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Full text of "Le Monde moderne"

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University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/lemondemoderne08pari 


G-U^^Y  /li^M      C    O^ J^.OLA^'^l^^ 


Le 


Monde  Modetne 


4«     ANNEE 


VIII.  —   1. 


1!  E  IM!  O  D  U  C  T  I  O  N      1  N  ï  K  1!  D  I  T  E 

des  articles  et  des  illustrations. 


DROITS      DE      TUADUCTION      nESEUVÉS 

)Our  tous  pays,  y  conipi-is  la  Suède  et  In  Norvèg-e. 


Le 


Monde  Moderne 


Tome    VIII 


Juillet  -   Décembre     1898 


PAR  I  S 

Albert     QUANT  IN*,     Éditeur 
5,  Rue  Saint-Benoît,  5 


LA    CHAGONNE 


—  Ah  !  Lisoii,  que  jai  peur  el  que 
M.  le  baron  de  Mournioulon  a  donc  une 
idée  sauj^a^enue  de  nous  convier  au  bal 
al  de  payer  les  violons  par  ce  brouillard 
épais!  Jamais  cette  petite  ville  ne  me 
parut  si  triste  et  si  déserte  !  NJeût  été  la 
crainte  d'affliger  le  baron  par  mon 
absence,  je  serais  demeurée  en  mon 
hôtel.  Mais  tu  n'ignores  pas,  mon  en- 
fant, que  M.  de  Mourmoulon  a  un  neveu 
et  que  ce  noble  jeune  homme,  affriolé 
d'accordailles,  a  prié  son  parent  de  pour- 
voir à  son  établissement.  Ce  galant 
seigneur,  venu  tout  exprès  de  Paris, 
doit  paraître  en  héros  de  la  fête,  et,  en- 
core que  ce  neveu,  invisible  jusqu'ici, 
me  laisse  fort  indifférente  et  que  je  ne 
me  sente  aucune  inclination  au  mariage, 
je  ne  pouvais  décemment  refuser  de  dan- 
ser avec  lui  la  première  chaconne  sans 
que...  Ah  1  Lisette,  arrêtons  !...  Je  fris- 
sonne !...  Ne  vois-tu  cet  homme  noir 
qui  se  dresse  pour  nous  barrer  la  route? 

—  Eh  !  non,  ma  foi,  cela  n'est  pas  un 
homme,  mademoiselle,  mais  bien  plutôt 
le  pilier  qui  soutient  l'auvent  de  cette 
échoppe  close.  A  vous  alarmer  de  tout, 
Aotre  peur  finira  par  me  gagner  moi- 
même.  Et  puisque  vous  redoutez  telle- 
ment de  vaguer  par  les  ruelles  de  la 
ville,  la  nuit  une  fois  tombée,  et  puisque 
ni  mariage,  ni  neveu  de  M.  de  Mourmou- 
lon ne  vous  disent  rien  qui  vaille,  il  fallait 
ce  tantôt  vous  hâter  un  tantet  tantinet 
davantage  à  votre  toilette,  ne  me  pas 
tenir  tant  d'heures  devant  le  miroir  à 
refriser  les  boucles  et  crochets  de  votre 
coiffure  en  papillon;  ni  changer  de  jupes 
par  dix  fois  avant  de  choisir  celte  mous- 
seline volante  à  chicorée  de  chenille;  ni 
de  même  hésiter  devant  cent  tours  de 
gorge  en  gaze,  tulle,  dentelle,  ou  réseau 

Juillet  1898. 


bniiillomié.  Sans  compter  le  temps  passé 
pour  les  mouches  et  le  rouge  ! 

—  Ne  me  gronde  pas,  Lisette?  Quand 
serai-je  coquette,  sinon  maintenant  où 
je  suis  encore  fraîche  et  jolie.  Reproche- 
moi  bien  plutôt,  si  tu  as  cette  rigueur, 
de  n'avoir  point  songé  à  me  faire  ac- 
compagner d'un  de  ces  deux  indolents 
laquais  qui,  à  cette  heure,  ronflent 
dans  la  cuisine.  Mais  je  voulais,  ingrate, 
bavarder  avec  toi  librement.  Puis  pou- 
A^ais-je  imaginer  les  rues  si  noires  et  si 
désertes?  D'ailleurs,  l'hôtel  de  Mour- 
moulon est  proche.  Et  pour  ce  qui  est 
de  monter,  soit  dans  un  de  ces  carrosses 
de  louage  dont  les  fenêtres  sont  garnies 
de  planches  en  guise  de  glaces,  soit  dans 
une  de  ces  laides  vinaigrettes  où  les 
rudes  Savoyards  vous  secouent  si  effroya- 
blement, je  n'y  saurais  consentir  pour 
l'empire  du  monde.  Par  tout  ceci,  con- 
fesse, mon  enfant,  que  je  suis  à  plaindre, 
non  à  blâmer,  et  qu'une  fille  de  première 
qualité,  orpheline,  affligée  de  quelque 
bien,  venue  à  l'âge  où  le  roi  lui  retire 
toute  tutelle,  se  trouve  en  butte  aux 
pires  désagréments  du  sort...  Ah  !  Dieu  ! 
Lison,  quel  est  ce  bras  qui  sort  de  l'ombre 
et  nous  menace  ? 

—  Ouf!  attendez  un  peu...  Eh  !  made- 
moiselle, n'est-ce  pas  bonnement  une 
enseigne  pendue  à  sa  potence  de  fer? 
De  votre  cri,  le  cœur  me  bat  encore. 

Ainsi  dans  leur  babillage  frivole,  en- 
trecoupé de  petits  cris  de  détresse, 
Ty,|Ue  Armande  de  La  Maille  et  sa  sui- 
vante Lisette,  toutes  deux  frileusement 
emmitouflées  de  mantes  et  pelisses  four- 
rées, dans  la  bruine  grise  d'automne,  se 
rendaient  au  bal  de  M.  de  Mourmoulon 
par  les  carrefours  el  les  ruelles  hérissées 
de  pignons  et  de  saillies  de  toits,  encom- 
brées de  bornes  et  de  bancs  d'étal  pareils 
à  autant  de  Irébuchels.  Lisette,  d'abord, 


I.A     CIIACONXK 


.ivail  ri  des  terreurs  de  sa  inaîlressc; 
mais  le  tremblement  du  bras  appuyé  sur 
son  bras  semblait  insensiblement  lui 
communiquer  le  frisson  ;  et  quand,  sorties 
des  rues,  elles  se  trouvèrent  devant  le 
mail  désert  où  les  arbres,  encore  l'euillus, 
avaient  des  profondeurs  de  forêt,  où  les 
murailles  démantelées  du  rempart  proche 
surbaissaient  en  silhouettes  de  ruines  fan- 
tastiques, elles  s'arrêtèrent  ensemble  et 
le  cœur  leur  défaillit.  M"'^  Armande, 
tirant  sa  sei^vante  en  arrière,  j.,a*mit  d'une 
voix  tout  altérée  : 

—  Ah!  Lison,  es-tu  sûre  du  chemin? 
Ne  nous  sommes-nous  pas  égarées?  Ne 
sais-tu  le  moyen  d'éviter  ce  mail  d'obscu- 
rité, de  solitude  terribles?  Nous  faut-il 
absolument  passer  auprès  de  ces  murailles 
croulantes  dont  les  brèches  et  les  voûtes 
béantes  semblent  faites  à  souhait  pour 
servir  d'embuscade,  repaire,  guet-apens 
et  coupe-gorge  aux  pires  bandits?  Et 
n'est-ce  point  précisément  ce  matin, 
qu'on  me  contait  que  ce  redoutable  Man- 
drin —  dont  le  ciel  nous  préserve  !  ■ — 
courait  les  environs,  faisant  maintes  pil- 
leries  et  qu'à  deux  ou  trois  relais  d'ici, 
il  s'était  présenté  au  château  de  I^oussy 
avec  toute  sa  bande,  masque  an  nez  et 
pistolet  au  poing? 

—  Ah  !  ma  line,  mademoiselle,  que 
voici  bien  le  moment  de  vous  rappeler 
cette  malencontreuse  histoire  !  Que  cela 
est  de  votre  part  joliment  avisé  !  Vous 
êtes-vous  donc  juré  de  m'ôter  j)ar  vos 
propos  le  peu  de  vaillance  que  j  ai  de 
reste?  Où  voulez- vous,  maintenant, 
pour  traverser  ce  mail  sombre  et  mysté- 
rieux, que  je  trouve  des  jambes?  Les 
miennes  tïageolent  à  faire  pitié. 

— -  Rebroussons  chemin,  Lisette  :  aussi 
bien  tout  courage  m'abandonne;  j'aide 
la  neige  dans  les  veines.  Le  neveu  de 
M.  de  Mourmoulon  dansera  sa  chaconne 
avec  telle  bourgeoise  ou  fille  de  robin 
(jui  lui  plaira.  Il  n'est  pas  de  violons 
<|ui  tiennent  à  ces  peurs-là.  Rebrous- 
sons, mon  enfant. 

Si  terriliée  que  fût  la  voix  de  M"*^^  de 
La  Maille,  Lisette  y  distingua,  parmi  les 
angoisses  de   la   peur,  quelques   soupirs 


de  regret.  Ce  fut  assez  pour  que  la 
dévouée  soubrette  retrouvât  nu  semblant 
de  fermeté. 

—  Nenni,  mademoiselle,  iimis  voici 
trop  avancées.  Retourner  sur  nos  pas 
serait  vraiment  de  trop  petit  courage  et 
le  prétexte,  dont  vous  pourriez  excuser 
votre  absence,  si  ingénieux  qu  il  fût,  ne 
vous  sauverait  pas  d'être,  pour  notre 
timidité,  la  risée  de  la  ville.  Le  moyen 
après  cela  que  le  neveu  de  M.  de  Mour- 
moulon, qu'on  dit  brave  et  ardent  ofli- 
cier,  veuille  jamais  prendre  pour  femme 
une  dame  apeurée  d'arbres  noirs  et  de 
pierres  branlantes? 

Sensible  à  ces  belles  raisons.  M''"  Ar- 
mande approuva,  quoique  bien  défail- 
lante. 

Le  long  des  ruines,  elles  s'engagèrent 
sous  les  ormes.  Le  son  de  sa  propre  voix 
la  rassurant  sans  doute,  M"*^  de  La 
Maille  continua  à  causer,  mais  en  même 
temps  la  crainte  obsédait  ses  esprits  à  ce 
point,  qu'elle  ne  pouvait  parler  que  de 
Mandrin  et  de  sa  bande. 

—  (Conçois-tu,  mon  enfant,  l'audace 
de  ces  brigands  !  N'assure-t-on  pas  aussi, 
qu'alin  d'épouvanter  les  pauvres  bonnes 
gens,  ils  se  passent  le  visage  à  la  suie, 
ce  qui,  avec  les  balafres  sanglantes 
dont  leurs  faces  rugueuses  sont  tailla- 
dées, doit  être  de  l'elfet  le  plus  diabo- 
lique !  Qui  sait  s'ils  ne  connaissent  ces 
ruines  et  n'y  font  pas  chaque  nuit... 

—  Ah  !  mademoiselle,  si  vous  n'avez 
juré  de  me  faire  pâmer  ici,  ne  me  narrez 
pas  ces  contes  à  donner  la  petite  mort  ! 

Lisette  achevait  à  peine,  que  M"*^  Ar- 
mande, étoulfant  un  cri  léger,  lui  serra  le 
bras  nerveusement  et,  l'arrêtant,  souffla 
dune  voix  blanche  de  terreur  : 

—  Ah  !  Lisette,  vois-tu  cette  l'ois  se 
dresser,  sur  l'éboulis  des  créneaux,  un 
homme  au  manteau  noir  dans  la  brume 
grise?  Il  vient  de  notre  côté!  Soutiens- 
moi,  mon  enfant,  je  me  sens  tondier  de 
faiblesse... 

—  Eh  !  non,  non,  mademoiselle,  choi- 
sissez mieux  votre  temps  pour  des  va- 
peurs !  .Allons,  je  vous  prie,  rappelez 
vos  esprits.   Peut-être   ce   sombre    per- 


I.A    Cil  ACdNN  K 


s(>iui;i};e  ne  nous  a-l-il  poiiil  vues.  Péiié-  j  (inelles  inireiil  on  ce  mouvement  ;illiiii 
Irons  pins  ;iv;in(  sons  les  ormes  :  lenr  1  rallenlion  de  l'inconnu.  Il  se^relonrna 
omhre  nous  caclicra.   Ilâlons  le  pas  sans    ,    vers  elles  Ion!  à   l'ail  el.  ahandoinianl    le 


hruil  el,  une  l'ois  en  vue  des  lumières  de 
l'holel,  nous  ne  redouterons  plus  rien. 

Le  Ion  résolu  de  Lisette  ranima  quelque 
peu  sa  maîtresse.  Elles  s'engagèrent  sous 
les    arbres,    mais    la    brusquerie    même 


sentierqui  contournait  le  rempart,  il  entra 
à  son  tour  dans  le  couvert  d'ormes  d'un 
pas  qui  semblait  mesuré  tout  exprès  pour 
le  mener  droilemenl  à  lenr  rencontre. 
—  Ah  1    Lisette.   L'émit    la    demoiselle 


LA    CHACONNK 


perdant  la  tùle,  il  iTy  a  plus  de  doute  : 
cet  homme  a  les  allures  sburnoises  du 
pire  scélérat.  Il  Aient  en  noire  chemin 
afin  de  nous  couper  toute  retraite.  Je  ne 
me  sens  plus  la  force  d'avancer.  Je  mets 
mon  dernier  espoir  en  la  bonté  de 
Dieu,...  quant  à  toi,  prends  la  fuite, 
sauve-loi  vite,  Lison  ! 

Mais  le  danger  même  rendait  quelque 
présence  d'esprit  à  la  soubrette.  Elle 
serra  plus  fort  contre  elle  le  bras  de  la 
noble  demoiselle  et  s'efforça  de  l'en- 
traîner : 

—  Fuir  seule?  La  belle  avance!  En 
deux  bonds,  avec  ses  g-randes  jambes, 
ce  vilain  diable  d'homme  m'aurait  tôt 
rattrapée.  Non  !  non  !  mademoiselle,  je 
ne  vous  quitte  pas.  Failes  un  effort 
suprême,  s'il  vous  plaît,  et  marchons  de 
notre  pas  le  plus  ferme.  Si  ce  prome- 
neur nocturne  a  de  méchantes  inten- 
tions, notre  assurance  seule  peut  lui  en 
imposer.  D'ailleurs,  a-l-il  vraiment 
l'allure  si  sournoise  et  la  mine  si  fa- 
rouche ? 

—  Ah  !  mon  enfant,  le  cruel  Mandrin 
non  plus  n'a  pas  la  mine  farouche.  Ne 
lui  attribue-t-on  pas  de  grands  yeux 
noirs  et  de  belles  moustaches?  Il  va  tou- 
jours superbement  vêtu  et  porte  un  bel 
habit  gris  blanc  avec  boutons  d'arg-ent. 
Il  a  l'épée  de  gentilhomme  à  fine  poi- 
gMiée  d'ivoire.  Mais,  de  ce  qu'il  se  plaît 
à  imiter  les  façons  du  beau  monde,  il 
n'en  demeure  pas  moins  un  homme 
épouvantable.  Regarde,  Lisette,  cet 
homme  n'a-t-il  pas  tout  justement  de 
ces  airs-là  ?  Le  voici  qui  s'arrête  et  attend. 
On  le  distingue  mieux...  Oh!  mon  en- 
fant, je  ne  respire  plus  :  autant  que  j'en 
puis  juger,  ce  sont  bien  là  les  yeux  et 
les  moustaches  de  ce  Mandrin  lui-même  ! 

—  Croyez-vous? 

—  Au  portrait  qu'on  m'en  fil,  je  le 
reconnaîtrais  entre  mille,  mon  enfant. 
Plus  de  doute,  c'est  lui,  c'est  le  bri- 
gand!... Lisette,  par  pitié,  n'allons  pas 
plus  avant...  c'en  est  fait  !  Abandonne- 
moi,  laisse-moi  mourir  ici... 

—  Ce  serait  folie!  Courage  jusqu'au 
bout,   mademoiselle  !  Toute   fille  que  je 


suis,  jai  la  poigne  solide  pour  deux. 
Cédez-moi  le  pas  et  vous  cachez  der- 
rière moi.  S'il  me  touche,  j'enlends  faire 
une  si  belle  défense,  que  vous  aurez  loi- 
sir de  prendre  la  fuite  en  crianl  "  au 
meurtre!   »  de  tout  votre  souille. 

—  Et  le  moyen  de  crier  lorsque  la 
frayeur  m'ôte  jusqu'à  la  force  de  res- 
pirer. Puis  aussi,  brave  Lison,  étant 
maîtresse  et  toi  suivante,  n'est-ce  pas  à 
moi  de  marcher  la  première  en  dépit  de 
ma  faiblesse  ?  Fais-moi  donc  place,  en- 
fant. Je  me  veux  déparer  de  ce  que  sur 
moi  je  porte  de  précieux.  Mais  mes 
doigts  tremblent  tant  qu'il  faut  que  lu 
m'aides  à  retirer  mes  bagues  et  mes  bra- 
celets et,  s'il  reste  à  ce  Mandrin  la 
moindre  pitié  des  femmes,  il  se  conten- 
tera de  cette  prise.  Dieu  !  Il  vient  !  Non, 
te  dis-je,  ne  le  mets  pas  devant  moi, 
méchante  fille,  je  veux  qu'il  ail  ma  vie 
avant  la  tienne... 

L'homme  au  manteau  sombre  appro- 
chait, en  effet,  mais  si  lentement  que 
M""  de  La  Maille  et  Lisette  eurent  tout 
le  temps  de  se  débattre  à  qui  l'affronte- 
rait. Finalemenl,  de  par  autorité,  la  jeune 
demoiselle  en  obtint  le  dernier.  Toute 
pâle,  elle  avança,  tomba  à  genoux  sur 
le  bas  de  sa  pelisse  et,  tendant  vers  l'in- 
connu ses  petites  mains  ouvertes  et 
tremblantes  où  brillaient  les  joyaux  ar- 
rachés de  sa  jupe  et  de  son  corsage, 
elle  implora  : 

—  Ah  !  monsieur  de  Mandrin,  prenez  : 
voici  ma  montre  avec  sa  chaîne  de 
jaseran,  puis  mes  bagues,  puis  ma  pa- 
rure de  perles  et  de  gros  béryls,  puis 
mes  rubans  de  corsage  enchâssés  de 
roses  et  de  diamants  bleus.  Sur  l'hon- 
neur, ce  qui  me  reste  n'est  que  clin- 
quant, freluches,  pretintailles,  paillettes 
et  affiquets  de  petit  prix.  Mais,  en  re- 
tour, ah  1  monsieur  de  Mandrin,  laissez- 
vous  attendrir.  A  ma  suivante  Lison, 
pauvre  fille  dévouée,  qui  se  tient  der- 
rière moi,  ne  causez  aucun  mal...  nia 
moi,  s'il  vous  est  quelque  bonté  de 
siirplus  ! 

Cette  belle  demoiselle,  à  genoux,  dé- 
bitait sa  prière  de  ton  si  ingénu  et,  au- 


LA    CIIACONXE 


laiil    ({iiOii   en    pouvait   ju};er  sous    les   j        — Oui,   mousieur,   j'en   appelle   à  la 
j;rau(ls  ormes,  par  celte  brume  du  soir   |    j^alanlerie    dont    vous    fûtes    coutumier 


iiyjiia.fiV;' ,-»•; 


que  la  lune  perçait  parfois  d'un 
rayon  pâle,  cette  demoiselle  était 
si  gracieuse  et  si  douce  en  sa  sup- 
plication, que  riiomme  au  manteau 
noir,  interdit,  sans  trouver  de  ré- 
plique à  propos,  l'enveloppait  d'un 
regard  complaisant  et  sans  rien  de 
trop  féroce.  Son  attitude  même, 
en  l'instant  décisif,  trahissait  une 
surprise  émue  dont  M^'**  Armande,  sou- 
dain encouragée,  prit  prétexte  pour 
redoubler  d'instances  : 


maintes  fois  envers  les  dames,  ^'ous 
n'userez  pas  de  violence  envers  deux 
pauvres    femmes    qui    vous    livrent  de 


10 


I.A     CllACOXNi: 


hon   gré,  sans  doléyiiccs    ou    simagrées, 
ce  qu'elles  ont  de  précieux. 

F^es  yeux  noirs  du  hrigjuid  se  faisaienl 
de  j)lus  en  plus  caressants,  il  avait  toutes 
les  peines  du  monde  à  se  tenir  de  sou- 
rire, mais,  soit  qu  il  prît  un  plaisir  ral- 
liné  à  se  voir  imploré  d'une  si  belle  de- 
moiselle, soit  que  la  scène  lui  parût  d  un 
plaisant  achevé,  il  neut  aucune  hâte 
d'en  brusquer  le  dénouement  et  ne 
manifesta  pas  ouvertement  le  sentiment 
de  mansuétude  qui,  dès  le  premier  mol, 
lui  avait  louché  le  cœur.  Néanmoins 
sans  trop  grossir  sa  voix,  il  répliqua  : 

—  Ouais  !  mesdames  les  fines  mou- 
ches, nous  n'en  sommes  donc  pas  à 
notre  premier  voleur?  M'est  avis  que 
vous  êtes  expertes  en  la  façon  d'en  conter 
aux  routiers  et  de  les  berner  en  godi- 
neltes.  Point  ne  me  paye  de  cette  mon- 
naie de  pape,  mes  jeunesses.  Toutefois 
—  parce  que  vous  m'avez  su  chatouiller 
au  point  faible  qui  est  galanterie  — 
je  n'userai  de  contrainte  envers  vous. 
Nonobstant,  votre  maréchaussée  nous 
faisant  le  métier  rude  et  les  aubaines 
rares,  j'accepterai  la  rançon  que  vous 
jn'offrez  de  belle  grâce.  Voyons  ce  qu  en 
vaut  l'once  ? 

Vivement,  M"*^  de  La  Maille  lui  versa 
ses  joyaux  dans  les  mains,  et  tandis  que 
sa  fidèle  Lison  l'aidait  à  se  relever,  le 
voleur  feignait  d'examiner  les  bijoux 
un  à  un. 

—  Penh  !  ])euh  !  —  exclamait-il.  — 
En  ma  paume,  celte  chaîne  de  jaseran 
pèse  moins  qu'une  pincée  de  pois  chiches 
et,  de  bagues  et  de  bracelets  tels,  les 
coti'res  de  nos  cavernes  regorgent.  Vos 
fameux  diamants  bleus  m'ont  tout  l'air 
de  simples  améthystes  et  ces  perles  me 
paraissent  orientées  à  l'écaillé  d'ablette! 

Lindignatioii  fit  sur  M"'"  Armande 
le  même  eflel  que  la  peur,  elle  suffo- 
(|ua  : 

—  Peut-on  dire  1  Lison,  explique  donc 
à  monsieur  que  toutes  ces  pierreries  sont 
dinestimable  valeur  et  que  je  les  tiens 
de  mes    nobles    aïeules. 

Lisette  expliqua.  Le  lirigand  secoua 
la   léte  d'un  air  de  doute   mortifiant  et 


leui-  remit    les    joyaux    dans    les    mains 
avec  un  superbe  dédain. 

—  Non,  en  bonne  vérité,  —  puisque  ce 
soir  je  me  targue  de  galanlerie,  —  cette 
quincaille  ne  vaut  pas  que  je  sois  galanl 
à  demi.  Reprenez  tout  ceci,  mademoi- 
selle; d'ailleurs  n  allez-vous  pas  au  bal 
de  ce  bon  pas? 

—  Si  l'ail,  monsieur. 

—  l^]t  où  cela,  sauf  indiscrétion? 

—  En  l'hôtel  de  ^L  le  baron  de  Mour- 
nioulon. 

—  Ah  I  ah!  chez  le  baron.  Fort  bien. 
Parez-vous  à  nouveau  de  ces  babioles, 
belle  dame,  car,  en  celte  fête  provin- 
ciale, hobereaux  et  béjaunes  de  maintes 
gentilhommières  les  admireront  sans 
faute  et  naïvement.  El,  de  grâce,  à  cause 
de  moi,  ne  vous  attardez  point  à  gre- 
lotter en  celle  bruine,  tandis  que,  là-bas, 
sont  peut-être  commencés  menue's,  ga- 
vottes, courantes  et  chaconnes  qui  vous 
réchau lieraient  très  agréablement.  Non. 
ne  lardez  pas,  daulanl  qu'une  autre 
petite  all'aire  promptement  expédiée, 
j'entends  vous  rejoindre  là. 

Lison  en  pâma  de  surprise  : 

—  Nous  rejoindre  chez  M.  le  baron? 

—  Hé!  sans  doute,  —  sourit  eifron- 
tément  le  brigand  en  découvrant  toutes 
ses  dents  blanches  —  j'espère  de  ce  gala 
un  excellent  butin,  et  j'y  compte  faire 
râtle  de  tout  ce  qu'on  y  verra  briller  de 
précieux. 

M"''  de  La  Ma'dle  avait  secoué  sa 
pelisse,  rajusté  ses  parures,  renfilé  ses 
bagues  et  ses  bracelets.  Remise  de  ses 
vapeurs,  observant  par  surplus  que  ce 
Mandrin  était  un  de  ces  voleurs  avec 
lesquels  on  se  peut  entretenir  sur  le  ton 
de  la  bonne  compagnie,  elle  ne  dédaigna 
pas,  par  gratitude,  de  lui  marquer  quelque 
intérêt. 

—  (  )h  !  monsieur,  si  les  instances 
d  une  personne  qui  vous  a  les  dernières 
obligations  vous  peuvent  émouvoir,  ne 
venez  point  à  ce  bal.  Vous  y  seriez  si- 
gnalé, arrêté  tout  d'un  train,  et  une 
telle  violence,  sous  mes  yeux,  me  lais- 
serait inconsolable. 

—  Je   serai    signalé    et    arrêté    si,  au 


I.A     (.11  AC.OXXK 


l);il,  \i)iis  parle/  de  moi;  mais  si  \ous  ne 
sonniez  mol  de  voire  récente  avenlure, 
el  si,  à  mon  aspect,  vous  ne  tiahissez 
nulle  émotion,  M.  le  baron  lui-même 
ne  se  doutera  de  rien  et  parmi  vos  hobe- 
reaux je  me  divertirai  en  toute  commo- 
dité. Jeslime  que  ce  n'est  pas  exiger 
trop  qu  imposer  le  silence  à  une  per- 
sonne c[ui  m'est  redevable  de  la  vie. 

—  Oh!  monsieur!  Combien  il  m'en 
coulerait  de  m'acquitler  envers  vous 
aux  dépens  de  tant  de  jucns  de  la  pre- 
mière qualité  ! 

—  Hahl  lit  insoucieusement  .Mandrin, 
vous  n'en  aurez  nulle  honte  avouée, 
.lai  la  main  tort  experte  au  jeu  de  l'es- 
camote et  vous-même,  madame,  ouvrant 
tout  grands  vos  grands  beaux  yeux,  n'y 
verrez  que  du  feu.  Pour  ce  qui  est  de 
l'apparence,  du  beau  langage  et  des  ma- 
nières,  ne  redoutez  rien  pour  moi.  Et 
saut'  mes  menus  tours  de  passe-passe, 
je  saurai  me  conduire  le  plus  honnête- 
ment du  monde. 

—  Vous  êtes  le  maître,  monsieur,  de 
me  réduire  à  cette  extrémité  qui,  pour 
vous-même,  m'épouvante.  Afin  de  vous 
en  détourner,  je  ne  puis,  hélas  !  que 
vous  répéter  ceci  :  »  Vous  êtes  si  connu, 
que,  ne  vous  connaissant  pas,  je  vous  ai 
reconnu  !  » 

Ce  bel  argument  fit  une  impression 
médiocre  sur  notre  scélérat.  Il  en  sourit 
impudemment. 

—  Je  veux  croire,  mademoiselle,  pour 
ma  sûreté  propre,  que  votre  perspicacité 
est  sans  rivale  possible,  car  ma  témérité 
ne  se  bornera  pas  à  parader  au  bal  de 
M.  le  baron  :  j'entends  bien  y  danser  et 
vous  me  ferez  Thonneur  de  votre  pre- 
mière chaconne. 

—  Envisagez,  je  vous  prie,  les  ter- 
l'ibles  conséquences  où  vous  vous  expo- 
sez pour  le  plaisir  fugitif  et  très  vain  de 
mener  une  chaconne  avec  une  personne 
qui,  pensant  à  tous  vos  risques,  n'y  saura 
goûter  aucun  plaisir. 

—  Tout  bien  envisagé,  madame,  c'est 
mon  caprice...  et  je  n'en  démordrai  pas. 

— ■  Vous  vous  jouez  de  ma  frayeur, 
monsieur  :  vous  ne  me  mettrez  pas  en 


cette  alternative  cruelle  ou  de  trahii-mos 
amis  ou  de  vous  trahir  vous-même  1 

—  Vous  ne  me  trahirez  pas,  je  l'es- 
père, reprit  l'inconnu  d'une  voix  très 
assurée  et  en  i-egardanl  lixemetd  son 
interlocutrice.  —  Mais  le  feriez-vous, 
je  ne  renoncerais  pour  cela  au  plaisir 
que  je  me  promets  de  mener  avec  vous 
cette  première  chaconne. 

M^''^  de  La  -Maille  ajouta  force  autres 
réflexions  émouvantes  et  faites  pour 
amollir  le  cœur  de  tout  autre  homme 
moins  opiniâtre  que  Mandrin.  Celui-ci 
n'y  voulut  rien  entendre  et  prit  congé 
de  la  demoiselle  et  de  sa  suivante  en  un 
salut  familier  de  gens  qui  se  vont  revoir. 
Puis,  laissant  le  chemin  libre,  il  s'en- 
fonça sous  les  ormes  et,  du  côté  des 
ruines,  se  perdit  dans  la  brume  si  rapi- 
dement qu'elles  crui'ent  avoir  rêvé. 

Appuyée  au  bras  de  la  soubrette,  la 
noble  demoiselle  acheva  le  trajet.  De 
cette  rencontre  avec  Mandrin,  sa  crainte 
des  voleurs  était  fort  diminuée.  Mais 
une  peur  d'autre  sorte,  non  moins  vive, 
la  faisait  se  dolenter  : 

—  Oh  I  Lison,  conçois-tu  la  folie  d'un 
homme  qui,  pour  danser  une  chaconne 
avec  moi,  s'expose  à  la  prison,  et  ne  se 
tirera  de  la  question  ordinaire  et  de  l'ex- 
traordinaire que  pour  être  écartelé  en 
place  de  grève  !  Cette  vision,  mon  en- 
fant, me  remplit  l'âme  d'une  épouvante 
auprès  de  laquelle  mes  pâmoisons  d'an- 
tan  n'étaient  que  baguenaudes.  De  quel 
air  l'accueillerai-je  et  quelle  contenance 
tenir  alors  que,  par  sa  seule  présence, 
je  perdrai  tout  d'un  fil  ma  force  et  mes 
esprits  ? 

On  commençait  d'entendre  plusieurs 
roulements  de  carrosse.  Lisette,  tout  en 
entraînant  sa  maîtresse  vers  les  lueurs 
de  torches  et  de  lanternes  qui  perçaient 
le  brouillard ,  la  réconfortait  de  son 
mieux  et  retrouvait  sa  langue  à  mesure 
qu'était  plus  proche  l'hôtel  de  Mour- 
moulon. 

—  N'ayez  souci,  mademoiselle,  disait- 
elle,  je  vous  baille  ma  meilleure  parole 
que  ce  larron,  s'il  danse  la  chaconne,  la 
dansera  dans  les  ruines  avec  les  rats  et 


12 


LA    GHACONNE 


les  huloltes.  Il  n'a  parlé  du  bal  de  M.  de 
Mourmoulon  que  par  pure  jactance  de 
Gascon.  Il  n'a  garde  d'y  risquer  le  fin 
bout  de  son  nez  ! 

— •  Puisses-lu  dire  vrai,  Lisette  !  Et 
cependant  si,  comme  moi,  tu  avais  vu 
de  près  son  regard  tour  à  tour  lier  et 
doux,  impérieux  d'abord,  puis  caressant, 
tu  ne  douterais  point  cpiil  n'eût  cette 
belle  audace  ! 

—  En  ce  cas,  mademoiselle,  faites 
avertir  ou  le  guet  ou  les  quatre  esta- 
liers  de  M.  le  baron.  On  le  viendra 
prendre  au  bal  ainsi  qu'un  lièvre  au 
gîte  ! 

—  Oh  !  fi,  Lisette,  l\  d'une  telle  vile- 
nie !  Ma  parole  serait- elle  engagée  au 
dernier  scélérat,  que  je  n'y  voudrais 
manquer,  même  au  prix  de  ma  vie... 

—  Eh!  mais,  mademoiselle,  depuis 
quand  ce  monstre  de  Mandrin  n'est-il 
plus  cent  fois  pis  que  le  dernier  scé- 
lérat ? 

—  Chut  !  ne  prononce  plus  son  nom, 
on  pourrait  nous  entendre  et  ce  serait 
le  perdre  !  fit  M"«  de  La  Maille  avec 
un  à-propos  de  prudence  qu'on  n'eût 
pas  attendu  d'une  personne  si  troublée. 

Et  l'avis  n'était  pas  superflu,  car  on 
touchait  au  portail  de  l'hôtel.  Les  gens 
de  M.  le  baron,  tenant  très  haut  torches, 
lanternes  et  flambeaux,  s'avancèrent  vers 
les  deux  jeunes  femmes  et  leur  firent 
escorte  jusqu'au  perron. 


II 


Les  yeux  encore  remplis  de  l'ombre 
des  ruelles  tortueuses,  encore  frisson- 
nante de  la  brume  du  mail  désert,  M"'^  de 
La  Maille  eut  une  sorte  d'éblouissement 
à  l'éclat  de  la  fête.  Le  tout  était  d'un 
ordre  et  d'une  magnificence  qui  faisaient 
grand  honneur  à  M.  de  Mourmoulon.  Le 
baron  avait  paré  sa  galerie  de  tapisseries 
magnifiques.  Le  grand  salon  s'éclairait 
de  douze  lustres.  On  ne  comptait  pas 
moins  de  vingt- quatre  violons  et  il  y 
avait  déjà  beaucoup  de  monde.  Les 
dames,  fort  ajustées,  toutes  pimpantes 
de  gazes  d'or  et  d'argent  sous  leurs  pas- 


sements de  Venise  et  leurs  fils  de  perles, 
avec  leurs  cheveux  en  poudre  piqués  de 
huppes  blanches,  incarnates,  roses  et 
couleur  de  feu,  étincelant  de  mille  cl 
mille  pierreries,  dansaient  avec  des  gen- 
tilshommes en  bas  de  soie  et  en  habits 
couverts  de  broderies  à  passepoil  do 
velours  et  de  satin.  Dans  une  salle 
proche  était  servie  une  superbe  colla- 
tion, composée  de  huit  bassins  de  ver- 
meil et  d'argent,  contenant,  avec  des 
viandes  froides  et  d'exquises  rissoles, 
les  fruits  et  les  confitures  les  plus  rares. 

M.  le  baron  de  Mourmoulon  vint  re- 
cevoir M"*^  de  La  Maille  à  la  première 
chambre  et,  se  confondant  en  mille  soins 
empressés  et  galantes  complaisances , 
singéniant  à  lui  rendre  tous  les  hon- 
neurs imaginables,  il  lui  otTrit  le  poing 
jusqu'au  fauteuil. 

Le  contraste  qu'il  y  avait  entre  cette 
fête  brillante  et  la  rencontre  mystérieuse 
du  mail  était  si  grand  que  M^'®  de  La 
Maille  commençait  à  se  persuader  que 
ce  pouvait  bien  être  quelque  songe  ou 
vision.  Cédant  aux  pensées  plus  riantes 
qu'éveillait  la  musique  et  aux  mille  dis- 
tractions d'une  compagnie  courtoise,  elle 
se  remettait  peu  à  peu  de  son  trouble 
lorsque  son  attention  se  trouva  attirée 
par  une  sorte  de  murmure  et  d'agitation. 

Toutes  les  personnes  présentes  tour- 
nèrent en  même  temps  la  tête  vers  le 
seuil  du  grand  salon  où  venait  d'appa- 
raître, vêtu  d'un  habit  à  broderies  d'ar- 
gent et  garni  d'une  merveilleuse  quan- 
tité de  rubans  incarnat,  un  cavalier 
d'allure  si  accomplie,  en  son  bel  air  et 
sa  bonne  grâce,  que  l'assemblée  en  eut 
un  frémissement  de  surprise.  Mais 
M"*"  Armande  de  La  Maille  n'eut  pas 
plus  tôt  jeté  les  yeux  de  ce  côté,  qu'elle 
devint  mortellement  pâle  ;  car ,  bien 
qu'il  eût  quitté  son  grand  manteau  cou- 
leur de  nuit,  elle  reconnut,  au  premier 
regard,  l'homme  du  mail. 

Sans  la  plus  petite  hésitation ,  dans 
une  assurance  que ,  en  dépit  de  son 
trouble  profond,  la  pauvre  demoiselle 
ne  put  se  tenir  d'admirer,  il  s'avança, 
et,   faisant    devant    les    dames  ses  pas- 


LA    CIIACONNE 


13 


sades  pour  saluer  de  droite  et  de  gauche, 
il  balaya  superbement  le  parquet  du 
panache  incarnat  et  blanc  de  son  cha- 
peau. Le  cfeur  dArmande  battait  éper- 


sonne  parmi  tant  de  gens.  Il  eut  tôt  l'ait 
de  démêler  M""  de  La  ALiille  des  autres 
femmes  de  condition  et,  du  plus  loin 
qu'il  l'aperçut,  il   lui  tira  ses  révérences 


S^ 


dûment.  En  son  émoi,  elle  se  faisait 
petite  et  inclinait  obstinément  la  tète, 
n'ayant  plus  d'autre  espoir  que  de  n'être 
point  vue  de  lui.  Mais  le  visage  mobile 
et  passionné  du  cavalier  n'exprimait  que 
trop  bien  qu'il  cherchait  une  seule  per- 


et  prit  tous  les  menus  soins  dont  un 
homme  s'avise  pour  faire  connaître  à 
tous  la  dame  qu'il  distingue.  De  ceci 
M"^  de  La  Maille  ressentit  le  déplaisir 
qu'on  peut  imaginer.  Lorsqu'il  fut  auprès 
d'elle,  bien  que  résolue  à  tenir  les  pau- 


I.A    CIIACONXK 


pières  baissées  aliii  de  ne  lui  marquer 
aucune  attention,  elle  les  leva  malgré 
elle  et  se  sentit  défaillir  en  croisant  ce 
reyard  d'homme  tout  empreint  d'une 
sorte  de  tendresse  violente.  I*]lle  fris- 
sonna de  crainle,  mais  ce  fut  dune  (oui 
autre  crainte  que  sous  le  mail.  I']n  j;rande 
aisance,  de  voix  chaude  et  vibrante,  ce 
seigfneur,  que  personne,  hors  notre  de- 
moiselle ,  ne  paraissait  connaître  ,  lui 
déboisa  son  compliment,  puis  implora 
l'honneur  de  mener  avec  elle  la  première 
chaconne.  Armande  de  La  Maille  sentait 
peser  sur  elle  les  regards  intrigués  de 
toute  la  compagnie,  et,  comprenant  que 
le  moindre  geste  on  le  moindre  mot  don- 
neraient l'éveil  et  trahiraient  ce  fou  qui, 
sous  l'impression  d'un  sentiment  trop 
vif,  risquait  sa  vie  en  une  romanesque 
équipée,  elle  s'ell'orça  de  vaincre  l'affreux 
émoi  qui  s'était  emparé  d'elle.  Le  plus 
prudent  lui  parut,  pour  l'instant,  de  ne 
provo([uer  aucune  explication  dange- 
reuse et,  espérant  que  sa  fantaisie' pas- 
sée, une  fois  la  chaconne  dansée,  Tin- 
connu  se  voudrait  bien  retirer,  elle  se 
leva  silencieusement  et  tenta  de  sourire. 
Mais  à  la  gêne  de  sa  respiration,  à  l'aban- 
don de  ses  dernières  forces,  elle  pres- 
sentit que  l'eil'orl  ne  la  soutiendrait  pas 
longtemps. 

A  ce  moment,  le  son  des  violons  lit 
heureuse  diversion  à  la  curiosité.  Le 
branle  commença  et  le  mouxement  gé- 
néral lui  permit  d'exprimer  à  voix  basse 
la  crainte  qui  lui  déchirait  le  creur.  Elle 
dit  dans  un  soupir  où  semblait  s'exhaler 
toute  sa  vie  : 

—  De  mon  mieux,  monsieur,  vous 
vovez  que  je  remplis  ma  promesse  ; 
mais  vous  devez  voir  aussi  que  votre 
audace  me  livi-e  au  dernier  désespoir.  Je 
manque  à  chaque  pas  la  cadence  cl  pense 
défaillir  à  chaque  révérence.  Par  grâce, 
ne  me  soumettez  pas  à  de  plus  longues 
épreuves.  Conduisez-moi  à  mon  siège, 
je  vous  prie,  et  donnez-moi  celte  joie  de 
vous  esquiver  promplement. 

Mandrin  lui  répondit  du  ton  le  plus 
galant  : 

—  Ah  !   madame,   il   ferait   beau  \o\v 


que  je  payasse  l'extrême  ci\ilitéque  vous 
avez-  pour  moi  de  l'incivilité  de  vous 
mener  à  votre  chaise  avant  la  dernière 
révérence.  Dieu  merci!  le  respect  que  je 
dois  à  \'ns  ordres  ne  m'oblige  aucune- 
ment à  une  impertinence  comme  serait 
celle  (le  cpiilter  nue  dame  au  milieu  de  la 
chacoiuie,  —  d  autant  que  vous  la  dansez 
d'un  agrément  et  dune  perfection  qui 
ne  se  peuvent  représenter.  Si  je  n'ai  que 
peu  d'instants  à  jouir  d'une  telle  félicité, 
ne  me  les  gâtez  point  d'instances  et 
prières  propres  à  m'attesler  que  les  assi- 
duités d'un  homme  de  ma  sorte  vous 
sont  à  grande  honte  et  humiliation. 

—  N'en  croyez  rien,  monsieur,  je  ne 
me  veux  sonvenii-  que  de  vos  bons 
oflices.  Ce  n'est  aucunement  par  honte 
ou  humiliation  de  faire  ligure  avec  vous 
que  je  m'émeus  ainsi,  car  il  n'y  va  pour 
moi  que  de  la  confusion  de  danser  à 
conlrelemjjs.  Mais  je  perds  mes  esprits 
à  la  seule  pensée  de  ce  que  celte  impru- 
dence vous  peut  coûter  de  souffrances. 

—  Madame,  en  vérité,  (|ue  vous  im- 
porte? 

—  Ah  1  lit-elle  d'une  voix  qui  le 
loucha,  ne  pressentez- vous  pas  qu'il 
m'importe  bien  plus  que  je  ne  puis  ici 
vous  l'exprimer  hautement? 

—  lié  !  madame,  reprit-il  doucement, 
s'il  m'agrée  d'oublier  tant  de  risques, 
est-ce  à  vous  d'y  songer  plus  que  moi- 
même?  Et  si  j'affronte  ce  risque  en  toute 
gaieté  de  c(eur,  n'est-ce  pas  que  les  dou- 
ceurs c|ue  je  goûte  près  de  vous  m'en 
payent  au  centuple?  Tenez-moi  lidèle- 
menl  \olre  promesse  jusqu'au  bout  et,  si 
celle  chacoime  doit  être  la  dernière  que 
je  mène  en  ce  monde,  dansez -la -moi 
entière  sans  ])lus  de  fausses  excuses  et 
prenez  bien  à  cteur  d'y  déployer,  pour 
mon  ]ilaisir  suprême,  toutes  vos  perfec- 
tions. 

Le  \if  (le  ces  propos  ne  laissa  pas  que 
de  rendre  quelque  vie  à  M'"'  de  La  Maille. 
Ses  joues  s'empourprèrent  légèrement  et 
léclat  de  ses  yeux  réapparut.  Jugeant 
enhn  (piaucune  imploration,  si  fervente 
fût-elle,  n'aurait  raison  de  la  volonté 
diui  tel   homme  et  qu'aucune  raison    ne 


LA     CIIACOXNK 


1.) 


le  [loiiri'iiil  (lé  (  (III  nier  du  110  perte  assurée, 
elle  r(!'S()lut  au  nioiiis  de  lui  (lonner,  pour 
Tunique  el  derui('r(>  lois  de  sa  vie,  tout 
le  plaisir  qu'il  sollicitait  d'elle.  Elle  raj)- 
pela    ses    es|)rils,    se    rallerniit    sur    ses 


f^riserie  légère,  IVolaul  à  peine  le  sol  de 
ses  petits  pieds  coquets,  telle  qu  une  fée 
voltigeant  à  (leur  d'herbe,  avec  des  }.;estes 
pareils  à  autant  de  compliments,  elle 
commença   ses   «grâces,    ses   bercements. 


c/'SjRe^^':^? 


'f  K><c  :•.<>-  o 


menus  talons.  cand)ra  la  taille,  anoiidit 
ses  bras  et  saisit  les  plis  de  ses  paniers  du 
bout  de  ses  doij^ts  tins,  de  ses  doij^ls  très 
joliment  ouverts  comme  pour  prendre 
leur  vol.  Et  ainsi,  soit  en  branle  dans  le 


ses  tours  et  ses  dt*tours.  Pai  instant, 
preste  et  leste,  tantôt  lente  et  dolente, 
elle  sut  ajouter,  à  tous  les  pas  réglés, 
maintes  li;4urcs  de  fantaisie  si  souple  et 
si  décente,  survenant  en  si  juste  et  mei- 


mème  temps  que  les  autres  danseurs,  \eilleuse  cadence,  que  dames  et  sei- 
soil  par  deux  seulement,  comme  au  |  gneurs  s'arrêtèrent  de  sauter  pour  la 
menuet,   toute    rose    et   pimpante  dune    I    mieux  admirer. 


LA    CIIACONNE 


Quand  elle  pressentit  raccord  iinal, 
elle  prit  son  espace  et  son  temps  de  révé- 
rence dernière.  Déjà,  d'un  geste  d'am- 
pleur charmante,  elle  ramenait  à  elle 
ses  jupes  bouffantes  et,  le  demi-sourire 
aux  lèvres,  les  paupières  pudiquement 
baissées,  elle  s'inclinait  devant  son  cava- 
lier tout  aussi  gracieusement  qu'elle  eût 
pu  le  faire  devant  Sa  Majesté,  quand, 
au  travers  de  ses  cils,  elle  vit  paraître 
Lisette  sur  le  seuil.  Et,  du  doigt,  à  quel- 
ques estafiers  qui  se  tenaient  derrière 
elle,  la  soubrette  désignait  le  danseur  de 
sa  maîtresse. 

Subitement,  cruellement,  ce  geste  rap- 
pela à  la  demoiselle  ce  qu'elle  avait 
oublié  dans  l'ivresse  de  cette  dernière 
chaconne.  L'émotion  fut  trop  forte.  Son 
visage  prit  instantanément  une  blan- 
cheur de  mort,  son  regard  s'éteignit,  ses 
doigts  s'ouvrirent  laissant  glisser  les  plis 
de  sa  robe,  ses  lèvres,  sans  pouvoir  pro- 
férer une  parole,  exhalèrent  un  soupir 
de  douleur  infinie...  et  la  belle  révérence 
s'acheva  en  pâmoison. 

III 

Lorsque  M'"*  de  La  Maille,  étendue 
sur  un  lit  de  repos,  sentit  qu'une  main 
délicate  lui  bassinait  les  tempes  dune 
fine  toile  mouillée,  elle  retrouva  ses 
esprits  et  lentement  releva  les  paupières. 
Le  premier  regard  que  son  regard  croisa 
fut  celui  de  son  danseur  de  chaconne. 

Elle  s'écria  d'une  voix  tout  éperdue  : 

—  Eh  !  quoi,  monsieur,  êtes- vous  en- 
core ici?  Que  sont  donc  devenus  ces 
méchants  estafiers?...  Se  peut-il  que 
vous  ne  courriez  maintenant  aucun  dan- 
gers ?  Ai-je  rêvé  ?  N'êtes-vous  plus  Man- 
drin? 

Toutes  les  personnes  qui  s'empres- 
saient autour  du  lit  se  prirent  d'une 
belle  risée.  Mais,  pâle  d'émotion,  le  pré- 
tendu Mandrin  se  pencha  vers  M"*'  Ar- 
mande  et  il  lui  murmura  : 

■ —  Non,  mademoiselle,  c'était  là  une 
méprise  dont  Lison  et  ses  quatre  esta- 
tiers  m'ont  fait  cent  mille  excuses. 

—  Ah!  monsieur...  quel  bonheur I 
s'écria  M"''  de  La  Maille  en  telle  exubé- 


rance de  joie  que  tout  le  UKMide  i-it  de 
plus  belle.  Elle  en  reprit  son  entière 
connaissance  dans  une  rougeur  de  con- 
fusion. 

—  Non,  mademoiselle,  non,  il  n'y  a 
plus  de  Mandrin,  répéta  le  jeune  homme 
avec  une  énergie  nouvelle.  Vous  voyez 
devant  vous  le  neveu  de  M.  le  baron  de 
Mourmoulon,  qui.  contrit,  du  plus  pro- 
fond du  cœur,  vous  demande  très  hum- 
blement pardon  de  sa  mystification. 
Amusé  de  votre  peur  imprévue,  piqué 
du  neuf  de  l'aventure,  épris  enfin  de 
votre  grâce  ingénue  et  de  l'expression 
de  votre  beauté  touchante,  je  n'ai  su  me 
défendre,  en  l'occasion  que  m'offi-ait 
votre  méprise,  de  m'assurer  des  senti- 
ments que  vous  nourrissiez  pour  moi. 
De  cette  indigne  comédie,  ah  !  madame, 
qu'amèrement  je  me  repens  !  Et  de  cette 
épreuve  odieuse  dont  vous  pensâtes 
mourir,  je  me  voudrais  à  mon  tour  mor- 
tellement punir,  si  je  n'y  avais  puisé  la 
divine  certitude  que,  même  en  la  figure 
d'un  horrible  brigand,  j'eus  le  bonheur 
ineffable    de     ne   vous    point    déplaire  ! 

A  ce  moment,  fort  à  propos  ma  foi, 
les  violons  recommencèrent  de  jouer 
dans  la  galerie,  et  ce  fut  bon  prétexte  à 
M.  de  Mourmoulon  de  ramener  —  sauf 
le  neveu  et  la  belle  demoiselle  —  tous 
les  autres  danseurs  vers  la  salle  du  bal. 

Par  quoi  notre  jeune  seigneur  eut 
toute  liberté  d'effusions  et  de  serments. 

—  En  vérité,  monsieur,  soupira  en 
souriant  M"**  de  La  Maille  quand  il  eut 
débité  beaucoup  plus  que  l'essentiel,  je 
ne  me  veux  point  faire  plus  romanesque 
que  je  ne  suis  et  vous  confesse  tout  droit 
que,  sans  comparaison,  je  préfère  l'hon- 
nête gentilhomme  au  célèbre  brigand. 
Aussi  ne  me  dédirai-je  pas  de  l'aveu 
que,  fort  étourdiment,  j'ai  laissé  échap- 
per au  sortir  de  ma  sotte  pâmoison. 
Je  vous  pardonne  donc  et  ne  vous  retire 
pas  cette  main  que  vous  baisez  tendre- 
ment, encore  que  votre  moyen  de  sur- 
prendre le  secret  d'un  ctKur  candide  soit 
un  peu  bien  dans  la  façon  d'un  vrai  Man- 
drin ! 

Cn ARLES      F OLE Y. 


UNE    SOCIÉTÉ    DE    CHARITÉ 


Paris  a  loiijours  eu  un  charme  parti- 
culier, qui  Ta  fait  dans  tous  les  temps 
g^oûter  par  tous  ceux  qui,  se  sentant 
quelque  envie  de  sortir  d'eux-mêmes, 
de  fuir  la  monotonie  de  la  province, 
de  rechercher  les  plaisirs  et  d  échapper 
aux  médiocrités  de  leur  ville,  avaient  la 
force,  l'énergie  nécessaire  pour  affronter 
les  chances  et  les  périls  dune  vie  nou- 
velle et  inconnue. 

Avant  1789,  celte  attirance  de  Pai'is  i 
ne  s'exerçait  guère  que  sur  les  ambitieux, 
sur  les  nobles  qui  désertaient  la  cam- 
pagne poup  Qourir  après  des  privilèges 
et  des  plaisirs  qu'ils  croyaient  plus  faci- 
lement trouvera  la  cour;  sur  les  amis 
des  sciences  et  des  arts,  et  aussi  sur  les 
gens  desprit  qui  commençaient  à  remuer 
des  idées  nouvelles  et  à  philosopher. 
C  était  la  grande  mode  à  la  fin  du 
xviii^  siècle. 

Quelques  ouvriers,  des  maîtres  en 
leur  profession,  tentaient  bien  1  aven- 
ture; mais  ce  n  était  encore  qu  une 
exception.  Le  paysan,  l'artisan,  man- 
quant d  argent  et  d'esprit  d'initiative, 
restait  chez  lui.  C  était  d'ailleurs,  à  cette 
époque,  toute  une  affaire  que  d'aller  à 
Paris,  il  fallait  dépenser  beaucoup  d'ar- 
gent et  de  temps.  En  partant,  on  crai- 
gnait de  ne  plus  revenir  et,  avant  le 
départ,  on  faisait  son  testament,  on  em- 
brassait les  siens  dans  un  adieu  qui 
semblait  à  tous  devoir  être  éternel.  Si, 
plus  tard,  on  revenait,  on  était  fêté, 
admiré  comme  un  homme  fort,  comme 
un  protégé  du  bon  Dieu. 

La  Révolution,  en  bouleversant  l'ordre 
ancien  de  toutes  choses,  a  manifeste- 
ment aussi  et  plus  vite  qu  on  le  croit 
changé  les  idées,  les  habitudes,  les 
mœurs.  Puis,  ce  qu  on  appelle  le  pro- 
grès a  mis  à  la  portée  de  tous  des  faci- 
lités nouvelles,  et  peu  à  peu  le  pays 
tout  entier  s'est  mis  en  marche  vers 
Paris.  On  ne  fait  plus  son  testament  en 
partant;  on  se  dit  :  bah!  si  ça  ne  va  pas 
là-bas,  je  reviendrai  bien  vite,  il  n'y  en 
VIII.  —  2. 


a  jjas  pour  longtemps.  La  facilité  du 
retour  et  le  développement  de  toutes 
les  industries,  ces  grandes  mangeuses 
d'hommes,  encouragent  tout  le  monde 
à  partir.  Il  est  à  remarquer  que  cette 
impulsion  est  devenue  toujours  plus 
grande  après  chaque  révolution.  L'exode 
de  la  province  ne  cesse  ainsi  d'aug- 
menter. Il  devient  un  danger  social.  La 
province  se  meurt,  et  Paris  est  atteint 
d'un  mal,  la  pléthore,  qui  a  bien  aussi 
ses  dangers. 

Cette  réunion  surabondante  de  ceux 
qui  pensent  et  travaillent  a  permis  à 
Victor  Hugo,  le  plus  grand  imagier  des 
poètes,  d'appeler  Paris  :  la  Ville  lumière. 

Malheureusement  toute  clarté  produit 
des  ombres,  et  celte  grande  lumière 
qu'est  Paris,  en  éclairant  le  monde,  en- 
fante, elle  aussi,  des  ombres,  et  quelles 
ombres  !  L'âme  sensible  et  le  cœur  juste 
qui  les  traversent  en  sortent  tout  saisis 
d'horreur  et  de  commisération. 

Dans  cette  ruche  en  travail,  combien 
n'ont  pu  surmonter  1  obstacle,  vaincre 
les  difficultés  de  la  lutte  et,  arrêtés  dans 
leur  labeur,  sont  tombés  laissant  passer 
devant  eux  les  plus  forts,  les  plus  chan- 
ceux! Les  moins  malheureux  ne  sont-ils 
pas  ceux  qui  sont  morts  tout  de  suite 
en  combattajit? 

Pour  quelques-uns  qu'un  coup  d'éner- 
gie a  fait  remonter  au-dessus  de  ce  re- 
mous humain,  combien  tombent  dans 
la  misère,  accablés  de  maux  de  toutes 
sortes,  et  les  maux,  les  maladies,  plus 
encore  que  les  prospérités,  ont  le  privi- 
lège de  s'engendrer  surtout  quand  le 
secours  vient  à  manquer  ! 

Le  malheur  en  est  souvent  privé  par 
la  bonne  raison  que  les  lutteurs,  la  plu- 
part du  temps,  ne  regardent  pas  derrière 
eux,  et  que  les  arrivés,  ceux  qui  ont 
atteint  le  port,  passant  le  reste  de  leur 
existence  à  se  glorifier  ou  à  jouir  des 
avantages  que  leur  donne  le  succès,  dé- 
tournent volontiers  les  yeux  de  l'hor- 
rible spectacle  de  la  misère  comme  d'un 


18 


UNE    SOCIÉTÉ    DE    CHARITÉ 


danger  auquel  ils  ont  échappé  et  dont 
ils  ont  rétrospectivement  encore  peur. 
Puis  n'arrive-t-il  pas  trop  souvent  que 
d'autres,  toujours  habitués  à  une  exis- 
tence facile,  se  laissant  absorber  par 
Toisivelé  et  les  plaisirs,  oublient  trop 
facilement  qu'il  y  a  autre 
chose  dans  le  monde? 
Mais  il  y  a  aussi  des 
âmes  charitables  dont 
le  dévouement  a 
toujours  essayé 


MAISON     DE     LA     RUE     LABAT 

Réunissant  un  asile  de  nuit  pour  femmes,  un  dispensaire 

de  venir  au  secours  des  douleurs  et  des 
souffrances  des  éprouvés  de  ce  monde. 
L'histoire  de  ces  belles  âmes,  de  ces 
nobles  dévouements  serait  longue  à  ra- 
conter, mais  combien  intéressante  ! 

Avant  la  Révolution ,  à  Paris,  les 
corporations  prenaient  volontiers  à  leur 
charge  les  compagnons  tombés  dans  la 
misère  ;  puis  de  nombreux  couvents 
s'occupaient  généreusement  des  misé- 
reux, et  les  pauvres,   cantonnés  chacun 


dans  son  quartier,  étaient  plus  volon- 
tiers secourus  par  les  habitants  qui  les 
connaissaient  pour  ainsi  dire  indivi- 
duellement; les  pauvres  n'étaient  pas 
encore  nomades. 

Pendant  la  Révolution,  la  nation  était 
occupée    à    faire    sortir    du    platonique 
pour  les   mettre   en    pratique  les  idées 
des  encyclopédistes  et  de  Rousseau,  qui 
lui    paraissaient    logiquement    déduites 
et  vraies.  La  conviction  que  ce  travail 
la    conduirait    au    bonheur    lui    faisait 
croire  qu'elle  n'avait  déjà  plus  de  maux. 
Sous  l'Empire,  les  victoires,  qui  suc- 
cédaient aux  victoires,  enthousiasmaient 
le  peuple.    Chaque   victoire   était  pour 
lui    l'occasion    d'une    fête,    et    à    peine 
une  fête  était-elle  terminée  qu'il  fallait 
assister  à   une  autre.   Il   n'avait  pas  le 
temps  de  songer  à  ses  douleurs,  pas  plus 
d'ailleurs  que  les  heureux  celui  de  penser 
à  les  soulager.  La  gloire, 
semblait-il,      nourrissait 
tout  le  monde. 

Mais  après  la  tempête, 
après  l'enivrement  de  la 
gloire,  quand  le  canon 
cessa  de  tonner,  le  calme 
vint  et  les  généreuses 
idées  de  liberté,  d'éga- 
lité, de  fraternité,  qu'on 
avait  jetées  en  pâture  à 
la  multitude,  ne  suffirent 
plus  pour  empêcher  les 
malheureux  fatigués  d'a- 
gitations et  de  gloire,  de 
sentir  leurs  misères  et  de 
les  constater  plus  nom- 
breuses encore. 

Pendant  ces  temps 
troublés,  l'assistance  publique,  créée 
par  la  ville  de  Paris  et  soutenue  par 
l'État,  était  bien  venue  avec  ses  hôpi- 
taux et  ses  bureaux  de  Lienfaisance  au 
secours  des  malheureux  les  plus  néces- 
siteux. Mais  les  ressources  de  l'assis- 
tance publique  sont  forcément  limitées, 
et  elle  se  trouva  bientôt  impuissante 
devant  l'accroissement  rapide  de  la  po- 
pulation, accroissement  qui  augmenta 
encore   dans  les  années  de   repos  et  de 


et  un  fourneau. 


UNE    SOCIÉTÉ    DE    CHARITÉ 


19 


paix  (louiices   au  pays  par  la   Reslaura- 
tion  et   le   f^ouveruemeiil   bourgeois  de 
I^ouis-Philippe. 

L'assistance    publi- 
que est  devenue  for- 
cément    un      rouage 
minislration  ;  elle 


HABITATION    É  C  0  X  O  M  I  Q  U  E 

Rue  d'Alsace  à  Clichy,  façade 
sur  le  jardin. 

est  toujours  imperson- 
nelle, et  ses  employés 
ne  sont  que  les  exécu- 
tants désintéressés  des 
ordres  donnés  par  un 
conseil  supérieur  loin 
des  malheureux.  Aussi 
ils  ne  peuvent  avoir  cet 
esprit    de  charité  et  ce 


sentiment  du  dévouement,  qui  animent 
ceux  que  les  soulîrances  vues  de  près 
excitent  à  donner  eux-mêmes  leur  propre 
argent  et  la  sympathie  de  leur  cœur. 
Donner  est  bien,  mais  mieux  encore  est 
de  donner  d'une  certaine  manière  qui, 
au  lieu  d  humilier  les  pauvres,  les  relève 
à  leurs  yeux  en  leur 
faisant  comprendre 
quils  sont  sympa- 
thiques. Ce  témoi- 
gnage double  le  se- 
cours donné  et 
accepté.  Eux  aussi 
ont  une  âme  et  un 
cœur  sensibles.  La 
charité  ofticielle  est 
froide,  la  charité 
privée  est  du 
cœur  en  ac- 
tion. 

La    charité 


HABITATION     ÉCONOMIQUE,  avenue  de  Saint-Mindé. 


MEME    MAISON 
Façade    sur    la    rue. 

privée,  mise  en  éveil 
par  linsuflisance  des 
secours  donnés,  a  su, 
avec  le  génie  et  le 
dévouement  qui  la  ca- 
ractérisent, créer  un 
très  grand  nombre 
d'œuvres  charitables 
adaptées  à  tous  les 
genres  de  soulTrances 
que  doit  engendrer  une 
population  presque  de 
3  millions  d'âmes. 
Ce   mouvement  cha- 


20 


UN?:    SOCIÉTÉ    DE    CHARITÉ 


ritable  a  commencé  surtout  avec  la  tran- 
quillité donnée  à  la  nation  par  la  fin 
des  guerres  de  l'Empire  et  s'est  continué 
depuis  sans  arrêt,  allant  toujours  en 
progressant.  Il  semblait  que  la  création 
d'œuvres  nouvelles  faisait  surgir  la 
nécessité  d'en  créer  d'autres  pour  les 
compléter.  Aujourd'hui,  si  les  pauvres 
sont  nombreux  à  Paris,  les  œuvres 
charitables  se  comptent  par  centaines, 
et  les  sommes  qu'elles  reçoivent  et  dé- 
pensent au  profit  des  pauvres  sont 
incalculables. 

En  compulsant  toutes  ces  additions,  on 
se  demande  si  véritablement  le  peuple  est 
en  droit  de  s'insurger  contre  les  riches  et 
de  dire  qu'ils  ne  font  rien  pour  les  malheu- 
reux. Pour  se  rassurer  à  cet  égard,  il  ne 
faut  que  feuilleter  le  livre  d'or  de  la  cha- 
rité qui,  comme  le  mal,  est  contagieuse. 

Parmi  la  grande  quantité  d'œuvres  qui 
existent  aujourd'hui  et  sont  prospères, 
deux  seulement  sont  centenaires.  Il  y  a 
d'abord  la  Société  de  Sainl-\'inccnt-de- 
Paul,  dont  tout  le  monde  connaît  l'ori- 
gine, et  ensuite  la  Société  philanthro- 
pique, fondée  en  1780. 

Avant  la  Révolution,  on  ne  connais- 
sait que  la  charité  d'homme  à  homme;  il 
n'y  avait  pas  ce  qu'on  appelle  aujour- 
d'hui des  œuvres  de  charité  ou  des  socié- 
tés de  charité,  c'est-à-dire  l'union  volon- 
taire de  personnes  qui  se  réunissent  dans 
le  but  de  se  dévouer  personnellement  au 
soulagement  des, misères  quelles  qu'elles 
soient.  On  peut  cependant  trouver  l'em- 
bryon de  cette  sorte  de  société  quelques 
années  avant  1789  dans  la  réunion  des 
sept  personnes  qui  occupaient  des  charges 
importantes;  elles  mirent  en  commun 
leur  argent  et  leur  dévouement  pour 
venir,  au  moyen  de  pensions,  au  secours 
d'octogénaires  et  de  nonagénaires  aban- 
donnés. Devenus  plus  nombreux,  ils  for- 
mèrent une  société  à  laquelle  ils  donnè- 
rent le  nom  de  Société  philanthropique. 
Avoir  ainsi  inauguré  ce  genre  nouveau 
d'association  est  tout  à  l'honneur  de  cette 
Société.  Partie  d'aussi  petits  commence- 
ments, elle  a  vite  grandi,  tant  est  grande 
la  force  de  l'esprit  de  charité.  C'est  elle 


qui  légua  ses  jeunes  aveugles  à  M.  Haiiy 
et  sut,  par  ses  subventions,  l'aider  à  fon- 
der V Institut  des  jeunes  aveugles.  Après 
diverses  péripéties,  presque  toujours  con- 
séquences involontaires  des  événements 
politiques,  elle  n'a  eu  une  existence  assu- 
rée que  le  jour  où  elle  a  été  reconnue 
Etablissement  d\itilité publique,  en  sep- 
tembre 1839.  A  partir  de  ce  moment, 
devenue  personne  civile,  capable  de  rece- 
voir, elle  vit  arriver  à  elle  des  dons  et 
des  legs  qui  lui  permirent  un  développe- 
ment presque  régulier,  et  aujourd'hui  elle 
dirige  avec  succès  de  nombreuses  œuvres 
de  charité  qu'elle  a  inventées  et  créées. 
Ces  œuvres  charitables  s'adressent  à 
presque  tous  les  genres  de  misères. 

On  ne  peut  malheureusement  pas  sup- 
primer toutes  les  souffrances,  mais  il  suf- 
ht  d'en  rechercher  les  causes  principales 
pour  y  trouver  sinon  un  remède  radical, 
tout  au  moins  une  grande  atténuation. 
Dans  cet  ordre  d'idées,  les  membres  de 
la  Société  philanthropique  ont  beaucoup 
osé  et  leurs  entreprises  ont  eu  celte  faveur 
particulière  de  voir  leurs  succès  consa- 
crés par  la  création  d'œuvres  similaires. 
Se  voir  ainsi  suivis  dans  la  voie  ouverte 
par  eux  a  été  la  récompense  de  leurs 
efforts  dévoués  à  la  cause  des  pauvres. 

La  Société  philanthropique  a  com- 
mencé par  essayer  de  soulager  la  plus 
dure  de  toutes  les  souffrances,  la  faim,  et 
elle  a  créé  les  fourneaux  économiques. 
Elle  a  en  ce  moment  vingt -huit  four- 
neaux ouverts  et  en  plein  exercice. 

Le  fourneau  a  toujours  deux  pièces. 
La  première  est  une  grande  salle  ayant 
au  milieu  plusieurs  tables  entourées  de 
bancs.  Dans  un  fourneau  les  tablés  sont 
en  marbre.  Cette  pièce  est  séparée  .de 
la  cuisine  par  une  cloison  vitrée  dans 
laquelle  est  ménagé  un  guichet  qui  per- 
met à  la  directrice  du  fourneau  ou  à  ses 
aides  de  passer  au  pauvre  la  portion 
qu'il  a  demandée  en  échange  d'un  bon 
de  la  Société  ou  contre  argent  :  un  ou 
deux  sous.  Les  soupes  sont  servies  dans 
de  grands  bols  accompagnés  d'une  cuil- 
ler en  étain.  Les  autres  mets  sont  don- 
nés   dans   des    assiettes   blanches  et  on 


UNE    SOCIÉTÉ    DE    Cil  A  RITE 


21 


prêle  des  l'ourchelles  eu  mêlai  blanc. 
Le  clienl,  après  avoir  reçu  sa  portion, 
va  s  asseoir  devanl  la  table  recouverte 
dune  toile  cirée,  lavée  plusieurs  fois  par 
jour.  Il  peut  ainsi  manger  en  toute  tran- 
quillité dans  une  pièce  chauil'ée. 

Pour  un   sou   on  peut  avoir  un  gros 
morceau  de  pain  ou  un  bol  dune  bonne 


Une  fontaine  remplie  deau  de  café  ou 
de  coco,  selon  la  »aison,  est  toujours  pla- 
cée dans  un  coin  de  la  salle  et  mise  gra- 
tuitement à  la  disposition  du  pauvre.  Les 
fourneaux  sont  ouverts  tons  les  jours  de 
la  semaine  jusqu  à  midi,  quelques-uns 
jusqu'à  sept  heures  du  soir. 

Les  bons  de  la  Société  philanthropique 


FOURXEAU     ÉCONOMIQUE     DE    LA     SOCIÉTÉ     PHILANTHROPIQUE,     RUE     CORIOLIS 


soupe  bien  chaude,  quelquefois  c'est  du 
bouillon.  Le  menu  varie  chaque  jour. 
Il  est  affiché  dans  le  réfectoire  et  le 
pauvre  peut  choisir.  Il  y  a  toujours  plu- 
sieurs plats  :  ragoût ,  bœuf,  saucisses, 
lard,  macaroni ,  pommes  de  terre,  fro- 
mage, chocolat,  etc.  Toutes  les  portions 
sont  de  10  centimes  payés  soit  en  argent, 
soit  par  un  bon  de  la  Société.  On  peut 
aussi  recevoir  contre  un  bon,  du  char- 
bon, de  la  braise  ou  des  fagotins.  De- 
puis quelques  années,  on  donne  pour  un 
sou  une  bonne  tasse  de  café  avec  deux 
ou  trois  morceaux  de  sucre. 


représentent  l'ancien  cachet  de  la  So- 
ciété :  un  champ  sur  lequel  tombe  leau 
bienfaisante  d'un  arrosoir  tenu  par  une 
main  à  demi  cachée  dans  un  nuage.  La 
bienfaisance  vient  du  ciel. 

Les  clients  des  fourneaux  ne  sont  pas 
tous  des  mendiants.  Beaucoup  d'hon- 
nêtes ouvrières,  occupées  hors  de  chez 
elles  et  n'ayant  pas  le  temps  de  prépa- 
rer leur  repas  ou  celui  du  mari  et  des 
enfants,  viennent  y  chercher  leur  pain 
et  plusieurs  portions  qu'elles  emportent 
chez  elles  pour  les  manger  en  famille.  II 
est  rare  qu'on  se  dispute  dans  les  four- 


UNE    SOCIÉTÉ    DE    CHARITÉ 


neaux  cl  on  y  remarque  Cfue  la  pauvreté 
ne  fait  pas  perdre  à  la  l'emnie  les  privi- 
lèges dus  à  son  sexe. 
-  Les  maladies  ne  sont  guère  moins 
dures  aux  pauvres  que  la  faim  et  le  mal- 
heureux malade  qui  manque  de  secours 
est  véritablemenl  misérable.  Il  y  avait 
bien  les  hôpitaux  où  il  pouvait  aller; 
mais  ceux-ci  ne  peuvent  pas  recevoir 
tous  les  malades  qui  se  présentent  ;  les 
règlements  sont  sévères  et  la  place 
manque  souvent. 

Le  remède  à  cet  état  de  choses  a  été 
la  création  de  dispensaires  où  le  malade 
peut,  à  son  choix  et  à  son  heure,  avoir 
la  consultation  dun  bon  médecin  et  rece- 
voir gratuitement  les  médicaments  or- 
donnés. Dès  1803,  une  carte  de  la  Société 
philanthropique  donnait  droit  à  l'entrée 
dans  l'un  des  trois  dispensaires  créés  à 
cette  époque,  j^a  carte  coûtait  10  francs. 

Aujourd'hui,  la  Société  a  vingt-huit 
dispensaii'es  pour  adultes  et  sa  clientèle 
augmente  tous  les  jours.  Elle  ne  se  com- 
pose pas  seulement  de  personnes  tout  à 
fait  pauvres,  mais  aussi  de  celles  qui 
fuient  l'hôpital  par  orgueil  ou  par  un 
sentiment  de  dignité  compréhensible  et 
qui,  s'efforçant  de  cacher  leur  état  de 
misère,  craignent  de  la  trop  montrer  en 
y  allant.  Les  pauvres  honteux  sont  plus 
nombreux   qu'on   le  pense. 

Mais  une  des  créations  les  plus  inté- 
ressantes de  la  Société  philanthropique, 
ce  sont  les  dispensaires  d'enfants,  dont 
le  premier  a  été  ouvert ,  en  1883,  dans 
la  maison  hospitalière  de  la  rue  de  Gri- 
mée, n"  166,  sur  le  modèle  d'un  dispen- 
saire à  peu  près  semblable,  fondé  et  dirigé 
au  Havre  par  le  docteur  Gibert. 

On  ne  peut  pas  visiter  ces  dispensaires 
sans  éprouver  quelque  vive  émotion  cau- 
sée par  le  nombre  vraiment  incroyable 
des  pauA'res  petits  êtres  chétifs  et  malin- 
gres, aux  figures  blêmes  et  déjà  étiolées, 
qui  viennent  y  faire  soigner  des  maux 
de  toute  sorte  et  c'est  aussi  un  réel  sou- 
lagement d'y  acquérir  la  certitude  qu'ils 
seront  guéris  ou  soulagés,  grâce  aux  soins 
des  docteurs  et  des  Sœurs  qui  dirigent 
les  disj^ensaires. 


Les  petits  enfants,  dans  les  quartiers 
ouvriers  surtout,  sont  chétifsel  malades. 
Les  familles  y  sont  nombreuses,  les  loge- 
ments étroits,  la  nourriture  souvent 
insuffisante,  l'hygiène  mal  observée.  Dans 
ces  milieux  misérables  les  enfants  se  dé- 
veloppent mal  et  prennent,  faute  de  soins 
donnés  en  temps  opportun,  les  germes 
de  maladies  graves  qui  se  développent 
avec  la  croissance,  sans  compter  tous  les 
petits  maux  qui  s'aggravent  faute  d'une 
opération  faite  sur  le  moment.  Les  mères, 
dans  ces  occurrences,  n'ont  d'autres  res- 
sources que  le  médecin  de  quartier,  ce 
qui  coûte  cher  quand  les  visites  du  mé- 
decin et  aussi  les  médicaments  doivent  se 
multiplier,  ou  bien  encore  l'hôpital  pour 
enfants;  mais  alors  il  faut  un  cas  grave. 
La  place  manque  presque  toujours,  et  il 
faut  que  l'enfant  attende  longtemps  son 
tour,  tandis  qu'un  traitement,  appliqué 
à  temps,  pourrait  arrêter  le  mal  dans  sa 
germination  et  guérir  le  petit  malade. 
D'un  enfant  chélif,  destiné  tôt  ou  tard 
aux  infirmités  ou  à  la  mort,  on  pourrait, 
en  le  traitant  tout  de  suite,  faire  un 
enfant  sain  et  capable  de  vivre.  Les 
exemples  sont  nombreux. 

G'est  cette  pensée  du  secours  donné 
immédiatement,  en  temps  voulu,  sans 
perte  de  temps,  qui  a  inspiré  la  Société 
dans  la  création  de  ses  dispensaires. 

Dans  ces  dispensaires  les  enfants  sont 
admis  depuis  le  premier  âge  jusqu'à 
douze  ans.  Les  consultations  ont  lieu 
deux  ou   trois   fois    par  semaine. 

A  la  consultation,  on  fait  toutes  les 
opérations  de  la  petite  chirurgie:  ce 
n'est  pas  le  seul  avantage  qu'offre  le  dis- 
pensaire. L'œuvre  est  complétée  par  une 
mesure  excellente  qui  en  double  les  mé- 
rites. Pour  s'assurer  que  les  ordonnances 
seront  bien  exécutées  et  régulièrement 
appliquées,  on  exige  que  les  enfants  re- 
viennent chaque  jour  au  dispensaire  jus- 
qu'à complète  guérison  pour  y  prendre, 
sous  l'œil  de  la  directrice,  les  remèdes 
ordonnés.  On  leur  donne  ainsi  sur  place 
des  bains,  des  douches,  des.  sirops,  de 
l'huile  de  foie  de  morue,  du  lait,  du  vin 
de  quinquina,  etc.  On  fait  les  pansements. 


UNE    SOCIÉTK    DE    CHARITE 


23 


Les  enfanls  les  plus  pauvres  viennent  le 
malin  prendre  une  soupe  chaude  et 
reçoivent  des  vêtements  que  les  direc- 
trices prennent  dans  un  vestiaire  fjéné- 
reusement  entretenu  par  les  dames 
patronnesses. 

Les    soins    et    les    médicaments    sont 
donnés  j^ratuitement  sur  la  présentation 
dune  carte  achetée 
par    une   personne 
charitable  et  don- 
née à  lenfant. 

Le  dernier  dis- 
pensaire, de  fon- 
dation récente,  est 
connu  dans  le 
monde  de  la  cha- 
rité sous  le  joli 
nom  de  la  Maison 
des  bijoux.  L  his- 
toire mérite  d'être 
contée. 

Un  jour,  une 
dame,  désireuse  de 
faire  la  charité 
d'une  manière  plus 
particulièrement 
utile,  vint  apporter 
à  la  Société  philan- 
thropique un  don 
g- é n é r e u X  en  la 
priant  de  l'appli- 
quer à  une  de  ses 
œuvres.  Elle  visita 
alors  un  dispen- 
saire d'enfants. 
Après  avoir  con- 
staté tout  le  bien 
qu  il  faisait,  elle  re- 
marqua     combien 

peu  d'enfants  dans  Paris  pouvaient  en 
profiter.  Les  seuls  enfants  du  quartier 
pouvaient  y  venir,  c'était  trop  loin  pour 
tous  les  autres.  Elle  revint  le  lendemain, 
son  cœur  et  son  imagination  de  grande 
artiste  avaient  été  émus  et  elle  apportait 
tous  ses  bijoux,  beaux  et  nombi-eux.  en 
disant  :  Avec  cela  vous  pourrez  construire 
un  nouveau  dispensaire  dans  un  autre 
coin  de  Paris,  et  il  y  aura  un  peu  plus 
d'enfants  soignés  et  de  mères  consolées. 


!        L'n  an  après,  le  dispensaire  était  con- 
i   struit   et   à   son   inauguration   le   prince 
I   d'Arenberg,  président  de  la  Société  phil- 
anthropique, le  baptisa  :  la  Maison  des 
bijoux  et  le  nom  lui  est  resté. 

Des  dispensaires  d'enfants   aux   asiles 

,   de  nuit  pour  femmes,  il  n'y  a   pas   loin, 

puisqu'ils    sont    tous    ouverts    dans    les 


D  I  s  P  E  X  .s 


AIRE      D'EXFAXTS     ET      FOTRXEAU 
RUE    JEAX-MARIE-JÉGO 

:   mêmes  maisons,  et  s'il  est  intéressant  de 
voir  les  uns,  il   n'est  pas   moins  curieux 
I   de  visiter  les  autres.   La  Société  philan- 
I   thropique    a    beaucoup    fait    pour    les 
I   femmes  que  leur  faiblesse  et  leur  condi- 
!   tion.  souvent  si  misérable,  rendent  inca- 
pables   de   se   défendre   sans   protection 
dans  la  dure  lutte  pour  la  vie. 
!        Pour  elles,  la  Société  a  d'abord  créé 
I   les  asiles  de  nuit,  puis  les  dortoirs  pour 
femmes   enceintes  et   enfin  une  maison 


UNE    SOCIETE    DE    CHARITÉ 


dite  Asile  maternel  où  on  soigne  avec 
leurs  enfants  les  femmes  nouvellement 
accouchées.  Ces  différentes  œuvres  sont, 
pour  ainsi  dire,  nées  les  unes  des  autres 
et  se  complètent. 

Il  y  a  aujourd'hui  trois  asiles  de  nuit, 
tous   disposés   et   réglés   dans    le   même 


un  grand  lavabo.  Le  long  du  mur  court 
une  conduite  d'eau  avec  de  petits  robi- 
nets de  distance  ç\\  dislance  et  une 
large  gouttière  au-dessous  destinée  à 
recevoir  les  eaux  pour  Tablution.  Dans 
un  coin  sont  cinq  cases  séparées  par  un 
rideau  et  à  hauteur  suffisante  un  réser- 


INTÉRIEUR    DE    FOURNEAU.  Tableau  d'après  nature,  de  Geolïro}-. 


ordre  d'idées.  Le  premier  est  celui  de  la 
rue  de  Crimée.  Au  rez-de-chaussée  se 
trouve  le  bureau  du  gardien,  à  la  suite 
une  grande  salle,  très  haute  de  plafond, 
chaufTée  en  hiver  par  un  grand  poêle. 
Elle  contient  vingt  lits  en  fer  suffisam- 
ment espacés  entre  eux.  Les  lits  sont 
garnis  d'un  sommier  élastique,  d'un  bon 
matelas  et  de  couvertures  chaudes.  Au- 
dessus  du  lit,  on  a  placé  un  numéro  et 
une  plaque  portant  le  nom  du  donateur. 
Au  premier  étage,  il  y  a  deux  dortoirs 
meublés  de  la  même  façon,  sauf  que  dans 
l'un  d'eux,  auprès  de  chaque  lit,  il  y  a 
un  petit  berceau  tout  garni.  A  côté  du 
dortoir  du  rez-de-chaussée,  on   a   établi 


voir  d'eau  permet  de  prendre  une  douche 
de  propreté.  Plus  loin,  il  y  a  une 
chambre  à  soufrer,  sorte  de  grande 
étuve    hermétiquement  close. 

Quand  une  femme  arrive  pour  de- 
mander l'hospitalité,  elle  se  présente 
d'abord  au  bureau  du  gardien  ;  elle 
donne  ses  nom  et  prénoms  ;  oh  ne  lui 
demande  rien  autre  chose.  Elle  reçoit 
alors  un  numéro  qui  lui  indique  la  salle 
dans  laquelle  elle  doit  aller  et  le  lit 
qu'elle  occupera.  Si  la  femme  est  sale, 
on  l'envoie  dans  le  dortoir  du  rez-de- 
chaussée.  Quand  elle  est  couchée,  on 
prend  ses  vêtements  qu'on  porte  à  l'étuve. 

La  femme  dont  la  tenue  est  décente, 


UNE    SOCIKTK    DE    CHARITÉ 


'Ib 


el  qui  paraît  plus  malheureuse  que  mi- 
sérable, est  placée  dans  le  dortoir  du 
l)remier  étage  et,  si  elle  a  avec  elle  un 
ou  plusieurs  enfants,  on  la  met,  avec  sa 
petite  famille,  dans  le  dortoir  aux  ber- 
ceaux. Il  est  de  règle  que  toutes  les 
femmes  doivent,  avant  d'entrer  au  dor- 


dc  très  honnêtes  filles  qui  perdent  leurs 
places  et  ne  savent  plus  que  devenir; 
d'autres  qui  viennent  de  la  province 
avec  un  tout  petit  pécule,  le  dépensent 
vile  pendant  qu'elles  cherchent  inutile- 
ment une  occupation  et,  les  ressources 
épuisées,  ne  savent  plus  où  aller.   Elles 


A  S I  L  K    .M  A  T  E  R  S  E  i,     A  \-  E  N  u  E    1)  T    M  A 1 N  E.  Salle  de  travail. 


loir,  passer  par  le  lavabo  ou  la  salle  des 
douches. 

Les  femmes  peuvent  coucher  trois 
nuits  de  suite  à  Tasile  ;  le  matin,  elles 
font  leurs  lits,  prennent  une  soupe  et 
sortent  pour  aller  chercher  du  travail. 

Les  femmes,  qui  viennent  à  Tasile, 
sont  souvent  des  femmes  battues,  chas- 
sées de  chez  elles  par  de  mauvais  maris, 
de  méchants  pères  qui,  au  lieu  de  paye, 
rapportent  le  soir  des  coups  et  de  Tivro- 
gnerie,  et  que  Ton  fuit  en  emportant 
avec  soi  les  enfants  ;  il  y  a  aussi  des 
filles  malheureuses  que  l'inconduite  a 
réduites  à  la  plus  afîreuse  misère.  Il  y  a 
encore,  et  elles  sont  assez  nombreuses. 


viennent  alors  à  l'hospitalité  de  nuit 
toutes  désespérées.  Souvent,  en  venant 
frapper  à  cette  porte,  elles  trouvent 
sinon  la  fortune,  tout  au  moins  le  salut. 

L'expérience  des  directrices  de  ces 
maisons  a  vite  fait  de  les  reconnaître 
et  leur  dévouement  sait  trouver  pour 
celles-là,  aussi  bien  que  pour  les  autres, 
du  travail  ou  une  place. 

Mais  il  n'y  a  pas  que  ces  femmes  qui 
viennent  se  réfugier  dans  les  asiles. 
Récemment,  une  jeune  femme  de  vingt- 
huit  à  trente  ans,  bien  mise  et  de  tour- 
nure assez  distinguée ,  vint  frapper,  à 
une  heure  assez  avancée  de  la  nuit,  à  la 
porte   de   l'une   de    ces    maisons   hospi- 


26 


UNE    SOCIÉTÉ    DE    CHARITÉ 


SALLE     D'HOPITAL     DE     LA     SOCIÉTÉ     PHILANTHROPIQUE,     A     C  L I C  H  Y 


talières.  Elle  était  tout  émue,  tout 
agitée,  toute  tremblante  et  en  pleurs. 
Aux  coups  redoublés  qu'elle  frappe  sur 
la  porte,  le  g-ardien  ouvre.  Elle  demande 
à  voir  la  directrice.  Sur  le  refus  du  gar- 
dien, elle  insiste  tellement,  et  pleure 
tant,  que  la  supérieure  est  avertie,  arrive 
et  emmène  la  jeune  femme  dans  son 
cabinet.  Là,  les  pleurs  redoublent,  et  la 
pauvre  femme,  toute  honteuse,  conte 
son  histoire  à  la  sœur. 

Elle  était  la  femme  d'un  grand  bou- 
tiquier de  Paris  et  mère  d'une  toute 
petite  fille.  Depuis  quelque  temps,  elle 
soupçonnait  son  mari  d'infidélité  et  elle 
venait,  il  y  avait  seulement  quelques 
heures,  de  le  surprendre  en  complète 
intimité  avec  sa  servante.  Furieuse,  elle 
avait  fait  à  son  mari  de  vifs  reproches. 
Une  scène  violente  s'en  était  suivie  et, 
affolée,  elle  avait  quille  la  maison,  aban- 
donnant tout  et  ne  sachant  où  elle  irait. 
Pendant  qu'elle  courait  ainsi,  incer- 
taine, la  nuit  se  faisait  plus  grande,  les 
rues  devenaient  désertes;  ne  sachant 
que  faire  et  courant   toujours  et  igno- 


rant même,  dans  son  trouble,  où  elle  se 
trouvait,  elle  avait  eu  peur  et,  aperce- 
vant l'asile  de  nuit,  l'idée  lui  était  venue 
de  frapper  à  la  porte  et  de  demander  un 
abri.  En  terminant  son  récit,  elle  s'était 
jetée  dans  les  bras  de  la  directrice  en 
disant  qu'elle  était  trop  malheureuse. 

Touchée,  la  directrice  la  console  de 
son  mieux,  la  garde  la  nuit  et,  le  len- 
demain malin,  avec  son  consentement, 
écrit  au  mari. 

Celui-ci,  qui  avait  partout  inutile- 
ment cherché  sa  femme,  arrive  tout  dé- 
solé. La  réconciliation  se  fait  sous  les 
doux  auspices  de  la  supérieure.  Au 
reproche  que  le  mari  fait  à  sa  femme  de 
s'être  réfugiée  dans  un  pareil  lieu  de 
misère,  elle  répond  qu'à  une  heure  aussi 
avancée  de  la  nuit,  c'était  le  seul  endroit 
où  elle  pouvait  être  à  l'abri  et  hors  de 
tout  soupçon.  Depuis  cette  soirée  mé- 
morable, le  jeune  ménage,  redevenu 
heureux,  envoie,  chaque  année,  des 
fleurs  à  la  directrice  de  l'asile  et  de  l'ar- 
gent pour  ses  pauvres.  Ces  sauvetages 
sont  plus  fréquents  qu'on  le  pense. 


UNE    SOCIÉTÉ    DE    CHARITÉ 


27 


Souvent  des  lemmes  assez  avancées 
dans  leur  ^^rossosse  pour  ne  pouvoir  plus 
travailler  sont  venues  passer  la  nuit 
dans  ces  asiles  et  ne  savaient  plus  ni 
où  coucher,  ni  e( miment  vivre  après  les 
trois  nuits  ré-^lenientairement  accordées. 
Alors  il  est  arrivé  que,  par  pitié,  une 
salle  spéciale  leur  a  été  réservée,  et 
qu'on  les  a  f^^ardées  jusqu'à  leur  entrée 
à  la  Maternité.  Cela  a  été  l'origine  des 
dortoirs  des  femmes  enceinles. 

Mais  comme  les  idées  heureuses  vont 
toujours  à  leur  entier  développement, 
cette  pi^emière  création  a  conduit  à  la 
fondation  de  l'asile  maternel. 

On  s'est  aperçu  que  ces  malheureuses 


femmes,  accouchées  à  la  Maternité,  en 
sortent  obligatoirement  au  neuvième 
jour  de  leurs  couches,  et  que  cette  sévé- 
rité du  règlement  a  souvent  pour  elles 
des  conséquences  très  dures. 

Pas  assez  remises  pour  travailler  à  la 
sortie  de  Thôpital,  elles  sont  alors 
exposées  ou  à  la  misère  dans  le  moment 
présent  ou,  plus  tard,  si  malgré  tout 
elles  travaillent,  à  des  infirmités  qui  les 
condamneront  à  gagner  leur  vie  en  souf- 
frant toujours. 

Alors  on  a  songé  à  créer  un  établis- 
sement dans  lequel  on  garderait  les 
femmes  accouchées  et  leurs  enfants  pen- 
dant neuf  jours  après  leur  sortie  de  la 


COUR     INTÉUIEIUE     DU     DullToIU     DES     FEMMES     EXCEIXTES     ET      DU     FOURNEAU 
DE      LA      RUE     S  A  I  X  T  -  J  A  C  Q  U  E  S 


38 


UNE    SOCIÉTÉ    DE    CIIAUITÉ 


Maternité.  Un  legs  important,  donné 
par  une  jeune  dame  charitable,  a  permis 
de  fonder  cet  établissement  auquel  on  a 
donné  le  nom  d'Asile  maternel. 

Le  nom  lui  a  porté  bonheur  ;  depuis 
sa  fondation ,  de  nouveaux  dons  ont 
permis  de  reconstruire  lasile  et  d'y  ap- 
porter tous  les  perfectionnements  mo- 
dernes d'une  parfaite  hygiène. 

L'asile  maternel  a  été  placé  dans  un 
quartier  sain  et  aéré. 

Il  est  situé  avenue  du  Maine,  près  de 
l'église  de  Montrouge,  au  fond  d'un 
jardin.  Il  a  ainsi,  devant  lui,  de  grands 
espaces  qui  lui  assurent  beaucoup  d'air 
et  de  soleil.  Sur  la  façade,  une  plaque 
de  marbre  porte  les  noms  des  donateurs, 
î^'asile  est  tenu  par  des  religieuses  dé- 
vouées qui  savent,  à  force  de  bonté  et 
de  douceur,  se  faire  aimer  même  par  les 
plus  indifférentes  de  leurs  pensionnaires. 

En  entrant,  à  gauche,  le  cabinet  de 
la  supérieure  s'ouvre  sur  le  vestibule. 
Il  est,  comme  toutes  les  pièces  de  la 
maison,  très  haut  de  plafond,  éclairé 
par  une  grande  fenêtre  qui  le  remplit 
de  lumière  et  de  soleil.  Il  ne  peut  donner 
à  la  pauvre  nouvellement  accouchée  qui 
y  entre  qu'une  impression  de  gaieté  et 
un  avant-goût  de  bien-être. 

Dans  une  des  cloisons  du  bureau,  on 
aperçoit  un  grand  châssis  vitré  et  cou- 
vert d'un  rideau  blanc.  Ce  vitrage 
permet  à  la  supérieure  de  surveiller,  tout 
en  travaillant,  la  grande  salle  où  les 
femmes  se  tiennent  pendant  la  journée 
avec  leurs  bébés.  C'est  une  grande  pièce 
plus  longue  que  large,  de  5  mètres  d'élé- 
vation de  plafond,  ayant  sept  à  huit 
fenêtres  qui  tiennent  toute  la  hauteur 
de  la  pièce.  Au  milieu,  il  y  a  une  longue 
table  autour  de  laquelle  les  femmes  se 
tiennent  ;  puis  le  long  des  murs,  de  chauds 
berceaux  dans  lesquels  les  mères  peuvent 
déposer  leurs  bébés  pendant  qu'ils  dor- 
ment. 

Après  avoir  donné  à  la  supérieure  ses 
noms  et  tous  les  renseignements  qu'elle 
est  libre  de  garder  pour  elle,  la  jeune 
mère  qui  se  présente  à  l'Asile  maternel 
monte  au  dortoir,  dépose  dans  une  petite 


armoire  personnelle  tout  ce  qu'elle  ap- 
porte. Presque  toujours  un  simple  mou- 
choir suffit  pour  contenir  toute  sa  petite 
fortune.  Le  rangement  fait,  la  femme 
redescend  et  va  dans  la  salle  commune 
se  mêler  à  ses  nouvelles  compagnes. 

Le  soir,  quand  elle  remonte  au  dor- 
toir, elle  trouve  sur  le  berceau  de  son 
enfant  toute  une  petite  layette  qu'elle 
emportera  à  sa  sortie  de  l'asile. 

Il  y  a  trois  dortoirs.  On  a  ainsi  voulu 
éviter,  pour  la  nuit,  une  trop  grande 
agglomération  de  femmes  et  d'enfants 
dans  la  même  pièce.  Ils  sont  très  éclairés, 
irèsr  aérés  et  suffisamment  chaulfés. 
Chacun  n'a  que  douze  lits  et  douze  ber- 
ceaux ornés  de  rideaux.  A  côté  de 
chaque  dortoir,  il  y  a  un  grand  cabinet 
de  toilette  contenant  douze  lavabos, 
chaque  femme  peut  ainsi  conserver  la 
même  toilette  pendant  son  séjour.  A 
côté,  on  a  établi  une  salle  spéciale  pour 
les  douches  et  les  soins  particuliers  à 
donner  aux  femmes  qui  sont  souffrantes. 
Enfin,  dans  l'aile  de  l'asile  qui  fait  pen- 
dant à  la  salle  de  travail,  se  trouve  le 
réfectoire,  grande  pièce  très  haute  de 
plafond.  I^es  femmes  y  viennent  le  ma- 
tin prendre  ou  du  lait  ou  de  la  soupe. 
A  midi,  elles  ont  un  déjeuner  composé 
d'un  plat  de  viande,  de  légumes  et  de 
fromage  ;  le  soir,  à  six  heures  et  demie, 
le  dîner  est  plus  important.  Le  pot-au- 
feu  et  le  gigot  alternent ,  on  donne  à 
chaque  femme  un  quart  de  vin  et  le  pain 
à  discrétion, 

A  ce  régime  réconfortant,  les  pauvres 
femmes  prennent  quelques  forces  et  sont 
alors  en  état  d'allaiter  leurs  bébés  jus- 
qu'au jour  où  elles  doivent  quitter  l'asile. 
Elles  ont  droit  à  neuf  jours;  il  arrive 
quelquefois  qu'on  les  garde  un  peu  plus. 

L'œuvre  ne  serait  pas  complète  si  les 
sœurs  ne  s'occupaient  que  de  donner 
des  soins  à  ces  femmes  et  à  leur  rendre 
les  forces  perdues.  Pour  quelques-unes, 
femmes  honnêtes,  qui  en  sortant  retrou- 
veront ou  un  mari  ou  une  place  momen- 
tanément quittée,  combien  sont  complè- 
tement sans  ressources,  incapables  de  se 
procurer  du  travail,  dont  elles  ont  corn- 


UXH    SOCIÉTÉ    DE    CHARITÉ 


2a 


plèLemeiil  perdu  rii;il)ilii(le,  el  ne  sau- 
ront que  devenir,  elles  et  leurs  eufanls, 
à  la  sortie  de  l'Asile  ! 

C'est  à  ramener  le  calme  dans  leur 
cœur,  à  les  aider  à  sortir  d'embarras,  à 
leur  assurer,  si  faire  se  peut,  tout  au 
moins  le  présent,  que  la  charité  des 
sœurs  s'emploie. 

Elles  pensent   tout  d'abord  aux  petits 


venir  les  mensualités ,  de  prendre  des 
nouvelles  de  l'enfant  qu'elles  donnent 
ensuite  à  la  mère.  Ces  sollicitudes  sont 
un  véritable  bienfait  pour  la  pauvre  mère 
qui,  se  sentant  ainsi  soutenue,  reprend 
conrag-e,  s'attache  mieux  à  son  enfant  et 
s'ellorcede  travailler  pour  payer  au  moins 
une  partie  des  mois  de  nourrice.  Il  en  est 
qui,  remontées  par  cette  assistance,  con- 


VVF.     PUISE      AU     FOTRNE.VU      DE     LA     RUE      AMBROlSE     PARÉ    (le    matin.) 


enfants  quelles  font  baptiser  avec  le 
consentement  des  mères  et  celles-ci  sont 
toujours  les  premières  à  le  demander. 
Puis  elles  s'occupent  de  leur  placement 
en  nourrice  soit  avec  le  secours  de 
l'Assistance  publique,  soit  avec  laide  de 
personnes  charitables. 

La  sollicitude  des  sœurs  ne  se  contente 
pas  de  trouver  une  nourrice,  elle  va  plus 
loin.  Les  sœurs  s'intéressent  à  la  mère  et 
à  l'enfant  même  après  la  sortie  de  l'Asile. 
Elles  se  chargent  souvent  de  rester  en 
rapport  avec  la  nourrice,  de  lui  faire  par- 


sacrent  par  fierté  tout  leur  g-ain  pour  l'en- 
tretien de  leur  enfant. 

La  vie  de  l'enfant  assurée,  les  sœurs 
s'occupent  de  la  mère.  N'est -il  pas  à 
craindre  que  ses  bonnes  dispositions  ne 
persistent  pas  après  la  sortie  de  l'Asile 
et  qu'elle  ne  retombe  dans  son  ancienne 
vie  faite  d'insouciance  et  de  débauche  ? 
Le  travail  seul  pourra  la  sauver.  Mais 
comment  se  le  procurer?  la  chose  est 
souvent  très  difficile.  C'est  alors  qu'in- 
tervient la  supérieure.  Son  dévouement 
et  sa  patience  réussissent  souvent  à  trou- 


30 


UNE    SOCIÉTÉ    DE    CHARITÉ 


ver  pour  ces  femmes  un  travail  honnête 
en   rapport  avec   leurs   aptitudes. 

Les  sœurs  reçoivent  aussi  des  confi- 
dences. Ce  sont  de  pauvres  filles  hon- 
nêtes qui  ont  sincèrement  aimé  le  père 
de  Tenfant  et  ont  cru  qu'elles  seraient 
épousées  par  lui.  L'abandon  les  rend 
toutes  malheureuses  et  toutes  honteuses 
et  elles  prient  la  supérieure  d'intervenir. 
D'autrefois  le  père  et  la  mère  de  l'enfant 
ne  demandent  pas  mieux  que  de  se 
marier  ;  mais  les  dépenses  à  payer,  les 
démarches  à  faire,  la  toilette  qui  manque 
les  empêchent  de  réaliser  le  mariage.  La 
jjrotection  de  la  directrice  supérieure, 
dans  ce  cas,  est  doublement  heureuse 
et  elle  a,  chaque  année,  le  plaisir  de 
faire   ainsi  plusieurs  mariages. 

Pour  récompense,  la  supérieure  a  le 
sentiment  d'avoir,  par  son  dévouement 
et  par  le  travail,  procuré  et  sauvé  quel- 
ques-unes d'entre  elles  et  les  témoignages 
de  reconnaissance  de  ces  mères  malheu- 
reuses relevées  à  leurs  propres  yeux, 
témoignages  plus  fréquents  qu'on  ne  le 
pense,  l'encouragent  à  renouveler  conti- 
nuellement ses  efforts  de  charité,  d'au- 
tant plus  que  souvent  ces  femmes  re- 
viennent à  l'Asile  pour  visiter  la  direc- 
trice, lui  demander  des  conseils  et,  ce 
qui  est  plus  étonnant,  les  suivre. 

A  toutes  ces  œuvres,  si  utiles  à  divers 
titres,  la  Société  philanthropique  a  voulu 
en  ajouter  une  autre  qui  semble,  par  son 
développement  progressif,  être  appelée 
à  diminuer  dans  l'avenir  le  besoin  des 
secours  donnés  par  les  œuvres  dont  nous 
venons  de  conter  les  merveilles. 

Les  habitations  économiques  est  le 
nom  donné  à  cette  nouvelle  institution 
jusqu'alors  inconnue  à  Paris  et  copiée 
sur  pareille  création  faite  à  Londres. 

Cette  œuvre,  créée  en  1889,  indique, 
par  son  nom  seul,  le  but  qu'elle  se  pro- 
pose ;  ce  but  est  de  donner  aux  ouvriers 
pour  habitation  autre  chose  qu'un  taudis 
infect  où  l'air  et  la  place  manquent 
pour  eux,  pour  leur  famille  et  dans 
lequel,  ordinairement,  la  promiscuité 
met  en  danger  la  morale  et  la  santé  de 
tous;   sans  compter  que  souvent,  après 


le  travail,  le  chef  de  famille  ne  trou- 
vant, dans  ce  milieu  peu  agréable,  aucun 
repos,  aucun  bien-élre,  le  déserte,  lais- 
sant la  mère  seule  avec  les  enfants  et  va 
retrouver  les  camarades  an  cabaret,  ce 
soi-disant  salon  des  pauvres.  S'il  est 
faible  de  caractère,  il  y  contracte  de 
mauvaises  habitudes  et  apprend  quelque- 
fois à  oublier  ses  devoirs,  à  se  désinté- 
resser de  cette  famille  qui  toujours  lui 
demande  quelque  chose. 

Dans  ces  nouvelles  habitations  écono- 
miques on  offre  aux  ouvriers,  à  des  prix 
souvent  inférieurs  à  ceux  des  mansardes 
ou  des  logements  insalubres  et  étroits 
qu'ils  occupent  dans  des  maisons  mal 
tenues,  de  véritables  appartements  don- 
nant sur  la  rue  ou  sur  de  vastes  cours 
et  dans  lesquels  l'air,  le  soleil  entrent  par 
de  vastes  et  nombreuses  fenêtres  appor- 
tant avec  eux  la  gaieté  et  la  santé,  ces 
deux  réconfortants  par  excellence  de 
tous  ceux  qui  travaillent. 

Chaque  appartement  se  compose  de  : 
une  petite  entrée,  une  cuisine  avec  un 
fourneau  économique,  l'eau  et  le  gaz  et 
deux  grandes  chambres  ayant  chacune 
une  cheminée  et  une  glace,  puis,  sous  la 
même  clef,  dans  l'appartement,  un  cabi- 
net d'aisances  personnel  confortablement 
établi,  en  tout  semblable  à  ceux  des  plus 
somptueux  appartements.  Le  prix  varie, 
selon  l'étage,  de  3'20  à  210  francs. 

Quelle  différence  et  combien  l'ouvrier 
se  trouve  confortablement  dans  ces  nou- 
velles maisons!  Quel  contraste  avec  son 
ancien  logement  !  L'escalier  est  propre, 
clair  et  aéré;  rien  qu'en  y  entrant  pour 
monter  chez  lui,  l'ouvrier  reçoit  une 
impression  de  confort  que  ne  peuvent 
lui  donner  ces  escaliers  sombres,  toujours 
mal  lavés,  mal  balayés,  pleins  des  mau- 
vaises odeurs  des  cabinets  communs 
mal  entretenus.  Puis,  quand  il  pénètre 
chez  lui,  au  lieu  d'un  fouillis  de  choses 
mal  rangées  faute  de  place  pour  les 
serrer,  au  lieu  d'une  atmosphère  sur- 
chauffée et  pleine  des  odeurs  de  la  cui- 
sine, qui  souvent  se  l'ait  dans  la  seule 
pièce  habitée  par  la  famille,  il  trouve  une 
chambre   propre,  bien   ensoleillée,  pour 


UNE    SOCIETE    DE    CHARITE 


31 


ses  enfants,  une  autre  pour  lui  et  sa 
femme  dans  laquelle  il  peut  se  reposer 
agréablement.  La  femme  elle-même  est 
encouragée  à  bien  tenir  cet  intérieur 
gai  et  confortable.  Ce  bien-être  ne  peut 
manquer  d'avoir  une  grande  iniluence 
sur  Tavenir  de  la  petite  famille;  le  mari 
n'a  plus  besoin  d'aller  au  dehors  pour  se 


de  ces  maisons  à  la  lin  de  1889  jusqu'au- 
jourd'hui, en  six  ans,  la  Société  en  a 
construit  quatre  et  la  cinquième,  élevée 
près  des  Buttes-Chaumont,  vient  d'être 
inaugurée. 

Le  donateur  généreux  qui  a  donné 
les  importants  capitaux  nécessaires  pour 
la  construction  des  deux  premières  habi- 


HOPITAL     DE     CHIRUR(4IE     A     CLICHY     (cÔté    jardin.) 


distraire  de  tout  un  milieu  laid  et  désa- 
gréable. Les  idées,  les  habitudes  changent 
malgré  soi  avec  le  milieu  dans  lequel  on 
vit.  C'est  pour  cette  raison  que  la  So- 
ciété philanthropique  pense  faire  une 
œuvre  sociale  en  construisant  ces  mai- 
sons économiques.  Elle  est  tellement 
dans  la  vérité  que  pour  chaque  maison 
nouvellement  construite  les  apparte- 
ments sont  toujours  retenus  avant  que 
la  construction  soit  terminée.  Les  ou- 
vriers les  connaissent  et  les  aiment. 
Depuis  l'inauguration  de  la  première 


talions  économiques  a  mis,  paraît-il,  à 
son  don  des  conditions  ingénieuses  qui 
permettent  de  dire  que  ces  maisons  naî- 
tront les  unes  des  autres  et  pourront 
ainsi  se  multiplier  à  l'infini  dans  un 
temps  relativement  court,  ainsi  que  ces 
familles  nombreuses  qui  se  rattachent  à 
un  patriarche  commun.  Le  donateur  a 
voulu  que  les  loyers  des  maisons,  après 
prélèvement  des  frais  généraux,  fussent 
capitalisés,  puis  que  le  capital  obtenu  par 
cette  capitalisation  annuelle  servît,  arrivé 
à  un  chiffre  suffisant,  à  construire   une 


32 


UNE    SOCIÉTÉ    DE    CHARITÉ 


nouvelle  maison  dont  le  revenu  sera 
lui-même  soumis  à  la  même  condition. 

Les  ouvriers,  en  payant  réi^ulièrement 
leurs  loyers,  participent,  eux  aussi,  à 
cette  belle  œuvre  qui  doit  assurer  les 
mêmes  avantages  à  d'autres  ouvriers. 
C'est  là  de  la  bonne  et  saine  fraternité. 
On  pourrait  calculer,  puisque  la  chose  est 
mathématique,  les  progrès  de  cette 
institution  et  dire  combien  elle  aura  de 
maisons  dans  cinquante  ans,  et  assurer 
que  le  nom  du  donateur  des  premières 
pierres  sera  universellement  béni. 

Pour  être  complet,  il  faudrait  bien  en- 
core conter  l'histoire  de  la  dernière  créa- 
tion de  cette  Société  philanthropique, 
qui  ne  recule  devant  aucun  obstacle 
quand  il  s'agit  d'œuvres  charitables  ; 
mais  la  place  manque,  on  ne  peut  que 
la  signaler.  La  Société  vient  d'ouvrir  un 
hôpital  de  chirurgie  à  Clichy,  dans  un 
quartier  plein  d'usines  et  d'ouvriers. 

Il  est  construit  entre  deux  jardins  et 
on  a  apporté  dans  cet  hôpital  tous  les 
perfectionnements  de  la  science  moderne. 
Les  salles  d'opération  y  sont  vastes,  très 
hautes  de  plafond.  Les  murs  recouverts 
de  stuc  ont  leurs  angles  arrondis;  le  jour 
y  arrive  très  abondant  par  de  grandes 
baies  et  par  un  plafond  en  grande  partie 
vitré.  Les  tables  sont  en  marbre  et  le 
fer  est  remplacé  par  le  nickel.  Les  ins- 
truments de  chirurgie  sont  enfermés  dans 
des  armoires  tout  en  verre;  le  bois  est 
partout  proscrit;  c'est  la  guerre  aux 
microbes;  puis,  à  côté  de  chaque  salle 
d'opération,  il  y  a  un  petit  laboratoire 
où  les  aides  de  l'opérateur  peuvent  pré- 
parer tout  ce  qui  est  nécessaire  pour 
assurer  la  réussite  des  opérations. 

On  a  placé  les  salles  d'opération 
auprès  des  dortoirs  et  des  chambres  ré- 
servées aux  malades  qui  préfèrent  être 
seuls  pour  éviter  de  trop  cruels  transbor- 
dements aux  malheureux  opérés.  La 
lumière  pénètre  partout.  Il  semble,  quand 
on  visite  ces  salles  ensoleillées,  que  cette 
gaieté  lumineuse  doit  tout  au  moins  aider 
les  pauvres  malades  à  mieux  supporter 
leurs  souffrances. 

On  le  voit,  les   institutions  créées  et 


entretenues  par  la  Société  philanthro- 
pique sont  nombreuses  et  variées  ;  elles 
s'adressent  à  toutes  les  misères.  Mais  en 
fait  de  charité  il  ne  doit  pas  suffire  d'in- 
diquer les  œuvres  fondées  et  de  les 
expliquer,  il  faut,  et  cela  vaut  mieux 
encore,  montrer  quelle  somme  de  bien 
elles  peuvent  faire.  Cette  démonstration 
sera  le  mot  de  la  fin.  Des  chiffres  plus 
et  mieux  que  des  raisonnements  m'aide- 
ront à  le  donner  concluant. 

Ainsi  la  Société  philanthropique  a  dans 
son  exercice  1896-1897  distribué  dans 
ses  29  fourneaux  :  3,241,466  portions. 

Les  asiles  de  nuit  oui  reçu  10,056  fem- 
mes etl, 343  enfants  dont  3. 040  ont  obtenu 
du  travail  par  l'entremise  des  directrices. 
On  leur  a  distribué  2'2,418  vêtements. 

Dans  les  dispensaires  d'adultes  on  a 
soigné  2,403  malades  et  donné  31,609 
consultations  gratuites  donnant  droit  à 
une  réduction  sur  le  prix  des  médi- 
caments. Le  dortoir  des  femmes  enceintes 
a  hospitalisé  485  femmes. 

L'Asile  maternel  a  reçu  814  femmes 
accouchées  et  803  nourrissons.  On  leur 
a  distribué  4,629  vêtements  et  la  direc- 
trice a  pu  procurer  du  travail  pour  le 
jour  de  la  sortie  de  l'asile  à  401  femmes. 

Dans  les  quatre  dispensaires  d'enfants, 
on  a  traité  15,502  enfants  qui  ont  reçu 
30,245  vêtements  sans  compter  les  bains, 
soupes,  etc.  Il  y  a  eu  31,178  consulta- 
tions gratuites. 

Enfin  on  a  distribué,  en  primes  d'en- 
couragement, aux  ouvriers  et  ouvrières 
de  Paris,  une  somme  de  6,978  francs. 

Ces  chiffres  démontrent  avec  élo- 
quence ce  que  peut  faire  pour  le  soula- 
gement de  toutes  les  misères  la  chanté 
privée  bien  dirigée  par  des  hommes  d'un 
dévouement  complètement  désintéressé 
et  secondée  par  de  nombreux  associés 
généreusement  charitables. 

A  côté  de  la  Société  philanthropique 
d'autres  œuvres  se  sont  fondées  dans 
ces  dernières  années  ;  elles  sont  égale- 
ment intéressantes,  mais  il  est  difficile 
de  dire  en  une  fois  tout  le  bien  fait  in- 
génieusement par  la  charité  privée. 
FiîLix    Sangnier. 


PUVIS     DE    GHAVANNES 


A  l'occasion  de  son  cinquantenaire  de 
peintre,  célébré  il  y  a  trois  ans,  il  a  été 
beaucoup  écrit  sur  Puvis  de  Chavannes; 
on   a  raconté  en   tlélail  sa  vie,  on  a  dé- 


sonnalité.  Parmi  les  informations  bio- 
graphiques recueillies  sur  lui,  il  en  est 
une  qui  a  surpris,  de  prime  abord  invrai- 
semblable, tant  elle  semble  être  en  con- 


Puvis    DE    Chavannes   (Photogi'aphie  de  1896) 


crit,  analysé  et  commenté  son  œuvre, 
qui  sont,  Tune  et  l'autre,  le  témoignage 
éclatant  d'un  talent  aussi  original  que 
puissant,  d'une  haute  et  noble  per- 
VIII.  —  3. 


tradiction  avec  le  tempérament  et  le 
caractère  de  l'artiste  :  Puvis  de  Cha- 
vannes était  destiné,  dans  la  pensée  et 
les  ambitions  de  ses  parents,  à  suivre  la 


34 


PUVIS    DE    CIIAVANNES 


carrière  paternelle,  radministralion  des 
ponts   et  chaussées. 


pris  goût;    et,    bientôt,    très    ferré    sur 
toutes  les  matières  de   science,   il   allait 


EccE    Homo    (Tableau  de  jeunesse). 


Ses  études  furent  activement  poussées   1   entrer  brillamment   à   TÉcole  polytech- 
dans  ce  sens  ;  le  jeune  homme  y  avait  |   nique,  sans  aucun  doute,  lorsqu'une  ma- 


PUVIS    DE    CIIAVANNKS 


35 


ladie  grave  vint  ruiner  son  rêve  (Tiiigé- 
nieur. 

Puvis  de  Chavannes  mathémalicien  ! 
Sous  l'obsession  d'une  idée  aussi  étrange, 
on  s'attend  à  voir  sortir  de  la  bouche 
de  sa  Sorbonne  un  phylactère  d'X, 
comme  Botticelli  a  mis  aux  lèvres  d'une 
des  nymphes  du  Printemps  une  branche 
lleurie.  Eh    bien  ,    pour    qui   étudie   de 


toutes  les  conséquences  de  cette  con- 
viction —  que  la  pratique  de  l'art  n'est 
pas  une  partie  de  plaisir,  une  distrac- 
tion de  dilettante,  une  fantaisie  d'ama- 
teur, mais  qu'elle  constitue  une  fonction 
sociale,  sérieuse,  grave,  difficile  à  rem- 
plir, toute  de  sacrifices,  d'abnégations, 
de  renoncements  et  de  luttes  perpé- 
tuelles.   Le    métier    sévère,  régulier    et 


Marseille,   porte    de   l'Orient    (Palais  de  Longcbamp,  à  Marseille). 


très  près  le  grand  artiste,  qui  cherche 
avec  soin  la  genèse  de  ses  nombreuses 
créations,  cette  antinomie  apparente  se 
transforme  en  évidente  logique;  et,  si 
paradoxal  que  cela  en  ait  l'air,  j'ai  la 
conviction  profonde  qu'en  la  démontrant 
avec  précision,  c'est  le  plus  bel  hommage 
(ju'on  puisse  rendre  au  maître  du  Luchis 
pro  patria,  du  Bois  sacré  et  du  Doux 
pays. 


Dès  son  apprentissage  du  métier  de 
peintre,  Puvis  de  Chavannes  a  i^econnu 
et  admis  —  en  acceptant  avec  stoïcisme 


loyal  lui  est  apparu  l'unique  moyen 
d'expression  de  la  pensée,  et  la  première 
conquête  à  entrepi^endre.  Voilà  certes 
un  but,  précis,  positif,  nettement  défini, 
hardiment  proposé  à  une  imagination 
juvénile,  ardente  et  ambitieuse  !  C'est 
le  théorème  dans  toute  sa  simplicité 
d'exposition,  dans  toute  sa  rigueur  de 
déduction.  La  ligne  droite,  dit-on  en 
géométrie,  est  le  plus  court  chemin  d'un 
point  à  un  autre.  Il  y  voit  aussitôt  le 
moyen  pratique  d'atteindre  le  but,  il  le 
choisit  avec  décision;  et,  pendant  cet 
apprentissage,  comme  toute  la  vie  du- 
rant, rien  ne  pourra  le  détourner  de  son 


36 


Pl'X'IS    DK    CIIAVANXKS 


but  ni  le  faire  dévier  de  sa  ligne  droite. 
N'est-ce  point  là  tempérament  et  con- 
duite de  mathématicien? 

Pourtant,  il  n'est  pas  beaucoup  de 
jeunesses  et  d'âges  mûrs  de  maîtres  qui 
aient  vu  s'entasser  plus  de  difficultés  de 
tout  genre,  de  nati,u^e  à  mettre  con- 
stamment obstacle  à  une  piarche  régu- 
lière et  sûre  vers  l'avenir.  Dès  les  dé- 
buts dans  la  vie  artistique,  l'artiste 
apprend  à  connaître  l'injustice,  non  l'in- 
justice éclatante,  publique,  qui  est  un 
énergique  stimulant  et  le  pronostic 
certain  du  succès,  mais  celle  qui  est 
faite  d'indilTérence, 
de  dédain,  et  qui 
étrangle  sans  bruit, 
dans  l'ombre.  Quand 
pour  la  première  fois, 
en  1850,  il  se  pré- 
sente au  Salon,  son 
tableau  est  refusé; 
les  deux  années  sui- 
vantes, le  jury  ne 
veut  pas  davantage 
recevoir  ses  envois. 
Alors  il  prend  part 
à  des  expositions 
privées,  en  compa- 
gnie d'autres  victi- 
mes de  l'ostracisme 
systématique  de  l'A- 
cadémie à  l'égard  de 
ceux  qui  ne  pensent 
et  ne  travaillent  pas 
suivant  les  idées  et 
les  formules  qu'elle 
patronne  et  qu'elle 
enseigne.  A  ses  cô- 
tés, il  y  a  Courbet  ; 
mais  on  discute  vio- 
lemment le  paysan 
d'Ornans  qui,  ayant 
bec  et  ongles,  se  dé- 
fend avec  énergie  ; 
on  l'injurie,  il  ri- 
poste par  plus  d'in- 
jures encore;  on  le 
traite  de  fou  furieux. 
Lui,  le  doux  et  mo- 
deste    Lyonnais,     à 


l'éducation  raffinée,  il  passe  simplement 
pour  un  fou  tranquille,  qui  n'effraye  per- 
sonne, et  dont  il  n'y  a  pas  lieu,  par  con- 
séquent, de  s'occuper.  De  guerre  lasse, 
devant  une  ténacité  et  une  foi  irréducti- 
bles et  inébranlables,  on  ouvrira,  au  bout 
de  neuf  ans  d'expulsions  consécutives,  à 
Puvis  de  Chavannes  les  portes  du  Salon  ; 
mais  son  supplice  n'est  point  fini  ;  il 
s'est  transformé.  A  l'ostracisme  succède 
l'obstruction.  Il  aura  contre  lui  l'Insti- 
tut qui  dispose  des  commandes  et  des 
honneurs,  la  bourgeoisie  qui  achète,  la 
critique  qui  fait  les  réputations;  à  tous 


L  A    .'S  A  o  N  I.    1  i'.ilais  des  Arts 


I^. 


l'L\'IS    DE    CIIAVANNES 


37 


suffisent  les  tableaux  de  genre  amusant 
et  la  peinture  historique  d'après  les  ro- 
mans, suivant  le  mot  spirituel  de  Louis- 
Philippe  à  Paul  Delaroche,  au  lende- 
main de  Jane  Grey.  Et,  pendant  cette 
longue  période  de  luttes,  il  aura  même 
manqué  au  combattant  cette  force  mo- 
rale, si  puissante,  qui  a  soutenu  tant 
d'artistes  engagés  comme  lui  dans  la 
bataille  des  idées,  Millet,  Delacroix, 
Diaz,  Chintreuil,  etc.  :  la  pauvreté. 
Brillamment  apparenté,  riche  d'une  for- 
lune  personnelle,  n'a-t-il  pas  plus  de 
mérite,   n"a-l-il    pas    fait    preuve   d'une 


Le    Rhône   (Palais  des  Art?,  à  Lyon). 


plus  grande  conviction,  à  avoir  choisi 
sans  hésitation  et  suivi  sans  défaillances 
le  sentier,  raide  et  dangereux  des  nova- 
teurs, où  les  buissons  et  les  cailloux 
ensanglantent,  où  l'on  se  casse  le  cou  ; 
au  lieu  de  la  grande  route,  ombreuse  et 
fleurie,  en  compagnie  de  la  foule  joyeuse 
des  heureux  du  jour?  Le  sentier  était 
pour  ce  malhémaliciçn  de  l'art  la  ligne 
droite,  le  chemin  le  plus  court,  pour 
atteindre  l'idéal  rêvé. 

Les  paysans  de  la  vallée  de  Campan 
ont  l'habitude  de  répondre  aux  artistes 
qui  demandent  combien  il  faut  de  temps 
pour  arriver  au  Pic 
du  Midi  :  «  Quatre 
heures  si  vous  allez 
doucement,  six  si 
vous  allez  vite.  » 
C'est  encore  là  une 
loi  —  tout  au  moins 
morale  —  de  ma- 
thématique. Puvis 
de  Chavannes  s'y 
pliera  tout  de  suite, 
assouplissant  à  une 
discipline  sévère  de 
travail  méthodique 
un  tempérament  ori- 
ginellement fou- 
gueux. 11  se  garde 
des  impatiences  des 
médiocres,  mécon- 
tents du  présent 
dans  l'inquiétude  de 
l'avenir,  et  ne  s'ir- 
rite point  de  se  voir 
dépasser  par  les  agi- 
tés et  les  ambitieux. 
Sa  force  sera  de  ne 
pas  devenir  un  ré- 
volté, aigri,  mais 
de  poursuivre  son 
(L'uvre  imperturba- 
blement, sans  fai- 
blesses, ni  incerti- 
tudes; étouffant,  du 
même  effort  éner- 
gique et  conlinu,  ses 
propres  décourage- 
ments   passagers   et 


3S 


l'UVIS    DE    CHAVANNES 


les  résistances  extérieures,  permanentes  : 
s'imposant  au  public,  au  lieu  d'en  subir 
les  incohérences  et  les  caprices,  résolu 
qu'il  est  à  allerjusqu'au  bout  et  à  durer, 
dans  l'impassibilité  d'un  homme  assuré 
de  réussir,  parce  qu'il  sait  qu'il  a  pour 
lui  la  logique  et  la  vérité.  Il  appar- 
tient au  groupe  de  ces  évolutionnistes 
—  bien  plutôt   que  révolutionnaires  — - 


l'opinion  publique,  quelque  durcie  à  la 
surface  qu'elle  ait  pu  être  par  la  rou- 
tine et  le  snobisrne,  comme  le  terrain 
d'une  place  battue  par  les  piétinements 
incessants  de  la  foule  immense  des  ba- 
dauds. 


Si    de    l'esquisse    de    la    personnalité 


L'Inspiration   chrétienne   (Palais  des  Arts,  à  Lyon). 


qui,  par  la  démonstration,  pour  ainsi 
dire  quotidienne,  de  la  sincérité  de  leurs 
convictions  et  de  l'unité  de  leurs  œuvres, 
deviennent,  après  avoir  été  longtemps 
bafoués  et  honnis,  des  chefs  d'école  incon- 
testés, dans  l'art  transformé  insensible- 
ment sous  l'influence  des  idées  nouvelles, 
dont  ils  ont  été  les  apôtres,  et  qui  ont 
fait,  d'une  façon  latente,  mais  inces- 
sante et  vigoureuse,  leur  travail  d'infil- 
tration,    puis   de    métamorphose,    dans 


morale  du  lutteur,  de  la  période  de  1850 
à  1875,  —  un  quart  de  siècle  de  com- 
bats singuliers  héroïques,  —  nous  pas- 
sons à  celle  du  peintre,  étudié  au  point 
de  vue  de  ses  idées  et  de  ses  principes 
d'art,  les  mêmes  qualités  de  mathéma- 
ticien s'y  observent  aisément.  De  ses 
déclarations,  de  ses  conseils,  contenus 
dans  sa  correspondance  avec  des  écri- 
vains, des  amis  et  des  élèves,  on  peut 
extraire  un  véritable  corps  de  doctrine, 


PUVIS    DK    CHA^'A^'NES 


39 


OÙ  l'on  ne  sait  ce  qui  doit  être  le  plus 
admiré,  l'élévation,  la  netteté,  la  sim- 
plicité ou  la  logique.  Ce  que  le  chef 
d'atelier  prise  le  plus,  et  dont  il  conseille 
l'acquisition  ou  le  développement  à  ceux 
qui  viennent  recevoir  ses  leçons,  c'est 
l'ordre,  la  mesure  et  le  discernement  : 

Tra\aillez  bien,  écrit-il  à  un   jeune   artiste 
qui    le    consulte    sur    ses    incertitudes,    ayez 


primordial  d^esthétique,  dont  il  fait  la 
base  de  son  enseignement,  que  le  peintre 
ne  doit  peindre  que  lorsqu'il  a  quelque 
chose  à  dire,  que  ce  qu'il  veut  dire  lui 
apparaît  nettement  comme  utile,  indis- 
pensable, représentant  ce  que  Kant,  le 
grand  philosophe,  appelle  1'  «  impératif 
catégorique  de  la  moralité  »  ;  et,  dans 
cette  certitude,  le  peintre  a  l'obligation 


Pauvre   Pêche  un  (Musée  du  Luxembourg). 


beaucoup  d'ordre  dans  tout  ce  que  vous  faites, 
un  ordre  de  géomètre  dans'  ses  calculs.  Rien 
nest  au-dessus  de  l'attention  d'un  artiste  qui 
vise  à  s'exprimer  purement... 

J'ai  tant  abattu  de  besogne  dans  ma  vie 
que  je  peux  prétendre  à  beaucoup  d'expérience 
à  défaut  d'autre  chose.  Ma  conviction  est  que 
je  pourrais  être  très  utile  à  qui  se  livrerait  à 
moi,  d'autant  plus  que  je  ne  m'en  prendrais 
jamais  au  sentiment  qui  est  chose  sacrée, 
mais  à  la  tenue,  à  l'ordre,  nécessaires  pour 
venir  sûrement  à  bout  d'un  tableau. 

Puvis  de  Chavannes  a  pour  principe 


sociale  de  le  dire  hautement,  sans  cesse, 
envers  et  contre  tous,  quelques  consé- 
quences que  cette  affirmation  puisse 
avoir  pour  lui.  La  solution  d'un  pro- 
blème de  mathématique  n'a  pas  plus 
de  vigueur  et  d'impassibilité.  Aussi, 
dans  l'œuvre  d'un  artiste  qui  a  fait  l'ap- 
plication complète  de  ce  principe,  on 
ne  doit  point  s'aviser  de  chercher  midi 
à  quatorze  heures.  C'est  ce  que  le  maître 
lui-même  déclare,  avec  autant  d'humour 


PU  VIS    DE    CllAVANNES 


rcTTs   PiîO   PATRIA  —   PARTIE   GATCIIE    (Musée  de  Picardie,  ù  Amiens). 


spirituelle  que  d'ironie  charmante,  à  un 
écrivain  qui  l'interroge  un  peu  indiscrè- 
tement sur  son  esthétique  et  sur  son 
idéal  : 

Je  serais  plus  qu'embarrassé  de  développer 
une  esthétique  quelconque,  étant  un  être 
essentiellement  instinctif,  et  juste  le  contraire 
d'un  compliqué.  S'il  m'arrive  de  penser  à  ce 
que  j  ai  pu  faire  jusqu'ici,  j'y  découvre  non 
pas  la  recherche,  mais  le  besoin  de  la  synthèse, 
sans  jamais  tomber  dans  l'épisodique  ;  les 
scènes  que  j'imagine  restant  néanmoins  pro- 
bables et  humaines.  Je  ne  crois  pas  qu'on 
puisse  analyser  un  cerveau  comme  on  décrit 
les  rouages  d'une  montre.  L'artiste  est  insai- 
sissable; en  lui  prêtant  une  technique  et  des 
intentions  en  dehors  de  l'évidence,  on  est  à 
peu  près  sur  de  se  tromper.  Sa  technique 
n'est  autre  chose  que  son  tempérament;  et 
ses  intentions,  s'il  est  sain  d'esprit,  relèvent 
du  simple  bon  sens;  c'est  déjà  bien  joli.  Il 
n'y  a  qu'à  regarder  le  tableau  bien  en  face, 
tranquillement,  et  jamais  par  derrière  où  le 
peintre  n'a  rien  caché. 

Et  maintes  anecdotes,  pittoresques, 
piquantes,  montrent  la  idéalisation  lo- 
g-ique  de  ces  principes  et  de  ces  idées, 
autant  de  mathématicien  que  d'artiste. 

Puvis  de  Chavannes  travaillait  dans 
l'atelier  de  Couture.  Le  «  patron  »  entre 
et  commence  sa  tournée  quotidienne  de 
corrections.  Arrivé  devant  le  chevalet 
du  jeune  débutant,  il  lui  dit  avec  colère  : 
«  Vous  n'y  êtes  pas  du  tout;  donnez-moi 
votre  palette.  »  Et  aussitôt  le  peintre 
des  Romains  de  la  décadence  compose 


un  ton  de  lumière,  mélangeant  —  sui- 
vant la  formule  classique  —  un  tas  de 
choses,  du  blanc  d'argent,  du  jaune  de 
Naples,  du  vermillon  et  du  cobalt,  une 
mixture  semblable  à  celle  du  pinceau  de 
la  Douleur  de  Young,  qui, 

Trempé  dans  la  mélancolie,  brunit  tout. 

En  un  instant ,  l'étude  tripatouillée 
furieusement  changeait  du  tout  au  tout; 
le  «  patron  »  entassait  les  empâtements 
fuligineux,  ponctuant  chaque  coup  de 
pinceau  d'une  malédiction  contre  Ingres 
et  Delacroix  pour  leur  influence  funeste 
sur  la  jeunesse  :  «  Comment,  monsieur 
Couture,  s'écria  Puvis  de  Chavannes, 
c'est  vraiment  ainsi  que  vous  voyez  le 
modèle  ?  »  Et  sa  ligure  exprimait  un 
douloureux  étonnement.  Laissant  là 
toile  et  pinceaux,  il  sortit;  on_ne  le 
revit  plus. 

Le  principe  qu'un  peintre  ne  doit 
peindre  que  quand  il  a  quelque  chose 
à  dire  rendra  Puvis  de  Chavannes  in- 
transigeant sur  celui  de  l'indépendance 
absolue  dans  le  choix  du  sujet  et  dans 
la  manière  de  le  traiter.  Il  refusera 
même  la  commande  de  travaux  impor- 
tants où  cette  indépendance  n'aura  pas 
été  reconnue.  En  voici  un  exemple  entre 
plusieurs  :  en  1879,  la  Chambre  de 
commerce  de  Boixleaux ,  après  l'achè- 
vement de  la  restauration  de  la  Bourse, 


pr\-is   Di-:   c. II A\ANNi:s 


Lu  DUS    PRO    i'ATniA    —    PARTIE    DROITE    (Musée  de  Picardie,  à  Amiens). 


songea  à  faire  décorer  de  peintures  le 
grand  escalier  de  ce  palais.  L'artiste  en 
reçut  la  proposition  et  l'accepta.  Tout 
était  de  nature  à  lui  sourire  dans  ce 
projet  :  un  monument  public,  chef- 
d'œuvre  d'architecture  ;  un  emplace- 
ment exceptionnel  permettant,  par  ses 
dimensions,  d'y  développer,  en  toute 
liberté  d'espace,  une  vaste  composition; 
une  ville  riche,  luxueuse,  qui  aime  les 
arts. 

Peu  de  temps  après,  au  moment 
où  il  se  préoccupait  de  chercher  le 
sujet  qui  pourrait  le  mieux  convenir,  la 
Chambre  de  commerce  lui  lit  trans- 
mettre un  programme,  rédigé  par  un 
comité  de  fonctionnaires,  d'érudits  et 
de  négociants  ;  Puvis  de  Ghavannes 
répondit  courtoisement  qu'il  désirait, 
suivant  son  habitude  et  ses  principes, 
choisir  lui-même  sa  composition,  et  qu'il 
s'empresserait  d'en  faire  connaître  le 
thème  aussitôt  que  le  choix  serait  défi- 
nitivement arrêté.  On  lui  répliqua  que 
l'adoption  d'un  programme  sous  la  forme 
délibérative  accoutumée  le  rendait  obli- 
gatoire ;  l'artiste  refusa  la  commande  et 
les  relations  furent  rompues.  Ce  n'est 
point  un  sentiment  puéril  de  vanité  qui 
lui  inspire  cette  ligne  de  conduite  intran- 
sigeante, mais  exclusivement  l'instinct 
que  la  première  condition  de  succès  en 
art   est  d'être   soi-même,  de   ne  relever 


que   de   sa  conscience  comme   ordre   et 
comme  responsabilité. 

L'amour  de  la  logique  et  de  la  vérité 
a  conduit  Puvis  de  Chavannes  à  la  con- 
ception, si  personnelle,  de  la  peinture 
murale,  qui  en  a  fait  le  plus  grand  déco- 
rateur de  ce  temps.  Il  ne  comprend  et 
n'admet  que  la  peinture  qui  donne  au 
spectateur  l'illusion  d'une  baie  ouverte 
sur  la  vie  réelle  :  «  le  véritable  rôle  de 
la  peinture  est  d'animer  les  murailles  »  ; 
et  il  répudie,  avec  une  énergie  farouche, 
tout  ce  qui  peut  aboutir  à  une  défor- 
mation de  ce  que  le  bon  Dieu  a  fait. 
Ainsi,  son  aversion  pour  la  peinture 
en  plafond  est  absolue.  En  effet,  le 
Victor  Hugo  offrant  sa  lyre  à  la  ville 
de  Paris,  de  l'escalier  de  la  préfecture 
de  la  Seine,  a  été  peint  en  tableau  et 
encadré  comme  tel  dans  la  voûte  ;  et  le 
peintre  a  fait  là  du  décor  si  simple,  si 
logique,  si  natui^el,  en  même  temps  que 
délicat  et  gracieux  ;  de  cette  peinture  et 
de  celles  qui  l'accompagnent  dans  les 
tympans  et  les  écoinçons ,  *la  lumière 
tombe  et  rayonne,  si  douce  et  si  fraîche 
dans  sa  clarté  sereine,  que  le  spectateur 
en  jouit  instinctivement  dans  la  pléni- 
tude de  la  satisfaction  de  tous  ses  sens. 
Les  mathématiciens  assurent  que  la  solu- 
tion parfaite  d'un  beau  problème  procure 
aussi  des  jouissances  infinies,  pour  les 
mêmes  raisons,  dans  l'ordre  intellectuel. 


42 


PU  VIS    DE    CHAVANNES 


L  E  N  F  A  N  (.'  !•;    i>  K  s  A  I  .N  'J  !•;    <j  E  A  V.  \  Ui  V  E    (  Pauthéon  ). 


L'œuvre  de  Puvis  de  Ghavannes  est 
tout  logique,  "unité,  harmonie.  On  pour- 
rait,  semble-t-il,   tant  au  point  de  vue 


de  ridée  génératrice  que  de  Texécution 
technique,  Fanalyser  mathématique- 
ment,-le  réduire,  en  théorème.  Rien  n'y 


l'UVIS    DK    CIIAVAWEy 


est  laissé  au  liasarcl,  rien  n'esl  le  ré- 
sultat d'un  caprice,  d'une  boutade, 
d'une  fantaisie.  Tout  répond  à  une  vaste 
conception  sociale,  rêvée  et  méditée  au 
début  de  la  vie,  et  dont  chaque  compo- 
sition est  une  partie  intégrante,  indi- 
visible, la  complétant  au  fur  et  à  me- 
sure de  son  développement.  Tout  est 
étudié,  observé,  contrôlé,  mesuré  et 
distribué  avec  méthode,  après  mûres  ré- 
flexions et  longs  raisonnements.  La 
décoration    du    Musée    de    Picardie  — 


■spiralion  chrélienne  et  la  \ision  an- 
tique, il  évoquera  la  grandeur  et  la 
puissance  de  ce  Lugdunum,  qui,  par 
son  rôle  politique  et  sa  mission  civili- 
satrice, fut  la  Rome  des  Gaules;  il  sym- 
bolisera les  sources  du  génie  littéraire 
et  artistique  de  cette  fîère  race  gallo- 
romaine,  dont  le  christianisme  a  atten- 
dri d'un  doux  mysticisme  l'âme  païenne, 
éprise  de  lumière,  amoureuse  de  vie. 
A  Rouen,  dans  Inier  arles  el  naturam, 
il  célébrera  la  Normandie,  florissante  par 


Dorx   Pays   (Hôtel  de  M.  Bonuat). 


la  première  —  est  la  représentation  de 
la  vie  dans  ses  fonctions  sociales  les 
plus  générales  :  la  Paix  et  la  Guerre, 
le  Travail  et  le  Repos,  suivie  bientôt 
de  celle  de  la  synthèse  d'une  province 
remplissant  ces  fonctions  :  Ave  Picar- 
dia  nutrix  et  Ludus  pro  patria  :  sym- 
bole de  l'activité  physique  ayant  pour 
but  de  mettre  en  valeur  les  richesses  du 
sol  et  des  eaux,  et  allégorie  vivante  du 
patriotisme.  A  cette  apothéose  dune 
province  de  France  viendra  s'ajouter 
celle  de  la  Cité,  dans  sa  gloire  histo- 
rique et  dans  sa  richesse  commerciale  : 
Marseille,  colonie  grecque  et  Marseille, 
porte  de  l'Orient.  A  Lyon,  dans  le  Bois 
sacré  cher  aux  arts  et  aux  Muses,  i fu- 


ses artistes,  ses  industriels  et  ses  pay- 
sans. Puis,  du  provincialisme,  il  s'élève 
à  la  nationalité,  dans  la  Sainte  Rade- 
gonde  et  le  Charles  Martel,  de  Poitiers, 
dans  l'Enfance  de  sainte  Geneviève,  du 
Panthéon ,  pages  toutes  vibrantes  de 
patriotisme  et  de  foi;  dans  les  peintures 
de  l'escalier  de  la  préfecture  de  la  Seine, 
gloritication  du  génie,  et  des  vertus  de 
Paris.  Enfin,  à  la  Sorbonne  et  dans  la 
Bibliothèque  de  Boston,  il  consacrera  à 
l'esprit  humain  un  magnifique  poème 
pictural,  où,  après  tant  de  créations  po- 
pulaires de  grands  maîtres  inspirées  du, 
même  sujet,  il  saura  donner,  à  l'imagi- 
nation et  aux  yeux  de  la  foule,  un  spec- 
tacle   imposant    par    l'élévation     de    la 


PU  VIS    DE    CHAVANNES 


L'Hiver    (Hôtel  de  Ville  de  Paris). 


pensée  et  par  la  beauté  de  son  expres- 
sion. 

Dans  ce  vaste  ensemble  d'œuvres,  la 
réalisation   de  la  pensée   ne  présentera 


pas  moins  de  logique,  d'unité  et  d'har- 
monie que  sa  conception.  L'artiste  en  a 
résumé  lui-même  avec  précision  la  mé- 
thode :  «  La  réalité  remplaçant  le  rêve, 


Cupjii^l.l  l,j   U,.i.ui,  Clrnicnl  cl  CIc 


L'Eté  (Hôtel  de  Ville  de  Paris). 


PU\'IS    DK    CIIAVANXES 


et  toujouis  do  la  simplicité,  de  la  joie 
et  de  la  lumière.  »  Pour  la  plupart,  sinon 
la  généralité,  des  décorateurs,  la  figure 
humaine  ou  féminine  n'a  été  qu'un  niolil" 
d'ornementation,  de  rin- 
ceaux, de  cariatides,  un 
mannequin  à  étoffes,  dra- 
peries et  joyaux.  Pu  vis 
de  Cha vannes  lui  res- 
tituera son  âme,  la  fera 
vivre  dune  vraie  vie, 
pour  exprimer  une  noble 
pensée,  un  sentiment 
délicat,  une  action  bien- 
faisante ;  et  même 
quand,  empoiJ.é  par  son 
idéal  au-dessus  de  la 
réalité,  il  peuple  les  com- 
positions d'apparitions 
poétiques,  sa  conscience 
ne  laisse  point  de  de- 
mander à  la  nature, 
comme  il  le  dit  lui-même 
avec  simplicité,  «  la  per- 
mission »  d'une  inter- 
prétation fidèle.  Ses 
grandes  peintures  déco- 
ratives d'Amiens,  du 
Panthéon,  de  la  Sor- 
bonne,  de  l'Hôtel  de  \^ille 
de  Paris,  du  Palais  de 
Longchamp,  du  Musée 
de  Rouen,  etc.,  sont 
remplies  de  paysans  et 
d'ouvriers  qui  travaillent, 
de  mères  qui  allaitent  et 
caressent  leurs  enfants, 
de  jeunes  filles  qui  s'ini- 
tient aux  devoirs  du 
ménage,  de  femmes  qui 
se  baignent  pour  être 
bien  portantes,  déjeunes 
hommes  qui  s'exercent, 
pour  la  patrie,  aux  jeux 
de  force  et  d'adresse  :  la 
-grande  famille  de  l'hu- 
manité. Et  elles  sont 
toutes  sœurs,  les  bergères  de  Sainte 
Geneviève,  les  paysannes  du  Ludus  pro 
palria,  les  cueilleuses  de  grenades  du 
Doux  Pays,  personnifications  radieuses 


de  l'aurore  de  la  vie;  les  muses  du  Bois 
sacré  et  de  Boston,  qui  rêvent  au  pied 
des  arbres  ou  au  bord  du  lac,  dont  les 
eaux  reflètent  les  nuages  d'or  crépuscu- 


La   Céramique   (Musée  de  Rouen). 

laires  et  le  blanc  croissant  de  la  lune 
naissante,  qui  planent  dans  le  ciel  en 
chantant ,  et  celles  qui,  effleurant  à  peine 
le  gazon  de  leurs  pieds  nus,  accourent 


40 


PUVIS    m:    CUAVANNES 


au-devant  du  dieu 
messager  de  lumière; 
les  vierges  laïques  de 
la  Sorbonne,  allégo- 
ries, dans  leur  fière 
jeunesse  et  leur  grâce 
sévère,  de  la  science 
immortelle;  et  les 
Vertus  de  Paris  qui 
font  escorte  à  la  Poé- 
sie, dans  Tapothéose 
de  Victor  Hugo,  en- 
veloppées de  lumière, 
entre  les  palmes  et  les 
rameaux  d'olivier. 

Le  paysage  appa- 
raissait jusqu'ici  com- 
me un  simple  fond  de 
•  toile  pittoresque, 
n'ayant  pour  but  que 
de  mettre  en  relief  les 
personnages  de  la 
composition  histori- 
que ou  allégorique. 
Puvis  de  Chavannes 
a  lu  et  médité  la  pa- 
role de  rÉcriture  : 
«  Le  ciel,  la  terre  et 
les  eaux  racontent  la 
gloire  de  Dieu.  »  Et 
il  en  a  fait  le  motif 
essentiel  de  ses  com- 
positions; il  a  mis 
triomphalement,  aux 
premiers  plans,  nos 
arbres,  nos  bois,  nos 
prairies,  nos  rivières, 
nos  lacs,  nos  plaines, 
nos  collines  et  notre 
soleil  ;  et,  grâce  â  lui, 
sur  les  murs  de  nos 
palais  et  de  nos  mu- 
sées, la  France  sourit 
à  tous,  dans  la  fécon- 
dité de  sa  terre,  dans 
la  splendeur  de  son 
ciel. 

Va\  conformité  de 
ces  principes,  dans  le 
travail  défmitif  d'exé- 
cution,  tout    —   per- 


PU  VIS    DK    CHAVANNES 


sonnages,  paysage  —  se  meut  malhémati- 
quenienl;  chaque  figure  traitée  en  vue 
de  l'idée  décorative  générale,  avec  la 
l'orme,  le  geste  et  la  couleur  essentiels, 
strictement  nécessaires  pour  la  caracté- 
riser au  point  de  vue  de  son  rn\e  per- 
sonnel, dans  l'action  du  groupe  d'abord 
et  de  la  collectivité  ensuite,  si  la  com- 


vérilé,  a  conduit  Puvis  de  Chavannes 
à  une  puissance  de  production  peu  com- 
mune. Aussi,  chez  lui,  le  travail  est-il 
tout  de  joie  et  d'expansion  physique 
et  morale.  11  faut  voir,  dans  l'immense 
hall  de  Neuilly,  le  maître  vêtu  de  sa 
longue  blouse  blanche,  tête  nue,  de- 
vant  l'énorme   châssis,    à   la    main   sa 


Les  Mu.se  8   inspiratrices  acclamant   ue   i,  knie  (Fragment. —  Bibl.  de  Boston). 


position  contient  des  éléments  nom- 
breux de  figuration  et  de  décor.  A  ce 
propos,  encore,  l'artiste  se  montre  dune 
intransigeance   irréductible  : 

Jamais,  dit-il,  on  ne  doit  admettre  une 
figure,  un  motif  qui  ne  se  lie  étroitement  au 
sujet,  qui  ne  soit  absolument  indispensable  à 
sa  représentation.  Le  plus  petit  bouche-trou 
suffit  à  faire  crouler  iédifice  tout  entier,  en 
éveillant  la  méfiance  du  regard  ;  un  détail 
insignifiant,  étranger  à  lidée  mère,  est  capable 
d'en  détruire  toute  la  puissance  démotion. 

Une  telle  méthode  de  conception  et 
d'exécution,  basée  sur  la   logique  et  la 


large  palette  alimentée  à  la  truelle  dans 
des  baquets  de  couleurs,  peignant  avec 
ardeur  et  énergie  ce  qu'il  appelle  plai- 
samment ses  «  bonshommes  » ,  ses 
«  bonnes  femmes  »  et  comme  un  fier 
ouvrier  à  sa  besogne,  chantant  des  coq- 
à-l'àne  musicaux,  ou  les  airs  de  bravoure 
de  son  opéra  favori  :  Guillaume  Tell; 
il  est  superbe.  On  ne  trouverait  guère 
à  proposer  à  la  jeunesse  artistique 
de  plus  bel  exemple  de  la  passion  du 
travail. 

Marti  s    \  achon. 


[bs§)  ©^disr®?) 


(C®i53^^ 


«  L'armée  coûte  cher.  »  \'oilà  qui  est 
entendu.  Mettons-nous  en  règle  tout 
d'abord,  par  celle  constatation,  avec  le 
conlribuahle  d'humeur  incommode.  Les 
pessimistes  endurcis  complètent  la  for- 
mule en  ajoutant  :  »  ...  et  elle  ne  rap- 
porte rien.  »  C'est  à  ceux-là  que  nous 
allons  tenter  de  donner  aujourd'hui  un 
des  nombreux  démentis  possibles. 

11  y  a  toute  une  foule,  en  eflel,  qui 
ne  voit  dans  les  grandes  armées  mo- 
dernes que  des  monstres  géants  et  para- 
sitaires attachés  aux  flancs  des  sociétés, 
qui  ne  perçoit  à  aucun  degré  le  rende- 
ment de  ces  colossales  machines,  dont 
les  rouages,  pourtant,  ne  sont  ni  rouilles, 
ni  arrêtés,  ni  même  ralentis  par  le  temps 
de  paix. 

Pour  convaincre  les  esprits  rebelles 
aux  aperçus  philosophiques,  nous  dis- 
posons d'arguments  concrets.  La  ques- 
tion des  caries  coloniales,  par  exemple, 
porte  en  elle-même  des  ressources  de 
démonstration  tangibles  à  l'appui  de 
cette  thèse  :  la  productivité  des  armées 
en  temps  de  paix. 

Qu'est-ce  que  dresser  une  carte  colo- 
niale? C'est  refaire  par  le  compas  et  le 
niveau    la    conquête    d'une     terre     déjà 


conquise  par  les  armes. 
l*^t  notre  armée  ne  con- 
sidère sa  tâche  comme  ache- 
-■  vée    qu'après    avoir    assuré 

celte  double  conquête. 
Alors,  seulement,  elle  livre  la  place  aux 
colons,  aux  industriels,  aux  ingénieurs, 
et...  aux  fonctionnaires!  Pendant  que 
frissonne  le  pavillon  aux  trois  couleurs 
fraîchement  hissé  aux  toitures  bizarres 
des  pagodes  ou  des  palais  barbares, 
boussoles,  sextants  et  théodolites  se  dis- 
persent par  les  forêts,  les  rizières  et  les 
arroyos.  L'œuvre  patiente  et  obscure 
succède  sans  répit  à  l'œuvre  de  gloire 
et  d'éclat. 

En  esquivant  toute  technique  ardue, 
nous  allons  tenter  de  donner  une  idée 
des  travaux  complexes  et  multiples  que 
comporte  rétablissement  dune  carte 
coloniale  après  la  conquête. 

Supposons  donc  une  expédition  colo- 
niale menée  à  bien.  Quel  va  être  le  pre- 
mier souci  du  vainqueur?  Gouverner  le 
pays  suivant  un  mode  provisoire,  mais 
appuyé  sur  des  bases  suffisamment  so- 
lides pour  parer  aux  retours  oftènsifs, 
aux  soulèvements  fanatiques  qui  pour- 
raient compromettre  hi  conquête  ;  créer 


LES   CARTES   COLONIALES 


de  firantls  commaiidemenls  militaires 
territoriaux;  refiler  le  jeu  des  convois 
qui  alimenteront  ce;>  réj^ions  de  toutes 
manières;  l'aire  la  centralisation  ou  res- 
pecter lautonomie.  selon  les  cas.  En  un 
mol,  conquérir  au  plus  vite  le  nouveau 
peuple  jusque  dans  ses  mœurs,  jusque 
dans  ses  intérêts,  après  lavoir  soumis 
par  les  armes;  lui  faire  sentir  le  prix  de 
la  civilisation  et  de  la  justice,  avec  le 
poids  nécessaire  de  lautorité  ;  lui  faire 
aimer  ses  nouA'eaux  maîtres,  s'il  se  peut  ; 
les  lui  faire  craindre  eu  tout  cas. 

Or  il  tombe  sous  le  sens  que  celle 
première  et  -urgente  ébauche  dorgani- 
salion  réclame  un  document  essentiel  : 
une  carte. 

Une  cfivte  topoçjraphîque  simpose 
donc,  et  il  faudra  lentreprendre  aussi- 
tôt que  les  premiers  succès  auront  as- 
suré le  libre  parcours  d  une  portion  ap- 
préciable du  pays. 

Il  est  admis  que  \  échelle  qui  con- 
vient pour  ce  premier  document  est  le 
1/200,000.  Celle  échelle,  en  effet,  réduit 
à  un  minimum  indispensable  les  rensei- 
g-nements  jji'raphiques  de  détail  deman- 
dés à  une  carte.  On  va  le  comprendre 
sans  peine  :  dire  que  1  échelle  dune 
carte  est  de  1  20O.000,  c  est  dire  que 
tout  accident  du  sol  qui,  réduit  200,000 
fois  en  dimension,  tomberait  à  moins 
d  un  ('  quart  de  millimètre  »,  cesserait 
d  être  expressible  sur  la  carte.  Cela 
étant,  tout  détail  d  une  importance 
moindre  que  50  mètres  en  étendue  ou 
en  altitude  ne  sera  pas  représenté  au 
1  200,000.  et  tout  accident  de  dimen- 
sions supérieures  à  50  mètres  le  sera. 

Léchelle  du  1  200.000  répond  conve- 
nablement au  but  poursuivi  :  établir 
dans  un  minimum  de  temps  la  carie 
suffisamment  détaillée  d'un  pays. 

La  nécessité,  l'urgence  de  cette  carte 
au  1/200,000  est  suffisamment  démon- 
trée. Entrons,  sans  plus  tarder,  dans  les 
détails  d  exécution. 

Imaginons  un  territoire  hypothétique 
touchant  à  la  mer,  par  exemple.  Ce  sera 
le  cas  le  plus  habituel.  Le  titre  et  la 
fonction  de  directeur  des  travaux  de  la 


carte  sont  pré\us  par  avance  dans  Télai- 
majur  du  corps  expéditionnaire.  Quel  va 
être  le  rôle  de  ce  directeur?  quelles 
connaissances  spéciales  exigera  ce  rôle? 
Le  directeur  de  la  carte  aura  une  part 
personnelle  de  collaboration  à  fournir, 
en  dehors  de  la  direction  d'ensemble  à 
exercer. 

Celte  part  de  travail  consistera  dans 
Texéculion  d'une  chaîne  de  stations  as- 
tronomiques,* c'esi-k-diro  de  points  dé- 
finis en  latitude  et  loncjitude. 

On  sait   que  la  latitude  d'un  poiid  a 
du  globe  est  mesurée  par  l'arc  ab  qui 
-  sépare    ce    point 

t5  (le  l  equateur,  et 

sa  longitude  par 
l'arc  ho,  compté 
-  sur  l'équateur  à 
partir  d  une  ori- 
gine convenue 
(le  méridien  de 
Paris  . 

Cette  chaîne,  dite  primordiale,  par- 
tant de  la  côte,  en  A  par  exemple,  ira  se 
propageant,  de  sommet  en  sommet, 
dans  la  dimension  la  plus  longue  du  pavs 
ABC  DE  F. 


La  détermination  de  la  latitude  et  de 
la  longitude  d'un  point  du  globe,  avec 
les  instruments  portatifs  qu'un  explora- 
teur peut  emporter  au  loin  et  utiliser 
dans  des  conditions   d'installation  tou- 


VIII. 


50 


IJ:  S    C  A  R  T  E S  C O J.  O  N  I  A  L  E S 


jours  rudimentaires  et  souvent  périlleu- 
ses, constitue  une  opération  difficile,  pé- 
nible, et  toute  dépendante,  dans  son  exac- 
titude, de  riiabileté,  de  Texpérience  du 
^•éoyraphe.  Qu'on  se  remémore  seulement 
l'aspect  ordinaire  des  observatoires  astro- 


nomiques de  nos  ^^randes  villes,  leurs 
masses  imposantes,  leur  isolement  voulu 
au  centre  de  vastes  jardins,  sur  quelque 
colline  dominante.  Quelle  distance  de 
moyens,  de  confort  et  de  toutes  condi- 
tions ambiantes  entre  ces  temples  de  la 
science,  protégés  et  clos  comme  des 
forteresses,  et  le  trépied  sommaire  ou  le 
bloc  de  rocher  vaguement  aplani  qui 
doit  suffire  à  l'astronome  militaire  en 
campagne  !  Sa  tâche,  cependant,  n'est 
pas  également  pénible  dans  ses  deux 
parties  :  la  détermination  de  la  latitude 
est  relativement  simple;  elle  s'accom- 
mode d'un  outillage  portatif  sans  perdre 
trop  de  sa  précision.  Mais  la  détermina- 
tion de  la  longitude  demande  les  plus 
grands  soins.  Le  transport,  sans  altéra- 
tion de  réglage,  sans  avarie  aucune,  des 
chronomètres  très  sensibles,  réglés  au 
départ,  constitue  le  point  délicat,  la 
base  même  de  l'opération. 

En  tout  cas,  pour  l'une  et  l'autre  opé- 
ration, notre  directeur-astronome  doit 
être  pourvu  d'un  de  ces  livres  volumi- 
neux où  sont  enregistrées,   d'après  des 


milliers  d'observations  patientes,  les, 
coordonnées  des  étoiles  les  plus  visibles 
des  principales  constellations,  c'est-à- 
dire  les  places  précises,  rigoureusement 
repérées,  des  astres  dans  le  ciel.  Connais- 
sance des  temps,  Naulical  almanach  nu 
Berlinerjahrhuch,  peu  importe  ;  l'une 
quelconque  de  ces  encyclopédies  chif- 
frées, toutes  en  signes  d'algèbre  et  de 
cabale,  contenant  le  mystère  de  la  grande 
horloge  de  l'univers.  L'explorateur  qui 
braque  sa  lunette  méridienne  sur  le  ciel 
voit  défiler  les  étoiles  comme  les  heures 
d'un  immense  cadran  mobile  dont  l'axe 
de  visée  de  son  instrument  forme  pour 
ainsi  dire  l'aiguille  fixe.  Voici  un  atome 
de  feu  scintillant  à  des  millions  de  kilo- 
mètres, tel  un  petit  diamant  suspendu 
dans  les  espaces  ;  il  s'avance  lentement, 
il  progresse  sur  le  velours  bleu  sombre 
des  infinis  :  c'est  alpha  du  Taureau, 
véga  de  la  Lyre,  gamma  des  Poissons, 
ou  tout  autre  de  ces  soleils  innombrables 
autour  desquels  d'autres  planètes, 
d'autres  «  terres  »  gravitent,  portant 
sans  doute  aussi  d'autres  espèces,  pri- 
sonnières comme  la  nôtre  et  courbées 
comme  elle  sous  la  douleur  ?...  La  petite 
pierre  précieuse  parvient  au  centre  du 
champ  d'observation.  Deux  fils  d'arai- 
gnée tendus  en  croix,  quelque  part  dans 
le  cylindre  de  cuivre,  à  distance  calculée 
des  lentilles,  paraissent  la  subdiviser 
maintenant  en  quatre  parcelles  rigou- 
reusement égales.  A  cet  instant  précis, 
l'astronome  note  l'heure  de  son  chrono- 
mètre, ouvre  le  volume  cabalistique  et, 
d'un  calcul  complexe  et  délicat,  déduit 
sa  place  précise  sur  le  globe  (longitude 
et  latitude).  Répétés  dix,  quinze,  trente 
fois,  sur  autant  d'étoiles  difi'érentes,  les 
calculs  s'acheminent,  de  décimale  en 
décimale,  vers  l'exactitude  absolue  ;  et, 
dans  la  nuit  mystérieuse  des  continents 
barbares,  la  science,  la  géante  invisible, 
enfonce  son  aiguille  acérée  en  quelque 
place  inexplorée,  intacte,  de  l'écorce 
tei'restre. 

A,  B,  C,  D,  E,  E De  pic  eu  pic, 

de  grosses  pyramides  de  pierre  s'élèvent, 
visibles  de  loin.   La  plus  éloignée  est  à 


LKS   CARTES   COLONIALES 


cent,  cent  cinquante,  deux  cents  kilo- 
mètres de  la  côte.  Mais  ce  n'est  là  qu'un 
((  câble  f,^éo>,M-aiihic|ue  »  pour  ainsi  dire, 
tendu  par-dessus  les  monts  et  les  plaines, 
insuffisant  à  lui  seul  pour  porter  les 
«  amarres  »  transversales  du  canevas. 
De  ce  câble,  il  faut  faire  une  solide 
échelle    à    nceuds    multiples,    à    mailles 


Qu'est-ce  qu'un  système  de  prujec- 
lion  ?...  Lecteur,  ne  vous  effrayez  pas  : 
nous  ne  méditons  pas  de  vous  emmener 
traîtreusement  sur  le  terrain  meurtrier 
des  mathématiques.  Considérez  simple- 
ment ceci  : 

La  terre  est  ronde,  n'est-il  pas  vrai? 
Alors,  les  continents  et  les  parcelles  de 


r  X     CONVOI     DE     L I E  r  T  E  X  A  X  T    TOPOGRAPHE     EX     MARCHE 


rigides  ;  on  y  parvient  par  triangulation. 
D'autres  sommets  a,  h,  c,  cl,  moins 
culminants,  serviront  de  points  d  attache. 
La  trigonométrie  permet  de  souder 
rigoureusement  une  chaîne  de  ces 
triangles,  d'en  calculer  un  à  un  les  côtés 
et  les  angles,  en  partant  de  l'un  d'eux 
soigneusement  mesuré.  Et  voici  que 
Varête  dorsale  de  notre  carte  se  précise 
de  cette  façon  par  un  double  contrôle 
de  calculs  et  de  mesures  astronomiques. 
Mais  l'œuvre  personnelle  du  directeur 
de  la  carte  ne  s  arrête  pas  là.  Avant  de 
tailler  leur  tâche  à  ses  collaborateurs,  il 
lui  faut  encore  choisir  et  tracer  le 
système  de  projection. 


continents,  pour  être  représentés  fidè- 
lement, devraient  être  dessinés  sur  des 
fragments  de  calottes  sphériques  et  non 
sur  des  feuilles  de  papier  planes.  Essayons 
d'aplatir  la  moitié  d'une  peau  d'orange 
soigneusement  évidée  ;  elle  se  déchirera 
quelque  part.  Le  quart  même  de  l'enve- 
loppe du  fruit  se  refuserait  encore  à  ce 
changement  de  forme  sans  déchirure  ; 
seul  un  fragment  assez  petit  de  l'écorce 
pourra  se  confondre  avec  un  plan,  et 
encore  y  faudra-t-il  l'élasticité  naturelle 
de  la  substance  dont  les  portions  cen- 
trales se  plisseront,  se  serreront,  se 
comprimeront  pendant  que  les  parties 
périphériques     se     distendront.     Donc, 


52 


LES    CARTES   COLONIALES 


(léformalion  ou  déchirure  :  le  dessiu 
tracé  sur  une  calotte  sphérique  n'accepte 
pas  de  se  transporter  immuable  sur  un 
plan.  Et  conçoit-on,  d'autre  part,  des 
collections  de  cartes  sous  forme  de  sur- 
laces bombées,  semboîtant  les  unes 
dans  les  autres  en  un  bizarre  atlas  en 
l'orme  de  dôme  ou  de  vasque?  Non.  Il 
faut  donc,  vaille  que  vaille,  trouver  un 
moyen  de  traduire 
rima^^e  des  pays 
sur  des  feuilles 
planes.  Cette  né- 
cessité a  1)  s  o  1  u  e 
nous  conduit  à  une 
définition  sufii- 
sante  du  système 
de  projection  : 

Ùest  une  con- 
vention graphique 
permettant  de  tra- 
duire sur  une 
feuille  de  papier, 
avec  le  minimum 
de  déformations 
possible,  les  fi- 
gures sphériques, 
et  par  suite  non 
développahles,  non 
aplatissahles ,  des 
continents. 

Il  y  a  divers  systèmes  de  projection, 
selon  le  rôle  qu'on  demande  aux  cartes. 
Dans  telles  cartes,  il  importera  essen- 
tiellement de  conserver  aux  territoires 
leurs  surfaces,  leurs  étendues  relatives, 
en  déformant  quelque  peu,  pour  y  par- 
venir, certaines  valeurs  angulaires.  Ce 
sera  le  cas  normal  des  cartes  terrestres. 
Dans  d'autres,  au  contraire,  les  valeurs 
auf^ulaires  devront  être  respectées  avant 
tout,  car  de  ces  valeurs  dépendra  la 
sûreté  des  directions. 

La  déformation  d'un  territoire  sera 
sans  importance,  pour\u  que  nous 
ayons  la  certitude,  en  marchant  sous 
tel  angle,  d'aborder  à  tel  point  de  la 
côte,  d'éviter  tel  écueil.  Ces  dernières 
conditions  délinissent  la  structure  même 
des  cartes  marines  et  font  entrevoir 
la    convention    j^raphique    spéciale,    le 


système    de    projection     particulier  qui 
leur  convient. 

Sans  nous  étendre  plus  lon;;temps  sur 
cette  seconde  partie  de  la  préparation 
de  la  carte  qui  incombe  encore  au 
directeur,  appelons  simplement  l'atten- 
tion du  lecteur  sur  l'aspect  ordinaire 
d'un  système  de  projection  pour  cartes 
terrestres  de  quelque  étendue.  C'est  un 


y'stème       de       projecii 


quadrillante  à  grandes  mailles,  conforme 
à  la  ligure  W.  Les  mailles  du  centre  sont 
presque  rectangulaires  ;  celles  des  régions 
éloignées  du  centre  se  déforment  plus 
ou  moins  en  losanges,  dont  les  côtés 
sont  légèrement  courbes.  VA  les  deux 
séries  de  lignes  représentent  :  l'une,  les 
méridiens  successifs,  espacés  de  dix  en 
dix  minutes,  par  exemple,  tout  autour 
de  la  sphère  terrestre  ;  l'autre,  les  paral- 
lèles successifs  tracés  au  même  espace- 
ment angulaire.  De  telle  sorte  que  tous 
les  points  terrestres  de  même  latitude 
prendront  place  sur  un  même  parallèle, 
tous  ceux  de  même  longitude  sur  un 
même  méridien,  et  tout  point  détlni  en 
latitude  et  longitude  sera  logiquement 
intercalé  dans  le  losange  dont  les  côtés 
encadrent  les  valeurs  des  deux  coor- 
données terrestres  du  point. 


I.KS   CAUTKS   COI.OXIALKS 


53 


1— 

— l — 

1 

— 

1 

1 

__ 

Nous  voici  en  possession  d'un  K'n'''^- 
lesque  canevas,  si  i; ranci  même  qu'on 
n'aura  pas  pu  l'élalilir  dune  seule  pièce, 
mais  bien  par  feuilles  joinlives  se  rac- 
cordant slriclemenl  aux  amorces  des 
lij^nes  en  bordure.  Alors,  une  feuille  du 
centre  de  la  carte  présentera  un  tracé  de 
li<;nes  sensiblement  symétrique  tel  que 
F  ,  pend  an  t 
qu'une  feuille 
éloignée  de  ce 
centre, afférente 
à  des  régions 
extrêmes  d  u 
pays,  très  dis- 
tantes de  la 
chaîne  médiane, 
s  offrira  sous 
l'aspect  F',  au 
ï"  quadrillage  dis- 
symétrique et 
légèrement  in- 
curvé. 
De  tout  ce  qui  précède,  le  lecteur  peut 
conclure  de  lui-même  que  toute  r(XHivre 
préparatoire  dont  le  directeur  des  tra- 
vaux reste  chargé  persoimellement 
appelle  une  véritable  spécialité.  Le 
service  géographique  de  larmée  recrute 
et  forme  le  petit  nombre  d'officiers 
qui  pourra  être  appelé  à  ce  rôle.  Ce  sont 
les  véritables  successeurs  des  Ingénieurs 
géographes  d'autrefois,  institution  i-e- 
levée  depuis  quelque  vingt  ans  par  feu 
le  général  Perrier  et  très  prospère 
aujourd'hui  sous  l'appellation  moins 
pompeuse  de  Section  de  géodésie  el 
d'astronomie  du  service  géographique 
de  V armée. 


Nous  en  avons  fini  avec  la  part  de 
collaboration  elîective  du  directeur  des 
travaux,  part  considérable,  puisqu'elle 
va  servir  de  base,  de  «  squelette  ■>  à  la 
carte  tout  entière.  Arrivons  mainte- 
nant à  la  subdivision  du  travail. 

A  droite  et  à  gauche  de  la  chaîne 
principale,  le  directeur  des  travaux,  au 
cours  de  ses  stations,  aura  pu  découvrir 
des    zones    de    terrain     bien    tranchées. 


liniilées  à  des  cours  d'eau,  à  des  chaînes 
de  hauteurs,  etc.  Ces  zones,  telles  que 
1,  "2,  3,  i,  ."),  <■)  seront  confiées  à  autant 
de  brigades. 


Chaque  brigade  comporte  un  chef  et 
des  opérateurs.  Le  chef,  dans  l'étendue 
de  sa  brigade,  aura,  comme  le  directeur 
des  travaux  dans  l'ensemble,  une  part 
importante  de  collaboration  à  fournir: 
et  voici  en  c[uoi  elle  consistera  : 

Considérons  la  brigade  1,  par  exem- 
ple. Avant  tout,  le  chef  de  brigade,  aidé 
de  ses  opérateurs,  devra  mesurer  une 
base  telle  que  ab  (fig.  6  ,  appuyée  à 
des  points  convenablement  choisis  et 
longue  de  10  kilomètres  au  moins.  Cette 
mesure  pourra  s'effectuer  avec  le  maté- 
riel très  simple,  très  portatif,  et  néan- 
moins assez  précis,  qui  a  servi  à  mesurer 


la  première  base  de  Tunisie.  Ce  matériel 
de  mesure  se  compose  d'un  jeu  de  che- 
valets sur  lesquels  on  tend,  de  portée  en 
portée,  un  ruban  métallique  étalonné. 
Ce  ruban  est  tendu  par  un  système  de 
poids  consistant  en  rondelles  de  plomb. 
L'horizontalité  des  portées  est  contrôlée 


LES   CARTES   COLONIALES 


au  moyen  de  niveaux  que  Ion  pose  suc- 
cessivement sur  les  chevalets;  enfni,  la 
température  du  métal,  qui  donne  ma- 
tière à  des  corrections  de  longueurs,  est 
lue  sur  des  thermomètres  fixés  aux  cha- 
peaux supérieurs  des  chevalets. 

Une  fois  la  base  mesurée,  on  la  rat- 
tache par  triangulation  à  un  ou  deux  des 
sommets  de  la  chaîne  primordiale,  et  on 
greffe  sur  cette  base,  toujours  par  Irian- 
g^ulation,    un    réseau   de   triangles   Inen 


conformés  et  dont  les  côtés  se  tiennent 
entre  8  et  10  kilomètres.  La  superlicie 
de  teri^ain  confiée  à  la  brigade  f  est  bien- 
tôt couverte  ainsi  d'un  rde't  aux  mailles 
assez  serrées  ef  dont  chaque  nœud  est  un 
•sommet  bien  reconnaissable,  marqué 
d'un  signal  artificiel  ou  dun  accident 
caractéristique  quelconque,  pouvant 
jouer  le  rôle  de  signal.  Telle  est  la  part 
de  travail  du  chef  de  brigade. 

Le  canevas,  ainsi  établi,  se  superpose 
donc  au  quadrillage  du  système  de  pro- 
jection. Et  peut-être  se  demande-t-on 
dans  quel  but  cette  double  trame?  C'est 
qu'il  faut  bien  remarquer  que  les  méri- 
diens et  parallèles  du  système  de  pro- 
jection ne  sont  pas  matérialisés  sur  le 
sol,  au  lieu  que  la  triangulation  du  chef 
de  brigade  se  traduit  à  la  fois  sur  le  pa- 
pier et  dans  la  campagne  où  apparais- 
sent les  nœuds  des  mailles  en  signaux 
bien  visibles  et  bien  distincts  établis  sur 
les  sommets  principaux.  Si  bien  que  les 
points  du  sol  repérés  de  proche  en  pro- 
che par  simple  triangulation  se  trouvent 
tout  naturellement  placés  du  même  coup 
à  leurs  places  géographiques  véritables  ; 
leurs  latitudes  et  longitudes  réelles  ré- 
sultent   de  leurs    situations  graphiques 


dans  tel  losange  bien  défini  des  méri- 
diens et  parallèles. 

On  voit  que  tout  ce  travail  du  chef  de 
brigade  implique  encore  une  certaine 
spécialité,  moins  poussée  évidemment 
que  celle  du  directeur,  mais  encore  déli- 
cate et  supposant  quelques  antécédents 
de  géodésie  et  d'astronomie. 

C'est  maintenant  le  tour  des  simples 
opérateurs,  qui  Aonl  remplir  les  mailles 
du  canevas.  Ici  toute  spécialité  dispa- 
i^aîf  :  lieutenants  et  sous-lieutenants  de 
toutes  armes,  indistinctement,  doivent 
pouvoir  concourir  comme  opérateurs  à 
l'établissement  d'une  carte  coloniale. 
L'enseignement  donné  dans  les  écoles 
militaires  assure  celte  condition. 

Voici  donc  notre  feuille  de  brigade 
ofirant  à  peu  près  1  aspect  d'ensemble 
représenté  par  la  figure  6;  celui  d'un 
canevas  homogène,  aux  mailles  variant, 
en  largeur,  entre  8  et  10  kilomètres.  La 
broderie  finale,  les  travaux  de  détail 
vont  commencer. 

Le  chef  de  brigade  réunit  tout  son 
monde  en  un  point  initial,  l'un  des 
termes  de  la  base  ah,  par  exemple.  Il 
décide  un  premier  itinéraire  d'ensemble 
à  parcourir  dans  les  conditions  que 
voici  :  le  gîte  du  soir  est  désigné  ap- 
proximativement et  l'heure  du  rallie- 
ment fixée  avant  la  chute  du  jour,  pour 
éviter  que  des  groupes  ne  s'égarent.  Les 
opérateurs  sont  dispersés  de  manière  à 
suivre  des  itinéraires  parallèles,  départ 
et  d'autre  de  \  itinéraire  d'axe  suivi  par 
le  chef  de  brigade;  ils  partent  munis 
d'un  extrait  du  canevas  de  la  brigade, 
sur  lequel  ils  exécuteront  le  travail  de 
la  journée;  ils  opèrent,  bien  entendu, 
sous  la  protection  de  détachements  de 
troupes  spécialement  affectés  aux  bri- 
gades fopographiques.  Tous  les  travaux 
antérieurs,  du  reste,  se  sont  accom- 
plis dans  les  mêmes  conditions  de  pro- 
tection ;  on  risquerait,  faute  de  ces 
précautions,  de  perdre  fréquemment  du 
monde,  du  matériel  et  des  documents 
déjà  établis.  Tous  ces  opérateurs  sont 
munis  des  instruments  usuels  dont  nous 
dirons  un  mot  un  peu  plus  loin  :  bous- 


LKS   CARTKï^   CO  LON  I  A  I.KS 


55 


sole  éclinièlre,  rapporleur  en  celluloïd, 
règle  spéciale  graduée  à  l'échelle  même 
du  dessin  el  baromètre  anéroïde. 

Le  soir,  la  hrii;acle  se  concentre  au 
point  convenu  et  passe  la  nuit  sous  la 
protection  de  son  escorte.  Elle  repart  le 
lendemain  dans  les  mêmes  conditions, 
se  dispersant,  ou,  plus  exactement, 
élargissant  son  front  de  travail  pour  se 
concentrer    encore.    Tous    les    trois    ou 


brigades,  et  enfin  celles  du  détail.  Mais 
cet  ordre  lof^ique,  adopté  pour  la  clarté 
de  l'exposition,  disparaît  dans  la  pra- 
tique. On  n  attendra  pas  qu  une  opéra- 
tion soit  terminée  dans  son  entier  pour 
entreprendre  la  suivante  :  dès  que  la 
chaîne  primordiale  oITrira  un  tronçon 
appréciable,  les  deux  brijjades  attenantes 
entreprendront  leurs  canevas;  dés  que 
ces    canevas    seront    amorcés    suflisam- 


OBSEIl  V  ATiiI  l;  i:     asti;  ÔN  OMIQCE     ET    G  E  O  D  E  S  I  (,i  T  !- 
(Emploi  du  cercle  azimutal.i 


quatre  jours,  une  journée  est  consacrée 
au  repos  et  à  lassemblage  des  travaux 
sur  le  canevas  densemble  de  la  brigade. 

Progressant  de  cette  manière,  chaque 
brigade  aura  couvert,  au  bout  dun  cer- 
tain temps,  toute  l'étendue  de  terrain 
qui  lui  est  conlîée.  Les  raccords  entre 
brigades  sont  discutés  et  arrêtés  par 
le  directeur  des  travaux. 

Pour  épuiser  cette  partie  de  notre 
sujet,  il  reste  à  faire  une  ou  deux  re- 
marques :  nous  avons  présenté  succes- 
sivement les  opérations  de  la  chaîne 
primordiale,  puis  celles  des  canevas  de 


ment,  le  levé  de  détail  sera  attaqué.  Et 
la  carte  s'avancera  ainsi,  faisant  tache 
sur  le  pays  en  quelque  sorte,  tache  plus 
lente  ou  plus  rapide  selon  les  difficultés 
rencontrées,  mais  tache  définitive;  c  est- 
à-dire  qu'en  arrière  des  fronts  de  bri- 
iiades,  tout  le  terrain  aura  été  entière- 
ment  et  définitivement  levé.  Il  n'y  aura 
plus  à  y  revenir. 

La  méthode  que  nous  venons  d  expo- 
ser a  été  appliquée  intégralement  à  la 
carte  au  1  •200,000  de  Tunisie,  qui  peut 
servir  jusqu'à  ce  jour  de  type  normal. 
Les  travaux  ont  duré  quatre  ans.  Avec 


56 


LES   CARTES   COLONIALES 


rexpérieiice  acquise  aiijuurcrhui  et  le 
nombre  beaucoup  plus  ^-^rand  d'opéra- 
teurs exercés,  il  est  permis  de  croire 
qu'une  œuvre  de  même  étendue  pour- 
rait être  édifiée  en  un  an  et  demi  ou 
deux  ans. 

Donc,  dans  toute  exj)édilion  à  venir, 
la  carte  coloniale  au  1/200, 000  suivra  de 
tout  près  la  conquête;  elle  sera  1  un  des 


la  méthode.  Il  faut  toujours  passer  par 
trois  (cuvres  essentielles  pour  aboutir  à 
une  carte,  quelle  cpie  soit  son'  échelle  : 
Vœuvre  astronomique,  V œuvre  géodé- 
sique  ou  de  grande  triangulation,  et 
enlin  Vœuvre  topographique  qui  arrive 
comme  tissu  définitif  par-dessus  les 
trames  préalablement  tendues. 

Notre    carte    régulière    d'Algérie,    au 


li  E     T  U  A  V  A  I  I, 


L  A     TEXTE 


premiers  actes  du  vainqueur.  Ces  idées 
ont  aujourd'hui  force  de  doctrine.  Et 
cette  carte  provisoire  devra  suffire  aux 
premièi^es  années  d'occupation  et  d'or- 
ganisation, en  attendant  la  carte  au 
1/50,000,  œuvre  ultérieure,  de  longue 
haleine,  et  dont  1  entreprise  marquera 
1  instant  où  la  colonie  commencera  à  se 
rattacher  par  son  degré  de  civilisation 
et  de  prospérité  aux  conditions  nor- 
males de  la  métropole. 


Le  mode  d'exécution  d'une  carie  régu- 
lière au  1/50,000  ne  se  distingue  pas  du 
précédent  dans  les  lignes  générales  de 


l/5(>,000,  a  été  entreprise  il  y  a  dix- 
neuf  ans.  Elle  touche  aujourd  hui  à  sa 
fin.  Elle  s'étend  strictement  au  Tell  et  à 
l'Atlas,  dont  elle  englobe  toutes  les 
chaînes  dérivées,  jusque  dans  leurs  ex- 
trêmes contreforts  sud.  On  peut  dire 
que  la  limite  précise  de  cette  carte  est 
tracée  sur  le  sol  par  les  premières  toufles 
d'alfa  qu'on  rencontre  en  descendant 
droit  de  la  cote  vers  le  désert. 

Au  delà,  pour  toute  la  région  des 
hauts  plateaux,  des  chotts  et  des  petites 
oasis  qui  marquent  nos  postes  avancés, 
Aïn-Sefra,  Géryville,  Djenien-Bou-rez- 
gue,  etc.,  une  carte  au  1/200,000  est  en 
cours    d'exécution.    On   conçoit    qu'elle 


I.KS   CARTKS   COI.ONIA  LKS 


sullise  comme  dociimeiit  déliiiitir  pour 
dos  régions  de  sable  el  dall'a,  où  nulle 
colonisation  ne  pourra  jamais  simplan- 
ter  el  cpii  consliluenl  siniplemenl  la 
roule  des  jurandes  oasis  et  du  Soudan, 
en  même  temps  que  le  renqiart  néces- 
saire de  notre  tlorissaute  colonie  contre 
les  poussées  fanatiques  du  mystérieux 
désert,  toujours  possibles. 

La  carte  au  1/50,000  d'Algérie,  image 
complète  du  sol,  accueillie  avec  empres- 
sement, dès  l'éclosion  de  ses  premières 
Veuilles,  par  les  divers  services  publics 


LA     BOUSSOLE     ÉCLIMÈTRE 

Instrument  topograpbique  fondamental  adopté  dans  tous  les  travaux 
topographiques  du  service  géographique  de  l'armée. 


de  la  colonie,  ponts  et  chaussées,  che- 
mins de  fer,  administration  départemen- 
tale, etc.,  est  un  monument  qui  fait  le 
plus  grand  honneur  aux  officiers  de  la 


jeune    génération    dont     il    est     1  tenvre 
exclusive. 

Chacpie  aimée,  depuis  vingt  ans  bien- 
l('il,  aux  derniers  jours  de  noxembre. 
une  sélection  de  lieutenaids  et  de  capi- 
taines de  toutes  armes  quittent  leurs 
garnisons  et  se  concentrent  au  service 
géographique  de  larmée  qui  est  une 
annexe  du  ministère.  Trois  semaines 
environ  sont  consacrées  à  préparer  les 
documents  du  travail,  à  vérifier  les  ins- 
truments, à  s'équiper  de  tous  points.  Les 
brigades  de  cinq  ou  six  opérateurs  sont 
constituées  à  raison  de 
trois  ou  quatre  par  pro- 
vince; soit  dix  ou  douze 
brigades  en  tout.  Les  chefs 
de  brigades  sont  des  ca- 
pitaines très  expérimentés 
avant  déjà  plusieurs  années 
de  pratique,  les  lieute- 
nants opérateurs  sont  an- 
ciens aussi  pour  la  plupart. 
Les  quelques  nouvelles 
recrues  incorporées  an- 
nuellement ont  été  exer- 
cées d'ailleurs  préalable- 
ment dans  les  travaux  de 
revision  de  la  carte  de 
France  et  dans  les  levés 
spéciaux  exécutés  par  le 
service  du  génie,  sur  les 
frontières  ou  aux  abords 
des  places  fortes. 

Un  officier  supérieur, 
chef  de  bataillon  ou  lieu- 
tenant-colonel, dirige  l'en- 
semble des  brigades  et 
doit  exercer  une  impul- 
sion rayonnante  sur  les 
travaux  en  cours  dans  les 
quatre  provinces,  de  la 
ïripolitaine  au  Maroc. 
Tout  ce  personnel  est 
celui  de  la  carte  propre- 
ment dite.  Il  entame  son 
elYort  annuel  vers  la  lin 
de  décembre  et  le  termine  aux  j)remiers 
jours  de  juin. 

Mais  dautiH-s  groupes,  plus  indépen- 
dants, quittent  le  service  géographique 


5« 


LES   CARTES    COLONIALES 


à  d'autres  époques;  ce  sont  les  astrono- 
mes cl  les  f:;éodésiens.  Ceux-là,  dont  la 
besogne  doit  toujours  j^arder  une  avance 


C)  U  T  I  L  L  A  U  E 

COMPLET 

DE 

l'officier 
topographe 


de  deux  ou  trois  ans  sur  celle  des  topo- 
graphes, repèrent  astronomiquement  les 
sommets  principaux,  y  érigent  des 
signaux  durables  et  les  enchaînent  par 
des  mesures  trigonométriques  d'angles 
et  de  distances. 

Le  simple  lieutenant  topographe,  nous 
Tavons  dit  i)lus  haut,  n'est  pas  un  spé- 
cialiste. 11  applique  des  connaissances 
acquises  dans  les  écoles  et  entretenues 
par  une  pratique  constante  dans  mille 
occasions  du  service  de  garnison.  Son 
outillage  technique  est  simple  et  por- 
tatif :  une  boîte  cylindrique  en  fer-blanc 
renferme  et  protège  la  feuille  de  projec- 
tion, quadrillée  de  méridiens  et  paral- 
lèles et  ponctuée  des  repères  primor- 
diaux antérieurement  calculés  et  délinis 
par  les  géodésiens  et  les  astronomes. 
Une  forte  feuille  de  carton ,  aux  dimen- 
sions exactes  du  travail  à  exécuter  en 
cinq  mois,  et  dénommée  la  mappe,  est 
vissée  sur  une  planchette  protégée  par 
un  étui  en  toile  cirée.  Sur  cette  mappe 
s'exécutera,  au  jour  le  jour,  à' après 
nature,  l'image  rigoureuse  et  complète 
des  terrains  ;  et  de  cette  souche  aux 
couleurs  passées,  aux  marges  flétries  de 


petites  macules  d'insectes,  à  la  tranche 
éraillée  par  le  frottement  des  bras;  de 
cette  mappe,  ombrée,  en  tin  de  cam- 
pagne, dune  belle  patine  qui  révèle 
l'elfort  tenace  et  prolong'é  sous  les 
brûlures  du  soleil,  l'officier  tirera  plus 
tard  une  mise  au  net  sur  la  feuille  de 
projection  tenue  en  réserve. 

Ses  instruments  ?  —  Ils  sont  quatre 
exactement  :  la  boussole-éclimètre,  qui 
fournit  les  angles  horizontaux  et  les 
angles  verticaux,  d'où  se  déduisent  les 
distances  et  les  altitudes  ;  c'est  l'instru- 
ment topographique  fondamental.  Un 
rapporteur  en  celluloïd,  qui  transporte 
les  mesures  angulaires  sur  le  papier. 
Une  règle  graduée  à  l'échelle  même  du 
travail.  Enfin,  un  petit  baromètre  holos- 
térique  de  la  grosseur  d'une  forte 
montre  et  gradué  de  manière  à  déduire 
facilement  l'altitude  de  la  pression  at- 
mosphérique. Ce  dernier  instrument 
sert  à  déterminer  les  cotes  de  fond,  aux 
creux  des  ravins  boisés,  d'oîi  nul  signal 
de  visée  ne  peut  s'apercevoir. 

Quatre  mulets  pour  les  bagages,  un 
cheval  pour  l'officier;  deux  tringlos- 
muletiers,  une  ordonnance  et  un  tirail- 
leur indigène  comme  porte-boussole  et 
interprète.  Telle  est  la  «  maison  »  du 
lieutenant  topographe.  Charmante  et 
fragile  maison  de  toile  qui  ai'rête  cepen- 
dant les  pluies  et  les  neiges,  qui  fris- 
sonne avec  des  claquements  de  voiles 
par  les  nuits  d'ourag'an,  qui  tamise  le 
soleil  et  laisse  passer  le  sourire  des 
étoiles.  Serre  chaude,  où  se  développe  à 
merveille  le  bourgeon  saint-cyrien  frais 
éclos.  Heureu\  les  jeunes  officiers  qui 
peuvent,  au  cours  de  ces  longues  années 
de  paix,  aller  chercher  en  Afrique,  sous 
cette  forme  d'une  collaboration  à  la  carte, 
leurs  premières  empreintes  d'âme  et 
faire  provision  de  lumière  pour  toute 
la  vie. 

Mais  voici  les  géodésiens  et  les  astro- 
nomes. Pour  ceux-ci,  la  tâche  est  plus 
rude,  plus  exilée  ;  elle  demande  une 
patience  plus  tenace,  un  moral  plus 
rassis  ;  elle  réclame  aussi  des  moyens 
matériels     plus    complets.     Eux,     nous 


LKS   CARTKS   CO  I.O  N  I  A  LKS 


59 


la  VOUS  dit,  sont  des  spécialistes.  L  as- 
tronome, suiioul,  doit  être  pourvu  niaté- 
riellcMiieiU  mieux  que  tous.  Il  doit 
Iransjiorter  sa  vie  et  ses  facultés  de 
travail  sui'  les  pics  neigeux  du  Djur- 
djura,  de  l'Aurès,  des  Bibans,  etc.  Il 
doit  vivre  des  semaines  entières  dans  la 
seule  compaf^nie  des  étoiles,  dans  le 
culte  attentif  de  ses  instruments  de 
haute     précision,    que    toute    inlluence 


autre,  dans  les  bourgades  al^^érienues, 
venant  au  ravitaillement;  mais  la  petite 
baraque  cubique,  lobservatoire  volant, 
restera  perché  là-haut,  dans  lempirc 
des  aif^les  et  des  vautours,  tant  que  son 
maître  n'aura  pas  dérobé  quelques  chif- 
fres à  la  nature  hostile,  éni}?matique. 

Une  douzaine  de  mulets  aux  fardeaux 
disparates;  une  dizaine  de  lrinf,''los  en 
espadrilles  et  bourgeron,  le  fouel  autour 


r  X     CAMP    DE    T  O  F  ()  li  K  A  P  H  I  E     (  A  L  (i  É  \\  \  e) 


peut  faire  mentir  :  température,  vent, 
humidité ,  sécheresse ,  variations  de 
lumière.  Il  doit  établir  sur  place  la 
chaîne  probante  des  longs  calculs  et  des 
com^ections  multiples.  Il  vit  tour  à  tour 
dans  les  nuages  opaques  et  glacés,  sous 
les  rayons  solaires  implacables,  dans  les 
rafales  perfides  qui  viennent  assaillir  son 
frêle  observatoire,  comme  si  les  génies 
de  l'espace  s'impatientaient  de  la  trop 
longue  présence  de  cet  intrus. 

Voyez  défiler  son  convoi  sur  la  route. 
^'ous  ne  le  reverrez  plus  de  sitôt. 
Quelques-uns  de  ces  mulets  et  de  ces 
tringlos      reparaîtront,      de      temps      à 


du  cou,  la  blague  à  fleur  de  lèvres,  en- 
fants de  Paris  pour  la  plupart,  heureux 
de  faire  provision  de  souvenirs  et  de 
pittoresque.  Derrière,  c'est  une  escouade 
de  six  ou  huit  zouaves,  la  gorge  à  l'air, 
la  chéchia  chllfonnée  sur  la  nuque,  les 
mollets  en  valeur  sous  la  guêtre  blanche  ; 
ceux-ci  sont  des  ordonnances,  ouvriers, 
maçons,  menuisiers,  indispensables  pour 
l'érection  des  signaux,  la  construction 
des  mires  et  les  mille  besoins  du  camp. 
Fermant  la  marche,  c'est  un  maréchal 
des  logis  de  chas.  dWf.,  sur  son  gris 
pommelé.  Il  est  chef  de  détachement, 
chargé    de    la    discipline   et   du   service 


60 


LES   CARTES   COLONIALES 


courant.  Il  a  pour  rôle  d'assurer  le  boa 
ordre,  le  silence  et  ractivité  autour  de 
Tofficier  absorbé  dans  ses  travaux.  C'est 
une  aubaine  que  d  être  désigné  pour 
u  aller  en  mission  >•>  :  une  forte  paye 
(3  fr.  50  par  jour),  la  vie  au  grand  air, 
loin  de  la  di.scipline  étroite  des  casernes, 
et  le  fusil  de  chasse  de  rofficier  pour  se 
distraire  et  corser  le  menu  des  popottes. 
N  y  va  pas  qui  veut,  «  en  mission  »!  Il 
faut  une  page  toute  blanche  au  livret, 
la  page  aux  punitions. 

Mais  là-bas,  en  tête,  à  quelque  cent 
mètres  d'avance  sur  le  convoi,  un  bur- 
nous rouge  ondule  au  pas  élastique  d'un 
petit  arabe  bai  dont  la  robe  miroite  au 
soleil.  Un  nuage  de  fumée  bleue  s'é- 
chappe périodiquement  du  capuchon, 
un  chanl  nasillard  interminable  répond 
aux  trilles  des  alouettes.  C'est  le  spahi, 
le  précieux  spahi,  courrier,  vaguemestre, 
estafette,  interprète,  négociateur  de 
marchés  avec  les  douars  qui  viendront 
proposer  leurs  poules,  leurs  œufs,  leurs 
moutons,  à  la  petite  colonie  militaire 
campée  là-haut,  dans  les  nuages. 

Ces  caisses  massives  qui  balancent 
aux  lianes  des  mulets,  ce  sont  les  ins- 
truments :  lunette  méridienne,  cercle 
azimutal,  théodolite,  appareil  télégra- 
phique Demanc/e.  Couchés  sur  des  rem- 
bourrages de  tlanelle  verte,  maintenus 
par  des  étais  ingénieux,  les  chefs-d'œu- 
vre d'optique  et  de  micrométrie  sont 
là,  au  centre  de  ces  prisons  cubiques 
renforcées  de  cuivrures  et  armées  de 
chaînes  :  la  lunette  méridienne  pour 
les  opérations  astronomiques,  le  cercle 
azimutal  et  le  théodolite  pour  les  me- 
sures de  trigonométrie,  les  appareils 
de  télégraphie  optique  pour  préciser 
mathématiquement  les  sommets  du 
tour  d'horizon  et  assurer  des  visées 
exactes. 

Dans  peu  de  jours,  le  convoi  fera 
halte  à  quelque  2,900  mètres  au-dessus 
du  niveau  de  la  mer.  Voici  la  plate-forme 
étroite,  pierreuse  et  pauvrement  cheve- 


lue où  Ion  va  dresser  le  camp  et  ériger 
la  baraque  démontable  à  volets.  Puis, 
les  jours  passeront,  avec  les  nuits  froi- 
des, silencieuses;  seule,  la  voix  de  l'of- 
ficier, prononçant  des  chiffres  sous  la 
petite  baraque,  viendra  couper  le  souflle 
du  camp  endormi...  Enfin,  certain  soir, 
après  une  pleine  journée  de  calculs,  l'as- 
tronome semblera  plus  gai,  moins  ab- 
sorbé; on  l'entendra  fredonner  sous  sa 
tente,  il  se  montrera  cordial  et  commu- 
nicatif  avec  tout  son  monde.  Alors, 
zouaves  et  tringlos,  en  piquant  an  rata, 
échangeront  leurs  pronostics  : 

—  Sans  doute  que  le  travail  marche 
bien,  puisque  le  capitaine  chante.  On  va 
changer  de  pays  bientôt? 

—  Où  c'est-y  qu'on  va,  après  ici?  de- 
mande un  lourdaud. 

—  Là-bas  I  répond  avec  assurance  le 
zouave-secrétaire,  en  désignant  un  pic 
sombre  à  l'horizon,  sur  le  ciel  vert  pâle. 

—  Mince  alors!  Faudra  grimper! 

Et  l'air  important,  un  pli  de  respon- 
sabilité aux  sourcils,  le  secrétaire,  le 
lettré,  l'instruit,  celui  qui  enregistre 
chaque  soir  les  chilfres  sur  les  carnets 
d'observations,  sous  la  dictée  de  l'astro- 
nome, ajoutera  dans  un  soupir  : 

—  Oui.  nous  n'avons  plus  que  douze 
étoiles  à  faire. 

Bonne    chance,    capitaine!    Que 

les  étoiles  brillent  bien  là-haut!  Que  les 
logarithmes  et  les  sinus  vous  soient  lé- 
gers !  Que  votre  courrier  vous  parvienne 
régulièrement  surtout  !  Que  votre  spahi 
ne  sème  pas  vos  lettres  dans  la  brousse 
et  n'égare  pas  vos  journaux  dans  les 
cafés  maures  !  Oh  !  la  douceur  des  petites 
pages  apportant  un  peu  de  la  tiédeur  des 
amitiés,  de  la  chaleur  des  foyers,  dans 
les  matins  glacés  de  la  montagne  !  La 
saveur  insoupçonnée  des  chroniques  et 
des  échos  dévorés  le  soir,  la  pipe  aux 
dents,  la  peau  de  bique  sur  les  épaules, 
à  la  lueur  du  grand  feu  de  bivouac  ! 
Bonne  chance,  capitaine! 

Lux. 


HENRI    IBSEN 


Les  célél)rilés  cenle- 
naires  et  fulmirées  sont 
rares,  —  les  Chevreul  sont 
hélas  !  peu  nombreux  ! 
Aussi  les  contemporains 
d'Ibsen,  tout  en  formant 
des  vœux  pour  sa  longé- 
vité, ont-ils  ^■oulu  donner 
à  l'illuslre  écrivain,  à  l'oc- 
casion du  soixante-dixième 
anniversaire  de  sa  nais- 
sance, le  20  mars  dernier, 
un  témoignage  public  de 
leur  admiration. 

Des  l'êtes  auxquelles  s'est 
associé  tout  le  peuple  Scan- 
dinave, lettrés,  étudiants, 
fonctionnaires    el    journa 
liers,  ont    eu   lieu    en  son 
honneur.    Commencées    à 
Christiania,     où     lui      fut 
donné  le  titre  de  bourgeois 
de  la  cité,  elles  se  poursui- 
virent à  Copenhague  après 
son  arrivée  dans  la  capitale 
danoise,  le  30  mars.  Mar- 
quées notamment  par  une 
soii'ée    brillante     au    Théàtre-Royal,     à 
l'issue   de  laquelle  les    étudiants   de   la 
ville  avaient  organisé  une  retraite  aux 
flambeaux,   elles  s'y.  terminèrent  digne- 
ment par  l'inauguration  solennelle  d'un 
cycle  de  représentations  ibséniennes  au 
théâtre  Dagmar. 

Ici  même,  à  Paris,  ce  jubilé  nous  a 
valu  deux  manifestations  artistiques. 
Les  Bevenauts,  qui  avaient  été  joués 
pour  la  première  fois  en  France  à  la  fin 
de  mai  1890,  au  Théâtre-Libre,  nous 
ont  été  redonnés  par  la  même  direction, 
au  Théâtre-Antoine,  et  c'est  également 
pour  commémoi'er  l'anniversaire  d'Ibsen 
qu'une  représentation  de  gala  d'Un 
ennemi  du  peuple,  patronnée  par  des 
littérateurs  connus  et  interprétée  par  la 
troupe  de  l'Œuvre,  a  permis,  le  29  mars, 
au  public  qui  emplissait  la   salle  de   la 


IBSEN     A    TRENTE     AXS 


Renaissance  d'applaudir  généreusement 
cette  œuvre  si  poignante.  D  aucuns  ont 
dit  qu'elle  avait  été  choisie  intention- 
nellement comme  évocatrice  d'événe- 
ments récents  qu'elle  rappelle  souvent 
de  façon  saisissante  ;  mais,  malg^ré  le 
caractère  des  ovations  du  début,  la 
soirée  s'est  terminée  sans  incident  re- 
grettable et  jNI""^  Séverine  a  pu  recueillir 
les  signatures  d'une  adresse  à  Ibsen, 
gage  respectueux  de  sympathie,  hom- 
mage des  Lettres  françaises. 

C'est  encore  à  cette  même  occasion 
qu'un  livre  d  or  vient  d'être  imprimé 
par  la  maison  Grieg,  de  Berg-en,  sous  la 
direction  habile  de  M.  Gerhard  Gran, 
rédacteur  en  chef  d  un  journal  de  cette 
ville,  le  Contemporain  (Samtiden).  Des 
épitres  en  vers  s'y  trouvent  suivies  de 
lignes  sympathiques  de   plusieurs  écri- 


02 


HENRI     IBSEN 


vains  de  valeur.  Et  voici,  comme  pré- 
face, Tadresse  dont  Sa  Majesté  Oscar  II, 
roi  de  Suède  et  de  Norvège  et  littérateur 
à  ses  heures,  a  salué  son  sujet  : 

A     HENRI     IBSEN 

«  Les  esprits  bien  doués  ne  sont  pas 
seulement  la  fierté  de  leur  patrie,  mais 
ils  sont  aussi  les  précurseurs  du  progrès 
et  de  la  mise  en  application  dans  la  vie 
des  élans  généreux  que  la  Providence 
suscite  au  plus  profond  du  cœur  hu- 
main. Et  si  le  bon  et  le  beau  qu'ils 
révèlent  ne  peuvent  être  de  suite  com- 
pris et  appréciés  de  tous  dans  leur  en- 
tière plénitude,  la  bonne  graine  cepen- 
dant n'est  pas  semée  en  vain.  Les  temps 
futurs  la  verront  g-ermer  et  porter  des 
fruits  pour  leur  prospérité. 

((  C'est  la  récompense  des  esprits  éle- 
vés, c'est   leur  impérissable  honneur.    » 

OsCAB. 

Cette  royale  prose  adressée  à  celui 
qui  fut  longtemps  considéré  dans  son 
pays  comme  un  farouche  révolté,  comme 
un  dangereux  sectaire,  nous  remettait 
en  mémoire  ces  vers  de  Béranger  : 

Vieux  soldats  de  plomb  que  nous  sommes, 

Au  cordeau  nous  alignant  tous. 

Si  des  rangs  sortent  quelques  hommes 

Tous  nous  crions  :  A  bas  les  fous  ! 

On  les  persécute,  on  les  tue. 

Sauf,  après  un  lent  examen, 

A  leur  dresser  une  statue, 

Pour  la  gloire  du  genre  humain  ! 

Ibsen  n'a  pas  eu  à  attendre  la  réhabi- 
litation posthume  que  la  satire  du  bon 
chansonnier  laisse  attendre  de  l'humaine 
justice.  Mais,  dans  sa  poursuite  de  la 
forme  nouvelle,  quelles  barrières  ne  lui 
ont  pas  opposées  ces  compatriotes  mêmes 
qui,  aujourd'hui,  l'appellent  le  Store 
Norsk  kancl  (le  gi^and  Norvégien)  ! 

Vers  1720  un  capitaine  de  navire  da- 
nois. Peter  Ibsen,  arrivait  à  Bergen,  y 
épousait  la  fille  d'un  émigré  allemand 
et  en  avait  un  fils,  Petersen.  Plus  tard, 
capitaine  de  navire  à  son  tour,  Petersen 
Ibsen  s'unissait  à  Wenche  Dischington, 
fille  d'un  Écossais  naturalisé.  La  jeune 
femme  mil  au  monde  Henri  Ibsen,  pre- 


mier du  nom  ;  mais,  veuve  peu  après  le 
mariage,  elle  se  l'emaria  avec  un  prévôt 
de  Solum,  près  Skien.  Telle  est  l'ori- 
gine de  l'établissement  des  Ibsen  dans 
cette  région.  Skien,  dont  la  population 
a  augmenté  dans  ce  demi-siècle,  ne 
compte  guère  cependant  plus  de  neuf 
mille  habitants.  Situé  à  l'embouchure 
de  la  rivière  du  même  nom,  Skien,  chef- 
lieu  de  la  province  de  Bradsberg,  appar- 
tient orographiquement  au  plateau  de 
Telemark.  Comme  beaucoup  d'autres 
petites  villes  norvégiennes,  celle-ci  vit 
surtout  des  industries  du  bois.  Ibsen 
y  naquit  le  20  mars  1828.  Mais  repre- 
nons la  filiation  interrompue. 

Henri  Ibsen,  l'aïeul,  avait  aussi  épousé 
une  fille  d'Allemands,  les  Plesner,  mar- 
chands à  Skien;  mais  il  avait  conservé 
néanmoins  la  profession  des  ancêtres. 
Veuve  à  la  suite  d'un  naufrage,  en  vue 
de  Grimstad,  du  bateau  dirigé  par  son 
mari,  la  grandmère  d'Ibsen  s'était  re- 
mariée ;  mais  sa  première  et  courte 
union  avait  été  féconde.  Knud  Ibsen, 
pèi^e  du  dramaturge,  esprit  caustique, 
en  était  né.  Quant  à  sa  mère,  Maria 
Cornelia  Altenburg,  fille  d'un  riche  mar- 
chand de  Skien,  nature  renfermée  et 
religieuse  comme  la  grand'mère,  elle 
était  également  d'origine  allemande. 

La  critique  scientifique  s'est  plu  à 
voir  dans  cette  filiation  compliquée  la 
genèse  du  talent  d'Ibsen.  Elle  l'a  re- 
trouvée dans  son  cpsmopolitisme,  elle 
a  suivi  les  origines  dans  l'œuvre.  A 
côté  du  Norvégien  à  l'esprit  curieux, 
elle  a  reconnu  le  Danois  au  lyrisme 
sensitif  des  premières  productions,  elle 
a  souligné,  dans  les  dernières,  l'idéa- 
lisme, le  mysticisme  du  puritain  écos- 
sais, elle  a  vu  enfin  l'Allemagne  dans  la 
sentimentalité,  dans  le  goût  du  système, 
dans  les  tendances  h  l'abstraction  que 
révèle  l'ensemble  de  ses  créations. 

Et  cette  loi  d'hérédité  qu'Ibsen  lui- 
même  a  montrée  si  implacable  dans  les 
Revenants,  ses  partisans  n'en  cherche- 
ront-ils pas  encore  un  témoignage  dans 
la  physionomie  énergique  du  descen- 
dant de  marins.  Debout  au  gouvernail. 


HENRI     IBSEN 


63 


clans  la  contemplation  de  l'immense 
ociéan  où  la  nature  seule  simule  des 
frontières,  il  dirig;e  stoïquement  et  sim- 
plement sa  barque.  Précurseur  des 
Nansen,  ouvrant  à  son  pays  le  monde 
des  idées,  il  avance 
toujours  sous  la  me- 
nace des  nuages,  car 
fl  a n  s  la  nuit  qui 
vient  a  brillé  une 
étoile. 

Ibsen  avait  huit 
ans  lorsque  son  père, 
alors  marchand  à 
Skien.fit  faillite.  Le 
couple  dut  se  retirer 
dans  une  humble 
maisonnette  à  proxi- 
mité du  bourg.  Une 
calme  indigence  al- 
lait succéder  à  la  vie 
presque  opulente 
que  la  famille  avait 
connue  jusquà  ce 
jour.  Taciturne  et 
inquiet,  le  jeune  Ib- 
sen a  fie  c  t  i  o  n  n  a  i  t 
Tisolèment  dans  les 
chantiers  du  père.  Il 
s'exerçait  à  peindre 
et  eût  aimé  devenir 
architecte  :  il  dut 
commencer  par  être 
apothicaire.  Il  lui 
fallut  à  seize  ans  en- 
trer comme  aide 
dans  la  pharmacie 
d'une  petite  ville 
voisine,     Grimstad. 

Au  milieu  de  cette 
société  oisive,  à  l'é- 
troite vertu,  sa  personnalité  va  com- 
mencer à  se  développer  (1844-1849). 
Ses  caricatures,  ses  épigrammes  ne  lui 
attirent  pas  les  sympathies  de  tous,  et 
s'il  s'égare  dans  quelque  bal,  c'est  pour 
épier  dans  son  coin  le  mensonge  des 
sourires,  pour  s'isoler  dans  un  immaté- 
riel idéal.  Longtemps  sa  vision  du 
monde  restera  Grimstad  agrandi. 

Dans  ses   heures   libres,  il  cherche  à 


développer  ses  connaissances  et  prépare 
l'examen  qui  lui  ouvrira  les  portes  de 
ILniversité.  La  muse  commence  aussi 
à  lui  sourire  et  voici  1848,  les  élans 
vers  la  liberté,  les  doux  rêves  de  frater- 


LE    LIEU    DE     XAISSAXCE    D'IBSEN 
(La  dernière  maison  à  droite,  avant  l'église.) 


ni  té.  Même  à  Grimstad,  on  sent  dans 
l'air  de  l'enthousiasme;  Ibsen  a  vingt 
ans,  et  il  respire  cet  air  à  pleins  pou- 
mons. La  révolution  du  Schleswig- 
Holstein,  le  soulèvement  de  la  Hon- 
grie, la  lutte  pour  la  liberté  de  la 
presse  lui  inspirent  ses  premières  poé- 
sies, et  dans  Cicéron  et  Salluste,  ses 
livres  d'étude,  son  idéalisme  exalté  va 
trouver,    par    contraste    avec    ses    mo- 


Ui 


IIKXHI     IBSEN 


dèles,  les  éléments  d'un  drame  à  ten- 
dances subversives,  Calilina  (1849i, 
dont  il  voudrait  faire  le  sauveur  de 
Rome.  Mais  il  ne  trouve  personne  pour 
imprimer  cette  (imvre  :  avec  le  con- 
cours d'un  ami,  il  se  fait  éditeur  et,  se 
privant  même  du  nécessaire,  il  la  pu- 
bliera   lui-même,     Calilina    passe    ina- 


(^est  encore  à  cette  époque  qu'aux 
cris  de  «  Vive  la  Liberté!  »  il  mani- 
festait avec  son  camarade  d'études, 
Bjôrnson,  en  faveur  d'IIarring,  l'écri- 
vain libertaire  expulsé  pour  sa  pièce, 
le  Testament  d'Amérique. 

En  août  1850,  il  se  présente  à  la  Fa- 
culté   de    philosophie     pour    subir    les 


IBSEN     U  A  .\  S    ,S  (  I  X     C  A  H  1  N  ET     JJ  E    TRAVAIL     (70     ANS) 


perçu  :  à  peine  en  vend-il  trente  exem- 
plaires. En  mars  1850,  l'approche  des 
examens  l'appelle  à  Christiania.  Dans 
les  vacances  de  la  Pentecôte,  il  com- 
pose un  petit  drame  en  vers  d'un  acte, 
le  Tumuhis  i  Kjœmpehôjeu) .,  dont  il 
prendra  les  héros  chez  les  ^'ikings.  Une 
traduction  allemande  en  est  publiée  à 
Berlin.  Joué  trois  fois  à  Christiania,  cet 
acte  émouvant,  où  Roderik,  ensevelis- 
sant sous  le  tertre  les  attributs  de  l'an- 
cien roi  de  mer,  évoque  ainsi  la  con- 
quête du  Nord  par  le  christianisme,  est 
assez  goûté  par  la  critique.  Ibsen,  ce- 
pendant, est  toujours  peu  connu. 


épreuves  de  l'examen  préparé  {examen 
artium).  ^'oici ,  d'après  le  parchemin 
officiel  daté  du  3  septembre  de  la  même 
année,  les  notes  obtenues  par  le  candi- 
dat :  composition  norvégienne  :  bien: 
—  traduction  latine  :  bien;  —  style  la- 
tin :  assez  bien;  —  latin  (oralj  :  pas- 
sable; —  grec  :  mal;  —  allemand  :  très 
bien  ;  —  français  :  bien  ;  —  religion, 
histoire  et  géographie:  bien;  —  arith- 
métique :  mal;  : —  géométrie  :  bien. 

Enflammé  par  les  idées  sociales-démo- 
cratiques, il  fonde  un  journal,  l'Homme 
(Manden),  où  il  donne  des  vers  peu 
goûtés,  et  une  pièce  de  lui  représentée 


IIKNIU     IBSKN 


65 


à  Bergen,  la  Nuit  de  Saint-Jean,  a  uu 
complet  insuccès.  Ibsen  est  dans  une 
détresse  extrême;  mais,  en  1852,  Ole 
Bull,  qui  vient  de  fonder  un  nouveau 
théâtre  à  Bergen,  s'adresse,  pour  la 
direction  de  sa  scène,  au  jeune  et  infa- 
liiiable  auteur.  Une  très  modeste  somme 


pièces  qu'il  écrit  à  Bergen  (I852-I(S57), 
si  Tart  du  dramaturge  se  révèle  déjà, 
Tâme  véritable  manque  et  la  personna- 
lité lulte,  cachant  ses  sympathies  pour 
la  réalité.  La  plupart  des  sujets  de  ces 
pièces  sont  empruntés  au  moyen  âge, 
tel  celui  de  Madame  Inger  (1854),  où  il 


iiU 


iA^Lyiy   iAAJ 


7 


^^^^  ^JA-iXiAj     h^^^KM^flù     (/2aJ^     • 


^tnt.  -jBfe/  //1 


FAC-SIMILÉ     DE    L'ÉCRITURE    D'IBSEN     EN     18G3 

Ces  quatre  vers  se  rattachent  à  une  suite  de  poésies  indignées  (Vaisseaux  Brûlés,  etc.)  écrites  en  1863  et  1864,  .à 
l'époque  des  hostilités  austro-allemandes  contre  le  Danemark,  le  frère  eu  détresse  que  la  Suède  et  la  Korvège 
allaient  laisser  dépouiller  des  duchés  de  Slesvig  et  Holstein. 

Traduction  :  Un  Frère  en  détresse!  (primitivement  TU  Norge!  à  la  Norvège). 
C'était  un  songe.  Que  ton  réveil  soit  puissant  et  hardi        1    Un  frère  en  détresse  !  Tout  le  monde  sur  le  pont  ! 
Du  sommeil  du  peuple  à  l'action  !  I  II  faut  ici  une  décision  rapide  I 


lui  est  allouée  pour  aller  étudier  Tart 
scénique  à  l'étranger.  A  Copenhague,  à 
Dresde,  il  se  familiarise  avec  la  scène, 
et  il  revient  à  Bergen  plein  d'idées  nou- 
velles sur  la  technique  du  théâtre. 

Il  y  avait  alors  en  Norvège  un  fort 
courant  national.  La  poésie  populaire, 
avec  Asbjôrnson  et  Mœ,  avait  pris  son 
essor,  et  la  vitalité  de  la  littérature 
norvégienne  se  révélait  dans  les  œuvres 
des  jeunes.  Ibsen  suit  le  mouvement, 
mais  ce  n'est  pas  sans  effort  qu'il  se 
conforme  au  goût  du  public  pour  le 
clinquant  romantique.   Dans  la  série  de 

VIII.  —  5. 


met  en  conflit  l'amour  maternel  et  le 
patriotisme;  tel  celui  de  la  Fêle  de 
Solhaug,  drame  passionnel  aux  allures 
lyriques,  assez  goûté,  et  qui  est  joué 
successivement  à  Bergen  (1856),  Chris- 
tiania, Copenhague,  Stockholm,  C'est 
des  «  sagas  »  Scandinaves  qu'il  tire  le 
thème  de  la  tragique  épopée  des  Guer- 
riers (Hœrmœndene  paa  Helgeland). 

La  situation  d'Ibsen  redevient  peu 
brillante.  En  1857,  la  place  de  direc- 
teur du  Théâtre  Norvégien  lui  est 
offerte  à  Christiania.  Il  quitte  Bergen 
et  n'y  retourne  qu'un  an  après,  pour  y 


66 


HENRI    IBSEN 


épouser  la  fiancée  si  souvent  j^lorifîée 
dans  ses  vers,  Suzanne  Thoresen,  fille 
d'un  pasteur  de  celte  ville.  M'"*'  Ibsen- 
Thoresen  vit  aujourd'hui  très  retirée. 

La  capitale  reprend  Ibsen  (1858-1864)  : 
il  y  écrit  la  Comédie  de  l'Amour  f  186"2), 


^^^-dU 


suivant,  Copenhague  lui  lait  une  en- 
thousiaste réception.  Son  talent,  dans 
cette  nouvelle  période,  s'était  tourné  de 
plus  en  plus  vers  la  solution  des  pro- 
blèmes sociaux  et  sa  langue  elle-même 
s'était  nationalisée,  s'affranchissant  de 
plus  en  plus  des 
-^    ^  influences    de    l'é- 

iiX- (WVA^vi — vu^AruU— ï  cole   danoise.  A 


-^t/<Lrv\XV.    cwAA_  ^fi>>>—  Vaj^JLjv» —  « 


FAC-SIMILÉ     DE     l/ÉCKITlRE     D'IBSEN    EN     1894 
TuADrcTiox  :  Voici  ma  signature  actuelle. 

Christiania,  le  4  septembre  1894. 


satire  de  l'amour  dans  le  mariage.  Heu- 
reux les  époux  qui,  dans  les  cendres  de 
ce  feu  de  paille,  ont  su  trouver  la  mu- 
tuelle sympathie.  Le  public  norvégien 
accueille  mal  cette  thèse.  Puis,  comme 
un  écho  de  son  premier  drame  his- 
torique, Ibsen  écrit  en  six  semaines 
une  nouvelle  tragédie,  les  Prétendants 
[Kongsœmnerne,  1863),  de  grande  puis- 
sance dramatique. 

Le  Théâtre  Scandinave  fait  faillite, 
la  gêne  revient,  en  habituée,  et  la  presse 
se  montre  mauvaise  pour  Ibsen.  Dans 
des  vers  généreux,  il  appelait  alors  ses 
concitoyens  au  secours  de  leurs  frères 
danois,  à  la  veille  de  la  guerre  contre 
l'Allemagne  (1863-1864).  Leur  réserve 
met  le  comble  à  ses  chagrins. 

Isolé  dans  une  patrie  qui  lui  devient 
hostile,  il  la  quitte.  Ce  n'est  qu'en  1874 
qu'il  reverra  la  Norvège,  mais  cette  fois 
pour  y  être  acclamé  :  les  ovations  ont 
l'ait  suite  aux  sifflets.  Parti  de  Chris- 
tiania le  2  avril  1864,  il  était  à  Berlin 
en  mai,  puis  il  gagnait,  ignoré,  Trieste 
et  Rome.  Après  un  séjour  de  plusieurs 
années  dans  la  ville  éternelle,  il  revient 
en  Allemagne  (1868),  habitant  tour  à 
tour  Dresde  et  Munich.  En  1869,  il  fait 
une  courte   visite   à  Stockholm  et,  l'été 


Rome,  tandis  que 
sa  pensée  allait  vers 
la  nature  norvé- 
gienne ,  il  avait 
écrit /ira7ic?(  1866], 
incarnant  dans  ce 
prêtre  l'idéal  du 
renoncement,  puis 
Peer  Gynt  (1867j, 
inspiré  par  cette 
société  dont  il  avait 
fui  le  cercle  étroit. 
En  octobre  1869,  Ibsen  assistait,  en 
Egypte,  comme  hôte  du  khédive,  à  l'ou- 
verture du  canal  de  Suez  ;  c'est  sur  ces 
entrefaites  que  furent  données  dans  son 
pays  les  premières  représentations  de 
r  Union  des  Jeunes  {De  Unges  Forhund), 
vigoureuse  satire  de  la  vie  politique  en 
Norvège.  L'opinion  n'y  vit  d'abord 
qu'une  profession  de  foi  mise  en  scène 
et  les  critiques  hardies  de  l'auteur  à 
l'égard  de  l'hypocrisie  politicienne  sou- 
levèrent de  vives  polémiques. 

Entre  temps,  il  continuait  la  publi- 
cation de  ses  poésies  et  travaillait  à  un 
volumineux  drame  historique,  l'Empe- 
reur et  le  Galiléen,  transition  entre  le 
fanatisme  de  Brand  et  le  mysticisme  des 
oeuvres  de  vieillesse.  Deux  nouveaux 
drames  viennent  peu  après  :  les  Soutiens 
de  la  société,  et  Nora  ou  Maison  de  pou- 
pée {Et  Dukkehjem),  l'homme  et  le  mari 
flagellés  dans  leur  rôle  social  (1870). 

A  l'étranger,  le  grand  public  ne  com- 
prend pas  encore  pleinement  la  rude  et 
saine  franchise  de  cette  plume.  Après 
Maison  de  poupée,  quelques  années  pas- 
sent sans  productions  saillantes,  puis 
les  Revenants  {Gengancjere)  vont  appe- 
ler de  nouveau  le  lutteur  sur  la  brèche. 
Longtemps  interdits  à  Stockholm,  ils  le 


HENRI     IHSKN 


67 


l'urenl  aussi  à  Berlin  ;  yrâce  au  duc  de 
Saxe-Meiningen,  une  première  représen- 
tation en  eut  lieu  peu  après  àWeimar  et 
Je  soir  de  cette  première,  le  duc  lit  asseoir 
Ibsen  dans  sa  lo;^e.  L'Allemagne  s'inclina. 

L'œuvre  suivante,  V  Ennemi  du  peuple, 
apparaît  comme  une  brillante  réponse 
aux  attaques  de  la  Norvège.  L'ennemi, 
c'est  le  docteur  Stockmann  ,  apôtre 
.d'humanité,  polémiste  épris  de  vérité  et 
-qui  la  veut  proclamer  au  risque  de  ruiner 
sa  ville  :  w  J'aime  tant  ma  ville  natale, 
dit-il,  que  je  verrais  plus  volontiers  sa 
a'uine  que  sa  prospérité  fondée  sur  un 
mensonge.  »  Et  c'est  là  tout  Ibsen  ! 

Puis  voici  le  Canard  sauvage  et  les 
•dernières  œuvres.  L'intrigue,  tantôt  in- 
signifiante, tantôt  fantastique,  s'imma- 
lérialise  de  plus  en  plus  et  ces  pièces  à 
idées  sont,  dans  l'ordre  chronolog'ique  : 
Rosn\ersholni;  la  Dame  de  la  mer,  où  il 
fait  allusion  aux  lois  de  l'évolution  ; 
Hedda  Gabier,  création  de  pareil  esprit 
que  l'on  a  appelée,  dans  la  patrie  même 
de  l'auteur,  l'Evangile  de  la  décadence; 
le  Constructeur  Solness  ;  Lille  Eifolf 
.et  enfin  John  Gabriel  Borkman ,  — 
que  le  théâtre  de  l'OEuvre  mettait  en 
scène  ici  il  y  a  quelques  mois,  —  épopée 
de  l'impossible,  a-t-on  dit,  dans  laquelle, 
comme  dans  Solness,  dramatisant  l'ir- 
réalisable, Ibsen  semble  jeter  un  coup 
.d'œil  en  arrière  sur  ses  propres  efforts. 

Si  les  généalogistes  ont  trouvé  à  gla- 
ner dans  les  antécédents  de  l'écrivain, 
la  graphologie  a  pu  faire,  à  travers  les 
modifications  successives  de  son  écri- 
ture, d'amples  moissons  d'observations. 

Il  nous  a  semblé  curieux  de  rapprocher 
d'un  autographe  récent  d'Ibsen  (1894) 
quatre  vers  écrits  en  1863,  quand  il  fai- 
sait retentir  sa  Volée  de  cloches  en 
faveur  du  Danemark. 

Au  commencement  de  1880,  Ibsen 
était  retourné  à  Rome.  Il  fit  aussi,  vers 
cette  époque,  un  court  séjour  à  Berch- 
lesgaden  et  revit  Munich,  où  le  café 
Maximilien  a  gardé  son  souvenir.  Il  y  a 
seulement  un  petit  nombre  d'années 
qu'Ibsen,  las  de  sa  vie  nomade,  revint 
se  fixer  à  Christiania,  malgré  de  pénibles 


IBSEN    EN     VILLE 
(D'après  un  croquis  du  peintre  norvégien  Gust.  Lœram.) 

souvenirs.  Nous  avons  emprunté  au 
journal  Hver  8  Dag  quelques  renseigne- 
ments sur  l'existence  intime  du  septua- 
génaire. 

Ibsen  habite  un  quartier  distingué  de 
Christiania.  Entouré  d'un  luxe  de  bon 
goût,  il  possède  notamment,  dans  son 
cabinet  de  travail,  de  bonnes  et  authen- 
tiques toiles  de  la  Renaissance.  Avec  les 
années,  le  vif  penchant  de  l'adolescent 
pour  la  peinture  s'était  changé  en  inté- 
rêt et  Ibsen,  homme,  utilisa  même  son 


68 


HENRI    IBSEN 


séjour  en  Italie  pour  se  mettre  en  quête 
de  vieilles  peintures  et  les  acquisitions 
de  Rome  embellissent  aujourdhui  le 
logis  de  Christiania. 

II  a  été  dit  de  Tenthousiaste  Rjornson 


Grand-Café  et  s'assoit  à  une  table  qui 
lui  est  réservée.  Il  prend  une  consom- 
mation déterminée,  recherche  dans  ses 
journaux  habituels  ce  que  Ton  dit  de 
lui  (il  lit  peu  à  part  cela),  répond  à  un 


IBSEN     AU     «    GRAND-CAFÉ    »     DE     CHRISTIANIA     (G.   LœrUID,   dcl.) 


qu'il  était  le  cœur  de  la  Norvège  et 
d'Ibsen,  plus  pondéré,  qu'il  en  était  la 
tête.  Nous  avons  déjà  rencontré  Bjôrn- 
son  sur  la  route  d'Ibsen;  rappelons  ici 
que  sa  fille  a  épousé  le  fils  unique  du 
dramaturge,  le  D''  Sigurd  Ibsen. 

—  A  midi  précis,  Ibsen  quitte  sa  mai- 
son du  Drammensvejen,  se  dirige,  avec 
une    correction     majestueuse,     vers    le 


nombre  fixé  d'admirateurs  norvégiens 
et  étrangers  et  quitte  le  café  à  l'heure 
réglementaire. 

Mais  que  nous  importent  dinnocentes 
manies?  Ce  vieillard  laisse  derrière  lui 
de  nombreuses  années  de  lutte  honorable 
et  de  noble  indépendance. 

D.-E.    Matot. 


L'IDYLLE    DE    POLICHINELLE 


I 

Le  rideau  était  tombé  d'un  seul  coup, 
comme  dans  tous  les  petits  théâtres,  où 
il  se  manœuvre  avec  deux  cordelettes 
enfilées  dans  des  anneaux  de  1er.  Après 
quelques  applaudissements,  Fentr  acte 
commença...  On  était  en  avril,  et  dans 
cet  édifice  sans  ouvertures,  s'amassait 
une  atmosphère  chaude  et  lourde  ;  les 
lampes  à  pétrole  fumaient  un  peu;  dans 
la  salle  longue  et  étroite  llottait  une 
buée  légère.  Les  gamins  qui  s'entas- 
saient au  dernier  amphithéâtre  avaient 
•ôté  leur  veste  et  restaient  démocrati- 
quement en  manches  de  chemise.  Le 
parterre  se  vidait;  le  long  des  corridors 
étroits  circulait  le  vendeur  de  rafraî- 
chissements, annoncé  de  loin  par  sa  voix 
monotone  et  par  une  forte  odeur  d'anis. 

Dans  les  loges,  les  éventails  palpi- 
taient aux  mains  des  dames,  parmi 
lesquelles  il  n'y  avait  du  reste  aucune 
étoile  du  firmament  aristocratique.  Le 
public  des  loges  se  composait,  ce  soir-là, 
àe  trois  ou  quatre  familles  de  grosse 
bourgeoisie,  frisées  et  vêtues  de  bruis- 
sante soie  dominicale;  d'un  employé 
municipal  accompagné  d'une  véritable 
arche  de  Noé  ;  des  petites  filles  d'un  jour- 
naliste, allé  à  San  Carlo  avec  sa  femme; 
des  sœurs  de  l'imprésario,  quotidiennes 
et  gratuites  habituées  du  théâtre;  d'une 
bande  d'Anglais,  vêtus  de  toile  blanche 
avec  voile  vert  au  chapeau;  enfin  d'un 
jeune  homme  mystérieux,  seul  dans 
sa  loge,  écoutant  la  représentation,  le 
dos  tourné  à  la  scène,  et  bâillant  dei'- 
rière  sa  main  gantée.  Personne  ne  lor- 
gnait, c'eût  été  ridicule  à  trois  mètres 
de  distance.  Le  chef  d'orchestre,  un 
malheureux  payé  1  fr.  50  par  soirée, 
feuilletait  sur  son  pupitre  la  «  mazurka  » 
usée,  en  jetant  des  regards  de  compas- 


sion aux  huit  professeurs,  ses  collègues, 
qui,  eux,  jouissaient  de  cachets  variant 
de  0  fr.  75  à  1  franc. 

Sur  la  scène,  il  y  avait  un  moment  de 
répit.  La  chaleur  y  était  suffocante;  de 
nulle  part  n'arrivait  un  souffle  d'air.  1-a 
duègne,  qui  figurait  dans  la  pièce  une 
vieille  femme  riche  et  bienfaisante,  avait 
enlevé  sa  perruque  à  boucles  majes- 
tueuses, que  surmontait  une  coilîe  de 
dentelles,  ornée  de  rubans  et  de  fleurs; 
l'on  voyait  ses  mèches  naturelles  rares 
et  grisonnantes,  la  bonne  dame  appro- 
chant de  la  soixantaine.  Donna  Carmela, 
l'amoureuse,  marchait  de  long  en  large, 
s'évenlant  avec  son  tablier  de  soie  noire. 
Son  vingtième  fiancé  — elle  avait  conclu 
et  rompu  dix-neuf  mariages  —  s'était 
échappé  pouravaler  un  verre  d'eau  glacée 
et  de  sirop  de  cerises.  Polichinelle,  assis 
sur  quelques  vieilles  planches,  soulevait 
son  lourd  masque  noir  de  toile  cirée 
pour  respirer  un  peu  plus  aisément. 
Polichinelle  rêvait:  qu'on  ne  s'en  étonne 
pas,  il  était  fort  jeune. 

On  ne  pouvait  voir  s'il  était  ou  non 
beau  garçon.  Sous  le  bonnet  pyramidal 
de  drap  d'un  gris  laiteux,  ses  cheveux 
étaient  recouverts  d'une  calotte  noire, 
plus  grande  que  celle  des  moines,  et 
fort  collante,  qui  les  cachait  complète- 
ment. Son  visage,  jusqu'à  la  bouche, 
disparaissait  sous  le  masque  noir  à  nez 
magistral  ;  le  corps  était  enfoui  dans  la 
camisole  de  mousseline  blanche  à  plis 
multiples,  à  manches  larges  tombant 
jusqu'au  bout  des  doigts,  dans  le  vaste 
pantalon  blanc  qui  recouvrait  les  pan- 
toufles de  toile,  grises  comme  le  bonnet. 
On  ne  voyait  de  sa  personne  qu'un 
coin  de  menton,  le  cou,  les  mains  : 
impossible  de  le  reconnaître.  Mais  le 
public  aime  son  Polichinelle  comme 
une  gloire  nationale  et  ne  cherche  ja- 
mais la   figure  cachée  sous  le  masque. 


70 


L'IDYLLE    DE    POLICHINELLE 


Pour  lui,  Polichinelle  n'est  ni  un  acteur, 
ni  une  personnalité  comme  une  autre, 
mais  un  type,  un  caractère,  une  mani- 
festation ;  c'est  l'esprit  populaire,  sar- 
castique,  rebelle,  philosophe,  qui  éclate; 
le  masque  incarne  le  tempérament  napo- 
litain, mélange  de  feu  et  d'indolence. 
Polichinelle  offre  l'aspect  protéiforme 
du  peuple  même;  il  est  tout,  hors  un 
individu.  On  sait  parfois  son  nom,  c'est 
vrai,  mais  fort  peu  connaissent  son  vi- 
sage. 

Gaetano  Starace,  nous  pouvons  ce- 
pendant l'affirmer,  sans  être  un  modèle 
de  beauté,  était  fort  sympathique,  avec 
ses  cheveux  noirs  légèrement  bouclés, 
ses  yeux  vifs,  son  teint  blanc  comme 
celui  d'une  femme.  Ce  n'était  point  un 
être  héroïque,  ni  un  homme  à  grands 
sentiments;  mais  il  avait  un  cœur  d'or 
et  conservait  fidèlement  la  tradition  de 
sa  famille,  où,  depuis  trois  générations, 
on  était  u  Polichinelle  »  par  inclination, 
par  habitude,  par  transmission  du  sang 
comme  les  maladies  héréditaires.  Chez 
ces  gens-là,  si  un  garçon  venaitau  monde, 
on  ne  pensait  à  le  préparer  à  aucune 
carrière,  à  aucun  emploi;  son  métier 
était  tout  trouvé  et  superbe;  sa  voca- 
tion :  celle  d'endosser  le  travesti  et  d'a- 
muser chaque  soir  le  public.  C'était  un 
labeur  fastidieux,  exclusif,  oppressant, 
un  labeur  sans  gloire  et  de  peu  de  pro- 
fit; mais,  dans  ces  esprits  étroits  et  bons 
des  Starace,  l'idée  n'entrait  pas  de  se 
révolter  contre  les  injustices  sociales. 
Cétaient  gens  humbles,  polis,  d'humeur 
gaie,  sans  prétention,  fidèles  au  théâtre 
où  ils  étaient  nés  et  où  ils  devaient 
mourir,  dévoués  à  leur  public  qu'ils  res- 
pectaient, incapables  de  s'irriter  contre 
ses  caprices,  toujours  prêts  à  le  caresser, 
à  le  divertir,  à  tout  lui  sacrifier.  Donc, 
l'enfant  allait  à  l'école,  apprenait  à  lire 
et  à  écrire,  s'enfarinait  légèrement  de 
quelques  autres  connaissances  ;  mais  il 
passait  les  soirées  dans  les  coulisses  à 
voir  jouer  son  père,  à  l'entendre  dé- 
clamer. À  seize  ans,  il  débutait  dans 
quelque  petit  rôle;  à  vingt,  suppléait 
le  père  quand  celui-ci  était  malade;  à 


sa  mort,  il  devenait  Polichinelle.  Et  cela 
i^égulièrement,  sans  hésitation,  sans  un 
doute,  comme  une  obligation,  un  devoir, 
une  fatalité. 

Ainsi  de  Gaetano  Starace.  Ajoutons^ 
que,  grâce  à  un  génie  naturel,  il  se  ren- 
dait utile  en  adaptant  des  comédies 
italiennes  au  dialecte  napolitain,  en  re- 
faisant du  neuf  avec  du  vieux,  en  écri- 
vant des  parodies  d'opéras,  qui,  çà  et 
là,  ne  manquaient  pas  d'esprit;  non  du 
plus  fin  :  de  gros  sous-entendus,  mais 
suflisants  et  au  delà  pour  les  habitués 
du  théâtre.  Comme  acteur,  Gaetano  était 
svelte,  1res  vivant,  avec  une  voix  agréa- 
ble qu'il  savait  moduler. 

Son  père  était  mort  de  bonne  heure, 
et  le  fils  unique  lui  avait  succédé,  comme 
dans  un  royaume  constitutionnel.  Il  dé- 
clamait bien,  avait  un  caractère  gai, 
était  jeune  et  plaisait. 

Il  devint  le  Benjamin  du  public.  Son 
métier  ne  lui  était  pas  à  charge,  au  con- 
traire ;  il  y  mettait  un  certain  enthou- 
siasme. Dans  sa  cervelle,  ne  naissait  au- 
cune idée  de  la  mission  de  l'art,  ni  de 
vocation,  de  fibre  artistique,  d'inter- 
prétations diverses,  de  vieille  et  de  nou- 
velle école,  et  autres  formules  dont  bon 
nombre  d'acteurs  se  torturent  l'esprit... 
Rien  de  tout  cela!  Cependant,  comme  à 
la  grosse,  il  comprenait  que  les  specta- 
teurs du  parterre  et  du  «  poulailler  » 
étaient  le  peuple,  ce  peuple  qui  souffre, 
qui  travaille,  qui  peine,  et,  quand  il  peut 
disposer  de  quelques  sous,  vient  au 
théâtre  pour  oublier  en  riant  les  misères 
de  sa  vie. 

Et  dans  son  cœur  d'homme  du  peuple 
il  se  sentait  tout  heureux  d'être  ainsi 
voué  à  réjouir,  à  consoler,  à  alléger  les 
maux  de  son  prochain.  Quand  il  mettait 
son  masque  et  enfilait  sa  camisole,  son 
cœur  était  plus  léger;  il  devenait  gai  de 
la  gaieté  qu'il  allait  faire  épanouir  chez 
autrui.  Quand  tout  un  parterre  éclatait 
d'un  rire  homérique,  ce  cœur  se  gonflait 
de  contentement,  comme  s'il  avait  fait 
une  bonne  action. 

Le  plus  souvent,  quelques  minutes 
avant  la  représentation,  il  mettait  l'œil 


L'IDYLLE    DE    POLICHINELLE 


au  trou  du  rideau,  pour  observer  atten- 
tivement son  public.  Il  notait  les  visages 
graves,  les  figures  tristes,  et  rentrait 
dans  les  coulisses,  se  frottant  les  mains, 
souriant  et  murmurant  à  part  soi  :  — 
Nous  verrons,  nous 
verrons ,  si  vous 
pourrez  nous  résis- 
ter !  —  Quand  il 
avait  atteint  son  but 
et  voyait  devant  lui 
une  foule  souriante, 
il  se  félicitait, 
comme  s'il  venait 
de  remporter  une 
grande  victoire.  Par- 
fois, quelque  specta- 
teur isolé  s'entêtait  à 
demeurer  sérieux, 
ne  souriant  pas 
même  à  ses  plaisan- 
teries les  plus  gra- 
cieuses. Alors  Poli- 
chinelle s'obstinait 
dans  son  rôle,  s'en- 
llammait,  se  multi- 
pliait, et  jouait  pour 
ce  seul  spectateur, 
jusqu'à  ce  qu'il  l'eût 
enfin  dominé  et 
vaincu,  jusqu'à  ce 
qu'il  vît  sa  bouche 
contractée  d'un  rire 
réprimé.  Il  appelait 
ces  spectateurs-là 
d'un  nom  pittores- 
que et  énergique  : 
ses  «  écueils  ». 

Ce  soir-là,  il  avait 
trouvé  un  «  écueil  » 
et  des  plus  durs,  qui 
ne  voulait  pas  rire,  absolument  pas. 
Gaetano  avait  fait  tous  ses  efforts,  mo- 
difié profondément  la  banale  comédie 
qu'il  jouait,  la  fleurissant  de  spirituelles 
improvisations;  mais  le  spectateur  ne 
s'était  pas  donné  la  peine  de  comprendre, 
il  était  demeuré  indifférent  et  immobile. 
Polichinelle  s'y  perdait  :  ce  spectateur 
était  plus  fort  que  lui. 

A  dire    vrai,  le  spectateur  était   une 


spectatrice,  une  jeune  fille  assise  face  à 
la  scène,  dans  une  loge  de  premier  rang, 
et  tout  près,  puisqu'elle  avait  le  numéro 
deux.  Une  jeune  fille  au  visage  pâle 
et   long,  un  peu  maigre;  sur  les  lignes 


frêles  du  cou  retombaient' deux  grosses 
tresses  noires,  semées,  avec  une  élé- 
gante simplicité,  de  quelques  étoiles 
d'écaillé  blonde  ;  elle  était  vêtue  de  laine 
grise;  au  cou,  une  ruche  de  dentelle 
lalanche  fermée  par  une  étoile  d'écaillé 
un  peu  plus  grande;  des  gants  noirs. 
Elle  écoutait  fort  attentivement,  mais 
son  visage  sérieux  ne  se  déridait  pas;  le 
front   blanc  et  étroit,  le  menton  ferme 


72 


L'IDYLLE    DE    POLICHINELLE 


avaient  même  quelque  chose  de  farouche. 
Elle  n'était  pas  belle,  elle  avait  une  de 
ces  physionomies  intéressantes,  tout  à 
fait  personnelles,  qu'on  ne  peut  oublier. 
Près  d'elle,  une  dame  mûre,  simplement 
habillée  de  noir,  lui  ressemblait,  avec 
des  traits  plus  doux,  presque  amollis 
par  les  cheveux  blancs  et  le  bienveillant 
sourire:  sa  mère,  sans  doute. 

Gaetano  ne  se  souciait  guère  de  ces 
détails;  il  était  préoccupé  de  la  gravité 
de  la  jeune  fille.  Il  ne  s'agissait  ni  de 
mélancolie,  ni  de  douleur,  ni  même  d'in- 
différence; le  sentiment  qui  se  lisait  sur 
ce  visage  était  celui  d'une  supériorité 
grave,  presque  inconsciente,  mais  certes 
naturelle.  Gaetano  se  demandait  pour- 
quoi une  fillette,  pas  même  habillée  de 
deuil,  à  l'âge  du  sourire,  dans  un  théâtre 
où  l'on  venait  pour  s'amuser,  se  refusait 
à  toute  joie.  Maintenant  elle  parlait  len- 
tement à  sa  compagne,  sans  un  geste, 
avec  un  regard  intelligent,  remuant  à 
peine  les  lèvres.  Que  disait-elle?  Quel 
étrange  aspect  était  le  sien?  Tout  le 
monde  riait;  elle,  non;  tout  le  monde 
s'amusait,  elle  ne  s'ennuyait  pas;  que 
faisait-elle,  que  pensait-elle  donc?  Il  re- 
tournait cette  idée  en  lui-même  et  de- 
meurait le  visage  collé  à  la  toile  mal- 
propre du  rideau,  l'œil  fixé  sur  ce  pâle 
visage,  perdu  dans  ses  suppositions,  tour- 
menté un  peu  de  cette  énigme  de  vingt 
ans  qui  occupait  la  loge  numéro  deux. 

—  Personne  sur  la  scène  !  cria  l'ap- 
peleur. 

Malgré  lui,  Gaetano  dut  rentrer  dans 
la  coulisse.  Arrivé  là,  il  crut  avoir  une 
idée  lumineuse,  une  idée  qui  lui  plaisait 
et  lui  déplaisait  à  la  fois  :  la  jeune  fille 
était  sûrement  éprise  de  quelqu'un. 

—  Alors  je  vais  la  mettre  de  bonne 
humeur,  —  dit-il,  à  part  soi, — justement, 
au  troisième  acte,  il  y  a  une  scène  d'amour. 

Il  poussa  une  pointe  jusqu'à  la  loge 
exiguë  où  Donna  Carmela,  l'amoureuse, 
à  la  faible  lueur  d'une  chandelle  fumeuse, 
devant  un  miroir  de  quarante  centimes, 
s'arrangeait  au  cou  un  fichu  de  soie 
rose  :  elle  avait  les  joues  grossièrement 
fardées  de  blanc  et  de  rouge. 


—  Je  vous  recommande.  Donna  Car- 
mela, dit  Gaetano,  un  peu  de  feu,  dans 
notre  grande  scène. 

—  Vraiment  !  il  n'y  a  pas  besoin  de 
me  faire  cette  recommandation,  fit-elle, 
lui  décochant  un  regard  tendre.  Pour- 
tant ce  n'était  point  le  vingtième  fiancé. 
Mais  Gaetano  n'y  parut  guère  sensible. 

En  effet,  la  scène  d'amour,  qui  était 
la  dernière,  et  le  point  culminant  de  la 
pièce,  fut  jouée  à  merveille.  Carmela  se 
piqua  d'honneur,  elle  parut  presque 
savoir  son  rôle;  ses  yeux,  agrandis  par 
le  bistre,  étincelaient  ;  sa  voix  rauque 
avait  presque  des  intonations  intelli- 
gentes. Mais  Gaetano  se  surpassa;  cha- 
cun de  ses  mots  fut  heureux,  il  se 
montra  tour  à  tour  spirituel,  ridicule, 
baroque;  le  parterre,  tout  le  théâtre 
même  se  tordait  dans  des  convulsions 
de  gaieté;  il  éprouvait  une  véritable 
admiration  devant  son  propre  génie, 
et  quand,  à  la  fin,  de  bruyants  applau- 
dissements couronnèrent  la  pièce,  il 
jeta  un  coup  d'œil  à  la  jeune  fille  en 
gris,  sûr  d'avoir  agi  sur  elle  et  de  l'avoir 
fait  rire. 

Mais  non,  ce  visage  n'avait  pas  changé 
d'expression.  Les  yeux  fiers  rassem- 
blaient Carmela  et  Gaetano  dans  un 
seul  regard,  et  la  bouche  gracieuse  se 
plissait  d'un  mépris  dur  et  énergique. 

Il  en  resta  glacé,  immobile,  stupide. 
Pourquoi  ce  mépris? 

Ce  fut  ainsi  que  Gaetano  Starace, 
Polichinelle  du  théâtre  populaire  San 
Carlino,  devint  amoureux  d'une  in- 
connue. 

II 

11  n'était  pas  philosophe,  et  cependant, 
un  jour,  passant  la  main  sur  son  front 
rêveur,  il  s'écria  :  «  Comme  l'amour  est 
différent  dans  la  vie  et  dans  les  co- 
médies! »  Et  sa  tête  s'inclina  sur  sa 
poitrine,  sous  le  poids  de  cette  amère 
vérité. 

Chaque  soir,  il  l'avait  feint,  l'amour 
de  comédie  :  cet  amour  tout  extérieur, 
démonstratif,  bavard,  plein  de  flammes, 
rude,   caressant,   passionné,    du    peuple 


L   IDYI.LE    DK    P(  )  L  I  Cil  I  XEL  LK 


napolitain.  11  lavait  exprimé  chaque 
soir  à  Donna  Garmela,  l'amoureuse,  et  à 
donna  Checchina,  la  soi-disant  ingénue. 
Chaque  soir,  Tune  ou  l'autre  de  ces  deux 
femmes  l'avait  aimé,  lui  avait  adressé 
des  paroles  d'amour.  Il  avait  été  tour  à 
tour  amant  heureux,  jaloux  trahi,  sé- 
ducteur effronté,  amoureux  sans  espoir, 
mais  régulièrement  tout  s'arrangeait  au 
troisième  acte,  le  mariage  s'accomplis- 
sait et  Ion  dansait  la  tarentelle  à  la 
lueur  des  feux  de  Bengale.  Toujours  son 
amour  avait  été  joyeux,  brutal,  grossier, 
vulgaire,  offert  à  toutes,  sans  quejamais 
une  palpitation  intérieure  correspondît 
à  ce  luxe  de  démonstrations.  Mais  dans 
la  vie,  quelle  différence! 

Depuis  ce  fameux  soir,  il  avait  passé 
une  semaine  dans  l'inquiétude  et  l'agi- 
tation. Mille  doutes,  mille  soupçons  l'as- 
saillaient ;  un  tourbillon  de  pensées  ba- 
layaient son  cerveau,  il  ne  pouvait 
s'expliquer  la  physionomie  de  cette  jeune 
fille.  Mais,  sans  parvenir  à  se  l'expliquer, 
à  quelque  occupation  qu'il  se  livrât,  dans 
quelque  lieu  qu'il  allât,  il  revoyait  la 
froideur  de  ces  yeux,  et  le  dédain  de  ces 
lèvres,  avec  le  visage  pâle  et  sympathique, 
les  tresses  noires  semées  de  blondes 
étoiles  d'écaillé  :  toujours  la  même  image. 
Au  théâtre,  c'était  pire  :  son  regard  ne 
cessait  de  revenir  à  ce  premier  rang  des 
loges,  s'attendant  presque  à  l'y  voir  ap- 
paraître, s'irritant  contre  ceux  qui 
occupaient  sa  place.  S'il  venait  au  trou 
du  rideau,  c'était  pour  la  chercher;  si 
Donna  Carmela  lui  parlait,  il  songeait 
à  elle:  s'il  jouait  la  même  comédie  que 
le  soir  où  il  l'avait  vue,  il  lui  semblait 
souifrir  de  nouveau  les  mêmes  angoisses 
et  la  même  désillusion.  Bref,  sa  vie 
était  profondément  troublée. 

Un  instinct  secret  le  portait  à  ne  pas 
s'informer  de  son  inconnue.  Cependant 
il  la  revit,  il  sut  son  nom.  sa  famille,  son 
histoire.  C'était  la  vieille  et  trop  fré- 
quente histoire  des  familles  nobles 
appauvries  par  une  mauvaise  adminis- 
tration et  par  des  procès  malheureux  : 
une  mère  et  une  fille  vivant  dune  pe- 
tite   rente    qui     suffisait    à    les     faire 


subsister;  une  existence  toute  bour- 
geoise et  restreinte.  Mais,  dans  les 
veines  de  cette  jeune  Sofia  Canlelmo 
coulait  un  sang  bleu,  très  pur;  delà,  cette 
sévérité  sculpturale  de  sa  taille,  cette 
démarche  un  peu  allière,  ces  pieds  et 
ces  mains  allongés  et  fins,  et  cet  air  de 
princesse  qu'on  a,  mais  qu'on  n'acquiert 
jamais.  Gaetano  apprit  tout  cela,  et 
cinquante  fois  par  jour  il  renouvela  sa 
résolution  de  fuir  Sofia,  de  ne  plus  penser 
à  elle,  de  se  dédier  entièrement  à  son 
humble  vie  de  Polichinelle  ;  mais  le 
pauvre  garçon  n'y  réussissait  pas.  Il 
n'avait  jamais  été  amoureux  et  ne  par- 
venait pas  à  se  vaincre. 

Ses  matinées  se  passaient  à  arpenter 
la  place  Cavour,  sous  les  acacias  des 
squares,  à  regarder  le  balcon  d'un  second 
étage,  qui  s'ouvrait  trop  rarement  pour 
son  désir.  Sofia  y  paraissait  seulement 
par  les  beaux  jours  et  y  demeurait  peu; 
elle  ne  voyait  pas  Gaetano,  ou,  si  elle  le 
voyait,  ne  s'en  souciait  guère.  Le  di- 
manche, elle  se  rendait  à  la  messe  dans 
la  vieille  église  Santa  Maria  de  Constan- 
tinople,  avec  sa  mère,  et  Gaetano,  dévot 
comme  tous  ceux  qui  aiment,  y  entrait 
derrière  elle  et  priait.  Puis  les  deux 
femmes  s'en  allaient  faire  une  prome- 
nade, lui  derrière,  à  dix  pas,  feignant 
l'indifférence,  mais  les  suivant  comme 
un  chien  fidèle.  Le  reste  de  la  journée, 
il  était  pris  par  ses  répétitions;  il  courait 
chez  lui  avaler  une  bouchée,  retournait 
au  théâtre  pour  la  représentation  de 
l'après-niidi  et  n'en  sortait  plus  qu'à 
minuit.  Mais  à  minuit,  avant  de  rega- 
gner son  logis,  mort  de  fatigue,  écrasé 
de  chaleur,  il  allait  d'un  trait,  jusqu'à  la 
place  Cavour,  revoir  un  balcon  éclairé, 
et  parfois  une  ombre  haute  et  svelte 
passer  derrière  les  rideaux. 

Cela  dura  des  semaines  entières,  sans 
varier;  mais  sa  patience,  cette  sorte  de 
bonté  innée,  d'humilité  résignée  qui  se 
contentait  de  contempler  Sofia  sans  autre 
espérance,  cette  voix  intérieure  qui  lui 
disait  de  renoncer,  se  lassèrent.  Il  était 
jeune,  il  n  avait  jamais  aimé  ;  le  sang  lui 
bouillonnait  dans  les  veines  et  lui  affluait 


L'IDYLLE    DE    POLICHINELLE 


au  cerveau  ;  cette  tension,  cette  passivité 
lui  devinrent  insupportables;  il  eut 
besoin  de  prendre  une  décision,  d'agir, 
de  faire  une  démarche,  d'apprendre  ce 
qu'il  devait  en  être  de  son  cœur  et  de 
lui. 

Il  lui  adressa  une,  deux,  cinq  lettres. 

Ces  lettres  étaient  mal  écrites,  il  faut 
l'avouer.  Quelques  expressions,  quelques 
phrases,  étaient  assurément  empruntées 
aux  comédies  du  répertoire;  quelques 
fautes  d'orthographe  s'y  rencontraient 
par  inadvertance.  Mais  elles  respiraient 
un  amour  si  profond,  si  sincère,  on  y 
sentait  un  désir  si  vif  d'une  seule  parole, 
d'un  seul  sourire,  que  toute  jeune  fille 
ne  pouvait  manquer  d'en  être  touchée. 

Il  y  avait  longtemps  que,  sous  la  brune 
frange  de  ses  cils,  Sofia  remarquait  la 
fidélité  de  Gaetano  à  se  présenter  chaque 
matin  sous  sa  fenêtre.  Il  y  avait  long- 
temps qu'elle  s'était  habituée  à  le  re- 
trouver invariablement  à  l'église,  à  la 
promenade,  toujours  modeste,  toujours 
un  peu  triste.  Et  lentement,  dans  ce  cœur 
froid  et  solitaire,  s'imprimait  l'image  du 
jeune  amoureux.  Sofia  était  un  de  ces 
caractères  entiers,  tout  d'une  pièce,  in- 
capables de  céder  à  une  faiblesse,  mais 
incapables  de  mentir  aux  autres  et  à  eux- 
mêmes.  Elle  était  altière,  mais,  par  suite, 
elle  ne  soufTrait  pas  les  demi-mesures  ; 
soit  qu'elle  aimât,  soit  qu'elle  n'aimât 
pas,  elle  irait  jusqu'au  bout.  Les  malheurs 
de  son  enfance  lui  avaient  été  une  sévère 
leçon;  ils  lui  avaient  enseigné  que  la  no- 
blesse de  la  naissance  ne  signifie  rien  à 
une  époque  où  seul  l'argent  compte  pour 
quelque  chose;  qu'à  côté  du  blason,  la 
noblesse  du  travail  est  également  belle 
et  honnête.  Ce  jeune  homme  avait  assu- 
rément une  profession;  il  travaillait  sans 
doute  aux  heures  où  on  ne  le  voyait  pas 
paraître;  c'était  peut-être  par  suprême 
humilité  qu'il  n'avait  signé  ses  lettres  que 
de  son  nom  de  baptême,  dans  la  crainte 
qu'un  nom  trop  bourgeois  n'offensât  la 
jeune  fille.  Sofia  éprouvait  de  l'estime 
pour  sa  conduite  passée,  pour  celle  d'au- 
jourd'hui; sa  mère,  désireuse,  comme 
toutes  les  mères,  de  marier  sa  fille,  l'en- 


courageait doucement:  elle  répondit 
donc  à  Gaetano  en  peu  de  paroles,  graves, 
mais  sans  froideur.  Elle  l'estimait,  elle 
consentait  à  le  recevoir,  peut-être  l'aime- 
rait-elle  plus  tard. 

La  première  fois  qu'il  entra  dans  cette 
maison,  tremblant  d'émotion,  dominé 
par  une  étrange  angoisse,  il  aurait  voulu 
être  parfaitement  heureux  et  s'imaginait 
l'être.  Malgré  cela,  sa  joie  était  voilée 
comme  d'une  nuée  obscure  et  il  se  sentait 
épouvanté  d'un  péril  ignoré.  Puis,  il  se 
traitait  de  fou,  de  présomptueux,  d'homme 
impossible  à  contenter  ;  il  appelait  à  l'aide 
son  amour,  sa  franchise,  la  loyauté  de 
son  cœur  et  de  ses  intentions,  il  se  disait 
qu'un  mois,  une  semaine  plus  tôt,  il  n'au- 
rait jamais  rêvé  pareille  fortune...  et  il 
se  rassurait.  Mais,  en  présence  des  deux 
dames,  il  fut  timide  et  embarrassé,  il 
n'osa  pas  regarder  Sofia,  il  ne  sut  s'il 
devait  lui  parlera  la  troisième  personne, 
selon  l'usage  toscan,  ou  à  la  seconde, 
suivant  la  coutume  napolitaine.  Les  pa- 
roles lui  venaient  lentement;  un  invin- 
cible doute  l'arrêtait.  La  jeune  fille  le 
comprit  et  vit  qu'il  fallait  l'aider,  lui 
rendre  un  peu  décourage.  Elle  lui  parla 
avec  bonté,  s'efforçant  de  radoucir  l'ex- 
pression de  son  visage,  arrivant  presque 
à  sourire.  Il  s'anima,  devint  plus  loquace, 
domina  tout  à  fait  son  embarras.  L'en- 
tretien marchait  assez  bien,  quand  la  si- 
gnora  Cantelmo  eut  l'idée  de  faire  cette 
question  : 

—  Où  donc  nous  avez-vous  connues? 

—  Je  vous  ai  vues  au  théâtre,  répon- 
dit-il, saisi  d'une  hésitation  nouvelle. 

—  Au  théâtre?  reprit  Sofia.  Nous  y 
allons  bien  rarement. 

—  En  avril  dernier,  au  théâtre  San 
Garlino. 

Gaetano  n'ajouta  rien  de  plus. 

—  Je  m'en  souviens:  c'est  quand  Marie 
Desanctis  nous  avait  envoyé  cette  loge... 
Quelle  vilaine  soirée!... 

—  Pourquoi?  demanda  Gaetano,  sans 
oser  accentuer  sa  question. 

— -Je  n'aime  pas  ce  théâtre;  on  y  rit 
trop  et  on  n'y  apprend  rien.  Tout  ce  qui 
s'y  dit  est  trivial,   vulgaire,  bas,   et   me 


LIDYLLE    DE     Po  L  IC  II  I  N  K  L  LE 


répuj^ne.  Ces  rires  du  parterre  ont 
quelque  chose  de  sauvage.  Et  ce  Poli- 
chinelle, ce  grossier  bouffon,  qui  caresse 
de  la  parole  et  de  l'intention  tous  les 
instincts  brutaux  du  peuple...  je  ne  puis 
le  soulFrir!  Comment  un  homme  se  rési- 
gne-t-il  à  un  pa- 
reil métier? 

—  Tu  es  sévère, 
Sofia,  interrompit 
sa  mère,  mitigeant 
le  reproche  d'un 
doux  sourire. 

—  Non,  maman. 
Sans  doute  n'a-t-il 
pas  su  trouver  un 
moyen  honnête  de 
gagner  sa  vie  ? 
Mieux  vaut  un  tra- 
vail manuel  que  ce 
métier  ridicule  et 
indécent  !  Mais  en- 
lin,  que  nous  irh- 
porte  tout  cela?  Je 
ne  vous  ai  point 
vu  ce  soir-là. 

—  Vous  ne  pou- 
viez me  voir,  ré- 
pondit Gaetano, 
pâlissant. 

—  Allez  -  vous 
souvent  au  théâ- 
tre? fit  la  mère. 
N'êtes- vouspas  oc- 
cupé le  soir? 

—  Si,  tous  les 
soirs,  répliqua-t-il, 
faisant  un  effort 
pénible,  tous  les 
soirs  je  vais  tra- 
vailler. 

—  C'est  un  tra- 
vail   fatigant  ?    interrogea 
bonté. 

—  Non,  pas  beaucoup;  d'ailleurs,  j'y 
suis  habitué. 

—  Vous  êtes  peut-être  dans  le  com- 
merce? 

Que  répondre?  Lui  jeter  la  vérité  au 
visage  et  s'enfuir?  Il  l'aimait,  il  l'ai- 
mait   passionnément,    il    l'aimait    pour 


son  mépris  môme.  Il  l'aimait,  il 
mentit. 

—  Oui,  dans  une  maison  de  banque. 
J'y  vais  à  quatre  heures  et  n'en  sors 
qu'à  minuit. 

Il    ajouta  son  prénom   et  le   nom  de 


Sofia    avec 


famille  de  sa  mère  :  BosaU.  Ainsi  l'alibi 
était  complet.  Alors  il  prit  congé  des 
deux  dames  et  rentra  chez  lui,  abattu, 
pâle,  blessé  au  cœur.  Sur  le  théâtre, 
l'amour  lui  avait  toujours  paru  une 
joyeuse  comédie,  mais  dans  la  vie  il 
prenait  la  forme  d'un  drame  poignant. 
Le  premier  jour  de  son  bonheur,  Gae- 
tano était  bien  malheureux  1 


76 


L'IDYLLE    DE    POLICHINELLE 


III 

Désormais  il  passa  les  matinées  près 
d'elle,  assis  sur  le  tabouret  où  s'ap- 
puyaient ses  pieds,  jouant  avec  l'éche- 
veau  de  laine  dont  elle  se  servait  pour 
sa  tapisserie,  lui  paillant  d'une  voix  très 
basse,  pendant  que  la  mère  allait  et  ve- 
nait dans  l'appartement.  Ces  dames  re- 
cevaient peu  de  visites;  la  pièce  était 
silencieuse,  pleine  de  lumière  et  de 
soleil.  Çà  et  là,  des  fleurs  emplissaient 
de  grands  vases  de  cristal.  Sofia  dai- 
gnait parler,  de  sa  voix  gravement  mu- 
sicale qui  avait  quelque  chose  d'intime 
et  d'airectueux  ;  Sofia  daignait  lui  ac- 
corder quelqu'un  de  ces  beaux  sourires 
qui  corrigeaient  la  pureté  trop  statuesque 
de  ses  traits.  Gaetano  se  sentait  pénétré 
d'une  grande  paix,  d'une  tranquillité  sa- 
tisfaite. Il  jouissait  de  mille  petites 
choses  ;  les  doigts  fuselés  et  blancs  de 
Sofia,  ornés  d'une  bague  de  turquoise 
qu'il  lui  avait  donnée,  volaient  sur  le 
canevas,  comme  des  papillons  de  neige. 
Quand  elle  finissait  son  aiguillée  de  laine, 
elle  la  tranchait  net  avec  de  jolis  ciseaux 
étincelanls;  quand  elle  commençait  une 
fleur,  elle  appelait  Gaetano  à  donner  son 
avis  sur  la  gradation  des  teintes.  Parfois 
la  jeune  fille  laissait  aller  son  ouvrage  et 
se  distrayait  à  causer  lentement  avec 
lui,  n'accentuant  ses  paroles  que  par  un 
regard.  Elle  lui  disait  que  le  soir  d'avant, 
à  la  brune,  elle  était  sortie  sur  le  balcon, 
qu'en  Aojant  tant  de  monde  dans  la 
rue,  elle  avait  soudain  pensé  à  lui,  en- 
fermé dans  une  chambre  éloulfanle, 
courbé  sur  un  grand  livre,  en  compa- 
gnie de  ses  chiil'res,  et  qu'elle  avait  eu 
pitié  de  lui.  Elle  lui  disait  que  si  l'autre 
dimanche  il  avait  fait  un  gai  soleil,  tous 
trois  seraient  allés  se  promener  au  bois 
de  Capodimonte;  elle  lui  aurait  montré 
de  jolies  allées,  de  vieux  arbi*es,  très 
vieux,  qui  avaient  l'air  gai.  Elle  lui 
contait  qu'elle  avait  lu  un  livre  qui  lui 
avait  plu,  surtout  certains  passages.  Le 
livre  était  sur  la  table,  il  n'avait  qu'à 
l'ouvrir  à  telle  page  et  à  lire  tout  haut. 


Et  il  obéissait  en  souriant;  il  lisait  avec 
emphase,  comprenant  plutôt  avec  son 
cœur  qu'avec  son  esprit;  elle  l'écoutait, 
fermant  à  demi  ses  yeux  bruns.  Alors  ils 
restaient  silencieux,  se  regardant  lon- 
guement avec  un  tendre  sourire.  Jamais 
ils  ne  discutaient  :  ils  se  trouvaient  tou- 
jours d'accord;  Sofia  était  un  peu  exclu- 
sive dans  ses  opinions,  inflexible  dans 
ses  idées;  mais  Gaetano  l'aimait  et  l'ad- 
mirait tant  qu'il  acquiesçait  à  tout  ce 
qu'elle  disait.  Il  y  avait  en  elle  un  senti- 
ment tellement  grandiose ,  tellement 
juste  de  la  probité,  un  dédain  si  complet 
de  la  facile  morale  du  monde,  que  le 
jeune  homme  se  sentait  près  d'elle  de- 
venir plus  fort,  plus  ferme,  plus  coura- 
geux. 11  l'aimait  comme  une  enfant,  une 
femme,  une  amie,  une  sœur  ;  elle  le 
charmait,  il  l'admirait,  ill'aimait d'amitié 
et  d'amour,  il  l'aimait  jusqu'à  l'adora- 
tion. 

Mais  la  porte  à  peine  franchie,  ses 
blessures  recommençaient  à  saigner.  Il 
était  un  menteur,  un  traître,  un  lâche,  qui 
trompait  une  jeune  fille  noble  et  pure  ! 
Il  était  indigne  de  son  amour,  lui,  le 
bouffon,  le  polichinelle  !  Jusqu'alors,  son 
esprit  était  demeuré  obtus  ;  il  goûtait  son 
métier,  n'en  voyant  que  le  bon  côté;  il 
ne  s.e  sentait  pas  au-dessous  des  autres 
travailleurs. 

Mais  les  paroles  de  Sofia  lui  ouvraient 
l'intelligence  et  déchiraient  le  voile  dont 
celle-ci  s'enveloppait.  Son  père  lui  avait 
laissé  la  honte  en  héritage  ;  ce  qu'il  fai- 
saitchaque  soirétait  une  besogne  indigne. 
11  se  mit  à  nourrir  dans  son  cœur  une 
invincible  haine  pour  ce  qui  avait  été  sa 
consolation  :  la  scène  étroite,  pou- 
dreuse; les  coulisses  noires,  malpropres, 
étouffantes,  pleines  d'araignées;  l'odeur 
de  pétrole,  de  fumée,  d'haleines  puantes; 
les  compagnons  vulgaires  et  grossiers, 
les  femmes  peintes,  barbouillées  de  fa- 
rine, chargées  de  bijoux  faux,  parlant  le 
dialecte  populaire,  criant,  se  querellant, 
réclamant  les  unes  contre  les  autres, 
tantôt  vicieuses,  tantôt  simplement  mi- 
sérables. Et  sa  livrée  blanche  de  poli- 
chinelle, le   masque  noir  qui   le  défigu- 


L'IDYLJ.K    DK     rOLICHINKLLE 


77 


rail;  le  bonnet  obligatoire;  ce  rùle  de 
boulFon,  de  peureux,  d'ég-oïste,  d'intri- 
gant qu'il  était  obligé  de  représenter; 
ces  plirases  à  double  entente,  ces  plai- 
santeries mordantes  qui  emportaient  le 
morceau,  cet  amour  bruyant  qu'il  lui 
fallait  feindre  sans  cesse...  tout  lui 
sembla  ignoble!  La  vie  qu'il  menait  le 
matin  l'ennoblissait  et  développait  en  lui 
toutes  ses  facultés  morales;  celle  de 
chaque  soir,  au  théâtre,  l'avilissait,  l'op- 
primait, l'abrutissait. 

Avec  un  courage  désespéré,  il  avait 
cherché  à  s'en  délivrer,  il  avait  voulu 
rejeter  ce  fardeau  pénible.  Mais  il  était 
incapable  de  remplir  un  autre  emploi. 
Il  ne  savait  rien,  ou  un  peu  de  tout,  ce 
qui  revient  au  même  :  il  n'était  qu'un 
ignorant.  Personne  n'avait  voulu  de  lui, 
même  comme  gratte-papier  ;  on  deman- 
dait des  renseignements  sur  son  compte, 
et  lorsqu'on  apprenait  qu'il  était  le  poli- 
chinelle de  San  Garlino,  on  haussait  les 
épaules  et  on  souriait  :  puisqu'il  était  au 
théâtre,  il  n'avait  qu'à  y  rester.  Deux  ou 
trois  refus  analogues  lui  tirent  sentir 
tout  le  ridicule  de  sa  situation,  et  il  re- 
venait chaque  soir  reprendre  sa  chaîne, 
douloureusement,  souffrant  le  martyre, 
grinçant  des  dents,  quand  le  public  l'ap- 
plaudissait, haïssant  l'univers,  se  haïs- 
sant lui-même...  mais  adorant  Sofia. 

11  finit  par  ne  plus  avoir  un  instant 
de  paix,  même  ceux  qu'il  passait  près 
d'elle,  car  il  n'arrivait  plus  à  oublier 
sa  vraie  personnalité,  et  la  pensée  de  sa 
misérable  condition  triomphait  de  la 
douceur  de  cette  présence  aimée.  Sofia, 
d'ailleurs,  lui  demandait  de  minutieux 
détails  sur  sa  vie  d'employé  :  si  le 
labeur  n'était  pas  trop  pénible,  si  son 
patron  le  traitait  avec  bonté;  si  les  af- 
faires marchaient  bien  ;  et  lui  s'embrouil- 
lait, appelait  au  secours  ses  connais- 
sances restreintes,  pour  y  puiser  quelques 
données  commerciales,  pour  entasser 
mensonge  sur  mensonge.  Quand,  bien 
rarement,  sonnait  la  cloche  d'entrée,  il 
tressaillait,  craignant  de  voir  apparaître 
une  personne  qui  le  connût:  chaque  fois 
il  se    levait,  comme    pour   fuir.   Quand 


Sofia  recevait  une  lettre  en  sa  présence, 
il  tremblait  que  ce  ne  fût  une  dénoncia- 
tion anonyme.  Si  la  jeune  fille  lui  sem- 
blait mélancolique,  le  sang  se  glaçait 
dans  ses  veines,  et  il  pensait  :  «  Elle  a 
appris  quelque  chose!  »  Il  lui  avait 
promis  de  la  mener  chez  sa  mère,  une 
bonne  paysanne;  mais,  sous  mille  pré- 
textes, il  n'avait  pas  tenu  cette  pro- 
messe. 

Par  les  belles  matinées  d'été,  durant 
ses  rares  jours  de  congé,  Sofia  insistait 
pour  qu'il  sortît  avec  elle  et  sa  mère.  Il 
choisissait  alors  les  rues  désertes,  regar- 
dait tout  autour  de  lui,  avec  la  crainte 
d'apercevoir  quelque  ami  qui  l'appelle- 
rait par  son  nom.  Il  y  avait  plus  :  même 
dans  leurs  plus  beaux  moments  de  paix 
et  de  sérénité,  ces  moments  où  41  aurait 
voulu  s'agenouiller  devant  Sofia  et  la 
prier  comme  une  madone,  il  était  as- 
sailli d'un  tumulte  de  pensées  impures. 
Des  bouffées  de  cynisme  lui  montaient 
au  cerveau;  des  souvenirs  de  théâtre 
salissaient  son  esprit,  il  se  sentait  rede- 
venir vulgaire  et  bas  ;  il  se  demandait  si 
ces  mensonges,  ces  feintes,  ces  délica- 
tesses n'étaient  pas  des  exagérations, 
des  déguisements  inutiles  envers  Sofia. 
Les  maris  sont  rares  et,  pour  en  con- 
quérir un,  les  jeunes  filles  ferment  l'œil, 
les  deux  yeux  souvent,  sur  le  physique 
et  la  profession  du  prétendant.  Il  avait 
énoncé  cette  affirmation  sur  la  scène, 
aux  applaudissements  du  parterre.  D'un 
coup  d'aile  de  son  imagination  malade, 
il  voyait  Sofia,  devenue  sa  femme  et  lui 
ayant  pardonné  son  mensonge,  Sofia  as- 
sistant à  ses  représentations  et  l'applau- 
dissant. Pourquoi  pas?  Dans  ces  ins- 
tants-là, il  était  sur  le  point  de  tout  lui 
avouer;  mais  Sofia  levait  sur  lui  ses 
yeux  sereins  et  chastes,  et  il  reculait, 
plus,  affolé,  plus  cruellement  angoissé 
que  jamais. 

Une  fièvre  nerveuse  le  prit;  il  espéra 
mourir.  Au  lieu  de  cela,  trois  jours  après, 
il  était  guéri,  et  son  imprésario  vint 
lui  rendre  visite,  pour  causer,  dit-il, 
de  choses  importantes.  Le  théâtre  fai- 
sait   peu   d'engagements,    manquait  de 


78 


L'IDYLLK    D1-:    POLICHINELLE 


nouveautés,  et  voyait  disparaître  son 
public.  Les  trois  soirs  où  Gaetano 
n'avait  pas  paru,  la  salle  était  demeurée 
vide.  Il  fallait  donc  travailler,  inventer 
quelque  chose,  risquer  quelque  dépense, 
battre  la  grosse  caisse  pour  rassembler 
des  spectateurs.  L'imprésario  avait  une 
idée,  même  deux  :  on  pouvait  monter 
une  parodie  de  Rigolcllo,  qui  jaillirait, 
vive  et  spirituelle,  de  la  plume  de  Gae- 
tano ;  reprendre  une  comédie  du  réper- 
toire, oubliée  depuis  trente  ans  et  à 
laquelle  on  ferait  des  modifications... 
Qu'en  disait  ce  cher  Gaetano,  l'appui  du 
théâtre  San  Carlino  ? 

Gaetano  répondit  affirmativement.  Il 
fit  la  parodie,  refit  la  comédie.  Il  était, 
en  elfet,  l'appui  du  théâtre  San  Carlino, 
il  le  sentait  peser  sur  ses  épaules,  d'un 
poids  lourd  qu'il  ne  pouvait  rejeter.  Il 
écrivit  à  Sofia  qu'une  importante  opéra- 
tion financière,  une  grosse  liquidation 
l'empêchait  d'aller  la  voir  d'ici  quatre 
ou  cinq  jours,  qu'il  reviendrait  le  plus 
tôt  possible,  qu'il  l'adorait  toujours.  En 
pastichant  de  son  mieux  Rigoletlo,  il 
éprouva  un  amer  plaisir  à  se  retrouver 
sous  les  traits  du  malheureux  bossu, 
dont  l'unique  adoucissement  à  sonrôlede 
bouifon  était  l'amour  de  sa  fille.  Il  se 
complut  férocement  à  s'acharner  contre 
lui-même,  caricaturant  la  tendresse  du 
père  et  l'innocence  de  la  fille,  glorifiant, 
au  contraire,  la  joyeuseté  dissolue  du 
duc  et  de  Maddalena.  Lui-même  devait, 
costumé  en  femme,  jouer  le  rôle  de 
Gilda,  descendant  ainsi  au  dernier  degré 
de  l'avilissement.  Et  les  jours  suivant 
les  jours,  il  s'enfonça  plus  avant  dans  la 
chair  cette  épine,  souriant,  comme  les 
anciens  martyrs,  à  voir  couler  son  sang. 

Les  grandes  affiches  rouges  et  vertes, 
collées  sur  tous  les  murs  de  la  ville,  an- 
nonçaient au  public  napolitain  <(  la  nou- 
velle et  brillante  parodie  de  Rigoletlo, 
expressément  écrite  par  le  polichinelle 
Gaetano  Starace,  qui  y  tiendrait  un 
rôle,  ainsi  que  le  boulîon  Barilotto,  Don 
Felice  Sciosciammocca,  le  Tartaglia,  la 
duègne,  et  dix  autres  acteurs  ».  Les 
journaux  consacraient  dix  lignes  de  leur 


chi'onique  théâtrale  à  recommander  à 
leurs  lecteurs  la  première  représenta- 
tion. Ce  serait  un  succès  retentissant, 
une  soirée  fort  divertissante,  un  «  brio  à 
ressusciter  les  morts  ».  Un  chroniqueur 
qui  mâchait  quelque  peu  de  français  pro- 
phétisait un  succès  de  fou  rire.  Tous,  au 
reste,  annonçaient  qu'il  y  aurait  foule. 

En  effet,  le  dimanche  de  la  première^ 
le  théâtre  regorgeait  de  monde  et  l'im- 
présario était  fou  de  joie.  Avec  une  ac- 
tivité fiévreuse,  Gaetano  allait  et  venait 
pour  diriger  les  machinistes.  11  ne  parut 
que  dans  la  troisième  scène,  fut  salué 
d'applaudissements  bruyants,  comme 
auteur  et  comme  acteur,  salua  et  pro- 
nonça les  premières  phrases.  Soudain  il 
fut  pris  d'un  frisson  mortel.  Son  regard, 
faisant  le  tour  de  la  salle,  avait  aperçu 
Sofia  et  sa  mère  dans  la  fatale  loge  de 
premier  rang  :  Sofia,  vêtue  de  bleu,  im- 
mobile, sérieuse,  attentive.  Elle  aussi,  à 
sa  voix,  avait  tressailli. 

Alors  Gaetano  se  sentit  un  courage 
désespéré,  le  courage  d'une  âme  vail- 
lante aux  prises  avec  la  situation  la  plus 
terrible,  la  plus  douloureuse  de  sa  vie. 
Ce  qui  le  lui  donna  fut  la  frayeur  aveu- 
gle de  perdre  cette  jeune  fille  qui  pour 
lui  était  tout.  Il  eut  l'énergie  de  trans- 
former sa  voix  naturelle  en  un  désagréa- 
ble fausset.  Pour  le  reste,  il  était  mé- 
connaissable. Exalté  par  tant  de  mois 
de  luttes,  par  la  fièvre,  par  la  présence 
de  Sofia,  il  déploya  ce  soir-là  toute  la 
souplesse  de  son  talent  pour  séduire  les 
spectateurs.  Costumé  en  Gilda,  il  fut 
grotesque  jusqu'à  la  caricature,  forçant 
la  voix  et  les  gestes  ;  il  imita,  en  les  exa- 
gérant, tontes  les  grâces  ridicules  d'une 
actrice  de  troisième  ordre.  Puis,  vêtu 
en  homme,  il  prit  tous  les  aspects, 
dansa,  chanta,  joua  du  violon,  déclama, 
fut  bâtonné  et  bâtonnant,  feignit  l'ivresse, 
i-emplit  la  scène  et  tout  le  théâtre  de  sa 
voix  et  de  sa  personne.  Il  se  grisait  de 
bruit,  regardait  Sofia,  la  provoquait,  la 
défiait  intérieurement,  certain  de  ne  pas 
être  reconnu,  irrité  de  son  malheur,  avec 
une  exaltation  nerveuse  arrivée  au  pa- 
roxvsme. 


LIDVLLE    DE    POLICHINELLE 


79 


La  représentation  tirait  à  sa  fin.  Gae- 
lano  y  aspirait,  pour  être  délivré  de  ce 
cauchemar,  de  cet  étranglement  qui  lui 
montait   du  cœur  à 
la  gorge,  pour  sortir 
triomphant  de  ce  pé- 
ril... On  y  était  :  les 
derniers    applaudis- 
sements   s'ache- 
vaient. Le  public  des 
loges  se  préparait  à 
sortir.     Sofia     était 
déjà  debout. 

Mais  la  foule,  sa- 
tisfaite de  son  bien- 
aimé  Polichinelle, 
l'applaudissait  sans 
fin.  11  dut  attendre 
une  minute  en  scène , 
pour  recommencer 
à  saluer.  Enfin  le 
rideau  descendit  : 
un  soupir  de  soula- 
gement lui  échappa  ! 
Pas  du  tout  :  les  ap- 
plaudissements aug- 
mentaient; il  fallut 
faire  relever  le  ri- 
deau, saluer  encore. 
Sofia  jetait  sur  ses 
épaules  une  échai'pe 
blanche,  mais  gar- 
dait les  yeux  fixés 
sur  la  scène.  Tout 
d'un  coup,  une  voix 
lança  un  mot,  un 
cri,  que  dix,  cin- 
quante voix  répé- 
tèrent : 

—  Le     masque 
bas! 

11  était  perdu,  le 
public  voulait  voir 
son  visage ,  voir 
l'homme  qui  se  ca- 
chait sous  le  masque 
de  Polichinelle.  So- 
fia regardait,  avec  son  air  froid  et  dé- 
daigneux du  premier  soir.  11  hésita. 

—  Le   masque  bas  !  rugit  le  public 
souverain. 


Avec  un  geste  désespéré,  Gaetano 
arracha  son  masque  et  montra  le  visage 
blême   d'un   mourant.  Son  regard   s'at- 


tacha sur  la  jeune  fille,  mais  il  lut  dans 
sa  physionomie  une  douleur  si  fière,  un 
mépris  si  intense,  qu'il  baissa  la  tête, 
se  sentant  condamné. 


80 


L'IDYLLE    DE    POLICHINELLE 


•  Ainsi  finit  l'idylle  de  Polichinelle,  car 
Gaetano  n'osa  jamais  revoir  Sofia  Can- 
telmo,  et  elle  ne  lui  donna  plus  jamais 
signe  de  vie.  Gaetano  Starace  n'était 
point  un  héros,  il  ne  mourut  pas.  Il  ne 
chercha  pas  à  se  suicider.  Non,  il  se 
consuma  lentement,  jouant  tous  les 
soirs,  répétant  tous  les  matins,  divertis- 
sant le  peuple,  écrivant  des  parodies, 
vivant  dans  ce  théâtre  étroit,  noir,  avec 
des  comiques  vulgaires    et  des  actrices  1 


criardes,  bon  pour  tous,  mais  un  peu 
distrait. 

Jour  par  jour,  il  se  consuma  sans  se 
plaindre.  Mais,  après  lui,  nul  autre  de 
son  nom  n'a  hérité  du  masque  de  Poli- 
chinelle. 

Car  il  mourut  seul,  sans  famille,  sans 
enfants. 

jMatiiilde    Serao. 
Traduit  par  A.  Chevalier. 


■%. 


L'œuvre  de  M"""  Mathilde  Serao ,  déjà 
considérable  et  extrêmement  variée  ,  a 
pour  caractère  la  vie,  une  vie  intense  qui 
anime  ses  romans,  ses  articles,  ses  nou- 
velles. On  en  pourra  juger  en  lisant  le 
Pays  de  cocagne,  récemment  traduit  en 
français,  où  se  meuvent  et  s'agitent  toutes 
les  classes  de  la  population  napolitaine, 
prises  dans  les  multiples  trames  d'une 
action  étendue. 

M™^  Serao  a  d'abord  appartenu  à  l'école 


vériste  née  en  Italie  de  l'influence  de 
notre  école  naturaliste;  même  alors  il  se 
mêlait  à  ses  créations  romanesques  une 
bonne  part  d'idéal  qui  n'était  pas  levu- 
moindre  charme,  avec  la  vivacité  et  le  na- 
turel de  ses  dialogues,  et  pouvait  faire  pré- 
voir l'évolution  qui  s'est  produite  dans  son 
talent.  Aujourd'hui,  elle  s'efl"orce  vaillam- 
ment, avec  Fogazzaroet  plusieurs  autres,  de 
susciter  un  mouvement  de  réaction  idéa- 
liste dans  la  littérature  italienne.  Elle  a 
publié  à  ce  sujet  une  série  d'articles  :  les 
Chevaliers  de  l'esprit,  et  écrit  un  récit  de 
son  voyage  à  Jérusalem  sous  ce  titre  :  Au 
Pays  du  Christ. 

Lors  des  débuts  de  la  romancière,  toute 
jeune  fdle  à  cette  époque,  un  journaliste, 
M.  Ed.Scarfoglio,critiquaassez  sévèrement 
les  incorrections  de  son  style,  qu'elle- 
même  ne  ftiait  pas.  Le  résultat  assez  pi- 
quant de  cette  entrée  en  relations  fut 
un  mariage,  et  aujourd'hui,  tous  deux  diri- 
gent ensemble,  à  Naples,  le  grand  journal 
quotidien  II  Mattino,  auquel  est  annexé  le 
Matin  littéraire. 

Ajoutons  que  M""'  Serao  donne  des  confé- 
rences fort  brillantes,  dirige  la  partie  poli- 
tique de  son  journal  avec  habileté,  prend  à 
cœur  les  intérêts  du  peuple  de  Naples  qu'elle 
aime  et  qui  lui  répond  par  un  culte  enthou- 
siaste; elle  trouve  le  temps,  avec  cela,  d'être 
femme  du  monde  accomplie,  mère  de  famille 
dévouée  à  l'éducation  de  ses  quatre  enfants. 
La  manière  dont  cette  femme  remarquable 
suffit  à  autant  de  tâches  écrasantes  serait 
un  bel  argument  en  faveur  de  la  cause  fémi- 
niste, si  ce  n'était  une  rare  exception. 


LE   PALAIS   DE   L'ELYSÉE 


Quoique  n'ayant  pas  encore  deux 
«iècles  crexislence,  Tr^lysée  est  sans 
<)ontreclit  Tédilice  parisien  qui  a  été  le 
témoin  des  événements  les  plus  mémo- 
rables de  notre  histoire,  et  qui  a  abrité  le 
plus  grand  nombre  de  personnages 
illustres  à  des  titres  divers. 

Construit  en  1718  par  Molel,  pour 
Henri -Louis  d'Auverg-ne,  comte  d'E- 
vreux,  ancien  colonel  général  de  la 
cavalerie,  il  fut  acquis  trente  ans  plus 
tard  par  la  marquise  de  Pompadour, 
moyennant  la  somme  de  650,000  livres. 
La  belle  favorite  y  joignit  un  terrain 
contigu  qui  lui  coûta  80,000  livres.  Ses 
comptes,  conservés  aux  archives  de  la 
préfecture  de  \'ersailles,  établissent 
qu'elle  y  dépensa  95,169  livres  dans  la 
seule  année  1754.  Elle  y  venait  aussi 
souvent  que  Louis  XV  le  lui  permettait, 
et  considérait  comme  sa  paroisse  la  pe- 
tite église  de  la  Madeleine  de  la  \  ille- 
l'Evêque,  située  à  l'entrée  du  faubourg' 
Saint-IIonoré.  Dès  qu'elle  eut  rendu  le 
dernier  soupir,  —  on  connaît  son  mot 
au  curé  de  A'ersailles,  qui  était  venu  lui 
administrer  l'extrême-onction  et  faisait 
mine  de  se  retirer  :  u  Attendez-moi  un 
instant,  monsieur  le  curé,  nous  nous  en 
irons  ensemble  »,  —  son  corps  fut  ra- 
mené à  l'hôtel  d'Evreux,  suivant  la  vo- 
lonté formelle  qu'elle  avait  exprimée 
dans  son  testament  daté  de  1757,  et  on 
lïnhuma  dans  un  caveau  de  l'ég'lise  des 
religieuses  capucines  de  la  place  Ven- 
dôme, sur  l'emplacement  de  laquelle  on 
a  ouvert  la  rue  de  la  Paix. 

Pendant  qu'il  appartenait  à  M'"®  de 
Pompadour,  l'hôtel  d'Evreux  vit  des 
fêtes  splendides;  l'une  d'elles  est  restée 
légendaire  à  la  suite  de  l'incident  bur- 
lesque qui  s'y  produisit.  Les  berg-eries 
A\  atteau  étaient  en  pleine  vogue,  aussi 
avait-on  imaginé  d'en  mettre  une  en 
action.  Un  petit  troupeau  de  vrais  mou- 
tons, coquettement  lavés,  peignés  et 
enrubannés  de  rose  tendre  et  de  vert 
chou,    conduits    par   d'élégants  bergers 

VIII.  —  0. 


vêtus  de  satin  de  même  couleur,  avaient 
été  amenés  dans  une  galerie  écartée 
ornée  de  g-laces  et  resplendissante  de 
lumière.  Le  secret  avait  été  bien  gai^dé, 
personne  ne  connaissait  la  surprise.  A 
un  signal  donné,  les  portes  s'ouvrent 
pour  permettre  aux  invités  d'admirer  ce 
tableau  vivant.  Trop  vivant,  hélas!  Les 
moutons,  surpris  par  le  bruit  et  le  mou- 
vement de  la  fête,  prennent  peur  et  se 
sauvent,  affolés,  vers  l'extrémité  de  la 
galerie.  Un  magnifique  bélier,  arrivé  en 
face  d'une  glace,  croit  se  trouver  en 
présence  d'un  rival,  fond  sur  lui  tête 
baissée  ;  tous  les  animaux  l'imitent,  la 
glace  vole  en  éclats;  le  bruit  et  le  dé- 
sordre sont  à  leur  comble,  les  femmes 
prennent  peur,  s'évanouissent,  et  l'on 
assure  que  plus  d'un  cavalier  trouva 
son  compte  à  ces  pâmoisons. 

Le  frère  de  M™®  de  Pompadour,  Abel- 
François  Poisson,  marquis  de  Marigny, 
directeur-administrateur  des  bâtiments 
royaux,  déjà  propriétaire  d'une  partie 
du  faubourg,  où  il  a  laissé  d'impéris- 
sables souvenirs,  recueillit  son  immense 
succession,  à  l'exception  toutefois  de 
l'hôtel  d'Evreux.  Une  clause  du  testa- 
ment de  la  marquise  était  ainsi  conçue  : 
«  Je  supplie  le  roy  d  accepter  le  don 
que  je  lui  fais  de  mon  hostel  à  Paris, 
étant  susceptible  de  faire  le  palais  d'un 
de  ses  petits-fils.  Je  désire  que  ce  soit 
pour  Monseigneur  le  comte  de  Pro- 
vence. »  • 

Louis  XV  accepta  l'immeuble,  et  en 
attendant  que  le  comte  de  Provence, 
qui  avait  alors  neuf  ans,  pût  l'habiter 
seul,  il  l'affecta  au  logement  des  ambas- 
sadeurs étrangers  envoyés  en  mission 
extraordinaire.  Mais  bientôt  il  y  fit 
transporter  le  mobilier  de  la  couronne 
dont  on  ne  savait  que  faire  jusqu'à 
l'achèvement  du  garde-meuble  élevé, 
d'après  les  plans  de  l'architecte  Gabriel, 
sur  la  place  Louis  XV. 

On  "ne  sait  trop  comment  le  riche 
linancier  Beaujon  devint  propriétaire  de 


82 

cette  magriifique 
toujours  est -il 
appartint  à  partir 
et  qu'il  y  iit  faire 
chitecte  Boullée 
des   embellisse- 


LE   PALAIS   DE   L'ELYSÉE 


À 


demeure, 
qu'elle  lui 
de  1773, 
par    lar- 


l'entrée     Dr     PALAIS 

ments    considérables.     Mais     dès    cette   \ 
époque  il  était  dans  sa  destirjée  d'appar- 
tenir au  chef  de  l'État.  Louis  XVI  s'en-  i 
thousiasma  à  son  tour  de  Thôtel  d'Evreux   | 
et  voulut  l'acheter  à  tout  prix.  Beaujon    | 
céda  aux    instances    royales  et   accepta 
comme     prix     1,100,000    livres,     plus 
200,000  livres  pour  les  glaces  et  les  ta- 
bleaux ,    sous    la    réserve    d'y    pouvoir 
habiter   jusqu'à    sa    mort,    qui    survint 
en  1786. 

Ce  n'était  vraiment  pas  cher,  si  l'on 
se  reporte  à  une  description  minutieuse 
qu'a  laissée  un  contemporain  ;  la  g:a- 
lerie  ne  contenait  que  des  toiles  de 
maîtres,  et  quels  maîtres  :  Rubens, 
Mieris,  David  Teniers,  \'an  Ostade, 
Jordaens,  Rembrandt,  Murillo,  le  Pous- 
sin, sans  parler  de  vingt  autres  de  même 
valeur.  Ce  court  extrait,  relatif  aux 
appartements     particuliers,     indiquera 


comment  on  entendait  le  luxe  à  cette 
époque  et  nous  reporte  loin  du  lit  de 
fer  sans  rideaux  de  M.  le  Président  de 
la  République  : 

(I  La  chambre  à   coucher  est  revêtue 
depuis   le   haut    jusqu'en    bas    d'étolfes 
plissées.    Le   lit,    agencé    avec 
grâce,    est  placé  dans   un   ren- 
foncement, dans  le  fond  duquel 
est  une    glace     qui,    lorsqu'on 
ouvre  la  porte  de  la  pièce  voi- 
sine ,     oll're     le     tableau     des 
Champs-Elysées    se    déroulant 
en  face  ;  cette  pièce  est  éclairée 
par  le  haut.  En  traversant  un 
cabinet  fort  agréable,  vous  en- 
trez dans  le  boudoir  qui    ter- 
mine l'aile.  On  ne  sait  ce  qu  on 
doit  le  plus  admirer  dans  cette 
pièce,  de  la  richesse  du  décor^ 
de  la   beauté  des  glaces,  dispo- 
sées   de   manière  qu'elles  pro- 
duisent des  elTets  variés  et  pi- 
quants, ou  du  choix  des  étoffes 
drapées  avec  goût.  »  —  Tout 
fait   supposer  que   la  chambre 
dont  il  est  question  est  aujour- 
d'hui le  cabinet  de  M.  Blondel. 
Le  roi  n'exerça  son  di'oit  de 
propriétaire    qu'en   invitant  la 
duchesse    de    Bourbon-Condé    à    venir 
habiter  l'hôtel  d'Evreux.  Celle-ci   ne   le 
quitta  qu'aux  jours  de  la  tourmente  révo- 
lutionnaire pour  monter  sur  l'échafaud. 
D'après  la  tradition,  c'est  elle  qui  aurait 
donné  à  la  demeure  encore  embellie  par 
ses    soins    le    nom     d'Elysée -Bourbon, 
Acquis  par    un  groupe  d'entrepreneurs 
comme  propriété  nationale   en   1793,  il 
devint  un  lieu  de  plaisir  rival  des  jardins 
de    Tivoli,    de   Monceaux,    d'Idalie,    de 
Marbeuf,  de  Paphos. 

Fêtes  champêti'es,  ascensions  aéro- 
statiques, feux  d'artifices,  concerts  et 
bals  se  succédaient  en  plein  air,  tandis 
que  les  appartements  étaient  transformés 
en  salles  de  jeux  où  se  réunissaient  les 
fervents  de  la  roulette  et  du  trente- 
et-un.  A  la  première  direction  succéda 
celle  du  glacier  ^'elloni,  qui  gratifia  son 
établissement  du    nom    de    Hameau    de 


LK     PALAIS    DE    LKLYSKE 


83 


Chantilly,  sunîsammeiil  justifié  à  ses 
yeux  par  les  maisonnettes  couvertes  de 
chaume  et  les  sites  pittoresques  rappe- 
lant le  hameau  de  fantaisie  que  le  prince 
de  Condé  avait  fait  élever  dans  son  parc 
de  Chantilly.  Pour  les  curieux  du  menu 
détail,  notons  que  le  prix  du  billet  d'en- 
trée était  de  1  fr.  20,  dont  75  centimes 
pouvaient  être  dépensés  en  consomma- 
tions ou  en  distractions. 

I']a    1803   se    présenta    un   acquéreur 
que,  pour  plusieurs  bonnes  raisons,  l'ad- 


Murat.  Pourtant  un  seul  salon  est 
resté  intact  depuis  cette  époque,  aussi 
lui  a-t-on  donné  le  nom  du  j^iorieux 
f^^énéral. 

Mais  rÉlysée  ne  resta  pas  abandonné 
à  la  suite  du  départ  du  nouveau  roi  de 
Naples;  Napoléon,  conquis  à  son  tour 
par  les  séductions  de  l'élégante  demeure, 
l'acheta  à  son  beau-frère  et  vint  y  rési- 
der de  temps  à  autre,  quand  il  voulait 
fuir  le  bruit  et  l'étiquette  des  Tuileries. 
Il   s'y  fit    conduire   après    Waterloo,  le 


LA     COUR     D  '  H  0  X  N  E  r  It 


ministration  préféra  aux  locataires  qui 
avaient  fait  de  l'Elysée-Bourbon  un  bal 
public.  Cet  acquéreur,  c'était  Murât  qui 
n'était  pas  fâché  de  graviter  dans  l'or- 
bite d'élégance  de  son  beau-frère  le 
premier  consul  et  d'avoir,  lui  aussi,  sa 
petite  cour.  Il  passa  à  1  Elysée  tous  les 
intervalles  de  ses  campagnes,  nul  mieux 
que  lui  ne  s'entendit  à  jeter  par  les  fe- 
nêtres l'argent  que  Napoléon  prodiguait 
à  ses  lieutenants  à  la  seule  condition  de 
mener  grand  train.  Il  tenait  à  l'Elysée 
une  véritable  cour,  s'exerçant,en  compa- 
gnie de  sa  femme,  la  belle  Caroline, 
sœur  de  l'empereur,  au  métier  de  sou- 
verain, jusqu  au  momentoù  il  alla  pren- 
dre possession  du  trône  de  Naples.  A 
chaque  pas  que  l'on  fait  dans  le  palais, 
on  trouve  des   vestiges  de   ce  séjour  de 


21  juin  1815,  à  onze  heures  du  soir. 
L'histoire  a  enregistré  les  premières  pa- 
roles qu'il  adressa  à  Caulaincourt,  duc 
de  Vicence,  accouru  pour  le  recevoir. 
«  L'armée  avait  fait  des  prodiges,  une 
terreur  panique  l'a  vaincue;  tout  a  été 
perdu...  Je  n'en  puis  plus  ..  il  me  faut 
quelques  heures  de  repos  pour  être  à 
mes  affaires...  j'étoulTe  là  !  »  Et  il  mon- 
trait son  cœur.  Pendant  le  court  séjour 
qu'il  fit  à  l'Elysée,  dès  qu'il  mettait  le 
pied  dans  les  jardins,  la  foule  qui  le 
guettait  pai'-dessus  le  mur  de  l'avenue 
Marigny,  très  peu  élevé  à  cette  époque, 
l'acclamait.  Benjamin  Constant  dit  dans 
ses  Mémoires  sur  les  Cent  Jours  :  «  Une 
foule  d'hommes,  pour  la  plupart  de  la 
classe  indigente  et  laborieuse,  se  pressait 
dans  cette  avenue,   saisie  d'un  enthou- 


Si 


LE    PALAIS    DE    L'ELYSEE 


siasme  en  quelque  sorte  sauvage  et  ten- 
tant d'escalader  les  murs  de  l'Elysée 
pour  offrir  à  Napoléon  de  l'entourer  et 
de  le  défendre.  »  L'empereur  eut  plus 
d'une  fois  la  pensée  de  se  rendre 
au  vœu  de  ces  fidèles;  il  n'aurait  pas 
eu  g-rand'peine  à  subjuguer  la  Chambre 
des  députés  et  le  gouvernement  provi- 
soire pour  aller  se  mettre  à  la  tête  des 
soixante-dix  mille  hommes  survivants  de 
Waterloo  ou  soldats  du  corps  de  Grou- 
chy  resté  intact.  Un  jour  que  les  accla- 
mations étaient  plus  vibrantes  : 

—  Osez,  lui  dit  son  frère  Lucien. 

—  Hélas  1  répondit-il,  je  n'ai  que  trop 
osé.  Je  serais  obligé  de  m'appuyer  sur 
la  portion  violente  de  la  population;  je 
paraîtrais  l'empereur  des  jacobins  lut- 
tant pour  sa  couronne  contre  l'Europe 
et  contre  les  honnêtes  gens.  C'est  un 
rôle  qui  n'est  ni   honorable  ni  possible. 

Son  abdication  avait  été  signée  le  22, 
il  quitta  l'Elysée  pour  la  Malmaison  le 
25  à  midi.  Il  monta  en  voiture  dans  le 
jardin  ;  les  cris  de  vive  l'empereur  le 
suivirent  longtemps  ;  il  salua  la  foule, 
«  triste,  a  dit  un  spectateur,  comme  s'il 
avait  assisté  à  ses  propres  funérailles  ». 
Pourtant  on  avait  tout  fait  pour  trom- 
per la  population  de  Paris,  l'attirer  sur 
l'autre  façade.  En  même  temps  qu'il 
s'éloignait  ainsi  avec  le  général  Bertrand, 
sa  voiture  d'apparat  attelée  à  grand  fra- 
cas sortait  brillamment  escortée  et  em- 
menant le  général  Gourgaud.  C'était  là 
une  idée  de  Fouché  qui  pendant  ces  jours 
néfastes  fut  le  maître  de  Paris. 

La  période  impériale  consacra  défini- 
tivement une  usurpation  déjà  ancienne. 
Voici  comment. 

La  marquise  de  Pompadour  avait 
agrandi  ses  jardins  aux  dépens  des 
Champs-Elysées;  le  terrain  usurpé  fut 
repris  par  la  nation  pendant  la  Révolu- 
tion. Mais  Murât  s'en  empara  de  nou- 
veau, et  comme  ce  qui  est  bon  à  prendre 
est  bon  à  garder,  personne  n'a  jamais 
songé  à  restreindre  l'enceinte  de  l'Elysée 
aux  anciennes  limites  du  jardin  de  l'hô- 
tel d'Evreux.  Aujourd'hui,  d'ailleurs,  le 
larcin  est  sanctionné  par  le  temps.  Les 


promeneurs,  en  faisant  un  circuit  pour 
contourner  la  saillie  que  les  jardins  du 
président  de  la  République  font  sur 
l'avenue  Gabriel,  courbe  en  cet  endroit, 
ignorent  qu'ils  subissent  les  conséquences 
d'un  caprice  de  la  marquise  de  Pompa- 
dour. 

L'empereur  Nicolas  avait  voulu  habi- 
ter l'Elysée  en  1814,  après  la  campagne 
en  France;  en  1815,  à  la  deuxième  entrée 
des  alliés,  ce  fut  l'empereur  d'Autriche 
qui  en  fit  sa  résidence,  il  y  avait  été 
précédé  par  Wellington.  A  parlir  de 
1816,1e  palais  reprit  le  nom  d'Elysée- 
Bourbon  et  fit  partie  de  l'apanage  du 
duc  de  Berry.  On  y  apporta  son  corps 
après  l'attentat  de  Louvel  le  13  février 
1820.  Mais  la  duchesse  prit  en  horreur 
cette  résidence  pleine  de  souvenirs , qui 
réveillaient  à  chaque  instant  sa  douleur. 
L'Elysée  resta  inhabité  jusqu'en  1830, 
sauf  de  très  rares  apparitions  qu'y  fit 
le  jeune  duc  de  Bordeaux. 

A  la  suite  de  la  révolution  de  juillet, 
ce  palais  fut  incorporé  à  la  liste  civile  ; 
mais  le  roi  Louis-Philippe  y  fit  loger 
quelques  serviteurs  de  la  monarchie  dé- 
chue, qui  d'ailleurs  n'occupèrent  pas  les 
appartements  principaux.  Ceux-ci  ser- 
virent à  héberger  quelques  hôtes  prin- 
ciers de  passage  à  Paris.  L'Elysée  avait 
en  outre  une  affectation  qui  resta  pure- 
ment nominale  :  il  devait  servir  d'asile 
à  la  reine  Marie-Amélie  pour  le  cas  où 
elle  survivrait  à  son  royal  époux. 

Pendant  les  deux  premières  années 
de  la  république  de  1848,  il  reçut  une 
destination  qui  fait  un  peu  sourire,  mais 
qui  en  dit  long  sur  les  idées  à  la  fois 
utopiques  et  généreuses  des  gouvernants 
d'alors.  Ce  palais  fut  exclusivement 
réservé  aux  réunions  de  la  commission 
des  récompenses  nationales. 

Comme  pour  renouer  de  plus  près  le 
lien  qui  unissait  son  pouvoir  naissant  à 
l'Empire,  c'est  à  l'Elysée  que  le  prince 
Louis-Napoléon  voulut  être  conduit  le 
20  décembre  1841),  après  la  proclama- 
tion de  l'élection  du  10  décembre  pré- 
cédent, qui  l'appelait  à  la  présidence  de 
la  République.  Il  y  résida  pendant  les 


LE     PALAIS    DE    LELVSEE 


deux  années  de  ses  fonctions;  c'est  dans 
le  salon  qui  sert  encore  pour  les  séances 
du  conseil  des  ministres,  qu'entouré  de 
ses  lidèles  il  attendit  les  résultats  du 
coup  d'État  du  2  décembre  1851.  La 
veille  il  y  avait  eu  réception  comme 
tous  les  lundis,  et  Taffluence  avait  été 
telle  qu'il  avait  fallu  ouvrir  plus  de 
salles  qu'à  l'ordinaire;  aussi  la   réunion 


n'avez  pas  bougé,  c'est  bien,  vous  êtes 
très  fort.  Pouvez-vous  m'assurer  qu'au- 
cune convocation  de  la  garde  nationale 
n'aura  lieu,  que  le  rappel  ne  sera  battu 
nulle  part? 

—  Très  facilement,  pourvu  que  j'aie 
des  estafettes  à  ma  disposition. 

—  Vovez  pour  cela  le   ministre  de  la 
guerre.    Partez    maintenant,    mais    pas 


L'ELYSEE      VU     DU      JARDIN 


s'était-elle  prolongée  fort  tard.  Pourtant 
le  secret  avait  été  bien  gardé.  \'ers  dix 
heures  le  prince,  adossé  à  une  cheminée, 
appela  d'un  signe  le  colonel  Vieyra 
nommé  la  veille  chef  d  état-major  de  la 
garde  nationale  : 

—  Colonel,  lui  dit-il  en  souriant,  êtes- 
vous  assez  maître  de  votre  visage  pour 
n'y  rien  laisser  paraître  d'une  forte 
émotion  ? 

—  Je  le  crois,  mon  prince,  fit  M.  de 
^  ieyra. 

—  Fort  bien  alors...  Et  avec  un  sou- 
rire plus  accentué,  il  ajouta  toujours  à 
mi-voix.  —  C'est  pour  cette  nuit  !...  Vous 


tout  de  suite,  on  croirait  que  je  vous  ai 
donné  un  ordre. 

Prenant  alors  le  bras  de  l'ambassadeur 
d'Espagne,  le  prince  fît  le  tour  des  sa- 
lons en  conservant  son  sourire  énigma- 
tique.  Peu  d'heures  plus  tard,  le  coup 
d'État  était  chose  faite. 

Quand  il  fut  devenu  empereur.  Na- 
poléon III  s'installa  aux  Tuileries  ;  mais 
il  conserva  une  prédilection  pour  l'Elysée 
et,  dans  les  semaines  qui  précédèrent 
son  mariage,  il  en  fît  la  résidence  de  sa 
fîancée,  M""^  de  Montijo. 

A  cette  époque,  c'est-à-dire  en  1855, 
d'importants  travaux  y  furent  exécutés 


LE     PALAIS     DE    L'ELYSEE 


sous  la  direction  de  M.  Lacroix.  On 
construisit  notamment,  en  façade  sur  le 
faubourg-  Saint- Honoré,  une  galerie 
composée  d'un  étage  et  d'un  attique 
que  surmonte  une  terrasse  et  que  cou- 
ronne une  balustrade  en  pierre  à  la  ma- 
nière italienne.  Au  milieu  s'ouvre  une 
porte  monumentale  en  forme  d'arc  de 
triomphe.  De  chaque  côté  des  grilles 
d'entrée,  un  groupe  de  colonnes  corin- 
thiennes supporte  un  trophée  d'armes 
et  de  drapeaux. 

La  galerie  se  prolonge  en  retour  sur 
lavenue  Marigny  à  l'ouest  et,  de  l'autre 
côté,  sur  la  rue  de  l'Elysée,  percée  en 
partie  sur  les  terrains  de  l'hôtel  Sébas- 
tiani,  tristement  célèbre  par  l'assassinat 
de  la  duchesse  de  Praslin,  et  de  l'hôtel 
de  Castellane  qui,  sous  la  présidence, 
avait  été  affecté  aux  bureaux  de  M.  Moc- 
quart,  le  fidèle  chef  de  cabinet  de 
Napoléon  III,  et  de  M.  Sacaley,  son 
sous-chef. 

Plusieurs  immeubles  de  la  rue  de 
l'Elysée  appartenaienft  à  l'impéi'atrice  ; 
elle  avait  acheté  le  terrain  à  beaux  de- 
niers comptants,  et  les  constructions 
furent  élevées  à  ses  frais.  Après  1870, 
elle  olîrit  le  n"  4  comme  résidence  à 
M.  Rouherqui  y  habita  plusieurs  années. 

Napoléon  III  devint  propriétaire, 
dans  des  conditions  analogues,  du  n"  20, 
qui  fait  le  coin  du  faubourg  Saint- 
Honoré.  Il  s'en  défit  au  cours  de  son 
règne,  à  une  époque  où  la  liste  civile  se 
trouvait  en  déficit,  un  acquéreur  s'étant 
présenté  en  la  personne  du  baron  Ilirsch 
qui  en  offrit  350,000  francs.  Mais  l'em- 
pereur réprimanda  vertement  son  archi- 
tect,  M.  Lacroix,  qui  allait  traiter  pour 
ce  prix.  «  Vous  savez,  lui  dit-il,  que 
terrain  et  construction  ne  représentent 
que  300,000  francs  de  débours.  Je  ne 
veux  pas  vendre  l'immeulile  un  sou  de 
plus.  » 

Ce  M.  Lacroix  était  le  frère  de 
M"'"  Cornu,  sœur  de  lait  de  l'empereur; 
il  dirigea  les  travaux  qui  se  prolon- 
gèrent de  1858  à  1864.  D'après  les  pro- 
jets primitifs,  les  constructions  nou- 
velles élevées  dans  la  partie  est  du  palais 


étaient  destinées  :  le  rez-de-chaussée 
aux  appartements  de  l'empereur,  le  pre- 
mier étage  à  ceux  du  prince  impérial, 
sauf  la  partie  centrale  réservée  aux  ré- 
ceptions, et  le  deuxième  étage  aux  ap- 
partements privés  de  l'impératrice.  En 
fait,  la  souveraine  n'a  pas  passé  une 
seule  nuit  dans  le  palais  depuis  le  30  jan- 
vier 1853,  jour  de  son  mariage,  où  la 
duchesse  de  Bassano,  sa  première  dame 
d'honneur,  vint  la  chercher  en  voiture  de 
gala  pour  l'accompagner  à  Notre-Dame. 
Une  fête,  considérée  comme  l'inaugu- 
ration du  palais  transformé,  fut  donnée, 
en  1805,  au  corps  diplomatique,  avec 
illumination  des  jardins  et  concert  sous 
la  direction  dAuber,  qui  prenait  au 
sérieux  ses  fonctions  de  chef  de  musique 
de  la  chapelle  et  de  la  chambre  im- 
périales. 

Dès  1866,  il  fallut  improviser  des 
ameublements  pour  recevoir  les  souve- 
rains qui  devaient  accepter  l'invitation 
de  la  France  à  l'occasion  de  l'exposition 
de  1867. 

L'empereur  de  Russie,  Alexandre  II, 
le  sultan  Abdul-Aziset  l'empereur  d'Au- 
triche firent  successivement  un  séjour 
d'environ  trois  semaines.  Leur  suite, 
composée  d'une  centaine  de  personnes, 
était  défrayée  de  tout  par  la  liste  civile, 
et,  pour  donner  une  idée  des  frais  que 
comportait  cette  hospitalité  ,  notons 
qu'un  seul  article  de  ce  budget  spécial, 
celui  des  vins  et  liqueurs,  a  toujours  dé- 
passé quotidiennement  le  chiffre  de 
mille  francs...  et,  détail  imprévu,  les 
Turcs  n'étaient  pas  les  plus  sobres. 

Vinrent  ensuite  le  roi  Oscar  de  Suède, 
sa  sœur,  la  reine  Sophie  des  Pays-Bas, 
et  le  fils  de  celle-ci,  le  prince  d'Orange, 
irrévérencieusement  surnommé  le  prince 
Citron,  mais  leur  suite  seule  habita  le 
palais,  ils  voulurent  être  logés  rue  de 
l'Elysée  pour  plus  d'indépendance. 

En  juillet  1870,  le  vice-roi  d'Egypte, 
Ismaïl  pacha,  clôtura  la  série  des  hôtes 
royaux  de  l'Elysée.  Peu  de  semaines 
après,  l'impératrice-régente  y  autorisa 
la  formation  du  corps  des  francs-tireurs 
Lafont-Mocquart. 


LE    PALAIS    DE    L'ELYSEE 


87 


Au  4  septembre,  le  ministre  des 
linances,  Ernest  Picart,  lit  installer  à 
rÉlysce  rétat-major  de  la  Garde  Natio- 
nale. Le  général  Clément-Thomas,  qui 
devait  être  si  malheureusement  fusillé 
le  18  mars,  y  fixa  sa  résidence;  mais  une 
partie  des  bâtiments  lut  réservée  à  la 
société  de  secours  aux  blessés.  La 
grande  salle  à  manger  servait  de  ma- 
gasin pour  les  appareils  de  pansement; 
les  dames  patronnesses,    présidées    par 


à  Paris  au  commencement  de  mars  1871 
et  avait  élu  domicile  au  ministère  des 
affaires  étrangères;  pendant  tout  le 
temps  de  son  séjour  à  Versailles,  la  pré- 
fecture fut  sa  résidence  officielle.  Il  ne 
se  montra  à  TElysée  qu'à  de  longs 
intervalles,  soit,  en  tout,  pendant  trois 
mois  à  peine  ;  il  se  contentait  d'une 
maison  militaire  modeste  se  composant 
de  trois  officiers  seulement. 

Quelques  semaines  après  le  "24  mai  1 873, 


LE     SALON      DE      L  "  il  E  M  I  C  Y  C  L  E      —      TAPISSERIE      DU      J  U  U  E  JI  E  N  T      DE      PARIS 


la  comtesse  de  Flavigny,  se  réunissaient 
dans  le  salon  Murât. 

Si  le  palais  n'a  pas  subi  1^  moindre 
détérioration  pendant  la  Commune,  c'est 
grâce  à  la  présence  d'esprit  de  M.  de 
Gourlet,  le  conservateur  actuel,  qui  mit 
comme  condition  à  l'entrée  des  insurgés 
qu'ils  se  contenteraient  d'occuper  les 
postes  affectés  aux  soldats  de  garde. 
De  concert  avec  M.  Hippolyte  Vavin, 
un  des  commissaires  préposés  à  l'examen 
des  papiers  des  Tuileries,  il  avait  impro- 
visé des  scellés  dont  l'authenticité  ne 
fut  pas  mise  en  doute.  De  frêles  bandes 
de  toile  protégèrent  le  palais  contre  le 
pillage  et  l'incendie. 

M.  Thiers,  d'aboi'd  chef  du  pouvoir 
exécutif,  n'avait  fait  qu'une   apparition 


le  maréchal  de  Mac-Mahon  donna  à 
l'Elysée  une  grande  fête  en  l'honneur 
du  shah  de  Perse  Nasser-Eddhin.  Dans 
la  suite,  tout  en  continuant  à  résider 
officiellement  à  Versailles,  le  maréchal 
se  fit  autoriser  à  donner  des  récep- 
tions à  l'Elysée,  et  pendant  les  der- 
nières années  de  sa  présidence  il  y 
habita   presque  continuellement. 

En  1879,  le  siège  du  gouvernement 
ayant  été  transporté  à  Paris,  M.  Grévy 
prit  possession  de  l'Elysée.  Renseigne- 
ments pris  à  des  sources  sûres,  sous  sa 
magistrature  tout  s'est  passé  au  moins 
aussi  correctement  et  aussi  convenable- 
ment que  sous  ses  successeurs.  Les  fêtes 
données  de  son  temps  n'ont  pas  été  les 
moins  brillantes.  Légende,  les  prétendues 


«8 


LE    PALAIS    DE     LÉLYSEE 


distributions  quotidiennes  de  pain  aux 
canards  de  la  pièce  deau  ;  légende,  les 
interminables  parties  de  billard.  En 
réalité,  on  fait  actuellement  autant  de 
carambolag^es  que  jamais  dans  la  salle 
de  billard  du  premier  étage. 

M.  Carnet,  qui  fut  élu  en  1887,  signala 
sa  présidence  par  la  construction  d'an- 
nexés du  plus  déplorable  effet  dont  nous 
parlerons  tout  à  IJieure.  L'Exposition 
de  1889  fut  l'occasion  de  fêtes  extrême- 
ment brillantes  données  à  l'Elysée.  Mais 
le  président  d'alors  put  faire  honora- 
blement les  choses  sans  y  être  de  sa 
poche,  grâce  aux  500,000  francs  de  frais 
de  représentation  supplémentaires  que 
le  Parlement  alloua  au  chef  de  l'Etat  en 
cette  période  exceptionnelle.  Après  l'at- 
tentat de  Caserio,  en  juin  1894,  le  corps 
du  président  Garnot,  ramené  à  l'Elysée, 
fut  exposé  dans  le  salon  de  l'hémicycle, 
et  pendant  quatre  jours  la  population 
parisienne,  défilant  sous  la  véranda  le 
long  de  la  façade  du  jardin,  lui  rendit 
1  un  suprême  hommage. 

Rien  n'a  marqué  le  court  passage  à 
l'Elysée  de  M.  Casimir-Perier;  M.  Félix 
Faure  lui  a  succédé  en  janvier  1895. 


Pour  obtenir  une  audience  du  prési- 
dent dé  la  République,  il  suffit  d'adres- 
ser au  secrétaire  général  de  la  présidence 
une  lettre  indiquant  l'objet  dont  on  dé- 
sire entretenir  le  chef  de  l'État.  Dans 
un  très  court  délai,  on  reçoit  avis  du  jour 
où  l'on  devra  se  présenter  à  l'Elysée. 
Souhaitez-vous  de  connaître  par  le  menu 
le  cérémonial  de  ces  audiences?  Il  est 
des  plus  simples. 

Après  avoir  franchi  la  porte  d'hon- 
neur sur  le  pas  de  laquelle  il  a  trouvé 
le  concierge  gileté  de  rouge  qui  lui 
indique  le  perron,  le  visiteur,  pour  y 
arriver,  traverse  la  cour,  gravit  l'esca- 
lier recouvert  d'un  moelleux  tapis  rouge 
à  bandes  jaunes,  —  au  haut  duquel  deux 
soldats  en  gants  blancs  veillent  jour  et 
nuit,  —  et  remet  sa  lettre  d'audience  à 
l'huissier  d'annonce  à  chaîne  d'argent, 
qui,  toute  la  journée,  se  tient  assis  der- 


rière une  table.  Ils  sont  trois,  trois  ser- 
viteurs d'élite  ,  tous  d'extérieur  égale- 
ment décoratif  qui  se  relayent  à  ce  poste 
d'honneur. 

Tandis  que  l'un  d'eux  vérifie  ses  nom 
et  qualités,  le  visiteur  a  le  loisir  de  jeter 
un  coup  d'œil  sur  ce  premier  vestibule 
d'où  part  l'escalier  d'une'rigidité  froide 
et  nue,  mais  ne  manquant  pas  d'un  cer- 
tain caractère,  aménagé  au  commence- 
ment du  siècle  par  Percier  et  Fontaine. 
Lorsque,  sous  le  second  Empire,  il  fut 
question  de  l'embellir,  Napoléon  III  s'y 
opposa  formellement,  —  il  en  avait  le 
droit,  la  restauration  se  faisant  à  ses 
frais,  l'entretien  des  palais  nationaux 
incombait,  en  effet,  à  la  liste  civile,  — 
il  tenait  à  ce  souvenir  des  jours  de  sa 
première  enfance  où  il  venait  visiter  sa 
grandmère,  l'impératrice  Joséphine. 

Le  porteur  d'une  lettre  d'audience  est 
introduit  d'abord  dans  le  salon  de  Cléo- 
pàti'e,  qui  doit  son  nom  à  la  belle  et 
grande  tapisserie  de  Gozette ,  d'après 
Natoire,  représentant  le  fameux  repas, 
où,  en  présence  de  Marc-Antoine,  la 
reine  d'Egypte  s'otTrit,  pour  dessert,  une 
perle  valant  100,000  sesterces,  assouplie 
dans    du    vinaigre. 

De  là  on  le  fait  entrer  dans  le  cabinet 
des  officiers  de  service  où  il  peut  voir 
en  passant  l'esquisse  de  la  grande  toile 
de  Détaille,  aujourd'hui  détruite,  repré- 
sentant la  distribution  des  drapeaux  sur 
le  terrain  de  Longchamp,  le  14  juil- 
let 1880.  Tous  les  personnages  qui  figu- 
raient aux  places  d'honneur  de  cette 
imposante  solennité  sont  morts,  à  com- 
mencer par  le  président  Grévy,  Gam- 
betta,  les  généraux  Farre,  Mac-Mahon, 
Ganrobert,  etc.  On  a  également  accro- 
ché dans  ce  salon  la  dramatique  toile  de 
Goulurier,  Un  homme  à  la  mer,  et  de 
jolis  dessus  de  portes  de  la  première 
manière  de  Ghaplin.  Une  magnifique 
armoire  vitrée  de  style  empire  en  acajou, 
avec  ornements  en  cuivre  doré,  est  pla- 
cée entre  les  deux  fenêtres;  on  y  a  en- 
fermé la  volumineuse  collection  des 
Victoires  et  conquèles  des  Français. 
Mais  le  meuble  le  plus  curieux  pour  les 


I-K    PALAIS     DE     I,1:LYSKE 


S9 


profanes  est  rincomparable  carlonnier 
avec  ses  cases  savamment  disposées , 
prèles  à  happer  tous  les  papiers  à  desti- 
nation des  dlIFérents  ministères.  Napo- 
léon III  avait  ce  cartonnier  dans  son 
cabinet  aux  Tuileries;  il  y  conservait  les 
fiches  et  les  dossiers  qu'il  entendait  con- 
sulter seul.  Si  ce  meuble  a  échappé  à 
lincendie   de   la   Commune,   c'est   qu'il 


Un  des  huissiers  d'annonce  ouvre  la 
porte  et  prononce  le  nom  du  visiteur, 
tandis  que  M.  Félix  Faure,  se  levant 
du  bureau  où  il  est  assis ,  face  à  la 
fenêtre,  l'accueille  avec  cette  simplicité, 
cette  aisance  qui  n'ont  pas  peu  contri- 
bué à  sa  popularité. 

