
Jeux et Récréations, par m. g. Beudin.
N° 239. — Ilaul : Noirs. — Bas : Blancs.
Les noirs annoncent mat en quatre coups
N° 240. — Haut : Noirs. — Bas : Blancs.
m mWm^m mM
ïoBoH Boa
Seulement ce qui me chagrine,
C'est que l'arbre devient cliancrenx.
Dans le jariJin île ma cousine
J'ai cueilli ce fruit savoureux.
Cherchez avec per-évérance
Le nom de ce département :
C'est un des p'us beaux de la Fraiici .
Cherchez avec persévérance.
On y récolte en abondance
Le seigle, ainsi que le froment.
Cherchez avec persévérance
Lp nom de ce département.
N" 243 — A MUSETTE
Par A. Ellivedpac.
J'ai trois pieds et trois sens ; de cocagne une ijerche.
Certain terme aux échecs et puis une couleur,
Sans le moindre éclat. Le lecteur
Qui depuis un moment ma cherche,
S'il veut me tourner à l'envers
Et me doubler, dès lors entendra la cymbale
Retentissant dans les concerts
Du Pcau-Rouge et du Cannibale.
N" 244. — Archéologie
et géographie historique.
D'où partent et où aboutissent les sept chaussées ro-
maines dites de Brunehaut.
N° 245. — ÉPHÉMÉRIDES
Quel jour de la semaine François \" écrivit-il à sa
mère :
i( Tout est perdu fors l'homieur ! »
Quel jour de la semaine Cambronne a-t-il prononcé
son fameux mot historique ?
(Xous donnerons dans le prochain numéro la méthode
la plus simple pour trouver le jour de la semaine d'une
date donnée.)
N» 235.
SOLU noNS
1. T 6 T R. 1. F pr. P.
2. F 4 R échec et mat.
1. C. pr. P 3 R ou joue.
2. F 8 R échec et mat.
1. P 6 F D ou pr. C.
2. D pr. P échec et mat.
1. C 7 F D joue.
2. C i D échec et mat.
1. F joue.
2. F ou D pr. F échec et mat.
Les blancs jouent et gagnent.
N° 241. — \A^HIST
Monsieur,
Vous seriez bien aimable de donner votre opinion sur
la main suivante :
^ R, V, 10, 7.
V D, V, 10, 8.
4. V, 8 (atouts).
♦ A, R, 4.
La pereonne qui avait cette main et était première à
jouer a débuté avec le valet de trèfle. Est-ce que la force
du jeu permet un tel début î
Ux LECfEun.
N'' 242. — MÉTAGRAMME
(triolets)
Dans le jardin de ma cousine
J'ai cueilli ce fruit savoureux.
Il avait vraiment bonne mine
Dans le jardin de ma cousine. N' 238. — Jalousie.
Adresser les communications pour cette paffe à M. G. Beudin, à Billancourt (Seine), avec timbre pour réponse.
N" 236. -
21 17 27 22 42
12 21 18 27 33
S7
31
49
27
44 48
~38 38~
43
40
4-j
23 30 10 25 1
28 15 4 16 7
1
19
gagne.
19
N» 237.
M
P A X
MAT IX
X I L
X
L'Éditeur-Gérant : A. Quantix.
140.')G. — Lib.-Imp. réunies, MorrEi:<iz, D% 7, rue Saint-Benoit, Paris.
ïdK© é® ^airîs
EMPRUNT DE 1898
CONDITIONS PRINCIPALES
li'emprunt que la Ville de Paris a été autorisée à contracter parla loi du 6 janvier 1898
sera réalisé au moyen de rémission d'obligations municipales de 500 francs en nombre
égal (unités et quarts) à celui des obligations de l'emprunt de 1886 restante amortir au jour
du remboursement anticipé dudit emprunt.
Chaque obligation sera remboursable au capital de 500 francs, produira un intérêt
fixe de 10 francs par an, payable par moitié chaque semestre, et participera chaque année,
à partir du 5 décembre 1898, aux tirages détaillés ci-dessous.
Les coupures, au capital nominal de 125 francs (quarts d'obligation), donneront droit
au quart des avantages attribués aux obligations entières.
Le premier coupon sera payable le 15 mars 1899.
DÉSIGNATION DES TIRAGES
Le premier numéro sorti aux tirages des 5 décembre et 5 juin de chaque année aura
droit à un lot de Fr. 200.000 »
Le deuxième, à un lot de 50.000 »
Les troisième, quatrième, cinquième et sixième, chacun à un lot de
10,000 francs, soit ensemble 40.000 »
Les septième, huitième, neuvième et dixième, chacun à un lot de
5,000 francs, soit ensemble 20.000 »
Les quarante numéros suivants, chacun àun lot de 1,000 fr., soit ensemble. 40.000 »
Total pour un tirage Fr. 350.000 »
Le premier numéro sorti aux tirages des 5 mars et 5 septembre de chaque
année aura droit à un lot de Fr. 100.000 »
Le deuxième, àun lot de 50 . 000 »
Les troisième, quatrième, cinquième et sixième, chacun à un lot de
10,000 francs, soit ensemble 40.000 »
Les septième, huitième, neuvième et dixième, chacun à un lot de
5,000 francs, soit ensemble 20.000 »
Les quarante numéros suivants, chacun à un lot de 1,000 fr,, soit ensemble. 40.000 »
Total pour un tirage Fr. 250.000 »
Soit, par année et pour l'ensemble des quatre tirages, 1,200,000 francs de lots.
DROIT DE PRÉFÉRENCE
Pendant le délai de trois mois compris entre le 15 septembre et le 15 décembre 1898,
les porteurs de titres de l'emprunt 1886 qui n'en auront pas demandé le remboursement
en numéraire seront admis à souscrire par préférence aux obligations du nouvel emprunt
pour un nombre et une nature (unités ou quarts) identiques à ceux des titres dont ils sont
détenteurs.
Ces derniers titres seront reçus en payement du prix de la souscription jusqu'à concur-
rence de leur valeur de remboursement, nette d'impôt (399 fr. 14 c. pour les unités et
99 fr. 78 c. pour les quarts).
Les titres remis en échange de ceux de l'emprunt 1886 seront munis du coupon
payable le 15 mars 1899.
Les conditions réglementaires de l'émission et de l'échange des titres seront détermi-
nées par arrêtés du Préfet de la Seine sur avis de la Commission spéciale des emprunts, et
portées en temps voulu à la connaissance du public.
Monde Modetne
Novembre 1898
VIII. — il.
MISSA SOLEMNIS
I/ombre, pelil à petit, envahissait la
cathédrale gothique, — chef-d'œuvre
d'un architecte inconnu, — où des dé-
tails dune grâce et d'une délicatesse
extrêmes se fondaient dans lauslérité
dun ensemble imposant. Au llamboie-
ment accru des gigantesques vitraux, où
le Christ, la Vierge et les saints se dres-
saient parmi des lis symboliques, à l'or,
à l'écarlate, aux rubis et aux chrysolithes
dont s'enflammait, au-dessus du portail
majeur, la glorieuse rose enchâssée dans
le buffet des grandes orgues, on devinait
le déclin du soleil, qu'allait suivre un
prompt crépuscule. Déjà tout un bas
côté plongeait dans le noir, et l'obscurité
montait, s'épandait, avec une fraîcheur
sépulcrale, en limmense vaisseau au
gréement de pierre.
Deux personnes occupaient la galerie
de l'orgue.
L'une, assise sur un escabeau, en un
coin, le dos contre la balustrade tréllée
à jour, était un vieillard maigre et cassé.
D innombrables rides sillonnaient son
visage. Il eût paru laid, sans l'adorable
candeur de ses yeux, des yeux d'enfant
qui ne sait rien des laideurs de la vie,
ou de vrai poète n'ayant jamais contem-
plé que ses rêves, et sans la majesté de
son front, très large, très haut, où s'af-
firmait l'habitude des plus tières pensées,
un front marqué du sceau du génie,
sous une fougueuse et magnifique cri-
nière entièrement blanche , blanche
comme la neige, qui retombait sur la
nuque en mèches soyeuses. Sa mise
était fort simple, presque pauvre : un
costume de gros drap marron, de coupe
arriérée, de gros souliers. Pas un bijou.
Comme seul luxe un linge dune pro-
preté parfaite. Ce vieillard se nommait
Conrad ^^'aldmann, et pendant plus
dun demi-siècle il avait été organiste et
professeur de musique en cette petite
capitale d'une minuscule principauté
d'Allemagne.
I/autre, Christian Ilofer. ])araissait
avoir vingt à vingt-deux ans. Grand,
svelte, dune distinction sans apprêt, et
modestement vêtu, lui aussi. Son profil
rappelait certains portraits de Schiller
jeune. Le dessin des lèvres était exquis,
le nez sculptural, avec de palpitantes
narines. — indice inquiétant de sensua-
lité, que neutralisaient la transparence
des prunelles d'ambre gris, la noblesse
du front, tout pareil à celui du vieil-
lard, mais lisse comme les pétales d'un
camélia. Ses cheveux châtains bou-
claient vigoureusement, en boucles
drues, aux légers reflets bronzés. Il était
assis devant l'orgue, et ses mains, longues
et minces, parcouraient, avec une vélo-
cité et une sûreté merveilleuses les cla-
viers jaunis, ouvraient et fermaient les
registres sans s'y égarer une minute,
tandis que, sur le pédalier, les pieds leur
correspondaient, également agiles, — do-
ciles esclaves, les unes et les autres, d'un
talent en pleine possession de soi.
L'adolescent jouait avec toute son
âme; avec toute son âme loctogénaire
écoutait. Ln fraternel coup d'ailes les
transportait vers des régions supé-
rieures ; ensemble ils communiaient dans
ridéal.
Maintenant la sonate — une des plus
grandioses de Jean-Sébastien Bach —
s'achève en un maesloso solennel, un
mugissement formidable où semblent
retentir les trompettes du jugement der-
nier. Puis brusquement louragan s'ar-
rête, s'évanouit, en même temps quaux
fenêtres ogivales commencent à pâlir les
fleurs du jardin mystique.
eu
M ISS A SOLEMNIS
— Eh bien ! maître, vous êtes con-
Iciil?
Anxieux, Ciirislian se tournait vers
son juge.
Celui-ci attendit un instant avant de
répondre; puis, martelant les mots pour
donner à chacun sa valeur :
— Mieux que cela, mon enfant ! En
ce qui concerne le métier, tu n'as plus
rien à apprendre. Et ton interprétation
est excellente. Tes deux ans de Conser-
vatoire n'ont pas été perdus, et je vois
que, même sous la dii^ection des célé-
brités de Leipzig, tu t'es rappelé les
conseils de ce vieux bonhomme de Con-
rad \\ aldmann. Tu es un virtuose, mais
tu es davantage : un artiste. Sans crainte
je puis te conlier cet orgue vénérable
et cher. Aime-le comme je l'ai aimé, ne
le mets jamais au service que dinspira-
tions élevées. On m'a raconté qu'en
beaucoup d'églises d'Espagne et d'Italie,
des organistes qui ne méritent pas ce
nom exécutent des romances d'opéra,
jusqu'à des airs de danse. Profanation,
honteuse profanation ! L'orgue est le roi
des instruments. Lui faire tenir ce rôle,
c'est utiliser pour une orgie les vases du
tabernacle. L'orgue est sacré. Dans l'or-
gue il y a un écho de la voix de Dieu.
Aussi ne doit-il être touché qu'avec res-
pect, avec tremblement. Celui-ci est
comme moi : bien fatigué et bien caduc.
Mais c'est un fidèle serviteur, digne
qu'on l'honore. Je te le cède en toute
confiance, mon enfant. En conversant
avec lui, pense quelquefois à ton pre-
mier maître. Surtout souviens-toi que,
voilà environ cent cinquante ans, passant
par hasard dans cette ville et visitant
la cathédrale, — les archives en témoi-
gnent! — notre modèle à tous, Jean-
Sébastien Bach, y a joué celte même
sonate que tu viens de me faire entendre.
— Je me souviendrai, répondit le
jeune homme, d'un accent de piété pro-
fonde.
L'ombre et le froid croissaient. Chris-
tian soutenant le vieillard, ils descen-
dirent l'étroit escalier en colimaçon, se
trouvèrent sur la place, du même style
que l'église^ inestimable écrin où chaque
façade était une perle fine.
Au zénith le ciel était couleur d'éme-
raude; couleur d'améthyste dans la zone
moyenne; cramoisi à l'horizon, car le
soleil allait disparaître.
— Oh ! la belle soirée ! murmura ^^'ald-
mann. Marchons un peu, veux-tu?
Parmi l'haleine des dernières roses,
ils gagnèrent les faubourgs, la campagne.
Dans les vergers, les arbres empourprés
avaient l'air de cardinaux réunis pour
un conclave. Des vaches tachetées brou-
taient le gazon court, semé de scabieuses,
de colchiques et de parnassies. L'air
était plein du charme nostalgique de
l'automne.
A petits pas cheminaient le maître et
l'élève, entre des vignes vendangées,
des houblonnières demi flétries, çà et là
quelques courtils paysans encore empa-
nachés de dahlias et de capucines.
— Notre orgue est comme moi, disait
Waldmann. Fatigué et caduc ! il lui
faut de sérieuses réparations. Oh ! l'ar-
gent ne manquera pas : dans sa séance
d'hier, le conseil des bourgeois a voté
10,000 francs, et la princesse y a ajouté
une somme rondelette, prise sur sa cas-
sette particulière. Tu sais que c'est en-
tendu avec Nisch, le célèbre facteur de
Nuremberg. Il a signé un contrat avec
le bourgmestre et arrivera sous peu,
amenant matériel et personnel. Nisch
pense que, pour mener les travaux à
bien, six semaines ou deux mois lui
seront nécessaires. Vers le milieu de
décembre, peut-être avant, tu pourras
débuter. Ma tâche est finie, la tienne
commence : bon courage, Christian !
Le soleil s'attardait. Une splendeur
baignait le paysage. L'odeur des roses
s'exaltait.
— La belle soirée, répéta Waldmann,
pour dire adieu à la vie active, et com-
mencer l'apprentissage de la mort ! Vois
quelle suavité et ([uelle paix ! La nature
que va endeuiller l'hiver ne regrette
rien, ayant accompli son œuvre et sa-
chant qu'avril reviendra. Puissé-je suivre
son exemple et m'endormir avec con-
MISSA SOLKMMS
fi45
Hance, dans l'espoir d'un éternel
printemps !
Il poursuivit, d'une voix étrange,
où quelque chose du mystérieux
au delà semblait vibrer :
— Puisque tu l'aimes sincère-
ment, l'art sera ton égide, contre
toutes les douleurs de l'existence.
Quelques déceptions, quelques
souffrances qui s'abattent sur
toi, il t'en consolera. En lui, et
en lui seulement, tu auras un
avant-goût de linllni, un pres-
sentiment du divin. Oh ! le beau
soir, Christian, le beau soir!
Regarde ce petit nuage rouge!
Ne dirait-on pas une barque
de rêve, qui va nous conduire
vers un monde parfait, où il ne
sera plus besoin de donner des
leçons pour vivre, où l'on
n'aura d'autre souci que de
jouer sur des orgues sublimes,
à moins que Ion ne s agenouille
pour écouter Palestrina, Bach,
Ha^ndel ou ^lozart !
646
M ISS A SOLEMNIS
Maintenant le soleil avait sombré. Une
première étoile pointa, l ne poétique
sonnerie s'épanouit au clocher de la
cathédrale.
— l^ Angélus ! murmura Conrad, dé-
couvrant dévotement son admirable
tète neigeuse. Odile va s'inquiéter. Ra-
mène-moi, mon cher enfant !
Ils s'en retournèrent; un quart d'heure
après, ils arrivaient au logis du vieillard,
une maisonnette cachant sa vétusté sous
un rideau de vigne sauvage.
D'une fenêtre, Odile, la domestique
de Conrad, presque aussi âgée que lui,
mais alerte encore, interrogeait les alen-
tours, visiblement alarmée.
— Me voici, Odile, me voici ! J'ai
voulu boire un coup d'air avant de
m'enfermer dans ma cellule. Sois tran-
quille, je n'ai pas pris froid !
Et, les mains tendues vers Christian :
— ■ Tu viendras me voir, n'est-ce pas?
lu viendras bientôt ! ]"]t bon courage,
encore une fois !
Cinquante-huit ans auparavant, l'or-
ganiste de la petite ville étant mort, un
concours avait été ouvert pour le rem-
placer. On en avait publié les conditions
aussi loin qu'on avait pu : chacun des
candidats aurait à se produire deux fois,
dans un morceau classique et une impro-
visation sur un thème donné. A la date
lixée, on s'était trouvé en présence de
quatre concurrents. Trois d'entre eux
étaient d'âge mûr et apportaient de
sérieuses recommandations. L'autre était
un tout jeune homme, que personne ne
connaissait. On eût trouvé naturel qu'il
se désistât, n'étant certainement pas de
force à entrer en lice; on s'était permis
de le lui faire entendre; enfin, comme il
s'obstinait, on lui avait assigné le dernier
tour, par acquit de conscience; mais, de
sa part, quelle singulière prétention que
d'oser lutter contre des organistes de
talent et d'expérience ! Ceux-ci, très
sûrs d'eux-mêmes, avaient exécuté les
morceaux exigés. Le choix serait dif-
ficile, car ils se valaient à peu près.
Dans le chœur, en un groupe plein
d'animation, les juges discutaient, dix
membres du conseil des bourgeois, à
qui appartenait, de par un ancien pri-
vilège, le droit d'élire l'organiste de la
cathédrale, et avec eux quelques experts
appelés des villes avoisinantes. A peine
s'aperçut-on que l'étranger était monté
à l'orgue. Et, tout à coup, les juges s'ar-
rêtèrent de parler et se regardèrent,
stupéfaits. Le jeune homme jouait une
page de Ihendel. Et avec une incompa-
rable maîtrise, une technique si accom-
plie, une expression à la fois si simple
et si pénétrante qu'on ne pouvait pas
n'être point saisi. Les juges restaient
bouche bée; la mine dédaigneuse des
trois concurrents avait fait place à un
elFarement comique. Fini le morceau de
ILendel, l'inconnu était devenu un per-
sonnage. Les thèmes sur lesquels il s'a-
gissait d'improviser avaient été tirés au
sort. Il était tombé sur un lied populaire,
très ancien et d'une touchante mélan-
colie. Et ce qu'il broda là-dessus était
admirable — tout un poème d'une clarté
et d'une intensité qui portèrent au
comble la surprise du jurv et mirent en
déroute les espérances des trois concur-
rents. Pendant une demi-heure, sa fan-
taisie se déroula, infiniment variée et
toujours d'un haut style. Quand il redes-
cendit de la galerie, ses rivaux s'étaient
éclipsés. On le complimenta, on lui serra
les mains, il fut nommé par acclamation,
sans qu'on songeât même à lui demander
où il avait étudié et s'il possédait
quelque dipl(")me : l'avoir entendu suf-
fisait. Il ne dit rien que son nom, son
lieu d'origine — un coin perdu de la
Poméranie — et qu'il était seul au
monde.
Le jour même, il avait loué une
maisonnette dans une ruelle écartée, et
s'y était installé sommairement, avec
une valise et quelques meubles achetés
d'occasion. Et, pendant trente années,
il y avait A'écu sans domestique, à midi
se faisant apporter son repas de la plus
proche h(Stellerie, pour le reste nourri
de lait et de pain.
MISSA SOLKMNIS
647
La dillerence élail grande entre laride
et t;rise Poméranie et ce joli pays d'eaux
jailiissanlcs , de fertiles campaj^nes,
d'ombreuses forêts. Tout de suite,
(Conrad ^^'a!dmann s'était attaché à lui;
au bout de six mois de séjour, il l'aimait
comme un fils aime sa mère, et pour
son charme actuel, et pour ce que les
livres lui apprenaient de sa destinée.
l'allé avait eu sa période brillante, sa
minuscule principauté ! Au gentil temps
des minnesinger, on y vivait dans les
l'êtes, aux tournois succédant des joutes
poétiques, que suivait un concours entre
peintres ou orfèvres. Cour, noblesse et
bourgeoisie rivalisaient de goût pour les
arts, et les artistes le savaient bien, qui
y accouraient de tous les points de l'Al-
lemagne, des Flandres et de l'Italie
même. Tous y étaient reçus avec hon-
neur, assaillis de commandes et , en
échange de cette intelligente protection,
de cette hospitalité généreuse, prenaient
à cœur de doter la ville d'oeuvres
achevées, celui-ci une sculpture sur
bois, celui-là une lampe d'église en
argent repoussé, tels autres un poème,
une toile ou quelque beau morceau
d'architecture. Des siècles s'envolèrent,
le bruit des canons remplaça les chants
joyeux. La principauté connut des jours
dépreuve. souH'rit sous le talon de con-
quérants barbares, vit ses maîtres légi-
times partir en exil ou réduits au rang
de simples vassaux. Elle devait pour-
tant leur revenir, à travers beaucoup
de luttes. Mais, autres temps, autres
UKcurs : le gai passé ne ressuscita pas.
Maintenant la petite ville était toute
tranquille, comme assoupie autour de
son bijou de palais, sur les bords de sa
rivière smaragdine. Ceux qui recher-
chaient avant tout du mouvement, des
divertissements, la disaient ennuyeuse.
Ceu.x à qui plaisaient le calme, une na-
ture plantureusement verdoyante, le
prestige des souvenirs, s'y arrêtaient
volontiers, et y revenaient. Les (juides
citaient son petit musée, deux de ses
fontaines. — pour leurs statues de saint
Michel et de saint Georges, — le retable
de sa cathédrale, cette cathédrale elle-
même, travaillée comme une dentelle de
liruges.
Dans le cadre agreste de tes molles
collines, sous un ciel relativement doux,
la petite ville ressemblait à celles qu'on
voit dans les anciennes gravures. Sur
ses façades couraient des inscriptions
na'i'ves, se découpaient des écussons,
des lleurons, des arabesques; quelques-
unes avaient l'air d'enluminures de
missel. Lne multitude d'auvents, de
pignons, de beffrois, lui faisaient la plus
bizarre silhouette. A ses fenêtres, aux
vitres rondes ou en losanges serties de
plomb, s'enroulaient des pois de sen-
teur, s'alignaient des pots d'œillets et
de romarin, arrosés, le matin, par de
mignonnes filles aux guimpes blanches.
Yn peu d'animation lui venait des étu-
diants de son université, — deux ou
trois cents à peine, — qui, à des jours
et des heures réguliers, remplissaient
ses rues étroites des notes allègres du
(/audeamus tgifiir. A l'ordinaire, elle
sommeillait et rêvait.
La place d'organiste étant mal rétri-
buée et Conrad Waldmann n'ayant pas
un sou de fortune, il avait dû se mettre
en quête de leçons. Elles ne lui avaient
jamais manqué ; mais cela aussi ne rap-
portait guère, et sa situation matérielle
était demeurée médiocre. D'ailleurs il
avait peu de besoins, fuyait le monde,
ses seules distractions consistant en
promenades dans les champs et les bois.
« Un original, qui repousse toutes les
avances qu'on lui fait, et dont on ne
réussira pas à vaincre la sauvagerie ! »
Celte opinion devenue générale, on
laissa \\'aldmann à la solitude qu'il sem-
blait affectionner par-dessus tout. ^Liis
on l'estimail fort, pour son rare talent,
que l'étude développait d'année en année,
et ])our labsolue honorabilité de ses
nid-urs, sur lesquelles la calomnie eût
vainement cherché où mordre.
En cette vie d'apparence si paisible,
si uniforme, (|uelqnes-uns aftirmaient
pourtant — à mots couverts et sans
avoir la moindre preuve à fournir —
«IK
MISSA SOLEMNIS
que le romaii avait trouvé place : une
virginale idylle tragiquement dénouée.
Cela remontait loin. Conrad Waldmann
donnait des leçons à la fille unique du
prince régnant. Fraîche comme un ra-
meau de lilas blanc, avec la gracilité et
le charme mystique d'une sainte de
Ilemling, elle chantait d'une voix splen-
dide. Conrad, disait-on, s'en était éper-
dument épris, et elle n'avait pas dédaigné
cette passion. On les avait vus se pro-
mener dans les jardins du palais, des
jardins à la française, copie réduite de
ceux de Versailles, plantés d'ifs et de
buis taillés, semés de pièces d'eau et de
statues mythologiques. C'étaient même
ces promenades qui les avaient trahis :
une telle clarté brillait dans leurs yeux
qu'on ne pouvait s'y méprendre. Puis,
tout à coup, on avait appris que les mé-
decins ordonnaient le Midi à la princesse
Eisa, prétendue malade; et un jour était
partie une grande berline armoriée, et,
derrière les vitres, des gens racontaient
avoir aperçu le délicieux visage de la
jeune fille noyé de larmes. La princesse
douairière l'accompagnait, et leur ab-
sence avait duré trois ans, au bout des-
quels avait été proclamé le mariage
d'Eisa avec un sien cousin, mariage qui
scellait une réconciliation entre la
branche aînée et la branche cadette, et
assurait la succession au trône. Mais,
dix-huit mois après, le drapeau hissé en
permanence sur la tour principale du
palais était mis en berne : la petite sainte
d'Hemling avait entrepris un nouveau
voyage, vers un pays où la raison d'État
ne contrarie pas les mouvements du
cœur. Elle laissait derrière elle une fil-
lette au berceau qui serait l'héritière de
la principauté, le prince régnant n'ayant
pas d'autres enfants et n'étant plus en
âge de reprendre femme.
Depuis lors surtout, Conrad Wald-
mann était devenu taciturne, ne sortant
que pour ses leçons, son office d'orga-
niste, et, de loin en loin, une de ces
promenades où jamais il n'avait pro-
posé à personne de l'accompagner.
Jamais non plus un mot ne lui était
échappé qui eût pu donner corps aux
cancans de la ville. Si vraiment il
avait aimé la princesse Eisa, ce secret
était bien gardé, comme une relique au
fond d'un inviolable sanctuaire. Avec
les années, la petite princesse avait
grandi. Pour lui enseigner la musique
on avait eu recours à un maître du
dehors, ce qui avait confirmé les gens
dans leurs suppositions. Puis d'autres
années encore ayant passé, on n'y pen-
sait plus. D'ailleurs le père et le mari
d'Eisa étaient morts, et sa fille était
montée sur le trône.
Invariablement Conrad passait la
soirée chez lui, à lire, à méditer, ou con-
stellant de points noirs les portées d'un
papier à musique. C'était sa revanche,
ces heures où, huis et fenêtres clos, il
pouvait s'abandonner à l'inspiration,
recueillir les choses divines quelle mur-
murait à son oreille. Quel li'ouble déli-
cieux, quelle bienheureuse fièvre, quels
accablements aussi, parfois, dans cette
lutte pareille à celle de Jacob avec
l'archange ! Mais cela encore était de la
joie..^es tempes battaient à se rompre.
Une lave courait dans ses veines. Vic-
torieusement, il s'évadait du réel. Ainsi
Conrad avait composé beaucoup de
choses : des lieder, des sonates, des
symphonies, toute une suite de pièces
pour orgue. Deux ou trois timides
essais auprès des éditeurs lui avaient
fait comprendre que, simple orga-
niste et coureur de cachet dans une
petite ville, comme il était, il n'avait
aucune chance de réussite. Avec des
protections, de l'intrigue, des platitudes,
peut-être. Par son seul mérite, quelle
folie ! Conrad était fier. Quand on est
riche, la fierté, aux yeux du monde,
s'appelle dignité et devient une vertu.
Si l'on est pauvre, elle a nom outrecui-
dance, et c'est le pire défaut. Conrad
fil comme Jean-Sébastien Bach : il en-
fouit ses manuscrits au fond d'une
armoire. Non sans continuer de compo-
ser, par exemple, mais le sacrifice de la
x^enommée accompli une fois pour toutes.
Sa grande œuvre était une Messe solen-
M ISS A SOLKMMS
<ii!>
nelle, pour la fêle de Noël, une messe
pour orchestre, chœur, soli, avec une
partie d'orgue très développée. Il y avait
consacré vingt ans, jamais satisfait de
lui-même, saisi souvent d'un alîVeux
désespoir et prêta la jeter au feu, — tout
le martyre d'une âme sincère, quand
elle compare son rêve et la réalisation
650
MISSA SOLKMNIS
quelle en peut donner. Pourtant, au
milieu de ces combats intérieurs, qui
parfois mouillaient le front de Conrad
d'une sueur d'agonie, et qu'il n'eût
échangés contre aucune volupté, la
messe s'était achevée. Un soir, il avait
reconnu que toute sa science et toutes
ses convictions s'y trouvaient con-
densées ; et, d'une main tremblante, il
avait écrit le mol : fin, au bas du der-
nier feuillet. Et l'énorme paquet de pa-
pier réglé était allé rejoindre les œuvres
précédentes, au fond de l'armoire-tom-
beau, où il dormait depuis vingt autres
années.
A part l'auteur, deux seuls êtres en
avaient connaissance. Méphisto d'abord,
le chat de Conrad, un matou noir comme
l'Erèbe, qu'il avait ramassé dans la rue,
alfamé, galeux et minable, et qui, bien
soigné, était devenu une bête superbe
au poil lustré et doux comme du velours.
Lorsque VValdmann travaillait, Méphisto
avait coutume de se placer sur la table,
en face de lui; et il avait été le premier
à entendre, essayés par la voix de Conrad,
les motifs de la Missa solemnis. L'autre
})rivilégié, plus capable d'en jouir, c'était
Christian Ilofer, l'élève favori du maes-
tro. Un gamin de la ville, ce Christian,
le lils d'un humble forgeron. Une fois
que l'organiste , — qui par scrupule
extrême s'exerçait chaque jour, —
venait de jouer toute une heure dans
l'église déserte, il avait trouvé l'enfant
au pied de la tribune , sanglotant à
émouvoir des pierres.
— Que fais-tu là, petit, et qu'as-tu ?
A force de questions, Conrad avait
appris que Christian adoi^ait la musique
et depuis des mois se faufdait derrière
lui, chaque fois qu'il venait à la cathé-
drale. Licontinent Conrad s'était fait
conduire chez le forgeron, avait offert
des leçons gratuites, acceptées sur les
supplications du gamin transporté.
Ces leçons avaient duré huit ans, et
Conrad ^^aldmann, reti^ouvant chez
Christian toutes ses illusions d'autrefois,
tous ses enthousiasmes, tout son culte
pour l'art, joints à une application sou-
tenue, croyait revivre sa jeunesse. Huit
ans il lui avait prodigué ses soins, incul-
qué le culte des maîtres, le guidant pas
à pas, avec la sollicitude d'un père et le
désintéressement des grands cœurs, sur
le sentier de l'art, vers les plus hauts
sommets. L'enfant était remarquable-
ment doué, passionné d'étude, s'absor-
bant avec bonheur dans les terribles
algèbres du contre-point, auxquelles
Conrad l'astreignait impitoyablement.
Au surplus, un brave petit homme alfec-
tueux et reconnaissant, et Conrad se
disait parfois : « Si j'avais un fds, voilà
comme je le voudrais ! » Le forgeron
n'était pas sans s'inquiéter un peu, sans
demandera où tout cela mènerait Chris-
tian », à qui il eût préféré apprendre
son métier. Waldmann le rassurait, lui
promettait que « cela mènerait l'enfant
à quelque chose », et il le prouva bien
lorsque Christian eut atteint sa dix-neu-
vième année, en obtenant pour lui, du
Conseil des bourgeois, une bourse de
voyage qui lui permettait d'aller com-
pléter son éducation musicale dans un
bon conservatoire.
De ses compositions, Conrad ^^ ald-
mann, si modeste, n'avait que rarement
parlé à Christian. A de longs intervalles,
il lui avait joué un fragment de sonate,
un motet, un andante cantahile, dont
chacun avait accru l'admiration ardente
de l'élève pour son professeur. Le jour
seulement où Christian était revenu de
Leipzig avec un premier prix d'orgue et
un premier prix d'harmonie, tout en
dégustant, à la santé du lauréat, une
bouteille de johannisberg dont on lui
avait fait cadeau longtemps auparavant
et qu'il avait oubliée, Conrad n'avait pu
se tenir de prendre dans la fameuse
armoire le manuscrit de la Missa solem-
nis, puis, entraînant Christian à la ca-
thédrale, de la lui faire entendre d'un
bout à l'autre. Et le jeune homme était
resté ébloui de cette œuvre ignorée,
tout éclatante de beautés souveraines.
Il n'avait rien trouvé à dire, inen, mais
cette impuissance à exprimer le moindre
éloge était l'éloge le meilleur. Ils pas-
M ISS A SOL KM M S
(i51
sèrenl loulo l;i soirée dans la chambre
de Conrad, Clirislian ne se lassant pas
(le lire et de relire la partition et y dé-
c'ouvianl sans cesse de nouAcanx trésors.
Hélas! son lon^-- séjour dans l'armoire
luimide avait terriblement jauni le pa-
pier; par places l'encre était devenue
presque imperceptible; des souris avaient
•grignoté plusieurs feuilles, rien que
dans les marges, heureusement ! Chris-
tian, edrayé à la pensée que ces petites
causes pouvaient, en quelques années
encore, consommer leur travail de des-
truction, refusa de s'en aller avant que
son maître lui eût permis d'emporter le
manuscrit pour en faire une nouvelle
copie — sur parchemin indestructible,
celle-là. et à l'encre de Chine 1 Le
vieillard Unit par consentir, tout en di-
sant : '■ .\ ([uoi bon? » Un mois après,
t^.hristian lui apportait ladite copie,
un chel"-d'(L'uvre aussi dans son genre.
N\ aldmann admira la souplesse et la
solidité du vélin, la pieuse minutie du
travail, remit la Messe solennelle dans
son caveau funéraire, puis, revenant au
jeune homme :
— Parlons de toi I Je suis las, j'ai
besoin de repos. Demain ma démission
sera envoyée et il faut que tu me suc-
cèdes ! Ce n'est pas brillant, et je ne
vois là pour toi qu'une première étape,
en attendant mieux. Es-tu d'accord?
^ Oh 1 maître, comment vous rendre
jamais la millième partie de ce que vous
avez fait pour moi?
— Pour le cœur, reste ce que tu as
été jusqu à présent. Pour l'art, continue
à étudier et à grandir, ^'oilà ce que je
souhaite en récompense. Demain ma
démission sera envoyée, Christian, ou
plutôt je l'apporterai moi-même au
Conseil des bourgeois, qui tient séance
à cinq heures. On me prend pour un
ours, mais j'ai toujours accompli mon
devoir, et on me veut du bien tout de
même. A six heures je serai chez ton
père, avec promesse formelle de ta no-
mination !
Et Christian I lofer allait occuper la
place du vieux ^^ aldmann.
— Ah mon cher enfant, te voilà...
enfin!... Oui, enfin, car depuis plusieurs
semaines tu n'as pas trouvé un moment
à me consacrer, et je commençais, bien
que connaissant ton bon cœur, à me
demander si la mauvaise herbe de Toubli
allait y pousser déjà. Mieux vaut tard
que jamais. Assieds-toi. .l'ai plaisirdete
voir.
Et (Conrad \\ aldmann indiquait à
Christian une place à côté de lui, près
de la fenêtre aux petits carreaux.
— Vous oublier, maîti'e? Oh ! vous
n'avez pas cru cela !
— L'eau court à la rivière et la jeu-
nesse va à la jeunesse. Rien de plus na-
turel que de préférer, en tes loisirs, une
excursion, une chope bue avec des amis
— on doit te rechercher beaucoup ! —
à cette chambre morose et à la causerie
d'un triste vieux !
— Ce serait de ma part une vile ingra-
titude, et je me mépriserais ! La vérité,
maître, c'est que j'ai été très, très occupé.
\'ous savez que Nisch est arrivé ici le
mois dernier, avec toute une équipe
d'ouvriers. Les réparations ont été exé-
cutées consciencieusement. On a suivi
vos avis en tout.
— Et cela va ? Le grand jeu?
— Un tonnerre !
— L'expression ?
— Sensible aux, moindres nuances.
— Les voix humaines?
— On s'y méprendrait !
A chacune de ces réponses, Conrad
^^ aldmann s'était ranimé, léchine re-
dressée, l'œil luisant. Son orgue, ah ! il
l'aimait toujours !
— Donc, l'instrument est de nouveau
parfait ?
— Parfait.
— J'ai, envie d'aller tentendre diman-
che, sais-tu ?
■ Le jeune homme se troubla une se-
conde, mais reprit vite son sang-froid,
et, du ton le plus naturel :
— Pas dimanche, maître; je ne joue-
rai pas... Une idée qui m'est venue.
652
M I S S A SOL i: M N I S
d'attendre à Noël et de débuter dans les
meilleures conditions possibles... Oui,
pour la messe de minuit. J'ai recruté un
chœur et nous travaillons ensemble,
assidûment, à Tétude d'une grand-
messe. La cathédrale n'est pas loin de
chez vous. En vous enveloppant bien,
vous ne risquerez pas de vous enrhumer.
J'ai la coquetterie d'un beau début,
maître, et je compte sur votre présence,
qui me soutiendra, car, dame ! ce n'est
pas une petite affaire que de venir après
vous !
— Et quelle œuvre as-tu choisie ?
— ()h ! vous pensez que je ne voulais
rien de médiocre ! J'ai donc cherché
non seulement une œuvre, mais un chef-
d'œuvre ! Ne me demandez pas de dé-
tails, je ne pourrais pas vous en donner,
car il est passé sept heures et demie, et
nous répétons à huit. J'ai juste le temps
d'ajouter que la princesse, qui a daig'né
m'appeler au palais pour me congratuler
de mes deux prix et à laquelle je me
suis permis d'exposer mon projet, s'y
est intéressée tout de suite et que, grâce
à elle, le quatuor vocal et l'orchestre du
théâtre prêteront leur concours !
— Alors ce sera une vraie solennité !
— J'espère bien ! Vous me promettez
de venir ?
— Il n'y a pas loin jusqu'à la cathé-
drale, c'est vrai. Mais, à vivre en ermite,
je suis devenu frileux...
— J'enverrai une voiture vous pren-
dre avec Odile... Vous promettez?
— Est-ce que je pourrais refuser,
mon Christian ?
— Me voilà heureux !
— Ne te reverrai-je pas, d'ici-là ? Ne
viendras-tu pas, entre deux répétitions,
me raconter?...
— Je ne crois pas. J'aurai trop à faire.
Mais je penserai à vous, maître, oh !
chaque jour ! Et que je vous oublie, ne
le dites plus jamais !
Le vieillard resta seul dans la petite
chambre qu'éclairait une lampe juive à
quatre branches, en cuivre ciselé, sus-
pendue au plafond.
Et, les mains aux genoux, la tête ren-
versée sur le dossier de son fauteuil, il
s'abandonna à une songerie. Tant qu'il
avait conserve sa charge, la volonté
lavait soutenu. Un peu d'orgueil aussi,
lorgueil de n'avoir pas eu, dans sa lon-
gue vie, un jour de défaillance. D'ail-
leurs il voulait que Christian lui succé-
dât. Prendre retraite avant que le jeune
homme eût décroché ses grades, c'était
livrer la place à un autre. Conrad avait
tenu bon.
Sa fonction abandonnée, soudain une
immense lassitude l'avait pris, la vieil-
lesse pesant sur lui de tout son poids.
Depuis sa promenade avec (Christian
au bord de la rivière, par ce soir d'octo-
bre suavement vert et rose, il n'était
plus sorti.
Ses jours s'écoulaient dans celte cham-
bre étroite, aux lambris de chêne, où,
le long des années, à force d'économie,
il avait rassemblé quelques jolies choses :
un triptyque de l'école de Van Dyck,
représentant des scènes de l'Ancien
Testament, une tapisserie d'Arras, —
Apollon avec les neuf Muses, — un très
antique lutrin d'église en fer forgé. Tout
cela déniché dans les petites boutiques,
au hasard de ses allées et venues.
Pour Conrad, l'essentiel de ce pauvre
intérieur, c'était, en un meuble Renais-
sance, simple, mais authentique, sa bi-
bliothèque musicale. (]e que cela sur-
tout représentait de menus sacrifices,
lui seul aurait pu le dire ! La collection
des classiques de l'orgue s'y alignait
quasi complète, modestement, mais dé-
cemment reliée. Pour en arriver là, avec
de si piètres ressources, il avait fallu
non seulement ne pas fumer et ne pas
boire, mais renoncer à bien des petits
agréments de confortable. Le joyau de
cette collection — le jour où il lavait
découvert dans l'arrière-magasin d'un
brocanteur israélite, parmi des piles
d'insignifiantes paperasses, avait été l'un
des plus beaux de sa vie, — était un
exemplaire — édition princeps — de la
célèbre messe à six voix : Assumpta
est Maria, de Palestrina, portant la si-
gnature du maître. Conrad ^^'aldmann
M ISS A SOLKMMS
054
M ISS A SOLEMNIS
n'y touchait que comme à une hostie.
Il Christian aurait-il entrepris cela?
se demandait-il, sous la lampe hébraïque
à lueur incertaine. Mais ce n'est pas
écrit pour Noël ? La cantate de Bach,
peut-être? Non, il a parlé dune messe.
Quoi donc alors? »
II se leva, ouvrit le meuble Uenais-
sance, consulta une vingtaine de vo-
lumes. Tantôt il croyait avoir deviné :
«J'y suis, ce ne peut être autre chose! »
Et la minute d'après : « Cependant il y
a mieux 1 ■> Et ses hésitations recom-
mençaient. A diverses reprises. Boule
de Neige, sa chatte, qui descendait de
Lionette, laquelle avait succédé à Mé-
phisto, était venue se frotter contre lui,
comme pour dire : « Tu t'oublies, patron,
voici l'heure de dormir! » le couvre-feu
avait retenti à la cathédrale, qu'il four-
rageait encore dans sa bibliothèque,
d'ailleurs aussi incertain qu'avant.
I^our le tirer de ces préoccupations, il
fallut qu'Odile vînt le secouer par le bras ;
— Mais à quoi pensez-vous de veiller
ainsi, à votre âge, avec vos yeux qui se
gâtent, quand tous les honnêtes gens
sont sous l'édredon? Si ce n'est pas dé-
raisonnable ! ^ ous mériteriez, pour vous
punir, d'être privé de sucre, demain
malin, dans votre café au lait!
— J'ai tort, Odile, je confesse hum-
blement que j'ai tort... Mea. culpa... Ma
chandelle est allumée?
— Il y a beau temps !
— Bonne nuit, Odile, bonne nuit !
Donne-moi un petit morceau de sucre,
tout de même I < )n devient si gourmand,
en se faisant vieux!
Une fois au lit, Conrad fut repris de
sa curiosité, qui le tint éveillé jusqu'à
laube. Il s'assoupit enfin, murmurant
comme conclusion :
" Bah ! autant ^•aut avoir surprise
complète : ce qui est sûr, c'est que Ce
sera la pierre de touche de son goût ! >
— Monsieur ^^'aldmann ! monsieur
^^ aldmann !
— Eh bien , Odile, sommes-nous en
retard, ou la maison a-t-elle pris feu?
— Une voiture du palais devant la
porte, monsieur A\ aldmann I Une voi-
ture à deux chevaux!
— Vous divaguez, madame ( )dile !
— Venez voir !
Emmitouflé dans une épaisse houp-
pelande, un cache-nez autour du cou, des
gVints de laine aux mains, Conrad —
encore incrédule — descendit l'escalier,
suivi de la domestique en grande toi-
lette. Contre le trottoir , un luxueux
coupé attendait, attelé de bêtes su-
perbes, sur le siège un cocher du der-
nier correct, un décoratif valet de pied
debout à la portière, le tout aux armes
de la princesse.
Conrad, tout intimidé, s introduisit
dans la voiture, Odile s'assit en face de
lui, les pur sang partirent d'un bon trot,
malgré la légère couche de neige qui
ouatait le sol. Le trajet ne dura pas cinq
minutes.
La cathédrale était déjà pleine. Des
centaines de cierges y brûlaient, en
faisceaux lumineux jaillissant des pi-
liers. Le maître-autel était éblouissant,
où le retable de bois sculpté déroulait
sa pathétique Descente de croix datant
du XV'' siècle. Jamais Conrad Waldmann
n'avait contemplé cette merveille sans
attendrissement. C'est qu'elle resplen-
dissait de la sublime sincérité des ar-
tistes d'autrefois. {]elui-là, en fouillant
de son ciseau patient le chêne dur,
n'avait certes pas songé à gagner de
l'argent ou du i^enom. Son âme avait
eu quelque chose à dire dans ce mor-
ceau de bois, qu'après quatre siècles on
admirait encore. Et plus d'une fois
Conrad était venu demander au chef-
d'œuvre un exemple de probité artis-
tique et d'humilité.
— Monsieur \\'aldmann, c'est par ici,
dit le bedeau. On m'a recommandé de
vous garder deux chaises.
Et il conduisit le vieillard et Odile à
leurs places, sur la gauche de l'autel.
On achevait d'allumer les cierges.
L'église flamboya . Et des gens arri-
M ISS A SOI.KMXIS
vaient toujours, ne laissant plus un seul [ Un mouvement se produisit quand,
coin vide. I précédée d'huissiers galonnés, la prin-
656
MISSA SOLEMMS
cesse fit son entrée , parmi les hauts
dig^nitaires de la cour. Elle était toute
jeune, blonde comme sa mère, frêle et
ravissante comme elle.
A droite de l'autel, dautres sièges
avaient été réservés , où la princesse
s'installa avec sa suite. Aussitôt le clergé
parut, dans l'éclat de ses moires et de
ses ors, escorté des enfants de chœur
balançant l'encensoir. En un instant la
cathédrale s'embauma d'un parfum de
myrrhe, et les cierges, à travers le mince
rideau de fumée bleue, eurent l'air des
pâles étoiles d'une nuit vaporeuse.
L'archiprêtre avait gravi les marches
du chœur. Et ce fut un soudain silence.
Gomme il était ému, le vieux Conrad
AN'aldmann ! Les yeux ardemment fixés
sur la galerie de l'orgue, il suivait tous
les gestes de son jeune ami, du fils de
son cœur. Christian, les solistes et le
chef d'orchestre échangeaient les su-
prêmes observations. Puis sur la galei^e
aussi le silence régna.
K Mon Dieu, qu'aura-t-il choisi? se
répétait pour la centième fois Conrad.
Pourvu qu'il garde son sang-froid, que
tout marche bien ! »
Le chef d'orchestre avait levé son
bâton. Alors Conrad, respirant à peine,
inclina la tête, posa son front dans sa
main, attendit.
Et les orgues éclatèrent en amples,
en majestueux accords. On eût dit un
beau fleuve d'harmonie, coulant avec
lenteur entre des rives aux lignes clas-
siques. ^"ingt ou trente mesures, mais
magistrales, portant la griffe du génie.
Aux premiers sons, le vieillard avait
relevé la tète : il était devenu aussi pâle
que les linges de l'autel.
'< J'ai mal entendu, ce n"est pas pos-
sible! »
Le saisissant prélude coniinuait. Une
solennité descendait de l'orgue, s'allait
répandre à travers l'église. Le fleuve
s'élargissait, limpide, lumineux, deve-
nait une mer aux ondes puissantes.
— Kyrie, Kyrie eleison !
A la voix de l'officiant, le chœur ré-
pondit, soutenu par l'orgue et l'or-
chestre: A'/yrie eleison! Chrisle eleison!
Chaque note était comme un acte de
foi. L'ensemble avait la beauté des
choses éternelles. Et Coni^ad Waldmann,
le front retombé dans sa main, pleurait,
bouleversé de surprise , d'effroi et de
bonheur.
Il avait reconnu sa Messe de Noël.
L'exécution était sans reproche. Dans
les moindres détails, l'œuvre gigan-
tesque avait été étudiée, fouillée à fond,
comme la pierre sacrée de la cathédrale.
Pas une des intentions de l'auteur qui
eût échappé. L'orchestre, les chœurs, les
solistes rivalisaient de zèle pour rendre
sa pensée avec intégrité. La partie
d'orgue était supérieurement tenue. Au
mélodieux Sanclus, à ÏAgnus Dei, un
trio d'une expression extatique, au
suave Benediclus, accompagné par les
cordes, à V Elévalion surtout, lorsque
l'instrument-roi chanta seul, un hymne
débordant de joie candide, d'infini
amour, les accents mêmes de la béatitude,
d'un cœur ravi prosterné devant le divin
berceau, où l'agreste flûte, la pastorale
cornemuse des bergers s'entre-répon-
daient avec les violes des chérubins, il
n"y avait pas un œil sec dans cette
immense foule subjuguée. Quant au
vieillard, il pleurait toujours, un flot de
larmes qui lentement roulait sur ses
joues émaciées, entre ses doigts noués
de rhumatismes. Mais la rosée de mai
sur le calice des jeunes roses n'est pas
si douce qu'étaient ces larmes, sans
lesquelles eût éclaté le cœur de Conrad 1
Son rêve le plus secret et le plus cher,
dont jamais, jamais il n'avait compté
voir la réalisation, par miracle se réali-
sait pourtant. Cette messe, la grande
angoisse et le grand délice de sa vie, il
lui était donné de l'entendre exécuter
de façon magnifique. Et, si modeste qu'il
fût, il sentait que son labeur n'avait pas
été vain, que l'œuvre était belle, qu'il
en demeurerait quelque chose. Plus
heureux que son maître Bach, vivant
il entrait dans la terre promise.
« Ah ! le brave enfant! et il pensait à
Christian. C'est lui qui a eu l'idée de
M ISS A SOLKMNIS
r
■-.«ï-
\
a
^
vin. - .2.
GÔ8
MISSA SOLEMNIS
ceci, qui a tout combiné, tout mené à
bien ! Et moi qui l'accusais de me né-
gliger, quand il n'avait pas une pensée
qui ne fût pour moi [ »
A présent la messe finissait sur un
Alléluia, presque comparable à celui du
Messie. Dans une fugue colossale, Torgue,
l'orchestre et les chœurs montaient et
descendaient l'échelle des sons; cela
bondissait comme un torrent, retentis-
sait comme la foudre. Le prodigieux
édifice de cette messe avait un couron-
nement digne de lui et — à ce fouillis de
notes que réglait un ordre suprême, au
souffle de ces énormes tuyaux lancé dans
sa plénitude, à ces deux cents voix et à
ces soixante instruments donnant leur
summum — la cathédrale vibrait tout
entière, et il y avait un frisson sur la
multitude.
Puis tout se tut, et, pendant quelques
minutes, on eût entendu voler une
mouche.
— Ah ! maître, maître, je ne peux
attendre de vous embrasser !
C'était Christian, descendu en hàlede
la galerie, tout frémissant, de l'électricité
au bout des doigts.
Incapable d'articuler une syllabe,
Waldmann ouvrit ses bras, attira le
jeune homme sur sa poitrine.
— Venez, maître; la princesse désire
vous voir !
A travers la foule, respectueusement
écartée, ils passèrent lentement. La
jeune fille s'avança vers Conrad, radieuse
comme le printemps.
— Cette heure est l)elle pour nous
tous, dit-elle. Au nom de notre cité, je
vous remercie.
Puis, plus bas :
— Vous avez connu ma mère, je crois?
Un écho de ce qui s'était raconté lui
était-il parvenu? C'était peu probable.
Pourtant il sembla à Conrad que, dans
cette parole, elle avait mis une inten-
tion et que, au succès de cette soirée, elle
\'oulait associer la morte.
Conrad essaya de répondre — inutile-
ment. Mais, la princesse lui tendant sa
main fine, il se pencha pour la baiser, et
sur les doigts patriciens, cerclés de
gemmes, ses longues mèches blanches
coulèrent comme un ruisseau d'argent.
— Maître, on est venu de Leipzig, de
Munich, de Weimar, de Dresde : des
musiciens, des critiques, des amateurs...
Et Christian prononçait des noms,
des titres, à chacun desquels une stupé-
faction plus grande se peignait sur les
traits de Conrad. Quoi! venus pour lui,
chétif, tous ces gens célèbres, et voulant
lui êti'e présentés, et l'entourant, et le
félicitant! Le vieillard n'en pouvait
croire ses yeux et jetait tour à tour des
regards ébahis vers la princesse rayon-
nante et vers Christian au septième ciel.
Ah ! il s'était remué, le jeune homme,
pour aboutir à ce résultat ! Il en avait
fait des démarches, utilisant ses amis,
ses connaissances, écrivant, sollicitant,
mettant à profit toutes ses influences,
réchaufTant les plus froids à son enthou-
siasme, et, d'ailleurs, soutenu par le
chef d'orchestre, qui, à son tour, s'était
passionné pour la Missa solemnis, et par
la princesse, à qui chaque semaine il
allait rendre compte de la marche des
répétitions. La réussite, au moins,
répondait à son espérance !
— Maître, j'ai pris sur moi de con-
clure un traité avec la maison Iloller et
fils, à Munich, pour l'édition de votre
œuvre. M. Iloller a tenu à venir lui-
même vous offrir le premier exemplaire.
Un petit homme replet et souriant
s'avança vers Conrad, s'inclina en une
révérence automatique et tendit au
vieillard un superbe volume in-octavo,
relié en maroquin fauve, où ces mots :
Missa. solemnis, et ce nom : Conrad
Maldmann, brillaient en lettres d'or,
parmi des gaufrures gothiques.
Les cierges allaient s'éteindre. Sur un
signe du maître des cérémonies, les
huissiers de la cour faisaient ranger les
gens pour le départ de la princesse.
Alors celle-ci, avec.une grâce exquise,
offrit son bras au A'ieillard, qui tremblait
comme la feuille, et le conduisit jusqu'au
grand portail, les dignitaires de la cour,
les étrangers accourus pour la fête, et
MISSA SOI.KMMS
(.53
(]hrisli;in, charj^c du précieux volume,
nijuvhant derrière. Par les portes lalé-
l'ales, le peuple sélait l'coulé, cl niaiii-
(enanl, sur la place, c élail uue houle
liuuiaine. Au uiilieu, tenant des torches
allumées, et bannières llottantes, les
cludiaiits de l'université iormaienl une
double haie. Et quand le vieil artiste
parut, toujours au bras de ladorable
princesse, les applaudissements, conte-
nus avec peine dans la cathédrale,
éclatèrent comme une tempête.
— Qu'est-ce encore? pensa \\ ald-
mann.Je rêve, bien sûr!
Mais déjà des bras robustes l'avaient
saisi, soulevé, et Conrad, malj^ré ses
f^estes de protestation, se vit porté en
triomphe, sous la nuit fourmillante
d étoiles et étrangement douce, au milieu
des tlambeaux et des drapeaux, parmi
les chants et les hourras de cette belle
jeunesse et de la ville entière. Il regar-
dait les fenêtres partout illuminées, le
reflet des flambeaux zig^zag'uant sur les
façades, la foule compacte précédant
et suivant. Il entendait les refrains, les
bravos, voyait des mains se tendre vers
lui, des chapeaux s'agiter — : et de plus
en plus tout cela lui semblait un songe.
On atteignit sa maisonnette. Sur le
seuil, avec une lampe, Odile se tenait,
gonflée d'orgueil.
— Eh bien, maître, fit Christian, on
ne dira pas qu'il n'y a plus de flamme
dans les jeunes cœurs 1
— Mon enfant, mon cher enfant!...
\'ous les remercierez de ma part, n'est-
ce pas? Moi je ne peux pas, je ne peux
pas !...
Chancelant comme un homme ivre,
Conrad pénétra chez lui, précédé d'Odile,
(jui répétait : ■« Jésus ! Jésus 1 quelle
soirée ! » La porte se referma. Mais, un
moment encore, les étudiants restèrent
sous les fenêtres du vieillard, chantant
à son honneur. Puis, deux heures ayant
sonné à la cathédrale, sur un dernier et
foniiidable : Ilach ! la inidlitude se dis-
persa.
Oh 1 la belle nuit, la belle nuit de
Noël 1 Sur les arbres, sur les buissons,
le givre scintillait : c'étaient de fantas-
tiques girandoles, des colliers de perles,
des rivières de diamants accrochés à
chaque rameau. La neige aussi semblait
lumineuse. Et dans le ciel, d'une trans-
parence exceptionnelle, des myriades
d'astres étincelants semblaient montrer
la route aux séraphii>s porteurs de
la Bonne Nouvelle.
— Vous allez faire la grasse matinée 1
avait dit Odile à Conrad ^^'aklnlann, en
le quittant.
— Je crois que je ne fermerai pas
l'œil; je suis trop heureux !
Sur le coup de dix heui-es, ne l'ayant
pas entendu bouger, elle entra dans sa
chambre. Il était assis devant la table,
les mains étendues, la tête couchée sur
le volume aux gaulVures d'or.
— Est-ce qu'il ne se serait pas mis au
lit ? murmura Odile.
Elle l'appela, sans obtenir de réponse.
Elle s'approcha, effleura son épaule. Au-
cun mouvement. Ses paupières étaient
baissées. Il souriait, le sourire du vieil-
lard Siméon chantant son Nunc cli-
millis.
Cette inmiobilité épouvanta Odile.
Elle lui toucha les mains, les trouva
froides et rigides. La mort clémente
n'avait pas voulu que Conrad Waldmann
survécût à l'apothéose. Comme le mois-
sonneur s'endort sur son blé lié en
gerbes, il s'était endormi en plein
triomphe, passant sans transition de
l'immortelle musique de sa Missa so-
lemnis aux ineffables concerts des anges.
Adoi. rni: H i baux.
L'ÉCOLE SUPÉRIEURE DE GUERRE
L'obligation de con:?liliifr auprès de
chaque ol'licier général un personnel
capable de le suppléer, voire même d'in-
terpréter sa pensée dans la rédaction
d'ordres auxquels ses occupations mul-
tiples ne lui permettent que d'indiquer
ridée générale, a été de tout temps.
En dehors de cette aide permanente,
qu'il trouvera dans les officiers de son
entourage, il arrivera fréquemment que,
à la veille d'engager ses forces, un com-
mandant de troupes aura besoin de se
procurer sur le terrain de la lutte future
certains renseignements que la carte ne
lui fournit qu'imparfaitement.
Et si, actuellement, les progrès de la
télégraphie sont tels que, sur le champ
de bataille, le général d'armée puisse
être en relation constante avec ses com-
mandants de corps, en pourra-t-il être
de môme pour ces derniers vis-à-vis de
leurs subordonnés, à quelque degré de
la hiérarchie qu'ils appartiennent? Ne
peut-on se représenter cet officier, que
son général aura chargé d'une mission,
traversant l'espace, emporté par le ga-
lop furieux de sa monture qu'achèvent
d'affoler le sifflement des balles ou l'écla-
tement des obus?
Sera-ce pour dire au commandant
d'une troupe : « Accourez, accourez, le
moment de vous engager est venu? »
Sera-ce pour prescrire à cet autre de
tenir ferme juscpi'à l'arrivée de renforts
qu'on lui envoie ?
Quels qu'ils soient, ces ordres rapide-
ment dictés, au milieu de tant de graves
préoccupations, auront souvent besoin
d'explications, de commentaires.
Faire appel aux officiers de troupe pour
ce service de reconnaissance ou de mis-
sion temporaire sur le champ de bataille
aurait le fâcheux inconvénient de désor-
ganiser le commandement au moment
même où le fonctionnement de tous ses
rouages est le plus nécessaire. Et. si
Ton ne tient aucun compte des consé-
quences d'une teMe façon de procéder,
l'officier chargé éventuellement d'une
mission si importante la remplira-t-il
avec toute l'intelligence dont il aurait
fait preuve si, attaché d'une façon per-
manente à son général, il avait suivi
l'évolution de sa pensée et si, sachant
ce qui a été fait jusqu'à ce moment, il
avait saisi le désir du chef, même sur
ses indications laconiques?
De ces exemples résulte l'obligation
de constituer, dès le temps de paix, un
corps d'officiers instruits, préparé de
longue main aux fonctions si délicates
et si importantes du service d'état-ma-
jor et dans lequel on puisera pour don-
ner à chaque commandant de fractions
un peu importantes de troupes l'entou-
rage dont la nécessité est reconnue.
Cependant, sous l'ancienne monarchie
et pendant les guerres du premier em-
pire, ces fonctions furent souvent dévo-
lues en dehors de toute considération
de talent et d'instruction. Un officier
général avait-il dans un corps de troupe
un parent, un ami de sa famille : vite il
le prenait comme aide de camp ou l'at-
tachait à son état-major. Quelques-uns
même choisissaient les hommes les plus
médiocres, les plus nuls, alin d'exercer
sur eux un pouvoir absolu. « Madame,
disait un jour le général X..., dans un
salon, à la maîtresse de maison, en lui
amenant un ofiicier, je vous présente
mon aille de camp; si j'en avais trouvé
un plus bête, je l'aurais pris. » — La
maîtresse de maison fut fort embarrassée;
l'idiot aide de camp salua et se mit à
ri re .
Le mai'échal Gouvion Sainl-Cyr avait
eu souvent à déplorer ce fâcheux état
de choses. Devenu ministre de la guerre
sous Louis XVIII, il s'efforça d'y remé-
dier et, par une ordonnance en date du
6 mai 1818, chercha une solution à ce
difficile problème : création d'un corps
spécial d'état-major.
Force lui fut de maintenir dans le
corps nouvellement créé la plupart des
l/ECA)].li SlPHlUKlliK Di: ClKHlî !■:
661
0 K F I C I E R DU COUPS U O Y A h
d'état-m A.i on
Deuxième Restauration.
oHiciers pourvus d'emplois pendant les
dernières guerres et même de faire la
part des favoris attachés aux maisons
militaires du roi ou des princes. C'est à
ces concessions seules qu'il dut de faire
accepter ses idées et obtint la création
de VEcoIe d application, sorte de réser-
voir où le service d'état-majoi- s'alimen-
terait dorénavant.
Organisée dans les bâtiments qu'oc-
cupe actuellement, au n° 140 de la rue
de Grenelle, le service géographique de
l'armée, la nouvelle école eût lait excep-
tion à toute règle si elle n'eût été plu-
sieurs fois modifiée au cours de son
existence. De toutes les atteintes portées
à son organisation primitive, celle que
lui fit subir l'ordonnance de 18.3"2, fixant
ne varielur à vingt-cinq le nombre total
des élèves à admettre, fut certainement la
|)lus importante. Dorénavant trois élèves
de Polytechnique entraient sans examen
à l'Ecole d'application, les vingt-deux
anli'cs ])I;k{'s ('•laiil ;il Inbuées, après un
concours, enire les Irenle premiers nu-
méi'os de Sainl-Cyi- et trente sous-lieu-
lenaiils, icmplissanl certaines conditions
d'âge, cpii en ;iui'aient fait la demande
et que désignerait le minisire.
(^ctte école fut la pépinière d'où sor-
tirent pendant près de soixante ans des
officiers qui se sont distingués sur tous
les champs de bataille de l'Europe et
dont beaucoup font encore aujourtriiui
la gloire cl riioiineur de notre état-
major.
.Après les jours malheureux de 1H70,
l'opinion publique, vivement surexcitée,
réclama la réforme d'un corps auquel
elle attribuait inconsidérément une
partie de nos revers.
Le l'ésultat ne tarda pas à se faire
sentir : d'un trait de j)lume, le législa-
teur de 1875 mît un terme à l'existence
de VEcoIe d'application, lui substituant
l'Ecole supérieure de guerre, organisée
par le décret du 25 juin 1878.
Les besoins de l'élat-major augmen-
tant en raison de l'elfectif auquel s'élè-
verait dorénavant l'armée permanente,
le nombre des officiers à admettre, cha-
que année, à l'Ecole supérieure de guerre
fut fixé à une moyenne de quatre-vingts.
Comme conséquence, les bâtiments de
la rue Saint-Dominique jugés insuffi-
sants, une partie de ceux de l'Ecole mi-
litaire furent assignés à la nouvelle
Faculté militaire. Ce devait, en effet,
être une faculté, où des officiers logés
dans le quartier trouveraient, chaque
jour, dans des conférences, des exercices
pratiques, matière au développement de
leur instruction militaire, se préparant
ainsi par deux années d'études au ser-
vice auquel ils devaient être attachés à
leur sortie.
Différence essentielle avec l'organisa-
tion de Gouvion Saint-Cyr, introduisant
dans l'état-major des officiers qui n'a-
vaient pas passé par les corps de troupe,
le nouvel état de choses exigeait de tous
les candidats cinq années de présence
dans les régiments avant de pouvoir se
présenter à la nouvelle école. Ainsi on
662
LEGOLE SUPEHIEl'UE DE GUERRE
ne ferait plus au c'(ir])s frélal-niajnr \v
reproche dig'norer les choses essenliellcs
de la troupe.
Les olticiers désireux de j:)reudre part
au concours, ouvert chaque année, à
partir du mois de janvier, dans toute la
France, adressent leur demande aux
commandants de corps d'armée ayant
toute autorité pour refuser le droit de
subir les examens à ceux des postulants
dont les aptitudes ou les notes ne leur
paraîtraient pas sul'tisantes.
Subies au chef-lieu de chaque corps
OFFICIER DU CORPS I)ETAT-MAJf)R
Deuxième Empire. — Tenue de campagne.
d'armée, les épreuves écrites précèdent
d'un mois environ les examens oraux,
qui se passent à Paris. Une fois termi-
(I R A X D E TE N U E
nées, les compositions écrites sont en-
Noyées sous scellés au ministère de la
guerre, d'où elles sont adressées au cor-
recteur chargé de les annoter et de les
c-lasser.
Alin de soustraire le correcteur au
reproche qui pourrait lui être fait de
favoriser le travail de tel ou tel candidat,
les copies ne sont pas signées. Le nom
de l'auteur figure seulement sur un
papillon, qui est détaché au ministère,
après avoir reçu, ainsi que la composi-
tion, un numéro d'ordre.
Allez donc, au milieu de quatre à ciiu|
cents copies, découvrir le travail de
M. X... ! C'est à ce point impossible
qu'un candidat lui-même, au cours
d'une visite qu il faisait à un général
chargé de la correction des compositions
d'histoire, ayant été autorisé par ce
dernier à rechercher sa copie au milieu
de la liasse énorme placée sur le bureau,
fut contraint, à la suite de vaines
recherches, de déclarer son impuissance.
Il s'écoule habituellement un Ion"-
I/KC.OLK SUl'ilHIKUHK 1)K (U'KHin-:
663
mois entre les examens
oraux et la publication à
VOIJicicl de la liste des
* admissibles. Pendant ce
temps, chaque candidat
rejoint sa garnison, atten-
dant anxieusement le
résultat de ses compo-
sitions.
Enfin la liste paraît;
arrivant de tous les
points de la France, les
admissibles se présentent
à ri'xole militaire où se
passeront les épreuves
orales.
Si jamais l'expression
dépreuves fut justement
appliquée, c'est sans
contredit à la période
des examens oraux, et tel candidat,
arrivé bien portant, a rejoint sa garnison
complètement anémié, ayant fourni
— le nombre semblera exagéré — jus-
qu'à dix-sept heures de travail par jour.
Pendant quatre semaines, les candi-
dats se succèdent de quatre jours en
quatre jours devant différentes commis-
sions.
A la tète de chacune d'elles, préside
un général auquel est adjoint un certain
nombre d'officiers supérieurs. Les ques-
tions sont posées par les professeurs de
l'Kcole.
l.a manière de se présenter, les notes
des chefs de corps obtenues au cours
de la carrière, les réponses, tout entre
en ligne de compte pour déterminer la
décision du jury, (^e que sachant, uni-
formes, gants blancs, etc., tout sera
irréprochable dans la tenue du candidat,
le jour où il affrontera le terrible aréo-
page.
Le dernier examen a clos, à quatre
heures' du soir, un mois après son
ouverture , la période des examens
oraux. Transmises à la direction des
études, les notes données dans le cours
de la journée vont permettre d'arrêter
P A V I L L 0 X
(■ E X T R A L
définitivement la liste de réception.
Dans le couloir qui précède le cabinet
du colonel commandant en second
l'École, les officiers candidats, la plu-
part en civil cette fois, attendent la
lecture du classement.
Minutes pleines d'anxiété, s'il en fût,
surtout pour ceux qui, ayant subi trois
fois les épreuves, se verront, mais d une
façon définitive cette fois, privés du
droit de concourir. Car si, autrefois, le
nombre de concours que le même offi-
cier pouvait subir n'avait d'autres
limites que la volonté du commandant
de corps d'armée, il n'en est plus de
même depuis que le ministre a limité à
trois cette faculté.
Enfin une porte s'est ouverte ; un
LK(]OLE SUPERIEURE DE GUERRE
par le minisire de la
guerre, supputent les
chances restantes de
s'entendre nommer!
Délinitivement lixés
sur leur sort, les ofli-
ciers rejoignent leurs
garnisons respectives;
car c'est seulement
au mois de novembre
prochain que sduvri-
ront pour les nou-
veaux reçus les portes
de l'Ecole.
I. APPEL
DES
CANDIDATS A
ofticier supérieur paraît et successive-
ment appelle, par ordre de mérite, les
candidats admis. Quelle émotion se
peint alors sur le visage de quelques-uns
qui, à mesure que se rapproche le
numéro 80, limite annuellement fixée
* ])e même qu'à
Saint-Cyr, l'ensemble
des officiers reçus la
" "" même année est dé-
signé sous le nom de
promolion. Mais si, à
l'Ecole spéciale mili-
taire,', il est d'usage de
distinguer entre elles les promotions
d'un nom rappelant un fait d'armes ou
encore la conquête coloniale de l'année,
c'est par un numéro d'ordre que cette
distinction s'établit à l'École de guerre ;
c'est ainsi que la vingt-troisième pro-
i/Kcoi.K sr i>KH iKiin-: ni-; c. i;i:i', hk
66&
iiKilion il liiil sou t'iitréi' celk' année.
Inslalléi' clans la majeure partie des
bàliineuls de THcole militaire, l'Kcole
supérieure de guerre a été organisée de
manière à permcllre à deux années
trétudes de suivre leurs cours, d'exé-
euter leurs travaux sans aucune gêne
réciproque.
A cet eilet, il a été allccté à chaque
promotion un bâtiment dillërent, dans
lequel on( été organisés amphithéâtres,
salles d'examens el de travail. Disposés
à angle droit sur la partie de lEcole
opposée à celle en façade sur lavenue
de La Motte-Piquet, le^deux bâtiments
prennent jour réciproquement soit sur
la cour Besnard, soit sur la cour Lepom-
mier, que sépare Tune de Tautre la cour
d'honneur d'un bâtiment central.
Ce bâtiment, dont l'une des plus belles
salles est celle dite des Maréchaux, a son
premier étage habité par le général com-
mandant l'École, le rez-de-chaussée étant
allecté à une superbe bibliothèque.
Quant aux logements particuliers du
personnel de l'Ecole ainsi que des offi-
ciers-élèves, l'Ecole militaire n'ayant
pas été aménagée à cet effet, les uns et
les autres ont dû y pourvoir à l'exté-
rieur. C'est ainsi que la plupart des
immeubles des avenues avoisinantes
comptent parmi leurs locataires un
membre de notre Ecole délat-major.
Pendant la première partie de cha-
cune des deux années d'études, c'est-
à-dire du mois de novembre au milieu
de mai, les officiers détachés (c'est ainsi
que sont désignés les officiers qui sui-
vent les cours de l'Ecole de guerre)
assistent à des cours professés à l'am-
phithéâtre ou se préparent, par des
exercices d'application sur la carte
d'état-major, à mettre en pratique sur
le terrain, durant la belle saison, l'en-
seignement théorique donné pendant
l'hiver.
J-es cours professés pendant ces deux
semestres ont trait à la tactique des trois
armes, infanterie, cavalerie, artillerie, à
l'histoire et la géographie militaire, la
fortification et la topographie.
(Chacune de ces différentes branches
est enseignée par un professeur titulaire
ou son adjoint.
Choisi avec le plus grand soin, le
corps enseignant se compose générale-
ment de sujets d'élite que de solides
études, des travaux antérieurs remar-
quables ont signalés à l'attention du
ministre comme pouvant être un jour
chargés de cours à l'Ecole supérieure
de guerre.
A une grande facilité d'élocution,
tous joignent une très grande netteté
dans les idées, et les conférences de
quelques-uns sont à ce point intéres-
santes que le général et les autres pro-
fesseurs se font un plaisir dv assister en
amateurs.
Certainement, parmi toutes ces bran-
ches de l'instruction militaire, quelques-
unes — telles que la fortification, dédai-
gneusement traitée de harhelte — offrent
peu d'attrait, et les conférences en
seraient sûrement carottées si un lieu-
tenant-colonel, dont le rôle est de
s'assurer de l'assiduité de chacun, ne
rappelait, par une invitation à se pré-
senter à son cabinet, à l'officier trop
peu zélé que « tout a son importance
à l'Ecole supérieure de guerre ».
Confiée à un certain nombre de capi-
taines du cadre des écuyers de Sau-
mur, ayant à leur tête un chef d'esca-
dron , l'instruction équestre de nos
officiers a été l'objet de soins tout parti-
culiers et l'examen d'entrée, très sévère
déjà, n'est que le prélude de nombreux
exercices auxquels les candidats au
brevet d'élat-major seront soumis.
A cet effet, ou a réparti les officiers
d'une même promotion en un certain
nombre de groupes , d'après les notes
obtenues à l'examen d'entrée. C'est ainsi
que les cavaliers, les artilleurs et quel-
ques rares officiers d'infanterie forment
666
L'ÉCOLE SUPERIEURE DE GUERRE
l'une des reprises. Pour ceux-là, nulle
diiliculté. L'instructeur n'aura qu'à sur-
veiller la méthode de dressage employée
ou perfectionner les connaissances éques-
tres de ses élèves.
Quant à la généralité des ofliciers d'in-
fanterie, auxquels l'habitude du cheval,
faute d'éléments suffisants dans leurs
garnisons réciproques, fait en grande
Les chevaux de l'École sont excel-
lents. Quelques-uns jouissaient autrefois
d'une détestable réputation ; l'un d'eux,
notamment, à un certain moment de la
leçon, et quelle que fût l'allure de la
reprise, s'arrêtait brusquement pour se
dresser sur ses membi'es postérieurs.
C'était aussitôt le sig'nal d'une déban-
dade générale; affolés, tous les chevaux
V0YAC4ES DE L'ÉCOLE DE GUERRE
SÉANCE DE CROQUIS
partie défaut, ils foi-ment un groupe à
part.
Au début, l'instructeur leur montre
les principes et parcourt ensuite succes-
sivement avec eux toutes les phases de
l'instruction.
Dans le but de les habituer à n'im-
porte quelle monture, il leur est assi-
gné, à chaque séance, un cheval difFé-
rent. Les premiers jours, les moins
solides sont fréquemment désarçonnés.
Chutes plutôt heureuses, puisque c'est
à ce prix seulement, prétend-on, qu'on
devient un cavalier consommé!... Le
cheval, d'ailleurs, s'arrêtant invariable-
ment après avoir déposé son cavalier,
ces chutes n'offrent aucune gravité.
se rejetaient au milieu du manège.
Que de cavaliers déplacés et souvent
de chutes invraisemblables!...
La méthode d'instruction suivie, toute
progressive, donne d'excellents résultats;
car, au bout de quelques mois, à peu
d'exceptions près, tous les officiers sont
suffisamment solides pour franchir, sans
étriers, les obstacles, tels que haies,
barres, placés à cet effet dans le manège.
Mais le mois de février a fait sa réap-
parition et avec les beaux jours une
nuée de cavaliers, dont des officiers de
tous grades, de toutes armes constituent
la majorité, sillonnent en tous sens les
avenues Henri-Martin et du Bois-de-
Bouloene.
LKcoiJ-; sr im;h I i;ij li !•: dk (UJKHmi-:
Trois fois par semaine, à partir de
celle époque, les ofliciers de TKcole
jouissent de Taulorisalion de se joindre
à la foule élégante.
Deux par deux, se succédant à de
};randes dislances, nos lulurs ofliciers
d'élat-major, heureux de secouer, pour
un malin, l'épaisse poussière du manèj^^e,
remontent les avenues jusqu'aux portes
du bois.
Se groupant ensuite d'après leurs
j;oiits, leurs relations, les uns et les
autres gagnent l'allée préférée, le coin
habituel ou bien encore se joignent au
parent, à l'ami qu'aura tenté une che-
vauchée au bois, par cette belle mati-
née de printemps.
Peu après, les obstacles élevés tout
autour du tir aux pigeons sont le ren-
dez-vous de nos amis. Débouchant de
chaque allée, tous viennent exercer leurs
montures au saut de la haie, au fran-
chissement d'un fossé.
Quelques cavaliers civils apparaissent
également ; lamour-propre de chacun
se pique : il se forme bientôt un petit
steeple-chase dans lequel civils et ofti-
ciers rivalisent à qui mieux mieux.
Pour le plus grand honneur de
MM. les ofiiciers de l'Ecole de guerre,
le Président de la République, qui, on
le sait, fréquente assidûment le bois,
n'a pas craint, gagné par tant d'entrain,
de donner, à son tour, l'exemple de la
hardiesse à cheval, en poussant sa mon-
ture au-devant des obstacles.
Une l'ois à IT'x-ole de guerre, il y au-
rait à craindre qu'au milieu de tant de
travaux, d'exercices divers les officiers
qui ont dû, pour être admis, justifier de
la connaissance de la langue allemande,
n en arrivent à perdre les fruits de nom-
breuses années d'étude. Pour remédier
à cet inconvénient, un certain nombre
de professeurs doivent, par des exercices
de conversation, entretenir et j)erfec-
tionner au besoin les officiers.
Hemplavant la Campagne de France,
ou encore l'indispensable Hermann et
Dorothée, les gazettes allemandes, voire
même les Flieçjende lilœller, donnent
cette fois, à ces cours-conférences, un
allrail tout nouveau.
iMilin, dans le but de généi-aliser la
langue de nos alliés, on a organisé, deux
fois par semaine, un cours facultatif de
russe, qu'un grand nombre, malgré le
surcroît de travail, suivent assidûment.
Comme conséquence du rôle cpi'il
jouera dans un état -major, l'officier,
à sa sortie de l'I'^cole de guerre, doil
être en mesure de tirer parti des troupes
de toutes armes.
Il ne faudrait pas que, faisant partie
de l'état -major d'un général de divi-
sion, loflicier de cavalerie, frais émoulu
de l'Ecole, vînt à soumettre à l'appro-
bation de son chef un ordre au cours
duquel il demanderait au malheureux
fantassin, déjà chargé de son sac et de
nombreux autres accessoires, une vitesse
de marche supérieure à un rendemenl
moyen.
C'est dans le but de les familiariser
avec des troupes d'armes diflerentes
qu'on a pris les mesures suivantes :
Une compagnie d'infanterie est mise
à la disposition des officiers des armes
montées, qui, chacun à leur tour, y rem-
plissent les fonctions des dilTérents grades.
A la tête du peloton de cavalerie que
la place de Paris met, pendant trois se-
maines, à sa disposition, l'officier d'in-
fanterie , que sa monture emporte, à
toute allure, à travers le champ de ma-
nœuvre de Bagatelle, se sera sans doute
cru, ne serait-ce qu'un éclair, hussard
ou dragon !...
Pendanl leur séjour à l'École, les
officiers visitent à peu près tous les ou-
vrages et établissements militaires pou-
vant leur offrir un intérêt quelconque.
Ces jours-là, la cartoucherie de \'\\\-
cennes, la poudrerie de Sevran-Livrv
renouvellent leurs plus brillantes expé-
riences.
6(i8
L ÉCOLE SUFhRIEUHE DE C.l'EP.UE
Se faisant belle pour l'École de guerre,
la fortification elle-même se montre à
nos officiers sous l'aspect dun des
j)!us imj)ortants ouvraf;cs du camp re-
Iranchc de Paris.
De tontes ces visites, la |)lus intéres-
sante, sans conteste, est celle ([ui a lieu
à la gare des Chantiers el au parc
d'aérostiers de Versailles. Dès une heure
de l'après-midi, les abords de la j^are de
la rive gauche , si mornes habituelle-
ment, ont pris une animation inusitée.
Breaks aux formes inexpi-imables, mas-
sives voitures de
sapeurs, dont un
servant d'artillerie
n'envierai l pas le
mode de suspen-
sion , ils sont là
au nombre de
trente à quarante,
se déroulant sur
une longue file,
Ions les véhicules
que l'École du gé-
nie de Versailles
met à la disposi-
tion des visiteurs.
Chacun ayant
réussi tant bien
tpie mal à se caser,
la lourde colonne
s'ébranle, au trot
des chevaux, vers
le lieu choisi pour
les expériences. Que de mélinite con-
sommée ce jour-là, pour montrer les clas-
siques destructions des voies ferrées!...
Et combien doivent maugréer les sa-
j^eurs auxquels incombe un tel surcroît
de travail !...
La construction d'une voie ferrée, le
lancement ra})ide d'un pont sont égale-
ment montrés, expliqués à nos officiers.
Mais la partie la plus attrayante du
programme est la visite faite à un su-
perbe ballon qui se balance sous un
immense hangar et dont un capitaine
de génie indique la manœuvre.
Les explications terminées, le cicé-
rone met, si le temps est calme, une
place de sa nacelle à la disposition du
plus aventureux de ses auditeurs.
Désigné par sa faible corpulence, c'est
le cavalier léger de la promotion qui,
généralement, jouit de l'honneur de faire
l'ascension.
A un signal donné, le câble se déroule
et le capitaine ainsi que son invité pla-
nent à deux cents mètres au-dessus du
sol.
Quand il atterrit, l'aéronaute-amateur
essaye, en vain, de dépeindre à ses ca-
marades S'oj^uenards les mille sensa-
G K N É 11 A L ET OFFICIER D ' É T A T - M A .1 0 R DANS LES ALPES
fions agréables éprouvées à s'élever si
rapidement dans les airs. Malgré cet
enthousiasme apparent, sa mine toute
bouleversée du mal de mer démontre
que les voyages à travers les airs de-
mandent un certain entraînement.
*
* #
Plus que partout ailleurs, la colle,
sans laquelle nulle école militaire ne
pourrait exister, fonctionne régulière-
ment pour nos futurs brevetés.
Groupés, ces jours-là, à la porte de
la salle où se passe la terrible confes-
sion, chacun attend son tour de sellette
et, invariablement, chaque fois qu'un
I/KCOM'] SU l'i:i{ I i:iM!K 1)K c.uiiuiu-:
6f)0
nouveau délivré apparaît, les mêmes
(pieslidiis se posent . — « Qu'avcz-vous
eu? » — <> ("f)mni(Mil ave/.-vous ré-
j)ondu? »*
Préoccupés de leur elassenienl, dont
dépendra leui" f^ai-nison future à la sortie;
i\c riù'ole, beaucoup se laissent hypno-
tiser par la note qui, bien que n'étant
pas communicpiée, a des conséc[ucnces
si importantes.
Cette raison, lamour-propre personnel
et beaucoup aussi Fardent désir de
s'instruire font de nos officiers tle ter-
ribles bûcheurs.
Les beaux jours revenus, élè\es dans
leurs conversations, professeurs à l'am-
phiLhéâtre, il n'est plus question à
l'Ecole que des voyages à faire au cours
de l'été. Tous, habitués à une très grande
activité, à une existence au grand air,
aspirent à fuir, dans une envolée géné-
rale, les murs où s'écoule une existence
qui leur paraît si sédentaire.
A partir du 15 mai, l'Ecole de guerre
fonctionne partout ailleurs qu'à Paris,
et le malheureux trésorier, chargé de
remettre à chacun, professeur ou élève,
les fonds qui lui sont nécessaires, a
fort à faire avec ces perpétuels départs.
Une grande partie des voyages se fait
à cheval. A cet ellVl, groupés en déta-
chements, les chevaux tie Fb^cole sont
conduits par des cavaliers de manège
au point de dé|)art du premier voyage,
généralement situé à une ou deux étapes
de Paris. Quant aux officiers, répartis
en un certain nombre de groupes se suc-
cédant à tour de nMe, ils se retrouveid
à des dates fixes aux différentes gares
de Paris, d'où ils s'embarqueront pour
la localilé où s'est terminé le voyage
précédent et (pii doit être le point de
départ du leur.
D'étape en étape, le détachement se
porte en avant jusqu'au jour où, le
voyage terminé, chacun quitte sa mon-
ture, qui sera affectée à un officier du
groupe suivant.
Grâce à une sage répartition, chaque
officier peut, entre deux voyages consé-
cutifs, jouir de quelques jours de repos.
Quant aux chevaux, leur nombre étant
restreint, ils restent, à moins d'indispo-
nibilité, absents de l'Ecole pendant près
de quatre mois.
Chaque soir, dans une salle mise gi'a-
cieusement par la mairie à leur disposi-
tion, les officiers se réunissent pour sou-
mettre au professeur le travail de la jour-
née et prendre connaissance du thème
tactique, sujet de travail de la matinée
du lendemain et dont ils sui\i'ont
()70
LÉCOLE SrrÉIUEURE DE Gt^ERRE
(^ÉXÉRAL ET OFFICIERS D ' É T A T - M A .1 O R EN CAMPAGNE
le (!éveloj)penient sur le terrain même.
Sanelion judicieuse aux études théo-
l'iques de l'hiver : sans disposer de la
moindre troupe, uniquement d'après le
lorrain euvisaf;é au point de vue de la
silualiou dans laquelle on se suppose
placé, nos officiers arriventparla penséeà
l'aire manœuvrer des efï'eetifs importants,
à leur donner des ordres successifs.
Malgré ces fatigues, cette existence a
du bon et tel qui, le même jour, après
avoir supporté une chaleur accablante,
aura eu ses effets trempés par une pluie
ballante, déclarera qu'il préfère cette
aili\ité à la période d'hiver.
La topographie a reçu une large part
dans linslruction donnée à l'École de
guerre et les voyages qu'on lui consacre
sont fort appréciés, en raison de la
liberté dont jouissent les officiers.
Il y a deux ans, la ville de Ham reçut,
pendant une huitaine de jours, un groupe
d'officiers venus pour exécuter, sur les
bords de la Somme, un travail de ce
genre.
Chaque malin, dès six heures, nos
topographes se dispersaient dans la cam-
pagne, se rendant, qui à bicyclette, qui
en voiture, sur le terrain de son travail.
La matinée était entièrement consacrée
à profiler des courbes ou à mesurer, au
pas, routes et chemins.
Vers midi, on se retrouvait par groupes
de Irois ou quatre, dans une auberge du
I. ECOLE Sl'PÉlilEUHE DE (lUEHHE
671
voisiiiaj^'c, où était préparé un dînt'i-
dont le nieiiii ne senihlail tcMiir aufiiii
compte (lu travail cpie les coin ives de-
\aieiit exécuter ra])rès-nii(ii.
Il l'aisait (Tailleurs li-llenient chaud et
Ion avait tant travaillé déjà (juaucun
des couvives ne |U"oteslail contre l'excès
de zèle de rexcellente leniuie, (|ui, toute
lière de posséder de pareils hôtes, avait
mis les petits plats dans les grands.
Tue l'ois la j^rosse chaleur tombée,
nos amis sonj^'eaienl à reprendre la tâche
interrompue; mais combien pénible,
cette l'ois I... Nul ne se sentait le courage
de coui'ir les champs. (.)u choisissait
alors une haie à l'ombre de laquelle
chacun s'iustallait, aussi commodément
que possible, pour exécuter le croquis
de la contrée euviromiaute.
Le dessin perspectif étant eu très
grand honneur dans l'armée, beaucoup
d'officiers de l'Ecole de guerre tiennent
à joindre, à leurs travaux de topographie
pure, un certain nombre de croquis, ou
vues perspectives, généralement fort
bien exécutés d'ailleurs.
\a\ géographie a eu sa large part dans
l'instruction professée à TEcole de guerre
et les conférences de l'hiver trouvent
une sanction pratique dans des voyages
d'une qoinzaine de jours environ exécu-
tés au cours de la belle saison.
A tout seigneur, tout honneur, et les
régions qui reçoivent les visites de nos
futurs ofliciers d'état-major sont — bien
entendu — les frontières, qui oITrent ac-
tuellement le plus d'intérêt.
C'est ainsi que, la première année
d'école, chaque promotion reconnaît les
Vosges dans tous ses détails, le voyage
de deuxième année se faisant sur la fron-
tière des Alpes.
Pour leur commodité personnelle, les
voyageurs ont été autorisés à faire usage,
au cours de ces voyages, d'effets bour-
geois. Comme il est reconnu que la meil-
leure façon d'apprendre la géographie
d'un pays consiste à le parcourir autant
que possible à pied, vous jugez si, sa-
chant cpi'il fréfpientera n'importe quel
chemin par n'inqiorte quel tenq>s, Tofli-
cier endosse le veston à la dernière mode
ou si son chapeau de paille est de la
première IVaichcur !. ..
(a>s dernières années, l'ini d'eux se
présentait, à la suite d'une très longue
marche, couvert de poussière, les sou-
liers horriblement crottés, dans le meil-
leur hôtel de Pont-à-Mousson.
Une pareille mise chez un pension-
naire que ne recommandait aucune va-
lise parut si peu engageante au maître
d'hôtel que, malgré sa situation qu'il
déclina, le nouveau venu dut payer d'a-
vance, avant de trouver place au logis.
Depuis quelques années, plusieurs offi-
ciers utilisent pour ces voyages la bicy-
clette ou même le tricycle à pétrole, quitte
à s'atteler à sa machine quand il s'agit
de gravir une pente sérieuse. Mais ces
moyens de locomotion sont impossibles
dans les Alpes et nos officiers seraient
exposés à de longues et pénibles marches
si, au moment de leur arrivée, les com-
mandants des bataillons alpins, dont
l'amabilité est devenue proverbiale, ne
se faisaient un plaisir de mettre quelques
mulets à leur disposition.
Quelle que soit l'arme à laquelle il
appartient, l'officier détaché à l'Ecole
est tenu d'assister aux exercices de tir
d'un régiment d'artillerie. Ecoles à feu
qui ont lieu, chacun le sait, dans de
grands camps consacrés à cet usage.
A cet effet, dès le commencement de
mai, une liste circide sur laquelle cha-
cun, d'après son rang d'ancienneté, s'in-
scrit, indiquant i)ar ordre de préférence
le régiment désiré.
Malgré une pointe de jalousie facile
à comprendre, les nouveaux venus sont
accueillis avec la plus grande cordialité
par leurs camarades des régiments et
leur arrivée donne souvent lieu à une
réception où le Champagne coule à flots.
Il était même d'usage dans un régi-
ment du sud-est d'oH'rir un rallye aux
officiers de l'I'x-ole le lourde leur arrivée.
LKCOLK SUPÉRIEURE DE C.UERRE
Quelques-uns des camps crarlillerie
ôtant situés à proximité crune voie ferrée,
nos officiers profitent de cette circon-
stance pour visiter le dimanche les loca-
lités intéressantes des environs.
Quelquefois aussi les plaisirs offerts
par le hasard sont d'une nature plus
mondaine.
Tels, un après-midi, à Toulouse, à
l'époque de la fête aux allées Lafayette,
(|uelques officiers, probablement en
i^aieté à la suite d'un excellent dhier,
tout émerveillés de la beauté des Tou-
lousaines , sollicitèrent dans un bal
champêtre la faveur de les faire danser.
Quel excellent souvenir nos amis ne
conservèrent-ils pas de cette partie !
Car, rentrés à l'Ecole, leurs conversa-
lions ne tarirent plus sur ce sujet!...
Le dernier voyage terminé, tandis que
les ofliciers de la promotion sortant se
rendent pour les manœuvres dans un
état-major où ils seront à bonne école
pour mettre en pratique ce qu'ils auront
appris pendant leurs deux années d'étude,
ceux faisant leur première année rejoi-
gnent, au contraire, un régiment d'une
arme dilférente de la leur.
Ayant conservé un excellent souvenir
de leur séjour aux écoles à feu, ces der-
niers se font une joie de retrouver des
camarades de régiments, sur lesquels
ils comptent pour apprendre par le
menu les détails d'un métier qu'ils
ignorent en grande partie.
Du jour où commence leur détache-
ment, chacun des ofliciers de l'Ecole
apporte, dans son service, le zèle du
militaire, fanatique de son métier.
Dans le but unique de faire les étapes
à côté de la troupe, de partager ses
fatigues, on a vu fréquemment des caj)i-
laines de cavalerie ou d'artillerie relé-
guer leur monture à la queue des
colonnes, alors que le capitaine, dans
1 infanterie, est régulièrement monté.
Quant à l'officier d'infanterie, il fait
très bonne figure à la tête du peloton
ou de l'escadron dont on lui a donné le
commandement. Et, lors de leur visite,
aux dernières grandes manœuvres du
Nord, le cortège du roi de Siam et du
Président de la République eut pour
escorte un escadron de cavalerie que
commandait un capitaine d'infanterie
de riv-ole de iiuerre.
Les manœuvres ont pris fin par une
revue d'honneur; le dernier escadron
s'est envolé dan.s un nuage de pous-
sière, après avoir salué du sabre le
directeur qui disparaît, là-bas, suivi de
son brillant état-major.
• Pour les troupes, c'est la dislocation;
pour quelques heureux, la classe; pour
les officiers de l'Ecole, l'autorisation de
rentrer à Paris.
Ils sont donc enfin terminés, ces quatre
mois de dure campagne !...
Aussi de quelle quiétude s'endormira
ce soir, en wagon, l'officier de la jeune
promotion ! Il lui faudra, pour le tirer
de ce profond sommeil, la voix de l'em-
ployé qui, au petit jour, en ouvrant
son compartiment, lui rappellera qu'on
est à Paris et que « tout le monde des-
cend ».
En sera-t-il de même pour lofficier
qui doit quitter définitivement l'Ecole
dans quelque temps ? Probablement
non ! Car, tandis que les premiers vont
pouvoir jouir de quelque répit, jusqu'au
mois de novembre prochain, il restera
aux autres, avant d'avoir droit à un
repos, à subir le terrible examen, de-
vant le comité dispensateur du brevet,
sans lequel nul n'est officier d'état-
major.
Dès leur retour à Paris, les derniers
se remettent au travail. Les visages per-
dent rapidement de leur fraîcheur,
l'anémie fait quelque ravage ; mais, baste!
le coup de collier final donné, un congé
de trois mois ne sera-t-il pas là pour
remettre chacun en état et faire oublier
cette terrible période dont dépendra la
mention <■ très bien » ou « bien »?
Dli UOMANK.
YVETTE GUILBEUT
Si nous négligeons un nombre inlinic
(le représentations de Z)ecoré^ de Meilhac,
oïl elle reprit le petit rôle de la comtesse
(^arinti abandonné par M"" Jeanne Grou-
zet, c'est au 20 octobre IHHH qu'il faut
Hxer la date de l'apparition au firma-
ment parisien de l'étoile d'Yvette Guil-
bert, qui ne brillait pas alors d'un éclat
bien vif. On reprenait, ce soir-là, Barhe-
Bleiie, d'Oirenbach, aux Variétés, avec
CINQ ANS
Dupuis, Baron, Christian, et Jeanne Gra-
nier, pour la première fois, dans le rôle
de Boulotte. Le lendemain, la presse
fut unanime à ne pas souffler mot de
M"'-' Yvette Guilbert, chargée du rôle
d'Héloïsc, la première femme de Barbe-
Bleue, rôle modeste s'il en fut. Il se bor-
VIII. — 4.3.
nait, outre quelques ensembles, à ce
simple couplet :
C'est moi jadis qui, la première.
Entrai dans ce boudoir fatal.
Puis, après une année entière,
II nie délaissa, l'animal !
Maintenant, N, I, Ni, fini !
11 n'y avait évidemment pas de quoi
soulever l'enthousiasme d'une salle ; aussi
QUINZE ANS
Qniuze ans, ô Roméo ! L'âge de Juliette...
Yvette Guilbert passa-t-elle parfaitement
inaperçue ce soir-là ; il en fut de même
deux mois plus tard, lors de la première
représentation de la Japonaise, d'Albert
Millaud, où elle jouait M'"" Boisvernis,
G'i
YVETTE GUILBERT
VINGT ANS — TRANSFORMATION
suivie d'une prompte reprise de Mam'-
zelle Nitouche, où elle ne réussit pas
davantage à faire son trou.
Tenace quant au but à atteindre, mais
voyant la nécessité de changer de che-
min, Yvette s'orienta vers le café-con-
eert. Le succès qu'elle y obtint dès les
premiei^s soirs, elle le dut certes à ses
dons personnels, à son originalité, à son
intelHgence, à sa bonne humeur; et
aussi, disons-le, à la lassitude du public
écœuré des fastidieuses redites d'un
répertoire titubant entre la niaiserie et
l'ordure que venaient de galvaniser,
pour le laisser plus insipide encore, les
pas redoublés de M. Paulus, le Tyrtée
du boulangisme.
Gantée de noirjusqu'à l'épaule, Yvette
apportait à la foule assoiffée de nou-
veauté le répertoire de Bruant, mais
en évitant de prendre ses violentes dia-
tribes empuanties d'un socialisme d'es-
taminet et les Chansons sans gêne de
Xanrof, qui débutait dans la littérature
gaie après un court passage dans la poli-
tique, où, en qualité d'attaché, il avait
eu deux ministres tombés sous lui.
On croit généralement et on répète
volontiers que M"*^ Yvette Guilbert a
l'ait ses débuts dans le genre de café-
concert au Concert Parisien. En réalité,
le petit music-hall fut une étape dcfirii-
ÊPOQUE DES PREMIERSESSAIS
tive, mais non pas la première, dans la
carrière de la jeune artiste. Précédem-
ment elle s'était fait entendre à l'Eldo-
rado, au Moulin-Rouge, au Jardin de
YVETT1-: GlILliEirr
673
Paris, et le succès la guellait au Divan
Japonais, dont Jean Sarrazin, « le poète
aux olives ». avait tenté de faire un ca-
hi'.rel arlislique, une concurrence au
(Jial-Noir; mais, tandis que les femmes
ont toujours été bannies du cénacle de la
nie ^'i('lor-Massé, il leur ouvrait toutes
grandes les portes de celui qu'il fondait
dans le haut de la rue des Martyrs, et,
pour son coup d'essai, il n'eut pas la
main malheureuse.
<( Figurez-vous une salle carrée, assez
vaste, où le Japon n'était guère repré-
senté que par l'absence de divans, quel-
ques lanternes vénitiennes au plafond
et le long des murs vaguement peintur-
lurés des épisodes de la guerre du Ton-
kin. Pas de scène, pas de coulisses. Seu-
lement, au fond de la salle, une estrade
de quelques pieds carrés à laquelle on
accédait par deux escaliers latéraux. En
guise de rideau, un de ces stores japo-
nais faits de baguettes de bambou et de
perles enfilées fermait d une façon ap-
proximative la scène aux spectateurs de
face, mais la laissait ouverte à ceux des
Sur l'affiche.
LA RÉVÉLATION
Sur la scèae.
676
YVETTE G U I L 15 E H T
deux côtés. » Voilà ce quVHnil le Divan
Japonais.
Un des premiers panégyristes d Yvette
a fait d'elle ce portrait, qui est plutôt une
caricature macabre : « Elle est grande,
élancée ; sa physionomie, très mobile,
est animée par un regard tout à la fois
■'■m^
k
->^ll^.
YVETTE NATURE
câlin et décidé. Ses pommettes sail-
lantes creusent sous ses yeux des trous
d'ombre qui lui donnent Fattrait d'une
jeune et souriante tète de mort. « Si
elle n'avait pas eu d'autres atouts dans
son jeu, la pauvrette, qui avait déjà
perdu les parties engagées avec la for-
tune sur diverses scènes, aurait végété à
Montmartre comme au boulevard.
Quand on lui demande à quoi elle
attribue ce revirement dans sa desti-
née, elle répond : « Mon Dieu ! c'est bien
simple : il faut oser demander un ca-
chet sérieux. De plus, vous prenez une
paire de gants très noirs, mais de vrais
gants noirs très longs ; vous mettez
dedans deux grands bras long-s aussi,
autant que possible, que vous laissez
pendre négligemment sur votre ventre,
à hauteur convenable. Ça c'est la grande
affaire, la hauteur! Vous vous en servez
très peu de ces longs bras noirs,
inutde de les fatiguer. Vous
prenez, entre autres choses, un
air très embêté, et le public,
qui est très bon, très bon, se
dit : >( Ah! voilà une petite
femme qui est bien gentille.
Elle est terriblement ennuyée,
cette petite femme-là, elle vient
quand même nous chanter uiî
petit air. Ça, c'est vraiment
très bien ! » Il faut aussi nasiller
à point; quand on se sert du
nez, ça épargne la gorge, et c'est
toujours autant de gagné, il
faut penser à tout. Inutile
d'étudier ses chansons, le souf-
lleur est là ; et même de les
comprendre, c'est l'afTaire du
public, cela. Il faut aussi s'ar-
rêter quelquefois entre les
vers. — A la Comédie-Fran-
çaise, on appelle cela prendre
des temps. — Evitez autant que
possible que le temps ne coupe
un mot en deux, et encore !
Cela n'a pas une importance...
non! Enfin, ce n'est rien du
tout qu un peu d'intelligence...
de la sérénité, du calme.
Assurez aux directeui's que vous êtes
accablée de talent, qu'il est sous la peau,
qu'il va sortir... tout est là. Puis on
sourit, salue et sort. »
Ceci est le développement spirituel
d'un paradoxe imaginé par l'artiste arri-
vée. Mais il serait cruellement ironique
de le répéter comme un encouragement
aux malheureuses qui abordent la car-
rière. Yvette en convient de bonne grâce
quand on lui rappelle ses années de dé-
buts antérieures môme à l'engagement
à 150 francs par mois des Variétés.
La meilleure manièi^e d'être fixé sur
YVETTE GUILHEKT
677
celle période de vaclic eiii;ij^éc, c'esl en-
core de lui demander de l'aire appel à ses
souvenirs, elle y consenl de bonne grâce.
Oui, elle en a nian}^"é de la vache enra-
f^l'ée, et de la plus coriace; son estomac
soulTrait dautanl plus de celte nourri-
lure indigesle que, pendant
ses jeunes années, elle avait
connu mieux que 1 aisance.
Sa mère avait une vraie
petite fortune de plusieurs
centaines de mille francs,
que son père, joueur impé-
nitent, mangea en peu
d'années jusqu'au dernier
sou. Courageusement elle
se mit à travailler non pas
seulement pour vêtir et
nourrir sa fillette, mais pour
lui assurer une éducation
irréprochable. Yvette qui,
en femme pratique, a l'ha-
bitude de jalonner sa con-
versation de chiffres précis,
affirme qu elle n'a jamais
coûté annuellement moins
de 2,000 francs en leçons,
cours ou frais de pension.
Sa mère réussit à créer
une sorte de manufacture
de chapeaux de femmes où
elle occupa jusqu'à quatre-
vingts ouvrières. Yvette
n était pas la moins fictive;
courbée sur son ouvrage de
sept heures du matin à neuf *-'• <•"»""•
heures du soir, elle ne sor-
tait que pour porter les
commandes dans les grands magasins
ou étudier au dehors des modèles nou-
veaux.
« Hélas! fail-elle niéhincoli([uement,
celte prospérité relative cessa brusque-
ment: manière, surmenée, devint presque
aveugle, elle dut suspendre tout travail
et abandonner son entreprise. Trop jeune
pour la suppléer, j'acceptai une place
de vendeuse au Printemps, ^^ous voyez
d'ici ce que je pouvais gagner. Mais,
pour comble de malchance, je ne pus
tenir à ce mélier, qui obligea rester de-
bout toute la journée. J'étais minée par
l'anémie, sur laquelle était venue se
greffer une gastralgie. Ah! nous avons
eu de durs moments! Ma mère travail-
lait à de menus ouvrages de broderie
qui achevaient de lui abîmer les yeux.
YVETTE COQUETTE
Et pourtant jamais je ne perdis complè-
tement courage. J'entrevoyais le théâtre
comme un idéal lointain. Mais le moyen
d'y arriver? Dans ma guigne persis-
tante, j'eus la bonne fortune d'être pré-
sentée à Sari, le directeur des Folies-
Bergère. Vous l'avez connu, l'excellent
homme , qui de son passage chez
Alexandre Dumas avait retenu l'art de
dépenser et d'obliger sans compter. Il
ne pouvait me proposer un engagement
au milieu de ses saltimbanques et de ses
phénomènes, mais il m'invita à venir
678
YVETTE GUIIJÎERT
YVETTE SONGEUSE
souvent chez lui, dans cette propriété
de Vaux que j'ai achetée depuis. »
C'est chez Sari, dans ce milieu de gens
de théâtre, que « l'étoile en herbe » de-
vait trouver des aboutissants pour
atteindre son but, la carrière drama-
tique. Le critique Edmond Stoullig,
dont l'obligeance est proverbiale, se vit
particulièrement sollicité de lui décou-
vrir un professeur de déclamation. Il
l'adressa à Landrol, du Gymnase, un
comédien expérimenté, un metteur en
scène éminent, qui, dès la première
leçon, écrivit à Stoullig qu'il avait ra-
rement rencontré une élève aussi intel-
ligente. Cela se
passait en 1886.
Au bout de quel-
ques semaines
d'études, Landrol
recommandait
Yvette Guilbert
au directeur des
Bouffes -du- Nord.
On fut vite d'ac-
cord, la débutante
acceptant de jouer
à l'œil. Du premier
coup elle dut ap-
prendre le rôle de
M'^MeNeversdans
la Reine Margot y
cinq cents lignes :
« Je ne sais pas,
dit-elle, comment
j'ai pu apprendre
tout ça. Le pre-
mier soir oîi il me
fallut le débiter,
j'avais le trac de
rester en plan à
chacune de mes
tirades, je croyais
qu'on allait être
obligé de baisser
le rideau. Sans m'en
rendre compte, je
passais d'un côté
du théâtre à l'autre
en trois enjambées,.
les gardes attachés
à ma personne étaient obligés de prendre
le trot pour me suivre. »
M. Léon Marx, le directeur du
théâtre Cluny, en quête d'une actrice
au rabais pour jouer le principal rôle
dans Rigohert, l'enleva à son collègue
du faubourg Saint-Denis. Enfin elle tou-
cha des appointements, mais dérisoires,
soixante francs par mois, et pas long-
temps d'ailleurs. De là elle alla aux Nou-
veautés, à cent cinquante francs. Elle
ne put réussir à jouer que dans les levers
de rideau. Or chacun sait que le public
parisien n'arrive jamais que pour la
grande pièce. Une artiste vouée aux
YVETTE GUILHKHT
679
vaiulevilles géné-
ra lemen L idiols,
(|iii commencent
le spectacle, reste-
rail aussi ignorée
que si elle exerçait
sa profession à
Q u i ni p e r ou à
Perpignan.
Le théâtre des
Variétés ne devait
pas lui être plus
favorable , nous
l'avons vu. Trop
avisée pour se»faire
des illusions, elle
en partit brusque-
ment : (( Peut-être
suis-je trop laide
pour réussir au
théâtre, dit-elleaux
quelques amis que
lui avait conquis
sa vaillance. D'ail-
leurs le temps que
je me suis donné
est expiré. Voilà
deux ans de per-
dus, c'est assez. Je
vais essayer du
café-concert pen-
dant deux nou-
velles années.
Après ça, N, I, NI,
Fini, comme je
chantais dans
Barbe-Bleue. »
Il lui fallait
apprendre le mé-
tier, c'est ce qu'elle fit dans divers éta-
blissements, jusqu'au jour où la fortune
vint la prendre par la main au Divan
Japonais.
Encouragée par les compliments des
journalistes et les applaudissements du
public, elle alla demander une audition
à M. Saint-Ange, qui dirigeait l'Eden-
Concert, aujourd'hui disparu, boulevard
de Sébastopol, à deux pas du Châtelet.
Après l'avoir entendue dans les couplets
de Mamzelle Gavroche, cet imprésario
YVETTE SINISTRE
lui dit sur un ton familier : « Tu n'as
pas la beauté fatale, mais tu es quel-
qu un. Je te donnerai six cents francs
par mois. »
Un louis par jour! C'était le rêve
longtemps caressé. Dans sa hâte d'aller
porter la bonne nouvelle à sa mère, la
future étoile, ne trouvant pas de train
en partance à la gare Saint-Lazare, vou-
lait faire à pied le trajet de Paris à Cour-
be voie.
Quelle joie d'avoir enfin un numéro
080
YVETTE GUILHERT
en bonne place clans le programme, de
chanter dans une grande salle, devant
un public enthousiaste, de lire dans les
journaux des appréciations flatteuses!
Sarcey — qui depuis ne s'est pas toujours
montré bienveillant — Sarcey, dans
ses comptes rendus des vendredis clas-
siques de rÉden-Concert, ne dédaignait
pas de complimenter la divette.
Pourtant Tappétit vient en mangeant,
surtout quand on a eu longtemps les
dents longues. Yvette Guilbert eut un
jour ridée triomphante d'aller trouver
M. Mussleck, le directeur du Concert-
Parisien, et de lui tenir ce langage :
« Vos affaires ne vont pas, vous faites
des recettes de cent vingt-cinq francs,
vous êtes à la Abeille de déposer votre
bilan. Pour vous tirer d'embarras, pour
attirer le public, il vous faut un clou...
Ce clou, ce sera moi. Raclez vos tiroirs,
trouvez quelques centaines de francs
pour faire coller des affiches. Risquez
le paquet, vous m'en direz des nou-
velles. » M. Mussleck, goûtant la saveur
de ce raisonnement, fit afficher sur tous
les murs de Paris dix mille bandes mul-
ticolores portant ces simples mots :
Yvette Guilbert, Étoile Fin de Siècle,
au Concert-Parisien. La légende veut
qu'il ait employé ses premières recettes
à des libéralités envers les journaux.
Toujours est-il que ces recettes dépas-
sèrent les prévisions les plus opti-
mistes. Si bien que d'un commun accord
le cachet d'Yvette, primitivement fixé à
80 francs par jour, fut, au bout d'une
semaine, porté à 300 francs, et, au bout
d'un mois, à 500 francs. Depuis, elle
n'a jamais gagné moins, et souvent elle
a été payée beaucoup plus cher.
Avec le sans-façon que comporte le
genre, l'étoile fin de siècle avait été in-
tercalée dans la revue en cours de
i^eprésentation Débinons le Truc. Au
premier acte, elle paraissait en bon rang
dans le défilé des actualités de l'année,
chantait trois, quatre, cinq chansons,
autant que lui en demandait un public
enthousiaste où étaient en nombre les
hommes en habit, les femmes en grande
toilette, les uns et les autres bien sur-
pris de se voir dans cette salle enfumée.
Au deuxième acte elle faisait une imita-
tion de Sarah Bernhardt, dans Jeanne
d'Arc; acclamations et bis recommen-
çaient de plus belle.
Fêtards bruyants et pacifiques habi-
tués de rÉden-Concert étaient d'accord
pour rendre hommage à l'originalité, à
la fantaisie, à la diction impeccable de
la débutante. Mais l'admii'ation unanime
se traduisait par les appréciations les plus
variées dont on trouve l'écho dans \es
journaux du temps. Quelques-unes mé-
ritent d'être signalées : ^- Elle est fine
et blonde ; son visage, gracieux malgré la
dureté des pommettes saillantes et vo-
lontaires, est illuminé par un regard mo-
bile et câlin. Dans ses attitudes comme
dans sa façon de chanter, elle se montre
tour à tour simple et maniérée, candide
et perverse. Son sourire ironique d'un
joli j'menfichisme est comme l'exégèse
drolatique des énormités qu'elle dit de
sa voix claire et mordante.
Ce qu'elle veut être? la Judic, la Gra-
nier, la Réjane des Variétés quand Ré-
jane, Granier et Judic n'y seront plus...
Ce quelle est? une spirituelle, étour-
dissante et originale diseuse, méritant
vraiment le succès que lui fait non seu-
lement la gomme qui l'applaudit beau-
coup par chic, mais l'engouement du
public, qui s'y connaît plus qu'on ne
croit, et n'adopte pas sans raison une
nouvelle diva de café-concert. — Cette
jeune femme est une grande artiste, la
plus grande que nous^ ait donnée le café-
concert depuis l'incomparable diseuse
que fut Thérésa. Son geste est sobre et
précis, son débit original, sa pronon-
ciation merveilleuse. Jamais on n'inter-
préta la chanson graveleuse avec un
sentiment aussi exact des convenances,
jamais non plus on ne mit autant de
sous-entendus scabreux dans les mots
en apparence les plus indifférents. Tout
le talent d'Yvette Guilbert, tout son
succès tiennent à ce fait qu'elle marche
comme une acrobate de la chanson sur
la corde... raide, qui sépare la grivoi-
YVETTE (JUILHEHT
CSl
LA \' U A I E YVETTE
série de la pornographie. Elle est à Taise
en ce domaine étroit qu'elle parcourt
d un pied sûr, grâce à sa vive intelli-
gence et à son goût s^ans défaillance.
"^ vetle lancée, les dii-ecteurs se la
disputèrent. M. Donval arriva bon pre-
mier et la fit entendre au Nouveau-
Cirque, une enceinte assez peu faite
pour ce genre d'auditions. Dans une
sorte de revue intitulée Garden-Party,
on la voyait paraître tout à coup sur
une estrade d'où elle égrenait les perles
de son répertoire. Ce fut là qu'à propre-
ment parler elle prit contact avec le
public parisien. Dans une salle de café-
concert, l'élément mondain... ou demi-
mondain ne peut être qu'une minorité
noyée dans la masse des habitués;
exception faite naturellement pour les
concerts des Champs-Elysées, où Yvette
es2
YVETTE GUILBERT
devait être engagée l'année suivante.
Très peu après, en février 1891,
M. Bodinier voulut la présenter aux
abonnés du Théâtre d'Application, — on
ne disait pas encore la Bodinière, — avec
accompagnement d'une conférence de
M. Hugues Le Roux, alors très en vogue.
Réussir là, c'était la consécration défini-
tive par une élite qui impose ses arrêts
au Tout-Paris des salons... qu'il ne faut
pas confondre avec le Tout-Paris des
théâtres. Yvette Guilbert passa sans
difficulté ce cap dangereux, sa fortune
était faite. Un souvenir personnel da-
tant de cette époque.
Le soir où elle chantait pour la pre-
mière fois dans Garden-Party, Yvette,
que je connaissais depuis l'époque où
elle fréquentait chez Sari, m'avait engagé
à venir la voir en camarade; elle habi-
tait alors rue Saint-Lazare, à deux pas
du Théâtre d'Application. Quelques
jours plus tard, je sonnai à sa porte; elle
me reçut dans un salon déjà encombré
de bibelots. Apercevant la carte cornée
du baron Alphonse de Rothschild sur le
coin de la cheminée :
— Mes compliments! fis-je.
— Il vient de sortir, répondit-elle. 11
m'a apporté mon cachet pour quelques
chansons dites chez lui l'autre soir.
— Combien, ce cachet?
— Ah ! voilà ! quand il est venu, la
semaine dernière, me demander mes
conditions, je lui ai répondu que je
m'en rapportais à lui, et comme il insis-
tait, je lui ai dit : « Aux épiciers, monsieur
le baron, je prends mille francs ; pour
vous, ça sera ce que vous voudrez. »
Voilà ce qu'il vient de me laisser.
Et d'une enveloppe elle tira deux
billets de mille francs.
Nous ne la suivrons pas dans ses
tournées à travers la France, l'Europe
et les deux mondes. Sa première pro-
menade hors des frontières, avant l'Eden-
Concert, avait parfaitement réussi. Les
bons Liégeois sont très fiers de l'avoir
fêtée alors que Paris l'ignorait encore.
Ils se congratulent de ce que leur ville
a été le berceau de sa réputation et de
son succès. Plus que Charles-Quint, qui
s'honorait d'être bourgeois de Gand,
elle aurait des titres à être bourgeoise
de Liège.
Pourtant il faut signaler sa tournée à
travers les Etats d'Amérique en 1896,
qui dura six semaines et lui rapporta
net 300,000 francs; il y avait de quoi
l'engager à y retourner. Elle en a, au
surplus, ramené un mari : un homme ex-
quis, dit-elle toutes les fois qu'elle parle
de lui. Sa nouvelle famille, qui lui a
fait le meilleur accueil, est fort bien
posée à New^-York; elle a pour beaux-
frères et neveux des membres du Parle-
ment américain, des avocats, des ingé-
nieurs, des architectes.
Actuellement, Yvette est liée pour
tous les hivers avec M. Marchand, di-
recteur de la Scala, qui la fait parfois
entendre aux Folies-Bergère, dont il a
également la direction ; pour l'été, avec
le Concert des Ambassadeurs. Ici comme
là, elle touche 25,000 francs par mois,
soit, avec les matinées, un peu moins
de 800 francs par représentation. Elle
peut se faire payer chaque soir, avant
d'entrer en scène, mais elle n'use pas de
ce privilège.
L'année de l'Exposition, son cachet
quotidien sera porté à 1,000 francs, en
vertu d'un engagement en bonne forme.
Aux premiers jours de décembre, la
divelte part pour une tournée plus fruc-
tueuse encore que les précédentes, en
Russie, en Autriche, en Allemagne.
Outre le prix ferme de 300,000 francs,
pour cent représentations données en
quatre mois, elle aura 50 pour 100 de
la recette, les frais payés, et compte
bien arriver de ce fait à une dizaine de
mille francs, certains soirs.
Si, comme elle en a le projet, Yvette
se retire à la fin de 1900, elle aura gagné
2,800,000 francs. Il a fallu vivre, elle
n'a pas tout conservé ; mais, sachant le
prix de l'argent, elle a évité les dé-
penses inutiles, et puis il faut faire en-
trer en ligne de compte les placements
heureux.
Sa mère lui a apporté un concours
YVETTE GUILIÎEUT
C83
précieux, mais à ce point de vue seule-
ment; pour les questions d'art, de mé-
tier, elle n"a jamais donné même un
conseil... elle ne l'a pas entendue trois
fois, en dehors de chez elle.
« Cette pauvre mère, dit-elle avec
une sincérité qu'on ne songe même pas
à mettre en doute quand on la connaît,
des rares satisfactions que me rapporte
cet argent gagné maintenant si facile-
ment, la plus grande, c'est encore de lui
passer ses caprices, ses fantaisies. Elle
n'en a plus guère. Pourtant, en bonne
Normande qu'elle est, elle a un faible
684
YVETTE GUILBERT
V\'ETTE EXI'LIyUANT LES INTENTIONS D'UNE CHANSON
A UNE FEMME JOURNALISTE EN AMÉRIQUE
pour le lin^e, le beau linge bien fin,
bien brodé. Je lui en ai rempli des ar-
moires. »
Quand elle parle des rares satisfactions
qu'apporte Fargent, Yvette trouve natu-
rellement des incrédules. On lui objecte
son appartement de l'avenue de Villiers,
meublé et décoré dans le style Louis XV
le plus pur, avec une sûreté de goût
impeccable; sa ravissante propriété de
Vaux, où survit le souvenir du bon
Sari, en dépit des constructions nou-
velles.
Elle fait une moue dédaigneuse et
déclare que ce qu'il y a de meilleur en-
core, c'est de faire des heureux; elle
ajoute, sans fausse modestie :' « Depuis
dix ans, j'ai donné 250,000 francs en
secours ou en aumônes, sans parler na-
turellement des fêtes de charité et des
représentations à bénéfice, dont le pro-
duit doublerait cette somme. »
Cette confidence faite dans le laisser
aller d'une conversation familière, peut-
être ne sera-t-elle pas du tout satisfaite
d'en trouver l'écho ici ; mais je me suis
VVKTTH GUILBEHT
C«5
^^^"^Ê^^m^'^;-^^^
(Salon de 1896.)
LA LOGE DE YVETTE
La petit* cousine Redelsperger. Bac.
de Kobert. A. Ricard.
UILBERT — TABLEAU DE HENRI ALBERTI
promis de faire connaître Yvette Guil-
bert sous tous ses aspects et de in élever
au-dessus des banalités, des lieux com-
muns et des fausses légendes qui déna-
turent la physionomie exacte des per-
sonnalités en vue.
Autre guitare. — On la croit assoiffée
de réclame, avide des occasions de se
produire, de se mettre en évidence ; en
réalité, elle a Tâme d'une bourgeoise,
elle vit d'ailleurs très bourgeoisement,
on ne la voit nulle part. Bien plus, elle
a lappréhension de la foule ; le public,
même lorsqu'il l'acclame, lui inspire une
appréhension instinctive. Si elle avait
eu le choix, elle aurait préféré une autre
carrière dans laquelle elle eût gagné
moitié moins. Pour exprimer le malaise
quelle éprouve encore maintenant cer-
tains soirs, elle disait un jour : « Came
tortille au point que je sens mes intes-
tins qui font des chignons! » Que de
révélations du même genre on pourrait
faire sur elle! C'est une des femmes
sur lesquelles on a le plus écrit, dont on
a le plus parlé, et qu'on connaît le
moins.
Ne vous la ligurez pas poseuse, d'a-
près les quelques lignes quelle a écrites
pour le Monde Moderne. Cette pensée,
dans sa forme énigmatique, lui a été
inspirée par la nécessité de donner quel-
que chose de soi en pâture à la jalousie:
l'habileté consiste à lui abandonner dé-
libérément une proie, pour l'empêcher
de choisir et de mordre ailleurs, sur des
points plus sensibles. Ainsi fît Sarah
Bei nhardt avec sa maigreur.
A ceux qui demandent pourquoi son
succès — et combien de fois ne s'est-
on pas posé cette question! — on peut
répondre. Comparez-la aux autres ar-
tistes du café-concert et avouez qu'elle
a sur elles une supériorité qui légitime
c«o
YVETTE GUILBERT
et ce qu'elle gagne
et rengouement
du public. Évi-
demment, un ca-
chet de 800 francs,
cela paraît bien
gros pour quelques
chansons ; mais
soyez assuré que
les directeurs ne
la payeraient pas
aussi cher s'ils n'y
trouvaient pas leur
profit. Dès que son
nom figure sur
l'affiche, la recette
grossit proportion -
nellement au sup-
plément de frais
qu'elle nécessite.
Voilà pour le ré-
sultat. Quant à la
cause de son suc-
cès, il faut la cher-
cher dans la ren-
contre entre ce
talent fait d'ironie,
de raillerie pi-
mentée de perver-
sité, et — il faut
bien dire le mot,
quoiqu'on en ait j
abusé — la névrose
de notre époque
fiévreuse et déliquescente. Son réper-
toire... comment en donner une idée?
Laquelle choisir parmi ses centaines de
chansons si différentes? Prenons les
Jeunes Mariées, de Xanrof, l'une des
meilleures parmi les plus récentes :
C'est la c'hniir qui va s'transfornier,
L'allumett' qui va s'allumer,
La fleur qui demain s'ou\rira,
Ah ! ah ! — Ah 1 ah !
Au premier baiser des rosées.
Les jeun's mariées.
Y en a qu'est comme des morceaux d'bois,
D'aut's pleiu-'nt comme un cerf aux abois.
D'autres fredonn'nt le : « Ça ira! »
Elles veul'nt avoir l'air renseignées,
Les jeun's mariées!
Ces couplets , choisis à grand'peine
parmi les moins inconvenants, se chan-
tent sur une sorte de mélopée lente et
monotone que la diva coupe de sursauts
brusques, sans jamais abandonner sa
diction nette et martelée.
Vous désirez évidemment connaîtra
la part de collaboration d'Yvette dans
les couplets toujours inédits qu'elle
chante. Eh bien, sachez-le, exception
faite pour les poètes d'un talent reconnu,
ses chansonniers développent et riment
le plus souvent des idées à elle, encore
lui arrive-t-il fréquemment de modifier
les vers... comme la musique d'ailleurs.
\'oici, dans cet ordre d'idées, un sou-
venir de son séjour en Amérique.
Elle avait été frappée de la façon
Y \' ET TE (ÎUILHERT
(iS7
dont les lilleLles de dix à douze ans,
employées dans les magasins de nou-
veautés, crient cash! (caisse), en accom-
pagnant les clientes. Cash! ce mot sec
articulé sur un Ion nasal et criard par
des centaines de petites bouches fait
songer à une serre pleine de perro-
quets.
« Or, fait-elle, lidée me vint que Ion
pourrait écrire une chanson en prenant
pour thème ce mot caisse, prononcé
sans trêve par ces enfants de dix ans.
— D'abord une fillette jolie, commen-
çant sa vie de misère en criant du
matin au soir dans le brouhaha du ma-
gasin : Caisse ! — Puis, quittant le tra-
vail pour la galanterie... Caisse! à
plusieurs couplets. — Enfin, sur le point
de mourir, recevant les secours de la
religion et criant, au moment de passer
l'octroi divin, ce mot significatif en
diable: caisse! C'est ce que j'ai expliqué
à une femme reporter, miss Samson. »
La préoccupation du renouvellement
incessant de son répertoire n'est pas le
moindre souci de l'infatigable artiste.
Elle tente dans ce moment-ci une
évolution vers le genre dramatique ;
le public paraît d'ailleurs l'y encou-
rager; mais ce n'est là qu'un premier
pas dans une carrière nouvelle où
M'"" Yvette (iuilbert désire ardemment
cueillir d'autres lauriers. D'ici à quelques
années nous la verrons peut-être jouer
les héroïnes d'Alexandre Dumas fils,
succéder à Sarah Bernhardt, devenir la
Duse française. Seulement il faut pré-
parer le terrain à longue échéance. Rien
n'est difficile comme de donner de nou-
velles habitudes au public: s'il attend
des gaudrioles, il ne faut pas songer à
lui offrir autre chose. Polin se ferait
siffler s'il s'avisait de chanter des chan-
sons patriotiques. Y serait-elle excel-
lente, Yvette Guilbert ne peut, du jour
au lendemain, se montrer dans la Dame
aux Camélias.
C. DE Né RONDE.
YVETTE, PAR TOULOUSE-LAUTREC
D'après le journal le Rire.
LE CAPITOL E
TOULOUSE
La ville de Toulouse, par sa position
^géographique, a eu de tout temps une
importance de premier ordre. Elle com-
mande, en effet, la haute plaine de la
Garonne et se trouve à mi-chemin de
risthme qui sépare l'Océan de la Médi-
terranée, et son importance stratégique
n'a eu d'égale que son importance com-
merciale. Aussi de tout temps a-t-elle
été l'entrepôt de tous les pays qui l'en-
tourent, recevant aussi bien les marchan-
dises de l'Orient que celles de l'Occident.
D'un autre côté, la chaîne des Pyré-
nées forme pour elle une barrière effi-
cace et qui l'a toujours protégée contre
les invasions du Midi.
A Toulouse peut s'appliquer mieux
qu'à toute autre cette formule quasi
banale : son origine se perd dans la nuit
des temps. L'homme, en effet, a, dès les
premières civilisations, reconnu et oc-
cupé les points de celte importance, et
son coup d'œil ne l'a jamais trompé.
Aujourd'hui, âge du tourisme, elle
sert de halte aux voyageurs qui visitent
le Midi, aux malades qui vont deman-
der la santé aux eaux thermales des
Pyrénées. Par sa physionomie pitto-
resque et toute spéciale elle offre un
attrait tout particulier, réunissant en
elTet tous les progrès de la vie moderne
aux séductions des œuvres du temps
passé. C'est ainsi que Montalembert,
dans une lettre célèbre à Victor Hugo,
disait que : « Toulouse présente l'as-
pect d'une de ces villes de paysage
du xv^ siècle , dominée par une foule
de clochers pyramidaux et "d'immenses
nefs, hautes et larges comme des tentes
plantées par une race de géants pour
abriter leurs descendants affaiblis. Tou-
louse est une ville qui mérite au plus
haut point l'attention du voyageur, ne
fût-ce qu'à cause du grand nombi-e de
ruines qui la parent encore et qui ont
conservé, au milieu de leurs humilia-
lions, tant d'importantes traces de leur
antiquité. »
Le premier centre d'occupation de
Toulouse primitive s'élevait au sud-
ouest de la ville actuelle, sur le coteau
de Pech-David ; comme toujours , la
TOULOUSK
689
lÉ^r^
liilni gauloise des V'olkes avait établi
on ce lieu une sorte de bourgade, lieu
(le refuge en cas d'attaque, de rassem-
blement lors des
expéditions Orga-
nisées par ces peu-
plades remuantes.
Mais comme
dans bien d'autres
localités, le plateau
de Vieille-Toulouse
fut abandonné et,
plus tard, ses habi-
tants se rapprochè-
rent des bords du
fleuve, trouvant là
un chemin naturel
pour leurs excur-
sions aventureu-
ses. Superstitieux
comme toutes les
races primitives, ils consacraient aux
dieux les masses dor qu'ils enlevaient
de tous côtés et les enfouissaient dans
les mares sacrées. C'est là que le consul
Cépion, en 106 avant Jésus-Christ, bat-
tit les Volkes; après avoir pillé la ville,
les Romains desséchèrent les marais
sacrés et s'emparèrent de l'or de Tou-
louse. Peu de temps après, la défaite
de Cépion par les Cimbres fut regar-
dée comme une punition des dieux ir-
rités de cette profanation, et l'on dit
désormais des malheureux accablés par
les catastrophes qu'ils avaient de l'or de
Toulouse.
Toulouse devint rapidement , sous
1 influence civilisatrice de Rome, une
cité très prospère ; les poètes célébrèrent
ses écoles, et les succès de ses rhéteurs
lui firent donner par Martial le surnom
de Pal/adia, ville de Minerve, cité Pal-
ladienne, dont elle s'enorgueillit encore.
Les architectes du pays s'emparèrent
de la brique et de la tuile romaines, qu'ils
n'ont plus abandonnées et qui étonnent
encore les habitants du Nord, comme
elles surprenaient déjà le poète Ausone :
Coclilibus mûris quant circuit ambitus ingens.
Pendant longtemps la ville nouvelle
VIII. - 44.
fut reliée à la vieille Toulouse par une
voie des tombeaux; un cimetière termi-
nait au levant ces alignements funèbres
P O X T DE I' I E R U E
au lieu dit de Saint-Roch. Aux derniers
jours de février, chaque famille appor-
tait des offrandes sur les tombeaux : des
marchands de toute sorte s'installaient
aux abords de Saint-Roch et la tradition
vivante de ces antiques cérémonies s'est
conservée jusqu'à nos jours sous le nom
de ferelra, transformé en fenetra.
Toulouse était tellement assimilée aux
Romains et César fit entrer tant de Tou-
lousains au Sénat que Cicéron craignit
un instant pour la pureté de la langue de
\'irgile. Malgré leur accent provincial,
les Toulousains tinrent avec honneur la
place qui leur était faite.
Le christianisme fut accueilli avec
une faveur marquée par toute la popu-
lation, et les chrétiens étaient déjà nom-
breux lorsque le pape Fabien envoya
1 évêque Saturnin diriger les nouveaux
convertis; mais les intrigues du grand
prêtre réussirent à ameuter les idolâtres
contre le saint évêque et il fut marty-
risé : attaché à la queue d'un taureau
sauvage ; sur son tombeau s'élève en-
core l'insigne basilique Saint - Sernin.
L'empire ne survécut que peu de
temps au paganisme et les Barbares
démolirent peu à peu le vieil édifice :
en 419, l'empereur Honorius était obligé
690
T 0 U L O U S E
de céder aux Msigoths Toulouse et tout
son territoire, et pendant plus d'un siècle
elle fut la capitale des rois barbares;
mais, en 508, les Francs, conduits par
Clovis, s'emparèrent du pays et Tou-
louse devint le chef-lieu de l'Aquitaine
franque.
Après bien des vicissitudes, Toulouse
passa sous la domination des comtes et
conserva une indépendance entière jus-
qu'au milieu du xni'' siècle : ce fut la
période la plus brillante de tout le
moyen âge. A la gloire
militaire acquise par
ses comtes dans les
croisades et dans les
guerres auxquelles ils
furent mêlés, vint
s'unir la vitalité des
institutions munici-
pales, qui furent la
note distinctive du
comté de Toulouse.
La prospérité de la
ville s'accrut avec une
rapidité surprenante
grâce à l'entente
absolue entre le pou-
voir et la population.
Celle-ci, à la fois
active et intelligente,
avait appris peu à
peu, et surtout pen-
dant l'absence de ses
souverains en Terre -
Sainte, à compter sur
elle, à s'administrer
elle-même, à agir de
son propre mouve-
ment : aussi avait-
elle été amenée à
constituer vin centre
communal qui diri-
geait tout sous la
tutelle bienveillante
des comtes. L'un
d'eux, Alphonse, fa-
vorisa de tout son pouvoir cette éman-
cipation et reconnut les vingt-quatre
consuls qui prirent le nom de capitouls,
du nom du chapitre capitulum, où ils
s'assemblaient : Cc^yj/Vu/um qui fut trans-
formé plus tard en Capitole.
L'hérésie des Albigeois vint mettre
un terme à cette période glorieuse : le
peuple avait accueilli avec ferveur cette
croyance venue d'Orient, qui expliquait
le douloureux problème de la vie par la
lutte de deux principes également puis-
sants du bien et du mal.
D'un autre côté, la richesse si rapi-
dement venue avait produit un relâche-
ment des mœurs , que la poésie sen-
■ : f
ANCIENNE PORTE DU CAPITOLK
suelle des troubadours entretenait chez
les grands, pendant que le peuple se
jetait tête baissée dans une doctrine qui
prêchait la révolte.
TOULOrSK
691
A plusieurs reprises TÉglise essaya
^l'arrêter la doctrine hérétique, mais
reulraincment était irrésistible, et les
comtes de Toulouse l'aNoriscrent ouver-
tement les sectes nouvelles.
De là la croisade des Albigeois,
guerre religieuse à l'origine, et qui de-
vint plus tard une guerre politique,
lutte terrible CJitre le Nord et le Midi.
Aurcs I)ien des allernati\'es de succès et
L' A P I T (J L E
C C) I' 1! Il E X n I I V
de revers, le Midi fut vaincu et le roi
de France prit possession de la con-
trée en l'21l ; bientôt lurent rétablis
le calme et la tranquillité dans un pays
ravagé par plus de trente années de
guerre.
Les habitants de la ville prêtèrent
serment de fidélité au roi, mais en ré-
servant les privilèges attachés à leurs
consuls, le maintien du droit romain et
le vote libre des impôts.
Désormais Toulouse ne fut plus que
le chef-lieu dune province importante,
mais elle conserva toujours l'empreinte
de ces grandes périodes anciennes : elle
était déjà une cité importante lors de
son assimilation romaine; plus lard,
par deux fois, elle devint la capitale
d'un royaume, puis d'une principauté
féodale qui avait rapporté des croisades
des goûts artistiques qui se dévelop-
pèrent avec éclat.
Telle est, résumée en quelques lignes,
l'histoire de Toulouse : elle peut être
fière de son passé, et grâce aux nom-
breux vestiges de
ces brillantes épo-
ques que l'on ren-
contre encore, la
ville moderne est
une des plus inté-
ressantes du Midi
que le touriste
puisse visiter.
La ville est bâtie
dans une plaine
fertile, mais qui
n'a rien de pitto-
resque; cependant,
lorsque le temps ;
est clair, alors!
surtout que le vent [
du Sud (l'autan)
s'apprête à souffler,
on découvre la
chaîne entière des
Pyrénées, qui for-
me à l'horizon une
ceinture étince-
lante de neige et
de glaces éter-
nelles. La ville proprement dite s'étend
sur la rive droite de la Garonne, tandis,
qu'en face, sur la rive opposée, le fau-
bourg Saint-Cyprien forme à lui seul
une ville avec ses :2(>,000 habitants; la
population totale est de 140,000 habi-
tants.
Un magnifique pont de pierre, con-
struit par les États-généraux, de 1543
à 1546, relie le faubourg à la ville; deux
autres ponts, de Saint-Pierre et de
Saint-Michel, facilitent encore les com-
munications entre les deux aggloméra-
tions.
Le canal du Midi contourne la ville
692
TOULOUSE
au nord et va se jeler dans la
Garonne à rextrémité nord-ouest
du faubourg- des Minimes.
Une ceinture de boulevards
a remplacé les anciens remparts
et fait le tour de la ville cen-
trale. En un point seulement,
une partie de ces vieilles fortifi-
cations existent encore et for-
ment l'enceinte de l'Arsenal.
Nous conduirons notre tou-
riste dans les différents quartiers
de la ville, ce qui nous per-
mettra, chemin faisant, de parler
de chacun des monuments que
nous pourrons rencontrer sur
notre route.
La gare principale, gare Ma-
ferrée qui s'engage en tran-
chée pi'ofonde dans l'étroit
espace qui sépare le canal des
coteaux voisins, au haut des-
quels on aperçoit la colonne
de briques élevée en l'honneur
des braves morts pour lu pa-
irie lors de la bataille de 1814,
livrée par le maréchal Soult
aux troupes anglaises.
A côté, l'on aperçoit l'Obser-
vatoire et les coupoles de ses
lunettes.
En avant du pont du che-
min de fer, un nouveau pont
de briques permet de franchir
le canal et d'entrer en ville.
Une statue élevée à Riquet,
s A I N T - s E R N I N
tabiau, bâtie de l'autre côté du canal,
s'étend assez loin sur les côtés de la
ligne de Bordeaux, étroitement resserrée
qu'elle est entre le canal et les hauteurs
du Cal vi net.
Tout à côté s'élève l'Ecole vétéri-
naire, bâtiment sans caractère (1835),
mais dont les aménagements intérieurs
sont excellents.
En face de l'École vétérinaire, un
pont en fer passe au-dessus de la voie
le créateur du canal du Midi, s'élève au
milieu du rond-point qui précède la
promenade des allées Lafayette, laquelle
va nous conduire au centre de la ville,
en croisant les boulevards et le théâtre
des Variétés.
La place Lafayette termine au sud les
allées de ce nom ; c'est une place circu-
laire, entourée de constructions uni-
formes et sans caractère.
La rue principale qui s'ouvre à l'ouest
TOri.OUSK
693
(le colle place, la rue Larayclte, nous
conduira en 'quelques niiiuiles à la
])lace du Capitole. Sur un de ses côtes
sélève l'hôtel de ville, décoré du nom
pompeux de Capi-
tole, qui peut faire
naître tout d'abord
une étrange confu-
sion avec le Capi-
tole romain ; ici
nous n'avons af-
faire, comme nous
l'avons dit, qu'à
une corruption du
mot capilaluin :
habitation du cha-
pitre, du conseil de
ville.
Le Capitole est
une vaste con-
struction , isolée
aujourd'hui, don-
nant d'un côté sur
la grande place, de
l'autre sur un
square, que longe
la rue Lafayette,
et au milieu du-
quel s'élève le don-
jon.
Cet édifice, qui
ne manque pas de
grandeur et qui ma-
rie à la fois la brique
et la pierre, date
du siècle dernier.
Edifié par l'archi-
tecte Cammas, il
se compose d'un
arrière-corps et de
trois avant-corps
de style ionique ;
huit colonnes de marbre rouge sup-
portent un fronton triangulaire sur-
monté de deux génies.
Sur la frise, une longue plate-bande
de marbre noir porte pour toute inscrip-
tion le mot Capilolium. Les avant-
corps latéraux sont également ornés de
statues représentant Clémence Isaure,
personnification de la poésie toulou-
saine, Minerve, Melpomène et Thalie.
Cammas, l'architecte du Capitole,
pouvait être un artiste de talent ;
mais il était laid et difforme, ce qui
T ( ) M B E A l' B y Z .\>" T I X — S A I X T - P I E R It E DES C U I S I X E
ne l'empêcha pas d'être accusé d'avoir
enlevé une jeune fdle.
L'avocat Boubée, alors célèbre dans
le barreau de Toulouse, plaidait pour
lui : (' Messieurs, dit-il, je plaide pour
un laid, je plaide pour un gueux, je
plaide pour un sot. Pour un laid, mes-
sieurs, le voilà ! Pour un gueux, mes-
sieurs, c'est un peintre, et qui pis est.
694
TOULOUSE
L ' A R s E X A L — \' I E U X C A P I T () L E
le peintre de la ville! Pour un sot : que
la cour se donne la peine de l'inter-
roger. » Et Favocat gagna sa cause.
La façade de Canimas et la cour de
Henri IV, qui occupe le centre des
constructions, sont les seules parties
anciennes de l'édifice ; des bâtiments
neufs, dus à M. Ducler, ont remplacé,
il y a quelques années seulement, les
constructions de toute sorte qui dépa-
raient l'hôtel de ville. Parmi celles-ci
il fallait remarquer l'ancien arsenal et
une vieille porte du Capitole, au-
jourd'hui reconstruite au Jardin des
Plantes.
La cour centi'ale, cour de Henri IV,
a été restaurée et sera certainement re-
marquée par tous les archéologues, grâce
à ses détails charmants de l'époque
de la Renaissance. Au fond, une belle
porte de l'architecte Bachelier donne
accès sur le square du donjon;
au-dessus de l'entablement se lit
l'inscription suivante :
/// c Th e m is cl a l jura c iv il) us.
Apollo flores camœnis, Minervn
palmas arlihus.
Tout à fait au sommet une
niche renferme une statue de
Henri IV, en marbre noir avec
la tête et les mains en marbre
blanc.
^m* C'est dans cette cour que le
^^ I duc de Montmorency eut la tête
tranchée le 30 octobre 1632, et
l'on montre encore le couperet
qui aurait servi à cette odieuse
exécution.
Au delà de la porte de Ba-
chelier, s'ouvre le grand escalier
qui conduit aux étages supé-
rieurs : salle du conseil au nord,
salle des fêtes sur la façade prin-
cipale, en complète reconstruc-
tion actuellement. Les trois salles
du trône, des illustres et de Clé-
mence-Isaui^e ont été réunies en
une seule et vaste pièce, décorée
de riches motifs de la Renais-
sance, dus à M. Pujol; une série
de panneaux et de plafonds de MM. Paul
Laurent, Ponsan , Martin, Yarz, Des-
trem, de groupes de sculptures de
MM. Falguière, Mercier, Laporte, tous
Toulousains, retraceront l'histoire de
Toulouse et feront de cette salle de
fêles un des plus beaux ensembles artis-
tiques de notre époque.
Elle remplacera avec avantage l'an-
cienne salle des illustres, sorte de pan-
théon toulousain, dans laquelle les
bonnes gens admiraient une longue série
de bustes de plâtre rangés dans des
niches dorées, creusées dans l'épaisseur
des murs : ostentation un peu préten-
tieuse et qui semblait bien démodée de
nos jours.
La plupart de ces bustes trouveront
place cependant dans la nouvelle salle
et compléteront cette histoire de Tou-
TOULOrSK
695
La salle de Clémence-Isaure a\ait
perdu depuis lon},4emps son cachet pri-
mitif : il ne restait plus que la statue de
dame Clémence autour de laquelle s'as-
semblaient les maintcneurs des Jeux
Floraux.
I/Acadomie des Jeux Floraux n'est
LA DALBADE
pas la plus célèbre, mais elle est incon-
testablement la plus ancienne des in-
stitutions littéraires de la France et
elle dure sans interruption depuis le
\iv* siècle.
En 1323, sept lettrés, di?lingués par
leur sagesse et la finesse de leur esprit,
rapportent les annales toulousaines,
voulant trouver la science de faire de
bons poèmes, invitèrent tous les poètes
des contrées de langue d'oc à leur
apporter leurs ouvrages, promettant au
plus vaillant une violette d'or fin en
signe d honneur. Au jour indiqué,
l"^' mai 1324, les
poètes arrivèrent
de tous côtés; la
fête eut un succès
tel que les Capi-
touls décidèrent
que les frais de la
Joie de la violette
seraient couverts
par les revenus de
la ville.
Non contents
de se livrer <( au
seul plaisir d'en-
tendre chanter
d'un son mélo-
dieux et gai des
chants bien versi-
fiés, célébrant de
beaux faits et des
mots notables qui
pénètrent l'âme
dune bonne doc-
trine », les sept
troubadours pu-
blièrent une poé-
tique écrite en
vers. Ce manu-
scrit, unique en
son genre, existe
encore aujourd'hui
dans les archives
lie l'Académie: il
lut rédigé en 1356
par Molinier, chan-
celier du collège
du « Gai savoir »
et il est bien certainement un des
monuments les plus anciens et les plus
curieux des commencements de la lit-
térature méridionale.
Les Jeux Floray^x se conservèrent
intacts pendant une bonne partie du
XIV® siècle; mais à son déclin, les guerres.
636
TOULOUSE
les pestes, les disettes, diminuèrent Fé-
clat des fêtes de mai et en 1484 le col-
lège du Gai savoir cessa ses réunions.
Cet état d'abandon ne fut pas
de longue durée ; grâce à la main
généreuse d une noble dame, les
jeux se relèvent cl elle préside,
dit la tradition, à la distribution
des prix de 1496, à celle de 1498.
L'on sait peu de choses sur
cette figure idéale de Clémence
Isaure, et la critique, qui ne res-
pecte inen,a été jusqu'à nier son
existence ; mais si sa biogra-
phie nous manque, son œuvre
subsiste encore, non sans éclat.
Le renom des Jeux Floraux
s'était étendu au dehors et exer-
çait sur la France entière un
rayonnement incontesté ; et lors-
que le roi venait dans la ville
de Toulouse, rien ne paraissait
plus intéressant à lui montrer
que le spectacle d'une séance lit-
téraire de la docte académie :
c'est ce que l'on put voir lorsque
Charles IX fit son entrée à Tou-
louse en 1563.
Les réunions poétiques du Gai
savoir changèrent peu à peu de
manière d'être, et en 1694 des
lettres patentes du roi érigèrent
le collège du Gai savoir en Aca-
démie des belles-lettres. Enfin,
en 1773, un arrêté royal donna à l'Aca-
démie les statuts qui servent de base à
ses délibérations et à ses concours, et
qui sont encore en vigueur aujour-
d'hui.
L'aile gauche du Capitole est consa-
crée au théâtre, reconstruit récemment,
d'une richesse de décoration du meilleur
goût et qui se trouverait en bonne place
dans la capitale. La scène du Capitole
est une des meilleures de province;
mais le public, très exigeant et très bon
connaisseur en musique, est redouté
des artistes.
Derrière le Gapit.ole, isolé dans un
square, malheureusement trop exigu, le
donjon restauré renferme les archives de
la ville, dépôt des plus riches en docu-
ments précieux. A l'angle sud-ouest de
la place du Capitole, la rue du Taur
s A I N T - É T I E N N E
va nous conduire à l'église de ce nom
et à la basilique Saint-Sernin.
La première de ces églises a été bâtie
sur le tombeau primitif de l'apôtre de
la contrée. Saint Hilaire, troisième évê-
que de Toulouse, voulant i^eridre aux
reliques de saint Saturnin les honneurs
qui leur étaient dus, fit creuser le sol à
l'endroit où devaient reposer, suivant la
tradition, les restes du martyr. Ces
derniers furent retrouvés profondément
enfouis dans la terre et encore enfermés
dans une caisse de bois ; mais n'osant
touchera un cercueil aussi saint, Hilaire
le fit entourer d'une construction en
briques, en forme de four, et il éleva
encore au-dessus un édicule en bois.
TOULOrSK
En remaniant l'autel principal de Té-
glise actuelle, on a mis à découvert une
crypte, qui semble répondre à Vopus /a-
HOTEL d'assez AT
lericium foriucis édiiié par saint Hilaire.
La nef de l'église actuelle date du
xin*^ siècle, mais la façade a été recon-
struite en 1530; elle est munie de cré-
neaux, de mâchicoulis et de meurtrières,
ce qui lui donne l'aspect d'une forte-
resse.
En face de l'église du Taur, une pe-
tite rue nous conduira au petit sémi-
naire de l'Esquille et aux ruines de
l'église des Cordeliers.
Celle-ci a longtemps servi de maga-
sin aux fourrages, mais en 1870 elle a
été complètement détruite par un incen-
die; la tour du clocher a seule résisté
aux flammes et elle sert aujourd'hui de
fonderie de plomb de chasse. Cette église
renfermait, avant la Révolution, un
mausolée élevé à la mémoire du prési-
dent Duranti, massacré dans une sédi-
tion, et le tombeau d'une Toulou-
saine célèbre, la belle Paule.
Celle-ci apparut aux yeux
ravis des Toulousains lors de
l'entrée de François I'"^ Le roi
venait de prêter serment et
de jurer qu'il maintiendrait
les franchises et coutumes de
la ville, lorsqu'une troupe de
jeunes fdles, vêtues en nym-
phes, se présenta devant lui ;
à leur tête était Paule de Vi-
guier, à peine âgée de quinze
ans. Elle récita un discours
en vers, et le prince demeura
frappé d'admiration; il crut
voir le modèle de ces statues
grecques, chefs-d'œuvre de
l'antiquité, qui venaient de-
puis peu d'être découvertes
en Italie. Dans son enthou-
siasme, il l'appella la belle
Paule, et depuis lors elle ne
porta jamais d'autre nom.
Les poètes chantèrent la
jeune Toulousaine sur tous les
tons ; ils la comparèrent à
' toutes les déesses et en firent
la quatrième Grâce. Elle-même
cultiva les muses avec succès.
Voici les vers qui lei'minent
ses plaintes à l'occasion de la mort de
son premier-né :
Las ! j'ai perdu ce rosier fleury,
De mon vieux temps lorgueil et l'espérance ;
La seule mort peut donner allégeance
Au mal cruel qui mon cœur a meurtry.
Or, adieu donc, mon enfant moult chéry.
De toi toujours garderai souvenance.
La foule qui l'entourait, chaque fois
qu'elle sortait, était devenue si incom-
mode qu'elle prit le parti de se renfer-
mer dans son hôtel et de n'en jamais
sortir qu'avec un voile.
Cette résolution lit rumeur dans le
quartier des étudiants, on annonça un
mouvement séditieux, et les capilouls
menacèrent la belle Paule de la rendre
responsable de tous les résultats du
698
TOULOUSE
tumulte si elle ne se montrait pas au
moins deux fois par semaine.
L'église Saint-Sernin est certainement
le monument le plus intéressant de ceux
que Ton rencontre à Toulouse, et l'un
des plus importants de toute la région.
Bien que l'insigne basilique, pour em-
ployer l'expression habituelle, paraisse
avoir été construite d'un seul jet, et
malgré l'unité de son plan, il est assez
facile de voir qu'elle a été reprise à trois
époques différentes. Bien des fragments
de sculpture, d'un édifice primitif, ont
été utilisés au xn^ siècle et rappellent
seuls la chapelle primitive édifiée en
dehors des murailles de la ville
en l'honneur du premier apôtre
de Toulouse, saint Saturnin.
Au xiv^ siècle, la nef fut en-
tièrement reconstruite, en uti-
lisant en grande partie les
anciens matériaux ; mais les
murs des bas côtés durent res-
ter debout avec leurs portes
décorées de curieux chapiteaux
romans. L'architecte a conservé
le plan primitif, l'aspect gé-
néral de la décoration inté-
rieure ; il s'est contenté de
mettre le cachet de l'époque
dans une voûte à arête ogi-
vale. Les étages supérieurs de
la tour et la flèche furent éle-
vés alors ; mais le poids énorme
ajouté ainsi écrasa les quatre
piliers des transepts, et ils fu-
rent entourés d'un revêtement
de maçonnerie de briques.
Le chœur fut également sur-
élevé de plus de deux mètres
au-dessus du sol primitif, pour
donner place aux cryptes.
La façade est encore incom-
plète et dépare l'édifice entiè-
rement restauré, trop restauré
peut-être, par Viollet-le-Duc,
dans^ toutes ses parties.
Deux portes latérales, fort curieuses,
donnent accès dans l'intérieur de
l'église; la porte de Miègeville, située
en face de la rue du Taur, est précé-
dée d'un charmant portail isolé de la
Renaissance.
La porte elle-même est encadrée de
colonnes de marbre, surmontées de cha-
piteaux représentant des scènes de
l'histoire sainte, la frise est ornée des
figures des douze apôtres. Un bas-relief,
en marbre blanc, un Christ apparais-
sant dans sa gloire, décore le tympan ;
enfin, un bas-relief^ à gauche, repré-
sente saint Jacques, un autre, à droite,
saint Pierre.
La porte des Comtes, vulgairement
de Filleuls, s'ouvre à l'extrémité sud du
transept; elle doit son nom à une niche
HOTEL B E F E L Z I N S
voisine, reconstruite en 1774, où furent
ensevelis, dans des sépulcres pour la
plupart gallo-romains, plusieurs comtes
de Toulouse. La dignité de ces princes
TOTLOrSK
f)99
souverains ne suffisait pas à leur faire
accorder la sépulture clans Vinsic/ne ha-
silif/ue, où (les corps saints pouvaient
seuls cire conserves. La partie la plus in-
HOTEL DE F E L Z I X S
téressante de l'extérieur de lédifice est
l'abside : cinq chapelles, religieux souve-
nir des cinq plaies du Christ, se groupent
avec les quatre chapelles des transepts.
Ces chapelles cl la ligne courbe à
laquelle elles se rattachent constituent
un immense soubassement, au-dessus
duquel paraît s'élever le mur du chœur,
le chevet de l'é-
glise. Toutes ces
constructions sem-
blent s'appuyer
mutuellement,
pour servir de base
à la tour qui s'élève
au point de jonc-
tion des bras de la
croix. De cet en-
semble résulte,
ainsi que l'a fait
remarquer Méri-
mée, une disposi-
tion pyramidale
des plus heureuses
qui frappe de loin
le spectateur.
11 faut entrer
dans l'église par
la porte occiden-
tale, afin de voir
dans son ensemble
l'intérieur de l'édi-
fice, sombre et
jrrandiose et d'un
effet saisissant.
En avant du
chœur, des stalles
de la Renaissance
portent leur date,
156G; elles sont
remarquables par
leur excellent état
de conservation et
quelques détails
pleins de fantaisie;
c'est ainsi que l'une
d'elles représente
un porc assis dans
une chaire , avec
cette inscription :
Calvin le Porc.
Au-dessus du chœur s'élève un grand
baldaquin doré, élevé à chers deniers
en 1734, au lieu et place d'un mausolée
très ancien qu'a malheureusement rem-
T O U L O Lî S 1-:
placé ce mauvais spécimen de cette
oriiemeiilalion lourde, si froide et si
HOTEL DE L A 8 B 0 U 1) E S
poncive, du siècle dernier. Au-dessus
de Taulel, une niche grillée contient ce
qui reste des reliques de saint Sernin,
c'est-à-dire le crâne du martyr, sauvé
en 1794, lors de
la spoliation' de
Téglise.
Tout à côté,
l'on ne manquera"
pas de remarquei"
un admirable
Christ byzantin,
trésor inestima-
ble jadis relégué
dans les combles,
et dont bien des
parties ont été
abîmées ; chose
déplorable , car
ceci est le fait des
bonnes dévotes
de nos jours, le
Christ entier a été
doré à neuf!
Le pourtour de
labside, nommé
le Tour des corps saints, dans le lan-
gage toulousain, est l'objet d'une vé-
nération toute particulière, à cause
des nombreuses reliques qu'il contient.
Les cryptes, situées au-dessous du
monument de sainl
Sernin, s'ouvrent dans
ce même pourtour de
l'abside. De tout
temps, le reliquaire
de saint Sernin a eu
une immense renom-
mée; et c'était devant
ces grottes souter-
raines que les monar-
ques les plus puissants
venaient tour à tour
fléchir les genoux et
déposer leurs of-
frandes.
Jusqu'au siècle der-
nier, les Toulousains
associaient les corps
saints a-ux circon-
stances importantes
de leur existence. Dans les calamités
publiques notamment, ils les invo-
quaient comme les véritables protec-
teurs de la cité : Hic sunt vigiles qui
HOTEL DE r I E U U E S
cuslodiunt civitatem, dit l'inscription
gravée au-dessus de la porte d'entrée.
Mais tous ces trésors furent enlevés
TOI" I.OISK
■701
le 11 octobre 171)3, les châsses démou-
lées, et l'or et l'argent ainsi confisqués
donnèrent près de 3,000 marcs seulement.
La j)lus jj^rande partie des. ossements
sacrés furent sauvés par un relif^ieux
et plus tard réintéj,M'és dans des chasses
de bois; quelques reliquaires, lamés de
cuivre, échappèrent seuls au pillage.
Tout à côté de l'église, les bâtiments
PETIT CLOITRE D l' MUSEE
du collège Saint-Raymond, habilement
restaurés, contiennent aujourd'hui un
musée des arts décoratifs, véritable
Cluny toulousain, dans lequel M. Ros-
cach a groupé, avec infiniment de goût,
tous les objets intéressants recueillis
dans la région, soit par l'administration
municipale, soit par la société archéo-
logique.
Non loin de là s'élèvent les bâtiments
de la faculté de droit et ceux de la
faculté des lettres, constructions récentes
sans caractère. Au delà, adossée aux
bâtiments de l'arsenal, s'élève l'église
Saint -Pierre, bâtie, en 1607, par les
Chartreux; elle forme une croix par-
faite, au centre de laquelle s'élève le
maître-autel ; les adorateurs en marbre
blanc qui laccompagnent passent pour
un des meilleurs morceaux du sculpteur
François Lucas, de l'ancienne école tou-
lousaine. Dans les murs d'une vieille
consli'uction du xn'" siècle, Sainl-Pierre
des Cuisines, aujourd'hui magasin de
sellerie de l'arsenal, se trouve encastré
un tombeau byzantin des plus intéres-
sants; on croit qu'il renfermait les restes
d'une comtesse de Toulouse, fondatrice
de l'église.
L'arsenal étend ses vastes construc-
tions contre les anciens remparts et
contient un matériel de
guerre considérable.
Ipl» -] Le pont suspendu de
iJr-^ I Saint-Pierre nous con-
duira dans le faubourg
Saint-Cyprien, dévasté
par l'inondation de
J 875, mais aujourd'hui
entièrement recon-
struit, grâce aux of-
frandes considérables
envoyées de tous les
points du globe.
L'église Saint-Nico-
las est une vieille con-
struction du xni**siècle,
souvent remaniée, et
surmontée d'un clocher
en briques qui rappelle
celui de Saint-Sernin.
Le faubourg possède encore deux
grands hôpitaux : la Grave, plus spécia-
lement consacrée au.x vieillards et aux
infirmes; Saint-Jacques, aux malades et
particulièrement aux cliniques de la fa-
culté de médecine. Il existe encore un
troisième hôpital destiné aux malades de
la garnison, car celle-ci est nombreuse :
elle comprend quatre régiments.
Nous repasserons la rivière, pour
aller visiter les trois églises que nous
apercevons du pont de pierre.
Les Jacobins, ancien monastère des
Dominicains, ordre fondé à Toulouse en
1229, huit ans après la mort de saint
Doniinique. L'église fut consacrée le
20 octobre 1385, et elle peut être re-
gardée aujourd'hui comme le spécimen
le plus complet des monuments de
brique de cette époque. Elle se com-
pose d'un seul grand vaisseau, divisé
en deux nefs par une rangée de hautes
■702
TOULOUSE
colonnes posées sur Taxe du bâtiment.
Sur le flanc nord de l'église et entiè-
rement en dehors de la masse princi-
pale, s'élève un magnifique clocher qui
date de 12U4; il est octogonal dans
toute son étendue, et toute la construc-
tion est en briques, que le temps a
revêtues d'une patine superbe.
A côté de l'église, existe encore un
cloître du xn "^ siècle, sur lequel s'ouvrent
la salle du chapitre, la chapelle de
Saint-Antonin, aux curieuses peintures,
et le réfectoire. Enfin, sur la cour inté-
rieure, un immense bâtiment du siècle
dernier servait de demeure aux moines;
il contient aujourd'hui le petit collège.
L'église de la Daurade {dea aura(a),
reconstruite en 1764, a remplacé une
des plus Abeilles églises de Toulouse, qui
elle-même avait été élevée sur l'empla-
cement d'un temple romain. Aux basses
eaux, on peut voir encore les restes
du monument antique.
La Dalhade {dea alhala) est située
non loin de la Daurade, en face d'un
vieux pont qui fait communiquer l'îlot
GRAND CLOITRE DES A U G U S T 1 X S — MUSEE
deTounis avec la ville. Elle date de 1455,
époque de transition entre l'école du
xiv*^ siècle, caractérisée par la belle pro-
portion des lignes, et celle du xv^ siècle,
plus élégante dans son ornementation.
L'extérieur de l'église est remarquable
par son majestueux aspect, à la fois
élégant et sévère; mais deux parties
surtout sont dignes d'attention, le clo-
cher et le portail. Le clocher, isolé
comme celui des Jacobins, est une haute
et massive tour carrée en briques, dont
les angles sont déguisés et consolidés
par des tourelles arrondies : une flèche
élancée, également en briques, tout ré-
cemment reconstruite, surmonte le tout
et termine de la manière la plus heu-
reuse la masse du clocher. Le portail,
quoique disparate, par son style, avec
l'ensemble du monument, est une des
plus belles pages laissées par Bachelier,
cette gloire de la Renaissance toulou-
saine, complétée, il y a peu de temps,
par une grande composition en terre
émaillée, dans le goût italien et qui
s'harmonise fort bien avec l'ensemble.
L'intérieur de l'église forme une seule
nef dont la hardiesse a fait craindre
injustement pour sa solidité.
Parmi les autres monuments religieux,
et ils sont nombreux à Toulouse, nous
citerons encore la cathé-
drale de Saint-Etienne,
fondée on ne sait trop à
quelle époque ; édifice
singulier et qui a souvent
exercé la sagacité des ar-
chéologues. C'est, en ef-
fet, une œuvre multiple,
dont l'œil le moins exercé
reconnaît sans peine l'ir-
régularité originale, mais
qui ne choque pas tout
d'abord.
Un clocher de briques
s'élève à côté de la porte
principale, qui elle-même
donne sur une immense
nef, mais qui ne se
trouve pas dans l'axe du
bâtiment; de même la
rosace qui la surmonte s'éloigne de
son centre. Au bout de cette nef prin-
cipale s'ouvre une seconde église ,
placée dans la même direction, mais
sur le côté de l'axe de la première
TOl'I.OUSK
703
lll^»lfTigyiH-y:^rP^
K (> \ T A I N li
JAliniX DKS PLANTES
ù la ville
par
nef, et dune au-
tre époque (1502-
1()09).
Toulouse pos-
sède encore de
nombreuses mai-
sons particulières
de dillerentes épo-
ques el dont quel-
ques-unes sont des
plus remarqua-
bles: nous citerons
les plus intéres-
santes.
Uhûtel d'Assé-
zat a été bâti en
1555 ; tout récem-
ment il a été lé^ué
généreux Mécène,
M. Ozenne, et, complètement débarrassé
des constructions parasites qu'il conte-
nait, il servira de demeure somptueuse
aux Sociétés savantes de la cité Palla-
dienne. C'est là, sans contredit, un des
plus beaux monuments du xvi® siècle de
tout le Midi. Une cour carrée est entourée
de bâtiments qui portent trois ordres de
colonnes superposées : ionique au rez-
de-chaussée, toscan au premier étage et
corinthien au deuxième étage. A l'angle
ouest s'élève la tour de l'escalier, ter-
minée par une flèche et un clocheton.
Si l'on en croyait la tradition, l'hôtel
d'Assézat aurait été construit sur les
dessins du Primatice, par l'ordre de
François I*"' , qui l'aurait donné à sa
sœur Marguerite d'Angoulême. Il est
certain qu'il appartenait, au milieu
du xvi'' siècle, à Pierre d'Assézat, capi-
toul du quartier de la Daurade.
L'hôlel de Feizins , rue de la Dal-
bade, porte sa date dans un écusson du
portail (1556j. Celui-ci serait également
l'œuvre du sculpteur Bachelier et il est
remarquable par la pureté de son style.
Ce portail franchi, on entre dans une
cour dont le côté gauche est orné de
pilastres d'ordre dorique ; on passe
ensuite dans une seconde cour, trop
remaniée, mais qui possède encore dans
un angle une petite tourelle terminée
en cul-dc-lampe du style le plus pur.
Dans l'intérieur de l'hôtel, une che-
minée, qui est la seule partie non mo-
dernisée, est attribuée à Jean Goujon.
h' hôtel de Lushordes , place des
Carmes, est un peu plus ancien f 1515 ;
mais c'est encore l'œuvre du sculpteur
Bachelier et la meilleure de toutes celles
qu'il a laissées à Toulouse. L'intérieur de
la cour, fort bien restaurée, est surtout
remarquable par l'ornementation des
fenêtres : chacune d'elles est encadrée
par deux cariatides, « non de ces figures
roides et froides comme la pierre dans
laquelle elles sont taillées, mais de
véritables personnages qui se saluent,
qui discutent ensemble, qui nous regar-
dent passer ; il y a surtout une vieille
femme, connue de tous les habitants de
la ville, qui est une des choses les plus
belles, d'étude et d'expression, que le
ciseau ait jamais produites ».
h'hôfel Bernay, le lycée aujourd'hui,
est également un monument de cette
époque, et ici encore la cour est des
plus intéressantes; elle a été complète-
ment restaurée par l'Etat , chose bien
nécessaire, car elle tombait en ruines.
Uhôtel de Pierres, rue de la Dal-
bade, construction lourde, mais origi-
nale, a été édifié, en 1612, par Bache-
lier fils, pour François deClary, premier
président au Parlement.
Le nouveau musée de Toulouse, con-
struit par Viollet-le-Duc. s'élève au-
devant de l'ancien cloître du couvent
des Augustins.
Le petit cloître est du xvi'' siècle ; il
a été construit sur les dessins du reli-
gieux augustin Ambroise Frédeau, et
cela dans le style le plus pur.
A côté s'ouvre le grand cloître, qui
remonte au xiv" siècle. Ses longues gale-
ries, ornées de colonnes jumelles, en
ogives tréflées, le savant et poétique
aspect du cloître, avec ses arbres majes-
tueux, dont le port et le sombre feuillage
s'allient si bien avec les nobles ruines
qu'ils ombragent, forment un ensemble
saisissant que domine encore une vieille
tour de brique, aux tons chauds,
TO-i
T O U I. G L' S E
véritable reflet du soleil du Midi.
Une importante collection de sculp-
tures antiques garnit les différentes gale-
ries , et la série provenant des fouilles
de Martres est une des plus belles de
l'époque romaine, d'une grande richesse
en bustes impériaux.
La salle du réfectoire contient une col-
lection très nombreuse de chapiteaux et
de fragments de sculptures du moyen âge.
Enfin, dans les bâtiments neufs, sont
rangées les collections de sculptures et
les tableaux. L'une et l'autre contien-
nent des morceaux de grande valeur.
Mais l'on remarquera surtout les
œuvres de l'Ecole toulousaine ancienne
(siècle dernier) et actuelle. C'est là que
nos grands peintres, Paul Laurens en
tête, ont groupé leurs meilleures toiles,
et que les sculpteurs Falguière, Mercier,
Idrac et tant d'autres ont envoyé soit les
originaux, soit les copies de leurs mor-
ceaux les plus remarqués.
Tout à côté, s'élevait V Ecole des arts,
qui a donné naissance à cette pléiade
d'artistes toulousains, dont les noms
tiennent les premières places en pein-
ture et surtout en sculpture.
Aujourd'hui, l'école, transformée,
agrandie, est installée dans les bâtiments
de l'ancienne manufacture des tabacs,
quai de la Daurade. Neuf cents enfants
environ fréquentent les cours de l'école,
et les heures des leçons sont choisies de
façon à leur laisser disponible la plus
grande partie de la journée, de telle
sorte que les apprentis ne sont nulle-
ment obligés de négliger l'atelier.
Le Conservatoire de musique a cer-
tainement une réputation égale et aussi
méritée que celle de ll^cole des arts, et
les chanteurs toulousains, grâce à leurs
voix chaudes, bien timbrées, sympathi-
ques, jointes à un réel instinct musical,
maintiennent toujours leur ancienne ré-
putation.
Les promenades du Grand-Rond, du
Jardin royal et du Jardin des plantes
forment à l'extrémité sud de la ville un
ensemble toujours admiré par les voya-
geurs. Grâce au soleil du Midi, à l'abon-
dance des eaux d'arrosage , une char-
mante fraîcheur règne toujours, même
au plus fort de l'été, sous les ombrages
touffus du Grand-Rond et surtout du
Jardin des plantes. Là encore les Tou-
lousains ont mis leur cachet artistique,
et dans les massifs s'élèvent le Vain-
queur au combat de coqs de Falguière,
le David de Mercier, le Conteur arabe
de Ponsin et bien d'autres encore. Enfin,
dans le Jardin des plantes, une fon-
taine monumentale a donné l'occasion
à M.Alexandre Laporte, notre habile et
sympathique professeur de l'Ecole des
arts, de produire une œuvre à la fois
élégante et grandiose : la Garonne ouvre
la montagne pour donner passage au
fleuve et, assise à ses pieds, dans une
pose charmante, l'Ariège vient mêler ses
eaux à celles de sa sœur aînée.
Partout une population gaie, aimable
sillonne les rues, encombre les prome-
nades le dimanche, et la grisette tou-
lousaine, aux cheveux d'un noir ardent,
aux yeux pleins de charme, maintient
toujours le renom de beauté que la belle
Paule avait déjà affirmée aux siècles
passés.
Les étudiants aussi donnent à Tou-
louse une physionomie toute particu-
lière. Leurs anciens, qui rossaient le
guet quand il voulait s'opposer à leurs
ébats quelquefois excessifs, formaient
une puissance à Toulouse ; au théâtre,
ils étaientles maîtres absolus. Lorsqu'une
troupe de comédiens venait s'installer
à Toulouse, ceux-ci ne manquaient pas
de faire visite aux étudiants; comédiens
et comédiennes en costume de ville
étaient introduits dans le grand amphi-
théâtre de la Faculté, et l'un d'eux,
plus souvent l'une d'elles, débitait un
compliment aux étudiants, leur deman-
dant appui et protection.
Toulouse est encore la ville de prédi-
lection des étudiants : ils trouvent là
une population qui les regarde comme
chose lui appartenant et qu'elle soigne
avec mille attentions.
Elgi;nk T ru ta t.
LA VISITE AU CHATEAU
... Eiilin grand'mère arriva avec les
oiil'anls au parc, où M. Prochck, son
iicndre, les alleiulait déjà.
Le parc princier était ouvert à tout
le monde et n'était pourtant pas bien
éloifi^né de la \ ieille-Hlanchisserie; mais
j^rand'mère nV allait que rarement avec
les enfants, surtout si les maîtres s'y
trouvaient. Elle en admirait, il est vrai,
l"arrani;cment exquis, les magnifiques
Heurs, les arbres rares, les jets d'eau et
les poissons dorés qui se jouaient dans
le bassin; et cependant elle préférait
aller avec les enfants dans la prairie
ou dans la foret. Là du moins ils pou-
vaient se rouler à l'aise sur le moel-
leux tapis de verdure; là ils pouvaient
respirer, sentir le parfum de chaque
Heur, et en cueillir autant qu'ils vou-
laient pour en faire des bouquets et des
couronnes. Dans les champs ne crois-
saient ni orangers ni citronniers, mais
çà et là se dressait un large merisier ou
un poirier sauvage qui, dans la saison,
était couvert de fruits, et tout le monde
pouvait en cueillir à volonté. Dans la
forêt il y avait des fraises, des airelles,
des champignons, des noisettes à foison.
Dans la prairie, grand'mère rencon-
trait des personnes qui s'empressaient
de la saluer, s'arrêtaient et lui deman-
daient : « Où allez-vous donc, grand'-
mère ? Comment vous portez-vous ?
Qu'est-ce qu'on fait donc chez vous? »
l'^t tout de suite on se donnait des nou-
velles.
Mais au château, rien de semblable !
Aussi disait-elle toujours à la maison :
-' Là-bas, c'est une vraie Babylone ! »
Devant le château étaient assis deux
laquais tout galonnés, un de chaque
côté de la porte. Quand M. Prochek
s'approcha d'eux, ils le saluèrent en
allemand, chacun avec un accent diffé-
rent. L'antichambre était pavée de
dalles de marbre blanc; au milieu, il y
-iivait un billard artistement travaillé.
Le long des murs, des piédestaux de
marbre vert supportaient de blanches
statues de plâtre, représentant des per-
sonnages mythologiques. Quatre portes
donnaient accès dans les appartements
de la princesse. Devant l'une d'elles,
sur un fauteuil, était assis le valet de
chambre en frac, il dormait. C'est là
que M. Prochek conduisit grand'mère
et les enfants. Le valet de chambre, en
entendant du bruit, s'éveilla en sursaut.
Mais en apercevant M. Prochek, il sa-
lua et demanda quelle circonstance
amenait monsieur au château.
— M'"'' la princesse a désiré que ma
belle-mère vînt la voir aujourd'hui avec
les enfants, répondit M. Prochek. Je vous
prie, monsieur Léopold, de les annoncer !
M. Léopold fronça les sourcils, se-
coua les épaules en disant :
— Je ne sais si elle voudra recevoir :
elle est dans son cabinet, elle travaille.
Je vais toujours les annoncer.
Il se leva et d'un pas nonchalant
franchit le seuil de la porte près de la-
quelle il était assis. Un instant après il
ressortit, laissant la porte entr'ouverte,
et d'un air gracieux leur fit signe d'en-
trer. M. Prochek se retira, et grand'-
mère pénétra avec les enfants dans un
magnifique salon. Les enfants ne respi-
raient plus, leurs petits pieds glissaient
sur le parquet poli comme une glace.
Grand'mère se croyait dans un rêve.
Elle se demandait si elle pouvait mettre
le pied sur ces tapis brochés. « C'est
vraiment dommage », se disait-elle.
Mais que faire? Il y en avait partout,
et M. le valet de chambre y marchait
bien. Il les conduisit, à travers la salle
de concert et la bibliothèque, jusqu'au
cabinet de la princesse, puis il retourna
à son fauteuil en grommelant :
— Ces" seigneurs ont de singulières
fantaisies; comme si l'on était ici pour
servir une personne aussi commune et
des enfants 1
VIII.
706
LA VISITE AU CHATEAU
Dans le cabinet de la princesse les
tapisseries étaient vert clair, brochées
d'or; des portières tout à fait sembla-
bles pendaient à la porte. Aux parois
étaient suspendus beaucoup de tableaux,
petits et grands, qui tous étaient des
portraits. En face de la fenêtre se trou-
vait la cheminée en marbre gris, tacheté
de noir et de blanc, sur laquelle étaient
placés deux vases de porcelaine du
Japon remplis de mag'uifiques ileurs
dont le parfum embaumait tout le cabi-
net. Des deux côtés se dressaient deux
étagères en bois précieux d'un travail
exquis, sur lesquelles étaient toutes
sortes de choses remarquables, les unes
par l'art de leur exécution, les autres
par leur haute valeur ou leur prove-
nance, comme de beaux coquillages, des
coraux, des pierres, etc. C'étaient des
souvenirs de voyage et des présents de
personnes chères. Dans un angle près
de la fenêtre se dressait une statue
d'Apollon en marbre de Carrare; dans
l'autre un bureau secrétaire fort simple,
mais artistement travaillé. C'est devant
ce bureau, sur un fauteuil garni de ve-
lours vert foncé, qu'était assise la prin-
cesse, en robe blanche du matin. Elle
venait de déposer sa plume au moment
oià grand'mère et ses petits-enfants en-
traient dans son cabinet.
— Loué soit Jésus-Christ, dit grand-
mère en s'inclinant respectueusement.
— Dans l'éternité ! répondit la prin-
cesse. Sois la bienvenue, bonne vieille,
ainsi que tes enfants !
Les enfants étaient tout stupéfaits ;
mais sur un signe de grand'mère, ils
vinrent aussitôt baiser la main de ma-
dame la princesse. Elle-même les baisa
sur le front et, indiquant un magnifique
siège de velours et de brocart, à franges
d'or, elle invita grand'mère à s'asseoir.
— Merci, madame la princesse, je ne
suis pas fatiguée, dit grand'mère avec
cérémonie ; la vérité est quelle avait
peur, en s'y asseyant, que la chaise ne
glissât ainsi qu'elle-même, ou qu'elle ne
se brisât.
Mais la princesse lui ayant dit alors
positivement : « Assieds-loi, ma bonne
vieille ! » grand'mère déploya son fichu
blanc sur la chaise et s'y assit avec pré-
caution en ajoutant :
— Pour ne pas contrarier madame la
princesse !
Les enfants se tenaient immobiles
comme des cierges ; mais leurs yeux
sautaient d'un objet à l'autre ; la prin-
cesse les regarda et leur demanda en
souriant :
— Eh bien, cela vous plaît-il ici?
— Oui, firent-ils tous d'un signe de
tête.
— Quant à cela, ce serait une bien
jolie place pour s'amuser et il ne fau-
drait pas les prier beaucoup pour les
faire rester, ajouta grand'mère.
— Et toi, est-ce que tu ne te plairais
pas ici ? demanda la princesse à grand'-
mère.
— C'est aussi beau qu'au paradis ;
mais pourtant je ne voudrais pas y de-
meurer ! répondit grand'mère en hochant
la tête.
— Et pourquoi pas ? demanda la prin-
cesse avec étonnement.
— Et qu'y ferais-je ? Vous n'avez
point de ménage ici ; je n'y pourrais ni
préparer des lits de plumes, ni faire
tourner mon rouet; à quoi pourrais-je
m'occuper?
— Mais ne voudrais-tu pas y vivre-
sans tous ces soucis et y passer en paix
tes vieux jours?
— 11 viendra sans doute un peu plus
tôt, un peu plus lard, le temps où le soleil
se lèvera et se couchera sur ma tête et
où je dormirai sans soucis. Mais tant
que je vivrai et que le bon Dieu me con-
servera en bonne santé, il convient que
je travaille. Cela coûte cher d'être pa-
resseux, et cela ne sert à rien; et vivre
sans aucun souci n'est donné à personne ;
l'un a une peine et l'autre en a une-
autre; chacun porte sa croix avec cette
difïérence que chacun ne succombe pas
sous son poids, reprit grand'mère.
A ce moment, une main blanche sou-
leva la lourde portière de la porte, et,
dans l'ouverture , parut un charmant
I-A NISITl-: Ali CHATEAU
visa},'c (le ii'iiiic lillc l'iicjicli'é de boucles
châtain clair.
- Puis-je eiihcr? (iLMuanda - 1 -clic
(l'une vdix harmoiuensc.
-- l'InlrCj llorteiisc, lu Irouvcias une
aimable socic'lé, lui répoiulil la prin-
cesse.
Aussil(")t enlra dans le cabinet la com-
tesse Ilorlense, la lille adoplive de la
princesse, comme on disait. Sa taille
c-tait mince, non encore développée.
KWc portait une robe blanche très
simple; d'une main elle tenait un cha-
peau de paille rond et de l'autre un
bouquet de roses :
— Ah ! les gentils petits enfants !
s'écria-t-elle, sans doute les petits Pro-
chek dont lu m'as apporté les bonnes
fraises ?
La princesse lit un signe d'aflirmalion.
La comtesse s'inclina pour donner à
chacun des enfants une rose; elle en
donna aussi une à grand'mère, une autre
à la princesse et mit la dernière à sa
ceinture.
— C'est un bouton aussi frais que
vous, ma gracieuse demoiselle, dit
grand'mère en respirant son parfum.
Que le bon Dieu vous la conserve, ma-
dame, ajouta-t-elle en se tournant vers
la princesse.
— C'est aussi mon plus ardent désir,
dit la princesse en baisant le front pur
de sa chère enfant.
— Puis-je emmener un peu les petits
enfants avec moi? demanda la comtesse
à la princesse et à grand'mère; la prin-
cesse fit signe que oui, mais grand'mère
observa qu'ils seraient à charge à ma-
demoiselle ; les garçons étaient remuants
comme des chiens de chasse; et Jean,
c'était encore le pire de tous.
Mais Hortense en souriant leur tendil
les deux mains et leur dit :
— 'V^oulez-vous venir avec moi?
— Nous le voulons bien, répétèrent
les enfants tout joyeux en lui saisissant
les mains. Elle s'inclina devant la prin-
cesse et grand'mère et disparut avec eux
derrière la porte. La princesse alors prit
une sonnette d'argent placée sur la table
cl sotuia; un instant après apparaissait
à la porte le valet de chambre Léopold.
La princesse lui ordonna de faire servir
le (léjeiiner dans le [)elit salon et lui
remit un paquet de lettres à expédier à
leur adresse. Léopold s'inclina et dis-
parut.
Peudaul que la princesse parlait au
valet de chambre, grand'mère examinait
les portraits suspendus tout autour de
la salle.
— Mon bon seigneur Dieu ! fît-elle
dès que le valet de chambre fut sorti,
quels drôles de costumes et de visages!
Cette dame-là est habillée justement
comme défunte Halachkova, Dieu lui
donne le ciel! Elle portait aussi de hauts
talons, des jupes bouffantes si serrées à
taille qu'elle semblait coupée et sur sa
tête un bonnet à aigrette. Son mari était
conseiller à Dobrouchka, et quand nous
y allions quelquefois à la fête, nous les
voyions à l'église. Nos garçons l'appe-
laient « Poupée pavot », parce que ses
robes et sa tête poudrée la faisaient res-
sembler à une fleur de pavot aux pé-
tales recourbés. On disait que c'était
la mode française.
— Cette dame, c'est ma grand'mère,
dit la princesse.
— Eh bien! pourquoi pas? c'est une
belle dame, répondit grand'mère.
— A droite, c'est mon grand-père;
à gauche, mon père, continua la prin-
cesse en les montrant.
— Beaux hommes! madame la prin-
cesse ne reniera pas son père. Et où est
madame sa mère?
— Voici ma mère et ma scxîur, dit la
princesse en montrant deux portraits
placés au-dessus de son bureau.
— Deux belles personnes : on a du
plaisir à les regarder, ajouta grand'mère,
mais la jeune sœur ne ressemble ni à
son père ni à sa mère; il arrive quel-
quefois que les enfants ressemblent à
un de leurs ancêtres, Dieu sait à quel
degré. Ah! ce jeune homme ne m'est
pas inconnu, mais je ne puis pas me
rappeler où je l'ai vu.
— C'est l'empereur de Russie Alexan-
708
LA VISITK AU CHATEAU
dre, se hâla de répondre la princesse,
lu ne l'as pas connu !
— Mais si, comment ne l'aurais-je
pas remarqué : je me trouvai à peine à
vingt pas de lui. Celait un bel homme,
seulement ici il est plus jeune; mais
pourtant je lai bien reconnu. Lui et
l'empereur Joseph, cela faisait vraiment
une belle paire !
La princesse montra sur la paroi op-
posée un buste de grandeur naturelle.
— L'empereur Joseph ! s'écria grand'-
mère en frappant dans ses mains.
Mais voyez donc un peu comme vous
les avez ici tous ensemble ! Je ne pen-
sais guère voir l'empereur Joseph au-
jourd'hui. Dieu lui donne la gloire éter-
nelle ! C'était un bon seigneur, surtout
pour le pauvre peuple ! Cet écu d'ar-
gent, c'est lui qui me l'a donné de sa
propre main, dit grand'mère en tirant
l'écu de son sein.
Madame la princesse aimait la fran-
chise de grand'mère et ses reparties si
justes; elle lui demanda de lui raconter
quand et comment l'empereur lui avait
donné cette pièce d'argent. Grand'mère
ne se fit pas prier et raconta à la prin-
cesse ce que nous venons de lui en-
tendre dire au moulin. La princesse rit
de bon cœur à ce récit. Grand'mère, con-
tinuant ensuite son examen de la chambre,
aperçut le portrait du roi Frédéric.
— Ah ! c'est le roi de Prusse, fit-elle,
j'ai bien connu aussi ce potentat. Mon
défunt Jirji a servi dans l'armée prus-
sienne, et moi j'ai passé quinze ans en
Silésie. 11 a plus d'une fois fait sortir
Jirji des rangs pour le récompenser. 11
aimait les hommes grands ; et mon Jirji
était le plus grand de tout le régiment
et svelte comme une jeune fille. Je n'au-
rais jamais cru que je le verrais un jour
dans la tombe; un homme comme lui,
solide comme le roc; et il est déjà de-
puis longtemps dans l'éternité et moi, je
suis encore ici! soupira la pauvre vieille
et une larme coula sur sa joue ridée.
— Est-ce à la guerre qu'est tombé ton
mari? demanda la princesse.
— Pas positivement, mais c'est des
suites d'un coup de feu qu'il est mort.
Quand éclata l'insurrection en Pologne
et que le roi de Prusse s'y joignit aux
Russes, notre régiment s'y trouvait. J'y
suivis mon mari avec mes enfants; j'en
avais deux et le troisième naquit pen-
dant cette campagne. C'est ma fîlle
Jeanne, celle qui est maintenant à
Vienne et cest peut-être pour cela qu'elle
est si courageuse; car dès sa naissance,
elle dut s'habituer à tout comme un
soldat. Ce fut une campagne bien mal-
heureuse. Au premier choc, ils me rap-
portèrent Jirji au camp sur une civière.
Un boulet lui avait brisé la jambe. —
Ils la lui coupèrent. Je le soignai du
mieux que je pus. Quand il fut un peu
rétabli, ils le renvoyèrent à Nisse. J'étais
contente en pensant qu'il allait être
guéri , que, puisqu'il était estropié, ils
n'en voudraient plus et que nous pour-
rions retourner en Bohême. Mais mon
espérance fut bien déçue. Il commença
tout d'un coup à s'affaiblir, et ni remède
ni secours n'y firent; il lui fallut mourir.
Je donnai jusqu'à mon dernier gros
pour les médicaments et tout cela ne
servit à rien. Je crus bien cette fois que
je perdrais la raison, que mon cœur se
fendrait de chagrin. Mais l'homme peut
supporter bien des choses, madame la
princesse ! Il me restait trois orphelins;
d'argent pas un denier, et seulement
quelques haillons. Dans ce même régi-
ment où Jirji servait, il y avait un ser-
gent nommé Lehotsky, le meilleur ami
de Jirji; il s'occupa de moi et dès que
je lui eus dit que je pouvais faire des
couvertures, il me procura un métier à
tisser et toutes les autres choses dont
j'avais besoin pour cela. Que Dieu l'en
récompense ! Cela me vint bien à point,
ce que dans ma jeunesse j'avais appris
de feu ma belle-mère. Mon travail se
vendait bien; et bientôt je pus payer
ma dette à Lehotsky et même vivre con-
venablement avec mes enfants. Je dois
dire qu'il y avait de braves gens dans
cette ville, mais pourtant je m'y en-
nuyais à mourir. Depuis le moment où
Jirji n'était plus, je m'y sentais aussi
LA VISITK
AU CHATEAU
709«
abandonnée, aussi isolée qu un poirier
au milieu d'un champ. Il me semblait
que je serais mieux dans mon pays qu'au
milieu d'étrangers et je m'en ouvris à
Lehotsky. Mais il m'en dissuada en
m'assurant que je recevrais certainement
une pension et que le roi prendrait soin
de mes enfants. Je lui en sus gré; mais
je n'en restai pas moins résolue à re-
tourner dans mon pays. — Une chose
aussi qui me contrariait, c'étaiila langue
allemande. Tant que nous fûmes à Kladsk
(Glatz', cela allait ; là j'étais comme chez
nous, car on y parlait plus tchèque
qu'allemand ; mais à Nisse déjà l'alle-
mand prédominait et jamais je n'ai pu
apprendre la langue allemande. — A
peine étais-je un peu hors d'embarras
qu'une inondation survint. C'est un'mé-
chant élément que l'eau quand il est
;io
LA VISITE AU CHATEAU
déchaîné et qu'on ne peut Téviter même
à cheval. Ce fut si rapide que les gens
ne purent sauver leur vie qu'à grand'-
peine. Je rassemblai en toute hâte ce
que j'avais de plus précieux, mis le pa-
quet sur mon dos, pris mon plus jeune
enfant sous mon bras, les deux autres
par la main et ainsi je me sauvai avec
eux ayant déjà de l'eau jusqu'à la che-
ville. Lehotsky accourut à notre secours
et nous porta dans la ville haute où de
bonnes gens nous reçurent sous leur
toit. On sut bientôt dans la ville que
j'avais perdu à peu près tout et aussitôt
de braves gens se hâtèrent de me venir
en aide. Le général lui-même me fit
appeler et me dit que je recevi^ais cha-
que année quelques thalers et une occu-
pation fixe par la faveur du roi; que
mon garçon entrerait dans un Institut
militaire et mes filles dans l'Institut
royal pour les jeunes filles. Cela ne me
causa pas la moindre joie et je le priai
de me donner quelques florins, s'il vou-
lait me faiix une faveur pour que je
pusse retourner chez moi en Bohême.
Quant à mes enfants, je ne voulais pas
m'en séparer, afin de les élever dans ma
religion et dans ma langue. Mais c'est
ce qu'ils ne voulaient pas et on me dit
que si je ne restais pas, je n'obtiendrais
rien. « Rien, eh bien! va pour rien; le
bon Dieu ne nous laissera pas mourir
de faim ! » pensai-je et je remerciai le
roi de toutes ses faveurs.
— Il me semble pourtant que tes en-
fants y auraient trouvé un avenir assuré,
objecta la princesse.
— C'est bien possible, madame la
princesse; mais ils me seraient devenus
étrangers. Qui là-bas leur aurait appris
à aimer leur patrie et leur langue ma-
ternelle ? — Personne. Ils auraient
adopté une langue étrangère, des mœurs
étrangères et finalement ils auraient en-
tièrement oublié leur origine. Comment
aurais-je pu prendre la responsabilité
de tout cela devant Dieu? — Non, non,
celui qui a dans, les veines du sang
tchèque doit rester fidèle à la langue
tchèque ! — Je demandai l'autorisation
de partir ; et après avoir rassemblé les
quelques hardes qui me restaient, j'em-
menai mes enfanls et je dis adieu à cette
ville où j'avais passé tant de jours, les
uns amei's et les autres heureux. Les
ménagères chargèrent les enfants de
gâteaux et me donnèrent quelques tha-
lers pour le voyage. Que le bon Dieu
rende aux enfants de ces braves gens
tout le bien qu'ils m'ont fait ! Le pauvre
Lehotsky m'accompagna une bonne lieue
en portant ma petite Joanka. Il était
attristé de mon départ; car notre mai-
son, c'était sa Prague, à lui ! Nous pleu-
râmes tous deux en nous disant adieu.
Tant qu'il fut à Nisse, il allait sur la
tombe de Jirji dire un Notre-Père : ils
s'étaient aimés tous deux comme deux
frères. Il périt dans la campagne de
France. Que le bon Dieu lui donne le
repos éternel !
— Et comment es-tu revenue avec les
enfants en Bohême? lui demanda encore
la princesse.
— Oh ! madame, j'ai beaucoup souf-
fert en route. Je ne connaissais pas le
chemin : je m'égarai et perdis ainsi beau-
coup de temps. Nous avions les pieds
couverts d'ampoules sanglantes, les en-
fants et moi; et nous pleurâmes souvent
de faim, de fatigue et de douleur quand
nous étions longtemps sans pouvoir
trouver un toit hospitalier. Heureuse-
ment j'arrivai avec eux dans la monta-
gne de Kladsk où je me sentis déjà
comme chez moi. Je suis originaire
d'Oleschnits près de la frontière de Silé-
sie, mais peut-être madame la princesse
ne sait-elle pas où est Oleschnits. Au
fur et à mesure que j'appi'ochais de la
maison paternelle, je sentais mon cœur
se serrer comme sous le poids d'une
lourde peine. Je me demandais si mes
parents étaient encore en vie et com-
ment ils me recevraient. Ils m'avaient
donné une belle dot et voilà que je re-
venais les mains vides et amenais avec
moi trois orphelins ! Que vont-ils me
dire? Ces pensées me trottaient dans la
tête tout le long du chemin. Et puis
aussi je craignais que de tristes change-
I.A NISITK AT CIIATICAU
:ii
nienls ne fussent siirveiius pciulanl ces
deux années peiulaiil lesquelles je n'a-
vais eu d'eux aucunes nouvelles.
— VA ne leur avie/.-vous donc jamais
écrit, ton mari du moins, sinon toi ?
demanda la princesse étonnée.
— - Ce n'est pas
l'usage che/ nous
d'envoyer des
lettres. Nous
de notre village, qui étaient bien loin au
delà des frontières; c'étaient des lettres
(le leurs parents qui désiraient savoir
s'ils étaient en vie ou
non, ou bien qui leur
envoyaient
quelques flo-
rins. Mais
Jg^âi^^
pensons les uns aux autres; et par occa-
sion, quand on rencontre un visage
connu, on se fait savoir comment cela
va chez soi. Des feuilles de papier ! —
On ne sait entre quelles mains elles tom-
bent ni où elles vont. Mon père a écrit
quelquefois des lettres aux soldats natifs
lorsqu'ils étaient de retour, ils
disaient toujours qu'ils n'avaient
rien reçu. Et c'est comme ça,
madame la princesse, quand arrive une
lettre d'un homme du commun, on n'y
fait aucune attention.
— Ne va pas penser cela , ma bonne
vieille! lui dit la princesse en l'inter-
rompant, toute lettre, quelle que soit la
personne qui l'envoie, doit être remise
712
LA VISITE AU CHATEAU
en propres mains à celui à qui elle est
adressée. Aucune autre personne ne
peut ni la retenir, ni l'ouvrir : on en-
courrait par là une grande punition.
— C'est une chose bien juste, cela;
et je crois M""® la princesse ; mais à
quoi bon tout cela, puisque nous avons
plus confiance dans un brave homme?
Sur un de ces morceaux de papier on
ne peut pas tout de même écrire entiè-
rement tout ; on voudrait bien encore
demander cecij puis cela ; et on ne le
peut pas; mais quand arrivent soit un
colporteur, soi t quelque pèlerin de là-bas,
ceux-ci rapportent fidèlement tout, mot
pour mot. Et ainsi j'aurais eu des miens
beaucoup plus de nouvelles ; mais il y
avait des troubles dans la contrée et bien
peu de monde allait et venait. La nuit
allait tomber quand j'arrivai avec mes
enfants au village. C'était en été; et je
savais que c'était l'heure où ils sou-
paient. J'entrai par derrière à travers le
verger pour ne rencontrer personne.
Mais de notre ferme, les chiens accou-
rurent en aboyant après nous. Je les
appelai. par leurs noms, mais ils aboyè-
rent encore plus fort. Les larmes me
tombèrent des yeux, tant j'avais le cœur
gros ! Sotte que j'étais, je ne pensai
point qu'il y avait déjà quinze ans que
j'étais partie de la maison, et que ce
n'étaient plus les mêmes chiens à qui
j'apportais autrefois leur nourriture.
Dans le jardin, on avait planté beau-
coup de jeunes arbres ; la haie avait été
renouvelée; le toit de la grange refait;
mais Te poirier sous lequel je venais
m'asseoir avec Jirji avait été touché
par l'envoyé de Dieu (la foudre) et sa
cime avait été brisée. A la chaumière
voisine, rien n'avait changé ; mon père,
qui l'avait prise en viager, l'habitait de-
puis la mort delà Novotna. C'était cette
Novolna qui faisait des couvertures de
laine, et feu mon pauvre mari était son
fils. Près de la chaumière, il y avait un
petit jardin ; la défunte y avait toujours
un carré de persil et d'oignons, quelques
touffes de menthe crépue, de la sauge
et de ces autres choses dont on a besoin
dans un ménage; car elle aussi, elle
aimait les simples tout autant que moi.
Jirji lui avait fait une haie de baguettes
entrelacées autour du jardinet. C'était
bien encore la même haie ; mais le jardin
était couvert d'herbe ; c'est à peine sil
y avait çà et là quelques oignons. De la
niche sortit un vieux chien à moitié
aveugle. Khloupatchk (poilu), me re-
connais-tu? lui criai-je et aussitôt il
vint se frotter à mes pieds. Je crus que
mon cœur allait éclater dans ma poi-
trine, en voyant celle face muette me
reconnaître et m'accueillir ainsi. Les
enfants étaient tout étonnés de me voir
pleurer; car je ne leur avais pas dit que
nous allions chez leur grand'mère; je
pensais en moi-même : s'ils sont fâchés
contre moi, au moins les enfants ne le
sauront pas. Gaspard, l'aîné, me dit :
« Pourquoi pleures-tu, maman? est-ce que
nous ne trouverons pas à coucher ici ?
Assieds-toi et repose-toi ; nous attendrons
un peu et moi je le porterai ton paquet :
nous n'avons pas faim. » Johanka
et Térezka affirmèrent aussi qu'elles
n'avaient pas faim; ils avaient pourtant
bien faim, car nous avions marché plu-
sieurs heures à travers bois sans ren-
contrer aucune habitation, a Mes enfants,
leur dis-je alors, c'est ici, dans cette
habitation, que naquit votre père, et
c'est là, à côté, que votre mère est née ;
et c'est là que demeurent votre grand-
père et votre grand'mère. Remercions
le bon Dieu, qui nous a heureusement
conduits jusqu'ici et prions-le qui!
veuille nous y ménager un accueil pa-
ternel ! » Nous récitâmes ensemble le
Notre-Père ; ensuite je m'avançai près
de la porte de la chaumière. Mon père
et ma mère habitaient la réserve; mon
frère avait le bien, je savais tout cela.
A la porte était encore l'image que Jirji
avait apportée de Vamberjits à sa mère :
c'étaient la sainte Vierge et les quatorze
aides. Il me tomba du cœur comme une
pierre en la voyant. « C'est vous qui
m'avez vue partir, et c'est vous qui
m'avez ramenée », pensai-je; et, pleine
de confiance, j'entrai dans la chambre.
LA VISITK AT Cil A TK AU
TU-
Mon père, ni.'i inèrc fl lii vieille Biclka
élaienL à table; ils manj;o;iicnl dans une
même soupière; c'élail une ;uil(/ilia
(bouillie au lailj, et je m'en souviens
comme si c'était aujourd'luii. — Loué
soit Jésus-(]lirisl ! dis-je en saluant. —
Dans lélernité, répoiulirent-ils. — ,Ie
vous prie, maître, de vouloir nous
donner à coucher, à moi et à mes en-
fants. Nous venons de loin ; nous avons
faim et sommes fatigués », ajoutai-je,
mais ma voix commençait à trembler.
Ils ne me reconnaissaient pas, car il fai-
sait déjà obscur dans la salle. « Mettez
de côté votre paquet et prenez place à
table ! » me dit le père en posant sa
cuiller. — Bietka, dit en même temps
ma mère, va faire chauffer encore un
peu de soupe. En attendant asseyez-
vous, la mère, coupez-vous du pain et
donnez-en aux enfants ! Ensuite on vous
fera un lit au g^renier. D'où venez-vous
donc? — De Silésie, de Nisse, répon-
dis-je. — Tiens ! c'est là qu'est notre
Madeleine, dit mon père. — Dites-moi,
je vous prie, bonne femme, vous n'en
avez pas entendu parler? demanda ma
mère en se rapprochant de moi, Made-
leine Novotna, son mari est soldat. C'est
notre fille, et, depuis deux ans déjà,
nous ne savons pas ce qu'elle est de-
venue. Moi, je fais toujours de mauvais
rêves; dernièrement j'ai rêvé qu'il me
tombait une dent, et cela me fit bien
mal ; depuis je ne fais que penser à ma
fille et aux enfants ; je me dis que peut-
être il est arrivé quelque chose à Jirji,
depuis qu'il y a continuellement des ba-
tailles. Dieu seul sait pourquoi ces
j;ens-là ne préfèrent pas le repos! » Je
pleurais, mais les enfants, en entendant
cette vieille femme parler ainsi, me
tirèrent par la robe et demandèrent :
«' Maman, est-ce là notre grandmère et
notre^ ;^a'and-père? » A ces mots, ma
mère me reconnut tout de suite et se
jeta à mon cou ; mon père prit les en-
fants dans ses bras et nous nous mîmes
alors à raconter tout ce qui s'était passé.
Bietka courut chez mon frère et ma
sœur, mon beau-frère et ma belle-sœur;
el, en (pielques instants, tout le village
fut rassemblé. Ce n'étaient pas seule-
ment mes parents et mes camarades,
c'était un chacun qui venait me féliciter
de mon retour connue si j'avais été sa
propre sœur. <« Tu as bien fait de re-
venir chez nous avec tes enfants, dit
mon père, c'est vrai que c'est partout la
terre du bon Dieu ; mais chacun préfère
son pays à tout ; et nous, nous préférons
le nôtre, et c'est ainsi que cela doit être.
Tant que le bon Dieu nous donnera du
pain, tu ne seras ni toi, ni tes enfants,
dans le besoin, quand même tu ne pour-
rais pas travailler. Tout le reste, tout ce
qui t'est arrivé, c'était une lourde peine :
mais il faut mettre tout cela tout en
haut, sur la planche! Ne l'oublie pas,
c'est à celui que le bon Dieu aime, qu'il
envoie une croix à porter. » C'est ainsi
que je fus reçue au milieu d'eux comme
leur enfant. Mon frère voulait me céder
une chambre, mais je préférai rester
avec mes parents dans la chaumière où
Jirji avait vécu. Les enfants s'y trou-
vèrent comme chez eux et les parents
les aimaient bien. Je les envoyais assi-
dûment à l'école. Dans ma jeunesse, une
fille n'apprenait pas à écrire; c'était
assez pour elle qu'elle sût un peu lire et
encore n'y avait-il que celles de la ville.
Et c'est pourtant dommage, c'est même
un péché pour celui qui a reçu le don
du Saint-Esprit, de le laisser impro-
ductif. Mais, si l'on n'en a pas l'occasion,
que peut-on faire seul? Mon pauvre
mari, c'en était un qui savait tout; il se
connaissait dans les écritures; bref, il
eût été à sa place sur une charrette
comme en calèche. Et cela est bien : si
seulement tout le monde était comme
cela ! Je fis des couvertures, comme au-
paravant, et j'en tirais de jolis gros. Les
temps étaient bien mauvais alors : les
guerres, les maladies, la famine plus
qu'on n'en voulait. Le boisseau de seigle
coûtait cent florins en papier. C'est assez
dire ! — Mais le bon Dieu nous a pro-
tégés, car nous avons tout supporté tant
bien que mal. La misère était telle que
des gens allaient de tous côtés, l'argent
714
LA VlSITl': AU CHATEAU
à la main, et ils ne pouvaient rien
acheter. Notre père, c'était un homme
<'omme on n'en trouve plus; toute sa
vie il a aidé chacun où et comme il le
pouvait; aussi c'est près de lui que
chacun venait cpiand on ne savait plus
où aller. Quand nos voisins plus pauvres
venaient lui dire : » Cédez-nous un bois-
seau de seigle, nous n'avons ni pain, ni
grain », il répondait : « Tant que j'en
ai, j'en donne volontiers; quand je n'en
aurai plus, un autre en donnera » et
aussitôt il fallait que ma mère mît du
qrain dans le sac. Mais il n'acceptait pas
dar'^'-ent, oh! cela, non ! « Nous sommes
voisins, disait-il, et si nous ne nous
aidons pas l'un l'autre, qui viendra à
notre secours? Quand le bon Dieu bé-
nira vos récoltes, vous me rendrez du
grain et nous serons quittes. » Et cela se
passait ainsi. Aussi mon père recevait-il
des milliers de : <i Dieu vous le rende » ;
et si dans la journée il n'était pas venu
un seul mendiant, ma mère serait allée
jusqu'à la croisée des chemins voir s'il
j en avait; c'était son bonheur. Pour-
quoi aussi n'auraient-ils pas aidé les
autres? Nous avions de quoi nous rassa-
sier et nous vêtir, pourquoi n'aurions-
nous pas donné aux autres de notre su-
perflu? Il n'y a pas à cela un bien grand
mérite; ce n'est que le simple devoir du
chrétien. Mais celui qui ôte de sa
]:)Ouche pour donner, voilà qui est vrai-
ment de la vertu. Pourtant, pour nous
aussi, cela alla si loin que nous ne fai-
sions plus qu'un i^epas par jour, pour
que les autres pussent aussi avoir à
manger. Eh bien, nous avons tout de
même passé ces mauvais temps, et de
nouveau le soleil a lui. La paix revint
sur la terre, et tout alla de mieux en
mieux. Quand Gaspar quitta l'école, il
voulut apprendre à tisser ; et je ne l'en
détournai pas. Tout artisan est son
maître. Pour finir son apprentissage, il
dut nous quitter et aller ailleurs. Jirji
disait toujours qu'un artisan qui tourne
autour du poêle et des jupes de sa mère
ne vaut pas un radis. Au bout de quel-
ques années, il revint, s'établit à Do-
brouchka où ses affaires vont bien. Les
fdles, je les formai à tous les travaux
du ménage, pour qu'elles pussent con-
venablement entrer en service; mais
voici que vint à notre village une de
mes cousines de Vienne, Térezka lui
plut et tout de suite elle désira l'em-
mener avec elle et prendre soin de son
avenir. Cela me fut assez pénible; mais
je pensai qu'il ne serait pas bien de
mettre obstacle à son bonheur, si elle
voulait aller voir le monde. Et puis
Dorotka est une brave femme; ils ont
une maison comme il faut à Vienne et
pas d'enfants. Elle eut soin de Térezka,
comme si elle eût été sa mère et lui
donna un beau trousseau quand elle se
maria. J'étais bien un peu contrariée
que ma fille eût pris un Allemand, mais
maintenant je n'y pense plus. Jean est
un homme fort bon et intelligent; et, à
présent, nous nous comprenons déjà
bien. Et puis, les petits enfants, ils sont
à moi. A la place de Térezka, Johanka
est partie pour Vienne. Elle s'y plaît et
s'y trouve bien, à ce qu'on m'a dit.
Toute celte jeunesse a maintenant
d'autres idées ; pour moi, je n'aurais
jamais voulu de ma vie quitter la maison
surtout pour aller au milieu d'étrangers.
Quelques années plus tard, mes parents
moururent, à six semaines d'intervalle.
Ils s'étaient préparé un doux lit de repos
et doucement ils s'y sont endormis. Que
le bon Dieu leur donne la gloire éter-
nelle!
— Et tu ne t'es pas ennuyée après tes
enfants lorsqu'ils t'eurent quittée tous
les trois? demanda la princesse.
— Ah ! madame la princesse, le sang
n'est pas de l'eau. J'ai pleuré bien des
fois, mais je n'en ai rien dit aux enfants
pour ne pas troubler leur bonheur. El
puis je n'ai jamais été seule; les enfants,
ça ne cesse de naître et ainsi l'on a tou-
jours à s'en occuper. Quand je voyais,
chez les voisins, les berceaux s'agiter et
la l)Ouillie se faire, il me semblait que
c'étaient encore les miens. Quand on a
bon cœur pour les autres, ceux-ci vous
ont aussi en affection. — Ils m'ont assez
LA VIS1T1-: AU CHATKAr
priée daller à \'iennc :
eh I oui, je sais bien
que j'y aurais trouvé de bonnes gens
comme ailleurs et que j'y serais bien
traitée ; mais il y a un bon bout de
chemin d'ici-là et quand on est vieux,
on n'est plus en état de voyaji^er. Et puis
il se pourrait que le bon Dieu se souvînt
W rV^^^
de moi et mon plus cher
désir est que mon corps
l'epose dans la terre natale. — Mais,
madame la princesse, voilà que je vous
raconte tout cela comme si nous étions
entre fileuses à la veillée; excusez ma
716
LA VISITE AU CHATEAU
familiarilé ! ajouta grancrmère en termi-
nant son récit et en se levant de sa
chaise.
— Ton récit, ma bonne vieille, m'a
été bien agréable et tu ne sais pas comme
je t'en suis reconnaissante, lui dit la
princesse en posant la main sur l'épaule
de grand'mère. Mais, maintenant, viens
avec moi déjeuner! Je pense que les
enfants aussi auront gagné de l'appétit.
Et, ce disant, elle conduisit grand'mère
de sa chambre dans le salon où étaient
servis du café, du chocolat et diverses
friandises. Le valet de chambre était là,
attentif au moindre signe ; sur l'ordre
de la princesse , il courut prévenir la
comtesse et les enfants. Quelques in-
stants après, ils arrivaient, la comtesse
courant avec eux comme une enfant.
— 'V^oyez donc, grand'mère, ce que
M"" Hortense nous a donné ! s'écrièrent-
ils tous à la fois en montrant divers pe-
tits cadeaux précieux.
— Vraiment, depuis que je suis au
monde, je n'ai rien vu de pareil ; mais
avez-vous au moins bien dit merci ?
■ Les enfants répondirent que oui.
— Mais que dira Mantchinka lors-
qu'elle verra cela, et Tsilka et Vaslav?
— Qui donc est cette Mantchinka, et
Tsilka et Vaslav? demanda la princesse
qui aimait à tout savoir depuis A jus-
qu'à Z.
— Je vais te le dire, chère princesse,
les enfants me l'ont appris, se hâta de
dire la comtesse. — Mantchinka est la
iille du meunier; Tsilka et Vaslav sont
les enfants d'un certain joueur de vielle
qui en a encore quatre. Barounka m'a
raconté qu'ils mangent des chats, des
écureuils, des corbeaux, qu'ils n'ont pas
de quoi vivre, ni de quoi se vêtir, et
que tout le monde s'en écarte.
— Est-ce parce qu'ils sont pauvres,
demanda la princesse, ou parce qu'ils
riiangent des chats et des écureuils?
— C'est pour cela, affirma grand'mère.
— Eh ! mais les écureuils ne sont pas
mauvais à manger; moi-même j'en ai
goûté, reprit la princesse.
■ — Oh! oui, madame la princesse.
mais autre chose est de manger une
chose par pur plaisir ou parce qu'on a
faim. Le joueur de vielle a reçu de Dieu
un bon estomac ; les enfants, cela va de
soi, ont bon appétit; et, pour suffire à
tout cela, il n'a que sa musique. C'est
une chose bien difficile : pas grand-
chose sur soi, pas grand'chose en soi
et à la maison pas plus que dans ma
main.
Tout en conversant , la princesse
s'était mise à table ; Hortense plaça les
enfants près d'elle et grand'mère fut
aussi obligée de s'asseoir. La comtesse
voulut lui verser du café ou du choco-
lat ; mais grand'mère remercia, disant
qu'elle ne prenait ni café, ni autre chose.
— Et de quoi déjeunes-tu? demanda
la princesse.
— Depuis mon enfance, je suis habi-
tuée à manger de la soupe, le plus sou-
vent aigre; c'est une coutume à laquelle
nous tenons beaucoup dans les mon-
tagnes. De la soupe aigre et des pommes
de terre à déjeuner; pour dîner, des
pommes de terre et de la soupe aigre,
et, pour souper, la même ritournelle; le
dimanche, un morceau de pain d'avoine.
Voilà la nourriture des pauvres gens des
monts des Géants d'un bout de l'année à
l'autre, et ils remercient le bon Dieu
quand ils n'en manquent pas; mais il
arrive souvent qu'ils n'ont pas même du
son à manger. Plus loin, dans la plaine,
on a déjà un peu de pois, de la farine
plus blanche , des choux et d'autres
choses, même un morceau de viande de
temps en temps; c'est déjà l'abondance !
Mais une nourriture de seigneurs ne
convient pas à un homme du commun :
il tomberait vite dans la misère. Aussi
bien toutes ces friandises ne lui donne-
raient que peu de forces.
— Tu te trompes, ma bonne vieille,
cette nourriture est très fortifiante ; et
si vos gens avaient tous les jours un
morceau de viande et une bonne bois-
son, cela leur donnerait beaucoup plus
de forces que toute la nourriture qu'ils
absorbent pendant toute la journée, re-
partit la princesse.
LA X'ISITK AT Cil A TK AU
717
— - Voyez- VOUS , comme on apprend
toujours quelque chose ; j'avais tou-
jours pensé que les grands seigneurs
PO sont ordinairemcnl si pâles et sou-
\eiil si maigres que parce qu'ils nian-
genl de ces friandises qui no dmi-
nent pas de forces.
La princesse sourit sans rien ré-
pondre, mais elle présenta à grand'-
mère un petit verre
d'un vin doux en lui
disant :
— Bois, ma bonne
vieille, cela te fera
du bien à l'estomac.
Grand'mère leva
son verre et dit :
— A la santé de
madame la princesse.
Elle but quelques
gouttes et prit aussi
un petit morceau de
pâtisserie pour ne
pas manquer aux
égards dus à l'hospi-
talité.
Barounka, qui
était assise près de
grand'mère, lui
fourra quelque chose
dans la poche en lui
chuchotant :
— Gardez cela; c'est de l'argent;
mademoiselle me l'a donné pour les
Kouderna, et j'ai peur de le perdre.
M"'*' la princesse avait entendu ce que
Barounka avait chuchoté et ses yeux
se portèrent avec une expression indi-
cible de bonheur sur le beau visage de
la comtesse. Grand'mère ne put tenir
sa joie renfermée dans son c(i;ur et
d'une voix émue elle dit :
— Que le bon Dieu vous en récom-
pense, mademoiselle !
La comtesse rougit et menaça du
doigt Barounka, qui rougit de son
côté.
— Comme ils seront contents ! dit
grand'mère ; à présent, ils pourront se
vêtir !
— Et nous y ajouterons quelque chose
pour leur venir encore aulroment en
aide, ajouta la princesse.
— Vous ferez une bonne action, ma-
dame la princesse, en leur venant en
aide autrement que par des aumônes!
dit grand'mère.
.^ — Eh ! com mon l
alors? demanda la
princesse.
— Ce serait
en procurant à
Kouderna,
l;mt (juil se
conduirait bien, du travail assuré, et je
pense que ce serait pour toujours, car
il est honnête et laborieux. Que Dieu
vous récompense pour tout ce que
vous voudrez faire ; mais les aumônes,
madame la princesse, chez ces gens-là,
ça ne les aide qu'en passant. Ils achè-
tent ceci, puis cela; quelquefois même
des choses dont ils n'ont pas besoin,
tant qu'ils ont de l'argent en main ;
quand ils l'ont mangé et dissipé, ils se
retrouvent dans la même gêne qu'au-
paravant et ils n'osent revenir deman-
der. Mais lui assurer son pain quotidien,
ce serait vraiment lui venir en aide,
et madame la princesse aussi y gagne-
rait un ouvrier laborieux et un fidèle
serviteur, sans compter que madame la
princesse aurait fait une bonne œuvre.
718
LA VISITE AU CHATEAU
— Tu as raison, ma bonne vieille,
mais quel travail puis-je lui faire l'aire,
à ce musicien ?
— Ah ! madame la princesse, ça n'est
pas difficile à trouver. Je sais qu'il serait
content d'être garde ou maître grang-ier.
Et quand il irait dans les champs, il
pourrait prendre sa vielle avec lui;
maintenant, même quand il va dans les
champs, il joue en chemin pour s'amu-
ser. C'est un joyeux compagnon, ajouta
grand'mère en souriant.
— Eh bien, nous aurons soin de lui,
dit la princesse.
— 0 ma chère et bien-aimée prin-
cesse ! s'écria la comtesse en se levant
pour aller baiser sa belle main.
— Ce n'est qu'auprès des gens de
bien que sont les anges, dit grand'mère
en regardant la princesse et sa fille adop-
tive.
La princesse resta quelques instants
silencieuse, puis elle dit à mi-voix :
— Dieu me l'a donnée et je ne ces-
serai de l'en remercier.
Et continuant plus haut :
— Si j'avais un ami comme toi qui
me dît toujours franchement la vérité
et me parlât avec autant de sincérité
que toi, ma bonne vieille, comme je se-
rais satisfaite !
— Ah ! madame la princesse, si vous
le voulez, vous en trouverez un. Un
ami se trouve plus aisément qu'il ne se
conserve.
— Tu penses peut-être que je ne sau-
rais pas l'apprécier?
— Pourquoi aurais-je une telle pensée
de madame la princesse ? Seulement,
c'est ordinairement ce qui arrive. Par-
fois un entretien sincère est agréable ;
puis il devient importun, et c'en est fait
de l'amitié.
— Tu as encore raison. Mais toi, à
partir d'aujourd'hui, tu as le droit de
venir me voir quand tu voudras ; je
t'écouterai toujours avec plaisir. El si
tu as à me demander quelque chose qu il
soit en mon pouvoir de t'accorder, sois
sûre que je le ferai.
Et sur cette parole la princesse se leva
de table. Grand'mère voulait lui baiser
la main ; mais ce fut elle qui la prévint en
s'inclinant et en baisant la bonne vieille
sur la joue, elle ne voulut pas qu'elle lui
baisât la main. — Les enfants reprirent
leurs beaux cadeaux, mais ils n'auraient
pas voulu quitter l'aimable comtesse.
— Venez aussi chez nous, chère de-
moiselle ! lui dit grand'mère en prenant
la petite Adèle que la comtesse tenait
par la main.
— Viens, viens, mademoiselle Ilor-
tense ! lui répétaient les enfants, nous
te cueillerons encore des fraises !
— J'irai certainement, dit la comtesse
en souriant.
— Nous vous remercions pour toutes
vos bontés, madame la princesse, et que
le bon Dieu vous protège ! dit grand'-
mère en se retirant.
— Adieu ! répondit la princesse en
lui faisant un dernier sourire pendant
que la comtesse les accompagnait jus-
qu'à la porte extérieure.
Lorsque le valet de chambre vint des-
servir, il lit une moue et murmura :
— Singulier caprice qu'ont ces dames
de trouver du plaisir avec une vieille
aussi commune !
Cependant la princesse, qui était à la
fenêtre, les suivit des yeux aussi long-
temps qu'elle put apercevoir les robes
blanches des petites filles et la blanche
coiffure de grand'mère brillant à travers
le feuillage. Et en rentrant dans son
cabinet, elle murmura :
— Elle est heureuse, cette femme I
B o z E N A Ne m c o \' a .
{Traduit du tchèque , par E. ThiÉROT.)
Bozena Nemcova (prononcez : Bogéna
Nièm'tçovâ) tient dans la littérature
tchèque contemporaine une place d'hon-
neur et, sans contredit, le premier rang
parmi les femmes célèbres qui, dans le
courant de ce siècle, ont illustré la Bo-
hême.
B. Nemcova naquit à Vienne le 4 fé-
LA VISITE AU CHATEAU
;iî>
vrier 1H20 el mourut à Prague le 21 jan-
vier I8t)2. Mariée à l'âge de dix-sept ans,
à losef Nemec (Nioniôls'), employé des
liiiaiices, elle le suivit dans les nom-
breuses pérégrinations ([u'il plut à Tadmi-
nislration autrichienne de lui faire faire.
Partout où elle va, elle observe et trouve
les sujets de ses ouvrages, dont plusieurs
sont des chefs-d'œuvre. Dos (|uel({ues an-
nées de son enfance, qu'elle passe sur les
J)ancs des écoles de Skalice (Skalitsé) et
de Chvalkovicc (Khvalkovitsé) , petites
villes du nord-est de la Bohême, elle tire
son bel et intéressant récit Pan ucitel
[Monsieur le maître), où elle nous apprend
entre autres choses de quelle manière on
instruisait les enfants tchèques à cette
époque (1830). <( Nous faisons une dictée et
ensuite nous devons la traduire soit de l'al-
lemand en tchèque, soit du tchèque en
allemand; pas un de nous ne comprend
l'allemand ; mais monsieur le maître le
veut ainsi... » La langue tchèque alors ne
se parlait que dans les chaumières des
paysans où n'avait pu l'étoulTer la germa-
nisation systématique, qui pesait sur la
Bohème depuis 1620.
A Kostelec (Kostélèts'j — 1839 — elle
puise le sujet de son touchant récit :
Chudï lidé [Pauvres gens).
En 1845-1848, elle profite de son séjour
à Domazlice (Taus), près de la frontière
bavaroise, pour écrire ses Tableaux des en-
virons de Domazlice [Obrazy z okoli do-
înazlického) et son Pohorska vesnice (Ze Vil-
lage de la montagne^, qui est regardé comme
son meilleur ouvrage, après Bahicka
[Grand'mère).
Babicka (185b), dont nous donnons un
passage ci-dessus, est le couronnement des
travaux antérieurs de B. Nemcova. C'est
l'exposition de la vie champêtre des habi-
tants de la Bohême, qui se trouvent près
de la frontière de la Silésie. C'est, en elfet,
chez ces montagnards que se sont con-
servés avec le plus de pureté les usages,
les coutumes et même les superstitions
d'autrefois. B. Nemcova fait passer sous
nos yeux une série de scènes de grand
intérêt où le nom de Dieu est respecté,
l'idée de patrie haut placée, sans que
jamais une parole de haine se fasse en-
tendre contre l'oppresseur. La simplicité
du style, la fraîcheur de l'élocution, la
poésie des descriptions, la noblesse des
sentiments sont les qualités dominantes de
cet ouvrage, dans lequel la note gaie ne
man({ue pas, bien (jue l'âme slave soit
plutôt mélancolique et résignée.
Outre ces ouvrages, B. Nemcova a écrit
des contes et récils populaires tchèques,
justement estimés, dont le plus remar-
quable, le plus esthétique, est le Dobry
clovek [le Brave homme).
Les dix deinières années de sa vie furent
attristées par la misère qui vint s'asseoir à
son foyer, mais qui ne put en rien altérer
la bonté de son cœur.
B. Nemcova connaissait l'allemand et
lisait avec plaisir Gœthe el Schiller ; elle
savait le russe, le serbe et le bulgare, et
écrivit en dialecte slovaque les Contes et
récits des Slovaques (Slaves qui habitent le
nord de la Hongrie).
Pendant ses divers séjours à Prague,
elle fut en relation avec Tyl, Riéger,
Tomek, Nebesky, etc., et toute cette cou-
rageuse phalange qui travailla, comme
elle, au relèvement de la langue et de la
littérature nationales. Aujourd'hui, dans
ce pays où la langue tchèque, longtemps
proscrite, était à peine tolérée il y a cin-
quante ans, s'élèvent de nombreuses écoles
très fréquentées. Les Tchèques ont leur
université spéciale et une haute école
polytechnique; et la littérature tchèque,
en réveillant le patriotisme, a sauvé la.
nation de l'anéantissement.
E. T.
LES
CHATEAUX DE LOUIS II DE BAVIÈRE
1
Le nom de Louis II de Bavière est lié
à celui de Richard Wagner el au souve-
nir de fastueuses excentricités. Au début
de son règne, ce roi de dix-neuf ans,
beau de visage, de taille imposante, de
caractère magnifique et généreux, donna
de grandes espérances qui s'évanouirent
quand ses goûts
<anistiques dégé-
nérèrent en folie
des grandeurs. Il
tomba , victime
d'hérédités, mais
il possédait une
naturelle et belle
intelligence, une
riche imagina-
tion et un très
vif amour de l'art
qu'obscurcit la
maladie.
A partir du
moment où ses
sujets l'obligè-
rent à renvoyer
Wagner, le jeune
roi commença à
montrer une pas-
sion grandissante
pour la solitude.
Il ne passait, du-
rant l'hiver, que
quelques semai-
nes dans sa capi-
tale et vivait le
reste de l'année
dans ses châteaux
des Alpes de Ba-
vière, à Berg, à
Hoheiuchxvangau , à Linder/iof, à Neu-
schivansiein, à Herrenchiemsee. 11 fit
construire les trois derniers et rêvait
encore, au moment où il fut déposé,
d'en voir s'élever un à Falkenburg en
l'honneur du faucon et un autre à Ga-
rafshausen, qui eût été un palais chinois
à la gloire du paon.
Ce fut à Hohenschwangau qu'il passa
une grande partie de son enfance et de
H 0 H E X s C H W A X (i A U
F.KS CIIATKAIX Di: I.Ol'IS II DH HAVIKHK
721
sa prcmicrc jeunesse en une ennlree
sauvage, lîef au moyen âge des Schwan-
gau, fidèles vassaux des Guelfes et qui y
bâtirent quatre burgs, Os donjons tom-
bèrent plus (ard au pouvoir des comtes
Schyren, aticêlres des W'illelsbacli ; cri-
blés de dettes, ils durent les revendre
les uns après les autres : liolicnscliwaii-
Lech. Ce l'ut en celte demeure que le roi
Louis prit le germe de la maladie que Ion
a appelée, en Allemagne, la Schivanriller
krankheil, — la maladie du cbevalierau
cygne; — car, à Ilohenschwangau, son
père ressuscita, avant Wagner, le moyen
âge allemand, et surtout la légende du
cbevalierau cygne, bretoime d'origine.
H O H ENSC H W ANi; AU. — LES LATS
gau , Schwanstein , Schwarzenberge et
Frauenstein.
Après dilîérentes vicissitudes, Ho-
henschwangau était devenu une ruine,
lorsque, en 1832, le père de Louis IL
Maximilien II, encore prince royal, l'ac-
quit et le fit reconstruire en style go-
thique. Des artistes munichois en ornè-
rent les salles de fresques et de peintures.
Ce château est situé sur un escarpement
boisé du Frauenstein, dans la j)artie la
])lus romantique des Alpes de Bavière,
entre deux lacs, le Schwansee et I Alp-
see, et, de ses fenêtres, on en aperçoit
au loin deux autres : le Hopfensee et
le Hannwaldsee, ainsi qu'une rivière, le
VIII. - 46.
mais retrou^ée et chantée, en France,
par Chrestien de Troyes, en Germanie,
par Wolfram d'Eschenbach. Dans la
Schwanrittersalle, entre autres, qui ser-
vait de salle à manger, la légende de
Lohengrin est peinte en quatre grands
tableaux. — Durant sa première jeu-
nesse, Louis II porta le cygne dans ses
armes ; il le remplaça plus tard par le
faucon que détrôna le paon. Et déjà à
Hohenschwangau, la chambre à coucher
du roi a son clair de lune artificiel, ses
plantes exotiques et sa cascade. Cet as-
soiffé de rêve en arriva bien vite à l'ab-
surde, au puéril, afin d'échapper à la
réalité.
722
LES CHATEAUX DE LOUIS II DE BAVIERE
II
Hohenschwangau était trop petit pour
contenir aisément deux cours, et comme
la reine mère aimait à y séjourner au mo-
ment où son fils leût volontiers habité,
celui-ci forma le projet de se faire bâtir
roc escarpé qui supporte le château. Au
moment où l'on approche du pont sus-
pendu — Marienbrùcke — jeté d'un
bord à l'autre du Pôllat, le burg surgit
semblable à une « légende de pierre ».
Le Tegelfels se dresse presque per-
pendiculaire au-dessus de la plaine.
A l'ouest, le goufTre du Pôllat le sépare
1-5= i
» •, M 0 w i tu w la.wi
««•«date
N E U s C H W A X s T E I N
un WallhaU sur les ruines d'un autre
donjon des Scliwangau, Schwanstein.
Neiischivanstein, à 1,008 mètres au-
dessus de la mer, s'appela d'abord le
Nouveau hurg de Hohenschwangau : il
domine le gouffre du Pôllat. Des fenêtres,
on aperçoit les quatre lacs dont nous
a^'ons déjà parlé et au loin la plaine. —
On ne peut lui comparer que Pelesch,
près de Sinaïa, dans les Garpathes, rési-
dence favorite de Carmen Sylva. —
Neuschwanstein est plus hardi de con-
struction, mais situé dans une contrée
moins inaccessible. La route qui y con-
duit fut, par places, taillée en plein roc
et traverse la forêt au pied du Tegelfels,
de la montagne. De trois côtés, l'escar-
pement est inabordable ; du quatrième,
l'accès en est difficile. Pour le rendre
impossible, on fit sauter le rocher et la
muraille y monte, sans ouverture, jus-
qu'à une hauteur de deux étages. On ne
peut entrer dans le château que du côté
de la plaine, grâce à des travaux de ter-
rassement. Mais le roi ordonna de pra-
tiquer devant la porte une tranchée dans
le roc, avec pont-levis.
Louis II eut tout d'abord l'intention
d'élever un château gothique ; les puis-
santes fondations en étaient même po-
sées lorsqu'il changea d'avis et choisit
le style des premiers temps de la R.enais-
LKS C.IIATKArX DE LOUIS II DK 15 A \' I K H K
723
sauce ilalit'iiiie. Il falliil loiit (l('m()lir.
\.c ;") sepliMuhre 1869 eut lieu la |)i)se de
la première pierre. — On avait déjà tra-
vaillé au ddiijon lui-même.
Le roi sOecupail de tous les détails
et inspirait les artistes à cpii il eoniiait
rexéculiou de ses rêves. Il a réuni à
Ncuschwanslein des trésors artistiques.
1 /ameublement et la décoration en sont
grandioses et sobres.
ï/,\ bâtisse se compose de cinq étapes,
flanqués de trois tourelles et de deux
tours. Les murs en briques, revêtus de
plaques de marbre, ont des fenêtres cin-
trées et le toit est recouvert de lamelles
de cuivre. Celui qui surmonte le balcon
<lu troisième et du quatrième étage, sur
l'étroite façade qui regarde la montagne,
est écaillé d'or, à limitation sans doute
du fameux toit doré d'Inspruck.
Seuls les appartements du roi sont
entièrement achevés, le troisième et le
quatrième étage. Il aimait à habiter le
plus haut possible.
Au troisième, à travers une succes-
sion de salles, les murs sont ornés de
fresques : scène de TEdda, aventures de
Lohengrin ou de Tanidiauser. Puis tout
à coup une grotte, avec l'inévitable cas-
cade et le clair de lune facultatif, rap-
pelle la folie tapie derrière les aspira-
tions artistiques du malheureux prince.
Sur les meubles et les tentures violet
clair du cabinet de toilette des paons
d'or tissés se pavanent, étonnés un
peu en face des peintures murales qui
célèbrent les chants du doux Minne-
Sfienger, Walter von der \ogeh\eitlc,
lami des rossignols el des fauvettes. La
chambre à coucher est de pur style go-
thique, avec balcon fermé, toute tendue
de bleu éclatant brodé d'or. Les ara-
besques fleuries qui courent aux cor-
niches el aux chambranles des salles
précédentes sont remplacées ici par les
bêles favorites du roi : le cygne et le
lion de Bavière; et les scènes qui dé-
corent les murs, tirées de Tristan et
I.seuif, par Spiess, sont parmi les plus
belles œuvres qu'ait produites la pein-
ture à fresque en AUemag'ne. Le lit est
gigantes(pie , à baldaquin, surmonté
d'une garniture gothique, un des plus
admirables travaux sur bois de notre
éj)oque. Sur le fond rouge de la salle à
manger, le célèbre Piloty a peint des
épisodes de la vie à la Wartburg. Le
cygne y triomi)he.
La salle du trône, byzantine de style,
est la plus belle de ce château splendide
perdu dans les nuages. Elle mesure
'20 mètres de long, 12 mètres de large,
13 mètres de haut et s'élève à travers
deux étages. Seize colonnes de porphyre
en soutiennent la voûte ; celles des deux
galeries imitent le lapis-lazuli. Dans l'ab-
side, surélevée de neuf degrés en marbre,
le trône d'or et d'ivoire devait être placé
sous un baldaquin pyramidal soutenu par
des colonnes. On ne l'y verra jamais. De
la Loggia au toit doré, la vue s'étend
magnifique sur les montagnes, Hohcn-
schwangau, les lacs, le Lech, tandis qu'à
vos pieds les eaux grondent dans le
gouffi'e du Pôllat.
Le quatrième étage n'est qu'une suite
de nouvelles merveilles ; la salle des
fêtes, entre autres, de 27 mètres de long
sur 10 mètres de large, reproduit en un
grandiose effet celle des chanteurs à la
A^ artburg. Piloty, Munsch et Spiess ont
orné les murailles de ce hall immense
de scènes tirées de Parsifal, la poésie
épique de Wolfram von Eschenbach. Du
plafond formé de quarante -deux cais-
sons en bois sculpté pendent dix lustres;
cinq candélabres de cristal sont , en
outre , disposés de chaque côté de la
pièce, — portant en tout 850 bougies.
Dans cette salle, meublée et ornée
avec un goût parfait, Louis II demeu-
rait des heures accoudé ou debout à
lune des fenêtres, le regard perdu sur
les lacs et les montagnes. Durant les
derniers temps de sa maladie, il en fai-
sait rdlumer les innombrables bougies
et il passait ses nuits à s'y promener,
se parlant à lui-même. Parfois aussi il
ordonnait qu'on éclairât toutes les salles
du burg, tandis que, penché sur le para-
pet de la Marienhrûcke, il jouissait de
l'efTet fantastique produit par les ter-
721
LES CHATEAUX DE LOUIS II DE BAVIÈRE
rents de lumière que projetait dans la
nuit, au-dessus de l'abîme, son castel
de rêve.
m
Mais c'est à Linderhof que Louis II
fit les plus long's séjours, parce que tout
s'y trouvait réuni : luxe et confort.
De NeuscliAvanstein, on peut se rendre
à pied en cinq heures à Linderhof, en
allant vers le nord -ouest. Non loin se
trouve le village d'Oberammergau, où
de simples paysans représentent, tous les
dix ans, la Passion de Notre-Seigneur.
Le roi Maximilien II, qui aimait cette
vallée solitaire, Grasswangthal, y avait
fait bâtir une fruste maison de chasse.
Par ordre de son fils, on la transporta
plus loin, et un château rococo, dans le
genre du Petil-Trianon, s'éleva à la place
qu'elle avait occupée. Il n'a qu'un rez-
de-chaussée et un premier étage. Les
jardins y sont admirablement disposés.
A tout autre arbre, le roi préférait les
chênes , dont il fit apporter une cen-
taine à cette hauteur où ils ne croissent
plus.
Dans toutes les salles de Linderhof
s'étale l'admiration de Louis II pour
Louis XIV. Dès le vestibule se dresse,
sur un socle de marbre noir, la statue
équestre en bronze du roi -soleil; elle
fut faite à Paris. Puis viennent des salles
somptueuses, murs et plafonds ornés de
copies de Watteau, de Boucher, ou des
peintures représentant des épisodes de
la vie du grand roi et des scènes mytho-
logiques. Le cabinet de travail est en
velours vert, avec d'étonnantes brode-
ries or; on y voit un secrétaire merveil-
leux, surmonté d'un baldaquin dont les
tentures sont fourrées d'hermine. Sur le
fond de velours les armes de Bavière
ont été brodées en soie sertie d'her-
mine.
Le lustre de la salle à manger, en por-
celaine de Meissen, a coûté 20,000 marcs.
Au moyen d'un mécanisme ingénieux, la
table disparaissait après chaque service
au coup de sonnette du roi et remontait
LINDEIiHOP VU DE CÔTÉ
I.KS Cil AT K Al \ I>K l.ollS II Dl'] UAXIKHK
725
^ a--l-^:.n n_ :ii n ii ;l, :%. :irvi j
Il 1
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H E R R F, X (' H I F. M .s E K
fharjl^ée. Aucun domesliquc ne se mon-
trait. L'acteur, Joseph Kainz, à qui
J.ouis II ténioij^nait une vive amitié,
était seul admis parfois à lui tenir com-
j)agnie durant quelques semaines. Ce
favori logeait alors dans la vieille mai-
son de chasse.
Le roi utilisait la salle des Glaces
comme chambre à coucher; le style, les
peintures, les moindres détails rappellent
Louis XV et son règne. Les glaces dont
sont tapissées les murailles reflètent et
renvoient Téclat des dorures, le luxe
des détails dont la description serait
fastidieuse. Du balcon, la vue s'étend
sur les jardins et la contrée — un coin
de nature alpestre où ce château, vrai
bijou du grand siècle, semble avoir été
transporté au coup de baguette de
quelque capricieux enchanteur.
Les jardins sont ornés de statues, de
jets d'eau et de kiosques. La construc-
tion la plus étonnante en est la
Grolle bleue, imitée tout ensemble de
celle de Capri et de la grotte de Vénus
dans l'opéra do Tannhaiiser. Pour la
créer on a creusé la colline de 1875 à
1877; elle a 100 mètres de long sur 15 mé-
tros de haut et coûta 1 ,250,000 marcs.
Le bloc mobile de l'entrée, les colonnes
qui soutiennent la voûte, les stalactites
qui en tombent ne sont que du fer, re-
couvert de ciment auquel on a donné
l'apparence du rocher. Cette pseudo-
caverne pouvait être chaufTée. Du siège
du roi, trône de coquillages, on domi-
nait la grotte et le lac profond de 3 mè-
tres qui en occupait le milieu. Une
conque dorée y attendait le pauvre ma-
lade, qui y montait souvent, vêtu à la
Lohengrin, tandis qu'un appareil spé-
cial agitait l'eau et qu'un éclairage de
sept couleurs, produit par sept lampes à
arc, augmentait l'élrangeté du lieu.
Louis II prenait à cette mise en scène
un plaisir enfantin. On obtenait la cou-
leur bleue el transparente de la grotte
en l'éclairant par le haut.
IV
Tous ces châteaux, Berg compris,
dont nous parlerons plus tard, sont
situés au sud de Munich et relativement
près les uns des autres. Quant à Hèr-
renchiemsee, la dernière el la plus coû-
teuse fantaisie de Louis II, celle qui le
fit déclarer en faillite el déposer, il se
726
LES CHATEAUX DE LOUIS II DE BAVIERE
trouve à Test de la capitale, et l'on
prend pour s'y rendre la ligne de Mu-
nich-Saizburg-.
Au milieu du Chiemsce, aux bords
marécageux, appelé aussi mer havar'oise,
trois îles surgissent, avec, pour arriére-
le projet d'y élever un château (jui sur-
passerait Versailles en beauté. 11 ne tint
nul compte du sol très marécageux, ni
de l'obligation où l'on serait de trans-
porter par eau tous les matériaux né-
cessaires à la colossale construction. La
GRANDE (4 A L E R I E ( H E R R E X C H I E M S E E )
fond, l'imposante chaîne des Alpes de
Bavière continuées par celles d'Autriche ;
l'île aux Herbes est inhabitée; dans celle
de FraueuAN (erth s'élèvent un cloître de
femmes, une belle église et de très vieux
tilleuls. Le château de Herrenchiemsee
est bâti dans celle que l'on désigne sous
le nom de Herrenwœrth.
Un cloître de Saint-Tassile s'y vovait
déjà au vni« siècle; en 908, les Huns le
détruisirent; il fut rebâti en 1131. Il
devint la résidence des princes-évêques
en 1231. Au commencement de ce
siècle, les biens du clergé ayant été
confisqués, il fut cédé à des particuliers.
Louis H racheta Fîle en 1873 et forma
partie du palais qui a été achevée, y
compris les jardins, a coûté 25 millions
de marcs; les fondations seules qui
rendirent possible la mise debout sur
un terrain mouvant de l'énorme bâtisse,
ont englouti une bonne part de cette
somme, et les immenses communs à
peine sortis du sol forment déjà un amas
de débris. I^a mousse envahit les salles
du rez-de-chaussée, le marbre se dété-
riore, les pierres de taille se descellent;
et l'on assure que dans peu d'années le
château tout entier ne sera qu'une
ruine couverte de plantes folles.
Les travaux ne commencèrent qu'en
1878 et furent menés avec une hâte fié-
I.KS CIIATKAUX DIO LOTIS II DK HAXIKRK
■327
vrcuso (luriiiil les sopl iimu't's (jiii sui-
viroiil. Louis II avait épuisé sa liste
civile; tous ses secrélaires et con-
seillers privés cpii osaient lui faire des
remontrances étaient congédiés; ses an-
ciens architectes subissaient le même
I^ouis XIV avec une richesse de cou-
leur pourpre et or et un ameublement
fabuleux qu'on ne trouve pas à Ver-
sailles. Le lit surpasse tout ce qu'on
peut rêver. Tendue de velours bleu
brodé de lis d'or, la salle du conseil
SCHLOSSBERG, VU DU LAC DE STARXBERK
sort. Le bâtiment central — sa façade
est la copie exacte de celle de Mansart —
s'éleva et fut aménagé avec une richesse
inouïe. Sur toutes les tentures , les
portes, le parquet s'étalent le soleil de
Louis XI\' et le lis royal. \'ersaillcs eût
été éclipsé si le roi, ayant mieux choisi
son emplacement, eût possédé les fonds
nécessaires à l'entreprise.
Ilerrenchiemsee témoigne d'une ad-
miration sans bornes pour nos rois,
pour le grand roi surtout. Toutes les salles
de ce palais portent des noms français.
L'QKil-de-Bœuf est copié sur celui de
Versailles; il est vert serti d'or. De
même la chambre de parade reproduit
exactement la chambre à coucher de
appartient par son architecture au règne
de Louis XV.
La grande galerie ou galerie des glaces
est, dit-on, la plus longue qui existe;
elle a 75 mètres et demi de long —
97 mètres avec les salons de coin, —
10 mètres et demi de large et 13 mètres
de haut. Celle de Versailles n'a que
73 mètres de long. Dix-sept fenêtres
cintrées font face à dix-sept portes en
verre poli de 9 mètres de haut, — fenê-
tres et portes séparées par dix piliers
de marbre rouge royal. Du plafond re-
produisant des compositions de Le Brun,
pendent 33 lustres de cristal qui portent
avec 44 candélabres 2,500 bougies.
Le roi lit allumer cinquante-deux fois.
72.S
LES CHATEAUX DE LOUIS II DE BAVIERE
durant ses divers séjours au château,
cette prodigieuse quantité de bougies.
Il fallait que ce fût fait en un quart
d'heure. Leurs lumières reflétées à l'in-
iini dans les glaces offraient un spectacle
féerique, tandis que Louis II allait et
Aenait lentement à travers l'immense
salle.
La salle à manger présente la même
particularité que celle de Linderhof : la
table, ornée d'un bouquet aux fleurs de
porcelaine d'un travail admirable, dis-
paraissait après chaque service pour
reparaître chargée à nouveau. Un lustre
énorme aux milliers de fleurs de porce-
laine l'éclairait; il coûtait 25,000 marcs.
Peintes par des maîtres, ou reprodui-
sant les œuvres d'artistes français, innom-
bi'ables sont les salles de ce palais déjà
croulant. Les marbres, l'or, les glaces,
le velours, la soie, les porcelaines rares,
les bois précieux y sont prodigués.
Pour qu'il pût se rendre à ce palais en
un équipag'e digne de sa splendeur, le
roi s'était fait construire au prix de
80,000 florins bavarois un carrosse de
gala en style rococo de 9 mètres de
long et de 6 mètres de haut qui, dé-
monté, se transformait en traîneau. On
l'attelait de six chevaux blancs. L'in-
térieur en est surchargé de broderies
sur fond de velours bleu foncé. Il en
existe un plus petit, sur le même mo-
dèle, dont la couronne et la lanterne
s'éclairaient à l'électricité au moyen
d'un accumulateur placé sous le siège
du prince.
\'
Il nous reste à dire quelques mots de
Berg, au bord du lac de Starnberg, villa
plutôt que château et qui n'offre rien
de remarquable; mais ce fut là que se
déroulèrent les péripéties de la fin tra-
gique du royal dément. On se rappelle
qu'une commission de cinq membres
vint lui apprendre à Neuschwanstein,
où il résidait alors, qu'il était déposé et
que sa santé exigeait des soins. Après
une violente, mais courte résistance, il
parut se soumettre et il se laissa con-
duire à Berg, le 12 juin 1886. Le I4juin,
ni lui ni sou médecin, le docteur de
Gudden, ne revinrent d'une promenade
faite vers sept heures du soir dans le
parc. On retrouva leurs deux corps flot-
tant sur les eaux du lac, non loin du
bord. ,
Le château de Berg, bâti en 1650 par
le baron Ilorwarth, fut cédé en 1676
au prince-électeur Ferdinand -Marie.
MaximilienlIIetitrestaureren 1849-1851
et son fds en orna la plupart des salles
de tableaux tirés des opéras de Wagner.
Une inquiétude maladive s'était em-
parée du malheureux roi dans les der-
nières années de sa vie. Il allait d'un
projet à un autre, fuyait de Berg à Lin-
derhof, de Linderhof à Hohenschwan-
gau, pour se faire conduire de là à son
nid d'aigle de Neuschwanstein. Au
milieu de la nuit — il ne voyageait plus
que la nuit — les habitants des bourgs
et des villages entendaient le pas des
gardes qui venaient occuper les routes.
Puis, au galop fou des chevaux, l'équi-
page royal passait. Ces courses vaga-
bondes duraient parfois plusieurs nuits
de suite. Louis II en était venu à croire
sa vie en danger et, à Munich surtout,
lorsqu'il y arrivait par des chemins dé-
tournés, on prenait les mesures les plus
rigoureuses pour sa sûreté. La mort
qu'il chercha lui épargna sans doute
les dernières déchéances morales.
.1 . H U D R Y - M E N o s .
LE GIMETIKHK MONTMARTRE
l,a [x^pulatioii parisienne ne manque
jamais d'accomplir, chaque aimée, son
pèlerinage chez k^s morts.
Les fleurs, qu'aux autres dates elle
jette au vent de tous les enthousiasmes,
sont réservées ce jour-là aux tombeaux.
Car ce siècle, qui ne croit plus à rien,
conserve intact le culte du souvenir.
Le cimetière Montmartre, qui est un
des plus vieux de Paris , reçoit donc
toujours, à ces anniversaires mortuaires,
de très nombreux visiteurs. Tant de
gens dorment là, dont les noms sont
encore vivants dans notre mémoire !
Un connaît les origines de ce lieu de
sépulture.
En 1766, le Parlement avait dû s'oc-
cuper des inconvénients auxquels don-
naient lieu les enterrements qui se fai-
saient à Paris.
« Dans la plupart des grandes pa-
roisses, disait le rapport , et surtout
dans celles qui sont au centre de la ville,
on se plaint journellement de l'infection
que répandent aux environs les cime-
tières, principalement dans les grandes
chaleurs. En ce temps, la putréfaction
est telle que les aliments les plus néces-
saires à la vie ne peuvent se conserver
quelques heures dans les maisons voi-
sines, sans s'y corrompre. »
Les hygiénistes de notre époque fré-
miraient en lisant ces lignes; ceux
d'alors se contentèrent de fermer le
cimetière Saint-Roch et de le remplacer
par un vaste terrain d'inhumation dans
la plaine de Clichy.
Puis, en 1798, une ordonnance dé-
cida l'établissement, sur l'emplacement
d'une immense carrière à plâtre, du
cimetière actuel qui prit le nom de
cimetière du Nord ou de cimetière
Montmartre. Il reçut, à diverses re-
|)rises, d'importants agrandissements
et occupe aujourd'hui une superlicie de
dix hectares. Il est donc, à un hectare
près, de la dimension du cimetière Mont-
parnasse et quatre fois moindre que
celui du Père-Lachaise.
Jusqu'à ces dernières années, le cime-
tière s'étendait entre les quartiers de
Caulaincourt et de Clichy, comme une
zone infranchissable. Il semblait que
cette situation dût causer un empêche-
ment perpétuel à la circulation directe
entre ces deux points.
Peut-être même, à une autre époque,
eût-on considéré comme une sorte de
profanation du lieu sacré l'établisse-
ment de ce large pont métallique, vé-
ritable boulevard suspendu sur des
tombes.
Mais il s'agissait de prendre une
grande mesure d'utilité publique, de
donner un peu d'air à une population
qui étouffait en son enceinte devenue
trop étroite. Dans ce but, des travaux
gigantesques furent entrepris ; une vie
nouvelle surgit comme par enchante-
ment au-dessus de la Cité des Morts.
Et ce n'est pas une antithèse banale que
cette exubérance de mouvement et d'ac-
tion, que ce continuel va-et-vient de
piétons, que ce roulement sourd et pro-
longé des véhicules de toute sorte sur
le champ du repos lui-même.
Les inégalités de terrain font qu'un
certain nombre de sépultures apparais-
sent presque au niveau de la voie pu-
blique. Le soir, elles piquent d'une note
blanche, étrange et fantastique, l'ob-
scure clarté produite par les becs de gaz.
A ceux qui regagnent tardivement leur
logis, dans l'épanouissement de la joie
de vivre, elles se révèlent soudain
comme l'architectural symbole de l'im-
placable mémento quia pulvis es de
r Ecclésiasle.
Il ne faut pourtant pas exagérer cette
impression, quand on parle du cime-
730
LE CIMETIERE MONTMARTRE
LE CIMETIÈRE MONTMARTRE VU DU PONT MÉTALLIQUE
tière du Nord. Incontestablement,
parmi toutes les nécropoles parisiennes,
c'est en celle-là que Tidée de la mort se
présente avec un caractère particulier
de sereine philosophie. Est-ce l'influence
du milieu? Est-ce le voisinage d'éta-
blissements bruyants de plaisir et de
maisons particulières, récemment con-
struites, qui entourent le lieu funèbre
comme s'ils voulaient en chasser les
méditations trop sombres par la gaieté
ou les combinaisons artistiques de leurs
façades?
Quoi qu'il en soit, alors que le Père-
Lachaise ou que le cimetière Montpar-
nasse, avec leurs hautes murailles, leurs
portes d'entrée ornées d'attributs ma-
cabres, nous semblent, dans leur isole-
ment majestueux et froid, de vastes
lieux de désolation, le cimetière Mont-
martre revêt l'apparence d'une oasis
fraîche, ombragée et tout imprégnée
de cette poésie mystique qui nous
permet d'affronter, sans appréhension,
l'insondable mystère de l'au delà.
De tout temps, le cimetière Mont-
martre abrita les restes de nombre d'ar-
tistes et d'écrivains. C'est encore au-
jourd'hui le nom des hommes devenus
célèbres par la plume, le pinceau ou le
génie musical, qui se lit sur la plupart
des principaux monuments.
Après avoir poursuivi, pendant leur
vie, par des moyens différents, la re-
cherche du même idéal, ils reposent du
moins en paix, dans l'intimité de cette
même terre où les gloires, les vanités,
les joies et les souffrances ne sont plus
que de la poussière.
En revanche, les hommes politiques
y sont rares.
Tout le monde a vu le monument de
Godefroy Gavaignac, placé à l'entrée
du cimetière et qui est une des œuvres
magistrales de Rude. Après cette sépul-
ture et celle d'Armand Marrast, d'une
grande simplicité, comme il convenait
au rigide républicain, nous ne relevons
LE C IMKTIKin-: MONTM AH TMK
731
plus que les noms de personnages d'une
importance secondaire : Sonj^eon, ancien
présideni du Conseil municipal de Paris;
Martin Bernard, (îustavc Chaudey,
Haudin.
Le monument de Baudin rappelle
beaucoup, par sa conception générale,
celui de Cavaignac; mais on y remarque
la dillérence d'école bien caractéristique
de notre époque. C'est peut-être, avec
le tombeau de \'iclor Noir, au Père-
I.acliaise, l'œuvre la plus réaliste, selon
le beau sens du mot, que l'on puisse
rencontrer dans les nécropoles pari-
siennes. Quant à Gustave Chaudey, ses
traits sont fidèlement reproduits en un
médaillon de bronze au-dessous duquel
se détachent, en gros caractères, les deux
lignes prophétiques qu'il écrivait le
24 mars 1871 dansle Siècle : « Si quelque
balle récriminalrice nous est réservée,
nous n'aurons qu'à tomber, faisant des
vœux pour la République. »
Un autre homme politique de haute
envergure, un des plus grands patriotes
italiens qui rêva l'aHranchissement de
son pays , mais succomba à la tâche
avant f[u'arrivât ce beau jour, Daniel
Manin, l'ut enterré, en 1857, au cime-
tière Montmartre. Pendant onze années,
son cor[)s reposa dans le caveau funèbre
de la famille d".\ry SchelTer. C'est là que
vint le rejoindre son plus fidèle ami,
Augustin Thierry. Kn 1868, les restes de
Manin furent rendus à Venise enfin dé-
livrée. I.,e gouvernement impérial lit
enlever, la nuit, ce précieux dépôt, dans
la crainte d'une manifestation républi-
caine. Pour Augustin Thierry, la trans-
lation de ses cendres au cimetière Mont-
parnasse, dans une sépulture de famille,
eut lieu quelques années plus tard.
La superficie relativement restreinte
du terrain, à Montmartre, permet aux
visiteurs de retrouver facilement les
tombes célèbres. Aussi, tout en s'en re-
MONUMENT D'ALPHONSE BAUDIN
732
LE CIMETIERE MONTMARTRE
MONUMENT DE LA I'^ A M I L L E G Ê K 0 M E
nietlaut aux hasards de lexcursion,
sont-ils certains de tout voir et de pas-
ser par cette série d'émotions que font
naître en nous les souvenirs soudaine-
ment évoqués de noms que la mort,
cruellement ironique parfois, réunit
dans de bizarres promiscuités.
Auprès de Cavaignac sont les tombes
d'un certain nombre de victimes du
Deux-Décembre : tombes modestes et
sans aucune inscription. La sépulture
de la famille de Mauprivez, qui four-
nit plusieurs hauts fonctionnaires à la
France, sous la monarchie, les domine
de son architecture assez élégante. Plus
loin, alignés le long de l'avenue princi-
pale, étouffés un peu par la massivité
du pont Caulaincourt, les monuments
funéraires de Castagnary, de Stendhal,
de Feyen-Perrin attirent les regai'ds.
Les amis du peintre délicat, enlevé trop
tôt à son art, dans la plénitude du talent,
ont consacré à sa mémoire une statue
symbolisant bien son œuvre; l'expres-
sion de la jeune paysanne laissant tom-
ber une fleur sur le sépulcre de celui qui
donna la vie à tant d'œuvres charmantes
est d'une infinie tristesse. C'est dans le
voisinage de ce monument qu'est enterré
Eugène Labiche ; c'est là aussi que se
dressent les caveaux de la famille d'Henri
Rochefort et de celle du peintre Gérôme,
deux vivants illustres, à des points de
vue différents, ceux-là, et qui ont en-
core, espérons-le, de longs jours à pas-
ser parmi nous.
De l'autre côté du pont Caulaincourt,
dans la partie du cimetière qui s étend
derrière l'avenue de Clichy jusqu'aux
confins de la rue Ganneron, les arbres
séculaires forment de magnifiques allées
pleines d'un charme mystérieux, d'une
mélancolie poétique qui enveloppent
>r O N t) M E N T DE HENRY M U R G E K
I, K d M K T 1 K 1{ K M O N T M A 11 T H E
733
tout le paysafjfe mortuaire. C est bien
là le lieu du repos des artistes; aussi les
retrouve-l-on nombreux dans ce décor
que la Nature semble avoir brossé spé-
cialement pour eux.
La terre y doit être légère à Murj^er,
dont le tombeau est surmonté d'une gra-
cieuse statue d'Aimé Millet. Un peu plus
loin, le buste d'Ollenbach, d'une res-
semblance parfaite, semble sourire au
bruissement des arbres et à la perpé-
tuelle chanson des nids. Ce sont aussi,
à peu de distance : Victor Massé, Em-
manuel Gonzalès, Nestor Hoqueplan, ce
« dieu de l'esprit parisien ", Dupre/.
dont l'épitaphe en vers un peu trop sim-
ples résume ainsi la vie :
Ci-git un brave artiste, auteur, compositeur,
Poète quelquefois, mais surtout grand chanteur.
Il conquit, dans son art, une place d'honneur.
MDNCMENT DE JACQUES OFFENBATH
MONUMENT DE SAMSON
Duc, Samson, l'inoubliable tragédien,
dont le buste est un des plus beaux qui
soient au cimetière Montmartre; Lam-
bert-Thiboust, avec un bas-relief syn-
thétique d'une jolie inspiration ; Véron,
Adolphe Adam, Méry, Raymond Des-
landes, Léon Gozlan, Gustave Nadaud,
l'auleur d'adorables chansons dont quel-
ques-unes vivront longtemps; Rouvièrc,
le surprenant artiste qui fût devenu un
grand peintre s'il n'eût été un grand
comédien, l'homme qui comprit et in-
carna le mieux, avant Mounet-SuUy, le
personnage d'Hamlet et duquel le poète
a dit :
Rouvière ! il est deceuxque l'Art prend pour victimes;
Il est de ceux qu'on voit se plonger dans la nuit
Où le poète parle avec des mots sublimes,
Mêlant aux ouragans leurs sanglots et leur bruit.
Les vivants vont vite ! est-on porté à
734
LE CIMETIERE MONTMARTRE
penser, en voyant se restreindre crannée
en année les étroites bandes du terrain
encore inoccupé ! C'est la revanche du
cimetière qui s'emplit, s'emplit sans cesse
et déborde de tous les côtés. A l'heure
actuelle, l'administration a dû se rési-
gner, pour l'aire place aux nouveaux
arrivants, de sacrifier une partie de la
plus d'un spécimen au Père-Lachaise.
C'est ég^alement dans cette partie du
champ du repos que sont enterrés Eu-
gène Flachat, Fourneyron, le baron de
Menneval, le maréchal de Ségur, Emile
de Girardin et sa femme Delphine Gay,
Guvillier-Fleury, Les familles de Poli-
gnac-Mirès y ont leur sépulture, ainsi
TOMBEAU D'ALEXANDRE DI':MAS FILS
large et belle avenue Montmorency où
se trouvent les monuments les plus re-
marquables.
Il en est deux qui attirent particuliè-
rement l'attention, plus encore par leurs
dimensions colossales que par la renom-
mée de ceux dont ils portent si haut la
mémoire : nous voulons parler des sépul-
tures Marc-Lejeune et Montmorency-
Luxembourg. Le premier est un véri-
table mausolée de granit de 16 mètres
de haut, surmonté de personnages allé-
goriques d'une facture assez délicate.
Le second se compose d'une de ces
pyramides dans le goût du commen-
cement du siècle et comme on en voit
qu'un administrateur de la Compagnie
des Indes, dont le nom est bien oublié
aujourd'hui, Bérard, en lequel Dupleix
trouva toujours un appui sûr durant ses
luttes célèbres contre l'influence anglaise
en Asie.
Et voici qu'après cette évocation d'une
époque lointaine surgissent les amer-
tumes des deuils récents.
Sur le marbre poli et rose de la même
tombe, deux médaillons, dont l'un porte
encore le reflet brillant des choses nou-
velles : ce sont les proflls fiers et distin-
gués de Jules et Edmond de Goncourt.
Quelques mètres plus loin, le nom
d'Alexandre Dumas se détache en lettres
LK CIMi: riKRK MONTMARTRE
735
dorées sur le fronlon d'un monument
remarquable. Les restes du -^rand dra-
maturge sont à la place qu'il avait lui-
même désignée d'avance depuis long-
temps. On sait quelle préférence singu-
lière il avait toujours
manifestée à ce sujet.
Le cimetière Montmartre
était pour lui un lieu fré-
quent de pèlerinage.
En outre du souvenir
de tant d'hommes dispa-
rus et qui lui étaient
chers par la parenté du
talent ou du génie, il
retrouvait toujours une
impression troublante
lorsqu'il s'arrêtait devant
la tombe de Marie Du-
plessis.
Celle Dame aux camé-
lias, c'était sa supersti-
tion. Elle lui rappelait
les premières heures de
bonheur, les premiers
sourires de la gloire. Et
plus d'une fois, de grand
matin, à l'heure où le
cimetière est imprégné
encore de la rosée noc-
turne, les gardes l'aper-
çurent déposant avec re-
cueillement des fleurs sur
la sépulture de la femme
qui fut très banale par
elle-même et que cepen-
dant il immortalisa par
un récit.
C'est le privilège des
grands écrivains de faire
pénétrer ainsi dans les
masses des légendesadap-
tées par leur imagination
à des faits qui seraient sans cela d'un
bien piètre intérêt. Il en est résulté
pour la Dame aux camélias, dont l'his-
toire fut enjolivée avec tant d'art par
Alexandre Dumas, une réputation tel-
lement universelle, que pas un étranger
ne visite le cimetière sans s'enquérir de
l'endroit où repose l'héroïne. Il n'est
pas rare môme que des personnes sen-
timentales rapportent de leur passage
devant cette tombe quelques feuilles ou
quelques brins d'herbe, qu'elles conser-
veront précieusement.
M 0 N l" JI E X ï D ' A L P H 0 N S E DE X E C V I L L E
Aux grands jours des fêtes mor-
tuaires, cet endroit devient un véritable
rendez-vous pour les amoureux aux-
quels l'âge ou l'expérience n'a pas en-
levé encore les premières illusions.
Ils viennent là comme beaucoup d'au-
tres se retrouvisnt au Père-Lachaise au-
tour du monument d'Héloïse et d'Abé-
736
LE G I M E T I E R I-: MON T M A R T R E
TOMBEAU DE THÉOPHILE fiAUTIEn
lard. Qu'on ne s'imagine pas cependant
que Théroïne de Dumas possède un
somptueux caveau et qu'il soit très fa-
cile de le découvrir.
Un simple sarcophage de pierr«, por-
tant cette inscription presque eflacée
par le temps et rongée par la pluie :
Marie Duplessis, recouvre dans l'avenue
Saint-Charles le corps de celle qui est à
la fois pour nous la Dame aux camé-
lias et la Traviala.
Tous les ans, à la fête des Morts,
M"'« Sarah Bernhardt y fait, paraît-il,
porter des fleurs.