Ce  qui  frappe  tout  d'aJDord  dans  le 
cabinet  du  Président  de  la  République, 


LA  GRANDE  SALLE   DES  FETES 


AU   F  (  I  X  D  LE   J  A  R  D  I  X   D  '  H  I  V  E  R 


avait  été  envoyé  en  réparation  au  mo- 
ment du  4  Septembre. 

Avant  d'arriver  jusqu'au  Président  de 
la  République,  le  visiteur  doit  encore 
traverser  le  cabinet  du  g'énéral  Hagron, 
secrétaire  général  et  chef  de  la  maison 
militaire.  C'est  lui  qui  règle  toutes  les 
questions  de  représentation  ;  les  visites, 
les  voyages  sont  du  ressort.  Comme  le 
salon  des  officiers  de  service  qui  le  pré- 
cède et  comme  celui  du  Président  qui 
le  suit,  le  cabinet  du  général  donne  sur 
le  jardin  ,  aussi  la  lumière  entre-t-elle 
à  flots  pour  éclairer  les  tableaux  qui 
ornent  les  murs  et  notamment  un  cu- 
rieux épisode  de  la  bataille  de  la  Fère- 
Champenoise,  en  1814. 


c'est  la  grande  tapisserie  décorant  une 
sorte  d'hémicycle  ménagée  dans  le  mur 
faisant  face  aux  fenêtres.  Cette  tenture, 
du  plus  pur  style  Louis  XI\  ,  représente 
les  quatre  éléments,  on  y  voit  Eole  et  sa 
famille  soufflant  la  tempête  à  travers  les 
airs  et  faisant  choir  sur  la  terre  des  tor- 
rents d'eau,  tandis  que  le  feu  du  ciel 
sillonne  les  nuages. 

Cet  hémicycle  a  été  ménagé  sur 
l'emplacement  de  la  bibliothèque  que 
Napoléon  III  avait  fait  placer  là  et  qui  se 
composait  de  volumes  ayant  appartenu 
à  la  reine  Hortense,  réunis  à  grandpeine 
par  Jules  Sandeau.  Comme  ils  étaient  la 
propriété  particulière  de  Napoléon  III, 
ces  livres  lui  ont  été  restitués  en  1871. 


00 


LE     PALAIS    DE     L'ELYSÉE 


L  ameublement  de  Beauvais  a  été 
apporté  de  Compiègae  depuis  peu  d'an- 
nées. M.  Félix  Faure  a  fait  acte  d'homme 
de  goût  en  faisant  enlever  les  fauteuils 
de  damas  roug-e  dont  ses  prédécesseurs 
s'étaient  contentés. 

Quant  au  siège  sur  lequel  s  assoit  le 
Président,  c'est  un  de   ces  simples  fau- 


renseignements,  à  commencer  par  le 
Code,  les  annuaires  militaires,  de  la  ma- 
rine, commerciaux,  etc. 

Sur  la  cheminée,  une  jolie  pendule 
Louis  XVI  et  un  souvenir  (oh  !  bien  dis- 
cret!) des  affections  de  famille  apporté 
dans  le  cabinet  du  chef  de  l'État,  par... 
le  grand-père,  le  portrait-carte  d'un  en- 


L  A      SALLE      DU      C  O  X  S  E  I  L      DES      MINISTRES 


teuils  cannés  en  bois  courbe,  monté  sur 
pivot,  comme  en  ont  bon  nombre  de 
commerçants  ;  il  a  remplacé,  depuis  la 
même  époque,  le  fauteuil  du  roi  Luuis- 
Philippe,  qui  a  été  affecté  à  l'usage  de 
M.  Le  Gall. 

Sur  le  grand  et  beau  bureau  Louis  X\\ 
orné  de  bronze  doi'é,  rien  qu'un  sous- 
main  très  ordinaire,  un  encrier,  une 
loupe  carrée  et  un  jeu  complet  de  bou- 
tons électriques ,  —  dix  ,  pas  un  de 
moins. 

Une  bibliothèque  tournante  est  à  la 
portée  de  la  main  du  Président;  elle 
contient  exclusivement  des  ouvraares  de 


fant  fort  gentil  tenant  un  petit  cheval... 
c'est  M.  Jacques  Berge. 

Si,  laissant  le  visiteur  se  retirer,  nous 
pénétrons  chez  M.  Le  Gall,  nous  trou- 
vons le  directeur  du  cabinet  de  la  Pré- 
sidence, dont  la  courtoisie  et  l'affabilité 
dépassent  tout  ce  qu'on  peut  imaginer, 
assis  devant  le  bureau  dont  Louis-Phi- 
lippe s'est  servi  pendant  tout  son  règne. 
La  grande  alcôve  de  cette  pièce  où  cou- 
chait le  prince  Louis-Napoléon  pendant 
sa  présidence  a  été  transformée  en  biblio- 
thèque. C'est  là  également  qu'ont  cou- 
ché la  plupart  des  souverains  A-enus  en 
France  en   1867. 


M-:     PALAIS     DE     1/ ELYSEE 


91 


Dans  le  salon  \x)isin,  en  relonr  sur  le 
jardin,  se  lient  M.  Blondel,  le  laborieux 
et  discret  sous-directeur  du  cabinet. 

Enfin,  à  rextréniité  de  cet  avant-corps 
s'ouvre  le  salon  ^ris  argent,  un  bijou  de 
style  empire  avec  ses  meubles  du  temps, 
restauré  sous  la  direction  de  M.  de  Gour- 
lel,    l'éminent    conservateur  du   Palais, 


Nous  pénétrons  d'abord  dans  les  con- 
structions vitrées  où  sont  établis  les 
vestiaires;  ces  déplorables  annexes,  édi- 
fiées par  les  soins  et  sous  la  direction  de 
M.  Carnot,  ont  le  triple  inconvénient 
d'être  fort  laides,  de  masquer  la  façade 
et  de  diminuer  d'un  tiers  la  cour  d'hon- 
neur. 


FELIX       F  A  r  R  E      D  A  X  S      SON      CABINET      DE      T  R  A  \'  A  I  L 


inconsolable  de  n'avoir  pu  empêcher  la 
construction  des  annexes  d'un  f.;oùt  dé- 
plorable cpii  déshonorent  l'Elysée  depuis 
la  présidence  de  'SI.  Carnot.  Ce  petit 
coin,  très  calme  aujourd'hui,  avait  une 
grande  animation  au  temps  où  M.  Wilson 
y  avait  établi  son  quartier  général  dans 
une  pièce  voisine  du  salon  gris  argent. 


Pour  connaître  1  Élvsée  dans  son  en- 
tier, nous  n'avons  plus  qu'à  parcourir 
les  appartements  qui  sont  ouverts  aux 
invités  les  soirs  de  bal.  Suivons,  pour 
cela,  leur  itinéraire. 


Nous  passons  de  là  dans  le  vestibule 
de  Percier  et  Fontaine,  dont  il  a  été 
parlé  plus  haut,  et  nous  entrons  dans  le 
salon  des  tapisseries  qui  offre  à  l'admi- 
ration des  amateurs  de  magnifiques  spé- 
cimens de  la  fabrication  des  Gobelins 
au  xviii"  siècle  sous  la  forme  de  pan- 
neaux décoratifs  dans  les  trumeaux  et 
de  vastes  tentures  retraçant  l'histoire 
de  Scipion. 

Le  salon  des  officiers,  qui  fait  suite, 
est  oiMié  de  boiseries  de  style  Louis  XV, 
provenant  du  château  de  Bercy,  les 
dessus  de  portes  sont  peints  par  Landelle  ; 
il  précède  le    grand   salon,   qui   a   con- 


92 


LE     PALAIS    DE    L'ELYSÉE 


serve  une  partie  de  sa  décoration  primi- 
tive. Les  panneaux  de  style  Louis  XIV, 
notamment,  rappellent  ceux  des  salons 
de  Versailles;  ils  datent  de  la  construc- 
tion de  FElysée  et  ont  été  mis  en  place 
en  1718,  sous  les  yeux  du  comte  d'Evreux. 
Vient  ensuite  le  salon  de  l'hémicycle. 
Cet  hémicycle  était  autrefois  tout  pro- 


et  Vénus  se  soient  présentées  nues  ou 
tout  au  moins  rejetant  leurs  vêtements 
en  arrière  pour  mettre  Paris  en  état  de 
juger  leurs  avantages  respectifs. 

Ne  soyez  pas  surpris  que  M"^^  de  Main- 
tenon  ait  eu  Toccasion  de  voir  et  de 
faire  modifier  la  tapisserie  qui  est  au- 
jourd'hui à  1  Elysée.  Sous  la  monarchie, 


;-E      SALON      GRIS      ARGENT 


saïquement  l'alcôve  dans  laquelle  cou- 
chait Napoléon  I*"'.  Elle  porte  aujour- 
d'hui une  incomparable  tapisserie  des 
Gobelins  représentant  le  jugement  de 
Paris  et  oll'rant  cette  particularité  — 
dont  les  traces  sont  parfaitement  appa- 
rentes —  que  les  trois  déesses  primiti- 
vement nues  ont  été  habillées  par  ordre 
de  M'"^  de  Maintenon.  Cette  adjonction 
de  vêtements  a  été  si  habilement  faite 
qu'on  ne  peut  la  soupçonner  si  on  n'est 
pas  prévenu.  Pourtant  il  est  plus  vrai- 
semblable et  plus  conforme  à  la  tradi- 
tion mythologique  que  Junon,  Minerve 


la  destination  des  tapisseries  n'était  pas 
de  rester  fixées  à  un  mur,  on  les  em- 
ployait à  la  décoration  et  à  l'ornemen- 
tation des  salles  où  se  donnaient  des 
fêtes.  On  faisait  de  même  pour  les  tapis 
qui  n'étaient  pas  fixés  au  parquet  des 
salles  comme  de  nos  jours.  Ainsi,  il  y  a 
encore  au  garde-meuble  des  tapis  de  la 
Savonnerie  qu'on  plaçait  dans  les  pièces 
que  le  roi  devait  traverser. 

Nous  arrivons  dans  la  salle  du  conseil 
des  ministres  dont  la  décoration  de 
style  Louis  XV  a  été  souvent  remaniée, 
d'où   les  cordons,  les  glands,   les   pieds 


LE     PALAIS     DE    L'ELYSEE 


0:5 


de  bouc  el  autres  ornements  Louis  X\'I. 
Les  glaces,  trop  grandes  pour  n'être  pas 
modernes,  accusent  des  restaurations 
plus  récentes.  A  une  certaine  hauteur 
et  dans  des  cadres  unii'ormes,  les  por- 
traits en  bustes  des  souverains  régnants, 
d'ailleurs  fort  médiocrement  peints,  ont 
été   placés  là,    il   y    a   une   quarantaine 


le  salon  Murât  disposé,  en  1806,  par  les 
soins  du  roi  de  Xaples,  et  qui  n'a  pas 
beaucoup  changé  depuis  cette  époque. 
Outre  les  larges  glaces  qui  ne  parvien- 
nent pas  à  augmenter  la  lumière  parci- 
monieusement ménagée  par  deux  fenê- 
tres, on  y  remarque  notamment  deux 
toiles  de  Carie  \'ernet  :  lune  représente 


LA     SALLE      A      M  A  X  G  E  II     DE      M.      LE     PRÉSIDENT      DE      LA     REPUBLIQUE 


d'années,  par  ordre  de  Napoléon  IlL 
François-Joseph  d'Autriche,  Victor- 
Emmanuel,  Nicolas  P""  de  Russie,  la 
reine  \'ictoiùa  à  vingt  ans,  le  roi  de 
Wurtemberg,  Frédéric- Guillaume  de 
Prusse  et  Pie  IX  semblent  ainsi  écouter 
de  haut  les  discussions  de  nos  ministres. 
Il  va  sans  dire  que,  les  soirs  de  bal,  on 
fait  disparaître  la  table  ovale  avec  ses 
sous-mains  noirs,  les  chaises  d'acajou 
en  cuir  vert  où  s'assoient  les  ministres 
et  le  fauteuil  en  marquetterie  réservé  au 
Président  de  la  République. 

En  revenant  sur  nos  pas  et  à  1  extré- 
mité occidentale  du  palais,  nous  trouvons 


le  château  de  Benrath  ayant  appartenu 
à  Murât,  actuellement  aux  mains  du 
prince  de  Hohenzollern,  qui  a  épousé  la 
fille  de  la  reine  Dona  Maria,  l'autre 
montre  l'entrée  de  Murât  à  Naples  en 
1799.  On  peut  voir  encore  dans  cette 
salle,  entre  les  deux  fenêtres,  le  premier 
projet  de  la  colonne  \'endôme.  Elle  est 
surmontée  de  la  statue  de  Napoléon  l" 
en  César  romain,  ce  qui  prouve  que 
c'est  bien  là  la  statue  primitive. 

Sur  le  salon  Murât,  s'ouvre  la  grande 
salle  à  manger,  élevée  sur  l'emplacement 
de  l'orangerie  du  palais  où  l'on  installe 
le  buffet  les  soirs   de   bal.  Les   travaux. 


îti 


LE     PALAIS     DE    L'ELYSÉE 


commencés  sous  le  second  empire  et 
poursuivis  sous  la  présidence  du  maré- 
chal de  Mac-Mahon,  n'ont  été  terminés 
que  sous  celle  de  M.  Grévy.  On  a  édifié, 
à  cette  époque,  un  vaste  jardin  dliiver, 
énorme  vaisseau  treillage  et  éclairé  par 
le  haut,  qui  au  point  de  vue  esthétique 
ne  rappelle  pas  autre  chose  que  le  pa- 
lais des  Singes. 


du  jardin.  Outre  qu'elle  dépare  cette 
façade,  elle  a  l'inconvénient,  tant  elle 
emmagasine  la  chaleur  du  soleil  de 
midi,  de  rendre  tous  les  appartements 
du  rez-de-chaussée  inhabitables.  Avec 
les  annexes  vitrées,  cela  l'ait  trois  mé- 
faits graves  au  compte  de  M.  Carnot. 
Nous  ne  terminerons  pas  notre  visite 
sans  pénétrer  dans  les  pièces  du  pi'emier 


LE     (;i!A-\D      SALOX      T)  V      PREMIER      ETAliE 


Enfin,  à  la  suite  et  également  sur  la 
partie  du  jardin  qui  borde  l'avenue 
Marigny,  M.  Carnot  a  fait  construire 
ce  qu'on  appelle  pompeusement  la  salle 
des  fêtes.  AfTreuse  annexe,  faite  de  fonte 
et  de  briques,  qui  ressemble  extérieure- 
ment à  un  manège,  et  que  ne  réussissent 
pas  à  rendre  belle  à  l'intérieur  les  deux 
jolies  tapisseries  de  Médée  et  la  coquette 
série  de  don  Quichotte,  de  Coypel. 

Les  soirs  de  bal,  tous  les  apparte- 
ments qui  viennent  d'être  décrits  com- 
muniquent avec  une  galerie  improvisée 
sous  l'horrible  véranda  régnant  tout 
le  long  de  la  façade   du  palais,  du  côté 


étage  dont  bon  nombre  sont  ouvertes 
les  soirs  de  bal.  I^es  soupers  sont  servis 
dans  la  salle  à  manger  particulière  où 
M.  Félix  Faure  et  sa  famille  prennent 
leurs  repas  quotidiens.  De  modernes  ta- 
pisseries de  Beauvais  représentant  des 
natui-es  mortes  et  deux  grands  panneaux, 
d'après  les  tableaux  de  Desportes  qui 
sont  au  LouA're,  ornent  les  mui^s.Le  Pré- 
sident, qui  déjeune  à  midi  et  dîne  à  sept 
heures  et  demie,  s'assoit  le  dos  au  feu, 
sa  femme  en  face  de  lui,  sa  fille  à  sa 
droite.  Même  dans  la  plus  stricte  inti- 
mité, il  ne  prend  jamais  son  repas  du 
soir  sans  avoir  revêtu  son  habit  noir. 


LE   PALAIS   DK    LKLYSKE 


9â 


Sur  la  table,  toujours  ornée  d'un  joli 
surtout  en  biscuit  de  Sèvres,  le  couvert 
est  des  plus  simples.  Les  repas  sont  ser- 
vis dans  des  assiettes  dorées  remontant 
à  Louis-Philippe.  Trois  plats  le  matin, 
quatre  le  soir,  avec  des  desserts,  voilà 
le  menu  présidentiel. 

De  Tautre  côté,  le  salon  blanc  com- 
munique    avec     le      i^rand     salon     de 


bibliothèques  peintes  en  blanc,  et  enfin 
le  petit  boudoir  en  places  décoré  de 
peintures  par  Chaplin,  primitivement 
destiné  à  être  la  salle  de  bains  de  l'im- 
pératrice Eugénie,  ce  qui  explique  son 
analogie  avec  les  salles  de  bains  de 
^L^rie-Antoinette  à  \'ersail!cs  et  à  Fon- 
tainebleau. 

A   cette    partie    du    palais    accède  un 


LA     CHAMBRE     A     COCCHER      DE     M.      FELIX      FAURE 


jyjme  pélix  Faure,  orné  de  décorations 
murales  peintes  sous  le  second  empire. 
Les  meubles  Louis  XVI,  en  tapisserie 
de  Beauvais  à  sujets,  offrent  un  véri- 
table intérêt  artistique.  Des  fenêtres 
cintrées  augmentent  l'originalité  de 
cette  pièce ,  où  Ton  a  mis  en  bonne 
place  le  buste  de  M.  Félix  Faure, 
par  Saint-Marceaux.  L'échiquier  de 
Louis  X^'III,  réduit  à  l'humble  emploi 
de  table,  est  dans  cette  pièce. 

\'iennent  ensuite  la  salle  de  billard, 
où  l'on  remarque  le  portrait  en  pied  de 
M.  Félix  Faure,  par  Bonnat,  le  cabinet 
de  travail   du   président,   avec  ses  trois 


escalier  intérieur  faisant  communiquer 
le  rez-de-chaussée  avec  les  apparte- 
ments particuliers  du  Président  de  la 
République,  comprenant  un  petit  salon, 
servant  surtout  à  M"*^  Lucie  Faure  pour 
recevoir  les  visites  multiples  occasion- 
nées par  les  bonnes  œuvres  dont  elle 
s'occupe,  sa  chambre,  celle  de  son  père, 
et  enfin  en  retour  celle  de  M™®  Félix 
Faure.  Le  président  a  ainsi  sa  chambre 
exactement  au-dessus  de  son  cabinet. 
Signalons  enfin,  sur  la  cour  intérieure, 
quatre  pièces  qui  sont  mises  à  la  dispo- 
sition des  parents,  des  amis,  à  qui  on 
veut  offrir  l'hospitalité. 


06 


LE    PALAIS    DE   L'ELYSÉE 


Au  rez-de-chaussée  de  cette  partie  du 
palais  sont  aménagés  les  services  du 
secrétariat,  qui  occupent  bon  nombre 
de  scribes;  du  coté  opposé,  dans  la 
cour  ouest,  dont  un  des  côtés  borde 
Tavenue  Mariyny,  se  trouvent  les  écu- 
ries et  les  remises,  tenues  avec  une 
remarquable  correction   sous  l'œil  vigi- 


M  0  N  T  J  A  II  R  E  T     A     L  '  E  N  T  R  É  E      DES     É  l'  U  R  I  E  S 

lant  du  piqueur  Montjarret.  Mais  leur 
installation  matérielle  laisse  beaucoup  à 
désirer  ;  faute  de  place,  les  douze  demi- 
sang,  tous  grands  carrossiers  bai  brun, 
et  les  trois  chevaux  de  selle  sont  ré- 
partis en  plusieurs  écuries,  dont  une  ne 
contient  qu'un  attelage,  Brest  et  Cher- 
bourg, les  deux  carrossiers  de  gala  qui 
ont  eu  l'honneur  de  traîner  l'empereur 
Nicolas  II  et  l'impératrice.  On  les  attelle 
habituellement  à  la  daumont  présiden- 
tielle :  ils  ne  valent  pas  moins  de 
15,000  francs.  Pluton  et  Jupiter  for- 
ment le  deuxième  attelage  de  la  dau- 
mont. Rob-Roy  et  Coquelicot  sont  ré- 
servés pour  le  coupé  ou  la  victoria. 
Quant  à  Vizir,  un  joli  cheval  de  selle,  il 
est  monté   par  Montjarret  les  jours  de 


grand  gala.  Malgré  ses  innombrables 
occupations,  M.  Félix  Faure  trouve  le 
temps  de  visiter  souvent  ses  écuries, 
non  sans  distribuer  à  la  valetaille  le 
blâme  ou  l'éloge,  en  homme  qui  voit  de 
l'œil  du  maître. 

Eté  comme  hiver,  il  quitte  1  Elysée  à 
sept  heures ,  en  voiture ,  accompagné 
tantôt  du  général  Hagron,  lant()t  du 
commandant  de  La  Garenne;  il  prend 
dans  l'avenue  du  Bois  les  chevaux  préa- 
lablement amenés  par  Montjarret  et, 
après  une  heure  et  demie  de  trot  et  de 
galop,  rentre  en  voiture  à  1  Elysée.  Il  ne 
se  prive  de  cette  sortie  matinale  que  les 
jours  où  il  fait  une  visite  à  une  caserne 
ou  à  un  établissement  de  bienfaisance. 

Outre  les  deux  grands  bals  annuels, 
pour  lesquels  il  est  envoyé  près  de  dix 
mille  invitations,  —  fort  heureusement 
plus  d'un  tiers  des  invités  s'abstiennent, 
sans  quoi  on  s'écraserait  dans  les  salons, 
—  M.  et  M"*"  Félix  Faure  donnent  au 
mois  de  juillet  une  garden-party,  à  la- 
quelle le  magnifique  jardin  de  l'Elysée 
forme  un  cadre  incomparable. 

Enlln,  plusieurs  grands  dîners  d'une 
centaine  de  couverts,  servis  dans  la 
grande  salle  à  manger,  et  plus  souvent 
dans  la  grande  salle  des  fêtes,  sont 
offerts  régulièrement  par  le  chef  de 
l'État  :  dîner  diplomatique  pour  les 
ambassadeurs  et  les  ministres  étran- 
gers ;  dîner  parlementaire  pour  les 
ministres,  les  membres  des  bureaux,  les 
questeurs  et  certaines  personnalités  des 
deux  Chambres  ;  dîner  des  grandes  com- 
missions (armée,  marine,  finances,  etc.); 
dîner  des  généraux.  Ces  repas  sont  mis 
au  point  dans  les  vastes  cuisines  du  pa- 
lais, mais  ils  ont  été  préparés  au  préa- 
lable par  la  grande  maison  qui  en  a 
l'entreprise. 

En  résumé,  quoiqu'il  nait  pas  les  pro- 
portions des  palais  des  Tuileries,  de 
Versailles,  de  Fontainebleau  affectés 
jadis  à  la  résidence  des  souverains  fran- 
çais, l'Elysée,  par  sa  situation,  ses  amé- 
nagements intérieurs  et  son  admirable 
jardin,  est  une  des  plus  agréables  de- 
meures de  Paris. 

PlERRK     d'EcOI.LES. 


LE    ROLE    DES    MICROBES 


EX      AGRICULTURE 


Bon  nombre  de  phénomènes  ayant 
pour  résultai  iinal  la  transformation  de 
la  matière,  cpii,  il  y  a  quelques  années 
entore,  étaient  attribués  à  des  actions 
purement  chimiques,  reconnaissent  en 
réalité  comme  cause  déterminante  lac- 
tion  dètres  infiniment  petits,  qui  tra- 
vaillent pour  leur  propre  compte.  C'est 
1  immortel  j^énie  de  Pasteur  qui  a  mis 
ces  faits  en  évidence,  créant  ainsi  une 
science  nouvelle,  la  microbiolofjie,  c'est- 
à-dire  la  science  des  microbes  et  des 
transformations  qu'ils  opèrent  au  sein 
des  substances  dans  lesquelles  ils  vivent. 

Le  mot  microbe,  qui  a  été  proposé  par 
Sédillot,  et  non  pas  par  Pasteur,  comme 
on  le  croit  communément,  évoque  la 
plupart  du  temps  l'idée  d'un  animal  mi- 
croscopique grouillant  et  remuant.  C'est 
là  une  erreur!  Les  microbes  ne  sont  pas 
des  infusoires,  mais  bien  plutôt  des  végé- 
taux tout  à  fait  inférieurs,  des  sortes 
d'algues  uni-cellulaires,  c'est-à-dire  for- 
mées dune  seule  cellule  et  privées  de 
chlorophylle  ou  matière  verte. 

Ces  microbes  ont  été  diversement 
classés  ;  cependant  on  s'accorde  assez 
bien  généralement ,  aujourd'hui ,  à  les 
grouper  en  trois  groupes  :  1*^  les  bacté- 
ries, qui  sont  des  cellules  plus  ou  moins 
allongées  et  douées  de  mouvements  ra- 
pides ;  2"  les  bacilles,  en  forme  de  bâton- 
nets plus  ou  moins  incurvés  ;  3*'  les 
vibrions,  allongés  en  forme  de  petits  ser- 
pents qui  se  déplacent  par  ondulations. 

Ces  micro-organismes  se  trouvent  par- 
tout ;  1  air  le  plus  pur  n'en  contient  pas 
moins  de  5,000  par  mètre  cube  ;  les 
eaux  en  nourrissent  des  quantités  pro- 
digieuses ;  c'est  ainsi  que,  dans  un  cen- 
timètre cube  d'eau  de  Seine,  prélevé  au 
pont  de  lAlma.  M.  Miquel  a  compté 
38,955  microbes.  On  rencontre  les  micro- 
bes dans  les  aliments,  sur  les  matériaux 
de  construction,  dans  la  terre,  et  même, 

VIII.   —  7. 


et  surtout  dans  notre  propre  corps.  11  ne 
faudrait  pas  croire  que  tous  ces  êtres 
microscopiques  fussent  nuisibles  ;  loin  de 
là.  S'il  en  est  qui  sont  franchement  à 
redouter  en  ce  sens  qu  ils  constituent 
les  agents  de  transmission  de  certaines 
maladies,  il  en  est  d'autres,  par  contre, 
qui  sont  notoirement  utiles.  L'industrie 
utilise  aujourd'hui  l'activité  Aitale  des 
microbes  qui  transforment  le  sucre  en 
alcool  ou  l'alcool  en  vinaigre.  La  méde- 
cine elle-même,  qui  a  tant  à  lutter  con- 
tre les  microbes  nuisibles  appelés  y;a//?0' 
gènes,  emploie  les  vaccins,  qui  sont  de 
véritables  microbes  bienfaisants,  pour 
conférer  l'immunité  contre  certaines 
maladies  et  même  en  guérir  quelques- 
unes. 

Même  en  agriculture,  les  microbes 
jouent  un  rôle  de  première  importance 
qu'on  était  encore  bien  loin  de  soup- 
çonner il  y  a  vingt  ans  à  peine. 

Les  phénomènes  agricoles  qu'on 
croyait  dus,  il  y  a  peu  d'années  encore, 
à  l'intervention  des  agents  purement 
mécaniques,  physiques  ou  chimiques, 
reconnaissent  en  réalité  pour  cause 
l'action  de  ces  micro-organismes,  que 
des  microscopes  puissants  ont  permis 
d'isoler.  Aussi,  aujourd  hui,  lorsque  le 
laboureur  ouvre  son  sillon,  ce  n  est  pas 
uniquement,  comme  on  le  croyait  na- 
guère, pour  aérer  le  sol  et  le  rendre  plus 
perméable,  c  est  pour  permettre  aux 
infiniment  petits  bienfaisants  de  vivre 
et  de  fonctionner  à  notre  profit  ;  car  la 
plupart  des  microbes  dits  agricoles  sont 
utiles,  comme  nous  allons  le  voir. 

Ainsi  la  germination  des  semences  est 
impossible  dans  un  milieu  privé  de  cer- 
tains microbes,  comme  l'a  annoncé  il 
y  a  peu  de  temps  M.  Duclaux.  qui  a  suc- 
cédé au  maître  à  la  direction  de  1  Institut 
Pasteur. 

11    existe    une    autre   action   agricole. 


98 


LE  ROLE  DES  MICROBES  EX  AGRICULTURE 


d'une  extrême  importance  pratique,  égn- 
lement  due  à  des  microbes. 

On  sait  que  l'azote  est  l'élément  le 
plus  actif  des  engrais,  c  est  un  des  prin- 
cipaux agents  de  la  fertilité.  Mais  il  ne 
faut  pas  croire  que  ce  soit  l'azote 
gazeux,  tel  qu'on  le  trouve  dans  l'air,  qui 
serve  de  nourriture  aux  plantes.  Dans 
les  engrais,  ce  corps  est  engagé  dans 
diverses  combinaisons,  n'ayant  pas  toutes 
la  même  valeur.  Le  fumier  de  ferme,  par 
exemple,  qui  est  le  type  des  matières 
fertilisantes,  renferme  de  4  à  5  pour  1000 
d  azote,  dit  organique,  insoluble  dans 
l'eau  et  par  suite  non  utilisable  directe- 
ment par  les  plantes.  Pour  qu'il  profite 
à  celles-ci,  il  faut  d'abord  que  cet  azote, 
pour  ainsi  dire  inerte,  soit  transformé  en 
ammoniaque;  celui-ci,  à  son  tour,  est 
métamorphosé  en  acide  nilreux  et  enfin 
cet  acide  nitreux  est  lui-même  changé  en 
acide  nitrique,  qui,  en  se  combinant,  en 
s'unissant  intimement  avec  la  chaux,  la 
potasse,  la  soude,  voire  même  avec  la 
magnésie  de  la  terre,  forme  des  nitrates, 
essentiellement  solubles  dans  l'eau  et 
par  suite  assimilables  par  les  plantes. 
Or  ces  multiples  transformations  de 
l'azote  du  fumier  sont  produites  par 
autant  de  microbes  diiTércnts,  qui  ne 
fonctionnent  que  dans  des  conditions 
déterminées.  Si  une  cause  ou  une  autre 
vient,  non  pas  à  supprimer  ces  microbes 
nitrificatenrs  (car  ils  sont  abondamment 
répandus  dans  toutes  les  terres),  mais  si 
on  les  empêche  simplement  de  fonc- 
tionner, le  fumier  restera  des  années  et 
des  années  enfoui  dans  le  sol,  sans  se 
décomposer  et  sans  profiter  aux  récoltes. 
C'est  ce  qui  a  lieu,  par  exemple,  dans  les 
terres  acides  ou  tourbeuses  et  les  défri- 
chements, où  cependant  ni  l'azote  ni  les 
microbes  ne  font  défaut,  mais  où  l'ac- 
tivité de  ces  derniers  est  paralysée. 

Ces  microbes  de  la  nitrification,  comme 
disent  les  agronomes,  ne  peuvent  fonc- 
tionner qu'en  présence  de  l'air,  ce  qui 
explique  les  bons  effets  des  labours  et 
des  binages  ;  en  outre,  il  leur  faut  une 
température  convenable,  voisine  de  25 
ou   30^   C.  ;   en   dessous   de  5",    ils   sont 


engourdis  et  ne  transforment  rien,  de- 
même  au-dessus  de  50".  De  plus,  ils  ne 
peuvent  fonctionner  que  dans  un  milieu 
alcalin,  ce  qui  fait  comprendre  pourquoi 
les  terres  tourbeuses  dont  la  réaction  est 
acide  sont  improductives  et  ne  devien- 
nent fertiles  que  lorsque  leur  acidité  a 
été  détruite  par  1  apport  de  la  chaux  ou 
de  la  marne. 

Dans  une  terre  sèche,  ces  micro-orga- 
nismes cessent  également  d'agir;  il  leur 
faut  une  humidité  convenable,  soit  10  à 
15  centièmes  du  poids  de  la  terre  d'eau. 

Il  suffit  d'ailleurs,  pour  arrêter  l'ac- 
tion de  ces  microbes  dans  uneterre  réu- 
nissant les  conditions  requises  pour  leur 
bon  fonctionnement,  de  la  chaufTer  au 
delà  de  105"  C,  température  où  ces  êtres 
sont  non  pas  paralysés,  mais  bel  et  bien 
tués.  On  peut  les  empêcher  momentané- 
ment d'agir  en  arrosant  la  terre  avec  du 
chloroforme,  qui  les  anesthésie,  tout 
comme  les  organismes  d'une  structure 
plus  élevée. 

Donc,  quand  le  cultivateur  laboure  la 
terre,  c'est  pour  l'aérer,  dans  le  but  de 
permettre  à  ces  microbes  de  fonctionner 
à  son  profit.  On  conçoit  également  que 
les  labours,  à  ce  point  de  vue,  puissent 
être  préjudiciables  lorsqu'ils  sont  effec- 
tués en  été,  alors  que  la  chaleur  est  assez 
forte.  En  effet,  ils  rendent  l'azote  soluble, 
et  s'il  n'y  a  pas  à  ce  moment  des  plantes 
pour  s'en  emparer,  cet  azote  si  utile  est 
perdu  dans  les  profondeurs  du  sous-sol 
où  il  s'infiltre. 

Ce  qui  précède  explique  également 
les  bons  effets  du  binage  des  plantes  en 
été,  opération  qui  consiste,  comme  on  le 
sait,  à  rompre  et  à  briser  la  croûte  dure, 
que  la  sécheresse  a  formée  à  la  surface 
du  sol.  L'aération  qui  en  résulte  réveille 
la  vitalité  des  microbes  et  la  végétation 
reprend  de  plus  belle. 

Les  figures  ci -contre  montrent  les 
deux  principaux  microbes  de  cette  trans- 
formation des  engrais  azotés,  à  un  très 
fort  grossissement. 

Mais  là  ne  se  borne  pas  le  rôle  des. 
infiniment  petits  en  agriculture.  Point 
n'est  besoin  d'être  un  aiiriculteur  émérite 


LE  ROLE  DES  MICROBES  E\  AGRICULTURE 


99 


jxnii-  savoir  que  le  runiier  de  ferme, 
lorsqu  il  est  abandonné  à  lui-même  en 
tas  ou  en  fosses,  s'appauvrit  en  éléments 
utiles  et  surtout  en  azote.  On  a  l)ien 
conseillé,  pour  éviter  une  déperdilif)n  si 
préjudieiabie,  de  se  servir  du  tumier 
aussitôt  qu  il  est  produit,  ce  qui  nest 
pas  toujours  réalisable  dans  la  pratique. 
Comme  cet  appauvrissement  est  surtout 


déperditions  dazote  dont  il  vient  d  être 
parlé  ;  en  effet,  M.  Grandeau  conseille 
d'ajouter  aux  fumiers  des  superphos- 
phates, c'est-à-dire  des  phosphates  traités 
par  un  excès  d  acide  sulfurique,  pour 
tuer  ces  micro-oryanismes  qui,  eux,  sont 
franchement  nuisibles. 

Au  demeurant,  cette   adjonction   des 
superphosphates  au   fumier    ne    consti- 


FERMENT      X  1  T  It  E  T  X 


F  E  K  JI  E  X  T     X  I  T  i;  I  g  U  E 


Grossissement  de  1,600  diamètres. 


dû  à  un  dégaj,''ement  de  gaz  ammoniac, 
quelques  auteurs  ont  même  conseillé 
d'ajouter  aux  fumiers,  en  attendant  leur 
enfouissement,  diverses  substances,  telles 
que  du  plâtre  ou  du  sulfate  de  fer  qui 
empêchent  la  volatilisation  de  1  ammo- 
niaque. Mais  ces  moyens  n  ont  pas 
donné  de  résultats  satisfaisants.  Tout 
récemment,  un  at;"ronome  allemand,  le 
D""  Stutzer,  a  démonti^é  que  les  excré- 
ments du  fumier  contiennent  toujours 
deux  bactéries  antagonistes  des  micro- 
bes de  la  nitrification  et  qui  décom- 
posent les  nitrates  au  fur  et  à  mesure 
qu'ils  se  forment.  Gomme  les  microbes 
précédents ,  ceux-ci  ne  fonctionnent 
qu'entre  1:2  et  37'^,  et  ils  exigent  un  cer- 
tain degré  d'humidité  ;  mais  comme  les 
précédents  aussi ,  les  acides  entravent 
leur  action.  Gette  dernière  remarque  a 
conduit  au  moyen  pratique  d'éviter  ces 


tuerait  pas  une  complication  bien  sé- 
rieuse pour  le  cultivateur,  car  dans  cer- 
taines fermes,  où  lés  fumiers  sont  l'objet 
de  soins  intelligents,  on  répand,  depuis 
plusieurs  années  déjà,  sur  les  conseils 
donnés  par  plusieurs  agronomes,  des 
phosphates  naturels  ou  phosphates 
fossiles,  dont  nous  possédons  en  France 
de  si  nombreux  et  si  importants  gise- 
ments. 

En  outi'e,  dans  bon  nombre  d'exploi- 
tations, on  fait  usage  de  superphos- 
phates, comme  engrais  complémentai- 
res. Or,  en  les  incorporant  au  fumier, 
on  éviterait  des  frais  dépandage,  puisque 
toute  la  fumure  serait  charriée  en  une 
seule  fois.  Petite  économie,  direz-vous. 
G'est  possible;  mais  nous  estimons  que, 
dans  l'état  actuel  des  choses,  étant 
donné  le  bas  prix  des  produits  de  la 
terre,  il  n'y  a  pas  de  petites  économies. 


100 


LE    ROLE    DES    MICROBES    EN    AGRICULTURE 


Diminuer  le  prix  de  revient  d'un  hecto- 
litre de  blé  de  vingt-cinq  centimes  seu- 
lement, c'est  s'assurer,  pour  une  récolte 
de  trente  hectolitres  par  hectare,  un 
surcroît  de  bénéfice  de  six  francs,  ce  qui 
n'est  pas  à  dédaigner. 

Nous  devons  reconnaître  toutefois  que 
cette  adjonction  de  superphosphates 
acides  au  fumier  n'est  pas  conseillée  par 
tous  les  agronomes.  M.  Dehérain,  pour 
des  raisons  qu'il  serait  trop  long  de  dé- 
velopper, n'en   est   nullement  partisan. 

Puisque  nous  parlons  du  fumier  de 
ferme,  qu'il  nous  soit  permis  d'ajouter 
un  mot  à  ce  sujet. 

Depuis  quelques  années,  on  a  beau- 
coup insisté  sur  la  nécessité  de  lui  ad- 
joindre d'autres  engrais,  pour  obtenir 
de  hauts  rendements  ;  aussi  l'emploi  des 
engrais  commerciaux  et  notamment  des 
engrais  chimiques,  tels  que  le  nitrate  de 
soude,  superphosphate,  chlorure  de  po- 
tassium, etc.,  est-il  très  courant  aujour- 
d'hui. 

Loin  de  nous  l'idée  de  prétendre  que 
ces  substances  sont  inutiles!  Bien  loin 
de  là,  il  nous  faut  reconnaître  que,  lors- 
quelles  sont  employées  avec  discerne- 
ment, elles  produisent,  en  général,  d'ex- 
cellents résultats.  Mais  il  faut  bien 
avouer  aussi  que  le  vieil  et  antique 
fumier,  dont  on  a  dit,  notons-le  en  pas- 
sant, beaucoup  trop  de  mal,  doit  rester 
la  base,  le  pivot  de  toute  fertilisation 
rationnelle,  puisqu'il  est  le  résiflu,  ou 
plutôt  le  produit  complémentaire  des 
opérations  d'élevage  et  d'engraissement 
des  bestiaux,  qui  ont  une  si  grande  im- 
portance aujourd'hui.  Mais  ce  fumier 
n'est  pas  toujours  traité  comme  il  de- 
vrait l'être.  Trop  souvent,  même  dans 
les  pays  avancés,  c'est  un  amas  de 
pailles  et  de  déjections  que  les  eaux  plu- 
viales épuisent,  que  le  soleil  dessèche; 
et  alors  ce  pseudo-fumier  étant  notoire- 
ment insuflisant  pour  restituer  à  la  terre 
ce  que  les  récoltes  lui  ont  enlevé,  on 
voit  ces  mêmes  cultivateurs,  qui  négli- 
g'ent  leurs  fumiers,  faire  des  dépenses 
souvent  considérables  pour  se  procurer 
des  engrais  complémentaires,  qui  d'ail- 


leurs  ne   sont   pas  toujours  appropriés. 

11  serait  pourtant  bien  plus  simple, 
tout  en  faisant  un  usage  modéré  d'en- 
grais chimiques,  de  soigner  ce  fumier, 
qui  agit  non  seulement  comme  engrais, 
mais  encore  comme  amendement,  c'est- 
à-dire  comme  améliorateur  des  pro- 
priétés physiques  de  la  terre  arable. 

L'illustre  agronome  Boussingault,  le 
fondateur  de  la  chimie  agricole,  a  dit 
avec  raison  : 

«  On  peut  juger  du  degré  d'intelli- 
gence et  du  sens  pratique  d'un  cultiva- 
teur par  les  soins  qu'il  donne  à  son  tas 
de  fumier.  » 

Rien  de  plus  juste. 

Mais  trop  souvent  le  cultivateur  s'il- 
lusionne sur  la  portée  de  ces  soins,  il 
craint  les  fortes  dépenses  et  le  temps  à 
y  consacrer,  et  cependant  rien  n'est  plus 
simple  et  plus  économique  que  de  faire 
du  bon  fumier,  chose  d'ailleurs  assez 
rare  dans  nos  campagnes. 

Pour  cela,  il  suffit  d'aménager  près 
de  la  fumière  une  fosse  ou  citerne  des- 
tinée à  recueillir  le  purin  ou  jus  de 
fumier,  qui  constitue  la  partie  la  plus 
riche  de  lengrais,  puis  à  tasser  conve- 
nablement le  tas,  ce  qui  est  facile  à  ob- 
tenir en  y  mettant  les  bestiaux  quelques 
heures  par  jour.  Enfin,  par  les  temps 
secs,  on  arrosera  le  fumier  avec  le  purin 
qu'on  aura  mis  en  réserve;  on  évitera 
ainsi  la  production  de  ces  moisissures 
désignées  sous  le  nom  de  blanc  de  fu- 
mier, qui  se  développent  toujours  aux 
dépens  des  principes  utiles;  en  outre,  la 
fermentation  qui  s'accomplit  dans  le 
fumier  doit  être  favorisée  par  une  humi- 
dité constante.  Cet  arrosage  n'est  nulle- 
ment dispendieux,  car  on  construit 
aujourd'hui  des  pompes  dites  à  purin, 
dont  le  prix  varie  entre  30  et  60  francs, 
et  qui  fonctionnent  à  merveille. 

Or,  ne  l'oublions  pas,  la  faible  dé- 
pense occasionnée  par  la  construction 
d'une  citerne  et  l'établissement  d'une 
pompe  sera  bien  vite  couverte  par  le 
surcroît  de  valeur  du  fumier  ainsi  ob- 
tenu. 

Laménayement    des    fumiers    est    un 


LE  ROLK  DES  MICROBES  EN  AGRICULTURE 


JOl 


problème  cipilal  pour  r;i,L;i-iciiU uro  ;  il 
esl  regrettable  cprelle  ne  s'en  préoccupe 
pas  davantage,  et  pourtant  ce  nVst  pas 
i'aule  crensei^nenienl  à  cet  éf^ard,  car 
Bernard  Palissv  avait  déjà  insisté  sur  ce 


BACTÉRIES      DES     LÊC4U  MINE  USES 

Grossissement  de  1,600  diamètres. 

point,  et  bien  avant  lui  les  agronomes 
latins,  Caton,  \'aron  et  Columelle, 
avaient  donné  d'excellents  préceptes  sur 
ce  sujet. 

Mais  nous  nous  sommes  quelque  peu 
écarté  de  notre  sujet;  il  est  grand  temps 
d'y  revenir. 

Depuis  de  nombreuses  années,  les  cul- 
tivateurs désignent  sous  le  nom  de 
plantes  améliorantes  certaines  récoltes, 
telles  que  le  trèfle,  la  luzerne,  le  sain- 
foin, les  pois,  etc.,  plantes  appartenant 
à  la  famille  des  légumineuses,  qui,  loin 
d'appauvrir  le  sol,  Tenrichissent  au  con- 
traire en  azote. 

Déjà  en  18(39,  M.  Georges  Ville,  pour 
expliquer  ce  fait,  avait  prétendu  que  ces 
végétaux  avaient  la  faculté  d'absorber 
directement  l'azote  de  l'air,  qui,  comme 
on  le  sait,  se  trouve  simplement  mélangé 
à  l'oxygène.  Cette  assimilation,  dont  le 
savant  professeur  ne  donnait  pas  le 
mécanisme,  avait  été  mise  en  doute  et 
même  vivement  combattue  par  le  non 
moins    illustre    chimiste    Boussingault. 


Les  choses  en  étaient  là  lorsqu'on  1886. 
deuxphysiologislesallemands,MM.  Ilell- 
riegel  et  Wilfarth,  lirent  connaître  au 
Congrès  des  naturalistes  allemands,  tenu 
cette  même  année  à  Berlin,  que  le  rôle 
amélioraleur  de  ces  plantes  était  dû  à 
l'action  de  microbes  particuliers,  de  bac- 
téries également  bienfaisantes.  Ils  firent 
remarc[uer  que  l'assimilation  de  l'azote 
libre  de  l'air  par  les  plantes  légumi- 
neuses était  corrélative  de  l'existence, 
sur  les  racines  de  ces  plantes,  de  sortes 
de  nodosités  ou  renflements  minuscules, 
auxquelles  donnent  naissance  et  où  se 
développent  des  bactéries  visibles  seu- 
lement au  microscope. 

Il  suiTit  d'arracher  avec  précaution 
un  plant  de  trèfle  ou  de  luzerne  vigou- 
reux pour  voir  ces  renflements  sur  les 
racines;  en  piquant  une  de  ces  nodo- 
sités et  en  portant  le  liquide  qui  s'en 
écoule    sous    l'objectif    du    microscope, 


F  R  A  «  M  E  N  T  DE  R  A  C  I  X  E  DE  T  R^È  F  L  E 

PRÉSENTANT  DES  NODOSITÉS 

A  BACTÉRIES 

Grandeur  naturelle. 

on  aperçoit  avec  un  grossissement  suffi- 
sant ces  microbes  qui  ont  une  forme 
allongée  et  quelque  peu  ramifiée. 

Les  expériences  d'Hellriegel  et  Wil- 
farth furent  reprises  et  complétées  en 
Fi-ance,  notamment  par  MM.  Schlœsing 


102 


LE    ROLE    DES    MICROBES    EX    AGRICULTURE 


el  Laurent,  qui  monlrèrcnl  que  ces  bac- 
téries des  nodosités  fixaient  bien  l'azote 
libre  de  ratmosjDbère,  puisqu  ils  purent 
constater  chimiquement  Tappauvrisse- 
ment  en  azote  de  lair  où  vé^'^étaient  des 
plantes  g"arnies  de  ces  renflements  sur 
leurs  racines. 

Enfin,  un  agronome  français,  M.  Bréal, 
a  démontré  que  c'étaient  bien  les  bac- 
téries des  nodosités  qui  étaient  actives, 
en  inoculant  ces  microbes  sur  les  racines 
de  plantes  qui  étaient  dépourvues  de 
ces  renllements  et  qui,  peu  de  temps 
après,  en  présentèrent  à  leur  tour. 

Cette  bactérie  fixatrice  d'azote  est  gé- 
néralement connue  des  microbiologistes 
sous  le  nom  de  Rhizohium  leçfumiuo- 
sarum. 

A  propos  de  cette  belle  découverte,  le 
savant  professeur  du  Muséum  de  Paris, 
M.  P. -P.  Dehérain ,  fait  la  remarque 
suivante,  dont  limportance  est  hors  de 
doute  : 

<i  Si  les  faits  précédents  sont  les  seuls 
qui  aient  été  démontrés  jusqu'à  présent, 
on  peut  considérer  comme  vraisemblable 
que  la  famille  des  légumineuses  n'est 
j)as  la  seule  qui  jouisse  de  la  propriété 
de  fixer  l'azote  atmosphérique,  el  qu'entre 
les  graminées  qui  paraissent  vivre,  peut- 
être  exclusivement,  des  matières  azotées 
du  sol,  et  les  légumineuses  qui  vivent 
surtout  de  l'azote  atmosphérique  fixé 
par  les  bactéries  des  racines,  il  existe 
une  série  de  transitions  insensibles. 

(I  I^a  longue  querelle  dans  laquelle 
Boussingault  et  M.  Georges  A'ille  ont  été 
engagés  pendant  si  longtemps  touche 
donc  à  sa  fin,  et  si  M.  Georges  \'ille 
n'a  pas  su  indiquer  les  conditions  dans 
lesquelles  la  fixation  de  l'azote  devient 
évidente,  il  est  manifeste  que  c'est  son 
opinion  qui  finit  par  triompher  et 
qu'il  serait  injuste  de  ne  pas  proclamer 
la  justesse  de  lensemble  de  ses  obser- 
vations. » 

Mais  il  arri\e  parfois  que  le  sol  ne 
renferme  pas  ces  bactéries  si  utiles,  c'est 
ce  qui  explique  pourquoi  certaines  terres 
ne  se  prêtent  nullement  à  la  culture  du 
trèfle    ou    de   la   luzerne,    par  exemple  ; 


aussi  a-t-on  proposé  A  inoculer  le  sol  au 
moyen  de  ces  microbes. 

Un  chimiste  allemand,  ^1.  Nobbe,  est 
même  parvenu  à  isoler  et  à  préparer  ces 
bactéries  qui,  fixées  sur  de  la  gélatine, 
sont  enfermées  dans  des  tubes  qui 
peuvent  être  expédiés  au  loin.  Il  existe 
depuis  peu  à  Hoscht-sur-le-Mein,  près 
de  Francfort,  une  usine  qui  s'occupe 
spécialement  de  la  préparation  et  de  la 
vente  de  ce  produit  qui  a  reçu  le  nom 
de  nilragine. 

Cette  vaccination  du  sol  en  vue  de  la 
culture  des  légumineuses  est  actuelle- 
ment l'objet  d'études  très  sérieuses  et 
très  intéressantes  non  seulement  en 
Allemagne,  mais  encore  en  France  et  en 
Angleterre.  Comme  elle  est  d'une  appli- 
cation pratique  très  facile  et  tout  à  fait  à 
la  portée  des  cultivateurs,  il  y  a  tout  lieu 
d'espérer  qu'elle  fournira  de  bons  résul- 
tats, tout  au  moins  dans  certaines  terres. 
Or  la  nitragine  est  à  peine  essayée 
pour  la  culture  des  légumineuses,  qu  on 
expérimente  dès  maintenant  en  Alle- 
magne, des  cultures  de  bactéries  spé- 
ciales aux  céréales  découvertes  et  isolées 
par  M.  Caron  d'Ellenbach  (Hesse),  et 
vendues  en  tubes,  comme  la  nitragine, 
sous  le  nom  d  alinite.  Ce  microbe  per- 
mettrait aux  céréales  de  se  développer 
de  la  façon  la  plus  remarquable  sans  le 
secours  d'engrais  azotés. 

Comme  on  le  voit  par  le  simple  exposé 
qui  précède,  le  rôle  des  microbes  en 
agriculture  n'est  pas  de  minime  impor- 
tance. E  action  de  ces  infiniment  petits 
nous  donne  lexplication  de  bien  des 
faits  que  la  chimie  seule  était  impuis- 
sante à  expliquer.  Le  jour  n'est  peut- 
être  pas  loin,  du  train  dont  marche  la 
bactériologie,  où  l'agronome  devra  être 
doublé  non  seulement  d'un  analyste 
hors  ligne,  mais  encore  d'un  micro- 
graphe  de  première  force,  car  ces  êtres 
si  actifs  sont,  en  g-énéral,  d'une  petitesse 
infinie.  Tant  il  est  Arai  que  les  plus 
petites  causes  produisent  souvent  les 
plus  grands  elTels  ! 

Albert    L arbalétrier. 


VUE 

DE    LA    COLLÉGI A  LE 

11  semble  que  La  Bruyère  pensait  à 
Loches  lorsqu'il  écrivait  sa  description 
si  connue  et  si  fréquemment  citée  : 
«  J'approche  dune  petite  ville  et  je  suis 
déjà  sur  une  hauteur  d'où  je  la  dé- 
couvre. Elle  est  située  à  mi-côte  ;  une 
rivière  bai<^ne  ses  murs  et  coule  ensuite 
dans  une  belle  prairie.  Elle  a  une  forêt 
épaisse  qui  la  couvre  des  vents  froids 
et  de  l'aquilon.  Je  la  vois  dans  un  jour 
si  favorable  que  je  compte  ses  tours  et 
ses  clochers  :  elle  me  paraît  peinte  sur 
le  penchant  de  la  colline.  Je  me  récrie 
et  je  me  dis  :  quel  plaisir  de  vivre 
1SOUS  un  si  beau  ciel  et  dans  ce  séjour  si 
délicieux.  »  Puis  l'ironiste  reparaît,  et 
il  ajoute  en  matière  de  conclusion  :  «  Je 
descends  dans  la  ville  où  je  n'ai  pas 
couché  deux  nuits  que  je  ressemble  à 
ceux  qui  l'habitent  ;  j'en  veux  sortir.  » 

Loches  mériterait  assurément  de  re- 
tenir plus  de  deux  journées  le  touriste 
tju'ont  attiré  la  douceur  du  climat  de 
Touraine  et  le  charme  de  la  contrée  ; 
seuls,  les  monuments  anciens  qui  la  dé- 
corent suffiraient  à  occuper  plus  long- 
temps celui  qui  a  le  souci  des  choses  de 
1  art  et  de  l'archéologie.  Peu  de  petites 
villes,  en  effet,  réunissent  en  un  espace 
aussi  restreint  autant  de  spécimens  inté- 
ressants d'architecture  civile,   militaire 


et  religieuse  aux  différentes  époques  de 
son  histoire. 

Au  surplus,  le  premier  aspect  sous 
lequel  elle  se  présente  au  voyageur  qui 
descend  du  train  est  bien  fait  pour  le 
séduire  d'abord  et  pour  le  captiver.  Au 
pied  de  la  colline,  comme  une  sentinelle 
gardant  l'entrée  de  la  vieille  ville,  la 
tour  Saint-Antoine  dresse  son  aiguille 
grise  surmontée  de  son  campanile 
ajouré.  Au-dessus,  montent  et  s'étagent 
en  amphithéâtre,  comme  émergeant  d'un 
fond  de  verdure,  les  maisons  construites 
en  pierres  de  tuffeau  d'une  blancheur  de 
craie  et  couvertes  en  ardoises  dont  la 
couleur  foncée  tranche  sur  le  bleu  pâle 
d'un  ciel  de  printemps.  Au  sommet,  le 
coteau  a  pour  couronnement  en  pre- 
mière ligne  les  tourelles  du  palais  royal, 
laissant  se  proliler  au  second  plan  les 
pyramides  de  la  vieille  collégiale;  puis, 
plus  loin,  tout  à  l'extrémité  de  la  motte 


104 


LOCHES 


fortifiée  qui  domine  la  vallée,  surgit  au 
sud  le  donjon  géant  que  la  guerre  et 
les  siècles  ont  démantelé.  Le  regard  em- 
brasse, sur  tout  le  pourtour  de  la  butte 
qui  forme  la  ville  primitive,  les  restes 
de  la  triple  enceinte  qui  enserrait  autre- 


PORTE     DES    CORUELIERS 

fois  le  château  et  en  défendait  Faccès. 
Les  murailles  sur  bien  des  points  sont 
tombées  pierre  à  pierre  ;  bastions,  cour- 
tines et  redans  se  sont  écroulés,  com- 
blant les  fossés,  et  les  débris  des  forti- 
fications ont  servi  plus  d'une  fois  à  la 
construction  d'habitations  bourgeoises 
sur  l'emplacement  des  anciennes  douves. 
La  seconde  enceinte  supérieure  reste 
cependant  debout,  soutenant  les  terres 
de  la  butte,  et  maintenant  encore  intacte, 
dans  ses  limites  du  moyen  âge,  la  cité 
féodale  que  comtes  d'Anjou  et  rois  de 
France  ont  successivement  agrandie  et 
fortifiée. 

Que  Loches  ait  été  à  l'origine  l'em- 
placement dune  bourgade  celtique  ou 
gauloise,  que  les  Romains  aient  établi 
sur  le  plateau,  dès  le  v**  siècle,  un  camp 
retranché,  cela  paraît  évident,  non  seu- 
lement parce  que  certain  texte  de  Gré- 


goire de  Tours  le  laisse  supposer,  mais 
surtout  parce  que  cette  position  straté- 
gique, dominant  le  cours  de  l'hidre, 
était  de  celles  que  les  conquéi'ants  du 
pays  ne  pouvaient  négliger.  Mais  il  ne 
s'agissait  à  vrai  dire  que  de  fortifications 
légères,  composées  de  palissades  et  de 
fossés  au  milieu  desquels  se  dressait 
un  donjon  probablement  en  bois.  Rien 
ne  permet  de  supposer  qu'aucune  con- 
struction importante  ait  été  édifiée  à 
cette  époque,  ni  dans  les  siècles  qui  sui- 
virent, car  on  ne  retrouve  pas  de  ves- 
tiges datant  de  l'occupation  romaine  ni 
de  la  domination  des  ^"isigoths,  puis  des 
ducs  d'Aquitaine  qui  possédèrent  suc- 
cessivement le  pays.  D'ailleurs,  Loches 
qui,  en  7i"2,  était  entrée  pour  la  pre- 
mière fois  dans  le  domaine  de  la  cou- 
ronne, devait  passer,  à  la  fin  du  ix''  siècle,, 
à  1  époque  des  invasions  des  Normands, 
sous  le  gouvernement ,  puis  au  pouvoir 
des  comtes  d'Anjou.  Elle  y  demeura 
pendant  plus  de  trois  siècles,  886-1205. 
De  cette  époque  date  sa  prospérité. 

Placée  aux  confins  de  l'Anjou  et  de 
la  Touraine,  Loches  devint  lavant-poste 
fortifié  des  Foulques  dans  leurs  luttes 
séculaires.  C'est  Foulques  le  Bon,  fils 
de  Foulques  le  Roux,  qui  commença  à 
relever  les  défenses  de  Loches  ruinées 
par  les  Normands  ;  c'est  Geoffroy  Grise- 
Gonelle,  son  fils,  qui  fonda,  en  965,  la 
célèbre  collégiale  de  Notre  -  Dame  de 
Loches  ;  c'est  Foulques  Nerra  qui  con- 
struisit en  1007,  non  loin  de  la  ville,  la 
superbe  abbaye  de  Beaulieu,  où  son 
corps  devait  reposer.  C'est  lui  enfin  qui, 
après  avoir  vaincu  tous  ses  voisins  coa- 
lisés, lit  dresser  au  milieu  de  l'enceinte 
un  donjon  destiné  à  mettre  la  place  à 
l'abri  de  toute  surprise  et  à  la  rendre 
presque  imprenable.  Son  fils,  Geoffroy 
Martel,  assura  son  triomphe  en  ache- 
vant la  conquête  de  la  Touraine  et  en 
la  soumettant  à  la  domination  de  la 
maison  d'Anjou. 

Foulques  le  Réchain,  qui  lui  succéda, 
avait  pour  la  ville  et  le  château  de 
Loches  une  prédilection  toute  particu- 
lière ;  il  y  tenait  le  plus  habituellement 


LOCHES 


io:> 


GUÉRITES 
S  U  R  M  0  X  T  A  X  T     LA     PORTE     D  '  E  N  T  R  É  E 

sa  cour.    Lorsque    les    comtes   d'Anjou 
réunirent  à  leurs  domaines  de  France  la 
couronne    d'Angleterre,    Loches    perdit 
beaucoup    de    son    importance  ; 
plus    tard,   après    que  Philippe- 
Auguste  eut  enlevé  la  Touraine 
à  Jean  sans  Terre,    la    citadelle 
de    Loches    fut  encore  une    des 
dernières  places    sur    lesquelles 
la    maison    d'Anjou    appuya    sa 
résistance  ;  elle  ne   tomba  qu'en 
1205    aux     mains     du     roi     de 
France. 

Mais  il  est  temps  de  visiter 
le  vieux  donjon,  unique  débris 
de  cette  époque  reculée.  On 
passe  sous  la  belle  porte  des 
Cordeliers  qui  faisait  partie  de 
l'enceinte  basse  construite  par 
Charles  VII  pour  protéger  la 
ville  du  xv"^  siècle,  et  l'on  monte 
par  les  rues  étroites  et  escar- 
pées jusqu'à  l'enceinte  supé- 
rieure du  xiv'^  siècle  qui  délimite 
lesplanade.  Une  seule  entrée 
y  donne  accès.  C'est  un  solide 
portail  flanqué  de  deux  tours  sui'- 
montées  de  guérites  en  pierre 
qui  servaient  de  postes  aux  sen- 


tinelles et  aux  veilleurs.  Tout  de  suite 
on  tourne  à  droite,  laissant  à  gauche 
le  château  royal  et  la  collégiale, 
et  l'on  gagne  le  terre-plein  où 
s'élève  l'ancienne  citadelle  con- 
vertie aujourd'hui  en  prison. 

Le  morceau  principal  de  cet 
ensemble  de  constructions  de 
diverses  époques  est  la  grande 
tour  carrée,  si  élégante  avec  ses 
contreforts  ornés  de  colonnes 
cylindriques,  qu'on  ne  peut  son- 
ger à  l'attribuer,  comme  beau- 
coup l'ont  fait,  à  Foulques  Nerra, 
qui  vivait  au  commencement  du 
xi"  siècle.  L'éminent  archéolo- 
gue, M.  de  Caumont.juge  qu'elle 
est  très  probablement  du  xn*"; 
ce  qui  paraît  certain,  lorsqu'on 
sait  que  le  château  de  Loches  fut 
détruit  en  1173  par  un  incendie. 
Telle  qu'elle  est,  toute  déman- 
telée, cette  tour,  qui  s'élève  encore  à 
plus  de  cent  pieds  au-dessus  du  sol, 
est  un  des  plus   beaux    spécimens  d'ar- 


TOUR     DE    L'EXCEIXTE     BASSE 
PRÈS    LA     PORTE     DES    CORDELIERS 


lOG 


LOCHES 


•chileclure  militaire.  Elle  se  complète 
par  une  seconde  tour  carrée,  plus  petite, 
formant  addition  au  corps  principal,  et 
qu'on  peut  considérer  comme  le  vesti- 
hule  du  vieux  donjon.  Au  point  où,  du 
côté  du  couchant,  venaient  se  relier 
toutes  les  courtines,  formant  comme 
blutant  de  ceintures  autour  de  la  cita- 
delle, se  trouve  le  donjon  du  xv''  siècle, 
composé  de  deux  tours  rondes ,  dont 
l'une,  celle  du  Martelel,  est 
aujourd'hui  à  moitié  écroulée. 
C'est  dans  cette 


suivants  qu'il  ne  reste  presque  plus  rien 
de  l'édifice  primitif,  sinon  le  plan  ori- 
ginaire qui  a  été  scrupuleusement  res- 
pecté. Tout  au  plus  peut-on  attribuer 
au  x"^  siècle  la  voûte  en  berceau  qui  se 
voit  à  l'entrée  de  l'éj^lise  avec  les  deux 
arcs-doubleaux  qui  la  supportent,  les 
quatre  colonnes,  surmontées  de  chapi- 
teaux, remarquables  par  leurs  lig-ures 
méplates,    leurs   grossiers   feuillages   et 


V  U  K     D  r     D  O  N  J  O  N 


forteresse  transformée  en 
prison  d'État  que  furent  détenus  plu- 
sieurs personnages  célèbres  —  sous 
Louis  XI,  le  cardinal  La  Balue  —  sous 
Charles  VIII,  Philippe  de  Commines  — 
sous  Louis  XII,  Ludovic  Sforza,  duc  de 
Milan,  et  quelques  conspirateurs  moins 
connus  :  Pierre  de  Navarre,  Jean  de  Poi- 
tiers, comte  de  Saint-Vallier,  Oudart  de 
Biez,  maréchal  de  France,  et  François  de 
Uochechouart.  Le  donjon  sert  encore 
aujourd'hui  de  maison  de  détention  pour 
les  prisonniers  de  droit  commun. 

A  l'autre  extrémité  de  l'esplanade  se 
dressent  côte  à  côte  l'église  et  le  châ- 
teau. La  belle  collégiale  du  x'^  siècle  a 
été  si  profondément  remaniée  aux  siècles 


leurs  volutes  exagérées. 
C'est,  à  vrai  dire,  à 
Thomas  Pactius,  qui  fut 
prieur  eu  1160,  que  nous  devons  l'église 
actuelle.  C'est  lui  qui  fit  élever  les  deux 
clochers  en  forme  de  pyramides  octaè- 
dres qui  lencadrent;  c'est  lui  qui  fit  sur- 
monter la  nef  des  deux  dômes  pyrami- 
daux qui  donnent  à  l'édifice  un  aspect 
si  étrangement  original.  Le  narthex  et  la 
porte  de  l'église  sont  de  la  même  époque. 
Sur  les  voussures  du  portail  s'étalent 
deux  rangs  en  relief  d'images  grotesques 
et  grimaçantes,  tètes  d'hommes  et  corps 
d'animaux  fantastiques;  au-dessus  les 
figures  des  bienheureux  placées  circulai- 
rement  autour  du  cintre;  le  long  du  mur, 
les  statues  hiératiques  des  saints,  toutes 


LOCHES 


107 


<U'capilées  ou  niulilées  |i;ir  l;i  main   des 
ho  m  mes. 

Mais  ce  nesl  pas  ici  que  doivent  s'ar- 
rêter ceux  qui  viennent  en  pèlerinaf^e  au 
tombeau  d'Agnès  Sorel,  ceux  qu'attire, 
à   Loches,  le    souvenir  de    la    dame   de 


L'quel  repose  une  statue  en  stuc,  repro- 
duction plus  ou  moins  fidèle  de  1  an- 
cienne statue  en  marbre  blanc  qui  ornait 
l'élégant  monument  de  la  Renaissance. 
Agnès,  vêtue  de  la  cape  et  du  béguin, 
est   étendue,    les   mains  jointes,    la   tête 


PORTAIL    DE    LA    COLLÉGIALE 


Beauté.  Son  corps  ne  repose  plus  aujour- 
d'hui dans  la  Collégiale;  le  mausolée  qui 
le  contenait  fut  détruit  lors  de  la  Révo- 
lution, et  lorsqu'en  1806  «  des  hommes- 
sensibles  I)  recueillirent  les  restes  d'Agnès, 
le  tombeau,  restauré  tant  bien  que  mal, 
fut  replacé  dans  le  vestibule  de  la  tour 
d'entrée  du  château  royal  donnant  accès 
sur  la  terrasse.  C'est  là  qu'il  faut  aller  le 
chercher. 

Le  sarcophage  est  en  marbre  noir  sur 


entourée  de  deux  anges,  les  pieds  repo- 
sant sur  deux  agneaux.  La  ligure  est  line 
et  gracieuse  et  répond  bien  à  l'épithète 
de  «  douce  et  simple  colombe  »  dont 
parle  une  des  inscriptions  latines  gra- 
vées sur  le  tombeau.  En  revanche,  elle 
s'accorde  mal  avec  l'idée  qu'on  se  fait 
de  cette  femme  dont  Chateaubriand  a 
dit  qu'elle  fut  «  la  seule  maîtresse  de  nos 
rois  qui  ait  été  utile  au  prince  et  à  la 
patrie  »  et  qu'on  nous  représente  comme 


108 


LOCHES 


avant  éneryiquement  poussé  rapalliique 
Charles  VII  aux  résolutions  viriles.  La 
légende  serait -elle  donc,  sur  ce  point 
comme  sur  tant  d'autres,  formellement 
contredite  par  Fhistoire? 

Il  est  de  coutume,  à  propos  de  la  favo- 
rite de  Charles  ^'II,  de  rappeler  le  qua- 


situation  du  pays,  une  des  plus  brillantes 
de  TEurope.  Charles  ^  II,  frappé  de  son 
esprit  et  de  sa  beauté,  jeta  les  yeux  sur 
elle  ;  il  la  nomma  aussitôt  dame  dhon- 
neur  de  la  reine.  Agnès  ne  paraît  pas 
avoir  opposé  une  bien  vive  résistance 
aux   eiitreprises   du   prince.   Elle   n'eut. 


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LE    CHATEAU    ROYAL 


Irain  célèbre  que  François  P'"mit,  dit-on, 
au  bas  de  son  portrait  : 

Gentille  Agnès  !  plus  de  loz  tu  mérite, 
La  cause  étant  de  France  recouvrer, 
Que  n'en  pourroit  dedans  un  cloistre  ouvrer 
Close  nonnain  ou  bien  dévot  herniite. 

J'incline  à  penser  qu'il  y  a  dans  cet 
éloge  plus  de  fantaisie  que  de  raison, 
que  ce  n'est  pas  le  seul  patriotisme  qui 
poussa  Agnès  dans  les  bras  du  roi,  et  que 
l'expulsion  des  Anglais  ne  fut  pas  Tunique 
prix  qu'elle  mit  à  ses  faveurs. 

Agnès  Seurelle  (car  la  postérité  a  déna- 
turé jusqu'à  son  nom),  fille  sans  fortune 
et  de  petite  noblesse,  était  attachée  à  la 
personne  d'Isabeau  de  Lorraine,  duchesse 
d'Anjou,  lorsque  celle-ci  la  présenta  à  la 
cour  du  roi  de  France,  qui  se  tenait  alors 
à   Chinon   et  qui   était,  malgré  la  triste 


d'ailleurs,  pas  à  s'en  repentir,  car  il  lui 
donna  successivement  en  apanage  le 
comté  de  Penthièvre ,  les  seigneuries 
de  Roqueserien,  de  Vernon- sur -Seine 
et  d'Issoudun ,  sans  oublier  plusieurs 
domaines  et  plus  particulièrement  le 
château  de  Beauté-sur-Marne,  d'où  elle 
prit  le  nom  de  M""  de  Beauté. 

A  cette  époque,  le  roi,  inquiet  de  l'es- 
prit turbulent  des  Parisiens,  avait  fixé 
sa  résidence  dans  cette  belle  province 
de  Touraine,  qui  était  alors  <(  comme  le 
centre  et  le  cœur  même  de  la  France  ». 
C'est  là  que ,  pendant  près  de  vingt 
ans  (1431-1450),  Agnès  vécut  près  de 
son  royal  amant  dont  l'alfection  triom- 
pha de  toutes  les  intrigues  dirigées 
contre  la  favorite  par  le  parti  du  dau- 
phin.   Celui-ci,  qui   devait   régner  plus 


LOCHES 


ir'j 


tard  sous  le  nom  de  I.<uiis  XI, 
s'élanl  un  jour  laissé  aller  à  ;<  des 
prompliludes  »,  comme  disen 
les  chroniques  du  lemps,et  ayant 
levé  la  main  sur  elle,  Agnès 
quitta  Chinon  et  se  relira  à  Lo- 
^  ■     le    roi    lui    avait     lad 


ches,    ou 


réserver    et     meubler    a    '^ 


'■randi; 


CLOCHER     DE     BEATLIEC 

frais  les  appartements  du  château,  dont 
on  venait  de  terminer  la  construction. 
Elle  V  demeura  plusieurs  années,  ne 
quittant  cette  magnifique  résidence  que 
pour   passer   quelques  jours,   soit   dans 


PORTE    PICOTS    ET    HOTEL    DE    VILLE 

un  petit  hôtel  qu'elle  possédait  près 
de  Beaulieu,  soit  dans  le  vieux  manoir 
de  la  Guerche,  à  quelques  lieues  de 
Loches,  ou  enfin  pour  aller  retrouver 
à  Chinon  le  roi  qui  ne  pouvait  se 
consoler  de  son  absence.  Dans  le  châ- 
teau de  Loches,  elle  habitait  de  pré- 
férence la  tour  ronde  qui  porte  encore 
son  nom  et  la  partie  que  1  on  ap- 
pelle aujourd'hui  les  «  viedles  salles  », 
pour  les  distmguer  de  l'aile  gauche  du 

château,  qui  ne  fut  construite  que  sous 
Louis  XII.  Lorsque  Charles  \  H,  après 
avoir  chassé  les  Anglais  du  centre  de  la 
France  se  rendit  en  Normandie  pour 
en  achever  la  conquête,  Agnès  le  suivi 
et   vint   s'établir    dans   son    château  du 


110 


LOCHES 


Ménil,  près  de  l'abbaye  de  Juniièges. 
Elle  y  mourut  h  làge  de  quarante  et  un 
ans,  le  9  février  1450,  après  quelques 
jours  d'une   maladie  dont  la  cause  fut, 


TOMBEAU    D'AGNÈS    SOI!  EL 

sans  beaucoup  de  fondement,  attribuée 
au  poison.  Le  dauphin  et  largentier, 
Jacques  Cœur,  qui  lui  avaient  toujours 
témoigné  une  si  profonde  aversion , 
furent  désignés  par  l'opinion  comme 
n'étant  pas  étrangers  à  cette  mort  presque 


subite.  Rien  ne  vint,  d'ailleurs,  par  la 
suite,  confirmer  ces  soupçons.  Le  roi 
eut  vite  fait  d'oublier  celle  qui  avait  été 
si  longtemps  son  idole  ;  mais  la  posté- 
rité conserva  plus  lidèlement  son  sou- 
venir ;  sa  mémoire  est  encore,  à  l'heure 
actuelle,  honorée  dans  cette  ville  de 
I^oches,  qu'elle  combla  jadis  de  ses  dons 
et  de  ses  faveurs  et  dont  la  réputation 
est  demeurée  inséparablemeul  liée  à  la 
renommée  de  la  «  Belle  des  Belles  ». 

La  partie  moderne  du  château ,  qui 
date  du  début  de  la  Renaissance,  fait 
contraste  avec  les  constructions  de 
Charles  VIL  Plus  de  petites  fenêtres 
percées  dans  les  tourelles  massives,  plus 
d'étroites  galeries  prises  dans  l'épais- 
seur des  murs,  comme  au  temps  où 
toute  demeure  de  plaisance  devait  se 
transformer  en  quelques  heures  en  for- 
teresse. Sur  la  façade  du  château  de 
Louis  XII  s'ouvrent  largement  les  belles 
croisées  à  meneaux  ornées  de  cordons, 
les  lucarnes  historiées  aux  tympans 
sculptés  se  terminant  en  pinacles.  L'in- 
térieur du  château,  transformé  aujoui'- 
d'hui  en  bureaux  et  en  appartements 
privés  pour  le  sous-préfet,  ne  présen- 
terait plus  aucun  intérêt  si  l'oratoire 
d'Anne  de  Bretagne  ne  méritait  pas  une 
courte  visite.  C'est  une  petite  pièce  de 
quelques  mètres  carrés  avec  voûte  en 
arête,  dont  les  murs  forment  une  den- 
telle de  pierre  représentant  des  her- 
mines. L'autel  est  en  ogive,  des  corde- 
lières sculptées  courent  sur  les  croisées 
et  les  manteaux  des  cheminées;  le  tout^ 
peint  autrefois  à  fresque  en  or  sur  fond 
bleu,  est  livré  aujourd'hui  au  plus  com- 
plet abandon. 

Du  haut  de  la  terrasse  du  château  de 
Charles  VII,  le  regard  embrasse  un  admi- 
rable panorama.  L'Indre  glisse  paresseu- 
sement au  pied  de  la  colline,  à  travers 
de  vertes  prairies  émaillées  de  boutons- 
d'or;  aussi  loin  que  la  vue  s'étend,  la 
plaine  est  couverte  d'habitations  dissi- 
mulées par  des  rideaux  de  peupliers.  La 
rivière,  partagée  en  plusieurs  bras,  tra- 
versés par  autant  de  ponts,  sépare  Loches 


LOCHES 


lit 


(le  la  i)clile  ville  de  Heaulieii.  A  moitié 
chemin,  on  aperçoit  le  charmant  caslel 
(le  Sanzac  (|ui  ser\ait  de  rendez-vous  de 
chasse  à  Fran(,'ois  I'""  et  où  le  roi  de 
France  reçut  Charles-Quint  en  1539. 
Plus  loin,  le  clocher  de  Beaulieu,  der- 
nier vesti{;e  de  la  célèbre 
abbaye.  A  l'horizon,  vers 
le  nord-est,  s'étend  sur 
le  coteau  le  périmètre  de 
limmense  massif  boisé 
qui  forme  la  forêt  do- 
maniale de  Loches,  une 
des  plus  belles  du  centre 
de  la  France. 

De  la  terrasse  du  châ- 
teau de  Louis  XII  tournée 
vers  le  sud,  Tœil  con- 
temple la  ligne  imposante 
des  remparts  à  pic  avec 
leurs  lourds  contreforts, 
leurs  bastions  crénelés 
mouchetés  de  traces  de 
boulets  et  de  balles.  Au 
pied  sétale  dans  la  plaine 
la  ville  moderne  avec  ses 
maisons  neuves  et  son 
Palais  de  Justice,  de  con- 
struction et  d'architec- 
ture trop  récentes  pour 
intéresser  le  voyageur. 

Le  goût  artistique  est 
plus  délicatement  satis- 
fait par  les  quelques  mo- 
numents de  la  Renais- 
sance qui  nous  restent 
à  voir.  Le  plus  remar- 
quable est  le  gracieux 
Hôtel  de  Mlle  construit 
sous  François  I®""  et  qui 
fut  adossé  au  mur  d'enceinte  du  xv'' siècle 
le  long  de  la  porte  Picoys,  de  telle 
sorte  que  le  portail  fortifié  forme  lui- 
même  une  des  parties  de  léditîce.  Les 
deux  styles  se  c(3toient  sans  se  con- 
fondre dans  les  deux  corps  de  bâtiments 
juxtaposés.  Le  tout  présente  un  ensemble 
des  plus  parfaits,  bien  propre  à  servir 
de  sujet  d'étude  à  l'architecte  qui  trou- 
vera ici  réunis  ces  deux  spécimens  de 
caractères    si  différents    et    pourtant    si 


harmonieusement  assemblés.  Un  coup 
d'œil,  dans  la  rue  du  Château,  sur  rh(")tel 
de  la  Chancellerie,  bâti  sous  Henri  II„ 
dont  la  façade  porte  le  millésime  L"3."3f  ; 
quelques  instants  pour  admirer,  à 
l'extrémité  de    la   rue   Saint-Antoine,  la 


"^^ 


T  0  r  R     D  '  A  G  X  È  s    s  O  II  E  L 


petite  maison  seigneuriale,  datant  de  1» 
bonne  époque  de  la  Renaissance,  et  qui 
est  connue  à  Loches  sous  le  nom  de  logis; 
Nau.  Nous  voilà  revenus  au  point  de 
départ  devant  la  tour  Saint-Antoine, 
beau  monument  du  commencement  du 
xvi*^  siècle,  qui  servait  tout  à  la  fois  de 
beffroi  à  la  ville  et  de  clocher  à  la  cha- 
pelle du  même  nom,  aujourd'hui  dis- 
parue. Au  sommet  des  galeries  sculptées 
qui  couronnent  le  campanile  se  voient 


112 


LOCHES 


l^ssé,  sans  parler  de  bien 
d'autres,  Loches  n'est  qu'un 
point  sur  la  carie  de  cette 
province  d'élite;  mais  c'est 
à  vrai  dire  un  des  plus  plai- 
sants parmi  les  sites  qu'on  a 
viis  sans  déception  et  qu'on 
vient     revoir    sans     ennui, 


LE     L  O  (i  I  S    N  A  U 


deux  écussons  aux  armes  de   F'rance  et 
de  la  ville. 

Mais  le  temps  nous  presse,  et  nous  ne 
pouvons  même  pas  consacrer  à  Loches 
les  deux  journées  qui,  au  dire  de  l'au- 
teur des  Caractères,  suffisent  à  lasser 
l'admiration  d'un  touriste.  N'avons-nous 
pas  demain  et  les  jours  suivants  bien 
d'autres  merveilles  à  ^'oir  dans  ce  doux 
pays,  si  plein  de  souvenirs,  justement 
nommé  le  >'  Jardin  de  la  France  »  parce 
qu'il  fut  pendant  des  siècles  comme  le 
parc  de  prédilection  où  souverains  et 
|j^rands  seigneurs  semèrent  de  tous  côtés 
châteaux,  maisons  de  plaisance  et  rési- 
dences favorites?  Au  milieu  de  ces  villes 
qui  s'appellent  Tours,  Blois,  Amboise, 
Chinon,  de  ces  habitations  princières 
qui  se  nomment  Chambord,  Chaumont, 
Chenonceaux,  Azay-le-Iiideau,  Langeais, 


■iÉfS^ 


T  O  un     s  A  I  N  T  -  A  N  T  O  I  X  E 

un   des    plus   riants   parmi   les  coins  de 
Touraine. 

IL    Paye. 


LE    MOUVEMENT  LITTÉRAIRE 


M""  Henri  Grévillc  vient  de  publier 
chez  Plon«èt  Nourrit  un  nouveau  roman, 
Villoré,  snobs  de  prorince,  que  les  jeunes 
filles  pourront  lire  et  qui  n'est  cependant 
ni  fadasse,  ni  ennuyeux,  malgré  rhonnêteté. 

Voici  l'hisloire.  Landry  est  un  brave  et 
intelligent  gentilhomme  de  province.  Il 
aime  Antoinette,  jeune  fille  légèrement  en- 
tachée de  snobisme  et  pervertie  d'esprit 
par  des  échos  du  Chat  Noir.  L'action  se 
passe  à  Bourges.  Dans  un  château  voisin 
vit  une  ancienne  intendante  qui  s'est  fait 
épouser  par  son  maître.  Elle  est  veuve  et 
elle  a  une  fille,  Adèle  Destournelles,  qui 
orthographie  son  nom  Yolande  des  Tour- 
nelles,  très  snob,  aimant  l'ameublement 
modem  style,  les  chaises  nues  et  angu- 
leuses, les  robes  princesse  mauves  et  vert 
d'aurore. 

Yolande  avait  vingt- trois  ans;  son  estomac 
naturellement  mauvais,  que  l'ordinaire  du 
couvent  n'avait  pas  amélioré,  lui  donnait  un 
teint  verdàtre  et  une  maig'reur  qui  pouvait,  à 
la  rigueur,  passer  pour  de  l'élégance.  Elle  se  fai- 
sait   envoyer    ses    robes  de    Paris... 

Elle  attire  au  château  un  jeune  poète 
décadent  et  décavé,  Jean  Olivier,  qui 
orthographie  son  nom  Jehan  d'Olivettes, 
et  qui  fait  des  vers  «  avec  un  nombre  infini 
de  pieds  i>. 

C'était  un  grand  garçon  dégingandé,  pas 
beau,  mais  prétentieux,  poète  néo-décadent  et 
musicien  à  ses  heures.  Beaucoup  de  raideur 
et  d'aplomb,  mêlés  de  temps  en  temps  d'un 
peu  de  condescendance,  ne  pouvaient  manquer 
d'attirer  la  curiosité  de  Yolande. 

Il  séduit  d'abord  la  belle  Antoinette,  à 
qui  il  dédie  des  vers.  Mais  celle-ci,  qui  est 
de  grande  famille  et  de  droit  sens,  recon- 
naît bientôt  le  sot  personnage  et  s'en  lasse. 
Cependant,  elle  a  honte  de  cette  infidélité 
de  pensée  au  brave  Landry  qui  l'aime,  et 
elle  est  en  proie  à  des  combats  intérieurs 
pour  se  persuader  qu'elle  peut  encore 
l'aimer  et  l'épouser  sans  crime  après  cette 
faute  morale.  Elle  se  purifie  par  l'aveu. 

Accessoirement,  il  y  a  le  cas  de  la  tante 
de  Landi'y,  une  veuve  âgée  qui  habite  un 
domaine  où  elle  fut  associée  aux  savants 
travaux  de  son  mari,  un  membre  de  l'Ins- 
titut. Elle  a  pour  propriétaires  des  cousins 
de  Yolande,  qui  sont  gens  butors  et  bru- 
taux ;  ils  lui  rendent  leur  voisinage  insup- 
portable, usant  de  toutes  les  tracasseries; 
elle  tombe  malade  à  en  mourir.  Ces  mé- 
chantes gens  sont  punis  comme  il  convient. 

VIII.  —  8. 


Le  récit  est  agrémenté  d'agréables  épi- 
sodes, notamment  la  comédie  décadente 
que  Yolande  joue  dans  le  parc  sur  un 
théâtrede  verdure  avec  le  poète  ténébreux, 
Jehan  des  Olivettes,  et  la  jeune  fille  de 
compagnie,  très  distinguée,  très  noble  et 
très  sympathique,  qui  fait  un  superbe 
mariage  inespéré.  Quant  à  Yolande,  elle 
ne  se  marie  pas,  parce  (|u'elle  voulait  le 
régime  de  la  séparation  de  biens,  qui  ne 
fait  point  l'afTaire  de  Jehan. 

Voici  un  morceau  de  celte  représenta- 
tion ultra-moderne,  dont' la  touche  est  si 
délicate  et  si  timide  qu'elle  demeure  en- 
core beaucoup  au-dessous  de  la  réalité. 
L'auteur  n'a  pas  très  fréquenté  à  Mont- 
martre, ce  dont  on  ne  peut  que  la  louer  : 

Un  gong  caché  derrière  le  rideau  retentit 
sous  lui  coup  bien  asséné  qui  fit  tressauter 
Tassistance.  Une  fois,  deux  fois,  trois  fois,  son 
frémissement  gradué  s'éteignit  et  mourut. 

—  Qu'est-ce  que  c'est  que  cela  ?  demanda  la 
tante  à  sa  nièce. 

—  C'est  un  gong,  une  espèce  de  bassine 
japonaise  en  bronze,  expliqua  Antoinette. 

Le  rideau  se  fendit  en  deux  :  le  tapissier 
n'avait  pas  osé  le  faire  relever,  de  ]ieur  d'ac- 
cident, et  un  décor  vraiment  exquis  parut  aux 
yeux  charmés  de  l'assistance;  tout  le  monde 
iDattit  des  mains. 

Ce  décor  était  l'allée  elle-même,  où  jouait  le 
soleil  tamisé  par  les  feuilles. 

Lhie  écliappée  de  ciel  bleu  se  voyait  à  tra- 
vers les  branches;  un  jet  d'eau  —  manœuvré 
par  deux  invisibles  jardiniers  au  moyen  de  la 
pompe  à  arroser  les  gazons  —  retombait  nu 
loin  dans  une  grande  vasque  créée  pour  la  cir- 
constance ;  des  buissons  de  feuillages  de  serre, 
habilement  groupés,    formaient  les    portants. 

C'était  vraiment  joli,  et  surtout  inattendu. 
Du  coup,  le  public  fut  conquis,  au  point  d'en 
oublier  M^'e  des  Tournelles  qui  venait  de 
passer  et  de  s'asseoir  sur  un  fauteuil  réservé 
pour  elle  au  premier  rang.  En  ce  moment,  si 
elle  avait  su  l'histoire,  elle  se  serait  rappelée 
les  fêtes  du  grand  roi;  mais  elle  n'y  songea 
pas. 

Le  premier  moment  de  surprise  et  d'admi- 
ration passé,  on  aperçut  Jehan  d'Olivettes, 
vêtu  d'un  pourpoint  et  de  chausses  bouffantes 
en  velours  noir.  Malgré  tout  son  désir,  il 
n'avait  osé  arborer  le  maillot. 

—  On  dirait  un  cycliste  déguisé,  glissa  dans 
l'oreille  de  Landry  un  voisin  railleur. 

Si  le  récit,  dans  ses  incursions  sur  le 
domaine  du  droit  et  du  code,  offre  quel- 
ques invraisemblances,  cette  œuvre  pré- 
sente un  ensemble  de  caractères  bien 
tracés,  bien  posés,  bien  distincts,  qui  est 
peut-être  le  plus  réel  mérite  du  livre  ; 
Yolande,  l'esthète  maigre,  drapée  en  Bot- 


11 


LE   MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 


ticella,  Antoinette,  la  jeune  fille  provin- 
ciale romanesque,  Jehan,  le  poète  de  la 
jeune  école  à  raffut  d'un  beau  mariage, 
Landry,  l'homme  de  sens  et  de  tact,  le 
brutal  et  grossier  Chantefleur,  la  désœu- 
vrée amie,  M"^"'  d'Ornys,  et  d'autres  :  tout 
cela  vit,  s'agite,  et  compose  un  pittoresque 
tableau  de  la  vie  de  province,  sous  le 
règne  du  Chat  Noir. 


Voici  un  très  bon  livre  de  Jules  Breton, 
de  l'Institut,  Savarette,  publié  chez  Lemerre. 
C'est  une  touchante  histoire  d'un  jeune 
paysan  que  découvre,  que  guide  et  qu'aime 
un  peintre  d'expérience.  C'est  comme  le 
journal  d'une  vocation  d'artiste. 

Jean  Gérard  a  une  enfance  qui  rappelle 
celle  de  F.  Millet,  racontée  par  Sensier. 
Tout  jeune,  il  charbonne  des  personnages, 
et  il  grandit  tout  imprégné  par  la  grande 
poésie  de  la  nature. 

Ses  yeux  s'ouvrirent  aux  rêves  confus  de 
la  vie,  comme  ceux  des  petits  oiseaux  exta- 
siés d'aurore,  au  milieu  de  choses  primitives: 
grand  ciel,  larges  horizons,  toits  de  chaume, 
murs  blanchis  des  granj^es  ;  ils  s'ouvrirent, 
tels  les  bluets  dans  les  blés,  parmi  la  paille 
et  les  fumiers  ardents,  comme  sa  chevelure 
au  soleil.  Leurs  premiers  éveils,  au  bourdon- 
nement des  mouches  têtues  qui  voletaient 
dans  un  rythme  monotone  et  sans  fin  autour 
du  bouquet  de  thym  suspendu  au  plafond  de 
sa  chambre,  avaient  vu  trembler  sur  le  mur 
les  premiers  rayons  roses  de  l'aube. 

Toute  cette  «  enfance»,  comme  on  appe- 
lait autrefois  les  récits  des  premières 
années  d'un  héros,  est  charmante,  poétique, 
d'un  style  ferme,  précis,  exact  et  pitto- 
resque. C'est  un  hymne  merveilleux  des 
sentiments  de  la  nature.  Millet  a  écrit  des 
choses  de  ce  genre  en  parlant  de  son  vil- 
lage de  Gruchy,  de  son  arrivée  à  Paris,  de 
ses  jeunes  années.  Il  y  a  telle  autre  page 
descriptive  qui  fait  songer  aux  scènes  al- 
saciennes de  Massenet,  comme  ceci  : 

Les  dimanclies  le  ravissaient.  Ils  lui  sem- 
blaient plus  clairs  que  les  autres  jours.  Il 
était  aussi  plus  gai  lui-même  dans  sa  blouse 
de  mérinos  bleu  et  son  col  brodé,  si  blanc  et 
sentant  la  propreté.  Dans  la  petite  église  hu- 
mide, il  était  pris  d'un  somnolent  respect, 
d'une  sorte  de  contentement  craintif  à  tra\ers 
lesquels  il  contemplait  les  fidèles  prosternés 
sur  leurs  chaises,  et  leurs  figures  n'avaient 
plus  leur  expression  de  la  rue...  Puis  il  rêvait 
dans  une  confuse  douceur  d'encens,  une  odeur 
du  bon  Dieu...  Alors  une  extase  l'enveloppait, 
surtout  lorsque  le  lutrin  chantait,  alternant 
avec  la  voix  du  vieux  curé  dont  le  fausset 
tremblait.  La  cérémonie  se  faisait  longue, 
longue...  un  blanc  soleil  luisait  au  dehors,  des 
moineaux  faisaient  leur  nid  dans  une  fente  de 
l'ogive  près  du  chi'issis  de  la  fenêtre.  Ils  y 
arrivaient  par  instants,  ruisselants  dans  les 
rayons...     ses    paupières    devenaient  lourdes, 


alors  il  fermait  les  yeux  pour  voir  passer    les 
anges. 

Ce  Jean  Gérard,  fils  de  fermier,  a  le  don 
divin.  Il  est  né  peintre.  C'est  Savarette 
qui  le  découvre  et  qui  le  guide.  On  fait 
d'abord  faire  au  petit  quelques  études. 
Mais  l'écolier  était  déjà  peintre- 

Or,  en  récitant  sa  déclinaison,  celui-ci  ob- 
servait en  peintre  son  professeur,  sa  peau 
rose  et  luisante,  ses  cheveux  gras,  sa  grasse 
soutane  soulevée  par  le  naissant  bedonnement 
du  ventre,  ses  doigts  faits  de  fossettes  et  de 
coussinets,  les  ongles  retrousses;  il  écoutait 
son  glouglou  guttural  lorsqu'il  interrompait  sa 
leçon  pour  avaler  une  gorgée  de  cassis.  Tout 
cela  était  bien  plus  intéressant  que  le  latin, 
surtout  la  vieille  mère  du  vicaire  qui  avait  les 
yeux  aussi  noirs  que  ceux  des  hannetons  et 
des  cils  roux  ;  petite  sexagénaire  courte  et 
obèse,  avec  de  dures  moustaches.  Il  la  regar- 
dait fumer  sa  pipe  culottée  qu'elle  avait  tou- 
jours à  sa  portée  sur  la  cheminée.  Elle  parlait 
peu,  mais  il  put  cependant  recueillir,  au  sortir 
de  sa  bouche  édentéc,  quelques  observations 
profondes,  fruit  de  sa  vieille  expérience  et 
qu'il  n'a  jamais  oubliées. 

Nous  le  suivons  à  Paris,  aux  ateliers,  à 
l'Ecole  des  beaux-arts,  au  musée  du 
Louvre.  Il  rencontre  là  de  gentils  garçons 
et  de  jolies  filles,  et  il  se  heurte  à  tous  les 
écueils  que  son  âge  et  son  déracinement 
comportent.  Il  va  au  musée  du  Louvre: 

Il  monte  l'escalier  monumental.  Il  est  de- 
vant la  Victoire  fie  Samothrace.  Cette  fois,  c'est 
bien  le  frisson  du  beau  qui  traverse  son  âme 
entraînée  au  souffle  épique  du  plus  bel  élan 
de  l'art,  de  la  plus  éclatante  manifestation  du 
génie  humain  que  possède  Paris!  Rien  de 
plus  sublime    que    cette   immortelle    mutilée! 

Il  entre,  frémissant  démotion,  dans  le  salon 
carré.  Il  s'assied  sur  la  première  banquette. 
Ses  regards  embrassent  l'effet  d'ensemble;  ils 
errent  çà  et  là,  sans  se  fixer,  confusément, 
dans  l'intense  perception  de  toutes  ces  toiles 
entrevues  comme  par  lambeaux,  comme  une 
merveilleuse  apparition  de  rêve,  supprimant 
tout  jugement,  pour  réveiller  les  larmes  d'en- 
thousiasme. 

Parmi  de  délicieuses  pages  de  sentiment 
et  d'amour,  il  y  a  place  pour  toute  une 
esthétique  de  peintre  très  posé,  très  sensé, 
indifférent  aux  maladives  recherches  des 
impressions  non  encore  ressenties,  qui  in- 
quiètent les  jeunes  de  l'atelier,  ainsi  ce 
jeune  Garniton,  garçon  de  valeur,  esthète 
à  pantalon  large  serré  dans  le  bas,  à  l'hu- 
meur triste,  à  renthousiasme  figé  : 

C'était  un  des  forts  de  l'atelier,  ou  plutôt  il 
l'avait  été,  ayant  obtenu  le  second  prix  de 
Rome.  Par  malheur,  il  venait  de  se  lancer  dans 
la  recherche  des  frisions  nouveaux  et  du  non 
encore  ressenti.  Il  devait  cette  belle  préoccupa- 
tion à  un  jjersonnage  mystérieux,  un  certain 
^^'alund,  qui  avait  exercé  sur  lui  un  singulier 
empire.  'U^alund  n'acceptait   que    le  contraire 


LE   MOUVEMENT   LITTÉUAIRE 


115 


<los  apparences,  la  raison  oriUnaire  ne  lui 
semlilail  (|ne  \uI,uai'iLé.  Il  était  venu  des 
hords  (le  l'oeran  Arelicpie,  et  les  banquises 
auraient  dû  le  proléy^er  contre  la  contagion 
d'une  telle  folie.  Heureusement  son  cas  ne 
peut  être  cité  comme  représentant  une  doc- 
trine ([uclconque  :  mais,  on  le  voit,  ce  n'était 
plus  tout  à  l'ail  un  solitaire,  puisqu'il  entraî- 
aiait  (iarniton.  Ancien  élève  de  Denevers,  il 
faisait  de  fréquentes  apparitions  à  l'atelier, 
■où  sa  qualité  de  »  plus  c]uc  Scandinave  <>  lui 
donnai!  ime  sorte  d'autorité.  Il  la  méritait  si 
4)n  considère  que  sa  peinture  était  si  extraordi- 
naire, si  nouvelle,  si  originale  d'inspiration 
que  personne,  sauf  (îarniton,  n'était  encore 
assez  initié  poui- y  voir  quoi  que  ce  fût.  Et  il 
n'avait  pas  encore  atteint  son  idéal. 

Savarelle,  le  vieux  mentor  de  ce  jeune 
Télémaque  de  la  palette,  lui  écrit  des 
lettres  pleines  de  sens  et  de  raison,  qui 
constitueraient,  extraites  à  part,  une  inté- 
ressante correspondance  d'artiste. 

Laisse  crier  contre  les  Ecoles!  lui  écrivait- 
il.  L'Ecole  des  beaux-arts  procure  des  mo- 
dèles et  des  ateliers  gratuitement;  l'Ecole  de 
Rome  assure  quelques  années  d'études  loin 
des  soucis  inq^oi-tuns.  des  préoccupations  ma- 
térielles de  la  vie,  dans  un  des  pays  les  plus 
beaux  du  monde,  avec,  pour  logement,  un 
palais  merveilleusement  approprié  aux  besoins 
de  l'art. 

Il  y  a  des  gens  très  forts  qui  ont  fait  cette 
<lécouverte  étonnante  :  son  enseignement  ne 
donne  pas  le  génie.  Parbleu!  Mais  il  faut 
avouer  que,  loin  de  lui  être  contraire,  l'Aca- 
démie de  Rome  fournil  des  éléments  pour  son 
développement  :  la  paix,  la  beauté  et  les 
chefs-d'œuvre.  Je  ne  crois  pas  à  la  tyrannie  de 
son  enseignement.  On  y  apprend,  au  moins, 
le  respect  de  la  forme.  D'ailleurs,  rien  n'ar- 
rête les  fortes  personnalités. 

Rien  n'empêche,  chez  elles,  le  choix  des  re- 
cherches. 

Quand  il  voyage,  il  lui  envoie  des  cro- 
quis à  la  plume  qui  ont  bien  de  la  saveur, 
comme  cette  page  à  propos  de  la  vieille 
ville  flamande  de  Gand,  qui  est  bien  l'une 
des  plus  justes  impressions  que  jamais 
touriste  ait  fixées  dans  sa  mémoire  et 
dans  ses  notes  en  longeant  les  canaux  et 
ie  beffroi  de  l'antique  cité  de  Philippe  van 
Artevelde. 

La  page  est  à  citer  : 

Je  ne  connaissais  que  par  quelques  petites 
parties  restées  visibles  le  grand  château  des 
■comtes  de  Flandre,  de  toute  part  enfoui  sous 
de  noires  fabriques  qui  s'y  étaient  greffées, 
utilisant  jusqu'à  son  haut  donjon.  On  l'a  en- 
tièrement dégagé.  Il  apparaît  barbare  et 
sombre,  colossal,  sous  sa  cuirasse  orientale, 
plus  par  ses  proportions  que  par  sa  dimension, 
ce  château  des  Baudouin  du  Hainaut,  qui  furent 
empereur  de  Constantinople  et  roi  de  Jérusa- 
lem. Il  est  avec  les  Halles  d'Ypres  la  mer- 
veille historique  des  Flandres. 

Et  je  rêvais  en  passant  sur  le  vieu.v  pont. 
La  vue  du  canal  me  réveilla.  Comme  deux 
jumeau.v  flamands-espagnols,   deux  hauts   pi- 


gnons jaunes,  tachés  de  l'Ose,  des  fonds  de 
maisons  de  dilTérents  âges,  des  pans  de  brique 
rouge  plus  ou  moins  brunie,  tombaient  per- 
pendiculairement, sans  ombre  de  quai,  dans 
l'eau  remuante  et  moirée,  mystérieusement 
agitée  par  une  houle  de  dessous,  car  il  n'y 
avait  pas  un  souille  dans  l'air.  Plus  loin,  fer- 
mant la  perspective,  le  palais  ruine,  le  géant 
des  croisades,  tout  bardé  d'argent  mat,  bai- 
gnant son  monstrueux  cimier  dans  l'éclat  d'un 
ciel  d'opale  clair. 

Le  tout  se  répétait  en  larges  plaques  dislo- 
quées jaunes,  blanches  et  brunes,  comme  si 
le  canal  eût  voidu  nous  montrer,  d'une  façon 
visible,  le  lent  écroulement  des  siècles. 

C'était  la  vie  éternelle  dans  la  mort.  La 
fierté  des  vieilles  corporations  bourgeoises 
que  respirent  encore  ces  pignons  délabrés, 
l'héro'isme,  le  formidable,  toujours  menaçants 
sous  cette  énorme  panoplie  muette. 

Voilà  bien  des  mérites  qui  recomman- 
dent ce  livre  par  sa  poésie  pittoresque,  le 
sentiment  de  la  nature,  les  aspirations 
idéales,  le  style  très  ferme  et  juste,  sans 
préjudice  du  touchant  roman  d'amour  qui 
met  en  vue  un  type  aimable  d'héro'ine, 
dont  le  portrait,  nous  dit  l'auteur,  a  une 
clef:  ce  qui  vaut  nos  compliments  à  l'ori- 
ginal. 


Mon  Petit  Trott,  par  André  Lichten- 
berger,  chez  Plon  et  Nourrit,  est  un  bien 
délicat  roman  que  les  enfants  et  les  grands 
liront  avec  plaisir.  Trott  est  un  type  d'en- 
fant qui  s'ajoute  à  ceux  que  d'autres  ont 
créés,  le  Bob  de  Gyp,  le  Fontanet  d'Ana- 
tole France,  dans  le  Livre  de  mon  ami,  le 
Bébé  de  Gustave  Droz,  et  autres.  Mais 
Trott  a  sa  physionomie  bien  particulière 
entre  eux  tous,  et  on  le  voit  nettement, 
vêtu  à  l'anglaise ,  avec  de  grands  yeux 
bleus,  très  anglais  déjà,  raisonnant,  pe- 
sant le  pourquoi  des  choses,  et  épris 
d'un  idéal  tout  évangélique  de  bonté  et  de 
charité.  C'est  un  petit  pasteur.  A  ses 
côtés.  Bob,  le  vicieux,  gambade  comme 
un  triangle  scalène  ;  Fontanet,  faubourien 
de  Paris,  rêve  des  niches  à  faire  ;  Trott 
évangélise,  et  il  est  exquis. 

Nous  le  suivons  à  travers  les  différentes 
péripéties  de  sa  vie  puérile  ;  il  reçoit  des 
joujoux  de  Noël,  et  M.  Aaron  ayant  donné 
des  fleurs  à  sa  mère,  il  fait  manger  les 
fleurs  par  un  âne,  parce  que  M.  le  curé  a 
dit  qu'il  faut  penser  aux  humbles.  La  mère 
se  fâche.  Le  petit  dit  ingénument  : 

—  Je  ne  savais  pas  que  vous  aimiez  tant 
M.  Aaron! 

Alors  la  mère  bout.  Tout  cela  est  ob- 
servé. 

Trott  reçoit  les  leçons  d'une  miss  fort 
maigre  qui  lui  raconte  les  héro'ismes  cé- 
lèbres depuis  Mucius  Scévola  jusqu'à 
Nelson.  Trott  résume  sa  leçon  : 

Elle  m'a   raconté    l'histoire   de   M.  Cervelas 


116 


LE   MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 


qui  a  brûlé  trois  cents  Sarrasins  qui  étaient 
Spartiates.  Sa  main  aussi  était  brûlée  sur  la 
lampe,  mais  avec  l'autre  bras  qui  a  été  em- 
porté, il  commandait  la  manœuvre  sur  le 
pont. 

Tous  ces  épisodes  sont  gracieux,  et 
quand  il  a  entendu  dire  à  M.  Aaron  qu'en 
charité  c'est  tout  ou  rien  qu'il  faut  donner; 
cependant  M.  Aaron  ne  donne  que  deux 
sous  à  un  pauvre;  et  quand  il  regarde  la 
vieille  Thérèse  de  son  œil  bleu  de  petit 
philosophe  : 

Et  tout  à  coup  un  grand  froid  vient  au 
cœur  de  Trott.  Et  il  tremble  de  la  tète  aux 
pieds  sur  sa  petite  chaise.  Car  une  pensée 
qu'il  n'a  jamais  eue  l'a  traversé.  Elle  a  été 
une  jolie  petite  fille  aux  joues  roses,  aux  longs 
cheveux  blonds,  Thérèse.  Et  maintenant  c'est 
une  vieille  femme  qui  a  des  cheveux  gris  et 
des  mains  toutes  crochues.  Trott  est  un  petit 
garçon  blond  et  rose;  est-ce  que  par  hasard 
un  jour  il  aura  aussi  des  rides,  des  cheveux 
gris  et  des  mains  crochues  ? 

Ailleurs,  Trott  tente  vainement  un  essai 
de  réconciliation  —  c'est  un  vrai  pasteur 
—  entre  le  chat  Puss  et  le  ioquet  Jip;  il 
lire  un  grand  profit  pour  son  édification 
morale  d'un  entretien  avec  un  petit  men- 
diant. A  chaque  pas  dans  la  vie,  il  se 
heurte  à  des  difficultés.  Il  voit  un  escargot 
qui  menace  une  rose.  Que  faire'?  le  tuer? 
Il  ne  faut  pas  tuer  les  créatures  auxquelles 
Dieu  a  donné  la  vie.  Notre  petit  anglican 
raisonne,  cherche  : 

C'est  mal  de  tuer  un  mouton.  Mais  si  on  le 
mange,  ce  n'est  pas  mal.  C'est  mal  de  tuer  un 
escargot,  mais... 

Et  pour  sauver  la  rose,  il  avale  l'es- 
cargot, devant  la  maigre  miss  épouvantée. 

Oh!  Trott!  for  shame  !  comment  pouvez- 
vous  !  comme  c'est  malsain  !  naugiity  boy  ! 
quelle  horreur! 

Trott  laisse  tomber  l'averse  avec  calme.  Il 
est  plus  préoccupé  de  ce  qui  se  passe  dans 
son  intérieur.  Il  a  un  peu  d'inquiétude  pour 
son  estomac.  Ça  gargouille  drôlement  ;  sans 
doute  l'escargot  se  promène. 

Mais  non.  C'est  fini.  Il  doit  être  digéré. 
Alors  Trott  retourne  à  son  jardin;  il  con- 
temple la  rose  avec  un  redoublement  de  ten- 
dresse et  se  sent  fier  d'avoir  protégé  sa  beauté 
sans  avoir  sacrifié  inutilement  la  vie  de  son 
humble  agresseur. 

Le  petit  Trott  n'a  pas  seulement  des 
idées  ingénieuses;  il  en  a  souvent  de  tou- 
chantes. 

Le  papa  de  Trott  est  revenu  d'une  ab- 
sence pendant  laquelle  il  trouve  que  sa 
femme  a  été  trop  courtisée  et  frivole.  Il  se 
fâche,  fait  des  scènes,  injurie  les  galants. 
Trott  voit  cette  fâcherie.  Il  est  triste.  C'est 
le  soir,  sur  la  plage,  par  la  nuit   bleue  et 


étoilée.  Monsieur,  Madame  et  Bébé  se  sont 
assis  sur  le  sable,  en  silence.  Trolt  se 
sent  pris  par  le  sommeil,  mais  il  veut  faire 
sa  prière  avant  de  dormir,  et,  en  regar- 
dant le  ciel,  il  la  fait  à  haute  voix.  Le 
père  et  la  mère,  boudeurs,  regardent  l'ho- 
rizon. 

Et  tout  à  coup,  arrachant  papa  et  maman 
aux  pensées  sombres  qui  les  assiègent,  une 
petite  voi.x  monte  qui  vient  frapper  à  la  porte 
de  leurs  cœurs. 

—  Oh  !  mon  cher  petit  bon  Dieu!  j'ai  si  mal 
que  papa  soit  fâché  contre  maman!  Oh!  si 
vous  saviez  comme  j'ai  mal  !  Oh  !  je  vous  en 
prie,  faites  qu'il  ne  soit  plus  fâché,  pour  que 
je  n'aie  plus  peur  et  pour  que  ces  terribles 
choses,  Aous  savez,  soient  loin  de  moi,  parce 
que  je  suis  un  petit  enfant.  Et  faites  que  je 
puisse  de  nouveau  aimer  papa  et  maman  de 
tout  mon  cœur  tout  plein;  parce  que,  voyez- 
vous,  mon  petit  bon  Dieu,  quand  on  est 
fâché,  j'ai  trop  mal  et  j'ai  trop  peur,  et  puis 
je  suis  un  petit  enfant,  amen. 

Une  grande  paix  solennelle  tombe  des 
cieux  rayonnants.  La  mer  murmure  le  refrain 
tranquille  de  sa  chanson  apaisante.  Le  sourire 
de  la  terre  assoupie  répond  au  sourire  calme 
des  étoiles.  Et  la  voix  de  Trott  a  retenti 
comme  une  petite  voix  secrète  et  très  forte 
qui  est  au  fond  de  tous  les  cœurs.  Papa  s'est 
penché  vers  maman.  Il  a  pris  sa  main  dans 
la  sienne.  Et  peu  à  peu  maman  s'est  rappro- 
chée et  a  mis  sa  tète  sur  son  épaule.  Elle 
sanglote  très  doucement.  Quelques  paroles 
définitives  montent  du  cœur  aux  lèvres.  Et  le 
pardon,  la  confiance  et  la  bonne  volonté  se 
lèvent  et  s'épandent  comme  des  vols  soyeux 
de  papillons  de  nuit. 

Voilà  le  ton  de  ce  livre  délicat,  gracieux 
et  édifiant,  qui  amusera  les  grands,  et  qui 
constitue  une  précieuse  contribution  au 
genre  délaissé  et  difficile  de  la  littérature 
enfantine. 


Guy  Tomel  vient  de  mourir  à  l'âge  de 
trente-neuf  ans.  C'était  un  curieux,  un 
chercheur.  II  venait  de  publier  un  nouveau 
volume  qui  fait  le  pendant  du  précédent, 
le  Bas  du  Pavé  /)ar«iê».  Celui-ci  s'appelle 
Petits  Métiers  ixirisiens.  Ces  titres  disent  le 
genre  de  l'auteur.  II  allait  scruter  ces  Coins 
de  Paris  où  nous-mêmes  nous  sommes  plu 
souvent  à  nous  égarer,  et  dont  nous  connais- 
sons trop  la  poésie  et  le  charme  curieux, 
pour  ne  pas  comprendre  l'attrait  de  ces 
études.  Il  savait  faire  ces  petits  voyages 
intra  mnros  et  nous  en  raconter  des 
relations  intéressantes.  C'est  une  ma- 
nière de  reportage  pittoresque.  Il  s'en 
tirait  bien.  II  fréquentait  parmi  les  petits 
et  les  humbles,  les  interviewait,  les  con- 
fessait et  il  nous  donnait  cette  sensation 
de  l'inconim  qui  nous  surprend  au  sein 
même  de  Paris.  Cette  grande  ville  a  tant 
de  dessous,  de  subslructions  compliquées. 


lp:  mouvkment  littiïuaihe 


H7 


noires  cl  profondes,  que  ceux  qui  y  sont 
allés  ont  l'air  de  revenir  de  loin.  Il  y  a 
des  mondes  et  des  mondes  à  explorer  et 
à  découvrir  dans  le  bas  Paris.  Tels  coins 
ne  sont  connus  que  de  quelques  agents 
de  la  paix,  qui  y  représentent  seuls,  de 
temps  en  temps,  la  société  polie,  et  quand 
je  dis  polie,  c'est  pour  les  llatter. 

Les  petits  métiers  parisiens?  lien  est 
•d'aussi  cocasses  que  de  peu  connus,  de- 
puis le  professeur  de  chiens  savants,  le 
jM-éparateur  de  ténias,  les  professeurs  de 
l'Ecole  normale  d'acrobatie  jusqu'à  tous 
les  types  variés  de  la  bohème  d'aujour- 
d'hui. Voici  ^I.  Ledain,  qui  a  le  monopole 
de  la  chasse  aux  blattes  dans  les  hôpitaux 
de  Paris  et  ({ui  est  l'inventeur  d'un  «  ca- 
l'ardicide  universel  ».  Il  travaille  à  raison 
de  2^(0  francs  pour  un  hôpital.  Le  tailleur 
pour  chiens  a  de  quoi  s'occuper,  car  on 
voit  aux  devantures  des  magasins  qu'on 
fait  pour  les  chiens  des  paletots,  bottes, 
gants,  chapeaux,  sticks,  avec  la  douzaine 
de  mouchoirs  au  chiffre  et  aux  armes  de 
la  maîtresse,  pour  mettre  dans  la  petite 
poche  de  côté,  bracelets  et  colliers  d'or 
à  pendeloques,  toilette  de  mariée.  Savez- 
vous  ce  que  coûte  un  trousseau  de  chien  ? 
271  francs  répartis  entre  le  collier,  12  fr., 
le  bracelet,  S  francs;  la  demi-douzaine  de 
chemises,  60  francs;  demi-douzaine  de 
mouchoirs,  6  francs  ;  deux  paires  de  bot- 
tines dont  une  en  chevreau,  l'I  francs  ; 
un  costume  saut-de-lit,  i'I  francs;  un  cos- 
tume bains  de  mer,  15  francs;  costume  de 
voyage ,  2.")  francs  ;  pelisse  d'hiver  avec 
fourrures,  35  francs,  etc.  C'est  à  humilier 
la  Levrette  en  paletot,  de  Chàtillon.  On  nous 
dit  là  encore,  de  façon  curieuse,  comment 
se  forment  les  acrobates,  comment  vivent 
les  Pieds-Humides,  ce  que  vaut  l'aune  de 
ces  annonces  si  souvent  lues  dans  les  jour- 
naux :  (<  5  francs  par  jour,  travail  facile 
pour  qui  dispose  de  deux  heures.  »  Ce  sont 
vilaines  escroqueries.  Nous  entrons  à  l'école 
des  gardiens  de  la  paix,  à  celle  des  cochers  ; 
nous  fréquentons  les  figurants,  les  souf- 
fleurs, les  devineurs  de  rébus,  caste  aussi 
intéressante  que  mal  connue. 

Il  y  a,  en  France,  2:;, 000  à  30,000  per- 
sonnes dont  la  principale  distraction,  pour 
ne  pas  dire  la  plus  quotidienne  occupation, 
consiste  à  chercher  la  solution  des  rébus 
que  certains  journaux  illustrés  et  quelques 
feuilles  de  modes  publient  dans  leurs  co- 
lonnes. 

Le  fabricant  de  rébus  s'adonne  à  un 
entraînement  sérieux  sur  le  calembour.  Il 
arrive  à  des  effets  ingénieux.  Un  Grec  qui 
méprise  Homère  donne  du  blé  à  des  oisons. 
Il  faut  lire  : 

Aux  petits  des  oies  Zoïle  donne  la  pâture. 
Un  gendarme  ferme  une  vanne.  Lisez  : 


('eiui  qui  met  un  frein  à  la  fureur  des  flots 
Sait  aussi  des  méchants  arrêter   les  complots. 

C'est  Maurisset  qui  fit  les  plus  beaux 
rébus.  Sur  sa  tombe,  Dantan  a  gravé  la 
mort  qui  hisse  une  poutre  :  mort-hisse- 
ais.  —  Elle  est  au  cimetière  de  Passy. 

C'est  un  nid  à  petits  documents  curieux 
et  inédits  ,  la  lecture  en  est  amusante  et 
l'œuvre  constate  une  longue  patience  d'in- 
vestigation. 

Ces  petites  monographies,  c'est  ce  que 
Nadar  appelait  de  la  petite  histoire,  de  la 
petite  histoire  des  mœurs,  et  elles  ne  se- 
ront pas  inutiles  aux  historiens  futurs  de 
notre  société.  Tout  ce  qu'on  fait,  si  on  le 
fait  bien  et  avec  suite,  est  profitable.  De 
quelle  utilité  serait  un  pareil  livre,  par 
exemple,  sur  la  ville  de  Rome  antique  ! 
Cet  ouvrage  documentaire  et  anecdotique 
a  sa  valeur,  son  intérêt,  son  utilité  même 
au  point  de  vue  de  l'histoire  générale.  Il 
est  édité  par  la  librairie  Flammarion. 


M.  Paul  Bluysen  a  consacré  au  Président 
de  la  République  une  monographie  docu- 
mentée et  illustrée  dans  Félix  Faure  intime 
(chez  Juven).  C'est  de  la  petite  histoire 
encore,  anecdotique,  vivante  et  utile. 
Nous  suivons  F.  Faure  depuis  son  enfance 
jusqu'à  ce  jour,  ce  qui  nous  donne  l'occa- 
sion d'aller  au  Havre,  à  l'Elysée,  à  Ram- 
bouillet, de  suivre  tous  les  voyages  prési- 
dentiels en  France  et  au  dehors.  On  nous 
le  montre  dans  l'intimité,  se  levant  tôt, 
actit  et  robuste,  sportif,  aimable  et  cor- 
rect. De  curieuses  photogravures  animent 
le  récit  joliment  conduit.  Et  ces  indiscré- 
tions me  remettent  en  mémoire  une  anec- 
dote. J'avais  écrit  une  histoire  du  chapeau 
haut  de  forme  dans  un  journal  illustré, 
dont  le  directeur  envoya  un  reporter  chez 
le  chapelier  de  Félix  Faure,  estimant  qu'il 
fallait  terminer  cet  historique  de  la  coif- 
fure par  le  couvre-chef  présidentiel,  sur  le- 
quel je  n'avais  pas  l'ombre  d'une  donnée. 
Le  reporter  qui  fut  envoyé  trouva  un  cha- 
pelier souriant  et  atTable  qui  lui  donna  les 
mesures  du  conformateur  présidentiel,  la 
largeur  des  bords,  le  nombre  de  chapeaux 
usés  par  an  et  autres  éléments  de  statis- 
tique. Le  directeur  mayant  demandé  la 
permission  de  glisser  ces  chiffres  dans 
mon  histoire  du  chapeau,  je  n'y  vis  pas 
d'inconvénient.  Hélas  !  mon  travail  sur  la 
coiffure  des  hommes  passa  assez  inaperçu, 
mais  les  chitfres  du  chapeau  présidentiel 
furent  aussitôt  happés  par  la  badauderie 
publique.  Ils  furent  implacablement  repro- 
duits par  deux  mille  journaux,  et  toujours 
avec  ma  signature,  ce  qui  était  un  honneur 
bien  usurpe  dont,  à  vrai  dire,  je  me  serais 


118 


LE   MOUVEMENT   LITTÉRAIRE 


volontiers  passé.  Sic  vos  non  vobis  !  Voilà 
du  moins  qui  est  d'un  bon  augure  pour  le 
livre  de  M.  Bluysen. 


Or  çà,  des  vers  ! 

En  voici  d'éloquents,  des  poésies  d'A- 
lexandre Parodi,  Vaincus  et  vainqueurs, 
chants  patriotiques  d'un  philhellénisme 
ardent,  précédés  d'une  intéressante  pré- 
face sur  la  poésie,  par  l'auteur  qui  déclare 
spirituellement  avoir  fait  aussi  sa  préface 
de  Cromwell,  devant  ce  volume  qui  pour- 
rait aussi  s'appeler  Orientales.  Cet  avant- 
propos  contient  des  choses  fort  judicieuses 
sur  divers  sujets,  et  on  ne  lira  pas  sans 
intérêt  ce  jugement  neuf  et  sincère  sur 
l'alliance  franco-russe  ;  il  donne  à  réflé- 
chir : 

Me  pardonnera-t-on  d'avoir  peu  admiré  le 
rôle  que  la  Russie  nous  a  fait  jouer  i\  sa 
suite?  et  d'avoir,  ce  qui  est  plus  hasardeux, 
trouvé  excessifs  nos  enthousiasmes  pour  son 
amitié?  Prodigue  de  fêtes  et  de  caresses, 
saluée  dans  toutes  nos  villes  comme  l'aube 
de  la  résurrection  attendue,  cette  alliance, 
qui  a  eu  tant  de  peine  à  s'avouer,  est  de- 
meurée jusqu'à  ce  jour  platonique  et  semble 
ne  nous  avoir  rouvert  les  portes  de  l'espé- 
rance que  pour  les  refermer  sur  le  traité  de 
Francfort.  11  est  vrai  qu'elle  a  rétabli  l'équi- 
libre politique  en  Europe  et  qu'elle  y  a  fait 
cesser  notre  long  isolement;  mais,  si  elle  n'a 
pour  objet  unique  que  de  consolider  la  paix, 
elle  sert  moins  nos  intérêts  que  ceux  de  l'Al- 
lemagne, dont  elle  assui^e  les  possessions  con- 
quises sur  nous.  Aujourd'hui  que  notre  puis- 
sance militaire  est  reconstituée,  la  paix  n'a 
peut-être  plus  de  raison  d'être  et  risque  de 
porter  atteinte,  en  se  prolongeant,  aux  qua- 
lités de  notre  race  :  elle  nous  déshabitue  des 
énergies  et  des  dévouements  mis  au  service 
de  la  patrie,  elle  nous  énerve,  nous  corrompt 
et  nous  divise.  Que  le  jeune  souverain  à  qui 
Paris,  dans  l'élan  de  sa  gratitude,  a  fait  un 
si  triomphal  accueil,  pardonne  à  un  poète, 
soucieux  avant  tout  de  la  grandeur  française, 
de  révéler  hautement,  sans  ambages  diplo- 
matiques, la  secrète  amertume  et  l'angoisse 
inavouée,  la  vraie  et  noble  cause  du  malaise 
de  ce  pays  que  la  prospérité  matérielle  ne 
saurait  contenter  :  la  France  n'a  plus  besoin 
de  paix,  elle  a  besoin  de  gloire. 

C'est  ce  ton  belliqueux  qui  éclate  en 
fanfare  sonore  dans  cette  épopée  des 
luttes  de  la  Grèce  contre  le  Turc.  Les 
vers  sont  sobres,  nets,  sans  acrobatie,  car 
l'auteur  de  Rome  vaincue  répudie  les  arti- 
fices et  les  virtuosités  du  tour  de  main,  et 


il  s'en  réfère  à  Lamartine  qui  a  stigmatisé 
cette  poésie. 

Se  dégradant  au  tour  de  force  comme  une 
danseuse  de  corde!  oubliant  le  sens  pour  ne 
s'occuper  que  des  mètres  ou  des  rimes  de 
leurs  compositions,  et  finissant  par  se  glorifier 
eux-niêmes  du  nom  de  funambules  de  la  poésie! 
Un  jeu  en  un  mot,  au  lieu  d'un  talent!  un 
effort,  au  lieu  d'une  grâce!  un  caprice,  au 
lieu  d'une  àme  !  une  profanation,  au  lieu  d'un 
culte!  un  sacrilège,  au  lieu  d'une  adoration 
du  bien  et  du  beau  dans  l'art. 

Aussi  ses  vers  sonnent  clair  et  beau, 
soit  qu'il  chante  la  Grèce,  soit  qu'il  im- 
plore la  France.  C'est  un  fort  beau  poème 
que  celui  du  Laurier  de  Tempe  sur  ce  motif 
d'Ottfried  Muller  : 

Tous  les  huit  ans,  Delphes  envoyait  une 
théorie  solennelle  couper  à  Tempe  une  branche 
de  laurier. 

11  débute  ainsi  par  ces  vers  imagés  et 
harmonieux  : 

Au  pied  du  sombre  Olympe  et  du  rebelle  Ossa, 
Parmi  les  flots  brillants  du  sonore  Pénée, 
Dans  l'antique  vallée  où  d'abord  il  poussa, 
Le  laurier  d'Apollon,  sous  sa  feuille  fanée. 
Ne  sentait  plus  frémir  la  serpe  au  manche  d'or 
Qui,  de  Delplies  venue,  écimait  son   branchage. 

Coronéos,  VEphèbe,  le  Stabat  mater  ont  du 
souflle  et  de  l'émotion.  La  guerre  de  Crète 
a  trouvé  dans  son  cœur  un  écho  dou- 
loureux et  pathétique.  L'antiquité  et  ses 
gloires  immortelles  lui  inspirent  de  belles 
périodes  : 

Où  sont  de  val  en  val  les  campagnes  dorées 
Et  dans  les  bois  riants  les  nymphes  adorées, 
Habitantes  de  l'arbre  aux  rameaux  embaumants 
Qui  mêlaient  leur  murmure  au    soupir   des  amants, 
Lorsque  leurs  yeux  rêveurs  dans   la  nuit  enchantée 
Suivaient  Diane  errant  sur  sa  sphère  argentée  ? 
Quelle  flamme  inconnue  a,  parmi  les  roseaux, 
Tari  l'âme  limpide  et  chantante  des  eaux? 
Terre  aride  est  la  vigne  oii  les  roses  vermeilles 
Buvaient  leur  frais  cristal  sous  le  pampre  des  treilles, 
Et  poussière  est  le  marbre  où  souriaient  les  Dieux, 
Hiérophantes  blancs  des  temples  radieux, 
Ils  sont  donc  morts  aussi,  les  immortels  !  Et,  sombre, 
La  Parque  a  dissipé  leurs  rayons  dans  son  ombre  ! 

Dans  toutes  ces  pages  passe  le  souffle 
vigoureux  des  haines  l^ien  senties  et  des 
impérissables  souvenirs. 

Lko    Claretie. 


CAUSERIE    SCIENTIFIQUE 


Le  siècle  ([ui  va  finir  aura  été  fécond  en 
inventions  merveilleuses;  cependant  une 
encore  manque  à  sa  gloire,  c'est  la  trans- 
mission des  images  à  distance.  Le  pro- 
blème n'est  pas  insoluble  et  bien  des  cher- 
cheurs sont  à  l'œuvre,  mais  la  solution  n'est 
pas  encore  complète.  Dans  une  des  der- 
nières séances  de  l'Académie  des  sciences, 
M.d'Arsonval  a  présenté  un  appareil,  ima- 
giné par  M.  Dussaud,  qui  donne  déjà  des 
résultats  encourageants,  sinon   complets. 

Comme  tous  les  inventeurs  qui  l'ont 
précédé  dans  cette  voie,  M.  Dussaud  a 
recours  au  sélénium,  substance  qui,  dans 
certaines  conditions  de  préparation,  a  la 
propriété  d'être  plus  ou  moins  conductrice 
de  l'électricité,  suivant  qu'elle  est  plus  ou 
moins  éclairée.  Du  moment  que  les  inten- 
sités lumineuses  peuvent  être  transformées 
en  intensités  électriques,  on  entrevoit  la 
possibilité  de  transmettre  au  loin  l'image 
d'un  objet  au  moyen  d'un  fil  conducteur; 
mais  il  faut  trouver  le  dispositif  approprié 
et  cela  n'est  pas  aussi  simple  que  cela  en 
a  l'air.  MM.  Aryton  et  Perry  ont  essayé, 
il  y  a  une  vingtaine  d'années,  le  moyen 
suivant  :  dans  un  circuit  électrique  com- 
posé d'un  fil  reliant  une  pile  à  un  galvano- 
mètre, on  interpose,  en  un  certain  endroit 
représentant  le  poste  transmetteur,  une  ré- 
sistance au  sélénium  convenablement  pré- 
parée ;  le  galvanomètre  représente  le  poste 
récepteur  et  peut  être  placé  à  une  distance 
quelconque.  Son  aiguille  dévie  d'autant 
plus  que  le  sélénium  est  plus  éclairé  et  il 
est  facile  d'imaginer  un  dispositif  par 
lequel  on  utilise  celte  déviation  pour 
démasquer  plus  ou  moins  une  petite  ouver- 
ture par  laquelle  tend  à  passer  un  rayon 
lumineux,  provenant  d'une  source  quel- 
conque, pour  aller  se  projeter  sur  un 
écran.  Ayant  ainsi  la  possibilité  de  trans- 
mettre l'image  d'un  point,  il  fallait,  pour 
en  transmettre  plusieurs,  disposer  d'autres 
circuits,  composés  comme  le  premier;  en 
plaçant  toutes  les  résistances  l'une  près  de 
l'autre,  de  façon  à  former  un  plan  placé  au 
fond  d'une  chambre  noire,  on  pouvait  y 
projeter  au  moyen  d'une  lentille  limage  de 
l'objet  à  représenter,  et  au  poste  récepteur 
le  galvanomètre  correspondant  à  chaque 
point  démasque  plus  ou  moins  l'ouverture 
donnant  passage  au  rayon  lumineux  local. 
En  pratique,  cela  devenait  d'une  instal- 
lation fort  difficile,  pour  ne  pas  dire  im- 
possible, et  on  abandonna  l'idée 

M.  Dussaud  a  tourné  la  difficulté  d'une 
façon  très  heureuse  et,  bien  que  son 
système  ne  soit  encore  qu'à  l'état  d'étude, 
il  a  donné  des  résultats  qui  méritent  d'être 
signalés.    Il   a   remplacé    le    galvanomètre 


par  le  téléphone,  qui  est  un  instrument 
infiniment  plus  sensible  et  plus  apte  à  tra- 
duire les  plus  petites  variations  du  courant 
électri(j[ue;  sous  l'inlluence  de  ce  dernier 
sa  plaque  vibre  et  se  déplace  de  quantités 
infiniment  petites,  mais  toujours  propor- 
tionnelles à  son  intensité.  En  outre,  il  ne 
se  sert  que  dune  seule  résistance  au  sélé- 
nium. Son  appareil  se  compose  en  prin- 
cipe, au  poste  transmetteur  (fig.  1),  d'une 
chambre  noire  avec  objectif  O  et  prisme  P 


Fig.  1.  —  Principe  de  l'appareil  de  M.  Dussaud 
pour  essais  de  transmission  des  images  à  dis- 
tance. —  Transmetteur. 

0  objectif,  P  prisme  reiii-essaiit  l'image,  S  résistance  au 
sélénium  intercalée  dans  le  circuit  électrique  E  B, 
M  mécanisme  d'horlogerie  imprimant  un  mouvement 
régulier  au  disque  D,  aj  fils  de  ligne  se  rendant  au 
récepteur. 


destiné  à  redresser  l'image;  au  fond  se 
trouve  la  résistance  au  sélénium  S  devant 
laquelle  tourne  un  disque  D  animé,  par  un 
mécanisme  d'horlogerie  M,  d'un  mouve- 
ment régulier  de  rotation  et  percé  de  trous 
disposés  de  telle  sorte  que  tous  les  points 
de  l'image  viennent  successivement  frapper 
la  résistance  S.  Celle-ci  est  intercalée  dans 
le  circuit  formé  par  une  pile  E  et  une 
bobine  d'induction  B  :  c'est  la  disposition 
employée  pour  toutes  les  installations 
téléphoniques.  Au  poste  récepteur  fig.  2), 
se  trouve  le  téléphone  à  la  membrane  du- 
quel est  attachée  une  petite  plaque  métal- 
lique P  percée  de  fentes  étroites,  à  côté 
de  laquelle  se  trouve  une  plaque  fixe  F 
identique;  au  repos,  les  fentes  des  deux 
plaques  ne  sont  pas  en  face  lune  de  l'autre 
et  le  faisceau  de  lumière  D  envoyé  sur 
elles,  par  l'ouverture  de  la  chambre  où 
elles  sont  enfermées,  ne  peut  passer.  Mais 
si  la  membrane  du  téléphone  vient  à  se 
déplacer,  l'écran  qu'elle  porte  se  déplace 
aussi,  ses  fentes  tendent  à  se  placer  en 
regard  de  celles  de  l'écran  fixe  et  la 
lumière  passe  plus  ou  moins  suivant  la 
position  respective  des  fentes.  Cette  lumière 
est  de  nouveau  interceptée  par  un  disque 
identique  à  celui  du  transmetteur;  les 
trous   dont   il   est    percé   doivent   avoir   à 


120 


CAUSERIE    SCIENTIFIQUE 


chaque  inslanl  la  même  posilion  que  ceux 
de  ce  dernier  et  permettre  d'éclairer  suc- 
cessivement toute  la  surface  de  l'écran 
récepteur  E;  en  ayant  soin  que  chaque 
point  se  succède  à  un  intervalle  inférieur 
à  1/10  de  seconde,  la  persistance  des 
impressions  sur  la  rétine  suffit  pour  que 
l'œil  perçoive  en  même  temps  tous  les 
points  qui  forment  l'image.  Un   tel  appa- 


Récepteur. 


D  faisceau  de  lumière  artificielle  frappant  la  plaque  mé- 
tallique P  percée  de  fentes  et  attacùée  à  la  membrane 
d'un  téléphone,  F  plaque  fixe  également  percée  de 
fentes.  L  disque  identique  à  celui  du  transmetteur,  H 
objectif  avec  prisme  projetant  l'image  sur  l'écran  E. 


reil  présente  de  grandes  difficultés  d'exé- 
cution et  M.  Dussaud  n'est  pas  encore 
arrivé  à  le  réaliser  d'une  façon  tout  à  fait 
satisfaisante;  mais,  d'après  la  note  com-^ 
muniquée  à  l'Académie  des  sciences,  il 
est  parvenu  malgré  cela  à  transmettre 
l'image  d'objets  de  forme  simple,  très 
éclairés,  et  on  peut,  même  s'ils  sont  en 
mouvement,  reconnaître  leur  forme  avec 
plus  ou  moins  de  facilité  au  poste  récep- 
teur. Ces  résultats,  tout  incomplets  qu'ils 
soient,  n'en  sont  pas  moins  fort  intéressants 
et  doivent  être  signalés,  ne  serait-ce  que 
pour  montrer  la  possibilité  d'arriver  à  une 
solution. 


Un  autre  problème,  mais  insoluble  ce- 
lui-là ,  auquel  de  malheureux  inventeurs 
persistent  à  s'acharner,  c'est  le  mouve- 
ment perpétuel.  On  ne  fera  jamais  entrer 
dans  certaines  têtes  que  tous  les  principes 
de  la  physique  et  de  la  mécanique  s'oppo- 
sent à  sa  réalisation;  il  y  a,  il  est  vrai, 
des  circonstances  atténuantes.  Nous  avons 
reçu  dernièrement  une  lettre  qui  nous  en- 
gage h  dire  quelques  mots  à  ce  sujet  : 
un  jeune  inventeur,  mécanicien  de  son 
état,  nous  signale  une  pendule  qu'on  voit 
en  ce  moment  chez  un  horloger  de  la  rue 
de  Rivoli  et  qui,  il  en  est  convaincu,  est 
la  solution  du  fameux  problème  ;  lui  aussi 
avait  eu  la  même  idée,  mais  il  n'a  pu  con- 


struire ^'appareil.  Comment  se  fait-il  que 
les  journaux  spéciaux  soient  restés  muets 
devant  une  aussi  belle  découverte?  Au  pre- 
mier abord,  cette  pendule  parait,  en  elTel, 
être  mue  par  une  grande  roue  à  aubes,  sur 
laquelle  tombent  des  billes  ;  lorsqu'elles 
abandonnent  la  roue,  après  l'avoir  fait  tour- 
ner d'une  certaine  quantité,  elles  suivent 
un  couloir  qui  les  conduit  à  une  chaîne  à 
godets,  mue  par  la  roue  elle-même,  qui  les 
remonte  à  leur  point  de  départ.  C'est  très 
séduisant  d'aspect,  mais  nous  avons  ré- 
pondu à  notre  jeune  inventeur  que,  même 
sans  avoir  démonté  la  machine,  nous  étions 
absolument  sûr  qu'il  y  a  un  ressort  caché 
qui  met  tout  en  mouvement  et  que  les 
billes,  qui  semblent  tout  faire,  ne  sont  là 
que  comme  accessoires.  Rien  d'étonnant  à 
ce  qu'un  jeune  homme  s'arrête  à  des  exem- 
ples de  ce  genre,  quand  des  esprits  qu'on 
devrait  considérer  comme  sérieux,  en  rai- 
son des  diplômes  dont  ils  sont  pourvus, 
patronnent  des  inventions  qui  ne  sont  pas 
réalisables.  Nous  en  avons  eu  un  exemple 
il  y  a  une  quinzaine  d'années  ;  il  nous  est 
tombé  sous  la  main  un  prospectus  destiné 


Fig.  3.  —  Un  faux  mouvemeut  perpétuel. 

V  vessie  pleine  d'air  plongeant  dans  l'eau,  A  vessie  vide, 
R  robinet  fermant  le  tube  qui  les  relie,  P  plateau 
guidé  portant  des  poids.  Malgré  le  faible  effort  déployé 
pour  enfoncer  la  vessie  au  fond  du  vase  plein  d'eau, 
lorsqu'on  ouvre  le  robinet  les  poids  sont  soulevés.  Ou 
dispose  ainsi  d'une  grande  force  et  on  on  dépense  une 
petite  (mais  il  ne  faut  pas  oublier  les  chemins  par- 
courus). 


à  réunir  les  fonds  nécessaires  à  la  construc- 
tion d'un  moteur  merveilleux,  qui  n'était 
autre,  en  somme,  qu'un  mouvement  per- 
pétuel. Parmi  les  membres  du  comité  d'ini- 
tiative, nous  avons  été  fort  surpris  de  trou- 
ver les  noms  d'ingénieurs,  d'anciens  élèves 
de    l'Ecole    polytechnique,    d'officiers    de 


CAUSERIE    SCIENTIFIQUE 


121 


marine,  de  médecins,  elc.  Or,  voici  l'ex- 
périence à  latjuelle  l'inventeur  conviait  les 
l'ulurs  souscripteurs  :  dans  un  vase  pro- 
fond (fig-.  .<),  il  enfonçait  sans  effort  une 
vessie  gonllée  dair  montée  à  l'exlrémité 
d'un  tube  fermé  par  un  robinet  ;  près  de 
celui-ci,  h  l'autre  extrémité  du  tube, 
était  fixée  une  autre  vessie  dégonflée,  sur 
lacjuelle  reposait  un  plateau  portant  des 
poids  représentant  un  nombre  respec- 
table de  kilogrammes.  11  ouvrait  alors 
le  robinet  et  l'air  passait  d'une  vessie 
à  l'autre,  soulevant  les  poids  de  quelques 
centimètres.  Il  ne  restait  plus  qu'à  con- 
struire la  macliine  qui  devait  faire  auto- 
matiquement ces  opérations  et  on  faisait 
remarquer  qu'une  très  majeure  partie  de 
la  puissance  qui  avait  soulevé  les  poids 
restait  disponible,  puisqu'il  avait  suffi  d'un 
faible  effort  pour  enfoncer  la  vessie.  On 
oubliait  seulement  une  chose  :  c'est  le 
chemin  parcouru.  Les  poids  se  soulevaient 
de  quelques  centimètres,  la  vessie  gonflée 
était  enfoncée  à  1"',:>0  dans  le  vase  et  on 
disposait  en  réalité  du  poids  de  la  colonne 
d'eau  qui  pesait  sur  elle  1  Inutile  d'ajouter 
que  la  machine  ne  fut  jamais  construite  ; 
mais  de  tels  exemples  sont  bons  à  con- 
naître pour  se  mettre  en  garde  contre  les 
chercheurs  de  mouvement  perpétuel ,  si 
bien  patronnés   qu'ils  soient. 


On  est  arrivé  aujourd'hui  à  liquéfier  tous 
les  gaz  ;  le  plus  réfractaire  de  tous,  l'hydro- 
gène, a  cédé,  le  10  mai  dernier,  aux  in- 
stances de  M.  Dewar  qui  le  taquinait 
depuis  quelques  mois  et  qui  est  arrivé  à 
ce  résultat  en  le  comprimant  à  180  atmo- 
sphères, à  la  température  de  20o  degrés 
au-dessous  de  zéro.  Il  ne  s'en  est  pas  tenu 
à  une  simple  expérience  de  laboratoire, 
donnant  quelques  gouttes  de  liquide  ;  son 
appareil  permet  d  en  fabriquer  plus  d'un 
litre  en  dix  minutes.  C'est  un  liquide 
incolore  qui  s'évapore  assez  facilement, 
mais  pas  assez  cependant  pour  qu'on  ne 
puisse  l'étudier  à  son  aise.  Il  y  a  déjà 
quelque  temps  que  M.  Dewar  était  arrivé 
au  même  résultat  pour  l'air  et,  depuis, 
M.  Linde  en  Allemagne ,  M.  Tripler  en 
Amérique,  obtiennent  l'air  liquide  en 
grande  quantité.  En  France,  on  monte  en 
ce  moment  les  appareils  de  M.  Linde,  au 
Collège  de  France,  dans  le  laboratoire  de 
M.  d'Arsonval,  et  on  va  pouvoir  étudier 
ses  curieuses  propriétés.  Au  sortir  de  l'ap- 
pareil, l'air  liquide  est  recueilli  dans  des 
vases  entourés  de  feutre;  ou  mieux, formés 
dune  double  enveloppe  dans  laquelle  on 
a  fait  le  vide  de  manière  à  l'isoler  autant 
([ue  possible  de  la  température  ambiante. 
Dans  ces  conditions,  une  dizaine  de  litres 
de  liquide  mettent  dix  à  douze  heures  à 


s'évaporer.  Si  on  le  laisse  séjourner  quel- 
ques minutes  dans  une  casserole  en  fonte, 
la  température  extrêmement  basse  à 
laquelle  elle  se  trouve  portée  la  rend  tel- 
lement friable  qu'elle  se  brise  en  mille 
morceaux  au  moindre  choc  (fig.  4,  n"  2  . 
En  contact  avec  la  peau,  il  y  aurait  désor- 
ganisation des  tissus,  c'est-à-dire  bri^dure 
intense,  et  cependant  on  peut  tremper  la 
main  dans  l'air  liquide  sans  danger,  si  elle 
est  un  peu  moite.  11  se  passe  alors  un  phé- 
nomène analogue  à  celui  bien  connu  de  la 
fonte  en  fusion  dans  laquelle  on  peut 
tremper  la  main  mouillée  :  l'eau  se  trans- 


Fig.  4.  —  Liquéfaction  de  l'air. 

forme  immédiatement  en  vapeur  et  forme 
de  petits  globules  qui  empêchent  le  con-- 
tact  avec  la  peau  ;  mais  dans  un  cas  comme 
dans  l'autre,  il  ne  faudrait  pas  prolonger 
l'épreuve  et  nous  pensons  même  qu'il  se- 
rait préférable  de  ne  pas  la  faire.  Le 
Scientific  American  nous  signale  une  série 
d'expériences  très  curieuses  qui  seront 
reproduites  en  France  avant  peu.  On  sa- 
vait déjà  que  l'oxygène  est,  comme  le  fer, 
influencé  par  l'aimant  ;  on  le  constate 
d'une  façon  très  nette  avec  l'air  liquide, 
qui  est  naturellement  un  mélange  d'azote 
et  d'oxygène  ;  si  on  approche  un  électro- 
aimant du  tube  qui  le  renferme,  il  est 
dévié  de  sa  position  ifig.  4,  n"  1)  et  il  s'y 
colle  même,  comme  le  ferait  un  morceau 
de  fer,  si  on  l'en  approche  suffisamment. 
Avant  de  reprendre  sa  forme  gazeuse,  l'air 
liquide  passe  par  l'état  de  vapeur  et 
celle-ci  étant,  contrairement  à  celle  de 
l'eau,  plus  lourde  que  l'air  atmosphérique, 
on  la  voit  former  une  sorte  de  cascade 
par-dessus  les  bords  du  vase  fig.  4,  n"  3j. 
Mais  le  phénomène  le  plus  curieux  qu'on 
puisse  voir,  c'est  le  feu  formant  la  neige. 
Un  charbon  incandescent  plongé  dans 
l'air  liquide  continue  à  brûler,  puisqu'il  se 
trouve    en  présence   de   l'oxygène;     mais 


122 


CAUSERIE    SCIENTIFIQUE 


cette  combustion  dégage  du  gaz  acide  car- 
bonique qui  se  liquéfie  et  se  solidifie  à 
une  température  beaucoup  moins  basse 
que  l'air;  on  voit  donc  la  neige  d'acide 
carbonique  se  former  à  l'extrémité  incan- 
descente du  charbon  (fig.  4,  n"  4).  Une 
conquête  reste  encore  à  faire,  c'est  la  so- 
lidification de  l'air  et  de  l'hydrogène  ;  il 
n'y  a  pas  de  raison  pour  qu'on  n'y  arrive 
pas.  On  obtiendra  peut-être  alors  le  zéro 
absolu  :  —  273  degrés,  point  extrême  où 
le  calcul  indique  qu'il  n'y  a  plus  de  cha- 
leur du  tout. 


Parmi  les  forces  énormes  qui  sont  dis- 
ponibles dans  la  nature,  nous  ne  savons 
guère  utiliser  que  les  cours  d'eau.  Le  vent 
est  à  peine  employé,  le  mouvement  de  la 
marée  très  peu,  le  mouvement  des  vagues 
pas  du  tout;  et  cependant  il  y  a  là  un  joli 
lot  de  kilogrammètres  en  réserve.  On 
n'est  pas  certainement  sans  s'en  être  déjà 
aperçu  et  quelques  tentatives  ont  été 
faites,  parfois  avec  un  certain  succès  ; 
mais  nous  croyons  que  si  on  n'y  a  pas  donné 
suite,  c'est  que  cette  force,  toujours  irré- 
gulière et  localisée  à  des  endroits  où  les 
constructions  sont  difficiles,  ne  trouvait 
pas  son  emploi  sur  place.  Aujourd'hui  où 
le  transport  de   force   par    l'électricité  est 


Fig.  5.  —  Utilisation  du  mouvement  des  vagues. 

Appareil  fonctionnant  depuis  un  an  en  Californie.  Le 
mouvement  des  flotteurs  actionne  une  pompe  qui 
refoule  de  l'eau  et  de  l'air  dans  un  réservoir.  Cette 
eau  est  ensuite  employée  sur  une  roue  Pelton  qui 
actionne  une  dynamo  servant  à  l'éclairage. 


chose  courante,  il  serait  temps  d'y  revenir 
et  c'est  ce  que  vient  de  faire  une  Société 
américaine  dans  l'Etat  de  Californie.  On  a 
établi  sur  un  warf  s'avançant  de  110  mè- 
tres dans  la  mer  trois  flotteurs  (fig.  ">)  de 
3  mètres  de  côté,    se  terminant   par  des 


tiges  verticales  guidées  de  façon  que  la 
vague  leur  fasse  accomplir  un  mouve- 
ment de  montée  et  de  descente.  Le  plus 
petit    déplacement  est  de  15  centimètres, 


Fig.  G.  —  Roue  Pelton  utilisant  l'eau  sous  pres- 
sion et  remplaçant  sous  un  très  petit  volume  les 
roues  à  augets  de  grand  diamètre. 

le  plus  grand  de  2'",r)0  ;  la  moyenne  de  fré- 
quence des  vagues  est  de  3  à  5  par  mi- 
nute. Par  un  mécanisme  approprié  on  a 
relié  ces  tiges  à  une  pompe  qui  refoule 
l'eau  dans  un  réservoir  hermétiquement 
clos,  de  telle  sorte  qu'à  mesure  que  l'eau 
y  entre,  elle  comprime  l'air  qui  se  trouve 
en  dessus.  On  dispose  alors  d'eau  sous 
pression  qui  est  employée  à  faire  tourner 
une  roue  Pelton  attelée  à  une  dynamo  ; 
jusqu'à  présent  on  n'a  utilisé  le  courant 
qu'à  allumer  quelques  lampes.  La  moyenne 
de  la  puissance  motrice  dont  on  dispose 
est  de  2  à  4  chevaux  ;  mais  la  dépense 
d'installation  a  été  seulement  d'une  dizaine 
de  mille  francs  et  la  Compagnie  estime 
qu'avec  une  installation  plus  importante 
on  pourrait  obtenir  une  puissance  qui  re- 
viendrait à  6.')  francs  par  an  et  par  cheval, 
ce  qui  fait  moins  de  20  centimes  par 
jour.  Avec  un  moteur  relativement  faible 
on  ne  peut  guère  songer  qu'à  charger  des 
accumulateurs  ;  mais  si  on  disposait  de  plu- 
sieurs centaines  de  chevaux,  on  pourrait 
distribuer  à  distance  l'énergie  électrique 
produite  surplace. 

Nous  avons  parlé  tout  à  l'heure  de  la 
roue  Pelton,  ce  n'est  pas  une  invention 
nouvelle;  ses  premières  applications  re- 
montent à  une  quinzaine  d'années,  mais 
elle  est  assez  peu  connue.  Le  principe  de 
cette  roue  consiste  à  utiliser  l'eau  animée 
d'une  grande  vitesse,  comme  quand  elle 
tombe  de  5  à  600  mètres  de  haut  ou  qu'elle 
est  chassée  par  l'air  comprimé  ;  elle  porte 
sur  sa  circonférence  (fig.  G)  des  palettes 
en  forme  de  cuvettes,  avec  une  arête 
coupante  au  milieu.  L'eau,  en  sortant  de 
l'ajutage,  qu'on  règle  avec  un  robinet 
comme  une  lance   d'arrosage,    frappe   ces 


CAUSEKIE    SCIENTIFIQUE 


12.» 


paloltes  cl  tombe  après  Icuravoir  commu- 
niqué la  vitesse  dont  elle  est  animée. 
L'installation  de  ce  type  de  roue  est  très 
élémentaire;  sa  puissance  varie  avec  le 
diamètre  et  avec  la  vitesse  d'arrivée  de 
l'eau,  mais  elle  est  déjà  avantageuse  avec 
une  chute  de  ('>  mètres. 

On  en  construit  (jui,  avec  seulement 
0"',1,^>  de  diamètre,  ont  une  puissance  de 
plusieurs  chevaux  ;  les  plus  grandes  n'ont 
pas  "2  mètres.  Elles  remplacent  avantageu- 
sement les  roues  h  augets  avec  eau  en 
dessus  qui,  pour  produire  la  même  puis- 
sance, doivent  avoir  des  dimensions  dix 
fois  plus  grandes  et  nécessitent  des  frais 
d'installation  très  considérables.  Une  roue 
Pelton  de  0™,90  pesant  80  kilogrammes 
produit  100  chevaux  avec  une  chute  de 
()00  mètres;  elle  tourne  à  la  vitesse  de 
1  UiO  tours  à  la  minute.  Un  moteur  à  au- 
gets n'utiliserait  pas  la  force  vive  de  la 
chute,  mais  seulement  le  poids  de  l'eau 
sur  un  bras  de  levier  qui  ne  dépend  que  du 
diamètre  de  la  roue;  dans  certains  cas  on 
est  quelquefois  amené  à  le  portera  20  mè- 
tres, comme  cela  eut  lieu  dans  une  cer- 
taine mine  d'Irlande,  où  cette  construc- 
tion gigantesque  est  un  véritable  objet  de 
curiosité. 

Puisque  nous  parlons  de  roues  hydrau- 
liques, disons  qu'on  pourrait  plus  souvent, 
nous  semble-t-il,  utiliser  sans  grande  dé- 
pense les  cours  d'eau  rapides  en  y  plaçant, 
comme  cela  se  pratique  souvent  sur  le 
Danube,  des  roues  à  palettes  montées  sur 
des  bateaux  amarrés  à  la  rive  ;  c'est  tou- 
jours grâce  à  l'électricité  que  ce  serait 
avantageux  :  une  dynamo  tient  fort  peu  de 
place  et  l'énergie  électrique  qu'elle  en- 
gendre se  transmet  n'importe  où  au  moyen 
d'un  simple  fil  sur  des  poteaux  ;  c'est  cer- 
tainement par  son  intermédiaire  que  nous 
arriverons  à  asservir  peu  à  peu  toutes  les 
forces   de  la  nature. 


Bien  que  l'automobilisme  soit  à  l'ordre 
du  jour,  il  y  a  encore  des  gens  qui  aiment 
h  employer  des  moyens  de  transport  plus 
élémentaires,  et  voici  un  sport  peu  connu 
imaginé  par  quelques  désœuvrés  qui  pas- 
sent leur  hiver  en  Suisse  pour  cause  de 
santé;  ils  parcourent  une  piste  de  neige 
en  pente,  ce  qui  est  facile  à  trouver  dans 
ce  pays,  sur  un  traîneau  de  forme  spéciale 
où  l'on  est,  non  pas  assis,  mais  couche  à 
plat  ventre,  et  dont  l'origine  est  due,  pa- 
raît-il, aux  sauvages  canadiens  ;  mais  on  a 
perfectionné  l'instrument  en  le  rendant 
plus  léger  et  plus  confortable,  si  tant  est 
qu'on  puisse  demander  du  confort  dans 
une  telle  position.  C'est  une  sorte  de  dou- 
ble patin  qui  supporte  un  bâti  de  1™,50 
de  long  sur  0™,40  de  large,  sur  lequel  est 


cloué  un  matelas  léger  où  l'on  sl'  couche 
la  tête  en  avant  (fig.  7);  les  jambes  dé- 
passent un  peu,  de  façon  à  permettre  de 
loucher  le  sol  avec  la  pointe  des  pieds, 
soit  pour  activer,  soit  pour  retarder  la 
marche  ou  donner  la  dircclion.  11  paraît 
que  ce  sport  est  remjili  d'altrait  cl  (ju'on 
arrive  à  parcourir  le  kilomètre  à  la  minute, 
comme  certaine  voilurette  automobile; 
mais  au  moins  si  on  risque  un  peu  sa  tête, 


^^à;*  ^,*M?<»^,..i 


Fig.  7.  —  Traîneau  employé   pour  descendre  des 
pentes  neigeuses,  aménagé  pour  ce  nouveau  sport. 

on  ne  gêne  personne,  car  on  est  loin  des 
grandes  routes. 


La  médecine  vétérinaire  vient  de  s'en- 
richir d'un  nouveau  vaccin.  MM.  Nocard 
et  Roux  sont  parvenus,  après  une  série  de 
recherches  qui  remontent  à  plus  de 
deux  ans,  à  découvrir  et  asservir  le  mi- 
crobe de  la  péripneumonie  bovine,  qui 
cause  des  pertes  énormes  à  l'agriculture, 
car  on  est  obligé,  pour  enrayer  la  maladie, 
d'abattre  toutes  les  bêtes  atteintes,  sans 
tenter  aucune  chance  de  guérison.  Le  mi- 
crobe est  tellement  petit  ({uc,  jusqu'à  pré- 
sent, il  avait  échappé  à  tous  les  yeux,  et 
ce  n'est  qu'avec  un  grossissement  de 
2  000  diamètres  qu'on  est  parvenu  à  le 
voir.  Cela  ne  suffisait  pas,  il  fallait  le  cul- 
tiver pour  en  faire  des  vaccins  atténués, 
et  ceci  présentait  de  grandes  difficultés, 
attendu  que  les  petits  animaux  tels  que  le 
chien,  le  lapin,  le  cobaye,  qui  sont  ordi- 
nairement les  premiers  éléments  de  ce 
genre  de  travaux,  sont  réfractaires  à  la 
maladie.  On  est  arrivé  cependant  à  l'ino- 
culer au  lapin  par  un  artifice  assez  curieux 
qui  consiste  à  enfermer  le  liquide  pulmo- 
naire dans  une  capsule  de  coUodion  ;  dans 
ces  conditions,  le  microbe,  à  l'abri  des 
globules  du  sang,  se  développe,  puis  filtre 
à  travers  le  collodion  et  se  répand  dans 
l'organisme  du  lapin.  Mais  ce  moyen  un 
peu'détourné  n'était  pas  très  pratique  pour 
avoir  du  vaccin  en  quantité  suffisante,  et, 
depuis,  MM.  Nocard  et  Roux  ont  découvert 
une  méthode  d'ensemencement  dans  un 
milieu   convenable    et    plus    facile  à    sur- 


124 


CAUSERIE    SCIENTIFIQUE 


veiller  que  le  ventre  du  lapin.  Voici  donc 
encore  une  nouvelle  con([uète  due  à  la 
méthode  de  notre  grand  Pasteur  :  ses 
élèves  sont  dignes  de  lui. 


On  ne  verra  peut-être  plus  de  piétons 
au  XX''  siècle,  ceux  qui  n'auront  pas  leur 
automobile  ou  leur  bicyclette  s'attache- 
ront des  roulettes  aux  pieds  ;  on  rencontre 
déjà  au  bois  de  Boulogne  des  amateurs 
de  ce  nouveau  mode  de  locomotion.  L'an- 
cien patin  à  roulettes  est  détrôné  ;  aussi 
bien  il  ne  pouvait  servir  qu'en  chambre, 
une  surface  absolument  plane  lui  étant 
indispensable  à  cause  de  ses  trois  rou- 
lettes de  très  petit  diamètre.  Aujourd'hui 


Fig.  8.  —  Patins  portant  deux  roues  garnies  de 
caoutchoucs  creux  et  permettant  de  courir  sur 
les  routes  ordinaires. 

on  a  imaginé  de  lui  donner  deux  roues 
seulement,  mais  on  les  place  l'une  devant 
l'autre,  ce  qui  le  rend  tout  à  fait  analogue 
au  patin  à  glace  ;  de  plus,  on  leur  donne  un 
diamètre  de  0™,lu  à  U"',20  et  on  les  garnit 
de  caoutchouc  creux  comme  les  bicyclettes. 
Elles  sont  montées  (fig.  8;  sur  une  arma- 
ture en  acier  de  0'",.S0  de  long,  qui  se  fixe 
aux  chaussures  par  des  courroies.  On  peut, 
parait-il,  faire  de  i'I  à  20  kilomètres  à  l'heure 
sur  une  bonne  route,  c'est  une  machine  à 
courir;  mais  il  est  probable  qu'on  se  fa- 
tigue  plus   vite   que   sur    une    bicyclette. 


Les  allumettes  de  la  régie  sont  deve- 
nues légendaires  et  font  depuis  longtemps 
le  sujet  de  plaisanteries  faciles  ;  mais  cela 
va  changer.  On  sait  que  la  fabrication  au 
phosphore  blanc  est  très  nuisible  aux  ou- 
vriers, chez  lesquels  il  produit  une  attaque 
du  système   osseux.  Depuis  longtemps  on 


cherchait  une  substance  qui  pût  rempla- 
cer le  phosphore  blanc  sans  présenter  ses 
dangers;  mais  tous  les  essais  faits  dans 
cette  voie,  même  ceux  qu'une  expérience, 
peut-être  un  peu  hâtive,  avait  fait  consi- 
dérer comme  un  triomphe  de  la  science, 
ont  échoué  pitoyablement  dès  qu'on  a 
voulu  entrer  dans  la  fabrication  pratique. 

Deux  ingénieurs  des  manufactures  de 
l'Etat,  MM.  Sévène  et  Cahen,  se  sont  mis 
à  l'œuvre  et,  après  de  patientes  et  labo- 
rieuses recherches,  sont  arrivés  à  trouver 
une  nouvelle  pâte  à  base  de  sesquisulfure 
de  phosphore.  Sous  celte  forme,  le  phos- 
phore conserve  toutes  ses  qualités  et  peut 
se  manipuler  sans  répandre  de  vapeurs. 
Nous  avons  reçu  de  la  manufacture  de  Tré- 
lazé  quelques  boites  d'échantillon  de  la 
nouvelle  fabrication;  elles  sont  en  tout 
semblables  à  celles  déjà  connues,  qu'on 
vend  Ofr.  0^)C.,  et  elles  seront  du  même 
prix,  mais  elles  portent  une  étiquette  avec 
les  lettres  S.  C,  initiales  des  deux  inven- 
teurs. 

Comparativement,  il  y  a  à  l'odorat  une 
très  notable  difi'érence  avec  les  anciennes 
boites  qui  dégagent  une  odeur  accentuée 
de  phosphore.  A  l'usage  nous  devons  dé- 
clarer que,  sur  douze  boites,  nous  n'avons 
pas  eu  un  raté  et  nous  avons  essayé  le 
frottement  sur  des  surfaces  et  dans  des 
conditions  très  différentes  ;  ces  allumettes 
prennent  feu  même  après  avoir  été  mouil- 
lées, ce  qui  va  reléguer  bien  loin  les  vieilles 
légendes  sur  l'incombustibilité  des  allu- 
mettes de  la  régie. 


Nous  nous  souvenons  avoir  vu  dans  une 
féerie  un  personnage  qui  avait  les  oreilles 
tellement  fines  qu'il  entendait  l'herbe 
pousser  ;  nous  ne  savons  pas  si  le  mi- 
crophone permettra  jamais  d'atteindre  ce 
résultat,  qui,  en  somme,  serait  de  peu 
d'intérêt  ;  mais  le  microscope  peut  nous 
faire  assister  à  la  germination  d'une 
graine.  Pour  cela,  dit  la  Vie  scientifique, 
il  suffit  de  prendre  une  graine  de  millet, 
d'en  découper  une  fine  tranche  et  de  la 
placer  entre  deux  verres  sous  le  micro- 
scope. On  met  l'instrument  au  point  et  on 
fait  glisser  une  goutte  d'eau  sous  le  verre, 
de  manière  qu'elle  soit  absorbée  par  la 
graine.  Aussitôt  on  voit  une  série  de  fibres 
en  spirale  s'étendre  dans  toutes  les  direc- 
tions et  donner  l'apparence  d'une  véritable 
germination. 

G.    Mareschal. 


Les  renseigneme7its  de  cet  article  sont  donnés  au  point  de  vue  scientifique  et   en  dehors  de  toute  réclame.  Aussi  il  ne 
sera  pas  répondu  aux  demandes  d'adresses  ou  de  renseignements  commerciaux. 


EVENEMENTS    GEOGRAPHIQUES 

ET    COLONIAUX 


...  El  les  Ira  vaux  de  In  Commission  anglo- 
française  continuaient. 

C'ettc  commission  a  mission,  vous  le 
savez,  de  préparer  le  partage  des  terri- 
toires de  la  boucle  du  Niger.  Prévue  par 
un  accord  du  r>  janvier  189(),  elle  s'est 
réunie  le  27  octobre  1897.  Depuis  lors,  elle 
a  «  travaillé  activement»;  le  ministre  des 
alTaires  étrangères  l'a  solennellement  dé- 
claré à  la  tribune,  le  1'^''  mars  dernier. 
Aussi  bien,  a-t-on  vu  la  preuve  de  la 
parole  ministérielle  dans  l'annonce,  non 
de  la  terminaison  des  travau.^,  mais  de  la 
maladie  de  plusieurs  commissaires,  sur- 
menés assurément.  «  L'Afrique  a  été  créée 
pour  être  la  plaie  des  ministères  des  af- 
faires étrangères  »,  disait  au  dernier  ban- 
quet du  Guild-Hall  lord  Salisbury  ;  voici 
qu'elle  met  sur  le  flanc  nos  diplomates. 

C'est  fâcheux  pour  les  diplomates;  cela 
pourrait  bien  l'être,  au  surplus,  pour  nous 
tous.  Quand  le  négociateur  s'alite,  c'est  la 
négociation,  souvent,  qui  est  la  malade. 
On  ne  saurait  mettre  en  doute  l'indisposi- 
tion de  M.  Binger  ;  il  n'en  reste  pas  moins 
que  le  désaccord  entre  l'Angleterre  et  la 
France,  ces  mois  derniers,  s'est  aggravé, 
est  devenu  querelle.  Nos  justes  demandes 
étaient  qualifiées  à  l'ordinaire,  et  jusque 
dans  les  colonnes  du  Times,  de  prepostc- 
rous,  ce  qui  veut  dire  :  absurdes,  impu- 
dentes. Ce  journal  nous  déclarait  net  : 
M  Dans  l'Afrique  occidentale,  nous  n'avons 
pas  la  plus  petite  intention  de  céder.  " 
La  Pall  Mail  Gazette  disait  :  «  Les  officiers 
français  se  conduisent  là-bas  comme  de 
vulgaires  brigands.  Aussi  faudra-t-il  que 
notre  gouvernement  en  impute  la  respon- 
sabilité au  quai  d'Orsay,  dans  un  langage 
sur  lequel  on  ne  pourra  pas  se  méprendre 
et  sur  un  ton  de  commandement.  »  Et  le 
gouvernement  anglais  ?  11  avait  tout  l'air 
de  se  laisser  mener  par  ses  troupes  ;  le 
chef,  lord  Salisbury,  criait  bien  haut  : 
«  Nous  ne  pouvons  permettre  que  nos 
droits  les  plus  élémentaires  soient  foulés 
aux  pieds.  » 

Le  gouvernement  anglais  se  calomniait. 
Il  se  posait  en  victime  :  personne  ne  le 
crut. 

La  question,  cependant,  devenait  fâ- 
cheuse; elle  pouvait  devenir  pis  encore. 
Les  troupes  des  deux  nations  avaient  oc- 
cupé progressivement  la  zone  neutre  qui 
les  séparait,  avaient  presque  pris  le  con- 
tact. 11  suffisait  d'un  hasard,  ou  d'une 
mauvaise  volonté  pour  amener  un  conflit. 
De  plus,  —  il  faut  être  juste  envers  soi- 
même,  —  il   règne  en   notre  pays  un  état 


d'esprit  qui  est  peu  fait  pour  nous  rendre 
philosophes  h  l'endroit  des  procédés  inju- 
rieux des  Anglais. 

La  politique  extérieure,  c'est  le  choix 
de  ses  ennemis.  Le  choix  de  l'ennemi  en- 
traine forcément  celui  des  alliés.  Le  pre- 
mier principe  de  cette  politique  doit  être 
de  n'avoir  dans  le  même  temps  qu'un  en- 
nemi. Nous  n'avons  pas  su  faire  ce  choix  ; 
c'est   la  cause  de  notre  faiblesse. 

Nous  avons  deux  ennemis  :  1"  l'Alle- 
magne. Nous  affectons  de  parler  de  paix 
plus  qu'il  ne  serait  nécessaire.  Le  tsar,  à 
Paris,  a  lu  sur  tous  les  arcs  de  triomphe 
(de  quel  triomphe?)  :  Fax;  il  a  lu  der- 
rière la  statue  de  Strasbourg,  sur  la  ter- 
rasse :  Fax.  Or  la  paix  sous  le  régime 
de  laquelle  nous  vivons  est  la  paix  de 
Francfort-sur-le-Mein  (Allemagne,.  Et  ce- 
pendant, si  le  tsar,  devant  ces  inscrip- 
tions intentionnellement  répétées,  a  cojiclu 
que  nous  étions  plus  chrétiens  qu'on  ne 
le  dit  et  que  nous  pratiquions  l'oubli  des 
injures,  il  a  fait,  sauf  respect,  erreur. 
Nous  espérons,  au  contraire,  que,  malgré 
ses  guides  officiels  et  les  inscriptions,  il 
a  deviné  le  cri  qui  était  au  fond  de 
toutes  ces  poitrines  d'hommes  frémis- 
santes sur  son  passage,  et  qu'on  ne  rete- 
nait que  par  respect,  et  qu'il  a  compris  que 
ce  peuple  n'avait  fait  choix  de  son  amitié 
que  par  haine.  Si  vous  doutez  de  ces  sen- 
timents de  la  France,  arrêtez  le  premier 
ouvrier,  le  premier  paysan  venu  et  lui 
dites ,  sans  discours  :  Prussien  !  L'Alle- 
magne est  toujours  notre  ennemie.  Mais 
nous  en  avons  une  deuxième  :  l'Angleterre. 

L'Angleterre  est  notre  ennemie  depuis 
le  combat  de  Brenneville,  en  1 1  l'J.  Depuis, 
nous  avons  eu  avec  elle  deux  guerres  de 
cent  ans  :  1338-14:i3,  iG88-17I.j.  S'il  est 
ennemi  héréditaire,  c'est  bien  celui-là.  La 
querelle,  cependant,  s'était  apaisée.  L'An- 
gleterre nous  avait  combattu,  tout  le  long 
du  siècle  dernier,  pour  nous  prendre  nos 
colonies  :  elle  les  avait  prises.  Elle  se  mit 
alors  à  nous  embrasser  en  la  personne  de 
Louis-Philippe.  Mais  voilà-t-il  pas  que  nous 
nous  refaisons  un  nouvel  empire  colonial"? 
que  la  République  se  mêle  de  questions 
africaines,  asiatiques,  qui  ne  la  regardent 
point,  qui  ne  regardent  que  l'Angleterre"? 
Et  la  querelle  renait  entre  les  coloniaux 
anglais,  c'est-à-dire  entre  tous  les  Anglais, 
et  les  coloniaux  français,  qui  commencent, 
Dieu  merci!  à  faire  nombre. 

Voilà  pourquoi,  depuis  vingt  ans,  nous 
grognons  vers  l'Est  ,  nous  aboyons  vers 
l'Ouest.  Cela  est  très  fatigant,  et  ce  pour- 


12(5 


ÉVÉNEMENTS    GÉOG H A PH IQUES 


rait  L'Ire  dangereux.  Ce  que  nous  risquons, 
en  effet,  et  à  tout  moment ,  c'est  de  faire 
sur  notre  dos  l'accord  entre  nos  deux  en- 
nemis. M.  Chamberlain,  ministre  anglais 
des  colonies,  ne  vient-il  pas  de  le  proposer 
formellement  à  l'empereur  allemand"?  Nous 
referions  ainsi  la  faute  et  de  Louis  XV  et 
de  Napoléon.  L'historien  anglais,  Seeley, 
recherchant  les  causes  de  la  décadence 
politique  de  la  France  au  xyiii*^  siècle,  con- 
clut :  «  On  peut  dire  d'elle  qu'elle  avait 
trop   de  fers  au  feu.  »  N'ayons  qu'un  fer  au 


l'ensemble  de  son  commerce  maritime 
atteint  la  somme  de  20  milliards.  Ces  deux 
chiffres  comportent  un  enseignement.  Les 
journaux  anglais  nous  menacent,  nous 
insultent  :  ouvrons  le  parapluie  du  philo- 
sophe; insultes  et  menaces  ruisselleront 
par-dessus,  et  puis  viendra  le  beau  temps. 
Ces  journaux  veulent  nous  intimider.  S'ils 
nous  voient  souriants  et  fermes,  ils  change- 
ront d'attitude;...  et  nous  pourrons  espérer 
apprendre,  de  notre  vivant,  que  la  Commis- 
sion franco -anglaise  a  terminé  ses  travaux. 


Ca/oftie,     P'ctcclorH)  f^ — , 

Ed>glb 


L  '  A  F  H  I  Q  U  E     OCCIDENTALE     ET    CENTRALE     FRANÇAISE     DU    S  É  N  iî  (i  A  L     AT    NIL 


feu  et  battons-le  bien.  Il  est  donc  néces- 
saire de  choisir. 

Qu'on  s'allie  avec  l'Allemagne  et  qu'on 
se  batte  avec  l'Angleterre  pour  le  Niger  : 
je  le  veux  bien;  mais  qu'on  se  décide.  S'al- 
lier avec  l'Allemagne  !  Quel  Français  ne 
sent  quelque  part,  dans  son  être  le  plus 
intime,  sa  chair  se  révolter  à  la  seule 
pensée  de  ce  fait"?  Donc,  la  supposition 
est  absurde.  Mais  alors  n'est-il  point  puéril 
de  montrer  les  dents  à  l'Angleterre  quand 
nous  avons  la  conscience  d'autres  devoirs 
à  accomplir  ? 

Montrer  les  dents  à  quelqu'un,  quand  on 
ne  veut  ou  qu'on  ne  peut  se  battre,  est 
toujours^angereux  ;  cela  peut  être  parfois 
nécessaire.  Je  ne  crois  pas  que  ce  soit  ici 
le  cas,  et  que  l'Angleterre  elle-même 
veuille  réellement  la  guerre.  Dans  une 
lutte  avec  une  grande  puissance  maritime, 
l'Angleterre,  fût-elle  pleinement  victo- 
rieuse, aurait  trop  à  perdre  et  trop  peu  à 
gagner.  M.  John  Morley  rappelait,  l'autre 
jour,  que  le  commerce  de  l'Angleterre  avec 
toutes  ses  colonies  de  l'ouest  africain 
s'élève  à  160  millions  de  francs,  tandis  que 


x\ussi  bien  aurions  -  nous  aujourd'hui 
mauvaise  grâce  à  nous  plaindre  trop  fort 
de  la  lenteur  de  ces  travaux.  Pour  la  pre- 
mière fois,  depuis  octobre  18'J7,  quelque 
bruit  perce  le  mystère  de  la  négociation  ; 
dans  le  môme  temps,  des  nouvelles  nous 
arrivent  des  quatre  coiijs  de  cette  Afrique 
centrale  française,  qui  s'étend  désormais 
de  l'Atlantique  au  Nil.  A  l'ouest,  dans  la 
boucle  du  Niger,  prises  de  Bondoukou,  de 
Sikasso,  deTs'ikki;  au  centre,  ai'rivée  de 
l'exploration  Gentil  au  Tchad;  à  l'est,  vers 
le  Nil,  progrès  de  la  mission  Liotard  Mar- 
chand. Toutes  ces  questions,  si  impor- 
tantes, viennent  à  la  fois  au  jour  de  r«ac- 
tualité'»;  sans  attendre  les  conclusions, 
nous  commencerons    leur  examen. 


Dans  les  pays  qu'enserre  la  boucle  du 
Niger,  l'action  de  la  France  se  heurtait  à 
deux  obstacles.  A  l'ouest,  entre  le  Cavally 
et  la  Volta,  les  bandes  de  Samory  cou- 
paient notre  Côte  d'Ivoire  de  notre  Soudan. 
A  l'est,  entre  le  Dahomey,  le  Bas  et  le 
Moyen  Niger,   l'Angleterre  opposait  à  nos 


ÉVÉNEMENTS    G  ÉOG  11  A  PII  IQ  UES 


revendications  dinjuslifiables  prélentions. 
Dans  noire  relation  de  la  belle  explo- 
ration du  lieutenant  Voulot ,  en  octobre 
dernier,  nous  montrions  le  danger  que 
présentait  pour  nous  la  présence  sur  nos 
territoires  des  sofas  de  Samory  —  dont  la 
mort  n'a  pas  été  conlirméo  —  et  de  son 
fils  Sarali-Kéni,  et  demandions  «  la  des- 
truction immédiate  de  ces  bandes  ou  bien 
—  ce  qui  peut-être  est  plus  difficile  —  un 
arrano-emcnl    immédiat    avec    leur   chef  •>. 


dames  à  agir.  Toutes  les  ouvertures  de 
paix,  neuf  tentatives  de  négociation,  faites 
par  le  lieutenant  Alakamessa,  au  nom  du 
commandant  de  Monségur,  par  le  colonel 
Frey,  le  colonel  Gallieni,  le  colonel  Ar- 
chinard,  M.  Grodet,  le  lieutenant-colonel 
Monteil,  la  mission  Braulot-Lasnet  (1896), 
MM.  Nebout  et  Le  Filliàtre  (1897),  avaient 
été  repoussées.  Même,  le  capitaine  Braulot, 
le  lieutenant  Hunas,  le  sergent  Myskiewicz 
avaient     été    massacrés     aux    portes     de 


SUR  I.  E  HAUT  XIGER  —  VUE  DU  FORT  DE  BAMMAKO 


Depuis  cette  époque,  la  situation  est  allée 
en  s'aggravant.  L'exemple  des  sofas,  la 
crainte  qu'ils  inspirent,  ont  poussé  les  indi- 
gènes à  la  résistance,  encouragé  les  pré- 
dications des  marabouts  fanatiques.  '■  Jus- 
qu'au Sénégal,  les  noirs  en  arrivent  à 
douter  de  notre  puissance,  nos  tirailleurs 
mêmes  croient  les  sofas  plus  forts  que  nous, 
puisque  nous  ne  les  écrasons  pas,  et  sont 
tentés  par  l'exemple  de  leurs  pillages. 
Bref,  ce  seul  point,  sur  lequel  notre  auto- 
rité n'a  pas  encore  triomphé,  est  une 
cause  d'inquiétude  et  d'incertitude  pour 
tout  le  Soudan;  il  compromet  l'équilibre 
que  nous  avons  à  maintenir  pour  garder 
d'immenses  régions  avec  les  faibles  effec- 
tifs dont  nous  disposons.  »  De  cette  situa- 
tion, les  Anglais  ont  profité.  Ils  se  sont 
rapprochés  de  Samory,  ont  affiché  pour 
ce  chef  esclavagiste  des  sentiments  d'a- 
mitié, ont  parlé  de  protectorat.  Déjà,  ils 
émettaient  la  prétention  d'intervenir  entre 
nous  et  lui,  déjà  ils  occupaient  Bondoukou, 
Bouna,  villes  françaises,  longtemps  exploi- 
tées par  Samory.   Alors,   nous   nous  déci- 


Bouna  20  août  1897).  Il  n'était  plus  permis 
de  conserver  quelque  illusion  sur  les  bons 
sentiments  de  Samory  ;  et  nous  nous  dé- 
cidâmes à  l'action. 

Les  bandes  de  Samory  tenaient  tout  le 
pays  de  Kong  et  de  Bouna,  du  Cavally  à 
la  Volta  noire.  Elles  séparaient  nos  postes 
du  Soudan  central  et  ceux  de  la  Côte 
d'Ivoire.  Le  plan  adopté  fut  de  les  refouler 
progressivement  vers  le  centre  de  la  ré- 
gion qu'elles  dévastaient,  de  leur  enlever 
les  centres  de  population,  de  les  diviser, 
de  les  disperser  dans  la  brousse.  D'une 
façon  particulière,  il  était  recommandé  de 
couper  le  contact  entre  ces  bandes  et  les 
postes  anglais  de  la  Côte  d'Or.  De  février 
à  mai  1897,  le  lieutenant  Blondiaux  par- 
courut, étudia  et  occupa  le  pays  à  l'ouest 
de  Kong,  de  Beyla  à  Sakala.  Dans  l'est, 
en  décembre,  l'administrateur Clozel,  parti 
d'Assikasso,  poste  dans  le  nord-est  de  la 
Côte  d'Ivoire,  atteignait  Bondoukou  et  s'y 
installait.  11  trouvait  cette  ville  ruinée  et 
rendue  déserte  par  Samorj';  sur  la  route, 
des   crânes    blanchissaient    au    soleil.    En 


128 


ÉVÉNEMENTS    GÉOGRAPHIQUES 


janvier  de  cette  année,  les  lieutenants  De- 
mars  et  Méchet,  partis,  ainsi  que  M.  Clo- 
zel,  de  la  Ilaute-Comoé,  apprenaient  que 
le  centre  important  de  Kong  était  presque 
démuni  de  défense  ,  et  y  pénétraient. 
Samory  accourut,  investit  la  ville,  l'at- 
taqua avec  2,000  à  3,000  sofas,  armés  de 
fusils  à  tir  rapide.  Du  12  au  27  février, 
nos  tirailleurs  défendirent  héroïquement 
leur     poste     improvisé  ;    le    commandant 


au  point  du  jour,  dura  jusqu'à  trois  heures 
de  l'après-midi.  11  fallut  ouvrir  une  brèche 
avec  les  obus  à  méliiiite,  puis  conquérir  le 
village,  maison  par  maison.  Le  roi  nègre 
se  fit  tuer,  avec  toute  sa  garde.  Les  lieu- 
tenants Gallet  et  Loudy  furent  tués. 

La  prise  de  Sikasso,  l'occupation  de 
Kong  et  de  Bondoukou  nous  assurent  la 
possession  tranquille  de  la  vaste  région 
comprise  entre  le  Haut-Niger  et   la  Volta 


DANS    LE    SOUDAN     FRANÇAIS 


Caudrelier  put  enfin  être  prévenu  et  ac- 
courut. Plus  au  Nord,  nous  occupions  dans 
le  même  temps  Bobodioulasou.  Ainsi  était 
accomplie  la  jonction  entre  nos  postes  du 
Nord  et  ceux  du  Sud;  Samory,  désormais 
Jjattu  de  toutes  parts,  est  entouré  de  postes 
français.  Il  esta  notre  merci. 

Babemba,/a?nrt  de  Sikasso,  avait  songé 
dans  ces  derniers  temps  à  se  ranger  aux 
côtés  de  Samory,  contre  nous.  Celte  dé- 
fection —  son  prédécesseur,  Tiéba,  avait 
été  notre  fidèle  allié  —  menaçait  de  porter 
le  tçouble  jusqu'au  centre  de  notre  Sou- 
dan, sur  les  bords  du  Haut-Niger.  En 
février  dernier,  le  capitaine  Morisson  fut 
envoyé  en  mission  auprès  do  Babemba  ;  il 
fut  fort  mal  reçu.  Le  1"  mai,  le  lieutenant- 
colonel  Audéoud,  lieutenant-gouverneur 
du  Soudan  français,  attaquait  Sikasso.  La 
place  était  fortifiée  ;  l'attaque,  commencée 


noire.  Après  un  dernier  effort,  ([ui  nous 
délivrera  définitivement  de  l'esclavagiste 
Samory,  notre  œuvre  de  conquête  sera 
terminée  en  ce  pays  ;  il  ne  nous  restera 
plus  qu'à  le  mettre  en  valeur. 


Dans  la  moitié  orientale  de  la  boucle  du 
Niger,  à  l'est  de  la  Volta  noire,  nous 
sommes  aux  prises  —  diplomatiquement  — 
avec  les  Anglais.  Et  c'est  ici  le  lieu  d'ex- 
poser la  tâche  de  la  Commission  anglo- 
française. 

Voici  les  prétentions  des  deux  pays. 

En  181)0,  sur  Taflirmation  que  la  Compa- 
gnie Royale  du  Niger  avait  fait  accepter 
son  protectorat  au  grand  empire  du  Sokoto, 
M.  Ribot  abandonna  à  l'Angleterre  le  So- 
koto et  le  Bornou  ;  une  ligne  partant  de 
Say,  sur  le  Niger,  et  aboutissant  à  Baroua, 


ÉVÉNEMENTS    GÉOGRAPHIQUES 


129 


sur  le  Tchad,  formait  la  limite  sud  des 
territoires  soumis  à  notre  influence,  dans 
l'arrière-pays  de  l'Algéric-Tunisie.  Nous 
verrons  ce  que  nous  gagnions  à  cet  arran- 
gement. Mais  ce  succès  ne  suffit  pas  à 
l'Angleterre.  Deux  ans  plus  tard,  lord 
Rosebery  émit  la  prétention  que  la  ligne 
de  démarcation,  depuis  Say,  devait,  dans 
l'intention  des  négociateurs,  tomber  droit 
au  sud  vers   la   mer.  «   En   octobre    1894, 


avons  acquis,  par  traités  en  bonne  et  due 
forme,  Gomba  et  Boussa  :  nous  laisserons- 
nous  dépouiller? 

Cette  question  s'adresse  à  nos  commis- 
saires. 11  faut  avouer  que  la  tâche  de  ces 
derniers  est  des  plus  difficiles.  Pour  les 
territoires  dont  il  s'agit,  aucun  traité  anté- 
rieur n'est  valable.  La  convention  du 
5  août  1890  dit  en  propres  termes  :  <(  Les 
commissaires  auront  également  pour  mis- 


D  A  N  s    LE    SOUDAN     FRANÇAIS 
Intérieur  d'un  village  indigène  après  l'attaque. 


révèle  le  Times,  son  gouvernement  notifia 
à  l'Allemagne  l'extension  du  protectorat 
britannique  sur  toute  la  région  située  à 
l'est  d'une  ligne  tirée  de  la  frontière  du 
Lagos  jusqu'à  Say,  el,  en  janvier  1895,  la 
même  notification  l'ut  faite  à  la  France.  » 
Aujourd'hui,  semble-t-il,  les  prétentions 
anglaises  ont  été  encore  augmentées.  Une 
carte  récente  de  VAfrican  Revieic  donne  à 
nos  voisins  non  seulement  le  Nikki  et  le 
Borgou  tout  entier,  mais  encore  le  Gourma, 
le  Mossi,  le  Gourounsi,  tout  le  pays  entre 
le  moyen  Niger  et  la  Volta  noire.  —  En 
France,  nous  considérons  justement  que  la 
convention  de  1890  n'intéressait  que  les 
pays  de  la  rive  gauche  du  Niger  et  nous 
prétendons  garder,  sur  la  rive  droite,  les 
protectorats  que  nous  avons  trop  souvent 
payés  du  sang  de  nos  officiers.  Nous  avions 
besoin  de  ports  sur  le  moyen  Niger  ;  nous 

VIII.  —  9. 


sion  de  déterminer  les  zones  d'influences 
respectives  des  deux  pays  dans  la  région 
qui  s'étend  à  l'ouest  et  au  sud  du  moyen 
et  du  haut  Niger.  ->■>  Ou  les  mots  ne  signi- 
fient rien,  ou  lord  Salisbury  et  M.  Wad- 
dington,  les  signataires  de  cet  accord, 
entendaient  qu'à  l'ouest  du  moyen  Niger 
la  (c  détermination  des  zones  d'influences» 
restait  à  faire.  Sur  quelle  base  devait  se 
faire  cette  future  détermination  ?  L'acte 
général  de  la  conférence  de  Berlin,  qui  fait 
loi  en  cette  matière,  déclare  que  les  puis- 
sances auront  l'obligation  d'assurer  «  l'exis- 
tence d'une  autorité  suffisante  »  dans  les 
territoires  occupés  par  elle,  pour  «  faire 
respecter  les  droits  acquis  ».  C'est  donc 
Voccupation  effective  qui  crée  le  droit  des 
nations  européennes  en  Afrique. 

Pour  la  plupart,  les  territoires  dont   il 
s'agit  ont  été   parcourus  par  des  envoyés 


130 


ÉVÉNEMENTS    GÉOGRAPHIQUES 


des  deux  pays.  Si  nos  commissaires  sont 
munis  des  traités  que  nos  officiers  ont 
signés  à  l'ouest  du  Niger,  les  commissaires 
anglais  ont  les  poches  bourrées  des  traités 
de  leurs  officiers.  Quels  sont  les  traités 
valables?  Nous  sommes  payés  pour  savoir 


DANS     LE    SOUDAN     PRANf'AIS 


ce  que  valent  les  papiers  dont  se  prévaut 
contre  nous  l'Angleterre.  Nous  rappelions 
la  convention  de  1890;  le  souvenir  en  est 
instructif  pour  nous.  L'influence  anglaise, 
affirmait-on  à  cette  date,  s'étend  jusqu'à 
Sokoto  :  elle  dépassait  à  peine  Lokodja! 
Nous  y  fûmes  pris  ;  notre  heureux  adver- 
saire, lord  Salisbury,  eut  le  triomplie  mé- 
chant :  «  Le  terrain  cédé  à  la  France, 
déclara-t-il  publiquement,  est  ce  qu'un 
agriculteur  appellerait  un  sol  léger,  très 
léger;  en  fait,  c'est  le  désert  du  Sahara.  » 
Ce  traité  ne  nous  donnait  que  du  sable. 
Nous    voudrions    bien,    cette  fois,  un  sol 


moins  léger.  Depuis  1890,  ce  jeu  des  petits 
papiers  a  continué  ;  mais  aujourd'hui  nous 
sommes  fixés  sur  la  valeur  des  traités 
anglais. 

Quelle  que  soit  leur  valeur,  ces  papiers 
servent  d'arguments  aux  commissaires  an- 
glais ;  nous  ne  pouvons  ne 
pas  en  tenir  compte.  Or  la 
détermination  de  leur  valeur 
exacte  est  bien  difficile  à 
faire,  parfois  même  impos- 
sible :  et  c'est  précisément 
pourquoi  la  négociation  ac- 
tuelle se  poursuit  si  long- 
temps .  Malgré  tous  nos 
droits,  elle  ne  pourrait  abou- 
tir, si  nous  nous  refusions  à 
toute  concession  ;  et  il  est 
nécessaire  qu'elle  aboutisse 
sans  relard.  La  mise  en  va- 
leur de  vastes  régions  est  à 
ce  prix.  Comme  nous  le 
fîmes  avec  l'Allemagne,  l'an 
passé,  pour  le  Gourma  que 
nous  gardâmes  et  le  San- 
sanné-Mango  que  nous  aban- 
donnâmes, nous  devons  par- 
tager le  différend.  Sans 
aller,  comme  en  1890,  jus- 
qu'à des  concessions  ridi- 
cules et  dont  nos  adversaires 
ont  ri  les  premiers,  nous 
devons  nous  pénétrer  de 
cette  idée,  que  cette  portion 
du  Soudan  ne  nous  servira, 
ne  sera  exploitable  que  lors- 
que nos  titres  de  possession 
y  seront  indiscutés. 

Nous  venions  d'écrire  ces 
lignes,  lorsque  la  nouvelle 
fut  publiée  que  la  Commis- 
sion venait  de  terminer  ses 
travaux.  Les  commissaires 
ont  signé,  le  14  juin,  l'ar- 
rangement relatif  aux  affai- 
res de  l'Afrique  occidentale 
et  du  Niger.  Nous  exami- 
nerons celte  convention  le 
mois  prochain.  Nous  ne 
pouvons  dire  aujourd'hui 
que  ceci  :  la  convention  territoriale,  qui 
nous  laisse  Bouna  et  Nikki,  nous  prend 
Oua,  Ilo  et  Boussa,  est  faite  de  bonne 
volonté  mutuelle  et  de  concessions  réci- 
proques. Il  faut  regretter  toutefois  que 
désormais  nos  colonies  de  la  côte  et  du 
Niger  soient  ouvertes,  jusqu'au  dixième 
parallèle,  au  commerce  anglais.  Les  colo- 
nies anglaises,  il  est  vrai,  sont  dans  la 
même  mesure  ouvertes  au  nôtre.  11  semble 
donc  qu'il  y  ait  égalité  de  droits  ;  mais, 
à  Liverpool,  on  nous  connaît  et  on  a  illu- 
miné. 

Gaston    Rouvier. 


JEUNE     FILLE 


CHRONIQUE   THÉÂTRALE 


Les  clichés  ont  fait  leur  temps,  et  qui 
sait  observer  remarque,  à  d'innombrables 
et  indéniables  signes,  une  transformation 
lente,  mystérieuse  et  certaine  dans  les 
coutumes,  les  mœurs  spéciales  du  monde 
des  théâtres...  C'est  ainsi  que,  du  temps 
quasi  préhistorique  (déjà!)  où  Auguste  Vil- 
lemot  étincelait  en  chroniques  figaresques, 
le  public  des  premières  brillait  d'un 
éblouissant  éclat.  Il  suffit  de  relire  les 
Premiers-Paris  de  l'aimable  écrivain  bou- 
levardier  pour  se  rendre  compte  de  l'abîme 
creusé  entre  ce  qu'on  appelait  alors  la  So- 
ciété et  la  coterie  liigarrée  qui  tiendrait  à 
l'heure  actuelle  le  haut  du  pavé,  s'il  y 
avait  encore  un  «  pavé  »  quelconque,  et  si 
«  haut  »  et  «  bas  «  n'étaient  depuis  long- 
temps confondus.  Au  temps,  relativement 
récent,  des  «  crinolines  »,  Paris  appar- 
tenait à  une  élite  qui  faisait  et  défaisait  à 
sa  guise  les  réputations,  proclamait  les  cé- 
lébrités et  rendait  sur  tout  ce  qui  se  rap- 
portait aux  plaisirs,  aux  arts,  aux  mani- 
festations de  l'esprit,  des  jugements 
définitifs  qui,  pour  n'être  pas  toujours 
ratifiés  immédiatement  par  l'opinion  pu- 
blique, n'en  étaient  pas  moins  sans  appel 
et  Unissaient  à  la  longue,  étant,  en  somme, 
rendus  par  des  juges  dont  la  compétence 
ne  pouvait  être  mise  en  doute,  par  s'im- 
poser au  grand  public  et  prenaient  dès 
lors  l'autorité  de  la  chose  jugée...  Quand 
une  première  avait  été  bonne,  la  pièce 
était  certaine  de  fournir  une  belle  car- 
rière, et  le  public  —  j'entends  le  vidgum 
2)eciis  — se  répétait  :  «  Il  faut  aller  voir  ça! 
II  paraît  que  c'est  très  bien  !  >>  Aujour- 
d'hui il  en  va  tout  différemment.  Le  public 
des  premières  a  perdu  toute  autorité  !  Que 
dis-je?  Il  suffit  même,  en  bien  des  cas,  et 
les  exemples  sont  si  nombreux  que  je  dé- 
daigne d'en  citer  un  seul,  que  telle  pièce 
ait  remporté  un  succès  le  premier  soir, 
succès  constaté  par  toute  la  presse,  pour 
que  le  public  se  tienne  sur  ses  gardes.  Par 
contre,  telle  autre  aura  été  accueillie  froi- 
dement par  les  esthètes,  qui  s'éternisera 
sur  les  affiches.  Il  n'est  pas  rare,  dans 
tous  les  mondes  —  je  veux  dire  ceux  qui, 
dans  un  journal,  lisent  autre  chose  que  les 
échos  à  scandale,  les  polémiques  enveni- 
mées, les  crimes  sensationnels  ou  le  ré- 
sultat complet  des  courses  —  d'entendre 
des  dialogues  de  ce  genre  :  n  Que  dit-on 
de  la  pièce  d'Un  Tel?  — •  C'est  un  succès  ! 
La  presse  est  excellente  !  —  Diable!  je  me 
méfie.  ')  Et  vice  versa!  Comment  cela 
a-t-il  marché,  hier  soir,  aux  Fantaisies- 
Dramatiques? —  Un  four  !  Presse  détes- 
table! —  Tiens!  tiens  !  mais  alors...  J'irai 
voir  ça  !    »  Soyons   sincères  et  reconnais- 


sons la  vérité,  quelque  humiliation  qu'il  y 
ait  pour  notre  amour-propre.  Pourquoi?... 
Ah  !  pourquoi  !  Les  causes  de  cette  défaveur 
sont  multiples  et  il  serait  trop  long  de  les 
étudier  ici  en  détail...  L'élite  d'autrefois  a 
disparu  ou  s'abstient.  Les  journaux  se 
sont  multipliés.  La  quantité  des  critiques 
ne  supplée  pas  à  la  qualité  de  jadis.  A 
part  quelques  maîtres  survivants  de  l'an- 
cienne magistrature  esthétique,  et  un 
nombre  restreint  de  nouveaux,  experts  as- 
surément, mais  hautains  dans  leurs  juge- 
ments, méprisant  —  non  sans  raison  peut- 
être  —  les  compromis  et  l'indulgence,  et, 
par  ce  fait,  étrangers  au  public  sans  cesse 
plus  nombreux  qui  fréquente  les  théâtres, 
le  sacerdoce  est  exercé  actuellement  par 
d'honnêtes  gens  auxquels  les  questions 
théâtrales  sont  absolument  étrangères, 
qui  ne  s'y  intéressent  que  pour  le  plaisir 
snob  qu'elles  procurent  et  ignorent  volon- 
tairement les  obligations  ({u'elles  impo- 
sent. Peu  habitués  à  penser  par  eux- 
mêmes,  à  juger,  à  exprimer  judicieusement 
et  suivant  un  critérium  indépendant  une 
opinion  motivée,  ils  s'embrigadent  doci- 
lement derrière  un  chef  de  file,  élu  au 
hasard  des  popularités  de  couloirs,  et  ren- 
dent, sans  savoir  au  juste  pourquoi,  des 
jugements  frappés  inévitablement  d'in- 
capacité... M.  Tout  le  Monde,  qui  n'est 
point  un  sot,  les  casse,  parfois  injustement, 
je  le  concède,  et  prend  un  malin  plaisir  à 
s'inscrire  en  faux...  Coteries!  direz-vous?... 
Eh!  non.  11  y  avait  tout  autant  de  coteries 
jadis,  peut-être  plus  même  qu'aujourd'hui, 
mais  du  moins  le  niveau  était  sensiblement 
plus  élevé,  l'instruction  plus  complète, 
l'éducation  plus  parfaite.  Le  critique  pos- 
sédait, à  défaut  d'autres  mérites,  une  qua- 
lité assez  utile  dans  cette  profession  qui 
était  un  art  et  qui  est  tombée  presque  au 
métier,  il  avait  le  sens  critique  ! ...  M.  de  la 
Palisse  en  conviendrait  sans  peine  et 
M.  de  la  Palisse  n'était  pas  le  premier 
venu...  encore  moins  le  dernier...  Etaient- 
ils  donc  infaillibles?  Oh!  que  non!  mais 
'du  moins  leurs  jugements  étaient  raisonnes, 
sinon  raisonnables,  et  quand  Villemot  — 
je  cite  de  nouveau  ce  nom  puisqu'il  est 
venu  tout  à  l'heure  au  bout  de  ma  plume  — 
prenait,  avec  une  partialité  évidente,  fait  et 
cause  pour  la  Ristori  contre  Rachel,  ses 
jugements  étaient,  sinon  irréfutables,  du 
moins  difficiles  à  réfuter... 

II  y  a  donc  antagonisme  évident  entre 
le  critique  et  le  public  ;  demain  il  y  aura 
schisme.  Ceci  est  de  toute  évidence,  si  on 
n'y  prend  garde  et  si  la  critique,  à  qui,  en 
somme,  incombe  la  responsabilité  entière 
de  l'état  de  choses  actuel,  ne   prend  pas 


132 


CHHONIQUE    THEATRALE 


rapidement  les  mesures  radicales  que  com- 
porte la  situation.  Déjà  elle  a  été  obligée 
en  bien  des  cas  de  céder  la  place  «  au 
compte  rendu  »,  le  jour  n'est  pas  éloigné 
oîi  elle  se  verra  dépossédée  de  son  fief 
parla  «  réclame  payée...  »  à  l'américaine, 
et  alors,  bonsoir  l'illustre  compagnie  !  La 
plume  de  Jules  Janin,  de  Théophile  Gau- 
tier, de  Sainte-Beuve,  de  Saint-Victor  et 
de  J.-J.  Weiss  sera  définitivement  brisée, 
quand...  X...,  Y...,  Z,..,  n'en  citons  aucun 
pour  ne  pas  froisser  les  autres,  ne  seront 
plus  là  pour  la  tenir. 

La  presse  est  devenue  depuis  dix  ans  la 
proie  du  reportage  grand  et  petit, —  petit 
surtout  et  policier  même,  —  c'est  là  une 
des  causes  principales  de  sa  décadence 
évidente.  Girardin,  en  tuant  Carrel,  a  tué 
l'ancien  journalisme,  doctrinaire  peut-être, 
mais  digne  et  sachant  à  coup  sûr,  et  pour- 
tant le  domaine  des  arts  :  théâtre,  musi- 
que, peinture,  sculpture,  etc.,  était  de- 
meuré longtemps  inviolé.  11  n'est  déjà 
plus  inviolable... 

C'est  une  question  [ilus  grave  qu'elle  ne 
parait  au  premier  abord.  On  s'en  préoc- 
cupe dans  les  milieux  spéciaux,  et  avant 
l'hiver  vous  la  verrez  s'imposer  à  tous. 
J'ai  voulu  vous  tenir  au  courant,  lecteurs, 
et  —  puisque  informations  il  y  a  —  vous 
informer  les  premiers. 


Et  maintenant  voici  Zaza  la  pièce  de 
résistance  du  mois.  Sur  Zaza,  ô  miracle  ! 
il  y  a  eu  entente.  Critique  et  public  se 
sont  mis  d'accord,  et  encore  bien  que  les 
points  de  vue  soient  difTérents  et  les  mo- 
tifs de  satisfaction  divers,  le  plaisir  des 
uns  a  été  partagé  par  les  autres.  On  a  dit 
de  Zaza  que  la  pièce  était  bien  faite  :  on 
a  même  ajouté  qu'elle  était  peut-être  trop 
bien  faite  !  La  mariée  était  trop  belle  ! 
Comme  si  les  pièces  bien  faites  couraient 
les  rues!  Mon  Dieu!  que  nous  sommesdonc 
difficiles  à  contenter!  Toujours  est-il  que 
ces  tableaux  successifs  oîi  Zaza  nous  appa- 
raît dans  les  diverses  évolutions  de  son 
cœur  amoureux  sont  constamment  atta- 
chants par  leur  pittoresque  et  leur  sincé- 
rité. Il  y  a  dans  la  pièce  de  MM.  Pierre 
Berton  et  Ch.  Simon  une  observation  très 
exacte  et  très  joyeuse  à  la  fois  d'un  monde 
tout  spécial,  celui  des  bouibouis  de  pro- 
vince. C'est  la  seule  œuvre  de  ce  genre 
que  je  connaisse,  qui,  mettant  à  la  scène 
un  milieu  aussi  en  dehors  de  la  vie  cou- 
rante, ait  réussi  à  intéresser  le  public.  Jus- 
qu'alors, le  «  monde  théâtral  »  au  théâtre, 
ou  bien  le  "  monde  journalistique  »,  par 
exemple,  ne  franchissaient  pas  la  rampe. 
La  première  passée,  la  masse  du  public 
qui  ne  connaît  pas  les  mœurs  spéciales 
s'en  désintéresse  d'ordinaire...   D'oîi  vient 


alors  que,  dans  Zaza,  il  soit  pris  jusqu'au 
bout,  qu'il  rie  et  pleure,  —  car  dans  ce 
drame  on  rit,  car  dans  cette  comédie  on 
pleure  jusqu'à  la  fin,  —  c'est  qu'il  y  a  là 
quelque  chose  de  plus  qu'une  simple  étude 
de  mœurs,  il  y  a  l'étude  d'un  cœur;  on 
nous  y  décrit  avec  une  exactitude  singu- 
lière les  angoisses,  les  élans,  les  douleurs 
d'une  âme  féminine,  et  que  c'est  là  un  sujet 
éternel.  Qu'importe  alors  que  la  femme, 
au  lieu  des  classiques  tuniques  de  la  tra- 
gédie noble,  porte  les  oripeaux  criards 
d'une  goualeuse  de  «  beuglant  »  !  Phèdre, 
Bérénice,  Zaza  sont  des  femmes ,  des 
femmes  qui  aiment,  qui  souffrent,  et  le 
langage  dans  lequel  elles  expriment  leurs 
joies  ou  leurs  douleurs  pénètre  jusqu'au 
fond  des  cœurs,  parce  qu'il  exprime  des 
sentiments  vrais.  En  écoutant  le  dialogue 
d'une  vérité  phonographique  ,  on  songe 
involontairement  aux  scènes  de  la  comé- 
die humaine  d'Henri  Monnier.  C'est  une 
reproduction  fidèle,  saisissante  par  sa  vé- 
rité sans  apprêts.  Les  auteurs  se  sont 
effacés  devant  le  réalisme  ;  ils  n'ont  re- 
culé devant  aucun  truisme ,  parce  que, 
dans  le  cabaret  du  père  Malardot,  les  liai- 
sons grammaticales  sont  aussi  dangereuses 
que  les  autres  et  que  les  imparfaits  du 
subjonctif  sont  des  Heurs  délicates  qui  ne 
s'épanouissent  que  difficilement  dans  ces 
jardins  mal  entretenus.  Mais,  par  une  co- 
quetterie dont  il  faut  leur  tenir  compte, 
ils  prennent  leur  revanche  d'écrivains  sou- 
cieux de  la  forme  au  dernier  acte,  celui  où 
Zaza  devenue  grande  artiste  peut,  sans 
étonner,  respecter  les  règles  de  la  syntaxe 
et  célébrer  l'accord  des  participes.  La 
pièce  est  bien  montée  et  le  principal  rôle 
est  tenu  par  M""'  Réjane. 


A  part  la  Grand'mère,  à  l'Odéon,  une 
page  du  Ihéâtre  en  liberté,  de  Victor  Hugo, 
qu'on  aurait  aussi  bien  fait  de  laisser  au 
livre  sans  la  transporter  sur  la  scène,  le 
mois  ne  nous  a  fourni  que  des  reprises. 
Célimare  le  bien-aimé  à  la  Comédie  fran- 
çaise et  le  Chapeau  de  paille  d'Italie  aux 
Variétés...  Du  Labiche  sur  toute  la  ligne. 
Les  deux  ouvrages,  d'une  fantaisie  légère 
et  sans  façon,  étaient  bien  à  leur  place  sur 
les  planches  bon  enfant  du  Palais-Royal... 
Oh  !  Valmajour,  tambourinaire  de  Numa 
Boiimextan ,  pourquoi  as-tu  quitté  ta  rouge 
Provence,  où  tu  grilles  sans  te  consumer 
au  soleil,  pour  venir  brûler  tes  ailes  et 
flamber  ton  galoubet  à  la  flamme  des  lus- 
tres parisiens  ? 

Maurice  Lefevre. 

P. -S.  —  S'il  est  vrai  que  les  théâtres  à 
côté  et  les  sociétés  dramatiques  ont  rendu 
et   rendront    encore   d'inappréciables   ser- 


CHRONIQUE    THÉÂTRALE 


133 


vices  à  l'arl  théâtral,  l'expérience  faite  à 
la  Bodinière,  le  mois  dernier,  par  le  Gar- 
dénia, en  est  une  preuve  convaincante.  Le 
Ciardénia  est  un  cercle  privé  dont  les 
membres  appartiennent  au  monde  des 
lettres  et  des  arts.  Chaque  année,  dans 
une  fête  qui  a  lieu  tantôt  ici  ou  tantôt  là, 
il  produit  une  œuvre  inédite,  olfre  ensuite 
un  souper,  et  le  tout  se  termine  par  une 
intime  sauterie.  Comme  vous  le  voyez, 
c'est  charmant  ;  mais  nul  ne  s'avisait  de 
penser  que  sous  ces  apparences  bénévoles, 
qu'en  dehors  de  petits  actes  en  vers  joli- 
ment tournés ,  d'à-propos  en  prose  élé- 
gante, il  pût  sortir  de  là,  non  pas  une 
nouvelle  formule  d'art  dramatique,  mais 
un  élan  énergiquement  poussé  vers  la 
représentation  ejacte  de  la  vie  au  théâtre? 
C'est  pourtant  ce  qui  a  eu  lieu  l'autre  fois 
et  vous  m'en  voyez  encore  tout  étonné, 
charmé  même.  Abandonnant  les  petits 
actes  aimables,  les  à-propos  gracieux  dont 
je  parlais  tout  à  l'heure,  le  Gardénia  s'est 
pris  corps  à  corps  avec  une  étude  de  mœurs 
en  trois  actes.  Notre  oncle,  dont  l'auteur  est. 
le  signataire  habituel  de  ce  feuilleton  dra- 
matique. 

Je  n'ai  pas  à  faire,  ici  surtout,  l'éloge  de 
Maurice  Lefevre,  de  l'écrivain  charmant, 
du  conférencier  disert  et  documenté,  — 
ceux  qui  le  lisent  et  ceux  qui  l'entendent 
l'ont  depuis  longtemps  jugé  ;  c'est  assez 
dire  que  sa  pièce,  qu'on  savait  violente, 
était  attendue  avec  impatience  et  déjà  dis- 
cutée devant  que  les  chandelles  fussent 
allumées.  Cette  curiosité  n'a  pas  été  dé- 
çue. Notre  oncle  est  certainement  l'étude, 
la  plus  aiguë  qui  soit,  d'une  situation  et 
de  trois  caractères. 

Un  usinier,  M.  Lormier,  a  recueilli  la  fil- 
lette d'un  ouvrier  tué  à  son  service  acciden- 
tellement ;  cette  enfant  a  grandi  ;  devenue 
jeune  fille,  elle  passe  pour  être  la  maî- 
tresse de  son  protecteur,  lequel,  autant 
pour  faire  taire  les  médisants  que  pour  gar- 
der auprès  de  lui  cet  enfant  qu'il  aime,  un 
peu  en  égoïste  d'ailleurs,  ceci  est  à  retenir, 
lui  demande  de  devenir  vraiment  sa  femme. 
Juliette,  surprise,  révoltée,  consent  pour- 
tant, par  reconnaissance  un  peu  et  aussi 
par  peur  de  celle  misère  entrevue  dans 
son  enfance  et  dont  elle  gardé  l'épouvante. 
Tout  ceci  s'est  passé  avant  que  la  toile 
se  lève  sur  l'acte  premier  et  quand  celui-ci 
commence,  nous  voyons  Lormier  faire 
donation  de  sa  fortune  à  sa  femme,  malgré 
les  remontrances  de  son  ami  et  notaire, 
M®  Lampérière,  finement  silhouetté  par 
M.  Th.  Huguenet.  Juliette  dérange  les 
deux  hommes.  Elle  descend  au  salon  pour 
se  mettre  à  la  disposition  d'un  peintre, 
Lucien  Montclair,  auquel  Lormier  a  com- 
mandé le  portrait  de  sa  femme.  Dès  ce 
moment,  l'auteur,  avec  une  énergie  habile, 


entre  dans  la  brutalité  de  son  action  : 
Lormier  est  là  qui  cause  avec  sa  femme. 
Juliette,  par  son  attitude,  son  instinctive 
répugnance,  nous  montre  tout  ce  qui 
l'éloigné  de  Ihomme  à  qui  elle  est  liée. 
Montclair  survient  pour  la  dernière  séance 
et  Juliette  renvoie  son  mari,  qui,  causant 
art  avec  le  peintre,  lui  fait  perdre  son 
temps.  Aussitôt  que  Lormier  est  sorti^ 
Montclair  s'exclame  : 

—  Il  est  rigolo,  le  vieux. 

—  Tu  trouves,  loi,  répond  Juliette. 
Ainsi  c'est  fait  !   Sans   préparation,  sans 

artifice,  sans  même  prendre  la  précaution 
d'atténuer  ce  que  la  situation  a  de  violent, 
l'auteur  pose  son  problème,  comme  le 
chirurgien  porte  son  outil  sur  une  chair 
malade,  sans  laisser  au  patient  le  temps 
de  s'angoisser  dans  l'altenle. 

Juliette  est  donc  la  maîtresse  de  Mont- 
clair, et  cela,  c'était  fatal.  Vivant  en  de- 
hors d'un  monde  qui  la  méprisait  avant 
son  mariage  et  quelle  méprise  depuis, 
Juliette  devait  se  trouver  sans  force  devant 
le  joyeux  garçon,  gouailleur,  un  peu 
bohème,  au  rire  clair,  amoureux  de  la  vie 
et  de  l'amour,  qui  s'est  trouvé  sur  son 
passage.  Elle  lui  conte  sa  vie,  son  mariage, 
celle  nuit  de  noces,  où,  blessée  dans  toutes 
les  délicatesses  de  la  vierge,  elle  resta 
victorieuse  devant  l'unique  tentative  de 
Lormier,  qui  depuis  est  redevenu  le  père, 
le  tuteur,  n'ayant  été  le  mari  que  de  nom. 
Juliette  à  ses  propres  yeux  est  toujours 
une  honnête  femme,  elle  n"a  aimé  qu'un 
homme,  à  cet  homme  elle  sesl  donnée, 
elle  le  suivra,  malgré  tous,  et  en  cela  Ju- 
liette nous  apparaît  bien  comme  une  femme 
obéissant  avant  tout  à  son  instinct  et  rien 
qu'à  lui.  L'acte  se  termine  par  la  fuite  des 
deux  amants  et  le  retour  de  Lormier  au 
foyer  désert,  à  jamais  endeuillé  par  le  dé- 
part de  celte  femme  qu'il  aimait  comme 
on  aime  surtout  son  enfant.  En  partant 
Juliette  a  pris  quelque  argent;  mais  elle  a 
laissé,  indifférente,  l'acte  en  vertu  duquel 
Lormier  lui  abandonnait  une  partie  de  sa 
fortune. 

Au  deuxième  acte,  dans  une  mansarde, 
Juliette  et  Montclair,  comme  c'était  à  pré- 
voir, sont  dans  la  misère,  dans  celte  hor- 
rible misère,  contre  laquelle  les  cœurs 
s'émoussent  et  se  brisent.  Il  n'y  a  plus 
rien  dans  la  chambre,  mais  il  y  a  toutes 
les  heures  un  créancier  à  la  porte.  Rien, 
plus  rien,  ni  à  vendre,  ni  à  mettre  au  clou. 
Si  fait,  pourtant,  encore  quelque  chose, 
un  morceau  de  Chantilly  que  Juliette  a 
sur  sa  dernière  robe  propre.  Montclair, 
insouciant,  inconscient  aussi,  dégringole 
les  six  étages  pour  engager  ce  bout  de  den- 
telle qui  représente  au  moins  de  quoi  man- 
ger. Juliette  reste  seule.  On  sonne,  mais  son 
apprentissage  est  fait,  elle  sait  que  ce  n'est 


13  i 


CHRONIQUE    THÉÂTRALE 


pas  une  commande,  plutôt  une  récla- 
mation, elle  n'ouvre  pas  ;  on  resonne  encore, 
et  chaque  fois  d'une  façon  plus  persuasive, 
plus  douce.  Comme  entraînée,  elle  ouvre  : 
c'est  Lormier  !  Oui,  c'est  lui  ;  mais  non 
pas  en  mari  outragé,  armé  de  son  droit, 
mais  en  père  qui  veut  le  bonheur  de  son 
enfant,  qui  ne  voit  que  son  devoir  après 
son  erreur  et  qui  dit  :  J'ai  eu  tort  de  te 
prendre  pour  femme,  tu  étais  ma  fille  — 
ma  fille  tu  es  toujours,  et  quand  Montclair 
remonte  chargé  de  victuailles,  Lormier, 
après  avoir  démontré  jusqu'à  l'évidence 
pourquoi,  dans  l'intérêt  du  bonheur  même 
de  Juliette,  il  ne  peut  et  ne  doit  ni  di- 
vorcer ni  la  reprendre,  dicte  ses  condi- 
tions :  Montclair  a  du  talent,  mais  il  est 
bohème,  ce  sera  toujours  la  misère,  la 
médiocrité  si  un  être  sensé  et  pratique  ne 
dirige  l'intérieur  :  cet  être  sera  ce  Lormier. 
Lormier  qui  n'a  été  mari  que  de  nom,  mais 
qui  est  resté  le  père  moral  de  Juliette.  Tous 
les  amis  de  Montclair  croient  Juliette  sa 
femme  légitime,  il  n'y  aura  rien  de  changé 
et  puisqu'on  sait  Juliette  orpheline,  que 
Lormier  ne  peut  être  ni  son  père,  ni  son 
mari,  il  sera  son  oncle.  Notre  oncle.  Au 
troisième  acte,  Lormier  a  tenu  parole,  Mont- 
clair est  célèbre,  officier  de  la  Légion  d'hon- 
neur, en  passe  d'être  de  l'Institut,  mais 
hélas!  l'amour  n'est  plus  là  et  Montclair 
n'hésite  pas  à  faire  la  cour  à  une  certaine 
M'""  Thi\onier,  vieille  rouleuse  des  salons 
académiques,  escornifleuse  d'art  et  de 
lettres,  qui,  par  son  mari  et  ses  amants, 
dispose  de  trois  voix.  Juliette  le  sait,  elle 
souffre,  elle  essaye  d'empêcher  Lucien  d'al- 
ler à  un  rendez-vous  avec  la  Thivonier,  mais 
inutilement.  Celui-ci  parti,  elle  s'en  prend  à 
Lormier,  lui  reprochant  en  termes  amers 
et  injustes  son  indifférence,  elle  le  conjure, 
elle  le  supplie  de  lui  ramener  Lucien, 
sa  vie,  son  amour.  Le  bonhomme  a  tout 
vu,  mais  prudemment  s'était  tu  pour  re- 
culer une  catastrophe  qu'il  sent,  hélas! 
inévitable;  il  promet  de  tout  faire,  il  a 
des  droits,  des  pouvoirs,  et  si  quelqu'un 
se  brise  dans  l'alTaire,  ce  ne  sera  pas  lui. 
Quand  Montclair  revient,  furieux  d'avoir 
manqué  le  rendez-vous ,  l'explication  a 
lieu,  Lormier  démontre  à  Montclair  qu'il 
est  son  prisonnier,  qu'il  ne  peut  rien  faire 
sans  lui.  En  effet,  pour  tout  ce  beau 
monde  auquel  Montclair  s'est  mêlé,  il  est 
le  mari  de  Juliette.  Lormier,  c'est  le  parent 
dévoué,  l'oncle  !  Que  dira-t-on  en  appre- 
nant l'existence  de  ce  ménage  à  trois  ?  Ce 
sera  le  discrédit,  la  vengeance  de  tous  les 
jaloux,  des  envieux,  des  amis.  Ce  sera 
l'Institut  flambé  et  Montclair,   convaincu. 


mais  mis  hors  de  lui  par  cette  fatalité 
contre  laquelle  il  ne  peut  rien,  en  proie  à 
une  rage  froide,  insulte  Lormier  à  son 
tour,  l'accuse  d'infâmes  choses  ;  les  deux 
hommes,  comme  des  brutes  déchaînées,  se 
sautent  à  la  gorge  et  Montclair  tombant  se 
tue  sur  l'angle  d'une  cheminée,  mais  en 
mourant  il  jette  à  Lormier  une  dernière 
insulte.  Cependant  que  Lormier,  debout 
devant  le  cadavre,  dit  à  Juliette  éplorée  : 
Ma  pauvre  enfant,  vous  êtes  veuve!  Toute  la 
moralité  de  la  pièce  est  là  :  un  homme 
reprend  son  rôle  de  père,  après  avoir  été 
mari  seulement  aux  termes  delà  loi  et  pour- 
suit son  rôle  de  père  jusqu'au  dernier  mot. 

Tel  est  dans  ses  grandes  lignes  ce  drame 
cruel  et  vrai,  écrit  sobrement,  clairement, 
avec  une  grande  habileté;  il  n'y  faut  pas 
voir  une  pièce  de  théâtre.  L'auteur  se  dé- 
fend d'en  avoir  voulu  faire  une,  et  il  a 
raison,  car  le  théâtre  ne  peut  être  exploité 
que  par  des  sentiments  et  des  cas  géné- 
raux; s'il  reste  l'éducateur  qu'on  veut  faire 
de  lui,  l'exception  d'une  situation,  si  bien 
traitée  qu'elle  soit,  est  en  dehors  de  ce 
caractère.  II  faut  donc  savoir  gré  à  Mau- 
rice Lefevre  de  n'avoir  obéi  qu'au  souci 
de  noter  sincèrement  et  avec  art  un  fait 
dont  il  a  été  instruit,  de  l'avoir  fait  avec 
une  aisance  et  une  énergie  peu  communes, 
d'en  être  resté,  en  un  mot,  l'historien  et 
le  commentateur,  sans  vouloir  songer 
qu'en  l'atténuant  on  en  pouvait  battre 
monnaie. 

M'^''  Dauphin,  du  Gymnase,  avait  assumé 
la  lourde  tâche  de  personnifier  Juliette;  la 
besogne  n'était  ni  commode,  ni  dépourvue 
de  danger.  M"®  Dauphin  s'en  est  tirée  avec 
un  véritable  triomphe,  le  jouant  en  comé- 
dienne experte  et  sûre  d'elle-même,  pleine 
d'énergie  et  de  volonté,  sachant  aussi 
rester  femme.  Cette  création  fait  le  plus 
grand  honneur  à  cette  jeune  fille  et  marque 
pour  elle  le  début  d'une  carrière  dont 
nous  saluerons  les  succès. 

M.  Mayer,  du  Grand-Guignol,  a  créé  le 
rôle  épineux  de  Lormier  d'une  façon  ma- 
gistrale, tour  à  tour  câlin ,  bonhomme, 
autoritaire  et  brutal.  M.  Henri  Girard,  de 
la  Renaissance,  a  su  mettre  en  relief  les 
deux  aspects  de  Montclair,  le  bohème  et 
l'homme  arrivé,  tour  à  tour  insouciant, 
gouailleur,  léger,  puis  hautain,  dur,  vio- 
lent ;  il  a  su  tirer  parti  de  tous  ces  effets 
avec  une  autorité  incontestable  et  une 
grande  intelligence.  Je  renomme  pour  mé- 
moire M.  Th.  Huguenet,  qiii  a  finement 
dessiné  la  silhouette  du  notaire. 

E.-M.  Laumann. 


LA    MUSIQUE 


D'un  bout  à  l'autre  de  Fervmi!,  M.  d'Iiiily  fait 
œuvre  d'artiste  ;  sans  une  faiblesse  comme  sans  une 
concession. 

LÉON   Kkrst. 


Fervaal,  Taclion  musicale  en  trois  actes 
et  un  prologue  de  M.  d'Indy,  est  une 
oeuvre  fertile  en  discussions.  Mais  avant 
toute  chose,  il  convient  de  féliciter  M.  Al- 
bert Carré  d'avoir  courageusement  pré- 
senté au  public  la  première  et  sérieuse 
récolte  de  l'influence  faste  ou  néfaste  — 
l'avenir  se  prononcera  —  non  de  l'esthé- 
tique musicale  de  Wagner,  mais  de  ses 
formules. 

M.  d'Indy  a  écrit  (très  louable  tentative 
qui  lui  a  pleinement  réussi)  un  poème  en 
vers  libres,  ou  plutôt  en  prose  assonnante 
et  rythmée,  qui  renferme  des 
beautés  littéraires  et  poétiques 
de  premier  ordre. 

Prologue.  —  Fervaal  par- 
court, en  compagnie  du  druide 
Arfagard,  l'extrême  midi  de  la 
France.  Ils  sont  assaillis,  et, 
en  se  défendant,  Fervaal  trans- 
percé par  une  flèche  tombe 
inerte  au  pied  d'un  arbre. 
Arfagard,  une  hache  à  la  main, 
veut  le  défendre  jusqu'à  la 
mort;  lorsque  Guilhen  l'en- 
chanteresse, vêtue  de  riches 
étofl"es  d'Orient,  escortée  d'une 
nombreuse  suite  de  cavaliers 
maures,  vient  les  secourir.  Elle 
offre  à  Arfagard,  qui,  après 
bien  de  farouches  hésitations, 
accepte,  de  sauver  Fervaal. 

Premier  acte.  —  Arfagard 
réveille  Fervaal  endormi  sous 
un  vieil  olivier.  Il  l'engage  ii 
revêtir  ses  armes,  à  fuir,  main- 
tenant que  la  blessure  est  cica- 
trisée ;  et,  pour  le  décider,  il 
lui  révèle  sa  destinée.  Fervaal 
est  le  dernier  descendant  des 
Nuées,  race  de  chefs,  race  de 
dieux  !  En  lui  repose  tout  l'es- 
poir de  Cravann  qui,  seule 
parmi  les  nations  celtiques,  a 
conservé  les  croyances  antiques. 
Ce  mot  «  seule  »  explique  les 
invraisemblances  historiques 
du  poème  plus  fantastique  que 
réel  de  M.  d'Indy. 

L'orgueil  a  enthousiasmé  le 
jeune  héros  :  il  s'arme.  Guilhen 
apparaît.    Pour    s'armer    de    la    sorte,    oii 
donc  veut-il  aller  chasser?  demande-t-elle. 
Les  traits  de  Fervaal  s'attristent.  Guilhen 
redoute   que  la  blessure  ne   se   soit  rou-    I 


verte,  mais  F'ervaal  la  rassure  en  lui 
disant  qu'il  songe  tristement  à  sa  chère 
patrie  lointaine.  Guilhen  l'invite  à  lui 
dévoiler  sa  souffrance  cachée.  Alors  Fer- 
vaal épanche  son  âme;  il  évoque  (en  fort 
belles  strophes  littéraires  dont  la  musique 
embrume  malheureusement  la  pénétrante 
et  enthousiaste  poésie)  les  souvenirs  de 
son  enfance,  de  ses  premières  armes,  de 
sa  retraite  au  fond  des  bois  sacrés.  Alors, 
celait  la  libre,  la  fière,  Vauguste  joie!  jus- 
qu'au jour  où,  mourant,  Guilhen  lui  ap- 
parut et  lui  apporta   avec  la  guérison  du 


Vincent    d'Indy,    auteur  de   Fervaal. 


corps  l'incurable  blessure  de  l'âme,  la 
douleur  !  Mais  cette  douleur,  Guilhen  la 
ressent,  elle  aussi  :  c'est  l'amour  !  Irrésis- 
tiblement   jetés    dans    les    bras    l'un    de 


136 


LA    MUSIQUE 


Fautre,    Fervaal   s'écrie   étonné,   effrayé   : 

O  prodige  !  comme  autrefois 
En  mon  âme  renaît  la  joie, 
La  joie  de  mes  jeunes  années... 

Fervaal  veut  ravir  Guilhen  qui,  douce- 
ment, se  laisse  choir  en  ses  bras.  La  joie 
renaît  douloureusement!  ils  murmurent  en 
restant  tendrement  enlacés  : 


GUILHEN 


Dou  .  Icnr        char        .        mante! 


(Comme  le   faisait  souvent  Gounod,  cette 
jolie  phrase  se  répète  à  la  tierce.) 

A  l'appel  d'Arfagard,  l'ervaal  s'écrie  : 

Voix  de  la  douleur,  tais-toi,  tais-toi! 


Guilhen  consent  à  partir  avec  lui.  Mais 
non,  il  se  souvient,  il  ne  peut  l'emmener, 
ce  serait  un  crime  !...  Guilhen  lui  décrit 
avec  enthousiasme  le  chaud  pays  où  naît 
le  soleil,  le  sien  ;  où  fleurit  l'amour  aux 
jjarfuvis  mystiques  !...  Je  t'aime!  Je  suis  à 
toi!  murmure  Fervaal  oubliant  et  parju- 
rant le  serment  de  Véternel  renoncement  au 
charme  impur  de  la  femme.  Lorsqu'il  sort 
de  son  égarement,  réappelé  par  Arfagard, 
éperdu,  il  se  dégage  de  l'étreinte  de  Guil- 
hen, qui  se  traîne  à  ses  pieds,  et  il  s'enfuit 
en  s'écriant  :  Maudit  soit  Vamour  !  Abandon- 
née, Guilhen  revient  peu  à  peu  à  elle  :  et, 
lorsqu'elle  ne  peut  plus  douter  de  son  iso- 
lement, sa  douleur  se  change  en  colère, 
en  haine,  en  esprit  de  vengeance!  Elle 
évoque  les  invincibles  forces  destructives 
de  la  nature,  et  répondant  à  son  peuple 
révolté  par  la  misère,  elle  lui  prêche  l'in- 
vasion de  Cravann  où  il  trouvera  tout  en 
abondance! 

Deuxième  acte.  —  Au  moment  où  Fer- 
vaal veut  avouer  à  Arfagard  qu'il  a  violé 
son  serment,  celui-ci  lui  impose  silence. 
En  effet,  un  mystère  se  prépare,  un  miracle 
s'accomplit  sur  l'autel  druidique.  On  voit 
apparaître  les  formes  primordiales,  puis 
les  nuées,  sous  l'aspect  d'un  reptile  fabu- 
leux; et  finalement,  Kaito  qui  réédite  la 
terrible  prophétie  : 

Si  le  serment  est  violé, 

Si  la  loi  antique  est  brisée. 

Si  l'amour  règne  sur  le  monde. 

Le  cycle  d'Esus  est  fermé. 

Seule  la  mort. 

L'injurieuse  mort  appellera  la  vie. 

La  nouvelle  vie  naîtra  de  la  mort. 

Arfagard  est  troublé.   Ressaisissant  ses 


esprits,  il  envoie  Fervaal  revêtir  ses  armes 
pour  paraître  devant  le  conseil  qui  va  se 
réunir.  En  effet,  les  chefs  sont  arrivés  ; 
Arfagard  leur  annonce  que  Cravann  est 
menacée  !  Tous  veulent  être  nommés 
Brenn  de  guerre.  Zèle,  ambition  inutiles  ! 
car  le  chef  désigné  par  l'oracle  est  Fer- 
vaal, fils  de  Raidrig,  qui  apparaît  superbe 
en  son  armure  étincelante. 

Ici,  la  musique,  je  ne  dirais  pas  beau- 
coup plus  conventionnelle,  mais  beaucoup 
moins  égoïste,  en  ce  sens  que  l'auteur  n'a 
plus   écrit  pour  lui,  mais  pour   le  public  ; 


Lent  et  majestueux 


Ped  *  Ped       * 


ici,  la  musique  est  plus  adéquate  avec  le 
livret.  Et,  jusqu'à  la  fin  de  cet  acte,  nous 
trouverons,  enfin!  quelques  beaux  motifs 
musicaux,  larges  et  majestueux. 

Le  chœur  sonore  et  martial  qui  précède 


Ten 


le  discours  qu'adresse  Fervaal  à  tous  les 
chefs  des  libres  pays  celtiques,  est  réelle- 
ment d'une  belle  allure. 

La   cérémonie  druidique  commence  par 
ce  chœur  d'un  joli  caractère  religieux  : 


Ténors 


j  j  Jinj 


troit         IVn     .    vre       dn       Fen       maodit; 


L'épée  est  dévolue  à  Fervaal  :  on  arme 
les  clans,  une  agitation  fiévreuse  s'empare 
de  tous  ;  et,  pendant  que  les  chefs  avertis 
par  un  messager  de  l'approche  de  l'ennemi 


se  préparent  h  la  lutte,  Fervaal    annonce  à 
Arl'agard  qu'il  va  mourir. 


LA   MUSIQUE  137 

entonne,  à  bouche  fermée,  le  Pange  lingna. 


on  Ferv;i.il,      oe  par.  le  pa 


répond  le   druide    ému  qui    recule    épou- 
vanté lorsque  Fervaal  ajoute: 

Je  ne  suis  pas  l'élu,  rappelc, 

LMionime  i)ur  désigné  par  la  voix  deroraclc... 

J'aimai  Guillien... 

Je  l'aime  !  mon  àme  est  liée  à  son  âme  ; 

En  moi  je  garderai  son  amour  k  jamais  ! 

Puis  il  continue  en  lui  rappelant  l'oracle  : 

Seule  la  mort  peut  appeler  la  vie  ; 
La  nouvelle  vie  naîtra  de  la  mort!... 
Esus  réclame  un  sacrifice, 
Et  la  victime  sera  moi  ! 

Et  tandis  que  Arfagard,  anéanti,  s'appuie 
à  l'autel,  Fervaal  entonne  son  chant  de 
guerre  que  la  foule  armée  et* belliqueuse 
redit  avec  enthousiasme,  en  allant  prendre 
ses  postes  de  combat. 

Seul  et  désespéré,  Arfagard  s'écrie  : 

Esus  est  mort... 

Et  Cravann  va  périr  ! 

Troisième  acte.  —  La  montagne  d'Iser- 
lech  est  revêtue  de  neige  et  jonchée  de 
cadavres.  Au  milieu  de  son  armée  mas- 
sacrée, P'ervaal  est  seul.  Cherchant  à  re- 
connaître les  cadavres,  Arfagard  l'aperçoit  : 
il  ne  sait  si  c'est  lui  ou  son  âme  errante. 

Avec  désespoir,  Fervaal  lui  raconte  sa 
défaite  et  le  conjure  d'assouvir  la  ven- 
geance d'Esus  en  le  sacrifiant,  en  ofTrant 
son  sang  en  holocauste. 

Ah  !  Fervaal,  mon  cher  fds, 

Dernier  espoir  de  ma  vieillesse. 

Je  te  retrouve  enfin  digne  de  tes  a'ieux  ! 

répond  avec  attendrissement  Arfagard. 

Fervaal  s'agenouille,  le  sacrifice  humain 
va  s'accomplir;  lorsqu'au  loin,  une  voix 
chère,  une  voix  aimée  et  reconnue,  appelle 
Fervaal.  C'est  Guilhen  !  L'amour  me  reste 
encore!...  s'écrie  le  héros  vaincu,  qui  ne 
veut  plus  mourir  et  renie  ses  dieux!  D'un 
revers  d'épée  il  abat  Arfagard,  et  pour 
tendre  plus  tôt  les  bras  à  Guilhen  défail- 
lante, frissonnante,  il  marche  sur  le  corps 
du  druide  qui  l'a  élevé.  Guilhen  est  mou- 
rante :  ces  brouillards,  ce  froid,  cette  neige 
l'ont  tuée;  elle  est  morte! 

La  nuit  est  venue.  Entre  les  deux  ca- 
davres de  ceux  qu'il  aimait,  Fervaal  perd 
peu  à  peu  la  raison  et,  prenant  le  cadavre 
inerte  de  Guilhen  dans  ses  bras,  il  esca- 
lade les  morts,  tandis  qu'un  chœur  lointain 


Ici,  je  ne  comprends  pas  que  M.  d'indy, 
qui  a  voulu  symboliser,  me  semble-t-il, 
parle  rappel  de  cette  hymne  liturgique,  la 
déroute  des  antiques  croyances  devant 
l'aube  du  christianisme,  ait  dérythmé  plu- 
sieurs fois,  et  d'aussi  flagrante  façon,  un 
chant  connu,  populaire,  et  dont  le  rythme 

Texte  liturgique 


P.in.ge      lia.  ga  . 

Rythme  adopte' 


Glo  .  ri  .    0 


lin  .   gn   .  a 

solennel  eût  été  beaucoup  plus  majestueux 
que  toutes  ces  tortures,  toutes  ces  désar- 
ticulations musicales. 


dt^ 

-4- 

-^^ 

r^ 

-H. 

J       J.        h, 

^"    ii       4-^-^ 

tU\    i     r    z^zU 

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Elève  de  César  Franck,  M.  d'indy  n'en 
a  pas  la  simplicité  émue  :  disciple  de 
Wagner,  il  en  a  récolté  les  principaux  dé- 
fauts sans  s'en  assimiler  les  moindres  qua- 
lités. Le  rythme  de  Chabrier  l'obsède,  et 
il  l'atteint  parfois  avec  bonheur.  Dans  son 
archéologie  musicale  (acte  II,  scènes  ii 
et  m),  il  évoque  souvent  le  souvenir  de 
Meyerbeer  ;  et  au  beau  milieu  des  modu- 
lations les  plus  ardues,  il  écrit  ce  récit  à 
l'allure  poncive  : 


Si  j'ouvre  la  partition,  j'y  trouve,  page 
114,  une  mesure  à  lo/S,  c'est-à-dire  une 
mesure  à  9  8  et  une  mesure  à  6/8,  comme 
l'a  tout  simplement  écrit  Gounod,  dans  le 
duo  de  Mireille.  Plus  loin,  pages  1 17  et  327, 
il  y  a  une  mesure  à  2  =  3/4,  c'est-à-dire 
une  mesure  que  la  main  droite  joue  à  trois 
temps  et  la  main  gauche  à  deux.  Si  ces  dif- 
ficultés inutiles  étaient  motivées  par  une 
beauté    mélodique,    elles    seraient    sinon 


138 


LA  MUSIQUE 


acceptables,  du  moins  excusables.  La  mu- 
sique qui  dans  ce  passage  devrait  être  pas- 
sionnée, troublante  (Guilhen  appuie  avec 
passion  ses  lèvres  sur  celles  de  Fervaal, 
dit  le  livret),  est  froide,  insignifiante. 

La  lecture  de  cette  partition  est  fort 
difficile:  pour  éviter  au  lecteur  de  bien  na- 
turelles hésitations,  l'auteur  est  obligé,  à 
chaque  instant,  de  mettre  entre  guille- 
mets un  rappel  des  accidents  à  la  clef. 

Voilà  un   fragment  de    symphonie    des- 


criptive vraiment  réussi.  Le  livret  dit  :  la 
forme  disparaît,  tout  redevient  sombre. 
Ce  qui  disparaît,  ce  qui  redevient  sombre, 
c'est  la  forme  musicale,  c'est  la  compré- 
hension de  ce  que  l'auteur  a  bien  voulu 
faire.   Croyez-vous  que   ce  si  (A)  qui  n'est 


que  l'appoggiature  d'un  la  sous-entendu 
soit  bien  agréable?  et  que  la  phrase  chan- 
tante ne  gagnerait  pas  à  être  écoutée  avec 
cette  dissonance  en  moins?  Et  dans  cet 
autre  fragment  :  voilà  un  sol  %  écrit  la^  (A) 
et  appoggiature  du  sol  l^  suivant  qui  est 
bien  désagréable  à  l'oreille;  mais  pas  au- 
tant que    le  la  t]  (B),    retard   bien  inutile  ; 


placé  pour  faire  détonner,  comme  à  plaisir, 
le  chanteur  qui,  quelle  que  soit  sa  science 
musicale,  hésitera  toujours,  en  entendant 
deux  intonations  {la  \  et  la  [>),  à  prendre 
celle  qui  est  réellement  écrite  pour  la 
partie  vocale.  De  même  et  fatalement,  le 
spectateur,  ignorant  delà  partition,  dira,  en 
entendant  l'orchestre   jouer  sol  j?,  et   l'ar- 


tiste   chanter   la\y  :    «  Ce  soprano    chante 
faux,  c'est  horrible  !  » 


Que  voulez-vous,  l'art  pour  l'art,  c'est 
très  beau  ;  mais  ne  faudrait-il  pas  un  peu 
songer  au  public?  Cela,  je  le  dirai  et  re- 
dirai au  risque  de  me  répéter,  chaque  fois 
que  je  me  trouverai  en  face  d'une  œuvre 
créée  et  conçue  plus  pour  la  satisfaction 
de  l'auteur,  de  quelques  initiés,  que  pour 
le  grand  et  vrai  public. 

L'œuvre  d'art  qui  reste  dans  le  domaine 
d'un  public  restreint  tombe  au  rang  d'un 
bibelot  d'étagère,  plus  curieux  par  sa  ra- 
reté que  par, sa  vraie  valeur. 

M.  d'Indy,  qui  est  un  symphoniste  de 
premier  ordre,  un  maître,  un  poète  plein 
d'élan,  d'enthousiasme,  mérite  les  repro- 
ches que  lui  adressait  M.  S.  Rousseau,  dont 
la  critique  musicale  fait  autorité. 

Saidant  de  plus  de  trente  thèmes,  ce  qui 
est  beaucoup,  les  juxtaposant  minutieusement 
sur  les  fréquents  états  d'âme  de  ses  héros, 
complexe,  rapide,  inquiet,  M.  d'Indy  semble 
toujours  craindre  de  s'attarder  en  quelque 
mélodie  trop  claire.  Le  fantôme  de  la  conces- 
sion le  hante:  il  le  fuit  avec  terreur,  décidé  à 
tous  les  sacrifices  plutôt  que  de  consentir  à 
l'apparence  d'une  jibrase  ou  d'une  suite  d'ac-, 
cords  dont  l'imprévu  ne  fût  pas  absolument 
démontré. 

Il  est  certain  que  M.  Vincent  d'Indy  a 
voulu  faire  quelque  chose  qui  ne  s'était 
jamais  fait.  L'intention  est  fort  louable, 
mais  il  ne  faut  pas  oublier  que,  si  dans 
l'art  symphonique  la  palette  fait  passer  le 
dessin ,  dans  l'art  théâtral ,  la  palette 
la  plus  chatoyante  n'est  qu'un  informe 
gribouillage  si  elle  n'est  absolument  au 
service  du  dessin  mélodique. 

Et  qu'importent  au  spectateur  les  thèmes, 
les  harmonies,  si  ce  que  dit  l'artiste  en 
scène  lui  semble  incompréhensible  !  Si  dès 
les  premières  mesures  l'étonnement  se 
change  on  désorientation,  si  après  le  dé- 
sappointement vient  la  lassitude,  puis  la 
fatigue  qui,  finalement,  fait  place  au  dé- 
couragement. Que  fera  le  public?  Il  déser- 
tera les  salles  de  spectacle,  jusqu'au  jour 
où  une  inévitable  réaction  artistique  nous 
fera  revenir,  non  au  Pardon  de  Ploermel, 
non  au  Roi  d'Ys,  non  au  Roi  malgré  lui  ; 
mais,  horreur!  à  Fra  Diavolo,  au  Voyage 
en  Chine,  au  SeriJfnt  à  plumes. 

Guillaume   Dan  ver  s. 


FERVAAL 


ACTION     MUSICALI-:     UN     TROIS     ACTES     ET     UN     PUOLOGUE,     DE      M.     VINCENT     DINDY 

Représentée  pour  la  première  fois,  à  Paris,  le  10  mai  1893,  au  tléitre  uatioiial  de  l'Opéra-Comique. 


Fervaal  (M.  ImbarL  de  la  Tour)  prend  Guilhen  (M™"  Raunay)  doucement  entre  ses  bras  et  l'assoit 
à  coté  de  lui  sur  une  roche.  (Acte  lll,  scène  ii.) 


FERVAAL      ft>  tt  ;) 


PIANO 


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Ah! 


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reste 


en       mes        bras,  douce 


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Publié  avec  l'autorisation  de  MM.  Durand  et  fils,  éditeurs,  Paris.  —  Tous  droits  réservés. 


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MEMENTO     ENCYCLOPÉDIQUE 

Événements  de  Mai   1898. 


l''''.  —  La  jouriu'e  du  premier  mai  se  passe  sans 
aucun  incillent.  —  Mort  ilo  M.  Linard,  sénateur  des 
Ardennes.  —  Mort  de  M.  Paulin  Ménier,  artiste 
dramatique.  —  La  hausse  du  prix  du  pain  provoque 
des  désordres  en  Turquie.  —  li'exposition  ilu  Cente- 
naire du  statut  est  inaugurée  à  Rome,  en  présence  des 
souverains  italiens.—  L'interdiction  de  fêter  le  l""'  mai 
occasionne  des  troubles  à  Boka  (Hongrie).  Il 
morts  et  de  nombreux;  blessés. 

2.  —  M.    Hanotaux  clôture   les    travaux    de   la   com- 
mission lie  l'emprunt  hellénique. — Dans  une  course 
d'automobiles,  organisée  à  Périgueux,  deux  automobiles 
se  rencontrent.  M.  le  marquis  de  Montaignac 
est  tué  et  deux  autres  personnes  blessées.  — 
Mort  de  M?""  Hugonin,  évêque  de  Bayeux. 

—  L'état  de  siège  est  proclamé  à  Madrid. 

—  Le  marquis  Saionyi,  ministre  de  l'instruc- 
tion publique  au  Japon,  démissionne.  Il  est 
remplacé  par  le  professeur  Xogoma.  —  Des 
troubles  graves  se  produisent  eu  Italie  par 
suite  de  la  cherté  du  pain  et  du  manque  de 
travail.  Les  manifestants  saccagent  des  mai- 
sons particulières  et  pillent  des  magasins. 
Dans  une  collision  avec  la 
police  il  y  a  deo  tues  et 
des  blesses 


associés  nationaux  de  l'Académie  de  médecine.  —  Le 
congrès  du  'Venezuela  rejette  le  protocole  signé  entre 
MM.   Hanotaux  et  l'ietri,  envoyé  du  Venezuela  pour  la 


LES    TROUBLES     A     MILAN     —     PRISE     D'UNE     BARRICADE     PAR     LES     BERSAGLIERI 


3.  —  Sur  avis  du  conseil  supérieur  de  l'agriculture,  la 
perception  du  droit  île  douane  sur  les  blés  est  sur- 
pendue jusqu'au  1"  juillet.  —  M.  Napias  est  nommé 
directeur  de  l'assistance  publique,  en  remplace- 
ment de  M.  Peyron,  admis  à  la  retraite.  —  MM.  Grasset, 
de   Montpellier,   et    Pitres,   de   Bordeaux,  sont    nommés 


reprise  des  relations  diplomatiques,  rompues  depuis  189.5. 
4.  —  Pose  de  la  première  pierre  de  la  chapelle  édifiée 
rue  Jean-Goujon  en  commémoration  de  la  catastrophe 
du  Bazar  de  la  Charité.  Le  cardinal-archevêque 
de  Paris  préside  la  cérémonie.  A.  cette  occasion,  le  czar 
fait  parvenir  au  gouvernement  français  l'expression  de 


142 


MEMENTO   ENCYCLOPÉDIQUE 


ses  profondes  condoléances.  —  Mort  de  M.  Steeg, 
ancien  député,  directeur  de  l'Ecole  normale  de  Pon- 
tenay-aux-Roses.  —  En  Italie,  Vétat  de  siège  est  pro- 
clamé dans  les  provinces  de  Plaisance,  Ancône,  Bologne 
et  Bari.  —  Le  droit  sur  les  blés  est  suspendu  jus- 
qu'au 30  juin.  —  En  Espagne,  l'état  de  siège  est  pro- 
clamé dans  les  provinces  d'Oviedo,  Valence  et  Cartha- 
gène.  La  Chambre  vote  la  réduction  des  droits  de 
douane  sur  les  céréales  et  interdit  leur  exportation. 

5.  —  Une  circulaire  du  ministre  de  l'intérieur  décon- 
seille aux  Français  de  se   rendre   aux   mines  d'or  du 


M.     GLADSTONE 


Klonillke  à  cause  des  difRcultés  presque  insurmontables 
et  du  peu  de  chances  de  réussite.  —  2,038  candidats  ont 
fait  leur  déclaration  pour  les  élections  législatives. 

6.  —  M.  Bormel  est  chargé  de  mission  au  Congo  et 
au  Tchad  pour  ravitailler   la   mission  de  Béhagle. 

—  Arrivée  à  Paris  de  M.  Campos  Salles,  président 
de  la  république  du  Brésil,  élu  le  l'^"'  mars  et  devant 
entrer  eu  fonctions  le  15  novembre.  —  Mort  du  général 
en  retraite  de  La  Jarrige.  —  La  flotte  américaine 
capture  le  transatlantique  français  Lafayette.  Après 
explications,  ce  paquebot  est  relâché.  —  Les  Améri- 
cains échouent  dans  une  tentative  de  débarquement  à 
Salado  (Cuba).  —  Inauguration  du  monument  élevé  à 
la  mémoire  des  soldats  français  morts  à  la  Canée  (Crète). 

—  Clôture  du  parlement  allemand.  —  Le  prince  de 
Hohenlohe  est  nommé  président  du  district  de  la  haute 
Alsace. 

7.  —  Les  nouvelles  de  la  mission  Marchand 
disent  qu'elle  poursuit  méthodiquement  son  achemine- 
ment vers  le  haut  Nil.  —  M.  Bernier,  architecte  du 
nouvel  Opéra-Comique,  est  élu  membre  de  l'Académie 
des  beaux-arts,  en  remplacement  de  M.  Ginain,  décédé. 

—  L'Académie  exprime  le  vœu  que  l'hôtel  Lauzun, 
17,  rue  d'Anjou,  soit  conservé  comme  monument  histo- 
rique. —  La  Chine  paye  au  Japon  le  solde  de  l'in- 
demnité de  guerre.  —  Des  troubles  graves  se  produi- 
sent en  Toscane  et  à  Milan,  où  la  populace  élève  des 
barricades.  De  violentes  collisions  se  produisent  entre 
les  troupes  et  les  émeutiers.  Il  y  a  un  grand  nombre  de 
tués  et  de  blessés.  L'état  de  siège  est  proclamé.  —  Dans 


une  note  collective  à  la  Porte,  les  ambassadeurs  annon- 
cent la  conclusion  d'arrangements  financiers  pour  le 
payement  de  l'indemnité  de  guerre  par  la  Grèce  et  la 
date  pour  l'évacuation  de  la  Tliessalie. 

8.  —  Premier  tour  de  scrutin  pour  le  renou- 
vellement de  la  Chambre.  401  députés  sont  élus  et  il  y 
a  180  ballottages.  —  Les  étudiants  de  Pavie  (Italie) 
tendent  d'entrer  à  Milan  en  armes.  Ils  sont  repoussés 
par  la  troupe.  Deux  tués,  deux  blessés  et  nombreuses 
arrestations  parmi  lesquelles  celles  de  plusieurs  députés. 
—  A  Linaris  (Espagne),  les  émeutiers  pillent  l'hôtel 
de  ville.  Dans  une  bataille  avec  les 
gendarmes,  il  y  a  12  tués.  Des  désordres 
se  produisent  sur  plusieurs  autres 
points.  Ils  sont  causés  par  la  cherté 
des  vivres.  —  Les  membres  du  cabinet 
espagnol  rendent  leur  portefeuille  à 
M.  Sagasta. 

9.  —  Dans  une  rencontre  de 
trains  sous  le  tunnel  de  la  Pommeraie 
(Haute-Marne),  5  voyageurs  sont  tués 
et  15  blessés.  —  Mort  du  marquis  de 
Cherville.  —  Mort  du  comte  Maurice 
d'Hérisson,  auteur  de  mémoires  sur 
la  campagne  de  Chine  et  le  siège  de 
Paris.  —  A  la  suite  des  troubles  de 
Milan,  la  classe  1872  est  rappelée 
sous  les  drapeaux.  Des  désordres  se 
produisent  encore  dans  plusieurs  villes, 
particulièrement  à  Naples.  —  A 
Athènes ,  exécution  de  Karditzy  et 
Georgis,  qui  avaient  tiré  sur  le  roi  de 
Grèce. 

10.  —  La  Chambre  espagnole 
vote  les  ressources  pour  faire  face  aux 
frais  de  la  guerre.  —  Un  important 
mouvement  se  produit  parmi  les  Ita- 
liens réfugiés  en  Suisse.  Ils  se  portent 
en  grand  nombre  vers  la  frontière 
italienne. 

11.  —  Entrevue  des  princes  Nicolas 
de  Monténégro  et  Ferdinand  de  Bul- 
garie à  Abbazia.  —  Lord  Salisbury 
prononce  un  discours  très  pessimiste 
au  sujet  de  la  situation  internationale 
et  de  l'attitude  de  l'Angleterre.  Ce 
discours  est  très  commenté  dans  tous  les 
cercles  politiques  d'Europe.  —  Les 
Américains  échouent  dans  deux 
nouvelles  tentatives  de  débarquement  à 
Cienfuegos  et  à  Cardenas.  —  Dans  une 
violente  tempête  sur  la  côte  nord  du 
.Japon,  200  bateaux  et  1,500  marins 
engloutis. 

12.  —  M.  F.  Faure  assiste  à  l'inau- 
guration de  l'exposition  des  œuvres  des  trois  Vernet  à 
l'Ecole  des  beaux-arti.  —  Le  prince  royal  de  Dane- 
mark arrive  à  Paris.  —  La  flotte  américaine  bom- 
barde San-Juan  de  Porto-Rico.  —  Le  gouvernement 
fédéral  suisse  décide  d'empccher  les  Italiens  de 
franchir  la  frontière  italienne  par  bandes.  —  Dans  un 
manifeste,  les  députés  républicains  italiens  disent  que 
les  dernières  émeutes  n'ont  rien  de  politique,  qu'elles 
sont  le  résultat  de  la  misère  et  du  mécontentement. 

13.  —  M.  F.  Faure  reçoit  M.  Campos  Salles, 
nouveau  président  de  la  république  du  Brésil.  —  La 
mission  du  capitaine  Morisson  ayant  été  mal  accueillie 
par  le  roi  Babemba,  de  Sikasso,  une  colonne  va  être 
envoyée  contre  Sikarasso.  —  Le  prince  Henri  de 
Prusse  arrive  à  Pékin.  —  Les  troupes  turques  com- 
mencent à  évacuer  la  Thessalie.  —  Dans  un  discours 
sensationnel,  lonl  Chamberlain  parle  en  termes  hos- 
tiles de  la  France  et  de  la  Russie,  et  préconise  l'alliance 
entre  tous  les  peuples  d'origine  anglo-saxonne. 

14.  —  M.  F.  Faure  rend  visite  à  M.  Campos 
Salles,  président  de  la  république  du  Brésil.  —  Mort 
de  M.  Alfred  Ernst,  critique  musical.  —  En  Russie, 
une  ordonnance  impériale  accorde  aux  femmes  le  droit 
de  faire  partie  des  services  de  l'Etat. 

15.  —  Course  vélocipédique  annuelle  de  Bordeaux- 
Paris.  Rivierre  arrive  premier,  ayant  fait  le  parcours 
en  20  h.  S9'  1"  4/5.  —  Le  prince  Henri  de  Prusse 
est  reçu  par  l'empereur  de  Chine,  à  Pékin.  —  Le  roi 
des  Belges  arrive  à  Madrid  et  rend  visite  à  la  reine 
régente.  —  A  la  suite  des  troubles  qui  se  sont  produits 


MEMENTO   ENCYCLOPÉDIQUE 


143 


en  Italie,  de  nombreuses  sociétés  politiques  sont  dis- 
soutes, des  perquisitions  sont  opérées,  des  journaux  sup- 
primés et  plusieurs  députés  incarcérés. 

16.  —  Le  ministère  espagnol  démissionne.  M.  Sa- 
pasta  est  chargé  do  former  le  nouveau  cabinet.  — 
L'évacuation  de  la  Tliessalie  s'est  efEectuée  sans  incident. 
—  M.  Gladstone,  dont  les  jours  sont  comptés,  reçoit 
de  la  reine  Victoria  une  lettre  autographe  lui  exprimant 
sa  gratitude  pour  les  grands  services  rendus  au  pays 
pendant  sa  longue  carrière.  —  L'empereur  d'Alle- 
magne visite  le  réservoir  d'Altfe'd,  eu  Alsace,  près  de 
la  frontière  française. 

17.  —  M.  Ehrmann,  chirurgien  à  Mulhouse,  est  nommé 
membre    associé    national   de    l'Académie    de  médecine. 


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le  duc  d'Almodovar,  affaires  étrangères;  M.  Groizard, 
justice  ;  général  Correa,  guerre;  amiral  Aunon,  marine  ; 
Puigierver,  finances;  Capdepon,  intérieur;  Gamazo,  tra- 
vaux publics  et  instruction;  Romeo  Giron,  colonies.  — 
La  commission  des  affaires  étrangères  de  la  Chambre 
des  représentants  des  Etats-Unis  se  déclare  en  faveur 
de  l'annexion  des  îles  Ilawaï. 

19.  —  Une  commission  supérieure  de  l'éducation  phy- 
sique de  la  jeunesse  est  constituée  au  ministère  de 
l'instruction  publique.  —  Le  P.  Augier  est  élu  supérieur 
général  des  Oblats,  en  remplacement  du  P.  Sollier, 
décédé.  —  L'escadre  espagnole,  sous  les  ordres  de 
l'amiral  Cervera,  partie  du  Cap-Vert,  force  le  blocus  et 
arrive  à  Santiago  de  Cuba,  où  elle  est  accueillie  avec 
enthousiasme.  La  reine  régente  envoie  un  télégramme 
de  félicitations  à  l'amiral  Cervera.  —  Mort  de  M.  Glad- 
stone, né  le  29  décembre  1809.  La  Chambre  des  Com- 
munes lève  sa  séance  en  signe  de  deuil.  —  Par  suite  de 
divergences  d'opinions  entre  ministres,  le  ministère 
du  Pérou  est  modifié  comme  suit  :  Loazio,  premier 
ministre  et  justice  ;  Cuadros,  guerre  ;  Parras,  affaires 
étrangères  ;  de  la  Puente,  intérieur  ;  Ke7,  finances  ;  Butler, 
travaux  publics. 

20.  —  M.  Sagasta  présente  les  nouveaux  ministres  à 
la  Chambre  espagnole.  Il  déclare  que  l'Espagne 
n'acceptera  pas  la  paix  si  l'intégrité  territoriale  n'est  pas 
maintenue. 

21.  —  M.  Boutroux,  professeur  à  la  Faculté  de  Paris, 


CHATEAU    DE    HAWARDEN,    OU   EST   MORT    M.    GLADSTONE 


—  Tous  les  journaux  républicains  et  socialistes  d'Italie 
sont  supprimés.  Le  nombre  des  individus  arrêtés  et  de- 
vant passer  devant  les  tribunaux  est  de  plus  de  1,000. 

—  Les  Chinois  occupent  Weï-Haï-Weï  aussitôt  après 
le  départ  des  Japonais,  et  les  Anglais  débarquent 
également  pour  prendre  possession  de  Heï-Haï-Weï,  qui 
leur  est  cédé  par  la  Chine. 

18.  —  Une  colonne  de  1,500  hommes,  sous  le  com- 
mandement du  lieutenant-colonel  Adéoud,  envoyée 
contre  le  roi  Babemba,  pour  venger  le  mauvais  accueil 
fait  au  capitaine  Morisson,  s'empare  de  Sikasso  après 
une  brillante  action.  Babemba  est  tué,  ainsi  qu'un  grand 
nombre  de  rebelles.  —  M.  F.  Faure  inaugure  l'exposition 
de  la  Société  d'horticulture.  —  Ouverture  de  la 
vingt-cinquième  exposition  canine.  —  Mort  de 
M.    Ludovic  Lalanne,    bibliothécaire  de   l'Institut. 

—  Mort  de  M.  Sotirapoulo,  ancien  président  du 
conseil  de  Grèce.  —  Le  ministère  espagnol,  défini- 
tivement constitué,  comprend  :  MM.  Sagasta,  présidence  ; 


est  élu  membre  de  l'Académie  des  sciences  morales  et 
politiques,  en  remplacement  de  M.  OIlé-Laprune,  décédé. 

—  Mort  de  M.  Ducoudray,  sénateur  de  la  Nièvre.  — 
Mort  du  duc  de  Bassano,  ex-grand  chambellan  de 
Napoléon  III,  fils  aine  de  Maret,  secrétaire  de  Xapoléon  le'. 

—  Le  docteur  Leyds  est  nommé  ministre  plénipotentiaire 
de  la  république  du  Sud-Africain  à  Paris,  Berlin,  la  Haye 
et  Lisbonne.  —  Par  suite  do  démissions,  le  nouveau 
ministère  chilien  est  composé  comme  suit  :  C.  Wal- 
ker  Martinez,  intérieur ,  J.- J.  Latorre,  affaires  étrangères  ; 
Zanartu,  finances  ;  V.  Blanco,  guerre  et  marine  ;  A.  Or- 
rego  Luco,  travaux  publics.  —  Mort  du  comte  Antoine 
Zichy,  membre  de  l'Académie  des  sciences  de  Buda- 
Pesth. 

22.  —  Scrutin  de  ballottage  pour  l'élection  de  la 
Chambre  des  députés.  D'après  la  statistique  du  ministère 
de  l'intérieur,  les  républicains  gagnent  51  sièges  et  en 
perdent  47.  —  Inauguration,  à  Versailles,  du  monument 
élevé  à  la  mémoire  du  naturaliste  Hardy,  l'an  des  fon- 


144 


MEMENTO   ENCYCLOPÉDIQUE 


DESTRUCTION     DE     LA     FLOTTE     ESPAGNOLE     A     MANILLE     (deSsin    américain) 


dateurs  de  la  Société  d'horticulture  de  France.  —  Les 
élections  pour  le  renouvellement  de  la  moitié  de  la 
Chambre  et  du  Sénat  de  Belgique  sont  favorables  au 
gouvernement. 


23.  —  Devant  la  cour  d'assises  de  Versailles,  dé- 
bats du  procès  contre  M.  Zola,  sur  plainte  du  conseil  de 
guerre  qui  jugea  l'affaire  Esterhazy.  La  cour  rejette  les 
conclusions  de  M""  Lab'ori,  tendant  à  ce  que  la  cour  d'as- 


RÉSISTANCE    HÉROÏQUE    DE    LA    FLOTTE     ESPAGNOLE    A    MANILLE    (dessin   espagnol) 


MEMENTO    ENCYCLOPÉDIQUE 


li5 


sises  do  Versailles  soit  déclarée  iiicoinpétoiito,  le  délit 
ayant  été  commis  à  Paris.  M.  Zola  se  pourvDit  en  cassa- 
tion et  les  débats  sont  renvoyés.  —  M.  Lebon,  député, 
ministre  des  colonie.-;,  et  M.  Delpeuch,  sous-secrétaire 
d'Ktat  aux  postes  et  télégraplios,  non  rééhiij,  donnent 
leur  démission. 

24.  —  Les  ouvriers  niét:illurgistes  des  chantiers  de 
Brest  se  mettent  en  grève.  —  Mort  île  M.  Auguste 
Blanchardi  graveur,  membre  de  l'Académie  des  beaux- 
.irts.  —  Mort  de  M.  Brin,  ministre  de  la  marine  en 
Italie.—  Le  blocus  de  Manille  est  annoncé.  —  La  reine 
Victoria  entre  dans  sa  quatre-vingtième  année.  Elle 
rogne  depuis  soi.xante  et  un  ans.  —  Mort  de  M.  Wal- 
pole,  doyen  d'âge  des  ex -ministres  anglais. 

25.  —  M'""'  F.  Faure  inaugure  l'Exposition  des 
travaux  de  la  femme,  organisée  par  l'Union  cen- 
trale des  arts  décoratifs.  —  Réunion  du  Congrès  inter- 
national d'agriculture.  —  Les  nouvelles  de  la  mis- 
sion Gentil  au  lac  Tchad  disent  que  cette  mission  a 
lileinement  réussi.  Elle  a  exploré  les  affluents  du  Cluiri 
et,  sur  son  vapeur  démontable,  a  n.avigué  sur  le  Tchad. 
—  Une  proclamation  de  M.  Mac-Kinley  appelle  sous 
les  drapeaux  75,000  nouveaux  volontaires  américains.  — 
Le  prince  royal  de  Grèce  et  sa  femme,  sœur  de 
l'empereur  Guillaume,  arrivent  k  Berlin.  L'accueil  qui 
leur  est  fait  par  les  souverains  allemands  démontre  qu'il 
ne  reste  plus  trace  de  la  tension  de  rapports  qui  existait 
entre  les  cours  de  Ber.in  et  d'Athènes. 

26.  —  M.  Guillaume,  directeur  de  l'Académie  de 
France  à  Rome,  est  élu  membre  de  l'Académie  fran- 
çaise en  remplacement  du  duc  d'Aumale.  Après  six 
tours  de  scrutin,  l'Académie  renvoie  à  une  date  ulté- 
rieure l'élection  du  remplaçant  de  M.  Meilhac.  Les 
médailles  d'honneur  pour  le  Salon  sont  attribuées  à 
MM.  Henner,  pour  la  peinture  ;  txardet,  pour  la  sculp- 
ture; Patricot,  pour  la  gr.avure  et  la  lithographie.  — 
Première  séance  du  Conseil  de  l'office  national  du  com- 
merce extérieur,  sous  la  présidence  de  M.  Boucher.  — 
M.  F.  Faure  donne  un  dîner  en  l'honneur  du  prince 
(Jrousoff,  ambassadeur  de  Russie.  —  L'empereur  d'Alle- 
magne et  le  prince  royal  de  Grèce  passent  en  revue  les 
troupes  de  Berlin.  La  princesse  royale  est  nommée  chef 
du  régiment  d'Elisabeth.  —  Le  vapeur  lidgoland  part 
lie  Geestemunde  avec  l'expédition  polaire  dirigée  par 
M.  Lerner. — -Le  prince  Ferdinand  de  Bulgarie  est  reçu  par 
le  sultan.  —  Les  Américains  tentent  de  débarquer  à 
Binacayan  (Manille).  Ils  sont  repousses  et  les  Espagnols 
s'emparent  des  armes  et  des  munitions  destinées  aux  in- 
surgés. 

27.  —  Duel,  motivé  par  une  polémique  de  presse, 
entre  MM.  Gérault-Richard  et  Rochefort.  Ce  dernier  est 
blessé.  —  Par  décret  est  créé  un  Conseil  supérieur  de 
renseignement  agricole.  —  M.  Bouché-Leclercq,  profes- 
seur à  la  Faculté  des  lettres  de  Paris,  est  élu  membre 
libre  de  l'Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres  en 
remplacement  de  M.  Schefer,  décédé.  —  Le  Prix  du 
Salon  est  décerné  à  M.  Henri  Royer.  —  L'expédition 
anglaise  du  major  Gibbons  part  de  la  côte  portugaise 
de  l'Afrique  orientale,  se  proposant  de  remonter  le  Zam- 


bèze,  de  gagner  l'Ougaudi,  puis  le  Nil,  et  de  tenter 
d'atteindre  le  Caire.  —  Le  gouvernement  espagnol 
décide  d'adresser  une  communication  aux  puissances  sur 
les  agissements  des  Américains  à  Cuba.  —  Deux  journa- 
listes américains,  prisonniers  à  Cuba,  sont  échangés 
contre  deux  officiers  esjiignols  faits  prisonniers  à  bord 
de  VAryoïKiiili'. 

28.  —  M.  F.  Faure  quitte  Paris,  allant  à  Saint- 
Etienne.  —  Mort  de  'Mfi'  Baron,  évêque  d'Angers.  — 
Mort  de  Rosenthal,  connu  dans  la  presse  sous  le 
pseudonyme  de  Jacques  Saint-Cère.  —  Signature  de  la 
convention  de  réciprocité  commerciale  entre  la  France 
et  les  Etats-Unis.  —  Do  grandioses  obsèques  sont 
faites  à  M.  Gladstone.  Le  corps  est  déposé  à  West- 
minster. —  Par  suite  de  divergences  de  vues  entre  les 
membres  du  cabinet  italien  sur  la  question  des  tra- 
vaux parlementaires,  le  ministère  démissionne  et  le  roi 
charge  M.  di  Rudini  de  former  un  nouveau  cabinet. 

29.  —  Dans  un  banquet  qui  lui  est  offert  par  la  muni- 
cipalité de  Saint-Etienne,  M.  F.  Faure  constate  que 
l'alliance  franco-russe  fortifie  la  position  de  la  France. 
M.  F.  Faure  assiste  à  l'inauguration  du  monument 
élevé  à  la  mémoire  des  combattants  de  1870.  —  A  Nantes, 
inauguration  du  monument  élevé  à  la  mémoire  du  général 
Mellinet.  —  A  Malesherbes  (Loiret),  inauguration  du 
monument  élevé  à  la  mémoire  du  capitaine  Lelièvre, 
défenseur  de  Mazagran.  —  Les  socialistes  révolu- 
tionnaires vont  manifester  au  cimetière  dn  Père- 
Lachaise.  Des  bigarres  se  produisent  entre  manifestants.- — 
Grand  steeple-chase  d'Auteuil,  gagné  par  «  Marise  », 
à  M.  Faider. 

30.  —  Mort  de  M.  Rouland,  sénateur  de  la  Seine- 
Inférieure.  —  Fête  fédérale  de  gymnastique  à  Saint- 
Etienne,  M.  F.  Faure  y  assiste.  —  Congrès  des  Eglises 
réformées  à  Nantes,  à  l'occasion  du  3*^  centenaire  de  la 
révocation  de  l'Edit  de  Nantes. 

31.  —  M.  Hanotaux  est  chargé  de  l'intérim  du 
ministère  des  colonies  en  remplacement  de 
M.  Lebon,  démissionnaire,  et  M.  Boucher  est  chargé  de 
l'intérim  du  sous-secrétariat  des  pOSteS  et  télé- 
graphes, eu  remplacement  de  M.  Delpeuch,  démis- 
sionnaire. —  La  grève  de  métallurgistes  de  Brest  est 
terminée.  —  La  flotte  américaine  bombarde  San- 
tiago. Les  forts  ripostent  et  obligent  la  flotte  américaine 
à  se  retirer.  —  La  Chambre  hollandaise  adopte  le 
service  militaire  obligatoire  et  personnel,  sauf  en  ce  qui 
concerne  les  ecclésiastiques  de  tous  cultes.  —  Le  nou- 
veau ministère  italien  est  ainsi  constitué  :  MM.  di 
Rudini,  président  et  intérieur  ;  Capelli,  vice-président  de  la 
Chambre  des  députés  (de  droite) ,  affaires  étrangères  ; 
Bonacci,  député  de  gauche,  justice  ;  amiral  Canevaro, 
sénateur,  marine;  Cremona,  sénateur,  instruction  pu- 
blique; Luzzatti,  député  de  droite,  trésor;  Brauca,  dé- 
puté de  gauche,  finances  ;  Frôla,  député  de  gauche, 
postes  et  télégraphes  ;  général  Afaa  de  Rivera,  député 
de  gauche,  travaux  publics  ;  général  Sanffarzano,  séna- 
teur, guerre.  Le  titulaire  du  portefeuille  de  l'agriculture 
n'est  pas  encore  désigné;  M.  di  Rudini  est  chargé  de  l'in- 
térim. 


LA     B.-ilE     DE     SANTIALiu 


VIII.  —  10. 


LA    MODE    DU    MOIS 


En  dépit  de  la  bouderie  du  ciel  pendant  tout  le 
commencement  de  la  belle  saison,  la  mode  est 
aux  nuances  claires  et  aux  tissus  légers.  La  toile 
batiste  obtient  un  grand  succès.  Elle  remplace 
presque  partout  le  piqué,  —  avec  avantage  dirais-je, 


fantaisie  noire,  ornée  d'un  nœud  cerise  et  d'une 
plume  de  Tirtirk,  est  gracieusement  posée  un  peu 
de  côté  sur  les  cheveux  ondes. 

Le    souple    ayant    définitivement    remplacé    le 
raide,  si  en  faveur  pendant  ces  dernières  années, 


• —  car  elle  est  plus  fraîche  et  plus  souple  que  lui. 

Notre  modèle  n"  1  est  précisément  en  batiste 
blanche,  il  compose  un  charmant  costume  de  vil- 
légiature ou  de  station  balnéaire  ou  thermale. 

La  jupe,  coupée  suivant  le  goîit  moderne,  est 
unie  et  légèrement  longue.  Le  corsage  absolument 
ajusté  forme,  derrière,  habit  à  la  française.  Il  est 
fermé  devant  en  festons  retenus  par  des  boutons 
et  des  ganses  en  passementerie  noire.  Le  col  et 
les  revers  premier  Empire  sont  en  satin  noir,  tandis 
que  la  ceinture  et  la  cravate  sont  en  liberty  cerise 
à  pois  blancs. 

Comme    chapeau,  une  toque-page  en   paille  de 


le  cachemire  est  forcément  très  apprécié  aujour- 
d'hui. Voici  une  délicieuse  toilette  d'après-midi 
pour  garden-party,  dîner  de  campagne,  visites,  etc., 
qui  affirme  ce  dire.  Cette  robe  (n"  2)  est  en  cache- 
mire beige  clair,  toujours  mi-longue,  avec  applica- 
tions ou  incrustations,  suivant  le  goiit,  de  brode- 
ries rousses  recouvrant  tout  le  corsage  à  basques 
rondes,  et  la  jupe,  en  partie.  La  ceinture,  en  soie 
ibis,  est  fermée  derrière  par  une  boucle  assez  volu- 
mineuse en  argent  ciselé. 

Du  tulle  brodé  voile  la  guimpe,  également  en 
soie  ibis  ;  un  liséré  noir  souligne  le  décolletage 
du  corsage  et  borde   les  trois    petits   jockeys  qui 


LA    MODE    DU    MOIS 


147 


ornent  le  haut  des  manches  toujours  longues  et 
ajustées.  Chapeau  Cleo  en  paille  ibis  très  légère, 
très  enlevée,  et  fort  gracieusement  ornée  de  fleurs 
et  de  rubans  de  gaze  l)lé...  Gants  blancs.  Bas  de 
soie  noire,  et  souliers  Richelieu  en  peau  de  renne. 
La  mode  des  robes  à,  volants,  renouvelée  de 
jadis,  comme  tant  d'autres,  hélas  !  est  de  nouveau 


devant.  Des  nœuds  de  velours,  ou  de  faille  noire, 
suivant  le  goût,  avec  des  couteaux  pailletés 
d'acier,  lui  servent  d'ornement. 

Gants  de  suède,  souliers  de  cuir  de  Russie,  et 
bas  de  fil  d'Ecosse  noir  ou  bleu  pâle. 

Enfin  voici  pour  les  amateurs  de  pleine  eaa  un 
coquet  et  gentil  costume  (n"  4). 


fort  prisée.  Ce  modèle  (n°  3)  a  été  porté  aux 
courses  d'Auteuil  par  la  jolie  M^'"'  Sorei.  Il  est 
en  drap  noisette  et  signé  d'un  maître  eu  l'art  de 
la  couture.  Cinq  volants,  de  hauteurs  graduées, 
garnissent  la  jupe,  sauf  sur  le  milieu  du  devant. 
Une  double  petite  pèlerine  Directoire  orne  le 
corsage-veste  dont  le  second  revers  est  en  drap 
blanc.  La  chemisette  intérieure  est  en  mousseline 
de  soie  ciel  d'Orient  très  pâle,  plissée  accordéon, 
et  la  cravate  en  tulle  blanc. 

La  ceinture  est  en  faille  blanche,  fermée  par  une 
boucle,  en  or,  comme  les  boutons.  Le  cha.peau  est 
en  paillasson  noir,  noué  en  deux  coques  et  relevé 


Il  est  en  serge  bleu  marine  avec  applications  de 
drap  blanc,  découpé,  ou  en  broderie.  Le  chapeau 
greenaway  est  en  foulard  caoutchouté  gracieuse- 
ment noué.  Les  bras  sont  nus,  mais  les  jambes 
recouvertes  par  des  bas' de  fil  d'Ecosse  noir;  un 
poignet  de  drap  blanc  boutonné,  terminant  la 
culotte  courte  à  la  zouave,  sert  de  jarretière,  et  de 
fins  souliers  de  caoutchouc  à  cothurne  achèvent  ce 
costume  d'une  exécution  facile. 

Pour  le  peignoir,  en  flanelle,  le  blanc  uni  ou  le 
blanc  rayé  de  bleu  ou  de  rose  sont  tout  à  fait 
charmants.  Les  manches  sont  longues  et  larges, 
comme  des  manches  de  religieuse. 


148 


LA    MODE    DU    MOIS 


ARRANGEMENTS 

Avec  le  lé  qu'une  fetnme  soigneuse  garde  tou- 
jours en  prévision  d'accident,  on  coupe  le  petit 
tablier  représenté  sur  la  figurine  (n^  1),  auquel 
on  rattache  le  reste  de  la  jupe,  ce  qui  permet  de 
renvoyer  l'ampleur  plus  en  arrière  ;  piiis,  afin  de 
donner  à  la  robe  plus  de  longueur  et  plus  d'éva- 
sement  par  le  bas,  pour  rappeler  la  forme  dite  plu- 
meau, on  l'agi-émente  de  deux  petits  volants  froncés 
superposés.  Le  second  volant  forme  tête.  Ces 
volants  peuvent  se  faire  en  étoffe  pareille  ou  en 
taffetas  assorti.  Dans  ce  cas,  cette  garniture  serait 
rappelée,  sur  le  corsage,  par  les  revers  et  les 
]ockeys.  Les  manches,  légèrement  bouffantes 
l'année  dernière,  sont  tout  à  fait  collantes 
cet  été.  Quant  au  corsage,  il  reste  blousé 
et  ouvert  sur  une  chemisette  de  fantaisie. 
Ce  modèle  peut  se  faire  en  foulard,  en 
mousseline  de  laine  ou  de  coton,  ou  en 
gaze.  Il  est  très  coquet  et  constitue 
une  charmante  toilette  demi-habillée 
pour  la  belle  saison. 


devant,  viennent  précisément  se  perdre  sur  le  bord 
de  la  redingote  et  semblent  ainsi  faire  corps  avec 
elle.  Sur  les  manches,  dont  on  diminue  un  peu  le 
bouffant  à  l'emmanchure,  de  longs  ornements  de 
passementerie  terminés  en  crosses  rappellent  le  reste 
de  la  garniture.  Les  revers  sont  plats  et  brodés, 
et  la  chemisette  de  fantaisie,  ornée,  sur  toute  la 
hauteur,  d'un  jabot 
de  dentelle. 

La  Rohe  de  bal 
(no  3)  est  en  taf- 
fetas rose  glacé  de 
blanc,  ornée  dans  le 
bas  de  quatre  rubans 
de  velours  lileu  ou 


En  pacha,  ou  en  tout  autre  tissu  un  peu  ferme, 
le  modèle  n°  2  se  trouve  rajeuni  par  l'adjonction 
d'une  haute  basque  simulant  une  polonaise  ou  une 
redingote  de  demi-hauteur,  très  ajustée  sur  les 
hanches,  et  à  laquelle  se  monte,  à  partir  de  la  cou- 
ture de  côté  du  tablier,  le  bas  de  la  jupe  qui  n'est 
plus  alors  qu'un  haut  volant  à  larges  plis. 

Des  ornements  de  passementerie  contournent  la 
redingote  et  ornent  le  boléro  long,  dont  les  pointes, 


rose  vif  en  pente.   Le  corsage  drapé 
et  croisé  est  garni  de  la  même  façon. 
Une  guirlande  de   roses  et  de  myo- 
sotis suit  le  mouvement  de  la  dra- 
perie et  forme  épaulette  à  droite.  Les 
manches  courtes  sont  composées  d'un 
'\       simple    bouillonné  de   taffetas. 
Un  petit  tablier  rond,  en  taffetas 
glacé,   bien    ajusté   et   encadré 
par  une  guirlande  de  roses   et 
de  myosotis,  suffit  pour  rajeunir  cette  toilette  de 
l'année  dernière.   Pas  de  ceinture,  mais  une  jolie 
agrafe  en  bijouterie  au   bas  du  dos.  Gants  longs 
en    suède    ou    en  chevreau    blanc  ;    bas   de    soie 
blanche  et   souliers  de  satin  rose.  Eien  dans  les 
cheveux  qu'une  fantaisie  en  bijouterie. 

Au  lieu  de  laisser  les  bras  nus,  on  pourra 
ajouter  à  cette  robe  des  manches,  toujours  en 
gaze  ou  en  tulle  coulissé,  ou  encore  des  manches 
en  taffetas  coupées  par  des  entre-deux  de  dentelle 
ou  de  tulle  brodé,  les  manches  longues  se  portant 
au  bal  avec  les  robes  les  plus  décolletées.  Cette 
mode  est  même  plus  nouvelle  que  celle  des  man- 
ches courtes.  On  peut  aussi  moins  accentuer  le 
décolletage  ou  bien  mettre  à  l'intérieur  une  guimpe 
dans  le  même  esprit  que  les  manches,  ce  qui 
rendra .  la  robe  montante,  quoique  décolletée  k 
clair,  et  d'un  porter  plus  facile  par  conséquent. 


LA    MODE    DU    MOIS 


14a 


BONNETS    BAINS    DE    MER 

Bunuel  à  In  pat/mnne  en  foulard  imperméabilisé, 
:\    dessin  ancien.    Ce   bonnet,  à   deux  pièces,  est 

bordé  tout  autour 
d'une  ruche,  soit 
eu  galon  de  laine, 
assorti  de  ton, 
soit  en  foulard 
imperméabilisé. 
Les  brides  se 
nouent  sous  le 
menton. 

Celui-ci,  dit  à 
la  Cérès,  égale- 
ment en  foulard 
imperméabilisé,  à, 
disposition  écos- 
saise, est  fait  un 
peu  comme  un 
sac  à  éponges. 
Il  enveloppe  très 
bien  la  tête  et 
permet  de  loger, 
sans  se  décoiffer, 

les  gros  rouleaux 
ondulés  que  l'on 
porte  à  présent, 
en  guise  de  ban- 
deaux. Légère- 
ment froncé  tout 
autour,  un  petit 
galon  ruche  le  ter- 
mine et  retombe 
sur  les  frisettes 
qui  s'échappent 
de  cette  prison 
momentanée.  Les 
lirides,  de  chaque 
côté,  partent  de 
deux  gros  choux, 
toujours  en  galon 
de  laine ,  foncé 
comme  les  brides. 


NOS    PATRONS 

Costume  de  bain  pour  jeune  jiUe. —  Nous  don- 
nons, dans  notre  patron,  la  moitié  du  dos  et  du 
devant  de  la  blouse. 


"tmX 


Ce  dernier  est 
simplement  un 
foulard  noué  en 
marmotte  sur  le 
milieti  de  la  tête, 
au-dessus  du 
front.  Ce  n'est  ni 
le  moins  seyant, 
ni  le  moins  pra- 
tique. En  tout  cas, 
il  est  le  plus 
simple,  puisqu'il 
ne  demande  à  la 
\,^  femme  qu'un  peu 
d'adresse  et  de 
goût  pour  le 
nouer  avec  co- 
quetterie. 


Ce  costume  se  fait  en  serge  noire  ou  bleu  ma- 
rine. La  culotte,  froncée,  est  montée  sur  une 
ceinture.  Un  poignet  boutonné  la  ferme  au- 
dessus  du  genou   et    sert   de  jarretière.  Le  même 


poignet  se  répète  au  bord  des  bouillons  servant 
de  manches  courtes.  On  peut,  à  volonté,  orner  ce 
costume  de  galons  blancs  en  laine,  cousus  et  dis- 
posés au  gré  de  la  fantaisie.  Les  boutons  en 
nacre  foncée  ou  en  corozo  noir  sont  très  bien. 
La  ceinture  se  ferme  par  des  boutons  ou  des 
agrafes. 


J50  LA    MODE    DU    MOIS 

OUVRAGES    DE    DAMES 


Porte-jouriianx. —  Il  se  compose  de  deux  rubans 
brodés,  parallèlement  posés,  et  retenus  en  haut  et 


en  bas  à  la  paroi  de  la  cabine  par  des  choux  de 
ruban  foncé. 

Cabine  portative  pour  jardin  ou  bain  de  mer  en 
vannerie,  drapée  à  l'intérieur  d'étoffe  de  fantaisie, 


avec    coussins    accoudoirs,  vide-poches  et  porte- 
journaux. 

Petit  vide-poches  pour  la  cabine,  eu  étoffe  unie 


fond  crème  ou  en  audrinople,  brodée  en  laine  au 
gros  passé.  Ce  petit  sac  est  retenu  à  la  paroi  de  la 
cabine  par  un  nœud  de  ruban.  Si  ce  sac  est  en 
audrinople,  la  broderie  se  fera  noire. 


Les  coussins  et  les  accoudoirs  sont  brodés  de 
même. 

Le  petit  rideau,  fermant  l'ouverture  de  côté  de 
la  cabine,  est  en  audrinople. 

Serpielte-poche  à  mufs  (intérieur)  en  tissu  de  fan- 


taisie écru,  doublé  et  ouatiné.  De  petits  nœuds- 
de  ruban  assorti  à  la  broderie  du  dessus  ferment  et 
retiennent  les  coins  des  pliures. 

Broderie  extérieure  de  la  serviette-poche  à  œufs 


eu  soie  lavable  ;  feston  tout  autour,  et  ourlet  .1 
jour. 

Quant  à  cette  bande  de  broderie  russe,  elle  se 
brode  en  deux  tons  et  sert  à  orner  nappe,  nap- 
peron ou  serviette. 

Si  le  tissu  choisi  ne  se  prête  pas  à  la  broderie, 


on  exécutera  le  point  sur  canevas  fi.xé,  puis  ou 
tirera  les  fils  ensuite.  Le  bleu  et  le  rouge  sont 
toujours  les  deux  couleurs  préférables. 

On    peut  exécuter   cette    broderie  soit  en   soie 
lavable,  soit  en  cotou. 

Berthe    de    Présillt. 


LA    CUISINE    DU    MOIS    * 


Potage  Hochepot.  —  (^oupcr  l  kilo- 
fïraniim'  tli-  iim'iie  de  lj(L'uf  en  inorccaux  de 
2  ceiiliiiièlres,  les  laver  et  laisser  tremper 
5  ou  6  heures.  Foncer  une  casserole  un  i)cu 
haute  et  épaisse  avec  des  couennes  de  lard, 
étendre  au-dessus  un  lit  de  rouelles  d"oipions 
et  de  carottes  ;  étaler  la  queue  de  Ixeuf 
éfTouttée,  couvrir  et  laisser  pincer  sur  un  feu 
pas  trop  vif.  Verser  un  décilitre  de  vin  blanc 
sec  et  laisser  retomber  à  f;lace,  c'est-à-dire  A 
sec.  sans  laisser  brûler.  Mouiller  avec  deux 
litres  d'eau  froide,  faire  bouillir  et  écumer. 
Ajouter  un  abatis  de  poularde,  un  peu  de 
célei'i,  une  feuille  de  sauge,  une  g-ousse  d'ail, 
un  oignon  piqué  de  deux  clous  de  girolle,  un 
ou  deux  poireaux,  laisser  cuire  très  doucement 
5  heures. 

La  garniture.  —  Monder  3  belles  carottes 
crécy,  enlever  avec  la  cuiller  à  légumes, 
creuse,  de  1  centimètre  de  diamètre,  IS  boules; 
leur  faire  faire  un  bouillon  dans  deux  fois 
leur  A'olume  d'eau,  très  peu  salée.  Mettre  dans 
une  sauteuse  un  peu  forte  30  grammes  de 
graisse  de  rôti  ou  de  pot-au-feu  et  sauter  les 
carottes  sur  un  feu  doux.  Monder  15  petits 
oignons  et  les  ajouter  aux  carottes  à  moitié 
cuites.  Saupoudrer  légèrement  de  sucre  en 
poudre  et  glacer  le  tout.  Mouiller  avec  un 
décilitre  de  vin  blanc,  faire  réduire  à  sec. 
Passer  le  bouillon  au  tamis  de  soie,  le  dé- 
graisser complètement;  trier  les  morceaux  de 
queue  de  bœuf,  les  mettre  dans  la  soupière, 
y  réunir  les  carottes  et  les  oignons,  verser  le 
bouillon  et  servir. 

Timbale  de  langouste.  —  Formule  pour 
10  personnes  :  1  kilogramme  de  langouste, 
18  crêtes  et  18  rognons  de  coq,  250  grammes 
de  quenelles  de  poisson,  150  grammes  de 
champignons,  6  écrevisses,  3  décilitres  de 
lait.  20  grammes  de  farine,  100  grammes  de 
beurre  fin,  un  petit  verre  de  cognac,  sel, 
muscade  et  pointe  de  cayenne. 

Opération.  —  Cuire  la  langouste  25  minutes 
dans  le  court-bouillon  suivant  :  3  litres  d'eau, 
50  grammes  de  sel,  1/2  décilitre  de  vinaigre, 
25  grains  de  poivre,  une  feuille  de  laurier, 
persil  et  thym.  Ajouter  les  écrevisses  après 
15  minutes  de  cuisson,  laisser  refroidir  et 
égoutter.  Piler  les  écrevisses  au  mortier,  mé- 
langer en  pilant  toujours  50  grammes  de 
beurre,  passer  au  tamis  et  mettre  la  purée  au 
frais.  Acheter  une  boite  de  financière  prête 
ou  faire  les  quenelles,  cuire  les  crêtes  et  les 
rognons  5  minutes  avec  un  peu  d'eau,  les 
champignons  suivant  la  formule  donnée  sou- 
vent dans  le  Monde  Moderne.  Fondre  30  gr. 
de  beurre,  y  mélanger  la  farine  et  le  lait 
bouillant,  donner  un  coup  de  fouet  pour  lisser 
la  sauce,  ne  pas  laisser  bouillir;  tenir  au  chaud 
au  bain-marie.  Décortiquer  la  langouste,  la 
couper  en  tranches  minces,  les  pattes  en 
petits  bouchons,  réunir  toutes  les  garnitures 
dans  la  sauce.  Au  moment  de  servir,  ajouter 
le  beurre  qui  reste  et  la  purée  d'écrevisses  en 
tournant  la  casserole  doucement.  Servir  dans 
une  timbale  en  argent  à  double  fond  garni 
d'eau  bouillante.  A  défaut  de  timbale  en 
argent  on  fait  une  croûte  dans  un  moule  à 
charlotte  uni.  de  12  centimètres  sur  10  centi- 
mètres avec  la  pâte  suivante  : 

Pâte  a  timbale.  —  400  grammes  de  farine, 
150  grammes  de  saindou.x  ou  de  beurre, 
5  grammes  de  sel,  1  décilitre  de  lait  ou  d'eau. 


Mélanger  le  sel,  le  beurre  ou  le  saindoux 
avec  la  fai-ine  en  les  frôlant  entre  les  deux 
mains  allongées  et  horizontales;  ayant  obtenu 
une  semoule  un  peu  grasse,  mouiller,  lier  la 
pâte,  la  laisser  reposer  au  frais  au  moins 
deux  heiu'es.  Beurrer  légèrement  le  moidc  à 
charlotte,  étendre  la  jiàte  en  forme  de  poche, 
recouvrir  l'intérieui'  du  moule;  garnir  d'un 
papier  soiii)le  beuri-é  du  côté  qui  adhère; 
emplir  avec  du  riz,  des  lentilles  ou  haricots, 
cuire  au  foiu"  une  heure. 

Selle  de  pré-salé  à  la  Richelieu.  — 
La  selle  cumpreutl  les  deux  filets  à  partir  du 
gigot,  jusqu'il  la  première  côtelette.  La  garni- 
ture Richelieu  se  compose  de  laitues  braisées 
au  jus,  de  pommes  nouvelles  sautées  au 
beurre,  de  champignons  et  de  tomates  farcies. 

Cuisson  de  la  selle.  —  Enlever  la  peau, 
couper  les  bavettes  de  chaque  côté,  enlever 
presque  toute  la  graisse  qui  tapisse  l'inté- 
rieur; cuire  à  la  broche  30  minutes  par  kilo- 
gramme de  chair;  au  four,  il  faut  5  minutes 
de  plus,  poser  la  selle  sur  une  grille.  Xe  pas 
arroser  et  saler  en  sortant  du  feu. 

Les  laitues.  —  Débarrasser  les  feuilles 
vertes,  les  laver,  les  blanchir  à  grande  eau 
10  minutes,  les  égoutter  et  laisser  refroidir; 
les  presser  pour  éponger  l'eau.  Couvrir  le 
fond  d'une  casserole  avec  une  barde  de  lard, 
poser  les  laitues,  recouvrir  de  lard,  arroser 
avec  un  décilitre  de  vin  blanc  et  autant  de 
bouillon.  Laisser  mijoter  une  heure  et  demie. 

Les  pommes.  —  Choisir  des  pommes  grosses 
comme  une  noix,  les  monder  bien  rondes,  les 
laver,  les  couvrir  d'eau  froide  et  faire  bouillir; 
égoutter  et  sauter  18  minutes  avec  du  beurre 
à  la  noisette.  Saler,  saupoudrer  de  persil 
haché  et  servir.  Choisir  un  beau  champignon 
par  personne,  enlever  la  queue  et  les  laver. 
LTne  petite  tomate,  couper  le  côté  de  la  queue, 
enlever  les  semences  et  l'eau. 

Passer  au  beurre  un  peu  d'échalote  sans  la 
brunir,  ajouter  250  grammes  de  champignons 
hachés,  une  cuiller  à  bouche  de  mie  de  pain, 
sel,  poivre,  persil,  garnir  les  champignons  et 
les  tomates,  gratiner  et  servir  ces  garnitures 
alternées  aut<jur  de  la  selle. 

Macédoine  de  fruits,  à  la  gelée.  — 
Formule  :  375  grammes  de  sucre  cassé  à  la 
main,  3  décilitres  d'eau  fraîche,  12  grammes 
de  gélatine,  un  verre  à  madère  de  kirsch,  le 
jus  d'un  demi-citron,  275  grammes  de  fraises, 
125  grammes  de  bananes,  deux  belles  oranges, 
150  grammes  de  raisins  noirs,  une  ou  deux 
pèches,  deux  abricots,  un  moule  à  cylindre 
festonné  contenant  un  litre  et  demi,  demi- 
blanc  d'œuf. 

Opération.  —  Peler  les  oranges  à  "sif  et 
enlever  les  quartiers  entre  les  cloisons,  couper 
les  bananes,  les  pêches  et  les  abricots  en  dés, 
réunir  tous  les  fruits  et  les  mariner  au  kirsch. 

Battre  l'œuf  avec  l'eau  et  le  citron,  ajouter 
le  sucre  et  la  gélatine  lavée,  faire  bouillir  en 
remuant.  Passer  à  la  serviette  fine.  Entourer 
le  moule  de  glace  non  salée,  couler  un  centi- 
mètre de  gelée,  poser  un  joli  dessin  avec  des 
fruits  variés,  recouvrir  d'un  peu  de  gelée  et 
laisser  prendre,  nouvelle  couche  de  fruits  et 
de  gelée,  successivement  jusqu'à  la  fin.  Raf- 
fermir 3  heures.  Tremper  à  l'eau  tiède,  ren- 
verser sur  plat  et  servir. 

A.  Colombie. 


Jeux  et  Récréations,  par  m.  g.  Bi 


N"  224.  —  Haut  :  Noirs.  —  Bas  :  Blancs. 


WM/,_       ^^        ^^M_       wm 
§3À  *  ^       ^m.       ^ 


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Les  blancs  jouent  et  gaf^nenl. 


N°  225.  —  Haut  :  Noirs.  —  Bas  :  Blancs. 


M0M      H       H 


mf^m.  ^  mpm.  m, 

m^m^ mf->M. •, 

'm 


Les  blancs  jouent  et  gagnent. 


N°226.  —  WHIST 

8uil  a  la  miin  suivante  : 

^   A,  D,  V,  9. 

V   V,  8,  6,  4  (atouts). 

•J.   D,  6,  3. 

4.    8,  4. 

Cœur  a  été  déclaré  atout.  Est  joue  premier.  Voici  le 
jeu  dans  le  premier  tour  :  Est,  3  de  cœur.  —  Sud,  9  de 
cœur.  —  Ouest,  7  de  cœur.  —  Nord,  2  de  cœur. 

Quel  est  le  jeu  correct  de  Sud  qui  l'emporte,  dans  le 
tour  suivant  ? 


N°  227. 


LOGOGRIPHE 


Sur  mes  huit  pieds  je  vagabonde 
Par  les  chemins,  à  travers  champs  ; 
Un  pied  de  moins,  j'habite  l'onde 
Des  ruisseaux  et  des  océans. 


Que  maintenant  sous  cette  forme 
Tu  veuilles  m'arracher  le  cœur, 
Sans  hésiter,  je  me  déforme 
Et  cause  alors  vive  douleur. 

De  cette  figure  nouvelle 
Retranches-tu  la  tête  ?  Oiseau 
Je  me  présente  et,  de  mon  aile, 
Je  frappe  et  je  sillonne  l'eau. 

Sur  quatre  pieds,  je  suis  légume 
Qu'on  a  raison  d'apprécier, 
Et,  blessé,  de  rage  j'écume, 
Car  je  suis  aussi  carnassier. 

Puis,  j'ai  pour  synonyme  :  honnête  ; 
Dans  la  terre,  je  suis  creusé  ; 
Sur  la  peau  de  plus  d'une  bête 
Chacun  peut  me  voir  exposé. 

Enfin  sur  trois  pieds,  je  figure 
Avec  honneur  dans  le  jardin, 
Et  je  parcours,  la  chose  est  sûre, 
En  peu  de  temps  très  long  chemin. 


N°  228.  —  CURIOSITE 

GÉOGRAPHIQUE 

Trouvez  les  noms  de  sept  départements  français  dont  les 
initiales  réunies  forment  le  nom  d'une  province  afri- 
caine. 


SOLUTIONS 

N°  218.  —  1.  D  2  R.  1.  P  6  D  forcé. 

2.  D  2  C  D  échec.         1.  R  5  F  D. 

3.  D  4  C  D  échec  et  mat. 

26     21      43 39      47     42      36 31 

35     24      60     33      33     47      47     36 

-     fait  dame  et  gagne  facilement 


N°  219.  - 

21   17   27 

49  43 
33   SU 
21   21 

11   22   36 

27 

N"  220.  —  Nord  doit  débuter  de  toutes  façons  par 
atout  sans  s'inquiéter  de  sa  faiblesse  dans  cette  couleur, 
car  il  sera  impossible  à  ses  adversaires  d'établir  aucune 
suite  contre  lui.  Il  ne  doit  pas  courir  le  risque  de  voir 
une  de  ses  hautes  cartes  coupées  sous  prétexte  de  montrer 
sa  force  dans  une  couleur.  Il  devra  persister  dans  le  jeu 
d'atout  chaque  fois  qu'il  aura  la  main,  car  plus  il  en 
fera  tomber,  plus  il  aura  de  chances  de  faire  les  hautes 
cartes  qu'il  possède.  Nord  doit  aussi  jouer  atout  afin'  de 
ne  pas  permettre  que  ses  hautes  cartes  puissent  être 
coupées  séparément  dans  de  possibles  p7-ises  croisées. 

N"  221.  —  Le  faux  savant  ne  souffre  point  d'inter- 
rogation. 

L'œuf;  os  avant  ne  sous  fre;  point  d'interrogation. 


N"  222. 


P 
PAR 
A  R  0  S 
R  0  L  0 
0  L  E  T 
SOT 

S 


N"  223.  —  Non. 


Adresser  les  communications  pour  cette  paffe  à  M.  G.  Beudin,  à  Billancourt  (Seine),  avec  timbre  pour  réponse. 


L'Editeur-  Gérant 


14259.  —  Llb.-Imp.  réunies,  Mottkroz,  D'',  7,  rue  Saint-Benoît,  Paris. 


Le 


Monde    Modetne 


Août    1898 


VIII.  —  11. 


L'HÉRITAGE    DE    L'ONGLE   FLOROT 


Le  bonheur  tient  souvent  dans  un 
petit  espace,  au  besoin  clans  la  boîte 
capitonnée  d'un  compartiment  dex- 
press  ;  ou  sinon  le  bonheur,  quelque 
-chose  d'approchant  comme  le  plaisir  de 
contempler  une  jolie  figure  inconnue  et 
de  sentir  son  cœur  sépanouir  au  voisi- 
nage d'une  charmante  personne  de  vingt 
xinsysi  réservée  sous  ses  cheveux  blonds, 
si  fière  en  son  air  doux,  à  côté  d'une 
maman  d'aspect  si  respectable  et  si  dé- 
bonnaire qu'on  se  surprend  tout  de 
suite  une  grande  tentation  damitié  et 
de  lier  connaissance... 

Tel  était  le  bonheur  échu  à  Maurice 
Girard,  depuis  son  départ  de  Paris  pour 
la  petite  localité  des  Ardennes,  où  il  se 
rendait.  Un  voyage  contre  lequel  il  avait 
d'abord  protesté  en  lui-même,  de  déran- 
gement fâcheux  en  son  farniente  de 
garçon,  et  que  ne  justifiaient  pas  suffi- 
samment, lui  semblait-il,  des  intérêts 
^l'ailleurs  fort  aléatoires. 

Un  héritage  à  recueillir  peut-être, 
peut-être  rien  du  tout. 

—  Quelle  idée,  maugréait -il,  a  eue 
ce  notaire  de  m'écrire,  comme  si  j'avais 
personnellement  rien  à  espérer  de  la  suc- 
cession de  l'oncle  Florot  ! 

La  lettre  de  maître  Boubert,  notaire 
à  Sancy  (Ardennes),  évasive  comme  il 
importait,  était  conçue,  en  effet,  en  des 
termes  aussi  peu  précis  qu'encoura- 
geants : 

«  Monsieur, 

«  J  ai  l'honneur  de  vous  informer 
qu'à  la  suite  du  décès  de  votre  parent, 
M.  Florot,  la  levée  des  scellés  apposés 
sur  les  meubles  aura  lieu  le  mardi 
15  courant. 

«  En  votre  qualité  de  pai'ent  et  d'ayant 
■droit,  vous  êtes  invité  à  assister  à  ladite 
levée,  en  présence  du  juge  de  paix  et 
des  autres  parents,  dans  l'intérêt  de  vos 
droits  personnels  et  sous  toute  réserve 
•de    la    découverte    d'un    testament    qui 


pourrait  être  trouvé  parmi  les  papiers 
du  défunt,  décédé  jusqu'ici  intestat. 
«  Recevez,  monsieur,  etc.  » 

L'oncle  Florot,  un  misanthrope,  un 
solitaire,  un  vieux  bonhomme,  bizarre 
et  soupçonneux,  qui  depuis  des  années 
avait  vécu  dans  sa  propriété  de  Sancy, 
en  pleins  bois,  à  l'écart  de  la  vie  et  du 
peu  de  famille  qui  lui  restait,  après  avoir 
cessé  toutes  relations.  A  tel  point  qu'on 
l'avait  oublié,  que  la  nouvelle  de  son 
décès  même  n'était  parvenue  à  Maurice 
que  par  1  entremise  de  la  lettre  du  no- 
taire, sans  laquelle  il  l'aurait  ignoré. 

—  Ce  pauvre  vieux  bonhomme  n'aura 
même  pas  tenu  à  ce  que  j'assiste  à  ses 
obsèques,  pensait  Maurice.  A  plus  forte 
raison  n"a-t-il  pu  songer  à  moi  dans  son 
testament,  s'il  en  a  fait  un,  et  je  n'ai 
rien  à  en  attendre,  à  moins  qu'il  n'ait 
négligé  d'en  écrire  un.  En  ce  cas,  j'héri- 
terais pour  ma  part  de  la  moitié  de  ses 
biens,  en  concurrence  avec  je  ne  sais  plus 
quels  parents  qu'avait  encore  M.  Florot, 
d'une  autre  branche,  et  auxquels  il  aura 
plutôt  tout  donné. 

Soucis  d'héritier  qui  laissaient  d'ail- 
leurs Maurice  très  calme,  assez  fortuné 
lui-même  pour  ne  pas  se  préoccuper 
outre  mesure  de  l'héritage  de  l'oncle 
Florot,  qu'il  n'avait  jamais  attendu. 

C'était  donc  plutôt  par  acquit  de 
conscience  et  comme  on  remplit  une 
formalité  qu'il  se  rendait  à  l'invitation 
du  notaire,  curieux  seulement  de  con- 
naître le  pays,  le  coin  boisé  et  sauvage 
où  l'oncle  Florot  s'était  isolé,  et  de 
retrouver  les  traces  de  l'existence  ori- 
ginale du  bonhomme,  ennuyé  pour  le 
reste  du  dérangement  occasionné  et  pes- 
tant contre  la  corvée  du  voyage. 

Mauvaise  humeur  pourtant  vite  dis- 
sipée, dès  le  début,  comme  nous  l'avons 
indiqué  précédemment,  par  la  surprise 
agréable  que  le  jeune  homme  venait 
d'éprouver,   dès    la  minute   où   il   avait 


164 


L'IIKRITAGE   DE   L'ONCLE   FLOROT 


pénétré,  si  maussademenl,  dans  le  com- 
partiment de  l'express. 

Surprise  simplement  agréable  au  pre- 
mier moment,  mais  qui,  au  bout  de  trois 
heures  de  confrontation  qu'avait  duré  le 
voyage,  et  à  la  suite  de  multiples  obser- 
vations de  la  part  de  Maurice,  achevait 
de  se  résoudre  pour  lui  en  une  véri- 
table découverte.  Quelque  chose  comme 
la  découverte  psychologique  d'un  autre 
monde,  apparu  sous  l'ancien,  un  monde 
beaucoup  plus  séduisant  et  paradis  ter- 
restre que  le  monde  jusqu'ici  connu, 
l'ancien,  l'actuel  jusqu'à  nouvel  ordre... 
Une  découverte  vraiment  historique 
dans  les  annales  encore  juvéniles  de 
l'existence  de  Maurice  et  qui  risquait 
de  faire  époque  vraisemblablement  et 
de  toutes  façons...  Découverte  passion- 
nante, mais  qui  ne  s'était  pas  révélée 
comme  cela  tout  d'un  coup,  qui  n'était 
elle-même  que  la  somme  de  petites 
découvertes  successives ,  insignifiantes 
en  apparence,  pour  commencer. 

Telle ,  par  exemple  ,  celle-ci ,  assez 
banale,  dès  l'entrée  dans  le  wagon  : 

—  Quelle  jolie  jeune  fille  ! 
Premier  aperçu ,    vite    complété    par 

celui-ci,  déjà  plus  analytique  : 

—  Comme  elle  a  l'air  sérieux  et  résolu 
sous  sa  gentille  mine  blonde  ! 

Mais  les  épithètes  «  sérieux  et  résolu  » 
semblèrent  vite  à  l'observation  d'ailleurs 
correcte  et  dissimulée  de  Maurice,  des 
termes  quelconques,  très  inférieurs  en 
réalité  aux  qualités  évidentes  de  la  jeune 
fille. 

Dans  son  attitude,  en  effet,  les  quel- 
ques rares  gestes  échappés,  je  ne  sais 
quoi  de  noble,  de  déterminé  et  comme 
d'un  joli  héroïsme  émanait  d'elle,  qui 
remplit  instinctivement  Maurice  d'une 
admiration  recueillie.  Et  le  regard  bleu, 
lumineux  et  fier  de  la  jeune  fille,  surpris 
un  instant,  acheva,  en  l'intimidant,  de 
troubler  l'observateur,  au  point  qu'il  ne 
se  reconnaissait  plus  lui-même.  Volon- 
tiers un  peu  fat  et  si  sûr  de  lui  jusqu'à 
présent,  il  se  sentait  tout  à  coup  plein 
d'humilité ,  tout  petit  garçon  ,  d'une 
essence  grossière  et  inférieure,  un  peu 


honteux  de  lui-même  en  face  de  la 
beauté  de  visage  et  d'âme  entrevue, 
modestement  renfoncé  dans  son  coin 
et  rougissant  malgré  lui. 

Des  poètes  orientaux  comparent  les 
yeux  de  la  bien-aimée  à  des  soleils  et 
nous  sourions  volontiers  de  leur  em- 
phase. N'y  a-t-il  pas  cependant,  se 
demandait  Maurice,  quelque  chose  de 
vrai  dans  leur  métaphore  déclamatoire? 
Et  la  pure  lumière  de  vie  et  de  pensée, 
levée  tout  d'un  coup  sur  nous,  sous  de 
soyeuses  paupières,  n'a-t-elle  pas  cette 
puissance  parfois  d'éclairer  subitement 
l'obscurité  de  notre  cœur  et  notre  grise 
existence  crépusculaire  comme  d'une 
nouvelle  aurore,  d'une  lueur  merveil- 
leuse qui  nous  fait  voir  le  monde  autre- 
ment, plus  vaste,  plus  clair  et  plus 
joyeux  que  nous  ne  l'aurions  jamais 
imaginé,  comme  si  le  soleil  lui-même  en 
effet  avait  redoublé  d'éclat... 

Ainsi  la  découverte  allait  son  train, 
un  train  d'express,  dans  l'esprit  de 
Maurice  Girard  et  aussi  dans  son  cœur, 
quand  la  voix  de  la  jeune  fille,  entendue 
dans  une  minute  de  conversation  avec 
sa  mère,  pendant  un  arrêt  du  convoi, 
acheva  d'émouvoir  Maurice  délicieu- 
sement. 

—  Eolienne!  s'exclama -t-il  en  lui- 
même  dans  son  lyrisme.  Je  ne  trouve 
pas  d'autre  mot.  Eolienne!  On  dirait  à 
chaque  syllabe  une  musique,  une  corde 
de  harpe  vibrante.  Cela  tombe  aussi 
dans  l'oreille,  mot  par  mot,  comme  une 
petite  pierre  précieuse. 

Et,  se  reprenant  soudain,  tandis  que 
le  train  repartait,  avec  son  bourdonne- 
ment de  vapeur  : 

—  Ah  çà  !  maugréa  Maurice,  où  ai-je 
la  tête  !  Est-ce  que  je  serais  en  passe  de 
devenir  amoureux?  C'est  stupide... 

Mais  qu'est-ce  qui  était  stupide? 

—  Parbleu,  se  répondit  machinale- 
ment Maurice,  bougon  dans  son  coin  et 
parachevant  ainsi  sa  découverte,  de 
vivre  comme  je  vis.  Est-ce  une  existence 
aussi  de  végéter  ainsi,  tout  seul,  ou  en 
compagnie  d'amis  qui  se  moquent  de 
vous,  d'aller  à  droite  et  à  gauche,  sans 


I.   lllOmrAGK   1)K   L  OXCLL    FLOHOT 


165 


but,  sans  savoir,  de  mener  enfin  celle 
*otte  vie  de  garçon,  une  vie  d'ours, 
<rinutile,  de  borne  au  coin  d'une  rue, 
d  araignée  dans  sa  loile  et  de  rat  dans 
t;on  trou,  comme  ce  vieux  maniaque 
d'oncle  Florol ,  tandis  qu'on  pourrait 
être  si  heureux  autrement  ! 

Le  fait  est  que  maintenant,  sans  ajjpro- 


—  Parbleu,  j  irais  bien  jusqu  au  bout 
du  monde  comme  cela,  se  disait-il  à 
présent,    inconscient   du   temps  écoulé. 

Quand  le  train  eut  une  secousse,  s'ar- 
rêta. 

Un  employé  criait  : 

—  Sancy  ! . . . 

Maurice  eut  un  ré\eil  désagrréable. 


fondirpourquoi,  depuis  l'aurore  entrevue 
dans  les  clairs  yeux  bleus,  la  vie,  comme 
il  l'avait  vécue  jusqu'à  présent,  appa- 
raissait à  Maurice  Girard  la  plus  triviale 
des  occupations  et  la  moins  intéressante. 
L  n  mirage  sétait  interposé  devant  lui. 
qui  éclipsait  le  reste.  Et  jamais,  lui  sem- 
blait-il, il  n'avait  éprouvé  une  pareille 
sensation  du  bonheur  que  depuis  qu'il 
avait  mis  le  pied,  en  bougonnant,  dans 
1  étroit  compartiment  de  l'express. 


—  Gomment,  déjà  ? 

Il  fallait  descendre,  quitter  pour 
jamais  le  joli  rêve  d'un  moment,  le  mi- 
rage éphémère,  anonyme,  déjà  effacé, 
envolé... 

—  Non,  se  dit  Maurice,  on  rompra 
les  scellés  sans  moi.  Je  reste,  je  con- 
tinue. 

Mais  les  deux  dames  elles-mêmes 
sciaient  levées,  descendaient. 

—  Gomment,  elles  aussi! 


166 


L'HERITAGE  DE   L'ONCLE  ELOIîOT 


Alors  seulement  il  remarqua  qu'elles 
étaient  en  deuil  comme  lui. 

Il  s'était  précipité  et,  la  mémoire  lui 
revenant  tout  à  coup,  il  s'avança. 

—  Pardonnez-moi,  madame,  fit-il  en 
saluant  la  mère,  si  je  me  permets  de 
vous  adresser  la  parole,  mais  notre  com- 
mune arrivée  en  ce  petit  pays  éloigné 
me  fait  supposer  que  nous  nous  trou- 
vons réunis  ici  pour  la  même  circon- 
stance... N'est-ce  pas  à  madame  Delize 
que  j'ai  l'honneur  de  parler? 

]y[me  Delize,  Maurice  se  rappelait 
à  présent,  l'unique  parente,  d'une  autre 
branche  que  la  sienne,  de  l'oncle  Florot, 
convoquée  également  et  dont  il  con- 
naissait le  nom,  sans  l'avoir  d'ailleurs 
jamais  vue. 

—  Madame  Delize,  en  effet,  monsieur. 

—  Permettez-moi  de  me  présenter  à 
mon  tour,  Maurice  Girard. 

—  Le  petit-neveu  de  M.  Florot,  dont 
je  suis  une  cousine  germaine.  C'est 
presque  une  parenté  entre  nous,  mon- 
sieur,  fit  aimablement  la  vieille  dame. 

En  même  temps,  un  domestique  s'ap- 
prochait : 

—  Le  notaire  a  fait  préparer  des 
chambres  à  la  maison  de  M.  Florot.  Il  y 
a  là  une  voiture. 

jyjme  Delize  montait  avec  la  jeune 
fdle. 

—  Vous  ne  venez  pas  à  la  maison, 
monsieur? 

—  Excusez-moi,  dit  Maurice,  je  pré- 
fère descendre,  à  l'auberge.  Mais  la  levée 
des  scellés  n'est  que  pour  demain.  Vous 
me  feriez  le  plus  grand  honneur,  ma- 
dame, en  m'autorisant  à  aller  vous  pré- 
senter mes  respects  dans  la  soirée. 

—  Avec  plaisir,  monsieur. 

La;  voiture  roulait  déjà,  Maurice  res- 
tait sur  la  route,  sa  valise  à  la  main, 
encore  tout  abasourdi. 

—  Ah  !  bien,  fit-il  seulement,  est-ce 
que  la  Providence  s'en  mêlerait? 

Pour  la  première  fois,  l'héritage  de 
l'oncle  Florot  commençait  à  l'intéresser 
et,  en  jetant  ses  regards  autour  de  lui, 
le  pays  tout  à  coup  apparu,  avec  ses 
coteaux  boisés,  sous  le  grand  ciel  clair 


de  deux  heures,  lui  sembla  le  plus  beau' 
du  monde. 


Mais  si  pour  Maurice  le  voyage  de 
Sancy,  après  s'être  présenté  d'abord 
comme  une  corvée  et  être  devenu  le 
plus  agréable  des  voyages  de  décou- 
verte dans  le  féerique  pays  des  merveilles 
sentimentales,  restait  d'une  importance 
secondaire,  quant  à  la  perspective  aléa- 
toire de  l'héritage  de  l'oncle  Florot,  il 
n'en  était  pas  de  même  pour  ses  deux 
compagnes  de  wagon.  La  question  de 
l'héritage,  pour  M™^  Delize  et  pour  sa 
fille,  comportait,  au  contraire,  un  intérêt 
poignant,  et  ce  n'était  pas  sans  une 
émotion  anxieuse,  bravement  dissimulée 
sous  la  bonne  grâce  et  la  tranquillité 
extérieures,  que  le  lendemain  elles 
attendaient  la  levée  des  scellés  qui  allait 
prononcer  sur  leur  sort. 

Veuve  d'un  ancien  officier  de  marine, 
]yjme  Delize  venait,  en  effet,  de  se  voir 
récemment,  par  une  suite  de  placements 
malheureux,  dépouillée  de  la  petite  for- 
tune qui  la  faisait  vivre  avec  sa  fille.  Et 
de  cruels  soucis  dévoraient  le  cœur  des- 
deux femmes,  de  la  mère  surtout.  La 
dot  même  de  Georgette,  son  enfant, 
sombrée  dans  le  désastre,  M'"^  Delize 
voyait  sa  fille,  à  l'âge  de  se  marier  et 
dans  tout  l'éclat  d'une  beauté  char- 
mante, avec  la  noblesse  d'un  caractère 
d'élite  et  les  élégances  d'une  éducation 
distinguée,  promise  à  brève  échéance  à 
toutes' les  duretés  d'un  avenir  besogneux 
et  subalterne.  Telle  était  effectivement 
la  détresse  actuelle  des  deux  femmes  que 
Georgette,  dans  l'énergie  de  son  âme 
courageuse,  avait  pris  la  résolution  de 
s'expatrier,  était  déjà  en  pourparlers- 
pour  entrer  comme  institutrice  dans  une 
riche  famille  américaine.  Et  plus  encore 
que  l'humilité,  fièrement  supportée,  de 
leur  situation  précaire,  le  déchirement 
de  la  séparation,  nécessaire  et  prochaine, 
agitait  leurs  âmes  de  toute  la  doulou- 
reuse angoisse  des  résolutions  désespé- 
rées, quand  la  lettre  du  notaire  était 
arrivée,  avec  la  nouvelle  de  la  mort  de 


I/IIÉRITAC.E    DE    I/ONCLE    ELOROT 


167 


Toncle  Florot  et  l'espérance  d'un  héri- 
tage qui  semblait  devoir  au  dernier 
moment  tout  réparer. 

Un  héritage  sur  lequel  elles  étaient 
en  droit  de  compter,  M.  Florot  ayant 
entretenu  longtemps  avec  ses  parentes 
des    relations   amicales   et    manifesté    à 


plusieurs  reprises    pour   Geor- 
i^elte  des  intentions  paternelles, 
lusquau  moment  où    la   vieil- 
■  ;  lesse      Tavait      définitivement 

rendu  hypocondriaque  et  soli- 
taire, enfermé  dans  son  do- 
maine de  Sancy  comme  dans  une  tanière. 
S'il  n'avait  pas  pensé  dans  tous  les  cas  à 
avantager  Georgette,  il  avait  pu,  espérait 
M""^  Delize,  ne  pas  faire  de  testament. 
Ainsi  elles  hériteraient  naturellement  de 
la  moitié  qui  leur  revenait  de  droit, 
ce    qui    les    sauverait,   comme    elle    di- 


f68 


L  IIÉRITAGiE   DE   L'ONCLE   FLOROT 


sait,    sans  jDorter  préjudice  à  personne. 

Sinon,  déshéritées,  c'était  pour  les 
deux  femmes  l'avenir  cruel,  un  instant 
écarté,  devenu  le  présent  douloureux, 
et  le  départ  forcé  de  Geor^-^elte...  De  là 
l'émotion  qui  leur  serrait  le  cœur,  en  dé- 
pit d'une  résignation,  fermement  arrêtée 
d'avance,  en  cas  de  désillusion,  lorsque, 
le  lendemain,  elles  se  retrouvèrent  avec 
Maurice,  le  notaire  et  le  juge  de  paix 
devant  les  tiroirs  scellés  des  meubles  de 
l'oncle  F'iorot,  d'où  allait  peut-être  sortir 
pour  elles,  comme  un  billet  de  loterie, 
le  bonheur  ou  le  malheur,  écrit  sur  un 
bout  de  papier  par  la  plume  incertaine 
d'un  vieillard. 

Malgré  leurs  préoccupations  pourtant, 
elles  ne  purent  s'empêcher  de  sourire  à 
Maurice  qui,  après  la  visite  autorisée  et 
faite  la  veille,  les  abordait  avec  un 
visage  éclatant  malgré  lui  de  la  joie 
toujours  plus  grande  de  revoir  la  jeune 
fille,  et  une  vivacité  tempérée  seulement 
par  le  respect  qui  le  rendait  devant  elle 
tout  timide. 

Depuis  la  veille  au  soir  où,  dans  le 
jardin  de  l'oncle  Florot,  en  face  du 
magnifique  horizon  des  coteaux  boisés 
qui  entourent  de  toutes  parts  la  pro- 
priété et  où  le  soleil  couchant  abaissait 
de  longues  ombres  majestueuses,  depuis 
ce  soir  où  il  avait  pu  s'entretenir  quel- 
ques minutes  avec  la  mère  et  la  jeune 
'fille,  dans  l'intimité  brève  et  délicieuse 
de  sa  présence,  de  sa  parole  et  de  son 
regard,  l'enthousiasme  à  la  fois  juvénile 
et  viril  de  Maurice  n'avait  fait  qu'aug- 
menter, au  point  d'en  prendre  le  parti 
délibéré  de  se  reconnaître  définitivement 
amoureux. 