Le tombeau d'Alexandre Dumas,
quoique d'un style assez sobre, produit
un g^rand effet artistique. L'auteur du
Fils naturel et du Demi-Monde gît
étendu, mort, sur la dalle de son sé-
pulcre. Le corps est revêtu du légen-
daire costume de travail si souvent re-
produit par la photographie; les pieds
sont nus; une couronne de lauriers met
son auréole au front puissant du glo-
rieux écrivain. L'œuvre est de réminent
sculpteur de Saint-Marceaux. On peut
la considérer comme une des plus belles
qu'il ait produites, et l'on reste troublé
longuement devant la sérénité de ce
\'isage auquel la délicatesse de ciseau
du statuaire a ajouté un je ne sais quoi
tout empreint de la majesté de la mort.
(Quatre colonnettes de granit blanc sou-
tiennent au-dessus de la dalle funéraire
le faîte du monument où les idées spiri-
tualistes du maître regretté éclatent
dans cette inscription empruntée à l'une
des pièces de son théâtre : « Je me con-
stituai dans ma vie et dans ma mort,
qui m intéresse bien plus que ma vie,
car celle-ci ne fait partie que du temps,
et celle-là, de l'éternité. «
En cette même avenue Saint-Chai'les
dont nous parlons plus haut, éloignés
de la chaussée, perdus pour ainsi dire
au milieu des tombes, dorment le com-
mandant Rivière — dont un buste en
bronze nous rappelle les traits du vail-
lant marin — et un grand poète pour
lequel la gloire fut toujours injuste :
Alfred de Vigny.
Mais voici que ressuscitent dans
notre mémoire de larges visions d'art,
que chantent à nos oreilles de suaves
mélodies, tandis que défilent sous nos
yeux les monuments funèbres de Ber-
lioz, d'Ambroise Thomas, de Troyon,
de Gain, d'Aimé Millet, de Théophile
Gautier, de Guillaumet, de Léo De-
libes, d'Alphonse de Neuville.
Le peintre populaire qui reproduisit
de si saisissante façon les épisodes de la
guerre néfaste et qui, aux heures tra-
giques encore, fit battre nos cœurs
d'une espérance patriotique, possède
une sépulture digne de lui. En un geste
d'une éloquente tristesse une femme,
qui symbolise- la patrie et qui est ter-
rassée par la douleur, presse entre ses
bras le drapeau finançais que domine un
buste de l'auteur du Porteur de dé-
pêches, de la Dernière cartouche et de
tant d'autres œuvres remarquables.
M': CIMETIKUK MONT M A HT H K
737
Le souvenir de Berlioz esl évoqué par
une construction très modeste où appa-
raît le médaillon en hion/.e du j^rand
musicien, l ne sorte d'auréole en métal
doré, d'un ellet peu harmonieux, cou-
ronne l'édicule, qui pourrait être en or
massif si chacun de ceux que charma la
Damiuidon de Faust eût seulement
fourni son obole d'un centime.
Le monument de Théophile Gautier,
conçu dans le goût de la seconde moitié
du xvni'" siècle, est fort gracieux. Les
proportions y sont bien observées, et la
statue allégorique qui le surmonte
semble d'un très agréable modelé. Sur
la pierre on lit le quatrain suivant com-
posé par le poète lui-même :
L'oisoiui s'en \a. la feuille tombe,
L'anioui" s'éteint, cai" c'est l'hixei";
l^etit oiseau, viens sur ma tombe
Chantei- quand l'arbre sera verL.
On ne peut s'empêcher de faire une
remarque en lisant ces vers : presque
toujours les poésies gravées sur les
pierres des cimetières ont un caractère
spécial qui frise le ridicule. Et même,
quand elles sont l'œuvrç d'hommes
célèbres, elles ex])riment rarement autre
chose qu'un sentiment banal, sous une
forme nu puérile ou exagérée.
C'est ainsi que le poète Autran, se
lamentant sur la mort d'un de ses amis,
peintre distingué, sans doute, mais qui
est loin d"a\oir laissé un nom impéris-
sable, émet de la sorte son opinion en
un alexandrin reproduit sur le marbre ;
^'enise en te perdant aurait porté le deuil!
C'est ainsi — mais dans un autre
ordre d'idées — qu'Alphonse Karr
écrit sous un médaillon où sont repro-
duits les traits de Carlolta Patti :
Ah! je vous reconnais, chère petite Orphce !
C'est vous, cette filleule à laquelle une fée
Fit, an temps de Perrault, un don si merveilleux
Que veulent en vain mettre au rang des contes bleus
Seuls les gens envieux et tristes.
Oui, le don est réel, cai' je vois et j'entends
Emeraudes, rubis, topazes, améthystes
Ruisseler à travers les perles de vos dents.
Ces exemples ne suffisent- ils pas à
faire ressortir ce que nous disons plus
VIII. — 1-.
M 0 N U M E X T DE HE N RI RI V 1ÈRE
haut"? Et cependant Autran, Théophile
Gautier et ^Alphonse Karr sont des
maîtres.
Le peuple de Paris aime à témoigner
sa sympathie à la mémoire des grands
comédiens qui ont fait vivre à ses yeux
les héros de théâtre et qui ont incarné
les conceptions de nos auteurs drama-
tiques les plus répandus. Au Père-La-
chaise, les tombes de Talma et de Rachel
reçoivent toujours beaucoup de Heurs à
certains anniversaires, et pourtant bien
des années se sont écoulées depuis la dis-
parition des deux célèbres tragédiens.
Au cimetière Montmartre, où, ainsi
que nous l'avons déjà dit, reposent les
restes de Rouvière, on peut voir égale-
ment le monument élevé à la mémoire
de Erédérick Lemaître. Un buste, d'une
étonnante expression, rappelle les traits
du génial créateur de Robert Macaire,
de Ruy Blas, d'Othello, de Kean. Et
•738
LE CIMETIERE MONTMARTRE
devant rhomme étrange qui traduisit
pendant un demi-siècle, avec un succès
qui ne put jamais être surpassé, toute
la puissance des passions humaines, les
visiteurs s'arrêtent pieusement émus.
Un autre artiste de bien moindre
renommée, mais qui lit longtemps les
délices des théâtres de quartier : Bati-
gnolles, Montmartre, Belleville, etc.,
possède une somptueuse sépulture, à
peu de distance de celle de Frederick
Lemaître. Sous son nom de Paschal
Delagarde il avait interprété à peu près
tous ces grands drames de cape et
d'épée que les habitants des faubourgs
finissent par savoir par cœur. A être
tour à tour d'Artagnan, Lagardère, Buri-
dan ou le chevalier de Maison- Rouge,
il amassa une très belle fortune dont il
usa d'ailleurs fort généreusement pour
faire le bien autour de lui.
Un groupe de personnes dont le
nombre va toujours en diminuant ne
manque pas de venir au mois d'avril de
chaque année, à l'anniversaire de la
naissance de Charles Fourier, déposer
une couronne sur la tombe du célèbre
philosophe humanitaire. En cette occa-
sion encore on fait ici pour Fourier
ce qu'on fait au Père-Lachaise pour
Enfantin. Mais tandis qu'en ce dernier
lieu, le (I Père » possède un monument
d'apparence assez artistique, surmonté
d'un buste dû au ciseau d'Aimé Millet,
Charles Fourier dort son dernier som-
meil avec une simplicité que ne posséda
malheui'eusement jamais son style. Son
effigie, taillée assez grossièrement dans
une pierre que la pluie a noircie, rap-
pelle seule son souvenir d'une façon
assez vague.
Devant cette sépulture les « phalan-
stériens « — car il existe encore des
adeptes de cette doctrine — célèbrent la
gloire de leur chef, en attendant que se
réalise sa fameuse prédiction au sujet de
la « Phase d'Harmonie qui doit engendrer
un printemps perpétuel sur notre planète,
par l'expansion d'un acide alnqiie bo-
réal... » dont les chimistes actuels
n'ont pas encore découvert le secret.
Tout aussi fidèles que les phalansté-
riens, les disciples du baron du Potet
de Sennevoy, chef de l'Ecole Magné-
tique Moderne, ne manquent jamais
non plus de se réunir une fois par an
devant le monument qu'ils lui ont fait
élever, comme à un « bienfaiteur de
l'humanité ».
On conçoit qu'il serait trop long d'é-
numérer ici toutes les personnalités
dont le nom fut répandu autrefois et
qui peuplent aujourd'hui les silencieuses
allées de la nécropole. Citons cependant
encore, au hasard du souvenir et sans
tenir compte d'aucun ordre chronolo-
gique : le comte Daru, Sevesle, le jeune
artiste de la Comédie-Française, tué à
Buzenval ; Paul Lacroix, plus connu sous
le pseudonyme de Bibliophile Jacob et
l'un des hommes qui traitèrent avec le
plus d'érudition les questions les moins
amusantes ; Clapisson, Bineau, Réca-
mier, Nourrit, Delessert, Ruggieri, Ho-
race Vernet, Alfred et Tony Johannot, le
célèbre navigateur Bougainville, Louise
Collet, la femme-poète dont la signature
Louise Collet, née Revoil, prodiguée
dans toutes les publications de l'époque,
poursuivait comme d'une intolérable
obsession le doux Théodore de Banville ;
Louis Rostan, médecin des hôpitaux,
professeur à la Faculté de Paris; Léon
Moreau, le physicien célèbre ; Deho-
dencq, peintre d'histoire; l'amiral Bau-
din, Nelftzer, Chaix d'Est-Ange, le gé-
néral baron Travot.
On n'ignore sans doute pas que le
cœur du maréchal Lannes, duc de Mon-
tebello, est au cimetière Montmartre
dans un caveau de famille.
D'autres inscriptions rappellent, de-
ci de-là , les souvenirs héroïques des
guerres de la Révolution et de l'Em-
pire. Ce sont des colonels, des géné-
raux, qui prirent part à la grande épopée
et sur les tombeaux desquels les noms
des victoires se lisent à peine aujour-
d'hui. Voici le général comte de Girar-
din ; le général baron Ilurel qui fut à
LE ClMETIKin-: MOXTMA HTli i:
739
Dresde, à llaiiau, à W alerloo, à Alger,
.lelcz les yeux sur celle aulre sépul-
ture et dites si les quelques ligues sui-
vantes ne vous apparaissent pas, dans
TOMBEAU DE fiUILLAUMET
leur laconisme, comme un merveilleux
chant de gloire :
« Hippolyle Cazeaux — colonel-
major des Invalides, baron de l'Empire
— 62 ans de services.
« Sabre d'honneur reçu de la main de
Bonaparte, premier consul, pour avoir
fait, suivi d'un seul homme, quatre-
vingts prisonniers de guerre, à la Re-
doute du pont de Plaisance, au A'III. «
Ce colonel qui traversa toute l'Eu-
rope en vainqueur, qui fut blessé un
peu partout, qui perdit une jambe en
]80i>, ne mourut qu'en 1846.
Nétaient-ils pas véritablement d'une
génération de géants, ces hommes qui
écrivirent de si grandes choses avec
l'épée et que l'âge seul put abattre?
Les questions de différence de religion
ont perdu de nos jours de leur impor-
tance, au point de vue de l'enterrement
dans des parties distinctes du cimetière.
De sorte que catholiques, protestants,
israélites et orthodoxes de toutes les
Eglises se trouvent souvent reposer pêle-
mêle dans le même respect dû dernier
champ d'asile. Cependant on voit en-
core, dans la plupart des nécropoles
])arisiennes, des endroits aifectés plus
MONUMENT DE BERLIOZ
particulièrement à certaines sépulture;?.
.\ Montmartre, les tombes israélites
occupent une portion de terrain assez
vaste et située en élévation.
740
LE CIMETIERE MONTMARTRE
TOMBEAU DE JI. O S 1 U I S
Deux monuments remarquables en
indiquent, pour ainsi dire, Tentrée et la
sortie. Le premier est celui de M. Osiris,
qui vit encore et que tout le monde con-
naît comme un de nos amateurs d'art les
plus dislinj^ués, doublé d'un philan-
thrope. Sur un caveau de marbre blanc
d'une admirable pureté, M. Osiris a l'ait
placer une reproduction par Barrias
du Moïse de Michel-Ange. La base de
la statue porte ces quatre mots : « Au
plus grand législateur. »
L'autre monument est celui d'Halévy.
L'auteur de tant d'immortels opéras est
représenté sur un piédestal énorme qui
affecte les allures d'une colonne triom-
phale. Halévy est debout, dans cette
pose méditative et très conventionnelle,
chère aux artistes de l'époque Louis-
Philippe. Signalons encore dans cette
zone le caveau de la famille Millaud
sur lequel sont inscrits ces quatre beaux
vers des Conlemphitions :
Je dis que le tombeau qui sur les mort.* se ferme,
Ouvre le tirmament
Et que ce qu'ici-bas nous preuons pour le terme
Esi le commencement.
Une des particularités du cimetière
Montmartre, c'est de donner asile aux
restes d'un grand nombre d'officiers
polonais qui, après avoir pris part aux
grands et patriotiques mouvements in-
surrectionnels de leur pays, durent
s'exiler après l'écrasement final. On sait
comment ils retrouvèrent chez nous
une nouvelle patrie.
Mais ce qu'il y eut de véritablement
touchant dans cet exode, ce fut — c'est
même encore, après de si nombreuses
années — la solidarité qui unit toute
cette colonie. Ils vivaient, pour ainsi
dire, presque exclusivement entre eux
et, quand ils mouraient,, le même coin
de terre les réunissait pour l'éternité.
Le plus beau monument renferme le
corps du maréchal de la noblesse, Léon
Stemposky, qui fut, d'ailleurs, le fon-
dateur de cette Œuvre des Tombeaux
polonais. Dans ce même caveau repose
le comte Joseph Potocki, major célèbre
qui se couvrit de gloire dans l'insurrec-
lion du Palatinat de Podolie.
A quelques mètres plus loin est en-
terré le P. Zelowicki, supérieur de la
mission polonaise. Il est enfin un autre
monument élevé à la mémoire d'un en-
fant de la Pologne : c'est celui d'un
jeune homme, nommé Kamienski, qui
s'enrôla dans l'armée française au mo-
ment de la guerre d'Italie et fut tué à
Magenta. Ce monument, qui représente
Kamienski frappé à mort, est d'une belle
expression artistique et mérite pour
cela d'être signalé.
Dans le même ordre d'idée, mais sim-
plement au point de vue de l'originalité
du style, plus que de sa beauté, il con-
vient de rappeler l'étrange mausolée
que se construisit au cimetière Mont-
martre l'architecte français Laurecisque,
auteur des plans de l'ancienne ambas-
sade de notre pays, dans le quartier
Péra, à Constantinople.
u Un cimetière, a écrit Théophile
Gautier, donne toujours une leçon aux
vivants, car il résume, mieux que n'im-
,-^.
I. K CI M ET IK HE M (i N T M A H T H E
7il
porlc quel livre, la philosophie d'une
époque. C'est là qu'il faut venir cher-
cher la caractéristique de tel ou tel âg-e.
I.a pierre, le marbre, le bronze, la mo-
deste croix de bois comme la plus hau-
taine des pyramides prennent une voix
et nous parlent. »
A Montmartre, l'observation qui sini-
sées, colonnes brisées, sabliers, taux du
Temps, ossements en croix, vous ne
retrouverez pas cela dans la nécropole
contemporaine, qui n'est plus'. Dieu
merci, un de ces lieux d'où l'on sort avec
l'esprit plein de visions apocalyptiques.
Léx'olution littéraire, artistique et
philoi-ophique s'y manifeste dans toute
MONUMENT DE X E F F T Z E R
pose à tous les esprits est que la simpli-
cité relative de nos mceurs actuelles se
traduit, dans le choix de nos sépultures,
par l'horreur de ce qui est solennel et
pompeux. L'idée moderne se prête mal
à ces élucubrations macabres qui com-
posaient autrefois le cortège obligé de
chaque trépas. Nous ne savons peut-être
pas mieux vivre, mais nous savons cer-
tainement mieux mourir que nos ancê-
tres. Les marbriers eux-mêmes semblent
avoir laissé de coté, dans leurs construc-
tions nouvelles, les emblèmes, les attri-
buts, sans lesquels, il y a cinquante ou
soixante ans, un tombeau n'eût pas été
un véritable tombeau. L'rnes renver-
sa splendeur et l'on n'y voit pas, comme
au Père-Lachaise, des monuments exces-
sive.r.ent coûteux qui pourraient passer
pour des chefs-d'œuvre du mauvais goût.
La plupart du temps, la besogne de
l'architecte se trouve très simpliliée et
c'est au statuaire que l'on s'adresse. La
ferronnerie d'art joue aussi un rôle pré-
cieux dans l'ornementation des tombes,
grâce à ces volutes légères qui se dérou-
lent capricieusement autour du marbre
ou du granit ; grâce à ces fleurs de métal
repoussées au marteau et retombant en
gerbes éternellement belles ; grâce à ces
vases aux formes fines, élégantes, dans
lesquels poussent des plantes vivaces.
742
LE CIMETIERE MONTMARTRE
En certains endroits l'œil est attiré
par des tombeaux d'une blancheur im-
maculée, ainsi que des robes de jeunes
épousées; on n'y lit parfois qu'un simple
prénom, deux dates rapprochées l'une
de l'autre : la naissance et la mort. Et
l'on voit agenouillées devant ces mar-
bres qui recouvrent des dépouilles bien
chères, de pauvres mères éplorées,
blessées au cœur pour toujours :
Jeunes filles, hélas! qui donc croit à l'aurore?
Votre lèvre pâlit pendant qu'on danse encore
Dans le bal enchanté.
Dans les lustres blêmis on voit grandir le cierge.
La Mort met sur vos fronts un grand voile de vierge
Qu'on nomme Éternité!
On ne peut faire une description un
peu détaillée d'un cimetière, sans rele-
ver un certain nombre de ces inscriptions
tombales qui sont, en certains cas, stu-
péfiantes. Il y avait jadis toute une lit-
térature mortuaire dont bien des spéci-
mens se retrouvent sur les vieilles
sépultures. C'est changé aujourd'hui.
Certes, les regrets que nous manifestons
pour nos chers défunts sont les mêmes;
mais ils ne se traduisent plus par ce
débordement d'éloges ou par ces impré-
cations contre le trépas « injuste »,
(( cruel », « aveugle », « funeste », etc.
La concision de la forme et la sobriété
des épithètes deviennent presque une
façon de témoigner de son respect
devant l'implacable volonté du destin.
Cependant, à Montmartre comme
ailleurs, il existe des exceptions à cette
règle. En voici quelques-unes, recueil-
lies surdifFérentes pierres tombales :
Ci-gîl X
// se maria trois fois et fit toujours
le bonheur de ses épouses.
Dans une autre zone, à l'extrémité de
1 allée principale, on lit cet aveu :
Ving t-quatre ans de mariage ne m'ont
semblé que vingt-quatre Jours!
Un tombeau porte ces trois mots,
presque effacés par le temps :
Le silence, enfin!
Un philosophe a exhumé ce quatrain
connu d'un vieux poète :
On entre, on crie
EL c'est la vie!
On crie, on sort,
Et c'est la mort.
Sur une plaque de métal suspendue
à la grille d'un monument, on lit :
J'attends ma femme tranquillement.
Dans l'avenue Montmorency, deux
amis, Epicuriens l'un et l'autre, dorment
réunis en la même concession. Ils ont
tous deux résumé leur existence en des
acrostiches dont voici un échantillon :
Cujjidité ne fut son vice;
Le goût des arts seul recoupa;
Amour fit longtemps son supplice.
Vainement il ne soupira.
Euterpe assez lui fut propice,
La musique le consola.
Le second Epicurien ne le cède en
rien au premier; qu'on en juge :
En bonne et sinistre occurrence,
Usant de ses droits de chevance.
Rien jamais ne l'inquiéta.
Mais la plus curieuse épitaphe est
certainement la suivante :
A quoi sert de pleurer.'' Comme a dit La Palisse,
Ainsi que tout commence, il faut que tout finisse.
Bornons-nous à ces quelques citations.
Elles montrent que tout ne meurt pas
avec nous et que même dans le champ
de l'éternel repos, l'homme se retrouve
avec ses gaietés, ses ironies, ses tris-
tesses, ses haines, le désir parfois de se
singulariser jusqu'au ridicule et d'atti-
rer l'attention sur sa petite personna-
lité, même quand sa personne n'existe
plus.
Vanité des vanités!
Le sort nous use au jour, triste meule qui tourne.
L'homma inquiet et vain croit marcher, il séjourne.
Il expire en criant !
Nous avons la seconde et nous rêvons l'année!
Et la dimension de notre destinée,
C'est poussière et néant!
AmÉDIÎE Fr a IGNE au.
ÉGLOSION ET ÉLEVAGE DES POULETS
Pour pratiquer Taccouvage, il y a
deux sortes de couveuses : la couveuse
naturelle et la couveuse artificielle.
La couveuse naturelle a deux repré-
sentants : la dinde et la poule.
La couveuse artificielle est, en re-
vanche, représentée paP une soixantaine
de systèmes d'incubateurs difîérents que
l'on essaye une fois, et que l'on relègue
ensuite le plus souvent au grenier.
Parlons dabord des couveuses na-
turelles.
Les couvoirs à dindes sont de deux
sortes : nous avons les couvoirs orga-
nisés à la diable et les couvoirs bâtis
ingénieusement. En général, l'accou-
veur installe ses dindes dans une salle
basse, sombre, éloignée de tout bruit et
du passage des voitures; il dispose le
long des murs des paniers ouverts ou
fermés suivant la méthode employée,
ou encore de vieilles caisses. Les cou-
veuses y sont au nombre de trente à
tpiarante par salle. Elles sont séparées
les unes des autres par une cloison de
planches, ce qui évite les duels à coups
de bec. On les lève deux fois par jour
et elles regagnent ensuite seules leur
panier respectif. 11 existe des couvoirs
autrement agencés. Les dindes y sont
placées dans des cases de bois sem-
blables à celles que l'on remarque dans
les magasins des commissionnaires en
marchandises. Ces cases sont fixées au
mur sur trois ou quatre rangs, suivant
la hauteur du plafond; les dindes sont
levées par séries et replacées sur leurs
œufs. Cette superposition de cases
permet de loger trois et quatre fois plus
de couveuses dans le même local. Cet
avantage a ses dangers, car nous rap-
pellerons aux intéressés que cette agglo-
mération de dindes en un même lieu,
souvent mal aéré, est cause de ces épi-
démies de mortalité qui s'abattent sur
les couvoirs. Il n'est pas rare d'y trouver
des dindes mortes sur leurs couvées.
L'incidDation par les dindes a ses
petits déboires, dont le premier est la
perte des couveuses à la quatrième
m
KCI.OSIOX ET ÉLEVAGE DES POULETS
couvée consécutive ; certaines résistent
à ce supplice de la réclusion, mais elles
s'amaigrissent beaucoup. Il est salutaire
de les relever de leur stage pour les
mettre au vert quelques mois. La santé
des dindes et le sort des couveuses dé-
pendent de la basse-courière chargée de
les lever : il lui faut surveiller avec
sollicitude chacune de ses bêles, les
forcer à prendre de la nourriture; si
elles la dédaignent, provoquer leur ap-
pétit ; offrir des friandises, des verdures,
à celles qui refusent les graines ou les
bols farineux. Les poudrer régulière-
ment d'insecticide, afin de garantir les
poussins d'une invasion de parasites,
enfin, les obliger à se vider au moins
journellement, et voir, comme le disait
Molière, si la malière est louable.
' Chaque province a son procédé pour
accélérer chez les dindes la fièvre d'in-
cubation. La barbarie et la naïvelé s'y
mélangent agréablement ; on leur plume
le ventre, on le frotte d'essence de téré-
benthine, etc.
Celui qui a étudié les oiseaux sait que
l'obscurité est un puissant moyen d'édu-
cation et que la complicité des ténèbres
dispense des tortures que la Société pro-
tectrice des animaux réprouve. A la
faveur de la nuit, on oblige l'oiseau à
se taire, à jeûner, à ne plus bouger. Une
dinde ramassée dans la basse-cour, au
hasard , placée sur un panier rempli
d'œufs d'essai, renfermée dans un lieu
obscur, ne bouge plus. Pour plus de
sûreté, on ferme le panier d'un cou-
vercle ou de plateaux, et la dinde, ter-
rifiée par son passage subit de la lumière
à l'obscurité, s'étend craintivement sur
le fond du panier.
Une manière encore plus simple con-
siste à mettre à couver la dinde qui
manifeste cette intention. On la pose
sur des œufs de poule. Gomme la durée
d'incubation de ces œufs est de vingt et
un jours en hiver et de Vingt en été, et
que la dinde couve dans l'ordre naturel
trente jours, on lui enlève les poussins
éclos que l'on remplace par une tren-
taine d'œufs frais. Durant l'espace de
deux incubations de dinde, on obtient
trois couvées de poules. Après la troi-
sième couvée, on lâche la dinde pour la
reprendre trois semaines après.
Le lever des dindes s'exécute au gré
de l'accouveur; la meilleure méthode
est celle qui espace également les repas ;
ainsi, le premier à six heures du matin,
le second à six heures du soir. En hiver,
pour la commodité et aussi pour que les
couveuses ne mangent pas à la clarté
des lanternes , on recule le repas du
matin vers sept heui^es et l'on règle le
second sur la chute du jour; car on a
remarqué que les dindes et les poules
ne mangent qu'imparfaitement à la
lumière d'une lanterne ou d'une lampe.
La température du couvoir est main-
tenue vers 15 degrés centigrades.
Quant aux divers systèmes d'incuba-
teurs artificiels, le public a été si souvent
ti'ompé qu'il est presque impossible d'en
recommander un nouveau. Une chose
encore plus fâcheuse à dire, c'est qu'au-
cun des appareils fabriqués en France
ne peut rendre service : les deux seuls
incubateurs qui fonctionnent régulière-
ment sont d'origine anglaise. Le pre-
mier est à eau chaude, le second à air
chaud. Ils incubent tous les deux un
peu plus de deux cents œufs. Le pre-
mier demande, pour fonctionner, une
mise en marche-à blanc de trois jours ;
le second commence 1 incubation instan-
tanément et règle lui-même la tempéra-
ture sans tâtonnements. Ce dernier a
donné des résultats indiscutables. Sans
entrer dans les détails d'une description
qui serait trop technique, nous dirons
seulement que cet appareil est basé sur
les propriétés d'irradiation de la cha-
leur par le zinc en feuilles.
Cet incubateur, qui utilise l'air chaud,
qui règle automatiquement sa tempéra-
ture, est certainement le plus pratique
et le plus simple de tous ceux que nous
avons manipulés durant de longs mois.
Le chauffage coûte environ 8 francs par
incubation. Chaque éclosion donne cent
trente à cent cinquante poussins sur
deux cent trente œufs non mirés.
ÉCLOSION KT ÉLEVA CE DES POULETS
745
Les (l'ufs qui ne produisent rien se
décomposent : en ceufs clairs, leufs l'aux-
^^ermes, germes arrêtés dans leur évolu-
tion. La mortalité en coquille est relati-
vement faible, contrairement à ce qui
se produit avec les incubateurs à tiroirs.
Cet incubateur n'a qu'un léger incon-
vénient : c'est la délicatesse de son ma-
niement ; il exige une personne adroite,
aux mains fines.
La première condition de réussite.
d'Kgypte, ont observé que l'immobilité
de l'd'uf cause la mort de l'embryon ;
cette constatation a été conlirmée par
tous les savants qui ont expérimenté
l'incubation artilicielle.
Le retournement des œufs se fait
rapidement ; avec un peu de pratique,
on arrive à retourner cinq cents œufs
en dix minutes. On profite du retour-
Y x'-x—n'-a cr:.:-.-
cor VE USE A UT I FI CI ELLE A Al II CHAUD
c'est de placer la couveuse au premier
étage de la maison et non au rez-de-
chaussée; à 4 ou 5 mètres au-dessus
du sol, la mortalité en coquille, iné-
vitable en temps de pluie, diminue des
trois quarts.
On choisit une pièce dégarnie de
meubles et de tentures, bien saine et
à l'abri de l'humidité ou d'un courant
d'air. Une chambre mesurant au moins
3 mètres de côté ou 9 mètres carrés.
L'appareil se place au centre de la
pièce ; il est garni d'tcufs frais ayant
au plus trois à quatre jours, dont les
coquilles auront été lavées avec soin et
sans précipitation. Une fois la lampe
allumée, le couvercle de lappareil
fermé, l'évolution de l'embryon con-
tenu dans l'd'uf commence. Il ne s'agit
plus, pour aider à cette évolution, que
de retourner les œufs deux fois par
jour à intervalles fixes, comme le fait
la poule, et cela, parce que les prêtres
d'Isis, qui pratiquaient déjà l'incuba-
tion artificielle au temps des Pharaons
nement des œufs pour remettre de l'huile
dans la lampe. Le remplissage de la
lampe qui chauUe l'appareil doit seffec-
tuer le soir, de manière que la flamme
soit en pleine vigueur durant les pre-
mières heures du jour, moment cri-
tique où la température baisse sensi-
blement.
Vers le quatrième jour, les avicul-
teurs de carrière mirent les œufs afin
de retirer les (cufs clairs; nous ne con-
seillons pas le mirage aux débutants
qui veulent faire de l'incubation pour
se distraire. A la fin du dix-huitième
jour, des bruissements discrets, des
murmures imperceptibles ont troublé le
silence de l'appareil. Des coquilles ont
tressailli, remuées par une force invi-
sible, on perçoit les premiers vagisse-
ments des poussins; ces avertissements
ne trompent pas l'oreille exercée.
La manipulation des œufs cesse avec
les premiers cris, l'appareil ne devrait
plus être ouvert. Avec les couvées
d'œufs pondus à huit jours d'intervalle.
746
ÉCLOSION ET ÉLEVAGE DES POULETS
il est permis de réunir les œufs bêchés,
de les retourner; avec les couvées d'œufs
du même jour, les éclosions sont simul-
tanées ; ouvrir Tappareil , le refermer,
c'est troubler riiygrométrie de la cou-
veuse , c'est nuire à Féclosion , c'est
favoriser le collage des poussins !
Le collage se produit lorsqu'après
avoir fracturé l'endroit bêché, sur la
coquille, le poussin a déchiré la mem-
brane de l'œuf, puis s'est tenu en repos.
Alors l'air entre par la déchirure, pénètre
dans l'intérieur de la coque, change en
colle sèche la liqueur qui mouille les
bords de la déchirure et celle des feuil-
lets qui entourent le corps de l'oiseau.
Quand le poussin veut continuer le
bêchage, il ne peut plus tourner le bec,
il ne peut plus bouger son corps : il est
sous bande. Les ouvertures fréquentes
de l'appai'eil sont causes de ce malheur.
Pour délivrer ce poussin, on ne doit
pas hésiter à continuer le bêchage en
frappant à petits coups la coquille autour
de la tête de l'oiselet. Quand l'ouverture
faite est assez grande, on humecte la
membrane collée avec un pinceau chargé
de blanc d'ccuf tiède ou d'eau de gui-
mauve. Ce traitement l'aide à se tirer
dafTaire ; on le remet dans la couveuse,
car il est imprudent d'aider le poussin
à sortir de l'œuf.
Le retrait des poussins s'exécute rapi-
dement. On les place dans les sécheuses
qui accompagnent l'appareil et qui uti-
lisent la chaleur perdue de l'incubateur.
Lorsqu'ils sont ressuyés, qu'ils tiennent
sur leurs pattes, que leur fourrure duve-
tée, lisse comme un satin, maintient
autour de leur corps une couche d'air
chaud qui peut lutter avec la tempéra-
ture extérieure, c'est-à-dire quarante-
huit heures après leur naissance, l'éle-
vage commence.
Dans toutes les exploitations où l'on
travaille sérieusement à la production
de la ^'olaille, on place les poussins,
sitôt leur éclosion, dans une sccheiise.
C'est une boîte vitrée, remplie d'une
couche de foin ou de paille d'orge brisée,
chauffée soit par le moyen d'une bouil-
lotte, soit en utilisant une source de
chaleur quelconque. Les poussins y sont
logés au nombre de cinquante et de
cent. Ils doivent occuper ce logement
deux jours, en attendant qu'ils soient
bien ressuyés et qu'ils aient résorbé le
jaune de l'œuf qui, par un mouvement
mécanique, est rentré dans leur petit
corps quelques heures avant leur sortie
de la coquille. Pendant ces deux jours
de réfection interne, on ne leur donne
pas à manger; néanmoins, il faut veiller
à l'existence de ces petits êtres. Si la
chaleur est excessive, ils s'écartent les
uns des autres et donnent des signes de
suffocation en ouvrant démesurément
le bec; si, au contraire, la température
de la sécheuse est insuffisante , l'en-
vahissement des angles est immédiat,
la bousculade est prochaine. Un peu
plus, un peu moins de litière, un mor-
ceau de lainage appliqué sur les vitres
de la sécheuse remédient à ces excès
qu'il faut prévoir en se guidant d'un
bon thermomètre ; les poussins pas-
seront la nuit dans la sécheuse et cette
nuit peut être terrible.
Les poussins ressuyés, les quarante-
huit heures écoulées, il est temps de les
livrer aux éleveuses.
L'élevage naturel se sert de poules
ou de dindes captives ; l'élevage artifi-
ciel, d'éleveuses à lampes et à chau-
dières.
Commençons par l'élevage naturel.
L'aviculteur qui emploie des poules,
des dindes ou des chapons dressés à
conduire est rare, et les résultats qu'il
obtient, malgré son adresse, sont plutôt
maigres ; aussi presque tous les pro-
ducteurs de volailles qui veulent opérer
avec certitude s'assurent-ils du concours
de dindes ou de poules captives.
Ces poules, ces dindes sont prises au
couvoir ou à la basse-cour, parmi celles
qui viennent de terminer une couvée
ou de la gâcher; elles sont alors in-
ternées dans des boîtes délevage ayant
40 sur 50 centimètres pour les poules,
60 sur 70 centimètres pour les dindes.
Ces sortes de caisses sont munies d'un
KCI.OSIOX KT KLK\A(; 1-: DKS POULETS
7 47
couvercle pour y introduire l'oiseau et
d'une poignée pouren faciliter le trans-
port; l'un des plus petits côtés est
(lanqué d'un grillage, ou d'un lattage à
claires-voies, assez larges pour faciliter
boite d ' é l e v a (j e
i'oi;r mère captive
la rentrée ou la sortie des jeunes élèves,
assez étroites pour empêcher la sortie
de la femelle. Les boîtes d'élevage les
mieux conditionnées sont accompagnées
de deux portes mobiles : l'une pleine,
l'autre à claires-voies. La première
porte s'emploie vers la fin de l'élevage,
la seconde au début.
En maintenant les femelles captives
durant trois semaines au moins, en ne
les laissant sortir que deux fois par
jour, comme elles le doivent en cours
d'incubation, les poussins peuvent se
réchauffer quand ils le désirent, et c'est
là l'essentiel pour eux, car ils n'ont
besoin d'aucun conseil pour apprendre
à manger. A la lin de la troisième
semaine, ils peuvent sortir accompagnés
de leur mère adoptive; on ne laisse à
leur disposition qu'un espace restreint
d'abord, qu'on agrandit peu à peu jus-
qu'au jour où ils peuvent être lâchés
dans les parcs, c'est-à-dire à six semaines,
pendant la l)elle saison, deux mois pen-
dant l'hiver et le printemps. Une poule
peut élever de douze à quinze poussins,
une dinde de \ingt-cinq à trente. Les
règles à suivre, les précautions à prendre
durant l'élevage naturel sont les mêmes
que celles que nous indiquons plus loin
pour l'élevage artificiel, celui qui cap-
tive le plus l'attention des amateurs.
Dans l'élevage artificiel, la conduite
des bandes se fait en chambre. La
chambre est sombre, croisées closes,
volets fermés, température maintenue
à 15 degrés par le voisinage d'une pièce
chauffée. Deséleveuses à récipient d'eau
chaude à trente degrés sont disposées
sur une couche de sable bien sec qui
couvre le sol; des nids de foin tapissent
le dessous des hydro-mères.
L'hydro-mère est un cadre de bois
monté sur quatre pieds qui supportent
une chaufferette à eau. Les poussins
sortant des sécheyses sont placés sous
ces hydro-mères. Les aviculteurs qui
ne disposent pas de jfUcaux secs et
chauds se servent de bâches vitrées
comme celles qui servent à la germina-
tion de certaines graines délicates. En
général, on se sert d'hydro-mères, en
tendant rigidement sous la chaudière, à
l'aide de cordons noués aux quatre pieds,
un carré de mousseline à rideaux, un
peu ferme, genre crochet; ce morceau
de tissu broché tendu horizontalement
à quatre ou cinq centimètres du fond de
chaudière sert de vélum aux poussins,
ils se frottent la tête et le dos contre et
s'imaginent recevoir les caresses d'une
mère. Pour que l'illusion soit complète,
il suffît que la mousseline résiste aux
poussées de soixante petites têtes. Quand
la rigidité du vélum faiblit, on le change.
Cette gymnastique est excellente pour
la santé des jeunes oiseaux élevés par
quantités; elle est un besoin de leur
nature, comme celte faculté de gratter
la terre qu'ils possèdent par atavisme et
par intuition.
Une hydro-mère mesurant 40 centi-
mètres de côté peut abriter soixante
hydro-mère
poussins; on peut disposer quatre hydro-
mères par chambre de grandeur moyenne.
748
ÉCLOSION ET ÉLEVAGE DES POULETS
Afin d'empêcher le mélange des compa-
gnies cantonnées dans la même pièce,
un coupon de fil de fer de 25 centimètres
de hauteur circonscrit Tespace autour
des éleveuses. La portion de territoire
réservée aux petites bêtes pendant les
premiers jours ne doit pas excéder le
double de la superficie couverte par
l'éleveuse; il faut qu'à la moindre im-
pression de froid le poussin puisse
recourir sans tâtonnements à son
abri.
Les petits poulets exigent autant de
soins que n'importe quelle race réputée
difficile à élever. S'ils savent manger et
gratter de naissance, ils ne savent pas
rentrer sous l'éleveuse; c'est ce que le
conducteur a pour mission de leur en-
seigner. Sitôt qu'il voit ses poussins se
coller en boule contre le grillage, il les
pousse doucement sous l'éleveuse en les
accoutumant à écarter les rideaux d'en-
trée. Certaines races comprennent sans
avertissement; le caneton et le pinta-
deau, par exemple; on peut même
ajouter que le fils de la cane a le senti-
ment de l'élevage artificiel, il s'y livre
avec un abandon comique. Le poulet
s'y résout moins vite; il forme des
groupes protestataires qu'il faut dis-
perser si l'on veut prévenir la diarrhée,
les refroidissements et la congestion
pulmonaire. Le conducteur distribue la
nourriture et la boisson, nettoie les
abreuvoirs, s'assure en faisant recharger
les billots qu'aucun pensionnaire ne
refuse la nourriture, que les billots et
les abreuvoirs sont en nombre suffisant
pour satisfaire l'appétit de chaque esto-
mac sans querelles. Les conducteurs ont
la charge d'agrandir le cercle qui enserre
les compagnies, ils sont juges de la vita-
lité de chacun, et les billots, les abreu-
voirs qu'ils placent judicieusement près
de l'éleveuse au commencement de
l'éducation s'éloignent de jour en jour
de l'hydro-mère pour augmenter le par-
cours des petits gourmands. Les pous-
sins se familiarisent rapidement avec
leur conducteur; ils ne tardent pas à
voleter sur ses bras, sur ses épaules et
se pi'écipitent à sa rencontre au son de
sa voix.
Le rôle des conducteurs n'est pas une
sinécure, on peut leur donner de six
cents à mille poussins à diriger pour les
habituer à être vifs. Ce ne sera jamais
une fonction pour l'adulte. Il n'y a que
l'extrême jeunesse qui s'accommode à
cette existence, qui consente à se traîner
sur les genoux, à vivre de la vie des
poussinées. Peu de femmes s'y astrei-
gnent, l'enfant n'y met ni fierté, ni
mauvaise grâce, aussi les élevages où il
est employé comme conducteur sont-ils
plus prospères que les autres : il n'y a
que lui pour remplacer la poule avan-
tageusement.
L'élevage a quatre périodes. La pre-
mière est celle de la surveillance active;
la seconde, celle de la phase critique,
la troisième, celle de la demi-liberté ; la
quatrième, celle de l'émancipation. La
période de surveillance et la période
critique ont une durée fixe, établie ;
elles comprennent les trois premières
semaines ; avec un climat aussi variable
que celui de Seine-et-Oise et des dépar-
tements limitrophes, les deux dernières
sont livrées à la clémence du temps.
Xous allons exposer minutieusement
limporlance de chacune de ces périodes
et leur influence sur le régime des bandes.
La première période est celle de la sur-
veillance assidue; elle exige un fonds
inépuisable de patience. Elle commence
avec l'entrée sous l'éleveuse. La chambre
d'élevage est plongée dans une demi-
obscùrilc afin d'habituer lentement les
oiseaux à la lumière et pour ne pas
qu'ils s'eil'arouchent : à chaque nou-
velle installation, l'obscurité est un auxi-
liaire. Le conducteur distribue dans des
assiettes ou des soucoupes du pain ras-
sis broyé finement et veille à ce que ses
élèves quittent l'hydro-mère à des inter-
valles réguliers, mais qu'ils ne restent
pas dehors plus de quatre heures par
jour. // ne leur donne pas à boire. Les
choses ne se passent pas autrement avec
les poules conductrices. Voyez le manège
de la poule négresse réputée la meilleure
KCLOsioN i:t Ki,K\'Ar. k des potlets
des mères, il se compose de petits ébats
coupés de longs repos : la poule statiomie
n'imjiorte où pour réchauffer sa couvée,
l'élevage industriel n'a fait que copier la
nature. Le troisième jour, en maintenant
la même discipline, les billots garnis de
pâtée apparaissent, les \olels des croi-
sées sont ouverts ; de onze heures à midi,
on ouvre quelques instants la fenêtre
pour renouveler l'air, si la journée n'est
ni humide, ni pluvieuse. On attache au
grillage des touffes de chicorée ou quel-
ques feuilles de laitue ; on ne leur donne
pas à boire.
La composition des pâtées tlu premier
âge est trop souvent, chez les amateurs,
un amalgame de matières qui se combi-
nent mal. Ils incorporent avec le plus
grand sérieux du chènevis, du sarrasin.
du millet, de l'orge, de l'œuf, de la
salade et des coquilles. Ces combinai-
sons ont trois défauts : elles coûtent
cher, elles sont indigestes, elles deman-
dent trop de main-d'œuvre, enfin elles
ne sont pas nourrissantes, car les pous-
sins les refusent. Les pâtées de poussins
doivent être simples et ne contenir que
deux éléments. De la farine et des auifs;
des grains moulus , blutés, avec de la
verdure, de la ciboule, de l'oignon, du
cerfeuil ou de la chicorée. Les établisse-
ments d'élevage qui fournissent le plus de
poulets à la consommation ont renoncé
à l'œuf durci, du moins pendant les pre-
miers jours. Les billots sont chargés de
farine d'orge, délayée dans de l'eau fil-
trée. Il ne faut pas que cette pâle soit
coulante, elle doit tenir sur les billots
sans être trop ferme ahn que les oiseaux
ne restent pas pris par le bec en l'atta-
quant. La farine de sarrasin est aussi
très bonne, on la mélange d'un tiers de
farine d'orge ou, par économie, d'un tiers
de petit son ; ce mélange corrige le sar-
rasin . modilie ses propriétés échauf-
fantes.
Le quatrième jour de la station en
chambre, on élargit le cercle tracé par
le coupon de grillage autour de l'éle-
veuse et l'on dépose sur le sable, après
le premier repas, trois à quatre mottes
de gazon par compagnie. Des mottes
dont l'herbe ne soit pas mouillée et qui
ne contiennent pas dans leur épaisseur
des vers longs de huit pouces. Ces
mottes ont été enlevées dans un pré
à l'aide d'une bêche. On les espace
convenablement, de manière à former
des îles de verdure assez éloignées les
A ni! E r Vi> I 11
SI 1> H ôïl) E
BILLOTS
I : A H M
PATE E
V I I) E
unes des autres pour faciliter la circu-
lation en cas d'émeute ou de défilé
tumultueux. Sitôt les poussins lâchés
au milieu de ces mottes, ils tournent
autour, poussent une pointe de recon-
naissance, et, au bout de quelques mi-
nutes, ils les escaladent, les pillent, les
piochent, dégringolent, s'emparent des
vermisseaux, se poursuivent et mènent
une vie de petits gueux. Quand le conduc-
teur juge que la partie a duré suffisam-
ment, il enlève les mottes. Ces mottes
ne resservent jamais deux fois : elles sont
broutées jusqu'aux racines. Avec elles ,
on installe les abreuvoirs. Ces abreu-
voirs, minuscules, en terre et de forme
siphoïde , ne doivent contenir qu'un
demi-lilre; ils sont remplis d'eau pure
filtrée. On change deux fois leur contenu
parjour, en supposant qu'il y en ait quatre
par compagnie de soixante. Cet entraîne-
ment des poussins sur les obstacles se
continue les jours suivants pendant toute
la durée de la station en chambre.
De jour en jour, aux heures les plus
chaudes, la fenêtre de la chambre d'éle-
vage reste plus longtemps ouverte.
Le soir du dixième jour, avant la ren-
trée des poussins, il est temps de placer
sous l'hydro-mère le parquet de plan-
750
ECLOSION ET ÉLEVAGE DES POULETS
cheltes qui servira au transport des
poussins; car, à dater du dixième jour,
les oisillons doivent affronter le plein
air ; quelques heures de récréation sur
la prairie ne peuvent pas nuire, mais
par les temps secs, par les jours de
soleil. La surveillance des compagnies,
pour être moins stricte que pendant la
première période, n'en est pas moins
attentive. En cas de pluie ou d'orage,
il faut rentrer les poussins dans la
chambre d'élevagre et leur fournir des
mottes de gazon toujours nouvelles pour
remplacer les distractions de la prairie.
La nourriture devient plus substantielle,
plus variée. Elle se compose de riz cuit
à l'eau, de distributions d'asticots, de
vers de farine, de hachis de viande crue
roulée dans la farine de sarrasin ou
d'orge, car les parcelles de viande rouge
hachée ont une tendance à se coaguler :
la farine s'y oppose. La pâtée des billots
est ainsi faite : six œufs battus en mousse,
puis additionnés de deux verres de lait
pur; le lait s'impose, il empêche les œufs
d'épaissir à la cuisson. Ce mélange est
mis sur le feu pendant quelques minutes ;
lorsqu'il est chaud, on le verse au milieu
d'une quantité de farine suffisante pour
l'absorber et on pétrit jusqu'à ce que la
pâte ait pris assez de consistance pour se
maintenir. On peut remplacer la farine
par des croûtes de pain réduites en
miettes. Ce changement de menu, ces
gourmandises permettent à l'oiseau de
traverser sans accident l'époque cri-
tique ; la richesse de l'alimentation lui
restituera ce que la pousse des plumes
de la queue et des ailes lui fera perdre.
C'est à partir de cette époque seulement
que l'on met à In disposition des pous-
sins des augetles remplies de gravier,
de coquilles d'auifs pilées ou d'écaillés
d'huîtres broyées. La boisson est la
même. Quelques éleveurs ont éprouvé
les bons effets des trempelles au vin,
nous préférons le hachis de viande qui
enthousiasme les oiseaux. Il ne faut pas
en abuser afin d'éviter la constipation,
une seule distribution tous les deux
jours, le matin, tant que dure la période
critique, et une distribution de pâte aux
œufs. Pas de riz le jour de la viande.
Ces aliments octroyés largement, les
poussins garantis de l'humidité , une
température de 18 degrés centigrades
permanente, et la crise ne fera pas de
victimes.
Les poussins ont vingt et un jours,
la crise ne leur a pas été funeste, ils
entrent dans la période de la demi-
liberté ; cependant, se presser de les
considérer comme sauvés serait témé-
raire. Une alimentation soignée leur a
donné un sang riche et des forces dont
ils abusent; ils sont turbulents, effron-
tés, désobéissants. Si le conducteur n'in-
sistait pas pour les obliger à se reposer
sous l'hydro-mère, ils passeraient toute
la journée dehors sans rentrer une seule
fois, c'est là l'écueil de l'éducation artifi-
cielle. A trois semaines, après le passage
de la crise, on est disposé à se relâcher.
L'éleveur doit se souvenir que, si les
oiseaux ont passé quatre heures en
moyenne dehors la première semaine,
six durant la seconde et la troisième, ils
n'y peuvent rester plus de huit heures
durant la quatrième. Les poussins les
plus précoces recourent à la chaleur de
la poule pendant vingt-cinq jours. Ce
passage de la troisième semaine à la
sixième est plein de périls, la tempé-
rature peut changer, l'air peut se char-
ger d'humidité ; la bande installée au
grand air serait mieux dans la chambre
d'élevage. Le menu est changé, aux
mets délicats succèdent les pâtées plan-
tureuses de pommes de terre, de farine
grossière, de recoupes, de remoulages,
KCLOSION KT Kl. K V AC. K DES POIJI.ETS
751
les croûtes Irenipées, les légumes cuits
mêlés de son, les rations économiques
que Ion maintient jusqu'au bout de la
sixième semaine.
Nous voici parvenus au moment de
prendre une grave détermination : celle
d'émanciper les bandes, d'ellectuer le
transport général dans les parcs d'élèves
et l'installation au poulailler. A six
semaines , ce déménagement semble
indispensable; cependant, il est sou-
mis aux indications du thermomètre,
aux dépressions barométriques.
Depuis le commencement de l'élevage,
on n'a jamais distribué de grains aux
oiseaux, la mise en parquet va modifier
cette coutume. Les pâtées de pommes
de terre seront accompagnées de distri-
butions d avoine moulue grossièrement,
de brisures de riz, de maïs ; de purées
de pois, de féverolles, de cosses de légu-
mineuses jusqu'au moment où l'éleveur
jugera de son intérêt de ne plus donner
que du grain.
L installation des jeunes poulets se
lait dans des cabanes-abris en planches
mesurant 2 mètres décote. On les porte
sous leur éleveuse, la nuit venue, au
nombre de deux cents par poulailler. La
porte de ces poulaillers ouvre au ras du
sol, afin qu'en cas de pluie les oiseaux
puissent rentrer. Quand les poussins ne
s'abritent plus sous les hydro-mères,
c'est qu'il est temps de placer les per-
choirs, ils vont devenir poulets, on fait
disparaître les éleveuses.
De six semaines à trois mois, les pou-
lets grossissent, leurs pectoraux s'élar-
gissent, ils prennent plus de place sur
les juchoirs. Sitôt que le conducteur
s'aperçoit que les perchoirs deviennent
trop étroits, ce qui se constate à la vue
de groupes de poulets pelotonnés dans
les angles de la cabane, sur le sol, on
procède, pour ne pas perdre de temps,
à la séparation des sexes.
On forme, suivant la grandeur des
poulaillers que l'on possède, des bandes
de poulettes et de coquelets de cent,
cent cinquante à deux cents, et on les
transporte dans les locaux et les parcs
qu'ils doivent occuper définitivement.
La séparation des sexes calme les co-
quelets et favorise la croissance des
élèves, c'est le meilleur acheminement
à la sélection, à l'engraissement.
Toute l'économie de l'engraissement
et du gavage repose sur l'appropriation
des pièces réservées à l'installation des
épinettes. Il est nécessaire que ces
pièces soient fraîches en été, chaudes en
hiver, et alternativement claires et
obscures. La nécessité d'une température
en rapport avec la saison et le nombre
des volailles réunies en un même lieu se
conçoit, les alternatives d'obscurité et
de clarté exigent une explication.
Les éleveurs ont depuis longtemps
remarqué que la privation de lumière
diminue la stabulation des animaux de
basse-cour soumis à l'engraissement, et
qu'avec une ditférence notable sur les
quantités d'aliments fournis, les vo-
lailles atteignent en dix-huit jours le
poids des poulardes gavées six semaines.
Mais, si l'obscurité est favorable à la
digestion, à l'assimilation, elle est con-
traire à la manducation ; aussi pour l'en-
courager ouvre-t-on les volets aux heures
des repas et les referme-t-on aussitôt
après. Pour obtenir de bons effets de
cette ruse, il faut que l'obscurité soit
aussi complète que la clarté a été grande,
que l'oiseau perde la notion du jour et
de la nuit, que sa mise à l'engrais soit
pour lui comme une seule journée pen-
dant laquelle on lui aurait servi cin-
quante-quatre repas.
L'engraissement pratique délaisse les
entonneuses et les gaveuses, il emploie
les épinettes fixes qui ne laissent passer
que la tête de l'oiseau. Sur le devant
s'accroche une augette en fonte à deux
compartiments : un pour la pâtée, l'autre
pour la boisson.
La nourriture est donnée trois fois
par jour , les distributions coïncident
avec l'ouverture des volets. L'immo-
bilité, l'obscurité, la tranquillité sont
les facteurs d'un engraissement rapide
à prix réduits.
Le régime des poulets durant leur
752
ÉGLOSION ET ELEVAGE DES POULETS
stage en épineltes est le suivant :
On commence par oblig^er les prison-
niers des épinettes à se nourrir de
pommes de terre cuites, ce qui les pré-
pare à manger beaucoup ; la pomme de
terre trompant la faim sans la satisfaire.
On corse le régime par des pâtées de
maïs, de vesces, de pois, de graine de
lin, de tourteaux de colza, de noix de
coco, de gluten pressé. Quand, pour
l'engraissement, on use de substances
économiques, il convient pendant les
huit derniers jours de reprendre les
pâtées de farine de céréales additionnées
d'œufs cuils ou battus dans du lait. La
première pâtée de la journée : pommes
de terre, les deux distributions sui-
vantes, pâtées variées pour maintenir
les volailles en appétit.
L'industriel qui se livre à la produc-
tion des volailles grasses calcule sa dé-
pense par tête à raison de 0 fr. 10 au
plus par jour. Quand la mise à l'engrais
dépasse cette minime dépense, il vaut
beaucoup mieux vendre ses poulets
maigres.
Puisque nous venons d'indiquer le
régime des poulardes, donnons, en ter-
minant, celui des poules et des dindes
couveuses, tel qu'il est suivi chez l'un
des aviculteurs qui fournit le plus de
poulets de choix aux restaurateurs pa-
risiens.
Repas du matin. Six féverolles par
jour, ou douze pois, ou des vesces; une
poignée de sarrasin, d'avoine ou d'orge.
Quelques tranches de navets crus, ou
de betteraves, d'oignons, de topinam-
bours ou de feuilles de chou hachées.
Repasclusoir. Pâtée de farine d'avoine,
d'orge, ou de sarrasin, ou de pois, de
vesces. Pour varier : orge, avoine, sar-
rasin, pâtées de biscuit de troupe mé-
langées de son. Croûtes de pain mouillées.
En cas de perte d'appétit, les déchets
de cuisine seront vivement appréciés
des couveuses et des mères captives. Le
cas n'est pas rare de ces poules gour-
mandes qui viennent couver dans la cui-
sine pour être plus proche du bullet;
il n'y a pas de curé de campagne qui
n'en possède au moins une !
Pal'l De vaux.
POULAILLER MOBILE
LK MOUVEMENT LITTÉRAIRE
Léditeurdes Façades, roman de M. Fran-
çois de Nion, annonce ainsi son livre :
(■ Cc>s fa(,'ades sont colles dei rière los(|uellcs
s'agite et se contorsionne la vie des hautes
classes. Ces façades calmes et sculplées
que nous voyons s'aligner sur les avenues
bruyantes des Champs-Klysées ou sur les
rues silencieuses du faubourg Sainl-Ger-
inain, jamais main plus violente et plus
rude ne les a déi'eneslrées, jetées bas,
pour laisser voir tout d'un coup, derrière
i'abatis, le mensonge des apparences et la
misère des réalités. C'est un livre impla-
cable, peul-ètre injuste, peut-être au-des-
sous de la réalité, mais c'est un livre :
c'est le premier roman sur le monde, écrit
avec sincérité par quekjuun qui en est. »
C'est un livre, oui, et curieux et méri-
toire; et il mérite de nous arrêter. Quant
à dire que c'est le premier de ce genre,
c'est une superfétation pour la publicité,
car le grand monde a été souvent scruté,
scalpé, depuis La Bruyère, depuis Saint-
Simon, jusqu'à Alexandre Dumas tlls, tîyp
ou llermant. Mais le titre a, comme tout
le livre, son ingéniosité. Lex Façades ! Cela
rappelle le Diable boiteux de Le Sage, cet
Asmodée enlevant les toits des maisons
comme la croûte d'un pâté pour voir de-
dans ce qui s'y passe. Et c'est aussi
M""' de Sévigné disant ({u'elle rêvait un
cabinet tout tapissé de cartes à jouer,
qu'un petit diablotin retournerait pour nous
faire voir le dessous de cartes, et nous
aijprendre ce que cachent les façades des
maisons. M. de Nion la l'ait. Il a retourné
les cartes de M°" de Sévigné.
Son livre ne peut guère se raconter. Ses
personnages font assez sotivent mouvoir le
■' cinématographe de leur pensée >•, pour
évoquer des séries de tableaux, des bandes
d'images. Tout le livre entier est un ciné-
matographe, une lanière pelliculaire, sur
laquelle se succèdent des tableaux de
Paris.
L'action n'est pas fortement nouée : les
acteurs ne concourent pas à une intrigue
solidement serrée; ils sont comme les
compères du montreur de vues. Ils se res-
seml)lent trop et ne se distinguent ni ne
se différencient assez dans leur canaillerie
uniforme. Le décor, très joli, écrase et
éteint les personnes, qui se confondent
dans un mépris général : M™" de Caudale,
VIII. — 4s.
qui ne reçoit jamais son mari à qui elle
donne un louis par jour pour s'amuser, et
qui a des vices affreux ; .M""> d'Arcole qui
veut faire de son amant son beau-frère;
^jme jjgg Mesmes, qui brocante et machine
des affaires louches dans une agence
I)orgne ; .M. de Sartines, cjui entretient une
modiste et l'épouse ; seule, M™'" des Ormes
a de l'honneur et de la vertu, encore con-
çoit-elle le dessein de prendre un amant,
de fuir avec lui et d'aller donner, pour
vivre, des leçons de chic parisien à New-
York.
Ce sont d'intéressantes silhouettes, dont
le seul défaut est d'être toutes sur le même
plan. On les brouille. C'est un écheveau
d'intrigues. L'auteur a oublié le conseil si
sage de Boileau : un seul fait accompli!
Derrière ces gens de la haute qui sont
très orduriers, se déroule le panorama de
la vie parisienne.
Ce sont des panneaux qu'on peut étique-
ter : la partie de polo, à Trouville, la chasse
à courre, le monologuiste mondain, la
séance de spiritisme, le soir des abonnés
à l'Opéra, le concert des tziganes, l'agence
Tricoche, l'orgie au cabaret .Montmartrois,
le suicide d'un grand seigneur impliqué
dans une affaire tie mœurs, un enterrement
dans le grand monde, la grande dame bro-
canteuse, l'incendie du Bazar de la Cha-
rité, le Salon de peinture l'année du Balzac
de Rodin, et ainsi de suite.
Ces vues sont joliment et curieusement
étudiées par un observateur perspicace
qui sait voir et qui fait voir. Des scènes
sont fortement traitées et restent pré-
sentes, et parmi celles-là je vous citerai,
au début, le cas de cette mondaine qui est
chez son amant |)endant que son enfant
meurt étouffé, négligé par sa nourrice en
goguette ; la mort du père de Lemesle, un
jeune parveneur sans scrupule, le suicide
du comte dans les ])ois, l'incendie du Bazar,
forte et vivante peinture, une remarquable
chasse au cerf, à comparer avec celle de
M. de Soyecourl, dans les Fâcheux, de
Molière : elle est aussi techniquement do-
cumentée et contient de belles pages que
je voudrais vous faire lire, si j'avais la
place ; je vous en citerai du moins quelques
lignes :
Les cliiens, d'une même gorge, se récrient
et le cerf, de nouveau, dressé sur ses jambes.
754
LE MOUVEMENT LITTERAIRE
s'allonge, pousse lout droit maintenant d'une
refuite éperdue, perce l'espace des bois pro-
fonds enfiévrés par la voix des chiens qui
boivent la voix, par les boufTées cuivrées des
trompes sonnant les bien-ailés ^'ifs. fjais et
courts. Au fond de ses yeux ovales naît les-
poir de la plaine, l'étendue libre où déployer
le galop de ses pieds fourchus; il se souvient
d'y avoir vu — aux heures d'amour, quand,
avec son harpail léger, il broutait aux lisières
de la forêt — des moissons toufl'ues où se
cacher, des lointains bleus infinis où fuir.
Mais, dans les taillis, une harde au galop ;
les jeunes, biclies et daguets, peureux et ha-
gards, le cou tendu, les pieds précipités. Le
\ieux cerf court à eux, se mêle à leur trou-
peau, tâche de confondre dans leur animalité
l'odeur de son corps, l'odeur vivante et mor-
telle qui tire à sa suite la course aboyante
des chiens.
— Il s'est accompagné!
— Un bat l'eau, dit le duc.
Les chiens jiiétinent dans la vase, au bord
de l'étang, en un enragement de gueules. Les
plus ardents se décident, prennent l'eau, na-
gent à cinq ou six autour du cerf, accueillis à
coups d'andouillers. Bientôt c'est le long de
ses lianes une remuée grouillante; il sent des
dents cuisantes pénétrer dans sa peau, des
crocs claquer contre les tendons de ses jambes
et des larmes de douleur jaillissent de ses
yeux...
Un soir d'ambre pâle mourait à la cime
noire et grêle des arbres et la douceur de la
nuit planait; elle était délicieuse et calme,
indifl'érente, et si le cerf songeait, si des vi-
sions passaient dans sa pensée mue de souf-
france, il voyait sans doute les lointaines re-
posées où les autres bêtes en ce moment,
énervées, épou^■antées, devaient se grouper
et se tapir; il sentait l'odeur des profonds
intimes du bois, la délicate paix de nature
qui bientôt s'étendrait lumiide et bienfai-
sante sur les autres, sur ceux qui ne devaient
pas mourir ce soir-là.
La nappe enlevée, ils se ruèrent sur les dé-
l)ouil!es sanglantes et fraîches. Les fanfares
solennelles élargissaient les sonorités de leurs
cuivres, se répondant en partie d'un bord à
l'autre de l'étang pendant qu'un ciel de ve-
lours rouge, moiré d'or et de violets tendres,
drapait ce décor ancien de magnificence, de
grandeur et de carnage.
Les chiens, à gueules sanglantes, carna-
geaient les entrailles et les membres du cerf,
des os craquent entre leurs dents l)lanches.
L'étang, déserté par les maîtres, s'ensablait de
nuit, redevenait le lieu de chasse des loin-
tains commencements de la ^'ie, le tragique
lieu de solitude et de silence où des bêtes
avides et disputeuses en mangeaient une
autre.
C'est une des meilleures choses du livre.
Elle l'ait penser à telle page de Lamartine ou
de de Pêne. Le dernier mol marque la phi-
losophie dont ce livre cfuel et matérialiste
est empreint. La civilisation elle-même,
aussi bien ([ue le luxe des mondains, est une
façade. Le vrai, c'est la sauvagerie, et l'au-
teur la retrouve partout, autour de la table
somptueuse où l'homme se nourrit et s'em-
plit de santé et de joie, comme à l'incendie
où le mâle piétine les femmes pour se sau-
ver. Les voici à table et la couleur du ta-
bleau est bien imprévue :
— Les filets de renne circuitaient autourde
la table; leur goût fauve et faisandé, mâché
par tant de bouches, fit dans la vaste pièce
une haleine vague de pourriture et de sauva-
gerie. Les convi\es s'animaient, leurs cellules
se gonflèrent de barbaries, envoyèrent à leurs
cerveaux l'influx des anciens ataves, ciui, jadis
— avant — avaient banquet'é ainsi, pleins de
vins et de viandes, heureux de vivre.
Il y a plusieurs excellents passages à
relever : et le détail du rendez-vous de
]\jmc d'Arcole qui fait penser à la même
scène, dans la Duchesse bleue, de Paul
Bourget; et la toquade de la grande dame
pour le tzigane, comme dans l'Insaisissable,
de M"'® de Pougy, dont je vous parlerai
tout à l'heure ; et la magistrale étude du
feu pour la description de l'incendie :
Une vaste flamme unique, immense, par-
fois légère et fluide quand l'éther des bon-
bonnes y mêlait sa flambe d'alcool, — verte
alors ou bleuâtre ; — tantôt d'or vert comme
si c'était l'âme du bois qui s'exhalait ; tantôt
livide et lourde et violâtre, — combustion
violente des chairs, — tantôt libre, envolée,
soyeuse, — celle des étofi'es ou des tentures,
— se déployait toute dans l'admirable ciel
bleu de mai d'un azur tendre, léger, profond,
d'une mansuétude adorable d'Lafini. Parfois
un grand souffle de vent — comme celui de
cjuelque grand archange chargé d'aviver le
bûcher — creusait des tourbillons dans le
feu, le faisait se séparer et se tordre, le
trouait de taches rouges ; il roulait alors en
volutes énormes, tournoyait d'ardentes spi-
rales ou bien s'abaissait, s'étendait en nappes
ondulantes qui venaient lécher doucement le
tas confus des vivants et des morts.
Une grande originalité de cette œuvre
en est le style. M. F. de Nion est un pré-
cieux ; il enjolive et pare de dentelles le
vêtement de sa pensée ; il l'habille avec
amour et recherche, excentricité, et, par
l'horreur du banal, il en fait une petite
renchérie qui ne dit rien comme tout le
monde. Cette préciosité le conduit cjuel-
quefois à d'heureux traits, quelquefois à
des hasards de plume aventureux et à des
néologismes inquiétants.
Un duc boit un verre de rhum et ses
cellules .se réjouissent :
— Leur influx enfla son ai-rogance,... son
large rire éclata et la nuit happa sournoise-
ment cette gaieté, l'étoufla dans ses obscurs.
Que d'affaires pour nous dire que ce
rhum le réconforta! C'est du phœbus qui
tombe sous le coup des étrivières de La
Bruyère et de Le Sage.
Un monsieur achète un bouquet de vio-
lettes, cela se dit :
LE MOUVEMENT LITTÉUAIME
755
— Il aoiniil sa i>ail de iiadiro.
Nous somm(>s donc l)icn dans losal)ords
de celte chambre 1)1(mio et lampolitaine où
l'on appelait un verre d'eau un l)ain inté-
rieur.
C'est ainsi partout. Il passe des « stea-
mers trépides », des cnnus ont k des cy-
clones et des tornades »; on nous parle
du << dérail » des roues, d'un « lâchage
désinvolte ». Regardez cette femme pen-
sive dans la pénombre de son boudoir :
— Los ombres du soir, en s'abaissanl sur
le Ira^iiiue (lél)at rouf^c du soleil abinic dans
la nier, enveloppèrent sa rêverie de crêpes
lourds: les lampes rcrusées, elle met sa pensée
dans les tentures de deuil encore suspendues
au décor de sa mémoire...
Et plus loin :
— Ses lèvres modelèrent l'ombre if''.
Je ne souligne ces quelques passages
que pour mieux montrer le péril où va
M. de Nion, dont le beau talent d'obser-
vation im])lacable n'a pas besoin de ces
excentricités pour séduire l'attention. Qu'il
s'en défasse, et il fera une belle œuvre,
car il a l'étoffe d'un artiste.
Il le jirouve en mainte autre page, où
son désir curieux du mol typique suggestif
et frappant ne l'a pas trahi ni induit en des
audaces pernicieuses.
De l'esprit çà et là, et des mots piquants.
Un grand seigneur a vendu cher à un ami
un cheval taré. Sa femme le blâme.
— Il dira partout que lu Tas enrossé. Gran-
dier sera furieu.v.
— Grandier? C'est son métier denrosscr les
gens avec des actions ou des parts de fonda-
tciu".
— Ce n'est pas la même chose. C'est en
jïrand.
« C'est en grand » est un mot admirable
et bien vrai.
Et cet autre. Une vieille douairière est
présentée dans une loge, à l'Opéra, à un
ministre de la Républi(jue :
— Vous êtes ministr'e. monsieur, ministre
protestant peut-être?
Et cette opinion encore sur les ventes
de charité :
— Il y en a qui sanuisent à \'endre. vous
croyez que c'est par charité, pas du tout : elles
ont ça dans le sang. ça leur vient dun grand-
papa quelconc[ue qui était boutiquier.
Au total, livre curieux, plein de talent,
avec des pages de premier ordre ; seule-
ment, c'est vu trop menu, la composi-
tion d'ensemble est égrenée, les lignes sont
courtes, cela n'a pas d'ampleur, la touche
est grenue et c'est évidemment la nature
mêmedel'espril derauleur,carelle setrahit
et se traduit tout de même dans la minutie
patiente et précieuse du style, dans la re-
cherche micrographi((ue de l'éinlhète.
En un mot, ce sont des façades à fa-
cettes.
l^Ile a vécu, Myrto, la jeune Tarentine!
Non, doux alcyons, oiseaux chers à Thé-
lis, ne pleurez plus, car voici Myrto res-
suscilée, la Myrto de Louis Enault, un
roman agréable et distingué paru chez
IIacuette.
Jacques de Lauris n'était pas seulement un
compositeur distingué doublé d'un lnmime du
monde : c'était encore un \-oyagcur iiassionné.
Dès que juillet commençait à rendre le trot-
toir brûlant et Paris inhabitable, il lui deve-
nait h peu près impossible de résister à une
folle envie de franchir la frontière. Il était de
la race de ces oiseaux migrateurs qui obéis-
sent docilement à l'appel des saisons.
Quelles que fussent les attaches, ou fortes
ou charmantes, qui le retenaient à Paris, il
lui était ditlicile de ne pas les rompre, ou
tout au moins de ne pas les relâcher, pour
s'échapper en de longues fugues à ti'avers le
monde. Mais ces voyages, qui se propo-
saient toujours un but artistique, n'avaient
rien de la banalité du tourisme ordinaire. Il
avait l'habitude de faire ses excursions dans
des pays où les billets Cook n'ont pas cours.
Mais comme il emportait avec lui. partout,
la préoccupation de l'art qui tenait ime si
grande place dans sa vie, où que ce fût qu'il
allât et qu'il recherchait avant tout, c'étaient
ces traditions musicales qui sont comme
l'àme chantante des peuples : œuvres parfois
restées à l'état d'ébauche, toujours anonymes,
souvent nées au hasard, on ne sait trop com-
ment, dans une minute d'inspiration incon-
sciente, venue on ne sait d'où, que ne retrou-
vera jamais peut-être celui qui l'eut une fois;
mais transmises d'une génération à l'autre,
avec l'accent de la tendresse ou de la passion
qui les vit naître.
Lauris les cueillait avidement sur toutes les
lèvres, comme le baiser de la Muse.
Aussi disait-il, avec autant di* sincérité que
de modestie, qu'il rentrait à Paris de ses
voyages avec des forces nouvelles et un véri-
table rajeunissement de sa verve. C'était
comme un sang plus jeune et plus frais qu'il
avait infuse dans ses veines.
Cette année-là, c'étaient les côtes assez
sauvages et généralement peu fréquentées de
la Dalmatie. et les îles Ioniennes, leurs voi-
sines qu'il avait prises pour but de ses excur-
sions. Il avait des loisirs, et, dans sa pensée,
ces courses devaient être assez longues. Sans
parler de certaines mélodies, d'une grâce
na'ive et d'un accent original, qu'il rencon-
trait souvent dans ses pèlerinages, il avait
été séduit par les beautés natiu-elles du pays,
où la douceur se joint à la sévérité des as-
pects; où les horizons offrent aux regards des
lignes onduleuses et souples; les vallées, de
verdoyantes profondeurs ; les montagnes ,
d'élégantes silhouettes, et les rivages, des
courbes gracieuses, brodées de golfes et den-
telées de promontoires.
Puis, aussi, pourquoi ne pas l'avouer ? il
756
LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
trouvait je ne sais quel charme captivant chez
les femmes de ces îles, dont la population est
encore primitive dans ses habitudes, dans
ses amours et dans ses usages, et remontant,
par une filiation trop visible pour être con-
testée, jusqu'aux types les plus anciens et les
plus purs de la grande famille des Hellènes.
Il était d'une essence trop sensible — trop
sensuelle peut-être, — il avait une fibre artis-
tique trop vibrante, pour ne pas être très vi^•e-
ment impressionné par toutes les manifesta-
lions de la beauté humaine. Là où il rencontrait
des types attachants, il demeurait volon-
tiers.
I' La patrie, c'est où l'on est bien! » a dit
un ancien. Pour lui, la patrie, c'était où les
femmes étaient belles.
Séduit cette fois-là, il s'attarda à Corfou.
Il y rencontra une fillette de pêcheur,
Myrto, petite créature étrange :
Il ne lui trouva ni la beauté calme et régu-
lière de ses aînées, ni leurs yeux lumineux et
rieurs, ni leur fin profil de camée, ni cette
fleur de teint qui les rendait si attrayantes.
Il n'y avait même pas entre elles cet air de
famille, plus ou moins frappant, mais, qu'il est
rare de ne pas rencontrer, au moins à quelque
degré, entre les enfants du même père et de
la même nièi'c. On eût dit une petite aiglonne,
tombée dans un nid de jeunes cygnes.
Mais on ne tardait pas à s'apercevoir que
l'on avait devant soi une de ces créatures qui
ne se révèlent point au ])remier regard, et
dont on ne ]3énètre les mystérieuses profon-
deurs qu'après une longue étude. Il y avait
chez elle deux êtres en un : celui que l'on
voyait tout d'abord, et celui qu'il fallait dé-
couvrir et surtout deviner. On découvrait
déjà quelque chose de la femme dans cet en-
fant, dont l'expression sérieuse ne laissait
point de vous étonner. L'arc fier et frémis-
sant des lèvres faisait pressentir tous les tres-
saillements de la passion qui agiteraient un
jour cette âme virginale, mais déjà vibi'ante ;
les larges paupières qui voilaient souvent ses
yeux n'en cachaient pas toujours les éclairs,
et son front, dont elle écartait, par un geste
brusque et fréquent, la che^•elure retombante,
accusait autant d'énergie que d'intelligence.
On peut dire que, sous ce rapport, elle ne res-
semblait guère à ses sœurs, qui se conten-
taient d'être jolies.
Elle n'a^•ait pas la main blanche des belles
indolentes qui vi\ent dans des intérieurs,
protégés contre les saisons changeantes. Cette
main était plus brune encore que son visage;
mais son galbe était pur, et fines ses attaches.
La taille très mince, sans aucune promesse
d'avenir, n'avait pour elle que sa souplesse
robuste. Elle faisait l'effet d'une silhouette
encore incertaine d'une ébauche de Tanagra
dont on poiuait dire qu'elle venait, mais in-
comi)lète encore, el attendant toujours le
coup de pouce final de l'artiste créateur.
Soit qu'elle ne fût pas coquette, ou que ses
moyens ne lui permissent pas de montrer
qu'elle l'était, elle ne cherchait à rehausser
ses avantages natiu'els par aucun artifice de
toilette. Elle était couverte plutôt qu'habil-
lée.
Tel, jadis, M. de Ferriol, ambassadeur
de France à Conslantinople, s'attacha la
petite Arménienne A'issé, qu'on appelle
aussi Haydée, tel Jacques de Lauris em-
porta Myrto, dont le type l'intéressait. 11
voyagea avec elle, se plut à éveiller cette
petite âme fruste, et sans s'en apercevoir
devint très épris de la jeune fille, gran-
dissante en charme et en beauté.
Mais Jacques avait eu une liaison avec
une dame qui, à ce moment, devient veuve
dans des circonstances difficiles. Elle im-
plore l'appui et la présence de Jacques,
son ancien ami, qui ne peut refuser ce
service à une femme autrefois aimée. 11
met Myrto au couvent el il part.
En son absence, un certain M. d'Aslor,
épris de Myrto, diffame Jacques auprès
d'elle et l'enlève du couvent avec des des-
sein pervers. Myi'to aimait silencieusement
et passionnément Jacques, son tuteur. La
douleur de se croire délaissée et la honte
des tentatives de M. d'Aster la rendent
malade.
Jacques revient à ce moment de son
absence. Au couvent, plus de Myrto. On
lui dit qu'elle est à la succursale, à Saint-
Germain. II y court.
La succursale du couvent de l'Assomption
était tenue avec la même sévérité que la mai-
son mère. Dès les premiers pas qu'il voulut
faire dans le vestibule ouvert devant lui, Lau-
ris fut arrêté par la sœur tourière, qui lui
barra le chemin en lui demandant ce qu'il
voulait.
— Je viens, répondil-il avec une certaine
brusquerie, chercher ma pupille, que j'avais
laissée au cou^'ent d'Auteuil et que l'on a
amenée ici sans m'en demander la permission
et sans même me prévenir.
— Veuillez, monsieur, nie pardonner cette
question, car je n'ai pas l'honneur de vous
connaître, comment s'appelle votre ]5upille ?
— Je suis M. de Lain-is. et ma pupille est
M""" Myrto Antonidès, répondit Jacques, d'un
ton qui laissait deviner son impatience et son
mécontentement. Je vous prie de la faire
appeler sans retard...
— Donnez-vous la peine d'entrer au parloir,
répondit la tourière. en regardant le nouveau
venu avec un certain élonnement : je vais
prévenir ces dames.
— Avertissez surtout ]SI"<* Antonidès, et
faites vite. Je suis très pressé.
Sans rien ajouter à sa première réponse, la
tourière pénétra dans l'intérieur du couvent,
tandis que M. de Lauris promenait autour de
lui des regards étonnés, examinant la pièce
froide et nue, qui n'a^■ait pour tout mobilier
qu'une table de bois blanc et quatre chaises
de paille, et, pour tout décor, qu'une peinture
du Christ ou\rant sa poitrine pour montrer
son cœur sanglant, et une Vierge en train de
monter au ciel, comme il convient dans un
couvent qui s'appelle l'Assomption.
Lauris n'eut pas du moins à subir le sup-
plice d'une trop longue attente, car la poi-tc
du parloir ne tarda pas à s'ouvrir.
La religieuse qui entra lui déclara ne
LK MOUVEMENT MTTEHAIHE
757
pouvoii li> liiisser cnlietenir M"'' Myi-lo
Antonidès. Giande ruicui- de M. de Lau-
ris, trembliMiîcnl de colrrc, llamme dans
les yeux.
I.a iH'lijiii'usi', au c-iml i-airo. à i'oiri' di' \t>-
Itink'-. îiiU'clail loujuui-s la pai'l'aiU' possossinii
(Iclli'-uuMiu'. Aussi I.H' lui sans aucune l'uio-
lion appai't'iitt-' ((u flU' i\''[)li((ua :
— Si vous croyez, nionsieuf, avoir à vous
plaindre de la maison, c'est A M"'» la Supé-
rieure que NOUS \oudrez bien vous adresser.
Elle seule pourra \(ius réi)oiulre. ,1e n'ai. moi.
aucime (pialilé poiu- vous entendre. .le suis
cliarjiée tout simplement de l'adminislralion
de celte petite succursale, ('est i'i quoi se
borne mon rôle. Hors de là. je ne suis rien
et je ne puis rien.
Jacques retrouve enfin sa Myrto, mais
mourante cramour pour lui et de dégoût
pour d'Aster. Sa première démarche est
d'aller trouver le misérable; il le provoque
à mort, au pistolet d'al)ord, et en cas de
résultat nul, l'épée ensuite. A la première
décharge, d'Aster tond)e roido mort, le
Iront percé dune balle.
Myrto a cette dernière consolation do
savoir son alTront vt'iigé et son ami tou-
jours fidèle, aimant, digue d'elle. Mais le
mal était trop profond. Elle meurt.
— C'est sur celui-là qu'il faut pleurer main-
tenant ! se dit M™e de Né vis comme on reve-
nait du cimetière, en regardant Jaccjues de
Lauris.
Elle avait raison, car cette mort avait tué
la joie de sa vie. Il aNait reçu un de ces
coups dont on ne revient pas, et il était
condamné désormais à porter partout avec
lui rimaj;e éplorée de celle qui était morte
pour l'avoir trop aimé.
Plusieurs, parmi ces j;énéreuses et ces dé-
vouées, ([ui sont deux fois femmes, parce
qu'elles sont également attirées par l'amour
et par la douleui-. essayèrent de lui apporter
des consolations. Il n'en voidut point, et le
reste de sa vie ne fut ([u'im Ion;;' deuil.
— Tout est fini poui' moi, disait-il parfois.
Mon cœur est une tombe, et personne à pré-
sent n'en soulèvera la jjierre.
Tout ce récit est charmant de grâce, de
finesse, de tenue et de mesure. C'est dé-
licatement dit, facilement et nettement
écrit ; la peinture des sentiments y est
agréablement encadrée par des cro({uis de
voyage, et le tout est d'une tonalité telle
qu'on a plaisir à reconnaître à la fois un
lettré et un artiste.
Bien (|ue M™*^ Liane de Pougy n'appar-
tienne pas à la littérature, nous mention-
nerons ici son livre V Insaisissable, ])aru
chez l'éditeur Per LA>r>i, ])arce qu'il con-
tient une partie intéressante et ([u'il peut
nous suggérer ({uclques réflexions.
D'abord, il csl un Ivpc curieux d'un
genre (jui a de rares manifestations, et
([u'on ap|)elle le roman de condition. Sous
ce nom, on désigne ou on désignait un
i-omau ou un drame dont l'intérêt est
fourni par la condition, c'est-à-dire la pro-
fession, le métier du héros. Les exemples
sont peu nombreux. Beaumarchais a étayé
son di'auu' les Deux Amis sur les nécessi-
tés spéciales du métier de receveur des
fin;inces. Le Sage, dans Turcaret, a fait la
psychologie spéciale du financier. M"'^ de
Pougy a fait la iisychologie spéciale de la
marchande de sourires, et Josiane de Val-
neige apporte véritablement qnel(|ue chose
de nouveau, de senti, de véca à la galerie
des ty[)i's de l'omaus. Elle est une impure,
et elle ne s'en cache pas. C'est déjà un
premier cai'actère très particulier de celte
œuvre, (pie l'espèce d'humilité avec la-
([uelle l'héro'ine frappe sans cesse sa [)oi-
trine et fait son mea culpa. Il est curieux
de l'entendre si souvent rappeler ce qu'elle
est, et {[uelle distance elle sait la séparer
des autres femmes, qu'elle semble regar-
der d'en lias, sans amertume ni envie,
avec la résignation d'un sort librement
choisi.
Ce livre ne contient pas seulement un
tvpe, mais une idée. La marchande de
sourires a un cœur, et elle peut souffrir du
manque d'amour vrai au milieu de ses
amours vénales. Le thème est joli. La fille
de joie en (juête d'une passion authentique,
d'un amour véritable au milieu de ses ga-
lanteries postiches, à l'affût de l'insaisis-
sable, du bonheur que donne l'amour par-
tagé; voilà, certes, un sujet net et iDien
posé.
La composition du développement est
inégale. La première moitié du volume est
une enfilade d'aventures au cours desquelles
Josiane croit toujours aimer et être aimée :
ce n'est jamais (pi'une fausse alerte. C'est
une série d'anecdotes : le fils de famille,
le tsigane, le petit journaliste, l'acteur, etc.
J'aime infiniment mieux la seconde partie
qui forme un tout complet, et qui est une
histoire touchante, délicatement contée ;
la mère en permettra la lecture à sa
fille.
Désabusée sur le compte du tsigane qui
mange de la pâtée grasse avec ses doigts,
de l'acteur qui donne dans le torchon, et
des autres êtres insuffisants qu'elle ren-
contre, Josiane se retire à Brunoy, du côté
de la campagne de François Coppée. Ici le
récit devient véritablement charmant de
grâce ingénue et d'innocence. Comme Bo-
bespierre écrivait de sa main sanglante de
candides pastorales, Josiane raconte de
ses doigts coupables une idylle exquise.
Elle rencontre un bon et gentil jeune
homme qui vit avec sa mère en deuil.
/58
LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
u II était beau, étrangement beau. »
M"'® Duvert est la veuve d'un chef de bu-
reau mort de la poitrine. Le petit est dé-
licat, aussi est-il « un peu trop sous les
jupes de sa maman ». Josiane a l'occasion
de le soigner après une chute de bicy-
clette, et elle s'éprend follement de lui ;
ils se donnent des rendez-vous dans les
bois, ou bien à dix heures du soir chez elle,
pendant la fête foraine que Paul a prise
comme prétexte de sa sortie, et tout cela
honnêtement, en bons petits camarades,
Paul prenant Josiane pour une adorable
grande dame et Josiane prolongeant avec
délices cet amour platonique et tendre
(jui la régénère. Tout ce conte est charmant
d'ingénuité ; la discrétion de Josiane, son
respect devant la brave et honnête mère
de Paul, chez qui elle sei*it qu'elle ne peut
entrer, les enfantillages de ces amants qui
rappellent J.-J. Rousseau etM™''de Warens
faisant des confitures aux Charmettes, tous
ces épisodes sont traités avec goût et me-
sure. Paul découvre ce qu'est Josiane. Il
en meurt. Celle-ci ne peut même pas aller
prier à son chevet. Elle obtient de l'excel-
lent curé, qui la pousse au repentir et à la
prière, de passer la nuit à l'église, dans la
crypte où le corps repose. Invention in-
génieuse, qui permet de ne jamais faire
venir Josiane dans la maison chaste de
Paul et de sa mère. La peinture de ce sen-
timent ingénu et honnête est délicatement
touchée.
Ma résistance me brisait, me torturait, mais
j'avais, moi, Josiane de Valneige, si peur de
voir s'écrouler mon bonheur en y louchant,
il me répup^nait si fort de faire de cet amour
un amour comme les autres, de le voir s'éva-
nouir comme eux, après une nuit de plaisir,
un instant d'ivresse, que je me raidissais sous
l'étreinte comme pour défendre ma vie elle-
même.
Josiane veillant le corps dans la crypte
à la lueur des cierges est une composition
intéressante et émue.
Ce silence, cet endroit sacré, ces murs qui
parlaient de tout ce que démentait ma vie,
et puis ce mort, ce petit nidrt qui était là,
les mains jointes dans son linceul! C'était
plus fort que moi, ce frisson.
Des larmes, oh ! quelles larmes ! comme on
n'en a jamais répandu dans aucun sanctuaire,
auprès d'aucun être perdu, me coulèrent des
yeux, et tandis que ma main tremblait, et
que j'étais à j^enoux, je compris ce qu'est
l'immense douleur.
Prier! oui, j'aurais voulu prier, ainsi que
Ion fait dans les naufrajtes. Mais toujours ma
pensée retombait de là-haut sur celui qui
dormait là et que je veillais.
Ainsi, c'est au bord d'un cercueil que ve-
nait échouer le rêve de toute ma vie; ces
mots que si longtemps j'avais j;ardés au fond
du cœur, c'est une voûte funèbre qui allait
les répéter dans son écho, c'est à un cadavre
que je faisais les confidences qui me Ijrûlaient.
Oui, tout haut je parlais, je l'appelais, je le
suppliais.
— Mon Paul!... Mon bien-aimé !... Mon
seul aimé! Mon mort adoré! Mon enfant!
Oui, mon enfant! car je t'ai aimé de toutes
les amours comme ime mère, comme une
sœur, comme une amante. C'est donc fini,
iini, est-ce possible? Avec ta vie, tu em-
portes ma vie et c'est à toi, mort, que va ce
cri de mon cœur : Je t'aime.
" Je t'aime », dire cela dans une église,
auprès de Dieu !
Ce qui mancjue ? C'est encore plus de
sincérité, de spontanéité, d'oubli de soi.
Le récit pathétique est gâté par des re-
marques qui rompent le charme et nous
rappellent que nous écoutons une femme
très occupée d'elle-même. Dire « je t'aime »
dans une église, au milieu de circonstances
aussi poignantes, l'amuse parce (jue (( ce
n'est pas banal i>, et la fait penser à Musset.
Qu'avons-nous à faire de ces réminiscences
(|ui constatent seulement que l'écrivain
appli([ue à son récit son esprit, au moins
autant (|ue son cœur?
En (juelques mots de préface. M™® de
Pougy exprime la crainte qu'on ne croie
pas que ce roman soit d'elle. Cette crainte
est superflue, car le style trahit l'amateur.
Un professionnel n'eût sans doute pas
laissé passer des incorrections ou des bi-
zarreries comme : n Que vouliez vous que
je fasse? », ou : " 'Vouliez-vous que je lui
crie )', ou <( "Vos lettres sont du dernier
attachant i),ou : ^ Il devait m'embêter toute
la vie '), et autres petites tares. La débu-
tante a mis sa griffe sur son style. H y a
une certaine facilité, sans trait ni nerf.
Mais comme il est donc vrai que tant vaut
l'idée, tant vaut la forme. Si ce qu'on con-
çoit bien s'énonce clairement, ce qu'on
éprouve nettement s'énonce avec la même
aisance. Tout le récit des amours chastes
de Paul et de Josiane est ex([uis, et il faut
savoir gré à M"^'' de Pougy d'avoir apporté
cette contribution imprévue à la littérature
ingénue.
Léo Clahetie
<=<1»^
GAUSKHIK SCIENTIFIQUE
Nous avons si^iiah- (loniii'i rinent uiu>
inslaîlalion failc en AiiU'riiiiio poiu- U'
rein()r([ua{i(' (U's haloaux, sur les canaux,
au moyen d'un Iracteur éleflii(iue,ol nous
(lisions à ce sujel ([ue nous n'avions jusiiu",-!
présenl en Fiance d'auli-e renioiniue (luc
celle (les chevaux. En elVel, à de raies
exceptions pirs, le lialai,''e ni(''caHi(pie n'esl
appli(pu'' (pie surde raii)les parcoui-s. Cepen-
danl nous n'avons pas élé devaiuH's dans
celle voie i)ai- l'éli-anj^-er, car, deiniis un
an environ, une inslallalion d'une certaiiu>
impoiiance a élé faite sur une dislance de
:>() kilomètres entre Marles(près(leBélliune
et Pont-à-Vendin. sur les canaux de
l'Aire el de la Deule; elle doit être pro-
lonfïée sur les canaux d(^ la Scarpe et de
la Sensée, jus(pi"au Bassin Rond (près
Cambrai), ce ([ui donnera un parcours de
84 kilomètres.
Le système au(|uel se sont arrêtés
MM. Dn'elle et C'% (pii ont été chargés de
l'installation, comprend deux procédés dif-
férents : l'un de traction, l'autre de pro-
l^ulsion; mais ils emploient tous deux des
moteurs éleclri(|ues, (jui re(:oivenl le cou-
rant dune usine centrale, au moyen de
trolleys ^lissant sur une doulde ligne lon-
geant le chemin de halage. Pour la traction,
les lilsde ligne (|uc les trolleys parccjurenl
en gardant une position slai)le, grâce au
contrepoids dont ils sont munis. Pour la
]>r()|)ulsion, on remplace le gouvernail du
î)ateau par un gouvernail moteur; celui-ci
secom|)ose d'une étroite caisse étanche en
F'ig. 1. — Traction clceUui.ic Jt.. Kateaux sur les
canaux de l'Aire et de la Deule.
Le tracteur est relié par câbles souples et trolleys à une
ligue qui suit le chemin de halage.
le moteur est monté sur un tricycle (fîg. i)
au(iuel il transmet le mouvement; les
roues sont très larges, comme dans les
hjcomolives routières, de fa(,'on à ne |)as
détériorer le sol. Le moteur est relié aux
trolleys par un câble souple, muni d'un
appareil de connexion facile à manijjuler ;
ce câble est soutenu par une potence mo-
bile (|ui le fail passer au-dessus de tous
les obstacles, et évite toute traction sur
Gouvernail propul-
seur lilectrique
([u'on peut appli-
(juer aux bateaux
eu les reliant à
la ligne de la
même façon que
le tracteur, quand
on veut suppri-
mer celui-ci.
tcjle (Tig. 2j renfermant le moteur ([ui ac-
tionne une liélice placée à rextrémité. La
prise de courant se fait de la même façon
et sur la même ligne (jue pour le tracteur;
le mât remplit le r(')le de ])otence et permet
au lil souple de franchir les obstacles qui
sont sur le chemin de halage ou sur le
canal. La vitesse obtenue est sensiblement
la même qu'avec le tracteur; l'adaptation
de l'appareil à tous les bateaux se fait
ra})idement et la direction est aussi facile
([u'avec le gouvernail ordinaire. Le halage
mécanicpie })crmet de parcourir 3 kilo-
mètres à l'heure, au lieu de 1 h i 1/2 qu'on
obtient avec le cheval. Le prix, sans être
iieaucouj) moins élevé que celui du halage
animal, a l'avantage d'être constant ; il n'est
pas comme ce dernier soumis aux lluctua-
lions qui proviennent de la concurrence
(|ue, suivant la saison, le cultivateur peut
faire au haleur de profession. En somme,
celte installation parait démontrer ([ue la
traction électrique, au moins sur les canaux
à trafic important, peut être rémuné-
ratrice, tout en olfrant des avantages cer-
tains à la ])atellerie.
Les piles du pont Alexandre III ter-
minées, on va itrocéder au montage de
l'arc métalli(pie (pii, comme (m sait, doit
franchir la Seine d'un seul jet. Pour mettre
en place les fermes qui composent cet arc,
on aurait pu construire des échafaudages
au milieu du ileuve; mais on aurait ainsi
beaucoup gêné la navigation, (jui se plaint
déjà de l'envahissement de son domaine.
On a donc résolu de procéder au montage
760
CAUSERIE SCIENTIFIQUE
par en-dessus, au moyen dune passerelle
provisoire doù, avec un oulilla^e a|)proi)rié,
on fera descendre les i'ernies et ((ui les
soutiendra jus([u'à leur montage définitif:
après quoi elle sera démontée. La con-
struction et le lancement de celte passerelle
présentent un travail d'un très grand
intérêt : elle a la forme d'une longue cage
de 180 mètres de long sur G de large et
Fig. 3. ■ — Passerelle de montage jetée sur la
Seine pour la mise en place des fermes du pont
Alexandre III.
7 de haut (tig. 3), et, comme onnedispose
pas de la |)lace suffisante sur les rives pour
la monter complètemcmt avant son lance-
ment, on a dû procéder en trois opérations
successives. C'est sur la rive droite ([u'était
établi le chantier de c(mslruction et, dès
(|ue la place a mancpié, on a procédé, au
mois d'août, à une première poussée en
liavers du lleuve ; puis on a pu continuer
l'allongement et, en septemljre, on a fait
une nouvelle marche vers la rive gauche;
enfin en octobre une poussée définitive
faisait reposer l'extrémité sur le quai. Pour
mettre en marche une aussi Icjurde masse,
il ne faudrait pas croire (ju'on a eu recours
à de puissantes machines à vapeur : tout
cela s'est fait à [)ras d'hommes, au moyen
de treuils placés à l'intérieur et prenant
un point d'appui sur l'échafaudage établi
le long du quai. A chaque tour de treuil,
l'énorme masse de fer glissait sur les
galets en acier placés dessous et lavance-
ment était de 10 mètres à l'heure. Toutes
les opérations ont réussi sans accroc et on
ne peut (ju'admirer la parfaite précision
avec laquelle les ingénieurs avaient tout
prévu et réglé.
La lutte entre le gaz et l'électricité n'est
pas près de finir et le premier peut encore
lutter longtemps, malgré ce qu'on avait
pensé au début de l'installation des usines
électriques. Celles-ci, pour des raisons mul-
tiples, vendent l'hectowatt à des prix très
variables. Dans une statistique récente, nous
le trouvons à 0^,05 centimes et à 0',12 cen-
times ; il y a de la marge. Mais il faudrait,
pour bien se rendre compte, pouvoir com-
parer l'hectowatt et le mètre cube de gaz :
or il est fort difficile de fixer un coeffi-
cient. Si nous empruntons les chiffres
fournis par M. Bouvier, ingénieur au gaz
de Lyon, au sujet du dernier congrès de
cette industrie, nous trouvons que le car-
cel-heure électrique consomme 0 hecto-
watt 'M, avec la lampe à incandescence
ordinaire, et le carcel-heure gaz 125 litres,
avec le bec papillon. 11 résulterait de là
que l'hectowatt donne 2 carcels 7 quand
le mètre cube de gaz donne 8 carcels :
c'est-à-dire qu'il faudrait, pour avoir l'équi-
valence, multiplier le prix de l'hectowatt
par 3, en chiffres ronds. Celui-ci coûte à
Lyon y centimes, et le mètre cube de gaz
2() centimes; c'est donc, à éclairage égal,
ce dernier qui serait le moins cher d'après
M. Bouvier, qui, il est vrai, est gazier. Il
faut ajouter cependant que le bec papillon
est le moins avantageux et qu'il existe de
nombreux systèmes d'autres becs très
employés qui consomment beaucoup moins
par carcel ; notre coefficient 3 devient alors
trop faible. Nous ne chercherons pas à en
établir un autre ; les électriciens et les
gaziers sont là-dessus tiès peu d'accord.
Les uns donnent 2, les autres donnent 10;
les uns el les autres ont peut-être raison,
cela dépend de circonstances très variables,
et nous avons voulu seulement montrer
combien la comparaison est difficile. Cepen-
dant, d'une façon générale, dans les grandes
villes, réleclricité est plus chère que le
gaz, ce qui ne l'empêciie pas du reste
d'avoir souvent la préférence, à cause des
avantages précieux quelle présente dans
bien des cas.
Puisque nous parlons d'éclairage, voici
une idée originale que M. le docteur Cal-
mette expose dans le Nord agricole et que
le Cosmos signale aux cultivateurs : « En
fermentant, le fumier produit, outre l'acide
carbonique, de l'ammoniaque et de nom-
breux carbures d'hydrogène susceptibles
de servir à l'éclairage. 11 suffirait de recou-
vrir le fumier d'une cloche munie d'un
tube abducteur qui conduirait le gaz dans
un laveur, et de là dans un gazomètre d'où
il serait ensuite distribué dans la ferme. »
Outre l'économie sur l'éclairage, le cul-
tivateur trouverait, en ayant soin d'aciduler
l'eau du laveur, l'avantage de recueillir
l'énorme quantité d'ammoniaque (jui se
perd dans l'atmosphère. 11 pourrait aussi
l'utiliser comme engrais à l'état liquide,
en laissant précipiter les sels ammonia-
caux (ju'on recueillerait de temps en temps.
« En procédant de la sorte, dit M. Arti-
gala, on ne perdrait plus des quantités de
C A L' s K n l K S C I !•: X T I F I Q V K
7)31
5;;iz ferlilisanls. On estime à S()() millions
do francs la valeur du fumier produit
annuellement en France ; en évitant l'ap-
j)auvrissonient de cette masse den^^rais,
on en augmentera d'un bon tiers la valeur.
L'agriculture fran(;aise s'enrichirait donc
de la somme respectable de --<• millions
par an. » C'est un chiffre qui donne à
réiléchir et cela vaudrait la peine de re-
cueillir les gaz du fumier, même en laissant
de côté la question de l'éclairage. Reste
à trouver un moyen pratique pour faire
cette opération.
* »
Il paraît au premier abord inexplicable
(|ue, depuis le temps (ju'on fait des ma-
chines à vapeur, on ne soit pas encore
arrivé à obtenir directement le mouvement
de rotation : on a toujours un mouvement
de va-el-vient dont on n'a pas Ijesoin et
qu'on transforme. Ce n'est pas que les in-
venteurs aient manqué : la machine à rota-
tion directe est peut-être celle qui a fait le
plus de victimes; mais, en général, beau-
coup de ces chercheurs se sont exagéré
les inconvénients de la transformation du
mouvement rectiligne en mouvement de
rotation; la perte de travail qui en résulte
n'est pas aussi grande qu'on pourrait le
croire, elle est même nulle dans les ma-
chines bien construites ci^i la bielle a la
longueur voulue, el, quand on voudra obte-
nir une grande puissance, c'est encore la
machine à mouvement alternatif ((ui, pen-
Fig. 4. — ilachine à vapeur à rotation directe
de MM. Arbel et Thion.
La vapeur venant de E passe en A par l'échancrure de
la genouillère qui supporte la cloison D ; la vapeur pro-
venant de Topératioa précédente s"évacuc de B en V
par l'échancrure opposée au moment où le piston est
en haut de sa course.
dant longtemps, aura la préférence. 11 n'en
est pas moins vrai cependant que dans des
cas spéciaux, comme pour la commande
d'une dynamo électrique ou de l'hélice d'un
canot, par exemple, on aura avantage à
avoir une machine à rotation directe, qui
tiendra toujours moins de place qu'une
autre à puissance égale; aussi les inven-
teurs onl-ils continué leurs recherches.
Les solutions heureuses ne sont pas nom-
breuses, car on rencontre dans cet ordre
d'idées de grandes difficullés de construc-
tion, et c'est toujours avec un vif intérêt
que nous voyons une de ces machines
donner de bons résidtats; c'est le cas de
celle que viennent de construire MM. Arl)el
et Thion. Elle se compose d'un cylindre H
à double enveloppe (flg. 4), à l'intérieur
duquel se déplace un anneau-piston C, re-
lié par une cloison articulée D à un dôme
qui surmonte le cylindre. C'est la genouil-
lère formant l'articulation de cette cloison
qui sert en même temps à la distribution
de vapeur. Si nous suivons, en effet, l'ar-
rivée de celle-ci en K, nous voyons que,
quand la cloison est inclinée, la genouil-
lère présente une échancrure qui donne
accès à la vapeur dans l'espace compris
entre la paroi du cylindre et l'anneau-pis-
ton ; celui-ci est déplacé et, lorsque la cloi-
son arrive à être verticale, ce qui corres-
pond au point le plus l)as du piston,
l'admission est fermée et la vapeur agit
par détente pour remonter le piston qui
arrive bientôt au haut de sa course; la
vapeur s'échappe alors par l'échancrure
opposée à celle de l'admission, puis le pis-
ton reprend sa position première. En dé-
plaçant de '.10 degrés la lumière des robinets
qui se trouvent en face des échancrures de
la genouillère, l'admission et l'échappement
se trouvent intervertis et la machine tourne
en sens inverse : le changement de marche
est donc des plus simples. Les machines
de ce genre présentent toujours des diffi-
cultés de construction, surtout pour rendre
élanches les joints des surfaces planes fer-
mant le cylindre, et contre lescjuelles doit
glisser à frottement doux l'anneau piston ;
ici on a utilisé le liège qui, se gonllant
sous l'action de la vapeur, donne une
élanchéité al)Solue. La liaison entre l'axe
et l'anneau-piston est faite au moyen d'un
roulement à billes qui présente une grande
douceur. Cette machine pourra être appli-
quée avantageusement h la navigation de
plaisance et aux tracteurs pour omnibus
sur roules.
L'une des grandes attractions de rEx|)o-
sition <{ui vient d'avoir lieu à Turin était
roslcntation du Saint Suaire conservé dans
cette ville.
De nombreux fidèles ont défilé devant
cette relicpie et, afin qu'ils en pussent gar-
der un souvenir diu'al)le, on leur en ven-
dait une photographie.
762
CAUSERIE SCIENTIFIQUE
La presse ilalienne a signalé comme une
chose extraordinaire, miraculeuse, l'appa-
rition, sur le cliché photographique', d'une
image représentant le visage, les mains et
les jam])es du Christ, et accusant nette-
ment les formes du corps; toutes choses
non visi])les, ])araîl-il, sur la reliciue elle-
même. Mais la tradition rap])orle (jue sur
ce linceul, venu de Terre sainte en Italie
au temps des croisades, il y a eu une pein-
ture représentant le Christ. Dans la suite
des siècles, cette peinture s'est effacée
suffisamment pour n'être plus visible a
l'œil, pas assez pour que la plaque photo-
graphicjue ne puisse encore la reproduire.
Le fait n'est pas sans exemple, et on a
souvent cité le cas de manuscrits grattés,
de Ijillets de ]jan(pie falsifiés, où la fraude
était dévoilée parle cliché photographique.
Nous ne doutons pas, certes, de la bonne
foi de ceux qui ont pu croire au miracle,
toutes les croyances sont res])ectables
quand elles sont sincères; mais il est bon
cependant de se mettre en garde contre
des phénomènes ([ui paraissent mystérieux
au premier abord et ne résistent pas à un
examen approfondi. Sans vouloir faire de
rapprochement aVec ce qui s'est passé
jjour cette photographie du Saint Suaire,
nous rappellerons (ju"on a tpiehjuefois tiré
parti, dans un but peu louable, de cette
faculté de la plaque sensible de révéler
des détails que r(r'il ne voit pas : avec une
solution de sulfate acide de quinine, parfai-
tement incolore, on peut tracer des dessins
(pii disparaissent une fois secs et qu'on
retrouve sur le cliché. Les photograjthes
spirites ont sans doute tiré parti de ce
procédé, et d'autres semjjlables, et ([uel-
ques-uns,se lançant sans scrupule dans la
])ure supercherie, ont facilement pu sur-
pi-endre la bonne foi de personnes non
prévenues. On fait, par exemple, poser
très peu de temps un squelette, ou une
forme fantasticpie quelconcjue, devant im
fond noir et on ne développe pas la pla((ue ;
on se sert ensuite de celle-ci pour faire,
comme à l'ordinaire, le portrait du sujet
en expérience : au développement la pre-
mière image vient en même temps que la
seconde ; on montre alors triomphalement
le portrait de l'esprit évociué! Lorsqu'on
se trouve en présence de choses inexpli-
cables, il est toujours bon d'y regarder à
deux fois, et même plus, avant de crier au
miracle.
Dans les navires, on suspend les canots
à des potences, dites portemanteaux, mu-
nies de palans, (jui servent à les descendre
à la mer au moment voulu. Les passagers
doivent se mettre dans le canot ([uand il
est encore en place, et on fde aloi-s lente-
ment les cordes qui sont fixées à chacun
de ses bouts; il descend ainsi à la surface
de l'eau. On comprend cpi'il faut opérer
avec ensemble et sang-froid pour réussir
cette opération sans chavirer ; la ma-
nœuvre est toujours assez lente et difficile,
et on a remarqué, dans différents grands
sinistres de pacjuebols, que bien des exis-
tences eussent pu être sauvées si les em-
barcations avaient été mises j)lus facile-
ment à flot.
Le système imaginé j)ar M. Mackinson
Fig. 5. — Système de treuil facilitant la mise à
la mer d'ua canot placé sur les portemanteaux
d'un navh'e.
(fig. 5) a j)récisément pcjur but de simpli-
fier celte opération. Le canot est toujours
muni de câbles à l'avant et à l'arrière ;
mais, au lieu d'être logés dans celui-ci pour
être tirés h la main, ils se réunissent sur
un treuil placé sur le pont du navire et
mis en mouvement à la main par une
chaîne sans fin, passant sur une poulie
fixée à l'un des portemanteaux. Un dispo-
sitif ingénieux permet à ceux-ci de tour-
ner automati(juemont pour faire passer le
canot par-dessus le bord, car on sait qu'en
lemj)S ordinaire il est ramené vers le pont.
Il suffit d'un seul homme pour mettre à
flot un canot tout chargé, pesant 4 tonnes,
en moins de deux minutes.
Pendant la construction du chemin de fer
qui, traversant toute la Sibérie, doit aboutir
à la mer du Japon, le chantier de construc-
tion, qui se déplace au fur et à lîiesure que
la tète de ligne avance, a nécessité des dis-
positions spéciales qui lui permettent de
traverser les régions les plus inhospita-
lières. Un train complet sert à la fois de
CAUSERIE SCIENTIFIQUE
-tj.T
bureau et de logement aux ingénieurs et
on y a joint bienlol tout un villag-e roulant :
wagon-épicerie, wagon-citerne, etc., qu'on
remplace :iu fur et à mesure (|u'ils se vident
par daulres arrivant des régions civilisées
par la voie déjà terminée. La nourriture du
corps ne sulfil pas à soutenir le travailleur,
les Russes ont pensé aussi à lui fournir
celledelàmeet ils ont construit les wagons-
Fii
Wagon-chapelle des trains de la ligne
du Transsibérien.
chapelle (fig. 6) qui servent non seulement
au chantier de construction, mais aussi
aux voyageurs qui parcourent la partie déjà
longue de la ligne en exploitation. Ces
wagons sont montés sur deux boggies, de
fa^on à permettre de leur donner une
grande longueur; ils sont décorés extérieu-
rement d'une ornementation qui rappelle
leur destination, sans oublier la double
croix de l'Eglise orthodoxe et les cloches ;
l'intérieur, comme celui de toutes les églises
grecques, est très richement orné, et à
l'une des extrémités se trouve réservé le
logement du pope.
Les labwatoires météorologiques sont
pourvus d'instruments qui inscrivent auto-
matiquement d'une façon continue les indi-
cations données par les baromètres, tlier-
momètres, etc. ; mais pour la girouette on
n'arrive pas aussi facilement à enregistrer
ses dilTérentes positions, à cause de la rapi-
dité des mou^ emenls,souvent très brusques,
qu'elle exécute à chaque instant. Il fallait
trouver un mécanisme qui régularisât ses
déplacements, tout en lui conservant sa
sensibilité, et inscrivit une courbe continue,
sans tenir compte des embardées de quel-
ques secondes qu'un vent capricieux peut
lui faire subir. Ce n'est pas d'hier qu'on
a pensé à cela et il existe déjà des sys-
tèmes régulateurs, mais ils ne sont pas
sans avoir des inconvénients qui ont déter-
miné .M. de (jrandmaisonà cliercher mieux.
Dans l'appareil qu'il a imaginé (fig. 7 , la
girouette G communique son mouvement à
l'enregistreur par l'intermédiaire d'une
came A, taillée d'un large cran à sa partie
inférieure ; dans ce cran vient se loger un
galet qui est relié aux engrenages com-
Fig. 7. — Girouette de
M. de Grandmaisou,
pourreuregistremeut
de la direction du
vent.
La girouette G est reliée
par la tige T à une came
spéciale A, interposée
avant le mécanisme d'eu-
tr,i,înem°)it du cylindre
enregistreur C, afin d'at-
ténuer les mouvements
iirusques de la girouette.
mandant le mouvement du cylindre C, sur
lequel une plume, qui descend en 2i heures
le long d'une tige filetée, marque les indi-
cations. Il résulte de ce mode de liaison
entre le mécanisme et la tige T, que pour
les mouvements modérés l'entrainement se
fait régulièrement, le galet restant logé
dans la partie supérieure du cran; mais
s'il se produit des mouvements brusques, le
galet suit la pente qui lui est oITerte : la
came tourne en se soulevant et le choc se
trouve ainsi amorti. La roue dentée qui
porte le galet se trouve du reste en relation,
par une roue à rochet, avec un mouvement
d'horlogerie muni d'un système d'échap-
pement qui contribue à régulariser encore
la marche du cylindre. Cet appareil vient
compléter d'une façon très heureuse la
série des enregistreurs des observatoires
météorologiques, car la connaissance con-
stante de la direction du vent est un élé-
ment essentiel de la prévision du temps.
Un médecin militaire, M. Berthier, s'est
livré récemqjent, à propos du suint de la
laine, à une étude publiée par la Revue
d'hygiène, dont les conclusions sont fort in-
téressantes pour tous ceux qui, comme les
militaires, les touristes, les chasseurs...
doivent marcher beaucoup et sont exposés
à toutes les intempéries. Il a remarqué,
764
CAUSERIE SCIENTIFIQUE
pendant son séjour en Algérie, que les bur-
nous des Arabes sont imperméables ;"i cause
du suint dont ils sont imprégnés, la laine
cjui sert à les tisser étant employée à l'état
brut. Il a pensé qu'il serait possible d'uti-
liser cette propriété en imprégnant les
vêtements de suint purifié, et ses expé-
riences sont fort concluantes. Le suint, qui
a une odeur désagréable, est un produit
assez complexe dont on débarrasse la laine
avant son emploi industriel. On le purifie
et on l'utilise en pharmacie et en parfu-
merie sous le nom de «i lanoline », dans
toutes les préparations destinées à donner
de la souplesse à la peau. L'épuration
moins com|)lète donne la « suintine », qui
coûte meilleur marché et remplit le même
but; en s'enduisant les pieds de cette
matière, les marcheurs évitent bien des
écorchures; ils peuvent encore pousser
plus loin son emploi en l'utilisanl comme
cirage, car, outre qu'elle assouplit le cuir
du soulier, elle le rend imperméable. Cette
question d'imperméabilité nous paraît sur-
tout intéressante au sujet du vêtement; on
nous dira qu'on a le caoutchouc, mais il a
le grave inconvénient de former une enve-
loppe hermétique qui empêche complète-
ment l'évaporation de la sueur; il s'ensuit
qu'on est quelquefois plus mouillé en des-
sous qu'en dessus, et l'on risque le refroi-
dissement et ses fâcheux effets. D'après les
expériences de M. Berthier, le suint laisse
au contraire, aux étoffes toute leur porosité,
tout en supposant, par sa composition
graisseuse, à la pénétration de l'eau. Il a
fait dissoudre la lanoline dans de l'essence
de pétrole à la proportion d'environ 10 0/0,
et en trempant le vêtement dans cette so-
lution, ou en l'étendant avec une éponge,
il a obtenu un succès complet; l'eau glisse
sans pénétrer, la transpiration se fait libre-
ment. Les couleurs ne sont pas dénaturées
par ce traitement, qui n'altère pas la soli-
dité de l'étoiTe. Le prix de revient est in-
signifiant. Il y a là une application nou-
velle d'un grand intérêt.
Les Parisiens ((ui, en 1890, avaient eu
recours GOO fois au service de désinfection,
organisé par la ville, ont, en 1893, de-
mandé 34000 opérations do ce genre; en
trois ans, c'est un joli progrès, et ce nom-
bre a encore augmenté de 2 000 en 1897.
Aussi le budget de ce service, qui était
d'abord de 2G 000 francs, est-il maintenant
de 400 000 francs. Le personnel c()mi)rend
cent vingt-cinq agents intelligt'uts et exer-
cés, qui opèrent soit à domicile, soit dans
l'une des quatre stations établies par la
Les renseignements de cet article sont donnés au point de rue scientifique et en dehon
sera pas répondu aux demandes d'adresses ou de renseir/nemeiits commerciaux.
municij)alité pour les étuves àvaj)eur sous
jn-ession ; les oljjets y sont enfermés pen-
dant (jiiinze il vingt minutes, et les em-
ployés ont acquis une habitude telle ([ue
les étoffes les plus précieuses peuvent leur
être confiées : les chefs d'équipe sont, du
reste, responsables pécuniairement des
détériorations. Pour la désinfection à do-
micile, on s'en tient encore au lavage,
ou à la pulvérisation avec du bichlorure
de mercure, dit sublimé, en solution à
1 pour 1 000 quand il s'agit de meubles et
d'appartements ; le sulfate de cuivre en
solution à 1 pour 100 est réservé aux cai)i-
nets d'aisances. D'autres procédés ont été
souvent proposés, et notamment les sub-
stances gazeuses, qui semblent devoir
mieux j)énêlrer partout; mais jusqu'à j)ré-
sent, la commission de perfectionnement,
à laquelle sont soumises toutes les propo-
sitions de ce genre, n'a pas jugé à propos
de eiianger de méthode.
Ce n'est pas seulement après une maladie
contagieuse qu'on a recours à la désinfec-
tion, mais aussi au cours de celte maladie,
pour faire enlever, par le service spécial,
les linges et vêtements souillés qui doivent
passer à l'étuve ; il est certain qu'en don-
nant directement ceux-ci au blanchisseur,
on risque de contaminer nombre de per-
sonnes par les mains desquelles ils doivent
passer. Sur les 36 000 désinfections de-
mandées en 1897, il y en a environ 10 000
pour la tuberculose et 5 000 pour la scar-
latine; la fièvre typhoïde en use 3 000 et
le croupe 3;)00; le reste se répartit sur la
variole, la coijueluche, etc., et les assainis-
sements des fosses d'aisances, des écoles,
des salles de réunions publiques. En sui-
vant la statisti(|ue des maladies conta-
gieuses, parallèlement à celle des désin-
fections, (|ui sont classées par catégories
de maladies, on est frappé de la concor-
dance des chiffres : au fur et à mesure
(jue la désinfection augmente, le nombre
des maladies diminue.
La ville de Paris possède un dossier, cjui
n'est pas livré au public, mais qui sert à
renseigner les commissions spéciales sur
l'état sanitaire de chaque habitation. Pour
chaque immeuble on a noté quel est le
genre de maladie contagieuse qu'on y a
constaté; on indique aussi l'état des ^vater-
closets, des canalisations à l'égout, etc.,
enfin tous les renseignements utiles à
connaître pour permettre de rechercher
l'origine d'une épidémie, la combattre ou
même la })révenir. C'est là un travail con-
sidérable qui rendra les plus grand services
à la population parisienne.
G. M.\RESCHAL.
de toute réclame. Aussi il ne
EVENEMENTS GEOGRAPHIQUES
KT COLONIAUX
Marchand était arrive à l'achoda le
10 juillet.
Durant vin^t jours, depuis le départ du
vainqueur du mahdi, le sirdar Herbert
Kitchener, pour le sud, jusqu'à son retour
à Onulourmau, tête de ligne télégraphique,
les journaux anglais n'ont cessé d'élucubrer
à notre adresse fausses nouvelles, menaces,
ultimatums. A les en croire, ou bien Mar-
chand n'était pas à Kacboda, ou bien, si
d'aventure il s'y trouvait, le sirdar aurait
vite fait de le contraindre, et manu militari,
à abaisser son pavillon et à partir. Or
Marchand était bien à l'achoda, et il y est
resté. La rencontre, qui sera historique,
entre le général anglais — aujourd'hui
baron Kitchener de Khartoum — et le
hardi capitaine français — aujourd'hui
commandant, — a pu se produire sans in-
cident fâcheux : voici dans quelles circon-
stances.
La ilottille anglaise avait quitté Onidour-
man le 10 septembre au matin. Le 18,
on aperçut le vapeur derviche Safia; la
canonnière Sultan ouvrit immédiatement
le feu contre lui et le désempara. Le Nil
s'était rétréci ; son cours était encombré
d'herbe; mais l'eau restait profonde, avec
un chenal navigable. Le 21, à dix heures
du matin, les Anglais étaient en vue de
Fachoda.
Le drapeau tricolore Hottail sur le vil-
lage. Celui-ci était fait de maisons petites,
construites en briques et blanchies à la
chaux; il était défendu, ;i la façon dervi-
che, par une l'edoute assez forte, bâtie en
terre et dont la forme était celle d'un fer
à cheval. La redoute était entourée de
tranchées; au-dessus, on apercevait une
ligne de visages noirs, ■■ ceux de Sénéga-
lais, ajoute la dépêche anglaise, évidem-
ment prêts au combat ■>. Mais les Sénéga-
lais ne tirèrent point. In canot, à l'arrière
duquel flottait le drapeau tricolore, s'avança
vers la Ilottille. Il portait Marchand. Kit-
chener reçut Marchand à son bord, lui
serra la main et la conversation s'engagea.
Le sirdar déclara que, en sa qualité de
commandant en chef de l'armée égyptienne
— la qualité de général anglais était lais-
sée, pour l'occasion, de côté, — il était de
son devoir d'occuper Fachoda, partie de
l'empire du khédive. « J'ai protesté dans
les termes les plus énergiipies, dit- il dans
son rapport , contre l'occupation de Fa-
choda et l'érection du drapeau fiançais
dans les territoires du khédive. En ré-
ponse. Monsieur Marchand dit qu'il avait
reçu des ordres précis pour l'occupation
du pays et l'érection du drapeau français
à l'aciioda ; enfin, qu'il ne pouvait pas se
retirer sans des ordres de son gouverne-
ment. Je lui demandai alors si, en pré-
sence d'une force supérieure, il était dis-
posé il résister ii l'érection du drapeau
égyptien.
Cl II hésita et répondit (ju'il ne pouvait
pas résister. »
Toutes les troupes qu'avait amenées le
sirdar débarquèrent alors; elles occu-
pèrent un bastion en ruines, qui com-
mande la seule route conduisant à l'inté-
rieur de la position française : cette posi-
tion est entièrement entourée au nord par
des marais infranchissables. C'est sur ce
bastion que fut hissé le long d'un grand
màt le drapeau égyptien. Mais le drapeau
français continua de llotter.
C'est beaucoup, c'est trop de drapeaux
pour un seul point du globe; et nécessité
sera, un jour prochain, d'amener un des
deux drapeaux. Lequel sera amené? et
quand luira ce jour? 11 faudrait se garder
de trop d'optimisme. La présence de Mar-
chand il l'achoda a surpris le gouverne-
ment anglais et a dérangé ses plans :
l'irritation qu'il n'a pu se tenir de mani-
fester est donc naturelle ; elle est aussi
inquiétante. Le Livre bleu qu'il a publié
dès le 10 octobre montre quelle attitude
peu conciliante il a cru devoir adopter.
Son ambassadeur à Paris a déclaré à notre
ministre des affaires étrangères ([u' « il
devait très franchement dire (|ue la situa-
tion sur le haut Nil était très dange-
reuse », que '( l'achoda rentrait directe-
ment dans les territoires désignés comme
dépendances du khalifat », que « son
gouvernement était décidé à maintenir sa
clécision » et que " sur ce point, il pouvait
l'affirmer catégorie (uement, il ne transige-
rait jamais ».
Marchand, cependant, est encore à Fa-
choda; et ce que l'irritation anglaise a fait
éclater d'abord, c'est l'utilité de sa mis-
sion. Vne poignée d'iiommes, depuis des
mois coupés de toute communication avec
la patrie, ont arrêté les vainqueurs d'un
grand empire; ils empêchent la réalisation
du fameux plan : l'Afrique, du Caire au
Cap, aux Anglais; et c'est peut-être à eux
que nous devrons la solution de la ques-
tion d'Egypte. Ils méritent l'admiration,
les remerciements et aussi l'appui efficace
de leur pays.
La question d'Egypte est une des formes
actuelles de la question d'Orient.
Ah! cette question d'Orient, combien,
766
ÉVÉNEMENTS GÉOGRAPHIQUES
depuis le jour où le Turc établit son cam-
pement sur la terre d'Europe, n'a-l-elle
pas fait couler et d'encre et de sang !
L'Orient passe pour le berceau de l'huma-
nité. Il est le pays des souvenirs clas-
siques. Il fut honoré par la naissance et
par la mort du fondateur de la religion
chrétienne. Il est la roule des marchés de
Candie
LES QUESTIONS [) " ( I R I E X T
-'Inde et de la Chine. C'est pourquoi
l'Europe regarde, depuis des siècles, vers
le pays d'oîi vient le soleil, et s'est forgée
une question d'Orient. Bien plutôt, mille
questions d'Orient ! Car chaque génération
a les siennes. Nos grands-pères et nos
pères parlaient — vous en souvenez-vous ?
— de Conslantinople. Pour Constantinople
se sont battus et les Russes, et les Autri-
chiens, et les Anglais, et les Français, et
les Piémontais de Cavour ; la consigne de
l'Europe, en ce temps, était d'empêcher
l'ours moscovite d'aller se baigner dans le
Bosphore. On ne parle plus guère aujour-
d'hui de Constantinople; et la raison de
cet abandon est sensible : le Turc ne me-
nace plus l'Europe et le Russe ne songe
plus au Bosphore. Depuis quarante ans,
en effet, le Bosphore n'est plus la grande
route qui menait d'Europe en Asie; cette
roule, aujourd'hui, passe plus au nord et
j)lus au sud ; c'est le chemin de fer trans-
sibérien, c'est le canal de Suez. Or le
transsibérien est tout entier russe ; bientôt,
quinze jours suffiront pour que la garnison
de Moscou assiège Pékin. Qu'irait donc
faire, pour le quart d'heure, leCzar à Cons-
tantinople".' Il a d'autres chats à fouetter,
et c'est ainsi qu'on peut s'expliquer que
ses agents, naguère encore si actifs dans
la péninsule des Balkans, semblent au-
jourd'hui y dormir.
Mais, dans le même temps, la voie inter-
nationale du canal de Suez a pris une im-
portance singulière ; et, par
le fait même de sa création,
des questions nouvelles ont
surgi, comme la Cretoise et
l'égyptienne. La mission du
capitaine Marchand nous a
donné l'occasion de mettre
au point cette dernière;
voulez-vous, dans le mo-
ment où des soldats fran-
çais s'apprêtent, à Toulon,
à rejoindre leurs cama-
rades campés en Crète, que
nous partions, nous aussi,
pour l'île de Minos ?
* *
En rade de Candie, le
14 septembre. Le contre-
torpilleur Faucon est arrivé
ce matin. A l'instant vient
de jeter l'ancre un énorme
cuirassé anglais, r/ZZz<s<Hows.
Il y a beaucoup de vais-
seaux anglais dans cette
rade : trois cuirassés, trois
croiseurs, deux contre-tor-
pilleurs. Il y a aussi un
autrichien, un italien, un
français, un russe. Va-t-on
à frais communs, le mémo-
La ville semi)le
JérusalÈ n
recommencer,
rable siège de Candie?
morte. Le port, enfermé dans de hautes
murailles crénelées, est invisible. Au-
dessus du rempart, aux fenêtres des mai-
sons, pas une tête ; et on ne voit per-
sonne dans les rues hautes, dont la
perspective va se perdre dans les fonds
rosés de la montagne. Une légère buée
flotte sur le quartier chrétien; il y a eu
là de récents incendies. Au bord de la
mer, par les fenêtres béantes de grandes
maisons, dont la façade seule est debout,
on voit le ciel ; et ces signes de destruction
s'accordent bien avec les récils qu'on nous
fait : hier encore « les officiers du Vau-
tour voyaient flotter le long de leur bord
des cadavres de femmes et comptaient les
morts que les Musulmans venaient en-
terrer sur la plage, au pied des murs ».
Car le 6 septembre dernier fut jour de
grande tuerie : les Turcs ont massacré
dans cette ville six cents chrétiens.
Cet acte sera-l-il le dernier d'une longue
série de tragédies sanglantes? Malheureux
pays ! malheureux peuple, qui veut être
E V K \ E M K N TS GEOGRAPHIQUES
7G7
LES ÉVÉXEilKNTS
U E tit É ï E
LA 0 A N E E
libre, pour revenir à la Grèce, sa patrie,
et que la diplomatie européenne semblait
se complaire à laisser aux griffes otto-
manes! Il y a là 60,000 musulmans et
270,000 chrétiens. Ces derniers ont com-
mencé la lutte contre les premiers dès le
xviii^ siècle, dès le départ des Vénitiens
des deux citadelles qu'ils possédaient en-
core en Crète. Ils ont été le plus souvent
victorieux : toujours ils ont vu l'Europe
aider contre eux le Sultan et leur arra-
cher, pour un peu d'eau bénite de cour,
leur victoire. Un instant, lors de la guerre
de l'indépendance helléni([ue, ils ont cru
accomplie leur union avec la Grèce ; le
20 mai 1822, ils votèrent leur charte con-
stitutionnelle ; ils allaient élire leurs dépu-
tés au Parlement d'Athènes, quand la Con-
férence de Londres, en IS.'ÎO, les rendit au
Sultan. En 18.33, puis en 1841, ils reprirent
les armes. L'Angleterre proposa la création
d'une principauté Cretoise, qu'elle s'enga-
geait à protéger. La bonne apôtre ! Elle
voulait, ici encore, appliquer sa maxime
qui est de s'emparer de toute terre, car
toute terre peut servir un jour. Les insur-
gés sentirent un rat et tirèrent leur cha-
peau à l'Angleterre. En 1850, insurrection
de Mavrogheni; en 1866, nouvelle insur-
rection qui dure près de trois ans, force
la Turquie à mettre sur pied 50,000 hommes
et toute sa flotte. L'Europe s'inquiéta ;
Gortschakoff parla " de la seule issue pos-
sible, l'annexion de la Crète à la Grèce » ;
la France, la Russie, l'Italie, l'Autriche, la
Prusse, — non l'Angleterre, — deman-
dèrent à la Porte, le 17 mai 1867, " la con-
sultation libre et sincère des poi)ulations
Cretoises ».
Ce beau zèle ne dura pas : l'Europe se
contenta de la promesse de réformes (loi
organique du 18 septembre 1867) et se
prononça, en 1869, contre l'annexion à la
Grèce. Pourquoi ce mauvais vouloir, ou
cette impuissance? D'abord la Crète est
une île : elle peut brûler, sans mettre le
feu aux Balkans; l'Europe, rassurée, a
laissé brûler. Deuxièmement, il est des
puissances qui ne sont pas intéressées à
l'indépendance de la Crète ; au contraire.
L'ile, devenue grecque, serait perdue pour
elles ; elles ne veulent pas engager l'ave-
nir, elles attendent la ruine de l'empire
ottoman, dans l'espérance de se porter
adjudicataires des travaux de démolition.
Il ne faudrait pas oublier que la Crète est
grande, féconde et qu'elle se trouve sur la
route du canal de Suez.
(rest pourquoi, en 1878, l'Europe arrêta
de nouveau les chrétiens insurgés; elle
leur permit bien d'élire une assemblée
nationale, qui signa avec la Porte le pacte
de Halepa ; mais lorsque, dès 1889, les pro-
messes que renfermait cet acte furent
retirées par un firman impérial, l'Europe
ne souffla mot. La huitième insurrection
éclata ; cette fois, les insurgés devaient
trouver un appui effectif : la coopération
de l'armée grecque. Hélas ! comme tou-
jours, ils devaient voir se dresser devant
eux l'Europe. En mai 1896, la Canée fut
mi&e au pillage. Les consuls européens ne
se sentirent plus en sûreté, se plaignirent :
quelques jours après, les pavillons des
six grandes puissances flottaient en rade
de la Canée et le conseil des amiraux con-
stituait, à côté de V Epitropie insurrection-
nelle et du gouverneur musulman, un troi-
sième pouvoir. L'Angleterre essaya alors,
pour la seconde fois, d'agir seule : elle
7G8
ÉVÉNEMENTS GÉOGRAPHIQUES
aurait voulu échanger la Crète contre
Chypre, qui est trop loin de Suez. Elle se
fit écrire ceci par son consul : les membres
influents de TÊpitropie affirment que l'oc-
cupation anglaise serait la seule chance de
salut pour l'île. Lord Salisbury félicita
chaudement l'agent pour son zèle, et... le
désavoua à Constantinople. Peu après, le
même consul recevait l'ordre d'entre-
prendre une tournée dans l'île entière,
2}our calmer les esprits : amiraux et consuls
protestèrent, la tournée n'eut pas lieu. Le
X A Z A R E T H
LA SORTIE DE LA MESSE
sultan, effrayé, fit des concessions : il
nomma un gouverneur chrétien, Bérovitch
pacha, réunit les députés crétois, adopta
lo projet constitutionnel élaboré par notre
consul, M. Blanc. Mais il était déjà trop
tard, — août 189G. — Les bandes des in-
surgés, grossies et commandées par des
soldats et officiers grecs déserteurs, te-
naient la campagne; dans les villes, les
musulmans entassés mouraient de faim,
préparaient de continuelles émeutes. Le
désordre était partout; un nouveau mas-
sacre des chrétiens, le 23 janvier IS'JT,
précipita les événements, et le ministère
grec répondit, dès le M février, en en-
voyant en Crète trois cuirassés.
Le colonel Vassos proclama l'annexion
de l'île et la guerre éclata, le 18 avril.
Elle fut malheureuse pour la Grèce. Nous
avons étudié ici même le traité de paix
(numéro de décembre 1897). Cependant
1 Europe, tout entière au spectacle des
armées qui se heurtaient en Thessalie,
avait oublié la cause de la guerre, la
Crète. La paix signée, et le fracas des
armes tombé, on entendit à nouveau le
gémissement de la pauvre île; et la ques-
tion Cretoise apparut plus pressante (jue
jamais.
Cependant le sultan était victorieux et
la victoire lui avait donné l'amitié de l'em-
pereur allemand. L'Allemagne et l'Au-
triche rappelèrent leurs vaisseaux. Entre
les quatre autres puissances et la Porte
allait se poursuivre une lutte sourde, qui
maintint la Crète dans son pitoyable état.
Le sultan annonce l'envoi d'un gouver-
neur ottoman, affecte de croire encore à
sa souveraineté sur l'île,
formule un programme d'au-
tonomie — d'autonomie à
la turque, — fait ses pro-
positions pour le rétablisse-
ment de l'ordre, pour le
désarmement de la popu-
lation (octobre 1897), parle
de relever les garnisons tur-
ques (décembre 1897, juil-
let 1898). Ambassadeurs et
amiraux s'opposent succes-
sivement à tous ces pro-
jets, les font échouer. Le
sultan s'applique alors à
faire échouer, à son tour,
les projets élaborés en de-
hors de lui et contre lui.
Dès le mois de mai 1897,
les puissances avaient étu-
dié un programme d'auto-
nomie. La France eut l'hon-
neur de voir accepter ses
|)roposilions : désignation
par les puissances d'un gou-
verneur civil provisoire ;
proclamation de l'autonomie et de la neu-
tralisation de l'ile ; départ des troupes otto-
manes; réuniondel'Assembléecrétoise, etc.
Le 28 octobre, l'accord était fait « sur l'adop-
tion des propositions françaises comme
point de dépai't d'une entente relative à
l'organisation future de l'île ». Le 20 dé-
cembre, les ambassadeurs avaient réussi
à élaborer le règlement provisoire. 11 ne
restait plus, pour aboutir enfin, qu'à dé-
terminer le mode de nomination du gou-
verneur. Ce fut la pierre d'achoppement.
Furent proposés successivement pour le
gouvernement de l'île : un jurisconsulte
suisse, M. Numa Droz : il se récusa ; un
colonel luxembourgeois, M. Schaefer : il fut
trouvé trop ami de la politique anglaise;
un voïvode monténégrin, Bozo Petrovitch :
son cousin et prince Nicolas de Monté-
négro ne lui permit pas d'accepter. Alors,
tandis que vingt candidatures fantaisistes
étaient mises en avant, le tsar proposa le
nom du prince Georges, second fils du roi
de Grèce. La proposition était inattendue ;
on la trouva, à la réflexion, fort raison-
nable et fort juste. La France, puis l'An-
KVKNKMKNTS GKOT, lî A IMl KjUES
769
gleteire el ritalic l'adoplèrenl. Mais l'adhé-
sion du sultan nv vint pas.
Ainsi, le ;> septembre dei-nier, la Crète
était aussi éloi^^née qu'en automne IHU7
de la pacification et d'une organisation
définitive. Les massacres du 0, à Candie,
dans la responsabilité (lesquels autorités
et soldats turcs ont leur part, surtout l'at-
titude de l'Angleterre, qui, prenant texte
de l'assassinat de son vice-consul, se
montra disposée à agir énergiquement, et
seule, si l'Kurope sommeillait encore, ont
réveillé ministres et ambas-
sadeurs. De Malte et d'K-
gypte, mais aussi d'Italie,
de Russie, de Toulon, des
renforts furent immédia-
tement envoyés au.x ami-
raux. L'Angleterre eut bien-
tôt "),000 hommes dans lile.
L'Italie demanda à l'Alle-
magne et à l'Autriche de
rentrer dans le concert ;
ses alliés refusèrent. Les
(|uatre puissances se réso-
lurent alors à l'action. Le
n octobre, leurs drogmans
ont remis à la Porte un
ultimatum, dont voici les
termes :
Les ambassadeurs (int reçu
l'ordre d'inviter la Sublime
Porte à rappeler dans un délai
d'un mois loules les troupes
qui tiennent jAurnison en Crète,
l'évacuation de^■unt commen- i, "em
cer quinze jours après la re-
mise de la présente note...
Dans le cas oii les quatre puis-
sances éprouveraient un refus, elles se ver-
raient dans l'oblijiation de recourir inniiédia-
temcnt ;\ des mesures décisives pour faire
évacuer la (^rèle par les troupes turques.
Elles laisseraient au fiouvernement impéi-ial
ottoman la responsalMlité de cette solution et,
déj^aiiées de toute obligation morale (|uaut à
la conservation de la souveraineté ottomane
sur la Crète, elles aviseraient à constituer,
dans cette ile, un régime approprié aux vieux
de la population... Une adhésion sans ré-
serves à cette demande devra leur être
adressée dans un délai de huit jours.
De leur côté, les amiraux ont délimité
nettement leurs zones d'occupation : à la
France sont confiées les villes de Sitia et
d'Hierapetra, et la côte orientale de lile ;
à l'Italie, Kisamo et la côte occidentale ; à
la Russie, Retimo ; à l'Anglelerre, Candie.
La Canée, siège du conseil des amiraux, —
fpie préside l'amiral Pottier, Français, —
estsous la surveillance communedesquatre
puissances.
II est ilonc permis d'espérer une solution
prochaine. Que les ({uatre puissances aient
une volonté, et cette volonté sera faite. La
VIII. — i9.
libération de la Crète sera pour elles un
honneur éternel, car elles auront accompli,
pour une fois, un acte de justice» et d'équilé.
Le sultan pourra, d'ailleurs, [juiser des
consolations dans la visite de son impérial
ami, (iuillaume 11.
Le voyage de l'empereur allemand est
un événement i)olitique et colonial (pii peut
être gros de conséquences. Le lecteur en
■ E R E U H ALLEMAND EN PALESTINE
CiiT.Uier turc de l'escorte.
a lu dans les joui'naux le programme : sé-
jour à Constantinople, pérégrinations en
Palestine et en Syrie, de Caïifa à JafTa, de
Jaiïa à Jérusalem, Bethléem, Jéricho, la
mer Morte, retour à JalTa et CaiiTa, Naza-
reth, le mont Thabor, le lac de Tibériade,
de Caïffa à Beyrouth, Damas, Baalbek. A
la simple lecture, on dirait d'un de ces
voyages d'excursions qui sont à la mode.
Ne sait-on pas que l'empereur s'est en-
tendu, pour le transport et l'entretien do
sa caravane, avec l'agence Thomas Cook
and Son ? Et n'a-t-il pas annoncé, urbi et
orbi, qu'il ne faisait ce voyage dun mois
(pic pour inaugurer à Jérusalem une église
protestante? Où voyez-vous dans tout cela
Vévércmeni ?
Examinons : l'empereur s'embarquera à
Venise. Il amènera avec lui M. de Bi'ilow,
secrétaire de l'office des allaires étran-
gères de l'empire allemand ; il sera reçu
par le roi Ilumbert, le général Pelloux,
président du conseil, l'amiral Canevaro,
ministre des all'aires étrangères. Voilà bien
des embarras pour recevoir un touriste;
770
ÉVÉNEMENTS GÉOGRAPHIQUES
et à qui fera-t-on croire qu'il ne sera pas
parlé politique à Venise?
Et à Constantinople "? Le yacht Hohen-
zollern, qui portera Guillaume II, sera ac-
compagné par un grand croiseur cuirassé
de 2" classe, la Hertha; ce croiseur fait
partie de la flotte de guerre allemande et
non de la flottille de plaisance de Thomas
Cook. Guillaume II arrivera à Constantinople
en empereur, et il y parlera en allié. Car
c'est ici surtout que ce voyage aura un
caractère politique.
î
L INFLUENCE FRANÇAISE EN P A \, E S T I N E
L'Eoole française de Caïffu.
L'Allemagne a rendu , dans ces der-
nières années, de signalés services au sul-
tan ; elle a forgé pour lui l'armée qui fut
victorieuse sur les champs de J^ataille de
Thessalie ; en rappelant ses navires de
Crète, elle lui a permis de faire obstacle
jusqu'à ce jour aux justes demandes des
quatre puissances.
Qu'attend donc l'Allemagne de la Tur-
quie ?
Tout d'abord, la coopération éventuelle
d'une armée de 400,000 hommes , bons
soldats, bien armés et qui viennent de
vaincre, n'est nullement méprisable; et
cette armée se trouve campée non loin de
la frontière russe. La Turquie, de plus, est
la maîtresse de l'Asie Mineure, et ce der-
nier pays est le théâtre d'une véritable
colonisation allemande. Depuis de Moltke
jusqu'au baron von der Goltz, les voyages
d'officiers allemands en Asie turque ont
été nombreux; le lieutenant Kannenberg,
dans la préface de son récent ouvrage
sur l'Asie Mineure , nous en donne la
raison : il y étale une admiration sans ré-
serve pour les Turcs, ces n Allemands de
l'Orient », et estime que les victoires de
ces bons élèves de von der Goltz doivent
profiter... à l'industrie et au commerce
allemands. M. Oberhummer termine un
récit de voyage par ces mots : « Nous
sommes en Asie Mineure la grande na-
tion (ces deux mots sont en français dans
le texte). C'est vers l'Allemagne que re-
garde le Turc éclairé. » Son compagnon,
M. Zimmerer, termine un intéressant ar-
ticle sur les explorations allemandes en
Anatolie par le refrain de
la Wacht am Bhein ! C ela
n'est-il pas significatif? et
doit-on s'étonner des résul-
tats suivants? Le mouve-
ment d'affaires de l'Alle-
magne avec le Levant a plus
(jue triplé depuis 1889. En
janvier dernier, en pleine
lutte des quatre puissances
tet de la Porte à propos de
la Crète, la Compagnie des
chemins de fer allemands
d'Anatolie obtenaitdusultan
une augmentation considé-
rable de la garantie d'in-
j térêts, la concession du fort
j d'Haïdar-Pacha, qui est sa
tête de ligne sur le Bos-
phore, et un droit de prio-
rité pour le raccordement
de la ligne anglaise Smyrne-
Aïdin-Diver avec sa propre
ligne Eskicheïr-Konieh.
A Constantinople, sultan
et empereur auront à se re-
mercier mutuellement. Enfin, s'il faut en
croire un bruit, l'Allemagne voudrait acqué-
rir, sur la route de l'extrême Orient, des
stations, afin d'y établir des dépôts de
charbon. La côte turque de Syrie lui offri-
rait des ports à proximité du canal de
Suez; peut-être songe-t-elle à Jaffa.
En Palestine, où il sera escorté par Dje-
vad pacha, Guillaume II aura également
l'occasion de faire son métier d'empereur.
De par de nombreux traités avec l'empire
ottoman, durant des siècles notre ami, le
protectorat de tous les catholiques qui se
trouvent sur le territoire de l'empire nous
appartient. Léon XIII, dans une lettre
adressée à l'archevêque de Reims, et dont
la publication a fait quelque bruit, a
reconnu, le 20 août dernier, à nouveau et
expressément, notre droit. Les journaux
allemands ont proflté de l'occasion pour
nous dire des choses désagréables. Il est
probable que l'empereur voudra, dans son
voyage à .lérusalem, régler aussi cette
question.
Gaston Rouvier.
GHUONIQUK THÉÂTRALE
La (lerniôre saison théâtrale s'est pro-
longée si longtemps que les lampions de
la nouvelle s'allument alors que les quin-
quets de l'autre sont encore l'umanls...
Contrairement à la coutume, le bil;in de
ce premier mois olFre quelque intérêt.
Après l'essuyage obligatoire des plâtres,
nous pouvons noter une reprise sensation-
nelle à la Comédie-l'rançaise, deux nou-
veautés ;> rOdéon et une première au
Palais-Royal... C'est de bon augure...
Procédons par ordre.
La reprise du Théâtre-Français, c'est le
Louis XI, de Casimir Delavigne, " ce mort
qu'il faut qu'on tue », comme disait l'autre.
A proprement parler, Louis XI n'a jamais
quitté ral'liche. Il se promène depuis 1803
de théâtre en théâtre, encensé par les
uns, dénigré par les autres, remportant
chaque fois ces succès d'estime qui sont
pires qu'unechute retentissante, et replon-
geant dans la nuit de l'oubli, après quelques
soirées d'un éclat factice... Il faut bien
convenir pourtant que l'étoile du poète
havrais ne devait être que de troisième
grandeur, puisqu'elle n"a jamais que fai-
blement i)rillé comme une modeste veil-
leuse, qu'un souffle d'indifférence suffit
à éteindre jus({u'au moment où une
main complaisante la rallume... En l'es-
pèce, la main complaisante est toujours
celle d'un comédien qui voit dans le per-
sonnage principal un rôle dont il espère
tirer de bons effets...
Ah! les bons rôles, quel mirage trom-
peur! Neuf fois sur dix, l'expérience le
prouve, neuf fois sur dix, le bo7i rôle est tout
de convention, faux d'un bout à l'autre et
n'arrive à l'etfet souhaité par l'interprète
que grâce à des coups de théâtre d'une in-
vraisemblance criante. Je ne parle pas,
bien entendu, des chefs-d'œuvre. L'art
dramatique français est assez riche pour
qu'on se montre sévère à l'égard des ros-
signols, des fonds de magasin qu'on
s'obstine ii tirer des cartons et dont l'éclat
de la rampe révèle chaque fois davantage
l'irréparable vétusté... En général, je n'aime
guère le drame historique, au sens qu'on
attribue d'ordinaire à ce mot. J'estime que
l'Histoire ne peut entrer dans le cadre re-
lativement étroit de la scène qu'à la con-
dition expresse de se réduire aux propor-
tions de l'épisode. Les grands anciens, qui
n'étaient pas plus sols ([ue nous, avaient
créé pour la tragédie, ce drame historique
d'antan , des règles sévères , austères
même, qui en firent la grandeur. La règle
des trois unités contre la([uelle on a tant
crié, non sans raison toujours, condensait
sur un seul fait, accompli en un seul jour et
dans un seul lieu, toute la somme d'atten-
tion dont le public est susceptijjle... L'effet
produit était contraire à ce qui se passe à
présent... Au lieu ([uavec la méthode ac-
tuelle les événements, lassés en cin([ actes
comme des conserves dans leur boite,
soient déformés et desséciiés, le fait
unique, en dépit des accessoires qui l'as-
saisonnent, s'épanouissait à l'aise, se dé-
veloppait, s'amplifiait, emportant l'esprit
vers les plus hauts sommets de la psy-
chologie, et laissait aux lèvres la saveur
d'un jjeau fruit mùr. Celte bonne perruque
de Boileau a exprimé cette opinion, en
termes poncifs, mais dune indiscutable
justesse... Que nous importent, je vous
le demande, les événements dans lesquels
roule l'action s'ils ne se reflètent dans
l'âme même du personnage qui les subit
ou les dirige?... Quel chaos informe ne pro-
duit pas celte succession ininterrompue
d'aventures où se ballotte le fameux bon
rôle réduit à n'être plus qu'un pantin cos-
tumé, dont on voit non seulement les
ficelles, mais encore la main qui les tire...
Que m'importe aussi l'auteur, quand je
suis assis dans mon fauteuil ? Je ne veux
pas savoir qu'il existe, je veux ignorer
même son nom, je ne veux pas avoir une
minute conscience de son talent. Est-ce
qu'en écoulant Cinna je songe à Corneille,
est-ce qu'en palpitant aux angoisses de
Phèdre je me rappelle qu'il y eut un Ra-
cine?.. Ce n'est qu'après, quand la toile
est baissée, que je me reprends, que ma
reconnaissance va porter au poète l'hom-
mage d'un enthousiasme d'autant plus vi-
brant, qu'il se sera fait davantage oublier...
Tenez, sans remonter au déluge et pour
prendre un exemple tout près de nous et
très terre à terre, est-ce que je songe au
père Dumas, lorsque dans ses amusettes,
il m'entraîne à la suite de ses invraisem-
blables d'Artagnan dune si délicieuse fan-
taisie, ou de ses Henri III, de ses Guises,
de ses Chicot abracadabrants qui ont sur
les personnages du drame historique à
prétentions d'exactitude l'avantage de ne
pas se prendre eux-mêmes au sérieux? Par
contre, quand les Olivier de Jalin, les de
Rieux, les Rémonin et autres raisonneurs
insupportables et falots du répertoire dé-
modé de l'autre Dumas , semblent me
crier à tout bout de champ : <( Hein ! notre
auteur a-t-il de l'esprit, en a-t-il, en a-t-il
772
CHRONIQUE THÉÂTRALE
Cl. Mairet.
inrs (il. Alb. Lamtert)
Louis XI (M. SylvaiiO. Le Dauphin fil"" Lecoutc)
M. Sylvain. — Rôle de Louis XI.
le mâtin », j'ai des envies folles de leur
jeter des petits bancs à la tète.
Oui ! rauteur doit disparaître derrière
son œuvre, de même (ju'il serait d'un goût
déplorable qu'au lieu d'être caché dans
les coulisses pendant la représentation, il
se tînt assis sur le trou du souffleur face
au public, dans la pose d'un monsieur dis-
posé à s'écrier chacjue fois cju'un effet
porte : Me, me adsum qui feci ! si j ose
mexprimer ainsi, sans déplaire à M. Jules
Lemaitre. Quant à l'artiste, cela ne se dis-
cute même pas, c'est pour lui un devoir
rigoureux de s'annihiler dans le person-
nage. L'art du comédien est... ou plutôt
devrait être tout d'abnégation... 11 ne suffit
pas qu'on oublie un moment l'acteur,
l'idéal artisticjue serait qu'on l'ignorât im-
porturljablement juscju'à la
fin, quitte à l'acclamer ensuite
à part, à lui décerner en bra-
vos d'autant plus flatteurs
pour son légitime amour-
propre, qu'ils s'adresseraient
plus j)ersonnellement à lui, le
juste prix que mériterait son
talent d'interprète. 11 n'en va
pas toujours ainsi, soit dit sans
aucune malice; et en bonne
conscience à qui en incombe
la faute? Au bon rôle, à
l'odieux l)on rôle qui fait pré-
cisément J)riller tout le clin-
([uant et relègue dans l'ombre
la psychologie trop sommaire-
ment exprimée du personnage.
Si je me suis laissé aller à
cette digression, c'est que la
pièce de Casimir Delavigne
réunit comme à plaisir tous
ces inconvénients et même
tous ces défauts : c'est presque
le modèle du genre. Je défie
qui que ce soit — de bonne foi
s'entend — de n'être pas, en
écoutant Louis XI, obsédé par
le souvenir de l'auteur et par
la personnalité du comédien
qui interprète le rôle. . . Il règne
dans l'ouvrage tout entier, en
dépit de certains passages qui
dénotent un homme de théâtre
habile par instants à faire
vibrer les passions et non dé-
pourvu de psychologie, un
esprit X pompier » tout à fait
réjouissant... La mode am-
biante déteint toujours sur les
œuvres qui portent l'empreinte
indélébile non pas du temps
qu'elles sont censées repré-
senter, mais de l'époque à la-
cjuelle elles ont été écrites. Ça
n'est pas précisément la même
chose! Nul n'y échappe, les plus grands
comme les plus petits : c'est un écueil
contre lequel viennent régulièrement se
heurter tous les auteurs sans exception...
Les Romains de Corneille eux-mêmes et
aussi les Grecs de Racine s'expriment
dans un superbe langage, c'est vrai, mais
les formules de ce langage sont irré-
médiablement celles du xvii'' siècle, et
sous les éternellement frais ombrages des
Champs-Elysées où ils dissertent sans
doute, loin des ag-itations actuelles, Cicé-
ron et Démosthènes doivent sûrement
demander à nos deux illustres poètes tra-
giques l'explication de cet anachronisme.
Ouvrez au hasard un quelconque cahier
d'estampes anciennes sur le costume au
théâtre, vous y verrez, non sans surprise
CHU o x I Q V 1-: t i i i^; a t h a l e
cl joie, des Augustes eu perruque Louis XIV
et des Iphif^énies en bonnet à la Mainte-
non : plus loin Vi-nus Aphrodite elle-même,
d'ordinaire vêtue de sa seule beauté, nhé-
sifc pas — car nous sommes sous la lié-
gence — à s'adorner d'un trousse((uin en
l'orme de panier du |)lus réjouissant efTet...
Les Homains de David, eux, ont un petit
style Empire dans l'arrangement de leur
toupet (|ui laisse rêveur l'observateur et
nialiques sont assaisonnées uniformément
à la même sauce brune... Passe encore
pour l'afTêterie du xvin'' siècle ou len-
goncement du premier Empire ; mais la
garde nationale, les soldats citoyens, l'Hô-
tel des Haricots, c'est un peu exagéré...
Casimir Delavigne, pour son malheur, vint
au monde cinquante ans trop tard, sans
cela il eut peut-être été un grand poète.
Or, et c'est par là qu'il faut conclure, quel
XI (M. Svlvain). Olivier le Daim (il. VillainJ. Tristan (il. Hamil).
Le Dauphin (M"' Lcconte). Marie (M"" Dn Mlnil).
Uu officiur (M. Falcouiiier;.
Louh XI.
Dernier acte.
l'incite à se demander par quel juste re-
tour des cocasseries humaines ce régime
qui s'évertuait à copier servilement la
Grande République a fini par imposer sa
mode aux plus grands artistes de cette
époque cocardière et superlificoquentieu-
sement empanachée... Du moins, à ce mo-
ment, l'exemple était-il grandiose malgré
tout ; mais quand nous tombons dans la
Restauration, et surtout dans le gouver-
nement de Juillet, dont l'absence si com-
plète de goût se prolongea très avant dans
le second Empire, alors c'est du délire.
Même avant DS.'IO, même après 18iS, tous
les héros de ce temps-là sont Louis-Phi-
lippe de la tète aux pieds... Le moyen
âge, l'antiquité, les temps contemporains,
tout a le même goût. Comme les plats des
restaurants à bon marché, les œuvres dra-
que soit le talent de l'artiste, il lui est
impossible de dissimuler cet aspect sur-
anné des rôles, je dirai même plus, c'est
quand, en toute conscience, il fait le plus
d'efforts pour se rapprocher de la vérité
intéurale, qu'il laisse voir davantage le
rococo dont l'auteur habille son person-
nage.
Sylvain, pour lequel évidemment la
pièce fut reprise, est un artiste conscien-
cieux, qui sûrement avant de se mettre
dans la mémoire les centaines de vers
dont se compose le rôle de Louis XI, n'a
pas manqué d'étudier son personnage his-
torique ailleurs que dans Casimir Dela-
vigne. Il a dû se forger de ce souverain,
sur lequel nos maîtres nous donnèrent jadis
de si mauvais renseignements que la con-
naissance plus exacte de la vie et des
C 1 1 R O N KO U i: T II É A T R A L E
hommes nous a fait tenir pour le plus sou-
vent injustes, un idéal dont il a autant que
possilile cherché à se rapprocher... C'est
un louahle effort, mais alors il s'est passé
ceci : c'est que, le Louis XI en question
étant à une énorme distance de la vé-
rité, plus Sylvain, par son jeu simple et
grand à la fois, se rapprochait de cette
vérité, plus il s'éloignait de la conception
du poète... Ne vous étonnez pas après cela
si la pièce, intéressante à revoir pour les
professionnels, n'a point de chance de
porter sur le grand public autant qu'on
osait r espérer dans la maison de ce Mo-
lière qui, lui aussi, tomba dans la chausse-
trape commune et confectionna des Psy-
chés en vertugadin et des Amphitryons en
petite oie et en canons, mais sut du moins,
pour peindre son temps d'après nature, em-
ployer des couleurs éternelles...
Voilà bien des réserves faites sur l'ou-
vrage que la Comédie-Française a cru de-
voir exhumer. Il nen reste pas moins d'une
vigueur et dune entente de la scène qui
justifient à merveille sa longévité récalci-
trante. Quant au style!... Ah! dame!...
Laissez-moi vous conter une anecdote qui
vous prouvera on cjuelle piètre estime les
vrais poètes, les im{)eccables tiennent la
versification de l'auteur de Louis XI. C'est
Théodore de Banville, le maître ciseleur
de rimes, qui la rapporte en quelque en-
droit... Un jour, il est présenté, lui encore
peu connu, à Scribe, alors dans tout l'éclat
de sa gloire. Aussitôt, il est saisi par un
bouton de son habit, — c'est Banville que
je veux dire, — entraîné dans une embra-
sure de fenêtre toujours tenu par le bou-
ton résistant... M. Scribe parlait, par-
lait, expliquant à son jeune émule la ma-
nière dont il s'y prenait pour faire une
pièce de théâtre. Et toujours le bouton
résistait à son illustre tripatouillage...
« Voyez- vous, jeune homme, disait en sub-
stance le librettiste, le vers à mettre en
musique a sa forme toute spéciale, mais
cela n'empêche, en certaines occasions,
([u'on puisse, lorsque la situation l'exige,
s'élever au-dessus de la versification habi-
tuelle. Ainsi, dans tel opéra, j'ai eu besoin,
un jour, de strophes pleines d'ampleur et
de majesté. Eh bien, je n'ai pas hésité :
j'ai prié M. Casimir Delavigne de me les
écrire... » Banville ajoute qu'à ce trait il
ne put se contenir : c'en était trop. Il
avait résisté tout comme son liouton ; mais,
cette fois, il s'avouait vaincu et, tirant su-
brepticement son canif de sa poche , il
coupa le bouton sans que Scribe s'en
aperçût et, le laissant entre ses mains
comme un trophée, il s'enfuit et ne se laissa
jamais plus repincer...
La pièce est trop connue pour qu'il soit
besoin d'en faire l'analyse. Elle est e amu-
sante », c'est-à-dire que rafîabulation, sans
profondeur et sans portée, présente un
intérêt de jeux de scène successifs comme
ceux d'un roman à péripéties. Nous repro-
duisons deux scènes principales de ce
drame, qui sera, je n'en doute pas, accueilli
quand même avec faveur par le public de
l'abonnement, peu soucieux en général des
œuvres qui font penser, et friand do co
genre de spectacle...
Voici encore une pièce ■ amusante »,
un drame historique tel que je les aime,
parce qu'ils n'ont d'autre ambition que de
s'appuyer sur un fait quelconque, consigné
dans les annales, et de nous entraîner dans
une série d'aventures imaginaires sans
émettre la moindre prétention à l'exacti-
tude documentaire. Colinette, les quatre
actes que M. G. Lenôtre et Gabriel Martin
ont donnés à l'Odéon, rélève de l'esthé-
tique de la triomphante J/™'' Sans-Gêne, ûe
Sardou et Moreau, et de Paméla, mar-
chande de frivolités, de Sardou seul. Sans
être égale à la première, Colinette est de
beaucoui) supérieure à la seconde, et j'ose
espérer que sa carrière tiendra le milieu
entre le triomphe de l'une et le désastre de
l'autre ; elle fournira une bonne carrière et
divertira les gens qui aiment l'anecdote
pittores({uement contée, mêlée d'incidents
dramatiques suffisants pour justifier l'in-
térêt. Ce qui relève singulièrement Coli-
nette et la met très au-dessus des pièces
à combinaisons plus ou moins heureuses,
c'est l'authenticité indiscutable des docu-
ments dont elle se compose. M. Lenôtre est
un archiviste très distingué, chez lequel
l'érudition profonde n'alTecte pas des airs
hauts en cravate et dune insupportable
solennité...
Au cours de ses recherches officielles, il
furette, il bibelotte, U braconne un détail
à côté, une anecdote, un de ces mille riens
qui sont à l'histoire ce que la chanson est
à la musique, et qui jettent une lumière
subite dans ses obscurités et sur ses mys-
tères. C'est de toutes ces pièces, de tous
ces morceaux, que M. Lenôtre a très heu-
reusement construit son oeuvre de début.
Je souligne ces mots, car qui a mordu au
théâtre, y veut mordre de nouveau, et je
sais certains Collets noirs en préparation
qui verront bientôt le feu de la rampe.
Cette Colinette est loin d'atteindre la
perfection, et M. Lenôtre, qui est un es-
prit des plus fins, nous en voudrait si la
sympathie justifiée qu'il inspire entraînait
ses amis à l'assommer à coups d'encen-
soir; mais, en dépit de quelques défail-
lances nullement préjudiciables au résultat
final et toutes naturelles chez un débutant,
cil H O N I g U K T ! I K A T H A I. !•:
775
c'est là. je le répète, une pièce amusante,
sans pri'tention exagérée, et qui nem-
bouche point la trompette épique pour
raconter sa gentille histoire. Oh ! le drame
historique en vers ! ! ! Celte comédie, du
moins, est une prose claire et légère...
En voici le sujet :
Le marquis de Houvray, colonel à trente
ans, est un llls d'émigré qui, sur les con-
seils de son père, s'est rallié à l'Empire. Il
épouse M"*' Colinette Pradels, fille d'un
banquier, à qui l'empereur a donné pour dot
les biens de la famille de Rouvray, confis-
qués sous la Révolution en exécution de la
loi votée contre les émigrés. L'Empire
tombé, les Rouvray rentrent en France avec
les Bourbons ; ces fossiles, très entichés
de leur noblesse, ne considèrent la jeune
marquise que comme une roturière parve-
nue, elle est toujours pour eux la jeune
Colette Pradels, fille de croquants... Mais
cette vilaine a été distinguée par le Roy, qui
lui a fait des vers. Ohl alors, tout change.
En passe de devenir favorite, Colinette est
choyée. Xi elle, ni son mari, qu'elle adore
et dont elle est aimée, ne sont dupes de ce
changement d'allures dont ils se moquent.
Là-dessus arrive en grand mystère un
général de l'Empire, CoUières, condamné à
mort, et qui vient demander à son compa-
gnon d'armes, Jacques de Rouvray, l'hos-
pitalité et les moyens d'échapper à la jus-
tice royale. On le cache en attendant
qu'on puisse se procurer un passeport pour
le faire fuir. Colinette est naturellement
dans le secret. Cependant le comte d'Al-
barède, porte-parole de Louis XVIII, vient
de la part de son maître proposer à la
marquise de Rouvray la place de lectrice
de Sa Majesté, insinuant en même temps
que, pour bien remplir ces fonctions déli-
cates, il est nécessaire d'éloigner son mari.
Voilà le moyen tout trouvé de faire fuir
Collières. Colinette accepte le poste qui lui
est proposé, mais pour que Rouvray parte
il faut un passeport. Le comte d'Albarède
le signe et... c'est à Collières qu'on le donne.
La supercherie est découverte. Par ordre
du Roy, on vient arrêter Rouvray, complice
de trahison, puisqu'il a protégé la fuite
d'un ennemi de la royauté. Malheureuse-
ment, on saisit sur Rouvray des papiers
compromettants dont Collières lui a confié
la garde. Son cas est grave. On l'empri-
sonne... Colinette a plus d'un truc dans son
sac. Elle accourt chez le Roy, le supplie de
faire grâce à son mari. Louis XVIII, bon
enfant et un brin féru pour cette charmante
et jolie jeune femme, s'en laisse conter,
sans être dupe cependant : mais ne pouvant
pas, par crainte de ses ministres, plus
royalistes que lui-même, paraître protéger
un coupable, il se laisse volontairement
berner.
— Madame, dit-il à Colinette, votre mari
est dans celte chambre à côté. Allez le
voir. Vous avez vingt minutes pour lui faire
vos adieux.
Et il se remet à travailler aux affaires
courantes avec son confident d'Albarède.
Un instant après, une jupe sort de la
chambre. D'Albarède, méfiant et ne recon-
naissant pas l'allure svelle de la marquise,
veut s'élancer.
— Laissez passer! dit le Roy, qui a com-
pris.
Rouvray est sauvé. Quant à Colinette, ne
soyons pas en peine. Louis XVIII est un
brave homme, Colinette a de beaux yeux
et un fin sourire. Et puis, et puis... tous
les deux se souviennent du dévouement de
M"'= de Lavalette.
Voilà cette pièce, à laquelle, je le répète,
manque parfois le tour de main génial de
Sardou, mais qui constitue un aimable et
amusant spectacle.
Lecteurs, avez-vous les hypocondres en-
dommagés"? Désirez-vous échapper, pour
un soir, aux soucis de l'heure présente ?
Voulez-vous rire, enfin, rire de ce bon rire
sonore et profond, sans vergogne ni rete-
nue, de ce rire qui secoue et désarme?...
Allez au Palais-Royal, allez-y voir la co-
médie à la fois fine et bouffonne de
MM. Maurice Hennequin et Albin Valabrè-
gue : Place aux femmes.
C'est une satire bien amusante des fémi-
nistes à outrance, des féministes ridicules,
comme les Précieuses, de Molière.
N'attendez pas de moi que je vous conte
la pièce. Vous imaginez sans doute qu'une
action où se ruent des personnages qui
s'appellent Cascadier, Pontgirard, Ciboulet,
Malvina, etc., etc., défie toute analyse sé-
rieuse. Cela ne se discute pas, mais c'est
bien amusant.
Dieu, que c'est bon de rire un peu!
Maurice Lefevre.
-iy^^-
Cl. Paul Bovri-,
Charassus et riusonnet
(W. Lassouchc). (M. Simon Maxi.
Zex Quatre files Aymon, II« acte, 3"^ tableau.
M. (le Porto-Eico
(M. TaTasscur).
Micheline
(M"" Mariette Sully)
et ses trois sœurs.
LA MUSIQUE
Un joli litre, un sujet agréablement pré-
senté, une musique charmante, une inter-
prétation de premier ordre, une mise en
scène très soignée, rien ne fut ménagé par
la nouvelle direction du théâtre des Folies-
Dramatiques, aux destinées duquel pré-
side M. Nunès, pour conquérir le succès
qui, le 20 septemi)re 1898, se dessina fran-
chement dès la fin du premier acte, et fut
presque un triomphe lors(|ue, a|)rès le
dernier tableau, on vint , selon Tusage,
annoncer à Tavant- scène : « Mesdames et
messieurs, l'opérette que nous venons
d'avoir riionneur de représenter devant
vous est, pour les paroles, de MM. Ar-
mand Liorat et Albert Fonteny; et, pour
la musique, de M. P. Lacome. »
Le sujet? Mais c'est une bonne comédie
dont les différentes scènes, après une mélo-
dieuse ouverture oîi flûtes, hautbois et cla-
rinettes gazouillent en compagnie des vio-
lons, se déroulent agréablement.
Le même jour les quatre lllles Aymon,
]Vpies Micheline (M"<^ Mariette Sully), Nini,
Lisa et Phrasie, doivent épouser MM. Pin-
sonnet (M. Simon Max), Pluvier, Bécavin
et Grissouris. Au moment de partir pour
l'église on s'aperçoit que Pinsonnet est
absent.
Que s'est-il donc passé?...
Après avoir fait de chaleureux serments
d'amour à sa fiancée Micheline :
.do- le! Moo p'til coBor fait 1
le volage Pinsonnet s'est subitement épris
d'une séduisante danseuse. M"*" Cyclamen
(M"*" Marie Burty), qui était venue faire
une partie de campagne.
Le chic parisien de la danseuse a bien-
tôt éclipsé dans l'espi'it du villageois le
LA MUSIQUb;
sDiiNiMiir de
[IMS ii\()ir rlr
Miclu'liiu'.
I rni;ir(|iu''
Ne s"iina^iiu'
le iat !
t-il
Je voistont's les femm's me son j-ire, m'a? ti coter.
par la hollo coquelte ([ui , élalaiil avec
juste raison rexpérienec ac(juisi', dit :
hommes, j'ai qoelqoe pr i-ti . qae.
Si ce naïf de Pinsonnet est coupable, il
a pourtant une circonstance atténuante.
Habitant le même pays que lui, Cliavassus
(M. Lassoucbe), un type de directeur de
théâtre ([ui a toujours fait faillite sans ja-
mais s'enrichir, vient lui monter la tête
en lui disant (jue M"'' Cyclamen, dont il
se trouve être l'oncle, s'est amourachée
de lui. Etant employé dans l'étude du no-
taire du pays, Chavassus a apj)ris que
Pinsonnet venait d'hériter d'un oncle
d'Américjue. La fortune est belle, il vou-
drait bien y toucher; aussi a-t-il échafaudé
tout un plan assez ingénieux : il faut que sa
nièce, la danseuse, tourne la tète du naïf
Pinsonnet, ce qui est déjà fait, et s'en
fasse épouser, ce qui n'est pas impossible,
puisque, conduit par Chavassus, Pin-
sonnet a indignement abandonné sa fian-
cée j)our aller à la poursuite de l'actrice
qui s'est enfuie en riant, lorsque son oncle
lui a exposé ce plan plein de sagesse et
de prévoyance pour l'avenir.
La noce est donc interrom[)ue, car les
quatre filles Aymon ne veulent pas se ma-
rier les unes sans les autres. Après avoir
essuyé quelques larmes de dépit et de
tristesse, Micheline, suivie de ses trois
sœurs, saute à califourchon sur le dos de
leur âne. Elles poursuivent le volage,
qu'elles retrouveront dans les coulisses du
théâtre dont Cyclamen est la plus brillante
étoile. Là, au milieu de ce monde joyeux
de ballerines et de galants, faisant maintes
gaffes (|uc Chavassus pallie le plus pos-
sible, Pinsonnet se pavane et fait le beau
dans un resplendissant habit multicolore.
Il chante même à ce sujet des couj)lets-
réclames ([ue j'ai trouvés de l)ien mauvais
goût. Cyclamen se moque du prétendu
que lui offre son oncle; mais, réllexion
faite, elle ne le lui fait },oint voir, car la
situation financière de son protecteur en
titre, M. de Porto-Rico (M. Vavasseur),
doit être en bien mauvaise posture pour
qu'un bijoutier ait i-efusé, en payement
d'un joyau, un chèque portant sa signa-
ture. Aussi elle pense qu'il serait j)rudent
de se faire épouser par ce bêta de mil-
lionnaire sans le savoir. Elle lui fait croire
([u'elle
intime,
lisnte :
l'aime, et pendant un enlictien
joue la comédie (\v\ sentimenta-
Le joor entier 3s .
e à moD fo . yer.
Dans ce petit piège féminin, dans ces
galantes roueries, notre Pinsonnet s'em-
pêtre aveuglément. Cyclamen l'aime, il
exulte!... Suivie de ses inséparables sœurs
et arrivant à l'improviste , Micheline se
trouve face à face avec Pinsonnet. Se sou-
venant complaisamment de tout ce que
vient de lui dire la danseuse, qui a bien
voulu lui accorder un baiser, il écoute
d'une oreille indifférente les reproches de
Micheline, qui lui dit ironic[uement :
Ah'.c'eEtanfierfoinbeDrde femmes QnemonsieurPinîonnet.
Accompagnée par un charmant dessin
d'orchestre (cordes en pizzicati et basson
jouant le chant), elle ajoute menaçante :
Si c'est du pied qae je me
Pinsonnet veut se sauver, mais Miche-
line le poursuit et lui remet la feuille de
convocation aux vingt-huit jours qu'avait
apportée un gendarme, juste au moment
oîi l'on s'apercevait de l'absence du marié.
— Mais j'ai un sursis, s'écrie-t-il ! tu le
sais bien, puisque je l'ai demandé pour me
marier. — Eh bien, marie-toi ! — Oui,
mais avec Cyclamen ! — Micheline ne
veut pas se tenir pour battue : elle met la
maréchaussée aux trousses de Pinsonnet,
et éveille la jalousie de M. de Porto-Rico,
qui veut alors tout massacrer. Poursuivi
par la fureur de l'exotique, qui est salous
comme ounc tigré dé las 2Mmpas, Pinsonnet
se précipite dans la loge de Cyclamen.
Au troisième tableau, nous voyons un
prolongement de la salle sur la scène. Le
public se trouve faire partie du décor.
Nous ne sommes plus aux Folies-Drama-
tiques, mais au théâtre où danse, comme
LA MUSIQUE
première étoile, Cyclamen. Ici, M"'^ Burty
se révèle sous un nouveau jour : elle
danse, fait des pointes aussi bien qu'une
danseuse professionnelle. Après le ballet
espagnol du quatrième tableau, viennent
deux célébrités de la danse. Faut-il le
dire?... C'est Chavassus et Pinsonnet, qui
se sont travestis, l'un, en danseur espa-
gnol, pour sauver la représentation com-
promise par l'absence imprévue d'un
artiste ; l'autre, en Belle Otero pour mieux
se dérober aux recherches des gendarmes
que Micheline est allée chercher, et à la
colère inassouvie de M. de Porto-Rico.
Malheui'eusement pour eux, tout le
monde les reconnaît. Grand scandale dans
la salle! Le gendarme vient arrêter en
public Pinsonnet, qui disparait subitement
dans une trappe; et Micheline, toujours
suivie de ses sœurs, enjambe lestement le
rebord de son avant-scène pour aller se
crêper le chignon avec Cyclamen, qui
s'évanouit, tandis que M. de Porto-Rico,
brandissant toujours de formidables re-
volvers, veut brûler la cervelle à Chavassus,
qui s'est effondré dans le trou du souffleur
en agitant désespérément son tambour de
basque.
Au troisième acte, cinquième tableau.
Cyclamen reçoit dans sa villa ses amis et
leur annonce son prochain mariage avec
Pinsonnet, de retour de la caserne, où l'on
a reconnu qu'il avait effectivement obtenu
un sursis. Pendant que Cyclamen fait les
honneurs de sa propriété, l'oncle Chavassus
prépare un projet de contrat de mariage
sur une formule d'engagement artistique.
Cette scène est une charmante trouvaille
d'un effet comique irrésistible; car, y
a t-il rien de moins compatible que les
devoirs l'espectifs de deux époux l'un
envers l'autre, et les obligations réci-
]»roques de directeur à artiste ?
Micheline, qui malgré tout aime encore
son volage fiancé, était allée pour le voir
et lui apporter quelques friandises à la
caserne où elle le supposait triste et mal-
heureux; mais ne l'y ayant pas trouvé,
et se doutant bien qu'il était auprès de
cette coquette de Cyclamen, elle arrive,
toujours en robe de mariée, au moment où
ce nigaud de Pinsonnet, ignorant l'héritage
inespéré, vient de signer, les yeux fermés,
un dédit de 500,000 francs que, dans sa
ridicule fatuité, il prend pour un témoi-
gnage de grande affection et de désinté-
ressement.
Après de charmants petits couplets pa-
triotiques d'une allure très crâne.
faut, chacDr
iji'i I ' |l I M'II M M,l I
s soD tonr doit y faire od petit se'.joBP
— et qui sont acclamés, ])issés, trissés
même, tant ils sont jolis et bien tournés,
tant l'exquise chanteuse qu'est M"'' Ma-
riette Sully les détaille avec talent — Miche-
line essaye de dessiller les yeux de Pin-
sonnet en lui apprenant que Cyclamen ne
tient à lui qu'à cause de cet héritage dont
elle lui annonce l'heureuse nouvelle. Pin-
sonnet, qui veut toujours croire à l'amour
de la danseuse, rudoie sa pauvre petite
fiancée. Elle lui conseille alors de se cacher
et d'écouter ce que Cyclamen va dire à son
ami de cœur, le clarinettiste Mitoufiet
(M. Liesse). Ayant entendu les quolibets
de Cyclamen à son égard, furibond, Pin-
sonnet surgit hors de sa cachette et lui
reproche son langage. La rusée danseuse
se justifie en lui disant avec des larmes
dans la voix ; c Je savais que vous étiez là.
Vous êtes riche, maintenant, et ce que j'ai
dit, c'était pour vous détacher de moi, moi
trop pauvre pour vous !... Adieu!... » Une
telle comédie happe de nouveau ce benêt
de Pinsonnet qui, définitivement, va l'épou-
ser, lorsque Micheline, par une heureuse
disposition du testament, se trouve être
maîtresse de la situation. L'oncle d'Amé-
rique n'a-t-il pas stipulé que Pinsonnet ne
serait son légataire universel qu'à la con-
dition expresse d'épouser Micheline , et
que s'il refusait d'exaucer ce vœu, il serait
déshérité à son profit. Dès que Cyclamen
a entendu cette clause du testament, elle
envoie promener, et vertement, Pinsonnet
qui, navré et déconfit, ne sait que dire,
que faire. Mais Micheline n'est-elle pas là?
Ne voulant ni s'imposer comme épouse,
ni ruiner Pinsonnet, son bon cœur et sa
tierté lui font déchirer le testament et
rendre, par cela même, la fortune et la
liberté à son infidèle fiancé. Puis, essuyant
une dernière larme, avant de s'éloigner,
elle lui dit un délicat adieu :
Qnandil ^-tail benrenijQaand ehacon brign.Tstsa conqnè.te,
Tant de preuves d'affection et de désin-
téressement touchent enfin Pinsonnet, qui
la retient, lui prend la main et implore
un pardon que Micheline lui accorde gen-
timent. Et ne faut-il pas que tout le
monde soit heureux ? M. de Porto-Rico
met aux pieds de Cyclamen les millions
que lui a envoyés l'exotique république
dont il est le très décoratif ambassadeur,
et Chavassus aura son rêve ! une maison-
nette avec des volets verts.
LA MUSIQUE
Si (les Folies-Dramati(|ues
nous passons au Théâtre -
Lyricjue errant de la salle des
Variétés au Théâtre de la Ré-
publique, nous constatons (jue
cette tentative, sans démon-
trer l'utilité absolue d'un
tliéâtre lyrique, prouve irré-
futablement l'indulgence du
public jiarisien.
MM. Miliiaud frères n'ont
pas voulu quitter le théâtre
des Variétés sans tirer, le
plus brillamment possible, le
bouquet de leur feu d'artifice
lyrique. Faut-il le dire, et
bien à regret, ce bouquet a
lamentablement raté non par
la faute de l'œuvre, mais par
le manque d'étude, par la
précipitation avec laquelle
cet important ouvrage, Love-
lace, a été distribué, étudié,
mis en scène et exécuté dans
toute l'acception du mot. Sur
les interprètes, jetons un
épais voile d'indulgence.
Lovelace, opéra en quatre
actes de MM. Jules Barbier
et P. de Choudens, musique
d'Henri Hirschmann, est tiré
du fameux roman de Samuel
Richardson (1689-1761), Cla-
risse Harloii-e. L'œuvre musi-
cale est assez bien venue,
([uoique l'on puisse lui repro-
cher l'abus de certains pastiches; mais à
un jeune compositeur de vingt-six ans,
avide de gloire et ayant tout ce qu'il faut
pour la conquérir, peut-on faire un bien
grave reproche de se souvenir des meil-
leures pages de l'école française ? Du reste,
il sait être très personnel quand il le veut :
témoin cette jolie phrase qu'il eût été si
agréable d'entendre bien chanter.
cieurtoat fD_tier
Témoin celte cantilène qui perd sa grâce
et sa tonalité sur les lèvres de l'interprète.
danaancoÏD de son àme Une i.nia - ge
Témoin cet arioso que la cantatrice
M. H I R s c H M A x X, auteur de Lovelace.
aurait pu clianter avec plus de justesse et
moins de froideur.
Toi <joe Di'^n mets Eor mon pa=-5s . gt
Nous reverrons bientôt, je l'espère,
M. H. Hirschmann avec d'autres artistes
et dans un autre théâtre; et, comme aux
concerts de l'Opéra avec une brillante
Suite d'orchestre, comme à l'Opéra-Comique
avec l'Amour à la Bastille, comme à
l'Olympia avec Folles amours, il aura le
succès que son talent mérite, et qui, en
cette circonstance, a été trahi, même par
ses collaborateurs. Ayant l'expérience du
théâtre, ils n'auraient pas dû permettre le
massacre de cette intéressante partition.
Aussi je ne veux considérer ces repré-
sentations que comme des auditions don-
nées à la va-comme-je-te-pousse et dont
le bon à représenter abandonné par les
auteurs me semble encore un incompré-
hensible problème.
Guillaume D a n v e r s .
Ronde
DES QUATRE FILLES AYMON
chantée au premier acte
par
M"" Mariette SULLY
Allegro mf gaiement
Jl"^* MARIETTE SULLY
. SOU, ^ous iiHquîmes quatre jiimel . les; Euuous voy.ant, pap;i dit: Bon!Nûus.achèt'rdns quatre gamf
p hh doux
poco rit.
^ j3 A tempo
-les; Les en.fantscomm' les hiron.del-les,Porteut bonheur à la mai . son! Et ron! ron! petit pa. ta
^/^ A tempo
pou! Pas besoin de chercher leur nom... Ron! ron! p'tit pa.ta . pou! Ças'ra
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Publié avec l'autorisation de M. Paul Dupont, éditeur, Paris. Tous droits réservés.
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LES Ql'ATUE FILLES AYMOX
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2*' Couplet
Com.me les qua.tre fiis Ay.raon Peintur.hi.res sur cette ensei
.^ne. Sur Ri.jou notre A. li . b o . ron, Ain.si que rhis.toi.re l'en.^ei . giie, Tou . ti
rit. . /^ p A tempo '
le? qua.tre sans qu'il gei.giie, Nous grimpons à ca. li . four.chon! Et rrii! ron! p'ti-t [la t;
Ê
.pon! Qui tra.verse ain.si le can.ton?. Ron! ron? p'tit pa.ta . pon! Ci' ^ont If
.MICHELINE et ses sœurs _ ■ ' J
qua.tre fiH's Av. mon! Ron! ron! p'tit pa.ta. pon! Ce sont les qua.tre fill's Av-mon!
Allegro
a- COUPLET
Ain.si dans toute oc.ca.si . on, On nous voit de.puis notre enfan
é' r ' ^' ^'- P I r p r p i^' W' p p p ir ^' i> ^"^ ij -^ j j» i
.ee, A.gir de pa.reii.le fa . con Et nous al. Ions bravant la chan . ee, Daas le
rit. . ^ p A tempo
co'ur la même vail . lance Aux le . vr. s la mè.me < han.son! Et ron! ron! pe.tit pa.ta.
pon! La tè.te prompteet le cœur bon, Ron! ron! p'tit pa.ta . pon! Vi . ve les
/vMICHELINE et «es sœurs
qua.tre fill's Ay.mon! Ron! ron! p'tit pa.ta. pon! Vi.ve les quatre fill's Ay.mon!
LA MODE DU MOIS
Ce qu'on trouvait « laid » au printemps dernier,
devient aujourd'hui « ravissant », au dire de
toutes les femmes. C'est ainsi que les grandes
mantes Louis XV et les longues redingotes fuyantes
sont plus que jamais à l'ordre du jour; et chacun
s'extasie sur leur grâce, si contestée cependant
il y a six mois.
Il en est, je crois, des mod^s comme des
femmes, dans lesquelles un homme d'esprit pré-
tendait trouver toujours une beauté on un charme
quelconque.
Toici, à l'appui de mon dire, un long manteau
d'automne (n° 1). C'est un vêtement ajusté der-
rière et légèrement vague devant, dont la jupe
tombe jusqu'à terre. Le modèle est en drap beige,
avec biais rapportés et piqués. Le col, toujours
très montant, mais roulé sur lui-même, est en
velours olive clair. Un biais, en drap crème accen-
tuée, court sous le col et ce biais, qui forme revers
et volant, ondule sur le devant du manteau; il
les dépasse en les soulignant agréablement. Les
manches sont très longues et très simples, avec
doubles piqûres à l'emmanchure et petit dépas-
sant crème sur les poignets. Grand chapeau de
feutre beige, forme Montpensier, empanaché, sui-
vant le goût, de plumes vert olive clair, ou châ-
taigne, formant camaïeu avec le feutre.
Les robes à volants sont tout à fait en faveur.
Celle-ci (n" 2) est en petit drap amazone rouge.
LA MODE DU MOIS
783
Les volauts dont la jupe est ornée, sont bordés,
soit par des ruchettes en ruban de satin noir,
soit par d'étroites petites bandes d'astrakan
(( mort-né ». Le corsage-boléro est garni de même ;
mais les revers sont en taffetas blanc orné des
mêmes ruchettes ou des mêmes bandes de four-
rure que le costume. La ceinture est en taffetas
noir drapé et assez montante pour former cor-
selet. Quant au gilet, il peut se faire en guipure
ficelle sur fond de satin ivoire. Boa tour de cou
en plumes noires ou mousseline de soie très frou-
f routée. Chapeau de feutre rouge à calotte ronde
assez haute et à bords larges, retroussés de côté,
orné de satin ou de velours noir, avec plumes
noires. Boucle en strass ou en or mat ciselé.
Comme toilette de visite, de château ou de
réunion intime, un peu habillée, voici un cos-
tume (n® 3) en drap gris orné de zigzags en
Breitzwants, avec revers carrés en velours orange,
recouverts en partie de guipure rousse ; chemisette
en mousseline de soie crème plissée, et ceinture de
cuir gris clair avec boucles et barrettes en argent
ou en or ciselé. La même robe peut se répéter en
velours, en satin ou en armure ; et l'on peut rem-
placer aussi les bandes de fourrure par des incrus-
tations de vieille guipure d'Irlande, ou des bro-
deries en relief. Il est encore très nouveau de porter
des robes peintes à la main. Mais on se lasse vite
d'une toilette de ce genre ; aussi ne peut-elle être
conseillée qu'à une femme dont la garde-robe est
luxueusement garnie.
Le chapeau rond qui accompagne cette toilette
LA MODE DU MOIS
est en velours tendu, gris ou noir, suivant le goût,
orné de plumes et de nœuds de ruban formant
choux.
Voici enfin (n» 4) la mante Louis XV, en zibe-
line de nuance nouvelle, fauve par exemple, bordée
par un volant en forme également en zibeline. Ce
volant lui-même est soutenu par d'autres volants,
doublés et taillés, intérieur et extérieur, en taffetas
de nuance assortie, ou tranchante, et mélangés
de dentelle. Un grand empiècement, emboîtant
bien les épaules, est en vieux point de Bruges
réappliqué. II se termine par un grand col rabattu
de forme nouvelle, cravaté de mousseline de soie
noire ou crème; enfin un ruche de ruban de satin
noir contourne l'empiècement et achève l'ornemen-
tation du vêtement, que l'on doit doubler de soie
claire.
Grand chapeau bergère en feutre assorti de
nuance au manteau, ou en velours noir, garni de
plumes noires ou assorties de nuance avec le
feutre. En noir, ou orné de plumes noires, il sera,
naturellement, plus facile à mettre, tout en res-
tant fort élégant.
POUR LES MESSIEURS
Les breloques, parmi lesquelles on multiplie les
porte-honheur, redeviennent à la mode; on les
suspend à la chaîne de montre, que l'on dissimule
cependant.
Comme charmante nouveauté pour boutons de
chemise, nous signalons de simples boutons en
nacre blanche ou grise, cerclés par un filet en
poussière de diamant ; la même poussière simule,
au centre, le point croisé produit par le fil pour
coudre le bouton. Des boutons de ce genre rem-
placent fort bien ceux en or uni ou ciselé, même
ceux en perles fines. Les boutons en diamant ne
sont pas de bon ton.
Les boutons de manchettes se font assortis,
doubles, et retenus ensemble par une petite chiîne
d'or.
Les gilets en peau de daim ou de renne, gris
ou de nuance Suède, sont d'excellents préservatifs
du froid. Mais, sans porter un gilet entier, beau-
coup de messieurs, susceptibles des bronches,
portent toujours en hiver, dissimulé sous la che-
mise, un plastron de ce genre.
Envelopper un chapeau haut de forme d'une
housse en soie, le brosser vigoureusement et suc-
cessivement, sur la housse, avec plusieurs brosses
humides, puis lui enlever sa housse, le faire vive-
ment pirouetter sur lui-même en le plaçant sur
une machine spéciale qui tourne avec une rapi-
dité vertigineuse, afin de le sécher, et lui redonner
ensuite un simple coup de brosse sèche, est le plus
sûr moyen de lui conserver son lustre sans l'user.
Ce procédé très simple est plus long à expli-
quer qu'à mettre à exécution.
Il est préférable au coup de fer et peut, sans
inconvénient, se renouveler chaque jour.
NOS PATRONS
Corsage pour jeune fiUc. — Ce corsage se fait en
soie ou en lainage.
En soie ou en petit drap bleu lavande, garni de
deux rangs de velours de même ton, mais un peu
plus soutenu, ce corsage serait à la fois coquet
et facile à mettre un peu avec toutes les jupes.
L'empiècement, dans ce cas, doit se faire en ot-
toman crème, avec tour de cou recouvert d'un
drapé en tulle bleu lavande sur transparent d'ot-
toman crème. Ceinture en velours, mélangé, si on
le désire, pour augmenter la coquetterie du cor-
sage, d'un peu de tulle lavande dans le nœud.
Métrage : 4™,50 de soie. — Om,(;0 d'ottoman.
— 6 mètres de ruban de velours. — 4'", 50 de
petite soie légère pour doublure.
LA MODE DU MOIS
785
POUR L'APPARTEMENT
Jticor il'auffle pour petit i^alon ou fumoir élé-
gant. — Le divau, dans ce eus, peut fort bien se
composer d'un sommier et d'un matelas-coussin,
utilisable, à l'occasion, comme lit de supplément.
La draperie qui le recouvre entièrement en fait,
le jour, un élégant lit de repos. Suivant que ce
divan se trouve dans un fumoir ou dans un petit
salon, le tissu du drapé et des coussins, comme
celui des tentures, varie de nuance et de genre.
Ces tentures sont, dans tous les cas, toujours dra-
pées sur des lances.
Décor pour piano droit. — Il s'exécute avec un
FANTAISIES DE SAISON
Il arrive souvent qu'en novembre le temps est
beau et chaud dans l'après-midi. Alors la fourrure
est parfois trop chaude autour du cou que la pru-
dence oblige cependant à ne pas
laisser découvert.
Voici à cet effet un très gra-
cieux tour de cou en mousseline
de soie et ruban de satin. Les
longs pans sont composés de
volants en mousseline de soie,
superposés et lisérés par un
petit bouillonné froufrou ; un
nœud page très fourni et for-
mant touffe termine les pans.
Une boucle, au milieu du nœud
de derrière, rendra ce boa plus
coquet.
Le même modèle peut se
répéter en plumes ; dans ce
cas, les pans se feront toujours
en mousseline de soie, mais les
volants seront lisérés par un
bord de plume au lieu d"un
chiffonné froufrou.
Joli capuchon genre bébé,
pour sortie de bal et de théâtre.
Il se fait en ottoman de nuance
claire bordé tout autour par
trois petits volants froncillés
et très mousseux, en taffetas ou en mousseline de
soie, de nuance assortie ou ivoire. Des nœuds de
ruban en achèvent l'ornementation. Une boucle en
morceau d'étoffe ancienne élégamment relevé, mais
doublé, afin de donner plus d'élégance et de sou-
tien aux plis. Si le morceau n'est pas assez grand,
on peut faire en peluche le dessus du piano. Rien
n'empêche de faire, également en peluche, la
bande que laisse à découvert la draperie coquillée
dans le dos du piano.
VIII. — 50.
strass, sur le lieu du nœud qui semble séparer,
derrière, le capuchon du bavolet, fait très bien.
Ce même capuchon peut se faire en satin ou
ottoman noir, orné de mousseline de soie, ou bien
encore en dentelle noire sur fond de soie de cou-
leur. La fantaisie a, dans ce cas, libre cours.
786
LA MODE DU MOIS
OUVRAGES DE DAMES
N" 1. — Dessus de clavier clochettes. — Il se
fait en satin gris doublé d'un molleton blanc
bordé par un surjet en fil d'or un peu lâche.
La portée se compose de fils d'or cousus à plat.
Les clochettes bleues sont brodées en soie, en
plein et à plat, en travers, en allant d'un bout à
l'autre. Ce sont les points réunis qui renforcent
les traits.
Les clés de sol se brodent en soie noire et un
peu en relief.
N" 2, — Di'tail du dessus de clavier, que l'on
peut faire, bien entendu, sur tout autre fond.
N" 3. — Chiffre pour nappe. — Ce chiffre se
In'ode au plumetis, sauf les parties noires sur le
dessin qui doivent se faire au point d'arme. Tel
qu'il est il a la taille d'un chiffre pour serviettes;
pour nappe, il faut le faire juste le double plus
grand.
N° 4. — Petite bande festonnée pour lingerie. —
W,
Les fleurettes se brodent au plumetis et un peu
bourrées pour leur donner du relief.
LA TOILETTE DE BÉBÉ
L'heure de la toilette des bébés n'est pas une
des moins occupées de la journée. Les jeunes
mères savent combien les cris et les contorsions
auxquels se livrent ces chers mignons rendent
cette opération compliquée. Or, peut-être seront-
elles heureuses d'être mises au courant d'un pro-
cédé fort usité chez nos alliés les Russes. Il est à
la fois pratique pour les enfants, et commode pour
les i^ersonnes qui les soignent.
Il consiste à entourer le dessus de la com-
mode dont les tiroirs servent de garde-robe à
bébé, d'un rebord assez élevé pour servir de cadre
à un matelas très mince, et empêcher l'enfant,
couché sur ce matelas, de rouler à terre. Ce re-
bord, qui n'a que trois côtés, est, de plus, muni
d'une tablette sur laquelle on dispose tous les
menus objets nécessaires à la toilette : éponges,
brosses, houppe, boîte à poudre, etc.
La baignoire dans laquelle le bébé prend son
bain, au moins une fois par jour, est, elle-même,
supportée par un trépied, ce qui la met à la hau-
teur des bras de la mère ou de la nourrice.
Quant on sort l'enfant de l'eau, on le dépose
sur le matelas recouvert de linges destinés à le
sécher. Et ainsi commodément étendu, on le
poudre et l'habille sans difficultés, sans crainte
non plus de le laisser glisser, préoccupation inces-
sante, au contraire, lorsqu'on le tient sur les
genoux.
On est, du reste, d'autant plus adroite avec ce
système, que l'on a les deux mains libres ; aussi,
de cette façon, ovite-t-on chez les petits êtres une
irritation toujours mauvaise pour le bon équi-
libre de la santé.
Un bon conseil pour finir. Quand bébé sera un
peu plus grand et que la coquetterie de sa mère
voudra voir son joli minois encadré de jolies
boucles brunes ou blondes, qu'elle abandonne donc
les rigides bigoudis pour un chiffon mou; les
cheveux n'en seront pas moins bien frisés et
l'enfant se sentira la tête plus à l'aise.
Pour cela, il suffit de découper dans du vieux
linge des bandes ayant de 15 à 20 centimètres de
long et de 6 à 10 de large. On roule les cheveux;
on met la papillotte sur le linge posé à plat, puis
on en noue les deux bouts, en ayant soin de
serrer un peu; le lendemain matin, la papillotte
est admirablement bouclée.
Berthe de Présilly.
MEMENTO ENCYCLOPÉDIQUE
Événements de Septembre 1898.
1. — Lo général Renouard est nommé clief
■l"(-t;it-major j.'rii(^'ral. en reiiiiilai'emcnt ilii général île
IJiiisJefïre, iléniissioniiairc. — T/escadre de manœuvres
allemande fait l'expérience de la traversée du canal
de Kiel. Malgré quelques accidents, la traversée s'est
3. — Par suite de ilésaccord avec le président du
Conseil sur la question de la revision du procès
Dreyfus, M. Cavaignac, miiiistro de la guerre, démis-
sionne. — M""' Alfred Dreyfus adresse au ministre
de la justice une i-equéte demandant la revision du
LE C 0 TJ R O X X E M E X T DE LA REINE W I L H E L il 1 X E DE H 0 L L A X D E
Le Président de la Chambre des députés prêtant serment.
effectuée en dix-huit heures. — La grève des mi-
neurs du pays de Galles est terminée. — nu ver turc
du Congrès d'histoire diplomatique en Hollande.
2. — Ouverture du Congrès international des pêches
maritimes à Dieppe. — Le Borgou est évacué par
les Franc lis, et les Anglais prennent possession du pays.
— Le président des Etats-Unis, eu villégiature
ilans rOhio, est insulte pnr des gens qui lui reprochent
d'avoir toléré des négligences dans les services sanitaires
et le ravitaillement de l'arracc américaine à Cuba. Une
femme brandissant un couteau est aiTÔtée. puis relâchée.
— A. l'occasion du couronnement de la reine
■Wilhelmine de Hollande, l'empereur d'Allemagne lui
octroie le commandement du lô" régiment de hussards.
— Le lieutenant-colonel .Sir Harry ilac Callum, gouver-
neur de Lagos, est nommé gouverneur de Terre-
Neuve. — Le président de la Cliambre des îles Bar-
bades, qui fut victime d'un attentat le 22 juillet,
succombe aux suites de ses blessures. — L'amiral
Cervera et ses officiers sont remis en liberté par le
gouvernement américain.
procès de son mari. — Les troupes anglo-égyptiennes,
sous le commandement du sirdar Kitchener, battent les
derviches à Omdurman et font flotter les drapeaux
anglais et égyptien sur Khartoum, — L'empereur
d'Allemagne arrive à Hanovre pour assister aux
grandes manœuvres. — Malgré les protestations du gou-
vernement, les autorités internationales installent le
nouveau service de perception des dîmes dans les ports
Cretois.
4. — A Pogny, obsèques du lieutenant-colonel
Henry qui s'est suicidé au Mont-Vakrien. — Le con-
seil des ministres espagnol approuve le projet de loi
demandant aux Cortès l'autorisation de négocier un
traité de paix avec les Etats-I'nis.
5. — Le général Zurlinden, gouverneur mili-
taire de Paris, e>t nommé ministre de la guerre, en rem-
placement de M. iMidetroy Cavaignac. — Le général
Borius est nommé gouverneur de Paris par intérim.
— La reine d'Espagne confère la Toison d'Or à
M. F. Faure.
6. — M. F. Faure reçoit le comte de Montebello, qui
7SS
MEMENTO ENCYCLOPEDIQUE
s. JI. l/l M l'ÉU ATR ICE ELISABETH
D'AUTRICHE
lui remet, au nom du Czar, la médaille commémo-
rative de l'inauguration du monument d'Alexandre II à
Moscou. — En réponse à une lettre du cai'dinal Langé-
nieux relative aux conséquences possibles du voyage de
l'empereur Guillaume en Talestine, le pape affirme le
droit exclusif de la France à protéger les établisse-
ments catholiques en Orient. — Mort de M. Pes-
chard, artiste lyrique. — A Candie (('rète), un con-
tiit se produit entre les autorités militaires anglaises,
voulant occuper les bureaux de la dou:inc, et les musul-
mans. Les musulmans font feu contre les Anglais et les
chrétiens. Un navire anglais bombarde la ville. Vingt
Anglais sont tués, dont le vice-consul. — A Amsterdam,
cérémonie du couronnement de la reine de Hol-
lande dans la Nieuwe-Kerk.
7. — Mort de M. Carrier, député de Nantua. —
M. Witt. astronome à l'Observatoire de Berlin, découvre
une planète de onzième grandeur dans la région
située au-dessus du Lion. — Le général Palavieja
rédige un manifeste dénonçant tous les partis qui ont
gouverné l'Espagne comme une cause des malheurs du
pays. Le gouvernement interdit la publication de ce
manifeste. — Au Sénat espagnol, il se produit des
scènes de violence. Le comte Almenas accuse les géné-
raux de n'avoir pas fait leur devoir. — Un paquebot
ramène en Espagne 2,4U(> hommes de l'armée espa-
gnole de Cuba. Il se produit 7li décès pendant la tra-
versée.
8. — Le lieutenant-colonel Picquart demande
sa mise en liberté provisoire. — Inauguration, à Pont-
de l'Arche, d'un groupe représentant Notre-Dame-des-
Arts, sculpté et offert par la duchesse d'Uzès. — Le
premier fiacre électrique circule dans Paris. — Le
ciiuseil fédéral suis-e acceirte de servir d'arbitre entre la
France et le Brésil au sujet du territoire contesté.
— L'expcditiim suédoise au Pôle Nord arrive à Tromsoe
à bord de rjiit/ir/ic. — L'Espagne proteste contre la
capitulation de Manille comme s'étant produite
lieux jours après la signature du protocole de paix.
9. — Une colonne française inflige, près du fleuve
Cavally (Côte d'Ivoire), une sanglante défaite aux
troupes de Samory. 5,(>0o prisonniers rendent les
armes et 20,OOU indigènes font leur soumission. — Mort
du poète décadent Stéphane Mallarmé. — Les
troubles continuent à Candie. Les Anglais bombardent
ASSASSINAT DE S. M. L ' 1 M 1' É II A T U I C E D'AUTRICHE
A Genève. La foule devant l'hôtel Beau-Rivage.
MEMENTO ENCYCLOPEDIQUE
7S9
de nouveau la ville. Les consuls se rofngieiit à boni ile-^
navires. L'état ilo siège est proclauu'. l'ri's de mimi clin-
tiens sont niassiicrés. — La jeune reine de Hollande
fait son entrée au Palais de la Haye. — Le roi d'Itaiie
décide de ilonner nu Conservatoire de Naples le nom de
Verdi.
10. — Le duc de Connau^ht, fils de la reine
d'Angleterre, vient en l'rancc imur suivre les grandes
manœuvres du Centre. — Un apprend que des Kuropéeiis
occupent Fachoda, sur le Nil. Il s'agit de la mission
Maroliand. — Le général Zurlinden renvoie le dossier
Dreyfus an garde des sceaux. — Cn terrible ouragan
dévaste les Petites Antilles, faismt L'od victimes. —
L'impératrice Elisabeth d'Autriche est assas-
culture à Lausanne. — En Crète, les amiraux dé-
clarent que la question crétoise ne peut être résolue que
par le retrait des troupes turques et demandeat à leurs
gouvernements d'agir dans ce sens. Les familles chré-
tiennes continuent d'abandonner la Canée. — A Genève,
mise en bière de la dépouille mortelle de l'impératrice
d'Autriche. — Le sirdar Kitcliener parc de Khar-
toum pour Fachoda, où la présence d'Européens est
signa Icc.
13. — Séance tumultueuse au Sénat espagnol.
M. Almeiias attaque vivement les généraux. qui ripostent.
M. Sagasta accuse de-; ilésastres la race espagnole, qui,
suivant lui, est devenue anémique. — La Cliambre
adopte le protocole de paix. — A l'occasion de l'a--
LE.S FUNÉRAILLES DE S. M. L ' I M P É R A T R I C E ÉLI.SABETH D'AUTRICHE
A V I E X X E
sinée à Genève par un anarchiste italien, nommé Luc-
oheni, qui lui porte un coup de poignard au cœur au mo-
ment où elle se remlait de l'hôtel Beau-Rivage à
l'embarcadère du bateau à vapeur. — Le Sénat espagnol
adopte le protocole de paix.
11. — A Beaune, inauguration du monument de
Pierre JoigneauK, ancien représentant du peuple,
publiciste agricole. — Le colonel Ivanof, ministre
de la guerre de Bulgarie, démissionne. — Li-Hung-
Chang est relevé de ses fonctious de membre du
Tsong-li-Yanien. La révolte continue dans le Haïnan et
le Kouang-Si. — Onze fonctionnaires de Corée sont
arrêtés sous l'inculpation d'avoir voulu empoisonner
l'empereur et le prince impériaU — Dans son interro-
gatoire, Liiccheni déclare qu'il est anarchiste et se féli-
cite de son crime. Il fait preuve d'un cynisme révoltant.
12. — Le lieutenant-colonel du Paty de Clam est
mis en non-activité par retrait d'emploi, à cause de ses
agissements au cours de l'affaire Esterhazy. — Mort du
général de brigade en retraite Morel, écrivain mili-
taire. — M. F. Faure pirt pour les grandes manœu-
vres. — La 9" chambre repousse la demande de mise eu
liberté provisoire du lieutenant-colonel Picquart.
— Ouverture du 4'' Congrès international d'agri-
sassinat de l'impératrice d'.Vutriche par un anarchiste
italien, des manifestations anti-italiennes se
produisent à Trieste. l'2U manifestants sont arrêtés. —
L'amiral commandant les forces anglaises en Crète
ordonne au gouverneur de Candie de désarmer les mu-
sulmans ilans les vingt-quatre heures. — Les repré-
sentants de l'empereur d'Autriche arrivent à Genève. Le
cercueil contenant la dépouille mortelle de l'impéra-
trice Elisabeth est clos en leur présence. L'évêque
de Fribourg donne l'absoute. Le président Ruffy et le
comte Kuefstein prononcent des discours.
14. — M. F. Faure assiste à la dernière journée des
grandes manœuvres du centre avec le duc de Con-
uaught. — Les ouvriers terrassiers de l'Exposition se
mettent en grève. — La conférence de la commission
pour le nglement de frontière chilo-argentin est
terminée. Les prétentions des deux parties étant incon-
ciliabUs. le Chili demandera l'arbitrage de l'Angleterre.
— La dcpouille mortelle de l'impératrice Elisabeth
est transportée de Genève en Autriche.
15. — Arrivée de quatre ambassadeurs bamir-
guéens venus de la région du Tchad pour visiter la
France. — Mort de M. Alfred Poirier, sénateur de
la Marne. — La Porte demande la nomination d'un gou-
790
]S I K M E \ T O ENCYCLOPEDIQUE
verneur ottoman en Crète et l'envoi de troupes tur-
ques pour rétablir l"orilre.
16. — Lii revue ijui termine les grandes ma-
nœuvres du centre est passée par M. F. Faure et en
présence du duc de Connauglit. Une foule considérable
acclame chaleureusement les troupes au moment du dé-
fi. Desi-cz. Clurl.nmu
L E 31 0 N r M E N T D E il I L L E T
A a R É V I L I- E
filé. Au déjeuner qui suit, des toasts sont portés par
M. P. Faure, le duo de Connauglit et le général de Né-
grier. — A Yigo, une manifestation hostile se produit
contre le général Torral, signataire de la capitula-
tion de Santiago. — La reine d'Kspagne signe la loi de
cession de territoires coloniaux. — Vue céré-
monie en l'honneur de l'impératrice Elisabeth a
lieu à la chapelle de la Hofliurg. à Vienne, en présence
de l'empereur François- Jofeph. Le public est admis à
défiler (levant le cercueil.
17. — Le conseil des ministres autorise le garde des
sceaux à réunir la commission instituée au ministère de
la justice en vue d'examiner s'il y a lien de demander
la revision du procès Dreyfus. A H suite de cette
décision, le général Ziirlindcn, ministre de la guerre, et
M. Tillaye, ministre îles tr:iv;iux publics, donnent leur
démission. — Le général Chanoine est nommé mi-
nistre de la gnerre et M. Godin, .■sénateur de l'Inde,
est nommé ministre des travaux publics. — Mort du
docteur Betancès, délégué de l'insurrection cubaine à
Paris. — Le duc de Connaught fait sa visite d'adieux
au président de la liépublique. — Inauguration du mo-
nument élevé à la mémoire des marins tués au siège de
Sfax (Tunisie), en 18S1. — A Vienne, funérailles solen-
nelles de l'impératrice d'Autriche. L'empereur
François-Joseph marche derrière le cercueil avec l'em-
pereur Guillaume, le prince régent de Bavière, les rois
de Saxe, de Iloumanie, de Serbie, le prince île Naples, le
grand-duc Alexis de Russie, ete. — M. Day. ministre
d'Etat des Etats-Unis, démissionne. — Nomination de la
commission espagnole pour la paix. — L'Al-
lemagne, l'Autriche et l'Italie répnndent à la circulaire
du comte Mouraview concernant le désarmement.
Elles mettent comme condition à leur adhésion que le
statu quo territorial de chaque puissance sera maintenu
et ne pourra pas être discuté.
18. — Election législative dans la 2= circon-
scription de Mayenne, en remplacement de M. Chauliu-
Servinière, décédé ; M. Déribéré-Desgardes est élu par
9,457 voix. — Ciuverture du Congrès national des So-
ciétés de géographie, à Marseille. — Le Sultan
ordonne à Djevad Tacha d'accéder à la demande de
l'amiral anglais et de désarmer la population de Candie.
La ville sera occupée par les troupes anglaises. — L'as-
semblée nationale de Manille est ouverte sous la pré-
sidence d'Aguinaldo. Les partisans de l'annexion aux
Etats-Unis sont en majorité. Us décident d'établir pro-
visoirement un gouvernement autonome. — L'éruption
du 'Vésuve ]n-enil des proportions inquiétantes. — Il
est créé un ordre d'Elisabeth pour perpétuer le sou-
venir de l'impératrice d'Autriche.
19. — Premier coup de pioche pour le métropo-
litain. — Le duc d'Orléans lance un nuinifeste pour
protester contre la décision du cabinet concernant la
revision de l'affaire Dreyfus. — L'Espagne adhère à la
proposition de conférence pour le désarmement. —
Mort de Sir George Gray, qui fut gouverneur de
plusieurs grandes colonies anglaises. — Une procla-
mation de l'empereur de Chine au peuple dit qu'il
est déterminé à adopter la civilisation occidentale dans
ce qu'elle a de bon et prend une série de résolutions
dans ce sens.
20. — Le général Zurlinden est nommé gou-
verneur de Paris. — M. Périvler, premier président
à la cour d'appel de Paris, atteint par la limite d'âge,
est remplacé provisoirement par M. Lefebvre de Vief-
ville. — M. de Santos Dumont fait, au Jardin d'accli-
matation, des expériences avec un ballon diri-
geable. — La reine de Hollande ouvre la session
des Etats généraux. — La Hollande adhère à la circu-
S. M. liA REINE LOUISE
DE D A X E M A R K
laire du comte Mouraview. — La Russie obtient le
monopole des chemins de fer en Perse.
21. — L'amiral Cervera, 332 officiers espagnol-
et 1,352 marins de la tiotte de Cuba arrivent à San-
t,i„iièr. — Ouverture du congres de l'Association
littéraire et artistique internationale à Turin.
22. — Le colonel Picquart, en détention pré-
ventive à la prison de la S mté, pour l'affaire Picquart-
Leblois, est livré à l'autorité militaire, qui commence
MEMENTO ENCYCLOPÉDIQUE
791
uue iiistniotioii i)om- l'aU'aire ilitc >( du Petit bleu ».
M. PicqHiirt ost transfiTi't à lu prisuu du Clicrche-Midi.
— Au cimetière de Suresnes, inauguration du
monnuient t^lcvi' à la ni6iiu)iro dis solilats uiorts pour la
patrii". — Un i!'dit iniiirrial remet le iwuvoir iV Timpé-
ratrice douairière de Chine, (lui aurait l'intention
d'empOeher les rét'oruics que l'eniiiereur projetait d'ae-
ooniplir sur les conseils ilu marquis Ito, ministre du
Japon, iictuoUement eu Chine. — Le Sénat de la Répu-
blique argentine sanctionne la mobilisation de
.lO.CMKi li()mmes.
23. — M"" Paulmier, femme du député du Calva-
dos, tire plusieurs coups de revolver sur M. OUivier, se-
crétaire de la rédaction do la Limterne, iiour se venger
d'un article outrageant pour elle et sou mari, paru dans
ce journal. — A liruxelles, ouverture du congrès inter-
national de l'Art public. — Le Conseil fédéral suisse
décide l'expulsion de 36 anarchistes. — En Alle-
magne, inauguration du monument élevé à la mémoire
du prince de Mecklembourg-Schwerin et des
marins qui ont péri avec lui lors du naufrage du torpil-
leur S. -26. — Le président Mac Kinlcy approuve le projet
d'une souscription dans les écoles des Etats-Unis en vue
d'élever, ;\ Paris, un monument à la mémoire de
Lafayette. — Suivant des chiffres officiels, la guerre
de Cuba a coûté près de deux milliards à l'Espagne
depuis 189.'i. — Un tribunal militaire est constitué en
Crète, pour juger les émeutiers de Candie.
24. — A la commission consultative du ministère de
la justice, appelée à donner son avis sur la demande de
révision du procès Drej-fus, 3 membres se prononcent
pour et 3 contre. — La mission bamirguéenne,
amenée en France par l'explorateur Gentil, retourne en
Afrique. — Mort de M. Desprez, ancien ambassadeur
de France auprès du Saint-Siège. — L'empereur de
Chine et les hauts fonctionnaires rendent hommage à
l'impératrice douairière. — D'un commun accord, le
Chili et la République argentine soumettent à
l'arbitrage de la reine d'Angleterre le litige concernant
la question de frontière.
25. — A Gréville. inauguration du monument élevé
à la mémoire du peintre Millet. — Mort de M. Ga-
briel de Mortillet, anthropologiste, conservateur du
musée de Saint-Germain. — Au pic du Midi de Bigorre,
inauguration des bustes du général de Nansouty et
de l'ingénieur Vaussenat, fondateurs de l'observatoire du
pic du Midi. — A Yerviers (Belgique), inauguration,
sur la place du Congrès, de la statue du violoniste
Vieuxtemps. — Le sirdar Kitchener, avec deux ba-
taillons soudanais, arrive à Fashoda. Le capitaine
Marchand, qui occupe la ville depuis le IM juillet,
refuse de céder la place. Le sirdar établit un poste et
hisse le pavillon anglo-égj'ptlen à côté du pavillon fran-
çais. — Kang-Yu-Mei, grand réformateur chinois, à
l'instigation duquel l'empereur avait lancé sa proclama-
tion, devant être arrêté par le gouverneur de Shangaï,
se réfugie sur un navire anglais. Il est accusé par l'im-
pératrice d'avoir formé un complot contre la vie de
l'empereur. Une puissante fiotte anglaise est dans le
Petchili.
26. — Le cabinet décide que le garde des sceaux
transmsttra à la Cour de cassation la demande de revi-
sion du procès Dreyfus. — Dans une circulaire aux
procureurs généraux, le garde des sceaux prescrit de
poursuivre immédiatement les attaques contre l'ar-
mée. — Des bagarres sanglantes se produisent entre
terrassiers grévistes et non grévistes. — Des
troupes anglaises, parties de Kassala, s'empai'ent de
Gédarif après un vif combat. — Le sirdar Kitche-
ner est nommé pair d'Angleterre. — A Lisbonne, ou-
verture du Congrès international de la presse,
en présence du roi. — A Turin, ouverture d'une confé-
rence pour l'union internationale de paix et d'arbi-
trage. — Le Khédive arrive à Vienne. — Ouverture
du Parlement autrichien. Le docteur FucUs est réélu
Cl. Paul BoTtr
MADAME CARNOT
président. — A Liège, ouverture du Congrès interna-
tional d'hydrologie, de climatologie et de géologie.
27. — M. Jules Cambon, amlMssadeur à Constan-
tinople, est nommé ambassadeur à Londres, en remplace-
ment de M. de Courcel. — Démission de M. "Woodrord,
ambassadeur des Etats-Unis en Espagne. —Les membres
américains et espagnols de la Commission de la
paix arrivent à Paris. — Un édit impérial rapporte
toutes les réformes édictées par l'empereur de Chine,
qui serait malade depuis le mois de mai. — Malgré de
nombreuses exécutions, la révolte continue dans le
Kouang-Si
28. — M. Manuel Estrada Cabrera est acclamé prési-
dent de la République de Guatemala par l'Assem-
blée nationale, pour la période de 1899-1905. — Djevad
pacha, gouverneur de Crète, révoque Edhem pacha,
gouverneur de Candie. — Inauguration du monument
élevé dans la vallée de Gœschenen, à la mémoire des
soldats russes morts en Suisse à la fin du siècle
dernier. — Un Japonais, M. Tomojé Skinsouké, invente
un remède contre la phtisie, dont l'élément principal
serait le nitrogèue. Cette médication aurait été reconnue
très efficace.
29. — Le ministre des affaires étrangères reçoit^ à
déjeuner les membres de la Commission de la paix
hispano-américaine. — Dix-huitième congrès de la
Ligue de l'enseignement, à Rennes. — Mort de
la reine Louise de Danemark. Elle était âgée de
quatre-vingt-un ans. — M. Ohigashi, ministre de la
justice du Japon, donne sa démission. — L'insurrec-
tion des Philippines prend du développement. Le
gouvernement espagnol autorise le général Rios à accor-
der les réformes demandées par les indigènes des ile<
Visayas.
30. — Mort, au château de Presles, de M'"'' Carnot,
veuve du président Carnot. — Les Etats-Unis adhèrent
à la circulaire de M. Mouraview concernant le désar-
mement. — A Malatos (Philippines), cérémonie orga-
nisée par Aguiniildo pour célébrer l'indépendance de la
République des Philippines. — A Anvers, confé-
rence iuternationale de droit maritime.
-<^ii)<^-
QUESTIONS FINANCIERES
(le mois n'a pas été ])on. On pouvait
espérer que, comme d'habitude, octobre
verrait un réveil de ractivité financière;
mais, à cet égard, la Bourse a éprouvé une
assez vive désillusion. Il faut, du reste,
avouer que les circonstances ne militaient
pas en laveur d'une reprise des affaires.
Au fond, beaucoup de gens pensent que
le mal n'est pas ])ien profond, en dépit du
nombre d'ouvriers inoccupés; mais les
faits sont grossis à plaisir par les politi-
ciens et il en résulte que les informations
expédiées à l'étranger ou dans les dépar-
tements sont de nature à inquiéter ou
lout au moins à troulder les espiits. En
cons<'>({uence, la clientèle l)oursière imite
les terrassiers et les démolisseurs; elle se
met en grève, elle aussi, préférant attendre
que les temps soient devenus plus calmes.
On dit, d'autre part, que les marchés
étrangers ont des préoccupations au sujet
du resserrement des capitaux. Il nous
semble qu'on exagère beaucoup. L'argent,
en somme, n'est ])as plus serré et plus
cher que d'hal)itude à pareille époque de
l'année.
Nous pensons que le public proprement
dit fera bien de ne pas attacher trop d'im-
portance à toutes ces choses, dont l'effet
ne nous apparaît point comme devant être
très durable. Puisqu'on est un peu lourd
en ce moment-ci, ce serait, selon nous,
intelligent de profiter des cours actuels
pour enti'Cr dans quelques bonnes valeurs,
que vous verrez repartir dès que la Bourse
retrouvera un peu d'activité. Le vieux
«licton : » Pour gagner de l'argent, il s'agit
simplement d'acheter bon marché et de
revendre cher», semble empreint d'un peu
de naïveté. Cependant il exprime une vé-
rité un peu plus compliquée qu'il ne parait
au premier abord. Un fait certain est que
la grande masse du public n'achète jamais
en baisse; il vend et, pour acheter, il at-
tendtoujoursque les cours se soient relevés.
A l'extrême rigueur, on comprendrait
cette façon d'opérer quand il s'agit de va-
leurs « politi(jues », — ■ les rentes étran-
gères, par exemple. En temps de discus-
sions internationales, on ne sait jamais
exactement où l'on va, ni comment on va,
ni comI)ien de temps dureront les discus-
.sions. Le mieux, dans ce cas-là, est donc
d'attendre. Mais il y a sur la cote une
foule de titres qui, par la nature des en-
treprises qu'ils représentent, échappent
totalement aux influences des discussions
politiques. Nous visons, on le devine, les
valeurs industrielles, et surtout les valeurs
industrielles nouvelles, — celles qui n'ont
pas encore atteint, sur la cote, le déve-
loppement aucjuel elles peuvent prétendre
dans l'avenir. Ainsi je conçois très bien
(ju'en des temps troublés on vende des
actions des chemins de fer français, de
Suez, etc. ; elles ont ])eaucoup monté de-
puis déjà quehjue temps et l'acheteur
peut ]jarfaitement se dire que le moment
est venu de réaliser son bénéfice — et il le
fera d'autant plus volontiers (jue ces va-
leurs classiques, à force de progresser,
ne présentent jjIus qu'un taux de capitali-
sation des plus médiocres, quelque chose
comme 2 3/4 à 3 </o.
Mais les nouvelles valeurs sont logées
à une meilleure enseigne. Elles se trouvent
dans d'excellentes conditions, sous tous
les rapports; nous jiarlons, bien entendu,
des valeurs sérieuses, émanées d'indus-
tries sérieuses. Il y a des titres, accessi-
bles encore à toutes les bourses, même
les plus modestes, et qui, parce qu'ils
ne jouissent pas d'une énorme notoriété
(circonstance qui tient, dans la plupart des
cas, à ce que les promoteurs de ces entre-
prises n'ont pas jugé à propos de faire les
frais d'une publicité dispendieuse), se ca-
pitalisent encore à ."» %, 6^, voire davan-
tage. C'est ce qui arrive, par exemple,
pour les actions des Chaussures l'Incroyable,
ou des Biscuits Olibet, ou des Chaussures
françaises, et à quelques autres encore, —
— l'obligation du Monde Aloderne, pour
citer une obligation aux personnes qui
préfèrent à toutes les autres des valeurs à
revenu fixe. Les Chaussures l'Incroyable
valent 216 francs environ; je les ai signa-
lées, voilà moins d'un an, à la clientèle
du Moniteur économique et jinancier, qui
donne régulièrement les taux de capitali-
sation de toutes les valeurs industrielles
de la cote; elles cotaient alors loO francs
au maximum et il n'y a pas de raison
pour que ce prix ne s'élève pas encore :
le revenu de cet exercice devait très pro-
bablement dépasser le précédent qui était
de 12 fr. 50. Des observations du même
genre s'appliquent à d'autres valeurs.
Tout ce qu'on peut demander à des entre-
prises présentant une indiscutable sécurité
financière, c'est un revenu moyen de 4 1/4
à 4 1/2 o/o au plus. A ce taux, l'obligation
du Monde Moderne vaut facilement de 115
à 120 francs, au lieu de 100 à 102 francs
qu'elle coûte actuellement, et l'action des
Chaussures Vlncroyable vaut 275 francs.
Ces prix seront sûrement atteints un jour
ou l'autre, et ce serait peut-être déjà fait
si nous étions dans un moment plus tran-
quille. Mais c'est justement parce que
certaines valeurs se présentent dans de
bonnes conditions qu'il faut se hâter d'en
profiter.
E. Benoist.
Adresser les communications pour cette page à M. Emile Benoist. 17, rue du Punt-Neuf.
BOURSE DE PARIS (Comptant). — Cours extrêmes de Septembre 1898.
FONDS D'ÉTAT ET DE VILLES
3 % français perpétuel
3 Jf cl" amortissable
3l/2/do
Obligations tunisiennes 3 % 1892. . . .
Emprunt Annam et Tonkin 2 1/2 %
Emprunt de Madagascar 2 1/2 %
Angleterre, consolidés 2 3/4 %
République argentine 5 % 1886
Autriche 4 % 1876, or
Belge 3 % 1873 conv. (2- série)
Brésilien 4 % 1889
Chine 4 % 1895, or
Étal iudép» du Congo, lots 1888
Egypte 7 %, dette unifiée nouvelle . .
— 3 1/2 %, dette privil., conv..
Espagne extérieure 4 % 1882, perpét .
Hongrois 4 % 1881, or
Italien 6 %
Portugais 1853 Z %
Roumain i % 1890
Russe 4 % 1880 (6» émission)
— i% 1889, or
— i % consol. (1" et 2^ séries). .
— 4 ^ 1890 (2« et 3» séries)
— 3 Jg" 1891, or
— 4^ 1893, or
— 3 1/2 % 1894, libéré
— Z % 1896
Serbie 4 % 1895
Suisse (chemins de fer) Z %
Turquie, dette convertie (D) 4 ^ . . . .
— oblig. consolidé 1890, i %
— — ottom. priorité 1890, 4 %.
— — privil. douanes 5 %
— — ottom. 1894, i %
— — 1896, 5 %
Ville de Paris 1865, i %
— 1869, Z %
— \in,Z%
— 1875,4^
— 1876, i.%
— 1886, Z %
— 1892, 2 1/2 ^tout payé.
— 1894-96, 2 1/2 % d»
■ Ville de Marseille 1877, Z %
— d'Amiens 1871, 4 J'
— de Bordeaux 1863, Z %
— de Lille 1860, Z %
— — 1893, 3 1/2^
— de Lyon 1880, Z %
ÉTABLISSEMENTS DE CRÉDIT
Banque de France (Actions)
Banque Paris et Pays-Bas . d"
Banque Transatlantique . . d"
Compagnie Algérienne ... d°
Comptoir d'Escompte d"
Crédit Foncier de France.. d"
Foncières 1879, Z%... (Obligations)
— 1883,3^ d»
— 1885,3^ d"
— 1895, 2,80^ lib. d»
Communales 1879, 2,60 % . d°
— 1880, Z X ■■■ d»
— 1891,3^... d»
— 1892, 3 J.... d»
Crédit Industriel (Actions)
Crédit Lyonnais d"
Société Générale d°
Banque Ottomane. . .•. d*
RtT.nct
d'impOt
3 »
3 ).
3 50
15 »
2 50
»
20 08
17 67
4
4
4
» 93
4
4
4
3
4
3
3
4
3
1
20
20
25
20
25
18 08
10 66
10 68
18 06
18 06
10 68
8 82
8 82
10 70
3 60
3 »
2 64
3 16
2 67
115 »
36 95
11 68
29 60
25 »
24 96
13 40
13 48
13 40
12 46
11 50
13 40
10 72
14 36
12 »
32 05
12 »
12 50
Plus haut.
103 .')ii
102 »
10(i 2.5
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104 60
103 SO
97 25
105 50
102 90
97 SO
60 75
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23 40
423 »
4S9 »
503 »
46.5 »
465 »
561 »
432 »
418 »
685 »
585 »
405 »
406 »
401 »
408 »
125 »
127 »
12.S »
510 »
103 50
3590 »
964 »
435 »
790 »
.596 B
705 »
508 »
474 »
802 »
500 50
502 »
506 50
40G »
602 »
615 »
878 »
550 »
555 1)
Plus bas.
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105 50
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lo;i 7.5
440 »
103 50
101 15
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S 9 »
109 75
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20 95
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103 »
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103 60
102 20
96 50
103 7.5
101 60
96 50
59 50
100 50
22 20
390 »
465 »
490 »
451 1)
452 »
552 »
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416 »
681 »
581 »
398 25
401 »
399 1)
405 50
120 »
122 50
125 »
503 .50
101 61)
3550 »
949 »
429 »
776 »
682 50
680 »
505 »
465 25
601 25
498 .50
496 50
600 »
403 25
600 B
610 »
847 »
549 »
545 »
CHEMINS DE FER
Est 500 f r. tout payé (Actions)
P.-L.-M
d°
d"
Midi
d»
d°
d"
Nord
d»
Orléans
d»
d»
Ouest
d»
d»
Bône-Guelma. .
d"
d»
Est-Algérien . . .
d"
d"
Ouest-Algérien .
d°
d»
Andalous
d»
d»
Autrichiens. . . .
d»
d»
Sud-Autriclie . .
d«
(1°
Nord -Espagne. .
d»
d»
Saragosse
d»
d»
Kst 3 % nouveau (Oblig.)
P.-L.-M. 3 % nouveau d»
Midi Z % nouveau d"
Nord-Est français Z % d"
Orléans 1884 d»
Ouest 3 % nouveau d"
Bône-Guelma Z % d»
Est-Algérien Z % d»
Ouest- Algérien Z % d»
Médoc Z % d»
Andalous 3 % estamp d"
Autrichiens 3 % l'« hypoth. d"
Nord-Espagne 1'"'' hypothèque. d"
Saragosse d"
VALEURS DIVERSES
Docks et Entrep. de Marseille.(Actions)
Entrep. et Mag. Gén. de Paris. d"
Cie G'" Transatlantique d»
0'"= française des Métau.x. ... d"
C'« générale des Tramways ... d"
C'" générale des Eaux d"
C'« du Gaz de Bordeaux.... d"
C'« du Gaz général de Paris. d"
C'" du Gaz de Marseille d»
Aciéries de France A"
Forges et Chantiers Méditer . d»
Bateaux Parisiens d"
C'<^ franc, des Chargeurs réunis, d"
C'"* des Lits militaires d"
Société de la Tour Eiffel d"
C" interu''' des Wagons-lits . . d»
Régie des tabacs ottomans.. d»
C'" générale des Eaux Z % .. (Oblig.)
- - 5^.. d"
C'« Parisienne du Gaz 4 ^ . . d»
Gaz central 500 fr. 4 X d"
C''^ du gaz p. France et Et. 4 %. d»
C'>'desMessag.Marit.31/2 J'. d»
Ci« G'" Omnibus de Paris i% . d»
Q\K Qie Voitures à Paris i% . d»
Qie Qie Voitures Urbaine 5 J . d»
C'« des Lits militaires i % . . d»
Canal de Panama, lots, t. p. . d°
— — 210 p d»
— — bons à lots 89. d°
C'" du Canal de Suez b % ... d»
— Z % (l"-*^ série). d»
— Z% (2« série). d*
Obligations du Monde Moderne {Ty ix.
net de revenu). — Couiwns paj^ables
le 1^'' avril et le l'i" octobre aux
bureaux du Monde Moderne ou au
Comptoir geiiéni! de cnjdit, 17, rue
du Pont-Neuf.
Rit net
d impoi Plus haut. Plus bas.
32 16
49 70
45 42
55 90
52 99
34 75
26 97
26 10
22 78
5 »
31 »
5 »
4 25
13 44
13 44
13 44
13 44
13 44
13 44
13 46
13 50
13 48
13 54
11 »
15
11
14 30
16 43
25
17 30
27 95
»
59 98
82 66
20 32
45 60
34 44
25 30
22 63
65 04
44 79
5 15
30 »
25 »
13 46
22 94
18 16
18 16
18 20
15 84
18 »
18 18
23 30
21 81
»
»
»
24 50
13 40
13 50
1095 B
1968 »
1468 »
2162 B
1900 »
1235 B
810 B
747 B
675 »
103 .50
765 »
174 50
76 B
143 50
483 »
477 50
482 50
479 50
486 »
483 60
468 »
465 60
473 »
428 B
198 50
480 50
225 B
2S8 »
4G5 B
716 B
355 »
665
1125 B
2300 B
1950 »
470 B
1170 B
1175 B
850 B
841 B
1539 B
1660 B
605 B
780 B
291 B
479 50
531 »
610 »
514 B
614 B
612 26
618 »
524 »
178 75
623 B
127 B
262 B
117 >)
670 B
485 B
484 B
» 100 »l
LA CARICATURE INTERNATIONALE
Les Curiofilcs sooloftiques de l'Afrique (d'aiirts Fiscliiello, tlu
Turin). — L'BXPLORATEUll ASGI.AIS : « Tiens, les merles de
ITachoda ont une crête de coq, ou tout au moins de loin cela m'en
a tout l'air. » (Allusion îi l'occupation de Marchand et jeu de mot
italien : merli, merles, désignant également les créneaux où, près
du coq gaulois, flotte le drapeau français).
Lord Saliêbury fermanl boutique (d'après Punch, Londres).
La politique de lord Salistury au Foreign Office, encore trop
calme au gré de certains dans les affaires d'Egjirtc et d'ailleurs,
répond peu aux imjiatiences actuelles de l'Angleterre et la re-
traite du (i Premier » serait goûtée outre-Manche, au moins
par les plus belliqueux.
c de la Turquie (d'aprcs C/,out, Saint-
Bouillie trop cJiaude (d'après Humoristicke Lislu, Prague). —
L'Allemagne, qui vient en premier pour goûter la bouillie du
Czar, hésite à s'approcher de la terrine (sur laquelle on lit :
« pésarnicment ») ; — elle entraînerait cependant l'Autriche-
Hongrie, l'Amérique, la France, et le restant de la Itaudc, en
attente den'ière elle.
LA VIE PRATIQUE
Nettoyage des meubles. — Le vernis qui
l'ccoiivre los nu-iihlcs et c|iii leur donne un
aspect si agréaljle s'en \a petit à petit et ne
laisse à sa place cpi une surface terne, désa-
j^réable à \\vi\. Nos lecteurs seront sans doute
heureux de sax'oir comment on peut remédier
à cet accident dont tout le nioiidc est victime.
Pour cela, on l'ait foiulrc à une douce chaleur :
("ire jaune 125 grammes.
Orcanétine en poudre. 30 —
Tant que le mélange est sur le feu, on remue
constamment. Ensuite on passe au tra\ers
d'une grosse toile ou mieux d'un tamis. Dans
la partie qui a passé, ou met 125 grammes
d'essence de térébenthine et on continue de
remuer jusqu'à complet refroidissement. On
conserve dans un vase pouvant se boucher
hermétiquement. Quand on veut réparer une
surface décirée, on met un peu du mélange
avec un chifîon de laine et on l'étend en couche
mince. On frotte enfin a\"ec un autre chiffon
de laine jusqu'à ce que la surface soit bien
polie et ne colle plus aux doigts.
Enlèvement des taches de boue et d'huile
sur la soie. — \'oici, d'après le Praticien in-
iluslriel. le mo_% en d'enle\er les taches de boue
et d'h-uile sur la soie.
l" Pour enle\er les taches d'huile sur la
soie, si la tache est vieille, remettre dessus de
l'huile fraîche; laisser ainsi une dizaine
d'heures. On peut alors enlever la tache à
l'essence de lérébcntliine avec un tampon de
flanelle pour frictionner. Il faut avoir soin de
dédoubler l'objet et de mettre un linge dessous
pour recevoir la tache. Mais la composition
suivante :
250 grammes d'essence de térébenthine,
.30 grammes d'élher sulfurique,
mise en flacon bien bouché et employée en
mouillant les taches et en les frottant avec un
morceau de flanelle, est préférable à l'essence
de térébenthine seule ;
2" Pour enlever les taches de boue sur la
soie, mouiller les taches avec un peu d'eau et
couvrir ensuite de crème de tartre en poudre.
Au bout de quelques minutes, rincer la partie
tachée a\ec de l'eau claire.
Si l'étoffe est de couleur trop délicate, il ne
faudrait pas laisser séjourner trop longtemps
la crème de tartre, de peur d'altérer la cou-
leur.
Pièces fausses de 20 francs. — Nous voici
à l'époque de l'année où l'on dépense le plus
d'argent. C'est, par conséquent, le moment où
les pièces fausses circulent le plus ; on ne se
figure pas comme elles sont abondantes. La
chose est particulièrement grave pour les
pièces de 20 francs. Certaines, en platine doré,
sont si bien imitées que les caisses de l'Etat
elles-mêmes s'y trompent. Mais si, par mal-
heur, elles s'en aperçoi\ eut, la pièce est im-
médiatement coupée en deux, (^es pièces, en
platine doré, sont à l'efligie de Napoléon III,
non couronnées, avant 1S60. On les reconnaît
à ce que leur son est pliis clair, |)lus argen-
tin que celui des pièces ordinaires ; de plus,
les caractères des mots : « Dieu protège la
France », sont comme hachés et, partout.
presque illisibles. Kn outre, dans la figure, il
y a diverses imiierfections : la raie des che-
veux est tro]! accentuée ; la face est tro]> pleine,
l'oreille un i)eu écras('-e. la barbiche trop rele-
vée à la pointe. Sur la même face, les lettres
de l'exergue sont trop i)clites. Sur l'autre face,
le chiffre 20 francs est trop gros et les armes
manquent de l'clief. — 11 existe aussi d'autres
pièces analogues, mais couronnées el jjortant
les dates de ISGO à 1S70. Dans celles-là. la tète
de l'emijcreur est trop courte et les feuilles de
la couronne sont trop épaisses. Elles présen-
tent d'ailleurs les mêmes eléfectuosités que les
précédentes. Certaines sont aussi à l'efTigie
de la République: on les reconnaît à ce que
la jambe droite du Génie présente une légère
solution de continuité et semble cassée. Dans
toutes ces pièces , ayant un peu roulé , la
tranche laisse voir la couleur blanche du pla-
tine : elles ne valent pas plus de s francs. —
Les pièces de 20 francs en cuivre se reconnais-
sent à leur son bizarre et à leur poids qui est
d'un tiers plus léger que celui des bonnes
pièces ; à part cela, elles sont très bien imi-
tées.
Encre pour écrire sur le parchemin. — Pour
écrire sur le parchemin, il faut une encre spé-
ciale qui, croyons-nous, ne se trouve pas dans
le commerce. Aussi croyons-nous bon d'en
donner la fabrication, très simi^le, comme on
va le voir. On fait macérer 100 grammes de
noix de galle broyée dans 200 grammes d'eau
pendant quarante-huit heures. On ajoute en-
suite :
Couperose verte .... lo grammes.
Gomme arabique. ... 5 —
On fait chauffer le tout à l'ébullition, puis
on laisse refroidir. Finalement, on décante et
on verse dans des flacons bien bouchés, tenus
au sec. Au moment de s'en servir, verser un
peu de l'encre dans une petite capsule et chauf-
fer légèrement.
Procédé pour préparer de la bonne glu. —
"\'oici. d'après la Science en faiaille, le moyen
à em])l<iyer pour obtenir une glu excellente.
On fait bouillir de l'écorce de houx pendant
dix ou douze heures ; lorsque la partie verte
est séparée du reste, on l'expose jîendant une
quinzaine de jours dans un endroit humide, en
ayant soin de la recouvrir; on la pile ensuite
de façon à former une sorte de pulpe qu'on
lave dans un coiu'ant d'eau jusqu'à ce qu'elle
ne contienne plus aucune fibre. Puis on laisse
fermenter pendant quatre ou cinq jours et on
écume à plusieurs reprises. Pour l'emploi, on
ajoute, en se plaçant au-dessus du feu. un
tiers de partie d'huile de noix ou de graisse
légère. Si l'on peut mettre cette recette en
pratique, il faut certainement la suivre de
préférence à la recette ci-après, qui est peut-
être plus à la portée de tous. Dans un pot de
fer, on met de l'huile de lin jusqu'au tiers. On
place le pot sur un feu doux et on laisse
bouillir lentement jusqu'à ce que, après avoir
remué de temps en temps avec un bâton,
l'huile soit devenue assez épaisse.
^'^<:T0R DE ClÎîves.
LA CUISINE DU MOIS
Potage clair aux abatis. — Formule. —
1 kilo de ^ilc de bo'iif, 3 abatis de dinde ou
de grasse poularde, 3 litres d'eau, 20 grammes
de sel, 1 carotte et 1 navet un peu gros,
3 beaux poireaux, 1 gousse d'ail piquée de
'2 clous de girofle; cuisson 1 heures.
Oi'KRATiON. — Mettre le bœuf à l'eau froide
avec le sel, dans une petite marmite en terre,
l'aire bouillir et écumer avec soin. Sauter la
carotte et le navet, coupés en gros dés, len-
tement afin de les dorer, ajouter au bouillon
avec les abatis liés avec du fd de cuisine.
Lier le blanc des poireaux et le cuire 1 heure
seulement.
Laver les foies et les laisser dégorger dans
l'eau froide, les chauffer sans les laisser bouillir.
Au dernier moment, les diviser en lames;
couper les poireaux de 2 centimètres de long,
réunir aux foies dans la soupière, verser le
bouillon passé et dégraissé, servir en même
temps des tranches de pain dorées au four.
Pâté chaud de Pithiviers. — Formule:
La l'ATi:. — ■ 100 grammes de farine, 180 gr.
de beurre, 5 granmies de sel, 1 décilitre de
\in blanc.
Mélanger le beurre, le sel et la farine,
mouiller, fraiser la pâte et la laisser reposer
2 heures au frais.
La ftARMTUiiiî. — G ou 8 mauviettes, 250 gr.
de foie gras, 50 grammes de mie de pain,
1 petit verre de cognac et de vin blanc,
00 grammes de beurre, 10 grammes de sel,
épices et poivre. Deux petites bardes de lard.
Opération. — Tremper le pain dans un peu
de lait. Ouvrir les mauviettes sur le dos, jeter
le gésier, mettre l'intérieur dans un mortier
avec le foie gras, piler, ajouter la mie de pain
pressée, les assaisonnements et piler encore ;
passer au tamis. Étaler la pâte en rond ou en
carré ; sur le milieu ime bande de lard, une
couche de farce et une rangée d'alouettes rem-
plies de farce; une couche de farce, les autres
mauviettes, la farce et l'autre barde. Parer
la pâte, qu'elle déborde en pliant les côtés
longs d'abord de 2 centimètres un sur l'autre, le
dessous légèrement mouillé, aplatir les bouts,
mouiller le dessus et replier les bouts. Avec
les parures faire une abaisse qui recouvre le
]iâté, doré à l'œuf battu, presque aux trois
quarts ; faire un trou au milieu ; y planter en
forme de cheminée un papier fort, roulé ;
dorer et ciseler au couteau ; cuire au four un
peu chaud 2 heures.
Chapon de la Brasse à la Périgour-
dine. — Trousser un chapon de même que
pour rôt. Foncer une casserole avec couennes
de lard, oignons et carottes émincés, bouquet
garni; couvrir l'estomac du chapon avec des
ronds de citron parés à vif et coupés très
minces, puis d'une barde de lard. Le mettre
dans UTie casserole ov'i il entre juste, recou-
vrir d'un rond de papier d'ollice beurré, faire
suer 5 minutes, arroser avec 1 décilitre devin
blanc de Sauternes, laisser tomber à sec,
mouiller avec 1 litre d'eau chaude, saler,
ajouter 500 grammes de gîte de veau, laisser
cuire au four doux 1 heure un quart ou 1 heure
et demie si le chapon est fort, arroser 2 fois.
Brosser 250 grammes de petites truffes, les
monder. Dans une casserole qui ferme bien.
on prépare : 1 décilitre de madère, 2 décilitres
de jus du chapon bien dégraissé, on met les
truO'es et on fait bouillir 5 minutes.
La sauce. — Fondre et pousser à la noi-
sette 30 grammes de beurre, mélanger 30 gr.
de farine, blondir très peu, mouiller avec le
jus et les truffes, laisser mijoter jusqu'au
moment de servir.
Débrider et débarder le chapon; l'estomac
doit être blanc et fin, très appétant; passer
ce qui reste de jus, le dégraisser et le faire
réduire pour le tomber à glace jiresque ;
dresser le chapon sur un plat chaud, le jus
autour et non dessus. Envoyer la sauce aux
truffes dans une saucière.
Endives à la bruxelloise. — Formule.
— 1 kilogramme d'endives fraîches et blan-
ches, 150 grammes de beurre fin, 5 grammes
de sucre semoule, 15 grammes de sel fin, un
peu de poivre blanc et un soupçon de noix
muscade.
Opération. — Parer les endives de façon à
pouvoir éviter de les laver; si on les lave, les
essuyer en les pressant dans un linge ; les
couper en rondelles de 1 centimètre d'épais-
seur et les assaisonner.
Beurrer fortement un moule en cuivre un
peu épais, rond, uni, de 18 centimètres de
diamètre, tasser les endives, arroser le beurre
fondu, cou\'rir d'un rond de papier d'office et
d'un couvercle, cuire au four sur une plaque
pendant 1 heure 1/2 environ; renverser sur le
plat de service. On doit obtenir presque un
gâteau bien doré, dans le genre des pommes
x\nna.
Bûche de Noël, aux marrons. — Le
luscuiT. — 4 u^ufs. 100 grammes de sucre,
100 grammes de farine, 1 petit verre de
cognac.
Opération. — Monter le sucre avec 3 jaunes
et le cognac, ajouter l'œuf entier et travailler
5 autres minutes, mélanger la farine, monter
les blancs bien fermes et les incorporer.
Étaler cette pâte sur une demi-feuille de
papier écolier et faire cuire 25 ou 30 minutes
dans le four doux. En le sortant du four,
retourner le dessus dessous sur la table, enle-
ver le papier, badigeonner le biscuit a^ ec un
peu d'abricot, marmelade ou gelée, rouler en
saucisson et laisser refroidir dans le papier.
Piler 500 grammes de débris de marrons
glacés, y ajouter 1 petit verre de kirsch,
1 décilitre de lait bouillant et 100 grammes de
beurre fin ; passer au tamis, ramollir un peu
la pâte à la cuiller de bois. Dans un plat
long en argent on fait un petit canapé avec
la purée de marrons, de 1 centimètre et de la
largeur du biscuit. Couper celui-ci en 6 ou
8 tranches, étaler une couche de purée sur
chaque tranche et les poser debout sur le
canapé pour reconstituer le saucisson. Napper
avec ce qui reste de purée. Prendre une carte
de visite, la découper en dents de scie un
peu grosses, passer d'un bout à l'autre et sur
les côtés : la bûche est finie.
Pour imiter les branches on fait deux petits
bouchons en purée de marrons et on les pique
suV les deux côtés de la bûche.
A. GoLOMniK.
Jeux et Récréations, par m. g. Beudin.
N° 246. — Haut : Noirs. — Bas : Blancs.
■ 8P ^
W^A I" wk ^m.
v^/ym,^ W^ *.,^^^^ ^^,
Les l)lancs jouent et fonl mat en trois coups.
N° 247. — Haut : Noirs. — Bas : Blancs.
BoB B H K
Les blancs jouent et gagnent.
248. — Rébus graphique
Lundi, Mardi, Mercredi, Jeudi, Vendredi,
Samedi, DIMAN'CHE.
N' 249.— MOTS EN TRIANGLE
SYLLABIQUES
— Habite La Taissie.
— Cité (les bords du Rhin.
— Produit le jus divin.
— Au verbe s'associe.
N° 250. — LA LETTRE EN TROP
Enlever une même lettre aux dix mots de six lettres
ci-dessous et former dix mots nouveaux de cinq lettres.
GUIMPE, ItEMÈDE, IMAX.VT, MAJUXE,
tHEMlX, KOMBKE, AXUIEB, ÏAMl'OX, EMl'lUE,
SOMBRE.
N" 251.
MOTS EN CARRE
— Au piquet il exerce un vrai droit léonin.
— Adjectif possessif du genre féminin.
SOLUTIONS
N' 239. — 1. D 1 C 1) écliec. 1. F .>< 1" D couvre.
2. D pr. F écliec. 2. F s D couvre.
3. F 6 T D échec. 3. D 7 K couvre.
4. D pr. F écliec et mat.
N» 240. —
37 26 21 2K 17 35 3(i 37 32
26 la 21 34 2.5 27 38
fait dame et gagne.
N° 241. • — La solution de ce problème étaut très
longue, nous ne la doimerons que dans le prochain numéro.
N° 242. — Pomme, Somme ou encore Poire, Loire.
N^ 243. — Mat, Tam-Tam.
N° 244. — Sur la place de Bavay (Xord), d'oii par-
tent les sept chaussées romaines, dites de Brunehaut, se
trouve la statue de la reine Brunehaut. Ce monument,
de 10 mètres de haut environ, est eu pierre de taille.
Brunehaut, le front ceint de sa couronne, est debout, et
de sa main droite montre la route de Paris. Chaciuie des
faces du piédestal porte le nom et les armes de la ville
où se terminait chacune des chaussées Brunehaut. On y
lit : Cologne, Utrecht, Tournay, Amiens, Soissons, Reims,
Trêves.
Au point initial des chaussées on lit cette inscription :
(( Ces voies furent construites par Marcus Agrippa, lieu-
tenant de César Auguste, vers Tan 25 avant J.-C. et res-
taurées par la reine Brunehaut. morte en l'an 618. — Ce
monument a été réédifié en l'année 1872. »
N» 245. — Pour trouver le jour de la semaine d'une
date donnée, la méthode la plus simple est celle-ci :
Prenez l'année considérée, son quart sans fraction et le
nombre de jours écoulés, inclusivement, depuis le l'"' jan-
vier ; faites la somme de ces trois quantités, puis de
cette somme : retranchez 2 si l'année considérée est anté-
rieure à la réforme du calendrier (octobre l.")82) et, si les
années sont postérieures à cette réforme, retranchez 12
(au lieu de 2) pour le xvu'' siècle, 13 pour le xviu" et
14 pour le xix<'; puis divisez la somme, ainsi réduite,
l)ar 7 : le reste de cette division iniliquera le jour demandé,
dimanche étant 1, lundi 2... et samedi 0. pour 7'' jour.
Exemples :
1° François l" écrivit les p.iroles en question le 24 fé-
vrier 1525, c'est-à-dire : 1525 -f 381 -j- .55 — 2 = 1959 :
19.59
= 279, reste 6 ^ un rendredi.
'':' Cambronne a prononcé son fameux mot tels juin lsi5,
c'est-à-dire : 1815 -f 453 + 169 — 14 = 2423 :
2423
—z — = 346, reste 1 =- un dimanche.
yot((. — L'exactitude des résultats ci-dessus a été
contrôlée par la méthode des lettres dominicales et par
les tableaux jjubliés chaque année dans \' Annuaire du
Bureau des Longitudes.
Adresser les communications pour cette page à M. d. Beudin, à Billancourt {Seine), avec timbre p"ur réponse
BIBLIOGRAPHIE
Voici le moment venu d'aller rejoindre les
hirondelles, et de tous les pays où le soleil est
roi, c'est encore nos cotes de Provence où sa
souveraineté paraît'la plus aimaljlc. Tous les
ans, le mouvement s'accentue et, tout à point
pour l'éclairer cette année, paraît, à la librairie
May, le guide-album de Constant de Tours,
consacré aux Côtes de Provence. De plus fort
en plus fort : 160 dessins d'après nature. C'est
trop, dirions-nous volontiers, car l'image prend
la place du texte et ce texte vaut bien l'image.
Nous ne pourrions que répéter ce que nous
avons dit souvent à propos de ces guides-
albums : ils sont compris avec un rare mé-
lange de goût artiste et de sens pratique qui
en font le plus précieux des auxiliaires de
voyage. Un soupçon de réclame intéressée se
glisse, serpent dans les fleurs, entre les pages
cie la plupart des guides, surtout de ceux que
Compagnies et Sociétés distribuent gratuite-
ment. Ici l'indépendance de l'écrivain éclate
à chaque page et ses opinions donnent la sé-
curité. Pour les débutants , cet album sera
le sommet d'où l'œil embrasse le panorama d'un
pays avant de se fixer sur un point. Il rappel-
lera aux initiés de chères impressions et il con-
solera ceux qui restent attachés à leur chaîne.
M. Henri A\enel Aient de publier la dix-
huitième année de son Annuaire de la Presse
française et du Monde politique. Les der-
nières élections tlnnnenl à celle étlilion une
importance excei)linnnelle, car elles y sont
consignées en de nombreux tableaux (pie l'on
ne trouvcrail nulle part ailleurs. Le répartis-
sement des Aotes est présenté sous tous les
aspects, et ces groupements ingénieux expri-
ment la ))lulosoi)hic politique de la France.
Tons les partis y trouveront leur compte
d'enseignements et de réflexions. Mieux que
tous les discours, les chiffres, réunis ici au
prix d'un labeur dont l'efTort n'est égalé que
par l'intelligence, permettront aux esprits cu-
i-ieux des destinées de la patrie de com|)arer
le i^résent au jjassé et de })révoir l'avenir.
t]et ouArage considérable donne le tableai\ de
la jn-esse, cimiplet pour la France et suflisant
pour l'étranger. A feuilleter ces pages si rem-
plies, une pensée vient et grandit en pro-
portion de leur nombre. Que de noms se
l)ressent ici, beaucoup de célèbres, ])rest|ue
tous connus, les autres encore dans le rang,
mais que l'on sent armés pour la bataille !
Quelle puissance représentent ces esprits vi-
vants, actifs, hardis, courageux, toujours sur
la brèche ! C'est l'armée de la i^ensée.
Les plaisanteries faciles sur la presse ne
font plus rire. Quelques indignités pei'son-
nelles et passagères ne sauraient diminuer
une corp(M'afion qui est une élite dans son
ensemble. (]eux qui feignent de la dédaigner
sont les premiers à requérir son aiJjmi et,
(juand toutes les autorités semblent disparaître,
seule la suprématie de la presse s'allirme.
Encore est-ce une puissance qui s'éparpille
comme celle des A'ents et se replie soment
sur elle-même comme celle des marées. Mal-
gré leurs noml)reuses associations et leurs
syndicats i)arfois illusoires, les journalistes
sont isolés. La ixilitique les sépare, eux qui
sont supérieurs à la i^olitique ; les questions
sociales les divisent, eux qui tiennent en main
la sokdion des questions sociales ; les per-
sonnalités les irritent, eux qui mesurent tous
les jours la valeur des renommées ; l'argent
les trouble parfois, eux qui pourraient être les
nnii[ues dispensateurs de la fortune.
Mais le temps est proche où la presse,
étonnée delà vanité de ses divisions, se ressai-
sira et réunira le faisceau de ses forces. Ce
jour-là elle sera la maîtresse du monde.
Et cet annuaire apparaîtra comme le livre
d'or de rintelligence humaine. Cette fois,
M. Henri Avenel a écrit une très juste préface
sur l'iutluence de la presse sur l'éducation
nationale. Al<irs il pourra intituler son article
de ces sim|)les mots; La Presse souveraine.
Nous n'avons pas pu signaler plus tôt un
ouvrage du commandant Chabrol sur nos
Opérations militaires au Tonkin, publié chez
Lavauzelle ; mais son intérêt est toujours ac-
tuel et son enseignement permanent. Quelques
mots suffisants sur les grandes lignes de l'his-
toire d'Annam précèdent le résumé historique
des combats qui, de isso à 1895, ont achevé
la pacification des territoires composant la
partie annamite de notre empire d'Indo-Chine.
Ces combats, dont l'auteur a pris une noble
part, sont exposes avec la plus grande exac-
titude et cette clarté sans jîhrases à effet
que doit toujours rechercher l'ollicier d'état-
major dans ses écrits techniques. C'est le gé-
néral Duchemin, le commandant en chef de
1S92 à IMHi et le grand paciticatein- du Tonkin,
qui décerne à l'ouvrage cet éloge mérité, et
le lecteur demeure saisi de tant d'exemples
de courage donnés par les ofliciers et les sol-
dats dans ces campagnes d'héro'isme obscur.
Le nom des combats eux-mêmes, dont les dé-
sinences annamites entrent mal dans nos
oreilles européennes, ne laisse qu'un souve-
nir confus, et ceux qui y sont tombés savaient
qu'ils se sacrifiaient à la grandeur de la patrie.
La liste des olficiers morts au champ d'hon-
neur se retrouve dans l'ouvrage du comman-
dant Chabrol comme au piédestal d'un monu-
ment funéraire. On peut y compter aussi les
soldats victimes de leur devoir et reconnaître
que ces petits combats ont souvent été pro-
portionnellement plus meurtriers que des
grandes batailles. Nombre de nos olliciers ont
trouvé dans les campagnes coloniales l'expé-
rience des faits accomplis; ils ont pris contact
avec l'ennemi ; ils ont mesuré leur pouvoir sur
leurs troupes et ce qu'on pouvait attendre
d'elles. C'est un enseignement supérieur à
celui de la théorie, et ceux qui n'ont pas pu
être acteurs eux-mêmes trouveront utilement,
dans un ouvi-age comme celui-ci, un écho di-
rect de l'action.
A. Q.
L'EiUtcur-Grrant : A. QuANTiN.
147.JG. — Lib.-Imp. rùuuics, iloTTEKùZ, D'', 7, rue S.nnt-Bcnoit, Paris.
Le
Monde Modetne
Décembre 1898
VIII. — 51.
LA CLOCHE
24 AOUT 157 2
— Par les cornes de Belzébuth, se-
rait-ce poinl loi, Tavardin, vieux par-
paillot ?
I.a phrase, malgré renluininure vio-
lente des mots et la grondante truculence
du juron, fut lancée d'une voix sourde,
éloulïée, contenue à dessein; elle mar-
quait plus de chagrin que de colère et
semblait attendrie, douloureuse.
Celui qui venait de l'articuler ainsi,
presque en sourdine, un homme d'une
cinquantaine d'années, aux gestes encore
souples malgré sa corpulence imposante,
émergea soudain de l'ombre épaisse for-
mée par le porche de Saint-Germain-
rAuxeri'ois et acheva d'enfouir dans ses
chausses l'énorme clef avec laquelle il
avait fermé la porte de l'église.
Le mouvement de sa tête projetée en
avant mit en relief un nez empourpré
comme une vigne d automne et dont la
coloration s'aviva en braise ardente,
dès qu'il se trouva frappé brusquement
par le reflet du soleil couchant incen-
diant encore quelques nuages tendus en
travers du ciel.
— Barbanson !.. Barbanson en graisse
et en lard !... Barbanson en personne 1...
Ah ! ah 1 ah ! On m'avait bien dit que je
le rencontrerais dans ces parages et que
je le reconnaîtrais à première vue 1...
Pas besoin de demander ton signalement,
c'est toujours le même, un falot en plein
milieu du visage, comme autrefois, et
un ventre qui a besoin de cercles comme
un tonneau I... .\h ! ah! ah!... Quant
aux idées, toujours les mêmes aussi, à
ce que j'entends, toujours aussi enragé
papiste, hé ! compère Barbanson ?
Ce fut ricané d'une voix sonore et
affectueuse, roulant des fracas de ba-
taille et allant éveiller orageusement les
échos du cloître.
Une main sur la coquille d'acier bruni
d'une immense rapière, l'autre tiraillant
le poil ébourilTé d'une longue moustache,
se campait au centre de la place, avec
un air de surprise joyeuse, un grand
gaillard aux larges épaules, au buste
athlétique emprisonné dans une casaque
de buffle rejoignant un haut-de-chausses
de drap commun, les jambes perdues
jusqu'à mircuisses en de profondes bottes
poudreuses dont les éperons sonnaient
sur le pavé.
Les cheveux ras poivre et sel sous le
feutre roussi, les joues tannées par le
grand air, le nez à l'ossature luisante
courbé en bec d'acier sur les mousta-
ches, la barbiche en pointe achevaient
de lui donner la tournure et la mine
d'un de ces vieux routiers, plus habitués
à l'atmosphère des champs de bataille
qu'à celle des villes, et ayant plus d'an-
nées de campagne sur le corps que
d'écus dans la bourse.
— Chut !... Plus bas ! Plus bas ! com-
manda Barbanson, baissant le dos et
levant à demi ses deux bras, les mains
étendues horizontalement devant lui
comme pour étoufl'er ce verbiage tapa-
geur; en même temps, d'une circon-
specte ondulation du cou, il jetait sur
la place, sur les maisons muettes, vers
le débouché des rues et dans la direc-
tion de l'hôtel de Bourbon, cependant
silencieux, un craintif regard circulaire.
Le soldat eut un sursaut brusque, une
80 s
LA CLOCHE
véritable révolte, et son gosier éclata
en coup de bombarde sous la poussée
des mots :
— Ho ! ho ! Est-ce là le camarade qui
se battait si rudement au temps jadis et
qui n'avait pas assez de toute sa voix
pour crier au milieu de la mêlée, si fort
qu'on aurait juré la trompette de Jéri-
cho? Les Espagnols ne te reconnaîtraient
plus, mon pauvre Barbanson, dans ce
marguillier effarouché, d'autant que, par
l'Amiral, tu en portes déjà l'uniforme !...
Le diable soit de la Messe qui...
Ces derniers mots furent étouffés sous
une épaisse main qui vint s'appliquer
lourde et impérieuse sur ses lèvres :
— Ventre du pape, Tavardin, damné
bavard, si tu tiens à ton salut et à mon
amitié, tais-toi I...
Sous les dernières lueurs finissantes
de cette chaude journée d'août, la
silhouette massive et robuste de Barban-
son se détachait sur les arcades enténé-
brées du porche, tout le bas de l'église
entrant peu à peu dans l'ombre, tandis
que la tourelle seule restait encore
éclairée. En dépit de son costume uni-
formément noir, imprégné d'une vague
et persistante odeur d'encens, malgré
l'absence de toute arme à sa ceinture,
la figure énergique, cuite à tous les so-
leils, le front entaillé d'une balafre, le
nez rubicond et les moustaches martiales
trahissaient encore le soldat.
La rudesse du geste qui avait renfoncé
les paroles dans sa gorge, la gravité
inquiète des yeux noirs fixés avec auto-
rité sur les siens, avaient cloué Tavar-
din à la même place sans qu'il fît un
mouvement ou articulât un mot de
plus. Il regardait son camarade sans
rien comprendre à son attitude.
Celui-ci, les sourcils réunis par l'ef-
fort de l'attention, écouta un instant les
confuses rumeurs de Paris arrivant jus-
qu'à eux par-dessus les toits en pignon
de la capitale, poussa jusqu'à la rue
des Fossés-Saint-Germain-l'Auxerrois,
s'avança vers celle du Petit-Bourbon lui
faisant suite, pour examiner les masses
ténébreuses de l'hôtel de Bourbon et du
Louvre dont les fossés étaient gardés
par des soldats.
Tout était déserf ; la nuit venait. Des
passants, très rares, glissaient en ombres
furtives; à peine une lumière étoilait çà
et là quelque fenêtre; du côté de la
Seine, le long du quai de l'Escolle Saint-
Germain, du port aux Passeurs, du port
de Bourbon et du port au Foin, un
silence profond, silence de tombe qui
semblait envahir peu à peu tout le quar-
tier depuis la rue du Froid-Mantel, au
delà du Louvre, jusqu'à celle de l' Arbre-
Sec, derrière l'église.
Sans doute, ce calme, cette solitude
rassurèrent Barbanson; revenant à petits
pas, il frappa sur l'épaule de son ancien
ami, interloqué et intrigué par ces
bizarres allées et venues :
— Allons ! viens, je t'emmène chez
moi : nous souperons ensemble. Mais,
par la mort Dieu, ne dis rien, ne t'étonne
de rien ou je te plante là et tu te dé-
brouilleras tout seul !
En quelques enjambées ils atteigni-
rent un petit logementattenant à l'église,
sans que Tavardin, devenu subitement
muet, cherchât à s'expliquer le motif
des étranges manières de son compa-
gnon et pensât à s'offusquer de cette
réception extraordinaire.
C'étaient non seulement des compa-
gnons d'armes, mais des amis d'en-
fance.