De  sorte  que,  dans  le  bonheur  de  se 
retrouver  de  nouveau  en  face  de  Geor- 
gette,  il  ne  savait  plus  bien  au  juste,  ce 
jour-là,  pourquoi  il  était  là  et  ce  qu'y 
faisaient  aussi  ce  petit  bonhomme  de 
notaire,  joufflu  et  cordial,  et  ce  grand 
juge  de  paix  taciturne,  à  mine  rogue, 
solennel  dans  sa  redingote  étriquée. 
L'héritage  de  l'oncle  Florot  lui  impor- 
tait si  peu,  à  Maurice,  et  qu'est-ce  que 
tous  les  biens  de  la  terre,  qu'une  pous- 


sière méprisable,  à  côté  des  trésors  de 
beauté  et  de  jeunesse  que  lui  représen- 
tait Georgette? 

Aussi  ne  prêtait-il  attention  à  rien,  ni 
à  personne,  qu'à  elle-même,  absorbé  de 
sa  place  dans  la  contemplation  assidue 
de  la  jeune  fille,  assise  auprès  de  sa 
mère,  devant  une  table  sur  laquelle,  au 
fur  et  à  mesure  que  les  scellés  étaient 
brisés,  les  papiers  trouvés  dans  les 
tiroirs  venaient  un  à  un  s'amonceler. 

L'opération,  suivie  par  les  deux 
femmes  avec  les  transes  que  Ion  devine 
sous  leur  calme  impeccable,  durait  de- 
puis longtemps  déjà,  et  tous  les  papiers 
avaient  été  examinés  sans  qu'on  eût 
encore  rien  découvert. 

—  Je  le  pensais  bien,  fit  M*'  Boubert. 
A  mon  avis,  il   n'y  a  pas  de  testament. 

—  Bon,  fit  Maurice,  sans  savoir  au 
juste  ce  qu'il  disait. 

]y[me  Delize  et  sa  fille  se  rassuraient. 
Quand  un  dernier  tiroir  fut  vidé  et  une 
enveloppe  tomba  sur  la  table. 

—  Hé!  hé!  fit  M"  Boubert,  en  rajus- 
tant ses  lunettes.  J'aurai  peut-être  parlé 
trop  tôt. 

Avec  une  lenteur  grave,  il  avait  ouvert 
l'enveloppe.  C'était  un  testament,  en 
effet,  très  court,  quelques  lignes  à  peine, 
mais  décisif. 

M  Sancy,  le...  juin  189... 

«  Sain  de  corps  et  d'esprit,  j'écris 
ici  mon  testament. 

«  J'institue  M.  Maurice  Girard,  mon 
petit-neveu,  mon  légataire  universel...  » 

M''  Boubert  s'était  tourné  vers  Mau- 
rice : 

—  C'est  vous  qui  héritez,  monsieur. 

—  Comment?  demanda  Maurice  qui 
avait  à  peine  écouté.  Je  n'hérite  pas  seul? 

—  Pardon,  monsieur.  Vous  êtes  léga- 
taire universel. 

—  Il  n'y  a  pas  d'autres  legs,  de 
clauses?... 

—  Rien. 

—  C'est  un  peu  fort,  s'écria  Maurice. 

Confus  de  son  avantage,  sans  soup- 
çonner, d'ailleurs,  toute  la  cruauté  du 
coup  secret  porté  aux  deux  malheu- 
reuses   femmes,    il     lançait    un    regard 


I/IIKlUTACrK   1)K    I/t)NCI.l-:    FI.OUOT 


169 


clexcuse  du  coté  de  M""-"  Dclize.  El  un 
iustanl,  il  crut  la  voir  pâle,  comme  si 
elle  allait  défaillir.  Mais  tout  de  suite, 
elle  sélait  remise.  Cicorj.;etle  n'avait  pas 
eu  un  mouvement.  Nul  ref,n'et,  nulle 
rancune  n'avait  paru  troubler  le  teint 
pur  de  son  visaf;e. 

—  C'est  un  peu  fort!  répéta  Maurice, 
vraiment  contrit.  Mon  oncle  me  con- 
naissait si  peu.  Il  m'avait  oublié.  Vous 
devez  vous  tromper;  il  doit  y  avoir 
autre  chose. 

—  Il  peut  exister  un  second  testament, 
mais  il  n  y  a  rien  d'autre  sur  celui-ci. 

On  chercha  encore.  Mais  le  reste  des 
papiers  n'offrait  rien  que  d'insignifiant. 

—  C'est  clair,  conclut  le  juge  de  paix. 
Nous  avons  tout  examiné.  Nul  autre 
testament  n'a  été  jusqu'ici,  à  notre  con- 
naissance, déposé  chez  un  notaire.  C'est 
bien  vous  qui  héritez,  monsieur. 

Déjà  M'"®  Delize  et  sa  fille  s'étaient 
levées. 

—  \'ous  vous  relirez,  madame?  de- 
manda Maurice  avec  désolation. 

;^jme  Jjelize  trouva  courageusement  un 
sourire. 

—  Nous  sommes  pressées  de  repartir 
par  le  premier  train.  Nous  vous  laissons 
chez  vous,  monsieur. 

—  Chez  moi  !  s'écria  Maurice.  Mais  je 
n  en  veux  pas,  de  l'héritage,  je  renonce 
au  testament,  je  n'accepte  pas,  je  n'ac- 
cepte que  ma  part... 

^yjaie  Delize  s'était  retournée  : 

—  Vous  êtes  trop  bon,  monsieur.  Mais 
nous  n'acceptons  pas  non  plus  dans  ces 
conditions.  Le  bien  retournera  à  l'Etat. 

Maurice  était  de  plus  en  plus  désolé. 
11  s  apparaissait  à  lui-même  comme  un 
monstre  d'égoïsme,  un  accapareur.  Si  le 
notaire  ne  l'eût  retenu,  il  eût  déchiré  le 
testament  malencontreux. 

—  Est-ce  bête  !  fit-il  encore,  les  deux 
dames  sorties.  A  moi  1  quand  ce  vieux 
maniaque  d'oncle  Florot  possédait  une 
petite-cousine  lù  gentille,  si  adorable,  si. ,. 

Devant  l'enthousiasme  du  jeune 
homme,  M*'  Bouberl,  malicieux  sous  ses 
lunettes,  eut  un  sourire. 

—  Allons,  fit-il  de  sa  fine  voix  claire. 


tout  peut  encore  s  arranger.  Qui  sait? 
Ce  qui  serait  fort  à  souhaiter  dans  l'in- 
térêt de  ces  dames,  ajouta-t-il  en  sou- 
pirant, pour  lesquelles  je  crains  que 
cette  déception  ne  constitue  un  ^'éritable 
désastre. 

—  Comment  cela?  demanda  vivement 
Maurice,  encore  plus  inquiet  et  plus 
mécontent. 

M"  Boubert,  au  courant  de  la  situa- 
tion de  M"""  Delize,  ne  crut  pas  devoir, 
devant  les  bonnes  dispositions  de  Mau- 
rice, taire  la  vérité.  En  quelques  mots 
il  le  renseigna. 

Cette  fois,  Maurice  quitta  tout,  le 
notaire,  le  juge  de  paix  et  le  testament, 
lancé  à  la  recherche  de  M'""  Delize. 
Certes  non,  il  n'accepterait  jamais  main- 
nant  !  Lui  qui  croyait  simplement,  de 
sa  part,  à  une  vexation  possible  d'héri- 
tière déçue,  et  qui  déjà  s'en  trouvait 
contristé.  Et  c'était  leur  ruine  même 
qui  était  ainsi  consommée!  Ce  n'était 
plus  possible,  moins  que  jamais  !  Et  il 
se  considérerait  comme  un  voleur,  un 
bandit,  digne  d'exécration,  s'il  acceptait 
de  dérober,  lui,  sans  soucis,  riche, 
amoureux  par-dessus  le  marché,  le  bien- 
être  des  deux  femmes,  la  fortune  même 
de  Georgette.  Il  n'y  consentirait  pas,  il 
forcerait  bien  M""®  Delize  à  reprendre  la 
part  qui  lui  revenait  légitimement,  qui 
leur  était  si  nécessaire. 

Les  deux  femmes,  au  moment  de  leur 
départ,  se  préparaient  déjà  à  monter  en 
voiture,  quand  Maurice  arriva  comme 
un  fou. 

—  Madame!  madame!   criait-il. 

^jme  jJelize  le  regardait  avec  surprise. 

—  Eh  bien,  monsieur? 
Georgette,  elle,  veillait  aux  derniers 

préparatifs,  de  son  air  fier  et  paisible. 

—  Eh  bien,  monsieur?  demanda 
encore  M""*^  Delize,  un  peu  froissée. 

Et  Maurice  resta  court,  tout  honteux 
de  lui-même,  de  son  élan,  de  son  atti- 
tude. Il  se  reconnaissait  indiscret,  im- 
portun et  ne  savait  plus  que  dire.  Il 
comprenait  tout  ce  qu  il  y  avait  de  bles- 
sant dans  son  insistance.  Il  n'avait  pas 
le  droit  de  connaître,  de  toucher,  si  dé- 


170 


L'HERITAGE  DE  L'ONCLE  FLOROT 


licatement  que  ce  fût,  au  malheur  caché   |        Georg-ette  pencha  légèrement  la  tète, 
de  M""'  Delize.  Devant  la  fierté  ombra-   1   Maurice  fit  un; grand  salut, 
geuse  et  fermée  des  deux  femmes,  il  se   |        Et,  la  voiture  partie  vers  la  gare,  dans 

un  petit  nuage  de  poussière, 

Maurice,   d'abord  triste,  puis 

ragaillardi  soudain,  allait  re- 

I        V   -"^i-  trouver  M''  Boubert.  Adieu! 

'  '   '  oui,  mais  pas  pour  longtemps. 

M''  Boubert   connaissait    l'a- 
dresse de  ces  dames  à  Paris. 
Et  Maurice  avait  maintenant 
son  idée,  une  idée  fixe,   arrê- 
tée, qui  le  consolait  d'avance, 
même  le  transportait  dans  une 
crise  de  joie,  retenue  à  grand- 
peine,  et  dont  il  aurait  volon- 
tiers   battu    des    deux    bras, 
comme  des  ailes.    Ainsi    que 
le    disait    M''  Boubert,    tout 
pouvait    encore 
s'arranger.     Et     il 
y     avait     manière 
quand  même  d'hé- 
r  i  l  e  r  ensemble, 
tous  les  deux,  avec 
Georgette.^  Pour- 
quoi n'y  avoir  pas 
pensé  tout  de  suite? 
Car    c'était   cela 
^t         dont    Maurice     ne 
1^         voulait  pas  à  toute 
force,  décidément, 
hériter  tout  seul,  en 
avare,    en  égo'ïste, 
en  célibataire... 


Aussi,  dans  son 
impatience,  la 
crainte  que,  dans 
leur  position  pré- 
caire, M'"«  Delize  et 
Georgette  ne  prissent  des  résolutions 
contraires  et  hâtives,  Maurice,  après 
quelques  jours,  de  retour  à  Paris,  en- 
voyait M'"^  Carlier,  sa  tante,  sa  plus 
proche  parente,  chez  M""*  Delize,  en 
grande  cérémonie,  avec  la  mission  offi- 
cielle de  demander  pour  lui  Georgette 
en  mariage. 

—  Et  tu  sais,  ma  tante,  avait  recom- 


sentit  plein  de  remords;   il  rougit,  s'in- 
clina. 

—  Madame,  pardonnez-moi,  je  dési- 
rais seulement  vous  saluer  une  dernière 
fois  et  vous  présenter  mes  respects  avant 
votre  départ. 

—  Vous  êtes  trop  aimable,  monsieur, 
nous  vous  rendons  votre  salut  de  grand 


LIIKUITAGE    DE    LONCLK    FLOUOT 


171 


mandé  Maurice,  dans  tous  ses  états, 
fais  bien  comprendre  à  M"'^  Delize  com- 
bien j'aime  sa  fille,  combien  j'en  suis 
fou,  depuis  que  je  l'ai  vue,  combien  je 
serais  fier  si  elle  consentait,  et  malheu- 
reux autrement...  Car  qui  sait,  hélas! 
si  elle  voudra  de  moi  et  si  je  lui  ai  plu? 
Sincèrement,  Maurice  restait  plein  d  in- 
quiétude, imaginant  malgré  tout  avec 
difficulté  comment   la  belle,   la   noble, 


l'exquise  Georgette  pourrait  jamais  ac- 
cepter un  malotru  de  son  espèce  gros- 
sière et  barbue. 

Le  fait  est  que  M™''  Carlier  revint  ce 
jour-là  avec  une  réponse  évasive. 
M™®  Delize  avait  été  très  froide.  Mais 
elle  ne  s'était  pas  prononcée,  elle  con- 
sulterait sa  fille. 

—  C'est  fini,  soupira  Maurice,  déjà 
au     désespoir.      C'est     par      politesse. 


172 


L'HÉRITAGE    DE    LONCLE    FLOROT 


M"*'  Delize  ne  peut  vouloir  de  moi,  c'est 
é\'idenl. 

—  Elle  serait  sotte,  observa  M""^  Car- 
lier.  KWe  qui  n'a  pas  de  fortune. 

—  Il  n'y  a  pas  que  la  fortune,  fit 
Maurice. 

C'est,  en  elï'et,  ce  qu'à  la  seconde 
entrevue.  M'""  Delize,  posément  et  fer- 
mement, fit  entendre  à  M'"''  Carlier.  Et 
même  la  fortune  de  Maurice,  comme  on 
le  laissa  deviner,  n'était  pas  un  des 
moindres  obstacles  à  l'union  désirée. 
Dans  sa  fierté  sensitive,  Georgette  décli- 
nait un  mariage  disproportionné  en  ce 
qui  la  concernait,  et  auquel  les  circon- 
stances prêtaient  un  certain  air  de  com- 
pensation qu'il  n'était  certainement  pas 
dans  les  intentions  de  Maurice  de  lui 
donner,  mais  qui  n'en  existait  pas 
moins  et  auquel  Georgette  refusait  de 
se  prêter.  M"*^  Delize  avait  d'ailleurs  des 
intentions  arrêtées;  elle  allait  partir  pro- 
chainement pour  l'Amérique. 

Va  Maurice,  au  moment  même  où  sa 
tante,  de  retour  de  sa  mission,  lui  an- 
nonçait la  décision  qui  anéantissait  ses 
rêves,  se  trouvait  comme  précipité  au 
fond  d'un  véritable  trou  de  désespoir, 
quand  un  télégramme  arriva,  de  M'"  Bou- 
bert  : 

«  Second  testament,  déposé  chez  no- 
taire à  Paris,  annulant  le  précédent  et 
instituant  M""  Delize  légataire.  » 

Un  testament  déposé,  par  une  lubie 
du  vieillard,  chex  le  premier  notaire 
rencontré,  pendant  un  voyage  de  l'oncle 
Florot  à  Paris,  et  dont  on  venait  seule- 
ment de  découvrir  l'existence,  l'oncle 
Florot  n'en  ayant  jamais  parlé  à  per- 
sonne, et  le  notaire  de  Paris  ayant  jus- 
que-là ignoré  le  décès  qu'un  hasard 
venait  seulement  de  lui  faire  connaître. 

D'ailleurs  peu  importait  à  Maurice  le 
comment  et  le  pourquoi. 

Du  trou  profond  de  son  désespoir,  il 
sortait  comme  dans  un  bond  d'allégresse, 
repris  de  confiance.  Il  ne  laissa  même 
pas  à  la  bonne  M'"^  Carlier  le  temps  de 
reprendre  haleine. 


—  Tu  as  encore  ton  chapeau,  vite, 
cours,  retourne...  Si  c'est  seulement 
scrupule  et  délicatesse  de  la  part  de 
Georgette  à  qui  répugnait  un  mariage 
comme  de  charité  et  de  consolation,  tu 
comprends,  maintenant,  tout  est  changé, 
sauvé;  elle  dira  oui... 

j\,pne  Carlier,  un  peu  bousculée,  mais 
compatissante,  était  repartie. 

Elle  revint  une  demi -heure  après, 
soufflante,  harassée  et  gaie. 

—  Eh  bien?  demanda  Maurice, 
anxieux. 

—  Eh  bien,  M'"^  Delize  a  reçu  la 
même  dépêche  que  toi. 

—  Je  le  pense  bien,  dit  Maurice,  mais 
alors  ? 

—  Alors  elle  va  de  nouveau  consulter 
sa  fille. 

—  Eh!  fit  Maurice  impatienté,  ne 
pouvait-elle  la  consulter  tout  de  suite? 

—  Comme  tu  y  vas,  mon  enfant  !  Ces 
choses-là  ne  se  mènent  pas  tambour 
battant. 

—  Enfin,  je  ne  peux  rien  savoir? 

—  Rien  de  précis,  fit  M"*"  Carlier,  en 
souriant,  mais  à  l'air  affable  et  plus 
ouvert  de  M""'  Delize,  à  je  ne  sais  quoi 
de  bienveillant  pour  toi  que  j'ai  cru 
surprendre  cette  fois  chez  elle,  cela 
m'étonnerait  beaucoup  si  maintenant 
c'était  non... 

Maurice  s'était  jeté  au  cou  de  M""'  Car- 
lier. 

—  Oh!  ma  tante,  ma  tante,  comme 
tu  es  bonne  ! 

Quelques  jours  après,  Maurice  était 
autorisé  à  se  présenter  chez  M"^"^  Delize 
et  à  faire  sa  cour  à  Georgette  ;  une 
Georgette  nouvelle,  dont  la  beauté  un 
peu  éclatante  semble  s'adoucir,  encore 
plus  séduisante  ainsi,  dont  la  fierté  gra- 
duellement s'atténue  et  s'enjoue  dans  la 
société  du  jeune  homme,  et  qui  s'atten- 
drit un  peu  plus  tous  les  jours,  à  mesure 
qu'approche  le  mariage. 

H  E  N  R  Y     F  Ù  V  R  E . 


LE     NIL 


L'ILE     DE     PHIL^ 


Serrée  clans  sa  fraîche  ceinture  de 
palmiers  et,  de  lentisques,  couverte  d'an- 
tiques monuments,  se  détachant  lumi- 
neuse contre  les  sombres  rochers  de 
Bigeh,  l'île  de  Phike,  toute  blanche,  re- 
pose dans  le  Nil,  mirant  dans  ses  eaux 
les  cimes  démeraude  de  ses  palmiers, 
les  élégantes  silhouettes  de  ses  temples. 

En  face,  au  Nord,  apparaissent  à  perte 
vue,  noirs,  déchiquetés,  abrupts,  des 
milliers  d'îlots,  de  caps,  de  promon- 
toires étrangement  entremêlés,  consti- 
tuant la  première  cataracte  et  s'étendant 
sur  une  longueur  de  11  kilomètres  jus- 
qu'à Assouan. 

Au  seuil  de  la  Nubie,  elle  forme  l'ex- 
trême limite  de  la  haute  Egypte.  Située 
par  24M'34"  de  latitude  sur  SC^Sriô" 
de  longitude  du  méridien  de  Paris,  elle 
est  de  minimes  dimensions ,  mesurant 
environ  400  mètres  de  long  par  135  de 
large. 

Une  muraille  de  pierres  de  taille  lui 
sert  de  rempart  contre  la  force  des  eaux 
et  l'entoure  de  tous  côtés,  sauf  au  sud, 
où  un  énorme  bloc  de  granit,  dominant 
l'île  de  4  ou  5  mètres,  forme  un  éperon 
contre  lequel  se  brise  l'impétuosité  du 


courant.  Suffisamment  élevée,  l'île  est 
complètement  à  l'abri  des  plus  hautes 
inondations. 

Si  le  projet,  à  peu  près  abandonné 
aujourd'hui,  de  construire  une  digue  à 
l'entrée  de  la  cataracte  eût  été  mis  à 
exécution,  le  niveau  du  fleuve  eût  dé- 
passé de  4  ou  5  mètres  le  sol  de  l'île  et 
la  double  action  des  eaux  et  du  courant, 
dont  rien  alors  n'eût  modéré  la  furie, 
eût  en  quelques  années  détruit  cette  mer- 
veille d'autrefois,  respectée  jusqu'à  ce 
jour  par  le  temps  et  les  hommes. 


Huit  heures,  nos  hommes  sont  dans 
la  chaloupe,  étendus  sur  les  bancs,  atten- 
dant qu'on  embarque.  J'allume  une  pipe 
et  je  saute  dans  l'embarcation. 

Les  six  matelots  saisissent  les  rames. 
Mohammed,  accroupi  à  l'arrière  sur  le 
plat-bord,  manœuvre  le  gouvernail;  le 
vieux  Mahmoud  commence,  sur  un  ton 
suraigu,  une  chanson  triste  et  monotone  ; 
l'équipage  entonne  en  chœur  le  refrain, 
et  l'esquif  fend  les  eaux  qui  miroitent 
avec  d'atroces  reflets. 

La  chaloupe  talonne  et  s'arrête  à  2  ou 


1"4 


suit    LE    NIL 


3  mètres  du  rivage.  Mohammed,  qui  s'est 
mis  à  l'eau,  m'a  pris  sur  ses  épaules  et 
délicatement  déposé  sur  la  berge,  longue, 
en  pente  douce,  de  sable  fin. 

Hassan  est  là,  me  guettant  depuis  une 
heure,  avec  son  âne,  un  bel  âne  gris  au 
poil  ras   orné   d'arabesques   dextrement 


découpées  à  coups  de  ciseau.  Un  beau 
sourire  éclaire  sa  jolie  face  aux  traits 
réguliers,  finement  ciselés,  et  sur  sa 
jambe  maigre,  dure,  au  mollet  haut  et 
grêle,  une  fine  poussière  blonde  s'est 
déposée,  mettant  sur  les  chairs  brunes 
un  fin  glacis  ambré. 

Nous  suivons  un  instant  le  quai  à 
l'ombre  de  hauts  palmiers.  Chacun  a  le 
tronc  protégé  par  un  mur  circulaire  de 
maçonnerie  blanchie  à  la  chaux,  ce  qui, 
de  loin,  leur  donne  l'aspect  de  longs  cous 
minces  sortant  de  faux-cols  trop  larges. 


On  tourne  à  droite  et  on  suit  le  bazar 
bas  et  couvert.  Puis  nous  prenons  une 
rue  latérale.  Les  boutiques  se  font  rares, 
la  foule  diminue,  des  pigeons  picorent 
jusque  dans  vos  jambes.  Nous  passons 
devant  la  mosquée  en  briques  crues  de 
Hadji-Hassan-Mohammed,  avec  sa  large 
cour  à  ciel  ouvert,  où  se  dresse  un  gi- 
gantesque palmier.  On  traverse  la  vieille 
ville,  on  côtoie  quelques  masures,  des 
murs  ruinés  et  nous  débouchons  dans 
une  plaine  aride  et  sablonneuse. 

Nous  sommes  dans  le  désert  où  se  dé- 
ploie indéfiniment  la  nécropole  d'As- 
souan,  une  vaste  étendue  terne,  pou- 
dreuse, parsemée  à  perte  de  vue  de 
tombes,  de  coupoles,  les  unes  toutes 
grises  en  pisé,  les  autres  blanchies  à  la 
chaux,  la  plupart  effondrées,  laissant  voir 
le  ciel  à  travers  leurs  voûtes  crevées.  A 
nos  pieds,  le  sol  est  jonché  de  débris,  de 
stèles  brisées;  sur  les  unes  sont  gravés 
des  caractères  grecs,  sur  d'autres  on  lit 
des  inscriptions  romaines,  sur  un  cer- 
tain nombre  sont  dessinés  des  hiérogly- 
phes. Parfois,  semblable  à  un  masto- 
donte au  repos,  un  bloc  de  granit  noir 
perce  le  sol,  portant  incisés  sur  ses  faces 
polies  le  cartouche  d'un  Pharaon,  la 
date  d'une  expédition  contre  les  tribus 
du  Sud. 

Nous  laissons  le  cimetière  sur  la 
gauche  et  obliquons  à  droite,  dans  la  di- 
rection du  Nil.  La  plaine  s'élève 
bordée  d'amoncellements  de  rochers  qui 
nous  dérobent'  la  vue  du  fleuve.  A 
gauche,  ce  sont  des  fondrières,  des 
tranchées  abruptes,  ravagées,  semblables 
à  des  lits  de  torrents  desséchés  qui  au- 
raient roulé  du  feu,  tant  les  bords 
friables  sont  noircis,  rongés,  calcinés. 
Soudainement,  tranchant  sur  ces  tons 
sombres  et  gris,  une  tache  blonde  étin- 
celante  apparaît,  et  une  coulée  de  sable 
se  déroule,  comblant  les  profondeurs 
obscures,  envahissant  les  rochers,  lais- 
sant seulement  à  découvert  leurs  arêtes 
aiguës.  Puis  les  ravins  mornes  reparais- 
sent, les  gigantesques  massifs  de  blocs 
superposés  en  un  équilibre  dangereux, 
blocs  arrondis,  usés,  gercés,  fendus,  s'en 


SUIl    LE    NIL 


175 


allant  par  squames   sous  la   morsure  de 
la  terrible  chaleur. 

De  temps  en  temps,  à  travers  une 
coupure  de  cette  muraille  de  pierre,  on 
aperçoit  le  Nil,  et  alors  c'est  un  mer- 
veilleux spectacle  d'une  sauvage  gran- 
deur. 

Sur  une  étendue    de  3  ou  4   kilomè- 
tres, des  milliers  d'îles,  d'îlots  faits  de 
rochers  de  granit  ou  de 
basalte,  d'un  noir  uni- 
forme, aiïectant,  dans 
leurs  bizarres  grou- 
pements,     des  :'; 


noirs  à  la  base,  luisants  comme  s'ils  eus- 
sent été  fraîchement  goudronnés.  De- 
vant cet  éperon  de  pierre  le  fleuve  se 
brise  et  bouillonne.  Derrière,  entre  le 
double  courant  débordant  de  chaque 
côté,  s'allonge  une  nappe  blonde  de 
sable  fin  frangée  d'écume  et  coupée  de 
stries  horizontales  s'étageant  en  gradins 
parallèles,  empreintes  laissées  par  les 
basses  eaux  dans  leurs  re- 
traits successifs. 

Par  places,  dans  un  peu 
de  terre  déposée  par  l'i- 
nondation, dans  un  creux 
de  rocher,  une  fissure,  un 
coin  en  contre-bas,  un  len- 
tisque  verdoie,  un  palmier 
a    pris   racine.    Dans    des 


-    r*.4^.    >  ^ 


formes  étranges,  des 
silhouettes  de  bêtes 
monstrueuses  et  in- 
connues, se  dé- 
ploient jusqu'aux 
sables  jaunes  liby- 
ques ,  trouant  de 
leurs  sommets  som- 
bres et   déchiquetés 

la  surface  miroitante  du  Nil.  Les  eaux 
du  fleuve,  démesurément  élargi,  se  pré- 
cipitent tumultueuses  à  travers  ces  ob- 
stacles qui  obstruent  son  cours,  et  une 
rumeur  sourde  monte  d'en  bas.  emplit 
l'air  de  sa  plainte  continue. 

Çà  et  là,  dans  l'enchevêtrement  inex- 
tricable de  ces  îles,  de  ces  îlots  surgit  un 
promontoire  aux  formes  extravagantes 
dont  le  sommet  surplombant  la  base 
semble  déconcerter  toutes  les  lois  de 
l'équilibre,  ou  bien  se  dresse  un  rem- 
part composé  de  rocs  de  granit,  fendus 
en  long  et  en  large,  roses  au  sommet. 


LE    LONG     DE    LA     CATARACTE 


bouquets  de  verdure  entourés  d'herbes 
maigres,  des  notes  claires,  à  peine  visi- 
bles indiquent  une  coupole  de  Khouba, 
un  toit  de  cabane,  isolés  sur  un  îlot. 

Parfois,  à  travers  ce  chaos  pointe,  in- 
cliné sur  son  mât  grêle,  semblant  sortir 
d'un  rocher,  le  triangle  d'une  voile.  Un 
moment  la  blanche  vision  apparaît,  puis 
tout  à  coup,  à  un  tournant,  s'évanouit, 
reparaît  un  peu  plus  loin,  glisse  toute 
pâle  le  long  des  granits  sombres  et  de 
nouveau,  subitement,  disparaît,  masquée 
par  un  cap,  pour  se  montrer  à  quelques 
mètres  de  là,  fuir  encore  et  s'échapper 


ne 


SUR    LE    NIL 


LA    CATARACTE    AVANT     D'ARRIVER    A    PHIL.E 


derrière  une  pile  de  rocs.  Et  ce  jeu  de 
cache-cache  à  travers  les  rochers  mons- 
tres dure  des  heures. 

Sur  tout  cela,  l'ardent  soleil  épand 
son  éblouissante  splendeur,  illuminant 
les  ondes,  ruisselant  en  Ilots  d'or  sur  la 
nuque  rosée  des  formidables  animaux  de 
granit  ou  de  basalte.  Et  de  leurs  robustes 
flancs  noircis,  des  ombres  projetées  d'un 
bleu  violet  aux  contours  durement  ac- 
centués courent  sur  les  eaux,  se  brisent, 
escaladant  les  rochers,  décrivant  de  fan- 
tastiques silhouettes. 

Tout  en  haut,  s'arrondit  limpide,  pro- 
fonde, intensivement  bleue,  la  voûte  cé- 
leste, étendant  sur  cette  grandiose  con- 
fusion la  majesté  de  sa  paisible  et 
éternelle  solennité. 

Pendant  quelque  temps  nous  suivons 
le  sentier  abrupt,  taillé  dans  le  versant 
de  la  falaise.  La  chaleur  réverbérée  par 
le  sol  est  étouffante,  on  est  presque 
aveuglé  par  les  reflets  qui  rayonnent  des 
parois  des  rochers. 

Nous  regagnons  la  route  du  désert.  A 
notre  gauche,  nous  retrouvons  les  vastes 
fondrières  au  delà  desquelles  se  trouvent 
les  fameuses  carrières  de  granit.  Mainte- 
nant le  terrain  s'abaisse,  insensiblement 
d'abord,    puis    la    pente    s'accentue   et. 


après  une  rampe  brusque,  nous  voici 
dans  une  vallée  de  sables  d'où  montent, 
à  une  hauteur  considérable,  accolés, 
superposés,  furieusement  mêlés,  des 
entassements  vertigineux  de  granits  de 
grès,  de  basalte.  Les  parties  terminales 
reposant  en  porte-à-faux  se  tiennent  en 
un  équilibre  incompréhensible,  et  l'as- 
pect farouche  de  ces  agglomérats  gigan- 
tesques donne  l'impression,  très  nette- 
ment définie,  de  barricades  de  Titans  à 
demi  écroulées. 

Et  on  dirait,  à  voir  ces  blocs  saillants, 
débordant  en  saillies  menaçantes,  qu'à 
tout  moment,  au  plus  faible  choc,  à  la 
plus  légère  secousse,  à  la  moindre  pieiTC 
se  détachant,  ils  vont  s'écrouler,  provo- 
quant dans  leur  chute  uu  efl'ondrement 
général. 

Sur  les  faces  de  certains,  sont  gravés 
des  cartouches  de  rois,  des  dates  d'ex- 
péditions guerrières ,  des  louanges 
adressées  aux  divinités  et  aux  Pharaons, 
vieilles  de  2,600  ans  avant  notre  ère, 
pages  d'histoire  colossales  ouvertes  en 
plein  désert. 

Le  sable  est  menu,  impalpable  ;  on  y 
enfonce  jusqu'à  mi-jambe.  Surla  gauche, 
les  successifs  khamsin  l'ont  chassé  contre 
la  chaîne  de  rochers  formant  l'autre  ver- 
sant de  la  vallée.  Et  la  fine  poussière 
s'est  amoncelée,  envahissant  graduelle- 


SUR    LE    NIL 


177 


ment  les  assises  de  la  pierre,  comblant 
les  fentes,  les  creux,  les  anfractuosités, 
recouvrant  même  par  endroits  les  som- 
mets, ne  laissant  voir  que  les  crêtes  su- 
périeures, une  suite  de  pitons  et  d'arêtes, 
ressortant  violemment  en  noir  sur  le 
clair  linceul  déposé  par  les  vents,  vous 
faisant  éprouver  l'illusion  de  névés  et  de 
glaciers. 

Au  fond  de  la  vallée  sortent  du  sol, 
sentinelles  mornes  et  solitaires,  de  larges 
granits  arrondis  et  polis,  sur  lesquels  on 
retrouve  aussi  des  inscriptions  hiéro- 
glyphiques, remontant  aux  différentes 
époques  de  l'antiquité  pharaonique. 

Parallèlement  à  la  route,  la  même  qui 
conduisait  autrefois  à  Phila*,  celle   que 
Strabon  disait  avoir  parcourue  envoitui'e, 
on  rencontre  les  restes  d'une   ancienne 
muraille  en  briques  cuites,  le  Megatichos 
de  Juba  s'étendant  autrefois  d'Assouan 
à  Philœ.  Elle   avait  été  construite  pour 
protéger  l'Egypte   contre   les   invasions 
des  nomades  de  la  Nubie,  les  Oua-ouaï, 
les  Khesa,  etc.,  des  Egyptiens,  les  Blem- 
myes    des    Romains,    que    la    légende 
disait  être  sans  tête,  sans  cou  et  avoir 
les  yeux  et  la  bouche  sur  la  poitrine, 
et  qui  ne  sont  autres  que  les  Bicharis 
d'aujourd'hui. 

La  vallée  débouche  dans  un  terrain 
plat  où  s'allonge  la  voie  ferrée  que  nous 
côtoyons.  Un  coup  de  sifflet  retentit  : 
derrière  nous,  on  entend  comme  un 
souffle  puissant  de  bête,  un  roulement 
sourd  ;  une  masse  sombre,  allongée,  se 
précipite  avec  un  bruit  de  tonnerre,  fai- 
sant trembler  le  sol,  laissant  derrière  elle 
un  nuage  opaque,  qui  reste  en  suspension 
dans  l'air,  trop  lourd  pour  s'élever,  souil- 
lant de  sa  vapeur  épaisse  la  pure  trans- 
parence de  l'atmosphère,  le  bleu  exquis 
du  ciel...  C'est  la  civilisation  qui  passe, 
l'implacable  et  incessant  destructeur  du 
passé,  anachronisme  hurlant  dans  la 
solitude  du  désert,  parmi  ces  immuables 
souvenirs  des  temps  disparus,  ces  gra- 
nits sculptés  célébrant  les  hauts  faits  des 
Pharaons,  la  gloire  des  dieux  à  têtes 
d'animaux. 

Depuis  un  moment,  nous  ne  foulons 

Vin.  —  12. 


plus  les  cailloux  rugueux  du  désert,  le 
sol  s'est  amolli,  la  terre  se  montre,  la 
bonne  terre  féconde.  On  aperçoit  des 
alignements  de  palmiers,  des  groupes 
d'acacias,   des     bouquets     de     tamaris. 


UN     BICHARI 


d'épais  massifs  de  sycomores,  au-dessus 
desquels  pointe  le  sommet  d'un  minaret. 
A  travers  le  rideau,  d'un  vert  pâle  pou- 
dreux, des  arbres,  on  distingue  çà  et  là 
des  façades  blanches  de  maisons;  nous 
sommes  à  Chellal  qui  fait  face  à 
Philœ.  Un  temps  de  galop   nous  amène 


178 


SUR    LE    NIL 


au  village  que  nous  traversons  et,  devant 
nous,  paisiblement  assise  au  milieu  du 
Nil,  apparaît  Phila-  l'île  sainte,  la  véné- 
rable relique  du  passé,  Phila'  la  perle 
de  rÉgypte,  ce  joyau  architectural  serti 
dans  le  plus  admirable  décor  imaginable 
et  que  veut  engloutir  sous  les  eaux, 
pour  élever  je  ne  sais  quelle  construction 
ridicule,  quelle  digue  impossible,  une 
poignée  de  (rousseurs  d'affaires  et  d'en- 


légèrement  en  recul,  une  seconde  cein- 
ture verdoyante  dont  les  tons  foncés  font 
ressortir  la  blancheur  des  édifices.  Au 
dernier  plan,  au  delà  du  bras  du  Nil,  qui 
contourne  la  rive  occidentale  de  Phihe, 
et  lui  servant  de  fond,  se  tassent  les 
masses  granitiques  de  l'île  de  Bigeh, 
surpassant  de  leurs  crêtes  tourmentées 
l'ensemble  des  monuments. 

C'est  d'abord  le  kiosque  de  Tibère,  le 


PHIL^.  —  Vue  prise  des  rochers  de  Bigeh. 


trepreneurs  grotesques  réunis  en  com- 
pagnie. 

De  la  rive  on  embrasse  d'un  coup 
d'œil  l'île  entière  :  une  série  de  temples 
reliés  entre  eux,  d'autres  isolés  et,  tout 
autour,  des  fondations  bouleversées  de 
murs  en  briques  crues,  des  monceaux  de 
poteries  brisées,  des  fragments  de  statues 
ou  de  colonnes  couvrant  le  sol. 

Une  haute  muraille  entoure  l'île 
presque  en  entier  et  la  protège  contre 
les  crues  du  Nil.  Une  guirlande  de  cassis, 
de  mimosas  épineux,  d'où  s'élancent  de 
superbes  palmiers,  court  parallèlement 
au  mur  d'enceinte,  formant  en  dessus,  et 


temple  hypèthre  précédé  de  sa  large  ter- 
rasse dont  le  pied  trempe  dans  le  Nil. 
Ses  lignes  gracieuses  se  détachent  fines 
et  claires,  en  partie  sur  le  ciel,  en  partie 
sur  le  sinistre  arrière-plan  de  Bigeh.  Ses 
sveltes  colonnes  de  grès,  surmontées  de 
dés  allongés  qui  en  exagèrent  l'effet  en 
hauteur,  leur  donnent  une  ténuité  remar- 
quable qui  s'écarte  tout  à  fait  de  la  ma- 
nière ordinaire  égyptienne.  Des  brous- 
sailles, un  fourré  de  mimosas,  un  groupe 
pittoresque  de  palmiers,  qui  ont  poussé 
sur  le  terre-plein,  appuyé  au  mur  d'en- 
ceinte, lui  font  un  ravissant  premier 
plan.  Une  petite  crique  de  sable,  toute 


su H     LE     NIL 


179 


striée  par  le  retrait  des  eaux,  part  de  la 
base  de  la  terrasse  et  descend,  en  pente 
très  douce,  jusqu'au  fleuve  où  repose  à 
Tancre  une  dahabieh. 

Le  Nil  est  d'un  calme  parfait,  et  Télé- 
gant  monument,  avec  son  délicieux 
paysage,  s'y  reflète  avec  une  netteté  de 
lignes,   une   transparence  inexprimable. 

A  gauche,  à  la  pointe  sud,  un  éperon 
de  rochers  de  granit  protège  l'île  contre 
la  violence  du  courant.  Devant  moi,  et 
en  arrière  du  kiosque,  sur  la   rive  occi- 


construits  sur  le  même  modèle,  mais 
sans  blindage;  des  dahabiehs,  des  pon- 
tons, des  barques  de  pêche  et  une  flottille 
de  canots. 

Le  quai  est  encombré  de  monde,  poli- 
cemen,  marins  de  l'I^tat,  matelots,  sol- 
dats du  Soudan,  employés  de  Cook  et 
de  Gaze,  fonctionnaires  ouvriers,  méca- 
niciens cosmopolites,  Bicharis,  fellahs, 
Arabes,  Bédouins.  On  entend  le  bruit 
de  marteaux  frappant  l'enclume,  marte- 
lant le  fer,  dans  les   ateliers  installés  le 


5*«^. 


G  .MONrBATlt». 


^ 


p  H  1 1.  .E.  —  Vue  prise  de    Chellal. 


dentale  de  l'île,  se  détache  en  clair,  do- 
minée par  les  crêtes  chauves  de  Bigeh, 
la  masse  puissante  du  grand  temple 
d'Isis,  une  suite  de  constructions  reliées 
ensemble  et  dont  aucune  ne  rentre  dans 
l'axe  du  monument  principaL  Une 
rangée  de  palmiers  se  prolonge  jusqu'à 
l'extrémité  nord  du  Nil,  terminée  par  le 
mur  d'enceinte. 

Des  barques  chargées  de  touristes  et 
rayées  transversalement  de  bandes  alter- 
nativement peintes  en  indigo,  en  blanc, 
en  ocre  rouge,  vont  d'une  rive  à  l'autre. 

D'autres  barques  sont  au  bas  de  la 
berge  attendant  ou  sollicitant  des  clients. 
Le  long  de  la  rive,  sont  ancrés  des  va- 
peurs blindés  du  gouvernement,  à  roue 
double  placée  à  l'arrière,  prêts  à  partir 
pour   le    Sud;    des    steamers   de    Cook, 


long  du  quai.  On  déménage  de  daha- 
biehs ou  de  steamers  retournant  du  Sud, 
on  emménage  dans  d'autres  à  la  veille 
d'y  aller.  Des  bandes  tumultueuses  et 
bigarrées,  se  querellant  'entre  elles  avec 
d'abominables  clameurs,  transportent 
des  meubles:  matelas,  oreillers,  chaises, 
fauteuils  de  canne,  tapis,  etc.  ;  des  pa- 
niers de  vaisselle,  des  caisses  de  provi- 
sions, amenés  dans  le  train  d'Assouan, 
les  déposent  sur  le  pont  ou  les  rangent 
dans  les  cabines  des  bâtiments  à  desti- 
nation de  Ouadi  Halfa. 

De  temps  en  temps,  le  coup  de  sifflet 
strident  et  prolongé  d'un  steamer  en  par- 
tance déchire  l'air,  le  roulement  d'un 
train  résonne  sourdement.  La  foule  houle 
et  bruisse,  et  ce  sont  des  cris,  des  ap- 
pels,   des    disputes,    où    se   mêlent   des 


180 


SUR    LE    NIL 


aboiements  rauques  de  chiens  étiques 
errant  furtivement,  la  queue  basse, 
l'échiné  pelée,  au  bas  de  Feau,  guettant 
et  dévorant  gloutonnement  les  détritus 
lancés  des  bateaux. 

Et  entre  ces  montagnes  d'aspect  ter- 
rible, aux  flancs  gravés  de  cartouches 
royaux  datant  de  milliers  d'années,  de- 
vant cette  île  couronnée  d'antiques  mo- 
numents, dans  la  tranquillité  sereine  et 
sévère  de  ce  paysage  grandiose,  l'écho 
banal  de.  ces  bruits  modernes,  l'aspect  de 
ces  choses  d'aujourd'hui  vous  choquent 
comme  une  profanation  et  détonnent 
comme  un  contresens. 

J'ai  pris  place  sur  une  barque  qui  m'a 
conduit  dans  l'île.  Au  haut  d'un  étroit 
sentier  jalonné  de  pierres,  qui  part  du 
pointde  débarquement  et  longe  le  kiosque 
de  Tibère,  le  gardien,  un  fellah  en  robe 
noire  portant  un  brassard  de  cuivre 
mentionnant  son  nom,  son  numéro  et  sa 
qualité  de  fonctionnaire,  m'a  gravement 
demandé  mon  permis  de  visiter;  c'est 
une  carte  délivrée  moyennant  cent 
piastres  par  le  service  de  conservation 
des  monuments  de  l'Egypte.  Je  le  lui  ai 
montré  et  il  s'est  incliné  avec  un  sourire 
des  plus  courtois  et  flairant  fortement  le 
bakchich. 

Me  voici  devant  le  temple  hypèthre, 
presque  intact,  au  cartouche  de  Tibère, 
le  moins  ancien  et  le  plus  élégant  édi- 
fice de  Phila'.  Ses  colonnes  ainsi  que 
les  dés  qui  les  surmontent  attendront  à 
jamais  l'ouvrier  qui  les  terminera,  tail- 
lant et  polissant  les  parties  ébauchées 
des  colonnes,  sculptant  sur  la  piéride 
lisse  des  dés  les  faces  monstrueuses  de 
Typhon . 

En  forme  de  rectangle  allongé,  avec 
le  grand  axe  dirigé  perpendiculairement 
au  Nil,  il  commande  le  fleuve,  précédé 
de  sa  belle  terrasse  aux  murs  d'appui 
solides  et  superbement  appareillés.  Qua- 
torze colonnes,  dont  les  chapiteaux  re- 
présentent des  fleurs  de  lotus  à  dilférents 
états  de  croissance,  reposent  à  mi-hau- 
teur de  l'édifice  sur  les  larges  murs.  Les 
dés,  aux  parois  unies,  qui  les  surmontent 
supportent  un  entablement  à  corniche 


proéminente.  Une  porte  s'ouvre  à  chaque 
extrémité  du  grand  axe. 

Le  soleil  joue  à  travers  toute  cette 
pierre  taillée,  glisse  le  long  des  colonnes, 
s'accroche  aux  chapiteaux,  aux  cham- 
branles des  portes,  fait  rayonner  les 
lotus,  ceint  le  bas  de  la  corniche  d'un 
bandeau  radieux,  et  de  fortes  ombres 
transparentes  et  nettement  accusées  s'a- 
battent sur  le  sol,  s'enroulent  autour  des 
fûts,  accentuent  le  relief  des  sculptures, 
cerclant  d'une  bande  sombre  la  partie 
terminale  de  la  corniche. 

Un  air  pur  et  frais,  chargé  de  forts 
effluves  de  plantes,  venant  de  la  rive 
arabique  et  traversé  de  courants  tièdes, 
partis  des  sables  libyques,  palpite  sur 
les  grès  polis,  frôle  les  belles  colonnes 
pâles,  les  murs  robustes,  court  en  ondes 
légères  sur  les  fins  profils  des  sommets. 

Des  moineaux  qui  ont  construit  leurs 
nids  dans  le  temple  pépient  à  plein  go- 
sier, voltigent,  se  posent  sur  les  pétales 
des  lotus,  les  bords  des  chapiteaux, 
piètent  en  sautillant  d'un  bout  à  l'autre 
de  la  corniche.  Des  abeilles  bourdonnent. 
Des  papillons  roses,  des  bleus,  tourbil- 
lonnent au  souffle  des  douces  haleines. 
Sur  le  sol,  parmi  les  décombres,  des 
fourmis  forment  de  longues  traînées, 
des  insectes  lourds  se  meuvent  lente- 
ment, de  gros  scarabées  bruns  se  tien- 
nent tapis  entre  des  éclats  de  pierres. 

En  haut,  dans  le  carré  d'azur  découpé 
par  le  rigide  entablement  de  l'édifice, 
on  aperçoit  des  gypaètes  décrivant  des 
cercles  concentriques.  De  temps  en  temps 
passe  un  triangle  d'oies  sauvages  se  diri- 
geant vers  le  Nord,  un  flamant  rose  fend 
l'air,  la  tête  repliée  vers  le  dos,  la  poi- 
trine tendue  en  avant,  les  pattes  rejetées 
en  arrière. 

Au  dehors,  les  mimosas  et  les  pal- 
miers bruissent,  frissonnant  sous  la  ca- 
resse des  souffles  parfumés,  et  le  Nil 
immobile  luit  avec  des  reflets  bleuis 
d'acier,  ourlant  la  petite  plage  de  sable 
d'un  imperceptible  fil  d'argent. 

Et  dans  le  sanctuaire  abandonné, 
inondé  de  soleil,  tout  imprégné  d'arômes, 
où  vit  seulement   maintenant  ce   petit 


SUR    LE    NIL 


181 


TEMPLE    HYPÈTHRE,     DIT    KIOSQUE    DE    TIBÈRE 


SUR    LE    NTL: 


peuple  ailé,  ce  monde  inlime  d'insectes, 
l'âme  est  involontairement  émue  et  la 
pensée  s'égare  vers  les  merveilleuses 
choses  d'autrefois. 

De  là,  je  me  suis  dirigé  au  sud  de  l'île. 
Là,  en  haut  de  la  terrasse  dont  la  base 
baigne  dans  le  Nil,  un  obélisque  brisé 
s'élève  auprès  d'un  temple  hypèthre 
isolé  et  ruiné,  à  colonnes  ornées  de  fleurs 
de  lotus  et  de  têtes  d'Hathor,  consacré  à 
Isis  par  Nectanebo.  C'est  le  seul  monu- 
ment de  lîle,  datant  des  Pharaons.  De 
là  partent,  s'orientant  vers  le  Nord,  deux 
colonnades  formant  le  dromos  et  se  diri- 
geant, en  s'écartant  au  fur  et  à  mesure 
qu'elles  s'en  rapprochent,  vers  le  Grand 
Temple.  La  plus  longue,  parallèle  au 
fleuve,  compte  une  trentaine  de  colonnes, 
l'autre  moitié  moins.  Sur  les  chapiteaux. 


P  H  I  L  iE.  —  Vue  prise  du  sud. 

tous  de  formes  variées,  qui  les  surmon- 
tent, sont  des  sculptures  dont  les  motifs 
sont  tirés  des  lotus  et  des  palmiers.  La 
plupart  des  larges  dalles  constituant  le 
plafond  sont  tombées.  Sur  celles  restées 
en  position  se  dessinent  des  semis  d'é- 
toiles sur  fond  bleu.  Des  images  incisées 
et  peintes  de  Tibère  et  de  Caligula  pré- 
sentent encore  une  certaine  fraîcheur. 
Au  milieu  de  la  plus  longue  colonnade 
et  taillé  dans  l'épaisseur  de  la  maçon- 
nerie s'ouvre  un  escalier,  descendant 
jusqu'au  rivage,  mais  à  moitié  obstrué 
par  un  dépôt  de  limon  et  de  sable  laissé 
par  l'inondation. 

Des  fragments  de  pierres,  de  poteries, 
de  briques  crues,  des  tronçons  de  co- 
lonnes parsèment  le  sol  dont  le  niveau 
s'élève  à  plus  d'un  tiers  de  la  hauteur 
des  colonnes. 

Je  me  suis  dirigé  vers  le  premier 
pylône  du  Grand  Temple  où  aboutit  le 
dromos.  Avant  d'y  arriver,  on  rencontre, 
à  l'extrémité  du  portique  de  l'Est,  une 
sorte  de  petite  chapelle  obscure,  aux 
portes  couvertes  d'inscriptions  et  d'hié- 
roglyphes et  consacrée  à  Imhotep  par 
Ptolémée  Epiphane. 

Le  premier  pylône  est  immense  et, 
sur  ses  faces  planes  et  lisses  mesurant 
près  de  quarante  mètres  de  haut,  de 
gigantesques  sculptures  s'étalent,  taillées 
en  pleine  pierre. 

Une  large  cour  entourée  de  portiques 


SUR    LE    NIL 


183 


rcKe  le  premier  pylône  au  se- 
cond, qui  ne  lui  est  pas  paral- 
lèle. Le  portique  occidental  fait 
partie  d'un  petit  temple  isolé, 
un  mammisi  dédié  à  Hathor 
par  Ptolémée  Evergète  U  et 
sa  femme  Gléopâtre.  Sous  le 
portique  oriental  sont  percées 
des  portes,  communiquant  cha- 
cune avec  une  chambre  sépa- 
rée. Dans  la  première  de  ces 
chambres,  près  du  pylône  d'en- 
trée, un  escalier  conduit  aux 
étages  supérieurs  et  à  la  ter- 
rasse; la  dernière  chambre  près 
du  deuxième  pylône  renfermait 
la  bibliothèque. 

Le  second  pylône,  fermant 
la  cour  et  de  dimensions  plus 
restreintes  que  le  premier,  dis- 
paraît littéralement  sous  les 
figures,  les  hiéroglyphes,  qui 
le  recourrent.  Il  conduit  à  un 
premier  portique,  communi- 
quant par  une  porte,  située 
dans  Taxe  de  l'ouverture  du  py- 
lône, avec  un  second  portique. 
Dix  colonnes  énormes  soutien- 
nent ce  pronaos.  Des  restes 
effacés  de  couleur  montrent 
que  leurs  fûts  étaient  peints. 
Les  chapiteaux  le  sont  encore 
et  leurs  couleurs  bleues  et  blan- 
ches, fraîches  comme  si  on  les 
avaitrécemmentappliquées,  in- 
diquent avec  une  très  grande 
netteté  les  contours  des  palmes 
et  des  feuilles  de  lotus.  Des 
aigles,  des  inscriptions,  des 
figures  de  divinités  peintes  sur 
le  plafond  ont  conservé  leurs 
surprenantes  qualités  de  ton. 

Le  naos  se  compose  d'une 
série  de  pièces,  les  unes  dans  Taxe  du 
temple,  les  autres  latérales.  En  face  de 
cette  pièce,  à  gauche  de  la  porte  d'en- 
trée, se  trouve  un  corridor  communi- 
quant d'un  côté  avec  l'extérieur,  de 
l'autre  à  un  escalier  menant  à  une  cha- 
pelle d'Osiris  située  sur  la  terrasse. 

Dans  la  dernière  chambre  centrale  du 


EXTRÉMITÉ    SUD     DE     L'ILE     DK     PHIL^E 


fond,  l'adytum,  qui  constitue  le  sanc- 
tuaire proprement  dit  et  où  se  voit  une 
niche  à  épervier  en  granit  rose  ;  les  murs 
sont  décorés  de  sculptures,  une,  entre 
autres,  représentant  Ptolémée  II  Phila- 
delphe  allaité  par  Isis. 

Onse  sent  singulièrement  impressionné 
quand  on  parcourt  ces  vastes  salles  silen- 


184 


SUR    LE    NIL 


COLONNADE    DU    DROMOS 
CONDUISANT    AU    GRAND     TEMPLE    D'ISIS 

cieuses  sur  les  parois  desquelles,  muets, 
immobiles,  la  plupart  affreusement  mu- 
tilés, terribles  dans  leur  hiératique  ma- 
jesté, s'alignent,  profondément  incisés 
dans  le  grès,  ces  anaglyphes,  ces  fantas- 
tiques figures  de  dieux,  d'animaux  sacrés, 
de  rois  figés  dans  leurs  poses  raides.  Et 


on  subit  cette  obsession  persistante,  irré- 
sistible, et  qui  n'est  pas  sans  charmes,  du 
passé,  passé  lointain,  étrange  et  à  peine 
deviné. 

Mais,  hélas!  combien  ces  géants  d'ar- 
chitecture ont  été  ravagés  par  le  temps 
et  surtout  par  les  hommes  !  Combien  la 
rage  fanatique  des  chrétiens  s'est  exercée 
contre  ces  superbes  édifices,  ces  splen- 
dides  tableaux  de  pierre  !  Partout  où  ils 
ont  pu  atteindre  facilement  les  sculp- 
tures, les  têtes  de  dieux,  de  rois,  d'ani- 
maux, indistinctement,  ont  été  impitoya- 
blementmartelées  ;  celles  queleur  hauteur 
protégeait  un  peu  plus  ont  moins  souf- 
fert. Le  sanctuaire,  aujourd'hui  dé- 
blayé, avait  été  partout  enduit  d'un 
épais  lit  de  limon  et  de  chaux  et  comblé 
avec  des  débris  et  des  immondices.  De 
tous  côtés  le  sol  est  jonché  d'éclats  de 
statues,  brisées  par  ces  forcenés  dans 
l'accès  de  leur  fureur  iconoclaste. 

Et,  aujourd'hui  encore,  tandis  que 
l'Europe  savante  fouille  l'Egypte,  pro- 
tège ses  monuments  avec  un  soin  jaloux, 
met  à  jour  d'inappréciables  trésors,  les 
classe  dans  ses  musées  avec  une  inépui- 
sable sollicitude,  des  gens  se  sont  trouvés 
qui,  froidement,  se  sont  proposé  de  dé- 
truire Phihe,  et  cela  avec  l'accord  tacite, 
la  sanction  du  plus  haut  fonctionnaire 
du  pays,  de  lord  Cromer,  l'homme  qui 
est  virtuellement  maître  des  destinées 
de  l'Egypte. 

Je  suis  monté  sur  la  terrasse  du  grand 
pylône.  La  vue  de  là  est  féerique.  De 
chaque  côté  de  l'île,  le  Nil  coule  paisi- 
blement. A  l'Ouest,  entre  les  entasse- 
ments de  rocs  cyclopéens  de  la  pointe 
de  Bigeh  et  le  prolongement  des  masses 
granitiques  calcinées  de  la  chaîne  ara- 
bique, s'ouvre  l'entrée  de  la  cataracte, 
entre  une  succession  de  caps,  de  pro- 
montoires, d'étroites  plages  de  sable. 
Dans  des  interstices  de  rochers,  des  eu- 
phorbes, des  mimosas,  quelques  palmiers 
puisent  un  peu  de  vie  dans  une  poignée 
de  terre  laissée  par  les  eaux  en  se  reti- 
rant. Plus  loin,  le  Nil  s'élargit  en. lac 
parsemé  d'îlots  noirs.  A  droite,  bordant 
une  berge  étroite,  appuyée  à  la  base  d'un 


SUR    LE    NIL 


185 


;XTRÉMITÉ    NORD    DU    TEMPLE     D'ISIS 


rempart  de    rochers,  s'allonge,   formant   |   une  bande  d'un  vert  gris,  une  ligne   de 


186 


SUR    LE    NIL 


palmiers  aux  liges  d'un  rose  violacé. 
Puis,  tout  au  loin,  fermant  l'horizon,  ce 
sont  les  sables  jaunes  de  la  chaîne  H- 
byque,  troués  de  place  en  place  par  les 
sombres  aspérités  du  roc. 

En  plein  Nord,  à  droite  et  tout  près 
de  l'entrée  de  la  cataracte,  au  bas  de  la 
chaîne  arabique,  touchant  presque  le 
fleuve,  se  dressent  deux  énormes  rochers 
joints  l'un  à  l'autre,  que  les  Arabes  dési- 
gnent sous  le  nom  de  Kousi  Faraoun,  le 
trône  de  Pharaon.  Leurs  flancs  sont  cou- 
verts d'inscriptions  et  d'hiéroglyphes... 
les  fastes  de  l'Egypte  incisés  sur  le  gra- 
nit. Derrière  et  les  dominant,  monte, 
hérissée  et  sauvage,  la  chaîne  arabique 
dévorée  par  le  soleil.  Quelques  palmiers, 
des  mimosas  grêles  ont  poussé  au  bas  de 
la  pente  décharnée.  Sur  la  droite,  un 
peu  plus  loin,  se  trouve  un  énorme  syco- 
more trapu,  arrondi,  gros  à  lui  seul 
comme  quatre  ou  cinq  arbres  réunis. 
Sous  son  ombre  des  Arabes  sont  accrou- 
pis auprès  de  chameaux  agenouillés. 

A  l'Est,  entre  deux  collines  de  rochers, 
s'étend  un  espace  plat,  nu,  absolument 
aride,  le  désert  conduisant  à  Assouan. 
Au  premier  plan,  à  partir  de  l'énorme 
sycomore,  la  rive  se  développe  en  un  long 
ruban  verdoyant  de  champs  en  culture. 
Sur  ce  fond  d'émeraude,  d'ocre,  de  brun 
rouge,  aux  tons  atténués,  des  arbres 
ressorlent  vigoureusement  en  taches  vio- 
lentes :  de  robustes  acacias,  des  syco- 
mores à  l'épaisse  ramure,  des  panaches 
touffus  de  palmiers.  Des  nappes  blanches 
oujaunes  de  maisons,  une  grêle  silhouette 
de  minaret,  rompent  de  leurs  notes 
claires  la  monotonie  des  verts. 

Au  Sud,  c'est  d'abord  à  droite  Bigeh, 
avec  ses  rochers  mornes,  sa  ceinture 
d'arbres  bordant  la  berge  et  coupée  de 
temps  en  temps  par  une  avancée  de  rocs 
pointant  en  cap  dans  le  Nil.  A  gauche 
s'élève  la  chaîne  arabique,  pelée,  dessé- 
chée, d'un  noir  gris  sale.  Entre  le  fleuve 
et  le  pied  de  la  montagne,  dans  des  reculs 


de  terre,  apparaissent  deux  oasis  ver- 
doyantes, des  massifs  de  sycomores,  de 
mimosas,  d'acacias  dominés  par  des 
cimes  de  palmiers.  De  ce  nid  de  verdure 
s'élancent,  très  blanches,  les  fines  ai- 
guilles de  minarets.  Tout  au  fond,  blo- 
quant l'horizon  comme  un  mur,  se  dres- 
sent presque  verticalement  les  monts 
libyques.  Une  étroite  lisière  d'arbres  en 
longe  la  base  et  des  pointes  aiguës  et 
dentelées  percent  à  travers  les  sables 
recouvrant  leurs  sommets. 

Sur  le  fleuve,  des  pêcheurs  relèvent 
leurs  filets,  soutenus  à  fleur  d'eau  par  de 
grosses  gourdes  évidées,  des  barques 
accostent,  d'autres,  leur  voile  unique  à 
demi  déployée  et  ballante,  attendent  un 
peu  de  brise.  Un  steamer  vient  remon- 
tant le  fleuve,  troublant  cette  grande 
tranquillité,  et  disparaît  aussitôt  derrière 
les  monts  arabiques  à  un  coude  brusque 
que  fait  le  Nil. 

Dans  les  espaces  bleus,  le  soleil,  arrivé 
à  son  zénith,  flambe,  éblouissant  avec 
d'infinis  rayonnements,  calcinant  les 
rocs,  fendant  les  terres,  chauiî'ant  les 
sèves,  resplendissant  sur  les  eaux,  em- 
brasant tout  de  sa  magnificence. 

Je  suis  redescendu.  Une  fois  encore 
j'ai  parcouru  l'île,  contemplé  les  augustes 
monuments,  examiné  à  nouveau  les 
ruines  éparses.  J'ai  erré  parmi  les  vieux 
murs  écroulés,  les  monticules  de  poteries 
brisées,  les  éclats  de  sculpture  semés  de 
tous  côtés,  puis  j'ai  gagné  la  berge.  Les 
matelots  nubiens,  à  l'eau  jusqu'aux 
genoux,  ont  avancé  une  planche  hors  de 
la  barque,  en  guise  de  passerelle  et, 
m'appuyant  de  la  main  sur  leurs  épaules, 
j'ai  embarqué  et  pris  place  à  l'arrière. 
Ils  ont  entonné  leur  refrain  au  rythme 
sauvage  et  m'ont  ramené  à  Chellal. 

Hassan  m'attendait  sur  la  berge,  et, 
par  la  route  du  désert,  je  suis  revenu  à 
Assouan. 

Geokges    Montbard. 


LES    MAITRES 
DE    LA    LITTÉRATURE    CONTEMPORAINE 

DU    NORD 


La  Scandinavie  est  actuellement  dans 
une  période  d'épanouissement  poétique 
comme  il  s'en  rencontre  peu  dans  l'his- 
toire de  la  littérature.  Et  celte  période 
d'épanouissement    n'est    pas    seulement 


AUGUSTE    STRIXDBERG 
(Né  en  1849.) 

constituée  par  l'œuvre  importante  d'un 
Ibsen,  si  novateur  dans  la  forme,  mais 
elle  se  distingue  aussi  par  la  pléiade 
considérable  de  poètes  qui  ont  surgi 
dans  ces  contrées ,  talents  éminents, 
indiscutablement  personnels,  créant  sous 
l'inspiration  d'un   pur  sentiment  d'art. 

Laissant  de  côté  Ibsen,  Bjornson  et 
01a  Hansson  dont  il  a  été  parlé  si  sou- 
vent déjà,  nous  nous  bornerons  à  citer 
les  plus  intéressants  de  ces  poètes  et  à 
noter  sommairement  la  caractéristique 
de  leurs  créations  d'art. 

Parmi  les  auteurs  suédois,  Auguste 
Strindberg  occupe  la  première  place.  II  a 
la  caractéristique  du  génie,  mais,  sans 
cesse  porté  à  1  analyse,  il  est  plutôt  un 


penseur  et  un  chercheur  qu'un  poète. 
De  bonneheure  il  s'abîma  anxieuxdevant 
l'énigme  de  son  moi  et,  le  disséquant  en 
artiste,  il  Aoulut  le  connaître.  Par  là, 
il  trouva  en  lui,  comme  en  l'humanité, 


VICTOR     HEDBERG 
(Né  en  1861.) 

la  dualité  des  aspirations  de  l'esprit  et 
des  désirs  de  l'instinct,  la  lutte  des  bons  et 
des  mauvais  penchants.  Sa  volonté,  son 
sentiment  de  la  justice,  le  poussaient  en 
bas,  vers  la  masse  ;  ses  aspirations,  ses 
sensations  affinées,  en  haut,  vers  l'élite. 
La  solution  du  problème  allait  lui  être 
apportée  par  la  doctrine  de  Nietzsche 
sur  l'homme  supérieur.  Et,  comme 
membre  de  la  «  noblesse  des  nerfs  et  de 
l'esprit  »,  il  se  haussa  victorieux  au- 
dessus  du  troupeau  banal  de  l'humanité 
des  sens.  Par  ce  contraste  se  développa 
sa  conception  de  la  femme,  comparaison 
tragique  entre  elle  et  lui.  Il  la  méprise 
parce  qu'il  la  classe  parmi  les  créatures 
d'instinct,    et  il  a  cependant  pour  elle 


188 


LES    MAITRES    DE    LA    LITTÉRATURE    DU    NORD 


GUSTAVE    DE     GEIJERSTAM 

(Né  en  3  858.) 

un  culte  inné  de  mère  et  de  madone  que 
l'éducation  n'a  fait  qu'augmenter.  Le 
désir  des  sens  le  porte  vers  la  femme, 
son  intellectualisme  l'en  éloigne  épou- 
vanté. L'adorateur  de  la  femme  devient 
l'ennemi  de  la  femelle,  dont  il  ne  sau- 
rait se  passer.  On  sent  aussi  dans  la 
poésie  de  Strindberg  une  science  rare, 
une  admiration  intime  de  la  nature,  et 
cela  donne  au  monde  poétique  de  ses 
comparaisons  une  signification  toute 
révolutionnaire. 

On  rencontre  de  même  chez  Victor 
Hedberg  cette  anxiété  mélancolique  fré- 
quente chez  les  poètes  suédois.  Il  vou- 
drait approfondir  et  dévoiler,  par  l'expo- 
sition des  destins  humains,  le  but  et  le 
sens  de  la  vie.  Ses  poésies  révèlent  ses 
aspirations  à  la  recherche  du  bonheur 
et  de  la  joie,  on  y  sent  la  troublante 
question  de  la  voie  à  suivre  pour  y  parve- 
nir, notre  être  étant  ainsi  fait,  que  même 
le  bonheur  acquis  ne  se  saurait  con- 
server. Mais  Victor  Hedberg  n'est  pas  un 
pessimiste;  il  trouve  une  solution  dans 
l'amour  compris.  Certes,  celui-ci  ne 
donne  pas  l'allégresse  exubérante,  car 
il  est  le  plus  souvent  le  résultat  final 
d'une  destinée  pénible,  seulement  il 
apporte  la  paix  consolatrice.  Ses  poésies 


ALFRED     D'HE  DENST  JERNA 
(Né  en  1862.) 

sont  douces  et  profondes;  il  a  la  vision 
réaliste  des  choses,  mais  il  les  immerge 
dans  le  rayonnement  d'une  radieuse 
beauté. 

Gustave  de  Geijerstam  commença  sa 
carrière  poétique  par  des  nouvelles  na- 
turalistes, d'une  étroite  réalité,  tantôt 
tragiques,  tantôt  humoristiques.  Par 
contre,  dans  ses  principaux  romans,  il 
chercha  un  terrain  d'accord  pour  l'être 
double  qui  était  en  lui  :  le  jouisseur  désa- 
busé et  pratique  renonçant  à  son  idéal, 
d'une  part,  et  de  l'autre  l'individualiste 
morose,  déduction  ultime  de  sa  person- 
nalité. Dans  Erik  Grane,  il  croit  avoir 
trouvé  le  moyen  de  supporter  une  exis- 
tence banale  sans  s'y  étioler  ;  mais,  dans 
Meclasas  Hufvued,  il  reconnaît  la  supé- 
riorité de  l'idéaliste  individualiste  dont 
l'esprit  se  fait  pierre  devant  la  misère 
et  l'injustice  du  monde  (devant  la  Tête 
de  Méduse).  C'est  l'arrêt  tragique  de  la 
victoire  du  médiocre,  de  l'abaissement 
du  noble  et  du  grand.  Les  rapports  mys- 
tiques de  l'être  moral  sont  en  même 
temps  mis  à  jour  et  Geijerstam  consacre 
de  plus  en  plus  à  leur  analyse  les  ten- 
dances nouvelles  de  son  art. 

Alfred   d'Hedenstjerna  est    le    poète 
de  la  foule.   Il  sait  comment  l'on  fait 


LES    MAITRES    DE    LA     L ITTEH  A  T  UR  E    DU    NORD  189 


PIERRE    HALSTROM 

(Né  en  1866.) 

rire  les  uns,  comment  Ton  amène  aux 
paupières  des  autres  la  larme  de  Témo- 
tion.  Il  dit  le  bonheur  de  l'amour,  l'exis- 
tence facile  de  l'homme  bon,  il  parle  de 
la  lutte  et  de  la  souffrance,  avec  cette 
mélancolie  sentimentale  évocatrice  de 
choses  laissées  loin  derrière  soi,  dans 
le  crépuscule  doré  du  souvenir.  Ou  bien 
il  prend  la  souffrance  par  le  côté  co- 
mique, il  efface,  en  provoquant  le  rire, 
la  pénible  impression  du  sérieux.  Sou- 
vent, chez  lui,  la  tragédie  de  la  vie  se 
change  en  farce.  Son  comique  a  quelque 
chose  de  superficiel,  d'affecté,  de  gro- 
tesque, mais  il  agit  par  une  certaine 
naïveté  originelle.  Son  étonnante  ferti- 
lité, sa  fantaisie  inépuisable  exposent 
son  œuvre  à  un  sévère  examen  sous  la 
loupe  de  la  critique. 

Parmi  les  jeunes  poètes  suédois,  il  faut 
mentionner  Pierre  HalstrÔiM.  Le  poète 
des  Oiseaux  sauvages  est  un  de  ces  im- 
pressionnistes devenus  possibles  dans 
notre  siècle  nervosé,  chez  lesquels  le  mot 
est  pour  ainsi  dire  un  élément  de  pitto- 
resque, sur  l'âme  desquels  toute  percep- 
tion extérieure  agit  comme  le  coup 
d'archet  sur  l'instrument.  Tout  l'art  d'un 
tel  artiste  est  dans  le  style  ;  il  voit  dans 
la    résonance    de   la  phrase  comme  la 


CHARLES     A.    TAVASTSTJBRNA 
(Né  eu  1860.) 

matérialisation  symbolique  d'une  sen- 
sation. Dans  la  vie  moderne,  insoucieuse 
du  style,  dans  la  lutte  de  l'individu  pour 
l'indépendance,  obstacle  à  l'harmonie 
de  la  société,  il  sent  comme  une  disso- 
nance. Et,  en  son  cœur,  il  évoque,  avec 
des  regrets,  les  temps  de  la  foi  humble 
et  de  l'obéissance  ;  mais  son  être  intel- 
lectuel sourit  de  ces  regrets.  Dans  ces 
alternatives  de  scepticisme  désespéré  et 
d'exaltation  généreuse,  de  mordante 
ironie  et  d'amère  compassion,  il  trouve 
le  ton  du  burlesque  et  de  l'humour  sen- 
timental ;  mais  il  se  laisse  également 
aller  à  la  psychologie  dissolvante,  aux 
fantaisies  d'un  farouche  romantisme,  à 
la  peinture  plate  et  affligeante  de  la 
réalité.  Comme  le  profond  et  le  beau, 
le  mystique  l'attire,  mais  il  a  peur  de 
pénétrer  dans  ce  sanctuaire  de  l'âme. 

Charles  A.  Tavaststjerna  est  le  plus 
en  vue  des  auteurs  finlandais  écrivant 
en  suédois.  C'est  aussi  un  sceptique  et 
il  contemple  la  société  avec  une  ironie 
amère,  toute  personnelle  ;  dans  l'hu- 
manité, ce  n'est  pas  la  lutte  des  idées 
qui  le  préoccupe,  c'est  le  mécanisme 
compliqué  des  âmes.  De  la  dualité  de 
son  être  même,  il  tire  deux  types  pri- 
mordiaux :  l'homme  du  monde  souple, 


100 


LES     MAITRES    DE    LA     LITTÉRATURE    DU    NORD 


JONAS     LIE 
(Né  en  1833.) 

élégant  et  sceptique,  qui  a  toutes  chances 
de  vaincre  dans  la  vie  sociale,  et  le  sen- 
timental isolé,  quelque  peu  brutal,  à  la 
pensée  lourde,  mais  à  Tâme  profonde, 
symbole  de  la  Finlande,  calme  comme 
un  crépuscule,  et  c'est  vers  celui-ci  que 
vont  les  sympathies  de  son  cœur. 

Après  Ibsen  et  Bjôrnson,  on  ne  sau- 
rait refuser  à  Jonas  Lie  la  première 
place  parmi  les  Norvégiens.  C'est  une 
nature  des  plus  complexes.  Dans  son 
caractère,  comme  dans  ses  poésies,  sa 
double  origine  s'est  synthétisée  et  le 
Norvégien  froid,  pratique  et  mordant 
se  retrouve  chez  le  Finnois  (Lapon)  à  la 
fantaisie  débordante.  Lorsqu'il  eut  con- 
staté dans  son  esprit  cette  dernière  ten- 
dance, Jonas'  Lie  se  mit  à  écrire  :  il 
évoqua  d'abord,  en  même  temps  que 
leur  beauté  si  originale,  la  terreur  im- 
pressionnant les  âmes  des  paysages  du 
Nord  d'où  il  venait,  et  cette  vie  du  Nord 
oîi  son  imagination  exubérante  décou- 
vrait, au  cours  de  l'âpre  lutte,  des  héros 
et  des  génies  de  civilisation.  Puis  il  se 
tourna  vers  les  problèmes  sociaux  mo- 
dernes, mais  sans  se  montrer  jamais 
poète  à  tendances,  sachant  s'élever  au- 
dessus  des  partis  par  l'universalité  de 
son  tour  d'esprit.  Dans  la  question  de 


ALEXANDRE    KIELLAND 

(Né  en  1849.) 

la  femme,  dont  il  s'est  beaucoup  occupé, 
il  chante  l'hymen,  lorsque  celui-ci  donne 
à  l'homme  une  compagne  de  lutte,  mais 
il  fait  une  satire  pleine  d'humour  des 
tentatives  d'émancipation  anticonju- 
gales. Partout,  même  dans  ses  poésies 
les  plus  modernes,  perce  une  foi  mys- 
tique en  la  nature  et  en  l'âme  et,  bien 
qu'il  en  puisse  rire,  elle  le  pénètre  encore 
aujourd'hui. 

Alexandre  Kielland  est  surtout  un 
satirique  mondain,  il  cherche  le  côté 
typique  des  choses.  Il  n'est  pas  psycho- 
logue. L'étude,  faite  en  France,  des 
oppositions  de  classes  lui  permet  de 
jeter  les  clartés  de  la  satire  sur  la  société 
de  son  pays  :  sur  l'hypocrisie,  l'étroi- 
tesse  de  vue,  la  perversion  morale  de  la 
classe  élevée,  sur  la  misère,  sur  l'exploi- 
tation de  la  classe  inférieure  qui,  rustre 
et  naïve,  n'a  jamais  su  se  rendre  compte 
de  sa  situation.  Ce  n'est  pas  un  polé- 
miste qui  cherche  à  convaincre  ;  c'est 
un  humoriste  froid,  sarcastique  qui  veut 
effrayer.  Mais,  à  travers  son  aigre  rire, 
il  y  a  comme  u-n  soupir  étouffé  de  com- 
passion. Ses  œuvres  sont  des  tableaux 
fouillés  de  l'avilissement  de  la  bour- 
geoisie, perdant,  par  suite  de  son  arro- 
gance présomptueuse,  sa  situation  pré- 


LES    MAITIIES    I)  K    LA     F,  ITT  K  11  AT  U  H  E    DU    NORD 


191 


A  R  N  E     (J  A  R  B  O  R  G 
(Né  en  1851.) 

pondérante  d'autrefois,  réduite  à  son 
rôle  actuel  de  dominatrice  par  l'ar- 
gent et  par  l'hypocrisie,  et  sous  cette 
domination,  pense-t-il,  gronde  un  vol- 
can. 

Arne  Garborg  est  aussi,  au  plus  haut 
degré,  un  peintre  de  la  civilisation, 
moins  de  la  vie  sociale  extérieure  que 
de  la  vie  intellectuelle  de  la  Norvège  à 
l'époque  présente.  Par  l'objectivité  du 
naturaliste,  il  met  à  jour,  avec  une  égale 
intensité  de  lumière,  les  divers  courants 
d'esprit  qu'il  prête  à  des  personnalités 
nettement  caractérisées.  Bien  qu'il  les 
fasse  vivre  dans  un  milieu  foncièrement 
national,  celles-ci  ont  cependant  quelque 
chose  de  si  humain,  de  si  typique, 
qu'elles  semblent  avoir  été  prises  à 
même  l'humanité.  Il  est  porté  vers  la 
lutte,  tel  le  paysan  norvégien,  et  il 
combat  avec  une  âpre  verve  l'ennuage- 
ment  des  esprits,  la  chute  dans  les  rêvas- 
series romantiques,  l'hypocrisie  reli- 
gieuse et  la  corruption  politique  de  sa 
patrie;  il  prêche  une  union  des  sexes 
plus  idéale  et  plus  libre,  une  éducation 
produisant  des  individualités  complètes, 
robustes,  et  non  des  touche-à-tout,  des 
moitiés  d'hommes.  Sa  polémique  est 
négative  par  suite  de  sa  conception  de 


holger  drachmann 

(Né  en  1846.) 

la  vie  et  de  la  description  pessimiste 
qu'il  en  fait. 

Si  les  Norvégiens  sont  presque  tous 
des  poètes  chercheurs  de  problèmes,  les 
Danois  sont  des  sensitifs  et  des  stylistes. 

HoLGER  Drachmann  est  un  lyrique; 
son  moi  le  dicte  et  c'est  de  ce  moi 
qu'il  s'entretient,  mais  il  révèle  une 
personnalité  essentiellement  géniale  et 
vastement  douée.  Véritable  tempéra- 
ment d'artiste,  il  est  l'impressionniste, 
vite  enflammé  et  presque  aussi  vite  déçu, 
farouche  jusqu'à  la  brutalité  inconsi- 
dérée, puis  d'une  tendresse  de  rêve, 
d'une  sensibilité  délicate  et  compatis- 
sante, tantôt  d'une  présomption  sans 
bornes,  tantôt  d'une  modestie  puérile, 
éternellement  mécontent  de  ses  créations 
et  fier  cependant  de  sa  vocation  de 
poète.  Son  sens  de  la  justice  fait  de  lui 
un  révolutionnaire ,  un  évocateur  de 
l'héroïsme  des  pauvres  et  des  opprimés, 
un  ironiste  plein  de  sarcasmes  pour  les 
dirigeants.  Malgré  sa  vision  aiguë  de  la 
réalité,  il  est  au  fond  le  romantique 
qu'attirent  sans  cesse  le  fantastique  et 
l'irréel.  Le  thème  principal  de  ses  poésies 
est  la  glorification  de  lamour  et  la 
louange  de  la  femme,  douée  du  talent 
de  souffrir. 


192 


LES    MAITRES    DE    LA    LITTERATURE    DU    NORD 


CHAULES    GJELLEIIUP 
(Né  eu  1857.) 

La  sensibilité  de  Charles  Gjellerup  a 
porté  ce  poète  vers  la  sentimentalité  de 
l'Allemagne,  vers  sa  musique,  puis  fina- 
lement vers  toute  l'Allemag-ne  elle- 
même.  Sans  doute,  Fauteur  cV  Un  Idéa- 
liste n'est-il  pas  complètement  exempt 
du  scepticisme  danois,  mais  avec  plus 
de  profondeur  dans  le  sentiment  et 
comme  un  désir  de  ne  pas  laisser  fuir 
l'illusion,  de  se  rendormir  dans  la  dou- 
ceur du  rêve.  Ses  poésies  sont  le  rayon- 
nement d'un  esprit  riche  et  vaste,  d'une 
âme  de  poète  éprise  de  la  beauté;  elles 
sont  remplies  de  délicatesses  profondes 
et  trahissent  une  vision  infiniment  artis- 
tique des  choses.  Le  développement 
harmonieux  de  l'individu  fixe  son  idéal 
et  il  voit  dans  l'amour  pur,  né  de  la 
sympathie  de  l'esprit  et  du  cœur,  la  plus 
grande  force  de  la  raison  humaine,  le  plus 
puissant  agent  de  son  épanouissement. 

La  littérature  danoise  a  certes,  en 
Charles  Larsen,  le  représentant  le  plus 
typique  de  la  décadence  moderne,  de 
cette  conception  dédaigneuse  de  la  vie 
qui  fait  que  l'on  rit  de  toutes  choses, 
moitié  ironiquement,  moitié  plaintive- 
ment, que  l'on  ne  s'exalte  pour  rien  et 
que  l'on  ne  flétrit  rien,  parce  que,  toutes 
illusions  perdues,  l'on   ne   croit  plus   à 


CHARLES    LARSEN 
(Né  en  1860.) 

aucune  chose.  Cette  éducation  intel- 
lectuelle engendre,  chez  qui  l'a  reçue, 
une  sensibilité  affinée  ;  mais  à  côté  de 
sensations  pénibles,  elle  lui  permet 
aussi  d'éprouver,  impressionné  par  le 
beau,  des  émotions  esthétiques,  des 
jouissances  d'artiste  là  où  l'homme 
médiocre  passerait  indifférent.  Une  struc- 
ture dame  telle  permet  de  s'aventurer 
dans  les  dédales  de  la  psychologie,  de 
pénétrer  la  sensibilité  tout  instinctive 
des  femmes,  et  cela  avec  une  délicatesse 
de  style  infinie.  L'œuvre  ainsi  érigée  est 
le  procès  de  la  société,  de  son  indiffé- 
rence impitoyable,  de  ses  tendances  au 
dogmatisme  mesquin.  Enfin,  dans  cette 
compréhension  de  tout,  un  double  dan- 
ger ne  tarde  pas  à  se  révéler  aussi, 
celui  de  l'ironie  dirigée  contre  soi-même 
et  de  la  mise  à  nu  de  sa  propre  indivi- 
dualité. 

A  cette  liste  de  poètes  dont  la  person- 
nalité nous  a  paru  plus  particulièrement 
primesautièi'e,  il  faudrait,  dans  une  plus 
longue  étude,  ajouter  bien  des  noms, 
car,  sur  l'Hélicon  Scandinave,  il  est 
d'autres  luths  qui  vibrent,  maints  ta- 
lents qui  ajoutent  encore  à  la  magnifi- 
cence actuelle  des  Lettres  dans  ces  pays. 
D'après  E.  Brausewetter. 


ANNECY 


AnnecY  !  La  ville  et  le  paysaj;e  divin 
qui  rentourc  tiennent  tout  entiers  dans 
la  douceur  et  la  grâce  de  ces  syllabes. 
A  la  voir  silencieuse  et  calme,  au  pied 
des  monts  grandioses,  baignée  par  un 
lacde  légende,  il  semble  que  pour  elle  le 
temps  n'ait  point  marché,  que  la  grande 
tempête  qui  a  mêlé  les  peuples,  boule- 
versé les  mœurs,  les  lois,  les  croyances, 
ait  épargné,  par  une  singulière  antithèse, 
le  berceau  presque  du  philosophe  qui  a 
fait  la  Révolution.  Pas  une  page  des  Con- 
fessions qui  ne  renferme  un  souvenir 
attendri  pour  les  chères  et  innocentes 
années  vécues  là.  Les  rues  pavées  de 
pierres  moussues,  les  vieilles  maisons 
appuyées  sur  leurs  arcades  séculaires 
ont  elles-mêmes  conservé  le  charme  et 
l'émotion  de  ce  passé  troublant.  Il  y  est 
si  facile  d'oublier  l'heure  présente,  que 
l'on  s'attend,  dès  les  premiers  pas,  à 
rencontrer  le  carrosse  de  Jeanne  de  Chan- 
tai discutant  mystérieusement  avec  Fran- 
çois de  Sales  les  règles  de  la  Visitation; 
ou  la  chaise  à  porteurs  de  M™®  de 
Warens,  jolie  et  affairée,  suivie  de 
Claude  Anet  et  de  Jean-Jacques,  et  pen- 
chant au  dehors  sa  tête  poudrée,  avec 
une  mouche  au  coin  de  la  lèvre... 

Ces  noms,  que  l'on  évoque  en  traver- 
sant la  ville,  en  semblent  la  raison 
d'être,  et  on  les  éloigne  à  regret  pour 
remonter  le  cours  des  siècles,  car  bien 
qu'heureuse,  Annecy  a  une  histoire;  his- 
toire plutôt  politique  que  sanglante. 
Depuis  sa  fondation,  que  des  fouilles 
récentes  établissent  comme  romaine,  elle 
a  tenté  et  satisfait  bien  des  convoitises. 
Dès  l'an  867,  remp.ereur  Lothaire  la 
donne  à  Thieteberge,  son  épouse;  au 
x^  siècle,  elle  devient  la  capitale  des 
comtes  de  Genevois  qui  la  cèdent  au 
xni®  aux  comtes  de  Savoie.  Le  xvi*'  et  le 
XVII®  siècle  en  font  l'apanage  des  comtes  de 

VIII.  -   13. 


Genevois-Xemours,  et  la  mort  d'Henri  II 
la  livre  aux  ducs  de  Savoie.  A  partir  de 
cette  époque,  sa  conquête  devient  moins 
facile  :  ce  sont  les  armes  qui  en  déci- 
dent: Henri  IV,  Louis  XIII,  Louis  XIV, 
l'Autriche  en  1814,  prennent  tour  à 
tour  Annecy,  jusqu'à  son  annexion  défi- 
nitive à  la  France  en  1860. 

Le  château  qui  domine  la  ville  et 
autour  duquel  elle  se  groupe  synthétise, 
par  son  double  caractère  de  demeure 
seigneuriale  et  de  forteresse,  ces  deux 
aspects  de  transaction  et  de  conquête. 
Annecy  était  fermée  par  trois  murs  d'en- 
ceinte, dont  on  retrouve  çà  et  là  des  ves- 
tiges, et  par  un  canal  très  large  qui  con- 
stituait un  de  ses  principaux  éléments  de 
défense.  A  mesure  que  les  maisons  et  les 
rues  s'éloignent  de  ce  point  culminant, 
elles  s'élargissent  et  se  modernisent  au 
point  que  le  voyageur  qui  descend  du 
train  croit  arriver  dans  une  cité  récente 
et  que  le  contraste  qui  l'attend  bientôt 
double  l'intensité  de  son  impression. 
Comme  le  château  est  la  première  chose 
qui  frappe  les  regards,  c'est  à  lui  que  le 
touriste  consacre  sa  première  visite.  On 
Y  accède  par  la  côte  de  Nemours  ou  la 
côte  Perrière.  La  sévère  construction, 
avec  ses  tours  carrées  et  ses  toits  pointus, 
garde  sous  le  plâtre  et  les  ardoises 
modernes  une  allure  si  fière,  qu'en  arri- 
vant devant  la  porte  découpée  en  ogive, 
sillonnée  de  tores,  on  s'attend  à  voir 
sortir  quelque  archer  ou  quelque  per- 
tuisanier  pour  en  défendre  l'entrée. 

Un  des  plus  érudits  archéologues  de  la 
Haute-Savoie,  M.  Jules  Philippe,  a  par- 
faitement défini  les  différences  de  carac- 
tère et  de  style  de  l'ancienne  résidence 
des  comtes  de  Genevois  et  de  Nemours. 
Les  tours  qui  commandent  la  ville,  le 
corps  de  logis  central  percé  d'étroites 
fenêtres  divisées  par  des  croix  de  pierre, 
les  substructions  de  l'aile  nord,  les 
grandes   salles   du    rez-de-chaussée,   en- 


19i 


ANNECY 


combrées  de  colonnes  aux  chapiteaux 
grossièrement  équarris,  ainsi  que  l'ini- 
mense  cuisine,  dont  les  manteaux  de 
cheminées  couvrent  tout  un  pan  de  mur, 
font  sans  doute  partie  du  château  qu'ha- 
bitaient les  comtes  de  Genevois. 

A  gauche  du  portail  surmonté  d'une 
ligne  de  mâchicoulis  et  d'échauguettes, 
on   remarque  un  grand   corps  de  logis 
construit  en  pierres  de  taille  blanches, 
percé  de  fenêtres  ornées  de  moulures 


ENTRÉE     DU     CHATEAU 

concaves  et  traversées  par  des  meneaux 
prismatiques.  Cette  aile,  la  plus  consi- 
dérable de  l'édifice,  tranche  sur  les  autres 
par  la  richesse  de  son  ornementation  et 
l'élévation  de  ses  appartements  lam- 
brissés. Elle  porte  la  date  de  1532  et 
a  dû  être  construite  par  Philippe,  pre- 
mier duc  de  Genevois-Nemours.  Déjà 
on  remarque  dans  le  sens  g'énéral  de 
l'architecture  une  plus  g'rande  préoccu- 
pation de  confortable  et  de  paix  qu'un 
souci  de  défense  et  de  combats.  Le  châ- 
teau est  flanqué,  au  midi,  d'une  tour 
énorme  et  carrée,  en  pierres  jaunâtres, 
qui  porte  le  nom  de  tour  de  la  Reine. 
Elle  communique  avec  le  reste  de  l'édi- 
fice par  une  coursière  et  par  le  mur 
d'enceinte  qui  renfermait  une  galerie 
couverte  dont  on  voit  encore  la  porte 
murée.  A  peine  deux  ou  trois  fenêtres 
étroites  en  percent-elles  la  muraille 
monotone.  On  dit  qu'une  princesse  de 
la  famille  voulait  lui  donner  une  éléva- 


tion telle  qu'on  pût  voir  de  son  sommet 
la  ville  de  Lyon,  où  résidait  un  seigneur 
qu'elle  aimait.  C'était  une  façon  comme 
une  autre  de  vouloir  atteindre  le  ciel... 
Aussi  bien,  continue  la  légende.  Dieu 
renouvela-t-il  en  cette  occurrence  la 
confusion  des  langues,  ainsi  que  le 
prouve  la  multiplicité  des  signes  gravés 
par  les  maçons  sur  les  murs  et  les 
marches  d'escalier  de 
cette  tour  inachevée. 
Un  scepticisme  plus 
prudent  incline  à  croire 
que  les  maçons  qui  y 
ont  travaillé  se  sont 
contentés  d'y  apposer 
leur  marque,  ainsi  qu'il 
était  d'usage  en  cette 
corporation ,  surtout 
dans  les  xni"  et  xiv^  siè- 
cles. En  bas  la  salle  de 
torture,  avec  une  trappe 
.^^  "        s'ouvrant   sur    des   ou- 

bliettes. 

A  parcourir  les  vastes 
salles  froides  et  nues 
du  château,  on  a  peine 
à  ressusciter  le  luxe  et 
la  splendeur  des  tentures  et  des  meubles 
qui  les  ornaient  autrefois.  Le  livre  des 
Contiez  de  Madame  Mahaut  de  Boulon 
en  fait  une  énumération  grandiose  : 
bahuts  sculptés  et  armoiries,  coffres 
d'acier  ciselé,  tapisseries  de  haute  lisse, 
enrichies  de  personnages  historiques, 
reliquaires,  ornements  d'églises,  etc.  Les 
comtes  de  Genève  y  menaient  joyeuse 
vie,  un  train  presque  royal,  avec  une 
maison  somptueusement  organisée  dont 
le  bruit  n'arrivait  pas  sans  doute  jusqu'à 
la  ville  douce  et  silencieuse... 

II 

On  peut  redescendre  par  la  côte  Per- 
rière. Ce  n'est  certes  pas  là  que  les 
pages  aux  livrées,  de  velours  et  d'or 
se  sont  jamais  égarés  ;  mais  dans  leur 
genre  ces  bicoques  de  bois,  agrafées  bi- 
zarrement les  unes  aux  autres  et  presque 
aussi  vieilles  que  leurs  augustes  sœurs 
de  pierre,   ont  un  intérêt  tout  particu- 


A  N  iN  E  C  Y 


195 


lier.  »  Une  maille  rongée  pourrait  bien 
emporter  tout  l'ouvrage  »,  mais  les  pro- 
priétaires de  ces  taudis  ont  l'air  de  ne 
vouloir  rien  laisser  emporter  du  tout  : 
presque  tous  chif- 
fonniers, une  sorte 
de  ghetto  toléré  là 
par  la  force  des 
choses  et  qui  n'a 
d'excuse  que  dans 
son  pittoresque. 

La  porte  qui  ter- 
mine la  côte  prend 
le  soir,  et  surtout 
par  les  clairs  de 
lune,  un  aspect 
étrange  et  fantasti- 
que qu'accentue  en- 
core le  timbre  lu- 
gubre d'une  vieille 
horloge  ;  et  l'on  ne 
serait  guère  surpris 
de  voir  toutes  les 
sorcières  du  lieu  en- 
fourcher pour  un 
sabbat  farouche  le 
balai  dont  elles  sont 
armées  toute  la  jour-  -" 

née... 

Le  canal  circulaire  qui  protégeait 
autrefois  la  ville  féodale  s'est  divise 
de  nos  jours  en  deux  branches  qu'on 
nomme  le  Vassé  et  le  Thiou  c'est  par 
elles  que  le  lac  déverse  le  tiop-plein 
de  ses  eaux  dont  la  couleur  tient  le  mi- 
lieu entre  le  bleu  turquoise  et  le  bleu 
électrique,  d'une  transparence  telle  que 
les  moindres  détails  du  fond  s'accusent 
avec  une  netteté  photographique  On 
l'explique  par  la  présence  dune  argile 
en  suspens,  colorée  et  impalpable,  dont 
le  lac  possède  sans  doute  une  inépui- 
sable palette.  Les  blanchisseuses  qui 
lavent  auprès  des  ponts  leur  linge  à 
grand  renfort  de  battoirs  n'ont  plus 
besoin  du  bleu  classique  qui  empoi- 
sonne les  fines  batistes  et  donne  au 
linge  une  blancheur  indécise. 

Dès  son  entrée  dans  la  ville,  le  canal 
de  Thiou  se  subdivise  pour  former  une 
île  dont  le  Palais  de  l  Isle   occupe   une 


des  extrémités.  Avec  la  lourde  inélé- 
gance d'un  cuirassé  moderne,  il  avance 
sa  proue  d'un  air  peu  rassurant.  Ses 
trois  petites  fenêtres  en  hublot,  figurant 
des  yeux  et  un  nez  sur 
un  visage  ravagé,  ses 
toits  lépreux  et  aigus 
lui  donnent  une  allure 
louche  et  retorse  de 
vieil  homme  de  loi. 
C'est  une  ancienne 
prison.  Au  xiv'' siècle, 
les  comtes  de  Gene- 
vois y  établirent  une 
«  frappe  »  de  monnaie, 
et  jusqu'au  xvi''  siècle 
il  fut  la  propriété  des 


PORTE     RUE     DU     SÉPULCHRE 

comtes  de  Monthoux  qui  y  avaient  un 
droit  de  juridiction.  Pour  se  débarrasser 
de  ce  droit,  le  duc  Jacques  de  Genevois- 
Nemours  acheta  le  bâtiment  et  le  con- 
vertit en  palais  de  justice  avec  auditoires, 
bureauxdu  conseil,  chambredes  comptes, 


196 


ANNECY 


archives,  greffes,  prisons,  etc.  La  cour 
elle-même  se  transforma  en  cabinets  de 
consultation.  C'est  dans  une  des  salles 
que  rilluslre  président  Favre  rendait  la 
justice,  et  c'est  de  là  que  sont  parties  les 
fameuses  remontrances  supérieures  aux 
cours  de  droit  les  plus 
estimés  du  temps. 

Si  l'on  consent  à 
suivie  l'oidie  chiono- 
logique     des     monu- 


IMPASSE     DU     TRIPOT 


Annecy,  et  à  étudier  la  longue  filière 
des  styles  et  des  architectures  jusqu'aux 
conceptions  hétéroclites  du  siècle,  on 
pourra  s'arrêter  d'abord  à  l'église  Notre- 
Dame-de-Liesse.  Reconstruite  dans  le 
style  de  la  Renaissance,  elle  est  plus 
intéressante  par  ses  origines  que  par  sa 
beauté  actuelle.  Elle  a  d'abord  été  une 


fertile  en  miracles,  puis  elle  fut  trans- 
formée en  une  église  à  trois  nefs  par 
Amé  III,  comte  de  Genevois,  dont  le 
fils  Clément  VII,  pape  à  Avignon,  pour- 
suivit l'œuvre  d'embellissement.  Elle 
devint  le  tombeau  des  princes  de  Gene- 
vois-Nemours.  Si  l'en- 
semble de  celte  église 
n'offre  rien  de  très  re- 
marquable, il  n'en  est 
pas  de  même  de  son 
clocher  romano-byzan- 
tin  du  xii®  siècle.  On 
voulut  le  détruire  en 
1793  :  la  flèche  et  les 
quatre  clochetons  re- 
construits aujourd'hui 
cédèrent  facilement , 
mais  les  pics  des  ou- 
vriers se  brisèrent  sur 
les  assises  du  couron- 
nement. En  1878,  on  y 
a  installé  un  énorme 
bourdon  du  poids  de 
5,000  kilos. 

On  visitera  ensuite 
la  cathédrale  et  l'évê- 
ché  bâtis  en  face  l'un 
de  l'autre,  au  xvi^  siè- 
cle, par  Pierre  de  Lam- 
bert, évêque  de  Ca- 
serte.  L'évêché  était 
d'abord  un  couvent  de 
Célestins  qui  furent 
remplacés  successive- 
ment par  des  Cordeliers 
et  des  Dominicains.  Le 
voisinage  de  l'église  fut 
une  cause  de  petites 
^'  guerres      qui       tinrent 

longtemps  en  lutte  les 
religieux  et  les  chanoi- 
nes de  Notre-Dame,  ces  derniers  revendi- 
quant le  droit  de  possession  du  couvent 
et  de  son  église.  Un  arrêté  du  Sénat 
donna  la  victoire  aux  religieux,  que  le 
pape  Clément  XIV  déposséda  à  son 
tour  pour  donner  le  tout  à  l'évêque  de 
Genève.  Le  style  de  transition  de  la  ca- 
thédrale   est    un    peu    froid.    Les    trois 


petite  chapelle  dédiée  à  la  Vierge,  très   I   portes    rectangulaires    sont  surmontées 


ANNECY 


197 


crun  fronton  aigu  ;  des  pilastres,  indi- 
qués par  deux  lilets  se  détachant  à 
peine  des  murs,  supportent  un  lourd 
entablement;  sur  ce  dernier,  un  attique 
terminé  par  des  armoiries;  cependant 
une  immense  i^ose  étale 
ses  élé;;anls  pétales  au 
milieu  de  l'attiquc.  A 
lintéricur,  c'est  un  rap- 
pel de  l'ornementation 
fleurie  du  xv^  siècle  : 
teintes  d'a/.ur  étoile 
d'or,  nervures  bron- 
zées, cavets  nuancés  de 
blanc,  de  vert,  de  rouge  ; 
des  autels  avec  dais, 
pinacles,  statues  colo- 
riées... Un  beau  tableau 
de  Mazzola  de  Valdug- 
gia.  Saint  Pierre  se- 
couru par  l'ange,  donne 
une  note  vraiment  ar- 
tistique. 

Il  est  impossible,  de- 
vant le  perron  de  la 
cathédrale,  de  ne  point 
songer  à  la  première  en- 
trevue de  Jean-Jacques 
Rousseau  avec  M°^'  de 
Warens,  et  à  la  page 
émue  des  Confessions  : 

«  Je  ne  trouvai  point 
M*"®  de  Warens;  on  me 
dit  qu'elle  venait  de 
sortir  pour  aller  à  l'é- 
glise. C'était  le  jour 
des  Rameaux  de  l'an- 
née 1728.  Je  cours  pour 
la  suivre  ;  je  la  vois,  je 
l'atteins,  je  lui  parle... 
Je  dois  me  souvenir  du 
lieu,  je  l'ai  souvent  de- 
puis mouillé  de  mes 
larnles  et  couvert  de  mes  baisers.  Que  ne 
puis-je  entourer  d'un  balustre  d'or  cette 
heureuse  place I...  C'était  un  passage 
derrière  sa  maison,  entre  un  ruisseau  à 
main  droite  qui  la  séparait  du  jardin  et 
le  mur  de  la  cour  à  gauche,  conduisant 
par  une  fausse  porte  à  l'église  des  Cor- 
deliers.     M'"*'    de    Warens     avait    alors 


vingt-huit    ans,   elle   était  née    avec    le 
siècle.    » 

Avec  un  zèle  évidemment  louable 
quelques  Savoisiens  montrent  aux  étran- 
gers une  maison  d'assez  simpleapparence, 


MONTÉE    PERRIÈRE 

avec  un  perron  à  grille  ouvragée,  qu'ils 
prétendent  être  celle  de  M™®  de  Warens  ; 
mais  la  demeure  authentique  a  disparu 
en  1784,  lors  delà  construction  de  l'évê- 
ché  actuel.  Démolie  aussi  celle  où  était 
installée  la  maîtrise,  et  où  le  philosophe 
morose  passa  des  jours  si  gais  au  milieu 
des  enfants  de  chœur,  sous  la  direction 


198 


ANNECY 


•J-Hl'. 


RUE     DE     LA      FILATERIE     ET     PORTE 
NOTRE-DAME 

de  Jacques-Louis  Nicoloz,  que  Ton  ap- 
pelait M.  le  Maître,  et  où  il  répétait 
«  un  petit  motet  cVA/ferte  qu'il  chanta 
avec  M"*^  Merceret,  la  femme  de  chambre 
de  maman  ». 

En  quittant  la  rue  Notre-Dame,  on  se 
dirige  tout  naturellement  vers  le  Grand 
Séminaire;  mais  on  cherche  inutilement 
sur  lembrasure  de  la  fenêtre  du  n°  48 
la  date  de  séjour  et  la  signature  de  Jean- 
Jacques  :  tout  a  disparu  sous  une  couche 
banale  de  plâtre.  On  ne  rencontre  même 
plus  dans  les  couloirs  la  fig-ure  terrible 
du  surveillant  à  la  barrette  graisseuse. 
Seul  le  visage  aimable  et  accueillant  de 


1  abbé  Gros,  qui  in- 
spira le  Vicaire  Sa- 
voyard, y  fait  de 
fréquentes  résurrec- 
tions... 

On  montera  ensuite 
au  château  de  Trézun, 
bâtiment  inachevé , 
construit  par  Charles- 
Auguste  de  Sales, 
évêque  de  Genève  et 
neveu  de  saint  Fran- 
çois. Son  nom  est  un 
hommage  à  la  Sainte 
Trinité  :  1res  in  unum; 
mais  il  n'a  de  remar- 
quable que  la  vue 
dont  on  jouit  du  haut 
de  sa  galerie  vitrée  et 

qui  commande  la   ville,  la  plaine,  les 

monts  et  le  lac. 

III 

En   redescendant  vers  le   port,  on 
se  trouve  bientôt  devant   l'église   du 
premier  monastère  de  la   Visitation. 
François  de  Sales,  Jeanne  de  Chantai, 
singulière  antithèse    à   Jean-Jacques 
et  à  M""  dé  Warens  !   Les  deux  pre- 
miers ont  eu,  il  faut   l'avouer,   une 
influence  plus  durable  en  ce  pays  où 
s'est  répandu   et  fixé  leur  esprit  de 
bienveillance  et  de  charité.  En  face 
du   christianisme    étroit    et  chagrin, 
tel    que    le    voulait    le    jansénisme, 
l'héroïsme   aimable  de  la    Visitation 
devait    séduire     de     nombreuses    âmes. 
((    Savez-vous,    écrivait    en    1619    saint 
F'rançois    de   Sales    à   sa  collaboratrice, 
que  l'on  m'a  dit  aujourd'hui  que  la  dou- 
ceur   de  notre  institut  est  tellement  du 
goût  des  esprits  français,  que  vous  ôte- 
iMez  la  A^ogue   aux  autres  maisons  l'eli- 
gieuses  et  que,  quand  on  aurait  vu  (fette 
M"""  de  Chantai,  il    n'y   en    aurait   que 
pour  elle...  »  Il  avait  dit  aussi  d'elle  à  leur 
première  rencontre  :  w  J'ai  trouvé  à  Di- 
jon ce  que  Salomon   était  en   peine   de 
trouver  à  Jérusalem  :  la  femme  forte  eu 
M""^  de  Chantai.  »  Mais  il  ignorait  alors 
à  quel  point  il   pressentait  juste.  On  ne 


ANNECY 


19» 


peut  lire  sans  une  émotion  poif^nante  le 
récit  du  départ  du  château  de  Monthelon 
pour  Annecy,  écrit  avec  une  simplicité 
tragi([ue  par  un  témoin  du  temps,  et  où 
M""'  de  Chaulai,  quelques  jours  à  peine 
après  la  perle  de  sa  plus  jeune  fille,  s'ar- 
rache «  pour  répondre 
à  Dieu  »  aux  bras  de 
son  père,  de  ses  deux 
fdles,  de  son  fils  : 

«  Après  que  les 
cœurs  eurent  été  épui- 
sés de  tendresse,  pour 
mettre  fin  à  une  scène 
qui  l'accablait,  elle  re- 
poussa durement  son 
fils  et  voulut  passer 
outre.  Ce  fut  alors 
que  Celse.  désespéré 
de  ne  pouvoir  retenir 
sa  mère,  se  coucha  en 
travers  de  la  porte  en 
disant  :  — -  Eh  bien, 
ma  mère,  si  je  ne  puis 
vous  retenir,  du  moins 
vous  passerez  sur  le 
corps  de  voire  fils.  A 
ces  mots,  elle  chan- 
cela; mais  M.  Robert 
s'avança  :  —  Eh  quoi, 
madame,  les  pleurs 
d'un  enfant?...  Alors 
elle  leva  les  yeux  au 
ciel  et  passa  sur  le 
corps  de  son  fils...   » 

La  façade  de  l'église 
du  premier  couvent 
de  la  Visitation  est 
ornée  de  deux  ordres 
d'architecture  super- 
posés :  pilastres  do- 
riques soutenant  un 
entablement  surlequel 
reposent  deux  pilas- 
tres ioniques  qui  sup- 
portent un  fronton 
terminal  ;  puis  une 
fenêtre  cintrée  dont  le 
tympan,  tapissé  d'une 
immense  coquille,  est  couronné  par  un 
pignon  affectant  la  forme  d'une  anse  de 


panier.  Les  murs  latéraux  sont  soutenus 
par  des  contreforts  dont  les  arcs-bou- 
tants,  accentués  en  forme  de  croissant, 
se  terminent  par  une  énorme  boule  de 
pierre.  Les  corps  des  fondateurs  y  de- 
meurèrent jusqu'en   1792.    Ils   dorment 


LE     THIOTJ     DERRIÈRE     LES      VIEILLES     PRISONS 


aujourd'hui,  rue  Royale,  dans  le  couvent 
de    la    ^'isitation,    en     une   châsse   d'or 


200 


ANNECY 


merveilleuse  donnée  par  Marie-Christine 
de  France,  duchesse  de  Savoie. 

Lorsqu'on  sort  d'Annecy  pour  se 
rendre  sur  les  bords  du  lac,  on  ne  tarde 
pas  à  rencontrer  sur  la  droite  une  petite 
maison  de  modeste  apparence,  percée 
de  rares  fenêtres  très  étroites.  La  porte 
vermoulue   laisse    encore  apercevoir  la 


ouverts  à  la  lumière  :  c'est  un  berceau. 
Vers  le  milieu  de  la  rue  Sainte-Claire, 
dont  les  portiques  servent  de  marché 
couvert ,  se  trouve  Vancieti  évêché 
qu'habita  saint  François  de  Sales.  Res- 
tauré à  plusieurs  reprises,  il  ne  rappelle 
que  vaguement  les  hôtels  du  xvi®  siècle. 
On    a  néanmoins    respecté   son    portail 


VIEILLES     PRISONS 


grille  en  fer  que  sainte  Chantai  y  avait 
fait  mettre;  maison  ne  voit  plus  aucune 
trace  de  la  galerie  en  bois  couverte  qui, 
passant  par-dessus  le  chemin,  condui- 
sait de  la  maison  dans  le  verger  en  face. 
C'est  là  que  s'écoulèrent  les  premières 
années  de  l'Ordre.  La  Visitation  a  eu 
depuis  des  maisons  célèbres  :  celle  de 
Lyon,  qui  conserve  le  cœur  du  fonda- 
teur; celle  de  Moulins,  qui  recueillit  le 
dernier  soupir  de  la  fondatrice.  Mais 
aucune  de  ces  maisons  n'a  laissé  de  sou- 
venirs plus  intenses  que  celle  de  la  Gale- 
rie. Elle  est  dans  son  histoire  ce  qu'est 
dans  la  vie  d'un  homme  le  lieu  où 
pour  la  première   fois  ses  yeux  se  sont 


édifié  dans  le  style  de  la  Renaissance  el 
terminé  par  un  pignon  supportant  des 
colonnes  corinthiennes  cannelées..  Cet 
hôtel  a  appartenu  au  président  Antoine 
Favre,  qui  le  donna  à  François  de  Sales, 
et  dont  la  fille  fut  une  des  premières 
religieuses  de  la  Visitation. 

IV 

Le  mouvement  de  construction  mo- 
derne qui  s'ébauche  du  côté  de  la  gare 
s'accentue  entre  Annecy  et  Annecy-le- 
Vieux,  sur  la  promenade  du  Pâquier  et 
l'avenue  d'Albigny.  L'hôtel  de  ville,  tout 
de  marbre  gris,  et  le  jardin  public,  qui 
s'étend   jusqu'au  lac,  occupent  l'empla- 


ANNECY 


■201 


pP5r«3S^&»^  -  "SgSiï9%" 


cément  de  l'ancien  clos  Lombard.  Par 
les  deux  portes  monumentales  de  la  fa- 
çade et  du  dos  du  bâtiment,  placées  dans 
le  même  axe,  on  aperçoit  la  statue  du 
chimiste  Berlhollet  qui 
se  détache  sur  un  fond 
de  verdure.  Cette  sta- 
tue avait  d'abord  été 
placée  sur  le  Pàquier  ; 
elle  est  l'œuvre  du  ba- 
ron Marochetti.  Le  mu- 
sée et  la  bibliothèque 
sont  installés  dans  Ihô- 
tel  de  ville.  Le  musée  a 
été  fondé  par  AL  Eloi 
Serand  en  1842;  mais 
dès  1846,  M.  Louis 
Coppier  lui  donna  une 
très  grande  extension, 
et  M.  Ravon,  jusqu'en 
1884,  acheva  sa  par- 
faite organisation. 

Presque  tous  les  su- 
jets qui  forment  la  col- 
lection des  oiseaux  ont 
été  pris  en  Savoie  : 
comme  ils  appartien- 
nent aux  climats  les 
plus  différents,  ce  détail 
ne  laisse  pas  que  d'être 
curieux.  Les  salles  ar- 
chéologiques sont  les 
plus  importantes  :  les 
amphores,  les  lampes, 
les  dalles  gravées,  les 
statuettes  et  les  mon- 
naies qui  les  remplis- 
sent témoignent  de 
l'origine  romaine  d'An- 
necy-le -Vieux  qu'on 
aperçoit  au  loin  sur  la 
colline. 

La    bibliothèque    est 
riche     en      manuscrits 
précieux   dont  les   principaux    ont   été 
écrits    de    mains    illustres  :    Henri    II, 
Louis  XIV,  Sully,  Favre,  saint  François 
de  Sales,  M"'*'  de  Warens... 

En  face  l'hôtel  de  ville,  l'église  Saint- 
Maurice  s'élève  dans  une  forme  discrète 
et  simple  qui  ne  laisse  pas  deviner  l'élé- 


gance et  le  charme  de  sa  disposition 
intérieure.  La  nef  principale,  de  style 
gothique,  est  surtout  remarquable  par 
la  hardiesse  de  sa  coupe,  la  légèreté  de 


PORTE      PERRIÈRE 

ses  arcs-doubleaux  et  de  ses  arceaux. 
Son  maître-autel  est  finement  découpé 
en  clochetons.  Plusieurs  bas-reliefs  rela- 
tifs au  martyre  de  saint  Maurice  en  dé- 
corent les  murs. 

Plus  loin,  et  près  de  la  promenade  du 
Pâquier,  on  admire  le  palais   de  la  pré- 


202 


ANNECY 


fccture,  qui  semble  une  sompLueuse 
maison  de  plaisance.  La  statue  de  Som- 
meiller, qui  a  percé  le  mont  Cenis, 
s'élève  auprès. 

En  se  retournant  on  a  devant  soi  le 
iac,  comme  un  changement  à  vue  dans 
une  féerie.  Rien  de  plus  admirable  que 
ce  paysage  de  rêve.  Près  du  bord,  Tîle 
des  cygnes  semble  un  bouquet  d'arbres 
posé  sur  le  miroir  des  eaux.  Entre  Tazur 
du  ciel  et  celui  du  lac,  la  chaîne  tour- 
mentée des  montagnes  élève  une  gamme 
de  tons  bruns,  rouges,  gris,  violacés, 
adoucis  parfois  par  une  teinte  verte  d'où 
surgissent  de  petites  maisons  blanches 
aux  toits  bleus.  Sur  le  cristal  immobile, 
les  flancs  sauvages  du  Veyrier,  le  front 
chauve  du  Parmelan,  la  cime  neigeuse 
de  la  Tournette,  les  aiguilles  de  Lan- 
font,  le  roc  de  Chère,  les  pics  d'Enlre- 
vernes,  le  Semnoz  géant  de  la  Savoie  se 
reflètent  dans  tous  leurs  délails,  comme 
pour  permettre  aux  yeux  de  les  contem- 
pler sans  efi'ort.Çà  et  là  de  petites  voiles 
frissonnent  comme  des  ailes  et  un  stea- 
mer tout  blanc  plisse  de  rides  égales  le 
velours  de  l'onde. 

On  comprend,  à  ce  spectacle,  ratta- 
chement des  Savoisiens  à  leur  sol  natal. 
Les  nécessités  d'une  vie  plus  active  les 
obligent  souvent  à  un  exil  temporaire. 


Ils  emportent  la  vision  de  leur  lac  de 
légende,  l'empreinte  de  cette  nature 
indomptée  et  rière,et  la  rumeur  de  Paris 
n'étouffe  pas   le  chant  des  clochettes... 

En  continuant  l'avenue  d'Albigny  on 
arrive  à  la  colline  des  Barattes,  sur  la- 
quelle on  a  découvert  un  grand  nombre 
d'antiquités  romaines,  puis  à  Annecy- 
le-Vieux  où  l'on  remarque  un  clocher 
romano-byzantin  du  xi"  siècle  que  toute 
une  armature  de  fer  réussit  à  maintenir 
encore  debout,  (^ette  tour  se  découpe 
dans  sa  partie  supérieure  en  arcades  à 
plein  ceintre  que  supportent  des  colon- 
nettes  terminées  par  des  chapiteaux 
cubiques. 

Beaucoup  de  maisons  contiennent  des 
vestiges  de  thermes,  et  des  inscriptions 
peu  épargnées  par  le  temps,  mais  qui 
ont  permis  de  considérer  Annecy-le- 
Vieux  comme  la  villégiature  d'Annecy 
et  non  comme  la  ville  elle-même. 

\' 

Malgré  le  grand  intérêt  qui  s'attache 
aux  souvenirs  d'Annecy  et  aux  monu- 
ments qui  les  consacrent,  on  doit  con- 
venir que  le  lac  est  la  seule  cause  d'une 
admiration  qui  ne  s'est  jamais  démentie. 
On  peut  parcourir  rapidement  ses 
17  kilomètres  sur  l'un  des  deux  bateaux 


i^x 


I..  f\  ■*it     r?Vw  V    .  '■* 

sJlf 


PLACE     DU     MARCHÉ     ET      CHATEAU 
ÉGLISE      DU     PREMIER     MONASTÈRE     DE     LA      VISITATION     (adroite) 


ANNECY 


203 


à  vapeur  qui  en 
l'ont  le  service  ; 
mais  un  touriste 
avisé  ne  se  per- 
mettra cette  pro- 
m  e  n  a  cl  e  trop 
courte  que  pour 
avoir  une  idée 
creusemlile.  Il  se 
fera  ensuite  un 
devoir  de  suivre 
à  pied  en  deux 
ou  trois  jours,  s'il 
le  faut,  ses  rives 
enchantées. 

En  quittant  la- 
venue  d'Albigny 
et  en  se  rappro- 
chant de  la  rive 
orientale,  on  re- 
marque, à  mi- 
côte  au-dessous 
du  rocher  de  Ta- 
labar,  unemaison 

d'apparence  modeste,  la  Tour,  où  de- 
meurait et  où  est  mort  le  romancier 
Eugène  Sue.  Malgré  beaucoup  de  diver- 
g^ences  d'opinions,  les  Savoisiens  lui  ont 
gardé  une  grande  reconnaissance  de  sa 
fidélité  à  la  Savoie  et  de  ses  longs  efForts 
à  la  faire  connaître  et  admirer.  Tous  s'ac- 
cordent, malgré  des  légendes  contraires, 
à  reconnaître  la  gravité  et  l'austérité 
dans  laquelle  il  acheva  là  une  existence 
de  labeur  acharné,  à  peine  interrompu 
par  de  solitaires  promenades  dans  les 
bois  et  sur  les  monts. 

On  aperçoit  ensuite  une  maisonnette  en 
ruines  auprès  des  hameaux  de  Ghavoires, 
celle  de  J.-J.  Rousseau  :  une  terrasse 
couverte  de  mousse  et  de  ronces,  dont  le 
toit  a  disparu  et  dont  les  pierres  se 
détachent  une  à  une;  un  petit  sentier 
s'amorce  à  droite  pour  pénétrer  dans  le 
bois.  Quelques  écrivains  locaux  ont  beau- 
coup reproché  au  grand  philosophe  de 
n'avoir  accordé  aucun  souvenir  à  ce 
petit  coin  délicieux.  <(  Que  de  fois,  dit 
Jacques  Replat,  au  lever  et  au  déclin  du 
jour,  assis  sur  une  pierre  de  l'escalier  de 
Rousseau,  j'essayais  de   faire   dans  mes 


pssnnEjrsE 


-.-,"^-:i.r,,--.' 


Le  village 
de  Veyrier 
est  le  pre- 
mierquel'on 
trouve      sur 

les  flancs  de  la  montagne  du  même  nom, 
il  s'abrite  sous  un  manteau  de  noyers 
qui  le  laissent  à  peine  deviner  et  d'où 
émerge  sa  jolie  église  construite  récem- 
ment dans  le  style  gothique.  Puis  la 
pente  s'adoucit  pour  former  un  vallon. 
Derrière  le  pli  du  terrain  apparaît 
Menthon.  Un  vieux  manoir  à  l'allure 
fîère  et  menaçante  domine  le  frais  vil- 
lage. Ce  sont  des  murs  percés  d'étroites 
fenêtres  carrées  ou  taillées  en  cintre 
trilobé  accusant  une  origine  latine;  un 
donjon  du  xiii^  siècle  avec  une  ligne  de 
mâchicoulis  et  une  tourelle.  Des  croi- 
sées divisées  par  des  meneaux  montrent 
la  main  du  xv'^  siècle.  On  parcourt  à 
l'intérieur  de  grandes  salles  lambrissées, 


20i 


ANNECY 


avec  des  bancs  de  pierre  dans  lembra- 
sure  des  fenêtres,  sur  lesquelles  les  châ- 
telaines rêveuses  posaient  des  coussins 
de  velours  ;  des  chambres  ménagées  dans 
Tépaisseur  môme  des  murs,  des  corri- 
dors sinistres  coupés  par  des  escaliers 
en  spirales  aux  voûtes  basses.  Çà  et  là 
des  portes  bardées  de   fer,  aux   verrous 


PERRON      DE      l'ancien      HOTEL     DE     VILLE 


implacables.  On  voit  que  les  sires  de 
Menthon  y  menaient  une  vie  sévère, 
agitée  par  des  guerres  fréquentes.  C'est 
là  que  demeurait  saint  Bernard  «  dont 
un  ange  descella  les  barreaux  de  la 
chambre  pour  lui  permettre  de  fuir  un 
mariage  imposé  par  son  père  »  ;  on 
montre  au  pied  de  la  tour  Tempreinte 
des  pieds  du  saint  dans  le  roc.  Menthon 
a  été  une  station  balnéaire;  on  y  voit 
de  nombreux  vestiges  d'aqueducs,  de 
piscines,  de  corridors  semblant  se  ratta- 
cher à  des  cabinets  symétriques  ;  mais 
la  source  a  disparu.  On  prétend  qu'elle 
s'est  ouvert  un  chemin  souterrain  pour 
gagner  le  lac  ;  d'autres  assurent  que  sei- 
gneurs et  curés  du  lieu,  fatigués  d'une 
hospitalité  coiîteuse,  1  auraient,  à  une 
certaine  époque,  fait  disparaître  par  le 
mercure  qui  avait  alors  la  grande  spé- 
cialité de  débarrasser  des  choses  et  des 
gens... 


Une  source  d'eau  sulfureuse  a  néan- 
moins échappé  aux  escamoteurs,  et  beau- 
coup d'étrangers  viennent  à  Menthon 
joindre  l'utile  à  l'agréable.  Peu  de  sites 
jouissent  d'une  pareille  beauté  et  d'une 
telle  douceur  de  climat.  C'est  la  station 
balnéaire  classique  et  il  est  permis  d'es- 
pérer pour  elle  un  brillant  avenir. 

Le  paysage  qui  s'était 
adouci  en  prés  verdoyants 
et  en  frais  jardins  reprend 
sa  sévérité  aride  sur  le 
roc  de  Chère  qui  sépare 
Menthon  de  Talloires.  A 
cet  endroit  les  deux  rives 
se  rapprochent  comme 
pour  se  refermer,  mais  au 
détour  du  roc  un  nouveau 
lac  apparaît  plus  troublant 
et  plus  mystérieux  encore. 
Le  promontoire  qui  s'a- 
vance ainsi  dans  les  eaux 
est  couronné  par  le  tom- 
beau de  Taine,  que  le  phi- 
losophe lit  construire  de 
son  vivant.  C'est  un  mau- 
solée d'une  blancheur  écla- 
tante qui  semble  posé  sur 
le  sol  désolé  comme  une 
espérance.  Les  2,000  mètres  de  la  Tour- 
nette  dominent  cette  lande  silencieuse. 
Au  pied,  Talloires  découvre  ses  petites 
maisons  enchantées  et  son  abbaye  au 
long  toit  d'ardoises,  dont  les  ruines  dis- 
paraissent sous  un  rideau  de  pampres. 
De  gros  bouquets  d'arbres  descendent 
jusqu'à  la  rive,  que  des  pelouses  vertes 
bordent  d'un  tapis  moelleux.  Des  anses 
dissimulent  des  barques  sveltes  qui 
attendent  le  promeneur.  Un  calme  heu- 
reux règne  dans  ce  séjour  bien  fait  pour 
expliquer  et  atténuer  la  légende  qui 
plane  sur  ses  anciens  habitants.  L'oi'i- 
gine  de  l'abbaye  remonte  à  Charlemagne  : 
c'était  d'abord  une  celle  composée  de 
deux  ou  trois  religieux  et  qui  était  placée 
dans  le  vignoble  qui  porte  le  nom  de 
clos  du  Moine.  Cette  celle  devint  prieuré 
en  103L  Les  bâtiments  qui  ont  survécu 
gardent  des  vestiges  de  l'ornementation 
du  xiu"  siècle  :  quelques  ogivettes  gémi- 


ANNECY 


ro:> 


nées  et  tréllées.  Une  tour,  des 
oubliettes,  une  double  en- 
ceinte, témoignent  du  carac- 
tère dcfensit  que  le  prieuré 
avait  été  forcé  de  prendre. 
C'est  vers  1674  qu'il  fut  érig-é 


.--^i- 


PONT     DES     AMOURS 


en  abbaye  et  que  furent  construits  les 
bâtiments  actuels.  La  décoration  inté- 
rieure en  est  étrange  et  fornîe  un  mé- 
lange bizarre  de  sacré  et  de  profane  : 
des  amours  enguirlandés  voisinent  avec 
d'augustes  figures  d'apôtres.  La  pi"é- 
sence  sur  les  coteaux  de  Talloires  de 
vignobles  renommés  n'a  pas  laissé  intacte 
la  réputation  des  bons  religieux.  «  Les 
cartes  et  les  dés,  les  violons  et  les  flûtes 
charmaient  leurs  immenses  loisirs,  et 
dans  leurs  cellules,  arquebuses  et  mous- 
quetons étaient  moins  rares  que  chape- 
lets et  bréviaires.  Mais  ce  ne  sont  point 
là  cas  pendables,  et  pourquoi  n'auraient- 


ils  pas  glané  çà  et  là  les  petites  et 
benoîtes  douceurs  de  la  vie?  » 

Sans  partager  tout  à  fait  l'indulgence 
de  leur  historien,  on  peut  ne  se  souvenir 
que  de  leurs  bonnes  œuvres  qui  furent 
grandes.  Saint  François  de  Sales  triompha 
par  sa  patience  et  sa  douceur  du  gai 
penchant  de  ses  administrés,  et  il  ne 
reste  plus  aujourd'hui  que  la  bonne 
i^éputation   de   leurs  vertus...  et  du  cru. 

Le  couvent  renferme  des  inscriptions 
romaines.  L'une,  portant  le  nom  de  Ruti- 
lius  Celtus,  est  gravée  sur  une  marche 
de  l'escalier  qui  descend  au  lac.  Lautre 
est  de    beaucoup    plus    importante.    Sa 


206 


ANNECY 


traduction  fait  connaître  que  «  Caïus 
Blasius  Gratus,  de  la  tribu  Voltinia,  fils 
de  Caïus,  donne  de  ses  deniers  cette 
horloge  avec  son  édifice,  toutes  ses 
figures  et  ses  grilles,  d'une  valeur  de... 
sesterces;    et  de    plus    il  donne   quatre 


à  Doussard,  village  situé  à  l'entrée  de  la 
Combe  Noire,  une  forêt  impénétrable 
que  l'on  dit  habitée  par  des  ours  de 
haute  taille.  Ce  fond  de  tableau  conserve 
un  caractère  grandiose  et  sauvage  dont 
rien    ne    peut   traduire   l'effet   quand  on 


M  E  N  T  H  O  N 


mille  sesterces  pour  l'esclave  chargé  de 
cette  horloge  ».  On  a  donné  l'explication 
du  fonctionnement  de  cette  horloge  : 
une  statuette,  debout  sur  l'eau  du  bas- 
sin, descendait  ou  montait,  suivant  que 
l'eau  s'écoulait  ou  que  le  bassin  se  rem- 
plissait. Avec  le  bout  d'une  baguette 
dont  elle  était  armée,  la  figurine  indi- 
quait les  heures  qui  étaient  gravées  sur 
un  pilastre. 

A   quelques   kilomètres   plus   loin,    le 
lac  vient  mourir  sur  un  lit  de  verdure, 


oppose  ses  tons  sinistres  au  miroir  lumi- 
neux qui  le  baigne. 

On  redescend  à  Annecy  par  la  rive 
orientale.  A  l'extrémité  d'une  presqu'île 
d'un  vert  sombre,  le  château  de  Duingt, 
d'une  blancheur  égale  aux  neiges  de  la 
Tournette,  surgit  pour  éclairer  la  vallée 
obscure  d'Entrevernes.  Une  très  naïve 
légende  attribue  sa  construction  à  une 
fée  adroite  :  pour  jeter  un  pont  jusquà 
Talloires,  la  gentille   architecte   ne    de- 


ANNECY 


207 


manda  qu'un  peu  de  beurre  et  de  sel... 
les  constructeurs  modernes  sont  plus 
exigeants  !  En  réalité,  le  château  fut 
bâti  au  x"  siècle,  ce  qui  explique  le  nom 
de  Ghâteauvieux  donné  aussi  à  la  pi-es- 
qu'île.  Il  a  été  restauré  avec  un  tel  souci 


(jui  émergent  parfois,  et  au  pied  desquels 
on  a  trouvé  des  objets  de  bron/e  et  des 
débris  de  poterie. 

Derrière  le  château  de  Duingt  s'élève 
une  vieille  tour  hexagone  qu'un  exa- 
men   minutieux    accorde    au   ix"  siècle. 


:?fi^if'^\ 


DUINGT    ET    TALLOIRES 


du  moderne,  que  son  belvédère  et  sa 
décoration  xvia'^  siècle  ont  effacé  com- 
plètement la  note  primitive.  Il  a  appar- 
tenu aux  Genevois-Nemours,  aux  Mon- 
thoux,  aux  de  Sales. 

C'est  à  quelques  mètres  de  cette  pres- 
qu'île que  se  trouve  le  Roselet,  un  des 
quatre  groupes  d'habitations  lacustres 
dont  on  a  découvert  les  vestiges,  les 
trois  autres  se  nommant  Larnaudien, 
en  face  de  Sévrier,  et  la  plus  avancée 
dans  le  lac  ;  Morgien,  au  pied  du  Veyrier, 
et  Robenhausien,  à  l'entrée  même  du 
port  d'Annecy.  Ce  sont  de  vieux  pilotis 


Découronnée,  et  démantelée  par  place, 
flanquée  de  lierre,  elle  n'a  plus  que 
l'aspect  auguste  des  choses  presque  dis- 
parues et  qui  gardent  jusqu'au  bout  le 
mystère  de  leur  existence.  Par  un  en- 
traînement des  terres,  la  porte  de  cette 
tour  se  trouve  aujourd'hui  à  plusieurs 
mètres  du  sol.  Quelques  ouvertures  au 
mur,  obliques  et  rectangulaires.  Elle  a 
sans  doute  fait  partie  des  ouvrages  avan- 
cés qui  défendaient  le  château. 

A  un  quart  d'heure  de  marche,  ou 
trouve  le  château  de  Dérée.  Sa  restaura- 
tion adroite  n'empêche  point  de  lire  son 


208 


ANNECY 


origine  sur  le  portail  en  ogive  hérissé 
de  mâchicoulis  et  d'embrasures  pour  les 
canons.  La  tour  centrale  est  percée  de 
meurtrières  :  on  lui  donne  pour  pi^e- 
miers  propriétaires  des  présidents  du 
conseil  Genevois  et  de  Chambéry. 

De  Duingt  à  Saint-Jorioz  la  rive  est 
plus  solitaire;  à  peine  quelques  maison- 
nettes dont  le  toit  fumant  trahit  la  vie 
intérieure.  Les  pentes  adoucies  d'Entre- 
vernes  semblent,  avec  leurs  carrés  de  cul- 
tures diverses,  un  riant  manteau  d'arle- 
quin. Saint-Jorioz,  qui  doitsonnom  à  un 
moine  de  Savigny,  fondateur  d'un  prieuré 
disparu,  n'est  qu'un  modeste  hameau, 
avec  la  même  note  apaisée  de  tous  les 
villages  qui  entourent  le  lac. 

Un  peu  plus  loin,  on  rencontre  Sé- 
viner,  aux  pieds  du  Semnoz,  dont  les 
flancs  abrupts  dominent  Annecy,  et 
qu'on  surnomme  le  Righi  de  la  Savoie. 
Gomme  Saint-Jorioz,  Sévrier  possédait 
un  prieuré  qui  fut  réuni  à  l'abbaye  de 
Talloires.  Situé  dans  un  véritable  bois 
d'arbres  fruitiers,  d'où  s'échappe  le  clo- 
cher léger  de  son  église  gothique,  il  ne 
possède  de  vraiment  curieux  que  les 
portraits  de  la  blonde  Doguine  et  de  la 
brune  Tontine,  les  deux  plus  jolies  et 
spirituelles  femmes  de  Paris,  à  ce  que 
prétendait  Regnard,  il  y  a  quelque  trois 
cents  ans. 

Et  l'on  rentre  à  Annecy  en  chemi- 
nant le  long  du  quai.  De  nombreuses 
barques  amarrées  auprès  des  deux  ba- 
teaux à  vapeur  invitent  aux  heures  poé- 
tiques d'une  promenade  à  Talloires  ou  à 
Duingt.  L'attrait  le  plus  irrésistible  du 
lac  est  sa  dissemblance  continuelle  avec 
lui-même.  Le  paysage  partage  cette  in- 
constance qui  supprime  «  l'ennui  nais- 
sant de  l'uniformité  »  par  des  spectacles 
toujours  nouveaux.  Au  lever  du  jour, 
un  brouillard  très  léger  couvre  l'onde 
et  la  rive  ;  il  se  convertit  bientôt,  sous 
les  rayons  du  soleil  leA^ant,  en  une  gaze 
transparente  et  rose  qui  forme  avec 
l'azur  de  l'eau  un  pompadour  subtil  et 
tendre.  A  midi,  tout  resplendit  dans  le 
triomphe    de    la    lumière   :   l'œil,   dans 


l'éloignement  supprimé,  scrute  les  dé- 
tails les  plus  infîmes  des  monts,  des 
vais,  des  forêts,  des  hameaux;  tout  se 
reflète  sur  le  merveilleux  miroir  avec 
une  telle  fidélité  qu'on  finit  par  ne  plus 
savoir  de  quel  côté  se  trouve  le  ciel... 

Le  soir,  tout  s'endort  dans  une  sym- 
phonie suave  de  lilas  et  de  mauve  ; 
seules,  les  cimes  gardent  en  bandes 
pourprées  le  dernier  regard  du  soleil. 

On  comprend  difficilement,  quand  on 
a  vu  les  deux  lacs,  que  le  succès  ait  été  à 
celui  du  Bourget  et  Lamartine  y  a-t-il  été 
pour  quelque  chose,  avec  la  fameuse 
poésie  qui  a  charmé  notre  jeunesse? 
Il  ne  pourrait  certes  pas  dire  aujour- 
d'hui :  u  Regarde,  je  viens  seul  m'as- 
seoir!  »  Ou  bien  les  sources  d'Aix,  d'où 
Ton  n'aperçoit  même  pas  le  lac,  ont-elles 
pour  principale  vertu  celle  d'empêcher 
les  étrangers  d'aller  plus  loin?  Le  Bour- 
get qui  n'a  qu'une  note  :  la  tristesse  1 
note  auguste  mais  bientôt  énervante. 
Le  lac  d'Annecy  les  a  toutes  et  dans 
quel  cadre  de  souvenirs!  Les  eaux  de 
Menthon,  en  partie  disparues,  seraient 
facilement  captées  de  nouveau  si  les 
touristes  et  les  convalescents  s'enten- 
daient pour  jeter  le  mouvement  et  la 
vie  sur  ces  sites  si  doucement  mélan- 
coliques. Annecy  a  eu  ses  poètes,  quel- 
ques-uns sont  aujourd'hui  célèbres  ;  peut- 
être  ont-ils  mis  un  peu  d'égoïsme  dans 
leur  enthousiasme  et  voulu  garder  le 
pays  pour  eux  seuls,  dans  la  crainte  de 
n'y  pouvoir  plus  rêver  à  leur  aise.  Mais 
le  lac  rayonne  pour  tout  le  monde. 

Le  mouvement  d'expansion  qui  s'ac- 
centue de  jour  en  jour  englobera  bien- 
tôt ce  paradis  méconnu.  Annecy  parta- 
gera un  jour  avec  Aix  le  rôle  enviable 
de  charmer  et  de  guérir.  La  France  se 
doit  à  elle-même  d'étendre  à  la  sœur  ju- 
melle, plus  jolie  et  mieux  parée  encore, 
la  faveur  de  son  choix,  quand  ce  ne 
serait  que  par  reconnaissance  à  cette 
terre,  si  souvent  française  dans  l'his- 
toire, de    l'être   devenue    tout    à   fait... 

Paul   de    Gh ampeaille. 


LES    SALONS    DE    1898 


Par  suite  des  démolitions  du  Palais 
de  rindustrie  aux  Champs-Elysées  et  du 
Palais  des  Beaux-Arts  au  Champ  de 
Mars,  la  Sociélé  des  arliales  français  et 
la  Sociale  nationale  des  Beaux-Arts  ont 
dû  s'abriter  cette  année  sous  le  même 
toit.  Elles  ont  trouvé  dans  la  galerie 
des  Machines,  qui  a  conquis  du  coup  la 
faveur  des  Parisiens,  un  emplacement 
à  souhait,  où  elles  ont  pu  développer 
de  plain-pied  leurs  larges  installa- 
tions. 

La  Société  des  artistes  français  a 
donné  à  ses  façades  une  ordonnance  un 
peu  solennelle,  mais  de  très  bon  ton  ; 
la   Société   des   Beaux-Arts,   plus  pim- 


pante, a  remplacé,  par  un  gracieux  por- 
tique, les  marbres  trop  rares  de  son  joli 
jardin.  Toutes  les  deux  ont  eu,  avant 
même  l'examen  des  œuvres  exposées,  un 
succès  vif  et  mérité.  Les  anciens  locaux 
démolis  ont  été  vite  oubliés,  et  le  seul 
respect  dû  à  leurs  loyaux  services  rete- 
nait les  comparaisons  désobligeantes. 

Il  faut  dire  aussi  que  le  public  était 
mis  en  bonne  humeur  par  la  réunion 
des  deux  Sociétés,  par  un  seul  voyage  à 
faire  et  un  seul  tourniquet  à  passer.  Car 
les  deux  Sociétés  ont  reculé  devant  le 
double  tourniquet.  Pourquoi?  Elles 
avaient  cependant  des  limites  distinctes, 
des    catalogues    spéciaux.     Mais     elles 


ARRIVEE     DANS     LA    GALERIE     DES     MACHINES 
EXPOSITION      DE      LA      SOCIÉTÉ      DES      ARTISTES      FRANÇAIS 

VIII.  —  14. 


210 


LES    SALONS    DE    IS9S 


n'onl  pas  osé  aller  jusqu'au  bout,  car 
aucune  des  deux  ne  se  serait  résignée  au 
second  rang-,  et  établir  deux  entrées  sous 
le  même  toit  n'a  pas  semblé  possible.  Il 
aurait  fallu  établir  deux  vestiaires,  et  la 
patience  du  bon  public  a  des  bornes. 

Encore  un  pas  à  franchir,    une  petite 
barrière  à  abattre,  et  la  fusion  sera  faite. 


La  division  des  artistes  a  pu  avoir  en 
un  temps  des  causes  sérieuses  qu'il  ne 
s'agit  pas  de  discuter,  elle  aura  fait 
naître  des  idées  et  donné  lieu  à  des  ré- 
formes qui  s'affirmeront  dans  une  en- 
tente ;  mais  cette  entente  s'impose  désor- 
mais. La  retarder  ferait  naître  des 
suppositions,  fausses  assurément,   mais 


DEUXIÈME      PARTIE     DE     LA     GALERIE     DES     ÎIACHINES 
EXPOSITION     DE     LA     SOCIÉTÉ     NATIONALE     DES      BEAUX- ARTS 


Elle  est  attendue  et  elle  sera  la  bien- 
venue. On  devra  cette  réunion  à  la  ga- 
lerie des  Machines  qui  a  montré,  en 
permettant  d'aller  facilement  de  salle 
en  salle,  qu'il  n'y  avait  point  de  dé- 
marcation artistique  tranchée  entre  les 
deux  Sociétés.  Tel  est  dans  l'une  qui 
pourrait  être  dans  l'autre  ;  il  n'est  point 
besoin  d'être  enrôlé  sous  une  bannière 
pour  suivre  le  drapeau  de  l'art,  qui 
flotte  au  vent  de  la  seule  inspiration 
personnelle. 


qui  persisteraient,  sur  des  questions  de 
personnalités  ou  d'argent.  Le  public 
ferait  encore  crédit  en  1899,  mais  c'est  la 
dernière  limite.  Lnagine-t-on,  à  l'expo- 
sition du  siècle,  l'art  français  divisé  en 
deux  camps? 

En  attendant,  comme  la  postérité  se 
souciera  fort  peu  de  savoir  si  un  artiste 
appartenait  à  telle  ou  telle  société,  nous 
ferons  comme  elle,  et  nous  parlerons 
des  œuvres  en  nous  occupant  seulement 
de  leur  valeur. 


LES    SALONS    DK    IS9K 


21 1 


Puisque  la  sculpture  se  présente  d'a- 
bord aux  yeux,  on  aurait  mauvaise  grâce 
à  ne  pas  lui  laisser  la  première  place. 
Le  sculpteur,  mieux  peut-être  encore 
que  le  peintre,  mérite  le  respect  de  ses 


...  L'arl  auguste 
Seul  a  rétcrnité  ; 

Le  buste 
Survit  à  la  cité. 

L'attitude  du  public  devant  les  œuvres 


FÉLIX    SouLÈs.  —   Tombeau. 


œuvres.  C'est  un  dur  labeur  que  celui 
qui  pétrit  la  glaise,  gâche  le  plâtre  et 
fouille  le  marbre  ;  ces  ateliers  ne  sont 
point  des  boudoirs;  les  belles  dames  y 
entrent  peu  et  la  foule  passe  souvent 
indifférente.  L'artiste  n'y  est  soutenu 
que  par  la  foi  et  il  lui  faut  se  dire  que 


de  la  statuaire  est  d'ailleurs  remarquable. 
Il  comprend  que  la  critique  ne  peut  être 
légère  et  le  plus  souvent  il  s'abstient, 
par  une  déférence  assez  touchante  pour 
quelque  chose  qui  lui  échappe  peut-être, 
mais  qu'il  sent  être  d'essence  supérieure. 
Rien  n'est  plus  matériel  qu'un  bloc  taillé 


212 


LES    SALONS    DE    1898 


et  rien,  en  art,  ne  contient  plus  clidéal. 

M.  Félix  Soulès  expose  un  Tombeau 
de  grande  allure,  d'une  belle  foi  chré- 
tienne, d'une  ordonnance  solide  et  ren- 
dant bien  la  pensée  de  ceux  qui  pleu- 
rent le  mort,  mais  qui  se  consolent  dans 
l'éternel  au  delà. 

La  Résurreclion,  de  M.  Albert  Roze, 
est  dans  le  même  ordre  d'idée,  mais 
d'une  composition  plus  simple.  Le  corps, 
qui  se  dresse  dun  beau  mouvement,  est 
encore  de  forme  humaine  très  parfaite, 


Albert   Roze.  —  Résurrection. 


mais  déjà  il  semble  que  l'immortalité 
l'a  pénétré.  Il  monte  toutefois  assez  len- 
tement, comme  s'il  hésitait  et  attendait 
l'appel.  Ce  marbre,  de  lignes  si  distin- 
guées, n'est  pas  d'une  religiosité  exclu- 
sive et  l'on  pourrait  y  attribuer  une 
idée  simplement  spiritualisle;  l'extase 
n'a  point  ravi  la  vie  et  cette  complexité 
n'est  pas  pour  en  diminuer  l'eiTet. 

Avec  V Enrôlé  de  1792,  de  M.  Cmoppin, 
nous  revenons  à  la  vie  ardente,  jeune, 
pleine  d'entrain  et  de  bonne  humeur. 
Sous  ce  chapeau  à  la 
Watteau  et  cette  veste 
ouverte,  c'est  la  grâce  du 
xviii"  siècle  expirant,  mais 
c'est  le  mouvement  qui 
mène  aux  frontières,  à 
l'une  des  quatorze  armées 
de  la  République. 

Et  c'est  encore  un  sol- 
dat, mais  avec  la  grave 
figure  du  marin,  que  M.  D. 
PuECH  nous  présente  dans 
son  monument  à  Francis 
Garnier  qui  doit  être  élevé 
sur  la  place  de  l'Observa- 
toire. Le  buste  est  bien 
campé  sur  une  colonne 
aux  opportunes  figures 
tonkinoises,  accroupies 
dans  leurs  poses  de  fata- 
lisme ;  une  jeune  femme 
gracieuse,  la  France  colo- 
niale, offre  ses  lauriers  au 
mort  victorieux,  que  re- 
garde le  fleuve,  témoin  des 
combats.  L'ensemble  est 
très  décoratif. 

Le  Retour,  de  M.  Seysses, 
est  un  groupe  de  force  et 
de  tendresse,  très  poussé 
au  point  de  vue  du  métier 
et  d'un  heureux  arrange- 
ment. La  difficulté  est 
cherchée  dans  l'opposition 
de  ces  deux  corps  éprou- 
vant la  même  joie  de  se 
retrouver  avec  les  atti- 
tudes dilTérentes  de  leurs 
sexes,  et  elle  est  vaincue. 


LES 

L'ensemble  est  calme,  chaste  et 
peut  se  montrer  aux  yeux  clans  un 
jardin  public. 

C'est  clans  le  parc  du  château  de 
\'aux,  le  château  de  Fouc|uet,  que 
les   lions    de    M.    Gaudet    seront 
placés,    encore    qu'ils    pourraient 
l'être    au    Luxembourg-.    On  peut 
l'aire  le  tour  de  ce  groupe  magis- 
tral,  reg^arder  sous    toutes    leurs    faces 
la  figure  de  la  lionne,  si  câline,   tout  en 
restant  féline  et  prête  à  la  défense,  celle 
du  lion  si  expi^essive  dans  sa  rude  ten- 
dresse, les  corps  de  ces  deux  superbes 
bêles,  et  l'on  sera  saisi  de  la  vérité  el  de 
la  puissance  de  cette  œuvre  de  maître. 


SALONS    DE    1  H 9 S 


D.   PuECH.  —  Monument  Francis  Garnie?-. 


Choppin.   —  Enrôle  de  1792. 


Nous  ne  savons  à  quel 
heureux  propriétaire  est  des- 
tinée la  cheminée  monumen- 
tale de  M.  Baffier,  mais 
nous  connaissons  en  Bour- 
gogne un  antique  vendan- 
geoir  où  elle  ferait  merveil- 
leux elTet. 

C'est  une  œuvre  d'un  style 
bien  français  et  d'un  art  bien 
moderne.  Dans  quelques  siè- 
cles d'ici,  si  on  la  découvre 
sous  les  murs  écroulés  d'un 
château  perdu  sous  les  ronces. 


214 


LES    SALONS    DE    1H9S 


les  musées  de  l'avenir  pourront  la  mettre 
en  regard  des  cheminées  gothiques. 

Les  peintures  de  M.  Louis  Boucher 
qui  l'encadreront  auront  disparu,  et  ce 
sera  dommage.  C'est  la  rivière  aux  pois- 
sons d'argent,  les  pâturages  aux  bœufs 
gras,  les  champs  aux  blés  mûrissants, 
les  bois  giboyeux,  tout  ce  qui,  avec  la 
vendange  sculptée  sur  le  manteau  de  la 
cheminée,  constitue  la  terre  de  France. 
Terre  de  l'ancêtre  à  la  barbe  fleurie  et 
du  solide  paysan,  cariatides  qui  soutien- 
nent l'édifice,  de  la  grand'mère  aussi, 
conteuse  de  légendes,  qui  semble  sur- 
veiller le  foyer  familial.  C'est  la  vieille 
terre  nourrisseuse  d'hommes. 

Cet  ensemble  décoratif  est  d'un  ordre 
tout  à  fait  supérieur. 

Si  l'on  voulait  donner  quelque  liai- 
son à  ces  études  isolées  d'œuvres  qui 
n'ont  de  commun  que  la  fraternité  de 
l'art,  nous  rapprocherions  des  figures  de 
cette  cheminée  le  groupe  de  M.  Steiner, 


G.  Gardet. 


Lion  et  lionne. 


l.liS    SALONS    1)K    1X9X 


215 


le  Déclin.  Ces  deux  bons  vieux  sont  au 
soir  de  leur  vie,  mais  leur  résignation 
est  douce.  Ils  portent  sur  leur  visage  la 
satisfaction  du  devoir  accompli.  Quelque 
chose  de  supérieur  les  a  accompagnes  et 
soutenus  dans  leur  existence  :  la  paix. 
Le  marbre  a   été   couvert  d'une   patine 


s'adresse,  chercheurs  d'idéal  qui  ne  vou- 
lez point  être  apaisés. 

Sur  le  Balzac,  de  M.  Rodin,  deux  cri- 
tiques autorisés  ont  exprimé  ces  deux 
opinions  opposées.  Dans  le  Temps , 
M.  Thiébault-Sisson,  en  termes  conve- 
nables, a  dit  que  l'œuvre  produisait  «  un 


J.    Bapfier.  —   Cheminée  de  salle  à  manger. 


sombre,  sans  doute  pour  revêtir  de  mo- 
destie l'éclat  du  marbre,  mais  l'eiretn'en 
est  pas  heureux  et  il  le  sera  sans  doute 
encore  moins  sous  les  averses,  car  le 
groupe  appartient  à  la  ville  de  Paris, 
qui  le  destine  à  un  de  ses  jardins. 

M.  DK  Saint-Marceaix  uous  transporte, 
au  contraire,  dans  le  pays  des  orages  et 
des  passions.  Cette  vision,  qui  fuit  Vers 
Vinconnu,  c'est  l'image  de  nos  destinées. 
Fuite  éperdue  et  angoissée,  rêve  tou- 
jours poursuivi  et  jamais  atteint,  c'est 
à    vous    que    cette    belle     composition 


effet  de  stupeur;  résultat  d'une  aber- 
ration passagère,  elle  attristera  les  admi- 
rateurs sincères  de  l'artiste  ;  dans  le 
Figaro,  M.  Arsène  Alexandre  a  pro- 
clamé d'un  air  de  bataille  :  u  Elle  cho- 
quera, dès  l'abord,  beaucoup  de  gens, 
je  le  sais  et  j'en  ris  de  joie,  car  c'est  le 
propre  des  choses  vraiment  belles  et 
vraiment  neuves  de  donner  un  coup  de 
poing...  »  Et  ce  fut  une  tempête  où  les 
camps  ennemis  se  traitaient  réciproque- 
ment de  la  belle  manière.  Je  n'hésite 
pas,  pour  mon  compte,  à  me  ranger  dans 


216 


LES    SALONS    DE    1S98 


De    Saint-Marceaux.  —   Vers  l'Inconni 


Steiner.  —  Le  Déclin. 


LES    SALONS    DE     !  s 9 S 


217 


la  foule  ([iii  prêle  à  rire  à 
ISI.  Alexandre.  Je  me  permets 
même  dajoulcr  qu'un  comité 
qui  élèverait  celte  statue  sur 
une  [ilace  de  Paris,  avec  le  nom 
de  Balzac,  commellrait  un  acte 
semblable  à  la  [)ubliealion  dune 
édition  du  Père  Goriot,  dont 
on  aurait  modifié  toutes  les 
phrases.  I.cs  héritiers  du  roman- 
cier (il  y  en  a  seraient  en  droit 
de  poursuivre,  car  même  sous 
prétexte  de  transliguration,  nul 
n"a  le  droit  de  modifier  une 
physionomie.  Balzac  avait  la 
sienne  propre,  guenille  si  l'on 
veut,  mais  qui  lui  était  chère. 
Et  il  n'en  va  pas  encore  de  lui 
comme  pour  Homère,  dont  la 
ligure  au  moins  est  indétermi- 
née, puisque  sept  villes  se  dispu- 
tent son  berceau. 

Il  ne  faudrait  pas  croire  ce- 
pendant que  M.  Uodin  a  voulu 
épater  le  bourgeois  et  se  li- 
vrer à  son  sujet  à  des  plai- 
santeries irrespectueuses.  Ses 
nombreuses  maqueltes,  ses  pré- 
parations de  toutes  formes,  té- 
moignent de  sa  bonne  foi.  Il  a 
voulu  exprimer  le  génie  de 
Balzac  et  produire  une  œuvre 
abstraite  ;  mais,  en  s'écartant 
du  modèle,  il  s'est  trompé,  sim- 
plement. 

D'ailleurs,  au  milieu  des  dis- 
putes,  une    personne  surtout   a 
gardé    son    sang-froid,  et    c'est 
M.  Rodin  lui-même.  Dignement 
et  honnêtement,  laissant  de  côté 
des  olfres  plus  ou  moins  dénuées 
de  l'éclame,  il  a  rendu  l'argent  et  a  repris 
son  œuvre.  Rien  n'est  enlevé  à  sa  gloire, 
une   des  plus  grandes   de   la    statuaire 
moderne,  et  il  aura  liberté,  à  son  heure. 


Au  G.    Ko  DIX. 


Balzac. 


de  produire  à  nouveau  celte  statue  en 
l'appelant  VEcrivain,  le  Génie,  ou  tout 
autre  titre  impersonnel,  et  de  la  voir 
alors  justement  triompher. 


LES    SALONS    DE    1898 


LA    PEINTURE 


CORMON.   —   Le    Bn 


Une  salle  entière  a  été  consacrée  aux 
toiles  de  M.  Gormon  destinées  à  la  déco- 
ration des  nouveaux  bâtiments  du  Mu- 
séum. C'est  une  œuvre  considérable  par 
son  étendue  et  aussi  par  TelTort  artis- 
tique dont  elle  témoigne. 

Dans  le  grand  plafond  sont  réunies 
les  races  humaines,  aryenne,  sémitique, 
jaune,  noire,  rouge.  Au  premier  plan, 
Thomme  primitif;  sur  la  gauche  les 
races  aryennes  sont  entraînées  à  la  civi- 
lisation et  à  la  lumière  par  les  Grecs. 
Nous  ne  pouvons  donner  ici  qu'une 
trop  petite  réduction  de  cette  toile 
immense,  mais  elle  suffit  pour  faire  res- 
sortir l'ampleur  de  l'ordonnance  et  le 
beau  mouvement  qui  l'anime. 

Dans  des  panneaux,  les  âges  du  monde 
sont  figurés  :  l'époque  glaciaire,  l'homme 
primitif,  l'âge  de  la  pierre,  celui  du 
iDronze  (que  nous  reproduisons) ,  les 
populations  lacustres,  les  Gaulois  et  le 
fer,  pour  ne  citer  que  les  principales 
compositions. 

L'exposition  comprend,  à  côté  des 
toiles  définitives,  les  cartons  qui  en  ont 


CoRMON.  —  Les  Races  huniaines.  (Plafond.) 


LES    SALONS    DE    IS9S 


219 


G.  ROCHEGROSSE.  —  Le  Chant  des  Muses  expédie  l'âme  humaine 


été  la  préjoaralion  et  la  conscience  de 
l'artiste  y  apparaît  d'une  façon  saisis- 
sante. Les  formes  sont  généralement 
rudes  et  les  lignes  peu  curieuses  d'une 
grâce  qui  ne  serait  pas  ici  à  sa  place. 
Bien  que  les  documents  soient  nom- 
breux, dans  les  musées  et  surtout  dans 


celui  de  Saint-Germain,  il  est  évident 
que  bien  des  détails  ont  dû  être  ima- 
ginés. Les  modèles  du  peintre  n'ont 
pas  pu  dépouiller,  en  posant,  leur  en- 
veloppe du  xix''  siècle;  mais  on  ne 
conçoit  pas  cependant  d'autres  atti- 
tudes   ni    des    gestes    différents,   et    il 


L.  B  u  li  X  A  X  D.  —  Les  Disciples. 


LES    SALONS    DE    1898 


semble  que  ce  ne  soit  pas  un  mince  éloge. 

Rarement     une     décoration     a     été 

mieux  expressive  et,  pendant  un  temps 


Le  grand  panneau  de  M.  Uochegrosse 
est  destiné  à  Tescalier  de  la  bibliothèque 
de  la  nouvelle  Sorbonne  et  le  sujet,   le 


LÉON   Bonn  AT.  —  J/^e  Rcse  Caron. 


que  la  qualité  et  le  ton  ds  la  peinture 
rendront  à  peu  près  indélini,  les  visi- 
teurs du  Muséum  admireront  cette  ma- 
g'istrale  mise  en  scène  des  êtres  dont  ils 
auront  sous  les  yeux  des  restes  d'une 
matérialité  réelle. 


Chant  des  Muses  éveille  l' âme  humaine, 
ne  pouvait  être  mieux  choisi.  La  com- 
position est  heureuse.  Sur  la  droite,  les 
luttes  de  la  brute  s'arrêtent;  à  gauche, 
un  moribond  se  soulève  d'espérance  et 
la    femme    du     milieu,    bien     mise    en 


LKS    SALONS    DK    18JS 


'21\ 


valeur  en  avanl  du  j^roupc  qui  tciul  les 
bras  vers  les  divines  chanteuses,  sym- 
bolise à  souhait  la  nouvelle  humanité. 

Les  tons  de  la  peinture  sont  peut-être 
un  peu  trop  vifs,  mais  cet  effet  s'atté- 
nuera dans  le  cadre  de  Tarchitecture  et 
le  dessin  s'affirmera.  Les  contours  des 
personnages  sont  cernés  d'un  trait 
foncé  qui  atteint  presque  un  centimètre 
de  largeur.  A  quelques  pas,  ce  trait  dis- 
paraît et  la  silhouette  se  dégage  avec 
une  étonnante  netteté.  Ce  trait  est 
d'une  belle  hardiesse  et  l'artiste  prouve 
ainsi  qu'il  n'a  aucune  défail- 
lance de  lignes  à  escamoter. 

Les  Disciples  de  iVL  Blk- 
NAND  ne  dépassent  pas  les 
dimensions  d'un  tableau  ordi- 
naire, mais  ils  appartiennent 
au  genre  décoratif.  Le  fond 
de  la  toile,  sous  le  jaune 
doré  du  soleil  levant,  prend 
un  caractère  byzantin  qui 
ferait  merveille  dans  une 
église.  Pierre  et  Jean  courent 
au  sépulcre,  le  malin  de  la 
résurrection,  et  leur  allure 
penchée  en  avant,  leurs  yeux 
fixés  sur  le  but  donnent  la 
sensation  étrange  de  les  voir 
marcher,  bien  que  le  cadre 
les  coupe  à  mi-corps.  Cette 
toile  est  d'une  vie  intense. 

Nous  mettrons  ensemble 
ici  les  portraits  à  signaler, 
mais  sans  prétendre  les  pré- 
senter par  ordre  de  mérite. 
J^fme  Caron,  par  Bonnat, 
cause  d'abord  un  certain 
étonnement,  et  les  habitués 
de  l'Opéra  hésiteront  à  re- 
connaître la  divine.  Ce  sont 
bien  ses  yeux,  cependant,  si 
difficiles  à  rendre  dans  leur 
naïveté  tourmentée,  sa  bouche 
irrégulière  et  expressive  :  c'est 
bien  le  mélange  d'humanité 
et  d'inspiration  de  sa  figure. 
Si  AL  Bonnat  n'a  point 
adouci  pour  elle  la  rude  vi- 
gueur de   son  pinceau,   c'est 


qu'il  l'a  peinte  sous  le  costume  et  le  fard 
et  non  dans  l'intimité  de  la  maison. 
Par  quoi  donc  alors  est-on  dérouté? 
C'est  qu'on  ne  s'imagine  pas  M""^  Caron 
autrement  qu'en  pied,  avec  son  allure, 
ses  gestes  et  la  majesté  gracieuse  de 
ses  mouvements.  L'artiste  passionnée 
semble  ici  figée  dans  l'immobilité.  S'il 
est  vrai  que  le  peintre  est  maître  de  ses 
poses,  le  public  a  le  droit  d'exprimer 
des  regrets. 

Le    catalogue    ne    dirait    pas    que    la 
jeune    fille  peinte   par  M.  Paul  Dubois 


Paul    Dubois.  —  Marchesina. 


222 


LES    SALONS    DE    1898 


est  une   petite  marquise,  qu'on  le  devi-   1   sobre  qui   est  le  propre  des   toiles  des 
nerait  à  son  allure.  Incessu  patuil  Dea.    I   maîtres,  et  c'est  par  galanterie  pour  la 


KiXENS. 


Portrait. 


C'est  une  toile  d'une  distinction  suprême, 
comme  toutes  les  œuvres  de  l'éminent 
directeur  de  l'École  des  beaux-arts.  Les 
couleurs  se  tiennent  dans  cette  harmonie 


jeune  fille  que  l'artiste  a  égayé  d'une  l'ose 
très  rouge  à  la  ceinture  la  sévérité  habi- 
tuelle de  son  grand  talent. 

Les  étotTes  habilement  drapées,  l'arli- 


LES    SALONS    DE    1898 


fice  de  la  coiffure,  tous 
les  charmes  voulus  de  pose 
et  d'allure  dont  s'arme 
leur  coquetterie  avertie 
aident  le  peinlre  dans  \e^ 
portraits  de  femmes.  Mais 
devant  une  toute  jeune 
fille,  presque  une  enfant, 
il  est  devant  la  simplicité 
et  il  lui  faut  un  art  supé- 
rieur pour  pouvoir  faire 
dire,  comme  devant  cette 
toile  :  voici  certainement 
une  future  grande  dame. 
Le  gracieux  modèle  dont 
il  expose  le  portrait 
prêtait  certainement  à 
M.  RixExs  l'appui  de  son 
bon  goût  et  de  ses  belles 
toilettes,  et  l'artiste  a  au 
moins  eu  le  mérite  d'en 
tirer  un  joli  parti.  L'ex- 
pression un  peu  mélan- 
colique de  la  figure,  qui 
semble  chercher  autre 
chose  que  le  luxe  dont  elle 


D  r  F  F  A  U  D 


Jiotdlier. 


M"e    AbbÉMA.  —  Portrait. 


224 


LES    SALONS    DE    189 s 


Jules  F  l  a  n  d  r  i  n. 


est  entourée,  est  rendue  avec  sentiment. 
C'est  un  portrait  où  il  y  a  en  même 
temps  du  décor  et  de  la  pensée,  ce  qui 
ne  va  pas  toujours  ensemble. 

Toute  en  pensées  est  la  respectable 
dame  que  nous  présente  M.  Duffaud,  et 
en  pensées  du  passé,  car  les  cheveux 
sont  d'un  beau  blanc  et  les  rides  aussi 
nombreuses  que  lînes.  La  vie  éprouvée 
n'a  pas  enlevé,  a  donné  au  contraire,  un 
touchant  caractère  de  bonté  à  ce  portrait 
de  grand'mère,  joyau  d'un  salon  de  fa- 
mille. 

Fleurs  rouges  sur  peau  blanche  en- 
châssée dans  l'écrin  noir  de  la  robe, 
cheveux  d'un  jaune  idéal,  pose  et  bou- 


quet, voilà  le  chic, 
la  fleur  de  chic. 
Ce  n'est  pas  une 
critique  de  la  toile 
de  M""  Abbém.\. 
N'est  pas,  comme 
cela,  chic  qui  veut, 
et  c'est  du  chic 
d'art  ! 

Tel  n'est  point 
le  genre  cherché 
par  M.  Flandrix. 
Il  s'est  dit  :  je 
prendrai  un  décor 
laid,  une  robe 
laide,  d'une  étoire 
plus  laide  encore 
que  sa  coupe,  et 
là  dedans  je  pré- 
senterai une  femme 
qui  ne  se  sera  pas 
coiffée  et  qui  pren- 
dra volontaire- 
ment une  pose 
raide.  Et,  par  la 
qualité  de  la  pein- 
ture et  l'expression 
contenue  de  la  li- 
gure, je  produirai 
une  œuvre  d'art. 
Et  il  a  produit  une 
œuvre  d'art,  quel- 
que chose  comme 
Portrait.  la  Jocoiicle,  toute 

révérence  gardée. 
M"*"  RiTCHiE  non  plus  n'a  pas  tenu  à 
faire  du  joli  avec  sa  Suzanne,  mais  l'es- 
sai est  moins  franc.  Le  costume  est  an- 
cien, la  coiffure  aussi,  la  pose  de  même, 
les  tons  de  la  peinture  sont  passés,  mais 
l'œil  est  moderne.  Il  semble  même  vous 
surveiller  de  côté.  Le  tableau  est  inté- 
ressant et  dénote  de  très  grandes  qua- 
lités de  peinture. 

Pourl'habiletéja  prestigieuse  habileté, 
il  faut  tirer  l'échelle  après  M.  Weerts. 
Il  présente  une  série  de  portraits  bien 
habillés  sous  leur  vernis  et  dans  leurs 
cadres,  qui  arrêtent  le  passant  avec 
un  désir  visible  de  lier  conversation 
avec  lui.  Il  y  a  de  la  vie  et  de  la  bonne 


I-KS    SALONS    DE    ISO  s 


225 


humeur  daus  ce^  pctiLcs  toiles  dont  la   j   duc-lion  Irop  admiuislrativement  réglée, 
ressomblance  doit  être  parfaite.  Mais  la  II    faut    croire    M.    Monchablon    sur 

liberlr  du  nombre  laissée  par  la  Société   1    parole  quand  il  met  le  mot  «  Portrait  » 


M"'-   MAC-PtiTtH  lE.  —  Suzanne. 


nationale  des  Beaux-Arts  joue  un  mau-  |   au  bas  de  son  tableau  représentant  une 

vais  tour  à  l'artiste.  Il   expose  quatorze  jeune  mère  avec  son  enfant  sur  ses  ye- 

portraits,  et  cette  quantité  donne  Tim-  noux.  Les  modèles  se  sont  prêtés  à  un 

pression     —     comment      dirions- nous  arrangement    rappelant-  les     composi- 

pour  rester  respectueux?—  d"une  pro-  1   tiuns  religieuses,   mais   avec  des  chairs 

VllI    —  15. 


226 


LES    SALONS    DE     1S9S 


dune  parftiile  huma- 
nité. La  toile  est  jolie 
et  solidement  peinte. 
Les  portraits 
d'hommes  ont  paru 
être,  d'une  façon  gé- 
nérale, supérieurs  aux 
portraits  de  femmes. 
Entre  tous,  celui  de 
M.Jules  Lema'dre,  par 

M.     HUMBERT,      a     été 

remarqué.  L'auteur 
sarrête  d'écrire,  non 
pour  chercher  une 
pensée  —  car  elles  lu 
arrivent  d'abondance, 
ni  l'expression  juste 
—  car  il  la  rencontre 
toujours,  mais  sans 
doute    pour     se     de- 


mander sous  quel  an^le 
il  doit  présenter  l'argu- 
ment qui  fortifiera  une 
de  ces  <>  opinions  »  qu'il 
répand  en  ce  moment 
avec  une  si  courageuse 
vaillance. 

Pendant  longtemps, 
M.  Jules  Lemaître,  bercé 
par  le  souffle  du  scep- 
ticisme, se  complaisait 
aux  linesses  apaisantes 
des  doctrines  de  Renan. 
Il    pratiquait    volontiers 


M  <  J  N  C  H  A  B  L  O  >  , 


Portrait. 


LES    SALONS     DE     IS9.s 


227 


le  doute  de  ses  propres  idées,  trouvait 
éléf^ante  la  théorie  de  rà-quoi-bon  et 
semblait  mettre  Tesprit  au-dessus  de 
l'action.  11  s'est  produit  chc/.  lui  un  chan- 
gement complet,  tout  au  moins  en  appa- 


c'est  tout  un.  Il  faut  pouvoir  causer 
avec  un  portrait  en  éprouvant  la  sensa- 
tfon  qu'il  vous  comprend  et  va  vous 
répondre.  Cela  existe  sur  les  belles  toiles, 
sur  celle-ci  entre  autres,  et  c'est  ce  rien 


H  U  M  B  E  1!  T.   —  .U.  Jules  Lcmakre. 


rence.  Car  peut-être  préparait-il  lente- 
ment cette  évolution,  en  se  fortifiant  aux 
futurs  combats.  L'œil  indique  qu'il  est 
entré  dans  l'arène  et  qu'il  se  réjouit  de 
ses  propres  elTorts.  11  veut  l'action 
féconde  et  la  vie  productive,  la  voie 
ouverte  et  déblayée  d'entraves,  l'ini- 
tiative triomphant  des  préjugés  abolis. 
Son  rare  talent,  son  esprit  lucide  sont 
aux  service  de  t<  la  plus  grande  France  «, 
suivant  l'expression  anglaise,  et  les  dif- 
ficultés prévues  le  font  sourire. 

Peut-être  le  peintre  n'a-t-il  pas  voulu 
mettre  toutes  ces  choses  sur  la  figure  de 
son  modèle,  mais  on  peut  les  y  lire,  et 


—  un  rayon  d'âme  fixé  —  qui  creuse 
l'abîme  entre  l'œuvre  de  l'artiste  et  la 
plus  merveilleuse  des  photographies. 

Le  portrait  d'une  des  notabilités  de  la 
société  hollandaise,  par  M.  Jules  Le- 
FEBVRE,  est  également  de  premier  ordre. 
La  reproduction  ne  peut  rendre  la 
vijrueur  de  cette  toile,  ni  la  vie  conte- 
nue  sous  la  chaude  coloration  du  visage. 
La  pose,  la  sévérité  de  l'ensemble,  la 
qualité  d'une  peinture  achevée  et  solide 
font  penser  au  fameux  portrait  de 
Bertin  par  Ingres. 

M.  Benjamin-Constant,  qui  aime  à 
symboliser  l'esprit  de  ses   personnages 


228 


LES    SALONS    DE    1898 


par  leurs  altitudes,  a   pu   se  demander 
dans  quelle  pose  il  présenterait  M.  Hano- 


rouge  du  cardinal  dont  le  ministre  acadé- 
micien a  écrit  Thistoire.  Le  portrait  rend 


Jules  Lefebvue. 


Le   Comte  de  Kerdiore  de  l>eiiter(jhem. 


taux.  Sans  doute  en  se  conformant  au 
désir  de  son  modèle,  il  s'est  heureuse- 
ment résolu  à  une  manière  intime  et 
simple.  Ce  n'est  point  un  tableau  pom- 
peux, évoquant  les  traités  signés,  et  rien 
n'y    lait    penser    non    plus    à  la    robe 


bien  le  caractère  du  personnage,  à  la  fois 
l'ésolu  et  prudent.  Il  est  discret  comme 
sa  politique  et  la  tête  seule  apparaît  en 
vigueur,  dédaigneuse  des  accessoires. 

M.  Marcel  Basciiet  nous  présente  un 
vieux  savant,  aux  allures   d'un  Erasme 


LES    SALONS    DE     Isox 


229 


Benjamin- Constant.  —  .1/.  TTaitotaux. 


moderne,  clans  une  peinture  qui  fait 
penser  à  la  fois  à  Holbein  et  à  Bastien- 
Lepage.  C'est  une  toile  savoureuse 
pleine  d'un  métier  qui  témoigne  sans 
afTectation  que  rien  ne  lui  est  étranger 
et   contenant   la    forte    dose    d'émotion 


contenue  propre  aux  œuvres  exécutées 
pour  la  satisfaction  personnelle  de  l'ar- 
tiste. Les  amateurs  n'en  éprouvent  pas 
une  moindre  devant  un  morceau  aussi 
délicat. 

M.  -AiMK  MoROT  n'a  pas  recherché  ce 


230 


LES    SALONS    DE     isos 


caractère  d'inlimilé  dans  son  portrait 
du  Duc  de  La  Rochefoucauld-Doudeaa- 
ville.  Le  duc  Sosthène,  frère  aîné  du 
duc  actuel,  est  mort  il  y  a  déjà  quel- 
ques années,  et  Ton  peut  supposer  que 
cette  peinture  a  été  exécutée  d'après  des 
documents,  ce  qui  expliquerait  pourquoi 
elle    est    plus    décorative    que   vivante. 


d'art  que  de  se  servir  de  cette  expres- 
sion pour  la  qualifier. 

Dans  ce  monsieur  au  portefeuille , 
tout  de  noir  habillé  et  sérieux  comme... 
quelqu'un  de  très  sérieux,  qui  recon- 
naîtrait le  grand  évocateur  du  rire, 
Georges  Courteline  lui-même?  On  ne 
peut  accuser  M.  L.    Stihens   de  l'avoir 


Marcel    B archet.  —  Portrait. 


Bien  que  le  duc  soit  représenté  dans  ses 
bois,  sans  doute  sa  forêt  de  la  \'ille-aux- 
Clercs  près  Vendôme,  sa  pose  est  dé- 
nuée d'aisance  et  le  cheval  lui-même 
semble  être  à  la  parade.  Mais  l'ensemble 
est  de  noble  allure  et  la  toile  aura  g^rand 
air  dans  une  salle  de  château. 

Le  jeune  homme  peint  par  M.  Muraton 
se  présente  dans  une  attitude  naturelle  ; 
il  est  solidement  campé  et  sa  fiyure  est 
expressive.  C'est  un  très  bon  portrait, 
élégant  et  sobre,  de  parfaite  compagnie, 
si  ce  n'était  pas    diminuer  une  œuvre 


flatté;  car,  si  les  plis  des  vêtements  sont 
raides,  la  peinture  est  terne  et  le  visage 
se  jaunit  comme  un  pain  d'épice  vieillis- 
sant. Peintre  et  modèle  auront  sans 
doute  voulu  faire  une  farce  au  public  et 
monti'er  en  allure  de  pompe  funèbre 
celui  qu'on  s'attendait  à  voir  avec  des 
grelots.  Eh!  non;  pas  du  tout.  M.  Cour- 
teline n'est  pas  un  joyeux,  si  ses  œuvres 
sont  désopilantes.  C'est  un  amer  philo- 
sophe qui  raille  et  qui  souvent  doit 
souffrir  d'entendre,  tel  Aristophane  au- 
trefois, le   public  rire   un  peu  gros.  Et 


LKS    SALONS    DI<:     ISOH 


231 


c'csl  là  au  contraire 
une  œuvre  de  con- 
science qui  a  même 
le  mérilc  d'avoir 
dédaigné  de  rendre 
la  vérité  aimable, 
l'n  peintre  suisse, 
M.  lIoKi.ixGEii,  a 
envoyé  le  portrait 
de  M'-''^  Kneipp. 
M*"'"'  Kneipp  est 
connu  en  France 
sous  le  nom  du 
curé  Kneipp,  et 
c'est  le  père  du  fa- 
meux mail  qui 
porte  son  nom.  Ce 
portrait  est  d  une 
vigueur  étonnante, 
bien  que  d'une  exé- 
cution très  sobre. 
[ja  tète  se  détache 
absolument  de  la 
toile  et  il  semble 
qu'elle  va  parler. 
Les  adeptes  de  sa 
méthode  reconnaî- 
tront dans  ces  yeux 
scrutateurs  la  puis- 
sance de  diagnostic 
du  guérisseur.  En 
nous  e  n  \'  o  y  a  n  t 
lautorisation  de 
reproduire  ce  por- 
trait, exécuté  pour 
la  maison  Bruch- 
mann,  de  Munich, 

le  peintre  nous  a  gracieusement  donné 
des  détails  que  nous  croyons  intéres- 
sant de  résumer,  bien  qu  ils  soient  un 
hors-d'œuvre   dans    une  critique  d'art. 

Le  père  Kneipp,  comme  ses  adeptes 
nommaient  le  vieux  curé  de  Worishofen, 
et  que  S.  S.  Léon  XIII  avait  nommé 
camérier  secret,  est  mort  en  juin  1897,  à 
soixante-seize  ans.  On  sait  que  son  trai- 
tement consistait  surtout  dans  des  ablu- 
tions d'eau  froide,  dans  des  promenades 
pieds  nus  à  travers  l'herbe  mouillée  et 
dans  un  régime  rafraîchissant. 

Mais   aussi   sa  personnalité   originale 


Aimé    ^IhuùT.   —    Lf  Duc  'le  /.iinjchefoucauIJ-Doudeaurille 


et  puissante  impressionnait  tellement  les 
malades  que  Kneipp  les  suggestionnait 
sans  le  vouloir.  —  Cela  est  vraiment 
rendu  dans  le  portrait.  —  On  se  sentait 
déjà  revivre  par  un  seul  mot  consolant 
tombé  de  sa  bouche. 

Aussi  les  malades  accouraient  en 
foule.  Petit  bourg  autrefois  ignoré  dans 
la  Bavière,  Worishofen  vit  sa  popula- 
tion flottante  dépasser  80,000  âmes  en 
moins  de  six  ans.  Une  industrie  considé- 
rable y  est  née  ;  une  seule  des  fabriques 
du  café-malt  en  livre  12  millions  de  kilo- 
grammes par  an.  La  doctrine   a  survécu 


232 


LES    SALONS    DE    isos 


Mur  AT  ON.  —  Portrait. 

au  fondateur.  Elle  a,  d'ailleurs,  disent 
les  incrédules,  le  grand  mérite  de  ne  pas 
faire  de  mal  et  le  malt  est  très  écono- 
mique. 

M.  Henner  a  remporté  la  médaille 
d'honneur  avec  son  Lévile  d'Ephraïm  : 
mais  ce  n'est  pas  pour  ce  tableau  en 
particulier  que  cette  juste  récompense  a 
été  décernée  à  un  rare  artiste  qui  la 
méritait  depuis  longtemps  ;  c'est  un 
hommage  rendu  à  une  vie  exclusi- 
vement consacrée  aux  nobles  soucis  de 
l'art.  On  a  fait  à  M.  Henner  le  reproche 
de  se  répéter.  Il  conviendrait  mieux  de 


voir  dans  ces  éludes 
constantes  du  corps 
féminin  la  recherche 
de  la  perfection.  Et 
rarement,  d'ailleurs, 
il  l'a  serrée  d'aussi 
près  que  dans  ce  corps 
étendu,  figé,  mais  pas 
encore  refroidi  par  la 
mort,  sur  lequel 
l'époux  désolé  veut 
surprendre  encore  les 
dernières  traces  de  la 
vie.  On  peut  être 
assuré  qu'il  serait 
facile  à  M.  Henner 
de  présenter  des  su- 
jets aimables;  mais 
sa  hautaine  maîtrise 
se  complaît  ailleurs, 
et  c'est  son  droit. 

Dans  son  étude, 
M'"®  Demont- Breton 
n  a  pas  esquivé  la  dif- 
ficulté !  Dc7ns  l'Eau 
bleue,  une  toute  jeune 
fille  montre  chaste- 
ment le  haut  de  son 
corps,  et  elle  s'élance 
avec  un  joli  mouve- 
ment de  nageuse. 
L'eau  et  le  corps  hu- 
main, rien  autre.  L'in- 
saisissable est  ce  qu'il 
y  a  de  plus  difficile  à 
rendre.  C  est  une  toile 
courageuse,  d'un  art 
pur  et  très  élevé.  Elle  semble  d'ailleurs 
avoir  atteint  son  but  en  fixant  la  lumière 
et  la  vie. 

U  Andromède  de  M.  H.  F'antin- 
Latour  est  plus  romantique  ;  mais  c'est 
également  une  toile  de  grand  mérite, 
d'un  dessin  savamment  enveloppé  et 
d  une  solide  pâte  de   peinture. 

Avec  le  tableau  de  M.  Besxard,  nous 
abordons  les  œuvres  qui  ont  été  la  cu- 
riosité du  Salon  et  aucune,  le  Balzac 
excepté,  n'a  soulevé  autant  de  discus- 
sions que  son  Portrait  de  Théâtre.  Si 
M.  Besnard  n'est  pas  compris  de  beau- 


LES    SALONS    DE    1898 


233 


coup  de  personnes,  il  a  aussi 
ses  i'anatiques,  et  il  faut  re- 
connaître que  son  tempéra- 
ment est  de  nature  à  provo- 
quer les  opinions  extrêmes. 
Mais  il  faut  aussi  faire  justice 
tout  dabord  du  reproche 
qu'on  lui  a  adressé  de  vouloir 
épater  son  public.  Sans  doute 
il  arrive  qu'un  jeune  peintre, 
pour  attirer  l'atlention  de  la 
foule,  tire  un  pétard  dont  il 
est  le  premier  à  bla{.;uer  le 
faux  éclat.  L'effet  produit,  il 
ne  tardera  pas  à  changer  de 
procédé.  Mais  peut-on  com- 
parer cette  attitude  passagère 
à  la  constance  dune  manière 
que  sa  persistance  même  rend 
respectable? 

M.  Besnard  n'est  plus  un 
jeune  homme,  et  depuis  long- 
temps il  demeure  dans  sa  vi- 
sion des  choses.  11  peint  ainsi 
parce  qu'il  voit  ainsi  et  son 
art  est  sincère.  Gomment 
pourrait-on  consacrer  sa  vie 
entière  à  une  erreur  voulue  1 
C'est  là  une  supposition  qui 
ne  ferait  pas  seulement  injure 
à  un  galant  homme,  mais  qui 
prouverait  une  grande  igno- 
rance de  l'état  d'âme  des  ar- 
tistes en  général. 

Seulement  M.   Besnard  est 
d'une    foi    intransigeante.    11 
se  rend  bien  compte  qu'il  ne 
voit  pascomme  tout  le  monde, 
et  il  ne   fera  rien    pour  adoucir  l'anti- 
thèse. Volontiers  même,  cela  étant  dans 
la   loi  des  choses,   il   irait   à  l'outrance 
plutôt  qu'à  la  concession. 

Et  d'ailleurs  il  a  la  science  pour  lui. 
Quand  M.  Lippmann  a  photographié  le 
prisme,  il  a  montré  une  fois  de  plus 
qu'il  était  bien  <i  violet,  indigo,  bleu, 
vert,  jaune,  orange,  rouge  »  et  que  ni 
le  noir  ni  le  gris  n'existaient  dans  la 
nature.  Mais  il  a  prouvé  surtout  qu'il 
n'y  avait  pas  d'ombres  noires.  Les 
ombres  ne  sont  que  les  reflets  des  cou- 


L.    Stevex! 


G.   Courteline. 


des  gris 


leurs.  M.  Besnard  n'emploie  donc  que 
les  couleurs  du  prisme.  N'est-il  pas  dans 
la  nature  mieux  qu'en  broyant  la  gamme 
antique  et  conventionnelle  des  bruns  et 

9 

Mais,  si  sa  couleur  est  discutée,  son 
dessin  ne  peut  rencontrer  que  des  admi- 
rateurs. 

Nul  n'a  plus  de  souplesse,  plus  d'élé- 
gance. Nul  mieux  que  lui  ne  donne  sur 
la  toile  l'impression  du  mouvement  et 
ne  fixe  avec  plus  de  maîtrise  cette  chose 
insaisissable  qu'est  la  vie. 


234 


LES    SALONS    DE    189S 


A.    HôFLiNUER.  —  J/ë''    Kneipp. 


Vie  de  rêve,  souvent;  vie  d  idéal,  en- 
core; vie  de  convention,  jamais.  C'est 
une  nuance,  mais  c'est  tout  Fart. 

Aussi,  comme  il  anime  toujours  la 
matière  humaine  d'une  irréalité  supé- 
rieure, M.  Besnard  s'est  bien  gardé  de 
mettre  le  nom  de  M"""  Réjane  au  bas  de 
sa  toile.  C'est  un  Portrait  de  Théâtre; 
c'est,  si  vous  aimez  mieux,  la  Comé- 
dienne. Ainsi  aurait  dû  faire  M.  Uodin  ; 
mais  il  ne  le  pouvait  pas,  puisqu'il  y 
avait  commande. 

Sans    doute  M°^*^   Réjane   a    servi   de 


modèle,  puisque 
c'est  elle  qui  semble 
personnifier  actuel- 
lement la  c o m é- 
(licnne  et  quelle  est 
la  femme  de  théâtre 
par  excellence.  Et 
c'est  bien  sa  figure 
mobile ,  ses  traits 
propres  à  toutes  les 
émotions ,  ses  yeux 
projetant  les  rayons 
de  son  esprit  mo- 
queur. C'est  la  grâce 
de  l'attitude  et  le 
port  du  costume. 
C'est  l'artiste  prête 
à  la  compréhension 
de  tous  les  rôles,  et 
ce  n'est  aucun  de  ces 
rôles,  pas  même  ce- 
lui de  Zazci,  parce 
que  c'est  la  synthèse 
de  tous  les  rôles  à  la 
fois. 

Aussi  l'œuvre  est- 
elle  de  généralisa- 
t  ion  plus  haute  qu'un 
portrait;  elle  est  phi- 
losophique et  forte 
et  destinée  à  la  con- 
sécration de  l'avenir. 
11  est  difficile  de 
parler  de  M.  Puvis 
Diî  Chavannes,  parce 
que,  si  l'on  n'em- 
ploie pas  à  son 
égard  le  ton  du  di- 
thyrambe, on  court  le  risque  d'être  la- 
pidé. Le  simple  éloge  paraît  une  injure 
à  la  garde  qui  veille  aux  barrières  de  son 
atelier.  Le  maître  a  exposé,  cette  année, 
une  Sainte  Geneviève,  dont  les  dimen- 
sions excessives  s'expliquent  par  l'em- 
placement réservé  au  Panthéon.  La  sainte 
veille  la  nuit  sur  sa  ville  endormie.  Il 
paraît  que  le  coup  de  génie  s'est  surtout 
révélé  par  le  vase  rempli  de  fleurs;  car, 
pour  être  sainte,  Geneviève  n'en  était 
pas  moins  femme.  Nous  nous  contentons 
d'y  voir  un  détail  bien  à  sa  place  et  de 


LES     SALONS    DK    isos 


235 


Hennei!.  —  Le  Lévite  d'Ephraïm. 


Irouver  que  le  mérite  de  la  composition 
est  dans  sa  belle  ordonnance  et  dans  la 
linesse  de  la  silhouette  de  la  sainte.  Ce 
vaste  panneau  ne  paraît  pas  vide,  parce 
qu'il  est  évocateur  de  pensées,  qualité 
qui  appartient  aux  maîtres  seuls  et  que 


M.  Puvis  de  Ghavannes  peut  incontes- 
tablement revendiquer. 

M.  BouGUEREAu,  s'il  n'a  pas  dee  ado- 
rateurs aussi  fervents  que  M.  Puvis  de 
Ghavannes,  a  des  détracteurs  aussi  pas- 
sionnés. N'a  pas  des  ennemis  qui  veut! 


Mme    De  mont-Breton.  —  Dans  l'Eau  bleue. 


236 


LES    SALONS    DE    1S9K 


()n  connaît  la  critique,  et  nous  nous  con- 
tenterons de  renvoyer  à  l'article  de 
M.  Bayard,  publié  dans  cette  Revue. 
Mais  il  y  a  un  moyen   bien    simple   de 


iJ .    V  A  N  T  1  N  -  L  A  T  U  U  l; . 


AnJiomul< 


s'assurer  de  la  valeur  des  tableaux  de 
M.  Bouguereau  :  c'est  de  placer  à  leur 
côté  ceux  de  ses  imitateurs. 

Chez  le  maître,  le  dessin  est  arrivé 
à  une  qualité  de  perfection  d'autant 
plus  surprenante  qu'aucune  trace  d'efTort 
n'apparaît.  Il  semble  que  le  pinceau 
trouve  infailliblement  le  contour  exact, 
de   même   qu'il    a    pris    sur    la    palette 


la  couleur  à  souhait.  11  en  est  de  cela 
comme  du  style  de  Fénelon,  si  limpide 
et  de  premier  jet  en  apparence,  alors 
que  les  manuscrits  du  prélat  étaient 
tourmentés  d'in- 
cessantes correc- 
tions. Nous  ne  sa- 
vons si  M.  Bougue- 
reau,  pour  son 
Assaut  en  particu- 
lier, a  dessiné  de 
nombreuses  prépa- 
rations; mais  ses 
cartons,  pleins 
d'innombrables 
dessins,  prouvent 
quelle  est  sa  vo- 
lonté du  mieux  et 
sa  recherche  con- 
stante de  l'art. 

Jamais,  en  tout 
cas,  l'artiste  n'a 
mis  autant  d'a- 
mours autour 
d'une  femme  que 
dans  cet  Assaut, 
et  jamais  il  n'a 
mieux  affirmé  la 
manière  dont  il 
entend  ne  pas  se 
départir.  Et  pour- 
quoi transigerait- 
il,  lui  aussi  ?  Voici 
une  preuve  bien 
évidente  que  l'art 
n'a  point  de  for- 
mules précises  et 
que  son  code  n'est 
écrit  nulle  part. 
Les  trois  toiles  dont 
nous  venons  de 
parler  et  celle  de 
M.  J.-P.  Laurkns  que  nous  présentons 
ensuite  sont  profondément  dissembla- 
bles. Ne  sont-elles  pas  de  belles  œuvres 
d'art,  sans  avoir  rien  de  commun  entre 
elles...  rien  que  l'étincelle.  Et  cela  suffît. 
Tous  les  moyens  sont  bons  quand  ils 
atteignent  le  but  et  ce  but  est  très  net- 
tement défini  :  il  consiste  à  procurer  la 
sensation  du  beau. 


LES    SALONS    UK    1.S9S 


237 


Besxard.  —  Portrait  de  Théâtre. 


Mais  alors  on  est  amené  à  vouloir 
détinir  le  beau,  et  de  nombreux  volumes 
ont  déjà  été  consacrés  à  cette  définition 
périlleuse.  Depuis  l'antiquité,  les  plus 
hauts  esprits  en  ont  fait  l'objet  de  leurs 


méditations,  et  Tolstoï,  le  dernier  en 
date,  vient  de  déclarer  que  le  beau  dans 
l'art  consistait  uniquement  dans  l'amé- 
lioration de  l'humanité. 

Ajoutez  que  le  beau   dans  l'art   n  est 


25  s 


LES    SALONS    DE    1898 


pas  identique  au  beau  clans  la  poésie, 
dans  la  morale  :  l'art  lui-même  admel 
des  subdivisions    et,     pour    être   beaux 


Tu  VIS    DE    Ch  A  VAN  NES.  —  Suintc  Genccicvc. 


tous  les  deux,  il  est  évident  qu'un  mo- 
nument ou  un  tableau  produisent  des 
effets   qui   ne   sauraient  être    identifiés. 


Au  surplus,  il  s'agit  ici  du  seul  beau 
plastique,    celui    qui    s'obtient    par    la 
forme  ou  par  les  couleurs  qui  donnent 
l'illusion  des  formes. 

II  paraît  simple  pour  défi- 
nir ce  beau  de  prétendre  qu'il 
suffit  de  s'en  rapporter  à  la 
foule  dont-  le  cri.  «  Gomme 
c'est  bien  cela  !  »  serait  la 
pierre  de  touche.  Mais  il  y  a 
mille  choses  que  la  foule  ne 
peut  pas  reconnaître,  car  elle 
ne  les  a  jamais  vues  :  par 
exemj)le  sainte  Geneviève  sur 
les  remparts,  ou  une  femme 
entourée  de  petits  amours. 
Elle  a  encore  moins  vu  une 
descente  de  croix  ou  une 
assomption. 

Il  est  vrai  que  les  critiques 
non  plus  n'ont  pas  vu  ces 
scènes,  et  les  artistes  eux- 
mêmes  n'en  ont  pas  été  spec- 
tateurs. Si  l'objection  était 
sérieuse  contre  la  foule , 
elle  le  serait  contre  tout  le 
monde. 

Gar  la  réalité  matérielle 
n'est  que  contingente;  ce  qui 
importe,  c'est  la  vérité  morale. 
Et  chacun,  le  plus  simple 
comme  le  plus  raffiné,  porte 
en  soi  la  faculté  d'apprécier 
ce  qu'il  y  a  de  vie- et  de  pen- 
sée dans  une  œuvre  d'art. 

Si  bien  que  toutes  les  for- 
mules sont  vaines  et  toutes 
les  classifications  futiles.  Le 
dessin  lui-même,  cette  pro- 
bité de  l'art,  est  insuffisant; 
car  il  y  a  des  formes  fuyantes 
et  des  expressions  qui  se  tra- 
duisent autrement  que  par 
des  lignes. 

Des  siècles  d'étude  ne  don- 
neraient pas  le  rayon  à  ceux 
qui     ne     l'ont    pas    et,     aux 
artistes  nés,  il  suffit  d'aller  de 
l'avant,    d'exprimer    ce    qu'ils  sentent. 
Qu'ils  traduisent  la  nature  ou  expriment 
des  pensées,  il  leur  suffira  d'être  vrais. 


LES    SALONS     DE     1«98 


23«) 


EOUGUEKEAl".    —   L'AssaïU. 


LaFoule,ceUefouledonLnousparlions   1   Parlement  eut,  comme  on  sait,   de  fré 

_       ,..  .       .      1  n  i„„         j;„„..^.-;^.-.<^        r,,Tor>      In         rpo-pntp 


tout  à  rheiire  et  à  laquelle   nous  reve- 
nons, les  comprendra  et  les  consacrera. 
Pendant  la   minorité  de  Louis  XIV  le 


'queutes  discussions  avec  la  régente. 
Sous  la  direction  de  iMathieu  Mole  il 
avait  contraint  Anne  d'Autriche  à  signer 


240 


LES    SALONS    DE    189  s 


des  édits   portant  atteinte  aux   préroga-   l   ver  pour  réclamer  sa  liberté,  le  conseiller 
tiv^es  de  la  monarchie  absolue.   Mais  le   1   Broussel,  entre  autres,  fut  arrêté.  C'est 


J  E  A  N  -  P  A  U  L     L  A  U  R  E  N  5 . 


Copyright,  l»a8,  ty  J.-P.  Laurens. 

L'Arrestation  de  Broussel. 


pouvoir    n'entendait    pas    désarmer    et,    1   la  scène  choisie  par  ^1.  Ji:a>-Pai'l  Lau- 
malgré  les  barricades  qui  devaient  s'éle-   1   rens. 


LES    SALONS    DE    lS9s 


241 


Ce  tableau  csl   une  belle  pa^-^e   dhis-  1        M.    Rovbkt    a    ég'alement    obleiiu   un 

toire,  d'une   composition  bien  ordonnée  franc  succès   avec  son   Astronome.  Il  a 

et  d'un    grand   elTet.    Le  capitaine    aux  réuni   ses   amis   autour  de   la  sphère,  à 

gardes   ouvre    la    marche,    précédant   le  '    gauche  Jean-Paul  Laurens,  ensuite  Jules 

conseiller,   qu'entourent    et  suivent   les  Lefebvre,  etc.,   et  il   leur   a   donné  des 

hommes  d'armes.  Le  prisonnier  dit  adieu  j   costumes  et  des   altitudes    en    rapport 

à  sa  l'amille  qui  se  lamente  et  il  semble  !    avec  leurs  caractères.  A  tous,  il  a  géné- 


ROTBET. 


L'Astronome. 


la  rappeler  au  calme  par  un  lier  mouve- 
ment de  tête.  Tout  le  groupe  descend 
un  vaste  escalier  dont  le  peintre  a  pu 
trouver  des  modèles  place  des  A'osges, 
et  ce  mouvement  qui  se  déroule  produit 
sur  la  toile  une  animation  très  heureuse 
et  très  naturelle. 

Le  dessin  est  moins  rude  que  dans  la 
manière  habituelle  du  peintre.  Soutenus 
et  dans  1  harmonie  des  costumes,  les 
tons  sont  sévères  sans  être  sombres.  Ce 
tableau  comptera  parmi  les  meilleurs  du 
maître. 

VIII.  —  16. 


reusement  distribué  les  splendeurs  de  sa 
palette  et  les  magnificences  de  ses  grasses 
couleurs  aux  tons  rutilants.  M.  Roybet 
peint  avec  une  maestria  sans  rivale  et  sa 
peinture  est  d'une  pâte  incomparable. 
On  lui  reprochait  parfois  la  vulgarité 
de  ses  scènes,  encore  que  bien  des  chefs- 
d'œuvre  classiques  ne  représentent  point 
des  grandes  dames;  mais  cette  fois,  son 
art  a  voulu  s'appliquer  à  de  plus  dignes 
modèles.  Il  y  a  certainement  gagné,  non 
en  virtuosité,  car  il  avait  atteint  le 
sommet,  mais  en  noblesse. 


242 


.LES    SALONS    DE    1898 


Dans  un  tableau,  dont  les  couleurs 
atténuées  et  les  dimensions  restreintes 
ne  sont  pas  faites  pour  adirer  les  yeux, 
un  très  consciencieux  artiste,  M.  Lionel 
RoYER,  nous  Tait  assister  à  une  réception 
de  Louis  XI  dans  la  cathédrale  du  Mans. 
Le  clerj^é  était  venu  au-devant  de  lui 
en  grande  pompe  et  on  lui  avait  remis 
les    insicnes    des    chanoines.   Ces    cha- 


quences.  Il  méritait  cependant  un  exa- 
men sérieux.  Le  vaisseau  le  Tonnant 
est  jonché  de  morts  et  de  débris.  Son 
capitaine,  le  chef  de  division  Aubert 
Dupetit-Thouars,  qui  avait  eu  les  deux 
bras  coupés,  était  malgré  tout  resté  à 
son  poste,  menant  l'héroïque  combat. 
Un  autre  boulet  lui  ayant  emporté  la 
jambe  droite,  il   se  fait   porter  dans  un 


Lionel   Royek.  —  l.<.nh  XI  au  Man^. 


noines  et  autres  dignitaires  de  TEglise 
forment,  sur  la  gauche  du  tableau,  un 
groupe  curieux  et  fouillé,  les  figures  et 
les  poses  sont  très  naturelles  dans  cette 
cérémonie  de  représentation  et  révoca- 
tion de  la  scène  est  très  vivante. 

M.  FouQUERAY  a  poussé  le  souci  de 
l'exactitude  jusqu'à  envelopper  son  ta- 
bleau delà /^a/aj/Zec/'AAou/ctr  (août  1798) 
du  brouillard  de  la  fumée  des  canons  ; 
il  a  de  plus  exclu  de  sa  palette  les  cou- 
leurs vives  que  la  réalité  devait  aussi 
avoir  chassées  de  la  scène.  C'est  un 
excès  de  vérité  et  le  tableau,  mal  placé 
d'ailleurs,    en    a     supporté    les    consé- 


baquet  de  son,  et,  se  survivant  à  lui- 
même,  donne  quelques  derniers  ordres  : 
l'un  d'eux  est  pour  qu'on  cloue  son  dra- 
peau. 

Il  est  difficile  de  rendi^e  avec  plus  de 
fougue  l'elfroyable  tumulte  d'une  bataille 
navale  concentrée  sur  le  pont  d'un  vais- 
seau, et  tous  ces  personnages,  si  nom- 
breux et  animés  chacun  de  son  mouve- 
ment propre,  n'en  sont  pas  moins 
disposés  avec  beaucoup  d'art  pour  con- 
courir à  l'efTel  du  groupe  central. 

M.  Le  Dru  a  exposé  une  bataille  de 
Jemmapes  où  le  duc  de  Chartres  mène 
l'attaque,    entouré    de    troupes    pleines 


LKS    SALONS    DE    1898 


243 


crenlrain.  La  toile  est  hieii  ordonnée  et 
1res  vivante.  Les  silhouettes  se  détachent 
nettement,  peut-être  un  peu  trop  pour 
la  nature  ;  la  toile  est  claire  et  propre 
au  possible,  peut-être  trop  propre  pour 
la  vérité.  Il  y  a  donc  de  la  convention, 
mais  comment  peut-on  peindre  autre- 
ment une  bataille? 

De  toutes  les  toiles  militaires,  la 
Bévue  de  ChAlons  (9  octobre  1896),  de 
M.  Edolahd  Dktam.i.e,  était  naturelle- 
ment, par  le  grand  renom  du  peintre  et 
la  scène  représentée,  celle  qui  attirait 
le  plus  la  curiosité.  11  faut  bien  recon- 
naître qu'on  était  quelque  peu  désap- 
pointé et  qu'on  éprouvait  la  sensation 
d'un  grand  spectacle  saisi  à  un  mauvais 
moment.  C'est  le  départ,  et  les  départs 
sont  toujours  tristes.  Le  cortège  enti-e 
dans  la  nuit,  et  le  soleil  couchant 
qui  rougit  les  cuirasses  n'apparaît  pas 
comme  un  soleil  de  gloire.  La  régularité 
dans  les  rangs  est  d'une  parade  trop 
immobile,  et  il  semble  qu'un  protocole 
glacé  soit  venu  lîger  les  enthousiasmes. 
Les  gens  simples  s'étonnaient  du  visage 


de  l'impératrice  de  Russie  qu  ils  ne 
reconnaissaient  pas  telle  qu'ils  l'avaient 
vue  à  Paris;  de  même  notre  Président 
leur  paraissait  changé.  D'autres  remar- 
quaient que  le  cheval  de  tête  de  l'atte- 
lage paraissait  être  monté  par  deux  cava- 
liers et,  de  fait,  cette  illusion  d'optique 
est  absolue.  C'est  une  remarque  qui  ne 
prend  d'importance  que  par  le  souci  du 
détail  cher  à  l'artiste. 

Celte  œuvre  aura  subi  le  sort  des 
choses  trop  officielles.  Le  tempérament 
d'un  artiste  n'est  plus  à  1  aise  devant  la 
commande.  Celte  revue  ne  diminuera 
pas  la  gloire  de  M.  Détaille,  mais  elle 
n'y  ajoutera  rien.  Ses  nombreux  admi- 
rateurs regretteront  de  n'avoir  pas  vu 
dans  cette  toile,  ne  fût-ce  que  sur  la 
figure  d'un  simple  soldat,  le  reflet  d'une 
grande  pensée,  comme  celle  qui  illumi- 
nait le  sublime  petit  lambourde  la  sortie 
d'Huningue. 

L'artiste  qui  a  trouvé  cette  expression 
incomparable  et  qui  a  évoqué  le  rêve  du 
drapeau  a  dû  souffrir  de  ne  pouvoir 
exprimer  sa  pensée  entière. 


FouQUERAT.  —  Aboukh: 


244 


LES    SALONS    DE    1898 


Le    Dbtj.  —  Le  Une  ne   (  nurtres  à  Jemmapes. 


Les  tableaux  militaires  nous  ont  paru 
être  plus  l'ares  cette  année  qu'aux  expo- 
sitions précédentes.  Dans  tous  les  cas, 
ils  traitent  presque  tous  d'événements 
antérieurs  à  1870.  C'est  qu'il  devient 
difficile  de  toucher  à  l'année  terrible. 
Question  de  patriotisme  à  part,  les  pein- 
tres qui  auraient  assisté  à  ces  combats 
se  font  rares. 


S'il  faut  bien  admettre  la  convention 
pour  les  époques  anciennes,  on  la  sup- 
porte plus  difficilement  pour  des  faits 
encore  récents.  On  en  est  à  la  méthode 
de  Stendhal  pour  Waterloo  :  des  coins 
seulement,  pourvu  qu'ils  aient  été  vus. 
11  n'est  pas  évident  que  ce  soit  un  bon 
système;  tout  au  moins,  il  manque  de 
jrrandeur. 


L'o]i.vriglit  lf<',iN  l>y  Jean  Boussod,  Manzi,  Joyant  et  C  . 

Détaille.  —  Chalons  :  9  octobre  1896. 


LES    SALONS    1)1-:     IS'.is 


215 


Groupant  niainlenant  ensemble  les 
scènes  de  coniposilion,  nous  rencontre- 
rons le  Repas  iVadieu,  de  M.  Cn.  Got- 
TKT.  G'est  la  partie  centrale  d'un  trip- 
tyque consacré  aux  gens  de  la  mer;   le 


doux  chez  la  femme  qui  aime  l'homme 
qu'elle  possède  encore,  rigide  chez  la 
mère  qui  en  a  trop  vu  partir  qui  ne  sont 
pas  revenus!  G'esl  là  une  (euvre  forte. 
Les  femmes   de   marins    ne   sont    pas 


C  H.  COTTET.  —  Le  Repns  d'adieu. 


panneau  de  gauche  représente  ceux  qui 
s'en  vont  et  celui  de  droite  ceux  qui  res- 
tent. L'allégorie  est  complète,  mais  je 
me  trompe,  car  cette  expression  d'allé- 
gorie est  la  dernière  qu'il  semble  conve- 
nir d'employer.  G'est  la  réalité,  au  con- 
traire, la  dure  réalité  que  l'artiste  entend 
serrer  de  près  avec  sa  peinture  dédai- 
gneuse de  tout  embellissement,  son  des- 
sin dur  et  ses  couleurs  dénuées  de  flat- 
terie. Et  cependant,  pour  être  prises  sur 
le  vif,  ces  figures  n'en  sont  pas  moins 
symboliques.  G'est  que  l'artiste  en  ex- 
prime la  pensée  maîtresse  et  crée  ainsi 
des  types.  Tristes  visages,  vague  chez 
la  jeune   fille   qui   peut  encore  espérer, 


seules  à  pleurer,  mais  l'habitude  de  l'an- 
goisse les  rend  plus  dures  à  la  souffrance 
que  la  veuve  peinte  par  M'"'  Durruthy. 
Elle  est  brisée  et  semble  ne  pas  vouloir 
trouver  de  consolation,  même  dans  sa 
fdle,  dont  le  mouvement  de  tendresse 
est  cependant  bien  trouvé.  Le  groupe 
est  touchant,  d'un  art  souple  et  d'une 
peinture  sans  truquage. 

11  est  temps  de  retrouver  de  la  joie, 
et  M"*^  Georges  Acuille-Folld  nous  en 
sert  une  jolie  tranche  avec  ses  Joyeuses 
Commères  de  Windsor.  Nous  remar- 
quons ici  que,  sans  les  avoir  cherchés, 
nous  trouvons,  cette  année,  nombre 
de   bons   tableaux  dus   à  des   femmes. 


246 


LES    SALONS    DE    1S9S 


Falstall  est  dans  le  panier  au  linj^e, 
puni  de  sa  galanterie,  et  les  deux  bonnes 
pièces  rient  à  gorge  déployée.  La  brune 
pèse  de  tout  son  poids,  tant  pis  si  le 
pauvre   homme   étouffe.    La    l)]onde    ne 


niérée,  peut-être  parce  qu'elle  est  plus 
moderne.  Elle  étudie  ses  poses  et  sa  cou- 
turière doit  avoir  quelques  difficultés  à 
la  satisfaire.  Le  petit  trottin  qui,  du  fond 
de  la  toile,  la  regarde  avec  tristesse,  n'en 


M"''   Dur  RUT  H  y. 


Consolation. 


s'appuie  que  sur  le  bord  et,  voyant  la 
main  qui  semble  implorer,  elle  penche  à 
la  clémence.  Est-ce  un  si  grand  crime 
de  les  avoir  désirées?  Tableau  de  bonne 
humeur,  gracieux  sans  afféterie,  franc 
de  jeu  et  d'art  franc. 

La  dame  de  M.  Joannon  est  plus  ma- 


demanderait  pas  tant.  L'ensemble  est 
gracieux  et  l'artiste  mérite  d'être  loué 
pour  avoir  donné  à  ce  tableau  élégant 
une  coloration  d'une  lumière  un  peu 
fantaisiste,  mais  d'une  tonalité  discrète. 
Avec  les  Enfants  de  Marie  ,  de 
M.   GiiMER,  il   ne   s'agit  plus  de    pari- 


LES    SALONS    DE     IS98 


247 


^ia.usme     Ces   jeunes   filles   sous    leurs   I   quotidien  avec  la  nature  el  racceplation 
voiles    blancs,    ces   parents  avec   leurs  I   de  ses  lois.  C/est  une  bonne  loile  d  ob- 


JOANNON.    —    L'Eu 


ayage. 


vêlerrients  du  dimanche  ont  la  raideur 
coutumière  aux  gens  de  la  campagne  en 
habits  de  lete;  et  il  y  a  sur  leurs  visages 
cette    gravité    que    donnent   le   contact 


servation  exacte,  mais  où  le  feu  de  l'art 
n'est  pas  assez  apparent. 

M.  Wéry  expose  une  Fille  de  Pen- 
march,   casquée   d'une   coille   de    Pont- 


24S 


LES    SALONS    DE    1S9S 


lïAbbé,  qui  lui  donne  un  faux  air  de 
Hollandaise  dans  un  décor  flamand.  L'ex- 
pression  de  la  femme,  chargée  de  mé- 


peut  rechercher  la  perfection  de  l'ex- 
pression avec  des  visions  plus  justes  de 
Tespace. 


M"<=    GEORciES    ACIIILLE-FOULD.  —  Les  Joyeuses  commères  de   Windsor. 


lancolie,  est  très  étudiée  ;  mais  poui-quoi 
cette  perspective  conventionnelle  ou  qui 
ne  peut  être  tout  au  moins  que  le  ré- 
sultat d'une  position  anormale?  Les  pri- 
mitifs, qui  sont  les  modèles  de  M.  Wéry, 
avaient  des  excuses  qu'il  n'a  pas  et  on 


Nous  ne  quitterons  pas  la  mer  sans 
la  voir,  avec  M.  Lk  (Iout-Gérard,  sous 
un  aspect  moins  cruel,  dans  le  mouve- 
ment animé  d'un  port  de  pêche,  sans 
doute  Concarneau.  Mais  encore  le 
temps  est-il  gris,  et,  pour  le   rendre,  le 


LES    SALONS    DK    lf<9s 


249 


H.    Lt  r  I  X  I  E  i;.  —  A  ///W„/,s  de  Mai 


WÉRY.  —    FlUe  de  Ptnmarch. 


250 


LES    SALONS    DE    1898 


peintre  n'a  pas  craint  d'embrumer  ses 
couleurs,  habituellement  chaudes  et 
lumineuses.  M.  Le  Goul-Gérard  est  un 
délicat  qui  aime  la  mer  avec  passion  et 
qui  expose  chaque  année  une  série  de 
toiles  qui  en  rapportent  la  vision  très 
nette,  très  franche  et  très  artiste. 

Décidément  cette  année  les  peintres 


repos,  rentrer  avec  M.  Kahn  dans  sa 
maison  de  pêcheurs.  La  paix  y  est  com- 
plète et  familiale,  dans  la  propreté  lui- 
sante de  la  Hollande.  L'enfant  bercé 
sera  pêcheur,  lui  aussi,  et  le  grand- 
père,  aux  années  déjà  nombreuses, 
témoigne  que  les  flots  ne  sont  pas  sans 
merci.   Ce    tableau   luisant,   comme  s'il 


Le    Gout-Gérard.  —   Temps  gris. 


n'ont  pas  vu  la  «  grande  bleue  »  sous 
des  couleurs  riantes,  et  c'est  encore  en 
tempête  qu'elle  déferle  sur  la  jetée  de 
Dieppe  dans  le  tableau  de  M.  de  Brou- 
TELLES.  La  toile  est  trop  grande,  car 
l'immensité  peut  s'exprimer  autrement 
que  par  des  dimensions;  mais  la  pein- 
ture est  bonne.  Cette  pauvre  femme, 
seule  devant  les  flots,  suffit  à  animer 
d'une  pensée  ce  vaste  espace  d'une  na- 
ture brutalement  en  colère. 

Aussi    faut-il ,   pour   trouver  quelque 


avait  été  frotté  et  ciré,  n'en  est  pas 
moins  une  peinture  agréable. 

M.  MuEMER  expose  diverses  toiles 
d'une  variété  de  facture  déconcertante, 
car  il  paraît  difficile  qu'elles  soient 
d'une  égale  vérité.  Suivant  notre  mé- 
thode, nous  n'en  retiendrons  qu'une,  le 
Dimanche  à  Fribourg,  qui  est  d'un 
erand  elTel  et  d'une  extrême  habileté  de 

o 

facture.  Le  paysag-e  est  d'un  roman- 
tisme à  le  faire  supposer  d'invention,  et 
il  est  peint  avec  des  tons  qui  sont  peut- 


LES    SALONS     1)K     IS9S 


251 


être  clans  la  nature,  mais  aussi  avec  des 
j;i'as  qui  n'y  sont  certainement  pas.  Il 
attire  néanmoins  de  loin,  pour  inquiéter 
de  près  ;  mais  on  est  heureux  de  s'être 
arrêté  pour  jouir  de  1  admirable  mor- 
ceau du  premier  plan.  Ces  deux  person- 
nages sont  exquis  à  tous  points  de  vue; 


dans  mon  jugement,  mais  en  me  laissant 
simplement  aller  au  charme  personnel- 
lement ressenti.  J'emporterais  le  Soir, 
d'Ai.BivRT  I^YNcu.  Quelles  sont  ces  jeunes 
tilles  qui  vont  au  milieu  des  myrtes,  des 
lauriers  et  des  roses,  dans  une  cam- 
pagne    indéterminée,     fixée    seulement 


De    Brotttelles. —   La  Jetée  de  Dieppe. 


la  nuque  de  la  femme  est  à  prendre 
avec  la  main,  doucement,  pour  faire  re- 
tourner la  tête.  Et  alors  on  peut  croire 
que,  pour  le  reste,  l'artiste  voit  la  na- 
ture comme  elle  est,  car  là  c'est  la  vie 
même  qu'il  a  prise  avec  son  pinceau  et 
qu'il  a  fixée  sur  sa  toile,  où  elle  con- 
serve sa  vibration. 

Au  milieu  de  tant  de  toiles,  dont 
beaucoup  sont  pleines  de  mérite  et  qui 
attirent  si  diversement  l'attention,  la 
critique  se  fatigue  et  le  critérium,  en 
tant  qu'il  en  existe  un,  disparaît.  Qui 
donc  entreprendrait  de  classer  ces 
tableaux  par  ordre  de  mérite  ?  et  lequel 
même  choisirait-on?  Je  n'hésiterais  pas 
cependant  ;    non   certes    par    confiance 


par  un  petit  temple  dont  le  grec  fronton 
se  profile  au  loin  ?  Leur  costume  est 
dune  date  imprécise,  car  elles  sont  du 
passé  comme  du  présent.  Elles  sont  de 
tous  les  temps  :  c'est  la  jeunesse.  Elles 
marchent  au  soir  du  jour,  mais  au  matin 
de  leur  vie,  confiantes  et  radieuses.  En 
cueillant  des  narcisses,  la  plus  jeune 
s'attarde  à  se  mirer  dans  l'eau;  l'autre 
s'attendrit  devant  une  rose,  et  l'aînée 
va  de  l'avant  tout  entière  aux  pensées 
plus  graves  qui  l'inspirent.  La  gravure 
peut  exprimer  la  grâce  de  cette  toile  ; 
mais  ce  qu'elle  ne  saurait  rendre,  c'est 
la  chaleur  de  sa  peinture  qui  semble 
avoir  emmagasiné  le  soleil ,  un  soleil 
de  vie. 


252 


LES    SALONS    DE    189S 


M.  Guillaume  Dubuffe  a  peint,  avec 
les  tons  habituels  de  sa  riche  palette,  le 
mythe  de  Cypris  en  un  dessus  de  che- 


le  tapissier.  Il  peut  accepter  le  litre, 
dans  le  sens  qu'on  lui  donnait  autrefois 
aux  Gobelins. 


K  A  H  N.  —  FamUle  de  pêcheurs. 


minée  d'une  pièce  où  le  rêve  pourra  se 
donner  carrière... 

Le  paon  bleu  met  son  ombre  à  ton  ardent  sommeil 
Et  sa  queue  arrondie  en  un  vivant  soleil 
D'une  auréole  d'or  coiffe  ta  tête  blonde! 

Et  le  peintre,  pour  qui  ces  tons  n'étaient 
pas  encore  assez  riches,  a  donné  comme 
couche  à  Cypris  la  nacre  irisée  d'un 
prestigieux  coquillage.  M.  Dubutîe  pos- 
sède au  plus  haut  degré  le  ton  de  la 
décoration,  c'est  lui  qui  a  été  l'orga- 
nisateur de  Texposition  de  la  Société 
nationale  où  ses  camarades  l'appellent 


Puisque  nous  sommes  aux  composi- 
tions gracieuses,  mentionnons  le  tableau 
de  M.  Etcheverry,  «  Ils  ne  lisaient 
plus  )),  dit  la  légende,  et  ce  n'est  pas 
comme  dans  le  Dante  ;  la  mort  ne  vient 
point  les  interrompre,  mais  la  joie  de 
vivre  et  de  s'aimer.  La  composition, 
les  costumes  et  la  peinture  semblent 
remonter  aux  premières  années  du  siècle 
et  ce  recul  des  choses  les  enveloppe 
agréablement. 

M.  Geoffroy  nous  ramène  à  la  mo- 
dernité la  plus  réelle  avec  son  Ecole 
malernelle    oîi,    une    nouvelle    fois,    il 


LES    SALONS    DE    1S9S 


253 


nous    présente   ces    enfants    du    peuple 
qu'il  aime  assez  pour  avoir   voulu  vivre 


la   même   idée.    Dans   l'enfant,   M.    Lo- 
brichon  voit  le  rose  des  chairs,  les  fos- 


MUEXIER.  —   Un  Dimanche  à  Frihourg. 


au  milieu  d'eux.  Son  atelier  est  toujours 
voisin  d'une  école.  M.  Lobrichon,  lui 
aussi,  nous  montre  ses  modèles  habi- 
tuels. Il  est  difficile  de  rencontrer  plus 
de  contrastes  dans  deux  toiles  nées   de 


settes  rieuses  et  tous  ces  contours  ar- 
rondis qui,  de  tout  temps,  ont  été 
l'apanage  des  petits  amours.  M.  Geof- 
froy cherche  la  pensée  de  leurs  yeux  le 
plus    souvent    pleins    de    larmes,    mais 


254 


LES    SALONS    DE    1898 


Albert   Lynch.  —  Le  Soir. 


LES    SALONS    DE    1«9 


Guillaume   Dubitfpe.  —  Cypris,  dessus  de  cheminée. 


que  vient  tout  à  coup  illuminer  un  sou- 
rire. 

M.  Lobrichon  veut  du  joli,  et  M.  Geof- 
froy ne  peint  que  les  humbles. 

Il   serait  curieux  de   voir,   pour   une 


fois,  M.  Lobrichon  peindre  des  enfants 
de  Belleville,  et  M.  Geoffroy  se  trans- 
porter faubourg  Saint-Honoré  ;  mais  il 
est  à  croire  qu'ils  ne  changeront  pas  de 
quartier,  même  en  art. 


Etcheverry.  —  Ils  ne  lisaient  plus 


LES    SALONS    DE    1  sfts 


Geoffroy.  —  Ecole  maternelle. 


LoBRiCHON.  —  Mes  modèles. 


LES    SALONS    DE    isos 


25T 


S'il  fallail  avoir  sous  les  yeux  une 
toile  uni(|uo.  toujours  la  même,  on  la 
choisirait  sans  doute  parmi  les  paysages, 


essor  à  ces  pensées  el  procurent  aux 
captifs  des  villes  la  sensation  de  la  liberté 
dans  l'espace. 


Fr.    Montexard.  —  La  Cueillette  des  olives. 


car  les  paysages  ne  sont  pas  seulement   j       M.   Montenard,  dont   le  grand  talent 
évocateurs  de  pensées  ;  ils  laissent  tout   j   s'affirme    par    des   œuvres    d'un    degré 


Vlll. 


L  !•:  s    SALONS    D  !<;    1  s  0  s 


Garibaldi.  —  Ahbaye  de  Montmajour. 


Pu  É  VOT-V  AL  ÉRi.   —    Le   Soir. 


I.ES    SALONS    DE    ISOH 


259 


K  x  y  (;  II  T. 


Sur  la  terrasse. 


chaque  fois  supérieur,  a  eu  celle  année 
une  exposition  des  plus  remarquables. 
Nous"  ne    reviendrons   pas   sur  sa  belle 


décoration  destinée  à  l'hôtel  de  la  So- 
ciété des  agriculteurs  de  France,  puis- 
qu'il en  a   été  parlé  dans   un  précédent 


Emile   Ad  an.  —  La  Lectrice. 


ijoiiynglu,  ISitS,  by  Brauii,  Clément  et  V 


260 


LES    SALONS    DE    1898 


article  de  celle  revue,  encore  que  sa 
f;rande  composition  0  Forlunatos  ni- 
mium  ne  saurait  être  trop  louée. 

Assurément  ils  seraient  trop  heureux 
s'ils  connaissaient  tout  leur  bonheur, 
les  paisibles  travailleurs  de  la  terre. 
Je  crois  cependant  que  beaucoup  s'en 
doutent  et  en  particulier  dans  ce  Midi 


campagne  d'Arles  et  le  soleil  du  Midi  ; 
dans  l'autre  ce  sont  les  humbles  mai- 
sons d'un  village  et  les  vergers  du  centre 
de  la  France.  La  couleur  de  ces  peintures 
rend  l'opposition  plus  frappante  encore 
et  ces  deux  toiles  sont  largement  traitées 
dans  un  exact  sentiment  du  plein  air. 
Le    paysage,    chez    M.     Knight,    est 


G  EL  H  A  T.  —   Un   Coin   de  province. 


provençal,  cher  à  l'artiste,  où  il  nous 
montre  une  des  scènes  de  leur  labeur 
heureux,  dans  sa  Cueilleile  des  olives. 
Ce  tableau,  largement  composé,  d'un 
calme  tranquille,  chaudement  lumineux, 
est  une  des  belles  toiles  de  paysage  qui 
se  puisse  voir. 

Sans  pouvoir  entrer  plus  avant  dans 
l'examen  des  nombreux  aspects  sous  les- 
quels la  nature  est  représentée  au  Salon, 
nous  mettrons  à  côté  l'un  de  l'autre  les 
deux  tableaux  de  M.  Garibaldi  et  de 
M.  Prévôt- Valkri.  Dans  l'un,  entou- 
rant  une    ruine    majestueuse,    c'est    la 


animé  de  ligures  au  premier  plan  qui 
semblent  vouloir  retenir  le  regard.  Il 
les  dépasse  cependant  et  suit  le  cours 
de  la  Seine  dont  la  fuite  est  rendue  avec 
une  extrême  habileté.  Une  immobilité 
un  peu  lourde  pèse  sur  cette  toile;  c'est 
qu'on  est  à  l'heure  indécise  où  le  jour 
va  devenir  le  soir  et  où  la  marche  des 
heures  paraît  s'arrêter  un  instant,  comme 
incertaine. 

La  nature  n'est  plus  qu'un  décor  pour 
M.  Emile  Adan  qui  expose  une  Lectrice 
où  l'on  retrouve  toutes  ses  qualités  ha- 
bituelles de  délicatesse  et  de  sentiment 


LES    SALONS    DE    1898 


261 


conleiui.  Emile  Adan  est  rAiulré  Theii- 
riel  de  la  peinlui-e,  loiis  deux  ennemis 
du  tapaj^e,  se  conlentanl  de  plaire  à 
ceux  qui  les  comprennent  cl  ne  se  for- 
çant jamais  à  dépasser  leur  pensée.  Et 
il  se  trouve,  comme  leurs  pensées  sont 
très  nettes  et  leur  c(our  très  chaud,  qu'ils 
sont  justement   compris   par   beaucoup 


Falaise  est  autrement  animé.  Le  mou- 
\'emenl  même  y  surabonde  et  la  couleur 
aussi  avec  les  tons  crus  des  légumes  et 
des  fruits.  On  se  croirait  devant  un  des 
tableaux  destinés  à  illustrer  les  voyages 
pittoresques  et  romantiques  dans  l'an- 
cienne France,  édités  jadis  par  le  baron 
Taylor,  avec  la   collaboration  d'artistes 


F  R  A  I  P  Ù  N  T. 


Marché  à   Falaise. 


de  monde  ;  compris,  appréciés  et  aimés. 

La  manière  de  M.  Emile  Adan  est 
manifestement  suivie  par  M.  Gelhav, 
qui  nous  donne  un  fort  joli  tableau  dans 
son  Coin  de  province,  où  une  jeune 
femme  essaye  de  tromper  par  la  lecture 
les  ennuis  d'une  monotonie  pesante. 
Elle  aura  du  mérite  si  elle  y  arrive,  car 
sa  modernité  doit  étoufier  dans  ce  cadre 
de  vieilles  choses  dont  il  semble  ne  rester 
que  des  pierres,  sous  ces  arbres  dont  les 
feuilles  sont  promptes  à  jaunir. 

L'autre  coin  de  province  que  nous 
montre  ^L  Fraipont  dans  son  Marché  à 


comme  Viollet-le-Duc,  Cicéri,  Fran- 
çais, fctc,  et  qui  restent  comme  un  mo- 
nument de  notre  art  national.  Cette 
toile  est  l'œuvre  de  prodigalité  d'un  ar- 
tiste, au  dessin  facile,  qui  accumule 
sans  compter  les  détails  et  les  person- 
nages pour  produire  une  œuvre  très  in- 
téressante. 

Les  Deux  souverains  de  M.  G.  ^^  eiss 
sont  autant  un  paysage  qu'une  toile 
d'histoire,  car  les  beaux  arbres  de  la 
forêt  de  Fontainebleau  y  jouent  le  prin- 
cipal rôle.  Pie  VII  descend  de  sa  ber- 
line avec  une  bonne  humeur  relative  et 


262 


LES    SALONS    DE    189.S 


G.    Weiss. —   T.eg  Deux  souverains. 


Z  u  LiEi;.  ^  Le  l'anit. 


LKS    SALONS    UK    |sos 


263 


S  ù  R  I A X  0.  —  .VaUteurense .' 


ce  n'est  pas  de  bon  pré  qu'il  ira  au-de- 
vant de  l'empereur  qui  l'attend,  campé 
au  milieu  de  l'allée,  et  qui  l'attendra  de 
manière  à  bien  marquer  qu'il  est  le 
maître.  Le  pape  s'en  consolera  en  l'ap- 


pelant  commecliante.   La  toile  est  spiri- 
tuelle et  aiiréable. 

Le  tableau  de  ^L  Zi  ber  est  à  souhait 
pour  clore  la  série  des  paysages  : 

Tout  a  fui'...  Des  grandeurs  tu  n'es  plus  le  séjour, 


Frédéric.  —  Les  Affes  de  l'ouvrier. 


264 


LES    SALONS    DE    J89S 


^Taphique.  Ce  n'est  pas 
pour  cela  que  son  tableau 
nous  paraît  à  citer,  mais 
pour  le  sentiment  qu'il 
y  a  mis  et  qui  vient 
corriger  ce  que  cette  fin 
de  mélodrame  peut  avoir 
d'un  peu  vulgaire.  Les 
personnages  jouent  leur 
rôle  au  naturel  et  l'alti- 
tude du  père  exprime 
un  sentiment  "\'rai. 

II  semble  que  l'idée 
des  Acfes  de  l'ouvrier,  de 
M.  Frkdkric,  ne  pouvait 
naître  que  dans  les  Flan- 


disait  déjà  André  Ché- 
nier  dans  son  ode  à  Xer- 
sailles  et  le  peintre  a 
parfaitement  rendu,  sous 
les  feux  éteints  d'un 
soleil  couchant,  le  grand 
air  de  cette  noble  soli- 
tude empreinte  de  la 
morne  majesté  du  passé. 
Deux  peintres  étran- 
gers ont  envoyé  des 
toiles  où  se  reconnaissent 
facilement  leurs  nationa- 
lités. M.  SoRiANo  est 
Espagnol  par  sa  couleur 
vive  et  heurtée  ;  il  l'est 
aussi,  à  la  manière  mo- 
derne des  peuples  latins, 
par   un   réalisme   pholo- 


Bergeret.  —   Un  Électeur. 


LES    SALONS    DE     1S98 


265 


dres  et  qu'il  fallût  en  quelque  sorte  un 
atavisme  de  patience  pour  serrer  ainsi 
les  uns  contre  les  autres,  sur  une  toile 
relativement  petite,  une  bonne  centaine 
de  personnaiTi'es. 
Les  mouvements 
ne  se  développent 
que  dans  l'espace, 
et  une  foule  en- 
tassée modilie  tou- 
jours d'elle-même 
ses  attitudes  habi- 
tuelles. L'oubli  de 
cette  loi  naturelle 
est  étonnant  chez 
un  artiste  soucieux 
d  être  vrai ,  volon- 
tiers même  plus 
vrai  que  nature, 
car  il  y  a,  au  de- 
vant du  tableau, 
un  fâcheux  tas 
d'épluchures  qui 
s'impose  à  l'examen 
et  que  ne  recon- 
naîtrait cepen- 
dant aucune  cui- 
sinière; et  aussi, 
sur  la  g-auche,  des 
cailloux  d'un  roug'e 
inconnu  aux  cas- 
seurs de  pierres. 
Ces  petites  que- 
relles vidées,  il 
faut  reconnaître  là 
un  réel  effort,  une 
série  d'études  qui 
ont  été,  isolément, 
poussées  très  loin, 

et  un  art  capable  de  produire  plus  sim- 
plement une  émotion  moins  éparpillée. 
Dans  les  petits  tableaux  qui  se  don- 
nent la  salutaire  mission  de  faire  rire  un 
peu,  nous  citerons  avec  plaisir  le  Ca- 
ramha!  de  M.  Gogghe.  Il  est  difficile  de 
donner  plus  de  finesse  à  la  plus  banale 
des  scènes.  Le  monsieur  avantageux  qui 
renverse  le  verre  ne  la  pas  fait  exprès, 
mais  il  est  bien  de  ceux  qui  cassent  sou- 
vent quelque  chose,  et  la  pauvre  vic- 
time est  bien   de   la    race  destinée  à  en 


pâtir.  Ces  scènes  ont  souvent  leur  pen- 
dant où  les  rôles  sont  renversés,  et  l'on 
peut  souhaiter  ici  rire  deux  fois. 

h  Electeur  de  M.  Bi:uGi:Rr:T  est  aussi 


Joseph   Bail. —  Jiefiet  <ie  cuivre. 


dune  philosophie  plaisante.  C'est  une 
critique  de  pince-sans-rire,  car  ce  brave 
«  ou  verrier  »,  s'il  avait  rédig'é  le  pro- 
gramme électoral  qu'il  lit,  ne  l'aurait 
probablement  pas  imaginé  plus  bête. 

Enfin,  M.  Joseph  B.\il  nous  éblouit 
de  cuivres  plus  étourdissants  que  jamais 
et  en  tire  cette  fois  un  reflet  à  la  Rem- 
brandt. On  peut  se  demander  comment 
s'obtient  un  trompe-l'œil  aussi  saisissant. 
Approchez-vous  tout  près  et  vous  verrez 
que,  pour  accrocher  la  lumière,  la  pâte 


2C6 


LES     SALONS    DE    1.S9S 


G  É  R  ù  M  E .  —   7"/ m oiir-l.a ny. 

de  la  peinture  se  boursoufle  en  spirale 
à  plus  d'un  demi-centimètre  de  la  toile. 
En  s'éloignent  cpielque  peu,  la  ma- 
çonnerie disparaît  subitement;  mais  la 
lumière  reste  fixée.  On  ne  peut  pousser 
plus  loin    une   babileté  c|ui   produit,  en 


somme,   des   elFets  amu- 
sants. 

Nous  ne  prétendons 
aucunement  avoir  épuisé 
toutes  les  bonnes  toiles 
du  Salon  ni  que  toutes 
celles  que  nous  avons 
citées  soient  supérieures 
aux  autres.  11  faut  se 
borner,  et  aussi  il  faut 
dire  ce  que  Ton  pense, 
quand  on  trouve  quelque 
chose  à  dire.  On  ne 
trouve  pas  toujours.  La 
critique  d'art  n'a  de 
valeur,  si  elle  en  a,  que 
par  la  simplicité  d'une 
expression  spontanée. 
Etre  une  des  voix  de  la 
foule  suffit  à  notre  am- 
bition et  c'est,  à  bien 
prendre,  une  fausse  mo- 
destie. 

Les  tableaux  n'appor- 
tant   rien  de  nouveau   à 
la    manière    de    l'artiste 
ne     prêtent     guère    aux 
discours.  D'autres  témoi- 
gnent   d'une   défaillance 
passagèi'e  qu'il  est  inutile 
de  signaler. 
11  en  est  aussi  que  nous  aurions  pré- 
sentés avec  plaisir  à  nos  lecteurs.  Mais 
leurs  propriétaires  refusent    d'en   auto- 
riser la   reproduction   et    l'on    peut    se 
demander  alors   dans  quel  but    les   ar- 
tistes exécutent  ces  peintures  et  surtout 


M^'-^  SONREL.  —   L'Offrande  à  la   Vierge 


m:s  salons  1)1-:  isns 


267 


[)ourquoi     ils     les     exposciil. 

l'^iiliii  nombre  dd'uvi-es 
mérileraient  assurénienl  des 
éloges,  mais  cet  article  n'est 
point  un  palmarès.  Bien  qu'il 
ait  élé  achevé  d'écrire  après 
la  distribution  des  récom- 
penses, nous  n'avons  pas 
voulu  le  modifier  d'après  ces 
consécrations  olficielles,  con- 
tre lesquelles  nous  ne  protes- 
tons certes  pas,  mais  qui 
n'ont  pas  déranf^é  la  libre 
fantaisie  de  notre  façon  de 
sentir. 

Nous  n'avons  pas  parlé,  à 
la  sculpture,  du  Timour- 
Lang  de  M.  Gkrôme,  parce 
que  ses  petites  dimensions  le 


M™e   Pelle.  —  Quatre  sœun 


M"«  Grâce  Kelly.  —  Po> irait  de  3/"«  C. 


font  plutôt  rentrer  dans  les 
objets  d'art,  mais  nous  avons 
eu  tort,  car  cette  œuvre  relève 
vraiment  de  la  statuaire. 
M.  Gérôme  ne  connaît  pas 
de  diflicultés,  et  toutes  les 
formes  de  l'art  lui  sont  fami- 
lières. Il  s'est  arrêté  cette 
fois  dans  le  domaine  des 
Benvenuto  Cellini  et  s'y  est 
amoureusement  attardé.  Une 
attention  soutenue  de  cette 
œuvre  curieuse  est  récom- 
pensée par  la  découverte 
incessante  de  détails  exquis, 
et  l'on  pouri^ait  même  recon- 
naître quelques-unes  des 
têtes  entassées  aux  pieds  du 
conquérant. 

La  gracieuse  composition 
de  M"*^  SoNRi-.i.  appartient  au 
genre  décoratif  autant  qu'à  la 
peinture. 

Ces  religieuses  qui  vont 
porter  leur  Offrande  à  la 
Vierge  ont  des  silhouettes 
de  châtelaines  et  si  les  mo- 
nastères du  XIV*' siècle  étaient 
ainsi  peuplés,  la  foi  revêtait 
alors    des   formes     bien    élé- 


26S 


LES    SALONS    DE    1S9.S 


par  M"''  Pelle  d'une  manière 
assez  larg"e;  —  un  portrait  de 
madame  C,  par  M""  Grâce 
Kelly,  d'une  expression  très 
vivante  ;  l'artiste  y  a  prati- 
qué la  vraie  méthode  qui 
veut  que  la  miniature  soit  un 
bon  portrait  ayant  seulement 
de  petites  dimensions  ;  —  une 
tête,  face  et  profil,  par  M"""  Cu- 
rot-Barberel,  d'un  sentiment 
très  élevé  ;  —  un  portrait  en- 
core, par  M"*^  Brunet,  repré- 
sentant une  dame  en  cheveux 
blancs  au  port  assez  altier 
de  douairière. 

M>"=  Cu rot-Bar  HERE L.  -  Face  et  profil  Beaucoup    d'autres   minia- 

tures mériteraient  de  retenir 
gantes.  Joli  costume  à  prendre  pour  des   |    l'attention,    mais    il    faut  nous  borner, 
sœurs  d'une  maison  d'éduca- 
tion mondaine. 

Après  les  statues  et  les  ta- 
bleaux, quand  on  arrive,  déjà 
chargé  d'une  juste  fatigue, 
devant  les  miniatures,  on  est 
pris  d'un  lâche  désir  de  fuite. 
Elles  sont  trop  !  Les  numéros 
sont  trompeurs,  un  seul  cadre 
en  contenant  plusieurs,  et 
c'est  par  milliers  qu'il  fau- 
drait les  passer  à  la  loupe. 
Aussi  sont-elles  toujours  sa- 
crifiées. Cet  abandon  est-  in- 
juste. Il  est  néfaste  à  la  tenue 
de  cet  art  qui  nous  a  laissé 
des  chefs-d'œuvre  payés  pro- 
portionnellement plus  cher 
que  les  toiles  du  prix  le  plus 
fameux.  Aussi  la  miniature 
s'est- elle  insensiblement  ré- 
duite aux  portraits  comman- 
dés, elle  qui  ne  craignait  pas 
d'aborder  autrefois  les  ker- 
messes et  les  batailles.  Il 
semble  toutefois  qu'il  y  ait 
un  relèvement,  et  leur  expo- 
sition de  cette  année  est  très 
intéressante. 

Nous  citerons,  en  les  re- 
produisant, une  gracieuse  fa- 
mille de  quatre  sœurs  traitée  M"''  Brinet.  —  Portrait. 


LES    SALONS    DK     IS08 


269 


Il  nous  serait  impossible  de  parler 
(les  innombrables  dessins  dont  un  petit 
nombre,  d'ailleurs,  présente  un  inté- 
rêt particulier.  Quelques-uns  de  ces  des- 
sins sont  des  préparations  de  toiles  que 
nous  retrouvons  dans  les  salles  de  la 
peinture,  d'autres  ne  dépassent  pas  la 
moyenne  d'études  d'atelier;  les  uns  sont 


qu'il  est  impossible  de  passer  en  revue 
dans  le  compte  rendu  des  Salons  et  qui 
seraient  mieux  remarqués  à  une  autre 
époque. 

Les  éludes  d'architecture,  curieuses 
surtout  dans  les  restaurations,  témoi- 
gnent encore  d'une  tendance  très  mo- 
dérée à  l'affranchissement  des  antiques 


I 


René   Lalique.  —  Peignes  de  coiffure. 


des  croquis  ou  des  carnets  de  voyage, 
d'autres  ont  servi  à  des  illustrations  de 
journaux.  Ces  salles  n'ont  presque  pas 
de  visiteurs.  Dans  l'intérêt  des  artistes, 
il  vaudrait  mieux  en  faire  l'objet  d'expo- 
sitions spéciales. 

On  peut  en  dire  autant  des  salles  de 
la  gravure.  Bien  que  l'eau-forte  ne  soit 
pas  en  progrès  et  que  la  gravure  sur 
bois  soit  écrasée  par  les  procédés  chi- 
miques, l'exposition  des  estampes  com- 
porte   des    morceaux  très  intéressants. 


formules.  Il  ne  faut  pas  trop  s'en  plain- 
dre, car  pour  vouloir  trouver  du  nou- 
veau, l'architecture  moderne  des  autres- 
pays  a  payé  quelques  trouvailles  heu- 
reuses de  monuments  parfaitement  désé- 
quilibrés et  il  n'y  a  pas  compensation. 
Les  objets  d'art  sont  beaucoup  moins 
nombreux  cette  année  que  les  années 
précédentes  et,  là  encore,  l'originalité 
quand  même  a  joué  quelques  mauvais 
tours.  Sans  doute,  il  y  a  parfois  des 
éclosions  spontanées,  mais  en  décoration , 


270 


LES    SALONS    DE    isos 


comme  ailleurs,    lart  veut   la  malurilé 
pour  être  savoureux. 

Le  public,  même  celui  qui  n'achètera 
jamais  de  ses  bijoux,  s'arrêtait  devant 
les  vitrines  de  M.  René  Laliquk  et  se 
plaisait  à  contempler  les  formes  origi- 
nales et  d'un  cachet  si  particulier  que 
ce  délicat  artiste  donne  à  ses  créations. 
Un  bijou  de  Lalique,  et  leur  usage  est 
pourtant  varié  à  l'infini,  se  reconnaît  à 


V.  Prouvé. 


Cu 


ir  répons 


G.  Obiols.  —  Lampe  électrique. 

première  vue,  tant  la  griffe  du  maître 
est  personnelle. 

Il  met  à  contribution  l'archéologie  et 
celle  d'Egypte  surtout,  mais  il  introduit 
un  motif  moderne  dans  les  lignes  an- 
ciennes, ou  bien  enveloppe  de  contours 
actuels  une  figure  antique.  Ce  mélange, 
qui  pourrait  paraître  hétérogène  ,  est 
opéré  dans  une  si  parfaite  mesure  qu'il 
semble  au  contraire  indiqué.  M.  Lalique 
a  aussi  le  mérite  de  reléguer  les  gemmes 
à  leur  véritable  rôle  :  elles  servent  au 
décor,  mais  ce  nest  pas  elles  que  Ton 
enchâsse. 

AL    Prouvé  continue  ses   travaux   de 


L K s    SALONS    DE    1  s 9 s 


271 


Loris  Majorelle.  —  Bu(, 

cuir  repoussé  et  la  peau  tannée  prend 
sous  ses  manipulations  des  apparences 
de  bas  l'elief.  Il  la  martèle,  il  l'incise,  il 
la  teint  par  des  procédés  chimiques,  il 
la  charge  d'applications  de  cuivre  et,  en 
somme,  il  en  obtient  des  effets  inédits. 
La  question  est  de  savoir  si  la  matière 
vaut  tant  d'efforts  ;  espérons-le,  sur  la 
foi  des  vieux  cuirs  de  Cordoue. 

L'Electricité  a  fait  naître  pour  son 
service  un  style  nouveau  de  porte- 
lumière.  Il  a  le  mérite  d'être  forcément 


très  varié  pour  se 
prêter  à  ses  diverses 
applications.  La  lampe 
de  M.  Obiols,  éditée 
par  la  maison  Coupiei", 
est  très  gracieuse. 
Cette  femme  qui  se 
balance  «  sous  les 
Campanules  »  peut 
prétendre  symboliser 
la  fée  nouvelle  et 
vraiment  ne  fait  point 
regretter  la  Carcel 
dantan. 

M.  M.\joRELLK,  de 
Nancy,  a  exposé  un 
mobilier  de  salle  à 
manger,  exécuté  eu 
collaboration  avec 
M.  Camille  Gauthier 
et  nous  en  reprodui- 
sons le  grand  buffet. 
Ce  sont  là  des  formes 
essentiellement  mo- 
dernes, dont  les  An- 
glo-Américains sont 
les  initiateurs  et  qui 
auront  donné,  dans  le 
mobilier,  la  seule  note 
de  style  caractéristi- 
que du  xi.v''  siècle  ; 
car  rien  ne  restera  de 
tout  ce  qui  a  été  pro- 
duit depuis  la  Restau- 
ration jusqu'à  la  tin 
du  second,  Empire. 
Son  principe  heureux 
est  dans  lappiication 
des  formes  de  la  na- 
ture prises  dans  sa  flore  et  sa  faune, 
et  son  défaut  g'énéràl  est  dans  le  manque 
d'aplomb.  Le  buffet  de  M.  Majorelle 
échappe  à  ce  reproche.  Il  est  d'une  ri- 
chesse de  tons  et  d'une  abondance  de 
détails  extrêmement  soignés,  à  réjouir 
les  yeux.  Ce  mobilier  veut  un  cadre  spé- 
cial et  entraîne  tout  un  remaniement  de 
la  décoration  et  de  la  disposition  des 
intérieurs.  Nous  en  trouverons  proba- 
blement la  formule  définitive  à  l'Elxpo- 
silion  de  1900, 


LES    SALONS    DE    isgs 


cle,  faisant  bas-re- 
lief au-dessous  du 
cadran.  Ces  «  cou- 
reurs »,  inspirés  de 
Lucrèce,  représen- 
tent la  science  qui 
marche  toujours  et 
ne  s'éteint  jamais. 
'Juand  une  main 
défaillante  ne  peut 
plus  soutenir  son 
flambeau,  une  plus 
forte  le  reprend 
pour  le  porter  plus 
loin  en  avant.  Et 
nous  sommes  heu- 
reux d'avoir  ren- 
contré dans  un  coin 
perdu  du  Salon 
cette  belle  allégo- 
rie, parfaitement 
exprimée,  car  elle 
peut  aussi  servir 
de  symbole  à  Fart, 
et  nous  ne  saurions 
mieux  finir. 


A.    QUANTIN. 


Flanagax.   —   Horloçi'. 

M.  Flanagan  exécute  en 
ce  moment  une  horloge 
monumentale  destinée  à  la 
bibliothèque  du  monu- 
ment du  Congrès  à  Wash- 
ing-ton  et  la  i^eproduction 
de  sa  maquette,  que  l'ar- 
tiste a  bien  voulu  nous, 
communiquer,  nous  mort-- 
tre  qu'elle  sera  d'une  allure 
tout  à  fait  remarquable.  Il 
a   exposé  le  motif  du   so-     ^ 


LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 


Catulle  Mendès  nous  donne  un  nouveau 
roman,  le  Chercheur  de  tares,  œuvre  étrange 
qui  fait  songer  à  Edgar  Poë  et  à  Baude- 
laire, d'une  inspiration  cruelle,  maladive, 
d'une  facture  curieuse,  qui  est  loin  d'être 
indifTérente.  Après  un  prologue  d'une  in- 
vention osée,  qui  ne  fait  d'ailleurs  point 
corps  avec  le  reste,  et  dont  la  fantaisie, 
pour  être  risquée,  n'en  est  pas  moins  dro- 
latique, l'auteur  nous  donne  à  lire  sept 
cahiers  écrits  par  un  personnage  singu- 
lier, un  fou  par  atavisme  qui  est  possédé 
par  le  génie  du  mal,  par  la  passion  de  re- 
garder toute  chose  sous  l'angle  de  la  mi- 
sère, de  la  hideur,  de  l'horrible,  par  la 
manie  de  tout  voir  en  noir  et  en  sale,  de 
chercher  en  tout  et  partout  le  vice  et  le 
laid,  —  un  chercheur  de  tares. 

Ces  sept  cahiers  contiennent  sa  biogra- 
phie, qui  est  mouvementée,  bousculée, 
secouée  par  les  épouvantes  et  les  délires. 

Voici  le  portrait  du  personnage  à  qua- 
rante-cinq ans,  tel  que  l'auteur  l'a  rencon- 
tré dans  une  auberge  de  Meudon  en  des 
circonstances  qu'il  est  inutile  de  vous 
dire  : 

Quarante  ou  quarante-cinq  ans,  sinon  cin- 
quante, l'apparence  d'âge  plus  vieille  jjcut- 
ctre  que  l'àg'e  réel,  comme  cliez  les  gens  ron- 
gés d'un  cancer  ou  atteints  d'ictéricie  chro- 
nique, il  était  tout  petit,  non  pas  de  nature, 
semblait-il,  car  il  avait  les  bras  étrangement 
longs,  mais  comme  par  ratatinement,  et  sa 
maigreur,  très  arquée  au  buste,  était  telle,  en 
la  redingote  strictement  boutonnée,  que  l'on 
devinait  vraiment  les  creux  entre  les  côtes  du 
squelette  à  des  cannelures  obliques  du  drap 
très  tendu.  De  courts  cheveux,  gris,  çà  d'un 
gris  de  blanc  sale,  là  d'un  gris  roussàtre  de 
fer  rouillé,  se  crispaient  plutôt  qu'ils  ne  fri- 
saient, en  mèches  torses,  sur  un  même  front 
toujours  remué  de  petites  rides  ;  et  dans  une 
jjeau  terreuse,  ocreuse,  couleur  de  bile  é])an- 
due  et,  par  endroits,  comme  caillée  en  plaques 
de  fiel  plus  opaques  et  plus  livitles,  il  avait, 
sous  un  nez  rebroussé  qui,  humant,  s'ouvrait 
extraordinairement,  puis,  après  avoir  humé, 
se  restreignait  bien  vite  jusqu'à  clore  les  na- 
rines, une  bouche  sans  couleur,  aux  lèvres 
rentrantes,  qu'on  ne  voyait  presque  pas,  et  le 
menton  s'avançait  en  pointe  de  sabot  de  poli- 
chinelle. Presque  toujours,  il  gardait  les  yeux 
baissés  ;  s'il  levait  ses  paupières,  on  voyait 
deux  petites  plaies  creuses,  roses,  aux  orbes 
de  sanie,  comme  si  on  lui  avait  crevé  les  pru- 
nelles. 

Et,  en  outre,  je  remarquai  en  lui  une  singu- 
larité faciale,  une  singularité  de  transforma- 
tion faciale,  qui  m'étonna  au  dernier  point, 
qui  m'alarma  presque.  Quand  il  tournait  les 
regards  vers  Stéphanie,  il  y  a\ait  une  très 
rapide  ilambée  dans  ses  creux  yeux  vermeils, 
et  du  désir,  de  la  joie  même.  Mais,  tout  à 
coup,  son  nez  rebroussé,  sa  bouche  rentrante 
s'allongeaient,  proéminaient.  comme  en  forme 
de    cul  de  poule  ou   de    museau   flaireur.    On 

\\\l.  —  is. 


eût  dit,  véritablement,  d'une  béte  dont  l'ap- 
pareil aspiratoire  et  dégustateur  aurait  la 
faculté  de  s'allonger  en  manière  de  tentacule; 
puis  l'avancement  très  vite  se  renfonçait, 
comme  chez  une  pieuvre  qui  se  reforme  en 
boule  ;  et  c'était  alors  la  face  accoutumée 
d'Ai'sène  Gravache  ;  seulement,  ses  petits  yeux 
rouges  devenaient  tout  humides,  comme  un 
vieux  mal  qui  ressaigne. 

Le  portrait  a  de  la  vigueur  et  est  rude- 
ment buriné.  Voyons  l'enfance  étonnante 
de  ce  surprenant  personnage. 

Arsène  Gravache  avait  une  mère  bonne 
et  dévouée,  qu'il  appelle  gracieusement 
«  Maman  toute  en  soie  ».  Le  récit  de  son 
enfance  est  si  pur,  si  angélique,  qu'il  semble 
que  rien  ne  puisse  être  plus  rose,  plus 
frais,  plus  charmant;  c'est  de  la  mousse- 
line, de  la  candeur,  de  la  poésie.  Il  faut 
ce  point  de  départ  pour  préparer  et  faire 
saillir  le  contraste.  Il  faut  ce  sourire  avant 
les  grimaces,  ces  chants  doux  et  touchants 
avant  les  grincements  et  les  hurlements 
de  l'horreur.  Perraud,  ni  Florian,  ni  M""^  de 
Genlis  n'ont  fait  un  conte  plus  charmant 
que  ce  conte  d'enfant  entendu  par  le  petit 
Arsène  sur  les  genoux  de  Maman  toute  en 
soie  : 

L'archiduchesse  Brioche  était  la  plus  belle 
personne  du  pays  des  gâteaux  ;  elle  avait  une 
toute  petite  tète  ronde,  avec  un  très  gros 
corps,  tout  rond  aussi,  ce  qui  est  la  plus 
grande  beauté  pour  les  brioches,  et  elle  était, 
tète  et  corps,  si  dorée  et  sentait  si  bon,  que 
tout  le  monde,  pour  la  regarder  et  pour  avoir 
le  plaisir  de  son  parfum,  s'arrêtait  devant  le 
jialais  de  l'archiduc,  son  père,  qui  était  le 
plus  fameux  de  tous  les  pâtissiers  du  monde. 
Ah  1  le  beau  palais,  avec  des  murs  de  nougat, 
des  corniches  en  sucre  de  pomme  et  des 
vitres  en  sucre  candi.  C'était,  vraiment,  une 
pâtisserie  royale  ;  les  éclairs  au  chocolat  ou 
au  café  formaient  la  garde  de  l'entrée;  avec 
leurs  chamarrures  de  sucre  blanc,  rose  doré, 
les  biscuits  pralinés  étaient  des  chambellans  : 
au  milieu  de  beaucoup  de  babas,  un  plus 
grand  baba  était  le  premier  ministre  et  tous 
les  petits  fours  de  toutes  les  couleurs,  c'étaient 
les  petits  pages... 

J'ai  oublié  de  te  dire  qu'il  y  avait  au  comp- 
toir une  grosse  dame  qui  faisait  les  comptes, 
elle  s'appelait  l'Indigestion. 

Mais  l'archiduchesse  Brioche  était  la  plus 
précieuse  gourmandise  de  l'étalage.  Beaucoup 
de  gens  se  pressaient  pour  l'acheter,  pour  la 
manger.  Mut  un  jeune  passant  qui  avait  une 
couronne  d'étoiles  et  qui  était  seigneur  dans 
une  ville  où  tout  est  bâti  de  nuages  et  où  les 
maisons  ont  le  ciel  pour  toiture.  Le  pâtissier 
lui  dit  :  «  Qu'est-ce  que  vous  feriez  de  Son 
Altesse  la  Brioche,  ma  fille?  Chez  vous,  on  se 
nourrit  de  l'air  du  temps  et  de  la  musique 
des  mouches.  »  Puis  se  présentèrent  les  rois 
mages:  ils  étaient  trois,  avec  de  grandes 
robes  de  brocart  et  de  gros  turbans  ;  ils  di- 
rent  :    «  C'est    ce    soir    l'Epiphanie,   et  nous 


274 


LE    MOUVEMENT    LITTERAIRE 


savons  que,  dans  beaucoup  de  familles,  on  va 
manger  une  galette  en  notre  honneur  ou  une 
brioche.  Eh  bien,  nous  aussi,  nous  fêtons 
notre  fête.  Vendez-nous  Son  Altesse,  afin  que 
nous  nous  réjouissions  en  buvant  du  vin 
blanc.  —  Hélas  !  dit  le  maître  de  la  boutique, 
je  ne  voudrais  pas  tromper  d'honnêtes  rois 
mages  comme  vous  ;  Son  Altesse  archiducale 
n'est  pas  ce  que  vous  croyez.  —  Eh  !  quoi  ? 
dirent  les  rois  mages,  n'a-t-elle  point  de  fève  ? 

—  Au  contraire,  elle  en  a  une,  mais  voici  ce 
qui  est  arrivé  :  une  fois  que  je  n'étais  pas 
dans  ma  boutique,  quelqu'un  est  entré,  je  ne 
sais  qui,  et,  depuis  ce  temps,  il  y  a  dans  la 
brioche  une  mauvaise  fève,  une  fève  noire,  une 
fève  empoisonnée  !  C'est  pourquoi,  rois  mages, 
je  vous  conseille  d'aller  chez  un  autre  pâtissier.  » 
Ils  s'en  allèrent.  Ce  qu'ils  avaient  appris,  ils 
le  contèrent  à  qui  voulut  l'entendre.  Et 
personne  ne  regardait  plus  la  belle  brioche  à 
cause  de  la  mauvaise  fève. 

Le  petit  Arsène  est  vivement  frappé  par 
cette  fève   noire  —  la  tare  de  la  brioche, 

—  comme  il  était  maladivement  attiré  par 
le  crapaud  accroupi  sur  la  lettre  C  de  son 
alphabet.  Nous  sommes  étonnés,  intrigués 
par  l'épouvante  que  cause  à  sa  mère  cette 
disposition  d'esprit  chez  son  enfant  : 

Ma  mère  m'empoigna,  se  leva,  m'emporta, 
en  me  baisant,  en  me  riant  aux  lèvres,  en  me 
riant  aux  yeux,  elle  descendit  vite,  sans  pas- 
ser par  Te  salon,  l'escalier  de  la  terrasse. 
«  Faut-il  que  tu  sois  béte!  Je  te  demande  un 
peu,  est-ce  que  ça  existe,  les  fèves  noires,  les 
crapauds!  »  De  quoi  s'inquiétait-elle?  Qu'avait- 
elle  deviné  en  moi  ?  <>  Viens  !  viens  !  tu  vas  voir.  » 
Nous  étions  derrière  la  maison,  dans  le  ver- 
ger. «  Regarde,  mon  chéri,  regarde.  »  Tout 
le  ciel  rayonnait  d'un  merveilleux  couchant 
rouge  et  d'or.  Toutes  les  feuilles  autour  de 
nous  étaient  des  flammes  roses.  «  Regarde  ! 
regarde  !  regarde  !  comme  c'est  beau  ;  comme 
c'est  clair!  C'est  le  bon  Dieu  qui  donne  une 
fête  dans  le  ciel.  »  Et  j'avais  mes  petits  yeux 
éblouis  de  tant  de  clarté.  Un  bruit  vint  de  la 
vallée,  de  tout  là-bas  dans  la  vallée.  Le  bruit 
de  quelque  fête  foraine.  «  Ecoute  !  dit  maman. 
C'est  la  musique.  Il  y  a  une  fête  sur  la  terre, 
comme  dans  le  ciel.  Tout  le  monde  s'amuse, 
tout  le  monde  est  gai,  tout  le  monde  est 
bon.  »  La  musique  montait  plus  vive.  «  Et  il 
faut  danser  !  »  dit  maman,  et,  me  tenant  les 
deux  mains,  elle  me  fit  tourner  en  tournant 
elle-même,  et  elle  riait,  et  je  riais,  et  nous  dan- 
sions en  rond  dans  la  joie  lumineuse  de  la  vie. 

Évidemment,  il  y  a  quelque  chose.  En 
effet,  les  crapauds  font  perdre  la  tête  à  ce 
petit  fou  prédestiné.  Il  tombe  en  démence 
et  ne  revient  à  lui  que  vers  l'âge  de  quinze 
ans.  La  raison  se  remet  lentement,  vacil- 
lante, affaiblie,  dans  un  complet  oubli  des 
années  d'aliénation,  qui  sont  comme  un 
trou  derrière  lui.  Au  dos  de  son  être  actuel 
s'accrochait  du  passé,  «  comme  une  hotte 
mystérieuse  ». 

Le  travail  de  cet  esprit  renaissant  va 
maintenant  être  de  percer  ces  ténèbres 
antérieures,  de  chercher,   de   vouloir   sa- 


voir, de  se  livrer  à  une  enquête  tenace, 
de  mener  une  inquisition  soupçonneuse, 
au  cours  de  laquelle  il  est  occultement 
guidé  par  un  démon  intérieur,  une  vision 
infernale  d'un  petit  domestique  nègre  ap- 
pelé Nyx,  transfiguré  et  évoqué  dans  les 
apparitions  mystérieuses  des  nuits,  un 
génie  qui  dédouble  curieusement  cette  per- 
sonnalité morbide,  le  Méphistophélès  de  ce 
Faust  des  enquêtes.  Les  dialogues  de  ce 
Nyx  et  d'Arsène,  conversations  intimes 
entre  le  Conscient  et  l'Inconscient  dans  le 
même  être,  sont  frappants  et  menés  avec 
un  art  cruel.  Ce  sont  des  cauchemars  où 
Nyx  gambade,  piétine  la  bougie  éteinte, 
s'accroupit  à  croppetons  sur  le  lit  et  pose 
avec  une  logique  implacable  les  questions 
qu'Arsène  redoute  même  de  formuler.  Il 
y  a  dans  ces  scènes  de  songeries  creuses 
et  douloureuses  une  maîtrise  implacable 
qui  semble  prendre  plaisir  à  ses  propres 
peurs.  C'est  par  la  logique  inéluctable  de 
Nyx  —  ou  la  voix  impérieuse  de  la  pensée 
inconsciente  en  travail  —  qu'Arsène  dé- 
couvre, lambeaux  par  lambeaux,  les  véri- 
tés redoutables,  et  d'abord,  ce  qu'on  lui 
cachait,  qu'il  a  été  fou. 

Mais  cet  objet  brillant  qui  a  quelquefois 
éclairé  les  ténèbres  de  sa  folie?  C'était  un 
rond,  une  petite  lueur  ronde,  un  rond  de 
verre,  semblable  à  l'œil  du  crapaud.  Il  faut 
citer  un  morceau  de  ce  dialogue  satanique  : 

—  Je  te  dis  que  si.  Et  tu  sais  bien  que  c'est 
vrai,  tu  sais  bien  que  tout  ton  besoin  de  sa- 
voir s'acharne  en  ton  obstination  vers  cette 
lueur  ronde,  pareille  à  une  espèce  d'œil. 

—  Maman  !  maman  ! 

—  Eh  !  oui,  il  s'agit  de  ta  mère,  de  ta 
maman  toute  en  soie.  C'est  pourquoi  tu  as 
crié.  C'est  pourquoi  tu  n'auras  ni  trêve,  ni 
somme,  tant  que  tu  ne  sauras  point  ce  que 
c'était  que  cette  rondeur  claire  qui  ressemble 
à  un  œil  souterrain  ou  à  un  trou  vers  le  fond 
d'un  vertigineux  mystère.  Va,  tout  est  tou- 
jours, partout,  la  même  chose.  Tout  se  résume, 
ici-bas,  et  tu  verras,  tu  verras,  dans  le  monde 
intra  ou  supra-terrestre,  en  quelque  chose  en 
forme  de  puits,  où  il  y  a,  au  fond,  quelque 
chose  en  forme  de  crapaud  qui  écarquille  un 
œil.  Mais  regarde  donc  encore,  dans  ta  sombre 
mémoire,  regarde,  regardons  mieux. 

—  Ah  !  ah  !  ah  !  ah  ! 

—  Oui,  c'est  très  drôle. 

—  Ah  !  ah  !  ah  !  ah  ! 

—  Ris,  ris  encore. 

—  Suis-je  bête  ! 

—  Parbleu! 

—  Autour  de  cette  clarté,  qui  m'attirait, 
qui  m'effrayait,  je  vois  maintenant... 

—  L'n  visage. 

—  Un  visage  d'homme.  La  lueur  ronde,  c'est 
un  lorgnon,  un  monocle.  Il  n'y  a  rien  d'ef- 
frayant à  cela. 

—  Tu  crois  ? 

—  Je...  nui.  nui...  je  crois... 

—  Tu  crois  tout  le  contraire  !  C'est  ce  visage 
surtout   qui    t'alarme    et    t'épouvante,    et    te 


L K     M O  U  V  E  M  K NT    L  I T T  É  H  A  I  R  E 


275 


cliannc.  Tu  mourras  si  tu  n'apprends  pas  de 
quel  homme  il  était,  il  est  la  face  ou  le  masque, 
tjui  est-il,  cet  homme?  Cherche,  cherche. 

—  Non 

—  Pourquoi  dis-tu  non,  puisque  (u  cherches, 
en  oll'et  '.' 

—  C'est  N'rai.  Malgré  moi. 
Cherche-le,  retrouve-le,  dans  autrefois. 

Ainsi  causent  Arsène  et  son  démon , 
l'horrible  petit  Nyx ,  le  nègre  accroupi. 
Toutes  les  facultés  du  pauvre  être  vont 
se  tourner  vers  ce  but.  Quel  était  l'homme 
au  monocle?  Séance  tenante,  il  cherche,  il 
rassemble  ses  souvenirs.  Qui  interroger"? 
Il  se  lève,  va  chez  sa  mère,  qu'il  trouve 
debout,  effrayée,  et  il  lui  pose  la  question 
brutale  : 

—  Il  faut  que  je  sache.  Parle.  Dis-moi.  Cet 
homme  qui  venait,  quelquefois,  quand  j'étais 
tout  petit,  cet  homme  qui  te  prenait  les 
mains,  quand  j'étais  malade,  quand  j'étais 
fou,  qui  était-ce  ? 

Maman  toute  en  soie  tombe  évanouie. 
Tout  cela,  sans  doute,  ainsi  dégarni  des 
ornements  étoffés  du  développement,  pa- 
rait un  peu  gros,  un  peu  mélo.  Cela  n'a 
pas  ce  caractère  dans  le  livre,  où  le  déve- 
loppement est  conduit  avec  un  art  expert 
de  terroriseur  Je  vous  montre  le  manne- 
quin du  spirite,  auquel  je  sens  que  j'en- 
lève les  draperies  du  suaire. 

Chaque  nuit  la  terreur  revient  au  petit 
fou  de  revoir  son  démon  : 

S'il  était  revenu,  X\x"?  S'il  m'attendait, 
assis  à  croppetons  sur  mon  lit,  avec,  au-dessus 
de  la  tote,  l'espèce  de  cierge  qui  change  les 
drai)s  en  linceul  ? 

Le  voilà  dès  lors  aux  aguets,  à  lalTût. 
11  épie  sa  mère  pour  surprendre  le  secret 
de  sa  vie,  ce  qui  ne  nous  étonne  pas  de 
la  part  de  ce  maniaque  dément  et  sacri- 
lège. Il  se  trouve  qu'il  y  a  un  secret.  Il  a 
vu  sa  maman  toute  en  soie  cacher  des 
lettres  dans  un  bonheur  du  jour.  11  lui 
vole  sa  clé  et  s'empare  des  lettres.  Elles 
lui  apprennent  que  sa  mère  a  aimé  un 
poète,  et  que  ces  amours  ont  abouti  à  un 
événement  grave  que  couvre  un  pâté 
d'encre,  une  rature.  Il  y  a  à  Paris  un 
Fabien  Liberge  qui  sait  tout.  Il  va  le 
voir.  Il  sait  à  présent.  Ce  Lil)erge,  plu- 
mitif venimeux,  folliculaire  stercoraire, 
dont  la  plume  bave  le  poison  et  crache 
l'ordure,  est  le  fds  de  la  pourriture,  né  du 
baiser  de  deux  plaies ,  fils  d'un  vieil 
homme,  gros  et  suant,  et  d'une  rôdeuse 
en  guenilles.  Fabien  vécut  d'une  vie  im- 
monde, déshonora  Hélène,  que  M.  le  comte 
d'Aprenève,  ruiné,  épousa  malgré  la  tache 
et  pour  son  argent.  Voilà  comment  le  fds 
du  comte  d'Aprenève  était  l'enfant  du  vice 
et  de  la  honte.  Il  faudrait  ouvrir  une  pa- 
renthèse  ici   pour   analyser  un  des   mor- 


ceaux les  plus  remarquables  du  volume, 
la  vie  de  Fabien  Liberge  contée  par  un 
ami  de  la  famille,  dans  un  récit  interca- 
laire qui  a  une  saveur  forte,  acre  ;  il  en 
sort  une  figure  étrangement  et  puissam- 
ment burinée,  grimaçante  comme  un 
estropié  de  Callot,  ou  un  monstre  de 
Goya,  ou  un  pécheur  formant  gargouille 
au  faite  d'une  cathédrale  gothique.  On  a 
trouvé  longue  cette  analyse  du  caractère 
de  Fabien  Liberge,  qui  tient  bien  vingt- 
cinq  pages.  Certes,  il  y  a  dans  ce  livre 
des  longueurs,  et  nous  aurons  occasion 
tout  à  l'heure  de  les  constater  et  de  les 
expliquer.  Mais,  si  l'on  songe  que  ce  Fa- 
bien Liberge,  ascendant  direct  de  notre 
sujet,  est  la  cause  primordiale  et  domi- 
nante de  toute  la  psychologie  de  son  fils, 
on  jugera  qu'on  ne  pouvait  pas  trop  lon- 
guement nous  l'expliquer. 

Arsène  apprit  de  cet  homme  hideux  à 
la  figure  huileuse,  à  l'âme  lépreuse,  qu'il 
pouvait  l'honorer  comme  un  père  et  se 
parer  de  son  vrai  nom,  non  pas  Liberge, 
mais  bien  en  réalité  Cravache.  Et  c'est 
ainsi  qu'Arsène  d'Aprenève  quitta  son 
nom  usuel  pour  celui  de  sa  race,  Arsène 
(iravachc. 

Alors,  il  se  rue  par  le  monde,  il  sent 
peser  sur  lui  l'atavisme  du  dégoûtant 
Liberge;  tout  lui  parait  hideux,  mal- 
propre, dégradant,  partout  le  ver  rongeur 
lui  gâte  les  plus  belles  choses;  il  a  le  pes- 
simisme violent  et  impitoyable,  il  devient 
un  Leopardi  du  charnier,  un  Schopen- 
hauer  de  la  tourbe,  un  La  Rochefoucauld 
de  légout.  La  gloire  militaire  lui  apparaît 
dans  une  puanteur  fumeuse  de  victuailles; 
l'art  est  une  ambition  insatiable  qui  crée 
le  suicide  ;  l'héro'isme  est  l'ivresse  d'un 
mouchard.  Le  comte  d'Aprenève  devient 
un  buveur  d'absinthe;  la  comtesse  ouldie 
sa  vie  dans  le  cloître,  que  les  ambitions, 
les  intrigues,  l'intérêt  et  l'égo'isme  ron- 
gent comme  le  reste. 

L'amour'.'  Arsène  aimait  une  petite  sau- 
vage, Myrrhine,  fille  d'un  original,  Ernan 
Ferdoc.  Mais  ce  Ferdoc  a  gagné  son  or 
dans  la  traite  féroce  des  nègres,  et  Arsène 
le  prouve  à  Mj'rrhine,  innocente  et  igno- 
rante. Celle-ci  presse  alors  un  l)outon 
électrique  qui  déclenche  le  plafond  des 
caves  d'or,  tandis  que  Ferdoc,  ivre,  y 
descend,  et  celui-ci  y  meurt,  écrasé,  dans 
une  bouillie  de  son  sang  et  de  ses  pièces 
d'or.  Myrrhine  meurt. 

Ce  livre  est  le  journal  d'un  mécontent, 
qui  étale  sur  le  monde  et  la  vie  son  âme 
immonde,  et  les  regarde,  ainsi  souillés. 
L'auteur  dit  dans  sa  préface  : 

La  raison  qui,  plus  qu'aucune  autre,  me  re- 
tint d'ouvrir  pour  tout  le  monde  les  sept 
cahiers,  c'est  que  l'époque  où  ils  me  furent 
remis  et  beaucoup  d'années  suivantes  n'étaient 


276 


LE     MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 


pas  des    temps   propices    à    leur  publication. 

Lamentables  jours  de  vigueur  abolie,  d'hé- 
bétée torpeur,  où  notre  race  s'étirait,  bâillait, 
ne  sachant  plus,  ne  croyant  plus,  ne  rêvant 
plus...  La  nation  ne  voulait  pas  revivre,  se 
renfonçait  dans  l'opacité  de  l'abrutissement, 
préférait  même  d'afl'reux  cauchemars,  men- 
songes du  moins,  à  la  réalité  de  son  désastre. 
Des  millions  de  vivants  étaient  un  tas  im- 
mense de  ressorts  brisés!  Ne  pouvant  plus 
l'amour,  ni  l'art,  ni  la  gloire,  ni  même  l'es- 
poir, l'homme  français  fut,  une  heure  de  la 
durée,  comme  s'il  n'existait  point.  Quel  crime 
c'aurait  été  d'ofi'rir  à  la  foule  aveulie  et  dé- 
solée, des  spectacles,  des  leçons,  de  jjIus  de 
doute  et  de  plus  de  désillusion  et  (le  plus 
d'inespérance  encore,  en  les  navrants  récits 
des  sept  cahiers. 

Hélas  !  nous  n'avions  pas  besoin  d'apprendre 
le  dégoût  —  ni  le  néant. 

Mais  une  autre  ère,  aux  roses  fraîcheurs 
d'aube,  et  déjà  aux  vives  santés  d'avant-midi, 
s'est  levée  et  s'éploie.  Il  semble  que  la  lan- 
gueur et  l'abominable  ennui  se  dispersent 
comme  de  vaines  brumes.  L'activité  sort  du 
lit  des  mauvais  songes  et  des  paresses;  il  y  a 
des  frissonnements  d'essor,  vers  où,  vers 
quoi,  on  ne  sait,  n'importe,  pourvu  que  les 
Ames  s'ouvrent  et  palpitent.  On  dirait  que 
tressaillent  dans  la  société  un  tumulte  et  une 
joie  de  ruche  près  d'essaimer  !  Notre  récente 
humanité  a  des  clameurs'  et  des  gestes  de 
mise  en  marche,  la  diane  a  sonné  dans  les 
esprits,  la  jeunesse  croit  à  la  beauté  et  à  la 
bonté  de  vivre. 

Acceptons-en  l'augure.  Il  a  raison.  Ce 
livre  est  déprimant,  et  le  Gravache  est  le 
pessimisme  fait  homme. 

S'il  faut  rendre  une  justice  à  ce  fouil- 
leur  de  verrues,  à  ce  chasseur  de  vermine, 
à  ce  chiffonnier  de  l'âme^  à  ce  boueux  de 
la  vie,  ce  ramoneur  de  la  beauté,  c'est 
qu'il  pratique  abondamment  le  Tvwôi 
asauTov.  Il  se  connaît  à  merveille  et  se 
décrit  avec  complaisance.  Il  analyse  son 
propre  caractère  avec  une  subtilité  péné- 
trante et  perspicace,  et,  comme  il  est 
l'apôtre  du  Laid,  l'étude  qu'il  fait  de  lui 
devient  une  admirable  philosophie  de  la 
laideur. 

Il  se  peut  que.  du  verbe  créateur,  la  lumière, 
à  un  moment  du  temps  immémorial,  soit  née, 
la  lumière  où  il  y  avait,  parfaites,  la  beauté,  la 
A'ertu  et  la  joie,  mais  en  même  temps  une 
autre  voix  a  dit  :  Fiat  Xox  !  et  si,  d'abord 
moins  puissante,  toute  l'ombre  n'a  pas  absorbé 
toute  la  clarté,  si  même  elle  en  fut  trouée  et 
disijersée,  sa  défaite  a  tenté  des  revanches  de 
blessure  ;  et  de  son  éparpillement,  jaloux  et 
obstiné,  gouttes  de  sang  sombre  de  la  nuit 
vaincue,  elle  a  fait  des  taches  à  la  joie,  à  la 
vertu,  à  la  beauté,  à  toute  la  lumière.  Il  y  a 
eu,  inévitablement,  le  laid  dans  le  beau,  le 
mal  dans  le  bien,  le  désastre  dans  le  bonheur. 
Et,  d'âge  en  âge,  les  taches  se  sont  élargies, 
gagnant  en  extension  sans  perdre  en  intensité  ; 
elles  s'élargissent  encore,  elles  gagnent,  elles 
gagnent,  avec  la  lente  sûreté  d'un  accrois- 
sement de  dartre  ou  de  cancer,  et  elles  gagne- 
ront toujours  davantage,  pour  le  triomphe  dé- 


finitif de  celui  qui  proféra  la  noire  parole, 
écho  révolté  du  verbe  clair...  Pas  de  parole 
qui  n'ait  en  elle  son  mensonge,  jjas  de  bonheur 
qui  n'ait  en  lui  son  ironie,  pas  d'espérance 
qui  ne  soit  la  jeune  pousse  d'une  désillusion  ; 
il  y  a  dans  tout  serment  le  ver  du  parjure  ; 
mirez  le  rêve  dans  la  réalité,  il  apparait  or- 
dure. Un  peu  de  puanteur  sort  du  plus  frais 
parfum;  l'auguste  et  fougueux  idéal  est  un 
lion  mangé  de  poux. 

Comme  à  chaque  instant  de  sa  vie,  à 
chaque  seconde  de  son  être  pensant,  il 
tend  violemment  son  cou  étiré  de  goule 
hideuse  vers  le  mal  qu'il  renifle  et  suit  à 
la  piste,  il  se  donne  à  chaque  page  l'oc- 
casion de  s'observer  et  de  s'affirmer  : 

Misérable,  misérable  !  et  imbécile  1  il  y  avait 
dans  le  paradis  un  point  sombre,  un  point 
noir,  que  les  joyeux  anges  n'avaient  jamais 
soupçonné,  que  les  anges  tristes,  eux-mêmes, 
n'avaient  jamais  cherché.  Mais,  toi,  ce  jjoint 
sombre,  ce  point  noir,  par  un  abominable 
instinct,  tu  l'as  trouvé.  Et  tu  l'as  marqué  de 
l'ongle  de  ton  index,  et  tu  as  enfoncé  ton 
doigt,  et  tu  as  fait  du  point  un  trou,  et  tu  as 
élargi  le  trou,  et  tu  as  attroupé  les  passants 
de  l'idéal,  et  ils  se  sont  ])récipités  vers  ce  trou 
devenu  gouffre,  et  le  paradis  sest  effondré 
dans  l'enfer,  et  l'Idéal  s'est  évanoui  dans  la 
Tare. 

Ailleurs  : 

Tu  n'es  pas  l'observateur  des  âmes,  tu  en  es 
le  mouchard.  Tu  ne  conquiers  pas  la  réalité, 
tu  filoutes  la  probabilité  du  mal  !  et  —  au  lieu 
d'être  un  leveur  de  sombres  étendards  mena- 
çants, comme  Juvénal,  Agrippa  d'Aubigné,  ou 
Hugo  —  tu  fais  les  mouchoirs  où  la  médi- 
sance de  tous  les  concierges  s'est  déjà  mouchée. 

C'est  sa  nature.  Comme  il  le  dit  aussi, 
il  est  celui  qui  cherche  "  la  mauvaise  rime 
qu'il  y  a  au  cinquième  acte  de  Ruy  Blas,  la 
fausse  note  du  cor  dans  la  Synq^honie  ^jas- 
torale,  et  l'huître  mauvaise  de  la  bonne 
douzaine,  et  la  goutte  de  raisin  sec  dans 
un  verre  de  Château-Yquem  ». 

Ecoutez-le  raconter  ses  impressions 
quand  il  épie,  collé  au  volet  de  la  fenêtre, 
le  secret  de  l'ignoble  et  fantastique  Ernan 
Ferdoc,  le  bourreau  de  l'or  au  palais  étin- 
celant  comme  dans  un.  conte  de  fée  : 

Je  mens. 

Oui,  en  écrivant  ceci,  après  tant  d'années, 
je  mens. 

Ce  n'était  pas  quelque  chose  de  sublime  que 
j'attendais;  c'était  quelque  chose  d'infâme  que 
j'espérais  !  et,  seul,  le  papillon-Myrrhine  trou- 
blait, d'un  bruit  de  petite  aile  d'idéal,  l'at- 
tention forcenée,  acharnée,  abominable,  dont 
je  guettais  le  mal.  Il  me  fallait  le  mal!  Je 
bayais  vers  lui  !  J'étais  l'amoureux,  l'amant  du 
mal.^Te  l'aimais  vraiment.  Je  le  désirais,  comme 
on  aime,  comme  on  désire  une  maîtresse.  Je 
lui  aurais  donné  des  sérénades  !  Je  l'aurais 
enlevé  dans  une  gondole  !  J'étais  le  Roméo 
de  la  Juliette-Monstruosité. 

Et  sa  joie  quand  il  assiste  du  trou  de  la 


LE     MOUVEMENT    LITTÉHAIHE 


277 


serrure,  au  désespoir  du  grand,  noble,  hon- 
nête Josias  Stock,  cette  âme  si  blanche, 
si  pure,  si  belle,  cet  homme  lilial  dont  on 
pouvait  dire  —  le  mot  est  charmant  : 

Comme  il  se  couche  de  très  bonne  Iicure 
et  qu'il  ne  sV'\cillc  qu'après  l'aurore,  il  n'a 
jamais  vu  de  tc'nèbres,  ni  dans  le  ciel  ni  dans 
les  âmes;  il  croit  peut-être  que  la  nuit  est 
une  calomnie. 

Et  cependant  Josias  Stock  n'est  pas  heu- 
reux, et  il  a  sa  tare  aussi,  son  ambition 
impuissante  qui  le  fait  crier  : 

Impossible  !  impossible  !  La  beauté,  ici-bas, 
c'est  impossible.  On  croit  la  suivre,  la  saisir, 
la  tenir,  non,  elle  fuit,  elle  fuit,  elle  n'est  plus 
là,  elle  n'y  a  jamais  été.  Tous,  nous  tous,  les 
meilleurs,  les  plus  grands,  les  plus  purs,  les 
plus  hauts  —  des  impuissants!  Et,  plutôt 
que  de  souIVrir  ainsi,  mieux  \aut  mourir, 
mourir,  mourir,  tout  de  suite  mourir! 

Arsène  Cravache  boit  ces  paroles  douces, 
à  son  goût,  comme  le  pus  et  la  sanie  que 
lèchent  les  mouches  noires.  Et  il  en  res- 
sent une  horreur  délicieuse,  une  torture 
lancinante,  un  bonheur  atroce  : 

Je  soufTrais  épouvantablement  parmi  les 
spectres  évoqués  de  la  ^■ilenie  de  tout;  je 
ressortais  de  mes  e-ffroyables  fouilles  avec  des 
glùmcnts  de  limace  acharnés  à  tous  mes 
membres  ;  j'étais  vêtu  de  mon  cauchemar 
réalisé,  purulent. 

Cette  abondance  fluide  dans  l'analyse, 
elle  est  parto\it.  L'auteur  a  la  facilité  exu- 
bérante, et  l'acharnement  sur  ce  qu'il  fait. 
Il  ne  quitte  un  sujet  qu'après  l'avoir  épuisé 
d'une  exhaustion  complète  ;  expliquer  pour 
lui,  c'est  dessécher.  11  piétine,  il  écrase  la 
pensée  sous  des  foulées  répétées  et  renou- 
velées; il  a  la  touche  insistante  jusqu'à  la 
satiété  ;  il  retourne  la  même  pensée  sous 
toutes  les  faces,  et  se  redit  sous  toutes  les 
formes.  Il  est  le  Sénèque  du  roman  ;  et 
cela  même  ne  nous  étonne  pas,  car  cette 
faculté  est  en  accord  avec  son  talent,  dont 
l'une  des  caractéristiques  est  la  préciosité. 
Or  la  loi  de  la  préciosité  est  —  voyez  les 
Femmes  savantes  —  d'épuiser  les  sujets  et 
les  comparaisons. 

Précieux,  il  l'est,  cet  Arsène  Cravache 
qui  dit  de  si  mièvres  choses  : 

K  Elle  fit  une  moue,  ce  fut  comme  si 
s'était  serrée  en  s'avançant  une  toufîette 
de  roses  blanches  et  roses... 

K  Un  peu  loin,  son  visage,  ses  cheveux, 
sa  robe  étaient  comme  des  choses  roses 
et  blondes,  de  la  vie  en  fleur  et  en  or.  » 

Précieux  aussi,  il  l'est  par  la  recherche 
des  expressions,  «  une  primordiale  non- 
vie  »,  des  choses  «  immémoriales  »,  terme 
dont  il  abuse,  pour  dire  «  oubliées  »,  le 
«  remugle  des  viandes  >>,  une  rive  "  ac- 
core  »,  des  flacons  «  allaient,  immobiles, 
rouler  »  ;  quant  à  "  l'ichor  >>,  il  s'en  fait 
ci-dedans  une  assez  frrande  consommation. 


Précieux,  il  l'est  encore  quand  il  verse 
dans  la  subtilité  alexandrine ,  devenu 
incompréhensible,  comme  dans  cette 
glose  obscure  du  miroir  dans  une  chambre 
close  conservant  «  la  faculté  constatatrice 
des  images  »  : 

La  puissance  visionnaire,  survivant  à  l'oc- 
casion disparue  des  images,  renou\'elle,  sinon 
par  la  réalité  de  l'objet,  du  moins  par  la 
cause  subjective  de  sa  réalisation,  la  possi- 
bilité des  reflets  évanouis.  Et  le  regard  psy- 
chique, rebroussé,  reconnaît  les  empreintes 
glissantes  et  furtives  des  ombres  qui  pas- 
sèrent, en  la  capacité  rénovée  et  exaspérée  par 
le  persistant  vouloir,  de  les  avoir  vues  et  re- 
tenues. 

C'est  bien  la  chambre  noire,  et  l'expres- 
sion est  adéquate  à  l'idée. 

Ces  réserves  n'entament  pas  la  valeur 
de  ce  livre,  dont  nous  ne  nous  fussions 
pas  occupé  si  longuement  sans  des  rai- 
sons de  croire  qu'il  prendra  place  au  pre- 
mier rang  des  meilleurs  de  l'auteur  par  la 
conscience  et  la  pénétration  de  l'analyse, 
la  variété  des  épisodes,  le  talent  de  l'écri- 
vain. 11  y  a  là  une  très  forte  somme  d'ef- 
forts, qui  ne  devaient  pas  rester  stériles. 
La  galerie  des  caractères,  inaugurée  par 
La  Bruyère,  compte  un  type  de  plus. 


M""'  Judith  Cautier  a  publié  chez  Armand 
Colin  un  recueil  de  nouvelles  et  d'impres- 
sions, Khou-N-Atonou,  h  Prince  à  la  tête 
sanglante,  Zingom,  des  vues  de  Tokio. 

Khou-N-Atonôu,  qui  baptise  le  volume, 
est  un  fragment  de  papyrus,  dont  la  pu- 
blication a  peut-être  exigé  un  usage  exces- 
sif de  points  de  suspension.  Il  y  a  des 
chapitres  qui  sont  composés  de  trois  pages 
de  points  de  suspension  au  milieu  des- 
quels nagent  sept  ou  huit  mots  espacés, 
commme  anchois  dans  l'huile.  Je  sais  bien 
que  c'est  la  faute  du  papyrus,  qui  a  pro- 
bablement des  déchirures  ou  des  macula- 
tures.  Mais  cette  imitation  des  éditions 
critiques  à  propos  d'une  fantaisie  égyp- 
tienne est  un  peu  puérile. 

Au  demeurant,  le  récit,  fort  simple,  a 
des  pages  de  relief  et  d'une  puissante 
vertu  pittoresque;  ce  sont  de  beaux  pan- 
neaux égyptiens  d'un  orientalisme  tout 
parfumé  d'encens  et  de  lotus. 

Le  bateau  remontait  lentement,  vers  l'est, 
avec  toute  la  lumière  derrière  lui  ;  aussi 
paraissait-il  roux  et  comme  brûlé,  et  le  roi, 
couché  à  l'avant,  sur  des  nattes  et  des  cous- 
sins, ressemblait  à  un  sphinx  de  bronze. 

Très  nombreuses,  d'autres  barques,  moins 
grandes,  suivaient  à  la  file,  et  l'on  eût  dit  les 
vertèbres  d'un  grand  serpent  se  déroulant  sur 
l'eau  d'or. 

Le  roi  du  Midi  et  du  Nord,  seigneur  de  la 
Double  Terre,  Ra-Néfer-Khepru-Xanra,  Fils 
du    Soleil,    \'ivant   de   Justice,    Seigneur  des 


27S 


LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 


Diadèmes,  dans  une  complète  immobilité, 
regardait  de  ses  yeux  iixes,  plus  loin  que  tout 
l'espace  devant  lui  dans  le  mystère  de  son 
rêve. 

Les  musiciens,  debout  à  l'arrière,  étoull'aient 
sous  leurs  paumes  les  dernières  A'ibralions 
des  harpes,  dont  la  mélodie  avait  rytlimé  le 
mouvement  des  rameurs. 

Le  titre  Khou-N-Atonou  signifie  le  res- 
plendissement d'Atonou  ou  Adona'f. 

Atonou  est  le  nom  égyptien  d'Adona'i, 
le  dieu  de  Mo'ise.  Atonou  fut  d'abord  le 
dieu  du  pharaon  Amenophis  IV,  qui  essaya 
de  le  faire  triompher,  et  de  l'imposer  à 
l'Egypte  en  renversant  tous  les  autres 
dieux. 

Il  est  vraisemblable,  d'après  les  concor- 
dances chronologiques,  que  c'est  une  des 
princesses,  fille  de  ce  roi,  qui  recueillit  et 
éleva  Moïse.  La  révolution  qui  termina  le 
règne  expliquerait  comment  le  jeune  Hé- 
breu fut  séparé  de  sa  royale  famille  et 
rejeté  à  sa  condition  première.  Mais  les 
cérémonies  d'un  culte  identique,  et  surtout 
l'hymne  à  Atonou  où  sont  pris  textuelle- 
ment les  versets  principaux  des  psaumes 
à  Adona'i,  ne  laissent  pas  de  doute  sur 
l'origine  de  cette  religion  dont  est  née  la 
nôtre  et  qui,  vaincue  en  Egypte,  triompha 
en  Israël. 

L'hymne  à  Atonou  a  été  recopié  sur  les 
nombreux  exemplaires  gravés  dans  les 
tombeaux  de  la  ville  fondée  par  le  Pha- 
raon réformateur  en  l'honneur  de  son 
dieu,  découverte  récemment  et  dont  les 
fouilles  ne  sont  que  commencées.  Voici 
cet  hymne  : 

L'artiste,  allongeant  ses  bras  nus,  fit  vibrer 
les  cordes  et  chanta,  tandis  que  Ta'ia,  à  voix 
basse,  faisait  remarquer  à  son  fils  que  chaque 
verset  du  poème  commençait  par  un  nom  de 
fleur  et  que  la  sonorité  du  mot,  dune  façon 
très  ingénieuse,  trouvait  un  écho  dans  l'un 
des  mots  suivants. 

Le  poète  chantait  ainsi  : 

01  acacia  du  bien-ainié!  qu'affaça  la  brise, 
tandis  qu'il  passait  devant  moi,  serrant  la 
tige  du  bout  de  ses  doigts  pareils  aux  pétales  ! . . . 
Que  ne  suis-je  le  souffle  qui  caresse  tes  doigts, 
ils  cai'essaient  mes  lèvres! 

0!  papyrus  du  bien-aimé  !  alors  que  par  ruse 
il  parle  à  des  indifTérents,  disant  ce  que  je 
dois  savoir!...  Tes  paroles,  pierres  précieuses 
qui  s'égrènent,  je  les  recueille  avec  l'avidité 
qu'aurait  un  mendiant. 

0!  marjolaine  de  mon  frère!  tandis  qu'il 
marche  auprès  de  moi,  se  faisant,  avec  les 
guirlandes,  un  double  collier  pour  se  rendre 
au  festin!...  A  moi,  tu  es  le  festin!...  A  moi, 
tu  es  le  festin  :  le  breuvage  enivrant,  c'est  le 
son  de  ta  voix  ! 

01  lotun  bleu  du  bien-aimé!  quand  il  ôte  une 
à  une  les  fleurs  de  ma  coifl'ure  et  les  cache 
sur  sa  poitrine!...  Je  suis  jalouse  de  ces 
fleurs,  n'est-ce  pas  ma  place  qu'elles  occupent? 


0  !  pourpier  de  mon  frère,  à  l'heure  où  s'em- 
pourpre le  ciel,  alors  qu'il  m'entraîne,  m'en- 
ferme en  ses  bras  !  Gomme  le  soleil  au-dessus 
de  la  nuit,  mon  cœur,  tout  rouge  et  brûlant, 
reste  suspendu,  avant  de  s'abimer  dans  ton 
amour! 

On  peut  voir,  au  musée  du  Louvre,  des 
bas-reliefs  antiques  où  le  nom  d'Amon  est 
martelé  par  ordre  de  ce  roi  qui  n'adorait 
qu'un  Dieu,  et  faisait  efï'acer  de  tous  les 
monuments  de  son  royaume  le  nom  du 
plus  puissant  des  dieux  reniés. 

L'indignation  causée  aux  pontifes  des 
autels  désertés  est  facile  à  concevoir.  Ils 
envoient  vers  le  roi,  pour  tâcher  de  le  re- 
conquérir, une  étrange  et  merveilleuse 
femme,  prêtresse  d'Amon,  initiée  aux 
mystères,  et  dont  la  beauté  n'a  pas  d'égale. 
C'est  l'histoire  de  cette  séduction,  mêlée 
à  celle  de  la  réforme  religieuse,  qui  est  le 
sujet  de  Khou-N-Atonou. 

Le  récit  de  la  découverte  de  Moi'se  est 
gracieusement  fait  par  la  princesse  Méri 
Atonou  : 

L^n  soir.  a\-cc  mes  filles,  je  marchais  sous 
les  palmiers,  le  long  du  fleuve.  J'entendis  des 
cris  plaintifs  et  étouffés,  que  je  pris  pour 
ceux  d'une  bête  blessée.  Mais  voici  :  dans  le 
fouillis  des  roseaux  et  des  lotus,  un  coll're  en 
papyrus  tressé,  enduit  de  poix  et  de  bitume, 
s'était  arrêté,  et  l'on  devinait,  dedans,  un 
être  qui  se  débattait,  frappait  des  poings,  agi- 
tait ses  pieds,  criant  de  toute  sa  voix  et  hâ- 
tant par  ses  mouvements  de  détresse  l'enghni- 
tissement  du  fragile  bateau...  N'est-ce  pas. 
père,  comme  cela  ressemble  à  ime  des  légendes 
des  anciens  dieux?  celle  où  le  corps  d'Osiris, 
enfermé  dans  un  coffre,  est  poussé  par  les 
flots  aux  pieds  d'Isis  !  Une  de  mes  suivantes 
dut  entrer  dans  l'eau  jusqu'aux  cuisses  pour 
atteindre  le  coll're  et  on  me  l'apporta.  Celui 
qu'il  enfermait  était  bien  vivant.  C'était  un 
bel  enfant  de  quelques  mois,  que  je  reçus 
comme  un  don  d'Atonou.  Je  l'appelai  :  No- 
hemtou-Em-Mou,  puisque  je  l'avais  sauvé  de 
l'abîme  des  eaux,  (^est  ainsi  qu'il  fut  mon 
fils. 

Dans  le  décor  poétiquement  exotique  et 
archaïque,  sous  les  colonnades  aux  piliers 
gigantesques,  sur  le  fleuve  d'argent 
qu'émaillent  les  étoiles  d'or  du  ciel,  et  les 
barques  chargées  de  musiciens  mystérieux, 
entre  les  grandes  tiges  des  lotus  et  des 
roseaux  qui  bruissent,  dans  l'étincelle- 
ment  des  ceintures,  des  boucles  ciselées, 
des  étoffes  rayées,  des  poignards  à  têtes 
de  génies,  au  pied  des  colossales  masses 
de  pierres  qui  recouvrent  l'obscurité  silen- 
cieuse des  temples,  on  se  plaît  à  suivre  le 
récit  des  amours  sanglantes  du  roi  et  de 
la  belle  Menko  Tira,  inutile  vengeresse  des 
dieux  abolis. 

Léo    Claretie. 


GAUSERIK    SCIENTIFIQUE 


Nous  aurions  tort  de  considérer  comme 
infécond  un  siècle  où  les  découvertes  et 
les  inventions  importantes  abondent  ;  mais 
il  ne  faudrait  pas  croire  cependant  qu'il  ne 
reste  plus  rien  à  trouver  et  que,  dans  toutes 
les  applications  de  la  science,  nous  avons 
atteint  le  dernier  degré  de  la  perfection; 
nous  en  sommes  encore  fort  éloignés.  La 
machine  à  vapeur,  par  exemple,  que  nous 
considérons  à  juste  titre  comme  notre  plus 
grande  conquête  et  comme  notre  principal 
auxiliaire,  transforme  en  puissance  utili- 
sable une  quantité  très  minime  de  lénerg-ie 
que  nous  lui  fournissons  sous  forme  de 
chaleur;  pas  plus  de  10  à  12  pour  100  pour 
les  grands  moteurs  et  moitié  moins  pour 
ceux  de  ^0  chevaux  et  au-dessous.  Tout 
travail  se  transforme  en  chaleur,  et,  si  réci- 
proquement la  chaleur  se  transforme  en 
travail,  le  moteur  le  plus  parfait  sera  celui 
qui  accomplira  la  transformation  la  plus 
complète.  Théoriquement,  on  doit  obtenir 
42.'j  kilogrammètres  par  calorie,  cest-à-dire 
que  la  quantité  de  chaleur  nécessaire  pour 
élever  de  zéro  à  1  degré  1  kilogramme 
d'eau  devrait  nous  donner  une  puissance 
d'un  peu  plus  de  7  chevaux-vapeur.  On 
voit  que  nous  sommes  loin  de  compte  ! 
On  ne  pourra  jamais,  bien  entendu,  arriver 
à  un  tel  résultat  ;  mais,  en  présence  d'un 
pareil  déficit,  il  est  permis  d'espérer  qu'on 
trouvera  mieux  que  ce  que  nous  avons. 
Les  moteurs  à  air  chaud,  à  gaz  ou  à  pé- 
trole, sont  déjà  un  progrès  dans  cette  voie; 
ils  ont  un  rendement  très  supérieur  à  celui 
de  la  machine  à  vapeur.  Malheureusement 
ils  ont  d'autres  inconvénients  et  dans  bien 
des  cas  on  préfère  encore  cette  dernière; 
mais  elle  est  arrivée  à  un  degré  de  perfec- 
tionnement tel  qu'on  ne  pense  pas  pouvoir 
en  obtenir  beaucoup  plus.  Les  efforts  se 
portent  donc  d'un  autre  côté,  et  récemment 
M.  Diesel,  ingénieur  allemand,  a  construit 
un  moteur  de  20  chevaux  qui  parait  être 
pour  le  moment  celui  qui  donne  le  meil- 
leur rendement,  car  on  arrive  à  environ 
2o  à  30  pour  100  de  l'énergie  fournie  par 
le  pétrole  lampant.  Celui-ci  est  introduit 
dans  le  piston  sous  forme  de  pluie  et  il 
s'y  enflamme  spontanément,  parce  qu'il  se 
trouve  en  contact  avec  de  l'air  comprimé 
à  40  atmosphères,  auquel  le  travail  de  la 
compression  a  donné  une  température  suf- 
fisante pour  produire  cette  inflammation; 
il  n'y  a  pas  explosion,  mais  simple  com- 
bustion qui  dilate  le  mélange  et  pousse  le 
piston;  d'autre  part,  on  sait  qu'en  se  raré- 
fiant les  gaz  se  refroidissent;  or,  à  mesure 
que  le  piston  avance,  l'espace  où  est 
renfermé  le  mélange  augmente,  la  tempé- 
ra tvue  s'abaisse  donc;  les  choses  sont  dis- 


posées de  telle  sorte  qu'il  y  a  compensation 
entre  l'élévation  de  température  que  pro- 
duit la  combustion  du  pétrole  et  l'abaisse- 


Fig.  1.  —  Le  moteur  Diesel  fonctionnant 
par  le  pétrole  brûlant  dans  l'air  comprimé. 

L,  réservoir  d'air  comprimé  ;  Q,  pompe  de  compression 
de  l'air;  Y",  tube  d'injection  du  pétrole  pulvérisé; 
C,  enveloppe  pour  circulation  d'eau  froide. 

ment  que  produit  la  dilatation  du  mélange 
gazeux,  de  sorte  que  le  piston  s'avance 
sous  une  pression  constante,  comme  dans 
la  machine  à  vapeur,  et  non  par  chocs  brus- 
ques, comme  dans  le  moteur  à  gaz  où  il  y 
a  explosion.  Lair  est  dans  le  réservoir  L 
(fig.  1)  et  la  compression  est  entretenue  par 
la  pompe  Q,  actionnée  par  le  moteur  lui- 
même  ;  il  est  admis  dans  le  cylindre  par 
la  soupape  Y,  qui  laisse  également  passer, 
au  moment  voulu,  le  pétrole  pulvérisé  par 
une  autre  petite  pompe,  non  représentée 
sur  le  dessin  ;  une  enveloppe  C  permet  de 
faire  circuler  de  l'eau  froide  autour  du  cy- 
lindre, comme  dans  la  plupart  des  moteurs 
à  gaz.  Jusqu'à  présent  ce  moteur  n'a  en- 
core été  construit  que  comme  appareil 
d'étude,  mais  les  résultats  obtenus  permet- 
tent de  croire  qu'on  est  dans  la  bonne  voie. 


Dans  le  même  ordre  d'idées,  nous  pou- 
vons dire  que  nos  moyens  d'éclairage  sont 
aussi  très  imparfaits  ;  jusqu'à  présent  tous 


280 


CAUSERIE     SCIENTIFIQUE 


les  appareils  qui  produisent  de  la  lumière 
font,  sous  forme  de  chaleur  qu'on  ne  leur 
demande  pas,  un  gaspillage  énorme  de 
l'énergie  qui  leur  est  fournie.  Ils  nous  ren- 
dent à  peu  près  5  pour  100;  c'est-à-dire 
que  théoriquement  nous  devrions,  avec  la 
même  dépense,  avoir  quatre-vingt-quinze 
fois  plus  de  lumière  que  nous  n'en  avons! 
Il  faudrait,  pour  obtenir  mieux,  pouvoir 
produire  de  la  lumière  froide.  On  y  arrive 
déjà  dans  un   petit  appareil  bien  connu  et 


Fig.  2.  —  Eclairage  installé  par  ]\I.  Moore,  au 
moyen  de  la  lumière  froide  produite  dans  des 
tubes  vides  d'air. 

qui  n'est  guère  utilisé  que  comme  jouet 
d'enfant  ;  c'est  le  tube  de  Geissler  où 
l'étincelle  électrique  de  la  bobine  d'induc- 
tion, se  produisant  dans  le  vide,  ou  plutôt 
dans  un  gaz  très  raréfié,  donne  une  lueur 
qu'on  peut  presque  considérer  comme  de 
la  lumière,  mais  qui  est  cependant  encore 
insuffisante  pour  être  pratiquement  em- 
ployée. C'est  là-dessus  qu'a  déjà  été  ap- 
pelée depuis  longtemps  l'attention  des 
physiciens,  et  récemment  un  Américain, 
M.  Moore,  est  arrivé  à  augmenter  l'éclat 
de  ce  genre  de  tubes  dans  des  proportions 
assez  considérables  pour  que,  dans  une 
exposition  d'électricité,  il  ait  réussi  à 
éclairer  une  petite  chapelle  qu'il  avait  fait 
construire  et  dont  nous  reproduisons  l'as- 
pect d'après  le  Scientific  american  (fig.  2). 
La  lumière  est,  paraît-il,  assez  intense  et 
d'une  grande  douceur.  Pour  obtenir  ce 
résultat,  il  a  modifié  l'interrupteur  de  la 
bobine  d'induction.  On  sait  que  ces  appa- 
reils se  composent  d'un  circuit  électrique, 
formé  d'un  fil  assez  gros  et  d'un  autre  cir- 


cuit, isolé  du  premier,  formé  d'un  fil  très 
fin  et  très  long.  En  faisant,  dans  le  pre- 
mier circuit,  des  interruptions  fréquentes 
du  courant,  on  détermine,  dans  le  second 
circuit,  un  courant  d'une  haute  tension. 

Le  moyen  ordinairement  employé  pour 
produire  ces  interruptions  consiste  à  inter- 
caler dans  le  circuit  du  gros  fil  un  électro- 
aimant A  (fig.  3)  en  face  duquel  est  une 
armature  T  montée  sur  une  lame  de  ressort  ; 
une  vis  de   réglage  V,   reliée  à  la   pile  P, 


Fig.    B.    —    Principe 

des      interrupteurs 
électriques. 

P,  source  d'électricité  ; 
A,  électro-aimant  at- 
tirant la  lame  de  res- 
sort T  par  laquelle 
passe  le  courant  ve- 
nant par  la  vis  V. 


amène  le  courant  à  cette  armature,  de  sorte 
qu'il  se  trouve  coupé  aussitôt  qu'il  y  a 
attraction,  pour  être  rétabli  immédiate- 
ment après,  l'électro  devenant  inactif  dès 
que  le  courant  ne  le  traverse  plus;  c'est  ce 
qu'on  appelle  un  trembleur.  Son  emploi 
est  bien  connu,  puisqu'il  suffit  d'ajouter  un 
petit  marteau  à  l'extrémité  de  l'armature 
et  de  mettre  un  timbre  en  regard  pour  con- 
stituer une  sonnerie  électrique.  Or,  dans 
le  cas  particulier  de  son  application  à  la 
bobine  d'induction,  il  arrive  que  la  couche 
d'air  qui  se  trouve  au  point  de  rupture  est 
la  cause  de  la  production  d'une  assez  forte 


Fig.  4. 


Fig. 


Fig.  4. 


-  Interrupteur  Moore  fonctionnant 
dans  un  tube  vide  d'air. 


Fig.  5.  —  Autre  mode  d'interrupteur  au  moyen 
d'un  petit  moteur  dans  le  vide. 

M,  moteur  recevant  le  courant  d'une  source  électrique 
par  les  fils  c,  d  et  coupant  à  chaque  tour  aux  points  P 
et  L  le  courant  du  circuit  mri,  sur  lequel  est  branché 
le  tube  à  illuminer  ;  V,  volant  du  moteur. 

étincelle,  qui  entrave  la  marche  du  trem- 
bleur et  retarde  ses  oscillations.  M.  Moore 
a  eu   l'idée  d'enfermer  l'appareil   dans  un 


CAUSKRIE     SCIENTIFIQUE 


281 


tube  de  verre  (fig.  4)  où  le  vide  a  été 
poussé  aussi  loin  que  possible  et  il  a  ainsi 
supprimé  l'étincelle  et  augmenté  le  rende- 
ment dans  de  grandes  proportions. 

Dans  une  autre  disposition ,  il  a  rem- 
placé le  trembleur  par  un  moteur  élec- 
trique minuscule  M  (fig.  î>),  auquel  le  cou- 
rant de  la  pile  est  amené  par  deux  lils  c,  d 
et  qui  tourne  avec  une  extrême  rapidité, 
en  coupant  à  chaque  tour,  en  PL,  le  lil  mn, 
qui  fait  partie  du  circuit  primaire  de  la 
bobine.  Avec  ces  différentes  dispositions, 
cette  dernière  ne  devient  même  plus  indis- 
pensable et  Télectro-aimant  de  l'interrup- 
teur, dans  lequel  il  se  produit  aussi  des 
courants  d'induction  par  suite  de  l'action 
des  spires  les  unes  sur  les  autres,  suffit 
pour  illuminer  le  tube  ;  l'expérience  prend 
alors  une  autre  forme  (fig.  6)  et  il  suffit  de 
relier  les  extrémités  d'un  tube  vide  d'air  T 
aux  extrémités  du  fil  ab  qui  forme  l'électro- 
aimant.  On  arriverait  ainsi,  avec  une  source 
d'électricité  relativement  faible,  à  obtenir 
économiquement   une  lumière  plus  douce 


C^ 


Fig. 


Lumière  froide. 


T,  tube  vide  d'air  s'illuminant  par 
suite  lies  interruptions  produites 
dans  le  vide,  eu  M,  sur  le  cou- 
rant venant  de  cib. 


et  plus  agréable  que  celle  que  nous  em- 
ployons. Il  est  vrai  qu'en  consentant  à 
perdre  encore  une  partie  de  cette  lumière, 
déjà  si  coûteuse  comparativement  à  l'éner- 
gie fournie,  on  peut  avoir  un  éclairage 
très  doux.  L'expérience  en  a  été  faite  l'an 
dernier  dans  un  nouveau  bâtiment  de  l'U- 
niversité de  Colombia  :  on  a  disposé  au 
centre  d'une  grande  salle  de  lecture  une 
boule  L,  peinte  en  blanc,  et  l'on  a  projeté 
dessus  les  faisceaux  de  quatre  puissants 
réflecteurs  P  dissimulés  dans  le  cintre 
(fig.  7).  La  boule  prend  alors  l'aspect  de 
la  pleine  lune;  mais  elle  est  loin,  parait-il, 
de  donner  la  même  clarté,  et  l'on  a  seule- 
ment un  jour  crépusculaire  qui  ne  dispense 
pas  d'employer  des  lam})es  à  incandes- 
cence ordinaires  sur  les  tables.  Ceci  dit 
pour  renseigner  ceux  qui  seraient  tentés 
de  faire  la  même  expérience. 

Il  est  préférable,  si  l'on  veut  éviter  la 
lumière  directe,  de  recevoir  le  faisceau 
lumineux  sur  un  réflecteur  peint  en  blanc, 
mais  formant  une  surface  plane;  un  pla- 
fond remplit  parfaitement  cet  office  et 
renvoie  70  pour  100  de  la  lumière  qu'il  re- 
çoit ;  cet  artifice  est,  du  reste,  souvent  em- 


ployé, et  il  est  recommandé  pour  les  salles 
d'étude  et  de  dessin  :  on  tourne  l'abat-jour 
vers  le  plafond  bien  blanchi  et  la  lumière 


Fig.  7.  —  La  lune  artificielle  éclairant  (?) 
la  bibliothèque  de  l'Université  de  Colombia. 


ainsi  difTusée  est  très  agréable  et  ne  donne 
pas  d'ombre  portée  sur  les  tables.  Nous 
vivons,  dit-on  volontiers,  dans  un  siècle 
de  lumière;  mais  il  serait  bon  d'ajouter 
que,  si  nous  sommes  éclairés,  c'est  à 
grands  frais,  et  des  progrès  importants 
restent  à  réaliser. 


Nous  avons,  il  y  a  quelque  temps,  à 
propos  de  la  guerre  hispano-américaine, 
donné  quelques  types  de  torpilles  auto- 
mobiles; mais  ce  ne  sont  pas  les  seules 
employées  ;  elles  ont  des  steurs  qui,  bien 
que  dormantes,  n'en  sont  pas  moins  dan- 
gereuses et  sont  chargées  de  garder  la 
passe  qui  donne  entrée  au  port.  Ce  sont 
des  calottes  sphériques  en  fonte  (fig.  8) 
remplies  de  l'un  des  explosifs  connus,  tels 
que  fulmicoton ,  dynamite,  etc.,  qu'on 
immerge  à  des  endroits  déterminés  et 
parfaitement  repérés.  Il  y  a  deux  moyens 
de  les  employer  :  les  unes  reposent  sur  le 
fond  et  l'on  y  met  le  feu  électriquement  ;  les 
autres  sont  amarrées  de  façon  à  flotter,  à 
une  distance  de  la  surface  telle  que  le  choc 
de  la  carène  du  vaisseau  les  fasse  éclater. 
Pour  les  premières,  on  dispose  sur  la  côte 
des  guetteurs  chargés  de  déterminer 
l'explosion  au  moment  voulu,  en  fermant 
le  circuit  électrique  qui  les  relie  au  rivage. 
Une  disposition  qui  a  été  préconisée  est  la 
suivante  :  deux  guetteurs,  éloignés  l'un  de 
l'autre,  sont  munis  de  lunettes;  ces  deux 
postes  forment  la  base  d'un  triangle  dont 
le  sommet  est  le  point  oi^i  repose  la  tor- 
pille. Dès  qu'un  vaisseau  ennemi  est  en 
vue,  les  guetteurs  le  suivent  avec  leurs 
lunettes  qui  sont  montées  sur  un  pivot  fixé 
à  une  table  ;  en  tournant  autour  de  ce  pivot, 
ellesentraînent  un  contact  qui,  en  un  point 


2S2 


CAUSERIE     SCIENTIFIQUE 


déterminé,  ferme  le  circuit  dont  fait  partie 
le  câble  de  la  torpille.  Ces  conlacls  sont 
disposés  de  telle  sorte  qu'il  faut,  pour  que 
la  fermeture  ait  lieu,  que  les  deux  lunettes 
soient  en  même  temjis  braquées  sur  le 
point  où  est  immergée  la  torpille  et,  comme 
les  guetteurs  suivent  tous  deux  en  même 
temps  le  vaisseau,  l'explosion  a  lieu  auto- 
matiquement au  moment  précis  où  il  passe 
au-dessus  de  l'engin. 

Pour  les  secondes ,  il  y  a  un  percu- 
teur (fig.  8,  n"  2)  qui  se  compose  d'un 
petit  tube  de  plomb  B  renfermant  un  tube 
de  verre  A  contenant  de  l'acide  sulfurique  ; 
on  dispose  plusieurs  percuteurs  de  ce 
genre  sur  la  surface  de  la  torpille,  et,  si 
la  carène  du  navire  vient  à  en  briser  un, 


Fig.  8,  n"  1.  —  Torpilles  dormantes  destinées 
à  garder  l'entrée  des  ports. 

C,  corps  de  la  torpille;  T,  introduction  de  la  charge; 
H,  charge  ;  E,  amorce  réunie  au  câble  électrique  F, 
venant  du  rivage. 

N"  2.  —  Percuteur  fonctionnant   à   la    rencontre 
d'un  navire. 

C,  corps  de  la  torpille  ;  B,  tube  de  plomb  ;  A,  tube  de 
verre  qui  répand  quand  il  est  brisé  l'acide  sulfurique 
qu'il  contient  sur  un  mélange  K  de  sucre  et  de  chlorate 
de  potasse;  H,  D,  explosif  de  la  torpille. 

l'acide  sulfurique  se  répand  sur  le  mélange 
de  sucre  et  de  chlorate  de  potasse  qui  est 
disposé  autour;  la  chaleur  produite  par  la 
réaction  de  ce  mélange  est  telle  que 
l'amorce  prend  feu  et  détermine  l'explo- 
sion. Les  engins  de  ce  dernier  genre  sont 
fort  dangereux,  non  seulement  pour  l'en- 
nemi, mais  pour  les  amis  ;  car  il  n'est 
guère  admissible  qu'on  puisse  fermer  la 
passe  d'une  façon  définitive,  il  faut  donc 
placer  les  torpilles  seulement  quand  on 
craint  une  attaque  et  les  enlever  à  un  mo- 
ment donné,  mais  il  ne  faut  pas  en  oublier! 


Si  les  Américains  cherchent  à  détruire 
les  Espagnols,  ils  protègent  les  oiseaux. 
Ils  viennent  d'édicter  une  loi  par  laquelle 
le  commerce  de  leur  dépouille  et  de  leur 
plumage  est  interdit,  sous  peine  d'une 
amende   de   250  francs,  sur  tout  le   terri- 


toire des  Etats-Unis.  La  raison  de  cette 
mesure  est  que  l'oiseau  est  indispensable 
à  l'agriculture,  car,  s'il  mange  quelque  peu 
les  fruits,  il  mange  aussi  beaucoup  d'in- 
sectes qui,  eux,  se  chargeraient  de  dé- 
truire rapidement  toute  une  récolte.  On 
a  fait  le  dénombrement  des  oiseaux  utiles 
et  de  ceux  qui  sont  nuisibles,  et  l'on  a  con- 
staté que  ces  derniers  forment  le  plus 
petit  nombre  ;  ce  sont  eux  pourtant  qu'on 
respecte  :  on  chasse  peu  les  éperviers  et 
autres  oiseaux  de  proie  qui  mangent  des 
milliers  d'oiseaux  utiles.  C'est  surtout  au 
moment  des  migrations  qu'on  fait,  dans  le 
midi  de  la  France,  des  hécatombes  ;  on 
massacre  les  hirondelles  pour  les  expé- 
dier à  nos  restaurateurs  parisiens  sous  le 
nom  de  mauviettes;  on  massacre  du  reste 
partout  toutes  les  espèces  sans  distinction 
et  par  tous  les  moyens  possibles,  et,  si  cela 
continue,  dans  une  cinquantaine  d'années 
on  s'apercevra  que  ces  petits  charmeurs 
de  nos  bois  et  de  nos  jardins  manquent  à 
l'agriculture.  Il  serait  temps  qu'une  loi 
intervint,  non  seulement  en  France, 
mais,  après  entente,  dans  toute  l'Europe, 
pour  interdire  le  commerce  des  petits 
oiseaux  ;  les  dames  trouveront  autre  chose 
pour  leurs  chapeaux  et  les  gourmets  se 
passeront  de  mauviettes. 


La  distribution  des  billets  de  chemin  de 
fer,  dans  une  grande  gare  comme  celles 
qui  desservent  la  banlieue  de  Paris,  est 
une  opération  qui  exige  un  temps  toujours 
trop  long  au  gré  du  voyageur  qui  fait 
queue  pour  attendre  son  tour. 

La  personne  préposée  à  cette  distribu- 
tion ne  perd  pas  son  temps  ;  mais  il  faut 
qu'elle  cherche  dans  un  casier  où  sont 
classés  les  tickets  parmi  des  milliers  d'au- 
tres, car,  sans  compter  que,  pour  chaque 
station,  il  y  a  les  divisions  par  classes,  il 
y  a  encore  des  tarifs  divers  :  place  entière, 
demi  ou  quart  de  place  pour  chaque  classe. 
On  a  pensé  qu'il  serait  possible  d'aller 
plus  vite  en  fabriquant  le  billet  demandé 
au  moment  de  le  remettre  au  voyageur. 
La  machine  imaginée  à  cet  effet  (fig.  9)  se 
compose  d'un  cylindre  C  sur  lequel  sont 
enroulées  des  bandes  de  carton;  contre  ce 
cylindre  et  sur  le  môme  axe  est  montée 
une  roue  A  qui  porte  à  sa  circonférence  le 
nom  de  toutes  les  stations.  Pour  délivrer 
un  billet,  on  tourne  la  roue  jusqu'à  ce  que 
le  nom  de  la  station  demandée  se  trouve 
en  face  d'une  fenêtre  pratiquée  dans  la 
monture  et  formant  point  de  repère  ;  ce 
mouvement  a  déterminé  dans  le  cylindre 
le  jeu  d'un  certain  nombre  de  compos- 
teurs et  il  suffit  alors  d'appuyer,  suivant 
la  classe    désirée,   sur  une   des  manettes 


CAUSERIE     SCIENTIFIQUE 


2S3 


martjuôes  I,  2,  '.]  pour  que  le  billel  arrive 
tout  coupé  dans  la  main  de  l'employé  ;  il 
porte,  outre  le  nom  de  la  station,  toutes 
les  indications  des  billets  ordinaires,  telles 
que  la  date,  la  série,  le  numéro  d'ordre,  etc. 
En  même  temps  que  se  fait  celte  opération, 
une  bande  de  papier,  placée  également 
dans  la  machine,  s'imprime  pour  servir  de 


Fig.  0.  —  Machine  à  fabriquer  les  billets  • 
de  chemin  de  fer  au  moment  de  leur  distribution. 

contrôle,  elle  porte  le  numéro  d'ordre,  la 
destination  et  les  prix  placés  au-dessous 
les  uns  des  autres  ;  une  simple  addition 
permet  donc  de  vérifier  la  caisse  à  chaque 
instant.  Ces  appareils,  qui  fonctionnent  à 
la  gare  du  Nord  et  à  la  gare  Saint-Lazare, 
à  Paris,  depuis  le  commencement  de 
l'année,  ont  donné  de  bons  résultats,  et, 
en  généralisant  leur  emploi,  les  compa- 
gnies, tout  en  y  trouvant  un  moyen  de 
contrôle  efficace  et  une  simplification  de 
la  besogne  de  l'employé,  donneront  aussi 
satisfaction  au  public,  qui  posera  moins 
longtemps  au  guichet. 


Mettre  de  la  couleur  sur  du  papier,  c'est 
chose  trop  banale  pour  M.  Ch.  Henry,  qui 
prétend  cependant  obtenir  du  papier  de 
tenture  au  plus  joli  coloris  sans  y  mettre 
autre  chose  qu'une  mince  couche  d'une 
substance  incolore  ;  les  résultats  que  nous 
avons  pu  voir  sont  réellement  très  inté- 
ressants. En  somme,  la  couleur  d'un  objet 
n'est  que  l'effet  de  la  réflexion  de  la  lu- 
mière blanche,  composée,  comme  on  sait. 


de  sept  couleurs  primaires,  sur  la  matière 
dont  est  composé  l'objet  ;  si  cette  ma- 
tière est  telle  que  par  sa  nature  elle 
absorbe  six  de  ces  couleurs,  c'est  la  sep- 
tième qui  sera  réiléchie  et  que  nous  ver- 
rons ;  ce  sera  sa  couleur  propre.  C'est 
pourquoi  la  couleur  peut  varier,  pour  un 
même  objet,  avec  la  nature  de  la  source 
de  lumière  :  telle  étofTe,  qui  paraît  bleue 
au  jour,  sera  verte  à  la  lumière  artificielle, 
car  le  spectre  de  cette  lumière  ne  sera  pas 
le  même  que  celui  du  soleil.  D'autre  part, 
il  est  facile,  en  se  plaçant  dans  certaines 
conditions,  de  voir  à  la  fois  plusieurs  cou- 
leurs du  spectre  ;  cela  se  présente  même 
fréquemment  à  Paris,  les  jours  de  pluie,  à 
certaines  portes  d'octroi  où  il  passe  beau- 
coup de  voitures  automobiles  ;  obligées  de 
s'arrêter  un  moment  pour  satisfaire  aux 
dures  lois  du  fisc,  elles  laissent  tomber 
quelques  gouttes  d'huile  qui  s'étendent  en 
couche  mince  sur  les  larges  mares  d'eau. 
L'épaisseur  de  cette  lame  d'huile  se  mesure 
par  des  millièmes  de  millimètre  et  rentre 
dans  un  ordre  de  grandeur  (on  pourrait 
dire  plutôt  de  petitesse)  qui  est  du  même 
ordre  que  celui  des  vibrations  lumineuses  ; 
à  sa  rencontre  il  y  a  perturbation  dans  les 
vibrations  propres  à  chaque  couleur,  et 
nous  voyons  apparaître  ces  vives  nuances 
que  les  bulles  de  savon  ou  la  nacre  nous 
ont  déjà  fait  connaître.  Ce  sont  ces  cou- 
leurs que  M.  Ch.  Henry  a  voulu,  nous  ne 
dirons  pas  fixer,  mais  provoquer  sur  un 
papier  préparé  industriellement  et  destiné 
à  obtenir  des  effets  nouveaux  dans  l'orne- 
ment de  nos  demeures.  Pour  cela,  il  fal- 
lait recueillir  et  fixer  les  lames  minces  ; 
il  y  arrive  en  faisant  dérouler  d'une  façon 
continue  le  papier  dans  une  cuve  d'eau, 
sur  laquelle  on  a  projeté  quelques  gouttes 
d'une  solution  de  résine  dans  de  l'essence 
de  térébenthine;  la  lame  mince  formée  se 
trouve  ramassée  par  la  surface  du  papier, 
sur  laquelle  elle  s'attache.  Portée  au  jour, 
cette  résine  devient  insoluble,  et  la  couche 
mince  se  trouve  fixée  sur  le  papier,  qui 
retlète  alors  toutes  les  couleurs  et  prend 
les  teintes  les  plus  variées,  suivant  l'angle 
sous  lequel  on  le  regarde  et  suivant  aussi 
le  milieu  dans  lequel  il  se  trouve.  C'est 
une  nouvelle  industrie  qui  trouvera  son 
application  dans  l'art  de  l'ameublement 
moderne. 


Nous  avons  dit  tout  à  l'heure  que  toutes 
les  lumières  n'ont  i)as  la  même  compo- 
sition, ne  donnent  pas  absolument  le  même 
spectre  quand  on  les  décompose,  et  nous 
voulons  revenir  un  moment  là-dessus  à 
propos  d'une  découverte  qui  vient  d'être 
faite  précisément  par  l'analyse  spectrale. 
On   sait  que    dans   le    spectre   solaire   on 


28'. 


CAUSERIE     SCIENTIFIQUE 


trouve,  outre  les  bandes  formées  des  sept 
couleurs  primaires ,  beaucoup  de  lignes 
peu  apparentes  qui  coupent  ces  bandes  en 
des  points  déterminés;  or  ces  lignes  chan- 
gent de  couleur  et  de  position  avec  la  na- 
ture de  la  lumière  qui  forme  le  spectre,  et 
chaque  corps  donne  toujours  des  raies 
identiques  de  couleur  et  de  position  :  on 
a  donc  là  un  moyen  d'identifier  les  corps 
connus,  chacun  d'eux  donnant  des  lignes 
qui  ne  ressemblent  en  rien  à  celles  données 
par  son  voisin.  Dernièrement,  un  physi- 
cien bien  connu  de  Londres,  M.  Ramsay, 
ayant  re(,'u  une  petite  fiole  d'air  liquide, 
eut  l'idée  de  l'analyser  en  absorbant 
d'abord,  par  les  procédés  ordinaires,  l'oxy- 
gène et  l'azote;  cette  absorption  terminée, 
il  restait  encore  quelque  chose,  ce  qui 
n'était  pas  fait  pour  l'étonner,  puisque  c'est 
lui  qui,  il  y  a  quatre  ans,  avait  découvert 
que  ce  quelque  chose  est  un  gaz  consti- 
tutif de  l'air  qu'il  nomma  l'argon.  Mais, 
soupçonnant  que  notre  atmosphère  avait 
encore  quelque  secret,  il  soumit  son  ré- 
sidu à  l'analyse  spectrale,  qui  lui  décela 
d'abord,  bien  entendu,  les  raies  de  son 
nnii  argon,  mais  aussi  d'autres  raies,  très 
apparentes,  qui  ne  se  rapportaient  à  aucun 
gaz  connu  :  il  s'agit  donc  encore  d'un  nou- 
vel élément  do  l'air  qu'il  baptisa  provisoi- 
rement crypton,  ce  qui  veut  dire  qu'il  est 
caché  ;  il  est  bien  possible  qu'on  en  trouve 
encore  d'autres!  Voilà  donc  tous  nos  ma- 
nuels de  chimie  à  refaire,  la  composition 
de  l'air  y  étant  donnée  d'une  façon  impar- 
faite; heureusement  que  cela  ne  nous  em- 
pêche pas  de  resjnrer  ! 


Le  moyen  de  transport  le  plus  écono- 
mique, pour  l'expédition  en  grande  quan- 
tité des  marchandises  lourdes,  est  le  ca- 
nal ;  mais  il  a  l'inconvénient  d'être  d'une 
lenteur  désespérante.  Qui  n'a  vu  ces 
énormes  péniches  remorquées  pénible- 
ment par  deux  chevaux,  quelquefois  deux 
hommes,  à  raison  de  2  ou  .'1  kilomètres 
à  l'heure  !  C'est  sûrement  le  moyen  de 
transport  qui  détient  le  record  de  la  len- 
teur ;  aussi  a-t-on  souvent  cherché  à  remé- 
dier à  cet  état  de  choses  et  par  ces  temps 
d'automobiles,  où  le  cheval  tend  tous  les 
jours  à  être  supplanté  par  un  moteur  mé- 
canique, il  serait  étonnant  qu'on  ne  trouvât 
pas  une  solution  satisfaisante.  L'emploi 
d'un  propulseur  mû  par  la  vapeur,  comme 
sur  les  fleuves,  aurait,  paraît-il,  l'inconvé- 
nient  de  détériorer   assez  vite  le  canal,  à 


cause  de  l'agitation  qu'il  provoque.  Aussi 
est-ce  en  conservant  le halage qu'on  cherche 
une  solution  et  déjà  quelques  essais  plus  ou 
moins  heureux  ont  été  faits.  La  locomotive 


Fig.  10.  —  Halage  des  bateaux  sur  les  canaux  au 
moyen  d'un  tracteur  électrique  à  crémaillère. 

à  vapeur  roulant  sur  une  voie  ferrée,  placée 
le  long  du  canal,  a  été  considérée  comme 
trop  coûteuse  et  ne  paraît  pas  avoir  donné 
des  résultats  avantageux.  On  a  proposé  de 
la  remplacer  par  un  moteur  électrique, 
auquel  le  courant  serait  fourni  par  une 
dynamo,  actionnée  soit  par  un  moteur  à 
vapeur,  soil  par  une  chute  d'eau  prise  sur 
le  canal  même,  quand  cela  serait  possible. 
Nous  ne  croyons  pas  que,  jusqu'à  présent, 
en  France,  des  essais  de  ce  genre  aient 
été  tentés;  mais  le  Cazier's  Magazine  nous 
donne  quelques  détails  sur  une  installation 
récente  (fig.  10)  faite,  en  Amérique,  par 
M.  Schatz. 

Pour  obtenir  une  adhérence  suffisante, 
sans  être  obligé  d'exagérer  le  poids  du 
tracteur,  la  voie  porte  une  crémaillère  sur 
laquelle  engrène  la  roue  motrice  ;  le  cou- 
rant est  amené  par  des  fils  placés  le  long 
de  la  voie  et  reliés  au  moteur  par  un  trol- 
ley, comme  cela  a  lieu  pour  les  tramways. 
Le  tracteur  peut  être  conduit  soit  par  un 
homme  monté  dessus,  soit  depuis  le  bateau 
même,  en  disposant  des  fils  qui  permettent 
de  couper  ou  de  renverser  le  courant  au 
moment  opportun.  Ce  n'est  qu'au  bout  de 
quelque  temps  d'exploitation  qu'on  pourra 
se  rendre  compte  des  conditions  écono- 
miques de  cette  exploitation  ;  on  ne  cher- 
chera jamais  la  vitesse  sur  un  canal,  les 
éclusages  s'y  opposeront  toujours  ;  mais  il 
ne  serait  pas  mauvais  tout  de  même,  pour 
que  certaines  marchandises  qui  ne  se  con- 
servent pas  indéfiniment  pussent  profiter 
de  ce  mode  économique  de  transport,  qu'on 
arrivât  à  marcher  un  peu  plus  vite  qu'une 
charrue. 

G.    Maresciial. 


Les  renseignements   de  cet  article  sont  donnés  mi  point  de  vue  scientifique  et    en  dehors  de  toute  réclame.  Aussi  il  ne 
sera  pas  répondu  aux  demandes  d'adresses  ou  de  renseignements  commerciaux. 


ÉVÉNEMENTS     GEOGRAPHIQUES 

ET   COLONIAUX 


Faisons  nos  excuses  au  lecteur.  Il  faut 
que  nous  revenions  au  Niger,  sujet  de 
notre  dernière  chronique. 

Le  métier  de  chroniqueur  colonial  a  de 
ces  tristesses-là.  L'événement  nous  im- 
pose sa  présence.  Or  il  arrive  à  son  heure, 
non  h  la  nôtre.  Etre  prophète?  La  chose 
ne  va  point,  outre  le  ridicule,  sans  quelque 
difficulté.  Il  vaut  mieux  se  résig-ner.  On 
s'est  plaint,  tout  le  long  d'une  page, 
des  lenteurs  d'une  Commission  :  est-on 
obligé  trois  pages  après,  le  lendemain, 
d'annoncer  que  la  Commission  a  abouti  ? 
Est-on  obligé,  le  mois  suivant,  de  traiter 
le  même  sujet  ?  Vite,  des  excuses  au  lec- 
teur, et...  on  finit,  assez  souvent,  par  se 
consoler. 

Nous  avons  exposé,  il  y  a  un  mois,  le 
litige  qui  divisait,  dans  la  boucle  du  Niger, 
l'Angleterre  et  la  France.  Sans  explica- 
tions préliminaires,  analysons  la  conven- 
tion qui  a  mis  fin  le  14  juin  dernier  à  ce 
litige.  (Consulter,  pour  cette  chronique, 
notre  Carfs  de  l'Afrique  occidentale  et  cen- 
trale française,  publiée  dans  le  dernier  nu- 
méro, p.  12B.) 

Il  s'agissait,  tout  d'abord,  de  régler  une 
question  territoriale. Voici  dans  ses  grandes 
lignes,  la  solution  intervenue  : 

A  l'ouest  du  Niger,  entre  la  française 
Côte-d'Ivoire  et  l'anglaise  Côte-d'Or,  la 
nouvelle  frontière  part  du  9"  degré  latitude 
nord  (convention  du  12  juillet  1893),  re- 
monte la  Volta  noire  jusqu'au  IL*  degré, 
suit  ce  dernier  parallèle  jusqu'à  la  fron- 
tière franco-allemande,  déterminée  par  la 
convention  du  23  juillet  dernier.  Entre  le 
Dahomey  français  et  les  protectorats  an- 
glais du  Niger,  la  nouvelle  frontière  part 
également  du  9'^  degré  latitude  nord  (con- 
vention du  12  octobre  1896  i,  se  dirige  vers 
le  nord-est-nord,  passe  à  l'est  de  Nikki  et 
de  Kandi,  et  atteint  le  Niger  à  10  kilomè- 
tres en  amont  de  Guiris,  ou  Géré,  port  d'Ilo. 
A  l'est  du  Niger,  elle  conserve  la  même 
direction  jusqu'à  1(10  kilomètres  de  Sokoto  ; 
elle  contourne  cette  ville,  la  laissant  au 
sud,  suit  quelque  temps  le  14"  degré,  con- 
tourne Zinder,  la  laissant  au  nord,  rejoint 
ce  parallèle  et  ne  s'en  écarte  plus  jusqu'au 
Tchad  ;  elle  atteint  ce  lac  un  peu  au  nord 
de  Barroua. 

Nous  conservons  Bouna  et  Nikki,  nous 
perdons  Oua,  Ilo  et  Boussa  ;  la  ligne  Say- 
Barroua  est  modifiée  à  notre  avantage  :  au 
total,   pertes   et  gains   se    compensent.  Il 


est  aisé  de  s'en  rendre  compte,  approximati- 
vement, sur  la  carte  ;  de  la  partie  teintée 
en  gris  —  le  territoire  français  —  nous 
n'abandonnons  que  deux  triangles  de 
superficie  relativement  restreinte  :  ceux 
d'Oua  et  de  Boussà  ;  par  contre,  il  nous 
faudrait  teinter  à  présent  un  triangle  au 
sud-ouest  de  Say,  et  un  rectangle  long  de 
400  kilomètres,  entre  Sokoto  et  Kouka. 
Cependant,  ce  n'est  pas  sans  regrets  que 
nous  évacuerons  Ilo,  où  sont  morts  des 
Français,  comme  le  maréchal  des  logis  de 
Bernis,  assassiné  en  janvier  dernier,  et 
Boussa,  dont  la  «  capacité  »  commerciale, 
grâce  à  la  situation  de  ce  point  en  amont 
des  premiers  rapides  du  Niger,  est  peut-être 
fort  grande.  Mais  toute  entente  exige  des 
concessions  réciproques.  Nous  ne  pou\ions 
nous  flatter  de  voir  les  Anglais  nous  céder 
en  tous  points;  et  il  était  urgent  d'aboutir. 

Etait-il  nécessaire,  alors  que  la  question 
territoriale  devait  être  seule  posée,  de 
nous  laisser  entraîner  dans  la  voie  des 
concessions  d'ordre  économique?  L'ar- 
ticle 9,  qui  règle  la  question  commerciale, 
est  bien  fait  pour  éveiller  les  appréhen- 
sions et  appeler  la  critique.  Le  voici  : 

A  l'intérieur  d'une  ligne  qui  englobe  la 
Côte-d'Ivoire  jusqu'au  nord  de  Kong,  le 
Gourounsi  et  une  partie  de  Mossi  jusqu'à 
Ouaghadougou,  le  haut  Dahomey  jusqu'au 
lO*'  degré  latitude  nord,  les  citoyens  et  pro- 
tégés des  deux  nations  jouiront,  pendant 
trente  années,  du  même  traitement,  a  pour 
tout  ce  qui  concerne  la  navigation  fluviale, 
le  commerce,  le  régime  douanier  et  fiscal 
et  les  taxes  de  toute  nature  ».  A  l'exté- 
rieur de  cette  ligne,  ajoute  l'article,  liberté 
entière  est  laissée  aux  deux  nations  con- 
tractantes. Ceci  est  fort  heureux,  et  nous 
devons  remercier  les  Anglais  de  nous  lais- 
ser la  libre  disposition  d'une  partie  de 
notre  bien.  Quant  à  «  l'intérieur  de  la 
ligne  »,  il  faut  en  prendre  notre  parti. 
Une  fois  de  plus,  nos  soldats  seront  morts 
pour  le  plus  grand  profit  des  négociants 
anglais.  —  Mais  nous  pourrons,  à  notre 
tour,  trafiquer  chez  nos  voisins  !  —  Le  bon 
billet  !  Comment?  Vous  ferez  chez  autrui, 
au  milieu  de  difficultés  de  tout  ordre, 
ce  que  vous  ne  faites  pas  chez  vous  ?  Je 
vous  dis  qu'on  a  illuminé  à  Liverpool. 
On  a  juré,  sauf  respect,  à  Marseille. 

—  Vous  oubliez  les  enclaves  commer- 
ciales. 

Nous  y    voici.    L'Angleterre  loue   à    la 


286 


EVENEMENTS    GEOGRAPHIQUES 


République,  par  bail,  pour  trente  ans, deux 
terrains  d'une  superficie  qui  n'excédera 
pas  pour  chacun  d'eux  50  hectares  et 
situés  l'un  sur  la  rive  droite  du  Niger, 
entre  Léaba  et  le  confluent  de  la  rivière 
Moussa  (Mochi)  avec  ce  Qeuve,  l'autre  sur 
les  embouchures  du  Niger.  Ces  terrains  ne 
cessent  pas  de  faire  partie  du  protectorat 
anglais  du  Niger  ;  nous  n'en  devenons  que 
les  locataires. 

Le  Gouvernement  de  la  République  s'en- 
p^afie  à  payer,  tous  les  ans,  au  Goin-ernemcnt 
de  Sa  Majesté,  le  l'""  janvier,  un  loyer  de 
1  franc. 

Un  franc  par  an,  voilà,  certes  !  qui  n'est 
pas  ruineux  pour  le  gouvernement  de  la 
République.  Mais  ne  trouvez-vous  point 
qu'un  pareil  bail  ne  va  point  sans  quelque 
humiliation?  Lorsqu'un  peuple  paye  à  un 
autre,  pour  un  territoire,  une  somme  d'ar- 
gent, cette  somme  prend  le  nom  de  tribut. 
Désormais  il  est  permis  de  dire  ,  en  un 
sens,  que  la  France  paye  à  l'Angleterre 
un  tribut  de  1  franc.  Criez-vous  à  l'exa- 
gération? Lisez  le  bail  (art.  'ij  : 

Le  Gouvernement  de  la  République  s'en- 
gage : 

a)  A  entourer  la  partie  du  territoire  sus- 
mentionnée à  l'article  i  d'un  mur  ou  d'une 
palissade  ou  de  toute  autre  clôture  qui  aura 
au  7notns  3  mi'tres  de  haut.  Il  n'y  aura  qu'une  porte 
sur  chacune  des  trois  faces. 

b)  A  ne  pas  permettre,  dans  ladite  partie,  ni 
l'entrée,  ni  la  sortie  de  maroliandises  contraires 
au  règlement  des  douanes  anglaises... 

c)  A  ne  pas  vendre  et  à  ne  pas  permettre 
la  vente  des  marchandises  en  détail  dans 
ladite  partie  du  terrain.... 

d'i  Les  ]:)lans  de  tous  les  bâtiments  seront 
soumis  à  l'examen  des  autorités  britanniques... 

e\  Il  est  entendu  que  les  opérations  de  dé- 
barquement et  d'ennnagasinement  des  mar- 
chandises sur  ladite  partie  seront  conduites 
conformément  aux  règlements  en  vigueur  dans 
le  protectorat  anglais. 

Est-ce  assez  pi-écis?et  nous  répéterons  : 
assez  humiliant?  L'Angleterre  nous  per- 
met de  construire  deux  magasins  chez  elle, 
deux  magasins  dont  elle  aura  la  police  :  il 
n'y  a  vraiment  là  aucun  motif  d'aller  «  con- 
templer la  Colonne!  » 

En  résumé,  cette  convention  n'a  guère 
d'autre  mérite  que  d'avoir  été  nécessaire. 
Mais  nécessaire,  elle  l'était  vraiment;  et 
voilà  pourquoi  les  Chambres  feront  bien 
de  l'adopter. 


Nos  explorateurs  viennent  d'accomplir, 
sur  les  bords  du  lac  Tchad  et  dans  la  ré- 
gion du  Haut-Nil,  une  œuvre  autrement 
glorieuse  que  celle  de  nos  diplomates  de 
la  commission  anglo-française. 

Le  bassin   du   Tchad    forme   aujourd'hui 


le  centre  de  notre  zone  d'influence  en 
Afrique.  Les  rives  du  grand  lac  sont  à  peu 
près  à  égale  distance  de  El  Golea,  dans  le 
Sud  algérien,  de  Toinbouctou ,  dans  le 
Soudan  français,  de  Brazzaville,  dans  le 
Congo  français,  de  Fachoda,  sur  le  Haut- 
Nil.  Outre  les  avantages  de  cette  situation 
centrale,  le  Tchad  emprunte  une  singu- 
lière importance  à  ce  fait  que  notre  Afrique 
occidentale  et  notre  Afrique  centrale,  cou- 
pées l'une  de  l'autre  par  les  Protectorats 
anglais  du  Niger  et  le  Cameroun  allemand, 
s'unissent  l'une  à  l'autre  sur  ses  rives. 
Celles-ci,  pour  les  trois  quarts  de  leur 
étendue,  sont  françaises.  Le  Tchad,  enfin, 
est  un  centre  hydrographique  qui,  placé 
sur  la  lisière  du  désert,  peut  présenter  un 
intérêt  extrême.  Du  Niger  au  Nil,  c'est 
dans  ses  eaux  que  viennent  se  jeter  les 
seules  rivières  navigables. 

Mais  cette  région  de  l'Afrique  était  fort 
mal  connue.  Elle  n'avait  guère  été  explorée 
que  par  Clapperton  (IS22-1824),  Denham, 
Overweg,  mort  à  Kouka,  surtout  par  Barth, 
le  compagnon  d'Overweg  (1851-I8;')2),  par 
Nachtigal  (1869),  par  Monteil,  après  1890. 
Nos  connaissances  étaient  sommaires, 
même  parfois  contradictoires.  Pour  les 
uns,  les  pays  du  Tchad  étaient  parmi  les 
plus  riches  d'Afrique  ;  c'était  vers  eux  que 
devait  diriger  ses  efîorts  une  politique 
prévoyante.  H  était  urgent  de  construire 
le  chemin  de  fer,  qui  relierait,  à  travers 
l'immensité  du  Sahara,  la  Méditerranée  au 
Tchad.  —  Ces  pays  ne  valent  pas  la  peine 
qu'on  y  aille,  s'écriait-on  dans  le  camp 
adverse.  C'est  déjà  le  désert;  vous  ne 
trouverez  là  ni  populations  ni  richesses. 
La  région,  de  plus,  est  ruinée  par  l'inva- 
sion. Et  l'on  racontait  le  terrible  passage 
de  Rabalî,  pillant,  en  1892,  le  Gribingui, 
forçant,  en  1893,  Kouka,  menaçant,  en 
1894,  le  Sokoto.  Quant  au  Tchad,  ajou- 
tait-on, ce  n'est  qu'un  cul-de-sac  qui  ne 
mène  nulle  part,  qu'un  immense  marécage. 

Devant  ces  affirmations  contradictoires, 
il  parut  nécessaire  de  se  rendre  compte 
tout  d'abord  de  la  valeur  du  pays,  pour, 
si  cette  valeur  élait  réelle,  implanter  là 
notre  inlluence. 

Les  Français  se  sont  dirigés  vers  le 
Tchad  par  l'ouest  et  par  le  sud. 

Par  l'ouest,  le  capitaine  Cazemajou,  en- 
voyé par  le  Comité  de  l'Afrique  française, 
partit  du  Soudan  français  et  s'avança  le 
long  de  l'ancienne  ligne  frontière  Say- 
Barroua.  En  avril  dernier,  il  était  à  Ar- 
goungou,  non  loin  de  Sokoto. 

Par  le  sud,  deux  expéditions  furent  or- 
ganisées :  celles  de  l'administrateur  Gentil 
et  de  M.  de  Béhagle.  On  vient  d'annoncer 
que,  de  ces  deux  expéditions,  la  première 
avait  réussi,  était  sur  le  chemin  du  retour, 
la  seconde  était  en  route. 


ÉVÉNEMENTS    GÉOGRAPHIQUES 


287 


M.  lienlil  quitta  la  Franco  en  avril  1S9.'); 
il  emportait  un  petit  vapeur,  démontable 
en  sept  tranches,  le  Léon-Blot.  En  juin,  il 
atteignait  Loango.  Au  prix  de  grands  efforts, 
le  vapeur  fut  porté  à  bras  d'hommes  à 
Brazzaville.  Par  le  Congo,  par  l'Oubangui, 
on  gagna  le  poste  dOuadda,  ((ui  est  proche 
du  contluenl  de  la  Kémo.  Sur  la  Tomi, 
aflluent  de  la  Kémo,  visitée  par  Maistre 
en  tS'J2,  un  poste  fut  établi  à  Krebedgé. 
Kn  avril  IS',17,  deux  ans  après  le  départ  de 
France,    la    Xana,   affluent   du    Gribingui, 


une  lutte  de  six  mois,  par  Rabah  le  con- 
quérant. Habah  se  détourna  ensuite  vers 
les  régions  plus  riches  du  Bornou  ;  mais 
il  a  laissé  des  garnisons  dans  tout  le  bas 
Chari,  à  Logone,  Koussouri,  (ioulfeï.  Le 
sultan  du  Baguirmi  conseilla  à  M.  (ientil 
de  craindre  Rabah  et  de  ne  pas  pousser 
plus  loin.  M.  Gentil  avait  en  garde,  dans 
ces  régions  placées  sous  notre  influence, 
le  prestige  de  la  France  ;  il  se  hâta  de 
gagner  Goulfeï.  Cette  ville,  posée  dans  une 
bonne  situation  stratégique,  était  en  mesure 


AU    C  0  X  ti  O     F  i;  A  X  Ç  A  I  s 


U  X     POSTE    SUR     L  '  o  G  0  0  U  É 


dans  le  bassin  du  Chari,  c'est-à-dire  du  lac 
Tchad,  était  atteinte.  Le  Léon-Blot  monté, 
on  procéda  aux  essais  en  mai,  au  départ, 
dès  l'arrivée  des  hautes  eaux,  en  juin. 
La  véritable  exploration  commenc^'ait. 

Le  Gribingui  fut  reconnu  sur  presque  la 
totalité  de  son  cours,  jusqu'à  son  confluent 
avec  le  Chari.  On  sut  qu'il  n'était  qu'un 
affluent,  non  une  branche,  de  ce  fleuve  : 
au  point  de  rencontre,  la  largeur  du  Gri- 
bingui n'est  à  peine  que  de  70  mètres, 
celle  du  Chari  est  trois  fois  plus    grande. 

Dans  le  Baguirmi,  M.  Gentil  séjourna 
deux  mois.  Grâce  au  faible  tirant  d'eau  de 
son  vapeur,  il  remonta  le  Ban  Erguieg  ou 
Ban  Hin,  jusqu'à  l'i  kilomètres  de  Massinia. 
Cette  ville  est  aujourd'hui  la  capitale  du 
pays.  Le  sultan  y  réside,  depuis  qu'il  a  été 
chassé  de   Maïnheffa,  sur  le  Chari,  après 


de  couper  la  route  à  l'expédition.  Mais  la 
population  fut  terrifiée  à  la  nouvelle  de 
l'approche  des  «  frères  de  Crampel  ».  Sur 
le  Niger,  M.  Hourst  avait  passé,  nous 
l'avons  vu,  pour  le  neveu  de  Barth.  Au 
Tchad,  M.  Gentil  fut  le  frère  du  malheu- 
reux explorateur,  massacré  en  18U0  à  l'insti- 
gation de  Rabah.  A  la  nouvelle  de  son 
arrivée,  la  terreur  fut  si  grande  que  la  gar- 
nison de  Goulfe'ï  s'enfuit  précipitamment 
à  Dikoa;  la  population  accueillit  les  Fran- 
çais en  libérateurs,  les  combla  de  riz  et  de 
poules.  La  ville  est  située  sur  la  rive  gauche 
d'un  des  bras  du  Chari;  close  de  murs, 
elle  mesure  plus  de  2  kilomètres  de 
front  ;  ses  maisons  en  pisé,  recouvertes  de 
chaume,  et  dont  quelques-unes  sont  sur- 
montées d'un  étage,  renferment  une  popu- 
lation d'environ  10,000  habitants. 


288 


EVENEMENTS    GÉOGRAPHIQUES 


Le  l"''  novembre  1897,  la  mission,  sans 
quelle  eût  à  tirer  un  coup  de  fusil,  attei- 
gnait le  Tchad. 

«  Je  vous  assure,  écrit  M.  Gentil,  que 
c'était  un  spectacle  merveilleux  —  une 
vraie  mer,  d'autant  plus  que,  pour  com- 
pléter l'illusion,  une  jolie  brise  soufllait, 
qui  formait  un  clapotis  assez  sérieux.  »  Le 
Tchad  n'est  donc  pas  que  marécages  ;  mais 
il  en  est  entouré  :  <i  Pour  pouvoir  parler 
du  Tchad,  il  faut  pouvoir  y  pénétrer.  Or, 
étant  donné  le   fouillis   inextricable  d'iles 


plaça   son   propre   l^eau-père,  Souleyman. 

Le  ■■)  décembre  1897,  M.  Gentil  était  de 
retour  au  poste  de  Gribingui.  A  l'heure  où 
nous  écrivons,  il  est  attendu  en  France. 

Pour  une  fois  la  mission  politique  aura 
été  suivie  de  fort  près  par  un  essai  d'ex- 
ploitation commerciale.  Même  avant  que 
nous  fût  parvenue  la  nouvelle  du  succès 
de  M.  Gentil,  MM.  de  Béhagle  et  de 
Mézières  étaient  partis  sur  ses  traces,  pour 
la  région  du  Tchad.  Anciens  membres 
tous  deux  de  la  mission  de  Maistre,  ils  ont 


AU     CONGO     F I!  A  N  Ç  A  I S    —     UNE     .MISSION     CATHOLIQUE 


qui  se  trouve  à  son  cnlrée,  il  est  impos- 
sible d'apercevoir,  de  la  terre  ferme,  autre 
chose  que  des  herbes,  des  joncs  ou  des 
papyrus,  seuls  végétaux  du  lac.  )>  Le 
manque  de  bois  et  d'approvisionnements 
se  lit  bientôt  sentir,  et  le  Léon-Blot  dut 
retourner  dans  le  Chari. 

Avant  de  regagner  le  Baguirmi,  M.  tienlil 
écrivit  à  Rabah  :  il  lui  demandait  de  nous 
rendre  les  derniers  survivants  de  la  mis- 
sion Crampel.  Mais  les  Baguirmiens  étaient 
peu  soucieux  de  renouer  des  relations  avec 
l'envahisseur;  ils  ont  très  pr()bal)lement 
arrêté  le  message,  et  M.  (ienlil  ne  reçut 
point  de  réponse.  De  retour  à  Massinia,  il 
signa  avec  le  sultan  un  traité  de  protec- 
tion et  de  commerce.  Le  sultan,  de  plus, 
le  pria  de  conduire  en  France  une  ambas- 
sade baguirmienne,  à  la  tête  de  laquelle  il 


cet  avantage  de  connaître  déjà  le  Ilaut- 
Congo  français.  Tandis  que  M.  de  Mézières 
organisait  en  France  un  premier  ravitail- 
lement, M.  de  Béhagle  transportait  le  très 
considérable  matériel  de  la  mission  — 
20  tonnes  de  marchandises  et  de  vivres 
de  réserve  —  de  Loango  h  Brazzaville. 
M.  de  jNlézières  est  reparti  le  0  mai  der- 
nier. 

La  nouvelle  mission  est  surtout  commer- 
ciale. Son  plan  est  de  s'installer  sur  le 
Gribingui,  d'utiliser  le  réseau  de  voies  na- 
vigables qui  entourent  le  Tchad,  pour  se 
mettre  en  contact  avec  les  populations  in- 
digènes, de  créer  le  long  de  ces  voies  des 
comptoirs,  d'établir  un  relevé  exact  et 
méthodique  des  richesses  du  sol.  Ses 
chefs  doivent  tenter  ensuite  de  pénétrer 
dans   rOuadai,   en   se   présentant  unique- 


ÉVÉNEMENTS    GÉOGRAPHIQUES 


289 


ment  comme  des  commerçants.  Ils  sont 
résolus  à  ne  contrarier  en  rien  les  liabi- 
tudes  du  commerce  local.  Les  Belges  de 
l'Etat  indépendant,  pour  avoir  voulu  for- 
cer les  Arabes  à  traliquer,  non  plus  avec 
Zanzibar,  mais  avec  le  lias-Cono'o,  se  sont 
heurtés  aux  plus  sérieuses  dii'iicultés;  ils 
ont  dû  longtemps  combattre.  Les  Anglais 
de  la  Royal  Niger  Company  ont  commis  la 
même  faute  lorsqu'ils  ont  voulu  détourner 
vers  le  Bas-Niger  le  commerce  des  Etats 
musulmans  de  leur   Soudan  avec  le  nord 


franco-allemande  du  4  février  1894  déli- 
mitait la  frontière  entre  le  Cameroun  et 
notre  Congo  :  tous  les  pays  à  l'est  de  la 
frontière  étaient  reconnus  partie  intégrante 
de  notre  sphère  d'influence.  La  convention 
franco-congolaise  du  14  août  1894  fixait 
au  M'Bomou  la  limite  de  l'Etat  indépen- 
dant ;  au  nord  de  cette  ligne,  la  France  do- 
minait. Ainsi  nos  voisins  avaient  reconnu 
nos  droits;  les  Anglais,  qui  n'avaient  ici 
rien  à  voir,  s'avisèrent  de  les  contester  : 
ce  Une  marche  sur  ces  territoires,    dit  en 


AU    CONGO     FRANÇAIS 


UNE     MISSION     PROTESTANTE 


de  l'Afrique.  'SIM.  de  Béhagle  et  de  Mézières 
suivront  le  courant  commercial  établi 
entre  le  Soudan  et  le  nord;  ne  se  livrant 
qu'au  trafic,  payant  avec  exactitude  les 
droits  de  rigueur,  ils  se  feront  convoyer  à 
travers  le  désert  par  les  Touaregs,  et  se 
flattent  d'établir,  à  notre  profit,  un  com- 
merce régulier  entre  notre  Maghreb  et 
notre  Soudan  congolais. 

L'idée  est  nouvelle;  elle  peut  être  fé- 
conde. Nous  souhaitons  qu'elle  soit  appli- 
quée au  plus  vite. 


La  région  du  Bahr-el-Gazal  forme  l'ex- 
trémité orientale  de  l'Afrique  centrale 
française  ;  elle  touche  au  Nil. 

Nos  droits  sur  cette  région  remontent  à 
quelques  années  à  peine.    La  convention 

VIII.  —  10. 


pleine  Chambre  des  Communes,  en  mars 
1895,  sir  Edward  Grey,  alors  sous-secré- 
taire aux  Affaires  étrangères,  une  telle 
marche  ne  serait  pas  seulement  un  acte 
inconsistant  et  inattendu,  mais  en  outre  il 
doit  être  parfaitement  connu  du  gouver- 
nement français,  que  ce  serait  un  acte 
d'inimitié,  considéré  comme  tel  par  l'An- 
gleterre. »  Ceci  voulait  simplement  dire 
que  les  projets  de  l'Angleterre  étaient 
contrariés  ;  et  cette  puissance  montrait, 
quelques  jours  après,  le  bout  de  l'oreille  : 
«  11  est  évident,  déclarait  un  représentant 
des  Communes,  que  l'avenir  de  l'Egypte 
sera  aux  mains  de  qui  réussira,  le  premier, 
à  s'assurer  la  domination  effective  du 
cours  du  Nil.  » 

Nous  avons  tenté  d'être  ces  premiers. 

Dès  juin    1896,   le    capitaine    Marchand 


290 


ÉVÉNEMENTS    GÉOGRAPHIQUES 


s'embarquait  pour  aller  occuper  les  postes 
du  Haut-Oubangui,  évacués  par  l'Etat  indé- 
pendant. Déjà,"  M.  Liotard,  commissaire 
du  gouvei-nement  dans  la  région,  avait 
traité  avec  les  chefs  de  la  vallée  de 
rOuellé  :  Rafaï,  Semio,  Tambourah,  et 
avait  établi  auprès  de  leurs  résidences  des 
postes,  qui  avaient  pris  leurs  propres 
noms.  Même,  le  poste  de  Taml^ourah 
n'était  plus  qu'à  50  kilomètres  de  la  rive 
gauche  du  Soueh,  qui  est  un  affluent  du 
Bahr-el-Gazal.    En   1897,   nouveau  pas   en 


à  dos  d'hommes.  Le  Faiclherhe  était  parvenu, 
vers  la  fin  mai,  à  l'entrée  du  M'Bomou;  là, 
il  fut  démonté  et  ses  morceaux  suivirent 
la  même  route  que  les  chalands. 

Le  27  août,  la  flottille  était  arrivée  au 
Soueh;  le  capitaine  Germain,  l'enseigne 
Dyé,  l'administrateur  Bobichon  dirigeaient 
le  montage,  tandis  que  le  capitaine  Mar- 
chand et  le  lieutenant  ^langin  faisaient  des 
reconnaissances,  le  premier,  à  l'est,  vers 
Roumbeck,  le  second,  au  nord,  par  Djour- 
Ghattas,  vers  Meschra-el-Resk.    Aux   der- 


DANS    LA     RÉGION     DU    TCHAD    —    UNE     lî  É  S  I  D  E  N  C  E    ROYALE 


avant  :  M.  Liotard  fonde,  au  nord  de 
Zemio,  dans  la  vallée  du  Biri,  affluent 
de  Bahr-el-llomr,  qui  est  une  des  têtes  du 
Bahr  el-Gazal,  le  poste  de  Dem-Ziber. 
Pour  pousser  plus  avant  et  s'engager  dans 
la  région,  coupée  de  marécages,  qui  mène 
au  Nil,  il  fallait  et  des  renforts  et  des  em- 
barcations. 

Transporter  de  la  côte  aux  eaux  navi- 
gables du  bassin  du  Nil  la  canonnière,  le 
Faidherbe,  des  boats  en  fer  et  des  cha- 
lands, fut  la  dure  tâche  à  laquelle  tra- 
vailla, jusqu'en  octobre  dernier,  le  gros 
de  la  mission  Marchand. 

La  flottille,  dont  l'enseigne  de  vaisseau 
Dyé  est  le  commandant,  fut  transportée 
par  vapeurs  de  Brazzaville  à  Bangui,  sur 
l'Oubangui,  par  pirogues  jusqu'à  Ban- 
gasso,  sur  l'Ouellé,  et  de  là  jusqu'au  Soueh 


nières  nouvelles,  toutes  les  charges  avaient 
rejoint  le  centre  d'organisation,  Tam- 
bourah ;  la  moitié  de  la  mission  était  éche- 
lonnée le  long  du  Soueh;  Koutchouk-Ali, 
au  confluent  de  cette  rivière  et  de  la 
Ouaou,  et  qui  devait  servir  de  port  d'em- 
barquement, allait  être  occupé.  Le  mon- 
tage du  Fakllurhe  était  presque  terminé. 
Mais  ces  nouvelles  —  les  dernières  pu- 
bliées —  sont  vieilles  de  neuf  mois.  A 
cette  heure,  le  drapeau  tricolore  flotte  cer- 
tainement sur  le  Nil.  Il  flotte  sur  la  lar- 
geur presque  tout  entière  de  l'Afrique,  de 
Saint-Louis  à  Fachoda  :  la  largeur  tout  en- 
tière de  r Europe,  de  Brest  à  la  Caspienne! 
Et  plus  à  l'est,  encore,  il  flotte  à  Djibouti. 
Nos  explorateurs  et  nos  soldats  ont  bien 
travaillé. 

Gaston    Rouvier. 


CHRONIQUE   THÉÂTRALE 


Grâce  à  la  température  hivernale  dont 
nous  jouissons  en  ce  singulier  été  de  1808, 
la  saison  théâtrale  se  prolonge  bien  au 
delà  des  limites  ordinaires...  Ce  n'est  pas 
moi  certes  qui  m'en  plaindrai.  Il  y  a  tou- 
jours dans  ces  post-scriptum  des  surprises 
agréables.  Au  milieu  d'un  fatras  d'inutiles 
ou  mauvaises  soirées,  il  en  surgit  une  du 
plus  haut  intérêt.  C'est  ce  qui  s'est  produit 
cette  fois,  grâce  —  il  faut  l'avouer  —  non 
pas  aux  auteurs,  ni  aux  artistes  français, 
mais  grâce  à  M.  Novelli,  le  très  curieux  et 
très  célèbre  acteur  italien,  qui  est  venu  à 
la  Renaissance  —  sur  les  planches  mêmes 
où  triompha  M""^  Duse  avec  tant  de  fracas 
—  lancer  le  fameux  ancKio  son... 

Il  n'y  a  point  à  faire  de  comparaisons  entre 
le  phénomène  que  le  snobisme  a  couvert 
de  lauriers  tapageurs  et  l'artiste  véritable 
au  talent  souple  et  superbe  qui  vient  de 
recueillir  pendant  quinze  jours  des  applau- 
dissements infiniment  plus  discrets,  mais 
beaucoup  plus  sincères.  Cependant  un  rap- 
prochement s'impose  entre  ces  deux  inter- 
prètes qui  semblent  avoir  été  tous  deux 
élevés  à  la  même  école  :  celle  de  la  sim- 
plicité. C'est  un  fait  digne  de  remarque  et 
d'une  jolie  ironie  que  ce  soit  de  l'Italie,  la 
terre  classique  des  mimes,  des  exagérés,  des 
échevelés,  que  nous  vienne  à  cette  heure  la 
plus  admirable  leçon  de  naturel  et  de  pon- 
dération. Ceci  doit  nousdonnerà  réfléchir  et 
rabattre  un  peu  de  notre  orgueil  et  de  notre 
faconde...  Avons-nous  assez  souvent  crié 
avec  une  fanfaronnade  insupportable  que 
nous  étions  le  peuple  sage  par  excellence, 
le  peuple  du  juste  milieu  et  du  bon  sens! 
A  nous  entendre,  il  ne  pouvait  être  ques- 
tion de  quoi  que  ce  fût  en  dehors  de  nous. 
Nos  artistes  étaient  des  modèles  que  l'uni- 
vers entier  copiait  servilement,  sans,  bien 
entendu,  atteindre  jamais  au  même  degré 
de  perfection...  Il  va, dans  ce  panégyrique 
que  nous  nous  plaisons  à  faire  de  nous- 
mêmes,  une  inconscience  et  une  naïveté 
enfantines  tout  à  fait  réjouissantes,  à  moins 
qu'elles  ne  soient  fort  tristes  à  constater... 
La  fin  du  siècle  ne  nous  aura  pas  été  très 
favorable,  et,  pour  peu  qu'on  ait  un  peu 
voyagé,  on  est  bien  forcé  de  convenir  que 
le  charme  est  rompu...  C'en  est  fini  de 
notre  prépondérance  universelle,  nous 
avons  cessé  d'encoml)rer  le  monde,  et  les 
désastres  d'il  y  a  vingt-cinq  ans  ont  éteint 
notre  auréole...  C'est  là  une  vérité  peu 
agréable  à  entendre,  mais  qu'il  faut  dire 
cependant  et  dire  bien  haut...  Nous  ne 
sommes  plus  les  premiers  en  quoi  que  ce 
soit,  et  ce  n'est  pas  notre  assurance,  ce 
n'est   pas   notre  aveuglement  qui  change- 


ront ce  qui  est...  Je  ne  dis  pas  que  nous 
«  dégringolons  »  —  passez-moi  cette 
expression  peu  académique  qui  fait   image 

—  mais  ce  qu'il  y  a  de  certain,  c'est  que 
nous  sommes  stationnaires,  tandis  ({ue  les 
autres  marchent.  Une  seule  supériorité 
nous  restait  —  ou  du  moins  nous  le  disions 
si  haut  et  si  souvent  que  les  esprits  les 
moins  susceptibles  d'emballement  finis- 
saient par  y  croire  —  c'était  le  théâtre!... 
Il  faut  déchanter.  Autour  de  nous,  on  a 
fait  de  très  grands  progrès,  tandis  que 
nous  ne  bougeons  plus  depuis  longtemps. 
En  Angleterre,  en  Allemagne,  et  aujour- 
d'hui en  Italie,  il  a  poussé  de  solides  reje- 
tons, greffes  prises,  si  l'on  veut,  sur  notre 
vieil  arbre  national;  mais  les  boutures 
sont  devenues  arbres  à  leur  tour  et  déjà 
leurs  rameaux  nous  couvrent  de  leur 
ombre...  Déjà  la  troupe  de  Meïningen, 
avec  son  jeu  si  curieux  et  l'intellect  de 
ses  masses,  avait  fait  réfléchir  les  metteurs 
en  scène  de  nos  «  figurations  »  mouton- 
nières; déjà  le  final  du  deuxième  acte  des 
2/aîtres  chanteurs,  tel  qu'on  le  «  joue  «  a 
Bayreuth  et  à  Munich,  semblait  impossible 
à  exécuter  en  France,  et  il  a  fallu  copier 
à  notre  tour  le  modèle  allemand  pour 
atteindre  le  but  ;  déjà  aussi  notre  machi- 
nerie théâtrale,  nos  jeux  de  lumière  sem- 
blaient d'un  archaïsme  invraisemblable... 
Mais  voilà  qui  est  plus  grave,  des  indivi- 
dualités percent  au  delà  de  nos  frontières 
et  viennent  jusque  chez  nous  nous  con- 
traindre à  l'admiration. 

L'an  dernier,  à  New-York,  j'avais  eu 
l'occasion  de  faire  cette  remarque  en  assis- 
tant à  une  représentation  d'Hamlet  dans 
laquelle  M.  Berboom-Tree,  le  célèbre  ac- 
teur anglais,  émule  de  sir  Irving,  inter- 
prétait le  rôle  du  prince  de  Danemark  :  — 
Ah  !  mes  amis,  ne  touchons  pas  à  ce  rôle 
dont  nous  n'avons  aucune  idée.  Si  vous 
saviez  quelle  révélation  !  et  combien  sem- 
blent ridicules  —  j'écris  le  mot    à  dessein 

—  les  Hamlet  barbus  et  musclés  ;  les 
Hamlet  à  la  voix  de  cuivre,  aux  biceps 
d'athlètes,  aux  métacarpes  de  lutteurs;  les 
Hamlet  bruns ,  farouches  et  redondants  ; 
les  Hamlet  mâles  enfin  !  Irving  est  vieux 
à  cette  heure,  le  geste  est  toujours  beau  ; 
mais  l'œil  est  vitreux  et  la  voix  est  pâteuse. 
Tandis  que  Berboom-Tree!  Mince,  élégant, 
distingué,  l'œil  bleu  et  limpide,  le  geste 
gracile  ,  indécis  parfois  ,  plein  d'autorité 
aussi  :  le  voilà  le  «  chétif  »  (l'épithète  est 
de  Shakespeare)  enfant  royal ,  l'éphèbe 
inquiétant,  dont  toute  la  force  réside  dans 
la  révélation  que  lui  fit  le  spectre  et  dont 
la  main,  trop  débile  pour  manier  une  épée, 


292 


CHRONIQUE    THEATRALE 


fait  pourtant  reculer  le  bandit  couronné... 
Et  la  diction  !...  C'est  lui  qu'il  faut  entendre 
pour  comprendre  et  sonder  toute  la  pro- 
fondeur philosophique  du  célèbre  To  he! 
or...not...  tohe!...  Un  grand  artiste,  vous 
dis-je.  Et,  le  lendemain,  je  le  voyais  dans 
ce  fameux  Tr'dhy,  pièce  étrange ,  succé- 
dané bizarre  de  notre  Vie  de  bohème,  qui  se 
joua  deux  mille  ou  trois  mille  fois  dans  tous 
les  pays  de  langue  anglaise  et  où  il  rem- 
plissait le  rôle  d'un  hypnotiseur,  raté  de 
génie,  macabre  et  falot  comme  une  espèce 
de  docteur  miracle  hoffmanesque  ;  puis,  un 
autre  jour,  je  le  revis  encore  dans  une  bien 
mauvaise  pièce,  d'ailleurs ,  bâtie  sur  un 
épisode  de  la  conquête  du  Canada  par  les 
Anglais,  où  il  jouait  le  rôle  d'un  Français, 
bâtard  de  je  ne  sais  quel  Louis  XV  d'opé- 
rette auquel  il  donnait  une  allure  d'une 
élégance  suprême;  et  je  me  demandais 
lequel  de  nos  artistes  si  parfaits,  si  cor- 
rects, serait  capable  d'interpréter  avec  au- 
tant d'art  des  œuvres  de  valeur  et  de  ten- 
dance aussi  opposées.  Inutile  d'ajouter  que 
ma  question  demeurait  sans  réponse...  Le 
même  fait  m'avait  frappé  quelques  années 
plus  tôt  à  Ischl,  dans  le  Tyrol,  où,  sur  la 
petite  scène  du  minuscule  théâtre,  des  co- 
médiens, des  chanteurs  de  Vienne  et  de 
Munich  jouaient  en  présence  de  S.  M.  Fran- 
çois-Joseph, empereur  et  roi,  dans  la  même 
soirée,  Cavalleria  rusticana,  et  le  ballet  ■ — • 
vous  avez  bien  lu  le  «  ballet  »  —  Die  Pup- 
penfee.  Et  ce  n'étaient  pas  les  premiers 
venus  au  moins.  Des  personnages  d'im- 
portance de  VAn  der  Wien  Tlieater,  et  de 
l'Opéra  de  Munich,  des  premiers  rôles,  s'il 
vous  plaît,  les  équivalents  de  nos  Bartet, 
de  nos  Caron,  de  nos  Mounet  et  de  nos 
Alvarez  nationaux...  Mimes,  chanteurs, 
danseurs  même  ,  comédiens,  tragédiens, 
ils  étaient  tout  cela  tour  à  tour  et  avec 
maîtrise,  ne  se  croyant  pas  le  moins  du 
monde  déshonorés,  faisant  honnêtement, 
brillamment  tout  ce  qui  concernait  leur 
état  et  pas  «  fonctionnaires  »  pour  un  ^J^'e«- 
nig  !...  Voyez-vous  nos  admirables  comé- 
diens s'abaisser  aux  rôles  d'histrions  ?  Fi  ! 
vous  n'y  pensez  pas.  Ces  rôles  ne  sont  pas 
de  leur  emploi  !... 

Ah  1  l'emploi  !  Voilà  le  grand  mot.  L'em- 
ploi, la  spécialité.  L'un  tient  article  de 
rire,  l'autre  de  larmes,  celui-ci  de  ganache, 
celui-là  de  grimaces  :  mais,  pour  faire 
vendre  à  aucun  d'autre  marchandise  que 
celle  que  permet  son  enseigne,  n'y  comptez 
pas.  On  se  doit  à  sa  gloire  ! 

M.  Novelli  met  la  sienne  à  vendre  de  tout. 
Pour  lui,  il  n'est  pas  de  petit  emploi.  Tout 
ce  qui  est  artistique  se  trouve  dans  sa 
boutique  et  son  mérite  est  précisément 
dans  la  multiplicité  et  la  perfection  de  ses 
transformations  :  Lebonnard  ou  Michel  Per- 
rin,  la  Morts  civile,   la  Prima  Volta,   l'En- 


tr'acte,  le  Drame  nouveau,  l'AUehija,  il  nous 
a  donné  dans  chacune  de  ces  pièces  des 
impressions  diverses  de  terreur  ou  de 
joie.  Je  ne  prétends  pas  qu'il  ait  été  égal 
dans  toutes,  mais  du  moins  —  comme 
disent  les  tâcherons  —  c'était  de  l'ouvrage 
bien  faite  !.. .  Sa  «  compagnie  »,  sa  troupe 
était  homogène,  comme  celle  de  la  Duse, 
et  l'ensemble,  très  soigné,  témoignait  d'un 
souci  artistique  dont  nos  étoiles  en  tour- 
nées devraient  bien  s'inquiéter  un  peu. 
Ce  furent  là  de  très  intéressantes  soirées 
où  beaucoup  auraient  pu  prendre  d'excel- 
lentes leçons.  M.  Novelli  a  quitté  Paris 
comme  il  y  était  arrivé  ;  sans  réclame 
tapageuse,  sans  banquets,  sans  couronnes, 
sans  qu'aucun  théâtre  lui  ait  dit  :  «  Rien 
ne  manque  à  ta  gloire,  tu  manques  à  la 
nôtre  !  »  Il  est  vrai,  a  dit  quelque  scep- 
tique, qu'un  pareil  «  battage  »  n'aurait  sans 
doute  affligé  personne  et  que  par  suite  il 
était  inutile.  Quoi  qu'il  en  soit,  cette  ma- 
nifestation d'un  art  étranger  devrait  être 
pour  nous  un  avertissement  salutaire... 

En  profiterons-nous?...  That  is  the  ques- 
tion! 


L'Odéon  a  repris,  du  diable  si  je  sais  pour- 
quoi, le  Chien  de  garde  de  Jean  Richepin. 
Est-ce  parce  que  le  Chemineau  avait  fait 
encaisser  à  ce  théâtre,  que  la  subvention 
rend  insubmersible,  des  recettes  superbes, 
que  notre  camarade  Ginisty  s'est  tout  à 
coup  senti  féru  d'amour  pour  ce  vieux 
mélo  sans  importance  ni  valeur?  C'est  la 
seule  explication  que  je  trouve  pour  justi- 
fier cette  fantaisie,  car,  si 

...  sur  une  personne  on  prétend  se  régler, 

C'est  par  ses  beaux  côtés  qu'il  lui  faut  ressembler!... 

c'est  aussi  sur  les  œuvres  intéressantes 
d'un  poète  qu'il  faut  jeter  les  yeux  pour 
consacrer  sa  gloire  et  non  pas  sur  ses  ou- 
vrages inférieurs  et  de  pure  spéculation. 
Le  Chien  de  garde  n'ajoute  rien  à  la  répu- 
tation de  l'auteur  de  Par  le  Glaive  et  au- 
rait bien  pu  diminuer  celle  du  poète  du 
Chemineau,  si  Paris  n'avait  pour  ceux  qu'il 
aime  —  et  M.  Jean  Richepin  est  au  pre- 
mier rang  de  ceux-là  —  des  trésors  de 
mansuétude. 


De  son  côté,  la  Comédie-Française  a 
senti  l'impérieux  besoin  de  reprendre 
Adrienne  Découvreur.  La  pièce  de  Scribe  et 
Legouvé  a  été  jouée  avec  un  excellent  en- 
semble. M""  Bartet  y  est  délicieuse,  M.  de 
Féraudy  est  un  excellent  Michonnet, 
M.  Baillet,  dans  le  joli  rôle  de  Maurice  de 
Saxe,  est...  M.  Baillet,  comme  toujours, 
et  M"«  Marsy  est  une   belle,  sinon  bonne. 


c  ri  R  o  N I Q  u  i<:  T  n  k  a  t  r  a  l  e 


293 


duchesse  de  Bouillon...  Là!  Et  mainte- 
nant veut-on  nous  dire  pourquoi  on  a  re- 
monté en  plein  mois  de  juin  ISUS  cette 
pièce,  très  bien  faite,  mais  parfaitement 
insupportable,  parce  que  surannée?...  Oh! 
la  pièce  bien  faite  !  Qui  donc,  avec  du 
génie,  bien  entendu,  nous  en  délivrera?... 
En  a-t-on  assez  tué  de  ces  œuvres,  peut- 
être  mal  bâties,  mais  où  se  révélait  une 
originalité,  un  tempérament,  un  désir  de 
nouveau,  de  puissant,  avec  ce  vocable 
odieux  :  la  pièce  bien  faite. 

La  pièce  bien  faite,  c'est  Teau  tiède,  le 
triomphe  de  la  médiocrité,  le  correct,  le 
ratissé,  le  déjà  vu,  le  déjà  entendu...  La 
pièce  bien  faite,  c'est  la  bourgeoisie  du 
théâtre,  c'est  la  correction,  oui,  mais  c'est 
surtout  la  froideur,  la  respectabilité,  le 
quelconque,  la  terreur  de  1'  «  au  delà  », 
l'effroi  de  1'  «  en  avant  »  !  Mon  Dieu,  vous 
qui  savez  si  bien  ordonnancer  cette  comé- 
die à  facettes  qui  s'appelle  la  vie,  vous 
dont  les  coups  de  théâtre  sont  subits,  ja- 
mais les  mêmes,  toujours  imprévus,  vous 
qui  d'un  chaos,  scénario  informe,  avez  tiré 
ce  drame  tragi-comique  que  nous  jouons 
tous  avec  tant  de  succès  depuis  des  mil- 
liers et  des  milliers  d'années,  débarrassez- 
nous  de  ce  qu'on  est  convenu  en  ce  monde 
sublunaire  d'appeler  la  «  pièce  bien  faite  », 
où  tous  les  effets  sont  prévus,  catalogués, 
étiquetés,  rangés  comme  dans  un  mé- 
daillier,  ou  plutôt  comme  dans  un  herbier, 
avec  les  noms  de  genre,  famille  et  espèce 
écrits  en  belle  bâtarde  rouge  et  bleue  ! 
Oh  !  l'odieuse  chose  qu'une  pièce  bien 
faite,  où  rien  n'est  imprévu,  où  les  événe- 
ments se  succèdent  avec  une  régularité 
automatique,  ceci  engendrant  fatalement 
cela,  sans  que  rien  puisse  déranger  l'ordre 
établi  par  le  bon  auteur  expert  en  son 
métier...  Et  nous  admirons  Shakespeare, 
et  nous  balançons  l'encensoir  sous  le  nez 
de  Molière  !  Ce  qu'ils  doivent  rire  de  leurs 
notaires  de  fils,  ces  deux  génies,  dont  pas 
une  œuvre  que  nous  acclamons  de  con- 
fiance ne  serait  même  admise  à  la  lecture. 
Soyons  donc  logiques  une  bonne  fois,  et, 
si  Advienne  Lecouvrear,  morceau  de  vir- 
tuose, nous  semble  l'idéal  du  théâtre,  brû- 
lons sans  regret  le  Misantlirope  et  jetons 
Hamlet  au  pilon.  Nous  ne  pouvons  de 
bonne  foi  admirer  l'une  sans  mépriser  les 
autres.  Et  pourtant  il  semble  bien  tout  de 
même  que  Molière  et  Shakespeare  ne  sont 
pas  les  premiers  venus... 

Combien  plus  je  préfère  ce  Tricorne 
enchanté,  de  Th.  Gautier,  que  la  même  Co- 
médie a  révélé  la  semaine  dernière.  Ah  ! 
pour  le  coup,  en  voilà  une  pièce  mal  faite  ! 
Mais  quelle  joie  que  cette  langue  si  riche, 
si  colorée,  si  fantasque,  et  quelle  heure,  ou 
plutôt  quelle  demi-heure  exquise  !  C'est  un 
fruit  savoureux   dont  on  a  le   palais  tout 


parfumé.  Qu'en reste-t-il  ?Pas  grand'chose 
mais  ce  peu  est  délicieux.  C'est  le  sou- 
venir d'une  œuvre  d'art,  très  jeune,  très 
folle,  très  parfaite,  malgré  ou  plutôt  à 
cause  de  ses  imperfections.  Et  il  faut  voir 
quel  entrain  parmi  tous  ces  comédiens  ad- 
mirables qui  n'ont  qu'un  défaut,  le  fonc- 
tionnarisme. Mais  avec  quelle  joie  ils  font 
l'école  buissonnière,  comme  ils  gambadent 
avec  gaieté  parmi  ces  vers  somptueux  et 
cette  fantaisie  étincelante!  On  dirait  le 
Sous-préfet  aux  champî^,  de  Daudet!  Vous 
savez,  ce  représentant  du  gouvernement 
qui  rêvait  étendu  dans  un  ihamp  de  vio- 
lettes, tandis  que  les  merles  et  les  pin- 
sons lui  fredonnaient  des  ariettes...  Ils  ne 
demandent  pas  mieux  que  de  se  débar- 
rasser de  leur  gourme  officielle,  les  pau- 
vres! Mais,  sitôt  qu'ils  se  permettent  une 
petite  débauche,  tout  de  suite  la  pièce  bien 
faite,  insupportable  gouvernante,  les  rap- 
pelle à  l'ordre  :  «  De  la  tenue,  messieurs 
de  Montpavon,  de  la  tenue!  »  Et  ils  en- 
dossent leur  bel  habit  brodé,  refont  le 
nœud  de  leur  cravate  blanche  et  redevien- 
nent notaires  et  fonctionnaires!...  Oh!  je 
sais  bien  ce  qu'on  peut  arguer  :  ces  esca- 
pades sont  bonnes  pour  l'Odéon!  Mais, 
puisque  l'Odéon  fait  le  devoir  de  l'Am- 
bigu, faites  au  moins  le  sien  et  soyez 
vivants  et  jeunes. 


D'ailleurs ,  pourquoi  l'Odéon  empiète- 
t-il  sur  le  terrain  de  l'Ambigu  et  du  Châ- 
teau-d'Eau?  Ces  deux  théâtres  remplissent 
à  merveille  le  rôle  qui  leur  est  dévolu,  et 
je  vous  assure  que  la  Bande  à  Fiji  qu'on 
donne  sur  la  scène  du  premier  et  les  Vo- 
lontaires de  la  Loire  qui  triomphent  sur  les 
planches  du  second  répondent  congrûment 
à  ce  qu'on  attend  de  ces  deux  établisse- 
ments. 

Les  deux  maisons  suffisent  à  leur  tâche, 
et  les  assassinats,  les  vols,  les  viols,  les  rapts, 
les  innocents  persécutés,  les  fripouilles 
triomphantes,  tout  le  menu  de  ces  festins 
populaires,  sont  assaisonnés  au  piment 
comme  il  est  prescrit.  On  ne  peut  rien  dé- 
sirer de  plus  et  bien  fâcheux  qui  voudrait 
y  trouver  à  redire  !  Les  mélos  sont  bien 
joués,  suffisamment  écrits  en  somme,  et 
la  vertu  est  toujours  récompensée  au  dé- 
nouement, ce  qui  procure  au  public  les 
nuits  calmes,  exemptes  de  cauchemars, 
qu'il  est  en  droit  de  réclamer.  On  aurait 
mauvaise  grâce  à  s'en  plaindre,  f  Soyez 
j)lutôt  maçon  si  c'est  votre  talent!  »  On 
est  maçon  et  bon  maçon,  rue  de  Malte 
comme  boulevard  Saint-Martin,  et  tout  est 
pour  le  mieux  ainsi  dans  la  plus  durable 
des  Républiques.  C.  Q.  F.  D. 

Maurice  Lefevre. 


LA    MUSIQUE 


La  réaction  commence  plus  lot,  beau- 
coup plus  tôt  que  je  ne  l'aurais  cru,  que  je 
ne  l'aurais  espéré.  En  l'espace  de  six  jours, 
deux  grands  succès  dont  les  applaudisse- 
ments ont  vibré  avec  enthousiasme  à 
l'Opéra,  avec  la  Cloche  du  Rhin,  de  M.  Sa- 
muel Rousseau  (8  juin),  à  l'Opéra-Comique, 
avec   la    Vie    de   bohème,   de    M.    Giacomo 


passant,  et  de  beaucoup,  ce  que  l'on  était 
en  droit  d'espérer. 

Et  pourtant,  faut-il  le  dire?  jouée  il  y  a 
quelques  années,  à  l'époque  de  la  3Ianon 
de  Massenet,  par  exemple,  la  comédie 
lyrique  de  M.  Puccini  n'aurait  pas,  malgré 
toute  sa  valeur,  suscité  un  pareil  enthou- 
siasme. C'est  qu'alors  on  n'était  pas  saturé 


Cliché  Pivul  Boyer.       M.  de  ^amt-Pliar.    Musette. 
M.  Jacquet.  M"*  Tiphaine. 


Uolline.     Scha,uimrd.     Rodolphe.  Mirai.  Marcel. 

M.  Isnardon.  M.  Fugère.  M.  Maréchal.  M"'  Guii-audon.  M.  Bouvet. 


La  Vie  de  bohème.  —  Deuxième  acte. 
Le  réveillon  au  quartier  latin  et  au  café  Momus.  Paris,  1840. 


Puccini  (13  juin),  ont  sanctionné  la  vic- 
toire du  bon  sens,  du  bon  goût  artistique, 
la  renaissance  d'une  esthétique  fortifiée 
par  les  conquêtes  modernes,  mais  libre  et 
affranchie  des  cangues  dans  lesquelles  on 
voudrait  étrangler  tout  ce  qui  n'est  pas 
d'un  art  absolument  conventionnel. 

Le  sujet  de  la  Vie  de  bohème,  de  Miirger, 
est  trop  connu  pour  qu'il  me  soit  utile 
d'en  narrer  les  humoristiques  et  navrants 
épisodes. 

Composée  sur  le  livret  de  MM.  Giuseppe 
Giacora  et  Luigi  lllica,  traduite  en  fran- 
çais par  M.  Paul  Ferrier,  la  partition  de 
M.  Puccini  a  eu  un  très  grand  succès,  dé- 


de  symphonies  impressionnistes,  disso- 
nantes, et  qu'après  ces  œuvres  ténébreuses, 
la  partition  de  la  Vie  de  bohème,  avec  toutes 
ses  oppositions,  fait  l'effet  d'un  bienfaisant 
rayon  de  soleil  pénétrant  subitement  et 
triomphalement  dans  la  plus  froide,  la  plus 
obscure  des  caves. 

Entre  Massenet  et  M.  Puccini,  il  y  a  toute 
la  distance  du  chef  d'école  au  disciple. 
Chez  l'un,  on  retrouve  l'influence  de 
l'autre  :  et  tenez,  dans  l'air  que  M.  Ma- 
réchal chante  si  bien,  de  sa  jolie  et  sym^ 
pathique  voix  de  ténor,  ne  retrouVez- 
vous  pas  la  mélancolie  distinguée  de 
Werther? 


LA   MUSIQUE 


295 


RODOLPHE 


Qufllt'est  ma    tâ.cht?     j'e.cris  


De  même  que  le  souvenir  d' Ilérodiade  se 
ravive  rien  que  par  ces  mesures  qui  ser- 
vent d'introduction  à  l'air  que  M""  Gui- 
raudon  détaille  si  poétiquement. 


MIMI 

N    llJl,' 

»n  9.     N  }  l;0  I .     ^r.'    U 

nJ'   IIV'I 

On 

J           1 

iJ-.4 — J  '  "r  \/  \  \ — i^ — ^ 

m'appt'l.le  Mi.mi.raaismon 

^ B    1  f — 1^ — :^ — = — i 

ffi" 

H 

^ ]f)    \  y — ^ — * — 3 — 1 

est      Lu 


Cl  .   e,. 


Ce  ne  sont  pas  des  réminiscences,  mais, 
je  me  permets  de  le  croire,  c'est  la  bonne 
influence  du  maître  qui  fait  école,  de  Mas- 
senet.  Du  reste,  dans  les  nombreux  pas- 
sages où  l'esprit  et  l'ironie  débordent, 
M.  Puccini  est  bien  lui-même. 


MUSETTE 


Oh!  eh!  cre'tiii Cette  as.sietteempoi. 

(elle  la  jette  i  la  volée.) 


.son. ne  la    vais.seLle! 


Avant  la  mort  si  émotionnante  de  Mu- 
sette, il  a  su  trouver  une  page  d'une  pbilo- 
sophie  si  résignée,  que,  malgré  la  situation 
pathétique,  le  public  a  bissé  les  touchants 
adieux  de  Colline  à  son  mince  paletot. 


COLLINE 


nous,  com.pagne  de  tant  de  jours  de  diète... 


A  l'Opéra,  la  Cloche  du  Rhin  a  valu  à 
son  jeune  auteur  une  légitime  moisson  de 
bravos  sincèrement  mérités. 

Une  ouverture  nommée  prélude  —  con- 
cession au  modernisme  intransigeant  mu- 
sical —  commence  l'œuvre  de  M.  Rous- 
seau. On  y  entend  les  thèmes  —  il  y  en  a 
sept,  comme  on  peut  le  voir  en  comparant 


les  exemples  que  nous  donnons  —  du 
paganisme  germain  lutter  désespérément 
contre  ceux  du  mysticisme  chrétien  triom- 
phant. 

Premier  acte.  —  Liba  (M'"®  Héglon)  im- 
plore Odin;  Ilalto  (M.  Bartet)  conjure  son 
petil-fils  Konrad  (AI.  Vaguet)  de  rendre 
aux  dieux  germains  les  autels  du  vieux  monde. 
Courroucé,   les  yeux   hagards,  il   s'écrie  : 

Tous  les  vôircs  ont  connu  que  leur  mort  était  proche 
Quand    du  cloître,  )à  bas,  résonnait  cette  cloche... 

Et,  à  l'orchestre,  la  cloche  vibre  mysté- 
rieusement.   Halluciné,  Ilatto  s'écrie  : 

Elle  sonne  pourtant...  Ce  n'est  donc  que  pour  moi  ! 

Konrad  et  Liba  n'entendent  rien.  Celle-ci 
calme  le  vieillard  en  lui  disant  : 


LIBA    foaressante) 


Thème  de  Liba- 


et  de.vi  .  nelespre     .     sa.ges: 


L'écuyer  Ilermann  (M.  Noté)  revient 
chargé  de  butin.  11  amène  une  captive, 
Ilervine  (^P'c  Ackté),  religieuse  du  cloître 
voisin,  qui  venait  porter  la  parole  de  vé- 
rité. 

Sans  chanvre,  ni  marteau,  sans  l'effori  du  sonneur, 

Libre,  elle  vibre. 
C'est  un  ange  qui  vient  à   certains   jours  vers  elle, 

Il  la  frôle  de  son  aile, 
Dictant  l'ordre  de  Dieu  par  son  timbre  d'argent. 


Les  guerriers  et  le  peuple  murmurent  ;  ils 
ne  voient  dans  les  avertissements  d'IIer- 
vine  que  des  injures,  des  insolences.  Je 
n\ù  de  repentirs  que  ma  faiblesse  lâche, 
répond  avec  fureur  Ilatto,  qui,  fier  de  son 
long  passé  de  carnages  impies,  ajoute  : 


IMPRÉCATIONS     DE     HATTO   (Finale  du  premier  acte),  chantées  par  M.  Barti:t. 


HATTO 


PIANO 


Et  qiiemon  dor.njpr  rpgard  pré.sideaux  he'catom        .      bes;     Qu'unsanglot      de  la  '    ter     .      re      aux 


cIpux    dise     ma   mort  Mon  glai  .  ve  rou   .     ge    n'est     pas  as   .    sez  rouge  enco 


.rail  .  tes    en  flam    .  mes        Soient     en.fin com.  me  ma       suprême  offrande  auxdieuxgermains.. 


Publié  avec  l'autorisation  de  M.  Choudens,  éditeur,  Paris.  —  Tous  droits  réservés. 


LA    MUSIQUE 


297 


La  fureur  sanguinaire  de  Hatto  ne  fait 
que  croître  ;  il  tire  son  épée  et  veut  lui- 
même  immoler  Ilervine,  lorsque  tout  à 
coup,  au   loin,  la  cloche  tinte. 


(Cloche  dans  la  coulisse) 


Ilatto  est  terrifié,  et,  léguant  sa  ven- 
geance à  Konrad,  il  meurt.  Puisqu'il  est 
admis  que  l'on  peut  transporter  au  théâtre 
certains  souvenirs  liturgiques,  en  prenant 
pour  thème  de  la  cloche  les  quatre  pre- 
mières notes  du  Dies  irœ,  M.  Rousseau  ne 
pouvait,  à  mon  avis,  mieux  choisir. 


Altère  de  vengeance,  le  peuple  veut 
répandre  le  sang  de  la  captive  ;  mais  il 
avait  compté  sans  Konrad,   qui,  peu  à  peu 


Cliché  Pierre  Petit. 

M.  Samuel  Rousse  AT-,  auteur  de  la  Cloche  du 


épris  de  la  jeune  chrétienne,  la  protège  et 
fait  différer  son  supplice. 

Deuxième  acte.  —  Si,  dans  le  premier 
acte,  le  compositeur  a  fait  preuve  d'une 
conception  vigoureuse  fort  bien  secondée 
par  le  poétique  livret  de  MM.  G.  Montor- 
gueil  et  Gheusi,  ici,  il  nous  donne  toute  la 
mesure  de  son  inspiration  mélodique  et 
professe  franchement  son  credo  artistique, 
dont  je  ne  puis  résister  au  plaisir  de  citer 
un  fragment  : 

«  Je  suis  fermement  convaincu  que  le 
drame  lyrique  moderne  ne  saurait  se  pas- 
ser du  leitmotiv...  S'ensuit-il  pour  cela  que 
servilement  nous  devions  imiter  Wagner, 
qui,  si  heureusement,  employa  cet  artifice 
musical  ;  devons-nous,  pour  nous  mettre  à 
la  remorque  du  maitre  allemand,  renoncer 
à  nos  précieuses  qualités  françaises  :  la 
clarté,  la  rapidité,  la  logique  et  la  forme  ? 
Je  ne  le  crois  pas.  J'ai  donc  tenté  dans  la 
Cloche  du  BJtin  de  conserver  l'air,  le  duo, 
l'ensemble,  le  chœur,  oasis  dans  le  steppe 
musical  si  justement  chères  à  tant  d'audi- 
teurs... » 

Les   guerriers   sont  vaincus  et  découra- 
gés ;  ils  ne   répondent  que  par  des  gémis- 
sements aux  exhortations   de   la  prêtresse 
d'Odin.  Les  dieux  nous  abandonnent,  disent- 
ils  ;  iMr  les  lumières  qu'ils  te   donnent,  Liha, 
dis-nous  pourquoi.  Pourquoi  f  s'écrie-t-elle  : 
c'est  parce  que  Konrad  a  violé 
la  loi,  qu'il  n'ose  frapper  Iler- 
vine. A    7nort  la  chrétienne  !  A 
mort  Hervine!  répliquent  Her- 
mann  et  les  guerriers.  Konrad 
entre.  Au  nom  des  dieux  ger- 
mains,   il   renie   tout    sacrifice 
humain,    et    leur   ordonne    de 
sortir.  Seule,  Liba  l'épie.  Voyant 
que  Konrad   se   fait  amener  la 
captive,     elle     murmure    avec 
haine    et   mépris  :  L'amour  t'a 
soufflé  sa  démence...  Les  dieux  se 
vengeront  ! 

Seuls,  en  présence  l'un  de 
l'autre,  la  douceur  de  la  cap- 
tive s'unit  peu  à  peu  à  la  pitié 
du  jeune  chef.  Cette  scène  est 
le  point  culminant  de  l'œuvre 
de  M.  Rousseau.  Les  rythmes 
et  les  chants  de  l'orchestre 
s'enlacent  et  soulignent,  sans 
les  écraser  jamais,  les  accents 
passionnés  du  jeune  chef,  les 
rigueurs  delà  captive,  qui,  après 
un  long  et  chaste  combat,  cède 
à  cette  musique  d'amottr  à  nulle 
autre  pareille! 

Charmée,  la  jeune  fille  oublie 
ses  vœux  religieux;  et,  s'aban- 
donnant  dans  les  bras  de  Kon- 
rad, elle  chante  avec  lui,  leurs 
jeunes  cœurs  vibrant  à  l'unisson  : 


Rhin. 


FRAGMENT  DU   DUO  (Acte  II,  scène  m),  chanté  par  M.  Vaguet  et  M"*'  Ackté. 
Allegretto presse/ 


HERVINE 


K0NR4D 


PIANO 


Viens, 


ô   vierge    blon  .de; .viens, et   que  ta  che.ve.iure  i  . 


1 


OÙ  s'e'     .    tan.che.ra  la  soif  dont      ma     leNre  est  brû. 

DDolto  aliar" 


Ped.  ^,  Ped.  * 

Publié  avec  l'autorisation  de  M.  Choudens,  éditeur,  Paris.  —  To  is  droits  réservés. 


LA    MUSIQUE 


299 


Ilorvine,  qui  s'était  laissée  aller  an 
charme  de  l'étreinte,  s\irrache  des  bras  de 
Konrad  en  entendant,  au  loin,  un  pieux 
cantique.  Repentante,  elle  s'écrie  : 

Je  suis  au  fiancé  des  noces  éternelles, 

Et  les  amours  charnelles 
N'ont  pas  de  bagues  pour  mes  doigts. 

Conduit  par  Liha,  le  peuple  envahit  la 
scène  et  conjure  Konrad  de  s'arracher  des 
bras  d'une  femme  pour  repousser  les  chré- 
tiens. Prenant  ses  armes,  Konrad  fait  ser- 
ment d'incendier  le  cloître  et  de  jeter  au 
Rhin  ensanglanté  cette  cloche  maudite. 
Les  combattants  s'éloignent  tumultueuse- 
ment. Montée  sur  un  rocher,  Liba  suit 
anxieusement  des  yeux  la  bataille  qui  se 
livre.  Après  un  premier  succès,  les  soldais 
de  Konrad  se  replient  en  désordre  :  voyant 
Hervine  en  prière,  la  farouche  prêtresse 
l'offre  en  holocauste  aux  dieux  germains, 
et  la  fait  précipiter  dans  le  Rhin.  Dès  que 
la  vierge  a  disparu  sous  les  Ilots,  dans  les 
rangs  des  païens  la  victoire  renaît. 

Ténors  et    Basses    dans  la  coulisse 


En      avant!  noort  auxchre.tiens. 

Thème   barbare    païen 


La  nuit  est  éclairée  des  rouges  lueurs  de 
l'incendie  du  cloître.  Konrad  victorieux  ne 
revient  que  pour  réclamer  Ilervine.  Her- 
vine est  dans  les  flots,  les  dieux  sont  apaisés  ! 
lui  répond  Liba,  mêlant  aux  chants  de 
triomphe  l'ironie  de  sa  vengeance. 

Troisième  acte.  —  Konrad  erre  doulou- 
reusement. Il  a  renié  tout  pouvoir,  et  ne 
veut  plus  que  pleurer  son  amour.  Appe- 
lant à  tous  les  échos  Ilervine,  il  poursuit 
sa  route.  Errants  et  fugitifs,  les  Germains 
traversent  le  bois  profond  qui  côtoie  la 
rive  du  fleuve.  Au  pied  d'un  chêne,  Liba 
veut  offrir  aux  dieux  le  sacrifice  humain. 
Ici  la  mélodie  aux  harmonies  modernisées 
chante  et  se  déroule  dans  toute  sa  beauté  : 


Les  jeones   filles    e'tendent  do  feoillage    snr    l'aotel. 


elles  y  disposent  des  vases  poor les  libations 


des  vases  ponr 


Ped.  *  Ped.  *        Ped 


Le  compositeur  ne  craint  pas  de  répé- 
ter deux  fois  de  suite  (A  et  Ri  la  même 
mesure,  et  en  cela  il  a  bien  raison  :  le 
sens  mystérieux  de  la  première  étant 
affirmé  par  la  seconde,  qui  en  est  l'écho, 
si  vous  voulez,  mais  un  écho  d'une  ma- 
gniflque  ampleur. 

Le  sacrifice  va  s'accomplir.  Konrad 
apparaît  et  veut  s'y  opposer.  Se  dressant 
menaçant  en  face  de  Liba,  qui  le  renie,  il 
l'accuse  d'égorger  là  où  priaient  les  an- 
cêtres, et,  portant  les  mains  sur  l'autel,  il 
brise  les  vases  sacrés.  Furieux,  les  Ger- 
mains le  frappent  et,  terrifiés  par  le  sacri- 
lège, ils  s'enfuient  en  le  laissant  pour  mort. 
Au  loin,  la  cloche  résonne  mystérieuse- 
ment. Le  blessé  revient  à  lui  :  «  Hervine  !  d 
soupire-t-il  une  dernière  fois,  les  yeux 
tournés  vers  le  Rhin.  O  prodige!  surgis- 
sant des  flots,  la  jeune  martyre  apparaît. 
Sans  faire  un  mouvement,  elle  glisse  sur 
l'onde,  et  près  de  Konrad  agenouillé,  en 
extase,  elle  dit  : 


Thème 


Peu  à  peu  elle  entraîne  le  jeune  guerrier 
dans  les  flots,  et,  tandis  que  la  cloche 
vibre,  qu'un  chœur  mystique  chante  leur 
épithalame,  les  deux  martyrs  du  christia- 
nisme naissant  murmurent  :  L'amour  ne 
finit  pas,  à  la  mort  il  commence. 

Guillaume   Dan  vers. 


LA     MODE     DU     MOIS 


En  foulard  rose  et  blanc,  voici  un  charmant  et 
très  nouveau  modèle  (n"  1).  La  jupe,  sans  aucune 
garniture  qu'un  haut  volant  en  forme,  est  demi- 
longue.  Le  corsage  ajusté,;à  taille  ronde,  et  rentré. 


Non  moins  jolie,  pour  casino  ou  visites,  est  cette 
robe  en  gaze  rose  de  Chine,  à  larges  dessins  gris 
argent,  ornée  de  galons  de  taffetas  camaïeu,  c'est- 
à-dire  du  même  ton,  mais  plus  foncé  (n»  2). 


est  orné,  sur  le  devant  seulement,  par  un  grand 
entre-deux  en  vieille  guipure  bise,  partant  d'une 
couture  à  l'autre,  sous  les  bras,  et  emboîtant  bien 
la  poitrine.  Le  dos  est  uni,  les  manches  plates,  et 
le  col  toujours  montant.  La  ceinture  est  en  cuir 
bis,  les  gants  en  suède  naturel,  les  bas  de  soie 
noire  et  les  souliers  en  chevreau  glacé.  Une  grande 
et  très  élégante  capeline  en  paille  d'Italie  noire, 
empanachée  de  plumes  noires,  achève  cette  toi- 
lette d'un  genre  très  comme  il  faut. 


Ces  galons  sont  eux-mêmes  lisérés  par  d'autres 
en  soie  blanche  formant  trèfles.  Des  losanges  en 
incrustation  de  guipure  à  larges  dessins  ornent 
le  bas  de  la  jupe.  L'ouverture  du  corsage  est  de 
forme  tout  à  fait  nouvelle  ;  encadrée  par  un  galon 
noir,  elle  laisse  entrevoir  une  guimpe  en  linon 
blanc  plissé.  Le  chapeau,  en  paiUe  de  fantaisie 
blanche,  est  recouvert  de  longues  plumes  blan- 
ches genre  amazone.  Gants  de  chevreau  blanc, 
souliers  de  daim  blanc  et  bas  roses,  en  soie  brodée. 


LA     MODE    DU    MOIS 


301 


Le  mois  d'août,  étant  par  excellence  le  mois 
des  vacances,  est  aussi  celui  des  excursions. 

Voici,  h  cet  effet,  un  costume  spécial  que  l'on 
pourra  à  volonté  transformer  en  costume  de 
chasse  (n°  3)  ;  il  est  en  drap  havane  foncé,  la  jupe 
est  courte  avec  pattes  de  piqué  blanc  ornées  de 
boutons,  sur  les  ouvertures  des  poches,  de  chaque 
côté    du      tablier.     Corsage -jaquette    à     basques 


appréciés  de  nos  jours,  même  par  les  femmes,  on 
adopte  des  toilettes  spéciales,  genre  tailleur. 
Celle-ci  est  en  lainage  bleu  foncé  (n°  4),  avec  jupe 
fermée  sur  les  hanches  par  des  boutons  d'or.  Des 
boutons  d'or  disposés  en  plastron  ornent  encore 
le  boléro-veste,  dont  les  revers  sont  en  toile  ciel 
avec  galons  blancs.  La  guimpe  est  assortie. 

Chajieau  de  Panama  naturel,  garni,  sur  le  côté, 


courtes  et  à  revers  de  piqué  blanc,  serré  à  la  taille 
par  une  ceinture  de  cuir  blanc.  La  cravate  est  à 
damier  havane  et  blanc,  et  le  chapeau,  à  calotte 
fendue,  en  feutre  léger  havane  clair,  agrémenté 
sur  le  côté  d'une  plume  de  faisan.  Souliers  à  hautes 
guêtres  assorties;  plaid  gracieusement  jeté  sur 
l'épaule  gauche,  et  fusil  passé  en  bandoulière. 
Pour  excursions,  le  bâton  ferré  remplace  le  fusil  ; 
on  le  tient  alors  à  la  main. 

Enfin,  pour  le  yachting,  un  des  sports  les  plus 


avec  des  ailes  de  mouette  et.  tout  autour  de  la 
calotte,  d'un  velours  noir  souligné  par  une  torsade 
de  gaze  gris  argent. 

Bas  de  fîl  noir  et  souliers  Richelieu  en  chevreau 
mat.  Gants  gris  en  suède  ou  en  peau  de  daim. 

Le  chapeau  pour  aller  en  bateau,  sur  mer  ou 
sur  l'eau  douce,  peut  fort  bien  se  remplacer  par 
la  casquette  de  marin.  C'est  [même  parfois  plus 
élégant  encore,  pour  toute  jeune  personne  s'en- 
tend. 


LA    MODE    DU    MOIS 


LES    PARFUMS 

Le  parfum  est  presque  devenu  le  complément 
obligatoire  de  la  toilette. 

On  a  beau  médire  de  lui  et  prétendre  que  la 
meilleure  de  toutes  les  odeurs  est  encore  celle  qui 
ne  sent  pas,  bien  rares  sont  les  femmes  qui  ne 
mêlent  pas  à  l'eau  de  leur  toilette  quelque  essence 
plus  ou  moins  fine  ou  plus  ou  moins  forte. 

LANGAGE     DES     PARFUMS 

L'élégance  a  pour  symbole  l'acacia;  la  bonté 
se  retrouve  dans  l'amande,  la  tranquillité  dans 
l'ambre,  la  fierté  dans  l'amaryllis,  l'autorité  dans 
le  benjoin,  la  fidélité  dans  la  citronnelle. 

Le  chèvrefeuille  désigne  l'amour;  la  clématite, 
la  tendresse;  la  coronjV^?,  l'ingénuité;  la  ca»iom!7^e^ 
la  soumission;  le  cytise,  la  vivacité;  le  cèdre,  la 
sérénité. 

Le  foin  coupé  est  synonyme  de  tempérance  ;  le 
géranium,  de  sottise;  le  genêt,  de  préférence;  la 
giroflée,  de  charité;  la  glycine,  d'amitié. 

'L'héliotrope  veut  dire  amour  éternel;  l'iris,  Iq 
bonheur;  la  jaciw^/i*?,  l'amour  du  jeu;  le  Jasmin, 
l'amabilité;   la  Jonqtdlle,  l'égoïsme  et  l'orgueil. 

La  lavande  veut  dire  tempérance;  le  laurier- 
rose,  perfection  ;  le  lilas,  l'amour  ;  le  lilas  blanc, 
jeunesse  et  grâce;  le  lis,  pureté;  le  liseron,  mo- 
destie. 

Le  magnolia  exprime  l'amitié  ;  la  marjolaine,  la 
consolation  ou  la  plus  heureuse;  la  mauve,  la  flat- 
terie ;  la  mélisse,  la  gaieté  ;  la  menthe,  la  sagesse  ; 
le  wùuosffj  l'amour  discret  ;  le  muguet,  le  bonheur  ; 
le  muguet  des  bois,  le  dédain. 

h'œillet  symbolise  la  finesse  ;  l'œillet  musqué,  le 
mépris;  le /)ow de  s??i<e(tr^  la  délicatesse;  l'oranger, 
la  générosité;  l'orchidée,  l'élégance;  le  jjélargo- 
nium,  la  pureté  d'intention. 

La  rose  blanche  signifie  candeur;  la  rose  rose, 
beauté;  la  rose  rouge,  amour;  la  l'ose  musquée, 
coquetterie  ;  le  réséda,  perfection  et  modestie  ;  le 
sa  171  fo in,  pmdence;  le  safran,  modération;  le  til- 
leul, rêverie  :  la  tubéreuse,  amour  passionné  ;  la 
vanille,  douceur;  le  vétiver,  le  calme;  la  violette, 
le  charme  ;  la  verveine,  habileté. 

PARFUMS     A     LA     MODE 

L'amande,  l'ambre,  l'amaryllis,  le  benjoin,  la 
citronnelle,  le  coréopsis,  le  foin  coupé,  le  géranium, 
l'iris,  le  jasmin,  la  lavande,  le  lilas  blanc,  la 
menthe,  le  muguet,  l'orchidée,  la  rose  blanche,  le 
réséda,  le  vétiver,  la  violette  et  la  verveine. 

CHOIX     d'un     P  a  K  F  U  M 

D'après  le  tableau  qui  précède,  on  voit  que,  du 
choix  d'un  parfum  favori,  les  étrangers  peuvent 
déduire  les  tendances  de  notre  caractère.  Il  est 
donc  prudent  de  bien  réfléchir  avant  de  se  décider. 
En  tous  les  cas,  si  l'on  choisit  des  essences  diverses 
pour  les  différents  usages  de  la  toilette,  faut-il 
rechercher  dans  l'ensemble  une  certaine  harmonie  ; 
les  discordances  sont  aussi  désagréables  dans  les 
parfums  que  dans  les  couleurs. 


NOS    PATRONS 

Veste  quart ier-maifre.  —  Cette  veste,  en  drap  ou 
molleton  bleu  marine,  peut  se  porter  aussi  bien 
par  une  fillette  que  par  un  garçonnet.  Pour  la 
première,  elle  doit  être  accompagnée  par  la  jupe 


courte  plissée  ;  pour  le  second,  le  costume  est  com- 
plété par  le  pantalon  de  matelot  long  et  tout  droit. 
Le  dos,  droit  fil  et  sans  couture,  se  coud,  pour 
les  garçons,  du  haut  en  bas,  sous  les  bras;  mais 
pour  les  filles,  à  cause  de  l'ampleur  de  la  jupe,  il 


est  préférable  de  ne  coudre  le  dessous  de  bras  que 
jusqu'à  la  taille. 

Le  devant  de  la  veste  est  ouvert  sur  un  maillot 
en  tricot  de  coton  rayé  bleu  et  blanc. 

Le  col  est,  comme  le  dos,  droit  fil  et  sans  cou- 
ture derrière. 


LA    MODE    DU    MOIS 


303 


COIFFURES    DE    FANTAISIE 

Pour  les  excursions,  si  nombreuses  pendant  le 
mois  d'août,  le  bih-vt  est  le  favori.  Il  se  fait  en 
molleton  et  se  porte  blanc,  bleu  marine  ou  noir. 

C'est  à  la  femme  de  le  poser  sur  se.s  cheveux 
de  la  façon  la  plus  coquette  et  la  plus  seyante  à 
son  genre  de  beauté.  Maintenu  par  des  épingles. 


le  béret  ne  redoute  ni  le  vent,  ni  les  bois  taillis. 
.'\  la  mer,  la  casquette  est  de  beaucoup  la  pré- 
férée. Les  femmes,  souvent  fort  intrépides,  ne  re- 
doutent pas  la  fureur  des  flots  ;  elles  manient  avec 
adresse  le  gouvernail  et  l'aviron.  Et  lorsqu'elles 
vont  en  mer  à  la  pêche,  ou  simplement  en  pro- 
menade, elles  adoptent,  comme  coifiEure,  la  cas- 
quette de  marin,  en   drap  blanc,  avec   visière   en 


vernis  noir.  Un  caoutchouc,  voire  une  jugulaire, 
empêche  cette  coiffure  de  céder  aux  caprices  de 
l'ouragan  et  de  s'envoler  vers  le  large. 

Pour  les  bébés  et  les  fillettes,  quand  on  veut 
garantir  leur  nuque  du  soleil  sans  les  encombrer 
d'une  coiffure  chaude  et  lourde,  on  doit  choisir 
la  grande  capeline  bonne- femme. 

Celle-ci  se  fait  en  batiste  blanche,  crème,  bleu 
ou  rose  pâle,  avec  bouillons  formés  par  des  cou- 
lisses à  l'intérieur  desquelles  on  passe  des  rubans 


pour  les  fronces;  un  joli  nœud  de   ruban  assorti 
ou  formant  légèrement  ca- 
maïeu  avec    la  batiste,   «e 
pose  un  peu  à  gauche,  sui 
le  bouillonné  du  milieu,  et 
orne     gracieusement    cette 
capote      dont      les 
joues  et  les  bavolets 
sont  bordés  par  une 
dentelle  de  fantaisie 
qu'une    jeune   mère 
peut   fort  bien  s'a- 
muser à  faire  elle- 
même     au    crochet, 
au  tricot  ou  au  fu- 
seau.  Brides  assor- 
ties au  nœud. 

Le  fond  est  fron- 
cé au  milieu  par 
une  coulisse  inté- 
rieure que  l'on  des- 
serre à   volonté,  ce 

qui  rend  des  plus  simples  et  des  plus 
faciles  le  blanchissage  et  le  repassage  de 
cette  coquette    et  très  pratique  coiffure. 


OMBRELLES  ET  PARAPLUIES 

Le  parapluie  élégant  est  forcément  toujours  un 
parapluie-aiguille  en  belle  soie  cuite  carmélite, 
bleu  marine  ou  vert  myrte.  Le  manche,  foncé  et 
très  fin,  est  orné  d'une  cordelière  terminée  par  des 
glands.  La  haute  nouveauté  le  veut  terminé  par 
une  grosse  boule  de  cristal  dans  laquelle  se  meu- 
vent de  petits  grains  multicolores. 

Le  parapluie  ordinaire  peut  se  faire  en  S(7('VieH)ic^ 
un  peu  plus  lourde, 
il  est  vrai,  mais 
plus  solide  que  la 
soie  pure.  Le  man- 
che en  bois  rus- 
tique, avec  béquille 
en  bois  ou  en  argent 
nickelé,  est  tout  à 
fait  gracieux.  Ce 
parapluie  est  aussi 
agrémenté  d'une 
cordelière  en  passe- 
menterie. 

Les  ombrelles 
claires  sont  très 
prisées  cet  été.  Celle  que  représente  notre  dessin 
est  en  soie  fond  blanc,  rayée  en  travers  de  noir 
ou  de  couleur.  Cette  disposition  se  fait  en  toutes 
les  nuances.  Assez  grande,  cette  ombrelle  est 
bordée  par  un  large  volant  de  dentelle. 

Un  petit  ruban-comète,  de  la  nuance  des  rayures, 
compose  la  tête  du  volant  et  forme,  à  chaque 
pointe,  de  jolis  petits  nœuds  Louis  XVL 

Iliche  milord  en  or  ciselé  uni  ou  incrusté  de 
pierreries,  au  bout  d'un  manche  rigidement  cra- 
vaté de  ruban  très  ferme,  toujours  de  ton  assorti. 


304 


LA    MODE    DU    MOIS 


OUVRAGES    DE    DAMES 

La  broderie  se  transporte  facilement  :  c'est  sans 
iloute  ce  qui  explique  son  succès  comme  travail 
mauuel  pendant  les  mois  de  vacances  ou  de  villé- 
giature. Dans  la  pensée  d'être  aussi  agréables 
qu'utiles  à  nos  abonnées,  nous  leur  oflfrons  donc 
aujourd'hui  un  service  de  table  complet  comme 
spécimen  des  nouveautés  de  la  saison. 

Suivant  le  goût,  ce  service  peut  se  faire  en  gra- 


nité, en  toile  blanche  ou  bise,  en  toile  russe  et  en 
tissu  de  fantaisie  de  couleur. 

Sur  fond  roux,  bis  ou  blanc,  les  glycines  qui 
lui  servent  d'ornement  devront  se  broder  dans 
les  , nuances  naturelles,  mauve  pour  les  fleurs 
et  vert  pour  le  feuillage.  On  fait  à  présent  les 
fleurs  et  les  feuilles  d'un  seul  ton,  ce  qui  en  sim- 
plifie beaucoup  l'exécution. 

Sur  tissu  de  couleur,  on  fera  les  fleurs  du  ton 


N°  2. 

qui^  s'harmonisera   le  mieux    avec    le  fond  ;    ceci 
étant  du  domaine   de    la   fantaisie,   aucune  règle 
n'est  applicable.   On  n'a  donc  qu'à  laisser  courir 
son  imagination. 
y°  1.  —  Vue  d'ensemble  d'une  table  recouverte 


d'une  nappe  avec  serviettes  et  dessous  de  verre 
assortis. 

La  nappe  est  bordée  par  un  ourlet  à  jours  de 
quatre  centimètres  de  hauteur,  avec  motif  de  bro- 
derie dans  le  coin  et  motif  détaché  formant  semis 
sur  le  reste  de  la  longueur. 

L'ourlet,  pour  la  serviette,  doit  avoir  de  deux 
centimètres  à  deux  centimètres  et  demi   de    hauteur 


.  4&*t  H ....     i. 


N"  3. 


et  d'un  centimètre  à  un  centimètre  et  demi  pour  le 
dessous  de  verre. 

N"  2.  —  Chemin  de  table.  Même  ourlet  et 
mêmes  motifs  aux  deux  bouts  que  sur  la  nappe  ;  en 
montant  le  long  de  l'ourlet,  petits  motifs  formant 
également  semis. 

Ce  chemin  se  pose,  comme  ou  le  sait,  sur  la 
table,  dans  le  sens  de  la  longueur. 

N"  3.  —  Service  à  thé  assorti,  avec  feston  en 
bordure  au  lieu  d'ourlet.  La  serviette  doit  être 
carrée  et  avoir  trente  centimètres  de  côté  seule- 
ment. La  nappe  se  proportionne  à  la  table  qu'on 
doit  recouvrir. 

jV»  4.  —  Détail  du  point.  Fleurs  et  feuilles 
sont  contournées  au  point  de  tige.  L'intérieur  se 


N»  4. 

brode  au  point  lancé,  toujours  dans  le  sens  des 
pétales,  mais  en  ayant  soin.de  laisser  jouer  du 
fond  dans  le  centre,  ce  qui  donne  plus  de  légèreté 
au  travail. 

Berthe    de    Présilly, 


MEMENTO     ENCYCLOPÉDIQUE 

Événements  de  Juin  1898. 


1.  —  St^ance  de  rentrée  du  Parlement.  Par  suite 
lia  renouvellement,  la  Chambre  est  appelée  à  nommer 
sou  bureau  ;  il  est  procédé  au  scnitiu  pour  l'élection  du 
président  provisoire.  Votants  :  .").")3  ;  majorité  absolue  :  277. 
obtiennent  :  M.  Deschanel, 277 voix;  M.  Brisson,  27U  voix. 
Un  bultetin  étant  contesté,  le  vote  est  incertain  et  le 
bureau  décide  qu'il  n'y  a  pas  élection.  AIM.  Sarrien  et 
Leygues  sont  élus  vice-présidents.  Cette  première  séance 


4.  —  Le  groupe  socialiste  de  La  Chambre  lance 
un  manifeste  au  pays.  —  Le  Sénat  des  Etats-Unis 
vote  la  loi  pour  les  dépenses  de  la  guerre.  —  M.  Pincliia 
est  nommé  sous-secrétaire  d'Etat  à  l'instruction  publique, 
et  M.  Gabra,  sous-.secrétaire  d'Etat  aux  travaux  publics 
en  Italie. 

5.  —  M.  F.  Faure  assiste  au  Grand  Prix  de  Paris, 
(jui    est   gagné    par    Le  Roi-Soleil  à  M.    de  Rothschild. 


CARTE    DU    THÉÂTRE    DE    LA    GUERRE     H  I  S  F  A  X  0  -  A  M  É  R  I  C  A  I  N  E 
(Pour  la  description  de   la   Havane,  voir  le  n»  28  du   Jfonde  Moderne,  avril   189",  page 


577.) 


est  très  orageuse.  —  M.  Xavarre  est  réélu  président  du 
Conseil  municipal  de  Paris.  —  Le  gouvernement 
américain  nomme  le  général  Merritt  gouverneur  des 
Philippines.  — ■  AI.  Reitz  est  nommé  secrétaire  d'Etat 
au  Transvaal,  en  remplacement  de  il.  le  docteur  Leyds, 
nommé  représentant  du  Transvaal  en  Europe.  —  Ouver- 
ture du  Congrès  du  Chili.  Le  message  fait  espérer 
une  prompte  solution  du  litige  avec  la  République 
Argentine. 

2.  —  M.  Deschanel  est  élu  président  de  la  Cham- 
bre par  282  voix,  contre  278  à  M.  Brisson,  sur  .5{i2  vo- 
tants. —  M.  F.  Faure  reçoit  M.  Navarre  et  les  membres 
du  Conseil  municipal  de  Paris.  —  M.  Polo  de  Barnabe 
est  nommé  sous-secrétaire  d'Etat  aux  affaires  étrangères 
en  Espagne. 

3.  —  Démission  de  M.  Morel,  sénateur  de  la  llau- 
che,  nommé  sous-gouverneur  de  la  Banque  de  France. 
—  Après  la  prise  de  Sikasso  et  la  mort  du  roi  de 
Babemba.tout  le  pays  fait  sa  soimiission.  —  MM.  BaiUy- 
Foreiliére  et  Pauly  sont  massacrés  au  cours  d'un 
voyage  d'exploration  dans  la  République  de  Libéria.  — 
Le  général  Tardité  est  nommé  sous-secrétaire  d'Etat  à 
la  guerre  eu  Italie.  —  La  flotte  américaine  recom- 
mence le  bombardement  de  Santiago.  Le  croiseur  amé- 
ricain Merrimac  est  coulé  par  les  Américains  pour  obstruer 
la  passe  de  Santiago  et  empêcher  l'amiral  Cervera  de 
sortir.  —  Un  vote  populaire  se  prononce  contre  la  fédé- 
ration des  colonies  australiennes. 

VllI.  —  20. 


—  Dix  navires  américains  lancent  une  énorme  quantité 
de  projectiles  contre  les  forts  de  Santiago.  —  Les 
troupes  grecques  réocoupent  Larissa,  Tournavos  et  'Volo. 
L'évacuation  est  terminée.  —  Les  élections  pour  la 
Skoupchtina  de  Serbie  donnent  une  majorité  favo- 
l'able  au  gouvernement. 

6.  —  La  Chambre  commence  la  vérification  des 
pouvoirs.  30  7  députés  sont  validés.  —  M.  de  Rothschild 
donne  aux  pauvres  de  Paris  les  2.5(i,OUO  francs  ga- 
gnés par  son  cheval  au  Grand  Prix.  —  Violents  troubles 
à  Belfast  occasionnés  par  une  rencontre  entre  oran- 
gistes  et  nationalistes.  Une  centaine  d'agents  et  autant 
de  civils  sont  blessés.  Nombreuses  arrestations. 

7.  —  M.  Hanotaux  fait  connaître  au  Conseil  des  mi- 
nistres que  la  Chine  a  donné  toute  satisfaction  au 
sujet  des  réclamations  concernant  l'assassinat  du 
P.  BerthoUet  dans  le  Kuang-Si.  La  Chine  accorde, 
en  outre,  la  concession  de  lignes  de  pénétration  du  Tonkin 
en  Chine.  —  Ouverture,  à  Bruxelles,  d'mie  conférence 
internationale  au  sujet  de  la  suppression  des  primes 
de  sortie  pour  les  sucres.  —  Le  ministre  de  la 
marine  annonce  à  la  Chambre  espagnole  que  le 
général  Liuarès  a  repoussé  les  Américains  qui  tentaient 
de  débarquer  à  Aguadores  (Cuba).  —  Inauguration,  à 
Saint-Pétersbourg,  du  pont  Troitzky,  dont  la  pre- 
mière pierre  fut  posée  en  présence  de  M.  F.  Faure. 

8.  —  Le  Conseil  municipal  de  Paris  adopte  la  propo- 
sition d'élever  un  monument  à  la  mémoire  des  victimes 


306 


MEMENTO    ENCYCLOPEDIQUE 


non  reconnues  «le  l'incendie  de  l'Opéra-CoHiique. 

—  (luvcrture  du  dix-septième  congrus  de  la  Société 
d'Economie  sociale  et  des  Unions  de  la  paix  sociale. 

—  L'escadre  de  la  Méiliterranée  simule  une  attaque 
contre  Marseille,  qui  est  considérée  comme  prise.  — 
Le  prince  de  Hohenlohe,  chancelier  de  l'empire  alle- 
mand, visite  les  chantiers  de  l'Exposition  de  1900.  — 
L'insurrection,  ayant  à  sa  tête  A  guinaldo,  triomphe  aux 
Philippines  et  s'étend  à  tout  l'archipel. 

9.  —  M.  Deschanel  est  élu  président  définitif  de 
la  Chambre  par  2K7  voix,  contre  277  à  M.  Brisson. 
MM.  Lej'gues,  Sarrien,  Krantz  et  Mesureur  sont  élus 
vice-présidents.  —  A  l'occasion  du  centenaire  de 
Michelet,  inauguration  du  buste  du  célèbre  historien, 
(Buvre  d'Antonin  Mercié,  au  lycée  Michelet  à  Vanves.  — 
Le  maréchal  Blanco,  gouverneur  de  Cuba,  propose 
au  général  insurgé  Gomez  de  s'allier  aux  Espagnols  pour 
repousser  les  Américains.  Gomez  refuse. 

10.  —  Ouverture  du  congrès  organisé  à  l'occasion  du 
cinquantenaire  de  la  Société  des  ingénieurs  civils 
lie  France.  —  A  la  Chambre  des  Communes  d'Angleterre, 
M.  Chamberlain,  défendant  la  politique  étrangère  du  ca- 
binet, dit  qu'une  alliance  avec  les  Etats-TJnis 
serait  un  bienfait  pour  les  deux  pays  et  pour  la  civi- 
lisation. —  Les  Américains  débarquent  à  Guanta- 
namo  sous  la  protection  du  feu  des  navires.  I 
échouent  daus  leurs  tentatives  de  débarquement  i 
Santiago. 

11.  —   A  l'Hôtel  de  "\rille  de  Paris,  fête  des 
Beaux-Arts    en    l'honneur   des   artistes    francai» 
ayant  exposé  aux   Salons  de  IKll.S.  —  La  Chambit, 
après  l'élection  des  membres  du    bureau  restant    i 
nommer,  est  définitivement  constituée.  —  On 
apprend  par  une  lettre  du  capitaine  Mar- 
chand, en  date  du   l'"'  décembre   18'J7,  que 
la  première  partie  de  sa  mission,  et  la  plus 
périlleuse,  est  termiuée.  —  Mort  de  M'"'=  Po- 
tonié-Pierre,  propagandiste   féministe.  — 
La   Diète  du   Japon,  ayant  rejeté  divers 
bills  présentés  par  le  gouvernement,  est  dis- 
soute. —  L'escadre  américaine  bombarde  Bai- 
quiri   (Cuba)    et    les    troupes    américaines 
débarquées  livrent  combat  aux  troupes  espa- 
gnoles  à  Caimanera.   —   Mort,  à  Bial\ stock, 
du    rabbin    Mohilever,    qui    se    proposait   de 
reconstituer    le    royaume    de    Judée. 

12.  —  Inauguration  du  monument  élevé 
à  la  mémoire  d'Eugène  Flachat,  ingé- 
nieur, fondateur  de  la  Société  des  Ingénieurs 
civils.  —  Mort  du  peintre  Auguste  Tru- 
phème.  —  Inauguration,  Bizerte,  du 
pont  à  transbordeur  reliant  les  deux  rives  du 
chenal  conduisant  de  la  mer  au  lac  de 
Bizerte.  —  Mort  de  l'historien  suisse 
Pierre   Vaucher,  qui   soutint  que 


Guillaume  Tell  ét.iit  un  personnage  légendaire.  —  Mal- 
gré l'oiiposition  du  khédive,  les  chemins  de  fer  du 
Soudan  égyptien  sont  cédés  à  une  compagnie  anglaise. 

—  Le  général  sénateur  Roca  est  élu  pour  la  seconde  fols 
président  de  la  République  Argentine.  —  Les 
insurgés  des  Philippines  proclament  leur  indé- 
pendance. 

13.  —  Création  de  la  ligue  française  pour  la 
défense  des  droits  de  l'homme  et  du  citoyen.  — 
A  la  Chambre,  M.  Deschanel  prononce  le  discours 
d'usage  en  prenant  définitivement  la  présidence.  Il  insiste 
sur  la  nécessité  d'une  politique   nettement  réformatrice. 

—  Un  décret  impérial  ordonne  la  prorogation  du 
Reichsrath  d'Autriche-Hongrie.  —  Le  général 
vénézuélien  Hernandez,  qui  avait  provoqué  un 
mouvement  révolutionnaire  à  la  suite  de  son  échec  à  la 
présidence,  est  fait  i)risonuier  et  la  révolution  est  ter- 
minée. 

14.  —  Signature  de  l'arrangement  franco- 
anglais  relatif  au  Niger.  —  A  la  suite  d'une  interpel- 
lation de  M.  Millerand,  la  Chambre  adopte  un  ordre 
du  jour  de  confiance  et,  malgré  les  observations  du  pré- 
sident du  conseil,  une    motion   additioimelle  disant  que 

«  la  Chambre  soutiendra   le  ministère  sous 
réserve  qu'il   s'appuiera   sur   une   majorité 
exclusivement    républicaine    ».   —   Trente- 
cin  1    tiinspoit^    améilcains     e  certes    par 
[Uit  ize  nivires  de  guerre  quittent  Tampa 
a  destination  de  Cuba  Les  Américains 
et    les   insuigés    atta- 
quent   le    camp  espa- 
gnol de  Guantanam  >ct 
détruisent  les  leti  ui- 
thements   Les  Amcri- 
cains   occupent  Acoe- 


F^ 


VMIRVL   CLUVEKA 


Le   luii'a. 

NAVIRE    DE   GUERRE    AMÉRICAIN,    AVEC   SON    FILET   DE    PROTECTION 


M  E  M  K  \  T  (  )    K  X  C  ^'  C  I,  O  P 1-:  D  I  Q  V  K 


307 


BATTERIE     DE    60     MORTIERS,     A    SAXDT     HOOK,     POUR    LA     DÉFENSE     DE    XEW-TORK 
(Une  décharge  des  60  pièces  coîiterait  50,000  dollars.) 


V  N     DÉPART     I)  '  A  r.  T  1 1>  I.  E  r  R  S     A  M  É  R  I  C  A  I  X  S     P  O  V  R     CUBA 


30iS 


MEMENTO    ENCYCLOPÉDIQUE 


raderos.  —  Uu  mouvement  insurrectionnel  à  Saint- 
Domingue,  contre  le  président  Heureaux,  est  réprimé. 
15.  —  II.  Mélint  remet  au  président  de  la  Répu- 
blique la  démission  du  cabinet,  qui  est  acceptée. 
—  Vn  groupe  franco-belge  obtient  la  concession  du 
Grand  Central  chinois  llankeou-Pekin  et  l'annexe 
du  Grand  Central  est  concédée  au  groupe  français.  — 
M.  Tbuillier  est  élu  président  du  Conseil  général 


former  le  nouveau  cabinet.  —  Une  commission  est 
chargée  par  le  Saint-Siège  de  réviser  toutes  les  condam- 
nations d'ouvrages  prononcées  depuis  300  ans  par  la 
congrégation  de  l'index.  —  Le  président  de  l'As- 
semblée Cretoise  adresse  aux  amiraux  un  mémoire  récla- 
mant la  prompte  application  des  réformes  promises 
en  mai  ls;)7.  —  Un  combat  a  lieu  sur  la  frontière  du 
Monténégro  entre  chrétiens  et  Albanais.  Il  y  a  de 
nombreux  tués  et  blessés. 

18.  —  M.  Ribot  ayant  décliné  la  mission  de 
former  le  cabinet,  M.  F.  Faure  la  confie  à 
M.  Sarrien.  —  M.  Aimé  Morot  est  élu 
membre  de  l'Académie  des  beaux-arts,  en  rem- 
placement de  M.  Gustave  Moreau,  décédé.  — 
Mort,  à  Montpellier,  du  général  Potiron  de 
Boisfleury.  —  Le  cabinet  italien  démis- 
sionne. —  Dans  une  proclamation,  M.  Bartulomé 
Masso,  président  de  la  République  Gu- 


de  la  Seine.  —  Ouverture  de  l'exposition  inter- 
nationale d'automobiles  au  jardin  des  Tuileries.  -- 
La  Chambre  des  Etats-Unis  se  prononce  en  faveur  de 
l'annexion  des  îles  Hawaï.  —  Mort  de  M.  Toth,  pré- 
sident de  la  Chambre  des  Magnats  de  Hongrie. 

—  Un  immense  incendie  détruit  1,2(I0  maisons  et 
de  nombreux  édifices  au  centre  de  Tokio  (Japon).  —  Les 
insurgés  de  Manille  entourent  la  ville,  les  Espagnols 
se  replient.  —  Les  Américains  bombardent  pour  la  troi- 
sième fois  Santiago. 

16.  —  La  Cour  de  cassation  rejette  le  pourvoi  de 
M.  Zola  contre  l'arrêt  de  la  Cour  d'assises  de  Versailles 
se  déclarant  compétente.  —  Un  décret  impérial  porte 
création  d'un  ministère  du  commerce  en  Chine. 

—  Mort  du  baron  Thirane,  ministre  des  postes  du 
Japon.  —  Des  représentations  sont  faites  à  la  Porte  par 
le  ministre  du  Monténégro  et  l'agent  bulgare  au  sujet  de 
l'incendie,  par  les  Albanais,  de  plusieurs  villages  du 
district  de  Berassa.  —  Les  libéraux  sont  battus  aux 
élections  pour  le  renouvellement  du  Reichstag  alle- 
mand. —  L'escadre  de  réserve  quitte  Cailix. 

17.  —  M.  F.  l'aure  confie  à  M.  Ribot  la  mission  de 


LE    2e    D'iNFANTKRIE 
AU    CAMP    DE    CHICKAMANGA 


baine,  repousse  l'offre  d'alliance  du  maréchal  Blanco  et 
se  prononce  en  faveur  de  l'intervention  des  Etats-Unis. 
Une  partie  des  troupes  américaines  débarque  aux  en- 
virons de  Santiago.  i 

19.  —  Inauguration  de  l'Exposition  de  Roche- 
fort.  —  Inauguration,  dans  le  jardin  du  Luxeml)Ourg, 
du  buste  de  Sainte-Beuve,  reuvre  de  Denys  Puech.  — 
Distribution  des  prix  à  l'Association  polytechnique 
en  présence  de  M.  F.  Faure.  —  Le  Père  Willi  est  nommé 
évêque  de  Limbourg.  —  Les  ministres  de  la  justice 
et  des  finances  de  Valparaiso,  démissionnaires,  sont 
remplacés  par  MM.  J.-A.  Orrégon  et  R.  Soto  Mayor. 

20.  —  Ouverture  du  Congrès  des  architectes 
français.  —  Le  président  de  la  République  du 
Brésil  visite  la  manufacture  de  Sèvres.  —  Le  Conseil 
numicipal  de  Paris  émet  le  vreu  que  les  exécutions 
capitales  aient  lieu  dans  l'intérieur  des  prisons.  — 
L'armée  américaine  commandée  par  le  général  Schaf- 
ter  arrive  devant  Santiago.  Des  troupes  espagnoles 
sont  envoyées  de  la  Havane  au  secours  de  Santiago. 

21.  —  M.  Sarrien  renonce  à  former  le  cabinet.  — 
M.  Richet  est  élu  associé  de  l'Académie  de  médecine 
eu  remplacement  de  M.  Mesnet,  décédé.  —  De  violents 
combats  ont  lieu  aux  environs  de  Manille.  —  La 
Chambre  espagnole  prend  en  considération  la  pro- 
position instituant  le  service  militaire  obligatoire.  — 
Au  lancement  du  croiseur  Albion  à  BlackwoU 
(Angleterre),  une  estrade  occupée  par  quatre  cents  per- 
sonnes est  balayée  par  l'eau  que  soulève  le  navire  et 
plus  de  soixante  spectateurs  sont  noyés  ou  tués.  —  La 
ville  de  Sunyacs  (Hongrie)  est  détruite  par  un  incendie. 


MEMENTO    ENCYCLOPÉDIQUE 


LE     (tOUAERNEUR     hartixg 

ET    SOX     ÉTAT-MAJOR 

Commissionnant  les  officiers  de  la  garde  de  Pennsylvanie 


—  M.  Clafson  est  nommé  ministre  des  cultes  de  Suède 
en  remplacement  de  M.  le  D''  Gilliam,  démissionnaire. 

22.  —  M.  Peytral  est  chargé  de  former  le  nouveau 
cabinet.  —  L'Allemagne  loue  la  baie  de  Samsoh 
(Chine)  à  l'embouchure  de  la  rivière  Min,  près  de 
Fou-Tchéou.  —  Les  Américains  débarquent  à  Da'ikin 
Baiquiri,  à  17  milles  de  Santiago,  pendant  que  la  flotte 
liombarde  plusieurs  ports. 

23.  —  M.  F.  Faure  inaugure  les  nouvelles  instal- 
lations du  Musée  Carnavalet.  —  M.  Campos 
Salles,  président  de  la  République  du  Brésil,  assiste  à 
un  banquet  qui  lui  est  offert  par  le  commerce  et  l'in- 
dustrie français.  —  Cérémonie  de  la  première  com- 
munion du  roi  d'Espagne  à  Madrid.  —  La  Chambre 
de  Capetown  émet  un  vote  de  défiance  contre  le 
ministère.  Ce  vote  atteint  le  parti  de  M.  Cecil  Rhodes. 

—  M.  Grobler  est  nommé  secrétaire  pour  les  afïaires 
étrangères  au  Transvaal. 

24.  —  Fêtes  du  centenaire  du  Conservatoire  des 
arts  et  métiers.  M.  F.  Faure  y  assiste.  —  M.  F.  Faure 
se  rend  au  tombeau  du  président  Carnot,  au  Pan- 
théon. —  Une  nouvelle  expédition  part  de  Christiania 
pour  le  Pôle  Nord,  à  bord  du  Fram,  sous  le  comman- 
dement de  M.  Sverdrup.  —  Le  cabinet  de  CapetO'wn 
dissout  le  parlement.  —  Mort  de  don  José  Elduayen, 
ancien  ministre  espagnol,  ancien  président  du  Sénat.  — 
En  Danemark,  fête  commémorative  des  événements 
de  1848  à  la  suite  desquels  le  Schleswig-Holstein  fut 
incorporé  à  la  monarchie  danoise. 

25.  —  M.  Peytral  renonce  à  former  le  cabinet  et 
M.  F.  Faure  confie  cette  mission  à  M.  Brisson.  — 
M.  de  Bonchamp,  chargé  de  partir  d'Abyssinie 
au-devant  de  la  mission  Marchand,  débarque  à  Marseille. 
Les  difficultés  rencontrées  dans  un  pays  inexploré  ne 
lui  ont  lias  permis  de  mener  sa  mission  à  bonne  fin.  — 
De  sanglantes  escarmouches  ont  lieu  entre  Amé- 
ricains et  Espagnols  aux  environs  de  Santiago  de   Cuba. 

—  Un  protocole  met  fin  aux  difficultés  entre  la  France 
et  l'Uruguay.  —  Wang-Wen-Shao  est  nommé  ministre- 
président  du  conseil  de  Chine  et  membre  du  Tsong-li- 
Yamen. 

26.  —  Inauguration,  à  Clermont-Ferrand,  du  monu- 
ment des  Croisades.  —  Inauguration,  à  Arras,  du 
monument  élevé  à  la  mémoire  des  officiers  et  soldats 
tués  en  1H7U-1871.  —  M.  F.  Faure  préside  la  distribution 
des  prix  aux  ouvriers  des  cours  professionnels  de  la 
Fédération  des  mécaniciens  et  chauffeurs.  — 
Le  marquis  Ito,  présiilent  du  conseil  du  Japon, 
démissioinie.     —     Le     capitaine     Miaoulis    est    nommé 


ministre  de  la  marine  de  Grèce  en  remplacement  du 
capitaine  Hadjkyriakos,  démissionnaire.  —  La  démis- 
sion du  cabinet  italien  est  acceptée  et  le  général 
Pelloux  est  chargé  de  former  le  nouveau  cabinet.  — 
M.  Alf.  River  est  choisi  comme  arbitre  par  l'Angleterre 
et  la  Russie  pour  trancher  le  différend  qui  les  divise. 

27.  —  Le  Conseil  municipal  de  Paris  vote  80,000  fr. 
pour  la  célébration  du  centenaire  de  Michelet.  — 
Quatre  mille  hommes  sont  embarqiiés  à  San  Francisco 
pour  Manille. 

28.  —  Aux  Invalides,  cérémonie  de  la  remise  du 
drapeau  du  régiment  d'Algérie  de  Madagascar. 

—  M.  Ribemont-Dessaignes  est  élu  membre  de 
l'Académie  de  médecine  en  remplacement  de  M.  Tarnier, 
décédé.  —  Le  nouveau  ministère  est  composé 
comme  suit  :  présidence  du  conseil  et  intérieur,  M.  Henri 
Brisson;  affaires  étrangères,  M.  Delcassé  ;  finances, 
M.  Peytral  ;  justice,  M.  Sarrien  ;  instruction  publique, 
M.  Léon  Bourgeois  ;  guerre,  M.  Cavaignac  ;  marine, 
M.  Lockroy;  colonies,  M.  Trouillot;  commerce,  M.  Ma- 
ruéjouls;  agriculture,  M.  Viger;  travaux  publics,  M.  Til- 
laye.  M.  Vallé  est  nommé  sous-secrétaire  d'Etat  au 
ministère  de  l'intérieur,  et  M.  Mougeot  est  nommé 
sous-secrétaire  d'Etat  des  postes  et  télégraphes.  —  Le 
cabinet  japonais  est  formé.  M.  Oknma  prend  la  pré- 
sidence du  conseil  et  les  affaires  étrangères;  M.  Itagaki, 
l'intérieur  ;  M.  Matsuda-Masihisa,  les  finances  ;  M.  Ohi- 
gashi-Gitutsu,  la  justice  ;  M.  Hayashi-Vuzo,  les  postes  et 
télégraphes  ;  M.  Oishi-Masami,  le  commerce  ;  M.  Osaki- 
Yukis,  l'instruction  publique.  Les  portefeuilles  de  la 
marine  et  de  la  guerre  ne  changent  pas  :  général  Kat- 
sura,  marquis  Saïjo. 

29.  —  Le  président  de  la  République  du  Brésil, 
M.  Campos  Salles,  quitte  Paris  se  renilant  à  Berlin. 

—  Le  nouveau  ministère  italien  est  ainsi  composé  : 
présidence  du  conseil  et  intérieur,  le  général  Pelloux  ; 
affaires  étrangères,  M.  Canevaro  ;  justice,  M.  Finoc- 
chiaro  Aprile,  député;  finances,  M.  Carcano,  député; 
trésor,  M.  Yacclielli,  sénateur  ;  guerre,  le  général  di  San 
Marzano  ;  marine,  amiral  Palumbo,  député  ;  instruction 
publique,  M.  Baccelli  ;  travaux  publics,  M.  Lacava,  dé- 
puté ;  agriculture,  M.  Foi-tis,  député  ;  postes  et  télé- 
graphes, M.  Nuncio  Nasi,  député.  —  Ouverture  de  la 
Skouptchina  de  Serbie  par  le  roi  Alexandre. 

30.  —  i: u;,1icii'l  publie  les  décrets  réorganisant  le 
marché  financier.  —  A  la  Chambre  et  au  Sénat, 
lecture  de  la  déclaration  ministérielle.  —  A  la  Cheimbre, 
une  interpellation  sur  la  politique  générale  du  nouveau  ca- 
binet se  termine  par  le  vote  d'un  ordre  du  jour  île  confiance. 


BOURSE   DE   PARIS  (Comptant).  —  Cours  extrêmes  de  Juin  1898. 


FONDS   D'ETAT   ET  DE  VILLES 

3  %  français  perpétuel 

Z  %        d°      amortissable 

3  1/2  jr  d»       

Obligations  tunisiennes  3  %  1892. . . . 
Emprunt  Annam  et  Tonkin  2  1/2  %. 

Emprunt  de  Madagascar  2  1/2  % 

Angleterre,  consolidés  2  3/4  % 

République  argentine  5  %  1886 

Autriche  4  %  1876,  or 

Belge  3  %  1873  couv.  (2"  série) 

Brésilien  4  %  1S89 

Cliiiie  i%  1895,  or 

État  indép'  du  Congo,  lots  1888 

Egypte  7  %,  dette  unifiée   nouvelle. . 

—      3  1/2  %,  dette  privil.,  conv. . 

Espagne  extérieure  4  %  1882,  perpét. 

Hongrois  4  %  1881,  or 

Italien  5  % 

Portugais  1853  %  % 

Roumain  4  %  1890 

Russe  4  %  1880  (6«  émission) 

—  i%  1889,  or 

—  i  %  consol.  (l"  et  2"  séries). . 

—  i  %  1890  (2"  et  3«  séries) 

—  Z  %  1891,  or 

—  i%  1893,  or 

—  3  1/2  1894,  libéré 

—  Z  %  1896 

Serbie  4  %  1S95 

Suisse  (chemins  de  fer)  Z  % 

Turquie,  dette  convertie  (D)  i  % . . . . 

—  oblig.  consolidé  1890,  i  % 

—  —    ottom.  priorité  1890,  4  %. 

—  —     privil.  douanes  5  % 

—  -     ottom.  1894,4  % 

—  —     1896,  5  % 

Ville  de  Paris   1865,  4  ^ 

—  1869,  Z% 

—  1871,3^ 

—  1875,  i% 

—  1876,  i% 

—  1886,  si' 

—  1892,  2  l/2_^tout  payé, 

—  1894-96,2  1/2^  d" 
Ville  de  Marseille  1877,  Z  % 

—  d'Amiens  1871,  i  %... 

—  de  Bordeaux  1863,  Z  % 

—  de  Lille  1860,  Z  % 

—  —      1893,  3  1/2^ 

—  de  Lyon  1880,  Z  % 

ÉTABLISSEMENTS    DE   CRÉDIT 

Banque  de  France (Actions) 

Banque  Paris  et  Pays-Bas .  d° 

Banque  Transatlantique  . .  d" 

Compagnie  Algérienne  ...  d° 

Comptoir  d'Escompte d" 

Crédit  Foncier  de  France..  d° 
Foncières   1879,  Z%...  (Obligations) 

—  1883,  Z  % d- 

—  1885,  3  J d" 

—  1895,  2,80  ^lib.  d° 
Communales  1879,  2,60  % .  d" 

—  1880,  Z  %  ...         d" 

—  1891,  Z  %  ...         d" 

—  IS92,Z%....         d» 

Crédit  Industriel (Actions) 

Crédit  Lyonnais  . .    d° 

Société  Générale d" 


Ret.nel 

Ret 

np|| 

d'impôl 

Plus  haut. 

Plus  bas. 

d'im 

pOt 

Plus  haut. 

3     )) 

103  2.j 

102  40 

Banque  Afrique  du  Sud  . .    (Actions) 

» 

80     » 

3     » 

101   9U 

101  35 

Banque    Ottomane d" 

12 

50 

568     f> 

3  5U 

106  50 

106  10 

15     » 

504     » 

499     » 

CHEMINS  DE    FER 

2   50 

91   lu 

90  50 

Est 500  fr.  tout  payé  (Actions) 

32 

16 

1085     » 

12   50 

90   75 

90  25 

P.-L.-M d»                   d° 

49 

70 

1950     » 

» 
25     » 

112     » 
459     » 

111  25 
447     » 

Midi d"                   d" 

45 
55 

42 
90 

14S5     » 
2190     » 

Nord d"                   d» 

4     » 

103  60 

102  70 

Orléans d"                   d» 

52 

99 

1890     » 

3     » 

lui  90 

101  90 

Ouest d»                   d» 

34 

75 

1222     » 

4     » 

55  80 

51  2-3 

Bôue-Gueîma.  .         d°                   d" 

26 

97 

810     » 

20     » 

106  50 

106     » 

Est-Algérien ...         d°                   d» 

25 

10 

725     » 

» 

94  25 

91  25 

Ouest -Algérien .         d"                  d" 

22 

78 

690     » 

20  08 

109  30 

108  50 

Andalous d»                   d» 

5 

» 

65     » 

17  57 

104  90 

104     j) 

Autrichiens. ...         d"                  d" 

31 

» 

785  50 

4     » 

37  20 

33  50 

Sud-Autriche . .         à"                  d» 

4 

» 

175     » 

4     » 

104  95 

103   70 

Nord-Espagne..         d°                   d" 

5 

» 

63     » 

4     » 

93  80 

92  50 

Saragosse d"                   d" 

4 

25 

120  50 

»  93 

19     » 

18     » 

Est  3  Z  nouveau (Oblig.) 

13 

44 

480     ). 

4     )> 

96  25 

94  40 

P.-L.-M.  3  f  nouveau d» 

13 

44 

482  50 

4     X 

102  55 

102     » 

Midi  3  %  nouveau d° 

13 

44 

481     ), 

4     » 

103     » 

101  GO 

Nord-Est  français  Z  % d» 

13 

44 

476     B 

4     » 
4     )) 

104  50 
104  9.3 

103  50 
102  55 

Orléans  1884 d" 

13 
13 

44 
44 

476  25 
480     » 

Ouest  3  ,^  nouveau d" 

3  » 

4  » 

9/      » 
106  50 

95  65 
105  45 

13 
13 

46 
50 

476  50 
473     » 

Est-Algérien  Z  % d» 

3  50 

102  25 

101  15 

Ouest- Algérien  Z  X ^° 

13 

48 

470     » 

3  » 

4  « 

96  80 
61   75 

95  60 
59  25 

Médoc  3   ^ d" 

13 
11 

54 
» 

440     » 
157     » 

Andalous  3  %  estamp d» 

3     » 

101     >; 

100  GO 

Autrichiens  3  ^  1'"  hypoth.       d" 

15 

» 

476  50 

1     » 

22  75 

21  5.j 

Nord-Espagne  l''^  hypothèque.      d° 

11 

» 

200     » 

20     » 

409     » 

390     » 

14 

30 

251     » 

20     » 

475     » 

463     » 

25     » 

509     » 

499     » 

VALEURS   DIVERSES 

20     » 

460     » 

448     » 

25     » 

Docks  et  Entrep.  de  Marsellle.(Action) 

16 

43 

475     » 

18  08 

560  50 

560  25 

Entrep.  et  Mag.  Gén.  de  Paris.      d" 

25 

72 

755     » 

10  66 

431     » 

428  50 

C'«  G'"^  Transatlantique d» 

17 

30 

375     » 

10  68 

421     » 

416  50 

C"  française  des  Métaux. ...       d° 

27 

95 

650     » 

18  06 

580     » 

571     » 

C'=  générale  des  Tramways ...       d" 

) 

1070     » 

18  06 

682     » 

570     » 

C"  générale  des  Eaux d» 

59 

98 

2100     » 

10  68 

404     » 

401     » 

C'^  du  Gaz  de  Bordeaux. ...       d" 

82 

66 

1915     ). 

8  82 

410     » 

396     » 

C"  du  Gaz  général  de  Paris.       d" 

20 

32 

460     » 

8  82 

398   75 

398     » 

C'^  du  Gaz  de  Marseille d° 

45 

60 

1152     » 

10  70 

412     J) 

406  50 

Aciéries  de  France d» 

34 

44 

1058     » 

3  60 

121     » 

119     » 

Forges  et  Chantiers  Méditer.       d" 

25 

30 

760     » 

3     » 

12S     » 

12G     1) 

Bateaux  Parisiens à" 

63 

855     » 

2  64 

132  75 

127  50 

C  franc,  des  Chargeurs  réunis,      d" 

55 

04 

1560     » 

3  16 

509     » 

506     » 

C"'  des  Lits  militaires d" 

44 

79 

1655     » 

2  67 

104  75 

102  50 

Société  de  la  Tour  Eiffel d° 

5 

15 

534     » 

C"^  intern''^  des  Wagons-lits..       d" 

30 

» 

776     » 

Régie  des  tabacs  ottomans..       d" 

25 

» 

296     » 

C'"-  générale  des  Eaux  3  J' . .  (Oblig.) 

13 

46 

475     » 

115  ). 

3630     » 

3550     » 

-         -        5jr..     do 

22 

94 

520     » 

36  95 

954     » 

930     » 

C'"  Parisienne  du  Gaz  i  %  . .       A" 

18 

16 

516     » 

11  68 

44S     » 

423     » 

Gaz  central  500  fr.  4  ^ d" 

18 

16 

517     » 

29  60 

7H.3     » 

780     » 

C'"  du  gaz  p.  France  et  Et.  4  %.       d" 

18 

20 

508  75 

25     ), 

5SS      » 

573  50 

C'«  des  Messag.  Marit.  3  1/2  ,%'.      d° 

15 

84 

510     » 

24  96 

6SÏS     » 

662     » 

C'=  G'"  Omnibus  de  Paris  4  ^ .       d° 

18 

» 

524     » 

13  40 

504     » 

500  50 

Qie  Gie  Voitures  à  Paris4^.       d" 

18 

18 

519     » 

13  48 

474     » 

471     » 

Qie  Qie  Voitures  Urbaine  5% .       d» 

23 

30 

330     » 

13  40 

503     » 

500  25 

C'*  des  Lits  militaires  i  % . .       d° 

21 

81 

620     » 

12  46 

503     » 

492     » 

Canal  de  Panama,  lots,  t.  p . .       d" 

> 

115     » 

11   50 

501     » 

500     » 

—            —          210  p d" 

o 

254     » 

13  40 

502     » 

500     » 

—            —     bons  à  lots  89.      d° 

) 

115     » 

10   72 

402     » 

400     » 

C^  du  Canal  de  Suez  b  % ...       d" 

24 

50 

660     » 

14  36 

505     » 

501     » 

—            Z  %  (!■■*  série).       d» 

13 

40 

492  50 

12     » 

604   50 

600     » 

—             3  ^  (2e  série) .        do 

13 

50 

488     » 

32  05 

847     » 

811  50 

12     » 

532     » 

529     » 

Obligations  du  Monde  Moderne 

5 

« 

100     » 

Plus  bas. 


LA    CARICATURE 


LASGLAIS.  —  8i  nous  raehfTinns,  pour  l'ompOcher  Ht:  souffrir.  (D'après  un  dessin  de  Jeauniot,  dans  le  Eire.) 


tatêtlude  (d'après  Itels,  gi^mre  faisant  allusion  i\  la  cassation  du 
procès  Zola  et  puMiée  dans  le  i>ifflel  avant  l'audience  de  Versailles '. 
—  î^^on  Beulemcnt  remettre  ça,  mais  retourner  encore  là-tas  !.. . 


A  Vcfsailles  (d'après  Forain,  dans  lo  Psfl).  —  Mesdames  et  mes- 
sieurs, la  petite  comùdie  représentée  devant  vous  est  deMM.  Schen- 
rer-Kcstner,  Joseph  Reinaeh  et  Zola. 


LA    VIE    PRATIQUE 


Odeur  des  éviers.  —  Les  éviers,  surtout  au 
moment  des  chaleurs,  dégagent  une  odeur 
fort  désagréable  et  malsaine.  Comment  peut-on 
la  faire  disparaître  ?  Si  cette  odeur  est  due  à 
la  pierre  d'évier,  assez  poreuse  et  souvent 
encrassée,  un  bon  moyen  consiste  à  la  bros- 
ser avec  une  solution  de  permanganate  de 
potasse  fi  gramme  pour  1  litre,  par  exemple). 
Au  contact  des  matières  grasses  ou  orga- 
niques, il  se  forme  du  peroxyde  de  man- 
ganèse hydraté  qui  s'élimine  facilement  par 
un  lavage  avec  de  l'eau  acidulée  d'acide  chlor- 
hydrique  (10  grammes  pour  1  litre);  il  y  a 
un  léger  dégagement  de  chlore  qui  décompose 
les  matières  organiques  et  les  entraîne.  Un 
excès  d'eau  acidulée  a  l'avantage  de  décaper 
légèrement  la  pierre  en  produisant  un  peu 
d'ert'ervescence  et  de  la  nettoyer  plus  profon- 
dément. La  permanganate  de  potasse  et  l'acide 
chlorhydrique  ne  coûtent  presque  rien. 

Si  la  pierre  est  propre  et  si  l'odeur  persis- 
tante est  due  aux  débris  organiques  en  dé- 
composition dans  le  tuyau  de  descente,  il 
suffit  d'y  verser  une  des  solutions  suivantes, 
au  choix  : 

y  Chlorure  de  chaux,  50  grammes  pour 
1  litre  d'eau  ; 

2"  Lait  de  chaux  fraîchement  préparé, 
100  grammes  de  chaux  se  débitant  dans 
50  grammes  d'eau  ;  ainsi  éteinte,  la  chaux  est 
délayée  dans  un  demi-litre  d'eau  et  versée 
dans  le  tuyau.  Très  ellicace,  mais  assez  en- 
nuyeux à  manipuler; 

3"  Solution  de  sulfate  de  cuivre  1 100  grammes 
pour  1  litre  .  Bon  marché;  facile  à  faire  et  à 
renouveler. 

Sirop  de  mûres.  —  Le  sirop  de  mûres,  par 
sa  saveur  aigrelette,  est  agréable  à  boire.  Il 
est  très  facile  à  fabriquer  : 

1"  Réduire  en  poudre  1  kilogramme  de  sucre  ; 
2"  prendre  1  kilogi'amme  de  mûres  récoltées 
un  peu  avant  leur  complète  maturité; 
3°  mettre  les  mûres  dans  une  bassine  sans  les 
écraser  et  en  les  saupoudrant  au  fur  et  à  me- 
sure de  sucre;  4"  faire  chaufl'er  sur  un  feu 
très  doux;  5°  laisser  faire  quelques  bouillons; 
6°  passer  au  travers  d'un  tamis,  sans  presser. 
Le  sirop  passe  clair.  Ne  pas  tarder  à  le  boire 
parce  qu'il  fermente. 

Conservation  des  artichauts.  —  Le  meilleur 
moyen  de  conserver  les  fonds  d'artichauts  est 
de  les  dessécher.  On  coupe  les  feuilles  à  leur 
base  de  manière  à  isoler  le  fond,  et  l'on  enlève 
le  foin.  On  fait,  d'autre  part,  bouillir  de  l'eau 
acidulée  à  l'aide  d'un  peu  de  vinaigre,  et  l'on  y 
jette  les  fonds  d'artichauts.  Quand  ils  sont  à 
moitié  cuits,  on  les  retire  et  on  les  laisse 
égoutter  sur  des  claies.  Lorsqu'ils  sont  bien 
égouttés,  on  les  enfde  en  chapelets  à  l'aide 
d'une  corde  que  l'on  suspend  dans  un  endroit 
sec  et  bien  aéré.  Bien  tendre  la  ficelle  de  ma- 
nière que  les  fonds  ne  se  touchent  pas.  Quand 
ils  sont  secs,  on  doit  les  conserver  dans  un 
endroit  non  humide.  Si  le  temps  est  humide, 
on  peut  faire  séclier  au  four,  mais  à  une  douce 
chaleur. 

Liqueur  rustique.  —  Dans  1  litre  de  bonne 
cau-de-vie,  on  fait  infuser,  pendant  deu.x  mois, 
une  poignée  de  serpolet,  de  menthe  poivrée, 


de  citronnelle,  et  une  dizaine  de  feuilles  de 
sauge,  de  verveine  et  d'absinthe.  Finalement 
on  filtre  avec  du  papier  buvard  et  l'on  ajoute 
du  sirop  de  sucre.  Cette  liqueur  est  très 
tonique. 

Une  boisson  bon  marché.  — Voici,  pour  se 
désaltérer  en  été,  une  boisson  excellente  et 
qui  ne  revient  qu'à  quelques  centimes  le  litre  : 

Eau 1  litre. 

Glycérisine 50  centigr. 

Acide  citrique 50       — 

Teinture  de  gentiane  .  .       1  gramme. 
C'est  cette  boisson   que  l'on  donne  aux  ou- 
vriers   de   l'Exposition.   Cela    rafraîchit    sans 
griser. 

Couleur  noire  de  l'argenterie.  —  On  peut 
enlever  la  couleur  noire  que  les  œufs  commu- 
niquent à  l'argenterie,  en  frottant  les  cou- 
verts avec  de  la  suie.  Il  faut  rincer  à  l'eau 
chaude  et  faire  briller  à  la   peau  de  chamois. 

Objets  en  étain.  —  Pour  donner  aux  objets 
en  étain  l'apparence  d'objets  antiques,  on  les 
plonge  pendant  quelques  instants  dans  une 
solution  d'alun  à  laquelle  on  ajoute  quelques 
gouttes  d'acide  sulfurique  ou  d'acide  chlor- 
hydrique. 

Fermeture  hermétique  des  flacons.  —  "Voici 
un  procédé  pour  oblitérer  d'une  façon  tout  à 
fait  hermétique  les  flacons  qui  se  bouchent 
avec  des  bouchons  de  liège.  On  commence 
par  laver  ceux-ci  à  l'eau  tiède.  L^ne  fois  séchés, 
on  les  plonge  dans  un  bain  de  paraffine  fon- 
due. Au  bout  d'une  heure,  on  les  en  retire. 
Avant  de  les  placer  sur  le  goulot  de  la  bou- 
teille, on  trempe  celui-ci  un  instant  dans  l'eau 
chaude  ou  tiède.  De  cette  façon,  la  paraffine 
fond  et  colle  entièrement  le  bouchon  au  verre. 
De  plus,  les  pores  du  bouchon  sont  oblité- 
rés par  la  paraffine.  A  recommander  aux 
ménagères  qui  font  des  conserves  ;  par  ce  pro- 
cédé, elles  sont  mises  tout  à  fait  à  l'abri  de 
l'air  extérieiu'. 

Préservation  des  dessins.  —  On  a  toujours 
cherclié  un  moyen  simple  et  surtout  efficace 
pour  garantir  les  dessins  contre  la  détériora- 
tion qu'ils  subissent ,  afin  de  prolonger  leur 
durée  ou  d'assurer  leur  conservation.  Diverses 
recettes  ont  été  proposées  cpii  atteignent  plus 
ou  moins  —  surtout  moins  —  ce  but,  et  plu- 
sieurs sont  employées  depuis  de  longues 
années  dans  certains  ateliers,  malgré  leur 
insuffisance  relative.  En  voici  une,  d'après  le 
Monitem-  industrielj  dont  on  dit  grand  bien, 
qui  serait  applicable  aux  dessins  au  crayon 
comme  aux  dessins  industriels.  Recouvrir  le 
dessin  d'une  couche  de  collodion  à  2  pour  100 
de  stéarine.  On  étend  le  dessin  sur  une  plaque 
de  verre  ou  sur  une  planchette  et  l'on  fait 
ra]i]îlication  du  collodion  de  la  même  manière 
ciue  jDOur  la  préparation  des  plaques  destinées 
à  la  photographie.  Après  dix  à  vingt  minutes, 
le  dessin  est  sec  et  tout  à  fait  blanc,  d'aspect 
mat.  La  protection  est  telle  qu'on  peut  le 
laver  à  grande  eau  sans  craindre  de  le  dété- 
riorer le  moins  du  monde. 

Victor   de    C  m'î  v e s . 


L.\    CUISINE    DU    MOIS 


Concombres,  beurre  et  crevettes.  — 

En  voyant  nianj^er  tles  concombres  à  la  croque 
au  sel  à  un  paysan  des  Vosjîfes,  je  lui  de- 
mandai i)ourquoi  il  ne  les  préparait  pas  ainsi 
((u'on  le  l'ait  partout.  Il  me  répondit  qu'il 
aimait  mieux  les  manj^jer  bons  que  mauvais  et 
indi;;estes.  Dernièrement  une  de  mes  élèves 
me  lit  observer  aussi  que  ce  qui  rendait  les 
concombres  lourds  et  indij^estes,  c'est  parce 
qu'on  s'appliquait  à  les  durcir  en  les  salant 
d'avance  et  en  Taisant  couler  Teau  qui  les  ren- 
dait i)lus  dij;estibles.  L'essai  fut  fait  et  le 
résultat  est  excellent. 

Pelez  les  concombres  au  dernier  moment, 
enrobez- les  d'un  peu  d'huile  avant  de  les 
saler  et  ]ioi\'rer,  allonf;'ez  de  jus  de  citron  ou 
de  bon  vinaigre  et  délectez-vous. 

Poulet  sauté  à  la  DemidolT.  —  Fou- 
MUi.iî.  —  Un  poulet  gras  de  12  à  1500  grammes, 
100  grammes  de  jambon  cru,  150  grammes  de 
beurre,  2  cuillers  à  bouche  d'huile,  une  carotte 
un  peu  grosse,  un  oignon  et  2  tomates 
moyennes,  150  grammes  de  riz,  50  grammes 
de  glace  de  viande  ou  l  quart  de  litre  de 
bon  jus,  sel,  pointe  de  cayenne,  1  décilitre  de 
vin  blanc,  1  demi-litre  de  bouillon. 

Opération.  —  Découper  le  poulet  ainsi  que 
nous  l'avons  expliqué  dans  les  numéros  pré- 
cédents. Couper  les  carottes  et  les  oignons  en 
tout  petits  dés,  tremper  les  tomates  dans  l'eau 
bouillante  et  enlever  la  peau,  les  couper  en 
deux  et  jeter  les  semences.  Couper  le  jambon 
en  dés  un  peu  plus  gros  que  les  légumes,  le 
faire  blondir  avec  un  peu  de  beurre,  ajouter 
les  carottes  et  les  dorer  10  minutes  en  re- 
muant souvent,  puis  les  oignons  et  dorer  éga- 
lement, finalement  la  tomate,  et  laisser  mijoter 
très  doucement  à  côté  du  feu. 

Le  hiz.  —  Etaler  le  riz  sur  un  linge  propre, 
le  trier,  plier  le  torchon  pour  bien  enfermer 
le  riz  et  le  secouer  de  droite  à  gauche  pour 
enlever  la  poussière.  Mettre  dans  une  cas- 
serole 50  grammes  de  beurre,  le  fondre  et 
blondir  le  riz  en  le  remuant  5  minutes,  saler, 
pimenter  suivant  le  goût  et  mouiller  avec  le 
demi-litre  de  bouillon  ;  couvrir  herméti- 
quement et  cuire  au  four  de   25  à  30  minutes. 

Le  poulet  sauté.  —  Mettez  dans  un  sau- 
toir de  22  centimètres  de  diamètre  les  2  cuil- 
lers d'huile  et  un  soupçon  de  beurre,  chaufl'ez 
fortement,  posez  l'intérieur  des  cuisses  sur  le 
fond  et  du  côté  de  la  queue  du  sautoir,  le 
blanc  en  travers  sur  le  côté,  les  ailes  sur  le 
devant  et  autour  les  morceaux  de  carcasse  et 
le  cou  sectionné  par  le  milieu.  Ralentissez  le 
feu,  dans  7  minutes  retournez  les  morceaux, 
dans  5  minutes  poussez  au  four  et  laissez  de 
8  à  10  minutes  à  découvert.  Enlevez  les  mor- 
ceaux sur  une  assiette,  égouttez  la  graisse  et 
déglacez  l'osmazome  du  poulet  avec  le  vin 
blanc  en  remuant  avec  une  cuiller,  ajoutez  la 
glace  de  viande  ou  le  jus,  un  peu  de  sel, 
poivre  et  les  légumes,  laissez  cuire  2  minutes, 
retirez  à  côté,  faites  un  peu  pocher  le  poulet 
dans  cette  garniture,  aans  bouillir  et  dressez 
le  riz  dans  un  moule  à  savarin  uni,  de  10  à 
12  centimètres  de  diamètre,  que  vous  avez  huilé 
pour  l'empêcher  de  prendre  :  le  riz  doit  être  tassé 
avec  la  cuiller  pour  qu'il  ne  se  démoule  pas. 
Renversez-le  sur  un  plat  rond  ;  mettez  les 
carcasses  du  poulet  dans  le  puits,  les  deux 
cuisses  en  sautoir,  le  blanc  au  milieu  et  une 
aile  sur  chaque  cuisse.  Liez  la  sauce  avec  ce 


qui  reste  de  beurre  et  queUpies  gouttes  de 
citron.  Arrosez  le  poulet  avec  la  moitié  et 
servez  le  reste  à  part.  Une  manchette  aux 
4  os  et  servez  des  assiettes  chaudes. 

Entrecôte  à  la  tonnelière.  —  Pour 
manger  im  bon  morceau,  il  faut  prendre  l'en- 
trecôte sous  l'épaule  un  peu  loin  du  cou  ;  la 
viande  doit  être  un  peu  faite,  sans  odeur, 
rosée  et  veinée  de  filets  d'un  blanc  d'ivoire; 
l'entrecôte  doit  être  un  peu  épais  et  peser 
près  de  1  kilogramme.  L'arroser  d'huile,  ne 
pas  le  saler  avant  de  le  cuire,  avoir  un  feu  de 
braise  un  peu  amorti  et  le  griller  S  minutes  de 
chaque  côté;  avec  le  gaz  il  faut  exactement  le 
même  temps,  mais  avoir  soin  de  chaufl'er  le 
gril  afin  de  saisir  la  viande. 

La  GAnMTURE.  —  Hacher  très  fin  deux 
échalotes  pesant  20  grammes,  5  grammes  de 
persil  et  60  grammes  de  moelle  de  bœuf  ;  le 
tout  doit  être  haché  ensemble  avec  un  fort 
couteau  trempé  dans  l'eau  chaude  pour  éviter 
que  la  moelle  ne  se  colle  et  saute.  Aussitôt  l'en- 
trecôte retourné,  éparpiller  dessus  le  hachis, 
saler  et  poivrer,  enlever  l'entrecôte  bien 
d'aplomb  avec  un  couteau  un  peu  large,  ar- 
roser sur  le  plat  chaud  avec  un  peu  de  citron 
et  servir  de  suite  avec  des  assiettes  chaudes. 

Pommes  de  terre  comtesse.  —  Laver 
et  monder  deux  pommes  de  terre  dites  royale 
de  Hollande,  par  personne,  les  relaver  et  les 
mettre  à  couvert  avec  de  l'eau  fraîche  dans 
une  casserole,  saler  un  peu  et  faire  bouillir. 
Chauffer  un  petit  sautoir  contenant  50  grammes 
de  beurre,  le  pousser  à  la  noisette,  y  jeter  les 
pommes  égouttées,  les  laisser  dorer  au  feu  un 
peu  vif  3  minutes,  les  sauter  et  les  mettre  au 
four  couvertes  15  minutes,  les  saler  avec  du 
sel  fin.  Avec  un  couteau  on  fait  une  incision 
d'un  bout  à  l'autre  de  la  pomme  de  terre;  au 
moment  de  servir  mettre  une  tranche  de 
beurre  fin  dans  cette  entaille,  dresser  dans  un 
légumier  et  servir  avec  l'entrecôte. 

Tarte  aux  reines-claude.  —  Le^  muxEs. 
—  Choisissez  de  600  à  700  grammes  de  reines- 
claude  bien  mûres,  coupez-les  par  le  milieu  et 
mettez-les  mariner  dans  un  saladier  avec  un 
verre  à  madère  de  rhum,  1  quart  de  jus  de 
citron  et  100  grammes  de  sucre,  couvrez  et 
tenez  au  frais. 

La  tate.  —  Pesez  150  grammes  de  farine, 
60  grammes  de  beurre,  20  grammes  de  sucre, 
un  peu  de  sel  et  un  (euf  de  60  grammes,  mé- 
langez le  sucre  avec  l'œuf,  puis  le  beurre, 
finalement  la  farine,  le  tout  étant  bien  homo- 
gène, fraisez  la  pâte  trois  fois,  c'est-à-dire  que, 
la  pâte  étant  en  boule  devant  soi,  on  la 
chasse  en  avant  en  appuyant  sur  une  petite 
quantité,  avec  la  paume  du  pouce,  la  ra- 
mener et  recommencer  trois  fois,  en  faire  une 
boule  parfaite,  la  mettre  reposer  sur  une  as- 
siette 1  heure  dans  un  endroit  bien  fi-ais. 

Beurrer  avec  du  beurre  non  fondu,  avec 
l'index,  un  cercle  à  tarte  de  20  centimètres  de 
diamètre,  étendre  la  pâte  en  rond  et  d'égale 
épaisseur,  habiller  l'intérieur  du  cercle  jus- 
qu'en haut,  garnir  l'intérieur  avec  les  moitiés 
de  prunes  posées  l'intérieur  en  haut,  et  les 
chevaucher  légèrement,  arroser  avec  le  jus, 
saupoudrer  d'une  cuiller  de  sucre,  cuire  au  four 
pas  trop  chaud,  environ  40  minutes.  Servir 
froid. 

A.  Colombie. 


Jeux  et  Récréations,  par  m.  g.  Beudin. 


N°  229.  —  Haut  :  Noirs.  —  Bas  :  Blancs. 


Les  blancs  jouent  et  font  mat  en  trois  coups. 
N°  230.  —  Haut  :  Noirs.  —  Bas  :  Blancs. 


Les  blancs  jouent  et  gagnent. 


N°  231.  —  WHIST 

Une  discussion  s'étaut  produite  au  sujet  de  la 
suivante,  nous  vous  serions  reconnaissants  de 
donner  votre  avis. 

Trèfle  est  atout. 

^  A,  9,  8. 

V  D. 

4.  0,  8,  7,  6,  3  (atouts). 

4  R,  8,  6,  2. 


mam 
nous 


N- 232.  —  Mots  carrés  intervei 

(de  5  mots.) 

ENVOI    d'une    LECTniCE 

Devin  finaud,  de  ce  problème 
Les  mots  trouveras  aisément  ; 
■  Mais,  au  moyen  d'un  stratagème, 
Je  vais  fausser  ton  juge-ment. 

Adresser  les  communications  pour  cette  page  à  M. 


J'ai  pris,  vois  donc  ma  prévoyance, 
Cinq  numéros  faits  à  l'avance, 
Puis  les  mettant  dans  mon  chapeau 
Au  hasard  et  tous  pêle-mêle. 
En  sautant  je  les  entremêle. 
Ce  travail  fait,  dans  mon  boisseau 
Plongeant  la  main  de  l'innocence. 
Je  les  sors  pour  la  circonstance, 
Pour  aussitôt  les  définir  ; 
Dépêchons-nous  donc  de  finir  ; 
A  l'amante  personne  chère  ;  — 
Certain  travail  d'horticulteur  ;  — 
G-avroche  badaud,  pauvre  hère;  — 
Pierre  de  certaine  valeur.  — 
Verbe  à  l'indicatif  :  il...  sonne? 
Non,  moins  encore,  il...  carillonne. 


N°  233.  —    Double  acrostiche. 

X  D  E  X 
X  E  N  X 
X  L  0  X 
X  0  D  X 
X  B  I  X 
X  G  E  X 
En  verticale  deux  contrées  de  l'Europe. 


N°234.  —  Méli-méloanagrammatique. 

Avec   les  mots  :  EUsp,   f/arnis,   I.éon,   trouver  le  nom 
d'un  amiral  français. 


SOLUTIONS 


N°  224.  —  1.  T  4  D  échec.       1.  R  4  F  D. 

2.  T  .')  D  échec.       2.  P  pr.  T  meilleur. 

3.  P  4  D  échec.       3.  R  3  F  D  ou  5  F  D. 

4.  F  8  R  ou   2   R   suivant    le    coup    des 
noirr  fait  échec  et  gagne  la  dame  et  la  pirtie. 


N»  225.  — 


3^ 34      34     29      43     38     48 8      21 12 

41     32     au  cboix.     au  choix.     12       3     7       18 

—     gagne  par  une  fin  assez  facile. 


N"  226.  —  'Sud  n'a  pas  joué  le  jeu  correct  au  pre- 
mier tour.  Il  eût  dû  jouer  le  valet,  car  le  trick  eût  pu 
être  fait  par  le  10,  si  ce  dernier  s'était  trouvé  dans  les 
mains  de  Ouest.  Le  correct  jeu  de  <S'Md  au  second  tour 
devrait  être,  à  notre  avis,  un  atout.  S'il  joue  un  trèfle,  il 
réduit  beaucoup  la  chance  de  la  dame  de  faire  un  trick. 
Le  jeu  d'un  des  carreaux  jjeut  de  plus  porter  préjudice 
à  son  partenaire.  Le  jeu  d'atout  reste  donc  le  seul  bon. 
C'est  celui  contre  lequel  théoriquement  il  y  a  le  moins 
d'objections  à  présenter  et  qui,  dans  la  majorité  des  cas, 
rtlS.        donnera  certainement  les  meilleurs  résultats. 

N°  227.  —  Polisson,  dans  lequel  on  trouve  :  poisson, 
poison,  oison,  pois,  lion,  poli,  silo,  poil,  lis,  son. 

N"  228.  —  Solution  de  l'auteur  :  Algérie.  —  Ain, 
Lot,  Gers,  Eure,  Rhône,  Isère,  Eure-et-Loir. 
Nota.  —  Il  existe  d'autres  solutions. 
G.  Beudin,  à  Billancourt  {Seine),  avec  timbre  p"ur  réponse. 


BIBLIOGRAPHIE 


Tai  Jiihliofhi'qxc  de  l'EDsciffiicmciit  i/cx  Beaxx- 
Arl.i,  à  la  librairie  Ma\-.  \ioiil  de  s'oiiriciiir 
irmu' liisloirt- (le  la  Peinture  française,  leuvrc 
poslliiiine  de'  Paul  Maiilz.  i'.c  vaste  sujet 
n'est  traité  que  du  ix"  à  la  fin  du  xvi"^  siècle, 
(le  l'époque  où  l'art  n'était  qu'un  tâtonne- 
ment jusqu'au  joiu-  où  il  a  alîirmé  sa  maî- 
trise. 123  j;ra\ures  ornent  ce  curieux  volume, 
précédé  d'une  intéressante  introduction  par 
M.  O.  Merson. 

Dans  la  même  collection,  M.  Albert  Soubies 
aborde  aujourd'hui  l'étude  de  la  Musique  en 
Russie.  Fort  documenté,  ce  travail,  sur  une 
donnée  très  neuve,  retrace,  depuis  les  cri 
faines  jusqu'à  nos  jours,  l'histoire  de  l'art  en 
Russie  et  en  Polog^ne.  Musique  populaire  ou 
musique  sacrée,  composition  na'ive  ou  savante, 
j^enre  vocal  ou  g^enre  instrumental,  lente  pro- 
pagation de  la  culture  esthétique,  progrès  de 
la  technique,  naissance  et  développement  de 
la  littérature  musicale,  évolution  de  la  virtuo- 
sité sous  ses  différents  aspects,  M.  Soubies  n'a 
négligé  aucune  portion  de  ce  vaste  sujet. 

Les  librairies  Iletzel  et  May  vicnnentdecom- 
pléter  Toute  la  Lyre,  de  Victor  Hugo,  par  deux 
volumes  de  leur  jolie  édition  à  2  francs.  Ces  vo- 
lumes comprennent  l'Art,  le  «  Moi  •>.  l'Amour, 
la  Fantaisie  et  le  Cercle  d'airain.  Cette  édition, 
véritablement  nouvelle,  renferme  plus  de  cent 
poésies  absolument  inédites,  et  il  s'en  trouve 
des  plus  curieuses  et  des  plus  belles.  Le  der- 
nier volume  finit  par  ces  vers  où  Hugo  "  le 
Père  ",  comme  l'appelait  F^mile  Augier,  pense 
au.x  ancêtres    et   (lit    d'eux  : 

Qu'ils  n'avaient  point  do  sacs  d'argent  ni  d'or  en  piles, 
Mais  qn'ils  faisaient  l'Argonne  égale  aux  Thermopyles, 
Qu'ils  enjambaient  le  Rhin  dont  nous  nous  éloignons, 
Et  que  ce  n'étaient  pas  de  petits  compagnons. 

Elles  ont  également  publié  les  Années  fu- 
nestes 1852-1870),  qui  peuvent  passer  pour 
un  volume  de  vers  inédits  de  ^'ictor  Hugo. 
Aux  célèbres  pièces,  la  Mort  de  Saint- Arnaud, 
Mentana ,  etc.,  qui  ont  été  publiées,  s'ajoutent 
ici  nombre  de  pièces  nouvelles  qui  ne  le  cè- 
dent en  rien  au.x  anciennes  et  qui,  dans  leur 
ensemble ,  forment  la  suite  indispensable  des 
Châtiments.  On  ne  peut  s'empêcher  d'un  senti- 
ment d'étonnement,  les  autres  formules  de 
louanges  étant  épuisées  devant  une  pareille 
puissance  de  création. 

Dans  les  œuvres  jîosthumes  de  la  même 
édition,  parait  le  Théâtre  en  liberté.  Il  con- 
tient ces  curieuses  pièces,  presque  toutes 
injouables,  mais  si  originales  et  si  variées:  la 
drand'Mère,  touchante  et  charmante  ;  l'Epée, 
héroïque;  Mangeront-ils?  la  délicieuse  fan- 
taisie ;  la  Forêt  mouillée,  l'amusante  comédie  des 
bêtes  et  des  choses  mêlées  aux  hommes,  etc. 

.  Un  passe-temps  à  Trianon  est  le  titre  d'une 
agréable  saynète,  composée  par  Eugène  Al- 
berge.  avec  musique  de  Prosper  Mortou, 
éditée  avec  soin  à  la  librairie  May.  C'est  une 
gracieuse  petite  pièce  à  jouer  dans  un  salon, 
légère  et  de  bon  ton,  avec  des  couplets  fort 
bien  tournés  qui  fleurent  leur  xviii''  siècle. 

^L  Jean  Dornis  a  publié  chez  OUendorfF  un 
volume  fortement    documenté    sur  la   Poésie 


italienne  contemporaine.  Nous  vivons  géné- 
ralement dans  une  grande  ignorance  des  lit- 
tératiu-es  qui  nous  entourent  et,  au  milieu 
des  occupations  qui  remplissent  la  vie  mo- 
derne et  aussi  des  abondantes  productions  de 
nos  propres  écrivains,  cette  ignorance  est 
presque  excusable.  Aussi  des  volumes  comme 
celui-ci  sont-ils  ])récieux  pour  les  esprits 
curieux  de  suivre  les  évolutions  de  la  pensée 
humaine.  L'ne  table  de  noms,  heureusement 
rédigée,  rend  les  recherches  faciles  ;  les  cita- 
tions sont  nombreuses,  texte  italien  avec  tra- 
duction française.  Ce  livre  présente  donc  le 
caractère  pratique  d'une  sorte  d'anthologie  et 
cette  utilité  complète  l'agrément  et  la  solidité 
de  sa  critique. 

En  une  retraite  attachante, 
Sans  poser  pour  le  fort  ténor, 
Je  chante,  je  chante,  je  chante 
Mes  petits  airs  au  frêle  essor  1 

dit  M.  Adolphe  Ribaux,  dans  le  recueil  publié 
chez  Lemerre,  où.  Comme  le  Grillon,  il  chante 
en  effet  pour  son  plaisir...  et  pour  celui  des 
autres.  C'est  faire  (cuvre  de  vrai  poète  que 
d'exhaler  ses  pensers  en  jolis  rjthmes,  et 
d'ajouter  ainsi  un  volume  à  cette  innombrable 
bibliothèque  de  l'idéal  où  les  âmes  tendres 
peuvent  puiser  un  peu  de  joie. 

"  Montaigne  se  présente  volontiers  à  nous, 
a  dit  Sainte-Beuve,  donnant  la  main  à  son 
ami  Etienne  de  La  Boétie,  suivi  de  sa  fille 
d'alliance  M""^  de  Gournay,  et  accompagné  de 
son  second  et  discijjle  Charron.  » 

Ce  mot  du  grand  critique  pourrait  servir 
d'épigraphe  aux  deux  volumes  que  M.  Paul 
Bonnefon  vient  de  consacrer  à  Montaigne  et 
ses  amis,  à  la  librairie  Colin,  et  dans  lequel 
figurent,  à  côté  du  portrait  en  pied  de  Mon- 
taigne, les  médaillons  de  La  Boétie,  de  Charron 
et  de  M''*'  de  Gournay. 

F]xpliquer  le  plus  personnel  des  livres  en 
essayant  de  déterminer  le  caractère  vrai  de 
son  auteur,  tel  est  le  but  que  s'est  proposé 
M.  Paul  Bonnefon.  Avec  une  science  critique 
très  avisée,  il  mêle  la  biographie  de  l'écrivain 
à    l'examen   de    son   œuvre. 

Dans  les  autres  parties  du  livre  sont  éluci- 
dés encore  plusieurs  points  importants.  Avec 
La  Boétie  revit,  sous  tous  ses  aspects,  une 
amitié  de  jeunesse  que  le  temps  a  immortalisée. 
Avec  Charron,  au  contraire,  et  yV^"  de  Gournay, 
les  admirateurs  des  dernières  années,  on  suit 
le  développement  de  la  pensée  du  maître  et 
l'on  voit  le  culte  dont  son  souvenir  fut  entouré. 

Le  commandant  Guitry  vient  de  publier  : 
l'Armée  de  Bonaparte  en  Egypte,  dans  la 
jolie  collection  des  mémoires  militaires  éditée 
par  la  librairie  E.  Flammarion. 

Des  récits  de  témoins  oculaires,  dont  beau- 
coup extraits  des  archives  historiques  de  la 
guerre,  habilement  choisis  et  groupés,  mon- 
trent quel  était  l'état  d'esprit  de  cette  armée 
à  tous  les  degrés  de  la  hiérarchie,  sa  vie 
intime  pendant  les  différentes  phases  de 
l'expédition,  comment  elle  fut  tour  à  tour 
enthousiaste  et  découragée,  sombre  et  gaie, 
toujours  admirable  au  feu.  Ces  vi\ants  récits 
du    passé    sont  d'un    enseignement  précieux. 


316 


BIBLIOGRAPHIE 


De  récentes  et  assez  retentissantes  polé- 
miques ont  prouvé  que  l'art  de  la  Restau- 
ration des  Tableaux  soulevait  bien  des  diffi- 
cultés. Tout  le  monde,  cependant,  se  rallie  à 
cette  opinion  qu'il  faut,  avant  tout,  resjjecter 
l'œuvre  des  maîtres  et  ne  point  les  défigurer 
sous  prétexte  de  remise  en  état.  C'est  le  point 
de  départ  de  M.Charles  Dalboy  dans  le  traité 
technique  et  raisonné  qu'il  vient  de  publier 
sur  cette  matière  à  la  librairie  May.  Le  vokmie 
n'est  point  pédant,  mais  appuyé  sur  l'expé- 
rience. L'auteur  i^réfère  aux  jurandes  phrases 
les  conseils  clairs  et  faciles  à  suivre.  Aussi  cet 
utile  petit  ouvrage  rcndra-t-il  de  réels  services 
même  aux  conservateurs  des  musées,  et  aussi 
aux  nombreux  détenteurs  de  vieux  tableaux 
qu'ils  aiment,  qu'ils  ne  voudraient  point  voir 
périr,  mais  qu'ils  redoutent,  non  sans  raison, 
de  livrer  à  des  mains  insuffisamment  respec- 
tueuses. 

Les  'eetS'^livraisons  de  l'Œuvre  de  Rabelais, 
illustrée  d'après  les  tableaux  de  Jules  (iarnier, 
viennent  de  paraître  chez  les  éditeurs  E.  Ber- 
nard et  C''=. 

Au  moment  où,  par  suite  de  la  vente  qui 
vient  d'en  être  faite,  les  toiles  du  maître  sont 
désormais  dispersées  chez  de  nombreux  ac- 
quéreurs, il  est  heureux  qu'on  puisse  encore, 
au  moyen  de  cette  seule  publication,  consi- 
dérer l'ensemble  de  cette  œuvre  unique. 

On  aura  ainsi  à  la  fois  le  texte  complet  de 
Rabelais  et  l'interprétation  si  vivante  qu'en  a 
faite  Garnier;  les  160  planches,  grâce  aux  pro- 
cédés phototypiques  les  plus  perfectionnés, 
sont  reproduites  avec  les  couleurs  mêmes  des 
tableaux. 

L'organisation  sanitaire  rationnelle  des 
troupes  coloniales  en  garnison  et  en  expé- 
dition n'a  cessé  de  préoccuper  l'opinion  pu- 
blique depuis  les  dernières  expéditions  du 
Tonkin  et  de  Madagascar;  tout  le  monde  était 
d'accord  pour  reconnaître,  devant  l'énormité 
des  sacrifices  qu'elles  coûtaient,  l'urgence  de 
réformes  indispensables. 

Les  réformes  ne  sont  pas  encore  opérées; 
aussi  les  Considérations  sanitaires  sur  l'Ex- 
pédition de  Madagascar,  par  le  docteur 
G. -A.  Rej'naud,  médecin  en  chef  des  colonies, 
viennent-elles  à  propos  à  la  librairie  May. 

Pour  démontrer  avec  plus  de  force  leur  né- 
cessité, le  D''  Reynaud  ne  se  borne  pas  à 
l'examen  des  événements  de  la  récente  expé- 
dition de  Madagascar.  Il  passe  en  revue  les 
faits  principaux  des  guerres  coloniales  exécu- 
tées par  les  Français  et  les  Anglais  au  cours 
des  quarante  dernières  années,  et  du  parallèle 
très  instructif  qu'il  établit  entre  elles,  il  tire 
les  enseignements  les  plus  précieux  pour  la 
conduite  de  ces  opérations. 

Sur  ces_  données,  il  établit  les  bases  de  l'or- 
ganisation rationnelle  d'une  armée  coloniale 
qui  est  encore  à  créer. 

M.  de  Mahy,  l'éminent  député,  dont  le  pa- 
triotisme et  la  science  médicale  marchent  de 
pair,  a  écrit  une  vibrante  préface. 

M.    Edmond    Demolins,     dont    le    dernier 

ouvrage,  A  quoi  tient  la  supériorité  des  Anglo- 
Saxons,  a  fait  tant  de  bruit,  vient  de  publier  à 
la  maison  Didot  un  volume  sur  les  Français 
d'aujourd'hui  qui  mérite  également  de  retenir 
l'attention.  Fidèle  aux  traditions  de  son  maître 


Frédéric  Le  Play,  M.  Demolins  veut  dégager 
les  vérités  générales  de  l'examen  séparé  des 
classifications.  Pour  mettre  en  lumière  l'âme 
française,  il  étudiera  successivement  l'Auver- 
gnat, le  Normand,  le  Provençal.  La  méthode 
est  bonne;  elle  est  scientifique  et  philoso- 
phique; et  elle  a  le  mérite  d'intéresser  chacun 
à  la  description  de  son  propre  type  pour  voir 
s'il  s'y  reconnaîtra.  "  Cette  nouvelle  géogra- 
phie de  la  France  me  transporte  »,  disait 
Alphonse  Daudet,  qui  rêvait,  lui  aussi,  d'en 
établir  une  à  sa  façon. 

Nous  sommes  à  une  heure  grave,  où  la 
France  se  recueille.  Les  destinées  futures 
dépendent  de  l'orientation  morale  qu'elle  va 
prendre.  Les  peuples  jeunes,  comme  les 
enfants,  vont  de  l'avant  quand  même.  Les 
peuples  vieux  ont  des  âmes  compliquées. 
Aussi  de  pareils  ouvrages,  aidant  à  la  con- 
naissance de  soi-même,  sont  d'un  intérêt  pri- 
mordial; car  il  faut  partir  de  là,  c'est  le  com- 
mencement de  tout. 

Avec  moins  de  méthode  scientifique,  mais 
plus  de  poésie,  M.  André  Petitcolin  étudie 
l'âme  bretonne  dans  son  volume  Arvor,  paru 
chez  Pion.  Il  a  voulu  assister  à  la  vie,  la  sai- 
sir dans  ses  manifestations,  regarder  le  passé 
et  voir  les  tendances  de  l'avenir.  C'est  une 
enquête  aussi,  conduite  avec  amour,  car  des 
nombreux  pays  qu'il  a  visités,  c'est  la  Bretagne 
qui  l'attire,  et  c'est  elle  qu'il  quitte  toujom's 
à  regret. 

La  tendresse  éparse  dans  ce  livre  est 
communicative.  Les  impressions  relevées  ont 
la  force  persuasive  des  notes  justes,  et  les  des- 
criptions la  saveur  des  tableaux  vécus.  Très 
rarement  une  étude  de  pays  procure  autant  de 
plaisir  à  la  lecture  et  laisse  autant  de  souve- 
nirs féconds  dans  l'esprit. 

Sous  une  apparence  de  caractère  local, 
M.  le  D''  Porquet  vient  de  publier  à  Vire,  à 
la  librairie  Fng,  une  étude  sur  la  Peste  en 
Normandie,  qui  est  d'un  intérêt  général.  La 
peste  récente  des  Indes,  combattue  victorieu- 
sement par  le  D''  Yersin,  qui  a  fait  descendre 
la  mortalité  de  95  à  7  pour  100  chez  les  ma- 
lades traités  par  la  méthode  pastorienne,  rend 
actuelles  les  recherches  sur  les  invasions  an- 
ciennes du  fléau.  On  verra  dans  ce  livre,  où 
de  savantes  études  sont  clairement  présentées, 
à  quels  dangers  nos  anciennes  ci\ilisations 
étaient  exposées,  comment  elles  les  suppor- 
taient et  combien,  si  la  science  était  alors 
incertaine,  les  âmes  étaient  souvent  coura- 
geuses et  élevées. 

On  trouvera  également  un  puissant  récon- 
fort moral  à  la  lecture  de  Quand  même!  par 
Léon  Berthaut,  publié  à  la  Société  d'éditions 
littéraires. 

Nous  sommes  jiendant  l'année  terrible,  et 
ce  volume  est  plutôt  un  récit  de  guerre  qu'un 
roman.  Les  survivants  de  notre  défense  na- 
tionale revivront  des  heures  qui  les  feront 
tressaillir.  (îuerre  folle...  a-t-on  dit  en  parlant 
de  sa  seconde  période;  guerre  sainte,  par  qui 
l'on  ne  ])eut  pas  dire  que  l'honneur  a  été  sauvé, 
les  morts  de  Gravelotte  et  de  Reichshoffen 
l'ayant  déjà  mis  hors  de  cause,  mais  par  qui 
l'espoir  est  permis,  par  cela  même  qu'on  n'a 
jamais  désespéré. 


BIBLIOGKAIMIIE 


317 


La  librairie  Flammanon  a  cnfichi  sa  laryc 
collection  de  voyaj^es  par  3  volumes  intércs- 
i-cssanls  : 

Les  Siestes  d'Afrique,  par  M.  Viî,^n<i  dOc- 
tnii,  S(jiit  des  souvenirs  de  la  Mellacorée  et 
<lu  pays  lies  Sousous.  Impression  poignante, 
sensation  aif;uo  du  continent  noir  dont  lame 
reste  niv  s  terrien  se  ;  (vuvre  d'artiste,  d'une 
haute  saveur  littéraire:  œuvre  de  vérité  aussi, 
autrement  pénétrante  que  les  relations  offi- 
cielles. La  note  est  triste,  car,  si  le  sanj;-  versé 
l'est  toujours  avec  f^loire,  la  lutte  contre  les 
maladies  n'inspire  que  la  mélancolie.  Le  cli- 
mat est  toujours  le  grand  ennemi  des  entre- 
prises coloniales,  et  les  précautions  ne  sont 
jamais  assez  prises  pour  protéger  nos  soldats. 
Quand  donc  aurons-nous  une  armée  coloniale, 
dont  l'entraînement  rendrait  impossibles  des 
désastres  comme  l'hécatombe  inexpiable  de 
Madagascar,  et  tant  de  morts  isolées,  journa- 
lières et  inutiles  ? 

Douze  ans  en  Abyssinie,  par  Paul  de  Lami- 
bar,  ne  sont  pas  un  récit  de  voyages  vécus. 
Ce  sont  des  mémoires,  surtout  d'officiers,  sur- 
tout d'officiers  italiens,  réunis  et  coordonnés. 
L'histoire  militaire  de  l'Italie  en  Afrique  y  est 
passée  en  revue  avec  équité  et  il  ne  faut  ])as 
mesurer  l'elTort  déployé  au  triste  résultat 
acquis.  C'est  un  volume  utile  sur  ce  pays  qui 
captive  à  juste  titre  l'attention  actuelle. 

Le  Nil  est  jusqu'à  nouvel  ordre  et  pour 
longtemps  le  but  capital  de  toutes  les  explo- 
rations françaises  en  Afrique;  un  intérêt 
puissant  le  recommande  et  l'impose  à  tous 
ceux  qui  suivent  le  mouvement  d'expansion 
coloniale  aujourd'hui  communiqué  à  toute 
l'Europe.  Aussi  l'ouvrage  'Vers  le  Nil  fran- 
çais, du  peintre-explorateur  Castellani,  est-il 
particulièrement  intéressant.  Le  coté  humoris- 
tique et  original  de  cette  œuvre,  qui  donne 
au  lecteur  une  sensation  vécue  d'un  voyage 
avec  la  mission  Marchand,  n'exclut  pas  le 
côté  sérieux  et  souvent  dramatique  de  cette 
odyssée  d'un  artiste  à  travers  ce  qui  restait  de 
moins  connu  de  la  mystérieuse  terre  d'Afrique. 
C'est  la  peinture  d'un  monde  resté  primitif 
et  barbare  jusqu'au  cannibalisme. 

Ce  volume  très  documenté,  rempli  d'anec- 
dotes amusantes  et  curieuses,  de  renseigne- 
ments précieux,  de  réflexions  profondes  et 
d'idées  originales,  est  illustré  d'un  grand 
nombre  de  dessins  de  (Castellani  qui  ajoutent 
presque  l'intérêt   de   l'album  à  celui  du  livre. 

Le  Monde  Moderne  a  publié  un  article  docu- 
menté sur  le  Chat  noir,  où  il  faisait  ressortir 
l'importance  prise  par  la  littérature  qui  na- 
quit sous  les  humoristiques  boniments  de 
Rodolphe  Salis.  Il  a  été  publié  de  nombreux 
volumes  sur  ce  sujet.  Nous  signalons  avec 
plaisir  le  dernier  sans  doute,  le  Roman  comi- 
que du  Chat  noir,  encore  chez  Flammarion, 
écrit  avec  verve  par  Gabriel  Montoya,  un  des 
poètes  du  cénacle.  Il  se  termine  par  la  mort 
du  pauvre  Salis,  qui  avait  gagné  le  château 
que  Scarron  ne  possédait  qu'en  rêve,  mais 
qui  n'en  jouit  pas  davantage. 

Sans  quitter  cette  active  maison  d'édition, 
nous  citerons  enciare  plusieurs  ouvrages  : 

D'abord,  les  Gopurchics,  par  Edgar  Monteil, 
qui  sont  aujourd'hui  célèbres.    Leur  nom    est 


connu  dans  les  deux  hémisphères  et  le  mot  est 
entré  dans  la  langue  française  et  se  trouve 
dans  les  dictionnaires.  L'histoire  des  Copnr- 
chics  est,  d'ailleurs,  assez  gaie  pour  justifier 
leur  succès.  Ils  aiment  les  femmes  et  les 
femmes  les  adorent.  D'un  bout  à  l'autre  du 
v'olume,  on  s'amuse,  on  rit.  Aussi  ce  livre,  il- 
lustré par  Tauzin,  est-il  bien  à  sa  place  dans 
la  collection  des  auteurs  gais...  qualité  si 
rare  aujourd'hui  ! 

L'abbé  Fesch  nous  donne  les  Souvenirs  d'un 
abbé  journaliste,  et  ce  n'est  pas  un  spectacle 
banal  que  de  le  voir  évoluer  dans  ce  monde 
de  publicistes,  de  rejjorters,  de  camelots,  ces 
rois  du  jour,  dont  il  nous  dépeint  la  \ie  si 
mouvementée.  On  trouvera  dans  ces  pages 
écrites  d'une  plume  alerte,  dans  une  langue 
très  primesautière,  des  tableaux  animés,  des 
silhouettes  presque  transparentes,  des  idées 
qui  ne  manqueront  pas  de  susciter  d'ardentes 
discussions. 

M.  Goron  a  terminé  la  publication  de  ses 
mémoires;  pour  qui  sait  lire,  il  s'en  dégage 
de  précieux  enseignements. 

Une  philosophie  humanitaire,  essentielle- 
ment douce  aux  malheureux,  anime  ces  pages. 
L'auteur  se  révèle  psychologue,  pénètre  l'âme 
des  malfaiteurs  qu'il  arrête;  il  y  voit  un 
gouffre  désolé,  où  aucune  clarté  vivifiante  ne 
brille,  et  lui,  qui  a  dû  jouer  du  revolver  plus 
d'une  fois  pour  défendre  sa  vie,  il  se  sent  pris 
pour  eux  d'une  sincère  commisération.  Ces 
mémoires  sont  œuvre  d'honnête  homme. 

M.  Charles  Ba'ihaut  y  a  publié  ses  Impres- 
sions cellulaires.  Nous  ne  parlerons  pas  des 
révélations,  peu  inédites  d'ailleurs,  que  ce  livre 
peut  contenir,  mais  nous  dirons  qu'il  s'en  dé- 
gage une  triste  philosophie  du  temps  présent. 
L'ancien  ministre  des  travaux  publics  a  été 
coupable,  mais  il  a  été  frappé  plus  sévèrement 
que  d'autres  qui  l'étaient  autant  que  lui.  La 
vertu,  de  nos  jours,  est  difficile;  ce  n'est  pas 
une  raison  pour  ne  pas  l'exiger.  Mais  les 
jeunes  ambitieux  feraient  bien  de  lire  ces 
Images  jîour  mesurer  le  néant  des  grandeurs 
politiques. 

Enfin,  après  Ilichepin ,  après  M.  Armand 
Dayiit,  qui  a  fait  précéder  ce  livre  de  quelques 
lignes  émues,  après  M.  Le  Gollic  et  d'autres, 
M.  Pierre  Lemonnier  nous  parle  de  Ceux  de 
la  mer.  Et  c'est  toujours  leur  dure  vie,  leurs 
misères,  leurs  morts  prématurées.  On  ne  peut, 
cependant,  supprimer  les  dangers  de  la  mer; 
les  marins  eux-mêmes  l'aimeraient  moins  si 
sa  beauté  ne  cachait  pas  de  la  perfidie  ;  on 
ne  peut  demander  non  plus  que  le  labour  des 
flots  n'ait  point  ses  duretés  comme  celui  de  la 
terre.  Mais  de  ces  ouvrages,  tous  sincères  et 
sentis,  naîtront  un  jour  prochain  les  adoucis- 
sements et  les  règlements  que  la  raison  ré- 
clame, autant  que  la  pitié. 

Dans  un  précédent  numéro  nous  avons 
parlé  de  la  Cathédrale  de  ^L  Huysmans.  Nous 
devons  à  la  vérité  de  signaler  une  brochure 
de  M.  l'abbé  Périès,  parue  chez  Lamulle  et 
Poisson,  où  cette  nouvelle  Littérature  reli- 
gieuse est  prise  à  partie  vigoureusement  et 
où  M.  Huysmans  reçoit  une  assez  jolie  volée 
de  critique. 


L' Editeur-Gérant  :  A.    Quanti N. 


14398.  —  Lib.-Imp.  réunies,  Motteroz,  D',  7,  rue  Saiut-Benoît,  Paris. 


fiy©  d©   P-apl 


EMPRUNT    DE     1898 


CONDITIONS    PRINCIPALES 

J/empruntque  la  Ville  de  PaiMS  a  été  autorisée  à  contracter  parla  loi  du  6  janvier  1898 
sera  réalisé  au  moyen  de  l'émission  d'obligations  municipales  de  500  francs  en  nombre 
égal  (unités  et  quarts)  à  celui  des  obligations  de  l'emprunt  de  1886  restant  à  amortir  au  jour 
du  remboursement  anticipé  dudit  emprunt. 

Chaque  obligation  sera  remboursable  au  capital  de  500  francs,  produira  un  intérêt 
fixe  de  10  francs  par  an,  payable  par  moitié  chaque  semestre,  et  participera  chaque  année, 
à  partir  du  5  décembre  1898,  aux  tirages  détaillés  ci-dessous. 

Les  coupures,  au  capital  nominal  de  1"25  francs  (quarts  d'obligation),  donneront  droit 
au  quart  des  avantages  attribués  aux  obligations  entières. 

Le  premier  coupon  sera  payable  le  15  mars  1899. 

DÉSIGNATION    DES    TIRAGES 

Le  premier  numéro  sorti  aux  tirages  des  5  décembre  et  5  juin  de  chaque  année   aura 

droit  à  un  lot  de , Fr.  200.000  » 

Le  deuxième,  à  un  lot  de 50.000  » 

Les   troisième,    quatrième,   cinquième   et  sixième,   chacun  à    un   lot   de 

1 0,000  francs,  soit  ensemble 40 .  000  » 

Les    septième,    huitième,     neuvième     et    dixième,  chacun   à  un    lot   de 

5,000  francs,  soit  ensemble '20.000  » 

Les  quarante  numéros  suivants,  chacun  à  un  lot  de  l,000fr.,  soit  ensemble.  40.000  » 

Total  pour  un  tirage Fr.     350.000     » 

Le  premier  numéro  sorti  aux  tii^ages  des  5  mars  et  5  septembre  de  chaque 

année  aura  droit  à  un  lot  de Fr.  100 ..000     » 

Le  deuxième,  à  un  lot  de 50 .  000     » 

Les    troisième,  quatrième,    cinquième    et    sixième,    chacun  à  un   lot  de 

10,000  francs,  soit  ensemble 40.000     » 

Les    septième,    huitième,    neuvième   et     dixième,    chacun  à  un    lot    de 

5,000   francs,    soit  ensemble 20.000     » 

Lesquarante  numéros  suivants,  chacun  à  un  lot  de  1 ,000 fr,, soit  ensemble.  40.000     » 

Total  pour  un  tirage Fr.      "250.000     » 

Soit,  par  année  et  pour  l'ensemble  des  quatre  tirages,  1,200,000  francs  de  lots, 

DROIT    DE    PRÉFÉRENCE 

Pendant  le  délai  de  trois  mois  compris  entre  le  15  septembre  et  le  15  décembre  1898, 
les  porteurs  de  titres  de  l'emprunt  188t)  qui  n'en  auront  pas  demandé  le  remboursement 
en  numéraire  seront  admis  à  souscrire  par  préférence  aux  obligations  du  nouvel  emprunt 
pour  un  nombre  et  une  nature  (unités  ou  quarts)  identiques  à  ceux  des  titres  dont  ils  sont 
détenteurs. 

Ces  derniers  titres  seront  reçus  en  payement  du  prix  de  la  souscription  jusqu'à  concur- 
rence de  leur  valeur  de  remboursement,  nette  d'impôt  (399  fr.  14  c.  pour  les  unités  et 
99  fr.  78  c.  pour  les  quarts). 

Les  titres  remis  en  échange  de  ceux  de  l'emprunt  1886  seront  munis  du  coupoh 
payable  le  15  mars  1899. 

Les  conditions  réglementaires  de  l'émission  et  de  l'échange  des  titres  seront  détermi- 
nées par  arrêtés  du  Préfet  de  la  Seine  sur  avis  de  la  Commission  spéciale  des  emprunts,  et 
portées  en  temps  voulu  à  la  connaissance  du  public. 


Le 


Monde    Modetne 


Septembre     1898 


VIII.  —  21. 


G  É  N  I  K 


A  là^e  de  seize  ans,  Eugénie  Martin 
(lut  quitter  son  village  de  Bretagne 
pour  venir  à  Paris. 

Elle  y  lut  appelée  par  une  sœur  de 
son  père,  la  vieille  Marie,  qui  servait 
depuis  douze  ans  au  moins,  chez  des 
bourgeois  de  l'île  Saint-Louis. 

Réduite  par  l'âge  à  prendre  du  repos, 
et  avant  le  sentiment  de  la  famille,  elle 
souhaitait  voir  l'enfant  de  son  frère  lui 
succéder  dans  la  bonne  maison  qu'elle 
quittait.  Afin  que  M'"'^  Heurtaut,  sa 
maîtresse,  consentît  à  voir  l'enfant,  elle 
en  lit  de  grands  éloges,  bien  qu'elle  ne 
la  connût  guère  que  par  ouï-dire,  par 
les  lettres  envoyées  du  pays. 

Elle  assura  à  «  madame  »  que  sa  nièce 
était  «  une  bien  brave  petite  ». 

«  Depuis  la  mort  de  ses  parents,  maître 
Nigoullet,  le  fermier,  l'avait  toujours 
employée,  à  faire  ceci,  cela,  à  conduire 
les  bêtes  aux  champs...  même  que  ça 
l'avait  em.pêchée  d'aller  à  l'école  ap- 
prendre à  lire.  Elle  aidait  aussi  à  la  les- 
sive et  repassait  comme  un  ange.  Avec 
ça,  propre  comme  tout  sur  elle  ;  toujours 
des  coiffes  blanches  raidies  à  l'amidon 
et  des  nippes  bien  raccommodées... 
jamais  une  déchirure...  Enfin,  madame 
verrait...  » 

Dès  qu'elle  eut  reçu  la  lettre  pressante 
de  la  tante  Marie,  Eugénie  s'embarqua, 
docile  et  le  cœur  gros.  Elle  emportait 
son  bagage  au  complet  dans  un  grand 
panier  à  couvercle  dont  elle  ne  voulut 
pas  se  dessaisir  de  tout  le  voyage,  et 
qu'elle  garda  sur  ses  genoux  avec  ses 
deux  mains  croisées  sur  l'anse. 

Tandis  que  roulait  le  train,  il  lui  sem- 
blait qu'elle  s'en  allait  dans  un  rêve. 

Tout  ce  tapage  de  chemin  de  fer  ignoré 
d'elle  jusque-là  troublait  sa  tête  déjà 
bourdonnante  de  tant  de  choses.  Long- 
temps elle  demeura  effarée  par  la  bous- 
culade des  voyageurs  de  «  troisièmes  » 
se  disputant  les  meilleures  places  sur 
les  banquettes  des  wagons. 


Une  stupeur  hébétait  ses  yeux  gris, 
encore  pleins  du  souvenir  de  tout  ce 
qu'elle  quittait.  Ses  oreilles  gardaient 
le  son  des  cloches  qui  sonnaient  VAn- 
(jélus  du  matin  où  elle  passait  devant 
l'église,  dans  la  Grand'rue  du  village. 

Pour  gagner  la  gare,  elle  avait  fait 
trois  kilomètres  à  travers  champs,  dans 
la  carriole  au  grand  Yves,  un  voisin  de 
maître  Nigoullet.  Elle  revoyait  en  pen- 
*sée  la  forte  carrure  du  gars  sous  sa 
blouse  de  toile  bleue,  et  le  rire  avec 
lequel  il  lui  avait  dit  : 

—  Tâche  voir  un  peu  d'y  faire  for- 
tune dans  ton  Paris  ! 

Sa  mémoire  s'attarda  à  cette  figure 
amie.  Autour  d'elle,  maintenant,  étaient 
des  gens  qu'elle  n'avait  jamais  vus.  Au 
village,  elle  connaissait  tous  les  habi- 
tants et  chacun  l'appelait  par  son  nom. 
Aussi  s'étonna-t-elle  en  découvrant  que 
la  terre  était  assez  grande  pour  contenir 
tant  de  monde,  tout  ce  monde  dont  elle 
ne  soupçonnait  pas  l'existence. 

Le  train  ralentit  enfin  pour  s'arrêter 
dans  les  rails,  au  milieu  d'un  vacarme 
de  tempête  où  l'on  entendait  grincer 
des  machines,  haleter  la  vapeur,  rouler 
des  chariots  dans  un  tumulte  de  voix 
et  un  fracas  de  portières  jetées.  A  tra- 
vers son  trouble,  elle  entendit  quelqu'un 
l'avertir  : 

—  C'est  Paris  1 

Et  elle  descendit,  en  cherchant  éper- 
dument,  parmi  tous  ces  gens  affairés  qui 
la  bousculaient,  la  coiffe  de  son  pays 
que  devait  porter  la  tante  Marie. 

Tout  à  coup  une  voix  cria  dans  son 
dos  un  appel  en  patois.  S'étant  retournée, 
elle  vit  s'approcher  une  petite  femme 
jaune  et  sèche,  reluisante  comme  un  objet 
neuf,  qui  la  bécotta  sur  les  deux  joues. 

Emue,  sans  paroles,  étourdie  par  le 
tapage,  elle  se  laissa  conduire  hors  de 
la  gare  et  pousser  sur  l'impériale  d'un 
tramway  comblé  de  voyageurs  qui  allait 
partir. 


324 


GENIE 


En  route,  la  tante  Marie  causait  beau- 
coup; mais  Génie,  qu'assoui'dissait  com- 
plètement le  bruit  de  la  rue,  n'entendit 
rien,  sinon  que  «  madame  »  l'attendait. 
Une  appréhension  l'oppressa. 
Qu'allait-on  lui  dire  ?  Peut-être  la 
renverrait-on  dans  son  pays  si  elle  ne 
plaisait  pas  à  «  madame  ». 

Son  angoisse  et  la  peur  confuse  qu'elle 
avait  de  Paris  s'atténuèrent  en  pénétrant 
dans  l'île  Saint-Louis.  Il  lui  sembla 
même  avoir  vu  un  endroit  pareil  un 
jour  que  maître  Nigoullet  l'avait  em- 
menée à  la  sous-préfecture. 

Le  petit  coin  déployait  dans  le  soir  ' 
tombant  sa  sérénité  vieillotte  et  sa  poé- 
sie coutumière.  Dans  la  rue,  allongée 
par  la  perspective  des  ponts  et  du  fleuve, 
il  n'y  avait  plus  de  voitures.  Sous  la 
voûte  qui  tourne  dans  la  rue  Breton- 
villiers,  un  groupe  d'enfants  jouait  aux 
billes;  d'autres  se  poursuivaient  sur  les 
trottoirs,  traversaient  la  chaussée  en 
criant.  D'un  seuil  à  l'autre,  des  commer- 
çants s'envoyaient  le  bonsoir.  Le  clo- 
cher de  Saint-Louis  élançait  sa  flèche 
dans  la  brume  rose  du  couchant;  des 
hirondelles  tournoyaient  alentour. 

Le  sourire  du  créj)uscule  dans  lîle 
accueillait  la  villageoise,  tandis  que  sa 
tante  lui  faisait  les  honneurs  du  quar- 
tier dont  elle  connaissait  toutes  les  mai- 
sons. A  mesure  qu'elle  passait  devant 
chacune,  elle  en  nommait  les  habitants 
de  marque. 

Au  tournant  de  la  seconde  rue,  la 
vieille  femme  ralentit  son  pas  énergique, 
et  visant  de  son  doigt  tendu  une  façade 
brune,  proche  du  quai,  elle  expliqua,  un 
peu  fière  : 

—  C'est  notre  maison...  Tu  verras 
comme  c'est  tranquille.  Et  si  bien  ha- 
bité !  Du  haut  en  bas,  rien  que  des 
bourgeois... 


La  demeure  était  une  des  plus  an- 
ciennes de  cette  «  rue  de  la  femme  sans 
teste  »  devenue  la  rue  Le  Regrattier; 
elle  avait  l'aspect  solennel  et  froid  d'un 
couvent  de   province.    A   chaque  étage 


les  rideaux  retombaient  avec  le  même 
soin  sur  les  doubles  vitres  des  hautes 
fenêtres,  dérobant  au  dehors  le  secret 
des  intérieurs.  Ses  balcons  de  fer  forgé 
à  la  mode  du  xvn"  siècle  se  rouillaient 
d'abandon,  et  les  figures  sculptées  des 
frontons,  entamées  par  le  temps,  avaient 
tout  à  fait  l'air  de  fondre  dans  leurs 
larmes. 

Une  émotion  religieuse  fit  trembler 
Génie  quand,  sur  les  pas  de  sa  tante, 
elle  gravit  un  large  escalier  de  pierre 
aux  degrés  usés  par  plusieurs  généra- 
tions d'habitants.  La  fraîcheur  des  mu- 
railles l'enveloppa  d'un  suaire  de  peur. 
La  pensée  de  «  madame  »  lui  traversa 
le  cœur  comme  un  couteau. 

Poussée  par  la  vieille  Marie,  elle  pé- 
nétra pourtant  dans  un  appartement  du 
second  étage ,  tourna  des  portes ,  se 
trouva  enfin  dans  une  grande  chambre 
à  coucher  où  M'"''  Heurtant  était  assise 
dans  un  fauteuil,  contre  la  clarté  d'une 
fenêtre  qui  voyait  la  cour. 

C'était  une  femme  de  cinquante  ans, 
grande  et  décharnée,  aux  yeux  décolo- 
rés, à  la  bouche  dédaigneuse,  qui  s'ha- 
billait de  robes  à  traîne  et  portait  une 
fanchon  de  chantilly  à  boufi'eltes  en 
satin  jaune. 

Elle  prit  une  face-à-main  marquant  la 
page  d'une  revue  ouverte  sur  ses  ge- 
noux pour  observer  Génie,  que  rendait 
confuse  sa  robe  de  laine  brune  rallongée 
aux  poignets.  La  coiffe  blanche  sur  les 
cheveux  plats  de  la  petite  sembla  d'un 
effet  déplorable  à  la  vieille  dame.  Elle 
parla  d'une  voix  dolente  : 

—  C'est  bien  vilain,  ce  bonnet... 
Vous  paraissez  assez  douce,  mon  enfant. 
Ici,  il  faudra  l'être...  et  ne  pas  faire  de 
bruit  surtout,  car  j'ai  constamment  mal 
aux  nei"fs.  Vous  obéii^ez  bien,  n'est-ce 
pas  ?  Votre  tante  restera  huit  jours 
encore  pour  vous  mettre  au  courant. 
Pi'ofitez  de  ses  leçons...  apprenez  les 
habitudes  de  la  maison;  que  je  ne  trouve 
aucun  changement. 

Comme  le  ton  n'avait  rien  de  mé- 
chant. Génie  se  rassura  et  osa  lever  les 
yeux  sur  sa  maîtresse,  ce  qui  lui  fit  voir 


GÉNMK 


325 


quV'n    parlant   M'""    Heurtaut   monlrait 
(les  dents  déchaussées,  toutes  jaunies. 


pourtant,  lui  parut  étouffante  et  exiguë 
au  souvenir  des  vastes  salles  de  fermes 


Mi 

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Enfin,  sa  tante  l'ayant  tirée  par  la 
jupe  remmena  hors  de  la  chambre,  jus- 
qu'à la  cuisine. 

Cette   pièce,    de    moyenne    grandeur 


avec  leurs  cheminées  géantes.  L'air  mé- 
lancolique de  la  cour  entrait  par  la 
croisée  ouverte,  avec  une  dernière  lueur 
du  couchant  qui   frappait   les  cuivres. 


326 


G  K  N  1  E 


.  Une  odeur  de  bouillon  et  de  viande 
cuite  montait  d'une  marmite  en  terre 
posée  sur  le  fourneau. 

—  Faut  que  j  écume  mon  pot-au-feu, 
déclara  la  vieille  Marie. 

Elle  ceignit  un  tablier  blanc,  remua 
le  feu  maintenu  étouffé  sous  une  couver- 
ture de  cendres;  puis,  tout  en  faisant 
passer  et  repasser  avec  précaution  son 
écumoire  à  la  surface  du  bouillon,  elle 
ouvrit  le  chapitre  des  révélations  et  des 
conseils. 

—  Ici,  vois-tu,  ma  fille,  si  tu  es  rai- 
sonnable, tu  seras  bien  heureuse,  c'est 
moi  qui  te  le  dis.  «  Madame  »  n'est  pas 
ennuyante  ;  elle  a  un  peu  des  goûts  à 
elle,  voilà  tout.  C'est  une  bonne  per- 
sonne au  fond,  pas  regardante  pour  un 
sou.  «  Monsieur  »...  oh  !  «  monsieur  »,  lui, 
il  ne  s'occupe  de  rien.  Pourvu  que  le 
manger  soit  prêt  à  l'heure,  le  reste  n'y 
fait  pas  grand'chose.  Tu  auras  de  bons 
gages,  et  puis  encore  le  sou  du  franc 
chez  les  fournisseurs;  tu  peux  t'amasser 
un  joli  magot  pour  le  cas  où  tu  voudrais 
le  marier  plus  tard...  Il  y  a  aussi  les 
étrennes.  On  n'est  pas  rat,  ici...  D'ail- 
leurs, monsieur  et  madame  ont  des 
moyens  et  rien  qu'un  enfant.  Ah  !  m'sieu 
Léon,  c'est  le  plus  gentil  de  tous!  En 
voilà  un  qui  l'aime  bien  sa  Marie...  Je 
l'ai  connu  si  petit!  Il  vient  d'avoir 
quinze  ans.  Il  est  pensionnaire  dans  un 
grand  lycée...  Quand  il  sortira  de  là,  il 
ira  à  Saint-Cyr,  parce  qu'il  veut  être 
officier.  Tous  les  quinze  jours,  il  vient 
passer  son  dimanche.  Tout  de  suite,  il 
court  à  la  cuisine  :  «  Bonjour,  Marie!... 
comment  vas-tu,  ma  pauvre  vieille  !  » 
et  patati,  et  patata...  Il  bavarde,  faut 
voir  !  Il  me  raconte  des  choses  du  lycée, 
de  la  boîte,  comme  il  dit.  Si  bien  que 
«  madame  »  se  fâche  des  fois  de  le  voir 
toujours  fourré  ici...  Tiens,  voilà  qu'on 
sonne!  C'est  monsieur.  Va  ouvrir.  Tu 
m'aideras  ensuite  à  mettre   le  couvert. 


En  huit  jours.  Génie  acquit  l'habitude 
du  service,  et  la  tante  Marie  s'en   alla. 


La  villageoise  s'acclimatait  peu  à  peu 
à  cette  nouvelle  existence.  L'atmosphère 
de  l'antique  rue  devint  moins  hostile  à 
sa  poitrine.  Les  concierges,  un  vieux 
ménage  de  braves  gens,  la  saluaient 
maintenant  d'un  «  mam'zelle  Génie  » 
paternel,  quand  elle  descendait  au  matin 
faire  ses  provisions. 

On  eut  beaucoup  de  mal  à  lui  faire 
abandonner  la  coiffe  bretonne  qui  dé- 
plaisait à  sa  maîtresse.  La  première  fois 
qu'elle  aperçut  dans  la  glace  son  visage 
désencadré  des  petites  ailes  de  linge 
empesé,  elle  rougit  comme  si  on  l'avait 
mise  nue;  il  lui  semblait  que  tout  le 
monde  allait  se  la  montrer  du  doigt  en 
riant,  et  elle  ne  se  sentit  plus  sous  la 
pi'otection  de  la  bonne  sainte  Vierge  de 
Lannion.  Des  larmes  lui  montèrent  jus- 
qu'au bord  des  paupières,  mais  elle  les 
contint,  n'osant  pas  pleurer.  Avec  le 
temps,  elle  se  fît  à  ce  changement. 

Le  deuxième  dimanche  qui  suivit  son 
entrée  dans  la  maison,  vers  dix  heures 
du  matin,  le  carillon  prolongé  de  la  son- 
nette ébranla  l'appartement.  Epouvantée 
par  le  tapage,  elle  courut  tout  d'un  trait 
à  la  porte,  et,  l'ayant  ouverte,  l'esta 
interdite  devant  un  collégien  qui  la  dé- 
visagea d'un  œil  étonné  en  question- 
nant : 

—  M'man  est  là,  c'pas? 

Il  passa  devant  elle  comme  un  ou- 
ragan, réveillant,  au  seul  bruit  de  ses 
talons,  tous  les  échos  assoupis  dans  les 
vieilles  murailles,  secouant  les  portes 
par  l'élan  de  sa  joie. 

De  la  cuisine,  en  terminant  les  ap- 
prêts du  repas,  Génie  percevait  sa  voix 
monter  sous  les  plafonds,  traverser  les 
pièces  avec  des  vibrations  de  gong  et 
des  saccades  de  cloche.  Lorsqu'elle  fut 
dresser  le  couvert  dans  la  salle  à  manger 
où  toute  la  famille  était  déjà  réunie,  la 
petite  bonne  entendit  M'"*^  Heurtant, 
impuissante  devant  ce  débordement  de 
jeunesse,  s'en  plaindre  d'une  voix  exté- 
nuée :  «  Ce  malheureux  enfant  est  sans 
pitié...  Mes  pauvres  nerfs!  » 

M.  Heurtant  écoutait  son  fils  avec  un 
sourire   placide   et,   à   une   question   de 


(ÎENIE 


327 


celui-ci  qui  examinait  Génie  tournant 
autour  de  la  table,  il  répondit  : 

—  Mais  oui...  c'est  la  nièce  de  notre 
vieille  Marie. 

Elle  sentit  que  le  jeune  (garçon  la  dé- 
visaj^eait  encore  de  ses  prunelles  hardies 
et  elle  perdit  la  tête,  lue  rougeur  subite 
lui  endamnia  la  ligure  jusqu'aux  che- 
veux. Dans  son  trouble,  elle  choqua 
maladroitement  deux  assiettes  qu'elle 
abandonna  sur  la  nappe  et  sortit  préci- 
pitamment, remplie  d'émotion  et  de 
désespoir  comme  s'il  venait  de  lui  arri- 
ver un  grand  malheur. 

Depuis  lors,  elle  nosa  plus  regarder 
Léon  qu'à  la  dérobée,  incapable  de  sou- 
tenir sans  émoi  la  clarté  de  ses  yeux 
posée  sur  les  siens.  Mais  un  peu  de  cette 
lueur  l'avait  pénétrée  et  devait  lui  tenir 
chaud  au  cœur  pour  toujours.  Elle  se 
prit  à  admirer  et  à  aimer  son  jeune 
maître  avec  une  sorte  d'ardeur  dévote, 
subjuguée  par  sa  désinvolture  et  ses 
élégances  de  potache  présomptueux  ;  car 
elle  le  sentit  vraiment  pétri  dune  chair 
supérieure  à  la  sienne.  C'était  la  pre- 
mière fois  qu'elle  voyait  un  garçon  avec 
une  aussi  jolie  figure  de  fille  aux  yeux 
moqueurs,  des  mains  si  blanches,  une 
tenue  si  soignée.  Chacun  de  ses  gestes, 
ses  moindres  paroles,  la  façon  alerte  et 
drôle  dont  il  jetait  les  mots,  restèrent 
dans  son  souvenir. 

Elle  pensa  à  lui  tout  le  temps,  inno- 
cemment, avec  ferveur,  dans  un  mys- 
tère profond  qui  ne  devait  jamais  être 
pénétré.  Et  ce  germe  d'amour,  pieuse- 
ment enfoui,  se  développa  de  jour  en 
jour,  dans  son  humble  pureté  de  fleur 
rustique,  éclose  à  l'ombre  et  qu'aucun 
souffle  ne  froissa. 


Du  temps  glissa  ;  quatre  années  furent 
franchies.  En  sortant  du  lycée,  Léon 
entra  à  Saint-Cyr.  Il  était  devenu  un 
grand  jeune  homme,  mince  et  souple, 
portant  l'uniforme  avec  art. 

Comme  autrefois,  il  venait  le  dimanche 
voir  ses  parents,  mais  ses  visites  se  fai- 
saient de  plus  en  plus  courtes. 


Génie  s'attristait  devant  la  mine  con- 
trainte qu'il  apportait  et  soupirait  en  se 
rappelant  les  grands  airs  de  joie  qu'il 
avait  jadis,  et  ses  rires  éclatants  qui  per- 
çaient les  murailles.  Aujourd'hui,  jamais 
on  ne  l'entendait  rire,  et  il  avait  une 
façon  de  traîner  la  voix  pleine  de  lassi- 
tude ennuyée. 

Toujours  soigneux  de  sa  personne  et 
sentant  bon  les  essences,  les  mains  vêtues 
de  gants  blancs  intacts,  il  continuait  à 
fasciner,  par  son  élégance,  la  servante 
qui  écartait  de  son  voisinage,  avec  des 
précautions  religieuses,  son  tablier  de 
cuisine  et  ses  mains  rouges. 

Il  n'y  prenait  pas  garde,  sans  intérêt 
d'ailleurs  pour  l'humble  fille,  lui  portant 
à  peine  la  considération  indulgente 
qu'il  avait  pour  les  objets  usuels  de  la 
maison  auxquels  son  regard  était  accou- 
tumé. 

Chaque  fois  qu'il  franchissait,  pour 
l'arrivée  ou  le  départ,  la  porte  de  l'ap- 
partement, il  lui  disait  d'un  ton  distrait  : 
«  Bonjour,  Génie...  Bonsoir,  Génie...» 
sans  se  douter  que  ces  simples  paroles 
tombaient  comme  de  la  manne  d'amour 
dans  un  cœur  brûlant  et  l'exaltaient  de 
joie,  le  rendaient  prêt  à  tous  les  dévoue- 
ments, lui  faisaient  appeler  tous  les 
sacrifices. 

Chaque  soir,  ses  maîtres  causaient  à 
table,  faisant  durer  le  dessert  jusqu'à 
l'heure  du  sommeil,  et  Génie  traînait 
derrière  eux.  dans  l'ombre,  ses  pas  silen- 
cieux. 

Elle  entendait  ainsi  la  voix  plain- 
tive de  sa  maîtresse  ressasser  une  litanie 
de  griefs  reprochés  à  Léon,  évoquer 
avec  des  hochements  de  tête  indignés, 
qui  faisaient  frissonner  sur  sa  tête  la 
fanchon  de  chantilly,  «  certaines  créa- 
tures du  quartier  latin...  certaines  orgies 
dans  les  restaurants  de  nuit...  »  Ces 
mots  prenaient,  dans  la  bouche  de  la 
vieille  dame,  une  ampleur  abominable. 

Parfois,  M.  Heurtant,  qui  écoutait  sa 
femme  avec  bonhomie ,  haussait  dou- 
cement les  épaules,  et  disait  : 

—  Voyons,  Clarisse,  tu  exagères...  tu 
prends  tout  au  tragique...    Patiente  un 


32K 


r;  E  N I E 


peu.  Il  a  vingt  ans,  ce  gamin...  il  s'as- 
sagira... 

Et  Génie,  que  déchirait  ainsi  qu'une 
griffe  la  voix  incisive  de  «  madame  »,  se 
sentait  réjouie  du  coup,  apaisée  par  le 
ton  bonasse  du  vieillard.  Elle  le  jugeait 
brave  homme  tout  à  fait,  conciliant 
comme  il  fallait;  dans  le  fond  obscur 
de  son  âme,  elle  admirait  trop  Léon  pour 
trouver  ses  actions  blâmables  et  pour 
ne  pas  croire  que   tout  lui   fût  permis. 

Le  soir ,  enfermée  dans  sa  petite 
chambre,  sous  les  toits,  elle  pensait  à 
Léon  librement,  avec  sa  tendresse  ingé- 
nue. Elle  délassait  son  cœur  sans  con- 
trainte ,  laissait  déborder  son  dange- 
reux secret,  tandis  que  la  nuit  berçait 
la  maison  du  haut  en  bas,  dans  un 
silence  ouaté!  Elle  faisait  des  réflexions 
en  marchant  sur  le  sol  carrelé ,  à  la 
façon  des  gens  obsédés.  Parfois,  elle 
s'imaginait  qu'/M'écoutait ,  et,  comme 
elle  n'avait  personne  à  qui  confier  la 
joie  ou  la  peine  de  ses  jours  ,  elle  se 
mettait  à  causer,  à  lui  raconter  toutes 
sortes  de  choses.  Elle  parlait  de  son  pays, 
auquel  elle  pensait  toujours ,  de  ses 
parents,  qu'elle  avait  à  peine  connus, 
des  misères  de  son  enfance,  des  menus 
faits  quotidiens  traversant  son  exis- 
tence. Quand  elle  éprouvait  trop  de 
chagrin,  elle  le  suppliait,  l'implorait 
vraiment  comme  l'esclave  tombée  aux 
pieds  du  maître  pour  lui  demander  grâce. 
Sur  une  étagère  parée  d'une  dentelle 
de  papier  et„de  deux  rameaux  bénits, 
elle  avait  placé  une  statuette  en  plâtre 
de  la  sainte  Vierge,  et  au-dessus,  tenant 
à  la  muraille  par  deux  petits  clous,  une 
photographie  ancienne,  un  peu  jaune, 
montrait  un  groupe  de  collégiens,  de- 
bout dans  un  jardin.  Le  troisième  de 
la  seconde  rangée  représentait  Léon  à 
quinze  ans,  en  uniforme  de  potache,  tel 
qu'elle  l'avait  vu  pour  la  première  fois. 
Ayant  trouvé  ce  portrait,  un  jour,  en 
déplaçant  un  meuble  derrière  lequel  il 
était  tombé,  elle  l'avait  emporté  comme 
un  trésor  ;  c'était  le  seul  larcin  qu'elle 
eût  commis  dans  la  maison  et  la  force 
de  son  amour  l'en  excusait. 


Chaque  soir,  glissée  dans  son  lit  froid, 
à  la  lueur  terne  de  la  petite  lampe  qui 
fumait  en  répandant  une  acre  senteur 
de  pétrole,  elle  contemplait  longtemps 
la  sainte  Vierge  et  l'image,  et  elle  pleu- 
rait en  s'endormant,  après  avoir  prié  le 
bon  Dieu  de  protéger  le  jeune  homme 


Ce  fut  un  grand  bonheur  pour  elle 
quand  M.  Heurtant,  par  désœuvrement, 
proposa  de  lui  apprendre  à  lire. 

Depuis  longtemps  elle  avait  honte  de 
son  ignorance,  et  la  pensée  que  peut-être 
Léon  l'approuverait  lui  donna  le  cou- 
rage de  surmonter  la  peine  des  pre- 
mières leçons.  Elle  prit  donc  l'habitude, 
tous  les  jours  après  le  dîner,  la  table  des- 
servie et  sa  vaisselle  faite,  d'apporter  son 
livre  sur  la  nappe  et  elle  épelaitles  mots 
que  M  monsieur  »  désignait  du  bout  de 
son  ongle  taillé  en  pointe.  «  Madame  », 
immobile  et  droite  sur  son  siège,  écou- 
tait pendant  quelques  minutes,  puis  agi- 
tant ses  paupières  alourdies,  s'endormait, 
bercée  par  le  lent  murmure  de  voix. 

Elle  s'appliqua  pour  arriver  à  écrire 
passablement,  et  fut  très  fière  d'envoyer 
au  pays  des  lettres  naïves  ,  dans  les- 
quelles, invariablement,  elle  demandait 
des  nouvelles  de  maître  Nigoullet,  de  la 
tante  Marie,  retirée  là-bas,  d'un  oncle 
qui  demeurait  du  côté  de  Tréguier,  de 
M.  le  curé  qui  lui  avait  fait  faire  sa  pre- 
mière communion. 

Ses  maîtres  étaient  contents  d'elle  ; 
ils  comprenaient  sa  bonne  volonté,  et 
M'""  Heurtant,  cependant  peu  louan- 
geuse, disait  souvent  : 

—  C'est  une  bonne  fille,  économe  et 
sage,  une  nature  dévouée. 

Elle  prenait,  d'ailleurs,  leurs  intérêts 
comme  les  siens  ,  ne  permettant  pas 
qu'on  les  volât  chez  les  fournisseurs, 
défendant  leur  argent  avec  âpreté  pour 
grossir  l'épargne  qui  reviendrait  un  jour 
à  Léon. 

Il  arrivait  assez  souvent  que  la  vieille 
dame,  s'ennuyant  d'être  seule,  l'appelait 
dans  l'après-midi,  afin  qu'elle  vînt,  avec 
un  ouvrage  de  couture,  lui  tenir  compa- 


(  ;  1-:  x  1  !•: 


329 


jj;^iiie,  et  elles  causaient  doucenienl,  avec 
confiance. 

jyjme  Heurtant,  que  son  esprit  maladif 
portait  à  se  tracasser  perpétuellement 
et  à  tout  propos,  lui  avoua  même  une 
fois  : 

—  Ma  fille,  je  crois  que  j'aurais  bien 


de  la  peine  à  vous  remplacer  si  vous  par- 
tiez ! 

Elle  s'ingéniait  alors  à  poser  des  ques- 
tions dont  s'étonnait  Génie,  pour  savoir 
si  par  hasard  elle  ne  pensait  pas  à  se 
marier,  ou  si  quelque  ouvrier  du  voisi- 
nage ne  lui  faisait  pas  la  cour. 


33-0 


GENIE 


La  jeune  bonne,  un  peu  gênée,  répon- 
dait chaque  fois  :  «  Pour  sûr  que  non, 
madame,  »  sans  oser  raconter  combien 
le  garçon  laitier  la  mettait  mal  à  Taise 
depuis  quelque  temps,  avec  sa  façon 
drôle  de  la  regarder,  en  lui  parlant  près 
de  la  figure. 

C'était  un  grand  gaillard  ,  d'allure 
solide,  au  visage  ouvert  et  jovial,  qu'elle 
rencontrait  à  la  vacherie  où  elle  allait 
chercher  son  lait,  l'après-midi,  à  l'heure 
de  la  traite.  Son  grand  plaisir  était  d'en- 
trer dans  l'écurie,  dont  les  senteurs  fer- 
mentécs  et  l'odeur  du  purin  coulant  des 
litières  éveillaient,  en  atteignant  ses 
narines,  le  souvenir  de  la  ferme  à  maître 
Nig-oullet  et  des  troupeaux  conduits  au 
pâturage. 

Elle  goûtait  un  bonheur  stupide  à  res- 
pirer ces  émanations,  en  caressant  les 
vaches  qui  tournaient  vers  elle  leurs 
yeux  énormes  et  léchaient  sa  main  d'une 
langue  rcâpeuse,  humide  de  bave. 

Derrière  elle,  le  garçon  (iuillaume 
survenait,  en  cotte  bleue,  la  chemise 
ouverte  sur  une  poitrine  velue ,  les 
manches  troussées  sur  des  bras  muscu- 
leux ,  tenant  d'une  main  un  escabeau 
aux  pieds  courts,  portant  de  l'autre  un 
grand  seau  de  fer-blanc  qu'il  secouait 
bruyamment.  Il  criait  de  sa  grosse  voix 
joyeuse  :  «  Allons,  la  Grise!...  allons,  la 
Normande!...  »  Poussée  par  le  sabot 
bourré  de  paille  où  s'allongeait  le  pied 
nu  du  valet,  la  vache  tournait  le  dos, 
ramassait  son  gros  corps  sur  ses  jarrets 
robustes  et  se  dressait  lentement,  en 
présentant  sa  mamelle  alourdie.  Génie 
s'approchait,  une  boîte  entre  les  doigts, 
attendant  que  la  traite  fut  terminée  pour 
avoir  son  lait  tout  chaud.  Intéressée, 
se  rappelant  ses  anciennes  besognes  de 
la  ferme,  elle  suivait  les  mouvements 
adroits  du  travailleur  dont  les  deux 
mains,  accrochées  aux  pis  élastiques, 
alternaient  en  va-et-vient  leurs  pres- 
sions rapides,  tandis  que  le  lait  jaillis- 
sait, cinglant  de  fdets  blancs  les  parois 
du  seau  où  moussait  une  écume  fine. 

Flatté  par  son  attention,  Guillaume 
prit  l'habitude  de  causer,  et  il  se  trouva 


justement  qu'il  avait  longtemps  vécu 
dans  la  Bretagne  où  il  lui  restait  encore 
des  parents.  Génie  devint  plus  fami- 
lière, contente  de  ce  hasard  ;  ils  parlè- 
rent amicalement  de  leur  pays ,  des 
choses  de  là-bas,  du  temps  qui  était 
favorable  ou  nuisible  aux  récoltes. 
Guillaume  disait  parfois  : 

—  Oh  !  moi,  j  veux  retourner  chez 
nous...  un  jour  ou  l'autre...  Je  louerai 
une  ferme  et  je  serai  mon  maître. 

Et  il  regardait  la  jeune  bonne  avec 
un  sourire  un  peu  niais  qui  semblait 
sous -entendre  des  intentions  mysté- 
rieuses. 

Elle  soupirait  sans  répondre,  d'un  air 
résigné,  tandis  que  sa  pensée  attendrie 
s'en  allait  vers  la  côte  où  elle  avait 
grandi,  vers  la  campagne  un  peu  sau- 
vage où  elle  poussait  ses  bestiaux  sur 
les  routes  que  balaye  le  grand  souffle 
venu  de  la  mer. 

Cette  camaraderie  durait  depuis  deux 
mois  et  Guillaume  s'enhardissait. 

Ses  yeux  devenaient  brillants  quand 
il  regardait  les  joues  fraîches  de  Génie, 
son  buste  plein,  ses  hanches  fortes  bom- 
bant les  plis  de  sa  jupe.  Il  causait  aussi 
d'une  façon  plus  intime,  contait  avec  de 
petits  rires  sournois  des  plaisanteries 
qui  déconcertaient  la  fille.  Mais  c'était 
une  manière  de  lui  montrer  qu'il  la 
trouvait  agréable  ,  qu'elle  lui  faisait 
envie  et  qu'il  avait  en  même  temps  de 
l'amitié  pour  elle. 

Un  après-midi  qu'elle  se  tenait  debout 
derrière  lui,  à  le  regarder  traire  une 
grosse  vache  blonde  qui  mâchait  avec 
bonheur  un  reste  de  foin  arraché  au 
râtelier,  il  se  retourna  brusquement, 
avec  résolution,  et  bourdonna  un  peu 
ému  : 

—  Voilà...  le  temps  me  dure  trop... 
je  m'en  vas  au  pays...  Seulement...  faut 
que  j'emmène  une  femme...  une  fille 
honnête  qui  me  faudrait...  avec  quéques 
économies...  Je  travaille  d'attaque...  on 
serait  heureux,  pas  vrai? 

Il  se  tut,  soulagé  d'avoir  dit  ça  et 
attendit,  pendant  que  ses  mains  beso- 
gnaient plus  vite. 


GÉNIE 


331 


Comme  Génie  ne  répondait  rien, 
inquièle  d'instinct,  mais  sans  bien  com- 
prendre ce  qu'il  avait  voulu  déclarer,  il 
Huit  par  demander  en  bredouillant  : 


Ses   idées  tournoyaient  dans  sa  tête; 

elle  ne  savait  quoi  répondre  tant  elle  était 

désolée,  et  par  peur  aussi  de  le  fâcher. 

A  la  fin  elle  trouva  :   «  C'est...   c'est 

à  cause  de    madame.  »  Mais 

elle  se  sentait  mal  à   Taise, 


—  Enfin...  ça  vous  va-t-il?...   voilà! 
Elle  fut  consternée,   stupide   de  sur- 
prise et  touchée  par  l'air  ému  du  garçon. 

Elle  balbutia  :  «  Vous  êtes  bien  hon- 
nête, mais...  mais...  je  ne  peux  pas...  » 
Il  insista,  soudain  mécontent  et  déçu  : 

—  A  cause? 


ainsi  que  dans  le  voisinage  d'un  danger, 
et  ses  regards  effarés  sautaient  à  travers 
la  cour  jusqu'à  la  rue  qu'on  apercevait 
au  bout  d'une  longue  voûte;  tout  d'un 
coup  elle  prit  son  élan,  laissa  Guillaume 
ahuri  et  partit  à  grandes  enjambées, 
sans  tourner  la  tête. 


332 


GENIE 


Le  lendemain,  qui  était  un  dimanche, 
comme  Génie  revenait  d'assister  aux 
vêpres  à  Saint- Louis,  elle  trouva 
M"^^  Heurtant  avec  un  visag'e  g-rave  et 
contrarié  : 

—  Ma  fille,  soyez  franche,  questionna 
la  vieille  dame.  Il  est  venu  un  homme 
qui  désire  vous  épouser...  il  voulait 
savoir  si  je  consentirais.  Je  n'ai  rien  à 
voir  à  vos  sentiments.  Vous  êtes  libre. 
Est-ce  que  vous  voulez  me  quitter?... 
Enfin...  quelles  sont  vos  intentions? 

Génie  mit  sa  figure  dans  ses  mains 
et  une  tempête  de  sang-lots  creva  dans 
sa  gorge.  A  travei^s  ses  larmes  ruisse- 
lantes, elle  bégayait  :  «  Oh  !  mon  Dieu  ! . . . 
oh!  mon  Dieu!...  »  comme  si  le  plus 
grand  des  malheurs  venait  de  l'atteindre. 

Sa  maîtresse,  dont  les  nerfs  se  cris- 
paient, demanda  avec  impatience  : 

—  Enfin,  voulez-vous  vous  marier? 
La  petite  bonne  secoua  la  tête  avec 

une  énergie  si  désespérée  que  M'""  Heur- 
tant se  rassura  ;  puis,  devant  ses  pleurs 
persistants,  elle  la  renvoya,  ennuyée  et 
singulièrement  étonnée    de  cette  crise. 

Génie  pleura  encore  plus  fort  cette 
nuit-là,  devant  le  portrait  de  Léon  et 
la  statue  de  la  Vierge,  répandant  son 
cœur  douloureux  en  phrases  incohé- 
rentes où  sa  détresse  se  lamentait. 

«  Comme  elle  l'aimait!  Elle  ne  pour- 
rait jamais  vivre  auprès  d'un  autre... 
jamais.  Elle  se  sentait  à  lui,  bien  qu'il 
ne  voulût  pas  d'elle.  Elle  lui  apparte- 
nait ainsi  qu'un  chien  fidèle.  Elle  l'ai- 
mait sans  rien  espéi^er  ;  elle  l'aimerait 
toujours,  voilà  tout.  Elle  ne  souhaitait 
rien,  rien  que  le  voir  heureux.  Et  si  peu 
de  fiel  enti^ait  dans  son  âme  qu'elle  se 
trouvait  sans  haine  contre  celle  à  qui  il 
s'était  donné;  elle  se  sentait  capable  de 
la  chérir  et  de  lui  vouloir  du  bien, 
parce  que  c'était  un  être  qu'il  aimait. 


Au  printemps  suivant,  u  madame  », 
dont  l'état  nerveux  ne  s'améliorait  pas, 
fit  de  telles  scènes  à  son  fils  qu'il  déserta 
la  maison  pendant  un  mois.  Mais,  sans 
doute    parce  que   Génie    éplorée    lança 


des  prières  vers  le  ciel  avec  ardeur, 
Léon  finit  par  reparaître,  apportant  une 
mine  un  peu  plus  maussade,  un  sourire 
un  peu  plus  ennuyé  qu'auparavant. 

Les  rapports  du  fils  et  de  la  mère 
demeurèrent  dépourvus  d'expansion, 
vernis  seulement  d'une  politesse  exces- 
sive qui  n'était  pas  sans  ironie. 

Les  entrevues  restaient  pénibles.  La 
vieille  dame,  d'une  froideur  implacable, 
digne  dans  l'allure,  sentait  bouillonner 
en  elle  une  amertume  de  mère  dépos- 
sédée; derrière  cet  enfant  à  qui  ne  suf- 
fisait plus  sa  tendresse,  constamment, 
elle  entrevoyait  Vautre,  celle  que  redou- 
tent les  familles,  l'éternelle  luxurieuse 
qui  détache  les  fils  du  giron  maternel. 
11  lui  semblait  qu'il  apportait  dans  ses 
habits,  et  jusque  sur  sa  peau  fraîche, 
des  odeui's  qui  venaient  d'elle.  Dans 
l'ombre  de  sa  tête.  M'"''  Heurtaut  ana- 
lysait chacune  des  phrases  qu'il  pro- 
nonçait, comme  pour  faire  un  tri,  et 
découvrir  ce  qu'on  lui  avait  soufflé. 
Mais  elle  dédaignait  de  poser  des  ques- 
tions à  Léon  et  de  dire  sa  colère  contre 
«  cette  créature  ».  En  parler,  c'eût  été 
avouer  sa  peur,  reconuciître  du  pouvoir 
à  l'ennemie  méprisée.  Pourtant,  mal  à 
l'aise,  vaguement  irrité  et  incapable  de 
trouver  quoi  lui  dire  après  les  politesses 
courantes  commençant  chaque  visite, 
Léon  craignait  toujours  qu'une  parole 
malveillante  de  sa  mère  se  glissât  dans 
un  silence.  Aussi  se  lançait-il  en  des 
conversations  puériles  et  interminables, 
dont  il  bouchait  les  trous  avec  une  volu- 
bilité inquiète. 

La  bonhomie  tranquille  de  M.  Heur- 
taut, qui  alïectait  de  ne  pas  saisir  le  gel 
de  l'atmosphère  autour  de  lui,  aidait  la 
situation  à  se  maintenir.  Il  y  eut  une 
détente,  un  soulagement  seci-et  chez 
chacun  d'eux,  quand,  sortant  de  Saint- 
Cyr  avec  son  galon  de  sous-lieutenant, 
Léon  vint  annoncer  qu'on  l'envoyait 
rejoindre  un  régiment  d'infanterie,  qui 
tenait  garnison  dans  une  ville  du  Midi. 

Le  soir  qu'il  partit.  Génie  entendit 
M""*  Heurtaut  demander  à  monsieur 
avec  un  soupir  funèbre  : 


(ÎKNIK 


333 


—  Ainsi,  malj^ré  nos  remontrances, 
il  emmène  «  cette  créature!  » 

Soulevant  ses  épaules  en  un  geste 
d'impuissance,  le  vieillard  mima  :  «  Que 
veux-tu?  Nous  n'y  pouvons  rien.  » 

Génie,  le  cœur  saig^nant,  pensait  au 
bonheur  de  cette  femme  qui  le  suivait, 
qui  partagerait  son  existence,  vivrait 
dans  son  ombre  et  sous  la  lumière  de 
ses  yeux  !  Comme  elle  avait  raison  ! 
Pouvait-on  l'abandonner,  lui  ! 

Mais  dès  lors,  quelque  chose  de  noir 
s'appesantit  sur  elle.  Quand  elle  ne  vit 
plus  le  joli  visage  mélancolique  et  froid 
de  Léon,  le  jet  de  soleil  qui  l'éclairait 
parut  s'être  retiré  de  sa  vie,  et  il  se  fit 
de  tels  changements  dans  son  humeur 
que  M™''  Heurtant  s'en  aperçut  et  se 
demanda  si  elle  ne  nourrissait  pas 
quelque  regret  d'avoir  dit  «  non  »  si 
vite  au  garçon  laitier.  Les  plaques  roses 
de  ses  joues  avaient  disparu  et  elle 
maigrissait  visiblement.  Elle  gardait 
son  humilité  douce  pour  parler  à  ses 
maîtres  ou  recevoir  leurs  observations, 
mais  elle  avait  constamment  l'air  hébété 
des  gens  dont  le  cerveau  est  vide  ou 
bien  égaré  par  l'amas  de  choses  qui  y 
tournoient.  «  Madame  »  s'impatientait 
même  les  fois  où  ses  nerfs  lui  faisaient 
mal,  et  gémissait  en  frappant  du  pied  : 
«  Mon  Dieu,  ma  pauvre  fille,  que  vous 
êtes  fatigante  !  » 

Génie  paraissait  insensible,  mais  elle 
approuvait  docilement,  la  pensée  ab- 
sente, à  tout  ce  qu'on  lui  disait. 

Dans  ses  jours  d'expansion,  quand 
elle  l'appelait  pour  coudre  auprès  de 
son  fauteuil,  «  madame  »,  toujours  triste 
et  rongée  par  la  rancune,  lui  parlait  de 
Léon,  soupirait  de  petites  phrases  : 

— •  Je  n'ai  qu'un  enfant...  il  ne  m'aime 
pas  !  Ah  !  vous  êtes  bien  heureuse... 
Vous  ne  connaissez  pas  ces  douleurs... 

La  bonne  baissait  les  yeux  sur  son 
ouvrage  sans  répondre,  mais  ses  mains 
se  mettaient  à  trembler. 


En   trois  années,  Léon   ne  parut  que 
deux   fois  rue   Le   Reerrattier.    Lors   du 


second  séjour  qu'il  y  lit,  il  venait  d'être 
nommé  lieutenant;  sa  manche  portait 
en  galon  neuf  de  hautes  arabesques  d'or 
qui  luisaient. 

A  le  revoir  enfin.  Génie  palpita  d'une 
émotion  céleste. 

Pendant  les  premiers  jours,  elle  vécut 
dans  une  atmosphère  chimérique,  flotta 
dans  le  bonheur  vertigineux.  Elle  se 
retenait  de  dormir  la  nuit  pour  penser 
à  lui  plus  longtemps,  incrustant  en  sa 
mémoire,  de  manière  indélébile,  la  face 
un  peu  pâlie,  mais  toujours  fière  et 
charmante  du  jeune  homme.  Dans  l'exal- 
tation de  sa  joie,  des  rêves  extravagants 
modifiaient  son  calme  cerveau.  11  lui 
semblait  parfois  qu'iY  était  revenu  pour 
toujours,  qu'i7  ne  parlerait  jamais  de 
départ,  et  qu'une  façon  d'exister  toute 
nouvelle  allait  dérouler  des  heures  de 
calmes  espoirs  au  profond  de  son  être. 

Elle  avait  si  souvent  répandu  l'amer- 
tume de  ses  larmes  aux  pieds  de  la  petite 
statue  veillant  en  sa  mansarde,  tant 
imploré  Celui  qui  dispense  de  ses  mains 
glorieuses  le  chagrin  ou  le  plaisir  aux 
pauvres  créatures,  qu'une  miséricorde 
enfin  descendait  vers  sa  dure  vie. 

Le  bonheur  lui  venait  tout  à  coup,  et 
sous  une  forme  qu'elle  n'avait  point 
imaginée  avant  cet  instant.  Léon  avait 
repris  possession  d'une  chambre  au  fond 
de  l'appartement,  qui  de  tout  temps  lui 
était  réservée.  Déjà  il  vivait  là  pendant 
ses  vacances  de  collégien  et  ses  congés 
de  Saint-Cyr;  Génie  se  persuadait  de 
l'y  voir  toujours  désormais,  et  que 
chaque  matin  lui  apporterait  l'aubaine 
du  sourire  un  peu  las,  teinté  aussi  de 
lointaine  mélancolie,  dont  il  répondait 
à  son  timide  salut.  Vers  neuf  heures, 
elle  lui  portait  son  déjeuner  :  deux 
croissants  tièdes,  dorés  et  croquants, 
choisis  avec  tendresse,  du  beurre  frais 
et  la  tasse  de  café  flanquée  du  petit  pot 
à  crème,  sur  un  plateau  de  laque.  Ces 
fragiles  et  menus  objets  lui  devenaient 
chers,  vaguement  sacrés,  d'être  ainsi 
employés  au  service  de  Léon  ;  elle  les 
touchait  avec  des  mains  allégées,  cares- 
santes, un  peu  fiévreuses,  et  les  gardait 


334 


GENIE 


loute  la  journée  dans  sa  cuisine,  sur 
une  étagère  vers  laquelle  son  regard 
montait  souvent.  La  vue  de  la  tasse  de 
porcelaine  blanche,  à  fil  doré,  où  il 
posait  ses  lèvres  pour  boire,  la  péné- 
trait d'une  émotion  réelle  et  très  douce, 
lui  rappelant  des  gestes,  la  façon  dont 
il  laissait  tomber  les  deux  morceaux  de 
sucre  dans  le  café,  le  mouvement  de  son 
bras  en  versant  le  lait,  avec,  chaque 
fois,  réclair  vacillant  d'un  petit  diamant 
à  son  annulaire. 

Car  elle  s'attai^dait  autour  de  lui  sans 
qu'il  y  fît  guère  attention,  tant  elle  pre- 
nait garde  à  glisser  doucement  sur  le 
parquet,  souple  et  lente  à  la  besogne 
qui  servait  de  prétexte  à  sa  présence. 
Et  tandis  qu'elle  ouvrait  la  fenêtre  à 
l'air  frais  du  matin,  ou  mettait  un  peu 
d'ordre  dans  la  pièce,  ses  yeux  aimantés 
l'épiaient  furtivement,  l'admiraient  en 
toutes  ses  attitudes. 

Comme  elle  le  trouvait  beau  avec  sa 
figure  mignonne,  et  ses  airs  de  douceur 
que  n'avaient  pas  les  autres  hommes  ! 
Ce  joli  visage  ressuscitait  dans  sa  mé- 
moire l'image  lointaine  d'un  prince, 
rayonnant  comme  le  jour  et  vêtu  d'ha- 
bits dorés,  dont  elle  avait  entendu  par- 
ler à  la  ferme,  aux  veillées  d'hiver,  contre 
l'âtre  rougeoyant,  par  les  paysannes 
d  âge  qui  savaient  de  si  belles  histoires. 

Seulement,  elle  s'étonnait  toujours, 
un  peu  révoltée  aussi  devant  ce  mystère 
de  la  perpétuelle  tristesse  qui  figeait  le 
regard  de  Léon  et  fronçait  sa  bouche 
dans  une  moue  fréquente.  «  A  quoi 
pensait-il  donc  dans  ces  moments-là? 
Est-ce  qu'on  lui  faisait  de  la  peine? 
Peut-être  bien  qu'il  n'était  pas  heu- 
reux? »  Pas  heureux  !  Mais  Génie  priait 
si  fort  tous  les  soirs  la  petite  Vierge  de 
plâtre  de  le  bénir  et  de  lui  envoyer 
toutes  les  joies  de  la  terre  !  Elle  ne 
pouvait  croire  que  quelqu'un  lui  voulût 
du  mal;  et,  son  amoureux  enthousiasme 
l'imaginant  supérieur  à  la  portion  de 
l'humanité  qu'elle  connaissait,  il  lui  sem- 
blait naturel  que  cette  souveraineté  dût  le 
protéger,  comme  une  cuirasse  invulné- 
rable  aux  maux  ordinaires  ou  aux  dé- 


boires qui  aftligent  le   reste  du  monde. 

Elle  finit  par  penser  qu'il  avait  des 
tourments  de  son  métier,  ou  bien  que 
(i  madame  »  lui  faisait  trop  de  chagrin 
en  lui  laissant  entendre  qu'elle  souhai- 
tait le  voir  marié. 

Car  la  lutte  continuait  sourdement 
entre  la  mère  et  le  fils,  au  sujet  du  mé- 
nage irrégulier  de  celui-ci.  Chaque  soir, 
quand  Léon  n'était  pas  là,  M'"*^  Heur- 
tant retenait  son  mari  dans  la  salle  à 
manger  pour  lui  montrer,  avec  plus  de 
véhémence  chaque  fois,  la  plaie  de  son 
cœur  épuisé  et  l'exhorter  à  agir.  Sous 
la  clarté  de  la  suspension,  parmi  les 
relents  de  la  table  que  Génie  n'osait 
aller  desservir,  la  vieille  dame  s'agitait 
avec  des  gémissements,  des  soupirs  de 
désespoir  destinés  à  pénétrer,  un  par 
un,  la  lourde  placidité  de  M.  Heurtant. 
Et  quand  elle  avait  réussi  à  effarer  le 
vieillard  dont  l'égoïsme  tranquille  tenait 
aussi  peu  à  prendre  au  sérieux  les  re- 
proches de  sa  femme  que  les  fredaines 
de  son  fils,  elle  résumait  sa  peine  en 
quelques  hoquets  douloureux  qui  al- 
laient, à  travers  la  porte,  troubler  la  ser- 
vante dans  sa  cuisine.  Les  sanglots  de 
sa  maîtresse  la  révolutionnaient,  sa  na- 
ture aimante  étant  portée  à  la  compas- 
sion, et  elle  ne  pouvait  alors  s'empêcher 
de  se  mettre  à  pleurer  aussi,  avec  abon- 
dance, tout  en  commençant  sa  vaisselle; 
elle  laissait  couler  ses  yeux  comme  un 
ruisseau,  tout  son  cerveau  fondant  en 
eau,  jusqu'à  ne  plus  savoir  ce  qui  lui 
faisait  verser  le  plus  de  larmes,  du  gros 
chagrin  de  «  madame  »  ou  de  son  obsti- 
nation à  tourmenter  Léon. 

Un  matin,  elle  allait  sortir  de  la 
chambre  après  avoir  posé  le  plateau  de 
laque  du  déjeuner  devant  le  jeune 
homme,  qui,  en  veston  d'intérieur  de 
flanelle  blanche,  roulait  distraitement 
une  cigarette,  auprès  d'un  guéridon  où 
traînaient  des  lettres  ouvertes,  quand 
une  phrase  l'arrêta  : 

—  Vous  préparerez  ma  malle,  Génie... 
si  vous  avez  un  moment  dans  l'après- 
midi.  Je  pars  demain. 

Elle  ne  tressaillit  pas,  n'articula  pas 


(;i;xiK 


;535 


une  parole,  mais,  hél)éléc,  elle   regarda 

Léon  comme  un  condamné  à  mort  peul 

regarder  le  bourreau  qui  va   lui  ôler  la 

vie... Elle  ne  bou- 

«•eait    point,     ne 

songeait    plus    à 

s'en  aller,  décbi- 

rée  par  une  con- 

V  11  1  s  i  o  n      i  n  t  é  - 

rieure,  larrache- 

menl  brusque  du 

b  o  n  h  e  u  r       q  u  i 

sommeillait        si 

doucement   a  u 

fond  d'elle. 

Mais  le  jeune 
homme  a  y  a  n  t 
evé  la  tète,  éton- 
né de  son  silence, 
Génie  se  retrouva 
soudain,  par  la 
force  de  l'habi- 
tude, la  domes- 
tique docile  que 
les  yeux  du  maître 
font  agir,  l'être 
servile  aux  gestes 
mécaniques  dont 
on  ne  soupçonne 
pas  le  sentiment. 
Ses  mains  actives 
saisissant  aus- 
sitôt des  habits 
jetés  sur  un  fau- 
teuil, les  agitè- 
rent pour  en 
effacer  les  frois- 
sements, les  éten- 
dirent avec  soin  ; 
puis  d'autres  menues 
besognes  l'occupèrent, 
usant  un  peu  de  sa 
iièvre  douloureuse,  tandis  que 
Léon  l'examinait  machinale- 
ment, tout  en  rêvassant  dun  ■ 
air  ennuyé.  Et  parce  qu'il  était  triste, 
et  qu'il  voyait  tourner  autour  de 
lui,  sans  bruit,  cette  douce  et  impéné- 
trable figure  de  servante,  il  s'imagina 
tout  à  coup  la  monotonie  lamentable 
de  cette  humble  existence  et  il  v  com- 


patit dans  une  pitié  solidaire.  Il  pensa  : 

«  En  voilà  une!...  Qu'a-t-elle  de  bon 

sur  la  terre?  Elle  est  jeune,  après  tout, 


cette  fille;  elle  aurait  bien  le  droit  de 
connaître  un  peu  le  bonheur,  comme 
celles  de  son  âge...  Elle  en  voit  tant  qui 
sont  jolies,  parées,  aimées...  Elle  n'a 
rien...    rien.    "S'oilà  des    années  qu'elle 


336 


(1  E  N  I  E 


obéit,  courbée  sous  les  ordres  capricieux 
d'une  maîti-esse  qui  a  des  crises  de  nerfs. 
Ça  n'esl  pas  drôle,  fichtre!  A  quoi  peut- 
elle  bien  penser,  toute  la  journée,  sans 
rien  dire,  à  répéter  les  g-estes  de  la 
veille  qu'elle  recommencera  le  lende- 
main? Nom  d'un  chien...  ce  qu'elle  doit 
s"embêter!  » 

Il  dit  tout  haut,  avec  un  apitoiement 
réel  et  par  curiosité  aussi  de  la  réponse  : 

—  Dites  donc,  Génie?...  Vous  devez 
joliment  vous  ennuyer  ici?  Ça  n'est  pas 
folâtre  de  vivre  à  la  maison. 

Elle  tressaillit,  tellement  éperdue  et 
surprise  qu'il  l'interpellât  ainsi  sur  ce 
ton  de  bonté,  qu'elle  répondit  dans  l'im- 
pression du  moment,  ses  yeux  attendris 
d'une  soudaine  lueur  et  la  voix  balbu- 
tiante :     ^ 

—  Oh!  non,  monsieur  Léon...  je  ne 
m'ennuie  jamais...  jamais. 

L'émotion  la  suffoqua,  la  retint  d'en 
dire  davantage  et  elle  comprit  plus  tard, 
quand  la  réflexion  lui  revint,  que  ce  fut 
bien  heureux,  car,  emportée  par  l'élan 
qui  la  soulevait  d'inconscience  ,  elle 
aurait  avoué  simplement  :  «  Je  pense 
à  vous  toujours...  J'ai  un  bonheur  que 
personne  ne  sait...  Je  suis  heureuse 
jusque  dans  les  larmes  que  je  répands 
à  cause  de  vous.  » 

Mais  un  incident  l'avait  sauvée  de 
Ihorreur  d'un  aveu  si  formidable,  et 
elle  retrouva  sa  froide  raison  de  fille 
sage  pour  expliquer  : 

L'ennui,    voyez-vous,    monsieur 

Léon,  ce  n'est  pas  bon  pour  moi...  c'est 
affaire  aux  riches  qui  ont  le  temps... 
une  maladie  un  peu  comme  les  nerfs  de 
«  madame  »,  quoi  !... 

Elle  dit  cela  sans  malice,  d'une  voix 
si  sérieuse  que  le  jeune  homme  sourit. 
11  pensa  :  «  Décidément,  elle  est  sans 
rancune  contre  les  événements  !  » 

Suivant  l'impulsion  de  pitié  qui  l'avait 
poussé  à  l'interroger,  il  atteignit  dans 
sa  poche  un  porte -monnaie  où  il  prit 
une  pièce  d'or  qu'il  lui  tendit  : 

Tenez,  vous  achèterez  un  colifichet. 

Au  contact  du  louis  dans  sa  main 
refermée.    Génie    devint    toute    rouge. 


dune  joie  si  évidente  que  Léon  s'étonna  : 
«  Bah!  elle  aime  l'argent?  »  Un  peu  de 
dédain  lui  fit  hausserlégèrement  l'épaule, 
mais  son  opinion  s'adoucit  en  songeant 
à  la  nature  fruste  de  cette  malheureuse, 
héritière  aussi  sans  doute  des  instincts 
avides  d'une  génération  campagnarde  : 
«  Après  tout,  elle  n'a  que  ça.  »  Puis, 
bientôt,  cessant  de  la  voir,  il  pensa  à 
autre  chose. 

Mais  Génie  devait  garder  un  souve- 
nir ineffaçable  du  court  instant  où,  pour 
la  première  et  la  dernière  fois,  il  lui 
témoigna  une  fugitive  sympathie.  La 
pièce  d'or  qu'il  lui  avait  donnée  devint 
pour  elle  une  relique  sainte. 


Quelques  mois  plus  tard,  un  soir,  un 
grand  coup  de  sonnette  éclatant  dans  le 
vestibule  fit  sursauter  Génie.  Il  venait 
peu  de  visites,  et  jamais  à  cette  heure. 
A  part  Léon,  dans  les  rares  moments  où 
il  était  à  Paris,  il  n'y  avait  giière  que  le 
petit  pâtissier,  apportant  le  godiveau  du 
dimanche,  pour  oser  sonner  si  fort.  Elle 
courut  ouvrir,  surprise  et  un  peu  mé- 
contente du  tapage,  à  cause  des  nerfs 
de  «  madame  »  et  trouva  un  télégra- 
phiste porteur  d'un  papier  bleu  pour 
M.  Heurtant. 

Le  bonhomme,  ayant  fini  de  dîner, 
fumait  tranquillement  sa  pipe,  accoudé 
à  la  croisée  de  la  salle  à  manger,  tandis 
que  sa  femme  vidait  à  petites  gorgées 
une  tasse  de  thé  pour  la  digestion. 

La  feuille  bleue  aperçue  aux  mains 
de  Génie  fit  pousser  une  exclamation  à 
la  vieille  dame.  Son  tempérament  fra- 
gile redoutait  les  émotions  et  elle  était 
persuadée  que  les  télégrammes  n'appor- 
tent jamais  que  de  mauvaises  nouvelles. 
M.  Heurtant  prit  le  pli  avec  étonnemenl, 
le  scruta  dans  tous  les  sens  avant  de 
l'ouvrir  et  murmura  : 

—  Je  parie  que  c'est  de  Léon. 

Il  lut  et  ses  traits  se  tendirent  dans 
une  épouvante;  sa  femme,  qui  l'obser- 
vait, devina  une  catastrophe  avant  même 
qu'il  eût  parlé.  Pourtant  il  bégaya,  les 
mâchoires   tremblantes,   affolé  de  brus- 


GKNIE 


337 


que  aiij^oissc  ;  '■  Il  veul  me   voir...    1res 
malade...  partir  de  suite...    > 

La  mère  fît  seulement  :  <■  Oh  !...  oh  !... 
oh  I...  ')  en  portant  les  mains  à  sa  poi- 
trine d'un  geste  de  souffrance,  comme 
si  le  souffle  lui  manquait,  et  elle  se  ren- 
versa dans  son  fauteuil,  évanouie.  Le 
vieillard  se  précipita,  la  tète  perdue, 
rappelant  la  bonne  d'une  voix  étranglée. 
Elle  arriva,  effarée  par  ces  cris,  et  porta 
<(  madame  »  dans  sa  chambre,  aidée  par 
H  monsieur  >•>  qui  gémissait,  avec  des 
larmes  plein  les  yeux.  Mais,  compre- 
nant alors  qu'un  malheur  était  arrivé, 
la  pensée  de  Léon  l'atteignit  comme  du 
feu.  La  volonté  desavoir,  de  savoir  tout 
de  suite,  la  jeta  vers  son  maître  dans  un 
élan  de  prière  désespérée  : 

—  Quoi  ?  qu'est-ce  qu'il  a  ? 

Trop  ému  pour  s'étonner,  le  vieil 
homme,  enroué  de  pleurs,  relut  la  dépê- 
che, puis  ajouta  : 

—  Allons,  ma  lille,  faites  ma  valise... 
la  petite  valise,  vite...  mon  Dieu!... 
avec  deux  chemises...  mon  chapeau... 
mon  pardessus...  Et  V Indicateur  des 
chemins  de  fer...  Je  prendrai  le  premier 
train... 

Il  se  jeta  sur  un  siège  en  soupirant, 
porta  un  regard  hébété  vers  sa  pipe  à 
peine  éteinte,  déposée  tout  à  l'heure  sur 
la  cheminée.  Devant  ce  foyer,  oîi  sa 
place  habituelle  restait  marquée  par  une 
chaise  en  permanence,  devant  sa  vieille 
pipe  surtout,  si  savamment  culottée,  il 
eut  la  perception  plus  nette  du  réel,  la 
sensation  fut  plus  aiguë  du  bouleverse- 
ment survenu  dans  son  existence  mono- 
tone et  douce  qui,  toujours,  avait  coulé 
sans  drames  et  sans  chagrins.  Il  s'atten- 
drit en  constatant  Télendue  de  son  mal- 
heur et  maudit  l'injuste  destin  qui  le 
frappait  ainsi,  luil...  lui  I...  Un  bruit  de 
sanglots  le  fit  se  retourner  et  il  vit  Gé- 
nie, la  figure  dans  ses  mains,  accotant 
sa  défaillance  au  chambranle  de  la  porte. 
Il  ne  put  se  retenir  de  songer  avec  une 
vague  satisfaction,  en  dépit  du  moment  : 
Bonne  fille,  elle  comprend  que  ses 
maîtres  ont  de  la  peine... 

Mais     cette    douleur    pesant    sur    la 

VllI.  —  22. 


sienne  limpalienla  vile,  et  son  candidr 
égoïsme  se  lamenta  : 

—  Voyons,  (lénie...  va  méfait  du  mal 
de  vous  entendre...  vous  ravivez...  vous 
augmentez... 

La  parole  de  son  maître  passa  sur  elle 
ainsi  qu'un  fluide  galvanique.  Une  éner- 
gie désespérée  la  redressa  :  elle  essuya 
sa  ligure  ruisselante  et  courut  faire  la 
valise  du  vieil  homme  pour  qu'il  partît 
bien  vite  puisque  Léon  souffrait,  atten- 
dait... Puis  elle  poussa  vers  la  porte  le 
vieillard  qui,  sans  paroles,  et  voûté  sous 
sa  lourde  émotion,  s'en  allait,  éperdu, 
comme  en  un  cauchemar. 

Pendant  trois  jours,  on  fut  sans  nou- 
velles. M™''  Heurtaut,  brisée  par  l'in- 
quiétude, gardait  le  lit  avec  une  grosse 
fièvre  et,  muette,  sombre,  semblait  rou- 
ler en  sa  tête  alourdie  des  visions  tristes. 
Génie  passait  les  jours  et  les  nuits  dans 
les  pièces  désertes  de  l'appartement;  au 
milieu  du  vaste  silence,  son  idée  fixe, 
son  angoisse  farouche,  prenaient  des 
proportions  infinies.  Elle  marchait,  allant 
et  venant  d'un  pas  saccadé,  du  soir  jus- 
qu'au matin  et  du  matin  à  la  nuit;  et  si 
par  hasard  elle  sortait  pour  une  course, 
elle  se  mettait  à  courir  dans  la  rue,  afin 
qu'on  ne  lui  parlât  pas.  Mais,  un  soir 
que  sa  maîtresse  s'était  endormie,  elle 
voulut  se  rendre  furtivement  à  l'église 
dont  on  entendait  les  cloches  chanter 
gravement  au-dessus  des  toits. 

Il  lui  semblait  que,  là,  elle  parlerait 
de  plus  près  à  ce  Dieu  de  sa  foi  qui 
écoutait  les  prières  des  malheureux.  Elle 
lui  dirait  sa  peine  ;  il  faudrait  bien  qu  il 
l'entendît,  qu'il  vît  ses  larmes  ! 

L'église  était  presque  déserte  à  cette 
heure  tardive;  le  feu  des  lampes  sespa- 
çant  sur  des  piliers  laissait  deviner  des 
ombres  affaissées  dans  la  supplication, 
l'extase,  la  plainte  ou  le  remords.  Quel- 
ques flammes  de  cierges,  sur  l'autel, 
entouraient  d'une  couronne  de  petites 
étoiles  la  face  du  Sauveur. 

Génie  s'agenouilla,  toute  tremblante, 
sur  une  marche  de  pierre  et,  joignant 
les  mains,  laissa  parler  son  âme  comme 
à  la  confession  : 


338 


GENIE 


('  ...  Vous  ne  voulez  pas  le  faire  mou- 
rir, n'est-ce  pas  ?...  Vous  savez  bien  que 
je  n'ai  que  lui...  Je  l'aime  tant,  voyez- 
vous  I...  depuis  si  longtemps,  il  est  tout 
mon  bonheur  sur  la  terre...  je  n'avais 
rien  avant...  j'étais  toujours  seule...  je 
ne  vous  comprenais  pas  non  plus  comme 
à  présent...  Du  jour  où  il  est  venu,  c'a 
été  pareil  à  une  grande  lumière  qui 
serait  entrée  dans  mon  cœur  tout  d'un 
coup...  je  vous  ai  mieux  prié...  j'ai 
compris  que  vous  étiez  bon...  Mon  Dieu, 
si  vous  me  le  preniez,  je  ne  pourrais 
plus  vivre...  la  grande  lumière  s'en 
irait...  je  ne  vous  verrais  plus...  Dites 
donc  à  un  ang^e  d'aller  le  g'uérir...  Faites- 
moi  mourir  à  sa  place,  si  vous  voulez... 
qu'il  vive  seulement,  qu'il  vive  !..  Il 
n'a  que  vingt-cinq  ans,  song'ez  donc  !... 
et  il  est  trop  beau,  trop  mignon,  pour 
s'en  aller  dans  la  terre...  « 

Cessant  de  parler,  elle  se  tint  devant 
Dieu ,  immobile  dans  le  geste  fervent 
qui  tendait  vers  lui  ses  tristes  mains  de 
bonne,  des  mains  épaisses,  aux  ongles 
usés  par  les  besognes  quotidiennes 
accomplies  depuis  tant  d'années  ;  le  voû- 
tement  lassé  de  ses  épaules  disait  le  far- 
deau trop  lourd  qui  les  avait  courbées; 
sa  figure  était  amaigrie  et  jaunie  par  la 
fièvre  du  désespoir  et  ses  yeux,  mainte- 
nant que  l'exaltation  de  la  prière  n'y 
allumait  plus  de  reflets,  devenaient  deux 
trous  mornes  ouverts  sur  un  horizon 
noir...  C'étaient  vingt-six  ans  de  misère, 
une  adolescence  orpheline,  sa  jeunesse 
aride  et  toute  une  longue  vie  de  servi- 
tude, à  venir  encore  sans  doute,  qui 
se  présentaient  devant  l'autel,  attendant 
de  la  justice  divine  un  peu  de  com- 
passion. 

Puis  elle  s'enfuit  de  l'église... 

En  pénétrant  chez  sa  maîtresse,  elle 
n'eut  presque  pas  d'étonnement  de 
trouver  les  portes  ouvertes,  une  agita- 
tion insolite,  le  concierge  et  sa  femme 
penchant  des  figures  bouleversées  sur  le 
lit  où  M"'"  rieurtaut  se  débattait  dans 
une  crise.  Un  papier  bleu,  tombé  à  terre, 
aimanta  son  regai^d...  Elle  comprit...  Un 
frisson  terrible  la  parcourut  et  elle  s'abat- 


tit  sur  les  genoux,  rudement,  avec  un 
grand  cri. 


Quand  Génie  rouvrit  les  yeux,  un  peu 
après,  elle  s'étonna,  ayant  pensé  mourir 
sous  ce  choc  qui  lui  écrasait  le  cœur. 
A  part  cette  stupeur,  il  n'y  avait  que  du 
vertige  dans  sa  tête  endolorie. 

Elle  regarda  avec  douceur  «  madame  », 
qu'une  fatigue  nerveuse  venait  d'endor- 
mir lourdement.  Sur  une  chaise,  auprès 
du  lit,  se  tenait  la  concierge,  grosse 
femme  apitoyée,  émue  autant  que  si  elle 
avait  perdu  son  propre  fils,  et  qui  lui 
conseilla,  parmi  des  soupirs  bruyants 
soulevant  à  chaque  mot  sa  vaste  poi- 
trine : 

—  Allons,  mam'zelle  Génie,  faut  vous 
reposer...  v'ià  trois  nuits  que  vous  êtes 
debout...  J' veillerai  bien  madame  à  mon 
tour...  N'vous  inquiétez  de  rien... 

Docile  et  sans  forces.  Génie  quitta 
l'appartement.  Mais  quand  elle  ouvrit 
la  porte  de  sa  mansarde,  cette  petite 
chambre  solitaire  et  nue,  son  lit  aux 
draps  froids,  lui  firent  soudain  peur 
comme  si  elle  apercevait  un  linceul  et 
un  tombeau.  Redescendant  l'escalier, 
elle  s'échappa  dans  la  rue,  sans  savoir 
où  elle  irait,  poussée  par  un  instinct 
pareil  à  celui  des  bêtes  blessées  qui  cou- 
rent, affolées,  jusqu'au  coin  obscur  où 
elles   se  laisseront  tomber  pour  mourir. 

L'île  dormait,  déserte.  Le  long  des 
quais,  de  vieux  hôtels  tassaient  dans 
l'ombre  leurs  pignons  rébarbatifs,  de 
larges  portes  cadenassées ,  de  hautes 
fenêtres  à  croisillons ,  et  les  balcons 
ventrus  se  penchaient,  semblables  à  de 
grands  nids  de  fer,  prêts  à  choir  sur 
le  pavé. 

Génie  longea  le  parapet  du  fleuve. 
Un  peu  de  brise  murmurait  dans  les 
peupliers  de  la  berge,  un  clapotis  léger 
fouettait  les  arches;  de  loin  en  loin,  le 
reflet  d'un  bec  de  gaz  jetait  un  brasille- 
ment  coloré  sur  l'eau  sombre  et  mou- 
vante. 

La  douceur  de  la  nuit,  cette  sérénité 
répandue  autour  d'elle,  l'enveloppèrent 


GÉNIE 


330 


crunc  caresse  amollissante,  et  la  pensée 
(le  Léon  la  ressaisit  comme  une  proie. 

KWe  s'assit  sur  le  bord  du  trottoir,  les 
jambes  brisées,  pour  rétléchir.  Il  était 
mort.  Mort!...  Pour  la  première  fois, 
elle  se  fit  une  idée  nette  et  profonde  de 
celle  chose  alîreuse.  Elle  se  souvenait 
(l'avoir,  dans  son  enfance,  vu  périr  des 
bêtes  au  fond  des  établcs,  mais  elle  n'avait 
point  approché  de  cadavre  humain.  Elle 
se  représenta  un  corps  étendu,  des  jeux 
qui  ne  voyaient  pas,  une  bouche  qui  ne 
parlerait  plus  jamais...  Plus  jamais! 
Pourquoi?...  Et  subitement  le  souvenir 
la  poigna,  du  collégien  de  jadis  avec  ses 
cheveux  blonds,  sa  figure  pâle  et  ses 
grands  rires;  du  saint-cyrien  coquet, 
avec  des  gants  blancs  sur  ses  mains 
fines,  et  un  pli  boudeur  à  la  bouche. 

Elle  regardait  dans  le  passé  comme  en 
un  livre;  des  images  plus  vives  s'y  dé- 
tachaient parmi  des  éclairs.  Sa  jeunesse 
redevint  une  ombre  qui  courut  devant 
elle,  en  coilTe  bretonne,  au  côté  de  la 
tante  Marie;  c'était  par  un  soir  d'été, 
plein  d'hirondelles...  des  gens  inconnus 
la  reg'ardaient  passer. . .  Puis  elle  grandit, 
dépouilla  un  peu  de  sa  rude  écorce, 
apprit  les  délicatesses  à  servir  «  ma- 
dame »,  oublia  son  pays...  Pourtant, 
elle  avait  le  cœur  gros  chaque  fois  qu'un 
des  bateaux  amarrés  contre  l'île,  portait 
un  nom  de  là-bas...  elle  les  venait  con- 
templer dans  ses  promenades  du  di- 
manche, à  la  sortie  des  vêpres,  pensant 
avec  un  petit  soupir  :  «  Tout  de  même... 
voilà  un  Marie-Yvonne...  ou  un  Goé- 
land qui  va  remonter  du  côté  de  chez 
nous...  »  Et  elle  faisait  le  voyage  en 
imagination.  Depuis  dix  ans,  toute  sa 
vie  tenait  dans  ce  coin  d'île  où  elle 
retrouvait  des  souvenirs  le  long  de  toutes 
les  pierres...  Elle  se  rappela  que  l'in- 
scription gravée  sur  le  pilier  du  pont 
Marie  était  une  des  premières  qu'elle 
eût  déchiffrées  toute  seule,  et  combien 
il  lui  avait  d'abord  paru  dur  d'apprendre 
à  épeler...  Sachant  lire,  elle  ne  crut  plus 
aux  contes  de  fées  ;  et  pour  avoir  vu  de 
vrais  princes  qui  habitaient  l'antique 
hôtel,  à  la  pointe  de   l'île,  se  promener 


sans  habits  dorés  ni  carrosse  de  verre, 
elle  pensa  que  les  vieilles  femmes  de 
son  pays,  qui  contaient  des  histoires  à  la 
veillée,  se  moquaient  des  gens  ou  étaient 
bien  sottes... 

Cette  petite  campagnarde  un  peu  dé- 
niaisée, dont  le  fantôme  dansait  auprès 
d'elle,  affligea  Génie.  Son  souvenir,  en 
se  détournant,  remonta  vers  le  mort  ; 
son  nom  lui  vint  aux  lèvres,  à  plusieurs 
reprises,  et  elle  chercha  à  se  représenter 
les  lignes  de  son  visage  qu'elle  n'aper- 
cevait plus  nettement.  Elle  marcha 
contre  le  parapet,  les  yeux  tournés  vers 
l'eau,  en  continuant  son  appel  dévo- 
tieux  :  «  Léon...  Léon...  »  avec  un  peu 
de  difficulté,  comme  si  elle  avait  sou- 
levé un  poids  lourd  sur  sa  langue.  La 
brise  plus  vive  creusait  la  surface  du 
fleuve  en  petites  vagues  ourlées  de 
clarté;  cela  faisait  partout  des  flaques 
blanches  où  quelque  chose  se  mouvait... 
Génie  finit  par  apercevoir  une  face  pâle 
qui  flottait  doucement,  et  dont  les  pru- 
nelles au  regard  lointain  étaient  pleines 
de  reproches...  Tout  de  suite  une  autre 
figure  s'agita  près  de  la  première; 
d'autres  parurent  encore...  il  en  vint 
cent,  mille,  qui  poussaient  sur  les  vagues 
comme  de  grandes  fleurs  de  lis,  et  dont 
les  traits  étaient  ceux  de  Léon,  avec  un 
regard  voilé  et  des  lèvres  tremblantes 
au  cri  désolé  :  «  \'iens...  pourquoi 
m'abandonnes-tu?...  Viens!...  » 

Alors,  d'un  élan  fou,  elle  se  mit  à 
courir  vers  l'escalier  de  la  berge,  pour 
s'aller  jeter  dans  le  fleuve...  Mais  des 
voix  glapirent  dans  son  dos,  un  bruit  de 
course  sonna  sur  le  quai,  des  mains 
rudes  la  harponnèrent... 

Elle  se  trouva  enire  deux  sergents  de 
ville  effarés.  L'un  d'eux,  qui  habitait 
dans  l'île,  la  reconnut  et   se  mit  à  rire  : 

—  Excusez...  vous  m'avez  fait  une 
fière  peur...  J'ai  cru  que  c'était  une 
payse  qui  voulait  se  fiche  dans  le  bouil- 
lon. 

A  ces  paroles,  Ihallucination  de  la 
malheureuse  s'éteignit  brusquement, 
ainsi  qu'une  flamme  sous  un  coup  de 
vent.  Le  fleuve  redevint  uni,  silencieux 


3-40 


GÉNIE 


el  noir.  La  raison  rentra  en  sa  tête... 
Devant  la  gaieté  de  ces  hommes  qui 
clignaient  les  yeux  luisants,  elle  se 
sentit  confuse.  Rusée,  voulant  défendre 
son  triste  secret,  elle  expliqua  comment, 


regagnant  la  maison  à  cette  heure  tar- 
dive, elle  avait  eu  peur  et  s'était  mise  à 
courir.  Ils  continuèrent  de  rire  en  la^ 
plaisantant. 


G 1-:  N I  !•; 


S'il 


—  Connu!.,  on  s'est  attardé  avec 
son  bon  ami...  un  rude  veinard  !...  ben 
<|Uoi...  y  a  pas  d'honte  à  avoir...  une 
belle  iille  comme  vous... 

Ils  s'obstinèrent  à  la  reconduire  jus- 
qu'à sa  porte  et  lui  souhaitèrent  encore 
le  bonsoir,  tandis  qu'elle  se  précipitait 
dans  la  maison. 


M.  Ileurtaut  ayant  annoncé  son  re- 
tour, c<  madame  »  et  Génie  l'attendaient. 

La  maîtresse,  installée  dans  le  grand 
fauteuil  garni  d'oreillers,  contre  la  vitre 
tiédie  par  le  soleil,  tendait  l'oreille  aux 
rares  bruits  de  la  rue,  tandis  que  la 
bonne,  précautionneuse,  préparait  déjà 
le  couvert  de  son  maître  sur  une  petite 
table.  Ni  l'une  ni  l'autre  ne  parlait, 
suffoquées  de  souvenirs,  fiévreusement 
impatientes  d'écouter  les  tristes  récits 
du  vieillard,  de  boire  à  longs  traits  le 
poison  qu'il  allait  leur  verser. 

—  J'entends  un  fiacre...  C'est  mon- 
sieur... avertit  la  voi.K  de  «  madame  »  aux 
aguets. 

Génie  s'empressa  ;  on  entendait  dans 
l'escalier  le  pas  un  peu  traînant  du  vieil 
homme.  Il  entra,  essoufflé,  en  nage,  les 
bras  alourdis  d'un  gros  paquet  d'étoffes 
noires  qu'il  tendit  à  la  bonne.  Un  léger 
sourire  de  mystère,  d'embarras  et  de 
joie,  luisait  sur  la  fatigue  de  son  visage. 
Il  courut  embrasser  sa  femme,  cordiale- 
ment, sur  les  deux  joues,  puis  se  retourna 
vers  Génie  qui  suivait... 

Elle  regardait  avec  des  yeux  éperdus 
le  fardeau  doux  et  tiède  tenu  contre  sa 
poitrine,  un  petit  enfant  blond,  aux 
traits  délicats,  à  la  bouche  si  mignonne, 
malgré  son  pli  boudeur,  et  qu'elle  croyait 
reconnaître.. . 

M.  Heurtant  murmura,  attendri  et 
plein  d'espoir,  presque  sans  regrets 
maintenant,  gagné  au  seul  plaisir  des 
habitudes  et  du  logis  reconquis  : 

—  C'est  l'enfant  de   notre  Léon...   il 


est    à    nous...   il    va    nous    rajeunir,  ce 
bonhomme-là... 

Violemment  émue.  M""'  Ileurtaut 
garda  le  silence  une  minute,  puis  cria, 
haletante,  toujours  armée  de  rancune  : 
"  Et  la  mère  ?   » 

—  Elle  est  morte,  il  y  a  six  mois  » 
répondit-il. 

Une  paix  brusque  rasséréna  la  vieille 
dame  et  elle  tendit  les  mains  vers  son 
petit-fds.  On  le  lui  mit  sur  les  genoux. 
Elle  contempla  avidement  ce  jeune  être 
qui  riait  avec  innocence.  Puis  d'une 
voix  sourde,  venue  des  profondeurs 
bouleversées  de  sa  chair,  elle  dit  tout  à 
coup  : 

—  Oh!  oh!...  comme  il  lui  res- 
semble !... 

Elle  se  détourna,  et,  voyant  qu'elle 
allait  pleurer,  son  mari  enleva  le  bébé 
qu'il  rendit  à  Génie.  Mais  la  vieille 
dame  balbutia  : 

—  C'est  vous.  Génie...  c'est  vous  qui 
rélèverez...  Car  vous  ne  nous  quitterez 
jamais,  ma  fille,  n'est-ce  pas?...  Vous 
nous  fermerez  les  yeux...  vous... 

Elle  ne  put  achever,  tant  elle  suffo- 
quait, enlisée  sous  ces  choses  funèbres. 

Génie  s'était  saisie  de  l'enfant  dans 
un  transport  farouche. 

Un  délire  de  joie  la  parcourut,  des 
ondes  froides,  puis  brillantes,  passèrent 
sur  ses  moelles..  Elle  comprit  que  cela 
était  possible...  certain.  Tout  le  bon- 
heur surhumain  qu'elle  n'avait  pas  osé 
rêver  tenait  dans  ses  bras.  Un  enfant  !... 
un  enfant  de  Lui  !...  Elle  adora  ce  petit 
avec  des  yeux  éblouis,  avec  toute  son 
âme  qui  venait  sourdre  en  lumière  à  sa 
face...  Elle  ne  pensa  plus  qu'il  fût  né 
d'une  autre  femme  ;  il  lui  semblait  créé 
par  son  amour,  sorti  de  son  flanc,  pour 
g'arder  vivante  l'image  de  l'homme  tant 
aimé...  Elle  se  sentait  forte  à  jamais, 
soudain  heureuse,  protégée  contre  tout. 

Edg  Y. 


BOULOGNE-SUR-MER 


LA 


PECHE    DU    HARENG    A    BOULOGNE-SUR-MER 


Au  moment  où  les  questions  sociales 
surexcitent  l'opinion  de  toutes  parts, 
celles  qui  intéressent  la  pêche  et  les 
diverses  industries  qui  s'y  rattachent 
méritent  de  ne  point  rester  dans 
romhre. 

Jadis  dédaignées  et  languissantes, 
elles  sont  devenues  aujourd'hui,  grâce 
aux  progrès  modernes,  une  des  sources 
de  la  fortune  puhlique. 

Ahondante  moisson  pour  le  pauvre, 
la  pêche  lui  fournit  à  la  fois  un  gain  et 
un  aliment;  elle  satisfait,  en  outre,  le 
luxe  des  tables  somptueuses  et  contri- 
bue à  donner  au  commerce  des  côtes 
un  élément  continuel  de  prospérité;  à 
la  marine  marchande  et  à  la  flotte  des 
équipages  audacieux,  endurants  et  rom- 
pus à  tous  les  accidents  de  mer. 

(c  Quoique  la  pêche,  écrivait  \"ol- 
iaire,  et  Tart  de  saler  le  poisson  ne 
paraissent  point  un  objet  important 
dans  l'histoire  du  monde,  c'est  là  cepen- 


dant la  grandeur  d'Amsterdam  en  par- 
ticulier, et,  pour  dire  quelque  chose  de 
plus,  ce  qui  a  fait  d'un  pays  autrefois 
méprisé  une  puissance  riche  et  respec- 
table. » 

Gomme  la  reine  de  la  Hollande,  Bou- 
logne-sur-Mer  est  bâtie  sur  des  arêtes 
de  hareng. 

Si  la  partie  commerçante  et  élégante 
de  la  ville  s'est  développée  sur  les  bords 
sinueux  et  verdoyants  de  la  rivière  la 
Liane,  le  quartier  maritime  s'est  accro- 
ché et  suspendu  aux  flancs  de  la  falaise, 
à  une  hauteur  d'où  l'œil  embrasse  un 
horizon  immense.  C'est  de  ce  même 
point  culminant  que  Napoléon  P'',  dans 
sa  baraque  légendaire,  dardait  sur  les 
côtes  d'Albion  ses  regards  chargés  de 
haine  et  s'écriait  :  u  Que  je  sois  maître 
de  la  mer  seulement  pendant  vingt- 
quatre  heures  et  l'Angleterre  a  vécu!  » 

Ils  sont  là  à  peu  près  vingt  mille,  qui 
vivent  dans   des   ruelles   étroites,    bor- 


LA    PECIIK    DU     HAUKNG    A     BOI'LUCÎNE  SUK-MKH 


•    343 


«' 


ips^! 


BARAQUE      DE      X  A  P  0  L  E  O  X      l^'     S  U  R      LA      FALAISE 


dées  de  maisons  à  un  étage  et  d'esca- 
liers abrupts,  sur  une  colline  fort 
déclive,  vaste  amphithéâtre  avec  gra- 
dins, que  domine  1  église  de  Saint- 
Pierre-des-Marins. 

Ils  forment  une  grande  famille  que 
distinguent  ses  mœurs,  ses  coutumes, 
ses  alliances. 

L'esprit  de  corps  et  de  solidarité  a 
fait  longtemps  et  fait  encore  leur  force. 

«  Le  pêcheur,  suivant  la  remarque  de 
George  Sand,  échappe  à  la  misère  par 
lassociation.  On  voit  en  lui  Ihomme 
d'action,  descendant  de  la  primitive 
famille  des  hommes  de  proie,  rebelle  à 
l'esclavage  du  labeur  sédentaire.  II  y  en 
a  de  très  vieux,  qui  sont  encore  droits 
comme  des  mâts.  De  père  en  fils,  ni  la 
pioche,  ni  le  hoyau,  ni  les  maigres  bras 
de  la  charrue  n'ont  alourdi  les  mains, 
rétréci  le  thorax  et  voûté  les  reins.  Ils 
ont  le  grand  nez  en  bec  de  harpon, 
l'œil  rond,  clair  et  saillant  des  plon- 
geons ailés,  rien  du  marsouin  ni  du 
phoque.  » 

Boulogne  pourrait  fournir  de  nom- 
breux spécimens  de  ce  type. 

Les  marins  qu'on  y  rencontre  sont 
toujours  bien  musclés,  agiles  malgré  un 


équipement  com- 
pliqué et  de  pe- 
santes bot  tes,  hauts 
en  couleur,  quoi- 
que bronzés  j)ar  le 
Jiâle  et  la  rafale. 

La  mer  est  le  do- 
maine du  matelot. 
Enfant,  la  vue 
de  la  mer  est  la 
première  qui 
frappe  ses  regards. 
Cette  magicienne 
Ihypnotise  pour 
toute  son  exis- 
tence, et  quelles 
que  soient  ses  ri- 
gueurs ou  ses 
cruautés,  il  lui 
restera  toujours 
attaché. 

La  plage  est  aussi 
son  bien,  il  n'a  point  d'autre  lieu  de 
récréation.  Il  prend  ses  ébats  au  fond  des 
barques  amarrées  au  quai  ou  qui  viennent 
échouer  sur  les  bancs  de  sable,  ou  bien 
il  s'exerce  à  manœuvrer  un  canot  à  la 
godille.  La  témérité  de  certains  n'a 
point  de  bornes.  Une  cinquantaine  de 
ces  précoces  navigateurs  tombent  ou 
glissent  dans  le  port  chaque  année,  et 
ils  seraient  victimes  de  leur  imprudence 
si  les  matelots  occupés  à  bord  des 
bateaux  de  pêche  et  les  douaniers  en 
faction  sur  les  quais  ne  se  portaient 
rapidement  à  leur  secours,  soit  à  la 
nage,  soit  en  leur  jetant  une  ligne 
Brunel. 

Les  flaques  d'eau  que  le  flot  laisse  en 
se  retirant  servent  plus  tard  au  mousse 
de  champ  d'expérience.  C'est  là  que,  les 
jambes  nues,  il  va  lancer  les  bateaux 
qu'il  a  taillés  de  sa  main,  petits  chefs- 
d'œuvre  sans  couleur,  mais  d'une  par- 
faite stabilité  et  d'une  marche  régu- 
lière, auprès  desquels  les  modèles 
informes  que  débite  le  commerce  pa- 
raissent être  des  corps  sans  âme,  ou 
plutôt  des  jouets  à  la  merci  du  vent. 

Il  se  forme  lui-même,  et  l'expérience 
remplace    l'instruction   navale   qu'il   ne 


344 


LA     PKCIIl':    1)1'     IIAUENG    A    lîO  U  LOG  N  E-S  U  H-M  EH 


saurait,  et  pour  cause,  puiser  dans  des 
cours  théoriques.  Il  passe,  du  reste,  à 
peine  par  lécole. 

Mousse  à  douze  ans  et  même  plus  tôt, 
il  retrouve  une  famille  nouvelle  dans 
Téquipage,  dont  il  fait  la  joie  par  son 
aplomb  et  ses  invectives  précoces.  Il  a 
conscience  de  1  importance  du  rôle  qu'il 
joue  déjà  dans  la  famille,  car  il  rap- 
porte fidèlement  au  foyer  domestique  la 


UNE   VUE   DU  QUARTIER  MARITIME 


pari  du  moiisbe.  A  dix-huit  ou  vinj^t 
ans,  la  vie  en  plein  air  dépourvue  de 
microbes  et  les  durs  labeurs  de  son 
métier,  que  traversent  les  mille  péri- 
péties de  la  navigation  et  les  dangers 
des  tempêtes  du  noroit  et  du  suroit,  en 
font  un  homme  trempé  physiquement 
et  moralement. 

Le  marin  a  l'esprit  de  famille  très 
développé.  Il  serait  exempt  de  reproches 
si  l'usage  de 
1  alcool,  nécessité 
par  les  travaux 
des  pêches  d'hi- 
ver, les  pluies,  les 
nuits  froides,  ne 
lui  faisait  point 
contracter  des 
habitudes  qu'il 
conserve  r  a  à 
terre,  mais  dans 
des  conditions 
hygiéniques  et 
c  1  i  m  a  t  é  r  i  q  u  e  s 
tout  autres. 

Son  tempéra- 
ment, à  moins 
d'excès  persis- 
tants, n'en  reste 
])as  moins  vigou- 
reux. 

A  peine  est-il 
formé  que  le  ser- 
vice le  réclame. 
Il  n'en  est  pas 
un  dans  ce  port 
qui  se  rende 
ilans-  les  équi- 
pages de  la  Hotte, 
à  Brest,  ou  à 
Cherbourg,  ou  à 
I  j  o  r  i  e  n  l ,  sans 
avoir  préalable- 
m  e  n  t  é  c  h  a  n  g  é 
a\ec  sa  promise 
la  bague  des  lian- 
çailles. 

Pendant  qua- 
rante-huit mois, 
celle-ci,  irrépro- 
chablement fidèle 


I,A     PKCIIK    Dr     IIAIJKNC.    A     I5(  )  T  I.OG  N  K-SU  H-M  Kli 


:5i5 


jusqu'au  retour  du  <■  bon 
iuui  )',  ne  sonj^a'ra  qu'au 
niariaj,^e  qui  en  sera  la 
conséquence  inimédiale. 

A  trente  ans,  sa  famille 
comptera  déjà  six  ou  sept 
enfants  dont  chacun  pourrait 
souvent  répéter  le  mol 
d'Érasme  :  "  Je  ne  suis  pas 
le  fruit  d'un  ennuyeux 
devoir  matrimonial,  je  suis 
né  des  baisers  de  l'amour. 
Aussi  quelle  grande  et  forte 
race!  Les  beaux  gars  et  les 
belles  filles! 

I.a  Boulonnaise  étonne, 
par  sa  beauté  affinée  et  sa 
robustesse,  les  étrangers 
qui  la  voient  pour  la  pre- 
mière fois. 

Ils  admirent,  surtout 
lorsqu'elle  se  rend  aux  ate- 
liers de  salaison,  sis  à  (Japé- 
ciire,  partie  suburliaine  de 
l)Oulognc,  sa  démarche 
hardie  et  la  cambrure  de  sa 
taille  qu'enserre  un  rigide 
corset  dont  sa  poitrine  pour- 
rait au  besoin  se  passer.  Il 
n  est  point  jusqu  à  son 
bonnet  blanc  garni  de  den- 
telles, irradiant  comme  un 
soleil  et  rappelant,  par  sa 
forme,  la  coquille  de  Saint- 
Jacques,  qui  ne  donne  un 
cadre  élégant  à  ses  traits 
réguliers  et  fleuris  et  à  son  opulente 
chevelure. 

La  plupart  des  pécheurs,  après  une 
rude  et  laborieuse  carrière,  abandonnent 
les  grosses  bottes  et  le  suroît  non  sans 
regrets,  trouvent  quelque  emploi  dans 
les  ateliers  des  armateurs  ou  vivent  de 
modiques  revenus,  fruit  de  patientes 
économies  auxquelles  vient  s'ajouter 
l'appoint  fourni  par  la  Caisse  des 
Invalides  et  pour  la  constitution  duquel 
ils  ont  été  annuellement  obligés  de 
verser  une  somme  prélevée  sur  leurs 
gains.  Il  n'était  point  rare  cependant, 
avec  les  voyages  à  la  part,  de  voir  les 


plus    intelligents,   les  plus  labo- 
rieux et  les  plus  économes  cesser 
la  navigation  pour  vivre  de  leurs 
rentes    avec    un   capital   de 
150,000  à    200,000    francs. 
D'autres  plus    instruits   de- 


\\kw 


X  N      M  A  li  1  X 


viennent,  encore  jeunes,  écoreurs  ou 
armateurs. 

Quant  aux  vieillards,  ils  passent  leur 
vie  sur  le  quai,  devisant  avec  les  amis, 
donnant  des  conseils  aux  jeunes  ou  in- 
terrogeant mélancoliquement  l'horizon. 

Ainsi  vont-ils  de  génération  en  géné- 
ration, et,  prolifiques  comme  tous  les 
peuples  ichthyophages,  ils  se  multiplient 
si  rapidement  que,  dans  cinquante  ans, 
toutes  proportions  gardées,  ils  auront 
envahi  toute  la  ville.  Ils  pi'isent  les  théo- 
ries de  Malthus  comme  les  risques  de  la 
mer,  les  épidémies  et  les  infortunes  de 
toute  nature. 


3i6 


LA    PECIIK    DU    HARENG    A    BOU  LOGNE-SU  R-^MER 


La  population  du  quartier  maritime 
de  Boulof^ne  s'alimente  continuellement 
de  celle  des  petits  ports  d'Equihen,  du 
Portel,  d'h^taples,  d'Ambleleuse,  d'Au- 
dresselles  et  de  Wissant.  Les  hommes 
viennent  compléter  les  équipages  des 
bateaux  de  pèche  boulonnais  et  beaucoup 
s'y  établissent  sans  esprit  de  retour. 

Les  marins  du  Portel  sont  d'une  très 
f^rande  vij,^ueur,  mais  les  femmes,  quoique 
belles,  sont  plus  lourdes  que  celles  des 
pêcheurs  de  Boulogne.  Ils  présentent 
des  caractères  de  race  qui  attirent  l'allen- 
tion  du  touriste. 

Plusieurs  ethnographes,  M.  Duchenne 
de  Boulogne,  M.  ^^-J.  \'aillant  font 
remonter  leur  origine  à  une  immigration 
de  Basques  ou  d'Espagnols  dans  la 
Gaule  septentrionale.  Les  cheveux  noirs 
et  crépus,  le  nez  droit  bien  attaché  au 
front,  la  petitesse  des  mains  et  une 
courbure  sacro-lombaire  la  décèlent 
d'une  manière  aussi  évidente  que  la  lé- 
gende qui  la  leur  attribue.  Le  costume 
éclatant  que  les  femmes  portent  dans 
les  processions  et  les  jours  de  fêtes,  et 
dans  lequel  le  l'ouge,  1  or  et  la  blancheur 
des  dentelles  forment  la  note  dominante 
et  le  principal  ornement,  est  un  des 
plus  riches  et  des  plus  pittoresques  de 
France.  Il  est  le  même  que  celui  que 
portaient  les  aïeules  au  siècle  dernier. 
Dans  ces  bourgades  de  pêcheurs,  les 
traditions  restent  immuables  et  la  pureté 
même  du  type  primitif  s'est  conservée 
intacte  grâce  à  des  alliances  entre 
proches,  qui  n'ont  jamais  admis  que  de 
rares  exceptions  en  faveur  des  familles 
de  marins  de  Boulogne  ou  d'Equihen. 

Toutes  ces  races,  depuis  Wissant  jus- 
qu'à Equihen  et  Etaples,  viennent  sou- 
vent s'unir  à  la  population  de  la  ville 
de  Boulogne  et  elles  ont  contribué  à 
faire  de  son  port  le  premier  de  France. 

LA      GRANDE      PÉCHE 

Les  pêches  peuvent  se  diviser  en 
grandes  pêches  et  petites  pêches,  et  la 
pêche  fraîche  ou  le  frais-pesché. 

Lés  premières  comprennent  la  pêche 


au  hareng  et  au  maquereau,  et  les  autres 
celles  qui  se  font  au  chalut  ou  à  la  corde. 

Le  quartier  de  Boulogne  possède  d'a- 
bord 500  grands  bateaux  de  pêche, 
flottille  qui  tient  la  mer  presque  con- 
stamment, sauf  en  février,  et  150  chalu- 
tiers, fins  voiliers  qui  la  fouillent  en 
tous  sens  et  bravent  même  les  tempêtes. 
Les  gros  temps  sont  pour  eux  une  au- 
baine; ils  remuent  les  bas-fonds  et  leur 
assurent  une  marche  rapide.  Quoique 
leur  tonnage  soit  supérieur  à  celui  des 
sloops,  ils  tiennent,  d'ailleurs,  très  bien 
la  mer.  Il  n'est  pas,  sur  toutes  les  côtes 
de  France,  ainsi  que  l'affirmait,  il  y  a 
quelque  temps,  un  expert  du  Havre  en 
mission  à  Boulogne,  de  bateaux  de  pêche 
taillés  avec  plus  d'élégance  et  mieux 
appropriés  et  outillés  pour  les  campa- 
gnes hardies  et  longues  auxquelles  ils 
sont  spécialement  destinés. 

Ils  sont  l'objet  d'innovations  et  d'amé- 
liorations continuelles. 

Depuis  quelques  mois,  MM.  Duchesne 
et  G'*^,  constructeurs,  viennent  de  mettre 
à  l'eau  des  bateaux  de  pêche  en  fer 
et  à  hélice,  le  Sadi-Carnot,  Vlnlran- 
sigeant  et  autres,  qui  sont  appelés  dans 
un  bref  délai  à  supplanter  la  voile  et  le 
bois  et  à  opérer  une  véritable  révolution 
dans  cette  partie  de  notre  marine.  Ges 
petits  bateaux  de  marche  rapide  pour- 
raient même,  en  cas  de  guérite,  rendre 
de  signalés  services  et  être  sur  les  côtes 
les  auxiliaires  des  escadres. 

Les  grands  bateaux  sont  généralement 
gréés  en  loucfres,    les  autres  en  dandy. 

Les  équipages  des  premiers  se  com- 
posent de  vingt  à  vingt-deux  hommes 
avec  deux  ou  trois  mousses,  et  ceux  des 
seconds  de  sept  à  huit  hommes  avec  un 
mousse. 

Les  armements  se  font  actuellement 
soit  sous  le  régime  ancien,  celui  de 
Vécorage,  soit  sous  le  régime  nouveau, 
dit  des  armateurs.  Avant  1790,  les  pê- 
cheurs étaient  soumis  au  régime  étroit 
de  Vhôlage.  Les  hôtes  étaient  des  négo- 
ciants bourgeois  qui  faisaient  des  avances 
aux  matelots  ;  ils  tiraient  des  ventes  le 
meilleur  parti  au  mieux  des  intérêts  de 


LA    PÉCIIE    Dr     HAIJEN'G    A    BOULO  (î  NE-SUR-MEll 


317 


lôquipage  et  répoiKhiieiit  des  recouvre- 
ineiils. 

Ij'hôlc  iiviuiv.iit  donc  les  deniers  né- 
cessaires pour  la  construction  des  ba- 
teaux, rcnlretien  des  filets  et  les  vivres 
de  rcqui[)age  et,  en  retour,  il  avait 
droit  à  un  sol  par  livre  sur  la  pèche  totale 
du  marinier. 

Ce  prélèvement  était  la  rémunération 
du  risque  couru  en  cas  de   perte  du  ba- 
teau et  eu  égard  à  l'insolvabilité  presque 
générale  du  patron.  Aux  halos  ont  suc- 
cédé   les   écoreurs.  L'étymologie   de    ce 
mot  vient  d'e.score,  rocher  escarpé;  pri- 
mitivement, on  entendait  désigner  par 
écoreurs  les  escorteurs  des  navires,  qui 
étaient  à  la  fois,  très  vraisemblablement, 
des  pilotes  et  des   marchands,  un  four- 
nisseur de  navires,  un   courtier  sui  ge- 
neris.  Littré  le  délinit  : 
l'homme     chargé     par 
l'équipage       de      tenir 
compte   du  poisson   li- 
vré aux  marchands. 

L'écorage  ressemble 
à  l'hôtage,  mais  avec 
C3tte  différence  essen- 
tielle que  l'engagement 
n'est  plus  irrévocable 
et  que  l'exclusion  de 
tout  individu  non  bour- 
geois n'est  plus  obliga- 
toire. 

Sous  le  régime  actuel, 
Vécoreur  fournit  au 
patron    les  fonds   pour  •     ' 

l'achat  ou  la  construc- 
tion d'un  bateau  ;  le 
patron  rembourse  Véco-  .— — — - 

reur    sur    le    montant  ' 

des  bénéfices  de  ses 
voyages,  de  sorte  que, 
dans  un  laps  de  temps 
déterminé,  il  en  devient 
propriétaire. 

L'écoreur  fait  également  des  avances 
pour  les  vivres,  le  charbon,  le  sel,  la 
bière,  l'eau-de-vie,  etc.,  appelées  avaries 
ou  le  commun,  et  il  se  rembourse  en 
prélevant  5  pour  100  sur  le  produit  brut 
de  la  pêche. 


Ce   produit,    après  la    déduction    des 
dépenses,  se  divise  en  parts  :  les  {)arts  du 
bateau,  celles   du   patron,    la   demi-part 
d'homme,  la  demi-part  de 
filets.    Ce  système   coopé-  O 

ratif  lient  à  la  fois  du  M 

contrat  de  société,    du  ^' 

louage   d'industrie,   du 
prêt  et  de    l'assu- 
r  a  n ce  m  a  r  i  l  i m  e . 


PÊCHEUSES 


Dans  le  régime  de  Varmateur,  celui-ci, 
considéré  comme  propriétaire,  prélève 
les  parts  des  filets  qu'il  embarque  et  du 
bateau  qui  lui  appartient 

Les    marins     n'ont     plus    droit    qu'à 
une    demi-part,    et    le    patron    à    celle 


3iS 


LA     PKCIIK    DU     HARENG    A     BOULOGNE-S  U  U-MER 


qu'il  perçoit  poui'  son  commandement. 

Il  résulte  de  ce  qui  précède  que,  jadis, 
Téquipai^e  d'un  bateau  formait  une  vé- 
ritable association.  L'exploitation  avait 
lieu  en  commun  et  le  partage  des  béné- 
fices aussi. 

La  navigation  c'U/  moi.s  substituée  à  la 
navigation  à  la  pari  a  été  depuis  quel- 
((ues  années  l'objet  de  vives  discussions. 
l']lle  a  opéré  dans  le  régime  économique 
de  ce   port  une   vé- 
ritable    révolution  ; 
elle  a  fait  naître  de 
nombreuses   protes- 
tations et  provoqué 
une  grève  générale. 

Dans  les  années 
heureuses ,  lorsque 
le  marin  naviguait 
à  la  part,  il  touchait 
d'assez  fortes  som- 
mes, mais  il  devait 
fournir  et  prélever 
sur  ces  gains  les 
filets  et  autres  en- 
gins ou  agrès.  Il 
vivait  un  })eu  plus 
largement,  lautiiis 
vivebal,  suivantl'ex- 
pression  du  juris- 
consulte romain  ;  et, 
lorsque  les  mau- 
vaises saisons  so 
multipliaient,  elles 
amenaient  la  gêne  à 
son  foyer  et  elles 
l'exposaient  aux 
poursuites  de  ses 
fournisseurs.  Les  ar- 
chives des  tribunaux  de  commerce  pour- 
raient, au  besoin,  en  servir  la   preuve. 

Actuellement,  les  hommes  sont  nour- 
ris en  mer  et,  au  lieu  de  80  francs  par 
mois,  ils  touchent  90  francs,  soit  net 
H7  francs,  déduction  faite  des  3  francs 
([ue  prélève  sur  leurs  gains  la  Caisse  des 
Invalides. 

Au  début,  cette  innovation  a  été 
l'objet  de  récriminations  qu'enveni- 
maient encore  des  menées  socialistes. 

Que   firent  les   armateurs,  après    une 


expérience  de  quelques  mois?  Ils  offri- 
rent à  de  nombreux  équipages  de  navi- 
guer de  nouveau  à  la  pari.  Ceux-ci 
refusèrent. 

Patrons    et    marins    sont    néanmoins 
encore  intéressés  à  la  réussite  des  pêches. 


ilil^^wa 


BATEAU      U  E      P  Ê  C  H  E 

Les  statistiques  démontrent  que,  loin 
de  diminuer,  elles  ont  progressé  d'une 
façon  considérable  et  constante. 

Les  produits  les  plus  divers  afiluent 
chaque  jour  sur  les  carrés  de  la  halle, 
construite,  en  1867.  sur  les  plans  de 
l'architecte  Leroux. 

Dans  les  ports  du  Nord,  la  vente  a 
lieu  soit  aux  enchères,  soit  au  mynck 
ou  minque,  système  diamétralement 
opposé  à  l'enchère.  Les  crieurs  baissent, 
en  effet,  successivement  la  mise  à  prix 


I,A     PKCIIK    Dr     IIAUKNC.     A     HO  l' L(  Ml  N  H-S  T  H  -  M  KH  3iî> 

iuscurà  ce  que  rachclonr  cne  :  mnuf.c.  Les  .nn.-chés  sont  appropriés  à  cHIIe- 

Ll'  llamand   cp.i   si,niHe    mien   ou   en       .enles  pêches   :   celles    .lu    hnren,,    du 


VENTE      DU      POISSON      A      LA      CRIEE 


d'anlres  termes,  à  moi.   Le  mynck  nVsL  |   maquereau     de  la  morue,   de  la    poche. 
plus  en  usage  à  Boulogne.  I   fraîche  et  des  grèves. 


350 


LA    PÈCHE    DU    lIxVRKNG    A    BOULOGNE-SUR-MER 


LA     PKCIIE     DU      HARENG 

Le  précieux  clupée  qui  a  nom  haren^^ 
a  dû  servir  (l'aliment  aux  peuples  pri- 
mitifs. 

Nos  ancêtres,  les  Gaulois,  en  étaient 
très  friands,  mais  ce  n'est  guère  que 
vers  le  ix'^  et  le  x*'  siècle  que  la  pêche 
qui  le  concerne  commence  à  être  men- 
tionnée. 

Il  dut  être  d'un  précieux  secours  dans 
les  années  de  disette. 

Un  poème  très  connu  du  xv*^  siècle, 
intitulé:  Vie  de  sainct  Harenc, glorieux 
martyr,  cite  Boulogne  à  cette  occasion  : 

Entre  Bouloigne  et  l'An^fleteri-e 
Fut  prins  le  corps  de  sainct  Harenc 
Qui  souffrit  plus  que  sainct  Laurent,  etc. 

Un  écrivain  du  temps  de  François  P"^, 
Jehan  Maillard,  dans  sa  description  des 
ports  de  l'univers,  — les  contemporains 
de  Marot  dissertaient  déjà  de  omni 
re  scihili,  —  a  publié  les  vers  suivants, 
dans  un  poème  de  la  Bibliothèque  na- 
tionale (fonds  La  Vallière),  n"  2940  : 

De  ce  pays  la  ville  sur  la  mer 

•Qui  derrière  est,  Boulof,^ne  est  appelée, 

Lieu  très  dévot,  qui  se  fait  réclamer 

Par  maintes  gent,  qui,  pour  ce,  est  consolée. 

La  ville  est  forte  et  le  havre  est  bon  port, 

Où  de  grandes  nefs  et  marchand  apport 

Pour  les  harengs  illec  sors  et  saliez. 

La  pêche,  à  cette  époque,  était  déjà 
fort  active.  Mais  pendant  que  les  An- 
glais se  dirigeaient  vers  le  Nord,  les 
pêcheurs  boulonnais  ne  s'écartaient 
point  du  détroit  et  de  la  bassure  de  hass. 

La  mer,  alors  comme  aujourd'hui,  était 
-une  source  intarissable  de  poissons,  et, 
^u  début  même  du  xvni''  siècle,  les  trans- 
ports s'efîecluaienl  jusqu'à  Beims  et 
Orléans,  et  rapportaient  déjà  près  de 
400,000  livres,  qu'il  faudrait  tripler  pour 
.avoir  la  valeur  représentative  de  notre 
monnaie  actuelle. 

Le  Languedoc  même  était  tributaire 
du  Nord. 

On  ne  dédaigne  point  encore  aujour- 
d'hui les  harengs  sors  ou  saliez.  L'usage 
en  est  très  répandu  en  Angleterre;  en 
France,   le  modeste  gendarme  ou  serin 


de  côte  reçoit  au  foyer  du  paysan,  comme 
à  celui  de  l'ouvrier,  un  parfait  accueil. 

Ce  poisson  est,  du  reste,  nutritif, 
riche  en  azote,  et  l'huile  qu'il  renferme 
est,  dans  les  grands  froids  de  l'hiver, 
un  aliment  de  premier  ordre. 

Avec  quelle  ardeur  nos  marins  ne 
s'élancent-ils  point  à  sa  rencontre  jus- 
qu'au Dogger's  Bank,  de  février  à 
juillet? 

De  juin  à  septembre,  ils  se  livrent 
à  la  pêche  du  hareng  d'Ecosse;  puis  de 
septembre  jusqu'au  25  décembre  à  celle 
du  hareng  d"iarmouth,  de  Gallowper, 
et  à  la  pêche  côtière  en  aval,  jusqu'à 
Fécamp  et  même  au  delà. 

Ils  évitent  avec  soin  les  premiers 
bancs  que  poursuivent  et  déciment  les 
chiens  de  mer.  L'impétuosité  de  ces 
affreux  poissons  de  proie  est  telle  qu'ils 
traversent,  emmêlent,  coupent  les  filets 
et  leur  causent  des  avaries  souvent  irré- 
parables qui  font  le  désespoir  des  équi- 
pages. Cette  redoutable  avant -garde 
passée,  les  pêcheurs  travaillent  avec 
plus  de  confiance  à  recueillir  la  manne 
providentielle  que  la  mer  leur  offre 
chaque  année  vers  la  fin  de  l'automne. 

On  pourrait  discuter  longuement  sur 
l'habitat  des  harengs  ;  les  uns  les  consi- 
dèrent comme  des  poissons  migrateurs, 
descendant  périodiquement  des  contrées 
hyperboréennes,  les  autres  soutiennent 
qu'ils  sont  sédentaires  et  cantonnés,  et 
que  leur  levée  n'a  lieu  qu'à  des  époques 
cléterminées  et  notamment  à  l'apparition 
des  premiers  froids. 

Quoi  qu'il  en  soit,  c'est  surtout  pen- 
dant les  nuits  froides  et  brumeuses  de  la 
Toussaint  que  les  bancs  de  hareng-s 
pullulent.  En  l'année  1896,  ils  sont  arri- 
vés avec  vingt  jours  au  moins  d'avance 
sur  l'année  précédente  et,  le  22  octobre, 
la  gare  de  Boulogne  avait  pu  expédier 
près  de  100  wagons  de  harengs! 

On  peut,  des  jetées  du  port,  aperce- 
voir des  myriades  de  bateaux  qui,  la 
nuit,  portent  tous  des  fanaux  multico- 
lores. Il  est  facile  alors  de  suivre  la 
marche  et  les  mouvements  des  bancs  de 
harengs.  Leurs  yeux  étincellent  et  leurs 


LA    1MU:I1K    1)1'     IlAHKNd     A     lU)  U  LOG  N  E-SU  U-M  KU 


351 


écailles  sont  phosphorescenles.  Ils  voya- 
gent par  masses  compactes  et  viennent 


naisdéveloppent  leurs  tessures,etlorsque 

le  bateau  s'est  établi  sur  le  fond  qu'il 

recherche,   toutes    les    voiles,   à 

l'exception     de    celle    d'arrière, 

sont  larguées. 

La    tessure    est    un    vaste    et 

complexe  engin  de  pêche. 

Elle  se  compose  d'une 

série  de  filets  en  plusieurs 

pièces     échelonnées      et 

nommées  lès,  de 

•250  à  300  mailles 

de  profondeur  et 

de  27   mètres  de 


j«r. 


LES      QUAIS      PENDANT      LA      SAISON      DE      PECHE 


donner  de  la   tète  et  se  prendre  par  les 
ouïes  dans  les  mailles  des  filets. 

C'est    sur    la    longueur    d'une    lieue 
environ  que  les  grands  bateaux  boulon- 


longueur,  reliés  étroitement  les  uns  aux 
autres  sur  une  étendue  d'une  lieue  ou 
une  lieue  et  demie. 

Ces  filets  sont  soutenus  perpendiculai- 


352 


LA    PÈCHE    DU    HARENG    A    BOUEO(î  N  E-SU  R-M  ER 


rement  dans  Fean,  d'abord  par  des  ba- 
rillets vides  et  goudronnés,  appelés 
quarts  à  poche,  au-dessous  desquels 
pend  une  corde  appelée  handincjue,  qui 
se  rallache  à  Vaiissière  ou  halin,   câble 


Une  sorte  de  crépitation  d'une  nature 
spéciale  se  fait  entendre  :  telles  des  gout- 
telettes tombant  dans  une  mare.  Ce 
bruit  est  celui  du  bareng  qui  monte  et 
se  répand  presque  à  la  surface  de  l'eau; 


;>_.  6  ë^4-'-^ 


BATEAUX      r  f:  C  H  A  N  T      LE      HARENG      EN      VUE      DE      B  0  U  L  O  (  J  N  E 


parallèle  au  lilct  auquel  se  rattachent 
les  bciraouins,  cordes  qui  tiennent  en 
suspens  le  lilet.  Les  harsouins  et  les 
hamlingaes,  allongés  ou  raccourcis, 
permettent  d'immerger  le  filet  à  plus  ou 
moins  de  profondeur. 

C'est  surtout  par  les  nuits  froides, 
l)rumeuses  et  sombres,  que  les  pêcheurs 
aiment  à  jeter  leurs  filets. 

Le  fanal,  seul,  éclaire  le  pont  et  les 
allées  et  venues  des  gens  de  l'équipage. 


ses  bancs  irisés  font  de  la  mer  un  lac 
féerique. 

On  peut  alors  percevoir  et  suivre  ti'ès 
distinctement  la  voie  régulièrement 
suivie  par  cet  éternel  migrateur.  11 
donne  dans  les  lessuj-es,  où  il  passe  à 
travers  les  claires-voies  des  carrés  for- 
mées par  l'aussière  et  les  barsouins. 

Sa  tête,  comme  nous  l'avons  déjà  fait 
remarquer,  s'engage  dans  les  mailles  du 
filet  et  s'enfonce  jusqu'aux  ouïes.  Il  est 


I.A    PKC.HK    1)1'     IIAHKNd     A     HO  M  I.()(î  X  K-S  U  R-MER 


353 


pris.  A  (les  inlervalles  fixes,  on  li'vc  les 
lilels. 

Jadis,  on  lirail  le  halin,  à  bras,  sur  le 
bateau;  un  homme  de  Téquipage  prenait 
le  lîlet  par  la  tête,  un  autre  par  le  pied, 
pendant  que  d'autres  démaillaient  le 
poisson  dont  Tabondance  est  quelque- 
fois extraordinaire. 

Plus  tard,  on  employa  le  virage  au 
cabestan.  C'était  une  manœuvre  pénible 
qui  croquait  les  hommes  avant  cinquante 
ans. 

Depuis  une  quin/ainc  d'années,  l'usage 
d'une  machine  à  vapeur,  qui  sert  au 
halage  des  filets,  au  chargement  et  au 
déchargement  des  blocs  de  glace,  des 
vivres,  au  mâtage  et  au  démâtage,  etc., 
est  venu  réaliser  un  progrès  considé- 
rable, activer  et  régulariser  les  opéra- 
tions de  pêche.  Les  harengs  sont  se- 
coués par  les  hommes  dans  de  grands 
bacs  fixes  et  les  fdets  empilés  de  côté 
et  d'autre,  puis  lavés. 

Le  poisson  est  vendu  frais  ou  salé.  On 
ne  caque  plus  le  hareng  en  mer  comme 
autrefois.  Cette  opération  consistait  à 
lui  enlever  les  ouïes  avec  un  couteau,  à 
le  priver  entièrement  de  ses  hreuiUés. 
Les  premiers  harengs  pris  sont  salés  en 
mer  et  mis  en  tonne;  les  derniers  sont 
brailles,  c'est-à-dire  salés  à  terre,  en 
vrac,  dans  des  bacs  spéciaux. 

La  supériorité  du  poisson  ainsi  pré- 
paré sur  celui  qui  est  salé  à  tei^re  est 
incontestable. 

C'est  ce  qu'a  supérieurement  établi 
M.  le  docteur  Sauvage,  aide-naturaliste 
au  Muséum,  ancien  directeur  de  la  Sta- 
tion aquicole,  dans  un  rapport  très  do- 
cumenté sur  la  pêche  en  Hollande. 

(I  Le  pêcheur  hollandais  tue  son  pois- 
son, fait-il  remarquer;  le  pêcheur  fran- 
çais le  laisse  lentement  mourir;  le  hareng 
hollandais  est  salé  vivant  encore,  pour 
ainsi  dire;  le  hareng  français  est  salé 
mort  souvent  depuis  longtemps. 

«  Jamais  le  pêcheur  hollandais  ne  sale 
à  terre,  et  cette  méthode  présente  les 
plus  grands  avantages.  La  salaison  à 
bord  évite  toute  dépense  inutile  de 
main-d'œuvre,  le  travail  étant  fait  par 

VIII.  —  23. 


les     hommes     mêmes    de    1  équipage... 

«  Cependant,  ajoute-t-il,  la  pêche  du 
hareng  se  faisant  une  partie  de  l'année, 
vers  l'époque  de  la  Toussaint  à  Bou- 
logne, dans  des  parages  rapprochés  des 
ports,  et  dans  ces  conditions  la  salaison 
en  atelier  pouvant  et  devant  se  faire 
économiquement,  //  ne  faut  pas  prohiber 
la  salaison  à  terre;  mais  il  est  néces- 
saire de  recommander  hautement  à  nos 
saleurs  de  n'admettre  dans  leurs  ateliers 
que  du  hareng  d'une  nuit  et  d'éviter, 
autant  que  faire  se  peut,  toute  ma- 
nœuvre pouvant  flétrir  le  poisson.  » 
C'est  précisément  ce  qui  se  pratique 
dans  ce  port  et  donne  aux  harengs  qu'on 
y  prépare  une  plus-value  sur  tous  les 
marchés. 

La  pêche  du  hareng  frais  a  lieu  spé- 
cialement aux  mois  d'octobre  et  de  no- 
vembre, lorsque  les  bancs  passent  devant 
Boulogne. 

A  la  Toussaint, 
Hareng  plein. 

Aussitôt  que  le  bateau  est  rentré  au 
port,  la  vente  en  gros  a  lieu  dans  une. 
salle  spéciale  de  la  halle,  et  sur  un  échan- 
tillon appelé  huque t.  La  cargaison  s'éva- 
lue au  last  :  le  last  comprend  cent  me- 
sures; la  mesure  est  un  double  décalitre. 

C'est  la  -pêche  au  hareng  qui  assigne 
au  port  de  Boulogne  le  premier  rang 
parmi  les  ports  de  pêche  de  France. 

Déjà  au  xvni*'  siècle,  elle  y  était  très 
active. 

En  1776,  trente-huit  bateaux  vendent 
892  lasts  226,200  francs. 

Dans  ce  siècle,  les  chiffres  varient. 
En  1830,  la  pêche  rapportait  1  million 
14,974  fr.  01,  tandis  qu'en  1848,  elle 
n'atteignait  que  908,659  francs. 

En  1860,  elle  était  de  3  millions 
54,422  fr.  60. 

.  En  1894,  cinq  cents  bateaux  ont  rap- 
porté 16,706,394  francs. 

Ce  chiffre  doublerait  si  les  grandes 
compagnies  de  chemin  de  fer  s'enten- 
daient pour  le  transport  rapide  de  cette 
pêche  et  favorisaient  l'accès  et  le  déve- 
loppement des  débouchés. 


354 


LA    PECIIK    DU     IIAKKNG    A    130  ULO(i  N  K-S  U  U-M  E  H 


Cette  industrie  comprend  aussi  celle 
du  hareu},^  saur,  dont  la  préparation  a 
fait,  depuis  quelques  années,  aussi  bien 
en  France  qu'en  Angleterre  et  en  Hol- 
lande, des  proijrès  considérables.  Le 
bareuf;"  saur,  dit  bouffi,  accompagné  de 
quelques  pommes  de  terre  est,  Tbiver, 
pour  le  pauvre  et  même  le  ricbe,  une 
nourriture  aussi  saine  que  délicate.  Sa 
préparation  a  lieu  dans  des  coresses, 
sortes  de  hangars  enfumés  par  des  feux 
de  bois  de  chêne  et  de  sciure  de  bois 
déposés  sur  de  la  paille,  et  pourvus  de 
hautes  cheminées,  dans  lesquelles  le 
hareng  est  suspendu,  jusqu'à  ce  qu'il  ait 
atteint  un  certain  degré  de  dessiccation. 
Plus  de  deux  mille  ouvrières  sont  em- 
ployées à  Boulogne  pendant  la  majeure 
partie  de  l'année  dans  les  ateliers  de 
salaisons,  destinés  à  sa  préparation  et  à 
son  expédition. 

La  pêche  de  cet  abondant  et  fécond 
clupée  a  fait  la  fortune  de  cette  ville. 
Elle   alimente    encore 
une      foule      d'indus- 
tries, celles   des    ton- 
neliers, voiliers,  pou- 
lieurs,   constructeurs, 
charretiers,  etc.  Aussi 
d'octobre  à  février,  le 
port  de  Boulogne  offre 
un  spectacle  plein 
d'animation.  Les 
quais   sont    rem- 


plis d'une  foule  gi-ouillante  et  parsemés 
de  mannes  de  poissons,  de  voilures,  de 
glaces,  d'agrès,  de  victuailles,  et  d'allées 
et  venues  de  matelotes,  avec  leur  bonnet 
en  éventail,  et  de  leurs  hommes  qui 
portent  le  traditionnel  siiroil  jaune  ci- 
tron et  de  pesantes  bottes.  Ils  olfrent  des 
scènes  pittoresques  qui,  prises  sur  le  vif, 
ont  tenté  le  crayon  de  plus  d'un  artiste, 
et  dont  nous  nous  faisons  un  plaisir  de 
donner  quelques  spécimens. 

La  pêche  au  hareng  se  pratique  égale- 
ment tlans  les  ports  voisins. 

Quelque  intéressant  qu  en  soit  le  côté 
artistique,  la  partie  économique  qui  y  a 
trait  l'est  bien  plus  encore. 

La  conclusion  de  cette  étude,  en  etfet, 
est  que  tous,  marins  et  classes  labo- 
rieuses, demandent  que  le  transport  du 
hareng  soit  facilité  par  les  voies  ferrées 
et  qu'il  ne  soit  pas  frappé  de  droits  dé- 
passant plusieurs  fois  sa  valeur. 

La  ruine  de  cette  industrie  appauvri- 
rait une  population  saine  et  valeureuse, 
qui  serait  forcée  d'abandonner  le  métier 
qui  la  fait  vivre. 

Il  est  superflu  d'ajouter  que  le  fonds 
commun  de  la  richesse  publique  y  per- 
drait une  vingtaine  de  millions,  et  l'Etat 
des  hommes  vigoureux  et  rompus  à 
toutes  les  fatigues  pour  le  recrute- 
ment de  son  armée  de  mer. 


Émi 


Mar- 


!1^:^. 


Types  du  JuJge,  de  New-York. 


LA    CARICATURE    A    L'ÉTRANGER 


Les  revues  de  caricature  sont  très 
nombreuses  à  l'étranger  et  elles  mêlent 
généralement  la  satire  politique  à  la  cri- 
tique des  mœurs.  Il  est  assez  difficile  de 
bien  les  comprendre.  C'est  qu'il  y  est  fait 
allusion  à  des  coutumes  locales,  à  des 
dictons  populaires, 
à  des  traditions  de 
plaisanterie  dont  le 
sens  nous  échappe 
le  plus  souvent.  Le 
tragique  est  tou- 
jours et  partout  à 
peu  près  le  même; 
mais  le  comique 
varie  suivant  les 
milieux.  Ces  petits 
journaux  sont, 
mieux  que  bien  des 
organes  plus  gra- 
ves, le  vrai  miroir 
de  l'esprit  des 
peuples. 

On  a  souvent 
reproché  à  ces 
feuilles  d'être  hos- 
tiles à  la  France, 
surtout  celles  de  la 
triplice.  Il  ne  faut 
pas  exagérer  ce  re- 
proche ou  tout  au 
moins  avouer  que 
nous  le  méritons 
nous-mêmes.  Il 
faut  toujours  un 
peu  de  méchanceté 
pour  faire  rire  du 
prochain    et    un 


journal   comique    est     bien     obligé     de 
manier  le  fouet  de  la  satire. 

L'Angleterre  nous  olfre  tout  d'abord 
son  Punch  (Polichinelle),  dont  l'hosti- 
lité contre  la  France  serait  agaçante  si 
ses  plaisanteries  n'étaient   pas  toujours 


Frontispice  du  Punch. 


350 


LA   CARICATURE   A   L'ÉTRANGER 


Vœ  Viciis!  (Fun,  mai  1897). 

d'une  lourdeur  qui  trahit  une  mauvaise 
humeur  chronique.  Le  Punch  semble, 
d'ailleurs,  vivre  sur  son  antique  répu- 
tation et  ne  plus  faire  grand'chose  pour 
la  soutenir. 

Judy  (la  Femme  de  Polichinelle  ) 
imite  consciencieusement  son  mari  et 
pousse  plus  loin  encore,  si  possible,  l'af- 
firmation de  l'amour -propre  anglais. 
Constatons,  ne  critiquons  pas  trop  ;  cet 
esprit  est  la  force  du  pays  et  cela  vaut 
encore  mieux  que  de  se  déchirer  soi- 
même,  comme  nous  le  faisons. 

Fun  (la  Farce)  imite  encore  les  deux 
précédents;  la  note  est  toujours  la 
même.  Les  caricatures  politiques  de  ces 
journaux  ne  sont  pas  toujours  faciles 
à  interpréter.  On  en  jugera  par  ce  Vse 
Victis,  publié  par  le  Fun  en  mai  1897. 
Blâme- 1- il  ou  approuve -t -il  les  dures 


conséquences  de  la  dé- 
faite? 11  semble  cepen- 
dant que  ses  sympathies 
ne  soient  pas  pour  le 
plus  faible. 

Moonshine  (Clair  de 
lune  )  sort  encore  du 
même  moule.  Comme 
dans  les  autres,  la  poli- 
tique extérieure  se  ré- 
sume dans  la  suprématie 
de  John  Bull.  Voyez, 
dans  la  gravure  que  nous 
reproduisons,  de  quel  air 
il  met  à  la  raison  le  Turc 
et  le  Grec.  Nul  doute 
qu'il  ne  se  croie  capable 
d'en  faire  autant,  le  cas 
échéant ,  envers  toutes 
autres  puissances. 

Pick-Me-Up  (achetez- 
moi  !  )  est  un  fantaisiste 
plus  gai;  mais  l'humour 


Ally    Sloper. 


LA  CARICATURE  A  L'ETRANGER 


357 


Peace '.   (Gravure  réduite  du  Moonshine.) 


britannique,  le  vieil  humoui'  des  anciens 
auteurs  se  retrouve  dans  Ally  Sloper. 
C'est  le  nom  intraduisible  d'un  per- 
sonnag"e  symbolique,  dont  nous  repro- 
duisons la  silhouette,  qui  se  promène 
au  milieu  du  peuple  anglais,  frondant 
librement  ses  ridicules.  Ses  plaisanteries 
sont  substantielles  et  ses  féminités  d'une 
allure  convenable,  comme  il  sied  dans 
la  pudique  Albion. 

L'Allemagne  est,  de  tous  les  pays,  le 
plus  riche  en  journaux  comiques  et  le 
grave  Teuton  semble,  mieux  que  tout 
autre,  se  plaire  au  rire.  Ce  rire  n'est 
même  point  épais  comme  nous  le  croi- 
rions volontiers  des  buveurs  de  bière; 
il  est,  au  contraire,  généralement  franc, 
de  bon  aloi  et  d'une  très  jolie  finesse. 

Kladderadatsch  (Claquement)  est  le 
Punch  de  Berlin  et  la  politique  est  sa 
préoccupation  dominante.  Comme  son 
confrère  de  Londres  le  fait  pour  l'Angle- 
terre, il  chante  la  grandeur  de  l'Alle- 
magne et  l'établit  le  plus  souvent  sur  le 
dos  des  voisins.  Son  indépendance  appa- 
rente est  d'un  air  assez  bon  enfant,  et  le 
bonhomme  de  son  en-tête  rend  assez  bien 
son  caractère. 


C'est  à  Munich  que  se  publient  les 
célèbres  et  antiques  Fliegende  Blatter 
(Feuilles  volantes),  fidèles  aux  vieilles 
méthodes  de  dessin  et  un  des  derniers 
refuges  de  la  belle  gravure  sur  bois.  Les 
illustrations  de  ce  recueil  sont  de  tout 
premier  ordre  ;  toutes  ont  été  l'objet 
d'un  dessin  minutieusement  étudié  et 
leur  gravure  est  d'une  finesse  extrême 
sans  tomber  dans  l'excès  qui  nuit  à 
l'effet. 

Nulle  part  l'expression  de  la  physiono- 
mie n'est  rendue  avec  plus  de  vérité,  un 
peu  forcée  pour  la  charge,  mais  d'une 


Kladderadatsch. 


358 


LA   CARICATURE   A    LÉTRANGER 


Enfin  !  après  tant  de  courbettes  ! 
(Gravure    réduite    du    Kladdemdatsch.) 

vie  saisissante.  Les  bêtes  elles-mêmes  y 
ont  une  figure  parlante. 