Nés tous deux dans le même village
du Blésois, ils s'étaient juré une amitié
éternelle que rien ne romprait jamais,
et, devenus grands, avaient d'abord fait
leurs premières armes ensemble sous les
ordres de François de Guise contre
Charles-Quint. C'avait été la meilleure
époque de leur existence, la période
durant laquelle leur affection avait été
la plus étroite et la plus complète. Après
avoir défendu Metz avec le duc de Guise
en 1552 et battu les Espagnols, ils se
trouvaient encore de compagnie, l'an-
née 1557, à la bataille de Saint-Quentin,
faisant tous deux partie de la troupe
que Gaspard de Coligny avait jetée dans
la place pour la défendre; enfin, en 1558^
LA CLOCHE
805
c était cote à cote qu'ils prenaient Calais.
Entraînés par des l'orluncs cHlFérenles, ils se per-
daient ensuite de vue pendant quelque temps, n'ayant
plus aucune nouvelle l'un de l'autre, se ci^ovant réci-
proquement morts, puis se retrouvaient brusquement face à face dans des camps
806
LA CLOCHE
opposés, TaA'ardin, huguenot, avec le
prince de Condé ; Barbanson, catholi-
que, l'un des meilleurs soldats du maré-
chal de Tavannes.
Ç/avait été une terrible surprise pour
ce dernier. Pourquoi Tavardin, né de
parents catholiques, bon catholique lui-
même autrefois, avait-il quitté la reli-
gion des siens pour se faire protestant?
Ce fut en vain que Barbanson cher-
cha à éclaircir ce mystère, en question-
nant, lorsqu'il le put, son ami d'enfance.
Celui-ci ne donna que des raisons vagues,
invoqua de mystérieux engagements, de
sentimentales et énigmatiques considé-
rations; mais le catholique pensa tou-
jours qu'une influence féminine, cette
influence qu'ils s'étaient tous deux pro-
mis de ne jamais subir, en ne se mariant
pas, avait cependant pesé à un moment
de son aventureuse existence sur la dé-
termination de son ancien compagnon.
Depuis, soit par zèle de nouveau con-
verti, soit par suite de quelque serment,
Tavardin n'avait plus voulu ou n'avait
plus eu la liberté de revenir à ses pre-
mières croyances.
L'amitié jurée entre eux n'en avait
pas été brisée pour cela ; ils se combat-
taient, s'invectivaient au besoin dans
les intervalles de repos, mais leur cœur
conservait toujours la même tendresse
profonde pour le camarade de naissance.
A la suite du combat indécis d'Arnay-
le-Duc et de la paix signée le 2 août 1570
à Saint-Germain-en-Laye, paix qui don-
nait aux protestants quatre villes de
sûreté, la Rochelle, Montauban, Cognac,
la Charité, la confiance étant revenue
dans tous les esprits, le huguenot rega-
gnait son village du Blésois pour y vivre
d'un petit bien qu'il possédait ; l'autre,
grâce à la protection de son chef, obte-
nait la place de gardien de l'église et
du cloître Saiut-Germain-l'Auxerrois, la
paroisse royale.
Au bout de deux longues années de
repos, las de son inactivité, entendant
constamment parler de la guerre, tou-
jours prochaine, toujours reculée, que
l'on devait faire en Flandre, Tavardin,
sachant son ancien compagnon d'armes
en bonne position de lui être utile,
s'était décidé à quitter la province pour
venir renouer connaissance avec lui et
lui demander son appui.
Ce fut ce qu'il lui expliqua briève-
ment, tout joyeux de trouver bon gîte
et bonne table, après une harassante
journée de marche, précédée de beau-
coup d'autres, mais plus fatigante encore
parce qu'il avait dû la faire à pied, sa
monture étant morte à lavant-dernière
étape.
Barbanson, réfraclaire au mariage et
qui n'avait jamais voulu entendre par-
ler de se mettre en ménage même pour
prendre sa retraite, vivait seul. Il y ga-
gnait de n'avoir à craindre autour de
lui ni indiscrétions ni bavardages ; du
reste, l'exemple de la transformation
religieuse opérée dans son ami par une
volonté de femme, même passagère,
n'avait certes pas été pour peu de chose
dans cette détermination de nouveau
prise par lui de rester éternellement cé-
libataire.
En vieux soldat habitué à tout faire
par lui-même, il lui suffit de quelques
instants pour mettre le couvert et étaler
sur la nappe quantité de victuailles appé-
tissantes, accompagnées de nombreuses
bouteilles poudreuses comme des fan-
tassins après une marche forcée.
Cette vue épanouit le visage de son
convive qui, montrant un solide pâté
entouré des imposants flacons, décida,
la lèvre humide de gourmandise :
— Voilà une citadelle que j'aurai un
fameux plaisir à attaquer, malgré les
pièces au long col qui la défendent!...
Jamais je ne me serai senti plus de cœur
pour monter à l'assaut...
Barbanson soupira :
— Il y a longtemps que nous n'aurons
combattu ainsi de compagnie contre le
même adversaire 1
— Ma foi ! tu dis vrai 1 s'exclama
Tavardin en prenant place, sans décro-
cher sa rapière par vieille habitude de
soudard toujours sous les armes. — C'est
la première fois que nous soupons en
I.A CLOCHE
«07
tête-à-lêlo depuis ce m;iigrc repas que
nous fîmes au revers de la tranchée,
sous les murs de Calais, au nez et à la
barbe de ces enragés d'Anglais qui nous
criblaient de projecliles de toute espèce
pour assaisonner nos plats 1
— ( '/était le bon temps tout de niêmel
appuya l'autre. On ne songeait qu'à bien
se battre, à bien manger et à bien boire ! . . .
Ah ! je voudrais être d'autant d'années
moins vieux!... Quatorze ans déjà de
cela, quatorze ans I Si amis qu'on était,
et maintenant... ennemis!...
Le routier hocha la tête :
— Hah ! On ne l'a jamais été beau-
coup, cpiand même : le cceur n'a jamais
changé, lui, si le cerveau a un peu va-
rié!... Du reste, il n'y en a plus d'enne-
mis, puisque tout est raccommodé, que
le roi a marié sa sœur à Henri de Na-
varre et que l'amnistie a été proclamée!
( )n va se rebattre en Flandre, et tu vien-
dras, et nous nous battrons encore coude
à coude et nous boirons gaiement, comme
nous allons le faire aujourd'hui , sans
soucis, sans préoccupations, en songeant
que la vie est belle, que nous sommes
toujours solides, qu'on est heureux de
pouvoir jouir et profiter des bonnes
choses , des excellentes choses que la
terre produit pour la satisfaction de nos
corps et la joie de nos esprits !...
Son hôte semblait rêveur ; une obses-
sion pesait sur son front, rabattait en
fronces épaisses ses sourcils sur ses
yeux; il murmurait, se parlant à lui-
même :
— Boire, oui, un peu, mais pas trop !...
11 faut être sage aujourd'hui !... Diable
de consigne, va !...
Il tendait par moments l'oreille vers
la fenêtre, guettant des bruits loin-
tains, avec le même marmottement
songeur :
— Je n'aurais qu à me griser, à ou-
blier!... Sang du Christ, quelle affaire !...
Ce soir, c'est défendu !...
— Tu n'as pas fini de jaboter tout
seul ! interrompit la grosse voix rieuse
de Tavardin.
Se secouant pour échapper aux peji-
sées qui le tourmentaient, le catholique
déclara :
— Je te donne le logis et la pâtée pour
tout le temps de ton séjour ici ; mais tu
vas me promettre...
— Par l'Evangile, tout ce que tu vou-
dras ! — ■ riposta le voyageur, c[ui, déjà
installé, une fourchette brandie d'une
main, un couteau de l'autre, attendait,
les yeux luisants et les narines tendues
vers le centre de la table, que son am-
phitryon prît place et commençât l'at-
taque contre les fortifications du pâté.
— Mais donne le signal ; je ne peux plus
tenir mes gaillards, ils veulent monter
à l'assaut !...
Barbanson, s'asseyant , enfonça mé-
thodiquement le couteau à découper en
plein cœur de la citadelle, et continua
d'expliquer :
— ... Me promettre, pour des raisons
à moi connues, importantes pour ton
avenir, de ne pas bouger de chez moi,
quoi qu'il arrive... Tu comprends?
— Entendu ! riposta l'afTamé, les pru-
nelles rivées sur le plat. — Heum ! quel
parfum! Il sent fameusement bon, l'in-
térieur de ton fort!... Un pan de ses
murailles ne me fera pas peur, tu sais.
Un énorme quartier, où tremblaient
des chairs blanches et roses, emplit à
moitié son assiette, avec cette recom-
mandation :
— Mange, et surtout sois aveugle et
muet, et sourd, tout le temps que tu
demeureras ici !
Tavardin, la bouche pleine, répondit :
— Convenu!... Bien que, en vérité,
tu sois devenu joliment bizarre et que
ce fameux Paris, que je ne connaissais
pas, soit fort extraordinaire!... Partout
des gens pressés, inquiets, évitant de se
parler!... 11 y a donc la peste, ici?... Je
ne me figurais pas la capitale ainsi !...
Ah ! si je n'avais pas une faim de loup
et une soif à absorber un fleuve, ce que
ça me démangerait de savoir pourquoi
on me regardait tant quand je suis arrivé,
pourquoi on me répondait si brièvement
quand je demandais mon chemin, pour-
quoi ceci, pourquoi cela?... Mais, mo-
«os
LA CLOCIIl':
tus, muet, sourd et aveuf^le, c'est juré !...
A la santé, vieux camarade'....
Barbanson le regarda sans répondre,
paraissant lutter contre des mots qui
voulaient s'échapper malgré lui de sa
bouche. Il se contenta de remplir jus-
qu'au bord le gobelet que le buveur ve-
nait de vider et de ncmplir qu à moitié
le sien.
Peu à peu les vins brûlants délièrent
la langue du convive à mesure que la
première violence de son formidable
appétit se calmait ; Tavardin devint lo-
quace, expansif ; il lança avec une cer-
taine conviction sensuelle :
^ Tu as une vraie cave de chanoine,
compère, une cave d'homme d'ég-lise !...
Cela a du bon, le papisme !
Barbanson trempa ses lèvres dans son
gobelet pour cacher l'émotion qui le
gagnait, et, l'ayant vidé complètement,
le remplit de nouveau machinalement,
puis goûta lentement, savourant gorgée
par gorgée le précieux liquide, auquel
il devait les rubis de son nez :
— Oui, c'est du boni C'est celui pour
les amis !
Ses coudes, plantés dans la table, il
s'attendrit :
— Nous étions si amis ! Nous en avons
tant supporté ensemble, le froid, la faim,
le typhus, les balles 1...
— Puisqu'on te dit que nous le sommes
toujours, qu'on n'a jamais cessé de l'être,
amis, vrais amis, à la vie, à la mort !
— g-ronda doucement l'autre, les yeux
tout papillotants, allumés de lueurs
g^aies, et son gobelet heurta celui du
camarade.
Celui-ci but à petits coups, ensuite
plus vite, attiré, humant avec une gour-
mandise grandissante, dans l'oubli de
tout ce qui n'était pas la joie de vivre :
— Fameux!... Il me semble meilleur
encore depuis que tu es là, toi, mon
fidèle I... Hé ! te souviens-tu de ce grand
pendard d'Espagnol qui faillit me fendre
la tête comme une courge et que tu dé-
pêchas d'un si fier coup de hallebarde,
en plein creux des fossés de Metz!...
J'en porte toujours les traces, tu sais.
et lorsque je passe mes doigts sur mon
crâne et que je sens la couture de la
cicatrice, je me dis : — « Ça, c'est un
souvenir de vingt ans, du temps de mon
grand ami et sauveur Tavardin ! »
— Heu ! Je n'ai pas eu de mal à faire
ce sauvetage-là, bien sûr!... Cet Espa-
gnol que tu dis, ça vaut bien l'Anglais
qui allait membrocher à l'assaut de ce
même Calais dont je parlais tout à
l'heure et que tu arrêtas si à propos
dune pistoletade en travers du corps
qui le mit où il comptait me mettre!...
A ces ressouvenirs sortis un à un des
cendres légères du passé comme de pré-
cieuses et rares liqueurs soudainement
retrouvées en quelque cellier merveil-
leux, des larmes heureuses humectaient
leurs yeux à mesure aussi que leurs
trognes s'enrubifîaient mirifiquement
sous les lampées successives de pleins
gobelets de vieux vin couleur de pourpre.
Barbanson, qui d'abord résistait, fai-
sant mine de boire et ne buvant qu'à
demi, se laissait à présent aller, tenant
vigoureusement tête à son invité et lui
donnant l'exemple ; un amollissement
croissant détendait ses traits longtemps
crispés, déliait ses grosses lèvres avides,
et, noyé dans le vin, brisant ses der-
nières résirlances, le sourire montait ;
son nez maintenant flambait comme aux
plus beaux jours.
Prêt à des révélations, il supplia en
une crise suprême de tendresse :
— Tavardin, mon vieux compagnon,
tu ne sais pas ce que tu devrais faire
pour moi ?
— Tout, tout ce que tu A'oudras !...
Je serai muet, aveugle et sourd, c'est
promis I Les promesses pour moi, c'est
sacré; rien ne me fait plus changer! Un
serment, c'est un setnnent, c'est pour la
viel... Hein! Te voilà heureux!... A
boire encore, toujours!...
L'autre bégayait :
— Tu devrais renoncer à ton maudit
prêche et crier avec nous, avec moi :
« Vive la Messe I »
— Ouais ! se rebiffa le soldat, repre-
nant son sang-froid. C'est pas de jeu ce
I.A CLOCHE
809
que lu réclames là : je n'ai pas jure ça 1...
Mon serment. ..
— C'était [jourtant Ion parti autre-
fois! objecta le j^ardien.
— ]\Ion parti!... Ilalte-là 1... Com-
père, en Guyenne, j'ai eu ail'aire à Biaise
de INIontluc, le boucher du roi; je ne
serai jamais de ce parti-là!... Le parti
du connétable de Montmorency, le capi-
laine Brûle-Bancs, si heureusement tué
810
LA CLOCHE
par Stuart à la bataille de Saint-Denis,
oh! que non pas !... Je suis soldat, moi,
et pas massacreur!...
Barbanson se leva à demi, comme
souffleté, hurlant :
— Massacreur!... Appelle plutôt ainsi
ton capitaine Briquemaut, se faisant un
collier avec les oreilles des prêtres qu'il
avait égorgés!... Massacreur, c'est ton
baron des Adrets obligeant, par raffine-
ment de cruauté, ses malheureux pri-
sonniers à sauter du haut d'une tour à
Monlbrison!. . Massacreur!... Heureu-
sement que Montesquiou a bien com-
mencé à prouver de quel côté était le
bon droit, à la bataille de Jarnac, en
cassant la tête de ton prince de Condé,
tandis que le meurtrier du brave conné-
table, Stuart, fait prisonnier, était tué à
coups de poignard !... Ah ! tiens ! Vous
ne valez pas mieux les uns que les autres,
décidément, et on aurait bien tort de
chercher à vous convertir!...
Et d'une voix plus sourde, éraillée
par ce déchaînement de paroles furieuses,
il conclut, menaçant :
— Mais le temps de la vengeance est
venu, et vous y passerez tous, messieurs
les parpaillots !...
Plus calme, alouixli par la nourriture
qu'il avait engloutie, parle vin déjà bu,
Tavardin, toujours assis, riposta :
— IIo! ho ! Tels chats ne se prennent
pas sans mitaines! disait notre vaillant
La Noue en forçant l'armée royale à
lever le siège de Cognac. On connaît
nos griffes et on ne s'y frottera pas.
Le gardien de Saint-Germain-l'Auxer-
rois vida son gobelet d'un trait pour
lubrifier sa gorge enrouée et poursuivit:
— Moncontour nous a vengés, et le
fameux Gaspard y a eu la mâchoire fra-
cassée ; sans compter qu'il est bien ma-
lade en ce moment-ci ! — souligna-t-il,
faisant allusion à l'attentat dont Coli-
gny venait d'être victime deux jours
auparavant.
Son ancien camarade ignorait encore
le crime de Maurevel, le Tueur du Roi,
comme ou l'appelait ; il questionna ma-
chinalement :
— Hein? Malade ! Comment cela?
— Oui, quoique celui qui a tiré sur
lui ait eu la maladresse de le manquer,
lui brisant seulement le bras gauche et
lui coupant l'index droit!...
— La maladresse!... Est-ce de Coli-
gny que tu parles ainsi, Coligny sous
lequel tu as combattu avec moi, lors-
qu'il nous a jetés si habilement dans
Saint- Quentin pour défendre cette
place?... Un attentat pareil, un assas-
sinat!... Et tu oses dire, toi, Barban-
son, la maladresse!... Voilà donc ceux
avec lesquels tu me demandes de m'as-
socier !...
Cette fois, à demi dégrisé par l'indi-
gnation, le,routier, lui aussi, s'était sou-
levé de son siège ; ses deux poings sur
la table, tout le corps arc-bouté sur ses
bras semblables à des piliers, il donnait,
en catapulte vivante, de la tête devant
lui, ne pouvant donner du corps,
oscillant comme une barque sous un
coup violent de roulis et ne se main-
tenant debout que par un miracle
d'équilibre, en son mouvement balancé
de })cndule.
En face, de l'autre côté de la table,
heureusement très large , tête baissée
également, appuyé de la même façon,
avec un balancement presque pareil,
la face cramoisie, Barbanson lui cra-
chait d'obscures menaces en plein vi-
sage.
C'en était fini des doux propos, des
souvenirs émus, de l'amitié, de la recon-
naissance des frères d'armes, la haine
religieuse les dévorait et tout ce vin
ardent absorbé brûlait dans leurs veines
comme un feu caché de volcan qui ali-
mentait incessamment leur colère, fai-
sant jaillir une intarissable coulée de
paroles farouches et insultantes.
Debout de chaque côté de la table,
sans lâcher ce précieux et unique point
d'appui, ne pouvant se frapper de la
main, ils se bombardaient de leurs pru-
nelles étincelantes , où flambaient les
torches de la fureur et de l'ivresse.
Tout près d'eux, au moment où ils
essayaient vainement de soulever la
LA CLOCIIK
SU
table massive pour la renverser chacun
sur Tadversaire exécré, le timbre d'une
horloge tinta lentement.
Barbanson compta tout haut :
— Un... deux... trois...
Tout s'éteignit, retombant dans le
silence, et Tavardin, surpris, dit :
— Trois!.. Hein? Qu'y a-t-il?... Trois
heures, déjà ?
D'un violent effort le gardien de
l'église s'arracha à la table , s'excla-
mant :
— Trois heures ! . . . C'est impossible ! . . .
J'aurais entendu... Je... je...
Il releva la tête et ses yeux perçant
le nuage trouble étendu sur eux fixèrent
un cadran placé dans un des angles de
la pièce ; il balbutia :
— Onze heures trois quarts!... Ce
sont les trois quarts!...
Un sursaut le secoua de la nuque aux
talons :
— Par la Messe, j'allais trahir!..»
Qu'aurait dit ^U de Tavannes?... J ai
une mission, oui, une mission... La...
laquelle?... C'est lui-même qui m'a
donné l'ordre... ^'oyons, du calme!
Ses doigts se promenaient sur son
front , semblant aider à débrouiller
l'écheveau emmêlé de ses souvenirs ; il
X12
LA CLOCHE
s'écria, avec une certaine suite, en son
incohérence d'ivrogne :
— J'y suis!... Oui, je sais : il faut
aller là-haut et je n'ai plus qu'un quart
d'heure. Au premier coup de minuit, je
dois... Un quart d'heure seulement!...
Jamais je ne pourrai tout seul !... Damné
vin !. .. Ah ! j'y songe ; après tout, il s'agit
pour moi de l'honneur, de la vie!... Ta-
vardin, un ami tout de même, malgré...
Un ami, il doit me secourir, m'aider!...
Je lui ai sauvé la vie ; lui aussi , nous
sommes quittes, c'est vrai!... On peut
recommencer : je le sauverai encore...
Alors, je peux bien lui demander... il
m'aidera, c'est dit!...
Et, la voix mouillée, pleurarde, se
laissant retomber sur un siège, il im-
plora :
— Tavardin, tu m'en veux?... Tu n'es
plus mon ami?... Ilein? Si on oubliait
tout?... Faisons la paix, veux-tu?
L'autre souriait mollement, déjà prêt
à céder, n'éprouvant aucune haine véri-
table contre son amphitryon ; il ac-
quiesça :
— Je veux bien, moi!... C'est toi,
avec tes histoires...
Comme si ses forces lui fussent sou-
dain revenues sous le coup de fouet de
cette colère passagère, il parvint à faire
le tour de la table sans se tenir; il mar-
chait ti'ès raide et très droit, flageolant
à peine, à la grande admiration de son
camarade qui avait cependant conscience
d'avoir moins bu que lui.
Le soldat avait empoigné de ses doigts
gourds son gobelet et le tendait en di-
sant :
— La preuA'e, c'est que je veux encoi'e
boire à ta santé. . en vrai ami, tou-
jours !...
— Buvons ! approuva le camarade,
£ans résistance devant le liquide ver-
meil.
Les gobelets sonnèrent, heurtés pe-
samment; le vin, en coulant en cascade
dans le gosier de Barbanson et en en-
voyant ses fumées vivifiantes vers son
cerveau, au lieu d'accroître son ivresse,
parut momentanément nettoyer et éclair-
cir ses idées encore brumeuses. La pen-
sée diabolique qui avait traversé son
esprit s'accentua, s'affermit, en même
temps qu'il se rendait tout à fait compte
de son impuissance à se lever seul et à
se diriger ainsi que l'avait fait le pro-
testant.
Les yeux fixés toujours sur l'aiguille
qui s'avançait vers minuit, il suggéra,
doucereux, tenaillé par la pensée fixe
du devoir à remplir, de la mission de
confiance dont on lavait chargé :
— lié bien, si tu es un ami, comme
tu le prétends, l'ami d'autrefois enfin,
tu vas me rendre un service, un grand
service, d'où dépend pour moi...
— Un service ! s'exclama Tavardin
sans le laisser achever, un service, c'est
là tout ce qu'il te faut, et tu as l'air d'hé-
siter !... Est-ce que je t'en ai jamais i^e-
fusé?... Ai-je même besoin de savoir
de quoi il s'agit pour marcher, me jeter
pour toi dans l'eau, dans le feu?... Ah !
compère, les deux doigts de la main que
nous étions ! Quand l'un faisait un pas,
l'autre achevait l'enjambée!...
Le gardien appuya : ;
— Nous sommes toujours ainsi, c'est-
dit !
— Tope là, camarade !
La large main de Tavardin vint sap-
puyer dans l'épaisse paume tendue de
celle de Barbanson, dont les doigts, se
refermant, s'accrochèrent à cette poigne
solide et confiante.
Le catholique expliqua, se soulevant
enfin de son siège grâce à ce puissant
levier :
— Donc il faut venir avec moi, ne
pas me quitter.
— En route.
Ils réussirent à se dresser tous deux,
séquilibrant mutuellement, épaule contre
épaule, avec une tendresse nouvelle d'a-
mis raccommodés que le vin rapprochait,
après les avoir un instant divisés, res-
serrait plus étroitement qu'auparavant.
Au contact de ce grand corps vigou-
reux de Tavardin, resté plus résistant,
moins lourd que le sien, Barbanson re-
trouva sa vigueur passée et se sentit
LA C LOCHE
K-i;i
capable de marcher, de faire ce qu'il
aurait été incapable d'exécuter tout seul,
après de telles libations, malgré Thabitude qu'il
en avait.
\
814
LA GLOCHE
11 marmotta, réjoui, plein de confiance :
— C'est un ami, un vrai ; sans lui je
manquais à mon serment et j'étais perdu,
tout était perdu!... On compte sur moi !
Le signal!... Oui, oui, le signal, c'est
moi... alors, si on n'entendait pas... Le
roi, le maréchal, les Guise!... Que pen-
serait-on?...
Des paroles confuses se perdaient en
un gargouillant soliloque au fond de sa
gorge, tandis que Tavardin répétait :
— En route !...
Bras dessus, bras dessous, les jambes
molles, la démarche zigzaguante, ils sor-
tirent, se dirigeant vers la porte laté-
rale de l'église, le catholique guidant la
marche et sachant où il lui fallait aller,
le protestant soutenant son camarade et
l'empêchant de s'écrouler sur le sol, leurs
deux grandes carcasses brimbalant comi-
quement dans les ténèbres.
La nuit élait lourde, chaude; çà et là
un brouhaha intermittent roulait jus-
qu'à eux ; des tapages brefs, cahotés, irré-
guliers:, — galopades de chevaux le long
des berges de la Seine, cadences de pas,
comme de troupes en marche à travers
les rues, cliquetis d'armes montant tan-
tôt d'un point, tantôt d'un autre ; des
lueurs courtes, rapides, traversaient des
vitrages, puis s'éteignaient soudain et
des fumées de torches passaient en che-
velures rousses apportant aux narines
d'acres senteurs de résine , de poix.
C'était lugubre, mystérieux et inquié-
tant.
Tavardin eut un rire épais :
— Drôle de ville ce Paris !...
Barbanson, étant parvenu à ouvrir la
petite porte à l'aide de la clef pénible-
ment tirée de ses chausses et plus péni-
blement enfoncée dans la serrure, ils
s'avancèrent dans l'église complètement
déserte et obscure, tandis que le hugue-
not protestait vaguement d'un ton de
plaisanterie :
— C est à la Messe que tu me mènes?...
Un ami, un vieil ami! Oh ! ce n'est pas
gentil !.. .
Ils allaient toujours, se soutenant avec
une fraternité aimable et émue.
Une nouvelle porte fut franchie ; des
marches tournaient en un escalier étroit ;
quelques chauves-souris voletèrent, leur
balayant le visage du duvet poudreux
de leurs ailes et disparurent sans bruit
vers les hauteurs de la tour. Le routier
grogna :
— Pouah ! C'est plein de toiles d'arai-
gnées qui marchent ! Faudra nettoyer ça,
vieux frère; je te donnerai un coup de
main, si tu veux ?
Ils atteignirent un palier éclairé par
des ogives : au dehors la brume de cha-
leur étendue sur Paris semblait rouge.
Là, après avoir tâtonné autour de lui,
Barbanson empoigna quelque chose qui
pendait, à la fois rugueux et graisseux et
y accrocha les mains de son compagnon
en disant :
— En attendant , attrape-moi ça et
tire dessus comme sur la queue du
diable !... Ça sera le commencement du
nettoyage ! . . . Un fameux nettoyage
qu'on va faire là!... Ah! ah! Je l'en
réponds !...
Son rire gloussa, caverneux, un peu
sinistre.
Le camarade, sans défiance, répondit :
— Ce n'est que cela? C'est pas diffi-
cile : en avant, une, deux, aïe donc!
Ils se pendirent après la corde.
— Dûmm ! dùmm ! dûmm ! dûmm !...
Un grondement de tonnei're éclata
au-dessus de leur tête en funèbre bat-
tement de tocsin, emplissant la tour
d'une clameur terrible qui se répercu-
tait contre les murs à leur briser le tym-
pan et les enveloppait d'un ouragan d'ai-
rain aux résonances infinies.
Ahuri, assourdi, grisé davantage par
le furieux tapage soudain déchaîné sous
la vigoureuse action de ses bras, Tavar-
din, d'un élan acharné, aidait son ami.
Amusé de se sentir enlevé et balancé par
l'envolement de la cloche, il ne s'inter-
rompait que pour crier :
— Quel métier me fais-tu faire là à
une pareille heure ?
Il avait un gros rire content, comme
à la pensée d'une farce énorme :
— Si c'est comme cela qu'on berce
LA CLOCHE
S15
les Parisiens, on ne doit pas dormir
beaucoup dans la capitale 1...
Mais voilà que, de tous les points de
Paris, d'autres voix de bronze répon-
daient, f;rêles, aiguës ou graves, comme
si leur appel eût soudain réveillé la ville
entière pour quelque monstrueuse fête
nocturne, et, immédiatement, suivirent
des coups de l'eu, des cris, en même
temps que des lueurs d'incendie llot-
laient dans le ciel.
Tavardin, éperdu, lâcha la corde, se
pencha par l'une des ogives et regarda,
cherchant à comprendre.
Soudain, presque sous ses pieds, un
lland^oiement de torches jaillit des ténè-
bres ; une bande de soldats déboucha
d'une rue, poursuivant des malheureux
à moitié vêtus, sans doute surpris dans
leur premier sommeil, des hommes, des
femmes qu ils abattaient à coups de pis-
tolet, d'arquebuse et achevaient avec
leurs épées ou leurs pertuisanes.
Le protestant, atlblé, s'exclama :
— Que se passe-t-il donc?
Un cri distinct lui arriva en réponse
lointaine, perçant le brouillard de son
ivresse :
— Morl aux huguenots 1...
Et la meute hurlait son aboiement
implacable :
— Tue ! tue !
Il eut une stupeur et se tournant vers
son ami :
— As-tu entendu, Barbanson? Que
disent-ils donc, ceux-là ?
Avant qu'il eût reçu une réponse, ses
yeux furent attirés par l'apparition d'un
homme à cheval qui semblait venir du
Louvre et qui traversait la place à la
tête dune nombreuse troupe; il Tenten-
dil encourager d'une voix railleuse ceux
qui massacraient :
— Saignez! saicfuez! Les médecins
disent que la saignée est aussi bonne au
mois d'août qu'en mai I
— Tavannes 1 gronda le prolestant,
reconnaissant dans ce cavalier le célèbre
maréchal.
Il venait enfin de comprendre : on
massacrait ses coreligionnaires par suite
de quelque complot formidable. Tout lui
fut expliqué, et Faspect étrange de Paris,
et les airs mystérieux de Barbanson, et
ses recommandations, et enfin ce signal
qu'il avait aidé à donner.
Il bondit vers son compagnon :
— Misérable, que m'as-tu fait faire ?
Déjà l'autre, connaissant mieux les
lieux et pouvant s'orienter, malgré son
ivresse, retrouvait des jambes pour dé-
gringoler l'escalier, poursuivi par Tavar-
din qui, l'épée au vent, se débattant
entre ces murs inconnus, hésitant devant
les marches où ses éperons s'accrochaient,
criait :
— Ah ! traître ! ah ! bandit 1 ah I faux
amil... Je voyais bien que tu n'étais
plus le camarade d'autrefois et que tu
avais la mine d'un cafard d'église, mais
j'ignorais que tu en eusses le cœur et les
tripes!... Par l'Amiral, je vais te les
mettre à l'air, et ta dernière heure aura
été sonnée par cette cloche de malheur,
cette cloche de massacre !...
Dans l'obscurité maintenant il se heur-
tait aux bancs, aux piliers, se perdant
à travers les dédales de l'église, sans
parvenir à rejoindre son ennemi.
Celui-ci, ayant trouvé une hallebarde,
fit cependant tête à l'enragé, en lui hur-
lant :
— \'ive la Messe, parpaillot de Safan 1
— \'ive le Prêche, sonneur d'assas-
sins 1 — répondit le huguenot.
Ils se ruèrent l'un vers l'autre, se de-
vinant plutôt qu'ils ne se voyaient et
trébuchant à chaque pas. Leurs bras,
engourdis par l'ivresse, ne portaient que
des coups mal assurés ; Tavardin, s'étant
pris les pieds dans un banc, s'écroula
tout de son long, sans lâcher sa rapière,
et ne parvint plus à se relever, hoque-
tant encore de vagues injures, de plus
en plus rauques, de plus en plus étouf-
fées, semblables à un râle d'agonisant.
Barbanson, toute sa fureur tombée, le
cœur crevé de douleur et de remords,
croyant l'avoir traversé de sa hallebarde,
lança l'arme meurtrière loin de lui et
s'abattit sur le cadavre, en gémissant
lamentablement :
SI6
LA CLOCHE
— J'ai tué mon meilleur ami !
Autour de l'église, redevenue brusque-
ment silencieuse, la furie du massacre
emplissait toujours la ville ; les rues
ruisselaient de san^ et la Seine charriait
des corps humains par grappes hor-
ribles.
Au petit jour, Barbanson revint à lui,
se dressa péniblement sur ses jambes et
chercha à comprendre ce qui lui était
arrivé ; les fumées du vin un peu dissi-
pées, il se remémora une partie de ce
qui s'était passé et se pencha de nouveau
pour examiner son malheureux cama-
rade.
Pas de traces de sang, aucune bles-
sure. Il respira, soulagé; il ne l'avait
pas tué. Un grondement de tuyau d'or-
gue montant du grand corps étendu
acheva de le rassurer : Tavardin, assommé
d'ivresse, ronflait comme un chantre.
Heureux de ce résultat inespéré, le
catholique n'eut plus qu'une pensée,
qu'un désir, sauver son ami ; il l'empoi-
gna sous les épaules et parvint à le traî-
ner jusque chez lui sans attirer l'atten-
tion de personne.
J^e protestant dormit tout le jour.
Quand il se réveilla, seulement vers
le milieu de la nuit suivante, il ne se
souvint d'abord de rien, s'étonnant de
se trouver couché dans un lit, au milieu
d'une chambre inconnue. Au chevet,
dans le remords de plus en plus vif de
sa mauvaise action, Barbanson attendait
anxieusement ce moment; il balbutia :
— Hein? tu m'en veux toujours?
Tavardin questionna, la bouche pâ-
teuse :
— T'en vouloir... de quoi?... Un ami...
un vrai !... Ah ! mais un fameux vin,
par exemple 1...
Il souriait, passant sa langue sur ses
lèvres.
Brusquement la mémoire revint fou-
droyante, en irruption de torrent, au
dormeur qui eut un élan terrible pour
se jeter à bas de son lit :
— Je ne dois pas être ici ; ma place
est auprès de mes frères qu'on égorge !..
Laisse-moi passer!...
L'autre l'arrêta doucement, les bras
tendus, les yeux humides de tendresse
contrite :
— Ton vrai frère, c'est moi !... Chut I
ne bouge pas; ce serait inutile. Il est
trop tard, tout est consommé !... Je ne
veux pas qu'on te tue, toi, mon ami,
mon frère d'armes, mon vieux cama-
rade ! . . .
Tavardin résistait, se débattait, récla-
mant :
— Mon épée ! mon épée !...
Tant bien que mal, avouant sa faute,
expliquant comment c'était la conscience
qu'il avait eue subitement de son inca-
pacité physique à exécuter une promesse
solennellement faite à son chef, à son
bienfaiteur, une chose jurée sous la foi
d'un serment sacré, qui l'avait seule
poussé à abuser de l'ignorance de son
camarade, à se servir de lui, Barbanson
se montra si repentant, si afTeclueux qu'il
arriva peu à peu à le calmer.
Ce premier résultat obtenu, il eut
moins de peine à le raisonner, à lui faire
comprendre que toute sa bravoure ne
servirait à rien dans la circonstance,
qu'on ne pouvait lutter contre le roi,
contre la reine-mère, contre tant de
hauts seigneurs, contre une nation pres-
que entière, fanatisée par ses chefs.
Il le persuada de l'inutilité qu'il y
aurait pour lui à aller se faire tuer sot-
tement, sans prolit pour personne, pas
même pour ses convictions, à présent
qu'il avait échappé à la première fureur
des catholiques, et termina en évoquant
les souvenirs d'autrefois, la camaraderie
du village, ce village où peut-être ils
pourraient aller finir leurs jours côte à
côte, comme ils avaient commencé de
vivre.
Tous deux encore sous l'influence des
vins généreux qu ils avaient absorbés
en cette veillée mémorable, d'autant
plus faciles à l'attendrissement, à l'amol-
lissement des rancunes, à la désagréga-
tion des dissentiments religieux, à l'ou-
bli, ils finirent par tomber dans les bras
l'un de l'autre.
Leur enfance, leur jeunesse, tant d'an-
LA CLOCHE
817
nées passées à saimer triomphèrent de
ces terribles et sanglantes dernières
années; catholiques, protestants, ils
étaient avant tout Français, fds de la
VIIL — 52.
même terre nourricière qui devait un
jour les reprendre dans son sein pour le
repos éternel.
Tavardin pardonna à Barbanson, et
818
LA CLOCHE
Barbanson jura de n'avoir plus d'autre
ami cjueTavardin, de tout quitter, même
le service du roi pour le suivre, et de
ne jamais révéler la part involontaire
qu'un huguenot avait prise à la Saint-
Barthélémy en aidant un catholique à
donner le siornal du massacre.
C'est dans la vieille église gothique
d'un petit village du Loir-et-Cher, entre
Blois et Romorantin, que, lors d'une ré-
cente excursion, mes yeux lurent pour
la première fois ces deux noms accou-
plés, Barbanson-Tavardin : ils figuraient,
à quelques mètres de l'autel, dans un
des bas côtés, sur une pierre tombale
usée par les sabots des fidèles, rongée
par les ans et dont l'inscription se trou-
vait presque indéchifïrable.
Ce qui m'avaitparticulièrementfrappé,
c'était une énorme cloche gravée dans
le granit et portant cette date inoublia-
ble : 24 août 1572.
Me rappelant que le Blésois avait été
une des provinces les plus éprouvées
par les guerres religieuses du xvi" siècle,
je pensai qu'il y avait peut-être là quel-
que curieux souvenir historique, et
époussetant soigneusement la lame de
granit funéraire, je déchiffrai, immédia-
tement au-dessous de la cloche et comme
abrités par elle, ces deux noms :Barhan-
son-Tavardin.
Une inscription latine suivait, en par-
lie effacée, ne laissant plus deviner que
quelques mots dévorés par des moisis-
sures parasites, et d'où il semblait résul-
ter que ceux qui reposaient là, vaillants,
hommes de guerre, d'humble extraction,
après avoir été unis dans la vie, pui&
passagèrement désunis, dormaient en-
semble pour l'éternité, à jamais réunis,
et que le motif qui les avait divisés un
moment avait été cause justement de
cette suprême et définitive union.
Le sacristain de l'église, en même
temps fossoyeur du village, avait suivi
curieusement mes mouvements; il me
dit que les archives de la cure renfer-
maient beaucoup de vieux papiers aux-
quels personne ne connaissait rien, mais-
qu'on y avait lu les deux noms gravés
sur cette antique pierre.
C'était exact et les indications un peu
confuses que j'ai pu recueillir en déchif-
frant un de ces parchemins m'ont per-
mis de reconstituer cette histoire étrange
dont nul n'a gardé le souvenir, que sans
doute on a toujours ignorée et dont le
secret reste à jamais enfoui dans l'ombre
séculaire de cette pauvre église de pro-
vince.
Le huguenot Tavardin s'est-il converti
au moment de mourir, et s'est-il en-
dormi dans la foi de ses pères? Le ma-
nuscrit n'en dit rien, mais il y a tout
lieu de le supposer en voyant qu'il repose
en terre catholique auprès de son ami
Barbanson, et que la cloche qui les re-
couvre tous deux porte la date de la
Saint-Barthélémy.
Gustave Toudouze.
'»
PKllOUSK
I
Avant crentrer dans Pérouse, un de
nos compagnons de route, professeur
non de profession, mais par tempéra-
ment, et qui en était à son premier
voyage d'Italie, dit : Nous allons visiter
une des cités mortes de l'Italie.
Il fut bien vite détrompé.
Aux heures du repos, les places et les
{grandes rues horizontales de Pérouse
sont encombrées d'oisifs; les uns se pro-
mènent lentement, les autres, selon la
coutume italienne, restent debout sur
les trottoirs, lorsqu'il y en a, et devant
les cafés.
Les voitures ne gênent pas; elles sont
très rares, comme dans toutes les villes
sur montagne.
Les rues en pente et en escaliers sont
les plus nombreuses, mais elles ne sont
nullement désertes. Elles desservent les
quartiers bas et la plaine très peuplée ;
les piétons les gravissent sans hâte, et
de petits ânes, coquettement capara-
çonnés, mais lourdement chargés, grim-
pent la côte d'un pas alerte.
C'est là, sur les déclivités , qu'on
trouve le véritable caractère de la cité.
Il n'est pas unique, beaucoup de villes
italiennes étant bâties sur des hauteurs,
mais il est marqué plus qu'ailleurs.
Pérouse occupe plusieurs petites col-
lines coupées par des vallons, mais
reliées entre elles par des constructions.
De là d'énormes murs de soutènement,
des substructions, des ponts, des ar-
cades, des voûtes, des passages cou-
verts, des murailles, des portes, des
réduits, des carrefours, des ruelles sans
issues, des églises perchées, des maisons
en contre-bas, d'autres en l'air, des rues
et des places sopramuro, des enchevê-
trements, des coins obscurs, et, par ci
par là, des échappées et des vues éten-
dues sur la campagne.
Comme de toutes les cités sur monts
de la vallée supérieure du Tibre, la vue
qu'on a de Pérouse est un enchante-
ment.
La vallée fertile est poinlillce de mai-
sons; ce n'est pas l'aride campagne de
Rome semée de ruines, c'est une cam-
pagne vivante, civilisée.
Elle retient le Tibre ; ce n'est pas non
plus le ff.'ivus Tiher d'Horace, le Tibre
jaune de Rome ; de près, l'eau est claire
et verte comme le Rhin en Suisse ; de
loin, on dirait une rivière de mercure.
Il coule en boucles comme dans des
cirques, on ne dislingue pas l'issue qui
le laisse rouler plus loin.
Des montagnes de hauteurs mo-
dérées, étagées par plans, lui font une
ceinture. Rien de heurté dans les profils ;
de tous côtés des lignes simples, arron-
dies et douces. Un philosophe grec a dit
que la beauté résulte de l'harmonie des
proportions; à ce compte, la beauté ici
est parfaite.
La coloration varie selon la lumière ;
vers le soir, les premières collines res-
tent dans un ton vert foncé, mais tout
l'horizon est baigné dans un air bleu,
ton sur ton, gradué d'après la distance.
Lorsque le soleil s'abaisse, le bleu de-
vient violet; le pi^ofesseur, qui a fré-
quenté des paysagistes , veut qu'une
pointe de laque se mêle au bleu ; le
violet, tendre d'abord, s'accentue et va
jusqu'au violet rouge , puis la nuit arrive
enveloppant la masse dans une ombre
transparente et chaude.
Ce n'est pas seulement l'étranger que
ce spectacle ravit, les habitants ne s'en
lassent pas. Ils vont en jouir sans cesse,
comme le marin débarqué va contem-
pler la mer.
Sur les anciens remparts , sur les
esplanades, le long des routes en lacets,
se déroulent des fdes : officiers en élé-
gant uniforme, curés, écoliers, moines.
820
PEROUSE
PORTA URBICA ETRT^SCA — ARC D'AURUSTE
séminaristes, ouvriei^s, bourgeois, pay-
sans; ce n'est pas non plus à ce mo-
ment-là que Pérouse est une ville morte.
II
c( Cette terre crOmbrie que nous fou-
lons est saturée d'histoire », a dit gra-
vement notre professeur.
Certainement, mais toutes les terres
de l'Italie en sont là.
Le professeur en convient et, en quel-
ques mots, il nous apprend que Pérouse
fut une importante cité de la Confédé-
ration étrusque, — nous nous en étions
bien douté à l'aspect de ses murs et de
ses portes étrusques, — qu'elle fut
vaincue par Rome, conquise par les
Goths, après un siège de sept ans —
ce qui prouve qu'il n'a pas été bien
effectif — prise par les Lombards,
donnée aux papes, rendue à son indé-
pendance, en proie à des guerres civiles,
reprise par le Saint-Siège qui la garda
jusqu'à la fondation de la République
cisalpine en 1797, convertie en dépar-
tement français, restituée aux Etats de
l'Église en 1814, affranchie momentané-
ment en 1848-1849, rendue aux papes
jusqu'aux événements de 1860 qui ont
enfin et fort heureusement constitué
l'unité de l'Italie.
(( Maintenant, ajoute le professeur,
pour cette terre d'Ombrie, l'ère des révo-
lutions est définitivement close, la satu-
ration historique du sol étant arrivée à
son maximum. »
Nous le pensons bien; une terre peut
être saturée à moins.
Nous autres Français, nous avons un
faible.
Nous reconnaissons que les annexions
PEHOUSE
821
par force sont en violation des principes
élémenlaires de la justice et du droit,
cl cependant lorsque nous sommes à
rélranger, chez
Les nations reines par nos conquêtes,
comme dit Béranger, nous recueillons
avec intérêt les traces de nos victoires
et de notre domination.
Ainsi, me trouvant un jour de grande
foire à bestiaux, dans une bourgade des
Apennins, j'ai entendu les paysans-*
compter en marenghi.
Le Marengo est resté une monnaie de
compte dans quelques parties de Fltalie;
c était une belle pièce d'or. D'un côté,
elle portait :
LIBERTÉ. ÉGALITÉ. ERIDANO.
"20 francs
AN X
et, de l'autre : la tète de la République
à casque lauré et autour :
L'ITALIE DÉLIVRÉE A MARENGO.
Non loin de l'ancien département du
Trasimène, dont Pérouse a d'abord été
le chef-lieu, transféré plus tard par
Napoléon à Spoleto, j'ai trouvé, dans
une modeste auberge de village, une
pièce soigneusement encadrée sous verre.
En voici la copie :
ASSEMHLÉE DE CANTON
OÉPAUTEMENT DE l'oMBRONNE
Extrait des mijiutes de la secrétairerie d'État.
DÉCRET IMPÉRIAL
Napoléon, etc., etc. ;
Sur le compte qui nous a été rendu de la
capacité du sieur Muzzi (Mutius), maire de
Pog-gibonsi, de ses bonnes mœurs, de son
attachement à l'État et à notre Personne et de
ses services dans l'ordre administratif;
Nous l'avons nommé par les présentes,
pour présider, jusqu'au P"^ janvier 1S13,
l'assemblée du canton de Poggibonsi, arron-
dissement de Sienne, département de l'Om-
bronne.
A la charge par lui de prêter, avant d'en-
entrer exercice, devant le Grand électeur,
PALAIS PUBLIC, PAR P R A B E V I G X A T E ^ X I V e SIÈCLE)
PÉROUSE
PORTE SUZANNA (ETRUSQUE^
OU, en cas d'empêchement, par écrit, le ser-
ment d'obéir aux constitutions et lois de
l'Empire et aux règlements émanés de nous
pour leur exécution, d'être fidèle à notre Per-
sonne, de se conformer aux instructions qui
lui seront données, de maintenir Tordre dans
l'assemblée qu'il présidera, de ne pas souflrir
qu'elle s'occupe d'autres objets que de ceux
qui seront prescrits par nos décrets de con-
vocation, de ne tolérer aucune coalition ten-
dant à capter ou gêner les suffrages, de ne
rien faire par haine ou par faveur, de clore
l'assemblée aux époques fixées par nos dé-
crets de convocation, et enfin d'exercer ses
fonctions avec zèle, exactitude, fermeté et
impartialité.
Donné au palais des Tuileries, le 27* jour
du mois de décembre de l'an de grâce mil
PÉROUSE
823
PORTE MAJEURE DT PALAIS PUBLIC (1340)
huit cent douze et de notre règne le neuvième.
Signé : Napoléon.
Vu par nous.
'Grande-duchesse de Toscane,
E LIS A.
Par l'Empereur,
Le ministre d'Éfat (par intérim),
Duc de C A DO RE.
Le ministre de l'intérieur,
Comte de l'Empire,
MONTALI VET.
Sauf celle de Napoléon, les signatures
sont manuscrites.
On se demande comment la sœur de
Napoléon, Élisa Baeciochi, avait à viser
des décrets impériaux relatifs à un
département français? Après avoir été
princesse de Piombino et de Lucques,
Napoléon la nomma, en 1809, grande-
duchesse de Toscane ; mais la Toscane
824
PEROUSE
n'en faisait pas moins partie de TEmpire
français ; elle comprenait trois départe-
ments : TArno, chef-lieu Florence ; la
Méditerranée, chef- lieu Livourne, et
rOmbronne , chef- lieu Sienne, admi-
nistrés par des préfets impériaux. La
grande - duchesse remplissait non pas
une fonction, mais une dignité pure-
ment honorifique et décorative.
Quoi qu'il en soit de cette singulière
combinaison , le président de l'Assem-
blée du canton de Poggibonsi savait
à quoi s'en tenir sur la façon dont Napo-
léon entendait faire marcher les affaires.
III
Mais revenons à la cité classique,
comme dit le professeur auquel il faut
toujours quelque chose de classique, et
commençons par l'architecture, « le
premier de tous les arts, puisqu'il les
renferme tous », ne manque pas d'ajou-
ter notre docte compagnon, qui a en-
tendu cette phrase dans tous les discours
de distribution de prix aux élèves des
écoles des beaux-arts.
Quoique conservant de beaux monu-
ments, on ne peut pas dire que Pérouse
ait une architecture propre ; il n'y a pas
de style de Pérouse comme il y a un style
de Florence et de Venise; les édifices de
Pérouse ne sentent pas le terroir et pour-
raient tout aussi bien se trouver ailleurs,
ce qui n'empêche pas qu'on ne trouve
nulle part, en Italie, une seconde Porla
urhica Elrusca, dite aussi Arc d'Au-
guste. Cette masse sombre, dont l'austé-
rité est égayée par une élégante loggia,
est d'origine étrusque; le fait est prouvé
par les lettres gravées dans les pierres.
Elle fut atteinte, en l'an 41 avant Jésus-
Christ, par l'incendie allumé par l'armée
d'Octave , victorieuse des troupes de
Mare- Antoine ; Pérouse fut alors dé-
truite presque totalement; mais, de-
venu empereur, Octave autorisa la
reconstruction de la cité et lui permit
d'ajouter son nom au sien. En mémoire
de celte faveur (!) la porte reçut l'in-
scription :
COLONIA VIBIA AD AVGVSTA
PERVSIA.
Le Palais public est l'œuvre d'un
moine, Fra Bevignate, de Pérouse ; il
date du xiv" siècle. Ce n'est pas une for-
teresse intérieure comme bien d'autres
palais municipaux de l'Italie, il n'a de
particulier que la disposition des fenêtres
de l'étage supérieur qui allège heureu-
sement la masse et sa très belle porte
majeure; les griffons et les lions symbo-
lisent le triomphe du parti guelfe, et les
écussons qui entourent les statues des
saints protecteurs de la cité rappellent
les alliances de Pérouse avec les autres
cités.
Selon un usage dont on trouve des
exemples ailleurs, Pérouse a suspendu
sur une face de son Municipe des tro-
phées de ses victoires sur les cités rivales :
un griffon et un lion tiennent encore
dans leurs pattes des chaînes et des
barres de fer enlevées aux vaincus, no-
tamment à Sienne, en 1358. Ces sou-
venirs ne tiraient pas à conséquence,
car d'adversaires les cités devenaient
souvent alliées ; on remarque cependant
que, dans l'espèce, les Pérugins n'ont
pas suivi l'exemple donné par Florence :
Gênes avait jadis fait don à Florence des
chaînes du port de Pise, enlevées en 1362;
Florence, si longtemps ennemie de Pise,
conservait ces trophées ; elle les a ren-
dus, en 1848, à Pise, qui les a suspen-
dus dans son Campo-Santo avec une
inscription commémora tive.
Entre le Palais public et le Dôme de
San Lorenzo, du xiv'' siècle, inachevé,
s'élève la Fontaua , dont les Pérugins
sont fiers ; elle est de 1277, l'architec-
ture est du frère Bevignate et les sculp-
tures de Nicolas et Jean de Pise ; ce
sont deux grands noms, mais leurs sculp-
tures font ici fort peu d'effet, la Fontana
étant écrasée parle Municipe et le Dôme.
Mais il faut savoir se limiter et passer
sous silence les autres monuments civils
et religieux , sauf la belle porte San
Pietro, élevée, mais laissée inachevée,
en 1475, par Agostino Fiorentino et Ste-
FÉIIOUSE
82»
faiio (la Poru^Ma ; il i'auL aussi omettre la
scul[)lure en bois et les marqueteries, très
remar(jual)les à Pé-
rouse, et arriver ii
la peinture.
1\
Le jiro l'esse u i
fait sonner bien
haut les mots :
école d'Ombrie,
mais lorsqu'on le
presse d'expliquer
nettement ce qu'il
entend par école
d'Ombrie , école
toscane, etc., il est
fort embarrassé, il
prend des tan-
gentes et finale-
ment se retranche
derrière Littré, qui
définit ainsi le mot
école appliqué aux
œuvres de l'esprit :
« Caractère com-
mun à des œuvres
d'art, de littérature
ou de science. L'é-
cole classique, l'é-
cole romantique,
l'école de Port-
Royal , l'école de
Voltaire. École fla-
mande, école d'Ita-
lie , école fran-
çaise, etc., suite de
peintres célèbres
qui ont travaillé
dans le goût de ces
pays et dont la
plupart étaient
Flamands, Italiens,
Français, etc. >■>
Donc, selon Lit-
tré, le mot école
n'indique pas né-
cessairement un groupement régional,
puisqu'un Flamand peut être de l'école
italienne ; il suffit pour être d'une école
d'avoir travaillé dans le goût de ce pays.
Mais ce pays peut avoir des goûis^
GOXFALOX DE LA CORPORATION DE SAN BERNARDINO
Peint par Benedetto Bonfigli (1420-1496). (Pinacothèque Vaunucci.)
absolument différents selon les époques
et aussi dans une même époque I N'avons-
nous pas eu en France, en même temps,
«26
PEROUSE
Ingres et Delacroix, chacun avec son
goût particulier très marqué?
Les autres définitions ne valent pas
plus que celle de Littré ; à toutes on
peut facilement faire de valables objec-
tions. Le professeur le reconnaît, mais
il passe outre, car il lui faut quand
même des classifications ; pour Tltalie
seule, il a établi une quinzaine de divi-
blement un siècle auparavant, et même»
dès le xii" siècle , un peintre pérugin,
nommé Luca, aurait travaillé à Bologne;
un autre, de Pérouse, aurait peint, à
Assise, un portrait de saint François
en 1218.
Mais ces deux faits ne sont connus
que par des documents d'archives, tan-
dis que la Pinacothèque Vannucci , le
RUE DE PEROUSE SUR ARCADES
sions. Laissons-lui cette inoffensive ma-
nie, puisqu'elle l'amuse et qu'elle lui
donne un vernis de science.
Les cités italiennes luttent d'érudition
pour s'attribuer des priorités; jadis elles
se combattaient les armes à la main, à
présent, c'est à coups de parchemins ;
c'est à qui aura les plus anciennes institu-
tions de charité, corporations de métiers,
matricules de peintres, etc.
Pérouse se flatte d'avoir une matri-
cule de peintres portant la date de 1366;
mais la corporation existait fort proba-
musée municipal de Pérouse, d'un très
grand intérêt, conserve des fresques de
l'ancien couvent de Santa Giuliana, bâti
en 1253, et des peintures recouvrant le
couvercle du cercueil de saint Egidius,
mort en 1262. A ce compte, Pérouse
aurait eu des peintres antérieurs au Flo-
rentin Cimabue, dont on fixe la nais-
sance aux abords de 1240.
Mais Sienne a eu Guido, qui peignait
au commencement du xni^ siècle, et
Lucques s'honore de Belinghieri Bona-
ventura, qui travaillait en 1235.
PEROUSK
827
Ces discussions de dates n'ont pas
d'intérêt sérieux pour l'histoire de
l'art ; la question n'est pas de savoir,
à quelques années près, quelle est la
ville italienne qui la première a eu des
peintres italiens, l'essentiel est de fixer
le point de départ réel de la peinture
Gitta délia Pieve. Pérouse a eu la bonne
fortune de lui accorder la cUladinanza,
de l'inscrire sur la matricule de ses
peintres et de lui donner son nom mal-
^^ré lui pour ainsi dire, car Pietro préfé-
rait se dire da Gastel délia Pieve, comme
s'appelait alors son village natal.
LA M A D (J X E ET L ' E N F A X T
Docteurs de l'Église, Saint François et Saint Dominique mettant leurs disciples sous la protection de la Vierge,
par Boccali Giovanni (1447).
italienne. Ce point est Florence et
l'homme est Cimabue.
Il suffit d'aller étudier ce grand artiste
dans ses grandes compositions pour voir
que, le premier, il a donné à ses figures
la vie, le mouvement et la physionomie
des fonctions qu'elles doivent remplir.
V
Pietro ^'annucci est né probablement
en 1446 et mort en 1524. Il n'est pas de
Pérouse, mais de la petite localité de
Comme peintre , Pérugin clôt l'ère
des primitifs, comme dit le professeur
qui tient toujours à clore des ères.
Primitifs ! Encore un mot à effet, mais
qu'on explique difficilement.
Le professeur appelle primitifs les
peintres qui ont précédé la Renaissance,
autrement dit les précurseurs de la Re-
naissance.
Lorsqu'on lui demande de fixer à peu
près l'époque de l'apparition de ces pri-
mitifs et l'époque où ils ont disparu, il
répond qu'il y a deux Renaissances :
828
PEROUSE
la première et la seconde, et, en fin de
compte, il est forcé d'avouer qu'il nomme
« primitifs » tous les peintres à partir
du XII® siècle jusque vers la fin du xv".
Gest vraiment un peu trop large ;
laissons donc ce mot primitif, d'abord
parce qu'il ne précise pas assez et en-
suite parce qu'il entraîne une idée d'im-
mobilité dans la composition, et de naï-
veté et de rudesse dans l'exécution, — ce
^._
centrée de ses figures religieuses et par
lélégance et la distinction de ses per-
sonnages allégoriques.
On lui reproche — • car maintenant il
est de mode de toujours reprocher
quelque chose à un artiste — d'avoir
trop travaillé en vue du gain et d'avoir
abusé de l'uniformité dans ses compo-
sitions et dans ses types.
S'il a beaucoup produit pour gagner
;^, ^Ij
PORTE SAN PIETRO
Construite par Agostino Fiorentino et Stefano da Perugia (1475).
qui n'est nullement la caractéristique de
bien des peintres du xiv*^ et du xv* siècle,
— et disons les peintres du xiii", du xiv®,
du xv*^ siècle et ainsi de suite, c'est plus
simple et plus clair.
Pérugin est donc du xv" et du xvi*^ siècle.
Il a travaillé sans relâche pendant plus
d'un demi-siècle ; ses peintures sont ré-
pandues partout, et c'est certainement
de tous les peintres italiens celui qu'on
retrouve le plus dans les musées.
Tous ceux qui mettent le sentiment
au premier rang des qualités d'un artiste
se laissent séduire par la grâce, la dou-
ceur, la rêverie, la piété, la douleur con-
de l'argent, tant mieux, puisque, grâce
à cette intention, ses tableaux sont très
nombreux; s'il a persisté dans des
types, tant mieux encore , puisque ses
types préférés sont exquis.
Le professeur, qui ne perd jamais
une occasion de discuter, ne manque
pas de rappeler la phrase de Vasari, le
premier biographe de Pérugin : Fu Pietro
persona cli assai poca religione, e non
se cfli pôle mai far credere l'inimor-
lalita delV anima.
Comment un artiste qui n'avait pas
de religion et qui ne croyait pas à l'im-
mortalité de l'âme a-t-il pu peindre le
PEROU SE
829
RUE S A X T A A O A T A
Christ, la Madone, des saints, des an^^es
empreints du sentiment chrétien le plus
pur et le plus élevé?
Si Vasari dit vrai, il n y a pas d'expli-
cation à chercher : c'est ainsi, voilà tout ;
et, du reste, peu importent l'homme et
ses opinions, ce sont ses œuvres seules
qu'il faut juger.
lime semble, au surplus, que tel a
été l'avis des contemporains de Pérugin.
830
PÉROUSE
Municipes, corporations, clergé séculier
et régulier, congrégations laïques,
papes, tout le monde s'adressait à lui.
En 1482, le pape Sixte IV lui confia
des fresques dans la chapelle Sixtine et.
munal, lui est demandée. Là, n'étant
tenu par aucune discipline, il se livre à
sa fantaisie. Il peint la Nativité, la
Transfiguration, Dieu le Père, les
Sibylles, Jupiter, Mars, Mercure, les
PIETA — péri: G IN (1-145-1524)
(Pinacothèque Vanuucoi.)
plus tard, Jules II lui fait décorer des
chambres du Vatican.
Des tableaux de sainteté lui sont com-
mandés dans nombre de localités.
A Pérouse, vers 1500, la décoration
de la salle d'audience du Cambio, col-
lège des changeurs, installé étroitement
dans une dépendance du palais com-
Philosophes de V antiquité, les Pro-
phètes, la Justice, la Tempérance, la
Force, la Prudence. Le sacré côtoie le
profane ; il importe peu aux changeurs,
ils veulent une décollation somptueuse
et ils l'obtiennent ; leur Cambio est
l'œuvre principale de Pérugin.
Parmi beaucoup d'autres, il y a encore
PÉROUSE
831
FRESQUES DE LA CHAPELLE SAX SEVERO — RAPHAËL ET PERU«IX
à Pérouse une peinture de Pérugin qui
excite particulièrement l'attention.
^ annucci a eu la gloire dètre le
maître de Raphaël.
Que rélève ait dépassé le maître, no-
tamment dans V Ecole d'Athènes et la
Dispute d u saint sacrement des chambres
du ^'atican, ce n'est pas discutable;
mais que, dans d'autres ouvrages, Pé-
rugin n'ait pas été éclipsé par Raphaël,
ce n'est pas discutable davantage ; que
même parfois Raphaël ait été inférieur
S32
perousp:
à Pérugin, beaucoup radmettent. Et,
lorsqu'on veut comparer deux artistes,
ne faut-il pas rapprocher des ouvrages
exécutés dans des conditions à peu près
semblables? Cependant, c'est ce que ne
font pas ceux qui veulent que Raphaël
ait écrasé Pérugin.
En 1505, Raphaël, âgé de vingt-
deux ans, a peint, à Pérouse, dans la
chapelle de San Severo d'un couvent de
camaldules, une Trinité avec des anges
et les saints Maur, Placide, Benoît abbé,
Romuald, Benoît martyr el Jean mar-
tyr.
En 1521, l'année d'après la mort de
Raphaël, Pérugin a complété la déco-
ration par les figures des saintes et
saints Scolastique, Jérôme, Jean évan-
géliste, Grégoire le Grand, Boniface
martyr et Marthe.
Que dans la composition de Raphaël
il y ait plus de variété dans les attitudes
que dans les figures de Pérugin, cela
saute aux yeux ; mais qu'il y ait des
analogies dans l'expression des visages
des deux fresques, cela n'est pas moins
visible.
Les admirateurs quand même de.
Raphaël et les détracteurs quand même
de Pérugin se sont emparés des fresques
de San Severo pour établir, preuves
sous les yeux, l'écrasante supériorité de
l'élève sur le maître; ce n'est pas juste :
d'abord, entre la qualité des deux
fresques, l'écart n'est pas très considé-
rable, puis, lorsque Pérugin a peint ses
saints, il avait soixante-quinze ans.
Le pi'ofesseur demande pourquoi
Pérugin est venu peindre de sa main
affaiblie cette fresque de San Severo.
Il incline, comme d'autres, à penser
que le maître a voulu ainsi donner une
preuve de la supériorité de l'élève. C'est
encore là une de ces hypothèses gra-
tuites dans les habitudes de ceux qui
veulent toujours sonder les intentions
des artistes. 11 est bien plus simple d'ad-
mettre que, sur la demande des camal-
dules, Pérugin a consenti à décorer un
espace vide qui nuisait à la fresque de
Raphaël, et que les moines se sont
adressés à lui parce qu'il était le plus
célèbre des peintres de Pérouse.
Cette célébrité, en effet, était telle
qu'aussi bien les prédécesseurs que
presque tous les contemporains de Pé-
rugin ont été éclipsés.
Il en est un cependant qui brille
d'un grand éclat, c'est Bernardino di
Betto dit Pinturicchio, né à Pérouse en
1454, mort en 1513.
Il a laissé à Pérouse de beaux ou-
vrages, pas autant cependant que son
talent le méritait; il semble que ses con-
citoyens ne l'ont pas estimé à sa valeur
et, en tout cas, ils lui ont préféré Pé-
rugin.
C'est dans la Libreria du Dôme de
Sienne et dans quelques églises de Rome
que nos contemporains l'ont surtout
connu jusqu'à présent. On tenait les
peintures de la Libreria pour son chef-
d'œuvre, et on les admirait, malgré cer-
taines critiques dq sécheresse, résultat,
disait-on, de son ancienne profession de
miniaturiste.
Grâce au goût éclairé du pape
Léon XIII, l'appartement Borgia du
Vatican est maintenant accessible au
public. C'est là que Pinturicchio appa-
raît avec son brillant coloris, son élé-
gance, son goût pour le faste, en un
mot, avec toutes les qualités d'un déco-
rateur exceptionnellement doué.
— Tout cela est parfaitement vrai, dit
le professeur en bouclant sa valise ; mais
ça n'empêchera pas que Pérouse, c'est
le Pérugin, qu'il y a beaucoup à voir à
Pérouse et qu'il faut engager ceux qui
reviennent de Rome à s'y arrêter quel-
ques jours.
Cette fois, le professeur a raison.
Gerspacu.
VIII — 53
Alors le vieux bouvier, paisible el sédentaire,
Se met à la charrue avec ses deux bœufs blanc>
Qui partent lourdement et sillonnent la terre
Où plongent leurs sabots vigoureux et gluants.
ils vont, majestueux, sous la main qui les guide,
Beuglant vers les échos des étangs isolés,
Et leurs bons yeux profonds contemplent, dans le vide.
L'inunensité rurale où seront les grands blés!...
0 bouvier! comme toi, loin des regards des hommes.
Le poète s'exile, et, toujours en chantant.
Il marche, glorieux, au milieu des royaumes
Où trône la grandeur de son règne puissant ;
11 va dans les ravins où chemine raïu'on'.
Sans cesse s'engluant dans les terrains bourbeux,
Ayant pour compagnons, entre l'air et la flore,
L'Idéal et l'Amour, qui sont ses deux grands bœufs.
D'impénétrables bois, des montagnes géantes
Enténèbrent souvent les splendeurs de ses yeux ;
(Ju' importe ! il les contourne et près des hautes plantes
Il reprend ardenunenl sa marche vers les cieux.
O'^r^'k^
L'ÉTAT D'AME D'UNE CHAMBRE NOUVELLE
Les êtres collectifs ont une âme comme
les individus, une âme qui n'a rien
d'impassible ni d'immuable, qui vibre
tout entière à certaines heures, malg-ré
les diverg-ences des partis, une âme qui
se modifie avec le cours du temps et
l'envolée des illusions, qui n'est plus
après quatre ans de luttes ce qu'elle était
au jour de la naissance.
Quand nous venons au monde, nous
autres, notre petite âme est assez pi'opre,
assez fraîche ; elle ne laisse guère voir
le vice originel. Elle se raccornit très
vite, mais elle est vraiment aimable à
contempler à l'aube de la vie.
Telle aussi l'âme des Assemblées. Pour
elle, le vice originel, c'est la lutte im-
pitoyable que les partis se livrent avant
le vote. Trahisons atroces, calomnies
perfides, accusations infâmes, il faut
tout subir pour être élu, et l'on sort du
scrutin comme d'un antre noir où s'agi-
teraient des animaux fantastiques.
Mais après, quand on sest un peu se-
coué et nettoyé, quand on a revu la
lumière du jour et respiré l'air pur, on
éprouve une sensation de joie profonde,
la joie de vivre désormais non plus pour
soi seul, mais pour son pa}s, la joie
d'espérer qu'enfin l'on va pouvoir agir
et transformer ses rêves en réalités. 11 a
toujours été de mode chez nous de plai-
banter la représentation nationale. Cela
n'empêche pas le mandat législatif d'être
très enviable et très envié. La violence
même avec laquelle on se dispute les
sièges tous les quatre ans suffit à dé-
montrer que c'est un grand honneur
d'être choisi pour représenter ses conci-
toyens, pour parler, pour voter en leur
nom.
Aussi, les premières heures qui suivent
le dépouillement du scrutin sont douces
aux élus; ce sont des heures d'expan-
sion, de pardon et d'amour. On ne veut
plus savoir si l'on a lutté, si l'on a souf-
fert, si l'on a été combattu par celui-ci,
insulté par celui-là ; on se sent le désir
et la force de faire du bien à tous, amis
ou ennemis.
Et, comme ces heures- là sont les
mêmes pour tous les membres d'une
Chambre nouvelle, il y a, dans la poli-
tique, un moment exquis, trop court
malheureusement, où l'âme de l'être
collectif qu'on appelle une Assemblée
paraît propice à tous les apaisements, à
toutes les réparations, à toutes les am-
nisties. Les chefs de parti n'en profitent
pas toujours, et c'est grand dommage
Si l'on voulait cependant, bien des
fusions pourraient se faire avant que
l'âme de la Chambre ait été durcie par
le feu des passions et des convoitises
personnelles. Les candidats signalés
comme terribles d'après leurs profes-
sions de foi arrivent au Palais-Bourbon
beaucoup plus calmes que ne le disent
les journaux dont c'est le métier d'en-
fiévrer la politique. Ils ont plus de cu-
riosités que de colères, et, s'ils ren-
contrent un ancien dont ils blâment la
politique, ils n'hésiteront pas à lui
prendre le bras pour se faire piloter.
Tout ce fracas de voix qui ébranle
les vitres de la salle Casimir-Perier est
fait de plaisanteries plus que de me-
naces. En étudiant les dédales du Palais-
Bourbon, en admirant le bas-relief de
Dalou et les peintures de Delacroix, les
députés gesticulent avec animation ; vous
les croyez prêts à tout briser; appro-
chez-vous ; ils font simplement assaut
d'esprit sur les questions qui les divisent
le plus: ils s'applaudissent de bon cœur
entre adversaires, si la riposte est belle.
Et quand ils se réunissent mystéineu-
sement dans un coin ou autour d'un
canapé, ce n'est pas toujours pour
échafauder les conspirations qu'on leur
prête invariablement le lendemain; c'est /
pour causer de choses très matérielles, . i;
très terre à terre, mais qui les touchent -/
plus directement que la solution d'un \/
problème constitutionnel.
Le député qui arrive du fond de sa
I/KTAT DAMK 1) TXK CIIAMHHK XolVKLLK
83"
province se sent comme un oiseau sur la
branche, lanl qu'il n'a pas déniché sa
place, son groupe et son logement . Ce
besoin, commun à tous, même aux
anciens qui proiitent volontiers dune
réélection pour faire peau neu\e, crée
entre les membres d'une Chambre nou-
velle le premier el le plus utile des liens.
Il leur donne cet étal d'âme identique,
grâce auquel on se sent attiré vers ceux
que Ton sera plus tard forcé de com-
battre.
Le choix du ne |)lace n'est pas inspiré
par la politique autant qu'on le pense.
Les nouveaux élus s'inquiètent moins
de savoir si les places qu'on leur offre
sont plus à droite ou plus à gauche du
président, que de vérifier si elles sont
bonnes. Et ils tiennent pour bonne la
place où l'on entend bien, d'où l'on
sort aisément dès qu'on ne veut plus
entendre, où le voisinage est agréable.
A Londres, dans cette vieille cité qui
est la douairière du parlementarisme,
où les mots vifs ne sont pas épargnés
entre honorables, on a tourné la diffi-
culté en laissant les membres libres de
choisir chaque jour leur place. Là-bas,
il suffit de transporter sa carte ou ses
gants pour changer de voisins. A Paris,
les mœurs sont plus administratives :
chaque place est marquée pour la durée
d'une législature entière, pour quatre
années, grande morlalis œvi spatium.
Les anciens ont même le droit de
garder leur place d'une législature à
l'autre. Aussi, dès que les résultats du
scrutin sont proclamés, les nouveaux se
mettent à la poursuite des anciens ; ils
leur demandent de faire des échanges,
ou, à défaut, de donner de bons conseils ;
ils les accablent de dépêches qui sillon-
nent la France de Dunkerque à Bayonne,
de Brest à Marseille, et qui viennent
toutes, presque à la même heure, s'abattre
dans les bureaux de la questure sous la
forme de demandes généralement con-
tradictoires. La même place est retenue
par des membres différents, et le même
membre retient plusieurs places. Après le
premiercoupdefeu, les mécontentements
s'apaisent et il ne reste, de cette chasse
aux places, que l'ébauche d'une camara-
derie qui ne sera pas inutile le jour où
l'implacable politique viendra rallumer
les divisions. En s'entr'aidant pour se
caser, les anciens et les nouveaux se sont
fondus ; ils ont appris à se connaître, à
s'estimer malgré la divergence des doc-
trines ; ils ont compris que, même pour
les besoins matériels de la vie parle-
mentaire, il est bon d'éviter les chocs
trop brusques, de substituer les trans-
actions aux conflits.
Quand on a trouvé sa place, quand
on sait de quel œil et sous quel angle
on contemplera la tribune, il faut choisir
son groupe. Dans le parlementarisme
classique, — celui d'avant 1848, — la
désignation des groupes se faisait avec
solennité, d'une manière lourde et com-
pliquée. On tenait des réunions longues,
académiques, où se débitaient beaucoup
de discours, où les ambitions surgis-
saient et s'enflammaient, au bout des-
quelles on songeait souvent beaucoup
plus à se battre qu'à s'entendre.
On a simplifié les choses, et l'on a
bien fait. Avant l'ouverture officielle,
quelques membres plus actifs ou plus
ambitieux que les autres se promènent
dans les couloirs, guettant ceux qui
passent ; ils ont dans leurs poches des
listes avec de beaux titres, de beaux
programmes. Au fur et à mesure qu'on
arrive, ils harponnent :
— Mon cher collègue, voulez-vous
être des nôtres ? \^oici déjà un tel et un
tel qui ont accepté.
Entre deux boùlTées de cigare, en
déposant son chapeau et son pardessus,
le cher collègue répond oui. Fort sou-
vent un tel et un tel n'avaient pas en-
core accepté, n'avaient même pas été
consultés. Peu importe; quand on leur
présente la liste, ils sont flattés d'y
figurer les premiers : ils pardonnent
l'abus de leur nom en faveur de l'or-
gueil satisfait.
Ils ont d'ailleurs mille moyens de ne
pas enchaîner leur liberté. Dans le cou-
loir voisin circulent d'autres listes où
LÉTAT 1) AMK DUNK CHAMIJUK XorVKLLK
leur nom figure également, sous un titre
diirérent,avec un programme tantôt plus
large, tantôt plus étroit, quelquefois
opposé. Au jour de l'action, ils n'au-
ront que l'embarras du cKbix. En atten-
dant, ils auront senti plus de coudes et
serré plus de mains ; ils auront appris
qu'entre les groupes il n'y a pas de fron-
tière infranchissable, et cela vaut mieux
que d'apprendre comme autrefois à se
murer dans un camp où l'on ne con-
templait que soi, sa politique et ses
amis, où l'on regardait le reste du monde
comme n'existant pas.
Se loger dans Paris esl un problème
difficile à résoudre, surtout pour des
hommes dont les racines sont en pro-
vince, qui tous les quatre ans sont expo-
sés à n'avoir pas de raisons pour venir
à Paris. Cependant tous les députés
viennent à Paris avec plaisir. Quelques-
uns même ne se font nommer que pour
avoir le prétexte d'y venir.
On y vient, il est vrai, plus simple-
ment que jadis. Il y a quarante ans, on
amenait avec soi sa famille et ses meu-
bles; on ouvrait des salons, parce que
la famille et les salons jouaient un
grand rôle dans la politique. Aujour-
d'hui, ce ne sont plus les relations pari-
siennes qui font avancer, mais la fidé-
lité de la province; un député sûr du
renouvellement de son mandat en vaut
dix. L'essentiel n'est pas de briller à
Paris, mais de bien tenir sa circonscrip-
tion.
Or les électeurs sont devenus fort
exigeants. Ils savent qu'avec les chemins
de fer, on traverse le pays d'un bout à
l'autre en quelques heures. Ils veulent
qu'on les vienne voir au moins tous les
huit jours. De là cette décision, prise
par les deux Chambres, de ne plus sié-
ger le samedi, veille du repos domi-
nical, qui devient ainsi pour les députés
jour de labeur et de fatigue.
Dans ces conditions, avec des nireurs
politiques qui brisent plus de deux cents
mandats tous les quatre ans, il est bien
inutile de faire à Paris les frais d'une
installation coûteuse, d'imposer à une
femme, à des enfants, un déplacement
précaire et malsain. Beaucoup de mem-
bres se contentent de Ihôtel, qui crée
entre eux un lien de plus, car, suivant la
région d'où ils viennent, ils se rappro-
chent. Telle maison abrite les députés
de la Savoie, telle autre ceux de la ré-
gion lyonnaise. Il y a aussi des groupe-
ments qui naissent d'habitudes com-
munes. Les noctambules descendent près
des boulevards et mangent à la même
table, sans se soucier de leurs divisions
politiques. Le soir, on joue, on fume,
on bavarde et 1 on prépare, souvent sans
le savoir, des combinaisons profitables à
la paix publique.
Et toutes les fois que les députés tra-
vaillent pour la paix publique, ils font
de bonne besogne; ils accomplissent
vraiment l'œuvre pour laquelle ils ont
été choisis. Sans doute les Chambres
sont nommées pour voter des lois; mais
un pays n'a pas besoin tous les jours de
lois nouvelles, et, de même que la mul-
tiplicité des ordonnances médicales est
mauvais signe pour un malade, de même
des changements continus dans les co-
des font douter de la prospérité d'un
peuple. Les Chambres ont surtout pour
devoir de maintenir en équilibre, en
harmonie, les forces contraires, les in-
térêts hostiles qui sont toujours prêts à
se déchaîner et à se combattre, qui ont
d'autant plus d'ardeur, qui sont d'au-
tant plus dangereux qu une nation est
plus vaste, que son histoire est plus
longue et plus glorieuse.
C'est par les Chambres et dans les
Chambres que vient s'apaiser, se récon-
cilier, se confondre en de communs sa-
crifices et d'utiles transactions ce qu'il y
a d'antagonisme naturel, légitime, entre
l'agriculture et l'industrie, entre le ca-
pital et le travail, entre les vieilles fa-
milles orgueilleuses de leur passé, mais
épuisées par trop de services rendus, et
les nouvelles générations qui ne deman-
dent qu'à donnera la patrie le trop-plein
d'un sang jeune et généreux
LA NOUVELLE CHAMBRE
Le Monde Muderne donne aujour-
d'hui le tableau des élections générales
politiques qui ont eu lieu les S et '2'2 mai
dernier.
Nous avons adopté un plan simple,
en vue de dégager les chilFres qui per-
mettent de se faire une idée de l'état
de l'opinion et de la représentation des
partis dans le pays et dans le Parlement.
Après les colonnes où figurent les
données fondamentales en pareille ma-
tière, c'est-à-dire le nombre des votants,
celui des inscrits et des voix obtenues
par les élus, nous donnons une réparti-
lion des votes d'après un système très
simplifié ; nous n'avons pas adopté les
multiples subdivisions, le plus souvent
éphémères et mal définies, par lesquelles
les partis aiment à se différencier les
uns des autres. Des classifications en
petit nombre, bien définies, nous ont
paru mieux appropriées à notre travail.
Sous le nom de républicains, nous
inscrivons les opportunistes, les pro-
gressistes, les ralliés, les républicains de
gouvernement, les libéraux, les indépen-
dants et, d'une manière générale, tous
ceux qui repoussent l'épithète de radical
ou de radical-socialiste.
Les représentants de ces deux der-
nières opinions avancées sont eux-mêmes
réunis dans la même colonne, car ils
ont entre eux trop de points de contact
pour être séparés.
Il résulte de là que les socialistes
forment un groupe auquel ne se mêle
aucun élément étranger et pur de tout
alliage. Nous avons à leur égard un cri-
térium d'une certitude absolue, en ce
qui concerne les députés ayant appar-
tenu à la précédente législature. Il s'est
présenté dans cette période deux occa-
sions dans lesquelles les socialistes ont
pu se grouper et se compter ; la pre-
mière fois, le 23 octobre 1897, en votant
l'ordre du jour présenté par MM. Jaurès
et Gérault-Richard dans l'interpellation
de ce dernier sur la cherté du pain. Cet
ordre du jour était ainsi conçu :
" La Chambre, convaincue qu'il est
urgent de briser la spéculation sur les
blés..., invite le Gouvernement à lui
proposer d'urgence un projet de loi
organisant le monopole d'exploitation
des blés étrangers par l'Etat. »
Cet ordre du jour socialiste a été
voté par cinquante et un députés.
La deuxième fois, le 20 novembre 1897,
en votant contre l'ordre du jour pré-
senté par M. Deschanel pour clore l'in-
terpellation de M. Jaurès sur la crise
agricole, dont la première partie était
ainsi conçue : « La Chambre, considérant
que la transformation de la propriété
individuelle en propriété collectiviste,
serait la ruine de l'agriculture. »
Il se trouva trente-neuf députés pour
voter contre cette partie de l'ordre du
jour.
Voilà donc, dans l'ancienne Chambre,
les socialistes désignés par leurs propres
votes ; quant aux nouveaux députés,
nous avons enregistré leur déclaration
purement et simplement.
La dernière colonne de notre tableau
est réservée aux conservateurs, et par
cette dénomination nous entendons dé-
signer tous ceux qui entendent rester
fidèles à leurs convictions du passé et
à leurs traditions de famille.
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CO'OOCiOOt^COiCi-IOOOOOTt<^^'-ll>OOt^^=OlOœOO-*'*<COOOCOOi<MCSO'-IOCOiCi-IOClC5COO
t^i— (<N;û'O00iOÎ-1'*(>)^h00t— IC-. C. OOOOOOOCO'^t— '0'^0-t<OCOœiOO-tiOOOO(M<M^-t>COO-
COt^-*OOiCI>--*^COI>-C500l>-OOOi— l'^COO-l'^Cit-«5C->(M>OW(MOOC-iOt-OOOi— lOO'^CiCOCi
lOOCOf^Oi— (C0'^-l<«S00-JC0(TÏ>O(MC0"J5-t<-JÏ(M'-i'— iCi0-J«DO00i0'*iC^(>aœ50<N00(MOO00C0
0'-icococo'xi>— (oot— i-~-C5C->tDi— i-o>— i-*oc". t--.-Hcooo'*ooc:oi>.ooco^ooco-*i^oooi--ooococ
I— I^H^H >— I '-l T-l -r-t 1— IrHT— I i— li— I iH 1— ( 1— Ir-I^H C-Ji— li-l rHr-H
-O co O te -J iC 1— t>. (M co I> 00 -)< '-3 O (M rt" O 00 -* (M (M ;0 QO 'O >0 ■
oeil— iCOCiiCC r^t^COrHi^OLOïC
•Sjn3]CA.I3SnOQ
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0<M-*i— l(M 2rH^ CCOe-l 2C0 =•* SOlCOiCtHCO 2C0i-(<M-^ SiMi— IC-l-^C-J «iC ai-^C-l-*CO^-(M
■sniBojiqndaa
I— lie 2-t<iH-+-^<MC0C0C-]tO(MiO S;-r-f^^ 2-#lM'J5 SiCCO îSiOCOODrHlM 200 2uO<MÎ-)CO^H-tO-1
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'Oooço'CcO'^iOtficotoirît^-QCt-'^itoc-'OiomçDro'^t^-iiomoinO'-ooiCrwoooi.t-^X'-fi.o-ti
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LA N()U\1:LI,K C. II a m BRI'
Le tableau récapilulalif permet de se
rendre compte de la manière dont fonc-
tionne le suffrage universel.
En nombres ronds, la France compte
38 millions d'habitants, I 1 millions
d'électeurs inscrits, 8 millions de volants,
et les élus se sont partagé 5 millions de
sulfrages.
D'oii les proportions suivantes, par
rapport à la population :
l'ilecteurs inscrits, 28,9 pour 100 ha-
bitants.
Votants, 21 pour 100.
Suffrages exprimés, 13 pour 100.
Si l'on compare le nombre des élec-
teurs inscrits au nombre des votant^,
on voit qu'il n'y a que 72,7 pour lOO
des inscrits qui prennent part au vote ;
les abstentions sont au nombre de 27,3
pour 100.
Si l'on fait le total des voix réparties
entre les divers groupes politiques et
qu'on le compare au nombre des votants,
on aperçoit une différence de 320,000
au profit de ces derniers.
Cet écart représente, pour la presque
totalité, les bulletins blancs ou bulletins
de protestation, c'est-à-dire le vote des
électeurs dont l'opinion n'était pas re-
présentée par les candidats; il nous serait
aisé de citer des cas où les bulletins
blancs ont été de plusieurs milliers.
En ne tenant compte que des suffrages
exprimés, on verra que les républicains
représentent 46,7 pour 100 des votants
et 35,3 pour 100 des inscrits;
Les radicaux, 28,2 pour 100 des vo-
tants et 2f,3 pour 100 des inscrits;
Les socialistes, 10,3 pour 100 des vo-
tants et 7,8 pour 100 des inscrits;
Les conservateurs, 10,9 pour 100 des
votants et 7,8 pour 100 des inscrits.
Si l'on opposait aux l'épublicains seuls
les trois autres partis, on obtiendrait
3,9<19,514 républicains et 4,136,790
d'autre part.
En ajoutant aux voix républicaines
les voix conservatrices et aux voix radi-
cales les voix socialistes, on se trouve en
présence des chiffres suivants : 4,821,109
pour les premières, et 3,225,235 pour
les secondes.
En réunissant les républicains et les
radicaux, on a (), 268,649 voix contre une
très faible minorité.
Enfin, à qui attribuer les abstentions?
Sauf les cas de force majeure, on ne
peut guère les attribuer aux radicaux, et
encore moins aux socialistes, qui n'ont
pas l'habitude de déserter le vote.
Il paraît plus probable de les attribuer
aux républicains de gouvernement, trop
sûrs de la victoire, et surtout aux con-
servateurs, dont beaucoup considèrent,
à tort, l'abstention comme une élégance.
En faisant une attribution des proba-
bilités des abstentions à raison d'un
dixième aux socialistes, deux dixièmes
aux radicaux, trois dixièmes aux répu-
blicains et quatre dixièmes aux conser-
vateurs, on aurait ce l'ésultat final de la
répartition des opinions en France :
Républicains 4.800.000
Radicaux 3.000.000
Socialistes 1.200.000
Conservateurs 2.000.000
Et il en résulterait cette observation
que 4,8O0,0(H) opinions républicaines
sont représentées par 293 députés ;
3,000,(»00 d'opinions radicales par
174 députés ;
1,200,000 d'opinions socialistes par
59 députés ;
2,000,000 d'opinions conservatrices
par 55 députés.
Enfin, si par un système plus équita-
ble les opinions étaient représentées en
proportion réelle de leur nombre et s'il
n'y avait pas d'abstentions, on peut dire
que les 58f députés se répartiraient
ainsi :
Républicains 254
Radicaux 158
Socialistes 63
Conservateurs 106
i.A Nor \ i:i.i.i: cii a m int k
si;i
Giguet.
AIN (li députo).
VOIX
(ibtomios.
ÉLKC-rKl-R.S
UÉI'AIlTniON DES .SL'FKKAGE.S 1
l'IIH'0Xm'KI['TlONS.
PICITIKS Kl.L-S.
inscrits.
votants.
Jfi^pn'.'..
Hadic.
Social.
Conserv.
Br.M.EY.
Gkx.
Nastua.
Trévoux.
Pochon
Herbet
Giguet
Bizot
Carrier .
Bérard
S. '.m:;
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9.8S1
0.27.1
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17.H1'J
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23.802
G. 630
14.586
2.-). 022
14.U'.)',1
14.348
18.K40
4.5.52
11.830
20.809
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5.807
6.ÎI01
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6 273
8.538
8.943
8.434
9.891
3.984
4 488
12.169
1 . 954
947
»
Tot,\ux
4'l . (;H4
10--) 373
84.478
32 8H5
47.909
2.901
»
Pochoa (Joseph)
Herbet
Giguet
Bizot
Carrier y. . ... ^ ., ^ — . o^ .-■- -, .. — -.-- — .^,..„ ..^.
M AUombert, républicain, a été élu le 13 novembre 1S9.S en remplacement de M. Carrier.
Bérard (Ale.x.i, né en 1S59, ancien subsl. du proc. gén.à Grenoble, cons.gén.. dép. sort., radical.
Desjardins.
Castelin.
Hugues.
Magniaudé.
AISNE (8 députés).
(IliCOX.SCRIPTIOX.S.
DRITTÉ.-* ÉLUS.
Laon l"'.
Ermant ( 2' tour). .
— 2".
CHATEAU-THIKItltY.
Morlot
SAIXT-QUEXnX, V'\
Hu;.'ues(2' tour)
— 2<'.
Desjardins
SOISSONS.
Magniaudé (2' t.»
VEimx.s, l"'.
Denêcheau
— 2-.
Fournière
9.362
9 . 405
8.354
6.117
8.106
8.374
7.473
6.123
63,314
KLK( TErli.'^
904
226
735
223
731
483
096
320
votants.
18.518
17.625
13.741
16.656
15.734
16.561
13.. 503
12.716
125.054
IlEI'AIlTrnoX DK.S SUFFRAGE.S
Iléi)ubl. Kadic. Social. Conserv,
9.362
7.055
5.1.54
10.652
8.106
8.019
5 . 758
5 . 582
59.688
9.012
»
8.354
»
1.138
8.374
7.473
426
34.777
.879
.188
109
.123
Ermant (Gcorgrcs), né en 1S52, architecte, conseiller g^énéral, député sortant, républicain.
Castelin (André), né en 1S5S, ajjriculteur, journaliste, député depuis 1.SS9, républicain.
Morlot (Emile), né en 1S50, avocat, docteur en droit, cons. g-énéral, député sortant, radical.
Hugues (François), né en l^i'iS, ancien manufacturier, député sortant, républicain.
Desjardins (Jules), né en isi5, ancien magistrat, député sortant, répub. de gouvernement.
Magniaudé (E.), né en 1851, propriétaire, négociant, nouvel élu, radical socialiste.
Denêcheau (Maurice), né en 1815, publiciste, député depuis 1S03, républicain progressiste.
Fournière Eugène"), né en 1S57, liomme de lettres, cons. mun. de Paris, nouvel élu, socialiste.
S4-5
LA NOUVELLE CIIAMHHE
Létang.
Delarue
ALLIER (6 députés).
VOIX
obtenues.
ÉLECTEURS
BÉPAIlTmON DES .SUFFRAGES
ciRcoNSCRrmoNs. 1 iiÉPurÉs élus.
inscrits.
votants.
Républ.
Radie.
Social.
Conserv.
Moulins l''-.
Gannat.
La Pallsse.
MONTLUÇON 1''-.
Péronneau
Ville ( 2" tour ) . . . .
Delarue
Gacon
Létang
Sauvanet
7.569
7.240
9 . 95.5
16.. 300
9.338
8.619
16.015
21.154
21.410
30 . 980
22.897
20.973
12.638
17.084
17.682
24.988
18.635
17.004
n
7.103
7.453
8.443
9.325
8.120
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9.955
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»
2.528
»
21
9.338
8.619
4.449
»
»
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»
Totaux
59.021
133.429
108.031
40.444
41.064
20.832
4.449
Péronneau (Henri-Georges), né en 1856, conseiller ^L-néral, nouvel élu, radical socialiste.
Ville (Pierre), né en 1839, négociant, maire de Moulins, député depuis 1889, radical.
Delarue (Gabrieli, né en 1846, docteur-médecin, licencié en droit, député depuis 1893, radical
Gacon (Jules), né en 1847, docteur-médecin, conseiller général, député depuis 1889, radical.
Létang (Stéphane), né en 1859, nouvel élu, socialiste.
Sauvanet (Charles), né en 1851, négociant, conseiller d'arrondissement, dép. sortant, socialiste.
Delombre.
ALPES (BASSES-) (5 députés).
VOIX
obtenues.
ÉLECTEUIÎS
RÉPAR'nTION DES SUFFRAGES
CIRCONSCRIPTIONS.
DÉPUTÉS ÉLUS.
inscrits.
votants.
Républ.
Radie.
Social.
Conserv.
Digne.
Barcelonnette.
Castellaxe.
Porcalquier.
SiSTEBON.
Roi'X (2'- tour)
Delombre
BonldeCastellane.
Sicard
Robert (2': tour)..
6.074
2.507
2 . 785
4.217
2.087
13.096
3 . 460
5.174
9.853
6.285
10.870
2.689
4.398
7.884
5.119
6.074
2.507
4.361
4.217
1.879
4.661
»
»
2.490
2.087
»
»
1.117
»
»
»
»
1.106
Total
17.670
37.868
30.960
19.038
9.238
1.117
1.106
Roux 'Paul), né en 1818, ancien notaire, conseiller général, nouvel élu, républicain progressiste.
Delombre fPauli, né en 1848, publiciste, conseiller général, député sortant, républicain.
Comte Boni de Castellane, né en 1867, nouvel élu, républicain,
Sicard Martial), né en 1848, avoué, cons. gén., député sortant, républicain de gouvernement.
Robert (Ludovici, né en 1854, docteur-médecin, conseiller général, nouvel élu, radical.
i.A N(»i' \i;i.i.i; ciiAMunK
s 15
Euzière.
Laurençou.
Pavie.
ALPES (HAUTES-) (3 députés).
VOIX
obtenues.
ÉLECTEURS
RÉPARTITION DES SUFFP.AGE.S []
aRCONSCIlIPTI0N8.
DÉPUTÉS ÉLUS.
inscrits.
votants.
Républ.
Radie.
Social.
Conserv.
GAP.
BRIAXÇON'.
Esiunux.
8.056
3.843
4.798
17.571
6.197
6.789
14.747
4 . 594
5.296
88
3.843
4.798
8.056
»
15
»
»
6.297
»
>)
Laurençon
Pavie
[ Totaux
16.697
30.557
24.637
«. 729
8.071
^'
6.297
Eiizière Frédéric), né en 1842, avocat, conseiller général, député depuis 1889, radical.
Laurençon (Léon), né en 1841, avocat, conseiller général, député depuis 1877, républicain.
Pavie François), né en 18 i3, industriel, conseiller général, nouvel élu, radical.
Ronvier.
BischofEslieim.
ALPES-MARITIMES (4 députés).
VOIX
obtenues.
ÉLECTEURS
RÉPARTITION DES SUKFRAGES ||
< IRCONSCRIPTIflNS.
DÉI'UTÉS ÉLUS.
inscrits.
votants.
Républ.
Radie.
Social.
Conserv.
Nice l-^-.
2^
Grassk.
Puget-Thénikrs.
Baiberti
PouUan
Bouvier
Biscboffsheim
9.240
y . 720
8 . 770
4.814
32.544
17.303
15.607
22 . 303
6.573
11.895
10.505
16.200
5.152
10.401
9.720
8.770
4.814
»
250
7.404
))
6
»
»
96
»
»
»
Totau
X
61.7S6
43 . 752
33.705
7 . 694
102
))
Raiberti (Flaminius), né en 1S()2, officier démissionnaire, député depuis 1890, républicain.
Poullan ;Félixj, né en 1857, avocat, conseiller général, nouvel élu. républicain progressiste.
Rouvier (Maurice), né en 1812, ancien ministre des finances et président du conseil, conseiller
général, député depuis 1871, républicain.
Biscboffsheim (Raphaël , né en 18:'3, membre de l'Institut, député depuis 1893, républicain.
LA N()U\-1:LI.E CIIAMlUiK
Odilon-Barrot.
ARDECHE (.5 députés).
VOIX
obtenues.
ÉLECTECRS
RÉPARTITION DES SUFFRAGES il
CmCOX.SCRIPTIONS.
DÉPUTÉS ÉLUS.
inscrits.
votant s.
Répiibl.
R idic.
Social.
Conserv.
Privas l"'.
Largentière.
TounNON !"■.
— 2^
Perrin
Astier
Odilon-Barrot . .
Sauzet
Roche
7. 138
8 . .522
11.448
9.878
9.138
16.817
21.969
30.457
23.102
21.110
12.013
16.030
22.895
18.616
16.860
11.723
3 . 989
22.734
9.878
9.138
Il
11.785
7.593
))
8.627
Total
X
46.124
113.45.-)
86.414
57.462
19.378
»
8.627
Perrin ;^Isaac\ né en l.sl2, propriétaire, conseiller g-énéral, ancien député, républicain.
Astier (Placide), né en 185(5, pharni., vice-prés, du Cens. mun. de Paris, nouvel élu, radical.
Odilon-Barrot (Georgess né en 18 41, ancien secrétaire d'ambassade, avocat, conseiller général,
dé]3uté depuis 1893, républicain progressiste.
Sauzet (^Marc), né en 1852, prof. agr. à la Fac. de droit de Paris, député depuis 1893, républicain.
Roche (Jules\ né en 1811, avocat, journaliste, conseiller généi-al, ministre du commerce et des
colonies en 1890. du commerce en 1892. député depuis 18Sl. républicain.
Teruaux Compans
Lassalle.
Hubeit.
Poulain,
ARDENNES (5 députés).
VOIX
obtenues.
é:lectki-rs
RÉPARTITION DES SUFFRAGES j
CIRCU.NSCRIPTIONS.
DEPU'J-ES ELUS.
inscrits.
votants.
Républ.
R-.idic.
Social.
Conserv.
mézièkes.
Rethei..
ROCROl.
Sedax.
vouziers.
Poulain (2'= tour).
Ternaui-(;oinpans(2'"t.)
Dunaime (2" tour).
Lassalle
Hubert
1 1 . 886
7.101
5.749
7.724
8.308
21.848
15 . 398
13.503
18.170
15.202
21.617
12.995
11.465
14.880
13.048
9.461
12.720
5.749
6.995
4 . 592
»
5.672
»
8.308
11.886
1)
»
7.724
»
11
»
))
Total
40,768
39.517
13.980
19.610
)>
Poulain Albert), né en 186G, ouvrier mécanicien, nouvel élu, socialiste révolutionnaire.
Ternaux-Compans (Maurice), né en 1846, ancien conseiller d'ambassade, nouvel élu, rép«blicain.
Dunaime (Eugène), né en 1855, avoué, docteur en droit, cens, gén., député sortant, républicain.
Lassalle tJean-Baptiste-Elysée), né en 1856, ouvrier mécanicien, nouvel élu, socialiste.
Hubert (Lucien^, né en 1868, homme de lettres, publicistc, député sortant, républicain.
I..V N(»r V i;i.i.i: en .\.\ii!i! i:
Deloassé.
ARŒGE (,3 députés).
V01.\
obtenues.
KI.EC-
■nrR.s
jtÉi'AUTrnoN DES suFFR.\r,i-:s 1
«TRCOXt>CiarTIONS.
DKrUTÉS ELU.-J.
inscrits.
votants.
ll(llJUt)l.
Ridic.
Social.
Conserv.
Foi.v.
P.\mii;rs.
S.MXT-GiKo.VS.
Delcassé
Dumas (2'' tour). .
Galy Gasparrou . .
9.226
9.844
9.152
24.871
24.346
25.131
17.771
18.230
18.210
9.216
8.360
9 . 152
»
9.814
9 . 050
8 . 333
»
»
~8T333~
"
Total
IX
2H . 222
74 . 348
54.211
26.728
18.894
Delcassé Théophile), né en 1MJ2, publiciste, sous-secrétaire d'Etat aux colonies 1893, mini
des colonies 189 S, conseiller j^énéral, ministre des aflaires étrangères 1898, député depuis 1
républicain.
Dumas Julien;, né en 1857, avocat, député sortant, républicain.
Galy Gasparrou Léon\ né en 1850. conseiller général, nouvel élu. républicain.
stre
880.
Baohimont.
Tliierry-Delanoue.
AUBE (6 députés).
VOIX
obtenues.
ÉLECTEURS
uÉi'Ainrnox des suffrages I
1 1 1!< (JN'I^CIIIPTION >;.
IIÉFUTÉ.'* ÉLIH.
inscrits.
votants.
Républ.
Radie.
Social. 1 Conserv.l
TnOYKS 1".
2*".
ARCI.S..SUR-ArBE.
Bar sur-Aube.
Bar-.«ur-SeinT';.
NO(iEN-T-SfU-SEINK.
Charonnat(2- 1.».
Dutreix
Castillard ( 2' toui- 1
Therry-Delanoue
Guyard
Bachimont (2' 1. 1
6 . 785
6 . 503
6.363
6.210
6.367
5.151
15 . 795
15.125
9.753
10.984
13.523
11.548
13.163
11.985
8.808
9.201
11.306
9.924
6.327
3.885
8.712
6.210
6.367
4.686
6 . 785
6.. 503
))
»
»
5.151
8
1.380
»
2.. 542
4.604
»
8 . .-)34
Total
X
35.379
76.728
64.387
36.187
18.139
»
Charonnat Jules, né en 18-31, notaire honoraire, député sortant, radical socialiste.
Dutreix Ciiarles;, né en 1818, manufacturier, député depuis 1893, radical socialiste.
Castillard Henri;, né en 1817, avocat, député sortant, républicain.
Thierry-Delanoue (Paul), né en 1813, propriétaire, conseiller général depuis 1889, républicain
progressiste.
Guyard Albert , né en 184G, agriculteur, nouvel élu, républicain.
Bachimont Charles', né en 18 i4, docteur-médecin, député sortant, radical socialiste.
xis
L.\ NOUVELLE C II A M lîH E
DnjarJiu-Beaiimetz.
AUDE (5 députés).
VOIX
obtenues.
ÉLECT'EUnS
RÉPARTITION DES SUPFB.\GES 1
CIRCOXSCRlrTTONS.
DÉPUTÉS ÉLUS.
inscrits.
votants.
Républ.
Kadic. 1 Social.
Conserv.
Carcassoxnk.
Castelnaudaiiy.
LiMOUX.
Narbonne l''»".
2''.
Théron
Saba (2'- tour). . . .
Dujardin-Beaumetz
Bartissol
Turrel
11.195
5 , 854
10.992
6.211
7.459
30.041
14.543
20.498
15.385
18.449
22.185
11.532
15.811
12.487
14.613
6.932
))
4.659
6.211
7.453
5.854
10.992
»
2.890
11.195
»
»
6.162
3.995
21.352
3.834
»
»
Totau
41.711
98.916
76.628
25 . 255
19.736
3.834
Théron (Ferdinand), né en 183i, propriétaire, cons. gén., ancien député, socialiste.
Saba (Edmond), né en 1848, ancien greffier, secret, de mairie, cons. gén., nouvel élu, rad. soc.
Dujardin-Beaumetz (Henri), né en 1852, artiste peintre, cons. gén., député depuis 1889, radical.
Bartissol (Edmond), né en 1841, ingénieur-constructeur, député (1889-1893), répub. progressiste.
Turrel (Adolphe), né en 1856, ancien auditeur au Conseil d Etat, ancien ministre des travaux
publics (1890-1898), député depuis 1885, républicain modéré.
M. Turrel ayant été invalidé le 9 juillet, il a été remplacé par M. Narbonne, socialiste, qui a
obtenu 7.400 voi.\ sur 9.900 votants.
Moasservin.
Maruéjouls.
AVEYRON (7 députés).
VOIX
obtenues.
ÉLECl
El'HS
KÉl'Ain'ITION DES SUFFRAGES II
CTUCOX.SCRirTIOXS.
DEI'l'TE.S ÉLUS.
inscrits.
votai'-ts.
Républ. ■
Radie.
Social.
Conserv.
Rouez 1'"<^.
Monsservin
7.307
17.020
13.744
7 . 307
6.379
«
))
— 2^
Gaf f ier
7.887
17.812
14.042
7.887
6.103
)i
»
ESPALION.
Massabuau (2'^ t.).
6.639
16.428
12.810
6.639
6.319
»
»
Millau.
ïidiil (le Siiinl-lrliain . .
8.516
20.020
16.406
8.516
7.823
»
»
Saint-Affrique.
Fournol
7.565
17.071
13.485
7.565
5.270
532
»
ViLLEFR ANCHE l'<'.
Cibiel
8.121
14.556
10.761
))
))
»
8.121
— 2^
Maruéjouls
9.769
18.977
14.079
9.769
)i
4.051
»
Total
IX
55.804
121.884
95.327
47.683
31.894
4.583
8.121
Monsservin (Joseph), né en 1864, ancien magistrat, conseiller général, nouvel élu, républicain.
Gîffier (Edouard), né en 1861, avocat, nouvel élu, républicain.
Massabuau (Joseph), né en 1862, avocat, conseiller général, nouvel élu, républicain.
Vidal de Saint-Urbain (Gabriel), né en 1854, anc. avoc. gén. à Dijon, cons. gén., dép. sort., républ.
Fournol (Paul), né en 1852, propriétaire, cons. gén., député depuis 1893, républicain progressiste.
Cibiel (Louis), né en 18 41, propriétaire, conseiller général, député depuis 1876, conservateur.
Maruéjouls (Emile), né en 1837, vice-président du Conseil de ])réfecture de la Seine, conseiller
général, ancien ministre du commerce, député depuis 1889, républicain.
I.A N()L!\'KI,LK (MI AMlîlîK
SiO
Pelletan.
Chevillon.
Boyer.
Carnaud
Cadenat.
BOUCHES-du-RHONE (8 députés).
VOIX
obtenues.
ÉLECTEUnS
IlÉl'AIlïrnOX DES SUFFRAGES il
ClIiCOXSCllII'TIllNS.
IIÉPUTÉS ÉLUS.
inscrits.
Totants.
Républ.
Radie.
Social.
CoDserv.
Marseille l'^
— 2''.
— Z'.
— 4«.
— û"".
Aix 1"-.
— 2''.
Al! LES.
Carnaud (2'' tour).
Cadenat (2'' tour).
Thierry ( 2'' tour). .
Chevillon (2'' tour).
Boyer
Perreau ( 2" tour ) .
Pelletan
Michel ( 2> tour ) . .
6.98.3
8.44H
8.289
(i.673
7.9.54
4.386
G. 287
11.411
20.216
21.881
20.408
20.014
21.11.5
15.689
16.897
27.434
13.789
15.749
12.480
12.653
13.206
10.689
12.022
20.409
»
7.040
8 . 2.S9
4.789
4.386
4.872
6.686
»
»
6.673
)i
3.990
6.287
11.411
6.983
8.448
3.822
5.992
7.9.54
3.376
733
10
)>
))
)>
))
n
8.790
Totaux
6;i.43l
163 714
110.997
29.370
35.047
37.318
8.790
Carnaud Maximilien\ né en 1S63, ancien instituteur, député sortant, socialiste.
Cadenat Bernard;, né en ls.î3, coupeur cordonnier, conseiller municipal de Marseille, nouvel
élu, socialiste révisionniste.
Thierry ^Joseph), né en 1857, avocat, nouvel élu, républicain.
Chevillon (Joseph), ne en 1849, médecin, élu en 1885, échoua en ls89, réélu en 1X9.3, radical.
Boyer (Antide), né en 1850, comptable, député depuis 18S5, socialiste.
Perreau François\ né en 18(5(3, profess. agrég-é à la Faculté de droit, nouvel élu. républicain.
Pelletan Camille), né en 1816, journaliste, député depuis 18sl, radical.
Michel iHenri^ né en 1857, professeur au lycée d'Avignon, nouvel élu, radical.
De Saiut-Quentin.
De Witt.
Lebret.
CALVADOS (7 député.^).
C.\EX l'-.
Baveux.
Falaise.
Lisij-:l'x.
pont-l'evêquk.
VlllE.
DKI'UIES Er.r.-
Lebret (2'- tnur).
l'.oailtMleSaiiit-QiKMirni
Gérard
Paulmier
Laniel
De Witt
Chanel
5.719
7.107
9.167
0.595
7.25;;
6. oui
S . 790
50 . 690
ELEi'TEUUS
inscrits.
10.002
13.793
17.228
13.445
17.121
16.067
19.178
112.894
votants
11.717
8.315
10.235
10.772
13.333
9.916
16.708
SO.990
liEPAllTlTIllX JIES SUFFRAGE:
Kcpubl.
11.360
7.167
10.660
7.256
5 . 938
3.590
48
Couserv
160
9.167
Lebret (ieorges . né en ls53, docteur en droit, conseiller général, ministre de la justice 1898
député sortant, républicain progi'cssiste.
Comte de Saint-Quentin, né en isso, propriétaire, député sortant, républicain.
Baron Gérard Henri , propriétaire, conseiller général, député depuis 18.S1, conser\ateur.
Paulmier (-iiarles , né en 18 Is, propr., cons. gén., député depuis 1885, conservateur libéral
Laniel ;llenri:, né en 1857, manuf., ancien juge consulaire, député sortant, républicain libéral
De Witt (Conrad , né en 1821, propriétaire, cons. gén., député depuis 1889, républicain rallié.
Ghenel (Emile, né en 1817, avocat, conseiller général, nouvel élu, républicain.
VIII. — 5i.
LA NOUVELLE Cil A M HUE
Hugon.
CANTAL (4 députés).
VOIX
obtenues.
ÉLEC'XTÎUKS
KÉFAltTITION DEri SUFFRAGE.S ||
CIKfKiNSCRII'TIONS. j DÉPUTÉS ÉLUS.
inscrits.
votants.
Répulil.
Kadic.
Social.
Conserv.
.\ URILr.AC.
AlAUKIAC.
MURAT.
Sai.vt-Fi.oui:.
Cazals
Brun
Peschaud(2'tour).
HugoD
9. 207
7.563
4.968
G. 355
24.554
16.716
9 . 724
14.097
18,387
10.814
5.695
11.427
7.061
3.142
116
5.017
11.050
7.563
4 . 968
6.355
))
179
»
Totaux .
28.093
65.091
46.323
15.336
29.936
11
179
Cazals (Noël;, né en 1861, docteur-médecin, conseiller f-cnéral, nouvel élu, radical.
Brun Fernand , ne en 1867, avocat, nouvel élu, radical.
Peschaiid ^Gabrielj, né en 1861, médecin, cons. gén., nouvel élu, répub. radical démocrale.
Hugon Pierre), né en 1851, docteur-médecin, conseiller général, nouvel élu, radical.
Laroche-Joubert. Babaud-Laoroze.
Aruous.
Caneo d'Ornano.
Paul Déroulède.
CHARENTE (G députés).
VOIX
obtenues.
ÉLECTEUR.S
KÉPAETITIOX DES SUFFRAGES ||
CIUfOX.iiClIIPTKlNS.
iiÉi'UTÉs Ér,t-.s.
inscrits.
votants.
Républ.
Radie.
Social.
Conserv.
AXdOULÉ.ME r'_,
Barbezieux.
COGXAr.
Ci)XFOLKX,'<.
RcrFEC.
Laroche-Joubert.
Déroulède
Arnous
Cuneo d'Ornano . .
Babaud-Laoroze . .
Liiiiouz3in-l,aiilaiiclii'(2"t.)
s. 487
7.768
6.595
8.762
12.278
6.326
19.927
20.518
14.214
20.734
20.52S
1U.26G
15 . 400
15.067
12.120
16.909
14.090
12.926
15.127
13.636
5.337
7.672
12.278
6.513
»
«
10
10
11
1.168
111
)i
)>
6.595
8 . 762
«
6.198
Tntai
50 216
112.187
86.G12
60.563
1 . 290
21.555
Laroche-Joubert Edgar), né en 1813, fabricant de papiers, administrateur de la Banque de
France, ancien juge consulaire, cons. gén., député depuis 188 i, républicain plébiscitaire.
Déroulède (PauL, né en 1816, conseiller général, ancien député, répulîlicain révisionniste.
Arnous Eugène . né en 18 i6, ancien auditeur au Conseil d'Etat, conseiller général, député
depuis ISN.i, conservateur libéral.
Cuneo d'Ornano (lustave), né en 1S15, avocat, député depuis 187G, conservateur, groupe de
ra])pel au peujile.
Babaiid-Lacroze .\.ntoinei, né en 1816, journaliste, conseiller général, réi)ublicain.
Limouzain-Laplanche, né en 18 1,5. pharmacien, conseiller général, nouvel élu, républicain.
i.A X () u \' i: I. L )•: <:ii AMiiHi",
Sjl
Launiiiic. Roy de Loulay.
Denis. Cliarruyer.
Amiral Rieuuier.
Garnier.
CHARENTE-INFERIEURE (7 .1. ).
VllIX
obtenues.
ÉI.ECTEfRS
r.ÉI'AKÏITIOX DES .SUFFRAGE.S ]
1 ii;riiNsri;ii''lliiNs.
llKlTTKS ÉM'S.
inscrits.
votants.
Républ.
Radie.
Social.
Conserv-i
i L\ RoriiKM.!-:.
JOXZAI .
Maren-xks.
RuiilKl'OKT.
Saintes l".
— 2'-.
St-Jean-d'Anhjely.
Charruyer
Pommeray
Garnier
Amiral Rieunier. .
Lauraine
Denis (2'" tour). . ,
Roy de Loulay (2'- 1./.
10.02.)
9 . 209
S..J.S.3
.S..') 70
0.779
7 . 3H-1
10.778
23 . 7.59
24..il2
17.292
19.639
16.700
16.4.57
2.5.019
19.047
17. .547
9.888
1.5.173
12.6.50
13.801
20.933
S. 7iiS
9 . 299
8.583
8.. 5 70
.5.. 5 75
7.384
10
10.025
6.894
»
6.459
6.779
»
9.816
)i
337
«
»
»
»
»
1)
6.283
10.778
1 Totau
X
G1.41S
143.40S
109.039
48.129
39.9 73
337
17.001
ChaiTuyer Edouard , ne en 1861, injj-. des arts et manuf., cons. g'én., député sort., radical.
Pommeray Léon , né en 1S5S, docteur en droit, député sortant, républicain progressiste.
Garnier Frédéric , né en 1836, propr., cons. gén., dép. depuis 1880, répub. de g-ouvernement.
Amiral Rieunier Henri , né en ISS:», ministre de la marine 180.3 , nouvel élu, républicain.
Lauraine <)ctave . né en 1864, avocat, docteur en droit, propriétaire, nouvel élu. radical.
Denis Gabriel . né en ls.33, propriétaire-viticult., cons. gén., nouv. élu, républ. progressiste.
Roy de Loulay Louis . conseiller général, ancien député, conservateur.
D'Ai-enbers
Pajot.
CHER (5 députés).
JNSt'IlIITKiN.-
DEITIÉ:
BOlT.riES 1"-.
SAIVr-AilAM) I"-.
— 2-.
SASCEIUtE.
D'Arenberg (2'- t.],
Breton ( 2' tour ) .
Pajot
Lesage (2'' tour)..
Metret
Totaux
VOIX
obtenues
9. On 4
9.710
8 . 535
13.156
inscrits.
22 . 709
21.281
19.053
16.538
20.146
Kifi.
votaiits.
18.473
17.189
1 1 . 986
11.056
22 . 246
KÉI'AltTmON DES SUFFRAGES
Républ. I Radie.
.310
.887
1.897
8 . 805
9.710
8.535
13.156
31. 171
Social.
8 . 742
9 . 084
170
185
30
18.211
Conserv
Prince d'Arenberg .Vuguste, né en J837, propriétaire, cons. wn., député depuis 1880, rallié
Breton Jules-Louis , né en 1872, ingénieur, nouvel élu, sociafiste.
Pajot François . né en 184 i, vétérinaire, conseiller général, député depuis 1885, radical.
Lesage Casimir . né en 183.5, propriétaire, agriculteur, conseiller général, député depuis 18N.5,
(chuiia en issi». réélu en 1803, radical.
Maret llem-y n.' en l>^'.^. lionimc de lettres, député depuis 1881, radical.
S52
LA NOUVELLE CHAMBRE
Borie.
Vacher.
Bussière.
CORREZE (5 députés).
VOIX
obtenues.
ÉLECTEURS
RÉPARTITION DKS SUFFRAGES
CIRCONSCRIPTIONS.
DÉPUTÉS ÉLUS.
inscrits.
votants.
Républ.
Radie.
Social.
Conserv.
Tulle 1'^.
— 2'^.
Brive !•■«.
— 2«.
USSEL.
Borie (2'' tour ) . . .
Vacher {2" tour)..
Lachaud
Bussière
Delmas
8.01G
8 . 28.5
9. 2.) 7
9.224
8.097
20 . 983
18.. 370
18.764
17.2.53
18.916
15.081
14.286
14.938
14.486
12.243
71.034
6.886
5.996
5.470
5.105
))
8.016
8 . 285
9.257
9.224
12.131
49
»
27
))
»
«
Total
IX
42.879
94.286
23.4.57
46.913
76
«
Borie (Léon), né en 18i3, receveur de l'enregistrement démissionnaire, ancien député, radicah
Vacher (Léon), né en 1832. docteur-médecin, conseiller général, ancien député 1877 à 1889,
non réélu en 1889, républicain de gauche.
Lachaud (Edouard), né en 1857, docteur-médecin, nouvel élu, radical.
Bussière (Eugène), né en 1858, ancien juge de paix, propriétaire, conseiller général, nouvel
élu, radical socialiste.
Delmas, né en 1853, conseiller général, député sortant, radical.
Pozzo di Borgo.
Emmanuel Arène.
CORSE (5 députés).
VllIX
obtenues.
ÉLF,(;TEURS
RÉPARTITION DES SUFFRAGES |
CIRCONSCRIPTIONS.
DÉPUTÉS ÉLUS.
insci'its.
votants.
Républ.
Radie.
Social.
Conser7.
Ajaccio.
Bastia.
Calvi.
C'ORTE.
Sartène.
Arène
C^' Astima
Malaspina
Giacobbi
C'« Pozzo di Borgo.
8 . 434
G. 4(16
3.1111
6.841
5.6.58
23.032
15.311
7.989
18.827
11.291
12.490
12.809
5 . 603
11.749
7 . 555
8.434
12.811
2.482
6.841
7.525
1.372
)>
3.119
4 . 800
»
»
«
»
»
2.467
Total
IX
30.45S
76.450
.50 . 206
37.893
9.381
"
2.467
Arène (Emmanuel), né en 185G, journaliste, cons. général, député depuis I88G. républicain.
Colonel Astima, conseiller général, nouvel élu, républicain. — Le colonel Aslima, invalidé le
13 juillet, a été réélu le 2 octobre.
Malaspina, conseiller général, nouvel élu. radical.
Giacobbi Jslarius), avocat, conseiller général, nouvel élu, républicain.
Comte Pozzo di Borgo, né en 1858, nouvel élu, républicain.
LA NOLMl-LLE CIIAMHUK
Sâ.'i
liioarJ.
COTE-D'OR (li députés).
VOIX
obtenues.
ÉLECTEUR.S
RÉl'AKÏITIOX DES SUFI'RAGES 1
ciRioNsriai'i'uiN.-;.
DKPUTÉS Él.rs.
inscrits.
votants.
Képubl.
Eadic.
Social.
C'onserv.
DiJox !■•'•
— 2>:
Bkauxk !'■'■.
— 2''.
C'hatillox-»s.-Skisf.
SlîMUIi.
Vaux ( 2" tunr 1. . , .
Muteau
Ricard
Guéneau
Leroy (2<- tour) . . .
Debussy (2"^ tour).
7.960
9.549
7.777
6.891
4.936
8.138
2.5.09.-.
21.522
19.803
14.834
12.882
18.799
17.979
14.764
14.900
11.804
10.072
15 . 545
5.726
9.549
2.838
4.878
4.936
7.225
4.174
))
7.777
6. 891
4.766
8.138
7.960
))
4.186
»
4.723
»
«
Totati
45.2.-)l
112.93.5
85.064
35.152
31.746
12.146
4.795
Vaux Pierre), ne en IS-Ss, cultivateur, commerçant ferblantier, député sortant, socialiste.
Muteau Alfred, né en 1.S30, publiciste, anc. commiss.de la marine, nouvel élu, républicain.
Ricard Henri), né en 1849, docteur-médecin, député depuis 1891, radical.
Guéneau Jean , né en 1849, prof, de mathém., agrégé de l'Université, nouvel élu, radical.
Leroy (Arthur;, né en 1828, ancien avoué, sous-préfet ISTO, conseiller général, député depuis 1877,
républicain progressiste.
Debussy Alfred;, né en 1847, négociant, nouvel élu, républicain radical.
Armez. Derrien. De Kéroiiartz. Mande. Philippe. De Largentaye. Jacquemin.
Riou. Le Troadec.
COTES-DU-NORD (9 députes».
VOIX
obtenues.
ÉLECTEURS
RÉPARTinoX DES SUFFRAGES
CIRCOXSCRII'TIOXS.
UÉl'UTÉS ÉLU.-;.
inscrits.
votants.
Républ.
Radie.
Social.
Conserv.
Saixï-Brieuc 1''-.
DixAx u^
— 2>-.
GmXGAMP l"'''.
— 2'-.
L.A.NXIOX l'"".
2''.
L0UDÉ.\.C.
Armez
Philippe
Jacquemin
De Largentaye . . .
Riou
De Kéroiiartz
Derrien
Le Troadec
MaDdo
10.948
9.594
9.713
8.812
6.876
6.919
6.871
5 . 694
10.776
23.014
24 . 652
15.927
13.034
15 . 958
16.766
13.153
14.626
24.626
13.138
18.870
10.. 504
11.573
12.253
12.596
9.060
10.516
19.733
10.948
9.594
9.713
»
6.876
5.644
1.136
5 . 694
10.776
»
»
))
»
»
»
»
»
»
)i
9.103
)>
8.812
5.224
6.919
6.871
4 . 785
8.268
Totuu
X
76 . 203
161.756
118.243
60.381
"
■>■
49.982
Armez (Louis), né en 1838, ingénieur, conseiller général, député depuis 187G, avec interruption
de 1889 à 1893, républicain progressiste.
Philippe .\mbroise , né en 1871, négociant, nouvel élu, républicain.
Jacquemin Albert , né en 1847, avocat, député depuis 1889, républicain modéré.
De Largentaye Marie), né en 1854, propr., cons. général, député depuis 1884, conservateur.
Riou ^'\ esi, né en 1849, avocat, conseiller général, nouvel élu, républicain.
De Kéroùartz (Frédéric), né en 1858, propr., agric, conseiller général, indépendant progressiste.
Derrien Henry), né en 1857, avocat, docteur en droit, cons. gén., député sort., conservateur.
Le Troadec (Paul), né en 1860, propriétaire, conseiller général, député sortant, républicain.
Mando Eugène), né en 1855, agriculteur-éleveur, cons. gén., nouvel élu, républ. progressiste.
LA NOUVELLE CHAMBRE
Desfarges.
CREUSE (i députés au lieu de 6) (1).
VOIX
obtenues.
ELECTEURS
RÉPARTITIdN IILS SUFFRAGES
CUlCOXSrRII'TIONS.
DÉPUTÉS ÉLUS.
inscrits.
votants.
Républ.
Jiadic.
Social.
Conserv.
GUÉRET.
AUBUSSON'.
BOURGANEUP.
BOUSSAC.
Berton (2'' tour) . .
Cornudet
Desfarges
Aucouturier
10.075
13.016
0.530
G. 021
2^.857
28 . 340
12.046
12.335
19.990
18.994
7.774
9.353
9.813
5 . 792
»
3.240
10.075
13.016
2.131
■6.021
5.530
n
»
34.642
81.578
56.117
18.845
31.243
5.530
»
1. La représentation de la Cvense a été diminnéc (le (lenx députés, les arrondissements d'Anbussou et de Giiéret n'ayant idns
droit cliaeuu qu'à un déi>nté, par suite du dénombrement de 1896.
Berton (Oscar), né en 1859, ancien avoué, cons. d'arrondissement, nouvel élu, radical socialiste.
Cornudet (Emile), né en 1855, propriét., agricult., conseiller général, député depuis 1882, radical.
Desfarges (Antoine), né en 1851, maçon, député sortant, socialiste, non collectiviste.
Axicoiiturier (Siméon), né en 1835, maître d'hôtel, nouvel élu, radical.
De La Batut. Pourteyron.
Magne. Sarrazin. Clament.
Theuller. Saumaude.
DORDOGNE (7 ûép. au lieu de 8) (1).
VOIX
obtenues.
ÉLECTEURS
RÉRARTITIOX DES SUFFRAGES j
('IRCONSCRIPTIOXS.
PÉPUTÉS ÉLUS.
inscrits.
votants.
Républ.
Radie.
Social.
Conserv.
PÉRIGUEUX V.
Bergerac l'''-.
NOXTROX.
RlRÉR.\.C.
Sarlat.
Saumande
Magne (2'' touri. . .
VI' de La Batut.. . .
Clament
Theulier
Pourteyron (2«' t.).
Sarrazin (2'^ tour).
8.482
7.237
9.798
7.625
13.183
8.476
11.089
65.890
19.315
16.215
20.328
15.433
24.900
20.838
32 . 225
14.477
13.876
16.495
12.621
18.749
16.026
25.246
12.5 79
6.543
9.798
3.194
)i
15 . 780
11.109
13.183
)>
9 . 754
1.201
n
238
n
«
))
))
))
7.237
6.253
4 . 256
4 . 999
»
4.236
Totaux
149.254
117.490
64.003
22.937
1.439
26.981
1. La députation de la Dordogue a été diminuée d'un député, en raison du dénombrement de 1S96. La diminution porte .sur
l'arrondissement de Sarlat, dont la représentation passe de 2 députés à 1.
Saumande (Georges), né en 1851, avoué, maire de Périgueu.x, député sortant, républicain.
Magne (Napoléon), né en 1865, capitaine de cavalerie, cons. gén., nouvel élu, conservateur.
Vicomte de La Batut (Ferdinand), né en 1854, juge honoraire au tribunal de la Seine, conseiller
général, dciputé depuis 1885, républicain.
Clament (Clément), né en 185.3, docteur-médecin, cons. gén., député depuis 1890, républicain.
Theulier ^Albert;, né en I8i0, docteur-médecin, conseiller général, député depuis 1885, radical.
Pourteyron (Paul), né en 18 iO, docteur-médecin, cons. gén., député sortant, républic, progressiste.
Sarrazin (Pierre), né en 1854, docteur-médecin, conseiller général, député sortant, républicain.
].\ N()r\"):i.F,i-: cii.v.mhhk
Beauqwier.
Vdl.X
obtenues.
DOUBS (.-. a./putes).
iii!<iixs<r:irTi(iNs.
HKITTKS Ér.i;.-:.
inscrits.
votants.
Républ.
Radie.
Social.
Conserv.
Bksaxçox V.
B.^niE.
MONTBKLIARD.
POXTARI.IEn.
Beauquier
Tramu
M'* de Moustier.
Borne
Ordinaire (2' touri.
•"j . 2112
G. 439
8.496
9.178
G. 316
13.224
1.>..350
16.370
22.438
14.882
9.497
12.. 524
13 . 732
17.831
11 . 742
3.468
•5.7-57
8.496
4.954
10.136
5.799
G. 639
5.143
12.204
1.537
133
»
»
360
1)
»
»
»
Total
X
3.5.631
82.264
G-ï .326
32.811
31.322
493 ■
"
Beauquier Charles}, né en 1833, archiviste paléographe, conseiller général, député depuis 1880,
radical socialiste.
Tramu Charles , négociant, nouvel élu. radical.
Marquis de Moustier, né en is.'io. propriét., cons. gén., député depuis 1889, républic, progressiste.
Borne Joseph , né en 1850, decteur-médecin, cons. gén., nouvel élu, républic, progress. démocrate.
Ordinaire Maurice), né en 1862, conseiller général, nouvel élu, républicain progressiste.
^y^
DROME (5 députés».
VfPlX
obtenues.
ÉLECÏKl i;.s
RÉrAUÏITIi iX DE.S .Sl"FFl: AGE.S 1
flItCOX.'SfRn'TIOXS.
DÉITTK- lir.i S.
inscrits.
votants.
Républ.
Radie.
Social. C'onserv.||
TAr.KXfF. l'i-.
— 2=.
Die.
MoXTÉI-IMAn.
Xyoxs.
Faure
Bizarelli
Blanc
Gras (2<- tonr)
C''d'Aulan(2n.). .
12.045
11.390
7.991
7.702
4 . 390
25.053
23 . 382
18.178
20.287
9.603
13.884
13.722
14.799
15.298
8.088
»
3.147
7.431
12.045
11.390
7.991
7.702
3.607
»
»
» >
»
»
3.578
»
4.390
Totau
43.518
96.503
G5 . 791
1U.5S1
42.735
7.968
Faure Maurice , né en 18.îo, conseiller général, député depuis 1.S85. radical.
Bizarelli Louis , né en 1836, docteur-médecin, conseiller général, député depuis 1881, radical.
Blanc Louis i, né en 1838, entrepreneur de voitures publiques, cons. gén.. député sortant, radical.
Gras Antoine , né en 18i7, avocat, ancien magistrat, député sortant, radical.
Comte d'Aulan François de Suarez , né en 1864, propriét., nouvel élu, nationaliste plébiscitaire.
8jG
LA NOUVELLE CHAMBRE
Leroy.
Fouquet.
Passy.
EURE (6 députés).
VOIX
obtenues.
ÉLECTEURS
RÉPARTITION DES SUFFRAGES
CIRCOXSCKIPTIONS.
DÉPUTÉS ÉhVii.
inscrits.
votants.
Républ.
Badic.
Social.
Conserv.
ÉVKEUX !'■«■.
— 2e.
Les Andelys.
Bernay.
louviers.
pont-audemer.
Isambard
Leroy ( 2'* tour) . . .
Passy
Fouquet
Thorel
Loriot
7.633
6.478
9.166
7.916
7.543
9.394
17.111
15.156
16.500
16.795
16.816
17.870
13.731
12.179
11.983
13.705
13.154
11.170
6.967
6.478
9.166
5.691
7.543
9.394
7.633
143
»
»
4.999
»
»
»
»
»
»
5.356
»
7.951
»
»
Totauî
48.130
100.248
75.922
44.239
12.775
»
13.307
Isambard (Edouard), né en 1815, médecin, conseiller général, député depuis 1890, républicain.
Leroy (Modeste), né en 1855, jurisconsulte, conseiller général, député sortant, républicain.
Passy 'Louis), né en 1830, membre de l'Institut, députe dep. 1871, républicain constitutionnel.
Fouquet (Camille), né en 1841, ancien officier, cons. général, député depuis 1885, indépendant.
Thorel Jules), né en 1842, manufacturier, conseiller général, député depuis 1889, républicain.
Loriot Charles), né en 1850, propriétaire, conseiller général, député depuis 1889, républicain.
Dubois.
Lliopiteau.
EURE-ET-LOIR (5 députés).
VOIX
obtenues.
ÉLECTEURS
RÉPARTITION DES SUFFRAGES |
ORCO.XSCRIPTIONS.
DÉPUTÉS ÉLUS.
inscrits.
votants.
Républ.
Radie.
Social.
Conserv.
ClUKTRES 1".
~ 2^
ClIATEAUDUN.