Ni  la  politique,  ni  la  galanterie  ne 
préoccupent  les  artistes  des  Fliegencle 
Blatter,  c'est  l'âme  humaine  qu'ils  pour- 
suivent de  leur  crayon,  l'étudiant  en 
philosophes  et  en  psychologues,  et  la 
mettant  à  nu  dans   ses  faiblesses  et  ses 

ridicules.  Encore  leur  critique  n'est-elle   i   enfants,   piquant  toujours,   n'écorchant 
point  acerbe.  Ils  sont  indulgents  et  bons   |  jamais. 

p,  La  comédie  humaine  défile   dans  ces 

->;  feuilles  attachantes,   où   la  décence  est 

O  .  toujours  obser- 


Histoire  sans  texte  {Fl'tegende  Blâtter). 


LA    CAHICATURK   A    L  KT  I«  A  N  CKH 


3n9 


Types  pris  dans  les  Fliegende  Bldtter. 


les  types  sont  Allemands  et  allemandes 
les  mœurs;  mais  la  nature  humaine 
étant  partout  un  peu  la  même,  tous  les 
peuples  peuvent  se  reconnaître  dans  ces 
scènes    originales   où    la  fantaisie  s'ap- 


puie toujours  sur 
un  fonds  de  réa- 
lité. 

Les  Fliegenile 
BlUller  ont  le 
grand  succès 
qu'elles  méritent 
et  sont  devenues 
comme  le  rendez- 
vous  de  la  publi- 
citéalle  mande 
qui  y  remplit  cha- 
que semaine  de 
nombreuses  pa- 
ges-annexes.  Les 
résultais  finan- 
ciers sont  plus 
que  prospères, 
mais  quels  soins 
constants  il  a 
fallu  pour  réunir 
et  conserver  une 
semblable  école 
d'artistes  !  Une  partie  seulement  de  ces 
éloges  peut  s'adresser  à  la  concur- 
rence, les  Lustige  Bldtter  (Feuilles 
amusantes),  publiées  à  Berlin,  Ici  la  poli- 
tique joue  un  plus  grand    rôle    et  ses 


Bismarck  triomphant.  (Gravure  réduite  des  Lustige  Bldtter.) 


3G0 


LA   CARICATURE   A   L'ÉTRANGER 


préoccupations  ne  sont  pas  toujours  du   i   comme  on  peut  en  juger  par  la  réduc- 
domaine  artistique.  Lors   de  sa  quatre-   |   tion  que  nous   donnons.    Les  scènes  de 


Composition  allégorique  tirée  du  Jugend. 


vingtième  année,  en  1895,  Bismarck  n'a 
pas    été    abandonné    par   cette    revue, 


mœurs  y  sont   aussi   fréquentes,    assez 
fines   et    bien  traitées.    En    somme,    le 


LA   CARICATURE   A    L  ÉTRANGER 


361 


Allégorie  tirée  du  Jugend. 

niveau  artiste  est  encore  ici  très  conve- 
nable. 

La  revue  Jugend  (Jeunesse),  qui  se 
publie  chaque  semaine  à  Munich  dans 
la  célèbre  maison  G.  Hirth,  mériterait 
plutôt  d'être    classée   parmi  les   revues 


d'art  que  dans  les  journaux  de  carica- 
ture. Cependant  l'ironie  y  domine,  mais 
dans  une  note  des  plus  élevées.  Ce  n'est 
point  la  satire  politique,  ni  même  la  ca- 
ricature de  l'individu,  c'est  la  cruelle 
mise  à  nu  des  âmes.  Cette  revue, 
d'une  originalité  étonnante  et  qui  ne 
peut  être  comparée  à  aucune  autre,  est 


Types  de         sJ      Humoristisches 
Deutschland. 


Le  peuple  français  et  la  goutte  [de  vin]  russe. 
(Gravure  réduite  du  Ull\) 

tout  à  fait  remarquable.  Les  Allemands 
ne  sont  pas  seuls  à  y  collaborer  ;  on  y 
rencontre  des  dessins  d'artistes  français. 
Cet  ensemble  de  compositions  fantai- 
sistes témoigne  d'une  vitalité  intense 
dans  le  monde  de  la  jeunesse  artiste  et 
d'une  variété  de  conception  surprenante. 
Le  symbolisme  y  domine  en  maître  peut- 
être  trop  absolu  et  l'effet  y  est  recherché 
avec  une  passion  qui  méprise  un  peu 
trop  les  formules  anciennes. 


LA  CARICATURE  A  L'ÉTRANGER 


Le  nu  s'y  rencontre  sou- 
vent, mais  sans  être  re- 
cherché et  si  de  nombreux 
dessins  sont  d'une  liberté 
très  audacieuse,  la  polis- 
sonnerie en  est  exclue. 
L'impression,  où  les  cou- 
leurs se  jouent  avec  un  art 
consommé,  produit  des 
effets  remarquables.  Nous 
n'avons  pas  en  France,  il  faut  le  recon- 
naître avec  regret,  une  feuille  d'aussi 
verte  allure. 

Nous  trouvons  encore  à  Munich  Sim- 
plicissimus  où  la  politique  joue  un  rôle 
assez  effacé  et  où  la  note  comique  imite 
de  loin  celle  de  Jugend. 

Das  Humoristische  Deutschland 
(l'Allemagne   humoristique)    et  Lustige 


Welt  (le  Monde  comique)  publiés  par  la 
même  maison  de  Berlin  sont  aussi  dans 
le  genre  de  Fliegende  Blatter,  avec  une 
nuance  caricaturale  plus  accentuée,  et 
soutiennent  sans  trop  de  désavantage  la 
comparaison. 

Citons  encore  Unsere  Gesellschaft  à 
Berlin.  Son  titre  veut  dire  «  Notre  so- 
ciété  ^>   et,    comme    on  le    suppose,    ce 


3t- 


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La  Grèce  et  la  Turquie  (Gravure  réduite  du  Floh,  de  Vienne). 


LA    CARICATURE   A    LKTR  AN  (1  K  R 


.-îrs 


n'est  pas  pour  la 
montrer  sous  son 
beau  jour;  —  Ulk 
la  Farce  I,  encore 
à  Berlin,  dont  les 
dessins,  noirs  et 
coloriés,  sont  sou- 
vent embrumés  ; 
l)er  Wahre  Jacob 
(le  Vrai  Jacob),  de 
Stuttgart,  qui  ne 
contient  pas  que 
des  caricatures. 

En  Autriche- 
Ilongrie  la  censure 
est  facile.  Elle  per- 
met dans  Figaro 
et  dans  Wiener 
Caricatiiren  des 
dessins  où  le  lais- 
ser-aller autrichien 
se  donne  libre  car- 
rière. Ce  dernier 
journal  s'occupe  à 
peu  près  exclusi- 
vement des  petites 
femmes  et  sa  li- 
berté y  est  habillée 
dans  un  décolle- 
lage  qui  descend 
aussi  bas  que  pos- 
sible. Il  est  vrai 
que  les  dessins  sont 
souvent  soignés  et 
artistiques. 

Neue  Glûhlich- 
ler  (les  Nouvelles 


"k^P 


"^erfc^iebene 


Tiré  du  Puck,  de  Copenhague. 


Types  des  Wiener  Caricaturen. 

étincelles)  jettent  leurs  feux  sur  les  hommes  politiques 
et  les  bourgeois. 

Der  Floh  fait  des  piqûres  comme  peut  le  faire  sup- 
poser son  nom  qui  veut  dire  la  puce.  La  France  y  est 
bien  un  peu  malmenée,  mais  en  compagnie  des  autres 
puissances. 

Citons  aussi  le  Kiheriki,  interdit  en  Hongrie,  ce 
qui  indique  ses  tendances  ;  —  le  Borsszem  Janko  'Grain 
xle  Poivre)  de  Buda-Pest,  qui  travaille  de  son  mieux  à 
mettre  du  vinaigre  sur  la  plaie  séparatiste;  —  et 
YHumoristicke  Listy,  de  Prague,  qui  apporte  aussi  son 
contingent  de  difficultés  à  l'entente  des  fractions  divi- 
sées de  la  monarchie. 

A  Rotterdam,  Uilenspiegel  (l'Espiègle)  publie  heb- 


361 


LA    CARICATURE   A    L'ÉTRANGER 


Le  rôle  du  Tsar  eu  Europe  (Gravure  de  Nehelspalster ,  de  Zurich). 

domadairement    des    espiègleries     assez  I   grandes    puissances   d'un   œil    narquoi- 
anodines.    On    voit,   avec    plaisir  pour  |   sèment  indifférent. 

eux,  que  les  tran-  •  __  Puk    est    le    Polichinelle    de 

quilles      Hollan-  -(P^ËtJBrfe»  Copenhague      qui      fronde     les 

dais    considèrent  ^g^^^^B^^  mœurs   plus   que    la    politique, 

la    politique   des  ^^^^^l^^^lBfL  ^'    ^^^    assez    peu    respectueux 

de  la  femme, 
comme  on  peut 
en  juger  par  le 
petit  croquis 
que  nous  don- 
nons. 

Nebelspalter 
(le  Pourfendeur 
des  nuages)  de 
Zurich,  qui  pu- 
blie de  grandes 
pages  coloriées, 
est  volontiers 
allemand,  ce  qui 
ne  l'empêche 
pas  de  taquiner 
vivement  Guil- 
laume II. 

Avec  l'Italie, 
nous  entrons 
dans      la     vio- 
lence,     dont 
L'Espagne  en  pleurs  {Don   Quijote,  de  Madrid).  PasqumO,       de 


LA  CARICATURE  A  L'ÉTRANGER 


367 


Le   Pape  bénissant  la  France  et  la  Russie.  (D'après  //  Fischietto,  de  Turin.) 


Turin,  est  le  type.  On  est  étonné  que 
l'esprit  latin  soit  souvent  aussi  lourd  et 
que  les  artistes  qui  collaborent  à  ces 
recueils  soient  aussi  dépourvus  d'élé- 
gance. La  race  italienne  a  pourtant  une 
réputation  de  finesse.  Ne  serait-ce  qu'une 
légende  ?  Et  si  les  journaux  comiques 
reflètent  l'esprit  d'un  peuple,  il  faut 
certainement  en  rabattre.  La  crudité 
des  tons  rouges  qui  abondent  dans  ces 
gravures  ne  contribue  pas  à  les  adoucir 
et  leurs  légendes  non  plus,  où  l'on  voit 
rouge  comme  dans  l'impression,  quand 
il  s'agit  de  la  France. 

C'est  aussi  avec  des  encres  rouges  et 
noires  que  les  presses  turinoises  impri- 
ment il  Fischietto  (le  Sifflet).  Les  pré- 
tentions de  cette  feuille  satirique  sont 


plus  larges,  car  elle  s'intitule  humoris- 
tique, politique  et  sociale.  Il  semble 
que  sa  critique  se  borne  à  souffler  tou- 
jours dans  son  sifflet,  un  peu  contre 
tous.  Elle  est  violemment  gallophobe 
et,  ce  qui  pourrait  nous  consoler,  n'hé- 
site pas  à  malmener  la  personne  même 
de  Guillaume  II  et  celle  du  pape,  comme 
le  montre  notre  réduction  d'une  de  ses 
gravures.  Les  dessins  sont  plus  éner- 
giques que  fins,  et  l'élégance  féminine 
lui  est  inconnue. 

La  Luna,  toujours  à  Turin,  est  plus 
fantaisiste.  La  politique  la  préoccupe 
moins  que  les  petites  femmes,  encore 
que  celles  de  ses  dessins  soient  d'une 
légèreté  relative. 

En  Espagne,  nous  trouvons  le  Don  Qui- 


366 


LA   CARICATURE  A   L'ÉTRANGER 


'joie,  à  Madrid,  exclusivement  politique 
et  ne  s'occupant  que  de  la  politique 
espagnole.  Le  journal  est  libéral  et  ses 
critiques  illustrées  revêtent  des  formes 
assez  vives,  sans  être  grossières.  Son 
attitude  dans  la  question  de  Cuba  se 
résume  dans  notre  gravure  de  la  Mater 
Dolorosa,  triste  Espagne  qui  pleure  de 
donner  ses  enfants,  mais  qui  les  donne. 
Citons  aussi   Gedeon,  moins  important. 

Il  existe  de  nombreux  journaux  co- 
miques, surtout  à  Barcelone,  mais  ce 
sont  des  journaux  pour  rire  plutôt  que 
des  feuilles  satiriques,  à  moins  qu'ils  ne 
tournent  au  socialisme. 

Nous  ne  trouvons  pas  de  recueils  du 
genre  à  citer  en  Portugal. 

Le  gouvernement  russe  serait  peu 
tolérant  à  la  satire  politique,  mais  il  se 
publie  à  Saint-Pétersbourg  une  revue 
Choiil  (le  Fou)  qui,  tout  en  rentrant 
dans  la  famille  des  revues  comiques,  est 
d'un  genre  très  particulier  et  d'une  note 
artistique  un  peu  comparable  à  celle  de 
Jiigend,  de  Munich.  C'est  une  publi- 
cation très  typique,  très  caractéristique 
des  mœurs  du  pays,  et  nous  lui  avons 
consacré  une  étude  spéciale.  Il  faut  citer 
aussi  Strekoza  (la  Cigale)  à  Saint-Pé- 
tersbourg, et  Mucha  (la  Mouche)  à 
Varsovie. 

Enfin,  les  Etats-Unis  possèdent,  entre 
plusieurs  autres,  deux  recueils  comiques 
très  importants.  Le  Puck  (Lutin),  de 
New-York ,  ne  ressemble  en  rien  à  son 
presque  homonyme  de  Londres. 

Ses  dessins  sont  très  soignés  et  ses 
silhouettes  féminines  souvent  gracieuses. 
Le  flirt  y  est  toujours  convenable  et  les 
femmes  habillées.  Il  aime  les  petites  his- 
toires en  image  et  les  traite  avec  une 
grande  finesse.  En  politique,  il  a  la  par- 
faite indifférence  des  choses  de  l'Europe 
et  il  faut  qu'un  événement  soit  de  haute 
importance  pour  retenir  son  attention.  Il 
s'en  tient  aux  questions  américaines  et 
comme  les  discussions  municipales  et 
financières  le  préoccupent  beaucoup,  la 
matière  ne  lui  manque  pas  Nous  devons 
tout  au  moins  lui  savoir  gré  d'une  chose, 
c'est  de  ne  pas  être  partisan  des  tarifs 


Histoire  sans  texte  du  Piick  (de  New-York). 

douaniers,  connue  le  prouve  la  gravure 
que  nous  reproduisons. 

Judge  (le  Juge),  son  concurrent,  est 
conçu  dans  le  même  style. 

Les  allusions  à  la  politique  intérieure 
des  Etats-Unis  sont  souvent  difficiles  à 


LA   CAHICAÏURK   A    L'ÉTRANGER 


367 


La  Foire  aux  maris.  {Puck,  de  New- York.) 


comprendre  pour  nous  autres  Français 
trop  peu  au  courant  des  choses  d'outre- 
mer. 


Le  Judge  semble  avoir  trouvé,  pour 
symboliser  la  grande  République,  un 
assez  joli    type   de    femme    coiffée    du 


Critique  des  tarifs  excessifs,  dans  le  Puck. 


30S 


LA    CARICATURE   A    L'ÉTRANGER 


Un  type  du  Puck. 

croissant  et  même  du  bonnet  phrygien. 
La   fabrication  de  ces  deux  journaux 


est  très  soignée.  Les  gravures  en  couleur 
sont  exécutées  par  un  procédé  où  la 
litho  est  mariée  à  la  typo  et  qui  don- 
nent de  grandes  vigueurs. 

Dans  ce  genre  de  publication,  bien  des 


La  République  américaine  du  Judge. 


feuilles  n'ont  qu'une  exis- 
tence éphémère  et  beau- 
coup sont  d'un  intérêt  trop 
local  pour  avoir  pu  être 
citées  ici.  Mais  c'est  assez 
pour  se  rendre  compte  du 
désir  qui  poursuit  partout 
l'humanité  et  qui  a  été 
formulé  par  Beaumarchais  : 
«  Il  faut  se  hâter  de  rire  de 
tout,  pour  ne  pas  avoir  à 
en  pleurer.  » 


La  République  américaine  du  Judge. 


A.    Ganier. 


LES   ANIMAUX    DE    BOUCHERIE 


I. 


LE     BOEUF. 


pi 


On  éprouve  une  certaine  surprise  à  la 
rue  des  quantités  énormes  de 
viandes  journellement    en- 
glouties dans    le  ventre    de 
Paris.  En  jetant  un  coup  d'œil 
sur  les  affiches  administra- 
tives placardées  autour  de  la 
svelte  colonne  qui  décore  la 
cour  de  l'abattoir  de  la  Vil- 
lette,  on  peut  évaluer  le 
nombre  des  animaux  li- 
vrés à  la  consommation. 
Les     abatages    moyens , 
par     jour,     s'élèvent    à 
650   bœufs,   GOO   veaux, 
650  porcs  et  3,000  mou- 


te^ 


Pv 


^ 


nant  des  bêtes  de  boucherie  et  de  char- 
cuterie expédiées  de  tous  les  points  de 
notre  pays. 

Dans  les  premiers  siècles  du  monde, 
l'espèce  humaine  dédaignait  l'alimenta- 
tion animale  pour  se  nourrir  exclusive- 
ment de  racines  et  de  fruits  sauvages. 
C'était  l'âge  d'or  du  végétarisme.  A  ces 
époques  lointaines  nos  auxiliaires  do- 
mestiques sont  immolés  en  l'honneur  des 
divinités.  Suivant  une  tradition  antique, 
l'usage  alimentaire  de  la  viande  re- 
monte au  temps  de  Pygmalion. 

La  légende  qui  s'y  rattache  mérite 
d'être  rapportée.  Le  bœuf  offert  en 
holocauste  vient  d'être  égorgé  et  ses 


y^- 


■^. 


f 


"■•'^'mm^-: 


COLONNE  DE  L'HORLOGE  A  L'ABATTOIR  DE  LA  VILLETTE 


tons.  Ces  hécatombes  gigantesques  com- 
prennent des  sujets  de  sexe,  de  taille, 
d'embonpoint  variables.  Mais  la  gour- 
mandise humaine  dévore  avec  un  appétit 
insatiable  les  chairs  savoureuses  prove- 

VIII.  —  24. 


chairs  grésillent  à  la  faveur  d'un  brasier 
ardent.  Mais  un  morceau  tombe  du  bû- 
cher :  le  prêtre  le  ramasse  et  porte  in- 
stinctivement les  doigts  à  ses  lèvres. 
Ayant  trouvé  le  jus  délicieux,  il  révèle 


370 


LES    ANIMAUX    DE    BOUCHERIE 


aussitôt  sa  découverte,  qiii  est  approuvée 
par  les  sacrificateurs  présents.  Le  goût 
pour  les  chairs  rôties  serait  donc  l'œuvre 
d'un  pur  hasard. 

Quoi  qu'il  en  soit,  l'organisation  des 
sociétés  a  été  la  principale  cause  de  la 
domestication  et  de  l'élevage  du  bétail. 
Et  de  tout  temps  les  animaux  ont  lar- 
gement contribué  à  la  richesse  des 
peuples. 

La  Finance  se  trouve  heureusement 
dotée,  et  son  exploitation  agricole  est 
féconde. 

Nos  races  bovines,  ovines  et  porcines 


TAUREAU     NORMAND 


ne  cessent  de  faire  l'admiration  des 
autres  pays.  Gest  pourquoi  la  fortune 
doit  sourire  à  tous  ceux  qui  font  preuve 
d'intelligence  dans  l'engraissement  des 
animaux  de  la  ferme. 

Les  débouchés  deviennent  de  plus  en 
plus  vastes,  parce  que  la  consommation 
de  la  viande  augmente  chaque  jour  da- 
vantage. Les  sectes  végétariennes  ful- 
minent en  vain  contre  nos  habitudes 
culinaires,  et  nous  continuerons  de  sa- 
vourer des  biftecks  juteux  et  des  gigots 
exquis. 

]*]n  principe,  le  consommateur  français 
dédaigne  les  morceaux  surchargés  de 
tissu  adipeux  ou  pénétrés  d'une  quantité 
exagérée  de  graisse.  Il  lui  répugne  sur- 
tout de  manger  les  chairs  appartenant  à 
des  bêtes  âgées  ou  malades. 


L'appréciation  judicieuse  de  la  viande 
au  double  point  de  vue  de  la  qualité  et 
de  la  salubrité  n'appartient  pas  au  do- 
maine public.  Les  spécialistes  et  les  per- 
sonnes qui  justifient  de  connaissances 
techniques  peuvent  donner  sur  la  ma- 
tière des  indications  précises.  De  là  la 
nécessité  de  confier  aux  vétérinaires 
l'inspection  des  viandes  de  boucherie  et 
des  denrées  alimentaires. 

Chez  les  bovidés  adultes,  on  recherche 
des    chairs    persillées,   fines,   marbrées, 
qui   laissent  sourdre  à   la  coupe  un  li- 
quide rosé.    La  race,  le   sexe,    l'âge  et 
mille   autres  circons- 
tances apportent  dans 
l'organisme  des  modi- 
fications importantes. 
En     général,     l'en- 
graissement rapide  et 
poussé  à  l'excès  s'op- 
pose à  la  pénétration 
régulière  de  la  graisse 
dans     les     interstices 
musculaires.    Le  plus 
souvent,  le  dépôt  des 
cellules    adipeuses  se 
montre  plus  abondant 
à  l'extérieur  qu'à  l'in- 
térieur,   ce    qui     fait 
dire  au  boucher   que 
l'animal  est  fleuri. 
On  tient  grand  compte  de  l'odeur,  de 
la  consistance,  delà  couleur  des  viandes. 
Ne  sait-on  pas  que  l'ingestion  de   cer- 
taines  plantes  communique   aux  tissus 
une   odeur  spéciale?  Les  feuilles  d'ab- 
sinthe offrent  celte  curieuse  particula 
rite.   Si  les   animaux  ont    absorbé    une 
dose  plus  ou  moins  forte  d'ammoniaque, 
de  chloroforme,  d'éther,  on  perçoit  très 
nettement,  même  après  la  cuisson,  l'o- 
deur que  dégage  chaque  substance  mé- 
dicamenteuse. 

Le  taureau.  —  On  éprouve  de  sé- 
rieuses difficultés  à  réhabiliter  le  tau- 
reau, dont  la  viande  est  classée  dans  les 
morceaux  de  basse  boucherie.  L'expli- 
cation de  cette  défaveur  semble  toute 
naturelle.  Car  nombre  de  propriétaires 
ont   la    mauvaise    habitude    d'attendre 


LES    ANIMAUX    DE    BOUCFIEHIE 


371 


trop  longtemps  pour  envoyer  leurs  ani- 
maux à  l'abaLloir.  C'est  ainsi  que  Ton 
obtient  des  chairs  dures,  fades,  résis- 
tantes à  la  mâche.  Et  la  dent  ne  les 
trouvera  jamais  assez  tendres,  même 
après  avoir  été  vigoureusement  marte- 
lées à  coups  de  couperet. 

Ces     inconvénients     n'existent     plus 
quand  les  sujets,  convenablement  nour- 
ris et  reposés,   sont  sacrifiés   de   bonne 
heure.  Nous  voyons  tous  les  jours  à  la 
Villette  des  taureaux  de  dix-huit  mois  à 
deux  ans  qui   attei- 
gnent    presque      la 
perfection.     Il    faut 
parfois  un  œil  exercé 
pour    reconnaître    à 
première   vue    l'ori- 
gine  de   la    viande. 
Aussi     les    pachas, 
c'est  leur  nom,  font- 
ils  bonne   figure  au 
voisinage  des  quar- 
tiers de  bœuf  et  de 
vache.  Les  taureaux 
noi^mands    préparés 
pour    la     boucherie 
arrivent  sur  le  mar- 
ché   de    Paris    dans 
d'excellentes  condi- 
tions   de     santé     et 
d'embonpoint. 

La  vache.  — r  A  la  campagne,  la  vache 
est  une  véritable  fortune  pour  les  petits 
ménages.  Car  elle  fournit  du  lait  en 
abondance,  du  beurre  et  des  fromages 
délicieux.  Ses  qualités  comme  animal 
de  boucherie  sont  également  des  plus 
précieuses.  Malheureusement  il  règne  à 
cet  égard  des  préjugés  profondément 
enracinés.  L'expression  manc/er  Je  la 
vache  enragée  révèle  bien  la  nature 
des  préventions  si  répandues  dans  le 
public.  L'erreur  remonte  à  des  causes 
excessivement  simples.  Toute  bêle  épui- 
sée par  la  lactation,  la  souffrance  ou  la 
maladie  est  indigne  d'entrer  dans  l'ali- 
mentation publique.  Au  lieu  de  la  con- 
duire à  l'abattoir,  il  faut  lui  réserver  le 
clos  d'équarrissage.  Mais  la  vache  en- 
core   jeune,    convenablement    soignée. 


soumise  à  un  engraissement  rationnel, 
donne  d'excellents  produits.  Sa  viande 
fournit,  comme  celle  du  bœuf,  des  pot- 
au-feu  odorants  et  des  daubes  succu- 
lentes. C'est  pourquoi  les  éleveurs  ont 
intérêt  à  vendre  leurs  animaux  avant 
que  l'usure  et  la  maladie  puissent  les 
faire  éliminer  de  la  consommation  de 
l'homme. 

Bovidés  indigènes.  —  Les  races  bo- 
vines françaises  font  à  juste  titre  l'admi- 
ration des  connaisseurs  du  monde  entier. 


BŒUF     GARONNAIS 

Plus  on  les  étudie,  plus  on  distingue 
les  perfections  de  chaque  type.  Pierre 
Dupont  a  rendu  hommage  au  bœuf  li- 
mousin : 

Les  voyez-vous,  les  belles  bétes, 
Creuser  profond  et  tracer  droit, 
Bravant  la  pluie  et  les  tempêtes, 
Qu'il  fasse  chaud,  qu'il  fasse  froid  ? 

Ajoutons  que  la  viande  de  l'animal 
offre  un  persillé  remarquable,  une  finesse 
de  grain  extraordinaire,  une  saveur  des 
plus  exquises. 

Les  normands,  nivernais,  manceaux, 
cliarolais,  bretons  elles  nombreux  métis 
durham  obtiennent  la  faveur  des  bou- 
chers et  des  consommateurs. 

Si  nous  prenons  la  taille  et  le  volume 
en  considération,  nous  devons  une  merï- 


372 


LES     ANIMAUX    DE    BOUCHERIE 


lion  spéciale  aux  bovidés  vendéens,  au- 
vergnats et  garonnais. 

Ces  derniers  surtout,  imposants  par 
le  poids,  l'ampleur  des  formes,  la  beauté 
des  lignes,  constituent  une  mine  d'or 
pour  les  pays  d'élevage.  Ils  fournissent 
des  chairs  d'excellente  qualité. 

Nos  colonies  d'Afrique  et  de  Tunisie 
nous  envoient  chaque  année  des  ani- 
maux engraissés  à  point.   Nous  n'avons 


peut  même  rivaliser  avec  nos  bonnes 
races  de  boucherie.  Ses  caractères  zoo- 
techniques tendent  à  le  rattacher  au 
bœuf  vendéen.  Cette  hypothèse,  soutenue 
par  notre  distingué  collègue  M.  Pautel, 
semble  justifiée.  Les  chairs  des  bovidés 
portugais  sont  persillées,  juteuses,  fines 
et  délicates. 

Les  États-Unis  d'Amérique  menacent 
de  faire  une  sérieuse  concurrence  à  nos> 


BŒUF   AMÉRICAIN   SANS    CORNES 


BŒUF    PORTUGAIS 


pas  besoin  d'en  faire  l'éloge,  parce  que 
leurs  qualités  sont  bien  connues  du  com- 
merce et  du  public. 

Les  bœufs  étrangers.  —  Les  bovidés 
exotiques  contribuent  à  grossir  nos  ap- 
provisionnements. Au  point  de  vue  de 
la  qualité,  il  y  a  des  distinctions  à  établir 
entre  les  bœufs  espagnols,  hongrois, 
italiens  et  autres. 

Tout  se  trouve  subordonné  à  la  nature 
des  individus,  au  mode  d'engraissement, 
aux  conditions  de  transport.  On  ne  peut 
méconnaître  la  réelle  valeur  de  plusieurs 
races. 

Le  bœuf  du  Portugal,  par  exemple, 
atteint  un  haut  degré  de  perfection.  11 


éleveurs,  car  leurs  animaux  ne  man- 
quent pas  de  qualité. 

Les  Américains  ont  sacrifié  des  sommes 
importantes  pour  l'amélioration  des  bo- 
vidés indigènes.  C'est  au  poids  de  l'or 
qu'ils  se  sont  procuré  des  taureaux 
durham,  angus,  devon  et  d'autres  re- 
producteurs anglais  de  grande  marque. 

Les  croisements  ont  donné  les  meil- 
leurs résultats,  car  nous  recevons  des 
animaux  véritablement  remarquables 
par  leur  conformation  et  leur  embon- 
point. La  viande  est  persillée,  tendre  et 
d'une  coupe  parfaite.  Elle  a  un  goût 
excellent  et  elle  convient  indistinctement 
aux    diverses    préparations    culinaires. 


LES    ANIMAUX     DE     BOUCHERIE 


373 


Ces  faits  ont  frappé  les  personnes 
qui  portent  intérêt  à  notre  agriculture, 
parce  que  les  importations  étrangères 
peuvent  avoir  pour  l'élevage  national 
des  conséquences  désastreuses. 

Un  des  agronomes  les  plus  éminents 
de  noti'e  siècle,  M.  E.  Tisserand,  direc- 
teur au  ministère  de  l'agriculture,  a 
procédé  personnellement  à  plusieurs 
enquêtes,  afin  de  pouvoir  renseigner  le 
monde  savant  et  tirer  profit  des  choses 
vues. 

Il  a  aussitôt  reconnu  chez  les  indi- 
vidus croisés  avec  le  Durham  des  formes 
fines,  régulières,  et  un  embonpoint  par- 
fait. 

«  Tous  ces  animaux,  dit  j\I.  Tisse- 
rand, paraissent  peu  affectés  par  les  fa- 
tigues du  voyage,  car  leur  locomotion 
est  aisée  et  leurs  membres  purs  de  tout 
œdème  résultant  d'une  stabulation  ou 
d'un  repos  prolongés.  Leur  taille  est 
moyenne,  et  leur  poids  vif  ne  dépasse 
guère  le  chiffre  moyen  de  550  kilo- 
grammes. Après  l'abatage,  ils  doivent 
donner  337  kilogrammes  de  viande 
nette,  soit  61  pour  100.  D'ailleurs,  ils 
ont  été  classés  dans  la  sorte  de  choix 
par  les  commissionnaires  en  bestiaux 
et  par  les  bouchers,  puis  rapidement 
enlevés  par  la  boucherie  foraine  comme 
pour  la  boucherie  de  Paris.  » 

Ces  renseignements,  rigoureusement 
exacts,  constituent  le  plus  chaleureux 
plaidoyer  en  faveur  du  bœuf  durham. 
Si  les  détracteurs  de  certaines  races  an- 
glaises ne  désarment  pas,  ils  y  mettront 
une  opiniâtreté  ridicule. 

Au  départ,  les  bestiaux  ont  subi  l'in- 
spection vétérinaire  sanitaire,  et  toute 
bête  suspecte  est  immédiatement  élimi- 
née. Une  petite  plaque  en  métal,  por- 
tant les  lettres  U.  S.  A.,  United  Slates 
America  :  Etats-Unis  d'Amérique)  et  un 
numéro  d'ordre,  est  accrochée  aux  oreilles 
de  chaque  animal.  Elle  permet  de  re- 
trouver, le  cas  échéant,  sur  des  registres 
spéciaux,  tous  les  renseignements  qui  le 
concernent  et  qui  forment  son  état 
civil. 

Ilahillage  du  Jxeuf  ahallii.  —  A  re- 


gorgement succède  l'habillage  du  bœuf. 
Ici,  le  travail  du  personnel  de  l'échau- 
doir  est  réglé  par  le  maître  garçon.  Ce 
dernier  est  seul  responsable  de  la  bonne 
exécution  des  opérations  et,  en  qualité 
d'ancien  dans  le  métier,  le  patron  lui 
accorde  toute  sa  confiance. 

Il  occupe  une  situation  bien  rétribuée 
(80  à  ] 20  francs  la  semaine!  et  partant 


r  X  MAITRE  GARÇON  BOUCHER 

enviable.  Du  reste,  c'est  un  cheiillard 
en  perspective,  et  il  arrivera  au  patronat 
par  son  intelligence,  son  travail,  sa 
bonne  conduite.  Robuste,  bien  musclé, 
fort  comme  un  athlète,  il  se  montre 
idoine  à  sa  profession.  Ne  faut-il  pas  un 
cou  souple,  des  bras  d'acier,  des  reins 
puissants  pour  accrocher,  porter,  char- 
ger les  lourds  fardeaux?  Coiffé  du  bon- 
net traditionnel,  chaussé  de  gros  sabots, 
les  bras  nus,  le  pantalon  relevé  à  mi- 
jambe,  la  boutique  enserrée  autour  du 
corps  et  garnie  de  lames  tranchantes,  son 


37  s 


LES    ANIMAUX    DE    BOUCHEIUK 


aspect  donne  le  frisson.  Rassurons-nous, 
c'est  un  travailleur  pacifique,  n'ayant  de 
terrible  que  la  mine  et  l'accoutremenl. 
Pour  faciliter  le  dépouillement,  il  faut 
procéder  au  brochage.  La  bête  est  mise 
sur  le  dos  :  l'ouvrier  pratique  une  ou- 
verture dans  la  région  sternale,  il  y  in- 
troduit la  douille  d'un  énorme  soufflet 
et,  par  l'insufflation  de  l'air,  gonfle  le 


LA    TOILETTE    DU    BŒUF 

cadavre.  De  vigoureux  coups  de  bâton 
appliqués  sur  la  peau  aident  au  ballon- 
nement. Le  brochage  est  condamné  par 
les  hygiénistes  les  plus  éminents,  car 
l'introduction  mécanique  de  l'air  à  tra- 
vers les  tissus  précipite  la  décomposition. 
En  outre,  cette  poussée  d'air  où  pullu- 
lent des  légions  de  microbes  ne  semble 
guère  rationnelle,  et  nous  comptons  sur 
des  règlements  de  police  pour  en  obtenir 
la  suppression. 

Lorsque  la  peau  se  trouve  tendue  à 
l'excès,  elle  est  incisée  de  l'anus  au  cou, 
puis  détachée  méthodiquement,  roulée 
et  pesée. 


Entre  temps,  un  aide  fait  pénétrer 
dans  la  corde  des  jarrets  le  linet  ou  pièce 
de  bois  qui  servira  à  suspendre  l'animal 
la  tête  en  bas.  Dans  cette  position  il  est 
commode  d'enlever  les  organes  inté- 
rieurs. Les  poumons,  le  cœur,  le  foie, 
la  rate  sont  accrochés  à  des  chevilles  en 
fer,  pendant  que  la  panse  et  les  intes- 
tins sont  traînés  dans  la  cour  de  travail. 
C'est  alors  que  l'on  procède  à  leur  net- 
toyage et  à  leur  dégraissage. 

Un  petit  chariot  appelé  corbillard 
reçoit  la  graisse,  et  le  tonneau  à  nivet  se 
remplit  de  déchets  ou  de  résidus  divers. 

Pendant  ces  travaux  variés,  le  maître 
garçon  ne  reste  pas  inactif.  Il  manie 
dextrement  le  couteau  en  faisant  dispa- 
raître les  traces  de  sang,  les  parties  apo- 
névrotiques  et  graisseuses  portant  des 
macules  quelconques.  Pour  que  la  toi- 
lette soit  irréprochable,  il  éclaire  succes- 
sivement les  régions  avec  un  tube  en 
caoutchouc  relié  au  bec  de  gaz. 

Le  dépeçage  nécessite  la  division  du 
bœuf  en  quatre  quartiers.  L'ouvrier  sé- 
pare les  épaules,  puis,  juché  sur  l'esca- 
beau, fend  le  reste  du  corps  en  deux 
parties  égales.  Celles-ci,  minutieusement 
ressuyées  avec  des  linges  très  propres, 
sont  adossées  en  lignes  uniformes  jus- 
qu'à la  livraison  au  boucher  de  détail. 


IL   — 


LE     VEAU. 


Arraché  de  sa  chaude  étable,  violem- 
ment cahoté  dans  une  lourde  guimbarde, 
le  veau  arrive  enfin  au  lieu  du  supplice, 
l'^n  quelques  instants  il  est  couché  sur 
un  banchet,  ligotté,  égorgé.  Le  sang, 
précieusement  recueilli,  est  vendu  au 
charcutier,  qui  l'utilise  comme  complé- 
ment du  sang  de  porc  dans  la  fabrica- 
tion des  boudins. 

La  tête  séparée  du  tronc  et  les  pieds 
désarticulés  font  partie  des  abats.  Ils 
subissent  des  préparations  indispen- 
sables pour  les  rendre  comestibles.  Le 
travail  de  la  tête  n'est  point  banal. 

L'ouvrier  plonge  dans  les  naseaux 
l'extrémité  d'un  long  tuyau  relié  à  la 
machine  qui  renferme  de  l'air  comprimé. 


LES    ANIMAUX    DE     lîOU CHERIE 


•  375 


En  ouvrant  le  robinet,  l'air  s'échappe 
avec  force  et  produit  instantanément  un 
gonflement  énorme  des  tissus.  Ensuite, 
on  plonge  la  tête,  dont  le  volume  a  pres- 
que doublé,  dans  une  vaste  cuve  remplie 
d'eau  chaude,  où  elle  est  épilée,  raclée, 
échaudée.  Le  dégorgement  des  matières 
sanguinolentes  se  fait  au  moyen  de  la- 
vages prolongés  dans  une  eau  courante. 
Après  ces  opérations,  les  têtes,  bien  rin- 
cées, peuvent  être  soumises  aux  nom- 
breux modes  de  cuisson  que  tout  le 
monde  connaît. 

Les  pieds,  préalablement  lavés,  net- 
toyés, blanchis,  entrent  au  même  titre 
dans  notre  alimentation.  Ces  divers  pro- 
duits fournissent  des  mets  excellents  à 
la  condition  d'être  frais.  En  été,  leur 
avarie  se  manifeste  rapidement.  11  con- 
vient de  rejeter  de  l'office  toute  partie 
qui  offre,  à  un  degré  quelconque,  l'as- 
pect grisâtre,  terne,  visqueux,  caracté- 
risant des  altérations.  Et  la  moindre 
odeur  suspecte  mérite  d'éveiller  l'atten- 
tion de  nos  ménagères. 

Le  dépouillement  du  veau  demande 
une  réelle  habileté  de  la  part  du  garçon 
boucher. 

Car  il  est  d'une  rigueur  absolue  de 
ménager  la  peau,  d'ouvrir  proprement 
le  cadavre,  de  donner  aux  chairs,  par 
un  savoir-faire  spécial,  une  tournure 
séduisante.  Aussi  le  veautier  —  c'est  le 
nom  usuel  —  qui  arrive  à  préparer  les 
veaux  dans  des  conditions  irréprocha- 
bles, jouit-il  à  la  Villette  d'une  réputa- 
tion enviée.  Il  procède  d'abord  à  linsuf- 
flation,  telle  qu'elle  se  pratique  chez  le 
bœuf. 

La  peau,  suffisamment  distentlue,  est 
détachée  sans  coupure  ni  déchirure.  La 
moindre  détérioration  lui  cause  une 
dépréciation.  Plus  tard,  le  mégissier  la 
façonnera  en  vue  des  industries  de  la  gan- 
terie et  de  la  pelleterie.  Les  peaux  mu- 
nies de  leurs  poils  et  mégies  servent  à 
confectionner  des  sacs  à  soldat,  des 
mules,  des  pantoufles,  des  fourrures  di- 
verses. Les  plus  minces  et  les  plus  déli- 
cates sont  réservées  pour  la  maroqui- 
nerie. 


Le  garçon  boucher  révèle  son  adresse 
par  la  manière  de  blanchir  le  veau.  C'est 
en  sillonnant  l'animal  de  raies  longues 
et  peu  profondes,  mais  tracées  avec  art, 
qu'il  met  en  relief  les  tissus.  Quand  le 
ton  rose  des  chairs  se  marie  heureuse- 


LE     DÉPEÇAGE 

ment  avec  la  couleur  immaculée  de  la 
graisse,  on  dit  que  la  bête  se  distingue 
par  une  blancheur  parfaite. 

Le  boucher  prend  en  grande  considé- 
ration cette  qualité.  Il  recherche  à  l'envi 
la  viande  blanche  ou  légèrement  rosée 
avec  une  graisse  intérieure  agréable  à 
l'fcil.  Chez  le  veau  convenablement  en- 


376 


LES    ANIMAUX     DE    BOUCHERIE 


graissé,  nous  trouvons  les  rognons  noyés 
au  milieu  d'une  couche  épaisse  de  tissu 
adipeux  d'une  blancheur  très  pure. 


li'ÉGORGEMENT     DU     VEAU 

Lorsque  les  chairs  se  montrent  foncées 
en  couleur  av?c  présence  d'une  graisse 
rougeâtre,  on  en  conclut  que  la  bête  a 
été  mal  nourrie  ou  mal  soignée.  Cela 
arrive  encore  pour  les  sujets  qui  ont 
subi  de  mauvais  traitements.  Nous  de- 
vons donc  encourager  de  tous  nos  ef- 
forts les  Sociétés  qui  répandent  partout 
les  bienfaits  de  la  protection  envers  nos 
utiles  auxiliaires.  On  connaît  les  heu- 
reux résultats  obtenus,  sous  ce  rapport, 
à  Paris,  par  la  Société  protectrice  des 
animaux,  qui  est  administrée  par  des 
hommes  du  plus  grand  mé- 
rite. 

Nos  cultivateurs  ne  devraient 
jamais  oublier  qu'ici  leurs  inté- 
rêts sont  enjeu. 

Les  mauvais  traitements  con- 
courent à  diminuer  la  valeur  des 
produits.  Ne  sait-on  pas  que  la 
peur,  les  angoisses,  la  douleur 
ont  des  répercussions  très  fu- 
nestes sur  l'organisme? 

Les  coups,  les  heurts  violents 
se  traduisent  fatalement  par  des 
suffusions    sanguines,   des   infil- 
trations abondantes  dans  l'épais- 
seur des  muscles   et  des  autres  tissus. 
Les  altérations  envahissent  promptement 
la  viande,  ce  qui  porte  de  graves  préju- 
dices aux  propriétaires. 


IIL     LE     PORC. 

Si  nous  voulions  faire  l'éloge  du  co- 
chon domestique,  nous  dirions  simple- 
ment que  toutes  les  parties  de  son  corps 
s'offrent  en  tribut  à  la  sensualité  de 
l'homme.  Malgré  cela,  il  a  été  pendant 
des  siècles  méconnu,  dédaigné,  avili. 
Plusieurs  peuples  déclarent  sa  chair  im- 
monde et  en  prohibent  la  consomma- 
tion. 

En  Europe,  l'animal  a  été  victime  de 
notre  ingratitude;  car,  vivant,  il  partage 
les  mauvais  traitements  réservés  aux 
parias  de  la  création.  Quoique  tardive, 
l'heure  de  la  réhabilitation  a  sonné,  et 
aujourd'hui  le  précieux  pachyderme  de- 
vient l'objet  de  meilleurs  soins.  Sous 
l'influence  d'un  régime  copieux,  d'une 
bonne  hygiène,  l'engraissement  se  montre 
rapide  et  tous  les  produits  acquièrent 
une  grande  délicatesse.  Aussi  les  poètes 
lesplus  renommés  ont-ils  idéalisé  la  mort 
du  cochon.  On  se  souvient  que,  tout 
récemment,  son  image  ciselée  dans  les 
plus  riches  métaux  était  réputée  pour 
un  joyau  de  prix  et  un  talisman  efficace. 

Les  mœurs,  les  instincts  et  les  habi- 
tudes du  porc  ont  soulevé  des  appré- 
ciations contradictoires.  Quelques  au- 
teurs lui  attribuent  une  voracité  brutale, 


l'insufflation    nu    veau 


des  goûts  grossiers,  de  grandes  imper- 
fections des  sens  et  de  l'intelligence.  Ces 
accusations  ne  sont  pas  justifiées,  et  les 
naturalistes  qui  l'ont  mieux  observé  lui 


LES     ANIMAUX    DE     BOUCHERIE 


3-7 


reconnaissent  des  facultés  supérieures. 
Il  possède  à  un  haut  degré  le  sentiment 


LE     LANGUETAGE     DU     PORC 

de  la  conservation  et  sa  mémoire  lui 
permet  de  discerner  les  bons  et  les  mau- 
vais traitements.  L'opinion  d'un  grand 
physiologiste  moderne  vient  à  l'appui  de 
ce  que  nous  avançons  :  «  Le  porc,  dit 
]\L  Colin,  donne  encore  plus  que  le 
bœuf  des  preuves  de  i^éflexion  et  de  ju- 
gement. » 

Dans  les  campagnes  où  l'élevage  laisse 
à  désirer,  l'espèce  porcine  souffre  non 
seulement  de  la  mauvaise  alimentation, 
mais  surtout  d'une  hygiène  déplorable. 
On  réserve  aux  animaux  des  réduits 
obscurs,  humides,  malsains.  On  les  laisse 
vaguer  au  hasard  dans  les  rues,  dans  les 
cours,  sur  les  fumiers.  Poussés  par  la 
faim,  ils  fouillent  les  immondices  et  dé- 
vorent les  matières  insalubres  qu'ils 
rencontrent. 

La  ladrerie,  maladie  parasitaire  bien 
connue,  n  a  pas  d'autre  origine.  C'est 
en  consommant  des  détritus  de  toute 
nature  que  le  porc  peut  ingérer  les  larves 
du  iœnia  solium. 

Arrivés  dans  le  tube  digestif  sous 
forme  embryonnaire,  les  parasites  enva- 
hissent les  tissus  et  constituent  des  vé- 
sicules ovoïdes,  blanchâtres,  atteignant 


le  volume  d'un  grain  de  chènevis  et 
même  d'un  pois.  Ces  viandes  deviennent 
manifestement  insalu- 
bres, parce  que,  con- 
sommées par  l'homme, 
elles  engendrent  le  ver 
solitaire.  Si  cette  affec- 
tion apporte  quelque 
profit  au  pharmacien, 
elle  est  fort  désagréable 
pour  celui  qui  en  est 
atteint. 

Aussi  cause-t-elle  un 
légitime  effroi  au.  char- 
cutier parisien.  Et  son 
empressement  à  faire 
visiter  ses  porcs  prouve 
combien  il  désire  sau- 
vegarder la  santé  des 
clients. 

Chezlecochon,  l'exis- 
tence de  la  ladrerie  se 
révèle  à  la  présence, 
dans  l'épaisseur  de  la  langue  de  petits 
grains  caractéristiques.  C'est  ce  qui 
oblige  les  gens  du  métier  à  explorer  cet 
organe.  L'opération  appelée  langueyage 
coûte  1  franc  par  tête.  Quand  le  nombre 
des  animaux  est  plus  important,  le  visi- 
teur émet  des  exigences  moins  élevées. 


Peleu 


Casse-brochet. 


Billot. 


La  tuerie.  —  Le  porc  est  dirigé  sur 
l'abattoir  soit  à  pied,  soit  en  voiture.  Il 
est  claquemuré  dans  une  case  en  atten- 
dant le  coup  de  masse. 


378 


LES    ANIMAUX    DE    BOUCHERIE 


Le  tueur  provoque  rétourdissement 
en  frappant  le  front  avec  un  long  maillet 
de  bois.  Aussitôt  il  saisit  l'animal  par 
Toreille  et  le  renverse  sur  le  côté  droit. 
La  section  des  veines  jugulaires  prati- 
quée, séance  tenante,  fait  jaillir  le  sang. 

On  connaît  les  avantages  multiples  de 
l'assommage  avant  la  saignée.  Il  diminue 
les  souffrances  de  la  bête,  supprime  ses 


l'ouverture  des  poncs 

cris  déchirants,  paralyse  les  mouvements 
désordonnés,  en  un  mot  simplifie  énor- 
mément la  sanglante  besogne.  Nous  en 
conseillons  vivement  l'emploi  général. 

L'outillage  du  tueur  est  varié. 

Il  comprend  les  chaudières,  poêles, 
cuillères,  la  masse,  le  couteau  à  saigner, 
le  couteau,  diipeleu,  pour  gratter,  peler, 
nettoyer  la  peau,  le  couteau  pour  sé- 
parer le  sternum. 

Mentionnons  encore  les  billots,  les 
brosses,  les  éponges,  les  attelles  de  bois 
destinées  à  maintenir  ouverte  lentrée  de 
la  poitrine. 


En  même  temps  que  le  sang  s'écoule, 
on  l'agite  avec  la  main  ou  bien  on  le 
fouette  à  l'aide  d'une  cuiller  pour  pré- 
venir la  coagulation.  Ce  liquide,  mélangé 
d'oignons  et  de  gras  hachés,  servira  à  la 
confection  du  boudin. 

L'enlèvement  de  la  soie  se  fait  avec 
un  instrument  analogue  à  un  crochet  à 
boutons  de  gros  calibre.   Ce  travail  est 
exécuté  par  des  femmes  qui 
s'en    acquittent    parfaite- 
ment. 

La  toilette  du  porc  va 
commencer.  On  range  plu- 
sieurs animaux  côte  à  côte 
par  nombre  de  dix  ou  douze 
et  on  les  recouvre  de  paille. 
Quelques  instants  après,  les 
flammespétillent,  les  peaux 
grésillent  et  la  case  où  s'ef- 
fectue le  travail  est  trans- 
formée en  fournaise  ar- 
dente. 

Le  porc,  flambé  d'un 
côté,  est  retourné  et  la  si- 
nistre besogne  continue. 
On  le  transporte  dans  le 
pendoir  pour  être  échaudé, 
lavé  et  vidé. 

L'ouverture  des  cavités 
thoracique  et   abdominale 
exige  des  précautions  mi- 
nutieuses, car  il  faut  l'es- 
pecter  les  organes  du  tube 
digestif",  et  un  coup  de  cou- 
teau maladroit  occasionne- 
rait l'écoulement  du  sang, 
de  spumosités  ou    de  matières    alimen- 
taires. La  viande  perdrait,  de  ce  chef, 
le  coup  d'œil  et  l'aspect  désirables. 

Ouverture  des  porcs.  —  Le  cadavre 
est  suspendu,  la  tête  en  bas,  aux  che- 
villes en  fer  du  pendoir.  On  le  fend  dans 
sa  longueur  et  les  viscères  sont  détachés 
avec  le  plus  grand  soin.  Lorsque  l'inté- 
rieur du  corps  se  trouve  débarrassé  des 
poumons,  du  C(eur,  du  foie,  de  la  rate, 
de  l'estomac  et  des  intestins,  on  fait  dis- 
paraître par  des  lavages  successifs  toute 
trace  de  sang.  II  ne  reste  plus  qu'à  dé- 
tacher la  tête  et   à  fendre  l'animal  en 


LES    ANIMAUX    DE    HOL'CIIKUIK 


379 


deux  quartiers.  Ceux-ci  seront  accrochés 
aux  ridelles  d'une  voiture  ad  hoc  et  con- 
duits à  l'étal  du  charcutier. 

Les  boyaux  portent  la  dénomination 
de  Iripée. 

Leur  nettoyage  est  assuré  par  la  li- 
reuse  de  menu.  C'est  ainsi  qu'on  désigne 
la  femme  chargée  de  vider  les  matières 
contenues  dans  le  tube  digestif,  de  re- 
tourner et  laver  les  intestins. 


Ce  travail  ne  présente  rien  de  sugges- 
tif, et  celui  qui  en  est  témoin  éprouve 
pour  quelque  temps  le  dégoût  des  an- 
douilles,  boudins,  saucisses  et  victuailles 
similaires.  Néanmoins  la  nature  reprend 
ses  droits,  et  toute  cette  tripaille,  com- 
pulsoires  de  buvettes,  disait  Rabelais, 
emmaillote  mille  produits  chéris  des 
amis  de  Bacchus. 

TniîoDORE  Bourbier. 


NETTOYAGE     DES    TRIPES 


LE 


MODERNE    ÏRAINEUR    DE    SABRE 


Il  est,  chez  un  peuple  aussi  chauvin 
que  le  peuple  français,  un  fait  étran{,^e  à 
constater  :  le  manque  absolu  d'idées 
justes  où  Ton  est  sur  l'armée. 

Pour  expliquer  cette  ig'norance,  on 
peut,  il  est  vrai,  alléguer  que  lonj^lemps 
l'armée  fut  une  caste,  dans  toute  l'étroite 
acception  de  ce  mot.  Elle  fut  une  caste 
par  l'instabilité  qu'eurent  les  rég-iments, 
qui  passaient  brusquement  d'un  bout  de 
la  France  à  l'autre  ;  par  la  non-connais- 
sance où  habitants  et  militaires  demeu- 
raient les  uns  des  autres  en  ces  rapides 
passages  ;  par  le  mode  de  recrutement 
des  soldats,  presque  tous  remplaçants 
et  professionnels. 

Si  cette  ignorance  avait  peu  d'impor- 
tance tant  qu'il  s'agissait  des  soldats, 
qu'on  pouvait  juger  d'irresponsables  ins- 
truments entre  les  mains  de  leurs  chefs, 
elle  prenait  un  tout  autre  caractère  de 
gravité  vis-à-vis  des  officiers,  sur  les- 
quels se  portaient  des  jugements  tout 
faits  et  sans  appel.  Ceux-ci,  n'ayant  pas 
le  temps  ou  la  volonté  de  se  créer  des 
relations,  vivaient  entre  eux,  ne  sortant 
guère  de  leur  cercle  restreint  :  le  régi- 
ment devenait  une  grande  famille.  Alors, 
il  arrivait  ce  qui  arrive  fatalement  à 
toute  individualité  noyée  dans  une  collec- 
tivité :  chacun  —  suivant  l'inflexible  loi 
de  l'influence  du  milieu  —  s'imprégnait 
profondément  des  idées  de  son  entou- 
rage et  perdait  peu  à  peu  son  caractère 
propre  pour  revêtir  celui  de  la  masse. 
A  de  rares  exceptions  près,  on  était  sol- 
dat, et  rien  que  soldat. 

L'armée  fut  donc  très  longtemps  mal 
connue,  crainte  un  peu,  respectée  presque 
toujours,  mais  avec,  parfois,  une  nuance 
de  dédain  pour  des  hommes  auxquels 
certains  esprits  se  refusaient  à  accorder 
la  moindre  intellectualité. 

Mais  une  lente  modification  s'est  pro- 


gressivement opérée  en  elle.  Au  service 
demi-obligatoire,  dont  s'exemptaient  les 
riches,  a  succédé  un  service  rigoureuse- 
ment personnel,  auquel  il  n'est  guère 
possible  de  se  soustraire.  De  sept  ans,  le 
temps  à  passer  sous  les  drapeaux  a  été 
réduit  à  cinq,  puis  à  trois...  à  un  an  pour 
la  plupart  :  un  bien  plus  grand  nombre 
d'hommes  peut,  de  la  sorte,  être  exercé 
dans  un  temps  donné.  Au  lieu  d'être  en- 
combrés de  /'em/j/cifci?if*^  soldats  quelque 
peu  mercenaires,  les  rangs  inférieurs 
renferment  maintenant  des  jeunes  gens 
de  toutes  les  classes  de  la  société. 

Notre  armée  est  devenue  une  armée 
nationale  :  c'est  la  nation  elle-même  por- 
tant les  armes. 

Les  changements  de  garnison  sont  au- 
jourd'hui l'exception  ;  les  régiments,  de- 
meurant dans  une  même  ville,  arrivent 
à  en  faire,  en  quelque  sorte,  partie  inté- 
grante. Les  officiers  sont  devenus  comme 
des  fonctionnaires  d'un  ordre  particulier, 
en  uniforme. 

Eh  bien  1  malgré  celte  communauté 
de  vie  du  pays  avec  l'armée  et  cette 
intime  fusion  du  citoyen  et  du  soldat, 
l'armée  est  encore  inconnue  et  mécon- 
nue. 

Encore,  sur  le  mécanisme  même  de 
cette  grande  machine,  est-il  facile  de  se 
faire  des  idées  assez  nettes ,  soit  en 
ouvrant  des  règlements  ou  en  interro- 
geant des  militaires,  soit  en  s'aidant  des 
souvenirs  d'un  passage  à  la  caserne. 
Ceux-là  seuls,  d'ailleurs,  qui  ont  fait 
leur  temps,  peuvent  parler  du  service 
militaire  avec  quelque  autorité,  et  encore 
ils  n'ont  vu  que  superficiellement  s'en 
mouvoir  les  rouages.  S'ils  connaissent 
les  petits  dessous  de  la  vie  du  soldat,  il 
leur  est  bien  difficile  de  voir  plus  loin  " 
que  la  caserne. 

Au   demeurant,   combien   se  donnent 


LK    MODE  RM-:    TRAINEUR     DE    SABRE 


381 


la  peine  de  chercher  à  l'aire  cette  étude? 

La  plupart  se  contentent  de  suivre  le 
Irantran  coutumier  en  faisant  le  moins 
de  service  possible.  Les  plus  intelligents 
d'entre  les  dispensés,  étudiants  ou  élèves 
d'écoles  favorisées,  considérant  —  pres- 
que tous  —  comme  une  corvée  indigne 
(i'eux  le  métier  qu'on  leur  impose  durant 
un  an,  méprisent  indifféremment  égaux 
et  supérieurs,  et  n'aspirent  qu'au  mo- 
ment où  ils  pourront  reprendre  leur  vie 
civile. 

Des  artistes,  pourtant,  se  sont  ren- 
contrés, qui  ont  trouvé  dans  la  caserne 
une  inépuisable  mine  de  lestes  croquis 
et  de  charges  drôles. 

Mais,  pour  le  chercheur  désireux  de 
pénétrer  jusqu'au  tréfonds  des  choses, 
pour  un  psychologue  de  collectivité,  où 
pourra  se  trouver  l'âme  de  ce  grand 
corps  qu'est  l'armée?  Est-ce  chez  les 
soldats,  chez  ces  hommes  qui  ne  font 
que  passer  sous  les  drapeaux,  ne  voyant 
surtout  du  service  militaire  que  les 
petites  vexations  et  les  petits  ennuis? 
Est-ce  dans  le  cadre  si  restreint  des 
sous-officiers  rengagés,  braves  gens  fai- 
sant consciencieusement  leur  devoir, 
mais  dont  la  pluralité  ne  vise  qu'un 
modeste  emploi  civil? 

Evidemment  non.  Dans  une  armée  où 
le  service  est,  pour  les  hommes,  aussi 
rapide,  il  ne  saurait  être  question  d'étu- 
dier l'esprit  militaire  ailleurs  que  dans 
le  corps  des  officiers,  de  ceux  qui,  ayant 
de  leur  plein  gré  choisi  la  carrière  des 
armes,  la  poursuivent  durant  de  longues 
années. 


Ils  sont,  ces  professionnels  du  sabre, 
l'objet  des  jugements  les  plus  bizarres  et 
les  plus  ditférents  suivant  ceux  qui  les 
conçoivent.  Faute  de  documents  précis, 
chacun  se  crée  de  l'officier  un  idéal  à 
part,  flatteur  ou  insultant,  rose  ou 
sombre,  généreux  ou  mesquin,  suivant 
le  tempérament ,  les  aspirations  et  le 
milieu  habituel  de  celui  qui  juge.  L'édu- 
cation première,  l'influence  ambiante,  le 
caractère,  la  naïveté  ou  l'expérience,  les 


rêves  ou  les  désillusions  de  chaque  indi- 
vidu se  retrouvent  assez  exactement  dans 
son  opinion  pour  qu'il  soit  intéressant 
de  les  passer  tous  en  revue. 

Honneur  aux  dames!  Pour  les  jeunes 
filles,  pour  les  femmes,  l'officier  incarne 
le  mondain  insouciant,  le  valseur  infa- 
tigable, le  cavalier  hardi  et  accompli.  Sa 
grande  influence  sur  elles  vient  surtout 
de  ce  qu'il  n'est  pas  vêtu  comme  tout  le 
monde. 

C'est  le  fiancé  ! 

Pour  les  jeunes  gens  sans  parti  pris, 
c'est  le  gai  compagnon,  le  déluré  fêtard, 
le  casse-cou,  ne  donnant  à  son  service 
que  tout  juste  le  temps  nécessaire, 
n'ayant  ni  la  volonté  ni  le  loisir  d'être 
trop  «  rosse  »  avec  ses  hommes...  le 
vin,  le  jeu,  les  belles... 

C'est  le  viveur. 

Pour  le  naïf  chauvin  dont  Theureuse 
confiance  en  notre  gloire  future  ne 
s'atténuera  jamais,  c'est  l'homme  des 
études  arides,  la  tête  uniquement 
occupée  de  la  revanche  attendue,  prépa- 
rant sans  relâche  à  la  guerre  et  ses 
homme  et  lui-même. 

C'est  l'avenir. 

Pour  les  gens  graves,  <(  établis  »,  lof- 
ficier  se  personnifie  dans  le  cavalier, 
riche,  un  peu  hautain,  aimant  avant  tout 
le  sport  et  le  plaisir,  être  non  nuisible, 
mais  bien  coûteux  au  budget  :  ^<  Ah  ! 
monsieur,  quand  nous  n'aurons  plus 
d'armées  permanentes!,..  « 

C'est  l'inutile. 

Pour  les  esprits  «  supérieurs  »,  il  repré- 
sente l'être  ignorant,  la  «  culotte  de 
peau  «. 

C'est  RamoUot  ! 

Pour  le  pâle  voyou  qui  attend  l'émeute, 
pour  le  socialiste  et  l'anarchiste,  il  fait 
partie  des  «  bourgeois  ».  C'est  l'homme 
qui  enlève  les  barricades  et  qui  fusille. 

C'est  le  TRAÎNELR    DE    S.\BRE  !  !  ! 

Eh  !  oui,  Tofficier  est  tout  cela,  galant, 
viveur,  travailleur,  sportsman,  soldat, 
traîneur  de  sabre  !  Il  est  tout  cela  — 
sauf  inutile  —  et  il  n'est  particulière- 
ment rien  de  tout  cela.  Car,  si  les  rares 
qualités    et  tous   les    défauts  que    nous 


382 


LE    MUDEIINE    TllAIXEUR    DE    SABRE 


venons  d'énumérer  trouvent  leurs  repré- 
sentants parmi  nous,  chacun  de  nous  n'a 
pas  toutes  ces  qualités  ou  tous  ces 
défauts. 

Merci,  pourtant,  mon  brave  Chauvin, 
qui  vous  découvrez  devant  le  petit  sous- 
lieutenant  que  vous  voyez  quitter  tôt 
son  cercle,  le  soir,  et  rentrer  chez  lui. 
Merci  de  croire  qu'il  va  se  plonger  dans 
quelque  grande  œuvre  de  tactique,  ou 
méditer  —  tel  jadis,  à  Valence,  notre 
Grand  —  quelque  plan  gigantesque  din- 
vasion. 

Et  vous  ne  lui  en  voulez  pas,  n'est-ce 
pas?  de  prendre  une  brève  distraction 
et  de  chercher  quelques  doux  encoura- 
gements au  travail  d'hiver  qu'il  fait 
quand  même,  sans  y  être  forcé,  brave- 
ment, par  devoir... 


Lofticier  d'aujourd'hui  est  un  êti^e 
complexe.  Pour  l'apprécier  et  le  con- 
naître, il  ne  faut  pas  observer  seulement 
le  lieutenant  A,  le  capitaine  B  ou  le 
colonel  G.  Il  faut  étudier  tous  ces  carac- 
tères épars,  les  réunir  dans  un  même 
travail  de  comparaison,  en  faire  l'amal- 
game, et  juger  du  composé  ainsi  produit, 
bien  sûr  que  chacun  a  au  fond  de  soi- 
même,  à  une  dose  plus  ou  moins  forte, 
un  peu  du  caractère  multiple  ainsi  obtenu 
par  la  fusion  de  tous. 

Les  guerres,  aujourd'hui,  sont  deve- 
nues l'occupation  la  plus  rare  des 
soldats.  On  ne  parle  qu'en  tremblant  de 
la  mêlée  qui  mettrait  aux  prises  les 
grandes  armées  européennes.  Le  rôle 
actif  —  militant  —  de  lofticier  a  di- 
minué dans  de  notables  proportions.  Ne 
pouvant  exercer  ses  qualités  combatives, 
celles  du  champ  de  bataille,  il  aura  à 
déployer  celles  qu'il  doitavf)ir  en  temps 
de  paix,  et  ce  ne  sont  pas  là  les 
moindres. 

Nous  n'avons  pas  entrepris  ici  la  glo- 
i-ification  du  militaire  professionnel. 
Comme  tout  ce  qui  est  humain,  il  a  ses 
défauts.  Mais  il  a  aussi  ses  qualités  et 
l'on  semble  beaucoup  trop  ignorer  celles- 
ci  pour  ne  parler  que  de  ceux-là.    Faire 


connaître  quelque  peu  ces  qualités,  tel 
est  le  but  modeste  de  cette  étude. 

De  tous  les  idéals  déjà  cités,  lequel 
choisirons-nous?...  Aucun,  évidemment, 
puisque  —  nous  l'avons  dit  —  le  ca- 
ractère de  l'officier  bien  équilibré  n'est 
qu'une  synthèse  de  tous  les  caractères 
étudiés. 

L'exagération  d'aucun  défaut  n'existe 
plus.  Le  vieux  soldat,  arrivé  aux  galons 
à  force  de  courage  et  sentant  un  peu 
trop  son  brisquard,  a  disparu  :  les  si 
fréquents  examens  du  temps  de  paix 
l'ont  tué.  Le  joueur  invétéré  et  le  buveur 
rebelle  ont  eu  le  même  sort  ;  mais  ici  les 
exécuteurs  s'appellent  non-activité  et 
réforme,  arrivant  à  temps  pour  sauve- 
garder l'honneur  de  l'uniforme  et  écarter 
du  troupeau  les  brebis  galeuses. 

Ces  exceptions  mises  à  part,  il  reste 
un  certain  nombre  de  qualités  et  de 
défauts  entre  lesquels  le  triage  se  fait 
naturellement. 

Certains  de  nos  brillants  cavaliers 
sacrifient  à  l'élégance,  au  snobisme,  et 
sont  néanmoins  de  parfaits  instructeurs 
et  d'excellents  entraîneurs  de  leurs 
hommes. 

La  plupart  de  nos  jeunes  officiers 
sont  des  mondains  achevés  et  d'infati- 
gables cotillonneurs. 

Mais  cela  ne  les  empêche  pas,  au 
matin,  après  une  nuit  passée  à  valser, 
de  reprendre  très  lucidement  —  les 
yeux  un  peu  battus  —  les  fautes  com- 
mises par  un  caporal  à  ïinstruction 
individuelle. 

Il  y  a  aussi,  il  y  a  beaucoup  d'ambi- 
tieux qui  pompent  dans  l'espoir  des 
aiguillettes  et  d'un  bel  avenir.  Quelques- 
uns  même,  dans  cette  lutte  pour  le 
galon,  marchent  sans  scrupule  sur  le 
A'entre  des  voisins.  Mais  n'est-ce  pas 
là  le  continuel  struggle  for  life? 

Quant  à  l'idéal  unique  de  l'officier 
bornant  sa  vie  à  la  seule  pensée  de  la 
revanche,  il  peut  s'incarner  en  certains 
hauts  dignitaires,  mûrs,  rassis,  à  l'am- 
bition noble...  Mais  ne  serait-ce  pas 
folie  que  de  demander  d'aussi  sages 
pensées  à  une  tête  de  vingt-cinq  ans  ? 


LK    MODKHNK    TH  A  I  .\  KU  II    DE    SABRE 


383 


Pour  éliulier  sur  le  vif  et  peindre 
sans  i)arti  pris  le  «  moderne  traîncur 
de  sabre  »,  réliminalion  précédente 
s'imposait,  et  dès  lors  notre  besogne 
ardue  s'aplanit^. 


Dans  quelles  fonctions  choisirons- 
nous  l'ofllcier  à  étudier?  Nous  ne  pou- 
vons songer  à  le  prendre  parmi  les 
spécialistes,  attachés  à  un  déprimant 
travail  de  bureau.  Pendant  la  période 
qu'il  passe  à  s'initier  aux  détails  de  la 
comptabilité,  rofllcier  n'est  qu'un  fonc- 
tionnaire galonné,  comme  d'ailleurs 
tous  les  militaires  employés,  quel  que 
soit  leur  grade.  Pour  le  bien  connaître, 
il  faut  le  prendre  au  milieu  de  ses 
hommes,  «  officier  de  troupe  »,  dans  le 
rôle  d'instructeur  et  d'éducateur  que 
tout  le  monde  remplit. 

Instructeur,  l'officier  a  dû  l'être  en 
tout  temps  :  c'est  sa  première  raison 
d'être.  Avant  de  conduire  des  hommes 
sur  le  champ  de  bataille,  il  faut  les 
instruire,  leur  apprendre  leur  métier, 
les  habituer  à  la  fatigue,  à  l'ennui  des 
longues  marches,  les  familiariser,  dans 
une  toute  petite  mesure,  avecles  épreuves 
si  dures  qu'ils  auraient  à  supporter  en 
campagne. 

Il  y  a  quelque  trente  ans,  lofficier 
pouvait  jusqu'à  un  certain  point  se 
borner  à  ce  rôle.  On  restait  si  longtemps 
sous  les  drapeaux  !  Des  vieux,  blanchis 
dans  le  métier,  faisaient,  par  leurs 
exemples  et  leurs  récits,  l'éducation 
militaire  des  recrues,  et  les  conscrits 
timides  devenaient  vite  de  bons  et  solides 
soldats. 

Mais,  s'ils  étaient  bons  instructeurs  et 
superbes  entraîneurs  d'hommes,  les  chefs 
d'alors  manquaient  peut-être  de  science. 
On  comptait  sur  l'expérience  acquise 
et,  dédaignant  l'aridité  des  études  théo- 
riques, on  restait  au  café  une  trop  grande 
partie  de  la  journée.  Et,  cette  légende 
de  l'étrangleur  de  perroquets  s'étant 
malheureusement  perpétuée  dans  le 
public  jusqu'à  nos  jours,  on  en  était 
arrivé  à  se  demander  si  l'officier  faisait 


autre  chose  que  boire  et  jouer,  si  l'ofli- 
cier  servait,  si  l'officier  était  utile. 

S'appesantir  sur  une  pareille  question 
serait  en  ce  moment  naïveté  et  préten- 
tion. Et,  puisqu'il  est  impossible  de 
raisonner  comme  si  l'ère  souhaitée  de  la 
paix  universelle  était  arrivée,  comme  il 
faut  encore  des  armées,  et  aux  armées 
des  chefs,  nous  nous  contenterons  de 
voir  ce  que  devront  être  ces  chefs,  au 
déclin  du  xix^  siècle. 

Par  une  loi  encore  assez  récente,  la 
France  leur  confie  tous  ses  enfants. 
Pauvres  d'esprit  ou  intelligents,  ils  vont 
tous  passer  par  leurs  mains.  Ces  chefs 
sont-ils  vraiment  dignes  de  cette  tâche 
glorieuse,  et  sauront-ils  être  pour  tous 
ces  jeunes  cerveaux  les  éducateurs  qui 
se  font  comprendre  et  respecter? 


Après  nos  désastres  de  1870,  l'armée 
a  éprouvé  l'impérieuse  nécessité  de  se 
refaire  un  sang  nouveau.  Nos  voisins 
d'outre-Rhin  nous  avaient  vaincus,  parce 
que,  à  des  braves  confiants  dans  le  prin- 
cipe «  on  se  débrouillera  toujours  »,  ils 
avaient  opposé  de  savants  tacticiens  qui, 
depuis  longtemps,  se  préparaient,  étu- 
diaient, réglaient  tout  pour  que  mobili- 
sation et  concentration  fussent  des  opé- 
rations rigoureusement  mathématiques. 
L'habileté  raisonnée  avait  eu  raison  du 
courage  mal  utilisé.  A  notre  tour,  il  fal- 
lait faire  comme  eux,  devenir  savants, 
puisque  la  science  était  désormais  indis- 
pensable pour  vaincre.  Et,  tout  aussitôt, 
le  programme  des  écoles  militaires  a  été 
fait  plus  difficile,  d'une  difficulté  qui 
croît  chaque  jour. 

En  réponse  à  une  accusation  d'inca- 
pacité qui  serait  portée  contre  les  offi- 
ciers, il  suffit  de  mettre  sous  les  yeux 
des  détracteurs  un  programme  actuel 
d'admission  à  Saint-Gyr  ou  à  Polytech- 
nique. Les  écoles  de  sous-officiers  sont 
d'une  difficulté  relative  tout  aussi  grande, 
d'autant  plus  que  le  rapport  entre  le 
nombre  des  appelés  et  celui  des  élus  fait 
penser  au  Royaume  des  Gieux. 


384 


LE    MODERNE    TRAINEUR    DE    SABRE 


Nous  n'avons  donc  plus  pour  candi- 
dats-officiers que  des  gens  instruits. 
Que  seront-ils  plus  tard,  ces  candidats 
devenus  officiers? 

Pendant  le  temps  qu'ils  passent  dans 
les  écoles,  on  leur  a  imposé  —  sous  peine 
d'exclusion  —  un  programme  très  chargé, 
où  toutes  les  sciences  militaires  sont 
étudiées  dans  le  plus  grand  détail.  Si  le 
cerveau  humain  était  tel  qu'il  pût  retenir 
tout  ce  qu'il  absorbe  —  même  avec 
peine  —  nos  officiers  seraient  tous  des 
savants  à  lunettes.  Mais,  si  tout  ne  reste 
pas  dans  leur  mémoire,  du  moins  des 
germes  précieux  ont  été  déposés,  qu'ils 
n'auront  ensuite  qu'à  faire  fructifier  s'ils 
le  veulent. 

En  garnison,  il  n'y  a  guère  à  compter 
sur  des  loisirs,  car  les  journées  de  tra- 
vail seraient  trop  courtes  pour  regagner 
le  temps  perdu. 

Dans  le  petit  cercle  du  bataillon,  la 
théorie  pure  est  étudiée  et  commentée 
une  fois  par  semaine  par  tous  les  offi- 
ciers réunis  autour  de  leur  chef.  Les 
simples  règlements,  bien  appris  autre- 
fois, n'exigent  qu'un  petit  effort  de 
mémoire  pour  être  sus  de  nouveau.  On 
les  passe  rapidement,  et  l'on  arrive  aux 
théories  nouvelles;  on  commente  les 
progrès  accomplis  dans  l'armement,  le 
tir,  la  tactique...  et,  dans  ces  réunions, 
chacun  est  obligé  de  payer  de  sa  per- 
sonne, de  parler,  par  conséquent  de 
préparer  ses  réponses  à  l'avance,  de  tra- 
vailler. 

En  outre  des  théories,  il  se  fait,  dans 
le  cercle  plus  élargi  du  régiment  ou  de 
la  garnison,  des  conférences  suivies.  Un 
officier  —  quel  que  soit  son  grade,  quelle 
que_  soit  sa  compétence  —  est  désigné 
pour  traiter  tel  sujet  choisi  avec  soin 
pour  l'instruction  technique  de  ses  cama- 
rades et  de  ses  chefs.  Il  a  tout  le  temps 
nécessaire  à  la  préparation  et,  au  jour 
fixé,  développe  sa  conférence,  où  tout  le 
monde  est  teiiu  d'assister.  Les  sujets  les 
plus  divers  sont  ainsi  traités  avec  une 
indiscutable  autorité. 

En  dehors  de  ce  travail  en  commun, 
il  existe  encore  un  moyen  de  s'occuper 


personnellement  par  les  «  travaux  d'hi- 
ver ».  Obligatoires,  et  sur  des  sujets 
imposés  dans  certains  corps,  ils  sont, 
dans  d'autres,  facultatifs  et  laissés  au 
choix.  Cette  dernière  méthode  semble 
devoir  être  la  bonne,  car  le  travail  forcé 
se  fait  sans  soin,  par  compilation  hâtive, 
et  ne  profite  pas. 

Durant  toute  l'année,  on  est  tenu  en 
haleine.  Interrogations  du  commandant, 
du  lieutenant-colonel,  du  colonel,  visites 
du  brigadier,  du  divisionnaire,  inspec- 
tion générale,  sont  autant  de  sujets  d'une 
crainte  salutaire  qui  retient  chez  eux 
plusieurs  jours  les  officiers  qui  ne  veu- 
lent pas  rester  cois.  Et  l'année  se  passe 
ainsi  dans  une  suite  à  peine  interrompue 
d'examens  successifs,  qui  ne  laissent  pas 
à  la  mémoire  le  temps  de  se  rouiller. 

Puis,  lors  de  l'examen  pour  le  grade 
supérieur,  c'est  toute  la  partie  technique 
du  métier  qu'il  faut  revoir  de  nouveau 
et  apprendre  avec  soin. 

Rappelons,  d'ailleurs,  que  l'Ecole  de 
guerre  offre  à  chacun,  en  récompense 
d'un  travail  acharné,  la  perspective  d'un 
brillant  avenir. 


Nous  n'avons  parlé  jusqu'à  présent 
que  des  occupations  intellectuelles  pure- 
ment techniques  des  officiers.  Tous  se 
rendent  parfaitement  compte  qu'il  est 
indispensable  de  sortir  de  son  métier, 
quel  qu'il  soit,  sous  peine  de  devenir 
un  professionnel  automatique.  Pas  un 
ne  peut  rester  en  dehors  du  mouvement 
littéraire  de  notre  époque.  Il  y  a,  d'ail- 
leurs, pour  faciliter  ces  heureuses  dispo- 
sitions, toutes  les  facilités  désirables. 
Tout  régiment  possède  une  bibliothèque 
où  arrivent,  au  fur  et  à  mesure  de  leur 
publication,  les  productions  nouvelles, 
que  l'on  s'arrache  aussitôt.  Dans  chaque 
garnison  aussi,  le  Cercle  militaire  con- 
tient une  collection  de  volumes  plus 
riche  encore,  où  tous  les  journaux  et 
toutes  les  i-evues  sont  reçus  et  active- 
ment feuilletés. 

Le  seul  énoncé  de  ces  faits  doit  suf- 


LE    M()1)1:HXK   tuaixkur    dk   sarhk 


385 


firr  ]>oiir  l'îiirc  lompreiidre  labsurdilé  — 
(le  nos  jours  —  de  la  légende  de  Ramol- 
lol.  Si  le  physique  du  célèbre  colonel  se 
retrouve  souvent  chez  quelques  vieux 
militaires,  la  ressemblance  se  borne  là. 
Kl  le  langage  qui  a  rendu  le  type  popu- 
laire n'existe  plus,  est-il  besoin  de  le 
dire?... 

Il  suffit,  pour  s'en  convaincre,  de 
passer  quelques  heures  dans  un  cercle 
militaire,  en  ce  milieu  si  peu  connu.  Il 
l'audrail  aussi  s'asseoir  souvent  aux 
tables  d'officiers.  Les  célibataires  sont 
aujourd  hui  en  minorité  presque  partout, 
et  ces  réunions  restreintes  ont  un  charme 
tout  particulier  de  petit  comité.  Toutes 
les  conversations  s'y  entendent  —  sauf 
celles  par  trop  vulgaires.  Un  <<  président 
de  table  »  île  plus  ancien)  use,  quand  il  le 
faut,  de  son  autorité  pour  éliminer  tel 
sujet  qui  pourrait  blesser  un  des  cama- 
rades présents  ou  amener  des  dissensions 
trop  grandes.  Chacun  tire  profit  des  dis- 
cussions soulevées,  et  l'on  passe  ainsi  de 
très  agréables  moments. 

Cette  .«impie  expérience  permettrait 
de  constater  que  1  intellectualité  est 
aussi  développée  dans  l'armée  que  dans 
toute  autre  collection  d  individus. 


L'armée  d  aujourd'hui  —  redisons-le 
encore  sans  crainte  de  nous  répéter  — 
c'est  la  nation  elle-même.  Tous  y  vien- 
nent, nobles  et  plébéiens,  riches  et 
pauvres,  bourgeois  et  ouvriers,  savants 
et  illettrés.  Toutes  les  classes  se  mé- 
langent, fusionnent,  disparaissent  sous 
l'identité  du  costume.  De  cette  masse 
hétérogène,  il  faut  faire  un  tout  homo- 
gène, un  seul  corps  avec  une  seule  âme. 

C  est  à  1  officier,  à  1  officier  «  de 
troupe  »  surtout,  que  ce  grand  rôle 
incombe,  sous  la  direction  des  hauts 
grades. 

Tous  ces  jeunes  gens  arrivent  au  régi- 
ment avec  ennui,  beaucoup  avec  crainte, 
quelques-uns  avec  dégoût.  Il  faut,  à  ces 
âmes  si  diverses,  faire  comprendre  la 
nécessité  du  service  militaire,  donner  la 


notion  de  l'honneur,  iiicukpier  la  reli- 
gion du  drapeau...  Il  faut  arriver  à  faire 
aimer  le  service  !  !  ! 

C'est  là,  il  faut  l'avouer,  une  tâche 
difficile. 

La  plupart  de  ces  âmes  jeunes  sont 
frustes.  Pour  gagner  leur  confiance,  il 
faut  faire  sentir  aux  bleus  tout  craintifs 
que  l'on  s'intéresse  à  eux,  que  l'on  s'oc- 
cupe de  leurs  besoins  matériels.  Ils  ont 
vu  l'officier  à  l'exercice.  Il  s'y  est  appli- 
qué d'abord  à  connaître  leurs  noms,  puis 
à  étudier  leurs  caractères,  pour  traiter 
chacun  suivant  ses  mérites.  Ils  le  crai- 
gnent, même  s  il  ne  punit  pas.  Pour  la 
plupart,  dans  les  débuts,  c'est  un  être 
un  peu  d'une  autre  essence  qu'eux...  et 
ils  seront  d'autant  plus  touchés  lorsqu'ils 
sauront  que  leur  chef  s'occupe  des  dé- 
tails matériels  de  leur  existence. 

Le  règlement  actuel  —  très  sage  en 
cela  —  assigne  au  capitaine  commandant 
d'unité  des  attributions  qui  font  de  lui 
un  véritable  père  de  famille.  Il  a  à 
nourrir,  à  habiller,  à  instruire,  à  élever 
ses  hommes.  Dans  ces  multiples  occu- 
pations, il  est  aidé  par  ses  lieutenants. 
Ce  système  excellent  crée  un  lien  très 
étroit  entre  le  soldat  et  l'officier,  qui 
n'apparaît  plus,  dès  lors,  comme  un 
maître  plein  de  rigueur,  mais  comme  le 
chef  d'une  famille  où  les  enfants,  débar- 
rassés du  souci  matériel  de  l'existence, 
n'ont  qu'à  se  laisser  instruii^e  et  à  marcher 
droit. 

\'oyez,  au  quartier,  cet  officier  à  la 
fin  de  l'exercice.  Au  lieu  de  rentrer  chez 
lui  pour  bien  vite  oublier  le  service,  il 
se  rend  à  la  cuisine  goûter  la  soupe  de 
ses  hommes,  soulève  le  couvercle  des 
grands  plats  de  fer-blanc  pour  voir  si 
les  portions  sont  bien  égales  et  si  tel 
n'est  pas  favorisé  au  détriment  de  tel 
autre.  Voyez-le  parcourant  le  réfectoire 
à  l'heure  de  la  soupe  pour  s'assurer  que 
chacun  est  bien  servi  et  que  nul  n'a  de 
réclamations  à  faire. 

Il  revient  au  bureau  du  sergent-major 
et  fait  appeler  un  sous-officier  qui  a 
infligé  une  punition.  Lui  congédié,  il 
voit  ensuite   l'homme,  l'interroge,  tâche 


VIII.  —  2: 


3.S6 


I.K    MOhKRXE    THAlNEl'U    l)!-]    S  A  lUi  K 


de  se  i'aire  une  opinion  jusle,  auj;nieule 
ou  diminue  la  punition;  s'ell'orce,  eu  un 
UKtl,  (le  traiter  chacun,  suivant  l'expres- 
sion du  règlement,  »  uvec  une  justice 
éclairée  ». 

Après  son  déjeuner,  il  est  dans  les 
chambres  pour  une  «  revue  de  détail  », 
visitant  de  près  —  en  une  besogne 
quelque  peu  répugnante  —  tous  les 
effets,  le  linge,  la  chaussure  de  ses 
hommes.  Comme  il  y  a  mis  toute  son 
attention,  il  sort  de  là  avec  une  migraine 
atroce;  mais  il  sait  que,  dans  quelques 
jours,  toutes  les  réparations  ordonnées, 
tous  les  changements  prescrits  seront 
exécutés,  et  que  ses  hommes  seront 
chaudement  vêtus  el  chaussés. 

Voyez-le,  prenant  à  part  une  «  mau- 
vaise tête  »  qui  glisse  tout  doucement 
sur  le  chemin  de  Biribi.  Il  semonce 
ferme,  parle  des  parents,  du  pays,  el 
parfois  fait  pleurer  le  soldat,  qui  est 
sauvé,  alors. 

Nous  voici  en  nuuKcuvres.  Depuis  des 
heures  la  pluie  tombe  sans  discontinuer. 
Malgré  la  pèlerine  de  caoutchouc  et  les 
houseaux  de  cuir,  il  est  trempé  jusqu'aux 
os,  comme  ses  hommes,  le  lieutenant  ou 
le  capitaine.  Sans  doute  il  va  aller  se 
sécher  au  plus  vite  :  une  bronchite  est 
si  vite  prise!...  Point.  Il  faut  songer 
d'abord  aux  hommes.  Il  va  voir  la  grange 
qui  les  abritera,  tâche  d'obtenir,  pour 
eux,  de  l'habitant  le  plus  d'avantages 
possible,  les  force  à  se  changer,  fait 
activer  les  préparatifs  du  rata  et  ne  s'en 
va  que  lorsque  la  soupe  est  en  train. 

Nous  le  retrouvons  en  caserne,  faisant 
à  ses  hommes  une  théorie  morale.  11 
leur  dit,  en  des  termes  simples,  pour- 
quoi on  les  a  obligés  à  interrompre  leurs 
travaux  et  à  venir  ainsi  passer  trois 
années  bien  longues  au  régiment.  Il  leur 
rappelle  que,  tout  autour  de  nous,  des 
ennemis  nous  guettent,  qu'ils  entre- 
tiennent des  armées  toujours  plus  nom- 
breuses et  que  nous,  pour  ne  pas  être 
dévorés,   nous  devons   aussi  être   nom- 


breux et  forts.  Que  si  on  les  astreint  à 
de  durs  exercices,  c'est  qu'un  marcheur, 
c'est  qu'un  tireur,  c'est  qu'un  soldat... 
ne  se  forme  pas  en  un  jour.  Que  pour 
manœuvrer  très  médiocrement  sous  le 
feu,  il  faut  le  faire  d'une  manière  impec- 
cable sur  la  |)lace  d'exeix'ice,  et  qu'on 
n'y  arrive  qu'à  la  longue;  et  que,  enfin, 
pour  suivre  son  chef  courant  à  l'ennemi, 
pour  obéir  à  l'ordre  qui  envoie  à  la  mort, 
il  faut  une  longue  accoutumance  de 
l'obéissance  irraisonnée. 

Puis  il  leur  parle  de  la  patrie.  Il  leur 
dit  qu'elle  est  plus  loin  que  le  clocher 
du  village,  qu'elle  est  l'ensemble  de  tous 
ces  clochers  à  l'ombre  desquels  chacun 
de  nous  a  un  amour,  et  que,  pour  sau- 
vegarder le  sien,  on  doit  verser  son  sang 
pour  tous.  Il  évoque  les  ombres  fîères  de 
tous  les  devanciers,  conte  ce  qu'ils  firent, 
ce  que  lit  le  régiment,  aux  jours  radieux 
ou  sombres  de  notre  histoire. 

l^nsuite  il  dit  que  cette  Patrie  pour 
laquelle  tant  de  sang"  généreux  a  été 
répandu,  elle  se  matérialise  dans  les  plis 
de  cette  soie  signée  de  noms  de  victoire, 
à  qui  ils  ont  hier  présenté  les  armes, 
tandis  qu'aux  sons  gueriners  de  la 
musique  passait  dans  les  rangs  comme 
un  long  frisson  de  bravoure... 

Et,  leur  temps  fini,  ces  jeunes  gens 
arrivés  si  gauches  retourneront  chez 
eux  dégourdis,  devenus  hommes,  en  un 
clair  après-midi  d'automne.  Ils  se  seront 
peut-être  ennuyés  parfois  au  régiment, 
mais,  du  moins,  ils  auront  appris  pour- 
quoi on  les  y  a  envoyés,  et  quelle  pensée 
plus  haute  doit  les  soutenir  dans  les 
moments  pénibles. 

Et  telle  sera  l'œuvre  du  moderne  trai- 
neur  de  sabre...  Aussi  sa  conscience 
est-elle  tranquille  et  laisse-t-il,  sans 
s'émouvoir,  sourire  le  sceptique.  L'offi- 
cier d'aujourd'hui  entend  légitimer  le 
noble  titre  qu'on  lui  a  donné,  d'  «  édu- 
cateur moral  de  la  Nation  ». 

Un  lieutenant. 


OllCHI  UE  l-.S 

En  r  H  Y  r  k •> 
1)1. 

Jï  A  D  A  G  A  s  C  A  U 


L'HISTOIRE  NATURELLE 


MADAGASCAR 


Madagascar  esl  un  paradis  pour  les 
naturalistes.  Peu  de  localités  en  effet  pré- 
sentent, rassemblés,  autant  de  plantes 
et  danimaux  intéressants  et  curieux. 
Encore  inexplorée  il  y  a  une  quinzaine 
d'années,  l'histoire  naturelle  de  notre 
future  colonie  commence  aujourd'hui 
à  être  bien  connue,  au  moins  dans  ses 
traits  généraux ,  grâce  aux  savantes 
recherches  de  plusieurs  naturalistes,  et 
notamment  de  M.  Grandidier.  On  n'at- 
tend pas  de  nous,  bien  entendu,  que 
nous  donnions  ici  une  énumération  des 


animaux,  plantes  ou  minéraux  que  Ton 
rencontre  le  plus  fréquemment  et  dont 
beaucoup  de  nos  lecteurs  ont  pu  voir 
de  nombreux  représentants  à  l'Exposi- 
tion spéciale  du  Muséum.  Nous  nous 
contenterons  de  traiter  la  question 
d'une  manière  aussi  générale  que  pos- 


388 


L'HISTOIRE     NATURELLE     DE    iMADAGASCAR 


sible  et  en  insislaiil  surtout  sur  les 
espèces  digues  d'intérêt  pour  le  grand 
public  auquel  s'adresse  le  Monde  Mo- 
derne. 

La  llore,  comme  partout  ailleurs,  est 
en  relation  étroite  avec  la  nature  du  ter- 
rain. Aussi  se  divise-t-elle,  comme  la 
géographie  de  l'Ile,  en  trois  régions. 

La  région  orientale  comprend  l'espace 
situé  entre  la  mer  et  la  grande  chaîne  de 
montagnes  qui  parcourt  l'île  dans  toute 
sa  longueur.  Formée  surtout  d'argile 
i"ouge  et  de  micaschistes,  elle  est  très 
montagneuse  et,  malgré  la  pauvreté  chi- 
mique de  son  sol,  offre  une  végétation 
luxuriante  favorisée  par  des  pluies 
abondantes  et  presque  continues.  Les 
crêtes  des  montagnes  sont  couronnées 
par  des  forêts  souvent  épaisses,  surtout 
quand  le  terrain  sur  lequel  elles  crois- 
sent est  volcanique.  Les  versants  sont 
recouverts  d'une  épaisse  végétation  her- 
bacée. Quant  aux  vallées,  par  suite  de 
la  présence  d'un  sous-sol  argileux,  elles 
sont  marécageuses  et  habitées  par  des 
bambous,  des  ouvirandra,  des  fougères 
en  arbre,  etc. 

La  région  centrale  est  formée  d'un 
amas  montagneux  que  Ton  a  comparé  à 
une  mer  agitée  subitement  figée.  Elle 
est  presque  entièrement  dépourvue  de 
végétaux  :  il  faut  aller  dans  les  vallées 
étroites,  le  long  des  petites  rivières,  pour 
rencontrer  de  rares  arbustes  ne  se  déve- 
loppant qu'avec  peine. 

Enfin,  dans  la  région  occidentale,  on 
ne  rencontre  plus  ni  marécages  ni  grandes 
chaînes  de  montagnes;  c'est  une  région 
plate,  où  il  ne  tombe  pas  plus  de  0"\30  à 
0'",40  d'eau  par  an.  Cette  zone  est  oc- 
cupée par  des  euphorbiacées  arbores- 
centes, des  tamariniers,  des  lataniers, 
des  baobabs,  des  sakoas,  toutes  plantes 
adaptées  à  la  sécheresse. 

Madagascar  est,  on  peut  le  dire,  la 
patrie  des  orchidées.  La  plupart  de  ces 
merveilleuses  plantes  viennent  en  effet 
de  la  région  orientale  de  l'île,  où  des 
commerçants  envoient  des  explorateurs 
spéciaux  pour  les  récolter.  On  sait  com- 
bien Vorchidophilie,  ou  plutôt  Vorchidu- 


imuiie^  a  pris  de  l'importance  parmi  nos 
horticulteurs  amateurs.  Les  orchidées  les 
plus  en  faveur  sont  celles  qui  croissent 
dans  les  forêts,  sur  les  arbres,  les  orchi- 
dées épiphyles,  comme  on  les  appelle. 
Pour  s'en  procurer,  il  faut  donc  aller 
dans  les  forêts  vierges,  se  faire  un  pas- 
sage à  coups  de  sabre,  affronter  les 
miasmes  des  marais  et,  ce  qui  est  encore 
plus  redoutable,  l'hostilité  des  indigènes. 
Mais  aussi  quelle  joie  pour  l'amateur 
qui  a  pu  se  procurer  une  espèce  nouvelle 
et  quel  bénéfice  pour  le  commerçant  au- 
quel son  agent  rapporte  des  pieds  en  bon 
état!  Les  orchidées  atteignent,  en  effet, 
des  prix  fantastiques  :  l'année  dernière, 
on  a  vendu  4,250  francs  un  seul  pied  de 
Catlleya  Mossieo^  variété  Beineckenna! 
En  Europe,  on  ne  cultive  pas  moins  de 
deux  mille  variétés  d'orchidées;  il  paraît 
qu'il  y  en  a  encore  au  moins  deux  mille 
à  découvrir  encore.  On  voit  que  le 
champ  est  encore  vaste  et  peut  offrir  de 
beaux  bénéfices  à  ceux  qui  l'exploitent. 
Mais  les  difficultés  à  surmonter  sont 
beaucoup  plus  grandes  qu'on  ne  pourrait 
le  croire,  et  mille  dangers  menacent  les 
intrépides  chercheurs.  Nous  n'en  citerons 
qu'un  exemple  :  «  Huit  d'entre  eux,  ra- 
conte M.  Ch.  Marsillon,  attachés  à  la 
même  maison  anglaise,  avaient  résolu 
de  parcourir  isolément  l'île  de  Mada- 
gascar, afin  de  rapporter  les  orchidées 
les  plus  rares.  En  une  année,  septavaient 
disparu.  L'unique  survivant,  atteint  de 
fièvres  très  graves,  rentra  en  Angleterre 
sans  espoir  de  guérison.  Dès  les  premiers 
mois  de  leur  séjour  dans  celte  île,  deux 
mouraient  des  fièvres  paludéennes.  Le 
quatrième,  dans  ses  recherches,  avait, 
sans  le  vouloir,  profané  une  idole  mal- 
gache. Saisi  par  les  prêtres  et  enduit  de 
paraffine,  on  le  brûla  vif.  Sous  prétexte 
de  montrer  à  deux  autres  de  ces  chercheurs 
une  orchidée  remarquable,  les  naturels 
les  entraînèrent  dans  les  montagnes  et  les 
massacrèrent.  Le  septième  mourut  de  faim 
au  milieu  d'une  forêt  vierge.  Le  huitième 
enfin  se  tua  en  tombant  d'un  arbre 
élevé.  »  Quand  on  songe  à  ces  faits,  on 
est  presque  étonné  du  faible  prix  auquel 


LIIISTOIRK    NATURELLE    DE    MADAGASCAR 


3S9 


on  peut  se  j)rocurer  la  plupart  des  or- 
chitlées  si  utilisées  aujourd  hiii  dans  les 
bouquets  ou  les  couronnes.  C'est  cpi'uue 
variété  une  fois  ramenée  chez  nous  se 
multiplie  presque  indéfiniment  par  bou- 
tures dans  les  serres.  Certains  amateurs 
cependant,  quand  ils  possèdent  deux 
pieds  d'une  variété  nouvelle,  en  détrui- 
sent un  pour  donner  plus  de  valeur  à 
celui  qui  reste  :  c'est  là  un  acte  de  \an- 
dalisme  contre  lequel  on  ne  saurait  trop 
protester. 

I/un  des  traits  qui  donnent  parfois 
au\  paysages  malgaches  un  aspect  bien 
particulier,  c'est  la  présence  de  baobabs, 
dont  les  formes  majestueuses  sortent  de 
l'ordinaire.  Ce  sont  des  sortes  de  longs 
cierges  dont  le  sommet,  arrondi  en  pain 
de  sucre,  donne  naissance  à  des  branches 
qui  divergent  dans  tous  les  sens.  Quel- 
quefois le  tronc  est  très  court,  et  les 
branches,  très  longues,  retombent  jus- 
qu'à terre  pour  former  un  dôme  de  ver- 
dure. Les  baobabs,  qui  peuvent  atteindre 
des  dimensions  colossales,  se  de\elop- 
pent  avec  une  extrême  rapidité  et  presque 
indéfiniment  :  leur  nom  veut  dire,  d'ail- 
leurs, arbre  de  mille  ans.  Adanson  en 
a  trouvé  un  exemplaire  auquel  il  a  été 
amené  à  assigner  un  âge  de  cinq  mille 
cent  cinquante  ans.  Les  baobabs  sont 
toujours  habités  par  une  multitude 
d'oiseaux,  aigrettes,  marabouts,  péli- 
cans, etc.,  qui  y  trouvent  un  domicile. 
Les  indigènes  se  servent  de  presque 
toutes  les  parties  des  baobabs  :  avec  les 
troncs,  ils  font  des  pirogues;  avec  les 
feuilles,  une  tisane  contre  les  fièvres; 
avec  la  pulpe  du  fruit,  une  boisson  et 
du  savon. 

Les  baobabs  sont  les  arbres  les  plus  cé- 
lèbres de  Madagascar.  Il  en  est  d'autres 
aus*si  qui  possèdent  une  certaine  noto- 
riété :  ce  sont  les  ravenals  ou  ravenalas. 
Ce  sont  des  sortes  de  palmiers  portant 
à  leur  sommet  de  larges  feuilles  dressées, 
placées  presque  dans  un  même  plan  et 
dont  le  limbe,  d'abord  entier,  se  divise 
à  la  longue  en  lanières  irrégulières.  Le 
ravenal  porte  aussi  le  nom  d'arbre  des 
voijacjeurs,  parce  qu'il  sert  à  des  usages 


multiples  :  les  gaines  des  feuilles,  con- 
caves et  fixées  presque  au  même  endroit, 
constituent  une  sorte  de  coupe  où  s'ac- 
cumule l'eau  de  pluie.  Cette  eau,  dit-on 
habituellement,  est  une  grande  ressource 
pour  le  voyageur  altéré  qui  rencontre 
des  ravenals  sur  sa  route.  C'est  là  sans 
doute  une  simple  légende,  car  ces  arbres 
croissent  toujours  dans  les  régionsmaré- 
cageuses,etron  ne  voit  jtas  très  bien  corn- 


€  ,-V, 


,v^*-., 


BAOBAB    (Ailanxo)iia). 

ment  un  explorateur  peut  rester  altéré 
dans  un  endroit  abondamment  pourvu 
d'eau.  Quoi  qu'il ensoit,  les  feuillesdes  ra- 
venals sont  très  utiles  aux  Malgaches,  qui 
s'en  servent  pour  faire  des  assiettes,  des 
nappes,  des  cuillers,  des  écopes  pour 
vider  les  pirogues,  les  toitures  des  mai- 
sons,  etc. 

A  citer  encore  parmi  les  plantes  cu- 
rieuses de  Madagascar  YOan'raiidra  fe- 
uestralis,  dont  les  feuilles,  aquatiques, 
forment  une  véritable  dentelle  par  suite 
de  la  disposition  du  parenchyme  entre 
les  nervures;  des  pandanus  au  tronc 
trifurqué  et  aux  branches  terminées  par 


390 


LIII?TOIRK     NATURELLE     DE     MADAGASCAR 


des  panaches  analogues  à  des  yuccas 
aux  feuilles  retombantes,  des  lnuqhiniH, 
dont  la  graine  contient  un  suc  vénéneux 
qui  constituait  jadis  le  tanqhin,  c'est- 
à-dire  le  célèbre  poison  judiciaire  des 
Malgaches,  etc. 

]^a  faune  ne  présente  pas  de  caractères 


Il  A  V  E  N  A  L  s 


moins  singuliers.  Quand,  nous  autres  Eu- 
ropéens, nous  cherchons  à  nous  repré- 
senter, par  l'imagination,  un  paysage 
exotique  et  sauvage,  nous  nous  figurons 
une  forêt  vierge  avec  des  singes  courant 
parmi  les  branches  et  des  animaux  fé- 
roces se  glissant  sur  le  sol,  prêts  à  faire 
un    mauvais    parti    à   l'explorateur    qui 


viendrait  les  étudier.  A  Madagascar,  il 
n'y  a  rien  de  tout  cela,  et  les  singes, 
comme  les  bêtes  féroces,  font  absolument 
défaut. 

Si  les  singes  n'existent  pas  à  Mada- 
gascar, ils  y  sont  i^emplacés  par  des  ani- 
maux voisins  des  mahis,  qui  présentent 
avec  eux  une  certaine  analogie  dans  les 
formeset  les  mœurs.  Le  pi  us  grand  d'entre 
eux  est  Vindrio  ouhahakoule.  Certaines 
peuplades  s'imaginent  que  ce  sont  des 
hommes  réfugiés  dans  les  forêts  et  trans- 
formés en  bêtes.  Leur  démarche  rappelle 
en  elTet  un  peu  celle  de  1  homme,  en  ce 
qu'ils  progressent  sur  les  membres  pos- 
térieurs. Bras  et  jambes  sont  terminés 
par  de  véritables  mains  à  pouce  oppo- 
sable. Les  indris  vivent  dans  les  forêts, 
soignant  leurs  petits  avec  une  grande 
sollicitude  et  poussant  de  temps  à 
autre  un  cri  à  la  fois  lamentable  et  vio- 
lent. La  légende  veut  que,  dans  une 
époque  plus  ou  moins  reculée,  les  indris 
aient  donné  l'éveil  de  l'arrivée  d'ennemis, 
grâce  à  leur  cri  strident.  Voilà  une  con- 
currence sérieuse  pour  les  oies  du  Ca- 
pitole. 

Les  indris  n'ont  pas  de  queue.  Les 
propithèques,  qui  leur  ressemblent,  en 
ont  une  au  contraire,  bien  développée. 
Ils  ont  d'ailleurs  les  mêmes  mœurs  et 
vivent  par  troupes  de  sept  à  huit.  Le 
matin,  au  moment  oi^i  le  soleil  se  montre, 
ils  ont  la  singulière  habitude  de  lever  les 
bras  vers  le  ciel  dans  une  pose  d'adora- 
tion. Y  aurait-il  là  un  rudiment  de  re- 
ligion? Les  propithèques  sont  de  très 
habiles  sauteurs,  on  les  voit  parfois 
sauter  sur  une  branche  par  des  bonds 
d'une  dizaine  de  mètres.  Pendant  ce 
saut,  les  petits  restent  cramponnés  soli- 
dement à  la  toison  de  leur  mère.  En 
France,  après  l'expédition  qui  vient 
d'avoir  lieu,  nous  pouri'ions  espérer  en 
voir  au  Jardin  des  Plantes;  il  n'en  sera 
malheureusement  rien,  car  les  propi- 
thèques, malgré  leur  caractère  plutôt 
doux,  ne  peuvent  supporter  la  captivité 
et  ne  tardent  pas  à  mourir  de  langueur. 
Il  est  d'ailleurs  assez  difficile  de  s'en 
procurer,    non    seulement    parce    qu'ils 


L'IIISTOIRH     \ATURELLK     DE     MADAGASCAR 


391 


sont  rares,  mais  aussi  parce  qu'ils  sont 
en  quelque  sorte  protégés  par  les  indi- 
^••ènes.  M.  Milne-Iùhvards  racontait  ré- 
cenimenl   que,  en   1S66,   M.  Grandidier 


OUVIRANDRA     FENESTRALIS 

rencontra  quelques-uns  d'entre  eux, 
d'une  espèce  encore  inconnue,  dans  une 
immense  plaine  couverte  d'euphorbia- 
cées,  de  petits  arbustes  épineux  et  de 
quelques  bouquets  de  bois  ;  mais,  au 
moment  où,  afin  de  la  conserver,  il  en- 
levait la  peau  du  premier  qu'il  avait 
tué,  les  sauvages  qui  l'entouraient  s'y 
opposèrent  et,  pour  les  apaiser,  il  dut 
enterrer  la  chair  du  propithèque  et 
planter  des  nopals  sur  la  tombe. 

Les  animaux  à  la  fois  les  plus  carac- 
téristiques et  les  plus  communs  de  Ma- 
dagascar sont  les  makis,  dont  il  existe  de 
nombreuses  espèces.  Tandis  que  les 
indris  et  les  propithèques  marchent  dans 
l'attitude  verticale,  les  makis,  qui  ap- 
partiennent cependant  au  même  groupe, 
ont  le  corps  horizontal  comme  devrait 
l'avoir  tout  mammifère  qui  se  respecte. 
Je  gagerais  qu'après  la  conquête,  nos  ma- 
telots ont  tous  ramené  un  maki  dans 
leur  musette.  Ces  charmants  animaux 
sont  en  effet  inoiîensifs  et  très  doux;  ils 
vivent  par  bandes  nombreuses  dans  les 
forêts,  où  ils  font  la  chasse  aux  insectes, 
aux  œufs,  aux  petits  oiseaux  et  aux 
reptiles  dont  ils  se  nourrissent,  k  Les 
makis,  raconte  M.  Milne-Edwards,  peu- 
vent vivre  longtemps  à  côté  de  l'homme, 
à  condition  d'y  trouver  une  température 


convenable.  Ils  s'apprivoisent  facilement 
et  deviennent  plus  caressants  qu'un 
chien,  ne  quittant  pas,  à  moins  d'y  être 
forcés,  l'épaule  de  leur  maître,  accou- 
rant à  son  appel  et  lui  prodiguant  des 
marques  d'amitié.  J'ai  connu  pendant 
de  longues  années,  chez  M.  Henri  Ber- 
llioud,  un  mongous  parfaitement  appri- 
voisé et  d'un  commerce  fort  agréable; 
son  extrême  agilité  lui  permettait  d'at- 
teindre les  plus  hautes  corniches  pour 
s'y  blottir,  et  ses  mouvements  étaient 
si  bien  mesurés  qu'à  moins  de  surprise 
ou  d'effroi,  il  sautait  sur  tous  les  meubles 
sans  rien  briser  autour  de  lui.  Parfois 
les  makis  se  reproduisent  dans  ces  con- 
ditions, et  c'est  un  spectacle  charmant 
que  de  voir  le  petit,  tantôt  attaché  au 
travers  de  la  poitrine  de  sa  mère,  tantôt 
fixé  aux  poils  de  son  dos  et  ne  la  quit- 
tant jamais,  malgré  ses  courses  légères. 
Chez  eux,  ils  vivent   en   troupes,   can- 


M  A  K  I     M  0  K  0  K  O 

tonnés  dans  certains  domaines,  et,  si  un 
intrus  s'égare  dans  une  partie  qui  lui  est 
interdite,  tous  ses  congénèresl'attaquent. 
A  Madagascar,  M.  Humblot,  notre  ré- 
sident aux  îles   Comores,    avait  mis   à 


392 


L'HISTOIRE     NATURELLE     DE     MADAGASCAR 


profit  lacharnemenl  avec  lequel  les 
makis  crun  bois  chassent  les  makis  du 
bois  voisin;  il  attachait  Tun  de  ceux-ci 
à  une  branche,  et  il  était  sûr  de  voir 
bientôt  les  propriétaires  légitimes  du 
lieu  accourir  et  se  précipiter  sur  le  nou- 
veau venu,  sans  se  préoccuper  du  chas- 
seur, qui  pouvait  alors,  à  l'aide  d'un 
lacet,  en  prendre  autant  qu'il  le  vou- 
lait. » 

Certains  makis  sont  nocturnes.  Ils 
sont  g'énéralement  plus  petits  que  ceux 
qui  ont  des  mœurs  diurnes  ;  l'un  d'eux 
même  n'est  pas  plus  gros  qu'un  rat.  Ils 
construisent  leur  nid  dans  les  arbres, 
principalement  au  milieu  des  feuilles  des 
ravenals.  Ces  animaux  présentent  une 
particularité  physiologique  très  curieuse. 
Un  peu  avant  l'arrivée  de  la  saison 
sèche,  ils  mangent  beaucoup  et  accumu- 
lent une  grande  quantité  de  graisse  dans 
leur  queue,  qui  se  transforme  en  un  vo- 
lumineux saucisson.  Quand  les  pluies 
cessent  et  que  la  nourriture  devient  rare, 
ces  makis  nocturnes  s'endorment  et 
réabsorbent  leur  matière  de  réserve. 
C'est,  on  le  voit,  tout  à  fait  l'histoire 
de  la  marmotte,  avec  cette  différence 
que,  chez  elle,  la  période  de  sommeil  a 
lieu  pendant  l'hiver,  tandis  que  c'est  en 
été  que  les  makis  s'endorment  du  som- 
meil du  juste  ou  mieux  du  monsieur  qui 
a  bien  dîné. 

Mais  le  maki  le  plus  singulier  est  cer- 
tainement l'aye-aye,  pour  lequel  les  Mal- 
gaches manifestent  une  crainte  super- 
stitieuse. L'aspect  de  l'aye-aye  est  d'ail- 
leurs bien  fait  pour  inspirer  l'étonnement. 
C'est  une  sorte  d'écureuil  au  poil  rude, 
à  la  longue  queue  touffue,  avec  des 
oreilles  rappelant  un  peu  celles  des 
chauves-souris,  et  des  yeux  ronds  au 
regard  effaré.  On  connaît  peu  d'animaux 
aussi  franchement  nocturnes  que  lui  :  il 
ne  sort  absolument  que  la  nuit,  et  la 
plus  faible  lumière,  voire  même  celle 
d'une  bougie,  l'incommode.  Ce  qui 
achève  de  donner  à  l'aye-aye  un  aspect 
étrange,  c'est  la  présence  de  deux  dents 
incisives  à  chaque  mâchoire,  et  ressem- 
blant par  leur  ensemble  à  un  bec  de  per- 


roquet. Grâce  à  ces  incisives  tranchantes, 
l'animal  gratte  l'écorce  et  les  troncs 
des  arbres  pour  y  chercher  les  insectes 
dont  il  fait  sa  nourriture.  Quand  la  ga- 
lerie est  trop  profonde,  il  y  introduit 
son  troisième  doigt,  grêle  et  terminé  par 
un  ongle  crochu.  On  n'a  ramené  que  ra- 
rement des  aye-ayes  en  Europe,  car  il 
est  assez  difficile  de  les  nourrir;  ils  n'ai- 
ment que  les  larves  de  certains  insectes 
ou,  à  défaut,  le  lait  concentré,  qu'ils 
n'acceptent  d'ailleurs  qu'avec  beaucoup 
de  difficultés.  D'autre  part,  on  est  obligé 
de  les  placer  dans  des  cages  blindées, 
car  ils  percent  en  un  rien  de  temps  les 
planches  les  plus  épaisses. 

Les  tigres,  les  lions,  les  panthères,  les 
renards,  les  loups,  etc.,  font  absolument 
défaut  à  Madagascar.  Il  n'y  a  en  fait  de 
bêtes  féroces  qu'un  carnassier,  le  faussa 
ou  criiplopvocte,  qui,  d'ailleurs,  ne  s'at- 
taque jamais  à  l'homme.  C'est  une  sorte 
de  gros  chat  bas  sur  pattes  et  marchant 
sur  la  plante  des  pieds,  tandis  que  les 
vrais  matous  marchent  sur  leurs  doigts. 
Le  nom  bizarre  de  cryptoprocte  vient  de 
la  présence  de  glandes  cachées  à  la  base 
de  la  queue.  Un  fait  singulier,  c'est  qu'en 
France,  on  rencontre,  dans  les  terrain? 
tertiaires,  les  débris  fossiles  d'un  animal 
très  voisin  du  cryptoprocte.  Il  semblerait 
que  la  faune  de  Madagascar  a  été  ar- 
rêtée dans  son  évolution. 

Parmi  les  insectivores,  nous  nous  con- 
tenterons de  citer  les  tanrecs,  qui,  pen- 
dant la  saison  sèche,  s'endorment  à  la 
manière  des  makis  dont  nous  avons 
parlé  plus  haut.  On  donne  quelquefois  à 
ce  phénomène  le  nom  à'estivation,  par 
opposition  à  l'hibernation  qui  se  produit 
pendant  l'hiver  sous  nos  climats. 

On  sait  que  les  grands  herbivores  font 
défaut  à  Madagascar.  Les  bœufs  zébus, 
qui  constituent  la  richesse  la  plus  claire 
du  pays,  paraissent  avoir  été  importés 
par  l'homme.  On  les  emploie  à  toutes 
sortes  d'usages,  même  comme  monture, 
à  l'instar  des  chevaux.  Pour  leur  donner 
même  une  certaine  ressemblance  avec 
ces  derniers,  les  Malgaches  leur  coupent 
les  cornes  et  une  partie  de  la  bosse,  opé- 


I/IIISTOIRE     NATUREI.LE     DE    MADAGASCAR 


393 


ration  très  cruelle  et  qui  les  lait  beau- 
coup souffrir,  sans  jurande  utilité  pour 
l'éleveur.  Les  rongeurs  sont  très  rares. 

Parmi  les  oiseaux  actuels,  aucun  d'eux 
n'attire  l'attention  d'une  manière  spé- 
ciale et  nous  nous  contenterons  ici  de 
citer  les  noms  de  quelques-uns  :  les 
vezas,  les  couas,  les  falculies,  les  mé- 
sites.  Tous  ces  oiseaux  sont  surtout 
nombreux  sur  les  bords  du  littoral,  tandis 
qu'ils  sont  rares  au  centre  de  l'île  où  la 
végétation  est  rare.  On  peut  faire  ici  une 
remarque  qui  pourrait 
s'appliquer  à  tous  les 
autres  groupes  de  la 
l'aune  malgache,  c'est  que 
cette  faune  a  beaucoup 
plus  d'analogie  avec  la 
faune  indienne  qu'avec 
la  faune  africaine,  mal- 
gré ce  que  pourrait  faire 
penser  la  position  géo- 
graphique de  l'île.  Il 
semble  donc  probable, 
d'après  cette  remarque, 
que,  dans  les  temps 
géologiques,  Madagascar 
était  rattachée  aux  Indes 
et  à  la  Malaisie,  et  ne  se 
continuait  pas  avec  le 
continent  africain. 

Si  les  oiseaux  actuels 
de  Madagascar  ne  pré- 
sentent qu'un  intérêt  i^elatif,  il  n'en  est 
pas  de  même  des  oiseaux  éteints,  dont 
l'un  surtout,  ï^piornis,  est  bien  l'un 
des  plus  curieux  que  l'on  ait  jamais 
vu.  Cet  irpiornis.  dont  on  retrouve  des 
débris  et  des  œufs  dans  cei'tains  endroits 
marécageux,  ressemblait  à  une  autruche 
ou  à  un  casoar,  mais  de  taille  g'igan- 
tesque,  près  de  4  ou  5  mètres  de  haut. 
On  a  trouvé  plusieurs  œufs  intacts  : 
l'un  d'eux  aurait  pu  contenir  50,000  œufs 
doiseau-mouche  ou  150  œufs  de  poule 
ou  6  œufs  d'autruche.  Quelle  omelette! 
Les  sepiornis,  dont  le  squelette  est  au- 
jourd'hui connu  entièrement,  grâce  aux 
recherches  de  MM.  Grandidier  et  Milne- 
Edwards,  paraissent  être  éteints  depuis 
une    époque    relativement    récente.    En 


ellet,  sur  les  os  on  remarque  des  en- 
tailles très  nettes,  faites  évidemment  par 
la  main  d'un  homme.  En  lisant  plus 
haut  ce  que  nous  disions  de  l'absence 
des  bêtes  féroces  à  Madagascar,  le  lec- 
teur s'imagine  peut-être  que  les  recher- 
ches d'histoire  naturelle  dans  l'île  de  la 
reine  Ranavalo  ne  présentent  aucun 
danger.  Qu'il  se  détrompe!  Ainsi,  pour 
ne  citer  qu'un  exemple,  les  a^piornis 
nous  sont  connus  surtout  par  les  fouilles 
de  MM.    Grevé,    Muller  et  Grandidier. 


CRYPTOPROCTE      FEROX 

Le  premier,  pris  comme  otage  par  les 
Ilovas,  a  été  fusillé  en  février  1895;  le 
second  a  également  été  assassiné  au  com- 
mencement de  l'année  dernière.  Quant  à 
M.  Grandidier,  il  n'a  échappé  que  par 
miracle  à  la  mort.  Tout  n'est  pas  rose, 
on  le  voit,  dans  le  métier  d'explorateur. 
Les  reptiles  sont  représentés  par  deux 
espèces  de  crocodiles.  «  L'une,  dit 
M.  Milne-Edwards,  se  trouve  dans  tous 
les  lacs  et  dans  les  grandes  rivières; 
l'autre  est  confinée  dans  la  région  cen- 
trale. Ils  atteignent  une  taille  considé-' 
rable,  et  l'on  en  voit  qui  dépassent 
G  mètres  de  long.  Les  Malgaches  les  crai- 
gnent beaucoup,  car  les  accidents  sont 
fréquents,  et  souvent  les  femmes  qui 
puisent    de    l'eau    à    la    rivière,    ou  les 


39  i 


L'HISTOIRE     NATURELLE     DE     MADAGASCAR 


hommes  qui  s'en^^ag-ent  clans  un  gué, 
sont  enlevés  par  ces  terribles  reptiles. 
Après  avoir  saisi  leur  victime,  ils  Ten- 
traînent  sous  l'eau  et  la  déposent  clans 
quelque  anfractuosité,  attendant  que  la 
chair  se  soit  suffisamment  faisandée, 
pour  revenir  le  dévorer  quand  ils  jugent 
qu'elle  doit  être  à  point.  Grâce  à  ce  goût 
particulier,  il  n'est  pas  rare  que  des 
hommes  aient  pu  être  retirés  vivants  du 
garde-mang-er  des  crocodiles.  »  Les  rep- 
tiles les  plus  abondants  sont  les  camé- 
léons, dont  il  existe  toute  une  série  d'es- 
pèces plus  étranges  les  unes  que  les 
autres.  Ils  pullulent  dans  les  forêts,  où, 
g'râce  à  leur  couleur,  ils  ne  se  distinguent 
pas  des  branches  sur  lesquelles  ils  pas- 
sent leur  existence.  Quant  aux  serpents, 
ils  sont  de  petite  taille  et  inoifensifs. 

Nous  avons  insisté  un  peu  sur  les 
«  grosses  bêtes  »,  parce  que  ce  sont  gé- 
néralement celles  qui  intéressent  le  plus 
le  public.  Les  «  petites  bêtes  »  présen- 
tent cependant  beaucoup  de  particula- 
rités intéressantes.  C'est  ainsi  que  cer- 
tains papillons,  certains  homhifx,  vivent 


en  société  sur  les  acacias  et  donnent  des 
cocons  réunis  à  plusieurs  en  masses  de 
plus  dun  mètre  de  long.  La  soie,  cardée 
et  tîlée  à  la  cjucnouille,  sert  à  faire  des 
étoffes.  Une  araignée  donne  aussi  une 
soie  susceptible  d'être  filée  :  on  la  re- 
cueille au  fur  et  à  mesure  de  sa  sortie 
du  corps  de  l'insecte.  Un  magnifique 
papillon,  Vactias  comètes,  atteint  des 
dimensions  extraordinaires  :  ses  ailes 
n'ont  pas  moins  de  20  centimètres  d'en- 
vergure. 

La  flore  et  la  faune  de  Madagascar, 
d'après  le  très  faible  aperçu  que  nous 
venons  d'en  donner,  présente,  on  le  voit. 
des  intérêts  multiples.  Le  gouvernement 
se  propose  d'envoyer  sous  peu  dans  l'île 
une  mission  scientifique,  composée  de 
savants  éprouvés,  cjui  compléteront  les 
notions  cjue  nous  possédons  surlaF/'a/?ce 
orienlale,  comme  on  l'appelait  déjà  il  y  a 
deux  siècles.  Ce  sera  peut-être  le  béné- 
fice le  plus  clair  que  nous  retirerons  de 
notre  coûteuse  expédition. 

Henri  Goupin. 


PAPlLLflN      BE      MADARASCAR 

(Salami.1  Dapre'i). 


PEPITA   GARBAJAL 


ÉPISODE     DE    LA    VIE    MILITAIRE    AU    MEXIQUE 


Ce  récit  est  l'un  des  mille  épisodes 
qui  ont  surj^i  sous  les  pieds  de  nos  sol- 
dais pendant  la  campagne  du  Mexique. 
Ivmprunté  au  journal  de  marche  de  la 
compagnie  franche  du  (ri*' régiment  d'in- 
fanterie de  ligne  que  commanc-!ait  alors 
le  capitaine  Maurand,  il  prouve,  jusqu'à 
l'évidence,  combien  est  grande  la  puis- 
sance d'un  peuple  quand  il  combat  pour 
son  indépendance  et  le  salut  de  la  patrie 
envahie. 


I 


C'était  le  -29  décembre  18(V4.  On  cam- 
pait dans  une  éclaircie  au  milieu  des 
forêts  vierges  de  la  Cordillère  des  Andes 
occidentales,  gardant  le  défilé  de  VEspi- 
nnzo  ciel  Diabolo,  sur  la  route  qui  mène 
de  Durango  à  Los  Veranos. 

Il  tombait  une  neige  intense.  Un  vent 
glacial  balayait  le  givre  et  rendait  impos- 
sible l'habitation  sous  la  tente.  Nos  sol- 
dats se  contentèrent,  ce  jour-là,  de  for- 
mer les  faisceaux  et  d'allumer  de  grands 
feux  devant  eux. 

Dix  heures  du  soir  venaient  de  sonner 
au  monastère  de  Durasnito,  lorsque  fut 
introduit  sous  la  tente  du  lieutenant- 
colonel  Cottret,  la  seule  dressée  dans 
tout  le  camp,  un  Espagnol  arrêté  aux 
avant-postes  et  qui,  enveloppé  de  son 
long  manteau  de  laine  brune  et  portant 
sur  l'épaule  la  lourde  carabine  des  con- 
trebandiers, déclara  se  nommer  Lazaro 
et  avoir  des  révélations  importantes  à 
faire  au  commandant  de  la  colonne  fran- 
çaise : 

—  ^'otre  seigneurie,  dit  cet  homme, 
veut-elle  tenter  un  joli  coup  de  main 
celte  nuit  ?  Le  guérillero  Salazar,  qui 
intercepte  toutes  vos  dépêches  et  que 
vous  cherchez,  n'est  pas  loin  d'ici.  A'ou- 
lez-vous  que  je  vous  le  livre? 


A  ce  mot  de  Salazar,  l'officier  releva 
la  tête  : 

—  l'^t  où  est-il,  ce  Salazar? 

—  Al  Ilijo  ciel  Dinholo. 

—  Combien  de  temps  faut-il  pour  s'y 
rendre  ? 

—  Une  demi-heure  avec  de  bons  che- 
A'aux,    une  heure  pour  des  fantassins. 

—  Tu  t'engages  à  nous  servir  de  guide? 

—  Si,  cahallero. 

—  Rétléchis  bien  ;  si  lu  me  trompais, 
tu  n'aur.vis  pas  une  heure  à  vivre. 

—  Je  ne  crains  rien  ;  je  connais  le 
chemin  du  Trou  du  Diable  aussi  bien 
que  la  calle  de  la  Annunciacla  de  Mazat- 
lan  et  je  pourrais  vous  y  conduire  les 
yeux  fermés. 

—  Tu  es  bien  décidé? 

—  Oui.  Mais  hâtons-nous,  le  temps 
presse.  Dans  deux  heures,  le  nid  sera 
vide  et  les  oiseaux  envolés  pour  long- 
temps... peut-être  pour  toujours. 

Des  ordres  furent  immédiatement  don- 
nés et  la  conversation  suivante  s'engagea 
entre  le  lieutenant-colonel  Cottret  et 
le  capitaine  Adam,  du  S*"  chasseurs 
d'Afrique  : 

—  Combien  avez-vous  de  chevaux  dis- 
ponibles, ce  soir,  capitaine? 

—  La  situation,  mon  colonel,  en  porte 
vingt-cinq.  Aucun  accident  depuis  ce 
matin. 

—  C'est  bien.  Trois  jointées  d'orge  à 
vos  chevaux.  Ma  montre  marque  dix 
heures  et  demie.  \'os  deux  pelotons  en 
armes  dans  une  demi-heure. 

—  Mais,  permettez...  mon  colonel, 
hasarda  timidement  l'officier,  mes  cava- 
liers sont  sur  les  dents.  Ils  n'ont  pas 
encore  mangé  la  soupe...  Depuis  ce  ma- 
tin, ils  n'ont  vécu  que  d'oignons  crus, 
de  biscuits  et  de  cigarettes... 

—  A'ous  m'avez  compris,  capitaine... 
Pas  d'observations...  Je  ne  les  aime  pas. 


396 


PEPITA     CARBAJAL 


Voici  vinyt  ans  que  je  lais  la  yuerre  en 
Algérie  et  je  ne  me  suis  jamais  occupé 
de  la  nourriture  des  hommes  et  des  che- 
vaux dans  les  expéditions  urgentes... 

Cet  ordre  impératil'  sentait  la  poudre. 

Il  fallait  obéir,  et,  à  onze  heures  du 
soir,  vingt-cinq  cavaliers  du  S*'  chasseurs 
dAlrique  vinrent  se  ranger  derrière  les 
cinquante  plus  vigoureux  fantassins  du 
(ri*"  de  ligne,  qui  attendaient  sans  sacs, 
sous  les  ordres  du  capitaine  Maurand, 
Tordre  de  se  porter  en  avant  pour  une 
expédition  nocturne  dont  on  ignorait  la 
destination. 

A  peine  cette  petite  colonne  a-t-elle 
franchi  la  limite  du  camp  quelle  sen- 
gage  dans  un  véritable  sentier  de  bêtes 
fauves,  au  travers  d'une  montagne  rocail- 
leuse et  boisée,  dans  laquelle  le  désordre 
de  la  nature  indiquait  assez  combien  elle 
était  propice  aux  embuscades.  Partout  le 
terrain  présente  un  véritable  chaos  d'em- 
pierrement, un  déluge  d'embroussaille- 
ment,  une  immensité  de  lianes  et  de 
ronces  interceptant  les  fourrés. 

Les  branches  jaillissent  de  partout; 
de  droite,  de  gauche,  d'en  bas,  d'en 
haut  ;  elles  sont  horizontales,  perpendi- 
culaires, obliques  ;  il  en  sort  de  terre, 
il  en  tombe  du  ciel.  On  dirait  un  en- 
vahissement d'arbres  moussus,  tordus, 
noueux  ;  une  irruption  de  buissons  épi- 
neux, impénétrables  ;  un  immense  réseau 
de  plantes,  grimpant  le  long  de  tout  ce 
qui  veut  de  leur  embrassement  volup- 
tueux, roulant  leurs  tiges  flexibles  sur 
des  rochers  verdàtres  ou  autour  des 
troncs  d'arbres  pourris,  enfouis  comme 
dans  un  linceul,  sous  une  montagne  de 
feuilles  sèches. 

Cavaliers  et  fantassins  se  frayent  un 
passage  à  travers  celle  nature  incohé- 
rente comme  ils  peuvent  et  où  ils  peu- 
vent ;  les  premiers,  en  suivant  le  sentier 
à  peine  tracé  qui  serpente  sur  les  flancs 
de  la  montagne;  les  seconds,  en  escala- 
dant les  escarpements,  qui  sur  les  ge- 
noux, qui  sur  les  coudes,  saidant  des 
mains  et  des  ongles;  les  uns  et  les  autres 
se  meurtrissant  le  visage,  se  déchirant 
les  vêtements  aux  ronces  du  chemin. 


Par  intervalles,  une  pierre  cède  sous 
les  pieds  ou  sous  les  doigts,  roule  dans 
le  précipice,  frappant  les  arbres,  écra- 
sant les  rochers  et,  dans  l'alvéole  produit 
par  ce  déplacement,  on  sent,  rien  qu'au 
toucher,  s'agiter  de  nombreux  scara- 
bées, d'immenses  fourmis  de  feu,  qui, 
dérangés  de  leurs  lieux  de  retraite  or- 
dinaire, voltigent  en  tous  sens,  traçant 
leur  sillon  dans  l'obscurité. 

,\près  une  demi-heure  d  ascension  des 
plus  pénibles,  la  vaillante  petite  ti^oupe 
rencontre  une  harranco  très  profonde, 
mais  tellement  étroite  que  le  son  de  la 
voix  pouvait  arriver  dune  berge  à  une 
autre.  Les  cavaliers  mettent  pied  à  terre, 
les  fantassins  baïonnette  au  canon,  et, 
malgré  tous  les  éboulements  de  cailloux 
croulant  sous  les  pas,  les  uns  et  les 
autres  s'engagent  sur  les  pentes  rapides 
et  sinueuses  du  gouiTre  dont  les  siècles 
ont  creusé  le  lit  souterrain  ravagé  par 
les  eaux.  On  parvient  ainsi  àl'aulre  pente. 
Puis,  on  gagne  le  point  culminant  de  la 
montagne.  La  neige  avait  subitement 
cessé;  la  lune,  jusqu  alors  cachée,  mon- 
trait son  disque  argenté  entre  deux  gros 
nuages.  Le  leri^ain  se  détachait  sec  et 
sombre   sous  un  ciel  presque  lumineux. 

Tout  à  coup,  Lazaro  s'arrêta,  humant 
l'air  comme  un  limier  tombant  sur  une 
piste,  interrogea  l'horizon  du  regard  et 
jeta  un  coup  d'œil  sur  les  lichens  mous- 
sus qui  tapissaient  les  rochers. 

—  C'est  ici,  fit  le  guide  à  voix  basse. 
En  vérité,  seiîores,  il  faut  que  les  bandits 
soient  bien  occupés  ;  ils  n'ont  pas  même 
songé  à  mettre  une  sentinelle  sur  la  plate- 
forme qui  domine  le  Trou  du  Diable. 

Puis,  s'adressant  au  colonel  Cotlrel  : 

—  Cette  lumière  qui  perce  le  brouillard 
et  que  votre  seigneurie  peut  aperce- 
voir dans  le  lointain,  c'est  la  Grula 
de  la  Muerle.  Nous  y  serons  dans  quel- 
ques minutes.  Redoublons  de  prudence 
et  de  vigilance.  En  suivant  ce  chemin 
creux,  je  gage  ma  tête  que  nous  ne  se- 
rons aperçus  par  aucun  des  guérilleros 
occupés  en  ce  moment  à  faire  leurs  pré- 
paratifs de  départ. 

Il  était  minuit. 


IMUMTA     CAIUÎAJAL 


397 


I.;i  petite  trouiie  se  remit  en  marche 
silcncicusemeiil  et  bientôt  ou  put  ilis- 
tiuf^uer,  au  milieu  de  la  broussaille,  uue 
léf;ère  colonue  de  fumée  qui  se  perdait 
dans  ratmosphère. 

Devant  une  sorte  de  cabane  l'aile  de 
branches  et  de  feuilla{jes,  quelques 
tisons  fumaient,  et  autour  de  ce  foyer 
agreste  une  quinzaine  d'individus,  dé- 
guenillés, chargeaient  leurs  mules. 

L'apparition  imprévue  de  nos  chas- 
seurs d'Afrique  roulant,  comme  une 
avalanche,  sur  les  déclivités  de  la  mon- 
tagne, mit  le  désordre  dans  le  camp 
improvisé  des  guérilleros,  qui,  surpris 
et  troublés,  n'eurent  que  le  temps  de 
fuir  en  désordre  dans  toutes  les  direc- 
tions. Mais  le  Trou  du  Diable  ainsi  que 
la  Grotte  des  Morts,  qui  lui  sert  de  sou- 
terrain,  étaient  cernés.  Plus  d'issues 
pour  échapper  et  gagner  la  forêt.  Ce  ne 
sont  alors  que  duels  particuliers  entre 
nos  soldats  et  leurs  adversaires  ;  on 
n'entend  que  la  respiration  haletante 
des  combattants,  le  bruit  strident  de 
l'acier  des  armes  qui  se  croisent  dans  le 
silence  de  la  nuit. 

—  Quien  vive?  crie  le  lieutenant  de 
Briand,  en  se  présentant  à  l'entrée  de 
la  Grotte  des  Morts. 

Deux  hommes  sont  devant  lui,  ainsi 
qu'un  jeune  garçon  d'une  douzaine 
d'années;  une  Indienne,  la  torche  à  la 
main,  attise  le  feu.  Au  bruit  des  crosses 
de  fusil,  fi^appant  le  sol,  l'enfant  tourne 
la  tête,  fait  le  signe  de  la  croix  et  se 
glisse  derrière  un  tronc  d'arbre  servant 
de  banc  et  au-dessus  duquel  est  placée 
une  madone  dans  sa  niche. 

—  Nous  ne  sommes  pas  des  malfai- 
teurs, répond  le  plus  âgé  des  deux 
Mexicains,  mais  de  simples  bûcherons, 
ayant  cherché  cette  nuit  un  abri  contre 
le  mauvais  temps.  Ce  petit  garçon  nous 
sert  de  domestique,  et  cette  Indienne, 
c'est  Pépita,  sa  S(cur. 

—  ^'ous  Aoulez  nous  en  imposer, 
réplique  le  capitaine  Maurand.  Nous 
sommes  ici  à  la  recherche  de  la  bande 
Salazar  et  nous  savons  que  vous  êtes 
des  siens. 


—  Nous,  guérilleros  !...  Allons  donc? 
Voyez  plutôt  nos  fusils  qui  gisent  à 
terre;  ils  sont  chargés  avec  de  l'inno- 
cente cendrée.  Nous  chassons  les  petits 
oiseaux  entre  deux  coups  de  cognée 
dans  la  forêt. 

—  Vous  êtes  tous  les  mêmes,  les 
guérilleros,  de  prétendus  chasseurs. 
Mais,  quand  vous  êtes  seuls  dans  la  pro- 
fondeur des  bois,  vous  vous  installez 
commodément  dans  le  creux  d'un  arbre, 
le  trou  d'un  rocher  ou  derrière  un 
buisson,  et,  si  vous  voyez  venir  à  vous 
un  inconnu,  voire  même  un  de  nos 
soldats,  vous  suivez  ses  mouvements, 
faites  silencieusement  couler  une  bonne 
balle  dans  le  canon  de  votre  fusil  et, 
lorsque  l'homme  épié  est  au  point 
voulu,  immanquable,  le  coup  part  et 
l'homme  est  à  bas...  Jusqu'à  preuve  du 
contraire,  empoignez-moi  ces  deux 
hommes,  ajoute  l'officier,  en  se  tour- 
nant vers  le  sergent  qui  le  suivait. 

Sur  ces  entrefaites,  le  soldat  Teyssier, 
à  la  faible  lueur  d'une  allumette  frottée 
sur  sa  manche,  aperçoit  un  monceau  de 
feuilles  sèches  sur  lequel  est  jeté  un 
mauvais  sarape.  Il  pique  dans  le  tas 
avec  la  pointe  de  sa  baïonnette,  sent 
delà  résistance;  les  feuilles  s'agitent, 
remuent,  et  un  homme  à  figure  hideuse 
ne  tarde  pas  à  en  sortir.  Une  torche  de 
résine  trouvée  dans  un  coin  est  aussitôt 
allumée.  L'aspect  de  cet  homme,  qu'on 
prendrait  pour  un  i^evenant,  est  repous- 
sant; la  chemise  entrouverte  démasque 
une  poitrine  velue  comme  celle  d'un 
ours;  le  pantalon,  retenu  à  la  taille  par 
une  corde,  laisse  apercevoir,  au  travers 
d'une  des  poches  béantes,  le  grossier 
manche  en  bois  d'un  machele;  le  visage 
est  en  partie  caché  par  un  immense 
sombrero,  surmonté  d'une  plume  cras- 
seuse ;  la  chevelure  grisonnante  est 
épaisse  et  broussailleuse.  Demi-bandit, 
demi-soldat,  cet  individu,  à  la  figure 
osseuse  et  jaunâtre,  u  a  qu  un  œil;  mais 
cet  œil  est  celui  d  un  oiseau  de  proie. 

—  Qui  es-tu?  lui  demande  le  lieute- 
nant-colonel Cottrcl,  devant  lequel  il 
est  amené. 


â9K 


PKPÎTA    CARBA.tAL 


—  Eleazard,  senor. 

—  Comment,  Elea/ard?  Tu  n"ey  donc 
pas  Salazar? 

—  No,  senor. 

—  Tu  mens,  et  nous  avons  dans  nos 
rangs  quelqu'un  qui  le  connaît...  Ap- 
proche ici,  Lazaro.  Connais-tu  cet 
homme? 

—  Parl'aitemenl.  Cet  homme  est  bien 
cehii  qui  intercepte  toutes  vos  corres- 
pondances et  assassine  vos  corremn. 

—  Ah!  c  est  toi  qui  mas  vendu,  huide 
ce  dernier;  combien  de  réaux  l'a-l-on 
donné  pour  ceh»? 

—  Aucun  réal ,  maUlilo  ;  je  viens 
venger  Carmencila,  ma  sii'ur,  que  lu  as 
assassinée  en  l'absence  de  son  mari,  mu- 
letier dans  la  montagne,  parce  qu'il  sert 
ûarriero  aux  troupes  françaises. 

Et  Lazaro,  auquel  on  avait  enlevé  ses 
entraves  pour  mieux  guider  nos  soldats, 
bondit  comme  un  tigre,  frappant  de 
deux  coups  de  couteau  Salazar,  qui  n'a 
que  le  temps  de  murmurer  d'une  voix 
éteinte,  mais  empreinte  d'une  sorte 
d'orgueil  et  de  haine  : 

—  Triuin fados,  los  deinonios!  Mexico 
pierdii  uno  de  sus  mus  fidelos  servi- 
dores,  y  los  afrancesados,  su  mas  im- 
placable enemigo  ! 

Puis  Lazaro  s'enfonça  dans  la  grotte, 
disparut  et  échappa  à  toutes  nos  re- 
cherches. 

A  ce  moment-là,  les  deux  guérilleros 
saisis  par  le  lieutenant  de  Briand,  profi- 
tant de  l'obscurité  et  du  Irouble  amené 
par  cet  incident,  se  jettent  sur  les  sol- 
dats qui  les  gardent;  l'un  reçoit  un  coup 
de  baïonnette;  l'aulrc,  un  coup  de  feu. 
Tous  les  deux  tombent  inanimés  sur  le 
terrain,  sont  laissés  sur  place  faute  de 
mulets  pour  les  transporter.  Et  la  petite 
colonne  expéditionnaire  rentre  au  camp 
d'El  Favor,  comme  l'aube  blanchissait, 
poussant  devant  elle  ses  prisonniers  de 
la  nuit. 

(^ette  sortie  était  la  premièi-e  carie  de 
visite  des  troupes  françaises  aux  bandits 
de  la  Sierra  Madré. 

A  la  même  heure,  les  Indiens  attardés 
dans  les   parages    du    Trou   du  Diable, 


pouvaient  voir  une  jeune  Mexicaine 
pai'courir  lentement  le  théâtre  de  la 
lutte,  examinant  silencieusement  le  ter- 
rain et  cherchant  dans  la  broussaille  les 
deux  blessés  qu'elle  savait  avoir  été 
oubliés  par  nos  soldats.  Son  épaisse 
chevelure  d'un  noir  d'ébène  a  des  reflets 
de  salin  ;  le  rouge  vif  de  ses  joues  fait 
ressortir  la  blancheur  nacrée  de  ses 
dents;  son  regard,  qui  a  une  expression 
pensive  et  profonde,  lance  par  moments 
des  reflets  de  flamme. 

La  lumière  du  jour,  en  perçant  à  tra- 
vers le  feuillage,  laisse  apercevoir  des 
taches  de  sang  répandues  çà  et  là  sur 
les  feuilles  mortes.  Deux  cadavres  sont 
là;  ils  gisent  cote  à  côte  derrière  une 
touffe  d  arbustes.  La  jeune  Indienne 
s  approche;  l'un  ne  donne  plus  aucun 
signe  de  vie,  mais  1  autre  attire  son 
attention  (ce  n'est  pas  un  mort,  mais 
un  blessé).  Sa  respiration  est  haletante, 
son  pouls  o])pressé. 

—  Beher!  dil-il  dune  voix  élcintc  en 
sentant  une  main  froide  lui  relever  la 
tète. 

La  jeune  fille  tressaille.  Celle  voix 
est  celle  de  Juan  Ramirez,  son  fiancé, 
celui  dont  elle  avait  partagé  les  dangers 
il  y  a  quelques  heures  à  peine. 

Son  parti  est  bientôt  pris.  Après  s'être 
fait  reconnaître,  felle  prend  le  blessé 
dans  ses  bras,  l'aide  à  se  relever,  i^amasse 
une  carabine  qui  gît  à  terre,  la  lui  donne 
pour  s'en  servir  comme  d'une  béquille, 
et  le  ramène  à  la  grotte  de  la  Miierie. 
Deux  heures  après,  Juan  Ramirez  était 
installé  dans  un  bon  lit,  à  V hacienda 
del  Puenle,  domicile  de  Cyrillo  Carba- 
jal,  sou  futur  beau-père. 

Ce  dernier  avait  autrefois  comballu, 
en  IHl'i,  sous  les  ordres  du  curé  Morel- 
los  ;  mais  trop  vieux  dorénavant  pour 
prendre  part  à  la  lutte  nouvelle  qui  s'en- 
gageait contre  les  ennemis  de  sa  pairie, 
il  s'était  contenté  d'enrôler,  dans  les 
bandes  de  (]orona,  son  fils  Eslivan,  et 
un  ami  de  la  famille,  Juan  Ramirez,  qui 
briguait  l'honneur  d'oblenir  la  main  de 
sa  fille  Pépita. 

—  Volo  â  Dios,  s'écria  le  hatiendero 


PKl'tTA    C.AUBA.IAL  3Ô9 

("larbiiial,  en  vovaiil   le   blessé   ([u'oii  lui    ]    t';i/(le/)cri;(s\    un    llacoii   de  reflno  et  une 


amenait.  Allons,  Pépita,  cours  au  sellier   j   gargoulette    de    lepache;    nous     allons 
et    va    me   chercher   une   bouteille    de   I   boire,  avec  lio  et  Yacinto,  au  rétablisse- 


400 


PEPITA    CARBAJAL 


ment  de  la  saiilé  de  ranii  Juan   cl  à  la 
liberté  du  Mexique. 

—  Oui,  muerle  h  los  nfruncesados, 
répondit  Yacinto,  vieil  haciendero,  com- 
pagnon fidèle  des  orgies  de  Carbajal, 
qui  habitait  un  rancho  voisin  de  \  ha- 
cienda del  Puenle. 

Pépita  s'empressa  de  satisfaire  son 
j)ère  et  posa  de  sa  jolie  main  les  trois 
llacons  sur  la  table,  autour  de  laquelle 
se  tenaient  les  deux  vieillards,  puis  se 
retira. 

—  Comment,  tu  ne  bois  pas  avec 
nous?  lui  dit  Carbajal. 

—  Non,  merci. 

—  Tiens!  voilà  un  verre  de  valde- 
penas;  bois  au  moins  à  la  santé  de  ton 
fiancé. 

—  Non,  mon  père,  encore  une  fois, 
merci.  D'autres  devoirs  m'appellent  ail- 
leurs. 

—  Je  comprends.  Tu  as  hâte  de  voir 
ce  qu'est  devenu  ton  frère  Estivan.  Va, 
mon  enfant;  prends  Fidelio  à  l'écurie; 
c'est  mon  meilleur  cheval.  Les  Français 
seront  dans  quelques  jours  à  Los  \'era- 
nos;  il  faut  que  tu  les  y  devances.  Un 
de  nos  peones  t'accompagnera.  Corona 
a  dans  cette  localité  des  partisans  très 
dévoués,  tu  te  faufileras  parmi  eux  ; 
tu  essayeras  de  savoir  tout  ce  qui  se 
dit  dans  les  camps  français.  Je  compte 
sur  toi  pour  en  informer  Estivan,  qui 
occupe  en  ce  moment  les  environs  de  la 
Noria. 

Le  lendemain  de  cet  entretien,  une 
belle  amazone  montée  sur  un  coursier 
aux  allures  dégagées,  blanchissant  son 
mors  d'écume,  faisait  son  entrée  à  Los 
\'eraiios,  et  s'installait  à  la  posada 
tenue  par  la  mère  Felipe,  comme  Ki 
deuxième  colonne  conduite  par  le  gé- 
néral de  Castagny  y  arrivait,  le  9  jan- 
vier 1865. 

C'était  Pépita  Carbajal. 


II 


Cette  deuxième  colonne  se  composait 
du  7*"  bataillon  de  chasseurs  (comman- 


dant Hréart  ;  de  deux  bataillons  du  .Tf 
(colonel  Garnien;  du  1''' bataillon  du  62** 
(commandant  Lambert);  de  deux  esca- 
drons du  3'^'  chasseurs  d'Afrique  (com- 
mandant de  Montarby)  et  d'une  batterie 
d'artillerie  (capitaine  Martel). 

l^e  piiehlo  de  Los  Veranos  (les  Prin- 
temps) situé  à  douze  lieues  de  Mazatlan 
et  à  soixante-dix  de  Durango,  est  bâti 
sur  une  hauteur,  au  pied  de  laquelle 
coule  une  petite  rivière  ombragée  de 
mimosas,  de  bananiers  et  d'avas,  for- 
mant tout  autour  du  village  un  rempart 
presque  impénétrable,  deiM'ière  lequel 
s'épanouissent  des  myriades  de  fleurs 
odorantes.  Les  chênes  blancs,  les  hêtres, 
les  acacias  croisent  leurs  feuillages  avec 
ceux  des  lilas,  des  noisetiers  et  des 
églantiers.  Dans  le  village  même,  les 
vignes  vierges  rampent  le  long  des  ran- 
chos;  ici  les  liserons  s'infiltrent  dans 
toutes  les  fissures  des  murs  crevassés  ou 
lézardés;  là  des  rosiers  géants  grimpent 
jusque  sur  les  toits  et  leurs  boutons 
semblent  vouloir  pénétrer  par  toutes  les 
ouvertures. 

Le  campement  de  nos  troupes,  autour 
de  cette  bourgade,  a  la  forme  d'une 
circonférence;  toutes  les  compagnies 
d'infanterie  sont  séparées  entre  elles  par 
des  intervalles  de  300  à  400  mètres.  Les 
Mexicains,  agiles  comme  des  singes,  et 
rusés  comme  des  renards,  avaient  donc 
toutes  les  facilités  pour  passer  dans  les 
intervalles  et  se  ruer  sur  notre  convoi, 
qui,  mal  gardé,  occupait  le  centre  de  la 
circonférence.  Dans  la  nuit  du  9  au 
10  janvier,  quelques  guérilleros  de  la 
bande  Corona,  montés  sur  des  juments 
d'une  vigueur  extrême,  se  faufilèrent 
entre  les  compagnies,  pénétrèrent  dans 
le  camp  et  enlevèrent  tous  nos  mulets 
en  les  chassant  devant  eux.  Les  arriéras 
tirèrent  quelques  coups  de  feu  sur  les 
voleurs,  mais  ce  fut  tout,  et,  lorsque  le 
camp  fut  mis  en  éveil  par  ce  hardi 
coup  de  main,  les  mulets  étaient  déjà 
loin. 

La  division  de  Castagny,  privée  de 
ses  moyens  de  transport,  était  immobi- 
lisée  et   ne   pouvait   plus   continuer  sa 


PEPITA    CAUBAJAL 


401 


route.  Deux  uégocianls 
a  ni  é  r  i  c  a  i  n  s  s  u  i  ^■  a  i  e  n  l 
cette  colonne,  avec  en- 
viron deux  cents  mules 
charçées  d'étoffes  de 
laine,  de  -sarapes;  ils 
campaient  en  dehors, 
veillaient  sur  leurs  mar- 
chandises, avec  leurs 
domestiques.  Corona  ne 
les  inquiéta  nullement  ; 
le  général  de  Gastagny 
crut  devoir  réquisi- 
tionner leurs  mules  pour 
remplacer  celles  qui  nous 
avaient  été  enlevées  par 
le  chef  juariste. 

Pour  pallier  cette 
faute,  due  en  grande 
partie  au  manque  de 
surveillance  des  arriéras 
préposés  à  la  garde  du 
convoi,  Tadministratiou 
militaire  ne  trouva  rien 
de  mieux  que  de  faire 
déposer  dans  l'église  de 
Los  Veranos  les  mar- 
chandises des  deux  né- 
gociants américains,  sous 
la  garde  d'une  compagnie 
du  7"  bataillon  de  chas- 
seurs. Le  commandant 
Bréart  désigna  celle  du 
lieutenant  Chauffeur. 

La  localité  ne  ren- 
ferme guère  que  1,800 ha- 
bitants. La  posada  de  la 
mère  Felipe,  rendez-vous 
habituel  des  Mexicains, 
qui  viennent  y  discuter 
les  événements,  a  une  réputation  de  bon 
aloi. 

Dans  certains  jours,  lanimation  y  est 
très  grande;  c'est  là  que  se  traitent  les 
affaires  commerciales  du  pays,  et  que 
les  consommateurs  apprennent  les  nou- 
velles du  jour.  Veuve  d'un  Espagnol, 
dont  les  ancêtres  descendaient  des  pre- 
miers conquérants  venus  dans  l'Etat  de 
Sinaloa  à  la  suite  de  Fernand  Cortez, 
la  mère  Felipe,  bien  que  d'origine  fran- 

VIII.  —  2C. 


çaise,  connaît  toutes  les 
traditions  du  pays  ;  les 
haines  des  deux  partis  en  lutte,  les  ma- 
chos comme  les  puros;  elle  a  aussi  la  ré- 
putation d'v  fabriquer  des  tortillas  d'une 
saveur  particulière  et  ressemblant  à  s'y 
méprendre  à  nos  galettes  de  France;  de 
plus,  elle  a  chez  elle  une  collection 
d'Indiennes,  véritables  servantes,  toutes 
plus  jolies  les  unes  que  les  autres. 


402 


PEPITA    CARBAJAL 


Cet  établissement,  on  le  comprend, 
devint,  pendant  le  séjour  de  nos  troupes 
à  Los  Verafios,  le  rendez-vous  ordinaire 
de  nos  jeunes  officiers,  qui  venaient  y 
prendre  leurs  joyeux  ébats,  dans  les  mo- 
ments de  loisir  que  leur  laissait  le  ser- 
vice. Pour  quelques  piastres  et  même 
pour  quelques  réaux,  on  pouvait  exami- 
ner à  son  aise,  entre  un  bock  de  bière 
détestable  et  un  veiTc  de  moscatel,  les 
plus  beaux  types  en  ce  genre  de  la 
Sierra  Madré. 

Le  10  janvier  1865,  il  y  avait  foule 
au  café-restaurant  de  la  mère  Felipe, 
les  officiers  de  la  colonne  de  Gastagny 
faisaient  leurs  adieux  à  la  4®  com- 
pagnie du  7"  bataillon  de  chasseurs,  qui 
allait  être  laissée  seule  à  la  garde  de 
Los  Veranos. 

Le  départ  du  reste  de  la  colonne  pour 
Mazatlan  était  fixé  au  lendemain. 

Toute  une  jeunesse,  insouciante  du 
danger  et  enthousiaste  des  expéditions 
aventureuses,  se  fêtait  réciproquement, 
et  de  bruyants  éclats  de  rire  intercep- 
taient souvent  les  conversations. 

—  Que  s(a  diciendo  el  senor  ?  de- 
manda tout  à  coup  une  Indienne  à  un 
sous-lieutenant  du  ôl'^qui  se  pâmait  sur 
sa  chaise  et  riait  à  gorge  déployée. 

—  Il  dit  :  0  la  plus  ravissante  fille  des 
tribus  Apaches,  que  tes  yeux  sont  d'azur, 
tes  dents  d'ivoire,  ta  taille,  un  palmier, 
et  tes  charmes,  le  paradis  de  Mahomet. 
(Comprends-tu? 

—  Voya  pues,  sefior. 

Et,  pendant  que  cet  officier  dessinait 
rindienne  sur  son  calepin,  de  profil  et 
de  face  ; 

—  Quel  est  ton  nom?  lui  demanda  un 
autre. 

—  Pépita. 

La  bande  joyeuse  riait  toujours. 

—  Que  sla  diciendo  el  senor  ?  répéta 
rindienne,  dont  le  regard  brillant  lan- 
çait des  éclairs. 

—  Il  dit  :  0  Pépita  !  ù  pedazo  de 
cielo,  que  la  mère  Felipe  ressemble  à  la 
Vierge  de  la  Guadeloupe. 

—  Sta  un  hombre  muy  diciende,  el 
senor,  ajouta  l'Indienne. 


—  X...,  mon  ami.  —  dit  un  convive, 
—    tu    parles    comme    un    majordome. 

—  Et  toi,  chicana  de  mon  cœur, 
comme  une  giberne. 

La  conversation  tournait  à  l'aigre;  il 
était  temps  qu'on  se  séparât.  Vers 
six  heures  du  soir,  on  se  serra  la  main, 
et  chacun  rejoignit  son  campement. 

C'est  ici  que  se  place  un  des  épisodes 
les  plus  douloureux  de  notre  campagne 
au  Mexique. 


Le  brave  Chanfi'eur  a  toute  sa  com- 
pagnie massée  dans  l'église  de  Los  Ve- 
ranos. Ses  avant-postes  le  couvrent 
dans  toutes  les  directions  :  au  pied  du 
mamelon,  sur  les  bords  de  la  rivière,  et 
sur  les  points  dominants  ayant  des  vues 
du  côté  du  sud,  à  l'est  et  à  l'ouest.  A  la 
nuit,  les  postes  sont  doublés;  tout  le 
monde,  cependant,  dort  autour  de  lui, 
sous  un  magnifique  ciel  étoile,  au  milieu 
duquel  la  lune  rayonne  dans  tout  son 
éclat.  Lui  seul  veille,  roulé  dans  son 
caban,  devant  un  feu  presque  éteint. 

Le  silence  est  complet.  Tout  d'un 
coup,  il  se  sent  frapper  sur  l'épaule  par 
une  main  qu'au  contact  seul  il  recon- 
naît ne  pas  être  celle  d'un  homme.  L'of- 
ficier se  dresse  aussitôt,  comme  mû  par 
un  ressort;  derrière  lui  se  tient  une 
femjne,  drapée  dans  sa  mantille,  un 
doigt  sur  les  lèvres. 

—  Caballero,  murmura-t-elle  à  voix 
basse,  demain  tu  seras  seul  ici,  méfie- 
toi.  Corona  est  prévenu,  tu  ne  saurais 
lui  résister.  Il  a  avec  lui  deux  mille  cava- 
liers et  des  fantassins  bien  plus  nom- 
breux que  ceux  dont  tu  disposes.  Te 
voilà  prévenu.  Adieu. 

Puis  cette  femme  disparut  dans  la 
nuit,  derrièi'e  les  faisceaux  d'armes. 

Qui  était  cette  enchanteresse?...  Au 
son  de  la  voix,  Chanfi'eur  a  reconnu  la 
mère  Felipe. 

Cette  apparition  soudaine  ne  le  rend 
pas  moins  perplexe,  carie  lendemain  est 
vite  arrivé,  et,  s'il  est  attaqué,  comment 
pourra-t-il  résister  aux  bandes  de  Corona 
avec  un  effectif  de  soixante  et  un  chas- 


l'KPlTA    CARBA.TAL 


403 


scurs,  lui  compris  cl  son  sous-licutcnanl 
Jeansclme? 


Le  crépuscule  est  court  sous  la  lati- 
tude du  Mexique.  L'aube  rayait  Thori- 
zon  comme  la  diane  joyeuse,  véritable 
chant  de  l'alouelle,  sonnait  dans  les  airs 
son  refrain  matinal,  et  comme  aussi  la 
cloche  de  l'église  appelait  les  pieux 
Indiens  à  la  prière  de  l'angélus. 

Les  troupes  dans  les  différents  camps, 
autour  de  Los  Veraiïos,  se  préparent  au 
déparl.  Les  tentes  sont  abattues,  les 
capotes  roulées,  les  bêtes  chargées  ;  cava- 
liers et  fantassins  sous  les  armes.  Enfin, 
la  colonne  se  met  en  route  et  il  est  près 
de  neuf  heures  du  matin  lorsque  la  der- 
nière mule  du  convoi  disparaît  sous 
bois,  enfilant  la  route  de  Mazatlan. 

Laissé  seul.  Chauffeur  sait  qu'il  n'a 
aucun  secours  à  attendre  de  la  colonne 
Cottret,  qui  est  encore  à  deux  journées 
de  marche  de  Los  Veraiîos.  Cela  lui  im- 
porte peu,  il  fera  son  devoir...  tout  son 
devoir. 

La  population  de  Los  Veranos  est 
inquiète.  Les  habitants  que  cet  officier 
rencontre  sur  son  chemin,  en  visitant  ses 
avant-postes,  ne  savent  quelle  contenance 
tenir  devant  lui.  Certains  groupes  chu- 
chotent dans  les  rues  et  regardent  nos 
soldats  de  travers.  L'établissement  de  la 
mère  Felipe  est  ouvert,  comme  d'ha- 
bitude ;  mais  quelques-unes  des  jolies 
servantes  de  la  veille  ont  pris  la  clef  des 
champs.  Pépita,  entre  autres,  a  été  ren- 
contrée ce  matin  à  cheval  dans  les  bois. 
Cette  attitude  hostile  inspire  peu  de  con- 
fiance !  Le  lieutenant  ne  perd  pas  la  tête 
et  se  rend  chez  Valcade. 

—  Sefior  Bartholomeo,  lui  dit-il,  j'ai 
fait  un  drôle  de  rêve  cette  nuit. 

—  Et  lequel,  lieutenante  ? 

—  J'ai  rêvé  que  je  vous  brûlais  la 
cervelle. 

L'alcade  releva  brusquement  la  tête  et 
pâlit,  comme  s'il  eût  été  touché  en  plein 
cœur,  puis  ajouta  : 

—  Et  pourquoi,  lieutenante? 


—  Tenez,  Bartholomeo,  êtes-vousbien 
sûr  de  vos  administrés? 

—  Aussi  sûr  que  de  moi-même,  lieu- 
tenante. 

—  Eh  bien-,  moi  j'ai  des  doutes. 
Puis  appelant  un   de   ses  chasseurs  : 

—  Dans  tous  les  cas,  pour  plus  de  sécu- 
rité, voilà  un  lapin  à  la  disposicion  de  V^. 

Et  un  vieux  chasseur  à  barbe  mo- 
nacale, portant  trois  chevrons  sur  sa 
manche  gauche,  s'approcha  de  l'alcade, 
en  faisant  sonner  distinctement  les  crans 
de  la  noix  de  sa  carabine  et  en  sifflant 
la  Casquette  du  père  Bucjeaud. 

Bartholomeo  comprit,  se  le  tint  pour 
dit  et  rentra  au  logis. 

Les  terrains  couverts  sont  dangereux, 
en  ce  sens  qu'on  ne  peut  voir  ce  qui  s'y 
passe  et  qu'on  ne  peut  s'y  mouvoir  à 
l'aise  une  fois  qu'on  y  est  engagé.  Nous 
allions  encore  une  fois  en  faire  la  triste 
expérience. 

Parmi  nos  officiers  et  nos  soldats  habi- 
tués depuis  deux  ans  à  une  sécurité 
relative,  dans  les  postes  occupés  par 
eux  au  Mexique,  y  en  avait-il  un  seul 
qui  fût  capable  de  distinguer,  la  nuit, 
confondu  dans  les  murmures  du  vent, 
dans  le  gémissement  des  eaux  d'un  tor- 
rent courant  sur  un  lit  de  cailloux,  le 
bruit  léger  de  l'espadrille  du  guérillero 
descendant  les  sentiers  de  la  montagne? 
En  était-il  un  seul  capable  de  recon- 
naître la  voix  humaine  dans  ces  cris  que 
fait  entendre  le  partisan  mexicain,  imi- 
tant de  façon  à  tromper  l'oreille  la  plus 
exercée  les  plaintes  des  oiseaux  noc- 
turnes, le  son  rauque,  lugubre  de  la  bête 
fauve,  et  composant  tout  un  langage  de 
signaux  intelligibles  pour  ceux-là  seule- 
ment qui  les  employaient?... 


Il  est  six  heures  du  soir.  Les  hommes 
mangent  la  soupe,  à  l'intérieur  d'un 
parapet  élevé  à  la  hâte  autour  de  l'église 
de  Los  Veranos  pour  les  couvrir.  La  nuit 
commence  à  venir.  Soudain,  une  vive 
fusillade  éclate  sur  tout  le  pourtour  du 
village;  le  cri  :  A  las  armas  !  a  las  armas! 


PEPITA    CARBAJAL 


retentit  de  toutes  parts.  Chacun  court  à 
sa  carabine,  et  la  défense  commence. 
Mais  nos  sentinelles  avancées  ont  été 
enlevées  au  lazzo;  dès  le  premier  feu, 
un  caporal  et  le  chasseur-  qui  gardent 
l'alcade  tombent  foudi-oyés.  Au  bout 
d'une  heure,  la  compagnie  avait  déjà  huit 
tués,  douze  blessés  et  vingt  prisonniers. 

Les  chasseurs  serrent  les  rangs  autour 
de  leurs  officiers;  chefs  et  soldats  sont 
décidés  à  tenir  jusqu'au  bout  et  s'en- 
couragent mutuellement. 

L'ennemi  cependant  est  arrivé  à 
cent  mètres  de  l'ouvrage,  il  faut  essayer 
d'en  dégager  les  abords.  Chanfreur  prend 
avec  lui  dix  chasseurs  et  tente  une  sor- 
tie. Assailli  par  une  grêle  de  balles,  il 
perd  encore  cinq  hommes  ;  lui-même 
est  blessé,  et  reçoit  une  balle  qui  lui 
brise  le  poignet.  Il  rentre  à  l'intérieur 
du  réduit,  dont  toutes  les  issues,  même 
celles  qui  donnent  dans  l'église,  sont 
barricadées  au  moyen  des  étofTes  de 
laine,  vêtements  ou  autres  marchan- 
dises dont  on  dispose. 

La  défense  en  est  là  lorsque  les  Mexi- 
cains jettent  contre  toutes  ces  ouver- 
tures des  étoupes  enflammées,  des  herbes 
sèches  enduites  de  résine.  Les  plus  har- 
dis vont  chercher  du  bois,  des  fagots, 
de  la  paille,  entassent  contre  la  porte 
de  l'église  combustible  sur  combustible. 
Le  feu  ne  tarde  pas  à  se  déclarer  par- 
tout, et  ce  qui  reste  de  la  compagnie  de 
chasseurs  combat  littéralement  au  centre 
d'un  incendie.  La  fumée  aveugle  les 
défenseurs,  la  chaleur  y  est  suffocante  ; 
les  blessés  endurent  des  souffrances 
atroces.  Pas  un  médecin  n'est  là  pour 
faire  les  premiers  pansements. 

A  la  nuit,  l'incendie  est  dans  toute  sa 
force.  Le  feu  pétille;  on  entend  le  cra- 
quement des  bois  qui  tombent  dans  la 
fournaise.  La  position  n'était  plus  te- 
nable. 

Il  fallait  prendre  un  parti  :  se  laisser 
enfumer,  griller  vifs,  ou  sortir  de  l'église 
et  se  défendre  en  rase  campagne  pied  à 
pied.  Ghanffeur  prit  ce  dernier  parti.  Il 
fit  remplir  de  cartouches  les  poches  de 
ses     soldats  ;    lui-même     s'arma    d'une 


carabine.  Hommes  valides  et  blessés 
pouvant  marcher  sortent  de  l'église  et 
gagnent  en  courant  la  lisière  du  bois 
voisin.  Les  cavaliers  mexicains  les  y 
suivent  ;  Chanfïeur  fait  filer  ses  chasseurs 
devant  lui  ;  il  reste  seul  pour  défendre 
pied  à  pied  un  petit  sentier  étroit  et 
encaissé  dans  lequel  la  cavalerie  mexi- 
caine ne  peut  s'engager;  il  reçoit  là, 
coup  sur  coup,  trois  coups  de  lance  qui 
heureusement  ne  font  que  traverser  les 
chairs  et  un  coup  de  feu  qui  lui  brise  le 
tendon  d'Achille. 

Pendant  cet  intervalle,  la  lune  s'était 
levée.  Les  chasseurs  se  comptent  alors; 
ils  ne  sont  plus  que  neuf.  Ce  combat 
avait  duré  quatre  heures  à  raison  d'un 
Français  contre  dix  Mexicains. 

Toute  la  nuit,  cette  poignée  d'hommes 
erre  dans  les  bois,  sans  orientation,  ne 
sachant  quelle  direction  prendre.  La 
Providence  vint  au  secours  de  Chanffeur 
et  de  ses  compagnons  d'infortune,  qui 
purent  enfin  rallier  la  colonne  de  Cas- 
tagny  au  village  de  Figuereros. 

Il  était  huit  heures  du  matin.  Les 
chasseurs  avaient  perdu  quarante  px'i- 
sonniers,  presque  tous  blessés,  quinze 
tués,  total  cinquante-cinq  hommes,  sur 
un  effectif  de  soixante  et  un.  Les  survi- 
vants n'étaient  donc  plus  qu'au  nombre 
de  six,  dont  deux  officiers. 

Et  si  l'on  veut  savoir  maintenant  com- 
ment sont  morts  les  quarante  prison- 
niers tombés  entre  les  mains  des  Mexi- 
cains, qu'on  lise  ce  récit  que  nous  tenons 
de  la  bouche  du  soldat  Maréchal,  le  seul 
prisonnier  échappé  des  mains  de  l'en- 
nemi, qui  rejoignit  Mazatlan  un  mois 
après  et  qui,  connue  le  dernier  Léoni- 
das,  a  pu  faire  le  récit  du  massacre  de 
ses  compagnons  d'armes. 

Traînés  de  village  en  village,  montés 
sur  des  mules,  les  mains  derrière  le  dos, 
flagellés  à  coups  de  bambou,  ces  qua- 
rante victimes  du  devoir  ont  une  mort 
digne  des  temps  antiques.  Ils  furent 
attachés  à  des  arbres  et  servirent  de  cibles 
aux  cavaliers  mexicains,  qui  s'élancèrent 
contre  chacun  d'eux  à  fond  de  train  la 
lance  en  arrêt,  en  criant  à  l'un  : 


i06 


PEPITA    CARBA.TAL 


—  Yo  apanto  al  corazon. 
A  un  autre  : 

—  Mira,  yo  apiinto  d  las  ajos. 
Plusieurs   furent   lacérés    à   coups  de 

machete. 

Pas  un  cri,  pas  une  plainte  ne  s'est 
échappé  de  la  poitrine  de  ces  malheu- 
reux atrocement  mutilés  ;  c'est  ce  qui  a 
fait  dire  depuis  à  nos  ennemis  :  «  Ces 
Français  sont  de  bronze  ;  la  mort  elle- 
même  ne  les  fait  pas  plier.  » 

Leurs  cadavres  pendus  à  des  arbres, 
le  long  de  la  route  suivie  par  la  colonne 
Cottret,  furent  retrouvés  bien  des  jours 
après  par  le  commandant  Desportes  de 
Lignière  du5P,  qui  leur  donna  la  sépul- 
ture avec  tous  les  honneurs  dus  à  de 
braves  soldats  morts  au  champ  d'hon- 
neur. 

Une  femme  seule  s'était  faite  l'instru- 
ment des  atrocités  commises  par  les 
bandes  de  Gorona  au  nom  de  l'indépen- 
dance du  Mexique,  et  cette  femme  était 
Pépita  Carbajal,  la  nièce  du  chef  jua- 
riste  qui  tenait  tête  à  nos  troupes  dans 
l'Etat  du  Tamaulipas. 

Le  général  de  Gastagny  usa  de  repré- 
sailles ;  il  prit  des  otages  dans  la  localité 
de  Los  Veranos,  fit  incendier  quelques 
ranchos  des  environs.  Les  flammes 
pétillantes  des  cases  auxquelles  on  avait 
mis  le  feu  s'élancèrent  en  gerbes  de 
toutes  couleurs  à  travers  les  branches 
des  vieux  géants  de  la  forêt.  L'horizon 
était  chargé  de  nuages  et  parfois  les 
rafales  du  vent  promenaient  la  flamme, 
comme  une  torche,  sur  les  lauriers-roses 
et  les  mimosas  aux  parfums  enivrants 
qui  tapissaient  les  murs  extérieure- 
ment. 

Nos  sentinelles,  abritées  derrière  des 
troncs  d'arbres,  pouvaient  entendre  le 
bruissement  des  serpents  à  sonnettes 
fuyant  ce  foyer  incandescent  et  se  glis- 
sant dans  les  hautes  fougères.  Et,  lorsque 
les  débris  fumants  ne  jetèrent  plus  dans 
la  campagne  qu'une  lueur  incertaine, 
semant  partout  la  ruine  et  la  désolation, 
on  se  mit  à  la  poursuite  des  bandes  de 
Gorona. 


Les  Gaulois  prétendaient  que  les 
femmes  possédaient  un  sens  de  plus  que 
nous.  Ils  avaient  peut-être  raison.  La 
nature  leur  a  fait  deux  présents  doulou- 
reux, mais  célestes  :  la  pitié  et  l'enthou- 
siasme qui  les  élèvent  au-dessus  des 
hommes.  Par  la  pitié,  elles  se  dévouent; 
par  l'enthousiasme,  elles  s'exaltent  et  se 
sacrifient. 

Dix-huit  mois  après  l'épisode  que 
nous  venons  de  raconter,  le  11  sep- 
tembre 1866,  au  combat  de  Palos  Pie- 
tros,  Pépita  Garbajal,  servant  dans  les 
bandes  de  Gorona,  sous  un  déguisement 
d'homme,  se  faisait  blesser  mortelle- 
ment dans  une  reconnaissance,  et  tom- 
bait entre  nos  mains. 

Drapée   dans  son   sarape   qui    ne  lui 

.laisse  voir  que  la  moitié  du  visage,  elle 

est  amenée  devant  le  docteur  Ghevassu, 

qui  ne  put  que  constater  l'arrêt  du  cœur. 

A  la  vue  de  cette  jeune  fille,  morte  en 
héroïne  pour  l'indépendance  de  son 
pays,  le  docteur,  muet  d'étonnement  et 
gagné  par  l'émotion,  ne  put  que  se 
voiler  les  yeux  et  se  découvrir  lentement. 

Aujourd'hui  une  pierre  tombale,  où 
l'oiseau  de  mort  vient  égrener  ses  notes 
li'istes  et  mélancoliques,  marque  seule 
l'emplacement  où  repose  cette  victime 
du  devoir  et  de  l'honneur  mexicain. 
Une  haie  de  cactus  aux  épines  blanches 
et  longues  l'entoure  ;  une  colonne 
brisée  la  surmonte  ;  de  grands  euca- 
lyptus, plantés  par  une  main  amie,  om- 
bragent cette  tombe  ;  leurs  branches 
s'inclinent  vers  la  terre...  La  route  de 
Los  Veraùos,  qui  se  déroule  poudreuse, 
longe  ce  mausolée,  grand  suaire  de 
de  pierre  blanchie  à  la  chaux.  L'Indien 
se  rendant  à  l'église  de  Mazallan  s'y 
arrête  forcément.  Il  se  découvi-e  alors, 
l'âme  emplie  d'une  dévotion  touchante. 
Gar,  comme  le  dit  Victor  Hugo  : 

Ceux  qui,  pieusement,  sont  morts  pour  la  patrie, 
Ont  droit  qu'à  leur  cercueil  la  foule  vienne  et  prie. 

Gomniandant   Grandin. 


L'ART  D'EXPOSER  ET  D'ENCADRER 


Bien  encadrer  un  tableau,  un  dessin 
ou  une  gravure  n'est  pas  chose  aussi  fa- 
cile qu'on  pourrait  le  croire  ;  bien  pré- 
senter une  œuvre  d'art,  l'exposer  con- 
venablement est  aussi  chose  délicate. 

L'art  de  l'encadrement,  a  dit  Charles 


dure  non  moins  décorative  et  se  i^eliant 
avec  l'ensemble,  mais  formant  néan- 
moins un  véritable  cadre  au  tableau. 
L'Italie  surtout  a  produit  à  cette  époque, 


.^jri^l 


C  i;'  :  :.-'!'jJ|!!!n!!ll!!!!!!!!!!<!i.!!!!!!!!.'H!!!!!!!!1!!l!!!!! 
;  iïilinVmïiiïiinViii'it'iiiiifVii» 


Effet  comparatif  d'un  portrait  encadré  dans  un   cadre  doré  avec  cartouche 
et  dans  une  large  moulure  sombre. 


Blanc  —  avec  un  peu  de  solennité, 
mais  avec  beaucoup  de  justesse,  —  loin 
d'être  une  affaire  de  caprice,  est  assu- 
jetti à  plusieurs  conditions  essentielles 
dictées  par  les  lois  du  sentiment. 

Le  caprice,  la  mode,  si  l'on  aime 
mieux,  il  faut  pourtant  en  tenir  compte, 
et  depuis  le  xvi*'  siècle  jusqu'à  nos  jours 
les  encadrements  ont  bien  varié. 

Le  moyen  âge  ne  connut  pas  le  ta- 
bleau encadré  ;  à  proprement  parler,  il 
ne  connut  que  les  tableaux  portatifs,  les 
tableaux  à  volets. 

Mais  au  xvi*^  siècle  on  commence  à 
suspendre  des  tableaux  encadrés  sur  les 
panneaux  recouverts  de  tapisserie  ou  de 
cuir  de  Cordoue.  Parfois  aussi  la  pein- 
ture, limitée  par  un  entre-colonnement 
architectural,  était  encadrée  d'une  bor- 


a  inventé  des  cadres  monumentaux  avec 
pilastres  ou  colonnes  torses,  avec  caria- 
tides, avec  frontons,  avec  écussons  et 
armoiries,  qui  sont  d'une  richesse  et 
d'une  dimension  telles  que  des  vastes 
murailles  de  palais  pouvaient  seules  les 
recevoir.  Sous  Louis  XIII,  le  cadre 
reste  un  peu  lourd,  et  sous  Louis  XIV 
il  est  exceptionnellement  majestueux  et 
somptueux.  II  devient  capricieux  et  lé- 
ger sous  Louis  XV;  sous  Louis  XVI,  il 
est  formé  de  perles  et  d'oves,  il  est  dé- 
coré de  nœuds  de  rubans  et  de  mi- 
gnonnes guirlandes  de  fleurs.  Sous  le 
premier  empire,  les  palmettes  antiques 
réapparaissent  et...  ici  s'arrête  le  cadre 
historique. 

A  ces  époques  fortunées  —  où  l'ar- 
chéologie n'était  pas  inventée  —  chaque 


40S 


L'ART    DEXPOSER    ET    D'ENCADRER 


peintre,  sauf  pour  les  sujets  d'histoire 
ou  les  sujets  religieux  —  et  encore  ces 
derniers  étaient-ils  traités  avec  de  cer- 
taines conventions  très  admises,  — 
chaque  peintre  ne  peignait  que  peu  ou 
point  de  sujets  de  genre  rétrospectifs,  il 
reproduisait  des  scènes  de  son  temps 
et  dès  lors  il  les  encadrait  tout  naturel- 
lement dans  le  goût  architectural  et 
dans  le  style  du  mobilier  de  son  temps. 
Cela  était  tout  simple,  et  il  est  aussi 
fort  simple,  quand  on  trouve  non  enca- 


vient  voir  les  tableaux  avant  qu'on 
les  ait  mis  dans  leurs  bordures,  c'est  à 
peu  près  comme  une  femme  qui  est 
surprise  à  sa  toilette  avant  de  l'avoir 
achevée. 

Bien  des  artistes,  en  effet,  ne  posent  la 
dernière  touche  que  la  toile  encadrée... 

Mais  ce  tableau  terminé,  comme  on 


Effet  comparatif  d'une  esquisse  de  tonalité 

et  dans  un 


claire  encadrée  dans  une  bordure  simple  et  sévère 
cadre  fantaisiste. 


drée  une  esquisse  de  Fragonard,  de  lui 
donner  une  bordure  dans  le  goût  de 
celle  que  le  peintre  aurait  choisie  lui- 
même  chez  un  doreur.  De  même,  aussi, 
si  Ton  veut  encadrer  un  portrait  de  Da- 
vid ou  une  figure  de  Girodet,  les  cadres 
à  palmettesdu  premier  empire  sont  tout 
indiqués.  C'est  là  l'enfance  de  l'art. 

A  notre  époque,  tel  artiste  produisant 
des  scènes  antiques,  tandis  que  tel  autre 
est  confiné  dans  les  épisodes  du  Direc- 
toire, l'encadrement  de  chaque  œuvre 
est  indiqué  en  quelque  sorte  par  les 
exemples  antérieurs;  mais,  en  dehors  de 
ces  règles  bien  précises,  il  en  est  d'autres 
dont  il  faut  tenir  compte. 

Un  artiste,  disait-on  un  jour,  dont  on 


peut  en  augmenter  ou  en  diminuer  la 
valeur  par  un  cadre  plus  ou  moins  heu- 
reux ! 

Il  y  a  d'abord  deux  principes  coii- 
(raires,  mais  tous  deux  applicables  dans 
l'art  de  l'encadrement  —  comme  dans 
bien  d'autres  cas. 

On  peut  encadrer  une  œuvre  d'art  — 
tableau,  dessin  ou  gravure  —  soit  par 
similitude,  soit  par  contraste. 

Une  scène  rustique,  par  exemple, 
peut  fort  bien  s'accommoder  de  deux 
cadres  :  l'un,  très  simple;  l'autre,  très 
riche.  Le  premier  s'harmonisera  mieux 
que  le  second,  évidemment,  l'œuvre 
ainsi  présentée  aura  plus  d'unité;  mais 
le   second  rehaussera  la  valeur  du  ta- 


I.'ART    D'EXPOSER    ET    D'ENCADHEll 


AGÙ 


bleau  ;  l'œuvre  ainsi  entourée,  récliaufTée 
par  la  chaleur  des  dorures,  paraîtra  un 
objet  précieux.  Cela  est  si  vrai  que  les 
toiles  de  Millet,  —  les  célèbres,  bien 
entendu,  celles  qui  se  couvrent  d'or  et 
de  diamants,  —  après  avoir  été  modes- 
tement encadrées,  sont  aujourd'hui  en- 
châssées dans    des    bordures  d'un  luxe 


drant  un  portrait,  par  exemple,  soit 
avec  une  bordure  étroite,  avec  car- 
touches et  armoiries  si  l'effîg'ie  le  com- 
porte, soit  avec  une  bordure  sombre  à 
filets  alternés  unis  et  guillochés. 

Dans  le  premier  cas,  l'œuvre  paraît 
plus  grande  que  dans  le  second,  et  dans 


EfEet  comparatif  d'une  figure  traitée  en  esquisse,  placée  dans  une  bordure  simple 
et  dans  une  bordure  très  large. 


excessif.  Il  en  est  de  même  des  Meis- 
sonier  :  jamais  la  plus  insignifiante 
esquisse  du  maître  n'est  présentée  sans 
bordure  richissime.  On  a  beau  être  pré- 
venu, toujours,  toujours  le  cadre  riche 
en  impose  au  spectateur,  il  n'échappe 
jamais  à  cette  attraction,  et  ce  cadre 
riche,  soulignant  la  valeur  de  l'œuvre, 
prédispose  déjà  à  l'admiration.  La  loi 
des  encadrements  contraires  appliquée 
sans  relâche  a  ses  dangers  cependant. 

Ainsi  un  simple  coup  d'œil  jeté  sur 
les  vignettes  qui  accompagnent  cet  ar- 
ticle permet  de  se  rendre  compte  de  la 
différence    d'aspect    obtenue    en    enca- 


le  second  cas  elle  paraît  plus  sévère  que 
dans  le  premier.  Et,  indépendamment  de 
l'effet  produit  sur  l'œuvre  elle-même,  il 
faut  tenir  compte  de  la  destination  du 
tableau. 

Dans  le  premier  cas,  l'œuvre  enca- 
drée prendra  place  aisément  dans  un 
salon  ;  dans  le  second  cas,  elle  paraîtrait 
trop  sérieuse,  et  sa  véritable  place  serait 
dans  quelque  bibliothèque  ou  dan& 
quelque  cabinet  de  travail  tendu  de 
vieilles  tapisseries  ou  de  vieux  cuirs  de 
Cordoue. 

Par  contre,  voici  une  petite  esquisse 
dans  le  goût  du    siècle   dernier  ou,   si 


410 


L'ART  D'EXPOSER  ET  D'ENCADRER 


Effet  d'une  marge  blanche  et  d'une  marge  teintée  sur  un  dessin  avec  demi-teintes. 


Ton  veut,  c'est  un  de  ces  petits  pan- 
neaux dans  le  goût  de  Chéret,  avec  de 
légers  frottis.  Si  l'on  encadre  l'œuvre 
dans  une  simple  bordure  à  filets  —  la 
mettant  en  saillie,  —  elle  paraît  rigide 
et  froide.  La  fantaisie,  au  contraire, 
s'accommodera  aisément  des  bandes 
d'étoffes  de  couleurs  variées  tendues  sur 
de  larges  planchettes. 

Des  angles  ornés  de  feuillages  bron- 
zés ou  dorés,  des  nœuds  de  rubans 
capricieusement  jetés  et  irrégulièrement 
placés,  surtout,  donneront  au  contraire 
un  effet  pimpant  et  brillant  et  s'har- 
moniseront à  souhait  avec  le  panneau. 
Ici,  c'est  l'œuvre  encadrée  par  le  sys- 
tème de  similitude    qui    est  préférable. 

Nous  avons,  au  contraire,  une 
simple  pochade  d'atelier,  une  figure 
à  grands  plans  à  peine  indiqués, 
nous  jugeons   bon  de  ne  donner  à 


cette  esquisse,  dont  la  silhouette  est 
accentuée,  qu'une  simple  baguette  d'en- 
tourage aussi  simple  que  possible.  L'effet 
obtenu  est  mesquin  et  insignifiant.  Nous 
lui  donnons,  au  contraire,  une  bordure 
de  velours,  large  et  d'un  joli  ton,  nous 
plaçons  dans  l'angle  un  simple  cartel, 
avec  le  nom  de  l'auteur,  et  le  résultat 
est  tout  autre. 

L'œuvre  encadrée  n'a  pas  changé 
de  valeur  :  elle  était  simple;  encadrée 
par  similitude,  elle  ne  se  présentait  pas 
à  son  avantage;  encadrée  richement, 
au  contraire ,  elle  devient  attirante  ; 
voilà  un  exemple  des  avantages  de  l'en- 
cadrement par  contraste. 

De  même  pour  les  marges  d'un  des- 


Efïet  d'une  marge  blanche  et  d'une  marge  teintée  sur  un  dessin  d'une  tonalité  claire. 


L'ART    DEXPOSKU    ET    DENGADIiER 


'.Il 


sin  ou  d'une  gravure,  largeur  et  colora- 
lion,  cela  n'est  pas  indifférent. 

La  marge  claire  a  pour  but  de  faire 
ressortir  les  vigueurs  du  dessin  ou  de  la 
gravure,  la  marge  bleutée  —  inventée, 
dit-on,  par  le  célèbre  collectionneur 
Mariette  ■ —  remplit  le  même  but  ;  mais 
cette  dernière,  destinée  aux  dessins  ou 
aux  esquisses,  a  pour  but  de  faire  valoir 
les  vigueurs  aussi  bien  que  les  clairs  de 
la  pièce  encadrée. 

Prenons  pour  exemple  ce  petit  paysage 
avec  ciel  crépusculaire.  Une  marge 
teintée  qui  lutte  avec  les  demi-teintes  de 
l'original  donne  un  aspect  très  mou  au 
dessin.  Une  marge  blanche,  au  contraire, 
fait  valoir  l'intensité  du  ton  de  l'œuvre. 

Regardons  maintenant  ce  petit  cro- 
quis, souvenir  de  Hollande,  dont  la 
tonalité  est  exceptionnellement  claire,  il 
est  absolument  noyé  si  on  l'entoure  d'une 
marge  blanche.  Plaçons,  au  contraire, 
ce  même  dessin  sur  une  marge  teintée, 
large,  bien  large,  donnons-lui  une  bor- 
dure étoffée  aussi,  l'aspect  est  tout  autre, 
la  tonalité  générale  du  dessin  prend 
une  importance  exceptionnelle,  l'œuvre 
s'impose. 

Maintenant,  autre  procédé,  un  dessin 
—  très  petit,  de  préférence —  peut  sup- 
porter une  marge  égale  à  ses  dimensions, 
double,  triple  et  même  quadruple... 
mais  c'est  l'extrême  limite,  les  croquis 
ci-joints  en  font  foi,  et  de  plus  les 
marges  doivent  toujours  être  plus  larges 
dans  le  bas  que  dans  le  haut.  Dans  nos 
croquis  nous  avons,  au  contraire,  dis- 
posé nos  marges  également  sur  les 
quatre  côtés  ^du  dessin,  pour  bien  faire 
saisir  combien  cette  égalité  de  propor- 
tions déroute  le  regard.  II  semble  que 
l'œil,  toujours  habitué  aux  bases  solides, 
est  dérouté  par  cette  égalité,  et  persiste 
quand  même,  en  outre,  à  trouver  plus 
petite  cette  marge  inférieure,  dont  il 
exige  impérieusement  l'augmentation; 
c'est  un  effet  d'optique  contre  lequel  il 
est  inutile  de  lutter. 

Enfin,  disons,  à  propos  de  ces  marges 
plus  ou  moins  grandes  à  donner  à  un 
sujet,  qu'un  dessin  encadré  par  une  très 


Marge  ég^ile. 


Marge  double. 


Marge   triple 


Marge  quadruple. 

Effet  comparatif   d'un  même  sujet  encadré 

avec  une  marge  égale, 

double,  triple  et    quadruple. 


large  marge  prend  parfois  un  caractère 
de  préciosité  très  particulier.  Cet  isole- 
ment—  d'un  très  petit  dessin  surtout  — 


412 


L'ART  D'EXPOSER  ET  D'ENCADRER 


Effet  d'un  ^ujet  encadré  avec  ou  sans  marge. 


lui  donne  une  importance  exceptionnelle, 
le  moindre  croquis  ainsi  présenté  ne 
devient  plus  quantité  négligeable.  Mais 
le  procédé  n'est  applicable  qu'aux  œuvres 
de  petite   dimension;  pour  les  œuvres 

moyenn  es  , 
ces  marges 
exagérées 
seraient  pu- 
rement ridi- 
cules; pour 
les  œuvi'es  de 
grande  di- 
mension, elles 
seraient  ab- 
surdes et  im- 
possibles à 
réaliser. 

Mais,  pour 

Profil  de  cadre  ,  *       .. 

mettant  en  avant  le  plan  ^^^  marges,  il 

d'un  tableau.  y       a      a  U  S  S  i 


lécole  du  pour  et  du  contre.  Les  uns 
prétendent  que  les  marges  sont  nui- 
sibles; les  autres,  qu'elles  sont  indispen- 
sables. Les  uns  et  les  autres  ont  rai- 
son...  suivant  les  cas. 

Voici  un 
sujet  pitto- 
resque en 
hauteur ,  par 
exemple  une 
rue  de  vieille 
ville  :  nous 
l'encadrons 
sans  marge, 
nous  l'entou- 
rons d'une 
bordure  assez 
papillotante, 
assez     riche  ; 

puis       nous  pj.Qgj  ^g  ^^^i^g  éloignant 

encadrons    le  ig  pian  d'un  tableau. 


I.ART    D'EXPOSER    ET    DENCADUER 


413 


même  sujet    avec    une   marge    teintée, 
pour  en   bien   faire  ressortir  les   blancs, 


Angle  extérieur  avec  bordures  dépassant. 

et  nous  plaçons  le  tout  également  dans 
une  bordure  ornementée.  Evidemment, 
dans  le  premier  cas,  le  sujet  encadré 
paraît  beaucoup  plus  grand  que  dans  le 
second.  C'est  encore  une  illusion  de 
Toeil  contre  laquelle  il  est  impossible  de 
réagir;  mais,  dans  le  second,  les  clairs 
du  dessin  ressortent  beaucoup  mieux. 

Pour  une  œuvre  polychrome  ou  mo- 
nochrome, le  problème  de  l'encadrement 
est  toujours  celui-ci  :  faire  valoir  les 
tonalités,  faire  exprimer  aux  clairs  et 
aux  vigueurs  leur  maximum  d'effet. 
Partant  de  ce  principe,  quelques  gra- 
veurs, Calamatta,  Bracquemond  et  d'au- 
tres encore  ont  exposé  leurs  œuvres 
sans  marge.  Les  uns  ont  laissé  toutefois 
quelque  filet  blanc  au  pourtour  de  la 
planche...  c'était  une  concession  au  goût 
des  marges;  mais  ce  filet  clair  n'est  pas 
utile,  au  contraire.  Si  l'on  supprime  la 
marge  blanche,  c'est  pour  faire  valoir 
les  blancs,  et  ce  compromis  est  nuisible, 
car  ces  filets  trop  étroits  ne  donnent 
pas  complètement  leurs  valeurs  aux 
noirs. 

Le  goût  est  donc  un  des  premiers 
principes  de  l'art  de  l'encadrement.  Peu 


d'encadreurs  ont  ce  don  de  bien  voir 
d'un  seul  coup  d'œil  ce  qu'il  faut  faire 
pour  l'œuvre  d'art  qu'on  leur  confie. 
Bien  des  artistes  même  se  trompent  de 
la  meilleure  foi  du  monde  et  imposent 
souvent  bien  à  tort  leurs  idées.  Il  faut 
tenir  compte  aussi  de  la  mode  et  de  la 
destination  de  l'œuvre.  Y  songe-t-on 
toujours? 

Il  y  a  des  profils  de  cadre  qui  mettent 
le  tableau  en  saillie,  il  y  en  a  d'autres 
qui  le  renfoncent,  qui  l'éloignent  pour 
ainsi  dire  du  spectateur,  qui  semblent 
creuser  la  paroi  du  mur  sur  laquelle 
l'œuvre  est  placée.  Ces  derniers  profils 
sont  les  plus  fréquemment  employés.  On 
a  inventé  aussi  les  cadres  fantaisistes, 
les  uns  aux  coins  de  bambous  superposés 
qui  rendent  les  angles  extérieurs  pour 
ainsi  dire  moins  durs,  les  autres  formés 
de  petites  cannelures  se  traduisant  par 
des  filets  minces  qui  accrochent  la 
lumière  au  passage  et  accentuent  le 
profil  légèrement  convexe  de  la  mou- 
lure. Ces  derniers  cadres  blancs,  d'un 
blanc  absolu,  ont  été  adoptés  par  cer- 
tains peintres  de  l'école  moderne  qui 
cherchent  avant  tout  les  tonalités  claires. 
L'effet  obtenu  était  parfois  heureux, 
mais  bien  plutôt  dans  un  intérieur  que 


Profil  de  cadre  convexe  à  filets  multiples. 

dans  une  Exposition  où  les  cadres  juxta- 
posés se  nuisent  tous,  le  plus  souvent, 
bien  que  l'art  d'exposer  soit  pourtant  le 
complément  de  l'art  d'encadrer. 


411 


LART    D'EXPOSER    ET    D'ENCADRER 


Tout  d'a- 
bord on  rit 
souvent  de 
l'amour  im- 
modéré des 
artistes  pour 
la  cymaise. 
Voir  son  ta- 
bleau exposé 
en  hauteur, 
c'est  pour  un 
artiste  la 
plus  grande 
des  calami- 
tés.   Le   pu- 


Augile    de   cadre    décoré    par    application 
de  feuillages  réels  et  métallisés. 


dessus  de  la  plate-forme  sur  laquelle  la 
figure  est  posée,  l'œuvre  placée  sur  la 
cymaise  produira  son  effet,  les  rayons 
visuels  du  spectateur  se  confondant  avec 
le  tracé  perspectif  du  peintre.  Mais,  si 
l'œuvre  est  placée  en  hauteur,  le  specta- 
teur croira  voir  en  dessous  les  surfaces 
dont  le  peintre  désirait  faire  voir  le 
dessus,  et  tout  l'elîet  du  tableau  sera 
détruit.  Combien  de  tableaux  ainsi  haut 
perchés  paraissent  tomber  sur  la  tête 
du  visiteur,  passant  en  maugréant  sur 
l'ignorance  du  peintre,  qui  n'est  pas 
coupable  ! 

Les  tableaux  mobiles  —  comme  les  dé- 
corations immobiles  —  devraient  tou- 
jours être  faits  et  encadrés  spécialement 
en  vue  de  l'emplacement  qui  leur  est 
destiné. 

L'isolement  est,  d'ailleurs,  la  meilleure 
manière  de  faire  valoir  un  tableau. 
Champfleury  disait  souvent  que  chez 
soi  on  ne  devrait  placer  qu'un  seul 
tableau  sur  chaque  panneau.  Il  est  évi- 
dent que,  si  l'on  considère  un  paysage, 
une  marine  bien  encadrés,  comme  une 
fenêtre  ouverte  sur  l'horizon,  l'effet  de 


blic  ne  voit  souvent  dans  le  méconten- 
tement de  l'artiste  qu'une  vanité  blessée. 
Le  public  a  tort. 

Voici  deux  croquis  qui  juxtaposent  la 
différence  d'aspect  d'une   même   œuvre 


Effet  perspectif  d'un  tableau 
placé  à  la  hauteur  prévue  par  l'artiste. 


Effet  perspectif 
d'un  tableau  placé  trop  haut. 


exposée  sur  la  cymaise  et  placée  en 
hauteur.  Si  l'on  suppose,  par  exemple, 
une  figure  assise,  dont  le  peintre  a  cal- 
culé les  lignes  perspectives  pour  que  le 
regard    du     spectateur    puisse    voir    le 


concentration  produit  par  une  œuvre 
unique  est  incontestable.  Malheureuse- 
ment, la  place  manque  souvent  à  tout  le 
monde  pour  appliquer  de  semblables 
théories. 


L'ART  D'EXPOSER  ET  D'ENCADRER 


il» 


Elle  manque  même  aux  Expositions, 
où  les  tableaux  sont  juxtaposés  de  telle 
façon  parfois  que  les  bordures  se  tou- 
chent, se  superposent  et  se  nuisent  aussi 
complètement  que  possible.  Et  pourtant 
il  ne  faut  pas  exagérer  les  excuses  de 
défaut  d'emplacement.  Voici  un  exemple 
de  panneau  sur  lequel  on  a  neuf  tableaux 
à  placer.  H  n'y  a  pas  à  le  contester,  la 
disposition  des  tableaux  espacés  est  de 


Ton  est  placé  dans  un  appartement  un 
peu  sombre,  et  qu'une  fenêtre  s'ouvre 
subitement  devant  vous,  le  paysage,  le 
lointain  ainsi  entrevu  prend  une  impor- 
tance exceptionnelle  ;  les  tonalités  claires 
exaltées  par  le  premier  plan  sombre 
prennent  une  intensité  extraordinaire. 
Il  en  est  de  même  d'un  paysage  vu 
sous  l'arcade  d'un  pont,  d'une  perspec- 


rn 


Disposition  de  neuf   tableaux  sur  un  panneau 
pour  occuper  le  moins  de  place  possible. 


Disposition  de  neuf  tableaux  sur  un  panneau 
en  isolant  les  cadres. 


beaucoup  préférable  à  la  disposition  des 
tableaux  juxtaposés.  Indépendamment 
des  œuvres  mieux  en  valeur  dans  le 
premier  cas,  cette  même  disposition 
offre  un  ensemble  plus  agréable  et  mieux 
pondéré.  Eh  bien,  entre  l'une  et  l'autre 
de  ces  dispositions,  il  n'y  a  pas  un  cin- 
quième de  différence  entre  les  deux  sur- 
faces murales  utilisées.  Cela  n'est  pas 
énorme  et  l'effet  obtenu  est  tout  autre. 
Aussi  les  Expositions,  comme  celle  du 
Champ  de  Mars,  où  les  tableaux  n'étaient 
placés  que  sur  deux  rangs  au  maximum, 
tandis  que  toutes  les  bordures  laissaient 
voir  entre  elles  une  large  bande  de  la 
tenture  rouge  servant  de  fond,  ces  Expo- 
sitions dans  lesquelles  on  prenait  soin 
de  tenir  à  une  juste  distance  le  visiteur 
—  sans  qu'il  s'en  doutât  presque  — -  en 
lui  traçant  son  chemin  par  une  bande 
de  tapis,  étaient  absolument  réussies, 
car  elles  contribuaient  ainsi  à  donner 
aux  œuvres  exposées  toute  leur  valeur 
en  y  ajoutant  encore  le  prestige  de 
l'éclairage. 

Tout  le  monde  sait,  en  effet,  que,  si 


tive  de  rue  encadrée  sous  la  voûte  d'un 
portail.  Tous  ces  premiers  plans  som- 
bres rendent  les  fonds  plus  lumineux. 

Et,  dès  que  vous  avez  dépassé  la  voûte 
ou  l'arcade,  l'effet  disparaît  instantané- 
ment, le  tout  semble  pâlir. 

Dans  les  Expositions,  il  faut  obtenir 
cet  effet  de  repoussoir  —  ou  à  peu  près. 
Et  on  l'obtient  dans  les  grandes  galeries 
en  disposant  une  sorte  de  faux  plafond 
opaque  qui  projette  ombre  sur  le  spec- 
tateur, tandis  que  la  lumière,  limitée 
par  les  bords  de  ce  plafond,  frappe  di- 
rectement les  tableaux.  On  a  souvent 
exposé  aussi  avec  le  même  artifice  les 
tableaux  isolés,  et  là,  le  spectateur  restant 
dans  l'ombre,  tandis  que  la  vive  lumière 
frappait  sur  la  toile,  l'œuvre  ainsi  pré- 
sentée prenait  un  relief  extraordinaire. 
Mais  on  a  fait  mieux  encore  et  l'on  se  rap- 
pelle dans  la  galerie  Sedelmeyer  le  bril- 
lant effet  des  toiles  de  Munckacsy.  En 
avant  de  ces  vastes  compositions,  des  co- 
lonnes dorées  formaient  premier  plan,  et, 
toute  la  salle  étant  plongée  dans  l'ombre, 
le  jrrand  tableau  seul  était  inondé  de  lu- 


416 


L'ART  D'EXPOSER  ET  D'ENCADRER 


mière.  La  mise  en  scène  était  tellement 
habile  que  la  même  œuvre  exposée 
en  1889  —  selon  les  errements  accou- 
tumés —  parut  terne  et  sombre   à   tous 


Effet  d'un  tableau  exposé  isolément  avec  rayon 

de  lumière  spécial, 

laissant  le  spectateur  dans  l'ombre. 


ceux  qui  l'avaient  vue  quelques  années 
auparavant. 

L'isolement,  quand  on  le  peut,  et  la 
lumière  habilement  distribuée,  tels  sont 
les  deux  grands  éléments  de  succès  d'une 
bonne  exposition. 

Il  y  a  de  longues  années  déjà  qu'au 
musée  d'Amsterdam  on  a  résolu  ce  pro- 
blème, en  présentant  la  célèbre  Ronde 
de  nuit  dans  son  vrai  jour.  On  a  placé  le 
chef-d'œuvre  dans  une  bordure  d'ébène, 
qui  illumine  par  contraste  les  profon- 
deurs du  clair-obscur  dans  lequel  se 
meut  cette  multitude  de  personnages 
énigmatiques,si  fantastiquement  éclairés 
par  le  pinceau  de  Rembrandt.  Quand 
verrons-nous  en  France,  à  Paris,  dans 
ces  musées  où  l'on  persiste  à  suivre  les 
anciens  errements,  une  salle  ainsi  com- 
prise? Pense-t-on  que  les  Noces  de  Cana 
ne  nous  donneraient  pas  encore  une 
bien  plus  belle  impression  de  fête,  si, 
au  lieu  d'être  vulgairement  suspendues 
contre  une  muraille,  elles  apparaissaient 
en  arrière  d'un  riche  portique,  répétant 
l'ordonnance  du  splendide  palais  entrevu 
par  Véronèse? 


Pense-t-on  que  dans  des  musées  tout 
l'écemment  agencés  —  au  lieu  des  cor- 
niches étonnantes  où  les  reliefs  et  les 
ors  semblent  combinés  à  souhait  pour 
éteindre  l'effet  des  toiles  les  plus  vi- 
brantes —  il  ne  serait  pas  plus  ration- 
nel d'ouvrir,  de  simuler  des  arcatures 
sur  les  grands  panneaux  pour  bien  isoler 
et  faire  tomber  un  rayon  de  lumière 
spécial  sur  des  toiles  comme  les  Croisés 
de  Delacroix,  ou  V Orgie  romaine  de 
Couture,  dont  on  quadruplerait  ainsi  le 
grand  effet  ? 

Exposer  une  toile  tant  bien  que  mal 
dans  son  propre  intérieur,  c'est  admis- 
sible, chacun  fait  comme  il  peut  ;  dans  une 
Exposition  passagère,  c'est  encore  com- 
préhensible; mais  dans  un  musée,  dans 
une  demeure  définitive,  dans  une  col- 
lection nationale  où  ne  doivent  prendre 
place    que    les    œuvres    d'art    vraiment 


Décorations  réelles  formant  au  premier  plan 

repoussoir  pour  un  tableau 

exposé  en  un  emplacement  spécial. 

dignes  de  passer  à  la  postérité,  c'est 
presque  un  crime  que  de  ne  pas  tirer 
parti  de  toutes  les  ressources  de  la  mise 
en  scène  pour  donner  à  ces  chefs- 
d'œuvre  toute  leur  valeur. 

Jules     Adelink. 


LE    CHEMIN    DE    FER    DE     LA    JUNGFRAU 


La  Suisse  était  autrefois  le  jardin 
d'été  des  Anglais  ;  ils  la  traitaient  en 
pays  conquis.  A  voir  le  sans-^êne  in- 
croyable avec  lequel  ils  monopolisaient 
les  compartiments  des  waj^ons  et  les 
coupés  des  diligences,  sans  nul  souci 
des   autres   vovai^eurs,    on   les   eût  cer- 


faut  attribuer  Téclosion  de  tous  les  pro- 
jets fantastiques  dont  les  inventeurs  ont 
nag^uère  entretenu  le  grand  public?  Il 
est  malaisé  de  répondre.  Et  cependant 
la  coïncidence  semble  assez  parfaite 
pour  permettre  de  Taffirmer.  Depuis 
quelques  années,  en  effet,  il  ne  se  passe 


/ 


jf-' 


^1  ^  -H   ïïj'^^Mon^hS-^ 


;v^:^ 


La  i.-^erbTUTn'°n    .    '^^t.^.-^" 


LE  TRACÉ  DU  CHEMIN  DE  FER  DE  LA  JUNGFRAU  (CARTE  SIEGFRIED) 


tainement  crus  chez  eux.  Aujourd'hui 
cet  état  de  choses  sest  modifié,  partiel- 
lement du  moins,  et  la  terre  helvétique 
donne  asile,  quand  vient  la  belle  saison, 
aux  touristes  de  toutes  les  nations. 
L'Angleterre  continue,  sans  doute,  à 
fournir  un  contingent  fort  important, 
mais  la  France,  lAllemagne,  l'Amé- 
rique surtout,  ne  sont  pas  moins  lar- 
gement représentées  dans  ce  flot  humain 
qui  se  met  en  mouvement  à  la  fonte  des 
neiges. 

Est-ce   à    l'invasion    américaine   qu'il 
VIII.  _  27. 


guère  de  mois  sans  que  l'on  n'en- 
tende parler  d'une  nouvelle  entreprise, 
plus  hardie  que  ses  devancières,  et  des- 
tinée, dans  l'esprit  de  ses  promoteurs,  à 
détenir  le  record  de  l'audace  et  de  la 
témérité.  Mais  à  peine  l'œuvre  est-elle 
terminée  qu'une  nouvelle  proposition 
voit  le  jour  :  elle  est  accueillie  favora- 
blement, les  travaux  commencent  et 
c'est  ainsi  qu'après  le  chemin  de  fer  du 
Rigi  est  venu  celui  du  Pilate,  puis  toute 
cime  a  dû  posséder  sa  ceinture  de  fer  : 
funiculaires  du  Stanserhorn  (1,900  m.l, 


418 


LE     CHEMIN    DE    FER    DE    LA    JUNGFRAU 


à  traction  électrique,  du  Giessbach,  de 
Glion,  etc.  ;  chemins  de  fer  à  crémail- 
lère du  Rothhorn,  de  Brienz  ("2,351  m.), 
des  Rochers  de  Naye  (2,075  m.),  de  la 
Wengernalp,  etc.,  etc. 

Lorsque  chaque  sommet  de  quelque 
importance  eut  été  ainsi  pourvu  d'un 
réseau   spécial,  il   fut   difficile   de   faire 


apparaît  dans  toute  son  éclatante  blan- 
cheur et  sa  majesté  sans  pareille.  11 
n'est  donc  pas  étonnant  qu'elle  ait  séduit 
les  techniciens  toujours  curieux  de  nou- 
velles tentatives.  Comme  on  le  sait, 
d'ailleurs,  il  n'est  pas  question  ici  d'un 
projet  fantaisiste  destiné  à  dormir  son 
dernier  sommeil   dans   un    casier,    avec 


L'Kigi 


LA      PETITE      SCHEIDEGG 


P  A  N  (J  R  A  M  A 


mieux  sans  s'attaquer  aux  glaciers. 
Aussi  les  éminents  ingénieurs  qui  sont 
chargés  du  service  des  communications 
à  l'usage  des  étrangers  visitant  la  Suisse 
truquée  n'ont-ils  pas  hésité  un  seul 
instant.  La  plus  haute  cime  d'Europe,  le 
Mont-Blanc,  n'appartenant  pas  au  sol 
helvétique,  malgré  l'obstination  de  cer- 
tains géographes,  il  n'était  guère  pos- 
sible de  porter  son  choix  sur  une  som- 
mité plus  intéressante  que  ne  l'est  la 
Jungfrau. 

Cachée  sous  son  voile  éternel  de 
neige,  comme  dit  poétiquement  le  pro- 
saïque Bœdecker,  la  Vierge  (Jungfrau) 


une  étiquette  pour  épitaphe  ;  il  s'agit 
d'une  entreprise  absolument  réelle  et 
même  en  cours  d'exécution  à  l'heure 
actuelle.  A  ce  point  de  vue,  le  chemin 
de  fer  de  la  Jungfrau  présente  certai- 
nement un  intérêt  spécial. 

L'Oberland  bernois  constitue  le  centre 
de  toute  excursion  en  Suisse  :  il  n'est 
guère  de  touriste  qui  n'ait  elfectué  le 
charmant  voyage  circulaire  qui  com- 
prend les  lacs  de  Thoune,  de  Brienz  et  des 
Quatre-Cantons,  en  passant  par  Inter- 
laken  et  Lucerne.  Lorsque  le  temps  est 
beau,  cette  promenade  en  pleine  Suisse 
classique  est   réellement  arlmirable.  Les 


LE    CHEMIN    DE    FEH    DE    I.A    .lUNGFRAU 


419 


lacs  bleus,  les  sombres  lorêls  de  sapins, 
les  chalets  aux  toits  pointus  et,  dans  le 
fond  du  tableau,  les  glaciers  éblouis- 
sants, charment  le  regard  et  le  retien- 
nent. La  longue  chaîne  qui  borne  Tho- 
rizon  vers  le  sud  est  celle  de  la  Jungl'rau  : 
le  Wetterhorn,  le  Schreckhorn,  le  Fins- 
teraarhorn,  FEiger,  le  MitMich,  la  Jung- 


à  l^auterbrunnen.  Enlh),  Je  chemin  de 
l'er  de  la  Wengernalp,  réunissant  Lau- 
terbrunnen  à  (îrindelwald,  permet  de 
franchir  la  troisième.  C'est,  en  ellet,  de 
Tune  des  stations  de  cette  ligne  de 
haute  montagne  que  part  le  chemin  de 
fer  de  la  Jungfrau.  Cette  station,  placée 
au  sommet  du  col  de  la  Petite  Scheidegg, 


INTERLAKEN      ET      LA      JUKGPRAU 


frau,  puis  le  Breithorn,  le  Schildhorn  for- 
ment un  long  rideau  dont  on  aperçoit  tour 
à  tour  quelques  plis.  C'est  d'Interlaken 
que  la  Jungfrau  semble  le  plus  belle. 
Du  Hœheweg,  la  promenade  des  An- 
glais du  lieu,  où  les  palmiers  de  Nice 
sont  remplacés  par  une  double  allée  de 
superbes  noyers,  on  peut  la  contempler 
dans  toute  sa  splendeur.  Mais,  pour  s'ap- 
procher d'elle,  il  est  nécessaire  de 
quitter  la  grande  ligne  qui  va  de  Thonne 
à  Lucerne  par  le  Brûnig.  Un  chemin  de 
fer  spécial,  créé  il  n'y  a  que  peu  d'an- 
nées, permet  de  franchir  la  seconde 
étape  en  allant,  soit  à  Grindelwald,  soit 


est  à  2,069  mètres  d'altitude.  Elle  jouit 
d'une  vue  admirable  :  à  l'est,  la  vallée 
de  Grindelwald  ;  au  sud,  l'Eiger,  le 
Mœnch  et  la  Jungfrau,  qu'il  s'agit  main- 
tenant d'atteindre. 

On  ne  pouvait  évidemment  songer  à 
établir,  comme  certains  inventeurs  fan- 
taisistes le  proposaient,  un  ascenseur 
avec  tunnel  central  et  galerie  d'accès. 
On  ne  pouvait  non  plus  faire  usage  d'un 
funiculaire,  par  suite  de  la  marche  des 
glaciers.  On  a  donc  eu  recours  à  un  sys- 
tème mixte  ayant  déjà  fait  ses  preuves. 
Pour  la  plus  grande  partie  du  tracé,  on 
s'est  adressé  à  la  crémaillère  qui  fonc- 


420 


LE    CHEMIN    DE    FER    DE    LA    JUNGFRAU 


lionne  au  Rigi,  au  Pilate,  au  Monte- 
Generoso  et  ailleurs.  De  plus,  on  a 
substitué  rélectricité  à  la  vapeur,  ce 
qui  représente  une  solution  non  seule- 
ment plus  élégante   et  plus  moderne  du 


L ^, — ,  ^     ~~y7 


LES     TUNNELS     —     PROFIL 

problème,  mais  surtout  plus  pratique  et 
plus  économique  ;  la  seule  d'ailleurs 
dont  il  pouvait  être  question  dans  le  cas 
présent.  L'énergie  est  empruntée  aux 
eaux  de  la  Lûtschine,  de  sorte  que  le 
glacier  fournit  lui-même  la  force  qui 
permet  de  le  vaincre. 

La  Lûtschine  est  cette  rivière  qui  se 
jette  dans  le  lac  de  Brienz,  tout  près 
d'Interlaken  (à  Bônigen)  ;  elle  est  formée 
de  deux  cours  d'eau,  la  Lûtschine 
blanche  et  la  Lûtschine  noire,  qui  pren- 
nent  leur   source   en    des    points    assez 


éloig-nés.  La  première  descend  du  Wet- 
terhorn  par  la  vallée  de  Lauterbrunnen, 
la  seconde  vient  des  glaciers  de  Grin- 
delwald.  Il  s'ensuit  que  Ton  peut  atta- 
quer la  Jungfrau  des  deux  côtés,  à  Test 
ou  à  l'ouest,  en  uti- 
lisant la  puissance 
hydraulique.  Dans 
/^ \'  le   projet  qui  reçoit 

un  commencement 
d'exécution  actuel- 
lement, M.  Guyer- 
Zeller  choisit  la  se- 
conde hypothèse  : 
la  ligne  part  de  la 
Petite  Scheidegg  et 
franchit  l'Eiger  et 
le  Mœnch  pour  at- 
teindre la  Jungfrau. 
Deux  usines  sont 
donc  établies  à 
proximité,  qui  uti- 
lisent la  force  mo- 
trice des  Lûtschines 
en  la  transformant 
en  courant  électri- 
que, transmis  par 
câbles  aériens  aux 
moteurs  des  wagons 
automobiles.  La  pre- 
mière, établie  près 
de  Lauterbrunnen, 
est  alimentée  par 
l'eau  de  la  Lûtschine 
blanche;  la  seconde, 
édifiée  à  Burglaue- 
nen,  au  pied  du 
Ma?nnlichen,  reçoit 
l'eau  de   la   Lûtschine    noire. 

La  force  motrice  des  deux  rivières  est 
utilisée  à  l'aide  de  turbines  donnant 
plus  de  6,000  chevaux,  soit  1,500  che- 
vaux pour  la  première  station  et  4,800 
pour  la  seconde.  Cette  énergie  est 
transformée  en  électricité  au  moyen  de 
machines  dynamos  produisant  du  cou- 
rant alternatif. 

Ce  mode  de  faire  est  celui  que  l'on 
emploie  actuellement  dans  tous  les  cas 
analogues.  On  sait,  en  elfet,  que  l'ex- 
traction de  la  <'  houille  blanche  »  n'est 


LE  CHEMIN  DE  FER  DE  LA  JUNGFRAU 


421 


devenue  réellement  pratique  qu'à  partir 
(lu  jour  où,  grâce  au  fluide  électrique, 
elle  a  pu  être  effectuée  même  loin  des 
centres  industriels. 

Sans    doute,    il    existe    des    exemples 
de    transmission    hydraulique   à  d'assez 


recours  pour  actionner  les  wagons  du 
chemin  de  fer  de  la  Jungfrau.  Mais 
d'une  part,  si  les  courants  alternatifs  de 
haut  voltage  se  prêtent  mieux  au  trans- 
port de  la  force  aux  longues  distances, 
ils  présentent  d'autre  part  le  désavan- 
tage réel  d'être  très  dangereux  et  de  ne 
convenir  que  médiocrement  à  la  pro- 
duction du  mouvement  ;  c'est  du  moins 


l'un     des      freins     AC4ISSANT     SUR      LE     RAIL      CENTRAL 


grandes  distances  (certaines  villes  pos- 
sèdent un  réseau  complet  de  canali- 
sation d'eau  sous  pression),  mais  ce  sont 
là  des  cas  exceptionnels,  et  la  déper- 
dition de  force,  consécutive  aux  frot- 
tements qui  se  produisent  à  l'intérieur 
des  tuyaux,  pour  ne  parler  que  de  cet 
inconvénient,  empêchera  toujours  ce 
système  de  se  généraliser.  Avec  l'élec- 
tricité, les  conditions  du  problème  chan- 
gent du  tout  au  tout  :  un  fil  de  section 
convenable  réunit  les  stations  de  pro- 
duction et  d'utilisation  du  courant  et,  si 
le  voltage  —  c'est-à-dire  la  tension  ou 
la  pression  —  est  suffisamment  élevé, 
la  perte  de  fluide  sur  la  ligne  est  en 
somme  très  faible. 

C'est  donc  à  l'énergie  électrique,  pro- 
duite  hydrauliquement,    que  l'on   a  eu 


ce    qu'affirment    certains     électriciens. 

Aussi  le  courant  alternatif  produit 
dans  les  usines  hydrauliques  est-il 
transformé  en  courant  continu.  Ces 
transformateurs  ont  donc  un  double 
effet  ;  ils  modifient  la  nature  du  cou- 
rant qui  devient  continu,  d'alternatif 
qu'il  était  ;  et,  de  plus,  ils  abaissent  le 
voltage,  de  manière  à  obtenir  une  ten- 
sion normale,  n'exposant  pas  aux  graves 
accidents. 

La  question  de  la  production  de  la 
force  motrice  nécessaire  pour  atteindre 
le  sommet  du  glacier  étant  résolue, 
vovons  comment  cette  force  est  utilisée 
et  par  quels  chemins  les  ingénieurs  ont 
décidé  de  franchir  les  2,101  mètres  qui 
séparent  la  Petite  Scheidegg  de  la  cime 
de   la  Jungfrau.    Cette    partie    du   pro- 


422 


LE    CHEMIN     DE    FER    DE    LA    .TUNGFRAU 


blême  n'est  pas  la  moins  intéressante,  ni 
surtout  la  moins  difflcultueuse.  Gomme 
on  Ta  déjà  dit,  c'est  à  la  Petite  Schei- 
degg  (Kleine  Scheidegg,  2,066  m.),  que 
commence,  à  proprement  parler,  la 
li^'^ne  de  laJungi'rau.  Elle  part  de  la  sta- 
tion du  chemin  de  fer  de  Lauterbrunnen- 
Grindelwald  pour  arriver  à  2,307  mè- 
tres au  pied  du  glacier  de  l'Eiger  oîi  se 
trouve    la    station    de    l'F^igergletscher. 


ASCENSEUll      TERMINUS      DE      LA      LIGNE 
(Projet). 

Cette  première  section,  longue  de 
1,950  mètres,  ne  présente  aucune  diffi- 
culté spéciale  comme  construction.  La 
pente  n'est  que  de  12,4  pour  100.  Le 
tracé  indiqué  est  définitif  et  les  ti^avaux 
de  terrassements  s'effectuent  depuis  le 
1<""  août  de  l'année  1896. 

C'est  au-dessus  de  cette  première  sta- 
tion que  commence  le  tunnel  de  la  Jung-- 
frau.  La  ligne  entre  résolument  dans  la 
montagne  pour  n'en  sortir  qu'aux  sta- 
tions, peu  nombreuses  d'ailleurs.  La 
première  qu'elle  atteint  est  celle  de 
l'Eiger  (3,270  m.),  après  avoir  franchi, 
en  tunnel  bien  entendu,  des  pentes  de 
25  pour  100.  De   la   station   de   l'Eiger, 


d'où  Ton  jouit  d'un  panorama  admi- 
rable, la  ligne  se  dirige,  toujours  dans 
les  flancs  du  massif,  vers  le  Mœnch 
(4,104  m.).  Cette  partie  du  tracé  est 
rectiligne;  la  pente  ne  dépasse  pas  15,5 
pour  100.  La  ligne  franchit  l'arête  qui 
unit  l'Eiger  au  Mœnch  et,  passant  sous 
le  sommet  de  ce  dernier  mont,  vient  ap- 
paraître à  la  lumière  vers  3,550  mètres, 
en  un  des  points  culminants  du  tracé 
('station  du  Mœnch,  3,550  m.).  La  vue 
dont  on  jouit  est  fort  belle. 

Pour  atteindre  la  Jungfrau,  qui  n'est 
décidément  pas  une  conquête  facile,  il 
est  alors  nécessaire  de  redescendre.  Le 
Moine  (Mœnch)  est,  en  effet,  séparé  de 
la  Vierge  (Jungfrau)  par  un  col  cou- 
vert de  glaciers  (Jungfraujoch),  Pour 
retrouver  le  roc  solide,  car  on  ne  peut 
songer  à  asseoir  la  ligne  sur  le  sol  mou- 
vant des  glaciers,  il  faut  abandonner  les 
hauteurs  et  passer  de  l'altitude  de 
3,550  mètres  à  celle  de  3,393  (station 
d'Alelsch-Guggiou  de  la  Jungfraujoch). 
La  pente  est  de  10  pour  100  environ.  De 
ce  point,  le  tracé  s'engage  de  nouveau 
dans  la  montagne  et,  par  une  série  de 
courbes  et  de  pentes  (25  pour  100), 
aboutit  à  la  station  d'Elevator,  située 
exactement  au-dessous  de  la  cime  de  la 
Jungfrau.  Un  ascenseur  électrique 
permet  de  franchir  les  quelques  mètres 
(75  environ)  qui  séparent  cette  station 
du  point  terminus  de  la  ligne  (4,166  m.). 

Diverses  variantes  ont  été  proposées. 
L'une  des  plus  intéressantes  est  celle  du 
professeur  Becker,  d'après  laquelle  le 
tracé  serait  demeuré  complètement  sur 
le  vei^sant  bernois  du  massif  de  la  Jung- 
frau. Le  tunnel  serait  ainsi  raccourci  de 
3  kilomètres,  sans  que  la  pente  dépasse 
jamais  25  pour  100.  Il  est  probable 
d'ailleurs  que  le  projet  de  M.  Guyer- 
Zeller,  indiqué  plus  haut,  sera  modifié 
dans  plusieurs  de  ses  parties  essen- 
tielles. 

Des  objections  de  diverses  natures 
ont  été  formulées,  en  effet,  et  l'impar- 
tialité oblige  à  constater  qu'elles  n'ont 
pas  toutes  été  réfutées  avec  le  même 
bonheur.  Celles  qui  ont  trait  à  l'hygiène 


\.K    CHKMIX    DE    FK1{    DK    LA    JUNGFRAU 


423 


et  au  c()lé  purtMiieiil  technique  de  la 
question  ont  été  assez  victorieusement 
annihilées  par  le  promoteur  de  rentre- 
prise,  dans  la  hrochnrc  qu'il  a  publiée  à 
ce  sujet.  On  n'oserait  affirmer  le  même 
optimisme  à  l'endroit  des  objections 
d'ordre  financier  et  de  celles  tirées  des 
données  ^éoloj^iques. 

nelati\-ement  à  rhvi;ièno,  deux  c:-ueils 


parviennent  parfaitement  à  s'habituer 
aux  atmosphères  raréfiées.  On  sait  que 
l'accoutumance  se  produit  également 
pour  les  hautes  pressions,  comme  le  té- 
moignent les  plongeurs  et  les  scaphan- 
driers. Quant  aux  voyageurs,  ne  devant 
effectuer  aucun  travail  pénible,  puis- 
qu'ils seront  confortablement  assis  dans 
les    wagons    automobiles,    ils    n'auront 


CHEMIN      DE      FEU      DE      JX  U  R  U  E  N 


étaient  à  redouter.  D'une  part,  on  pen- 
sait,qu  à  partir  d'une  certaine  altitude 
(environ  3,000  mètres),  les  ouvriers  em- 
ployés à  la  construction  de  la  ligne  ne 
pourraient  fournir  la  somme  de  travail 
ordinaire  ;  d'autre  part,  il  semblait  à 
craindre  que  les  voyageurs,  transportés 
rapidement  à  plus  de  4,600  mètres  de 
iiauteur.  ne  sentissent  les  atteintes  du 
mal  de  montagne.  Or  ces  craintes  ne 
paraissent  pas  fondées.  Par  un  entraîne- 
ment progressif,  que  la  construction  de 
la  ligne  produit  d  elle-même,  les  ouvriers 


pas  le  mal  de  montagne,  causé  en  grande 
partie,  à  ce  qu'attestent  les  aéronautes, 
par  la  dépense  musculaire,  lorsqu'il  s'agit 
du  moins  de  faibles  altitudes. 

L'hygiène  n'aura  donc  pas  trop  à  souf- 
frir ;  en  sera-t-il  de  même  du  capital 
engagé  dans  l'entreprise?  Il  est  permis 
d'en  douter.  On  peut  se  demander,  en 
elîet,  avec  une  certaine  anxiété,  lors- 
qu'on est  actionnaire,  comment  l'exploi- 
tation d  une  semblable  ligne,  ouverte 
pendant  quelques  semaines  seulement 
chaque  année,  pourra  donner  des  béné- 


424 


LE    CHEMIN    DE    FER    DE    LA    JUNGFRAU 


fices  proportionnels  aux  frais  énormes 
causés  par  la  construction  et  l'entre- 
tien ? 

Des  calculs  très  détaillés,  avec  chiffres 
très  précis,  ont  été  faits  par  Tingénieur 
Guyer-Zeller  dans  le  but  de  démontrer 
l'excellence  de  l'affaire.  On  dit  même 
que  les  fonds  ont  été  souscrits.  Voici  le 
résumé  très  succinct  des  supputations 
du  promoteur  de  l'entreprise. 

Frais  d'établissement  : 

Concession,  émission  des  actions.  500,000 

Établissement  de  la  lig;ne  (projet, 

plans,  tunnels,  terrassements).       5,574,600 

Établissement  de   la   voie  (rails, 

traverses,  etc. 554, iOO 

LTsines  hydroélectriques  pour  la 

production  de  la  force 800,000 

Matériel  de  transport  :  wa- 
gons, etc 821,000 

Stations,  restaurants,  etc 180,000 

Personnel  et  mobilier 210,000 


8,800,000 
Imprévu 1,200,000 

Total 10,000,000 

OU ,  en  comprenant  l'ascenseur  termi- 
nus, 780,000  francs  par  voiture-kilo- 
mètre. 

Les  frais  d'établissement  s'élèveraient 
donc  à  environ  10  millions  de  francs. 
On  a  admis  que  le  mètre  courant  de 
tunnel  ne  reviendrait  qu'à  350  francs 
(10,400  mètres  à  3,040,000  fr.),  ce  qui 
est  évidemment  très  peu. 

Après  les  dépenses,  les  recettes.  Ces 
dernières  sont  encore  plus  malaisées  à 
établir.  Comment  prévoir ,  en  effet , 
quelle  sera  l'affluence  de  voyageurs  sur 
une  lig-ne  aussi  peu  semblable  à  toutes 
les  autres?  Il  y  a  donc  des  aléas  et  les 
chiffres  proposés  ne  peuvent  être  accep- 
tés qu'avec  une  extrême  réserve. 

D'après  la  concession,  le  prix  du 
voyag'e  aller  et  retour  (jusqu'au  sommet 
de  la  Jungfrau)  ne  doit  pas  dépasser 
45  francs.  On  s'est  arrêté  à  la  somme 
de  40  francs,  ce  qui  donne  une  moyenne 
de  35  francs  seulement  par  suite  des 
réductions  (billets  circulaires,  etc.).  Si 
l'on  admet  que  le  nombre  de  touristes 
sera  de  20,000  pour  la  première  station 
(glacier  de  l'Eiger),  et  de  10,000  pour  la 


dernière  (cime  de  la  Jungl'rau),  les  taxes 
de  course  étant  '2  fr.  50  et  35  francs,  on 
obtient  la  somme  de  400,000  francs.  En 
ajoutant  quelque  3(M),0(M>  francs  pour  les 
quatre  stations  intermédiaires,  on  voit 
que  la  recette  brute  sera  voisine  de 
700,000  francs.  Si  Ion  rapproche  ces 
chitîres  de  ceux  donnés  plus  haut  pour 
les  frais  d'établissement  et  d'exploita- 
tion, on  constate  que  le  bénéfice  annuel 
atteindra  350,000  à  400,000  francs.  Les 
actionnaires  recevront  donc  un  divi- 
dende voisin  de  6,8  pour  100.  Il  ne 
s'agit  pas  ici  d'une  chronique  financière, 
mais  du  simple  exposé  des  évaluations 
publiées  par  M.  Guyer-Zeller  dans  son 
rapport  technique.  On  ne  peut  certaine- 
ment que  souhaiter  la  réalisation  de  ces 
prévisions  optimistes. 

Les  objections  tirées  de  la  géologie 
sont  de  divers  ordres.  D'une  part,  en 
effet,  la  nature  du  sol  est  assez  mal 
connue  dans  les  massifs  de  hautes  mon- 
tagnes ;  de  plus ,  on  ignore  générale- 
ment quelle  est  l'épaisseur  des  glaciers. 
De  là  deux  difiicultés  assez  sérieuses 
pour  l'établissement   du  tunnel. 

Relativement  au  massif  de  la  Jung- 
frau,  on  admet  qu  il  est  constitué  en 
grande  partie  (3/4),  dans  la  section  que 
doit  traverser  la  voie  ,  par  du  cal- 
caire du  Jura,  roche  très  homogène  qui 
forme  les  parois  abruptes  de  l'Eiger. 
Pour  l'autre  quart  du  tunnel,  les  pro- 
fesseurs Golliez  et  JMoesch  supposent 
qu'il  est  compris  dans  du  gneiss.  De  la 
sorte,  le  revêtement  intérieur  du  tunnel 
sera  des  moins  coûteux  et  la  maçonnerie 
pourra  être  évitée  dans  un  grand  nombre 
de  cas. 

Les  connaissances  géologiques  que 
l'on  possède  actuellement  permettent 
donc  de  procéder  avec  une  sûreté  suf- 
fisante et  sans  trop  d'appréhensions.  II 
est  juste  d'ajouter  toutefois  que  cer- 
taines parties  du  tracé  né  laissent  pa§ 
que  dinquiéter  sérieusement  les  ingé- 
nieurs. Tel  est  le  cas,  par  exemple,  de 
celle  qui  est  comprise  entre  le  Mœnch  et 
la  Jungfrau.  A  quelle  profondeur  au-des- 
sous de  la  surface  lii)re  du  glacier  fau- 


LE    CHEMIN    DE    FER    DE    I,A    .lUNGFRAU 


425 


dra-t-il  descciitlro  pour  trouver   le  sol 
ferme  ? 

On  sait  que,  lors  tle  riiistallatiQn  de 
l'observatoire  du  mont  Blanc,  on  a  dû 
renoncer  à  le  fixer  directement  sur  le  roc. 
Des  vérins ,  convenablement  disposés, 
permettent  de  redresser  l'édifice  et  das- 


H.  Meyer,  d'Aarau,  liront  la  jn'emière 
ascension  connue  de  la  Jungl'rau.  La 
cime  ne  méritait  donc  plus  son  nom. 
Qu'en  sera-t-il  lorsque  des  trains  com- 
plets amèneront,  de  tous  les  points  du 
globe,  des  innombrables  voyageurs, 
avides    sans    doute    de    contempler    un 


STATION      DE      LA      PETITE      SCHEIDEUfi 


surer  sa  stabilité  lorsque  les  mouvements 
du  glacier  Font  compromise. 

Dans  le  sous-sol  delà  Jungfraujoch,  il 
ne  saurait  être  question  d'employer  un 
semblable  artifice.  La  voie  doit  absolu- 
ment reposer  sur  la  terre  ferme.  On  sera 
donc  peut-être  obligé  d'établir  le  tunnel 
beaucoup  plus  bas  qu'on  ne  le  pense,  de 
manière  à  éviter,  non  seulement  le  gla- 
cier lui-même,  mais  les  failles  de  glace 
que  l'on  ne  manquerait  pas  de  rencon- 
trer si  l'on  se  maintenait  trop  près  de  la 
surface  du  col. 

C'est     en     1811     que    MM.    Rod    et 


spectacle  incomparable,  mais  plus  dési^ 
reux  encore  de  pouvoir  se  vanter  d'un 
exploit  qui,  en  somme,  n'exigera  qu'une 
minime  dépense  de  courage  et  même  une 
assez  médiocre  mise  de  fonds? 

Les  vrais  admirateurs  de  la  nature 
déserteront  ces  sommets  envahis  par  le 
snobisme  et  se  mettront  en  quête  de 
nouvelles  cimes  inexplorées  jusqu'à  ce 
que  la  science,  aidée  de  la  spéculation, 
les  chasse  de  nouveau  de  ce  qu'ils  consi- 
déraient comme  leur  domaine. 

A .     R  E  R  T  H  I  E  p . 


LES    ALGUES 


Les  véyélaux  les  plus  anciens,  c'est-à- 
dire  ceux  qui,  les  |)remiers,  ont  habité  la 
planète,  vivaient  certainement  dans  Teau 
des  mers.  Ils  sont  actuellement  repré- 
sentés par  rim- 
mense     yroupe 


Fiff.   1.  — 


Wraiigelia  muJtiJida.  Floridée  Célidiée, 
Qinrt  grandeur  naturelle. 


des  Algues»  si  nombreux  qu'à  lui  seul  il 
peut  conlre-balancer  Tensemble  des 
autres  plantes. 

Les  Algues  ne  possèdent  aucun  des 
oi'ganes  qui  caractérisent  les 
A'égétaux  terrestres,  elles  sont 
adaptées  à  un  régime  aquatique 
et  dépourvues  de  racines,  de 
tiges,  de  feuilles  et 
de  fleurs. 

Le  corps  d  une 
Algue  est  nommé 
thalle  ou  fronde: 
c'est  tantôt  une 
simple  cellule,  tantôt 
un  blâment  grêle, 
un  ruban  ou  une 
lame  plus  ou  moins 
dentelée,  tantôtenlin 
une  apparence  d'ar- 
buste aACC  branches 
el  appendices  ressendjlant  à  des  feuilles. 

Si   Ton    examine  à   l'aide   du    micro- 
scope la  structure  interne  d'une   .Algue 


quelconque,  on  ne  trouve  chez  elle  ni 
tubes,  ni  vaisseaux  conducteurs  de  la 
sève,  mais  seulement  des  cellules  se  répé- 
tant indéfiniment,  identiques  à  elles- 
mêmes  dans  toutes  les  parties  de 
la  plante.  Il  n'y  a,  pour  ainsi  dire, 
pas  de  tissus  différenciés. 

Malgré      celte      simplicité     de 
structure,   les  Algues  offrent  des 
formes  et  des  dimensions    extrê- 
mement variées.  Les  protocoques 
des      ruisseaux ,     qui 
donnent     aux     pavés 
leur     couleur     verte, 
sont  des  disques  très 
petits,    puisqu'ils    ne 
dépassent  pas  un  cinq- 
centième  de  millimètre 
de   diamètre;   les   tri- 
chodesmes      d'Ehren- 
berg  sont  plus   petits 
encore,  ils  mesurent  à  peine  un  millième 
de    mijlimètre    et  ce  sont   eux   qui  par 

leur  extraor- 
dinaire accu- 


Fig.  2.  —   Spliœrucoccus 

<:oronopifolius. 

Floridée  Sphœrococcacée 

Demi-grandeur  naturelle. 


mutation  pro- 
duisent la  co- 
loration à  la- 
quelle la  mer  Rouge  doit  son  nom  !  tandis 
que  les  macrocystesdes  mers  australes  at- 
teignent un  demi-kilomètre  de  longueur. 


LKS    ALGUES 


427 


Fig.  3:  —.Lomehtaria  clavellosa.  Floridée   Rhodyméniée. 
Doini-graiuleur  naturelle. 


Les  Algues  fixées  couvrent  les  rochers 
de  la  plag'e,  mais  elles  deviennent  très 
rares  lorsque  la  profondeur  du  fond  sur- 
passe trois  cents  mètres,  elles  ne  s'éloi- 
}:;nent  donc  pas  beaucoup  des  rivages. 
Fortes  marées,  courants  violents  arra- 
chent et  dispersent 
les     forêts     sous-ma- 


rines.  Les  plantes  détachées  des  corps 
résistants  sur  lesquels  elles  étaient  cram- 
ponnées    se     séparent,     les    unes    pour 
échouer  sur  les  côtes,   les  autres   pour 
aller  rejoindre  dans    la   haute  mer  les 
tapis  épais  de  sargasses    péla- 
giques  flottantes,  dont  les  dé- 
pouilles se  carbonisent  au  plus 
profond  des  Océans.  Les  varechs 
fournissent    aux    agriculteurs 
un  engrais  qu'on  recueille   soi- 
gneusement.   M   La    côte 
est  la  ceinture  dorée  de 
la  Bretagne.   »  Les  Bre- 
tons distinguent  les  va- 
rechs   d'échouage    et  les 
varechs    de    rochers,    ils 
coupent  méthodiquement 
ces  derniers   et  les   pré- 
fèrent aux  autres  à  cause 
de  la  supériorité  de  leur 
action. 

Quelques  Algues  sont 
comestibles,  d'autres  sont 
employées  dans  l'indu- 
strie pour  l'extraction 
des  sels  de  soude,  de  l'iode,  du  brome 
ou  de  substances  gommeuses  spéciales. 
La  foule  innombrable  des  Algues  a  été 
classée  par  les  naturalistes  d'après  la 
nature  des  pigments  colorés  qui  les 
diversifient  et  aussi  d'après  le  degré  de 
perfection  des  organes  reproducteurs 
quelles  possèdent. 


Fig.  4.  —  Chylocladia  haliformif 
Floridée  Rhodyméniée. 
Quart    grandeur    naturelle. 


Fig.  5.  —  Bostrychia  scorpioïdes. 

Floridée  Rhodomélée. 

Demi-grandeur   naturelle. 


428 


LES    ALGUES 


On  n"a  pas  fait  intervenir  l'habitat,  car 
les  types  primitivement  marins  ont  en- 
vahi la  terre  ferme  et  leurs  familles  sont 
aujourd'hui  représentées   dans  les  eaux 


Fig.  6. 
Laurencia  tenuissima . 


Floridée  Rhodomélée. 
Quart  grandeur 


douces  des  rivières,  des  torrents,  des 
ruisseaux  et  des  mares,  ainsi  que  sur  le 
sol  humide. 

La    classe  des  Algues    se  partage  en 
quatre  ordres  : 

Les  Algues  bleues  (cyanophycées)  ; 

Les  Algues  vertes  (chlorophycées  i  ; 

Les  Algues  brunes  (phéo- 
phycées)  ; 

Les  Algues   rouges   (rho- 
dophycées). 

Ces  derniè- 
res se  font  re- 
marquer par 
leur  port  gra- 
cieux, par 
l'éclat  de  leurs 
brillantes  cou- 
leurs, ce  sont 
les  vraies 
«  fleurs  de  la 
mer  »,  les  flo- 
ridées,  comme 
a  dit  Lamou- 


Quelles  élé- 
gances  ne 
développent- 
elles  pas  dans 


Fig.  7. 
PoJysiphonia  urceolata. 


Fig.  8.  —  Polysiphonia  penicillata. 

Floridée  Rhodomélée. 
Demi-grandeur   naturelle. 

les  flaques  limpides  au  pied  des  rochers 
ensoleillés  ?  Doucement  balancées  par 
les  petits  remous,  elles  font  onduler 
leurs  crinières,  dressant  à  côté  des 
Actinies  paresseuses 
leurs  rouges  panaches 
que  froissent  les  crabes 
brutaux. 

Quelques  floridées  ter- 
ripètes     ont    quitté    les 
rivages    pour    s'engager 
dans  les  eaux 
saumàtres     et 
gagner      les 
fontaines    les 
plus      pures , 
les    plus    vifs 
torrents   dont 
elles  embellis- 
sent les  bords. 
Chez      les 
floridées,     les 
frondes     sont 
filiformes,  tu- 
Floridée  Rhodomélée.         buleuses       OU 
Demi-grandeur    naturelle.  très    ramifiées 


LES    ALGUES 


42« 


^céramies),  ou  rameuses  et  foliacées 
(délesséries).  I-,eurs  nuances  varient  du 
rose  le  plus  tendre  au  pourpre  et  au 
violet  le  plus  foncé  qu'avivent  encore  la 
lumière  et  Taction  atmosphérique. 

L'intensité  de  la  lumière  diminue  rapi- 
dement à  mesure  qu  on  pénètre  plus 
profondément  dans  la  mer;  les  radiations 
très  réfrangibles,  moins  facilement  absor- 
bées que  les  autres,  plongent  pourtant 
aux  environs  de  trois  cent 
cinquante  mètres;  plus  bas, 
c'est  la  nuit  ! 

Les  Algues  n'aimtnt  p.is 
l'obscurité;  les  verte^  n  a- 
b  a  n  d  o  n  n  e  nt 


\ 


\^ 


\ 


£^ 


jamais  les 
eaux  superfi- 
cielles, parce 
que  l'activité 
de  la  chloro- 
phyllequ'elles 
ren  ferm  e  n  t 
serait  anni- 
hilée dans  un 
milieu  som- 
bre; les  brunes 
s'enfoncent 
un  peu  plus 
loin  ;  mais  ce 
sont  les  rou- 
ges, nos  ilo- 
ridées ,  qui 
ont  le  record 
de  l'adapta- 
tion, elles 
brillent  encore  où   les   autres  meurent. 

Les  floridées  peuvent  se  multiplier 
par  segmentation  de  leur  thalle,  par 
spores  ou  par  œufs. 

Dans  le  premier  cas,  il  y  a  séparation 
de  jeunes  rameaux  servant  de  propa- 
^u/es  capables  de  se  bouturer  imélobé- 
sie,  griftithsie  ;  ce  procédé  de  multipli- 
cation est  assez  rare. 

Le  second  cas  est  absolument  général  : 
on  voit  quatre  petites  cellules  naître 
dans  un  tétrasporange  et  quitter  la 
plante  pour  aller  germer  dans  un  endroit 
favorable.  Les  tétraspores  sont  tantôt 
plongées  dans  l'épaisseur  du  thalle,  tan- 


tôt  rangées  sur  des  rameaux  spéciaux, 
tantôt  groupées  au  fond  d'un  concep- 
tacle;  elles  émigrent  au  gré  des  cou- 
rants. 

Les  phénomènes   de   la   reproduction 

sexuée  présentent  chez  les  floridées  plus 

d'intérêt  que  les  précédents,  mais  ils  sont 

moins  facilement  observables.  Les  petits 

corpuscules    fécondateurs    produits    en 

o-rand  nombre  dans  les  chambrettes  dites 

anthéridies  restent  immobiles  et 

n'arrivent    en     contact    avec    les 

oiganes  femelles  que  par   l'inter- 

mediane    de    la    vague    qui    les 

porte    Les  organes  femelles 

compi  ennent     une      masse 

cellulaire      et 


-Z  -«   ^ 


-£^^^ 


Fig.  9  — P Ày^iiphonia  Biodicet 

I  loi  idée  Rhodomelee 
Deiu     gr  II  le  ir     n  itnrcllc 


th-*!^^^ 


une  soie  plus 
ou  moins  lon- 
gue, qui  sert 
à  pêcher  et 
à  retenir  les 
corpuscules 
mâles  au  pas- 
sage. Après 
fécondation, 
c'est-à-dire 
après  la  péné- 
tration des 
cellules  mâles 
dans  la  soie 
(  trichogyne  ) , 
on  voit  la 
masse  cellu- 
-5^  laire     femelle 

donner  nais- 
sance à  des  spores  capables  de  germer, 
ce  sont  les prolospores.  —  Ce  qui  est  ici 
absolumentremarquable,  c'est  de  trouver 
l'œuf  fécondé  végétant  sur  la  plante 
mère  à  la  façon  d'un  parasite  et  produi- 
sant, après  un  certain  temps,  iion  pas  la 
plante  elle-même,  mais  des  protospores 
légères  capables  de  germer  I 

L'étude  purement  scientifique  des  flo- 
ridées offre  de  sérieuses  difficultés,  elle 
ne  convient,  en  réalité,  qu'aux  natura- 
listes déjà  mûrs;  mais  la  récolte  et  la 
mise  en  herbier  de  ces  magnifiques 
représentants  de  la  flore  marine  sont 
des    occupations     intéressantes,     même 


530 


LES    ALGUES 


pour  les  plus  jeunes  écoliers  que  les 
vacances  amènent  sur  les  bords  de  la 
mer. 

Armez-vous  donc  d'une  canne  à  pêche 
en  bambou  portant  un  crochet  à  Tune 


Fig.  10.  —  Polysiphonia  parasitica. 
Floridée  Rhortomélée. 
■    Demi-grandeur    naturelle. 


de  ses  exti'éniilés  ;  entrez  dans  Teau 
jusqu'aux  genoux  si  cela  est  nécessaire, 
fouillez  les  flaques,  détachez  doucement 
les  échantillons  qui  vous  plaisent  et 
plongez-les  dans  un  bocal  plein  d'eau  de 
mer  pour  les  transporter  jusqu'à  la 
maison.  Vous  pouvez  remplacer  ce  bocal 
par  un  seau  de  fer-blanc. 

Les  points  du  territoire  français  les 
plus  favorables  à  la  récolte  des  Algues 
sont  en  Normandie  et  en  Bretagne, 
depuis  Arromanches  jusqu'à  l'embou- 
chure de  la  Loire. 

Notre  ami  P.  Hariot,  dans  son  Atlas 
des  Algues  marines,  indispensable  aux 
collectionneurs,  recommande  :  Arro- 
manches, Saint- Vaast-de-la-Hougue, 
Cherbourg,  Granville ,  Saint- Malo, 
Brest,  Belle-Isle,  Le  Croisic. 

Beaucoup  d'autres  stations  fournis- 
sent leur  contingent  plus  ou  moins  riche, 
par  exemple  :  les  côtes  du  Calvados, 
Dieppe,  Étretat,  Saint- Valéry,  Bou- 
logne, Fécamp,  Roscoff,  Concarneau  et 


les  îles  Glénans,  Les  Sables-d'Olonne, 
Royan,  Fouras,  etc. 

On  retrouve  également  quelques  plages 
fertiles  de  Biarritz  à  la  frontière  d'Es- 
pagne. 

Dans  la  Méditerranée,  les  meilleures 
stations  sont  :  Marseille,  Toulon,  les 
îles  Lérins  et  la  pointe  d'Antibes.  Mais 
la  Méditerranée  n'a  pas  de  marées,  les 
herborisations  y  sont  moins  faciles  et 
les  plantes  moins  belles  et  moins  abon- 
dantes. 

Sur  les  rochers,  à  très  basse  mer,  en 
été  et  en  automne,  vous  trouverez  la 
Wrangélie  aux  crampons  fibreux,  à  la 
fronde  purpurine.  Elle  prend  une  cou- 
leur rouge  brique  en  se  desséchant  (fig.  1  ) . 
Vous  trouverez  aussi  le  Sphérocoque 
dont  la  consistance  est  cartilagineuse,  il 
est  souvent  rejeté  à  la  côte  après  les 
fortes  marées  ;  sa  couleur  est  cai'niin 
vif  en  échantillon  frais,  pourpre  en 
sec  (fig.  2). 

Pendant  toute  l'année,  sur  les  Algues 
des  plages  sablonneuses  vit  la  Lomen- 
larie,  de  consistance  presque  gélatineuse, 
carminée  comme  la  Chylocladie  sa  voi- 
sine qui  s'applique  aux  galets  (fig.  3  et4). 
Le  Bostryche  en  queue  de  scorpion 
peut  être  récolté  en  tout  temps  sur  les 
roches  vaseuses  et  dans  les  rivières 
marines.  Sa  couleur,  qui  se  conserve 
bien  en  herbier,  est  un  violet  livide  fort 
joH  (fig.  5). 


Fig.  11. 
Polysiphonia   pa)-asitlca 

dressé. 


ridée  Rhodomélée. 


Demi-grandeur 
naturelle. 


IJ-:S    ALC.  UKS 


431 


Les  Laurenoies  ont  des  couleurs  j)lus 
ternes,  d'un  brun  clair  ou  jaunâtre; 
elles  sont  facilement  recueillies  à  basse 


Fig.  12.  —  Polysiphoniavarivgata.  Floridée  Rhodomélée. 
Demi-grandevu'  naturelle. 


mer  au   milieu   des  pierres    et    des   ro- 
chers (fîg\  6). 

Les  variétés  de  Polysiphonies  sont 
très  nombreuses,  toutes  extrêmement 
gracieuses,  aux  nuances  vives,  brun 
foncé,  violet  foncé,  marron,  sienne 
clair,  lie  de  vin  et  rouge  sang  (fig.  7 
à  13). 

La  Dasye  est  peut-être  la  plus  élé- 
gante des  lloridées  ;  elle  est  d'un  joli 
carmin  qui  devient  rouge  violacé  par 
dessiccation.  On  la  trouve  sur  les  rochers 
à  très  basse  mer,  en  septembre,  ou  fré- 
quemment rejetée  sur  la  plage  (fig.  14). 
Api^ès  la  récolte  des  Algues,  il  faut, 
sans  trop  tarder,  procéder  à  leur  mise 
en  herbier.  Trois  précautions  sont  indis- 
pensables :  1°  éviter  de  plonger  les 
plantes  dans  leau  douce  ;  "2'^  ne  les 
comprimer  que  le  moins  possible,  et 
3"  conserver  Therbier  dans  un  endroit 
sec. 

Une  cuvette  de  porcelaine,  semblable 
à  celles  qu'emploient  les  photographes, 
est  tout  d'abord  remplie  d'eau  de  mer 
très  limpide,  de  façon  à  déborder.  On  y 
plonge  l'échantillon,  qu'on  nettoie  avec 
un   pinceau  monté   sur   un    manche   de 


porc-épic    bien     lisse    et   bien     pointu. 

L'une  des   extrémités    de    l'instrument 

sert  à  brosser  légèrement  la  préparation, 

l'autre      à     l'étaler     et     à 

l'agiter. 

Si  l'individu  est  trop 
loulïu,  on  en  coupe  quel- 
ques parties  avec  des  ci- 
seaux tins,  en  ayant  soin 
de  ne  pas  le  défigurer. 
On  glisse  ensuite  sous  la 
plante  une  feuille  de  pa- 
pier fort  et  on  l'enlève  de 
la  cuvette  pour  poser  le 
tout  sur  une  vitre  inclinée. 
Avec  des  pinces  bru- 
celles, le  pinceau  et  la 
pointe  de  porc-épic  on 
place  l'Algue  d'une  façon 
gracieuse  sur  la  feuille  de 
papier.  Cette  opération 
est  facilitée  par  l'écoule- 
ment d'un  petit  jet  d'eau 
de  mer  qui  soulève  l'échantillon  aux 
points  voulus.  Quand  l'effet  est  obtenu, 
il  ne   reste  plus  qu'à  séparer  le    papier 


13.  —  rolysiphonia  clongata. 
Floridée  Rhodomélée. 
Demi -grandeur    naturelle. 


de    la     vitre    pour    le    porter     sur    une 
planchette  de  bois  blanc  où  il  s'égoutte. 


432 


LES    ALGUES 


Une  ou  deux  heures  plus  tard,  avec 
une  toile  line  et  du  papier  à  fdtre  gris, 
on  achève  de  pomper  l'humidité  par 
des  compi-essions  successives  graduées, 
puis  on  fait  des  cahiers  d'échantillons 
enfermés  dans  les  papiers  non  collés;  le 
tout  est  pressé  sous  une  grosse  pierre. 

L'adhérence  de  la  plante  au  papier 
blanc  est  presque  toujours  suffisante, 
parce  que  les  floridées  produisent  de  la 
gélose  qui  les  fixe  sur  l'herbier. 

Au  bout  de  quelques  jours,  les  échan- 


tillons sont  complètement  secs  e^  prêts 
à  recevoir  des  étiquettes  portant  indi- 
cation du  nom  de  la  plante,  du  lieu  et 
de  la  date  de  sa  récolte,  etc. 

Ainsi  se  constitue  une  charmante 
collection  <(  Herbier  d'Algues  »,  dont 
l'examen  fait  revenir  à  la  mémoire  des 
jours  heureux,  des  excursions  joyeuses. 
Chaque  échantillon  évoque  une  série  de 
souvenirs  qui  en  augmentent  énormé- 
ment la  valeur. 

LiÉON    Gérardin. 


Fig.  14.  —  iJasla  coccinea    Floridée  Rhodomélée. 
Demi-grandeur  naturelle. 


LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 


La  Bonne  Souffrance  (chez  LEMERRii)  est 
un  livre  bien  particulier  de  François  Cop- 
pée.  C'est  un  acte  de  foi,  une  déclaration 
de  conversion,  une  confession  pul>lique, 
des  impressions  du  chemin  de  Damas.  Le 
ton  est  inspiré  et  éloquent.  Après  saint 
Augustin,  après  Pascal,  l'auteur  nous  dit 
comment  la  lumière  lui  est  apparue  au 
cours  d'une  longue  et  douloureuse  mala- 
die :  car  il  est  trop  vrai  que  la  souffrance 
est  la  bonne  pourvoyeuse  de  la  religion. 
On  lui  objecte  qu'il  est  étonnant  combien 
ce  changement  intime  a  apporté  peu  de 
modification  à  son  apparence  extérieure,  à 
son  genre  de  vie.  Vous  êtes  toujours  le 
même  !  lui  disent  ses  amis.  Il  répond  : 

Ils  ne  font  c|ue  prouver  ainsi,  une  fois  de 
plus,  combien  l'honime  csl  impénétrable  à 
l'homme  :  car  je  sais  bien,  moi,  que  je  suis 
devenu  tout  autre.  Il  est  clair  que  le  fait  de 
dire  mes  prières  matin  et  soir,  d'aller  à 
l'église  les  dimanches  et  les  jours  de  fête  et 
d'accomplir  mes  devoirs  relif;ieux  n'a  pas  sen- 
siblement modifié  ma  vie  apparente.  Evidem- 
ment on  ne  lit  sm*  ukiu  front,  ni  les  réformes 
que  j'ai  pu  accomplir  clans  mes  actions  et 
tlans  mes  pensées,  ni  la  résistance  que  j'op- 
pose maintenant  à  des  tentations  auxquelles 
j'aurais  cédé  jadis.  C'est  pourtant  l'exacte  vé- 
rité. 

Qu'on  ne  me  trouve  pas  changé,  je  ne  m'en 
étonne  point,  après  tout,  car  mes  progrès 
dans  la  vie  chrétienne,  c'est-à-dire  vers  la 
perfection  morale,  sont  encore  bien  faibles. 
Cependant  je  suis  devenu  pour  moi-même 
aussi  sévère  que  possible  ;  ceux  que  j'aimais, 
je  les  aime  mieux  et  autrement  que  naf;uère. 
et  je  fais  de  constants  efforts  pour  devenir 
plus  charitable  et  meilleur.  Oui,  malgré  de 
trop  nombreuses  défaillances  dans  ma  con- 
duite et  —  ce  dont  je  m'accuse  avec  encore 
plus  de  douleur,  —  malgré  quelques  derniers 
accès  de  doute  et  de  sécheresse  de  coïur,  je 
me  déplais  moins  qu'autrefois  et,  très  sou- 
vent, quand  je  songe  aux  joiu's  attristés  qui 
me  restent  à  vivre  et  à  la  mort  qui  s'ap- 
proche, j'éprouve  un  sentiment  de  douceur 
C[ui  me  surprend  moi-même. 

Celte  paix  de  l'àme  ne  s'obtient  que  par 
l'admirable  discipline  de  la  religion,  par 
l'examen  de  conscience,  par  la  prière.  Aussi 
n'ai-je  plus  de  meillcvu's  instants  c[ne  ceux  où 
je  m'adresse  à  Dieu,  en  lui  otTrant  le  repentir 
de  mes  fautes  passées  et  toute  ma  bonne  vo- 
lonté pour  l'avenir,  et  où  je  lui  demande 
cette  paix  qu'il  nous  a  promise  dans  l'autre 
vie  et  dont  sa  grâce  nous  donne,  en  ce 
monde,  le  délicieux  pressentiment.  Oui,  il  n'y 
a  de  vraiment  belle  que  l'heure  où  l'on  prie, 
où  l'on  se  met  en  présence  de  Dieu.  Cent 
fois  bénie  soit  donc  la  soull'rance  qui  m'a  ra- 
mené vers  lui.  Car  je  le  connais  à  présent, 
l'Inconnaissable  !  L'Évangile  me  l'a  révélé. 
Il  est  le  père,  il  est  mon  père  !  Je  puis  lui 
parler  avec  abandon  et  il  m'écoute  avec  ten- 
dresse. 


La  page  est  belle,  et  a  une  particulière 
saveur  de  sincérité,  de  conviction,  déjà 
d'apostolat,  un  parfum  d'oratoire  discret 
et  obscur  où  le  malade  cause  et  s'humilie 
devant  le  prêtre  ami,  prêt>  à  dire  comme 
le  P.  Beurrier,  curé  de  Saint-Etienne,  en 
sortant  de  chez  Pascal,  déclarant  à  sa  sœur 
Gilberte  Pascal  :  •<  C'est  un  enfant,  il  est 
humble,  il  est  soumis  comme  un  enfant!  •> 

La  foi  nouvelle  l'illumine  de  rayons  dif- 
fus dont  il  voit  déjà  les  autres  illuminés 
comme  lui,  et  il  suppute  avec  orgueil  et 
joie  le  nombre  des  récents  élus  qu'il  a  ren- 
contrés et  déjà  dépassés  sur  le  chemin  de 
la  vérité,  où  il  ne  se  sent  pas  seul,  car  la 
raison  et  la  science  ont  naguère  subi  de 
plus  discrètes,  mais  de  semblables  déser- 
tions : 

Je  le  demande  à  tnus  les  esprits  sincères. 
Ce  fait  n'est-il  pas  très  remarquable  —  et 
peut-on  n'y  voir  qu'une  rencontre  fortuite  — 
que  plusieurs  écrivains  la'ics,  tout  à  l'ait  indé- 
pendants et  désintéressés,  puisqu'ils  n'ont  à 
attendre  inmiédiatement  de  leur  acte  que  des 
moqueries  et  des  injures,  confessent  ainsi  pu- 
bliquement leur  retour  aux  croyances  reli- 
gieuses? Et  n'est-ce  pas  là  une  preuve  mani- 
feste  que,  parmi  tant  de  ruines  accumulées 
par  la  banqueroute  sentimentale,  philosophique, 
politique  et  sociale  de  cette  désastreuse  lin  de 
siècle,  la  foi  reste  debout,  pareille  à  ces  im- 
posantes cathédrales  qui,  fermes  sur  leurs 
assises  depuis  tant  de  siècles,  attestent  la' 
force  inébranlable  du  christianisme  et  la  per- 
manence de  l'Eglise? 

Le  livre  qu'il  nous  offre  à  la  suite  de  sa 
pressante  préface  est  un  recueil  d'articles 
parus  dans  un  journal,  ce  qui  paraîtrait  un 
souci  peu  eucharistique  si  l'auteur  n'y. 
mettait  l'espérance  d'aider  par  cette  diffu- 
sion au  prosélytisme  et  d'entraîner  l'exem- 
ple. On  connaît  ces  pages,  et  on  les  relit 
avec  plaisir,  «  Pour  celle  qui  priait,  Renais- 
sancechrétienne,Confidenceet  confession  >> 
et  les  autres.  Reboul  fit-il  une  plus  gra- 
cieuse image  que  ce  petit  tableau  de  l'en- 
fant en  prière  ! 

Parmi  tous  les  spectacles  que  peut  offrir  le 
genre  humain,  en  est-il  un  plus  aimable,  plus 
doux,  plus  touchant  que  l'enfant  en  prières? 
Sa  mère  l'a  mis  à  genoux  dans  son  jiiron.  le 
tient  embrassé  et  joint  ses  petites  mains  sous 
les  siennes.  Elle  lui  fait  redire  une  à  une  les 
paroles  de  la  courte  oraison  —  s'il  est  tout 
petit,  quelques  mots  seulement,  par  exemple 
le  cri  na'if  :  »  Mon  Dieu,  je  vous  donne  mon 
cœur!  »  et,  s'il  est  un  peu  plus  grand,  l'ad- 
mirable texte  du  »  Notre  Père  »  ou  le  déli- 
cieux appel  «  Je  vous  salue,  Marie!  » 

Si  c'est  le  matin,  l'enfant  lève  les  yeux  vers 
l'azur  du  ciel,  et  ces  deux  puretés  se  contem- 
plent. Est-ce  le  soir,   près  de  la  lampe  voilée, 


VIII. 


2S. 


434 


LE     MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 


dans  la  chambre  tiède  et  calme?  Alors  il 
semble  que  dans  ronibrc,  derrière  la  b'an- 
cheiir  des  rideaux,  un  anf;e  se  lient  immobile 
et  assiste,  pour  aller  en  témoifiner  dans  le 
Pai^adis,  à  cet  adoraljle  acte  de  loi. 

Un  autre  jour,  il  assiste  à  cette  cérémo- 
nie saisissante  du  baise-pieds,  le  jour  du 
départ  des  partants,  dans  la  cliapelle  des 
Missions  étrang-ères,  et  parmi  les  fortes  et 
belles  impressions  qu'il  rapporte  de  ce 
spectacle,  il  mêle  de  charmants  souvenirs 
d'enfance  : 

Je  les  retrouve  dans  le  plus  profond  recid 
de  ma  mémoire,  ces  prêtres  des  Missions 
étrangères;  car,  en  ce  coin  du  faubourg  Saint- 
Germain  où  je  suis  né  —  il  y  aura  bientôt 
cinquante-six  ans  —  et  où  je  demeure  encore 
aujourd'hui,  on  les  rencontre  fréquemment 
sur  les  larges  trottoirs  de  la  rue  de  Sèvres 
ou  parmi  la  cohue  de  la  rue  du  Bac. 

Quand  jetai-*  petit,  ils  excitaient  au  plus 
haut  degré  mon  enfantine  curiosité.  Je  les 
trouvais  si  différents  des  autres  ecclésiastiques  ! 
Leur  teint  bronzé,  leur  grande  barbe,  leur 
démarche  vive  et  liardie  qui  faisait  claquer  la 
soutane,  et,  dans  toute  leur  personne,  on  ne 
sait  quoi  de  viril  et,  jjour  ainsi  dire,  de  mili- 
taii-e,  tout  cela  me  remplissait  de  surprise. 
Quelques-uns  —  on  sait  que  souvent  ils  ren- 
dent de  grands  services  à  la  France  dans 
leurs  missions  lointaines  —  étaient  décoi'és 
comme  des  soldats. 

Parfois,  devant  un  hôtel  meublé  d'appa- 
rence cléi'icale,  que  les  envahissantes  con- 
structions du  Bon  Marché  ont  fait  depuis 
longtemps  disparaître,  je  voyais  descendre  de 
•  voiture  un  vieil  évêque,  avec  la  ganse  verte 
et  or  autour  du  chapeau  romain  et  la  croix 
pastor-ale  qui  brillait  entre  les  ruisseaux  d'ar- 
gent d'une  barbe  de  ]iatiiarche.  Et  les  bonnes 
gens  du  quartier  se  disaient  respectueuse- 
ment le  nom  du  prélat  exotique  et  celui  de 
son  diocèse,  chez  les  noirs  dans  la  morne 
Afrique,  ou  chez  les  jaunes  au  fond  de  l'ef- 
frayante Asie. 

A  l'aspect  de  ces  prêtres  voyageurs,  l'éco- 
lier que  j'étais  alors  songeait  aux  vastes  mers 
et  aux  pays  mystérieux  indiqués  sur  son 
atlas,  rêvait  de  longues  traversées,  de  nau- 
frages dans  les  îles  inconnues,  d'aventures 
extraordinaires  chez  les  suu\'ages  armés  d  une 
massue  et  coiffés  d'un  diadème  de  plumes, 
comme  des  volants  de  raquette. 

Voilà  le  souffle  nouveau  et  impérieux 
qui  anime  ce  livre  ;  c'est  un  cri  de  foi, 
d'amour  et  d'espoir,  le  cri  que  Pascal  avait 
transcrit  sur  son  amulelte  après  une  nuit 
d'insomnie  :  «  Joie  !  Joie  !  Pleurs  de  joie  !  » 
ce  Pascal  à  qui  cette  conversion  éloquente 
fait  songer  en  rappelant  les  si  admii'aMes 
pages  du  génial  solitaire  de  Port-Royal 
Sîir  la  conversion  du  j^écheiir  : 

La  première  chose  que  Dieu  insj)ire  à  l'âme 
qu'il  daigne  toucher  véritablement  est  une 
connaissance  et  une  vue  tout  extraordinaire 
par  laquelle  l'âme  considère  les  clioses  et 
elle-même  d'une  façon  toute  nouvelle... 


Elle  commence  à  considérer  comme  un 
néant  tout  ce  qui  doit  retourner  dans  le 
néant:  le  ciel,  la  terre,  son  esprit,  son  corps, 
ses  parents,  ses  amis,  ses  ennemis;  les  biens, 
la  pauvreté;  la  disgrâce,  la  prospérité;  l'hon- 
neur, l'ignominie;  l'estime,  le  mépris;  l'auto- 
rité, l'indigence;  la  santé,  la  maladie,  et  la 
vie  même.  Enfin  tout  ce  qui  doit  moins  durer 
que  son  âme  est  incapal^le  de  satisfaire  le 
désir  de  cette  âme,  qui  recherche  sérieuse- 
ment à  s'établir  dans  une  félicité  aussi  durable 
qu'elle-même. 

Elle  commence  à  s'étonner  de  l'aveuglement 
où  elle  a  vécu  et,  quanti  elle  considère  d'une 
part  le  long  tem))s  qu'elle  a  vécu  sans  faire 
ces  réflexions  et  le  grand  nombre  de  per- 
sonnes ciui  vivent  de  la  sorte,  et  de  l'autre 
combien  il  est  constant  que  l'âme,  étant 
immortelle  comme  elle  est,  ne  ];)eut  trouver 
sa  félicité  parmi  des  choses  périssables  et 
qui  lui  seront  ôtées  au  moins  à  la  mort,  elle 
entre  dans  une  sainte  confusion  et  dans  un 
étonnement  qui  lui  porte  un  trouble  bien 
salutaire... 

Cette  élévation  est  si  éminente  et  si  trans- 
cendante qu'elle  ne  s'arrête  pas  au  ciel  :  il 
n'a  pas  de  c|uui  la  satisfaire  ;  ni  au-dessus  du 
ciel,  ni  aux  anges,  ni  aux  êtres  les  plus  par- 
faits. Elle  traverse  toutes  les  créatures  et  ne 
peut  ar.-êter  son  cœur  qu'elle  ne  se  soit 
rendue  jusqu'au  trône  de  Dieu. 

Et  c'est  par  ces  chemins  flamboyants 
que  les  élus  atteignent  ces  hauteurs 
mystérieuses  jusqu'auxqnelles  Lamartine 
souhaitait  vainement  de  s'élever  : 

Là  je  m'enivrerais  à  la  source  où  j'aspire; 
Là  je  retrouverais  et  la  vie  et  l'amour. 
Et  ce  bien  idéal  que  toute  âme  désire 
Et  qui  n'a  pas  de  nom  au  terrestre  séjour! 


M.  Léon  de  Tinseau  raconte  une  tou- 
chante histoire  dans  son  roman  Un  nul 
dans  les  ruines.  C'est  l'autobiographie  de 
M""  Iledwige  de  Tiesendorf,  qui  se  pré- 
sente ainsi  elle-même  : 

J'étais  blonde,  non  pas  connue  les  blés, 
mais  comme  l'or  sortant  du  polissoir  d'un 
orfèvre;  je  ne  savais  littéralement  que  faire 
de  mes  cheveux,  à  cause  de  leur  longueur  et 
de  leur  abondance.  Avec  ce'a  des  yeux  bleus, 
francs  et  honnêtes,  passablement  éveillés, 
une  peau  très  blanche,  im  air  de  santé,  des 
dents  que  j'aurais  pu  montrer  par  coquetterie, 
mais  que  je  monti-ais  par  la  seule  raison  de 
ma  bonne  humeur  continuelle  :  voilà  pour  la 
tête  de  ]M"'=  Iledwige  de  Tiesendorf.  Cette 
jeune  beauté  n'eût  rien  perdu  à  grandir  de 
deux  pouces;  du  moins  elle  avait  une  main 
de  race,  des  pieds  montrables,  des  mou\e- 
ments  souples  et,  sans  l'iiorreur  qu'elle  avait 
d'être  sanglée,  on  eût  peut-être  parlé  de  sa 
taille. 

Elle  eut  une  jeunesse  brillante,  choyée 
aux  Tuileries  et  à  la  cour  du  roi  de  son 
pays.  Son  père  avait  un  chef  de  cuisine 
peu  ordinaire,  que  voici  : 


LE     MOUVEMENT    LITTÉHAIRE 


435 


Alors  le  ^rand  homme,  qui  était  petit  avec 
une  physioiiDiiiic  ravai^'oc  d'aitiste,  l'cji'tait  sa 
toque  en  ai'i-ière  et  tne  coulait  l'iiistoire  de 
sou  inspiration.  Tantôt  (,'••  I^''  «-'tait  venu  pen- 
dant une  promenade  (non  solitaire  sans  dou'e) 
dans  les  allées  du  bois,  sous  un  clair  de  lune 
poétique,  entre  deux  rossignols  qui  se  répon- 
daient d'un  buisson  à  l'autre.  Ou  bien  l'esprit 
avait  pai'lé  |).^-nclant  cpie  Hi-nneau  écoutait 
l'opéra,  car  il  était  mélomane.  On  i)ien  l'éclair 
avait  lui  pendant  ces  insomnies  cpii  tourmen- 
tent les  jjoètes.  Bruueau  quittait  alors  sa 
chambre,  allumait  son  l'ourneau  et  composait... 

Il  fallait  vous  présenter  ce  Wellington 
du  fourneau,  qui  aura  son  rôle. 

Hedwige  était  follement  aimée  par  son 
cousin  Otto  de  Flatinark.  Elle  le  dédaigna 
pour  un  bellâtre  à  l'œil  de  faucon,  M.  de 
Noircombe,  qui  fascine  les  femmes  avec 
son  regard  fatal.  Hedvvige  tombe,  médu- 
sée, —  bien  vite  !  —  sous  la  grilfe  de  cet 
oiseau  de  proie  en  jouant  Hamlet  avec  lui 
dans  un  salon.  En  vain  son  père  lui  recom- 
mande Otto,  un  brave  garçon.  C'est  Noir- 
combe qui  l'emporte,  un  peu  grâce  au  doc- 
teur qui  déclare  quelle  deviendra  folle  si 
elle  ne  l'épouse  pas,  et  surtout  grâce  à  la 
dame  de  compagnie,  vendue  à  lui. 

Bientôt  Hedwige,  d'abord  heureuse,  doit 
déchanter.  Elle  découvre  que  le  manoir  de 
Noircombe  est  une  masure  ruinée,  que  tout 
a  été  vendu,  que  son  mari  est  un  fielTé 
joueur.  Quand  elle  le  présente  à  son  roi, 
qui  l'invite  à  son  jeu  et  qui  n'aime  pas 
perdre,  il  lui  gagne  quelques  billets  de 
mille.  Il  avait  un  procédé.  Ayant  joué  à 
peu  près  tout  ce  que  possédait  sa  femme, 
il  se  fait  surprendre  à  tricher  au  cercle  et 
voilà  un  homme  bon  à  jeter  par-dessus 
bord.  Sa  femme  l'apprend  par  hasard,  eu 
voyant  qu'à  son  jour  il  ne  vient  pas  une 
âme  après  ce  scandale  qu'elle  ignore. 
Même  un  amoureux  qu'elle  avait  s'éclipse 
après  ce  désastre. 

Noircombe  disparut.  Hedwige  se  pré- 
para à  rentrer  en  Allemagne.  Elle  gardait 
le  fidèle  cuisinier  Bruneau ,  attaché  par 
sympathie,  sans  doute,  et  puis  : 

Et  puis,  ajoutait-il,  je  ne  retrouverai  jamais 
un  four  comme  celui  de  la  cuisine  de  madame 
la  marquise.  Là,  je  suis  maître  de  la  nuance 
de  mes  rissolés,  comme  si  je  les  peig'nais  à 
l'aquarelle. 

Il  veilla  comme  un  chien  fidèle,  Une 
nuit,  il  empoijjna  un  voleur  au  collet,  dans 
le  corridor  de  l'hôtel.  Le  voleur  avait  une 
fausse  barbe.  Il  reconnut  Noircombe,  son 
maître,  qui  venait  dérober  des  bijoux.  Il 
le  laissa  s'enfuir  pour  épargner  une  honte 
nouvelle  à  sa  chère  maîtresse. 

Hedwige  retourna  au  pays,  e(,  pour  vivre, 
elle  tint  une  family  house.  Elle  fut  aidée 
dans  son  entreprise  par  des  voisins,  M.  et 
M™"  Mathieu  Kardann,  qui  avaient  une  fille. 


Mina.  Les  Kardann  avaient  de  l'argent;  le 
père,  ancien  boulanger,  avait  fait  fortune 
à  Omaha.  Hedwige  avait  la  noblesse.  Les 
écus  s'appuyèrent  sur  le  blason.  La  ieune 
Mina  était  jolie,  fine,  intelligente.  Son  père 
acheta  fort  cher  du  terrain  appartenant  à 
Hedwige  ,  et  celle-ci  en  retour  présenta 
Mina  à  la  cour,  la  fit  danser  avec  le  dau- 
phin, car  cette  tenancière  de  family  house 
fait  à  la  cour  ce  qu'elle  veut,  ce  qui  n'est 
pas  banal.  Mina  voudrait  épouser  Rupert, 
un  superbe  offif-ier  de  hussards,  neveu  de 
cet  Otto,  dont  Hedwige  n'avait  pas  voulu. 
Mais  les  circonslances  font  que  Rupert 
épouse  la  lille  d'IIedwige  et  dédaigne  la 
belle  Mina,  la  fille  du  boulanger,  qu'on 
avait  surnommée  la  belle  Fornarina. 

Tout  ce  récit  est  écrit  dans  un  style  pur 
et  simple,  bien  conduit,  avec  une  grande 
variété  qui  fait  défiler  devant  nous  les  pay- 
sages américains  d'Omaha  et  les  bals  de  la 
cour.  La  peinture  du  grand  monde  inspire 
plus  heureusement  l'auteur,  dont  la  family 
house,  dans  son  roman,  demeure  vague, 
imprécise  et  incertaine.  Les  scènes  de  sa- 
lons, le  soir  d'Hamlet,  le  jeu  du  roi,  la 
vie  au  château  de  Noircombe,  ont  plus  de 
relief. 

Cela  est  dit  avec  finesse,  élégance;  le 
mot  risqué  ne  se  risque  jamais  au  delà 
des  bornes  que  doit  connaître  un  homme 
du  monde,  et  il  y  a  de-ci  de-là  de  jolies 
pensées  à  épingler  : 

—  Pour  les  belles-mères,  un  gendre  est 
toujours  un  rival  heureux. 

A  propos  des  comédies  de  salons  : 

—  Je  me  demande  pourquoi  les  femmes 
du  monde  se  donnent  tant  de  mal  pour 
nous  faire  regretter  les  comédiennes. 

Au  total,  livre  très  distingué,  de  tenue 
élégante,  que  termine  une  petite  nouvelle, 
récit  de  mœurs  modernes,  malgré  l'anti- 
quité du  titre,  la  Lampe  de  Psyché,  histoire 
touchante  d'un  amour  entre  inconnus  avec 
un  type  agréable  de  père  qui  aime  bien 
sa  fille. 


Leméncige  du  pasteur  Naudié,  par  Edouard 
Rod,  paru  chez  Fasquelle,  est  un  lirre 
de  valeur,  d'une  forme  châtiée,  avec  une 
étude  approfondie  des  caractères  qui 
viennent  en  plein  relief.  L'invention  est 
quelijue  peu  tirée  au  point  de  vue  de  la 
vraisemblance ,  mais  le  vrai  peut  quel- 
quefois n'être  pas  vraisemblable.  Le  pas- 
teur Naudié,  de  La  Rochelle,  rencontre 
dans  le  train  le  riche  M.  Defos,  sincère 
protestant,  qui  l'invite  à  dîner.  Etant 
donné  que  M.  Defos  ne  fait  jamais  rien 
sans  un  but,  et  que  Naudié  n'a  jamais  eu 
pareil  honneur,  c'est  donc  qu'il  y  a  quelque 
chose.    En   effet,   il   y   a   que   la  nièce  de 


536 


LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 


M.  Defos,  la  belle  Jane,  qui  est  une  éva- 
porée, une  écervelée,  une  indépendante, 
s'est  mis  dans  la  tète,  après  avoir  eu 
presque  un  amant  à  Londres,  une  nouvelle 
lubie,  qui  est  d'épouser  le  pasteur  Naudié, 
veuf  avec  quatre  enfants,  pour  jouer  à  la 
sœur  et  à  la  mère  de  charité.  Naudié 
tombe  là-dedans  comme  un  château  de 
cartes,  et  épouse. 

Ce  n'est  pas  long  à  aller  mal.  Jane  en  a 
vite  assez  de  son  veuf  et  de  sa  marmaille; 
elle  les  laisse  là  comme  une  enfant  pose 
sa  poupée  ;  et  elle  va  faire  des  promenades 
à  cheval  avec  son  cousin,  qu'elle  invite 
indécemment  et  vainement  à  la  valse. 
Joseph  a  encore  une  fois  raison  de  M""'  Pu- 
tipjiar.  Jane  a  beau  entraîner  le  cousin 
Henri  dans  les  galets,  celui-ci  est  un  pieux 
jirotestant  qui  ne  commettra  pas  d'indéli- 
catesse, et  qui,  pour  échapiier  à  la  ten- 
tation, se  fait  envoyer  en  voyage  commer- 
cial en  Norvège.  Vous  imaginez,  pendant 
ce  temps,  tout  ce  que  souffre  et  endure 
le  pauvre  Naudié  :  la  peinture  de  ses  an- 
goisses est  une  des  meilleures  parties  du 
livre.  Par  amour  et  par  jalousie,  il  en  vient 
à  négliger  ses  enfants,  son  père  mourant, 
tant  il  a  peur  de  s'absenter  et  de  laisser 
Jane  et  Henri  ensemble  pendant  qu'il  sera 
iiu  chevet  du  moribond. 

Tout  le  pays  se  gausse.  Naudié  est  ridi- 
cule. Cela  craque  à  la  fin,  et  Jane  rentre 
dans  sa  famille.  Naudié  se  fait  mission- 
naire. 

Il  risque  un  peu,  dame!  qu'on  lui  dise 
qu'il  ne  l'a  pas  volé.  11  a  bien  cherché  ce 
qui  lui  est  arrivé,  car  un  tel  mariage  ne 
pouvait  lui  apporter  que  quelque  chose 
d'analogue.  Aussi  ce  pauvre  homme  pa- 
raît-il un  i)eu  niais  et  naïf,  ce  qui  nuit  à 
notre  pitié.  Il  est  roulé  par  tout  le  monde. 
Les  Defos  ont  une  nièce  hurluberlu  qui 
les  compromet.  Il  faut  trouver  un  homme 
de  bonne  volonté  pour  épouser.  Ce  sera 
Naudié.  Jane  le  berne.  Le  cousin  Henri  le 
remplace  presque.  La  mère  du  cousin 
Henri  qui,  pour  une  matrone  protestante, 
a  de  bien  vilains  principes,  favorise  les 
amours  de  son  fils  chéri  avec  la  jeune  ma- 
riée. Naudié  s'est  fourré  dans  un  guêpier. 

Ce  n'est  là  qu'une  face  de  l'œuvre,  l'affa- 
bulation dramatique.  Il  y  a  tout  un  côté 
très  important,  par  lequel  le  sujet  se  loca- 
lise, se  précise,  se  comj)lique.  La  scène  est 
intimement  liée  à  son  milieu,  qui  est  la 
société  protestante,  la  famille  d'un  célèbre 
pasteur.  Ce  n'est  sans  doute  pas  cette 
part  qui  alléchera  le  grand  public;  les 
mœurs  particulières  des  protestants  n'of- 
frent pas  un  caractère  assez  spécial,  assez 
tranché,  pour  déterminer  une  bien  vive 
curiosité.  Il  paraît  que,  dans  le  Midi,  à 
Nîmes,  par  exemple,  les  deux  éléments 
catholique   et   protestant  sont  en  antago- 


nisme jierpétuel  et  se  livrent  des  escar- 
mouches jusque  dans  la  boutique  des 
fournisseurs.  Cela  est  assez  local.  Les  pro- 
testants ne  forment  plus  une  société  dans 
la  nôtre  ;  depuis  Calvin  et  depuis  la  Main- 
tenon,  tout  cela  a  bien  fondu. 

Le  choix  de  ce  milieu  a  néanmoins 
fourni  à  l'auteur  de  beaux  portraits,  de 
belles  têtes  de  huguenots  et  de  beaux  ser- 
mons dont  les  textes  évangéliques  émail - 
lent  curieusement  l'histoire  pathétique, 
vivante  et  excellemment  conduite  de 
l'amour  malheureux  du  pasteur  Naudié 
pour  sa  légère  épouse. 


M.  Adolphe  Aderer  a  réuni,  en  un  volume, 
le  Vœu,  sept  délicates  Nouvelles  qui  se  re- 
commandent par  la  belle  tenue  de  la  forme 
et  l'originalité  de  l'invention.  Je  n'en  pren- 
drai pour  garant  que  le  premier  de  ces 
contes,  celui  qui  a  baptisé  le  volume,  le 
Vœu. 

L'idée  en  est  ingénieuse  ;  elle  est  expli- 
quée dans  cet  avant-propos  : 

L'admirable  tragédie  de  Phèdre,  de  Racine, 
a  été  l'objet  de  commentaires  nonilDreux.  Après 
l'héroïne  de  la  tragédie,  le  personnage  d'Hip- 
polyte  fut  le  plus  étudié.  Un  jour,  un  maître 
en  littérature  —  trop  tôt  enlevé  à  l'afTection 
des  siens  et  de  ses  disciples  —  disait  devant 
moi  que  le  farouclie  et  beau  chasseur,  prêtre 
dévot  du  culte  mystérieux  delà  cliaste  Diane, 
mis  en  scène  par  le  poêle  grec,  ne  pourrait 
être  comparé  dans  notre  civilisation  chrétienne 
qu'à  quelque  moine  très  jeune  et  très  saint, 
voué  à  la  Vierge  Marie. 

Sans  doute,  Racine,  qui  était  vm  érudit  pé- 
nétrant et  délicat,  entrevit  cette  «  transposi- 
tion 11  ;  mais  s'il  l'entrevit,  comme  il  fut  tou- 
jours f(irt  pieux,  il  se  signa  devant  elle.  Et  il 
en  fut  mieux  ainsi.  La  tentation,  fa^■orisée  par 
Vénus,  d'un  prêtre  de  Diane  ne  nous  choque 
point  sur  la  scène.  L'Eglise  et  Louis  XIV  n'au- 
raient ])oint  permis  à  Racine  de  transporter  sur 
le  théâtre  l'aventure  ])lus  moderne  —  dont 
peut-être  il  entendit  parler  —  que  nous  es- 
sayons de  raconter  ici. 

Cette  idée  de  moderniser,  de  catholici- 
ser  le  sujet  pa'ien  est  tout  à  fait  neuve  et 
elle  a  inspiré  l'auteur.  Dans  le  ton  des 
mémorialistes  d'autrefois,  avec  la  plume 
d'Hamilton ,  il  nous  dit  l'histoire  amou- 
reuse de  la  cour  du  Grand  Roi,  comment  la 
marquise  de  las  Fuentès  y  ravit  tous  les 
cœurs ,  comment  son  mari  jaloux  la  fit 
se  retirer  dans  les  montagnes  du  Guipuz- 
coa,  en  compagnie  d'un  cousin  prêtre,  dont 
elle  s'éprend.  Elle  est  jalouse  des  adora- 
tions du  jeune  lévite  pour  la  Vierge;  elle 
le  tente,  l'attire;  le  mari  les  surprend  et 
l'orage  les  engloutit. 

Le  récit  est  pathétique.  C'est  Phèdre 
jalouse  de  Diane,  devenue  la  sainte  Vierge  : 

Combien    elle    souffre,    quand    l'apôtre    du 


LH     MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 


437 


Cœur  Sacré  de  Marie  passe  sans  la  rej^^ardcr 
et  se  détourne  de  la  femme  terrestre  pour  ne 
penser  qu'à  l'I^pouse  divine,  \'ierf;e  immacu- 
lée!... L'indill'éreni'e  de  Fray  An^ellexaspère. 
Elle  ne  voit  ])lus  en  lui  le  prêtre  :  elle  ne  \'oiL 
que  l'homme  jeune  aux  yeux  ardents,  aux 
traits  superbes,  dont  il  n'est  point  de  femme 
qui  ne  serait  é])erdument  épi-ise.  Toutes  les 
ressources  dont  une  femme  dispose  ))onr  plaire, 
elle  les  em])loie  :  ])()ur  rehausser  encore  son 
éclatante  beauté,  elle  use  des  artifices  que  le 
costume  et  la  i^arin-e  comportent. 

Souvent  elle  apporte  son  miroir  —  ô  im- 
piété! —  près  d'une  imaj^e  sainte  de  la  \'ieri;e 
suspendue  à  la  droite  de  son  lit,  elle  compare 
les  deux  ])hysii momies.  Elle  se  demande  com- 
ment une  ligure  aussi  calme,  aussi  modeste, 
aussi  chaste  que  celle  de  la  ^'ierg■e  peut  oc- 
cuper et  passionner  l'imagination  d'un  homme 
jeune,  cjuand  il  a  auprès  de  lui  une  femme 
désirable  entre   toutes  qui  lui  ouvre  les   bras. 

Le  ton  est  charmant  par  un  air  wii*^  siècle 
tout  à  fait  de  mise  dans  une  transposition 
d'une  tragédie  racinienne.  M'"''  de  Motte- 
ville  prend  souvent  la  parole  au  cours  du 
récit,  qu'émaillent  des  mots  de  Bossuet  et 
des  souvenirs  de  la  grande  vie  de  Ver- 
sailles. C'est  comme  un  coquet  pavillon 
que  l'auteur  a  adossé  à  l'imposante  archi- 
tecture du  palais  de  Louis  XIV. 

La  place  manque  pour  vous  parler  des 
autres  récits,  le  Garde,  l'Abbé  Lauran, 
Sergine,  l'Oubliée  :  ce  sont  de  bonnes  et 
agréables  pages  d'un  écrivain  qui  sait  à 
la  fois  inventer,  ressentir  et  exprimer. 


Miquette  est  une  blonde  enfant,  le  petit 
dernier  de  Gyp  ;  c'est  une  enfant  terrible 
par  ses  questions  embarrassantes,  sa  lo- 
gique implacable  et  ses  réllexions  impré- 
vues que  lui  inspirent  les  diverses  circon- 
stances qu'elle  traverse ,  soit  qu'elle  se 
promène  aux  Champs-Elysées,  ou  qu'elle 
joue  avec  Totote  au  Bazar  incendié,  ou 
qu'elle  assiste  aux  cinq  heures  de  maman, 
ou  à  un  grand  dîner ,  ou  à  la  foire  de 
Neuilly.  Elle  a  des  mots  drôles  qui  lui 
partent  avec  un  naturel  amusant  et  une 
verve  sans  apprêt.  Elle  les  éternue. 

Les  enfants  jouent  à  côté  du  salon  où 
maman  reçoit  des  visites,  entre  autres  un 
monsieur  dont  on  dit  qu'il  s'est  mal  sauvé 
à  l'incendie  du  Bazar  de  charité.  On  en- 
tend les  fdlettes  : 

Voix  de  Miquette,  /'«r/eitsc.  —  Non,  je  n'joue 
plus!...  non!...  ça  m'assomme  de  brûler  tout 
i'temps!...  c'est  à  mon  tour  de  faire  l'homme, 
et  j'vcux  l'faire!...  pour  pouvoir  nie  sauvai-... 
{Un  froid  dans  le  salon  de  maman.) 

La  futée  Miquette  en  conversation  avec 
un  jeune  dindonneau  de  petit  garçonnet  : 

Miquette.  —  Vous  aimez  ça,  militaire?... 
Le  petit    garçox,   avec  effroi.  —  Non...    oh! 
non!...  D'abord,  j'vuudrais  pas  être  tué... 


Mi(iuellc  ex|ili(|ue  à  sa  façon  les  pires 
phénomènes  de  la  tératologie,  et  les  fillettes 
à  deux  lêtes  et  quatre  jambes  n'ont  point 
de  secret  pour  sa  perspicacité  : 

Miquette.  —  Connnent  c'est-y  qu'veus  per- 
sez  (lu'c'est  arrivé,  c't'airaire-là '.'... 

(iiiAND-i'ÈnE.  —  Quelle  aflaire?... 

Miquette.  —  Hen,  les  p'tites  filles?... 

GuAXD-rKRE.  —  Je  n'en  sais  rien  abs(,)!u- 
ment... 

Miquette.  —  Moi,  jTsais  bien! 

(iRAND-PÈHE,    saisi.    Toi  ? 

Miquette.  —  Oui...  J'suis  sûre  qu'on  a  rcn- 
\"ersé  im  pot  de  colle  dans  leur  chou... 

Elle  a  aussi  des  mots  drôles  dans  ses 
interprétations  très  logiques  du  vocabu- 
laire de  sa  langue  maternelle  : 

Miquette.  air  sai.ii.  —  Oh!  l'est  député  in'sieu 
d'Kerfleury  ?... 

GitAND-pÈHE.  —  Mais  oui... 

Miquette.  —  La  même  chose  qu'lonclc 
Jean?... 

Ga.ANn-pîcnE.  —  La  même  chose.,  c'est-à- 
dire,  non...  lui.  il  est  rallié... 

Miquette.  —  Non...  C'est  pas  ça...  j'tle- 
mande  s'il  est  un  député  pareil  à  l'oncle  Jean... 
un  député  du  même  grade?... 

GiîAND-pÈKE.  —  II  n'y  a  pas  de  grades... 
tous  les  députés  sont  pareils... 

Miquette.  —  Oh!...  m'sieu  d'Kerfleury  est 
pareil  à  l'oncle  Jean!...  Un  homme  c[ui  a  été 
domestique... 

Grand-père,  ahuri.  —  Domestique!...  mais 
tu  ne  sais  ce  que  tu. dis... 

Miquette,  i^exée.  —  V'Ià  la  s'conde  fois  qu'vous 
m'dites  que  j'sais  pas  c'que  j'dis  quand  j'ie 
sais  très  bien!...  M'sieu  d'Kertleury  a  été  do- 
mestique... chez  les  Valtanant,  qu'il  a  été... 

Gr.and-père.  —  Mais  c'est  absurde!...  Où 
as-tu  pris  ça?... 

Miquette.  —  J  l'ai  pas  pris  nulle  part...  c'est 
m'sieu  d'Rupin  qui  l'a  dit... 

Grand-père,  de  ^)/t(s  en  2)lus  ahuri.  —  Rupin 
t'a  dit  que... 

Miquette.  —  Y  m  Ta  pas  dit  à  moi...  mais 
y  la  dit  un  jour  à  la  maison  que  j'étais  là... 

Grand-père.  —  Que  Kerfleury  avait  été  do- 
mestique? 

Miquette.  —  Oui... 

Gr\nd-père.  —  Mais  comment  a-t-il  pu  dire 
ça!... 

Miquette.  —  Comment?...  Ben  û  a  dit  en 
racontant  qué'qu'chose...  "  C'était  dans  le  temps 
où  Mfue  de  ^'altanant  était  la  maîtresse  de 
d'Kerfleury...  ■>  (Un   temps.)  Vous  voyez  bien? 

La  lexicologie  se  venge  d'elle  par  des 
tours  plaisants  : 

Miquette.  —  Et  alors  y  bafouille!...  C'esl 
pas  pour  attraper  m'sieu  le  curé  c'que  j'dis, 
toujours!...  qu'il  est  bon...  bon  comme  un 
amour...  et  qu'je  l'aime  tout  plein...  et  qu'c'est 
pas  d'sa  faute  s'il  est  prolitique,  l'pauv'  bon- 
homme !... 

L'abbé.  —  S'il  est  quoi?... 

Miquette.  —  Prolifique...  qu'a  dit  grand- 
père... 

L'adbé,  étonné.  —  Monsieur  votre  grand-père 
vous  a  dit  que  M.  le  curé... 


-la  H 


LE     MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 


MiQUETTE,  interrompant.  —  C'est  pas  trm'sicii 
l'curé  qu'y  mTa  dit...  c'est  d'vous. 

L'aiîpé,  ahuri.  —  De  moi?... 

MiQciETTE.  —  Oui...  pac'que  j'disais  que 
jvous  comprenais  pas  toujours  quand  v's  ex- 
pliquiez quéqu'chose.  {Mouvement  de  l'abbé.) 
Oh!...J'vous  comprends  tout  d'même,  mieux 
que  in'sieu  l'curé!... 

L'AiinF,  pointu.  —  Je  vous  remercie... 

MiouETTE.  —  Alors,  V  m'a  répondu...  :■  M'sicu 
l'abbé  est  p't-êt'  un  ptu  prolilique...  » 

L'abbé,  un  peu  pincé. —  C'est  prolixe,  je  sup- 
p<isc,  qu'a  dit  monsieur  votre... 

MiQi'ETTE.  —  Oui...  vous  avez  raison,  c'est 
prolixe  qu'il  a  dit...  prolifique,  c'est  aut'chose... 
c'est  les  Ccipucines  qu'avaient  jjoussé  tout 
partout. 

Elle  a  aussi  ses  minutes  de  poésie  délicate 
et  langoureuse,  avec  des  mots  charmants, 
comme  ceci  : 

MiQUETTR.  —  Aimeriez-vous  mieux  des 
contes  de  Fées?...  Oh  !  pour  ça,  j'ies  sais  tous  ! 
c'est  ça  qu'est  chic,  des  Fées!...  (Robert  kau.ise 
les  épaules.)  Vous  n'ics  aimez  pas,  les  fées?... 
les  bonnes,  bien  entendu...  pac'que  les  autres... 
(Consternée.)  Comment,  vous  n'ies  aimez  pas?... 
Hen,  moi,  après  l'bon  Dieu,  et  la  Sainte  Vierge, 
et  les  saints,  et  les  anges,  j'tr-ouve  qu'c'est  les 
l'Y'es  c'qu'y  a  de  plus  imposant... 

RoBEKT.  —  Ce  sont  des  mensonges  les  Fées... 

MiQUETTE,  attristée.  —  Pourquoi  des  men- 
songes?...  (Bèjléchissant.)  C'est  p't-être  des  in- 
ventions, mais  c'est  pas  des  mensonges...  c'est 
laid  les  mensonges,  et  les  fées,  c'est  si  joli! 

Ce  brin  de  rêverie  poétique  achève  le 
portrait  et  le  rend  tout  à  fait  exquis.  Il 
corrige  la  gaminerie  garçonnière,  il  fémi- 
nise l'enfant  terrible,  il  met  à  la  petite 
sauvage  un  rayon  gracieux  qui  éclaire  les 
broussailles  blondes  et  vaporeuses  de  sa 
chevelure  de  petite  Fadette. 


Voici  un  autre  livre  de  ce  même  style 
u  gypique  ». 

Les  Petites  rosseries  de  Marie- A  une  de 
Bovet  (chez  Lemekre),  sont  drôles.  C'est 
l'histoire  de  tous  les  tours  pendables  que 
les  femmes  peuvent  jouer  aux  hommes  ou 
à  leurs  semblables  pour  peu  qu'elles  ne 
soient  pas  gênées  par  des  scrupules  de 
pudeur  ou  de  délicatesse.  Une  mère, 
M"""  Hesdigneul,  probe,  austère,  «  épouse 
sans  reproche,  mère  mt)dèle,  parangon  de 
toutes  les  vertus  sociales  et  de  toutes  les 
convenances  mondaines  »  se  désole  de 
voir  son  fils  faire  la  fête.  Ce  n'est  pas, 
comme  vous  croyez,  pour  le  fait  même  de 
la  fête,  qui  est  en  soi  chose  immorale. 
Point  :  mais  c'est  que  cette  fête  coulait 
cher,  et  M""'  Hesdigneul  était  un  tantinet 


avare,  ce  qui  concorde  avec  l'austérité. 
Comme  Ferdinand  était  prodigue,  "  la 
mère  devait  casquer,  pari  âgée  entre  une 
incurable  faiblesse  pour  cet  être  rare  sorti 
de  son  Ilanc  et  le  regret  cuisant  de  prodi- 
galités si  peu  dans  son  caraclère.  »  Le 
moyen  qu'elle  liouva,  on  le  donnerait  en 
mille  à  toutes  les  honnêtes  femmes,  ses 
sœurs.  Elle  lui  procura  une  femme  du 
monde,  espéiant  qu'elle  ne  coûterait  rien. 
Mais  celle-ci  ayant  vu  l'enclouure  simula 
des  besoins  d'argent  à  Ferdinand  émer- 
veillé : 

11  en  avait  tant  l'habitude  que,  la  première 
fois  où  il  la  vit  soucieuse,  il  lui  dit  : 

((  Des  embêtements  de  monnaie,  hein?  » 

Sans  se  faire  prier  plus  qu'il  ne  fallait,  elle 
avoua  ime  bagatelle  de  cinq  cents  louis  de 
dettes.  Pas  de  quoi  crier  au  feu. 

'(  Bah  !  déclara-t-il,  quand  elle  voulut  le 
remercier,  j'ai  été  assez  tapé  par  des  grues 
poiu"  être  trop  heureux   d'obliger  une  amie.  » 

Lorsqu'on  n'a  pas  été  élevée  à  cela,  on  est 
tout  de  même  un  peu  gênée  aux  entournures 
d'abord.  Mais  Eliane  songea  à  la  petite  femme 
pas  chère  qu'une  mère  prudente  avait  si  astu- 
cieusement ménagée  à  son  iils. 

«  Vieille  rosse,  va  !  »  s'écria-t-elle. 

Voilà  quelle  est  la  note. 

La  jeune  et  belle  M™"  Eliane  soutira 
ainsi,  en  fort  peu  de  temps,  trois  cent 
mille  livres  à  la  trop  économe  et  vertueuse 
^jrac  Hesdigneul,  qui  fut  ainsi  punie  de  sa 
ladrerie  :  car  il  faut  toujours  que  le  vice 
soit  puni,  pour  la  morale. 

Voilà  le  ton  de  ces  historiettes  pleines 
d'un  entrain  endiablé,  et  qui  rappellent 
les  fabliaux  de  nos  pères.  Mais,  comme 
dit  Jacques  Normand,  ce  n'est  pas  pour 
les  jeunes  filles.  Le  style  gagnerait  à  être 
plus  calme,  moins  épileptique.  L'auteur 
veut  créer  le  mouvement  et  l'entrain  en 
secouant  sa  plume  tant  qu'elle  peut.  Par 
moments,  celte  agitation  est  factice;  la 
vraie  gaieté  sort  du  sujet  même,  et  non 
des  contorsions  extérieures,  des  trivialités 
trop  voulues  :  »  Un  mari  à  la  clé  »  ou  bien 
«  feu  son  panier  percé  de  mari,  »  ou  «  elle 
aimait  la  bonne  galette,  »  ou  «  un  beau 
blond  légèrement  argenté  de  poil  et  con- 
sidérablement de  bourse  »  ;  tout  ce  sans- 
gêne  est  maniéré;  on  sent  trop  la  re- 
cherche étudiée  du  va-comme-je-te-pousse, 
pour  donner  l'impression  de  ces  héro'ines 
hurluberlu,  fantasques,  désossées  de  prin- 
cipes et  fleurant  le  scandale.  Au  demeu- 
rant, beaucoup  d'entrain,  de  verve,  d'in- 
vention dans  cet  amusant  pandémonium 
de  la  rosserie  moderne. 

Léo    Claretie. 


CAUSERIE    SCIENTIFIQUE 


Nous  ne  sommes  peut-être  pas  encore  à 
la  veille  de  nous  promener  dans  les  airs 
comme  de  simples  moineaux,  mais  il  en 
est  question,  (^est  une  nouvelle  qu'on  nous 
donne  de  temps  en  temps  pour  nous  faire 
prendre  palience  sans  doute,  et  nous  au- 
rions pu  celte  fois  encore  la  passer  sous 
silence  si  la  personnalité  de  l'inventeur  et 
de  ses  parrains  ne  lui  donnait  une  impor- 
tance spéciale.  Ce  sont,  en  etl'et,  MM.  Ma- 
rey,  Maurice  Lévy  et  Sarrau,  qui  viennent 
de  présenter  à  leurs  collègues  de  l'Acadé- 
mie des  sciences  une  note  très  suggestive 
sur  une  machine  volanle,  construite  par 
M.  Ader,  dont  les  inventions  en  téléphonie 
et  en  télégraphie  sont  bien  connues.  Il  y  a 
environ  six  ou  sept  ans,  nous  avons  eu 
l'occasion  de  voir  chez  M.  Ader  lui-même 
des  dessins  de  sa  machine  ;  les  rensei- 
gnements qu'il  nous  avait  donnés  alors 
nous  avaient  laissé  quelque  peu  rêveur,  et 
nous  n'étions  pas  très  étonné  de  ne  plus 
en  avoir  entendu  parler.  Il  ne  s'agit  pas 
de  ballon  dirigeable,  mais  bien  d'un  avia- 
teur muni  de  grandes  ailes  et  d'une  hélice. 
Le  moteur  est  le  plus  puissant  qu'on  ait 
jamais  construit  ;  car  on  arrive  au  chiffre 
vraiment  extraordinaire  de  3  kilogrammes 
du  poids  total  par  force  de  cheval,  ce  poids 
comprenant  le  générateur,  le  moteur  et  le 
condenseur. 

La  machine  est  montée  sur  un  bâti 
de  tubes  d'acier  de  façon  à  obtenir  légè- 
reté et  solidité;  les  ailes,  qui  ont  près 
de  10  métrés  d'envergure,  se  replient  et 
s'ouvrent  par  une  manœuvre  simple  et 
rapide;  elles  sont  en  soie  vernie,  suppor- 
tée par  une  carcasse  en  bambou  ;  entre 
ces  ailes  et  en  avant  se  trouve  une  grande 
hélice,  de  construction  analogue,  mise  en 
mouvement  par  le  moteur.  Celui-ci  est 
une  machine  à  vapeur, à  condensation,  uti- 
lisant toujours  la  même  eau  et  munie  d'un 
chauffage  au  pétrole  ;  tout  cet  ensemble 
pèse  environ  500  kilogrammes.  Le  conduc- 
teur se  place  sur  un  petit  siège  et  conserve 
à  portée  de  la  main  toutes  les  pièces  de 
commande  lui  permettant  de  plier  ou  dé- 
plier les  ailes  instantanément,  forcer  ou 
diminuer  la  pression  de  la  vapeur,  actionner 
l'hélice,  etc.,  mais  quel  sera  ce  conduc- 
teur? Jusqu'à  présent,  on  n'a  pas  vu  encore 
l'aviateur  Ader  s'élever  dans  les  airs;  quel- 
ques expériences,  faites  de  concert  avec  le 
ministère  de  la  guerre,  ont  prouvé  qu'il  y 
avait  beaucoup  de  bon,  mais  elles  ne  sont 
pas  tout  à  fait  concluantes;  le  ministre  a 
laissé  à  l'inventeur  toute  sa  liberté  d'ac- 
tion, se  réservant  seulement  l'application 
du  moteur  à  l'aérostation.  11  nous  semble, 
en  effet,  que  le  ballon  offrira  toujours  plus 


de  sécurité  que  les  ailes  ;  car  entîn  une  ma- 
chine, si  bien  faile  qu'elle  soit,  est  sujette 
à  dérnugement.  Qu'un  airêt  involontaire  se 
produise,  ne  serait-ce  que  pendant  quel- 
ques secondes:  en  voilà  assez  pour  com- 
promettre tout  l'appareil  (jue  l'inéluctable 
loi  de  la  pesanteur  écrasera  sur  le  sol,  avec 
son  conducteur.  Si  jamais  il  y  a  des  lignes 
concurrentes  pour  faire  le  service  du  ciel, 
nous  choisirons  celle  qui  utilisera  l'aéros- 
tat, ce  sera  plus  prudent. 


En  attendant,  nous  continuons  à  ramper 
sur  la  terre  et  nous  cherchons  à  perfec- 
tionner pour  le  moment  les  moyens  rapides 
de  transport  dans  les  grandes  villes.  Au 
mois  de  juin  dernier  eut  lieu,  à  Paris,  uTi 


Fig.  1.  —  Un  fiacre  électrique. 

La  caisse  carrée  figurée  sous  la  voiture 
reu  ferme  les  accumulateurs. 


concours  de  fiacres  qui  mit  en  lumière  la 
voiture  électrique,  jusque-là  presque  incon- 
nue dans  la  capitale.  L'automobile  à  pé^ 
trole,  qui  sillonne  depuis  plusieurs  années 
nos  rues  et  nos  boulevards,  n'avait  en 
cette  circonstance  d'autre  représentant 
qu'un  coupé  de  la  maison  Peugeot.  Les 
constructeurs  s'étaient  d'avance  rendu 
compte  des  désavantages  du  moteur  à  pé- 
trole lorsqu'il  s'agit  d'une  exploitation  de 
ce  geni-e  :  il  fait  trop  de  bruit  et  demande 
quelque  temps  pour  sa  mise  en  marche, 
de  sorte  qu'on  est  obligé  de  le  laisser  tour- 
ner à  vide  pendant  les  arrêts  qui  ne  doi- 
vent pas  se  prolonger,  d'où  dépense  inu- 
tile et  trépidations  désagréables.  Le  moteur 
électrique  est  beaucoup  plus  silencieux  et 
se  met  en  marche  immédiatement  ;  il  dé- 
pense l'électricité  proportionnellement  au 
travail  qu'on  lui  demande,  contrairement 
au  moteur  à  pétrole  avec  lequel  les  dilîé- 
rentes  vitesses  sont  obtenues  par  un  chan- 
gement d'engrenages,  sans  rien  changer  à 
sa  consommation. 

L'expérience  a,  du  reste,  prouvé  que  ces 


liO 


CAUSERIE     SCIENTIFIQUE 


pressentiments  étaient  justes  et  on  doit  à 
ce  point  de  vue  savoir  gré  à  la  maison  Peu- 
geot d'avoir  affronté  le  concours.  Son  fiacre 
a  parfaitement  fonctionné  el  les  itinéraires 
variés,  mais  toujours  de  00  kilomètres,  ont 
toujours  été  parcourus  par  lui  avec  la  plus 


Fig.  2.  —  Un  fiacre  à  pétrole. 

Le  moteur  et  tous  les  accessoires  sont  au-dessus  de  l'axe 
des  roues  d'arrière. 


grande  facilité;  seulement  il  dépensait  jus- 
qu'à 16  litres  d'essence,  ce  qui  à  raison  de 
0  fr.  70,  représente  plus  de  li  francs  ; 
c'est  un  prix  absolument  prohibitif  pour 
un  fîacre  ;  un  cheval  qui  mangerait  pour 
11  francs  par  jour  d'avoine  serait  consi- 
déré comme  un  phénomène  un  peu  trop 
coûteux  !  Le  fiacre  électrique  consomme 
beaucoup  moins,  mais  l'expérience  n'a  pas 
été  d'assez  longue  durée  pour  qu'on  puisse 
être  fixé  d'une  façon  absolue  sur  la  dé- 
pense réelle.  En  effet,  on  est  obligé  d'avoir 
recours  aux  accumulateurs  comme  source 
d'énergie,  et  c'est  un  appareil  assez  délicat 
qui  doit  se  détériorer  rapidement,  surtout 
lorsqu'il  est  soumis  aux  trépidations  que 
lui  font  subir  les  pavés.  On  estime  que  la 
charge  nécessaire  pour  une  journée  ne  dé- 
passera pas  .3  francs,  mais  on  ne  tient 
compte  dans  ce  calcul  que  du  courant  em- 
magasiné el  on  n'y  fait  pas  entrer  la  vie 
de  l'accumulateur  ;  il  n'y  a  que  l'expé- 
rience qui  pourra  nous  renseigner  exacte- 
ment a  cet  égard.  Cependant,  la  Société 
Fulmen,  qui  avait  fourni  les  accumula- 
teurs et  qui  a  déjà  fait  des  essais  à  ce 
sujet,  estime  qu'elle  pourrait  prendre  l'en- 
tretien de  ceux-ci  à  forfait  moyennant 
3  fr.  50  par  jour  et  par  voiture,  ce  qui 
nous  mettrait  bien  au-dessous  du  prix  de 
revient  du  pétrole.  Il  est  donc  à  présumer 
que  c'est  l'électricité  qui  l'emportera.  La 
voiture  est  toujours  un  peu  encombrée 
par  le  volume  et  le  poids  de  la  batterie 
qui   nécessite    des   dispositions  spéciales; 


on  voit  généralement,  en  dessous,  une 
caisse  carrée  (fig.  1)  assez  disgracieuse  qui 
la  renferme  ;  il  faut,  en  effet,  s'arranger 
autant  que  possible  de  façon  à  pouvoir  l'en- 
lever et  la  remplacer  très  facilement  —  l'une 
étant  en  charge  à  l'usine  pendant  que  l'au- 
tre roule,  car  il  faut  huit  à  dix  heures  pour 
la  charger.  La  voiture  à  pétrole  (fig.  2)  est 
à  ce  point  de  vue  très  avantageuse  et, 
pour  le  moment ,  il  ne  faut  pas  penser  à 
autre  chose  pour  faire  de  grands  trajets 
en  dehors  des  villes. 

Il  arrivera  peut-être  un  moment  où  la 
vapeur ,  qui  a  servi  pour  les  premiers 
types  d'automobiles,  reprendra  sa  place  ; 
car  M.  SerpoUet,  qui  est  l'inventeur  d'un 
générateur  spécial,  y  ti'availle  activement. 
Le  moteur  à  vapeur  a  sur  celui  à  pétrole 
cet  avantage  qu'il  est  beaucoup  plus  souple 
et  ])ermet  à  un  moment  donné  un  vigou- 
reux coup  de  collier  si  cela  est  nécessaire. 
Le  principe  de  la  machine  Serpollet  est  la 
suppression  de  la  ciiaudière  ;  il  emploie 
un  serpentin  ES  formé  d'un  tube  d'acier  à 
très  faible  section,  placé  au  milieu  du 
foyer  A  (fig.  3)  et  dans  lequel,  au  moyen 
d'une  pompe,  actionnée  par  le  moteur  lui- 
même,  on  envoie  de  l'eau  qui  se  transforme 
immédiatement  en  vapeur  pour  aller  ac- 
tionner le  piston.  Dans  son  dernier  modèle. 


Fig.  3.  —  Principe  de  la  chaudière  Serpollet. 

Sur  un  foyer  A  un  tube  en  spirale  à  section  très  étroite 
reçoit  l'eau  en  E  par  une  petite  pompe  de  compres- 
sion ;  cette  eau  est  immédiatement  vaporisée  et  sort 
en  S  à  l'état  de  vapeur  pour  agir  sur  le  piston. 


l'inventeur  a  remplacé  le  foyer  à  coke  par 
des  chalumeaux  fonctionnant  au  pétrole,  ce 
qui  réduit  le  volume  et  permet  d'entretenir 
Ijeaucoup  plus  facilement  la  température 
nécessaire  à  la  vaporisation. 

L'automobile  n'a  pas  dit  son  dernier 
mot,  tant  s'en  faut;  nous  ne  sommes  en- 
core qu'à  ses  débuts. 


On  a   expérimenté    récemment  les  nou- 
veaux canons  dont  notre  armée  est  aujour- 


C  A  U  S  I']  R  1 1<:     s  C  I IC  N  T  I  F I  Q  U  E 


4  il 


d'imi  pourvue  ;  les  résultais  ont  été  des 
plus  satisfaisants  :  le  tir  peut  être  exces- 
sivement rapide,  la  pièce  se  remettant  en 
hatlerie  d'elle-même  sans  se  dépointer.  11 
est  probaljle  que  les  puissances  étrangères 
ne  tarderont  pas  à  avoir  les  détails  de 
notre  nouvelle  artillerie,  si  elles  ne  les  ont 
déjà  ;  mais  nous  n'en  conserverons  pas 
moins  sur  elles  une  avance  de  plusieurs 
années.  Parmi  les  inventions  faites  der- 
nièrement en  fait  de  pièces  de  canon,  il 
en  est  une  assez  bizarre  <]ui  permettrait  de 
faciliter  le  transport  des  <;rosses  pièces  en 
les  fractionnant    eu   plusieurs   i)arties.  Un 


Fig.  4.  —  Canon  démontable. 

L'âme  est  d'une  seule  pièce  assez  mince  ;  on  la  renforce 
par  des  ronde. les  d'acier  réunies  par  quatre  boulons 
qui  les  pressent  l'une  contre  l'autre,  de  la  gueule  à  la 
culiisse. 


Américain  a  eu  l'idée  de  construire  un 
canon  démontable  (fig.  4)  dont  l'âme  seule, 
portant  les  rayures,  est  d'un  seul  mor- 
ceau, mais  à  parois  assez  minces  pour  que 
le  poids  soit  réduit  à  son  minimum  ;  pour 
lui  donner  ensuite  la  résistance  suffisante, 
on  enfile  par-dessus  des  rondelles  d'acier 
qui  s'appliquent  les  unes  contre  les  autres 
et  qu'on  réunit  solidement  entre  elles  au 
moyen  de  tiges  boulonnées.  Outre  la  faci- 
lité de  transport,  cette  pièce  présenterait 
l'avantage  d'être  moins  coûteuse  qu'une 
autre,  puisque  lame  seule  serait  à  rem- 
placer au  bout  d'un  certain  temps  de  ser- 
vice et  qu'en  outre  chacune  de  ses  parties, 
étant  de  petit  volume,  se  travaille  plus  faci- 
lement sans  nécessiter  un  outillage  puis- 
sant ;  mais  il  est  à  craindre  qu'un  tel 
assemblage,  si  l:)ien  fait  qu'il  soit,  ne  pré- 
sente pas  un  tout  suffisamment  homogène 
pour  résister  aux  énormes  pressions  de  la 
poudre.  On  a  calculé  qu'un  canon  qui  lance 
un  projectile  de  1000  kilogrammes,  comme 
certains  canons  de  marine,  produit  un  tra- 
vail de  17  millions  de  chevaux-vapeur  et 
cela  en  1/100"  de  seconde  ;  comme  au  bout 
de  cent  coups  il  peut  être  considéré  comme 
hors  d'usage,  la  vie  des  gros  canons  est 
donc  d'environ  une  seconde  ! 


Chaque  fois  qu'il  arrive  un   accident  do 


chemin  de  fer  ou  un  naufrage  ,  on  ne 
manque  pas  d'indicfuer  les  remèdes,  les 
ap|)ai'eils  de  sauvetage  ou  de  sécurité 
(pi'il  conviendrait  d'employer  pour  évitei' 
à  l'avenir  de  semblables  catastrophes.  Cela 
n'a  pas  man(pié  après  le  désastre  de  la 
Bourgor/ne,  et  on  a  rais  en  avant  la  télé- 
graphie sans  fil  comme  devant  servir  à 
coup  sûr  à  éviter  les  abordages  en  mer. 
Nous  avons  expliqué  ici ,  il  y  a  j)eu  de 
temps,  en  (}uoi  consiste  la  télégraphie 
sans  fil;  nous  rappellerons  seulement  au- 
jourd'hui que,  grâce  au  tube  à  limailles  de 
notre  compatriote,  M.  Branly,  tul)e  qui  est 
la  base  du  système,  l'appareil  récepteur 
enregistre  les  ondes  ou  décharges  élec- 
triques qui  se  produisent  à  une  distance 
[)lus  ou  moins  grande,  25  à  30  kilomètres 
jusqu'à  présent.  Mais  il  ne  faut  pas  oul)lier 
<pie  l'orientation  lui  fait  absolument  défaut  ; 
il  enregistre  l'onde  de  (juelque  côté  qu'elle 
vienne  ;  en  supposant  que  tous  les  navires 
soient  pourvus  des  appareils  nécessaires 
pour  produire  les  ondes  et  les  recevoir, 
appareils  délicats  et  difficiles  à  régler, 
on  serait  peut-être  bien  prévenu  qu'il 
y  a  quelqu'un  dans  le  voisinage;  on 
pourrait  même,  puisqu'on  fait  à  volonté 
les  signaux  Morse,  entrer  en  conversation 
avec  lui,  mais  en  plein  brouillard  il  serait 
assez  difficile  aux  deux  navires  de  se  rendre 
un  compte  exact  de  leur  position  respec- 
tive, et  si  l'orage  s'en  mêle  ou  qu'un  troi- 
sième navire  se  trouve  aussi  dans  les 
l)arages,  cela  deviendrait  tout  à  fait  impos- 
sible. En  supposant  seulement  deux  na- 
vires, l'un  d'eux  indiquant  ([u'il  va  de  l'es! 
à  l'ouest,  du  nord  au  sud,  ou  toute  direc- 
tion intermédiaire,  la  seule  ressource  de 
l'autre  serait  de  suivre  la  même  direction, 
mais  encore  il  ne  serait  pas  bien  sûr  qu'il 
n'est  pas  exactement  sur  la  même  ligne  que 
l'autre  qui  pourrait  le  rattraper  s'il  marche 
plus  vile  que  lui.  Il  y  aurait,  certes,  un  peu 
moins  de  chances  d'abordage,  mais  cela 
nécessiterait  des  complications  que  peu  de 
navires  pourraient  supporter.  On  a  proposé 
aussi  d'assigner  des  routes  différentes  bien 
déterminées  aux  i)aquebots;  mais  il  y  a  bien 
d'autres  bateaux  qui,  eux,  ont  un  service 
irrégulicr,  vont  tantôt  à  un  endroit,  tantôt 
à  un  autre  et  coupent  la  route  des  paque- 
bots sur  tous  les  points.  Il  n'y  a,  en  somme, 
que  les  signaux  sonores  ou  lumineux,  et 
même  les  deux  à  la  fois,  qui  puissent  être 
efficaces  ;  en  temps  de  brouillard,  un  bateau 
devrait  lancer  constamment  des  fusées  très 
Ijrillantes  et  détonant  en  l'air.  Malgré 
cela,  il  y  aurait  encore  des  abordages;  on 
ne  pourra  jamais  les  éviter  complètement, 
sans  compter  ceux  qui  peuvent  avoir  lieu 
avec  des  épaves  de  grandes  dimensions, 
comme  il  y  en  a  tant  sur  l'Océan,  et  des 
montagnes  de  glace,  ou  icebergs,  qui  déva- 


Ai2 


causerip:    scientifique 


Icnl  des  mers  arctiques.  On  devient  insou- 
ciant du  dang'er  par  riiabiludo  et  on  ne 
veut  pas  troubler  la  quiétude  des  passa- 
f^ers  en  leur  faisant  faire,  au  premier  jour 
de  chaque  embarquement,  des  simulacres 
de  sauve-qui-peut  où  on  leur  apprendrait 
à  se  servir  rapidement  des  Ijouées,  radeaux 
et  autres  appareils  de  sauvetage  qui  se 
trouvent  à  bord;  c'est  certainement  un 
tort.  On  en  jiarle  un  peu  pendant  quelques 
semaines  après  une  catastrophe,  puis  on 
n'y  pense  plus...  jusqu'à  la  suivante.  Et  il 
en  sera  probablement  toujours  ainsi,  car 
telle  est  la  nature  de  Tliomme  ! 