Dreux,
nogext-le-rotrou
Lhopiteau
Bordier
7.199
S. 376
7.691
8 . 150
6.682
15 . 844
13.366
18.141
19.162
11.690
12.815
13.187
14.799
16.296
8.000
5.323
4 . 658
6.120
8 . 150
6.682
7.199
8.376
8.586
7.957
»
192
»
»
«
»
»
Dubois.
Deschanel
Totav
X
38.098
78 . 203
65.097
30.933
32.118
102
)>
Lhopiteau (Gustave), né en 1860, avocat, cons. gén., député sortant, radical progress. démocrate.
Bordier (Emile), né en 1855, notaire, nouvel élu, républicain progressiste.
Isambert (Gustave), né en 1841, publiciste, député depuis 1880, radical.
Dubois (Victor), né en 1837, ancien négociant, cons. gén., député sortant, républic, progressiste.
Deschanel (Paul), né en 1856, conseiller général, publiciste, président de la Chambre, député
depuis 1885, républicain.
F.A \(tr VK[,I.!': CIIAMBHK
S57
De Kerjcgu. VilUers. De Miin. Cosmao-Dumenez. Diibuisson.
Gavraud. Janueii. Hémon. Miossec. Isnard.
FINISTERE ( 10 députés).
VOIX
obtenues.
ÉI.ECTKDIS
KliPAUTITloX DRS srFFIt.\GKS II
CIUCONSCUIPTIONS.
DÉrOTKS ÉLUS.
inscrits.
votants.
Républ. '
Radie.
Social.
Conserv.
QL'iMrKi: 1"-.
Hémon
7.H34
17.096
13.174
7.934
))
»
5.158
— 2'-.
Cosinao Dumenez .
y..-) 79
25.38-)
18.458
9.579
8.770
»
»
Brest !■•«■.
Isnard c-'" tour:. .
7 . 106
24.748
13.768
6.627
7.106
>i
)i
— a».
VUliers
9.289
16.780
10.428
»
»
i>
9.289
— 3".
Gayraud
10.077
17.977
11.466
10.118
);
))
M
ClIATEAULIX 1".
Miossec
6.650
16.582
12.481
12.420
»
»
))
— 2".
Dubuisson
8.4.'-.l
13.. 509
8.696
8.451
n
»
»
MOIiLAIX l"'.
Jaouen
7.647
19 . 760
14.619
7.647
»
»
6.856
— 2^
Comte de Mun . .
12.090
18.850
13.635
»
»
»
12.090
Ql'iwpeulé.
De Kerjégu
10.414
15.152
10.934
10.414
»
»
«
TotauN
89.237
185.839
127.659
73.190
15.8 76
«
23.393
Hémon Louis , né en 1844, avocat, cons. gén., député de 1876 à 1885 et dep. 1889, républicain.
Cosmao-Dumenez Sélim), né en 1840, médecin, cons. général, député depuis 1889, républicain.
Isnard \Auguste), né en IS.'tô, avocat, nouvel élu, républicain radical.
Villiers Emile, né en 1851, propriétaire, député sortant, conservateur.
Abbé Gayraud (Hippolytei, né en 1856, député sortant, républicain démocrate chrétien.
Miossec (Gabriel), né en 1839, agriculteur et négociant, nouvel élu, républicain.
Dubuisson (Louis), né en 1812, docteur-médecin, conseiller général, nouvel élu, républicain.
Jaouen Armand), né en 18.'î2, propriétaire, député sortant, républicain progressiste.
Comte de Mun (Albert , né en 1841, ancien officier de cavalerie, membre de l'Académie fran-
çaise, député de 1876 à 1893, réélu en janvier 1894, catholique constitutionnel.
De Kerjégu James, né en 1846, ancien diplomate, conseiller général, député depuis 1889,
républicain progressiste.
Doumergne.
Delon-Soubeirau.
GARD (6 députés).
ciitroN.sniiiTioxs.
Al.AlS 1"'.
X7.V.f.
LK VjtiAX.
PEPITKS ELV;
Deloii-Soubi'iian(2'' 1. 1 .
Doumergue
Devèze (2'' tour')..
DeRamel(2'tour).
Pascal (2^ tour). .
Pastre (2" tour). .
VOIX
obtenues
8.826
11.514
8.273
9.471
10.962
8.097
.143
ELECTEUR.*
inscrits.
23.611
26.855
19.224
21.199
25.629
18.244
134.762
votants.
16.480
17.636
14.481
17.574
19.804
13.849
99.824
ItEPAiaTTIOX DES SUFFRAGES
Républ.
10.962
5.561
8.826
11.514
6.052
»
8.589
Social. Conserv
.423
.795
Delon-Soubeiran Jules . né en ls37, propriétaire-viticulteur, nouvel élu. radical socialiste.
Doumergue Gaston , né en 1N63. avocat, anc. magistrat, député sortant, radical socialiste.
Devèze Marins,, né en 1803, professeur libre de philosopliie, nouvel élu, socialiste.
De Ramel Fernand , né en 18 17. docteur en droit, avocat à la cour de cassation et au Conseil
d'Klat. jurisconsulte, conseiller général, député depuis 1889, conservateur.
Pascal Léonce), né en 1835, ancien administrateur des magasins du Bon-Marché, conseiller
général, nouvel élu, républicain progressiste.
Pastre Ulysse), né en 1864, professeur, nouvel élu. sociaUste.
LA NOUVELLE Cil AM 15 HE
Cruppi. Calvinliac. Ruai.. Piou.
Raymond Leygues.
GARONNE (HAUTE-) ( 7 députés ).
VOIX
ol>tenues.
ÉLKC-l'ElBS
IIÉI'ARTI-J-IOX DE.S SUFFRAGES 1
(■Il;(X)\S(UIPTKlX^:.
IJKPUTÉS ÉLUS.
iiiseritç:.
votai it.s.
Répub'.
Radie.
.Social.
Conserv.|
— 2P.
Muret.
S.iixt-Gaudex.s l''-.
O''.
ViLLEFRAXCHE.
Leygue (liajmoDil) . .
Calvinhac ( 2f tour).
Cruppi
Leygue (Honoré)
Piou
Ruau
Caze
9.6K9
9.212
10.137
12.24S
7.312
8.814
6.918
22. 54 G
23.408
19.856
27.684
16 . 708
20.940
16.417
16.220
14.855
16.646
22 . 550
13.972
15.273
13.930
3.294
5.406
10.137
9.884
7.312
6.151
3.413
9.689
»
6.273
12.248
6.486
8.814
6.918
»
9.212
»
»
2 . 928
)>
»
»
2.369
64.330
147.559
113.446
45.597
50.428
9.212
5.297
Leygue Raymond , ne' en 1S50, anc. capit. au long- cours, cons. gén., député depuis iNOO, rad.
Galvinhac (Louis), né en lMi9, journaliste, député depuis 1SS9, socialiste.
Cruppi Jean), ne en 1855, anc. avocat-général à la cour de cass., cons. gén., nouvel élu, répub.
Leygue (Honoré), né en 1856, propriétaire, anc. officier d'art., cons. gén., nouvel élu, radical.
Piou Jacques), né en 18.38, avocat, ancien député, républicain.
Ruau Joseph , avocat, licencié es lettres, conseiller général, député sortant, radical.
Caze Edmond), né en 1839, industriel, agriculteur, ancien sous-secrétaire d'État dans le
cabinet Gambetta, député de 1876 à 1885 et depuis 1889, radical.
De Cassagnac.
Delieux.
Delpecli -Cantaloup.
■ /
Lazies. Decker-David.
GERS (■> députés).
i'lRcoxsci:ii-j'iox.'
DEI'UTE.S ELCS
AUCH.
C'OXDOM.
Lecïoure.
LOJIBEZ.
Miraxde.
Decker-David (2'- 1.)
Lazies (2'' tour). .
Delpecli Cantaloup
Delieux (2' tour).
De Cassagnac (2'- 1.)..
voi.x
obtenues
7 . 00.5
8 . 660
r> . 086
3. 824
9. 805
34.980
ELKCTEUll.S
inscrits.
17.716
16.678
13.988
11.762
22.656
82.700
votants
13.798
16.721
11.434
9.645
18.727
70 . 325
IlEP.iRTrnOX DES SUFFIÎAGES
Républ.
3.158
Radie.
7 . 00.-)
7.941
5.519
3 . 824
8.601
32.890
6.632
8.660
5.686
2.618
y . 805
33.401
IJecker-David fPaul), né en 1863, ingénieur-agronome, projjr.. cons. gén., dép. sort., radi^
Lazies Joseph;, né en 1862 , propriétaire, officier démissionnaire, nouvel élu. conservateur.
Delpech-Cantaloup (Jules:, né en 18 19, avocat, grand propriétaire foncier, conseiller gêné
nouvel élu, plébiscitaire.
Delieux André . né en 1850, propriétaire, nouvel élu, radical.
Granier de Cassagnac Paul', né en 1843, publiciste, ancien député, conservateur.
LA XOU VKI.LK C.II AMiiHK
Chastenet.
Constant.
Decrais.
CazatiTielh.
Du Périer de Larsan.
Laroze.
Jourde.
Surchamp.
GIRONDE (11 députés).
VÙI.X
olitenues.
ÉLECTErE.S
KÉPAirnnox de.s .suffrages j
aiicox.si; luPTioxs.
DÉri"rÉs Éi.rs.
inscrits.
votants.
Républ.
Radie.
.Social.
Conserv.
BOnDEAUX 1''^
2<'.
— 3^
— 4<-.
— 5'^.
Bazas.
Blate.
Lespaiïre.
LlliOURXK l'*".
LA RÉOLE.
Chiche
Bernard ( 2' tour ) .
Jourde
Decrais
Cazauvielh
Constant ( 2i' tour).
s. 1153
8. 2.) 3
14.868
11.638
7.176
7.6.53
7.297
7.130
9 . 503
8.134
22.659
24.278
33.450
28.437
16.926
18.905
l.-).256
18 . 698
18.914
16.596
14.238
15.245
15.911
20.016
15.375
14.377
15 . 345
9 . 735
14.438
13.387
13.057
6.879
7.056
2.691
14.868
11.638
14.241
7.653
7.297
14.239
9 . 503
8.134
1 . 3S6
3.719
2.148
))
2.043
1.587
»
4.079
7.805
8.053
8.263
)>
»
»
»
»
1.005
408
»
3.414
»
»
»
5.474
»
»
2.453
1)
C'-ltiiPi'rierde Lnrsao . .
Surchanip(2'tuui)
Chastenet
97.510
236.841
161.124
104.199
14.962
25.534
11.341 i
Chiché 'Alberts né en 1854, avocat, ancien député, socialiste.
Bernard Jean-Charles , né en 1856, journaliste, nouvel élu, socialiste.
Jourde Antoine , né en 1848, employé de commerce, ancien sous-officier, député depuis 1889.
siicialiste.
Decrais Albert', né en 1838. ancien préfet, conseiller d'Etat, ambassadeur à Rome, à Vienne.
à Londres, député sortant, républicain.
Cazauvielh René , né en ls5!>, docteur-médecin, conseiller général, nouvel élu, républicain.
Goujon Théophile,, né en 1835, propriétaire-viticulteur, ancien vice-président du conseil de
])i'éfecture de la Gironde, conseiller général, député sortant, républicain modéré.
Constant Emile , né en isci. avocat, ancien bâtonnier, député sortant. ré|)ublicain.
Comte du Périer de Larsan Henri , né en 1844, propriétaire, ancien magistrat, député
depuis 18!S9. républicain.
Surcbamp Abel, né en 1849, négociant, conseiller général, député depuis 18s9. républicain.
Chastenet Guillaume;, né en 1858, avocat, député sortant, républicain.
Laroze Pierre , né en 18G1, ancien auditeur au Conseil d'Etat, député sortant, républicain.
XCO
LA NOUVELLE CHAMBRE
Béiiézecli
Ange.
Lafferre.
Razimbauil.
Vigne d'Octon.
HERAULT (6 députés).
VOIX
obtenues.
ÉLECTEURS
RÉPARTITION DES SUTFRAGES il
CIRCON.SCIUPTIONS.
DÉPUTÉS ÉLUS.
inscrits.
votants.
Républ.
Radie.
Social.
Conserv.
Montpellier l''*'.
— 2^
BÉZIERS !'■''.
LODÈVE.
Saint-Pons.
Bénézech(2''t(iur).
Salis
Lafferre (2<"tour).
Auge
Vigne
Razimbaud
12.199
12.. 537
12.730
11.214
7.768
5.4C5
28.862
29.930
29.409
26.181
17.202
14.496
20.031
20.096
18.162
14.933
12.746
10.486
7.337
»
2.946
4.764
4.029
»
12.734
11.214
7.768
6 . 256
12.199
12.537
7.124
))
.5.875
»
Total
X
Cl. 913
146.080
96.4.54
19.076
37.972
24.736
12.999
Bénézech (Jean-Baptiste), né en 1852, ouvrier typograjjhe, conseiller municipal de Montpellier,
nouvel élu, socialiste.
Salis (Jacques), né en 1818, avocat, conseiller j^énéral, député depuis 1881, socialiste.
Lafferre (Louis), né en 1861, professeur de LUnivcrsité, nouvel élu, radical socialiste.
Auge (Auguste), né en 1850, ancien négoc, propriét., viticult., dép. sort., radical prof^ressiste.
Vigne d'Octon (Paul), né en 1859, ancien médecin de la marine, dép. sort., radical socialiste.
Razimbaud (Jules), né en 1837, propriétaire-viticulteur, ancien notaire, conseiller général,
ancien député de 1885 à 1889, 1889 à 1893, républicain démocrate.
ILLE-ET-VIL.AINE (8 députés).
voix
obtenues.
ÉLECTEURS
RÉPAimnON DES SUFFRAGES
CIllCONSCRIPTIOXS.
DEPUTES ELUS.
inscrits.
votants.
Républ.
Radie.
Social.
Conserv.
Rennes l'"^.
— 2'-.
Fougères.
montfort.
Redon.
Sai.vt-Malo 1".
Vitré.
Le Hérissé
Brice
BaziUon
Porteu
L'-coloiu'l du Ualgouet. .
Brune
Surcouf (2>' tour).
Le fionidec de Iraissan.
8.386
12.63.5
10.403
7 . 750
13.338
7 . 952
6.745
11.928
22.224
18.048
23.991
17.177
26.004
16.661
17.635
20.443
16.244
13.726
20.039
14.390
17.350
12.629
12.907
15.889
3.866
12.635
10.403
6.384
»
7.952
8.251
»
8.386
»
»
»
»
316
»
»
))
)i
»
3.512
»
9.353
7 . 750
13.338
4.503
4.551
11.928
Total]
79.137
162.183
123.174
49.491
8.386
316
54 . 935
Le Hérissé (René), né en 1857, ancien oflicier de cavalerie, républicain révisionniste.
Brice (René), né en 1839, avocat, conseiller général, député de 187 J à 1889, échoua en 1889,
réélu en 1893, républicain progressiste.
BaziUon (Alfred), né en 18 47, propriétaire, nouvel élu, républicain progressiste.
Porteu (Armand), né en 1839, fdateur, ancien préfet, député depuis 1889, conservateur.
Du Halgouet (lieutenant-colonel Maurice), né en 1847, cons. gén. député sortant, conservateur.
Brune (François), né en 1835, ancien notaire, conseiller général, député sortant, républicain.
Surcouf (Robert), né en 1868, propriétaire, avocat, nouvel élu, républicain modéré.
Comte Le Gonidec de Traissan (Olivier), né en 1839, propriétaire, député de 1876 à 1885, échoua
en 1885, réélu en 1889 et en 1893, conservateur.
M
I-A NOU VKl.I.K CIIAMIJUE
SOI
De Saint-Martin.
Oavid.
INDRE (5 députés).
VOIX
obtenues.
ÉLKCTEUKS
liÉPARTITlOX DES SUFFRAGES |
ClKLWXdCIUPTIONS.
DEPUTES ELUS.
inscrits. | votants.
Républ.
Kaiiic.
Social.
Conserv
Chateauuoux !■■<■.
— 2'.
Lk Bi.axc.
La Châtre.
lssoudun.
Balsan
David (2'^' tour). . .
Leglos
De Saint-Martin .
Dufour
9.01.5
6.137
7,4r>9
8.6.50
6. oui
21.3H6
13.137
18.967
19.89.5
1;5.240
17.721
11.010
1.5.024
16.436
12.742
9.(11.5
4.6.51
14.687
7.-594
4.158
8.351
6.1.54
1)
6.. 5(11
»
1.987
»
»
8.6.50
»
Totaux
37.762
88.62.5
72.933
40.10.5
21.006
1.987
8.650
Balsan i Charles), ne en 1838, industriel, cons. gén., ciéputé depuis 1880, droite royaliste.
David Alban), né en 1839, propriétaire, conseiller général, député depuis l.ssO, radical.
Leglos Joseph), né en 1864, agriculteur, conseiller d'arrondissement, nouvel élu, républicain.
De Saint-Martin (Aimé), né en 1831, propriét. agricult., cons. gén., député dep. 1876, conservateur.
Dufour f Jacques), né en 1819, négociant, nouvel élu, socialiste.
Tiphaiiio.
INDRE-ET-LOIRE (4 députés).
eii:coN-si Bii'Tiox.-i. '| décotes élus.
VOIX
obtenues.
ELEC"
KUIÎS
REPARTITION DES SUFFRAGES il
inscrits.
votants.
Républ.
Radie.
Social.
Conserv.
TouKS l''''. Dralie (2>-' tour). . .
— 2<'. Tiphaine (2'^ tour).
Chixox. Letfet (2'- tour) . . .
Loches. Wilson ( 2« tour ) . .
Totaux
12.419
13.(J77
13 . 103
9.046
28 . 609
27.328
26 . 3.59
20.325
23 . 605
22.873
20.905
17.912
12.419
9.594
20.778
8 . 715
11.U24
13.(177
)'
9.04G
37
9
»
M
47.64-5
102.621
85 . 295
51.506
33.117
46
Drake i Jacquesi, né en 185ri, propriétaire viticulteur, député sortant, républicain.
Tiphaine ^Alfred), né en 18.36, propriétaire, conseiller général, député depuis 1S90, radical.
Leffet Eugène), né en 1838, ancien ollicier de marine, républicain indépendant, décoré de la
Légion d'honneur pour faits de guerre en 1870, conseiller d'arrondissement, député sortant.
Wilson Danieli, né en 18 10, sous-secrétaire d'Etat aux finances 1879, 1880, 1881, député en
1869, puis à l'Assemblée nationale et depuis 1876, radical.
i,A ^'ul;^'ELLE ciiambuk
Dufour. Bovier-Lapierre. Meyer. Kivet. Christophle. Zévaès.
Chenavaz.
ISERE (8 député.5).
VdIX
obtenues.
ÉLECTEUHS
RÉPARTITION DES SVFPKAGE.S 1
ClnCONSCKIPTIDN.S.
DÉPl'i'K.S Ér,!'.'^.
inscrits.
votants.
Républ.
Radie.
Social.
Conserv.
GUEXOBLE !'■'■.
— 2";.
— 3'-.
Satnt-M.^ecellin.
La Toue du Pin l'^'.
— 2'-.
Tienne !'■''.
Rivet
BiiursoD,ditZcïa^s{2^'t.).
Dufour (2'^- tour).. .
Chenavaz (2'- tour) .
Rajon
Eovier-Lapierre . .
Christophle
Meyer
11.(176
9.34S
7.220
10.SS3
9.Î123
S. 027
0.21 fi
8.4.-)6
20.107
27.UU2
18.606
23.830
19.516
10.2II.-)
22.460
19.8.32
1-).144
18.861
13.697
13.898
16.016
14.1.54
16.487
15.906
3 . 0.56
6.840
13.-580
1.979
6.021
5.674
0.216
8.462
11.076
»
»
10.983
9.923
8.027
5.776
7.272
»
9.348
»
364
1.221
)>
2.552
»
»
»
Totau
-x;
74.140
170.668
124.163
55 . 728
53.057
10.933
2.552
Rivet (Gustave , né en ISls, homme de lettres, ancien universitaire, conseiller général, député
depuis iss.'î, radical.
Bourson, dit Zévaès Alexandre), né le 2 S mai isT.T, Journaliste, nouvel élu, socialiste.
Dufour (Eugène,, né en 1844, docteur-médecin, nouvel élu, républicain.
Chenavaz (Octave), né en 1855, avocat publiciste, cons. gén., député sortant, radical démocrate.
Rajon Claude , né en 1SG6, professeur, député sortant, radical.
Bovier Lapierre Amédéei, né en 1S37, avocat, docteur en droit, conseiller général, député
depuis Issi, radical.
Christophle Jean,, né en 1S51, propriét. agricult., cons. gén., nouvel élu, républic, progressiste.
Meyer Henri , ancien magistrat, conseiller général, nouvel élu, républicain.
JURA ( 4 députés ).
VOIX
obtenues.
ELECTEUHS
RÉPARTITION DES SUFFRAGES ||
CIUCOK.SCRIPTIONS.
DÉPUTÉS ÉLUS.
inscrits.
votants.
Républ.
Radie.
Social.
Conserv.
L(;ins-i,e-Saui.niki!..
DÔLE.
POLIGNY.
Saint-Claudiï.
Trouillot
12.322
8.060
7.57 7
5 . 722
27.035
20.010
18.215
15.689
22 . 205
16.208
15.407
12.755
0.638
8.017
7.481
5.294
12.322
8.069
7 . 790
5 . 722
1.608
»
8
Bourgeois
Dûment (2"" tour ) .
Gère ( 2» tour ) . . . .
33 . 600
80 . 040
66.665
30.430
23 . 003
1 . 608
8
en 1S51, avocat, cons. gén., député depuis 1889, républicain démocrate,
urgeois '.Ican-ljaplistc , né en 18.31, négociant, cons. général, député depuis 1885, démocrate,
mont Cliarlesi, né en 1867, professeur agrégé de philosophie, nouvel élu-, radical,
en 1863, homme de lettres, nouvel élu, iépul)licain.
Trouillot (Gcoi
Bo
Dumo
Cére (Emilej
I.A XOl VKl.J.K Cil .\Mi5Hl':
Léglise.
Jacquey.
LANDES (5 (lépiitOs).
VOIX
obtenue?;.
ÉLECÏEL'IÎ.-;
lîKrAiiTiTiON riES ?ui-fi;.\<;k> ||
iil:riiNSCl:lPTli)X.-.
iiÉrrTKs Éi.rs.
inscrits.
votants.
lîépubl.
Riilic.
Social.
Conserv.'
M.'-ii!:-M.\its.\N- l'''-.
2''.
Dax l'-'-.
o.-_
S.VlXT-Se^TER.
Général Jacquey. .
Jumel
Denis
Léglise
Dulau
7.831
8.496
8.814
11.464
15.897
ie.963
15.010
15.816
16.537
24.027
14.210
10.821
13.858
1*.430
17.554
14.003
8.406
4.956
11.464
15.897
1)
8,814
»
;;
>i
52.502
88 . 353
es. 873
54.816
8.814
«.
»
Général Jacquey Armand , né en lS3i, nouvel élu. répulalicain indépendant.
Jumel Henri , né en 18 i7, propriétaire, avocat, député depuis 18S6. répuhlieain.
Denis (Tliéodore . né en 18o8, avocat, bâtonnier de l'ordre. ,juf;e suppléant. dé[)uté sortant,
ré]3ublicain radical..
Léglise Féli.x;. né en 18 1.3, négociant, député depuis 1881. ré|)ublicain pro^i'essiste.
Dulau Constant', né en 1Sj7, avocat, ancien magistral, ancien ijrocureiu' de la République.
député depuis 1891. républicain progressiste.
Ragot.
ilaymac.
VOIX
olitenues.
ÉLECÏEl-U:S
r.EPAUTITION D
ES .SCFFll
V.CiES
tlIîCDXSrr.Il'TIox,-.
HEICIES ELTS.
inscrits.
votants.
Républ.
Radie.
S. 725
lO.nil
5.431
S cial.
Couserv.
BI.01.S l'-^-.
Ky.MOlî.^STIN'.
Vkxdô.mk.
Gauvin (2^' tour). .
10.911
8.S72
11.015
23.561
19.498
17.895
23.026
18.817
16.525
14.734
18.433
68.509
27
3.466
8.872
11.015
6.707
»
»
164
3.151
.1.830
»
6 . 72r-
Maymac
Bozérian (2" tour) .
Total
X
39.523
83.980
23.380
25.067
6.871
11.706
Gauvin Eusèbe . né en 1852, propriétaire, cultivateur, cens. gén.. député sortant, radical
Ragot Constant , né en l<s:58, propriét.. cons. d'arrondiss., député sortant, républicain rat
Maymac Cabriel , né en 18 i2, avocat-avoué, nouvel élu, républicain.
Bozérian (laston , né en 185î. rentier, cons. gén., député sortant, républicain progressiste
adica'
864
LA NOUVELLE CHAMBRE
Clamlinoii.
Gay.
LOIRE (8 députés).
VOIX
obtenues.
ÉLECTEUR.S
RKI'ARTITIUX DES .SUFFRAGES |
C:IRC0N.SCRIPT10XS.
DÉPUTÉS ÉLUti.
inscrits.
votant?.
Républ.
Radie.
Social.
Conserv
Saint-Etiexxe l"'.
— V.
M0N'13RIS0N !'■'■.
— 2^
Roanne V>:
Oriol (.2*' tour). . . .
Galley (i»^ tour). .
Gay (2" tour;
Claudinon
7.347
.5.677
7.535
10.761
10.492
8.467
10.171
9.527
19.96G
16.441
20.819
22.782
20.613
21.070
26.873
23.142
13.980
10.412
15 . 234
15.887
11.397
9.366
20.301
IS.lll
7.347
5.677
7.535
10.761
10.492
S. 697
10.171
9.527
6.477
4 . 586
4 . 956
>)
928
7 . 45 7
6 . 068
25
»
»
)>
))
4.032
7.475
Dorian (2' tour). .
Audiffred
Morel
Totaux
69.977
171.706
114.688
70.207
16.947
13.550
11.. 507
.
' '
, ,
,.'. ..ui:„
(Benoît), né en 1840, manufacturier, conseiller général, député sortant, républicain.
If (J.-B.), né en 1847, conseiller général, nouvel élu, républicain.
Victor), né en 1855, avocat, conseiller général, nouvel élu, républicain.
Oriol
Galley
Gay 'V ,, , , . , . ,
Claudinon (Georges), né en 1849, maître de forges, nouvel élu, ropublicam progressiste.
Levet (Georges), né en 1834, ingénieur des mines, cons. gén., député depuis ls79, républicain.
Dorian (Charles), né en 1852, propriétaire, conseiller général, élu en lissT, non réélu en 1889,
député sortant, républicain progressiste.
Audiffred (Honoré), né en 18iO, avocat, conseiller général, député depuis 1879, républicam.
Morel I Jean-Baptiste), né en 1854, pharmacien, nouvel élu, républicain progressiste.
Nérou-Bancel.
Dupuy.
LOIRE ( HAUTE-) (4 députés).
VOIX
obtenues.
ÉLECTEURS
liÉl'AimTION DES SUPFR.VGES 1
niicox.sorjPTiiixs.
IlKPUTES ELUS.
inscrits.
votants.
Répuljl.
Radie.
So cial.
Conserv.
Le Puy 1"-.
— 2'-.
Brioudb.
yssixgeaux.
Dupuy
Blanc
Devins
Néron-Bancel
12.225
10.006
10.784
12.087
22.965
19.061
24.704
26.081
15.203
12.733
19.648
14 . 504
12.225
10 . 006
8.713
12.087
10.784
10 784
l
n
Total
45 . 102
92.811
62.088
43.031
,>
Diipuy (Charles), né en 1851, agrégé de philosophie, ancien ^■ice-rectcur, ministre de l'intérieui,
président du conseil 1893, président de la Chambre, décembre 1893, ministre de l'intérieur,
président du conseil 1894, ministre de l'intérieur 1898, député depuis 1885, républicain.
Blanc (Henri), né en 1858, avocat, anc. procureur de la République, dép. sortant, républicain.
Devins (Louis', né en 1850, docteur-médecin, conseiller général, nouvel élu, républicain radical.
Néron-Bancel, né en 1859, conseiller général, député sortant, républicain.
LA NOUVELLE Cil A M BUE
865
De La Ferronnays. De Montaigu. Méuard. De Pontbriand. Dubochet.
Roch.
LOIRE-INFÉRIEURE (S députés).
VOIX
obtenues.
ÉLECTEURS
RÉPARTITION DES SITFRAGES |
ciKcox8cun"riux.s.
DÉPUTÉS ÉI.US.
inscrits.
votants.
Républ.
Radie.
Social.
Conserv.
Nantes l":
2".
— 3^
AXCENIS.
Chai-eaubriaxt.
Paimeœuf.
Saint-Nazaire 1«-.
SibiUe {2'' tour). . .
Roch (2" tour)
Dubochet
M'* de la FcrrODnajs . . .
(;"■ JuBreilde Ponlliriand.
Galot
Ménard
De Montaigu
ti.711
7.978
14.311
6.612
12.223
7.547
9.1.58
9.949
21.496
21.351
35.519
14.619
23 . 543
14.312
25 . 735
22.135
12.803
13.856
28.300
12.482
14.572
11.528
17.771
18.678
6.711
7.978
14.311
5.270
»
11.320
17.314
8.668
5 . 750
»
»
»
»
86
»
12
»
»
5.402
13.635
6.612
12.223
»
9.949
74.489
178.710
129.990
71.572
5.750
98
47.911
SibiUe (Maurice), né en l<si7, avocat, conseiller général, député depuis 1X9.3, républicain.
Roch Gustave), né en ISli, avocat, député sortant, républicain.
Dubochet (Louis), né en l.sô2, industriel, conseiller général, nouvel élu, républicain libéral.
Marquis de La Ferronnays (Henri), né en 1842, propriét., cons. gén., ancien officier d'état-major,
attaché militaire à Berlin, à Berne et à Londres, député depuis 1885, conservateur catholique.
Comte du Breil de Pontbriand, né en 18i8, cons. gén., député depuis 188ô, conservât, libéral.
Galot Jules , né en 1830, propriét. agricult., cons. gén., nouvel élu, conservât, libéral catholique.
Ménard Anthimei, né en ISfîO, propriétaire, avocat, nouvel élu, républicain catholique.
Comte de Montaigu, né en ISiS, propriétaire, conseiller général, nouvel élu, conservateur.
Rabier.
Cochery.
Alasseur.
LOIRET
(5 députés).
VOIX
obtenues.
ÉLEClTiURS
RÉPARTITION' DES SUFFRAGES 1
CIRCONS CR I PTIOXS .
DÉPUTÉS ÉLUS.
inscrits.
votants.
Républ.
Radie.
Social.
Conserv.
Orléans l'".
— 2-=.
GlEX.
MOXTARGIS.
PiTHIVIERS.
Totau\
Rabier ( 2'" tour) . .
Vlger
9 . 908
14.044
7.813
10.499
11.342
23.132
24.381
17.824
24.004
17.753
19.179
16.796
14.610
19.540
14.624
9.280
»
»
8.899
11.342
9 . 908
14.044
7.813
10.499
2.896
»
6.586
34
»
»
»
»
»
Alasseur (2>- tour).
Vazeille (2" tour) .
Cochery
53.606
107.094
84 . 749
OC) .r,OX
45.160
»
Rabier Fernand), né en 1855, avocat, député depuis 1888, a été secrétaire de la Chambre, radical.
Viger Albert), né en 18 53, anc. ministre de l'agric, conseil, gén., député depuis 1885, radical.
Alasseur (Gustave), né en L813, conseiller général, député sortant, républicain progressiste.
Vazeille (Albert), né en 1859, médecin, nouvel élu, républicain radical.
Cochery (Georges), né en 1855, anc. min. des finances, cons. gén., député depuis 1SS5, républ.
Vin.
55.
866
LA NOUVELLE CHAMBRE
>^ l\
Vival.
Rey.
Lachièze.
LOT (3 députés au lieu de 4) (1).
VOIX
obtenues.
ÉLECTEURS
RÉPARTTnON DES SUFFRAGE.S
CIRCOXSCRU'TIOX.S.
DÉPUTÉS ÉLUS.
iuscrits.
votants.
Républ.
Radie.
Social.
Conserv.
Cahors.
FiGEAC.
GOURDON.
Rey (2'' tour)
Vival
Lachièze
14.163
12.268
10 . 098
33.008
2.5.833
22.407
27.260
22.097
19.. 589
27.023
9.. 536
10.098
12.268
9.305
»
»
293
Totaux
36.. ^29
81.248
68.946
46.657
21.573
»
293
(1) Aux élections cle 1893, lo départemeut du Lot a eu 4 déinités à élire. La réduction jiorte sur l'arrondissement de Cahors
qui n'a plus qu'un seul député à élire en raison des résultats du dénombrement de 1896.
Rey (Emile), né en 1838, docteur-médecin, conseiller général, député depuis 1889, républicain.
Vival (Louis), né en 18-i7, propriétaire, conseiller général, député depuis 1889, républicain
radical.
Lachièze (Albert), né en 1840, propriétaire, avocat, docteur en droit, conseiller général, député
depuis 1889, républicain.
Lagasse.
Georges Leygues.
LOT-ET-GARONNE (4 députes).
VOIX
obtenues.
ÉLECTEURS
RÉPARTITION DES SUFFRAGES
CIRCONSCRIl'TKXVS. | DÉPUTÉS ÉLUS.
inscrits.
votants.
Républ.
Rvulic.
Social.
Conserv.
Agex.
Marmande.
NÉRAC.
VlULENEUVE-S.-LOT
Dauzon
MelUet
Lagasse (2'- tour).
Leygues (2'' tour) .
9.465
9.658
7.596
9.098
23.907
29.311
17.946
27 . 465
17.226
24.056
13.683
22.624
»
9.582
5 . 729
9.098
15.180
7.596
»
1.545
9.658
»
5.673
10.876
»
4.521
»
7 . 755
Total
35.817
98 629
77 589
24.409
22.776
12.276
Dauzon (Philippe), né en 18G0, avocat, conseiller général, député sortant, radical.
Melliet (Léo), né en 1842, maître de conférences à Edimbourg, nouvel élu, socialislc.
Lagasse (Louis), avocat, conseiller général, nouvel élu, radical.
Leygues (Georges), né en 1856, avocat, publiciste, ancien ministre de l'instruction
et de rintéricur, député depuis 1885, républicain.
pidîliquc
LA NOUVKIJJ': CIIAMHHl';
867
Daudé.
w\
De Chambrun.
Jourdaii.
LOZERE (3 députés).
VOIX
obtenues.
ÉLECTEURS
RÉPARTITION DES .SUFFRAGE>; 1
CIRCONSCRIPTIONS. DÉl'DÏKS KLU8.
inscrits.
votants.
Hépubl.
Radie.
Social.
Conserv.
Mende. Daudé (2'' tour)..
Florao. Jourdan
Marvkjols. M's de Chambrun.
Totaux
6.0.^7
fi . 8.53
6.578
14.300
10. .577
14.026
11.178
7.687
10.910
6.057
1.71S
7.414
5.074
5.853
3.434
»
»
»
»
»
18.488
38.903
29.775
15.189
14.361
»
»
Daudé Paulin^ n^' en 1S62, avocat, nouvel élu, républicain démocrate.
Jourdan Louis . né en 1X4.3, avocat, conseiller général, dé])uté depuis 1885, républicain.
Marquis de Chambrun (Pierre), né en 1865, avocat, républicain, nouvel élu.
Bougére. De La Bourdonnaye. De Grandmaison.
MAINE-ET-LOIRE (7 députés).
VOIX
obtenues.
ÉLECTEURS
RÉPARTITION DES SUFFRAGES ||
riRCI INSCRIPTIONS.
DÉITTÉS ÉLl'S.
inscrits. | votants.
Républ.
Radie.
Social.
Conserv.
Angers V.
Joxé (2'' tour). . . .
11.429
28 . 224
20.611
1 1 . 429
))
)i
8.828
— 2-^.
Bougère (FerdiiiaDd).
10.322
21 . 485
18.304
7 . 682
»
»
10.322
Baugé.
Coudreuse
13.007
21.851
15.638
13.007
»
»
»
Cholet l'o.
Baron
10.600
18.170
12.859
»
»
»
10.600
— 2'.
V' deLaBiiunlonnaTe . .
10.178
19.119
14.469
3.974
)»
)>
10.178
Saumur.
De Grandmaison..
14.612
27.858
22.620
22.413
«
»
»
Skgré.
Bougère J,aureiii;i. .
10.827
18.134
14.411
3.264
))
))
10.827
Totau'î
80.975
154.841
118.912
61.709
»
"
50 . 755
Joxé Jean . né en 1821, maire d"Ang:crs, nouvel élu, républicain.
Bougére Ferdinand , né en 1868, licencié en droit, nouvel élu, conservateur.
Coudreuse Emmanuel , né en 18.37, ancien avoué, député depuis 181)1, républicain,
jn .Tulcs , ne on l.s.">r). propriétaire, conseiller f^énéral, député sortant, monarchist
ro;>
Baro
Dai\jii .» ute? , II* cii ■•■^.i.i. j^i <Ji-)i iLHciii c, Li_Mi»Liuci j^cin.'irti, ucpLin; suitaiii, iiiuiiai ciiiMC.
Vicomte de La Bourdonnaye (Raoul , né en 1837, secrétaire dambassado, conseiller j;énéral,
député depuis ISSi, royaliste.
De Grandmaison Geor}?es), né en 1865, propriétaire, conseiller général, ancien officier, député
sortant, républicain libéral.
Bougére Laurent , né en 186-4, propriétaire, industriel, député sortant, conservateur.
LA NOUVELLE CHAMBRE
Regnault.
Guérin.
Le Moigne.
Legrani.l
MANCHE (6 députés au lieu de 7) (1).
VOIX
obtenues.
ÉLECTEURS
RÉPARTITIO.V DES SUFFRAGES 1
CIKCONSCRIPTION.J.
DÉPOTÉS ÉLUS.
inscrits.
votants.
Républ.
Radie.
Social.
CoiiservJ
Saint-Lô.
avranches.
Cherbourg,
coutances.
MORTAIN.
Valognbs.
Rauline
Biotteau
Le Moigne
Regnault
Legrand
L'-colonel Guérin.
13.0.") t
11.9.54
6.00.5
16.834
11.974
11.260
21.817
25.319
22.870
27.041
17.209
19.218
14.165
20.998
12.421
19.179
12.997
12 . 040
»
11.954
6 . 005
16.834
»
»
»
»
»
»
»
11.260
»
»
))
»
j)
»
13.054
8.994
))
»
11.974
»
Totaux
71.081
133.474
91.800
34.793
11.260
»
34.022
(1) Aux élections générales de 1893, la Manche a élu 7 députés. Ce nomtre eu est réduit à G. La diininutiou porte sur l'ar-
rondissement de Coutances, en raison des résultats du dénombrement de 1896.
Rauline (Gustave), né en 1822, propriétaire, cons. général, député depuis 1S76, conservateur,
Riotteau (Emile), né en 1837, armateur, député depuis 1876, républicain.
Le Moigne (Albert), né en 1849, conseiller général, député sortant, républicain jirogressiste.
Regnault (Alfred), né en 1843, propriétaire, cons. général, député dep. 1891, républicain modéré.
Legrand (Arthur), né en 1833, propriétaire, conseiller général, député de 1871 à 1881, réélu
dej^uis 1889, bonapartiste.
Guérin Léon), né en 1841, lieutenant-colonel en retraite, député sortant, républicain modéré.
Bourgeoi
■Morillot Valle Moutfeuillaid.
MARNE (7 députés au lieu de 6) (1).
voix
obtenues.
électeurs
EÉPARTITIOX DES SUFFRAGES |
CIRCONSf UIPTIOXS.
députes ELUS.
inscrits.
votants.
Républ.
Radie.
Social.
Conserv.l
Chalons-s.-Marsf.
Eperxay.
Reims l'".
— 2".
— 3^
S'''-Mexehould.
Vitry-le-François
Bourgeois
Vallé
L^nnes de Montebello. .
Mirman
Montleuillard. . . .
Bertrand
MorUlot (2'' tour).
7.759
12.010
7.183
9.116
7.104
3.840
6.294
15.493
28.834
17.656
20 . 928
14.115
8.411
13.585
13.486
23.359
13.993
1.5.828
10.513
7.051
11.434
5 . 590
8.255
7.183
3.794
2.830
3.840
6.294
7.759
12,010
6.350
325
7.104
2,939
4.984
1)
2.902
))
10.522
21
127
)i
»
))
5
971
»
»
Totaux
53 . 306
119.022
95.664
37.786
41.471
13.572
976
(1) Aufrmcntotion d'un député par rapport aui élections de 1893, à cause du dénombrement de 1896. L'arrondissement de
Kcims élit 3 députés au lien de 2.
Bourgeois (Léon , né en J8r)l, ancien préfet, ancien dirccleur des affaires communales, ancien
]M-éfeL de police, ancien ministre et président du conseil, député depuis 1888, radical.
Vallé Ernest , né en 1815, avocat, conseiller général, député depuis 1889, radical.
Lannes de Montebello (Adrien), né en 1841, propriét., viticulteur, député sortant, républicain.
Mirman (Léon), né en 1865, pi-ofesseur agrégé de mathématiques, député sortant, socialiste
indépendant.
Montfeuillard (Ernest), propriétaire, maire et conseiller général, nouvel élu. radical.
Bertrand (Paul), né en 1847, ancien avoué, député depuis 1889, républicain.
Morillot (Léon), né en 1838, propriétaire, docteur en droit, conseiller général, iléputé sortant,
républicain modéré.
LA NOUVKLLK C II .V M U U K
869
llougeot.
Dutailly.
I MARNE (HAUTE-) (3 aéputés).
TÙIX
obtenues.
ÉLECTEUIiS
KÉrArrriTios- de.s srFFiîAf;ES ||
1 ClllcdXSt lilPTUi.VS. 1 DEl'U-lES ELUS.
inscrits. | votants.
Républ.
Radie.
Social.
CoiiservJ
Dutailly
9 . '.^4
14.292
11.566
23.252
26.350
22.280
19.664
23.050
16.852
9.402
8.463
14.862
9.984
14.292
»
»
»
»
LA.NfiREr^.
Vassy.
Mougeot
Rozet
Total
iX
35.842
71.882
59 . 566
32.727
24.276
»
»
Dutailly Adolphe , né en 1846. ancien professeur, conseiller général, ancien député, radical.
Mougeot Léon , né en 1S57, propriétaire, avocat, conseiller général, député sortant, radical
démocrate proirrcssiste.
Rozet Albin . né en 1852, propriétaire de forges, ancien attaché d'ambassade, consul honoraire,
conseiller général, député depuis 1889. républicain.
Chanlin-Serviniore. D'Elva
Heuzey.
' MAYENNE (5 députés).
VOIX
obtenues.
ÉLECTEUR.^
RÉPAUTITIOX DES SUFFRAGES
■ iiiroNscuimoNs.
DÉPUTÉ.S ÉLU.-:.
inscrits.
votants.
Républ.
Radio.
Social.
Conserv.
Laval l'*-.
— 2^
Chateau-Gontieb.
Mayenne l''^'.
2e_
Comte d'Elva
Heuzey
Prince de Broglie.
Renault-Morlière .
Cbanlin-SerTinisre. . .
10 . 328
5.746
11.825
10 , 943
13.U45
18.815
12.880
20.671
17.156
20.781
13.849
11.141
16.335
12.874
15.066
10.328
5.746
»
10.943
13.045
2.549
»
»
»
»
»
»
5 . 296
11.825
»
Totaux
51. 8.x 7
90.303
69.265
40 06"
*> 549
17.121
Comte d'Elva Christian . né en 1850. propriétaire, capitaine démissionnaire, conseiller général,
député depuis ISNO, républicain libéral indépendant.
Heuzey, né en lNt).3. industriel, nouvel élu, républicain progressiste.
Prince de Broglie Louis , né en 181c, propriétaire, ancien diplomate, ancien secrétaire dam-
bassîule à L'indres. sous-chef du cabinet du duc Decazes. député sortant, conservateur.
Renault-Morliére Aniédée . né en 1839. ancien avocat au Conseil d'Ltat et à la Cour de cas-
sation, conseiller général, député depuis 1876 avec interruption de 1SS5 à 1893. républicain.
Chaulin-Serviniére Lucien . né en ls48, avocat, cons. général, député depuis 1889. républicain.
M. Deribére-Desgarde, procureur de la République à Laval, a été élu le 18 septembre, par
9.5 17 sutïrages sur 16.700 votants en remplacement de M. Chaulin-Servinière, décédé le
26 juillet 1S9S.
870
LA NOUVELLE CHAMBRE
Chapuis.
Papelier.
MEURTHE-et-MOSELLE (6 dép.)
VOIX
obtenues.
ÉLECTEUR.S
liÉPARTITION DES SUÏ'PRAGES H
CIRCOXSCKIPTIOXS.
DÉPUTÉS ÉLUS.
inscrits.
votants.
Républ.
Radie.
Social.
Conserv.
Nancy l'"'.
— 2'-.
— 3-.
Briey.
lunkville.
TOUL.
Brice
Papelier
Gervaize {•2'^ tour).
Mézières
Fenal
Chapuis (2'' tour) .
9.010
8.170
G. 01.7
11.667
12.809
8 . 885
56.. 556
19.599
16.702
21.416
17.. 559
25.846
16.527
14.905
12,326
15.155
14.124
21.347
10.575
12.524
11.985
8.916
11.667
12.809
»
»
»
6.015
»
»
8.885
2.079
»
»
»
»
»
2 . 254
8.250
Totaus
117.649
88.432
57.901
14.900
2.079
10 . 504
Brice (Jules), ne en 18,30, propriétaire, conseiller grénéral, député sortant, républicain libéral.
Gervaize (Ludovic), né en ISôl, avocat, nouvel élu, républicain indépendant antijuif.
Papelier (Albert), né en 1845, négociant, député depuis 1889, républicain progressiste.
Mézières (Alfred), né en 1826. membre de l'Académie française, membre du conseil de l'ordre
de la Légion d'honneur, député depuis 1881, républicain.
Fenal (Théophile), né en 1851, industriel, cons. gén., nouvel élu, républ. libéral progressiste.
Chapuis (Gustave), né en 1851, docteur-médecin, conseiller général, député sortant, radical.
Prudhomme-Havette.
Poiucaré.
MEUSE (4 députés).
VOIX
obtenues.
ÉLECTEURS
RÉPAU'J'iriON DES SUFFRAGES 1
CIRCONSCRIPTIONS.
DÉPUTÉS ÉLUS.
inscrits.
votants.
Républ.
Radie.
Sooidl.
Cousfarv.
Bar-le-Duc.
commbrcy.
montmédy.
Verdun.
Ferrette (2<- tour».
Poincaré
Sommeillier
Prudhomme-Havette. . .
10.138
14.476
8,385
12,268
22,003
21.066
15.148
20.394
18.285
15.677
12.214
14.391
7 , 780
14,476
11,852
12.268
10.148
»
»
»
»
»
»
»
98
»
H
»
45,267
78.611
60.567
4(; .376
10.148
»
98
Ferrette Henry), né en 1869, avocat, conseiller général, nouvel éki, républicain radical.
Poincaré (Raymond), né en 1860, avocat, conseiller général, ministre de l'instruction
publique 1893, des finances 1894, député depuis 1887, républicain.
Sommeillier Mules), né en 1856, conseiller général, nouvel élu, républicain progressiste.
Prudhomme-Havette (Louis), né en 1834, ancien industriel, cons. gcn., dép. sortant, républicain.
I-A X()U\'1:LLK ciiamhhk
«7]
Jacob.
De Rohan.
De rEstourbeilloii.
Le Clec'h.
Langlais.
MORBIHAN (7 députés).
V(_>IX
obtenues.
ÉLECTEURS
RÉPARTITION DES SUFFRAGES
CIRCOX.SCRIPTIO>-S.
DÉPUTÉS ÉLUS.
inscrits.
votants.
Républ.
Radie.
Social.
Couserv.
Vannes !■■•■.
— 2'-.
LO RIENT l'■^
— 2'-.
Ploermei,.
PONTIYY l'"^.
2".
Mi'del'Eslourteillon..
Forest
6.972
11.202
9.302
12.332
11.479
6.803
4.. 568
16.711
19.82.5
22.280
29.419
25.808
17.059
11.. 503
13.204
15.853
15.757
21.310
21.570
13.591
9.196
6.175
4.608
6.366
12.883
9.908
6.803
4.576
51.219
»
»
9.302
5
»
»
4.568
»
»
»
»
6.972
11.202
»
8 . 363
11.479
6.775
»
Jacob
Bucde Rohan-Çhabot. .
Langlais (2'' tour) .
Le Clec'h
Totau'ç
62.658
142.605
110.481
13.875
»
44.791
Marquis de l'Estourbeillon (Réçis), né en 1859, propriétaire, homme de lettres, député sortant,
catholique libéral.
Forest (François), né en 1S52, propriétaire, anc. offîc., cons. gén., nouv. élu, conservateur.
Guieysse (Paul), né en 1810, directeur adjoint de l'Ecole des hautes études, répétiteur à l'Ecole
polytechnique, ministre des colonies (1895), député depuis 1890, radical socialiste.
Jacob (Joseph), né en 1849, prop. cultiv., publ. agricole, nouvel élu, républicain progressiste.
Duc de Rohan Chabot (Prince de Léon), né en 1844, cons. gén., député depuis 1876, royaliste.
Langlais (Charles), né en 1847, docteur-médecin, nouvel élu, républicain de gouvernement.
Le Clec'h (Albert), né en 1857, avocat, docteur en droit, député sortant, républicain.
Turigny.
Goujat.
NIEVRE (5 députés).
VOIX
obtenues.
ÉLECTEURS
RÉPARTITION DES SUFFPxAGES 1
CIRCUSSCRIPTIOXS.
DÉPUTÉS ÉLUS.
inscrits.
votants.
Républ.
Radie.
Social.
ConservJ
Nkvers l"'.
— 2'-.
Chateau-Chinon.
Clamecy.
COSXE.
Massé (2'- tour) . .
Turigny
Chandioux
Jalnzot
Goujat
4.824
7.513
8.195
9 . 845
8.860
23.631
14.537
20.714
21.072
22.436
18.115
11.365
15.914
16.547
17.501
4.148
3.724
»
9.845
8.068
4.824
>i
12.240
6.114
8.870
6.265
7.513
»
2.212
»
3.472
»
410
Total
X
39.237
102.390
79.442
25.785
32.048
13.778
6.094
Massé .Vlfred , né en 1N70, avocat, nouvel élu, radical socialiste.
Turigny Jean), né en 1822, docteur-médecin, conseiller général, député depuis 1873, radical.
Chandioux (Jean), né en 1849, négociant, conseiller général, député sortant, radical.
Jaluzot Jules), né en 1834, négociant, industriel, fondateur-directeur des magasins du Prin-
temps, député depuis 1889, républicain progressiste.
Goujat Claude), né en 1845, expert-comptable assermenté, député sortant, radical socialiste.
872
LA NOUVELLE CHAMBRE
Barrois.
Masurel.
De Moutalembert.
Rogez.
NORD (22 députés).
VOIX
obtenues.
ÉLECÏEUR.S
RÉPAIITITIOX DES SCPFR.^-GES ||
CIRCONSCEIPTIOXS.
DÉPUTÉS ÉLU8.
inscrits.
votants.
Républ.
Radie.
Social.
Conserv.
Lille l''*".
— 2<:
— 3^
— 4''.
— S^
— 6'.
— 7''.
— 8<-.
AVESSES l".
— 2^
— 3^
Barrois
Loyer (2'- tour). . .
Rogez (2'^' tour). . .
Dansette
Delaune
C^de Montalembe;t. .
Motte
Masurel (2'- tour),.
Guillemin (2'' tour).
Defontaine
Eliez-Evrard
9.12.')
11I.24.J
7.97-t
10.921
11.496
8.075
11.2.56
10.275
6. 752
8.514
7.688
19.860
22.328
18.441
21.231
19.210
16.636
21.722
22.737
16.702
18.8-)8
15 . 746
16.543
18.892
15 . 196
18.314
15.618
14.242
19.384
20.415
12.352
16.037
12.529
9.125
10.245
7.974
10.921
11.496
8.075
11 . 256
10.275
6.752
7.341
3.961
2.474
»
3.346
»
M
)>
10 . 030
»
7 . 688
4 . 765
8.411
6.891
3.874
3.418
5.670
7.908
»
317
8.514
526
»
»
»
»
»
»
4.977
»
A rep
oit/!)-
102.321
213.471
179.522
97.421 1 23.538
.50.294
4.977
Barrois (Théodore), né en 1857, professeur à la faculté de médecine, conseiller municipal de
Lille, nouvel élu, républicain de {gouvernement.
Loyer (Ernest), né en ISli, filateur, cons. d'arrondissement, député sortant, républicain libéral.
Rogez (Paul), ne en 1869, nouvel élu, républicain libéral.
Dansette (Jules), né en 1857, licencié en droit, conseiller général, député sort., répub. libéral.
Delaune (Marcel), né en 1855, distillateur, conseiller général, nouvel élu, républicain.
Comte de Montalembert, né en l.SoO, propriétaire, ancien officier, député depuis 1889,
conservateur rallié.
Motte (Eugène;, né en 18G0, conseiller général, industriel, nouvel élu, républicain.
Masurel (Albert), né en 1855, filateur et tisseur de coton, nouvel élu, républicain ])rogressiste. —
L'élection de M. Masurel a été annulée par la Chambre dans sa séance du S novembre 1898.
Guillemin (Léon), né en 1859, avocat, docteur en droit, député depuis 1890, républicain.
Defontaine (Paul), né en 1858, docteur-médecin, député sortant, socialiste.
Eliez-Evrard, né en 1843, notaire, conseiller général, député depuis 1889, républic
icain.
LA N()L' \i:i.I.K Cil AMlîltK
Plichon. Guillaiu. Weil-ilallez. Lepez. Sirot-ilallez.
Des Rotours. Bersez. Debève.
ilorcrette-Ledieu. Abbé Lemire. Coctiiii.
NORD (Siiiti') (_22 députés».
VOIX
obtenues.
ÉLECTEURS
UÉl'ARTITIOX DE.S I^UFFRAGES il
CIUCON-SC'RIPTIOXS. 1 DÉrTTÉS Kl-fS.
inscrits.
votants.
Républ.
Radie.
Social.
Conserv.j
Cambuai V".
— 2».
Douai l".
— 2"=.
DUN-KIRQUE 1".
— 2"=.
Hazebrocck V.
— 2^
Valenciennes l'".
— 2"=.
— 3^
102.321
15.432
10.270
9.532
9.469
7 . 508
9.370
8.752
9.619
6.286
8.831
10.914
213.471
29.143
26.207
20.863
16.545
20.213
15.070
15.874
14.077
15.185
22.188
22.462
179.522
24 . 506
21.141
11.563
1 3 . 895
14.163
12.196
11.818
11.143
12.170
16.574
18.176
97.421
19.694
10.270
9.829
9.469
7.508
2.648
8.752
9.619
11.800
16.136
10.914
23.538
»
550
»
»
676
»
»
»
)>
»
50.294
4.469
10.256
724
3.844
3 . 508
)>
»
748
»
133
7.017
4.977
»
»
»
2 . 254
9.370
»
»
»
M(ircrclle-I.ed'ca (2'^ t.).
Debève (2'=tour)..
B"" des Rotours. .
H. Cochin
L'abbé Lemire . . .
Plichon
WeU-Mallez 2<t.).
Lepez (2' tour). . .
Sirot-Mallez(2''t.).
Total
X
2m . 304
431.298
335.867
214.060
24 . 764
81.023
16.601
Bersez Paul . no en 1857. propriétaire, nouvel élu, républicain.
Morcrette-Ledieu Louis . né en 1833, propriétaire, conseiller général, nouvel élu, républicain.
Debève François . né en 18.37, cultivateur, cons. gén.. nouvel élu. républicain progressiste.
Baron des Rotours UaouL, né en ISOO, licencié en droit, cons. gén., dép. sort., rop. modère.
Guillain Florent . né en 1815, inspecteur général des ponts et chaussées, conseiller général,
député sortant, républicain de gouvernement.
Cochin Henry,, né en isjl. propriétaire, licencié en droit, licencié es lettres, journaliste, députe
sortant, libéral, conservateur.
L'abbé Lemire Jules . né en 1853, professeur, député sortant, démocrate chrétien.
Plichon Jean . né en 1NG3. prop.. ingén.. métallurgiste, cons. gén., dép. depuis ISSO.rép. indep.
Weil-Mallez Emile . né en 1S33, industriel, cons. gén.. député sort., républicain progressiste.
Lepez Ferdinand , né en 1850. publiciste, conseiller général, député sortant, républicain.
Sirot-Mallez Pierre . né en 1x35. maître de forges, agriculteur, député sortant, républicain. —
M. Sirot-Mallez est décédé le 8 novembre 189S.
874
LA NOUVELLE CHAMBRE
Baudon. Chopinet.
Gaillard.
Chevallier.
OISE (6 députés au lieu de 5) (1).
VOIX
obtenues.
ÉLECTEURS
répartition des suffrages I
CIUCOXSCRIPTIONS.
DÉPUTÉS ÉLUS.
inscrits.
votant.?.
Républ.
Radie.
Social.
Conserv.l
Beauvais 1".
— S"-.
CLEnMOXT.
COMPrÈGNE.
Senlis l".
2''.
Baudon
Chevallier
Rendu (2"^ tour) . .
Noël
9.2U6
9.667
11.2.5.5
13.526
5.244
5.825
20.694
15 . 593
23.785
26.367
12.804
13.496
17.984
12.696
20.169
19.957
10.659
11.056
8.422
9.667
8.670
13.526
5.152
5.835
9.206
2.366
»
3.589
5 . 244
2.297
»
11.255
»
»
2.711
198
»
»
»
Gaillard • .
Totau
54.723
112.739
92.521
51.272
22.702
13.973
198
(1) Augmc-n'ation d'iin député sur 1893, portant sur l'arrondissemeut de Senlis, effet (lu déuom'bremeut de 1896.
Baudon (Théodore), né en 18i8, docteur-médecin, cons. gén., député sortant, rad. socialiste.
Chevallier (Emile), né en 1S51, économiste, cons. général, député sortant, républicain libéral.
Rendu (Armand), né en 184i, conseiller général, député sortant, socialiste.
Noël (Ernest), né en 1847, ingénieur, conseiller général, député sortant, répub. progressiste.
Chopinet (Gustave), né en 1847, docteur-médecin, conseiller général, nouvel élu, radical.
Gaillard (Jules), né en 1839, anc. attac. d'ambas., cons. gén., dép. depuis 1889, républicain.
Bansard des Bois. Gévelot.
De Mackau. Lévis-ilirepoix.
Chri
-toplile.
ORNE (5 députés).
VOIX
obtenues.
électeurs
RÉPARTITION DES SUFFRAGES II
circonscriptions.
députés élus.
inscrits.
votants.
Républ.
Radie.
Social.
Conserv.
Alexçon.
Argentan.
Domfront !'■'■.
2'".
Mortagnb.
C'<^ de Lévis-Mirepoix.
B ■" de Mackau . . .
Christophle
Gévelot
Bansard des Bois.
7.642
13.753
6.337
11.181
12.900
16.980
20.031
14.141
18.412
27.202
14.738
16.122
11.675
13.257
22.753
14.623
»
8.128
11.181
12.900
»
»
3.228
»
»
»
»
»
»
13.753
»
»
9 . 555
Totaux
51.813
96.766
78. .545
46.832
3.228
»
23.308
n • '
Comte de Lévis
Baron de Mackau
vat. rallié,
conserv.
-Mirepoix (Félix), né en 1816, propriétaire, député dep. 1885, conservât, r
^„ „au (Armand), né en 1832, propriétaire, cons. gén., député depuis 1876, con
Christophle (Albert), né en 1830, ancien avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation,
ministre des travaux publics en 1876, gouverneur du Crédit foncier de 1878 a 189o,
déjnité depuis 1871 avec une interruption de 1885 à 1887, républicain progressiste
Gévelot .îulesi, né en 1S26, industriel, conseiller général, député depuis 1871, républicain.^
Bansard des Bois (Alfredj, né en 1818, propriétaire, conseiller général, élu pour la première
fois en 1881, non réélu en 1885 ni en 1889, élu en 1893, républicain.
LA N()U\ Kl, 1,1-: CIlAMintK
.S7&
Graux.
Basly.
Adam.
Dussaussoy.
Ribot.
Rose.
Lamendin.
Jonnart. Fanien.
Boudenoot. Tailliandier.
PAS-DE-CALAIS (11 députés).
VOIX
obtenues.
ÉLTXTEURS
répartition des suffrage.s il
CIBCOSSCR(PTIO.\S.
DÉPUTÉS ÉLUS.
inscrits.
votants.
Républ.
Radie.
Social.
Conserv.
Arbas l".
— 2''.
Bkthune !■■'■.
— K
Boulogne l'''-.
ilOXTREUrL.
Saint-Omer l'-'^'.
— 2^
Saist-Pol.
Rose
13.324
10.7.50
14.228
11.940
11.011
9.610
8.430
1.).284
6.635
12.528
16.828
26.436
23.422
27.970
25.898
16.716
23.331
22 . 702
20 . 394
14.583
16.801
21.615
20.370
20.154
22.976
21.723
13.695
17.694
16.755
16.644
11.754
13.324
18.146
13.324
20.008
8.544
9.431
11.011
9.610
8.430
15.284
6.635
12.528
16.828
5.968
»
»
»
»
7,845
»
»
»
»
»
»
14.228
11,940
2.353
»
8.007
»
»
»
»
»
»
»
»
»
5.004
»
Tailliandier
Basly
Lamendin
Fanien
Adam
Dussaussoy (S" tour).
Boudenoot
Ribot
Jonnart
Graux
Totaux:
130.568
239.868
193.23.^>
131.633
13.813
36.52H
5.004
Rose François, ne en 1S32, ancien notaire, conseiller général, député sortant, républicain.
Tailliandier (Henri), né en J847, propriétaire, cons. gén., député sortant, républ. indépendant.
Basly Emile), né en 1834, ancien ouvrier mineur et cabaretier, élu en ISSS, non réélu en 1889,
réélu en 1891 et en 1893, socialiste.
Lamendin Arthur), né en 1852, ouvrier mineur, député depuis 1891, socialiste.
Fanien .\chille), né en 1827, industriel, élu en 1881, non réélu en 1885, réélu en 1889 et en 1893,
républicain progressiste.
Adam Achille, né en 1859, banquier, député depuis 1889, conservateur rallié.
Dussaussoy (Paul), né en 1S60, avocat, conseiller général, député sortant, rallié,
Boudenoot (Louis), né en 1855, ingénieur des mines, cons. gén., député depuis 1889, républicain,
Ribot Alexandre), né en 1842, avocat, ancien ministre des affaires étrangères, ancien président
du conseil, ancien ministre de Tintérieur, député de 1878 à 1881 et depuis 1889, républicain.
Jonnart Charles', né en 1857, propriétaire, ancien ministre des travau.Y publics, conseiller
général, député depuis 1889, républicain.
Graux tGeorgesi, né en 1813, avocat, conseiller général, député depuis 1889, républicain.
876
LA NOUVELLE CHAMBRE
Farjon. Bony-Cisternes. Guyot-Dessaigue. Girard. Chamerlat. Cliambige. Laville.
PUY-DE-DOME (7 rtéputés).
VOIX
obtenues.
ÉLECTEURS
EÉP.\RTITION DE.S SUFFRAGES 1
CIRCONSCRIPTION.'^.
DÉPUTÉS ÉLUS.
inscrits.
votants.
Républ.
Radie.
Social.
Conserv.
Cl.-Ferrand l'-'^-.
— 2".
Ambert.
ISSOIRB.
ElOM 1".
— 2<-.
Thieus.
Chambige
Guyot-Dessaigne. .
Farjon
Bony-Cisternes . . .
Girard
LaviUe
Chamerlat
11.G21
16.010
11.390
11.456
11.325
10.568
11.295
26.376
26.674
21.728
30.652
20 . 006
25.232
24.847
20.834
18.443
14.205
25 . 748
13.727
16.909
20 . 708
9 . 035
»
11.390
11.178
11.325
10.568
9.294
11.621
16.010
»
11.456
»
5.692
11.295
1.489
»
»
»
»
))
»
»
Totaiis.
83.665
175.515
130.574
62.790
56.074
1.489
»
Chambige Léon,, né en is.'i.l, docteur-médecin, maire, conseiller g-énéral, député sortant, radical.
Guyot-Dessaigne (Edmond , né en 1833, ancien ministre de la justice et des travau.v jjublics,
conseiller général, député depuis 18.S9, républicain démocrate.
Farjon (Adrien), né en 1S50, banquier, cens, gén., député depuis 1889, républicain progressiste.
Bony-Cisternes (Antoine), né en 1847, propr., cons. gén., député depuis 1889, répub. radical.
Girard .Vmédée), né en 1826, médecin, conseiller général, député sortant, républicain libéral.
Laville Adolphe), né en 1831, propriétaire, conseiller général, député depuis 1881, républicain.
Chamerlat (Noël), né en 1811, agriculteur, conseiller général, député sortant, radical.
Berloh
Legrml Qunitxa.
Harriague.
PYRENEES (BASSES-) (7 dép.).
VOIX
obtenues.
ÉLECTEURS
RÉPARTITION DES SUFFRAGES ||
CIRCOXSCUIPTIONS.
DÉPUTÉS ÉLUS.
inscrits.
votants.
Républ.
Radie.
Social.
Conserv.
Pau V.
— 2=.
Bayoxne 1".
— 2^
MAULÉOlSf.
Olorox.
Orthez.
Cassou
Quintaa
Legrand
Harriague St-Martin. .
Berdoly
Barthou
Clédou (2«- tour). .
9.117
9 . 388
7.696
7.SS1
10.184
11.645
8.528
17.438
16.666
14.327
11.986
15.020
16.420
19.327
11.787
11.915
10.219
8.175 .
10.791
12.356
16.017
9.117
9.388
7.696
7.881
10.184
11.645
15.320
»
»
»
»
»
)>
»
»
1.959
»
»
»
»
»
»
»
Total
64.439
111.184
81.260
71.231
»
1.959
»
Cassou .Team, né en J8l7, ancien magistrat, député soi'tant, républicain.
Quintaa Justin), né en 1813, docteur-médecin, cons. gén,, député depuis 1889, républic
Legrand Jules;, né en 1857, professeur agrégé au lycée BufTon, député sortant, républicain.
Harriague St-Martin, né en 1849, propr., cons. général, député sortant, républicain modéré.
Berdoly ÎMartialj, né en 1844, avocat, conseiller général, député sortant, républicain.
Barthou ! Louis), né en 1802, avocat, docteur en droit, publiciste, ministre des travaux
publics (1894), ministre de l'intérieur (1896), député depuis 1889, républicain.
Clédou (Urbain), né en 1841, docteur-médecin, cons. gén., député depuis 1891, républicain.
LA NOUVKIJ.K CIIAMBUK
S-7
Kiimond BUiiic. Alicot.
Achille FouM.
Pédebidou.
PYRENEES (HAUTES-) ( 4 clép.).
VOIX
obtenues.
ÉLECTEVIW
lîÉl'ARTITIOX DES .'^L'FFHAGE.-; ||
(■||;<HiXSri;n'TIOS.S.
DKl'l'TÉS ÉLUS.
Inscrits.
votants.
Républ.
Radie.
Social.
Conserv.j
ÏAUBES l"''-.
— 2''.
Argelès.
Bagxèues-de-Biu.
Pédebidou
Fould (•-'*■ tour)
Alicot
Blanc (Ed )
8.9U2
5 . 965
5 . 709
9.388
17.049
13,437
11.776
23.769
14.114
11.85.5
8.748
18.800
4 . 984
5 . 965
5 . 709
9.388
8.902
5.729
»
8.851
»
XI
»
»
))
»
Total
IX
29.9C4
66.031
53.517
26.046
23.482
»
)i
Pédebidou Adolphe , né en 1854, docteur-médecin, conseiller général, radical.
Fould Achille\ né en 1S61, propriétaire et sportsman, député depuis 1X80, rallié.
Alicot Michel\ né en 1842, avocat, maître des requêtes au Conseil d'Etat (1879;, conseiller
f;énéral, député de 1876 à 1885 et depuis 1891, républicain.
Blanc Edmond', né en 1856, propriétaire de haras, députe sortant, républicain.
Escanyé.
PYRÉNÉESOR
IENTALES(4d.).
IIKITIÉS ÉLU.<.
VOIX
obtenues.
ÉLECTEURS
KÉl'ARTIÏIOX DErt SUFFRAGES ||
rn;((.ix.-;ci;irTiuXr;.
inscrits. votants.
Républ.
Radie.
Social.
Conserv.
PEliPIGXAX l"'.
CÉRET.
Pkades.
Bolland (2' tour).
Bourrât
Pams
Escanyé
5 .511
6 . 709
6.632
6.314
18.222
15.884
13.209
13.061
9.592
9.839
7.068
7.929
)1
2.871
»
6.314
9.185
5.511
6 . 709
6.632
»
3.441
»
»
»
1.118
Total
25.166
60.376
34.428
18.852
3.441
1.118
Rolland Edouard , né en 1833, comptable, député depuis 18S9, républicain radical socialiste.
Bourrât Jean, né en 1859, inj,'énieur civil, conseiller général, député sortant, radical.
Pams Jules , né en 1852, avocat, conseiller général, ùéputé sortant, républicain radical.
Escanyé Frédéric), né en 18.33, avocat, cons. gén., député de 187Gà 1881 et depuis 1891, républicain.
RHIN (HAUT-) Territoire de BeKorKld.).
1 ciucoxs(i!ii-nox. DÉruTÉ élu.
VOIX
obtenues.
ÉLECTEUHS
1
Républ.
inscrits. 1 votants.
1 Beliokt. Viellard
9.343
20.923
17.724
9 . 343
Viellard Armand , né en 1812, maître de forges, administrateur du
canal de Suez, administrateur des forges de Châtillon, Com-
mentry, etc., fondateur et président de la Société forestière de
Franche-Comté et Belfort, conseiller général, élu en 1885, non réélu
en 1889, député sortant, républicain.
}S78
LA NOUVELLE CH AMBRE
Genêt.
Gourd.
Palix.
Aynard.
Colliaril.
Million.
Krauss.
De Lanessau.
Fleurj
-Ravarin.
RHONE (11 députés).
VOIX
obtenues.
ÉLKC'i'i-:un.s
UÉPARTITIOX DES SUFFRAUES |
CIECOSriCKII'TION.S.
DKITTErf KM-S.
inscrits.
votants.
Républ.
Kadic.
Social.
Conserv.
Lyon !'<'.
De Lanessan ( 2* t. )
■1.148
II.IOG
8..^) 70
8.265
»
204
»
— 2'.
Gourd
4 . 989
11.999
9.547
4.989
4.463
»
»
— 3'.
Bonard (2« tour;..
4.204
13.198
8.839
3.421
1.161
4.204
»
— i^.
Florent (2- tour). .
2.858
10.326
6.841
2.348
1.739
2.858
»
— 5".
Erauss (2'' tour). .
3.380
8 . 553
6.112
2.611
»
3.380
»
— 6I-'.
Fleury Ravarin. . .
5.353
13.125
9.662
7.318
»
1.086
))
— 7".
Colllard (^2' tour).
4. 788
14.179
9.658
4.767
»
4.788
»
— 8^
Aynard
10.388
27.218
19.640
10.388
7-170
212
»
— 9".
Genêt (2'' tour). . .
12.313
31.780
22.408
11.080
12.313
»
»
ViLLEFRANC'irE l^i'.
Million
10.(1G5
23.494
13.505
10.665
»
1.644
))
— 2".
Palix
10.089
25.558
19.045
133.827
8 . 548
•»
10.089
»
»
Total
IX
73 175
190.53»;
74.400
26.846
28.465
De Lanessan (J.-L.), né en 184.'^, professeui- agrège d'histoire naturelle à la Faculté de méde-
cine de Paris, ancien conseiller municipal de Paris, ancien gouverneur général de Tlndo-
Chine, auteur d'ouvrages scientifiques, député de Paris de IXSl à 1X91, radical.
Gourd (Alphonse), né en 1830, avocat, nouvel élu, républicain libéral et progressiste.
Bonard (Alexandre), né en 1855, menuisier, nouvel élu, socialiste.
Florent (Alexandre), né en ISiO, propriétaire, nouvel élu, socialiste.
Krauss (Philippe), né en 1863, représentant de commerce, conseiller municipal de Lyon, nouvel
élu, socialiste.
Fleury-Ravarin, né en 1S(51, docteur en droit, auditeur au Conseil d'État (1885\ conseiller
général, député sortant, républicain progressiste.
LA XOl'NKLLE CIIAMHKK
liontomps. De Sivligiiac-Féiielon.
Couyba.
SAONE (HAUTE-) (4 députôs).
VOIX
obtenues.
ÉLECTEURS
r.KPAKTrriOX DE.S .«rFKUAOK.-î j
CUtCOX.St'UUTIONS. 1 DICITTlis Kl.rS.
inscrits.
votants.
Républ.
Kadio.
Social.
Conserv.
Vk.soul.
GUAY.
Lfre 1"'.
— 2<^.
Bontemps
Couyba (2'' tour). .
llcSaliguaf-Féneloii(2"t.)
Colle
13.182
9.710
8.592
8 . 050
26.689
19.850
19.079
17.921
17.913
13.285
15.969
14.928
1.731
»
8.592
8.050
13.182
9.710
7.262
6.732
84
»
»
»
1 693
»
1)
Total
X
3fl.r,34
83.539
62.095
18.363
36.886
84
1.693
Bontemps (Charles), né en 1840, docteur-médecin, conseiller j^énéral, député sortant, radical.
Couyba Charles), né en 1866, ag^régé d'histoire, député sortant, républicain indépendant.
De Salignac-Fénelon, né en 1858, propriétaire, cons. gén., nouvel élu, républicain progressiste.
Colle i Alfred), né en 1847, ancien olRcier, industriel, nouvel élu, républicain de gouvernement.
^:?:?^^
SAONE-ET-LOIRE (9 députés).
VOIX
obtenues .
ÉLECTEURS
RÉPARTITIOX DES SUFFRAGES
<IHCllX.-;CRIFTION-,S.
DEI'UTÉS ÉLUS.
inscrits.
votants.
Républ.
lladic.
Social.
Conserv.
Macox 1"'.
AUTUX l'*".
— 2'^.
|C'halon-s.-Saône l'''-
Charolles l'"".
— 2^
LOUHAXH.
Dubief
Simyan
Périer
Schneider
Boysset
GiUot
Chavet
Sarrien
Mathey
8.871
6.917
6.962
11.948
13.429
9.656
8.047
12.378
12.104
17.207
15.493
17.145
21.281
26.809
20.605
20.563
19.889
25.225
14.125
11.934
13.521
17.253
14.799
16.204
15.574
13.356
14.481
5.145
)i
6.962
15.055
»
6.437
7.179
»
»
8.871
11.806
6.327
»
13.429
9 . 656
8.047
12.378
12.104
»
80
»
2 . 065
»
))
))
))
»
»
))
»
»
»
Total
90.312
184.217
131.247
40.778
82.618
2.145
»
Dubief Feinand . né en 1830. docteur-médecin, conseiller général, député sortant, radical.
Simyan Julien , né en 1850, docteur-médecin, cons. gén., député de 18S5 à 1889, radical socialiste.
Périer 'Germain), né en 1847, avocat, conseiller général, nouvel élu, républicain.
Schneider Eugène), né en 1868, maître de forges, cons. gén., nouvel élu, répub. indépendant.
Boysset ("harles, né en J.S17, député à la Législative, 1849, député depuis 1S7J, radical.
GiUot Léoni, né en 1851, jiroprié taire, conseiller général, député depuis 1889, radical.
Chavet Emmanuel), né en 18 i S, propriétaire, cons. gén., nouvel élu, républicain progressiste.
Sarrien Ferdinand;, né en 1840, propriétaire, avocat, conseiller général, ministre des postes
et télégraphes, 1885, de l'intérieur, 1886 et 1888, de la justice, 1887, de l'intérieur, 1887,
ministre de la justice, 1898, député depuis 1876, radical.
Mathey Louis), né en 1828, docteur-médecin, conseiller général, nouvel élu, radical.
sso
LA NOUVELLE CHAMBRE
Cavaignac.
Gralpin.
D'Estournelles.
Caillaux.
SARTHE ( 5 députés au lieu de 6).
CIRCON'SCEIPTrONP.
Le Maks V.
2<'.
La Flèche.
Mamers.
Saint-Calais.
DEPUTES ELUS.
Rubillard C-' tour).
Galpin
iriislournfllesiIcCoiislaiil.
Caillaux
Cavaignac
VOIX
obtenues.
[)
y'ii)
11
24-t
13
126
12
929
12
653
ELECTEl'It.S
inscrits.
27.6.54
22.5.54
27.431
29.140
18.232
125.011
votants
1S.74K
IS.SIS
23.448
24.887
13.562
99.463
REPARTITION DES SUFFRAGES
Républ.
8.601
7.471
10.301
12.929
»
Radie.
9.759
»
13.126
»
12.653
35.538
Coi
serv
»
11
244
»
11
737
»
Rubillard Anselme), né en 1826, propriétaire, conseiller général, député sortant, radical.
Galpin (Gaston), né en 1851, avocat, conseiller général, député depuis 1885, conservateur.
D'Estournelles de Constant, né en 1852, ministre plénipotentiaire, député sortant, républicain.
Caillaux Joseph', né en 18G3, inspecteur des finances, nouvel élu, républicain progressiste.
Cavaignac Godefroy i, né en 1853, conseiller général, ancien ministre de la marine et de la guerre,
député depuis 1882, républicain radical.
Carquet.
SAVOIE (5 députés).
VOIX
obtenues.
Électeurs
réparittiox des suffrages I
CIRCllXSCRIPTIOXS.
députés élus.
inscrits.
votants.
Répabl.
Radie.
Social.
Couserv.
c'ha.mbéry 1'^'.
Albertville.
moutiers.
S.-J.-de-Maueiexxe
Canet
Perrier
Forni
Carquet
Jouart
8.148
7 . 527
4 . 1.30
.4.509
8.725
20.579
, 18.703
9.444
8.884
13.809
16.134
14.755
7.843
7.281
9.766
14.621
4.130
4.867
8 . 725
15.643
»
3.636
»
»
»
»
2.296
»
»
»
Total
IX
33.039
71.419
55 . 779
32.343
19.279
2.296
»
Canet (Félix , né en 1N.'57, ancien notaire, conseiller général, nouvel élu, républicain.
Perrier (Antoine), né en 1836, avoué honoraire, député depuis 18S9, répul^Iicain.
Forni (Jules), né en 1838, avocat, député sortant, républicain.
Carquet (Francis), né en 18i5, avocat, conseiller général, député depuis 1X89, républicain.
Jouart (Charles), avocat, ancien conseiller de préfecture, cens, gén., député sort., républicain.
Mercier.
Chautem])?.
David.
SAVOIE (HAUTE-) (4 députés).
VOIX
obtenues.
électeurs
KÉPAPITITIOX DES SUFFRAGES
ciRroxsfRiPTioys.
députî;s élus.
inscrits.
votants.
Républ.
Radie.
Social.
Conserv.
Anxecy.
boxxeville.
Saixt-Julien.
Thoxon-l.-Baixs.
Berthet
Chautemps
David
12.287
10.117
6.877
8.134
23.403
19.990
18.027
20.248
17.027
11.262
12 . 550
13.752
15.928
»
7.477
8.134
»
10.117
4.647
»
»
»
»
306
))
)i
5.137
5.137
Total
IX
37.415
81.668
54.591
31.539
14.764
306
Berthet (Léon), né en 1861, avocat, conseiller général, nouvel élu, républicain.
Chautemps Emile), né en 1850, ministre des colonies, 1894-1895, député depuis 1889, radical.
David (Fernand), né en 1869, avocat, nouvel élu, républicain.
Mercier (Jules), né en 1834, conseiller général, député sortant, républicain.
L\ .Nor \' i;i.i.i'; cii .\ m liH i-.
Berger.
Gras.
Lerolle.
Viviani.
Binder.
Muzet.
Puech.
Chassaing. Berry.
Deuys Cocliin. Mesureur.
SEEVE (46 députés au lieu de 45 ).
VOIX
oljteuues.
ÉLECTKURS
ItÉI'ARTITIOX DES SUFFRAGES il
ciucoxsi'uiprioN.s.
llÉl'UTKS ÉLU.S.
iuscrits.
votants.
Républ.
Radie.
Social.
C'onserv.
Pauis d" arr.
- 2 -
^ 3
__ v __
- 5- - l'-'.
- 5- - 2'.
- 6- - 1".
- 6- - 2'.
- 7- —
- 8' - 1".
_ g. _ ._„.
- 9 - V .
- 9 - 2'.
Muzet (2- tour) . .
Mesureur
Puech
Chassaing (2' t.).
Viviani
Gras (2" tour). . . .
Berthelot (2'- t.). .
Prache (2'- tour)..
Lerolle (2" tour)..
D. Cochin
Binder
6.532
9.18-1
8.72.Î
6.U5!)
5.107
3.731
4.847
7.742
4.776
2 . 734
3.786
7.229
14.23.">
15.493
21.876
22.529
11.721
12.523
' 9.577
12.810
20.236
11.490
6.019
9 . 723
14..->63
11.284
12.070
17.059
16.155
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9.329
7.049
9.587
15.432
8 . 658
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7.224
10.50.')
5 . 598
3 . 594
»
6.954
3.036
3.242
3 . 242
4.856
»
3 . 604
1.674
6.653
7.229
5.563
6.532
9.184
8.725
»
11
3.731
4.286
7.513
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»
2.324
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6.881
180
6.050
5. 227
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871
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7.742
4.776
2.734
377
»
Berry
Berger
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lorler
76.041
182.79.->
138.575
49 . 5K2
47.869
1 9.076
16.516
Muzet Ak'.xis . Ile en 18 i;?. ancien miiniifuclurier el jn-ésidenL du dinseil des priidhomnies de
la Seine, nouvel élu, prof;;ressiste.
Mesureur Gustave), né en 1817, dessinateui- industriel, ancien jjrésidcnt du (Conseil municipal
de Paris, minisire du commerce en 1S9j, député depuis 1887, radical.
Puech Luuis . né en 1852, avocat, vice-prés, du Cons. mun. de Paris, nouvel élu, radical socialiste.
Chassaing Henri , né en I8r)j, docteur-médecin, vice-président du Conseil municipal de Paris,
député depuis 1889, radical.
Viviani Uené , né en 18();5, avocat, journaliste, député sortant, socialiste.
Gras (-liarles . né en 1850, artiste lithof,n'aphe. conseiller municipal tle Paris, ancien adjoint
au maire du X*^ arrondissement, nniivel élu, socialiste.
Berthelot .\ndré . né en 18!)2, professeur, maître de conférciK-es à TEcole des hautes études,
conseillei' municipal de Paris, nouvel élu, socialiste.
Prache Laurent), né en 185(5, avocat, cons. munie, de Paris, nouvel élu, républicain libéral.
Lerolle Paul), né en ISiG, avocat, conseiller municipal de Paris, nouvel élu, conservateur.
Cochin Denys), né en 1851, ancien conseiller municipal de Paris, député sortant, conservateur.
Binder Maïu-ice). né en 1857, avocat, ancien cons. munie, de Paris, dép. sortant, lib. indépendant.
Berry (leoi-f^es), né en 185.'3, avocat, économiste, député sortant, républicain modéré.
Berger (ît^oi-f^esi, né en 18.'V1, infiéniem'-élcctricien, propriétaire viticulteur, directeur f,a'néral des
Expositions de 1867, 1878. 1881, 1889, député dep. 188'.), républicain conservateur prog-ressiste.
VIII. — 5().
I. A N O U V E L L E C II A M B R E
Paschal Grousset. Lockroy. Bernard. Brisson. Paulin Méry. Humbert.
Dubois. Levraurl. Milleranil. Groussier. Baudin.
SEINE (4i; députés au lieu de -Jô ). ( ,'<uih'. )
VOIX
obtenues.
ÉLECTEURS
KÉrARÏlTION DES SUFFRAGES II
flRCON.SCEIl'TIONS.
DÉPUTÉS ÉLUS.
inscrits.
votants.
Képubl.
Radie.
Social.
Conserv.
Paris 10'' arr. 1"^"
— 10" — 2".
— 11" — P".
— 11" — 2".
— 11" — 3".
— 12" — P".
— 12" — 2".
— 13" — P".
— 13" — 2".
— 14" — P".
— 14" — 2".
— 15" — l"-".
Report
Groussier
Brisson
Baudin (2" tour). .
Lockroy
Levraud(2" tour).
Millerand
Grousset
Bernard (2" tour).
Paulin Méry
Girou (.2" tour) . . .
Dubois (2" tour)..
Humbert (2' tour).
7(5.041
7.236
G. 917
5 . 710
y.43r>
6.552
8.791
6.217
3.274
8.480
7.335
3.743
7.653
182.795
18.297
15.278
12.509
19.404
18 . 720
12.279
13.136
8.603
18.315
20.635
9.150
18.459
138.575
14.097
11.683
9.021
15.376
13.215
9.905
10.851
6.531
14.692
14.975
6.698
14.818
49.582
6.(154
1.669
»
439
)i
»
»
4.649
47.869
))
6.917
5.720
9.435
6 . 552
1.069
3.274
>>
6.431
7.653
19.076
7.236
1.833
3.142
4.032
6.409
8.791
9.243
3.109
14.142
9.930
118
5.136
16.516
859
^-1 reporter
157.384
367.580
280.437
62.393
94.920
92.197
17.375
Groussier (Arthur), x\è en 1863, dessinateur-mécanicien, député sortant, socialiste.
Brisson (Henri), né en 1835, adjoint au maire de Paris, 4 septembre 1870. ministre de la justice,
président du Conseil, 1885, président de la Chambre, ministre de l'intérieur, président du
Conseil, 1898, député depuis 187J, républicain.
Baudin (Pierre), né en 1862, avocat, ancien président du Conseil municipal de Paris, nouvel élu,
radical socialiste.
Lockroy (Edouard), né en 18 40, publiciste, ministre du commerce, issj, de Tinstruclion
publique, 1888, de la marine, 1895-1896, 1898, député depuis 1871. radical.
Levraud (Léonce), né en 18i3, docteur-médecin, ancien vice-président du (Conseil municipal
de Paris, nouvel élu, radical socialiste.
Millerand (Alexandre), né en 1859, avocat, publiciste, député depuis 1889, socialiste.
Grousset (Paschal), né en 1845, homme de lettres, député depuis 1889, socialiste.
Bernard (Paul), né> en 1862, avocat, ancien conseiller municipal, nouvel élu, socialiste français.
Paulin-Méry, né en 1860, docteur-médecin, député depuis J889, socialiste patriote.
Girou (Georges), né en 1860, comptable, conseiller municipal de Paris, nouvel élu, socialiste.
Dubois, né en 1853, docteur-médecin, président du Conseil général de la Seine, nouvel élu,
radical socialiste.
Humbert (Alphonse), né en 1844, journaliste, président du Conseil municipal de Paris, 1893,
député sortant, radical.
\.\ xorvKi.i.K en. \MHiti-:
SS3
Holtz. Vaillaut. Clovis Hugues. Chauvière. Cliarles Bos.
Beauregard. Dejeante. Ernest Roche. Bompard. Sembat. Millevoye. Rouanet.
SEINE ( 46 députés au lieu de 4.'> ). ( Suite.)
VOIX
obtenues.
Éi,Ki:TEtîU.S
liKl'ARTITIilN DK.S SUFFKAGE.S II
CIUCOXSCRIPTIOXS.
DÉPCTÉS ÉM-S.
inscrits.
votants.
Répul.l.
Radie.
.Social.
Couserv.
Paris 15" arr. S"".
— 16= — 1".
— 16'? — 2".
— il' — 1"-.
— 17' — 2''.
— 18«= — l--'.
— 18- — 2-.
— 18 — 3^
— 19- — 1".
— 19' — 2-.
— 20 — 1-.
— 20- - 2-.
lieport
Chauvière ( 2 ■ tour >
Beauregard (2- 1.).
Millevoye (2- tour)
Bompard (2' tour).
Roche
Sembat (2- tour).
Rouanet
Holtz (;2' tour). . .
Hugues (2'^ tour).
Bos (2" tour)
Dejeante
Vaillant (2'tour). .
157.384
4.65«
2.850
3.178
4.888
9 . 598
5.207
9.8.58
5.945
9.71G
3.335
7.081
7.612
367..5!S0
11.471
10.447
9.436
14.084
24.747
12.509
22.771
16,331
19.630
8 . 506
14.131
19.279
280.437
9.05.5
7.791
6.930
9.700
19.187
7.793
17.039
11.860
14.324
6.387
11.450
14.808
62.393
»
2.8.50
2.746
4.888
5.870
1.567
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4.1.52
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5.94.5
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92.197
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1.959
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5 . 954
15.915
5 . 765
9.716
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7.612
17.375
»
»
»
»
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4.110
»
»
»
A n>2
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231.310
.5.50 . 922
416. 7lU
80 . 334
126.87.5
167.348
21.48.5
Chauvière Emmanuel, né en 1830, correcteiu" d'imprimerie, puijliciste, consieillcr municipal
(le Paris en 1888, député sorLant, socialiste.
Beauregard Paul s né en 183.3, professeur à la Faculté de droit de Paris, nouvel élu, républicain.
Millevoye Lucien , né en J830, publiciste, ancien magistrat, ancien député, républicain.
Bompard Haoul , né en 1860, docteur en droit, conseiller municipal, nouvel élu. républicain
(le ccmcenlration.
Roche Ernest , né en 1830, ouvrier •graveur, député depuis 1883, radical révisionniste.
Sembat Mai-cel . né en 1862, avocat, publiciste, député sortant, socialiste révolutionnaire.
Rouanet (iustave), né en 1835, ancien conseiller municipal de Paris, député sortant, socialiste.
Holtz Ai-mand), né en 1867. ancien sous-chef de bureau au ministère des colonies, nouvel élu,
radical.
Hugues Clovis, né en 1831. homme de lettres, député de Marseille, en 1881, de Paris, en 189.3.
socialiste.
Bos ('.liarlcs , né en 1862, journalisle, conseiller municipal de Paris, nouvel élu, i-adical.
Dejeante (VicUjrj, né en 1831), chapelier, député sortant, parti ouvrier socialiste révolutionnnaire.
Vaillant (Edouard), né en 1840, ingénieur civil, médecin, conseiller municipal de Paris, 1S84-1S93,
député sortant, socialiste révolutionnaire.
88 i
L A N O U V E L L E C H A M P, H E
Wiilter.
Baulard.
Goussot.
Richard.
Coûtant.
SEINE (4 1; dép. au lieu de 15). {.Suite) (1).
VOIX
obtenue.?.
ÉLECTEURS
IIÉPARTITII.IX DES SUFFRAGES
CntCd.NSCRII'TIONS.
HÉCUTÉ.S ihVfi.
inscrits.
votants.
llépubl.
Badic.
Social.
Conscrv.
S.unt-Dknis !'■'■.
— 3"!
— 4<-.
' - 5".
Sceaux l'"-.
— 2<-.
— S'-.
— 41*.
Renort
Goussot (2'' tour. .
Walter (2"' tour)..
Renou (2'' tour). .
Laloge {'2" tour). .
Ferrand (2- tour).
Richard
Baulard
Coûtant
Gervais (2>' tour). .
2.31.810
6.419
12.865
6.276
5.876
!).6'J8
7.285
9.124
9,955
8.276
550.922
18.847
28 . 550
17.655
16.585
27.2113
15..S62
24..S23
20 . 1 75
18.475
416.761
12.946
20 . 548
13.589
11.890
19.398
12.478
18.365
15.945
13,334
80 . 334
1.842
7,202
4.458
5.801
»
»
4.618
))
36
126.875
))
28
2.616
»
9.717
10.267
))
4.856
8,276
167.. 348
10.780
12.865
6,276
5,876
9,291
1 , 702
13,035
10,578
4.677
21 485
))
»
»
»
»
Totii
307.084
739.187
555.264
104,291
162,635
242 424
91 485
(1) Aux élections générales de 1893 le diiartemant de l:i Seine a élu 4.i députés ; en 1898 il a été appelé à en élire 46 en raison
dos résultats du dénombrement de 1S96. I,.\s modifications portent : 1" sur le IV .arrondissement qui a pcrilu 1 député ; 2* sur le
XVI* arrondissement qni a gagné 1 député ; 3' sur r.irrondissement de Sceaux qui a vu sa députation portée de 3 à 4 représcnt.ants.
Goussot (Emile;, ne en 1862, ancien employé à la prélecture de la Seine, député depuis 1889,
socialisle révisionniste.
Walter (Albert), né en 1852, dessinateur-mécanicien, député sortant, socialisle révolutionnaire.
Renou (Victor), né en 18i5, tailleur de pierres, conseiller général de la Seine, 1893-1896, déjjuté
so rtant, parti ouvrier socialiste révolutionnaire.
Laloge (Philippe), né en 1869, ancien instituteur, négociant, nouvel élu, socialiste.
Ferrand (Stanislas), né en 1846, architecte, nouvel élu, socialiste.
Richard (Pierre), né en 1864, député depuis 1889, socialiste nationaliste.
Baulard (Ferdinand), né en 1827, ancien industriel, député depuis 1889, radical socialiste.
Coûtant (Jules), né en 1854, mécanicien, député sortant, socialiste.
Gervais (Auguste^, né en 1857, publiciste, ancien officier, nouvel élu, radical.
i.A \()r\i;i,Li; ciiAMr.HK
885
De Pomereii.
Bouctot.
Rispal.
Rouland.
. Ricard.
Lechevallier.
De Montfort.
Breton.
Briudeau.
Goujon.
SEINE-INFÉFUEURE (12 députés).
VOIX
obtenues.
ELECTEURS
I;ÉPAP.TITI(IX DE.'^ .SrEFUAGES {|
CIRCONSlUIPlIONS. 1 DEPITES Ér.US.
inscrits.
votants.
Républ.
Radie.
Social.
Conserv.
ROIEN- 1"-.
— 3''.
— 4f.
DrEprK 1'".
2''.
Le Havhe !"•■.
— 2'.
— 3^
Neufchatel.
Y^T.TOT I"-.
— 2^
Ricard.. .
7.074
8 . 659
6.484
6.894
6.128
5 . 652
.5.320
10.767
7.988
9.033
6.. 33 7
6.216
15.740
22.337
17.166
17.459
14.679
12.785
16.418
20.221
20.681
20 . 504
14.110
12.316
11.605
16.014
13.064
13.485
11.548
11.086
10.705
13.168
16.175
17.487
11.420
9.303
3.619
8 . 709
6.484
10 . 260
5 . 307
11.027
5 . 320
10.767
7.927
8.347
6.337
6.216
7.674
7.007
6.470
»
6.128
)i
5.054
»
»
»
7
»
»
2.733
1)
1 . 6.38
30
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»
»
»
«
»
M
7.998
9.0.33
4.828
))
De Pomereu (2'- 1.^
Goujon (2'' tour)..
Quilbeuf
Breton ( 2<' tour) . .
Rouland
Rispal
Brindeau
Suchetet
Bouctot ( 2' tour) .
Lechevallier
V" de Montfort . .
Totaux
S7.152
2(t4.416
155.060
!)i 1.320
32.333
4.408
21.859
Ricard Louis . né en ls31>. avocat, conseiller f^énéral, ministre de la justice. l.s<)2 et 1895,
ili'-puté depuis I8S.Î, républicain.
Comte de Pomereu Robert , né en isoo. ])ropriétaire, cons. f^énéral, nouvel élu. conservateur.
Goujon .Julien . né en ISôl. avocat, député ilepuis 1.s<.)l>, républicain.
Quilbeuf r.ustave . né en ISll. pro])riélaire, nouvel élu, réjjublicain.
Breton Ij-nest;. né en 1841. propriétaire afcricole. cons. ^^énéral, député depuis l.ss'.t. radical.
Rouland .Uilien , né en 1860. avocat, propriétaire, cons. j^vn., nouvel élu, républicain modéré.
Rispal -Vu^niste;, né en 1836, né>;ociant en métaux, membre de la Chambre de commerce du
IIa\re. député sortant, républicain |)roiiressiste.
Brindeau Louis , né en isâS, avocat, député sortant, républicain.
Suchetet André , né en 1849, j^ropriétaire, nouvel élu, conservateur.
Bouctot (îeorpes), né en 1853, propriétaire rural, cons. '^én., nouvel élu, républicain proj^ressiste.
Lechevallier Ferdinand , né en ls4t), ancien industriel, dép. dep. issj. i-épublicain progressiste.
Vicomte de Montfort i Louis , né en 184o, propriétaire aj^riculteur, conseiller général, anc ien
oflîcier d'état-major, député depuis 1889, républicain indépendant.
<S8G
LA NOUVELLE CIIAMlîRE
Ouvré. Balandreau. Montant.
SEINE-ET-WARNE (6 d. au lieu de 5).
VOIX
obtenues.
ÉLE(_"rEUB.S
BÉPARTITION DES .SITFFRAGE.« il
CmCOX.SCKlPTIOXS.
DÉÏ'U'J'KS ÉLU!<.
inscrits.
votants.
Rt'publ.
Radie.
Social.
Conserv.
Melun.
coulommiees.
Fontainebleau.
Meaux !'■<'.
2'".
PllOVlNS.
Balandreau
Delbet
Ouvré
Menier (•_" tour). .
Chauvin (2f tour)..
Montaut
XASi
(i.470
10.. 394
G . 63.5
r> , 264
7.r,64
19.1.58
1.).132
24 , 7.52
1.5.178
12.382
15.169
15 . 79.5
11.738
20 . 228
13.107
10.048
12.838
6.865
5.028
10.399
6.635
4.721
.5.087
8.484
6.470
8.820
6.406
)i
7.564
»
62
5.264
))
»
439
D
»
J>
Total
X
44.816
101.771
83.754
38 . 735
37.744
5.326
439
Balandreau (Marc), né en 1S4.3, ancien commissaire-priseur, députe sortant, radicaL
Delbet iPierre), né en 18.31, docteur-médecin, conseiller général, député sortant, radical.
Ouvré (André), né en 1852, ind., négoc, prop., cons. gén., député depuis 1889, républicain.
Menier (Gaston), né en 1855, industriel, conseiller général, nouvel élu, républicain progressiste.
Chauvin (Emile), né en 1870, prof, agrégé des fac. de droit, cons. gén., nouvel élu, rad. -social.
Montaut (Louis), né en 1823, ingén. des ponts et chauss., député depuis 1885, radical-socialiste.
Amodru. Habert. Lebaudy. Cornudet. Gauthier (de Clagny).
Haussmann. Berteaux. Argeliés. Aimond. Périllier.
SEINE-ET-OISE (10 dép.au lieu de 9).
VOIX
obtenues.
ÉLECTEUKS
RÉPARTITION DES- .«UFPRAUES |
C IBCON.S( : KIPTIONS.
DEPUTÉ.S ÉLUS.
inscrits.
votants.
Républ.
Radie.
Social.
Conserv.
Vkesailles 1'''.
2''.
— 3'-'.
CORBEIL !'■'•.
Étampes.
Mante.s.
PON'JOISE l''''.
Rambouillet.
Berteaux.
Gauthier (de Clagiij).
Haussmann (2<' tour) .
Périllier (2'" tour).
Argeliés
Amodru
■ Lebaudy
ï'' Cornudet lies tliaiimelles
Aimond
Habert
15.006
8.844
5 . 204
5.618
5 . 999
5.773
8.771
7.673
8.521
8.741
27.156
15.031
17.904
13.091
14 . 254
11.925
16.855
18.172
20.944
19.595
22.087
10.791
13.694
10.203
11.342
9.943
13.279
15.113
17.336
15.196
6.775
8.844
8 . 905
113
1 . 266
5.773
8.771
7.673
7.789
4 . 532
15.006
»
3.932
5.618
10.003
991
3.845
7.170
8.521
8.741
»
»
734
»
17
n
720
1.732
))
»
4.368
»
3.067
»
»
))
Total
X
80.150
174.927
138.984
60.441
63.827
3 . 203
7.435
Berteaux 'Maurice:, né en 1852, agent de change à Paris, député sorlant, radical.
Gauthier (de Clagny), né en 1853, avocat au Conseil d'Etat, cons. gén., dép. depuis 1889, répub.
Haussmann, né en 1847, avocat, ancien député, républicain démocrate.
Périllier (Jules), né en 1811, avocat, ancien député (1885-1889), radical socialiste.
Argeliés !.I.-B.), né en 1.S02, avocat, docteur en droit, député depuis 1889, socialiste.
Amodru (Laurent), né en 1849, docteur-médecin, conseiller général, député sortant, républicain.
Lebaudy (Paul), né en 1858, prop. deraffîn. de sucre, cons. gén., député depuis 1890, républicain.
Vicomte Cornudet (Jean), né en 1861, prop., licencié en droit, cons. gén., nouvel élu, répub.
Aimond (Emile), né en 1850, ingénieur, nouvel élu, radical.
Habert Marcel), né en 1862, avocat, député sortant, radical révisionniste nationaliste.
LA X()r\i:i.I.K {'.UAMHKK
S87
De Beauregard
Do T,a Porte.
SEVRES (DEUX-) C députés).
VOIX
obtenue:^.
)ii.i;iTKUus
RÉPAIIIIIION 1)1^ -.llll:\(,l>
(■li'.riPNSciurnoxs.
Dl^M'lTlis KI.VS.
inscrits.
votants.
Répul)l.
Radie.
Social.
Conserv.
Bi!K!*.-irii!i-:.
Mkli.k.
Tarthenay.
Disleau (2' tour).
De La Porte
Savary de B-auregard.
DeLaChevrelUère.
Maussabré (2- t.).
7 .S(i5
7 .25)2
12.356
10.859
11. «52
50.024
m. 660
15.711
2G.542
23.76.'5
25.U16
15.925
12.890
21.409
20.812
22 . 238
7 . 865
5.413
»
9.507
10.348
7.858
7 . 292
8.465
»
«
»
»
48
»
»
12.356
10.859
11.652
34.867
-J
Total
X
1 10 . 692
93.271
33.133
23.615
48
Disleau Aihicn , m- on Isj.i, avocat, docteui- en droit, dop. sortant, rcpulilicain prog-ressiste.
De La Porte .Kniodre . ne en ISls, i)r()i)riélaire, cons. j^-énéral, ancien auditeur au Conseil d'Etat,
sous-seciclaii'o diktat aux colonies, 1885-1889, député de 1877 à 1889, député sortant, radical.
Savary de Beaiiregard Menri), né en 1862, propriét. agricult., député sortant, conservateur.
Baron de La Chevrellière Charles , né en IS38, ancien capitaine de cavalerie, conseiller j^énéral,
nou\el élu. ré]iul)!icain libéral progressiste.
Marquis de Maussabré Gilberts né en 1865, propr., anc. ofïic, cons. gén., nouv. élu, conserv.
Coache. Fiquet. Cauvin. Trannoy. François.
Saint.
Gellé.
SOMME (9 députés au lieu de 8) (1).
obtenues.
ÉLECTKUIiS
EÉrARTITION DE.S SUFFRAGES ||
j ciiiCox.sciai'Tioxs.
]>ÉrUTÉ.S ÉLU.s.
inscrits. 1 votants.
Républ.
Radie.
Social.
Conserv.
j A.MIEN.S l'".
Abbevilu: U''.
2''.
DorLLIiNS.
MOVTDIDIEU.
PÉROXNE 1".
— 2'-.
Fiquet
Cauvin (2' tour). .
Olive (,2'- tonr).. . .
Coache
GeUé
Saint
Klotz
Trannoy
François
11.258
6.467
7.764
12.730
10.560
8.374
8.121
6.179
G. 792
23.397
16 . 745
17.942
18 . 158
19 . 722
14.718
18.719
13.964
16.011
17.352
14.026
15.047
13.981
15.900
12.656
16.191
11.287
12.668
4.491
6.467
7.764
12.730
10.. 560
8.374
4.746
6.179
»
12.258
4.929
77
»
3.824
»
10.839
4.561
8.357
»
»
»
»
»
3.702
1.096
2.436
6.774
»
»
428
»
»
Totau.\
78.245
159.376
129.108
61.311
44.845
3.702
10.734
(1) Le département de la Somme a gagné un siège depnis 1893. L'augmentation porte sur l'arrondissement d'Amiens, qui passe 1
(le 2 à 3 dépiitts. |
Fiquet .\lphonse , né en 1841, ancien industriel, député sortant, radical.
Cauvin Ernest;, né en 1x4.3, industriel, conseiller g^énéral, nouvel élu, républicain.
Olive .\médée , né en 1835, conseiller d'arrondissement, nouvel élu, radical.
Coache Emile, né en 1S57, industriel, conseiller général, député sortant républicain.
Gellé Ernest , né en 1845, ancien notaire, conseiller général, député sortant, républicain.
Saint Charles , né en 1820, manufacturier, fdateur et tisseur, député sortant, républicain.
Klotz L.-L.}, né en 18(58, avocat, publiciste, conseiller général, nouvel élu, radical.
Trannoy Gustave , né en 18.37, avocat, député sortant, républicain.
François Eugène), né en 1842, propriétaire, conseiller général, député sortant, républicain.
LA NOUVELLE CHAMBRE
Baron Eeille. Compayré
Xavier
Reille.
G ouzy.
Andrieu.
De Solages.
TARN (6 députés).
VOIX
obtenues.
ÉLECTEURS
RÉrAliTITMN DES SUKER
\(;es
CIUCONSCRIl'TIOXS.
DÉPUTÉS ÉLUS.
inscrits.
votants.
Hépubl.
IJadic.
Social.
C^onserv.
Albi l'*".
S"".
Castres V.
— 2^.
Gaillac.
Lavaur.
Andrieu
M'" de Solages . .
X Reille
Baron Reille
Gouzy {•_"■ tdurl.. .
Compayré d'" t.).
ït.llO
n.Oun
8 . 303
7.180
17.710
14.. 587
21.6.51
21.747
20.410
16.300
14.175
11.904
18.021
14.719
16.355
13.742
6.778
6.637
9.410
»
8.020
»
7.062
8.459
5 . 400
8 . 303
7.180
5.124
21
»
»
»
9.069
))
6.238
TotaHK
47.661
112.435
88.916
30,845
36 . 404
5.145
15.307
Andrieu 'Edouard;, né en 1862, nouvel élu, radical socialiste.
Marquis de Solages, né en 1862, propriétaire, ancien député, républicain.
Baron Reille (Xavier), né en 1871, anc. ollic. d'artillerie, cens. fi;'én., nouvel élu, républ. libéral.
Baron Reille (René), né en 1835, président du conseil d'administration des mines de Carniau.x,
capitaine d'état-major, aide de camp des maréchaux Randon et Niel, sous-secrétaire d'Etat
au ministère de l'intérieur, 1877, député depuis 1869, conservateur.
Gouzy (Paul), né en 1833, capitaine d'artillerie démissionnaire, 1872, nouvel élu, radical.
Compayré (Emile), né en 1851, avocat, anc. ju^e suppléant, cons. gén., dép. sort., radie, social.
rra\-raii>.
TARN-ET-GARONNE ( 3 députés).
L'IRCONSCRIPTIONS.
montauban.
Castelsarrasix.
MOISSAC.
DEPUTES ELUS
Prax-Paris .
Lasserre. . .
Chabrié
VOIX
obtenues.
13
871
S
878
7
288
ELECTEURS
inscrits.
31
.525
21
736
16
765
24.456
18.030
12.223
REl'AUTrnON DES SUFFRAGES
Républ.
»
8
901
7
288
»
9.412
8 . 765
y>
4.253
»
Prax-Paris (Joseph), né en 1829, propriétaire, conseiller général, député au Corps législatif 1869,
à l'Assemblée nationale 1871, et à la Chambre sans interruption, conservateur.
Lasserre (Maurice), né en 1862, avocat, député depuis 1889, républicain libéral progressiste.
Chabrié (Adrien), né en 1855, avocat, consul en disponibilité, député sortant, républicain.
LA N()r\'i:LLK C, II A M HHK
Ferrero.
Rousse.
Al lard.
Cluseret.
VAR (4 députés).
VOIX
obtenues.
ÉLEC
KURS
KÉrA KTinON DKS SUFFUAGES ||
CIRCONSCRIPTIONS.
DÉrOTES ÉLU.-;.
inscrits.
votants.
Répulil.
Radie.
Social.
Conserv.
Dbaguigxan.
Brigxoles.
Toulon 1'''.
— 2".
AUard ( 2*- tour ) . .
Rousse (2>' tour). .
Ferrero (2<' tour).
Cluseret (2<' tour) .
9.U68
7.588
7.-524
6 . 319
2.J.183
18.012
21.261
20.732
17.521
11.570
14.132
1 1 . 865
»
»
495
1 7 . 366
7 . 588
6.546
»
»
83
7.524
11.21U
»
3.367
»
»
Totau5
30 . 499
8.J.188
55.088
495
31.500
1S.S17
3,367
Allard Maurice), ne en 18(iO, publiciste, nouvel élu, socialiste.
Rousse (Charles), né en 1S60, négociant, publiciste, député depuis 1889, radical socialiste.
Ferrero (Prosper), né en 1859, conseiller général, nouvel élu, socialiste.
Cluseret l,Paul), né en 1823, ancien officier, député depuis 1888, patriote socialiste indépendant.
Tourquery de Bois.serin.
VAUCLUSE (4 députés).
VOIX
obtenues.
ÉLEC-
•KUIIS
liÉl'AliTlTION Di;s .■^Vl'M'Mt
m:;i:s
CII!CONS<l:ll'l'IoNS.
DÉPUTÉS ÉLUS.
inscrits.
votants.
Répulil.
Radie.
Social.
t'onserv.
.\VlG\OX.
Apt.
('AltPKNTUAS.
Oraxgk.
rourquiTj de Roisserin,!'' t.
Bernard ( 2' tour ) .
Delestrac (2" t.). .
Faure (2"^ tour).. .
10.221
6.403
0.9114
9 . 024
25.348
15.042
17.534
23.556
18.610
12.004
12.370
17.682
8.137
17.460
10.221
5.453
6.904
146
0.499
»
»
»
5 . 396
Total
IX
32 . 55H
82.080
60.066
25 . 603
22.724
G. 499
5.396
Pourquery de Boisserim Joseph), né en 1851, avocat, maire d'Avignon, député depuis 1889. radical.
Bernard .Miel:, né en 1861, avocat, conseiller général, nouvel élu, socialiste.
Delestrac (Gustave), né en J8li, ancien magistrat, ancien avoué, avocat, nouvel élu, radical.
Paul-Faure, né en 1852, avocat, nouvel élu, républicain radical.
LA NOUVELLE CHAMBRE
îaudry il'Asson.
Gaubert.
De Lespinay.
VENDEE (6 députés).
VOIX
obtenues.
ÉLEC'X'EUKS
RÉI'ARTITIOX DES .SUFFRAGES II
CIRCONSCRirTION.S.
DÉPUTÉS ÉLUS.
inscrits.
votants.
Républ.
Kadic.
Social.
Conserv.
La RocHE-s-YoN r •■
FONTENAT-LE-C'' l''*"
Sabl.-d'Olonnb !'■'■.
De Lespinay
Bourgeois
Guillemet
Deshayes
Gautret
De Baudry d'Asson. . .
9.33»
13.613
9.847
10.. 547
7.725
8.994
21.492
26.081
21.793
21.644
17.. 564
19.772
18.4.51
16.477
19.376
18.733
15.026
16.377
8.686
»
10 547
14.747
7.132
»
»
9.847
»
»
»
9.338
13.613
9.322
7.893
»
8.994
Totaux
60.064
128.346
104.440
41.112
9.847
»
49.160
Marquis de Lespinay (Zénobe), né en 1851, propriétaire, cons. gén., nouvel élu, conservateur.
Bourgeois (Paul), né en 1827, médecin, conseiller général, député depuis 1871, conservateur.
Guillemet ((îaston), né en 1851, ancien négociant, conseiller général, député depuis 1890, radical.
Deshayes (Prosper), né en 18.33, propriétaire, cons. gén., député sortant, républ. progressiste.
Gautret (Femandi, né en 1862, propriétaire, nouvel élu, républicain.
De Baudry d'Asson 'Léon), propriétaire, conseiller général, député depuis 1876, conservateur.
Demarçay. Pain. Bazille.
Ridouard.
Dupuytrem.
VIENNE (6 députés).
VOIX
obtenues.
ÉLEC'J'EURS
RÉPARTITION DES SUFFRAGES 1
CIRCONSCRIPTIONS.
DÉPUTÉS ÉLUS.
inscrits.
votants.
Républ.
Radie.
Social.
Conserv.
Poitiers l".
Chatbli.erault.
CiVRAY.
LOUDUN.
MONTMORILLOX.
Bazille |2'' tour»..
Dupuytrem
Duvau
Pain
Ridouard
Baron Demarçay.
7.157
8 . 531
9.447
7 . 035
5 . 289
8 . 206
17.523
19.951
20.513
15.881
11.878
20 . 655
13.726
16.748
16.174
13.428
9 . 959
15.927
25
8.531
9.447
13.307
4.539
8.206
44.055
7.157
7.948
»
5.289
6 . 4.50
»
»
6.105
33
)i
)'
6.138
G. 235
IS
Totaux
45.665
106 . 396
85.962
26 . 844
6.253
Bazille (Gaston), né en 1854, avocat, docteur en droit, cons. gén., député depuis 1892, radical.
Dupuytrem (Raymond), né en 1863, propriétaire, conseiller général, député depuis 1889, répu-
blicain indépendant.
Duvau (Jules), né en 1855, banquier, conseiller général, député sortant, républicain.
Pain (Maurice), né en 1866, avocat, propriétaire, conseiller général, nouvel élu, conservateur.
Ridouard (Maxime), né en 1865, propriétaire, artiste peintre, conseiller général, nouvel élu,
ré]3ublicain progressiste.
Baron Demarçay (Maurice), né en 1847, propriétaire agriculteur, député en 1881 et depuis 1889,
répul)licaiii progressiste.
LA XorXKLLK CHAMBUK
S91
Tourgiiiol.
Codet.
VIENNE (HAUTE-) (5 députés).
VdIX
obtenues.
ÉLKCTEL-RS
RÉPARTITION- DE.S SUFFR.^.GE.S ||
(■n:coN-8Ci;ii'iioxs.
DEPUTES ELU8.
inscrits.
votants.
Républ.
Radie.
Social.
Conserv.
Limoges l''-.
2''
Bellac.
rochechouart.
Saint-Yrieix.
Labussière
Tourgniol(2'^-tour).
Gabiat
Codet
Boutard
12.3911
11.268
9.13-t
8.347
5.983
26.807
24.109
24.375
15.909
13.836
20.704
17.741
17.S57
12.603
11.046
8.129
6.289
17.736
4.048
4.971
12.390
»
»
8.347
5.983
»
11.268
»
»
»
))
»
Total
X
47.122
105.036
79.951
41.173
26.720
11.268
«
Labussière (Louis), né en 1853, entrepreneur, conseiller p^énéral, député sortant, radical.
Tourgniol (Jules), né en 1833, anc. profes. de philos, et d'hist., cens, gén., nouvel élu, radie, soc.
Gabiat Camille), né en 1862, docteur en droit, cons. gén., nouvel élu, républicain progressiste.
Codet ;Jean), né en 1832, industriel papeterie), licencié en droit, député sortant, radical.
Boutard (Baptiste), né en 1862, docteur-médecin, nouvel élu, radical.
Ferrv. Krantz.
Boucher. Méline.
Mougin.
VOSGES (7 députés).
voix
obtenues.
ÉLECTEURS
répartition des suffrages I
Cl KCONSC RI PTIONS.
DÉPUTÉ.S ÉLUS.
inscrits.
votants.
Républ.
Radie.
Social.
Conserv.
ÉrixAL \".
MiRECOURT.
Xeufchateau.
Re.mire.mo.vt.
.Saixt-Dié f'-.
Krantz
Boucher
Mougin
Comte d'Alsace . .
Méline
Ferry
Kelsch
8 . 809
9 . 030
9.-588
10.331
13.767
6.933
5.548
15.742
13.195
17.338
15.524
20.913
15.197
14.811
10.422
9.933
14.187
11.614
15.464
12.443
10.884
8.809
9.030
9 . .588
10.331
13.767
6.933
10.193
»
);
))
5.169
933
»
4.357
»
»
Totaux
64.056
112.720
84.947
68.651
5.169
'.'33
4.. 35 7
Krantz iCamillei, né en 1848, ingénieur, ano. maît. des requêt., député depuis 1891, républicain.
Boucher Henrv,, né en 18 i7. manufacturier, conseiller général, député depuis 1880, républicain.
Mougin (.Xavier), né en IS.îT. industriel, cons. gén., dép. dep. 1880, républicain de gouvernement.
Comte d'Alsace iPrince d'IIénin Thierry), né en 1853, propriétaire, ancien oflicier, conseiller
général, député sortant, républicain.
Méline i. Iules), né en 1838, conseiller général, ministre de l'agriculture, 1882, président du
Conseil, 1806, fondateur de Tordre du Mérite agricole, républicain.
Ferry ^Charles . né en 183'i. conseiller général, sénateur 1888-1891 . député sortant, républicain.
Eelsch (Maximilien , né en 18'iî, industriel, cons. général, nouvel élu. progressiste libéral.
S92
LA NOUVELLE CHAMBRE
Villejean.
YONNE (,6 fléputés).
VOIX
obtenues.
ÉLECTEURS
RÉPARTITION DES Sm''FRAGES 1
CIlti'OXSCllIPTIOXS.
IJEl'UTÉS ÉLl-t^.
iuscrits.
votants.
Républ.
Radie.
Social.
Couserv.
AUXERRE !■■'.
Martin
9.(187
U.r.n;
12.152
2.616
9.087
,,
))
S"".
Merlou
S. 333
16.644
12.344
»
8.333
»
3.617
AVALLOX.
Gallot
5 . 002
12.842
10.989
5 . 309
5 . 502
78
»
JOIGXY.
Loup
12.557
27.549
18.892
5 . 722
12.557
»
)>
Sexs.
Cornet
7.964
18.835
15.387
6.931
7.964
»
321
TONXERRE.
6.096
12.557
11.179
4.917
25.495
6.096
»
»
Totaux
49.539
104.973
80.933
49.539
78
3.938
Martin (Bienvenu), né en 1847, maître des requêtes honoraire, cons. ^én., tlép. sort., radicaL
Merlou (Pierre), né en 1849, docteur-médecin, cons. gén., député depuis 1889, radical socialiste.
Gallot (Albert), né en 1845, imprimeur-éditeur, conseiller général, nouvel élu, radical.
Loup (Henri), né en 1846, propriétaire agriculteur, cons. général; député depuis 1892, radical.
Cornet (Lucien), né en 1865, ancien négociant, député sortant, radical socialiste.
Villejean (Eugène), né en 1850, pharmacien en chef de l'Hôtel-Dieu, à Paris, professeur agrégé
à la Faculté de médecine de Paris, conseiller général, député sortant, radical.
Etienne. Drumont.
Marchai.
ALGERIE (6 députés).
VOIX
obtenues.
ÉLECTEURS
RÉPARTITION- DE.S .SUrFR
VGES
CIRCOXSCKIPTIOXS.
IIÉI'OTÉS ÉLUS.
inscrits.
votants.
Républ.
Radie.
Social.
Conserv.
Alger 1''^.
Drumont
11.503
20 . 209
15.723
1)
13.892
1.752
))
— 2".
Marchai
6.690
15.953
12.602
4.341
8.031
))
»
COXSTANTIXE ir".
Morinaud
5.724
12.681
9.687
4.039
5 . 724
»
»
o.-
Thomson
5.137
11.249
6.862
5.137
1.200
»
)i
Orax l''^.
Faure (2'^ tour).. .
5.119
13.729
10.097
4.514
5.519
)i
»
— 2".
Etienne
7.175
14.219
11.514
11.299
>i
»
»
Total
IX
41.408
88.040
66.485
29.330
34.366
1.7.-.2
»
Drumont Edouard), né en 1844, journaliste, nouvel élu, républicain antisémite.
Marchai iCharles),' né en 1849, publiciste, conseiller général, nouvel élu, radical antisémite.
Morinaud (Emile), né en 1865, avocat, publiciste, cons. gén., nouvel élu, radical socialiste antijuif.
Thomson (Gaston), né en 1848, publiciste. député depuis 1877, républicain.
Faure (Firmin), né en 1864, avocat, nouvel élu, radical antijuif.
Etienne (Eugène), né en 1844, sous-secrétaire d'Etat des colonies (1888, 1889-1890), vice-pré-
sident de la Chambre, député depuis 1881, républicain.
LA NOUVELLE CIIAMHUE
Gerville-Réache
Le Myre de Yillers.
Bruuet.
D'Agoult.
De Mahj.
Guibert
snay.
Henrique.
COLONIES (10 députés).
VOIX
obtenues.
ÉLECTEUR.?
ItÉPARTITION DE.S ,';UFFRAGE.-< ||
CIRCOXSCRU'TIOSS.
DÉPUTÉE ÉLUS.
inscrits.
votants.
Républ.
Radie.
Social.
Couscrv.
))
5.329
»
M
»
))
»
»
»
Martinique l'''.
Guadeloupe 1".
La Réunion l''.
— 2e.
ikde française.
La Guyane.
Le Sénégal.
cochixchine fran.
Duquesnay
Guibert
Gerville-Réache .
Legitimus
Brunet
De Mahy
Henrique-Duluc . .
Ursleur
D'Agoult
Le Myre de Vilers.
6.497
.-..329
6.004
h . SOO
î) . 3.59
9.800
31.776
1.393
2.89.5
953
23.446
21.024
14.872
22.871
14.183
21.744
GO. 30 7
4.-564
9.224
2 . 422
11.665
9.295
8.665
10.184
9.289
13.096
49.311
2.602
5.413
1.477
6.497
4.010
»
»
3.818
9 . 800
49.264
1.393
5 . 406
1.215
5 . 158
»
6.004
3.875
5.359
3.950
9
»
»
»
2.645
5.800
»
»
»
1.163
»
135
Totau
7.5.806
194.657
120.997
81.403
24 . 355
9.743
5.329
Duquesnay Osman), né en 1846, docteur-médecin, conseiller g:énéral, républicain prog:ressiste.
Guibert Denis), né en lSi4, publiciste, nouvel élu, républicain libéral prog-ressiste.
Gerville-Réache (Gaston , né en 1S54, avocat, député depuis ixsi, radical.
Legitimus, conseiller g^énéral, nouvel élu, socialiste.
Brunet Louisi, né en 18 i7, président du conseil général, député sortant, républicain radical.
De Mahy François , né en 18.30, docteur-médecin, ministre de l'agriculture 1882 et 18S3\
ministre intérimaire de la marine 188-3), ministre de la marine (1887), ancien questeur de
la (Chambre et vice-président, député depuis 1871, républicain.
Henrique-Duluc (Louis), né en 1852, journaliste, anc. offîc. de chass., nouvel élu, républicain.
Ursleur Henri), né en 1837, avocat, président du cons. gén., nouvel élu, républicain radical.
D'Agoult Eniile-Hectori, né en 1861, ancien ofïicier de marine, nouvel élu, républicain.
Le Myre de Vilers (Charles,, né en 1833, ancien officier de marine, ancien préfet, conseiller
d'Etat, gouverneur de la Gochinchine, ministre plénipotentiaire à Hué, résident général à
Madagascar, ambassadeur honoraire, député depuis 1889, républicain.
LA BEAUTÉ ET SON HYGIENE
« Les jolies femmes meurent deux
fois », a dit Fontenelle. 11 est certain que
la femme a pour devoir de conserver, le
plus tard possible, l'aristocratie de la
beauté, c'est-à-dire la perfection rendue
intelligible par la forme. Restant, pour
ma part, dans le domaine purement mé-
dical, ainsi que je Tai fait dans mes
divers ouvrages sur l'esthétique fémi-
nine, je tiens à apporter aux aimables lec-
trices du Monde Moderne quelques con-
seils pratiques, exclusivement basés sur
l'expérience journalière : je leur parlerai,
aujourd'hui, du teint et des cheveux.
Hygiène du teint. — Le teint est
l'élément, fragile par excellence, de la
beauté faciale. Il importe donc de sa-
voir le soigner et de l'entourer pieuse-
ment des ménagements indispensables.
Chacun sait combien la lumière inten-
sive influe sur la pigmentation de notre
revêtement cutané. C'est pourquoi les
gants, les ombrelles, les voilettes jouent
un rôleincontestablepourla conservation
d'une peau claire. Le teint hâlé et pain
d'épices des Japonais est proverbial,
n'est-ce pas? Eh bien! les Japonaises de
la caste élevée possèdent le teint blanc
rosé des plus charmantes Anglaises :
c'est qu'elles ne sortent que fort rarement
et jamais sans être masquées de voiles
épais. J'ajouterai, en passant, que ce sont
surtout les pays à chaleur humide et à
radiation lumineuse vive, qui pigmentent
la peau jusqu'à la noircir. Les Cubaines,
les Brésiliennes, sont souvent déses-
péi'ées de ces pigmentations faciales et
accusent, à bon droit, leur climat de
ces crimes de lèse-beauté.
Contre ces teintes anormales (laides
surtout par leurs inégalités), j'ai con-
seillé, avec succès , le traitement sui-
vant : trois fois par jour, appliquer sur
la partie pigmentée une mixture com-
posée de : savon médical pulvérisé, jus
de citron, eau oxygénée, parties égales
(mêlez) ; laisser en contact vingt mi-
nutes environ, puis laver avec la tein-
ture d'eucalyptus.
Toute médaille a son revers. Bien des
personnes se plaignent d'avoir une peau
trop pâle. Le visage s'en fatigue et s'en
décrépit plus vite : les rides y creusent
prématurément d'ineffaçables sillons. Je
prescris, dans ce cas, les grands bains
de son tièdes, additionnés de 60 grammes
d'acide phénique par bain ; à l'intérieur,
je fais prendre, avant chaque repas,
vingt gouttes de : teintures de gelsé-
mium, viburnum et jaborandi (parties
égales). Localement, je préconise les
lotions froides du visage avec de l'eau
bouillie aiguisée d'un peu de chloral ou
d'acide chlorhydrique. Si les rides ont
déjà commencé leur funèbre travail de
termites, on peut retarder l'apparition
de ces stigmates de déchéance, avec les
badigeonnages suivants : teinture de
baume de la Mecque 00 grammes, glycé-
rine 20 grammes, alun calciné 4 grammes.
Les peaux transparentes, du type roux
ou vénitien, sont particulièrement pré-
disposées, sous la morsure des rayons
solaires, aux éphélides ou taches de
rousseur. Jai donné, dans mon Hygiène
de la beauté, de nombreuses formules
contre ces taches. Je n'y reviendrai pas;
mais je tiens ici à mettre mes lectrices
en garde, une fois de plus, contre les
laits antéphéliques et autres prépara-
lions courantes : outre leurs dangers
toxiques, dus au sublimé, ces prépa-
rations jouent, à mon avis, le plus grand
rôle pour la pousse importune des mous-
taches et autres productions pileuses.
Souvent héréditaire, la congestion du
teint aboutit finalement à la couperose,
ce cauchemar de toutes les femmes. Ici,
le traitement est souvent long et minu-
tieux ; il réclame la patience et la per-
sévérance, qui sont rarement, hélas ! des
vertus féminines...
Lorsque le teint présente des ten-
i dances congestives, il faut éviter les
LA HEAUTK KT SON IIVGIK.NK
895
plaisirs tic la lablo, les dîners en ville,
Texag'éralion du régime carné, Fnsage
du {j^ibier, des huîtres, des conserves,
des aliments gras. Mieux vautnemanger
de la viande qu'à un repas seulement et
se contenter, pour les autres, de laitage,
œufs, légumes, pâtes. On préférera les
viandes blanches et le poisson d'eau
douce. Comme boisson, la meilleure est
une bière de malt pauvre en alcool.
Bien que Tair extérieur semble, dans
certains cas, aggraver la congestion du
teint, il faut préférer, à la réclusion, une
vie active au dehors. Matin et soir, des
frictions sur tout le corps avec Talcool
absolu, une douche froide de pieds
d'une minute feront le plus grand bien.
En outre, j'ordonne, chaque matin,
l'usage dune poudre laxalive, ainsi com-
posée : acide benzoïque, bicai'bonate de
soude, phosphate de soude, soufre lavé
et magnésie lourde, parties égales (une
cuiller à café, dans un peu de thé léger).
Avant chaque repas, je fais prendre dix
gouttes d'une teinture composée, à par-
ties égales, d'ergot, noix vomique, digi-
tale, hamamelis et hydrastis.
Localement, il faut faire , plusieurs
fois par jour, des pulvérisations très
chaudes, avec une solution concentrée
d'hyposulfite de soude. Ce traitement
stimule la circulation , déterge les
glandes sébacées , décongestionne le
derme et le dégorge, en quelque sorte.
Mais, s'il existe des varicosités (déve-
loppements de vaisseaux), on ne saurait
les détruire qu en les supprimant radi-
calement. Cette période avancée de la
couperose est donc exclusivement sous
la dépendance de la petite chirurgie.
Toutes les fois que la peau est gon-
flée, rouge, chaude, cuisante et prurigi-
neuse, il faut la lotionner d'eau boriquée
concentrée tiède ou l'oindre largement
de cold-cream bien frais, additionné
d'un cinquantième d'oxyde de zinc. On
calme ainsi 1 irritation aiguë, mieux
qu'avec des cataplasmes.
Cest ainsi que je procède dans
l'eczéma. Caractérisé, le plus souvent,
par une dénudation vésiculeuse de la
peau, avec exsudât tle sérosité, l'eczéma
réclame des émollienls exclusifs dans sa
j)ériode aiguë et inflammatoire. Toute-
fois, je l'ai vu avorter assez fréquem-
mant par les lotions d'eau distillée d'ha-
mamelis additionnée d'acide salicylique
au centième, dès que l'irritation aiguë
du début a été calmée.
Que de fois ne vois-je point l'eczéma
du visage, causé par l'emploi de mau-
vais savon, d'une eau de toilette irri-
tante, de certaines poudres de riz ou
crème dites de beauté, de l'emploi habi-
tuel des teintures, des épilaloires, etc. ! Il
faut savoir dépister ces causes locales : car
nos clientes sont un peu de l'école d'.Avi-
nain ; elles n'aiment guère à avouer...