Le  clou  de  l'Exposition  de  1900  n'est  pas 
encore  trouvé,  et  il  est  probable,  vu  l'heure 
avancée,  qu'il  faudra  s'en  passer — -à  moins 
qu'on  ne  considère  comme  tel  la  grande 
roue  de    100  mètres   destinée  à  promener 


Fig.  5.  —  La  grande  roue  de  Paris 
en  construction. 

La   jante  de    la  roue    est   construite    avant    les    rayons 
qui  seront  formés  de  fils  d'acier  la  reliant  à  l'axe. 


circulairement  en  l'air  les  visiteurs  avides 
d'émotions.  Cela  n'est  pas  une  nouveauté  : 
Chicago  et  Vienne  avaient  eu  la  primeur 
de  cette  attraction,  car  c'en  est  une,  pa- 
raît-il; nous  ne  voyons  pas  très  bien,  pour 
notre  compte,  quel  plaisir  on  peut  avoir  à 
tourner  ainsi  en  l'air  pendant  (juelques  mi- 
nutes; mais  des  goûts,  etc.,  il  ne  faut  pas 
discuter.  Quoi  qu'il  en  soit,  la  construction 
de  cet  appareil  aura  été  fort  intéressante 
pour  ceux  qui  ont  pu  la  suivre  depuis  le 
commencement.  On  pourrait  penser  qu'on 
a  d'abord  placé  l'axe  sur  ses  piliers,  puis 
les   rayons  et  que,  sur  ceux-ci,  on  a  établi 


la  jante  ;  mais  on  a  procédé  tout  autre- 
ment en  commençant  par  la  jante.  On  a 
d'abord  établi  deux  échafaudages  en  bois  : 
l'un  de  76  mètres,  l'autre  de  62  de  hau- 
teur et  on  les  a  consolidés  contre  laction 
du  vent  par  des  câbles  en  acier  reliés  à 
des  poids  de  20  tonnes. 

En  haut  de  chaque  échafaudage  se  trouve 
une  grue  qui  peut  enlever  100  tonnes  par 
jour  et  se  déplace  de  façon  à  amener  chaque 
pièce  au  point  qui  lui  est  assigné  ;  l'arc  de 
cercle  s'est  ainsi  élevé  symétriquement  de 
chaque  côté  jusqu'à  ce  que,  petit  à  petit,  la 
jante,  qui  a  3™,:J0  de  haut  sur  8  mètres  de 
large,  se  trouve  complètement  fermée  telle 
que  la  représente  notre  dessin  (fig.  a)  ;  en 
même  temps,  on  a  construit  les  pilones  de 
60  mètres  de  haut  qui  supportent  Taxe, 
formé  d'une  pièce  d'acier  de  13  mètres  de 
long,  pesant  .32  tonnes.  La  jante  est  réunie 
à  cet  axe  par  des  cfdîles  en  fil  d'acier  qu'elle 
tend  par  son  propre  poids  et  quarante  wa- 
gons, pouvant  contenir  chacun  quarante 
voyageurs,  seront  suspendus  entre  ses 
faces.  La  durée  d'une  rotation  complète 
sera  d'environ  vingt  minutes  pendant  les- 
quelles le  voyageur  pourra  avoir,  s'il  a 
beaucoup  d'imagination,  la  sensation  d'une 
ascension  en  aérostat. 


Bien  qu'il  ait  beaucoup  plu  cette  année, 
il  faut  prévoir  les  temps  de  sécheresse 
qui,  certains  étés,  ont  été  d'autant  plus 
pénibles  pour  les  Parisiens  que  c'est  à  ce 
moment-là  qu'on  leur  donne  le  moins 
d'eau.  L'approvisionnement  est  cependant 
d'environ  70  millions  de  mètres  cubes  par 
an,  en  eau  de  source  ;  mais  cela  ne  suffit 
pas  et  souvent  il  faut,  vers  le  mois  de 
juillet  et  août,  y  ajouter  la  nauséabonde 
eau  de  Seine. 

Le  conseil  municipal  a  donc  dû  aviser  à 
amener  de  nouvelles  sources  et  c'est  sur 
les  eaux  du  Loing  et  de  son  affluent  le 
Lunain  [dg.  6)  qu'il  a  jeté  son  dévolu. 
Par  une  loi  du  21  juillet  1897  il  a  été 
autorisé  à  commencer  les  opérations. 

On  n'a  pas  rencontré,  chez  les  habitants 
de  Seine-et-Marne,  riverains  de  ces  deux 
petites  rivières,  les  oppositions  qu'avaient, 
énergiquement  formulées  ceux  de  l'Avre 
et  les  travaux  ont  pu  être  rapidement 
commencés  ;  du  reste,  on  s'est  acquis  tout 
de  suite  la  population  de  Nemours  en  lui 
assurant  800  mètres  cubes  par  jour.  Comme 
on  pense  pouvoir  disposer  de  plus  de 
50  000  mètres,  le  sacrifice  n'était  pas  très 
grand. 

Les  travaux,  qui  sont  estimés  à  25  mil- 
lions, consistent  en  deux  conduites,  l'une 
de  15  kilomètres  pour  le  Loing,  l'autre  de 
7  pour  le  Lunain,  qui  amènent  les  eaux  à 
Sorques  où    elles    sont    élevées   par    des 


C  A  U  S  E  H  I  E     S  C I  E  N  T  I  F I  Q  U  E 


/.'i.'ï 


pompes  à  35  mètres  de  haut.  Elles  se 
trouvent  alors  au  niveau  de  l'aqueduc  de 
la  Vanne  qui  sera  doublé,  sur  une  lon<i^ueur 
de  7.'{  kilomètres, 
d'un  autre  a(|ueduc 
beaucoup  plus  grand 
arrivant  comme  lui 
au  réservoir  de 
Montsouris  et  pou- 
vant le  remplacer 
en  cas  de  répara- 
tions, les  eaux  de 
la  Vanne  étant,  dans 
ce    cas,    réunies    à 


Fig.  G.  —  Les  nouvelles  canalisations 
amenant  les  eaux  du  Loing  et  du  Lunain  à  Paris. 


celles  nouvellement  captées  ;  il  se  pour- 
rait même  que  plus  tard  elles  y  coulent 
définitivement  si,  comme  on  se  le  propose, 
on  continue  à  capter  d'autres  sources  du 
bassin  supérieur  de  la  Seine;  car  le  Pari- 
sien aime  l'eau.  Ce  n'est  pas  qu'il  soit 
méchant,  il  ne  boit  pas  tout,  mais  il  a  pris 
depuis  quelque  temps  des  habitudes  d'hy- 
giène dont  on  ne  peut  que  le  féliciter  :  il 
va  pouvoir  disposer  de  12S  litres  par  jour. 
Ce  n'est  pas  tout  d'avoir  beaucoup  d'eau, 
il  faut  pouvoir  s'en  débarrasser  après  usage 
et  avec  le  système  du  tout  à  l'égout,  qui 
se  généralise  tous  les  jours,  on  aurait  vite 
fait  d'empoisonner  complètement  la  Seine. 
Après  bien  des  projets  et  des  discussions, 
on  s'est  arrêté,  comme  nous  avons  déjà  eu 
l'occasion  de  le  dire  ici,  au  système  de 
l'épandage  et,  à  mesure  qu'on  capte  de 
nouvelles  sources  pour  l'alimentation,  on 
ouvre  de  nouveaux  champs  d'épandage  à 
l'évacuation  des  eaux  d'égout.  En  ce  mo- 
ment on  construit  une  conduite  qui  doit 
traverser  l'Oise  en  siphon,  près  de  Chen- 
nevières;  on  emploie,  pour  cela,  le  ciment 
armé,   c'est-à-dire   dans  lequel  est  noyée 


une  armature  métallique;  c'est  un  système 
préconisé  depuis  quelques  années  et  qui 
présente  des  avantages  de  légèreté  et  de 
solidité  qui  le  rendent  précieux  dans  beau- 
coup de  cas.  Ici  l'armalure  se  compose  de 
grands  cercles  de  fer  (fig.  7)  reliés  entre 
eux  et  formant  un  squelette  qu'on  descend 
dans  la  tranchée,  puis  qu'on  emprisonne 
dans  le  ciment. 

On  espère   que  pour   1900    les    champs 
d'épandage   de    Pierrelaye,    Méry,  Triel  et 
Carrières-sous-Poissy  seront  complètement 
organisés  ;  il  y  a  une  commission  spéciale 
qui  surveille   la  quantité  d'eau  à  déverser 
pour  ne  pas  dépasser  le  point  de  saturation 
des    terres   et    qui    fait    en    outre    des 
analyses  bactériologiques  pour  se  ren- 
dre compte  de  l'efticacité  de  l'épuration 
par    épandage;    on    a     constaté    que, 
de  1896   à  1897,  le  nombre  de  microbes- 
contenus  dans  un  centimètre  cube  d'eau 
de   Seine  prise  en  dessous  des  déver- 
soirs avait  diminué  dans  des  proportions 
considérables  :  il  est  passé  de  5  millions 
à  1  million.  On  pourra  se  demander  ce 
que  deviennent   ceux   qui  manquent   à 
l'appel  :  ils   restent  dans   les   champs 
d'épandage    où    ils    reconstituent    les 
éléments   fertilisants   enlevés    par    les 
récoltes,     et     les     superbes     produits 
maraicliers  qui   nous  arrivent    de    ces 
terres   prouvent   une   fois  de  plus  que 
rien  ne  se  perd  dans  la  nature. 


Le  nombre  des  amateurs  de  photo- 
graphie   augmente    en     raison    de    la 
facilité  qu'on  trouve  dans  la  série  des 
manipulations     nécessaires    à    l'obtention 
de    l'épreuve  définitive.    Depuis   quelques 


Fig.  7.  — ■  Pose  des  armatures  en  fer  destinées 
à  la  conduite^  du  siphon  de  Chennevières  en 
ciment  armé. 


années  l'emploi  des  petites  chambres  à 
main,  dénommées  jumelles  à  cause  de 
leur  ressemblance   plus  ou  moins  grande 


CAUSERIE     SCIENTIFIQUE 


avec  la  jumelle  de  théâtre,  s'est  beau- 
coup répandu,  mais  on  s'est  vite  aperçu 
que  le  format  un  peu  petit  des  images 
obtenues  pourrait  être  une  objection  sé- 
rieuse de  la  part  des  amateurs.  Aussi 
a-t-on  construit  en  même  temps  des 
amplificateurs  automatiques,  qui  ne  sont 
pas  autre  chose  en  principe  que  des 
appareils  d'agrandissement  ordinaires, 
dans  lesquels  on  simplifie  les  manipulations 
en  limitant  à  un  seul  format  la  faculté 
(l'agrandissement.  Ce  sont,  en  général,  des 


OiC,-f- 


Fig 


8.  —  Principe  de  l'appareil  automatique  de 
M.  Carpectier  jiour  faire  des  agrandissements  à 
toutes  les  échelles. 

A,  équerre  pivotant  sur  son  sommet.  La  petite  branche, 
par  le  système  H  M,  fait  coulisser  l'avant  C  de  la 
chambre  quand  on  manœuvre  l'Hrrière  P  qui  est  relié 
par  le  système  L  R  à  la  grande  branche.  Par  construc- 
tion, les  <lêplacements  relatifs  de  P  et  C  sont  tels  que 
la  mise  au  point  reste  constante. 


boîtes  en  forme  de  pyramide  tronquée  fer- 
mées à  la  grande  base  par  un  châssis  des- 
tiné au  papier  sensible  et  portant  vers 
l'extrémité  supérieure  un  objectif  devant 
lequel,  sur  un  petit  cadre  ad  hoc  fermant 
la  petite  base,  on  place  le  cliché  :  c'est 
toujours  au  point  et  toujours  en  i)laque,  il 
n'y  a  point  de  tâtonnements.  Mais  à  mesure 
qu'on  devient  plus  habile  dans  l'art  photo- 
graphique, on  devient  aussi  plus  exigeant 
et  beaucoup  ne  veulent  pas  rester  esclaves 
d'un  format  unique;  ils  veulent  faire  mieux 
et  choisir  la  partie  intéressante  du  cliché 
qui  seule  mérite  d'être  agrandie  à  tel  ou 
tel  format.  Dans  ce  cas,  il  faut  avoir 
recours  à  un  appareil  un  peu  plus  encom- 
jjrant  :  c'est  la  chambre  ordinaire  composé 
de  trois  corps  réunis  par  des  soufflets.  Le 
cliché  étant  à  un  ])out  sur  une  glissière 
qui  permet  de  mettre  la  partie  choisie  en 
face  de  ro]:)jectif  monté  sur  le  corps  du 
milieu,  il  ne  reste  qu'à  faire  la  mise  en 
plaque  et  la  mise  au  point' sur  le  verre 
dé^poli  situé  à  l'opposé.  Cette  opération  est 
très  délicate  :  si  on  approche  le  cliché  de 
l'objectif  pour  agrandir  davantage,  le  point 
n"y  est  plus  et,  quand  on  a  rectifié  celui-ci, 


l'échelle  choisie  a  changé.  M.  Carpentier 
vient  de  construire  un  appareil  qui  sim- 
plifie beaucoup  l'opération  en  ce  sens  que 
la  mise  au  point  est  toujours  faite  et  qu'on 
a  à  s'occuper  seulement  de  voir  quel  est 
le  meilleur  effet  produit  suivant  l'échelle 
d'agrandissement  choisie.  On  sait  que 
l'objectif  obéit  à  la  loi  des  foyers  conju- 
gués qui  règle  les  distances  auxquelles  il 
doit  se  trouver,  de  l'objet  et  de  l'écran, 
pour  donner  une  image  nette  à  une  dimen- 
sion donnée.  C'est  la  résolution  automa- 
ti(jue  de  cette  équation  qu'elTeclue  méca- 
niquement l'appareil  de  M.  Carpentier,  et 
le  système  est  très  simple  :  il  consiste  à 
relier  au  moyen  d'une  équerre  à  angle 
droit  (fig.  8)  pivotant  à  son  sommet  A  les 
deux  extrémités  C  et  P  de  la  chambre. 
Deux  coulisseaux  H  et  L  glissant  dans  une 
rainure  portent  l'un  l'avant,  l'autre  l'ar- 
rière de  la  chamlîre  et  ils  sont  reliés  le 
premier  au  petit  bras,  le  second  au  grand 
bras  de  l'équerre  par  \\n  bouton  coulissant 
dans  les  rainures  M  et  R  pratiquées  dans 
ceux-ci.  On  voit  de  suite  au  simple  examen 
de  la  figure  que,  dans  ces  conditions,  à 
tovit  déplacement  de  l'arrière  P  de  la 
chambre  correspond  un  déplacement  plus 
petit  de  l'avant  C  et  qu'il  y  a  entre  les  deux 
.une  relation  constante.  Le  constructeur 
n'a  qu'à  régler  avec  soin  cette  relation  une 
fois  pour  toutes,  en  raison  du  foyer  de 
l'objectif  employé  O  dont  la  position  N 
est  immuable,  et  la  mise  au  point  se 
trouve  faite  pour  toutes  les  positions; 
l'opérateur  n'a  plus  alors  d'autre  préoccu- 
pation que  de  chercher  sur  le  verre  dépoli 
quel  est  le  meilleur  format  à  donner  à  son 
image  pour  en  obtenir  le  meilleur  effet. 
Les  photographes  étant,  en  général,  plutôt 
artistes  que  savants  et  habiles  opérateurs, 
ils  ont  là  un  auxiliaire  précieux  qui  ne  se 
trompe  jamais. 


Le  préfet  de  police  de  Paris  a  signé  en 
juin  dernier  une  ordonnance  aux  termes 
de  laquelle  dans  un  délai  de  six  mois  les 
propriétaires  d'usines,  situées  dans  l'inté- 
rieur de  la  ville,  devront  faire  en  sorte  de 
supprimer  les  fumées  noires  et  épaisses 
qui  incommodent  tout  le  voisinage.  H  y  a 
souvent  un  peu  trop  de  sans-gêne  chez 
ces  industriels  qui,  en  modifiant  les  foyers, 
ou  en  choisissant  des  houilles  plus  maigres, 
pourraient  avoir  beaucoup  moins  de  fumée  ; 
on  a  proposé  plusieurs  systèmes  de  che- 
minées et  de  foyers;  on  saura  bientôt  s'il 
en  est  un  qui  remplisse  un  rôle  réellement 
efficace,  car  un  concours  est  ouvert  en  ce 
moment  par  la  ville  de  Paris  à  ce  sujet 
et  nous  y  reviendrons. 

G.   Maresciial. 

Les  renseignemejits   de  cet  article  sont  donnés  au  point  de  vue  scientifique  et    en  dehors  de  toute  réclame.  Aussi  il  ru 
sera  pas  répondu  uux  demandes  d'adresses  ou  de  rensHç/nements  commerciaux. 


ÉVÉNEMENTS     GÉOGRAPHIQUES 

ET   COLONIAUX 


La  guerre,  les  préparatifs  accomplis,  a 
|)récipilé  son  cours. 

Les  flottes  espagnoles  sont  détruites  ; 
Santiago  de  Cuba,  la  pointe  orientale  de 
la  grande  île,  concjuises  ;  Porto-Rico,  en- 
vahi :  le  gouvernement  espagnol  a  reconnu 
sa  défaite  et  demandé  la  paix.  La  paix  sera- 
t-elle  pour  demain?  Nous  n'en  savons  rien. 
Les  hommes  se  décident  à  la  paix  plus  dif- 
Gcilement,  plus  lentement  qu'à  la  guerre, 
et  comme  à  regret.  Cela  est  naturel.  Ils  se 
décident  à  la  guerre,  parce  qu'ils  savent 
qu'elle  est  un  jeu  de  hasard,  et  parce  qu'ils 
sont  joueurs,  et  aussi  parce  qu'ils  ont  de 
leurs  forces  une  idée  toujours  exagérée, 
des  forces  de  l'ennemi  une  idée  toujours 
incomplète  et  qu'ils  sont  orgueilleux.  Lors- 
que, au  contraire,  ils  sont  forcés  de  parler 
de  la  paix,  ils  ne  savent  que  trop  quel 
sera  son  prix;  ils  espèrent  toujours,  les 
insensés,  comme  s'ils  attendaient  une 
intervention  divine  ;  ils  balancent,  ils  ne 
font  que  s'abîmer  plus  profondément  dans 
leur  défaite.  —  Vers  la  fin  de  la  guerre 
gréco-turque,  un  grand  journal  avait  ouvert 
une  rubrique  :  Vers  la  paix  ;  la  rubrique  se 
perpétua  durant  trois  ou  quatre  mois. 

Aussi  convient-il  d'attendre  encore  avant 
de  parler  de  la  présente  guerre.  Le  lecteur, 
au  mois  le  mois,  trouve,  dans  l'excellent 
.}femento  encyclopédique  de  cette  revue,  la 
suite  des  faits  accomplis.  Les  commenter 
serait  imprudent  à  cette  heure.  Il  est,  dans 
les  choses  d'ici-bas,  d'étranges  retours.  Ce 
que  l'épée  fit  hier,  demain  l'épée  peut  le 
défaire.  L'espérance  peut  être  insensée  : 
les  fils  du  pays  que  sauva  Jeanne  d'Arc  ne 
jetteront  pas  la  pierre  à  ceux  que  tient  de- 
bout la  folie  d'espérer.  Attendons  la  fin. 

...  11  est  cependant  un  petit  fait  qui  s'im- 
pose, dès  aujourd'hui,  à  notre  attention.  Il 
passa  inaperçu  dans  le  tumulte  delà  canon- 
nade qui  faisait  rage  autour  de  Santiago. 
Il  est  d'une  importance  historique  de  pre- 
mier ordre  : 

«  Le  Président  Mac  Kinley,  disait,  en  une 
ligne,  un  télégramme  du  7  juillet,  a  signé, 
mercredi,  la  résolution  annexant  les  lies  Hawaï 
aux  Etats-Unis.  » 

Si  le  lecteur  a  la  bonté  d'àme  de  se  rap- 
peler notre  chronique  sur  les  iles  Hawaï, 
du  l'^''  septembre  1897,  besoin  sera  de  peu 
de  mots  pour  lui  démontrer  l'importance 
de  ce  télégramme.  Les  Etats-Unis,  on  le 
sait,  se  sont  mêlés  de  bonne  heure  à  la  vie 
politique  de  l'Etat  hawaïen.  Dès  I8.")3,  puis 
en  i89.'U  on  crut  que  l'annexion  était  immi- 
nente. Le  1 G  janvier  de  cette  dernière  année. 


les  Américains  renversaient  la  reine  Lydia 
K.  Liliuokalani,  établissaient  la  République. 
Le  2  février,  à  Ilonolulu,  était  proclamé  le 
protectorat  provisoire  des  Etats-Unis  ;  le  L"», 
à  'Washington,  le  président  Ilarrison,  dans 
un  message  au  Sénat ,  recommandait  for- 
mellement l'annexion.  Mais  M.  Cleveland, 
qui  succéda  peu  après  à  M.  Ilarrison,  aban- 
donna ce  projet  ;  les  annexionnistes  durent 
attendre  le  retour  au  pouvoir  du  parti  répu- 
blicain avec  M.Mac  Kinley.  Le  16 juin  1897, 
un  traité  d'annexion  était  signé  par  la  Ré- 
publique des  Etals-Unis  et  la  République 
d'Hawaï  ;  le  président  en  recommandait 
immédiatement  l'adoption  au  Sénat. 

II  a  fallu  la  guerre  avec  l'Espagne,  l'en- 
traînement de  la  victoire,  la  révolution 
morale  que  cet  entraînement  opère  à  cette 
heure  aux  Etals-Unis,  pour  supprimer 
brusquement  l'opposition  que  beaucoup 
de  ])ons  esprits  faisaient  au  projet  d'an- 
nexion. 291  représentants  contre  91,  42  sé- 
nateurs contre  21  ont  voté  oui.  Le  6  juillet 
au  soir,  vers  six  heures,  le  vote  eut  lieu  au 
Sénat,  «  au  milieu  d'une  sensation  pro- 
longée, suivie  d'un  silence  ému  qu'ont  ter- 
miné de  longs  applaudissements  ».  Aussi- 
tôt, les  mesures  nécessaires  ont  été  prises  : 
une  commission,  chargée  de  l'organisation 
politique  des  îles;  le  croiseur  Phi/adel2}kia, 
le  premier  bataillon  des  volontaires  de 
New-York,  envoyés  à  Ilonolulu. 

L'ancienne  colonie  anglaise,  révoltée 
contre  les  lois  et  les  soldats  de  sa  métro- 
pole, devient  métropole  à  son  tour,  con- 
quiert une  colonie,  envoie  aux  indigènes 
et  ses  lois  et  ses  soldats  :  sic  vos  non  vobis. 

Que  les  Etats-Unis  s'emparent  d'îles 
lointaines,  riches  par  la  culture  de  la  canne 
à  sucre,  situées  sur  les  avenues  qui  mè- 
nent d'Amérique  en  Asie  et  en  Océanie  : 
ce  fait,  par  lui-même,  est  déjà  de  quelque 
importance.  Mais  si  on  le  rapproche 
d'autres  faits  récents,  si  on  le  considère 
comme  un  symptôme,  cette  importance 
grandit  singulièrement.  Dans  la  séance  du 
Sénat,  que  nous  rappelions,  de  graves  pa- 
roles ont  été  dites;  voici  comment  s'ex- 
prima M.  le  sénateur  Teller,  du  Colorado  : 

Je  crois  que  partout  où  flotte  notre  drapeau, 
soit  par  droit  de  conquête,  soit  par  le  consente- 
ment du  peuple  qui  le  laisse  arborer,  là  il 
doit  rester.  Et  le  parti  ou  les  hommes  qui 
proposent  de  le  retirer  auront  à  compter  avec 
la  grande  ma>se  du  peuple  américain  qui  croit 
que  c'est  le  meilleur  drapeau  du  meilleur 
gouvernement,  plus  capable  d'apporter  la 
paix  et  la  prospérité  que  n'importe  quel  autre 


.'liG 


KVKNEMENTS    GÉOGRAPHIQUES 


EUROPE/ 


LE     A' OTAGE     DE     M.     MARCEL     MONNIER     AUTOUR     DE     L'ASIE 


drapeau  ou  quel  autre  gouvernement  sous  le 
ciel. 

Et  maintenant,  soyez  avertis.  Après 
l'Angleterre,  l'Allemagne,  la  Russie,  le 
Japon,  voici  que  les  Etats-Unis  —  une  ré- 
publique —  adoptent  avec  enthousiasme 
une  polili(|ue  «  impériale  »,  rêvent  d'ac- 
croissement indéfini,  parlent  de  conquêtes 
et,  rejetant  aux  vieilles  lunes  la  doctrine 
de  Monroô,  s'écrient  déjà  :  «  Le  monde 
aux  Américains!  )>  Nous  aurons  à  commen- 
ter plus  d'une  fois  les  conséquences  de 
cette  révolution  si  brusque  d'un  peuple  si 
puissant. 


S'il  était  besoin  de  transitions  entre  les 
pages  de  nos  causeries  mensuelles,  nous 
rappellerions  que  les  îles  Hawaï  ont  été 
visitées  et  décrites  en  un  beau  livre  par 
M.  Marcel  Monnier,  et  nous  serions  ainsi 
amené  à  vous  présenter  le  rude  explora- 
teur qu'est  ce  dernier.  Il  nous  revient 
d'Asie,  où  il  voyagea  sans  trêve  durant 
trois  ans  et  demi. 

Un  voyageur  peut  être  utile  de  bien  des 
façons.  Son  action  sert  son  pays;  ses  dé- 
couvertes servent  la  science;  les  qualités, 
qui  lui  sont 'nécessaires  pour  parvenir  au 
terme  qu'il  s'est  donné,  sont  exemplaires. 
Lorsque,  dans  un  long  voyage,  un  homme 
a  rempli  ces  trois  conditions,  cela  suffit  : 
les  critiques  qu'on  peut  découvrir  en  son 


endroit  sont  négligeables,  le  voyageur  est 
à  louer.  De  ces  trois  conditions,  celle  que 
nous  mettrons  délibérément  la  première, 
c'est  la  dernière.  Notre  pays,  dont  le 
grand  ressort  a  été  cassé  il  y  a  vingt-huit 
ans,  et  dont,  depuis,  l'état  s'est  aggravé 
par  cause  d'alcoolisme,  de  fonctionna- 
risme, etc.,  a  besoin  surtout  d'exemples, 
—  exemples  de  volonté,  d'énergie,  de 
bonne  humeur.  Le  voyage  de  M.  Marcel 
Monnier,  outre  les  enseignements  sur 
l'histoire,  le  commerce,  la  politique  des 
Etats  visités,  peut  donner  à  notre  pays 
une  salutaire  leçon  morale. 

M.  Marcel  Monnier  quitta  la  France  dans 
l'automne  de  1894.  Il  était  envoyé  par  le 
journal  le  Temps;  il  devait  faire  le  tour  du 
continent  d'Asie,  via  Indo-Chine,  Chine, 
Japon,  Sibérie,  Turkestan,  Perse  :  et  on 
dirait,  à  l'entendre,  qu'il  part  pour  Pon- 
toise.  ((  Le  tour  d'Asie  !  écrit-il,  au  large 
de  Ceylan,  en  décembre  :  tel,  naguère,  le 
tour  de  France.  Les  fatigues  de  la  route 
seront  peu  de  chose  auprès  de  ce  qu'en- 
duraient stoïquement  nos  grands-pères, 
véhiculés  par  le  coche  entre  la  capitale 
et  la  province.  ■>  Ainsi  muni  de  belle 
humeur,  il  débarque  à  Saigon  ;  immédia- 
tement, il  court  à  Pnom-Penh,  à  Angkor, 
dans  le  Cambodge  français  et  dans  le  sia- 
mois. Cet  homme,  qui  a  déjà  traversé  de 
part  en  part  les  deux  Amériques,  qui  a  vu 
éMlement  l'Océanie  du   Nord  et  celle  du 


ÉVÉNEMENTS    G  EOG  II  A  PII  IQ  U  ES 


i47 


Sud,  qui  a  exploré  avec  Binger  la  Guinée 
française  et  le  pays  de  Kong,  n'a  pas 
encore  rassasié  son  besoin  d'action,  sa 
curiosité  du  non-vu.  L'admirable  géogra- 
phie qu'il  pourra  nous  donner,  plus  tard, 
quand  il  aura  parcouru  toute  la  terre,  que 
sa  tôle  sera  chenue  et  ses  pieds  alourdis! 

A  Angkor,  il  visite  les  temples  klimers. 
La  place  nous  manque  pour  décrire  en 
leur  magnificence  les  énor- 
mes monuments.  Angkor, 
d'ailleurs,  c'est  la  banlieue 
de  Saigon  ;  vite,  une  histo- 
riette, et  courons  à  l'ex- 
ploration véritable. 

L'historiette  se  passe  à 
Siem-Reap. 

Il  faut  rendre  visite  au 
gouverneur  siamois ,  et 
l'usage  ne  permet  point  de 
le  faire  les  mains  vides. 
Qu'apporter?  «  Du  pain, 
est-il  répondu  à  M.  Mon- 
nier.  —  Comment?  du 
pain?  —  Parfaitement. 
C'est  denrée  rare  à  Siem- 
Reap,  et  Son  Excellence 
en  est  friande.  Apportez- 
lui  du  pain  et  des  liqui- 
des. »  M.  Monnier  apporte 
six  pains  de  deux  livres, 
six  bouteilles  de  cognac, 
vermout,  bitter,  etc.,  plu- 
sieurs boîtes  de  conserves, 
un  kilogramme  de  sucre,  a  Un  joli  cadeau, 
ajoute-t-il,  à  faire  à  un  gouverneur.  >> 

U  revient  à  Saigon,  visite  la  Cochinchine, 
fait  une  excursion  à  Bangkok,  repart, 
débarque  à  Tourane,  court  à  Hué,  repart, 
débar(pie  à  Haïphong,  visite  llong-IIay, 
voit  Hanoï,  pousse  jusqu'à  Lang-Son,  jus- 
qu'à Long-Tcheou,  qui  est  dans  le  Kouang- 
Si,  revient,  parcourt  dans  tous  les  sens  le 
delta  du  fleuve  Rouge,  repart,  débarque  au 
Japon,  parcourt  dans,  toute  sa  longueur 
l'île  de  Nippon,  puis  l'île  de  Yeso,  puis... 
Ouf!  débarque  à  Tien-tsin,  puis...  Ouf! 
Suivra  M.  Monnier  qui  pourra  !  Arrêtons- 
nous.  Et  vous  pensez  que  son  esprit  est 
fatigué?  sa  bonne  humeur  diminuée?  De 
Pékin,  il  s'amuse  à  nous  envoyer  le  menu 
du  repas  qu'il  fit  chez  le  <c  Voisin  »  de  l'en- 
droit. Voici  le  document,  fi  Jèlement  tra- 
duit, dans  sa  disposition  quelque  peu 
anormale  pour  nous  autres,  barbares  occi- 
dentaux. 

I)  o  u  c  E  u  H  s 

Raisins,  poires,  pommes,  châtaignes  d'eau, 
graines  de  pastèques  confites,  noix  glacées, 
gelées  de  fruits,  noisettes  grillées  au   safran. 

110RS-d'œ  u  VRE 

Poulets  fumés,  poissons  fumés  au  vinaigre 
de  riz,  œufs   de   canard  conserves   (cinq  ans) 


dans  la  chaux,  crevettes  à  l'huile  de  ricin, 
fromage  aux  pois,  jambon  fumé,  choux  de 
mer  marines,  choux  salés,  côtes  de  laitues 
salées. 

n  î  N  E  n 
Potage  aux  nids  d'hirondelles,  ailerons  de 
requin  au  jambon,  canard  laqué,  pois  au 
miel,  llleLs  de  poisson  aux  légumes,  holoturies 
au  ffien  tseng,  pousses  de  bambou  d'hiver, 
crevettes    au    sucre,    filets   de    poussins  frits, 


CHINE     DU     N  o  It  D     —     h  A     GRANDE     M  U  11  A  1  L  L  E 


porc  bouilli,  poisson  sauce  chrysanthèmes, 
champignons  au  gras,  soupe  aux  graines  de 
lotus,  crème  de  poix  aux  fleurs  bleues,  soupe 
de  chrysanthèmes. 

Pain  de  maïs   à  l'étuvée,  pains  à  la  viande. 


Jaune  de  Shao-Sing,  liqueur  de  rose,  liqueur 
des  académiciens. 

N'allez  pas  croire,  cependant,  que 
M.  Monnier  ne  donne  son  attention  qu'à 
l'art  culinaire  des  pays  qu'il  traverse.  On 
est  au  lendemain  de  la  guerre  sino-japo- 
naise;  c'est  précisément  pour  étudier 
«  les  fluctuations  de  la  politique  et  les 
mouvements  de  l'opinion  dans  le  Céleste- 
Empire  ^>  et  chez  son  vainqueur,  que 
notre  voyageur  est  parti.  Mais  si  nous 
voulons  arriver,  avant  la  fin  de  celte  chro- 
nique, au  terme  du  voyage,  il  faut  nous 
hâter,  nous  résoudre  à  brûler  des  étapes, 
repartir  sans  cesse.  Au  reste,  nous  nous 
proposons  de  donner,  cet  hiver,  un  tableau 
d'ensemble  des  événements  survenus, 
cette  année,  en  Chine:  les  dévelnppemenls 
et  les  conclusions  de  M.  Monnier  y  trou- 
veront leur  place. 

Jusqu'à  Pékin,  il  ne  s'est  guère  éloigné 
de  la  côte;  il  n'a  étudié,  du  continent 
d'Asie,  que  la  façade  orientale.  11  se  dirige 


4i8 


ÉVÉNEMENTS    GÉOGRAPHIQUES 


maintenant  vers  l'intérieur,  remonte  le 
fleuve  Bleu  et  rencontre,  au  beau  milieu 
des  défilés,  une  de  nos  connaissances, 
lecteur  :  M.  Madrolle,  que  nous  suivîmes 
naguère  au  Yunnan  et  dans  Tile  de  Haïnan. 
Les  deux  voyageurs  se  reconnaissent  ; 
certainement  ils  se  sont  déjà  vus  :  mais 
oi!i?  Ils  cherchent  :  u  Eh!  parbleu!  fit 
M.  Monnier.  Au  théâtre,  au  Gymnase,  à 
l'orchestre  !  »  Et  de  bavarder  pendant  des 
heures.  Chacun  reprend  sa  route.  M.  Mon- 
nier continue  la  lente  montée  du  fleuve  ; 
celui-ci  est  de  plus  en  plus  coupé  de  ra- 
pides, impétueux,  dangereux.  On  parcourt 
en  une  journée  trois  kilomètres;  on  tra- 
vaille une  heure  et  demie  durant  pour 
avancer  de   cinquante  pas.  Mais   le  voya- 


e  li  I  iN  ii     (_  b  i\  r  li  A  ]j  I'.     — •     SUR     LE     Y  A  X 

geur  en  prend  gaiement  son  parti  :  «  Ce 
mode  de  transport  a  ceci  de  bon  qu'il 
permet  au  voyageur  de  combiner,  à  son 
gré,  les  douceurs  de  la  navigation  et  le 
plaisir  de  la  promenade.  »  De  Chung- 
King,  on  gagne  en  chaise  Tching-tou,  ca- 
pitale du  Sé-Tchouen  :  ci,  cent  lieues. 
M.  Monnier  continue  à  s'amuser.  Les 
auberges  sont  d'épouvantables  taudis  :  il 
s'en  accommode,  observe  les  gens  et  les 
choses,  rit  de  l'inscription  que  ses  boys 
ont  fait  peindre  sur  les  lanternes  de  la 
caravane  :  Tà-Fa-Tà-Jtn  :  «.  Grands 
hommes  du  grand  pays  de  France  »  ;  et 
lorsque  l'hôtelier,  né  malin,  installe  dans 
sa  cour  des  estrades,  d'où  mandarins, 
bourgeois  et  clercs  viennent,  contre  ar- 
gent, contempler  à  leur  aise  l'emména- 
gement, la  toilette  et  le  repas  des  «  bar- 
bares n,  se  fâche-t-il?   Il   rit  encore,  et  le 


premier...  Les  Chinois,  qui  voient  Anglais 
bien  plus  souvent  que  Français,  ne  de- 
vaient pas  en  croire  leurs  oreilles. 

Du  Se-Tchouen  on  gagna,  par  les  routes 
malaisées  et  les  montagnes  désertes  du 
Yunnan,  Manhao ,  le  Fleuve- Rouge,  le 
Tonkin. 

M.  Monnier  est  de  retour  sur  terre  fran- 
çaise. Il  a  visité  tout  le  Japon,  toute  la 
Chine.  Ses  explorations  ont  duré  déjà  un 
an  et  demi.  Il  pense  à  la  douce  France;  il 
voit  le  paquebot  qui  l'emmènerait  vite, 
vite.  Mais  il  ne  balance  point;  il  a  une 
lâche  à  accomplir,  il  repart.  —  M.  Mon- 
nier repart  toujours. 

Il     revoit    Tien-tsin    et    Pékin.   Durant 
l'automne,  il  visite  la  Mongolie  orienlale, 
la  Terre  des   Herbes, 
que  les  Chinois  ont 
à  peine  colonisée,  et 
J      qui  n'est  chinoise  ni 
^^gÉO      d'aspect,  ni   de   cli- 
j^Ê^^^^      mat,   ni   de    popula- 
'^^^^^^H      tion.  A  cheval  il  par- 
;3^^^H^|      court     des     déserts 
"^^^^^^       d'herbes  séchées, du- 
rant des    semaines  ; 
nulle  piste,  nul  point 
de  repère,  et  cepen- 
dant le  guide  mon- 
gol  va    devant,    im- 
passible,   le    regard 
perdu,  les  rênes  flot- 
tantes, «  avec  la  sé- 
curité    d'un     pilote 
muni  de  la  boussole 
et  du    sextant  ».    A 
Khalgang,    à    Jehol, 
M.  Monnier  s'amuse 
encore.      La     drôle 
d'idée    que    les   Cé- 
lestes ont  même  au- 
T;^ii-K  I  A.\(,  jourd'hui      de      l'art 

militaire!  Voici  pas- 
ser le  régiment  «  des  tigres  ».  Ces  braves 
sont  vêtus  d'un  maillot  fauve  slriéde  noir; 
ils  ont  le  visage  masqué  d'un  cartonnage 
hideux  ;  ils  n'ont  point  d'armes.  Leur  tac- 
tique ?  bondir  et  rugir,  pour  porter  l'épou- 
vante et  le  désordre  dans  les  rangs  enne- 
mis. D'autres  bataillons  sont  entièrement 
composés  d'hommes-orchestre.  Sun-tsé, 
l'éminent  stratège  chinois,  dont  les  ouvra- 
ges sont  depuis  trois  mille  ans  en  honneur, 
n'a-t-il  pas  écrit  ce  précepte  :  «  Qu'une 
musique  voluptueuse  amollisse  le  cœur  de 
l'ennemi  »?  —  Ne  trouvez-vous  pas  qu'on 
va  chercher  bien  loin  les  raisons  de  la 
défaite  des  Chinois  par  les  Japonais? 

M.  Monnier  revit  encore  Pékin  et  Tien- 
tsin,  puis  il  partit  pour  la  Corée.  Il  tra- 
versa la  péninsule  du  Royaume  Ermite  de 
part  en  part,  de  Séoul  à  Wou-San.  La  ré- 
gion qu'il  visita,  le  massif  de  Keum-Kang- 


ÉVÉNEMENTS    GÉOGRAPHIQUES 


449 


CHINE     DE     l'ouest 


TN    PONT    STJSPENDTT 


San,  "  la  Montagne-d'Or  »,  souvent  célé- 
brée par  les  vieux  poètes  chinois  et  les 
peintres  de  l'ancienne  école, 
est  fort  mal  connue  des  Euro- 
péens. MM.  C.-W.  Campbell, 
du  service  des  douanes  impé- 
riales chinoises,  et  J.  Curzon, 
aujourd'hui  sous-secrétaire  d'E- 
tat pour  les  colonies  au  Foreign 
Office,  sont  les  seuls,  croyons- 
nous,  qui  l'aient  parcourue 
avant  M.  Monnier.  Ce  dernier 
put  pénétrer  dans  de  curieux 
monastères,  fort  anciens,  puis- 
qu'ils datent  des  premiers 
temps  de  l'importation  du 
bouddhisme  en  Extrême-Orient 
(iv"^  siècle  de  notre  ère). 

11  songea  ensuite  au  retour. 

De  Vladivostok,  il  gagna,  par 
la  route  que  nous  avons  suivie 
en  partie  avec  M.  Chaffanjon, 
l'Amour  et  la  Chilka.  Entre  la 
frontière  mandchoue  et  le  lac 
Baïkal,  il  visita  les  chantiers 
du  chemin  de  fer  transsibérien. 
Allait-il  rentrer  en  Europe  par 
la  Sibérie  ?  La  route  était  ba- 
nale. M.  Monnier  tourna  au  sud 
et  entreprit  une  nouvelle  explo- 
ration. Il  rentra  en  Chine  par 
Khiatka  et  parcourut  toute  la 
Mongolie,  d'Ourga  à  Kobdo.  Il 
visita,  dans  la  région  de  Kara- 
korum,  les  vestiges  de  la  capi- 
tale de  Gengis-Khan  :  ce  désert 
était  le  centre  du  puissant  em- 
pire mongol,  au  temps  où  l'Asie 
se  ruait  sur  l'Europe,  où  le 
«péril  jaune  »  était  une  réalité. 
A  toute  bride,  abattant  chaque 

VIII    —  29. 


jour,  sur  une  selle  de  bois, 
ses  vingt  lieues,  M.  Monnier 
parcourut  ces  solitudes.  Il 
sortit  de  Mongolie  par  la 
route  peu  fréquentée  de 
l'Altaï  et  des  sources  de 
l'Obi.  Il  y  a  sept  cents  ans, 
un  frère  minime,  Guillaume 
de  Rubrouk,  envoyé  par 
Louis  IX  à  la  cour  du  grand 
Khan,  avait  suivi  cet  iti- 
néraire ;  sa  curieuse  rela- 
tion de  voyage  servit  à 
M.  Monnier  de  Guide  Joanne. 
Le  voyageur  contemporain 
retrouva  les  forêts  de  pins 
et  de  mélèzes  et  les  «  mon- 
tagnes glacées  »,  dont  par- 
lait la  narration  naïve  de 
son  prédécesseur.  De  Biisk, 
dans  la  plaine  de  l'Obi,  il 
gagna  Sémipalatinsk,  au 
seuil  du  steppe  des  Kirghiz. 
Dans  cette  ville  russe,  il  apprit  le  voyage 
de  M.   Félix  Faure  à  Saint-Pétersbourg  et 


CHINE  DU  SUD  —  UNE  VALLÉE  DANS  LE  TUNNAN 


450 


ÉVÉNEMENTS    GÉOGRAPHIQUES 


la  proclamation  de  l'al- 
liance. L'enthousiasme  avait 
gagné,  par  vagues  rapides, 
ce  coin  retiré  de  l'Asie  cen- 
trale, et  notre  voyageur  en 
profita.  Durant  trois  jours, 
ce  ne  furent  que  fêtes  et  que 
banquets.  Mais  cette  récep- 
tion n'amollit  pas  le  cœur 
de  M.  Monnier.  Il  eut  beau 
se  dire  que,  par  les  chemins 
de  fer  russes,  il  pouvait  être 
en  trois  semaines  en  P'rance, 
que  son  voyage  avait  duré 
déjà  trois  ans  —  on  était  en 
octobre  181)7  —  il  voulut 
suivre  jusqu'au  boutson pro- 
gramme. 

Exploration  du  lac  Issyk- 
Koul,  visite  du  Ferghana, 
«  cette  Provence  de  l'Asie 
centrale  )>,  de  Tachkent,  de 
Samarcancle,  de  la  Bouk- 
harie  :  telles  furent  les  prin- 
cipales étapes,  de  Sibérie  en  Perse.  On  tra- 
versa le  Khorassan  sous  une  bourrasque 
continuelle,  qui  ajoutait  encore  à  l'aspect 
sévère  et  morne  de  la  contrée.  Méchhed, 
qui  en  est  la  capitale,  ville  sainte  des  mu- 
sulmans chiites,  est  particulièrement  triste. 
M.  Monnier  trouva  Téhéran  sous  la  neige 
et  les  routes  du  Nord,  vers  la  Transcau- 
casie,  obstruées.  Comme  il  n'était  pas 
encore  fatigué,  il  profita  de  l'hiver  pour 
faire  un  voyage  circulaire  en  Perse.  Il  visita 
les  anciennes  capitales  :  Hamadan,  qui  fut 
Ecbatane,     Bagdad,     Chiraz,     Persépolis, 


LEXPLORATETR     MARCEL     MONNIER 


CHINE    MONGOLE    —    LA     PLAINE    DE    KAUAKOUUM 


Téhéran.  Les  beaux  jours  revenus,   il   re- 
partit... mais  cette  fois  pour  l'Europe. 

Nous  avons  vu  M.  Marcel  Monnier  :  il  a 
le  teint  frais  et  reposé.  Il  classe  ses  notes 
et  médite  de  nouveaux  voyages. 


La  mort  nous  force  à  ajouter  un  2^ost- 
seriptum  à  notre  dernière  chronique. 

Dans  le  même  temps  que  M.  Gentil  arri- 
vait à  Paris,  recevait  les  félicitations  et  les 
remerciements  que  lui  vaut  sa  belle  explo- 
ration du  Tchad,  on  apprenait  que  le  capi- 
taine Cazemajou  avait  été  assassiné,  le 
6  mai,  à  Zinder. 

Nous  avons  parlé  de  la  mission  du  capi- 
taine. Connu  par  la  reconnaissance  qu'il  fit, 
en  mars-avril  1893,  dans  le  Sud-Tunisien, 
jusqu'à  Ghadamès,  par  ses  voyages  dans 
la  boucle  du  Niger,  et  notamment  dans  le 
Mossi,  le  Gourounsi  et  à  Say,  M.  Cazema- 
jou avait  reçu  du  Comité  de  l'Afrique  fran- 
çaise la  mission  de  relier  par  un  itinéraire 
nouveau  le  Niger  au  Tchad.  Nous  avons 
signalé  son  passage  à  Argoungou,  où  il 
arriva  fin  janvier  de  cette  année.  Sa  der- 
nière lettre  était  du  6  mars;  elle  était  datée 
de  Konni,  au  nord-est  de  Sokoto  :  «  Tout 
le  personnel  est  en  bonne  santé,  écrivait-il, 
et  le  matériel  est  en  bon  état.  » 

Le  6  mai,  à  Zinder,  le  capitaine  Caze- 
majou, M.  Olive,  interprète  judiciaire  à 
Mostaganem,  six  hommes  de  leur  escorte 
sénégalaise,  ont  été  assassinés  par  des 
Touaregs,  sans  doute  dans  un  guet-apens. 

L'œuvre  de  Crampell,  assassiné,  a  été 
reprise  et  menée  à  bonne  fin  par  M.  Gentil. 
L'œuvre  du  capitaine  Cazemajou  sera 
reprise. 

Gaston    Bouvier. 


LA    MUSIQUE 


Ce  qui  caractérise  le  plus  la  fin  de  la 
saison  artistique  de  Paris,  c'est  l'éclosion 
d'une  quantité  de  petites  solennités,  c'est 
l'audition  d'œuvrettes  qui,  tard  venues, 
se  présentent  précipitamment  au  public 
tout  en  ayant  l'air  de  protester  contre  un 
imaginaire  ostracisme,  bien  mérité  parfois. 

Il  est  certain  qu'en  ouvrant  la  saison 
lyrique  estivale  au  théâtre  des  Variétés, 
MM.  Milliaud  frères  ont  fait,  ou  voulu 
faire,  une  sorte  de  protestation  contre 
l'abandon  définitif,  par  le  conseil  munici- 
pal, du  projet  de  théâtre  lyrique  subven- 
tionné. Entre  les  auditions  de  musique 
avancée,  genre  Feri-aal,  et  la  reprise  de 
navrants  Pont -Neufs,  genre  Voyage  en 
Chine,  il  y  a  un  juste  et  équitable  milieu 
que  personne  n'a  proposé  d'exploiter.  Et, 
ne  voulant  délier  les  cordons  de  sa  bourse 
pour  une  formule  d'art  par  trop  égoïste  et 
qui  ne  plaît  à  personne,  ou  un  genre  rococo 
qui  ennuie  tout  le  monde,  la  ville  a  enterré 
la  question.  De  sacrifice,  elle  ne  veut  s'en 
imposer  que  pour  encourager  les  talents 
qui  veulent  bien  se  révéler  au  profit  d'un 
art  facile  à  vulgariser.  Et  afin  de  prouver 
à  la  gent  musicale  qu'on  ne  saurait  l'ac- 
cuser injustement  de  désintéressement,  et 
que  tout  ce  qui  touche  à  son  bon  renom 
artistique  l'intéresse,  la  ville  a  fait  exécu- 
ter, à  ses  frais,  la  Muse  de  Paris,  pitto- 
resque partition  du  compositeur  montmar- 
trois Gustave  Charpentier,  l'auteur  de  la 
Vie  du  poète  de  triomphante  mémoire. 

La  Muse  de  Paris!  quel  joli  titre,  et 
surtout  quelle  jolie  idée  dont  nous  sommes 
redevables  à  ce  jeune  et  sympathique 
poète-musicien  dont  l'œuvre  s'est  épanouie 
en  plein  air.  Mais  qu'est-ce  que  c'est 
qu'une  muse?...  C'est,  si  je  ne  me  trompe, 
la  figure  allégorique  de  l'inspiration  :  or 
j'aurais  compris  que  l'on  eût  choisi,  pour 
la  représenter,  une  personne  se  recom- 
mandant soit  par  sa  beauté  intellectuelle, 
soit  par  sa  beauté  plastique;  et  que  l'on 
ne  risquât  pas  de  jeter  le  désarroi  dans 
l'esprit  d'une  modeste  enfant  qui,  par  la 
minorité  qui  l'a  élue,  ne  représente  pas 
même  une  millième  partie  des  ouvrières 
parisiennes. 

Ce  poème  musical  et  symbolique  qui  de- 
vait être  exécuté  le  13  juillet,  place  de 
l'Hôtel-de-Ville  ,  en  l'honneur  du  cente- 
naire de  Michelet  et  dont  l'exécution  fut 
reculée  au  24  juillet  par  un  malencontreux 
orage,  est  divisé  en  sept  parties  :  la  Marche 
des  Cris  de  Paris,  les  Crieurs  publics,  le 
Ballet  du  plaisir  dansé  par  M"''  Blanche 
Mante  et  seize  demoiselles  du  corps  de 
ballet  de  l'Opéra,  l'Apothéose  de  la  Beauté, 


le  Couronnement  de  la  Muse,  les  Souf- 
frances de  l'Humanité,  mimées  par  M.  Sé- 
verin,  et  l'Apothéose  finale. 

Je  ne  puis  mieux  exprimer  la  différence 
qui  existe,  à  l'audition,  entre  cette  œuvre 
et  la  musique  telle  que  l'on  est  habitué  à 
l'entendre  dans  une  salle  close,  qu'en  la 
eom[)arant  à  un  beau  décor  théâtral  repré- 
sentant le  même  sujet  qu'un  tableau  de 
chevalet.  Les  harmonies  sont  dosées  par 
touches  vigoureuses  et  hardies  ;  mais  ce 
n'est  que  du  son  et  de  la  lumière,  non  de 
la  ligne  et  de  la  mélodie.  Et,  si  vous  aimez 
les  décors,  la  Muse  de  Paris  est  un  beau 
décor  musical  dont  se  dégage  une  impres- 
sion de  grandiose  noyée  malheureusement 
dans  le  chaos.  Je  m'explique. 

Dansée,  mimée,  chantée,  exécutée  en 
plein  air  au  milieu  du  brouhaha  de  la  foule 
curieuse  et  turbulente,  bousculée  et  mé- 
contente de  ne  rien  voir,  de  ne  rien 
entendre  d'une  fête  célébrée  à  son  inten- 
tion, les  rythmes  et  les  chants  de  cette 
œuvre  s'évaporent,  se  sauvent  de  çà  de  là, 
se  courent  les  uns  après  les  autres,  et, 
tuant  une  harmonie  par  un  écho,  un  inano 
retardataire  par  un  forte  anticipé,  donnent 
une  confuse  idée  de  ce  qu'elle  peut  bien  être. 
Aussi  un  impartial  jugement  étant  impos- 
sible, du  trottoir  passons  aux  coulisses. 

Là,  aux  Variétés,  malgré  une  mise  en 
scène  burlesque ,  une  exécution  tâton- 
nante, et  une  bien  médiocre  interpréta- 
tion, Lucie  et  le  Trouvère,  —  œuvres  où 
le  génie  a  mis  son  impérissable  griffe  ! 
—  plaisent  encore  et  toujours  à  la  foule. 
Il  n'en  est  pas  de  même  de  l'œuvre  de 
M.  F.  Le  Rey ,  Sœur  Marthe  (histoire 
d'amour  d'une  religieuse  hypnotisée  par 
un  disciple  de  Mesmer)  ;  et  de  la  nouvelle 
scénique  de  M.  Samara,  Martyre  (un  époux 
débauché  dont  l'enfant  meurt  et  la  femme 
s'asphyxie).  De  ces  œuvres,  je  ne  puis 
dire  qu'une  chose  :  rien  dans  l'audition 
n'en  justifie  la  mise  à  la  scène,  et  la  cri- 
tique n'a  aucune  prise  sur  l'indigence  des 
livrets  ou  la  nullité  des  partitions.  Heu- 
reusement qu'en  de  petites  séances  artis- 
tiques, certains  compositeurs  font  appré- 
cier leurs  sincères  talents.  Parmi  eux,  je 
citerai  M™"  Hedwige  Chrétien,  qui,  avec 
le  concours  de  M.  Fournets,  de  l'Opéra, 
fit  interpréter  ses  œuvres  et  récolta  d'am- 
ples moissons  de  bravos.  M™"  H.  Chrétien 
a  bien  voulu  donner  au  Monde  Moderne  la 
primeur  d'une  de  ses  plus  délicates  com- 
positions pour  piano,  ce  dont  nous  la 
remercions  sincèrement. 

Guillaume    Danvers. 


Tarentelle 

Danse    napolitaine    pour    piano    (inédite) 
de  Madame  Hedwige  CHRÉTIEN 

Dédiée  à  M"^^  A.  Paquet-Mille,  directrice  de  V Institut  i^oly technique  de  Passy 

Jouez  avec  une  grande  vivacité,  un  entrain  endiablé,  cette  danse  qui  est,  pour  les  Italiens,  ce  que  la 
farandole  est  pour  nos  compatriotes  de  Provence. 

A  Naples,  lors  des  fêtes  de  la  Saint-Janvier,  martyr  de  Pouzzoles  et  patron  fanatiquement  vénéré  de  la 
ville  (19  septembre),  fêles  qui  coïncident  avec  la  lin  des  vendanges,  la  tarentelle  se  danse  dans  les 
rues,  les  carrefours,  les  villages,  aux  lueurs  de  gais  feux  de  joie. 

Tout  en  observant  avec  soin  les  nuances  que  l'auteur  a  indiquées  et  bien  voulues,  accentuez  la  pédale 
qui  se  trouve,  tantôt  à  la  basse,  tantôt  à  l'aigu,  et  qui  doit  maintenir  la  danse  dans  un  rythme  tou- 
jours très  égal,  afin  d'éviter  une  allure  trop  rapide  ou  des  ralentis  qui  enlèveraient  à  cette  page 
musicale  sa  légèreté  et  sa  couleur  locale.  Très  vivement,  et  avec  sonorité,  articulez  les  appogiatures, 
qui  doivent,  comme  les  minuscules  cymbales  serties  dans  le  cercle  de  bois  des  tambours  de  basque, 
clairement  vibrer. 


Allegro  vivo 


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Tous  droits  de  reproduction  réservés  pour  tous  pays. 


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MEMENTO     ENCYCLOPEDIQUE 
Événements  de  Juillet  1898. 


1.  —  M.  Félix  Faure  va  au  camp  de  Chàlons  pour 
assister  aux  manœuvres  des  bataillons  de  Saint-Cyr  et 
aux  expériences  avec  le  nouveau  canon.  —  Le  droit 
de  7  francs  sur  les  blés  étrangers,  suspendu  provi- 
soirement. e*:t  rétabli.  — ■  L'Etat  prend  possession  du 
canail  du  Midi  et  du  canal  latéral  à  la  Garonne. —  La 


recherche  d'Andrée.  —  En  Italie,  M.  Zeppa  est 
nommé  sous-secrétaire  d'Etat  pour  le  Trésor  et  M.  Bo- 
nardi  pour  la  Justice.  —  Un  mouvement  insurrec- 
tionnel est  provoqué  à  Montevideo  par  le  4<'  régi- 
ment d'artillerie.  Après  une  vive  fusillade,  les  rebelles 
font  leur  soumission.  —  Pour  se  conformer  aux  instruc- 


UNE     SCÈNE     DE     LA     BATAILLE     NAVALE     DE     SANTIAGO 
(Guerre  hispano-américaine.) 


première  Chambre  de  Hollande  adopte  le  projet  sur  le 
service  militaire  obligatoire  et  personnel.  —  L'armée 
américaine  et  la  flotte  américaine  attaquent  simulta- 
nément Santiago,  que  les  Espagnols  défendent  avec 
acharnement.  De  part  et  d'autre  il  y  a  de  nombreux 
tués  et  blessés.  Les  Espagnols  sont  obligés  d'abandonner 
la  première  ligne  de  défense,  mais  les  Américains, 
épuisés  par  le  combat,  ne  peuvent  s'emparer  de  la 
seconde  ligne. 

2.  —  L'Académie  des  beaux-arts  décide  de  ne  pas 
décerner  cette  année  de  1<^''  grand  prix  de  Rome.  Le 
l*'"'  second  grand  prix  est  décerné  à  M.  Malherbe.  — 
Par  décret,  26,000  hommes  de  l'armée  espagnole 
sont  appelés  sous  les  drapeaux.  —  Après  un  nouveau 
combat  devant  Santiago,  les  Américains  gagnent 
encore  du  terrain. 

3.  —  Aux  Toileries,  11"^  concours  national  de 
l'Union  des  sociétés  d'instruction  militaire, 
en  présence  de  M.  F.  Faure.  —  Inauguration  du  buste 
de  Maria  Deraismes  au  square  des  Epinettes.  —  Célé- 
bration du  cinquantenaire  de  Chateaubriand.  — 
Fête  des  Félibres,  à  Sceaux.  —  L'explorateur  Sie- 
"Wert-Brackmoc  part  pour    les   mers   polaires   à    la 


tions     de     son     gouvernement,     l'amiral     Cervera, 

bloqué  dans  la  baie  de  Santiago,  tente  de  sortir.  L'es- 
cadre américaine  ouvre  un  feu  terrible  sur  la  flotte  esi)a- 
gnole,  qui  fait  couler  ou  échouer  ses  vaisseaux  plutôt 
que  de  se  rendre.  Cinq  navires  espagnols  sont  détruits, 
350  Espagnols  sont  tués  et  1,600  prisonniers,  parmi 
lesquels  l'amiral  Cervera. 

4.  —  Le  D'  Leyden,  de  l'Université  de  Berlin,  est 
élu  membre  correspondant  de  l'Académie  des  sciences 
en  remplacement  du  D'  Tholozan.  —  Une  ambassade 
envoyée  par  Ménélick  auprès  du  gouvernement 
français  arrive  à  Marseille.  —  Mort  du  peintre  Auguste 
Allongé.  —  Une  collision  se  produit,  près  Sable-Island, 
entre  le  transatlantique  «  Bourgogne  »  et  le 
Cromirtyshire.  La  Bourgogne  coiile  ;  625  passagers  et 
marins  sont  noyés,  184  sont  sauvés.  —  L'empereur 
d'Allemagne  part  pour  un  voj'age  en  Norvège. 

5.  —  M'""  Dreyfus  écrit  au  garde  des  sceaux  pour 
demander  qu'il  poursuive  l'annulation  du  jugement  pro- 
noncé contre  son  mari,  la  loi  ayant  été  violée  par  la 
communication  de  pièces  secrètes  au  conseil  de  guerre. 
— -  Le  D''  Peyrot  est  élu  membre  de  l'Académie  de 
médecine    en    remplacement     du    D''    Péan,    décédé.    — 


«LA     BOURGOGNE)) 

(de  la  Compagnie  transatlantique).  —  Avant  le  naufrage 
du  4  juillet. 


L'ambassade  abyssine,  accompagnée  de  M.  La- 
garrto,  ministre  plénipotentiaire,  arrive  à  Paris. 

6.  M.  Vallé   est  nommé  sous-secrétaire  d'Etat  à 

l'Intérieur  et  M.  Mougeot  aux  Postes  et  Télégraphes. 

—  Mort  de  Cornélius  Herz  à  Bournemouth.  —  Le 
Sénat  américain  vote  l'annexion  des  îles  Hawai.  Le 
président  Mac-Kiiilev  signe  une  réso'ution  dans  ce  sens. 

—  Le  prince  et  la  princesse  de  Bulgarie  vont 
rendre  visite  aux  souverains  de  Roumanie. 

7.  —  Mort  de  M.  Buffet,  sénateur  inamovible.  — 
Mort  de  M.  Gaillard,  sénateur  du  Puy-de-Dôme.  — 
Sont  nommés  :  évêque  de  Biyeux,  l'abbé  Amette; 
évêque  de  Coutances,  l'abbé  Guéraud  ;  évêque  d'Angers, 
l'abbé  Rumeau;  évêque  d'Oran,  l'abbé  Cantel;  arche- 
vêque d'Alger,  Ms"-  Oury,  évêque  de  Dijon.  —  En  réponse 
à  une  interpellation  à  la  Chambre,  M.  Cavaignac, 
ministre  de  la  guerre,  affirme  que  Dreyfus  est  coupable 
et  donne  connaissance  d'un  certain  nombre  de  pièces 
tendant  à  établir  la  culpabilité.  Li  Chambre  vote  l'affi- 
chage du  discours  du  ministre.  —  L'empereur  d'Allemagne 
adresse  à  M.  F.  Faure  un  télégramme  de  condo- 
léances au  sujet  du  naufrage  de  la  Bourgogne.  —  Le 
khédive,  venant  d'Alexandrie,  arrive  en  Italie.  —  Le 
lieutenant  Dubois,  parti  pour  occuper  Kiou  (Congo 
belge),  est  surpris  par  les  révoltés  et  tué  avec  _3J  de 
ses  soldats.  —  Les  amiraux  communiquent  aux  Cretois 
leurs  décisions  concernant  l'administration  provisoire  de 
la  Crète.  Les  amiraux  exerceront  l'autorité  dans  les  villes 
et  les  troupes  musulmanes  sont  maintenues  provisoirement 
dans  l'île. 

8.  —  Le  tsar  et  la  reine  Victoria  adressent  des  télé- 
grammes particuliers  de  condoléances  à  M.  F.  Faure 
au  sujet  du  naufrage  de  la  Bourgogne.  —  L'ambas- 
sade abyssine  est  reçue  à  l'Elysée.  —  Inauguration, 
au  cimetière  Montparnasse,  du  monument  élevé  à 
Tolain.  —  L'escadre  de  l'amiral  Camara  repasse 
le  can.al  de  Suez  pour  revenir  en  Espagne.  —  La  Porte 
proteste    contre  le  régime    provisoire   élaboré    pour    la 


Crète  par  quatre   grandes  puissances   sur  six.  —  Ré- 
volte des  Pavillons-Noirs  en  Chine. 

9.  —  D  lus  une  lettre  adressée  au  président  du  conseil, 
le  lieutenant-colonel  Picquart  conteste  l'authen- 
ticité ou  la  valeur  des  pièces  communiquées  à  la 
Chambre  par  le  ministre  de  la  guerre.  —  Inauguration, 
à  Altona,  du  momiment  élevé  en  l'honneur  du  prince 
de  Bismarck. 

10.  —  Inauguration  du  monument  élevé  dans  les 
j;inlins  du  Luxembourg  k  la  mémoire  de  Leconte  de 
Lisle.  —  Le  général  Toral  ayant  refusé  de  rendre 
Santiago  sans  conditions,  les  Américains  recom- 
mencent à  bombarder  la  ville.  —  Inauguration  du 
chemin  de  fer  du  Congo. 

11.  —  La  Chambre  vote  le  projet  des  quatre 
contributions.  —  La  ligue  internationale  des  femmes 
pour  le  désarmement  général  demande  au  président 
Mac-Kinley  de  tendre  un  rameau  d'olivier  à  celle 
qui  gouverne  si  noblement  l'Espagne. 

12.  —  Le  ministre  de  la  guerre  adresse  une  plainte 
au  garde  des  sceaux  contre  le  lieutenant-colonel 
Picquart  et  contre  M"^  Leblois.  Des  perquisitions  sont 
opérées  au  domicile  de  M.  Picquart.  —  Arrestation  du 
commandant  Esterhazy  et  de  sa  maîtresse.  Ils 
sont  poursuivis  pour  faux.  —  M  Schagdenhaufifen 
est  élu  associé  national  de  l'Académie  de  médecine.  — 
La  jeunesse  des  écoles  se  rend  eu  pèlerinage  au  tombeau 
de  Michelet. 

13.  —  Arrestation  du  lieutenant-colonel  Pic- 
quart. —  Clôture  de  la  session  parlemientaire.  — 
Fête  du  Centenaire  de  Michelet  au  Panthéon,  en 
présence  de  M.  P.  Faure  et  des  ministres.  —  A  l'Hôtel 
de  Ville,  banquet  offert  aux  maires  des  grandes 
villes  de  France.  —  La  France  fait  opposition  sur  les 
sommesàprovcnir  de  l'indemnité  de  guerre  (guerre  gréco- 
turque)  jusqu'à  concurrence  des  réclamations,  la  Turquie 
ayant  décliné  toute  responsabilité  dans  les  massacres 
d'Arménie. 


M  I-:  M  KN  TO    EN  C  V  C  LO  PEl)  I  g  U  E 


459 


Cl,  E.  Piroii,  St-( 
M.      BUFFET 
Sénateur  inamovible,  décéilé  le  7  juillet. 


14.  —  Fête  nationale.  L'ambassade  abyssine  as 
siste  à  la  revue  de  Longchamp.  —  Au  carrefour  de  l'Ob- 
serviitoire,  inauguration  du  monument  érigé  à 

la  mémoire  du  lieutenant  de  vaisseau 
Francis  Gaurnier.  —  La  place  de  San- 
tiag^O,  dépourvue  de  vivres  et  de  munitions, 
capitule. 

15.  —  En  Espagne,  un  décret  suspend  les 
droits  individuels  contenus  dans  la 
Constitution  de  la  monarchie.  —  Ouverture 
du  congrès  des  habitations  ouvrières  à 
Bruxelles.  —  Le  gouvernement  italien  de- 
mande à  la  Colombie  d'exécuter  à  bref 
délai  la  sentence  arbitrale  prononcée  par  le 
président  des  Etats-Unis,  le  3  mars  18i)7, 
dans  l'affaire  Cerruti,  accordant  une  somme 
d'argent  au  citoyen  italien  lésé. 

16.  —  A  l'occasion  du  14  juillet,  M.  F.  Faure 
signe  un  décret  de  grâces.  —  Le  Jourmil 
officùl  publie  un  important  mouvement 
administratif.  Douze  préfets  sortent  de 
l'administration.  —  Les  préliminaires  pour 
la  capitulation  de  Santiago  sont  signés. 
Les  troupes  espagnoles  sortiront  avec  les 
honneurs  de  la  guerre  et  seront  rapatriées 
aux  frais  des  Etats-Unis. 

17.  —  M.  Gontaut  tst  élu  sénateur  des 
Ardennes  par  422  voix,  en  remplacement  de 
M.  Linard,  décédé.  —  Inauguration  du  mo- 
nument d'Alain  Chartier  à  Bayeux.  — 
Inauguration  du  monument  de  Carnot  à  la 
Fertè-Alais  (Seine-et-Oise).  —  Inauguration 
du  tunnel  de  8,100  mètres  à  travers  le  col 
de  Tende,  sur  la  ligne  de  chemin  de  fer  de 
Cimco,  par  les  Alpes-Maritimes,  à  Vintimille 
et  à  Nice.  —  Le  général  Shafter  prend 
possession  de  Santiago  et  remet  les  pouvoirs 
à  la  municipalité  espagnole.   —   Le    général 


M, 

arts. 


insurgé  Calixto  Garcia,  mécontent  de 
n'avoir  pas  été  chargé  de  coopérer  il  l'ocoi- 
pation  de  Santiago,  se  sépare  des  Américains 
et  se  retire  avec  ses  troupes.' 

18.  —  La  cour  d'assises  de  Versailles, 
jugeant  par  défaut,  condiinme  £mile  Zola 
et  Ferreux  chacun  à  un  an  de  prison  et 
3,0UO  francs  d'amende  pour  diffamation 
envers  le  premier  conseil  de  guerre.  A  la 
suite  d'incidents  qui  se  produisent  à  la 
sortie  de  l'audience,  un  duel  a  lieu  entre 
MM.  Déroulède  et  Hubbard.  Ce  der- 
nier ayant  fait  usage  de  la  main  gauche,  le 
combat  est  arrêté.  —  Les  Américains  bom- 
bardent Manzanillo.  —  Le  prince  de 
Galles  se  fracture  la  rotule  du  genou  en 
tombant  dans  un  escalier. 

19.  —  Inauguration  du  musée  des 
moulages  au  Louvre.  —  Inauguration  de 
la  prison  de  Fresnes-lez  Rungis, 
remplaçant  les  prisons  de  Mazas,  la  Grande- 
Roquette  et  Sainte-Pélagie.  —  M.  Emile 
Zola  part  pour  l'étranger.  —  Le  Journal 
ojfjciel  publie  un  deuxième  mouvement 
administratif  portant  sur  12.j  sous-pré- 
fectures et  secrétariats  généraux.  —  A  la 
distribution  des  prix  de  l'Ecole  Albert 
le  Grand,  à  Arcueil,  le  P.  Didon  prononce 
un  discours  en  faveur  de  la  subordination 
du  pouvoir  civil  au  pouvoir  militaire.  Le 
général    Jamont   présidait   cette    cérémonie. 

—  La  Turquie  refuse  de  faire  droit  aux 
réclamations  de  la  France  concernant  les 
dommages  causés  par  les  massacres 
d'Arménie.  —  Reddition  des  places  de 
Caïinanera  et  Guantanamo  (Cuba). 

20.  —  Arrivée  à  Marseille  de  l'explora- 
teur Gentil,  qui,  le  premier,  a  fait  navi- 
guer lui   bateau  à   vapeur  sur  le  lac    Tchad. 

—  Arrivée  du  roi  de  Grèce  à  Aix-les- 
Bains.    —    Arrivée     des    ambassadeurs 

n-  £j3yssins    à    Vichy.    —    Une    émeute    est 

provoquée  à  'Valparaiso  par  le  vote  de  la 
Chambre  eu  faveur  de  l'émission  de  papier- 
monnaie. 

21.  —  Inauguration  des  nouvelles  galeries 
au  muséum    d'histoire  naturelle.  — 

Flameng  est  élu  membre  de  l'Académie  des  beaux- 
en   remplacement  de  M.  Blanchard,  décédé.  —  Le 


l'ambassade      AB'iSSIXE 


460 


MEMENTO    ENCYCLOPÉDIQUE 


LE    MONUMENT     ÉLEVÉ     AU     LU 
A     LA     MÉMOIRE 
DU     POÈTE      LECONTE     DE 
(Puech,   sculpteur.) 


prince  de  Bulgarie  et  la  princesse  sont  reçus  au 
château  Alexamlria,  à  Saint-Pétersbourg,  par  les  souve- 
rains russes.  —  Découverte  d'un  complot  contre  le  pré- 
sident de  l'Uruguay,  M.  Cuestas.  —  Le  Président 
de  la  République  du  Brésil  rend  visite  au  roi 
d'Italie. 

22.  —  Aux  Philippines,  le  chef  insurgé  Aguinaldo 
abau'ionne  Cavité  aux  Américains  et  établit  son  quartier 
général  à  Bacoor.  11  proclame  la  dictature  et  forme  un 
ministère.  —  La  Chambre  des  Communes  d'Angleterre 
vote  une  somme  de  200  millions  pour  l'augmentation  de 
la  flotte.  —  Les  puissances  approuvent  le  refus  des 
amiraux  de  laisser  débarquer  des  troupes  turques  en 
Crète. 

23.  —  Dans  une  circulaire  aux  commandants  de  corps 
d'armée,  le  ministre  de  la  guerre  fixe  les  conditions  dans 
lesquelles  les  chefs  militaires  pourront  accepter  de  pré- 
sider «les  distributions  de  prix.  —  Inauguration  de 


la  mairie  de  Vanves.  —  Ma- 
nifestations     anti -juives      à 

Alger.  La  troupe  charge.  Il  y  a 
plusieurs  blessés.  —  L'Assemblée 
nationale  de  Crète  accepte  le 
projet  d'administration  provisoire 
présenté  par  les  amiraux.  —  Les 
Américains  attaquent  Nippe  (Cuba), 
qui  se  rend.  —  L'escadre  italienne 
arrive  à  Carthngéna  et  somme 
le  gouvernement  de  Co- 
lombie de  donner  satisfaction  dans 
les  vingt  jours  aux  demandes  de 
l'Italie. 

24.  —  Inauguration  de  la  passe- 
relle de  Créteil.  —  Célébration  de 
la  fête  de  la  Muse,  sur  la  place 
de  l'Hôtel-de-Ville.  —  Mort  de 
M.  Chaulin-Serviniére,  député 
de  la  Mayenne.  —  M.  Fortier  est 
élu  sénateur  de  la  Seine-Inférieure, 
par  825  voix,  en  remplacement  de 
M.  Eouland,  décédé.  —  M.  Bazire 
est  élu  sénateur  de  la  Manche,  par 
808  voix,  en  remplacement  de 
M.  Morel,  nommé  sous-gouverneur 
de  la  Banque  de  France,  démission- 
naire. —  Le  Khédive  arrive  à 
Paris,  venant  de  Vienne.  —  Arrivée 
du  comte  Leontieff,  venant 
d'Abyssinie  pour  subir  une  opération 
nécessitée  par  des  blessures  reçues 
au  cours  de  son  exploration.  — 
Reprise  des  relations  amicales  entre 
la  France  et  le  Paraguay,  relations 
suspendues  depuis  trois  ans.  —  Les 
Américiins  envoient  une  armée  de 
40,000  hommes  à  Porto-Rico. 

25.  —  Ouverture  du  Congrès 
de  navigation  à  Bruxelles. 

26.  —  M.  F.  Faure  part  pour 
Le  Havre.  —  M.  Laferrière,  vice- 
président  du  Conseil  d'État,  est 
nommé  gouverneur  général  de 
l'Algérie  en  remplacement  de  M.  Lé-  • 
pine.  —  M.  Cambon,  ambassadeur 
de  France  à  Washington,  présente, 
au  nom  de  l'Espagne,  un  message 
au  président  Mac-Kiuley  dans  le  but 
de  mettre  fin  à  la  guerre,  lui  de- 
mandant de  faire  connaître  les  con- 
ditions de  la  paix.  —  L'armée  anglaise 
reprend  sa  marche  vers  l'Omdurman 
(Soudan  égyptien).  —  Le  comte 
Minto  est  nommé  gouverneur  du 
Canada. 

27.  —  Prix  de  Rome,  pein- 
ture :  1"  grand  prix,  M.  CUbert, 
élève  de  ftérôme;  deuxième  l'"'  grand 
prix,  M.  Laparra,  élève  de  Lefebvre. 
—  Un  décret  suspend  les  droits  de 
M.  Zola  comme  officier  de  l.i  Légion 
d'honneur.  —  Ouverture  du  Congrès 
de  11  tuberculose.  —  La  province  de 
Kouang-Si  (Chine)  est  toujours 
en  rébellion.  Les  insurgés  sont  au 
nombre  de   40,000.  Leur    but    est   le 

renversement    de     la    dynastie    actuellement    régnante. 

28.  —  La  mission  commandée  par  le  capitaine 
Cazemajou,  allant  du  Niger  au  lac  Tchad,  est  attaquée 
par  les  indigènes  de  Zinder.  Le  capitaine  et  sept  hommes 
sont  tués.  —  L'accord  s'étant  fait  entre  les  puissances 
et  la  Porte  au  sujet  de  l'autonomie  de  la  Crète, 
les  amiraux  demandent  à  leurs  gouvernements  d'accéder 
au  retrait  des  autorités  et  des  troupes  turques,  demandé 
par  les  Cretois.  —  Le  roi  et  le  prince  de  Roumanie 
arrivent  à  Saint-Pétersbourg,  où  ils  sont  reçus  par  le 
tsar.  —  Réunion  du  Congrès  international  des  chi- 
mistes, à  Vienne  (Autriche). 

29.  —  Distribution  des  prix  du  Concours  général 
sous  la  présidence  de  M.  Bourgeois,  ministre  de  l'instruc- 
tion publique.  —  Conditions  de  paix  imposées  par 
le  cabinet  américain  :  les  États-Unis  ne  demandent 
aucune  indemnité  pécuniaire,  mais  ils  exigent  l'abandon 
de  la  souveraineté  espagnole    sur  Cuba    et  l'évacuation 


XEMBOURG 


L  I S  L  E 


MEMENTO    ENCYCLOPÉDIQUE 


•i61 


immédiate  de  cette   île;   la  cession   aux    États-Unis  et 
l'évacuation  immédiate  de  Porto-Rico  et  des  autres  îles 


LE      PRINCE      DE     BISMARCK 
(Ex -chancelier    de    l'empire     d'Allemagne.) 


placées  sous  la  souveraineté  de  l'Espagne  dans  les  Indes 
occidentales  ;  la  cession  semblable  d'une  des  îles  Ladrone. 
Les  Etats-Unis  occuperont  et  garderont  la  ville,  la  baie 
et  le  port  de  Manille  pendant  la  conclusion  du  traité 
de  paix  qui  déterminera  le  sort  des  Philippines,  leur 
administration  et  leur  gouvernement.  —  La  ville  de 
Ponce  (Porto-Rico)  se  rend  aux  Américains.  —  Arrivée 
à  Manille  de  la  troisième  expédition  sous  les  ordres  dn 
général  Merrit. 

30.  —  Calixto  Garcia,  mécontent  de  l'attitude  deî 
Américains,  abandonne  le  commandf>ment  des  insurges 
de  la  province  de  Santiago.  —  Les  rebelles  de 
l'Yemen  (Turquie)  sont  battus  à  Cazinaïs  par  les 
troupes  turques.  —  Mort  du  prince  de  Bismarck, 
ex-premier,  chancelier  de  l'empire  d'Allemagne.  Il  était 
né  le  l''"'  avril  1815. 

31.  —  Elections  au  Conseil  général  et  au  Conseil 
d'arrondissement.  Les  partis  conservent  leurs  positions. 

—  Bourrillon  gagne  le  Grand  Prix  cycliste  de  Paris.  — 
Mort  de  M.  Félix  Pécaud,  inspecteur  général  de  l'en- 
seignement. —  La  Skouptchina  de  Serbie  décerne 
le  titre  de  «  Grand  »  au  prince  Milosch,  fondateur  de  la 
dynastie  des  Obrenovitch  et  créateur  de  la  Serbie 
moderne.  —  M.  Cambon,  ambassadeur  de  France  à. 
Washington,  obtient  du  président  Mac-Kinley  des  adou- 
cissements aux  conditions  de  paix  avec  l'Espagne. 

—  L'empereur  d'Allemagne  rentre  de  Norvège  à  la 
nouvelle  de  la  mort  de  M.  de  Bismarck. 


LA     MODE     DU     MOIS 


Lorsque  l'été  s'est  montré  de  méchante  humeur, 
l'arrière-saison  est  généralement  belle.  Septembre, 
si  le  proverbe  est  vrai,  nous  promet  donc  d'heu- 
reux jours.  On  s'amusera  encore  aux  eaux,  aux 
bains  de  mer  et  à  la  campagne.  Aussi,  cette  élé- 
gante   toilette   se  portera-t-elle   avec  non   moins 


lirelle  est  assortie  à  la  toilette,  mais  en  mousseline 
de  soie  au  lieu  d'être  en  mousseline  de  l'Inde. 
Elle  est  montée  sur  un  manche  de  bambou,  ter- 
miné par  un  milord  en  or. 

Toutes  les  femmes  qui  savent  s'habiller  doivent 
avoir  dans  leur  garde-robe  une  jupe  de  satin  noir. 


-iiS^2;^J  -     ^-^ 


d'agrément    dans  un   casino    qu'à   une    réception 
champêtre  (n°  1). 

Elle  est  en  mousseline  citron,  garnie  de  guipure 
bise.  Le  haut  volant  composant  le  bas  de  la  jupe 
et  les  entre-deux  ornant  le  tablier  en  pointe  sont 
en  guipure.  Le  corsage,  blousé,  est  en  mousseline, 
ouvert  sur  un  intérieur  en  taffetas  citron,  rayé 
en  travers  par  des  petits  velours  noirs.  Le  volant, 
qui  forme  berthe  autour  de  l'ouverture  du  corsage, 
est  liseré  par  un  entre-deux  en  guipure  bise.  Bas 
de  soie  écrue  et  souliers  en  cuir  de  Russie.  Gants 
de  Suède  citron  et  chapeau  rond,  en  paille  de  riz 
très  légère,  couronné    de  fleurs  de   saison.  L'om- 


Rien  n'est  plus  commode,  le  noir  allant  avec  tout 
et  pouvant  se  porter  un  peu  en  toute  circonstance. 
Celle-ci  (n°  2)  est  soulevée,  non  pas  doublée,  sur 
un  dessous  en  faille  rouge.  Elle  est  coupée  en 
forme;  le  haut  volant,  qui  compose  en  partie  la 
jupe,  est  légèrement  long  et  monté  sur  un  tablier 
rond,  orné  d'un  triple  rang  de  doubles  piqûres.  On 
peut,  à  volonté,  remplacer  ces  piqûres  par  un 
entre-deux  de  guipure  noire,  un  galon  de  fantaisie, 
du  jais.  etc.  La  veste-habit,  comme  une  veste  de 
chasse,  est  en  drap  rouge,  ornée  de  boutons  d'or. 
Les  revers  et  le  col  rabattu  sont  en  drap  blanc, 
de   même    que  le   gilet,  que    l'on    peut   fort  bien 


LA     MODE    DU    MOIS 


463 


mettre  aussi  en  piqué.  Chemise  à  jabot,  avec  col 
droit  et  cravate  de  satin  noir. 

Le  chapeau,  tout  à  fait  inédit,  est  en  paille 
manille  maïs  foncé,  orné  de  coques  de  velours 
noir  posées  en  aigrette,  bien  en  avant  et  retenues 
par  une  boucle  ancienne  en  strass.  Des  plumes 
grises  et  des  roses  roses  achèvent  l'ornementation 
de  ce  chapeau  de  genre  tout  à  fait  coquet. 

Chez  elle,  une  femme  est  infiniment  mieux  mise 
avec  un  élégant  déshabillé  ou  une  coquette  robe 
de  chambre,  qu'avec  la  plus  belle  des  robes,  le 
matin  surtout.  Notre  modèle  (n°  3),  qu'une  jeune 
mi're  pourrait  fort  bien  accepter  pour  ses  relevailles, 
est  en  surah  crème.  On  pourrait  le  choisir  rose, 
bleu,  mauve,    jonquille    ou  blanc.    C'est  une  robe 


''W^'^*  "(jlflN  >^ 


princess:  ajustée  dans  le  dos  et  vague  devant. 
Elle  est  à  longue  traîne  avec  pli  Watteau  rapporté 
dans  le  dos.  Un  fichu  Marie-Antoinette,  dont  les 
pans  accompagnent  la  jupe  jusqu'en  bas,  devant, 
lui  sert  de  garniture.  Ce  fichu  croisé  est  en  mous- 
seline de  soie  blanche  ou  assortie  de  ton  avec  la 
robe,  orné  de  dentelle  ou  de  trois  volants  ourlés 
de  dentelle  moins  haute.  Les  manches  s'arrêtent 
aux  coudes.  Un  coquille  assorti  à  la  garniture  du 
fichu  en  souligne  la  couture  extérieure,  et  forme 
sabot  au  bas  du  coude. 

Il  est  bien  entendu  qu'on  pourrait  à  volonté 
porter  les  manches  longues  ;  et  que  ce  modèle,  en 
petit  drap,  en  mousseline  de  laine,  en  cachemire, 
en  crêpe  de  chine  ou  en  tissu  de  fantaisie  serait 
également  joli. 

Cette  fois-ci  la   jupe  est  en  petit  drap  noir,  au 


lieu  d'être  en  satin  (n°  4).  Très  collante  elle  est 
doublée  de  tafi'etas  mauve,  ou  noir,  suivant  l'usage 
qu'on  en  veut  faire.  Elle  est  agrémentée  d'un 
volant  en  forme,  très  haut  derrière,  très  bas  devant 
et  appuyant  à  terre. 

Le  corsage  peut  se  faire  de  deux  façons  :  en 
taffetas  noir,  il  composera  une  très  jolie  toilette 
de  petit  deuil  ;  dans  ce  cas,  le  haut  des  manches 
devra  être  orné  d'un  léger  bouffant.  En  taffetas 
crème  ou  de  nuance  claire,  avec  motifs  de  guipure 


formant  épaulettes  sur  les  épaules,  il  fera  une 
blouse  habillée  très  gentille. 

Le  chapeau,  relevé  devant,  est  en  paille  d'Italie 
garnie  de  velours  noir  et  de  deux  plumes,  que  l'on 
peut  à  volonté  porter  blanches,  grises  dégradées 
ou  noires. 

Bas  de  soie  ou  de  fil  d'écosse  noir,  et  souliers  de 
chevreau  glacé  à  barrettes  boutonnées. 

Gants  de  chevreau  crème  ou  noir. 

D'ores  et  déjà,  je  puis  annoncer  que  les  jaquettes 
d'hiver  se  feront  à  basques  longues.  Ce  seront 
presque  des  hasquines,  comme  au  temps  jadis. 


464 


LA    MODE    DU    MOIS 


PRESEANCE 

Il  y  a  dans  la  vie  mondaine  un  code  de  bien- 
séance, tout  comme  il  y  a  un  protocole  pour  régler 
les  rapports  que  doivent  avoir  entre  eux  les 
membres  du  monde  diplomatique  et  du  monde 
oflBciel.  C'est  à  l'observance  des  règles  de  ce  code 
que  l'on  reconnaît  les  personnes  de  bonne  édu- 
cation. 

En  voiture.  —  Lorsqu'on  fait  une  promenade  en 
voiture,  la  femme  s'assied  toujours  à  droite  et  son 
mari  à  gauche.  La  femme  garde  la  droite,  même 
lorsqu'elle  invite  une  de  ses  amies  à  sortir  avec 
elle.  Elle  ne  cède  sa  place  qu'à  une  personne  plus 
âgée,  ou  à  laquelle  elle  tient  à  rendre  un  respec- 
tueux hommage.  Elle  cède  le  pas,  par  exemple,  et 
fait  monter  la  première  la  personne  invitée.  Au 
contraire,  elle  descend  en  avant,  et  offre  la  main 
à   son   amie  pour  l'aider  à  mettre  pied  à  terre. 

L'homme  monte  le  dernier  et  descend  toujours 
le  premier  de  voiture.  Il  oflFre  la  main  à  la  femme 
et  veille  à  ce  qu'aucun  accident  ne  lui  arrive. 

A  pied.  —  La  bienséance  veut  que,  dans  la  rue, 
l'homme  prenne  le  bord  du  trottoir  et  fasse  passer 
la  femme  du  côté  des  maisons. 

Une  femme  agira  de  même  à  l'égard  d'une  autre 
femme  plus  âgée  qu'elle,  ou  d'un  enfant. 

Lorsqu'un  homme  offre  son  bras  à  une  femme, 
c'est  toujours  le  bras  gauche,  afin  de  garder  le 
bras  droit  libre  pour  la  défendre  le  cas  échéant. 

Les  officiers  seuls,  en  raison  de  l'épée  qu'ils 
portent  à  gauche,  oiïrent  le  bras  droit. 

Il  est  de  très  mauvais  ton  qu'un  homme  s'ap- 
puie sur  le  bras  d'une  femme,  quoique  certains 
snobs  cherchent  à  implanter  chez  nous  cette 
mode  d'outre-Manche  et  d'outre- Rhin. 

Le  salut.  —  La  galanterie  française  traite  la 
femme  en  reine.  Or,  c'est  à  la  reine  que  s'adressent 
toujours  tous  les  hommages.  Un  homme,  dans  un 
salon,  doit  donc  s'avancer  respectueusement  vers 
une  femme  pour  la  saluer;  il  ne  lui  tend  jamais 
la  main  le  premier,  quel  que  soit  l'âge  respectif 
de  cet  homme  et  de  cette  femme,  à  moins,  bien 
entendu,  qu'ils  n'aient  ensemble  des  rapports 
d'une  grande  intimité. 

Cette  même  raison  fait  que,  dans  la  rue  ou  tout 
autre  lieu  public,  un  homme  ne  doit  pas  saluer 
une  femme  sans  y  avoir  préalablement  été  invité 
par  un  regard  l'assurant  qu'il  a  été  reconnu,  et 
qu'il  a  le  droit  d'en  faire  autant. 

La  révérence,  pour  les  femmes,  redevient  à  la 
mode;  elle  remplace  avec  avantage  le  salut  à  la 
russe  raide  et  un  peu  cavalier. 

Dans  l'escalier.  —  Lorsqu'un  homme  et  une 
femme  montent  ensemble  un  escalier,  l'homme 
précède  la  femme  ;  quand  ils  descendent,  c'est  le 
contraire  qui  se  produit. 

Un  homme  doit  toujours  saluer  une  femme, 
même  inconnue,  qu'il  croise  dans  un  escalier. 

Enfin,  lorsqu'il  est  obligé  de  donner  le  bras  à 
une  femme  souffrante,  infirme  ou  âgée,  l'homme 
prend  le  côté  de  la  rampe,  c'est-à-dire  celui  où  les 
marches  de  l'escalier  sont  le  plus  étroites. 


NOS    PATRONS 

Mante  Louis  XV. —  Cette  mante  se  fait  longue, 
en  drap  clair,  mastic,  noisette,  gris  argent  ou 
poussière,  beurre  frais,  cuir,  etc.,  doublé  de  satin 
liberty  assorti.   Elle  est  bordée,   tout    autour    du 


vêtement,  par  un  volant  eu  forme;  on  peut,  à 
volonté,  en  mettre  deux  ou  trois.  Un  volant 
intérieur,  en  soie,  augmente  l'élégance  du  vête- 
ment, et  lui  donne  plus  de  flou.  Le   col  Valois  est 


légèrement  godaillé  ;  le  manteau  se  ferme  par  une 
boucle  normande  ancienne,  en  vieil  argent.  Ce 
vêtement  se  coupe  droit  fil.  Il  prend  en  moyenne 
3"", 50  de  drap  et  de  5  à  6  mètres  de  doublure  sui- 
vant qu'on  fait  le  volant  intérieur  simple  ou 
double.  Le  même  modèle  se  fait  également  en 
noir  pour  les  personnes  en  deuil. 


LA    MODK    DU    MOIS 


465 


OUVRAGES    DE    DAMES 

L'automne,  dont  nous  approchous  à  grands  pas, 
est  la  saison  des  réinstallations  intérieures,  à  la 
campagne  comme  à  la  ville.  Les  soirées  devien- 
nent plus  fraîches,  les  fenêtres  commencent  à  se 
fermer,  et  comme  les  jours  diminuent  sensible- 
ment, on  allume  de  nouveau  les  lampes.  C'est  donc 
l'instant  de  songer  à  les  parer.  De  même,  aux 
boissons  fraîches  succède  le  thé,  plus  tonique  et 
plus  réconfortant,  après  les  belles  promenades  à 
travers  les  bois,  sur  les  falaises,  ou  au  sommet  des 
montagnes.  Pendant  les  jours  de  pluie,  la  lecture 
redevient  une  distraction  appréciée.  J'ai  donc 
pensé  à  donner,  comme  travaux  de  fantaisie,  aux 
lectrices  du  Monde  Moderne  des  objets  appropriés 
à,  tous  les  besoins  imposés  par  la  saison  nouvelle. 

A'o  1.  —  Stores  Richelieu.  —  Ce  sont  d'abord 
deux   petits  stores  disposés  de  façon  à  produire 


l'efïet  d'un  seul.  L'avantage  d'en  avoir  deux  au 
lieu  d'un  est  de  pouvoir  ouvrir  facilement  les  fe- 
nêtres, même  quand  celles-ci  sont  au  niveau  du 
mur,  et,  lorsqu'on  travaille  ou  qu'on  lit,  de  ne 
donner  du  jour,  en  relevant  le  store,  que  du  côté 
où  l'on  en  a  besoin.  Notre  dessin  n»  1  représente 
une  vue  d'ensemble  des  deux  stores,  dont  la  bor- 
dure, en  broderie,  est  disposée,  je  le  répète,  de 
façon  à  jouer  l'eflFet  d'un  seul. 

N"    2.  —    Détail   d'un  des  petits  stores.  —  Ces 
stores  sont  ravissants  en  toile  bise.  On  peut  éga- 


lement les  faire  en  soie  écrue.  A  la  hauteur  de  la 
broderie,  on  double  la  toile  par  une  étamine  un 

VIII.  -   30. 


peu  solide,  en  fil,  en  soie,  en  coton  ou  en  ficelles  ; 
on  brode  sur  la  toile,  en  mordant  sur  l'étamine, 
avec  du  coton  ou  de  la  soie  d'un  blanc  absolument 
pur.  La  broderie  doit  former  ce  que  l'on  appelle 
du  galon  brodé,  absolument  comme  dans  la  bro- 
derie Richelieu.  On  borde  tout  l'extérieur  par  un 
feston,  toujours  comme  dans  la  broderie  Richelieu. 
Puis  on  découpe  toute  la  toile  du  fond  qui  se 
trouve  remplacée  par  l'étamine  du  dessous,  ce  qui 
met  la  broderie  en  relief. 

-V"   3.  —  Détail   d'un    des  motij'^  de  bordure.  — 


Broderie   en   galon  autour   et  à  l'intérieur  de  la 
fleur,  festons  à  l'endroit  qui  forme  bordure. 

.V"  4.   —  Couverture    de  livre.   —    Une  femme 
élégante  de  notre  temps  ne   se   contente  plus  de 


recouvrir  soigneusement  avec  du  papier  le  livre 
qui  channe  ses  loisirs.  Elle  l'habille  au  contraire 
fort  élégamment,  et,  quand  elle  le  peut,  d'étoffes 
anciennes,  ou  de  broderies  rappelant  les  siècles 
passés.  La  couverture  que  nous  donnons  est  en 
soie  gris  argent,  brodée  de  coucous  aux  nuances 
naturelles,  mais  un  peu  éteintes,  jaune   pour    les 


LA    MODE    DU    MOIS 


fleurs,  et  vei-t  pour  le  feuillage.  La  bande  orne- 
mentale qui  coupe  en  biais  le  dessus  de  la  couver- 
ture, en  bas,  à  gauche,  est  en  galon  ancien  vieil  or, 
ou  vieil  argent,  brodé  en  fils  d'or  japonais.  L'im- 
portant est  que  cela  brille,  et  que  cela  joue  le 
genre  moyen  âge  vieilli  par  le  temps.  Les  fermoirs 
sont  brodés  d'or,  les  contours  doivent  être  en 
liroderie  épaisse,  très  bourrée  à  l'intérieur,  afin  de 
donner  du  relief  et  de  jouer  aux  vieux  fermoirs. 
La  broderie  intérieure,  au  contraire,  est  en  fil 
simple,  et  plate  par  conséquent.  Des  rubans,  pris 
sous  les  fermoirs,  sont  destinés  à  fermer  le  livre. 

La  doublure  est  en  soie  ancienne.  Le  montage 
se  fait  comme  celui  d'un  portefeuille  ou  d'un 
porte-musique,  ainsi  que  l'indique  la  rayure  inté- 
rieure sur  le  dessin.  La  couverture  du  livre  se 
glisse  sous  le  pli,  de  chaque  côté,  et  maintient  le 
volume  dans  cette  reliure  mobile. 

On  peut  faire  encore  cette  couverture  en  cuir 
brodé  de  soie,  ou  bien  peinte  sur  une  toile  bise, 
et  ne  broder  que  le  galon  et  les  fermoirs. 

.Y"  5.  —  Détail  d'une  flcnr.  —  Les  fleurs,  en 
soie   jaune,  sont  brodées   en  plein  et  bourrées  en 


des  petits  rubans  rococos  verts,  cousus  à  plat.  Ces 
petits  rubans  sont  noués  sur  le  bord  en  nœuds 
Louis  XVI  ;  les  bouts,  formant  frange,  retombent 


relief  pour  imiter  les  vieilles  broderies.  Les  feuilles, 
au  contraire,  sont  brodées  au  point  de  tige  et  à 
plat,  de  façon  à  donner  plus  de  légèreté  au  dessin. 

Avec  un  fond  en  peluche  de  couleur  passée, 
vieux  bleu  ou  vieux  rouge,  cette  broderie  aurait 
tout  à  fait  l'aspect  d'une  broderie  ancienne. 

X°  6.  —  Abat-jour   en   taffetas   rose,  rayé   par 


sur  une  dentelle  blanche  ou  crème.  On  peut  dou- 
bler cet  abat-jour  en  lustrine  de  soie  blanche  si 
on  tient  à  obtenir  sur  la  table  une  lumière  plus 
éclatante. 

Tout  blanc,  ou  tout  crème,  avec  des  rubans  as- 
sortis, ou  de  nuances  tranchées,  mais  claires, 
jaune,  bleu,  rose,  vert,  cet  abat-jour  serait  encore 
ravissant. 

A^"  7.  —  Cache-théière  en  bengaline  crème, 
monté  à  soufflets.  Les  contours  sont  marqués  par 
un  bouillonné  en  même  étofl^e  blanche,  ou  en  mous- 


seline de  soie  également  blanche.  La  broderie, 
blanche  aussi,  et  contournée  d'un  léger  fil  d'or, 
fera  de  ce  rien,  très  utile,  un  objet  de  délicate 
élégance.  En  nuance  de  fantaisie  avec  fleurs  de 
couleur,  le  cache-théière  sera  moins  fragile,  sans 
perdre  de  sa  coquetterie.  En  cela,  le  goût  person- 
nel a  libre  cours.  On  peut  aussi  le  faire  en  laine 
ou  en  étamine. 

L'intérieur  se  double  en  soie  ou  en  tissu  de 
coton,  et  se  ouate  chaudement  pour  maintenir  la 
chaleur  de  la  théière,  mais  surtout  de  son  contenu. 

Berthe    de    Présilly. 


QUESTIONS    FINANCIÈRES 


Dispensons  nos  lecteui's  de  l'ennuyeuse 
formalité  des  préambules,  et,  après  avoir 
constaté  que  la  Bourse,  somme  toute,  est 
pleine  de  ces  bonnes  tendances  que  jus- 
tifie la  paix  hispano-américaine,  —  mais 
calme,  comme  il  convient  en  une  saison 
aussi  caniculaire,  —  allons  tout  de  suite 
où  l'actualité  nous  appelle. 

Elle  nous  appelle  du  côté  des  valeurs 
industrielles,  qui  sont  les  seules  dont  on 
s'occupe  avec  un  peu  de  suite.  Voilà  déjà 
plusieurs  mois  que  cela  dure  ;  mais  le 
mouvement,  loin  de  trahir  un  peu  de  fa- 
tigue, est,  au  contraire,  plus  vif  que  jamais. 

Un  économiste  connu,  M.  E.  Théry,  a 
tout  récemment  constaté  que,  pendant  le 
premier  semestre  de  ISltS,  les  valeurs  à 
revenu  fixe,  rentes,  obligations  des  che- 
mins de  fer  et  des  villes,  bons  du  Tré- 
sor, etc.,  avaient  fléchi,  et  qu'au  contraire 
les  valeurs  à  revenu  variable,  actions  des 
chemins  de  fer,  des  grands  établissements 
de  crédit  et  des  principales  entreprises 
industrielles,  avaient  progressé  d'une  ma- 
nière fort  sensible.  Tous  comptes  faits,  la 
dépréciation  des  premières  se  trouve 
compensée  par  la  plus-value  des  dernières, 
et  même  plus  que  compensée,  puisque, 
somme  toute,  le  bénéfice  total  des  por- 
teurs de  grandes  valeurs  françaises  s'éta- 
blit aux  environs  de  94  à  9.'>  millions. 

Dans  ce  bénéfice,  la  part  la  plus  impor- 
tante provient  de  la  hausse  des  valeurs 
mdustrielles ,  et  c'est  sur  ce  point  que 
nous   désirons   appeler  surtout  Tattention. 

Nous  comprenons  fort  bien  que  le  capi- 
taliste se  préoccupe  de  la  baisse  constante 
du  taux  de  capitalisation.  Aujourd'hui, 
lorsqu'il  a  de  l'argent  à  placer  et  qu'il 
s'adresse  aux  valeurs  à  revenu  fixe  qui 
jadis  étaient  l'objet  de  ses  préférences, 
que  trouve-t-il  ?  Si  c'est  de  la  rente  qu'il 
achète,  c'est  2.90  pour  100  d'intérêt  annuel 
qu'il  reçoit.  S'il  prend  des  obligations  de 
chemins  de  fer,  le  pourcentage  n'est  plus 
que  de  2.7"!  pour  100  (défalcation  faite  des 
impôts)  ;  il  est  moindre  encore  pour  cer- 
taines obligations  à  lots.  Toutes  ces  va- 
leurs, depuis  plusieurs  années,  ont  été 
constamment  poussées  en  avant  par  des 
achats  persistants,  si  bien  qu'elles  n'offrent 
plus  qu'une  trop  faible  rémunération. 

Dès  lors,  il  est  tout  naturel  que  le  capi- 
taliste, désireux  d'améliorer  sa  situation, 
se  soit  tourné  vers  les  valeurs  à  revenu 
variable.  En  prenant  les  meilleures  ,  il 
saute  aux  yeux  qu'il  n'a  pas  grand 'chose 
à  craindre  au  point  de  vue  de  la  sécurité, 
et  il  touche,  pour  le  loyer  de  son  argent, 
un  intérêt  moins  chétif.  Nous  ajouterons 
que,  pour   notre  pari,  nous  sommes  ravis 


que  son  attention  ait  été  attirée  surtout 
par  les  valeurs  industrielles. 

Mais  il  y  a  des  limites  à  tout.  Quelques- 
unes  des  valeurs  à  revenu  variable  ont  été 
l'objet  d'une  telle  faveur,  qu'à  l'heure  qu'il 
est  et  aux  cours  actuels,  il  se  trouve  que 
leur  revenu  est  plutôt  inférieur  à  celui  de  la 
rente  !  C'est  le  cas,  par  exemple,  du  Suez  ;  et 
c'est  le  cas  aussi  de  la  Bancpie  do  France; 
et  c'est  le  cas  surtout  des  actions  des 
grandes  Compagnies  de  chemins  de  fer. 
On  escompte,  en  ce  qui  concerne  ces  der- 
nières, les  augmentations  de  dividendes  à 
provenir  des  accroissements  de  recettes. 
Il  est  certain  qu'un  jour  ou  l'autre  ces  ré- 
sultats seront  obtenus  en  effet  ;  mais  il  v 
faudra  beaucoup  de  temps  ;  car  il  faut, 
avant  de  songera  accroUre  les  dividendes 
de  leurs  actionnaires,  que  les  Compagnies 
commencent  par  rembourser  les  énormes 
avances  à  elles  consenties  par  l'Etat.  Et 
cela  ne  se  fera  pas  de  sitôt  ! 

Encore,  si  la  faveur  publique  n'allait  que 
vers  des  valeurs  de  cette  indiscutable  sé- 
curité, n'aurions-nous  pas  grand'chose  à 
y  reprendre;  mais  le  malheur  est  qu'on 
commence  à  trouver  trop  chères  —  ce  qui 
est  d'ailleurs  la  vérité  —  les  actions  de 
nos  grandes  Compagnies,  et  qu'on  cherche 
d'autres  emplois.  On  prend  des  titres  d'un 

rang    moins    comment    dirons-nous? 

moins  illustre;  et,  j)eu  à  peu,  on  s'habitue 
à  aller,  par  une  pente  dangereuse,  vers 
des  valeurs  |)lus  ou  moins  sujettes  à  cau- 
tion, et  sur  le  compte  desquelles  on  n'est 
pas  sufiisaniment  documenté.  Ajoutons 
qu'il  se  trouve  des...  financiers  qui,  cher- 
chant à  profiter  de  l'engouement  du  pu- 
blic pour  les  valeurs  industrielles,  lancent 
de  ces  valeurs  avec  une  profusion  qui  fait 
})lus  d'honneur  à  leurs  facultés  inventives 
qu'à  leurs  scrupules. 

Il  y  a  là  un  très  gros  danger,  et  contre 
lequel  nous  ne  saurions  trop  mettre  en 
garde  le  public.  Va  pour  les  valeurs  indus- 
trielles, mais,  quand  vous  n'êtes  pas  ren- 
seigné congrùment,  n'achetez  pas.  Il  vous 
est  facile  d'être  informé;  pour  ma  part, 
je  donnerai  tous  les» renseignements  dont 
on  pourra  avoir  besoin.  C'est  ma  fonction 
et  ma  raison  d'être  dans  ce  journal. 

...  En  réponse  à  diverses  lettres,  je  re- 
dirai que  les  obligations  de  la  Revue  du 
Monde  Moderne  rapportent  5  pour  100  nets. 
L'affaire  étant  en  pleine  prospérité  el  le 
nombre  de  titres  en  circulation  étant  peu 
considérable ,  l'obligation  constitue  une 
valeur  de  portefeuille  de  premier  choix  et 
de  tout  repos. 


E.   Ben 0  1  ST. 
Adresser  les  r:>mmiinic<ilions  pour  cette  page  ;)  M.  i!mHe  Benoist.  17,  rue  du  Paul-Neuf. 


BOURSE   DE    PARIS  (Comptant).  —  Cours  extrêmes  de  Juillet  1898. 


FONDS  D'ÉTAT   ET  DE  VILLES 


3  %  français  perpétuel 

%  %        d"      amortissable 

3l/2^d°       

Obligations  tunisiennes  3  %  1892. . . . 
Emprunt  Annam  et  Tonkin  2  1/2  % 

Emprunt  de  Madagascar  2  1/2  % 

Angleterre,  consolidés  2  3/4  ^ 

République  argentine  5  %  1886 

Autriche  4  %  1876,  or 

Belge  3  %  1873  conv.  (2^  série) 

Brésilien  4^  1889 

Chine  4  %  1895,  or 

État  indép'  du  Congo,  lots  1888 

Egypte  7  %,  dette  unifiée   nouvelle.. 

—      3  1/2  %,  dette  privil.,  conv.. 

Espagne  extérieure  4  %  1882,  perpét . 

Hongrois  4  %  1881,  or 

Italien  5  % 

Portugais  1853  Z  % 

Roumain  4  %  1890 

Russe  4  %  1880  (e*  émission) 

—  4i'  1889,  or 

—  i%  consol.  (1"  et  2=  séries). . 

—  i%  1890  (2»  et  3<=  séries) 

—  %,%  1891,  or 

—  i  %  1893,  or 

—  3  1/2  %  1894,  libéré 

—  Z  %  1896 

Serbie  4  %  1895 ■ 

Suisse  (chemins  de  fer)  Z  % 

Turquie,  dette  convertie  (D)  i.  % . . . . 

—  oblig.  consolidé  1890,  i  % 

—  —    ottom.  priorité  1890,  4  % 

—  —     privil.  douanes  5  %.... 

—  —     ottom.  1894,4^ 

—  —     1896,  5  % 

Ville  de  Paris   1865,  i% 

—  1869,  %  % 

—  1871,  %% 

—  1875,  4  i' 

—  1876,4^ 

—  1886,  %  % 

—  1892,  2  l/2^toutpayé. 

—  1894-96,2  1/2  %  d' 
Ville  de  Marseille  1877,  %  % 

—  d'Amiens  1871,  4  ^ 

—  de  Bordeaux  1863,  %  % 

—  de  Lille  1860,  %  % 

—  —      1893,  3  1/2,?' 


Deï.nfl 
d'impùl 

3  » 
3  » 
3  50 

15  » 
2  50 

12  50 


» 


20 

08 

17 

57 

4 

» 

4 

» 

4 

) 

» 

93 

4 

» 

4 

) 

4 

) 

4 

) 

3 
1 

20 
20 
25 
20 
25 

18  08 

10  66 

10  68 

18  06 

18  06 

10  68 

8  82 

8  82 

10  70 

3  60 

3  » 

2  64 

3  16 


de  Lyon  1880,  %  % 2  67 


ETABLISSEMENTS    DE  CREDIT 

Banque  de  France (Actions) 

Banque  Paris  et  Pays-Bas .  d" 

Banque  Transatlantique  . .  d" 

Compagnie  Algérienne  ...  d" 

Comptoir  d'Escompte d° 

Crédit  Foncier  de  France. .  d" 
Foncières  1879,  %%...  (Obligations) 

—  1883,  3  i" d» 

—  1885,  3  J' d" 

—  1895,  2,80^  lib.        d» 
Communales  1879,  2,60  %  .  d» 

—  1880,  %  %  ...  d» 

—  1891,  %  %  ...  d» 

—  1892,  si'....  d» 

Crédit  Industriel (Actions) 

Crédit  Lyonnais d" 

Société  Générale d° 


115  » 
36  95 

11  68 
29  60 
25 
24  96 
13  40 
13  48 
13  40 

12  46 

11  50 

13  40 
10  72 

14  36 

12  » 
32  06 
12  » 


Plus  haut. 

103  25 
101  !KI 
107  10 
504  » 

91  m 

91  )i 

113  » 

455  )) 

104  40 
101  50 

52  40 
106  GO 

95 
109  40 

104  90 
40  50 

105  1> 
94  50 
18  3.') 

96  60 
103  10 

103  55 

104  30 
103  8.j 

97  70 

106  75 
102  50 

98  « 
61  35 

101  15 

22  97 

41.'>  » 

481  » 

509  » 

461  » 

462  50 
569 
432 
422  50 
585  » 
685  » 
406  » 
412  » 
398  75 
412  » 

123  B 

124  25 
129  75 
506  » 
i04  76 


44.-) 
77-') 
615 
716 
60.-. 
472 
502 
501 
501 
50r. 
40.-> 
50G 
610 
879 
650 


Plus  bas. 

102  65 

100  00 
106  65 
490  50 

91  10 
90  50 

111  » 
427  » 

103  30 

101  20 
48  75 

104  20 

92  )) 
108  50 

.  104  25 
33  » 

102  50 
91  70 
17  50 

93  60 
102  35 
102  30 
102  05 
102  70 

96  25 
105  80 
101  » 

97  10 
5S  » 

100  60 
22  40 
410  » 
467  » 
493  » 
445  )j 
450  » 
661  50 
429  )i 
412  50 
57G  » 
575  25 
402  25 
392  » 
398  » 
408  » 
119  » 
124  i. 
127  )) 
500  » 
101  26 


3540  » 
935  » 
421  50 
770  » 
585  » 
675  » 
501  26 
461  » 
601  25 
500  » 

500  » 

501  » 
401  » 
500  » 
600  » 
845  » 
530  s 


Banque  Afrique  du  Sud  . 
Banque    Ottomane 


(Actions) 
d" 


CHEIVIINS  DE    FER 

Est 500  fr.  tout  payé  (Actions) 


P.-L.-M 

Midi 

Nord 

Orléans 

Ouest 

Bône-Guelma.  . 
Est-Algérien . . . 
Ouest-Algérien . 

Andalous 

Autrichiens. . . . 
Sud-Autriche  . . 
Nord-Espagne. . 
Saragosse 


d» 
d° 
d" 
d" 
d» 
d» 
d" 
d» 
d» 
d° 
d» 
d" 
d» 


d° 
d° 
d» 
d» 
d» 
d» 
d° 
d° 
d" 
d» 
d" 
d» 
d» 


lie»,  netl 

d'iopot  Plus  hauL 


32  16 
49  70 
45  42 
55  90 
52  99 
34  75 
26  97 
25  10 
22  78 


Est  3  %  nouveau (Oblig.) 

P.-L.-M.  3  %  nouveau d» 

Midi  3  %  nouveau d° 

Nord-Est  français  %  % d» 

Orléans  1884 d» 

Ouest  3  %  nouveau d» 

Bône-Guelma  Z  % d» 

Est- Algérien  Z  % d" 

Ouest- Algérien  Z  % d» 

Médoc  Z  % d» 

Andalous  3  %  estamp d" 

Autrichiens  3  %  V^  hypoth.  d° 

Nord-Espagne  1"  hypothèque.  d° 

Saragosse d° 

VALEURS   DIVERSES 

Docks  et  Entrep.  de  MarseiUe.(Actions) 

Entrep.  et  Mag.  Gén.  de  Paris.  d" 

Qie  (jis  Transatlantique d" 

C'"  française  des  Métaux ....  d" 

C*  générale  des  Tramways ...  d" 

C'«  générale  des  Eaux d" 

C"  du  Gaz  de  Bordeaux d" 

C'*  du  Gaz  général  de  Paris.  d° 

C'°  du  Gaz  de  Marseille d" 

Aciéries  de  France d» 

Forges  et  Chantiers  Méditer.  d" 

Bateaux  Parisiens d° 

G'"  franc,  des  Chargeurs  réunis,      d" 

0'*=  des  Lits  militaires d" 

Société  de  la  Tour  Eiffel d» 

C'«interni<î  des  Wagons-lits. .  d" 
Régie  des  tabacs  ottomans..  d" 
C'«  générale  des  Eaux  Z  % ..  (Oblig.) 

-  -  5^..       do 

C'"  Parisienne  du  Gaz  i  %  . .       d» 

Gaz  central  500  fr.  4  |' d" 

C'*"  du  gaz  p.  France  et  Et.  4  %.  d» 
C'^  des  Messag.  Marit.  3  1/2  %.  d" 
Ci<'G'>' Omnibus  de  Paris4^.  d» 
Cie  (jie  Voitures  à  Paris4^.  d» 
Qie  (jie  Voitures  Urbaine  b% .  d" 
C'"^  des  Lits  militaires  i  % . .  d" 
Canal  de  Panama,  lots,  t.  p. .       d» 

—  —  210  p d» 

—  —     bons  à  lots  89.      d° 
C»  du  Canal  de  Suez  &  % . . .       d» 

—  Z  %  (1"  série).   d" 

—  3  ^  (2e  série) .   d" 


5  » 
31  » 

4  » 

5  )> 
4  25 

13  44 
13  44 
13  44 
13  44 
13  44 
13  44 
13  46 
13  50 
13  48 

13  54 
11 
15 
11 

14  30 


1100  » 

19G7  » 

1485  » 

2204  » 

1900  » 

1235  » 

810  » 

734  » 

685  » 

86  » 

784  » 

174  » 

74  » 

14  7  » 

482  » 

482  » 

483  X 
478  » 
483  » 
483  » 
48S 
475  50 
471  » 
440  » 
182  » 
478  76 
219  » 
290  » 


16  43 
25  72 

17  30 
27  95 

» 
59  98 
82  66 
20  32 
45  60 
34  44 
25  30 
22  63 
65  04 
44  79 
6  15 
30  » 
25  » 
13  46 

22  94 
18  16 
18  16 
18  20 
15  84 
18  » 
18  18 

23  30 
21  81 

» 
» 

24  60 
13  40 
13  50 


Obligatiouo  du  Monde  Moderne loi)   100  »   100  » 


Plus  bas. 

79   11 
63',i  50 


1083  » 

1942  » 

1452  60 

2152  » 

1882  » 

1212  50 

786  5'J 

721  » 

665  » 

68  50 

760  » 

171  ). 

58  » 

117  » 

476  » 

471  » 

476  60 
474  75 

477  25 
476  •» 

472  50 
464  » 
467  ï> 
42S  » 
150  » 
474  50 
191  50 
238  » 


473  » 

743  50 

369  » 

670  » 

1150  » 

2400  » 

); 

450  » 

» 

1200  » 

840 

850  » 

1539  50 

1700  » 

520  » 

770  » 

295  » 

475  » 

522  » 

507  » 

613  » 

511  )i 

515  » 

517  » 

625  » 

323  » 

620  » 

119  » 

268  » 

116  » 

660  » 

495  » 

490  » 


LA   VIE    PRATIQUE 


Futailles  moisies.  —  Pour  enlever  aux  l'u- 
tailK's  le  i;()iU  de  moisi  qu'elles  contracteni 
lorsque  les  parois  ont  été  envahies  par  les 
moisissures,  \-oici  comment  l'on  doit  procéder  : 

1"  Défoncer  le  fût  ; 

2°  Fi'otter  l'intérieur  avec  ime  brosse  de 
chiendent  ; 

.H"  Rincer  éneri^iquement  avec  de  l'eau  aci- 
dulée à  10  pour  100  d'acide  sull'urique  ; 

4"  Hincer  plusieurs  fois  à  l'eau  simple; 

5°  Mécher. 

Futailles  à  goût  de  lie.  —  r  Délayer  1  à 
3  kilos  de  tan  dans  une  lessive  de  soude: 

2"  Laisser  séjourner  le  liquide  précédent 
pendant  quatre  ou  cinq  jours  dans  la  futaille; 

3"  La\er  à  l'eau  (jrdinaire; 

4"  Mécher. 

Rinçage  des  futailles.  —  l*^''  procédé.  — 
On  rince  d'abord  à  l'eau  chaude,  puis  on 
égoutte.  On  introduit  ensuite  dans  la  futaille 
un  kilogramme  de  chaux  vive  en  petits  frag- 
ments, que  l'on  promène  partout  à  l'intérieur, 
puis  on  ajoute  un  peu  d'eau.  On  ferme  la 
bonde  et  on  roule  la  futaille  de  manière  à  bien 
imbiber  toutes  les  parois. 

Une  ou  deux  heures  après,  on  rince  à  plu- 
sieurs eaux. 

1"  procédé.  —  Ce  procédé  est  meilleur  que 
le  précédent. 

On  fait  dissoudre  2  à  3  kilos  de  soude  dans 
20  litres  d'eau.  On  ferme  la  bonde  et  on  roule 
dans  tous  les  sens. 

Finalement,  on  laisse  égoutter  et  on  rince  à 
plusieurs  eaux. 

Pommade  pour  les  touristes.  —  Les  tou- 
ristes et  les  chasseurs  connaissent  trop  bien  ces 
ampoides  qui  se  forment  sur  les  pieds  après 
ime  marche  pénible.  On  peut  les  guérir  rapi- 
dement avec  la  pommade  ci-dessous  : 

Savon TiO  grammes. 

Suif .50         — 

Alcool  camphré 25         — 

Vinaigre  camphré.   ...  25         — 

Préparation  des  poires  tapées.  —  Pour 
faire  des  poires  tapées,  il  faut  choisir  des  fruits 
non  encore  très  mûrs,  et  qu'on  reconnaît  à  ce 
que  la  queue  est  encore  adhérente.  Voici  les 
opérations  que  l'on  doit  leur  faire  subir  : 

1"  Mettre  les  poires  avec  un  peu  d'eau  dans 
un  chaudron  et  chauffer  jusqu'à  demi-cuisson; 

2»  Enlever  la  peau  en  grattant  avec  l'ongle; 

3"  Mettre  les  poires  sur  un  plateau,  la  queue 
en  l'air  ; 

4"  Laisser  les  poires  s'égoutter  et  mettre  à 
pai-t  le  jus  qui  s'écoule; 

5"  Mettre  les  poires  sur  les  claies  et  les  in- 
troduire dans  le  four  chauH'é  à  environ  90°, 
pendant  12  heures; 

6"  Mettre  dans  le  jus  du  sucre,  de  la  can- 
nelle et  des  clous  de  girolle.  Y  plonger  les 
poires  après  les  avoir  comprimées  avec  la 
main  ou  un  appareil  spécial. 

'°  Remettre  les  poires  dans  le  four,  puis  re- 
commencer les  opérations  précédentes  jusqu'à 
ce  que  leur  coloration   soit  brun   clair  et  leur 


chair  ferme  et  demi-transparente.  Si  le  jus 
n'est  pas  en  quantité  sullisante,  on  fait  bouillir 
les  pelures  dans  de  l'eau  sucrée  et  on  y  ajoute 
ce  sirop. 

Si  l'on  veut  avoir  un  beau  produit,  on  plonge 
les  poires  sèches  dans  du  sucre  fondu  pour  les 
glacer. 

(Conserver  à  l'abri  de  l'humidité. 

Liqueur  de  prunelles.  —  Prendre  des  pru- 
nelles fruits  de  l'épine  noire,  quand  elles 
sont  bien  mûres  (fin  septembre',  les  dé- 
pouiller de  leur  chair  en  les  plongeant  dans 
l'eau  bouillante,  faire  sécher  les  noyaux  à 
l'ombre  complètement:  les  concasser  et  les 
mettre  dans  vuie  bouteille  qui  doit  en  être 
remplie  à  moitié.  Achever  de  remplir  avec  de 
l'eau-de-vie  de  très  bonne  qualité;  laisser 
infuser  six  semaines,  puis  tirer  au  clair  et  ^ 
ajouter  un  demi-litre  de  lait  bouillant  par  lilrc 
de  liqueur  et  une  livre  de  sucre  en  poudre  ; 
remuer  le  tout  pendant  quelques  minules; 
filtrer  ensuite  au  papier  gris. 

Nettoyage  de  la  passementerie  et  de  la 
broderie  en  or.  —  La  passementerie,  la  bro- 
derie ou  le  tissage  en  or  demandent  beaucoup 
de  soin,  quant  au  nettoyage.  Les  liquides  alca- 
lins éclairciraient  nécessairement,  mais  on  ne 
doit  pas  en  faire  usage  parce  qu'ils  brûlent  la 
soie  et  changent  les  couleurs.  Le  savon  aussi 
altère  la  nuance  et  même  la  teinte  de  certaines 
couleurs.  La  seule  chose  dont  on  puisse  se 
servir  fructueusement,  assure  le  Métal,  c'est 
l'esprit-de-vin  ;  on  peut  l'employer  sans  nul 
danger  d'altérer  soit  la  couleur,  soit  la  qualité 
de  l'étofl'e,  et.  en  beaucoup  de  cas,  il  rend  à 
l'or  son  lustre  aussi  bien  que  les  corrosifs.  Un 
riche  brocard  présentant  une  grande  variélç 
de  couleurs  et  absolument  terni  se  trouve  mis 
à  neuf  si  on  le  frotte  avec  une  brosse  douce 
trempée  dans  de  l'esprit-dc-vin  chaud,  et  les 
couleurs  de  la  soie  qui  étaient  fanées  redevien- 
nent en  même  temps  vives  et  brillantes.  L'es- 
prit-de-vin est  la  seule  substance  qui  con- 
vienne, et  le  secret  que  jjrétendent  posséder 
les  artistes  pour  nettoyer  la  passementerie  ou 
la  broderie  en  or  n'est  autre  que  de  l'esprit- 
.  de-vin  plus  ou  moins  déguisé. 

Vernissage    des   objets   en  argent.  —  Un 

excellent  moyen,  assure  l'Invention,  pour  em- 
pêcher de  ternir  les  objets  en  argent,  con- 
siste à  les  recouvrir  dune  mince  couche  au 
collodion.  Ce  procédé,  qui  vient  d'Allemagne, 
semble  donner  d'excellents  résultats.  On  coni- 
mence  par  chauffer  les  objets  à  recouvrir,  puis 
on  les  vernit  avec  un  collodion  léger  et  étendu 
d'alcool,  en  employant  une  brosse  large  et 
douce.  Une  seule  couche  suffît.  Il  parait  que 
l'argent  ou  le  plaqué  ainsi  recouvert,  exposé 
dans  la  devanture  d'une  boutique  pendant 
plus  d'une  année,  était  resté  aussi  brillant 
qu'au  début,  tandis  que  des  pièces  non  pro- 
tégées, placées  côte  à  côte,  étaient  devenues 
absolument  noires  au  bout  de  quelques  mois. 


Victor    de    Ci.rvES. 


LA    CUISINE    DU    MOIS 


Potage  aux  nids  d'hirondelles.  —  Lavez, 

à  T)  ou  (i  eaux  ahonilanlcs.  un  niil  de  salan- 
f^'ane  par  personne,  laissez-les  tremper  4  heures, 
fjpérezun  nouveau  nettoyapre  et  laissez  tremper 
autant.  L)ébari'asscz-!es  de  toutes  les  impuretés 
qui  ])ourraient  adhérer  encore  avec  la  pointe 
du  couteau,  rafraîchissez  une  dernière  fois, 
cou\'rez-les  larfïement  de  bouillon  de  ])Oularde 
un  ])eu  ^ras,  faites  sourire  et  tenez-les  cou- 
verts au  bain-marie  2  heures.  Garnissez  la 
sou]3icre  de  consommé  de  poularde  dégraissé 
et  relevé  d'un  filet  de  bon  madère,  égouttez 
les  nids.  f>arnissez   le   consommé  et  servez. 

Filets  de  soles  à  la  cardinale.  —  For- 
mule. —  2  soles  de  400  grammes  chacune, 
12  écrevisses,  120  g-rammes  de  beurre,  1  quart 
de  litre  de  vin  blanc,  1  petit  œuf,  2  jaunes, 
1  demi-citron,  30  grammes  de  mie  de  pain, 
1  bouquet  garni,  sel,  épices,  petit  verre  de 
cognac,  5  grammes  de  farine. 

Oi'HUATiox.  - —  Cuire  les  écrevisses  avec  le 
cognac,  le  vin,  le  bouquet,  10  grammes  de  sel 
et  une  pointe  de  cayenne,  6  minutes,  laisser 
refroidir.  Peler  les  soles,  lever  les  filets, 
tremper  la  mie  de  pain  dans  un  peu  de  lait. 
Piler  les  deux  plus  laids  filets  de  soles,  ajouter 
la  mie  de  pain  pressée,  50  grammes  de  beurre 
et  le  petit  œuf,  saler  et  poivrer,  passer  au 
tamis  de  crin.  Diviser  cette  farce  en  6  et 
napper  les  6  filets  de  soles,  les  doubler  la 
farce  en  dedans,  choisir  les  6  plus  beaux 
coffres  d'écrevisses,  les  vider  complètement, 
couper  les  petites  pattes  aux  ciseaux,  entrer 
le  côté  pointu  des  filets  dans  les  coffres  et  les 
poser  à  mesure  sur  un  plat  beurré,  arroser  de 
citron.  Enlever  les  12  queues  d'écrevisses  et 
les  couper  en  deux  dans  leur  longueur,  met- 
tre de  côté.  Piler  toutes  les  parures  avec 
40  g-rammes  de  beurre  et  passer  au  tamis. 
Mouiller  les  filets  de  soles  avec  la  cuisson 
des  éc7'evisses  passée,  faire  cuire  au  four, 
couverts  d'un  papier  beurré,  15  minutes. 

Fondre  ce  qui  reste  de  beurre,  mélanger  la 
farine,  mouiller  avec  la  cuisson  des  soles,  lier 
avec  les  jaunes  et  un  peu  de  citron,  ajouter 
le  beurre  d'écrevisses. 

Dresser  les  filets  sur  un  plat  ovale  chaud, 
mettre  les  queues  en  bordure,  arroser  avec  la 
sauce  et  servir. 

Perdreaux  à  la  bigarade.  —  Plumer, 
vider,  flamber  et  trousser  3  perdreaux,  ne 
jeter  ni  les  têtes,  ni  les  gésiers  ;  foncer  une 
casserole  avec  couennes  de  lard  frais,  un  lit 
d'oignons  et  de  carottes  émincées,  un  petit 
bouquet  garni  et  les  débris  de  perdreaux. 
Couvrir  d'un  papier  beurré,  faire  suer  5  mi- 
nutes sur  un  feu  doux;  mouiller  avec  1  quart 
de  litre  de  vin  blanc  et  autant  de  bouillon, 
laisser  cuire  1  heure  à  tout  petit  feu  en  arro- 
sant les  i)erdreaux  4  fois. 

Pousser  40  grammes  de  beurre  à  la  noi- 
sette, roussir  30  grammes  de  farine,  mouiller 
avec  le  jus  des  perdreaux  passé,  laisser  réduire 
en  remuant  afin  que  la  sauce  soit  bien  liée. 
Goûter  l'assaisonnement.  Enlever  le  zeste  de 
deux  oranges  bigarades,  le  couper  en  julienne 
très  fine,  cuire  à  l'eau  3  minutes,  égoutter  et 
mettre  dans  la  sauce  ;  ne  plus  laisser  bouillir. 
Peler  à  vif  les  bigarades,  enlever  les  quartiers 
avec  un  couteau  en  les  coupant  dans  leurs 
cloisons  respectives  et  les  ajouter  à  la  sauce. 
Un  filet  de  bon  cognac  est  nécessaire. 

Déljrider  les  j^erdreaiix.  les  dresser  çt  saucer, 


Gigot  rôti.  —  Pour  qu'un  gigot  soit  tendre, 
il  a  besoin  d'être  amorti  longtemps.  Pour  cela 
il  faut  le  prendre  chez  le  boucher  tout  frais, 
un  peu  gras  et  la  graisse  bien  blanche,  la  jieau 
très  fine  :  le  suspendre  dans  un  courant  d'air 
sec.  à  l'abri  des  odeurs  et  de  l'humidité. 
8  jours  sont  nécessaires.  La  viande  tourne  si 
on  ne  tient  ]^as  compte  rigoureusement  de 
ces  prescriptions.  J'en  ai  conservé  un  21  jours 
et  il  n'avait  aucune  atteinte. 

Le  cuire  à  la  broche  devant  un  feu  clair 
30  minutes  par  kilo,  une  fois  paré,  sans  l'ar- 
roser ni  le  saler.  Egoutter  la  graisse  de  la 
lèchefrite,  passer  un  i:)eu  d'eau  froide  pour 
lever  l'osmazone  rissolée,  saler  le  gigot,  l'ar- 
roser du  jus  et  servir. 

N.-B.  —  Si  on  veut  le  manger  bon,  il  faut 
avoir  soin  de  le  découper  à  table  et  non  à  la 
cuisine. 

Riz  à  l'impératrice.  —  Formule  pouh  le 
RIZ.  —  100  grammes  de  riz  Caroline,  1  demi- 
litre  de  lait,  100  grammes  de  sucre  semoule, 
10  grammes  de  sel,  80  grammes  angélique 
confite  ou  des  chinois  verts,  100  grammes  de 
cerises  mi-sucre,  vanille.  Un  moule  festonné 
à  cylindre  de  15  centimètres  de  diamètre. 

Opération.  —  Laver  le  l'iz  avec  soin,  le 
tremper  2  heures.  Le  saler  et  faire  bouillir 
dans  1  litre  d'eau,  le  rafraîchir  et  le  verser 
dans  le  demi-litre  de  lait  bouillant,  laisser 
cuire  sur  un  feu  très  doux  30  minutes.  Ajouter 
le  sucre  et  1  quart  de  gousse  de  vanille  ;  tenir 
au  chaud  sans  bouillir. 

L.v  CRÈME.  —  Délayer  avec  6  jaunes 
125  grammes  de  sucre  et  travailler  5  minutes  ; 
ajouter  un  autre  quart  de  vanille,  1  demi-litre 
de  lait  bouillant  et  4  feuilles  de  gélatine  bien 
lavée:  faire  sourire,  retirer  du  feu  et  refroidir 
à  moitié  en  remuant  souvent  pour  éviter 
qu'elle  fasse  croûte,  mélanger  avec  le  riz  et 
1  décilitre  de  crème  fouettée.  Huiler  très  peu 
le  moule,  verser  ime  couche  de  riz  de  1  cen- 
timètre, une  couche  de  cerises  mi -sucre 
entières,  une  nouvelle  couche  de  riz,  de  chi- 
nois ou  de  l'angélique  en  dés,  du  riz,  des  cerises 
coupées  en  deux,  du  riz  et  des  chinois  ou 
angélique,  finir  par  du  riz  jusqu'au  ras  du 
moule.  Entourer  de  glace  non  salée  et  laisser 
rafl'ermir  3  heures.  Sans  glace,  il  faut  exposer 
dans  un  courant  d'air  frais  4  ou  5  heures. 
Tremper  le  moule  à  l'eau  tiède  30  secondes, 
essuyer,  renverser  et  servir. 

Sabaillon  au  kirsch.  —  Formule.  — 
3  jaunes,  1  œuf  entier  moyen,  80  grammes  de 
sucre  semoule,  1  décilitre  de  très  bon  kirsch 
et  non  de  fantaisie,  le  quart  d'un  jus  de  ci- 
tron, 2  décilitres  de  vin  blanc  sec. 

Opération.  —  Travailler  les  jaunes  avec 
l'œuf  entier  dans  une  casserole  étroite  et  de 
haute  forme,  mélanger  le  sucre  et  travailler 
5  minutes  ;  ajouter  le  Ain  blanc,  battre  au 
bain-marie  pour  faire  bien  mousser  et  épais- 
sir; dès  que  la  cuiller  est  masquée  par  cette 
espèce  de  crème,  retirer  du  feu,  ajouter  le 
kirsch  peu  à  peu  en  battant  toujours,  la  crème 
doit  se  lier  davantage;  renverser  le  riz  sur  un 
plat  rond,  arroser  avec  le  quart  du  sabaillon 
et  servir  ce  qui  reste  en  saucière  en  même 
temps.  Cet  entremets  se  sert  froid  de  préfé- 
rence. Si  on  veut  le  servir  chaud,  il  faut  sup- 
primer la  gélatine. 

A.  Colombie. 


Jeux  et  Récréations,  par  m.  g.  Beudin. 


N°  235.  —  Haut  :  Noirs.  —  Bas  :  Blancs. 


Les  blancs  jouent  et  font  mat  en  deux  coups. 
N°  236.  —  Haut  :  Noirs.  —  Bas  :  Blancs. 


»    m 


W(f  ^^Wf  ^Ê^W^  ^^W^/       ^p! 


Les  blancs  jouent  et  gagnent. 


N'^  237. 


LOSANGE 


SONNET 

Envoi  d'un  Lecteur. 

Lettre  que  dans  rintimité 
Forcément  on  voit  apparaître, 
Et  qu'amant  plus  on  moins  fêté 
.Jamais  n'osera  méconnaître. 

—  N'ayant  rien  des  traits  d'Astarté. 
Quoique  de  Jupin  tenant  l'ctre, 
Une  antique  divinité 

A  désinvolture  champêtre. 

—  De  son  urne  aux  riclies  couleurs, 
A  flots,  sur  les  mignonnes  fleurs, 

Il  fait  descendre  la  rosée. 

—  Un  asiatique  cours  d'eau  ; 
Bt  pour  compléter  le  tableau, 
Début  de  l'affreuse  nausée. 


N"  238.  —   ENIGME 

Par  A.  Elliveiitac,  de  Villeneuve-les-Béziers. 

Uq  sentiment 
Qui  chez  l'amant 
Doit  apparaître 
Et  bien  souvent 
Le  contrevent 
D'une  fenêtre. 


SOLUTIONS 


N°  229. 


1.  IJ  pr.  C  éoliec.  1.  R  pr.  D. 

2.  C  pr.  P.  2.  r  7  T  D. 

3.  C  2  P  D  échec  et  mat. 

1.  R  G  C  D. 


2.  C  G  C  D.                       2.  P  7  T 

D. 

3.  D  2  C  D  échec  et  mat. 

"  230. 

47     41      37     32      2»     23      30     24 

36     38      2«     û7      lis     2U      IS)     3'.» 

26     10     25     3                   ,     ., 

—       gagne  facilement. 

44 
7 

11 

IG 

N"  231.  —  Il  y  a  deux  façons  de  jouer  ce  jeu.  L'une 
est  le  jeu  de  la  courte  couleur  dans  lequel  la  dame  de 
cœur  devra  être  jouée  ;  et  l'autre,  le  jeu  de  la  lo-nçiue  cou- 
leur dans  lequel  le  meilleur  début  sera  le  quatrième  meil- 
leur atout.  Si  votre  partenaire  aime  le  jeu  de  la  courte 
couleur,  la  dame  de  cœur  ne  le  gênera  pas,  mais  nous 
estimons  que  la  jouer  ne  serait  pas  bon  par  la  raison 
que  l'on  pourrait  faire  un  trick  en  ne  débutant  pas  avec 
elle.  Si  votre  partenaire  a  l'as  et  la  quatrième  main  le 
roi,  vous  perdrez  sûrement  un  trick  en  jouant  cœur. 
Avec  cinq  petits  atouts,  il  est  de  règle  de  balovcer  les 
atouts  et  d'attendre  que  le  développement  du  jeu  ait 
déterminé  la  couleur  à  jouer.  Avec  une  telle  main,  le 
début  a  nue  grande  importance  si  vous  désirez  faire 
tomber  les  atouts,  car  si  vous  attendez  un  peu  il  faudra 
une  carte  assez  forte  pour  ravoir  la  main,  et  comme 
ce  n'est  pas  précisément  le  cas  ici,  le  mieux  est  de  faire 
bon  usage  de  la  main  pendant  qu'on  la  possède.  Si  vous 
jouez  atout  d'abord,  le  développement  du  jeu  vous  mon- 
trera probablement  dans  quelle  couleur  votre  partenaire 
se  trouve  fort,  et  cela  vous  évitera  de  courir  la  chance 
d'ouvrir  une  couleur  dans  laquelle  il  peut  être  très 
faible. 

Tout  bien  considéré,  il  semble  donc  que  le  quatrième 
meilleur  atout  soit  la  meilleui'e  carte  à  jouer  en  la  cir- 
constance. 

N"  232. 


N°  233. 


A 

G 

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T 

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N"  234.  —  La  G-alissonnière. 


Adresser  les  communications  pour  cette  page  à  M.  G. Beudin,  à  Billancourt  (Seine),  avec  timbre  pour  réponfc. 


LA    CARICATURE   INTERNATIONALE 


La  prnmitre  cho^e  à  faire  (d'après  Puck,  New- York).  —  L'OSCI.E  Sam,  regardant  l'Eiiro])e  occupée  à  détruire  les  murs  de  Chine  pour 
ouvrir  l'empire  du  Milieu  au  commerce  international  :  —  Par  Jingo  !  cela  me  rappelle  que  j'ai  un  mur  du  même  genre  à  démolir,  et 
mieui  vaut  que  je  fasse  le  travail  moi-même  que  de  le  laisser  faire  jiar  d'autres.  (Allusion  aux  droits  iirotecteurs  exagérés  entravant 
rini)iortation  étrangère  aux  Etats-Unis  :  l^rvhibitivc  tariff.) 


Doctrine,  et  pratique   (d'après  Punch,  Londres). 

L'EUUOPK,  froidement,  à  l'oncle  Sara.  —  Et  qui  me  fait  l'hon- 
neur de  cette  intervention  (dans  mes  propres  affaires)  ? 

L'OXOI.K  Sam.  —  Madame,  je  suis  l'oncle  Sam. 

L'EunoPE.  —  Seriez-vous  donc  un  parent  de  feu  le  colonel 
Monroe  ?  (Allusion  à  la  doctrine  du  président  Monroe  :  «  Chacun 
chez  soi  »  et  à  sa  piditique  de  <i  non-intervention  »  mal  observée 
aujourd'hui  par  les  Etats-Unis). 


!•' Angleterre  et  les  Elntti-Unis. 
(D'ai)rès  Chout,  Saint-Pétersbourg) 


L'ONCLE   Sam,   à  tnhle. 
te  donner  ! 


nu  peu,  je  n  ai  encore  r\^n 


BIBLIOGRAPHIE 


M'""  Camille  Bruno  a  publié  chez  Flamma- 
rion un  très  délicat  roman  dont  le  sujet  est 
l'éternelle  course  au  bonheur  par  les  chemins 
de  l'amour.  Le  titre,  l'Essai  du  bonheur, 
ferait  croire  qu"il  y  a  vraiment  en  essai,  alors 
que  l'héroïne  s'est  arrêtée  avant  la  chute,  la 
faute,  l'irréparable  ou  toute  autre  fornmle 
employée  pour  désigner  ce  que  vous  savez 
bien.  Un  ne  peut  donc  rien  en  conclure,  car  il 
ne  suflit  pas  de  mettre  les  lèvres  au  bord  de 
la  coupe  pour  connaître  le  jïoût  d'im  breu- 
vaj;e  et  l'amertume  qu'il  peut  laisser. 

Mais  bien  des  délicats  se  plairont  au  spec- 
tacle des  combats  que  Sabine  d'Estaing  livre 
à  sa  tendresse  et  au  triomphe  fhial  de  sa 
vertu,  plus  qu'à  des  expériences  physiolo- 
giques. 

L'œuvre  est  écrite  avec  beaucoup  de  charme 
et  une  grande  élégance  de  style.  Les  tableaux 
mondains  qui  s'y  déroulent  sont  d'une  touche 
exacte,  sans  outrance,  et  c'est  un  fort  rare 
mérite.  L'exactitude  du  décor  donne  ici  la  sé- 
curité voulue  pour  atlirmer  la  vérité  du  fond. 

M™e  Camille  Bruno  se  révèle  dans  ce  volume 
comme  un  écrivain  d'avenir  qui  marquera  sa 
jilace  parmi  les  meilleurs  romanciers  contem- 
jjoi'ains. 

^L  Charles  Rozan  vient  de  publier  chez 
Ducrocq  des  souvenirs  et  impressions  qu'il 
intitule  :  Parmi  les  femmes.  Le  nom  si  connu 
de  l'auteur  de  la  Boyxtr,  de  la  Jeune  Fille  et  de 
tant  d'autres  ouvrages  d'ime  philosophie  char- 
mante, indique  suffisamment  qu'il  ne  s'agit 
point  d'excursions  galantes.  C'est  une  en- 
quête subtile  des  sentiments  des  plus  fins,  et 
un  voyage  autour  des  cœurs  pour  en  exprimer 
ce  qu'ils  ont  de  tendre  et  de  délicat.  L'ouvrage 
procède  par  notes,  par  petites  touches,  qui 
se  lisent  comme  des  maximes  sans  en  avoir 
la  pédanterie.  Le  conseil  est  donné  si  direc- 
tement qu'on  ne  s'aperçoit  point  l'avoir  reçu 
et  sa  morale  n'en  pénètre  que  plus  sûrement. 
Ce  volume  de  choix  consacre  ses  dernières 
pages  aux  vieilles  femmes,  à  celles  que  l'expé- 
rience de  la  vie  a  rendues  les  meilleures,  et 
qu'on  peut  en  sécurité  appeler  des  amies. 

Toujours  aimé,  de  M.  Ferdinand  Lafargue, 
est  une  exquise  et  dramatique  étude  de  la 
fidélité  morale  de  la  femme  à  un  premier 
aimé.  Les  femmes  mariées  sans  amour,  qui 
sont  restées  dans  le  de^■oir  de  la  fidélité  ma- 
térielle, s'enthousiasmeront  de  la  noblesse 
d'âme  de  l'héroine  de  Toujours  aimé,  tout  en 
excusant  son  perpétuel  adultère  de  pensée,  si 
chaste  et  si  subtil! 

Les  conséquences  du  culte  du  Souvenir, 
gardé  par  une  femme  honnête  à  un  amour 
avouable  de  sa  jeunesse,  sont  à  la  fois  si  na- 
turelles et  si  inattendues,  que  nous  prédisons 
à  ce  nouveau  roman  de  l'auteur  d'Une  seconde 
femme,  un  vif  succès  de  curiosité  féminine. 


M.  Pierre  de  Lano  et  ^L  Knuiianuel  (îallus, 
connu  des  lecteurs  du  Momie  Moderne,  ont 
publié  chez  Flammarion  1  Homme  au  capu- 
chon gris,  qui  est  la  première  partie  d'un  de 
ces  bnns  romans  d'à \-en turc  qui  faisaient  les 
délices  de  nos  pères  et  ilont  la  tradition  sem- 
blait s'être  un  peu  perdue.  C'est  une  œu\  re 
d'une  grande  intensité  de  vie,  dont  l'ardeur 
est  attendrie  par  de  jolis  sentiments. 

L'n  galant  jurisconsulte,  dont  nos  lecteurs 
ont  \m  également  apprécier  les  articles,  a 
publié  sous  le  pseud()n\me  de  Stéfane-Pol,  à 
la  même  lil^rairie,  des  études  critiques  très 
fouillées  sur  G.  Sand,  Flaubert  et  Michelet. 
Sorte  de  triptique  littéraire,  cet  ouvrage  est 
l'œuvre  consciencieuse  d'un  artiste  qui  nous 
transmet  ses  vives  impressions  et  qui  met  en 
valeur,  par  sa  délicate  façon  de  les  sentir,  des 
beautés  que  l'on  se  reprocherait  de  n'avoir 
pas  suffisamment  appréciées. 

Paris  est  une  mine  inépuisable.  Les  publi- 
cations à  son  sujet  se  succèdent  sans  relâche 
et  toutes  ont  du  succès.  Il  en  est  peu  cepen- 
dant d'aussi  originales  que  le  Paris  instantané 
édité  par  les  librairies  Baschet  et  May. 

C'est  Paris  tout  entier  qui  tient  dans 
ces  pages,  l'immense  ville,  non  pas  immobile 
et  froide,  nuiis  vivante,  saisie  sous  ses  aspects 
innombrables,  avec  sa  physionoiftie,  son  mou- 
vement et  son  atmosphère. 

Dans  ce  décor  changeant,  la  foule  passe  ! 
Foule  laborieuse,  foule  indolente,  foule  d'en 
haut  et  d'en  bas.  Et,  parmi  cette  cohue, 
apparaît  une  fleur  d'esprit  et  de  grâce,  —  le 
délice  des  yeux,  —  la  Parisienne  ! 

Il  faut  plus  d'une  année  d'eflorts  pour  pou- 
voir réunir  de  pareils  documents  et  pour  saisir 
les  scènes  animées  qui  se  déroulent  dans  ces 
pages.  Cet  album  restera  comme  un  tableau 
brillant  et  complet  du  Paris  contemporain. 

La  lilirairie  May  continue,  avec  trois  vo- 
lumes sur  l'Art  romain,  l'Art  égyptien  et  la 
Lithographie,  sa  bibliothèque  de  vulgari- 
sation artistique  qui  mérite  un  vif  succès,  la 
propagation  de  l'art  étant  par  excellence 
œuvre  d'amélioratiim  sociale. 

Les  amateurs  de  plein  air  pourront  aussi 
trouver  des  indications  précieuses  sur  les 
monuments  d'art  cpi'ils  rencontrent  sur  leur 
chemin  en  compulsant  la  charmante  collection 
des  Guides  Flammarion  publiée  sous  la  direc- 
tion de  M.  .\.  Sauvert.  Ces  petits  volumes 
sont  parfaitement  compris  et  exécutés  d'une 
façon  charmante.  Les  notes  sont  substantielles 
et  suffisantes,  les  illustrations  gracieuses  et 
fidèles,  les  cartes  abondantes.  Par  un  oubli 
qui  devra  être  réparé  à  la  prochaine  édition, 
elles  négligent  trop  souvent  d'indiquer  l'em- 
placement des  curiosités  décrites. 


Errata.  —  Dans  notre  compte  rendu  du  Salon,  page  226  du  numéro  d'août  189S,  nous 
avons  attribué  par  erreur  à  M.  MonchaWon  un  tableau  qui  est  de  M-"»  p.  Delacroix-Garnier. 

—  A  l'article  de  notre  numéro  de  juillet  1S98  sur  l'Elysée,  il  faut  ajouter  que  M.  le  baron 
Basset  de  Belavalle  était  régisseur  du  palais  en  1S71  et  qu'il  a  largement  contribué,  en  cette 
qualité,  à  l'apposition  des  scellés  fictifs  qui  ont  sauvé  le  monument  du  pillage. 


BIBLIOGRAPHIE 


Le  cinquième  volume  de  la  Peinture  en  Eu- 
rope, rintéressante  collection  dont  la  librai- 
rie May  poursuit  la  publication,  vient  d'être 
mis  en  vente.  Il  est  consacré  à  la  Hollande  et 
renferme  une  description  minutieuse  et  rai- 
sonnée  de  toutes  les  œuvres  picturales  con- 
servées tant  dans  les  musées  roj-aux  et  mu- 
nicipaux que  dans  les  collections  particulières. 
MjM.  Georg-es  Lafenestre  et  Eugène  Richten- 
berger  ne  se  sont  pas  contentés  de  faire  con- 
naître au  lecteur  les  richesses  accumulées  dans 
les  galeries  justement  célèbres  d'Amsterdam 
et  de  La  Haye,  de  Haarlem  et  de  Rotterdam, 
ils  ont  tenu  à  appeler  son  attention  sur  les 
œuvres  de  premier  ordre  réunies  dans  les  villes 
de  moindre  importance  et  aussi  dans  les 
grandes  collections  particulières.  Ce  volume, 
le  plus  complet  qui  ait  paru  sur  la  Hollande, 
est  enrichi  de  cent  photogravures  parfaite- 
ment réussies. 

Sous  le  titre  :  la  Tradition  dans  la  peinture 
française,  M.  G.  Lafenestre  a  réuni  à  la 
même  librairie  quelques  études,  critiques  ou 
biographiques,  où  l'on  peut  suivre,  durant 
notre  siècle,  chez  les  peintres  français,  l'in- 
fluence des  pratiques  et  des  idées  transmises 
par  leurs  devanciers.  L'étude  principale,  la 
Peinture  du  XIX''  siècle  à  l'Exposition  unioerseUe 
de  1SS9,  montre,  à  travers  les  périodes  clas- 
siques, romantiques,  éclectiques,  la  persistance 
de  ces  traditions,  techniques  ou  intellectuelles, 
l'observation  constante  de  la  nature  A'ivante 
éclairée  par  l'étude  respectueuse  et  libre  des 
œuvres  du  passé,  la  science  scrupuleuse  du 
dessin  et  l'intelligence  de  la  composition 
expressive. 

La  maison  Hanfstaengl,  de  Munich,  pour- 
suit sa  voie  de  vulgarisation  artistique  par 
tous  les  moyens  graphiques  où  elle  excelle. 
Aujourd'hui,  elle  public  les  chefs-d'œuvre  de 
la  vieille  Pinacothèque  de  Munich,  reproduits 
par  les  procédés  typograjïhiques  de  simili- 
gravure, appliqués  avec  une  supériorité  remar- 
quable. Cette  perfection  du  procédé  n'em- 
pêche pas  d'offrir  au  public,  ]30ur  9  marks, 
la  reproduction  de  plus  de  deux  cents  chefs- 
d'œuvre. 

M.  Halperine-Kaminski  ajHiblié  une  traduc- 
tion de  l'ouvrage  du  comte  Léon  Tolsto'i  sur 
l'art  :  Qu'est-ce  que  l'art?  Ce  n'est  pas  une 
question  que  se  pose  l'auteur,  car  son  opinion 
est  faite.  On  peut  même  trouver,  cette  fois, 
qu'elle  est  un  peu  complexe  et  touffue.  L'élé- 
vation de  l'esprit  de  Tolsto'i  ne  lui  permet 
pas  d'échapper  complètement  aux  diffîcultés 
d'une  pareille  démonstration.  La  cause  est 
vieille,  depuis  Platon,  et  les  meilleures  intel- 
ligences ne  s'y  sont  pas  toujours  rencontrées. 
En  art,  moins  peut-être  que  partout,  il  ne 
faut  être  intransigeant,  et  le  chemin  du  su- 
blime ne  se  rencontre  pas  à  chaque  tournant 
de  route.  Est-il  même  indispensable  de  ne 
viser  qu'au  sublime  ?  «  De  notre  temps,  dit 
l'auteur,  la  mission  de  l'art  est  nette  et  défi- 
nie :  la  réalisation  de  l'union  fraternelle  entre 
les  hommes.  »  Eh!  oui.  Mais,  pour  adoucir, 
qu'il  soit  aimable.  Il  dit  encore  :  «  L'art  doit 
supprimer  la  violence,  et  seul  il  peut  le  faire.  » 
Cela  est  moins  sûr,  car  on  a  élevé  de  tout 
temps  des  monuments  de  gloire  guerrière  qui 
sont  souvent  de  fort  belles  choses. 


A  l'occasion  de  la  récente  exposition  de 
l'École  des  beaux-arts,  M.  Armand  Dayot  a 
publié,  chez  Magnicr,  un  fort  volume  consa- 
cré aux  Vernet,  Joseph,  Carie  et  Horace. 
C'est  un  beau  livre,  bien  documenté  et  abon- 
damment illustré.  L'auteur  est  un  critique 
d'art  très  fin  qui  n'abuse  pas  des  grandes 
phrases  d'esthétique,  et  chez  qui  l'histoire  et 
la  philosophie  ne  perdent  jamais  leurs  droits. 
Il  ne  s'agenouille  point  devant  les  maîtres 
qu'il  présente  et  sait  leur  dire  quelques  véri- 
tés avec  une  courtoisie  constante  qui  lui  aurait 
permis  la  même  liberté  de  leur  vivant.  Les 
Vernet  étaient  des  artistes  épris  de  leur  art, 
mais  aussi  pleins  de  vie  et  de  mouvement, 
parfois  même  quelque  peu  encombrants.  L'n 
appendice  curieux,  reproduisant  le  carnet  des 
recettes  d'Horace,  montre  qu'elles  n'étaient 
pas  minces.  Il  sort,  en  1807,  de  l'Ecole  des 
beaux-arts;  de  1811  à  1820,  il  gagne  en 
moyenne  15,000  francs  par  an,  plus  de  65,000  fr. 
par  an  de  1835  à  18  44  ;  139, H6fr.  20  en  18 i9,  etc. 
Le  détail  de  ces  recettes  est  amusant  ;  il  y 
avait  des  rentes  et  des  traitements...  Mais 
l'ordre  bourgeois  est -il  donc  incompatible 
avec  le  talent  ? 

Après  ces  ouvrages  consacrés  aux  beaux- 
arts,  nous  signalerons  quelques  petits  volumes 
d'utilité  pratique  : 

Chez  Mendel,  un  Photo-guide  aux  environs 
de  Paris,  par  M.  Bertot.  11  fait  partie  de  ces 
petits  volumes,  déjà  si  nombreux,  que  les  ha- 
lîitudes  nou\elles  de  déplacements,  faciles 
grâce  à  la  bicyclette  et  agréables  grâce  à 
l'objectif,  ont  introduits  dans  les  bibliothèques 
modernes,  peut-être  au  regret  des  amateurs 
de  lectures   plus    reposées. 

Chez  Larousse,  un  petit  manuel  très  pra- 
tique et  très  utile  que  le  docteur  Galtier-Bois- 
sière  publie,  sous  le  titre  :  Cycliste  et  bicy- 
clette. L'hygiène  y  joue  son  rôle,  mois  aussi 
la  mécanique,  et  même  les  règlements  admi- 
nistratifs. Ceux  qui  pédalent  sans  trop  réflé- 
chir y  trouveront  de  très  judicieuses  re- 
marques. 

On  apprendra  aussi  des  choses  d'un  intérêt 
plus  grand  encore,  et  d'une  utilisation  plus 
fréquente  qu'on  ne  i^ense.  dans  le  volume  de 
M.  Michotte,  sur  l'Incendie,  ce  que  l'on  doit 
savoir  et  ce  que  l'on  doit  faire. 

L'Escrime  au  sabre,  trop  délaissée  en 
France,  nous  met  en  état  d'infériorité  vis-à- 
vis  d'autres  nations,  notamment  de  l'itahc. 
Le  lieutenant-colonel  Dérué,  dont  l'autorité 
est  reconnue,  vient  de  lui  consacrer,  chez  May, 
un  petit  volume  substantiel  qui  plaira  aux 
amateurs  et  décidera  les  hésitants. 

M.  Gustave  Heuzé  vient  de  faire  paraître, 
à  la  Librairie  agricole,  un  volume  sur  les 
Plantes  légumières  cultivées  en  plein  champ, 
qui  est  du  plus  vif  intérêt.  Le  savant  inspec- 
teur général  de  l'agriculture  n'est  pas  un  théo- 
ricien de  laboratoire,  mais  un  praticien  d'ex- 
périmentation. Ses  conseils  se  compi-ennent 
et  peuvent  être  suivis.  Des  ouvrages  de  cett,e 
natui'e,  en  accroissant  largement  les  possibi- 
lités de  rendement  du  sol,  enrichissent  notre 
patrimoine  national. 


n  I  n  M  O  G  R  A  P  H  I  K 


475 


Aux  adeptes  du  spiritisme,  nous  avons  deux 
ouvraj^es  à  signaler.  Le  nouveau  volume  de 
M.  Léon  Denis.  ]iaru  clicz  Le\mapio.  sous  le 
titre  de  Christianisme  et  Spiritisme.  La  doc- 
trine des  Esprits,  pour  l'auteur,  contluira  l'hu- 
nianité  à  un  rapprochement  de  tous  les  sys- 
tèmes et  à  la  réunion,  par  une  même  foi,  dans 
un  unique  idéal  de  lumière.  On  peut  former 
de  pioindres  rêves,  mais  il  ne  faut  décourager 
personne  et  c'est  bien  de  vouloir,  comme  le 
dit  l'auteur,  cpie  chacun  devienne  meilleur 
à  la  lecture  de  semblables  conceptions. 

yi.  le  docteur  Surbled,  bien  connu  par  ses 
travaux  de  psycho-physioloiîie,  a  fait  une 
œuvre  opportune  en  publiant,  chez  Téqui, 
Spiritualisme  et  Spiritisme.  Qu'est-ce  que  le 
spiritualisme?  Comment  le  dédain  dont  il 
était  autrefois  victime  a-t-il  fait  place  à  une 
faveur  croissante,  à  une  victoire  prochaine? 
Comment  l'esprit  est-il  envisagé  par  la  philo- 
sophie, par  la  science,  par  les  savants  même 
libres  penseurs  de  l'Ecole  de  médecine?  Toutes 
ces  questions  sont  abordées  et  développées 
avec  intérêt. 

Mais  l'esprit  n'est  pas  isolé,  sans  rapports 
avec  la  matière,  il  est  lié  à  la  sensation,  à  la 
vie;  et  c'est  l'occasion  d'exposer  en  détail  les 
théories  si  curieuses  et  si  captivantes  de  l'in- 
flux nerveux,  du  fluide  vital  et  du  magné- 
tisme. Des  auteurs  peu  précis  ou  des  sectaires 
comme  les  spirites  et  les  occultistes  ont  cher- 
ché à  confondre  le  fluide  magnétique  ou  vital 
avec  l'esprit  même,  et  celui-ci  avec  le  corps 
astral  ou  le  périsprit.  Exploitant  habilement 
la  vogue  dont  jouit  le  spiritisme,  ces  derniers 
ont  prétendu  dériver  le  courant  de  sympathie 
du  côté  de  leur  doctrine  fausse  et  dangereuse. 
M.  le  docteur  Surbled  signale  le  piège  tendu 
aux  âmes  crédules,  montre  les  différences 
essentielles  qui  séparent  la  vraie  doctrine  des 
philosophes  des  vaines  conceptions  du  spiri- 
tisme. Sa  conclusion  est  aussi  courte  que  pré- 
cise :  le  spiritisme,  voilà  l'ennemi  I  Une  re- 
marquable lettre  de  M?''  Méric  précède  et 
recommande  l'ouvrage  du  docteur  Surbled. 
L'éminent  professeur  de  Sorbonne  remarque 
avec  l'auteur  l'éclatant  triomphe  du  spiritua- 
lisme, et  la  curiosité  de  l'invisible,  cette  soif 
de  l'autre  vie,  qui  tourmente  les  consciences 
contemporaines. 

Les  publications  sur  les  nécessités  de  re- 
former l'âme  de  la  France  se  succèdent  avec 
une  abondance  qui  devient  troublante.  On 
commence  à  s'y  perdre  au  milieu  de  tant  de 
programmes.  ^I.  Léon  Bazalgette.  à  la  Société 
d'éditions  littéraires,  étudie  à  son  tour  l'Es- 
prit nouveau  dans  ses  diverses  manifes- 
tations. Il  apporte  à  cette  étude  une  méthode 
qui  lui  est  personnelle  et  une  philosophie 
quelque  peu  mystique.  C'est,  pour  employer 
une  expression  scientiQque,  une  bonne  con- 
tribution au  monumental  progrès  qui  se  pré- 
pare. 

Nombreux  sont  les  annuaires  et  nombreuses 
les  publications  d'allure  encyclopédique  ;  si 
nombreux  qu'on  désirerait  un  syndicat  intel- 
lectuel et  éditorial  qui  permettrait  de  réunir 
en    un    seul    tous    ces    documents    épars.    Le 


Répertoire  de  M.  Grenier,  public  pour  sa 
deuxième  année  chez  Berger-Levrault,  re- 
prend une  idée  déjà  appliquée  plusieurs  fois, 
notamment  par  M.  \'alframbert  il  y  a  quelque 
vingt  ans,  et  dans  le  Mémento  encyclopédique 
mensuel  du  Monde  Moderne.  Nous  devons  donc 
trouver  l'idée  heureuse,  et  nous  devons 
dire  aussi  que  l'ouvrage  de  M.  Grenier  est 
bien  conçu,  a^■ec  une  table  précieuse,  et  qu'il 
serait  facile  d'écrire  l'histoire  si  de  pareils 
travaux  avaient  été  poursuivis  depuis  l'in- 
vention de  l'imprimerie.  Sans  attendre  les 
historiens  futurs,  ce  volume  rendra  les  plus 
grands  ser\ices  aux  contemporains  qui  ont 
besoin  de  retrouver  un  fait  quelconque, 
encore  récent,  mais  dont  la  fuite  rapide  du 
temps  a  vite  aboli  le  sou\'enir. 

La  librairie  Schleicher  inaugure  par  le  Pa- 
norama des  siècles,  de  M.  J.  ^\'eber,  une 
nouvelle  encyclopédie  populaire  illustrée  à 
1  franc  le  volume,  dont  le  succès  permettra  de 
mesurer  la  culture  intellectuelle  de  notre  pays, 
car  cette  collection  est  conçue  dans  un  réel 
esprit  de  vulgarisation  scientifique.  Elle  est 
sérieuse,  fabriquée  avec  soin  et  vraiment 
utile.  Le  second  volume,  les  Races  jaunes, 
par  M.  Edmond  Plauchut,  n'a  pas  tardé  à 
suivre  le  premier  et  ils  forment  à  eux  deux 
un  excellent  début. 

La  librairie  Bouillon  a  publié,  en  3'" édition,  le 
Musée  de  la  conversation,  de  M.  Roger 
Alexandre.  C'est  un  sujet  qui  ne  sera  jamais 
épuisé,  comme  le  reconnaît  l'auteur  dans  son 
avertissement,  et  il  est  si  vaste  qu'il  est  diffi- 
cile de  s'y  tracer  un  programme.  Aussi  n'est-ce 
pas  seulement  ici  un  répertoire  des  citations 
françaises,  ce  qui  serait  assez  précis,  mais  des 
petits  voyages  à  travers  les  curiosités  litté- 
raires, ce  qui  devient  plus  vague  et  trop  vague. 
Dans  son  ouvrage  si  connu  sur  les  Petites 
Ignorances  de  la  conversation ,  M.  Rozan  a 
procédé  avec  plus  de  méthode,  et  avec  plus 
de  précision  dans  ses  Petites  Ignorances  his- 
toriques et  littéraires.  Encore  le  volume  de 
>L  Roger  Alexandre  reste-t-il  curieux  et  amu- 
sant, susceptible  de  donner  de  l'esprit  à  ceux 
qui  n'en  trouvent  pas  habituellement  dans 
leur  propre  fonds. 

Sous  ce  titre.  Nos  Terrains,  M.  Stanislas 
Meunier  nous  donne  une  géologie  de  la  France 
cjui  est  un  modèle  de  vulgarisation.  Un  fond 
d'une  exactitude  absolue,  une  forme  attrayante, 
telles  sont  les  qualités  maîtresses  du  livre.  On 
y  voit  que  la  géologie  n'est  pas  l'histoire  de 
corps  inertes,  que  les  roches,  que  l'écorce 
terrestre  sont,  comme  les  êtres  vivants, 
comme  les  plantes  et  comme  les  animaux, 
sujettes  à  d'incessantes  métamorphoses, 
qu'elles  naissent  et  qu'elles  meurent.  Et  c'est 
l'étude  de  notre  sol  qui  sert  à  cette  intéres- 
sante démonstration.  Tous  les  jeunes  gens 
qui  ont  le  goût  de  l'histoire  naturelle,  tous 
les  amateurs  de  science  et  de  beaux  livres 
voudront  avoir  dans  leur  bibliothèque  cet  ou- 
vrage, illustré  de  très  nombreuses  figures 
noires  et  en  couleurs  et  édité  avec  beaucoup 
de  soin  par  la  maison  Colin. 


41  r, 


BIBLIOGRAPHIE 


Le  baron  Heckedorn,  iiseudonyine  qui  cache 
lin  écrivain  bien  connu  des  lecteurs  du  Monde 
^foderne,  a  pubbé  chez  Dcntu  un  A-olume  sur 
Bismarck  au  h-ndemain  même  de  la  mort  du 
chancelier.  L'auteur,  familier  avec  la  langue 
allemande,  avait  pu  recueillir  nombi-e  de  ren- 
seijjnements  et  d  anecdotes  publiés  çà  et  là. 
11  en  a  i'ornié  un  ensemble  ciu'ieux  qui  éclaire 
la  phvsii momie  du  ])rince.  ("e  -s-olume  n'est 
pas  ime  œu\  re  tle  sympathie  et  on  ne  jieut 
demander  ce  sentiment  à  un  Français.  Il  s'at- 
tache surtout  aux  petits  côtés  des  choses  et 
n'aborde  pas  le  côté  philoso])hique  de  l'œuvre 
de  lîismarck.  Il  semble  même  ne  lui  accorder 
aucune  importance  disant  :  Pidvù  ex  et  in  pul- 
vprem  reverteris.  Sans  doute  ;  et  les  plus  j^rands 
hommes  aussi  ne  sont  jilus  que  poussière. 
Mais  cela  n'est  i)as  un  argument. 

M.  Henri  Tausin  a  pul)lié  chez  Lechevalicr 
une  ancienne  brochure  sur  les  Villes  déCOrées 
de  la  Légion  d'honneur.  Klles  sont  huit  en 
tout  :  Chalon-sur-Saône.  Tournus,  Saint-Jean- 
de-Losne  et  Roanne  pour  faits  de  f^uerre  ])en- 
dant  l'invasion  de  181  i;  Châteaudun,  Belfort, 
Hamhervillers  et  Saint-l^uentin  pour  leur  vail- 
lante défense  en  1.S70-1S7J. 

Belfort  et  Ramber\illers  ont  attendu  ,jus- 
qu'en  J896  et  Saint-Quentin  jusqu'en  1897 
cette  juste  consécration  de  leur  courage,  et  ce 
retard  honteux  est  une  ]}reuve  de  plus  du 
mal  d'apathie  dont  nous  sommes  en  train  de 
mourir. 

L'auteur  s'est  abstenu  des  phrases  inutiles 
et  a  laissé  parler  les  faits,  assez  éloquents 
par  eux-mêmes.  L'étoile  de  la  Légion  d'hon- 
neur doit  figurer  dans  le  blason  même,  et 
non  être  suspendue  sous  l'écusson.  La  bro- 
chure reproduit  les  armes  des  villes  ainsi 
étoilées  et  l'on  peut  dire  que  ce  sont  des 
armes  parlantes,  car  elles  glorifient  l'amour 
de  la  patrie. 

M.  Gustave  Guiches  est  un  écrivain  de  beau- 
coup de  talent;  il  est  l'auteur  d'un  livre  qui 
est  bien  près  d'être  un  chef-d'œuvre.  Céleste 
Prudhommat;  mais  il  a  un  défaut  :  il  se  bla- 
gue lui-même.  Pour  mieux  nous  exprimer,  il 
entend  étoufl'er  son  cccur  sous  son  esprit.  Son 
nouveau  volume,  chez  Flammarion,  est  une 
preuve  nouvelle  à  l'appui  de  notre  opinion. 

Entre  autres  nouvelles.  Trop  de  zèle,  qui 
sert  de  titre  au  volume,  commence  bien  et 
finit  mal.  La  première  ])artie  finit  sur  une 
scène  que  l'auteur  a  voulu  jolie  et  qui  est  belle 
par  la  force  des  choses.  Une  femme  y  est 
touchée  par  l'amour  vrai  du  mari  qu'elle  dé- 
testait. Mais  il  ne  faut  pas  s'attendrir  et,  dans 
la  seconde  partie,   ledit  mari  se  rend  ridicule. 

Pourquoi  avoir  poussé  au  noir?  Est-il  donc 
inférieur  de  préférer  les  bons  sentiments  aux 
mauvais.  Nous  croyons  que  M.  Guiches  pour- 
rait, avec  la  certitude  que  son  tempérament 
le  garderait  de  la  fadeur,  ne  pas  craindre 
d'-être  un  peu  tendre.  Dans  cette  note,  nou- 
velle pour  lui,  il  produirait  certainement 
quelque  chose  de  remarquable. 

Dans  Mulot  et  gendres,  chez  Ollendorf, 
M.  Charles  Foley  a  voulu  aussi  nous   montrer 


le  vilain  côté  de  l'humanité.  Son  odieux  bon- 
homme, qui  ne  pense  qu'à  l'argent,  est  un 
père  Grandet  moderne,  dont  l'avarice  n'a  pas 
même  la  grandeur  de  l'outrance.  Ses  calculs 
sont  mesquins.  Sa  femme  pense  à  peu  près 
comme  lui,  ses  deux  filles  aînées  et  leurs 
maris  sont  des  êtres  imbéciles,  et  son  Eugénie 
Grandet  est sal troisième  fille.  Annette. 

Elle  en  meurt  et  son  mari  avec  elle,  mais 
ils  meurent  autant  du  fait  de  leur  i)ropre  na- 
ture que  du  fait  du  père  Mulot. 

L'idée  philosophique  est  assurément  celle- 
ci  :  "  les  tendres  ont  tort  ».  Eh  bien!  nf)n, 
malgré  les  auteurs,  les  tendres  sont  encore 
les  heureux,  car  ils  ont  des  bonheurs  que 
n'ont  ]3oint  les  autres.  M.  Foley  le  sent  bien, 
qui  est  lui-même  un  doux,  et  son  gracieux 
talent  se  prête  mieux  à  l'idylle  qu'au  drame. 
Il  est  de  ceux  qui  peuvent  donner  de  la  joie 
en  écri\ant,  encore  que  cela  ne  soit  point  loi- 
sible à  tout  le  monde. 

Notre  confrère  Edouard  de  Perrodil  conti- 
nue la  publication  de  ses  grands  voyages  à 
travers  le  continent.  Les  Briseurs  de  chaînes, 
qui  parait  aujourd'hui,  chez  Flammarion,  est 
le  dernier  de  cette  séi-ie,  brillamment  mar- 
quée par  Vélo  !  Toro,  A  vol  de  vélo  et  A  travers 
les  cactus. 

Cette  fois,  ce  n'est  pas  dans  des  pays  neufs 
et  quasi  inexplorés  à  bicyclette  que  l'auteur 
nous  emmène.  (Test  tout  bonnement  de  Paris 
à  Milan,  avec  un  fort  crochet  par  Marseille  et 
la  Côte  d'azur.  Mais  cette  traversée  à  bicj'- 
clette  d'un  pays  des  plus  civilisés  n'est  pas 
moins  curieuse  par  les  réflexions  qu'elle  pro- 
voque dans  le  cerveau  d'un  homme  capable  à 
la  fois  de  cycler  sur  un  aussi  long  parcours 
et  de  penser  sur  la  route. 

La  traversée  des  Alpes,  entre  autres,  a  in- 
spiré à  notre  confrère  plusieurs  pages  à  la 
fois  intéressantes  et  émues.  Une  fois  de  plus, 
l'auteur  a  vécu  de  la  vie  large  et  saine  des 
grandes  routes,' et  il  nous  en  a  rapporté  un 
écho  fidèle  qui  vibre  d'une  façon  assez  inat- 
tendue, mais  pleine  d'un  charme  puissant  et 
sauvage,  dans  l'atmosphère  surchauffée  du 
Paris  d'aujourd'hui. 

On  sait  (jue  la  Nouvelle-Ecosse,  dont  la  ca- 
pitale est  Halifax,  est  une  presqu'île  de  l'Amé- 
rique anglaise  du  Nord,  dans  le  golfe  du 
Saint-Laurent;  on  sait  encore  que  Longfellow 
y  a  placé  les  scènes  admirables  de  son  Eran- 
fféline  ;  on  sait  déjà  moins  qu'elle  fut  appelée 
Acadie  en  1524,  au  nom  de  François  l'^''  qui 
en  prit  possession  pour  la  France;  mais  qui 
se  rappelle  les  luttes  qu'eurent  à  supporte 
les  premiers  Acadiens,  leur  fidélité  à  leur 
patrie  et  à  leur  mère  jiatrie  et  leui-  dis]>ersion 
presque  totale?  lis  semblent  cependant  devoir 
renaître  et  se  retrouver,  et  c'est  avec  ime 
curiosité  légitimement  intéressée  qu'on  lirait 
à  ce  sujet  l'ouvrage  que  M.  Pascal  Poirier 
vient  de  consacrer,  chez  Beauchemin,  à 
Montréal,  au  Père  Leîebvre,  le  héros  de  leur 
réorganisation.  Il  ne  mani[ue  à  ce  livre  de  foi 
qu'une  préface,  ra]3pelant  briè\ement  l'his- 
toire de  l'Acadie  ;  mais  elle  se  trouvera  sans 
doute  dans  la  nouvelle  et  prochaine  édition. 


L'Editeur -Gérant  :  A.    Quantin, 


HT)  13.  —   Lib.-Imp.  réunie;.,   Motteroz,  D'',  7,  rue  Saint-Benoît,  Paris. 


Le 


Monde    Modetne 


Octobre    1898 


VIII.  —  3J. 


LE 


CHATEAU  DAGOU 


M"'  Chloé  d'Agor,  qui  ne  s'éluiL  pas 
mariée  parce  qu'elle  n'avait  pu  se  rési- 
g^ncr  à  échanger  son  nom  contre  un 
autre,  habitait,  derrièi^e  les  Invalides, 
un  vieil  hôtel  avec  un  grand  jardin,  trop 
grands  pour  une  vieille  liUe,  mais  qu'elle 
avait  toujours  refusé  de  vendre,  n'ayant 
pas  besoin  d'argent.  Ce  n'était,  d'ail- 
leurs, pas  un  mauvais  placement,  car 
on  lui  en  offrait  tous  les  ans  cent  mille 
Francs  de  plus. 

Ce  jour-là,  on  avait  ouvert  le  grand 
^alou  d  honneur,  dressé  la  table  dans  la 
salle  à  manger,  et  tous  les  domestiques, 
tirés  de  leur  habituelle  torpeur,  étaient 
à  leur  poste.  M"^  d'Agor  attendait  son 
neveu,  revenant  du  Sénégal,  où  il  avait 
conquis  à  la  pointe  de  l'épée,  presque 
coup  sur  coup,  son  grade  de  capitaine 
et  la  croix. 

Le  capitaine  Jehan  d'Agor,  des  comtes 
d'Agor,  dernier  du  nom  et  pas  encore 
marié,  était  pauvre  comme  feu  Job  :  à 
peine  aui'ait-il  pu  justifier  d'une  ving- 
taine de  mille  livres  de  rente,  tout  juste 
de  quoi  ne  rien  devoir  à  personne  et 
pouvoir  donner  le  louis  de  pourboire 
cjuand  c'est  convenable. 

Il  y  a  des  gens  qui  peuvent  se  passer 
de  fortune,  n'en  ayant  jamais  eu.  Il  leur 
suffit  de  bien  dîner,  d'avoir  de  beaux 
habits,  daller  aux  bains  de  mer  l'été  et 
l'hiver  au  spectacle  ;  pour  peu  qu'on 
sache  profiler  du  mécanisme  des  agences, 
on  vit  largement  sans  pi'esque  rien 
dépenser.  Il  en  va  tout  autrement  quand 
on  s'appelle  d'Agor;  on  éprouve  chaque 


jour  quelque  gêne  ou  quelque  humilia- 
tion à  ne  pouvoir  seulement  disposer  de 
cent  mille  francs  à  la  fois. 

On  ne  pouvait  reprocher  à  Jehan 
d'avoir  dissipé  son  patrimoine  ;  c'était 
son  père  qui  avait  englouti  toute  la  for- 
tune de  la  maison  dans  des  spéculations 
audacieuses,  en  poursuivant  le  rêve  de 
racheter  le  château  d'Agor,  qui  avait  été 
vendu,  sous  la  Révolution,  comme  bien 
d'émigré. 

M"*^  d'Agor  commença  par  se  faire 
raconter  les  campagnes  de  son  neveu. 
Rien  ne  l'amusait  comme  les  histoires 
de  batailles;  quand  on  arrivait  à  l'as- 
saut, elle  ne  pouvait  rester  assise;  elle 
aurait  voulu  en  être.  Et  elle  ne  se  rési- 
gnait jamais  à  battre  en  retraite. 

—  Enfin,  dit-elle,  comme  le  déjeuner 
tirait  à  sa  fin,  te  voilà  capitaine  et 
décoré.  Ils  doivent  être  bien  contents 
d'avoir  un  d'Agor  dans  leur  Légion 
d'honneur,  mais  cela  m'a  fait  plaisir 
tout  de  même.  Qu'est-ce  que  tu  veux? 
Il  faut  être  de  son  temps.  Maintenant, 
tu  es  à  point  :  trente  ans,  beau  cavalier, 
un  peu  bronzé  par  le  soleil  d'Afrique, 
tu  peux  faire  ton  choix.  Plus  tôt,  tu 
n'aurais  pas  eu  toute  ta  valeur;  mais,  à 
attendre,  tu  ne   ferais  plus  que  perdre. 

—  Oh  !  je  me  maintiendrai  quelque 
temps.  Et  combien  estimez-vous  que  je 
vaux  sur  le  marché? 

—  Ce  n'est  pas  une  question  d'argent. 
Des  millions,  parbleu  !  tu  en  trouveras 
toujours.  ïu  n'aurais  qu'à  épouser  une 
Juive  ou  une  Américaine,  celle  que  tu 


484 


LE    CHATEAU    D'AGOR 


voudrais.  Mais  cela  l'avancerait  bien  ! 
Ce  qu'il  te  faut,  c'est  le  château  d'Agor. 
Tu  ne  seras  complet  que  quand  lu  auras 
repris  le  château  d'Agor. 

—  Et  pour  le  reprendre  ? 

—  Le  mieux  évidemment  serait  de  le 
reprendre  à  main  armée.  Tu  arriverais 
dans  le  pays  à  la  tête  de  ta  compagnie, 
lu  soulèverais  les  paysans,  tu  marche- 
rais sur  le  château  et  tu  l'emporterais 
de  vive  force.  Ça,  c'est  le  rêve.  Mais  je 
veux  bien  tenir  compte  des  circon- 
stances. 

—  Ma  tante,  vous  devenez  trop  mo- 
derne.. Je  ne  vous  reconnais  plus. 

—  Puisqu'il  le  faut,  nous  allons  nous 
y  prendre  autrement. 

—  Je  vous  vois  venir.  Il  s'agit  d'épou- 
ser une  jeune  fille  ti^ès  laide  dont  la  dot 
sera  employée  à  racheter  le  château. 

—  Non.  D'abord,  tu  as  droit  à  une 
jolie  femme.  Et  puis  le  château  n'est 
pas  à  vendre  et  ne  le  sera  pas  de 
longtemps. 

—  Quelles  sont  les  belles  jeunes  lilles 
entre  lesquelles  je  vais  avoir  à  faire  mon 
choix? 

M""  d'Agor  se  recueillit  un  instant. 
Elle  désirait  ne  pas  heurter  son  neveu, 
mais  elle  ne  voulait  pas  non  plus  ruser 
avec  lui. 

—  11  n'y  en  a  qu'une,  répondit-elle. 
Mais,  comme  c'est  celle-là  qu'il  te  faut, 
à  quoi  servirait-il  qu'il  y  en  eût  d'autres? 

—  Ce  serait  pour  lui  donner  la  préfé- 
rence. 

—  Elle  s'appelle  Odette  de  Brécourt. 
Elle  n'a  pas  de  naissance  ;  mais  peu 
importe  son  nom,  puisqu'elle  portera  le 
tien.  Elle  est  jolie,  élégante,  bien  éle- 
vée, pas  sotte,  et  elle  sera  très  riche. 
Mais  le  point  essentiel,  c'est  qu'elle  est 
la  filleule  et  qu'elle  sera  l'héritière  de 
M.  Delaroche,  un  vieux  bonhomme  qui 
a  gagné  beaucoup  d'argent  à  fabriquer 
des  clous... 

—  Un  maître  de  forges? 

—  C'est  cela...  et  qui  occupe  le  châ- 
teau d'Agor  depuis  vingt-cinq  ans  en 
vertu  d'un  prétendu  contrat  de  vente, 
comme  si  l'on  avait  pu  lui  vendre  ce  qui 


t'appartient.  Mais  enlin  il  1  occupe.  Il 
n'a  d'autres  parents  qu'une  nièce,  avec 
laquelle  il  est  brouillé,  et  son  testament 
est  fait  en  faveur  d'Odette. 

—  Mais,  objecta  Jehan,  si  elle  a  toutes 
les  qualités  que  vous  dites,  elle  sera  fort 
exigeante. 

—  Et  qu'est-ce  qu'elle  pourrait  exiger 
de  plus  qu'un  d'Agor?  C'est  elle  qui 
fera  une  bonne  affaire,  puisque,  grâce  à 
toi,  elle  pourra  entrer  le  front  haut  dans 
ce  château  qu'autrement  elle  ne  détien- 
drait que  comme  bien  volé. 

—  Ah!  c'est  vrai.  A-t-elle  de  la 
chance,  cette  petite,  de  me  trouver 
ainsi  sur  son  chemin  !  Et  au  moins  est- 
elle  amoureuse  de  moi? 

—  Pas  encore,  polisson.  J'ai  voulu  te 
laisser  quelque  chose  à  faire. 

Jehan  ne  pouvait  guère  refuser  ce  que 
sa  tante  lui  offrait.  Puisque  aussi  bien  il 
fallait  toujours  qu'il  iinît  par  se  marier, 
celle-là  ou  une  autre,  il  n'y  attachait  pas 
d'importance. 

—  Ah  !  j'oubliais  de  te  dire,  reprit 
]\/[iie  cPAgor,  il  paraît  qu  elle  est  fiancée 
à  un  certain  Robert  Villarmont. 

—  Fiancée!  Vous  m'offrez  en  mariage 
une  jeune  fille  qui  est  déjà  fiancée  à  un 
autre  ! 

—  La  belle  affaire  !  Tu  la  prendras  à 
l'autre.  Voilà  tout. 


Au  bal,  chez  le  baron  Samuel,  dans 
l'intime  téte-à-tête  que  procure  la  valse 
au  milieu  de  la  foule,  Jehan  et  Odette  se 
regardèrent  dans  les  yeux.  Lui,  avant 
d'aller  pljus  loin,  il  n'était  pas  fâché  de 
la  voir  de  près  et  de  se  rendre  un  peu 
compte  par  avance  de  Feiret  qu'elle  lui 
ferait  dans  les  bras.  Elle,  presque  fiancée 
à  Robert  Villarmont,  elle  ne  s'occupait 
plus  de  ses  danseurs,  mais  Jehan  méri- 
tait une  exception.  C'était  lui  qui  por- 
tait le  nom  de  la  terre  dont  elle  serait 
un  jour  propriétaire,  et  elle  ne  pouvait 
pas  s'empêcher  de  penser  que  pour 
habiter  le  château  d'Agor,  au  lieu  de 
s'appeler  tout   simplement    M'"**  A^illar- 


I-K    CHATEAU    D  A<;()H 


485 


mont,  il  serait   plus  correct  et  plus  élé- 
<;ant  de  s'appeler  comtesse  d'Ayor. 

—  Vous  aussi,  dit-elle  avec  une  petite 
moue  de  sarcasme,  vous  êtes  explorateur. 

—  Il  faut   bien  faire  quelque  chose  : 
c'est  ce  qui  a  remplacé  les  croisades. 

—  \'ous  aimez  les  pays  où  il  faut  tou- 
jours se  tenir  en  g^arde,  où  Ton  se  dis- 


Odette  s'aperçut  que  Jehan  ne  voulait 
pas  lui  répondre  sérieusement  et  elle  en 
éprouva  quelque  dépit.  C'était  elle  qui 
avait  mal  engaj;^é  la  conversation.  D'or- 
dinaire, elle  avait  l'espril  net  et  le  verbe 
bref,  n'était  jamais  embarrassée;  même 
elle  manquait  de  cette  nuance  de  timi- 
dité  et   de   j^aucherie    par  laquelle   une 


'--^^. 


^«^^ 


pute  sans  cesse  avec  ses  porteurs  et  où 
l'on  se  concilie  la  faveur  des  nèf^res  avec 
de  1  eau-de-vie  et  des  cotonnades. 

—  C'est  tout  à  fait  comme  à  Paris. 

—  Et  puis,  ajouta  Odette,  vous  vous 
exposez  à  mourir  prématurément,  ce  qui 
est  toujours  une  maladresse. 

—  La  mort  violente  !  Mais  c'est  le 
seul  moyen  d'éviter  les  horreurs  de  la 
vieillesse. 

—  Est-ce  qu'on  rencontre  quelquefois 
des  femmes  dans  le  désert? 

—  Non,  il  n'y  a  que  des  Anglaises. 


jeune  fille  sait  quelquefois  se  donner 
tant  de  grâce.  Mais  avec  Jehan,  bien 
qu'elle  ne  fût  guère  empêtrée  de  pré- 
jugés, elle  se  sentait  presque  mal  à  l'aise, 
et  c'était  pour  ne  pas  paraître  de  condi- 
tion inférieure  devant  un  d'Agor  qu'elle 
avait  pris  dès  le  début  un  ton  presque 
impertinent. 

Comprenant  quelle  faisait  fausse 
route,  elle  radoucit  subitement  sa  voix 
et,  passant  d'un  extrême  à  l'autre,  ce 
fut  avec  un  délicieux  sourire  qu'après 
la  valse  elle  demanda  à  faire  le  tour  des 
serres. 

—  Qui  est  ce  jeune  homme?  demanda 
Jehan. 

—  M.  Robert  \'illarmont. 

—  Il  est  très  bien. 

—  Qu  est-ce  que  vous  lui  trouvez 
d  extraordinaire? 

—  D'abord  il  est  joli  homme. 

—  Est-ce  qu'on  fait  attention  à  cela? 


■«Stî 


r,K    CIFATKAU    ])'A(;(JI{ 


—  L  air  (lisLin;4;ut'  1 

—  Vous  trouvez  ? 

—  Inlelligent,  spirituel! 

—  Oh!  pas  tant  que  cela,  je  vous 
assure. 

Pour  un  peu,  elle  aurait  dit  du  mal 
de  sou  fiancé,  tant  c'était  agaçant  d'en- 
tendre faire  de  lui  cet  éloge  démesuré, 
et  c'était  bien  sur  quoi  Jehan  avait 
compté.  D'ailleurs,  elle  ne  discernait 
pas  bien  ce  qu'il  pouvait  y  avoir  d'ironie 
dans  ces  louanges,  et,  quand  elle  revint 
à  sa  place,  elle  était  mécontente  à  la  fois 
de  Jehan  et  d'elle-même. 

—  Eh  bien?  demanda  M"'^  d'Agor  le 
lendemain. 

. —  Mes  affaires  sont  en  bonne  voie. 
Pour  le  moment,  nous  nous  détestons  : 
mais  cela  ne  durera  pas. 

En  effet,  Odette,  pendant  les  jours 
suivants,  fut  d'une  humeur  exécrable. 
Ce  fut  Robert  Villarmont  qui  eut  à  sup- 
porter le  premier  choc.  Comme  il  s'était 
permis  de  lui  dire  qu'elle  faisait  une 
moue  délicieuse,  elle  faillit  le  mettre  à 
la  porte.  Ensuite,  elle  s'en  prit  à  sa 
mère.  Pourquoi  ne  l'avait-on  pas  pré- 
venue? On  lui  avait  présenté  Jehan  à 
l'improviste  :  elle  n'avait  rien  dit  de  ce 
qu'il  fallait.  Mais  elle  voulait  sa  revanche, 
et  tout  de  suite.  Cependant  il  fallut  bien 
attendre  la  visite  de  Jehan  ;  mais,  aussitôt 
après  le  délai  de  rigueur,  M'"'^'  de  Bré- 
court lui  écrivit  un  billet  plein  de  grâce 
et  d'affection  pour  l'inviter  à  dîner. 
Jehan  répondit  que  justement  pour  ce 
jour-là  il  avait  déjà  promis.  Il  éclatait 
aux  yeux  que  ce  n'était  pas  vrai.  Mais 
Odette  ne  voulut  pas  en  avoir  le  démenti, 
et,  l'invitation  ayant  été  renouvelée  pour 
un  autre  jour,  il  fallut  bien  que  Jehan 
s'exécutât. 

Cette  fois,  (Jdelle  y  mit  vraiment  de 
la  bonne  volonté  et  déploya  toutes  ses 
grâces  :  assise,  elle  regarda  Jehan  de- 
bout; ce  regard  de  bas  en  haut  avait 
quelque  chose  d'humble  et  de  câlin  à 
quoi  les  hommes  ne  résistaient  pas,  mais 
Jehan  ne  fut  pas  troublé  !  Elle  avait 
aussi  une  manière  de  s'asseoir  d'une 
jambe  sur  le  bord  d'une  chaise  en  don- 


nant à  sa  hanche  ui\e  ligne  flexucuse  qui 
aurait  captivé  le  regard  le  plus  distrait. 
?]lle  lit  encore  plusieurs  autres  tours 
sans  que  Jehan  parût  s'en  apercevoir. 

A  chaque  instant,  Odette  avait  envie 
de  parler  à  Jehan  du  château  d'Agor, 
mais  elle  ne  trouvait  pas  le  joint.  Elle 
ne  voulait  pas  avoir  l'air  de  lui  dii'e  : 
«  Eh  bien  !  votre  château,  vous  ne  le 
connaissez  pas  ;  moi,  j'y  vais  tous  les  ans, 
et  bientôt  il  sera  à  moi.  »  Elle  aurait 
voulu  que  ce  fût  lui  qui  en  parlât  le 
premier,  et  il  commençait  à  lui  sembler 
qu'en  se  mettant  d'accord  ils  pourraient, 
à  eux  deux,  former  un  ensemble  complet . 

—  As-tu  fait  ta  déclaration?  demanda 
M""  d'Agor. 

—  Une  déclaration  !  Mais  c  est  elle 
qui  me  la  fera. 

—  Ce  sera  plus  long. 

Tout  d'un  coup  on  apprit  que  M.  Dela- 
roche  était  mort. 

Les  vieux  garçons  ont  du  moins  un 
mérite  qu'il  ne  faut  pas  leur  contester: 
quand  ils  meurent,  ils  ne  font  de  chagrin 
à  personne.  Au  retour  de  l'enterrement, 
les  Brécourt  prirent  le  deuil  comme  il 
convient  à  de  futurs  héritiers,  mais  ils 
n'affichèrent  pas  une  douleur  de  mauvais 
goût,  et  personne  ne  pensa  plus  à  M.  De- 
laroche. 

—  Tu  devrais  aller  faire  un  tour  par 
là,  dit  M""  d'Agor.  En  attendant  l'ou- 
verture du  testament,  il  n'y  a  personne 
au  château;  tu  trouveras  facilement  un 
prétexte  pour  le  visiter,  tu  verras  dans 
quel  état  il  est,  ce  qu'il  y  a  à  faire  pour 
le  remettre  à  vieux,  et,  quand  tu  y  l'en- 
treras, tu  n'auras  pas  l'air  d'un  nouveau 
venu. 


Jehan  quitta  le  chemin  tie  fer  à  i;i 
ville  la  plus  voisine;  comme  le  château 
d'Agor  était  à  quatre  kilomètres,  il  par- 
tit à  pied  et,  quittant  la  grande  route, 
il  prit  un  sentier  qui  grimpait  tout  droit. 
Le  château  se  présentait  fièrement  sur- 
la  crête  d'une  colline,  d'où  il  comman- 
dait tout  le  pays  environnant;  la  grande 
tour   carrée,    couronnée    de    créneaux, 


IJ-;    CHATEAU    D  AGOH 


487 


llanquait  des  oonstruclions  irrégulières, 
massives,  percées  de  rares  ouvertures, 
et  les  toits  profilaient  sur  le  ciel  un  en- 
chevêtrement   de     lif^'ncs    capricieuses. 


au  d<îtour  d'une  allée,  il  se  trouva  face 
à  face  avec  une  jeune  fille  de  vinj^t  ans 
et  une  petite  fille  de  sept.  La  jeune  fille 
était  en  deuil,  autant  du  moins  rpie   la 


Avant  d'arriver  au  pied  des 
bâtiments,  Jehan  fut  arrêté 
par  un  saut  de  loup;  pour 
aller  gagner  la  grille  d'en- 
trée, il  aurait  dû  faire  un  dé- 
tour, et  il  n'aimait  pas  les 
obstacles.  Il  pensa  qu'après 
tout  il  ne  faut  pas  tant  de 
manières  pour  regarder  du 
dehors  un  château  inhabité  : 
il  sauta  au  fond  du  fossé  et 
il  lui  suffit  de  déplacer  quel- 
ques pierres  qui  tenaient  à  peine  pour 
se  faire  une  sorte  d'escalier. 

—  Ce  mur  n'est  pas  solide,  pensa-t-il. 
Il  faudra  que  je  le  fasse  reconstruire. 

Une  fois  dans  le  parc,  il  se  dirigeait 
tranquillement  vers  la  terrasse,  quand. 


jeunesse  peut  être  en  deuil  :  le  noir  ne 
paraît  presque  pas  quand  il  encadre  un 
visage  blanc  et  rose  avec  des  yeux  bril- 
lants de  vie  et  des  cheveux  d'une  opulence 
mal  contenue.  Jehan  fut  extrêmement 
contrarié  de  paraître  d'une  façon  aussi 


488 


LE    CHATEAU    DA(;()U 


irrég'ulière  devant  ces  jeunes  personnes 
qui  avaient  l'air  d'être  chez  elles. 

—  Excusez-moi,  mademoiselle,  dit-il 
d'un  air  penaud.  Je  ne  suis  pas  un  vo- 
leur; on  m'avait  dit  que  ce  domaine 
était  à  vendre,  je  voulais  le  visiter  et,  le 
croyant  inoccupé,  je  n'avais  pas  cru 
nécessaire  d'entrer  par  la  porte. 

—  Le  domaine  n'est  pas  à  vendre, 
monsieur;  mais  vous  pouvez  le  visiter, 
si  cela  vous  agrée. 

—  Je  suis  confus  de  votre  bonté.  J'ai 
encore  bien  plus  envie  de  le  connaître 
maintenant  que  je  vois  comment  il  est 
habité. 

—  Ne  vous  méprenez  pas,  monsieur. 
Je  ne  suis  ici  que  gardienne  des  scellés. 

Jehan  pensa  que  des  scellés  gardés  de 
la  sorte  ne  devaient  pas  avoir  envie  de 
s'en  aller,  mais  il  n'osa  pas  le  dire  dans 
la  crainte  de  paraître  stupide. 

—  Des  scellés  '  dit-il  hypocritement. 
11  y  a  donc  un  mort? 

—  Mon  oncle,  M.  Delaroche. 

—  Ah  !  le  pauvre  monsieur,  fit  Jehan, 
qui  ne  pouvait  détacher  ses  yeux  de  la 
jeune  fille  et  ne  trouvait  pas  une  parole. 

Il  n'aurait  voulu  lui  faire  qu'un  joli 
compliment,  et  il  craignait  toujours 
que  ce  qu'il  allait  dire  ne  fût  pas  assez 
bien  pour  elle. 

Quand  on  fut  devant  le  perron,  la 
jeune  fille,  d'un  joli  geste  accompagné 
d'un  petit  sourire,  invita  Jehan  à  entrer. 

—  Mimi,  dit-elle  à  sa  petite  cousine, 
va  prévenir  maman. 

Jehan  était  gêné.  Ce  n'était  pas  ainsi 
qu'il  aurait  voulu  entrer  en  relations 
avec  M"«  Delaroche  ;  mais  il  se  dit 
qu'après  tout  cela  n'importait  guère 
puisqu'elle  ne  savait  pas  qui  il  était  et 
qu'il  ne  la  reverrait  jamais.  Il  n'avaitqu'à 
continuer  son  rôle  de  passant  qui  vou- 
lait visiter  une  propriété  à  vendre.  Mais, 
quand  il  fut  entré  dans  le  salon  où  ve- 
nait d'arriver  M"'"  Delaroche,  quelle  ne 
fut  pas  sa  stupéfaction  en  entendant  la 
jeune  fille  le  présenter  : 

—  M.  d'Agor,  ma  mère. 

—  Et  comment  le  savez-vous  ?  de- 
manda-t-il. 


Elle  lui  montra,  au-dessus  de  la  che- 
minée, le  portrait  en  pied  d'un  chevalier 
armé,  un  d'Agor  de  1500.  La  ressem- 
blance était  frappante.  Alors  la  glace 
fut  rompue  et  l'on  se  mit  à  causer; 
mademoiselle  Mimi  s'était  d'abord  tenue 
à  l'écart,  ne  sachant  trop  que  penser  du 
visiteur  qui  était  entré  par  escalade  ; 
mais,  quand  elle  vit  que  tout  le  monde 
lui  faisait  accueil,  elle  se  rapprocha  par 
degrés  et  finit  par  s'installer  entre  les 
jambes  de  Jehan. 

Jehan  apprit  que  M.  Delyroche  avait 
eu  un  frère  cadet,  le  père  de  Sylvie,  avec 
qui  il  s'était  fâché  parce  qu'il  voulait  le 
protéger.  Le  cadet  avait  préféré  réussir 
tout  seul.  Et  alors  M.  Delaroche  avait 
passé  sa  vie  à  lui  susciter  des  ennuis  et 
à  lui  jouer  de  mauvais  tours.  Finalement 
il  s'était  pris  d'une  grande  affection  pour 
sa  filleule  dans  le  but  de  contrister  son 
frère.  Celui-ci  étant  venu  à  mourir, 
M.  Delaroche  avait  dû  reporter  sa  mal- 
veillance sur  Sylvie. 

dépendant,  au  cours  de  sa  dernière 
maladie,  il  avait  été  bien  aise  que  Syl- 
vie vînt  le  voir;  elle  avait  adouci  ses 
derniers  moments  et,  s'étant  trouvée  là 
au  moment  de  la  mort,  y  était  restée  en 
attendant  qu'on  pût  lever  les  scellés; 
cette  opération  était  fixée  au  lendemain. 
On  devait  trouver  alors  dans  les  papiers 
du  défunt  le  testament  par  lequel  il 
instituait  Odette  sa  légataire  univer- 
selle. 

—  Si  vous  voulez  bien  nous  faire  le 
plaisir  de  revenir  demain,  dit  M""®  Dela- 
roche, vous  pourrez  porter  à  M"-^**  de 
Brécourt  des  nouvelles  toutes  récentes. 

Jehan  se  garda  d'y  manquer,  revoir 
Sylvie  étant  ce  qu'il  désirait  le  plus  en 
ce  moment.  Il  assista  donc  à  la  levée 
des  scellés  :  le  juge  de  paix,  assis  à  une 
petite  table  sur  laquelle  il  écrivait  son 
procès-verbal,  fit  ouvrir  successivement 
le  bureau  de  M.  Delaroche,  le  coffre- 
fort,  le  secrétaire,  tous  lés  tiroirs  de 
tous  les  meubles.  On  fouilla  partout,  on 
ne  laissa  aucun  coin  sans  l'explorer, 
aucun  papier  sans  l'ouvrir,  on  ne  trouva 
pas  de  testament. 


Ll>:    CHATEAU    I)A(;OR 


489 


—  C'est  qu'il  l'aura  déposé  chez  son 
notaire,  tlil  Sylvie.  Je  suis  sûre  qu'il  l'a 
fait  :  il  nie  l'a  dit  à  moi-même. 

(^omme  Jehan  retournait  le  soir  à  la 
ville,  on  le  pria  de  passer  chez  le  no- 
taire pour  lui  demander  s'il  avait  le 
teslamenl.  Quand  Jehan  arriva  chez  le 
nf>laire,  il  trouva  l'élude  sens  dessus 
dessous.  Par  une  de  ces  coïncidences  qui 
arrivent  toujours  mal  à  propos,  le  no- 
taire venait  justement  de  lever  le  pied. 
Il  avait  naturellement  emporté  la  caisse 
pour  subvenir  aux  besoins  d'une  vie  dé- 


contempler les  yeux  bleus  de  Sylvie, 
son  teint  clair  qui  laissait  comme  trans- 
paraître son  âme,  et  ses  adorables  mains 
qu'il  avait  toujours  peur  de  lui  voir 
abîmer  quand  elle  s'en  servait. 

Dans  sa  manière  d'être  avec  sa  petite 
cousine,  il  y  avait  une  tendresse  à  la 
fois    virginale    et    maternelle,    quelque 


sormais  errante  et  déclassée;  il  n'était 
pas  probable  qu'il  eût  emporté  le  testa- 
ment, dont  il  n'avait  que  faire.  C'eût 
été  méchanceté  pure.  Mais  la  justice 
avait  mis  son  nez  dans  les  affaires  du 
notaire  en  fuite;  il  y  en  avait  pour  quel- 
que temps  avant  qu'on  pût  ravoir  un 
papier  quelconque. 

Logiquement,  Jehan  aurait  dû  être 
contrarié  de  cette  complication,  qui  re- 
lardait pour  le  moins,  qui  pouvait  même 
mettre  en  doute  les  droits  d'Odette;  mais 
au  contraire  il  n'avait  jamais  été  plus 
joyeux.  Cela  lui  fournissait  l'occasion 
de  retourner  une  fois  de  plus  au  châ- 
teau  d'Agor,  où   il    ne   se   lassa  pas  de 


chose  de  ferme  et  de  craintif  à  la  fois 
qui  lui  donnait  une  grâce  singulière.  Et 
puis  elle  acceptait  avec  tant  de  bonne 
grâce  ce  teslamenl  qui  la  déshéritait  ! 
Elle  ne  semblait  même  pas  se  douter 
que  son  oncle  aurait  pu  prendre  d'autres 
dispositions  ou  tout  simplement  n'en 
prendre  aucune,  ce  qui  l'aurait  laissée 
héritière  de  droit.  Ce  dédain  de  la  for"- 
tune,  sans  réflexion  et  sans  effort,  ache- 
vait de  lui  donner  la  haute  élégance  à 
laquelle  les  cœurs  d'élite  sont  si  heureux 
de  se  reconnaître  entre  tous. 

—  Quand  est-ce  que  tu  auras  fini  de 
visiter  le  château?  télégraphia  M"''  d'.A- 
gor. 


490 


LE    CHATEAU    DAGOH 


—  Comment  ;is-(u  livnivé  Ayor?  de- 
manda-t-elle. 

—  En  manvais  clal,  répondit  Jehan. 
Il  y  avait  là  M'""  Delarochc,  sa  fille  Syl- 
vie et  une  petite  cousine. 

—  Ah  !  est-ce  que  le  château  tombe 
en  ruine? 

—  Oh  !  non.  Avec  trois  ou  quatre  cent 
mille  francs  de  réparations  on  en  fera 
quelque  chose.  M"*^  Delaroche  a  les  yeux 
les  plus  étonnants. 

—  On  n'a  pas  touché  aux  portraits, 
au  moins? 

—  Pas  du  tout.  C'est  même  à  la  res- 
semblance que  Sylvie  m'a  reconnue. 

—  Tu  m'ennuies  avec  cette  Sylvie.  Et 
le  testament  ? 

—  Il  n'y  en  a  pas.  On  croit  qu'il  y  en 
a  un  chez  le  notaire  dont  les  papiers  sont 
sous  séquestre,  mais  pour  le  moment  il 
n'y  a  rien. 

—  Nous  voilà  dans  une  belle  passe  I 
s'écria  M"''  d'Agor  en  laissant  tomber 
ses  bras.  Est-ce  que  tu  es  engagé  avec 
Odette? 

—  Pas  le  moins  du  monde.  Nous 
sommes  à  couteaux  tirés. 

—  Et,  si  on  ne  trouve  pas  de  testa- 
ment, qu'est-ce  qui  arrivera? 

—  C'est  M""^  Delaroche  (pii  hériterait 
de  plein  droit. 

—  Ah!  vraiment.  Et  lu  dis  qu'elle  est 
bien,  cette  jeune  personne? 

—  Je  ne  voudrais  plus  vous  en  parler, 
ma  tante,  je  crains  de  vous  ennuyer. 

—  Va  toujours.  Elle  me  paraît  sym- 
pathique, ta  Sylvie.  Où  demeure-t-elle? 

—  Au  château  des  Fontinettes,  à  trois 
lieues  d'Agor.  Mais  vous  vous  méprenez, 
ma  tante.  Ce  n'est  pas  cela  que  je  vou- 
drais. Mon  désir,  c'est  qu'on  trouve  le 
testament,  qu'Odette  hérite,  et  puis  alors 
j'irais  trouver  Sylvie  et  je  lui  demande- 
rais d'être  ma  femme. 

—  Tu  es  fou  !  Tu  veux  te  mettre  en 
ménage  avec  une  petite  femme  à  ton 
goût  pour  aller  demeurer  au  troisième 
étage  et  lire  ton  journal,  le  soir  au  coin 
du   feu,  au   milieu  de  les  marmots.   La 


comtesse  d'Agor  ira  à  pied  faire  ses 
emplettes  au  Bon  Marché,  tu  prendras 
l'omnibus  pour  qu'elle  puisse  acheter 
des  gants  et  vous  finirez  par  mettre  vos 
enfants  au  lycée,  avec  des  bourses  de 
l'Élat  ! 

—  Peul-être  serions- nous  très  heu- 
reux. 

—  On  n'a  pas  le  droit  d'être  heureux 
hors  de  son  rang.  Les  petites  gens  peu- 
vent vivre  comme  il  leur  plaît.  Je  com- 
prends que  ceux-là  tiennent  à  être  amou- 
reux de  leur  femme.  C'est  une  économie. 
Leur  femme  leur  sert  de  maîtresse,  en 
même  temps  que  de  bonne.  Mais  toi, 
Jehan,  le  seul  survivant  de  ta  race,  tu 
irais  mener  dans  l'isolement  et  la  dé- 
chéance une  misérable  existence  de 
bourgeois  !  Tu  renoncerais  à  occuper  au 
grand  soleil  la  place  qu'y  ont  tenue 
avant  toi  quatorze  générations  d'Agor  ! 
Allons  donc  !  ' 

Quelques  jours  après,  on  apprit  qu'en- 
fin les  recherches  avaient  jm  être  faites 
dans  l'étude  du  notaire.  Aucun  testa- 
ment n'y  avait  été  déposé  par  M.  Dela- 
roche. Alors  M"°  d'Agor  revint  à  la 
charge  : 

—  Jusqu'à  présent,  dit-elle,  je  n'ai 
pas  insisté  :  il  y  avait  un  doute  à  éclair- 
cir.  Mais  maintenant  la  situation  esl 
nette.  C'est  Sylvie  qui  va  hériter. 
Epouse-la.  Je  t'avais  d'abord  conseillé 
Odette,  parce  que  le  mariage  est  une 
chose  et  l'amour  en  est  une  autre  :  on 
ne  peut  pas  tout  faire  à  la  fois.  Mais  il 
se  trouve  que,  par  une  chance  inespé- 
rée, tu  peux  faire  en  même  temps  un 
mariage  de  raison  et  d'inclination.  11 
serait  plaisant  que  l'amour  t'empêchât 
d'épouser  celle  que  tu  aimes. 

—  Epouser  Sylvie,  répondit  Jehan, 
ce  serait  le  rêve.  Seulement,  ce  n'est  pas 
possible.  J'aurais  épousé  Odette  sans 
scrupule  pour  rentrer  en  possession  du 
château  d'Agor,  parce  qu'Odette  m'es! 
bien  égale.  Mais  Sylvie  !  Comment  vou- 
lez-vous que,  le  lendemain  du  jour  où 
j'apprends  qu'elle  hérite,  j'aille  lui  par- 
ler d'amour? 

—  C'est  vrai,  dit  M"*"  d'Agor,  je  recon- 


I.K   CHATKAU    1)  Ac.on 


i<ll 


unis  que  lu  as  raison;  tu  vois  que  je  n'y 
mois  pas  (rcnlêlcmcnt.  En  efl'et,  tu  ne 
peux  pas  aller  Imil  de  suite  au  château 
(les  Fonlinelles  :  il  faut  atleiulre  huit 
jours. 

Et  elle  ne  lui  en  parla  plus. 

Jehan  pensa  qu'il  ne  pouvait  s'ahste- 
nirde  revoir  Odette  après  la  déconvenue 
qui  venait  de  lui  échoir.  Odette  ne  s'était 
pas  fait  d'illusion  :  elle  avait  bien  senti 
que  le  château  constituait  sa  seule  chance 
(le  devenir  comtesse  d'Agor,  et,  quand 
elle  s'était  vue  déshéritée,  elle  avait 
retrouvé  pour  Robert  Villarmont  quel- 
ques sourires  d'encouragement.  Il  est 
toujours  bon  d'avoir  un  mari  sous  la 
main.  Cependant,  quand  Jehan  se  mon- 
tra pour  elle  plus  attentif  et  plus  galant 
qu'il  n'avait  jamais  été,  ne  pouvant 
(leviner  que  c'était  par  égard  pour  son 
malheur,  elle  se  reprit  à  espérer. 

A  l'expiration  des  huit  jours, 
M"*^  d'Ag'or.  qui  suivait  son  idée,  dit 
à  Jehan  : 

—  Maintenant  qu'il  s'est  écoulé  un 
temps  moral,  il  me  semble  que  lu  dois 
une  visite  à  M""^  Delaroche. 

—  Pourquoi  faire?  répondit-il.  L'idée 
que  Sylvie  pourrait  attribuer  ma  dé- 
marche à  un  calcul  me  rendrait  odieux 
à  moi-même. 

Puis,  après  un  instant  de  réllexion, 
il  ajouta  : 

—  Pourtant,  si  vous  croyez  que  cette 
visite  soit  nécessaire,  je  ne  veux  pas  être 
impoli. 

—  C'est  entendu,  mon  petit;  va  voir 
Sylvie  et  promène-toi  avec  elle  au  clair 
de  la  lune.  Tu  lui  expliqueras  que  ce 
n'est  pas  pour  sa  fortune  que  tu  la 
recherches;  elle  te  croira,  puisque  c'est 
vrai.  Si  ce  n'était  pas  vrai,  elle  te  croi- 
rait aussi.  Et  puis,  quand  même  elle  ne 
te  croirait  pas,  elle  serait  encore  bien 
contente  tout  de  même.  Bon  voyage  ! 
Amuse-toi  bien  et  ne  reviens  pas  sans 
le  château  d'At^or. 


l^e   château    des    Fonlinelles,   silué  à 


mi-c("tte,  se  détachait  en  clair  sur  une 
forêt.  D'un  côté,  l'horizon  était  borné 
par  un  pli  de  terrain,  comme  pour  me- 
surer l'espace  aux  facultés  humaines, 
et  de  l'autre  une  large  échappée  sur  la 
plaine  donnait  l'impression  de  rinfini. 
Dans  tout  le  pays  à  l'entour,  des  sources 
vives  dévalaient  en  cascades,  saulanl 
d'un  rocher  à  l'autre  en  flots  d'écume 
blanche  avec  un  bruit  gai,  puis  dispa- 
raissaient sous  les  lianes  pour  ressortir 
quelques  pas  plus  loin  en  nappe  tran- 
quille et  bleue.  Tout  semblait  facile.  On 
ne  voyait  pas  de  noirs  ouvriers  peinant 
pour  arracher  à  la  terre  de  quoi  soutenir 
une  misérable  existence,  les  herbes  pous- 
saient toutes  seules,  pour  leur  plaisir, 
les  animaux  pacageaient  à  loisir  sans  le 
souci  d'être  gras  à  date  fixe,  et  les 
hommes  eux-mêmes,  épars  dans  la 
campagne,  s'attardaient  sans  remords, 
comme  sachant  bien  qu'ils  trouveraient 
toujours  assez  de  lait  et  de  châtaignes 
pour  leur  souper. 

Jehan  trouva  la  grille  ouverte.  Au 
bruit  que  firent  les  pas  de  son  cheval 
sur  le  sable  de  l'allée,  une  fenêtre  s'ou- 
vrit et  il  entendit  crier  :  «  Voilà  le  capi- 
taine !  »  C'était  mademoiselle  Mimi,  qui 
accourut  à  sa  rencontre  et  voulut  monter 
en  croupe  pour  arriver  avec  lui.  En  re- 
voyant Sylvie,  Jehan  sentit  tout  de 
suite  qu'il  n'était  plus  maître  de  lui. 
Mais  son  plan  était  fait  ;  il  avait  prévu 
qu'à  la  campagne,  après  la  longue  course 
qu'il  venait  de  faire,  on  voudrait  le 
retenir  à  dîner,  et  il  avait  sa  réponse 
toute  prête  pour  refuser;  il  ne  put  la 
retrouver  au  moment  voulu  et  fut  obligé 
de  rester. 

Sylvie  était  encore  plus  jolie  chez  elle 
qu'au  château  d'Agor.  C'est  surtout  au 
milieu  de  la  nature,  sur  fond  vert,  que 
la  femme  apparaît  comme  la  reine  de  la 
création.  La  grâce  de  ses  mouvements, 
le  gontlement  rythmé  de  ses  seins,  les 
nuances  délicates  que  donne  à  sa  peau 
le  cours  d'un  sang  vermeil,  font  l'effet 
de  phénomènes  merveilleux  dans  le 
cadre  de  la  simple  végétation,  Jehan 
fut    bientôt  imprégné  d'un  charme  pé- 


LE    CHATEAU    DAGOR 


nétrant,  qui  ne  lui  laissa  qu'une  con- 
science vague  de  ce  qui  se  passait  autour 
(le  lui,  avec  le  seul  sentiment  du  bon- 
heur de  vivre. 

Mademoiselle  Mimi,  1res  indiscrète, 
avait  fini  par  monter  sur  les  genoux  de 
Jehan  pour  lui  tirer  la  moustache.  Sylvie 
A'oulut  mettre  fin  à  un  jeu  qui  pouvait 
devenir  importun,  et,  dans  le  brusque 
mouvement  qu'elle  fit  pour  enlever  l'en- 
iant,  sa  main  frôla  presque  le  visage  de 
Jehan.  Un  frisson  lui  courut  dans  les 
veines.  Mais  ce  fut  bien  autre  chose 
quelques  instants  plus  tard  :  mademoi- 
selle Mimi,  qui  ne  tenait, pas  en  place, 
venait  d'embrasser  Sylvie  ;  tout  dun 
coup,  comme  si  elle  avait  eu  peur  de  faire 
un  jaloux,  elle  vint  câlinement  jeter  ses 
bras  autour  du  cou  de  Jehan  et  elle  l'em- 
brassa aussi.  En  sentant  sur  sa  joue  ces 
petites  lèvres  qui  venaient  à  peine  de 
quitter  la  joue  de  Sylvie,  Jehan  crut 
qu'il  allait  défaillir  ;  Sylvie  s'aperçut 
qu'une  sorte  de  communication  venait  de 
s'établir  ainsi  entre  elle  et  lui,  elle  rougit 
et  dit  sévèrement  à  mademoiselle  Mimi 
de  se  tenir  tranquille.  L'enfant  ne  com- 
prit pas  ce  qu'elle  avait  fait  de  mal; 
mais  il  est  bon  d'être  quelquefois  injuste 
avec  les  enfants  pour  leur  donner  d'a- 
vance une  exacte  notion  de  la  vie. 

Le  temps  passa  si  vite  que,  lorsqu'on 
se  mit  à  table,  Jehan  pensa  avec  effroi 
que  l'heure  de  partir  allait  sonner  tout 
de  suite.  Quand  on  lui  fit  remarquer  que 
la  nuit  serait  très  noire,  qu'il  y  aurait 
imprudence  à  s'aventurer  dans  des  che- 
mins difficiles  avec  un  cheval  qu'il  ne 
connaissait  pas  et  qu'il  fallait  de  toute 
nécessité  remettre  son  départ  au  lende- 
main, un  secret  instinct  l'avertit  de 
décliner  cette  invitation  ;  il  se  rappela 
confusément  qu'il  était  venu  avec  la 
volonté  formelle  et  mûrement  délibé- 
rée de  ne  faire  qu'une  simple  visite,  et 
qu'il  avait  pour  cela  d'excellentes  rai- 
sons, mais  il  ne  put  retrouver  lesquelles, 
et  il  fut  sans  force  quand  mademoiselle 
Mimi  A'int  lui  dire  dans  l'oreille  :  «  Ac- 
ceptez, cela  fera  plaisir  à  Sylvie.  » 

Jehan  dormit  mal;  il  essayait  tout  le 


temps  de  mettre  ses  idées  à  la  suite  l'une 
de  l'autre,  mais  il  en  revenait  sans  cesse 
à  l'impression  qui  l'avait  bouleversé 
quand  il  avait  presque  senti  la  joue  de 
Sylvie  par  l'innocente  entremise  de  ma- 
demoiselle Mimi. 

De  son  côté,  Sylvie  avait  beaucoup 
réfléchi.  Dès  la  première  fois  qu'elle 
avait  vu  Jehan,  elle  s'était  sentie  aimée. 
Une  femme  ne  s'y  trompe  pas.  En  le 
voyant  arriver  aux  Fontinettes,  elle  ne 
douta  pas  qu'il  venait  le  lui  dire,  et  sa 
réponse  était  prête  :  elle  voulait   bien. 

Elle  se  leva  de  très  bonne  heure,  des- 
cendit joyeusement  au  jardin,  d'où  elle 
passa  dans  le  bois  attenant  pour  attendre 
seule,  dans  le  silence  et  à  l'ombre  des 
futaies,  le  bonheur  qui  planait  sur  elle. 
A  peine  y  eut-elle  fait  quelques  pas 
qu'elle  rencontra  Jehan.  Un  tumulte 
s'éleva  dans  son  cteur.  Dans  ce  temple 
de  la  vie,  sous  les  grands  arceaux  de 
verdure,  aux  premières  lueurs  du  soleil 
levant,  au  milieu  de  cette  grande  paix 
des  choses  qu'accompagnent  le  murmure 
des  ruisselets  et  le  concert  des  oiseaux, 
elle  se  dit  que  le  moment  sacré  était 
venu. 

Non.  Ils  errèrent  dans  les  sentiers, 
s'assirent  sur  de  vieux  troncs,  frandlii- 
rent  des  ravins.  Jehan  ne  dit  pas  les 
paroles  que  Sylvie  attendait.  A  chaque 
instant,  il  ouvrait  la  bouche,  comme 
pour  commencer  une  explication  de 
longue  haleine,  et  il  finissait  par  se  taire. 
Il  partit  sans  avoir  rien  dit  :  l'orgueil 
avait  été  plus  fort  que  l'amour;  il  n'avait 
pu  se  décider  à  demander  la  main  de 
l'héritière  d'Ag^or. 

Sylvie  demeura  étonnée,  mais  telle 
est  la  force  de  l'amour  qu'elle  ne  douta 
pas  de  Jehan.  Bien  qu'il  n'eût  pas  parlé, 
elle  était  sûre  d'être  aimée  et  elle  dé- 
bordait de  joie.  Elle  pensa  seulement 
qu'il  y  avait  quelque  obstacle  qu'elle 
connaîtrait  plus  tard.  Pour  deviner  ce 
que  ce  pouvait  être,  elle  se  mit  à  la  place 
de  Jehan,  elle  essaya  d'imaginer  ce 
qu'elle  penserait  si  elle  était  lui,  et,  par 
un  éclair  subit,  il  lui  apparut,  avec  la 
force  de  l'évidence,  que  Jehan  ne  l'avait 


I>K    CHATEAU    D' Ali  OR 


•193 


pas   deniaiulée   parce  qu^clle   allail    être    1    Icrail,    puisqu'ellf    ii'élail    j)as    parente. 
trop  riche.  I   Quel  malheur  fpiVm  ne  reli'ouvàt  pas  ce 

Maudite  l'ortune!  Si  ce  malencon- 
treux héritage  n'avait  pas  été  sus- 
j)enclu  sur  sa  tète,  elle  aurait  vu  Je- 
han à  ses  pieds,  elle  aurait  goûté  le 
délice  de  lui  donner  ses  mains,  son 
cœur,  sa  vie.  Eh  bien,  elle  n'avait 
cpi'à  renoncer  à  l'héritage.  C'était 
d'autant  plus   facile   que  jamais  elle 


n  avait  fait  entrer  dans  ses  prévisions 
une  succession  qui  semblait  assurée  à 
Odette.  Seulement,  pouvait-elle  y  renon- 
cer? Ce  n'était  pas  Odette  qui  en  prolî- 


damné  testament  qui,  en  la  déshéritant, 
devait  combler  ses  vœux!  C'est  qu'on 
avait  mal  cherché. 

Alors  elle  partit  un  jour  pour  le  châ- 


i94 


LE    CHATEAU    D'AGOIJ 


leau  crAyor,  toute  seule.  Couime  il  n  y 
avait,  poui"  le  moment,  pas  d'autre  héri- 
tière qu'elle,  il  lui  fut  loisible  (Tailer 
partout;  elle  s'ingénia  à  visiter  tous  les 
coins  qui  avaient  pu  échapper  à  l'inven- 
taire et  ne  trouva  rien.  De  f^uerre  lasse, 
elle  revint  dans  le  cabinet  de  M.  Dela- 
roche,  s'assit  à  la  place  d'où  le  juge  de 
paix  avait  présidé  au  récolemeni  de 
tous  les  papiers  et  chercha  du  regard  où 
il  y  aurait  bien  quelque  cachette.  Enlin, 
avant  d'y  renoncer,  elle  souleva  machi- 
nalement le  buvard  sur  lequel  le  juge 
de  paix  avait  écrit  son  procès-verbal. 
C'était  le  seul  endroit  où  l'on  n'eût  pas 
songé  à  regarder.  Un  large  pli  cacheté 
s'y  trouvait,  avec  cette  suscription  en 
iiros  caractères  :  Ceci  est  mon  teslamenl. 


En  apprenant  la  découverte  du  testa- 
ment, Odette  se  dit  qu'elle  tenait, lehan  ; 
mais,  comme  elle  n'avait  pas  eu  jus- 
qu'alors de  grands  succès  dans  ses  ma- 
nèges avec  lui,  elle  pensa  qu'il  serait 
])eut-être  plus  habile  de  se  concilier  la 
faveur  de  M''°  d'Agor,  et  elle  voulut  lui 
annoncer  elle-même  l'incident  qui  allait 
mettre  fin  à  une  situation  jusqu'alors  si 
tourmentée. 

M""  d'Agor  eut  peine  à  cacher  son 
Irouble  en  recevant  ce  coup  inattendu, 
dont  elle  comprit  aussitôt  la  portée.  11 
allait  être  beaucoup  plus  difficile  de 
ramener  Jehan  à  l'idée  d'épouser  Odette, 
après  l'avoir  laissé  s'engager  à  la  pour- 
suite de  Sylvie.  Cela  lui  parut  impos- 
sible. Jehan  aurait  eu  trop  beau  jeu  à 
lui  répondre  :  «J'y  ai  mis  toute  la  bonne 
volonté  imaginable  :  vous  avez  voulu 
que  je  plusse  à  M'^''  de  Brécourt,  je  lui 
ai  plu  ;  puis  il  vous  a  semblé  que  je 
ferais  mieux  d'aimer  M'"*  Delaroche,  je 
l'aime.  Mais  je  ne  peux  pas  changer  tous 
les  jours,  et  cette  fois  je  m'y  tiens.  » 

Alors,  avec  la  résolution  que  deman- 
dent les  conjonctures  graves,  M""^  d'Agor 
changea  toutes  ses  dispositions  et,  sur- 
montant une  répugnance  invétérée,  elle 
(lit  à  Odette  : 


—  Vous  aile/  partir  pour  le  château 
d'Agor,  ma  belle  enfant.  Vous  m'en 
rapporterez  des  nouvelles,  car,  moi,  je 
ne  l'ai  jamais  vu. 

Odette  saisit  l'occasion  au  bond  et  ré- 
pondit aussitôt  : 

—  Vous  nous  feriez  tant  de  plaisir  à 
tous,  mademoiselle,  si  vous  vouliez  bien 
y  venir  avec  nous  ! 

C'était  ce  que  voulait  M'"^  d'Agor. 
Elle  accepta  l'invitation  pour  elle  et 
pour  son  neveu.  Jehan  n'était  pas  encore 
rentré  à  Paris.  En  quittant  le  château 
des  Fontinettes,  il  avait  éprouvé  le  be- 
soin de  se  ressaisir  et  était  allé  passer 
quelques  jours  chez  un  ami  en  Ecosse. 
]\|ne  j'Agor  ai'riva  donc  seule  au  châ- 
teau, peu  de  temps  après  la  famille  de 
Brécourt,  et,  dès  le  lendemain,  Sylvie 
Delaroche  lui  fut  présentée.  Sylvie  était 
déjà  animée  des  meilleurs  sentiments 
pour  la  tante  de  Jehan,  et  M"''  d'Agor, 
à  qui  sa  hauteur  habituelle  permettait 
d'être  facilement  charmante,  n'eut  pas 
besoin  de  long  temps  ni  de  grands  efforts 
pour  captiver  Sylvie.  Quand  elle  jugea 
que  l'intimité  était  suffisamment  établie, 
et  ce  fut  précisément  la  veille  du  jour 
où  Jehan  était  attendu,  M""  d'Agor  tint 
à  Sylvie  ce  discours  : 

—  Vous  pensez  bien,  ma  chère  petite, 
que  ce  n'est  pas  pour  me  promener  que 
je  suis  venue  ici.  Je  peux  vous  confier 
ce  secret,  bien  sûre  de  votre  discrétion. 
Il  s'agit  d'un  ^iiariage  entre  Jehan  et 
Odette.  Jehan  n'a  pas  l'air  d'être  encore 
tout  à  fait  décidé,  mais  il  faudra  bien 
qu'il  se  décide.  C'est  une  combinaison 
tout  indiquée  pour  faire  rentrer  le  châ- 
teau d'Agor  dans  la  famille,  et  je  ne 
comprendrais  pas  que  Jehan  se  dérobât 
à  cette  obligation.  Si  malgré  mes  con- 
seils il  refusait  ce  mariage,  Dieu  sait 
que  je  n'aime  pas  les  béguines,  mais  je 
léguerais  toute  ma  fortune  à  un  couvent, 
je  laisserais  Jehan  se  débrouiller  comme 
il  pourrait,  sans  plus  jamais  vouloir  en- 
tendre parlée  de  lui,  et  je  ne  le  reverrais 
de  ma  vie. 

Cela  dit,  elle  alla  se  coucher,  bien 
tranquille. 


LK  ciiArKAr    I)  A  cou 


/.as 


Le  lendemain,  Jehan  an-ivail,  radieux. 
Maintenant  que  Sylvie  n'héritait  plus, 
il  était  décidé  à  lui  dire  tout  ce  qu'il 
avait  tu  aux  Fonlinettcs,  dût-il  n'avoir 
pas  l'approbation  de  sa  tanle.  Il  choisit 
le  moment  où  Sylvie  était  seule  sur  la 
terrasse,  d'où  la  vue  embrassait  tout  le 
pays  :  il  lui  semblait  qu'il  n'y  aurait 
jamais  assez  d'espace  pour  contenir  son 
jjonheur. 

—  Quelle  joie  de  vous  rexoir!  dit-il. 
Je  suis  parti  des  Fontineltes  un  peu 
brusquement  et  je  n'ai  pas  su  vous 
dire... 

A  mesure  qu'il  parlait,  eu  regardant 
Svlvie,  il  ne  lui  trouvait  plus  le  même 
air  :  ses  yeux  étaient  comme  éteints,  sa 
bouche  semblait  fermée  au  sourire. 

—  Je  n'ai  pas  su  vous  dire,  reprit-il, 
combien  je  vous    suis    i*econnaissant... 

—  Ma  mère  et  moi,  nous  avons  été  très 
heureuses  de  votre  visite. 

—  Depuis  le  jour  où  je  vous  ai  vue 
ici  pour  la  pi^emière  fois... 

—  A^oulez-vous  que   nous   rentrions? 

—  Est-ce  que  j'ai  fait  quelque  chose 
qui  vous  ait  déplu?  demanda-t-il. 

—  A  moi!  Pourquoi  donc? 

—  Je  ne  sais.  Je  ne  vous  retrouve  pas. 

—  Excusez-moi.  Il  y  a  des  jours  maus- 
sades. 

Jehan  se  dit  que  pourtant  il  ne  pou- 
\  ail  s'être  mépris  à  ce  point.  11  y  a  un 
instinct  de  l'amour.  Et,  comme  Sylvie, 
auxFontinettes,  n'avait  pas  douté  de  lui, 
malgré  ce  qu'il  y  avait  d'imprévu  dans 
le  silence  qu'il  avait  gardé,  à  son  tour 
il  ne  doutait  pas  d'elle  au  milieu  de 
cette  froideur  alî'ectée.  Mais  il  ne  pou- 
vait deviner  l'abominable  manœuvre 
de  M""  d'Agor,  et  il  ne  comprenait  rien 
à  cette  indifférence  subitement  épandue 
sur  un  visage  où  naguère  il  avait  pu 
lire  tant  de  subtile  tendresse. 

—  Vous  restez  ici  quelque  temps?  de- 
manda-t-il encore. 

—  Non.  Je  crois  que  nous  allons  partir 
demain. 

—  Et  ce  sera  tout?  Je  ne  vous  re- 
verrai plus?  Vous  n'aurez  paru  un  in- 
stant que  pour  disparaître,  vous  m'aurez 


mf)ntréce  qu'il  peut  y  avou-  de  douceur 
et  de  joie  dans  la  vie  pour  me  retirer 
aussitôt  tout  espoir  et  me  rejeter  dans 
la  sombre  solitude,  dans  le  néant  de 
l'avenir  ! 

—  De  quoi  m  accusez-vous,  monsieur? 
Le  hasard  qui  nous  avait  assemblés 
nous  sépare.  J'ai  goûté,  en  votre  com- 
pagnie, les  plaisirs  que  donne  la  société 
d'un  galant  homme,  je  n'ai  rien  fait  qui 
puisse  iniluer  sur  votre  vie,  et  nos  des- 
tinées suivront  chacune  leur  cours. 

—  J'avais  espéré  qu'elles  pourraient 
suivre  un  cours  commun.  Et  je  ne  puis 
m'empècher  de  croire  encore  que  la 
même  pensée  vous  était  venue. 

—  Je  vous  assure  que  vous  vous  êtes 
lrom])é. 

Mais  le  mensonge  lui  coûtait  tant 
qu'elle  n'osa  regarder  Jehan,  de  peur 
qu'à  travers  le  cristal  de  ses  yeux  il  ne 
vît  ce  qu'elle  pensait.  Elle  rougit  et  pâlit 
tour  à  tour.  Ses  lèvres  frémissaient  de 
contredire  les  battements  de  son  cœur. 

Jehan  vit  bien  qu'elle  était  troublée, 
mais  ce  fut  en  vain  qu'il  essaya  de  lui 
arracher  l'aveu  de  ce  qui  la  torturait. 
Elle  avait  fini  par  se  reprendre  et  ne  se 
départit  plus  d'une  attitude  de  correcte 
et  banale  sympathie  Pour  la  seconde 
fois  ils  se  séparèrent  sans  avoir  pu  se 
dii*e  ce  qu'ils  avaient  tant  de  peine  à 
taire. 

Quand  M""  d'Agor  vit  venir  son  neveu 
avec  la  figure  bouleversée,  elle  commen- 
çait à  s'applaudir  du  succès  de  ses 
menées;  mais  Jehan,  ne  voyant  plus  rien 
au  monde  qui  valût  la  peine  d'être  vécu, 
lui  dit  simplement  : 

— -  Ma  tante,  je  viens  prendre  congé 
de  vous. 

—  Qu'est-ce  que  cela  signifie  ?  Ce 
n'est  pas  l'heure  de  partir.  Le  nouveau 
notaire  vient  d'arriver.  On  va  ouvrir  le 
testament  et,  je  m'y  connais,  Odette 
n'attend  que  ce  moment  pour  te  dire 
que,  si  tu  veux,  le  château  d'Agor  est  à 
toi,  avec  elle  par-dessus  le  marché.  Et 
c'est  maintenant  que  tu  veux  t'en  aller! 

—  Ma  résolutif)n  est  prise  :  je  n'épou- 
serai pas  Odette,  quoi  qu'il  arrive.  Et  je 


496 


LE    CHATEAU    D'AGOR 


n'épouserai  pas  Sylvie  non  plus,  parce 
qu'elle  ne  veut  pas  de  moi. 

—  Oh  !  tu  comprends  :  quand  j'ai  con- 
senti à  venir  ici,  c'était  avec  l'intention 
d'y  rester.  Je  m'y  considère  dès  à  pré- 
sent comme  chez  moi.  Tu  ne  voudras 
pas  que  j'en  aie  le  démenti  et  tu  ne 
m'exposeras  pas  à  l'alFront  de  quitter 
Agor  comme  une  étrangère. 

—  Vous  vous  en  tirerez  comme  vous 


pourrez,  ma 
tante,  dit  Jehan; 
moi  j  e  repars  pour 
le  Soudan. 

En  quittant  Je- 
han, Sylvie  était 
au  bout  de  ses 
r  o  r  c  e  s  ;  c'était 
tout  ce  qu'elle 
avait  pu  faire  de 
le  laisser  partir 
sans  lui  crier 
grâce.  Elle  rentra 
dans  sa  chambi^e 
et,  se  laissant 
tomber  à  genoux 
sur  le  prie-Dieu, 
elle  put  enfin  lais- 
ser couler  ses 
larmes. 

Mademoiselle 
Mimi,  qui  guet- 
tait pour  venir  la 
retrouver  le  mo- 
ment où  elle  se- 
rait seule,  la 
t  r  o  u  \'  a  ainsi; 
ayant  toujours 
vécu  au  milieu 
de  gens  heureux, 
ellen'avaitjamais 
vu  pleurer,  et  ce 
spectacle  la  jeta 
dans  une  pro- 
fonde consterna- 
tion. 11  lui  sem- 
bla que  tout  était 
Uni,  qu'on  ne  ver- 
rait plus  jamais 
le  soleil  et  que  le 
monde  allait  s'é- 
crouler dans  un  abîme.  Elle  n'essaya 
même  pas  de  s'approcher  et  d'embrasser 
Sylvie,  comme  si  elle  avait  déjà  su  qu'on 
ne  console  pas  les  personnes  qui  ont 
du  chagrin. 

Pendant  ce  temps,  le  notaire  avait  tout 
préparé  pour  la  lecture  du  testament,  à 
laquelle  furent  convoquées  toutes  les 
personnes  présentes.  Mademoiselle  Mimi, 
chargée  de  prévenir  Jehan,  alla  frappe*- 


L1-:    CHATEAU    DAdOlî 


497 


â  sa  porte  :  il  venait  de  fermer  sa  valise 
et  cherchait  Theure  du  premier  train. 

—  On  vous  attend,  méchant  capitaine, 
dit-elle  dun  ton  de  violent  reproche. 

—  Pourquoi  méchant?  demanda  Jehan. 

—  Je  vous  déteste. 

—  \'ous  me  délestez,  mademoiselle  ! 
Et  me  ferez-vous  riionneur  de  me  dire 
pourquoi  ? 

—  Oh!  vous  a\e/.  l)eau  me  regarder 
avec  de  grands  yeux.  Je  n  ai  pas  peur 
de  votre  sabre. 

—  Mais  qu'est-ce  que  je  vous  ai  l'ait? 
demanda  Jehan,  interloqué  de  cette 
.scène. 

—  Sans  c(X'url  ^'ous  laites  i)leurer 
Sylvie. 

—  Je  fais  pleurer... 

—  Ne  dites  pas  que  ce  n'est  pas  vous. 
Je  A  ous  ai  vus  causer  ensemble.  En 
vous  quittant,  elle  est  revenue  dans  sa 
chaml)re  et  elle  s'est  mise  à  pleurer. 

—  Taisez-vous,  mademoiselle  Mimi  ! 
On  ne  vous  a  pas  chargée  de  me  le 
dire. 

—  Cela  m'est  égal.  Je  vous  le  dis  tout 
de  même.  Pourquoi  lui  faites-vous  du 
chagrin  ? 

—  Elle  a  jjleuré  !  s'écria  Jehan.  Quel 
bonheur!  Ah!  que  je  suis  content! 

Pour  le  coup,  mademoiselle  Mimi  fut 
sulî'oquée  d'indignation  et  elle  s'enfuit 
sans  plus  rien  dire,  ne  pouvant  rester  da- 
vantage en  présence  d'un  pareil  monstre. 

Jehan  était  ravi.  Il  n  y  avait  plus  de 
doute  possible  :  on  ne  |)leure  pas  de 
haine.  Seulement  il  n'y  com[:^'enait 
rien.  En  entrant  dans  le  cabinet  de 
M.  Delaroche,    où   tout   le   monde  était  i 


déjà  réuni,  il  regarda  Sylvie  :  elle  avait 
repris  un  maintien  pui)lic,  mais  elle 
semblait  relever  de  maladie.  Il  faut  si 
peu  de  larmes  pour  ravager  le  visage 
d'une  femme  ! 


Le  testament,  comme  on  s'y  était 
toujours  attendu,  instituait  Odette  lég^a- 
taire  universelle  des  biens  du  défunt  : 
terres,  maisons  à  Paris  et  en  province, 
actions,  obligations,  parts  d'intérêts  et 
créances,  argent  comptant  et  joyau.x, 
sauf  pourtant  une  réserve  :  par  une  dis- 
position spéciale,  le  château  d'Agor 
avec  ses  dépendances,  sans  rien  plus, 
était  légué  à  Sylvie. 

M.  Delaroche,  qui  savait  que  le  châ- 
teau d'Agor,  loin  de  pouvoir  rien  rap- 
porter, n'était  habitable  qu'à  grands 
frais,  avait  voulu  être  désagréable  une 
dernière  fois  à  la  mémoire  de  son  frère. 
Mais  cette  méchanceté  posthume  man- 
qua son  but.  Car,  le  soir,  M"*^  d'Agor 
prit  à  part  Jehan  et  Sylvie  et  leur  dit  : 

—  Mes  enfants,  il  m'est  venu  une 
idée  :  vous  êtes  faits  l'un  pour  l'autre; 
vous  devriez  vous  marier.  Je  vous  ferai 
réparer  le  château  d'Agor,  et  vous  vous 
chargerez  de  le  peupler. 

Ainsi  fut  fait.  Seulement  on  eut  quel- 
que peine  à  faire  comprendre  à  mademoi- 
selle Mimi  comment  Sylvie  pouvait  se 
résig-ner  à  devenir  la  femme  d'un  homme 
assez  féroce  pour  témoigner  de  la  joie  en 
apprenant  qu'elle  avait  pleuré. 

G.\sT(jN    Bergeret. 


-^i}t><=>- 


VIII.  —  32. 


M  A  U  1  .N  A -«.  U  ANDE,      1.  l-,      1   u  1;  I       PK  1  N  (    1  1' A  I.      UE      CAPRI 


L'ILE    DE    CAPRI 


Rien  n'esl  plus  intéressant,  quand  on 
a  voyagé  soi-même  ou  lu  beaucoup  de 
récits  de  voyages  écrits  par  des  conci- 
toyens, de  comparer  ses  propres  impres- 
sions et  celles  qu'éprouvèrent  les  per- 
sonnes de  sa  race  et  de  son  pays  avec 
la  manière  de  voir  et  de  sentir  des 
étrangers.  Cet  intéi^êt  se  double  lorsque 
le  narrateur  appartient  à  un  peuple  neuf, 
libre  de  nos  traditions  et  de  notre  édu- 
cation classiques,  et  que  son  observation 
porte  justement  sur  des  contrées  qui 
lurent  le  berceau  de  ces  traditions  et 
dont  les  noms,  avec  les  souvenirs  qui 
s'y  rattachent,  nous  sont  familiers  dès 
l'enfance.  C'est  vraiment  une  bonne 
fortune  pour  les  esprits  curieux  que 
d'apprendre,  par  exemple,  ce  que  peut 
suggérer  à  un  Américain  intelligent  et 


instruit,  mais  nullement  européanisé, 
une  visite  à  l'île  de  Capri  —  l'antique 
Caprée  de  Tibère  ! 

Un  écrivain  du  Godeys  Magazine, 
Mr  J.»Howe  Adams,  m'offre  cette  au- 
baine, que  je  voudrais  faire  partager  à 
nos  lecteurs.  J'aurai  soin  de  respecter 
scrupuleusement  le  caractère  propre 
de  son  récit,  tout  en  l'abrégeant  et,  s'il 
se  peut,  en  l'allégeant,  pour  le  mettre 
mieux  à  notre  usage. 

C'est  loin  en  mer,  à  l'endroit  même 
où  les  eaux  bleues  de  la  Méditerranée 
se  rencontrent  avec  le  bleu  du  ciel,  plus 
intense  encore,  pour  former  la  ligne  de 
l'horizon,  qu'on  aperçoit,  du  fond  de  la 
baie  de  Naples,  la  masse  sombre  de 
Capri,  ((  l'île  des  Chèvres  ».  Elle  mérite 
bien   son   nom,   avec  ses  bords  abrupts 


I/II.K    DK    (:aF1{I 


499 


éinerf;"eanl  à  j)ic  des  Ilots  pour  aboutir 
au  sommet  du  Monte  Solaro,  à  deux 
mille  pieds  au-dessus.  Masse  pittores- 
quement  découpée,  elle  apparaissait  aux 
yeux  de  Jean-Paul  sous  la  lif;upe  d'un 
sphinx;  un  autre  y  voyait  un  lion 
au  repos.  Quoi  qu'il  en  soit  de  ces 
rcssendîlances  que  l'imagination  peut 
varier  à  Tinlini,  cette  île  rocheuse,  d'as- 
pect rébarbatif  et  désolé,  qui  fut,  aux 
temps  préhistoriques,  l'extrémité  de  la 
presqu'île  de  Sorrente,  contient  aujour- 
d'hui deux  petites  villes,  Capri  et  Ana- 
capri ,  et  nourrit  environ  cinq  mille 
habitants.  Les  fruits  y  sont  abondants; 
on  y  fait  de  l'huile  et  de  très  bons 
vins,  blancs  et  rouges,  et  les  côtes  four- 
nissent des  bancs  de  corail  inépuisa- 
bles aux  insulaires,  qui  sont  de  hardis 
pécheurs.  Mais  ce  qui  fait  la  vi^aie  ri- 
chesse de  l'île,  c'est  l'affluence  des  étran- 
gers qui,  de  tous  les  points  du  monde 
et  d'un  bout  de  l'année  à  l'autre,  s'y 
succèdent  en   une   procession   sans   fin. 

L'intention  évidente  de  la 
Nature  a  toujours  été  de  faire 
de  Capri  un  séjour  d'agré- 
ment, un  lieu  de  curiosité  et 
de  plaisir.  De  tout  temps, 
d'ailleurs,  les  hommes  se  sont 
empressés  de  suivre  en  cette 
occasion  les  indications  de  la 
Nature.  Capri  était,  pour  les 
Romains,  un  but  d'excursions 
ou  un  séjour  de  villégiature. 
Auguste  y  bâtit  des  palais, 
des  thermes,  des  aqueducs. 
Tibère,  l'unique  ligure  légen- 
daire dans  l'histoire  de  l'île, 
y  choisit  les  douze  sites  les 
plus  remarquables  pour  y 
faire  construire  douze  villas, 
en  1  honneur  des  douze  grands 
dieux.  Capri  tombe  ensuite 
dans  l'obscurité,  pour  en  res- 
sortir en  1803,  année  où  sir 
Sidney  Smith  en  prit  posses- 
sion pour  l'Angleterre  et  en 
fortifia  les  points  stratégiques, 
pensant  en  faire  un  petit 
Gibraltar.  Smith eutpour  suc- 


cesseur sir  Ihulson  [>o\\e,  qui  devait  être 
plus  tard  le  geôlier  de  Napoléon  à  Sainte- 
Hélène.  Mais,  en  1808,  les  Français 
reprirent  lîle,  et  dès  lors  son  rôle  histo- 
ri(|ue  devient  nul.  Découverte  à  nou- 
\eau  par  les  touristes  il  y  a  quelque 
vingt  ans,  elle  est  aujourd'hui  tout  à  fait 
à  la  mode,  et  il  n'est  plus  permis  d'aller 
à  Naples  sans  la  visiter. 

La  façon  la  plus  commode  et  la  plus 
agréable  d'y  arriver,  c'est  de  prendre  le 
bateau  à  vapeur  de  la  «  Società  Napole- 
lana  di  Navigazione  ».  Ceux  qui  veulent 
raccourcir  la  traversée  attendent  le  l)a- 
teau  à  Sorrente  et  le  i-ejoignent  en 
canot,  à  son  passage,  car  il  n'y  a  point 
d'escale.  Chaque  hôtel  a  son  canot  au 
quai,  comme  il  a  un  omnibus  à  la  gare, 
à  la  disposition  de  ses  voyageurs.  Mais 
un  trait  bien  italien,  c'est  qu'avant 
d'aborder  le  steamer,  il  faut  aller  prendre 
le  billet  pour  le  passage,  le  ticket,  à  une 
sorte  de  bureau  flottant  construit  sur 
un    petit    bateau    à    cinq   ou    six  cents 


UNE      COUR      INTERIEURE,      A      C  A  P  K I 


500 


L'ILE    DE    CAPRI 


mètres  en  mei".  Le  prix  ol'liciel,  indiqué 
par  le  Baedeker,  est,  pour  un  billet 
d'aller  et  retour,  dix  francs;  mais 
riiomme  du  bureau  flottant  en  demande 
quatorze.  Il  déclare  en  même  temps  que 
seuls  les  passagers  munis  de  billets  sont 
admis  à  bord  du  steamer  qui  se  balance 
au  large  et  va  repartir.  Il  faut  retourner 
à  terre  et  renoncer  à  voir  Capri,  ou 
subir  Textorsion.  On  la  subit  en  mau- 
gréant. 

Les  brigands  ont  disparu  d'Italie, 
dit-on. Gom- 
ment en  se- 
rait-il autre- 
ment, puis- 
qu'on y  a 
d  é  c  o  u  \'  e  r  t 
une  façon  de 
prendre  plus 
facile,  beau- 
coup plus 
profitable  et 
quasi  m  e  n  t 
officielle  ? 

Le  pont du 
petit  steamer 
est  encom  - 
bré  d'indus- 
triels habiles 
à  soutirer  les 
sous  du  voya- 
geur   naïf. 

Les  uns  vendent  de  ces  jolies  boîtes  en 
bois  d'olivier  incrusté  de  mosaïques,  qui 
rappellent  les  boîtes  à  ou\'rage  de  nos 
grand'mères;  les  autres  olfrent,  dans  des 
flacons  clisses,  du  vin  de  Chianti  que 
les  Italiens  boivent  comme  de  l'eau. 
Mr  J.  Howe  Adams  y  rencontra  trois 
joueurs  de  guitare,  tous  les  trois  bons 
chanteurs  et  l'un  d'eux  comique  désopi- 
lant, qui  tour  à  tour  charmaient  et 
égayaient  les  passagers  et,  à  chaque 
morceau,  quêtaient  le  prix  de  leur  talent. 
Enfin,  tous  les  hôtels  de  l'île  ont  à  bord 
un  représentant  ou  commissionnaire;  et 
tous  ces  braves  gens  se  pressent  autour 
de  vous,  vous  engageant  par  des  éloges 
hyperboliques  à  choisir  la  maison  qu'ils 
représentent.     Il     arrive     fréquemment 


COMMENT      ON      PORTE      LES      F  A  11  D  E  A  T  X 


qu'une  fois  le  choix  fait,  on  s'aperçoit 
que  le  commissionnaire,  le  portier,  le 
garçon  qui  sert  à  table  et  le  propriétaire 
ne  font  en  somme  qu'un  seul  et  même 
personnage.  On  ne  voit  pas  le  cuisinier; 
mais  ce  doit  être  sa  femme  ou  lui. 

Le  bateau  à  vapeur  s'arrête  d'abord  à 
l'entrée  de  la  fameuse  «  grotte  Bleue  », 
creusée  au  pied  d'une  haute  muraille 
rocheuse,  qui  s'étage  en  terrasses  cou- 
vertes d'oliviers.  A  peine  le  steamer 
s'est-il   arrêté   qu'une    nuée  de  bateaux 

se  détachent 
du  rivage, 
chacun  d'eux 
montéparun 
homme  ro- 
buste qui 
rame  debout 
très  agile- 
ment. Ces 
e  m  b  a  r  c  a  - 
tions  n'ont 
ni  poupe  ni 
proue,  et  le 
rameur  les 
pousse  indif- 
féremment 
des  deux  cô- 
tés. Les  pas- 
sagers s'y  en- 
tassent, et 
sur  une  mer 
semée  d'astéries  et  de  méduses  aux 
couleurs  brillantes,  au  fond  et  aux  pa- 
rois tapissés  de  corail  rouge,  on  s'avance 
vers  l'entrée  de  la  grotte,  qu'une  saillie 
de  la  falaise  dérobe  aux  regards.  Il 
faut  s'asseoir  au  fond  du  bateau  pour 
passer  sous  la  voûte,  qui  a  bien  vingt 
pieds  de  long.  L'obscurité,  la  proximité 
de  cette  voûte  que  l'on  touche  de  la  tête, 
donnent  une  sensation  d'étoulTement. 
Tout  à  coup  on  se  trouve  au  large,  flot- 
tant dans  une  région  sombre  et  mvsté- 
rieuse,  qui  paraît  s'étendre  indéfiniment. 
Au  bout  dune  seconde,  une  lueur  bleue 
se  distingue,  qui  s'accroît  de  plus  en  plus  à 
mesure  que  l'œil  s'accommode  au  milieu. 
Tout  semble  revêtu  d'une  teinte  bleue 
très  prononcée  ;   l'atmosphère  même  est 


L'ILE    D1-:    CAPlîI 


bleue.  C'est  un  spectacle  indescriptible, 
dont  l'œil  est  ébloui,  f.a  voûte  s'élève 
maintenant  à  quarante  pieds  et  l'eau  n'est 
pas  moins  profonde,  (^ette  eau  a  la  vertu 
de  recouvrir  tous  les  objets  qu'on  y 
plonj^e  dune  sorte  de  couche  lumineuse 
et  argentée  d'un  elîet  ma^^ique.  L'n  des 
guides  s'y  jette   tout   nu;   on  dirait   un 


Un  écrivain  contemporain,  M.  Charles 
P^oley,  a  mis  dans  le  cadre  gracieux  d'un 
conte,  ou  plutôt  dune  romanesque  et 
chaste  idylle,  une  description  qui  ne  peut 
être  qu'une  réminiscence  de  la  grotte  de 
Capri,  vue  par  des  yeux  de  poète  amou- 
reux de  la  couleur.  Elle  fera  comprendre, 
mieux  que  le  sec  «  étal  des  lieux  »  dressé 


h  A      G  R  A  X  D  E      SALLE      LE      L    H  (  )  T  E  L      P  A  (i  ANC),      AVEC      SES      PEINTURES      M  r  R  A  L  E  S 


triton  nageant  dans  de  l'argent  liquide.. 
On  explique  ce  phénomène  par  ce  l'ait 
que  la  lumière  solaire,  qui  pénètre  à  cer- 
taines heures  du  jour  dans  la  caverne, 
est  reflétée  par  l'eau,  dont  elle  prend  la 
couleur  bleue.  D'un  auti'ecôté,  le  soleil 
envoie  ses  rayons,  non  seulement  par 
l'entrée,  mais  par  d'autres  ouvertures 
dans  le  roc  qui  se  trouvent  à  trois  ou 
quatre  pieds  sous  l'eau  :  de  là  celte 
lueur  argentée,  difîuse  dans  la  masse 
liquide,  et  qui  s'attache  aux  corps  que 
Ion  y  jette. 


par  le  reviewisl  américain,  le  charme 
prestigieux  de  l'atmosphère  et  des  eaux. 

«  Sous  les  étranges  stalactites  où  le  re- 
flet vacillant  des  frissons  de  la  mer  bleue 
faisait  courir  des  frissons  bleus  »,  dit 
le  prince,  héros  de  la  féerique  histoire, 
(I  Maggia  et  Beffa  atterrirent  sur  le 
sable  lin  d'une  plage,  puis  disparurent 
dans  une  anfractuosité  glauque,  après 
mavoir  repoussé  dans  la  barque,  qui 
vogua  au  hasard  de  faibles  souffles,  les 
rames  paredlcs  à  des  ailes  repliées. 

(i  La  lumière  semblait  venir  des  pro- 


502 


L'ILE    DE    CAPHI 


fondeurs  de  celte  eau  de  saphir,  des 
profondeurs  d'une  eau  de  saphir  si  fée- 
riquement  limpide  qu'on  dislinguail  au 
fond  les  broussailles  pétrifiées  d'une 
forêt  de  corail  bleu,  où  s'échevelaient 
en  lianes  mouvantes  des  algues  bleues, 
où  s'étoilait  et  s'épanouissait  une  pro- 
digieuse flore  d'astéries,  de  méduses  et 
de  zoophytes  bleus,  où  vaguaient  et 
passaient,  parmi  les  branchages  et  les 
ramures  bleus,  en  une  aisance  et  une 
souplesse  de  vol,  des  crustacés  de  tur- 
quoises et  des  dorades  de  lazulite. 


ENTRÉE      DE      LA      GROTTE      R  L  E IT  E 


K  Puis  des  voix  lointaines  el  joyeuses 
éveillèrent  les  échos  de  la  gi'otle.  Les 
têtes  charmantes  de  Bell'a  et  de  Maggia 
surgirent  d'une  dentelure  de  roche,  paru- 
rent à  fleur  de  vague.  Elles  nagèrent  au- 
tour de  moi,  doucement,  indolemment, 
en  sirènes  familières,  et,  pénétrées  sans 
doute  de  la  fraîcheur  délicieuse  du  bain, 
de  l'éblouissement  de  cette  atmosphère 
d'apothéose,  elles  alanguirent  levn^s  voix, 
elles  la  voilèrent  d'une  expressive  mélan- 
colie, d'un  attendrissement  de  jouissance 
surhumaine.  Leurs  corps  flexibles  de 
jeunes  déesses  s'ébattaient  librement  et, 
dans  ces  magiques  réverbérations,  leurs 
jambes  fines  s'allumaient  de  furtifs  éclats 
d'argent,  de  lueurs  passagères  d'albâtre, 
puis  se  veloutaient  d'ombre  opaline.  De 


leurs  bras  levés  tour  à  tour,  les  gouttes 
d'eau  retombaient  sans  bruit  dans  un 
égrènement  fantastique  de  perles  multi- 
colores et  leur  sillage  laissait  des  bulles 
et  de  l'écume  semblables  à  des  mousses 
de  pierreries. 

«  Au  dehors,  un  nuage  passa,  sans 
doute,  voilant  le  soleil.  La  mer  et  la  grotte 
s'assombrirent  d'un  fantastique  crépus- 
cule d'améthyste,  où  Beifa  et  Maggia  ne 
furent  plus  que  deux  blancheurs  impré- 
cises. Puis  le  nuage  s'enfuit  et,  de  la 
mer,  la  clarté  s'irradia  en  rayonnement 
de  fusées,  les  stalactites  étin- 
celèrent,  les  roches  humides, 
les  mousses  marines  s'irisè- 
rent de  toutes  leurs  splen- 
deurs. » 

Après  cela,  il  me  semble 
que  toute  explication  phy- 
sique est  une  vaine  super- 
fé  ta  lion. 

Celle    grotte    communi- 
quait par  un   escalier  dont 
on  voit  encore  les  marches 
disloquées,  mais  qui  est  au- 
jourd'hui bouché  à  son  ori- 
fice supérieur,  avec  la  villa 
de    Tibère   dont    les   ruines 
occupent     le     promontoire 
au-dessus.   Elle    était    donc 
connue  des  anciens.  Ce  n'est 
pourtant    que    depuis    1826 
quelle  a  été  signalée  à  la  curiosité  des 
touristes,    bien    qu'elle    ait    été    visitée 
au  xvii''  et  au  xvni*^  siècle  par  plusieurs 
personnes  qui  en  ont  parlé,  parmi  les- 
quelles on  peut  citer  le  grand  écrivain 
anglais  Addison. 

Il  ne  faut  que  quelques  minutes  pour 
aller  de  la  grotte  à  Marina-Grande,  port 
principal  de  l'île.  C'est  une  grève  sablon- 
neuse, entourée  de  hautes  falaises.  Une 
jetée  de  pierre  s'avance  dans  la  mer, 
mais  juste  assez  pour  que  les  petites 
barques  du  pays  puissent  seules  y  ac- 
coster. Les  indigènes  la  démoliraient 
avec  fureur  si  elle  permettait  aux 
steamers  et  aux  grands  bateaux  d'y  dé- 
barquer directement  leurs  passagers. 
On  dirait  que  tous  les  hommes  valides 


LIIJ-:  i)i<;  CAiMîi 


503 


(le  l'île  (jui  lie  sont  pas  occupés  à  la 
f^rotte  Bleue  se  réunissent  ici  pour  s'em- 
parer des  voyageurs  et  les  conduire  à 
terre.  l'ist-ce  la  concurrence,  est-ce  l'ob- 
stination des  voya'^'eurs  à  se  débattre, 
toujours  est-il  que  les  bateliers  sont 
moins  exif^eanls  et  de  meilleure  loi  qu'ils 


nier;  elles  les  chargent  sur  leur  tête  et 
parcourent,  dans  cet  équipage,  des  dis- 
tances de  plusieurs  kilomètres,  au  pas 
de  course. 

La  ville  de  Capri  ne  commence  guère 
à  se  réveiller  (;|ue  vers  le  milieu  du  jour. 
Elle  a  une  place  centrale  sur  laquelle  se 


LA      (iUOTTE      BLEUE,      D  '  A  P  11  È  S      LA      F  K  E  M  1  È  K  E      P  U  O  T  O  G  i;  A  1' Il  I  K 
QUI      EN      AIT      ÉTÉ     PRISE 


ne  l'étaient  naguère.  Mais  à  peine  a-t-on 
mis  le  pied  dans  lîle  qu'on  est  tiraillé 
de  côtés  divers  par  des  marchandes 
ambulantes,  qui  vous  pressent  d'acheter 
des  colliers  et  autres  ornements  en 
corail  à  des  prix  exorbitants,  quitte  à 
se  contenter  du  quart  de  ce  qu'elles  ont 
demandé  d'abord. 

Ce  sont  des  femmes  aussi  qui  trans- 
portent les  bagages  du  débarcadère  aux 
différents  hôtels.  Les  plus  grosses  malles 
ne    leur   paraissent   pas    lourdes    à  ma- 


dressent  des  halles,  où  les  artistes  expo- 
sent pour  la  vente  les  vues  et  paysages 
qu'ils  ont  pris  dans  les  environs.  C'est 
là  que  les  paysans  viennent  faire  leurs 
achats  et  apportent  leurs  marchandises, 
dans  de  bizarres  charrettes  à  deux  roues, 
trahîées  par  deux  petits  chevaux  maigres. 
Au-dessus  du  bâtiment  principal  s'élève 
un  beffroi  d'architecture  orientale. 

Une  des  curiosités  de  Capri,  c'est  la 
salle  à  manger  de  VAlhergo  Pagano. 
La  plupart  des   peintres  —  et   ils   sont 


504 


L'ILE    DE    CAPRl 


légion  —  qui  sont  venus  faire  des  études 
dans  nie  ont  laissé  sur  les  murs  de 
l'originale  petite  auberge  des  spécimens 
de  leur  talent.  Il  n'y  a  plus  un  empla- 
cement de  vide.  Tous  les  genres  s'y 
heurtent  et  s'y  mêlent;  la  caricature  et 
la  pochade  y  ont  une  place  considé- 
rable, comme  on  le  pense  bien;  mais  il 


avec    complaisance.    Au-dessous,    l'in- 
scription : 

Wer  nicht  liebt   Wein.   Weil^  iind  Gesnng. 
I)er  hleibl  ein  Xarj'  sein  Lelirnlnng. 

«  Celui  qui  n'aime  ni  le  vin,  ni  les 
femmes,  ni  les  chansons,  restera  un  sot 
toute  sa  vie.  » 


iu';ffi!(ii     1)E    c  a  im:  1 


y  a  aussi  des  paysages  et  des  compositions 
sérieuses  qui  ne  sont  pas  sans  valeur. 
Un  panneau  de  porte  représente  un  âne 
chevauché  par  Cupidon,  dont  on  voit 
la  face  espiègle  rire  entre  les  oreilles  de 
sa  monture;  dans  le  lointain,  les  col- 
lines et  les  rivages  ensoleillés  de  l'île. 
Au-dessus  de  cette  même  porte,  un 
artiste  allemand  a  peint  une  vigne  dont 
un  jeune  homme  à  demi  nu  presse  les 
grappes  dans  une  coupe,  tandis  que,  plus 
Jîas,  vui  amoureux  joue  de  la  mandoline 
sous  la  fenêtre  de  sa  belle,  qui  le  regarde 


Des  portraits  d'artistes  et  de  touristes, 
jetés  çà  et  là  sans  aucune  symétrie,  rem- 
plissent les  intervalles  entre  les  tableaux. 
A  l'autre  bout  de  la  salle,  deux  grandes 
vues  de  Capri,  dans  chacune  desquelles 
Ihôtel  Pagano  et  le  palmier  célèbre  qui 
fait  l'honneur  de  son  jardin  figurent  au 
premier  plan  et  complètent  la  déco- 
ration. 

L'hôtel  lui-même  est  situé  dans  un 
des  quartiers  les  plus  pittoresques  de 
Capri.  De  son  petit  balcon,  la  vue  s  étend 
au  loin   sur  la  mer  et  jusqu'au  rivage 


I/ILE    DE    CAPHI 


505 


italien,  de  laulre  coté.  Les  nuirs  blancs, 
se  (lccoii|)anl  en  li^^nes  droites  snr  le 
ciel  bien,  sont  diin  ellel  vraiment  artis- 
licpie  el  Ini  donnent  un  caractère  orien- 
tal ((ui  s'accorde  bien  avec  le  climat. 

La  première  chose  à  l'aire  après  avoir 
suffisamment  \u  la  ville,  c'est  de  se 
faire  conduire  en  voilure  à  Anacapri, 
bâtie  sur  un  plaleau,  au  nord-est  de 
lîle.  à  plusieurs  centaines  de  pieds  an- 
dessus  du  niveau  de  la  mer.  Jusqu'en 
IS7i,  on  n  y  pouvait  atteindre  que  par 
un  raide  et  interminable  escalier  de  près 
de  six  cents  marches.  Aujourd'hui  une 
lar!;c-  route  ladlée  dans  le  roc  déroule 
ses  sinuosités  de  terrasse  en  terrasse 
entre  les  deux  villes.  A  mi-chemin,  on 
rencontre  les  ruines  du  château  Barbe- 
rousse,  <<  Castello  Barbarossa  »,  ainsi 
appelé  parce  qu'un  des  pirates  de  ce 
nom  le  détruisit  au  xvi''  siècle.  Il  est 
perché  sur  la  pointe  d'une  falaise  à  pic, 
qui  n'est  reliée  au  massif  que  par  un 
étroit  contrefort  de  la  montapie.  La  vue 
qu'on  a  de  là,  au-dessus  d'un  promon- 
toire aii;u  qui  semble  aller  au-devant  de 
Sorrente,à  cinqmillesplusloin,  à  travers 
l'étincellement  des  eaux  bleues,  avec  la 
baie  de  Naples  ouverte  devant  soi  et 
le  Vésuve  fumant  dans  le  fond,  n  est 
pas  inférieure  en  beauté  à  celle  dont  on 
jouit  de  Tavimina.  devant  le  mont  Etna, 
avec  le  temple  grec  au  premier  plan. 

Anacapri  est  une  petite  ville  mono- 
tone et  tranquille,  moins  fréquentée  par 
les  étrangers  et,  par  conséquent,  plus 
agréable  et  plus  intéressante  pour  l'ob- 
servateur. Le  plateau  sur  lequel  elle  est 
bâtie  a  une  étendue  de  plusieurs  milles, 
et  l'on  ne  croirait  pas,  à  voir  la  vaste 
plaine  environnante,  que  l'on  est  à  une 
si  grande  élévation. 

Derrière  Anacapri,  au  sud,  se  dresse 
la  principale  montagne  de  l'île.  Monte 
Solaro,  dont  il  faut  faire  l'ascension  si 
l'on  veut  avoir  une  impression  exacte 
et  complète  des  beautés  pittoresques  de 
l'île.  On  s'arrête  d'abord  à  l'ermitage, 
sur  une  plate-forme  qui  se  projette  du 
liane  de  la  montagne,  et  où  vit  un 
ermite  très  décoratif,  qui  vous  olfre  un 


peu  de  chianti  et  attend,  en  retour, 
quelques  sous.  De  l'ei-mitage.  on  aper- 
çoit toute  l'île,  cl  au-dessus,  tout  au 
sommet  de  la  monl;igne,  à  quelques  cen- 
taines de  pieds,  les  ruines  d'une  antique 
forteresse.  Lorsqu'on  est  parvenu  jus- 
qu'à ces  ruines,  le  spectacle  est  encore 
plus  grandiose,  admirable  surtout  au 
lever  du  soleil  et  par  un  clair  de  lune. 
D'un  côté,  Xaples  avec  le  ^'ésuve;  au 
midi,  le  golfe  de  Salerne,  au  fond  duquel 
on    distingue   les    temples   en    ruine   de 


Pa-stum.  .Au  nord,  la  baie  de  Gaëte;  à 
l'ouest,  dans  le  bleu  de  la  Méditerranée, 
les  îles  Ponza.  Tout  au  loin  s  allonge  la 
chaîne  des  Apennins,  continuée  par  les 
collines  de  Calabre;  et,  se  détachant  en 
vigoureux  relief  au  premier  plan,  Sor- 
rente,  et  toute  l'île  au-dessous  de  soi. 

L'île  est  semée  de  petits  sanctuaires 
ou  chapelles,  qui  donnent  de  la  couleur 
et  de  l'animation  au  paysage.  Plus  fré- 
quentes encore  sont  les  fontaines,  dont 
les  plus  modestes  ont  néanmoins  un 
caractère  architectural,  et  où  les  enfants 
du  voisinage  viennent  puiser  le  peu 
d'eau  nécessaire  à  un  ménage  italien 
dans  des  cruches  de  terre  qui  descendent 
en  droite  ligne  des  poteries   étrusques. 


506 


I/IIJO    DE    CAPHI 


Telles  sont  les  choses  que  MrJ.  Ilowe 
Adams  a  vues  dans  Tîle  de  Gapri  et  qui 
Font  frappé.  En  vrai  fils  du  nouveau 
monde,  qui  veut  prouver  qu'il  n'a  rien 
à  envier  à  Tancien,  il  tient  à  linir  sur 
un  trait  d'érudition. 

((  La  principale  villa  de  Tibère,  dil-il, 
se  trouve  dans  une  partie  basse  de  l'île, 
à  l'extrémité  orientale,  appelée  Lo  Capo. 


u  Les  abords  difficiles,  sinon  inacces- 
sibles, de  l'île,  non  moins  que  la  salu- 
brité du  climat,  furent  sans  doute  les 
motifs  puissants  qui  y  retinrent  l'empe- 
reur romain  tant  d'années.  Les  cruautés 
et  les  débauches  de  l'empereur  pendant 
son  séjour  dans  l'île  ont  été  ^n^andement 
exagérées.  Quant  à  l'assertion  qu'il  fai- 
sait jeter  ses    victimes   du    haut  de   la 


I-  E      (.■  H  A  T  K  AU      DE      B  A  1!  B  E  K  U  U  S  S  E 


Les  ruines  couvrent  un  vaste  espace  et 
consistent  en  salles  voûtées  et  en  corri- 
dors, dont  l'usage  qu'en  faisaient  les 
anciens  ne  saurait  être  exactement 
déterminé  aujourd'hui.  Mais  les  habi- 
tants ont  résolu  le  problème  à  leur  profit 
en  s'en  servant  comme  détables  pour 
leurs  vaches.  Ce  fut  probablement  la 
résidence  favorite  de  Tibère  après  qu'il 
eut  abandonné  les  rênes  du  gouverne- 
ment, en  l'an  27  avant  J.-C,  époque  où 
il  s'ensevelit  dans  une  retraite  absolue 
jusqu'à  sa  mort,  survenue  dix  ans  après. 


falaise  dans  la  mer,  il  est  hors  de  doute 
qu'elle  ne  repose  sur  aucun  fondement.  » 
Cette  courte  leçon  d  histoire  est  amu- 
sante dans  la  concise  assurance  de  son 
diagnotisme  ;  et  un  écrivain  finançais 
n'aurait  certainement  pas  songé  à  ter- 
miner de  cette  manière  un  article  des- 
criptif. C'est  justement  pour  cela  que 
j'ai  cru  devoir  reproduire  ce  passage  à 
la  place  même  où  l'a  mis,  de  propos 
délibéré,  l'auteur  américain. 

Bernard    dk    la    Mothe. 


LA    BIBLIOTHÈQUE    DE    L'ARSENAL 


A  ceux  que  leurs  goûts  ou  leurs  occu- 
pations attirent  vers  les  livres,  il  n'est 
pas  besoin  d'apprendre  ce  qu'est  la  bi- 
bliothèque de  l'Arsenal.  Les  ressources 
de  ce  riche  dépfM  sont  bien  connues  des 
bibliophiles  et  prétendre  les  leur  révéler 
serait  outrecuidant.  Mais  il  ne  saurait 
être  téméraire  d'appeler  l'attention  du 
public  sur  cette  renommée  peu  bruyante 
et,  en  la  lui  expliquant,  de  lui  en  faire 
sentir  la  justesse  et  la  raison  d'être. 

La  plupart  des  Parisiens  ne  connais- 
sent f^uère  l'Arsenal  que  pour  l'avoir 
côtoyé,  au  temps  des  vacances,  quand 
la  voiture  file  vers  la  gare  de  Lyon  ou 
celle  d  Orléans.  On  longe  alors  un  vaste 
bâtiment  d'aspect  tranquille  et  déco- 
ratif, en  façade  sur  le  boulevard  Mor- 
land.  C'est  la  portion  ])rincipale  et  la 
plus  en  vue  de  la  bibliothèque  de  l'Ar- 
senal, dont  l'entrée  est  à  quelques  pas 
de  là,  dans  la  petite  rue  de  Sully.  Cette 
façade  a  été  rebâtie  en  1718  par  l'archi- 
tecte Germain  Bolfrand,  qui  en  a  décoré 
le  sommet  d'une  balustrade  de  pierre 
à  l'italienne,  de  trophées  et  de  canons 
placés  sur  le  corps  avancé  du  milieu. 
Ces  attributs  guerriers  ne  manquent  pas 
d'attirer  le  regard.  Et,  si  Ton  aperçoit 
en  même  temps,  au  travers  des  grilles 
des  fenêtres,  les  rayons  de  livres  an- 
ciens rangés  en  bel  ordre,  on  ne  sait 
comment  expliquer  un  pareil  voisinage 
d'objets  si  disparates. 

Pourquoi,  en  efl'et,  ce  nom  martial 
donné  à  une  paisible  bibliothèque? Tout 
simplement  parce  qu'elle  est  installée 
dans  un  reste  de  l'Arsenal  de  l'ancienne 
monarchie  française.  Un  des  gouver- 
neurs de  l'Arsenal  d'alors  fut  un  fervent 
bibliophile;  il  réunit  dans  sa  demeure 
une  très  belle  collection  de  livres,  qui 
est  devenue,  après  des  transformations, 
le  premier  et  très  précieux  noyau  de  la 
bibliothèque    actuelle.    Mais,  avant    de 


devenir  ainsi  l'asile  de  l'étude,  l'Arsenal 
avait  un  passé  célèbre,  quoique  fort  dif- 
férent de  ce  que  lui  réservait  l'avenir. 
C'est,  dit-on,  lorsque  Charles  V  trans- 
porta à  l'hôtel  Saint-Paul  le  siège  du 
gouvernement  royal  qu'on  commença  à 
fabriquer  et  à  déposer  les  engins  de 
guerre  dans  le  quartier  actuel,  de  l'Ar- 
senal. François  1'"'  y  inaugura  la  fonte 
des  canons  dans  des  granges  qui  appar- 
tenaient à  la  ville  de  Paris.  L'installa- 
tion ne  devint  pourtant  définitive  que 
sous  les  derniers  Valois.  Un  incendie 
ayant  pris,  le  30  janvier  1563,  au  mi- 
lieu de  tous  ces  bâtiments  provisoires 
et  ayant  fait  sauter  l'amas  de  poudre 
qu'ils  contenaient,  Charles  IX  profita  du 
désastre  pour  faire  reconstruire  des  édi- 
fices plus  solides  et  mieux  appropriés  à 
leur  destination.  Telle  fut  l'origine  vé- 
i-itable  de  l'Arsenal,  divisé  bientôt  en 
errand  Arsenal,  consacré  à  la  fonderie 
proprement  dite,  et  en  petit  Arsenal, 
servant  aux  travaux  accessoires  de  ser- 
rurerie et  de  charronnage,  et  abintant 
tous  les  deux,  avec  les  munitions  et  les 
armes,  le  nombreux  personnel  chargé 
de  les  confectionner.  C'était  un  établis- 
sement considérable,  dont  les  bâtiments, 
les  cours,  les  jardins  occupaient  la  ma- 
jeure partie  du  vaste  quadrilatère  formé 
maintenant  par  la  rue  du  Petit-Musc, 
la  Seine,  le  canal  Saint-Martin  et  la 
rue  Saint-Antoine.  Une  porte  monu- 
mentale y  donnait  accès,  en  face  du 
quai  des  Célestins,  à  la  hauteur  de  la 
rue  du  Petit-Musc. 

Bien  entendu,  le  grand  maître  de  lar- 
tillerie  royale  devait  habiter  cet  établis- 
sement soumis  à  sa  haute  direction;  un 
important  corps  de  logis  lui  était  ré- 
servé, avec  des  quinconces,  des  par- 
terres, des  jardins.  C'est  ainsi  que  Sully 
vint  y  demeurer,  lorsqu'il  fut  élevé  à 
cette  charge,   après  Antoine  d'Estrées, 


LA    BIBLIOTHÈQUE    DE    L  ARSENAL 


y^ 


\j\m  i  i  m 


FAÇADE      SUR      LE      BOfLEVARD      M  O  1!  L  A  X  D 


^^-.8,.  f        en  1599.1;  Ar- 

1  s  e  n  a  1  é  t  a  i  t 
f  alors,  paraît- 
il,  «  très  mal 
bâti  et  encore 
plus  dénué  de  pièces  de  canon,  munitions 
et  poudres  »,  si  Ton  en  croitl6s£'co7i07?i?'e5 
roi/ales  du  grand  ministre.  Aussi  celui-ci 
se  mit-il  avec  ardeur  à  travailler  tout  en- 
semble aux  embellissements  de  l'Arsenal 
et  à  confectionner  des  armes  et  des 
canons.  Bientôt  on  disait  dans  le  peuple 
parisien  qu'il  a\ail  réuni  assez  de  muni- 
tions pour  mettre  sur  pied  cinquante 
mille  hommes.  C'étaient  là  des  réserves 
énormes  et  pourtant  ce  n'était  pas  tout. 
Comme  Sully  avait  encore  la  fonction 
de  surintendant  du  trésor  i^oyal,  c'est  là 
que  s'entassèrent  aussi  toutes  les  écono- 
mies du  ministre.  Il  y  a  plus  :  l'Arsenal 
devint  de  la  sorte  le  véritable  siège  du 
gouvernement,  tant  qu'il  abrita  l'homme 
qui  tenait  dans  ses  mains  toutes  les 
hautes  charges  du  royaume.  Henri  IV, 
qui  s'y  rendait  fréquemment  pour  les 
aiï'aires  publiques,  y  vint  aussi  pour  son 
plaisir,  car  c'était  un  lieu  de  plus  en 
plus  agréable,  et  le  monde  élégant  com- 
mençait à  se  porter  chaque  jour  davan- 
tage vers  le  quartier  du  Marais  et  vers 
la  place  Royale,  alors  en  construction. 
La  fine  tleur  de   la  noblesse   affluait 


maintenant  vers  l'Arsenal  restauré  et 
embelli.  D'agréables  jardins  y  avaient 
été  ménagés;  une  terrasse  plantée  d'ar- 
bres le  reliait  à  la  Baslille  et  une  autre 
promenade,  le  Mail,  le  bordait  le  long 
de  la  Seine.  Une  salle  de  théâtre,  vaste 
et  élégante,  avait  été  construite  pour  y 
donner  en  spectacle  des  ballets  et  des 
comédies,  tandis  que  la  jeune  aristo- 
cratie s'exerçait  à  la  paume  ou  aux 
bagues,  sur  le  Mail  ou  dans  les  jardins. 
Quotidiennement  le  roi  se  rendait  à 
l'Arsenal  par  devoir  ou  par  plaisir  et  il 
s'y  plaisait  beaucoup.  Si  l'on  en  croit 
lesEconomies  royales  de  Sully,  Henri  IV 
eut  même  la  pensée  de  s"y  faire  accom- 
moder un  petit  appartement  pour  son 
usage  personnel.  Sully  raconte  assez 
longuement  cet  épisotle  dans  ses  Mé- 
moires (édition  Michaud  et  Poujoulat, 
1. 1",  p.  275).  Le  25  mars  1609,  Henri  IV 
s'invita  à  dîner  chez  lui,  par  un  billet, 
avec  douze  personnes.  Il  s'y  trouva  si 
bien  traité  qu'il  voulut  même  que  son 
ministre  lui  donnât  encore  à  dîner  le 
lendemain.  C'est  à  ce  nouveau  dîner 
que  l'idée  lui  vint  de  se  réserver  pour 
l'avenir  de  pareilles  bonnes  fortunes,  et 
qu'il  commanda  à  Sully  "  de  lui  faire 
accommoder  une  salle,  une  chambre, 
une  garde-robe  et  un  cabinet  dans  l'Ar- 
senal, sans  toucher  à  ce  qui  était  de  son 


LA'  1UI5I  lO  1  m  gi  1      1)L    I    AUSLXAI 


\?-v 


FAÇADE      SUR      LA      RTE      DE      SULLT 


logement,  parce  quil  y  voulait  Acnir 
loger  dorénavant  deux  ou  trois  jours 
par  chacun  mois  et  y  être  traité  comme 
il  Tétait  >'.  sans  faire  apporter  ses  ali- 
ments ni  faire  venir  ses  oflîciers,  se  liant 
pour  toutes  choses  à  raiï'ection  et  aux 
soins  de  Sully,  à  qui  il  donnerait  pour 
cela  six  mille  écus  de  plus  tous  les  ans. 
On  sait  combien  cet  amour  pour  l'Ar- 
senal fut  fatal  au  roi  et  que  c'est  en  se 
rendant  chez  son  ministre  que  Henri  I\ 
fut  frappé  par  le  couteau  de  Ravaillac, 
dans  la  rue  de  la  Ferronnerie.  Mais  est-ce 
au  désir  exprimé  plus  haut  qu  il  faut  faire 
remonter  l'origine  des  deux  pièces  riche- 
ment décorées,  désignées  très  impropre- 
ment sous  le  nom  de  Cabinet  de  Sully, 
qui  sont  maintenant  l'ornement  de  la 
bibliothèque  de  l'Arsenal?  Jadis,  ces 
deux  pièces  s'élevaient  en  encorbelle- 
ment sur  le  A'ieux  mur  de  Charles  V, 
le  loue-  du   Mail   et   de   la  rivière,  avec 


lesquels  un  escalier  les  mettait  en  com- 
munication directe.  Depuis  quelques 
années  seulement,  elles  ont  été  trans- 
portées dans  une  aile  de  la  bibliothèque 
actuelle,  restaurées  et  rétablies  telles 
qu'elles  devaient  être  primitivement. 
Lune  et  l'autre  sont  de  ces  apparte- 
ments —  cabinets  ou  galeries,  ainsi 
qu'on  disait  alors  et  comme  on  en  con- 
struisait tant  —  décorés  avec  un  art 
somptueux,  mais  un  peu  banal,  froid, 
mais  habile,  ingénieux,  logique  et  clair. 
Par  malheur,  le  temps  n'a  guère  épar- 
gné les  œuvres  décoratives  conçues  et 
exécutées  à  cette  époque-là.  Aussi  ces 
deux  salles  de  la  bibliothèque  de  l'Ai'- 
senal  ont-elles  pour  le  public,  parmi 
d'autres  attraits,  celui  déti^e  une  curio- 
sité intéressante  et  instructive. 

Et  d'abord,  l'ornementation  de  ces 
pièces  est  assurément  postérieure  à 
Henri   I\'  et   à   Sullv.  Elle  ne  remonte 


510 


LA    BIBLIOTHÈQUE    DE    L'ARSENAL 


qu'au  successeur  de  celui-ci  dans  la 
charge  de  grand  maître  de  l'arLillerie 
royale,  au  maréchal  duc  de  La  Meille- 
raye,  ou  plutôt  à  sa  seconde  femme, 
Marie  de  Cossé-Brissac,  Tamie  du  car- 
dinal de  Retz  et  que  Richelieu  distingua 
aussi,  dit-on.  C'est  elle  qui  accommoda 
ces  deux  salles,  dont  la  plus  vaste  lui 
servit  de  chambre  à  coucher  d'apparat 
et  l'autre  de  réduit  pour  s'isoler,  sorte 
de  boudoir  ou  d'oratoire  destiné  à  la 
méditation  d'une  femme  à  la  mode.  La 
disposition  de  la  grande  pièce  ne  per- 
met pas  de  doute  sur  sa  destination  : 
une  partie,  en  effet,  est  bien  visiblement 
disposée  pour  servir  de  chambre  à  cou- 
cher telle  qu'on  l'entendait  alors,  avec 
l'alcôve,  la  ruelle  et  le  lit  de  bout.  Les 
voussures  du  plafond  .lui-même  repré- 
sentent le  dieu  du  sommeil,  entouré  des 
songes  heureux  et  accoudé  sur  les  armes 
des  La  Meilleraye., Ailleurs,  le  souvenir 
des  La  Meilleraye  a  été  aussi  soigneuse- 
ment, conservé  et  ceci  montre  bien  que 
la  pièce  entière  fut  décorée  pour  ces 
possesseurs.  A  peine  un  panneau  est-il 
consacré  à  la  gloire  de  Henri  IV  ;  il 
représente  l'entrée  du  roi  à  Paris  en  1594, 
et  encore  est-ce  également  une  scène  de 
famille,  car  le  duc  de  Brissac, qui  ouvrit 
au  Vert- Galant  les  portes  de  sa  capi- 
tale, était  le  propre  beau-père  du  duc  de 
La  Meilleraye.  Et  tout  le  reste  est  con- 
sacré uniquement  à  rappeler  les  hauts  faits 
personnels  de  celui-ci. 

Il  est  bien  difficile,  après  cela,  de 
faire  remonter  l'origine  de  cette  déco- 
ration au  delà  de  celui  qui  a  pris  un 
semblable  soin  de  se  rappeler  lui-même 
sur  tous  les  lambris.  Quoi  qu'il  en  soit 
de  cette  origine,  l'aspect  général  de  la 
pièce  est  séduisant,  avec  ses  ors  rehaus- 
sés de  guirlandes  fleuries,  ses  soubas- 
sements ornés  d'oiseaux  et  d'arbustes, 
ses  plafonds  mythologiques  pleins  d'al- 
légories faciles,  harmonieuses  et  aima- 
bles. L'impression  d'ensemble  ne  manque 
pas  de  grandeur,  tant  s'en  faut,  bien  que 
l'art  s'y  révèle  superficiel  et  éclatant. 
Les  figures  sont  nobles,  charmantes  d'at- 
titude  et  de  forme,   sans  énergie  pour- 


tant et  parfois  sans  vérité,  molles, 
peintes  d'un  pinceau  conventionnel  et 
d'une  couleur  peu  sincère,  mais  éclai- 
rées à  merveille,  surtout  lorsque  la 
lumière  doit  se  jouer  sur  les  atours  qui 
font  valoir  les  chairs.  Les  ornements 
accessoires,  guirlandes  ou  trophées,  sont 
plus  vrais,  en  effet,  d'une  exécution  plus 
serrée  et  moins  arrondie.  Quel  est  l'ar- 
tiste qui  traita  ainsi  cet  ensemble  déco- 
ratif? Si  l'on  ne  peut  guère  dire  positi- 
vement quel  il  est,  il  n'est  pas  difficile 
de  répondre  quel  il  devait  être.  Peut- 
être  est-ce  Simon  Vouet.  Assurément, 
c'est  un  peintre  formé  à  son  école  et  à 
celle  de  l'Italie.  Tous  ou  presque  tous 
les  artistes  d'alors  se  formèrent  ainsi,  et 
Vouet,  fort  à  la  mode,  accablé  de  com- 
mandes auxquelles  il  ne  pouvait  suffire, 
même  malgré  la  précipitation  de  son 
travail,  traçait  souvent  l'esquisse  de 
sujets  que  ses  élèves  traitaient  ensuite 
sous  sa  surveillance.  Il  en  résulta  une 
abondance  d'œuvres  trop  nombreuses, 
aussi  hâtives  que  peu  personnelles,  et 
qui  ont  particulièrement  souffert  du 
temps.  A  peine  quelques  tableaux  de 
chevalet,  peintures  allégoriques  ou  reli- 
gieuses, ou  quelques  tapisseries  ont-ilsété 
épargnés.  Il  ne  reste  rien  ou  presque 
rien  des  travaux  décoratifs  de  Vouet  et 
c'était  là  la  note  principale  de  son  talent. 
Il  n'est  donc  pas  inutile  d'appeler  tout 
particulièrement  l'attention  sur  la  déco- 
ration des  deux  pièces  de  l'Arsenal,  si 
instructive  à  examiner  à  quelque  ori- 
gine qu'on  l'attribue,  qu'on  la  fasse 
remonter  au  maître  lui-même  ou  qu'on 
la  croie  seulemenl  exécutée  sous  sa 
direction. 

Jetons  encore  un  regard  sur  le  petit 
oratoire  voisin  avant  de  passer  outre. 
L'ornementation  est  dans  le  même  goût, 
mais  moins  riante,  plus  intime.  Aux 
extrémités  du  plafond,  des  cartouches 
représentent  des  emblèmes  et  des  sujets 
religieux,  tandis  que  le  caisson  central 
forme  un  tableau  plus  grand  de  la 
Religion  triomphante.  Les  lambris  du 
pourtour  offrent  la  galerie  des  femmes 
fortes  de  l'histoire  biblique  et  profane, 


I-  A     B  I  r.  L  I  ()  T  1 1  K Q  V  K    1)  K    1/  A  H  S  K  N  A  L 


ôll 


Sémiramis,  Judith,  Débora,  Anliope, 
liUcrèce,  Bérénice,  Jeanne  d'Arc  et 
c|uclques  autres,  parmi  lesquelles  M""'  de 
La  Mcillcraye,  sous  le  nom  et  sous  le 
costume  de  Marie  Stuart.  Dans  ce  réduit 
aux  proportions  modestes,  les  défauts  de 
ce  système  décoratif  paraissent  mieux  ; 
le  plafond,  trop  bas,  donne  l'impression 


la  lumière  qui  convieiidi-ail    rornemen- 
tation  intérieure. 

L'Arsenal  servit  aussi  à  des  usages 
fort  divers  sous  l'ancienne  monarchie. 
C'est  là  que  s'assembla  la  cour  chargée 
de  faire  le  procès  du  surintendant  Nico- 
las Fouquet.  C'est  là  qu  il  fut  jugé  et 
condamné.   C'est  là  encore  que   se  dé- 


t'  A  B  I  N  E  T      DE      SULLY 


d'ornements  pesants;  les  parois  man- 
quent aussi  du  recul  nécessaire  pour  que 
l'œil  en  juge  l'ensemble  et  perde  de  vue 
le  détail.  Malgré  cela,  l'allure  générale 
est  agréable  et  harmonieuse,  plus  impo- 
sante que  gracieuse,  plus  somptueuse 
que  charmante  et  éblouit  le  regard  plus 
qu'elle  le  séduit.  Par  malheur,  les  vieilles 
masures  qui  masquent  encore  l'entrée 
principale  de  la  bibliothèque  de  l'Arse- 
nal s'élèvent  précisément  en  face  des 
fenêtres  de  ces  deux  pièces  et  ne  per- 
mettent pas  d'en   apprécier  avec  toute 


roula  plus  tard  le  procès  de  la  marquise 
de  Brinvilliers  et  de  ses  nombreux  com- 
plices ou  imitateurs,  dont  l'examen  retint 
pendant  trois  ans  la  Chambre  ardente 
de  l'Arsenal.  Mais  ne  nous  arrêtons  pas 
outre  mesure  à  ce  lugubre  passé.  Est-ce 
lui  qui  déplut  à  la  duchesse  du  Maine, 
si  vive  par  nature  et  si  écervelée  sous 
son  ambition  frivole  et  têtue?  Toujours 
est-il  qu'elle  ne  goûta  guère  l'Arsenal, 
quand  son  mari  fut  nommé,  en  l(50i, 
grand  maître  de  l'artillerie  royale.  Pour- 
tant   le    duc    du    Maine    ou    sa    femme 


512 


LA    BIBLIOTHÈQUE    DE    L'ARSENAL 


son^^èrent  à  embellir  1" Arsenal.  Mais 
lorsque,  en  1"18,  le  célèbre  architecte 
Germain  BollVand,  auquel  ces  amélio- 
rations avaient  été  contiées,  commença 
à  les  exécuter,  le  duc  et  la  duchesse  du 
Maine,  impliqués  dans  la  conspiration 
de  Cellamare,  étaient  prisonniers  Tun  à 


remontait  à  Sully,  se  trouvaient  réunis 
et  soudés  l'un  à  l'autre.  La  décoration 
intérieure  de  ce  nouveau  corps  de  logis 
avait  été  également  confiée  à  BofïVand. 
On  la  retrouve  encore  dans  les  petits 
appartements  en  enfilade  du  premier 
étage,  qui  conduisent  à  l'ancien  salon 
de  musique  de  la  duchesse  du  Maine 
—  actuellement  la  salle  où   se  consul- 


PETIT      S  A  li  O  X      BLEU 


Doullens  el  l'autre  à  Dijon.  Dans  ces 
nouveaux  travaux,  l^oUVand  respecta 
autant  fjuil  le  put  le  vieil  Arsenal 
habité  par  Sully.  Au  lieu  de  le  recon- 
struire, il  le  couvrit  en  partie,  au  midi, 
par  un  nouveau  corps  de  logis  longeant 
de  plus  près  la  rivière.  C'est  la  façade 
actuelle  du  boulevard  Morland  avec  son 
élégance  sobre  et  bien  insjjiréc.  De  la 
sorte  les  deux  édifices,  celui  qu'on  ve- 
nait de  construire  sur  des  proportions 
plus  vastes  et  plus  décoratives,  et  celui, 
moins  imposant,    dont   la   construction 


tent  les  manuscrits  de  la   bibliothèque. 
Là     s'épanouit    toute    la    grâce,     toute 
l'élégance,   toute  l'ingéniosité   d'inven- 
tion    de     l'architecte     décorateur.     Les 
sculptures   de   ce   salon   sont   exécutées 
avec    une    délicatesse    raffinée,   qui    en 
fait  un  vrai   chef-d'œuvre   de   goût.  De 
I   nombreux    trophées    d'instruments    de 
j   musique    surmontent    les    panneaux   et 
les  trumeaux  des  glaces,  tandis  que  les 
dessus  de  porte   en   grisaille    représen- 
tent les  quatre  saisons.  L'ensemble  est 
i   clair,  plein  de  fraîcheur  et  de  grâce,  tel 


I.A     lUlJLIoTHKQUK    DE    L'ARSENAL 


513 


qu  on  pouvait  rattemlre  de  cet  incom- 
parable artiste  en  décoration. 

La  destination  belliqueuse  de  lAr- 
senal  allait  diminuant  chaque  jour. 
En  1755,  la  charge  de  grand  maître  de 
l'artillerie  fut  rattachée  directement  au 
département  de  la  guerre,  mais  le  bail- 
liage de  l'Arsenal  conserva  son  organi- 
sation et  ses  Iranchisc^  particulières.  Si 


nombreuses  et  fort  diverses,  de  sorte 
qu'il  lui  fallut,  pour  les  abriter,  con- 
struire à  ses  frais  de  coûteuses  galeries. 
Les  livres  et  les  papiers  de  sa  famille 
formèrent  le  premier  embryon  de  sa 
bibliothèque  :  on  y  retrouve  les  livres 
j  recueillis  par  son  père  René-Louis, 
i  marquis  d'Argenson,  ministre  des 
affaires  étrangères,  et  les  papiers  de  son 


les  armes  y  abondèrent  moins,  les  livres 
commencèrent  à  y  affluer,  car  c'est 
aloi's  qu'Antoine -René  de  ^'oye^  de 
Paulmy  vint  y  demeurer  en  qualité  de 
bailli  et  de  gouverneur.  Son  goût  pour 
les  lettres  donna  bien  vite  à  cette  vieille 
demeure  une  autre  réputation,  et  dès  la 
fin  du  siècle  la  bibliothèque  du  marquis 
de  Paulmy  était  pour  le  moins  aussi 
connue  que  les  débris  du  musée  d'ar- 
tillerie créé  par  Sully. 

Par  la  variété  et  l'ardeur  de  ses 
goûts,  ^L  de  Paulmy  était  un  véritable 
collectionneur.  Bientôt  il  sut  rassembler 
dans  son  logis  de  l'Arsenal  des  richesses 

VIII.  —  33. 


oncle,  le  comte  d  Argenson,  le  fameux 
lieutenant  de  police.  ^Lais  le  marquis 
de  Paulmy  ne  s  en  tint  pas  là,  tant  s'en 
faut.  Pendant  près  de  quarante  ans,  il 
accrut  son  butin  par  tous  les  moyens 
en  son  pouvoir.  Tandis  que  des  limiers 
dressés  à  cet  usage  recherchaient  par- 
tout pour  lui  des  raretés  bibliogra- 
phiques, eu  France  comme  à  l'étranger, 
en  Hollande  et  en  Ralie,  lui-même  ne 
perdit  pas  un  seul  instant  de  vue  l'aug- 
mentation d'une  collection  de  livres  qui 
était  désormais  le  but  principal  et  la 
passion  de  sa  vie.  C'est  ainsi  qu'il  forma 
une    bibliothèque    qui    est    peut-être  la 


514 


LA    BIBLIOTHEQUE    DE    L'ARSENAL 


plus  belle  qu'un  particulier  ait  jamais 
réussi  à  constituei'.  Non  seulement  il  ne 
manquait  pas  de  profiter  des  occasions 
particulières  qui  lui  permettaient  d'en- 
richir ses  rayons  de  tel  ou  tel  ouvrage 
précieux,  mais  encore  il  ne  reculait  pas 
devant  Tacquisition  en  bloc  d'autres 
collections  de  livres,  comme  celle  de 
Charles-Adrien  Picard,  par  exemple, 
ou  bien  la  dernière  partie,  plus  impor- 
tante encore,  de  la  bibliothèque  du  duc 
de  La  Vallière,  dont  le  catalogue  dressé 
par  le  libraire  Nyon  n'occupe  pas  moins 
de  six  volumes.  Toutes  ces  ressources, 
rassemblées  avec  autant  de  patience, 
avaient  fini  par  former  un  véritable 
trésor,  que  son  possesseur  mettait  vo- 
lontiers à  la  disposition  des  travailleurs. 
Livres,  estampes,  médailles,  tableaux, 
curiosités  d'histoire  naturelle,  M.  de 
Paulmy  avait  tout  réuni  à  l'Arsenal  et 
faisait  les  honneurs  de  tout  avec  la 
même  bonne  grâce  accueillante.  Il  n'é- 
tait pas  de  ces  bibliophiles  jaloux  pour 
lesquels  l'habit  fait  le  moine,  qui  se 
contentent  de  regarder  la  condition 
extérieure  des  ouvrages,  ne  les  lisent 
pas  et  ne  les  mettent  pas  davantage  à  la 
portée  de  ceux  qui  seraient  capables 
d'en  profiter.  M.  de  Paulmy  lisait  ses 
livres,  ainsi  qu'en  témoignent  les  notes 
écrites  de  sa  main  sur  la  garde  de  la 
plupart;  il  aimait  à  en  dresser  les  cata- 
logues, appréciant  ses  richesses  avec  le 
tact  d'un  connaisseur,  sachant  ce  qui 
faisait  défaut  à  ses  collections  et  s'efTor- 
çant  d'en  combler  les  vides  avec  le  flair 
d'un  véritable  amateur.  Et,  quand  il 
voyait  la  possibilité  d  acquérir  quelque 
rareté  nouvelle,  il  y  travaillait  en  dépit 
des  obstacles,  malgré  les  compétitions 
des  autres  et  la  médiocrité  de  sa  propre 
fortune,  heureux  d  acheter  la  possession 
d'un  objet  désiré  au  prix  de  quelque 
sacrifice,  ventre  fraudalo. 

Il  eût  été  bien  regrettable  qu'une  col- 
lection aussi  considérable,  formée  avec 
tant  de  soins  par  un  tel  ami  des  livres, 
se  dispersât  à  sa  mort.  Cette  éventualité 
ne  se  produisit  pas.  En  prévision  de  son 
décès,  M.  de  Paulmy  céda  de  son  vivant 


sa  bibliothèque  au  comte  d'Artois  —  le 
futur  Charles  X  —  sous  la  réserve  d'en 
garder  l'usufruit.  Puis,  les  événements 
se  précipitèrent.  Le  l*^""  mai  1793,  la 
bibliothèque  du  comte  d'Artois  était 
mise  sous  séquestre  comme  bien  d'é- 
migré et  faisait  retour  à  l'Etat.  Cette 
mesure  fut  loin  d'être  aussi  nuisible 
qu'on  pourrait  le  croire  :  au  lieu  d'y 
perdre,  la  bibliothèque  du  comte  d'Ar- 
tois y  gagna  sensiblement,  car  elle  s'en- 
richit alors  des  établissements  religieux 
également  mis  sous  séquestre  et  profita 
des  ressources  diverses  que  les  mesures 
législatives  de  la  Convention  avaient 
fait  venir  de  toutes  parts  dans  les  dépôts 
littéraires  de  la  Nation.  Grâce  aux  con- 
naissances bibliographiques  d'Hubert- 
Pascal  Ameilhon,  ces  opérations  aug- 
mentèrent dans  des  proportions  notables 
les  collections  de  l'Arsenal.  Aussi,  lorsque 
plus  tard  le  Directoire  décida  que  le 
public  serait  librement  admis  à  l'Arse- 
nal, il  mit  à  la  disposition  des  recher- 
ches une  mine  riche  et  abordable  (9  flo- 
réal an  V—  28  avril  1797).  Bien  vite  le 
monde  studieux  prit  l'habitude  d'y  re- 
courir et,  au  retour  des  Bourbons,  quand 
le  comte  d'Artois  crut  devoir  se  faire 
restituer  un  bien  dont  il  semble  n'avoir 
qu'imparfaitement  payé  l'acquisition,  il 
dut  laisser  aux  travailleurs  la  disposition 
des  volumes  de  l'Arsenal,  désigné  sous 
le  nom  de  Bibliothèque  de  Monsieur. 

En  ce  temps-là,  l'Arsenal  fut  célèbre 
et  sa  réputation  passa  les  bornes  étroites 
du  cercle  des  érudits  et  des  chercheurs. 
Charles  Nodier  avait  été  nommé  biblio- 
thécaire de  la  bibliothèque  de  Monsieur, 
pour  avoir  composé  jadis,  sous  l'Em- 
pire, le  Napoléone ,  une  ode  satirique 
contre  Napoléon.  En  celte  qualité,  il 
vint  habiter  le  vieil  Arsenal  de  Sully,  et 
c'est  là  que  s'écoulèrent  les  dernières 
années  - —  les  plus  heureuses  —  de  sa 
vie  mouvementée.  Le  quartier  était 
éloigné,  le  bâtiment  solitaire  et  tinste, 
dominant  la  Seine  en  face  de  l'île  Lou- 
viers  qui,  depuis,  a  été  réunie  à  la  rive 
droite  du  fleuve.  La  présence  de  Nodier 
fut  assez  puissante  pour  attirer  dans  ce 


LA    BIBLIOTHKcjL  K    DK    I/AHSKNAI, 


515 


logis  écarté  loul  ce  C[ue  Paris  comptait 
alors  de  brillantes  espérances  et  pour 
animer  ces  réunions  :  car  Nodier  avait 
dans  sa  conversation  une  verve  singu- 
lièrement captivante,  qui  se  refroidis- 
sait dans  ses  livres  et  se  calmait. 

Ami  du  romantique  et  de  la  bonne  chère. 
Il  visite  souvent  Ladvocat  et  Véry, 

Et  fait  payer  à  son  libraire 
I>c  nectar  varié  dont  son  teint  est  nourri. 

Ainsi  parlait  Nestor  Roqueplan  de  ce  boa 
vivant,  accueil- 
lant aux  jeunes. 
Les  audaces  du 
romantisme  nef- 
frayaient  pas 
Nodier,  dont  li- 
magination  dé- 
bridée pouvait 
sui^'re  toutes  les 
folies  et  dont  la 
vie  avait  toujours 
été  pleine  d'im- 
prévu. Il  se  fit  le 
patron  des  nova- 
teurs, les  accueil- 
lit à  TArsenal. 
leur  ouvrit  son 
salon  et  réussit  à 
les  garder  par 
l'ingéniosité  de 
son  esprit,  secon- 
dée par  la  bonne 
grâce  de  sa  fille, 
Marie. 

Nous  connais- 
sons la  physio- 
nomie de  ce  salon 
hospitalier  grâce 
à  ce  qu'en  ont 
écrit  quelques- 
uns  de  ceux  qui 
le  fréquentèrent. 
Alexandre  Du- 
mas surtout  en  a 
laissé  un  tableau 
bien   vivant,   qui 

n'a  pas  peu"]contribué  à  faire  connaître  du  public 
ces  réunions  de  l'Arsenal.  On  y  venait  le  diman- 
che soir  vers  neuf  heures  et,  comme  ceux  qui  s'y 
rendaient  étaient  surtout  riches  d'espérances  de 


gloire,  on  y  venait  à  pied,  les  femmes 
en  socques  et  les  hommes  les  abritant 
sous  des  parapluies  contre  les  intempé- 
ries du  chemin.  Manteaux,  chapeaux, 
socques  et  parapluies  s'entassaient  pêle- 
mêle  dans  la  salle  à  manger,  et  les  visi- 
teurs passaient  bien  vite  au  salon,  peint 
en  blanc,  avec  sa  boiserie  ancienne,  son 
meuble  de  casiniir  rouge,  orné  de 
quelques  portraits,  éclairé  de  trois  ou 
quatre  quinquets.   Ce   n'était  donc   pas 


516 


LA     BIBLIOTHÈQUE    DE    L'AUSENAL 


le  luxe  qui  attirail  ainsi  chez  Nodier  la 
foule  des  jeunes  gens  d'avenir;  c'était 
l'accueil  des  hôtes,  l'esprit  des  com- 
mensaux, les  promesses  de  gloire  que 
tous  apportaient  plus  ou  moins.  Tandis 
que  les  plus  âgés  jouaient  devant  cette 


d'autres  noms  qui  l'ont  de  celte  liste 
comme  le  livre  d'or  de  l'art  et  de  la  lit- 
térature du  temps.  La  danse  finie,  on  se 
groupait  autour  de  ceux  qui  guidaient 
la  jeunesse  :  Lamartine,  Hugo,  Celui-ci, 
imberbe  et  grave,  émettait  sous  les  lam- 
bris de  l'Arsenal  les  théories  qui  de- 
vaient se  retrouA'er  dans  la  préface  de 
Ci-omwell.  C'est  aussi,  dit-on,  en  con- 
templant le  chevet  de  Notre-Dame  du 
haut  du  balcon  de  Nodier  que  Hugo 
consul  l'idée  de  son  roman.  Au- 
jourd'hui le  balcon  n'existe  plus  et  les 
maisons,  d'ailleurs,  empêchent  de" 
\  oir  Tabside  de  l'église.  Mais  le 
-alon  subsiste.  Le  flot  sans  cesse 
croissant  des  libres  a  envahi 
le  logis  de  Nodier  et  la  pièce 
qui  donna  asile  à  tant  de  visi- 
teurs glorieux  abrite  n'^in- 
lenant  une  belle  collection 
d'estampes,  des  chefs  - 
d'œuvre  de  Rembrandt  ou 
de  Walteau. 


table  d'écarté  à  laquelle  Nodier  s'as- 
seyait volontiers,  les  plus  jeunes  impro- 
visaient un  bal  plein  d'entrain.  Marie 
Nodier,  au  piano,  faisait  tourbillonner 
les  couples  et  c'était,  dans  les  quadrilles, 
toute  cette  génération  de  f830  qui  a 
laissé  depuis  une  trace  si  glorieuse  : 
Dumas,  Musset,  Hligo,  Vigny,  Dela- 
croix, Lamartine,  Eugène  Devéria,  Louis 
Boulanger,   les  frères  Johannot  et   tant 


On  ignore  da- 
\ a  n  ta  g  e  que, 
tandis  que  le  ro- 
mantisme nais- 
sant accourait  de 
la  sorte  chez  No- 
dier, les  classi- 
ques, eux  aussi, 
fréquentaien  t 
l'Arsenal,  se 
groupant  volon- 
tiers autour  d'A- 
lexandre 13uval, 
qui  fut  successi- 
vement marin, 
militaire ,  ingé- 
nieur, acteur  et 
auteur  dramatique,  et  qui,  pour  l'instant, 
administrait  lavieille  bibliothèque.  Resté 
ardent  dans  ses  aversions,  Alexandre 
Duval  avait  lancé  sa  fameuse  Lettre  à 
M.  Victor  Hugo  sur  la  littérature  roman- 
tique. C'était  un  coryphée  des  survi- 
vants de  jadis  et  les  nouvelles  phalang:es 
ne  lui  pardonnaient  pas  de  ne  pas  quit- 
ter la  place  sans  coup  férir,  de  ne  pas 
s'avouer    vaincu    sans    combattre.    Une 


LA     lUHMOTIIKgrK    \)K    I/AHSKNAL 


517 


fois,  au  ThéAlrc-Fraiivais ,  un  soir  de 
représentation  de  quelcjne  drame  roman- 
tique, les  hoii.singots,  rencontrant  dans 
les  couloirs  Alexandre  Duval  et  Népo- 
mucène  Lemercier,  leur  avaient  bruta- 
lement crié  aux  oreilles  :  «  Enfoncées, 
les  vieilles  perruques  !  »  Qui  sait  si 
quelque  couloir  de  TArsenal,  témoin  de 


ressources  actuelles  de  la  bibliothèque, 
on  peul  dire  du  moins  qu'elle  est  parti- 
culièrement riche  en  ouvrages  de  belles- 
lettres  et  d'histoire.  Les  souvenirs  du 
passé,  qui  y  dominent,  se  trouvent  dans 
un  cadre  tout  à  fait  digne  d'eux,  logés 
comme  ils  le  sont  dans  ces  pièces  dont 
quelques-unes  oui  gardé   toutes  les  élé- 


pareille  rencontre,  n'en- 
tendit pas  semblable  apo- 
strophe? A  la  distance  de  deux  esca- 
liers, il  était  le  quartier  général  de 
deux  camps  rivaux.  Eternel  symbole 
de  la  vie,  tandis  que  les  uns,  ardents 
et  jeunes,  gravissaient  les  degrés  comme 
à  l'assaut,  les  autres,  las  mais  non  dé- 
couragés, concertant  encore  la  riposte, 
descendaient  les  marches  à  regret,  dis- 
putant pied  à  pied  le  terrain  de  la  vie 
que  le  passé  cède  si  malaisément  à 
l'avenir. 

Toutes  ces  circonstances  donnèrent  à 
l'Arsenal  une  réputation  littéraire  qui 
s'adaptait  bien  avec  la  nature  même  de 
ses  collections  et  que  les  successeurs  des 
Nodier  et  des  Duval  se  sont  plu  à  entre- 
tenir de  leur  mieux.  S'il  n'est  pas  permis 
d'espérer  résumer  en  quelques  mots  les 


gances  de  jadis.  Il  y  a  une  belle  collec- 
tion de  poètes  français,  en  particulier 
du  xvi*"  siècle,  et  les  œuvres  de  plusieurs 
d'entre  eux  ne  se  retrouvent  guère  que 
là  aujourd'hui.  Le  roman  y  est  égale- 
ment représenté  par  une  abondante  série 
de  ses  productions  d'autrefois,  moins 
abondante  toutefois  que  la  collection 
théâtrale,  qui  contient  à  peu  près  toutes 
les  productions  dramatiques  françaises 
depuis  les  origines  jusqu'à  nos  jours. 
L'histoire,  elle  aussi,  tient  une  large  place 
sur  ces  rayons,  surtout  l'histoire  con- 
temporaine, depuis  1789,  et  les  mémoires 


rus 


LÀ    iUHLIOTIIÈgUE    DE    L' ARSENAL 


publiés  maintenant  en  si  grand  nombre 
sur  les  hommes  et  les  événements  de 
cette  période  se  t^ou^'ent  là  à  peu  près 
ail  complet.  Ajoutons  encore,  sans  pré- 
tendre avoir  tout  dit ,  qu'un  arrêté 
de  1880  a  désigné  la  bibliothèque  de 
l'Arsenal  pour  recueillir  les  journaux 
paraissant  à  Paris  et  leur  donner  asile. 
Ce  sera  encore  une  source  abondante 
d'informations  à  laquelle  devront  recou- 
rir les  historiens  futurs  de  notre  temps. 
A  ces  volumes  imprimés,  dont  le  total 
arrive  aux  environs  de  cinq  cent  mille. 


il  convient  de  joindre  dix  mille  manu- 
scrits. Un  grand  nombre  d'entre  eux, 
comme  pour  les  volumes  imprimés, 
mériteraient  d'être  signalés  eu  particu- 
lier, soit  pour  leur  valeur  propre,  soit  à 
cause  des  souvenirs  qu'ils  évoquent. 
Nous  mentionnerons  tout  d'abord 
Psautier  dit  de  saint  Louis 
n"  1180),  qui  provient  de  la 
Sainte-Chapelle.  Les  spécia- 
listes discutent  sur  le  point 
de  savoir  si  ce  manuscrit  ap- 
partint véritablement  à  saint 
Louis  ou  bien  à  sa  mère 
Blanche  de  Castille.  Il 
est,  en  tout  cas,  hors  de 
doute  que  la  tradition 
qui  l'attribue  à  saint 
Louis  est  fort  ancienne, 
puisqu'elle  re- 
monte au  xiv''  siè- 
cle, et  que  ce  beau 
manuscrit  est  un 
spécimen  très  re- 
marquable de  l'art 
de  l'époque,  avec 
ses  grandes  minia- 
tures sur  fond  d'or 
et  la  variété  de  ses 
ornements  en  cou- 
leurs. Le  manuscrit 
qui  contient  les 
comédies  de  Té- 
rence  en  latin 
(n°  664)  est  posté- 
rieur au  précédent 
et  a  appartenu  à  ce 
fin  bibliophile 
qu'était  Jean,  duc  de  Berry,  frère  de 
Charles  V.  Il  est  splendide.  Chaque 
scène  de  chaque  comédie  est  précédée 
d'une  miniature  qui  en  représente  le 
sujet  aux  yeux  du  lecteur.  Il  est  im- 
possible de  pousser  plus  loin  la  finesse 
et  le  g'oût  que  dans  les  illustrations  de  ce 
volume,  vrai  chef-d'œuvre  de  décora- 
tion délicate  et  vraie.  Citons  encore 
quelques  romans  de  chevalerie,  des 
livres  d'heures,  un  exemplaire  des 
Triomphes,  de  Pétrarque,  exécuté  pour 
François   L'  et  qui  contient  d'exquises 


ANCIEN 


LA     lU  HI.IOTIIKQrK    DK     1/ ARSENAL 


519 


niiiiialiires  (ii"  6iS0).  Nous  nienlionne- 
roiis  eiilin  la  collection  des  manuscrits 
de  (^onrard,  le  ])reniier  secrétaire  per- 
pétuel de  l'Académie  Irançaise,  immor- 
talisé par  un  vers  fameux  de  Boileau, 
et  aussi  la  série  des  papiers  de  l'an- 
cienne  lieutenance  de  police,  qui,  clas- 
sés et  cataloi;ués  à  part,  forment  un 
fonds  important,  connu  sous  le  nom 
iV Archives  de  la  Bastille. 

Le  marquis  de  Paulmy  avait  ég'ale- 
ment  réussi  à  former  un  très  beau  ca- 
binet d'estampes.  Jusqu'en  18G1,  les 
plancbes  ainsi  réunies  demeurèrent  à 
l'Arsenal;  mais,  à  cette  date,  la  Biblio- 
thèque nationale  —  alors  impériale  — 
obtint  le  droit  de  choisir  dans  les  autres 
dépôts  publics  les  dessins  ou  les  gra- 
vures qui  lui  faisaient  défaut.  Presque 
toutes  les  pièces  rares  ou  curieuses  pas- 
sèrent ainsi  de  la  bibliothèque  de  la  rue 
de  Sully  dans  celle  de  la  rue  de  Riche- 
lieu. Il  est  vrai  que  celle-ci  cédait,  en 
échange,  quelques-uns  de  ses  doubles, 
ce  qui,  joint  aux  éléments  laissés  dans 
leur  fonds  primitif,  a  constitué  un  ca- 
binet d'estampes  aussi  considérable  par 
le  nombre,  sinon  par  la  valeur  des  pièces, 
sélevant  à  une  centaine  de  mille  en- 
vi i-on. 

Telle  est,  indiquée  à  grands  traits,  la 
physionomie  générale  de  La  bibliothèque 
de  l'Arsenal.  On  ne  saurait  dire  qu'elle 
ait  une  spécialité,  car  ses  collections 
sont  multiples  et  variées,  mais  toutes 
contiennent  des  morceaux  de  choix, 
précieux  à  bien  des  titres.  Son  caractère 
propre  lui  a  été  donné,  il  y  a  un  siècle, 
lorsque  M.  de  Paulmy  rassemblait  pour 
lui-même  des  livres  rares,  en  bel  état 
de  conservation,  des  ouvrages  aussi  re- 
marquables par  leur  contenu  que  par 
leur    apparence    extérieure,   des    exem- 


plaii'es  tout  à  fait  dignes  et  pour  le  fond 
et  pour  la  forme  d'attirer  les  regards 
d'un  bibliophile  consommé.  Le  premier 
possesseur  rêvait  de  faire  de  ses  collec- 
tions un  véritable  musée  bibliogra- 
phique, et  ce  caractère  s'est  maintenu 
depuis  lors,  accru  encore  de  ce  fait  que 
les  livres  se  trouvent  placés  maintenant 
dans  des  salles  dont  la  décoration  s'har- 
monise si  bien  avec  les  richesses  qu'elles 
abritent.  Aujourd'hui  ces  richesses, 
amassées  par  un  amateur  fervent,  aug- 
mentées par  d'autres,  sont  à  la  portée 
du  public,  toute  l'année  —  sauf  quinze 
jours  en  août,  du  15  au  31,  pendant  les- 
quels on  procède  à  des  travaux  de  net- 
toyage —  et  tous  les  jours  de  l'année, 
les  jours  fériés  exceptés,  de  dix  heures 
du  matin  à  quatre  heures  du  soir.  Elles 
sont  mises  à  la  disposition  de  tous  avec 
compétence  et  libéralité.  11  ne  peut  me 
convenir  de  faire  l'éloge  du  personnel 
actuel  de  l'Arsenal.  Mais  il  m'est  bien 
permis  de  payer,  en  terminant,  un  tribut 
de  juste  gratitude  à  ceux  qui  nous  pré- 
cédèrent et  qui  ne  sont  plus,  depuis 
II. -P.  Ameilhon,  le  premier  en  daté 
des  administrateurs  de  la  bibliothèque 
publique,  jusqu'à  Edouard  Thierry,  le 
dernier  :  dom  Poirrier,  l'abbé  Grégoire, 
Cayx,  Charles  Lenormant,  Le  Roux  dç 
Lincy,  Berger  de  Xivrey,  Paul  Lacroix 
(le  bibliophile  Jacob),  François  Ra- 
vaisson,  P.  Malitourne,  Louis  Ulbach. 
Ceux-ci  datent  d'hier  à  peine,  mais  tous, 
qu'ils  soient  de  la  fin  ou  du  commen- 
cement du  siècle,  ont  contribué  à  établir 
la  réputation  commune  de  bonne  grâce 
accueillante  et  simple;  et  ceux  auxquels 
ils  l'ont  transmise  ne  peuvent  que  les 
saluer  avec  sympathie  et  avec   respect. 

Paul    Bonnefon. 


LE    COUVENT    DES    CÉLESTINS 


La  collection  de  M.  de  Paulmy,  cédée 
au  comte  d'Artois  et  qui  forme  une  par- 
tie du  fonds  actuel  de  l'Arsenal,  avait  été 
constituée  en  partie  par  l'acquisition  des 
livres  les  plus  précieux  provenant  de  la 
bibliothèque  des  Célestins. 

Donnons  donc  un  souvenir  au  célèbre 
monastère  qui,  presque  jusqu'à  la  Révo- 


portail,  fut  bâtie  par  ses  soins  et  consa- 
crée en  1370.  Son  extérieur  n'indiquait 
pas  les  richesses  qu'elle  devait  contenir 
plus  tard,  surtout  dans  ses  annexes. 

Le  cloître  était  un  des  plus  beaux  de 
Paris.  Type  parfait  de  l'architecture  de 
la  Renaissance,  ses  arcades  étaient  sou- 
tenues  par  de    petites    colonnes  corin- 


LE     CLOITRE     DES    CÉLESTINS 


lution,  détenait  tout  le  quartier  qui  a 
conservé  son  nom. 