En dehors des causes locales, un dé-
fectueux état général prédispose évi-
demment aux éruptions eczémateuses.
Le mauvais estomac et surtout la con-
stipation habituelle se retrouvent vo-
lontiers parmi les com-mémoratifs. Mais
l'eczéma afîectionne surtout les personnes
arthritiques, issues de parents goutteux
ou rhumatisants, migraineux, asthma-
tiques, hépatiques, diabétiques, etc.
L'usage du poisson de mer, des mol-
lusques, des crustacés, des sucreries et
des salaisons, des viandes noires, des
fromages forts et des conserves en gé-
néral, prédisposent ces sujets aux érup-
tions. Parmi les médicaments qui
poussent, comme on dit, à la peau, il
faut citer surtout les iodures et les brr»-
mures, 1 antipyrine et le chloral.
Enfin, il est incontestable qu'un choc
moral violent peut, par l'intermédiaire
du système nerveux, notre grand rec-
teur organique . solliciter l'apparition
de l'eczéma. La présence du sucre dans le
sang, les sueurs acides, riches en acide
urique, les troubles de nutrition locale
causés par les varices, se retrouvent aussi
parmi les causes de cette dermatose si
commune qu'elle a pu être définie : la
pierre angulaire de la dermatologie.
Non seulement l'eczéma nuit souve-
rainement à l'esthétique féminine, mais,
par les démangeaisons qu'il détermine,
il entraîne souvent l'insomnie, l'épuisé-
896
LA BEAUTÉ ET SON HYGIENE
ment nerveux, ramaigrissement. J'ai
même vu rexallalion ou la dépression
psychique aller, par sa faute, jusqu'à la
folie et au suicide...
l^]n dehors d'un traitement général
approprié à la cause présumée de
l'eczéma, il faut calmer les fourmille-
ments , chatouillements et cuissons :
c'est toujours pour cela que les malades
réclament d'abord l'intervention du
spécialiste. Trois fois par jour, je fais
prendre un cachet composé de 0~'',50
de salophèue et 0'-''',50 de chlorure de
calcium. Localement, je prescris des
onctions au ^lycérolé tartrique, suivies
de poudrage avec deux tiers d'amidon
et un tiers de carbonate de magnésie.
Dès que la peau se dessèche et sexfolie,
je remplace celle médication locale par
des onctions d'huile de lin salicylée au
centième.
Les eczémas des lèvres sont surtout
désagréables et rebelles. Ils entraînent de
douloureuses gerçures : lorsque la lèvre
est tiraillée et fendillée sous leur action,
le plus doux sourire se transforme aisé-
ment en une diabolique grimace. Pour-
quoi la lèvre inférieure est-elle plus su-
jette aux irritations? C'est que son
revêtement est plus mince et que son
plus grand renversement l'expose da-
vantage anx influences extérieures.
Un petit conseil en passant : je ne
connais guère d'habitude plus stupide
que celle qui consiste à se mordre et à
se sucer les lèvres, à tout instant, dans
le but de faire grossir et de rubéfier ces
organes. Ce tic disgracieux est une cause
des plus fréquentes d'eczéma labial.
Chez certaines personnes nerveuses,
on observe parfois des sueurs colorées
sur la peau des paupières. C'est ce qu'on
nomme la chromidrose. On guérit cette
bizarre affection, par des onctions avec
1 gramme d'acide phénique pour
00 grammes de glycérolé d'amidon.
Que faire quand les sourcils tombent?
Un constate souvent alors que, en
même temps que les poils s'atrophient,
dévient et se hérissent, la peau de la ré-
gion sourcilière devient rouge, l'âpeuse,
grenue. C'est la kératose pilaire, plus
accentuée l'hiver que l'été et commune
chez les femmes lympho- arthritiques.
Les cures d'eaux sulfureuses et les onc-
tions de glycérine boratée additionnée
d'un quart d'huile de cade triomphent
de cette disgracieuse alopécie, qui nous
servira de transition pour quelques con-
seils sur l'hygiène de la chevelure.
On évite la chute des cheveux, en
ayant soin de ne jamais comprimer le
cuir chevelu et d'éviter notamment les
coiffures trop lourdes ou trop serrées,
qui entravent la circulation et la nu-
trition locale du bulbe pileux. La fri-
sure et l'ondulation, qui tirent constam-
ment sur le cheveu sont de puissantes
causes de calvitie pour le sexe féminin...
Les lotions aqueuses font tomber les
plus belles chevelures ; les lotions alcoo-
liques les durcissent et les blanchissent;
les corps gras irritent le cuir chevelu et
prédisposent à la séborrhée. Mais une
grande cause de calvitie, pour le sexe
féminin, réside dans les teintures, sur-
tout dans celles à base d'eau oxygénée
ou de nitrate d'argent, les premières
principalement, toujours si à la mode.
De tout temps, les esthètes vantèrent les
cheveux flavescents ou fuloïdes. Remar-
quons même que le mot anglais fair
signilie à la fois beau et blond...
Quant à l'action des teintures sur la
chute des cheveux, elle est également
connue de toute antiquité.
Ausone rapporte que le sculpteur
Miron, mal reçu par la courtisane Lais,
attribua sa disgrâce à ses cheveux blancs :
il se fit teindre et se présenta à sa belle
sous l'allure d'un jeune homme. Mais
Laïs réconduisit plaisamment, en lui
disant: « Sot que tu es, comment peux-tu
me demander ce que je n'ai point ac-
cordé à ton père? ->
Celte petite histoire s'adresse aussi au
beau sexe. Jamais aucune teinture ne
saurait s'harmoniser avec le visage : une
femme teinte porte (suivant le mot d'un
autre ancien) le mensonge sur la tête !
D' E. MOMN.
NEUF JOURS AU DÉSERT EGYPTIEN
Peadant le séjour que je lis à Suez, à
mon retour de la Mecque, comme j'avais
quelques jours à attendre le passage du
navire qui devait me rapatrier, il me
vint l'idée d'essayer de retrouver les
traces des antiques voies de communi-
cation qui devaient réunir Memphis et
les villes du delta égyptien à la mer
Rouge.
J'avais été frappé des difficultés de
la navigation dans le golfe de Suez pour
les embarcations à voile.
Très resserré, le golfe de Suez est
battu presque exclusivement par les
vents du nord pendant plusieurs mois
de l'année.
C'est donc du vent debout pour les
navires venant des Indes et de l'Arabie
et, comme les côtes sont très rappro-
chées, il est presque impossible de tirer
des bordées pour remonter le vent.
De nos jours, comme dans l'antiquité,
les barques doivent donc renoncer à
faire usage de leurs voiles, et les marins
se trouvent dans la dure nécessité de
franchir péniblement à la perche, c'est-
à-dire en poussant sur le fond avec de
grandes perches, une distance de près
de soi.xante milles.
Il faut trois jours de pénibles elTorts
pour elîectuer ce trajet.
Les marins de l'antiquité avaient
donc un intérêt considérable à atterrir
à l'entrée du golfe de Suez, d'autant
plus qu'à la pointe de Zaffarana, par
exemple, ils se trouvaient presque à la
hauteur du Fayoum et de Memphis,
tandis qu'en poussant jusqu'à Suez ils
auraient dépassé au nord ces deux points
et auraient fait ainsi un long et inutile
détour.
Zaffarana paraît donc logiquement
avoir dû être le point choisi pour Tat-
terrissement des navires remontant la
mer Rouge, et cette hypothèse est d'au-
tant plus vraisemblable que toutes les
conditions nécessaires se trouvent réu-
nies : une petite crique très commode
pour les navires à faible tirant d'eau;
un promontoire pour les abriter du
vent ; une montagne pour adosser un
village ou une forteresse : une source
pour l'approvisionnement.
J'avais donc résolu d'aller sur place
étudier à fond cette question.
Mon ami Mauran, employé à la Com-
pagnie du canal, consentit à m'accompa-
gner, et quatre chameaux, deux guides.
VIII. — 57.
898
NEUF JOURS AU DÉSERT ÉGYPTIEN
uu domestique, les armes, vivres et
munitions nécessaires furent bientôt
réunis et nous partîmes.
« Le désert de ZafTarana est la patrie
des grands fauves et des vipères à cor-
nes », me dit le cheik des chameliers
dé Suez, charg-é d'organiser notre petite
caravane.
(( Méfie toi bien sur ta route — avait-il
ajouté, — méfie-toi surtout de deux
tribus bédouines, les Jaoutat et les 7a-
rabine, que tu traverseras. Mais aie
toute confiance dans les guides que je
te donne et dont je réponds sur ma tête;
ils te conduiront sans aucun danger là
où tu voudras aller. »
Cette confiance est d'ailleurs la seule
sauvegarde pour qui veut voyager en
sécurité à travers le désert, et le mal-
heureux de Mores a été cruellement
puni de ne pas avoir suivi cette ligne
de conduite si prudente et si sage...
Je ne vous ferai pas le l'écit détaillé
de notre excursion charmante de neuf
jours à travers le désert égyptien et je
n'essayerai surtout pas de vous décrire
le charme de ces grandes solitudes
mortes; il faut l'avoir éprouvé pour le
comprendre ; il serait en tout cas para-
doxal d'en vouloir exalter la beauté à
des civilisés. Ainsi des douceurs de la
navigation à chameau, ou du bonheur
de se coucher à la belle étoile sur un
épais lit de sable moelleux, et, cepen-
dant, je dois dire que nul plus que moi
n'apprécie toutes ces choses à leur juste
valeur et ne les aime
plus profondément.
Le chameau d'a-
bord, cet animal pro-
videntiel fait pour le
désert, le chameau
ridicule, le chameau
récalcitrant, dont les
attitudes sont grotes-
ques, mais dont le
cœur est bon, le cha-
meau qui se plaint
sans cesse quand on
le charge ou quand
on le décharge, en se
levant et en se cou-
chant, mais qui mar-
che sans trêve, vivant
de rien, sans manger
ni boire pour ainsi dire, l'unique mon-
ture possible dans ces pays de désola-
tion, dans ces solitudes sans fin.
Les nôtres étaient d'une sobriété
extraordinaire. Tout le long de la route
ils broutaient quelques brindilles d'her-
bes amèrés ou des tiges rabougries d'ar-
brisseaux épineux. Aux étapes, le soir,
on leur distribuait quelques petites
poignées de fèves sèches, et ils sont res-
tés jusqu'à quatre jours sans boire !
J'ai reproduit quelques-unes de leurs
attitudes les plus bizarres pour illustrer
le présent récit, et les lecteurs du Monde
Moderne pourront ainsi se convaincre
que je n'exagère pas quand je dis que
le chameau est avant tout un animal
ridicule et invraisemblable!
Pour ce qui est maintenant des nuits
passées à la belle étoile, mon ami
Mauran pourrait attester avec moi
qu'elles furent pour nous délicieuses ;
car, après une journée de marche sous
l'accablante chaleur, il n'est pas de
plaisir mieux goûté que celui de s'al-
longer dans la nuit tiède et douce sur
un sable fin, si fin que le corps s'y moule,
et d'avoir pour plafond cet admirable
NICUK JOURS AU DÉSKHT Kd V PT I HN
899
ciel constellé des pays d'Orienl. L'at-
mosphère est si pure, les étoiles y bril-
lent d'un éclat si extraordinaire et sem-
blent si près de vous, qu'on pourrait se
croire emporté dans les espaces infinis
avec toute l'immatérialité du rêve...
Je passerai sous silence les détails de
notre départ de Suez, ainsi que les péri-
péties de nos trois jours de route sur le
littoral, à longer le golfe pour arriver
à Z;i/fnrana.
Un phare se dresse sur le petit pro-
montoire. Quelques modestes construc-
tions, aménagées pour le logement du
gardien, l'entourent.
Ne pouvant nous arrêter et séjourner
pour faire des fouilles , nous dûmes
borner nos investigations à de longues
promenades en tous sens sur la plage,
autour du puits de Zaffarana, pauvre
mare d'eau fétide et saumâtre, et sur
les pi'cmiers contreforts de la mon-
tagne.
Des débris de poteries, des traces de
ruines émergeaient à chaque pas ; mais
aucun monument saillant ne s'ofTrit
à nos recherches.
Nous partîmes donc
dès le lendemain, avec
l'espoir d'être plus
heureux sur le par-
cours de Zaffarana à
Beni-Suef, route que
je supposais, pour les
raisons précitées,
avoir dû être celle des
caravanes de l'anti-
quité.
Après une journée
de marche de lest à
l'ouest sur un mau-
vais sentier très acci-
denté, nous arrivons
vers les cinq heures du
soir au couvent copte
de Saint-Antonious.
Depuis quatre
jours^ nos guides ne cessaient de nous
entretenir de ce Tanious, comme ils l'ap-
pelaient par altération d'Antonious.
« C'est une enceinte énorme avec des
constructions superbes au milieu >>, me
disait l'un. y . , r^-
« C'est un monument antique, ant
tique — me disait l'autre — une forte-
resse redoutable dans laquelle personne
ne pénètre et où vivent de pieux céno-
bites. ))
Bref, notre curiosité était surexcitée
au plus haut point et nous avions hâte
de voir ces merveilles.
Notre attente ne fut pas déçue.
Figurez-vous une immense muraille
haute de dix mètres, épaisse de cinq à.
la base et de deux au sommet, formant
enceinte. Au milieu, et gardée par une
deuxième muraille, bien plus vieille,
mais presque aussi imposante, toute
une petite ville et une véritable forêt de
palmiers.
Les constructions, de foi'me bizarre,
rappellent le style assyrien ou plutôt
chaldéen, s'étagent et se superposent
comme dans une forteresse des temps
antiques.
Nous approchons. — Trois ouvertures
s'offrent à nos regards ; elles affectent la
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forme de grandes portes voûtées; mais
ces portes sont solidement murées et,
dans celle de gauche seulement, une pe-.
tite fissure dans la maçonnerie donna
900
NEUF JOURS AU DESERT EGYPTIEN
accès, par un couloir aussi étroit que
bas, à une porte massive solidement ver-
rouillée. Il faut se plier en deux pour
passer et ne s'aventurer qu'un à un
dans cet étroit passage.
Nous faisons halte devant cette façade,
sur laquelle surplombe une sorte de
petit beffroi d'où pend la corde qui ac-
tionne la clocle d'appel.
Nous sonnons vigoureusement et
avec les chameaux, les armes et les
bagages. On leur envoie des pains, des
dattes et des olives dans un panier atta-
ché au bout d'une corde et qu'on des-
cend du haut du rempart.
Nous pénétrons alors dans le couvent
par la fissure et la petite porte dont j'ai
parlé plus haut, et les religieux nous con-
duisent un à un par la main sur une des
plus hautes terrasses du monastère.
DE SUEZ A BENI-SOUEF
bientôt quelques têtes curieuses appa-
raissent aux créneaux, puis disparais-
sent presque aussitôt.
Nous resonnons et, après une assez
longue attente, les têtes réapparaissent
et entament les pourparlers d'usage.
Notre petite caravane se compose de
mon ami Mauran et moi, vêtus à l'euro-
péenne, mais coiffés du tarbouch égyp-
tien, de notre domestique, vêtu à l'égyp-
tienne, et de nos deux guides bédouins.
On parlemente et l'autorisation d'en-
trer dans le couvent n'est accordée qu'à
Mauran, à moi et à notre domestique.
Les deux bédouins resteront à la porte
On nous fait asseoir sur des nattes,
on nous sert une légère collation, et
tous les religieux, au nombre de soixante
environ, viennent silencieusement s'as-
seoir en rond autour de nous.
Ils sont tous vêtus de la longue robe
égyptienne et coiffés de turbans.
Leur religion est une sorte de chris-
tianisme nestorien, religion de pa-
triarches, professée par de véritables
patriarches antiques. On est chez eux
transporté de fait à seize siècles en ar-
rière ; car depuis cette époque, date de
la fondation de ce couvent, les prêtres
qui s'y sont succédé d'âge en âge ont
NEUF JOURS AU DÉS EUT ÉGYPTIEN
901
conservé, immuables, leurs traditions,
leur règle et leur costume.
]>'impression en est profonde et inou-
bliable. Et nous sommes, Mauran et
moi, d'autant mieux en état de l'éprouver
que quatre jours d'isolement et de
marche à travers le désert nous ont
déshabitués du monde civilisé.
Les religieux du monastère de Saint-
Anlonious sont pleins de prévenances
nous ont précédés; des écarts de vingt-
cinq années séparent les autographes
des visiteurs du couvent.
Et cependant nous ne voyons que la
dernière page, celle sur laquelle nous
écrivons; car, comme on ne nous invite
pas à feuilleter l'album, la bienséance
orientale nous commande de modérer
notre curiosité...
Au point du jour, dès le réveil, on
t;n puits au désert égyptien"
pour nous. La collation terminée, ils
nous font visiter une partie du couvent
et, comme la nuit tombe vite, sans cré-
puscule, ils nous conduisent à la cham-
bre qu'ils nous ont préparée et où nous
coucherons tous les trois côte à côte.
Les murs sont absolument nus et, par
terre, trois matelas, des oreillers et une
grande natte constituent tout le mobi-
lier de notre logement.
Avant de se retirer ils nous apportent
un registre sur lequel ils nous deman-
dent décrire quelques lignes et que
nous signerons.
Bien rares sont les voyageurs qui
nous conduit auprès du frère supérieur,
qui achève de nous faire visiter en
détail toutes les parties du monastère,
les jardins, la meunerie, la boulangerie,
le réfectoire, les cellules et la chapelle.
Le jardin est très vaste. Enfermé
dans le deuxième mur d'enceinte, il est
arrosé par une source qui ne tarit
jamais, nous dit-on. Elle coule gros
comme le pouce en cette fin d'été, mais
est beaucoup plus abondante l'hiver.
Le précieux liquide est recueilli dans
un vaste réservoir où il s'accumule et
d'où il peut partir avec une certaine
pression pour les irrigations. Tout un
902
NEUF JOURS AU DÉSERT EGYPTIEN
système de canalisation en tuyaux de
poterie est aménagé pour ne pas en
perdre une goutte.
Les dattiers sont couverts de fruits;
des olives grosses comme des noix sont
en pleine maturité et les arbres en sont
chargés. Des vignes grimpent follement
aux troncs des palmiers ou sont dispo-
sées en treilles. Je ne vois aucun figuier,
mais en revanche quelques beaux abri-
quelques céréales et les tissus de leurs
vêtements.
Une mule actionne la meule de leur
moulin. Elle est bien vieille et tourne
avec résignation. On la devine bien en-
tretenue et bien s'oignée, car son poil
est propre et luisant.
Un four primitif leur sert à la cuisson
des espèces de galettes sans levain qu'ils
confectionn.ent une fo.is par s-emaine en
NOTRE ARRIVÉE AU MONASTÈRE DE SAINT-ANTONIOUS
cotiers et de superbes grenadiers entre-
mêlent leurs ombrages.
Enfin, à en juger par les carrés de
tomates, de piments et d'aubergines, de
courges d'arrière-saison, de pourpier, etc.,
qu'ils nous montrent avec une légitime
fierté, nous sommes convaincus que,
grâce à leur travail et à leur patience,
ces braves gens ne manquent relative-
ment de rien. Ils sont végétariens d'une
façon absolue et ne mangent exception-
nellement un peu de viande qu'une fois
par an, à Pâques, l'agneau pascal.
Leur couvent est tributaire du cou-
vent copte de Beni-Suef, qui leur envoie
même temps que les pains consacrés
qui servent à la communion.
Nous entrons dans la chapelle. Chose
curieuse à noter, ils se déchaussent et
conservent leur coiffure comme c'est
l'usage dans les mosquées. Nous suivons
leur exemple, par bienséance. Leurs
prières, comme celles des 'Musulmans,
commencent par le « Bismillah » (au
nom de Dieu).
Une magnifique lampe de mosquée
en verre de Venise, dont ils ignorent
évidemment la valeur, pend sous la
petite coupole de la chapelle.
Des icônes bvzanlines et des tableaux
NEUF JOURS AU DÉSKHT ÉGYPTIEN
903
FAÇADE PRINCIPALE DU il O X A .S ï E II E
de tous les siècles, représentant des
scènes religieuses, ornent les murs.
Des étolTes de, soie et de Aelours, qu'on-
devine dater au moins du temps des
croisades, recouvrent l'autel.
On nous invite à prier Dieu et on
nous offre ensuite le pain azyme, que
nous partageons fraternellement avec les
religieux: véritable communion chré-
tienne à la fois grandiose et simple dans
cet antique sanctuaire.
Nous sortons vivement impressionnés,
Mauran et moi; mais l'heure du départ
a sonné. Il nous faut dire adieu à ces
braves gens et poursuivre notre l'oute
vers Beni-Suef et le Nil.
On garnit nos sacoches de dattes,
d'olives et de galettes sèches; nous em-
brassons les religieux et notre petite
caravane s'ébranle...
Au lieu de deux guides, nous en
avons maintenant trois.
C'est un bédouin du pays, monté sur
un jeune et vigoureux chameau, qui
s'est joint à nous volontairement.
Ce hasard nous a miraculeusement
servis ; car, à l'étape du lendemain, sous
prétexte de nous faire voir « quelque
chose », en modifiant légèrement notre
itinéraire, il nous fît découvrir la chose
la plus curieuse et la plus inattendue,
qu'il soit possible d'imaginer. .:'
Là, en plein désert, au pied d'un petit
mamelon dénudé, des ruines s'amonce-
laient. Nous approchons et, au milieu
de ces ruines, nous découvrons l'orifice
d'un puits taillé en plein grès dur, par-
faitement déquerre, aux parois bien
verticales et d'une profondeur d'envi-
ron 30 mètres dans le roc vif. Vrai tra-
vail pharaonique, d'une analogie frap-
pante, quoique de proportions bien
réduites, avec le puits de Joseph au
Caire : il a fallu probablement des années
de patience pour terminer une pareille
œuvre. Un intérêt considérable devait
donc être en jeu pour justifier un tel
effort et une telle persévérance.
Nous explorons les environs et ne
tardons pas à acquérir la quasi certitude
que nous nous trouvons à l'endroit qui
dut être jadis la bifurcation de deux
routes importantes, dont l'une condui-
sait au Fayoum, l'autre à Memphis, et
qui avaient pour tête de ligne, sur la
mer Rouge, Zaffarana,
994
NEUF JOURS AU DÉSERT ÉGYPTIEN
Ce monument et les ruines qui l'en-
tourent me semblent confirmer presque
irréfutablement toutes mes hypothèses
au sujet de cette grande voie commer-
ciale de l'antiquité, sur laquelle l'atten-
tion du monde savant n'avait jamais
été attirée.
La petite carte que j'ai relevée à la
boussole et à la planchette au cours de
ma route, bien que très sommaire, don-
investigations, mais je crois qu'il serait
intéressant de poursuivre cette étude.
Pour ma part, je me suis borné à
prendre le plus soigneusement possible
des photographies du monument et des
ruines, dont je donnne ici la primeur
aux lecteurs du Monde Moderne.
« Le désert de Zaffarana est la patrie
des grands fauves et des vipères à cor-
nes », nous avait dit le vieux cheikdes
LA. DEUXIÈME ENCEINTE DU MONASTÈRE
nera, je pense, une idée exacte de la
vraisemblance de mes suppositions.
En effet, de Zaffarana au Fayoum ou
à Memphis, la route des caravanes
devait être jalonnée de points d'eau.
Quelques sources naturelles s'échelon-
naient bien ; mais à la bifurcation des
deux routes, l'eau manquant, les hommes
d'autrefois ont dû se trouver dans la
nécessité de creuser ce puits. Sa forme
et son emplacement paraissent démon-
trer qu'il devait servir aussi de citerne
et recueillir les rares eaux pluviales.
Les moyens dont je disposais ne m'ont
pas permis de pousser plus loin mes
chameliers de Suez. Inutile de dire
que nous n'avons pas vu trace de
grands fauves, et nous avons failli ter-
miner le voyage sans voir de vipères à
cornes.
Elles pullulent cependant et, le der-
nier soir de notre route, nous en avons
vu une de grosse taille, blottie en rond
sur le sable. Nous l'avons surprise dans
son sommeil et, avec l'aide des canons
de nos carabines et des baguettes des
longs fusils de nos bédouins, nous
l'avons serrée, conduite, dirigée, intro-
duite... dans le goulot d'une bouteille
de whisky que l'ami Mauran n'avait
NEUF JOURS AU DÉSERT ÉGYPTIEN
905
jias enlièremenl vidée et qu'il a géné-
reusement sacrifiée à la science !
Cette petite opération ne s'est pas
terminée sans exciter 1 effroi de nos bé-
douins, qui avaient une peur atroce que
le reptile nous échappât.
Nos fusils de chasse l'auraient cepen-
dant bien vite mitraillé, et nous n'avons
pas à nous enorgueillir d'un acte de
grand courage pour l'avoir mis ainsi
en bouteille; mais les bédouins ont une
peur horrible de la lefah, dont la mor-
sure est, paraît-il, mortelle.
Le lendemain, sur le midi, le Nil et
les pyramides du Fayoum nous appa-
raissaient.
Le sentier dévalait maintenant assez
rapidement du plateau sur lequel nous
marchions depuis deux jours, et nos
chameaux, humant les effluves bienfai-
sants du fleuve, accé-
léraient leur marche
en allongeant leur
long cou vers l'eau.
L'eau dont ils
étaient privés depuis
quatre jours, l'eau
qu'ils sentaient à plu-
sieurs kilomètres de
distance, l'eau que
nous n'étions pas fâ-
chés de revoir non
plus, nous qui, pour
ne pas boire le liquide
innommable despuits,
avions emporté notre
provision de Suez !...
C'était doncdeleau
de neuf jours qui se
balançait maintenant
dans nos outres, sur
le dos d'un chameau. Aussi avait-elle
pris une couleur brune tellement foncée
qu'en la buvant nous pouvions avoir
l'illusion d'avaler du café I
Deux heures de marche et nous voilà
les pieds dans le grand fleuve, barbo-
tant fraternellement, pêle-mêle, bé-
douins, chrétiens, chameaux : une véri-
table ivresse...
Les ablutions terminées, nous nous
séparions bien cordialement de nos
braves guides Salem et Sellam ainsi que
du compagnon improvisé, Ali, qui nous
suivait depuis le monastère de Saint-
Antonious.
Ses chansons, au rythme sauvage,
avaient souvent charmé la monotonie
de la route. Nous lui devions le plus
beau résultat du voyage, la découverte
du puits, et c'est de bien bon cœur que
nous lui donnâmes l'accolade des adieux,
à la bédouine, en nous heurtant front
contre front.
Ainsi réduite à trois, notre petite
troupe passa le Nil, prit prosaïquement
des billets de chemin de fer à la station
du Beni-Suef, et quelques heures après
nous arrivions au Caire.
Notre équipage était dans un si lamen-
LE PriTS ET LES RUIXES VUS DE L'EST
table état, notre aspect si sordide, que
le concierge du cercle de France, oii
nous allions retrouver tous nos amis,
se refusait avec la dernière énergie à
nous laisser entrer, et nous faillîmes être
expulsés manu militari. C'était le retour
au monde civilisé !...
Gervais-Courtellemont.
L'AMOUR QUI TUEI
Monomime de ]M. Séverin.
Pierrot est amoureux, amoureux comme un fou. Or Pierrot s'embusquant, par la nuit bien gardé,
A l'objet de son rêve il fredonne une aubade. — Qu'importe un inconnu de moins, c'est peu de chose !
Mais ça coûte d'aimer dans la haute, et beaucoup; — Vient de dévaliser un passant attardé
Tu n'es qu'un sans le sou, mon pauvre camarade ! Dont la lèvre blêmie à tout jamais est close.
« La belle, pour m'aimer, exige de l'argent!...
On en saura trouver. » Ça mène à la folie
D'aimer par-dessus tout, quand on est indigent,
Une fille à la fois sans cœur et trop jolie.
Personne ne l'a vu... Sûre est l'impunité
Et Pierrot cependant s'en va comme un homme ivre,
Songeant combien c'est chose triste en vérité
D'être parfois forcé de tuer pour bien vivre.
Photographies de M. A. da Cunha.
Vers de M. Jean-Paul Eluem.
En glissant sur son cœur l'argent qu'il prit au mort,
Il a perdu sa joie ! Et sa tendresse est morte!
Et sa bonne gaîté ! L'implacable remord,
Une fois pénétré, ne passe plus la porte...
Lui! Pierrot, assassin! Lui! Pierrot, un voleur!
Pour qui? Pour une femme! Était-ce bien la peine?
Il tombe, terrassé par sa grande douleur,
Et pour l'être adoré n'a plus que de la haine.
Rien ne peut écarter l'obsédant souvenir.
Il pense vainement à la belle qu'il aime...
Au lieu Je son image, il voit toujours venir
L'autre, le regardant de son regard suprême.
ï
" ■♦
Le mort est toujours là, prés de lUi, nuit et jour !
Où qu'il soit, à ses yeux se dresse sa victime!
Vaincu par le remords plus puissant que l'amour
Il ne peut plus penser à rien... rien qu'à son crime!...
LE MOUVEMENT LITTERAIRE
Bruges, les canaux, les maisons à pignon
étroit dont les fenêtres à petits carreaux
se reflètent dans Feau, les sons égrenés
des carillons par les airs embrumés d'hu-
midité, les rues calmes où passent des
femmes pieuses encapuchonnées de noir,
le livre d'heures en main, devant les bou-
tiques obscures où l'on voit briller les
cuivres des seaux et les angles des fers
forgés, toute la ])ieuse et taciturne mélan-
colie de ces villes mortes des Flandres
qui sont des vieilles villes espagnoles :
souvent on a décrit tout cela, et ce sont
motifs exquis pour les poètes à l'âme mé-
lancolieuse, qui trouvent là des sujets
adéquats à leur inspiration. Comme l'épo-
que romantique avait créé de toutes pièces
une Espagne sémillante, ornée de pam-
pilles et vêtue de soie rouge et jaune,
l'époque triste de notre histoire littéraire,
durant ces vingt dernières années, a tourné
l'attention vers les pays du Nord, dont on
nous a rapporté de nombreux tableaux,
sombres et gris. M. Georges Rodenbach
vient d'accrocher une toile de plus dans
la galerie. 11 a publié chez Fasquelle un
poème qu'il a appelé le Miroir du ciel na-
tal. C'est une œuvre plus remarquable par
le sentiment et par l'inspiration que par
la forme, tant celle-ci est indécise. Evi-
demment, et à choisir, le livre est plutôt
écrit en vers; mais dans bien des pages,
la disposition typographique est le seul
indice qui nous prémunisse contre l'erreur
de croire que ce n'est pas de la belle
prose. Ouvrez le livre au hasard :
Ils ont vu clair en eux ;
Ils sont tous lumineux.
Leur conscience est un écrin
Plein de joyaux qu'enfin la solitude enflamme.
Ah ! comme ils dorment, leurs vieux chagrins !
Et cet orgueil de n'être plus qu'humain à peine!
Trésor intérieur !
Richesse de son cœur!
Parure de soi-même !
Heureux ceux-là dans leur demeure !
Vie heureuse qu'ils ont choisie !
Destinée extatique ! Allez-y
Les voir gravir en paix l'escalier blanc des Heures.
Et ils s'appuient aux lampes
Comme à une rampe...
Il y a un oul^li volontaire de toutes les
lois autrefois admises de la prosodie ; hia-
tus, mesure, rimes, césures n'existent
plus; on s'y fera, on s'y fait; c'est de la
prose cadencée qui rappelle les gestes
anciennes, et c'est en ce sens que Sully-
Prudhomme, l'ennemi né de toutes les
altérations prosodiques, pouvait dire que
Chateaubriand, avec sa prose harmonieuse
et chantante, est le père de l'école poé-
tique nouvelle.
Le Ciel natal se compose de huit recueils
réunis, dont les seuls titres disent déjà
le ton de l'œuvre et les prédilections cou-
tumières du poète rêveur. Ce sont les
Lampes, les Femmes enmante, les Réverbères,
les Jets d'eau, les Premièns communiantes,
les Cygnes, les Chches, les Hosties, c'est-à-
dire tout ce que l'on voit, tout ce que l'on
entend, tout ce que l'on révère dans le
pays brumeux , dévot et at^soupi des
Flandres orientales, où les vieux rêvent
sous la clarté de l'abat-jour, où les femmes
noires passent sans bruit en glissant le
long des églises, dans la rue dont le pavé
ruisselant de pluie reflète la lueur des
réverbères, tandis que les cygnes voguent
sur le lac d'amour et que les blanches
communiantes vont vers les saintes hos-
ties. De ces panneaux tristes et pittores-
ques, il se dégage une impression pieuse-
ment attrayante de ce pays silencieux
dont les êtres sont pétris de dévotion
espagnole et de flegme hollandais.
La lampe s'allume, et la chambre prend
des airs d'église :
Les rideaux de guipure aux fenêtres
Sont des voiles de premières communiantes.
C'est l'heure où l'on se sent un peu
(I divin » :
Des nénuphars sont nés parmi les glaces nues ;
Un ecclésiastique amour de la douceur
Revêt comme de lin pascal et d'innocence.
Tout le livre a de ces échos du paisible
et mystérieux presbytère, des quartiers
mornes et déserts.
Et par les soirs de pluie en leurs mornes faubourgs
Quelque chose de moi briile dans les lanternes.
Et ce sont les béguines qui passent,
longues et noires, avec la grande mante à
capuchon arrondi, en forme de « cloches
de drap » :
Ah ! ces mantes ! Est-ce d'amantes, de démentes?
Femmes âgées !
De quoi sont-elles chargées?
Que vont-elles portant comme vers une tombe?
Elles sentent l'adieu!
Leurs manies bombent...
Elles y cachent des fardeaux mystérieux.
Que vont-elles jeter au fond du crépuscule?
11 semble qu'elles tiennent
Des cercueils de petits enfants.
Toujours des tristesses, de navrants
découragements ; c'est le ciel qui les veut
et les inspire, le ciel de la ville morte,
Triste comme une tombe avec des chrysanthènuss !
Est-ce une ville où ne vivent « que des
LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
909
aïeules » ? On croirait tout le monde ab-
sent :
Tout s'adoucit et tout s'ouate.
Est-ce qu'il y a des malades
Pour que si doucement tintent les cloches
Au-dessus de la ville?
Vieilles cloclies qui s'eflîloclient
Son à son, comme fil à fil...
Tout incline à un silence tel,
Comme d'une ville irréelle
Et qui se .«serait faite elle-même en dentelle !
Universelle solitude!
Même les cygnes, sur l'eau noire,
Ont l'ennui du reflet d'eux-mêmes, et l'éludent:
Les nénuphars sur l'eau sont comme des fermoirs.
Le ciel opaque et h.iut
N'est guère vivant davantage,
Ciel mat d'immobiles nuages,
Et qui a toujours l'air d'être un ciel de tableau.
Cette grisaille est jolie. L'auteur excelle
dans ces tableaux pour lesquels il sait
mélanger et préparer sur sa palette toutes
les nuances du gris. Il a, par la préciosité
même de son esprit ingénieux, des trou-
vailles d'expressions, d'images, de rappro-
chements et de comparaisons qui piquent
de notes vives et voyantes le fond clair-
obscur de son paysage gris,
Un gris fait de blanc et de noir.
Fait du noir des soutanes
Et du blanc des cornettes;
Un gris formé de vos robes, ô vous, les prêtres,
Un gris formé de vos linges, religieuses ;
Couleurs contagieuses
Des uniques passants y traversant les soirs !
Il est l'homme de ces poèmes parce
qu'il est celui de ces pays dont lame mys-
térieuse et tacite vit en lui :
Quelque chose de moi dans les villes du Nord
Quelque chose survit de plus fort que la mort.
11 n'était pas aisé de continuer celte
cantilène durant tout un volume qui vient
après d'autres et de lui conserver la va-
riété, le charme du mouvement et de l'im-
prévu. L'auteur a une imagination ingé-
nieuse et il excelle à renouveler le thème
— il faudrait dire le thrène — à tous pro-
pos. Il regarde les réverbères et ils lui in-
spirent un poème original, triste comme
une flamme jaune clignotant seule, le soir,
dans un quartier désert, à travers la nuit
embrumée :
La nuit s'acharne au réverbère qui la nie.
Tout s'endort ; seul son feu,
Obstiné comme l'insomnie.
S'attarde, avec son pouls fiévreux,
Ce battement de flamme chaude
Et comme artéiiel
Qui continuera jusqu'à l'aube.
Le réverbère est seul sous le grand ciel
Et il voit que, là-fas,
D'autres feux tremblent,
Etoiles qui jamais ne se rassemblent.
Seules comme lui
Dans un éternel célibat.
O étoiles, ses sœurs, qu'il nomme dans la nuit !
Un même mal les agite ;
Elles sont si tristes ;
Elles ont le rrême sort,
Le même tremblement de fanaux dans un port
A des vaisseaux qui jamais ne partent ;
Elles ont la même palpitation.
Les mêmes pulsations,
Comme si un seul cœur, elles et lui, les faisait battre.
Vous vous rappelez, à propos de ces vers,
ceux de Sully-Prudhomme :
Aux étoiles j'ai dit un soir :
« Vous ne paraissez pas heureuses ! »
Les étoiles de Sully-Prudhomme gémis-
sent de vivre dans la solitude ; les mêmes
tristesses, M. Rodenbach les attribue, en
des vers pittoresques, à des réverbères ;
et voilà bien la note de ces deux poésies
si opposées, dont l'une plane dans le ciel,
tandis que l'autre, réaliste et matérielle
dans sa philosophie pessimiste , rase le
trottoir. Comme les brouillards du Nord,
la mélancolie baigne et noie toutes ces
pages douloureuses qui vous laissent un
impérieux besoin de relire aussitôt des
pages illuminées de soleil et embrasées de
Midi, comme on a envie de se réchauffer
en sortant d'une cave. Triste, le glas des
cloches ! Triste, le pas lent des pauvres
femmes ! Triste, le glissement silencieux
des cygnes blancs sur l'eau noire ! Triste,
le défilé à pas comptés des blanches com-
muniantes qui avancent comme des mar-
tyres !
Extase d'un dimanche d'avril à Malines
Quand, à VAgnus Dei, U clochette bruine.
Blancs propagés! Blancs unanimes!
Les tulles sont d'accord avec les hymnes!
C'est donc enfin le moment du Graal ;
C'est le moment enfantiuement nupii.il.
Marches rythmiques ! Pantomime !
Processionnellement, et presque sans oser:
Elles ont un air de victimes
A marcher vers le banc, les doigts juxtaposés.
Et se pâment au pain azyme,
Ecarquillant leur bouche comme à un baiser...
Oh ! les cloches ! Elles tintaient à faire
crier pendant qu'était représenté le petit
drame du même auteur, h Vceu, et les voici
encore, lancinantes, implacables comme
les carillons de Bruges et de Gand , en
notes désolantes, comme des gouttes de
pluie :
Ah! ces cloches et cette pluie
Qui se sont obstinées.
Toute la journée,
Et sur mon âme, ensemble, appuient !
Je rêve de très tristes choses,
D'une orpheline avec sa camériste...
910
LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
Comme la vie est triste
Vue ainsi à travers de la plaie et des cloches!
Tout est fané, tout est défunt !
Ah ! cette pluie et ces cloches qui sont complices !
Dans mon ame grise
Elles ne font plus qu'un...
La cloche décroît, taudis que s'accroît
La pluie fine ;
Et dans mon âme, alors, on dirait qu'il pluvine
En gouttes de son froid.
Tant de motifs divers risqueraient de
s'égrener dans la pâle monotonie s'ils
n'étaient reliés par un sentiment intime et
profond comme par un fil qui noue les
grains d'un chapelet. Cette unité est ici
assurée par la piété dévote qui a été l'in-
spiratrice de l'œuvre. Le poète dit quelque
part :
Seigneur, j'ai fait le vœu d'une œuvre en votre honneur.
C'est pour lui que brûlent les lampes,
que vont les communiantes, que chante le
concert noir des cloches, que jaillissent
les jets d'eau comme des actes de foi; il
était logique que ces hymnes au ciel fus-
sent couronnées par un cantique, le poème
des Hosties, d'une inspiration solennelle et
mystique , teintée par la lueur grise des
vitraux nus et les petites flammes des
cierges :
C'est la douceur, c'est la candeur du temps pascal
Et, pour les âmes repenties,
11 neige des hosties...
Les vergers du ciel sont en fleurs,
Neige tiède de Horéal,
Comme celle tombant des branches
En rieurs blanches ;
Ah ! cette chute dans les cœurs
De la neige en fleurs des hosties !
A la fin resplendit, comme la déesse de
l'apothéose, la grande cathédrale, l'âme de
celte vie lente et ecclésiastique des villes
du Nord en prières, — la cathédrale de
Bruges, dont l'image, qui se dresse là-bas
vers l'Escaut, rappelle ses sœurs d'Espagne,
et fait songer aussi à cette cathédrale de
Chartres, dont Huysmans nous révélait
récemment la grandiose et poétique sym-
bolique. M. Rodenbach, en quelques vers
plus réguliers, ou moins irréguliers que
les autres, a fort bien dit l'origine de la
cathédrale et sa ressemblance avec les
forêts aux dômes verts :
Parmi les grandes cathédrales aux murs frais,
C'est t(.>ute la Nature éternelle qu'on goiite.
On y entre comme on entre dans la forêt
Dont les rameaux cintrés s'arrondissent en voûte.
Oui! toute la Nature y règne, transposée:
Soleil de l'ostensoir' Et l'encens peu à peu
Evaporant parmi les nefs un brouillard bleu,
L'eau bénite répand des gouttes de rosée.
Les jardins des vitraux ont des roses trémières
Toujours en Heurs, et les rosaces sont des paons
Immobiles, qui font la roue, au soir tombant.
Les cierges sont du blé aux épis de lumière.
O Nature que les cathédrales copient!
Les orgues font le bruit du vent; les soprani
Ont une voix qui s'aile et sort comme d'un nid;
Dans la forêt de pierre, à leur tour ils pépient...
Mais il est temps de fermer ce livre, d'une
forme très nouvelle, très moderne, ce qui
n'est pas un éloge, et d'une inspiration inti-
mement et délicatement poétique, — ce qui
en est un. Le poète a fini l'œuvre de piété,
et, comme Memmling après la châsse de
sainte Ursule, il peut contempler avec
amour ce reliquaire saintement ciselé, ce
livre fait de sons pieux comme un anti-
phonaire et l'offrir au ciel dans un der-
nier élan :
Seigneur, en ma faveur, souvenez-vous, Seigneur!
Seigneur, de l'humble etîort d'une œuvre en votre hon-
[neur!
c( C'est une vieille histoire », dit quelque
part Henri Heine en racontant une aven-
ture d'amour. C'est l'éternelle histoire, et
elle n'est pas près de sa fin, car l'amour
ne parait pas disposé à céder sa place dans
la littérature fictive. Voici quatre romans
à peu près contemporains, et leurs seuls
titres constatent assez que les variations
différentes recouvrent le même thème.
Celui ci, publié chez Lemerre par Léon
Barracand, s'appelle Un grand amour. Cet
autre, publié chez Ollendorff par Jean
Rameau, a pour titre Plus que de l'amour.
Celui-là est de Jean Reibrach, et a paru
chez Ollendorff encore : c'est la Force
de l'amour. Un quatrième, édité par Flam-
marion, est de Fernand Lafargue et inti-
tulé Toujours aimé!
Ah! le vieil air, toujours écouté et tou-
jours recommencé. Car on pourrait inter-
vertir les titres de ces volumes, ils ne
seraient point pour cela débaptisés. Tous
disent que l'amour est plus fort que beau-
coup d'autres choses.
Ecoutons Barracand. 11 nous conte avec
agrément, dans un style clair et facile,
dans un récit où l'observation donne du
corps à l'invention, l'histoire d'un amour
cruellement trahi dans le délire de son
héroïsme et de ses sacrifices. Une jeune
fille de la très haute et très riche bour-
geoisie épouse un duc mauvais sujet, le
plus séduisant des hommes, lequel lui
rend la vie amère ; mais elle l'aime tou-
jours et quand même. De même que cer-
taines femmes du peuple aiment l'homme
qui les maltraite, de même d'autres s'atta-
chent à celui qui les abreuve de souf-
LE MOUVEMENT LITTÉHAIUE
911
frances morales. Armand, duc de Cressan,
en arrive à étrangler une fille pour lui
voler son porte-monnaie, et l'amour de
Marthe résiste à cotte infamie. La scène
du meurtrepCt le retour du meurtrier dans
sa famille sont traités avec un grand talent :
Quelques minutes s'écoulèrent. Toujours
accroupie aux pieds d'Armand, elle avait re-
levé la tète et regardait. Il avait repris sa
pose immobile, accoudé sur un bras, les yeu.v
rouges et en larmes... Elle l'interrofrea :
— C'est vrai! c'est donc vrail
Toi ? c'est
loi
Il hocha tristement la tète :
— Mais c'est alTreux ! affreux!... Qu'allons-
nous faire! mon Dieu?
Elle se tordit les mains.
Il était pitoyable à voir! Cet homme qui se
laissait abattre, qui, comme une pauvre bête
traquée, à bout de force, était venu se réfu-
gier aui^rès d'elle et qui pleurait, pleurait de-
vant elle, sans plus de souci de lui en impo-
ser... lui qu'elle n'avait jamais vu pleurer!
Avec un redoublement de larmes, elle l'en-
toura de ses bras ; puis, dans un délire de
tendresse, se pressant sur son cœur, y en-
fouissant sa tête, elle balbutia :
— Mais je ne veu.x pas, moi ! je ne veux
pas... Je veux que tu vives! je te sauverai!...
La thèse était hardie ; elle a rencontré
un subtil et habile avocat, qui l'a présentée
avec agrément.
Jean Reibrach est un écrivain sobre,
nerveux, qui a de la puissance. Dans
la Force de l'amour, il constate les ravages
exercés dans les familles par les passions
et les dangers que fait naitre la lutte pour
l'argent. L'œuvre est faite de scènes dra-
matiques et de situations poignantes au
milieu desquelles fleurit un amour irré-
ductible et touchant qui donne au livre
une solution rassérénante et un beau dé-
nouement. On lit avec un intérêt soutenu
les malheurs d'Hélène Devauxelles, jeune
fille convoitée pour sa dot et généreu-
sement refusée par celui qu'elle aime et
qui est pauvre et fier. Cette jeune fille
évolue au milieu d'un monde équivoque
où sa vertu subit de rudes assauts; elle
sait que sa mère a un amant qui aspire à
devenir le gendre de sa maîtresse; elle va
à des bals, décrits avec bien du pitto-
resque, où fonctionnent mystérieusement
des agences matrimoniales. La peinture
de la villa Rozière, sorte de family hoiise,
« une parodie du monde, un raccourci
cosmopolite de la société», est intéressante.
Les aventures du père d'Hélène avec sa
maîtresse Cora sont divertissantes et mo-
rales par la leçon de choses qu'elles ren-
ferment. La demande en mariage faite par
Hélène, écœurée de son monde, au pauvre
et honnête Jean Rugues, est contée avec
talent :
Il dut, une seconde, appuyer sa main au
marbre de la cheminée.
Alors, la voix changée, voilée de la fatigue
de son effort :
— Ma vie, Hélène, doit demeurer pauvre.
Je ne puis pas, je ne veux pas vous épouser,
quand même je vous aimerais.
Le silence battit entre eux, énorme. Enfin,
relevant le front, la voix raffermie :
— Adieu! dit Hélène.
— Adieu! dit Rugues.
Longtemps après le départ d'Hélène, Rugues
demeura immobile, laissant se prolonger en lui
un grand saisissement. Ah! la vie avait donc
vraiment de romanesques et d'invraisembla-
bles aventures ?
Toutes ces pages sont d'excellent style,
clair, sobre et juste.
En quittant Jean Reibrach et son livre
pour ouvrir celui de Jean Rameau, on
passe des salons douteux et des sociétés
faisandées de la vie parisienne au plein
air, bleu et pur, des belles Pyrénées. Le
drame de jalousie qui torture le cœur de
Germain, le mari de la nerveuse Noële,
que poursuit le plat Montdidier, se déroule
dans un décor splendide qui a, une fois de
plus, bien inspiré son peintre attitré.
Il faisait beau, l'air embaumait ; le ciel, lavé
par les pluies de la nuit, semblait d'un bleu
tout neuf, le soleil faisait resplendir les cas-
cades et leur mettait un arc-en-ciel à la cein-
ture. Germain regardait tout cela, de ses yeux
vides, et la joie des êtres, la beauté des choses
étaient une tristesse de plus pour son cœur.
Les paysages se succédaient, gracieux ou
grandioses. Une chèvre, sur un mur, bêlait,
éplorée. appelant son chevreau. Un paysan
étendait du foin dans une prairie, des vaches
buvaient au bord du gave, une roue de moulin
tournait dans un éblouissement d'écume.
Suivons encore Germain devant la grande
cascade :
Il l'admira une dernière fois, de ses yeux
tristes, qu'il voulait fermer à tous les spec-
tacles terrestres. Comme elle lui semblait
belle ! A cette époque de l'année, elle débi-
tait trois fois plus d'eau qu'au mois d'août et
son jet avait une ampleur incomparable.
Oh! oui, elle était belle, et terrible, et atti-
rante ! Son eau n'avait pas l'air de tomber
aussi vite que l'eau ordinaire. Elle semblait
une eau de rêve, très légère, presque impal-
pable, une mousse d'argent, un lent déroule-
ment de tulle, une écharpe blanche que le pic
du Marboré , penché là-haut, jetterait avec
amour à quelque fée invisible, couchée au
fond du cirque, sur ce lit immaculé qui s'ap-
pelle la Plaine-de-Xeige.
Le dénoument, qui nous fait assister
aux anxiétés du mari instruit d'un rendez-
vous de sa femme, et qui en est quitte
pour la peur, est conduit avec vérité et
agrément.
Et c'est l'amour encore qui fait les frais
du récit de Fernand Lafargue, Toujours
aimé, dans lequel une mère étend au fils
la tendresse qu'elle eut pour le père, et
912
LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
ce fils devient son gendre. Celte mère,
M™« Honorine Prélat, qui avait avoué à
son mari son premier amour pour un
autre que lui , par marque de confiance,
rencontre le fils de ce Jacques Lormont
qui eut jadis sa tendresse :
Jamais le souvenir ne vieillit les êtres. Il
les évoque sans tenir compte du temps passé.
S'ils se présentent encore vivants et diffé-
rents d'eux-mêmes, on a besoin, pour les re-
connaître, d'un effort qui accuse la déception.
M™» Honorine n'avait pas cet effort à subir.
Elle reconnut Jacques Lormont dans André I
Ce fut en se sentant vieillie, en se compa-
rant à l'Honorine de jadis, qu'elle comprit
que ce jeune homme n'était que le Jih de
Jacques! La réflexion fut rapide, l'émotion
qui la suivit fut douce. Elle n'avait pas tout
perdu de lui, puisqu'elle avait devant les yeux
son fils !
Le reste est la piquante analyse de ce
sentiment délicat, qui fait revivre pour
M"'« Honorine vieillie le type aimé et les
joies de sa rose jeunesse.
M. Jean Richepin vient de publier chez
Fasquelle un nouveau livre, Contes de la
décadence romaine. Ce sont des scènes la-
tines pleines d'ironie, de philosophie,
d'allusions à nos mœurs et d'érudition.
Ce genre convient à un écrivain qui n'a
jamais oublié ni répudié ses antécédents
de normalien. On écrivait récemment que
ces Contes sont la seconde mouture des
études préparatoires qui ont servi à l'élabo-
ration de la Martyre. Il n'y a pas appa-
rence. Ils sont le divertissement d'un lettré
et d'un érudit. Il y a, à la bibliothèque
de l'Ecole normale de la rue d'Ulm, un re-
gistre des prêts. (Voir sur le séjour de
Richepin à l'Ecole normale, le Moi^de
Moderne, tome I'"'', 1895, page 529.) Pour
l'année 1869 les pages sont lacérées de
trous. Ce sont les normaliens qui ont dé-
coupé et emporté, pour garder des auto-
graphes, les signatures de Richepin jeune
encore à l'époque oii il signait comme
élève les prêts de la bibliothèque. Vingt
ans plus tard, on devait attacher du prix à
ces paraphes d'un âge où la certitude du
succès n'avait pas encore remplacé l'es-
poir. L'étudiant manifestait par ses lec-
tures et par le choix de ses travaux un
goût d'érudition qui ne l'a jamais quitté
dans sa carrière littéraire. Les Colites qu'il
publie aujourd'hui me faisaient penser au
normalien qui demandait, il y a trente
ans, au bibliothécaire de la rue d'UIm
comme livres de lecture et de travail le
Calculs Mysticus, le Diaholus Confissor, ou
les œuvres de Goripius, qui prouva que le
hollandais est la langue parlée par les
anges.
Le recueil se compose de vingt et un
contes différents que je ne puis vous ré-
sumer tous. Feuilletons-en quaJques-uns,
parmi les plus typiques et les mieux ca-
pables de donner le ton et le genre du vo-
lume.
La Violette. Une inscription en lettres
onciales a révélé l'existence, au temps de
Marc Mummius, sous Trajan, d'un jeune
poète prodige qui l'emporte sur le vieux et
illustre maître Accius Galbanus Merula,
champion de la poésie, surnommé le Pin-
dare d'Hisconium, sa patrie. Le triomphe
du jeune éphèbe fut éclatant. Le vieux et
illustre maître lui-même, découronné par
cette indéniable victoire, s'inclina :
Il n'y a point de honte, disait-il, à s'avouer
moins grand poète que pareils vers. Car ils
ne sont pas d'un homme. Un dieu seul a pu
les faire. Et à celui qu'on va couronner ici
comme le prince des lettres, c'est certaine-
ment Apollon lui-même qui les a dictés dans
un songe.
Le peuple trépignait, ému et vibrant
devant cette hérédité du championnat :
— Une seconde lecture! Une seconde lec-
ture !
Ce fut l'unanime acclamation du peuple et
du Sénattoutentier, debout. Et Pollux,à la voix
retentissante et modulatrice, recommença. Et
plus admirable encore sembla le poème, où
l'on découvrait des beautés nouvelles, où l'on
savourait mieux celles goûtées déjà. Et, une
troisième fois, on voulut l'entendre. Et tou-
jours et sans fin on avait envie de les réen-
tendre. Il semblait que l'on ne pût jamais s'en
rassasier.
Pour satisfaire le peuple, pour répondre aux
vœux de tous, le Sénat dut, séance tenante,
voter une loi par laquelle fut décrétée la lec-
ture quotidienne du poème pendant toute la
durée des Lustrations et comme, au bout de
ces huit jours, l'enthousiasme avait grandi sans
cesse, loin de décroître, le peuple finit par
demander qu'au nnlieu du forum Lucius Va-
lerius eût une statue d'airain.
Statue, fêtes, ovations, le jeune poète
connut tous ces enivrements de la gloire ;
mais tant de gloire et plus encore ne doit
jamais enorgueillir, car rien n'est si éphé-
mère, et c'est la morale que le conte fait
passer après lui :
Car elle a disparu, la statue de Lucius Va-
lerius Pudens. Et son poème non plus n'a
point subsisté, cette merveille qui promettait
un rival au cygne de Mantoue. On n'en cite
pas un vers, pas un mot. On ignore même ce
qu'est devenu, après son couronnement, ce
précoce grand poète. Nul scholiaste ne fait
mention de lui. On ne connaît que son triomphe,
à l'âge de moins de treize ans, son trait de
bonne grâce et l'enthousiasme qu'il suscita
parmi ses contemporains.
LE MOUVEMENT LITTERAIRE
913
Encore risquait-on. même cela, de ne jamais
en être instruit. Il a fallu. ])oup qu'on en res-
tituât la mémoire, le hasard heureux dune
découverte épigraphique.
Cela est simple et charmant. S'il y avait
en plus un grain de nialico, une teinte plus
marquée d'ironie moqueuse, il vous serait
impossible de dire si vous lisez du Richepin
ou de l'Anatole France.
La Thaumaturge contient une description
de peste inspirée de Thucydide et de Lu-
crèce ; une sorcière se fait j^ayer ses gué-
risons de façon fort plaisante, et le ton de
la conclusion est de joli style :
Et Ion ouvrit exprès les livres sibyllins, aux
feuillets de bronze, pour y graver en lettres dor
le mot du charme, qui ne fut d'ailleurs compris
par personne, surtout par le pontife Maxime,
et qui, traduit de la langue des nomades en
langue latine voulait dire simplement :
— Imbécile !
Telle est l'histoire de la peste violette et
de la thaumaturge par qui Rome en fut guérie,
histoire dont j'ai raconté le début selon la
grave version romaine, et dont j'ai plus allè-
grement narré la fin et le fin du fin selon la
version que les hommes de notre sang gla-
pissent et gutturent dans leurs chansons de
route au rythme quadrupédant et aux rimes
de cuivre tintinnabuleur.
Triomphe est une description somptueuse
du cortège triomphal tel qu'il montait au
Capitole ; le piquant du récit est dans le
souvenir de ces insulteurs que la sagesse
romaine plaçait auprès du général vain-
queur, pour lui rappeler son humanité et
le préserver des griseries de l'orgueil. Le
langage de ces insulteurs est pimenté, mais
pittoresque. Je regrette presque de ne
pouvoir le transcrire ici, à cause des jeunes
filles. Au demeurant, ce n'est point pour
elles qu'est écrit ce livre, où les Rivaux,
ni le Garamante ne sont point extraits de
la Morale en action. Mais il y a à travers
toutes ces pages un souffle délicieux d'an-
tiquité, assez vivant et aimable pour faire
oublier Vapparatus livresque qui a précédé
ces récits, et pour évoquer l'Italie de l'Em-
pire, les villas aux flancs des collines, les
ormeaux chargés de pampres, les rues des
villes encombrées d'esclaves et la petite
maison de campagne du centurion émérite :
Je n'ai certes pas, moi, Furius Albinovanus
Labeo, ancien centurion à la deuxième légion
belgique, et présentement chef de municipe
à la colonie d'IIericium en Taxandrie, la pré-
tention d'être un écrivain pouvant enrichir le
trésor des lettres latines. Je suis, néanmoins,
assez fier de mes œuvres poétiques pour tenir
à ce quelles ne soient pas perdues, et je me
décide donc à en faire la copie suivante, sur
des rouleaux de peau tannée qui servent ici
de papyrus.
De vous dire par quel exploit le brigand
IJuUa mérita d'être sauvé des lions de
l'amphithéâtre, c'est ce dont je serais certes
fort empêché, et je vous renvoie au texte.
Passons devant quelques tableaux anciens,
les Courses, les Agrafes du Mort, les Trente
Braves, (jui sont, en mieux et avec plus de
vie, des pages dignes de Rome au siècle
d'Auguste de Dezobry, sur le cirque, l'am-
phithéâtre ou les funérailles d'antan. Les
Rivaux sont une preuve assez inconve-
nante de l'intelligence des éléphants ; mais
le décor est savant et étudié. Tous ces
récits nous font circuler à travers un
monde équivoque de mimes, de baladins,
d'alTranchis, d'histrions, de gladiateurs, de
sportulaires, de magiciens ; ce sont les
gueux de l'Empire. Nous allons au spec-
tacle voir un sorcier étrange qui évoque
son double et est dévoré par ce fantôme ;
nous assistons au cirque au duel des deux
Labrax, qui sont le père et le fils. Le fils
tombe, blessé. Le peuple hurle, les pouces
en bas : « Frappe! i> Le père recule de-
vant l'infanticide.
A travers ces tableaux de mœurs popu-
laires apparaît le goût complexe de Fauteur
pour un passé qu'il connaît et dont il sait
donner une vision colorée et précise, et
aussi pour les émotions fortes, terribles,
macabres, comme, encore, pour le culte
et le soin d'un style limé, poli à l'ongle :
et ce sont là, dans ce livre, tous les carac-
tères de ce talent qui se font jour, mar-
quant d'une touche nouvelle et non moins
décisive les contrastes violents, les écarts
imprévus de cet esprit à la fois attique et
faubourien, érudit et plébéien, livresque et
banal au sens ancien ; savant de carrefour
qui aime la rue et les bouquins, qui tache
ses doigt d'encre et ses souliers de l'eau
du ruisseau, vagabond qui serait demain
cuistre s'il le voulait et qui promène par
les places publiques sa science de licencié
et son flegme de picaro ; vrai licencié de
Salamanque, qui parlerait de Cicéron
comme Mommsen dans une taverne de
trabans, et qui pourrait piquer à son feutre
troué sa plume d'où coulent ensemble la
science et l'argot , le madrigal et l'obscé-
nité, le chant des gueux et la prose pré-
cieuse d'un Benserade très informé ; érudit
de plein vent, dont ces derniers contes
constatent à la fois la rudesse et l'atti-
cisme; esprit à la fois brutal et distingué ;
Anatole France doublé à la fois de Baude-
laire et d'Eugène Sue ; écrivain de race et
d'originalité que pourraient réclamer avec
des droits égaux 5lontmartre et l'Académie
française !
Léo Claretie.
VIII. — 58.
CAUSERIE SCIENTIFIQUE
Dans la guerre hispano-américaine on
a utilisé, notamment à bord de VIoioa,
pour aveugler les voies d'eau produites
par les projectiles, un appareil d'invention
française qui est peu connu du public et
qui est utile aussi bien à la marine de
commerce qu'aux vais-
seaux de guerre. Il est basé
sur l'emploi de la cellu-
lose, extraite de la noix
de coco, dont les curieuses
propriétés ont été décou-
vertes par l'amiral Fallu
de la Barrière il y a une
vingtaine d'années. Cette
cellulose qu'on appelle
cofferdam, du nom des
caissons élanches qui ont
servi aux premiers essais,
est imputrescible et in-
combustible ; elle se gonfle
sous l'action de l'eau et
forme rapidement un joint
étanche ; elle est quatre
fois plus légère que le
liège et se comprime faci-
lement. Les expériences
ont prouvé qu'un pro-
jectile de fort calibre
passant au travers d'un
matelas de 0°>,80 d'épais-
seur ne laisse pour ainsi
dire pas de trace, la bles-
sure se refermant d'elle-
même, si elle est sous la
ligne de flottaison, par
suite du gonflement de la matière sous
l'action de l'eau. Sans munir les navires
d'un matelas de ce genre, on peut em-
ployer la cellulose à réparer très rapide-
ment les voies d'eau qui se produisent
pour une raison quelconque. M. Colomès a
imaginé à cet effet un système de tampons
dont l'emploi a été reconnu pratique: c'est
celui-là même qui a été utilisé à bord de
Vloira.
L'appareil se compose d'une tige filetée
(fig. 1) terminée à son extrémité par un
disque A, muni d'une charnière lui permet-
tant de basculer et de venir se placer le
long de la tige ; sur celle-ci on enfile un
tampon de cellulose C, percé en son centre,
et par-dessus un autre disque métallique R;
un écrou à poignées B permet de comprimer
le tampon entre les deux disques. Quand
une déchirure se produit on y passe le
premier disque replié le long de la tige
(fig. 2); mais, dès qu'il est de l'autre côté,
la pression de l'eau lui fait reprendre sa
position normale ; on l'applique alors
contrôla paroi en retirant la tige vers soi;
on met rapidement le tampon en place,
ainsi que le second disque, et on serre le
tout fortement avec l'écrou ; le gonflement
de la cellulose la fait pénétrer dans toutes
les fissures. Il est clair que la déchirure
Fig. 1 et 2. — Emploi de la cellulose pour aveugler les voies d'eau.
1. — Appareil Colomès. A, tige filetée et disque à bascule. R et B, second
disque et écrou. C, tampon de cellulose que l'on comprime entre les deux
disques.
2. — Mode de mise en place des appareils.
n'est pas toujours de la dimension exacte
d'un tampon; mais, dans le cas oià elle est
allongée, on en place plusieurs les uns à
côté des autres, et la matière une fois
mouillée est assez plastique pour qu'il se
fasse automatiquement un raccord dans
l'ensemble, qui forme alors joint étanche.
Dans les expériences faites parla marine
américaine sur ces appareils, on a obtenu
l'obturation d'un trou de 0",07 à 0°i,08 de
diamètre en une demi-minute ; en une
minute et demie on a bouché une déchi-
rure de 0™,35 de long, et en trois minutes
une de 0'",18 de large sur 0°»,65 de long.
La cellulose n'est pas moins utile sur les
navires de commerce que sur les vaisseaux
de guerre ; en cas d'abordage, ou de ren-
contre d'un écueil, son emploi peut sou-
vent au moins permettre de gagner du
temps pour sauver les passagers.
Le tunnel du Simplon, auquel on tra-
vaille en ce moment, sera beaucoup plus
CAUSERIE SCIENTIFIQUE
915
long que ceux qui ont été faits jusqu'à
présent dans les Alpes: il a 20 kilomètres,
tandis (jue celui du mont Cenis en a 13 et
celui du Saint-Gothard 15. Malgré cela il
sera terminé plus vite et coûtera moins
cher, grâce au perfectionnement de l'outil-
lage. C'est surtout par l'emploi de l'élec-
Iricité (ju'on arrive à accélérer et à sim-
plifier le travail; outre l'éclairage facile et
abondant qu'elle procure, elle fournit aussi
la force motrice pour les perforatrices, les
ventilateurs, etc. Les chutes d'eau qui
ai)ondent toujours à proximité des travaux
de ce genre permettent de l'obtenir à bon
compte. Pour le percement du mont Cenis
chaque kilomètre a demandé un travail
d'un an et a coûté 6 millions de francs; on
compte (jue dans le percement du Sim-
plon le kilomètre ne demandera que trois
mois et coûtera trois millions de francs.
On voit qu'en trente ans les découvertes
scientifiques ont permis à l'industrie
moderne de faire des travaux de ce genre
({uatre fois plus vite en dépensant deux
fois moins d'argent ; et on parle de la
faillite de la science !
M. le professeur Déhérain a fait, à l'Aca-
démie des Sciences, le compte rendu
d'expériences qu'il avait entreprises dans
le but de savoir s'il n'était pas nuisible,
au point de vue de son utilisation complète,
de laisser séjourner le fumier assez long-
temps sur le sol avant de l'enfouir.
On trouve l'azote sous deux formes
dans le fumier : la partie la plus impor-
tante est combinée avec des matières or-
ganiques, provenant des albuminoïdes, des
fientes d'animaux et des micro-organismes
qui l'utilisent pour leur formation ; le
reste, beaucoup moins important, se trouve
combiné à l'hydrogène pour former de
l'ammoniaque. Or, des expériences de
M. Déhérain, il résulte que, dans ces
diverses combinaisons, l'azote ne résiste
j)as à l'action de l'oxygène de l'air et qu'il
se dégage à l'étal libre dans l'atmo-
sphère.
La pratique do laisser le fumier par
petits tas sur le sol avant de l'enfouir est
donc nuisible, puisqu'il perd au bout de
peu de temps une grande partie de ses
principes fertilisants, et il y a lieu de
procéder aussitôt que possible à son
enfouissement.
Depuis longtemps déjà la municipalité
de Paris a mis à l'étude la question des
gadoues ou ordures ménagères. Ce n'est
pas une petite affaire que de se débar-
rasser de la quantité considérable de dé-
chets que produit une ville de cette im-
portance, et surtout de s'en débarrasser
en s'entourant de toutes les précautions
hygiéniques que nécessitent des matières
éminemment putrescibles , chargées de
tous les microbes connus et inconnus. D'un
autre côté, cela constitue la base d'un
excellent engrais dont on peut faire pro-
fiter l'agriculture, tout en rentrant, au
moins en partie, dans les frais que néces-
sitent l'enlèvement et le transport. Quatre
systèmes ont été retenus par la commis-
sion de chimistes et d'ingénieurs chargés
d'examiner la question.
Le premier consiste à tout brûler ; il
est déjà pratiqué à Paris, à titre d'essai,
dans une usine installée à Javel. Le
deuxième, proposé par MM. Tenin et
Pioger, réduit la gadoue en pâte dans des
appareils spéciaux, de façon à lui faire
occuper un volume minimum et à lui
donner une forme plus compatible avec
son emploi comme engrais. Dans le troi-
sième procédé, qui est celui d'Arnold, em-
ployé à Philadelphie, et dont nous avons
déjà eu l'occasion de parler ici, la gadoue
est mise dans une cuve où elle reçoit pen-
dant sept ou huit heures un courant de
vapeur qui la maintient à une température
de 145 degrés ; on recueille les graisses,
qui s'écoulent et trouvent leur emploi dans
l'industrie ; il reste un produit solide, bon
pour l'engrais et parfaitement désinfecté ;
l'eau qui résulte de l'opération doit être
envoyée à l'égout.
Enfin le quatrième projet, qui est de
M. de Bonardi, consiste à stériliser la ma-
tière en la desséchant par des gaz chauds,
dépourvus d'oxygène, qui favorisent la
transformation de l'azote en ammoniaque ;
puis à brûler, dans un foyer, les matières
combustibles et à en recueillir les cen-
dres. On obtient en fin de compte un pro-
duit qui se conserve et peut être mis en
réserve pour être utilisé ultérieurement
par l'agriculture.
Nous aurons à revenir sur cette question
quand la commission aura fait un choix
définitif.
On utilise très peu la force du vent et
l'antique moulin aux grands bras disparait
de plus en plus ; pour celui-là le mal n'est
pas grand, car il est construit d'une façon
un peu sommaire ; sa conduite est diffi-
cile, il ne marche pas par vent faible et
son rendement est assez mauvais. Aujour-
d'hui la mécanique moderne a permis, par
l'emploi presque exclusif du fer, de con-
struire des machines qui ne sont plus de
rustiques et élémentaires moulins, mais
des turbines à air se réglant automati-
quement, prenant elles-mêmes leur orien-
tation au vent et se dérobant aux tem-
916
CAUSERIE SCIENTIFIQUE
Fig. 3. — Turbine à air_ se réglant automati-
quement, employée aux Etats-Unis pour l'irri-
gation.
pêtes. Elles se composent (fig. 3) de lames
d'acier, à inclinaison variable qui, par un
mécanisme spécial, augmente ou diminue
suivant la force du vent, et de telle sorte
que, si celui-ci devient trop violent, elles
se présentent do profil de manière à lui
ofTrir une faible résistance. L'agriculture
de l'Amérique du Nord emploie plus de
six cent mille machines de ce genre !
Nous sommes loin de ce compte en
France. Il est certain que la nécessité
ne s'en fait pas autant sentir ; mais il n'en
est pas moins vrai que, pour les irriga-
tions par exemple, on pourrait demander
au vent plus qu'on ne lui demande, en
Algérie notamment. Il ne manque pas chez
nous de bons constructeurs de ces sortes
de turbines qui ont déjà fait leurs preuves
dans les irrigations du midi de la France
et ailleurs.
Voici, du reste, quelques exemples d'ap-
plications citées par M. Ringellmann,
directeur de la station d'étude des instru-
ments agricoles, dans une étude faite à ce
sujet à la suite de l'exposition de Chicago :
dans une ferme de 150 têtes de bétail un
moulin de 4 mètres de diamètre suffit
à l'alimentation de l'eau ; dans une autre
de 100 têtes de bétail le moulin a 4"\60 et
puise l'eau à 80 mètres de distance : il
concasse, en outre, le maïs pour les va-
ches ; ailleurs le diamètre est porté à 6™, 60,
mais il s'agit d'abreuver 1 000 têtes. La
loi américaine permet de concéder des
terres arides à la condition qu'on en fasse
l'irrigation dans l'espace de dix ans; c'est
là que le moulin à vent apporte son aide
au concessionnaire. En 1896, M. Ronna,
dans un rapport à la Société d'encourage-
ment pour l'industrie nationale, montrait
comment, grâce aux nouvelles turbines,
les Etats-Unis ont transformé en région
fertile les plaines arides de plus de quatre
millions de kilomètres carrés qui s'éten-
dent entre le 100^ et le 125'^ méridien. Nous
connaissons bon nombre de fermes fran-
çaises où l'eau fait souvent défaut et qui
pourraient très bien s'alimenter par ce
procédé ; mais l'habitude n'en est pas
encore prise, et on sait quelle est la force
de la routine dans nos campagnes. En
dehors des applications qu'on pourrait ap-
peler directes, comme celles que nous
venons de citer, on peut en voir d'autres
dans lesquelles on met pour ainsi dire le
vent en réserve, le prenant quand il se
présente pour accumuler sa puissance
qu'on utilise plus tard, soit sous forme
d'eau élevée dans un réservoir, soit sous
forme d'électricité emmagasinée dans des
accumulateurs.
L'emploi du thermo-cautère Paquelin,
en chirurgie, remonte à environ vingt ans
et, pendant tout ce laps de temps, il a été
presque exclusivement employé, malgré
l'inconvénient que présente la nécessité
d'entretenir constamment une soufflerie à
laquelle l'instrument est relié par un tube
de caoutchouc. Plusieurs tentatives ont été
faites pour affranchir l'instrument de ces
impedimenta et voici le modèle (fig. 4) qui
r/s/^
Fig. 4. — Aphyso-cautère ou thermo-cautère
sans soufflerie.
1. — E., manche formant réservoir où l'on met de l'éther
par un bouchon à vis B. M, bouton servant à manœuvrer
l'aiguille terminée en cône qui règle l'écoulement de
l'éther dans la chambre de vaporisation E. V, pointe
de platine formant le cautère.
2. — Support où l'appareil est amorcé.
est aujourd'hui employé avec succès sous
le nom d'aphyso-cautère (c'est-à-dire sans
soufflerie).
On sait que le principe de ces appareils
consiste à utiliser la propriété qu'a le pla-
tine de rester incandescent tant qu'il est
plongé dans la vapeur d'alcool, d'éther ou
d'essence ; le but de la soufflerie était pré-
cisément d'entretenir cette atmosphère spé-
ciale autour de la pointe. Aujourd'hui, on
CAUSERIE SCIENTIFIQUE
917
obtient le même résultat automatique-
ment : le manche R de l'instrument est
creux et on y met de l'éther par une
ouverture B munie d'un bouchon à vis ; au
milieu se trouve une aiguille qui se termine
par un boulon M formant l'extrémité du
manche; c'est cette aiguille qui, terminée
en cône, ouvre plus ou moins le passage à
l'éther dans la pointe de l'instrument ; le
réglage de l'ouverture se fait par le bou-
ton M dont nous avons parlé tout à l'heure.
Pour mettre l'appareil en fonction, on
chaufTe l'extrémité sur une lampe à alcool
et on ouvre très légèrement le passage de
l'éther; il s'infiltre dans une chambre E où
il est vaporisé immédiatement et ces va-
peurs s'échappent dans une petite tuyère
où elles rencontrent de l'air qui arrive par
de petites ouvertures ménagées sur les
côtés ; il y a alors à ce moment combus-
tion à l'extrémité de celte tuyère, qui se
termine par une pointe creuse P en platine
formant le cautère proprement dit. Une
fois cette action commencée sur la lampe
à alcool, elle se continue tant qu'il y a de
l'éther dans le manche, parce que la cha-
leur de la pointe de platine se commu-
nique à la chambre de vaporisation, située
presque à sa base, et produit une tempé-
rature suffisante pour vaporiser l'éther qui
continue à s'infiltrer par l'ouverture que
règle l'aiguille. Il y a pendant le fonction-
nement une assez forte pression dans le
manche ; elle peut arriver à trois atmo-
sphères ; mais le tube qui le forme est
éprouvé à trente atmosphères au minimum
et peut même résister à une pression
beaucoup plus forte ; il n'y a donc aucun
danger d'explosion. L'absence de soufflerie,
en donnant plus d'indépendance à l'ap-
pareil, permet de le manier plus facile-
ment. En dehors de ses usages chirurgi-
caux, nous rappellerons en terminant que
le thermo-cautère a reçu une application
dans les arts pour la pyrogravure qui
donne des effets de décoration très artis-
tiques.
Arracher les dents sans douleur est au-
jourd'hui chose courante , mais pas tou-
jours sans danger quand on a recours à
des agents qui procurent une anesthésie
générale ; aussi beaucoup de personnes
appréhendent -elles de s'y soumettre. On
a de préférence recours à l'insensibilisa-
tion locale et les injections de cocaïne sont
souvent employées à cet effet ; elles ne sont
pas non plus sans donner lieu parfois à des
accidents plus ou moins graves. Une mé-
thode préconisée par M. le docteur Dumont
semble devoir rendre de réels services à
ceux, et ils sont, hélas ! bien nombreux,
qui doivent recourir à l'intervention du
dentiste. C'est l'apjjlication sur la gencive
d'un tampon imbil)é de gaïacol ; cette sub-
stance donne une anesthésie locale suffi-
sante pour permettre d'introduire l'ai-
guille qui doit insensibiliser les parties
profondes ; elle ne provoque jamais d'ac-
cident général.
A la Société de thérapeutique, M. le doc-
teur Fereira fait part des succès qu'il a
obtenus en administrant l'asaprol comme
désinfectant dans la fièvre typhoïde. Il fait
remarquer que l'emploi des antiseptiques
insolubles comme le naphtol, le salol, etc.,
pour le traitement de cette maladie, tend
aujourd'hui a être abandonné par beaucoup
de praticiens, à la suite de discussions et
de travaux récents qui semblent démon-
trer qu'il ne s'agit pas d'atteindre directe-
ment les germes pathologiques implantés
sur l'intestin, mais de produire une anti-
septie interne, plus générale, au moyen de
sels solubles.
M. Fereira, qui habite le Brésil, a ob-
servé dans six cas de fièvre typhoïde
l'effet de l'asaprol ( naphtol monosulfo-
nate de calcium), et il a constaté une amé-
lioration notable et rapide par l'absorp-
tion de 2 ou 3 grammes par jour en
cachets ou en potion. Les personnes d'âge
très différent, vieillards et enfants, le sup-
portent, d'après lui, facilement même pen-
dant plusieurs jours de suite. Il explique
l'effet pi-oduit par cet agent en faisant
observer qu'il a une action agglutinante
caractéristique sur le bacille typhique et
il estime que, dans ces conditions, il y a
probablement une antiseptie générale du
sang.
Les fontaines lumineuses ont été l'un
des plus grands succès de l'Exposition de
1889 et il est probable qu'en 1900 on ne
manquera pas d'en installer de nouvelles;
car on pourrait difficilement trouver un
plus joli spectacle à offrir au visiteur que
ces eaux jaillissantes, aux couleurs variées
et changeantes. On sait que le principe de
ce genre de fontaines consiste à éclairer
puissamment le jet à sa base, en interpo-
sant entre lui et la source de lumière des
verres colorés qu'on peut changer à vo-
lonté. Le système employé ordinairement
pour faire ce changement dos verres est
simple comme conception, mais assez com-
pliqué comme exécution quand il s'agit
d'avoir un assez grand nombre de couleurs.
Les verres sont montés sur des châssis
qui glissent sur des coulisses et, au moyen
d'un système de chaînes et de leviers, on
les fait passer l'un ou l'autre à volonté de-
vant le foyer lumineux. Pour faire cette
manœuvre pendant toute une soirée, et sur
un grand nombre de jets, il faut un per-
918
CAUSERIE SCIENTIFIQUE
sonnel assez nombreux ; mais voici une
disposition (fig. 5), employée par M. Ada-
mof de Bakou, qui nous paraît plus pra-
tique, car elle permet de faire les change-
Fig. 5. — Fontaine lumineuse automatique.
les verres de couleur V sont montés sur une roue polygo-
nale R actionnée par un moteur. La lumière de la lampe
électrique L est renvoyée au condensateur C par un
miroir incliné M formant réflecteur.
ments d'une façon automatique. Les verresV
sont montés sur une roue polygonale R
qui tourne lentement sous l'action d'un
moteur électrique ou hydraulique; en bas
se trouve un miroir M, incliné à 45 degrés,
qui renvoie vers le châssis du haut les
rayons lumineux provenant d'une lampe à
arc L ; de cette façon chaque verre vient
successivement colorer le jet d'eau, qui
change ainsi constamment de couleur. Mais,
si l'on veut prolonger chacune des colora-
tions pendant un temps plus ou moins
long, ce qui est peut-être préférable au
point de vue de l'effet, on peut facilement
arriver à ce résultat en munissant le mo-
teur d'un mécanisme spécial qui fait avan-
cer la roue par saccades plus ou moins
rapides. Avec de telles dispositions un
seul homme peut surveiller plusieurs
postes et dans un endroit où il n'y aurait
qu'une seule installation, comme dans cer-
tains hôtels ou dans les fontaines publiques
isolées, on peut même se passer de sur-
veillant.
Si on n'avait pas de côtes à monter, com-
bien le nombre des cyclistes, déjà si res-
pectable, n'augmenterait-il pas encore !
Un jour viendra, dans le courant du xx^ siè-
cle, où on fera le long des voies ferrées
des pistes spéciales pour les vélos. Ce se-
rait peut-être un peu trop demander à la
bienveillance, bien connue, des Compagnies
de chemin de fer pour le bon public ; elles
craindraient probablement de tirer, comme
on dit, sur leurs pigeons, à moins cepen-
dant qu'elles n'y trouvent leur compte
d'une autre façon en faisant payer une re-
devance à ceux qui useraient de cette piste.
Mais, à l'époque encore lointaine où on en
sera là, les trains seront peut-être rem-
placés par les ballons, et on sera trop
heureux d'utiliser ainsi les voies ferrées.
En attendant, le pédalage idéal sur une
roule plate est réservé aux agents de la
voie, qui n'en usent pas du reste, et pour
cause ; mais voici un inventeur qui leur
propose, puisque le terrain n'est pas suf-
fisamment uni, de se servir du rail lui-
même, sans être pour cela un équilibriste
hors ligne. A cet effet il construit un dis-
positif spécial, léger, démontable, qui s'a-
juste rapidement à une machine ordinaire
(fig. 6). Pour assurer le guidage parfait,
il attache au cadre, de façon qu'ils ar-
rivent un peu au-dessous des roues, deux
petits bâtis qui portent des roulettes frot-
tant sur le côté latéral du rail; en outre,
au moyen de deux tiges en forme de trian-
Fig. 6.
— Bicyclette disposée pour courir sur les
rails d'une voie de chemin de fer.
De petits galets ajustés au niveau inférieur des roues
appuient sur la partie latérale du rail.
gle, attachées aussi au cadre, il dispose
une petite roue, dont le bandage est sem-
blable à celui des roues de wagon, destinée
à suivre le rail opposé. Tout cela alourdit
évidemment un peu la machine et augmente
les frottements, mais la piste est si unie
GAUSEUIE SCIENTIFIQUE
919
et si plate qu'il y a une largo compensa-
lion. Inutile de faiie remarquer que le si-
gnal avertisseur, trompe, sonnerie ou gre-
lot, devient inutile ; il est préférable de se
déranger pour laisser passer les trains.
Dans les grands parcours comme il y en
a sur les lignes américaines où les trains
peuvent circuler pendant des journées en-
tières sans s'arrêter, il y a une cause ma-
jeure qui impose des stations plus ou moins
prolongées : c'est l'alimentation d'eau pour
la machine. On ne peut, sans charger outre
mesure le convoi, emporter une quantité
suffisante pour d'aussi longs parcours.
Aussi, pour pouvoir passer outre, a-t-on
eu recours à un artifice ingénieux qui per-
Fig. V. — Disposition permettant d'alimenter le
réservoir d'un tender de locomotive sans arrêter
le train.
A, tube recourbé que le mécanicien abaisse au moment
où il arrive au-dessus d'un canal B de 200 ou 300 mètres
de long contenant de l'eau. Celle-ci est refoulée dans
le tube par le seul fait de la marche du train.
met d'emplir le réservoir du tender sans
arrêt. Pour cela on dispose (fig. 7), le long
de la voie et entre les rails, un canal B en
tôle de 200 ou 300 mètres de long dans
lequel on met de l'eau; le tender est muni
d'un conduit, analogue à un tuyau de poêle,
qui traverse le fond du réservoir d'eau dont
il est muni. L'extrémité supérieure de ce
tube débouche au niveau de l'eau dans le
tender et l'extrémité inférieure A, qui est
recourbée en avant, peut descendre ou
monter de quelques centimètres; cette
manœuvre est faite par le chauffeur au
moyen de leviers qui aboutissent à son
poste. Dès qu'il arrive sur le canal disposé
sur la voie, il abaisse donc cette partie du
tube dont l'extrémité horizontale vient ren-
contrer l'eau du canal et la vitesse du train
suffit à la refouler jusqu'en haut, pour la
déverser dans le réservoir. Maintenant que
beaucoup de locomotives sont chauffées
au pétrole, on pourrait les alimenter de
combustible de la même manière et les
trains directs rouleraient sans aucun arrêt
entre les stations extrêmes de la ligne.
On ne se faisait pas une idée bien nette
du fond de la mer jusqu'à ces derniers
temi)s oîi la pose des câbles télégraphi-
ques a nécessité une étude complète des
endroits où ils doivent reposer. Dans une
conférence faite dernièrement à l'Union
coloniale française, M. J. Depelly a donné
des renseignements très intéressants à ce
sujet. Les sondages de la marine sont
surtout faits en vue d'étaljlir la position
d'écueil et par suite ont lieu principale-
ment aux approches des côtes ; en pleine
mer il importe peu de savoir si on a 150
ou 3 000 mètres sous soi. Pour la pose d'un
câble il est, au contraire, très important
de se rendre compte s"U se trouvera sur
un fond plat, une vallée, ou si, suspendu
entre deux mamelons plus ou moins
rapprochés, il ne risque pas de se rompre
sous son propre poids. Des études qui ont
été faites à ce sujet il résulte qu'en géné-
ral, lorsqu'on atteint certaine profondeur,
la régularité du fond est remarquable.
Les sondages opérés dans la Méditerranée
n'indiquent pas un maximum de plus de
3 500 mètres; ceux de l'Atlantique rare-
ment plus de 6 000; quant au Pacifique,
les sondages faits par les Anglais donnent
9 400 mètres aux environs de Tongatabou,
dans l'archipel polynésien; c'est, croyons-
nous, la plus grande profondeur connue.
Dans l'Atlantique nord les pentes sont
assez régulières et assez douces pour que
(quand il sera à sec !) on puisse faire
facilement en voiture le trajet des côtes
d'Irlande à Terre-Neuve. C'est du moins
l'opinion de M. Huxley, savant anglais qui
a spécialement étudié la question. Le sol
est aussi vmi qu'une belle plage à marée
basse; à partir de la côte on a une pente
douce dune centaine de lieues qui mène
à une plaine de 400 lieues, située actuelle-
ment à 4 000 ou j 000 mètres de la surface
de l'eau ; ensuite on remonte par une pente
douce de 150 lieues jusqu'à Terre-Neuve.
Voilà le vrai terrain des cyclistes de
l'avenir ! En attendant, pour un câble
télégraphique, c'est un excellent lit où
il peut reposer en sécurité pendant de
longues années,
G. Maresciial.
Les renseignements de cet article sont donnés au point de rue scientifique et en dehors de toute réclame. Aussi il ne
sera pas répondu aux demandes d'adresses ou de renseignements commerciaux.
EVENEMENTS GÉOGRAPHIQUES
ET COLONIAUX
Marchand est rappelé.
Voici la troisième chronique qui parle
de lui ; elle ne se terminera point, ainsi
que les deux précédentes, par des paroles
de joyeuse espérance. Le rappel de Mar-
chand par le gouvernement français est,
sans nul conteste possible, un échec, et un
échec d'autant plus douloureux qu'il affecte
davantage notre amour-propre.
Depuis deux ans, tous ceux qui s'inté-
ressent, en France, à l'expansion de l'in-
fluence française suivaient avec émotion
dans leur marche à travers le continent
noir ces hommes hardis. On savait peu de
choses de leur programme et de leur but;
on devinait, à défaut d'indications offi-
cielles, qu'ils allaient vers le Nil, qu'ils
essayeraient de donner la main à cette
monarchie abyssine sur laquelle nous fon-
dions, jusqu'en ces derniers temps, de si
grandes espérances, qu'ils sépareraient les
Anglais d'Egypte et les Anglais d'Ouganda.
On ne pouvait qu'admirer un plan aussi
audacieux. Il s'agissait de contrecarrer ou-
vertement un dessein que l'Angleterre avait
formé depuis de longues années. L'Angle-
tjrre avait dit : « La vallée supérieure du
Nil est sous mon influence. » Nous refu-
sons de reconnaître cette prétention : « Et
si l'Angleterre se fâche? » disaient quel-
ques gens bien avisés. « L'Angleterre, se
fâcher sérieusement? Baste ! elle a été si
bonne enfant au Siam, à Madagascar, en
Tunisie ! Elle ne veut que bluffer. Montrons
les dents. Elle reculera. »
L'Angleterre s'est fâchée sérieusement.
Pensez donc ! C'est le lendemain de la
grande victoire d'Omdourman, en pleine
fièvre d'excitation patriotique , à l'heure
où enivrait tous les cœurs anglais la joie
d'avoir enfin vengé Gordon et de croire
assurée la réalisation du rêve de Cecil
Rhodes : l'Afrique, du Caire au Cap, à
l'Angleterre, qu'est arrivée la nouvelle de
l'occupation de Fachoda par les Français.
Du coup, l'ivresse est tombée; la désillu-
sion a été cruelle ; dans toutes les colonnes
des journaux britanniques, des poings se
sont dressés vers la France, qui troublait
la digestion d'une telle victoire. Nous en
avons entendu de belles sur notre compte !
Mais nous disions : <( Laissons faire. Notre
gouvernement a eu ses raisons d'agir; s'il
est allé à Fachoda, c'est qu'il est certain
d'y pouvoir rester. Attendons la fin. »
La fin est venue : Marchand est rappelé.
C'est que l'Angleterre ne s'est pas con-
tentée de nous manifester son sentiment
par la voie des journaux et des discours.
Elle a préparé délibérément la guerre.
Elle a réuni une escadre spéciale à Ply-
mouth, décidé la formation d'une escadre
de réserve, levé les marins de la garde
de ses côtes. Le 2 novembre, l'arsenal de
Woohvich expédie 300 tonnes de maté-
riel de guerre à Malte et, le lendemain,
300 tonnes à Gibraltar. Le 4, on apprend
que l'Angleterre achète, en Amérique,
575,000 gallons d'alcool, destinés à la fabri-
cation de la poudre sans fumée et tout le
charbon disponible. Chaque jour ce sont
des armements nouveaux, des mouvements
de vaisseaux et de troupes. Nous ne pou-
vions nous empêcher de songer à l'époque
qui précéda la guerre de Sept ans et à cet
inexpiable attentat de la nation anglaise,
donnant, en 1755, l'ordre à l'amiral Bosca-
wen de tomber aans déclaration de guerre
sur nos escadres et sur nos vaisseaux mar-
chands ; Boscawen nous prit 300 navires,
10,000 matelots et pour 40 millions de
francs de cargaison. Nous ne pouvions,
non plus, nous empêcher de nous rappeler
le discours encore récent (25 octobre 1894),
où lord Roseberry, alors premier ministre,
disait : « Je crois que cette nation-ci est
unie et résolue, dans les questions de poli-
tique étrangère, comme elle ne l'avait ja-
mais été auparavant à un tel degré. Je
crois que le parti d'une petite Angleterre,
d'une Angleterre réduite, dégradée, neutre,
prête à toute soumission, est mort... Le
souvenir d'Azincovrt nesi pas évanoui; il
nous faut rester à la hauteur de ce souvenir
et de cet idéal. »
Tandis que la nation anglaise, unie der-
rière ses chefs, se préparait virilement à
la guerre, que faisait la France?
Son ministre civil de la marine, dans
un voyage d'études en Corse et sur les
côtes de l'Algérie-Tunisie, donnait la dé-
monstration officielle de notre faiblesse
navale. Les ministres de la guerre étaient
abattus les uns après les autres ; à deux
reprises, coup sur coup, l'état-major gé-
néral de l'armée recevait un nouveau chef.
Ne disons rien de la guerre civile latente,
de la criminelle division des citoyens en
deux camps : les partisans de la justice,
les partisans de l'armée nationale, comme
si l'armée d'une République pouvait être
autre chose que la vengeresse du droit !
Mais il faut se rappeler les tristes heures
que nous avons vécues depuis un mois,
depuis une année entière, pour s'expliquer
la décision d'évacuer Fachoda. La ques-
tion était simple : l'Angleterre armait,
voulait la guerre ; nous étions dans des
conditions morales et matérielles qui ne
pouvaient faire présager qu'un insuccès.
ÉVÉNEMENTS GÉOGRAPHIQUES
921
Nous avons reculé. Ne fûmes-nous point
sages? Mais ceux qui nous ont préparé cette
humiliation — ne nommons personne ; nous
ne pouvons cependant oublier que Mar-
chand fut poussé en avant surtout par le
ministère des affaires étrangères — ont-ils été
sages, ceux-là, et c(ue penser d'eux? 11 est
regrettable, certes! que la responsajjilité
ministérielle ne soit en France, comme
l)ien d'autres responsabilités, qu'un mot.
L'amour- propre du pays est froissé, ses
intérêts futurs lésés : ce serait une satis-
faction, pour cette justice dont on parle
tant, que de tirer au clair les origines de
la mission.
Reste un autre point.
Le 4 novembre, au soir, une note offi-
cielle annonçait : « Le gouvernement a
résolu de ne pas maintenir à Fachoda la
mission Marchand. » Nous évacuons; mais
jusqu'où nous retirons-nous? Le Bahr-el-
Gazal, où notre drapeau flotte sur vingt
postes : Rafaï, Sémio, Fort-Hossinger
(Tambourah), Dem-Ziber, l'ancienne capi-
tale de Lipton-Bey, Roumbeck, Kodjalé,
poste des Rapides, Fort-Desaix, Djour-
Ghattas, lévacuerons-nous aussi? Et, sur-
tout, cette question d'Egypte, que devait
rouvrir la seule présence de Marchand à
Fachoda, l'abandonnerons-nous définitive-
ment? Certes, on est loin d'avoir tout
réglé. Ecoutez lord Salisbury, disant au
grand banquet offert à Kitchener, le
4 novembre : « Je ne veux pas dire que
toutes les causes de discussion ont disparu
entre le gouvernement français et nous-
mêmes ; il n'en est probablement pas
ainsi. » Savez-vous comment les journaux
anglais traduisaient ces paroles peu rassu-
rantes ? Le Times déclare : « 11 ne saurait
être question d'accorder à la France un
débouché sur le Nil. » La Saint-James
Gazette affirme que le moyen le meilleur
de couper court à toutes ces questions est
de proclamer le protectorat anglais sur
l'Egypte. Dans le même temps, malgré la
déclaration officielle française d'abandon
de Fachoda , l'Angleterre continue ses
armements et remplit le monde du bruit
de ses préparatifs ; les navires de la flotte
d'instruction de la mer du Nord rentrent
en hâte pour s'armer et embarquer du
charbon. De toute nécessité, il nous fau-
drait donc aujourd'hui, à nous autres
citoyens, beaucoup d'union, à nos gouver-
nants beaucoup de sagesse, à tous beau-
coup de patriotisme. Mais, hélas! dans les
négociations qui vont s'ouvrir — et dont
nous ne parlerons plus que pour commen-
ter les résultats — nous arrivons au len-
demain d'une reculade ; peut-il ne point
se faire que notre dignité en soit atteinte,
notre confiance ébranlée ? L'Angleterre
affiche l'intention d'en profiter, de pousser
son avantage: nul ne peut dire quels évé-
nements vont suivre.
Aussi bien tout se tient-il dans la poli-
tique générale. Avez-vous remarqué, ces
jours derniers, dans l'avalanche des télé-
grammes relatifs aux armements anglais,
un détail curieux? Il s'agissait de Fachoda,
un marécage perdu au centre de l'Afrique,
et l'on nous annonçait que l'Angleterre
faisait de grands préparatifs à Plymouth
et... dans le golfe du Petchili. A Weï-
Haï-Weï, les sept navires de guerre
anglais prennent leurs dispositions de
combat ; à Tché-Fou, le Victorious, le plus
formidable cuirassé qui se trouve dans
les mers d'Extrême-Orient, gorge ses
cales de charbon ; à Hong-Kong, on monte
les canons de siège, on concentre les
canonnières. Qu'est-ce à dire ? L'explica-
tion était facile à trouver. Le lecteur sait
qu'il est de mode, depuis trois ou quatre
ans, chez nos voisins d'outre-Manche de
se lamenter sur la politique extérieure de
leur gouvernement . A les en croire ,
l'Angleterre aurait été mise en échec sur
tous les points du globe : la Tunisie, la
boucle du Niger, Madagascar, le Siam
auraient dû devenir terres anglaises ! La
Chine leur échappe ! Leurs ministres ont
cédé partout devant la France et devant
la Russie ! Les bons apôtres ! Ils voudraient
frire le globe et accusent ceux qui tiennent
la queue de la poêle daller trop lente-
ment.
11 semble que ces reproches aient agacé
les ministres anglais : comme, à la nou-
velle que le drapeau tricolore flottait à
Fachoda, le mécontentement de leurs élec-
teurs devenait de la frénésie, ces minis-
tres ont résolu de jouer le tout pour le
tout. Ah ! on les accusait de reculer de-
vant la France! On allait bien voir! D'où
articles de journaux, discours commina-
toires, armements. La France a cédé :
premier triomphe. Mais on les accusait
également de reculer, en Chine, devant la
Russie : d'où les armements qu'on an-
nonce dans les mers de Chine. C'est ici,
surtout, que la situation pourrait tourner
à l'aigre. Dans une guerre avec l'Angle-
terre, la Russie serait bien moins vulné-
rable que la France; elle, de plus, pour-
rait rendre coup pour coup : il lui est aussi
facile d'envahir llnde et d'aller à Pékin
— du moins au printemps — qu'il nous
serait difficile de descendre sur le littoral
anglais.
Et celte question se pose : la Russie, en
face des exigences de sa vieille ennemie,
montrera-t-elle notre magnanimité d'àme?
Reculera-t-elle? Nous ne faisons, pour au-
jourd'hui, qu'indiquer la gravité de cette
922
ÉVÉNEMENTS GEOGRAPHIQUES
question et montrer le lien qui la rattache
à la question de Fachoda. Depuis que nous
avons parlé ici de la Chine, depuis un an,
bien des événements se sont produits sur
le territoire de cet énorme empire : nous
les grouperons et tirerons les enseigne-
ments qu'ils compor-
tent, dans une future
chronique, peut-être la
prochaine.
En manière d'intro-
duction à cette étude
d'ensemble , peut-être
ne sera-t-il point inu-
tile aujourd'hui de
donner une idée de nos
possessions en Indo-
Chine. L'arrivée ré-
cente de M. Doumcr en
France et, nous le crai-
gnons, les prochains
événements de Chine
donneront aux notes
qui vont suivre quelque
intérêt d'actualité.
11 est manifeste que
dans les intentions de
la France, conquérant
la Cochinchine et le
Cambodge, l'Annam et
le Tonkin, le Laos —
un magnifique empire
dont la s u p e r fi c i e
excède de la moitié
celle du sol métropo-
litain et que peuplent
vingt millions de su-
jets, — la pensée de se
dédommager de la perte
de l'Inde est entrée
pour une large part. Il
s'agissait, de plus, de
nous ouvrir des routes
vers les marchés de la
Chine intérieure, de
forcer les « portes de
derrière» du Céleste-Empire. Or, depuis
1884, année où nous nous emparâmes du
Tonkin, nous avons dépensé , en Indo-
Chine, six cents millions de francs. A ce
prix, avons-nous réussi dans nos projets?
Ce pays est-il pour nous une Inde nou-
velle? Nous a-t-il servi à développer notre
commerce avec la Chine? La réponse est
courte : le commerce de l'Inde anglaise
s'élève à 2,500 millions de francs, celui de
rindo-Chine française à 277 millions; le
transit entre la mer de Chine et le Yunnan,
à travers le Tonkin, varie entre 6 et 8 mil-
lions. Enorme trafic avec la Chine! Nou-
velles Indes! Nous avions rêvé.
Efforçons-nous cependant d'être justes.
S'il est vrai que les six cents millions dé-
pensés là-bas ont été presque uniquement
consacrés à des dépenses militaires non
toujours indispensaljles ; s'il est vrai que,
pour la mise en valeur agricole, industrielle,
100- ^st de Pans
Légende
Zt./nU&r ^e Proi'irices .
LES Q
TJESTIONS d'extrême-orient
'iNDO-CHINE FRANÇAISE
commerciale du pays, fort peu a été fait;
s'il est vrai que la politique des gouver-
neurs généraux n'a pas toujours été très
pratique, ni même très habile, et que chaque
gouverneur a eu la sienne, il ne faudrait
pas oublier ceci : les Anglais sont dans
l'Inde depuis deux cents ans, et nous
sommes au Tonkin depuis quinze ans;
l'Inde est autrement étendue, fertile et
peuplée que l'Indo-Chine, aux vallées plus
étroites, aux deltas plus restreints ; nous
avons achevé à peu près complètement la
pacification des régions occupées; on ne
peut nier que depuis cinq ou six ans de
grands efforts n'aient été faits et quelques
ÉVÉNEMENTS GÉOGRAPHIQUES
923
résultais obtenus. (>'était un peu notre
faute, si nous avions rêvé trop beau ; soyons
plus modestes, et nous nous réjouirons de
l'œuvre accomplie.
La grande culture de ces Ijasses terres
d'Extrême-Orient, longtemps inondées
par les eaux que précipite svu" elles la
mousson du Sud, sans cesse imprégnées
d'humidité, sans cesse chauffées par un
soleil ardent, c'est le riz. L'énorme delta
importante, après celle du riz, est la culture
de la canne à sucre, cjui se rencontre aussi
dans le territoire de Langson ; dans l'An-
nam, Quang-Naï est le centre principal
de production du sucre : exportation,
en 1896, .'i, 880, 000 kilogrammes. Le poi-
vrier est exploité à Hâtien (Cochinchine)
et dans l'île de Phu-Quôc ; le tabac, dans
l'Annam; des essais de pavot à opium ont
été faits dans le Haut-Laos et le Haut-
L'INDO-CHINE FRANÇAISE — EN ANNA M : LE CHEF DES BONZES
du Mékong, qui constitue presque tout le
Cambodge, presque toute la Cochinchine,
en exporte déjà de notables quantités :
108,000 tonneaux en mai dernier; et ce-
pendant cette culture s'y étend encore :
on va l'introduire dans la Plaine des
Joncs, jusqu'ici à peu près improductive.
Au Tonkin, le delta du Fleuve-Rouge est
beaucoup plus petit et plus peuplé : la
récolte y est insuffisante; aussi de grands
efforts sont -ils faits pour augmenter,
grâce à l'irrigation artificielle, l'étendue
des rizières; 30,000 piastres étaient con-
sacrées à cet objet en 1897, et 318,000
en 1898.
Les autres productions agricoles sont
fort nombreuses ; mais la plupart n'ont
guère donné jusqu'ici que des espérances.
Le coton, cependant, prend une place rela-
tivement considérable dans les transac-
tions du Haut-Laos avec la Chine. Dans le
delta du Fleuve-Rouge, la culture la plus
Tonkin, où l'administration vient de faire
distribuer 500 kilogrammes de semences
venues de l'Inde. La culture du thé a
donné des résultats remarquables en An-
nam, dans les environs de Tourane ; des
pépinières de ce précieux arbrisseau ont
été créées dans le Haut-Laos, à Muong-
Hon, et au Tonkin, à Langson ; on sait
que le meilleur thé de Chine vient des
frontières du Laos français. La culture du
caféier se développe au Tonkin et dans la
Cochinchine , dans l'arrondissement de
Chaudôc, où une caféière de 1 hectare
30 ares a produit cette année 500 kilo-
grammes; elle vient d'être introduite dans
l'Annam. Une plantation de vigne a réussi
au cap Saint-Jacques. La badiane, qui
donne l'anis étoile, est l'objet d'un com-
merce important dans les territoires de
Yen-Thé, de Mon-Cay et de Lang-Son, au
Tonkin; l'indigo est cultivé dans la Cochin-
chine, à Chaudôc; le ricin, au Tonkin, à
924
ÉVÉNEMENTS GÉOGRAPHIQUES
Bac-Ninh. La cardamome, produit du Bas-
Laos et du Cambodge, a pour marché
principal Pnom-Penh. Le caoutchouc se
découvre de plus en plus abondant dans
les forets de la Cochinchine, du Laos,
du Haut-Annam ; un premier envoi a été
fait cette année à des maisons de France;
la gutta-percha a été trouvée en mars der-
nier dans le sud-ouest cambodgien. Le
delta du Fleuve-Rouge, l'Annam cultivent
tares seulement avaient été concédés; en
1897, Font été 38,795 hectares et, dans les
deux premiers mois de 1898, 20,415. Dans
le Cambodge, les demandes de conces-
sions rurales commencent à être nom-
breuses; en Cochinchine, une société vient
de solliciter la concession de 100,000 hec-
tares, dans la Plaine des Joncs.
Ce qui retarde cette mise en valeur du
sol, c'est d'abord la pénurie de la main-
-\
L INDO-CHINE FRANÇAISE
PNOM-PENH, CAPITALE DU CAMBODGE : LE PALAIS DU ROI
le ver à soie. L'élevage a été tenté sur
divers points; l'Annam possède aujour-
d'hui cinq dépôts d'étalons. Enfin l'exploi-
tation forestière est en progrès, surtout au
Tonkin.
Les richesses naturelles, on le voit,
abondent et il semble qu'on veuille com-
mencer à les exploiter systématiquement.
M. Dounier, après avoir institué dans
chaque colonie une Cliambre d'agriculture,
élue par les colons, a créé, le 4 mars der-
nier, une Direction de V Agriculture et
du Commerce de l'Indo-Chine : la Direc-
tion doit (art. 2 de l'arrêté) « s'occuper
spécialement du développement de la
colonisation française, de l'introduction
des cultures nouvelles, de l'amélioration
et de l'extension des cultures existantes ».
A l'initiative du gouverneur a répondu la
bonne volonté des colons. En 1888, 305 hec-
d'œuvre (les plateaux sont presque déserts ;
le Laos est à peine peuplé ; au Tonkin, le
système du métayage, aujourd'hui généra-
lement accepté, est d'introduction récente) ;
c'est ensuite l'absence de voies de com-
munication. Après avoir dépensé en Indo-
Chine 600 millions, nous n'y possédons
que deux courtes lignes de chemin de fer :
au Tonkin, celle de Phulang-thuong à
Langson (lOG kilomètres); en Cochinchine,
celle de Saigon à Mytho (50 kilomètres).
Un beau projet, il est vrai, et fort complet,
a été conçu, élaboré, approuvé, etc. : il
comporte un grand central indo-chinois,
de Laokaï, sur la frontière de Chine, à
Pnom-Penh, dans le Cambodge, via Hanoï,
Nam-Dinh, Vinh, Hué, Tourane, Qui-Nhon,
Nha-Trang, Phan-Tiet, Saigon; embran-
chements: Hanoï-llaïphong, Touranc-Hué-
Savaneket (de la mer au Mékong moyen).
ÉVÉNEMENTS GÉOGRAPHIQUES
925
Mais... ce n'est qu'un projet. En attendant
les chemins de fer, on creuse les arroyos
de Cochinthine; on eiéc quelques routes
en Annam : de Tourane à Ilué, à Ai-lao;
on construit des ponts à Hué, à Hanoï,
des appontements à Tourane, à Qui-Nhon.
Ce ne sont que des pierres d'attente. La
locomotive seule créera l'industrie indo-
chinoise; à l'heure actuelle, malgré l'ex-
ploitation de la houille du Tonkin à Kebao,
font aux nôtres une concurrence le plus
souvent victorieuse : « Nos articles ne
répondent ni au goût, ni aux besoins
des populations auxquelles ils sont des-
tinés. » (Rapport officiel de M. Doumer,
du 30 mai I8'.)S.)
Une réflexion vient d'elle-même à l'esprit,
comme conclusion de cette rapide enquête.
Nous possédons en Asie — et nous pos-
sédons aussi en Afrique, avec notre Ma-
L'INDO-CHINE française — LE PORT DU TONKIN : HAIPHONQ
à Hon-gay, de l'Annam à Tourane, cette
industrie n'existe pas : un peu de soie
tissée au Tonkin, des allumettes et des
pavés de bois fabriqués à Vinh, du papier
à Hanoi", le riz décortiqué et blanchi à
Cholon, tel est son bilan, ou à peu près.
Comment, s'il en est ainsi, s'étonner de
la petite importance du .commerce indo-
chinois? Il avait, en 1882, dans les pre-
miers commencements de la conquête,
une valeur de 170 millions; cette valeur,
aujourd'hui, n'est même pas doublée
(277 millions). Seuls, le Cambodge et la
Cochinchine vendent plus qu'ils n'achètent
(90 millions contre 02); l'Annam importe
pour 4 millions, exporte pour un et demi ;
le Tonkin importe pour 28, exporte pour
sept et demi! Encore faut-il ajouter que,
même sur les marchés de nos colonies,
les marchandises anglaises et allemandes
dagascar, notre Soudan, notre Congo —
d'énormes territoires, dont le sol est natu-
rellement riche, mais dont il faut prendre
la peine de cueillir les richesses. Pourquoi
perdre notre temps, notre argent, nos
amitiés à regarder au delà de leurs fron-
tières, à envier le bien d'autrui, à mettre
la main sur toute terre vacante ? N'est-ce
pas toute la politique de ces enfants, dont
on dit vulgairement (( qu'ils ont les yeux
plus grands que la bouche » ? La crainte
de l'indigestion sera pour ces enfants, et
pour nous, le commencement de la sagesse.
Profitons de notre déconvenue de Fachoda.
Si nous étions sages, nous reviendrions sur
notre terre, sur celle que nul ne nous con-
teste, et nous la travaillerions : « Un trésor
est caché dedans ». Ah ! si nous étions
sages
Gaston Rouvier.
LA MUSIQUE
A la Renaissance, la Médée de Catulle
Mendès était accompagnée d'une très im-
portante musique de scène de M. Vincent
d'Indy.
Le talent de ce compositeur a le mérite,
c'en est un très grand même, de susciter
des polémiques dans lesquelles ses amis
— il en a beaucoup même, et de fort mala-
droits, parfois — exagèrent autant leur
admiration que ses adversaires outrent
leur dénigrement.
Au sujet de cette partition, les uns ont
dit : « C'est un pur chef-d'œuvre! c'est du
Gluck! » D'autres ont répliqué acrimo-
nieusement : « C'est puéril et prétentieux!
c'est à faire détester la musique ! » 11 est
un moyen terme qu'il convient d'observer
en cette occasion, et auquel je me range.
M. Vincent d'Indy est un travailleur.
C'est aussi un pur artiste, dans toute l'ac-
ception du mot, car il ignore absolument
ce que c'est que de faire la moindre con-
cession au goût du public. Rien qu'à ce
point de vue, il mérite un profond respect.
Mais a-t-il tort? a-t-il raison?... En cela,
sa conscience est seule juge et je crois
fermement qu'il n'appartient pas à la cri-
tique de formuler autre chose qu'une opi-
nion personnelle. J'attends donc la pro-
chaine exécution au concert symphonique,
qui nous a été promise, non pour porter
un jugement — en art il ne peut y en
avoir, — mais pour donner, comme d'ha-
bitude, mon avis et mes impressions sur
cette œuvre qui a été exécutée à la Renais-
sance dans de fort mauvaises conditions
acoustiques, et dont mon éminent confrère
M. Francisque Sarcey dit : « Je ne suis
pas assez musicien pour la goûter. » Cet
aveu a le rare mérite d'être franc et de
fort bien traduire l'impression que ressent
généralement le public à l'audition des œu-
vres de M. Vincent d'Indy.
C'est très beau d'écrire de la musifjue!
Mais faut-il pourtant songer aussi à ceux
qui, appelés à l'entendre, à l'écouter, n'ont
pas fait d'études spéciales, ce qui est bien
regrettablement le cas de la majorité du
public.
On peut m'objecter que l'artiste n'écrit
pas pour les ignorants. En cela vous avez
mille fois raison; mais, avant de quitter
cette thèse qui m'entraînerait beaucoup
plus loin que je ne le puis, faute de place,
je vous répliquerais que l'œuvrant doit,
tout en donnant libre cours à son génie,
rester compréhensible et clair : tels Shake-
speare, Michel-Ange, Corneille, Beethoven.
En général, l'œuvre de M. Vincent
d'Indy exige non seulement une étude
approfondie de la science musicale, mais
encore et surtout un goût marqué — je
ne dis pas snobisme — pour cet art, qui
est à la musi([ue ce qu'était le Balzac de
Rodin à la sculpture.
Nous voilà arrivé à l'œuvre musicale qui,
le 14 octobre dernier, a le plus retenu
l'attention de la critique.
Le Soleil de Mimiit, la très jolie comédie
lyrique de MM. Nuitter et Beaumont,
musique d'Albert Renaud, a trouvé au
théâtre des Bouffes-Parisiens une inter-
prétation de premier ordre qui joue et
chante , fort bien soutenue qu'elle est
dans cette double tâche par le très bon
orchestre que dirige un chef d'un rare
talent, M. D. Thibault.
Au premier acte, dans un paisible inté-
rieur norvégien, nous assistons à une
séance de musique de chambre, justifiée
par un agréable quintette, qui dégénére-
rait bien vite en une vive dispute causée
par une fausse note que personne ne veut
avouer, mais dont tout le monde s'indigne,
si Savine (M"'' Alice Bonheur) n'arrivait
plus tôt qu'on ne l'attendait d'un voyage
qu'elle vient d'accomplir.
Encore tout émotionnée, elle raconte
à son père Olaff (M. Regnard), à sa mère
Gertrude (M™'' Vigoureux), à sa sœur
Christiane (M"^ d'Orby) et à son futur
beau-frère Erick (M. Dumontier), en pré-
sence de Kanut, le fidèle employé de son
père (M. Poudrier), la scandaleuse aven-
ture qui vient de lui arriver et dont nos
lecteurs trouveront le récit in extenso
dans le rondeau que le Monde 3Ioderne se
fait un plaisir de leur olfrir.
Voyageant en diligence, elle avait pour
compagnon de route un étranger qui,
profitant de son sommeil, l'embrassa au
moment même où, minuit sonnant, le
soleil semblait se faire un plaisir de cares-
ser de ses rayons d'or pâle, errants en
nappes lumineuses à travers l'espace, l'or
étincelant de son abondante chevelure.
Savine demande à son père, qui joint à son
commerce de pelleterie les fonctions de
juge de police, une réparation éclatante
et une punition pour l'audacieux marau-
deur.
Or ce compagnon de route, dont la
galanterie fut un peu indiscrète, est un
Français. Voyageant pour son père, mar-
chand de gants du boulevard Sébastopol,
Gustave Lambert (M. Perrin) vient juste-
ment dans la maison d'OIaff pour faire des
réasssorliments et des achats. Savine le
reçoit, ils se reconnaissent.
Toujours fort épris, notre compatriote,
LA MUSIQUE
927
do plus en plus gnlanl, demande la main
de Saviue. Elle lui est accordée, après
qu'OlalT, subsliluant fort adroitement le
père au commerçant et le commerçant au
ju<ïe de police, a trouvé le moyen, et sans
qu'aucune de ces fonctions nuise aux
autres, au contraire, de vendre au jeune
voyageur des peaux piquées par les vers,
de le condamner à une forte amende pour
s'être permis d'embrasser sa fdle, et de
s'être bien assuré, [)ar téléphone, que son
futur gendre a rompu toutes relations avec
une fort jolie personne ([ui répond au
nom plus faubourien que poétique de Nini
Patrouillcl.
Les accordaillos sont conclues, et, selon
la mode norvégienne, les deux fiancés
vont parcourir l'Europe tête à tête.
Au deuxième acte, nous sommes à
Berne. Savine et Gustave descendent à
l'hôtel des Boulangers où il n'y a plus
qu'une chambre de libre. Gustave l'arrête
pour Savine, et lui, bien mélancolique-
ment, se contente d'un canapé qu'il s'est
empressé de louer pour la nuit. Sur ces
entrefaites, Nini Patrouillet (M'^'' Miche-
line) descend, elle aussi, dans le même
hôtel, traînant à sa suite un type d'amou-
reux transi, M. de Becfigue (M. Dubroca).
Toujours éprise de Gustave, et heureuse
de le tenir enfin pour se venger de lui,
Nini lui fait une scène épouvantable.
— Des fiancés !... voyageant seuls !...
bonne blague !... il peut conter cela à
d'autres, mais avec elle, ça ne prend pas !
— Elle ne veut point croire à la pureté de
leurs relations et ne veut voir, dans la
jeune fille, que la rivale qui l'a supplantée.
El, pour l)ien ennuyer Gustave, elle le
force à lui présenter Savine avec laquelle
elle est des plus aimables. La naïveté de la
jeune fille finit par la convaincre. Aussi,
pour donner une apparence honnête à son
compagnon de route M. de Becfigue, le
lui présente-t-elle comme son futur fiancé
avec lequel elle accomplit, elle aussi, son
voyage d'agrément et de sympathisation.
— Deux couples de fiancés ensemble,
c'est charmant! s'écrie ingénument Savine.
Si vous le voulez bien. Mademoiselle, nous
voyagerons ensemble, et je vous invite
même à nous accompagner jusqu'en Nor-
vège. Ravie de cette invitation , Nini
accepte avec empressement, et — ô ironie
du sort 1 — sert de chaperon à la jeune fian-
cée de son ex-ami. Ils mangent à la même
table et chantent ensemble les gais
refrains des chansons que Nini détaille
ironiquement à l'intention de Gustave qui,
redoutant d'elle quelque coup de tête, est
comme sur des charbons ardents.
Fort aimant et quelque peu exaspéré par
ces interminables fiançailles, Gustave pro-
fite de la nuit pour être plus entreprenant
cjue jamais auprès de Savine. 11 serait peut-
être vainqueur si Nini, qui a pris son rôle
de mentor au sérieux et veille, — en cau-
sant intimement, Savine lui avait déjà fait
part des craintes que lui causaient les in-
discrètes galanteries de Gustave , — ne
soufllnit fort à propos la bougie et, favo-
risant la fuite de la jeune fille à la faveur
de l'obscurité, ne se jetait hardiment dans
les bras de Gustave. Sauvant l'honneur de
la jeune fille, elle se venge ainsi de la plus
agréable manière de l'abandon quehjue peu
cavalier dont elle fut victime.
Au troisième acte, Gustave et Savine,
Nini et Becfigue arrivent en Norvège, chez
Olaff. Persuadé que sa fiancée lui a ac-
cordé, à Berne, ce qu'elle devait lui refu-
ser jusqu'au jour de son mariage, Gustave
en fait l'aveu à son beau -père d'autant
plus atterré que Savine, demandant à être
mariée le plus tôt possible, a terminé sa
prière par un : « Il le faut ! » tout plein
d'inquiétants sous-entendus.
Après s'être chamaillé avec sa femme
qui le rend responsable de la faute de leur
fille, OlafT se livre à une enquête déplus en
plus embrouillée. Jusqu'à Becfigue qui lui
semble aussi coupable à l'égard de Nini
Patrouillet que son gendre l'est, selon les
apparences, vis-à-vis de Savine ! Et lorsque
la petite Christiane — sachant que Savine,
tout en ayant été fiancée après elle, se
marie avant grâce à ce fatidique : « II le
faut ! » — le prononce et le fait prononcer
par son timide fiancé Erick, sans en con-
naître l'exacte signification, d'atterré qu'il
était, Olaff se met en colère et, indigné,
les force tous à se marier sans retard, le
plus tôt possible.
Lorsqu'ils reviennent de chez le bourg-
mestre, Nini avoue malicieusement à Gus-
tave l'heureuse substitution qui s'est pro-
duite pendant la nuit à Berne.
Comprenant le quiprocjuo, il s'en égayé
et fait partager son hilarité à ses beaux-
parents en leur disant tout bas la vérité.
N'ayant plus de motifs pour lui en vou-
loir, ceux-ci ne lui accordent plus la main
de Savine par la force des choses, mais de
très bon cœur.
Dans cette partition, il y a de bien jolies
choses que M"'^ Micheline et Alice Bon-
heur mettent en relief.
^pie Alice Bonheur réalise le type par-
fait de l'ingénue : elle en a le jeu, la
voix et la physionomie. M"'^ Micheline est
toujours la fine diseuse que l'on sait ; vive,
spirituelle et adorablement jolie dans de
fort belles toilettes d'un cachet parisien
de bon aloi, elle est au théâtre, après
l'avoir été au café-concert, l'étoile dont les
scintillements sont de plus en plus étince-
lants.
Guillaume Danvers,
Cl. Paul Boyer. Erick. Cliristiane. Gustave. Sayine. Olafl. Gertrude. Kanut,
M. Dumontier. M"* d'Orty. M. Perrin. M"' Alice Bonheur. M. Regnard M" Tigouroui. M. Poudrier,
Le Soleil de minuit. — Final du premier acte.
RONDEAU
Chanté au premier acte, par Savine (M"'' Alice Bonheur).
PIANO
/
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Moderato
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E .cou-tez bien mon a.venJure; Dans le cou . pe' de la voi.tu.re, Non* n'e'. lions quedeuxau de'part.
Publié avec l'autorisation de M. Choudens, éditeur, Paris. Tous droits réservés.
LE SOLEIL DE MINUIT
92»
Moi, d'à. bord, etpuis...unjeunehorame A rœihif.pasmal fait en som.me, Un Français sai, brun et bavard.
En route, bientôt ons'ennui. e; Nous avons cause' dt'Iapluie Et peut ètr».' aussi du beau temps.
$
J J rTr F J f' cj I r r f i r [Lxilr r N ^ i 1 1 ^M, ii i i
De la piè . ce la plus rë.cente. Du cours des ble's et de la rente. Et d'autres sujets palpitants.
Mais tout-à-coup mon voisin louche! Il me contemple et de sa bouche
Sor . tent mil . le {^ro.pos flatteurs: Je suis bel le,char. mante, aima bie... Spiritu.el.le...
in.compa.ra-ble. Pref un de', lu ge de fa-deurs; Il me semble très ri.di.cu. le,
VIII. — 59.
aso
LE SOLEIL DE MINUIT
t je le lui dis sans scrupu . le; Je memis à rire aux ë.clats: " Quit . t(>z ce ton... il
m'incommo. de;Peut-êtreest-ce,à Paris, la mo. de? Mais chez nous ça ne se fait pas!
lu. ti . rai . dé par ce lan-ga.ge. Le jeune hom . me de.vintplus sage. Et s'est po
-liment excuse'. "Bonsoir dis - je, ne vous dépl;iise!-Dansmoncoin je me mets à i'ai.se- Dor.mez dans le
in oppose'.» Le soleil de mi. nuit àpei.ne Ë.clairait la bru . ne lointai . ne. Je dorma-is
^ans penser à mal; Soudain, ma joue est chatouille' . e, Brusquement je fus re'veillé . e ..
I.K SOI.KIL DE MINUIT
931
dolce espressivo
.ser qu'on me vo.le Au plus profond de monsomaieil. J'ë-tai^ d'u.iie cdi'.rt' fol . le Kl 1»
fisbienxoir au re'.veil Ahlpa.pa, jevousie de. man. de, Si Ton pin . ce l'audaxi -eux, Frappez-
le d'u.ne forte a . raen . de, Et le plus tôt se.ra le mieux! Quand u . ne
filleestsansde'fense, C'est uiicrime, u.r.e grave offense Que d'o.ser Lui prendre un baiser. C'est un cri me,
i
CHRONIQUE THÉÂTRALE
Un drame romantique, une tragédie
presque classique, vm drame à prétentions
psychologiques et un mélo suivant la for-
mule : tel est le bilan de ce mois de no-
vembre qui est le renouveau des théâtres
parisiens.
La Comédie-Française, la Renaissance,
l'Ambigu, le théâtre Antoine, ont donné
avec entrain l'un après l'autre et avec des
fortunes diverses.
Nous allons, sans nous livrer à des ré-
flexions critiques oiseuses, vous raconter,
lecteurs, ces quatre pièces que vous êtes
appelés à voir jouer, ou, du moins, dont
vous aurez ainsi un compte rendu impartial.
Cependant , il est bon de dégager un
jugement d'ensemble. Il est à constater
que fort heureusement et très dignement,
sur ces champs de bataille si différents, le
drapeau artistique a été tenu ferme et que
si le succès n'a pas été du même ordre
partout, partout, du moins, il a été com-
plet et que le grand honneur est plus que
sauf.
Ceci dit, commençons.
A LA COJIÉDIE-FRANÇAISE
Struensée, drame historique, en cinq actes et
sept tableaux, de M. Paul Meurice.
Le Struensée, mis à la scène par M. Paul
Meurice, s'écarte un peu du Struensée histo-
rique. C'est à travers le prisme du ro-
mantisme le plus ardent que l'auteur a
vu son héros, et, en cela, on ne peut que
remercier M. Paul Meurice, qui, au cré-
puscule de la belle journée que fut sa vie,
a su trouver en son âme tant de géné-
rosité héroïque, tant de juvénile passion.
M. Paul Meurice a, pour la belle tenue
de son personnage, pris seulement le côté
généreux de son caractère et l'a développé
avec un rare bonheur d'expression et
d'énergie.
L'action commence, dans une auberge
d'Altona, par une lutte entre Struensée et
son père. Le pasteur Struensée supplie
son iils de rester au logis, de ne point
tenter l'aventure périlleuse d'apôtre ; mais
dans les adieux qu'il fait à son père et à
sa fiancée Christel, Struensée affirme le
but qu'il poursuit :
Oui, mon père, le grand rêve dont je suis fier
N'est pas à moi seul; c'est ce qui flotte dans l'air,
C'est le souffle nouveau, le souffle d'espérance,
D'amour, de liberté, qui nous vient de la France.
Ah ! mon père, ils sont là, tout un groupe éclatant.
Les philosophes, tous, écrivant, combattant.
Et sur leur siècle à qui l'avenir se révèle
Semant la vérité de la bonne nouvelle.
L'Europe les admire; ils sont comme des rois.
Christel l'encourage dans son rêve ;
comme lui, elle est bercée par l'auguste
espoir de temps meilleurs, par l'ardent
désir d'une justice planant sur l'humanité.
Les adieux sont faits : Christel et le pas-
teur se retirent. A peine sont-ils sortis
qu'une chaise de poste amène un vieillard,
cassé, toussotant, sacrant après le froid,
les routes et les postillons ; mais à peine
installé près du poêle, commodément assis,
il redevient plus sociable et lie conversa-
tion avec Struensée, qui, entraîné par l'es-
prit du voyageur, se livre peu à peu à lui.
Il lui conte ses rêves, ses chimères ; d'abord
sarcastique, frondeur et sceptique, le vieil-
lard interroge Struensée, il fouille son
cœur et son esprit; mais, peu à peu, gagné
par l'enthousiasme, la foi, le courage, la
haute ambition de cette âme prête à tous
les sacrifices, il se laisse aller à son tour
et lui impose les mains sur le front, comme
pour une bénédiction spirituelle.
Bien, jeune homme, c'est bien.. .Va donc ! si ton audace
Heureuse, s'attaquant au passé, fait sa place
A l'avenir; si, pris de la grande fierté
D'établir la justice avec la liberté.
Tu poursuis sans fléchir cette tâche bénie,
Tu seras plus que roi, fils, tu seras génie.
A ce moment, des pandours surgissent,
courant après le voyageur à qui ils récla-
ment et reprennent une cassette renfer-
mant des vers du roi de Prusse. Ce vieil-
lard, c'est Voltaire, et Struensée, comme
illuminé par les encouragements et les
doutes du philosophe, s'apprête à faire les
premiers pas sur la route qu'il s'est tracée.
Tel est le prologue dans lequel le per-
sonnage de Struensée se pose tout entier,
très bien établi, très entier. M. P. Meu-
rice a également très bien dessiné, d'une
main sûre, la figure de Voltaire à laquelle
M. Barrai a donné un saisissant relief. Très
étudiée, très bien comprise, cette création
fait le plus grand honneur au comédien.
Au second acte, Struensée n'est déjà
plus le secrétaire du comte de Rantzau; il
a grandi de cent coudées et est devenu chef
de la maison de la reine dont il a sauvé
l'enfant rachitique. Le roi souffre d'un
mal que les médecins officiels sont impuis-
sants à soulager. La reine intervient, de-
mande que le roi soit remis entre les
mains de Struensée. Après une lutte assez
vive entre les nobles, Rantzau consent,
espérant que, impuissant à soulager le roi,
Struensée perdra, dans cette aventure, le
pouvoir qu'il tient déjà ; mais Struensée
réussit et la reine, obéissant aux idées dé-
fendues par lui, affranchit les serfs de
CHRONIQUE THEATRALE
933
son domaine. Il y a là une très jolie
scène, où M. de Kéraudy (Erik) soumet à la
reine les désirs des serfs qu'il représiMile,
jouée avec une bonhomie chai mante et
une émotion simple d'un grand effet
théâtral. La guerre est déclarée entre la
noblesse et Struensée; les sei-
gneurs, sur les biens desquels il
ose porter la main, commencent
à conspirer contre lui et, à l'acte
suivant, Struensée, devenu pre-
mier ministre et tout-puissant,
se débat au milieu des intrigues
qui veulent le renverser. Cet
acte presque en entier est rempli
par une adorable scène d'amour
entre Struensée et la reine,
amour mystique et pur, au
milieu duquel le jeune homme
vit comme dans une clarté se-
reine d'aurore, sans voir que les
abîmes se creusent autour de
lui. En effet, à peine la reine
est-elle partie, pour conduire
l'enfant royal dans une autre
atmosphère, que Struensée donne
l'ordre d'introduire le chef dune
conspiration arrêté la nuit même.
Ce chef, c'est Rantzau ; il com-
parait devant Struensée, et le
cite au tribunal de la Sainte-
Vcehme. Il n'a tenu aucune de
ses promesses. Ses rêves d'éga-
lité étaient des utopies, le
peuple murmure el se fatigue, la
reine est compromise. Struensée
se défend, mais il se heurte au
scepticisme de Rantzau dont
l'ironie mordante et hautaine
flagelle le premier ministre.
Struensée ira donc, lui-même, à
la Sainte-Vœhme ; il y compa- '''■ ^"^
raîtra masqué, entendra ses
accusateurs et répondra lui-
même aux griefs de l'assemblée du peuple.
Struensée est allé à la séance secrète
de la terrible assemblée ; il s'est convaincu
que le courant qui l'entraîne est impos-
sible à remonter et, devant son inutile
effort, devant l'impossibilité de la lutte,
s'est condamné lui-même.