Les  Célestins,  fondés  vers  le  milieu  du 
xiii^  siècle,  prirent  leur  nom  du  pape 
Célestin  V,  qui  était  de  leur  ordre,  et 
devinrent  rapidement  une  des  commu- 
nautés les  plus  riches  de  l'Église.  A 
Paris,  le  i^oi  Charles  V  fut  le  fondateur 
de  leur  maison  et  ne  cessa  de  les  com- 
bler de  bienfaits. 

L'église,    dont    nous   reproduisons    le 


tlîiennes  accouplées  d'une  très  élégante 
proportion. 

Construit  en  dix  années,  de  1539 
à  1550,  par  Pierre  Hamon,  <(  tailleur  de 
pierres  et  maçon  »,  il  coûta  la  minime 
somme  de  10,778  livres  9  deniers.  Ce 
chiffre,  malgré  la  grande  différence  de 
la  valeur  de  l'argent,  donne  à  réfléchir 
sur  le  prix  de  revient  des  choses,  il  y 
a  trois  siècles.  Bien  des  merveilles  de 
l'époque  gothique  et  de  la  Renaissance 


I,K    COUVENT    DES  CÉLESTINS 


521 


trouvent  clans  ce  bas  prix  de  la  main- 
d'œuvre  Tcxplication  de  leur  possibilité 
matérielle. 

I/église  des  Célestins  fut  toujours 
choisie  de  préférence  par  les  grands 
seignieurs  pour  y  dormir  leur  dernier 
sommeil,  et  rédificalion  de  leurs  su- 
perbes mausolées  n'allait  pas  sans  de 
riches  offrandes  au  monastère  qui  leur 
donnait  aussi  Tliospitalité  dernière. 

La  chapelle  dite  des  Dix  mille  Mar- 
tyrs, puis  de  Gèvres,  était  pleine  de 
monuments  qui  rivalisaient  de  munifi- 
cence funéraire. 

Mais,  en  entrant  dans  la  chapelle  d'Or- 
léans, on  se  serait  cru  (*  transporté  dans 
un  atelier  de  sculpteur  »,  suivant  l'ex- 
pression de  Millin  dans  son  ouvrage  sur 
les  antiquités  nationales,  qu'il  présenta 
le  9  décembre  1790  à  l'Assemblée  natio- 
nale et  qui  est  un  précieux  inventaire 
des  monuments  existant  encore  dans 
Paris  à  cette  époque. 

Cette  chapelle  avait  été  bâtie  par 
Louis  d'Orléans,  fils  puîné  de  Charles  V, 
et,  depuis  la  fin  du  xiv®  siècle,  elle  ne 
cessa  pas  de  servir  de  sépulture  à  des 
personnages  illustres. 

On  y  remarquait  entre  autres  : 

Le  tombeau  de  Henri  Chabot,  œuvre 
de  Michel  Anguier  (1655)  ;  celui  de  l'ami- 
ral Philippe  Chabot,  par  Jean  Cou- 
sin (1543);  la  colonne  supportant  le 
cœur  de  François  II,  ornée  de  trois 
enfants  sculptés  par  Paul  Ponce  (1562)  ; 
le  célèbre  monument  de  Germain  Pilon, 
que  nous  reproduisons  ;  la  sépulture 
d'Anne  de  Montmorency,  par  Jean 
Bulland. 

Le  fondateur  de  la  chapelle,  Louis 
d'Orléans,  y  avait  naturellement  son 
mausolée.  On  sait  que  ce  triste  prince 
fut  assassiné  le  24  novembre  1407,  alors 
qu'il  venait  de  souper  chez  la  reine,  à 
l'hôtel  Barbette,  par  les  partisans  du  duc 
de  Bourgogne.  Les  instructions  qu  il  avait 
données  de  son  vivant  pour  l'érection  de 
son  tombeau  ne  furent  point  suivies,  et 
son  corps  resta  sous  l'autel  de  sa  chapelle 
jusqu'à  ce  que  son  petit-lils,  Louis  XII, 
fît   élever,   en    1504,    le   superbe  monu- 


ment qui    réunit    aux   restes    de   Louis 
d'Orléans  ceux  de  son  fils  aîné,  Charles 


cil 


LES   TROIS    UKACES,   DE   «  E  R  M  A  I  X    PILOX 

Monument  exécuté  par  ordre  de  Catlierine  de  Médi- 
cis,  pour  contenir  les  cœurs  de  Henri  II,  de 
Charles  IX  et  de  Fraliçois  de  France. 


522  LE    COUVENT    DES    CÉLESTINS 

(rOrlénns,  mort  à  Amboise,  en  1466,  el   |   et  aussi  ceux  de  sa  femme,  \'alentine  de 


Jeaune  de  Uuiabuu.  Le  pape  Ce.e^tiii  A  . 

PORTAIL     DE     l'ancienne     ÉGLISE    DES    CÉLESTINS 


Chirles  V 


dont  le   corps   était  resté  dans    l'ép^lise   1   Milan,   et  de   son   second  tils,  Philippe, 
collégiale   de   Saint-Sauveur,    de   Blois,    I   dont  les  corps  étaient  également  demeu- 


I.K  {:()U\i;XT  DES  CKLESTINS 


PORTE  DE  LA  N  0  T  V  E  L  L  E  CASERNE  DES  GARDES  DE  PARIS 

rés  à  Blois.  La  chapelle  contenait  encore   |   le  monument  de  Renée  d'Orléans,  petite- 


52-4 


LE    COUVENT    DES    CÉLESÏINS 


fille  (lu  fameux  Dunois,  morte  à  sept  ans, 
en  1525;  la  pyramide  de  la  maison  de 
Longueville,  merveille  de  François  An- 
guier  ;  la  pyramide  de  Timoléon  de  Cossé- 
Brissac,  mort  en  1569  —  et  d'avitres 
nombreux  tombeaux. 

Il  ne  reste  plus  rien  du  couvent  des 
Célestins,  de  son  église  ni  de  ses  cha- 
pelles. De  ces  beaux  monuments,  gloire 
de  la  sculpture  française,  plusieurs  ont 
été  heureusement  conservés,  mais  en 
partie  seulement. 

Avant  la  Révolution,  les  Célestins 
avaient  été  sécularisés  et  leurs  biens 
mis  sous  séquestre  en  1785;  une  partie 
des  bâtiments  du  monastère  reçut  le 
nouvel  institut  des  sourds-muets,  fondé 
par  l'abbé  Sicard,  et  une  auti^e  fut  con- 
vertie en  caserne  de  cavalerie.  Mais 
Téglise,  les  chapelles  et  les  monuments 
qu'elles  contenaient  subsistaient  en  1789. 
Marie-Alexandre  Lenoir,  dont  le  nom 
doit  à  jamais  être  honoré,  obtint  de 
l'Assemblée  constituante  la  permission 
de  réunir  les  objets  d'art  qui  allaient  être 


dispersés  et  fonda  aux  Petits-Augustins 
le  célèbi^e  musée  des  monuments  fran- 
çais. Ce  musée  fut  supprimé  en  1816, 
mais  beaucoup  des  chefs-d'œuvre  qu'il 
contenait  se  retrouvent  aujourd'hui  au 
musée  du  Louvre. 

Sur  une  partie  du  terrain  occupé  jadis 
par  le  monastère  s'élève  aujourd'hui 
une  monumentale  construction,  qui  dé- 
roule sa  blanche  façade  sur  le  boulevard 
Henri-IV. 

Au-dessus  de  son  portail  d'entrée, 
dont  le  style  rappelle  peu  l'ancienne 
porte  de  l'église  des  Célestins,  apparaît 
le  lion  populaire,  frère  de  celui  qui 
occupe  si  fièrement  le  piédestal  de  la 
statue  de  la  Liberté,  sur  la  place  de  la 
République. 

C'est  ici  la  nouvelle  caserne  des  gardes 
de  Paris.  Ils  sont  logés  magnifique- 
ment, comme  il  convient  à  la  Ville 
d'abriter  ceux  qui  ont  mission  de  la 
protéger.  Puissent-ils  la  défendre  au 
besoin  contre  elle-même  et  éviter  de 
nouvelles  ruines  ! 


LA    CASERNE    DES    GARDES    DE    PARIS    —    FAÇADE    SUR    LE    BOITLEVARD    HENRI-IV 


PEINTURE     SUR     TOILES 


EN     IMITATION     DE     TAPISSERIE 


Dans  la  société  actuelle,  rhoninie  et 
la  femme,  simplement  appareilles  à  l'ori- 
gine, tendent  de  plus  en  plus  à  devenir 
pareils,  et  les  carrières  et  les  arts  de  la 
femme  sont  les  carrières  et  les  arts  de 
l'homme.  L'éducation  féminine  conduit 
présentement  à  tout,  sauf  à  la  magistra- 
ture et  au  sacei'doce.  A  part  l'épée  de 
combat,  la  femme  manie  tous  les  instru- 
ments et  tous  les  outils  :  Tébauchoir,  le 
ciseau,  le  pinceau,  la  varlope  et  le  rabot 
ne  pèsent  pas  plus  à  ses  doigts  que  le 
fuseau  et  l'aiguille.  Elle  entend  ainsi 
contribuer  au  bien-être  de  la  famille, 
prendre  sa  part  de  labeur  et  de  respon- 
sabilité. Dès  lors  Futile  devient  l'estam- 
pille de  son  éducation  artistique,  et,  s'il 
faut  en  croire  la  duchesse  d'Uzès,  même 
la  femme  du  monde  en  s'adonnant  aux 
travaux  d'art  vise  à  obtenir  une  com- 
mande d'un  fabricant  du  Marais. 

Lexposition  des  arts  féminins  est 
particulièrement  suggestive.  L'esprit 
demeure  confondu  devant  ces  œuvres 
de  patience  savante  :  bahuts  délicate- 
ment fouillés,  tables  d'argent  repoussé, 
missels  dignes  des  enlumineurs  du 
xv^  siècle,  tapisseries  incomparables, 
foison  de  merveilles  pour  tout  dire. 


Le  plus  pratique  de  ces  arts  et  le  plus 
aisément  praticable  est  la  peinture  en 
imitation  de  tapisserie.  Les  anciennes 
tentures  artistiques  bien  conservées 
constituent  des  trésors  rarissimes;  le 
plus  souvent,  les  panneaux  authentiques 
sont  dans  un  état  lamentable  ou  réduits 
à  des  fragments  exigus.  L'art  tout  mo- 
derne qui  permet  de  tirer  parti  de  ces 
superbes  débris  et  d'imiter,  à  tromper 
un  œil  exercé,  les  œuvres  anciennes,  est 
à  la  portée  de  tout  le  monde.  Pour  un 
prix  qui  n'excède  guère  celui  d'une  cor- 


beille d'orchidées,  on  se  procure  les  ma- 
tériaux indispensables. 

Jusqu'à  ces  dernières  années,  on  ne 
connaissait  d'autre  moyen  de  réparer 
les  belles  tapisseries  que  le  ren(rai/a(/e, 
lequel  s'exécute  à  l'aiguille  ou  à  la  na- 
vette. C'est  un  procédé  long,  partant 
dispendieux,  et  de  plus  imparfait,  car  il 
est  à  peu  près  impossible  d'obtenir  avec 
des  laines  neuves,  si  habilement  teintes 
qu'elles  soient,  l'effet  harmonieux  et  les 
tons  fondus  des  panneaux  anciens.  Le 
raccommodage,  en  dépit  de  l'habileté 
de  l'ouvrière,  reste  sensible.  La  peinture, 
au  contraire,  arrive  à  la  perfection 
absolue  dans  l'imitation;  bien  habile  qui 
découvre  les  morceaux  peints  dans  les 
magnifiques  pièces  de  la  «  Dame  à  la 
licorne  »  au  musée  de  Cluny  ! 

Des  toiles,  dites  toiles  Binant,  à  grain 
carré,  à  grosses  et  à  petites  côtes,  tissées 
avec  des  fils  spéciaux,  permettent  de 
reproduire  les  points  de  Bayeux,  des 
Gobelins,  de  Flandre,  de  Saumur,  de 
Beauvais,  de  Fontainebleau,  d'Aubus- 
son,  etc.  La  largeur  de  ces  toiles  va  de 
0"\70  à  8'",  10,  et,  suivant  la  finesse  du 
grain,  la  matière  du  tissu  :  coton,  laine, 
ou  soie,  le  prix  du  mètre  carré  varie  de 
12  à  40  francs.  La  toile  de  soie  s'emploie 
peu,  sauf  pour  de  petites  pièces;  les 
tentures  d'un  haut  caractère  ai^tistique 
s'exécutent  de  préférence  sur  tissus  de 
laine  ;  les  couleurs  y  sont  inaltérables, 
tandis  que  sur  les  toiles  de  fil  ou  de 
coton  les  tons  passent  légèrement  sous 
Finfluence  de  la  lumière  et  de  l'humi- 
dité. 

Pour  la  restauration  des  pièces  an- 
ciennes, il  suffit  de  prendre  le  point  qui 
contient  par  centimètre  carré  le  même 
nombre  de  fils  que  l'original  ;  le  morceau 
ajouté  étant  posé  dans  le  sens  des  côtes, 
la  couture  disparaît.  De  la  même  façon, 


526 


PEINTURE    SUR    T(3ILES 


on  agrandit  par  des  bordures  les  pan- 
neaux trop  étroits,  en  observant  toute- 
fois que  ces  panneaux  soient  postérieurs 
au  xv*^  siècle;  auti^ement  l'adjonction  de 
la  bordure  serait  un  anachronisme;  il 
faudrait  se  contenter  d'un  encadrement 
de  peluche.  En  effet,  jusqu'au  xv*' siècle, 
une  simple  lisière  entourait  les  tapisse- 
ries; ces  lisières  s'élargissent  et  s'ornent 
à  partir  de  la  Renaissance,  mais  les  or- 
nements changent  avec  les  époques  : 
l'antique  fournit  au  xvi*'  siècle  des  motifs 
et  des  figures  ;  au  milieu  et  aux  angles 
des  bandes  se  placent  des  médaillons  ou 
des  écus;  au  xvii"  siècle,  les  bordures, 
seulement  verticales,  se  fleuronnent  ;  de 
petites  figures  s'encadrent  en  des  rin- 
ceaux délicats,  des  lacs  savamment  con- 
tournés; dans  les  fonds  clairs  dominent 
les  rehauts  d'or.  Aujourd'hui  la  fantaisie 
artistique  règne  souverainement. 

L'initiative  de  l'artiste  n'a  point  à 
s'exercer  lorsqu'il  s'agit  de  la  réparation 
de  pièces  authentiques;  il  se  contente  de 
chercher  la  pensée  primitive  et  la  suit 
docilement;  dessin  et  coloris  lui  sont 
imposés  par  le  souci  de  l'exactitude. 

Il  n'en  est  pas  de  même  dans  l'exécu- 
tion d'une  œuvre  nouvelle  ;  le  choix  est 
libre,  sans  autre  restriction  que  celle  du 
bon  sens  et  du  bon  goût.  Tel  pèche 
contre  l'un  et  l'autre  qui  copie  des  sujets 
ne  convenant  en  aucune  façon  à  des 
tentures,  des  sièges  ou  des  portières. 
Les  pans  de  ciel  aux  lointains  profonds, 
les  plans  de  paysage  uniformes,  les  per- 
sonnages aux  contours  précis  et  délicats 
font  mal  en  tapisserie  :  les  clairs  ne  sont 
pas  meuhlanls,  et  le  grain  des  toiles 
empêche  de  modeler  les  ligures  avec  une 
délicatesse  rigoureuse  ;  alors  les  lignes 
se  déforment  et  l'harmonie  disparaît. 

L'exécution,  si  parfaite  qu'elle  soit,  ne 
saurait  racheter  l'erreur  initiale  d'un 
choix  défectueux  ;  il  faut  donc  repro- 
duire dans  l'œuvre  de  certains  maîtres  : 
Raphaël,  Rubens,  Boucher,  non  leurs 
tableaux  de  musée,  mais  leurs  cartons 
de  tapisserie;  d'autres,  tels  Walteau  et 
Téniers,  fournissentdes  modèles pai'faits. 
Copier  au  hasard  le  sujet  qui  plaît  sans 


examiner  sa  convenance  à  l'usage  auquel 
on  le  destine,  c'est  commettre  un  crime 
de  lèse-esthétique. 

Le  bagage  d'un  peintre  sur  toiles  est 
sensiblement  différent  de  celui  des  autres 
artistes  du  pinceau.  Les  couleurs  sont 
contenues  en  des  flacons  ronds  à  goulot 
assez  large  pour  qu'une  brosse  de  trois 
centimètres  de  diamètre  puisse  y  entrer. 


Flacon  à  couleurs  liquides. 

Les  flacons  bouchés  à  l'émerietdecinq 
centimètres  de  hauteur  sont  au  nombre 
de  vingt-sept  pour  les  teintures  M, 
de  trente  pour  les  couleurs  /.  S.  Ces 
marques  sont  les  meilleures  et  nous  en 
donnons  la  liste  complète  : 


TEINTURES 

Jaune  pâle. 
Jaune  moyen. 
Jaune  orange. 
Rouge. 
Écarlate. 
Rose  n"  1. 
Rose  n»  2. 
Magenta. 
Cobalt. 
Outremer. 
Brun  de  Venise. 
Sépia. 
Marron. 
Noir. 

Vei't  jaune. 
Vert  ancien. 
Vert  turquoise. 
Vert  bleu. 
Laque  jaune. 
Carmin. 
Laque  violette. 


COULEURS 

Jaune  de  chrome  clair 
Jaune  foncé. 
Jaune  de  cadmium. 
Terre  d'Italie. 
Sienne  naturelle. 
Sienne  brûlée. 
Terre  d'ombre. 
Terre  de  Gassel. 
Brun  rouge. 
Brun  Van  Dyck. 
Rouge  de  Saturne. 
Vermillon. 
Garance. 
Violet  bleu. 
Violet  pourpre. 
Bleu  turquoise. 
Cobalt. 
Outremer. 
Bleu  de  Prusse. 
Indigo. 
Vert  végétal. 


PEINTURE    SUR    TOILES 


T  E  1  N  T  U  II  i;  s 

(îi'os  bleu. 
Stil  de  }j;rain  bleu. 
Sienne  naturelle. 
Terre  d'Italie  claire. 
Terre  d'Italie  foncée. 
Rousre  indien. 


c  (I  V  L  E  u  n  s 

Vert  olive. 
Vert  émeraudo. 
Vert  printemps. 
Vert  de  Prusse. 
Laque  carminée. 
Sépia  colorée. 
Gris  de  Peyne. 
Noir  d'ivoire. 
Carmin. 


Une  personne  très  au  fait  de  la  com- 
position des  tons  peut,  avec  huit  ou  dix 
couleurs,  préparer  elle-même  toutes  les 
autres.  Ces  couleurs  primordiales  sont 
les  suivantes  : 

Jaune  de  chrome  clair. 

Jaune  de  chrome  foncé, 

Vermillon, 

Bleu  de  cobalt. 

Bleu  de  Prusse, 

Brun  Van  Dyck, 

Vert  de  Prusse, 

Sépia, 

Carmin. 

D'aucuns  proscrivent  le  noir  rigou- 
reusement. 

Autour    de    la    palette    à    rebord    se 


Palette  pour  les  couleurs  liquides. 

rangent  les  pots  destinés  à  contenir  les 
couleurs  ;  ils  sont  en  porcelaine,  en  verre 
ou  en  terre,  jamais  en  métal,  assez 
semblables  à  ceux  qui  contiennent  les 
onguents  pharmaceutiques  ;  leur  hauteur 
varie  de  trois  à  dix  centimètres.  Un  pot 
plus  grand  sert  au  lavage  des  pinceaux; 
un  autre  est  rempli  d'eau  toujours  claire 
pour  la  composition  des  tons. 

Cette  palette  se  pose  sur  une  lable  ou 
mieux  encore  se  remplace  par  une  table 
à  roulettes  et  à  tablettes  superposées, 
portant  tous  les  accessoires  de  la  pein- 
ture-tapisserie. Quelques  palettes  sont 
à  couvercle  et  forment  boîtes. 


Boîte  garnie  de  pots  et  de  flacons. 

Plus  simplement  une  table  ordinaire 
ou  un  vulgaire  petit  banc  reçoivent  les 
pots  alignés;  un  plat  de  fa'ience  ou  de 
porcelaine  remplace  la  palette. 


Palette  à  couvercle  formant  boîte. 

Outre  les  pots  et  les  flacons,  une  boîte 
contient  en  nombre  variable  des  pin- 
ceaux en  martre  rouge,  demi-longs, 
pointus,  et  de  diverses  grosseurs  pour 
les  esquisses  et  les  fines  retouches,  une 
douzaine  de  brosses  rondes  en  soies 
courtes  pour  l'application  des  petites 
teintes,  et  deux  grosses  brosses  ou  pin- 
ceaux carrés,  pour  les  grandes  teintes. 
Deux  éponges  fermes,  de  moyenne  gros- 
seur, servent  à  laver  la  toile,  à  étendre 
les  tons  et  à  étancher  les  brosses. 

Un  appui-main  complète  ce  bagage. 
Le  chevalet  n'est  usité  que  pour  les  pe- 
tites pièces  :  dessus  de  portes,  sièges, 
stores,  paravents,  écrans.  Les  panneaux 
de  grandes  dimensions  s'appuient  sim- 
plement contre  un  mur. 


528 


PEINTURE    SUR    TOILES 


Table-palette. 

La  peinture  sur  toiles  n'est  qu'une 
variété  d'aquarelle  et  n'offre  en  soi  au- 
cune difficulté.  Voici  comment  on  pro- 
cède : 

La  toile  est  tendue  sur  un  châssis,  les 
côtes  dans  le  sens  horizontal.  La  tension 
raide,  qu'il  faut  se  g'arder  d'exagérer, 
s'obtient  en  fixant  les  bords  à  l'aide  de 
clous  à  tête  plate,  dits  seineuces.  11  est 


Pinceaux. 

mieux  d  ourler  la  toile,  de  choisir  un 
châssis  un  peu  plus  grand  qu'elle,  d'en- 
filer en  un  carrelet  (grosse  aiguille)  une 
ficelle  solide  et  de  lacer,  la  ficelle  pas- 
sant dans  l'ourlet  de  cinq  en  cinq  centi- 
mètres. On  peut  ainsi  tendre  à  volonté 
et  supprimer  le  châssis  à  clef,  toujours 
d'un  prix  plus  élevé. 


Quelques  peintres  mouillent  la  toile  et 
la  laissent  sécher  au  préalable;  c'est  inu- 
tile, les  pliures  s'efTaçant  au  cours  du 
travail. 

Un  talent    sûr    de    soi   peut  dessiner 
directement,   mais   les  novices  agissent 
prudemment  en  décalquant  le  sujet  sur 
du  papier  à  piquer;  sur 
un   fond    sali,   les   tons 
perdent  de  leur   trans- 
parence. 

Le    dessin    décalqué 
est  piqué  à  la  pointe  et 
à     la     roulette;     l'une 
s'emploie  dans  le  tracé 
des  angles  et  des  lignes 
courtes      et      courbes, 
l'autre   dans   les  lignes 
assez  longues.  La  pointe 
doit     être    tenue     très 
droite,  afin  que  les  trous 
bien  ouverts  permettent 
un      poncis      régulier. 
Cette    pointe    est  sim- 
plement    une      aiguille         Toile  Binant 
enfoncée    par     la     tête  lacée  sur  un  châssis. 
dans    un    morceau     de 
bois;  la  roulette  ressemble  à  une  roulette 
à  patrons  ou  à  une  molette  d'éperon. 
Le  dessin    est    ensuite    poncé    sur  la 


Roulette  à  piquer. 

toile.  La  poncette  est  un  nouet  de  gaze 
de  mousseline  ou  de  toile  mi-usée  for- 
mant tamis,  rempli  de 
charbon  de  bois  fine-  „,-v„^_ 
ment  pulvérisé,  de  cen- 
dre ou  de  talc,  suivant 
que  la  toile  est  écrue, 
blanche  ou  gris  brun. 
Le  papier  piqué  ou 
poncis,  étant  appliqué 
sur  la  toile  et  maintenu 
à  l'aide  de  punaises  au  bord  du  châssis, 
frotter  la  poncette  sur  les  traits  du  des- 
sin ;  ne  pas  tamponner,  ce  qui  nuirait  à 
la  netteté  du  tracé. 


Poncette. 


PKINTURE    SUR    TOILES 


529 


Il  va  de  soi  que  le  décalque  et  le 
poncis  s'exécutent  le  châssis  à  plat. 
C'est  une  opération  des  plus  délicates, 
le  trait  doit  êti'e  sans  lacunes;  on  s'as- 
sure de  sa  pureté  en  soulevant  légère- 
ment le  papier;  s'il  est  nécessaire  d'y 
apporter  des  corrections,  on  repose  la 
feuille  avec  précaution  et  l'on  ponce  de 
nouveau. 

Il  s'agit  à  présent  d'achever  le  tracé, 
dont  le  ponçage  n'est  que  la  prépara- 
tion. Le  trait  définitif  est  fort  léger,  afin 
de  ne  pas  gêner  dans  l'application  des 
couleurs;  il  s'exécute  à  l'aide  d'un  pin- 
ceau fin  en  martre  rouge  trempé  dans 
un  ton  neutre  uniforme,  ou,  ce  qui  vaut 
mieux,  dans  une  teinte  verte  pour  les 
arbres,  sépia  ou  Van  Dyck  pour  les 
terrains,  rose  chair  pour  les  figures.  On 
peut  aussi  se  servir  d'un  crayon  litho- 
graphique ordinaire.  Moins  on  appuie, 
mieux  le  trait  marque.  Ne  pas  négliger 
d  incliner  le  châssis  en  avant,  afin  d'évi- 
ter que  des  gouttes  de  couleur  ne  tom- 
bent sur  le  fond;  ensuite  battre  la  toile 
à  l'envers  avec  une  baguette,  ce  qui  fait 
disparaître  toute  trace  de  poudre. 

Il  est  indispensable  d'avoir  une  brosse 
spéciale  pour  chaque  gamme  de  cou- 
leurs :  les  verts,  les  bruns,  les  bleus^ 
les  rouges  et  les  jaunes.  Une  gamme  en 
peinture  est  la  série  des  nuances  d'une 
même  coloration,  du  plus  clair  au  plus 
foncé;  elle  est  foi^mée  de  quatre  teintes 
principales,  que  l'on  ^'arie  à  l'infini  en 
ajoutant  plus  ou  moins  d'eau  et  de 
médium. 

Le  médium  est  un  produit  en  suspen- 
sion dans  toutes  les  teintures  dont  il 
augmente  l'adhérence.  Lorsque  le  ton 
primitif  doit  être  dégradé,  il  faut,  pour 
maintenir  l'affinité  de  la  couleur  étendue 
d'eau  et  l'empêcher  de  filer,  ajouter  du 
médium  une  quantité  variable,  qui  ne 
se  détermine  que  par  des  essais  suc- 
cessifs, mais  quantité  d'autant  plus 
grande  que  la  nuance  est  plus  claire. 

Des  quatre  teintes  fondamentales,  la 
première  est  dite  ton  clair,  la  seconde, 
ton  local,  la  troisième,  ton  à  tailler 
(on  l'emploie   pour  les  ombres),  la  qua- 

VllI.  —  34. 


trième,  ton  à  piquer  (s'applique  à  l'aide 
de  petites  brosses  et  donne  les  valeurs 
finales). 

L'ébauche  se  traite  largement,  les 
masses  nettement  tracées,  les  contours 
accentués,  ce  qui  constitue  la  différence 
essentielle  entre  la  tapisserie  et  la  pein- 
ture à  la  manière  ordinaire.  On  se  sert 
dans  ce  travail  préparatoire  de  grosses 
brosses  à  soies  courtes,  et  l'on  frotte  vi- 
goureusement, afin  quela  couleur  pénètre 
bien  dans  le  grain  de  la  toile.  Il  im- 
porte de  réserver  les  blancs  et  tous  les 
clairs  ;  si  par  erreur  on  a  forcé  une  valeur, 
il  n'est  à  ce  mal  nul  remède  ;  il  y  a  tache 
et  tache  indélébile;  il  faut  alors  en 
appeler  à  son  ingéniosité,  à  sa  fantaisie 
artistique  et  modifier  le  dessin  primitif 
de  façon  à  tirer  le  meilleur  parti  possible 
de  l'accident. 

Ce  n'est  que  lorsque  Tébauche  est 
bien  sèche  que  l'on  peut  se  rendre 
compte  de  la  valeur  du  ton.  Il  est  pré- 
férable de  pécher  par  défaut  que  par 
excès,  car  il  est  plus  facile  d'accentuer 
que  de  diminuer  et  l'on  ai'rive  à  la  teinte 
cherchée  par  superposition  de  couleurs; 
l'erreur  serait  grande  de  la  vouloir  obte- 
nir d'un  seul  coup. 

On  revient  ensuite  sur  le  travail  pré- 
cédemment exécuté;  mais  il  ne  faut  pas 
négliger,  au  début  de  chaque  séance,  de 
brosser  fortement  sa  toile,  afin  d'enlever 
la  poussière  et  les  menues  granulations 
que  forme  la  peinture  en  séchant. 

Peu  à  peu,  les  tons  trop  faibles 
s'avivent,  se  détachent.  Afin  d'éviter  à 
l'œil  la  sensation  pénible  de  nuances 
heurtées,  on  les  relie  par  de  petites 
hachures  verticales  exécutées  sur  les 
bords. 

Le  travail  achevé,  on  y  étend  une 
couche  de  l'eau  salie  par  le  lavage  des 
pinceaux  :  cette  eau  a  pris  une  teinte 
indéfinie  qu'on  essayerait  en  vain  d'ob- 
tenir autrement,  et  elle  donne  aux 
peintures  fraîches  l'aspect  vieillot,  pa- 
tiné, des  tapisseries  d'autrefois. 

Si  le  sujet  est  une  nature  morte,  il 
s'enlève  ordinairement  sur  un  fond  qu'il 
est  essentiel  de  préparer  à  l'avance  et 


530 


PEINTURE    SUR    TOILES 


de  laisser  sécher  exactement.  La  quan- 
tité de  teinture  doit  être  tout  de  suite 
suffisante  pour  couvrir  la  surface  ;  elle 
s'applique  dans  le  sens  de  la  toile  à  l'aide 
d'une  large  brosse  à  vernir,  de  haut  en 
bas  et  sans  reprise.  L'égalité  du  fond  en 
est  le  principal  mérite  ;  on  y  dessine 
comme  sur  la  toile  non  peinte. 

Les  fonds  d'or  sont  de  préparation 
moins  simple.  Comme  ils  reviennent, 
dans  le  commerce,  à  28  francs  le  mètre 
carré  pour  l'or  moyen,  à  34  francs  pour 
l'or  fin,  il  y  a  avantage  à  opérer  soi- 
même.  Une  mixtion  qui  se  trouve  chez 
tous  les  marchands  de  couleurs  est  ap- 
pliquée au  pinceau  sur  la  toile  dans  les 
intervalles  du  dessin,  et  sur  un  vernis 
de  gomme  laque  ;  laisser  sécher  jusqu'à 
ce  qu'elle  ne  conserve  sous  la  pression 
du  doigt  qu'une  légère  adhérence;  ap- 
pliquer l'or  avec  un  pinceau  spécial  à 
cet  usage,  en  commençant  par  le  bas  de 
la  toile,  épousseter  avec  un  tampon 
d'ouate  ou  un  putois. 

L'emploi  du  vernis  Sœhnée  à  l'or,  ou 
de  l'étain  glacé,  donne  à  l'œil  l'illusion 
de  l'or  fin,  et  l'économie- est  sensible. 

Les  rehauts  (filets)  d'or,  d'argent  ou 
de  bronze  s'exécutent  à  l'aide  d'encres 
délayées  dans  un  vernis  à  tableaux;  la 
gomme,  usitée  par  quelques  peintres, 
est  moins  solide. 


Les  «  verdures  »  sont  les  plus  faciles 
à  imiter;  les  personnes  peu  habiles  y 
réussissent  aisément,  et  il  est  telles  de 
ces  verdures  qui  produisent  un  joli 
eflFet,  lorsqu'il  s'y  trouve  un  filet  d'eau 
bleue,  quelques  fleurs  extravagantes,  un 
oiseau  fantastique.  On  en  décore  agréa- 
blement l'antichambre  de  son  logis;  les 
natures  mortes  prendront  place  dans  la 
salle  à  manger;  les  chasses  et  les  marines 
anciennes  ou  modernes,  dans  la  salle  de 
billard;    les    scènes    de    Boucher,     de 


Watteau,  de  Téniers  sont  réservées  au 
salon. 

Les  tapisseries  tendent  —  et  ceci  pour 
réjouir  les  gens  de  goût  —  à  détrôner 
le  papier  peint.  Elles  transforment  l'ap- 
partement le  plus  banal,  l'emplissent  de 
vie,  de  gaieté,  de  couleur  et  d'harmonie. 
Si  riche  qu'il  soit,  le  papier  auprès 
d'elles  semble  mesquin.  Et  combien  plus 
hygiénique  est  cette  décoration  !  Sim- 
plement attachées  par  le  chef,  à  l'antique, 
marouflées  (collées)  sur  un  mur,  tendues 
sur  châssis,  les  tapisseries  secouées  et 
brossées  à  volonté  ne  peuvent  emma- 
gasiner la  poussière,  tandis  que  le  papier, 
que  l'humidité  désagrège,  sert  de  ré- 
ceptacle à  toutes  les  impuretés  du  voi- 
sinage. 

Les  toiles  Binant  s'accommodent 
d'autres  procédés  que  l'aquarelle  et  les 
couleurs  liquides;  on  peint  à  l'huile  en 
délayant  la  peinture,  à  l'œuf,  à  la  cire, 
à  l'essence.  Tout  est  bien  qui  laisse  au 
tissu  sa  souplesse,  qui  lui  permet  de 
flotter  à  plis  libres.  Même  lorsque  la 
toile  doit  être  tendue  sur  les  parois  et 
non  suspendue,  il  convient  encore  qu'elle 
puisse  se  déplacer,  se  rouler,  s'emporter 
au  gré  de  nos  fantaisies. 

La  peinture-tapisserie  est  un  art 
aimable  et  précieux,  qui  donne  de  vives 
jouissances  immédiates.  Toute  femme 
douée  d'adresse  et  de  goût  —  et  ces 
deux  qualités  sont  essentiellement  fé- 
minines —  peut  tout  de  suite  produire 
une  œuvre  originale.  Le  logis  porte 
ainsi  l'empreinte  de  celle  qui  l'anime  de 
sa  vie  ;  on  y  goûte  ce  charme  intime  et 
doux  que  dégagent  les  choses  qui  sont 
de  nous-mêmes. 

Bon  courage  donc  «  à  toutes  les  ver- 
tueuses dames  et  autres  gentils  esprits 
qui  besongnent  d'art  »,  pour  parler 
comme  un  vieil  auteur. 

M.  C. 


l.A 


VIE    MILITAIRE    EN    AUTRICHE 


Chaque  troupe  européenne  a  sa  carac- 
téristique. 

La  bonhomie  et  la  jovialité  sont  les 
traits  distinctifs  de  Tarmée  autrichienne, 
ou,  pour  employer  des  termes  plus  exacts, 
de  l'armée  austro-hongroise. 

Quoique  presque  toujours  battue  dans 
les  innombrables  guerres  auxquelles  elle 
a  pris  part,  elle  est  restée  l'une  des  meil- 
leures du  monde,  assurément  l'une  des 
plus  intéressantes  à  étudier,  des  plus 
amusantes  à  observer. 

Songez    qu'elle    abrite   sous    ses  dra- 


•j      ~        """"""  " 

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peaux  des  Allemands,  des  Madgyars,  des 
Tchèques,  des  Polonais,  des  Ruthènes, 
des  Slovènes,  des  Croates,  des  Serbes, 
des  Italiens,  des  Roumains,  des  Armé- 
niens, des  Tziganes...  et  nous  en  ou- 
blions. 

La  garnison  (?)  de  la  tour  de  Babel 
a-t-elle  été  plus  panachée  que  cela? 

Et  pourtant  cette  armée  forme  un 
tout   bien  uni,  bien  solide. 


I.  E  S  n  L  D  A  T 


UARDE  DE  LA  COURONNE  (HONGROIS) 
TENUE  DU  JOUR 


Pris  individuellement,  il  n'a  pas  cette 
allure  automatique  chère  aux  Allemands, 
surtout  aux  Prussiens. 

Affaire  de  costume. 

La  blouse  (espèce  de  vareuse)  est  un 
vêtement  ample,  ne  gênant  ni  la  respi- 
ration, ni  les  mouvements.  Pour  cette 
raison  même,  elle  ne  donne  pas  à  ceux 
qui  la  portent  l'air  martial,  gourmé, 
raide,  qu'ont  les  Allemands  dans  leurs 
tuniques,  mères  de  congestions  sans 
nombre. 

Ceux-ci,  que  leurs  succès  passés  nont 
pas  rendus  tendres  au  pauvre  monde, 
n'hésitent  pas  à  qualifier  leurs  amis  et 
alliés  fidèles  de  salopp  (débraillés). 

Il  est  vrai  qu'ils  prodiguent  assez 
bénévolement  cette  épithète  :  il  y  a 
belle  heurette  qu'ils  en  ont  gratifié  Tar,- 
mée  française. 

Dès  son  entrée  au  service,  le  soldat 
autrichien  se  montre  plein  d'entrain. 

Pendant  que  le  conscrit  allemand  s"en 
va  d'un  pas  morne,  les  reins  déjà  pru- 
demment rentrés,  coiffé  généralement 
d'une  casquette  d'uniforme,  l'Autri- 
chien crie,  chante,  s'agite,  couvert  des 
pieds  à  la  tête  de  rubans,  de  fleurs  et 
de  petites  images  dans  le  genre  de  celles 
que  l'on  voit  sur  les  boîtes  de  baptême, 
ou  de  portraits  de  l'empereur,  de  l'im- 
pératrice, d'un  archiduc  ou  d'un  géné- 
ral populaire. 


532 


LA    VIE    MILITAIRE    EN    AUTRICHE 


Scribe,  dans  le  Chalet,  fait  chanter  à 
ses  troupiers  autrichiens  : 

Vive  le  vin,  l'amour  et  le  tabac  ! 
Voilà  {1er)  le  refrain  du  bivouac. 

Le  tabac  n'intervient  en  cette  chanson 
que  pour  donner  la  rime  à  bivouac.  Si 
M.  Scribe  avait  tant  soit  peu  connu  l'ar- 
mée qu'il  a  chantée,  il  aurait  fait  dire  à 
ses  bonshommes  : 

Vive  rameur,  la  musique,  le  vin,  le  tabac! 

Le  vers  a  treize  pieds,  mais  il  a  le 
mérite  de  classer  par  ordre  de  préfé- 
rence les  goûts  des  militaires  autri- 
chiens. 

Encore,  si  nous  n'avions  craint  d'être 
assimile,  prosodiquement  parlant,  au 
général  du  Monde  où  l'on  s'ennuie, 
aurions-nous  intercalé,  entre  la  musique 
et  le  vin,  la  bonne  nourriture. 

Il  y  a  déjà  longtemps  que  l'autorité  a 
concédé  aux  troupiers  le  droit  de  pro- 
céder à  une  sorte  de  référendum  en 
matière  de  cuisine.  Chaque  mois,  ils 
sont  appelés  à  émettre  leur  vote  sur  le 
menu  de  l'ordinaire.  Gela  donne  fré- 
quemment lieu  à  de  vives  discussions 
entre  eux,  mais  sans  amener  de  grands 
changements  dans  ce  dernier.  Avec  les 
ressources  très  restreintes  dont  on  dis- 
pose, on  ne  peut  faire  autrement  que 
de  leur  donner  chaque  jour  la  soupe,  le 
bœuf,  des  légumes  frais  ou  secs  et,  de 
temps  à  autre,  en  supplément,  un  de 
ces  mehlspeise  (mets  à  la  farine)  consti- 
tuant le  manger  favori  de  tous  les  Alle- 
mands du  Sud.  Le  vendredi,  on  fait 
maigre  dans  toutes  les  casernes. 

D'une  façon  générale,  on  peut  dire 
que  le  soldat  autrichien  est  sobre,  dis- 
cipliné, dévoué  à  ses  chefs  et  grand 
observateur  des  traditions  militaires. 

Il  faut  voir  les  dragons  de  Windisch- 
graetz  (  14"  régiment)  se  pavaner  au 
milieu  des  autres  troupiers. 

A  l'époque  de  la  guerre  de  Sept  Ans, 
ce  régiment,  qui  se  recrutait  dans  les 
pays  v^^illons,  s'était  distingué  tout  par- 
ticulièrement à  la  bataille  de  Kollin,  et 


le  vieux  mai^échal  Daun  n'avait  pu  dis- 
simuler son  admiration  pour  la  conduite 
de  ces  hlancs-becs. 

A  dater  de  ce  jour,  pour  commémo- 
rer les  hauts  faits  accomplis  par  ces 
jeunes  gens,  l'empereur  décida  que  les 
officiers  et  la  troupe  de  ce  régiment 
auraient  à  l'a- 
venir la  mous- 
tache et  la  barbe 
rasées  et  ne 
porteraient  plus 
que  les  favoris. 

Même  respect 
de  la  tradition 
chez  les  chas- 
seurs tyroliens 
(qui  forment 
encore,  actuel- 
lement, un  ré- 
giment à  20  ba- 
taillons), chez 
les  Hoch  und 
Deutschmeister 
et  tutti  quanti. 

Frondeur, 
comme  le  sont 
tous  les  soldats 
quand  leurs 
chefs  ont  le  dos 
tourné,  l'Autri- 
chien ne  fait 
cependant  que 
très  peu  de  mots,  beaucoup  moins  que 
l'Allemand.  Il  ne  donne  que  rarement  des 
surnoms,  tandis  que  l'autre  en  prodigue 
à  tous  ses  supérieurs.  La  plaisanterie 
de  ce  dernier  a  toujours  un  fond  de 
méchanceté  ;  celle  de  l'Autrichien,  au 
contraire,  est  anodine,  témoin  l'inscrip- 
tion suivante,  relevée  dans  les  environs 
d'un  camp  d'instruction  : 

Miider   Wanderer,  entfleuch  von  fiier! 

Sonst  kommt  ein  General,,  und  ererciert  mit  dir. 

(Voyageur  fatigué,  sauve-toi  bien  vite  ! 
Sinon,  il  viendra  un  général  qui  te  fera 
faire  l'exercice.)  On  voit  que  ce  n'est  pas 
méchant. 

Notons,  en  passant,  que  le  soldat  au- 
trichien n'est  pas  gâté  comme  son  cama- 


sous-offioier 

d'infanterie 


LA    VI  K    MI  LIT  A  IKK    EN    AUTHICIIK 


533 


rade  allemand,  à  roccasion  de  la  fête 
de  Noël.  Ceci  tient  à  ce  que  la  monar- 
chie austro-hongroise  est  un  pays  essen- 
tiellement catholique,  observant  les 
jours  fériés  de  l'Église,  mais  n'attachant 
pas  à  la  Noël  l'importance 
considérable  qui  lui  est 
accordée  dans  les  pays  pro- 
testants. 


LE    VOLONTAIRE    D    UN    AN 

Tout  jeune  homme  qui  a 
subi  l'examen  spécial,  ou 
qui    a    suivi    jusqu'au  bout 


L'institution  du  volontariat  ne  jouit 
pas  d'une  grande  faveur  en  Autriche. 
Cela  tient  à  bien  des  causes,  dont  les 
principales  sont  les  suivantes. 

Au  lieu  d'être  affectés  à  des  unités 
distinctes,  à  raison  de  deux, 
trois  ou  plus  par  compagnie, 
escadron  ou  batterie,  comme 
cela  se  fait  en  Allemagne,  les 
volonlaii-es  de  chaque  corps 
sont     groupés    en     un     peloton 


^^'^^^..CN^'^I 


DRAGON      (14e     KÉGIMENT) 


les  cours  d'un  établissement  d'instruction 
secondaire,  a  le  droit  d'entrer  au  ser- 
vice comme  volontaire  d'un  an.  Après 
les  douze  mois  de  service  révolus,  il  est 
tenu  de  satisfaire  à  l'examen  d'aptitude 
pour  le  grade  d'officier  de  réserve.  S'il 
échoue,  il  est  obligé  de  passer  une 
deuxième  année  sous  les  drapeaux. 


spécial,  commandé  par  un  ou  plusieurs 
officiers,  suivant  le  cas.  Première  cause 
de  mécontentement,  et  pour  les  capi- 
taines, qui  se  voient  enlever  des  offi- 
ciers dont  ils  auraient  besoin  à  leurs 
compagnies,  et  pour  les  lieutenants,  qui 
assument  un  service  plus  lourd. 

Ensuite,  en  raison  des  fréquents  chan- 


5:;4 


LA    VIE    MILITAIUE    EN    AUTRICHE 


gements  de  garnison,  qui  sont  demeurés 
de  règle  en  Autriche,  ces  jeunes  gens  ne 
sont  jamais  affectés  comme  officiers  de 


i?,Kf^ 


C  H  A  S  S  E  U  K      T  Y  K  (  )  I.  1  K  N 

réserve  au  corps  dans  lequel  ils  ont  fait 
leur  service. 

Il  résulte  de  là  que  Tinslruction  leur 
est  donnée  sans  enthousiasme  par  les 
officiers,  et  qu'ils  la  reçoivent  avec  une 
certaine  indifférence.  Tandis  que  les 
volontaires  allemands  fréquentent  leurs 
officiers  et  mangent  à  leur  table,  les 
Autrichiens  sont  tenus  complètement  à 
l'écart. 

RECRUTEMENT      DES      C)  F  1  I  C  I  E  R  S 

Le  corps  d'officiers  se  recrute  parmi 
les  cadets  et  les  élèves  des  écoles  spé- 
ciales militaires.   Ces  dernières  portent 


en  Autriche  le  nom  d'académies  mili- 
taires. Elles  sont  au  nombre  de  deux  : 
P  celle  de  Wiener-Neustadt,  pour  l'in- 
fanterie, la  cavalerie  et  les  pionniers  ; 
2°  l'académie  technique  de  Vienne, 
pour  l'artillerie  et  le  génie. 

La  durée  des  cours  dans  les  deux 
écoles  est  de  trois  ans.  Les  élèves  en 
sortent  avec  le  grade  de  sous-lieutenant. 

Quatre  écoles  secondaires  et  une  école 
supérieure  préparent  à  ces  deux  aca- 
démies, savoir  :  P  Giins,  Eisenstadt, 
Saint -Pôlten  et  Kaschau;  2^*  Weiss- 
kirchen. 

Quant  aux  cadets,  les  uns  provien- 
nent des  écoles  spéciales  et  sont  entrés 
dans  l'armée  avec  le  grade  de  kadett, 
les  autres  le  sont  devenus  après  avoir 
franchi  successivement  tous  les  échelons 
de  la  hiérarchie  des  sous-officiers. 

Les  uns  et  les  autres  ne  peuvent  être 


OOMPAaNIB    u'iNFANTERlJi    DU    CORPS 

lieutenants  qu'au  bout  d'un  an  de  pré- 
sence sous  les  drapeaux  et  après  avoir 
été  agréés  par  le  corps  d'officiers. 


LA     VIE    MILITAIUK    EN    AUTUICHK 


53& 


La  loi  ne  fixe  aucune  proportion  entre 
les  cadets  et  les  élèves  des  académies 
pour  la  nomination  au  premier  grade 
d'officier. 


LE    CAO  !•;  T 


Le  cadet  —  tout  le  monde  est  d'ac- 
cord pour  le  reconnaître  —  est  un  être 
hybride. 

Pourvu  du  brevet  d'aptitude  au  grade 
d'officier,  il  est  —  contrairement  à  ce 
que  semblerait  indiquer  sa  dénomina- 
tion —  le  plus  ancien  sous-ofiicier  de 
sa  compagnie. 

Il  porte  la  casquette  d'officier,  mais 
avec  les  galons  de  sous-officier;  le  sabre 
d'officier,  mais  avec  la  dragonne  des 
sous-officiers.  Gomme  ces  derniers,  il 
touche  son  prêt  tous  les  cinq  jours;  en 
revanche,  il  perçoit,  comme  les  officiers, 
par  mois,  son  supplément  de  solde. 

En  voyage,  il  doit  prendre  des  se- 
condes, comme  ceux-ci  ;  par  contre, 
il  n'a  droit  qu'à  l'indemnité  de  route 
des  sous-officiers. 

En  station,  il 
compte  comme  vi- 
vant à  l'ordinaire 
de    la    troupe     et 


reçoit  son  pain  de  munition;  mais  il 
prend  ses  repas  avec  les  officiers. 

En  sa  qualité  de  sous-officier,  il  lui 
est  interdit  de  se  battre  en  duel,  et,  en 
môme  temps,  il  est  soumis  à  la  juridic- 
tion des  tribunaux  d'honneur. 

Cet  être  singulier  n'engendre  pas  la 
mélancolie  ;  il  a  même  donné  son  nom 
à  un  genre  de  farces  de  mauvais  goût 
[kadeltenstreiche),  dont  l'énumération, 
bien  que  fort  drôle,  n'a   rien  à  voir  ici. 

l'aC  ADKMICIKN      MI  LIT  AI  RK 

Le  demi-dieu  académique,  c'est  ainsi 
que  les  cadets  appellent  l'élève  ancien 
(3«  année)  de  l'académie  de  Wiener- 
Neustadt,  se  présente  avec  l'équipement 
suivant  :  un  képi  de  dimensions  phéno- 
ménales, avec  deux  jugulaires,  une  tu- 
nique aux  jupes  minuscules,  un  pan- 
talon basané  constellé  de  reprises 
innombrables,  de  grosses  bottes  avec 
d'énormes  éperons,  une  latte  de  cuiras- 
sier à  moitié  rouillée  et  une  cravache. 
Par-dessus  tout  cela,  un  air  de  profond 
détachement  des  choses  de  ce  monde 
autres  que  l'étoile  de  sous-lieutenant 
qui  lui  sourit. 

Quelques  mois   avant  la  sortie,  le  mi- 
nistère fait  parvenir   à  l'acadé- 
mie une  liste  des  régiments  dans 
lesquels  il  y  a  des  vacances,    et 
parmi    lesquels    les  jeunes   gens 
peuvent     exercer     leur     choix, 
celui-ci       demeurant 
toutefois    subordonné 
à     leur     numéro     de 
classement.   En   d'au- 
tres termes,    de   deux 
élèves  demandant  un 
même  régiment  où  il 
n'y  a  qu'une  vacance 
de      sous-lieutenant, 
celle-ci     revient      de 
droit  au  mieux  classé. 
(En  France,  le  même 
procédé  est  employé.) 
Généralement,     un 
mois  avant  la  sortie, 
HouzARo  ge    passe    un    evéne- 


536 


LA    VIE    MILITAIRE    EN    AUTRICHE 


ment  considérable  :  c'est  le  maître 
tailleur  H...,  de  Vienne,  qui  vient 
essayer  leurs  uniformes  aux  futurs  sous- 
lieutenants,  et  qui  leur  apprend  ainsi  les 
numéros  des  corps  où  ils  seront  nommés. 
Et  alors,  on  entend  une  série  d'excla- 
mations dans  le 
genre  de  celles-ci  : 

—  Hurrah!  Je 
vais  aux  dragons 
de  Savoie. 

—  Oué  !  Petit 
chasseur. 

—  Aïe  !  Aïe  ! 
Baka.  (C'est  le 
surnom  de  l'infan- 
terie de  ligne.) 

—  Hurrah  !  Je 
vais  aux  hussards 
de  Radetzky. 

—  Malheur  !  Je 
vais  aux  jaune  sou- 
fre   de   Warasdin. 

C'est  un  mélange 
confus  de 
cris  d'al- 
légresse 
et  de  dés- 
enchan- 
tement . 

Tel,  qui  avait  demandé  Prague,  est 
nommé  à  Budua.  Tel  autre,  qui  désirait 
Gratz,  est  désigné  pour  Fogaras. 

On  se  demandera  peut-être  comment 
ce  tailleur  fait  son  compte  pour  connaître 
un  mois  à  l'avance  l'affectation  de  ces 
jeunes  gens. 

Cela  tient  à  des  causes  très  naturelles, 
à  une  coutume  touchante  qui  existe  de 
toute  éternité  dans  l'armée  autrichienne  : 
l'empereur  offre  à  chaque  sous-lieutenant 
nouvellement  promu  sa  première  grande 
tenue,  un  couvert  en  argent,  une  malle 
et  une  sacoche.  Jusqu'il  y  a  trente  ans, 
il  donnait  également  à  chacun  une 
montre  en  or. 

l'officier 

Le  corps  d'officiers  autrichiens  se  dis- 
tingue par  sa  camaraderie  extrême. 
Tous  les  officiers  du  même  grade  se 


OFFICIER      n'iNFAXTERIE 


tutoient  en  dehors  du  service,  qu'ils  se 
connaissent  ou  non.  Voilà  le  principe 
strict. 

Mais  on  conçoit  aisément  que  deux 
personnes  d'âges  différents,  qui  ont  pris 
l'habitude  de  se  dire  lu^  pendant 
quelques  années,  ne  renoncent  pas  à 
cette  pratique  lorsque  l'une  d'entre  elles 
monte  en  grade.  On  voit  donc  assez 
fréquemment  de  jeunes  officiers  supé- 
rieurs échanger  le  tutoiement  fraternel 
avec  de  vieux  lieutenants.  Le  seul  tem- 
pérament que  l'usage  impose  en  cette 
occurrence,  c'est  que  l'inférieur  donne 
toujours  son  titre  au  supérieur.  Exemple  : 

—  Monsieur  le  major,  offre-moi  un 
cigare,  je  te  prie. 

Voilà  la  réalité.  Elle  nous  paraît  sin- 
gulière à  nous.  Français.  Quant  aux 
Allemands,  aux  Prussiens  surtout,  elle 
les  révolte. 

En  1864,  au  moment  de  la  guerre  du 
Danemark,  un  jeune  lieutenant  autri- 
chien, de  passage  à  Berlin,  rencontre  un 
officier  de  la  garde  prussienne,  l'aborde 
et  lui  adresse  la  parole,  bien  entendu  en 
le  tutoyant. 

Le  Prussien,  suffoqué,  fait  un  haut-le- 
corps,  ajuste  son  monocle,  toise  quelque 
peu  l'Autrichien,  qui  reste  là,  devant 
lui,  avec  un  air  bon  enfant,  et  dit,  en 
appuyant  très  fortement  sur  la  parti- 
cule : 

—  Mon  nom  est  von  N... 

L'autre,  qui  n'avait  rien  perdu  de  son 
calme,  lui  répond  aussitôt  : 

■ —  Ah  !  mon  Dieu  !  la  belle  affaire  ! 
Moi,  je  suis  le  prince  Windischgraetz. 

Il  n'en  faut  pas  davantage  pour  mar- 
quer les  différences,  nous  semble-t-il. 

Toutefois,  pour  être  exact,  il  convient 
de  remarquer  —  et  cette  observation  a 
déjà  été  faite,  il  y  a  des  années,  par  le 
général  russe  Kaulbars,  au  cours  d'une 
mission  qu'il  avait  remplie  en  Autriche 
—  que,  d'une  façon  générale,  les  chefs 
supérieurs  traitent  leurs  subalternes  avec 
une  hauteur  excessive,  n'admettant  pas, 
fût-ce  en  dehors  du  service,  les  relations 
courtoises  d'homme  à  homme,  et  même 
entre  les  familles. 


LA    Vit:    MILITAIRE    EN    AUTRICHE 


53  •? 


Sous  ce  rapport,  lavanlage  revient 
aux  Allemands;  car,  chez  eux,  les  géné- 
raux reçoivent  à  leur  table  tous  les  offi- 
ciers mariés  et   ne   dédaignent  pas  les 


.^è^fe 


GÉNÉRAL 

invitations  qui  leur  sont  adressées,  même 
par  des  lieutenants. 

Le  feldzeugmestre  comte  Giulay  sifflait 
ses  officiers  d'ordonnance. 

Celui  d'entre  eux  qui  était  de  jour 
devait  se  tenir  en  permanence  dans  l'an- 
tichambre. Au  premier  coup  de  sifflet 
parti  du  bureau  de  son  chef,  il  devait  se 
précipiter  pour  recevoir  les  ordres  de 
Son  Excellence. 

Un  nouvel  aide  de  camp,  plus  indé- 
pendant que  ses  camarades,  entré  en 
fonctions  depuis  quelques  minutes  seu- 
lement, se  prélassait  dans  un  fauteuil, 
lorsque  retentit  un  coup  de  sifflet  aigu. 
Il  ne  bougea  point. 

Au  bout  d'une  minute,  nouveau  coup 
de  sifflet,  plus  violent  que  le  précédent 
et  accompagné  du  refrain  «  pas  gymnas- 
tique ».  Aussitôt  après,  nouvel  appel 
suivi  du  même  refrain...  et  enfin  appa- 
rition de  l'Excellence  en  personne,  les 


yeux   hors  de  la  tête  et  la    figure  cra- 
moisie. 

—  Ne  m'avez-vous  donc  pas  entendu 
siffler? 

—  Pardon,  Excellence,  mais  je  n'ai 
eu  garde  de  venir  déranger  Votre  Excel- 
lence dans  ses  distractions. 

—  Votre  prédécesseur  ne  vous  a-t-il 
pas  prévenu  d'entrer  dans  mon  cabinet 
au  premier  coup  de  sifflet? 

—  Pardon,  Excellence.  Il  m'a  bien 
raconté  une  histoire  dans  ce  genre,  mais, 
je  ne  m'y  suis  pas  arrêté,  la  considérant 
comme  une  très  mauvaise  plaisanterie. 


SOLDAT      D'IXFAXTERIE     (AT7TEICHIEN) 

L'officier  fut  relevé  de  ses  fonctions, 
et  la  manœuvre  au  sifflet  reprit  de  plus 
belle. 

Ce  même  feldzeugmestre  Giulay  avait 
encore  une  autre  marotte. 


LA    VIE    MILITAIRE    EN    AUTRICHE 


GARDE     DU     CORPS     (HONGROIS) 
GRANDE     TENUE 

A  l'époque  où  il  prit  la  succession  de 
Hadetzky,  il  donna  l'ordre  que  :  pour  les 
revues,  chaque  officier  ou  soldat  devait 
être  porteur  d'une  moustache  noire.  Il 
ne  voulait  pas  savoir  autre  chose.  Ceux 
qui  avaient  la  moustache  blonde  étaient 
forcés  de  la  teindre  pour  la  circonstance  ; 
quant  à  ceux  qui  n'en  avaient  pas  du 
tout,  ils  s'en  faisaient  une,  soit  avec  du 
cirage,  soit  avec  des  postiches.  (Mémoires 
du  lieutenant -colonel  autrichien  von 
Foedransperg.  —  Dresde,  1895.) 

Le  général  Giulay  —  un  cousin  du 
précédent  —  mort  il  y  a  deux  ans, 
jouissait  d'une  réputation  universelle  de 
errossièreté  dans  le  service. 

Le  maréchal  Clam-Gallas  (un  descen- 
dant de  celui  qui  avait  perdu  sa  per- 
ruque... et  la  tête  devant  Saint-Jean- 
de-Losne,  pendant  la  guerre  de  Trente 
Ans)  a  pendant  longtemps  été  la  fable 
de  la  population  viennoise  :  il  avait  la 
rage  de  se  faire  saluer.  Dès  que  sa  pré- 
sence était  signalée  dans  une  rue,  offi- 


ciers et  soldats  s'enfuyaient,  craignant 
d'être  interpellés,  voire  même  punis  par 
lui,  sous  prétexte  de  l'avoir  salué  insuf- 
fisamment, mal  ou  pas  du  tout. 

Membre  à  vie  de  la  Chambre  des  Sei- 
gneurs, Clam-Gallas  n'a  jamais  pris  la 
parole  dans  cette  noble  assemblée.  Mais, 
lorsqu'un  orateur  libéral  apportait  à  la 
tribune  des  discours  en' opposition  avec 
ses  idées,  on  le  voyait  se  dresser  comme 
un  père  Fouettard,  donner  un  coup  de 
poing  furibond  sur  le  fouri^eau  de  son 
sabre...  puis,  sans  dire  mot,  il  se  ras- 
seyait au  milieu  des  éclats  de  rire  de  ses 
collègues. 

Nous  pourrions  citer  encore  les  gé- 
néraux von  Rosenzweig,  von  Drun- 
wehr,  etc.,  etc.,  tous  réputés  pour  leur 
manque  d'égards  envers  leurs  subor- 
donnés. 

Mieux  vaut  revenir  à  notre  sujet. 
Les  officiers  autrichiens  sont  des 
gentlemen  dans  toute  l'acception  du 
terme,  accueillants  et  aimables  pour  les 
camarades  étrangers,  et  surtout  offrant 
leur  hospitalité  sans  la  moindre  affecta- 
tion. Le  genre  de  vie  qu'ils  mènent  est 
très  simple;  l'ordinaire  de  leurs  pen- 
sions, modeste.  Voyez  plutôt  :  à  chaque 
repas,  la  soupe,  le  Ijouilli,  un  légume  et 
un  mets  à  la  farine;  trois  fois  par  se- 
maine, un  rôti  en  supplément.  C'est 
tout.  Leurs  i^elations  mondaines  sont 
presque  nulles  en  général.  Cela  s'ex- 
plique par  la  fréquence  des  change- 
ments de  garnison  —  un  régiment  ne 
séjournant  jamais  plus  de  trois  ans  dans 
la  même  localité. 

Le  général  Kaulbars  dit  à  ce  propos  : 
«  Quiconque  visite  l'Autriche  est 
quelque  peu  étonné  de  ce  fait  que,  dans 
les  salons,  surtout  dans  ceux  de  la  haute 
société,  l'uniforme  de  l'officier  est 
presque  une  exception,  alors  qu'il 
semble  que  l'officier,  en  sa  qualité  de 
défenseur  de  l'unité  de  l'empire  et  de 
l'ordre  intérieur,  devrait,  comme  il 
arrive  en  Allemagne,  prendre  partout 
le  premier  rang.  La  haute  société  autri- 
chienne, encore  imbue  des  idées  du 
moyen  âge,  traite  avec  mépris  presque 


LA    VIE    MILITAIRE    EN   AUTRICHE 


539 


tous  ceux  qui  ne  peuvent  pas  produire 
de  parchemins.  Il  existe  à  ce  sujet  une 
phrase  usuelle  très  caractéristique  : 
Der  Mensch  fa.ngt  ersl  mit  dein  Baron 
nu  (l'homme  ne  commence  qu'au  baron). 
On  va  jusqu'à  dire  que  les  relations 
avec  le  corps  diplomatique  sont,  excepté 
dans  des  cas  particuliers,  interdites  aux 
jeunes  officiers.  Il  est  certain  que  la 
fréquentation  des  cercles  diplomatiques, 
et  surtout  des  cercles  étrangers,  serait  une 
très  mauvaise   note  pour  un  officier.  » 

Est-ce  bien  vrai,  cela?  Cette  absten- 
tion ne  s'explique-t-elle  pas  d'une  façon 
plus  simple  d'après  les  raisons  que  nous 
avons  données? 

Sans  aucun  esprit  de  critique,  voici 
quelques  détails  sur  l'étiquette  mondaine. 

Les  visites  se  font  entre  midi  et  deux 
heures. 

Généralement,  quand  il  n'y  est  pas 
invité  formellement,  l'officier  garde  sa 
coilTure  à  la  main;  sinon,  il  la  dépose 
sous  le  siège  qu'il  occupe.  (En  Alle- 
magne, la  maîtresse  de  maison  bondit 
-sur  vous  et  vous  arrache  votre  coiffure, 
qu'elle  dépose  soit  sur  une  table,  soit 
sur  une  chaise.) 

Pour  les  cartes  de  visite,  il  y  a  une 
réglementation  assez  compliquée,  venue 
en  ligne  droite  de  Berlin.  La  corne  à 
gauche  et  en  avant  signifie  :  «  Je  suis 
venu  vous  voir  et  je  regrette  bien  de 
n'avoir  pas  été  reçu.  »  La  corne  à 
droite  et  en  arrièie  marque  une  visite 
de  condoléance  ou  de  félicitation. 

Plus  habituellement,  ces  messieurs 
portent  sur  leurs  cartes  des  abréviations 
en  un  français  très  louable  comme  in- 
tention, quoique  peu  correct. 

Exemple  : 

p.  f.  —  pour  féliciter. 

p.  f.  /.  n.  a.  —  pour  féliciter  la  nou- 
velle année.  (?) 

p.  c.  —  pour  condoler.  (?) 

p-  P-  c.  —  pour  prendre  congé. 

p.  r.  V.  — pour  rendre  visite.  (Dame!) 

Ce  ne  sont  là  que    détails. 

Le  corps  d'officiers  autrichien  est 
brillant,  aimable,  sympathique  au  plus 
haut  point. 


Et,  pour  nous  résumer,  nous  dirons 
que  l'armée  austro-hongroise  occupe 
avec  honneur  l'une  des  premières  places 
parmi  les  forces  militaires  des  nations 
européennes. 

Elle  sera,  dans  la  prochaine  guerre, 
un  adversaire  très  sérieux;  on  peut  la 
considérer  comme  un  des  éléments 
essentiels  parmi  ceux  qui  interviendront 
pour  résoudre  dans  l'avenir  les  ques- 
tions internationales  encore  pendantes. 

ORGANISATION     K  T       C  Cl  M  1>0  S  I  ï  I  f)  N 

DE 

l'armée     Al'STRO-IKtNGROISE 

L'armée  se  compose  de  :  1°  l'armée 
active;  2°  la  landwehr  cisleithane; 
3°  la  landwehr 
hongroise,  qui 
porte  le  nom  de 
honved ;  4°  du 
landsturm. 

L'empereur 
en  est  le  chef 
suprême. 

Le  s  e  r  \^  i  c  e 
universel  et 
obligatoire  a  été  <^fA* 
introduit  en 
Autriche  après 
la  désastreuse 
campagne  de 
Bohême.  (Loi 
du  5  décembre 
1868,  complétée 
par  celle  du 
II  avril   1889.) 

Il  est  réglé  de 
la  façon  que 
voici  : 

a.  Armée  ac- 
tive : 

3  ans  sous  les 
drapeaux; 

7  ans  dans  la 
réserve. 

h.  Réserve  de  remplacement:  10  ans. 

Cette  réserve  se  compose  de  tous  les 
hommes  qui,  pour  une  raison  ou  une 
autre,  n'ont  pas  été  appelés  à  servir 
dans  l'armée  active. 


SOLDAT 

d'infanterie 
hongrois 


540 


LA    VIE    MILITAIRE    EN   AUTRICHE 


INFANTERIE      BOSNIAQUE 


c.  Landwehr  :  2  ans 
pour  ceux  qui  ont 
servi  dans  Farmée 
active  ou  dans  la 
réserve  de  remplace- 
ment; 12  ans  pour 
ceux  qui  n'appar- 
tiennent pas  aux  caté- 
gories précédentes. 

d.  Landsturm,  se 
composant  de  tous  les 
hommes  valides  de 
19  à  42  ans,  et  des 
officiers  et  assimilés 
de  19  à  60  ans. 

Les  étudiants  en 
médecine  font  un  an 
de  service,  dont 
6  mois  dans  la  troupe 
et  6  dans  les  hôpi- 
taux ou  infirmeries. 
Les    pharmaciens    et 


vétérinaires  servent  également  pendant 
un  an,  mais  sont  employés  dans  leur 
spécialité. 

Les  réservistes  de  la  catégorie  a  sont 
astreints  à  trois  périodes  d'instruction, 
de  4  semaines  chacune  ;  ceux  de  la 
catégorie  h  font  une  période  de  8  se- 
maines et  trois  de  4. 

Les  hommes  de  la  landw^ehr  qui  ont 
servi  dans  l'armée  active  peuvent  être 
rappelés  une  fois  pour  une  période  de 
4  semaines  (les  Hongrois  pour  5).  Le 
landsturm  est  dégagé  de  toutes  obliga- 
tions en  temps  de  paix. 

Le  contingent  annuel,  fixé  pour 
10  ans  par  la  loi  de  1889,  s'élève 
à  125,600  hommes;  103,100  sont  affec- 
tés à  l'armée  active  proprement  dite. 

La  monarchie  austro- hongroise  est 
divisée  en  15  districts  territoriaux,  cor- 
respondant chacun  à  un  corps  d'armée 
et  un  district  militaire  (Zara). 

Chaque  corps  d'armée  se  compose  de 
2  divisions  d'infanterie  (  sauf  celui  de 
Vienne,  qui  en  a  3)  à  2  brigades  de 
2  ou  3  régiments  ;  de  1  brigade  d'artil- 
lerie  à  4  régiments  (dont  1  de  corps  et 


'^ 


3   ^ 


LA    VIE    MIMTAIIIE    EN    AUTRICHE 


541 


3  divisionnaires).  La  cavalerie  est  assez 
inégalement  répartie  entre  les  corps 
d'armée  :   2  d'entre  eux  n'en  ont  pas; 

4  ont  chacun  une  division  à  2  brig^ades; 
un  autre  a  2  brigades  à  3  régiments,  etc. 
Le  lô*^  corps  (en  Bosnie)  n'a  ni  cavale- 
rie, ni  brigade  d'artillerie. 

Infunferie. 

104  régiments  à  4  bataillons  actifs  et 
1  bataillon  de  remplacement  ; 

4  régiments  indigènes  (  Bosnie  )  à 
3  bataillons  de  4  compagnies. 

Les  chasseurs  à  pied  se  composent  de  : 


26  bataillons  de  chasseurs  de  cam- 
pagne et  26  cadres  de  compagnies  de 
dépôt. 


SOLDAT     DU     GÉNIE 


1  régiment  de  chasseurs  impériaux 
(Tyrol),  à  15  bataillons  actifs  et  4  cadres 
de  bataillons  de  dépôt; 


LANDSTCRM     TYROLIEN 

Tous  les  bataillons  sont  à  4  compa- 
gnies. 

Cavalerie. 

La  cavalerie  a  la  composition  sui- 
vante : 

1  escadron  de  Reiter  de  la  garde  ; 

15  régiments  de  dragons  ; 

16  régiments  de  hussards; 
11  de  uhlans. 

Chaque  régiment  est  à  6  escadrons, 
1  peloton  de  pionniers  et  1  cadre  d'es- 
cadron de  dépôt. 

Artillerie. 

L'artillerie  comprend  : 

14  régiments  de  corps  ; 

42  régiments  divisionnaires. 

Chacun  d'eux  est  à  4  batteries  mon- 


542 


LA    VIE    MILITAIRE    EN    AUTRICHE 


ARCHER       («ARDES      DES      PALAIS) 

tées,  2  batteries  de  montagne,  I  cadre 
de  dépôt  et  1  cadre  de  section  de  muni- 
tions. En  outre,  8  régiments  de  corps 
ont  chacun  2  batteries  à  cheval.  Gela 
fait  au  total  (avec  les  batteries  spéciales 
au  territoire  d'occupation)  264  batte- 
ries avec  1,894  pièces. 

L'artillerie  de  forteresse  comporte  : 
6  régiments  à  2  ou  à  3  bataillons. 
Et  3  bataillons  indépendants. 


Pionniers  e(  troupes  techniques. 

15  bataillons  de  pionniers  (à  5  com- 
pagnies chacun,  plus  1  cadre  de  compa- 
gnie de  dépôt  et  1  de  réserve); 

1  régiment  de  chemins  de  fer  et  de 
télégraphes  (à  3  bataillons  de  4  compa- 
gnies et  1  cadre  de  bataillon  de  réserve / 
et  une  école  de  télégraphistes. 

Le  train  forme  3  régiments  à  5  divi- 
sions. 


EFFECTIF. s     DE     PAIX     ET     DE     GUERRE 

Sur   le   pied  de   paix,   l'armée  autri- 
chienne comprend  : 
18,790  ofiiciers; 

273,503  hommes  ; 
21,897  hommes  employés  en  Bosnie; 
13,000  chasseurs  tyroliens  et  hommes 
de  la  landwehr  autrichienne  ; 
19,000  hommes  de  la  honved. 

Soit  :  1 8,790  officiers,  327,400  hommes 
de  troupe,  1,984  pièces  de  canon  et 
52,515  chevaux. 

Sur  le  pied  de  guerre,  son  effectif  — 
non  compris  le  landsturm  —  est  ap- 
proximativement de  1,500,000  hommes 
et  2,200  canons. 

Pour  terminer  ,  disons  que  l'armée 
active  et  la  landwehr  sont  armées  du 
fusil  Mannlicher  (calibre  de  8™'"),  tan- 
dis que  le  landsturm  a  encore  le  fusil 
Werndl. 

Les  pièces  d'artillerie  (calibres  87""" 
et  75°™)  sont  en  bronze-acier,  avec  fer- 
meture Krupp. 

L'Autriche  fabrique  elle-même  son 
artillerie  (Vienne),  son  armement  d'in- 
fanterie (manufactures  de  Steyr  et  de 
Budapest)  et  ses  munitions  (à  Stein  et 
à  Blumau). 

La  cavalerie  est  armée  du  sabre  et  de 
la  carabine,   à   l'exclusion  de   la  lance. 

P.   Di.    Pardi  ELI.  AN. 


1  )  H  A  (;  O  N  s 

Le  précédent  article  évoque  en  nous 
un  détail  particulier  concernant  les  dra- 
gons autrichiens  :  depuis  plus  de  cent 
ans,  ils  portent  le  même  type  de  coiffure. 

C'est  toujours  une  bombe  en  cuir;  la 
chenille   qui   la  surmontait  jadis  a    été 


1893. 


DRAGOXS     RUSSES 


DRAGONS      FRANÇAIS 

remplacée  par  un  cimier,  et  c'est  tout. 
A  part  FAutriche,  il  n'y  a  qu'un  pays 
où  la  coiffure  des  dragons  n'ait  subi  que 
des  modifications  insensibles.  Ce  pays, 
bien  connu  pour  la  stabilité  de  ses  insti- 
tutions et  pour  sa  haine  de  change- 
ments d'uniforme,  c'est...  la  France. 


544 


DRAGONS 


DRAGONS    ;ANGLAIS 


Depuis  cent  cinquante  ans  nos  dra- 
gons portent  le  même  casque. 

En  Prusse,  la  coiffure  des  dragons  a  eu 
bien  des  avatars. 

C'a  été,  pour  commencer,  le  tricorne, 
à  peu  près  semblable  à  celui  des  An- 
glais de  1751,  puis  le  bicorne  placé  en 
bataille,  puis  le  casque  à  chenille. 

Enfin  celui-ci  a  été  remplacé  par  le 
casque  à  pointe  (en  cuir  bouilli)  d'un 
modèle  à  très  peu  de  chose  près  pareil  à 
celui  de  l'infanterie. 

En  Russie,  les  modifications  ont  en- 
core été  plus  pi'ofondes. 

Le  tricorne  en  usage  dans  la  plupart 
des  armées  européennes  vers  1756  fut 
remplacé  par  le  disgracieux  bonnet  en 
fer-blanc,  le  casque  à  mèche  héroïque. 

Celui-ci  fut  détrôné  à  son  tour  par  une 
coiffure  d'un  aspect  assez  original  :  une 
bombe  en  cuir  bouilli  surmontée  d'une 
chenille   allant  d'une    oreille   à  l'autre. 

Puis  vint  le  casque  de  1812,  pareil  à 
celui  des  Autrichiens  et  des  Prussiens, 
surmonté  d'une  crinière  taillée  en  brosse. 
Il  fut  remplacé,  dès  1818,  par  le  shako, 
meuble  de  dimensions  extravagantes,  ne 
pouvant  être  porté  que  par  de  fortes 
têtes.  Celui-ci  fut  détrôné  à  son  tour 
par  le  casque  de  1840,  le  même  que 
celui  de  1786. 

Depuis  1881,  les  dragons  russes  ont 
pour  coiffure  le  bonnet  fourré,  merveil- 
leusement approprié  aux  rigueurs  du 
climat  et  qui,  pour  cela,  restera  défini- 
tivement, selon  toutes  apparences. 

N'oublions  pas  les  Anglais. 

Voici  d'abord  la  tenue  qu'ils  portaient 
à  Fontenoy,  puis  celle  de  la  guerre  d'In- 
dépendance de  l'Amérique,  celle  de  la 
guerre  d'Espagne  sous  le  premier  Em- 
pire ;  plus  loin,  celle  des  dragons  de 
Balaklava  et  Inkermann  ;  enfin  les  Royal 
Scols  Greys  et  les  dragons  de  1893. 

Tout  cela  fait  bien  des  changements, 
en  comparaison  de  la  constance  autri- 
chienne et  française,  et  nous  ne  pou- 
vons que  regretter  une  fois  de  plus  la 
mort  prématurée  d'Aristote.  Ce  n'est 
plus  un  chapitre,  c'est  un  volume  qu'il 
nous  aurait  écrit. 


VIII.  —  35. 


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0  temps  de  loyauté,  de  gloire  et  de  vaillance! 
Sans  reproche  et  sans  peur,  sans  une  défaillance. 
Ils  mouraient,  nos  Bayard,  comme  ils  avaient  vécu, 
Et  vainqueurs,  s'il  fallait  un  poids  à  la  balance, 
Ils  jetaient  le  pardon,  non  le  fer  de  leur  lance, 
S'écriant  :  «  Honneur  au  vaincu  1  » 

Car,  un  soir  de  combat,  Teau  sainte  du  baptême 
A  du  Brennus  antique  effacé  l'anathème  ; 
Le  Sicambre  a  taillé  la  croix  dans  son  épieu  ; 
Sûr  désormais  du  but  vers  lequel  il  s'efforce. 
Il  va  par  les  chemins,  en  sa  loyale  force, 
our  accomplir  l'œuvre  de  Dieu. 

Soldat  du  Christ  armé  pour  la  longue  épopée, 
Le  flambeau,  d'une  main,  et,  de  l'autre,  l'épée, 
Il  sème  aux  bois  profonds  la  divine  clarté; 
Devant  lui  le  gui  sèche,  et  du  chêne  qu'il  touche 
Sort,  verdoyant  rejet  d'une  stérile  souche, 
Le  rameau  de  la  Liberté. 

Et  notre  France  est  née,  et  Dieu  veille  près  d'elle... 
Que  d'au  delà  des  monts  vienne  donc  l'Infidèle  ! 
Que  piaffe  au  sang  chrétien  le  sabot  du  coursier  ! 
Dans  le  terrible  heurt  de  la  lutte  géante, 
11  apprendra  comment  sui'  tète  mécréante 
Sait  marteler  hache  d'acier. 

Vous  le  sûtes  aussi.  Sarrasins  de  Solyme, 
Quand,  du  haut  de  vos  murs  battus  d'un  flot  sublime, 
Vous  voyiez,  vague  immense,  avancer  ces  héros 
Dont  plus  d'un,  loin  des  siens,  comme  feuille  qui  tombe, 
Devait,  pour  mieux  payer  la  rançon  d'une  tombe. 
Semer  la  route  de  ses  os  ! 


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Car  leur  mère  est  la  France  et  pareil  nom  oblige... 
Chaque  âge  fait  éclore  une  fleur  à  sa  tige  ; 
Le  preux  se  change  en  roi  :  le  cercle  d'or  qu'il  ceint, 
S'élargissant  parfois  en  couronne  d'empn-e, 
Devient,  au  lit  de  cendre  où  le  monarque  expire, 
Le  nimbe  radieux  d'un  saint. 

Ah  !  souvent  l'heure  est  rude  et  gros  d'éclairs  l'orage  : 
Mais  plus  haut  que  l'épreuve  a  monté  le  courage  : 
Et,  quand  Durandal  manque  à  l'appel  du  danger. 
C'est  elle,  la  Patrie,  éployant  l'oriflamme. 
Qui,  par  ordre  du  ciel,  prend  les  traits  d'une  femme 
Pour  exterminer  l'étranger. 

Plus  belle  alors  peut-être,  en  ces  jours  de  défaite, 
Forte  de  la  vertu  dont  sa  grande  âme  est  faite. 
Elle  n'a  qu'un  serment  et  l'engage  au  vain(|ucur. 
Afin  de  mieux  prouver  à  la  fourbe  impunie 
Que,  si  du  monde  entier  la  foi  restait  bannie, 
Elle  aurait  pour  temple  son  cœur. 

Et,  tandis  qu'elle  inscrit,  par  la  main  de  l'Histoire, 
Bouvine  et  Marignan  au  front  de  la  Victoire, 
Ferme  en  l'adversité,  souriante  au  bonheur. 
Elle  a,  du  même  trait,  pour  l'éternelle  vie, 
Près  de  ces  noms  fameux  voulu  graver  Pavie 
Où  tout  fut  perdu...  fors  l'honneur! 

L'honneur,  amant  jaloux,  Tiionneur,  c'est  lui  qu'elle  aime 
Le  Lys,  fleur  de  ses  rois,  n'est-il  pas  son  emblème  ? 
Sa  bannière  en  portait  le  signe  immaculé  ; 
Mais,  que  chantât  le  coq  ou  que  tournoyât  l'aigle. 
L'honneur  restait  le  dieu,  l'honneur  était  la  règle 
De  qui  n'a  jamais  reculé. 


f\ 


C'est  pour  lui  que,  le  jour  où  TEurope  se  lève, 
Dédaigneuse  du  nombre,  elle  a  tiré  le  glaive; 
Pour  lui  qu'en  souvenir  du  vieux  bardit  gaulois. 
Elle  inarcliait,  au  bruit  des  strophes  enflammées, 
Faisant  du  sol  sacré  jaillir  quatorze  armées, 
Moisson  riche  de  mille  exploits; 

Pour  lui  que  de  son  astre  éblouissant  la  terre, 
Comme  elle  avait  jadis  brisé  le  cimeterre. 
Quinze  ans  e'.le  enchaîna  les  peuples,  vain  troupeau, 
A  l'essieu  triomphal  de  son  char  de  conquête,  — 
Et,  tel  un  arc-en-ciel,  jeta  sur  la  tempête 
Les  trois  couleurs  de  son  di'apeau. 

Et  cet  honneur,  on  veut  qu'un  peu  d'encre  le  souiHe 
Et  l'on  va  s'étonnant  qu'aux  veines  le  sang  bouille  ! 
Et  ce  drapeau  sorti  troué  dé  cent  combats. 
Drapeau  n'ayant  connu  pour  tache  que  la  poudre. 
On  voudrait,  fol  orgueil,  lui  debout  sous  la  foudre. 
Qu'un  souffle  impur  le  jetât  bas  ! 

Non!...  chassons  loin  de  nous  l'obsession  sans  trêve 
Ce  n'est  pas  un  Français  qui  put  faire  un  tel  rêve  ! 
Car  devant  le  soupçon  brutal,  injurieux. 
Les  Hoche,  les  Condé,  les  Dunois,  les  Turenne, 
Réveillés  à  la  voix  de  la  «  bonne  Lorraine  », 
Se  dresseraient,  morts  glorieux  ! 

G  France,  ô  mon  pays,  soi  de  toutes  les  gloires. 
Toi  qui  de  tes  hauts  faits  as  rempli  les  mémoires. 
Toi  dont  la  coupe  d'or  verse  le  divin  miel, 


Toi.  terrestre  jardin  à  Teiiivrant  arôme 
Que  le  Dieu  de  Clotilde  eût  choisi  pour  royaume 
Si  son  palais  n'était  le  ciel  : 


L'amour  dont  nous  t'aimons  est  une  amour  profonde  ! 
Nous  savons  que  sans  toi  rien  de  grand  ne  se  fonde, 
^    .      Qu'à  ternir  ton  éclat  nul  n'est  assez  puissant, 
^""f       Qu'un  traître  peut  parfois  te  convoiter  pour  proie, 
K^  l\Iais  que,  toujours  aussi,  le  Vengeur  qui  foudroie 
Naquit  des  gouttes  de  ton  sang... 


Et  nous  t'aimons  plus  fort  en  tes  crêpes  de  veuve, 
Car  ta  splendeur  rayonne,  ô  France,  dans  l'épreuve 
La  palme  verdit  mieux  près  de  ton  sein  blessé... 
Ils  viennent,  les  voici,  les  fils  de  ton  génie, 
.Apportant  à  tes  nuits  la  douceur  infinie 
Du  songe  longtemps  caressé; 

g  Les  voici  prêts  à  tendre  à  ta  main  désarmée 
L'outil  du  travailleur  ou  le  fer  de  l'armée, 
—  L'armée,  auguste  espoir  en  qui  nous  avons  foi  !  - 
Et  l'olivier  de  paix,  au  travers  de  ses  branches, 
Laisse  à  nos  yeux  ravis  entrevoir  les  revanches 
Qui  fleuriront  bientôt  pour  toi. 

Stephen    Liégeard. 


A  TRAVERS   LA    NOUVELLE-AUTRICHE 


DU     DANUBE     A    L    ADRIATIQUE 


La  nouvelle,  terrifiante,  se  répandait 
clans  Vienne.  L'archiduc  Rodolphe  ve- 
nait d'être  tué.  Comment?  A  la  chasse, 
disaient  les  uns;  un  mari  jaloux,  affir- 
maient les  autres. 
Finalement,  ce  fut 
un  suicide,  offî- 
ciellement  du 
moins.  Mais,  dans 
le  moment,  un  seul 
fait  se  présentait 
dans  toute  sa  bru- 
talité :  le  prince 
était  morl.  Et, 


Parfois,  une  version  nouvelle  produisait 
une  émotion,  un  incident,  sur  un  point 
ou  sur  un  autre.  Devant  le  guichet,  par 
lequel    on    parvient   aux   appartements 


LK     DÉFILÉ     LE    NA  11  ENTA     PRÈS     GLOCOSNICA. 


comme  il  jouissait  d'une  grande  popu- 
larité, et  qu'il  était  même  très  aimé,  la 
foule,  avide  de  nouvelles,  emplissait  la 
ville,  s'arrachant  les  suppléments  des 
journaux,  encadrés  de  noir. 

La  rue  principale,  le  Graben,  four- 
millait de  monde,  ainsi  que  la  voie  qui 
mène  au  château,  dont  l'immense  cour 
semblait  une  ruche  en  travail.  Dans  les 
groupes,    on    supputait,    on    discutait. 


particuliers  de  l'empereur,  des  gens,  en 
rangs  serrés,  regardaient  silencieuse- 
ment la  porte  fermée,  derrière  laquelle 
devait  se  passer  un  drame  qu'on  de- 
vinait. 

J'étais  du  nombre  et  ne  prenais  garde 
à  ceux  qui  m'entouraient,  lorsque  l'im- 
mobilité troublante  d'un  voisin  me  fit  dé- 
tourner la  tête.  L'impression  fut  curieuse 
et  pleine  de  surprise,  car  j'avais  près  de 


A     TIJAVKHS    LA    X  O  U  V  K  L  L  E- A  U  T  R  IC  II  E 


551 


moi  le  type  le  plus  étrange  que  j'eusse 
jamais  rencontré.  C'était  un  homme  de 
haute  et  large  carrure,  un  vrai  géant, 
couleur  brou  de  noix,  avec  des  yeux 
farouches  et  des  moustaches  démesu- 
rées, que  faisaient  ressortir  le  fez  rutilant 
et  la  veste  de  velours  grenat,  très  cha- 
marrée d'or,  sur  laquelle  s'étalait  tout 
un  arsenal  de  poignards,  de  stylets  et 
d'épingles  en  filigrane  d'argent. 

En  vérité,  cet  homme  incarnait  l'Orient, 
et,  malgré  le  recueillement  du  lieu,  je 
ne  pouvais  détacher  mes  yeux  de  sa 
physionomie  si  captivante.  Puis,  par  ce 
hasard  particulier,  mais  fatal,  qui  met 
quinze  jours  de  suite  sur  votre  route 
une  personne  que  vous  n'y  aviez  jamais 
vue,  je  le  retrouvai,  le  soir  même  et  les 
jours  suivants,  au  restaurant,  où  il  venait, 
suivant  l'habitude  viennoise,  proposer, 
de  table  en  table,  sa  marchandise.  Seu- 
lement, à  l'inverse  des  juifs  qui  ont,  en 
général,  le  monopole  de  ce  petit  com- 
mei'ce,  il  ne  soufflait  mot,  se  plantait- 
devant  vous,  les  yeux  dans  vos  yeux, 
attendait  un  instant,  puis,  qu'il  eût  vendu 
ou  non  vendu,  s'éloignait  dédaigneu- 
sement, pour  recommencer  plus  loin. 
Ses  poignards,  très  primitifs,  à  manche 
de  corne  garni  de  clous,  étaient  enfer- 
més dans  une  gaine  en  bois,  recouverte 
d'une  feuille  de  cuivre  à  soudure  gros- 
sière, et  ses  épingles  à  cheveux,  ter- 
minées par  une  boule  capricieusement 
ajourée,  pesaient  si  peu  qu'on  en  pou- 
vait mettre  deux  dans  une  lettre,  sans 
surtaxe. 

Pourquoi  ces  bibelots  me  donnèrent-ils 
le  goût  de  l'Orient  ?  En  être  si  près,  et, 
par  devoir  professionnel,  n'y  pouvoir 
jeter  un  coup  d'œil.  Les  jours  d'effer- 
vescence ou  d'émeute,  et  ils  sont  nom- 
breux à  Budapest,  j'étais  envoyé  dans 
la  capitale  hongroise;  mais  Budapest 
n'est  pas  l'Orient  !  Enfin,  après  une 
longue  attente,  une  occasion  se  présenta. 
Déplacé,  comme  correspondant  d'un 
journal  parisien,  de  Vienne  à  Rome,  je 
me  rappelai  à  propos  que  tout  chemin 
mène  à  la  Ville  Éternelle...  Et  voilà 
comment,  par  un  beau  matin  de   prin- 


temps, j'eus  la  joie  d'entendre  un  chef 
de  train  crier  :  Bosna-Brod  ! 

Le  voilà,  l'Orient!  Quelques  mé- 
chantes masures,  une  misérable  mos- 
quée :  c'est  peu  de  chose;  mais  c'est  un 
monde  qui  commence,  et  l'impression 
est  aussi  grande  que  si  l'on  mettait  les 
pieds,  pour  la  première  fois,  en  Chine 
ou  au  Gabon. 

Hélas!  pourquoi  faut-il  qu'une  police 
Iracassière  vous  arrache  à  votre  extase  ? 
Des  agents  en  uniforme  bleu  de  ciel, 
coiffés  du  fez  rouge,  qui  désormais 
émaillera  tous  les  pays  que  vous  traver- 
serez, vous  demandent  vos  papiers,  vous 
harcèlent  de  questions,  d'indiscrétions,  et 
ne  vous  remettent  en  liberté  qu'au  mo- 
ment même  où  la  locomotive-bijou  du 
petit  chemin  de  fer  à  0™,76  d'écarte- 
ment  donne,  en  sifflant,  le  signal  du 
départ. 

Nous  sommes  donc  en  Bosnie,  la 
patrie  de  mon  marchand  de  poignards 
et  l'une  des  deux  provinces  qui  forment 
la  Nouvelle-Autriche.  Est-ce  une  illu- 
sion? Mais,  en  vérité,  le  paysage  n'a 
plus  rien  de  commun  avec  celui  que 
nous  avons  laissé  de  l'autre  côté  de  la 
Save.  Les  montagnes  bosniaques  ne  res- 
semblent ni  aux  petites  Karpathes,  ni 
aux  monts  de  Varasdin.  Elles  n'offrent 
pas  ces  arêtes  franches,  ces  envolées 
rocheuses  qui  font  la  beauté  des  Alpes 
bavaroises  ou  tyroliennes  ;  encore  moins 
la  hardiesse  et  la  majesté  du  réseau  de 
la  Suisse;  mais  elles  ont  leur  cachet 
spécial  et  leur  originalité  dans  leurs 
boursouflures  émoussées  qui  s'estom- 
pent au  loin,  bleues  ou  violettes. 

Après  une  course  à  travers  la  plaine 
marécageuse  d'Ivansko,  le  train  s'ac- 
croche aux  flancs  de  collines  escarpées, 
en  décrivant  des  courbes  qui  l'ont  fait 
justement  comparer  à  un  serpent  qui 
cherche  à  se  mordre  la  queue.  On  gagne 
ainsi  la  crête  du  système  orographique 
qui  sépare  les  eaux  de  la  Bosna  de 
celles  de  l'Oukréna.  Là,  les  sinuosités 
s'accusent  encore  davantage  :  c'est  une 
gageure  contre  le  bon  sens,  une  protes- 
tation, par  le  mépris,  contre  les  craintes 


552 


A    TRAVERS    LA    NOUVELLE- A  UTR  IC  II  E 


de  déraillement.    Aussi   le  voyageur  ne   1   vant   à   la   station  de   Dervent,   où,    de 
peut-il  s'empêcher,  malgré  la  nouveauté   \   plus,  il  a  la  surprise  d'un  bulFet  à  l'au- 


LA     SOURCE    DE     LA     COMA  DINA 


de  cette   ascension   serpentine,    de  res- 
sentir un  contentement  très  réel  en  arri- 


trichienne,  bien  fourni  et  pas  cher,  ce 
qui  est  un  doux  répit  quand  on   arrive 


A     TU  A  VERS     LA    XO  U  VEL  L  lî- A  U  T  U  I  C  II  E 


553 


(le  Vienne,  où   tout   est  hors    de    prix. 

De  la  crête  on  descend  comme  on 'y 
est  monté.  De  temps  à  autre,  quelque- 
fois dans  une  gorge  où  le  petit  train 
passe  comme  un  ouragan,  un  village  de 
cabanes  pouilleuses  s'agrippe  aux  aspé- 
rités d'un  roc  abrupt.  La  vision  dure 
une  seconde:  c'est  comme  au  chemin 
de  la  Corniche,  entre  Gênes  et  La 
Spezia,  la  sensation  d'un  paysage  dans 
un  éclair,  avec,  en  plus,  le  minaret 
obligé  —  vrai  minaret,  pas  pour  la 
montre,  pas  pour  la  tradition,  mais  ser- 
vant à  sa  destination,  avec,  au  soir,  le 
muezzin  pour  la  prière.  Maglaj,  sur  la 
rive  droite  de  la  Bosna,  possède  en  plus 
un  caste!  qui  a  l'air  dune  grive  sortant 
dune  croûte  de  pâté.  Il  fut  pris,  pa- 
raît-il, par  le  prince  Eugène  de  Savoie, 
en  1697,  et  fort  récemment,  en  1878, 
malgré  sa  vétusté,  servit  de  théâtre  au 
massacre  d'un  escadron  de  hussards 
autrichiens. 

De  plus  inolTensive  apparence  est  le 
château  délabré  de  Branduc,  qui,  au 
tournant  d'un  roc,  apparaît  soudaine- 
ment au  flanc  d'une  falaise  hérissée  de 
petites  maisons  noires,  suspendues  en 
l'air  et  se  tenant  par  la  force  de  Thabi- 
tude.  Les  Turcs,  qui  l'occupèrent  long- 
temps, le  regardaient  cependant  comme 
imprenable,  et  Ion  tient  sur  son  passé 
des  récits  à  faire  pâlir  les  plus  san- 
glantes traditions  de  l'époque  féodale  : 
on  y  aurait,  dit-on,  découvert  un  puits 
profond  rempli  d'ossements  humains. 
Mais  bientôt  la  vallée  s'élargit,  et  nous 
saluons,  au  passage,  de  véritables  villes, 
comme  Zenica,  centre  industriel  assez 
considérable,  et  Visoko,  dont  les  tanne- 
ries de  cuir  sont  renommées. 

M.  Elisée  Reclus  a  qualifié  la  Bosnie 
de  Suisse  sans  neiges  éternelles  ;  mais 
pour  le  moment  il  en  existe  encore,  en 
un  endroit  au  moins,  car  la  Biélasnika, 
dont  la  cime  dépasse  les  montagnes  vio- 
lettes qui  s'étendent  devant  nous,  en  est 
couverte.  La  beauté  du  paysage  y  gagne 
certainement  et  fait  paraître  moins  mo- 
notone la  traversée  de  la  campagne  de 
Sarajevo.  Nous  sommes  sur  le  territoire 


bosniaque  depuis  dix  heures,  nous  avons 
parcouru  près  de  270  kilomètres,  et  ce 
n'est  pas  sans  une  certaine  satisfaction 
que  nous  saluons  la  jolie  capitale  de  la 
Nouvel  le- Au  triche. 

Sarajevo,  ou  Bosna -Serai,  dont  le 
nom  s'approprie  mieux  à  son  caractère 
oriental,  s'étage  en  pente  douce  sur  les 
deux  bords  de  la  Miljacka  ou  P Aimable. 
Et,  vraiment,  jamais  rivière  ne  fut  plus 
justement  nommée,  car  elle  semble  faite 
pour  le  plaisir  des  yeux.  Sinueuse  et 
garnie  de  plusieurs  ponts  qui  relient  les 
deux  parties  de  la  ville,  elle  baigne  le 
pied  de  maisons  pittoresques,  entre- 
coupées de  jardins  et  de  bouquets  d'ar- 
bres. Des  fleurs,  partout,  nous  souhai- 
tent la  bienvenue;  tout  est  riant  autour 
de  nous;  les  minarets  scintillent  comme 
des  bougies  allumées  :  décidément  nous 
sommes  en  Orient,  et  le  Prater  et  la 
tour  de  Saint-Etienne  sont  bien,  bien 
loin. 

Cependant,  au  sortir  de  la  gare,  l'Oc- 
cident se  rappelle  à  nous  sous  la  forme 
d'un  tramway  —  oh  !  le  seul  de  la 
ville  !  Après  tout,  ce  moyen  de  locomo- 
tion est  le  bienvenu  partout,  et  surtout 
en  un  lieu  où  les  rues  sont  le  plus  sou- 
vent remplacées  par  des  escaliers  bran- 
lants, fort  raides;  aussi  le  prendrons- 
nous  sans  vergogne  pour  gagner  le 
camp  retranché,  construit  dans  les  pre- 
miers temps  de  l'occupation  autrichienne 
pour  assurer  la  sécurité  publique,  très 
menacée,  mais  qui  maintenant,  l'émo- 
tion primitive  calmée,  sert  de  caserne, 
où  l'on  fraternise  entre  képis  et  turbans. 

Cette  agglomération  de  bâtiments  mi- 
litaires n'olTre  rien  de  remarquable,  et 
bien  autrement  curieuse  est  la  manufac- 
ture de  tabac  qui  en  est  proche.  C'est  là 
qu'une  centaine  de  jolies  filles  prépa- 
rent l'herbe  parfumée  d'Herzégovine, 
qui  se  vend  sous  le  nom  de  tabac  de 
Bosnie.  A  l'heure  de  la  sortie  des  ou- 
vrières, c'est  un  spectacle  bariolé  qui 
évoque  l'image  de  Carmen  et  de  ses 
compagnes.  Elles  portent  le  gracieux 
costume  osmanli  :  la  calotte  de  velours 
rejetée    en    arrière,    la   veste    ronde,   le 


554 


A    TRAVERS     LA    NOUVEL  LE- AUTRICH  E 


collier   à    sequins, 
le     pantalon     très 


ample 


ottoman,  marchent  le  visage  découvert, 
c6  qui  donne  raison  au  proverbe  :  o  Va 
en  Bosnie  si  tu  veux  voir  ta  fiancée.  » 
Seules,  les  matrones  et  les  duègnes  por- 
tent encore  le  voile  pudique  des  filles 
de  rislam,  et  même  il  est  si  laid  et  si 
épais  qu'elles  font  l'efTet  de  guerriers 
touaregs. 

Les   hommes    ont    aussi  conservé    le 

vêtement      turc. 

Ils  portent  même 
plus    souvent 


lame 


CONSTRUCTION  DT  PONT  DE  LA  DRINA 

d'or,  et,  contrairement   à  l'usage   |   l'antique  turban.  Et  quelle  couleur  dans 


A     TlîAVKUS     I.A    X0U\M<:LLK-AUTI{1CIIK 


555 


leur  tenue  :  la  vesle  de  soie  claire,  la 
jaquette  écarlate,  le  caleçon  vert,  très 
ample,  les  bas  blancs,  et  les  babouches 
en  cuir  jaune,  pointues  comme  des 
souliers  à  la  poulaine. 

A  côté  de  ces  indigènes,  demeurés 
fidèles  à  la  relig'ion  qui  leur  fut  imposée 
sous  l'occupation  mahomélane,  se  meu- 
vent les  orthodoxes,  qualifiés  de  Serbes, 
venus  des  provinces  danubiennes  ou  de 
la  Galicie  ;  les  catholiques,  identifiés 
avec  les  Croates,  et  les  juils,  immigrés 
d'Espagne  à  l'époque  de  l'Inquisition, 
et  qu'on  appelle,  pour  cette  raison,  les 
Spanicols.  Ceux-là  ont  conservé,  plus 
encore  que  les  autres,  les  traditions  du 
passé.  Ils  portent,  comme  leurs  aïeux, 
la  toque  pointue,  la  lévite  de  couleur,  la 
ceinture  bariolée;  ils  tiennent  à  la  main 
le  bâton  de  Jacob,  et,  comme  dans  tous 
les  pays  qui  leur  donnent  asile,  ils  font 
du  commerce,  petit  et  grand. 

C'est  dans  le  quartier  oriental  de 
Carsia  qu'il  faut  voir  cette  foule  bigar- 
rée, qui  va,  A'ient,  se  croise  et  remplit 
les  ruelles  étroites,  garnies  de  boutiques 
en  bois,  où  se  vendent  les  élolfes 
voyantes,  les  tabourets  incrustés  de 
nacre,  les  pipes  garnies  d'ambre,  les 
bijoux  en  faux  et,  en  général,  toute  la 
bimbeloterie  des  bazars  orientaux.  Un 
parfum  de  pastilles  du  sérail  vous  prend 
à  la  gorge,  vous  suit,  vous  obsède.  \'ous 
pouvez  déjà  vous  croire  à  Constanti- 
nople  ou  au  Caire,  et,  en  vérité,  vous 
n'avez  pas  tort,  car  ces  villes  n'offrent 
rien  de  plus  curieux  que  ce  coin  de 
Sarajevo,  au  milieu  duquel  s'élève  une 
mosquée  du  plus  pur  style  byzantin,  qui 
remonte  au  xvi®  siècle.  Pour  la  visiter, 
nous  chausserons  la  pantoufle  du  pro- 
fane, et  ce  n'est  pas  là  le  moindre  agré- 
ment pour  l'Européen  de  l'Est,  avide 
d'émotions  nouvelles. 

Sur  les  bords  d'un  ruisseau,  le  Kosovo, 
où  nous  passons  en  descendant  de  la 
manufacture  de  tabac,  les  chants  nasil- 
lards, les  grincements  d'archets  sans 
colophane  et  les  accents  lourds  des 
longs  tambours  nous  rappellent  l'espla- 
nade des  Invalides  et  la  rue  du  Caire,  à 


l'Exposition  du  Centenaire.  Mais,  il 
faut  bien  le  dire,  la  musique  turque  est 
un  de  ces  produits  qui  n'ont  de  véritable 
saveur  que  sur  place.  Il  en  est  de  même 
du  fin  moka  qu'on  nous  sert  au  Bend- 
basi-Kavana,  sur  une  terrasse  au  bord 
de  l'eau,  et  qui  ne  coiile  guère  que  deux 
sous  de  notre  monnaie.  0  pays  neufs, 
que  ne  restez-vous  toujours  neufs?  Je 
parierais  que  le  café  se  paye  trois  sous 
maintenant  sur  la  rive  du  Kosovo. 

Mais  nous  avons  encore  à  voir  le 
castel,  d'où  l'on  jouit  d'une  vue  magni- 
fique sur  Sarajevo;  puis  le  palais  du 
gouverneur,  proche  la  mosquée  d'Ali- 
Pacha,  qui  fut,  à  l'intérieur,  le  théâtre 
d'une  mêlée  sanglante,  d'une  vraie  bou- 
cherie, le  19  août  1878.  Mais  cet  inci- 
dent et  plusieurs  autres  du  même  temps 
sont  oubliés,  et  le  soldat  autrichien  et 
le  fonctionnaire  échappé  des  bureaux  de 
Vienne  ou  de  Budapest  se  promènent 
dans  les  rues,  gravement,  et  sans  autre 
inconvénient  que  celui  de  gâter  l'aspect, 
si  pittoresque,  de  la  foule.  Leur  quar- 
tier général  est  la  rue  François-Joseph, 
ou  la  rue  Rodolphe.  Ils  y  trouvent  des 
cafés  viennois,  où  des  garçons  en  habit 
leur  servent  le  café  noir  accompagné  de 
petits  dés  de  sucre  et  suivi  du  verre 
d'eau  traditionnel.  Non  loin  de  là,  un 
lieu  de  plaisir,  les  Folies -Bergère  de 
l'endroit,  envoie  aux  échos  d'alentour 
les  numéros  variés  de  ses  orchestres  de 
dames,  de  ses  bandes  de  tziganes  et  de 
ses  compagnies  de  chanteurs  tyroliens. 

A  ces  enchantements,  nous  préfére- 
rions les  exercices  des  derviches,  qui, 
dans  leur  vieux  couvent,  se  livrent,  les 
jeudis  soirs,  aux  pratiques  de  leurs 
extases  et  de  leurs  contorsions.  Les 
A'i'oussas  sont,  paraît-il,  dépassés  par 
eux,  mais  le  plus  grand  mystère  plane 
sur  leurs  réunions;  et  puis  le  hasard 
nous  a  fait  arriver  à  Bosna-Seraï  tout 
juste  un  vendredi. 

Contentons-nous  donc  de  jeter  un 
dernier  coup  d'œil  sur  cette  population 
si  bizarre,  que  nous  voudrions  connaître 
à  fond,  car  ses  mœurs  sont  distinctes  de 
celles  de  tous  les  autres  peuples.  Il  est, 


556 


A    THAVEHS    LA     NOU  V  E  LLE- A  U  TR  I  Cil  E 


en  Bosnie,  des  compromis  curieux  entre 
gens  de  race  et  de  croyance  opposées. 
Ils  ne  se  fréquentent  guère  entre  ci- 
toyens; mais,  en  bloc,  ils  se  rappro- 
chent. C'est  ainsi  que,  chaque  année, 
la  ville  de  Sarajevo  voit  partir  ensemble 
les    pèlerins    chrétiens    et    les    pèlerins 


la  plaine  d'abord,  avec  des  montagnes 
bleues  d'un  contour  aimable.  Bientôt  la 
ligne  incline  à  gauche,  et  l'on  passe 
devant  la  station  thermale  d'Ilidze-Onis. 
Puis  on  monte  en  pente  douce  vers  le 
mont  Ivan.  La  voie  est  libre,  et,  sur  les 
côtés,  des  troupes  de  cavaliers,  sur  de 


VUE      DE    SA  K  \  I  1    \  O 


mahométans  pour  Jérusalem  et  La 
Mecque. 

Il  y  a  mieux.  Lorsqu'un  Turc  vient  à 
mourir,  ses  proches,  en  le  parant  de  sa 
dernière  toilette,  lui  mettent  en  main 
trois  pièces  d'or  et  un  bâton,  afin  de  lui 
faciliter  le  passage  du  paradis  des  chré- 
tiens, qu'il  faut,  paraît- il,  traverser 
pour  arriver  à  celui  de  Mahomet.  L'ar- 
gent est  destiné  à  séduire  saint  Pierre, 
et  le  bâton  à  le  convaincre,  en  cas  d'hé- 
sitation. 

Nous  quittons  donc  avec  peine  la  jolie 
capitale  bosniaque,  pour  nous  rappro- 
cher de  la  mer,  par  l'Herzégovine.  C'est 


tout  petits  chevaux,  pleins  de  feu,  cher- 
chent à  l'emporter  de  vitesse  sur  le  che- 
min de  fer.  Dans  les  champs,  des 
femmes  décolletées  comme  pour  le  bal 
s'interrompent  de  leurs  travaux  pour  se 
moquer,  à  belles  dents,  de  ces  jockeys 
audacieux.  Ils  luttent  longtemps,  ce- 
pendant; mais,  à  la  fin,  dépassés,  ils 
abandonnent  la  partie. 

Le  chemin  se  déroule  à  travers  des 
prairies  et  des  forêts  de  hêtres ,  il  suit 
ensuite  de  jolies  vallées,  et  finalement 
atteint  la  hauteur  de  l'Ivan.  Là,  soudai- 
nement, le  décor  change.  Tout  à  l'heure, 
c'était  la  douce  verdure,  avec  ses  fleurs 


A      r  l{  A  \-  E  1{  s    L  A    X  C)  i:  \-  i:  I,  L  E -  A  L"l'  l{  I  C  1 1  !•; 


557 


et  ses  fruits;  maintenant  c'est  IHerzé- 
govine  au  sol  pierreux,  aride,  brûlant. 
Les  montaj^nes  all'ectent  des  formes  gro- 
tesques :  on  dirait  l'entrée  d'une  gorge 
infernale,  propre  à  la  fonte  de  balles 
magiques;  on  s'étonne  presque  de  n'y 
pas  voir  chevaucher  des  sorcières  sur 
un  balai  ;  mais  bientôt  le  paysage 
s'adoucit,  s'humanise  et  s'anime.  Sur 
les  bords  de  la  Narenla,  Konjica,  la 
première  ville  herzégovienne,  se  montre, 
encastrée  dans  la  montagne  comme  un 
bas-relief  dans  son  cadre.  La  voie  longe 
le  fleuve,  et  les  beaux  sites,  sauvages 
mais  impressionnants,  se  succèdent  sans 
discontinuer.  On  passe  à  Jablanica; 
puis  le  train  s'engage  dans  le  défilé  de 
la  Narenta. 

Là,  c'est  un  délicieux  chaos.  Le  fleuve 
coule,  torrentueux,  parmi  les  pierres 
tombées  de  la  montagne.  Des  deux  côtés, 
entre  les  rochers  aux  arêtes  fantastiques, 
il  y  a  place  tout  juste,  à  gauche,  pour  les 
piétons;  à  droite,  pour  la  voie  ferrée. 
Quelquefois,  les  premiers  se  hasardent 
au  long  des  rails  pour  les  traverser. 
C'est  ainsi  que,  près  de  Glocosnica, 
nous  croisons,  à  la  sortie  d'un  tunnel, 
une  jolie  fille,  à  la  gorge  nue,  campée 
comme  un  modèle  de  la  statuaire  antique. 
Elle  vient  de  puiser  de  l'eau  à  la  rivière 
et  s'apprête  à  la  remonter  à  son  logis, 
qu'on  se  figure  semblable  aux  cabanes 
primitives  qu  on  aperçoit  deci,  delà, 
pendues  comme  des  cages  d'oiseaux  aux 
murs  des  falaises  les  plus  abruptes. 
Charmante  apparition,  disparue  aussitôt 
qu'apparue. 

Un  peu  plus  loin,  nouvelle  surprise, 
mais  cette  fois  de  la  nature.  11  s'agit 
des  sources  de  la  Comadina,  qui  s'efTon- 
drent  en  cascade  mugissante.  L'aspect 
en  est  des  plus  grandioses,  terriliant 
même,  car  celle  masse  d'eau  se  précipite 
d'une  hauteur  vertigineuse,  non  en 
poussière  ou  en  nappe,  mais  en  paquets 
qui  semblent  une  mer  en  furie,  rompant 
une  digue. 

Deux  heures  durant,  nous  suivons  la 
vallée  de  la  Narenta,  passant  en  revue 
castels,  villages  et  cataractes,  el  tel  est 


le  charme  particulier  qu'on  éprouve  au 
milieu  de  celle  nature  fantastique,  qu'on 
s'en  détache  à  regrel,  quand,  à  l'approche 
du  soir,  le  train  débouche  sur  le  plateau 
fertile  où  s'élève  Mostar,  la  capitale 
de  l'Herzégovine. 

Mostar,  dont  la  vraie  orthographe  de- 
vrait être  MosI  sfar,  qui,  en  slave,  veut 
dire  N'ieux  pont,  doit,  en  elfet,  son  nom 
à  un  pont  très  ancien.  D'une  seule  arche, 
il  s'élève  à  quatre-vingts  pieds  au-dessus 
de  la  Narenta.  C'est  un  travail  d'une 
grande  hardiesse,  que  la  tradition  popu- 
laire attribue  aux  Romains.  D'aucuns  lui 
assignent  même  une  date  fixe  :  98  ans 
après  Jésus-Christ,  sous  le  règne  de  Tra- 
jan;  d'autres  pensent  qu'il  est  l'œuvre 
d'Adrien.  Quant  aux  Turcs,  ils  tiennent 
pour  Soliman  le  Magnifique;  mais  il  est 
plus  probable  qu'il  fut  construit  sous 
les  Slaves,  au  xv«  siècle,  sans  doute 
lorsque,  en  1430,  le  chef  Radivoj-Gost 
s'établit  à  l'endroit  où  se  trouve  Mostar. 
Ce  qui  est  certain,  c'est  que  les  Turcs 
le  firent  réparer  en  1659,  comme  il  res- 
sort d'une  inscription  sur  une  de  ses 
pierres. 

D'après  une  légende  du  pays,  l'ingé- 
nieur chargé  de  sa  reconstruction  fut 
un  chrétien  du  nom  de  Rade,  prisonnier 
des  Osmanlis,  auquel  le  sultan  donna  sa 
liberté  pour  prix  de  sa  réussite,  consi- 
dérée comme  très  problématique;  car 
le  pont  s'était  écroulé  toutes  les  fois 
qu'on  avait  tenté  de  le  rétablir.  De  nom- 
breux ouvriers  y  avaient  perdu  la  vie, 
et  l'opinion  publique  le  regardait  comme 
ensorcelé.  La  fée  A\  ila,  qui  tient  ses 
assises  dans  la  montagne,  avait  même, 
dit-on,  conseillé  d'enfermer  un  couple 
d'amoureux  dans  ses  fondations;  mais, 
en  dépit  de  cet  extrême  moyen,  le  pont 
s'était  effondré,  comme  devant. 

Maintenant  on  y  passe  en  toute  sécu- 
rité; mais  il  est  très  aigu,  très  étroit,  et 
surtout  très  insuffisant  pour  les  besoins 
modernes,  d'autant  que  c'est  le  seul  sur 
la  Narenta,  jusqu'à  son  embouchure. 
Mais  il  suffit  aux  gens  du  pays,  el  les 
étrangers  s'en  contenlent  également, 
car  il  constitue  la  plus  grande  curiosité 


558 


A    TRAVERS    LA    NOU  VELLE- AUTR  IGH  E 


de  la  ville,  qui,  malgré  ses  cou- 
poles et  ses  minarets,  présente 
un  aspect  très  occidental.  Ses 
cafés,  à  l'italienne,  ont  remplacé 
les  bons  kavanas  des  bords  du 
Kosovo;  ses  boutiques,  à  l'eu- 
ropéenne, ne  rappellent  que  de 
très  loin  les  bazars  orientaux; 
et  ses  maisons,  à  toits  vul- 
gaires, font  re- 
gretter les  con- 
structions iné- 
gales, mais  pit- 
toresques en 
diable,  de 
Bosuc 


loin  des  rives  levantines  envoie 
dans  l'air  pur  toute  une  éruption 
volcanique  de  fumée  noire  et  grasse. 
Les  roues  se  mettent  en  mouve- 
ment, et  bientôt  l'Adriatique,  cette 
enchanteresse  aux  yeux  d'azur,  nous 
apparaît  limpide  et  calme  comme 
un  lac  de  la  Suisse...  quand  il  est 
calme. 

Edmond    N  e  u  k  o  m  m  . 


^1> 


RUE     TURQUE    A    SARAJEVO 


Il  faut  donc  le  quitter,  cet  Orient  si 
rapidement  entrevu.  De  Mostar  à  Met- 
kovic,  qui  est  le  port  de  l'Herzég-ovine, 
à  peu  de  distance  de  la  mer,  on  ne  met 
guère  que  deux  heures  en  chemin  de 
fer.  Le  paquebot  qui  doit  nous  emporter 


Ce  récit  coloré  et  inédit  date  de  quelques 
années.  Depuis,  le  gouvernement  autrichien 
a  inauguré  avec  éclat  de  nouvelles  lignes  de 
chemins  de  fer,  mais  rien  n'est  changé  dans 
l'aspect  de  ce  pittoresque  pays. 

N.  d.  i.  n. 


L'ASTROLOGUE    PISAN 


A  Pise,  F'rancesco  Savelli  passait  pour 
fou  depuis  son  retour  de  Grèce. 

Et  comment  croire  qu'il  n'avait  pas 
l'esprit  troublé  par  toutes  sortes  de  chi- 
mères, quand  sa  manière  de  vivre  était 
si  extravagante  ? 

Il  portait  une  longue  robe  de  lin  toute 
blanche,  parsemée  de  signes  mystérieux  : 
il  était  coitTé  d'un  haut  chapeau  pointu 
où  étaient  fixés  une  étoile  d'or  aux  sept 
rayons,  un  croissant  d'argent  et  d'autres 
métaux  aux  formes  bizarres;  il  ornait 
son  doigt  d'une  lourde  bague  dont  le 
chaton  était  formé  de  sept  pierres  pré- 
cieuses rangées  en  cercle  avec  un  dia- 
mant au  milieu  ;  il  ne  chaussait  point 
des  brodequins  de  cuir,  mais  marchait 
les  pieds  enveloppés  de  simples  sandales 
de  toile,  maintenues  par  un  lacet  qui 
serrait  la  jambe  de  sept  tours.  Il  vivait 
dans  un  jeûne  perpétuel,  un  jeûne  tel 
que  les  moines  franciscains  réfugiés  en 
solitaires  dans  une  des  gorges  des  monts 
Pisans  l'auraient  difficilement  observé 
en  temps  de  carême.  Jamais  ne  parais- 
saient sur  sa  table  les  viandes  saignantes 
des  animaux  domestiques,  ni  les  chairs 
savoureuses  du  gibier  tué  sur  la  mon- 
tagne, ni  les  membres  rissolés  d'une  sar- 
celle aux  pattes  noires,  ni  le  long  corps 
tacheté  des  truites  nourries  dans  les 
sources  de  San  Giuliano,  ni  rien  de  ce 
qui  avait  appartenu  à  un  être  vivant. 
Des  herbes,  des  légumes,  des  fruits,  du 
pain  de  froment  et  de  l'eau  formaient 
sa  seule  nourriture.  Pendant  de  longs 
mois  il  restait  renfermé,  invisible,  sans 
communication  avec  personne  autre  que 
sa  vieille  nourrice,  qui  commençait  à 
prendre  les  allures  suspectes  d  une  je- 
teuse de  sorts.  Il  ne  parlait  pas,  et,  si 
quelqu'un  se  hasardait  à  lui  poser  une 
question,  il  semblait  ne  rien  entendre  : 
ses  lèvres  demeuraient  closes  et  immo- 
biles comme  les  lèvres  de  marbre  dune 


statue,  et  ses  yeux,  indifférents  aux  objets 
voisins,  regardaient  bien  loin  quelque 
coin  invisible  de  l'espace.  Dans  de  rares 
occasions  il  avait  rompu  ce  silence. 
Alors,  d'une  voix  douce,  mais  monotone 
et  sans  accent,  il  laissait  tomber  des  mots 
bizarres,  associés  d'une  façon  si  étrange 
qu'ils  formaient  des  phrases  obscures, 
énigmatiques.  inintelligibles. .. 

Cependant  beaucoup  —  surtout  des 
femmes  —  leur  cherchaient  un  sens  : 
car  plus  d'une  fois  le  mystère  s'était 
éclairci  et,  bien  interprétées,  ces  formules 
avaient  pu  s'appliquer  à  des  événements 
qui  s'étaient  réalisés  plus  tard.  Pour 
ceux-là  Francesco  n'était  pas  fou,  mais 
avait  plutôt  le  don  merveilleux  de  pré- 
voir l'avenir. 

Ce  qui  confirmait  les  femmes  de  Pise 
dans  cette  opinion,  c'est  qu'il  avait  une 
longue  barbe  lustrée  et  que  ses  cheveux 
tombaient  en  boucles  noires  sur  sa  robe 
blanche  ;  c'est  qu'il  passait  auprès  des 
plus  belles  sans  voir  l'éclair  curieux  de 
leurs  yeux  ou  la  blancheur  nacrée  de 
leurs  sourires;  c'est  qu'il  était  beau, 
jeune,  de  noble  famille  et  que  dédai- 
gneux de  ces  avantages  il  fuyait  les 
fêtes,  restant  sur  la  tour  de  sa  maison 
la  moitié  des  nuits  à  regarder  les  étoiles. 
Sa  science  devait  être  admirable  :  car  il 
lisait  des  manuscrits  dont  les  lettres 
avaient  la  forme  de  clous  ;  il  traçait  sur 
le  parchemin  des  cercles  avec  des  signes 
inconnus;  il  savait  le  nom  des  astres,  la 
nature  bienfaisante  ou  maligne  des  gé- 
nies qui  les  habitent,  les  influences  que 
les  planètes  projettent  à  travers  l'espace 
et  qui  au  jour  de  la  naissance  marquent 
l'âme  des  enfants  d'un  sceau  indélébile. 

Son  bonheur,  pensaient  les  gens  de 
Pise,  devait  être  d'une  essence  bien  su- 
périeure ou  sa  tristesse  d'une  amertume 
bien  indomptable  :  car  il  ne  s'associait 
à  aucune  des  joies  communes.  La  chose 


560 


L  ASTROLOGUE     l'ISAxN 


leur  paraissait  d  auLunt  plus  étonnante 
que  sept  ans  auparavant  nul  plus  que 
Francesco  ne  montrait  d'ardeur  dans  la 
poursuite  du  plaisir,  de  goût  pour  les 
divertissements,  de  recherche  dans  la 
mise,  dans  la  tenue,  dans  tout  ce  qui 
pouvait  provoquer  Tadmiration.  Avant 
son  voyage  nul  ne  conduisait  avec  plus 
de  sûreté  une  barque  sur  l'Arno,  nul  ne 
chantait  d'une  voix  plus  pénétrante  en 
s'accompagnant  de  la  mandoline,  nul 
n'était  plus  élégant  dans  la  tarentelle, 
nul  ne  disait  un  conte  d'un  air  aussi  fin 
et  en  le  relevant  d'idées  plus  ingénieuses. 
Un  jour  il  était  parti  brusquement  et 
après  une  longue  absence  il  était  re- 
venu tout  autre. 

La  lég^ende,  comme  il  arrive,  avait 
recouvert  la  réalité  de  ses  broderies  l'an- 
taisistes. 

Francesco  n'était  pas  fou  ;  mais  il  avait 
été  si  malheureux  à  la  mort  de  son  amie 
Margarita  qu'aucune  des  consolations 
communes  n'avait  pu  soulager  sa  peine. 
Il  avait  pleuré,  quand  il  avait  entendu 
sa  mère  lui  dire  que  les  hommes  sont 
oublieux;  il  avait  souri  tristement  en 
hochant  la  tête,  quand  ses  amis  lui  par- 
laient d'autres  filles  de  Pise,  et  il  s'était 
fâché,  quand  frère  Bartolomeo  lui  avait 
défendu  sous  peine  de  péché  de  songer 
à  la  morte.  Tant  de  dureté  l'avait  même 
révolté  et  il  avait  rejeté  un  culte  qui 
proscrivait  le  souvenir  des  choses  belles 
et  pures,  comme  Margarita. 

Dans  sa  mémoire  avait  chanté  l'écho 
des  religions  primitives  si  douces  à 
l'amour,  où  les  âmes  communiquent 
entre  elles  malgré  la  mort,  et  il  avait  ré- 
solu daller  bien  loin  cultiver  la  science 
des  anciens  sages.  Pendant  sept  ans, 
perdu  dans  une  bourgade  de  la  Grèce, 
il  avait  suivi  les  leçons  d'un  philosophe 
chassé  de  Byzance  quand  la  ville  fut 
prise  par  les  Turcs.  C'est  là  qu'il  avait 
été  initié  aux  mystères  des  philosophies 
anciennes  et  à  l'antique  sagesse  de  la 
Ghaldée  et  de  l'Egypte. 

Aloi's  il  avait  eu  la  révélation  d'un 
monde  nouveau,  plein  d'ordre  et  d'har- 
monie, où   la   vie   est  partout  présente, 


où  les  mystères  dévoilés  deviennent 
des  instruments  de  puissance.  Point 
d'êtres  morts,  inertes,  formés  d'éléments 
incohérents  ou  hostiles,  mais  des  corps 
pénélrables  à  l'intelligence,  dont  les 
parties  se  tiennent  parles  lois  du  nombre, 
et  qui,  reliés  au  Tout,  subissent  des 
influences  lointaines  et  réglées.  L'homme 
n'est  plus  ce  roi  maussade  de  la  création 
qui  s'isole  dans  son  orgueil,  mais  il  n'est 
qu'un  anneau  de  la  chaîne  universelle 
des  êtres.  Tout  a  un  sens,  et,  par  la 
liaison  réciproque  des  parties,  tout  est 
signe,  manifestation,  symbole! 

Il  n'avait  pas  seulement  ces  enchante- 
ments de  l'esprit,  mais  de  vraies  extases 
où  son  âme,  parcelle  du  divin,  déta- 
chée un  instant  de  son  corps,  semblait 
remonter  à  sa  céleste  origine  et  se  mêler 
au  chœur  des  étoiles,  habitées  toutes  par 
des  génies. 

Dans  une  de  ces  visions  il  avait  vu  la 
morte,  dont  la  robe  blanche  serrée  à  la 
taille  fuyait  en  arrière  et  se  perdait  en 
ondes  vaporeuses.  Margarita  portait  dans 
sa  main  droite  une  marguerite  à  sept 
pétales  et  sa  main  gauche  tenait  un 
anneau  brisé;  ses  yeux,  bleus  comme 
l'azur  du  ciel  de  mai,  étaient  doux, 
mais  fixes.  Llle  était  dans  le  signe  du 
Zodiaque,  sur  lequel  règne  la  vierge  Eri- 
gone,  et  portait  à  son  front  l'étoile  bril- 
lante que  les  Grecs  ont  nommée  Stachys. 
Depuis  cette  époque,  il  n'avait  qu'à 
regarder  l'étoile  pour  évoquer  l'image, 
dont  la  bouche  éternellement  muette  lui 
inspirait  cependant,  par  une  influence 
certaine,  les  hautes  pensées  et  les  pres- 
sentiments d'avenir. 

C'était  surtout  cette  image  qui  avait 
donné  à  son  idéal  philosophique  la  vie 
et  l'eflicacité;  c'était  elle  la  gardienne 
vigilante  de  l'harmonie,  de  la  règle,  de 
la  loi  ;  c'était  elle  qui  lui  rappelait  ses 
résolutions  vertueuses  au  moment  où  la 
passion  menaçait  de  les  exclure  de  la 
conscience.  Quand  l'instinct  frémissait 
et  que  l'idée  du  Bien,  abstraite  et  déco- 
lorée, allait  s'évanouir,  la  figure  de  la 
vierge  se  dressait  devant  lui  lumineuse, 
la  figure  de   la  morte  aimée.  Elle  deve- 


L'ASTKOLOGUK    PISAN 


561 


nait  la  raison  visible,  pleine  de  charme, 
qui  attire,  rend  Tobéissance  agréable  et 
le  dévouement  facile.  Elle  le  défendait 
contre  les  oublis,  contre  les  faiblesses, 
contre  les  entraînements  et  les  retours 
sournois  de  l'habitude  banale.  Elle  l'at- 
tirait en  haut,  lui  faisait  perdre  de  vue 
les  réalités  mesquines  et  l'amenait  à 
concentrer  toutes  les  énergies  de  son 
être  sur  un  point  unique  :  agir  de  façon 
que  l'image  aimée  garde  tout  son  rayon- 
nement, qu'elle  ne  s'obscurcisse  et  ne 
se  voile  d'aucune  ombre  ! 

C'est  pour  cela  qu'il  était  sobre,  pur, 
silencieux,  solitaire,  contemplateur. 
C'est  aussi  pour  cela  que  le  peuple  des 
marchands  le  traitait  de  fou,  mais  que 
les  femmes  prenaient  pour  un  devin  cet 
amoureux  des  étoiles. 


Un  soir  de  mai,  Francesco  était  sur 
la  terrasse  de  la  tour,  autrefois  protec- 
trice de  la  maison  de  ses  pères,  main- 
tenant couronnée  de  créneaux  inutiles 
depuis  que  Pise  —  achetée  200,000  flo- 
rins d'or  —  s'était  engourdie  sous  la 
domination  de  Florence. 

La  lumière  expirait  au  loin  sur  la  mer 
au  delà  des  montagnes  de  la  Corse  ; 
Jupiter  commençait  à  paraître  dans  le 
ciel  près  du  lieu  où  devaient  bientôt 
s'allumer  les  feux  des  Gémeaux  ;  la  nou- 
velle lune,  dune  teinte  l'ousse,  bandait 
lare  qui  blesse  de  ses  flèches  les  frêles 
bourgeons  de  la  vigne.  Le  silence  s'éten- 
dait sur  la  ville  en  même  temps  que 
l'obscurité;  les  rues  ne  bourdonnaient 
plus  des  bruits  de  la  foule  et  les  places 
vides  s'étaient  faites  silencieuses  comme 
le  Campo-Santo. 

Francesco  pourrait  entendre  le  clapo- 
tement des  eaux  qui,  d'un  bruit  mono- 
tone, viennent  frapper  le  pied  de  sa 
tour,  mais  ses  oreilles  restent  fermées 
aux  bruits  d'en  bas  et  ne  troublent  pas 
de  sensations  importunes  son  âme  atten- 
tive aux  voix  intérieures.  Debout,  le 
visage  tourné  vers  le  sud,  il  contemplait 
dans  une  muette   adoration  le  fantôme 

VIII.  —  36. 


sidéral,  lorsqu'un  bruissement  inaccou- 
tumé le  tire  de  sa  rêverie  et  dissipe  sa 
vision  :  un  bruit  plus  doux  que  le  bat- 
tement d'ailes  de  quelque  oiseau  noc- 
turne, aussi  léger  que  le  frémissement 
des  esprits  de  l'air  qui  palpitent  autour 
de  lui  dans  les  soirs  obscurs.  Il  se  re- 
tourne, et  la  surprise  l'immobilise  dans 
son  attitude  quand  il  voit  une  tête 
radieuse  de  femme  qui  émerge  par  l'es- 
calier de  la  tour. 

Du  haut  des  demeures  astrales,  l'âme 
de  la  morte  bien-aimée  a  sans  doute 
entendu  ses  vœux  et,  rassemblant  pour 
lui  la  poussière  vénérée  de  son  corps, 
elle  vient  sous  une  forme  moins  intan- 
gible lui  dire  les  secrets  des  mondes  et 
lui  inspirer  par  une  action  plus  immé- 
diate la  vertu,  cette  puissance  émanci- 
patrice  de  la  vie.  C'est  elle  qui,  touchée 
de  son  amour,  a  consenti  à  quitter  un 
instant  les  sphères  supérieures  pour  lui 
donner  cet  avant-goût  des  joies  célestes, 
c'est  Elle  !  Car  une  femme  vivante  n'a 
pas  cette  figure  aux  blancheurs  lactées 
et  lumineuses,  ni  ces  yeux  qui  éclairent 
l'obscurité,  ni  cette  taille  souple  comme 
les  joncs  qui  se  courbent  au  moindre 
souffle  sur  les  bords  d'un  ruisseau,  ni 
cette  démarche  onduleuse ,  glissante, 
semblable  au  passage  silencieux  du 
nuage  qui  fuit  dans  le  bleu  du  ciel  1 

Pourtant  ce  n'était  pas  elle,  mais  la 
plus  jolie  fille  de  Pise,  la  belle  Paola 
Sismondi  qui,  après  plusieurs  tentatives 
infructueuses,  avait,  cette  fois,  vaincu 
les  résistances  de  la  vieille  nourrice, 
d'habitude  gardienne  inexorable  du  logis 
de  son  maître. 

Le  père  de  Paola  était  un  bourgeois 
à  l'âme  marchande  qui,  dans  ses  rêves 
ambitieux,  voulait  marier  sa  fille  au 
comte  Pozzo  di  Strozzi,  un  riche  sei- 
gneur, mais  capitaine  de  la  garnison 
florentine  et  Florentin  lui-même.  Paola 
avait  tenu  à  consulter  l'astrologue  dans 
l'idée  que  les  astres  seraient  contraires 
à  ce  mariage  et  avec  l'espoir  que  l'in- 
différence de  son  cousin  —  qu'elle  aimait 
—  n'était  pas  sans  remède. 

—  Signor   Francesco,    dit-elle    d'une 


562 


L' ASTROLOGUE     PIS  AN 


voix  douce  et  un  peu  Iremblante,  vous 
qui  avez  la  science  des  anciens  mag^es  et 
qui  pouvez  lire  dans  le  ciel  comme  dans 
un  livre  ouvert  les  événements  futurs, 
regardez  pour  moi  les  astres  et  dites  si 
la  volonté  de  mon  père  ou  la  mienne  se 
réalisera...  Ne  m'entendez- vous  pas? 
Car  vos  lèvres  restent  serrées ,  votre 
figure  semble  de  marbre  et  vos  yeux, 
levés  en  haut,  dédaignent  de  s'abaisser 
jusqu'à  moi.  J'ai  bravé  les  ordres  de 
mon  père  pour  venir  ici  seule,  la  nuil, 
à  travers  l'obscurité  effrayante  des  rues... 
Me  laisserez-vous  partir  sans  me  dire 
un  mot? 

Francesco  demeure  immobile  et  muet. 
Fâché  contre  lui-même  d'avoir  pu  con- 
fondre l'image  céleste  avec  une  forme 
matérielle,  avec  une  beauté  qui  est  l'en- 
veloppe d'une  âme  mal  épurée  des  désirs 
d'en  bas,  il  regarde  plus  obstinément 
l'étoile  et,  dans  un  immense  effort  de 
volonté,  essaye  de  ressusciter  le  fantôme 
aérien.  Inutilement. 

—  Signor  Savelli,  reprend  Paola  d'une 
voix  plus  ferme,  n'est-il  pas  vrai  que  le 
Ciel  condamne  les  mariages  sans  amour  ? 
Le  cœur  d'une  femme  ne  s'achète  pas 
avec  des  florins  d'or,  ni  avec  un  palais 
aux  colonnes  de  marbre  blanc,  ni  avec 
le  triste  honneur  de  commander  sur 
notre  ville  sujette...  Il  se  donne  mais 
ne  se  vend  pas...  N'est-il  pas  vrai  que 
les  astres  se  choqueraient  furieusement 
entre  eux  et  annonceraient  de  grands 
malheurs,  si  je  consentais  à  subir  la 
honte  d'un  pareil  marché?  Dites  un 
mot,  signor,  pour  que  j'aie  la  force  de 
lutter  contre  l'amour  despotique  et  avare 
de   mon   père  ;   dites,  je  vous    en  prie  ! 

Un  petit  tressaillement  passe  sur  la 
ligure  de  Francesco,  mais  ses  lèvres  ne 
s'entr'ouvrent  point  et  ses  paupières, 
qui  n'achèvent  pas  le  clignement  com- 
mencé, se  relèvent  dans  leur  froide 
fixité.  Les  yeux  de  Paola  deviennent 
implorants  et  s'obscurcissent  d'une 
larme.  Elle  dit  sur  un  ton  de  reproche 
attendri  : 

—  Francesco,  vous  ne  vous  souvenez 
donc  plus  de    votre  petite  cousine  que 


vous  conduisiez  en  barque  sur  l'Arno 
les  soirs  d'été?  J'aimais  tant  le  son  de 
votre  voix,  le  rythme  de  vos  chansons 
berceuses  comme  les  vagues  de  la  mer 
Toscane...  Un  jour  que  je  cherchais  à 
cueillir  la  feuille  verte  d'un  nénuphar, 
je  fis  un  faux  mouvement,  je  tombai  et 
j'aurais  été  noyée  si  vous  ne  m'aviez 
retirée  du  fond  de  la  rivière,  déjà  toute 
froide  et  sans  souffle...  Il  aurait  mieux 
valu  pour  moi  mourir  !  Si  j'étais  morte, 
je  ne  souffrirais  plus,  je  ne  sentirais 
plus  au  cœur  cette  blessure  toujours 
saignante  :  la  honte  d'aimer  et  de  n'être 
pas  aimée... 

La  pauvre  blessée  d'amour  ne  peut 
continuer;  sa  gorge  se  serre  et  une 
larme  coule  lentement  sur  sa  joue  comme 
une  goutte  de  pluie  surl'écorce  blanche 
du  bouleau.  Elle  baisse  la  tête,  se  re- 
tourne et  s'en  va  :  ses  pieds  un  peu 
alourdis  traînent  à  regret  sur  la  tentasse 
et  déjà  sa  robe  aux  plis  sinueux  allait 
disparaître  dans  le  noir  de  lescalier, 
quand  l'astrologue ,  ne  pouvant  plus 
longtemps  dompter  sa  pitié,  la  rappelle  : 

—  Viens,  Paola,  dit-il. 

D'un  geste  il  lui  désigne  un  escabeau, 
s'assied  en  face  d'elle,  allume  un  cierge 
dont  la  flamme  un  peu  inclinée  par  la 
brise  fait  pleurer  la  cire,  puis  il  saisit 
sa  main  gauche  qui  tremble  et  il  regarde. 
Il  regarde  la  forme  de  la  main,  la  lon- 
gueur des  doigts,  leur  extrémité  en 
forme  de  fuseau,  les  ongles  arrondis  et 
roses,  les  articulations  à  peine  visibles  ; 
il  examine  les  monts  qui  sont  sous  la 
dépendance  des  différentes  planètes;  il 
cherche  les  signatures  de  chacune  d'elles, 
signatures  qui  sont  les  marques  secrètes 
de  leur  influence,  puis  il  suit  avec  un 
effort  d'attention  visible  le  lacis  inextri- 
cable des  lignes  qui  s'entrecroisent,  se 
coupent,  se  séparent,  se  rejoignent,  se 
brisent,  s'allongent,  se  creusent,  mais 
jamais  au  hasard.  Francesco  regarde 
toujours  :  la  peau  de  son  front  se  plisse, 
les  arcades  sourcilières  se  rapprochent 
et  creusent  un  sillon  à  la  racine  du  nez, 
une  sorte  d'inquiétude  assombrit  son 
visage. 


I.ASTl{()I.<)(;rK     l'ISA  N 


533 


—  Paola,  les  signes  de  ta  main  sont 
jieu  rassurants.  Faut-il  continuera  intor- 
rdffer  l'avenir? 


ses  larmes  de  cire  et,  poiii'  né  négliger 
aucun  indice,  fixe  les  yeux  sur  le  visage 
[Kili  de   sa  cousine.  De   nouveau  la  pu- 
reté (les  lignes,  le  diaphane   de 
la  peau,    l'auréole  des    cheveux 
rappellent  l'image  vaporeuse  de 
a    vierge    sidérale.    Mais    cette 
fois    F'rancesco   ne    s'irrite    pas 
de    cette   union    qui   lui   semble 
plutôt  l'expression 


—  Oui,  balbutie  Paola  dans  un  faible 
murmure. 

L'astrologue  approche  de  la  figure  de 
la  patiente  le  cierge  qui  pleure  toujours 


de  quelque  volonté  supérieure  et  dou- 
cement il  interroge  Paola  sur  l'année, 
le  mois,  le  jour  et  l'heure  de  sa  nais- 
sance. Alors  il  consulte  un  vieux  ma- 


564 


L'ASTIÎOLOGUE     PISAN 


nuscrit,  dont  les  feuilles  de  parchemin 
toutes  jaunies  sont  enfermées  dans  une 
couverture  en  bois,  bordée  d'énormes 
caboches  de  cuivre.  Puis  il  trace  des 
figures,  dessine  des  symboles,  fait  des 
calculs  ;  de  temps  en  temps  il  se  lève, 
regarde  la  position  des  astres  ;  ensuite 
il  s'assoit,  sa  tête  se  penche,  ses  lèvres 
remuent  et,  mal  assuré,  il  recommence 
ses  calculs,  ne  pouvant  se  décider  à 
conclure. 

—  Francesco,  interroge  anxieusement 
Paola,  vos  yeux  se  détournent  et  vos 
lèvres  tremblent  comme  si  vous  aviez 
quelque  terrible  révélation  à  me  faire. 
Est-ce  que  les   présages  sont  funestes  ? 

—  Puissé-je  me  tromper  et  ma  science 
lentement  acquise  n'être  qu'un  jeu! 

—  Quoi  donc?  Vous  m'effrayez... 

—  Quand  l'avenir  est  sombre,  il  vaut 
mieux  se  taire...  A  moins  que  cette 
révélation  ne  tombe  dans  une  âme  cou- 
rageuse qui  soit  capable  de  profiter  de 
l'avertissement. 

—  Dites,  Francesco,  je  tâcherai  d'être 
courageuse... 

Alors  d'une  voix  lente,  grave,  mono- 
tone, l'astrologue  lui  dit  les  mystères 
des  astres,  les  liens  infrangibles  des  con- 
cordances comme  les  hostilités  insur- 
montables des  oppositions  stellaires  :  les 
événements  ne  sont  le  résultat  ni  du 
hasard,  ni  des  volontés  humaines,  mais 
sont  placés  sous  la  dépendance  des 
génies  qui  habitent  les  sphères  supé- 
rieures. Gardiens  vigilants  de  l'har- 
monie, ce  sont  les  astres  qui  dominent 
en  maîtres  sur  ce  monde  sublunaire. 
Toute  la  sagesse  consiste  à  concourir  au 
maintien  de  l'ordre,  à  pénétrer  les  vo- 
lontés de  ces  puissances  dominatrices  et 
à  ne  pas  briser  sa  faiblesse  contre  des 
décrets  invincibles. 

Puis,  d'une  voix  plus  basse  et  un  peu 
attendrie,  il  ajoute  : 

—  Paola,  les  astres  sont  contraires  à 
ton  amour...  Des  malheurs  te  mena- 
cent... Chose  étrange!  l'étoile  de  ta 
destinée  est  rouge  comme  si  tes  mains 
devaient  un  jour  se  teindre  de  sang... 
Je   vois   des  pleurs...    puis  une   longue 


paix  triste...  une  sorte  de  mort  qui  n'est 
pourtant  pas  la  vraie  mort... 

Persuadée  que  tous  ces  maux  vien- 
draient de  son  mariage  avec  le  comte, 
Paola  s'en  alla  toute  triste,  mais  plus 
résolue  que  jamais  à  repousser  la  de- 
mande du  gouverneur. 


Ce  comle  Pozzo  di  Strozzi  était  un 
condoltiere  qui  avait,  suivant  les  ca- 
prices de  la  politique  des  Médicis,  pro- 
mené sa  bande  de  mercenaires  de  Rome 
à  Ferrare  et  de  Naples  à  Milan.  Dans 
ses  courses  guerrières  à  travers  l'Italie, 
il  avait  appris  à  estimer  par-dessus  tout 
deux  choses  :  les  florins  d'or  et  les 
armes.  Certes,  une  bourse  remplie  de 
beaux  écus  d'or  valait  mieux  que  toutes 
les  finesses  diplomatiques  d'un  nonce 
et  les  bons  coups  d'estoc  et  de  taille 
avaient  plus  d'elFet  que  les  phrases 
ajustées  d'un  humaniste  tout  farci  de 
latin.  C'était  un  esprit  lourd  où  n'avait 
pénétré  aucunç  des  nouveautés  intellec- 
tuelles de  l'époque.  Si  par  hasai'd  la  con- 
versation venait  à  tomber  devant  lui 
sur  les  arts  ou  la  philosophie,  il  soule- 
vait avec  peine  ses  paupières  de  plomb 
et  il  s'endormait  effrontément  au  beau 
milieu  dune  période  cicéronienne.  Plu- 
sieurs fois  il  s'était  pris  la  tête  dans  les 
mains  pour  comprendre  comment  les 
riches  et  puissants  Médicis  avaient 
attiré  au  Palazzo  Vecchio  Chrysoloras, 
Argyropoulos  et  d'autres  bavards  grecs. 
Mais  cet  effort  insolite  de  pensée  avait 
inutilement  gonflé  les  Veinules  de  ses 
yeux  et  il  n'avait  pas  compris. 

Maintenant  il  avait  renoncé  à  com- 
prendre :  il  faisait  montre  de  son  igno- 
rance et  l'étalait  aussi  complaisamment 
que  son  manteau  broché  d'or  des  grandes 
cérémonies.  Il  aimait  à  répéter  que  la 
main  d'un  homme  n'est  pas  faite  pour 
manier  des  plumes  d'oie,  mais  pour 
serrer  la  garde  d'une  épée.  Il  disait 
aussi  qu'une  bouche  est  assez  éloquente 
quand  elle  sait  accompagner  son  «  je 
veux  »  d'un  juron  énergique. 


LASTROLOGUE     IMSAN 


b'ib 


Un  soir  de  juin,   il  venait  de   terminer  son   repas  en 
vidant  d'un  trait  une  grande  coupe  d'argent  remplie 
jusqu'aux  bords  de  vin  de  Chypre,  lorsqu'un  domes- 
tique pénètre  dans  la  salle. 

—  Pielro,  as- tu  fidèlement  exécuté  mes  ordres? 

—  Oui,  seigneurie. 

—  Ils  consentent  pour  la  somme  que  j'avais 
fixée  ? 

—  Ils  ont  demandé  le  double.  J'ai  pro- 
mis. Mais  vous  serez  libre.  . 


Il  complète  sa  phrase  d'un  geste  signi- 
ficatif. Le  domestique  a  compris  et  avec 
—  C'est  bon  !  Tu  payeras  tout    Mais   I   un  sourire  : 
à  la  première  occasion...  1       —  Per  dio!  Ce  n'est  pas  la  corde  de 


566 


LASTHOLOGUE    PISAN 


chanvre  qui  manque  à  Pise...  el  sa  sei- 
gneurie pourra... 

—  Tais-toi!  interrompt  brusquement 
le  comte.  Tu  as  bien  dit  :  «  ce  soir,  à  la 
cloche  de  dix  heures  qui  sonne  la  prière 
au  couvent  des  Annonciades?  » 

—  Oui,  seigneurie,  c'est  bien  ainsi 
convenu. 

Le  comte  reprend  ensuite  à  voix  plus 
basse  : 

—  Le  père  de  Paola  a-t-il  consenti  à 
ma  demande? 

—  Il  n'a  pas  fait  de  difficulté  pour 
lui,  mais  il  a  eu  toutes  les  peines  du 
monde  à  décider  sa  fille  à  l'accompagner 
dans  cette  pi'omenade  le  soir  sur  les 
bords  de  l'Arno.  Elle  a  pleuré,  et  ce 
n'est  que  sur  les  plus  vives  instances  de 
son  père  qu'elle  a  consenti  à  supporter 
la  présence  de  votre  seigneurie... 

—  Tu  avais  pourtant  répété  que  c'était 
la  seule  et  dernière  faveur  que  je  récla- 
mais de  sa  courtoisie  ? 

—  Oui,  seigneurie.  Mais  on  dit  quelle 
devient  de  plus  en  plus  extravagante 
par  amour  pour  son  cousin  l'astrologue. 
Elle  refuse  de  manger  de  la  chair,  ne 
prend  plus  part  à  aucune  réjouissance, 
fuit  les  jeunes  filles  de  son  âge,  s'habille 
d'une  pauvre  robe  de  lin  sans  soie  ni 
velours,  et  s'enlaidit  à  étudier  de  vieux 
papiers  que  son  père  lui  achète  pour 
satisfaire  sa  manie...  On  dit  qu'elle 
reste  le  soir  sur  sa  terrasse,  occupée 
aussi  pendant  des  heures  à  regarder  les 
étoiles. .. 

Mais,  impatient  d'être  seul,  le  comte 
renvoie  son  domestique  d'un  geste 
rapide. 

Maintenant  que  l'heure  décisive  ap- 
proche, il  se  sent  troublé,  hésitant.  Ce 
n'est  pas  le  sang  qu'il  redoute  de  verser  : 
car  pour  lui  la  vie  d'un  homme  n'a 
guère  plus  de  prix  que  celle  du  sanglier 
poursuivi  par  la  meute  aboyante  des 
chiens  à  travers  les  pentes  boisées  des 
monts  Pisans.  Mais  est-il  bien  sûr  que 
le  plaisir  de  la  vengeance  l'emportera 
toujours  sur  les  regrets  de  perdre  à 
jamais  l'amour  de  Paola? 

Quand  il  pense  aux  maléfices  de  l'as- 


trologue, il  n'est  point  de  torture  qui 
lui  paraisse  trop  cruelle.  Car  c'est  lui, 
cet  amasseur  de  billevesées,  qui  a,  par 
ses  prédictions  sinistres,  troublé  l'esprit 
de  Paola  !  C'est  par  des  artifices,  des 
sortilèges,  des  incantations  qu'il  est  par- 
venu à  régner  en  maître  sur  ce  cœur 
ingénu  ! . . .  Mais  il  pense  aussi  qu'il  aurait 
beau  le  jeter  dans  une  prison  souter- 
raine ou  le  bannir  du  territoire  de  la 
Toscane,  ce  devin  diabolique  n'en  serait 
pas  moins  —  par  l'aide  servile  des  puis- 
sances de  l'air  —  en  communication 
avec  l'esprit  de  Paola  et  resterait  tou- 
jours son  inspirateur  et  son  guide.  Oui, 
lors  qu'il  ferait  courir  le  poison  dans 
ses  veines,  qu'il  le  coudrait  tout  vivant 
dans  un  sac  pour  le  jeter  dans  l'Arno, 
qu  il  laisserait  son  hideux  squelette  sus- 
pendu au  gibet  et  secoué  par  le  vent 
avec  des  craquements  d'os,  son  image 
exécrée  vivrait  dans  la  mémoire  de  Paola 
et  triompherait  encore  ! 

Il  lui  en  coûte  de  renoncer  même  en 
pensée  à  la  volupté  de  la  vengeance.  Et 
cependant,  si  par  quelque  moyen  il  pou- 
vait conquérir  l'amour  ou  seulement  la 
main  de  Paola,  cela  ne  vaudrait-il  pas 
mieux  encore?  Elle  est  si  belle,  si  jeune 
et  lui  si  isolé  et  déjà  si  vieux  !  Personne 
qui  l'aime  pour  lui  et  non  pour  son  vin 
de  Chypre  ou  pour  son  or  ou  pour 
quelque  faveur.  Des  flatteurs  qui  puent 
le  mensonge,  des  lâches  qui  blêmissent 
à  sa  vue,  des  ambitieux  qui  dressent 
autoui  de  lui  leurs  pièges...  Pas  un  œil 
qui  se  ]  -ve  sur  lui  sans  indifïérence, 
sans  colère,  sans  mépris  ou  sans  calcul  I 
Pas  une  bouche  qui  lui  sourie  et  qui  lui 
murmure  une  caressante  parole  !  Pas  un 
frais  visage  qui  embellisse  son  foyer 
pendant  les  soirs  d'hiver  et  qui  rayonne 
le  bonheur  à  travers  les  chambres  dé- 
sertes de  son  palais! 

A  ces  pensées,  son  cœur  s'amollit  et 
cette  pitié  sur  lui-même  fait  fléchir  sa 
résolution.  Avant  que  l'heure  fatale  ne 
sonne,  il  veut  tenter  une  démarche  su- 
prême auprès  de  l'astrologue.  Pour  se 
le  rendre  favorable,  il  est  décidé  à  agir 
avec  les  ruses  d'un  procureur  ou  l'habi- 


LASTHOI.OdUK     IMSAN 


567 


lelc  d'un  clerc  vieilli  à  la  cour  de  Home  : 
il  veut  le  séduire  par  des  olFres  magni- 
fiques, Tacheter  avec  son  or  ou,  à  défaut, 
le  terroriser  par  la  menace  d'une  mort 
prochaine. 

Escorté  de  deux  gardes,  il  pénètre 
dans  la  maison  de  Savelli  et  arrive  sur 
la  tour  au  moment  où  Francesco  com- 
mençait à  voir  dans  le  crépuscule 
assombri  les  lueurs  enct>re  un  peu  dou- 
teuses de  Stachi/s.  Après  la  visite  de 
sa  cousine  pendant  plusieurs  jours, 
l'image  de  la  morte  Margarita,  rebelle 
aux  invocations,  n'avait  point  paru. 
Mais  depuis,  elle  s'était  peu  à  peu  dé- 
gagée du  nuage  vaporeux  qui  la  cachait 
et  maintenant  elle  avait  repris  aux  yeux 
de  l'amant  la  netteté  de  ses  contours,  la 
Dureté  de  ses  lignes  et  son  radieux  éclat. 

Le  comte  s'avance  et  Francesco  ne 
tourne  pas  les  yeux,  tant  il  craint  que 
le  divin  fantôme  ne  s'évanouisse  de 
nouveau  et  ne  le  prive  du  rayonnement 
de  sa  beauté.  Cette  immobilité  choque 
le  visiteur  qui,  renonçant  aux  habiletés 
oratoires  qu'il  avait  méditées,  éprouve 
le  besoin  de  faire  sonner  ses  titres  : 

—  C'est  le  comte  Pozzo  di  Strozzi,  gou- 
verneur de  Pise,  qui  vient  vous  paider. 

Ces  titres  fastueux  frappent  inuti- 
lement les  oreilles  de  Francesco  qui 
semble  n'avoir  rien  entendu. 

—  Signor  Savelli,  reprend  le  comte  à 
plus  haute  voix,  m'entendez-vous?  Je 
vous  apporte  une  grosse  somme  d'or. 

Même  immobilité  et  même  silence 
chez  Francesco  qui  reste  de  pierre  dans 
son  attitude  contemplative.  Habitué  à 
l'obéissance  servile,  le  comte  s'étonne 
de  ce  silence  prolongé  et,  ne  pouvant 
point  croire  qu'il  est  la  marque  dun 
immense  dédain,  il  continue  ses  offres 
sans  perdre  patience  encore. 

— -  Signor  astrologue ,  rompez  le 
charme  de  Paola  et,  foi  de  Strozzi!  tout 
ce  que  vous  demanderez,   vous  l'aurez  I 

Quelle  folie,  pense  Francesco,  de 
croire  que  le  bonheur  puisse  se  vendre 
comme  on  vend  une  langouste  sur  la 
place  du  marché!  Pauvre  fou  qui  t'ima- 
gines pouvoir  donner  aux  autres  ce  qui 


te  manque  à  toi-même!  Mais  cette 
pensée  intérieure  ne  se  traduit  au  dehors 
par  aucun  mot,  aucun  geste,  aucun 
signe.  Le  comte  s'irrite  d'autant  plus 
que  cette  scène  se  passe  en  présence  de 
ses  gardes,  et  d'une  voix  impérative  : 

— ^  Réponds,  Savelli,  réponds!  ou 
bientôt  tu  auras  à  le  repentir  de  ton 
silence  offensant...  Va  !  je  te  ferai  bien 
ouvrir  ces  lèvres  que  tu  serres  insolem- 
ment l'une  contre  l'autre...  Regarde 
là-haut  tes  astres  et,  s'ils  ne  sont  pas 
menteurs,  ils  te  diront  que  tes  minutes 
sont  comptées...  Moi  aussi,  je  suis  devin 
et  je  te  prédis  que  bientôt  ta  bouche 
toute  béante  poussera  un  appel  inutile... 
Oui,  tu  parleras  en  cris  de  douleur, 
mais  trop  tard  !  Oui,  Sangue  di  Cristo  ! 

Le  gouverneur  part  et  l'astrologue 
délivré  de  sa  présence  sourit.  Que  lui 
importe  la  mort?  Elle  est  un  affranchis- 
sement, une  renaissance,  un  envolement 
délicieux  dans  l'espace...  Son  âme 
allégée  montera  dans  les  sphères  supé- 
rieures, aidée  dans  cette  ascension  par 
Margarita,  la  vierge  qui  brille  resplen- 
dissante dans  le  ciel  les  soirs  d'été, 
Margarita  la  bien-aimée.  Il  lui  semble 
que  les  esprits  de  l'air  lui  chuchotent 
des  paroles  amies  et  il  sourit  de  nouveau. 


Il  est  près  de  dix  heures.  Sur  le  quai 
de  l'Arno,  un  groupe  chemine  silen- 
cieusement. Paola  se  tient  à  côté  de  son 
père  qui  baisse  la  tête  d'un  air  soucieux  ; 
elle  marche  en  regardant  la  tour  où  la 
silhouette  de  son  cousin  se  détache  sur 
l'horizon  droite  et  blanche.  C'est  pour 
lui  qu'elle  vient  de  refuser  encore  une 
fois  la  main  du  comte  qui  a  cherché, 
mais  en  vain,  à  l'elFrayer  de  ses  vagues 
menaces.  Celui-ci  contient  avec  peine 
les  bouillonnements  de  sa  colère;  il 
tord  sa  moustache  d'une  main  fébrile  et 
tourne  à  chaque  instant  la  tête  d'un  air 
impatient. 

Enfin  deux  hommes  glissent  le  long 
des  murs  dans  l'ombre.  Le  comte  qui 
surv^eille  avec  avidité  leur  marche  les 
voit  s'introduire  dans  la  maison  de  l'as- 


568 


L'ASTROLOGUE    PISAN 


Irologue.    Alors   il    se    redresse,    hume 
l'air  embaumé  de  vengeance  et  attend. 

11  n'attend  pas  longtemps.  La  cloche 
des  Annonciades  commençait  à  tinter  la 
prière    du    soir  quand     le    bruit    d'une 
courte   lutte  se    fait  entendre;  puis   un 
grand  cri,  une  chute  lourde  sur 
le    pavé    de    la    rue,   une 
masse     blanche     étendue 
sans  mouvement. 

Paola   se  précipite. 
Quand,  penchée  «it 

,|a(3,i,>i(Jil,'i::.  i 

M 


la  lumièi'e.  Et  elle  priait  pour  l'âme  du 
trépassé  devant  la  flamme  nourrie  d'une 
huile  toujours  pure. 


mh. 


^EiP" 


ï 


'>'' 


sur  le  cadavre  à  la  robe  de  lin  tachée 
de  sang,  elle  a  reconnu  la  face  pâlie  de 
son  cousin,  elle  s'afTaisse  sur  le  sol, 
évanouie. 

Le  lendemain,  elle  coupe  les  longues 
tresses  de  ses  cheveux  et  entre  dans  ce 
couvent  des  Annonciades  qui  avait 
donné,  sans  le  savoir,  le  signal  de 
mort. 

Suivant  la  prédiction  de  l'astrologue, 
elle  y  vécut  de  longues  années  dans  une 
paix  triste.  Comme  insigne  faveur,  elle 
avait  obtenu  d'entretenir  une  lampe  à 
la  mémoire  de  celui  qui  avait  tant  aimé 


Bien  des  années  passèrent.  Paola 
vieillie  priait  toujours  les  yeux  tixés 
sur  l'étoile  terrestre.  Un  soir  d'été,  le 
soir  anniversaire  de  la  chute  sanglante, 
Paola,  malade,  entendait  dans  son  éter- 
nelle angoisse  la  cloche  de  dix  heures, 
dont  le  tintement  se  transformait  de 
plus  en  plus  en  un  glas  de  mort.  Quand 
les  dernières  vibrations  cessèrent,  sa 
poitrine  cessa  de  haleter  et,  en  même 
temps  qu'elle  expira  son  dernier  souffle, 
la  lampe,  jetant  sa  dernière  lueur  trem- 
blante, s'éteignit. 

A.   Baure. 


LE   TOURISME 


Cherchons  (durisnie  dans  un  diction- 
Tiaire...  Tour...  Tourelle...  \o\\h  des 
vocables  qui  sentent  bon  le  tourisme  !.. 
Tourisme    cependant   n'existe   pas  !    Le 


d'hommes  névrosés  chercher  dans  des 
voyages  languissants  l'oubli  de  leur 
ennui,  mais  tout  un  peuple  —  on  peut 
l'écrire  sans  exagération  —  se  ruer  vers 
le  tourisme.  Aujourd'hui  toute  machine 
«  a  faire  du  tourisme  »  est  l'objet  pres- 
que d'un  culte.  Une  bicyclette  est  un 
peu  plus  qu'une  mécanique; 
c'est  la  brave  petite  camarade 
des  jours  de  liberté.  Si  le 
cycliste  a  horreur  qu'une  main 
étrangère  la  touche,  c'est  moins 
peut-être  parce  qu'il 
redoute  une  égra- 
tignure  de  l'émail 
que  parce  qu'il  voit 
impudemment 
manier  l'in- 
strument de 
tant  de  joies 
bien  intimes. 

Littré    eût 
aperçu  le  matin 


mot  n'est  pas 
français  —  et 
la  chose  l'est 
si  bien  pourtant  ! 

Cherchons     touriste. 
Les  dictionnaires  don- 
nent ce  mot.  Littré  le 
connaît;  mais  si  mal  !  Il  nous  enseigne 
que  le  «  touriste  est  l'homme  qui  voyage 
par  curiosité  ou   par  désœuvrement   ». 
Comme  on  devine,  sous  les  lunettes  du 
célèbre  linguiste,    le    coup  d'œil  dédai- 
gneux   dont    il    dut    accompagner    son 
ironique  définition!... 

Mais  faut-il  en  vouloir  à  un  savant 
de  n'avoir  su  apprécier  que  le  tourisme 
des  péripatéticiens  déambulant  dans  le 
jardin  d'Académus  !...  Ah  !  le  beau  tou- 
riste qu'Aristote  ! 

Bref,  Litti'é  mourut  à  temps  pour 
n'avoir  pas  un  démenti  de  son  jugement. 
11     eût   vu     non    plus    une    exception 


des  journées  chômées,  lorsque  le  soleil 
peint  en  blanc  les  routes,  la  fièvre  nou- 
velle secouer  les  villes,  les  touristes  ga- 
gner les  portes  de  l'octroi,  s'y  grouper, 
tournoyer  au  rendez-vous  avec  des  ca- 
marades qui  accourent  suivis  d'autres 
encore.  Ces  hirondelles  en  mal  de  dé- 
part viennent  de  tous  les  quartiers,  de 
toutes  les  maisons,  de  tous  les  étages. 
Il  s'en  amoncelle  des  réeriments  entiers 


LE    TOURISME 


qui  jacassent,  s'appellent,  se  disent 
bruyamment  le  bonheur  du  tourisme. 
Puis  peu  à  peu  tout  s'envole.  Les  tou- 
ristes s'égrènent  dans  les  chemins  divers. 
L'un  reviendra  ce  soir  :  c'est  un  em- 
ployé que  rappellera  demain  l'heure 
maudite  du  bureau  !  Celui-là  pique  vers 
la  Bretagne  :  c'est  un  étudiant  qui  va 
demander  à  la  mer  les  forces  nécessaires 
pour  suivre  ses  cours  de  droit  !. ..  Cet 
autre  part  aux  châteaux  de  la  Loire,  par 
curiosité  certes,  mais  non  par  curiosité 
de  désœuvré,  par  curiosité  saine  d'art, 
pour  satisfaire  en  homme  intelligent 
son  instinct  d'apprendre.  Et  celui-ci 
s'en  va  ne  sachant  où,  s'en  va  où  le 
poussera  sa  fantaisie,  courir  à  travers 
côtes  et  plaines  ;  il  va  s'éreinter  pour  son 
repos.  Connaît-on,  en  effet,  à  la  fatigue 
du  cerveau  d'apaisement  plus  radical 
que  la  fatigue  des  muscles  ?  l'n  roman- 


cier qui  pédale   songe-t-il   au  tracas  de 
ses  romans  ? 

Qu'est-ce   que   ces    mœurs    nouvelles 
du  «  tourisme  »,  dont  le   terme   est  de 
foi'ge  moderne  ? 

Le  tourisme,  je  le  définirais  volon- 
tiers :  le  voyage  libre.  C'est  le  voyage 
avec  ses  charmes  et  sans  ses  ennuis. 
C'est  le  voyage  débarrassé  des 
horaires  des  chemins  de  fer  et  du 
contact  de  co-voyageurs  demi- 
sympathiques  ;  le  voyage  dé- 
livré de  la  volonté  d'autrui 
qui,  pour  vous  rendre  de  Paris 
à  Mantes,  vous  oblige  à  passer 
par  la  rive  gauche  de  la  Seine 
alors  que  vous  auriez  des  pré- 
férences pour  la  rive  droite;  le 
voyage  exonéré  des  conven- 
^  tions  de  la  chemise  empesée, 
du  col  étrangleur  et  des  bottines 
miroitantes  comme  les  joues 
d'un  Soudanais.  C'est  le  voyage  où 
l'on  voyage  pour  soi  seul,  où  l'on 
n'a  pas  le  souci  d'être  vu,  mais  simple- 
ment celui  de  voir  ;  c'est  le  voyage^  étant 
fait  par  roules,  où  la  poussière  est  de 
bonne  tenue,  où  quelques  grains  de 
boue  même  sont  estimés  grains  de  beauté, 
où  la  propi'eté  élémentaii^e  de  bête  civi- 
lisée est  un  minimum  accepté,  où  la 
chemise  de  flanelle  et  les  bas  de  laine 
donnent  à  l'homme  la  liberté. 

Le  vrai  et  bon  tourisme  ne  va  donc 
pas  sans  quelque  goût  d'indépendance 
et  quelque  esprit  capricieux.  Fais  ce 
que  veux  !  Sur  les  voies  ferrées,  il  n'y 
a  par  conséquent  que  des  voyageurs  ; 
il  n'y  a  de  touristes  que  sur  les  routes. 
Lorsqu'un  touriste  pur-sang  entend  par- 
ler de  ces  longues  boîtes  à  roulettes 
remorquées  par  des  locomotives,  où, 
parqués  huit  à  huit,  dix  à  dix,  à  l'instar 
des  chevaux  qu'on  loge  six  à  six  «  en 
long  »,  les  colis  vivants  n'aperçoivent 
du  pays  traversé  que  les  poteaux  télé- 
graphiques qui  montent  la  faction  le 
long  des  rails,  toute  sa  pitié  lui  vient 
aux  lèvres  : 

«  Moi,  dit-il,  qu'ai-je  besoin  d'un  in- 


LK    TOURISMK 


f)'l 


(licaleur?  Je  ne  consulte  que  le  soleil 
et  la  pluie.  Je  pars,  et  j'ai  la  jouissance 
délicate  de  ne  jamais  savoir  l'heure,  dont 
je  n'aurais  que  faire.  Je  cours  sur  les 
chemins,  entouré  d'arbres  et  de  champs 
de  tous  côtés,  seul  dans  mon  océan, 
tantôt  dans  le  fond  d'une  descente, 
tantôt  sur  le  sommet  d'un  raidillon, 
comme  dans  les  va{,''ues.  Voici  des  mai- 
sons; je  déjeune  quand  mon  estomac 
me  dit  que  l'heure  de  la  côtelette  est 
sonnée.  Et  puis  je  m'endors  dans  les 
bois,  s'il  me  plaît,  ou  je  me  laisse 
bronzer  la  peau  dans  les  plaines  ;  au- 
cun domestique  ne  vient  interrompre 
la  rêvasserie  de  ma  cigarette  pour 
m'apprendre  que  le  train  part  à  deux 
heures  quarante-sept.  Tiens,  du  lierre 
sur  des  ruines  I...  C'est  du  Louis  XIII, 
ma  foi!...  Vite,  une  photographie!  Un 
souvenir  de  plus,  à  côté  du  petit  bou- 
vier que  j'ai  enregistré  tout  à  l'heure  à 
l'entrée  de  l'allée  couverte,  poussant  ses 
vaches.  Et  je  roule;  et,  tous  les  kilomè- 
tres, l'horizon  change  de  décor  pour 
moi.  Voici  les  toiles  do- 
rées, pourpres,  peintes 
en  couleurs  feu,  qui 
annoncent  que  la  repré- 
sentation du  jour  V 
cesser.  Où  couche- 
rai-je?  Dans  l'hôtel 
prétentieux  d'une 
ville  ou  dans  l'au- 
berge bon  enfant 
d'une  campagne? 
Mon  bonheur  est  de 
l'ignorer,  et  mon 
indépendance  de 
tout  me  donne  au 
cœur  une  telle 
ivresse,  que  je  vou- 
drais l'herbe  des 
fossés  un  peu  moins 
humide  pour  y  aller 
passer  ma  nuit.   » 

Est-ce  là  un  enthou- 
siasme    disproportionné 
avec      sa      cause?     Qui 
s'étonnera  qu'un  peu  de  lyrisme  agite  le 
touriste  lorsque  tout  à  coup,  la  laisse  dé- 


crochée pour  quelques  heures,  il  se  «  déso- 
cialise »,  n'appartient  pas  à  autrui  et 
redevient  à  lui-même  son  propre  bien?' 


« 
•    « 


Ces  mœurs  nouvelles,  latentes  dans 
toute  âme  humaine,  je  l'espère,  sont 
nées  d'un  simple  progrès  industriel. 
Pour  fuir  au  loin,  partir  à  chaque  sortie- 
à  la  découverte  de  paysages  nouveaux, 
noire  appareil  naturel  de  locomotion 
pourrait-il  suffire?  Jusqu'où  vont  des 
jambes  bien  exercées?  A  dix  kilomètres 
du  lieu  où  elles  reviendront  se  reposer! 
Encore  même  est-ce  un  effort  devant 
lequel  la  majorité  des  fémurs  se  récuse! 

Ce  fut  donc  une  des  géniales  inven- 
tions de  notre  siècle  que  celle  de  la 
«  machine  à  multiplier  les  forces  ambu- 
latoires de  l'homme  »,  le  vélocipède,, 
désormais  un  instrument  classique, 
comme  le  piano  ou  le  fusil,  sous  sa 
forme  légère  et  simple  de  bicyclette  . 


572 


LE    TOURISME 


Ah  !  l'arrivée  de  la  première  bicy- 
•clette  à  Paris,  il  y  a  quelque  douze  ans! 
Quelle  émotion,  naïve  si  l'on  veut,  mais 
si  sentie!  Notre  accoutumance  actuelle 
aux  deux  petites  roues  nous  fait  peut- 
être  sourire  des  élans  d'autrefois  !  Mais 
alors  vraiment  il  sembla  aux  impatients 
du  voyage  libre  qu'une  grande  découverte 
venait  d'êlre  faite  qui  ouvrait  à  leur 
curiosité  toutes  les  belles  contrées  de 
France  ! 

Ce  que  devint  l'outil,  amélioré,  amené 
peu  à  peu  à  la  portée  non  seulement  des 
individus  les  plus  maladroits  et  les  plus 
faibles,  mais  encore  des  bourses  les  plus 
débiles,  on  m'en  voudrait  de  l'écrire. 
Est-il  aujourd'hui  un  coin  de  notre  pays 
■où  une  bicyclette  ne  soit  passée?  Est-il 
une  industrie,  un  commerce,  un  sport, 
métallurgie,  librairie,  tissage,  équi- 
tation,  qu'elle  n'ait  modifiés? 

La  bicyclette  est  évidemment  par 
excellence  l'instrument  du  touriste. 
C'est  la  monture  passe  -  partout,  aux 
pieds  étroits  et  sûrs  qui  galope  sur  un 
ruban  de  terrain  de  dix  centimètres  de 
largeur;  c'est  un  cheval  qu'on  nourrit 
•avec  une  pompe  à  air,  qu'on  abreuve 
avec  une  burette  d'huile,  et  qu'on  porte 
sous  son  bras  pour  lui  faire  sauter 
une  haie;  c'est  la  bête  jamais  lassée 
dont  la  vigueur  n'a  d'autres  bornes  que 
celle  de  son  cavalier  ;  c'est  la  silencieuse 
•qui  ne  trouble  pas  le  calme  des  champs 
et  fdesous  bois  sans  déranger  un  oiseau. 
La  bicyclette  est  donc,  et  demeurera, 
quoi  qu'on  fasse,  reine  du  tourisme. 

Il  serait  plus  juste,  d'ailleurs,  d'écrire 
qu'elle  en  est  seule  la  créatrice.  Elle  a 
révélé  aux  trois  quarts  des  Parisiens 
que  Versailles  n'est  pas  relégué  en  une 
province  trop  barbare,  que  Meaux  n'est 
pas  aux  confins  de  la  frontière  alle- 
mande, et  que  Rouen  porte  quelques 
traces  de  civilisation.  Elle  a  prépai'é  la 
voie  aux  autres  engins  de  tourisme,  a 
fait  désirer  des  machines  plus  rapides 
■encore  qu'elle-même  et,  si  des  voitures 
automobiles  vont  aujourd'hui  de  la  porte 
Maillot  à  la  mer  en  six  heures,  c'est  à  la 
frêle  petite  bécane   qu'elles  le  doivent. 


Les  instruments  de  tourisme  actuels 
rempliraient  d'ailleurs  un  parc  d'ar- 
tillerie. 

Etes-vous  seul,  vigoureux,  sans  désir 
de  vitesses  anormales,  satisfait  de  60 
à  80  kilomètres  en  votre  journée?  Prenez 
la  bicyclette. 

Etes-vous  marié?  Achetez  un  tandem. 
Vous  éviterez  à  votre  compagne  le  souci 
de  la  direction  et  aurez  la  galanterie  de 
lui  prêter  dans  les  côtes  l'aide  de  vos  jar- 
rets. Si,  à  l'instant  du  départ,  vous  la 
voyez  bourrer  dans  les  sacs  de  la  ma- 
chine un  paquetage  d'escouade  entière, 
poussez  l'amabilité  jusqu'à  sourire,  et, 
vous  mettant  en  selle,  songez  bien  que, 
si  les  roses  voyageaient,  elles  empor- 
teraient certainement  leurs  épines. 

Etes-vous  de  tempérament  pressé 
ou  bien,  si  j'ose  le  dire,  êtes-vous  de 
complexion  plutôt  paresseuse?  Voici 
l'instrument  qui  flattera  vos  petits  dé- 
fauts :  le  tricycle  à  pétrole  !  Pour  le 
conduire  en  maître,  un  quart  d'heure 
d'apprentissage,  trois  manettes  à  étudier. 
Pour  l'alimenter,  tous  les  cinquante  kilo- 
mètres, trois  litres  d'essence  et  un  verre 
d'huile.  Ainsi  monté,  les  pieds  immo- 
biles, vous  parcourrez  aisément  vos  huit 
lieues  dans  l'heure. 

Mais  ce  motocycle,  ne  le  trouvez-vous 
pas  bien  égoïste  ?  Quelques  fabricants 
ont  jugé  que  le  public  se  plairait  davan- 
tage à  ces  automobiles-jouets  si  elles 
pouvaient  emporter  deux  personnes  ; 
ils  ont  adroitement  ajouté  pour  une  per- 
sonne de  poids  léger  une  place  à  l'avant. 
La  vitesse  obtenue  demeure  encore  aux 
environs  de  25  kilomètres  à  l'heure. 

Le  tourisme  à  trois,  à  quatre,  à  six, 
se  fait  souvent  en  voitures  automobiles. 
Le  prix  de  ces  machines  dépend  à  la 
fois  de  la  renommée  de  leur  construc- 
teur, de  la  force  de  leur  moteur  et  des 
perfectionnements  de  détail  apportés  à 
l'ensemble.  Une  voiture  à  pétrole  de 
bonne  marque,  de  construction  récente, 
est  toujours  d'une  valeur  élevée. 

Mais  dans  l'échelle  de  tous  ces  prix, 
chacun  peut  se  décider  suivant  ses  con- 
venances et,  si  l'on  faisait  la  balance  de 


LE   TOURISME 


573. 


tous  les   frais,  on  verrait  que  ce  sport 
est  encore  le  moins  cher  de  tous. 

Enfin  si   votre  fortune   vous  autorise 


bon  faiseur  une  roulotte  automobile  ! 
Plus  d'hôtels  jamais,  plus  de  draps  dou- 
teux, plus  de  promiscuités  !  Désormais 


à  réaliser  ce  rêve  exquis  d'être,  en 
grand  format,  le  colimaçon  heureux  qui 
voyage  avec  sa  maison,  commandez  au 


vous  dînerez  avec  votre  fourchette  sur 
votre  table,  sur  l'herbe  aujourd'hui,  sur 
la  mousse  demain  ;  vous  dormirez  chaque- 


LE    TOURISME 


nuit  dans  votre  lit  en  des  sites  toujours 
-chanfés.  11  y  a  ainsi  des  bohémiens 
millionnaires  ! 

Aussi  élait-elle  jolie  l'inspiration  de 
ce  touriste  l'an  dernier  qui,  trop  pauvre 
pour    la   roulotte -maison,    installa    lui- 


même  sur  deux  fines  roues  de  bi- 
cyclette une  légère  cabane  de 
bambous  et  de  toile  où,  le  soir  venu, 
il  se  glissait  et  dormait.  Il  cheminait 
^insi  à  pied,  tirant  par  les  brancards 
sa  frêle  niche.  Il  l'avait  baptisée  du  nom 
grec  à'écocycle,  le  cycle-maison.  Parti 
de  Paris,  il  s'en  fut  de  la  sorte  au  lac  du 
Bourget  et  fitun  voyage  ravissant.  C'était 
d'un  poète  ingénieux.  Que  d'historiettes 
charmantes  inspira  ainsi  le  tourisme, 
amour  de  la  nature,  désir  de  faire  connais- 
sance qu'a  le  Français  pour  sa  France  ! 


Les  cinq  cent   mille   touristes  que  la 
bicyclette    a    levés    chez    nous     forme- 
raient, on  le  conçoit,  si  un  accord  com- 
mun pouvait  les  réunir  pour  la  défense 
de  leurs  droits  ou   la   recherche  de  pri- 
vilèges,   une    armée    vraiment    redou- 
table. On   se    demande    par   exemple  à 
quel  bon  marché   fantastique   un   fabri- 
■   cant     de     casquettes,     de 
maillots     ou     de    lainages 
livrerait    à    chacun   d'eux 
sa   marchandise,   si  le  re- 
présentant de  l'association 
de   tous  les  touristes  fran- 
çais    lui     apportait    cette 
fabuleuse     clientèle.      On 
cherche  également  quelle 
attitude    prendrait   la 
Chambre  si,   dans  chaque 
département,  les  touristes 
s'entendaient    pour  récla- 
mer   tous    énergiquemenl 
auprès    de    leurs    députés 
l'abolition   ou   la  diminu- 
tion de   la  taxe  excessive 
qui  frappe  les  bicyclettes. 
C'est  cette  lourde  tâche 
d'agglomérer  les   uns  aux 
autres    les    touristes    sous 
une   idée    commune,   dans 
un    pays    pourtant    où    la 
cohésion    est     si    difficile, 
qu'a  assumée  le  Touring- 
Club  de  France  et  qu'il  a 
portée     avec    un    éclatant 
succès.  Le  nombre  seul  de 
ses   membres,   qui  va  atteindre   les  six 
chiffres,   est  plus    éloquent   que    toutes 
phrases  qui  voudraient  le  démontrer. 

Le  T.  C.  F.  —  appelons-le  des  trois 
initiales  qui  brillent  à  la  boutonnière 
de  ses  adhérents  —  poursuit  un  double 
objet  :  défendre  les  cyclistes  dans  leurs 
revendications  et  leur  procurer  les 
avantages  auxquels  leur  nombre  et  leur 
qualité  leur  donnent  droit. 

Défendre  les  touristes  n'est  pas  une 
sinécure.  Chaque  semaine  se  dresse 
quelque  cas  particulier  de  douane,  de 
passage  à  niveau,  de  circulation,  etc., 
qui,  généralisé,  intéresse  au  plus  haut 


LK    TOUHISMK 


575 


point  le  monde  lourisle.  Le  comité  de 
contentieux  de  Tassociation  prend  en 
mains  la  cause,  la  soutient,  et  par  là 
établit  peu  à  peu  une  jurisprudence 
précieuse  pour  tous.  Pour  exemple,  je 
rappellerai  que  c'est  aux  efîorts  con- 
stants du  T.  G.  F.  que  nous  devons  le 
rèfjlement  de  circulation  enfin  raison- 
nable qu'a  donné  aux  cyclistes  le  mi- 
nistère de  l'intérieur. 

Procurer  des  avantag'es  aux   to 
n'est     pas    une    moindre  difli- 
culté     que    les    défendre.     Le 
T.   G.   F.  installe  dans  chaque 
ville,  dans  chaque  localité 
importante,     un    délégua, 
personne  toujours  notable, 
qui     met    son   expérience 
des  hommes  et  des  choses 
du    pays  à   la   disposition 
du     u    touringuiste  >'     de 
passage.  G'est  là  un  cama- 
rade  inconnu   qui   dit    en 
quel    hôtel  la  table   est  le 
mieux    garnie    et    les    lits 
sont    le    moins    durs,    où 
sont  les  curiosités  à  visiter, 
par  quelle   route  enfin   se 
poursuit    l'itinéraire    pro- 
jeté. 

Le  T.  G.  F.  veille  au 
touriste  jusque  sur  la  route 
même.  Sa  caisse  remercie 
les  cantonniers  du  soin 
qu'ils  prennent  du  macadam  ;  souvent 
aussi  elle  met  à  sa  charge  la  réfection 
entière  d'une  route  de  grand  passage  et 
notoirement  détériorée...  Tout  à  coup, 
au  détour  du  chemin,  un  poteau  de  fonte 
se  dresse,  tout  bleu,  avec  cet  écriteau  en 
lettres  blanches  :  «T.  G.  F.  —  Attention  ! 
Descente  dangereuse  !  »  Le  cycliste  est 
prévenu,  le  voituriste  s?rre  le  frein. 
Voilà  peut-être  un  accident  conjuré. 
Au  pont  du  Ramingao,  plusieurs  fois  des 
cyclistes,  emballés  dans  la  descente  ra- 
pide, avaient  franchi  le  parapet  et  s'é- 
taient tués.  Le  T.  G.  F.  fît  placer  un  filet 
au-dessus  du  trou  il  y  a  deux  ans  ;  plus 
de  dixcyclistes  déjà  s'y  sonlfaitprendre, 
penauds,    mais    réellement    convaincus 


des  services  que  rend  l'association  ! 
Bref,  le  Touring-Club  de  France  est 
le  ministère  du  tourisme.  Gontre  la 
minuscule  cotisation  annuelle  qu'il  de- 
mande à  ses  membres,  que  d'amélio- 
rations n"a-t-il  pas  apportées  déjà  à  la 
situation  difficile  jadis  d'excursionniste  ! 
Que  d'encouragements  n'a-t-il  pas 
fournis    à  ces  nouvelles   mœurs  qui  re- 


font au  corps  et  à  l'esprit  leurs  forces  et 
leur  santé? 

L'n  pays  a-t-il  donc  à  gagner  à  la 
propagation  du  tourisme?  Répondons  à 
la  question  par  l'analyse  des  effets  que 
produit  sur  la  société  et  sur  l'individu 
l'habitude  du  voyage  par  les  routes. 

Pour  le  pays  même,  le  tourisme, 
c'est  la  rénovation  des  routes,  de  leur 
commerce,  de  leur  vie,  que  les  dili- 
gences avaient  emportés  avec  leurs  der- 
niers postillons;  c'est  la  revanche  des 
bourgades  jadis  prospères,  des  auberges 
autrefois  achalandées,  sur  le  chemin  de 
fer  qui  les  avait  amenées  à  l'agonie; 
c'est  la  décentralisation  si  demandée  de 


576 


LE    TOURISME 


la  capitale  et  des  grandes  villes  vers  les 
banlieues  et  la  province,  le  commerce 
plus  g-énéralisé  et  partout  le  bien-être. 
Pour  le  pays  encore,  le  tourisme, 
c'est  une  immense  industrie  neuve,  aux 
usines  innombrables,  qui  le  vivifie  ;  c'est 
un  antidote  contre  le  jeu  du  dimanche 
et   contre    l'alcoolisme.   C'est    un    lent, 


La  liberté?  L'essence  même  du  tou- 
risme en  est  faite.  Marche,  touriste,  to» 
seul  maître,  désormais,  c'est  toi! 

L'égalité?  Le  touriste  est  aux  prises- 
avec  les  forces  aveugles  de  la  nature  ou 
des  choses,  pour  qui  l'argent  et  le  nom 
ne  sont  rien,  contre  qui  l'intelligence  et 
l'adresse  sont  tout.  L'égalité  devant  la 
côte  pénible,  devant  la  machine 
brisée  et  devant  l'orage,  l'égalité 
môme  devant  la  mauvaise  ome- 
lette de  rencontre  que  les 
pièces  d'or  n'amélioreront  pas, 
l'égalité  devant  la  fatigue  et  le 
découragement  sont  de  petites 
écoles    dont    les    esprits     sages 


mais  sûr  l'éforma- 
teur  d'une  race. 

Pour  l'individu, 
le  tourisme  est 
mieux  encore  que 
le  vivifiant  d  élite 
de  ses  poumons  et 
de  sa  chair,  mieux 
que  le  guérisseur 
infaillible  de  tant 
de  maladies  dues 
à  l'inaction,  mieux 

même  que  le  professeur  profond  de  son 
esprit;  c'est  le  grand  philosophe  qui 
enseigne  le  courage  et  l'initiative.  Il 
n'y  a  pas  de  tourisme  plaisant  pour  les 
lâches. 

Nos  monuments  nationaux  portent 
gravés  sur  leurs  flancs  les  trois  mots  : 
Liberté,  Egalilé,  Fraternité,  qui  indi- 
quent du  moins  l'idéal  vers  lequel  tend 
notre  civilisation.  Il  n'est  pas  lieu  ici 
de  mesurer  la  distance  qui  sépare  en- 
core la  pratique  de  la  théorie.  Mais 
quelle  institution,  mieux  que  le  tou- 
risme, met  à  exécution  ce  libéral  pro- 
gramme? 


comprennent  l'enseigne- 
ment élevé. 

La  fraternité?  Croyez 
bien  qu'un  cycliste  sur  route  n'inter- 
roge pas  tout  d'abord  son  camarade 
d'aventure  pour  savoir  s'il  est  prince 
ou  manant.  A  l'infortuné  qui,  loin  de 
secours,  se  lamente  prosaïquement  sur 
son  pneumatique  crevé,  le  touriste  qui 
passe  ne  demande  pas  si  ses  mains  sont 
caleuses  ou  douces.  Tenez,  voici  ma 
pompe;  prenez,  voilà  ma  dissolution  !... 
Je  l'écris  en  souriant;  je  le  pense  gra- 
vement. 

La    route    est    bonne    conseillère    du 


L.   Baudry    de    Saunier. 


LES    SCEAUX 


1 


I/élude  des  sceaux,  comme  celle  des 
chartes,  a  pris  depuis  quelques  années 
un  très  };rand  essor.  Outre  que  ce  sont 
des  documents  historiques  qui  olFrent 
un  très  f,n-and  intérêt,  ils  sont  de  [)lus  la 
preuve  manifeste  qu'au  moyen  âge  le 
sentiment  de  Tart  avait  pris  chez  nous 
un  assez  grand  développement. 

Les  sceaux  proprement  dits  nont  pas 
été  connus  des  temps  anciens,  c"est-à- 
dire  des  Assyriens,  des  Égyptiens,  des 
Grecs,  ni  même  des  Romains.  Cepen- 
dant c'est  chez  ces  peuples  qu'ils  trouvent 
leur  origine.  Sans  doute,  il  n'y  avait  pas 
chez  eux  des  sceaux,  dans  l'acception 
que  nous  donnons  à  ce  mot,  c  est-à-dire 
des  coins  de  métal  qui  représentent  le 
moule  ou  la  planche  de  la  gravure;  mais 
il  existait  des  pierres  lines  intaillées, 
enchâssées  dans  le  chaton  des  bagues, 
qui  tenaient  lieu  de  sceaux  à  cette 
époque  reculée.  Si  réellement  —  ce  qui 
est  incontestable  —  le  sceau  a  été  la 
marque  de  l'individu  et  comme  son 
représentant,  servant  à  témoigner  de  sa 
présence,  de  son  consentement,  de  sa 
possession,  ou  même  d  un  droit  quel- 
conque, on  peut  dire,  sans  crainte  d'er- 
reur, qu'il  a  dû  exister  dès  les  premiers 
temps.  Le  besoin  d'une  telle  marque, 
d'une  telle  représentation,  n'a  point  pu 
ne  pas  se  faire  sentir.  Et,  de  fait,  Ihis- 
toire,  lue  et  étudiée  avec  intelligence, 
nous  fait  connaître  que  ce  double  instinct 
de  la  propriété  et  de  la  personnalité 
avait  de  bonne  heure  trouvé  son  expres- 
sion. Ce  n'était  pas,  je  le  répète,  la 
plaque  de  métal  à  laquelle  nous  donnons 
et  nous  réservons  ce  nom  de  sceau,  mais 
c'était  un  autre  objet,  une  autre  matière 
qui  avait  encore  une  autre  destination, 
mais  avait  aussi  celle-là. 

L'anneau  que  Pharaon  tira  de  son 
doigt  pour  le  donner  à  Joseph,   en  lui 

VIII.  —  37. 


conféranl  lautorilé  suprême,  était, 
d'après  iMabillon  {De  re  diplomalica),  un 
anneau  sigillaire;  cet  acte  équivalait  à 
la  remise  du  sceau  de  l'Etat.  C'est  à 
coup  sûr  le  premier  exemple  que  l'his- 
toire nous  fournisse;  ce  qui  ne  signifie 
nullement  que  le  sceau  ait  été  inventé 
du  vivant  du  fils  de  Jacob,  ni  môme  qu  il 
doive  son  origine  aux  Egyptiens.  Car, 
presque  à  la  même  époque,  des  objets, 
tenant  assurément  lieu  de  sceaux,  sont 
répandus  chez  les  .Assyriens  et  les  Baby- 
loniens. 

Le  musée  du  Louvre  en  possède  plu- 
sieurs qui  ont  été  trouvés  à  Khorsabad, 
et  qui  portent,  avec  des  inscriptions 
cunéiformes  gravées  en  creux,  l'efligie 
d'un  roi  d  Assyrie.  D'autres  représentent 
un  animal  fantastique  combattu  par  une 
divinité.  Ce  sont  en  général  des  pierres 
dures  qui  ont  plus  particulièrement 
servi  d'amulettes,  de  talismans  pour  la 
protection  des  personnes  qui  les  por- 
taient, mais  qui  servaient  aussi  à  mar- 
quer des  objets.  Nous  ne  prendrons 
comme  témoin  de  cette  double  destina- 
tion que  le  petit  cylindre  de  jaspe  rose, 
conservé  au  cabinet  royal  de  La  Haye  e( 
qui  a  appartenu  à  Ourçana,  roi  de  Mou- 
çacir,  au  viii''  siècle  avant  Jésus-Christ. 
Il  porte  en  efTet,  en  caractères  cunéi- 
formes, qu'il  est  le  «  sceau  d'Ourçana, 
roi  de  Mouçacir  »  ;  et  quelques  autres 
mots  attestent  sa  puissance  protectrice. 

Les  Grecs,  un  peuple  artiste  s'il  en 
fut  jamais,  n'eurent  pas  non  plus  des 
sceaux  proprement  dits  ;  mais  ils  enchâs- 
sèrent dans  le  chaton  de  leurs  bagues 
des  pierres  dune  grande  finesse,  in  tail- 
lées, avec  le  nom  d'un  homme,  écrit  au 
rebours,  ce  qui  les  caractérise  très  bien. 
Indubitablement,  ces  bagues,  si  elles 
servaient  d'ornement,  étaient  aussi  des- 
tinées à  donner  des  empreintes  sur  une 
matière  molle,  de  la  cire  ou  de  la  craie 
d'Asie.  Ces  cachets  des  Grecs  représen- 


578 


LES    SCEAUX 


talent  des  figures  mythologiques,  des 
personnages,  de  simples  léles,  quelque- 
fols  aussi  des  scènes  entières,  comme 
l'enlèvement  de  Proserplne.  On  conçoit 
quelle  finesse  devaient  exiger  de  tels 
sujets  sur  un  si  petit  champ  d'exécution. 
Aux  amateurs,  on  peut  conseiller  de 
visiter  les  musées  de  Paris,  de  Vienne, 
de  Ne^^'-York.  Ils  seront  émerveillés  de 
la  délicatesse  de  ces  intailles  grecques. 
La  g"lyptique,  ou  l'art  de  graver  sur  les 
pierres  précieuses,  n'a  jamais  fait  plus 
beau.  Quelle  beauté,  quel  fini,  par 
exemple,  dans  cette  intaille  du  musée 
de  New- York,  représentant  la  Némésis 
antique  faisant  un  geste  de  menace  et 
accompagnée  d'un  serpent  lui  aussi 
menaçant  ! 

Les  Romains,  comme  on  le  sait,  furent 
de    grands    admirateurs    de    l'art    grec. 
Combien  de  chefs-d'œuvre  ne  transpor- 
tèrent-ils pas  à  Rome,  à  l'époque  de  la 
conquête    de    la    Grèce,    et  même   plus 
tard!    Pourtant  ils   ne   se   contentèrent 
pas  de  piller  ce  pays  et  de  s'approprier 
une  grande    part    de    ses    richesses,    ils 
essayèrent  aussi  d'imiter  les  œuvres  de 
génie  de  ce    peuple;   et,  s'ils  restèrent 
inférieurs  presque    en    tous  genres,   ils 
n'en    ont    pas    moins    la  gloire   d'avoir 
marché  sur  les  traces  de  leurs  devan- 
ciers, de  les  avoir  suivis  de  près,  de  les 
avoir  même  égalés  peut-être,  au  moins 
pour  l'éloquence.  Dans  la  glyptique,  ce 
traA'ail  délicat  par  excellence,  ils  demeu- 
rèrent au-dessous.   Les   sujets  les  plus 
intéressants  pour  nous  sont  ceux  qui  ont 
appartenu  aux  principaux   personnages 
connus.  Sur  l'anneau  de  Sylla,  on  voyait 
Jugurtha  dans  les  fers,   et,  sur  celui  de 
Pompée,  un  faisceau  de  trophées.  Celui 
de  Jules  César  possédait  au  centre  une 
Vénus  armée  ;  celui  d'Auguste,  un  sphinx, 
n  pai'aît  même  que  ce  dernier  ne  plut 
pas  à  une  certaine  catégorie  de  citoyens 
romains,  ceux  qui  sans  doute  déploraient 
la  perte  des  libertés  publiques;  ils  pré- 
tendirent que  le  princeps  —  ainsi  appe- 
lait-on   Auguste  —  scellait   ses  lettres 
de   mystérieuses   énigmes.  L'opposition 
cria  si  fort  que  le  sphinx  fut  supprimé 


et  remplacé  par  une  tête  d'Alexandre  ! 
Et,  chose  singulière,  cette  tête  servit 
ensuite  de  cachet  à  tous  les  empereurs  jus- 
qu'à l'avènement  de  Galba.  On  n'ignore 
pas  combien  absolu  devint  le  pouvoir 
des  empereurs.  L'un  d'eux  poussa  —  il 
faut  dire  le  mot  —  sa  folie  jusqu'à 
nommer  consul  son  cheval  favori.  Il  ne 
faut  donc  pas  s'étonner  que  Commode 
ait  eu  l'audace  de  cacheter  ses  ordres 
impériaux  avec  l'effigie  de  sa  maîtresse 
Marcia. 

A  cette  époque,  le  chaton  prit  de  plus 
gi'andes  proportions,  et,  au  lieu  d'une 
pieri'e  précieuse,  il  ne  porta  le  plus  sou- 
vent qu'un  champ  de  métal,  en  or,  en 
argent  ou  même  en  fer,  mais  toujours 
également  gravé.  C'était  le  commence- 
ment des  sceaux.  Il  n'y  avait  plus  qu'une 
seule  différence  :  malgré  leurs  propor- 
tions, ces  plaques  de  métal  étaient  encore 
fixées  à  l'anneau  ;  et  ce  que  nous  dénom- 
mons proprement  un  sceau  n'est  qu'un 
objet  qui  a  été  spécialement  destiné  à 
donner  des  empreintes. 

A  côté  des  empereurs  païens,  l'anti- 
quité chrétienne  nous  a  aussi  laissé  des 
gemmes  finement  travaillées  et  repré- 
sentant, qui  le  Christ,  qui  la  Vierge,  qui 
les  anges  ou  même  saint  Pierre  et  saint 
Paul.  D'autres  aussi  offrent  des  sujets 
symboliques  :  une  colombe,  un  poisson, 
une  croix.  Il  n'y  a  pas  jusqu'à  la  secte 
des  gnostiques  qui  n'ait  eu  ses  anneaux 
sigillaires,  entre  autres  celui  dont  la 
pierre  portait  le  type  d'Abraxas  Panthée, 
ce  personnage  fantastique  à  la  tête  de 
coq,  aux  jambes  terminées  en  queue  de 
serpent,  et  qui  portait  pour  armes  un 
fouet  et  un  bouclier. 

Les  Romains  léguèrent  aux  peuples 
qui  leur  succédèrent  l'usage  de  sceller 
et  de  cacheter  avec  leurs  intailles. 
Cependant  il  ne  paraît  pas  que  les  rois 
barbares  aient  employé  tout  d'abord,  et 
communément,  les  pierres  précieuses. 
Ils  les  gardaient  plutôt  comme  des  objets 
curieux  et  leur  préféraient  des  anneaux 
d'or  avec  plaque  de  même  métal. 

Il  faut  arriver  aux  Carlovmgiens  pour 
voir  reparaître  communément  la  pierre 


I.KS    SCKAIX 


570 


liiie  sij;ill;tiro.  (lliarlemayiic,  le  pt're 
(111110  i)remii>re,  bien  que  modeste,  re- 
naissaiite  artistique  et  littéraire,  adopte 
piiur  sceaux  deux  intailles  adniira])le- 
menl  ti-availlées  et  conservées  parfaites. 
Pour  ne  parler  que  de  l'une  d'elles,  c  est 
un  Jupiter  Serapis  aux  cheveux  bouclés, 
à  la  barbe  irisée,  le  mocliiis  sur  la  tète, 
tel  enlin  que  le  représentent  les  chefs- 
d'œuvre  de  la  sculpture  antique.  Cette 
pierre  était  montée  en  bajoue,  bien 
qu'elle  ait  0"','i8  de  diamètre.  Sous  les 
successeurs  de  ce  fi^rand  prince,  on  grava 
sans  doute  sur  le  cristal  de  roche,  mais 
très  souxent  aussi,  le  plus  souvent  peut- 
être,  sur  une  pâte  de  verre  imitant  tout 
à  fait  la  cornaline.  Alors  les  cachets 
montés  sur  bagues  prirent  de  plus 
grandes  proportions,  comme  d'ailleurs 
cela  avait  eu  lieu  à  la  fin  de  l'empire 
romain,  et  l'on  sonfjea  à  détacher  les 
sceaux  des  anneaux. 

Les  Bénédictins  ont  dit  :  "  A  force 
d'augmenter  le  volume  des  anneaux,  on 
en  a  fait  des  sceaux,  et,  à  force  de  dimi- 
nuer celui  des  sceaux,  on  en  a  fait  des 
cachets.  »  La  belle  époque  des  sceaux 
commence  donc  avec  la  séparation  opé- 
rée par  les  premiers  Capétiens  et  finira 
au  moment  où  reparaîtra  la  mode  des 
petits  cachets  encore  en  usage. 

Il  ne  paraît  pas  que  Hugues  Capet,  le 
roi  qui  a  donné  son  nom  à  cette  race, 
laquelle  a  fourni  des  monarques  à  la 
P'rance  durant  une  si  longue  suite  de 
siècles,  sans  être  prête  à  s'éteindre,  il 
n'est  pas  probable,  dis-je,  que  ce  prince 
ait  introduit  l'innovation  des  sceaux. 
Nous  n'en  avons  aucun  de  lui.  Un  di- 
plôme original  délivré  par  ce  roi  en 
988,  et  portant  le  mot  annulus  avec 
la  trace  d  un  cachet  de  cire  d  assez  petite 
dimension,  semble  contredire  une  telle 
hypothèse.  C'est  plus  probablement  Ro- 
bert, son  fils,  à  qui  doit  être  attribuée 
cette  transformation.  Le  sceau  de  Robert, 
en  effet,  ne  s'appelle  plus  simplement 
annulus,  mais  annulus  niajesfati's.  Par- 
fois aussi  il  porte  le  nom  de  sigilluni, 
que  l'on  chercherait  vainement  sous  les 
deux  [)remières  races.  Rn  outre,  si  l'effi- 


gie nest  pas  un  roi  sur  le  lr(')iie.  il  y  a 
plus  qu'une  tête;  on  y  voit  les  attributs 
souverains  avec  l'énoncé  complet  et 
définitif  de  sa  dignité  :  Bohertns,  qracià 
Dei,  francoruni  rex. 

Cette  invention  coïncide,  pour  ainsi 
dire,  avec  la  naissance  du  régime  féodal 
et  l'organisation  de  la  monarchie  capé- 
tienne.   Ce   n'est   pas  là    une    rencontre 


SCEAU      DE      KOBEKT 

fortuite.  Le  sceau  fut  1  arme  de  la  royauté 
nouvelle,  qui  voulait  maintenir  sa  condi- 
tion de  supériorité  sur  de  grands  vas- 
saux, naguère  les  égaux  des  princes 
régnants. 

Le  sceau  fut  donc  d'abord  l'expression 
de  la  royauté.  L'Angleterre  et  les  autres 
puissances  ne  tardèrent  pas  à  imiter  le 
roi  de  France.  Mais  les  grands  vassaux, 
ayant  presque  tous  les  droits  royaux  et 
principalement  le  droit  de  justice,  s'at- 
tribuèrent bientôt  le  droit  de  sceau  qui 
symbolisait  les  autres;  si  bien  qu'à  la  tin 
du  xii"  siècle,  les  grands  seigneurs  et  les 
grands  corps  avaient  tous  leur  sceau,  à 
Légal  du  roi. 

Au  xHi®  siècle,  les  plus  petites  juri- 
dictions réclament  du  roi,  qui  le  leur 
vend,  le  droit  d'apposer  le  sceau  au  bas 
de  leurs  actes.  Sous  Philippe  le  Bel, 
c'est    un    véritable    envahissement.    La 


580 


ij:s  sceaux 


royauté  plus  avide  ou  plus  besogneuse 
fît  argent  de  ce  désir  universel  de  pos- 
séder un  sceau. 

Tout  marquis  veut  avoir  des  pages! 
Une   foule   tle    corporations    laïques    et 


SCEAU   DE   HENRI    VIII,   ROI   D  '  A  X  G  L  E  T  E  U  R  K 

ecclésiastiques,  des  bourgeois,  des  arti- 
sans, des  vilains  même  en  obtinrent  la 
jouissance. 

II 

Donner  une  connaissance  complète  de 
tout  ce  que  Ton  peut  savoir  sur  la  ques- 
tion des  sceaux,  tel  n'est  pas  notre  but. 
Nous  sommes  trop  j-esserré  dans  les 
bornes  d'un  article,  quelque  longueur 
que  nous  soyons  autorisé  à  lui  donner.  Il 
faudrait  des  volumes,  et  même  assez 
étendus,  pour  la  seule  nomenclature  des 
empreintes  qui  sont  en  la  possession  des 
musées.  Toutefois,  nous  pouvons  faire 
que  les  lecteurs  aient  une  idée  de  l'im- 
porlance  et  de  l'intérêt  de  cette  haute 
question. 

Procédons  par  élimination,  pour  ne 
pas  nous  perdre  dans  l'immensité  de  ce 
champ  presque  sans  limites.  Nous  laisse- 
rons de  côté  d'abord  les  sceaux  étrangers, 
qui  poun^aient  faire  l'objet  d'une  élude 
spéciale,    bien    qu'ils    ne    soient  jamais 


marqué    au  coin,  d'une  parfaite  origina- 
lité,  sauf   pourtant    quelques-uns  de  la 
collection  anglaise.  Presque  toujours  les 
étrangers  ont  suivi  la   mode  française; 
rarement  ils  l'ont  devancée.  Le  roi  assis 
sur  un   trône,   même  en  Angleterre,   ne 
commence  pas  à   paraître    avant    que 
la  France   en   ait  fourni   le  vrai  type. 
Et    presque    toujours  les    additions   à 
cette   première   et  persistante   donnée 
ont  été  copiées  sur  des  modèles  fran- 
çais.   Quand     ils    ont   voulu   faire  du 
nouveau,     leurs    essais    n'ont  pas  été 
des     plus    heureux.    Témoin    la  bulle 
(1  oi-   de  Henri  VIII,  roi  d'Angleterre. 
(]e  roi,  sans  doute,  eut  la  fatuité  de 
vouloir  prouver  à  François  I"""  que  ses 
artistes    n'étaient    pas    étrangers    aux 
j)rogrès    de    la    Renaissance.    Et    son 
graveur  fournit  assurément  un  travail 
d  une  grande  richesse,  mais  qui  n'était 
que    le    comble   de   la    recherche,    un 
luxe  de  détails,  à  tout  le  moins  un  peu 
lourd.    N'insistons    pas.    Pourtant,    si 
nous   ne  citons  pas   les  étrangers  ;   si 
nous  ne  parlons  pas  même  de  la  bulle 
d'or  de  Ferdinand  III,  empereur  d  Alle- 
magne, presque  aussi  connue  que  celle 
de  Henri    VHI;  si  enfin    nous    écartons 
tînalement    les   étrangers,    il  ne    serait 
peut-être  pas  hors  dé  propos  de  dire  un 
mot  de  ce  que  l'on  entend  par  une  bulle. 
Les  btdles, 
qu'elles 
soient  en  or 
(il  y  en  a  eu 
très  peu),  en 
argent  i c'est 
la     grande 
exception), 
en  bronze  (il 
faut  les  reje- 
ter au   rang 
des      légen- 
des), ou  eniin 

en  plomb  (et  ce  sont  les  plus  communes), 
les  bulles,  dis-je,  ne  sont  jamais  appo- 
sées sur  le  parchemin  comme  les  em- 
preintes qui,  en  France,  précédèrent 
l'an  mille,  ou  comme  celles  quedonnèrent 
les  premiers  sceaux.  Elles  sont  toujours 


15  U  L  L  E     DE     PATI.     II 


Ij;S    SCKAIX 


581 


peiidanles  en  raison  de  leur  nialière  el 
(le  leur  poids,  el  rallacliées  à  Tacle  par 
des  cordons  de  soie  de  difFércnles  cou- 
leurs. Les  peu  nombreuses  exce|)lions 
(|ue  1  on  pourrait  sif^^naler  ne  foiil  que 
conlirmer  la  refile.  De  plus,  loules  ces 
huiles  sont  des  sceaux  de  nature  excep- 
tionnelle, fabriqués  j)our  une  tircoii- 
slance  non  moins  exceptionnelle,  lùifin 
elles  sont,  ])our  la  majeure  partie,  com- 
posées de  deux  plaques  de  métal  qui  ont 
été  frappées  séparément  sur  une  face  el 
réunies  ensuite  et  soudées  par  les  bords. 
(Juand  les  bulles  ont  une  certaine  épais- 
seur, on  peut  croire  que  les  deux  plaques 
ont  entre  elles  un  gâteau  de  cire  recou- 
\  ert  par  un  cylindre  de  métal. 

I/Ej,dise,  qui  conserve  toujours  les 
mêmes  usages,  en  a  surtout  fait  un  em- 
ploi fréquent,  tandis  que  chez  nous 
elles  sont,  pour  ainsi  dire,  à  létat  d  ex- 
ception. Elles  commencent  avant  les 
sceaux  proprement  dits.  Les  anciens 
empereurs  romains  en  avaient  appendu 
à  leurs  actes  pour  leur  donner  un  ca- 
chet dauthenticité,  et  la  plus  ancienne 
bulle  pontificale  que  Ion  connaisse  date 
de  614  et  est  conservée  au  A'atican. 
L'une  des  faces  présente  1  image  du 
lîon  Pasteur  entre  la  première  el  la 
dernière  lettre  de  1  alphabet  grec;  laulre 
ne  porte  que  les  mots  Deus  dédit  papa. 
VA\e  est  appendue  à  un  acte  du  pape, 
Deuii  dédit.  Toutefois,  cette  figure  du 
Bon  Pasteur  ne  se  maintint  pas.  Elle 
fut  bientôt  remplacée,  au  viii'"  siècle, 
par  le  sujet  classique  définitif,  les  têtes 
de  saint  Pierre  el  de  saint  Paul,  avec  le 
nom  du  pape  au  revers,  suivi  de  son 
numéro  d'ordre  parmi  les  papes  du 
même  nom.  Il  y  eut  bien  quelques  in- 
terruptions; mais  dès  la  fin  du  xi''  siècle 
lusage  devint  tout  à  fait  fixe. 

A  côté  des  bulles,  il  y  a.  pour  les 
papes,  Vanneau  du  pêcheur,  cachet 
analogue  à  ceux  dont  se  servaient  les 
souverains  avant  l'invention  du  grand 
type  royal  et  conservé,  malgré  tout,  par 
le  saint-siège  pour  être  placé  sur  le  par- 
chemin ou  le  papier.  Les  bulles  sont 
réservées    pour  les    lettres    solennelles, 


lesquelles  portent  elles-mêmes  le  nom 
de  bulles,  du  nom  de  leur  marque; 
l'anneau  du  pêcheur  est  une  empreinte 
apposée  sur  les  billets  ou  les  lettres 
particulières  appelées  ordinairement 
/)refs. 

Mais  loin  de  nous  la  velléilé  de  nous 
égarer  dans  le  nombre  si  considérable 
des  bulles  pontificales  et  surtout  des' 
sceaux  ecclésiastiques,   qui  consliluenl 


TYPE     DE     .SCEAU     ÉPISCOPAL 

GUILLAUME      DE      M  A  C  O  X 

Évêque  d'Amiens. 

une  mine  insondable.  Chaque  évèché, 
chaque  paroisse,  chaque  communauté 
enfin,  n  avait-il  pas  le  sien?  Et  le 
plus  souvent,  à  la  nomination  du  nou- 
veau chef  de  toute  communauté  reli- 
gieuse, le  sceau  ne  subissait-il  pas  une 
modification? 

C'est  encore  avec  un  grand  regret 
que  nous  nous  voyons  privé  du  plaisir 
de  faire  une  excursion  soit  dans  les 
sceaux  des  universités,  des  ordres  mili- 
taires, des  corporations  et  des  métiers, 
des  villes  grandes  et  petites,  soit  danis 
ceux  des  seigneurs  qui  ont  exercé  un 
grand  rôle  dans  l'histoire  de  notre  chère 
France.  Il  y  aurait  certainement  quelque 
plaisir  à  jeter  les  yeux  sur  le  sceau  de 
Guillaume  le  Conquérant,  duc  de  Nor- 


Li:S    SCKAIX 


SCEAU     DE     l'université     DE     TAIilS 


GUI    DE    CHATILLOX     (Type  équestre)- 


nianclie,  et  plus  tard  roi  crAngleterre  à 
la  faveur  de  Tunique  victoire  de  Has- 
lings;  sur  ceux  de  Philippe  de  Rouvre, 
de  Philippe  le  Hardi,  de  Charles  le 
Téméraire,  tous 
trois  nobles  ducs 
de  Bourgogne; 
sur  celui  de  Du 
Guesclin,  le  bras 
droit  de  Ghai'les 
le  Sage,  etc.  Quels 
souvenirs  se- 
raient évoqués, 
glorieux  et  che- 
valeresques !  Et 
en  même  temps 
c  o  m  b  i  e  n  F  œ  i  1 
éprouverait  de 
sensations  agréa- 
bles à  considérer 
les  traits  de  ces 
guerriers,  rendus 
avec  plus  de  fi- 
nesse et  de  déli- 
catesse qu'on   ne 

saurait  le  dire.  Toute  l'âme  de  larliste  a 
passé  dans  ces  œuvres  d'un  autre  âge 
Nous  nous  rattraperons,  il  est  vrai, 
ailleurs.  Qu'il  me  soit  permis  de  dire 
cependant  un  mot  des  différents  types 
qui  ont  caractérisé  ces   productions  ar- 


PHILIPPE     LE     HARDI,    DUC     DE     H  0  U  II  G  O  G  X  E 


listiques    dont    beauccuip,    hélas!     sont 
perdues  à  jamais. 

Le  premier  type  des  sceaux  des  sei- 
gneurs est  le  type  équestre.  Le  cheval 
est  en  principe 
le  signe  distinctif 
et  l'attribut  es- 
sentiel du  gentil- 
homme: je  n'en 
\-  e  u  X  d  a  u  t  r  e 
preuve  {|ue  ce 
nom  de  chevalier 
donné  dès  l'ori- 
gine de  la  féoda- 
lité à  la  plupart 
des  nobles.  En 
paix,  comme  en 
guerre,  le  pro- 
priétaire du  fief, 
le  défenseur  du 
sol  n'est  bien  que 
sur  son  destrier; 
il  est  rivé  à  ses 
lianes.  Il  le  pare 
avec  orgueil,  il  le 
choie  comme  un  ami,  comme  l'insépa- 
rable compagnon  de  la  bonne  et  de  la 
mauvaise  fortune.  Il  lui  parle  comme  à 
un  autre  lui-même  :  «  Bon  Morel  !  toi 
qui  m'as  conduit  tant  de  fois  au  dan- 
ger, tu  vas   me  conduire  aujourd'hui  en 


i,i:s  s<:j:al'x 


583 


paradis!  »  Et,  en  disant  cela,  le  cheva- 
lier se  précipite  tête  baissée  contre  les 
Sarrasins.  Il  est  donc  bien  naturel  que 
les  seigneurs  soient  ligures  à  cheval  : 
armés  pour  le  combat,  s'ils  vivent  en 
temps  de  guerre;  équipés  pour  la 
chasse,  si  les  temps  sont  moins  trou- 
blés. El,  dans  Tun  et  Tautre  de  ces  deux 
sujets,  quelle  variété,  quelle  vie,  quelle 
linesse,  quelle  richesse  de  détails  1  Tan- 
tôt le  gentilhomme  chevauche  tran- 
quillement, casque  en  télé  et  lance  au 


dans  cette  dernière  altitude,  parce 
qu'alors  la  noblesse  commence  à  des- 
cendre de  son  piédestal  pour  se  mêler 
au  commun  des  hommes  et  que  le  châ- 
teau féodal  ([uille  les  hauteurs  pour  les 
plaines. 

Il  y  eut  aussi  la  représenlation  armo- 
riée. Les  premiers  écussons  avec  armes 
ne  font  guère  leur  apparition  que  vers 
la  lin  du  xii''  siècle.  Unis  au  portrait 
équestre  ou  isolés  sur  le  champ  de  mé- 
tal, ils   désignaient   avec   une   certitude 


SCEAU    DE    LOUIS    II    DE     BAVIÈRE 
(Tyi»  debout). 


ADÈLE,     COMTESSE    DE    SOISSOX.S 

(Type  d'un  sceau  de  châtelaine). 


poing;  tantôt  il  se  penche  en  avant  ou 
en  arrière,  le  corps  abrité  sous  un  vête- 
ment de  fer.  Puis  le  destrier  lui-même 
est  caparaçonné  et  rendu  invulnérable 
comme  celui  qui  le  monte.  Et  tout  cet 
appareil  d'homme  et  de  cheval,  qui  ne 
semblent  faire  qu  un,  est  couvert  d'or- 
nementations variées  qui  font  recon- 
naître le  maître. 

Si  du  type  équestre  nous  passons  à  la 
représentation  debout,  que  les  seigneurs 
ont  aussi  adoptée,  nous  constatons 
qu'elle,  n'est  pas  aussi  fréquente  et 
qu'elle  n'est  venue  que  plus  tard.  Ce 
n'est  guère  que  dans  le  cours  du 
xiv''  siècle  que  les  princes  et  les  gen- 
tilshommes   consentent    à    se    montrer 


parfaite  le  possesseur  du  sceau  sur  le- 
quel ils  étaient  gravés.  Toutefois,  quand 
ils  ont  existé  concurremment  avec  les 
autres  types,  les  écussons  armoriaux, 
dont  les  rois  eux-mêmes  ont  usé, 
comme  du  type  équestre,  n'ont  servi 
qu  à  la  composition  de  sceaux  à  desti- 
nation particulière. 

Derrière  la  triple  rangée  de  cheva- 
liers bardés  de  fer,  soit  montés,  soit  à 
pied,  ou  resplendissants  de  l'éclat  des 
armoiries,  se  dissimule  timidement  le 
petit  essaim  des  châtelaines  et  des  da- 
moiselles  dont  la  cire  nous  a  transmis 
l'intéressante  physionomie.  Gomme  les 
reines,  d'ailleurs,  dont  nous  nous 
abstiendrons    de    parler,    généralement 


584 


I.KS    SCEAUX 


elles  sont  restées  debout.  Rarement  les 
règles  si  rigoureuses  de  la  hiérarchie 
féodale  leur  ont  permis  de  s'asseoir  sur 
la  haute  chaise  à  dossier  et  à  coussin 
qui  orne  la  grande  salle  de  leur  manoir. 
C'est  à  peine  si  quelquefois  elles  sont 
représentées  montées  sur  leurhaquenée 
pour   aller  à    la   chasse    à    Toiseau.  Et, 


MATRICE     DU     SCEAU     BE     L' ABBAYE      T)E     SAINT-DENIS 


cpiand  la  dame  est  debout,  ce  qui  se 
rencontre,  comme  nous  Taxons  dit,  le 
plus  souvent,  elle  porte  à  la  main  une 
Heur,  un  livre,  un  objet  à  son  usage,  ou 
assez  fréquemment  un  oiseau  de  chasse 
attaché  par  un  filet  reposant  sur  sa 
main  gantée.  Pour  la  forme  du  sceau, 
dans  ce  cas  elle  est  ogivale. 

Mais  pourquoi  nous  arrêter  sur  ces 
types,  qui  pourtant  pourraient  être 
une  occasion  de  moisson  bien  fruc- 
tueuse? Nous  pourrions,  en  elîet,  faire 
une  étude  des  mœurs  de  ces  dilFérents 
âges.  Les  vêtements  et  leurs  variations, 
les  occupations  diverses  du  grand 
monde     d'alors    pourraient     bien     être 


accusés   dans   toute   leur  N'érité.  Il   res- 
sortirait, par  exemple,  avec  la  dernière 
évidence   que   le   gentilhomme  allait  le 
plus  souvent  à  la  chasse  monté  sur  son 
coursier,   tandis    que    la    châtelaine    se 
livrait  à  ce  facile  plaisir  dans  son  pai'c, 
à    la    promenade,    un    peu    partout,    et 
principalement     à     pied.     Malgré     cet 
avantage,  il   vaut  mieux   nous   en  tenir 
aux    sceaux    des   rois   de   France,   dont 
l'importance 
primordiale  n'é- 
chappera à  per- 
sonne.         En 
dehors   du   mé- 
rite   qu'ils    ont 
de  nous  fournir 
toute    une    ga- 
lerie     de     por- 
traits     aulhen- 
liques,  ils  nous 
mettent  de  plus 
sous    les     yeux 
une    étude     du 
graveur    sur    le 
costume     et    le 
mobilier  de  l'é- 
poque ;   ce  qui, 
sans    contredit, 
double  leur  prix 
pour  les  archéo- 
logues.  Sur  un 
petit    rond     de 
cire  de  quelques 
centimètres    on 
voit  revivre  tout  l'appareil  royal,  toute 
la  physionomie  des  anciennes  cours  du 
moyen  âge.  C'est  ce  qui   les  difTérencie 
des  monnaies  où  le  portrait  du  souverain 
se  trouve  aussi,  mais   isolé   et   hors  de 
son  milieu. 

111 

Nous  avons  vu  que  dès  le  roi  Robert 
le  sceau  fut  trouvé.  Le  type  de  majesté, 
tel  qu'il  s'est  perpétué  presque  jusqu'à 
nos  jours,  c'est-à-dire  le  portrait  du  roi 
avec  ses  insignes  et  ses  attributs,  re- 
monte aussi  à  ce  prince.  Si  celui-ci  ne 
se  fit  pas  représenter  en  entier  et  assis, 
comme   son   fds  Henri  I^"",  il  est  vu  jus- 


I.KS    se  K  AUX 


(|u";i  la  ceinlure  et  il  porte  le  sceptre  et 
la  eouronne  royale.  l'^a  d'autres  termes, 
il  a  les  attributs  i)riiu'i|)au\  de  la 
ro\auté. 

Henri  l'"'  a  de  [)liis  tpie  son  père  un 
Irone  ou  plutôt,  pour  être  exact,  un 
sièf:;e  sculpté  à  jour,  imitant  un  édicule 
à  deux  étages  percé  d'arcades  romanes; 
ses  pieds,  que  le 
bas  de  sa  tunique 
laisse  à  découvert, 
reposent  sur  un 
escabeau. 

Des  modifications 
accessoires    ne   tar- 
dent  pas   à   s'intro- 
duire.     Sous      Phi- 
1  i  j)  p  e       I  *"  "■ ,       par 
exemple,   le  siège  à 
arcades  cède  la  place 
à  un  vrai  trône  ou. 
si  vous  voulez,  à  un 
fauteuil      dont     les 
pieds  sont  formés  de 
tètes    et    de    pattes 
d'animaux.  Quelques 
archéologues        ont 
prétendu      que     tel 
était  le  siège  du  roi 
Dagobert,     et     que 
c'était  celui-ci  qu'a- 
vaient voulu  repré- 
senter   les  graveurs 
de  1  époque.  Les  rai- 
sons apportées  pour 
soutenir     leur    opi- 
nion sont  purement 
gratuites   et    consé- 
quemment  sont   loin   d'être   de  taille  à 
détruire    l'idée    que    les    premiers    rois 
capétiens  devaient  être   plus   conforta- 
blement assis  que  le  bon  roi  Dagobert, 
de  populaire  mémoire,  et  que  c'est  bien 
le  siège  du  roi  de  1  an  mille  et  non   un 
autre  dont  les  graveurs  avaient  en  \  ue 
de  fournir  l'empreinte. 

Ces  premiers  Capétiens  ont  tous  un 
visage  allongé  et  un  air  de  famille  très 
reconnaissable.  Ce  type  originel  dispa- 
raît cependant  avec  Louis  le  Gros,  à 
qui  sa  mère,  une  princesse  hollandaise, 


sendjle  avoir  communicjué  la  tournure 
un  peu  épaisse  et  aussi  la  patiente 
énergie  de  la  race  à  laquelle  elle  appar- 
tenait. La  ligure  est  plus  large,  la  barbe 
plus  courte. 

Le  sceau  est  formé  de  deux  éléments 
qui  se  trouvent  réunis  :  le  premier,  qui 
relève  uniquement  de  la  gravure,  est  ce 


LOUIS     VI     (Typ?   ihi  sceau    plaque) 


qu'on  appelle  plus  proprement  le  tijpt'; 
le  second,  qui  relève  de  l'écriture,  con- 
stitue la  légende.  Celle-ci  s'est  conser- 
vée dans  la  suite  sans  variations  inté- 
ressantes, sinon  dans  le  fond,  du  moins 
dans  sa  position.  Elle  suit  ordinaire- 
ment le  contour  extérieur  du  type  ou 
de  l'eftigie  et  est  disposée  de  façon  à  se 
lire  en  dedans.  En  général,  elle  porte  en 
écriture  du  temps  le  nom  et  le  titre  du 
propriétaire  du  sceau,  et  cela  sans 
abréviations,  à  moins  qu'il  ne  s'y  trouve 
des    abréviations    qui    étaient    ou   pou- 


LES    SCEAl'X 


vaienl  facilement  être  connues  de  tous. 
Dans  les  premiers  temps,  la  cire,  ayant 
subi  plus  ou  moins  de  préparation,  était 
appliquée  au  bas  des  actes,  après  les 
t'ormules  finales  et  à  côté  de  la  signa- 
ture ou  du  monogramme;  puis  avec  la 
matrice  pressée  fortement  on  obtenait 
l'empreinte  :  c'est  ce  qu'on  nomme  les 
plaqués.  C'est  le  chancelier,  c'est-<à-dire 
celui  qui  avait  la  garde  du  sceau,  ou 
son  aide,  qui  accomplissait  cette  opéra- 
lion  importante.  D'habiles  faussaires  — 
il  y  en  a  eu  de  tout  temps  —  imagi- 
nèrent de  détacher  ces  larges  cachets  de 
cire  de  certains  actes  authentiques  et 
parvinrent  à  les  rattacher  à  d'autres  qui 
ne  l'étaient  pas.  Voici  comment  ces 
malins  s'y  prenaient  :  ils  faisaient 
chaulfer  une  lame  de  couteau  très 
mince,  puis  ils  la  faisaient  glisser  avec 
précaution  entre  la  cire  et  le  parchemin 
ou  l'attache  qui  la  supportait,  de  façon 
que  l'empreinte  se  décollât  d'elle-même 


SAINT    LOUIS   (Tj-pe  d'un  sceau  sur  lé  de  soie). 


sans  aucune  altération  ;  puis  ils  chauf- 
faient légèrement  celle-ci  sur  sa  face 
postérieure,  la  recollaient  sur  un  autre 
parchemin  ou  sur  une  nouvelle  attache, 
et  le  tour  était  joué. 

Qu'était-ce  que  l'attache?  Louis  le 
Gros  —  comme  les  rois  d'Angleterre 
avant  lui  —  avait  trouvé  que  la  couche 
de  cire  exigée  par  l'accentuation  des 
reliefs  et  le  diamètre  des  sceaux  (jus- 
qu'à 70  millimètres)  courait  le  risque 
d'être  endommagée  sous  les  plis  du  par- 
chemin ou  même  de  se  détacher.  Il  usa 
des  sceaux  pendants,  c'est-à-dire  appen- 
dus  au  bas  des  pièces  à  l'aide  d'un  lien 
tenant  à  la  cire  par  un  bout  et  au  par- 
chemin par  l'autre.  On  le  voit,  c'étaient 
toujours  des  plaqués  que  l'on  avait  ainsi. 
Or,  que  le  sceau  fût  appliqué  sur  l'at- 
tache ou  sur  le  parchemin,  la  difficulté 
était  également  surmontée  par  les  faus- 
saires. En  vain,  on  avait  fait  usage  de 
sous-sceaux^  cachets  plus  petits,  que  l'on 
apposait  au-dessous 
des  premiers  ;  on  avait 
aussi  bien  raison  de 
ceux-ci  que  de  ceux-là, 
et  la  validité  des  actes 
ne  se  trouvait  pas  suf- 
fisamment garantie. 
C'est  alors  que  Louis 
le  Jeune  se  résolut  à 
employer  le  contre- 
sceau.  Le  gâteau  de 
cire  reçut  dans  ses 
lianes  l'une  des  deux 
extrémités  de  l'at- 
tache, ordinairement 
un  large  ruban  de  soie, 
variant  de  couleur,  au 
gré  du  chancelier, 
comme  d'ailleurs  la 
cire  elle-même,  et 
reçut  des  deux  côtés 
une  empreinte  diffé- 
rente .  Comme  les 
bulles  pontificales,  les 
deux  côtés  du  sceau 
avaient  chacun  une 
effigie  ou  une  inscrip- 
tion. 


I.KS    SCKAl'X 


587 


Le  foiilre-scciiu  de  Louis  le  Jeune  lui 
le  fypt^  équestre  qui  aj)])artenail  plus 
proprement  aux  seif^iicurs.  Mais  la  pre- 
mière lace  le  sceau  proprement  dit,  qui 
généralement  était  plus  large  que  le 
contre-sceau ,  fut  toujours  le  tyi)e  de 
majesté.  Il  lut  à  peu  près  le  même  dans 
lensendile  (jue  ceux  de  ses  prédéces- 
seurs. Il  en  ditlera  cependant.  La  barbe 
disparut,  les  cheveux  s'allongèrent  et 
tombèrent,  le  manteau  se  raccourcit  et 
se  noua  sur  les  épaules,  le  sceptre  se  ter- 
mina vaguement  en  Heur  de  lis.  Enfin, 
le  dessin  a  plus  de  mérite  :  les  coups  de 
burin  sont  plus  nets,  les  traits  mieux 
dessinés,  les  détails  plus  visibles. 

Philippe-Auguste  est  un  jeune  homme 
à  la  mine  fleurie,  à  lair  avenant.  Il  ne 
rappelle  en  rien  le  vainqueur  de  Bou- 
vines,  mais  plutôt  lesprit  jovial  auquel 
la  tradition  populaire  a  prêté  tant  de 
saillies  et  de  bons  mots.  Il  est  vrai  que 
chaque  souverain,  taisant  graver  son 
sceau  à  son  avènement,  y  est  naturel- 
lement représenté  sous  les  traits  qu'il 
avait  alors  ;  par  conséquent,  il  a  presque 
toujours  un  aspect  juvénile,  à  moins  que, 
dans  le  cours  de  son  règne,  il  n'ait  fait 
renouveler  la  matrice.  Et  ceci  arrivait 
parfois,  quand,  par  exemple,  la  première 
avait  été  ou  volée  adroitement  ou  imitée 
par  un  faussaire  avec  une  certaine  habi- 
leté. 

Le  contre-sceau  de  Louis  le  Lion  est 
un  type  armorié,  un  écu  semé  de  fleurs 
de  lis  sans  nombre.  Si  la  cire  ou  le  métal 
pouvaient  nous  rendre  leur  ton  doré  avec 
la  teinte  azurée  du  champ,  nous  aurions 
exactement  le  drapeau  national  du  temps. 

Notons  en  passant  qu'à  la  fin  du 
xii*^  siècle  et  au  commencement  du  xiii'', 
des  lettres  royales  avaient  le  sceau 
appendu  à  ce  qu'on  appelait  queue  de 
parchemin.  Le  tranchant  acéré  d'un 
couteau  avait  vite  fait  d'obtenir  une 
lumière  qui  restait  adhérente  sur  un 
quart  ou  un  cinquième  de  la  largeur  du 
parchemin. 

Sous  le  règne  de  saint  Louis,  le  luxe 
de  fabrication  permit  aux  chancelleries 
des  hauts  et   puissants  seigneurs  de  se 


procurer  |)ou)"  les  attaches  des  tissus  de 
soie  aux  brillantes  couleurs,  des  rouges 
éclatants,  des  bleus  célestes  au  ton  chaud, 
des  ganses,  des  tresses  d'or.  La  queue  de 
parchemin  fut  donc  à  j)eu  près  aban- 
donnée. 

Le  sceau  de  saint  Louis  ne  nous  a 
légué  que  des  empreintes  laissant  beau- 
coup à  désirer  quant  aux  traits  du  visage. 
Quel  dommage!  car  le  reste  est  d'une 
rare  perfection.  Nous  y  retrouvons  les 
mêmes  qualités  que  dans  la  sculpture  et 
l'architecture  du  xiii"  siècle  :  style  sobre, 
lignes  simples,  ornementation  élégante 
sans  richesse,  pose  naturelle  et  digne. 
Le  costume  s'est  modifié  dans  un  sens 
plus  artistique.  Le  manteau  prend  l'as- 
pect de  l'antique  chlamyde  et  ses  plis 
tombent  verticalement;  la  fleur  de  lis 
a  maintenant  la  forme  héraldique  immo- 
bilisée depuis  par  la  tradition. 

Ce  prince,  dont  l'esprit  d'équité  et  de 
justice  est  connu  de  tous,  qui  ne  crai- 
gnait pas  de  s'abaisser  à  pacifier  les  dif- 
férends sous  le  chêne  légendaire  de 
Vincennes,  ne  pouvait  manquer  de  don- 
ner l'exemple  du  plus  grand  respect 
pour  les  marques  de  validité  et  d'au- 
thenticité qu'étaient  les  sceaux  de  cette 
époque.  Tant  qu'il  subsistait  des  frag- 
ments, l'acte  qui  les  portait  était  consi- 
déré comme  valide.  Le  sire  de  Joinville 
nous  raconte  un  trait  à  l'honneur  de  son 
maître.  M*'''  Renaud  de  Trie  apporta  au 
saint  homme  une  charte,  laquelle  don- 
nait aux  héritiers  de  la  comtesse  de  Bou- 
logne le  comté  de  Dammartin-eu-Goële. 
Le  sceau  ne  laissait  voir  que  la  moitié 
des  jambes  et  l'escabeau  sur  lequel  repo- 
saient les  pieds.  Quand  le  roi  eut  la 
charte  entre  les  mains  :  <(  Voici  le  sceau 
dont  j'usais  avant  que  j'allasse  outre- 
mer, et  l'on  voit  par  ce  sceau  que  l'em- 
preinte du  sceau  brisé  est  semblable  au 
sceau  entier  ;  c'est  pourquoi  je  n'oserais 
en  bonne  conscience  retenir  ledit  comté.» 
Et  il  le  rendit  à  M^"'  Renaud  de  Trie,  héri- 
tier de  la  comtesse. 

Cependant  la  scrupuleuse  probité  de 
ce  prince  pouvait  bien  ne  pas  être  imitée 
par  tous;  aussi  ceux  qui  avaient  au  bas 


LKS    SCEAUX 


C  H  A  R  L  E  s     \- 


(le  leurs  parchemins  des  sceaux  plus  ou 
moins  oblitérés  les  faisaient-ils  renou- 
veler par  le  chancelier. 
Le  luxe  et  la  richesse 
(lu  dessin  deviennent,  à 
partir  de  ce  moment,  les 
({ualités  les  plus  recher- 
chées par  lesg'raveurs  du 
sceau  royal.  La  draperie 
et  Fornementation  sont 
plus  développées  pour 
Philippe  le  Hardi  et 
Philippe  le  Bel.  Le  pre- 
mier de  ces  princes  a  un 
visage  rond,  ouvert  ;  c'est 
hien  l'expression  du  ca- 
ractère que  lui  prête 
l'histoire.  Le  second  a 
les  traits  un  peu  durs  et 
lexpression  sévère.  Si, 
mal|j;-ré  cette  physiono- 
mie, ses  contemporains 
le  surnommèrent  le  Bel, 
qu'est-ce  à  dire,  si  ce  n'est 
que  la  douceur  n'était 
point  pour  eux  l'idéal  de 
la  beauté?  C'est  bien  là 


l'homme  qui  ne  courbait 
pas  dexant  Rome  et  fai- 
sait plier  les  Templiers 
et  tous  ses  sujets  devant 
ses  exigences  fiscales  ! 

Ses  trois  fils  ont  à  peu 
près  même  visage,  quoi- 
(pie  moins  imposant, 
liemarquons  seulement 
(pie  Louis  le  Hutin  tient 
en  maui,  au  lieu  d'une 
Heur  (le  lis,  le  bâton  de 
justice  surmonté  d'une 
main.  Au-dessus  de  sa 
tête,  on  remarque  un  petit 
clocheton  gothique  :  c'est 
l'embryon  d'où  sortira 
})lus  tard  le  dais  d'archi- 
tecture sous  lequel  frei- 
nera le  monarque  repré- 
senté. 

Arrive  la  branche  des 
Capétiens- Valois.  Le  vi- 
sage redevient  plus  mai- 
gre  et  les  traits  plus  prononcés,   parti- 
culièrement sur  le  sceau  du  roi  Jean  le 


LOUIS     XI 


LES    SCEAUX 


5S!) 


FRANÇOIS    !<'' 

Bon.  Sous  les  premiers  Valois,  l'étude 
du  règne  animal  a  dû  faire  un  grand  pas, 
car  le  trône  est  flanqué  de  deux  aigles 
ou  de  deux  dauphins  et  les  pieds  du  roi 
Jean  s'appuient 
sur  deux  lions 
couchés  dans 
une  attitude  na- 
turelle. Lespoi'- 
traits  que  les 
peintres  sur  vé- 
lin nous  ont 
laissés  de  ce 
prince  sont 
assez  ressem- 
blants à  celui 
du  sceau.  Nou- 
velle preuve,  et 
incontestable 
celle-là,  que  les 
graveurs  ne  fai- 
saient pas  de 
figures  de  con- 
vention dans  le 
sceau  du  roi. 

Quelques 
princes  eurent  un  sceau  à  destination 
spéciale,  «  le  sceau  ordonné  en  l'absence 
du  grand  ».  Tel  celui  de  Charles  V.  Ce 
n'était  ni  un  type  de  majesté,  ni  un  type 
équestre,  mais  simplement  l'écu  de 
France  à  trois  fleurs  de  lis  qui  recouvre 


FRANÇOIS    II    ET     MARIE     STUART 


LOUIS     XIV 

à  moitié  le  roi  debout;  le  tout  est  en- 
fermé dans  un  riche  encadrement  qua- 
drilobé  où  se  jouent  deux  dauphins.  Les 
dauphins  resteront  plus  d'un  siècle  un 
emblème  joint 
aux  attributs 
royaux ,  sans 
doute  à  cause 
de  la  réunion 
du  Dauphiné  ;i 
la  couronne. 

Charles  VI, 
Charles  Vil 
sont  abrités 
sous  un  dais 
d'architecture 
de  plus  en  plus 
développé,  c[ni 
finira  par  faire 
corps  avec  le 
trône  ;  car  l'an- 
c  i  e  n  banc  à 
têtes  et  à  pieds 
d'animaux  dis- 
paraîtra pour 
faire  place  à  la 
chaière  gothique  en  bois  sculpté,  munie 
d'un  dossier  et  surmontée  d'un  ciel  de 
semblable  façon.  Puis  la  tenture  fleur- 
delisée vient  rejoindre  ce  couronnement 
du  trône,  et  ainsi  se  trouve  formé  tout 
naturellement,    par  une    suite  continue 


590 


LES    SC1']AUX 


LOUIS     XVI     APRÈS     I,  A     LOI     CONSTITUTIONNELLE 


NAPOLÉON     1*"^ 


(le  perrectionuements  et 
de  m  b  e  1 1  i  s  s  e  m  e  n  l  s,  le 
laig^e  manteau  ou/jari7/o/j 
à  dais  qui  sera  désormais 
le  cadre  indispensable  de 
la  majesté  royale.  La  li- 
f;ure  de  Louis  XI  se  déta- 
cha la  première  sur  ce  fond 
somptueux,  qui  n'obtint 
toute  sa  splendeur 
([u'avec  Charles  VI IL 

I\' 

C'est  ici  que  finit  la 
belle  époque  des  sceaux, 
non  jjas  des  sceaux  des 
souverains,  car  ils  ont 
conlinuéjusqu'auxix''siè- 
cle,  mais  des  seig'neurs  et 
des  particuliers  qui  en 
(ont  plus  rarement  usag'e. 

Le  sceau  était  pour 
ainsi  dire  la  légalisation 
de  la  signature.  Aussi 
empruntait-on  celui  du 
Noisin  quand  on  n'en 
avait  pas  soi-même  ou 
qu'on  avait  besoin  d'en 
user  loin  de  chez  soi.  En 
ce  cas,  le  fait  était  men- 
tionné dans  le  corps  de 
l'acte  ou  du  contrat 
Quelles  précautions  ne 
prenait -on  pas  pour 
aflirmer  le  caractère  au- 
thentique des  empreintes? 
Tantôt  les  parties  enfon- 
çaient dans  la  cire  la 
marque  d'un  de  leurs 
doigts,  tantôt  elles  y  in- 
séraient, avant  qu'elle 
fût  sèche,  des  poils  de 
barbe,  des  cheveux  ou 
quelque  autre  signe  in- 
contestable de  leur  pré- 
sence et  de  leur  consen- 
tement. Ainsi  la  lettre 
adressée  par  Jeanne  d'Arc 
aux  habitants  de  Riom, 
et     conservée    dans     les 


I.i:S    SCKAIX 


591 


archives  municipales  de 
celle  ville,  pbrlc  encore, 
passé  à  Iravers  le  cachet, 
un  cheveu  noir  pris  sur 
sa  lête  ;  c'est  môme  là  le 
seul  indice  matériel  qui 
nous  révèle  que  Théroïque 
tille  était  brune. 

La  vulgarisation  de 
récriture  qui  donna  à 
tous  la  possibilité  de 
sig^ner,  et  plus  encore  la 
substitution  du  papier 
au  parchemin  qui  rendait 
presque  impossible  le 
sceau  pendant,  ame- 
nèrent vite  la  disparition 
du  sceau.  D'autre  part, 
la  charte  remplacée  par 
la  lettre  missive,  la  lettre 
close,  comme  on  disait 
d'abord,  qu'on  pliait, 
quon  mettait  sous  enve- 
loppe et  dont  on  voulait 
dérober  le  contenu  aux 
regards  indiscrets,  fut  la 
cause  de  l'invention  des 
petits  cachets  approxima- 
tivement les  mêmes  que 
ceux  que  nous  avons 
encore  aujourd'hui.  C'est 
au  XVI®  siècle  que  s'opéra 
cette  révolution,  si  bien 
que  nous  pourrions  nous 
arrêter  ici  et  prétendre 
que  notre  tâche  est  finie 

Cependant  nous  nous 
en  voudrions  de  ne  pas 
dire  un  mot  des  sceaux 
que  nos  souverains  ont 
encore  employés  jusqu'à 
la  Révolution  française. 
Ce  sera  le  couronnement 
de  ce  petit  travail,  que 
certains  auraient  pu.  ac- 
cuser de  n'être  pas  assez 
complet. 

Bien  qu  à  l'avènement 
de  Louis  XII  le  talent 
des  graveurs  se  relève 
légèrement,    le  sceau  de 


I,  f)  r  I  s    X  \'  1 1 1 


X  A  P  0  L  E  <)  X      III 


J02 


LES    SCEAUX 


ce  prince  est   peu  cHlférent  de  ceux  de 
ses  prédécesseurs  immédiats. 

François  I"  figure  sur  le  sien  sous 
les  traits  d'un  jeune  homme  imberbe  ; 
mais,  dès  Tannée  suivante,  il  revêt  sur 
((  le  sceau  en  l'absence  du  grand  »  la 
physionomie  historique  popularisée  par 
tant  d'artistes  célèbres  :  visage  allongé, 
barbe  en  pointe,  à  peu  près  le  physique 
des  premiers  Capétiens. 

La  Renaissance  se  fait  sentir  déjà 
avec  Henri  II  et  dune  façon  indiscu- 
table :  deux  anges,  qui  ressemblent  pas- 
sablement à  des  amours,  soutiennent  le 
pavillon  qui  abrite  la  physionomie  toute 
capétienne  du  monarque. 

Signalons  en-  passant  Theureuse  inno- 
vation qui  n'a  pas  eu  de  suite  et  nous 
olfre,  sous  un  même  dais,  les  deux  juvé- 
niles figures  de  François  II  et  de  Marie 
Stuart.  Assurément,  c'était  déroger  à 
la  règle  ;  mais  la  touchante  figure  de  la 
princesse,  qui  plus  tard  devait  être  si 
malheureuse,  nous  plaît  sous  cet  appa- 
reil de  triomphe,  portant  môme  sceptre, 
même  main  de  justice  que  son  royal 
époux,  égale  à  lui  par  la  puissance 
comme  par  l'amour  ! 

Pourquoi  faut- il  que  Charles  IX  et 
Henri  III  perdent  de  leur  importance 
par  trop  de  richesse  dans  la  gravure, 
par  ce  fouillis  de  contours  et  de  plis 
tourmentés,  et  que  les  deux  anges  qui 
soutiennent  le  pavillon  en  gagnent  à 
ses  dépens? 

Les  sceaux  n'étant  plus  guère  en  usage 
que  dans  les  chancelleries  royales,  l'in- 
dustrie ne  s'appliquait  plus  à  fournir 
de  cire  de  la  meilleure  qualité.  Cette 
circonstance  nous  prive  malheureuse- 
ment du  portrait  de  Henri  IV,  devenu 
presque  entièrement   fruste. 

La  même  cause  nous  aurait  privés  du 
portrait  de  Louis  XIII,  si,  à  la  fin  de 
son  règne,  en  1642,  l'un  de  ses  sceaux 
de  majesté  n'était  parvenu  à  nous  lais- 
ser une   empreinte   plus   solide   et   plus 


nette.  Le  visage  est  mince,  les  cheveux 
longs,  la  barbiche  en  pointe  et  la  colle- 
rette épaisse. 

Louis  XIV  se  servit  surtout  de  scenux 
secrets,  c'est-à-dire  de  cachets  peu  difïé- 
férents  de  ceux  des  particuliers  et  qui  don- 
nèrent leur  nom  à  ces  lettres  fameuses  qui 
vous  envoyaient,  sans  autre  raison  que 
le  bon  plaisir  du  roi,  dans  les  sombres  cel- 
lules de  la  Bastille.  Il  existait  cependant 
un  sceau  de  majesté,  gravé  à  l'avènement 
de  ce  prince.  Louis  XIV  y  était  re- 
présenté toul  enfant.  Il  est  plutôt  gra- 
cieux qu'il  ne  rappelle  la  majesté  du 
grand  et  puissant  monarque  qui  a  mé- 
rité l'honneur  de  donner  le  nom  à  son 
siècle. 

Les  premiers  sceaux  de  Louis  XV  ne 
diffèrent  guère  et  ne  pouvaient  guère 
difïérer  de  celui-là.  Comme  son  glorieux 
prédécesseur,  il  était  monté  si  jeune  sur 
le  trône  ! 

Ce  qui  caractérise  celui  de  Louis  XVI, 
c'est  le  soin  et  la  recherche  d'un  artiste 
tout  à  fait  moderne.  Au  demeurant, 
faut-il  le  dire?  le  portrait  est  peu  l'es- 
semblanl. 

Ici  finit  la  longue  série  des  types 
de  majesté  proprement  dits  ;  car,  si 
Louis  XVIII  s'en  fit  graver  un  pendant 
l'émigration,  sur  le  modèle  de  celui  de 
son  frère,  il  est  d'une  exécution  si  mau- 
vaise qu'il  peut  à  peine  compter,  et  les 
gouvernements  qui  suivirent  n'eurent 
plus  que  des  types  de  fantaisie,  qui  ne 
rappellent  point  du  tout  le  beau  type  de 
majesté,  sauf  peut-être  celui  de  Napo- 
léon P',  qui  pourtant  reste  loin,  bien 
loin  en  arrière. 

Disons,  pour  terminer,  que  la  sigillo- 
graphie, quand  elle  aura  son  musée  de 
moulages  au  complet,  moulages  triés 
sur  le  volet  et  rangés  méthodiquement, 
sera,  pour  les  chercheurs  et  les  érudits, 
une  source  inappréciable  de  richesses. 

A.   Lecoy  de  la  Marche. 


LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 


Dans  une  dédicace  à  M'"°  Malhilde  Serao, 
M.  Paul  Bour{Tet  explique  ce  qu'il  aurait 
voulu  faire  dans  son  nouveau  roman  la 
Duchesse  bleue  paru  à  la  librairie  Lcmerre. 
Il  s'agit  d'un  problème  de  psychologie 
qu'il  ne  craint  pas  de  poser  sous  cette 
forme  bien  austère  et  scolastique  : 

—  Des  rapports  de  l'impression  et  de 
l'expression. 

Voilà  le  thème  qui  lui  a  fourni  les  varia- 
tions. Ce  que  cela  veut  dire  ?  C'est  la  ques- 
tion de  savoir  s'il  faut  éprouver  les  im- 
pressions, sentiments,  amours,  haines, 
douleurs,  pour  bien  les  exprimer. 

Pour  in'arracher  des  pleurs  il  faut  que  vous  pleuriez, 

a   dit    Boileau   après    Horace.   M.  Bourget 
ajoute  : 

—  Oui,  mais  il  faut  que  ce  soient  larmes 
de  crocodiles  ! 

Vous  voyez  la  thèse.  L'artiste,  l'auteur 
doivent  imaginer,  et  non  ressentir  ce  qu'ils 
peignent.  Diderot  avait  fait  le  Paradoxe 
du  comédien  pour  recommander  à  l'acteur 
de  ne  rien  donner  au  hasard  de  l'inspira- 
tion, de  tout  préparer,  de  rester  toujours 
maître  de  lui.  M.  Bourget  reprend  l'idée 
en  l'étalant  à  tout,  Musicien,  poète,  écri- 
vain, sculpteur,  peintre,  acteur,  garde-toi 
de  souffrir  ou  tu  es  perdu.  Vous  allez 
sans  doute  me  citer  Musset,,  Lamartine, 
Beethoven  et  bien  d'autres  qui  ont  vécu 
leur  art,  et  mis  leur  être,  leur  âme,  leur 
substance  dans  leur  œuvi-e,  et  vous  auriez 
bien  raison  de  les  citer,  car  c'est  la  preuve 
la  plus  claire  qu'ici  encore,  comme  en 
toute  autre  chose,  rien  n'est  absolu,  tout 
est  relatif  et  contingent.  Tout  dépend  de 
la  personne  de  l'artiste  et  de  son  tempé- 
rament. Mounet-Sully  ne  joue  pas  deux 
fois  de  la  même  façon:  c'est  selon  la  dis- 
position de  l'instant.  11  se  monte  plus  ou 
moins,  et  il  vibre  en  proportion.  Tel 
autre  a  le  jeu,  au  contraire,  étudié  et  figé 
dans  sa  fantaisie  apparente.  Diderot  n'a 
fait  que  conseiller  aux  gens  de  se  confor- 
mer au  second  de  ces  modèles.  Mais  ceux 
du  premier  renieront  toujours  cet  avis. 

Plus  spécialement,  M.  Bourget  demande 
si  l'artiste  a  besoin  d'éprouver  ce  qu'il 
exprime.  Evidemment,  c'est  selon  les  cas. 
On  a  assez  raillé  les  chantres  de  l'Iris  en 
l'air.  Un  amour  profondément  ressenti, 
une  douleur  intimement  portée  sera  pour 
le  peintre  moral  le  meilleur  des  exem- 
plaires à  copier.  S'il  invente,  il  fera  du 
•chic.  Il  faut  souvent  qu'il  en  fasse.  Il  peut 

VIII.  —  .38. 


jieindreles  affres  du  condamné  à  mort  sans 
y  avoir  passé.  Il  y  a  une  part  à  faire  à 
l'imagination.  Il  suppose,  il  devine  par 
intuition  des  états  d'âme  ({ui  ne  sont  pas 
le  sien.  Ce  n'est  pas  dédoublement  de  son 
moi,  c'est  imagination.  Nous  avons  tous 
part  à  la  nature  humaine.  Nous  pouvons 
tous  prédire  et  nous  représenter  ce  que 
fera  ou  pensera  un  de  nos  semblables 
dans  telle  conjoncture,  dans  telle  situation 
morale.  Nous  le  savons  et  par  nous-mêmes 
en  nous  supposant  dans  ce  cas,  et  par  les 
données  de  l'expérience  d'autrui  racontée 
dans  l'histoire,  la  chronique,  le  journal. 
Celui  qui  imagine  plus  vivement  cette 
invention  est  plus  artiste. 

Dès  lors,  on  voit  que  le  <(  moi  du  talent  >!, 
comme  dit  notre  auteur,  est  distinct  «  du 
moi  de  la  vie  »  dans  la  mesure  où  le  moi 
de  nos  rêves,  de  nos  suppositions,  de  nos 
imaginations  diffère  du  moi  de  la  réalité. 
Une  jeune  femme  qui  pique  des  bottines, 
occupation  essentiellement  prosaïque,  peut 
être  une  rêveuse  poétique,  lleurir  sa  fenê- 
tre et  suivre  sur  le  cours  des  nuages  le 
caprice  de  ses  songes  fantastiques. 

M.  Bourget  a  posé  le  problème  et  l'a 
résolu  dans  le  sens  de  la  séparation  absolue 
de  la  vie  et  du  talent.  Il  nous  dit  que  ce 
roman  de  la  Duchesse  bleue  s'appela  d'abord 
Trois  âmes  d'artistes,  qui  sont  trois  exem- 
ples et  trois  preuves  de  ce  séparatisme, 
de  cette  exclusion,  de  cette  divergence 
entre  le  domaine  de  la  vie  et  le  domaine 
de  l'art. 

Jacques  Molan  est  un  auteur  dramati- 
que. Il  écrit  des  drames  pleins  de  passion 
ardente  et  folle.  A  la  ville,  c'est  pourtant 
un  cœur  sec,  égoïste,  un  homme  rangé, 
calculateur,  commercial,  pratique,  un  es- 
prit d'affaires,  une  âme  vile  et  légère,  un 
faucon  perché  sur  un  encrier. 

Camille  Favier  ?  Elle  a  eu  un  grand 
chagrin  d'amour.  Elle  l'a  oublié.  Elle  est 
une  actrice  frivole  et  lancée,  et  elle  joue 
la  passion  à  ravir,  sans  l'éprouver.  —  Oui, 
mais  elle  l'a  ressentie  autrefois,  jusqu'à 
en  mourir,  et  l'exemple  est  mauvais,  car 
on  pourra  prétendre  que  son  jeu  passionné, 
elle  le  doit  à  son  expérience  et  à  sa  mé- 
moire.   Alors,    la     vie    inspire    le     talent. 

Vincent  Lacroix  ?  C'est  un  sculpteur 
timide  et  sensitif.  Il  aime  profondément, 
il  ressent  les  sentiments  à  l'état  aigu, 
il  est  incapable  d'en  rien  faire  paraître  ni 
d'en  rien  faire  savoir  au  public  par  le 
moyen  de  son  art.  L'impression  tue  en  lui 
l'expression.  C'est  un  raté. 


594 


LE    MOUVEMENT    LITTERAIRE 


Telle  est  la  thèse,  fort  discutable  dans 
cette  démonstration  trop  peu  probante, 
car  on  n'a  jamais  vu  que  ressentir  trop 
vivement  émousse  et  paralyse  le  talent  de 
l'artiste.  L'expression  artistique  est  une 
émanation  de  la  personnalité  et  ne  peut 
se  dégag-er  de  son  origine. 

11  est  possible  à  Jacques  Molan  de  mettre 
à  la  scène  de  fortes  peintures  de  sentiments 
qu'il  ne  ressent  pas,  s'il  a  l'imagination  du 
cœur,  comme  l'eut  Racine  qui  n'a  pas  vécu 
ses  tragédies,  et  qui  a  su  peindre  le  cas 
de  Phèdre  sans  avoir  été  lui-même  une 
belle-mère  qui  aime  son  beau-fds. 

11  n'est  pas  prouvé  que  Camille  F'avier 
ne  sait  pas  si  bien  jouer  la  passion  pour 
en  avoir  été  elle-même  une  terrible  vic- 
time, et  qu'elle  eût  été  aussi  pathétique 
sans  avoir  jamais  aimé.  Enfin  si  Vincent 
Lacroix  est  un  raté,  ce  ne  sont  peut-être 
pas  ses  sentiments  qui  le  gênent,  et  ce 
peuvent  être  mille  autres  causes  différentes 
d'éducation,  de  savoir,  de  métier. 

D'ailleurs,  voici  le  cas. 

L'histoire  est  courte.  C'est  un  simple 
fait-divers  enflé  aux  proportions  d'un  vo- 
lume. 

Camille  Favier,  actrice,  a  débuté  au 
théâtre  avec  un  grand  succès  dans  une 
comédie  de  Jacques  Molan. 

On  l'appelle  la  Duchesse  Bleue,  parce 
que,  dans  la  pièce  qu'elle  joue,  elle  repré- 
sente une  duchesse  dont  un  peintre  a  fait 
le  portrait  en  bleu,  de  manière  à  rappeler 
le  Blue  Boy  de  Gainsborough.  C'est  à  la 
fois  titré  et  tiré.  Elle  est  devenue  éperdu- 
ment  éprise  de  son  auteur,  qui  lui  fait  la 
grâce  de  la  prendre  pour  maîtresse,  sans 
l'aimer. 

Jacques  Molan  n'aime  rien  ni  personne. 
Il  n'a  que  de  l'égoïsme  et  de  l'ambition.  Il 
vise  une  femme  du  monde,  M™**  de  Bonni- 
vet,  dont  il  fait  savamment  le  siège  en  se 
servant  de  sa  petite  actrice  comme  d'un 
appeau  pour  prendre  la  grande  dame  par  la 
jalousie. 

M°"=  de  Bonnivet  fait  le  faux  pas.  Ca- 
mille l'apprend.  Elle  se  propose  de  fus- 
tiger sa  puissante  rivale.  Mais  au  moment 
de  surprendre  les  amants  perfides,  elle  voit 
que  le  mari  est  là  qui  guette,  le  revolver 
à  la  main.  Elle  adore  tellement  Jacques 
qu'elle  aime  mieux  le  sauver  en  sauvant 
son  ennemie.  Elle  se  substitue  à  celle-ci 
et  sort  du  petit  rez-de-chaussée  au  bras  de 
Jacques  devant  Bonnivet  stupéfait  de  sa 
méprise.  La  voici  aux  aguets,  dans  la  rue, 
pour  la  vengeance  : 

Elle  passa  la  nuit  du  jeudi  au  vendredi  lit- 
téralement comme  folle,  et,  quand  elle  partit 
de  la  rue  de  la  Barouillère  pour  g-a^ner  la  rue 
Nouvelle,  il  y  avait  trente-six  heures  qu'elle 
ne  dormait  ni  ne  mangeait.  Elle  avait  entendu 
M™«  de  Bonnivet  et  Jacques  fixer  le  rendez- 


vous  pour  quatre  heures.  A  trois  heures  et 
demie,  elle  était  sur  le  trottoir,  en  face  des 
fenêtres  du  petit  appartement,  occupée  à  faire 
les  cent  pas,  enveloppée  de  sa  mante,  mécon- 
naissable sous  le  double  voile  roulé  autour 
de  sa  figure,  et  ne  perdant  pas  de  vue  la 
porte  par  où  sa  rivale  devait  passer.  Il  y  avait 
alors,  à  l'angle  de  la  rue  Nouvelle  et  de  la  rue 
de  Clichy,  une  station  de  fiacres  qui  devint 
aussitôt  le  ternie  de  sa  promenade.  Car,  à 
chaque  fois  que  sa  marche  la  ramenait  du  coté 
de  l'horloge  de  cette  station,  elle  pouvait  voir 
que  l'aiguille  marchait,  comme  elle-même,  et 
rapprochait  l'instant  où  elle  allait  enfin 
étreindre  sa  vengeance.  Trois  heures  qua- 
rante... Plus  que  vingt  minutes  à  attendre, 
iiKjins  peut-être.  Trois  heures  cinquante,  en- 
core dix  minutes.  Quatre  heures Ils  sont  en 

retard....  Quatre  heures  dix....  Personne.... 
L'aiguille  est  maintenant  sur  le  chiflVe  vingt 
et  ni  Jacques  ni  M'"''  de  Bonnivet  n'ont 
paru  !... 

Que  se  passe-t-il '.'...  Elle  se  préparait  à  s'en 
aller,  lorsqu'en  fouillant  de  ses  yeux  une  der- 
nière fois  cette  courte  rue,  elle  aperçut,  arrêté 
de  l'autre  côté,  en  face  de  la  station,  un 
fiacre  qu'elle  n'avait  pas  encore  remarqué,  et, 
penchée  hors  de  la  portière,  une  figure  qui  lui 
donna  un  de  ces  accès  de  terreur  où  se  dis- 
solvent toutes  les  forces  du  corps  et  de  l'âme  : 
elle  venait  de  reconnaître,  sous  le  rideau  à 
demi  baissé  du  coupé  immobile,  Pierre  de 
Bonnivet  en  personne  ! 

Oui,  c'était  bien  le  mari  de  la  maîtresse  de 
Molan,  non  plus  dans  sa  fonction  risible 
d'époux,  ombrageux  et  intimidé,  d'une  femme 
à  la  mode  et  qui  soufl're  des  coquetteries  de 
celle  qui  porte  son  nom,  en  les  subissant  pour 
en  profiter.  C'était  l'assassin  à  l'affût  chez  qui 
la  jalousie  a  soudain  éveillé  le  mâle  primitif, 
la  brute  meurtrière,  et  dont  les  yeux,  les 
narines,  la  bouche,  annoncent  la  volonté  de 
tuer,  quoi  qu'il  doive  arrivei-.  Il  était  là,  fouillant 
la  rue,  lui  aiAsi,  de  ce  fauve  regard.  Le  collet 
de  loutre  de  son  pardessus  à  demi  relevé 
donnait  à  son  poil  roux  et  à  son  teint  sanguin 
un  reflet  plus  sinistre,  et  sa  main  qui  levait 
le  rideau  pour  lui  permettre  de  mieux  voir, 
dégantée  et  nue,  semblait  prête  à  saisir 
l'arme  qui  allait  venger  son  honneur,  là  sur 
ce  coin  de  trottoir,  —  sans  plus  de  souci  du 
monde  et  du  scandale  que  si  Paris  était  encore 
la  forêt  d'il  y  a  trois  mille  ans  où  des  demi- 
gori'.les  se  disputaient  à  coups  de  pierre  une 
femelle  vêtue  de  peaux  de  bêtes. 

Elle  sauva  le  perfide  ami.  Après  ce  su- 
blime héro'isme,  elle  quitte  Jacques,  et 
comme  il  y  a  soirée  ce  jour-là  chez  les 
Bonnivet,  elle  borne  sa  vengeance  à  imiter 
Adrienne  Lecouvreur  devant  la  duchesse 
de  Bouillon  ;  elle  regarde  M'""'  de  Bonni- 
vet en  récitant  des  vers  destinés  à  gêner 
celle-ci;  elle  manque,  d'ailleurs,  son  effet, 
M'"*^  de  Bonnivet  étant  cuirassée.  Encore  est- 
ce  là  beaucoup  de  bruit  pour  rien,  car  tout 
rentre,  après  tant  de  dramatique  émotion, 
dans  l'ordre  le  plus  calme  et  le  plus  bo- 
nasse :  Jacques  Molan  se  marie  bien  ; 
M™*'  de  Bonnivet,  devenue  veuve,  se  rema- 
rie mieux  ;  Camille  Favier  devient  une  ac- 


LK     MOUVEMENT    LITT  HU  A  1  R  E 


595 


trice  de  yenre   fêtée,  joyeuse  cl  dépravée. 
El  tous  sont  contents. 

Tous,  non.  Il  y  a  un  attristé  :  c'est  le 
héros  de  ce  récit ,  celui  qui  nous  le  fait 
en  son  nom  personnel ,  sous  forme  de 
journal,  le  timide  raté  Vincent  Lacroix. 
C'est  un  tort  pour  un  personnage  de  ro- 
man comme  de  théâtre  d'être  toujours  en 
scène  et  de  ne  rien  faire  qu'écouter.  C'est 
le  rôle  de  Vincent  Lacroix.  C'est  toujours 
à  lui  que  nous  avons  affaire,  c'est  toujours 
lui  que  nous  entendons,  et  il  est  là  comme 
une  cinquième  roue  à  un  carrosse.  Il  écoute 
et  il  rco^arde.  11  n'a  rien  d'autre  chose  à 
faire.  Etrange  idée  de  mettre  ce  récepteur 
en  vedette.  C'est  Arbate  ou  Arcas  passant 
au  rang  de  protagoniste. 

Il  est  le  plus  terne  des  cinq  ou  six  per- 
sonnages qui  animent  cette  courte  histoire 
de  leur  physionomie  claire  et  très  étudiée. 
Dans  sa  lettre  à  M^^  Serao,  M.  Bourget 
envie  le  talent  de  cette  dame  qui  sait 
peindre  les  foules  et  les  ensembles.  Pour 
lui,  romancier  d'analyse,  il  est  obligé,  par 
la  nature  de  son  œuvre  et  par  la  pente  de 
son  esprit,  de  restreindre  le  nombre  de 
ses  figures  afin  de  fouiller  davantage  l'étude 
de  chacune  d'elles. 

Oui,    romancier   d'analyse,  il  l'est   dans 
ce  volume  autant  qu'on  peut  l'être.  Il  s'en- 
lise même  dans  son  travail  de  sondeur,  et 
il   n'avance   pas.    Sur   trois   cent   soixante 
pages,   les  cent  trois  premières,  qui   sont 
le  tiers  du  volume,  racontent  simplement 
la  rencontre  de  deux  camarades  et  la  façon 
dont  ils  ont  passé  leur  soirée,  d'abord  en 
dînant,   puis    en  allant    au    théâtre,    sans 
qu'aucun    événement    important    ne    sur- 
gisse :  ce   n'est   qu'analyse  et  souvenirs; 
sans    doute,   c'est    perspicace,    pénétrant, 
aigu;   mais,  comme  on    dit    en    Espagne, 
hasta    porfiar  !     On     dirait    une     gageure, 
ou    bien    un    exercice    pour    voir   jusqu'à 
quelles  limites  se  peut  pousser  l'art  d'étu- 
dier et  d'expliquer  des  actes.  Il  en  résulte 
que  la  composition  de  l'œuvre  est  fâcheuse. 
Tout  le  noyau  de  l'intrigue,  qui  est  le  sau- 
vetage d'une  rivale   par  son  ennemie,  tient 
en  cinquante  feuillets  trop  longtemps  an- 
noncés  et   attendus.  Trop   souvent  le  con- 
teur nous  promet  le  coup  de  théâtre  espéré 
au  milieu  de  cette  sécurité  de  la  paisible 
analyse.  Il  nous  dit  trop  :  «  Attendez  com- 
ment tout   cela  va  finir  !   Ah  !  si  vous  sa- 
viez   comment    cela   a   fini  !    J'arrive   à  la 
scène    (p.    212)!    Comment    se    serait-on 
attendu  à  la  révélation  qui  mil  fin  à  cette 
incertitude   (p.   216)!  »  Eh  oui!  arrivons-y 
enfin  1    On   dirait   du   Bourget  jeune   revu 
et    repris   par   Bourget   mûr.    Le    récit   ne 
coule  pas  avec  aisance.  C'est  dogmatique 
comme  un   devoir  de  logique  :  '<   La  pre- 
mière période,  celle  de  la  joie  (p.  198);  Ca- 
mille triste,  c'est  la  devise  de  la  seconde 


période  (p.  202);  la  troisième  période,  celle 
de  la  certitude  furieuse  et  du  désespoir 
exasi)éré  (p.  212).  »  Cela  est  bien  lourd,  et 
le  scul[)leur  qui  numérote  ainsi  son  jour- 
nal est  un  tantinet  méticuleux. 

Le  style  même  a  des  surprises,  des  dé- 
faillances, comme  si  c'était  mal  relu.  «  Nous 
étions  à  la  i)orle  de  la  baignoire;  il  s'ar- 
rêta pour  échanger  quelques  mots  avec  la 
femme  préposée  à  la  porte.  «  L'un  parle 
de  «  sordidité  »,  l'autre  déclare  :  «  Mon  âme 
a  chaud.  »  Il  est  vrai  que  c'est  un  sculp- 
teur qui  écrit. 

Ces  vétilles  disparaissent,  hâtons-nous 
d'ajouter,  dans  le  nombre  des  belles  et 
éloquentes  pages  où  l'auteur  scrute  et 
interroge  l'humaine  nature. 

Tantôt  ce  sont  de  fines  remarques  qui 
constatent    une   perspicace    psychologie  : 

Chacun  a,  dans  son  caractère,  des  parties 
fortes  qui  correspondent  exactement  à  des  par- 
ties faibles.  Celles-ci  sont  la  rançon  de  celles-là. 
Mon  manque  d"énergie  dans  laction  jjositiye 
se  compense  par  une  rare  puissance  d'éneryie 
passive,  si  je  peux  dire.  Incapable  daller  de 
l'avant  avec  une  certaine  vigueur,  mêrne 
lorsque  mon  plus  vif  désir  m'y  pousse,  je  suis 
capable  d'une  endurance  singulière  dans  l'ab- 
stention, dans  le  renoncement,  dans  l'absence. 

Et  ceci,  sur  l'indifférence  désintéressée 
des  bonnes  grosses  natures  bourgeoises  : 

Elle  avait  assisté  à  sa  vie  comme  une 
femme  assise  au  comptoir  dans  un  magasin 
assiste  à  la  vente.  Je  rends  mal  une  chose 
humaine  que  je  vois  si  bien,  et  qui  est  si  fré- 
quente chez  les  créatures  voisines  du  peuple  : 
leur  sort  leur  demeure  extérieur  et  imper- 
sonnel. 

Et  cette  note  si  juste,  que  la  jalousie  n'a 
rien  à  voir  avec  l'amour. 

Il  y  a  là  quelques  portraits  moraux,  si 
l'on  peut  dire,  qui  sont  de  haute  touche  et 
de  beau  relief,  surtout  ce  Jacques  Molan, 
un  parvdieur,  si  l'on  pouvait  employer  ce 
mot  pour  désigner  toute  cette  race  de  lut- 
teurs pour  la  vie,  la  fortune  et  la  gloire, 
depuis  Julien  Sorel  et  Rastignac  jusqu'à 
Bel  Ami.  Un  type  bien  vivant,  ce  Jacques 
dont  la  vie  a  une  régularité  féroce,  impla- 
cable, méthodiquement  puissante,  toute 
faite  de  patience  et  d'obstination,  parce 
que  la  patience  est  ce  qui  se  rapproche  le 
plus  des  procédés  que  la  nature  emploie 
pour  atteindre  ses  résultats.  Elégant  et 
fleurant  doux,  il  est  snob,  à  la  fois  rangé 
et  dérangé;  son  intérieur  est  tenu  avec 
une  propreté  ordonnée  et  hollandaise; 
dans  le  cabinet  où  il  reçoit,  il  a  placé, 
reliées,  les  œuvres  des  jeunes  auteurs  de 
son  temps,  afin  que  ceux-ci  flattés  le  gra- 
cieusent  dans  leurs  journaux.  Rien  que  des 
objets  de  prix  chez  lui  :  il  soigne  d'avance 
sa  vente  possible.  L'empereur  romain 
disait  :  Pas  un  jour  sans  écrire  une  ligne! 


596 


LE    MOUVEMENT    LITTERAIRE 


Jacques  écrit  chaque  jour  quatre  pages, 
pas  une  de  plus,  pour  la  vie  matérielle. 
Homme  étrange,  dont  le  plan  de  vie  est 
comme  un  quadrillage  de  papier  d'archi- 
tecte, et  dont  l'existence  a  l'air  extrava- 
gant ,  désordonné,  ultra-mondain.  Pas 
l'ombre  d'un  sentiment  vrai  ou  profond. 
Il  fait  souffrir  d'amour  sa  petite  Camille 
sans  s'en  douter,  sans  regret,  sans  y  croire, 
quand  on  lui  en  parle. 

Suivons-le  dans  la  loge  de  Camille;  il  la 
taquine  à  dessein  et  lui  fait  venir  les 
larmes  à  propos  de  cette  M™"^  de  Bonnivet 
qui  est  dans  la  salle. 

On  voit  ce  qu'a  cherché  l'auteur  :  des- 
sécher ce  cœur,  durcir  cette  roche,  pour 
s'étonner  qu'il  en  sorte  une  source  douce 
et  suave  qui  est  l'exquise  sensibilité  dont 
il  adoucit  son  œuvre  et  qui  pénètre  ses 
écrits.  Ce  Jacques  n'est  tendre  que  la 
plume  en  main.  11  y  a  scission,  divorce, 
dissidence  entre  sa  vie  vraie  et  celle  de 
son  esprit.  Ses  imaginations  sont  aux  an- 
tipodes de  ses  actes.  C'est  un  argument. 
Il  n'est  pas  très  neuf,  à  vrai  dire,  et  l'on 
soupçonnait  déjà  avant  ce  livre  qu'il  y  a 
une  imagination  du  cœur  et  de  l'âme,  et 
qu'Homère  a  inventé  Andromaque  sans 
être  mère  et  que  Virgile  a  fait  pleurer 
Didon  sans  s'être  trouvé  dans  son  cas. 

Il  se  produit  vers  la  fin  une  légère  dé- 
viation dans  la  thèse,  qui  demeure  un  peu 
flottante.  Vincent  a  assisté  au  drame  qui 
mit  Camille  près  de  la  mort  ;  il  retrouve 
celle-ci  adulée,  grande  artiste,  en  pleine 
possession  de  son  talent  et  de  ses  moyens, 
et  il  en  conclut  qu'il  faut  avoir  éprouvé  et 
étouffé  une  grande  douleur  pour  devenir 
plus  tard  un  génie;  ce  passé  douloureux 
devient  alors  comme  un  engrais  pétri  de 
sang  et  de  larmes  sur  lequel  fleurit  le 
talent  somptueux.  Voici  la  page  : 

Et  c'est  alors  que  j'ai  vraiment  compris 
pourquoi  je  ne  serai  jamais  un  grand  artiste. 
Pour  eux,  pour  les  êtres  comme  je  l'ai  tou- 
jours connu,  lui,  comme  elle  est  devenue, 
elle,  api'ès  la  première  épreuve,  la  vie  tout 
entière,  leur  cœur  y  compris,  n'est  qu'une 
occasion  de  produire  cet  acte  spécial  qu'ils 
ont  à  produire,  cette  précieuse  sécrétion  qu'ils 
élaborent  comme  l'abeille  fait  son  miel,  comme 
l'araignée  fait  sa  toile,  par  un  instinct  aveugle 
et  féroce  à  la  manière  de  tous  les  instincts. — 
Un  amour,  une  haine,  une  joie,  une  douleur, 
c'est  du  terreau  h  faire  pousser  la  fleur  de 
leur  talent,  fleur  de  délicatesse  et  de  passion 
vivante.  Pour  un  mot  à  dire  sur  la  scène, 
pour  une  phrase  à  écrire  dans  un  livre,  cette 
femme  et  cet  homme  vendraient  leur  père  et 
leur  mère,  —  Camille  ne  m'a  même  pas  parlé 
de  la  sienne!  —  ils  vendraient  leur  ami,  leur 
enfant,  leur  plus  doux  souvenir  I  Et  moi  qui 
aurai  passé  ma  vie  à  sentir  ce  qu'ils  expri- 
ment si  bien,  lui  avec  du  noir  sur  du  blanc, 
elle  avec  des  gestes  et  des  accents  émus, 
n'arriverai-je  jamais  qu'à  me  paralyser  avec 


ce  qui  les  exalte,  ces  natures  d'expression,  à 
m'épuiser  par  ce  qui  les  nourrit,  ces  âmes  de 
proie?  Et  la  destinée  veul-elle  que  les  artistes, 
petits  ou  grands,  se  distribuent  nécessaire- 
ment entre  ces  deux  races  :  celle  qui  traduit 
merveilleusement ,  sans  les  sentir,  les  pas- 
sions que  l'autre  race  éprouve  sans  pouvoir 
les  traduire  ? 

Ceci  change  un  peu  les  choses,  car  s'il 
faut  au  talent  le  «  terreau  »  d'une  souf- 
france vécue,  l'expression  a  donc  besoin 
de  l'impression  antérieure  pour  naître?  Ce 
qui  ne  serait  pas  juste,  car  les  romanciers 
ne  sont  pas  tous  obligés  de  faire  de  l'auto- 
biographie. 

Plusieurs  scènes  se  détachent  de  ce 
récit  et  laissent  dans  l'esprit,  on  dirait 
presque  dans  l'œil,  un  souvenir  net  et  vif  : 
les  visites  de  Jacques  dans  la  loge  de  la 
petite  actrice  entourée  de  ses  stupides 
adulateurs,  la  belle  et  sèche  M"""  de  Bon- 
nivet dans  sa  loge  de  balcon,  ou  chez  elle, 
à  la  soirée  oîi  elle  essuie  sans  broncher 
les  allusions  du  rôle  récité  à  bout  portant 
par  Camille  ;  les  rendez-vous  de  la  grande 
dame  au  cimetière  du  Père-Lachaise,  et  au 
petit  rez-de-chaussée  de  la  rue  Nouvelle, 
avec  Camille  cachée  derrière  un  meuble  ; 
le  faux  duel  du  gros  critique,  les  soup- 
çons du  terrible  et  rougeaud  mari,  M.  de 
Bonnivet;  tout  ce  monde  remue,  s'agite 
et  donne  une  impression  délicieusement 
voilée  de  tout  un  coin  de  société  pari- 
sienne, dont  il  faut  louer  le  perspicace  et 
compétent  historien. 


L'Inquisition  a  eu  ses  mystères,  ses 
secrets,  ses  voies  fortes  et  ses  terribles 
indiscrétions  qu'apportait  au  saint-office 
la  sainte  llermandad.  En  Italie,  le  Conseil 
des  Dix  a  eu  un  tel  pouvoir  d'informations 
que  le  drame  de  Victor  Hugo,  Angelo,  tyran 
de  Padoue,  est  à  faire  frémir  :  «  La  nuit, 
j'entends  des  pas  dans  mon  mur.  »  C'est 
un  attrait  du  même  genre  qui  distingue  le 
nouveau  livre  de  M.  Charles  Edmond, 
le  Neveu  du  comte  Sérédine,  scènes  de  la  vie 
russe,  paru  chez  Pion  et  Nourrit.  C'est  ici 
le  nihilisme  qui  représente  la  puissance 
occulte  et  inéluctable  partout  invisible  et 
présente. 

A  Moscou,  une  nuit  de  janvier,  en  1880. 
C'est  grande  fête  au  palais  du  nouveau 
gouverneur,  comte  Sérédine,  chargé  de 
surveiller  les  nihilistes.  Le  bal  est  masqué. 
Beaucoup  d'entrain  et  de  Champagne.  Les 
masques  et  les  travestis  tourbillonnent. 
Deux  Hindous  apportent  un  palanquin 
doré,  le  déposent  sous  la  loggia  de  l'or- 
chestre et  s'en  vont.  Il  contenait  un  ma- 
harajah.  La  farce  parut  drôle. 

Immobile,  celui-ci,  comme  pétrifié.  Quel 
rôle  jouait-il,  que  signifiait   son  attitude  ?  On 


LE     MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 


5S7 


l'examina,  on  essaya  de  lui  soutirer  une  pa- 
role. En  vain  !  Tout  à  coup,  les  observateurs 
partirent  d'un  formidable  éclat  de  rire.  Par- 
bleu !  Il  n'y  avait  pas  à  s'y  méprendre,  rien 
qu'à  voir  cette  tète  masquée,  ])cnchée  sur  la 
poitrine.  Le  maliarajah  dormait  d'un  sommeil  de 
plomb.  Il  dormait,  mais  pourquoi  dormait-il 
ainsi?  L'énij^me,  gjràce  à  l'esprit  collectif  des 
assistants,  ne  tarda  pas  à  livrer  son  mot.  Les 
bons  apôtres  avaient  sans  contredit  fait  pré- 
céder le  bal  d'un  repas  plantureux;  ils  y 
avaient  pjrisé  à  mort  un  de  leurs  convives,  un 
soutTre-douleur  à  qui  on  voulait  ménager 
l'humiliante  surprise  d'un  réveil  en  plein  bal. 

Le  bal  tournoie  autour  du  palanquin. 
L'aube  blanchit.  Il  va  falloir  songer  au  dé- 
part. Le  maharajah  dort  toujours.  C'en  est 
trop,  la  farce  fait  long  feu  : 

On  s'empressa  autour  du  palanquin  ;  une 
main  s'y  introduisit  de  chaque  côté  et  secoua 
le  dormeur.  Celui-ci  ne  bougea  point. 

Hommes  et  femmes  se  groupaient  tumul- 
tueusement autour  de  la  litière  : 

—  E.\tirpez-le  de  sa  boite?  Dehors!  dehors! 
Voyons  s'il  tiendra  debout  ! 

En  un  clin  d'œil,  le  [lalanquin  fut  dépecé  et 
vola  en  éclats. 

Le  masque  du  fantoche  se  détache  dans  la 
bousculade.  Un  cri  d'horreur  retentit.  Cela  un 
mannequin?  Non  pas!  Un  cadavre!  La  tète 
livide,  monstrueusement  convulsée,  hideuse; 
la  bouche  suintant  une  bave  sanguinolente,  les 
yeux  entrouverts  et  vitreux.  Dans  la  tempe, 
un  petit  trou  perforé  jiar  une  balle.  Et  jour 
de  Dieu  !  la  tête  reconnaissable  !  Oui,  c'est 
bien  lui,  Philippe  Karlowitch  Milders,  le 
vaillant  colonel  de  gendarmerie,  la  terreur  des 
nihilistes. 

Ce  sont  donc  eux  qui  ont  fait  le  coup  ! 

Les  visages,  tantôt  rayonnants  de  joie,  se 
décomposent  en  un  instant.  La  stupeur  glace 
les  regards,  l'efTroi  tord  le  sourire,  la  peur, 
une  peur  blême,  contracte  les  traits  et  tenaille 
les  cœurs.  La  musique,  ignorant  ce  qui  se 
passait  au-dessous  de  son  balcon,  continue 
inconsciemment  et  avec  frénésie  le  galop 
infernal.  Des  cris  rauques,  des  gestes  exas- 
pérés lui  imposent  silence.  La  foule  consternée 
livre   enfin   passage   au  maître  de  la  maison. 

Les  bras  derrière  le  dos,  le  visage  impas- 
sible, le  comte  Sérédine  s'approche  du  cadavre. 
Il  aperçoit  sur  la  poitrine  de  l'assassiné  un 
bout  de  papier  avec  quelques  mots  régulière- 
ment tracés.  Il  les  déchiffre,  et  de  sa  voix 
habituelle,  claire,  doucement  sonore,  articule 
l'inscription  ;   <  Par  ordre  du  Comité  exécutif.  » 

Voilà  les  choses  macabres  que  la  secte 
révoltée  ménage  à  la  Russie  contempo- 
raine. 11  y  a  lieu  de  faire  des  romans  avec 
les  dramatiques  audaces  de  cette  police 
insinuante  et  habile.  Ne  disait-on  pas  que 
la  bougie  du  bougeoir  impérial  posé  sur  la 
table  de  nuit  de  l'empereur  fut  trouvée 
un  soir  chargée  de  dynamite  '? 

M.  Charles  Edmond  nous  donne  bien 
l'impression  de  cette  terreur  latente  qui 
pèse  sur  la  Russie,  minée  de  sourdes  gale- 
ries. Dans  l'ombre  et  à  l'insu  de  tous,  des 


gens  travaillent  à  des  buts  lointains  et 
périlleux,  sans  peur  ni  souci  de  leur  vie. 
Entrons  dans  ce  cénacle  de  conjurés,  et 
voyez  quels  hommes  ! 

l'n  pas  lourd  dans  l'escalier  coupa  court  au 
tlithyrambe.  La  porte  s'ouvrit  et  l'hôte  attendu 
apparut.  Une  apparition,  en  effet,  et  au  sur- 
plus stupéfiante. 

Que  lui  était-il  donc  arrivé  à  Malojev  ? 
Avant-hier  encore  vaillant  et  robuste  ;  aujour- 
d'hui courbé  en  deux,  livide,  les  traits  tirés 
comme   à  la    suite  d'une  horrible  souffrance. 

On  s'empressa  autour  de  lui,  on  l'installa 
sur  un  siège. 

—  Des  explications,  par  pitié! 

Malojev  respira  péniblement.  Sans  ouvrir  la 
bouche,  il  avança  la  tête  et  souleva  les  mains. 
Son  front  portait  la  trace  sanguinolente  d'un 
fil  métallique  qui  se  serait  fort  avant  incrusté 
autour  de  son  crâne.  Ses  deux  pouces  étaient 
écrasés. 

—  Un  guet-apens,  un  supplice  inou'i,  infligé, 
par  qui  ?  Où  cela  ?  A  quel  propos  ? 

Malojev  hocha  la  tête  en  signe  de  dénéga- 
tion. Le  guet-apens,  en  son  aventure,  n'entrait 
pour  rien. 

—  Quoi  donc... 

—  Les  enquêtes  se  poursuivent  aujourd'hui 
avec  accompagnement  de  torture.  Cette  jolie 
musique  est  destinée  à  vous  faire  chanter  tout 
ce  que  l'on  a  sur  le  cœur.  Les  forts  résistent 
à  l'invitation,  les  faibles  succombent.  Etais-je 
fort?  Etais-je  faible?  Comment  savoir?  Il  me 
le  fallait  savoir  cependant,  sous  peine  de 
trahir  la  cause,  d'appeler  le  malheur  sur  la 
tête  des  amis,  de  se  couvrir  soi-même  d'op- 
probre. Je  me  suis  appliqué  la  torture. 

—  Malojev  !  mon  pauvre  Malojev  !  tu  as  fait 
cela!  s'écria  Sévrouk. 

—  Au  commencement,  cela  n'a  pas  mal 
marché,  répondit  celui-ci  d'un  air  d'humble 
excuse;  je  serrais  les  dents,  je  me  raidissais, 
je  me  sentais  le  plus  fort.  Je  me  soumis 
alors  à  des  épreuves  plus  énergiques.  Bientôt 
la  douleur  reprit  le  dessus.  Terrassé  par  elle, 
vaincu,  mon  corps  me  sembla  passer  à  l'état 
de  loque,  de  chiffe,  de  quelque  chose  de 
veule,  d'odieux.  Ma  résolution  s'envola  au 
diable.  Pour  un  instant  de  répit  à  mon  sup- 
plice, je  n'aurais  pas  hésité  à  dénoncer  mon 
propre  père.  L'expérience  a  été  concluante. 
Plus  bon  à  rien  qu'à  croupir  dans  mon  coin 
et  cuver  la  honte  de  m'ètre  cru  meilleur, 
plus  apte  à  travailler  avec  vous  que  je  ne  le 
suis  en  réalité.  Pardonnez-moi  et  adieu. 

Voilà  de  nos  gens!  Un  de  leurs  plus 
beaux  coups  dans  ce  livre  est  la  délivrance 
de  leur  frère,  le  nihiliste  Nikitine,  qui 
attend  en  prison  le  jour  du  supplice. 

C'est  la  fête  de  Pâques.  Les  prisonniers 
ont  un  peu  plus  de  relâche. 

11  a  suffi  de  cette  fissure  dans  la  capti- 
vité pour  sauver  Nikitine.  Deux  hommes 
ont  pu  entrer  chez  le  prisonnier  Yakimov, 
qui  est  mourant,  et  qui  est  aussi  moins 
suspect,  parce  qu'on  sait  qu'il  va  expirer. 
Oui,  il  va  mourir;  mais  dans  le  parti,  il  ne 
faut  pas  de  mort  inutile.  Moins  surveillé. 


59S 


LE     MOUVEMENT    LITTERAIRE 


il  a  pu  recevoir  et  cacher  deux  bouteilles 
de  pétrole;  il  en  inonde  sa  cellule,  y  met 
le  feu  et,  tandis  qu'il  périt  dans  les  flammes, 
le  désordre  g-agne  toute  la  prison  avec  l'in- 
cendie, les  portes  sont  défoncées;  dans  la 
fumée  on  ne  surveille  plus  rien,  et  voilà 
Nikiline  arraché  aux  fers  et  emporté  bien 
loin  par  ses  compagnons.  Ce  tableau  de 
l'incendie  de  la  prison  est  animé  et  large- 
ment peint. 

Le  régime  redoutable  des  prisons,  des 
mines,  de  l'exil  en  Sibérie,  les  horreurs 
de  la  répression  auprès  de  la  hardiesse 
implacable  de  l'attaque,  le  récit  palpitant 
de  l'exécution  d'un  nihiliste  pendu ,  tels 
sont  les  épisodes  dramatiques  qui  mar- 
quent l'aventure  du  neveu  du  comte  Séré- 
dine,  dont  nous  n'avons  point  encore 
parlé,  il  est  vrai,  sans  doute  parce  que 
les  épisodes  tiennent  une  place  plus  large 
et  plus  belle  que  le  cas  de  Paul  Sérédine. 
C'est  le  neveu  de  l'intendant  général 
chargé  de  surveiller  les  nihilistes.  Or  ce 
neveu  est  un  nihiliste  ardent  et  convaincu. 
Il  est  découvert  et  dénoncé.  La  scène  où 
il  s'explique  avec  son  oncle  gouverneur, 
et  où  il  fait  l'historique  de  sa  conversion 
devant  le  spectacle  des  campagnes  russes, 
est  fort  belle  et  touchante.  L'oncle  est 
furieux,  car  ce  neveu  le  compromet  et  va 
lui  faire  perdre  sa  brillante  situation  en- 
viée par  tant  d'ennemis.  C'est  le  neveu 
qui  pâtira,  car  son  prudent  parent  le  fait 
aussitôt  incarcérer  et  rend  compte  à  l'em- 
pereur de  son  zèle,  ce  qui  pare  le  coup  : 
l'ambition  s'assoit  plus  solide  sur  les 
ruines  de  la  parenté. 


Dans  Pointes  sèches,  Adolphe  Brisson  a 
buriné  d'une  touche  délicate  et  bienveil- 
lante quelques  physionomies  littéraires  : 
des  prosateurs,  M'"<=  Adam,  Legouvé,  Lar- 
roumet,  Marcel  Prévost,  Pierre  Loti, 
Courteline ,  Henry  Fouquier,  etc.  ;  des 
poètes,  comme  Armand  Silvestre,  Riche- 
pin,  Jean  Rameau,  Léon  Dierx  ;  des  dra- 
maturges, comme  Becque,  Sardou,  Pail- 
leron,  Porto- Riche  ;  et  aussi  des  acteurs, 
des  actrices.  C'est  un  album  intéressant, 
vivant,  des  célébrités  contemporaines.  A 
la  fin,  il  y  a  un  récit  de  tournée  artistique 
à  travers  la  France,  en  compagnie  d'une 
troupe  de  la  Comédie-Française ,  tout 
comme  au  temps  de  Molière. 

Il  est  regrettable  que  l'auteur  n'ait  pas 
été  tenté  de  corser  son  récit  par  un  paral- 
lèle piquant  avec  le  Roman  comique  de 
Scarron.  Que  les  temps  sont  changés  !  Le 
trait    plaisant   est   ici    le    transbordement 


d'une  ville  à  l'autre  du  buste  de  Molière, 
qui  perd  une  oreille  par-ci,  un  nez  par-là, 
et  qu'on  remballe  tous  les  soirs  dans  le 
foin  pour  l'étape  suivante. 

En  Fiqiie-nique  est  une  publication  que 
fait,  chaque  année,  le  comité  de  la  Société 
des  gens  de  lettres;  le  volume  est  vendu 
au  profit  de  la  Caisse  de  secours.  Il  est 
rédigé  par  tous  les  membres  du  comité,  qui 
fournissent  une  nouvelle  ou  une  étude.  La 
valeur  de  ce  volume  annuel  est  donc  su- 
bordonnée au  hasard  des  années  et  à  la 
composition  du  comité.  Il  est  édité  par 
Armand  Colin,  éditeur  de  la  Société  des 
gens  de  lettres.  Que  contient-il  cette  an- 
née ?  De  tout  un  peu.  Léon  Barracand  a 
raconté  la  touchante  histoire  (ÏAïa  Tota; 
Ernest  Benjamin  a  mis  de  l'émotion  vraie 
dans  son  Drame  intime  ;  puis  ce  sont  de 
beaux  vers  du  regretté  Edouard  Cadol  sur 
Sedan  :  Sedantag  !  La  Paulinetle,  de  Charles 
Chincholle,  est  un  affriolant  modèle  ;  Albert 
Cim  nous  narre  une  émouvante  histoire 
d'Attaque  nocturne;  après  une  nouvelle  de 
votre  serviteur,  Ministre  et  Paysan,  Henri 
Datin  dit  son  conte.  Poste  restante,  d'une 
invention  touchante.  A  qui  le  tour?  Voici 
venir  Henri  Demesse,  qui  fait  le  conte 
rouge  de  la  Demeure  ensorcelée  ;  Alfred 
Duquet  nous  narre  un  cas  curieux  et  ma- 
cabre de  voyage  en  Train  de  plaisir  ;  puis, 
de  belles  pages  de  Henry  Houssaye,  la 
Journée  de  Naiwléon  /™,  que  suit  une  bonne 
farce  de  Marc  Mario  ,  Effet  raté  ;  car  ce 
volume  est  fort  panaché.  Edouard  Mon- 
tagne fait  un  joli  conte,  la  Dernière  maî- 
tresse; le  comte  Charles  de  Mouy  étudie 
les  Primitifs  italiens  au  musée  de  Berlin.  Le 
défilé  continue  :  le  Petit  Soldat,  joliment 
dit  par  Jacques  Normand  ;  Affaire  crimi- 
nelle, par  Lucien  Pâté  ;  la  Seine,  histoire 
d'un  monomane,  par  Marcel  Prévost  ;  la 
Sonnette  d'alarme,  par  Jean  Rameau  ;  Rêve 
d'été,  par  Jean  Reibrach  ;  le  Petit  Frère, 
par  Paul  Robiquet;  la  Lande,  par  Raoul  de 
Saint-Arroman  ;  Martin  Luther,  par  E.Thiau- 
dière  ;  le  Paradis  des  chats,  par  Emile  Zola  : 
voilà  du  choix.  Vingt-deux  signatures  pour 
un  volume  !  Allons  ,  mesdames ,  achetez- 
nous  !  C'est  pour  nos  pauvres  assistés  ; 
c'est  une  lecture  de  charité,  un  achat  de 
bienfaisance,  une  œuvre  humanitaire;  nous 
lui  avons  donné  notre  encre  ;  donnez-lui 
aussi  quelque  chose.  Si  tout  ne  vous  plaît 
pas  dans  le  volume,  vous  en  aimerez  tou- 
jours bien  une  moitié  et  vous  aurez  fait 
œuvre  pie  en  secourant  les  malheureux  au 
profit  de  qui  se  fait  cette  publication  pana- 
chée, cette  macédoine,  —  qui  est  la  soupe 
du  pauvre  ! 

Léo    Claretie. 


CAUSEllIK    SCIENTIFIQUE 


Lune  des  principales  curiosités  scienti- 
fiques de  l'Exposition  de  lUOO  sera  la 
Cfrandc  lunclle  astronomique,  à  laquelle  le 
public  a  tout  d'abord  attribué  une  puis- 
sance bien  exagérée  en  disant  qu'elle  au- 
rait un  grossissement  tel  que  la  lune 
paraitrail  à  1  mètre  de  nous.  Les  auteurs 
■du  projet  n'ont  pas  eu  une  telle  préten- 
tion et  cependant  ils  n'ont  pas  lésiné  sur 
les  dimensions,  car  leur  lunette  a  OO  mè- 
tres de  long  et  1"',2^)  de  diamètre!  Cela 
ne  constitue  pas  un  instrument  très  ma- 
niable, aussi  a-t-on  résolu  de  la  fixer  sur 
le  soi  d'une  façon  immuable,  et  pour  exa- 
miner les  dilTérents  points  du  ciel  on  se 
servira  d'un  miroir  de  2  mètres  de  diamètre, 
placé  en  avant,  qui  renverra  à  l'objectif 
limage  des  astres  ;  un  mouvement  d'horlo- 
gerie lui  permettra  de  les  suivre  dans  leur 
déplacement  apparent  ;  l'ensemble  de  ce 
sidérostat  pèsera  14t)00  kilogrammes. 
Au  point  de  vue  de  l'optique  astronomique 
nous  pouvons  dire  que  la  France  tient  le 
premier  rang  :  c'est  grâce  aux  ateliers  de 
M.  Gautier  et  des  frères  Henry,  à  la  fon- 
derie de  verres  spéciaux  de  M.  Mantois  et 
■aux  glaceries  de  Jeumont  qu'on  pourra 
mener  à  bien  une  telle  entreprise.  En  ce 
Jiioment  on  termine  le  miroir  qui  est  formé 
d'un  disque  de  verre  de  2  mètres  de  dia- 
mètre et  0"\30  d'épaisseur.  La  difficulté 
ne  consiste  pas  à  avoir  de  la  transpa- 
rence, elle  est  inutile  puisque  la  surface 
seule  est  utilisée,  pour  supporter  la  mince 
couche  d'argent  qui  doit  réiléchir  l'image; 
ce  qu'il  faut,  c'est  une  surface  d'une  homo- 
généité de  trempe  qui  permette  de  lui 
donner  une  planétie  et  un  poli  parfaits  ;  la 
■chose  n'est  pas  simple  puisque  l'usine  de 
Saint-Gobain  refusa  d'essayer  et  que  celle 
de  Jeumont,  qui  réussit  du  premier  coup 
le  disque  actuellement  au  montage,  ne 
put  en  réussir  un  second  semblable  dans 
les  onze  essais  qui  suivirent  la  coulée  du 
premier.  C'est  avec  une  machine  spéciale- 
ment construite  dans  ce  but  que  M.  Gau- 
tier a  procédé  au  polissage  de  l'une  des 
surfaces  du  disque;  un  plateau  muni  d'un 
mouvement  de  va-et-vient  voyage  à  une 
distance  variable  de  cette  surface  et  y  pro- 
mène une  boue  d'émeri  dont  la  finesse  va 
en  s'accentuant  chaque  jour.  Cela  parait 
très  simple  au  premier  abord,  mais  pour 
donner  au  lecteur  une  idée  de  la  minutie 
d'un  tel  travail,  nous  dirons  que  la  moindre 
variation  de  température  dans  les  diffé- 
rentes parties  de  la  machine  peut  entraver 
sa  marciie  régulière  ;  les  quatre  glissières 
qui  supportent  le  rodoir  sont  munies  de 
thermomètres  indiquant  le  1/10  de  degré; 
au  moyen   de  becs  de  gaz  allumés  à  des 


distances  variables  on  les  maintient  rigou- 
reusement à  la  même  température  ;  si 
l'ouvrier  qui  surveille  le  travail  séjourne 
un  peu  trop  longtemps  auprès  de  l'un  d'eux, 
on  constate  une  différence  qu'il  importe 
de  rectifier.  On  arrive  peu  à  peu  à  appro- 
cher le  rodoir  à  moins  de  l/TiO  de  milli- 
mètre et  on  vérifie  la  planétie  [)ar  des 
méthodes  optiques  spéciales  qui  sont  d'une 
délicatesse  telle  que  la  faible  dilatation 
produite  sur  le  disque  par  l'approche  de 
la  main  peut  être  constatée  ! 

Pour  les  objectifs,  il  faut  se  livrer  à  un 
travail  analogue,  qui  se  complique  de  la 
difficulté  d'obtenir  d'abord  une  masse 
homogène  et  transparente.  Nous  aurons 
occasion  de  revenir  sur  cette  question. 
Pour  le  moment,  le  travail  est  en  bonne 
voie  et  nous  pouvons  espérer  qu'en  19t)0 
il  nous  sera  permis  de  voir  la  lune,  non 
pas  à  1  mètre,  mais  à  65  kilomètres.  C'est 
déjà  suffisant  pour  qu'un  objet  de  130  mè- 
tres de  long  ait  pour  nous  l  millimètre, 
ce  qui  est  déjà  une  dimension  appréciable. 
Si  les  armées  lunaires  font  les  grandes 
manœuvres,  nous  pourrons  étudier  les  qua- 
lités stratégiques  de  leurs  généraux  et 
peut-être  nous  en  inspirer.  Habitants  d'un 
monde  plus  vieux,  ils  ont  sans  doute  plus 
d'expérience  ! 


On  a  beaucoup  parlé,  à  propos  du  ter- 
rible déraillement  de  Lisieux,  de  l'incon- 
vénient d'atteler  deux  locomotives  à  un 
même  train  ;  les  Compagnies  savent  très 
bien  à  quoi  s'en  tenir  là-dessus,  mais  il 
faut  bien  qu'elles  utilisent  le  matériel  exis- 
tant ;  cependant,  en  présence  de  l'impor- 
tance des  convois  actuels,  elles  tendent  de 
plus  en  plus  à  employer  les  machines  Com- 
pound  et  à  boggie.  Ces  deux  termes,  dont 
il  a  été  souvent  question  depuis  quelque 
temps,  ne  sont  pas  compréhensibles  pour 
tout  le  monde  au  premier  abord;  cepen- 
dant ils  ne  cachent  rien  de  diabolique. 

Compound  veut  dire  que  la  vapeur  est 
utilisée  en  deux  fois  dans  une  machine  com- 
2)oiiée  de  plusieurs  pistons.  En  effet,  on  a 
remarqué,  il  y  a  déjà  longtemps,  qu'au  sor- 
tir du  cylindre  où  elle  a  poussé  le  piston, 
la  vapeur  n'a  pas  perdu  toute  sa  force  et 
on  a  eu  l'idée  de  l'utiliser  dans  un  autre 
cylindre  de  dimensions  plus  grandes  pour 
agir  sur  un  autre  piston  ;  on  peut  même 
encore  parfois  l'employer  sur  un  troisième 
et  un  quatrième;  cela  dépend  de  sa  pres- 
sion initiale  dans  la  chaudière.  On  com- 
prend l'importance  de  cette  découverte  qui, 
appliquée  aux  machines  marines,  a  permis 
de  réduire  le  combustible  de  plus  de  moitié. 


600 


CAUSERIE     SCIENTIFIQUE 


Dans  les  locomotives,  l'application  de  ce 
principe  est  plus  récente,  et,  pour  ne  pas 
trop  compliquer  le  mécanisme,  on  se  con- 
tente de  deux  cylindres  pour  chacune  des 
deux  machines  motrices  agissant  de  chaque 
côté  sur  les  essieux.  Outre  l'avantage  qui 
permet  de  mieux  utiliser  la  détente  de  la 
vapeur,  on  a  encore  celui  de  pouvoir  à 
l'occasion,  par  un  mécanisme  spécial,  em- 
ployer la  haute  pression  dans  les  deux  cy- 
lindres à  la  fois,  ce  qui  est  précieux  pour 
les  démarrages  et  pour  les  rampes.  En 
outre,  chaque  piston  travaille  sur  un  essieu 
différent,  ce  qui  répartit  l'effort  sur  deux 
manivelles  au  lieu  d'une  et,  au  point^  de 
vue  de  la  rupture  possible  de  cette  pièce, 
cela  est  à  considérer,  car  chacune  d'elles 
ne  supporte  plus  que  moitié  de  l'effort 
total  qui,  dans  certaines  locomotives,  at- 
teint 18  000  kilogrammes. 

On  remarquera  sur  le  type  que  représente 


Fig.  1.  —  Locomotive  Compound  à  boggie. 

C'est-à-dire  composée  de  plusieurs  pistons  dans  lesquels 
la  vapeur  agit  successivement  et  dont  l'avant  M  est 
supporté  par  un  petit  chariot  articulé. 

notre  gravure  (fîg.  1)  que  les  roues  mo- 
trices sont  reportées  vers  l'arrière  de  la 
locomotive,  Favant  est  supporté  par  un 
petit  chariot  M  ou  boggie,  qui  ne  fait  pas 
corps  avec  la  machine,  mais  est  articulé 
au  moyen  d'une  cheville  ouvrière;  dans 
les  courbes,  l'ensemble  des  points  d'appui 
de  la  machine  sur  les  rails  peut  donc  ne 
pas  être  en  ligne  droite,  ce  qui  fatigue 
beaucoup  moins  la  voie  et  permet  des 
vitesses  plus  considérables.  C'est  avec  une 
machine  de  ce  genre  que,  depuis  six  ou 
sept  ans,  la  Compagnie  du  Nord  fait  cir- 
culer, entre  Paris  et  Amiens,  un  train  dont 
la  vitesse  de  85  kilomètres  à  l'heure  se 
maintient  à  peu  près  uniforme  pendant 
tout  le  parcours,  malgré  les  rampes  et  les 
courbes.  Aussi,  comme  nous  le  disions 
plus  haut,  toutes  les  Compagnies  tendent 
à  adopter  peu  à  peu  ce  genre  de  machines. 


Parmi  les  nouveautés  de  l'exposition 
d'automobiles  qui  eut  lieu  à  Paris  en  juillet 
dernier,  nous  avons  remarqué  une  pompe 
à  incendie  construite  par  M.  Combler. 
C'est  une  voiture  à  vapeur  (fig.  2)  dont  le 


moteur  de  15  à  18  chevaux  actionne  à  vo- 
lonté les  roues  motrices,  ou  une  pompe 
débitant  un  mètre  cube  à  la  minute,  avec 


Fig.  2.  —   Pompe   à  vapeur  automobile. 

La  machine  à  vapeur  sert  à  mettre  en  mouvement  le 
véhicule  avec  une  vitesse  de  2Ù  kilomètres  à  l'heure 
et  fait  ensuite  mouvoir  la  pompe  qui  lance  à  40  mètres 
un  mètre  cube  d'eau  à  la  minute. 


un  jet  de  40  mètres;  elle  peut  porter  huit 
pompiers  et  pèse  3  000  kilogrammes  ;  sa 
vitesse  de  marche  est  d'environ  20  kilo- 
mètres à  l'heure.  L'idée  n'est  pas  nou- 
velle, et  à  New-York  il  existe  une  puis- 
sante pompe  automobile  dont  les  pompiers 
américains  sont  1res  fiers;  il  est  tout  natu- 
rel, puisqu'on  dispose  d'un  moteur  puis- 
sant, de  chercher  a  l'utiliser  pour  la  pro- 


Fig,  3.  —  Poste  de  pompe  à  vapeur,  à  Paris. 

Les  sapeurs  descendent  en  se  laissant  glisser  le  long 
d'une  perche.  Les  harnais  sont  suspendus  tout  préparés 
au-dessus  de  l'emplacement  du  cheval.  La  pompe  part 
en  pression  trois  minutes  après  le  signal  d'alarme  reçu. 

pulsion  du  véhicule,  et  il  est  certain  que 
dans  bien  des  cas  cela  permettra  de  ga- 
gner du  temps;  mais  la  pompe  à  vapeur 
traînée  par  des  chevaux  ne  doit  pas  être 
pour  cela  supprimée,  car  elle  seule  pourra 


CAUSERIE     SCIENTIFIQUE 


601 


passer  dans  certains  chemins  encombrés 
ou  peu  carrossables. 

A  Paris,  où  il  y  a  une  moyenne  de  trois 
incendies  par  jour  et  deux  f^rands  feux  par 
mois,  le  service  des  incendies  csl  remar- 
qual)lement  organise;  on  n'utilise  jus(iu'à 
présent  que  les  chevaux,  mais  toutes  les 
précautions  sont  prises  pour  ne  pas  perdre 
de  temps  :  les  conducteurs,  logés  aux 
étages  supérieurs,  ne  prennent  pas  l'es- 
calier, mais  se  laissent  glisser  par  des 
perches  (fig.  3)  qui  les  amènent  directe- 
ment dans  la  remise  où  le  véhicule  est 
disposé  en  face  de  la  porte  ;  les  harnais 
sont  suspendus  à  un  fd  au-dessus  des 
brancards,  et  les  chevaux  sont  dressés  à 
s'y  placer  d'eux-mêmes;  pendant  ce  temps 
la  chaudière  est  i-emplie  d'eau  maintenue 
à  80  degrés  et  le  feu  est  allumé.  Trois  mi- 
nutes après  que  le  signal  a  été  donné,  la 
pompe  sort  avec  sa  chaudière  en  pression. 
Avec  la  pompe  automobile,  on  ne  sera  pas 
prêt  plus  vite,  mais  on  pourra  gagner  du 
temps  dans  le  parcours;  c'est  une  arme 
nouvelle  à  introduire  dans  l'arsenal  des 
grandes  compagnies  de  pompiers. 


Puisque  nous  parlons  d'automobile,  si- 
gnalons une  idée  originale;  nous  n'avons 
pas  vu  la  réalisation  et  le  modèle  ne  figu- 
rait pas  à  l'exposition  dont  nous  parlions 
plus  haut,  mais  on  nous  assure  qu'il  est  en 
voie  de  réalisation.  L'inventeur,  M.  Mille, 
fait  remarquer  que  l'homme  et  les  animaux 
ne  se  font  pas  volontiers  aux  aspects  nou- 
veaux ;  le  premier  critique  la  forme  de  la 


Fig.  4. 


Tracteur  Mille. 


Le  moteur  à  gaz  est  logé  dans  une  enveloppe  ayant  la 
forme  d'un  cheval  afin  de  ne  pas  changer  l'aspect 
général  des  véhicules. 


voiture  automobile ,  les  seconds  s'en 
effrayent,  et  tout  cela  simplement  parce 
qu'elle  semble  toujours  attendre  un  che- 
val; c'est  pourquoi  M.  Mille  lui  en  donne 
un,  mais  il  est  automobile!  Il  construit  un 
tracteur  dont   la  forme  est  telle  que  toute 


la  machine  est  supportée  par  deux  roues 
motrices  et  directrices  en  môme  temps, 
et  il  enferme  le  tout  dans  une  enveloppe 
métallique  à  la([uelle  il  donne  l'aspect  d'un 
cheval  (fig.  4).  Après  tout,  l'idée  n'est  pas 
mauvaise,  si  toutefois  on  accepte  un  trac- 
teur indépendant  de  la  voiture,  ce  que 
jusqu'à  présent  on  ne  semble  avoir  fait 
que  pour  traîner  de  grosses  charges  ou  les 
très  légères.  Le  tricycle  de  Dion  Bouton,, 
que  nous  voyons  souvent  remorquer  un 
fauteuil,  est  certainement  un  achemi- 
nement vers  le  cheval  automobile  de 
M.  Mille. 

« 
*    * 

Tout  le  monde  connaît,  au  moins  de  ré- 
putation, le  marteau  pilon  à  vapeur,  qui 
est  depuis  longtemps  la  gloire  des  grandes, 
usines  où  il  fait  tout  trembler  en  projetant 
une  gerbe  étincelante  autour  de  lui.  On  est 
en  train  de  le  détrôner  pour  le  remplacer 
par  la  presse  hydraulique  qui,  sous  un  vo- 
lume moindre  et  sans  bruit,  fait  un  meil- 
leur travail.  Le  marteau  pilon,  dont  le  prin- 
cipal défaut  est  d'être  un  peu  brutal,  exige 
une  enclume  très  coûteuse,  et  les  vibra- 
tions qu'il  communique  au  sol  présentent 
de  noml)reux  inconvénients  ;  en  outre,  il 
ne  forge  pas  d'une  façon  parfaite,  attaquant 
surtout  la  superficie  sans  comprimer  suffi- 
samment la  masse  totale  des  grosses 
pièces;  il  s'ensuit  qu'au  centre  les  molé- 
cules ne  sont  pas  aussi  rapprochées  qu'à  la 
surface,  d'où  défaut  d'homogénéité.  C'est 
pour  remédier  à  ces  défauts  que  depuis 
quelque  temps  on  emploie  les  presses  à 
forger  (fig.  o)  qui  ne  sont  pas,  en  somme, 
autre  chose  que  des  presses  hydrauliques. 
On  sait  que  ces  dei'nières  sont  basées  sur 
le  principe  d'égalité  de  pression  dans  les 
liquides  :  toute  pression  exercée  en  un 
point  se  transmet  proportionnellement  à  la 
surface  qui  la  reçoit  ;  si  deux  corps  de 
pompe  communiquant  ensemble  sont  rem- 
plis d'eau,  la  pression  exercée  sur  l'un  se 
transmet  à  l'autre;  mais  si  l'un  est  très  pe- 
tit et  l'autre  très  gros  la  pression  sur 
chaque  portion  de  surface  de  ce  dernier 
est  égale  à  celle  exercée  sur  le  premier, 
c'est-à-dire  que  si  la  surface  du  grand  pis- 
ton est  cent  fois  plus  grande  que  celle  du 
petit  piston,  lefTet  exercé  sur  ce  dernier 
sera  multiplié  par  cent.  On  comprend 
qu'on  arrive  de  cette  façon  à  des  pressions 
énormes,  même  à  bras  d'homme,  et  on  peut 
dès  lors  se  faire  une  idée  de  la  puissance 
qu'on  peut  obtenir  si  le  petit  piston  est 
actionné  par  une  machine  à  vapeur  ;  c'est 
précisément  le  cas  dans  les  presses  à  for- 
ger. Elles  sont  surtout  répandues  en  An- 
gleterre où  on  en  construit  qui  ont  jusqu'à 
5  000  tonnes  de  puissance.  Un  distributeur 
spécial   permet   de   régler  très   facilement 


■C02 


CAUSERIE     SCIENTIFIQUE 


leur  action  et  de  faire  varier  la  rapidité 
<Vécartement  et  de  rapprochement  des 
mâchoires,  ainsi  que  la  puissance  avec  la- 
quelle elles  doivent  écraser  la  pièce  qu'on 


Fig.  5.  —  Presse  à  forger. 

Sorte  de  presse  hydraulique  remplaçant  le  marteau  pilon 
à  vapeur  et  ayant  l'avantage  d'agir  moins  brutalement, 
plus  sûrement  et  de   tenir    moins    de    place   à    force 


leur  présente.  On  arrive  avec  ces  engins  à 
travailler,  avec  une  précision  mathéma- 
tique et  presque  sans  bruit,  les  grosses 
pièces  de  fer  et  d'acier  destinées  aux  plus 
]iuissantes  machines  à  vapeur. 


L'utilisation  complète  des  résidus  est 
une  cause  de  prospérité  d'une  industrie,  et 
de  même  qu'on  caractérise  l'économie  à 
outrance  dans  une  famille  en  disant  qu'on  ne 
laisse  même  pas  sortir  la  fumée,  il  semble 
que  l'industrie  des  hauts  fourneaux  s'in- 
spire de  ce  principe  en  captant  les  gaz,  qui 
se  perdaient  jus([u'à  présent  dans  l'atmo- 
sphère, pour  les  utiliser  dans  des  moteurs 
ai)propriés. 

L'idée  de  cette  utilisation  remonte  déjà 
à  })lusieurs  années,  mais  on  avait  rencon- 
tré jusqu'alors  des  objections  Inéoriques 
si  nombreuses  qu'on  ne  faisait  même  pas 
d'essais.  Récemment  des  analyses  mieux 
conduites  et  des  calculs  plus  complets  ont 
prouvé  que  les  gaz ,  jusqu'alors  perdus, 
renfermaient  des  hydrocarbures  en  quantité 
et  de  qualité  suflisantes  pour  produire, 
dans  des  moteurs  à  gaz ,  une  puissance 
utilisable  très  appréciable.  Mais  ce  n'est 
pas  sans  peine  que  les  ingénieurs  spéciaux 


se  sont  mis  d'accord  là-dessus,  car  si  l'un 
estimait  qu'on  devait  avoir  40  chevaux 
disponibles  par  tonne  de  fonte,  un  autre 
n'en  trouvait  que  20  et  encore  estimait  que, 
dans  la  pratique,  ce  serait  peut-être  sur 
10  seulement  qu'il  fallait  compter. 

Quoi  qu'il  en  soit,  la  discussion  a  porté 
ses  fruits  et,  dans  une  usine  du  Lanark- 
shire,  M.  Thwaite  a  le  premier  tenté 
l'expérience  ;  il  a  réussi  à  faire  fonctionner 
un  moteur  de  30  chevaux  qui  actionnait 
une  dynamo  pour  la  production  de  la 
lumière  électrique. 

En  Allemagne  et  en  Belgique,  on  a 
suivi  l'exemple,  et  prochainement,  en 
France,  dans  une  usine  du  Pas-de-Calais, 
M.  G.  Robert  se  propose  de  faire  une  in- 
stallation de  ce  genre.  La  question  est 
donc  maintenant  à  peu  près  sortie  de  la 
période  de  tâtonnement,  et  l'industrie  mé- 
tallurgique va  bénéficier  d'une  nouvelle 
force  que  jusqu'alors  elle  avait  dédaignée. 


L'aspect  d'un  scaphandrier,  revêtu  de  son 
vêtement  de  travail,  est  bien  connu,  et 
beaucoup  de  nos  lecteurs  ont  sans  doute, 
comme  nous,  eu  l'occasion  de  constater 
l'impression  presque  de  frayeur  qu'il  cause 
en  sortant  de  l'eau  ;  le  nouveau  cos- 
tume (fig.  6),  imaginé  par  M.  Gordon,  n'est 
pas  fait  pour  calmer  cette  impression,  car, 
dans  cette  nouvelle  carapace,  l'aspect  gé- 
néral est  encore  plus  fantastique.  La  trans- 
formation proposée,  et  déjà  expérimentée 


Scaphandre  Gordon. 


Nouvelle  forme  de  scaphandre  formant  un  vêtement 
complètement  rigide  dans  lequel  l'homme  ne  supporte 
pas  la  pression  de  la  colonne  d'eau,  ce  qui  permet  de 
descendre  à  de  grandes  profondeurs. 

en  Angleterre,  a  pour  but  de  permettre  à 
l'ouvrier  de  pouvoir  séjourner  plus  long- 
temps sous  l'eau  sans  fatigue.  Dans  le  sys- 
tème ordinaire,  le  casque  seul  offre  de  la 


C  A  U  s  1<:  R  1 1<:     s  C I  E  N  T  I  F I  Q  U  E 


oo:î 


rigidité,  il  csl  soudé  au  reste  du  vêtement 
<]ui  est  en  caoutchouc  souple;  il  en  ré- 
sulte que  la  pression  extérieure  est  entiè- 
rement supportée  par  le  corps  de  Thomme 
et  (ju'il  faut,  pour  la  combattre,  lui  en- 
voyer de  l'air  comprime  cpii  est  fort  pé- 
nible h  supporter,  même  à  des  profondeurs 
assez  faibles.  Le  but  de  M.  Gordon  est 
donc  de  rendre  toutes  les  parties  du  vê- 
tement rigides,  de  façon  qu'elles  sup- 
portent seules  la  pression  sans  que  le 
corps  de  l'ouvrier  y  participe,  la  contre- 
pression  à  exercer  de  l'extérieur,  devenant 
à  peu  prés  inutile,  se  trouve  réduite  à  la 
(juantité  nécessaire  à  la  respiration. 

Le  casque  se  continue  jusqu'à  la  cein- 
ture par  une  cuirasse  qui  pèse  plus  de 
100  kilogrammes;  des  manches  et  des 
jambes  formées  de  tubes  en  spirales,  ana- 
logues à  ceux  qu'on  vend  depuis  quelques 
années  pour  les  lampes  à  gaz,  complètent 
l'attirail  et  laissent  aux  bras  et  aux  jambes 
une  liberté  de  mouvements  suffisante  pour 
le  travail  à  elTectuer;  nous  ne  dirons  pas 
qu'on  est  absolument  à  l'aise,  mais  on  ne 
revêt  généralement  pas  ce  costume  pour 
jouer  au  tennis. 

Des  expériences  qui  ont  été  faites  der- 
nièrement, il  résulte  que  des  plongeurs 
exercés  ont  pu  rester  une  heure  par 
TiT)  mètres  de  fond  avec  cet  appareil,  ce 
qui  serait  absolument  impossible  avec  le 
vêtement  ordinaire  qui  restera  comme  par 
le  passé  réservé  aux  faibles    profondeurs. 