A l'acte suivant, le plus terriblement
vivant du drame, Struensée a comparu
devant la haute cour des nobles; il a été
condamné à mort, et Christian VII, qui
est là, agonisant dans un fauteuil, attend
de voir sa victime, pour lui cracher sa
haine, sa colère, avant qu'elle meure.
Lui, le roi, lui qui n'a régné qu'à travers
la volonté de Struensée, lui dont la vie n'a
été sauvée que par la science de Struensée,
lui qui lui doit tout, succomberait sous le
poids de la reconnaissance s'il n'y échap-
pait par la haine ! et quand Struensée
paraît, le roi, qui espère voir se courber
cette tête qu'il va faire tomber, l'insulte et
la méprise ; mais la colère est trop forte
et, au moment où il va signer l'ordre de
mettre l'arrêt à exécution, il tomI)e l'écume
aux lèvres, mourant ! Les médecins s'em-
1, r. Eoyale.
M. PArL Meurice,
auteur de Struensée.
pressent, mais seul Struensée sait dompter
le mal. Lui seul peut sauver le roi. Le roi
mort, c'est la reine revenue, c'est la vie,
le bonheur! Le roi vivant, c'est la mort,
c'est l'échafaud, c'est l'honneur de la reine
intact. Mais, comme l'a dit Voltaire, un
échafaud, c'est un piédestal du haut duquel
on se fait entendre des foules, et Struensée
sauve le roi ! Resté seul avec Rantzau, il
explique sa conduite, parle de son rêve, et
l'ancien rival, vaincu par tant de généreux
honneur, s'incline à son tour et offre à
Struensée de favoriser sa fuite ; celui-ci
ne fuira pas, il lui faut lo mort, il la veut,
mais il en règle les détails et demande
comme dernière faveur de voir la reine le
lendemain dans un bal qui a lieu à la cour.
On le laissera libre ; on taira son procès,
sa condamnation ; la reine trompée viendra
à Copenhague et s'en retournera après la
934
CHRONIQUE THÉÂTRALE
mort de Struensée, semblant ainsi con-
sentante à l'arrêt qui le frappe, et tous les
bruits se tairont, toutes les calomnies se
dissiperont, après le sacrifice.
Au dernier acte, les choses se passent
comme l'a prévu Struensée. Le jeune
homme, dont les minutes sont comptées,
hâte le départ de la reine, et à peine celle-ci
est-elle partie qu'il va se rendre au supplice,
lorsque survient Christel. Le vieux père est
mort ; la rumeur publique lui a appris à
elle la défaveur et la condamnation de son
fiancé. Dans une scène sobre et pathétique ,
Struensée lui avoue son amour pour la
reine et lui explique pour quelles raisons
supérieures il faut qu'il meure. 11 s'échappe
brusquement des bras de Christel et marche
au supplice. Aux cris de la jeune fille affolée
la reine accourt, trop tard pour sauver celui
qu'elle aime. Une décharge de mousque-
terie éclate au lointain. Les deux femmes
poussent un dernier gémissement. Struen-
sée n'est plus !
Tel est, dans ses grandes lignes, ce
drame historique, d'un romantisme attardé,
où l'influence d'Ilugo est visible en maint
endroit. Même goût de ranlithèse ! Il est
vrai que ce « Ruy Rlas « du Nord prêteit
à l'imitation... à moins que le Ruy Bias
de Victor Hugo ne lui ait été inspiré par
les aventures de Struensée... Quoi qu'il en
soit, et bien c{ue la forme, encore que des
plus soignées, soit inférieure à celle des
grands drames duMaître, le fond, du moins,
relève de sa superbe école d'enthousiasme
et de bonté. M. Paul Meurice a le parfum
d'Hugo, avec quelque chose d'adouci,
d'évaporé ; comme la feuille du joli conte
persan, il n'est pas la rose elle-même,
mais il a vécu longtemps en sa compagnie.
Struensée a trouvé en MM. Leloir (Rant-
zau). Le Bargy (Christian Vil), Albert
Lambert fils (Struensée), Barrai (Voltaire),
^jiies Lara (la reine), Vanda de Boncza
(Christel), etc., une interprétation digne
du poème, digne de l'auteur et digne de
la Maison qui nous est chère, et à laquelle
il faut chaque fois rendre ce témoignage :
c'est que pour tout spectacle quel qu'il
soit, grand ou petit, de nouveau venu ou
bien de vétéran, chacun y paye loyale-
ment de sa personne, donnant, sans mar-
chander sa peine, le maximum de l'effort.
Entre nous, c'est ainsi et seulement ainsi
qu'on fait et qu'on soutient les bonnes
maisons.
AU THEATRE ANTOINE
Judith Renaudin, pièce en cinq actes et sept
tableaux de M. Pierre Loti.
Le théâtre Antoine a été, par la pre-
mière représentation de Judith Mcnaudin,
l'objet de beaucoup de curiosité et de con-
versations. Faut-il ajouter que la curiosité
a été un peu déçue? Certes oui, M. Pierre
Loti a derrière lui un bagage littéraire
qui lui permet d'entendre dire que son
théâtre n'est pas du théâtre, qu'il n'en
possède ni la langue ni le métier et qu'il a
une revanche à prendre. En quelques mots,
voici l'intrigue. Nous sommes dans l'île
d'Oléron, en 1685, au lendemain de la ré-
vocation de l'édit deNantespar Louis XIV.
Les dragons viennent d'arriver pour faire
respecter la volonté du roi et l'édit est
affiché au poteau communal quand le ri-
deau se lève sur le premier acte. Le capi-
taine des dragons d'Estelan, catholique
intransigeant ne comprenant rien au delà
de sa consigne, les commande. Sur la place
il rencontre Judith Renaudin et, poussé
par un camarade, débite à la jeune fille
un compliment et un madrigal sur sa
beauté. Judith appelle son père, qui, très
hautain et très fier, dit à d'Estelan :
— Monsieur le dragon, les persécutions
ne doivent commencer que dans trois
jours ; d'ici là, nos filles nous appartien-
nent.
11 fait rentrer Judith et le rideau tombe
sur ce premier acte, pittoresque à souhait,
très mouvementé et surtout d'une clarté
d'exposition qui ne laisse aucun doute
dans l'esprit : d'Estelan aimera Judith et
celle-ci aimera celui-là, puis nous n'au-
rons plus qu'à passer avec eux par la sé-
rie immanquable des épreuves pour arri-
ver au dénouement.
Au deuxième acte, nous sommes chez
les Renaudin; on y lit la Bible; le capi-
taine survient, porteur des ordres du roi ; il
fait lire l'arrêt, assigne les délais et, ce
devoir rempli, s'excuse auprès de Judith
de la liberté qu'il a prise envers elle sur
la place.
Au troisième acte, toujours chez les
Renaudin, mais cette fois dans les jardins,
la scène capitale, la seule qui d'ailleurs
emplisse l'acte, se passe entre Judith et
une jeune fille de ses amies. Celle-ci revient
de Châtellerault et elle raconte à Judith
qu'une jeune protestante s'est rendue au-
près du commandant des dragons venus
dans cette ville et, par son intervention, a
pu adoucir le sort de ses coreligionnaires.
Judith est très frappée par ce récit et, après
quelques scènes de remplissage, le rideau
tombe sur le récit recommencé à la prière
de Judith.
Au quatrième acte, nous sommes dans
la sacristie de l'église catholique ; le prê-
tre, un ami des Renaudin, un l3rave homme,
a recueilli et caché les petits protestants
que les dragons doivent conduire de force
aux moines convertisseurs. La scène est
joliment menée entre le curé (Antoine) et
CIIRONIQUli; TIIKATRALE
935
sa bonne, la Benoîte (M""^ Marie Laurent).
Les enfants sont là quand on signale l'ap-
proche du farouche d'Estclan. Vite on
cache les enfants ; de la sacristie, ils pas-
sent dans réalise, sous l'autel, et le curé
reçoit le capitaine ; voilà, enfin, l'aveu
tant attendu ! Le capitaine vient prier le
curé d'être son interprèle auprès de Ju-
dith ; il est riche, il possède des terres, il
d'un bateau qui les conduira en Hollande,
mais les dragons surgissent et font
feu. Des cris; une fuite éperdue, et de-
vant un enfant blessé d'Estelan jette
son épée, honteux d'accomplir une telle
besogne.
Le sixième tableau nous mène au corps
de garde des dragons ; un soldat prévient
d'Estelan que Judith Rcnaudin demande à
Kemiudm. Judiili. M"*" Kenaudin.
M. de Max. M"* Mellot. M" Marie Laurent.
Judith Renaudin. — Deuxième acte.
abandonnera l'armée, il épousera Judith
et tous deux, inconnus, oublieux du passé,
vivront heureux à l'abri des tempêtes
mondaines. Le brave curé a beaucoup de
peine à faire comprendre à d'Estelan que
rien de cela n'est possible; rien ne pourra
combler l'abîme qui sépare les deux jeunes
gens, car jamais Judith ne reniera la foi
de ses pères. D'Estelan s'emporte. Ah ! on
le méconnaît. Ah ! on le repousse. C'est
bien, il retournera à son devoir, il brûlera
les temples, les propriétés, il enlèvera les
enfants, tuera les hommes ; on verra ce
que c'est qu'un amoureux comme lui. Et
d'Estelan s'en va furieux pendant que le
bon curé, pas très perspicace, préside au
repas des petits protestants. A l'acte, ou
plutôt au tableau qui suit, car il dure à
peine dix secondes, on est au bord de la
mer, la nuit ; les protestants arrivent,
troupe muette, pour s'embarquer à bord
le voir : il renvoie ses amis et reçoit la
jeune fille. Celle-ci vient demander au
capitaine de fermer les yeux, de laisser
les siens et les protestants fuyards s'em-
barquer en sécurité ; mais d'Estelan parle
de son amour, il redit ce qu'il a dit au
curé; devant l'implacable refus de Judith,
qui pourtant laisse voir qu'elle l'aime, il
menace de nouveau , s'emporte, refuse
toute grâce et promet de nouveaux sévices,
Judith s'en va, lui laissant une bible dont
le capitaine commence la lecture quand
le rideau tombe. Au dernier acte, les Re-
naudin vont tenter les chances d'un départ
et, pour la dernière fois, on lit la Bible en
famille quand le curé paraît suivi de deux
dragons. Renaudin se croit trahi, mais le
curé apaise tout le monde. Les deux dra-
gons sont envoyés par d'Estelan converti ;
ils assureront le départ de tous, et quant
à lui, d'Estelan, il part en Hollande avec
936
CHRONIQUE THEATRALE
eux. Épousera-t-il Judith? Voilà le point
d'interrogation qui reste posé.
La pièce de M. Pierre Loti est curieuse
par le pittoresque et l'observation des
mœurs, mais il ne faut pas y chercher
une pièce de théâtre dans le sens absolu
du mot. C'est un livre, un livre intéres-
sant et très bien illustré, dont on aurait
intentionnellement sauté les pages de
description et d'analyse. Admirablement
monté et joué par M. de Max, très en pos-
session du personnage de Renaudin ; par
Antoine, qui a très bien dessiné la figure
de curé d'une bonhomie conventionnelle ;
par Daltour, très soudard et très amoureux
en d'Estelan; par M™" Marie Laurent, qui
réédite pour la dixième fois — et toujours
avec le même succès — dans la paraly-
tique Renaudin le personnage analogue
qu'elle dessina magistralement jadis dans
Thérèse Raquin, et qui pour le second
rôle de la Benoîte n'a eu qu'à choisir
comme modèle une des nombreuses figures
de son vaste répertoire. M"*^ Mellot, tou-
jours agitée et nerveuse, est aussi toujours
en possession de sa voix exquise, qui fait
miracle dans la rigide et austère Judith
dont elle a rendu heureusement le carac-
tère aux noljles tendances.
Le théâtre Antoine, héritier des mœurs
hospitalières du Théâtre Libre, a accueilli
Judith Renaudin ; il a bien fait, c'était son
devoir. Il a monté la pièce avec un luxe
inusité, dû à la noble présence d'un
membre de l'Académie française, comme
si l'ouvrage pouvait durer plus de quel-
ques représentations : ça, c'est de l'hé-
poïsme.
A L A M B 1 G U
Papa la Vertu, drame en cinq actes et huit
tableaux de MM. Pierre Decourcelle et
René Maizeroy.
Voici deux noms qu'on ne s'attendait
guère à trouver accouplés. Que Pierre
Decourcelle, l'auteur si fêté de Gigolette
et des Deux gosses, de glorieuse mémoire,
remporte encore un succès sur le théâtre
où tant de soirs il triompha, rien de plus
naturel; mais que M. René Maizeroy, le
peintre subtil des coins secrets de la vie
ultra-parisienne, s'essaye dans la psycho-
logie plus rudiraentaire d'un drame popu-
laire, voilà qui pouvait surprendre. Cela
est cependant, et l'enfant issu de ce ma-
riage heureux est un rude gaillard chez
lequel la vigueur n'exclut pas la grâce et
la finesse et en qui l'on découvre aisément
la part de collaboration qui revient à
chacun des auteurs.
Papa la Vertu sort de la donnée usuelle
des mélodrames par la philosophie qui
s'en dégage et surtout par l'étude assez
fouillée de caractères qui, ma foi, ne se-
raient nullement déplacés dans une co-
médie. Je suis heureux de constater ce
résultat qui vient donner une sanction
éclatante à la thèse que je soutenais ici-
même il y a quelques mois sur la néces-
sité d'un choix éclairé dans la collabo-
ration.
Mais j'ai promis de ne point m'égarer
en des considérations étrangères au sujet
lui-même.
Voici donc l'histoire telle que les au-
teurs nous la racontent et telle que le pu-
blic l'a accueillie avec de longs bravos.
Papa la Vertu, c'est l'adjudant Canta-
beille, sorti du rang, type d'honneur mili-
taire, vieux brave à trois poils, esclave
aveugle de la discipline. Vingt-cinq ans
de bons services lui ont assuré la posses-
sion de ce sobriquet qui est un de ses
plus beaux titres de gloire.
Vous pensez bien que ce long passé in-
tact va être terni par le passage d'une
femme dans la vie du vieux soldat. De-
puis Carmen — la comparaison avec le
chef-d'œuvre de Mérimée, qui n'a rien
d'offensant pour les auteurs de Pax>a la
Vertu, s'impose d'autant plus que l'ac-
tion se passe sur la frontière espagnole
— nous sommes habitués à ces nau-
frages de l'honneur. La Carmen ici se
nomme Selika; c'est une dompteuse, fille
de bohème, maîtresse d'un Escamillo de
baraques foraines, nommé Prosper, qui, sa-
chant que l'adjudant possède une petite
fortune personnelle, lance sa compagne
sur le pauvre guerrier naïf dont elle ne
fait bientôt qu'une bouchée. Cette Selika
a des exigences ; l'argent de Canlabeille
file vite, et Selika demande toujours : il a
sur lui des lettres, des mandats, pour une
somme relativement considérable, car en
sa qualité de vaguemestre du régiment
c'est lui qui est chargé de recevoir et de
toucher à la poste tout l'argent de ses ca-
marades. Comme de juste, ces sommes sont
englouties. Papa la Vertu n'est plus qu'un
voleur, il va devenir déserteur. Il s'enfuit
avec Selika, la ménagerie déménage et
voilà nos contrebandiers là-bas, là-bas
dans la montagne. Mais don José..., c'est-
à-dire Cantabeille, ne tarde pas à s'aper-
cevoir que Carmen-Selika ne l'aime plus,
ne l'a même jamais aimé et, sans attendre
l'acte de la Plazza des Toros, il se jette
sur elle et la tue à moitié. Cependant,
comme il est toujours Français et par con-
séquent toujours galant avec les femmes,
il retient son bras, lui montre la porte et
l'invite à s'aller faire étrangler ailleurs...
Et maintenant il faut expier.
Cantabeille, l'oreille basse, rentre au
régiment, résigné à passer au conseil.
CIIHONIQUE TIIÉATRALIi:
937
O bonheur! ù surprise! on no s;\it rien de
ses vols ni de son escapade, ou plutôt on
feint de ne rien savoir. In certain capi-
taine Tourhanyès, franc de cœur, jjrave
homme comme on n'en fait plus, compa-
f^non d'armes de Pa])a la \'ertu, tuteur d'une
petite orpheline, la jolie Glorieuse que (lan-
taheille a recueillie jadis, à qui il a donné
30,000 francs que les escarpes de la bande
à Selika sont venus, du reste, lui voler
après mille péripéties dramatiques : voyage
peu conforme à la vérité vraie, se rap-
))roche de la vérité des contes de fées qui
est j)eul-être bien, eu somme, la vérité
sans phrase.
Bien montée, avec des lions, des décors,
des trucs, des jeux de lumière et une in-
terprétation de premier ordre, Duquesne
et la belle Marcelle Lender en tète, Pcqm
la Vertu a des chances pour se maintenir
pendant plusieurs mois sur l'affiche de
l'Ambigu. C'est le pire que je lui sou-
PJBBPIi^^r^^^^ i^^
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-i'^|i4.f
Cl. Paul Boyer.
Selika. C.viitil. i\\
M"" Marcelle Lender. M. Duciuesne.
Papa la Vertu.
JI. R.avct.
Septième tableau.
à travers les précipices, comme celui de
la pauvre Micaëla, de l'Opéra -Comique,
éboulement de rochers, sauvetage ines-
péré, etc. ; le bon capitaine Tourbanyès,
dis-je, a tout payé de sa pauvre poche et,
pour justifier l'absence du vaguemestre,
avec la complicité bienveillante d'un colo-
nel en or pur, a fait donner à l'adjudant
une permission de trente jours antidatée...
Oh ! le bon et brave régiment, le « régi-
ment-famille ». Vive l'armée !..
Tout s'arrange donc ; mais Cantabeille
rendra ses galons et s'en ira au Tonkin,
en qualité de simple sergent, se faire tuer
ou conquérir l'épaulette...
— Adieu ! lui dit le bon colon, d'une
intonation significative.
— Au revoir ! murmure le public en-
Ihousiasmé de ce dénouement, qui, s'il est
haite bien sincèrement, car ce drame est
au fond plus moral que bien d'autres.
C'est égal, si M. Jules Ferry n'avait pas
fait le Tonkin qu'on lui a tant reproché,
que serait devenue, je vous le demande,
la vertu de papa Cantabeille?... Après cela,
vous me direz qu'il aurait pu tout aussi
bien aller se faire tuer à Madagascar...
J'aurais voulu parler de Ifédée, la tragé-
die de Catulle Mendès, que Sarah Bern-
hardt vient de faire triomi^her à la Renais-
sance, mais la place me manque. Ce sera
pour le mois prochain ; nous en publie-
rons de longs fragments pour les proposer
à vos méditations admiratives.
Maurice Lefevre.
LA MODE DU MOIS
Après les robes larges et les manches bouf-
fantes, voici revenir les costumes fourreaux et les
manches collantes; ainsi va la mode. Elle nous
ordonnait les jupes rondes, il y a peu de temps
encore ; elle nous en impose de longiies aujourd'hui.
moins qu'on ne les préfère en renard bleu ou en
astrakan, ce qui donnerait plus de sévérité au
costume.
Par anomalie, on porte aussi beaucoup de
formes sacs, surtout pour manteaux de voyage,
de matinale promenade ou de tardive sortie.
Celle-ci (n° 2) est de coupe toute récente et d'un
cachet tout à fait distingué. Ce vêtement, demi-
Les jaquettes modernes rappellent beaucoup les
basquines de jadis. Elles sont tellement allongées
de basques qu'elles arrivent à couvrir la moitié
de la hauteur de la robe, et si ajustées qu'on les
serre même à la taille par une ceinture. Témoin
le modèle que nous donnons aujourd'hui (n" 1).
Celle-ci est en loutre avec revers et intérieur de
col en chinchilla, et la ceinture en rubis, sertie
de vieil argent.
En drap vert olive, assortie à la jupe dont le
volant rapporté est bordé par un biais même ton,
elle serait encore fort distinguée. Dans ce cas, les
revers continueraient à se faire en chinchilla, à
long, est en drap rouge caroubier foncé — le rouge
est très en faveur cette année. — Les poches, les
revers et le bas des manches, très simples, sont
en velours blanc souligné de velours noir. Les re-
vers-châles seuls sont en plus soutachés de noir.
Le chapeau marquis qui accompagne ce man-
teau est en feutre rouge, du même ton que le
drap et seulement orné de nœuds en velours noir.
Ce modèle est la dernière nouveauté de la saison.
Pour accompagner la jaquette de loutre ou de
drap vert, une toque en velours noir, garnie de
plumes noires et égayée par de belles boucles
anciennes en strass, est tout à fait charmante (n° !)•
LA MODE DU MOIS
939
Pour mettre sous la jaquette, afiu de ne pas
faner le corsage de la robe, on porte souvent des
blouses de fantaisie. Le surah écossais jouit, en
ce moment, pour cet usage, d'un véritable succès.
"Voici une toilette très habillée, pour visites
de fin d'année ou de jour de l'an (n° 3). La
robe est en drap idéal beige clair, longue, et
ornée de biais eu drap blanc sertis de ganse
noire. Quant au vêtement, — une redingote demi-
longue, boutonnée et ouverte sur le côté, — il
est, soit en zibeline avec revers en chinchilla, soit
en drap cuir havane, avec revers de soie crème
ruchée en méandres. Les bords, brodés et sou-
lumes tailleurs. En tous les cas, si on ne les
porte pas noirs, on les adopte de teinte très
foncée. Pour les gants de visite ou d'après-midi,
ce sont, au contraire, les demi-teintes ou les
nuances très claires qui priment, suivant le degré
de cérémonie de la toilette.
En hiver, les bottines, genre demi-bottes, sont
préférables aux souliers même boutonnés, c'est-
à-dire emboîtant la cheville et le cou-de-pied.
Ce collet est en drap et velours violine (n" 4.)
C'est le fond qui est en drap et le volant en
velours. Une bande de skungs souligne la couture
tachés en soie blanche et gris argent, ajoutent à
ce vêtement très riche une coquetterie de plus.
La guimpe intérieure et le col montant, style
Valois, se font assortis aux revers, c'est-à-dire en
chinchilla, ou en soie blanche ruchée.
Le chapeau, en feutre souple ou en velours
tendu, est de nuance assortie à la robe et d'une
forme de fantaisie qui rappelle le tricorne, mais
relevée sur le devant et la pointe derrière. Nœud
en velours havane et plume teintée.
Quant aux bas, les noirs continuent à régner
en maîtres. Il en est de même des gants lorsqu'il
s'agit de ceux qui doivent accompagner les cos-
qui rapporte le volant au collet. La fourrure est
elle-même surmontée d'incrustations en vieille
guipure pailletée.
Le costume est assorti au vêtement, et la jupe
ornée d'un volant en forme liséré de skungs;
mais la manière dont le volant est posé simule
absolument une polonaise. Cette jupe est demi-
longue, bien entendu, et assez large sur l'ourlet,
quoique très collante sur les hanches.
Comme coiffure, un toquet-mignon en velours
violine, liséré de skungs sur les cheveux, avec
nœuds de satin enlevé et petites têtes de plumes à
gauche.
9i0
LA MODE DU MOIS
LES POSTICHES
On désigne sous ce nom tous les faux cheveux
dont les femmes se servent pour leur coiffure :
nattes, frisures, mèches ondulées, boucles, faux
chignons, perruques, tours, etc.
Les Napolitaines, les Eomaines, les Siciliennes,
les Espagnoles, les Auvergnates et les Bretonnes
sont les fournisseurs ordinaires des marchands de
cheveux; à ce propos, il est bon de détruire un
préjugé généralement accrédité : il n'est pas vrai
que l'on se serve, pour confectionner des pos-
tiches, des cheveux des femmes mortes dans les
hôpitaux.
Les cheveux morts n'ont aucune valeur ; ils
ne peuvent être travaillés, se cassent et ne
durent pas.
Les cheveux les plus rares, et jDar conséquent
les plus chers, sont les cheveux roux aux reflets
multicolores, que Henner a idéalisés ; puis vien-
nent les cheveux rouges, les blonds, les noirs, et
enfin les châtains qui sont les plus communs et
par conséquent les meilleur marché.
Contrairement à une idée faussement répandue,
les faux cheveux exigent un entretien aussi soi-
gneux que les cheveux vivants.
On doit les peigner et les brosser soigneusement
tous les soirs, en se décoiffant. La chaleur que
leur communique la tête leur donne plus de
brillant, les rend moins friables et les empêche
de garder les faux plis qu'ils ont pu prendre dans
la journée. Ces raisons sont suffisantes à expliquer
pourquoi la toilette des faux cheveux est préfé-
rable à faire le soir que le matin.
L'eau de son est excellente pour faciliter la
frisure de ceux que l'on destine à être frisés,
ondulés ou bouclés. Mais l'eau ordinaire suffit
pour les cheveux frisant naturellement, surtout
quand ils sont de belle qualité. Cette opération
oblige à prendre des précautions infinies. Aussi
ne doit-elle être confiée qu'à soi-même.
Les cheveux, dans ce cas, suivant l'emploi qu'on
en veut faire, sont simplement roulés en papil-
lotes ou mis sur des épingles à onduler; on les
dispose ensuite dans une casserole contenant de
l'eau de son tiède ; on ne les laisse bouillir que
quelques instants ; puis on les essore dans un
linge fin et on les étale sur une table jusqu'à ce
qu'ils soient très secs.
La frisure au fer est tout à fait mauvaise.
Outre qu'elle n'a pas de durée, elle a pour consé-
quence directe de dessécher et de faire casser les
faux cheveux.
Au contraire, la frisure à l'eau dure des mois.
En général, à part cette circonstance toute
particulière, les faux cheveux ne doivent être ni
mouillés, ni enduits d'huile ou de pommade quel-
conque.
Quand on veut les parfumer, on les enferme,
le soir, dans un carton contenant un sachet
d'iris, par exemple.
Il est encore essentiel de ne se servir, pour les
coiffer, que d'un peigne en écaille, c'est-à-dire
très doux, et d'une brosse non moins douce.
NOS PATRONS
Douillette pour bébé en cachemire blanc ou en
ottoman blanc crème brodé au plumetis de fleu-
rettes de soie en relief. Volant, autour du col, en
soie souple brodée, ou bien en vieille guipure.
Grand flot de ruban à la fermeture. Doublure en
soie blanche ouatée et piquée.
La pèlerine, comme le grand col, sont montés à
fronces sur un empiècement.
Matériaux : 2™,50 de cachemire blanc ; 5 mètres
TTT\_JTY
^ yi/^u'ne.
d'ottoman et de petite soie pour doublure;
3™,50 de rubans.
Ce modèle peut se répéter en molleton, en
cachemire bleu, blanc ou rose uni, pour le matin.
On fait généralement la petite capeline assortie
à la douillette.
LA MODE DU MOIS
941
LES TISSUS NOUVEAUX
Lainaljes. — Drap idml. — r",40 de large,
11 fr. 75 le mètre. Nuances : bleu marine, bleu
de France, gris, pervenche, tourterelle, vert de
gris. Ce drap est tellement tin qu'on dirait abso-
lument un vrai drap de soie. La pluie ne le tache
pas. Parmi les teintes nouvelles, il faut signaler
le gros bleu franc et la gamme très variée des
gris. Un costume de ce genre remplace une robe
de soie.
En noir, suivant sa finesse, le drap idéal, tou-
jours en 1"',40 de large, vaut 9 fr. 25, 10 fr. 50,
11 fr. 75, 13 fr. 50 et 15 francs le mètre.
Pour vêtements seulement, voici, toujours en
noir, le cours nouveau :
Drap jaquette l'",42 11 fr. 25
— idéal 1 40 1.3 50
— cuir 1 48 15 »
— » 1 57 lli 50
— » 1 52 18 75
heDrap uni corckscreiv, compose de très solides
costumes trotteurs, ne redoutant aucune intem-
périe. Ce tissu, inusable, un peu orné, peut cepen-
dant s'employer pour robe de visite. En 1"',30 de
large, il coûte 7 fr. 25 le mètre et se fait surtout
en bleu, dans toute la gamme du ton, grenat,
violine, pensée, capote et gris foncé.
Le rayé velouté, lamé en travers, est une gen-
tille fantaisie que l'on trouve surtout en myrte et
vert pré, évéque, beige, gris et bleu, dans toute la
gamme de ces deux dernières nuances. En l'",.30
de large, il coûte 7 fr. 50 le mètre.
En ondine veloutée, 1"',20 de large, à G fr. 75 le
mètre, tissu tout à fait nouveau, on fera de jolis
costumes pas très coûteux et cependant tout
à fait distingués. Les nuances préférables sont,
pour ce tissu, les teintes pensée, gris, caroubier,
marine, bleu franc, cuir et tourterelle.
Ij amazone, drap Jin, en l^ijSO, ne coûte que
6 fr. 50 le mètre, ce qui remet la robe à un prix
raisonnable. Nuances : beige clair, fauve, prune,
violine, gris argent, évéque, pervenche et tourterelle.
Veloutine, tissu laine et soie en 1™,20, à 11 fr. 75
le mètre. Nuances : marine, bleu franc, gris, per-
venche, tourterelle , vert-de-gris.
Epingline brochée noir, sur fond de couleur
laine et soie, 1™,20 de large; prix, 11 fr. 75 le
métré. S'emploie pour robes de visites et de réu-
nions. Nuances : bleu, feu, évéque et brome vert.
Epingline ombrée ou faqonnée, laine et soie,
toujours en l'°,20 de large, au prix de 11 fr. 75
le mètre. Cette étoffe, très nouvelle, est tout à
fait jolie et très à recommander. Elle est parti-
culièrement ravissante en rouge, nuance très à la
mode cet hiver.
Velours cordelière (coton), eu 0'",5(j, coûte
4 fr. 50 le mètre. C'est un charmant côtelé en
large et en relief, imitant la cordelière. Il se fait :
beige, de deux tons; gris, noir, violine, marron.
bleu foncé. Charmant pour costume de chasse et
de bicyclette.
Velours Palmettes (anglais), en 0"',56 de large.
à 4 fr. 90 le mètre. Ce tissu uni est à dessins ca-
chemire noir sur fonds blanc, évéque, ciel, feu et
billard. Kavissant surtout pour chemisettes, cor-
sages de fantaisie et robes d'intérieur.
Velours Fédora (coton), en 0™,56 de large, à
4 fr. 25 le mètre. Disposition : rayure fantaisie
noire sur fond de couleur, havane, blanc, rose,
parme, or, sèvres, feu, feuilles naissantes. Même
usage que le précédent.
Soierie. — Damas des Açores, broderies noire*
sur fond de couleur, compose de très élégantes
toilettes. Ce damas, très original comme dispo-
sition, est couvert de pois en relief. Il se fait sur
fond : feu, parme, aventurine, azalée bleu clair tt
or, rouge et vert, vert bronze et mauve, groseille et
vert. Largeur : 0™,54. Prix : 8 fr. 75 le mètre.
Le Faqonné-Bengale et la Serpentine sont des
tissus tout indiqués pour robes de femme d'un
certain âge, mères, tantes, etc., dans un cortège
de mariage, par exemple. La disposition de ces
dessins (rayure en travers) est très jolie, et tou-
jours sur fond de couleurs variées, dans les
demi-teintes, un peu glacées.
Givrine amritsar, petit broché de fantaisie dans
les nuances neutres sur fonds glacés. Largeur :
0'",53. Prix : 5 fr. 90 le mètre.
La Dogette, gros côtelé à dessins inédits, noirs
et couleurs modes. Jolie robe sérieuse de demi-
toilette. Largeur : 0°»,52. Prix : G fr. 25 le mètre.
Le Jannier, sur fond de faille gros grain broché
de couleurs. Toilettes de visites. Ce tissu donne
l'illusion d'une soie noire, ajourée par places et
posée sur un fond de couleur. Jolies dispositions
dans les nuances nouvelles : azalée, pensée, bleu
électrique, émeraude, solférino et bleu lumière.
Largeur : 0°»,52. Prix : G fr. 75.
Damas oriental fond noir, avec rayures éclairs
rose, pensée, malachite, feu et bleu électrique. Lar-
geur : 0",56. Prix : 8 fr. 25 le mètre.
Armure hongroise, dans les teintes claires, pour
toilettes de demoiselles d'honneur, dîners, soi-
rées, etc. Tissu irni. Largeur : 0™,54. Prix : 8 fr. 25
le mètre.
Ondine perlée, brochée de dessins très fantai-
sistes, convient surtout aux jeunes femmes.
Nuances : vert d'eau et blanc, or et blanc, bleu
ciel et blanc, rose et blanc, mauve et blanc, etc.
Largeur : 0™,54. Prix : G fr. 50 le mètre.
li'armure Dera-Ghazi-Kan , dispositions et
nuances claires, idéales, pour demoiselles d'hon-
neur et toilettes de jeunes femmes très habillées,
dans les teintes nouvelles. Largeur : 0"',53. Prix :
6 fr. 25.
Soierie noire. — Satin Trianon, ne peut se
couper et ne se fait qu'en noir, garanti à l'usage.
Largeur : 0'",56. Prix, suivant la qualité : 9 fr. 25
et 10 fr. 25 le mètre. En 0'",58 et 0™,60, légè-
rement rayé en travers, à 12 fr. 50 le mètre.
Satin de Lyon, rayures plus accentuées. Lar-
geur : 0'°,56. Prix : 6 fr. 75.
9i2
LA MODE DU MOIS
OUVRAGES DE DAMES
N" 1. Chaise bonne-Jhnme, charmante à mettre
dans un salon de fantaisie, une chambre de jeune
fille, un coquet cabinet de toilette ou un boudoir.
Elle se fait en bois
naturel et ciré, ou
en bois laqué blanc
ou de nuance pâle,
avec siège en paille
de couleur. Un cous-
sin têtière, retenu
par des nœuds de
rubans se terminant
en flot, à gauche, lui
sert d'ornement. On
peut faire, si on le
désire, un coussin
semblable pour le
siège, mais alors sans
nœuds de ruban.
N» 2. Ditail du
coussin. — Ce dernier
se fait, suivant le
govit, en soie, en ve-
lours ras ou en toile.
Il se brode au passé, en soie lavable, si le fond
est en toile granitée, en belle soie d'Alger si, au
contraire, le coussin est en velours, en satin ou
en tout autre tissu de soie. En broderie rococo, ce
genre de travail est également très joli.
N" 3. Porte-journaux. — Ce bibelot, très com-
mode, et que l'on devrait trouver sur toutes les
tables de travail, est une véritable symphonie jaune.
Il se fait en velours ras, vieux jaune glacé de
blanc, rehaussé d'un jeté de fleurs de jonquilles
brodées, un peu en relief, avec soie d'un jaune bril-
lant, tandis que les feuilles, d'un vert vif, tirant
un peu sur le jaune, sont brodées à plat.
Il est à double face, bien entendu, et doublé, à
l'intérieui', en panne
vieux jaune.
Tout autour, exté-
rieurement, encadrant
le jeté de jonquille,
une dentelle d'or,
genre ancien,est posée
à plat. Le champ est
recouvert par un galon étroit, toujours genre
ancien, vert mousse, clouté de clous dorés.
N° 4, Détail du travail. — Ce porte- journaux
peut encore se faire en peinture sur soie, au lieu
de broderie, ce qui est à la fois très joli et très
nouveau.
N" 5. Pelote. — Cette pelote, de forme ovale,
est en soie d'un blanc crème appliquée sur un
bord en velours miroir rose ou bleu pâle, glacé
d'argent. Un rinceau
de broderie au plu-
metis et un jeté d'an-
thémises ornent gra-
cieusement le dessus.
Un volant en den-
telle pailletée l'en-
cadre en retombant
tout autour. Il est retenu à la pelote par de
jolis nœuds Louis XVI en petits velours noirs.
Cette pelote, faite pour se poser sur une table,
peut se monter en boîte, la fermeture du cou-
vercle dissimulée sous le volant de dentelles, et,
à l'occasion de la nouvelle année, rien n'empêche
de remplir cette boîte de bombons exquis, de fins
chocolats ou de délicats fruits confits.
N" 6. Détail de la broderie de la pelote pour
laquelle le velours ivoire peut fort bien rem-
placer la soie crème.
Berthe de Phêsillt.
MEMENTO ENCYCLOPEDIQUE
Événements d'Octobre 1898.
1. - Ouverture des travaux ile la commission de
la paix hispauo-amèrieaine. La commission tient ses
réunions an ministère des affaii'es étrangères, à Paris.
Les commissaires décident de garder le secret sur leurs
la vie. — A Pékin, pendant les fêtes de la Lune, la
foule jette de la boue aux Européens qui se rendent à la
légation russe. Les légations font venir des troupes.
2. — Elections législatives : Dans la 2" cir-
ENTREVUE DU COMMANDANT MARCHAND ET DU SIRDAR KITCHENER
A BORD DU «DAL»
délibérations. — Congrès des greffiers de justice
de paix et de simple police de France, à Rouen. — Mort
du peintre alsacien C.-A. Pabst. — Le Khédive
d'Egypte arrive à Coustantinople. — Dans un terrible
incendie, à Haukow (Chine), plus de dix mille habi-
tations sont détruites et un millier de personnes perdent
conscription de Narboune, M. Paul Narbonne, radical
socialiste, est élu par 7,447 voix, eu remplacement de
M. Turrel, invalidé. — A Bastia, le colonel Astima,
républicain, est élu par 7,129 voix. L'élection de M. Astima
avait été invalidée. — Election sénatoriale : A
Clermout-Ferrand, JI. Chantagrel, radical socialiste, est
944
MEMENTO ENCYCLOPEDIQUE
élu par 62G voix, en rem])'-aoemcnt de M. Gaillard,
décède. — Le capitaine Marchand, cliargé de mis-
siou dans le Haiit-Oubanglii, est promu chef de batail-
lon. — M. Liotard, gouverneur du Haut-Onbanglil,
arrive à Bordeaux. Il est reçu par M. de Brazza qui,
dans son discours de bienvenue, rappelle la part impor-
tante prise par M. Liotard dans la préparation de li
mission Marchand. — A la salle Wagram, à Paris, devait
avoir lieu un grand meeting organisé par M. de
Pressensé, en faveur de la revision du procès Dreyfus.
M. Déroulède devait assister h la réunion. Au dernier
moment le propriétaire de la sal'.e en refuse l'accès.
MM. de Pressensé et Déroulède avec de nombreux parti-
sans se rencontrent devant l'établissement ; des bagarres
se produisent et des coups sont échangés. De nombreux
manifestants sont blessés et de nombreuses arrestations
sont opérées. — A Souillac (Lot), inauguration de la
statue de l'amiral de Verninac, ancien gouverneur
de l'Inde, ancien ministre de la marine. — A Fouge-
rolles, inauguration du monument élevé à la mémoire
des soldats morts pendant la guerre de 187U-1871. — Aux
Philippines, les Espagnols mettent en déroute les
insurgés qui avaient débarqué aux îles Yisayas. — L'As-
semblée nationale de Malolo discute la constitution.
3. — Mort du général Agard de Rouméjoux,
l'un des doyens de l'armée franc lise. — A Hammamet
(Tunisie), cérémonie de translation des restes des sol-
dats morts pour la patrie en 1881-1884 dans le nouvel
ossuaire. — A Stuttgart, ouverture du congrès socia-
liste allemand. — Le conseil des ministres espagnol
décide que la régente acceptera le rôle d'arljitre entre le
Chili et le Pérou au sujet des deu.x provinces dont
la nationalité est contestée. — Mort de la grande tra-
gédienne américaine Fanny Davenport. — Le gou-
vernement italien envoie aux États européens une note
les invitant à participer à nne conférence internationale
contre les anarchistes. — M. Zola est élu
membre de l'Académie du Brésil.
4. — M. Forichon, conseiller à la Conr de cassa-
tion, est nommé premier président de la Cour d'appel de
Paris, en remplacement de M. Périvier. — M. F. Faiare
reçoit à l'Eljsée les membres de la commission de
la paix hispano-américaine. M. Day lit un télégramme
amical du président Mac-Kinley. M. F. Faure y répond.
— M. Lockroy, ministre de la marine, quitte Paris
allant à Toulon, en Corse, en Tunisie et en Algérie. Il
est accompagné d'une mission chargée de l'étude de la
défense des côtes. — Le gouvernement espagnol, faisant
droit aux réclamations du commerce et de l'industrie,
supprime l'impôt sur les exportations. — Le pré-
sident de la Kèpublique de l'Equateur demande au Con-
grès l'autorisation de provoquer la reconstitution de
l'ancienne Colombie, fondée par Bolivar, qui com-
prenait l'Equateur, la Colombie et le Venezuela.
5. — Les obsèques de M""" Carnot ont lieu à la
Madeleine au milieu d'une grande aflfluence. — Les ter-
rassiers grévistes ayant commis des déprédations
dans le quartier de (rrenelle, la troupe est requise pour
renforcer la police afin de protéger les chantiers. — D.ms
une note à la Porte, les puissances demandent que les
troupes turques évacuent la Crète dans le délai d'un
mois. — Le baron Dipauli est nommé ministre du
commerce d'Autriche-Hongrie en remplacement du doc-
teur Bœrnreither, démissionnaire.
6. — M. Bard, conseiller à la Conr de cassation, est
chargé du ra|)port dans la demande eu revision du procès
Dreyfus. — M. Liotard, gouverneur du Haut-Oubanghi,
arrive à Paris. Il est reçu par les présidents des groupes
coloniaux qui lui adressent des discours de bienvenue.
7. — Une réunion, présidée pur M. Déroulède, vote la
reconstitution de la ligue des patriotes. — Ismaïl
bey, gouverneur civil de la Crète, informe les notables
musulmans que -le sultan accède aux demandes des
puissances au sujet du départ des troupes turques.
Les Israélites quittent la Crète.
8. — Après avoir visité les établissements de la
marine à Toulon, M. Lockroy arrive à Calvi (Corse).
— Le Conseil municiiial de Paris décide de donner le nom
de Fachoda à une rue de Paris. — A Marseille, ouver-
ture du congrès de gynécologie, d'obstétrique et de
ppediatrie. — Entrée solennelle à Orléans du général de
Longuemar, nouveau commandant du â'' corps d'armée.
Des manifestations en faveur de l'armée se jiroduisent à
cette occasion. — A Canton (Ohio), M. Georges Saxton,
frère de M""^ Mac-Kinley, est assassiné par une
femme. — Le Congrès socialiste de Stuttgart
adopte une résolution .le M. Liebknecht protestant contre
l'exploitation de l'assassinat de l'impératrice d'Autriche
contre les socialistes et condamnant sévèi-ement l'assas-
sinat politique. — Le pape, recevant les pèlerins fran-
çais, dit que si la France s'abandonne à la Révolution et
au socialisme ce sera, pour la classe ouvrière, la servi-
tude, la misère et la ruine. — A Utrecht, premier con-
grès catholique néerlandais de la tempérance.
9. — Election sénatoriale : Haute-Savoie. M. Ma-
gnien, radicil, est élu par T.")!! voix, en remplacement de
M. Buffet, inamovible, décédé. — A Vimy (Pas-de-Calais),
inauguration du monument élevé à Abel Bergaigne,
célèbre orientaliste. — Au Mans, inauguration du pont
en X sur la Sarthe. — A Brouvelieures (Vosges), inau-
guration du monument des francs -tireurs tués
au combat du 11 décembre 1S70. — A Argenteuil,
inauguration de l'église paroissiale récemment érigée en
basilique par le pape. — Courses de Longchamp,
grand prix d'automne du Conseil municipal, gagné par
« Gardefeu ■», à M. J. de Brémond. — Le général Gal-
lièni, rentrant d'un voyage autour de Madagascar,
exprime sa confiance dans l'avenir de la grande île dont
il prédit l'essor rapide. — Le Tsung-li-Yamen, de
Chine, proteste contre le nombre de soldats amenés à la
légation russe. — Le gouvernement marocain
verse 150,000 francs à la légation d'Italie et 200,000 francs
à la légation de Portugal en réparation des actes de pira,-
terie commis sur les côtes du Riff.
10. — Le Conseil municipal de Paris, à la suite des
grèves, décide de mettre en régie les travaux de la
Ville de Paris. — Le gouvernement anglais publie
un livre bleu sur la question du Nil et sur le main-
tien des droits de l'Angleterre à Fachoda. — La Porte,
répondant à la note collective des puissances, concernant
l'évacuation de la Crète, dit qu'elle accepte les
demandes formulées et prend acte de la promesse d'af-
firmer la souveraineté du sultan sur la Crète, de main-
tenir l'ordre et de garantir la sécurité des sujets musul-
mans. Elle demande de laisser dans les places foi-tes du
littoral des garnisons suffisantes pour assurer les droits
de suzeraineté du sultan. — A Séoul, Kim-Hong-Nink,
ancien favori, et deux autres individus, accusés d'être
les auteurs du complot formé dans le but d'empoisonner
l'empereur de Corée, sont pendus dans leur prison.
La populace, parvenant à s'emparer des cadavres, les
traîne dans les rues et leur fait subir d'horribles muti-
lations.
11. — Après avoir visité les ports de Corse, M. Loc-
kroy part pour la Tunisie. — Vente, par autorité de
justice, des objets saisis chez M. Zola, à la requête
des trois experts en écritures de l'affaire Dreyfus, en
faveur île cliacun desquels M. Zola avait été condamné
â 10,000 francs de dommages-intérêts pour diffamation.
Au premier objet mis en vente, une table, l'éditeur Fas-
quelle couvre la somme réclamée, soit 32,000 francs et
la vente est terminée. — L'empereur d'Allemagne
et l'impératrice, avec une suite de 100 personnes, p.irtent
de Potsdam pour un voj'age en Orient. Ils renoncent au
voyage en Egs'pte. — Le général Roca assume la prési-
dence de la République Argentine. Il constitue
un ministère composé de MM. Yofre, intérieur; Rosa,
finances; Campos, guerre; Rivadavia. marine; Friers,
travaux publics et agriculture ; Alcorta, affaires étran-
gères ; Osvaldo Magnusco, justice. — Le gouverne-
ment du Cap est battu sur la question de confiance
et le ministère démissionne. — Le khédive quitte
Constantinople pour rentrer en Egypte. — Aux îles
■yisayas (Philippines), 38 chefs insurgés et 4,000 hom-
mes font leur soumission sans condition aux autorités
espagnoles.
12. — Le général Roca, président de la Répu-
blique Argentine, prête serment. Son message constate
une détente dans les relations avec le Chili, ce qui per-
mettra au pays d'appliquer toutes ses forces vitales à
son relèvement financier. — Le ministre de la
guerre de Russie, de passage à Paris, se rend à
Ramliouillet pour visiter l'Ecole militaire.
13. — Une circulaire du comité des ouvriers des che-
mins de fer enjoint de commencer la grève générale.
Cet appel n'est pas écouté. Les gares de Paris et des
grandes villes sont occupées militairement. Une perqui-
sition est opérée au siège du syndicat des chemins de
fer. — Fin de la grève des terrassiers. Les
autres corporations du bâtiment reprennent progressive-
MEMENTO ENCYCLOPÉDIQUE,
Oi5
14. — Plusieurs journaux font courir le bruit
d'iui complot militaire. Ce bruit est démenti.
— Mort lie M. Guindey, sr^nateur de l'Eure. — Au
Gap, le nouveau cabinet comprend MM. Schreiner,
I)remier ministre ; Merriman, finances ; Sauer, tra-
vaux publics ; Salomon, justice ; Herbolt, agricul-
ture; Water, ministre sans portefeuille. — En
Roumanie, M. Cantacuzène, ministre des finances,
démissionne. Il est remplacé par M. Parrani,
ministre de la justice, auquel succède
M. Stoïcesco, ancien ministre. — En Angle-
terre, M. Brodrich, sous-secrétaire à la
guerre, succè'le à M. Curzon comme sous-
'^ecrétiire aux iffiires Ltringtre'- — Au
cap L]7ird naufrage du stexmer anglais
Moherjan feui -uo pti tonnes qui se trou-
viiont a bord 117 sont noyde^
15. — L'amiral Barrera prend,
Brest le commin lement de \i préfecture
maritime et l'amiral Sallandrouze de
la Mornaix celui le lescilre du Xord.
— Funériilles de la reine Louise de
Danemark a Crpenhaguc — Arri-
\ Paris, du comte Moura-
ment le travail
Le chef Samory,
qui depuis de longues années mettait
obstacle à notre développement au
Soudan et contre lequel on dut envoyer
de nombreuses colonnes expédition-
naires, est fait prisonnier avec sa
famille, ses chefs de bande et ses sofas
par le capitaine Gouraud et le lieute-
nant Jaquin. — L'empereur et l'im-
pératrice d'Allemagne arrivent à Venise, où ils sont
reçus par le roi et la reine d'Italie. — Maicimo Gomez
est élu président de la République cubaine, eu remplace-
ment de Masso. — Au sujet de la proposition de dés-
armement du tsar, les gouvernements suédois et
norvégien demandent, dans une adresse au roi, d'obtenir
des puissances la neutralité de la Suède et de la Nor-
vège. — Le ministre de la justice de Corée est destitué
pour avoir laissé la populace mutiler les corps des cons-
pirateurs pendus le 10 octobre.
VIII, — 00.
view, ministre des affaires étrangères de Russie, Il a
une entrevue avec M. Delcassé.
16. — A Chaumont, inauguration du monument élevé
à la mémoire des Haut-Marnais morts pendant la
guerre de 1870-1871. — A Bourg-Saiut-Andéol, inau-
guration de la statue de Madier de Montjau. — A
Paris, élection de 14 conseillers municipaux. — M. Léon
Dierx est élu prince des poètes. — Mort de Louis
Gallet, librettiste. — L^appel à la grève des
ouvriers des chemins de fer n'ayant été suivi d'aucun
9i6
MEMENTO ENCYCLOPÉDIQUE
effet, les troupes gardant les gares regagnent leurs caser-
nements. — Ms"' Eilimani, archevêque d'Alep, est élu
patriarche d'Antioche. — A San-Remo (Italie),
inauguration du monument élevé à la mémoire de Fré-
déric III d'Allemagne. — L'empereur Guillaume
part de Zante pour la Turquie, à l)ord du Hohtiuollern.
17. — Rentrée des tribunaux. — Ouverture du
12'" congrès français de chirurgie. — La grève
générale du bâtiment étant terminée, les troupes
sont retirées des chantiers. — M. P. Faure offre un
de la République du Paraguay, en remplacement
du général Egusquiza. M. Hector Carvallo est élu vice-
président.
20. — La question des territoires de Puna et
d'Atacama est réglée. Le Chili reconnaît qu'ils appar-
tiennent à la République Argentine. — Sir George
■Wyndham remplace M. Brodrich comme secrétaire
parlementaire pour la guerre dans le cabinet anglais.
21. — Arrivée en France de M. Doumer, gouver-
neur de l'Indo Chine. — M. Lockroy, ministre de la
C AUDIENCE
L V COUR
CASSATION
dîner en l'houneur du comte Mouraview. — Mort
du peintre Jules Lenepveu, membre de l'Académie
des beaux-arts. — Mort de Ms' Depierre, vicaire
apostolique de la Cochiii chine occidentale. — Le Hohenzol-
lern, ayaut à bord l'empereur d'Allemagne, arrive
dans les Dardanelles. — Les Américains occupent défini-
tivement Porto-Rico. — Un édit de l'impératrice
douairière de Chine promet de pourvoir au bien-
être du peuple et de faire de son mieux pour assurer
sa prospérité. — La Porte, se rendant aux injonctions
des puissances, donne des ordres pour le retrait des
troupes turques de Crète.
18. — Le Journal officiel publie un mouvement
administratif portant sur 17 préfectures, et un
mouvement judiciaire dans le personnel de la Cour
de cassation et des Cours de Paris, Nîmes et Montpellier.
— Les souverains allemands arrivent à Constan-
tinople, od ils sont reçus par le sultan. — Un complot
pour attenter à la vie de l'empereur d'A'lemagne, aj'ant
été découvert au Caire, une enquête est ouverte et de
nombreuses arrestations sont opérées.
19. — M. Mac-Kinley, président des Etats-tlnis, pré-
side le jubilé de la paix à Chicago. — M. Emilie
Aeeval, ancien ministre de la guerre, est élu président
marine, arrive à Toulon, venant de Tunisie et d'Algérie.
— Le ministre des affaires étrangères reçoit télégraphi-
quement du Caire le rapport du commandant
Marchand sur l'occupation de Fachoda. — A la suite
d'un désaccord avec le Président de la République, les
ministres des travaux publics et des affaires étrangères
du Chili démissionnent. — Un banquet de 120 couverts
est offert par le sultan, à Yildiz-Kiosk, en l'honneur des
souverains allemands. — Tous les Etats d'Europe,
l'Amérique, la Chine et le Japon se feront représenter à
la conférence sur le désarmement. — • Par suite de
désaccord avec ses collègues, M. Gamazo, ministre des
travaux publics d'Espagne, démissionne.
22. — M. Moyaux, architecte, est élu membre de
l'Académie des beaux-arts, en remplacement de Ch. Gar-
nier. — Le Conseil municipal de Paris vote les taxes
destinées à remplacer en totalité les droits d'octroi
sur les boissons hygiéniques. — Le com.te Mouraview,
arrivant de Paris à Vienne, est reçu par l'empereur
d'Autriche. — Les Boers battent les rebelles Cafres
dans plusieurs engagements.
23. — M Delcassé fait distribuer deux livrés
jaunes, l'un sur l'affaire de Fachoda, l'autre relatif aux
affaires de Crète. — Scrutin de ballottage pour les
élections municipales de Paris. — Mort du général
de division Michel, qui commanda la charge de Reichs-
MEMENTO ENCYCLOPÉDIQUE
947
lioffeii. — Le docteur Mùller, ilc riiôpital de Vienne,
meurt de la peste, ainsi qu'un des iiitirniiers. On suppose
que la maladie leur a été communiquée par des tubes
de bacilles rapportés de Bombay par des médecins et dé-
posés au laboratoire de l'iiôpital.
24. — Mort du peintre Puvis de Chavannes
( Voir poil mit cl article ilanx U' numéro de juilli-t IS9S du
.Monde Mnderne). — Ouverture du G'' Cougi'ès de la
LiOire navigable, à Saumur. — Le gouvernement an-
glais publie un nouveau livre bleu sur l'affaire de
FacUoda. — Le jiremier transport rapatriant des troupes
tuniues quitte la Crète.
25. — Rentrée des Chambres. — \ u Chambre
des Députés, M. Peytral dépose le projet de budget
pour lt<93. Au sujet de la fixation de la discussion des
interpellations, M. Dérouléde attaque violemment le gé-
néral Chanoine, qui dit qu'il a toujours partagé l'opinion
de ses prédécesseurs en ce qui concerne l'affaire Dreyfus
et déclare, à la tribune, qu'il donne sa démission de
ministre de la guerre. Après la discussion d'un grand
nombre d'ordres du jour, la Chambre repousse finalement
une motion de confiance. Le cabinet donne sa dé-
mission au Président de la République. M. Lockroy
est chargé de l'intérim du ministère de la guerre. Pen-
dant la séance, des manifestations se produisent sur la
place de la Concorde et aux environs. 150 an-estatlous
sont opérées. — Le comte Leontiefif, gouverneur des
provinces équatoriales de l'empire d'Ethiopie, guéri de
ses blessures, repart pour le Harrar. — Séance publique
annuelle des cinq Académies.
26. — Le Président de la République fait appeler les
présidents des Chambres pour conférer avec eux au sujet
de la crise ministérielle. — Inauguration du
musée Cernuschi. — Arrivée, à Marseille, du capi-
taine Baratier. de la mission Marchand. Il est l'objet
de chaleureuses ovations. — Le capitaine commodore
Gerhard Dyrssen est nommé ministre de la marine
de Suède, en remplacement du contre-amiral Christerson.
27. — A la Cour de cassation, ouverture des débats
sur la demande en revision du procès Dreyfus. La
première audience est consacrée a la lecture du rapport
<le M. Bard. — Le sirdar Kitchener, venant d'Egypte,
arrive à Douvres. — Les souverains allemands
arrivent à Jaffa. — Elections au Landtag prussien.
28. — A la Cour de cassation, deuxième audience
consacrée à l'aiffaire Dreyfus. Fin de la lecture du
rapport de M. Bard et conclusions du procureur général.
— M. Dupuy accepte la mission de former le nouveau
cabinet. — Le commandant Marchand, ayant
quitté Fachoda, arrive à Khartoum, se rendant au Caire
pour transmettre au Gouvernement la fin de son rapport,
qui n'avait pu être donnée au capitaine Baratier. —
M. Carolus Duran est élu président de la Société
nationale des beaux-arts, en remplacement de M. Puvis
de Chavannes, décédé. — Ouverture, à Stuttgart, du
congrès géodésique, auquel quinze Etats sont re-
présentes.
29. — Affaire Dreyfus. Après plaidoirie de M« Mor-
nard, avocat de la famille Dreyfus, la Cour entre en
délibération et rapporte l'arrêt suivant : « La Cour dé-
clare la demande recevable, dit qu'il sera procédé par
elle à une instruction supplémentaire ; dit n'y avoir pas
lieu de statuer, quant à présent, sur la demande du
procureur général tendant à la susjjension de la peine. »
— Le Conseil de l'Ordre raye le conunandant Esther-
hazy des cadres de la Légion d'honneur. — Le capi-
taine Baratier retourne en Egypte, porteur des instruc-
tions du Gouvernement pour le commandant Marchand.
— Congrès des Sociétés de gymnastique de
France. — La dépouille mortelle de l'impératrice
d'Autriche est transportée à sa place définitive au
couvent des Capucins, à côté du tombeau de son fils
l'archiduc Rodolphe. — La candidature du prince Georges
de Grèce, comme gouverneur provisoire de Crète,
est proposée à la Porte par les puissances. — Au Ja-
pon, M. Osaki-Yu-Kio, ministre de l'instruction publi-
que, ayant parlé, dans un discours, de l'établissement
d'une république japonaise comme d'une possibilité éloi-
gnée, est contraint de donner sa démission. Des diver-
gences s'étant produites au sujet de la nomination de
son successeur, tous les membres libéraux ou avancés du
cabinet donnent leur démission.
30. — A Craon (Mayenne), inauguration de la statue
de "Volney. — Election législative à Nantua :
M. Philipou, ancien député radical, est élu par 4,015 voix,
en remplacement de M. Carrier, républicain, décédé. —
A Saulx-de-Vesoul, inauguration du monument élevé à
la mémoire des soldats morts pour la patrie. —
Les souverains allemands visitent le Saint-Sépul-
cre et Bethléem. — Le comte Emmanuel Széchinyi est
nommé secrétaire d'Etat au ministère de Hongrie,
à Yieime. — Un infirmier de l'hôpital de Vienne meurt
de la peste. — A Madagascar, le poste de Marota-
lama, en face de Nossi-Bé, est attaqué par une bande de
Sakalaves. Deux miliciens et deux colons sont tués. —
Une nouvelle rébellion contre le gouvernement de
Pékin éclate à quelques milles au sud-ouest de Shan-Si.
31. — Le nouveau ministère est constitué comme
suit : intérieur et présidence du Conseil, M. Charles
Dupuy ; justice, M. Lebret ; guerre, M. de Freycinet ;
marine, M. Lockroy; affaires étrangères, M. Delcassé;
finances, M Peytral ; instruction publique, M. Georges
Leygues ; commerce, M. Delombre ; colonies, M. Guillain ;
agriculture, M. Viger; travaux publics, M. Krantz. —
A Cluny, fêtes jubilaires du centenaire de la célèbre
abbaye, sous la présidence du cardinal Perraud. — Mort
du général de division Gastine, inspecteur des comités
d'artillerie et du génie. — De grands préparatifs sont
faits en Angleterre pour mettre sur le pied de
guerre les forces de terre et de mer. — L'empereur
Guillaume inaugure le nouveau temple protestant du
Sauveur à Jérusalem. — A la réunion de la Conmiis-
sion de la paix, les délégués américains réclament,
au nom de leur gouvernement, la cession absolue, aux
Etats-Unis, de l'archipel des Philippines. — Au Japon,
tout le ministère démissionne.
■^1»=>-
QUESTIONS FINANCIÈRES
La crise est finie, à ce qu'il semble tout
au moins. Elle a été rude. Des difficultés
monétaires, des appréhensions politiques
à l'extérieur, des préoccupations poli-
tiques à l'intérieur, — voilà trois éléments
fâcheux, et dont un seul suffirait à mettre
la Bourse sens dessus dessous.
Quoi qu'il en soit, il est certain que la
spéculation à la hausse a été cruellement
éprouvée. Et le public proprement dit?
Pas trop. Les gens qui ont en portefeuille
des renies françaises, de bonnes valeurs
industrielles, et un ou deux fonds d'Etats
étrangers, peuvent, à moins de se trouver
obligés de réaliser leur avoir du jour au
lendemain, supporter avec une certaine
philosophie sereine ces bourrasques qui,
quelque violentes qu'elles soient, ne lais-
sent guère de ti-aces sur les titres vrai-
ment solides. Le pire inconvénient de ces
temps de tempêtes c'est que, pendant
qu'elles durent, le capitaliste qui ne spé-
cule point est à peu près réduit à l'im-
puissance. 11 ne saurait, pour lui, être
question de vendre : à moins d'y être ab-
solument forcé, on ne vend pas en temps
de baisse. Acheter? C'est bien délicat.
Quand un marché est en plein désarroi,
on s'expose à payer ses acquisitions trop
cher; et cela est à tout le moins inutile.
L'attitude abstentionniste, en pareil cas,
est donc ce qu'il y a de mieux.
Cependant il y a moyen de tirer parti
de tout et de ne pas perdre son temps.
S'il est hasardeux de s'engager à nouveau
d'une façon ou d'autre, on peut tout au
moins procéder à un examen attentif et
raisonné de ce qu'on possède, et se de-
mander s'il n'y a pas lieu de modifier en
l'améliorant le contenu de son portefeuille.
Beaucoup de personnes, en se livrant à ce
petit travail qui n'est d'ailleurs pas dénué
d'agrément, s'apercevront qu'elles per-
dent de l'argent comme à plaisir, ou, pour
parler plus exactement, qu'elles manquent
à en gagner, simplement parce qu'elles
n'ont pas suffisamment étudié la situation.
C'est ainsi qu'il y a plusieurs rentes tur-
ques. Les séries les plus familières au
public sont les séries C et D. Elles ont
exactement les mêmes garanties, puisque
c'est la Caisse de la dette publique qui,
sur les recettes provenant des six grandes
contributions dont le produit lui est dé-
volu, paye les coupons. Le montant an-
nuel de ces coupons est d'un franc, qu'il
s'agisse du Turc C ou du Turc D. Seule-
ment, le Turc C coûte environ 26 francs,
tandis que le Turc D vaut environ 4 francs
de moins. Cette difTérence provient de ce
que les titres de rente turque, divisés en
quatre séries, s'amortissent par ordre alpha-
bétique, La série A est déjà remboursée,
et l'amortissement de la série B s'achè-
vera dans une période qui n'est plus main-
tenant très éloignée. Après, ce sera le
tour de la série C ; et c'est à cause de cela
que la série C coûte plus cher que la série D,
qui sera remboursée la dernière.
Sur le papier, et envisagée à ce point
de vue spécial de l'amortissement, la dif-
férence de prix entre les séries C et D
apparaît comme assez logique. Mais quand
on vit de ses revenus, on ne peut pas se
placer absolument à ce point de vue-là.
Une opération bien simple me prouvera
que 100,000 francs placés en Turc C me
rapportent seulement 3,840 francs. Les
mêmes 100,000 francs, placés en Turc D,
me rapporteront 4,540 francs. La diffé-
rence, on le voit, est énorme; elle est, en
effet, de 700 francs, soit de 18 1/4 % du
revenu du Turc C. Et je ne vois pas pour-
quoi je me priverais d'un aussi sensible
surcroît de revenu, sous prétexte qu'un de
ces jours on me remboursera mon argent. Je
vendrai donc mon Turc C pour acheter du
Turc D ; c'est ce qu'on appelle un arbitrage.
D'autres groupes de valeurs suscitent
des réflexions analogues, pour des raisons
diverses. Dans le groupe russe, par exem-
ple, nous avons des types différents. Il y a
les 3 % et les 4 % entre autres. Les rentes
du type 4 % valent 104 à 105 francs; leur
revenu ressort ainsi à 3.80 %. Les 3%, eux,
sont aux environs de 95 francs, ce qui
leur assigne un taux de capitalisation de
3.25 % à peu près. Au premier abord, il
semblerait qu'il y eût intérêt à échanger
un revenu de 3 1/4% contre un revenu de
3 3/4 %; mais, à la réflexion, on s'aperçoit
qu'il faut, au contraire, opérer dans le sens
opposé. Pourquoi ? D'abord parce que, du
seul fait que le pair est obtenu et même
assez largement dépassé, on peut conclure
que, fidèle à ses habitudes, le gouverne-
ment russe saisira la première occasion
de (( convertir » sa rente, c'est-à-dire
d'en rembourser les porteurs pour leur
offrir un taux de capitalisation moins élevé.
Ce remboursement implique donc une
perte possible, puisqu'il serait effectué
à 100 francs, alors que le 4 % russe est ac-
tuellement à 104 ou 105. Les 3 %, au con-
traire, sont au-dessous du pair; ils l'attein-
dront bien certainement un jour ou l'autre
et cela leur laisse ainsi une marge bénéfi-
ciaire assez importante. En conséquence,
tant pour ma sécurité que pour obtenir
une plus-value de mon capital, je n'hési-
terai pas à faire un léger sacrifice sur mon
revenu.
Ce chapitre des arbitrages est un des
plus intéressants qu'il y ait. Les deux
exemples que je viens de donner suffisent
pour aujourd'hui. Mais j'y reviendrai.
E. Benoist.
Adresser les communications pour cette page à M. Emile Benoist, 17, rue du Pont-Neuf.
BOURSE DE PARIS (Comptant). — Cours extrêmes d'Octobre 1898.
FONDS D'ÉTAT ET DE VILLES
Rct. ne
d'imptl
Plus haut.
Plus b».
3 n
102 40
101 70
3 D
101 U
100 26
3 1/2 J;" d»
3 50
105 85
104 90
Obligations tunisiennes 3 Z 1892. . . .
15 »
601 50
495 »
Emprunt Annam et Tonkin 2 1/2 %'
2 50
89 90
87 85
Emprunt de Madagascar 2 1/2 ^
12 50
90 50
89 »
Angleterre, consolidés 2 3/4 ^
»
111 50
108 80
République argentine 6 ^ 1886
26 »
4.>2 »
440 »
4 »
104 5C
101 50
Belge 3 Jg" 1873 conv. (2' série)
3 »
101 15
101 15
Brésilien 4 ^ 1889
4 »
67 »
54 »
Chine 4 2' 1895 or
20 »
104 50
104 »
État indép' du Congo, lots 1888
»
92 »
87 »
Egypte 7 JT, dette unifiée nouvelle . .
20 08
111 »
109 80
— 3 1/2 ^, dette privil., conv..
17 57
106 25
102 75
Espagne extérieure 4 ^ 1882, perpét.
4 »
44 10
40 80
4 »
103 1-5
102 10
Italien 5 %
4 »
» 93
92 60
24 40
91 50
Portugais 1853 3 JT
22 65
Roumain 4 ^ 1890
4 »
94 50
93 75
Russe 4 % 1880 (6'' émission)
4 )j
104 »
103 30
— 4^ 1889, or
4 »
102 50
101 25
— i $ consol. (1" et 2» séries). .
4 »
104 20
101 60
— 4 ^ 1890 (2« et 3= séries)
4 »
102 80
101 30
— 3 ^ 1891, or
3 »
4 »
3 50
3 »
4 »
3 »
97 »
105 75
102 »
97 ).
59 90
102 »
94 65
— 4 Jg" 1893, or
104 20
— 3 1/2^ 1894, libéré
100 25
— 3 Z 1896
96 »
Serbie 4 % 1895
5S 70
100 90
Turquie, dette convertie (D) 4 ^
1 »
22 60
22 10
— oblig. consolidé 1890, i ^
20 »
406 »
395 »
— — ottom. priorité 1890, 4 ^.
20 »
473 »
466 »
— — privil. douanes 5 ^
25 »
502 »
493 B
— — ottom. 1894, 4 ^
20 »
459 »
451 »
— — 1896, 5 Z
25 »
462 »
457 »
Ville de Paris 1865, 4 jg"
18 08
10 66
10 68
555 75
432 »
416 75
64!^ B
— 1869, 3 Z
422 »
— 1871,3^
411 60
— 1875, 4 ^
18 06
18 06
689 »
590 »
565 »
— 1876,4^
664 »
— 1886, 3 J
10 68
309 »
398 50
— 1892, 2 1/2 ^tout payé.
8 82
409 50
403 »
— 1894-96,2 1/2 J do
8 82
400 25
397 50
Ville de Marseille 1877, 3 ^
10 70
407 .50
404 »
— d'Amiens 1871, 4 J'
3 68
3 »
121 50
130 »
120 »
127 »
— de Bordeaux 1863, 3 ^
— de Lille 1860, 3 ^
2 64
3 16
129 »
506 »
126 25
602 »
— — 1893, 3 1/2^
— de Lyon 1880, 3 J
2 67
103 »
101 25
ÉTABLISSEMENTS HE CRÉDIT
Banque de France (Actions)
115 B
3645 n
3550 »
Banque Paris et Pays-I as . d"
36 95
059 50
934 »
Banque Transatlantique . . d°
11 68
434 50
430 »
Compagnie Algérienne ... d"
29 60
785 »
770 »
Comptoir d'Es?ompte d"
25 »
587 »
577 »
Crédit Foncier de Trance. . d«
24 96
703 »
710 »
Foncières 1879, 3^ .. (ObUgations)
13 40
609 50
505 »
— 1883,3^ d»
13 48
467 B
458 »
— 1885,3^ d"
13 40
502 »
494 -.5
— 1895, 2,80 Jlib. d"
12 46
500 »
495 B
Communales 1879, 2,60 ^ . d»
11 50
497 75
496 »
- 1880, 3 ^ . . . d»
13 40
500 ).
497 »
— 1891,3^... d»
10 72
405 25
3?: »
— 1892,3^.... d»
14 36
602 »l
499 B
Crédit Industriel (Actions)
12 n
615 »
610 »
32 06
859 »
649 »
551 50
842 »
542 »
540 »
Société Générale d»
12 »
12 50
Banque Ottomane d»
CHEMINS DE FER
Est 600 fr, tout payé (Actions)
P.-L.-M
d«
d»
Midi
d»
d»
Nord
d»
d»
Orléans
d»
d»
Ouest
d»
d»
Bône-Guelma. .
d»
d»
Est-Algérien . . .
d»
d»
Ouest-Algérien .
d"
do
Andalous
d"
do
Autrichiens
d»
do
Sud-Autriche . .
d«
do
Nord -Espagne. .
d»
do
Saragosse
d»
do
Est 3 Z nouveau (Oblig
P.-L.-M. 3 Z nouveau do
Midi 3 Z nouveau do
Nord-Est français 3 % do
Orléans 1884 do
Ouest 3 Z nouveau d»
Bône-Guelma 3 Z do
Est- Algérien 3 Z do
Ouest- Algérien 3 ^ do
Médoc 3 Z do
Andalous 3 X estamp do
Autrichiens 3 Z 1" hypoth. do
Nord-Espagne l" hypothèque. do
Saragosse do
VALEURS DIVERSES
Docks et Entrep. de Marsellle.(Actions)
Entrep. et Mag. Gén. de Paris. d°
Cie G-ie Transatlantique do
C'^ française des Métaux .... do
C'o générale des Tramways ... d°
C'« générale des Eaux do
C'« du Gaz de Bordeaux .... d"
C'« du Gaz général de Paris. do
C'o du Gaz de Marseille do
Aciéries de France d»
Forges et Chantiers Méditer. do
Bateaux Parisiens d°
C'« franc, des Chargeurs réunis, do
C'<' des Lits militaires do
Société de la Tour Eiffel do
C'<^interu'* des Wagons-lits. . do
Régie des tabacs ottomans.. do
C'* générale des Eaux 3 ^ . . (Oblig.)
- - 5Z-- à»
C'o Parisienne du Gaz 4 Jg ■• <lo
Gaz central 500 fr. 4 ^ do
Ci'' du gaz p. France et Et. 4^. do
C''= des Messag. Marit. 3 1/2 ^. do
C'«G''î Omnibus de Paris4^. do
Cie G'e Voitures à Paris4^. do
C" G'^ Voitures Urbaine 5^ • do
C'« des Lits militaires 4 ^ . . do
Canal de Panama, lots, t. p . . do
— — 210 p do
— — bons à lots 89. do
C'« du Canal de Suez 5 % ... d'
— 3 % (1" série), do
— 3 ^ (2e série) . d«
Obligations du Monde Moderne (5 fr.
net de revenu). — Coupons payables
le l'^' avril et le l'^'' octobre aux
bureaux du Monde Moderne ou au
Comptoir général de crédit, 17, rue
du Pont-Neuf.
ReT. let
d'impit
32 16
49 70
46 42
55 90
52 99
34 75
26 97
26 10
22 78
5 »
31 »
4 1)
5 »
4 26
13 44
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13 44
13 44
13 44
13 44
13 46
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13 54
U »
15 »
U »
14 30
16 43
25 72
17 30
27 95
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59 98
82 66
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45 60
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55 04
44 79
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8 16
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8 18
23 30
21 81
B
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24 50
13 40
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1095 »
1939 »
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2140 »
1884 B
1220 »
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675 »
108 B
756 »
171 50
77 »
146 »
474 50
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481 »
476 60
482 50
481 60
469 50
463 25
465 »
423 »
202 »
469 75
223 25
296 B
460
710 B
353 »
672 »
1130 »
2290 »
1955 B
475 »
1165 »
1159 »
825 »
830 »
1521 »
1630 »
495 »
770 »
290 »
473 B
635
508
514
606 B
505
518 »
616 »
219 »
620 »
124 50
259 B
117 »
664 »
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483 »
Plut iu.
1077 50
1905 »
1413 »
2095 »
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101 »
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471 »
462 50
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415 »
194 »
466 »
218 »
285 »
455 B
695 »
342 50
650 B
1085 »
2260 »
1965 »
468 B
1155 B
1125 »
791 »
800 »
1355 »
1590 »
465 »
762 >
260 »
469 B
610 »
606 »
498 n
501 B
600 »
610 50
607 60
165 »
617 »
120 »
254 »
113 »
641 »
480 26
476 50
100 » 100 »
LA CARICATURE INTERNATIONALE
Réponse à des attaques (d'après f««^../, Paris). — L'année?...
Je l'aime autaut que TOtremonsieiirDéroulède... Seulement, moi,
je l'aime bien cuite !...
La Vérité dans l'affaire Drenfus (d'après la Caricature,
Paris). — Oh!... hisse!... Oh!... his.se!...
L.4 FOULK (sur l'air des Lampions). — Sortira... sortira pas.
Le char à hancs de l'oncle Sam (d'après Puck, New-York . — UN VIEUX PARTISAN DE MoXEOE : « Est>cc que vous n'en prenez
pas trop dans votre voiture, Sam ? »
L'ONCLE Sam (nouveau jeuj : « Non, grand-père, j'ai l'attelage qu'il faut pour eux tous. » (Quatre nouveaux venus : Cuba, Porto-
Eico, Philippines, Ladronnes, se préparent à prendre place dans le char à hancs traîné par deux chevaux sur les plumets desquels on lit :
Cl Union — Liberté ».)
LA CUISINE DU MOIS
Moules à la marinière. — Formui.k. —
2 litres de moules, 1/ i de litre de vin blanc,
2 çrammcs de poivre concassé, 15 {grammes de
sel, une feuille de laurier, un peu de thym,
20 {grammes de persil, un bel oipnon, 20 gr.
d'échalote, 120 grammes de beurre.
Opération. — Ratisser les moules une par
une avec un couteau un peu fort de lame,
taper dessus pour sassurer qu'elles ne sont
pas creuses, mortes ou remplies de vase, ce
qu'il est facile de reconnaître au bruit sourd
au lieu d'être plein. Les mettre à mesure
dans un bassin sans eau ; les laver à plusieurs
eaux jusqu'à limpidité parfaite du dernier
lavage. Ciseler l'oignon et le persil, écraser le
poivre et réunir dans une casserole un peu
grande avec les moules, le sel, le thym et le
laurier. Couvrir et faire bouillir à feu vif.
Aussitôt que l'eau des moules déborde, enle-
ver la casserole du feu, tenir couvert et
attendre 10 minutes. Faire réduire à moitié
le vin blanc avec l'eau des moules passée au
tamis de soie et ne pas verser le fond, qui est
toujours sableux, ajouter l'échalote et faire
réduire encore 10 minutes, goûter pour le
sel. Enlever une coquille à chaque moule et
poser la pleine au milieu d'un plat rond creux,
suivre ce mouvement jusqu'à la dernière
moule, diviser le beurre en 4 ou 5 parties, le
mettre dans la casserole aux échalotes en
dehors du feu, tourner avec un fouet, verser
sur les moules et servir.
Chouoroute garnie. — Formule. — 2 ki-
logrammes de choucroute, 250 grammes de
saindoux, 250 grammes de lard maigre, 150 gr.
de saucisson de Lorraine ou six saucisses de
Strasbourg, 15 grammes de poivre, autant de
baies de genièvre, une gousse d'ail, un oignon
piqué de deux clous de girofle, 1/2 feuille de
laurier, 1/2 litre de vin blanc du Rhin ou de
Bourgogne.
Opération. — Envelopper les condiments
dans un petit linge, laver la choucroute deux
fois et la presser très fortement par toutes
petites poignées pour la sécher complètement.
Laver le lard et le saucisson. Etendre un
quart de saindoux dans le fond de la casse-
role, un lit de choucroute, le lard et le sau-
cisson, couvrir avec ce qui reste de chou-
croute, de saindoux, le vin et un papier blanc
un peu fort et un couvercle : faire partir sur
un feu moyen et pousser au four un peu
chaud 2 h. 1/2.
A'. B. — On peut rôtir une demi-grive par
personne et les mettre au milieu de la chou-
croute. On peut aussi servir en même temps
des pommes de terre cuites à part. Si on sert
des saucisses de Strasbourg il faut les pocher
simplement dans l'eau bouillante pendant
10 minutes. On les divise par le milieu, on
taille le lard en morceaux égaux et on dresse
autour de la choucroute en alternant.
Humpsteak grillé. — Le rumpsteak se
taille dans le contrefîlet, de 0'",0S d'épaisseur
environ ; il faut le débarrasser complètement,
ainsi que le chateaubriand, de tout ce qui dé-
pare une grillade : graisse, couenne, aponé-
vroses. Le mariner simplement dans l'huile
et le griller sur un feu doux ou au gaz pas
trop allumé 14 minutes par demi-kilogramme,
7 minutes de chaque côté. Le saler en sor-
tant du gril et le couvrir avec 60 grammes
de beurre fin trituré à froid avec sel, poivre,
jus de citron et une cuiller à bouche de persil
haché. Ce beurre doit arriver à table mou.
mais non /oiiil'i en huile. Couper le rumpsteak
par le travers et servir des pommes de terre
bouillies en même temps.
Nouilles à l'alsacienne. — Pour C per-
sonnes, on dispose une demi-livre de farine
en fontaine, on met dans le milieu un peu
de sel, 20 grammes de beurre et 3 œufs
moyens, incorporer la farine et faire une pâte
très, très dure et fine ; si les œufs ne sufTisent
jjas on ajoute une goutte d'eau ou de blanc
d'œuf. Diviser la pâte en trois parties égales
et les arrondir en les triturant pour rafliner
la pâte. Saupoudrer légèrement de farine une
soupière ou légumier et y mettre la pâte à
couvert, laisser reposer au moins deux heures.
L'étendre au rouleau sur un marbre de préfé-
rence au bois, très mince, il faut voir le jour
à travers, étaler la pâte pour la sécher un
peu, prendre une de ces abaisses, la fariner,
la couper en lanières de 0™,04, les poser l'une
sur l'autre et tailler en filets aussi minces
que possible. Les étaler sur un tamis en les
séparant, ce qu'il est facile de faire en les
jetant en pluie dessus.
La cuisson. — Mettre au feu dans une cas-
serole un peu grande : 2 litres d'eau, 25 gr.
de sel, 10 grammes de beurre, un peu de lait,
un oignon piqué de deux clous de girofle,
faire bouillir, y jeter les nouilles, les remuer
avec le trident ou fourchette de cuisine pour
les séparer, au premier bouillon retirer la
casserole à côté du feu, tenir couvert 25 mi-
nutes. Les égoutter, les verser dans un légu-
mier, les saupoudrer de poivre, d'un peu de
sel, de croûte de pain rassis écrasée grossiè-
rement, faire blondir 100 grammes de beurre
à la noisette, le verser sur les nouilles et
servir avec des assiettes chaudes surtout.
Noix farcies aux marrons. — Casser
en les tenant debout 12 ou 18 noix du Quercy
ou de l'Ardèche, très grosses, les écaler sans
les briser le moins possible, les diviser en
deux, saupoudrer une plaque de sucre en
poudre très fine, poser les demi-noix et sucrer
dessus; les praliner au four, mais ne pas les
brûler; laisser refroidir. Piler 125 grammes
de marrons glacés dans un mortier, y ajouter
un verre à madère de très bon kirsch, d'ani-
sette ou de maraskino, un peu de vanille en
poudre, 50 grammes de beuiTe très fin ; rele-
ver la purée sur une assiette et la mettre au
frais. Saupoudrer la table de sucre glace, y
rouler la purée en boudin et la sectionner en
autant de morceaux que l'on a de noix à
farcir, arrondir ces morceaux et y coller une
demi-noix de chaque côté; poser ces noix
reconstituées sur la plaque et les sécher à
l'air froid.
Mouiller avec un décilitre d'eau et cuire au
cassé, 250 grammes de sucre cassé à la main,
dans lequel on met quelques gouttes de jus
de citron pour l'empêcher de graisser, dès
qu'il casse bien sans coller aux dents; on y
trempe les noix une par une en les prenant
avec une fourchette et on les pose sur une
plaque légèrement huilée. Servir sur papier
dentelle ou serviette à thé.
A. Colombie.
LA VIE PRATIQUE
Conservation des échalas. — Le moyen le
plus simple et l'un des meilleurs pour conser-
ver les échalas consiste à les faire tremper
pendant quatre ou cinq jours dans une solution
de 3 à 4 0/0 de sulfate de cuivre.
L'emploi de la créosote est encore plus effi-
cace, mais aussi plus compliqué. On place les
échalas debout dans une chaudière de manière
qu'ils baignent dans 1 huile de créosote jusqu'à
une hauteur de 0"',60, puis on chauffe jus-
qu'à 80». On éteint ensuite le feu et on ne
retire les échalas qu'au bout de dix heures.
Enfin on laisse sécher aussi longtemps que
possible.
Soudage de l'ambre. — Les fume-cigarettes
en amljre ont le défaut de se briser facile-
ment, ce qui, étant donné leur prix élevé,
constitue une perte réelle. Pour recoller les
morceaux séparés, on peut faire usage d une
composition liquide, formée en chaufl'ant en-
semble une partie de copal et deux parties
d'alun.
Pour repasser le crêpe anglais. — Pour
repasser et réappréter les voiles de deuil en
crêpe anglais, on les place entre deux fla-
nelles, et sur celle qui est la partie supérieure,
on pose un linge mouillé. On repasse ce der-
nier jusqu'à ce qu'il soit sec. A ce moment,
le crêpe est repassé. A recommander au
moment de la Toussaint.
Contre les engelures. — Faire bouillir des
épluchiu-cs de céleri dans de l'eau. Quand
elles sont cuites, on les retire du feu et on
les laisse diminuer un peu de température.
11 faut que la chaleur de l'eau puisse être
supportée par la main.
On y trempe les engelures pendant dix mi-
nutes. On les éponge ensuite et on les main-
tient à la chaleur, à l'abri de l'air. Renou-
veler l'immersion au moins deux fois par jour
après a^'oir réchauffé l'eau. Elle peut servir
de quatre à six jours.
Capture des corbeaux. — Il n'est pas aussi
facile qu'on le croit de capturer des corbeaux.
Ces oiseaux, si nuisibles à l'agriculture, sont
d'une très grande prudence et évitent les
pièges avec une habileté désespérante. Il ne
faut pas non plus songer à les chasser au fusil,
car ils fuient toujours hors de la portée du coup.
"Voici un procédé très simple et très ingénieux
pour arriver à ses fins. On prépare chez soi un
certain nombre de cornets de papier et on loge
tout au fond un petit morceau de viande, frais
ou mieu.x un peu faisandé. En outre, on garnit
le cornet, à l'intérieur , tout près du bord,
d'une couche de glu. Ces cornets sont ensuite
répandus dans le champ que l'on sait habité
par les oiseaux au plumage sombre. On se cache
derrière un arbre ou une haie et l'on attend.
Les corbeaux arrivent, attirés par l'odeur de
la viande : les plus hardis introduisent leur
tête dans le cornet pour happer, au fond, avec
leur bec, le morceau aux émanations nauséa-
bondes. Malheureusement pour eux, le sac
se colle dès lors sur leur tête et ne peut plus
s'en détacher malgré les efforts de l'oiseau.
Celui-ci essaye bien de prendre l'essor, mais
après deux ou trois coups d'ailes, il retombe
dans le champ, sans doute très vexé. A ce mo-
ment on peut s'en approcher à pas de loup et
le capturer sans difficulté. En tout cas, avec le
fusil le plus ordinaire, on peut être sûr de lui
faire son affaire. C'est à la fois utile et amu-
sant.
Pour faire revivre l'encre sur les vieux
parchemins, «m les badigeonne avec de l'hy-
drosulfure d'ammoniaque. L'encre éteinte re-
devient noire, tout au moins suffisamment
pour permettre de la lire.
Réparation et polissage des objets en
marbre. — Il arrive fréquemment que des
pendules en marbre ont les angles écornés
ou ébréchés. Ces accidents nécessitent par-
fois le remplacement des tablettes atteintes;
mais, lorsque les cassures ne sont pas trop
accentuées, on peut les effacer en réduisant
les parties attaquées et en repolissant ; on
procédera de la manière suivante, qu'indique
l'Union horloffère. On commencera à i-attra-
per le marbre en diminuant insensiblement à
la lime la partie où se trouvent les éclats et
en lui conservant la forme primitive; on pren-
dra ensuite- un morceau de pierre ponce, taillé
de la forme convenable, et en l'humectant
d'eau on commencera l'adoucissage, en frot-
tant dans les deux sens, s'il est possible ; on
]5rend ensuite de la pierre d'Arkansas, dite
pierre à l'eau, et on continue l'adouci de la
même manière, en i-espectant bien les angles
et les contours. On fera ensuite un tampon
dur de toile que l'on mouille légèrement et
qu'on saupoudre de tripoli ou d'émeri fin,
et on termine l'adouci par friction jusqu'à ce
qu'on aperçoive un brillant naissant; on polit
alors aA'ec un autre tampon de toile sur le-
quel on met de la potée d'émeri très fine, avec
du rouge ; on essuie et on lustre avec de l'en-
caustique à la cire et à l'essence de térében-
thine. Cette méthode est applicable à tous
les marbres. Dans le cas où les cassures se-
raient profondes et ne pourraient être réduites
sans nuire aux contours, on peut reboucher
avec des mastics préparés avec de la poudre
impalpable de marbre de même nature, mé-
langée avec un peu de siccatif incolore liquide
ou du silicate de soude liquide; on en fait
une pâte épaisse que l'on fait pénétrer dans
les cavités, on laisse sécher; on dresse et on
repolit comme si c'était le marbre lui-même.
Quand on a les morceaux d'une cassure et
qu'ils se rajustent bien, on peut les recoller
en les enduisant d'une solution aqueuse de
silicate de potasse ; on rapproche les débris
dans leur repère et on laisse sécher quarante-
huit heures. Pour le marbre blanc, on rem-
placera le siccatif par l'albumine ou blanc
d'œuf, et on ajoutera un peu de chau.x de
Vienne. Pour lustrer les objets en marbre, il
suffit de les enduire avec un chiffon ou un
]3inceau d'encaustique liquide formée d'essence
de térébenthine et de cire vierge dissoute
dedans ; on sèche par friction avec un linge
de toile ou de coton jusqu'à ce qu'on obtienne
un beau brillant.
Vie Ton DE Clkves.
Jeux et Récréations, par m. g. Beudin.
N** 252. — Haut : Noirs. — Bas : Blancs.
Par M. AiiÉLA
mvm.^m m
Les blancs jouent et font mat en trois coups.
N° 253. — Haut : Noirs. — Bas : Blancs.
i m^M m^'m
\ M0W0MpMQM
W0M. B Bo^
■ B B B BS
QBqB BqB B
Les blancs jouent et gagnent.
N° 254. — WHIST
Avec le jeu suivant :
^ A. 3.
^ A. R. 9. 7. G (atouts).
4. 11). S.
4. D. 7. 5. 4.
Quelle est la meilleure ouverture ? Que donuerait le jeu
(lu 10 (le trèfle en premier lieu ? Supposons qu'il soit
joué et fasse la levée, alors par quoi continuer et pour-
quoi ? Prière de donner les raisons d'une ouverture par
atout s'il en existe.
N" 255.
MÉLI-MELO
Par un Lecteur.
COULEURS ET NUANCES
Remplacer par le mot propre les périphrases suivantes
1. Un des travaux du plus utile état.
2. D'horloge une importante pièce.
3. Type achevé d'inique magistrat.
4. Terme usuel de politesse.
5. Une vieille cité d'un royaume allemand.
6. Celui qui porte un vrai cœur d'homme.
7. On y mange, on y boit, mais en payant.
8. Un des sept monts autour de Rome.
9. Un monarque mérovingien.
10. De Lucifer et du Sabbat l'amie.
11. De la tyrannie un soutien.
12. Le défenseur zélé de sa patrie.
Retranclier des douze mots obtenus les lettres compo-
sant les noms des douze couleurs ou nuances dont les
noms suivent :
Bleu, Blanc, Blond, Noir, Brun, Rouge, Vert, .Taune,
Gris, Rose, Lilas, Violet.
Et, ce retranchement opéré, trouver les mots propres
des périphrases suivantes :
1. Le nom à vous connu d'un illustre savant.
2. Une petite ville au nord de notre France.
3. Pour métiers manuels nécessaire instrument.
4. Déité (les beaux-arts, du chant ou de la danse.
Ij. De l'être organisé l'état rudimentaire.
6. Un bon pays normand, fertile et verdoyant.
7. Un stentor discordant qu'on ne peut faire taire.
8. L'abri de la paupière et de l'oeil l'ornement.
9. L'être doué d'instinct, d'âme déshérité.
1(1. Un produit animal propre pour luminaire.
11. Des membres et du corps le chef incontesté.
12. Au sein de l'Italie une grande rivière.
SOLUTIONS
N'' 241 {(.lui n'a pu trouver place dans le dernier
numéro). — A notre avis, le valet d'atout est le meil-
leur début avec cette maiu. De tels atouts sont, en effet,
sans utilité pour la coupe, mais le jeu du valet peut être
d'un grand secours pour votre partenaire, dont il forti-
fiera la main. Lorsqu'on a peu d'atouts, il y a des chances
pour que le partenaire en ait beaucoup. Et bien que ces
chances soient légèrement contre vous, puisque vous
avez deux adversaires contre un partenaire, il est bon
de jouer ainsi, car vous pouvez faire un gros point si
votre partenaire est fort en atout. D'ailleurs, en la cir-
constance, l'essai n'est pas dangereux, car si votre par-
tenaire est faible, vous avez toutes vos couleurs proté-
gées. En outre, votre partenaire, lisant pour ainsi dire
dans votre jeu, fera tous ses efforts pour faire tomber les
atouts et ce à votre profit.
N° 246. — 1. P 8 F D fait T. 1. R
2. P 8 F R fait T. 2. R
3, T 6 F R échec et mat.
3 R.
3 D.
36 31
45
40
29 23 33 13
20
14
26 37
35
44
au choix. 42 8
49
21
14 1
16 7
1
44
42
33
42 35
gagne.
45
40
1 35
gagne.
N» 247.
33
N" 248. — Les jours se suivent et ne se ressemblent
N" 249. — MOS
CO
VI
TE.
CO VI TE.
LO GNE.
GNE.
N° 250. — La lettre M est en trop. Les nouveaux
mots sont :
Guipe; Edére; Anita, Tiniaï : Anitr, Arien, Raine, Niera,
Renia; Mche, Chien, Chine; Borne; Tapon, Ponta, Epire,
Pirée, Priée; Sobre, Robes, Bore.
N» 251. — A S
S A
Adresser les communications pour cette pageàM. G. Beudin, à Billancourt (Seine), avec timbre pour réponse.
BIBLIOGRAPHIE
M. Emile Hinzelin vient de publier à la
Société libre d'édition des Gens de lettres un
volume de vers, Toute une année, qui té-
moigne une fois de plus de l'exubérance toufîue
du poète. Pour donner une synthèse de l'âme
humaine, l'année lui a semblé la juste mesure
et il a voulu, comme il le dit lui-même, mul-
tiplier les points de contact avec la terre,
avec l'esprit, avec la douleur, avec la vie.
Nulla dies sine linea ne suffît pas à M. Hinzelin ;
c'est un poème par jour qu'il veut écrire. Et
cela dans les milieux les plus divers, comme
un Juif-Errant de la pensée, évoquant la
Muse partout où le pousse sa curiosité.
La Forme n'est point ici en premier hon-
neur; c'est l'Idée ou la Sensation qui prime
tout. Les vers se pressent, tumultueux et
variés, suivant l'impulsion du moment, et
l'âme de l'écrivain a comme une hâte de
s'épancher, sans atours apprêtés, sans arti-
fices de coquetterie.
C'est un rare mérite de franchise qui fait
aimer le penseur dans le poète. La sincérité
n'est peut-être pas une qualité de prosodie,
mais c'est une vertu humaine. Rien d'humain
n'est étranger à M. Hinzelin et on le croit
quand il écrit, en pays d'Alsace :
J'écris, j'écris ces vers devant le lieu du Monde
Que jadis j'ai le plus profondément aimé.
Le soir silencieux, siiblime et parfumé.
M'enveloppe à longs plis de sa douceur féconde.
Mon àme est toujours prête à combattre. Toujours
Mon âme de pitié loyale et douloureuse,
Vouée à la pensée humaine qu'elle creuse,
Est prête à s'abîmer dans ses profonds labours ;
Quels que soient le danger, l'eSort et la querelle,
F(it-oe au prix d'un amour ou d'un cœur déchiré,
Que la Justice ordonne, et je la bénirai
D'avoir besoin de moi, quand j'ai tant besoin d'elle.
Des vers encore, les Chansons de chez nous,
de Théodore Botrel, parus en 3* édition chez
Ondet. Le volume est charmant, illustré de
na'ives compositions de E. -Hervé Vincent,
avec les airs de Feautrier, de Paul Delmet et
de Botrel lui-même. Il mérite d'être signalé,
mais il méi'ite aussi qu'on s'y arrête, au point
de vue littéraire, d'une façon toute particu-
lière.
J'aime Paimpol et sa falaise,
Son église et son grand Pardon ;
J'aime surtout la Paimpolaise
Qui m'attend au pays breton...
Pourquoi celte chanson fait-elle la joie des
âmes naïves qui la répètent en Bretagne et
aussi celle des snobs qui vont la chercher sur
la butte Montmartre ? Pourquoi, quand on
l'a entendue une fois, surtout dite par le
barde d'Armor lui-même, en demeure-t-on
comme obsédé ? Rien n'y est extraordinaire,
ni les paroles, ni la pensée, ni la musique.
Mais quoi ! cela est sorti du cœur, tout
droit, et cela y entre de même.
Et beaucoup d'autres chansons — petits
poèmes — de Botrel, sont dans le même cas.
Des musiciens nomades vont les colporter
dans les campagnes ; elles y rencontrent le
franc succès qu'elles méritent, de même qu'elles
charment les lettres.
Car, si elles ont le parfum de simplicité
mystique qui émane de la terre bretonne,
elles sont imprégnées aussi de courage et d'a-
mour, qui sont f leurs de Finance.
M. Léon Cros a donné, chez Charles, un
LamentO d'amour en quelques vers que liront
ceux que tourmente, pour les ravir comme
pour les navrer, l'éternel féminin.
Dans un à-propos en vers. Au bord de
l'eau, qui a remporté le premier prix du con-
cours pour le récent centenaire de Jasmin et
qui a été édité chez Brun-Rey, à Toulouse,
M. Blanchier La Feuillade célèbre le charme
de la langue du poète et, du moment que la
scène se passe sur les bords de la Garonne,
n'hésite pas à mettre le patois au-dessus de la
langue française. Nous avouons ne pas être
bien convaincus que de dire :
Plus de bounhur ! ey perdut moun amigo.
Me cal mouri 1
soit plus harmonieux que :
Plus de bonheur 1 j'ai perdu mon amie.
Je dois mourir !
et nous sommes de ceux qui regrettent, au
contraire, que Jasmin n'ait pas écrit en fran-
çais. On aurait été un plus grand nombre à
pouvoir le savourer. Mais ce petit acte est
alerte, frais et plein de jolis vers qui ne per-
dent rien, au contraire, à être écrits en bon
français.
La librairie Delagrave n'est pas en l'etard
pour éditer un calendrier artistique, intitulé
l'Année chrétienne, et dû à Rudnicki, l'au-
teur de la couverture de nos livraisons men-
suelles. Depuis quelques années il a été pu
blié — et même donné gratuitement par des
magasins de nouveautés — des calendriers
fort remarquables. Celui-ci est dune note nou-
velle, et il était difficile de mieux présenter,
dans les douze tableaux de chaque mois, la
divine épopée qui commence à l'étable de
Judée et finit au Calvaire. Ces compositions
sont d'une structure et d'un coloris qui rap-
pellent les suaves compositions des âges pri-
mitifs de la foi. La présentation de ces douze
planches est faite dans un cartonnage qui peut
servir de portefeuille, et l'idée, aussi pratique
qu'originale, constitue une œuvre d'art.
Le second volume de l'Histoire du Mou-
vement religieux à Paris pendant la Révo-
lution, par le docteur Robinet, vient d'être
mis en vente à la librairie May. Il traite des
Préliminaires de la Déchristianisation, depuis le
mois de septembre 1791 jusqu'à celui de 1793.
C'est d'après l'ensemble de mesures telles
que reprise et vente ou utilisation, par l'Etat,
des biens meubles et immeubles de l'Eglise,
et par sa subordination au pouvoir civil,
que celle-ci, matériellement appauvrie et dés-
armée, ne put opposer aucune résistance au
mouvement d'émancipation de 1793.
Après avoir posé d'une façon retentissante
le problème de l'Éducation, dans A quoi tient
la supériorité des Anglo-Saxons et dans les Fran-
BIHLIOGRAPHIE
955
çais d'aujourd'hui, M. E. Demolins apporte un
problème une solution pratique, qui ncst pas
banale.
Il entreprend, avec le concours de quelques
amis, de créer en France un nouveau type
d'Ecole mieux approprié aux exifjenccs de la
vie actuelle. Il en explique le fonctionnement
dans un livre, l'Education nouvelle, édité chez
Firmin-Didot.
Ce volume, qui a pour but de démontrer la
supériorité . d'exposer le pro{2:ramme de la
nouvelle Ecole et les conditions d'admission,
est, en même temps, le plus terrible réquisi-
toire qui ait encore été dressé contre le régime
scolaire actuel.
Les nombreuses illustrations qui accompa-
};:nent le texte permettent de se rendre compte,
d'une façon saisissante, de l'installation de la
nouvelle Ecole et de la vie des élèves dans les
écoles analogues qui existent en Angleterre et
en Allemagne et qui sont décrites dans ce livre
de la façon la plus attrayante.
(^certainement, ce nouveau volume de M. Ed-
mond Demolins va passionner l'opinion aussi
vivement que les deux précédents. Au point
de vue de l'enseignement, il inaugure une
époque nouvelle et nous ne saurions trop re-
commander les justes idées qu'il propage.
M. R. de Maulde La Clavière vient d'ajouter
à ses nombreuses études historiques un curieux
volume sur les Femmes de la Renaissance,
publié à la librairie Perrin. << 11 n'est guère
question que des femmes )>, dit l'auteur dans
son avant-propos, et l'ouvrage est opportun.
C'est, d'ailleurs, une opportunité permanente,
car on s'est toujours extrêmement occupé
d'elles ; elles ont toujours été là , dans le
monde civilisé, pour empêcher qu'on les ou-
blie. Au xvi" siècle, elles avaient les mêmes
ambitions que maintenant, les mêmes désirs,
le même pouvoir et les mêmes faiblesses. On
les mariait à treize ans ; mais ce fut une mode
qui dura peu et leurs sentiments étaient tels
qu'ils ont inspiré un chapitre intitulé : « Le
mari, manière de s'en débarrasser ». Déjà !
Il ne faudrait pas croire, d'après ce titre,
que le livre de M. de Maulde n'est pas sé-
rieux. Il l'est extrêmement, même dans ce
chapitre. Il est appuyé sur des études telles
que la seule table des références occupe de
nombreuses colonnes. Mais de tant d'études,
de tant de citations, de tant de conscience
d'auteur il se dégage, malgré tout, l'éternelle
ironie de l'éternel féminin. Le sourire de la
Joconde demeure inexpliqué.
Depuis saint Augustin jusqu'à Ruskin, —
les deux sont cités, — la femme a souri devant
ses peintres, mais pour les faire poser, eux et
non elle. Elle s'est joué de leur finesse, ayant,
d'ailleurs, pour excuse constante de sa dupli-
cité, qu'elle ne se connaît pas elle-même.
Quant à son rôle dans la société, elle l'a
toujours joué et le jouera toujours, mais sans
codes ni règlements, personnellement. Toute
la sagesse des philosophes , toute la science
des historiens, — M. de Maulde est l'un et
l'autre, — se résumeront dans le vieux dicton :
« Une bonne femme est ce qu'il y a de
meilleur au monde ; une mauvaise est ce qu'il
y a de pire. »
Nous avons témoigné par divers articles
que nous considérions l'afïiche comme une des
j)lus intéressantes expressions de l'art mo-
derne. Aussi nous sommes heureux de pou-
voir parler ici d'une très complète étude sur
l'Affiche belge, par M. Demeure de Beaumont,
éditée chez l'auteur même, à Toulouse.
Des considérations d'une philosophie ingé-
nieuse sur les collections d'affiches servent de
jjréface à des vues générales sur l'art lui-même
et à des critiques raisonnées de l'teuvre des
l)rincipaux artistes belges. Ils sont vengés du
reproche qui leur a été fait à la légère d'être
im reflet des artistes français.
Nos voisins, en edet, sont en plein mouve-
ment artististique et, en architecture notam-
ment, nous aurions autant à apprendre chez
eux qu'ils pourraient puiser chez nous.
Leurs « imagiers •> d'affiches sont nombreux
et leurs œuvres variées à un point que l'on
n'aurait pas soupçonné avant d'en trouver,
dans l'ouvrage de M. de Beaumont, la preuve
appuyée de plus de cent reproductions d'af-
lîches, de portraits et de catalogues. Aussi ce
volume est-il à la fois un document précieux
pour les amateurs et une sorte de galerie
d'exposition très agréablement commentée.
Nous signalons toujours avec plaisir les
bons ouvrages édités en province, et En Mon-
tagne, par M. J. Gauthier, publié à la librairie
dauphinoise de Grenoble, nous est une nou-
velle preuve que l'art typographique n'est pas
exclusivement parisien. Il est difficile de feuil-
leter avec plus de plaisir un petit volume
plus gentiment fabriqué et où les illustra-
lions se présentent plus coquettement aux
yeux. Le texte est une série de récits, sans
prétention et pleins de bonne humeur, d'ex-
cursions dans les Alpes dauphinoises, qui sont
les plus belles montagnes de l'Europe, car
elles réunissent le charme à la grandeur.
M. Edmond Bonnaffé, coutumier du fait,
vient de publier à la librairie May un char-
mant volume de savoureuse archéologie. Ce
sont des Etudes sur la vie privée de la Re-
naissance. Chez nos aïeux de cette époque,
quels étaient les usages de politesse et leur
savoir-vivre? Comment mangeaient - ils ?
Quelles étaient leurs habitudes de propreté?
Question délicate et peu connue. Comment
logeaient-ils? Quelles étaient la distribution et
la décoration intérieure de leurs maisons? etc.
Tous ces détails de l'intimité, — les miettes
de l'histoire, si l'on veut, — M. Bonnaffé les
ramasse avec une patience minutieuse ; il sait
que l'archéologue, contrairement au prêteur
de l'antiquité, curât de minimis. Ces menues
révélations ne sont-elles pas le passé lui-même
pris sur le fait, l'histoire vécue?
L'auteur nous montre aussi que les amou-
reux, " ces délicieux rabâcheurs, se répètent
indéfiniment les uns les autres ».
Le volume se termine par deux études, l'une
sur les causeries au xvi« siècle et ce que l'on
appelait les caquetoires, les sérées; l'autre
sur la danse à la ville et au village.
Ainsi va ce petit livre, plein de documents
choisis avec clairvoyance parmi les mieux
faits et les plus suggestifs, mine féconde pour
tous les amateurs de la couleur locale.
La librairie Fer Lamm vient de publier la
première année d'un Répertoire bibliogra-
phique des principales revues françaises.
956
BIBLIOGRAPHIE
par M. D. Jordell, le savant continuateur de
Lorenz. Ce titre un peu long- causera peut-
être quelque efl'roi à un certain public, mais
il charmera les lecteurs sérieux. Nous ne
saurions trop appeler leur attention sur cet
ouvragfe. Les revues ont pris depuis quelques
années un développement considérable, toute
la vie intellectuelle s'y concentre ; elles forment
une bibliothèque sans cesse renouvelée. Mais
si une revue j^^énérale, comme le Monde
Moderne, peut suffire à donner des clartés de
toutes choses, il n'en faut pas moins, pour
ceux qui veulent épuiser un sujet, recher-
cher comment il a été traité dans les divers
recueils périodiques. Ce besoin se fait sentir
surtout pour les questions scientifiques. Mal-
heureusement il n'existait aucun moyen de
faire des recherches dans toutes les revues.
Les feuilleter toutes, il n'y fallait pas songer.
Le répertoire de M. Jordell vient combler
cette lacune de la façon la plus heureuse.
'Veut-on savoir où et comment la fièvre
typhoïde a été étudiée? A ce titre, le réper-
toire cite vingt ai'Licles publiés dans diverses
revues. Cinq articles ont été consacrés à
Gustave Flaubert, trente-deux à l'armée
française, etc. (jomnie les auteurs sont éga-
lement l'objet d'un relevé à part, on verra
que M. Jules Lemaître a écrit vingt-huit ar-
ticles de revue, et ainsi des autres. Bien en-
tendu les articles sérieux seuls sont cités.
Les titres de ces articles sont rapportés tout
au long, ce qui facilite encore les recherches.
On jugera de l'importance du travail en
apprenant que vingt mille articles environ
y sont dénommés, et il n'y a ni fatras, ni
encombrement, puisque chacun peut n'aller
qu'aux renseignements qui l'intéressent. Un
pareil labeur mérite un vif succès, qui encou-
ragera l'auteur à ajouter, pour les années
suivantes, les principaux articles des jour-
naux quotidiens, et qui le récompensera de
se donner tant de mal pour le profit dautrui.
Les nombreux touristes qui se sont pro-
menés cet été dans les ^'osges et surtout
dans les environs de Gérardmer pourront
fixer leurs souvenirs, s'ils ne l'ont déjà fait,
en acquérant l'album de cent vues édité ])ar
M. Bergeret, à Nancy : Huit jours dans les
Vosges. C'est le triomphe des reproductions
dues à la photographie. Les clichés, obtenus
par M. A. Thiriat, ont surpris la nature, avec
ses horizons, ses forêts et ses eaux courantes,
et l'ont fixée avec un rare sentiment artis-
tique. L'impression photocoUographique, par
M. J. Royer, a mis en valeur les oppositions
de lumière et les finesses des détails avec une
perfection absolue, et cet album est un véri-
table petit chef-d'œuvre.
La librairie Deyrolle a édité un petit vo-
lume sur Le Piégeage, par J. Marcassin, et
malgré le nombre d'ouvrages publiés sur le
même sujet, celui-ci est loin de faire double
emploi, parce qu'il donne les résultats d'une
longue expérience et les procédés pratiques
qui peuvent initier à cet art difficile ceux
qui ne sont pas passés maîtres en la matière.
La librairie May pubHe les Notices et Dis-
cours de M. Eugène Guillaume, de l'Aca-
démie française et des beaux-arts.
Les quatre notices biographiques et cri-
tiques sur Charles Blanc , Paul Baudry, Jean
Alaux, Antoine Barye, qui forment le fonds
principal de ce recueil, seront lues avec un
grand profit par tous ceux qui s'intéressent
à l'histoire réelle et sérieuse de l'art contem-
porain. L'éminent artiste et savant profes-
seur a connu et aimé les quatre hommes su-
périeurs dont il parle et c'est avec autant de
reconnaissance émue que de compétence spé-
ciale et d'expérience réfléchie qu'il s'efforce
de leur rendre justice et de les remettre en
leur vraie place, soit comme praticiens, soit
comme théoriciens, à nos yeux souvent trou-
blés par les fluctuations de la mode et les lé-
gendes d'une critique superficielle.
L'un des passages les plus intéressants du
livre est celui où M. Guillaume raconte les
péripéties par lesquelles passèrent les pen-
sionnaires de la "S'illa Médicis, durant le siège
de Rome et la noble conduite de leur direc-
teur d'alors, M. Alaux.
La discrétion élégante et mesurée du lan-
gage, la sûreté et la richesse des informa-
tions, l'élévation constante et naturelle de la
pensée qui donnent à ces études spéciales
le charme d'œuvres littéraires et la portée
d'œuvres philosophiques, montrent, une fois
de plus, que la place de M. Guillaume est
aussi bien à l'Académie Française qu'à l'Aca-
démie des Beaux-Arts.
La Librairie agricole vient de publier les
cours de Mécanique expérimentale que
M. Ringelmann a professés pendant plus de
dix ans à l'Ecole nationale d'agriculture de
Grignon et que M. J. Danguy a réunis.
L'ouvrage est divisé en six parties, consa-
crées successivement aux études des mouve-
ments, des forces, du travail mécanique, des
machines simples, de la résistance des maté-
riaux, de l'hydraulique et de la pneumatique,
le tout en vue des applications de la méca-
nique au génie rural.
De nombreuses gravures aident à la clarté
de ce livre, écrit dans un style simple qui
le met à la portée de tous.
M. Edmond Thiaudière a déjà publié quatre
volumes de philosophie portant comme sous-
titre : Notes d'un pessimiste. Il maintient encore
cette profession de foi sur son nouvel ou-
vrage, l'Obsession du Divin, édité chez
Fischbacher. Le pessimisme n'est pas de
notre goût, pas plus que le scepticisme. Ce
sont vertus négatives, qui ne sont point pour
améliorer l'humanité. Cette réserve faite, il
convient de reconnaître chez l'auteur une
subtile élévation de pensée et une noble préoc-
cupation de la justice. " Quiconque est aimant
ne cesse d'agrandir le champ de son cœur »,
dit M. Thiaudière, et c'est une belle maxime.
Elle n'a rien de pessimiste, au contraire ;
si l'on gratte les moralistes les plus moroses,
on trouve qu'ils sont, dans leur genre, des
bourrus bienfaisants.
TABLE DES AUTEURS ET DES ARTISTES
Abbéma (Mlle). — Portrait, VIII, 223.
ACHiLiiE-FoULD (Mlle Georges). — Les Joyeuses
Commères de Windsor, VIII, 248.
Adan (Emile). — La Lectrice, VIII, 259.
Adeline (Jules). — L'Art d'exposer et d'encadrer,
VIII, 407.
Adeline (Jules). — Illustration de VArt d'exposer
et d'encadrer, VIII, 407.
Baffier (J.). — Cheminée de salle à manger,
VIII, 215.
Bail (Joseph). — Reflet de cuivre, VIII, 265.
Balluriau (Paul). — Illustration de Génie,
VIII, 323.
Baschet (Marcel). — Portrait, VIII, 230.
Baudry de Saunier (L.). — Le Tourisme,
VIII, 569.
Bacre (A.). — L'Astrologue Pisan, VIII, 559.
BaurÉ (Albert). — Illustration de Le Château
d'Agor, VIII, 483.
Benjamin-Constant. — M. IIanotaux,YlII, 229.
Bergeret. — Un Électeur, VIII, 264.
Bbrgeret (Gaston). — Le Château d'Agor,
VIII, 483.
Berthier (A.). — Le Chemin de fer de la Jung-
frau, VIII, 417.
Bertrand (M™^). — Illustration de L' Astrologue
Pisan, VIII, 559.
Bertrand (M™e). — Illustration de La Visite au
Château, VIII, 705.
Besnard. — Portrait de théâtre, VIII, 237.
Beddin (G.). — Jeux et Récréations, VIII, 156,
314, 471, 637, 797, 953.
Boccali Giovanni. — La Madone et l'Enfant,
VIII, 827.
Bonfigli (Benedetto). — Gonfalon de la Corpo-
ration de San Bernardino, VIII, 825.
Bonnat (Léon). — M^^ Rose Caron, VIII, 220.
Bonnefon (Paul). — La Bibliothèque de l'Arsenal,
VIII, 507.
Bouguereau. — L'Assaut, VIII, 239.
BoTJRRiER (Théodore). — Les Animaux de bou-
cherie, VIII, 369.
BoZENA Nejicova. — La Visite au Château,
VIII, 705.
Brausewetter (E.). — Les Maîtres de la Litté-
rature contemporaine du Nord, VIII, 187,
Broutelles (De). — La Jetée de Dieppe,
VIII, 251.
Brunet (M'1«). — Portrait, VIII, 268.
Burnand (L.). — Les Disciples, VIII, 219.
Calmels (De). — Illustration de Toulouse,
Vin, 688.
Carrey. — Illustration de La Vie militaire en
Autriche, VIII, 531.
Carret. — Illustration de IJÉcole supérieure de
guerre, VIII, 660.
CARrcHET (Henri). — Illustration de Elle !
VIII, 545.
Caruchet (Henri). — Le Bouvier, VIII, 833.
Caruchet (Henri). — Illustration de Le Bou-
vier, VIII, 833.
Chabrier (Emmanuel). — Credo d'Amour,
VIII, 613.
Champeville (Paul de). — Annecy, VIII, 193.
Chevalier (A). — Traduction de L'Idylle de
Polichinelle, VIII, 69.
Chorpin. — Enrôlé de 179:2, VIII, 213.
Chrétien (M^^ Hedwige). — Tarentelle, VIII,
452.
Claretie (Léo). — Le Mouvement littéraire,
VIII, 113, 273, 433, 593, 753, 908.
Clèves (Victor de). — La Vie pratique, VIII,
154, 312, 469, 633, 795, 952.
Cogghe. — Caramba! VIII, 264.
Colombie (A.). — La Cuisine du mois, VIII,
155, 313, 470, 636, 796, 951.
CORMON. — Le Brome, VIII, 218.
CoRMON. — Les Races humaines, VIII, 218.
Cottet (Ch.). — Le Repas d'adieu, VIII, 245.
CoupiN (Henri). — L'Histoire naturelle de Mada-
gascar, VIII, 387.
Curot-Barberel (M"'«). — Face et Profil,
VIII, 268.
Da Cdnha (A.). — Illustration de L'Amour qui
tue, VIII, 906.
Danvers (Guillaume). — La Musique, VIII,
135, 294, 451, 611, 776, 926.
Delacroix-Garnier (M™e P.). — Portrait,
VIII, 226.
Demeure de Beaumont (A.). — Un Essai de
Résurrrection du théâtre grec, VIII, 617.
Demont-Breton (M'"e). — Dans l'eau bleue,
VIII, 235.
Détaille. — Châlons, 9 octobre 1S9G, VIII, 244.
Devaux (Paul). — Éclosion et Élevage des poulets,
VIII, 743.
Dubois (Paul). — Marckesina, VIII, 221.
Dubuffe (Guillaume). — Cypris, VIII, 255.
DUFFAUD. — M^e RoulUer, VIII, 223.
DURRUTHY (Mlle).— Consolation, VIII, 246.
ÉCOLLES (Pierre d'). — Le Palais de l'Elysée,
VIII, 81.
Edgy. — Génie, VIII, 323.
Elhem (Jean-Paul). — L'Amour qui tue, VIII,
906.
Etcheverry. — Ils ne lisaient plus, VIII, 255.
Fabrès. — Illustration de Pépita Carbajal,
VIII, 395.
Fantin-Latour (H.). — Andromède, VIII, 236.
Paye (H.). — Loches, VIII, 103.
FÈVRE (Henry). — L'Héritage de l'oncle Florot,
VIII, 163.
958
TABLE DES AUTEURS ET DES ARTISTES
Flanagan. — Horloge, VIII, 272.
Flandrin (Jules). — Portrait, VIII, 224.
FoLEY (Charles). — La Chaconne, VIII, 5.
FoTjgrERAY. — AbouMr, VIII, 243.
FOTJRNERT. — Illustration de La Mode du mois,
VIII, 146, 300, 462, 626, 782, 938.
Fraigneau (Amédée). — Le Cimetière Mont-
martre, VIII, 729.
Fraipont. — Marché à Falaise, VIII, 261.
Frédéric. — Les Ages de l'ouvrier, VIII, 263.
Ganibr (A.). — La Caricature à l'étranger,
Vni, 355.
G-ARDET (Gr.). — Lion et Lionne, VIII, 214.
Garibaldi. — Abbaye de Monlmajour, VIII, 258.
Gelhat. — Un Coin de province, VIII, 260.
Geoffroy. — École maternelle, VIII, 256.
GÉRARDIN (Léon). — Les Algues, VIII, 426.
GÉROME. — Timour-Lang, VIII, 266.
Gbrspach. — Péronse, VIII, 819.
Gbrvais-Courtellemont. — Neuf jours au dé-
sert égyptien, VIII, 897.
Grandin (commandant). — Pépita Carbajal,
VIII, 395.
GuiNiER (H.). — Enfants de Marie,Ylll, 249.
Henner. — Le Lévite d'Ephraïm, VIII, 235.
HÔFLINGER (A.). — Me-' Kneipp, VIII, 234.
Hudry-Menos (J.). — Les Châteaux de Louis II
de Bavière, VIII, 720.
HuMBERT. — M. Jules Lemaîlre, VIII, 227.
INDY (Vincent d'). — Fervaal, VIII, 189.
JOANNON. — L' Essayage, VIII, 247.
Kahn. — Famille de Pécheurs, VIII, 252.
Kelly (M"" Grâce). — Portrait de M'^" C,
VIII, 267.
Knight. — Sur la Terrasse, VIII, 259.
Lacome (P.). — Les Quatre Filles Aymon,
VIII, 780.
Lalique (René). — Peignes de coiffure, VIII, 269.
Larbalétrier (Albert). — Le Rôle des Microbes
en Agriculture, VIII, 97.
Laurens (Jean-Paul). — L' Arrestation de Brous-
sel, VIII, 240.
Lecoy de la Marche (A.). — Les Sceaux,
VIII, 677.
Le Duc. — Le Duc de Chartres à Jemmapes,
VIII, 244.
Lefebvre (Jules). — Le Comte de Kerchove de
Deuterghem, VIII, 228.
Lefevre (Maurice). — Chronique théâtrale, YIII,
131, 291, 771, 932.
Le Gout-Gérard. — Temj>s gris, VIII, 250.
LiÉGEARD (Stephen). — Elle! VIII, 545.
Lieutenant (Un). — Le Moderne Tratneur de
sabre, VIII, 380.
LOBRICHON. — Mes Modèles, VIII, 256.
LoEVY (E.). — Illustration de Loches,YHl, 103.
Lux. — Les Cartes coloniales, VIII, 48.
Lynch (Albert). — Le Soir, VIII, 254.
Mac-Ritchie (MUe). _ Suzanne, VIII, 225.
Majorelle (Louis). — Buffet, VIII. 271.
Mareschal (G.). — Causerie scientifique, VIII,
119, 279, 439, 599, 759, 914.
Martel (Emile). — La Pêche du hareng à Bou-
logne-sur-3Ier , VIII, 342.
Matot (D.-E.). — Henri Ibsen, VIII, 61.
M. C. — Peinture sur toiles, VIII, 525.
MiGLiARO (Vincenzo). — Illustration de L'Idylle
de Polichinelle, VIII, 69.
MONIN (D'' E.). — La Beauté et son Hygiène,
VIII, 894.
MONTBARD (Georges). — Sur le Nil, VIII, 173.
MoNTBARD (Georges). — Illustration de Sur le
Nil, VIII, 173.
MONTBNARD (Fr.). — La Cueillette des olives,
VIII, 257.
MoROT (Aimé). — Le Duc de La Rochefoucauld-
Doudeauville, VIII, 231.
Mothe (Bernard de la). — L'Ile de Capri,
VIII, 498.
Muenier. — Un Dimanche à Fribourg,YIII, 253.
Mcraton. — Portrait, VIII, 232.
NÉRONDE (C. de). — Yvette Guilbert, VIII, 673.
Neukomm (Edmond). — A travers la Nouvelle-
Autriche, VIII, 550.
Obiols (G.). — Lampe électrique, VIII, 270.
Orazzi (Manuel). — Illustration de Missa Solem-
nis, VIII, 643.
Pardiellan (P. de). — La Vie militaire en Au-
triche, VIII, 531.
Pelle (M™e). _ Quatre sœurs, VIII, 267.
PÊRUGIN. — Pieta, VIII, 830.
Pescador (Félix). — Illustration de La Chaconne,
VIII, 5.
Présilly (Berthe de). — La Mode du mois,
VIII, 146, 300, 462, 626, 782, 938.
PrÉvot-Valéri. — Le Soir, VIII, 258.
Prouvé (V.). — Cuir repoussé, VIII, 270.
PUECH (D.). — Monument Francis GarnieT,YLII,
213.
Puvis DE Chavannes. — Œuvres diverses,
VIII, 33.
Puvis de Chavannes. — Sainte Geneviève, VIII,
238.
QUANTIN (A.). — Les Salons de 1898, VIII, 209.
Raphaël et PÉRUGIN. — Fresques de la cha-
2)eUe San Severo, à Pérouse, VIII, 831.
Renaud (Albert). — Le Soleil de minuit, VIII,
928.
RiBAUX (Adolphe). — 3Iissa Sole7nnis, VIII, 643.
Rixexs. — Portrait, VIII, 222.
Rochegrosse (G.). — Le Chant des muses éveille
l'âme humaine, VIII, 219.
RODIN (Aug.). — Balzac, VIII, 217.
Romane (De). — L'Ecole supérieure de guerre,
Vin, 660.
Rousseau (Samuel). — La Cloche du Rhin, VIII,
296, 298.
RouviER (Gaston). — Evénements géographiques
et coloniaux, VIII, 125, 285, 445, 605, 765, 920.
RoYBET. — V Astronome, VIII, 241.
RoYER (Lionel). — Louis XI au Mans, VIII, 242.
RozE (Albert). — Résurrection, VIII, 212.
Saint-Marceaux (De). — Vers l'inconnu, VIII,
216.
Sangnier (Félix). — Une Société de charité,
VIII, 17.
Serao (Mathilde). — L'Idylle de Polichinelle,
VIII, 69.
TABLE DES MATIÈRES
939
Sevsses. — Le RHvur, VIII, 214.
SoNKEL (M"").— L'Ofrandeàla V!erffe,\nî, '2(;<;.
SoiilANO. — Malhevreuae! VIII, '2G;}.
SorLÈs (Félix). — Tombeau, VIII, 211.
Steixeiî. — Le Déclin. VIII, 216.
Stevens (L.). — G. Courteline, VIII, 233.
TeiÉROT (E.). — Traduction de La Visite au Châ-
teau, VIII, 705.
TouDorZE (Gustave). — La Cloche, VIII, 803.
TuuTAT (Eugène). — Toulouse, VIII, 688.
Vachon (Marins). — Puvis de Chavannes, YllJ, 33.
Vauzanges. — Illustration de l'Héritage de
l'oncle Florot, VIII, 103.
Weeiits. — Portrait, VIII, 226.
Weiss (G.). — Les Detix souverains, VIII, 262.
WÉRY. — Fille de Penmarch, VIII, 249.
ZiER (Éd.).— Illustration de La Cloche, VIII, 803.
ZrBER. — Le Passé, VIII, 262.
TABLE DES MATIÈRES
Littérature.
Amour qui tue (L'),par Jean-Paul Elhem, VIII,
90G.
Astrologue Pisan (L'), par A. Baure, VIII, 559.
Bouvier (Le), par Henri Garuchet, VIII, 833.
Chaconne (La), par Charles Foley, VIII, 5.
Château d'Agor (Le), par G-aston Bergeret,
VIII, 483.
Cloche (La), par Gustave Toudouze, VIII, 803.
Elle 1 par Stephen Liégeard, VIII, .î45.
GÉME, par Edgy, VIII, 323.
Héritage de l'oncle Florot (L'), par Henri
Fèvre, VIII, 163.
Idylle de Polichinelle (L'), par Mathilde
Serao, VIII, 69.
MissA SOLEMNis, par Adolphe Ribaux, VIII, 643.
Pépita Carbajal, par le commandant Grandin,
VIII, 395.
Visite .vu Château (La), par Bozena Nemcova,
VIII, 705.
Critique, Théâtre, Musique.
Bibliographie, VIII, 315, 798, 954.
Caricature a l'étranger (La), par A. Ganier,
VIII, 355.
Chronique théâtrale, par Maurice Lefevre,
VIII, 131, 291, 771, 932.
Cloche du Rhin (La), par Samuel Rousseau,
VIII, 296, 298.
Credo d'amour, par Emmanuel Chabrier, VIII,
613.
Essai de résurrection du théâtre grec (Un),
par A. Demeure de Beaumont, VIII, 617.
Fer VA AL, par Vincent d'Indy, VIII, 139.
Ibsen (Henri), par D.-E. Matot, VIII, 61.
Maîtres de la littérature contemporaine
DU Nord (Les), par E. Brausewetter, VIII, 187.
Mouvement littéraire (Le), par Léo Claretie,
VIII, 118, 273, 433, 593, 753, 908.
Musique (La), par Guillaume Danvers, VIII, 135,
294, 451, 611, 776, 926.
Quatre filles Atmon (Les), par P. Lacome,
VIII, 780.
Soleil de Minuit (Le), par Albert Renaud,
VIII, 928.
Tarentelle, par M^^ Hedwige Chrétien, VIII,
452.
Yvette Guilbert, par C. de Néronde, VIII, 673.
Histoire, Philosophie, Économie sociale,
Instruction.
Bibliothèque de l'Arsenal (La), par Paul Bon-
nefon, VIII, 507.
Châteaux de Louis II de Bavière (Les), par
J. Hudry-Menos, VIII, 720.
Couvent des Célestins (Le), VIII, 520.
Mémento encyclopédique, VIII, 141, 305, 457,
623, 787, 943.
Nouvelle Chambre (La), VIII, 836.
Palais de l'Elysée (Le), par Pierre d'EcoUes,
VIII, 81.
Société de charité (Une), par Félix Sangnier,
VIII, 19.
Beaux-Arts.
Art d'exposer et d'encadrer (L'), par Jules
Adeline, VIII, 407.
Cimetière Montmartre (Le), par Amédée Frai-
gnean, VIII, 729.
Peinture sur toiles, par M. C , VIII, 525.
PÉROUSE, par Gerspach, VIII, 819.
Puvis de Chavannes, par Marins Vachon,
Vni, 33.
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TABLE DES MATIERES
Salons de 1898 (Les), par A. Quantin, VIII,
209.
Sceaux (Les), par A. Lecoy de la Marche,
YIII, 577.
Géographie, Voyages.
Annecy, par Paul de Champeville, VIII, 193.
Capri (L'île de), par Bernard de la Mothe,
VIII, 498.
Chemin de fer de la Jungfrau (Le), par
A. Berthier, VIII, 417.
Événements géographiques et coloniaux,
par Gaston Rouvier, VIII, 125, 285, 445, 605,
765, 920.
Loches, par H. Faye, VIII, 103.
Neuf jouks au désert égyptien, par Gervais-
Courtellemont, VIII, 897.
Nouvelle-Autriche (A travers la), par Edmond
Neukomm, VIII, 550.
Sur le Nil, par Georges Montbard, VIII, 173.
Toulouse, par Eugène Trutat, VIII, 688.
Armée, Marine.
Cartes coloniales (Les), par Lux, VIII, 48.
École supérieure de guerre (L'), par de
Romane, VIII, 660.
Moderne traineur de sabre (Le), par Un
Lieutenant, VIII, 380.
PÊCHE DU HARENG A BOULOGNE-SUR-Mer (La),
par Emile Martel, VIII, 342.
Vie militaire en Autriche (La), par P. de
Pardiellan, VIII, 531.
Sciences,
Commerce et Industrie, Agriculture.
Algues (Les), par Léon Gérardin, VIII, 426.
Animaux de boucherie (Les), par Théodore
Bourrier, VIII, 369.
Beauté et son hygiène (La), par le D"" E. Mo-
nin, VIII, 894.
Causerie scientifique, par G. Mareschal, VIII,
_ 119, 279, 439, 599, 759, 914.
ÉcLOSiON ET Élevage des poulets, par Paul
Devaux, VIII, 743.
Histoire naturelle de Madagascar (L'), par
Henri Coupin, VIII, 387.
Microbes en agriculture (Le rôle des), par
Albert Larbalétrier, VIII, 97.
Questions financières, VIII, 152, 310, 467,
631, 792,948.
Sport, Mode, Vie pratique, Caricature.
Caricature internationale (La), VIII, 151,
311, 634, 794, 950.
Cuisine du mois (La), par A. Colombie^ VIII,
155, 313, 470, 636, 796, 951.
Jeux et Récréations, par G. Beudin, VIII, 156,
314, 471, 637, 797, 953.
Mode du mois (La), par Berthe de Présilly,
VIII, 146, 300,462, 626, 782, 938.
Tourisme (Le), par L. Baudry de Saunier, VIII,
569.
Vie pratique (La), par Victor de Clèves,
VIII, 154, 312, 469, 633, 795, 952.
Table des auteurs et des artistes, VIII, 957.
FIN DU HUITIEME VOLUME
(Tome II de 1898.)
L' Editeur-Gérant : A. QuANTiN.
14823. — Lib.-Imp. réunies, Motteroz, D', 7, rue Saint-Benoît, Paris.
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