On  a  déjà  réduit  le  calibre  des  fusils  de 
guerre,  et  il  était  même  question  derniè- 
rement de  le  diminuer  encore,  en  donnant 
comme  raison  qu'il  suffit  de  mettre  les 
hommes  hors  de  combat  et  qu'il  n'est  pas 
nécessaire  de  leur  faire  des  blessures  mor- 
telles. Mais  si  c'est  là  la  seule  raison,  elle 
semble  mauvaise  d'après  les  constatations 
faites  à  la  suite  des  derniers  troubles  sur- 
venus à  Milan,  où  la  troupe  a  eu  à  tirer 
sur  les  émeutiers  précisément  avec  des 
armes  de  petit  calibre  ;  contrairement  aux 
prévisions,  les  blessures  étaient  terribles. 
L'orifice  d'entrée  du  projectile  est  en  effet 
très  petit,  mais  la  sortie  est  très  grande 
et  les  désordres  causés  sur  son  parcours 
sont  fort  graves.  Les  principales  causes  de 
ces  résultats  sont  dues  à  la  rotation  du 
projectile  et  à  sa  grande  vitesse  initiale  ; 
on  s'explique  assez  facilement  l'effet  de  la 
première  qui  a  pour  but  d'entraîner  dans 
une  sorte  de  tourbillon  toutes  les  particules 
de  chair  et  d'os  qu'elle  arrache  sur  son 
passage;  l'effet  de  la  seconde  cause  est 
moins  direct;  mais  la  Revue  italienne  d'ar- 
tillerie et  du  génie  nous  fournit  une  compa- 
raison qui  la  fera  saisir.  Le  major  Miche- 
lini,  en  faisant  des  essais  d'armes,  tira  un 


jour  dans  la  mer  et  fut  étonné  d'avoir  tué 
un  poisson;  il  répéta  l'expérience  et  re- 
marqua qu'il  continuait  sa  pêche  miracu- 
leuse sans  viser,  mais  qu'avec  des  fusils 
dont  la  balle  avait  une  faible  vitesse  initiale, 
il  ne  péchait  plus  rien.  Il  en  conclut  qvie 
les  poissons  étaient  étourdis  par  le  choc 
violent  ([ui  se  transmet  par  l'eau,  incom- 
pressible comme  on  sait;  la  balle  qui 
frappe  l'eau  avec  une  vitesse  de  (>00  mètres 
à  la  seconde  fait  l'ellet  d'une  cartouche  de 
dynamite  et  son  choc  est  transmis  à  tout 
ce  qui  se  trouve  dans  un  certain  rayon, 
peu  étendu  du  reste. 

Partant  de  là,  on  peut  admettre  qu'une 
balle  pénétrant  à  cette  vitesse  dans  le 
corps  de  l'homme  produit  sur  les  liquides 
(sang,  humeurs)  qu'il  renferme  le  même 
elTet  que  sur  l'eau  et  que  le  choc  se  géné- 
ralise en  produisant  des  désordres  plus 
considérables. 

Si  donc  on  veut  faire  la  guerre  avec  hu- 
manité, ce  qui  parait  plutôt  difficile,  on 
fera  bien  de  revenir  aux  vieux  fusils  à 
piston;  c'est  une  façon  de  désarmement. 


Tous  les  ans,  au  moment  des  grandes 
chaleurs,  on  constate  une  recrudescence 
dans  la  mortalité  des  enfants  en  bas  âge  ; 
cette  année,  où  les  mois  d'août  et  de  sep- 
tembre ont  été  exceptionnellement  chauds, 
la  moyenne  des  décès  de  cette  catégorie 
a  été,  à  Paris,  d'environ  trois  fois  supé- 
rieure à  celle  de  l'an  dernier.  Il  n'y  a  pas 
à  chercher  d'où  vient  le  mal,  il  n'est  que 
trop  certain  que  c'est  le  lait  qui  en  est  la 
principale  cause.  Dans  les  classes  aisées, 
on  a  déjà  assez  de  mal  pour  faire  com- 
prendre que  l'allaitement  au  biberon  doit 
être  l'objet  d'une  surveillance  incessante  ; 
on  peut  se  faire  une  idée  de  ce  qu'il  en  est 
dans  la  classe  pauvre  où  l'intelligence  et 
la  bonne  volonté  ne  manquent  pas,  mais 
où  le  temps  et  l'argent  font  défaut  pour  se 
conformer  aux  prescriptions  de  l'hygiène. 
Aussi  ne  peut-on  qu'insister  auprès  des 
Sociétés  de  bienfaisance  pour  qu'elles  faci- 
litent par  tous  les  moyens  en  leur  pouvoir 
l'exécution  des  procédés  très  simples  pré- 
conisés pour  obtenir  des  biberons  et  du 
lait  stérilisés;  le  séjour  prolongé  pendant 
au  moins  vingt  minutes  dans  l'eau  bouil- 
lante est  déjà  une  excellente  mesure  qui 
suffirait  dans  la  plupart  des  cas,  mais  c'est 
encore  trop  compliqué  dans  certains  mi- 
lieux où  pendant  l'été  (et  même  aussi  quel- 
quefois l'hiver)  on  n'a  pas  toujours  du  feu. 


Le  bacille  de  la  tuberculose  est  un  des 
plus  résistants  et,  jusqu'à  présent,  on  n'est 
pas  arrivé  à  le  combattre  d'une  façon 
efficace.  Le  congrès,  qui  s'est  constitué  il 


604 


CAUSERIE     SCIENTIFIQUE 


y  a  dix  ans  pour  l'étude  de  cette  terrible 
maladie,  s'est  réuni,  pour  la  quatrième  fois, 
au  mois  de  juillet  dernier,  sous  la  prési- 
dence de  M.  Nocard.  Malgré  les  études 
incessantes  des  hommes  les  plus  éminents 
et  les  plus  compétents  de  tous  les  pays, 
le  remède  n'est  pas  encore  trouvé. 

Ce  qu'on  sait,  c'est  que  le  bacille  de 
Koclî  n'est  pas  héréditaire,  comme  on  a 
le  tort  de  le  croire  généralement,  mais  il 
est  éminemment  contagieux.  Des  parents 
tuberculeux  engendrent  des  enfants  qui 
ne  le  sont  pas;  ils  sont  peut-être  plus  que 
d'autres  aptes  à  le  devenir,  et  les  attou- 
chements continuels,  les  baisers,  la  coha- 
bitation étroite  dans  un  milieu  contaminé, 
sont  les  causes  directes  qui  lui  font  con- 
tracter rapidement  la  maladie.  M.  Nocard 
estime  que  sur  150  000  Français  qui  meu- 
rent tous  les  ans  de  la  tuberculose,  125  000 
pourraient  être  sauvés  par  l'observation 
rigoureuse  des  règles  de  l'hygiène.  Au 
premier  rang  de  l'agent  de  contamination, 
il  faut  placer  les  crachats  des  personnes 
atteintes;  là  pullulent  les  microbes,  qui, 
après  la  dessiccation,  se  répandent  partout  ; 
voilà  le  foyer  de  propagation  qu'il  faut 
combattre  par  tous  les  moyens. 

On  sourit  parfois  en  voyant  une  affiche 
qui  défend  de  cracher,  on  l'attribue  aux 
domestiques  qui  veulent  s'éviter  l'entretien 
du  plancher;  tout  le  monde  n'est  pas 
tuberculeux. 

C'est  certain,  mais  il  faut  des  mesures 
générales,  et  ceux-là  qui  ne  le  sont  pas 
n'ont  qu'à  penser  avec  quelle  facilité  ils 
pourraient  le  devenir,  et  ils  prêcheront 
d'exemple  en  s'abstenant  de  cracher  par 
terre.  Il  faudra  de  longues  années,  ne  nous 
le  dissimulons  pas,  pour  obtenir  cela  (si 
jamais  on  y  arrive)  ;  mais  on  ne  saurait 
trop  méditer  sur  l'influence  du  crachat 
dans  la  vie  d'un  peuple. 


et  dont  il  se  dégage  en  grande  quantité  par 
la  chaleur;  une  lampe  spéciale  permet  de 
faire  facilement  et  sûrement  cette  opéra- 


Nous  avons  eu  l'occasion  de  parler  déjà 
ici  de  l'aldéhyde  formique  ou  formol  et 
de  ses  propriétés  désinfectantes.  Jusqu'à 
présent,  les  appareils  proposés  pour  pro- 
duire ce  gaz  étaient  basés  sur  la  décompo- 
sition de  l'alcool  méthylique  ou  esprit  de 
bois  en  présence  du  platine  incandescent. 
Plusieurs  lampes  ont  été  imaginées  à  cet 
effet  et  elles  donnent  de  bons  résultats 
tant  qu'il  ne  s'agit  pas  de  produire  de 
grandes  quantités  de  formol  et  qu'on  a 
pour  but  plutôt  d'enlever  une  mauvaise 
odeur  que  de  stériliser  un  local.  Dans  ce 
dernier  cas,  il  faut  produire  de  grandes 
quantités  de  gaz  et  fermer  hermétique- 
ment la  pièce  pendant  douze  ou  vingt- 
quati-e  heures  ;  on  fabrique  depuis  peu 
dans  ce  but  des  pastilles  dans  lesquelles 
l'aldéhyde    est    pour  ainsi   dire   condensé 

Les  renseignementi  de  cet  article  sont  donnés  au  point  de  vue  scientifique  et   en  dehors  de  toute  réclame.  Aussi  il  ne 
sera  pas  r^ondu  uux  demandes  d'adresses  ou  de  renseignements  commerciaux. 


Fig.  7.  —  Lampe  à  formol  pour  assainissement 
des  appartements. 
La  lampe  à  alcool  A  supporte  une  enveloppe  en  cristal  B 
sur  laquelle  se  placent  les  petites  capsules  1   et  2  où 
l'on  met  les  pastilles  qui  dégagent  le  formol. 

tion.  Elle  se  compose  (fig.  7)  d'un  réservoir 
à  alcool  A  et  d'une  enveloppe  en  cristal  B 
au-dessus  de  laquelle  viennent  s'ajuster 
deux  capsules  1  et  2,  de  forme  spéciale,  dans 
lesquelles  on  place  les  pastilles.  La  flamme 
de  l'alcool  produit  en  brûlant  dans  l'air  de 
la  vapeur  d'eau  qui,  par  des  ouvertures 
ménagées  dans  la  capsule,  se  mélange  au 
formol  à  mesure  qu'il  se  produit  et  aide  à 
sa  diffusion  dans  la  pièce  à  désinfecter. 
Pour  une  chambre  de  grandeur  ordinaire, 
il  ne  faut  pas  plus  d'une  heure  pour  pro- 
duire la  quantité  de  gaz  nécessaire  ;  les 
pastilles  sont  du  reste  dosées  et  on  indique 
quelle  est  la  quantité  à  employer  par  mètre 
cube  du  local  à  stériliser. 


Nous  avons  signalé,  dans  notre  dernier 
numéro,  une  ordonnance  du  préfet  de  po- 
lice enjoignant  aux  propriétaires  d'usines 
de  supprimer  les  fumées  qui  incommodent 
leur  voisinage.  A  New-York,  dans  certains 
quartiers  élégants,  on  a  dû  déjà  prendre 
des  mesures  du  même  genre  et  on  cite  une 
usine  très  importante  qui  lave  sa  fumée 
avant  de  la  laisser  s'échapper  dans  l'atmo- 
sphère. Afin  que  la  chaleur  soit  aussi  bien 
utilisée  que  possible,  les  gaz  de  la  combus- 
tion passent  avant  de  se  rendre  à  la  che- 
minée dans  une  série  de  conduits  où  ils 
abandonnent  encore  de  la  chaleur  qui  est 
utilisée,  puis  ils  sont  envoyés  par  un  puis- 
sant ventilateur  dans  une  caisse  de  2  mètres 
de  large  et  7  mètres  de  haut  où  de  l'eau 
tombant  sur  des  cloisons  en  chicane  forme 
une  série  de  cascades;  on  assure  ainsi  un 
lavage  intime  des  gaz  et  les  matières  so- 
lides qu'ils  contiennent  en  suspension  étant 
entraînées  par  l'eau,  on  peut  alors  sans 
inconvénient  les  laisser  passer  à  la  chemi- 
née, d'où  ils  sortent  invisibles. 

G.  Mareschal. 


EVENEMENTS     GÉOGRAPHIQUES 
ET  COLONIAUX 


Un  empire  s'est  écroulé  cette  semaine. 
Le  khalife,  souverain  absolu  du  Soudan 
égyptien,  est  en  fuite;  ses  émirs  sont 
morts  ou  dispersés,  et  sur  les  ruines  de  sa 
capitale,  Omdourman,  flottent  au  vent  du 
désert  le  drapeau  égyptien  et  le  drapeau 
anglais. 

La  campagne  de  deux  ans  et  demi,  qui  a 
mené  l'armée  anglo-égyptienne  des  con- 
fins de  l'Egypte  au  confluent  des  deux 
Nils,  la  grande  bataille  du  2  septembre 
qui  l'a  terminée,  l'arrivée  des  Anglais  dans 
une  région  dont  nous  dirons  l'importance 
politique,  et  que  se  sont  efl'orcés  d'atteindre 
et  les  Italiens  de  l'Erythrée,  et  les  Abys- 
sins, et  les  Belges  du  Congo,  et  les  Fran- 
çais de  rOubangui,  exigeraient  toute  l'at- 
tention vigilante  de  notre  pays,  si  ce  pays 
n'était  pas  occupé  pour  l'heure  à  une 
«euvre  maudite  de  désunion...  Disputons, 
soyons  les  uns  et  les  autres  de  mauvais 
citoyens,  travaillons  avec  fureur  à  ruiner 
notre  force  morale,  source  de  toute  force  : 
les  Etats-Unis  s'agrandissent  victorieuse- 
ment; l'Angleterre  conquiert  la  vallée  du 
Nil  ;  l'empereur  allemand  s'apprête  à  pro- 
mener dans  l'Orient,  amoureux  de  tout 
prestige,  le  prestige  des  peuples  victo- 
rieux; l'empereur  russe  est  devenu  en  un 
jour  les  délices  du  genre  humain,  en  prê- 
chant une  paix  dont  son  empire  a  besoin, 
el  nous,  nous  devenons  un  objet  de  risée, 
de  pitié  demain...  Voulez-vous  que  nous 
nous  réfugions  aux  colonies,  où  les  Hourst, 
les  Voulet,  les  Gentil,  les  Marchand  aug- 
mentent nos  anciens  titres  de  gloire,  et 
que  nous  nous  réconfortions  en  parlant 
d'une  victoire'.'  d'une  victoire  anglaise, 
hélas  1 


Quelques  personnes  se  souviennent  sans 
doute  des  événements  qui  se  passèrent  en 
Egypte  vers  1882.  Le  khédive,  Tewfik 
pacha,  avait  accepté  le  contrôle  de  la 
France  et  de  l'Angleterre  sur  ses  finances. 
D'où  mécontentement;  un  parti  national 
se  forma,  qui  eut  Arabi  pacha  pour  chef. 
Ce  parti  fit  de  grands  progrès,  si  bien  que 
la  position  des  puissances  protectrices  fut 
menacée.  Comme  le  ministre  français, 
M.  de  Freycinet,  s'inspirait  pour  sa  poli- 
tique de  l'exemple  ancien  de  Fabius 
Cunctator  et  ne  se  décidait  à  rien,  le  mi- 
nistre anglais,  lord  Granville,  se  décida  à 
agir  sans  lui;  le  II  juillet  1882  la  flotte 
anglaise  bombardait  Alexandrie.  Peu  de 
jours  après,  la  facile  victoire  de  Tel-el-Kébir 
livrait  le  Caire  et  l'Egypte  aux  Anglais. 
Et  nous?  Nous   criâmes,  comme   Fenfant 


auquel  un  camarade  escamote  la  tartine 
de  beurre.  La  tartine  était  grosse  :  nous 
crions  encore,  et  le  bon  camarade  mange 
toujours. 

Dans  le  même  temps  que  l'Egypte  était 
ainsi  enlevée  au  pouvoir  efi'ectif  du  khé- 
dive, les  immenses  provinces  du  Soudan 
égyptien  se  rendaient  indépendantes. 

Ces  provinces  s'étendaient  sur  tout  le 
domaine  du  Nil  supérieur  et  du  Nil 
moyen  :  de  Ouadi-Halfa  aux  Grands-Lacs, 
du  Darfour  à  la  mer  Rouge.  Leur  conquête, 
entreprise  dès  1821,  sous  Méhémet-Ali,  ne 
fut  achevée  que  sous  Ismaïl,  après  1870. 
Leur  perte  devait  être  plus  rapide.  Les 
exactions  des  fonctionnaires  égyptiens,  la 
présence  parmi  eux  de  chrétiens,  la  tutelle 
imposée  au  khédive  par  deux  puissances 
d'Europe,  le  réveil  de  l'esprit  musulman, 
le  rappel  dans  la  basse  Egypte  de  la  plus 
grande  part  des  forces  égyptiennes,  avaient 
préparé  les  voies  à  une  rébellion.  Un 
homme  extraordinaire  le  sentit  et  en  pro- 
fita. 11  était  né  à  Dongola,  dans  le  Soudan 
septentrional;  mais  il  vivait  dans  le  Khor- 
dofan,  et  sa  réputation  d'éloquence  et  de 
sainteté  s'était  répandue  jusque  dans  les 
pays  du  Sud.  Aussi,  en  1881,  lorsque 
Mohammed-Ahmed  jugea  l'heure  venue,  se 
proclama  Mahdi,  c'est-à-dire  l'homme  de 
la  justice,  lança  son  appel  à  tous  les  chefs 
religieux  du  Nord,  du  Sud,  de  l'Ouest  et 
de  l'Est  du  Soudan,  les  populations  se 
levèrent  et  le  suivirent.  Les  derviches,  les 
soldats  du  Mahdi,  pressés  par  l'enthou- 
siasme religieux,  prirent  leur  élan,  s'abat- 
tirent sur  El-Obéid,  dans  le  Khordofan, 
anéantirent  l'armée  de  Hiks  pacha  dans 
les  défilés,  de  Kasghil,  roulèrent  comme 
une  vague  tumultueuse  jusqu'à  Tokar  et 
Sinkat,  non  loin  de  la  mer  Rouge.  L'An- 
glais Gordon  s'enferma  dans  Khartoum 
pour  la  défendre  ;  mais  la  défense  fut 
bientôt  impossible.  La  ville  tomba  et  Gor- 
don fut  tué.  Deux  jours  après,  le  28  janvier 
1885,  arrivait  devant  Khartoum  l'armée 
de  secours,  qu'amenait  Wolseley  ;  mais 
elle  fut  rappelée  aussitôt  par  le  gouverne- 
ment anglais.  Ce  rappel,  les  hésitations 
du  ministère  anglais,  à  l'ordinaire  si 
résolu,  qui  avaient  fait  retarder  de  trois 
mois  l'envoi  de  celte  armée  et  avaient 
ainsi  causé  la  catastrophe,  furent  l'objet  de 
nombreux  commentaires;  il  sembla  que  la 
perte  du  Soudan  égyptien  avait  été  prévue 
et  permise  par  l'Angleterre  et  qu'elle  était 
entrée   dans  ses  plans. 

L'année  même  où  périt  Gordon,  mourut 
le  Mahdi  ;  et  son  empire  aussitôt  se  lézarda, 
tomba  en  pièces. 


606 


EVENEMENTS    GEOGRAPHIQUES 


A  rOuest  le  Darlbur  et  au  Sud  le  Bahr- 
cl-Gazal  se  détachent.  Au  Nord  ot  à  lEst, 
les  Anglais  reprennent  roffensive  ;  dès 
1891,  ils  entrent  à  Sinkat,  à  Tokar.  Les 
Belges,  au  Sud-Ouest,  les  Italiens,  à  l'Est, 
profitent  des  querelles  intestines  des  der- 
viches, occupent,  les 
premiers  Lado,  les  se- 
conds Kassala.  Cepen- 
dant, le  successeur  du 
Mahdi,  le  khalife  Ab- 
dullah,  occupait  forte- 
ment la  vallée  du  Nil. 
En  face  de  Khartoum 
délaissée,  s'élevait  sur 
la  rive  gauche  du  fleuve 
la  nouvelle  capitale, 
Omdourman  ;  là  rési- 
dait la  force  de  l'em- 
pire, là  seulement  il 
pouvait  être  frappé  à 
mort. 

Brusquement,  le 
14  mars  1896,  ordre 
était  donné  au  Caire 
de  prendre  Dongola. 
Les  derviches  pres- 
saient en  ce  moment 
les  Italiens  de  Kassala  : 
il  ne  s'agissait,  affir- 
mait-on, que  d'une  di- 
version utile  aux  Ita- 
liens. L'activité,  la  hâte 
avec  laquelle  fut  entre- 
prise la  campagne  ne 
laissa  point  de  con- 
traster avec  la  lenteur 
du  gouvernement  an- 
glais en  1884.  Dès  avril, 
les  opérations  com- 
mencent; le  7  juin 
t'erkeb,  le  i'.i  septembre 
Dongola  sont  occupés. 
Cependant,  un  chemin 
de  fer  latéral  au  Nil  est 
construit;  dès  la  fin 
d'août  les  trains  arri- 
vent à  Kocheh.  L'année 
suivante,  dès  la  crue 
du  Nil,  la  campagne 
reprend.  11  devenait  manifeste  qu'il  ne 
s'agissait  plus  des  Italiens.  Le  7  août  1897, 
un  assaut  meurtrier  fait  tomber  Abou- 
Ilamed  ;  les  derviches  se  replient  sur 
Omdourman.  La  route  de  Berber  était  libre. 
Cette  place  est  occupée.  Alors,  avec  la  plus 
grande  activité,  les  Anglais  poussent,  au 
nord,  le  chemin  de  fer  jusqu'à  Abou-Hamed, 
rétablissent,  à  l'est,  les  communications 
entre  Berber  et  Souakim,  le  Nil  moyen  et 
la  mer  Rouge,  se  font  céder,  au  sud-est, 
par  les  Italiens,  Kassala  :  de  cette  dernière 
place,  leurs  auxiliaires  arabes  s'avancent 
juscju'à  240  kilomètres  de  Khartoum. 


L'effort  définitif  fut  accompli  cette 
année. 

Dès  le  printemps,  sir  Herbert  Kitche- 
ner  —  le  plus  jeune  général  anglais  — sii'- 
dar  ou  général  en  chef  de  l'armée  égyp- 
tienne, est  rentré  en  campagne.  Le  8  avril, 


7*  EÙlCÙUUi.  det 


LES     ANGLAIS     ET     LES     FRANÇAIS     SUR      LE     HAUT-NIL 
KHARTOUM     ET      FACHODA 


grande  bataille  sur  les  bords  de  l'Atbara  : 
des  marches  forcées  ont  amené  les  Anglo- 
Egyptiens  devant  le  camp  de  l'émir  Mah- 
moud, parent  et  l'un  des  meilleurs  capi- 
taines du  khalife;  le  camp  est  pris  d'assaut, 
.'5,000  derviches  blessés  ou  tués.  Les  An- 
glais n'avaient  eu  que  10  morts,  les  Egyp- 
tiens que  05.  11  fallut  attendre  pour  pousser 
plus  loin  la  montée  des  eaux  du  Nil.  Cepen- 
dant l'armée  expéditionnaire  recevait  des 
renforts.  A  l'origine,  elle  n'était  composée 
que  de  troupes  égyptiennes;  désormais, 
elle  comprenait  avec  ces  dernières  deux 
brigades  d'infanterie,  deiix  batteries  d'ar- 


É V  EN  EM  K  N  TS    G  KO  G  R  A  PHI Q  U  ES 


60' 


lillerie,  le  21''  lanciers  et  un  escadron  du 
3"  hussards  de  l'armée  l^ritannique.  Au 
total,  le  sirdar  coniinandail  à  22  bataillons 
d'infanterie  (soit  environ  1  il, 000  hommes), 
i,;)00  cavaliers,  28  canons,  12  mitrailleuses 
Maxim  et  700  méharistes  avec  leurs  cha- 
meaux. Le  1  t  août,  l'armée  commença  sa 
concentration  vers  les  avant-postes.  La 
marclie  fut  pénible;  les  derviches  avaient 
ruiné  le  l>ays  et  l'avaient  rendu  désert. 
Les  bagages  furent  réduits  à  l'indispen- 
sable; on  brûla  des  étapes,  et  le  I"^sep- 


dura  un  quart  d'heure.  Ils  essayèrent  alors 
de  charger  le  centre;  ils  furent  balayés 
également  par  un  feu  nourri.  Leur  bra- 
voure avait  été  extraordinaire;  les  émirs 
à  cheval,  les  porte-fanions  avaient  poussé 
jusqu'à  quelques  centaines  de  mètres  seu- 
lement des  solides  lignes  anglo-égyp- 
tiennes. Tandis  que  les  derviches  se  reti- 
raient, le  corps  expéditionnaire  quitta  le 
camp  et  se  dirigea,  en  échelons  de  bataille, 
vers  Omdourman.  11  venait  de  gagner 
les  hauteurs  qui  avoisinent  le  Nil,  lorsque 


LES    ANGLAIS    EN     EGYPTE 


LE    CAIRE 


VUE    DE    LA    CITADELLE 


tembre,  le  sirdar  campait  à  10  kilomètres 
d'Omdourman  ;  les  postes  ennemis  s'étaient 
repliés  à  son  approche,  mais  l'on  pouvait 
voir,  rangés  en  bataille  sous  les  murs,  les 
35,000  hommes  du  khalife.  La  bataille  eut 
lieu  le  lendemain,  le  vendredi  2. 

Ce  fut  une  belle  Ijatailie. 

A  sept  heures  vingt,  l'armée  derviche 
s'avança  en  formation  enveloppante  ;  au- 
dessus  de  ses  rangs  flottaient  d'innombra- 
bles fanions,  et  sur  toute  l'étendue  de  son 
front  de  bataille,  long  de  5  à  6  kilomètres, 
retentissaient  des  chants  de  guerre.  L'in- 
fanterie anglaise  avait  à  sa  droite  les  Sou- 
danais et  ceux-ci  avaient  à  leur  droite  les 
Egyptiens.  A  sept  heures  quarante,  l'ar- 
tillerie anglaise  commença  de  tonner.  Les 
derviches  cependant  continuèrent  leur 
marche  et  chargèrent  la  gauche  anglaise; 
ils  furent   arrêtés  par  un   feu  général  qui 


brusquement  lij,000  derviches,  reformés 
autour  de  l'étendard  noir  du  khalife,  fon- 
dirent sur  les  soldats  égyptiens  de  l'aile 
droite.  Le  sirdar  ordonna  alors  une  ma- 
nœuvre, qui  a  été  justement  admirée  ;  il 
fit  pivoter  sur  la  droite  sa  gauche  et  son 
centre  :  la  manœuvre  se  fit  avec  la  plus 
grande  régularité,  comme  au  champ  d'exer- 
cices d'Aldershot  :  quand  elle  fut  terminée,, 
l'ennemi  se  trouva  pris  entre  des  feux 
croisés.  Malgré  leur  héroïsme,  les  derviches 
furent  décimés  ;  un  instant  après,  le  sol,  jon- 
ché de  leurs  cadavres  enveloppés  de  bur- 
nous blancs,  ressemblait  à  un  pré  où  la 
neige  s'est  amoncelée  par  places.  A  onze 
heures  un  quart,  le  sirdar  commanda 
l'avancée  générale.  La  cavalerie  —  le 
21*^  lanciers  accomplit  une  charge  désor- 
mais célèbre  —  coupa  la  retraite  vers  la 
ville  aux  fuyards,  qui  furent  rejetés  avec  le 


«os 


ÉVÉNEMENTS    GÉOGRAPHIQUES 


khalife  vers  le  désert.  La  colonne  anglaise 
pénétra  ensuite  dans  la  ville  :  le  sirdar  Kit- 
■chener  marchait  à  sa  tête,  à  cheval,  tout 
vêtu. de  blanc,  tenant  dans  sa  main  l'éten- 
dard noir  du  khalife  vaincu. 
Gordon  était  vengé. 


S'agissait-il  uniquement  de  venger 
Gordon  ? 

La  prise  d'Omdourman  a  provoqué  chez 
la  calme  nation  anglaise  un  enthousiasme 


Soudan  égyptien,  à  la  puissance  du  khalifat, 
nous  rendrons  à  l'humanité  un  très  grand 
service.  »  Ainsi  les  Anglais  auraient  entre- 
pris une  guerre  longue  et  rude,  d'abord 
par  fidélité  à  la  mémoire  d'un  de  leurs 
héros,  et  aussi  par  amour  pour  l'humanité. 
Voilà  bien  des  raisons  sentimentales,  et 
qui  ne  laissent  point  de  surprendre  :  nous 
aurait-on  changé  nos  Anglais? 

Hélas  !  on  ne  nous  les  a  point  changés  ; 
et  ils  ont  pris  soin  bien  vite  de  faire  sa- 
voir eux-mêmes  que  leurs  mobiles  étaient 


LES     ANGLAIS    EN     EGYPTE    —     UN     CAMP 


singulier.  La  reine,  dès  le  premier  jour, 
a  télégraphié  au  sirdar  ses  félicitations. 
Il  a  été  arrêté  que  celui-ci  serait  reçu  so- 
lennellement au  Guildhall,  où  on  lui  offrira 
—  dans  une  cassette  d'or,  selon  la  cou- 
tume —  le  brevet  de  membre  de  la  cité 
de  Londres.  Les  journaux,  de  plus,  s'ac- 
cordent à  annoncer  son  élévation  à  la 
pairie.  S'il  ne  s'agissait  que  du  pauvre 
Gordon,  ces  marques  de  reconnaissance 
envers  son  vengeur  paraîtraient  peut-être 
un  peu  exagérées.  Mais  écoutez  lord  Salis- 
bury  :  «  Une  moitié  de  la  puissance  égyp- 
tienne a  été  enlevée  et  est  restée  au  pou- 
voir du  despotisme  le  plus  infernal  qui 
ait  jamais  affligé  une  portion  quelconque 
de  l'humanité  »,  disait-il,  en  1896,  à  la 
réunion  de  la  Primrose  League;  et,  le 
29  juin  1898,  il  répétait,  au  banquet  annuel 
■de  V United cluh  :  <^  En  mettant  fin,  dans  le 


intéressés  et  leur  joie  toute  politique. 
Omdourman  est  tombée,  non  parce  que 
Gordon  y  avait  été  assassiné,  non  parce 
qu'il  y  régnait  un  despotisme  «  infernal  », 
mais  parce  que  cette  ville  se  trouvait  sur 
le  chemin  qui   mène  d'Alexandrie  au  Cap. 

On  doit  rendre  cette  justice  aux  Anglais 
que  leur  ambition  politique  n'a  jamais  été 
médiocre.  Ce  peuple  de  commerçants  ne 
travaille  qu'à  fonder  des  empires;  et  peut- 
être,  depuis  le  peuple  romain ,  est-il  le 
premier  qui  se  soit  complu  à  rêver  sérieu- 
sement de  domination  universelle.  Il  con- 
quiert l'Amérique  du  Nord,  il  conquiert 
l'Inde,  grande  et  peuplée  comme  un  con- 
tinent, il  conquiert  l'Australie,  cet  autre 
continent;  à  cette  heure,  il  travaille  à  la 
conquête  de  l'Afrique,  de  toute  l'Afrique. 

Il  l'a  attaquée  par  le  Nord  et  par  le  Sud. 

Au  nord,  l'Angleterre  a  occupé  l'Egypte  ; 


ÉVÉNEMKNTS    GÉOGR APH igU  KS 


609 


malgré  le  protocole  de  désintéressement 
de  1882,  malgré  les  promesses,  malgré  les 
engagements,  elle  l'occupe  encore  et  elle  ne 
parle  point  de  partir.  Il  lui  fallait,  disait- 
elle,  remettre  l'ordre  dans  ce  pays.  L'ordre 
remis,  elle  inventa  le  péril  mahdiste,  ne 
se  hâta  point  de  secourir  Gordon,  rappela 
l'armée  de  Wolseley.et  onpeut  dire  qu'elle 
a  permis  aux  derviches  de  fonder  leur 
empire.  ^  Abandonner  l'Egypte? disait-elle. 
Mais  vous  n'y  pensez  pas,  mes  bons  mes- 
sieurs 1     Le     Mahdi     n'en    ferait     qu'une 


la  seconde  jonction.  Nous  avons  déjà  conté 
cette  histoire  au  lecteur.  Au  nord  de  la 
Zambézie,  le  Congo  belge  et  l'Est-Africain 
allemand  se  rejoignent  sur  les  rives  du 
Tanganyika  et  barrent  la  route.  Le 
12  mai  18'.»'*,  l'Angleterre  se  fit  céder  par 
le  Congo,  à  bail,  une  bande  de  terre  entre 
le  Tanganyika,  dont  les  eaux  étaient  dé- 
clarées neutres,  et  le  lac  Albert-Edouard  : 
la  jonction  était  accomplie.  L'opposition 
de  la  France  et  de  l'Allemagne  rendit  ca- 
duque   la    convention;     mais    aujourd'hui 


LES  A  X  G  L  A  I  ^^  EX  EGYPTE  —  LES  CONTINGENTS  I  N  D  I  E  N  .S 


bouchée.  »  Et  elle  occupait  l'Egypte, 
l'Afrique  du  Nord.  Au  sud,  elle  avait  une 
excellente  base  d'opérations,  la  colonie 
du  Cap.  C'est  de  là  qu'elle  partit  pour 
occuper,  massacrant  les  indigènes,  violant 
à  l'égard  du  Transvaal  le  droit  des  gens, 
forçant  le  Portugal  à  démembrer  de  ses 
propres  mains  son  empire  colonial,  les 
immenses  territoires  des  Betchouanas,  des 
Matabélé,  des  Barotsé,  jusqu'au  Zambèze, 
puis  jusqu'au  lac  Tanganyika.  Lord  Cromer, 
au  nord,  M.  Cecil  Rhodes,  au  sud,  avaient 
bien  mérité  de  l'empire.  Au  centre  de  la 
fameuse  ligne  Alexandrie-le  Cap ,  l'Ou- 
ganda devenait  le  prolongement  de 
l'Afrique  orientale  anglaise.  11  ne  restait 
plus,  pour  réaliser  le  rêve,  qu'à  joindre 
l'Ouganda  à  l'Egypte,  l'Ouganda  à  la  Zam- 
bézie. 

L'Angleterre   tenta  de   réaliser  d'abord 

Vin.  —  39. 


l'Allemagne  et  le  Congo  sont  au  mieux 
avec  l'Angleterre,  et  celle-ci  espère  bien 
que  la  jonction  de  l'Ouganda  et  de  la  Zam- 
bézie  n'est  plus  tju'une  affaire  de  temps. 

Il  semblait,  jusque  dans  ces  dernières 
années,  que  la  jonction  de  l'Ouganda  et 
de  l'Egypte  dût  présenter  moins  de  diffi- 
cultés encore.  Les  Anglais  savaient  que 
l'obstacle  qui  se  dressait  de  ce  côté  de- 
vant eux,  l'empire  des  derviches,  ne  serait 
insurmontable  qu'aussi  longtemps  qu'ils  le 
voudraient  bien.  Le  péril  mahdiste,  auquel 
il  leur  était  nécessaire  que  l'Europe  crût, 
ils  étaient  assurés  de  le  faire  disparaître  à 
leur  heure.  Mais,  en  1895,  ils  s'aperçurent 
que  des  difficultés  nouvelles  se  préparaient. 
La  France,  ne  pouvant  obtenir  de  l'Angle- 
terre l'exécution  d'engagements  solennels, 
l'évacuation  de  l'Egypte,  avait  regardé, 
elle  aussi,   vers  le   Soudan  égyptien.    Dès 


610 


ÉVÉNEMENTS    GÉOGRAPHIQUES 


février  ISOîl,  M.  de  Brazza  disait  :  «  L  accès 
par  le  sud  de  la  vallée  du  Nil  est  le  seul 
moyen  qui  permettra  un  jour  de  trancher 
conformément  à  nos  intérêts  la  question 
d'Egypte.  »  On  apprenait  peu  après  qu'une 
expédition  française  allait  partir  du  Gabon 
et  se  diriger  vers  le  Bahr-el-Gazal.  L'émoi 
fut  grand  en  Angle- 
terre. Sir  Edward 
Grey,  sous- secré- 
taire d'Etat  aux 
affaires  étrangères, 
déclarait  aux  com- 
munes que  cette 
expédition  serait 
considérée  par  le 
gouvernement  an- 
glais comme  un  acte 
«  non  amical  »  ; 
mais,  ne  se  fiant 
pas  trop  à  la  vertu 
efficace  de  celte 
parole  menaçante, 
ce  gouvernement 
décidait  dans  le 
même  temps  de 
supprimer  l'empire 
des  derviches  et 
d'arriver  au  plus  tôt 
dans  le  Bahr-el-Ga- 
zal. Telle  est  la 
raison  de  la  cam- 
pagne que  nous  ve- 
nons de  raconter. 
Le  sirdar  Kitchener 
commença  la  lente 
remonte  du  Nil  et 
le  capitaine  Mar- 
chand celle  du 
Congo. 

Dès  que  le  sirdar 
fut  entré  à  Omdour- 
man,  le  2  septembre 
dernier,  il  dépêcha 
immédiatement  cinq 
canonnières  pour 
remonter  le  Nil 
blanc.  Ce  simple  fait 

disait  beaucoup.  Le  bruit  avait  couru  que 
Marchand  était  arrivé  sur  le  Nil,  à  Fachoda  : 
c'est  à  Marchand  que  pensait,  tout  en  com- 
battant les  derviches,  le  sirdar,  c'est  Fa- 
choda, non  Omdourman,  qui  devait  être  le 
terme  de  son  expédition.  Il  paraîtrait  que, 
pour  une  fois,  nous  sommes  arrivés  bons 
premiers.  Un  télégramme  d'Omdourman, 
daté  du  7  septembre,  annonce  que  des 
blancs  sont  installés  à  Fachoda  et  qu'ils 
ont  repoussé  victorieusement  un  parti  de 
derviches  :  «  Ce  sont  les  Français  !  »  s'est-on 
écrié  à  Londres;  et,  immédiatement,  récri- 
minations et  menaces  sont  tombées  sur 
nous  comme  pluie.  Casus  helli,  a  même 
prononcé  un  journal. 


Nous  ne  savons  d'abord  rien  de  l'au- 
thenticité du  sensationnel  télégramme;  il 
convient  d'attendre  froidement.  Mais  que 
nous  soyons,  dès  aujourd'hui,  à  Fachoda, 
nous  le  souhaitons,  nous  l'espérons  ;  et  ce 
serait  notre  droit.  Ou  bien  ce  pays  est 
sous   la    suzeraineté  du  khédive,  et,  dans 


DANS    LE     SOUDAN     EGYPTIEN 


TIRAILLEURS     INDIGÈNES 


ce  cas,  les  Anglais  n'ont  rien  à  voir  ici  :  noua 
ne  les  reconnaissons  pas  comme  les  protec- 
teurs du  khédive,  —  ou  bien  le  khédive  n'a 
plus  aucun  droit  sur  lui,  —  et  on  ne  voit 
pas  d'où  les  Anglais  tiendraient  un  droit 
quelconque  sur  un  pays  qu'ils  n'ont  jamais 
occupé. 

Souhaitons  que  Marchand  soit  à  Fa- 
choda :  le  rêve  britannique  ne  sera  pas 
réalisé  et  nous  tiendrons  une  des  portes 
de  l'Egypte.  Alors,  messieurs  les  Anglais, 
il  faudra  bien  causer,  si  vous  le  voulez 
bien ,  de  ce  dernier  pays. 

Gaston    Bouvier. 


LA    MUSIQUE 


Malgré  une  chaleur  accablante.  MM.  Mil- 
liaud  frères,  dircclours  du  théâtre  des 
Variétés-Lyri(|ues,  ont  continué  couraf;eu- 
scment  leur  tentative  artistique.  Peu  à 
peu  la  cohésion  sest  faite  dans  leur  troupe. 
Les  ensembles  se  sont  fondus,  l'orchestre 
a  pris  un  peu  plus  d'assurance,  et,  sans 
assister  à  des  représentations  d'un  art  tout 
à  fait  impeccable,  nous  avons  constaté  de 
louai)les  et  sincères  eH'orts  vers  le  mieux, 
ce  dont  il  faut  les  féliciter. 

M""^  Jenny  Passama  a  été  fort  habile 
chanteuse  dans  le  rôle  de  Rosine  du 
Barbier  de  Séville,  et  M.  Rou<i^on  a  été  un 
aussi  excellent  Basile  qu'il  fut  un  brillant 
capitaine  Roland  dans  la  bonne  reprise 
des  Mousquetaires  de  la  reine,  un  des  chefs- 
d'œuvre  d'Halévy.  Cette  partition,  dédai- 
gnée maintenant  à  TOpéra-Comique,  con- 
tient de  bien  jolies  pages  lyriques  qui, 
malgré  leur  âge,  —  les  Mousquetaires  furent 
joués  p'our  l'T  première  fois  le  3  février  1846 
—  n'ont  pas  encore  de  rides. 

Ne  serait-ce  que  pour  citer  l'air  :  Bocage 
épais  qu'une  jeune  et  charmante  débutante, 
M"''  Tasma,  a  chanté  avec  une  fort  jolie 
voix  et  un  style  de  bonne  école. 

Mais  laissons  de  côté  les  reprises  et 
félicitons  MM.  Milliaud  frères  d'avoir 
monté  VAmour  blanc,  un  pimpant  et  gra- 
cieux petit  opéra-comique  en  un  acte  de 
M.  Marins  Lambert,  pour  la  musique  ;  et 
de  MM.  Jost  et  J.-L.  Croze  pour  les  pa- 
roles. Le  sujet  en  est  charmant  et  spirituel, 
comme  vous  allez  le  voir. 

Une  jeune  et  accorte  veuve,  Thérèse, 
a  trois  galants  qui  convoitent  :  le  fermier, 
sa  fortune;  le  bailli,  sa  fortune  et  son 
cœur  ;  le  berger,  son  cœur  tout  simple- 
ment. 

Thérèse  n'est  pas  insensible  aux  doux 
et  tendres  regards  du  jeune  berger  qui 
pousse  la  hardiesse  jusqu'à  lui  chanter 
d'amoureuses  cantilènes  sous  sa  fenêtre, 
et  auxquelles  elle  répond  en  laissant 
tomber  une  rose.  Au  moment  où  le  jeune 
berger  prend  et  cache  sur  son  cœur  ce 
témoignage  de  sympathie,  les  deux  vieux 
barbons  arrivent,  ils  devinent  l'amour  du 
jeune  homme  et  jurent  de  se  débarrasser 
de  ce  dangereux  rival. 

Le  fermier  lui  retire  la  garde  de  ses 
troupeaux  et  le  chasse. 

Le  bailli  lui  ordonne  de  quitter  le  pays 
à  l'instant  même. 

Devant  le  chômage  et  l'autorité,  le 
malheureux  paysan  ne  peut  que  se  rési- 
gner. Pourtant,  il  a  un  espoir.  N'a-t-il  pas 
sauvé,  il  y  a  quelques  jours,  la  fille  dun 
marquis,  le  seigneur  du  pays,  et  une  ré- 
compense ne  lui  a-t-elle  pas  été  promise?... 

Ce    rival    dangereux   étant    éloigné,    le 


i)ailli  et  le  fermier  font  alliance  pour  con- 
quérir le  cœur  et  la  dot  de  la  belle  Thérèse. 

La  fine  mouche  a  entendu  tout  ce  qui 
vient  de  se  |)asser.  Aussi,  adroitement,  se 
débarrasse-t-oUe  de  ses  deux  vieux  pré- 
tendants en  avouant  —  subtils  mensonges 
—  au  fermier,  (ju'elle  est  ruinée,  et  au 
bailli,  qui  l'épouserait  même  sans  fortune, 
si  grande  est  sa  flamme,  qu'elle  ne  veut 
faire  qu'un  mariage  blanc,  c'est-à-dire, 
ô  désappointement  du  bonhomme  1  que 
mari  et  femme,  ils  seront  bons  amis,  mais 
qu'ils  vivront,  condition  sine  qua  non, 
chacun  chez  eux,  très  fraternellement. 

Nos  deux  soupirants  se  refusent  à  subir 
l'épreuve  du  désintéressement  et  de  la 
sagesse  ;  ils  s'éloignent,  chacun  de  leur 
côté,  pour  savoir  :  l'un,  jusqu'à  quel  point 
elle  est  ruinée  ;  l'autre,  pour  réfléchir. 

Thérèse  est  seule  lorsque  le  jeune  berger 
revient  avec  mille  écus,  la  récompense 
promise  et  accordée.  Il  a  appris,  par  les 
bavardages  du  fermier,  que  la  belle  meu- 
nière était  maintenant  pauvre,  et,  de  tout 
cœur,  il  lui  offre  sa  petite  fortune. 

Fixée  du  côté  désintéressement,  Thérèse 
lui  demande  s'il  accepterait  l'amour  blanc. 
Cette  épreuve  bien  dure  pour  un  jeune 
homme  si  épris,  le  berger  l'accepte.  Ne 
veut-il  pas  vivre  près  d'elle,  et  la  vue  de 
ses  beaux  yeux  ne  lui  suffit-elle  pas? 

Tant  de  bon  cœur,  tant  de  sagesse  déci- 
dent la  belle  Thérèse  à  accorder  sa  main 
au  jeune  berger,  en  présence  des  deux 
bons  vieillards  tout  déconfits  de  s'être 
laissé  berner  et  de  n'avoir  pas  su  être 
désintéressés  et  sages.  La  ruine,  l'amour 
blanc,  n'étaient  que  ruses!...  car  avec  le 
jeune  berger  Thérèse  avoue  qu'elle  espère 
voir  la  vie  et  l'amour  en  rose. 

Fort  bien  chanté  par  M^''=  Nixau,  une  de 
nos  plus  charmantes  artistes  parisiennes,  et 
dont  le  nom  pourrait  être  synonyme  de 
succès,  le  rôle  de  Thérèse  contient  de 
fort  jolies  ariettes  et  de  spirituels  couplets 
auxquels  répondait  la  jolie  voix  de  ténor 
de  M.  Guéry,  un  chanteur  d'avenir. 

La  partition  de  M.  Marius  Lambert  a  le 
grand  mérite  d'être  simple.  L'orchestra- 
tion sonore  et  délicate,  la  mélodie  facile 
et  abondante,  nous  ont  révélé  un  tempé- 
rament musical  personnel.  Chose  rare  en 
cette  époque  où  tant  d'artistes  semblent 
s'ingénier  à  ressembler  à  leurs  collègues 
heureux  et  applaudis,  plutôt  qu'à  être  eux- 
mêmes,  quelles  qu'en  puissent  être  les  dif- 
ficultés présentes,  les  réussites  futures. 


Depuis  que  les  établissements  de  spec- 
tacles divers   ont  intelligemment  imité  les 


612 


LA    MUSIQUE 


Music-Hall  de  Londres,  aux  équilibristes, 
aux  acrol:)ates,  ont  été  joints  des  corps 
de  ballet,  des  chd'urs,  des  artistes  qui  inter- 
prètent de  fort  jolies  choses  d'un  art  mu- 
sical incontestable  et  parfois  très  pur. 

Au  Théâtre-Marigny,  en  pleins  Champs- 
Elysées,  la  Cigale  et  la  Fourmi,  panto- 
mime de  M.  Edmond  Char,  musique  de 
M.André  Colomb,  ont  eu  un  très  grand 
succès.  Pierrot,  peintre  et  amant  de  l'in- 
souciante Cigale,  rentre  un  soir  et  ne 
trouve  rien  à  dîner.  La  Fourmi,  qui  aime 
Pierrot,  guette  son  désappointement.  Pro- 
fitant de  sa  mauvaise  humeur,  elle  lui  ofTre 
de  partager  son  repas  aux  fumets  délicieux. 
Séduit  d'abord  par  le  confortable  jusqu'à 
ce  jour  inconnu,  Pierrot  s'aperçoit  bientôt 
que  la  Fourmi  n'est  qu'une  sotte  et  vulgaire 
personne  dont  l'esthétisme  ne  dépasse  pas 
les  fourneaux  de  sa  cuisine. 

Mieux  vaut  côtoyer  la  misère  et  chevau- 
cher l'idéal  que  de  subir,  dans  une  vie 
terre  à  terre,  un  vulgaire  bien-être. 

Pierrot  chasse  la  Fourmi  et  tend  les  bras 
à  cette  charmante  Cigale  qui,  sans  ran- 
cune et  en  chantant,  lui  revient  comme  si 
rien  ne  s'était  passé. 

La  partition  de  M.  Colomb  contient  de 
bien  jolies  choses,  et  M.  Séverin,  qui  mime 
le  rôle  de  Pierrot,  est  un  bien  grand  artiste 
dont  les  gestes,  les  jeux  de  physionomie, 
les  attitudes  émotionnent  et  égayent  tour 
à  tour  avec  un  incomparable  succès. 

A  l'Olympia,  Folles  amours,  scène  de 
carnaval  en  deux  tableaux  de  M.  Th.  Théo, 
musique  de  M.  H.  Hirschmann,  ont  eu  un 
très  grand  et  très  légitime  succès.  Le  sujet 
est  peut-être  bien  un  peu  trop  sévère  pour 
l'endroit,  mais  il  n'en  reste  pas  moins  fort 
joli,  dans  sa  triste  réalité.  Pierrot,  accom- 
pagné de  sa  fidèle  Pierrette,  vient  au  bal 
masqué  qu'ofirent  à  leurs  invités  le  baron 
et  sa  femme,  la  séduisante  Irma.  On  rit,  on 
danse;  mais  ne  voilà-t-il  pas  qu'afTolée  de 
passion  pour  Pierrot,  la  maîtresse  de  la 
maison  fait  en  sorte  d'être  seule,  en  tête- 
à-tête  avec  lui.  Elle  l'invite  à  s'asseoir 
près  d'elle,  tout  près;  et,  énervée  par  la 
bienséante  réserve  de  Pierrot  qui  se  tient 
respectueusement  à  une  distance  conve- 
nable, la  jeune  femme  s'approche  de  lui 
impétueusement  et  lui  avoue  son  amour. 
Tout  interloqué.  Pierrot  s'etTraye.  Ne  ris- 
que-t-il  pas  de  paraître  ridicule  en  jouant 
les  personnages  chastes  et  bibliques?...  Il 
est  perplexe,  d'autant  plus  qu'Irma  est  fort 
belle  :  le  tendre  souvenir  de  sa  gentille 
petite  femme,  Pierrette,  le  respect  du  toit 
hospitalier,  la  crainte  du  scandale,  lui  font 
éviter  le  plus  longtemps  possible  l'irrépa- 
rable. 

Mais  ce  que  femme  veut!...  et  l'impérieuse 
Irma  lui  impose  son  amour,  l'hypnotise 
presque  par  d'irrésistibles  regards,  et  fina- 


lement, lui  faisant  perdre  la  tête,  obtient 
ce  ({u'elle  voulait  tant.  Ils  sont  surpris.  Le 
baron,  très  digne,  reproche  amèrement  à 
Irma  sa  conduite  coupable.  11  refuse  la 
réparation  d'honneur  que  lui  ofTre  Pierrot, 
et  se  retire. 

Repoussé  par  Pierrette,  blâmé  par  tous, 
Pierrot  perd  la  tête  et  s'enfuit. 

C'est  alors  que  les  deux  femmes,  l'épouse 
et  la  maîtresse,  se  provoquent  en  duel. 

Au  deuxième  tableau,  nous  sommes  dans 
la  campagne.  La  neige  a  étendu  son  blanc 
linceul.  Les  deux  groupes  des  témoins  dis- 
cutent les  conditions  du  combat  sans  merci, 
pendant  que,  l'une  à  droite,  l'autre  à  gau- 
che, les  deux  irréconciliables  adversaires 
attendent,  le  torse  nu,  l'épée  en  main,  le 
traditionnel  :  «  Allez...  mesdames  !  » 

Les  fers  sont  croisés.  Au  cliquetis  des 
lames,  on  pressent  que  la  lutte  est  ar- 
dente. Le  corps  à  corps  est  imminent, 
quand  Pierrot  arrive  comme  un  fou  —  par 
d'indiscrets  petits  domestiques,  il  a  su  la 
provocation,  le  duel,  le  lieu  de  la  rencontre 
—  et  se  jette  entre  les  combattantes. 

Payant  de  sa  vie  le  caprice,  la  faiblesse 
d'un  instant;  mortellement  frappé  par  Irma, 
il  tombe  et  meurt  pardonné  par  cette 
pauvre  Pierrette  qui  se  désole. 

En  écrivant  sa  jolie  partition,  M.  H. 
Hirschmann,  un  tout  jeune  compositeur, 
a  heureusement  souligné  et  mis  en  valeur 
les  scènes  gaies  et  pathétiques  de  cette 
pantomime.  Citerai-je  la  valse  lente,  la 
scène  de  la  séduction,  dont  le  violoncelle 
chante  la  mélodie  passionnée  ;  l'agonie  de 
Pierrot?...  toutes  ces  pièces  mélodiques 
sont  fertiles  en  trouvailles  rythmiques  et 
instrumentales,  finement  nuancées  par  l'or- 
chestre de  M.  0.  de  Lagoanère. 

M.  Thaïes  (Pierrot)  est  un  excellent 
mime,  et  M"''  Louise  Willy  (Irma)  joint  à 
sa  triomphante  beauté  un  talent  tour  à 
tour  câlin  et  caressant,  impétueux  et  dra- 
matique. Dans  le  rôle  de  Pierrette, 
M"''  Julyette  a  été  très  digne  et  très  tou- 
chante, et,  au  milieu  d'un  gracieux  ba- 
taillon de  légères  danseuses,  la  joUe 
M"''  Cammaranoest  étoile,  plus  que  jamais. 


La  mt)de  est  de  plus  en  plus  aux  petites 
auditions  consacrées  exclusivement  à 
l'œuvre  d'un  seul  auteur. 

Dans  une  séance  où  la  musique  de  Cha- 
brier  était  au  programme,  nous  avons  en- 
tendu Credo  d'amour,  mélodie  si  peu  connue 
qu'elle  a  le  charme  de  l'inédit. 

Aussi  le  Monde  Moderne  n'a-t-il  pas  hé- 
sité à  la  reproduire  pour  ses  lecteurs,  étant 
certain,  ou  du  moins  espérant  leur  être 
agréable. 


Guillaume   Danvers. 


>l  I'  s  Itj  II  E 

dKMMAMEi,  CIIABRIEH 
18  42-1894 


Credo  d'Amour 


A    Madame    11'.  Enoch. 


d'AnMAND  SILVESTRE 


Le  cUé  caracU'risliquc  du  fiileiit  orif^inal  cl  capricieux  de  cet  artiste,  c'est  que  sa  musique  aux  rythmes 
bizarres,  aux  allures  dôbraillécs  et  sensuelles,  est  toujours  d'une  l'orme  très  pure,  je  dirais  même 
classique,  très  correcte,  excessivement  idéaliste.  Elle  donne  l'impression,  de  prime  abord,  de  ces 
farouches  batailleurs  qui,  lorsqu'on  les  coimait,  nous  apparaissent  comme  les  meilleurs  et  les  plus 
doux  des  hommes.  ,,     -,    i  .     • 

Chabrier  fut  employé  au  Ministère  de  l'Intérieur  depuis  1  sr,2  Jusqu'en  1877,  époque  a  laquelle  d  démis- 
sionna pour  se  consacrer  entièrement  à  la  composition  musicale. 

Élève  d'Aristide  Ilipnard,  il  écrivit  deux  partitions  de  premier  oi'dre  :  Girendullne.  opéra  en  3  actes  et 
2  tableaux,  représenté  au  Théâtre  royal  de  la  Monnaie  le  10  avril  188()-,  et  le  lioi  malgré  lui,  3  actes, 
joué  à  rOpéra-(^omique  le  18  mai  1887.  Sa  réputation  fut  universalisée  en  décembre  1883,  lorsque 
Vorchestre  des  Concerts  Lamoureux  jeta  pour  la  première  fois  dans  l'espace  les  chatoyantes  har- 
monies i.Vl':spai'ut.  L'année  suivante,  mars  1884,  les  mêmes  Concerts  exécutèrent  une  autre  belle  œuvre, 

la  Sulamile.  .  ,,       .  ,.,-,■.  ... 

Chantez  cette  mélodie  avec  beaucoup  de  conviction,  élargissez  bien  les  cmq  dernières  mesures  chantées 

des  couplets,  et  d'une  voix  ample  et  sonore,  proclamez  avec  énergie  cet  acte  de  foi. 
(^)ue  l'accompagnement  soit  joué  rigoureusement,  comme  en  fugue,  tout  en  évitant  avec  soin  la  sécheresse 

de  doigté.  Cette  mélodie  est  un  alléluia  profane. 

Maestoso  san<  lenteur 


PIANO 


_  mièreetde  Va     .     mour  ! 


Car      la  beauté'  com  _  me      le  jour,  Al  _  lu  . 

^        I  ^ 


me  un  feu    ~^  ^^  daus  les  prunel   _ 


-  les! Car     les     fem  _  mes     portent  en 

a  Tempo 


Publié  avec  l'autorisation  de  M.  Enoch,  éditeur.  Paris.  Tous  droits  réservés. 


614 


CREDO   D'AMOUR 
3 


aux  cho.ses  e  .ter   _  nel  _  les  De    la    lu_mièreet  de 

,  gf  suivez 


Pa_niour  ! 


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ré 


p  ''P  F  F  r  I  ^  ^^ 


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Je  crois 


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et 


que     tout  vit  sur  la       ter      .     re   Par    le    so  _ 


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leil  et    l>i  bai      .      serl 


Car  tous  les  deu.x  sa    _  vent  bri.ser  L'ef  . 


CHKDO    1)  AMOUIÎ 


dimui 


-   friji  de     l;i   nuit      s<>_li_tai 


re!  Car    la  dou   _  leur, di.vin 


mys- 


le      _     re,      Tous    les     deux         sa    .    vent  Tapai  _serl 


Je         crois 


r^ 


CJ6 


CREDO   D'AMOUIl 


se- Hors  ce    que  nous  ver.sent  di.vres  _  se  Ou   lesou.rireou  le  so_leil! 


P*J^ 


tS?* 


^ 


( 


Je    crois que  tout  meurt  et  se  pres_seVers  l'ombre  du  dernier        sommeil  ! 

-0\-m . .  0  '%' 


f-^r  ^    f  ff^ 


UN  ESSAI 


RÉSURRECTION  DU  THEATRE  GREC 


La  prcinière  représontation  de  Déjanire 
aux  Arènes  de  Béziers  a  été  plus  qu'œuvre 
louable  de  décentralisalion  ;  elle  a  été  sur- 
tout une  curieuse  tentative  de  résurrection 
do  l'art  dramatique  grec. 

Je  dis  intentionnellement  résurrection  et 
non  reconstitution  ;  car  le  drame  de  Louis 
Gallet  n'a  pas  ce  caractère  d'identité  par- 
faite de  reconstruction  intégrale  et  précise 
des  choses  d'autrefois  ;  il  est  simple- 
ment la  restitution  de  la  vie  —  et  d'une 
vie  factice  —  à  une  chose  qui  avait  cessé 
d'être,  telle  que  la  trouva  le  moment  qui 
la  reprit  à  la  mort  du  passé,  je  veux  dire 
dans  l'état  de  modification,  de  décomposi- 
tion même  produit  par  l'effort  des  siècles 
écoulés,  ce  ({ui  est  bien  le  propre  des  ré- 
surrections. 

Le  théâtre  grec  fut,  en  Grèce,  le  prolon- 
gement des  dogmes  religieux,  dont  il  était 
né.  Alors  que  l'essence  divine  du  culte  se 
cachait  sous  le  mystère  jaloux  des  initia- 
tions ,  les  grandes  épopées  mystiques 
étaient,  du  haut  de  la  scène,  livrées  à  la 
foi  simpliste  de  la  foule  qu'elles  remuaient 
profondément.  L'art  dramatique  était 
comme  une  sorte  de  service  divin  agi  et 
déclamé  où  les  passions  purement  humaines 
avaient  peu  de  part.  Dans  le  drame  an- 
ti(|ue,  les  personnages  se  meuvent,  pal- 
pitent, soulTrent,  aiment,  haïssent,  sont 
criminels  ou  adultères  non  parce  que  des 
passions  intérieures  les  sollicitent,  mais 
parce  que,  dès  les  premiers  âges  du  Monde, 
en  ses  arcanes  inéluctables,  le  Destin  l'avait 
réglé  ainsi.  D'où  le  caractère  surhumain 
des  grandes  tragédies  grec(|ues  dominées 
par  l'impitoyable  loi  de  Fatalité.  Et  si  plus 
tard  Euripide  conçut  et  réalisa  un  drame 
plus  près  de  l'homme ,  il  ne  se  libéra 
jamais  de  la  conception  primordiale  de 
génie  antique,  non  peut-être  ([u'il  eût  en- 
core la  foi  en  la  vieille  loi  du  Destin,  mais 
parce  qu'il  n'eût  été  ni  compris,  ni  sup- 
porté s'il  ne  l'avait  pas  respectée. 

De  ce  génie  particulier  du  drame  antique 
était  née  une  mise  en  scène  spéciale,  adé- 
quate aux  exigences  de  sa  modalité. 

Les  passions  venant  aux  héros  non  d'eux- 
mêmes,  mais  de  l'extérieur,  selon  une  loi 
prévue  et  nécessairement  connue  de  lous, 


le  rôle  des  acteurs  se  simplifiait  singuliè- 
rement. Les  jeux  de  physionomie,  les  effets 
de  scène  étaient  inutiles.  11  n'y  avait  qu'à 
exprimer  des  sentiments  généraux  en  des 
gestes  pres(pu>  conventionnels  devenu  en 
([uelque  sorte  hiérati({ues.  Pour  exprimer 
sa  personnalité,  il  ne  restait  à  l'acteur  que 
les  inflexions  dramati([ues  de  la  voix  enflée 
par  les  résonnateurs  du  masf[ue.  Et  l'on 
sait  que  certains  en  tiraient  de  si  puissants 
effets  (ju'ils  soulevaient  la  foule  comme 
d'une  passion  divine. 

Mais  ces  gestes,  il  fallait  que  le  specta- 
teur le  plus  éloigné  les  pût  voir  ;  ces  sen- 
timents ,  il  était  nécessaire  qu'il  pût  les 
partager.  Or,  comme  le  caractère  de  ser- 
vice religieux  du  drame  antique  compor- 
tait la  réunion  sur  les  gradins  de  la  tota- 
lité des  citoyens,  les  dimensions  du  théâtre 
s'étaient  singulièrement  élargies;  malgré 
(juoi  il  fallait  voir  et  entendre  de  partout. 
Ces  exigences  de  vue  et  d'audition  provo- 
quèrent l'invention  et  l'emploi  du  mascjue, 
du  cothurne  et  autres  accessoires  trop 
connus  pour  ((ue  j'insiste  et  qui  placent 
le  théâtre  anti(jue  si  loin  du  nôtre. 

Par  contre,  si  le  jeu  des  acteurs  était 
réduit  presque  à  rien,  l'art  du  machiniste 
était  des  plus  compliqués  et  perfectionnés. 
L'intervention  des  dieux  était  fréquente 
dans  le  déroulement  de  la  tragédie  grecque  ; 
les  divinités  arrivaient  sur  la  scène  un  peu 
de  tous  côtés,  aussi  bien  par  les  airs  que 
par  les  entrailles  de  la  terre  :  il  importait 
de  leur  éviter  le  ridicule  d'une  entrée 
ratée. 

Bien  différente  est  notre  conception  dra- 
matique. De  nos  jours,  la  scène  s'est  rape- 
tissée,  la  salle  s'est  resserrée,  faite  unique- 
ment pour  un  public  spécial  et  restreint. 
Les  dieux  sont  morts  et  l'homme  a  pré- 
tendu mettre  sur  la  scène  la  seule  multi- 
plicité de  ses  passions  et  de  ses  sentiments. 
L'acteur  a  cessé  d'être  un  singe  doublé 
d'un  perroquet;  il  est  devenu  une  incar- 
nation. Sauf  dans  les  féeries,  la  machinerie 
est  disparue  et  il  n'est  plus  resté  que  la 
vie  et  l'âme  humaine  disséquées. 

Nous  ne  sommes,  du  reste,  pas  plus 
près  de  la  vérité  que  les  anciens  ;  notre 
théâtre    est    aussi    conventionnel    f|ue    le 


618 


UN    ESSAI     DE    RÉSURRECTION    DU    THEATRE    GREC 


leur;  seulement  la  convention  est  autre. 
De  même  pour  le  jeu  de  nos  acteurs,  qui 
M  pourtant  la  prétention  de  nous  donner 
la  réalité  même;  du  convenu  encore  et 
souvent  fatigant,  sinon  détestable. 

Je  n'ai,  bien  entendu,  pas  l'intention  de 
faire  le  parallèle  ressassé  du  théâtre  grec 
et  du  théâtre  moderne,  joie  des  profes- 
seurs de  rhétori(jue.  J'ai  voulu  seulement 
rappeler  quelle  diflérence  profonde  éloi- 
gnait l'âme  moderne  de  l'âme  anti(|ue  pour 
bien  faire  comprendre  <[ue  si  Z)e7on«?'e  avait 
été  réellement  selon  la  conception  même 
des  tragédies  grec(|ues,  le  génie  de  son 
intrigue  eût  dérouté  et  dépaysé  le  public 
c[ui  ne  l'aurait  certainement  pu  ni  com- 
prendre ni  accepter. 

Car  le  public  n'a  mar((ué  aucune  sur- 
prise. Il  a  écouté  ces  quatre  actes  comme 
choses  accoutumées,  d'où  je  tire  une  pre- 
mière preuve  —  ce  que  je  pourrais  appe- 
ler une  preuve  impressionniste  —  que 
l'œuvre  ne  lui  a  donné  ([ue  l'illusion  falla- 
cieuse des  pièces  grec({ues,  vues  à  travers 
le  prisme  de  nos  habitudes  théâtrales  mo- 
dernes, accommodées  au  goût  du  jour. 

Au  surplus,  une  reconstitution  du  théâtre 
grec  n'est  ni  possible,  ni  désirable.  Tant 
pour  créer  (jue  pour  com}>rendre  des 
œuvres  selon  le  mode  antique,  il  faudrait 
refaire  complètement  notre  psychologie, 
changer  du  tout  au  tout  notre  état  d'âme. 
Pour  s'intéresser  à  l'intrigue  du  drame 
antifjue,  tout  comme  aux  mystères  du 
moyen  âge  —  je  ne  parle  pas  des  comédies 
satiriques  et  des  farces  ([ui  sont  de  tous 
les  âges  —  il  faudrait  la  foi  profonde  et 
naïve  ipie  nous  avons  perdue.  Comment 
pourrions-nous  accepter  sans  sourire  les 
contes  mensongers  d'une  foi  qui  n'est  pas 
la  nôtre,  nous  qui  n'avons  plus  guère  foi  en 
notre  propre  Foi  ! 

Que  le  lettré  en  son  cabinet,  à  la  lecture 
des  chefs-d'cpuvre  du  théâtre  grec,  s'efforce 
de  vivre  en  ces  temps  passés  et  se  figure 
y  réussir,  à  la  rigueur  je  le  veux  bien. 
Mais  la  foule,  c'est  impossible. 

A  l'imitation  des  Grecs,  Louis  Gallet,  à 
chaque  impulsion  ([ue  reçoit  le  person- 
nage, lui  fait  invo(juer  la  loi  du  Destin. 
Au  cours  des  deux  représentations  données, 
j'ai  parcouru  les  divers  rangs  des  specta- 
teurs. Partout,  à  cette  invocation,  je 
voyais  sourire  ;  personne,  même  parmi  les 
plus  lettrés,  cpii  ne  vit  là  prétexte  à  excu- 
ser les  désirs  coupables,  un  moyen  de  les 
satisfaire  à  l'abri  du  remords.  Ou  finissait 
par  trouver  (jue  de  cette  excuse  commode, 
le  personnage  se  servait  un  peu  trop  sou- 
vent. Môme  j'ai  entendu  un  spectateur,  pas 
des  plus  lins  sans  doute,  fredonner  le  re- 
frain connu  de  la  Belle  Hélène  :  «  c'est  la 
Fa  Fa...  »  Remarque  ({ue  je  ne  fais  que 
pour  noter    l'état    d'esprit  inévitable  d'un 


public  moderne  devant  les  grands  mystères 
de  foi;  et  j'en  conclus  que,  si  même  elle 
était  possible,  la  reconstitution  de  la  tra- 
gédie antique  n'est  pas  désirable.  Ne  ré- 
veillons pas  les  morts  pour  qui  nous  pour- 
rions manquer  de  respect. 

Ces  réflexions  sont  à  la  fois  une  indica- 
tion et  une  excuse  des  nombreux  défauts 
et  des  fréquentes  faiblesses  du  drame  de 
Louis  Gallet. 

Il  serait  intéressant  d'étudier  les  avatars 
du  mythe  de  la  mort  d'Hercule,  mis  à  la 
scène  par  les  tragiques  grecs,  repris  par 
Sénèque  en  bon  rhéteur  dont  Fart  est  plus 
habile  que  sincère  et  mis  par  lui  au  goût 
romain  qui  n'était  pas  des  meilleurs,  et 
enfin  —  malheureusement  sur  la  version 
de  Sénèque,  déjà  inférieure  —  affabulé  par 
Louis  Gallet  pour  l'année  1898.  Mais  ce 
n'est  pas  de  notre  sujet.  Le  mythe  légen- 
daire est  assez  connu  pour  (ju'il  suffise, 
afin  de  montrer  toute  la  dislance  dont 
Gallet  s'en  éloigne,  de  donner  l'analyse 
de  Déjanire. 


[Introduction  sijnvphonique  —  double  cha'ur 
—  les  Héraclides  célèbrent  la  gloire  d'Her- 
cule, vainqueur  d'Eurytus.  Les  Œchaliennes 
déplorent  le  sort  d'Iole  et  pleurent  sur  laruine 
de  leur  patrie.) 

Pour  tirer  vengeance  d'un  outrage.  Her- 
cule a  tué  Eurytus,  roi  d'OEchalie,  et  sac- 
cagé la  ville.  La  fille  d'Eurytus,  lole,  est 
retenue  prisonnière  dans  le  gynécée. 
Epris  de  sa  jeunesse,  Hercule  est  devenu 
follement  amoureux  de  la  jeune  vierge. 
Ignorant  l'amour  réciprocjue  d'Iole  et  de 
son  fidèle  ami  Philoctète,  le  héros  charge 
précisément  celui-ci  d'informer  la  fille 
d'Eurytus  de  sa  volonté  de  l'épouser. 
Rien  —  car  la  fatalité  le  pousse  —  ne 
pourra  le  retenir  d'assouvir  sa  passion  : 
ni  les  liens  qui  l'unissent  à  Déjanire,  sa 
femme,  qu'il  répudiera  s'il  le  faut;  ni 
l'aversion  que  doit  avoir  lole  pour  le 
meurtrier  de  son  père.  «J'ai  versé  le  sang 
de  son  père,  je  lui  dois  l'appui  d'un 
époux  »  explique  tout  naturellement  Her- 
cule, ce  qui  ne  laisse  pas  que  d'être  une 
raison  bien  étonnante.  [Musique  de  scène.) 
Philoctète  et  lole,  seuls,  cherchent  le 
moyen  de  détourner  Hercule  de  son 
projet. 

Cependant,  fatiguée  d'attendre  à  Clia- 
lidôn  le  retour  d'Hercule  qui  ne  reve- 
nait jamais,  Déjanire  est  arrivée  à 
UEchalie.  Elle  envoie  son  esclave  Phénice 
avertir  Hercule  qu'elle  veut  le  revoir.  Le 
demi-dieu  refuse  de  la  recevoir  et  lui 
donne  l'ordre  de  retourner  à  Chalidôn  et 
d'y  rester. 


UN    ESSAI    DK    HKSURHKCTION     DU    TIIKATRK    GREC 


«19 


[Double  chœur  annonçant  Varrivée,  de  Dé- 
janire.) 

Dépitée  d'uno  telle  réception  à  ses 
avances,  Déjanire  monte  sur  son  char  et 
se  dirif>,e  vers  le  palais  irHercuIe  —  cette 
arrivée  par  la  piste,  nouveauté  de  mise  on 
scène,  a  surpris  et  beaucoup  plu.  Elle 
demande  à  Junon  d'assurer  sa  vengeance. 
{Musique  de  scène.)  En  vain  Philoclète  et 
Phénice   s'etTorcent   de   calmer  sa   colère, 


le    second    acte    \a     se    CDiiliuucr    et    finir 
ainsi  en  «^ros  mélo. 

Déjanire  partie  [musique  de  scène),  Him-- 
cule  ap})reiid  île  la  bouche  même  d'Iole 
son  relus  de  partager  un  amour  impos- 
sible. Fureur  dllercule  qui,  soupçonnant 
soudain  lexislence  d'un  rival,  découvre 
(jui  est  ce  rival  heureux  par  un  moyen 
que  je  ne  saisis  pas  bien.  Philoctète  entre 
bruscpiement  ;    lole   pousse    un    cri  (pour- 


Déjanire  pénètre  dans  le  gynécée  maudire 
sa, rivale.  [Musique  de  scène.) 

Acte  II.  [Symphonie  accompagnant 
les  lamentations  d'Iole.) 

Déjanire  menace  lole  de  sa  vengeance 
(le  chœur  annonce  la  venue  d'Hercule)  lorsque 
le  demi-dieu  paraît  qui  lui  reproche  sa 
désobéissance  et  qui  de  nouveau  lui  or- 
donne de  se  retirer.  Une  scène  violente 
éclate  entre  les  deux  époux,  scène  dune 
psychologie  médiocre,  avec  de  grands 
mots,  de  gros  gestes,  qui  ferait  peut-être 
de  l'eflet  dans  un  drame  à  mouchoirs  de  la 
Porte-Saint-Martin,  mais  qui  n'est  pas  à 
sa  place  dans  une  tragédie  voulue  grecque. 
Elle  nous  fait  oublier  que  ce  sont  des 
héros  qui  agissent  sur  la  scène  pour  ne 
l)lus  nous  donner  que  l'impression  d'êtres 
l)urement  humains  et  un  [jeu  ridicules.   Et 


quoi?)  et  aussitôt  Hercule  d'en  conclure 
ce  qui  est  du  reste  la  vérité.  Plus  perspi- 
cace que  généreux,  le  héros  fait  jeter  Phi- 
loctète en  un  noir  cachot  [musique  de  scène. 
Le  chœur  s'interroge  avec  crainte  sur  les  ré- 
solutions d'Hercule),  puis  annonce  que  poui' 
se  venger  il  va  épouvanter  le  monde  de 
ses  fureurs.  [Tout  le  chœur  emplit  la  scène. 
Les  groupes  consternés  s'interrogent,  se  de- 
mandent quelle  rnctime  va  faire  Hercule, 
conjurent  les  Euménides  de  s'éloigner  de  lui, 
supplient  Juinter  et  Pallas  de  venir  en  aide 
au  héros.) 

Acte  III.  (Musique  de  scène  Jusqu'à  la  fin 
du  récit  de  Déjanire.  ) 

Déjanire  se  résout  à  employer  la  tunitpie 
laissée  i)ar  Nessus  dont  elle  raconte  la 
légende  à  Phénice,  lorsque  paraît  lole,  en 
suppliante,    demander    le    secours    de    la 


620 


UN    ESSAI    DE    RÉSURRECTION    DU    THÉÂTRE    GREC 


f(Mnme  du  demi-dieu  contre  lui-même 
(juelle  ne  saurait  aimer.  Et  les  deux 
femmes  conviennent  de  fuir  à  Chalidôn. 
[Le  chœur  décrit  la  colère  d'Hercule  qui  reinent 
après  avoir  épouvanté  les  campagnes  par 
l'excès  de  ses  fureurs.)  En  une  scène  qui  est 
une  des  meilleures  du  drame,  Déjanire, 
sa  jalousie  rassurée,  s'efforce  de  con- 
vaincre Hercule  de  sa  soumission  complète 
{musique  de  scène);  mais  comme  Hercule 
s'interroge  sur  la  sincérité  de  cette  obéis- 
sance, lole,  se  dissimulant,  essaye  de  fuir 
le  gynécée. 

Hercule  l'arrête  et  sous  menace  de  faire 
périr  Philoctète  arrache  à  la  jeune  vierge 
le  serment  de  se  donner  à  lui.  La  scène 
fait  grand  effet,  quoique  peu  neuve.  (Musique 
et  chœur  triomphal  au  dehors.)  Malheureuse- 
ment, un  peu  après,  Philoctète,  rendu  à  la 
liberté,  accuse  lole  de  parjure,  lui  fait  une 
scène  d'amoureux  malheureux  qui  nous 
ramène  à  la  Porte-Saint-Martin. 

lole  a  juré!  Rien  ne  pourra  contre  ce 
serment  que  les  philtres  et  les  talismans 
d'amour  capables  de  ramener  à  Déjanire 
le  cœur  de  l'infidèle,  et  les  deux  femmes 
conviennent  que  lole  offrira  à  Hercule 
comme  cadeau  nuptial  la  tunicjue  de  Nessus, 
laquelle,  selon  la  promesse  perfide  du  cen- 
taure, doit  rendre  à  Déjanire  l'amour  du 
demi-dieu.  (Chœur  filial.  Invocation  à  l'A- 
mour.) 

Acte  IV.   (Fête  nuptiale.  Ballet.) 

Tout  est  prêt  pour  les  noces.  (Le  cory- 
phée chante  VEpithalame  —  chœur  dansé  et 
suite  de  ballet.)  Hercule  revêt  la  tunique 
fatale.  Voici  qu'il  fait  les  libations  propi- 
tiatoires lorsque,  soudain,  pénétré  du 
poison  dévorant,  il  éclate  en  rugissements 
de  douleur.  Il  arrache  le  tissu  ardent  et  sa 
chair  vient  avec  les  fds  de  la  trame.  Les 
pires  tourments  le  font  hurler  de  souf- 
france. Poussé  par  le  poison  tortionnaire, 
affolé  de  rage  impuissante,  il  se  précipite 
dans  le  bûcher  allumé  pour  célébrer  son 
prochain  hymen.  Emue  de  ses  tortures 
effroyables,  lole  pleure  sur  le  héros  et  lui 
pardonne,  ce  qui  est  sans  doute  de  bonne 
morale  chrétienne,  mais  n'est  nullement 
grec  ;  les  anciens  avaient  la  rancune  plus 
solide.  Déjanire  se  tue  de  désespoir.  Une 
nuée  s'élève  de  terre  —  l'effet  en  fut  assez 
réussi,  grâce  à  des  jets  violents  de  vapeur 
d'eau  —  et  le  demi-dieu  apparaît  en  une 
apothéose  divine.  (Chœur  des  Olympiens  et 
des  hommes.) 


D'après  l'analyse  même,  le  premier  re- 
proche que  l'on  peut  faire  à  Louis  Gallet 
est  d'avoir  introduit  une  intrigue  d'amour 


parasitaire  dans  l'action  si  simple  et  si 
dramatique  du  mythe  primordial  de  la 
mort  d'Hercule.  Ce  n'est  plus  directement, 
involontairement  frappé  par  la  femme  qui 
l'aime,  victime  des  décrets  du  destin,  que 
meurt  le  héros,  mais  par  suite  d'une  in- 
trigue de  femmes  liguées  contre  lui.  La 
femme  a  plus  de  part  que  l'anankè  dans 
ce  dénouement  et  le  drame  perd  à  la  sub- 
stitution toute  sa  fatalité  tragique.  En  fait, 
la  fatalité  n'intervient  plus  ({ue  comme  un 
souvenir  littéraire  nous  rappelant  la  grande 
action  qu'elle  avait  dans  la  tragédie  an- 
tique. On  en  parle  souvent,  on  en  parle 
tout  le  temps,  et  pas  un  instant  on  n'en 
sent  le  poids  sur  la  marche  des  événe- 
ments. On  peut  regretter  qu'à  tenter  une 
reconstitution  du  théâtre  grec,  Louis  Gallet 
n'ait  pas  osé  aller  jusqu'au  bout  et  nous 
donner  la  réalité  au  lieu  de  l'apparence,  — 
l'expérience  y  eût  pris  plus  d'intérêt  — 
mais  sans  doute,  selon  les  raisons  déjà 
exprimées,  pour  captiver  l'attention  d'un 
public  moderne  s'est-il  légitimement  cru 
obligé  de  greffer  sur  la  légende  primitive 
cet  élément  d'intérêt  au  goût  présent. 

Seulement  il  en  résulte  ([ue  Déjanire  est 
plutôt  une  pièce  moderne  et  par  là  même 
s'offre  aux  critiques  sévères  et  justifiées. 
On  ne  s'en  est  pas  fait  faute.  Psycliologie 
misérable  et  même  absence  de  psycho- 
logie, invraisemblance  de  sentiments,  dia- 
logue tombant  souvent  dans  le  mélo,  dé- 
nouement trop  bien  préparé  qui  relève 
plus  de  la  féerie  que  du  vrai  drame,  telles 
sont  les  principales  fautes  relevées  et  non 
sans  raison. 

Ce  n'est  pas  à  dire  que  le  libretto  de 
Louis  Gallet  soit  sans  valeur.  L'écrivain 
est  trop  habile  pour  réaliser  un  drame 
sans  mérites.  Mais  il  porte  à  la  fois  le 
poids  de  l'antinomie  inconciliable  entre 
les  conceptions  scéniques  grecques  et  les 
modernes  et  le  poids  de  ce  fait  que,  étant 
donnés  les  éléments  de  la  tentative,  on 
attendait  un  chef-d'œuvre  et  que  l'on  a  eu 
seulement  une  œuvre  ordinaire,  en  tout 
cas  honnête  et  homogène.  L'œuvre  n'a  pu 
résister  à  l'écrasante  splendeur  du  spec- 
tacle. 

Et  c'est  Ijieii  là,  en  effet,  le  mot  de  vé- 
rité. Déjanire  est  un  spectacle,  ce  n'est 
pas  une  œuvre.  Si  bien  que,  formée  d'élé- 
ments inférieurs,  à  les  considérer  chacun 
en  soi  (exception  faite  de  l'interprétation 
des  artistes  femmes),  la  représentation  a 
été  par  leur  réunion  un  incontestable  et 
légitime  triomphe.  Cette  contradiction  est 
plus  apparente  (jue  réelle.  Combien  de 
fois  des  pièces  médiocres  n'ont-elles  pas 
été  sauvées  par  la  chaleur  de  l'interpré- 
tation ou  le  faste  du  décor?  Il  en  a  été  un 
peu  de  même  en  cette  occurrence.  C'était 
un    spectacle     nouveau    donné    dans    des 


UN     ESSAI     1)K    HKSUUHKCTION    DU    TIIKATHK    U.KKC 


comliliDiis  m'uves  (U'v;inl  un  |)ul)lic  dc'cidi' 
un  peu  à  ;i|)i)laudii'  ([u;uul  uiônu',  mais 
qui,  jr  me  hâte  de  rajouter,  a  donné  très 
sincèrement  ses  applaudissements.  Et  de 
fait,  là,  en  plein  jour,  en  plein  air,  dans 
un  espace  sans  limite,  ((ue  le  décor  si-f- 
i'orçait  d'agrandir  encore'  et  y  réussissait, 
dans  celte  vaste  étendue  des  arènes,  de- 
vant cette  foule  surcliaufTée  do  soleil, 
limpression     était    vraiment     saisissante. 


|)lus  près  de  loeuvre  et  dans  des  condi- 
tions tout  autres  de  représentation. 

Acceplera-t-il  de  même  le  mode  adopté 
par  Louis  Gallet  pour  écrire  sou  ma- 
nuscrit, je  veux  dire  la  prose  cadencée? 
Je  ne  sais;  je  le  désirerais,  car  à  Béziers 
ce  fut  un  fi^rand  charme  que  cette  langue 
nous  donnant,  avec  une  plus  grande 
liberté  (rallure,la  douce  musique  du  vers. 

Sans  doute,  en   ce  qui  concerne  l'inler- 


Oiclv  Taruiqiict 


Déjani 


P  II  E  M  I  E  R     ACTE 


A  1{  It  I  V  E  E     D  E     1)  E  .r  A  M  R  E 


Tout  s'estompait  pour  faire  un  ensemble 
|)resque  excellent.  Dans  des  conditions 
pareilles  tout  se  fond,  s'atténue,  les  dé- 
fauts disparaissent,  les  fail)lesses  restent 
dissimulées.  Et  vraiment  j'ai  participé  de 
grand  cœur  et  tout  entier  à  la  passion 
de  la  foule,  que  je  ressentais  et  parta- 
geais. 

Mais  le  devoir  du  criti([ue  est  de  ne  pas 
s'arrêter  à  l'impression  superficielle  res- 
sentie sous  l'enthousiasme  d'une  pre- 
mière représentation.  Il  doit,  à  tête  repo- 
sée, réfléchir  et  peser  les  mérites  réels 
d'une  œuvre.  C'est  ce  que  j'ai  fait,  re- 
grettant que  les  deux  verdicts  n'aient  pas 
été  identiques. 

Le  directeur  de  l'Odéon  compte  monter 
Dêjanire  sur  la  scène  nationale.  Il  est  à 
craindre  que  le  public  blasé  et  scepti(jue 
de  Paris  ne  retrouve  point  l'impression 
qui   souleva   celui   de    Béziers,  car  il  sera 


prétation,  l'espace  restreint  d'une  scène 
parisienne  évitera  l'impression  désagréable 
que  j'ai  ressentie  à  Béziers.  J'ai  éprouvé 
combien  un  large  espace  s'accommode 
mal  de  la  convention  des  gestes  selon 
l'enseignement  du  Conservatoire.  On  con- 
naît ces  gestes  à  ressort,  accentués  chez 
les  niauvais  comédiens,  dont  même  ne 
peuvent  se  débarrasser  complètement  les 
bons  artistes  :  bras  qui  se  soulèvent  et  ne 
peuvent  se  résoudre  à  retomber,  jambes 
qui  se  déclenchent  et  se  lancent  en  avant 
pour  arpenter  la  scène,  le  tout  avec  temps 
d'airêt  et  points  d'orgue  sous  prétexte  de 
gestes  nobles  ou  tragiques.  Cela  m'a  été 
particulièrement  pénible  à  Béziers.  A  dis- 
tance on  ne  pouvait  plus  voir  les  jeux  de 
physionomie  et  les  acteurs  ressemblaient 
à  des  pantins  automates  dont  la  méca- 
nique est  mal  huilée  ;  critique,  d'ailleurs, 
qui    s'adresse    moins    aux    interprètes   de 


622 


UN    ESSAI    DE    RÉSURRECTION    DU    THEATRE    GREC 


Déjanire   qu'à    l'enseignement    de   l'école. 

La  musique  est  de  Saint-Saëns.  On  y 
retrouve  toutes  les  qualités  du  maître  sans 
en  découvrir  de  nouvelles.  Beaucoup  de 
science,  une  inspiration  coulante,  une 
grande  conscience  d'écriture,  c'est,  je 
crois,  tout  ce  que  j'en  puis  dire. 

L'association  de  la  musique  au  libretto 
a  été  réalisée  d'une  façon  assez  curieuse 
pour  que  je  m'y  arrête  un  instant. 

La  mise  en  œuvre  de  la  musique,  comme 
lo  libretto,  est  géminée.  Tout  comme  dans 
le  mode  antique,  elle  aide  à  exprimer  les 
sentiments  et  les  émotions  du  peuple  dans 
les  dialogues  entre  les  coryphées  el^  le 
chœur,  ce  dernier  placé  sur  une  scène 
surbaissée  ainsi  que  chez  les  Grecs,  mais 
dont  on  avait  supprimé  les  évolutions. 
D'autre  part,  et  ceci  est  plus  moderne  de 
conception,  elle  souligne,  pondue  en 
quelque  sorte  les  passages  les  plus  drama- 
tiques de  l'œuvre,  ou  bien  s'égrène  en 
préludes,  en  finales,  voire  en  ballet...  Seu- 
lement un  ballet  dans  une  tragédie  antique, 
c'est  drôle  I...  Mais  jamais  elle  n'est 
chantée  par  un  des  protagonistes  du 
drame,  uniquement  elle  soutient  certaines 
parties  du  dialogue  de  phrases  harmo- 
mieuses. 

J'ai  indiqué  suffisamment  dans  l'analyse 
les  passages  où  elle  intervient  pour  que 
l'on  comprenne  de  reste  le  rôle  que  le 
compositeur,  lui  avait  donné. 

Quoique  les  impressions  et  par  suite  les 
appréciations  musicales  soient  essentielle- 
ment subjectives,  je  signalerai  quelques 
motifs  qui  m'ont  retenu. 

Le  prologue  est  accompagné  en  sourdine 
d'un  prélude  d'une  grande  délicatesse  et 
d'une  saveur  pénétrante.  Il  se  continue 
par  un  chœur  d'hommes  d'allure  sévère 
célébrant  avec  feu  les  exploits  d'Hercule 
et  comme  antithèse  est  la  délicieuse  plainte 
des  OEchaliennes  berçant  la  désespérance 
d'iole.  L'arrivée  de  Déjanire  un  peu 
bruyante  a  beaucoup  de  mouvement. 

Le  prélude  du  second  acte  est  d'une  mé- 
lancoUe  navrante  qui  rend  bien  la  tristesse 
d'iole,  mais  il  faut  aller  au  troisième  acte 
pour  trouver  les  belles  pages  de  la  parti- 


tion :  un  chœur  avec  un  effet  merveilleux 
de  harpes,  conçu  dans  le  mode  wagnérien, 
d'une  symphonie  douce  et  captivante  et 
une  invocation  à  Eros,  large,  magnifique, 
passionnée.  Le  quatrième  acte  a  été  sa- 
crifié au  ballet,  dont  un  motif  rappelle  un 
peu  trop  celui  de  Samson  et  Dalila  ;  mais 
il  nous  permet  d'entendre  un  épithalame 
d'une  passion  pénétrante  et  d'une  intime 
douceur. 

Le  décor  était  bien  ce  qu'il  y  avait  de 
plus  impressionnant  dans  la  représenta- 
tion et  il.  n'a  pas  peu  contribué  au  succès 
de  Déjanire.  11  était  composé  de  deux  par- 
ties :  une  plutôt  aiTérente  à  la  pièce  elle- 
même,  l'autre  qui  s'étendait  derrière  la 
scène  en  un  panorama  merveilleux  où 
s'élevaient  les  temples  et  les  monuments 
d'une  cité  grecque  à  la  manière  d'Athènes. 
Il  est  regrettable  que  la  perspective  aé 
rienne  fît  un  peu  défaut  aux  monuments 
et  aux  bâtisses,  lesquels,  gardant  leur 
aspect  de  zinc  découpé,  ne  fuyaient  pas 
assez  et  étaient  trop  sur  le  décor  de  pre- 
mier plan.  Puis  pourquoi  peindre,  dans  le 
décor,  les  ruines  du  temple  de  Bacchus, 
fort  pittoresques,  d'ailleurs?  Serait-ce 
(ju'aux  temps  légendaires  d'Hercule  ,  il 
existait  une  commission  des  monuments 
historiques?  J'imagine  que,  en  ces  temps 
reculés,  les  édifices  religieux  et  les  palais 
étaient  en  meilleur  état  que  M.  Jambon 
ne  semble  le  croire. 

En  somme,  surtout  si  l'on  considère  le 
spectacle  dans  la  splendeur  ensoleillée 
qui  lui  fut  donnée  à  Béziers,  Déjanire  con- 
stitue l'œuvre  intéressante  d'esprits  cu- 
rieux des  choses  du  passé,  mais  peut-être 
trop  timides  dans  leur  volonté  de  recon- 
stitution. De  telles  tentatives  sont  à  en- 
courager, malgré  leurs  imperfections  iné- 
vitables, non  qu'elles  puissent  faire  revivre 
de  toutes  pièces  ce  qui  fut  la  joie  ou 
l'émotion  des  ancêtres  de  notre  pensée, 
mais  parce  qu'à  ces  choses  rajeunies  on 
pourra  peut-être  trouver  une  nouvelle 
formule  d'art. 

A.   Demeure   de    Beau  m  ont. 


-<=>«»><=>- 


MEMENTO     ENCYCLOPÉDIQUE 

Événements  d'Août   1898. 


1.  —  L'AcailOniie  îles  beaux-arts  décerne  le  prise  de 
Rome  (architecture)  à  M.  Léon  Chifflot.  —  Ouver- 
ture (lu  congrès  des  médecins  aliénistes  à  Angm--!. 

—  Le  tribunal  militaire  condamne  les  députés  socia- 
listes   italiens    Andreis   et    Turati    à    douze    ans    de 
réclusion.  —  La  famille  du  prince  de  Bismarck  refuse 
les  funérailles    solennelles    et    l'inhuma- 
tion au  Dôme  de  Berlin  offertes  par  l'eni- 

pereur  Guillaume.  -  Ouverture  du  con- 
grès international  des  mineurs  à 
Vienne. 

2.  —  M.  F.  Faure  pose  la  première  pierre 
du  couronnement  des  digues  du  nouvel 
avant-port  du  Havre.  ^  L'empereur 
et  l'impératrice  d'Allemagne  arrivent  à 
Friedrichsruhe.  Ils  assistent  à  une  cé- 
rémonie funèbre  intime.  —  L'armée  amé- 
ricaine opérant  contre  Porto-Rico  ar- 
rive à  Coamo.  —  Le  premier  coup  de  pioche 
est  donné  pour  le  percement  du  Sim- 
plon.  —  Ouverture  du  congrès  ilu  tou- 
risme à  Luxembourg. 

3.  —  Mort  de  Charles  Garnier, 
architecte  de  l'i^péra.  —  Mort  ilu  vicomte 
de  Castex, ancien  chambellan  de  Xaiio- 
léon  III. —  Le  D''  Emile  Berger  est  élu 
membre  de  l'Académie  royale  de  médecine 
de  Belgique,  en  remplacement  du  D'' Péan. 

—  Un  rescrit  de  l'empereur  Guillaume 
exprime  la  douleur  que  lui  cause  la  mort 
de  Bismarck  et  sa  reconnaissance  pour 
son  oeuvre,  qu'il  défendra  au  prix  de  son 
sang. 

4.  —  A  Nantes,  ouverture  du  congrès 
de  l'association  française  pour  l'avance- 
ment des  sciences.  M.  Orimaux,  an- 
cien professeur  à  l'Ecole  polytechnique, 
qui  avait  déposé  en  faveur  de  Zola  dans  le 
récent  procès  en  cour  d'assises,  étant  pré- 
sident du  congrès,  les  adversaires  de  Zola 
provoquent  des  scènes  tumultueuses  tant 
dans  la  salle  qu'au  dehors.  La  police  et  la 
troupe  interviennent  pour  rétablir  l'or- 
dre. —  Dos  cérémonies  funèbres  en  l'hon- 
neur de  Bismarck  sont  ordonnées  par 
l'empereur  CTuillaume.  Il  assiste  à  l'une 
d'elles.  —  Le  colonel  espagnol  San-Martin 
est  fusillé  pour  avoir  abandonné  Ponce  à 
Porto-Rico. 

5.  —  La  cour  de  cassation  rejette  les 
pourvois  de  AIM.Zola  et  Perrenx  contre 
les  arrêts  de  la  cour  de  Versailles.  —  L'Aca- 
démie des  beaux-arts  décerne  le  prix  de 
Rome  (gravure)  à  M.  Corabœuf.  —  Le 
général  Miles  occupe  Guyama  (Porto- 
Rico). 

6.  —  A  la  suite  de  démarches  de  M.  Cam- 
bou,  ambassadeur  de  France,  le  gouver- 
nement américain  fait  relâcher  le  paque- 
bot français  Manoubia  capturé  par  les 
Américains.  —  L'Académie  des  sciences 
morales    et    politiques  décerne    le   prix 

Jean  Reynaud  à  M.  Paul  Janet,  membre  de  l'Institut. 

—  A  Agen,  commencement  des  fêtes  du  centenaire  du 
poète  Jasmin  et  des  Cadets  de  Gascogne.  —  Mort 
de  M.  Martin-Feuillèe,  ancien  ministre  de  1<»  justice. 

—  Echange  des  ratifications  du  traité  d'arbitrage  relatif 
au  contesté  franco-brésilien. 

7.  —  A  Saint-Malo,  célébration  du  cinquantenaire  de 
Chateaubriand.  —  Scrutin  de  ballottage  pour  les 
élections  cantonales.  —  Mort  du  peintre  Eugène 
Boudin.  —  Le  tsar  décide  que  le  cap  Oriental,  sur  le 
dé-troit  de  Behring,  portera  le  nom  de  cap  Dejncw,  en 
mémoire  de  celui  qui  le  découvrit.  —  En  Crète,  les 
amiraux  ayant  empêché  le  débarquement  de  troupes 
turques,  la  Porte  se  prétend  en  droit  d'envoyer  des 
troupes  de  relève. 

8.  —  Violentes  tempêtes   sur  les  côtes  de  l'Océan. 


Nombreux  sinistres.  —  Encyclique  du  pape,  protes- 
tant contre  la  guerre  faite  aux  institutions  catholiques 
en  Italie. 

9.  —  M.  Bourgeois,  ministre  de  l'instruction  publique, 
va  assister  à  Toulouse  aux  fêtes  des  Cadets  de  Gas- 
cogne, qui  inaugurent  le  monument  du  poète  Ve.stre- 


Cl.  Pierre  Petit. 


M.    CHARLES     (i  AI:  NI  EU 


pain,  posent  la  première  pierre  du  monument  du  poète 
Goudouli  et  inaugurent  la  salle  des  illustres  au  Capitole. 

—  M.  Cambon  remet  au  gouvernement  américain  la 
réponse  de  l'Espagne  aux  conditions  de  paix,  que 
celle-ci  accepte. 

4  0.  —  Ouverture  du   congrès   dentaire  à   Lyon. 

—  M.  Georges  Curzon  est  nommé  vice-roi  des  Indes 
anglaises.  —  Le  gouvernement  américain  et  M.  Cambon, 
ambassadeur  de  France,  représentant  l'Espagne,  tombent 
il'accord  sur  les  termes  des  préliminaires   de  paix. 

11.  —  Arrivée  au  Havre  ilu  roi  des  Belges  voya- 
geant incognito.  —  Mort  de  M.  Georges  de  France, 
doyen  des  journalistes.  —  A  la  suite  des  troubles  pro- 
voqués par  la  pré.sidence  de  M.  Grimaux  au  congrès 
pour  l'avancement  des  sciences,  celui-ci  quitte 
Nantes  et  M.  Brouardel  le  remplace  à  la  présidence  du 


624 


MEMENTO    ENCYCLOPÉDIQUE 


congrès.  —  Le  gouvernement  espagnol  approuve  le  pro- 
tocole des  préliminaires  de  paix.  —  Malgré  les 
réclamations  de  l'Angleterre,  la  Chine  ratifie  le  contrat 
concédant  à  un  syjidicat  franco-belge  la  construction 
du  chemin  de  fer  de  Pékin  à  Han-Ko%v.  —  A  Cuba, 
Garcia  occupe  Gibara,  évacué  par  les  Espagnols  et  il 
assiège  Halguin.  —  Le  congres  de  la  République 
Argentine  proclame  président  de  la  République 
M.  Julio  Roca  à  partir  du  12  octobre.  M.  Quirino  Costa 
est  désigné  comme  vice-président. 

12.  —  Arrivée  à  Paris  du  prince  Henri  d'Or- 
léans revenant  d'Abyssinie.  —  Mort  du  général  de 
division  Renaud.  —  Signature  du  protocole  des  préli- 
minaires de  paix  entre  l'Espagne  et  les  Etats- 
Unis.    Ordre   est    donné    de    susponilre    les    hostilités. 

—  Clôture  du  parlement  anglais  et  lecture  du  dis- 
cours du  trône.  —  Ouverture  du  congrès  interna- 
tional de  lithographes  à  Berne. 

13.  —  Les  gouvernements  américain  et  espagnol 
adressent  au  gouvernement  français  leurs  remercie- 
ments pour  ses  bons  offices  qui  ont  facilité  le  rétablis- 
sement de  la  paix.  —  Les  ambassadeurs  abyssins, 
revenant  de  'V'ichy,  arrivent  à  Paris.  —  Le  Jonninl  offi- 
ciel publie  les  décrets  concernant  la  nouvelle  organisation 
administrative  de  l'Indo-Chine.  —  La  Bulgarie  et 
le  Monténégro  conclut  une  alliance  avec  l'approbation 
de  la  Russie.  —  La  junte  cubaine  notifie  au  gouver- 
nement américain  que  les  insurgés  acceptent  le  protocole 
et  cesseront  les  hostilités.  —  Le  Congres  de  Macédoiae 
demande,  dans  une  note  aux  puissances,  l'autonomie  de 
la  Macédoine  sous  la  suzeraineté  du  sultan. 

14.  —  Un  train  déraille  sur  la  ligne  de  Paris  à 
Lisieux.  8  morts  et  40  blessés.  —  Ouverture  du  6»  Con- 
grès de  la  mutualité,  à  Reims.  —  Inauguration,  à 
Montreuil-Bellay,  d'un  monument  à  la  mémoire  de 
Moreau,  Ouret,  Dovalle  et  Toussenel.  —  Inau- 
guration de  la  statue  «lu  maréchal  Exelmans,  à 
Bar-le-Duc.  —  M.  F.  Faure  et  le  ministre  de  la  marine 
passent  en  revue  l'escadre  du  Nord  en  rade  du  Havre. 
Le  roi  des  Belges  assiste  à  la  revue.  —  Le  comte  d'Aul- 
nay,  radical,  est  élu  sénateur  de  la  Nièvre  eu  remplace- 
ment de  M.  Ducoudray,  radical,  décédé. 

15.  —  MM.  Sarrien,  Cavaignac  et  Mougeot  assistent 
aux  fêtes  du  Concours  international  de  gymnas- 
tique de  Màcon.  —  Ouverture  du  Congrès  du  Club 
alpin,  à  Barcelonnette.  —  Le  ministère  portugais 
démissionne.  M.  Joes  Luciana  est  chargé  de  former  le 
nouveau  ministère.  —  Le  maréchal  Blanco  et  le  général 
Augusti  démissionnent  pour  ne  pas  diriger  l'évacua- 
tion de  Cuba  et  des  Philippines.  Le  g.^uvernement 
espagnol  n'accepte  pas  ces  démissions.  —  En  Irlande, 
fêtes  du  centenaire  de  la  révolution  de  1798. 

16.  —  M.  F.  Faure  reçoit  au  Havre  les  membres  de 
la  mission  abyssine  qui  lui  font  leurs  adieux.  —  Le 
Gouvernement  colombien  se  soumet  à  la  sentence 
du  président  Cleveland  et  accepte  l'ultimatum  de  l'Italie. 
L'incident  est  clos.  —  Nomination  de  la  commission 
américaine  chargée  d'organiser  l'évacuation  de  Cuba. 

—  Le  nouveau  ministère  portugais  est  composé  de 
MM.  Luycias  de  Castro,  présidence  et  intérieur  ;  colonel 
Sébastien  Telles,  guerre  ;  Beirao,  affaires  étrangères  ; 
Espregueiria,  finances;  Alpoin,  justice;  Villaea,  marine; 
Elvino  Brito,  travaux  punies  II  n'en  résultera  pas  de 
changement  dans  l'orientation  politique. 

17.  —  Mort  du  général  Jourdan,  inspecteur  du 
génie.  —  Les  généraux  Duchesne  et  Zédé  sont 
nommés  membres  du  Conseil  supérieur  de  guerre  Le 
général  Jeannerod  est  nommé  au  commandement 
du  i"  corps  d'armée.  —  Les  présidents  F.  Faure  et 
Mac-Kinley  inaugurent  le  nouveau  câble  transatlan- 
tique entre  la  France  et  l'Amérique,  de  Brest  à  Cap- 
Rod,  en  échangeant  des  télégrammes  se  félicitant  des 
relations  amicales  entre  les  deux  pays.  —  Le  vice-ami- 
ral Kournier  est  nommé  commaiulant  de  l'escadre  du 
Levant  ;  le  vice-amiral  Sallandrouze  de  Lamor- 
naix  est  nommé  commandant  de  l'escadre  du  Nord  et  le 
vice-amiral  Barrera  est  nommé  préfet  maritime  à 
Brest.  —  Mort  du  général  russe  Tchernaiefif,  qui  prit 
une  grande  part  à  la  conquête  du  Turkestan. 

18.  —  Le  commandant  Esterhazy  est  déféré  à  un 
conseil  d'enquête.  —  Fêtes  en  Autriche  à  l'o-îcasion  du 
cinquantenaire  du  régne  de  l'empereur  François- 
Joseph.  —  Eruption  du  'Vésuve. 

19.  —  De  violents  orages  dans  l'ouest  de  la 
France    occasionnent    d'énormes    dégâts.    Plusieurs  per- 


sonnes sont  tuées  par  la  foudre.  —  Malgré  l'armistice, 
les  insurgés  de  Manille  continuent  à  tenir  la  campagne 
contre  les  Espagnols.  —  Le  gouvernement  espagnol 
désigne  la  commission  chargée  d'organiser  l'évacuation 
de  Cuba. 

20.  —  La  chaleur  exceptionnelle  et  persistante 
occasionne  un  grand  nombre  d'accidents.  —  Lancement 
sur  la  Seine  de  la  passerelle  qui  servira  au  montage  du 
pont  Alexandre  III.  —  L'empereur  Guillaume 
arrive  à  Mayence  pour  assister  aux  manœuvres.  —  Un 
pont  construit  par  le  génie  militaire  sur  l'Arad  (Au- 
triche) s'écroule  au  moment  du  passage  des  troupes.  Une 
centaine  de  soldats  sont  tués. 

21.  —  Le  thermomètre  marque  35  degrés  k  Paris. 
L^ne  vingtaine  de  personnes  sont  frappées  d'insolation. 
—  A  Fontenay-le-Château,  inauguration  du  monument 
élevé  à  la  mémoire  du  poète  Gilbert.  —  A  Hodenc-en- 
Bray,  inauguration  du  monument  élevé  à  la  mémoire  de 
Gui  Patin,  célèbre  médecin,  né  eu  1602.  —  Le  retour 
à  Alger  de  l'ancien  commissaire  central,  récemment 
dép'acé,  donne  lieu  à  des  manifestations  violentes 
de  la  part  des  antijuifs.  La  troupe  est  requise  pour  ré- 
tablir l'ordre.  —  Sir  Georges  Newues  et  le  géographe 
Borcbgrevink  s'embarquent  pour  le  Pôle  sud  a  bord 
du  Soul/wrn-Crose,  construit  sur  le  modèle  du  Fnim.  — 
Levée  du  blocus  de  Cuba  et  de  Porto-Rico. 

22.  —  Ouverture  de  la  session  d'automne  des  Con- 
seils généraux.  —  'Violents  incendies  <ians  les 
forêts  de  pins  de  la  Gironde  et  des  Landes.  Des  centaines 
d'hectares  de  forêts  sont  détruits.  Un  enfant  et  un  vieil- 
lard surpris  par  les  flammes  sont  carbonisés.  —  Arrivée 
des  réservistes.  En  raison  de  la  température  excep- 
tionnellement élevée,  le  ministre  de  la  guerre  prescrit 
de  ne  faire  que  les  manœuvres  indispensables.  —  Mort  à 
Auckland  (Nouvelle-Zélande)  de  Malietao,  roi  des  îles 
Samoa. 

23.  —  Mort  du  sculpteur  Ding,  auteur  du  monument 
élevé  à  Vizille  à  la  Révolution  française.  —  M.  Cam- 
pos-Salles,  jirésident  de  la  République  du  Brésil,  rentre 
a  Rio-de-Janeiro  après  un  long  voyage  en  Europe.  La 
population  lui  fait  un  accueil  chaleureux.  —  La  peste 
est  officiellement  constatée  dans  le  sud  de  l'Inde.  Elle  fait 
de  grands  ravages.  —  Le  roi  d'Italie  signe  un  décret 
établissant  un  règlement  pour  la  participation  de  l'Italie 
à  l'Exposition  de  1900.  —  La  reine  régente  d'Es- 
pagne signe  un  décret  de  convocation  pour  les  élections 
des  conseillers  généraux.  —  Mort  de  M?"'  Angerer, 
évêque  de  Vienne.  —  Ouverture  à  Londres  du  4<"  Congrès 
international  de  zoologie.  M.  Milne-Edwards  y  repré- 
sente la  France.  —  A  Cuba,  Calixto  Garcia  donne  sa 
démission  de  commandant  des  troupes  insurgées  de 
Cuba.  —  On  apprend  que  dans  la  matinée  du  12  août  a 
eu  lieu  la  cérémonie  officielle  de  l'annexion  de  Ha'wai 

'  aux  Etats-Unis,  en  présence  des  commissaires  américains 
et  du  président  de  la  République  d'Hawaï  Sewall. 

24.  —  Le  Jourwil  officiel  publie  des  décrets  relatifs  à 
l'Algérie,  modifiant  les  pouvoirs  du  gouverneur  général, 
instituant  des  délégations  financières,  modifiant  l'orga- 
nisation du  Conseil  supérieur,  réformant  l'organisation 
des  consistoires  Israélites  algériens,  etc.  —  La  reine 
régente  d'Espagne  signe  un  décret  convoquant  les 
Chambres  pour  le  5  septembre.  —  Les  relations  sont 
tendues  à  Cuba  entre  Américains  et  insurgés. 

25.  —  La  division  anglo-égyptienne  quitte  Wad- 
Hamed,  se  dirigeant  vers  Omdurmaa.  Outre  l'armée 
de  terre,  la  division  comprend  14  vapeurs  dont  l'artillerie 
participera  au  bombardement  d'Omdurman.  —  On  an- 
nonce que  Samory  a  quitté  la  région  de  Kong  pour 
s'établir  dans  le  hinterland  de  la  République  de  Libéria. 

26.  —  Le  ministre  de  la  guerre  assiste  aux  expé- 
riences de  tir  avec  le  nouveau  canon  au  camp  de 
Chàlons.  —  A  l'occasion  de  l'anniversaire  du  voyage  de 
M.  F.  Faure  en  Russie,  des  télégrammes  de  sympathie 
sont  échangés  entre  le  président  de  la  République 
et  le  tsar.  —  Des  troubles  se  produisent  en  Perse 
par  suite  de  l'accaparement  des  grains.  Il  y  a  plusieurs 
tués.  —  Les  premiers  navires  rapatriant  l'armée  espa- 
gnole de  Cuba  quittent  Santiago.  —  La  Commission 
américaine  de  la  paix  est  composée  de  MM.  Day, 
Davis,  Frve,  White  et  Whitelaw-Reid. 

27.  —  M">-  Ch.  Garnier  fait  don  à  l'Etat  des  ma- 
quettes et  esquisses  des  peintures  qui  décorent  l'Opéra. 
—  Signature  de  la  convention  pour  la  constitution  des 
Etats-IJnis  de  l'Amérique  centrale,  comprenant 
le  Salvador,  le  Honduras  et  le  Nicaragua.  —  L'empereur 


MEMENTO    ENCYCLOPÉDIQUE 


625 


et  l'iiiipénitrice  do  Russie  assistent  aux  fêtes  (loiiiiùes  à 
Mo>;coii  ;'i  l'occiisioii  (le  l'inauguration  du  monument 
d'Alexandre  II. 

28.  —  Oc  iKjnibreux  Conseils  génér.iux  émettent  le 
voeu  que  le  gouviTiienient,  par  une  action  énergique, 
mette  fin  à  l'agitation  Dreyfus.  —  A  Muntbarl, 
inauguriition  du  nioiuuiient  ikvù  h  la  mémoire  du  gé- 
néral Junot  duc  d'Abnintis  (  1 77 1-lsi:!).  —  A  Haie, 
ouverture  du  2'  Congrès  sioniste,  où  toutes  les 
colonies  juives  du  mon  le  sont  rupnscnti'cs.  Le  Sionisme 
a  pour  but  de  «  créer  au  peuple  juif,  en  Palestine,  un 
domicile  ganinti  j)ar  le  droit  public  ».  —  Le  Afessager 
officM  de  Saint-Pétersbourg  annonce  que,  par  ordre  de 


protestations  de  la  part  du  gouvernement  turc.  —  Ouver- 
ture du  ;;■'  congrès  des  Trades-Unions  à  Bristol. 
—  L'épidémie  de  peste  fait  des  progrés  terrifiants  aux 
Indes  anglaises. 

30.  —  Dans  lo  oabinpt  du  ministre  de  la  guerre,  le 
lieutenant-colonel  Henry  est  reconnu  et  se  recon- 
naît lui-même  l'auteur  de  la  lettre  en  date  d'octobre  189(j, 
où  Dreyfus  est  nommé.  Le  ministre  de  la  guerre 
ordonne  immédiatement  l'arrestation  du  lieutenant- 
colonel  Henry,  qui  est  conduit  à,  la  forteresse  du  mont 
Valérien.  —  Dans  une  édition  spéciale  le  Journal 
officiel  d'Amsterdam  publie  une  proclamation  de 
la  reine  régente  contresignée  de  tous  les  ministres,  dans 


LE    CHATEAU     DE    FR  I  E  D  R  I  C  H  S  R  U  H  E,    OU    EST    MORT     BISMARCK 


Vu  du  parc 


l'empereur,  le  comte  Mouraview  a  remis  le  12/24  août,  à 
tous  les  représentants  étrangers  accrédités  à  Saint-Pé- 
tersbourg, une  communication  concernant  la  réduction 
possible  des  armements  excessifs  en  vue  du 
maintien  de  la  paix.  Le  d^  cument  dit  :  c(  Pénétré  de  ce 
sentiment,  Sa  Majesté  a  daigné  m'ordonner  de  proposer 
à  tous  les  gouvernements  dont  les  représentants  sont 
accrédités  près  de  la  cour  impériale  la  réunion  d'une 
conférence  qui  aurait  à  s'occuper  de  ce  grave  problème.  » 
La  publication  de  ce  document  produit  une  vive  sensa- 
tion dans  toute  l'Europe.  —  Fin  de  la  grève  des  mi- 
neurs de  Cardiff.  —  Le  général  Merritt  reçoit  l'ordre 
de  se  l'endre  immédiatement  de  Manille  à  Paris  pour 
assister  aux  séances  de  la  Commission  de  la  paix. 
—  La  fièvre  jaune  et  la  fièvre  typhoïde  fout  de  nom- 
breases  victimes  parmi  les  troupes  américaines  de  l'armée 
d'occupation  de  Cuba. 

29.  —  Congrès  de  géologie  à  Xancy.  —  Les 
membres  espagnols  de  la  commission  de  la  paix 
sont  MM.  Léon  y  Castillo,  atub.assadeur  à  Paris  ;  de  la 
Vignaza,  ministre  à  Bruxelles;  le  duc  de  Majera,  gou- 
verneur de  Cadix  ;  Mlarco  Artu,  sénateur  ;  Abarzuza.  — 
Les  amiraux  représentant  les  puissances  en  Crète  sont 
autorisés  par  leurs  gouvernements  k  percevoir  les 
revenus  des  dîmes  pour  subvenir  aux  dépenses  du  gou- 
vernement provisoire.  Cette  nouvelle  est  accueillie  avec 
satisfaction  par  le  coipité  exécutif,   mais  provoq.ne  des 

VIII.  —  40. 


laquelle  elle  déclare  se  démettre  de  ses  fonctions.  — 
L'expédition  polaire  Wellmann  rentre  à  Tromsoe 
après  avoir  vainement  recherché  les  traces  de  l'explo- 
rateur Andrée. 

31.  —  Le  Jourmil  officiel  publie  un  décret  moililîant 
l'organisation  de  l'administration  de  la  côte  française 
des  Somalis  et  spécialement  de  Djibouti.  —  M.  La- 
ferrière,  nouveau  gouverneur  général  de  l'Algérie, 
arrive  à  Alger  sur  le  croiseur  Chnnzy.  Quelques  troubles 
se  produisent  à  l'occasion  de  l'arrivée  du  gouverneur. 
Des  magasins  juifs  sont  pillés.  L'ordre  est  rétabli  dans 
la  soirée.  —  Le  Journnl  officiel  publie  un  décret  réorga- 
nisant l'administration  centrale  du  ministère  de  la 
marine.  —  Le  lieutenant-colonel  Henry,  arrêté 
le  30  août,  se  suiciile  daus  sa  cellule  du  mont  Valérien 
en  se  coupant  la  gorge  avec  un  rasoir.  —  Le  général 
de  Boisdefifre  donne  sa  démission  de  chef  d'état- 
mîijor  général.  —  Après  de  nombreuses  conférences  et 
plusieurs  entrevues  avec  l'empereur,  les  ministres  autri- 
chiens et  hongrois  se  sont  mis  d'nccord  sur  les  con- 
ditions du  compromis.  —  Tewfik  pacha,  mi- 
nistre des  finances  de  Turquie,  est  remplacé  par  Rechad 
bey.  —  Wilhelmine  V,  née  le  31  août  1880,  devenant 
majeure,  prend  efiectivement  possession  du  pouvoir 
comme  reine  des  Pays-B:is.  —  A  la  suite  du  rapport  du 
Conseil  d'enquête,  le  commandant  Esterhazy  est  mis  en 
réforme  par  décret  du  président  de  la  République. 


LA     MODE     DU     MOIS 


Les  volants  en  forme  ont  ramené  les  doubles  et 
les  triples  jupes,  ainsi  que  le  prouve  notre  mo- 
dèle (n"  1). 

Celui-ci  est  en  joli  lainage  gris  dont  les  trois 
volants,  ou  jupes  en  forme,  sont  lisérés  par  un 
entre-deux  de  guipure  posé  sur  transparent.  La 
jupe  est  ronde,  ce  costume  étant  surtout  destiné 
à  la  promenade. 

Le  corsage  croisé,  légèrement   blousé  et  fermé 


nœuds  en  velours  noir,  si  le  chapeau  est  gris,  de 
velours  foncé  formant  camaïeu  s'il  est  d'une  autre 
nuance.  Fantaisie  en  ailes  de  mouettes  sur  le 
devant.  Bas  et  souliers  noirs. 

Les  grandes  mantes  Louis   XV,  si  anormales  à 


de  côté,  à  droite,  est  serré  à  la  taille  par  une 
longue  écharpe  de  surah  blanc  servant  de  cein- 
ture; cette  écharpe  est  négligemment  nouée  de- 
vant. Un  coquille  de  surah  forme  jabot  à  la 
fermeture.  Le  corsage  s'ouvre  sur  une  guimpe 
couverte  d'incrustations  de  guipure;  un  entre- 
deux de  guipure  l'encadre  et  orne  l'unique  revers 
de  cette  gracieuse  blouse  dont  les  manches  sont 
longues  et  tout  à  fait  simples.  Gants  de  chevreau 
blanc  et  en-cas  de  fantaisie.  Grand  chapeau  de 
feutre  léger  gris,  ou  assorti  de  ton  au  costume 
qui  peut   se  faire   d'une    autre   couleur,  garni   de 


l'époque  où  elles  ont  été  créées,  en  été,  sont 
aujourd'hui,  au  contraire,  tout  à  fait  de  saison. 
Nous  leur  devons  le  retour  de  la  mode  pour  les 
vêtements  longs  et  pour  les  formes  fuyantes  de- 
vant. 

La  grande  redingote  que  nous  donnons  au- 
jourd'hui (n»  ,2)  est  une  des  dernières  créations 
parues.  Je  dirai.s  même  que  c'est  un  modèle  avant 
la  lettre. 

Ce  vêtement  de  demi-saison  est  en  drap  noir  à 
coutures  rapportées.  Le  col  et   les  revers  sont  en 


LA    MODE    DU    MOIS 


C27 


velours  rouge,  bordés  d'uu  galou  île  velours  ou  de 
drap  blanc.  La  martingale,  qui  le  serre  ;'i  la 
taille,  derrière,  est  assortie.  Quant  au.x  volants, 
ils  forment  jupe. 

Ce  manteau,  croisé,  s'agrafe  sur  le  côté. 

La  toque  qui  l'accompagne  doit  être  comuie  les 
revers,  en  velours  rouge  ;  mais  on  peut,  à  volonté, 
la  faire  aussi  en  velours  noir,  seulement  elle  seia 
ainsi  moins  élégante.  Une  plume  assortie,  mais 
plus  claire,  part  du  cache-peigne,  en  fleurs  de 
.saison,  et  vient  se  croquer  en  avant,  couchée,  sui 
la    calotte  souple  du  chapeau. 


soie  de  fantaisie  nouée  eu  nœud  papillon  sous  le 
menton. 

Grand  chapeau  de  feutre  cerise,  plume  amazone 
noire  et  traîne  de  passeroses  à  gauche. 

Gants  de  chevreau  bruns.  Souliers  en  chevreau 
boutonnés  et  bas  noirs. 

Les  chasses  amenant  dans  les  château.x  de  nom- 
breux visiteurs,  les  toilettes  de  soirée  com- 
mencent donc  à  avoir  leur  utilité.  En  voici 
une  (n»  4)  qui  peut  servir  pour  grand  dîner, 
soirée,  bal,  ou  réception  de  tout  genre  pour  les 
manoirs  ou  les  simples  villas.  Elle  est  en  foulard 
rouge  ou  citron,  à  pois  blancs,  tous  les  volants  en 
forme,  et  la  ceinture,  h  longs  pans  noués  derrière, 


Gants  de  Suède  de  nuance  naturelle 
et  bottines  en  chevreau  mat. 


bas  noirs 


Pour  aller  en  voyage,  voici  un  costume  tail- 
leur (n°  3)  est  tout  à  fait  pratique.  Il  est  orné 
d'un  biais  piqué  en  forme.  En  drap  noir,  avec 
un  col  et  des  revers  de  drap  ou  de  velours 
cerise,  il  est  à  la  fois  pratique  et  élégant.  Les 
revers  sont  eux-mêmes  lisérés  de  drap  ou  de  ve- 
lours blanc. 

Le  gilet  croisé  est  en  drap  blanc  laissant  aper- 
cevoir une  chemise   de  batiste  à  plis.  Cravate  en 


garnis    de   ruches    en   mousseline    de   soie   noire. 

Autour  du  décolleté  carré,  large  bande  de  gui- 
pure crème  ;  et  manches  longues,  emboîtant  bien 
les  épaules,  entièrement  en  guipure. 

Chrysanthèmes  teintés  à  gauche,  et  petite  plume 
noire  dans  les  cheveux  gracieusement  ondulés  et 
frisés. 

G-ants  blancs,  bien  entendu,  et  petits  souliers  de 
satin  rouge  ou  citron,  avec  bas  de  soie  crème 
brodée. 

La  jupe  appuie  légèrement  à  terre  sans  être 
longue.  Elle  est  soulevée  sur  le  fond  de  soie. 


628 


LA    MODE    DU    MOIS 


CHAPEAUX    DE   SAISON 

NO  1.  —  Capote  en  velours  améthyste  orné 
d'une  large  cocarde-nœud,  en  dentelle  d'argent, 
retenue  par  une  boucle  en  argent  et  cailloux  du 


Rhône.  Une  touffe  d'aigrettes  recourbées  blanches 
s'échappe  de  cette  cocarde  et  achève  l'élégance  de 
cette    coiffure. 

Un  peigne  Empire,  en  écaille  brune,  posé  en 
bas  du  chignon,  retient  la  capote  derrière. 

jq^o  2.  —  Chapeau  rond,  pour  jeune  fille  oa  très 
jeune  femme.  Ce  modèle,  de  demi-saison,  se  fait  à 
bords  assez  larges,  légèrement  cambrés  et  relevés 


à  gauche.  La  calotte  en  est  très  basse.  Ce  chapeau 
est  en  velours  incarnat  très  clair,  avec  ruban  de 
satin  assorti  dont  le  nœud,  à  la  base,  est  retenu 
par  une  boucle  en  stras  et  grenat.  Sous  la  passe, 
et  se  perdant  dans  la  frisure  des  cheveux,  touffe 
bien  fournie  de  roses  thé. 

Le  même  modèle  peut  se  répéter  en  velours 
noir  avec  ruban  de  satin  noir  et  roses  thé,  roses, 
ou  rouges,  suivant  le  goût. 


COLS    ET    CRAVATES 

N°   1.  —   Col   en  batiste   blanche,  rabattu  et  à 
ourlet  à  jour.  Cravate  en  linou  blanc  extrêmement 


fin,  formant  un  nœud  papillon.  Cette  cravate  est 
plissée  avec  deux  rangs  de  petits  rubans  de  satin 
tout  autour. 

N"  2.  —  Col  en  toile  extra.  —  Ce  col  se  fait  de 
façon  à  supporter  l'empois  un  peu  ferme.  Il  est 
droit,  fermé,  mais  roulé  en  pointes  rabattues  de- 
vant. La  cravate  qui  l'accompagne  imite  le  nœud 
à  la  marinière;  ce  nœud  est  terminé  par  un  seul 
pan  garni  tout  autour  d'un  plissé  en  mousseline 


de  soie.  On  fait  la  cravate  en  peau  de  soie  du  ton 
que  l'on  choisit.  Ou  peut,  à  volonté,  assortir  le 
plissé  comme  nuance,  ou  le  faire,  au  contraire, 
d'un  ton  bien  tranchant. 

Ces  cravates  sont  précieuses  pour  mettre  avec 
les  corsages-blouses,  les  jaquettes,  dont  elles  ac- 
compagnent, en  les  terminant,  les  gilets,  les 
vestes  de  bicyclistes  et  les  costumes  tailleur.  Eu 
satin  noir  ou  en  batiste  blanche,  elles  vont  avec 
tous  les  costumes. 

Ou  peut  également  faire  ces  modèles  en  den- 
telle, ou  en  surah  de  nuance  claire,  mélangé  de 
dentelle.  Ces  cravates  seront  alors  plus  coquettes 
et  pourront  facilement  se  porter  avec  une  robe  de 
soie  ou  \va.  corsoge  de  théâtre  élégant.  Nous 
donnons  des  idées.  C'est  à  nos  lectrices  de  savoir 
les  appliquer,  en  les  modifiant  plus  ou  moins,  à 
leurs  besoins. 


LA    MODE    DU    MOIS 


629 


LES    PIERRES    PRECIEUSES 

On  lionne  le  nom  de  pierres  précieuses  ou  de 
pierres  ^nes  à  des  quartz  ou  productions  natu- 
relles que  l'on  trouve  enfouies  au  fond  de  la  terre. 

Quelques-unes  d'entre  elles  ont  une  grande 
valeur,  principalement  dans  celles  dites  cristaux: 
au  nombre  de  celles-là  le  diamant  occupe  le  pi'e- 
luier  l'ang.  Le  rubis,  Vémeraude,  le  saphir,  la 
topaze,  VamctJit/ste,  \e  ffrenat  et  le  cristal  de  roche 
viennent  ensuite. 

Il  faut  encore  compter  :  Vaigue-marine,  la  tur- 
^/uoise,  Vaffate,  le  bcri/l,  Vaimant,  Vamhre,  Vaven- 
(nrine,  Vhyacinthe,  le  jade,  le  lapis-lasuli,  la 
malachite,  Vœil-de-chat  ou  de  tigre,  l'obsidienne, 
Vopale,   le   péridot,   la  pierre   de  lune,  etc. 

Le  diamant  jette  des  feux  étincelants  et  multi- 
colores. Il  y  en  a  de  plusieurs  couleurs,  les  blancs 
sont  les  plus  chers;  mais  les  noirs,  foi't  rares,  sont 
d'un  prix  inestimable.  Louis  XYIII,  dit-on,  en 
possédait  un  de  toute  beauté.  On  eu  cite  encore 
des  verts,  des  jaunes,  des  bleus  et  des  roses. 

Suivant  la  taille  qu'on  lui  fait  subir,  le  diamant 
prend  différents  noms.  Le  brillant  est  le  plus 
l)eau;  sa  table  de  dessus  est  taillée  à  huit  ou 
douze  pans,  et  sa  "partie  inférieure,  dite  culasse, 
ost  également  taillée  à  facettes  d'un  nombre  équi- 
valant aux  pans  supérieurs. 

Le  brillant  double  ne  compte  pas  moins  de 
soixante-quatre  facettes. 

Le  demi-brillant,  très  à  la  mode  en  Orient,  n'a 
pas  de  culasse  et  il  est  plat  sur  le  dessus. 

La  rose  est  plate  dessous,  et  la  pierre  de  dessus, 
saillante,  se  compose  d'une  couronne  en  forme  de 
pyramide,  à  six  faces,  encadrée  par  une  multitude 
de  petites  facettes. 

Le  rubis,  d'un  rouge  vif,  vient  immédiatement 
après  le  diamant.  C'est  un  produit  de  l'Orient. 

La  Syrie,  le  Tyrol,  la  Bohême  et  la  Hongrie 
fournissent  le  grenat  d'un  rouge  foncé,  tirant 
parfois  sur  le  violet. 

L'émeraude,  d'un  beau  vert,  se  taille  ordinai- 
rement en  carré.  On  la  trouve  rarement  pure,  et 
comme  elle  est,  de  toutes  les  pierres  précieuses, 
celle  qu'on  imite  avec  le  plus  de  succès,  ne  la 
uionte-t-on  jamais  qu'à  jours. 

'L'améthyste,  d'un  beau  violet,  s'emploie  surtout 
I»our  les  bijoux  de  deuil.  On  la  transforme  sou- 
vent en  camée  par  la  gravure. 

La  topaze,  originaire  du  Brésil,  est,  ou  jaune 
d'or,  ou  jaune  plus  foncé  ;  on  la  désigne  alo)s 
sons  le  nom  de  topaze  brûlée. 

Jjaigue-marine,  moins  à  la  mode  que  les  pierres 
jirécédrntes,  est  d'un  blanc  verdâtre,  rappelant 
assez  la  nuance  de  la  mer.  Comme  l'améthyste, 
elle  se  taille  en  camée,  ou  en  intaille,  c'est-à-diie 
en  creux  au  lieu  d'être  en  relief. 

Le  saphir,  très  apprécié  et  ti-ès  cher,  est  d'un 
beau  bleu  céleste.  Originaire  de  Sibérie,  de  Ceylan, 
de  Pégu  ou  du  pays  d'Ava,  il  rivalise  eu  cherté 
avec  le  diamant  et  le  rubis. 

La  turquoise,  le  lapis-lazuli ,  la  malachite,  etc., 
sont  des  pierres  opaques. 


NOS     PATRONS 

Jupe  fourreau  avec  volant  en  forme.  — .  Cette 
jupe  se  coupe  droit  fil  devant  et  derrière.  Elle  doit 
emboîter  absolument  les  hanches,  c'est-à-dire  être 


tout  à  fait  collante  devant  et  sur  les  côtés.  L'am- 
pleur se  trouve  ramenée  derrière  dans  les  fronces, 
peu  nombreuses  du  reste. 

Le  volant,  taillé  en  biais  devant,  est  droit  fil 
derrière. 

La  jupe  en  forme  ne  se  double  pas.  Elle  est  ce 


iiu'on  appelle  soulevée.  On  la  monte  sur  un  fond 
de  jupe  de  soie.  Pour  faire  ce  fond  de  jupe,  il  faut 
environ  huit  mètres  de  tissu  et  quatre  mètres  en 
un  mètre  de  large  pour  la  jupe  elle-même. 

Ces  proportions  sont  établies  pour  une  femme 
au-dessus  de  la  movenne. 


€30 


LA    MODE    DU    MOIS 


TRAVAUX    DE    DAMES 

No  1.  —  Bande  de  broderie.  —  Voici  une  bande 
de  broderie,  très  facile  à  exécuter  et  tout  à  fait 
jolie,  pour  bandeau   d'autel.    Elle  sera  particuliè- 


rement bien  appliquée  à  l'autel  de  la  Vierge  ou 
à  celui  de  Saint-Joseph. 

Elle  se  fait  à  volonté  sur  tissu  de  soie,  de  laine, 
de  fil  ou  de  coton  ;  mais  elle  se  brode  toujours  en 
soie  et  au  passé.  Les  fleurs,  des  lis,  sont  blanches, 
mais  de  deux  tons  ;  les  feuilles  d'un  vert  très 
doux  et  de  deux  tons  également  ;  quant  aux  pis- 
tils, ils  se  font  en  fils  d'or. 

L'étofiie  peut  être  crème,  blanche,  ou  bleu  pâle. 
Et  rien  n'empêche  de  terminer  le  bandeau,  eu 
bas,  par  une  petite  dentelle  ou  une  passementerie 
de  fantaisie,  cette   dernière  en  soie,  bien  entendu. 

N°  2.  —  Autre  bande  brodée.  —  Cette  autre 
bande,    des   orchidées,  est    également    brodée    au 


passé.  Les  fleurs  sont  mauves  de  trois  tons.  Les 
points  bruns  et  noués  en  relief.  Les  tiges  sont 
vertes,  mais  de  deux  tons. 

Cette  bande  peut  s'appliquer  à  toute  espèce 
d'objets  d'ameublement,  bandeau  de  cheminée,  de 
tapis  de  table,  bordure  de  rideau,  bande  pour 
sièges,  etc. 

Si  on  désire  un  travail  plus  simple,  d'un  usage 
plus  journalier,  ou  moins  susceptible,  on  exécu- 
tera cette  bande  avec  de  la  laine,  sur  de  la  grosse 
toile.  On  pourrait,  au  besoin,  agir  de  même  avec 
la  première  bande. 

N"  3.  —  Corbeille  à  pain.  —  Cette  corbeille  se 
fait  en    vannerie    japonaise.    On    l'agrémente    de 


deux  petits  noeuds  très  enlevés  aux  deux  auses. 
L'intérieur  se  garnit  avec  une  petite  serviette  en 
granité  blanc  ou  crème,  brodé  tout  autour.  On 
peut  mettre  dans  le  fond  le  chiffre  de  la  personne 
à  laquelle  on  désire  offrir  ce  rien  en  souvenir. 


N°  4.  —  Détail  de  la  broderie  de  la  serviette.  — 
Cette  broderie  se  fait  en  soie  lavable,  les  fleurs  eu 
rouge  coquelicot  de  deux  tons,  les  feuilles  en  vert 


glauque  de  deux  tons,  mais  celles-ci  brodées  à 
plat,  taudis  que  les  fleurs  doivent  être  rembourrées 
pour  leur  donner  plus  de  relief. 

Cette  même  broderie  pourrait  s'appliquer  à  une 
serviette  destinée  à  recouvrir  un  plateau,  une 
petite  table  à  thé,  une  servante,  ou  tout  autre 
objet  du  même  genre. 


DE    LA    POUDRE    DE    RIZ 

L'usage  de  la  poudre  de  riz  est  aujourd'hui  tel- 
lement répandu  que  je  n'essayerai  même  pas  de 
réagir  contre  lui,  quoique  l'approuvant  peu  ;  la 
poudre  ne  devrait  s'employer  que  comme  hygiène 
pour  se  sécher,  après  avoir  fait  sa  toilette,  ou 
lorsque,  au  retour  d'une  longue  course,  on  est 
mouillé  par  la  transpiration.  On  devrait  choisir 
alors  de  la  poudre  médicinale  de  pharmacien,  sans 
odeur,  c'est-à-dire  de  la  véritable  fleur  de  riz,  ou 
de  la  poudre  à  l'amidon,  ou  au  lycopode.  La  fécule 
de  pomme  de  terre  est  excellente.  Quelques  per- 
sonnes emploient  encore  la  poudre  d'iris;  cepen- 
dant celle-ci,  étant  plus  irritante,  doit  être  écartée 
pour  les  épidermes  susceptibles. 

La  poudre  d'amidon,  plus  lourde  que  la  véritable 
poudre  de  riz,  est  également  plus  adhérente  que 
celle-ci.  Mais,  en  général,  lorsqu'on  veut  maintenir 
sur  la  peau  ce  léger  duvet  blanc,  Rachel  ou  rosé, 
faut-il  auparavant  passer  sur  son  visage  une  légère 
couche  d'une  crème  quelconque.  Le  blanc  dont  ou 
enduit  les  masques  avec  lesquels  les  coquettes  se 
couvrent  la  figure  pendant  la  nuit,  pour  effacer 
leurs  rides  et  maintenir  leur  peau  fraîche,  a  l'avan- 
tage de  n'être  pas  gras  et  de  ne  pas  rendre  la 
peau  luisante  au  bout  de  quelques  heures. 

L'amidon  provenant  du  blé,  du  seigle,  de  l'a- 
voine, de  l'orge,  du  maïs,  des  glands,  des  fèves, 
des  pois  et  des  pommes  de  terre  est  plus  adhérent 
que  le  véritable  amidon  de  riz.  Celui-ci  disparaît 
au  moindre  frottement  ou  au  plus  léger  courant 
d'air. 

Il  y  a  des  blancs  liqiiidesj  qui  donnent  absolu- 
ment l'illusion  de  la  poudre  quand  ils  sont  bien 
appliqiTés  et  qui  n'ont  pas,  comme  elle,  l'inconvé- 
nient de  tomber  sous  l'action  de  la  marche  ou 
l'influence  du  vent  ;  ceux-là,  à  la  vérité,  rentrent 
dans  la  catégorie  des  fards. 

Mais  encore  une  fois,  rien  ne  vaut,  je  le  répète, 
la  peau  à  sou  état  naturel. 

Berthe    de    Présilly. 


QUESTIONS    FINANCIKUES 


Nous  sommes  eiicliault's  (Tavoii"  ;\  coii- 
slalcr  que  les  circonslaiiccs  doiinenl  |)lci- 
iicment  raison  aux  prévisions  (jue  nous 
avons  formulées  en  nolio  dornicr  ailicU'. 
Vous  savez,  ce  qui  s'osl  jiassé  (h'pnis  lors. 
Vous  connaissez  l'accumulalion  d'événe- 
ments ([ui  onl  surfïi,  qui  se  sont  précipités 
avec  une  foudroyanlc  rapidité,  et  dont 
beaucoup  sont  tragiques.  Les  révélations 
les  plus  inattendues,  les  crises  ministé- 
rielles, les  arrestations,  les  suicides,  l'as- 
sassinat de  S.  M.  rim|)ératrice  d'Autriche, 
le  bruit  d'une  entente  entre  l'Allemagne  et 
l'Angleterre,  le  bombardement  de  Candie, 
les  événements  do  Crète,  et  d'autres  faits 
encore,  beaucoup  d'autres  faits,  ont  été 
soumis  à  l'appréciation  du  personnel  finan- 
cier, toujours  si  susceptible,  toujours  si 
impressionnable  lorscju'il  s'agit  de  choses 
touchant  de  près  ou  de  loin  à  la  politique 
intérieure  ou  internationale. 

Le  moindre  de  ces  événements  était  fait 
pour  exercer  une  sérieuse  influence  sur 
l'esprit  de  la  spéculation.  Et,  si  cette 
influence  ne  s'est  pas  manpiée  par  des 
oscillations  bien  profondes  de  la  cote,  cela 
tient  surtout  à  ce  (jue  nous  sommes  encore 
dans  la  période  des  vacances,  et  que,  par 
conséquent,  un  grand  nombre  des  per- 
sonnes qui  passent  pour  diriger  le  marché 
ne  sont  pas  encore  rentrées.  Si  nous 
étions  dans  ce  que  l'on  appelle  la  saison 
des  affaires,  il  est  hors  de  doute  que  nous 
assisterions  à  des  mouvements  considé- 
rables. Or,  précisément,  c'est  l'aléa  résul- 
tant de  mouvements  de  ce  genre  que  nous 
désirons  éviter  aux  lecteurs  de  cette  Revue, 
qui  ne  sont  point  recrutés  dans  les  rangs 
(les  joueurs.  C'est  pour  cela  que  nous  leur 
avons  recommandé  des  valeurs  ({ui,  par 
leur  nature,  échappent  et  écliappcront  tou- 
jours aux  influences  de  la  spéculation  et 
des  événements,  quelque  graves  que  puis- 
sent être  ces  derniers. 

Voyez  ce  qui  s'est  passé  pendant  la  pé- 
riode qui  vient  de  s'écouler.  Alors  qu'à 
diverses  reprises  nos  rentes  ont  subi  l'as- 
saut des  ventes  au  comptant  et  que  nos 
chemins  de  fer,  classés  par  le  public  de 
l'épargne  au  même  niveau  élevé  que  nos 
fonds  nationaux,  ont  vu  leurs  cours  s'a- 
moindrir assez  sensiblement  sous  le  poids 
d'offres  provoquées  par  les  impressions 
résultant  des  événements  intérieurs,  —  les 
valeurs  industrielles  n'ont  pas  bronché, 
ou  si  peu,  que  ce  n'est  point  la  peine  de 
s'y  arrêter.  Seul,  le  Suez  a  été  un  peu 
lourd,  parce  qu'il  subit  forcément  la  ré- 
percussion des  événements  orientaux. 
Mais  le  reste?  On  sent  bien  que  ce  qui  se 
passe  ne  saurait  empêcher  les  gens  de  se 


cliausser,  ou  de  se  nourrir,  ou  de  slia- 
biller,  ou  de  voyager  à  l'étranger,  ou  de 
s'éclairer.  Dès  lors,  et  sans  hésitation  au- 
cune, l'épargne  a  conservé  en  portefeuille 
les  actions  des  compagnies  qui  exploitent 
les  chaussures,  ou  l'alimentation,  ou  les 
moyens  de  transports  extérieurs,  ou  le 
gaz,  ou  l'électricité,  etc.  Rien  de  plus 
normal,  rien  de  plus  logique. 

Et  c'est  pourquoi  nous  insistons  sur 
l'avantage  qu'il  y  a  pour  le  public  à  s'orien- 
ter dans  la  voie  que  nous  indiquons.  Les 
valeurs  industrielles,  —  ne  sortez  pas  des 
valeurs  industrielles  jusqu'à  nouvel  ordre. 
Cela  dit,  il  va  de  soi  qu'il  faut  procéder 
avec  une  certaine  circonspection  et  ne  pas 
se  jeter  sur  les  valeurs  industrielles  uni- 
quement parce  qu'elles  portent  l'étiquette 
«  industrielle  ".  Grâce  à  l'ingéniosité  de 
certaines  gens,  ce  pavillon,  depuis  quelque 
temps  surtout,  couvre  une  marchandise 
discutable  ;  je  vous  ai  dit  cela  déjà  dans 
mon  précédent  article  et  j'y  reviens  au- 
jourd'hui, parce  que  plusieurs  lecteurs,  qui 
m'ont  fait  l'honneur  de  m'écrire  ou  de  me 
venir  voir,  m'ont  semblé  un  peu  plus  en- 
thousiastes qu'il  n'aurait  fallu  de  certaines 
valeurs  nouvelles  et  dont  ils  connaissaient 
presque  par  cœur  les  grandiloquents  pros- 
pectus. Je  suis  arrivé  à  les  dissuader  et 
pense  leur  avoir  rendu  ainsi  un  service, 
que  je  suis  d'ailleurs  disposé  à  rendre  à 
toutes  les  personnes  qui  voudront  bien 
avoir  recours  à  moi. 

En  ce  moment,  tout  au  moins,  nous 
n'avons  que  faire  des  valeurs  «  indus- 
trielles »  étrangères.  Nous  ne  poussons 
pas  le  chauvinisme  jusqu'à  prétendre  que 
l'argent  français  ne  doit  sous  aucun  pré- 
texte sortir  de  France  :  l'argent  est  une 
marchandise  comme  les  autres,  et  nous 
avons  beaucoup  à  gagner  en  le  faisant  cir- 
culer; mais  c'est  à  la  condition  que  nous 
n'en  trouverons  pas  l'emploi  chez  nous. 
Or  il  suffit  de  lire  la  cote  avec  attention 
pour  se  rendre  compte  que  tel  n'est  point 
le  cas,  et  que  notre  stock  de  valeurs  natio- 
nales et  assez  fourni  pour  n'exiger  points 
l'exportation  de  nos  capitaux.  Evidemment, 
il  y  a  un  choix  à  faire.  Pour  nous,  nous 
croyons  sincèrement  que  le  capitaliste  fera 
bien  de  renoncer  aux  valeurs  anciennes, 
qui  ont  atteint  maintenant  des  cours  tels 
que  leur  taux  de  capitalisation  se  réduit  à 
presque  rien.  C'est  dans  les  affaires  déjà 
en  exploitation  qu'il  faut  chercher,  —  dans 
le  groupe  de  celles  qui,  bien  que  de  fon- 
dation récente,  ont  pu  néanmoins  donner 
des  preuves  de  vitalité.  Celles-là,  on  les 
découvrira  sons  peine. 

E.   Benoist. 


Adresser  les  commiinicatioixs  pour  celle  paye  à  M.  liniile  Heiuiisl.  17,  rue  du  Ponl-Aeuf. 


BOURSE   DE   PARIS  (Comptant).  —  Cours  extrêmes  d'Août  1898. 


FONDS   D'ÉTAT  ET  DE  VILLES 


ReT.net 

d'impùl 
3  » 
3  )i 
3  50 

15  » 
2  50 

12  50 


» 


3  %  français  perpétuel 

Z  %        d"      amortissable 

3l/2jrd<'       

Obligations  tunisiennes  3  %  1892.    . . 
Emprunt  Annam  et  Tonkin  2  1/2  %. 

Emprunt  de  Madagascar  2  1/2  % 

Angleterre,  consolidés  2  3/4  ^ 

République  argentine  5  %  1886 

Autriche  4  %  1876,  or 

Belge  3  %  1873  conv.  (2'^  série) 

Brésilien  4  %  1889 

Chine  4^  1895,  or 

État  indépt  du  Congo,  lots  1888 » 

Egypte  7  %,  dette  unifiée   nouvelle . .   20  08 
—      3  1/2^,  dette  privil.,  conv..   17  57 
Espagne  extérieure  4  %  1882,  perpét.     4 

Hongrois  4  ^  1881,  or 4 

Italien  h  % 4 

Portugais  1853  Z  % »  93 

Roumain  4  %  1890 4 

Riisse  4  %  1880  (6"  émission). . 

—  4:  %  1889,  or 4     » 

—  i  %  consol.  (1"  et  21^  séries). .     4 

—  i.%  1890  (2«  et  3«  séries) 4 

—  Z  %  1891,  or 3 

—  i.%  1893,  or 4 

—  3  1/2  %  1894,  libéré 3  60 

—  Z  %  1896 • 3 

Serbie  4  %  1895 4 

Suisse  (chemins  de  fer)  Z  % 3 

Turquie,  dette  convertie  (D)  4  ^ 1 

—  oblig.  consolidé  1890,  4  ^ 20 

—  —    ottom.  priorité  1890,  4  %.  20 

—  —     privil.  douanes  h  % 26 

—  —     ottom.  1894,  A.% 20 

—  —     1896,6  % 25 

Ville  de  Paris   1865,  4% 18  08 

—  1869,  Z% 10  66 

—  1871,  Z% 10  68 

—  1876,  i.% 18  06 

—  1876,  i.% 18  06 

—  1886,  Z  % 10  68 

—  1892,  2  l/2^toutpayé, 

—  1894-96,  2  1/2  %  d" 
Ville  de  Marseille  1877,  Z  % 

—  d'Amiens  1871,  4  ^ 

—  de  Bordeaux  1863,  Z  % 

—  de  Lille  1860,  Z  % 

—  —      1893,  3  1/2^ 

—  de  Lyon  1880,  Z  % 

ÉTABLISSEMENTS    DE  CRÉDIT 

Banque  de  France (Actions) 

Banque  Paris  et  Pays-Bas .  d° 

Banque  Transatlantique  . .  d" 

Compagnie  Algérienne  ...  d° 

Comptoir  d'Escompte d"> 

Crédit  Foncier  de  France. .  d" 
Foncières  1879,  Z%...  (Obligations) 

—  1883,  3  ir d» 

—  1885,3^ d» 

—  1895,  2,80  ^lib.        d° 
Communales  1879,  2,60  % .  d" 

—  1880,  Z  %  ...  d° 

—  1891,3  1"...  d" 

—  1892,  3  J....  d» 

Crédit  Industriel (Actions) 

Crédit  Lyonnais d" 

Société  Générale d° 

Cïnque   Ottomane d" 


Plus  haut. 

103 

75 

102 

25 

106 

40 

603 

» 

91 

00 

91 

» 

112 

30 

449 

» 

104 

50 

101 

65 

63 

25 

105 

75 

93 

)i 

110 

70 

106 

25 

46 

60 

103 

40 

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76 

20 

80 

8  82 

10  70 
3  60 
3  » 

2  64 

3  16 
2  67 

115  )i 
36  95 

11  68 
29  60 
25 

24  96 
13  40 
13  48 
13  40 

12  46 

11  50 

13  40 
10  72 

14  36 

12  » 
32  05 
12  » 
12  50 


94  50 
103  95 

103  85 

104  80 
104  25 

97  50 
106  80 
103  » 

98  20 
60  05 

101  25 
25  » 
425  » 
490  » 
602  » 
460  » 
467  60 
668  50 
432 
420 
585 
683 
410 
407 
399  25 
410  60 
125  » 
125  » 
130  » 
605  » 
102  50 


3600 
968 
438 

778 
607 


69a  » 
512  » 
471  » 
602  » 
501  60 
603 
506  50 
405  » 
501  » 
612  » 
880  » 
650  » 
558  SO 


Plus  bas. 

103  25 
101  70 
105  95 
500  50 

90  25 

90  50 

110  75 

425  » 

104  10 

101  65 
50  ). 

103  50 
92  » 

109  25 

104  45 
40  90 

102  80 

92  10 
17  85 

93  15 

103  )) 
103  20 
103  90 

103  60 
96  80 

104  60 
101  50 

96  60 
68  50 
100  70 
22  30 
415  » 
474  » 
493  £ 
451  50 
460  » 
656  » 
424  » 
414  75 
580  » 
879  » 

405  » 
401  » 
398  75 

406  » 

119  » 

120  •» 
125  » 
500  » 
101  25 


3550  » 

944  » 

430  » 

770  » 

682  » 

680  » 

504  60 

468  » 

501  » 

500  » 

600  » 

503  » 

403  » 

600  » 

605  » 

870  » 

548  » 

550  » 


P.-L.-M 

d» 

Midi 

d" 

Nord 

d» 

Orléans 

d» 

Ouest 

d» 

Bône-Guelma.  . 

d» 

Est-Algérien . . . 

d° 

Ouest-Algérien . 

d» 

Andalous 

d» 

Autrichiens. . . . 

d» 

Sud-Autriche  . . 

d« 

Nord-Espagne. . 

do 

Saragosse 

d» 

31  » 

4  » 

5  » 
4  25 

13  44 
13  44 
13  44 
13  44 
13  44 
13  44 
13  46 
13  50 
13  48 

13  54 
11  » 
15  » 
11     » 

14  30 


CHEMINS  DE    FER 

Est 500  fr.  tout  payé  (Actions)  1 32  16 

d»  49  70 
d»  45  42 
d»  55  90 
d»  52  99 
d»  34  75 
d"  26  97 
d»  25  10 
d»  22  78 
d"  5 

d» 
d» 
d» 
d» 

Est  3  %  nouveau (Oblig.) 

P.-L.-M.  3  %  nouveau d° 

Midi  3  %  nouveau d" 

Nord-Est  français  Z  % d" 

Orléans  1884 d" 

Ouest  3  %  nouveau d" 

Bône-Guelma  Z  % d» 

Est-Algérien  Z  % d» 

Ouest- Algérien  3  ^ d» 

Médoc  Z  % d» 

Andalous  3  %  estamp d" 

Autrichiens  3  %  V'  hypoth.  d° 
Nord-Espagne  l'*  hypothèque.  d" 
Saragosse d" 

VALEURS   DIVERSES 

Docks  et  Entrep.  de  MarseiUe.(Actions) 

Entrep.  et  Mag.  Gcn.  de  Paris.  d" 

C'e  Q-ie  Transatlantique d" 

C'"  française  des  Métaux ....  d" 

C'°  générale  des  Tramways ...  d" 

C'"  générale  des  Eaux d" 

C'*  du  Gaz  de  Bordeaux. ...  d° 

C'*^  du  Gaz  général  de  Paris .  d" 

C'°  du  Gaz  de  Marseille d» 

Aciéries  de  France d" 

Forges  et  Chantiers  Méditer.  d" 

Bateaux  Parisiens d' 

C''^  franc,  des  Chargeurs  réunis,  d" 

C'*'  des  Lits  militaires d" 

Société  de  la  Tour  Eiffel d" 

C'*  intern'"'  des  Wagons-lits . .  d" 

Régie  des  tabacs  ottomans . .  d» 
C*  générale  des  Eaux  Z  % ..  (Oblig.) 

-  -  6^..  do 

C''^  Parisienne  du  Gaz  i^  %  . .  d" 

Gaz  central  500  fr.  4  ^ d" 

C''^  du  gaz  p.  France  et  Et.  4  ^.  do 

C'<^  des  Messag.  Marit.  3  1/2  %.  d» 

C'«  G'«  Omnibus  de  Paris  4  ^ .  do 

Oie  Gie  Voitures  à  Paris  4  J".  do 

Cie  Gie  Voitures  Urbaine  h% .  do 

C'«  des  Lits  militaires  4  % . .  do 

Canal  de  Panama,  lots,  t.  p . .  do 

—  —  210  p d» 

—  —     bons  à  lots  89.  do 
C'o  du  Canal  de  Suez  f>  % . .  .  do 

—  Z  %  (l'«  série).      do 

—  Z%  (2e  série).       d» 
Obligations  du   Monde  Moderne  (5  fr. 

net  de  revenu).  —  Coupons  payables 
le  l''''  avril  et  le  l''''  octobre  aux 
bureaux  du  Monde  Moderne  ou  an 
Comptoir  géncnd  de  crédit,  17,  rue 
du  Pont-Kc'uf. 


IRfT.  nrt' 
d' impôt  Plus  haut.  Plus  bas. 


16  43 

25  72 

17  30 
27  95 

» 
59  98 
82  66 
20  32 
45  60 
34  44 
25  30 
22  63 
85  04 
44  79 
5  15 
30 

25  » 
13  46 

22  94 

18  16 
18  16 
18  20 
15  84 
18  » 
18  18 

23  30 
21  81 

» 
» 
» 

24  50 
13  40 
13  50 


1100  » 

1960  » 

1470  » 

2180  » 

1907  60 

1239  » 

812  » 

740  » 

678  » 

110 

778  » 

177  » 

81 
154 
484 
479  25 
483  75 
481  » 
485  » 
483  » 
479  » 
466  60 
477  » 
435  » 
200  50 
483  » 
225  » 
290  » 


470  » 

719  60 

358  B 

670  » 

1150  » 

2320  » 

1955  » 

466  » 

1200  » 

1196  » 

890  » 

865  » 

1642  » 

1700  » 

617  » 

778  » 

296  80 

478  50 

625  » 

507  80 

610  » 

512  » 

615  » 

817  » 

522  » 

186  » 

623  » 

130  50 

264  » 

124  50 

667  » 

498  » 

489  » 


1090  » 

1940  » 

1447  » 

2160  » 

1890  » 

1228  » 

802  80 

728  » 

670  » 

83  B 

763  » 

173  » 

72  » 

142  » 

480  » 

476  » 

480  80 
476  » 

481  » 
480  » 
466  50 
464  » 
469  » 
428  » 
180  » 
479  B 
215  )) 
280  » 


455  50 

710  » 

350  n 

661  » 

1101  » 

2270  » 

1920  » 

460  » 

1179  » 

1150  » 

835  » 

826  » 

1520  » 

1650  » 

806  » 

760  S 

290  » 

473  76 

623  » 

806  » 

607  » 

806  K 

612  » 

814  80 

817  » 

151  » 

615  » 

116  » 

253  25 

113  » 

652  » 

489  50 

486  » 


LA    VIE    PRATIQUE 


Nettoyage  des  gants  de  peau.  —  Au  nio- 
înenL  des  \-isites,  on  salit  Ijcaucoiip  de  gants  ; 
il  est  donc  bon  de  sa\()ir  les  nettoyer.  C'est 
d'ailleurs  très  facile.  On  fait  dissoudre  à  froid 
f)  {grammes  de  carbonate  de  soude  dans 
100  grammes  de  lait  écrémé.  On  frotte  les 
gants  avec  cette  mixture  à  l'aide  d'un  morceau 
de  flanelle  très  propre.  Quand  les  taches  sont 
parties,  on  frotte  les  gants  avec  ,unc  flanelle 
sèche  et  on  laisse  sécher.  Autant  que  possible, 
lendre  les  gants  sur  luio  main  de  bois. 

Conservation  des  châtaignes.  —  Les  châ- 
taignes di)i\'enl  éliv  récollées  au  moment  de 
leur  parfaite  maturité,  c'est-à-dire  lorsqu'elles 
tombent  spontanément  de  l'arbre.  Si  on  doit  les 
utiliser  tout  de  suite,  on  les  isole  de  leur  pe/on, 
c'est-à-dire  de  leur  pelure  épineuse,  à  coups 
de  pied.  Si  on  veut  les  conserver  quelque 
temps,  on  emporte  les  châtaignes  dans  leur 
|)elon  et  on  les  met  en  paquets,  soit  à  l'air, 
soit  dans  des  chambres  basses,  des  tonneaux, 
du  sable,  etc.,  mais  non  dans  des  caves  où  la 
température  est  élevée.  Il  faut  bien  se  garder 
de  répandre  de  l'eau  sur  les  tas,  ainsi  que  le 
fontcertaines  personnes  poui'  leur  donner  «  une 
belle  appai-ence  ».  Cette  conservation  ne  peut 
guère  durer  que  deux  semaines  ou  au  plus  un 
mois.  Après  ce  temps,  il  fautenlever  le  pelonet 
conserver  les  châtaignes  dans  un  endroit  sec 
et  en  petits  tas.  Le  mieux  est  de  les  mettre 
dans  des  caisses  en  les  stratifiant  a\ec  du 
sable:  les  châtaignes  restent  ainsi  fraîches 
jusqu'au  milieu  de  l'été. 

Conservation  des  citrons.  —  On  les  enve- 
loppe de  papier  de  soie  et  on  les  plonge  en- 
tièrement dans  du  sable  bien  sec,  le  pédoncule 
tourné  vers  le  bas. 

Enlèvement  des  taches  d'encre.  —  Voici 
la  rentrée  des  classes.  Les  petits  écoliers  vont 
répandre  de  l'encre  sur  le  papier,  les  vête- 
ments et  le  parquet.  Il  faut  savoir  remédier 
au  mal  causé  par  ces  petits  garnements.  Pour 
les  taches  sur  le  papier  et  les  en'els.  il  faut 
faire  usage  de  deux  solutions. 

(   Hypochlorite  de  potasse. 
A  <  Chlorure  de  potassium. 

(  Essence  de  menthe. 

(   Acide  muriatique. 
B  <  Sel  marin. 

(   Eau  pure  de  citron. 

Tout  cela  en  proportions  égales. 

On  dépose  sur  les  taches  im  peu  de  la  li- 
queur A,  puis  on  fait  sécher  à  une  douce  cha- 
leur. En  touchant  ensuite  les  taches  avec  un 
peu  du  liquide  H,  elles  disparaissent. 

Pour  le  parquet,  on  frotte  les  taches  avec 
de  la  paille  de  fer  jusqu'à  disparition  presque 
complète  et  on  achève  avec  du  papier  de 
verre.  Un  peu  d'encaustique  et  un  coup  de 
chifTon  de  laine,  il  n'y  aura  plus  rien. 

Nettoyage  des  bijoux.  —  On  frotte  les  bi- 
jou.x  avec  une  brosse  douce  trempée  dans  de 
l'eau  de  savon  épaisse.  On  essuie  avec  une 
peau  de  gant,  puis  avec  de  la  mie  de  pain. 
Si  les  bijoux  sont  volumineux,  on  les  frotte 
avec  du  colcotar,  ou  rouge  d'.Vngleterre,  dé- 
layé dans  un  peu  d'alcool  ordinaire.  On  frotte 


avec  une  peau  de  gant  et  on  essuie   avec  une 
peau  de  chamois. 

Manière  de  s'orienter  à  l'aide  d'une  mon- 
tre. —  La  montre  étant  nuse  à  l'iieure.  tenez- 
la  horizonlalement  de  manière  que  la  petite 
aiguille  soit  dans  la  direction  du  soleil  :  la 
bissectrice  de  l'angle  que  formerait  cette  ai- 
guille avec  une  autre  aiguille  marquant  midi 
vous  donnera  la  direction  du  sud  (iui  moins 
dans  nos  régions,.  Pour  vous  rendre  compte 
de  l'exactitude  relative  de  ce  procédé,  sup- 
posez une  montre  placée  à  midi  sur  une  ta- 
ble, de  manière  que  la  petite  aiguille  regarde 
le  soleil.  Lorsque  cette  aiguille  marquera  trois 
heures,  par  exemple,  elle  regardera  le  point 
de  l'horizon  où  le  soleil  ne  sera  qu'à  six  heures. 
Si  donc,  en  faisant  tourner  la  montre,  on 
place  la  petite  aiguille  de  manière  qu'elle 
marque  trois  heures  sur  le  cadran  du  ciel, 
une  aiguille  marquant  midi  sur  la  montre 
marquerait  neuf  heures  sur  le  ciel;  et,  par 
conséquent,  la  bissectrice  de  l'angle  de  ces 
deux  aiguilles  serait  dans  la  direction  du  sud. 
Cela  résulte  évidemment  de  ce  que  dans  sa 
marche  apparente  autour  de  la  terre,  le  soleil 
décrit  une  circonférence  en  vingt-quatre  heures 
et  non  en  douze  heures. 

N.  B.  —  L'angle  à  partager  en  deux  parties 
égales  étant  de  six  heures  et  quelques  minutes 
du  matin  à  six  heures  moins  quelques  minutes 
du  soir,  toujours  plus  petit  que  180  degrés,  on 
ne  peut  courir  le  risque  de  prendre  le  nord 
pour  le  sud.  Avant  six  heures  du  matin  et 
après  six  heures  du  soir,  il  suffira  de  se  rap- 
peler, pour  éviter  toute  erreur,  que  si  dans  la 
matinée  on  se  tourne  vers  le  soleil,  on  a  le 
sud  vers  sa  droite,  et  que  dans  l'après-midi 
on  la  dans  les  mêmes  circonstances  vers  sa 
gauche. 

Vin  de  Madère  simple.  —  'Voici  une  re- 
cette que  donne  l'Apiculleur  pour  la  fabrica- 
tion d'une  liqueur  c[ui  rappelle  absolument, 
paraît-il,  le  meilleur  vin  de  Madère  :  ayez  du 
cidre  très  nouveau,  mélangez-le  avec  du  miel 
en  quantité  suffisante  pour  que  le  nouveau 
liquide  puisse  maintenir  un  œuf  à  la  surface, 
sans  qu'il  s'enfonce.  Placez  alors  cidre  et 
miel  dans  une  bassine  étaniée,  mettez-le  dans 
un  baril  où  vous  le  laisserez  cinq  ou  six 
mois,  avant  de  le  mettre  en  bouteilles,  vous 
aurez  alors  un  excellent  madère,  qui  gagnera 
en  vieillissant,  tout  comme  s'il  venait,  en 
droite  ligne,  des  crus  renommés  de  Madère. 
Quantité  pour  six  litres  :  mettez  2'', 500  granmies 
de  miel  pur,  pesez:  le  liquide  doit  marquer 
20  à  21.  au  pèse-sirop. 

Pour  lustrer  le  linge.  —  Quand  l'empois 
d'amidon  est  encore  bouillant,  on  y  ajoute 
un  morceau  de  bougie  stéarique  de  première 
([ualité.  Il  faut  environ  un  morceau  de  0™,6 
à  Ora,7  pour  un  litre  d'empois.  On  repasse  le 
linge  imprégné  de  cette  solution,  ce  qui  lui 
donne  un  éclat  et  un  poli  remarquables;  il 
est  ferme  sans  être  cassant  et  les  poussières 
ne  s'y  attachent  pas. 

On  peut  remplacer  la  bougie  par  quantité 
égale  de  blanc  de  baleine. 

\'lCTûn     DE    Ci.  KVES. 


LA   CARICATURE   INTERNATIONALE 


La  Turquie,  la  Diplumatic  européenne  et  la  Crète  (d'aprèB  le 
Choul,  Saiiit^Pétcrebiiurg.)  —  En  Orient,  toujours  les  mêmes 
personnages  et  à  ])nrt  cela,  rien  de  cliangé.  (Sur  le  Hacon  on  lit  : 
Jiéforme.''.) 


Y nnlee  jouant   au  /oat-baU  avec  la   terre  en  guinc  (Je  ImIU. 
il'iiiirès  Ltwti'je  Blœlter.  Berlin). 


Nt.KicUe  I  isiun  du  moule   cVni.iès  Kla<hl<',r„h,ifcl,,  B.rliii.)  -  Un  couy.  .VaJ  Jans  1.    W 


rjUcoui-s  de  M.  Zola  td'Bprèa  Pset...  !)  :  —  a  Messieurs  !... 
Hier  encore,  le  monde  comptait  deux  géants...  Aujourd'hui  je 
reste  le  seul  !...  «  (Et  il  continiif.) 


Kslerhazy  aiu:  funérailles  de  Binnarck  (d'&piis  le  SiffleX  . 
—  «  Esterhazy,  à  s  m  grand  regret,  ne  pourra  y  assister...  iV» 
le    maintiennent  toujours    en  prison...  » 

—  Qui  TOUS  a  télégraphié  oela  ? 

—  (■  -t  mi  uiemhre  de  la  ligue  antisémitiqne  de  France! 


Dam  le  manjca'je  politique  (d'après  Der  Flvli,  Vienne).  —  L'Autrielie  anxieuse  :  .<  Nons  ne  sortirons  pas  de  là  !  Ces  messieurs  nt; 
font  rien  pour  s'entendre.  Quand  ce  n'est  pas  le  baron  Banffy  (président  du  Conseil  hongrois)  qui  néglige  le  gonyemail,  c'est  le  comte 
Thnn  (président  de  la  Chambre  autriehienue)  qm  laisse  les  rames  aller  à  vau-l'eau  ?  »  (Allusion  aux  difficultés  actuelles  entre  l'Autricl-o 
""t  la  Hongrie  pour  le  renouvellement  des  lois  constitutionnelles  dites  du  •<  Compromis  ".) 


LA    CUISINE    DU    MOIS 


Œufs  mollets,  sauce  aurore.  —  Pour 
six  personnes,  faites  bouillir  1  litre  d'eau  fil- 
trée avec  20  grammes  de  g^ros  sel,  dans  une 
casserole  un  peu  large,  posez  doucement  avec 
une  écumoire  9  œuCs  frais,  laissez  reprendre 
le  bouillon  et  comptez  exactement  5  minutes. 
Versez  l'eau  chaude  doucement  pour  ne  pas 
bousculer  les  œufs  et  les  casser,  car  ils  sont 
plus  fragiles  qu'étant  crus;  faites  couler  de 
Teau  fraîche  par-dessus  et  laissez-les  refroidir 
complètement.  Prenez  un  œuf  dans  le  creux 
de  la  main  gauche,  avec  un  couteau  à  lame  un 
peu  large  et  pas  trop  lourde,  frappez  dessus  à 
plat  et  pas  trop  fort  ;  il  faut  briser  la  coquille 
complètement,  mais  ne  pas  écraser  l'œuf  ;  en- 
levez un  peu  de  coquille  délicatement  et  toute 
suivra  ainsi  qu'un  ruban,  si  vous  avez  bien 
exécuté  le  mouvement. 

L\  SAUCK  AUROuiî.  —  Faites  cuire  250  gr. 
de  tomates  fraîches  pendant  une  petite  demi- 
heure,  à  feu  doux,  assaisonnées  ainsi  qu'il  suit: 
une  petite  gousse  d'ail,  un  soujiçon  de  thym 
et  de  laurier,  un  verre  à  bordeaux  de  vin 
blanc  sec,  10  grammes  de  sel  (une  cuiller  à 
café  pleine),  un  soupçon  de  sucre,  une  couenne 
de  lard  ou  de  jambon,  si  on  la  fait  au  gras  ; 
pour  la  faire  au  maigre  on  ajoute  un  oignon 
moyen  au  lieu  du  lard  ;  passez  la  sauce  au 
tamis  de  crin  sur  une  assiette,  mettez  dans 
une  petite  casserole  20  grammes  de  beurre  fin, 
une  cuiller  à  café  de  farine,  chauffez  et  mé- 
langez, mouillez  avec  la  tomate  et  un  peu 
d'eau  ou  de  vin  blanc  si  la  sauce  est  un  peu 
épaisse;  faites  bouillir  en  remuant,  retirez  du 
feu,  ajoutez  2  jaunes  d'œuf  délayés  avec 
quelques  gouttes  de  citron  et  un  peu  de 
beurre,  versez  d'une  main  et  tournez  avec 
l'autre,  incorporez  60  grammes  de  beurre 
fondu  en  tournant  toujours,  la  sauce  doit  être 
liée  et  d'un  jaune  orangé  très  appétissant, 
(chauffer  les  œufs  dans  de  l'eau  chaude,  que  le 
doigt  y  résiste  pourtant,  essuyez-les  sur  une 
serviette,  posez-les  dans  un  plat  rond  sur  un 
croûton  frit  ou  sans  croûton,  nappez  avec  la 
moitié  de  la  sauce  et  envoyez  le  restant  à 
part. 

Escalopes  de  levraut,  sauce  onc- 
tueuse. —  Levez  les  filets  à  deux  râbles  de 
levraut,  énervez-les  complètement  en  enle- 
vant les  deux  épidémies  qui  les  recouvrent, 
sectionnez-les  en  trois  ou  deux  suivant  qu'ils 
sont  gros  ou  petits,  aplatissez-les  avec  la 
batte,  sur  la  table  un  peu  humide  et  rangez- 
les  sur  une  assiette.  Préparez  un  sautoir  à 
fond  épais  et  bien  plat,  dans  lequel  vous 
mettez  une  cuillerée  à  bouche  de  saindoux  et 
quelques  gouttes  d'huile.  Tenez  également 
tout  prêt  dans  un  bol  1  décilitre  de  sang  des 
levrauts,  de  pigeon  ou  poulet  à  défaut  du  pre- 
mier, dans  lequel  vous  avez  mis  un  petit  verre 
de  cognac  pour  l'empêcher  de  coaguler.  Pré- 
parez également  dans  un  bol  2  décilitres  de 
crème  de  lait  épaisse  et  un  peu  faite,  3  jours 
environ,  saupoudrez-la  fortement  de  poivre  et 
de  2  cuillers  à  café  de  jus  de  citron. 

L'opiiuATioN.  —  Les  œufs  étant  prêts  à  être 
dressés,  dès  que  les  convives  attaquent  les 
hors-d'œuvre,  on  pose  le  sautoir  à  plein  feu  et 
vif,  aussitôt  chaud,  poser  à  plat  les  escalopes 
côte  à  côte  très  vivement,  sinon  les  premières 
sont  trop  cuites,  les  retourner  avec  la  pointe 
d'un  grand  couteau  en  leur  faisant  faire  un 
demi-tour,   les  enlever  sur  une  assiette   —  il 


faut  exactement  4  minutes  pour  les  deux 
côtés  —  ren\'erser  la  graisse,  mettre  la  crème 
dans  le  sautoir  et  à  plein  feu,  la  \anncr  pour 
la  réduire  au  quart,  saler,  retirer  du  feu, 
verser  d'une  main  le  sang  et  toin-ner  avec 
l'autre,  ajouter  30  grammes  de  beurre  fin  et 
quelques  gouttes  de  citron,  s'assurer  que  la 
sauce  est  relevée  et  ne  pas  laisser  bouillir. 
Dresser  les  escalopes  en  coiu-onne  et  les  ar- 
roser. On  peut  les  séparer  par  une  jietite 
tranche  de  langue  écarlate  ou  de  jambon, 
chauH'ée  dans  un  peu  de  bouillon,  ou  simple- 
ment un  croûton  frit  au  beurre. 

Côtes  de  pré-salé  grillées  au  cresson. 
—  Dès  que  la  boucherie  arrive,  on  s'empresse 
de  mettre  à  la  marinade  les  côtelettes  ou  les 
biftecks  que  l'on  doit  servir  à  déjeuner.  On 
les  pose  sur  un  large  plat  et  on  les  arrose 
d'un  j)cu  d'huile  d'olives,  non  seulement  cela 
les  attendrit,  mais  aussi  cela  permet  de  les 
saisir  plus  vite,  d'imperméabiliser  la  siu-face 
et  d'emprisonner  le  jus.  Le  gril  doit  être 
élevé  de  8  centimètres  au-dessus  du  feu  et  la 
braise  doit  être  un  peu  amortie.  6  ou  1  mi- 
nutes suffisent  de  chaque  côté  pour  cuire  des 
côtelettes  de  150  à  180  grammes.  Les  dresser 
en  couronne  sur  im  plat  rond,  une  manchette 
à  chaque  os,  un  bouquet  de  cresson  au  milieu, 
c'est  coquet  et  meilleur  si  on  donne  des  as- 
siettes chaudes. 

Cerfeuil  bulbeux  sauté.  —  On  com- 
mence tout  de  même  à  faire  pousser  de  joli 
cerfeuil  ;  c'est  un  légume  très  sain,  diuré- 
tique et  léger;  le  monder  avec  soin,  le  laver 
à  plusieurs  eaux,  le  mettre  au  feu  couvert 
d'eau  froide  et  salée,  au  premier  bouillon 
régoutter;  mettre  dans  un  sautoir  60  grammes 
de  beurre  pour  500  grammes  de  cerfeuil,  le 
pousser  à  la  noisette  et  y  verser  le  cerfeuil, 
le  sauter  3  fois  à  5  minutes  d'intervalle,  saler 
et  sucrer  légèrement,  verser  dans  un  légiunier 
après  avoir  ajouté  un  peu  de  beurre  frais  pour 
les  rendre  plus  délicats. 

Crème  au  chocolat.  —  Formule.  — 
1  litre  de  lait,  250  grammes  de  sucre,  120  gr. 
de  bon  chocolat,  8  jaunes  d'œuf,  un  peu  de 
sel. 

OrÉRATiox.  —  Travailler  avec  une  cuiller  de 
bois  dans  une  casserole  lui  peu  forte  le  sucre 
avec  les  jaunes  et  la  pincée  de  sel,  verser  le 
lait  froid  et  bien  mélanger,  ajouter  le  cho- 
colat concassé  et  non  râpé,  poser  sur  un  feu 
doux  et  remuer  avec  une  spatule  ou  cuiller 
de  bois  jusqu'au  premier  sourire,  retirer  du 
feu,  vanner  pour  refroidir  la  crème  5  bonnes 
minutes,  verser  dans  un  compotier  et  servir 
très  froid. 

Pains  de  la  Mecque.  —  Formule.  — 
1  décilitre  d'eau,  80  grammes  de  beurre, 
100  grammes  de  farine,  5  grammes  de  sel,  un 
quart  de  zeste  de  citron,  3  œufs  moyens. 

Oi'ÉRATioN.  —  Réunir  l'eau,  le  sel,  le  zeste 
et  le  beurre  dans  une  casserole,  faire  bouillir, 
retirer  du  feu,  mélanger  la  farine,  sécher  sur 
le  feu  1  minute. 

Laisser  refroidir  un  instant.  Incorporer  un 
œuf,  un  deuxième,  puis  le  dernier. 

Prendre  une  cuiller  à  bouche  de  pâte  et  la 
poser  de  forme  ovale  sur  une  plaque  un  peu 
forte.  Saupoudrer  de  gros  sucre  cristallisé, 
cuire  à  four  doux  25  minutes. 

A.    Coi.  OMiiiÉ. 


Jeux   et  Récréations,  par  m.  g.  Beudin. 


N°  239.  —  Ilaul  :  Noirs.  —  Bas  :  Blancs. 


Les  noirs  annoncent  mat  en  quatre  coups 


N°  240.  —  Haut  :  Noirs.  —  Bas  :  Blancs. 


m    mWm^m    mM 
ïoBoH   Boa 


Seulement  ce  qui  me  chagrine, 
C'est  que  l'arbre  devient  cliancrenx. 
Dans  le  jariJin  île  ma  cousine 
J'ai  cueilli  ce  fruit  savoureux. 

Cherchez  avec  per-évérance 

Le  nom  de  ce  département  : 

C'est  un  des  p'us  beaux  de  la  Fraiici  . 

Cherchez  avec  persévérance. 

On  y  récolte  en  abondance 

Le  seigle,  ainsi  que  le  froment. 

Cherchez  avec  persévérance 

Lp  nom  de  ce  département. 

N"  243  —   A  MUSETTE 

Par    A.    Ellivedpac. 

J'ai  trois  pieds  et  trois  sens  ;  de  cocagne  une  ijerche. 
Certain  terme  aux  échecs  et  puis  une  couleur, 

Sans  le  moindre  éclat.  Le  lecteur 

Qui  depuis  un  moment  ma  cherche, 

S'il  veut  me  tourner  à  l'envers 
Et  me  doubler,  dès  lors  entendra  la  cymbale 

Retentissant  dans  les  concerts 

Du  Pcau-Rouge  et  du  Cannibale. 

N"  244.  —  Archéologie 

et  géographie  historique. 

D'où  partent  et  où  aboutissent  les  sept  chaussées  ro- 
maines dites  de  Brunehaut. 

N°    245.  —  ÉPHÉMÉRIDES 

Quel  jour  de  la  semaine  François  \"  écrivit-il  à  sa 
mère  : 

i(  Tout  est  perdu  fors  l'homieur  !  » 

Quel  jour  de  la  semaine  Cambronne  a-t-il  prononcé 
son  fameux  mot  historique  ? 

(Xous  donnerons  dans  le  prochain  numéro  la  méthode 
la  plus  simple  pour  trouver  le  jour  de  la  semaine  d'une 
date  donnée.) 


N»  235. 


SOLU  noNS 

1.  T  6  T  R.  1.  F  pr.  P. 

2.  F  4  R  échec  et  mat. 

1.  C.  pr.  P  3  R  ou  joue. 
2.  F  8  R  échec  et  mat. 

1.  P  6  F  D  ou  pr.  C. 
2.  D  pr.  P  échec  et  mat. 

1.  C  7  F  D  joue. 
2.  C  i  D  échec  et  mat. 

1.  F  joue. 
2.  F  ou  D  pr.  F  échec  et  mat. 


Les  blancs  jouent  et  gagnent. 
N°  241.  —  \A^HIST 

Monsieur, 
Vous  seriez  bien  aimable  de  donner  votre  opinion  sur 
la  main  suivante  : 

^   R,  V,  10,  7. 
V   D,  V,  10,  8. 
4.   V,  8  (atouts). 
♦   A,  R,  4. 
La  pereonne  qui  avait  cette  main  et  était  première  à 
jouer  a  débuté  avec  le  valet  de  trèfle.  Est-ce  que  la  force 
du  jeu  permet  un  tel  début  î 

Ux    LECfEun. 

N''  242.  —    MÉTAGRAMME 

(triolets) 

Dans  le  jardin  de  ma  cousine 

J'ai  cueilli  ce  fruit  savoureux. 

Il  avait  vraiment  bonne  mine 

Dans  le  jardin  de  ma  cousine.  N'    238.  —  Jalousie. 

Adresser  les  communications  pour  cette  paffe  à  M.  G.  Beudin,  à  Billancourt  (Seine),  avec  timbre  pour  réponse. 


N"  236.  - 

21  17   27  22   42 
12  21   18  27   33 

S7 
31 

49 
27 

44   48 
~38   38~ 

43 

40 

4-j 

23  30  10  25   1 
28  15   4  16   7 

1 

19 

gagne. 

19 

N»  237. 

M 

P  A  X 

MAT  IX 

X  I  L 

X 

L'Éditeur-Gérant  :  A.    Quantix. 


140.')G.  —  Lib.-Imp.  réunies,  MorrEi:<iz,  D%  7,  rue  Saint-Benoit,  Paris. 


ïdK©   é®   ^airîs 


EMPRUNT    DE     1898 


CONDITIONS     PRINCIPALES 

li'emprunt  que  la  Ville  de  Paris  a  été  autorisée  à  contracter  parla  loi  du  6  janvier  1898 
sera  réalisé  au  moyen  de  rémission  d'obligations  municipales  de  500  francs  en  nombre 
égal  (unités  et  quarts)  à  celui  des  obligations  de  l'emprunt  de  1886  restante  amortir  au  jour 
du  remboursement  anticipé  dudit  emprunt. 

Chaque  obligation  sera  remboursable  au  capital  de  500  francs,  produira  un  intérêt 
fixe  de  10  francs  par  an,  payable  par  moitié  chaque  semestre,  et  participera  chaque  année, 
à  partir  du  5  décembre  1898,  aux  tirages  détaillés  ci-dessous. 

Les  coupures,  au  capital  nominal  de  125  francs  (quarts  d'obligation),  donneront  droit 
au  quart  des  avantages  attribués  aux  obligations  entières. 

Le  premier  coupon  sera  payable  le  15  mars  1899. 

DÉSIGNATION    DES    TIRAGES 

Le  premier  numéro  sorti  aux  tirages  des  5  décembre  et  5  juin  de  chaque  année  aura 

droit  à  un  lot  de Fr.  200.000  » 

Le  deuxième,  à  un  lot  de 50.000  » 

Les  troisième,    quatrième,   cinquième   et  sixième,   chacun  à   un   lot   de 

10,000  francs,  soit  ensemble 40.000  » 

Les    septième,    huitième,    neuvième    et    dixième,  chacun   à  un    lot  de 

5,000  francs,  soit  ensemble 20.000  » 

Les  quarante  numéros  suivants,  chacun  àun  lot  de  1,000  fr.,  soit  ensemble.  40.000  » 

Total  pour  un  tirage Fr.     350.000     » 

Le  premier  numéro  sorti  aux  tirages  des  5  mars  et  5  septembre  de  chaque 
année  aura  droit  à  un  lot  de Fr.      100.000     » 

Le  deuxième,  àun  lot  de 50 .  000     » 

Les  troisième,  quatrième,  cinquième  et  sixième,  chacun  à  un  lot  de 
10,000  francs,  soit  ensemble 40.000     » 

Les  septième,  huitième,  neuvième  et  dixième,  chacun  à  un  lot  de 
5,000   francs,   soit  ensemble 20.000     » 

Les  quarante  numéros  suivants,  chacun  à  un  lot  de  1,000  fr,,  soit  ensemble.       40.000     » 

Total  pour  un  tirage Fr.     250.000     » 

Soit,  par  année  et  pour  l'ensemble  des  quatre  tirages,  1,200,000  francs  de  lots. 

DROIT    DE    PRÉFÉRENCE 

Pendant  le  délai  de  trois  mois  compris  entre  le  15  septembre  et  le  15  décembre  1898, 
les  porteurs  de  titres  de  l'emprunt  1886  qui  n'en  auront  pas  demandé  le  remboursement 
en  numéraire  seront  admis  à  souscrire  par  préférence  aux  obligations  du  nouvel  emprunt 
pour  un  nombre  et  une  nature  (unités  ou  quarts)  identiques  à  ceux  des  titres  dont  ils  sont 
détenteurs. 

Ces  derniers  titres  seront  reçus  en  payement  du  prix  de  la  souscription  jusqu'à  concur- 
rence de  leur  valeur  de  remboursement,  nette  d'impôt  (399  fr.  14  c.  pour  les  unités  et 
99  fr.  78  c.  pour  les  quarts). 

Les  titres  remis  en  échange  de  ceux  de  l'emprunt  1886  seront  munis  du  coupon 
payable  le  15  mars  1899. 

Les  conditions  réglementaires  de  l'émission  et  de  l'échange  des  titres  seront  détermi- 
nées par  arrêtés  du  Préfet  de  la  Seine  sur  avis  de  la  Commission  spéciale  des  emprunts,  et 
portées  en  temps  voulu  à  la  connaissance  du  public. 


Monde    Modetne 


Novembre     1898 


VIII.  —  il. 


MISSA     SOLEMNIS 


I/ombre,  pelil  à  petit,  envahissait  la 
cathédrale  gothique,  —  chef-d'œuvre 
d'un  architecte  inconnu,  —  où  des  dé- 
tails dune  grâce  et  d'une  délicatesse 
extrêmes  se  fondaient  dans  lauslérité 
dun  ensemble  imposant.  Au  llamboie- 
ment  accru  des  gigantesques  vitraux,  où 
le  Christ,  la  Vierge  et  les  saints  se  dres- 
saient parmi  des  lis  symboliques,  à  l'or, 
à  l'écarlate,  aux  rubis  et  aux  chrysolithes 
dont  s'enflammait,  au-dessus  du  portail 
majeur,  la  glorieuse  rose  enchâssée  dans 
le  buffet  des  grandes  orgues,  on  devinait 
le  déclin  du  soleil,  qu'allait  suivre  un 
prompt  crépuscule.  Déjà  tout  un  bas 
côté  plongeait  dans  le  noir,  et  l'obscurité 
montait,  s'épandait,  avec  une  fraîcheur 
sépulcrale,  en  limmense  vaisseau  au 
gréement  de  pierre. 

Deux  personnes  occupaient  la  galerie 
de  l'orgue. 

L'une,  assise  sur  un  escabeau,  en  un 
coin,  le  dos  contre  la  balustrade  tréllée 
à  jour,  était  un  vieillard  maigre  et  cassé. 
D  innombrables  rides  sillonnaient  son 
visage.  Il  eût  paru  laid,  sans  l'adorable 
candeur  de  ses  yeux,  des  yeux  d'enfant 
qui  ne  sait  rien  des  laideurs  de  la  vie, 
ou  de  vrai  poète  n'ayant  jamais  contem- 
plé que  ses  rêves,  et  sans  la  majesté  de 
son  front,  très  large,  très  haut,  où  s'af- 
firmait l'habitude  des  plus  tières  pensées, 
un  front  marqué  du  sceau  du  génie, 
sous  une  fougueuse  et  magnifique  cri- 
nière entièrement  blanche ,  blanche 
comme  la  neige,  qui  retombait  sur  la 
nuque  en  mèches  soyeuses.  Sa  mise 
était  fort  simple,  presque  pauvre  :  un 
costume  de  gros  drap  marron,  de  coupe 
arriérée,  de  gros  souliers.  Pas  un  bijou. 
Comme  seul  luxe  un  linge  dune  pro- 
preté parfaite.  Ce  vieillard  se  nommait 
Conrad    ^^'aldmann,    et    pendant    plus 


dun  demi-siècle  il  avait  été  organiste  et 
professeur  de  musique  en  cette  petite 
capitale  d'une  minuscule  principauté 
d'Allemagne. 

I/autre,  Christian  Ilofer.  ])araissait 
avoir  vingt  à  vingt-deux  ans.  Grand, 
svelte,  dune  distinction  sans  apprêt,  et 
modestement  vêtu,  lui  aussi.  Son  profil 
rappelait  certains  portraits  de  Schiller 
jeune.  Le  dessin  des  lèvres  était  exquis, 
le  nez  sculptural,  avec  de  palpitantes 
narines.  —  indice  inquiétant  de  sensua- 
lité, que  neutralisaient  la  transparence 
des  prunelles  d'ambre  gris,  la  noblesse 
du  front,  tout  pareil  à  celui  du  vieil- 
lard, mais  lisse  comme  les  pétales  d'un 
camélia.  Ses  cheveux  châtains  bou- 
claient vigoureusement,  en  boucles 
drues,  aux  légers  reflets  bronzés.  Il  était 
assis  devant  l'orgue,  et  ses  mains,  longues 
et  minces,  parcouraient,  avec  une  vélo- 
cité et  une  sûreté  merveilleuses  les  cla- 
viers jaunis,  ouvraient  et  fermaient  les 
registres  sans  s'y  égarer  une  minute, 
tandis  que,  sur  le  pédalier,  les  pieds  leur 
correspondaient,  également  agiles,  — do- 
ciles esclaves,  les  unes  et  les  autres,  d'un 
talent  en  pleine  possession  de  soi. 

L'adolescent  jouait  avec  toute  son 
âme;  avec  toute  son  âme  loctogénaire 
écoutait.  Ln  fraternel  coup  d'ailes  les 
transportait  vers  des  régions  supé- 
rieures ;  ensemble  ils  communiaient  dans 
ridéal. 

Maintenant  la  sonate  —  une  des  plus 
grandioses  de  Jean-Sébastien  Bach  — 
s'achève  en  un  maesloso  solennel,  un 
mugissement  formidable  où  semblent 
retentir  les  trompettes  du  jugement  der- 
nier. Puis  brusquement  louragan  s'ar- 
rête, s'évanouit,  en  même  temps  quaux 
fenêtres  ogivales  commencent  à  pâlir  les 
fleurs  du  jardin  mystique. 


eu 


M  ISS  A    SOLEMNIS 


—  Eh  bien  !  maître,  vous  êtes  con- 
Iciil? 

Anxieux,  Ciirislian  se  tournait  vers 
son  juge. 

Celui-ci  attendit  un  instant  avant  de 
répondre;  puis,  martelant  les  mots  pour 
donner  à  chacun  sa  valeur  : 

—  Mieux  que  cela,  mon  enfant  !  En 
ce  qui  concerne  le  métier,  tu  n'as  plus 
rien  à  apprendre.  Et  ton  interprétation 
est  excellente.  Tes  deux  ans  de  Conser- 
vatoire n'ont  pas  été  perdus,  et  je  vois 
que,  même  sous  la  dii^ection  des  célé- 
brités de  Leipzig,  tu  t'es  rappelé  les 
conseils  de  ce  vieux  bonhomme  de  Con- 
rad \\  aldmann.  Tu  es  un  virtuose,  mais 
tu  es  davantage  :  un  artiste.  Sans  crainte 
je  puis  te  conlier  cet  orgue  vénérable 
et  cher.  Aime-le  comme  je  l'ai  aimé,  ne 
le  mets  jamais  au  service  que  dinspira- 
tions  élevées.  On  m'a  raconté  qu'en 
beaucoup  d'églises  d'Espagne  et  d'Italie, 
des  organistes  qui  ne  méritent  pas  ce 
nom  exécutent  des  romances  d'opéra, 
jusqu'à  des  airs  de  danse.  Profanation, 
honteuse  profanation  !  L'orgue  est  le  roi 
des  instruments.  Lui  faire  tenir  ce  rôle, 
c'est  utiliser  pour  une  orgie  les  vases  du 
tabernacle.  L'orgue  est  sacré.  Dans  l'or- 
gue il  y  a  un  écho  de  la  voix  de  Dieu. 
Aussi  ne  doit-il  être  touché  qu'avec  res- 
pect, avec  tremblement.  Celui-ci  est 
comme  moi  :  bien  fatigué  et  bien  caduc. 
Mais  c'est  un  fidèle  serviteur,  digne 
qu'on  l'honore.  Je  te  le  cède  en  toute 
confiance,  mon  enfant.  En  conversant 
avec  lui,  pense  quelquefois  à  ton  pre- 
mier maître.  Surtout  souviens-toi  que, 
voilà  environ  cent  cinquante  ans,  passant 
par  hasard  dans  cette  ville  et  visitant 
la  cathédrale,  —  les  archives  en  témoi- 
gnent! —  notre  modèle  à  tous,  Jean- 
Sébastien  Bach,  y  a  joué  celte  même 
sonate  que  tu  viens  de  me  faire  entendre. 

—  Je  me  souviendrai,  répondit  le 
jeune  homme,  d'un  accent  de  piété  pro- 
fonde. 

L'ombre  et  le  froid  croissaient.  Chris- 
tian soutenant  le  vieillard,  ils  descen- 
dirent l'étroit  escalier  en  colimaçon,  se 
trouvèrent  sur  la   place,  du  même  style 


que  l'église^  inestimable  écrin  où  chaque 
façade  était  une  perle  fine. 

Au  zénith  le  ciel  était  couleur  d'éme- 
raude;  couleur  d'améthyste  dans  la  zone 
moyenne;  cramoisi  à  l'horizon,  car  le 
soleil  allait  disparaître. 

—  Oh  !  la  belle  soirée  !  murmura  ^^'ald- 
mann.  Marchons  un  peu,  veux-tu? 

Parmi  l'haleine  des  dernières  roses, 
ils  gagnèrent  les  faubourgs,  la  campagne. 
Dans  les  vergers,  les  arbres  empourprés 
avaient  l'air  de  cardinaux  réunis  pour 
un  conclave.  Des  vaches  tachetées  brou- 
taient le  gazon  court,  semé  de  scabieuses, 
de  colchiques  et  de  parnassies.  L'air 
était  plein  du  charme  nostalgique  de 
l'automne. 

A  petits  pas  cheminaient  le  maître  et 
l'élève,  entre  des  vignes  vendangées, 
des  houblonnières  demi  flétries,  çà  et  là 
quelques  courtils  paysans  encore  empa- 
nachés de  dahlias  et  de  capucines. 

—  Notre  orgue  est  comme  moi,  disait 
Waldmann.  Fatigué  et  caduc  !  il  lui 
faut  de  sérieuses  réparations.  Oh  !  l'ar- 
gent ne  manquera  pas  :  dans  sa  séance 
d'hier,  le  conseil  des  bourgeois  a  voté 
10,000  francs,  et  la  princesse  y  a  ajouté 
une  somme  rondelette,  prise  sur  sa  cas- 
sette particulière.  Tu  sais  que  c'est  en- 
tendu avec  Nisch,  le  célèbre  facteur  de 
Nuremberg.  Il  a  signé  un  contrat  avec 
le  bourgmestre  et  arrivera  sous  peu, 
amenant  matériel  et  personnel.  Nisch 
pense  que,  pour  mener  les  travaux  à 
bien,  six  semaines  ou  deux  mois  lui 
seront  nécessaires.  Vers  le  milieu  de 
décembre,  peut-être  avant,  tu  pourras 
débuter.  Ma  tâche  est  finie,  la  tienne 
commence  :  bon  courage,  Christian  ! 

Le  soleil  s'attardait.  Une  splendeur 
baignait  le  paysage.  L'odeur  des  roses 
s'exaltait. 

—  La  belle  soirée,  répéta  Waldmann, 
pour  dire  adieu  à  la  vie  active,  et  com- 
mencer l'apprentissage  de  la  mort  !  Vois 
quelle  suavité  et  ([uelle  paix  !  La  nature 
que  va  endeuiller  l'hiver  ne  regrette 
rien,  ayant  accompli  son  œuvre  et  sa- 
chant qu'avril  reviendra.  Puissé-je  suivre 
son   exemple  et  m'endormir  avec    con- 


MISSA    SOLKMMS 


fi45 


Hance,  dans  l'espoir  d'un  éternel 
printemps  ! 

Il  poursuivit,  d'une  voix  étrange, 
où  quelque  chose  du  mystérieux 
au  delà  semblait  vibrer  : 

—  Puisque  tu  l'aimes  sincère- 
ment, l'art  sera  ton  égide,  contre 
toutes  les  douleurs  de  l'existence. 
Quelques  déceptions,  quelques 
souffrances  qui  s'abattent  sur 
toi,  il  t'en  consolera.  En  lui,  et 
en  lui  seulement,  tu  auras  un 
avant-goût  de  linllni,  un  pres- 
sentiment du  divin.  Oh  !  le  beau 
soir,  Christian,  le  beau  soir! 
Regarde  ce  petit  nuage  rouge! 
Ne  dirait-on  pas  une  barque 
de  rêve,  qui  va  nous  conduire 
vers  un  monde  parfait,  où  il  ne 
sera  plus  besoin  de  donner  des 
leçons  pour  vivre,  où  l'on 
n'aura  d'autre  souci  que  de 
jouer  sur  des  orgues  sublimes, 
à  moins  que  Ion  ne  s  agenouille 
pour  écouter  Palestrina,  Bach, 
Ha^ndel  ou  ^lozart  ! 


646 


M  ISS  A    SOLEMNIS 


Maintenant  le  soleil  avait  sombré.  Une 
première  étoile  pointa,  l  ne  poétique 
sonnerie  s'épanouit  au  clocher  de  la 
cathédrale. 

—  l^  Angélus  !  murmura  Conrad,  dé- 
couvrant dévotement  son  admirable 
tète  neigeuse.  Odile  va  s'inquiéter.  Ra- 
mène-moi, mon  cher  enfant  ! 

Ils  s'en  retournèrent;  un  quart  d'heure 
après,  ils  arrivaient  au  logis  du  vieillard, 
une  maisonnette  cachant  sa  vétusté  sous 
un  rideau  de  vigne  sauvage. 

D'une  fenêtre,  Odile,  la  domestique 
de  Conrad,  presque  aussi  âgée  que  lui, 
mais  alerte  encore,  interrogeait  les  alen- 
tours, visiblement  alarmée. 

—  Me  voici,  Odile,  me  voici  !  J'ai 
voulu  boire  un  coup  d'air  avant  de 
m'enfermer  dans  ma  cellule.  Sois  tran- 
quille, je  n'ai  pas  pris  froid  ! 

Et,  les  mains  tendues  vers  Christian  : 
— ■  Tu  viendras  me  voir,  n'est-ce  pas? 

lu  viendras    bientôt  !   ]"]t    bon    courage, 

encore  une  fois  ! 


Cinquante-huit  ans  auparavant,  l'or- 
ganiste de  la  petite  ville  étant  mort,  un 
concours  avait  été  ouvert  pour  le  rem- 
placer. On  en  avait  publié  les  conditions 
aussi  loin  qu'on  avait  pu  :  chacun  des 
candidats  aurait  à  se  produire  deux  fois, 
dans  un  morceau  classique  et  une  impro- 
visation sur  un  thème  donné.  A  la  date 
lixée,  on  s'était  trouvé  en  présence  de 
quatre  concurrents.  Trois  d'entre  eux 
étaient  d'âge  mûr  et  apportaient  de 
sérieuses  recommandations.  L'autre  était 
un  tout  jeune  homme,  que  personne  ne 
connaissait.  On  eût  trouvé  naturel  qu'il 
se  désistât,  n'étant  certainement  pas  de 
force  à  entrer  en  lice;  on  s'était  permis 
de  le  lui  faire  entendre;  enfin,  comme  il 
s'obstinait,  on  lui  avait  assigné  le  dernier 
tour,  par  acquit  de  conscience;  mais,  de 
sa  part,  quelle  singulière  prétention  que 
d'oser  lutter  contre  des  organistes  de 
talent  et  d'expérience  !  Ceux-ci,  très 
sûrs  d'eux-mêmes,  avaient  exécuté  les 
morceaux  exigés.  Le  choix  serait  dif- 
ficile,   car  ils   se    valaient  à  peu   près. 


Dans  le  chœur,  en  un  groupe  plein 
d'animation,  les  juges  discutaient,  dix 
membres  du  conseil  des  bourgeois,  à 
qui  appartenait,  de  par  un  ancien  pri- 
vilège, le  droit  d'élire  l'organiste  de  la 
cathédrale,  et  avec  eux  quelques  experts 
appelés  des  villes  avoisinantes.  A  peine 
s'aperçut-on  que  l'étranger  était  monté 
à  l'orgue.  Et,  tout  à  coup,  les  juges  s'ar- 
rêtèrent de  parler  et  se  regardèrent, 
stupéfaits.  Le  jeune  homme  jouait  une 
page  de  Ihendel.  Et  avec  une  incompa- 
rable maîtrise,  une  technique  si  accom- 
plie, une  expression  à  la  fois  si  simple 
et  si  pénétrante  qu'on  ne  pouvait  pas 
n'être  point  saisi.  Les  juges  restaient 
bouche  bée;  la  mine  dédaigneuse  des 
trois  concurrents  avait  fait  place  à  un 
elFarement  comique.  Fini  le  morceau  de 
ILendel,  l'inconnu  était  devenu  un  per- 
sonnage. Les  thèmes  sur  lesquels  il  s'a- 
gissait d'improviser  avaient  été  tirés  au 
sort.  Il  était  tombé  sur  un  lied  populaire, 
très  ancien  et  d'une  touchante  mélan- 
colie. Et  ce  qu'il  broda  là-dessus  était 
admirable  —  tout  un  poème  d'une  clarté 
et  d'une  intensité  qui  portèrent  au 
comble  la  surprise  du  jurv  et  mirent  en 
déroute  les  espérances  des  trois  concur- 
rents. Pendant  une  demi-heure,  sa  fan- 
taisie se  déroula,  infiniment  variée  et 
toujours  d'un  haut  style.  Quand  il  redes- 
cendit de  la  galerie,  ses  rivaux  s'étaient 
éclipsés.  On  le  complimenta,  on  lui  serra 
les  mains,  il  fut  nommé  par  acclamation, 
sans  qu'on  songeât  même  à  lui  demander 
où  il  avait  étudié  et  s'il  possédait 
quelque  dipl(")me  :  l'avoir  entendu  suf- 
fisait. Il  ne  dit  rien  que  son  nom,  son 
lieu  d'origine  —  un  coin  perdu  de  la 
Poméranie  —  et  qu'il  était  seul  au 
monde. 

Le  jour  même,  il  avait  loué  une 
maisonnette  dans  une  ruelle  écartée,  et 
s'y  était  installé  sommairement,  avec 
une  valise  et  quelques  meubles  achetés 
d'occasion.  Et,  pendant  trente  années, 
il  y  avait  A'écu  sans  domestique,  à  midi 
se  faisant  apporter  son  repas  de  la  plus 
proche  h(Stellerie,  pour  le  reste  nourri 
de  lait  et  de  pain. 


MISSA    SOLKMNIS 


647 


La  dillerence  élail  grande  entre  laride 
et  t;rise  Poméranie  et  ce  joli  pays  d'eaux 
jailiissanlcs ,  de  fertiles  campaj^nes, 
d'ombreuses  forêts.  Tout  de  suite, 
(Conrad  ^^'a!dmann  s'était  attaché  à  lui; 
au  bout  de  six  mois  de  séjour,  il  l'aimait 
comme  un  fils  aime  sa  mère,  et  pour 
son  charme  actuel,  et  pour  ce  que  les 
livres  lui  apprenaient  de  sa  destinée. 

l'allé  avait  eu  sa  période  brillante,  sa 
minuscule  principauté  !  Au  gentil  temps 
des  minnesinger,  on  y  vivait  dans  les 
l'êtes,  aux  tournois  succédant  des  joutes 
poétiques,  que  suivait  un  concours  entre 
peintres  ou  orfèvres.  Cour,  noblesse  et 
bourgeoisie  rivalisaient  de  goût  pour  les 
arts,  et  les  artistes  le  savaient  bien,  qui 
y  accouraient  de  tous  les  points  de  l'Al- 
lemagne, des  Flandres  et  de  l'Italie 
même.  Tous  y  étaient  reçus  avec  hon- 
neur, assaillis  de  commandes  et ,  en 
échange  de  cette  intelligente  protection, 
de  cette  hospitalité  généreuse,  prenaient 
à  cœur  de  doter  la  ville  d'oeuvres 
achevées,  celui-ci  une  sculpture  sur 
bois,  celui-là  une  lampe  d'église  en 
argent  repoussé,  tels  autres  un  poème, 
une  toile  ou  quelque  beau  morceau 
d'architecture.  Des  siècles  s'envolèrent, 
le  bruit  des  canons  remplaça  les  chants 
joyeux.  La  principauté  connut  des  jours 
dépreuve.  souH'rit  sous  le  talon  de  con- 
quérants barbares,  vit  ses  maîtres  légi- 
times partir  en  exil  ou  réduits  au  rang 
de  simples  vassaux.  Elle  devait  pour- 
tant leur  revenir,  à  travers  beaucoup 
de  luttes.  Mais,  autres  temps,  autres 
UKcurs  :  le  gai  passé  ne  ressuscita  pas. 
Maintenant  la  petite  ville  était  toute 
tranquille,  comme  assoupie  autour  de 
son  bijou  de  palais,  sur  les  bords  de  sa 
rivière  smaragdine.  Ceux  qui  recher- 
chaient avant  tout  du  mouvement,  des 
divertissements,  la  disaient  ennuyeuse. 
Ceu.x  à  qui  plaisaient  le  calme,  une  na- 
ture plantureusement  verdoyante,  le 
prestige  des  souvenirs,  s'y  arrêtaient 
volontiers,  et  y  revenaient.  Les  (juides 
citaient  son  petit  musée,  deux  de  ses 
fontaines.  —  pour  leurs  statues  de  saint 
Michel  et  de  saint  Georges,  —  le  retable 


de  sa  cathédrale,  cette  cathédrale  elle- 
même,  travaillée  comme  une  dentelle  de 
liruges. 

Dans  le  cadre  agreste  de  tes  molles 
collines,  sous  un  ciel  relativement  doux, 
la  petite  ville  ressemblait  à  celles  qu'on 
voit  dans  les  anciennes  gravures.  Sur 
ses  façades  couraient  des  inscriptions 
na'i'ves,  se  découpaient  des  écussons, 
des  lleurons,  des  arabesques;  quelques- 
unes  avaient  l'air  d'enluminures  de 
missel.  Lne  multitude  d'auvents,  de 
pignons,  de  beffrois,  lui  faisaient  la  plus 
bizarre  silhouette.  A  ses  fenêtres,  aux 
vitres  rondes  ou  en  losanges  serties  de 
plomb,  s'enroulaient  des  pois  de  sen- 
teur, s'alignaient  des  pots  d'œillets  et 
de  romarin,  arrosés,  le  matin,  par  de 
mignonnes  filles  aux  guimpes  blanches. 
Yn  peu  d'animation  lui  venait  des  étu- 
diants de  son  université,  —  deux  ou 
trois  cents  à  peine,  —  qui,  à  des  jours 
et  des  heures  réguliers,  remplissaient 
ses  rues  étroites  des  notes  allègres  du 
(/audeamus  tgifiir.  A  l'ordinaire,  elle 
sommeillait  et  rêvait. 

La  place  d'organiste  étant  mal  rétri- 
buée et  Conrad  Waldmann  n'ayant  pas 
un  sou  de  fortune,  il  avait  dû  se  mettre 
en  quête  de  leçons.  Elles  ne  lui  avaient 
jamais  manqué  ;  mais  cela  aussi  ne  rap- 
portait guère,  et  sa  situation  matérielle 
était  demeurée  médiocre.  D'ailleurs  il 
avait  peu  de  besoins,  fuyait  le  monde, 
ses  seules  distractions  consistant  en 
promenades  dans  les  champs  et  les  bois. 
«  Un  original,  qui  repousse  toutes  les 
avances  qu'on  lui  fait,  et  dont  on  ne 
réussira  pas  à  vaincre  la  sauvagerie  !  » 
Celte  opinion  devenue  générale,  on 
laissa  \\'aldmann  à  la  solitude  qu'il  sem- 
blait affectionner  par-dessus  tout.  ^Liis 
on  l'estimail  fort,  pour  son  rare  talent, 
que  l'étude  développait  d'année  en  année, 
et  ])our  labsolue  honorabilité  de  ses 
nid-urs,  sur  lesquelles  la  calomnie  eût 
vainement  cherché  où  mordre. 

En  cette  vie  d'apparence  si  paisible, 
si  uniforme,  (|uelqnes-uns  aftirmaient 
pourtant  —  à  mots  couverts  et  sans 
avoir  la  moindre  preuve    à  fournir   — 


«IK 


MISSA    SOLEMNIS 


que  le  romaii  avait  trouvé  place  :  une 
virginale  idylle  tragiquement  dénouée. 
Cela  remontait  loin.  Conrad  Waldmann 
donnait  des  leçons  à  la  fille  unique  du 
prince  régnant.  Fraîche  comme  un  ra- 
meau de  lilas  blanc,  avec  la  gracilité  et 
le  charme  mystique  d'une  sainte  de 
Ilemling,  elle  chantait  d'une  voix  splen- 
dide.  Conrad,  disait-on,  s'en  était  éper- 
dument  épris,  et  elle  n'avait  pas  dédaigné 
cette  passion.  On  les  avait  vus  se  pro- 
mener dans  les  jardins  du  palais,  des 
jardins  à  la  française,  copie  réduite  de 
ceux  de  Versailles,  plantés  d'ifs  et  de 
buis  taillés,  semés  de  pièces  d'eau  et  de 
statues  mythologiques.  C'étaient  même 
ces  promenades  qui  les  avaient  trahis  : 
une  telle  clarté  brillait  dans  leurs  yeux 
qu'on  ne  pouvait  s'y  méprendre.  Puis, 
tout  à  coup,  on  avait  appris  que  les  mé- 
decins ordonnaient  le  Midi  à  la  princesse 
Eisa,  prétendue  malade;  et  un  jour  était 
partie  une  grande  berline  armoriée,  et, 
derrière  les  vitres,  des  gens  racontaient 
avoir  aperçu  le  délicieux  visage  de  la 
jeune  fille  noyé  de  larmes.  La  princesse 
douairière  l'accompagnait,  et  leur  ab- 
sence avait  duré  trois  ans,  au  bout  des- 
quels avait  été  proclamé  le  mariage 
d'Eisa  avec  un  sien  cousin,  mariage  qui 
scellait  une  réconciliation  entre  la 
branche  aînée  et  la  branche  cadette,  et 
assurait  la  succession  au  trône.  Mais, 
dix-huit  mois  après,  le  drapeau  hissé  en 
permanence  sur  la  tour  principale  du 
palais  était  mis  en  berne  :  la  petite  sainte 
d'Hemling  avait  entrepris  un  nouveau 
voyage,  vers  un  pays  où  la  raison  d'État 
ne  contrarie  pas  les  mouvements  du 
cœur.  Elle  laissait  derrière  elle  une  fil- 
lette au  berceau  qui  serait  l'héritière  de 
la  principauté,  le  prince  régnant  n'ayant 
pas  d'autres  enfants  et  n'étant  plus  en 
âge  de  reprendre  femme. 

Depuis  lors  surtout,  Conrad  Wald- 
mann était  devenu  taciturne,  ne  sortant 
que  pour  ses  leçons,  son  office  d'orga- 
niste, et,  de  loin  en  loin,  une  de  ces 
promenades  où  jamais  il  n'avait  pro- 
posé à  personne  de  l'accompagner. 
Jamais   non   plus   un    mot  ne   lui   était 


échappé  qui  eût  pu  donner  corps  aux 
cancans  de  la  ville.  Si  vraiment  il 
avait  aimé  la  princesse  Eisa,  ce  secret 
était  bien  gardé,  comme  une  relique  au 
fond  d'un  inviolable  sanctuaire.  Avec 
les  années,  la  petite  princesse  avait 
grandi.  Pour  lui  enseigner  la  musique 
on  avait  eu  recours  à  un  maître  du 
dehors,  ce  qui  avait  confirmé  les  gens 
dans  leurs  suppositions.  Puis  d'autres 
années  encore  ayant  passé,  on  n'y  pen- 
sait plus.  D'ailleurs  le  père  et  le  mari 
d'Eisa  étaient  morts,  et  sa  fille  était 
montée  sur  le  trône. 

Invariablement  Conrad  passait  la 
soirée  chez  lui,  à  lire,  à  méditer,  ou  con- 
stellant de  points  noirs  les  portées  d'un 
papier  à  musique.  C'était  sa  revanche, 
ces  heures  où,  huis  et  fenêtres  clos,  il 
pouvait  s'abandonner  à  l'inspiration, 
recueillir  les  choses  divines  quelle  mur- 
murait à  son  oreille.  Quel  li'ouble  déli- 
cieux, quelle  bienheureuse  fièvre,  quels 
accablements  aussi,  parfois,  dans  cette 
lutte  pareille  à  celle  de  Jacob  avec 
l'archange  !  Mais  cela  encore  était  de  la 
joie..^es  tempes  battaient  à  se  rompre. 
Une  lave  courait  dans  ses  veines.  Vic- 
torieusement, il  s'évadait  du  réel.  Ainsi 
Conrad  avait  composé  beaucoup  de 
choses  :  des  lieder,  des  sonates,  des 
symphonies,  toute  une  suite  de  pièces 
pour  orgue.  Deux  ou  trois  timides 
essais  auprès  des  éditeurs  lui  avaient 
fait  comprendre  que,  simple  orga- 
niste et  coureur  de  cachet  dans  une 
petite  ville,  comme  il  était,  il  n'avait 
aucune  chance  de  réussite.  Avec  des 
protections,  de  l'intrigue,  des  platitudes, 
peut-être.  Par  son  seul  mérite,  quelle 
folie  !  Conrad  était  fier.  Quand  on  est 
riche,  la  fierté,  aux  yeux  du  monde, 
s'appelle  dignité  et  devient  une  vertu. 
Si  l'on  est  pauvre,  elle  a  nom  outrecui- 
dance, et  c'est  le  pire  défaut.  Conrad 
fil  comme  Jean-Sébastien  Bach  :  il  en- 
fouit ses  manuscrits  au  fond  d'une 
armoire.  Non  sans  continuer  de  compo- 
ser, par  exemple,  mais  le  sacrifice  de  la 
x^enommée  accompli  une  fois  pour  toutes. 
Sa  grande  œuvre  était  une  Messe  solen- 


M  ISS  A    SOLKMMS 


<ii!> 


nelle,  pour  la  fêle  de  Noël,  une  messe 
pour  orchestre,  chœur,  soli,  avec  une 
partie  d'orgue  très  développée.  Il  y  avait 
consacré  vingt  ans,  jamais  satisfait  de 


lui-même,  saisi  souvent  d'un  alîVeux 
désespoir  et  prêta  la  jeter  au  feu,  —  tout 
le  martyre  d'une  âme  sincère,  quand 
elle  compare  son  rêve  et  la  réalisation 


650 


MISSA    SOLKMNIS 


quelle  en  peut  donner.  Pourtant,  au 
milieu  de  ces  combats  intérieurs,  qui 
parfois  mouillaient  le  front  de  Conrad 
d'une  sueur  d'agonie,  et  qu'il  n'eût 
échangés  contre  aucune  volupté,  la 
messe  s'était  achevée.  Un  soir,  il  avait 
reconnu  que  toute  sa  science  et  toutes 
ses  convictions  s'y  trouvaient  con- 
densées ;  et,  d'une  main  tremblante,  il 
avait  écrit  le  mol  :  fin,  au  bas  du  der- 
nier feuillet.  Et  l'énorme  paquet  de  pa- 
pier réglé  était  allé  rejoindre  les  œuvres 
précédentes,  au  fond  de  l'armoire-tom- 
beau,  où  il  dormait  depuis  vingt  autres 
années. 

A  part  l'auteur,  deux  seuls  êtres  en 
avaient  connaissance.  Méphisto  d'abord, 
le  chat  de  Conrad,  un  matou  noir  comme 
l'Erèbe,  qu'il  avait  ramassé  dans  la  rue, 
alfamé,  galeux  et  minable,  et  qui,  bien 
soigné,  était  devenu  une  bête  superbe 
au  poil  lustré  et  doux  comme  du  velours. 
Lorsque  VValdmann  travaillait,  Méphisto 
avait  coutume  de  se  placer  sur  la  table, 
en  face  de  lui;  et  il  avait  été  le  premier 
à  entendre,  essayés  par  la  voix  de  Conrad, 
les  motifs  de  la  Missa  solemnis.  L'autre 
})rivilégié,  plus  capable  d'en  jouir,  c'était 
Christian  Ilofer,  l'élève  favori  du  maes- 
tro. Un  gamin  de  la  ville,  ce  Christian, 
le  lils  d'un  humble  forgeron.  Une  fois 
que  l'organiste ,  —  qui  par  scrupule 
extrême  s'exerçait  chaque  jour,  — 
venait  de  jouer  toute  une  heure  dans 
l'église  déserte,  il  avait  trouvé  l'enfant 
au  pied  de  la  tribune ,  sanglotant  à 
émouvoir  des  pierres. 

—  Que  fais-tu   là,  petit,    et  qu'as-tu  ? 

A  force  de  questions,  Conrad  avait 
appris  que  Christian  adoi^ait  la  musique 
et  depuis  des  mois  se  faufdait  derrière 
lui,  chaque  fois  qu'il  venait  à  la  cathé- 
drale. Licontinent  Conrad  s'était  fait 
conduire  chez  le  forgeron,  avait  offert 
des  leçons  gratuites,  acceptées  sur  les 
supplications  du  gamin  transporté. 
Ces  leçons  avaient  duré  huit  ans,  et 
Conrad  ^^aldmann,  reti^ouvant  chez 
Christian  toutes  ses  illusions  d'autrefois, 
tous  ses  enthousiasmes,  tout  son  culte 
pour  l'art,  joints  à  une  application  sou- 


tenue, croyait  revivre  sa  jeunesse.  Huit 
ans  il  lui  avait  prodigué  ses  soins,  incul- 
qué le  culte  des  maîtres,  le  guidant  pas 
à  pas,  avec  la  sollicitude  d'un  père  et  le 
désintéressement  des  grands  cœurs,  sur 
le  sentier  de  l'art,  vers  les  plus  hauts 
sommets.  L'enfant  était  remarquable- 
ment doué,  passionné  d'étude,  s'absor- 
bant  avec  bonheur  dans  les  terribles 
algèbres  du  contre-point,  auxquelles 
Conrad  l'astreignait  impitoyablement. 
Au  surplus,  un  brave  petit  homme  alfec- 
tueux  et  reconnaissant,  et  Conrad  se 
disait  parfois  :  «  Si  j'avais  un  fds,  voilà 
comme  je  le  voudrais  !  »  Le  forgeron 
n'était  pas  sans  s'inquiéter  un  peu,  sans 
demandera  où  tout  cela  mènerait  Chris- 
tian »,  à  qui  il  eût  préféré  apprendre 
son  métier.  Waldmann  le  rassurait,  lui 
promettait  que  «  cela  mènerait  l'enfant 
à  quelque  chose  »,  et  il  le  prouva  bien 
lorsque  Christian  eut  atteint  sa  dix-neu- 
vième année,  en  obtenant  pour  lui,  du 
Conseil  des  bourgeois,  une  bourse  de 
voyage  qui  lui  permettait  d'aller  com- 
pléter son  éducation  musicale  dans  un 
bon  conservatoire. 

De  ses  compositions,  Conrad  ^^  ald- 
mann,  si  modeste,  n'avait  que  rarement 
parlé  à  Christian.  A  de  longs  intervalles, 
il  lui  avait  joué  un  fragment  de  sonate, 
un  motet,  un  andante  cantahile,  dont 
chacun  avait  accru  l'admiration  ardente 
de  l'élève  pour  son  professeur.  Le  jour 
seulement  où  Christian  était  revenu  de 
Leipzig  avec  un  premier  prix  d'orgue  et 
un  premier  prix  d'harmonie,  tout  en 
dégustant,  à  la  santé  du  lauréat,  une 
bouteille  de  johannisberg  dont  on  lui 
avait  fait  cadeau  longtemps  auparavant 
et  qu'il  avait  oubliée,  Conrad  n'avait  pu 
se  tenir  de  prendre  dans  la  fameuse 
armoire  le  manuscrit  de  la  Missa  solem- 
nis, puis,  entraînant  Christian  à  la  ca- 
thédrale, de  la  lui  faire  entendre  d'un 
bout  à  l'autre.  Et  le  jeune  homme  était 
resté  ébloui  de  cette  œuvre  ignorée, 
tout  éclatante  de  beautés  souveraines. 
Il  n'avait  rien  trouvé  à  dire,  inen,  mais 
cette  impuissance  à  exprimer  le  moindre 
éloge  était  l'éloge  le  meilleur.  Ils   pas- 


M  ISS  A     SOL  KM  M  S 


(i51 


sèrenl  loulo  l;i  soirée  dans  la  chambre 
de  Conrad,  Clirislian  ne  se  lassant  pas 
(le  lire  et  de  relire  la  partition  et  y  dé- 
c'ouvianl  sans  cesse  de  nouAcanx  trésors. 
Hélas!  son  lon^--  séjour  dans  l'armoire 
luimide  avait  terriblement  jauni  le  pa- 
pier; par  places  l'encre  était  devenue 
presque  imperceptible;  des  souris  avaient 
•grignoté  plusieurs  feuilles,  rien  que 
dans  les  marges,  heureusement  !  Chris- 
tian, edrayé  à  la  pensée  que  ces  petites 
causes  pouvaient,  en  quelques  années 
encore,  consommer  leur  travail  de  des- 
truction, refusa  de  s'en  aller  avant  que 
son  maître  lui  eût  permis  d'emporter  le 
manuscrit  pour  en  faire  une  nouvelle 
copie  —  sur  parchemin  indestructible, 
celle-là.  et  à  l'encre  de  Chine  1  Le 
vieillard  Unit  par  consentir,  tout  en  di- 
sant :  '■  .\  ([uoi  bon?  »  Un  mois  après, 
t^.hristian  lui  apportait  ladite  copie, 
un  chel"-d'(L'uvre  aussi  dans  son  genre. 
N\  aldmann  admira  la  souplesse  et  la 
solidité  du  vélin,  la  pieuse  minutie  du 
travail,  remit  la  Messe  solennelle  dans 
son  caveau  funéraire,  puis,  revenant  au 
jeune  homme  : 

—  Parlons  de  toi  I  Je  suis  las,  j'ai 
besoin  de  repos.  Demain  ma  démission 
sera  envoyée  et  il  faut  que  tu  me  suc- 
cèdes !  Ce  n'est  pas  brillant,  et  je  ne 
vois  là  pour  toi  qu'une  première  étape, 
en  attendant  mieux.  Es-tu  d'accord? 

^  Oh  1  maître,  comment  vous  rendre 
jamais  la  millième  partie  de  ce  que  vous 
avez  fait  pour  moi? 

—  Pour  le  cœur,  reste  ce  que  tu  as 
été  jusqu  à  présent.  Pour  l'art,  continue 
à  étudier  et  à  grandir,  ^'oilà  ce  que  je 
souhaite  en  récompense.  Demain  ma 
démission  sera  envoyée,  Christian,  ou 
plutôt  je  l'apporterai  moi-même  au 
Conseil  des  bourgeois,  qui  tient  séance 
à  cinq  heures.  On  me  prend  pour  un 
ours,  mais  j'ai  toujours  accompli  mon 
devoir,  et  on  me  veut  du  bien  tout  de 
même.  A  six  heures  je  serai  chez  ton 
père,  avec  promesse  formelle  de  ta  no- 
mination ! 

Et  Christian  I lofer  allait  occuper  la 
place  du  vieux  ^^  aldmann. 


—  Ah  mon  cher  enfant,  te  voilà... 
enfin!...  Oui,  enfin,  car  depuis  plusieurs 
semaines  tu  n'as  pas  trouvé  un  moment 
à  me  consacrer,  et  je  commençais,  bien 
que  connaissant  ton  bon  cœur,  à  me 
demander  si  la  mauvaise  herbe  de  Toubli 
allait  y  pousser  déjà.  Mieux  vaut  tard 
que  jamais.  Assieds-toi.  .l'ai  plaisirdete 
voir. 

Et  (Conrad  \\  aldmann  indiquait  à 
Christian  une  place  à  côté  de  lui,  près 
de  la  fenêtre  aux  petits  carreaux. 

—  Vous  oublier,  maîti'e?  Oh  !  vous 
n'avez  pas  cru  cela  ! 

—  L'eau  court  à  la  rivière  et  la  jeu- 
nesse va  à  la  jeunesse.  Rien  de  plus  na- 
turel que  de  préférer,  en  tes  loisirs,  une 
excursion,  une  chope  bue  avec  des  amis 
—  on  doit  te  rechercher  beaucoup  !  — 
à  cette  chambre  morose  et  à  la  causerie 
d'un  triste  vieux  ! 

—  Ce  serait  de  ma  part  une  vile  ingra- 
titude, et  je  me  mépriserais  !  La  vérité, 
maître,  c'est  que  j'ai  été  très,  très  occupé. 
\'ous  savez  que  Nisch  est  arrivé  ici  le 
mois  dernier,  avec  toute  une  équipe 
d'ouvriers.  Les  réparations  ont  été  exé- 
cutées consciencieusement.  On  a  suivi 
vos  avis  en  tout. 

—  Et  cela  va  ?  Le  grand  jeu? 

—  Un  tonnerre  ! 

—  L'expression  ? 

—  Sensible  aux, moindres  nuances. 

—  Les  voix  humaines? 

—  On  s'y  méprendrait  ! 

A  chacune  de  ces  réponses,  Conrad 
^^  aldmann  s'était  ranimé,  léchine  re- 
dressée, l'œil  luisant.  Son  orgue,  ah  !  il 
l'aimait  toujours  ! 

—  Donc,  l'instrument  est  de  nouveau 
parfait  ? 

—  Parfait. 

—  J'ai, envie  d'aller  tentendre  diman- 
che, sais-tu  ? 

■  Le  jeune  homme  se  troubla  une  se- 
conde, mais  reprit  vite  son  sang-froid, 
et,  du  ton  le  plus  naturel  : 

—  Pas  dimanche,  maître;  je  ne  joue- 
rai pas...   Une   idée    qui    m'est    venue. 


652 


M  I S  S  A    SOL  i:  M  N  I S 


d'attendre  à  Noël  et  de  débuter  dans  les 
meilleures  conditions  possibles...  Oui, 
pour  la  messe  de  minuit.  J'ai  recruté  un 
chœur  et  nous  travaillons  ensemble, 
assidûment,  à  Tétude  d'une  grand- 
messe.  La  cathédrale  n'est  pas  loin  de 
chez  vous.  En  vous  enveloppant  bien, 
vous  ne  risquerez  pas  de  vous  enrhumer. 
J'ai  la  coquetterie  d'un  beau  début, 
maître,  et  je  compte  sur  votre  présence, 
qui  me  soutiendra,  car,  dame  !  ce  n'est 
pas  une  petite  affaire  que  de  venir  après 
vous  ! 

—  Et  quelle  œuvre  as-tu  choisie  ? 

—  ()h  !  vous  pensez  que  je  ne  voulais 
rien  de  médiocre  !  J'ai  donc  cherché 
non  seulement  une  œuvre,  mais  un  chef- 
d'œuvre  !  Ne  me  demandez  pas  de  dé- 
tails, je  ne  pourrais  pas  vous  en  donner, 
car  il  est  passé  sept  heures  et  demie,  et 
nous  répétons  à  huit.  J'ai  juste  le  temps 
d'ajouter  que  la  princesse,  qui  a  daig'né 
m'appeler  au  palais  pour  me  congratuler 
de  mes  deux  prix  et  à  laquelle  je  me 
suis  permis  d'exposer  mon  projet,  s'y 
est  intéressée  tout  de  suite  et  que,  grâce 
à  elle,  le  quatuor  vocal  et  l'orchestre  du 
théâtre  prêteront  leur  concours  ! 

—  Alors  ce  sera  une  vraie  solennité  ! 

—  J'espère  bien  !  Vous  me  promettez 
de  venir  ? 

—  Il  n'y  a  pas  loin  jusqu'à  la  cathé- 
drale, c'est  vrai.  Mais,  à  vivre  en  ermite, 
je  suis  devenu  frileux... 

—  J'enverrai  une  voiture  vous  pren- 
dre avec  Odile...  Vous  promettez? 

—  Est-ce  que  je  pourrais  refuser, 
mon  Christian  ? 

—  Me  voilà  heureux  ! 

—  Ne  te  reverrai-je  pas,  d'ici-là  ?  Ne 
viendras-tu  pas,  entre  deux  répétitions, 
me  raconter?... 

—  Je  ne  crois  pas.  J'aurai  trop  à  faire. 
Mais  je  penserai  à  vous,  maître,  oh  ! 
chaque  jour  !  Et  que  je  vous  oublie,  ne 
le  dites  plus  jamais  ! 

Le  vieillard  resta  seul  dans  la  petite 
chambre  qu'éclairait  une  lampe  juive  à 
quatre  branches,  en  cuivre  ciselé,  sus- 
pendue au  plafond. 

Et,  les  mains  aux  genoux,  la  tête  ren- 


versée sur  le  dossier  de  son  fauteuil,  il 
s'abandonna  à  une  songerie.  Tant  qu'il 
avait  conserve  sa  charge,  la  volonté 
lavait  soutenu.  Un  peu  d'orgueil  aussi, 
lorgueil  de  n'avoir  pas  eu,  dans  sa  lon- 
gue vie,  un  jour  de  défaillance.  D'ail- 
leurs il  voulait  que  Christian  lui  succé- 
dât. Prendre  retraite  avant  que  le  jeune 
homme  eût  décroché  ses  grades,  c'était 
livrer  la  place  à  un  autre.  Conrad  avait 
tenu  bon. 

Sa  fonction  abandonnée,  soudain  une 
immense  lassitude  l'avait  pris,  la  vieil- 
lesse pesant  sur  lui  de  tout  son  poids. 

Depuis  sa  promenade  avec  (Christian 
au  bord  de  la  rivière,  par  ce  soir  d'octo- 
bre suavement  vert  et  rose,  il  n'était 
plus  sorti. 

Ses  jours  s'écoulaient  dans  celte  cham- 
bre étroite,  aux  lambris  de  chêne,  où, 
le  long  des  années,  à  force  d'économie, 
il  avait  rassemblé  quelques  jolies  choses  : 
un  triptyque  de  l'école  de  Van  Dyck, 
représentant  des  scènes  de  l'Ancien 
Testament,  une  tapisserie  d'Arras,  — 
Apollon  avec  les  neuf  Muses,  —  un  très 
antique  lutrin  d'église  en  fer  forgé.  Tout 
cela  déniché  dans  les  petites  boutiques, 
au  hasard  de  ses  allées  et  venues. 

Pour  Conrad,  l'essentiel  de  ce  pauvre 
intérieur,  c'était,  en  un  meuble  Renais- 
sance, simple,  mais  authentique,  sa  bi- 
bliothèque musicale.  (]e  que  cela  sur- 
tout représentait  de  menus  sacrifices, 
lui  seul  aurait  pu  le  dire  !  La  collection 
des  classiques  de  l'orgue  s'y  alignait 
quasi  complète,  modestement,  mais  dé- 
cemment reliée.  Pour  en  arriver  là,  avec 
de  si  piètres  ressources,  il  avait  fallu 
non  seulement  ne  pas  fumer  et  ne  pas 
boire,  mais  renoncer  à  bien  des  petits 
agréments  de  confortable.  Le  joyau  de 
cette  collection  —  le  jour  où  il  lavait 
découvert  dans  l'arrière-magasin  d'un 
brocanteur  israélite,  parmi  des  piles 
d'insignifiantes  paperasses,  avait  été  l'un 
des  plus  beaux  de  sa  vie,  —  était  un 
exemplaire  —  édition  princeps  —  de  la 
célèbre  messe  à  six  voix  :  Assumpta 
est  Maria,  de  Palestrina,  portant  la  si- 
gnature du  maître.   Conrad   ^^'aldmann 


M  ISS  A    SOLKMMS 


054 


M  ISS  A    SOLEMNIS 


n'y  touchait  que  comme  à  une  hostie. 

Il  Christian  aurait-il  entrepris  cela? 
se  demandait-il,  sous  la  lampe  hébraïque 
à  lueur  incertaine.  Mais  ce  n'est  pas 
écrit  pour  Noël  ?  La  cantate  de  Bach, 
peut-être?  Non,  il  a  parlé  dune  messe. 
Quoi  donc  alors?  » 

II  se  leva,  ouvrit  le  meuble  Uenais- 
sance,  consulta  une  vingtaine  de  vo- 
lumes. Tantôt  il  croyait  avoir  deviné  : 
«J'y  suis,  ce  ne  peut  être  autre  chose!  » 
Et  la  minute  d'après  :  «  Cependant  il  y 
a  mieux  1  ■>  Et  ses  hésitations  recom- 
mençaient. A  diverses  reprises.  Boule 
de  Neige,  sa  chatte,  qui  descendait  de 
Lionette,  laquelle  avait  succédé  à  Mé- 
phisto,  était  venue  se  frotter  contre  lui, 
comme  pour  dire  :  «  Tu  t'oublies,  patron, 
voici  l'heure  de  dormir!  »  le  couvre-feu 
avait  retenti  à  la  cathédrale,  qu'il  four- 
rageait encore  dans  sa  bibliothèque, 
d'ailleurs  aussi  incertain  qu'avant. 

I^our  le  tirer  de  ces  préoccupations,  il 
fallut  qu'Odile  vînt  le  secouer  par  le  bras  ; 

—  Mais  à  quoi  pensez-vous  de  veiller 
ainsi,  à  votre  âge,  avec  vos  yeux  qui  se 
gâtent,  quand  tous  les  honnêtes  gens 
sont  sous  l'édredon?  Si  ce  n'est  pas  dé- 
raisonnable !  ^  ous  mériteriez,  pour  vous 
punir,  d'être  privé  de  sucre,  demain 
malin,  dans  votre  café  au  lait! 

—  J'ai  tort,  Odile,  je  confesse  hum- 
blement que  j'ai  tort...  Mea.  culpa...  Ma 
chandelle  est  allumée? 

—  Il  y  a  beau  temps  ! 

—  Bonne  nuit,  Odile,  bonne  nuit  ! 
Donne-moi  un  petit  morceau  de  sucre, 
tout  de  même  I  <  )n  devient  si  gourmand, 
en  se  faisant  vieux! 

Une  fois  au  lit,  Conrad  fut  repris  de 
sa  curiosité,  qui  le  tint  éveillé  jusqu'à 
laube.  Il  s'assoupit  enfin,  murmurant 
comme  conclusion  : 

"  Bah  !  autant  ^•aut  avoir  surprise 
complète  :  ce  qui  est  sûr,  c'est  que  Ce 
sera  la  pierre  de  touche  de  son  goût  !    > 


—  Monsieur     ^^'aldmann  !    monsieur 
^^  aldmann  ! 


—  Eh  bien  ,  Odile,  sommes-nous  en 
retard,  ou  la  maison  a-t-elle  pris  feu? 

—  Une  voiture  du  palais  devant  la 
porte,  monsieur  A\  aldmann  I  Une  voi- 
ture à  deux  chevaux! 

—  Vous  divaguez,  madame  (  )dile  ! 

—  Venez  voir  ! 

Emmitouflé  dans  une  épaisse  houp- 
pelande, un  cache-nez  autour  du  cou,  des 
gVints  de  laine  aux  mains,  Conrad  — 
encore  incrédule  —  descendit  l'escalier, 
suivi  de  la  domestique  en  grande  toi- 
lette. Contre  le  trottoir ,  un  luxueux 
coupé  attendait,  attelé  de  bêtes  su- 
perbes, sur  le  siège  un  cocher  du  der- 
nier correct,  un  décoratif  valet  de  pied 
debout  à  la  portière,  le  tout  aux  armes 
de  la  princesse. 

Conrad,  tout  intimidé,  s  introduisit 
dans  la  voiture,  Odile  s'assit  en  face  de 
lui,  les  pur  sang  partirent  d'un  bon  trot, 
malgré  la  légère  couche  de  neige  qui 
ouatait  le  sol.  Le  trajet  ne  dura  pas  cinq 
minutes. 

La  cathédrale  était  déjà  pleine.  Des 
centaines  de  cierges  y  brûlaient,  en 
faisceaux  lumineux  jaillissant  des  pi- 
liers. Le  maître-autel  était  éblouissant, 
où  le  retable  de  bois  sculpté  déroulait 
sa  pathétique  Descente  de  croix  datant 
du  XV'' siècle.  Jamais  Conrad  Waldmann 
n'avait  contemplé  cette  merveille  sans 
attendrissement.  C'est  qu'elle  resplen- 
dissait de  la  sublime  sincérité  des  ar- 
tistes d'autrefois.  {]elui-là,  en  fouillant 
de  son  ciseau  patient  le  chêne  dur, 
n'avait  certes  pas  songé  à  gagner  de 
l'argent  ou  du  i^enom.  Son  âme  avait 
eu  quelque  chose  à  dire  dans  ce  mor- 
ceau de  bois,  qu'après  quatre  siècles  on 
admirait  encore.  Et  plus  d'une  fois 
Conrad  était  venu  demander  au  chef- 
d'œuvre  un  exemple  de  probité  artis- 
tique et  d'humilité. 

—  Monsieur  \\'aldmann,  c'est  par  ici, 
dit  le  bedeau.  On  m'a  recommandé  de 
vous  garder  deux  chaises. 

Et  il  conduisit  le  vieillard  et  Odile  à 
leurs  places,  sur  la  gauche  de  l'autel. 

On  achevait  d'allumer  les  cierges. 
L'église    flamboya .    Et    des    gens    arri- 


M  ISS  A    SOI.KMXIS 


vaient  toujours,  ne  laissant  plus  un  seul   [        Un  mouvement   se  produisit  quand, 
coin  vide.  I   précédée  d'huissiers  galonnés,  la  prin- 


656 


MISSA    SOLEMMS 


cesse  fit  son  entrée ,  parmi  les  hauts 
dig^nitaires  de  la  cour.  Elle  était  toute 
jeune,  blonde  comme  sa  mère,  frêle  et 
ravissante  comme  elle. 

A  droite  de  l'autel,  dautres  sièges 
avaient  été  réservés ,  où  la  princesse 
s'installa  avec  sa  suite.  Aussitôt  le  clergé 
parut,  dans  l'éclat  de  ses  moires  et  de 
ses  ors,  escorté  des  enfants  de  chœur 
balançant  l'encensoir.  En  un  instant  la 
cathédrale  s'embauma  d'un  parfum  de 
myrrhe,  et  les  cierges,  à  travers  le  mince 
rideau  de  fumée  bleue,  eurent  l'air  des 
pâles  étoiles  d'une  nuit  vaporeuse. 

L'archiprêtre  avait  gravi  les  marches 
du  chœur.  Et  ce  fut  un  soudain  silence. 

Gomme  il  était  ému,  le  vieux  Conrad 
AN'aldmann  !  Les  yeux  ardemment  fixés 
sur  la  galerie  de  l'orgue,  il  suivait  tous 
les  gestes  de  son  jeune  ami,  du  fils  de 
son  cœur.  Christian,  les  solistes  et  le 
chef  d'orchestre  échangeaient  les  su- 
prêmes observations.  Puis  sur  la  galei^e 
aussi  le  silence  régna. 

K  Mon  Dieu,  qu'aura-t-il  choisi?  se 
répétait  pour  la  centième  fois  Conrad. 
Pourvu  qu'il  garde  son  sang-froid,  que 
tout  marche  bien  !  » 

Le  chef  d'orchestre  avait  levé  son 
bâton.  Alors  Conrad,  respirant  à  peine, 
inclina  la  tête,  posa  son  front  dans  sa 
main,  attendit. 

Et  les  orgues  éclatèrent  en  amples, 
en  majestueux  accords.  On  eût  dit  un 
beau  fleuve  d'harmonie,  coulant  avec 
lenteur  entre  des  rives  aux  lignes  clas- 
siques. ^"ingt  ou  trente  mesures,  mais 
magistrales,  portant  la  griffe  du  génie. 

Aux  premiers  sons,  le  vieillard  avait 
relevé  la  tète  :  il  était  devenu  aussi  pâle 
que  les  linges  de  l'autel. 

'<  J'ai  mal  entendu,  ce  n"est  pas  pos- 
sible!  » 

Le  saisissant  prélude  coniinuait.  Une 
solennité  descendait  de  l'orgue,  s'allait 
répandre  à  travers  l'église.  Le  fleuve 
s'élargissait,  limpide,  lumineux,  deve- 
nait une  mer  aux  ondes  puissantes. 

—  Kyrie,  Kyrie  eleison  ! 

A  la  voix  de  l'officiant,  le  chœur  ré- 
pondit,   soutenu    par    l'orgue    et    l'or- 


chestre: A'/yrie  eleison!  Chrisle  eleison! 
Chaque  note  était  comme  un  acte  de 
foi.  L'ensemble  avait  la  beauté  des 
choses  éternelles.  Et  Coni^ad  Waldmann, 
le  front  retombé  dans  sa  main,  pleurait, 
bouleversé  de  surprise ,  d'effroi  et  de 
bonheur. 

Il  avait  reconnu  sa  Messe  de  Noël. 

L'exécution  était  sans  reproche.  Dans 
les  moindres  détails,  l'œuvre  gigan- 
tesque avait  été  étudiée,  fouillée  à  fond, 
comme  la  pierre  sacrée  de  la  cathédrale. 
Pas  une  des  intentions  de  l'auteur  qui 
eût  échappé.  L'orchestre,  les  chœurs,  les 
solistes  rivalisaient  de  zèle  pour  rendre 
sa  pensée  avec  intégrité.  La  partie 
d'orgue  était  supérieurement  tenue.  Au 
mélodieux  Sanclus,  à  ÏAgnus  Dei,  un 
trio  d'une  expression  extatique,  au 
suave  Benediclus,  accompagné  par  les 
cordes,  à  V Elévalion  surtout,  lorsque 
l'instrument-roi  chanta  seul,  un  hymne 
débordant  de  joie  candide,  d'infini 
amour,  les  accents  mêmes  de  la  béatitude, 
d'un  cœur  ravi  prosterné  devant  le  divin 
berceau,  où  l'agreste  flûte,  la  pastorale 
cornemuse  des  bergers  s'entre-répon- 
daient  avec  les  violes  des  chérubins,  il 
n"y  avait  pas  un  œil  sec  dans  cette 
immense  foule  subjuguée.  Quant  au 
vieillard,  il  pleurait  toujours,  un  flot  de 
larmes  qui  lentement  roulait  sur  ses 
joues  émaciées,  entre  ses  doigts  noués 
de  rhumatismes.  Mais  la  rosée  de  mai 
sur  le  calice  des  jeunes  roses  n'est  pas 
si  douce  qu'étaient  ces  larmes,  sans 
lesquelles  eût  éclaté  le  cœur  de  Conrad  1 
Son  rêve  le  plus  secret  et  le  plus  cher, 
dont  jamais,  jamais  il  n'avait  compté 
voir  la  réalisation,  par  miracle  se  réali- 
sait pourtant.  Cette  messe,  la  grande 
angoisse  et  le  grand  délice  de  sa  vie,  il 
lui  était  donné  de  l'entendre  exécuter 
de  façon  magnifique.  Et,  si  modeste  qu'il 
fût,  il  sentait  que  son  labeur  n'avait  pas 
été  vain,  que  l'œuvre  était  belle,  qu'il 
en  demeurerait  quelque  chose.  Plus 
heureux  que  son  maître  Bach,  vivant 
il  entrait  dans  la  terre  promise. 

«  Ah  !  le  brave  enfant!  et  il  pensait  à 
Christian.   C'est  lui   qui   a  eu  l'idée  de 


M  ISS  A     SOLKMNIS 


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vin.  -  .2. 


GÔ8 


MISSA    SOLEMNIS 


ceci,  qui  a  tout  combiné,  tout  mené  à 
bien  !  Et  moi  qui  l'accusais  de  me  né- 
gliger, quand  il  n'avait  pas  une  pensée 
qui  ne  fût  pour  moi  [  » 

A  présent  la  messe  finissait  sur  un 
Alléluia,  presque  comparable  à  celui  du 
Messie.  Dans  une  fugue  colossale,  Torgue, 
l'orchestre  et  les  chœurs  montaient  et 
descendaient  l'échelle  des  sons;  cela 
bondissait  comme  un  torrent,  retentis- 
sait comme  la  foudre.  Le  prodigieux 
édifice  de  cette  messe  avait  un  couron- 
nement digne  de  lui  et  —  à  ce  fouillis  de 
notes  que  réglait  un  ordre  suprême,  au 
souffle  de  ces  énormes  tuyaux  lancé  dans 
sa  plénitude,  à  ces  deux  cents  voix  et  à 
ces  soixante  instruments  donnant  leur 
summum  —  la  cathédrale  vibrait  tout 
entière,  et  il  y  avait  un  frisson  sur  la 
multitude. 

Puis  tout  se  tut,  et,  pendant  quelques 
minutes,  on  eût  entendu  voler  une 
mouche. 

—  Ah  !  maître,  maître,  je  ne  peux 
attendre  de  vous  embrasser  ! 

C'était  Christian,  descendu  en  hàlede 
la  galerie,  tout  frémissant,  de  l'électricité 
au  bout  des  doigts. 

Incapable  d'articuler  une  syllabe, 
Waldmann  ouvrit  ses  bras,  attira  le 
jeune  homme  sur  sa  poitrine. 

—  Venez,  maître;  la  princesse  désire 
vous  voir  ! 

A  travers  la  foule,  respectueusement 
écartée,  ils  passèrent  lentement.  La 
jeune  fille  s'avança  vers  Conrad,  radieuse 
comme  le  printemps. 

—  Cette  heure  est  l)elle  pour  nous 
tous,  dit-elle.  Au  nom  de  notre  cité,  je 
vous  remercie. 

Puis,  plus  bas  : 

—  Vous  avez  connu  ma  mère,  je  crois? 
Un  écho  de  ce  qui  s'était   raconté  lui 

était-il  parvenu?  C'était  peu  probable. 
Pourtant  il  sembla  à  Conrad  que,  dans 
cette  parole,  elle  avait  mis  une  inten- 
tion et  que,  au  succès  de  cette  soirée,  elle 
\'oulait  associer  la  morte. 

Conrad  essaya  de  répondre —  inutile- 
ment. Mais,  la  princesse  lui  tendant  sa 
main  fine,  il  se  pencha  pour  la  baiser,  et 


sur  les  doigts  patriciens,  cerclés  de 
gemmes,  ses  longues  mèches  blanches 
coulèrent  comme  un   ruisseau  d'argent. 

—  Maître,  on  est  venu  de  Leipzig,  de 
Munich,  de  Weimar,  de  Dresde  :  des 
musiciens,  des  critiques,  des  amateurs... 

Et  Christian  prononçait  des  noms, 
des  titres,  à  chacun  desquels  une  stupé- 
faction plus  grande  se  peignait  sur  les 
traits  de  Conrad.  Quoi!  venus  pour  lui, 
chétif,  tous  ces  gens  célèbres,  et  voulant 
lui  êti'e  présentés,  et  l'entourant,  et  le 
félicitant!  Le  vieillard  n'en  pouvait 
croire  ses  yeux  et  jetait  tour  à  tour  des 
regards  ébahis  vers  la  princesse  rayon- 
nante et  vers  Christian  au  septième  ciel. 
Ah  !  il  s'était  remué,  le  jeune  homme, 
pour  aboutir  à  ce  résultat  !  Il  en  avait 
fait  des  démarches,  utilisant  ses  amis, 
ses  connaissances,  écrivant,  sollicitant, 
mettant  à  profit  toutes  ses  influences, 
réchaufTant  les  plus  froids  à  son  enthou- 
siasme, et,  d'ailleurs,  soutenu  par  le 
chef  d'orchestre,  qui,  à  son  tour,  s'était 
passionné  pour  la  Missa  solemnis,  et  par 
la  princesse,  à  qui  chaque  semaine  il 
allait  rendre  compte  de  la  marche  des 
répétitions.  La  réussite,  au  moins, 
répondait  à  son  espérance  ! 

—  Maître,  j'ai  pris  sur  moi  de  con- 
clure un  traité  avec  la  maison  Iloller  et 
fils,  à  Munich,  pour  l'édition  de  votre 
œuvre.  M.  Iloller  a  tenu  à  venir  lui- 
même  vous  offrir  le  premier  exemplaire. 

Un  petit  homme  replet  et  souriant 
s'avança  vers  Conrad,  s'inclina  en  une 
révérence  automatique  et  tendit  au 
vieillard  un  superbe  volume  in-octavo, 
relié  en  maroquin  fauve,  où  ces  mots  : 
Missa.  solemnis,  et  ce  nom  :  Conrad 
Maldmann,  brillaient  en  lettres  d'or, 
parmi  des  gaufrures  gothiques. 

Les  cierges  allaient  s'éteindre.  Sur  un 
signe  du  maître  des  cérémonies,  les 
huissiers  de  la  cour  faisaient  ranger  les 
gens  pour  le  départ  de  la  princesse. 

Alors  celle-ci,  avec.une  grâce  exquise, 
offrit  son  bras  au  A'ieillard,  qui  tremblait 
comme  la  feuille,  et  le  conduisit  jusqu'au 
grand  portail,  les  dignitaires  de  la  cour, 
les  étrangers   accourus   pour  la   fête,  et 


MISSA    SOI.KMMS 


(.53 


(]hrisli;in,  charj^c  du  précieux  volume, 
nijuvhant  derrière.  Par  les  portes  lalé- 
l'ales,  le  peuple  sélait  l'coulé,  cl  niaiii- 
(enanl,  sur  la  place,  c  élail  uue  houle 
liuuiaine.  Au  uiilieu,  tenant  des  torches 
allumées,  et  bannières  llottantes,  les 
cludiaiits  de  l'université  iormaienl  une 
double  haie.  Et  quand  le  vieil  artiste 
parut,  toujours  au  bras  de  ladorable 
princesse,  les  applaudissements,  conte- 
nus avec  peine  dans  la  cathédrale, 
éclatèrent  comme  une  tempête. 

—     Qu'est-ce    encore?    pensa    \\  ald- 
mann.Je  rêve,  bien  sûr! 

Mais  déjà  des  bras  robustes  l'avaient 
saisi,  soulevé,  et  Conrad,  malj^ré  ses 
f^estes  de  protestation,  se  vit  porté  en 
triomphe,  sous  la  nuit  fourmillante 
d  étoiles  et  étrangement  douce,  au  milieu 
des  tlambeaux  et  des  drapeaux,  parmi 
les  chants  et  les  hourras  de  cette  belle 
jeunesse  et  de  la  ville  entière.  Il  regar- 
dait les  fenêtres  partout  illuminées,  le 
reflet  des  flambeaux  zig^zag'uant  sur  les 
façades,  la  foule  compacte  précédant 
et  suivant.  Il  entendait  les  refrains,  les 
bravos,  voyait  des  mains  se  tendre  vers 
lui,  des  chapeaux  s'agiter  — :  et  de  plus 
en  plus  tout  cela  lui  semblait  un  songe. 

On  atteignit  sa  maisonnette.  Sur  le 
seuil,  avec  une  lampe,  Odile  se  tenait, 
gonflée  d'orgueil. 

—  Eh  bien,  maître,  fit  Christian,  on 
ne  dira  pas  qu'il  n'y  a  plus  de  flamme 
dans    les  jeunes   cœurs  1 

—  Mon  enfant,  mon  cher  enfant!... 
\'ous  les  remercierez  de  ma  part,  n'est- 
ce  pas?  Moi  je  ne  peux  pas,  je  ne  peux 
pas  !... 

Chancelant  comme  un  homme  ivre, 
Conrad  pénétra  chez  lui,  précédé  d'Odile, 
(jui  répétait  :  ■«  Jésus  !  Jésus  1  quelle 
soirée  !  »  La  porte  se  referma.  Mais,  un 
moment  encore,  les  étudiants  restèrent 
sous  les   fenêtres  du  vieillard,  chantant 


à  son  honneur.  Puis,  deux  heures  ayant 
sonné  à  la  cathédrale,  sur  un  dernier  et 
foniiidable  :  Ilach  !  la  inidlitude  se  dis- 
persa. 

Oh  1  la  belle  nuit,  la  belle  nuit  de 
Noël  1  Sur  les  arbres,  sur  les  buissons, 
le  givre  scintillait  :  c'étaient  de  fantas- 
tiques girandoles,  des  colliers  de  perles, 
des  rivières  de  diamants  accrochés  à 
chaque  rameau.  La  neige  aussi  semblait 
lumineuse.  Et  dans  le  ciel,  d'une  trans- 
parence exceptionnelle,  des  myriades 
d'astres  étincelants  semblaient  montrer 
la  route  aux  séraphii>s  porteurs  de 
la  Bonne  Nouvelle. 

—  Vous  allez  faire  la  grasse  matinée  1 
avait  dit  Odile  à  Conrad  ^^'aklnlann,  en 
le  quittant. 

—  Je  crois  que  je  ne  fermerai  pas 
l'œil;  je  suis  trop  heureux  ! 

Sur  le  coup  de  dix  heui-es,  ne  l'ayant 
pas  entendu  bouger,  elle  entra  dans  sa 
chambre.  Il  était  assis  devant  la  table, 
les  mains  étendues,  la  tête  couchée  sur 
le  volume  aux  gaulVures  d'or. 

—  Est-ce  qu'il  ne  se  serait  pas  mis  au 
lit  ?  murmura  Odile. 

Elle  l'appela,  sans  obtenir  de  réponse. 
Elle  s'approcha,  effleura  son  épaule.  Au- 
cun mouvement.  Ses  paupières  étaient 
baissées.  Il  souriait,  le  sourire  du  vieil- 
lard Siméon  chantant  son  Nunc  cli- 
millis. 

Cette  inmiobilité  épouvanta  Odile. 
Elle  lui  toucha  les  mains,  les  trouva 
froides  et  rigides.  La  mort  clémente 
n'avait  pas  voulu  que  Conrad  Waldmann 
survécût  à  l'apothéose.  Comme  le  mois- 
sonneur s'endort  sur  son  blé  lié  en 
gerbes,  il  s'était  endormi  en  plein 
triomphe,  passant  sans  transition  de 
l'immortelle  musique  de  sa  Missa  so- 
lemnis  aux  ineffables  concerts  des  anges. 

Adoi.  rni:    H  i  baux. 


L'ÉCOLE     SUPÉRIEURE     DE    GUERRE 


L'obligation  de  con:?liliifr  auprès  de 
chaque  ol'licier  général  un  personnel 
capable  de  le  suppléer,  voire  même  d'in- 
terpréter sa  pensée  dans  la  rédaction 
d'ordres  auxquels  ses  occupations  mul- 
tiples ne  lui  permettent  que  d'indiquer 
ridée  générale,  a  été  de  tout  temps. 

En  dehors  de  cette  aide  permanente, 
qu'il  trouvera  dans  les  officiers  de  son 
entourage,  il  arrivera  fréquemment  que, 
à  la  veille  d'engager  ses  forces,  un  com- 
mandant de  troupes  aura  besoin  de  se 
procurer  sur  le  terrain  de  la  lutte  future 
certains  renseignements  que  la  carte  ne 
lui  fournit  qu'imparfaitement. 

Et  si,  actuellement,  les  progrès  de  la 
télégraphie  sont  tels  que,  sur  le  champ 
de  bataille,  le  général  d'armée  puisse 
être  en  relation  constante  avec  ses  com- 
mandants de  corps,  en  pourra-t-il  être 
de  môme  pour  ces  derniers  vis-à-vis  de 
leurs  subordonnés,  à  quelque  degré  de 
la  hiérarchie  qu'ils  appartiennent?  Ne 
peut-on  se  représenter  cet  officier,  que 
son  général  aura  chargé  d'une  mission, 
traversant  l'espace,  emporté  par  le  ga- 
lop furieux  de  sa  monture  qu'achèvent 
d'affoler  le  sifflement  des  balles  ou  l'écla- 
tement des  obus? 

Sera-ce  pour  dire  au  commandant 
d'une  troupe  :  «  Accourez,  accourez,  le 
moment  de  vous  engager  est  venu?  » 
Sera-ce  pour  prescrire  à  cet  autre  de 
tenir  ferme  juscpi'à  l'arrivée  de  renforts 
qu'on  lui  envoie  ? 

Quels  qu'ils  soient,  ces  ordres  rapide- 
ment dictés,  au  milieu  de  tant  de  graves 
préoccupations,  auront  souvent  besoin 
d'explications,  de  commentaires. 

Faire  appel  aux  officiers  de  troupe  pour 
ce  service  de  reconnaissance  ou  de  mis- 
sion temporaire  sur  le  champ  de  bataille 
aurait  le  fâcheux  inconvénient  de  désor- 
ganiser le  commandement  au  moment 
même  où  le  fonctionnement  de  tous  ses 
rouages  est  le  plus  nécessaire.  Et.  si 
Ton  ne  tient  aucun  compte  des  consé- 
quences d'une  teMe  façon  de  procéder, 


l'officier  chargé  éventuellement  d'une 
mission  si  importante  la  remplira-t-il 
avec  toute  l'intelligence  dont  il  aurait 
fait  preuve  si,  attaché  d'une  façon  per- 
manente à  son  général,  il  avait  suivi 
l'évolution  de  sa  pensée  et  si,  sachant 
ce  qui  a  été  fait  jusqu'à  ce  moment,  il 
avait  saisi  le  désir  du  chef,  même  sur 
ses  indications  laconiques? 

De  ces  exemples  résulte  l'obligation 
de  constituer,  dès  le  temps  de  paix,  un 
corps  d'officiers  instruits,  préparé  de 
longue  main  aux  fonctions  si  délicates 
et  si  importantes  du  service  d'état-ma- 
jor et  dans  lequel  on  puisera  pour  don- 
ner à  chaque  commandant  de  fractions 
un  peu  importantes  de  troupes  l'entou- 
rage dont  la  nécessité  est  reconnue. 
Cependant,  sous  l'ancienne  monarchie 
et  pendant  les  guerres  du  premier  em- 
pire, ces  fonctions  furent  souvent  dévo- 
lues en  dehors  de  toute  considération 
de  talent  et  d'instruction.  Un  officier 
général  avait-il  dans  un  corps  de  troupe 
un  parent,  un  ami  de  sa  famille  :  vite  il 
le  prenait  comme  aide  de  camp  ou  l'at- 
tachait à  son  état-major.  Quelques-uns 
même  choisissaient  les  hommes  les  plus 
médiocres,  les  plus  nuls,  alin  d'exercer 
sur  eux  un  pouvoir  absolu.  «  Madame, 
disait  un  jour  le  général  X...,  dans  un 
salon,  à  la  maîtresse  de  maison,  en  lui 
amenant  un  ofiicier,  je  vous  présente 
mon  aille  de  camp;  si  j'en  avais  trouvé 
un  plus  bête,  je  l'aurais  pris.  »  —  La 
maîtresse  de  maison  fut  fort  embarrassée; 
l'idiot  aide  de  camp  salua  et  se  mit  à 
ri  re . 

Le  mai'échal  Gouvion  Sainl-Cyr  avait 
eu  souvent  à  déplorer  ce  fâcheux  état 
de  choses.  Devenu  ministre  de  la  guerre 
sous  Louis  XVIII,  il  s'efforça  d'y  remé- 
dier et,  par  une  ordonnance  en  date  du 
6  mai  1818,  chercha  une  solution  à  ce 
difficile  problème  :  création  d'un  corps 
spécial  d'état-major. 

Force  lui  fut  de  maintenir  dans  le 
corps  nouvellement  créé  la  plupart  des 


l/ECA)].li    SlPHlUKlliK    Di:    ClKHlî  !■: 


661 


0  K  F  I  C  I  E  R     DU     COUPS     U  O  Y  A  h 

d'état-m  A.i  on 
Deuxième  Restauration. 

oHiciers  pourvus  d'emplois  pendant  les 
dernières  guerres  et  même  de  faire  la 
part  des  favoris  attachés  aux  maisons 
militaires  du  roi  ou  des  princes.  C'est  à 
ces  concessions  seules  qu'il  dut  de  faire 
accepter  ses  idées  et  obtint  la  création 
de  VEcoIe  d application,  sorte  de  réser- 
voir où  le  service  d'état-majoi-  s'alimen- 
terait dorénavant. 

Organisée  dans  les  bâtiments  qu'oc- 
cupe actuellement,  au  n°  140  de  la  rue 
de  Grenelle,  le  service  géographique  de 
l'armée,  la  nouvelle  école  eût  lait  excep- 
tion à  toute  règle  si  elle  n'eût  été  plu- 
sieurs fois  modifiée  au  cours  de  son 
existence.  De  toutes  les  atteintes  portées 
à  son  organisation  primitive,  celle  que 
lui  fit  subir  l'ordonnance  de  18.3"2,  fixant 
ne  varielur  à  vingt-cinq  le  nombre  total 
des  élèves  à  admettre,  fut  certainement  la 
|)lus  importante.  Dorénavant  trois  élèves 
de  Polytechnique  entraient  sans  examen 
à   l'Ecole  d'application,   les   vingt-deux 


anli'cs  ])I;k{'s  ('•laiil  ;il  Inbuées,  après  un 
concours,  enire  les  Irenle  premiers  nu- 
méi'os  de  Sainl-Cyi-  et  trente  sous-lieu- 
lenaiils,  icmplissanl  certaines  conditions 
d'âge,  cpii  en  ;iui'aient  fait  la  demande 
et  que  désignerait  le  minisire. 

(^ctte  école  fut  la  pépinière  d'où  sor- 
tirent pendant  près  de  soixante  ans  des 
officiers  qui  se  sont  distingués  sur  tous 
les  champs  de  bataille  de  l'Europe  et 
dont  beaucoup  font  encore  aujourtriiui 
la  gloire  cl  riioiineur  de  notre  état- 
major. 

.Après  les  jours  malheureux  de  1H70, 
l'opinion  publique,  vivement  surexcitée, 
réclama  la  réforme  d'un  corps  auquel 
elle  attribuait  inconsidérément  une 
partie  de  nos  revers. 

Le  l'ésultat  ne  tarda  pas  à  se  faire 
sentir  :  d'un  trait  de  j)lume,  le  législa- 
teur de  1875  mît  un  terme  à  l'existence 
de  VEcoIe  d'application,  lui  substituant 
l'Ecole  supérieure  de  guerre,  organisée 
par  le  décret  du  25  juin  1878. 

Les  besoins  de  l'élat-major  augmen- 
tant en  raison  de  l'elfectif  auquel  s'élè- 
verait dorénavant  l'armée  permanente, 
le  nombre  des  officiers  à  admettre,  cha- 
que année,  à  l'Ecole  supérieure  de  guerre 
fut  fixé  à  une  moyenne  de  quatre-vingts. 
Comme  conséquence,  les  bâtiments  de 
la  rue  Saint-Dominique  jugés  insuffi- 
sants, une  partie  de  ceux  de  l'Ecole  mi- 
litaire furent  assignés  à  la  nouvelle 
Faculté  militaire.  Ce  devait,  en  effet, 
être  une  faculté,  où  des  officiers  logés 
dans  le  quartier  trouveraient,  chaque 
jour,  dans  des  conférences,  des  exercices 
pratiques,  matière  au  développement  de 
leur  instruction  militaire,  se  préparant 
ainsi  par  deux  années  d'études  au  ser- 
vice auquel  ils  devaient  être  attachés  à 
leur  sortie. 

Différence  essentielle  avec  l'organisa- 
tion de  Gouvion  Saint-Cyr,  introduisant 
dans  l'état-major  des  officiers  qui  n'a- 
vaient pas  passé  par  les  corps  de  troupe, 
le  nouvel  état  de  choses  exigeait  de  tous 
les  candidats  cinq  années  de  présence 
dans  les  régiments  avant  de  pouvoir  se 
présenter  à    la  nouvelle  école.  Ainsi   on 


662 


LEGOLE    SUPEHIEl'UE    DE     GUERRE 


ne  ferait  plus  au  c'(ir])s  frélal-niajnr  \v 
reproche  dig'norer  les  choses  essenliellcs 
de  la  troupe. 


Les  olticiers  désireux  de  j:)reudre  part 
au  concours,  ouvert  chaque  année,  à 
partir  du  mois  de  janvier,  dans  toute  la 
France,  adressent  leur  demande  aux 
commandants  de  corps  d'armée  ayant 
toute  autorité  pour  refuser  le  droit  de 
subir  les  examens  à  ceux  des  postulants 
dont  les  aptitudes  ou  les  notes  ne  leur 
paraîtraient  pas  sul'tisantes. 

Subies  au  chef-lieu  de   chaque  corps 


OFFICIER     DU     CORPS     I)ETAT-MAJf)R 
Deuxième  Empire.  —  Tenue  de  campagne. 

d'armée,  les  épreuves  écrites  précèdent 
d'un  mois  environ  les  examens  oraux, 
qui  se  passent  à  Paris.  Une  fois  termi- 


(I  R  A  X  D  E      TE  N  U  E 

nées,  les  compositions  écrites  sont  en- 
Noyées  sous  scellés  au  ministère  de  la 
guerre,  d'où  elles  sont  adressées  au  cor- 
recteur chargé  de  les  annoter  et  de  les 
c-lasser. 

Alin  de  soustraire  le  correcteur  au 
reproche  qui  pourrait  lui  être  fait  de 
favoriser  le  travail  de  tel  ou  tel  candidat, 
les  copies  ne  sont  pas  signées.  Le  nom 
de  l'auteur  figure  seulement  sur  un 
papillon,  qui  est  détaché  au  ministère, 
après  avoir  reçu,  ainsi  que  la  composi- 
tion, un  numéro  d'ordre. 

Allez  donc,  au  milieu  de  quatre  à  ciiu| 
cents  copies,  découvrir  le  travail  de 
M.  X...  !  C'est  à  ce  point  impossible 
qu'un  candidat  lui-même,  au  cours 
d'une  visite  qu  il  faisait  à  un  général 
chargé  de  la  correction  des  compositions 
d'histoire,  ayant  été  autorisé  par  ce 
dernier  à  rechercher  sa  copie  au  milieu 
de  la  liasse  énorme  placée  sur  le  bureau, 
fut  contraint,  à  la  suite  de  vaines 
recherches,  de  déclarer  son  impuissance. 

Il    s'écoule    habituellement    un    Ion"- 


I/KC.OLK    SUl'ilHIKUHK    1)K    (U'KHin-: 


663 


mois  entre  les  examens 
oraux  et  la  publication  à 
VOIJicicl  de  la  liste  des 
*  admissibles.  Pendant  ce 
temps,  chaque  candidat 
rejoint  sa  garnison,  atten- 
dant anxieusement  le 
résultat  de  ses  compo- 
sitions. 


Enfin  la  liste  paraît; 
arrivant  de  tous  les 
points  de  la  France,  les 
admissibles  se  présentent 
à  ri'xole  militaire  où  se 
passeront  les  épreuves 
orales. 

Si  jamais  l'expression 
dépreuves  fut  justement 
appliquée,       c'est      sans 
contredit     à    la    période 
des    examens    oraux,    et    tel    candidat, 
arrivé  bien  portant,  a  rejoint  sa  garnison 
complètement    anémié,      ayant     fourni 
—  le    nombre   semblera  exagéré  — jus- 
qu'à dix-sept  heures  de  travail  par  jour. 

Pendant  quatre  semaines,  les  candi- 
dats se  succèdent  de  quatre  jours  en 
quatre  jours  devant  différentes  commis- 
sions. 

A  la  tète  de  chacune  d'elles,  préside 
un  général  auquel  est  adjoint  un  certain 
nombre  d'officiers  supérieurs.  Les  ques- 
tions sont  posées  par  les  professeurs  de 
l'Kcole. 

l.a  manière  de  se  présenter,  les  notes 
des  chefs  de  corps  obtenues  au  cours 
de  la  carrière,  les  réponses,  tout  entre 
en  ligne  de  compte  pour  déterminer  la 
décision  du  jury,  (^e  que  sachant,  uni- 
formes, gants  blancs,  etc.,  tout  sera 
irréprochable  dans  la  tenue  du  candidat, 
le  jour  où  il  affrontera  le  terrible  aréo- 
page. 

Le  dernier  examen  a  clos,  à  quatre 
heures'  du  soir,  un  mois  après  son 
ouverture ,  la  période  des  examens 
oraux.  Transmises  à  la  direction  des 
études,  les  notes  données  dans  le  cours 
de   la  journée  vont   permettre  d'arrêter 


P  A  V  I  L  L  0  X 
(■  E  X  T  R  A  L 


définitivement    la    liste    de    réception. 

Dans  le  couloir  qui  précède  le  cabinet 
du  colonel  commandant  en  second 
l'École,  les  officiers  candidats,  la  plu- 
part en  civil  cette  fois,  attendent  la 
lecture  du  classement. 

Minutes  pleines  d'anxiété,  s'il  en  fût, 
surtout  pour  ceux  qui,  ayant  subi  trois 
fois  les  épreuves,  se  verront,  mais  d  une 
façon  définitive  cette  fois,  privés  du 
droit  de  concourir.  Car  si,  autrefois,  le 
nombre  de  concours  que  le  même  offi- 
cier pouvait  subir  n'avait  d'autres 
limites  que  la  volonté  du  commandant 
de  corps  d'armée,  il  n'en  est  plus  de 
même  depuis  que  le  ministre  a  limité  à 
trois  cette  faculté. 

Enfin    une    porte    s'est    ouverte  ;    un 


LK(]OLE    SUPERIEURE     DE    GUERRE 


par  le  minisire  de  la 
guerre,  supputent  les 
chances  restantes  de 
s'entendre  nommer! 
Délinitivement  lixés 
sur  leur  sort,  les  ofli- 
ciers  rejoignent  leurs 
garnisons  respectives; 
car  c'est  seulement 
au  mois  de  novembre 
prochain  que  sduvri- 
ront  pour  les  nou- 
veaux reçus  les  portes 
de  l'Ecole. 


I.    APPEL 
DES 
CANDIDATS      A 


ofticier  supérieur  paraît  et  successive- 
ment appelle,  par  ordre  de  mérite,  les 
candidats  admis.  Quelle  émotion  se 
peint  alors  sur  le  visage  de  quelques-uns 
qui,  à  mesure  que  se  rapproche  le 
numéro   80,   limite   annuellement    fixée 


*  ])e     même     qu'à 

Saint-Cyr,  l'ensemble 
des   officiers  reçus   la 
"  ""  même    année   est    dé- 

signé sous  le  nom  de 
promolion.  Mais  si,  à 
l'Ecole  spéciale   mili- 
taire,', il  est  d'usage  de 
distinguer    entre    elles    les    promotions 
d'un  nom   rappelant  un   fait  d'armes  ou 
encore  la  conquête  coloniale  de  l'année, 
c'est  par  un  numéro  d'ordre    que    cette 
distinction  s'établit  à  l'École  de  guerre  ; 
c'est  ainsi  que  la  vingt-troisième    pro- 


i/Kcoi.K  sr  i>KH  iKiin-:   ni-;  c.  i;i:i',  hk 


66& 


iiKilion    il    liiil   sou  t'iitréi'  celk'  année. 


Inslalléi'  clans  la  majeure  partie  des 
bàliineuls  de  THcole  militaire,  l'Kcole 
supérieure  de  guerre  a  été  organisée  de 
manière  à  permcllre  à  deux  années 
trétudes  de  suivre  leurs  cours,  d'exé- 
euter  leurs  travaux  sans  aucune  gêne 
réciproque. 

A  cet  eilet,  il  a  été  allccté  à  chaque 
promotion  un  bâtiment  dillërent,  dans 
lequel  on(  été  organisés  amphithéâtres, 
salles  d'examens  el  de  travail.  Disposés 
à  angle  droit  sur  la  partie  de  lEcole 
opposée  à  celle  en  façade  sur  lavenue 
de  La  Motte-Piquet,  le^deux  bâtiments 
prennent  jour  réciproquement  soit  sur 
la  cour  Besnard,  soit  sur  la  cour  Lepom- 
mier,  que  sépare  Tune  de  Tautre  la  cour 
d'honneur  d'un  bâtiment  central. 

Ce  bâtiment,  dont  l'une  des  plus  belles 
salles  est  celle  dite  des  Maréchaux,  a  son 
premier  étage  habité  par  le  général  com- 
mandant l'École,  le  rez-de-chaussée  étant 
allecté  à  une  superbe  bibliothèque. 

Quant  aux  logements  particuliers  du 
personnel  de  l'Ecole  ainsi  que  des  offi- 
ciers-élèves, l'Ecole  militaire  n'ayant 
pas  été  aménagée  à  cet  effet,  les  uns  et 
les  autres  ont  dû  y  pourvoir  à  l'exté- 
rieur. C'est  ainsi  que  la  plupart  des 
immeubles  des  avenues  avoisinantes 
comptent  parmi  leurs  locataires  un 
membre  de  notre  Ecole  délat-major. 


Pendant  la  première  partie  de  cha- 
cune des  deux  années  d'études,  c'est- 
à-dire  du  mois  de  novembre  au  milieu 
de  mai,  les  officiers  détachés  (c'est  ainsi 
que  sont  désignés  les  officiers  qui  sui- 
vent les  cours  de  l'Ecole  de  guerre) 
assistent  à  des  cours  professés  à  l'am- 
phithéâtre ou  se  préparent,  par  des 
exercices  d'application  sur  la  carte 
d'état-major,  à  mettre  en  pratique  sur 
le  terrain,  durant  la  belle  saison,  l'en- 
seignement théorique  donné  pendant 
l'hiver. 

J-es  cours  professés  pendant  ces  deux 


semestres  ont  trait  à  la  tactique  des  trois 
armes,  infanterie,  cavalerie,  artillerie,  à 
l'histoire  et  la  géographie  militaire,  la 
fortification  et  la  topographie. 

(Chacune  de  ces  différentes  branches 
est  enseignée  par  un  professeur  titulaire 
ou  son  adjoint. 

Choisi  avec  le  plus  grand  soin,  le 
corps  enseignant  se  compose  générale- 
ment de  sujets  d'élite  que  de  solides 
études,  des  travaux  antérieurs  remar- 
quables ont  signalés  à  l'attention  du 
ministre  comme  pouvant  être  un  jour 
chargés  de  cours  à  l'Ecole  supérieure 
de  guerre. 

A  une  grande  facilité  d'élocution, 
tous  joignent  une  très  grande  netteté 
dans  les  idées,  et  les  conférences  de 
quelques-uns  sont  à  ce  point  intéres- 
santes que  le  général  et  les  autres  pro- 
fesseurs se  font  un  plaisir  dv  assister  en 
amateurs. 

Certainement,  parmi  toutes  ces  bran- 
ches de  l'instruction  militaire,  quelques- 
unes —  telles  que  la  fortification,  dédai- 
gneusement traitée  de  harhelte  —  offrent 
peu  d'attrait,  et  les  conférences  en 
seraient  sûrement  carottées  si  un  lieu- 
tenant-colonel, dont  le  rôle  est  de 
s'assurer  de  l'assiduité  de  chacun,  ne 
rappelait,  par  une  invitation  à  se  pré- 
senter à  son  cabinet,  à  l'officier  trop 
peu  zélé  que  «  tout  a  son  importance 
à  l'Ecole  supérieure  de  guerre  ». 


Confiée  à  un  certain  nombre  de  capi- 
taines du  cadre  des  écuyers  de  Sau- 
mur,  ayant  à  leur  tête  un  chef  d'esca- 
dron ,  l'instruction  équestre  de  nos 
officiers  a  été  l'objet  de  soins  tout  parti- 
culiers et  l'examen  d'entrée,  très  sévère 
déjà,  n'est  que  le  prélude  de  nombreux 
exercices  auxquels  les  candidats  au 
brevet  d'élat-major  seront  soumis. 

A  cet  effet,  ou  a  réparti  les  officiers 
d'une  même  promotion  en  un  certain 
nombre  de  groupes ,  d'après  les  notes 
obtenues  à  l'examen  d'entrée.  C'est  ainsi 
que  les  cavaliers,  les  artilleurs  et  quel- 
ques rares  officiers  d'infanterie  forment 


666 


L'ÉCOLE    SUPERIEURE    DE    GUERRE 


l'une  des  reprises.  Pour  ceux-là,  nulle 
diiliculté.  L'instructeur  n'aura  qu'à  sur- 
veiller la  méthode  de  dressage  employée 
ou  perfectionner  les  connaissances  éques- 
tres de  ses  élèves. 

Quant  à  la  généralité  des  ofliciers  d'in- 
fanterie, auxquels  l'habitude  du  cheval, 
faute  d'éléments  suffisants  dans  leurs 
garnisons    réciproques,   fait    en    grande 


Les  chevaux  de  l'École  sont  excel- 
lents. Quelques-uns  jouissaient  autrefois 
d'une  détestable  réputation  ;  l'un  d'eux, 
notamment,  à  un  certain  moment  de  la 
leçon,  et  quelle  que  fût  l'allure  de  la 
reprise,  s'arrêtait  brusquement  pour  se 
dresser  sur  ses  membi'es  postérieurs. 

C'était  aussitôt  le  sig'nal  d'une  déban- 
dade générale;  affolés,  tous  les  chevaux 


V0YAC4ES     DE     L'ÉCOLE      DE     GUERRE 


SÉANCE      DE      CROQUIS 


partie  défaut,  ils  foi-ment  un  groupe  à 
part. 

Au  début,  l'instructeur  leur  montre 
les  principes  et  parcourt  ensuite  succes- 
sivement avec  eux  toutes  les  phases  de 
l'instruction. 

Dans  le  but  de  les  habituer  à  n'im- 
porte quelle  monture,  il  leur  est  assi- 
gné, à  chaque  séance,  un  cheval  difFé- 
rent.  Les  premiers  jours,  les  moins 
solides  sont  fréquemment  désarçonnés. 
Chutes  plutôt  heureuses,  puisque  c'est 
à  ce  prix  seulement,  prétend-on,  qu'on 
devient  un  cavalier  consommé!...  Le 
cheval,  d'ailleurs,  s'arrêtant  invariable- 
ment après  avoir  déposé  son  cavalier, 
ces  chutes  n'offrent  aucune  gravité. 


se    rejetaient    au    milieu    du     manège. 

Que  de  cavaliers  déplacés  et  souvent 
de  chutes  invraisemblables!... 

La  méthode  d'instruction  suivie,  toute 
progressive,  donne  d'excellents  résultats; 
car,  au  bout  de  quelques  mois,  à  peu 
d'exceptions  près,  tous  les  officiers  sont 
suffisamment  solides  pour  franchir,  sans 
étriers,  les  obstacles,  tels  que  haies, 
barres,  placés  à  cet  effet  dans  le  manège. 

Mais  le  mois  de  février  a  fait  sa  réap- 
parition et  avec  les  beaux  jours  une 
nuée  de  cavaliers,  dont  des  officiers  de 
tous  grades,  de  toutes  armes  constituent 
la  majorité,  sillonnent  en  tous  sens  les 
avenues  Henri-Martin  et  du  Bois-de- 
Bouloene. 


LKcoiJ-;  sr  im;h  I  i;ij  li  !•:   dk   (UJKHmi-: 


Trois  fois  par  semaine,  à  partir  de 
celle  époque,  les  ofliciers  de  TKcole 
jouissent  de  Taulorisalion  de  se  joindre 
à  la  foule  élégante. 

Deux  par  deux,  se  succédant  à  de 
};randes  dislances,  nos  lulurs  ofliciers 
d'élat-major,  heureux  de  secouer,  pour 
un  malin,  l'épaisse  poussière  du  manèj^^e, 
remontent  les  avenues  jusqu'aux  portes 
du  bois. 

Se  groupant  ensuite  d'après  leurs 
j;oiits,  leurs  relations,  les  uns  et  les 
autres  gagnent  l'allée  préférée,  le  coin 
habituel  ou  bien  encore  se  joignent  au 
parent,  à  l'ami  qu'aura  tenté  une  che- 
vauchée au  bois,  par  cette  belle  mati- 
née de  printemps. 

Peu  après,  les  obstacles  élevés  tout 
autour  du  tir  aux  pigeons  sont  le  ren- 
dez-vous de  nos  amis.  Débouchant  de 
chaque  allée,  tous  viennent  exercer  leurs 
montures  au  saut  de  la  haie,  au  fran- 
chissement d'un  fossé. 

Quelques  cavaliers  civils  apparaissent 
également  ;  lamour-propre  de  chacun 
se  pique  :  il  se  forme  bientôt  un  petit 
steeple-chase  dans  lequel  civils  et  ofti- 
ciers  rivalisent  à  qui  mieux  mieux. 

Pour  le  plus  grand  honneur  de 
MM.  les  ofiiciers  de  l'Ecole  de  guerre, 
le  Président  de  la  République,  qui,  on 
le  sait,  fréquente  assidûment  le  bois, 
n'a  pas  craint,  gagné  par  tant  d'entrain, 
de  donner,  à  son  tour,  l'exemple  de  la 
hardiesse  à  cheval,  en  poussant  sa  mon- 
ture au-devant  des  obstacles. 


Une  l'ois  à  IT'x-ole  de  guerre,  il  y  au- 
rait à  craindre  qu'au  milieu  de  tant  de 
travaux,  d'exercices  divers  les  officiers 
qui  ont  dû,  pour  être  admis,  justifier  de 
la  connaissance  de  la  langue  allemande, 
n  en  arrivent  à  perdre  les  fruits  de  nom- 
breuses années  d'étude.  Pour  remédier 
à  cet  inconvénient,  un  certain  nombre 
de  professeurs  doivent,  par  des  exercices 
de  conversation,  entretenir  et  j)erfec- 
tionner  au  besoin  les  officiers. 

Hemplavant  la  Campagne  de  France, 
ou   encore   l'indispensable   Hermann  et 


Dorothée,  les  gazettes  allemandes,  voire 
même  les  Flieçjende  lilœller,  donnent 
cette  fois,  à  ces  cours-conférences,  un 
allrail  tout  nouveau. 

iMilin,  dans  le  but  de  généi-aliser  la 
langue  de  nos  alliés,  on  a  organisé,  deux 
fois  par  semaine,  un  cours  facultatif  de 
russe,  qu'un  grand  nombre,  malgré  le 
surcroît  de  travail,  suivent  assidûment. 


Comme  conséquence  du  rôle  cpi'il 
jouera  dans  un  état -major,  l'officier, 
à  sa  sortie  de  l'I'^cole  de  guerre,  doil 
être  en  mesure  de  tirer  parti  des  troupes 
de  toutes  armes. 

Il  ne  faudrait  pas  que,  faisant  partie 
de  l'état -major  d'un  général  de  divi- 
sion, loflicier  de  cavalerie,  frais  émoulu 
de  l'Ecole,  vînt  à  soumettre  à  l'appro- 
bation de  son  chef  un  ordre  au  cours 
duquel  il  demanderait  au  malheureux 
fantassin,  déjà  chargé  de  son  sac  et  de 
nombreux  autres  accessoires,  une  vitesse 
de  marche  supérieure  à  un  rendemenl 
moyen. 

C'est  dans  le  but  de  les  familiariser 
avec  des  troupes  d'armes  diflerentes 
qu'on  a  pris  les  mesures  suivantes  : 

Une  compagnie  d'infanterie  est  mise 
à  la  disposition  des  officiers  des  armes 
montées,  qui,  chacun  à  leur  tour,  y  rem- 
plissent les  fonctions  des  dilTérents  grades. 

A  la  tête  du  peloton  de  cavalerie  que 
la  place  de  Paris  met,  pendant  trois  se- 
maines, à  sa  disposition,  l'officier  d'in- 
fanterie ,  que  sa  monture  emporte,  à 
toute  allure,  à  travers  le  champ  de  ma- 
nœuvre de  Bagatelle,  se  sera  sans  doute 
cru,  ne  serait-ce  qu'un  éclair,  hussard 
ou  dragon  !... 


Pendanl  leur  séjour  à  l'École,  les 
officiers  visitent  à  peu  près  tous  les  ou- 
vrages et  établissements  militaires  pou- 
vant leur  offrir  un  intérêt  quelconque. 

Ces  jours-là,  la  cartoucherie  de  \'\\\- 
cennes,  la  poudrerie  de  Sevran-Livrv 
renouvellent  leurs  plus  brillantes  expé- 
riences. 


6(i8 


L  ÉCOLE    SUFhRIEUHE    DE    C.l'EP.UE 


Se  faisant  belle  pour  l'École  de  guerre, 
la  fortification  elle-même  se  montre  à 
nos  officiers  sous  l'aspect  dun  des 
j)!us  imj)ortants  ouvraf;cs  du  camp  re- 
Iranchc  de  Paris. 

De  tontes  ces  visites,  la  |)lus  intéres- 
sante, sans  conteste,  est  celle  ([ui  a  lieu 
à  la  gare  des  Chantiers  el  au  parc 
d'aérostiers  de  Versailles.  Dès  une  heure 
de  l'après-midi,  les  abords  de  la  j^are  de 
la  rive  gauche ,  si  mornes  habituelle- 
ment, ont  pris  une  animation  inusitée. 
Breaks  aux  formes  inexpi-imables,  mas- 
sives voitures  de 
sapeurs,  dont  un 
servant  d'artillerie 
n'envierai l  pas  le 
mode  de  suspen- 
sion ,  ils  sont  là 
au  nombre  de 
trente  à  quarante, 
se  déroulant  sur 
une  longue  file, 
Ions  les  véhicules 
que  l'École  du  gé- 
nie de  Versailles 
met  à  la  disposi- 
tion des  visiteurs. 

Chacun  ayant 
réussi  tant  bien 
tpie  mal  à  se  caser, 
la  lourde  colonne 
s'ébranle,  au  trot 
des  chevaux,  vers 
le  lieu  choisi  pour 

les  expériences.  Que  de  mélinite  con- 
sommée ce  jour-là,  pour  montrer  les  clas- 
siques destructions  des  voies  ferrées!... 

Et  combien  doivent  maugréer  les  sa- 
j^eurs  auxquels  incombe  un  tel  surcroît 
de  travail  !... 

La  construction  d'une  voie  ferrée,  le 
lancement  ra})ide  d'un  pont  sont  égale- 
ment montrés,  expliqués  à  nos  officiers. 

Mais  la  partie  la  plus  attrayante  du 
programme  est  la  visite  faite  à  un  su- 
perbe ballon  qui  se  balance  sous  un 
immense  hangar  et  dont  un  capitaine 
de  génie  indique  la  manœuvre. 

Les  explications  terminées,  le  cicé- 
rone  met,   si   le  temps   est   calme,    une 


place  de  sa  nacelle  à  la  disposition  du 
plus  aventureux  de  ses  auditeurs. 

Désigné  par  sa  faible  corpulence,  c'est 
le  cavalier  léger  de  la  promotion  qui, 
généralement,  jouit  de  l'honneur  de  faire 
l'ascension. 

A  un  signal  donné,  le  câble  se  déroule 
et  le  capitaine  ainsi  que  son  invité  pla- 
nent à  deux  cents  mètres  au-dessus  du 
sol. 

Quand  il  atterrit,  l'aéronaute-amateur 
essaye,  en  vain,  de  dépeindre  à  ses  ca- 
marades   S'oj^uenards     les    mille    sensa- 


G  K  N  É  11  A  L     ET     OFFICIER     D  '  É  T  A  T  -  M  A  .1  0  R     DANS     LES     ALPES 


fions  agréables  éprouvées  à  s'élever  si 
rapidement  dans  les  airs.  Malgré  cet 
enthousiasme  apparent,  sa  mine  toute 
bouleversée  du  mal  de  mer  démontre 
que  les  voyages  à  travers  les  airs  de- 
mandent un  certain  entraînement. 

* 
*    # 

Plus  que  partout  ailleurs,  la  colle, 
sans  laquelle  nulle  école  militaire  ne 
pourrait  exister,  fonctionne  régulière- 
ment pour  nos  futurs  brevetés. 

Groupés,  ces  jours-là,  à  la  porte  de 
la  salle  où  se  passe  la  terrible  confes- 
sion, chacun  attend  son  tour  de  sellette 
et,    invariablement,   chaque  fois   qu'un 


I/KCOM']    SU  l'i:i{  I  i:iM!K    1)K    c.uiiuiu-: 


6f)0 


nouveau  délivré  apparaît,  les  mêmes 
(pieslidiis  se  posent .  —  «  Qu'avcz-vous 
eu?  »  —  <>  ("f)mni(Mil  ave/.-vous  ré- 
j)ondu?  »* 

Préoccupés  de  leur  elassenienl,  dont 
dépendra  leui"  f^ai-nison  future  à  la  sortie; 
i\c  riù'ole,  beaucoup  se  laissent  hypno- 
tiser par  la  note  qui,  bien  que  n'étant 
pas  communicpiée,  a  des  conséc[ucnces 
si  importantes. 

Cette  raison,  lamour-propre  personnel 
et  beaucoup  aussi  Fardent  désir  de 
s'instruire  font  de  nos  officiers  tle  ter- 
ribles bûcheurs. 


Les  beaux  jours  revenus,  élè\es  dans 
leurs  conversations,  professeurs  à  l'am- 
phiLhéâtre,  il  n'est  plus  question  à 
l'Ecole  que  des  voyages  à  faire  au  cours 
de  l'été.  Tous,  habitués  à  une  très  grande 
activité,  à  une  existence  au  grand  air, 
aspirent  à  fuir,  dans  une  envolée  géné- 
rale, les  murs  où  s'écoule  une  existence 
qui  leur  paraît  si  sédentaire. 

A  partir  du  15  mai,  l'Ecole  de  guerre 
fonctionne  partout  ailleurs  qu'à  Paris, 
et  le  malheureux  trésorier,  chargé  de 
remettre  à  chacun,  professeur  ou  élève, 
les  fonds  qui  lui  sont  nécessaires,  a 
fort  à  faire  avec  ces  perpétuels  départs. 

Une  grande  partie  des  voyages  se  fait 


à  cheval.  A  cet  ellVl,  groupés  en  déta- 
chements, les  chevaux  tie  Fb^cole  sont 
conduits  par  des  cavaliers  de  manège 
au  point  de  dé|)art  du  premier  voyage, 
généralement  situé  à  une  ou  deux  étapes 
de  Paris.  Quant  aux  officiers,  répartis 
en  un  certain  nombre  de  groupes  se  suc- 
cédant à  tour  de  nMe,  ils  se  retrouveid 
à  des  dates  fixes  aux  différentes  gares 
de  Paris,  d'où  ils  s'embarqueront  pour 
la  localilé  où  s'est  terminé  le  voyage 
précédent  et  (pii  doit  être  le  point  de 
départ  du  leur. 

D'étape  en  étape,  le  détachement  se 
porte  en  avant  jusqu'au  jour  où,  le 
voyage  terminé,  chacun  quitte  sa  mon- 
ture, qui  sera  affectée  à  un  officier  du 
groupe  suivant. 

Grâce  à  une  sage  répartition,  chaque 
officier  peut,  entre  deux  voyages  consé- 
cutifs, jouir  de  quelques  jours  de  repos. 
Quant  aux  chevaux,  leur  nombre  étant 
restreint,  ils  restent,  à  moins  d'indispo- 
nibilité, absents  de  l'Ecole  pendant  près 
de  quatre  mois. 

Chaque  soir,  dans  une  salle  mise  gi'a- 
cieusement  par  la  mairie  à  leur  disposi- 
tion, les  officiers  se  réunissent  pour  sou- 
mettre au  professeur  le  travail  de  la  jour- 
née et  prendre  connaissance  du  thème 
tactique,  sujet  de  travail  de  la  matinée 
du     lendemain     et     dont      ils     sui\i'ont 


()70 


LÉCOLE    SrrÉIUEURE    DE    Gt^ERRE 


(^ÉXÉRAL      ET     OFFICIERS     D  '  É  T  A  T  -  M  A  .1  O  R      EN      CAMPAGNE 


le  (!éveloj)penient  sur  le  terrain  même. 

Sanelion  judicieuse  aux  études  théo- 
l'iques  de  l'hiver  :  sans  disposer  de  la 
moindre  troupe,  uniquement  d'après  le 
lorrain  euvisaf;é  au  point  de  vue  de  la 
silualiou  dans  laquelle  on  se  suppose 
placé,  nos  officiers  arriventparla  penséeà 
l'aire  manœuvrer  des  efï'eetifs  importants, 
à  leur  donner  des  ordres  successifs. 

Malgré  ces  fatigues,  cette  existence  a 
du  bon  et  tel  qui,  le  même  jour,  après 
avoir  supporté  une  chaleur  accablante, 
aura  eu  ses  effets  trempés  par  une  pluie 
ballante,  déclarera  qu'il  préfère  cette 
aili\ité  à  la  période  d'hiver. 


La  topographie  a  reçu  une  large  part 


dans  linslruction  donnée  à  l'École  de 
guerre  et  les  voyages  qu'on  lui  consacre 
sont  fort  appréciés,  en  raison  de  la 
liberté  dont  jouissent  les  officiers. 

Il  y  a  deux  ans,  la  ville  de  Ham  reçut, 
pendant  une  huitaine  de  jours,  un  groupe 
d'officiers  venus  pour  exécuter,  sur  les 
bords  de  la  Somme,  un  travail  de  ce 
genre. 

Chaque  malin,  dès  six  heures,  nos 
topographes  se  dispersaient  dans  la  cam- 
pagne, se  rendant,  qui  à  bicyclette,  qui 
en  voiture,  sur  le  terrain  de  son  travail. 
La  matinée  était  entièrement  consacrée 
à  profiler  des  courbes  ou  à  mesurer,  au 
pas,  routes  et  chemins. 

Vers  midi,  on  se  retrouvait  par  groupes 
de  Irois  ou  quatre,  dans  une  auberge  du 


I.  ECOLE    Sl'PÉlilEUHE    DE    (lUEHHE 


671 


voisiiiaj^'c,  où  était  préparé  un  dînt'i- 
dont  le  nieiiii  ne  senihlail  tcMiir  aufiiii 
compte  (lu  travail  cpie  les  coin  ives  de- 
\aieiit  exécuter  ra])rès-nii(ii. 

Il  l'aisait  (Tailleurs  li-llenient  chaud  et 
Ion  avait  tant  travaillé  déjà  (juaucun 
des  couvives  ne  |U"oteslail  contre  l'excès 
de  zèle  de  rexcellente  leniuie,  (|ui,  toute 
lière  de  posséder  de  pareils  hôtes,  avait 
mis  les  petits  plats  dans  les  grands. 

Tue  l'ois  la  j^rosse  chaleur  tombée, 
nos  amis  sonj^'eaienl  à  reprendre  la  tâche 
interrompue;  mais  combien  pénible, 
cette  l'ois  I...  Nul  ne  se  sentait  le  courage 
de  coui'ir  les  champs.  (.)u  choisissait 
alors  une  haie  à  l'ombre  de  laquelle 
chacun  s'iustallait,  aussi  commodément 
que  possible,  pour  exécuter  le  croquis 
de  la  contrée  euviromiaute. 

Le  dessin  perspectif  étant  eu  très 
grand  honneur  dans  l'armée,  beaucoup 
d'officiers  de  l'Ecole  de  guerre  tiennent 
à  joindre,  à  leurs  travaux  de  topographie 
pure,  un  certain  nombre  de  croquis,  ou 
vues  perspectives,  généralement  fort 
bien  exécutés  d'ailleurs. 


\a\  géographie  a  eu  sa  large  part  dans 
l'instruction  professée  à  TEcole  de  guerre 
et  les  conférences  de  l'hiver  trouvent 
une  sanction  pratique  dans  des  voyages 
d'une  qoinzaine  de  jours  environ  exécu- 
tés au  cours  de  la  belle  saison. 

A  tout  seigneur,  tout  honneur,  et  les 
régions  qui  reçoivent  les  visites  de  nos 
futurs  ofliciers  d'état-major  sont  —  bien 
entendu  —  les  frontières,  qui  oITrent  ac- 
tuellement le  plus  d'intérêt. 

C'est  ainsi  que,  la  première  année 
d'école,  chaque  promotion  reconnaît  les 
Vosges  dans  tous  ses  détails,  le  voyage 
de  deuxième  année  se  faisant  sur  la  fron- 
tière des  Alpes. 

Pour  leur  commodité  personnelle,  les 
voyageurs  ont  été  autorisés  à  faire  usage, 
au  cours  de  ces  voyages,  d'effets  bour- 
geois. Comme  il  est  reconnu  que  la  meil- 
leure façon  d'apprendre  la  géographie 
d'un  pays  consiste  à  le  parcourir  autant 
que  possible   à    pied,  vous  jugez   si,  sa- 


chant cpi'il  fréfpientera  n'importe  quel 
chemin  par  n'inqiorte  quel  tenq>s,  Tofli- 
cier  endosse  le  veston  à  la  dernière  mode 
ou  si  son  chapeau  de  paille  est  de  la 
première  IVaichcur  !. .. 

(a>s  dernières  années,  l'ini  d'eux  se 
présentait,  à  la  suite  d'une  très  longue 
marche,  couvert  de  poussière,  les  sou- 
liers horriblement  crottés,  dans  le  meil- 
leur hôtel  de  Pont-à-Mousson. 

Une  pareille  mise  chez  un  pension- 
naire que  ne  recommandait  aucune  va- 
lise parut  si  peu  engageante  au  maître 
d'hôtel  que,  malgré  sa  situation  qu'il 
déclina,  le  nouveau  venu  dut  payer  d'a- 
vance, avant  de   trouver  place  au  logis. 

Depuis  quelques  années,  plusieurs  offi- 
ciers utilisent  pour  ces  voyages  la  bicy- 
clette ou  même  le  tricycle  à  pétrole,  quitte 
à  s'atteler  à  sa  machine  quand  il  s'agit 
de  gravir  une  pente  sérieuse.  Mais  ces 
moyens  de  locomotion  sont  impossibles 
dans  les  Alpes  et  nos  officiers  seraient 
exposés  à  de  longues  et  pénibles  marches 
si,  au  moment  de  leur  arrivée,  les  com- 
mandants des  bataillons  alpins,  dont 
l'amabilité  est  devenue  proverbiale,  ne 
se  faisaient  un  plaisir  de  mettre  quelques 
mulets  à  leur  disposition. 


Quelle  que  soit  l'arme  à  laquelle  il 
appartient,  l'officier  détaché  à  l'Ecole 
est  tenu  d'assister  aux  exercices  de  tir 
d'un  régiment  d'artillerie.  Ecoles  à  feu 
qui  ont  lieu,  chacun  le  sait,  dans  de 
grands  camps  consacrés  à  cet  usage. 

A  cet  effet,  dès  le  commencement  de 
mai,  une  liste  circide  sur  laquelle  cha- 
cun, d'après  son  rang  d'ancienneté,  s'in- 
scrit, indiquant  i)ar  ordre  de  préférence 
le  régiment  désiré. 

Malgré  une  pointe  de  jalousie  facile 
à  comprendre,  les  nouveaux  venus  sont 
accueillis  avec  la  plus  grande  cordialité 
par  leurs  camarades  des  régiments  et 
leur  arrivée  donne  souvent  lieu  à  une 
réception  où  le  Champagne  coule  à  flots. 

Il  était  même  d'usage  dans  un  régi- 
ment du  sud-est  d'oH'rir  un  rallye  aux 
officiers  de  l'I'x-ole  le  lourde  leur  arrivée. 


LKCOLK    SUPÉRIEURE    DE    C.UERRE 


Quelques-uns  des  camps  crarlillerie 
ôtant  situés  à  proximité  crune  voie  ferrée, 
nos  officiers  profitent  de  cette  circon- 
stance pour  visiter  le  dimanche  les  loca- 
lités intéressantes  des  environs. 

Quelquefois  aussi  les  plaisirs  offerts 
par  le  hasard  sont  d'une  nature  plus 
mondaine. 

Tels,  un  après-midi,  à  Toulouse,  à 
l'époque  de  la  fête  aux  allées  Lafayette, 
(|uelques  officiers,  probablement  en 
i^aieté  à  la  suite  d'un  excellent  dhier, 
tout  émerveillés  de  la  beauté  des  Tou- 
lousaines ,  sollicitèrent  dans  un  bal 
champêtre  la  faveur  de  les  faire  danser. 

Quel  excellent  souvenir  nos  amis  ne 
conservèrent-ils  pas  de  cette  partie  ! 
Car,  rentrés  à  l'Ecole,  leurs  conversa- 
lions  ne  tarirent  plus  sur  ce  sujet!... 


Le  dernier  voyage  terminé,  tandis  que 
les  ofliciers  de  la  promotion  sortant  se 
rendent  pour  les  manœuvres  dans  un 
état-major  où  ils  seront  à  bonne  école 
pour  mettre  en  pratique  ce  qu'ils  auront 
appris  pendant  leurs  deux  années  d'étude, 
ceux  faisant  leur  première  année  rejoi- 
gnent, au  contraire,  un  régiment  d'une 
arme  dilférente  de  la  leur. 

Ayant  conservé  un  excellent  souvenir 
de  leur  séjour  aux  écoles  à  feu,  ces  der- 
niers se  font  une  joie  de  retrouver  des 
camarades  de  régiments,  sur  lesquels 
ils  comptent  pour  apprendre  par  le 
menu  les  détails  d'un  métier  qu'ils 
ignorent  en  grande  partie. 

Du  jour  où  commence  leur  détache- 
ment, chacun  des  ofliciers  de  l'Ecole 
apporte,  dans  son  service,  le  zèle  du 
militaire,  fanatique  de  son  métier. 

Dans  le  but  unique  de  faire  les  étapes 
à  côté  de  la  troupe,  de  partager  ses 
fatigues,  on  a  vu  fréquemment  des  caj)i- 
laines  de  cavalerie  ou  d'artillerie  relé- 
guer leur  monture  à  la  queue  des 
colonnes,  alors  que  le  capitaine,  dans 
1  infanterie,  est  régulièrement  monté. 

Quant  à  l'officier  d'infanterie,  il  fait 
très  bonne  figure  à  la  tête  du  peloton 
ou  de  l'escadron  dont  on  lui  a  donné  le 


commandement.  Et,  lors  de  leur  visite, 
aux  dernières  grandes  manœuvres  du 
Nord,  le  cortège  du  roi  de  Siam  et  du 
Président  de  la  République  eut  pour 
escorte  un  escadron  de  cavalerie  que 
commandait  un  capitaine  d'infanterie 
de   riv-ole  de  iiuerre. 


Les  manœuvres  ont  pris  fin  par  une 
revue  d'honneur;  le  dernier  escadron 
s'est  envolé  dan.s  un  nuage  de  pous- 
sière, après  avoir  salué  du  sabre  le 
directeur  qui  disparaît,  là-bas,  suivi  de 
son  brillant  état-major. 

•  Pour  les  troupes,  c'est  la  dislocation; 
pour  quelques  heureux,  la  classe;  pour 
les  officiers  de  l'Ecole,  l'autorisation  de 
rentrer  à  Paris. 

Ils  sont  donc  enfin  terminés,  ces  quatre 
mois  de  dure  campagne  !... 

Aussi  de  quelle  quiétude  s'endormira 
ce  soir,  en  wagon,  l'officier  de  la  jeune 
promotion  !  Il  lui  faudra,  pour  le  tirer 
de  ce  profond  sommeil,  la  voix  de  l'em- 
ployé qui,  au  petit  jour,  en  ouvrant 
son  compartiment,  lui  rappellera  qu'on 
est  à  Paris  et  que  «  tout  le  monde  des- 
cend ». 

En  sera-t-il  de  même  pour  lofficier 
qui  doit  quitter  définitivement  l'Ecole 
dans  quelque  temps  ?  Probablement 
non  !  Car,  tandis  que  les  premiers  vont 
pouvoir  jouir  de  quelque  répit,  jusqu'au 
mois  de  novembre  prochain,  il  restera 
aux  autres,  avant  d'avoir  droit  à  un 
repos,  à  subir  le  terrible  examen,  de- 
vant le  comité  dispensateur  du  brevet, 
sans  lequel  nul  n'est  officier  d'état- 
major. 

Dès  leur  retour  à  Paris,  les  derniers 
se  remettent  au  travail.  Les  visages  per- 
dent rapidement  de  leur  fraîcheur, 
l'anémie  fait  quelque  ravage  ;  mais,  baste! 
le  coup  de  collier  final  donné,  un  congé 
de  trois  mois  ne  sera-t-il  pas  là  pour 
remettre  chacun  en  état  et  faire  oublier 
cette  terrible  période  dont  dépendra  la 
mention  <■  très  bien  »  ou  «  bien  »? 

Dli      UOMANK. 


YVETTE     GUILBEUT 


Si  nous  négligeons  un  nombre  inlinic 
(le  représentations  de  Z)ecoré^ de  Meilhac, 
oïl  elle  reprit  le  petit  rôle  de  la  comtesse 
(^arinti  abandonné  par  M""  Jeanne  Grou- 
zet,  c'est  au  20  octobre  IHHH  qu'il  faut 
Hxer  la  date  de  l'apparition  au  firma- 
ment parisien  de  l'étoile  d'Yvette  Guil- 
bert,  qui  ne  brillait  pas  alors  d'un  éclat 
bien  vif.  On  reprenait,  ce  soir-là,  Barhe- 
Bleiie,  d'Oirenbach,   aux  Variétés,  avec 


CINQ     ANS 

Dupuis,  Baron,  Christian,  et  Jeanne  Gra- 
nier,  pour  la  première  fois,  dans  le  rôle 
de  Boulotte.  Le  lendemain,  la  presse 
fut  unanime  à  ne  pas  souffler  mot  de 
M"'-'  Yvette  Guilbert,  chargée  du  rôle 
d'Héloïsc,  la  première  femme  de  Barbe- 
Bleue,  rôle  modeste  s'il  en  fut.  Il  se  bor- 

VIII.  —  4.3. 


nait,    outre    quelques    ensembles,    à   ce 
simple  couplet  : 

C'est  moi  jadis  qui,  la  première. 
Entrai  dans  ce  boudoir  fatal. 
Puis,  après  une  année  entière, 
II  nie  délaissa,  l'animal  ! 
Maintenant,  N,  I,  Ni,  fini  ! 

11  n'y  avait  évidemment  pas  de  quoi 
soulever  l'enthousiasme  d'une  salle  ;  aussi 


QUINZE    ANS 

Qniuze  ans,  ô  Roméo  !  L'âge  de  Juliette... 

Yvette  Guilbert  passa-t-elle  parfaitement 
inaperçue  ce  soir-là  ;  il  en  fut  de  même 
deux  mois  plus  tard,  lors  de  la  première 
représentation  de  la  Japonaise,  d'Albert 
Millaud,  où  elle  jouait  M'""  Boisvernis, 


G'i 


YVETTE    GUILBERT 


VINGT     ANS    —   TRANSFORMATION 


suivie  d'une  prompte  reprise  de  Mam'- 
zelle  Nitouche,  où  elle  ne  réussit  pas 
davantage  à  faire  son  trou. 

Tenace  quant  au  but  à  atteindre,  mais 
voyant  la  nécessité  de  changer  de  che- 
min, Yvette  s'orienta  vers  le  café-con- 
eert.  Le  succès  qu'elle  y  obtint  dès  les 
premiei^s  soirs,  elle  le  dut  certes  à  ses 
dons  personnels,  à  son  originalité,  à  son 
intelHgence,  à  sa  bonne  humeur;  et 
aussi,  disons-le,  à  la  lassitude  du  public 
écœuré  des  fastidieuses  redites  d'un 
répertoire  titubant  entre  la  niaiserie  et 
l'ordure  que  venaient  de  galvaniser, 
pour  le  laisser  plus  insipide  encore,  les 
pas  redoublés  de  M.  Paulus,  le  Tyrtée 
du  boulangisme. 

Gantée  de  noirjusqu'à  l'épaule,  Yvette 
apportait  à  la  foule  assoiffée  de  nou- 
veauté le  répertoire  de  Bruant,  mais 
en  évitant  de  prendre  ses  violentes  dia- 
tribes empuanties  d'un  socialisme  d'es- 
taminet et  les  Chansons  sans  gêne  de 
Xanrof,  qui  débutait  dans  la  littérature 
gaie  après  un  court  passage  dans  la  poli- 


tique, où,  en  qualité   d'attaché,  il  avait 
eu  deux  ministres  tombés  sous  lui. 

On  croit  généralement  et  on  répète 
volontiers  que  M"*^  Yvette  Guilbert  a 
l'ait  ses  débuts  dans  le  genre  de  café- 
concert  au  Concert  Parisien.  En  réalité, 
le  petit  music-hall  fut  une  étape  dcfirii- 


ÊPOQUE     DES    PREMIERSESSAIS 

tive,  mais  non  pas  la  première,  dans  la 
carrière  de  la  jeune  artiste.  Précédem- 
ment elle  s'était  fait  entendre  à  l'Eldo- 
rado,  au  Moulin-Rouge,  au  Jardin  de 


YVETT1-:    GlILliEirr 


673 


Paris,  et  le  succès  la  guellait  au  Divan 
Japonais,  dont  Jean  Sarrazin,  «  le  poète 
aux  olives  ».  avait  tenté  de  faire  un  ca- 
hi'.rel  arlislique,  une  concurrence  au 
(Jial-Noir;  mais,  tandis  que  les  femmes 
ont  toujours  été  bannies  du  cénacle  de  la 
nie  ^'i('lor-Massé,  il  leur  ouvrait  toutes 


grandes  les  portes  de  celui  qu'il  fondait 
dans  le  haut  de  la  rue  des  Martyrs,  et, 
pour  son  coup  d'essai,  il  n'eut  pas  la 
main  malheureuse. 

<(  Figurez-vous  une  salle  carrée,  assez 
vaste,  où  le  Japon  n'était  guère  repré- 
senté que  par  l'absence  de  divans,  quel- 
ques lanternes  vénitiennes  au  plafond 
et  le  long  des  murs  vaguement  peintur- 
lurés des  épisodes  de  la  guerre  du  Ton- 
kin.  Pas  de  scène,  pas  de  coulisses.  Seu- 
lement, au  fond  de  la  salle,  une  estrade 
de  quelques  pieds  carrés  à  laquelle  on 
accédait  par  deux  escaliers  latéraux.  En 
guise  de  rideau,  un  de  ces  stores  japo- 
nais faits  de  baguettes  de  bambou  et  de 
perles  enfilées  fermait  d  une  façon  ap- 
proximative la  scène  aux  spectateurs  de 
face,  mais  la  laissait  ouverte  à  ceux  des 


Sur  l'affiche. 


LA     RÉVÉLATION 


Sur  la  scèae. 


676 


YVETTE    G  U  I  L 15  E  H  T 


deux  côtés.  »  Voilà  ce  quVHnil   le  Divan 
Japonais. 

Un  des  premiers  panégyristes  d  Yvette 
a  fait  d'elle  ce  portrait,  qui  est  plutôt  une 
caricature  macabre  :  «  Elle  est  grande, 
élancée  ;  sa  physionomie,  très  mobile, 
est  animée  par  un  regard  tout  à  la  fois 


■'■m^ 


k 


->^ll^. 


YVETTE    NATURE 


câlin  et  décidé.  Ses  pommettes  sail- 
lantes creusent  sous  ses  yeux  des  trous 
d'ombre  qui  lui  donnent  Fattrait  d'une 
jeune  et  souriante  tète  de  mort.  «  Si 
elle  n'avait  pas  eu  d'autres  atouts  dans 
son  jeu,  la  pauvrette,  qui  avait  déjà 
perdu  les  parties  engagées  avec  la  for- 
tune sur  diverses  scènes,  aurait  végété  à 
Montmartre  comme  au  boulevard. 

Quand  on  lui  demande  à  quoi  elle 
attribue  ce  revirement  dans  sa  desti- 
née, elle  répond  :  «  Mon  Dieu  !  c'est  bien 
simple  :  il  faut  oser  demander  un  ca- 
chet sérieux.  De  plus,  vous  prenez  une 


paire  de  gants  très  noirs,  mais  de  vrais 
gants    noirs    très    longs  ;    vous    mettez 
dedans   deux    grands  bras   long-s   aussi, 
autant    que    possible,   que   vous   laissez 
pendre  négligemment  sur  votre  ventre, 
à  hauteur  convenable.  Ça  c'est  la  grande 
affaire,  la  hauteur!  Vous  vous  en  servez 
très  peu  de  ces  longs  bras  noirs, 
inutde    de    les    fatiguer.   Vous 
prenez,  entre  autres  choses,  un 
air  très  embêté,   et   le   public, 
qui   est   très  bon,  très  bon,  se 
dit  :    >(  Ah!    voilà    une    petite 
femme    qui   est  bien    gentille. 
Elle  est  terriblement  ennuyée, 
cette  petite  femme-là,  elle  vient 
quand  même  nous  chanter  uiî 
petit    air.    Ça,   c'est    vraiment 
très  bien  !  »  Il  faut  aussi  nasiller 
à   point;  quand  on  se  sert  du 
nez,  ça  épargne  la  gorge,  et  c'est 
toujours    autant    de    gagné,  il 
faut    penser    à    tout.     Inutile 
d'étudier  ses  chansons,  le  souf- 
lleur  est  là  ;   et  même    de    les 
comprendre,   c'est  l'afTaire   du 
public,  cela.   Il  faut  aussi  s'ar- 
rêter    quelquefois     entre     les 
vers.   —  A  la  Comédie-Fran- 
çaise, on   appelle  cela  prendre 
des  temps.  —  Evitez  autant  que 
possible  que  le  temps  ne  coupe 
un    mot  en  deux,    et    encore  ! 
Cela  n'a  pas  une  importance... 
non!    Enfin,   ce   n'est  rien  du 
tout  qu  un  peu  d'intelligence... 
de     la     sérénité,     du     calme. 
Assurez    aux    directeui's  que  vous   êtes 
accablée  de  talent,  qu'il  est  sous  la  peau, 
qu'il  va  sortir...    tout  est    là.    Puis    on 
sourit,  salue  et  sort.  » 

Ceci  est  le  développement  spirituel 
d'un  paradoxe  imaginé  par  l'artiste  arri- 
vée. Mais  il  serait  cruellement  ironique 
de  le  répéter  comme  un  encouragement 
aux  malheureuses  qui  abordent  la  car- 
rière. Yvette  en  convient  de  bonne  grâce 
quand  on  lui  rappelle  ses  années  de  dé- 
buts antérieures  môme  à  l'engagement 
à  150  francs  par  mois  des  Variétés. 
La  meilleure  manièi^e  d'être  fixé  sur 


YVETTE    GUILHEKT 


677 


celle  période  de  vaclic  eiii;ij^éc,  c'esl  en- 
core de  lui  demander  de  l'aire  appel  à  ses 
souvenirs,  elle  y  consenl  de  bonne  grâce. 
Oui,  elle  en  a  nian}^"é  de  la  vache  enra- 
f^l'ée,  et  de  la  plus  coriace;  son  estomac 
soulTrait  dautanl  plus  de  celte  nourri- 
lure  indigesle  que,  pendant 
ses  jeunes  années,  elle  avait 
connu  mieux  que  1  aisance. 
Sa  mère  avait  une  vraie 
petite  fortune  de  plusieurs 
centaines  de  mille  francs, 
que  son  père,  joueur  impé- 
nitent, mangea  en  peu 
d'années  jusqu'au  dernier 
sou.  Courageusement  elle 
se  mit  à  travailler  non  pas 
seulement  pour  vêtir  et 
nourrir  sa  fillette,  mais  pour 
lui  assurer  une  éducation 
irréprochable.  Yvette  qui, 
en  femme  pratique,  a  l'ha- 
bitude de  jalonner  sa  con- 
versation de  chiffres  précis, 
affirme  qu  elle  n'a  jamais 
coûté  annuellement  moins 
de  2,000  francs  en  leçons, 
cours  ou  frais  de  pension. 
Sa  mère  réussit  à  créer 
une  sorte  de  manufacture 
de  chapeaux  de  femmes  où 
elle  occupa  jusqu'à  quatre- 
vingts  ouvrières.  Yvette 
n  était  pas  la  moins  fictive; 
courbée  sur  son  ouvrage  de 
sept  heures  du  matin  à  neuf  *-'•  <•"»""• 

heures  du  soir,  elle  ne  sor- 
tait   que    pour     porter     les 
commandes   dans    les    grands   magasins 
ou  étudier  au  dehors  des  modèles  nou- 
veaux. 

«  Hélas!  fail-elle  niéhincoli([uement, 
celte  prospérité  relative  cessa  brusque- 
ment: manière,  surmenée,  devint  presque 
aveugle,  elle  dut  suspendre  tout  travail 
et  abandonner  son  entreprise.  Trop  jeune 
pour  la  suppléer,  j'acceptai  une  place 
de  vendeuse  au  Printemps,  ^^ous  voyez 
d'ici  ce  que  je  pouvais  gagner.  Mais, 
pour  comble  de  malchance,  je  ne  pus 
tenir  à  ce  mélier,  qui  obligea  rester  de- 


bout toute  la  journée.  J'étais  minée  par 
l'anémie,  sur  laquelle  était  venue  se 
greffer  une  gastralgie.  Ah!  nous  avons 
eu  de  durs  moments!  Ma  mère  travail- 
lait à  de  menus  ouvrages  de  broderie 
qui  achevaient  de  lui  abîmer  les  yeux. 


YVETTE      COQUETTE 

Et  pourtant  jamais  je  ne  perdis  complè- 
tement courage.  J'entrevoyais  le  théâtre 
comme  un  idéal  lointain.  Mais  le  moyen 
d'y  arriver?  Dans  ma  guigne  persis- 
tante, j'eus  la  bonne  fortune  d'être  pré- 
sentée à  Sari,  le  directeur  des  Folies- 
Bergère.  Vous  l'avez  connu,  l'excellent 
homme ,  qui  de  son  passage  chez 
Alexandre  Dumas  avait  retenu  l'art  de 
dépenser  et  d'obliger  sans  compter.  Il 
ne  pouvait  me  proposer  un  engagement 
au  milieu  de  ses  saltimbanques  et  de  ses 
phénomènes,  mais  il    m'invita    à   venir 


678 


YVETTE    GUIIJÎERT 


YVETTE     SONGEUSE 


souvent  chez  lui,   dans  cette  propriété 
de  Vaux  que  j'ai  achetée  depuis.  » 

C'est  chez  Sari,  dans  ce  milieu  de  gens 
de  théâtre,  que  «  l'étoile  en  herbe  »  de- 
vait trouver  des  aboutissants  pour 
atteindre  son  but,  la  carrière  drama- 
tique. Le  critique  Edmond  Stoullig, 
dont  l'obligeance  est  proverbiale,  se  vit 
particulièrement  sollicité  de  lui  décou- 
vrir un  professeur  de  déclamation.  Il 
l'adressa  à  Landrol,  du  Gymnase,  un 
comédien  expérimenté,  un  metteur  en 
scène  éminent,  qui,  dès  la  première 
leçon,  écrivit  à  Stoullig  qu'il  avait  ra- 
rement rencontré  une  élève  aussi  intel- 


ligente. Cela  se 
passait  en  1886. 
Au  bout  de  quel- 
ques semaines 
d'études,  Landrol 
recommandait 
Yvette  Guilbert 
au  directeur  des 
Bouffes -du-  Nord. 
On  fut  vite  d'ac- 
cord, la  débutante 
acceptant  de  jouer 
à  l'œil.  Du  premier 
coup  elle  dut  ap- 
prendre le  rôle  de 
M'^MeNeversdans 
la  Reine  Margot  y 
cinq  cents  lignes  : 
«  Je  ne  sais  pas, 
dit-elle,  comment 
j'ai  pu  apprendre 
tout  ça.  Le  pre- 
mier soir  oîi  il  me 
fallut  le  débiter, 
j'avais  le  trac  de 
rester  en  plan  à 
chacune  de  mes 
tirades,  je  croyais 
qu'on  allait  être 
obligé  de  baisser 
le  rideau.  Sans  m'en 
rendre  compte,  je 
passais  d'un  côté 
du  théâtre  à  l'autre 
en  trois  enjambées,. 
les  gardes  attachés 
à  ma  personne  étaient  obligés  de  prendre 
le  trot  pour  me  suivre.  » 

M.  Léon  Marx,  le  directeur  du 
théâtre  Cluny,  en  quête  d'une  actrice 
au  rabais  pour  jouer  le  principal  rôle 
dans  Rigohert,  l'enleva  à  son  collègue 
du  faubourg  Saint-Denis.  Enfin  elle  tou- 
cha des  appointements,  mais  dérisoires, 
soixante  francs  par  mois,  et  pas  long- 
temps d'ailleurs.  De  là  elle  alla  aux  Nou- 
veautés, à  cent  cinquante  francs.  Elle 
ne  put  réussir  à  jouer  que  dans  les  levers 
de  rideau.  Or  chacun  sait  que  le  public 
parisien  n'arrive  jamais  que  pour  la 
grande  pièce.   Une    artiste    vouée    aux 


YVETTE    GUILHKHT 


679 


vaiulevilles  géné- 
ra lemen  L  idiols, 
(|iii  commencent 
le  spectacle,  reste- 
rail  aussi  ignorée 
que  si  elle  exerçait 
sa  profession  à 
Q  u  i  ni  p  e  r  ou  à 
Perpignan. 

Le  théâtre  des 
Variétés  ne  devait 
pas  lui  être  plus 
favorable  ,  nous 
l'avons  vu.  Trop 
avisée  pour  se»faire 
des  illusions,  elle 
en  partit  brusque- 
ment :  ((  Peut-être 
suis-je  trop  laide 
pour  réussir  au 
théâtre,  dit-elleaux 
quelques  amis  que 
lui  avait  conquis 
sa  vaillance.  D'ail- 
leurs le  temps  que 
je  me  suis  donné 
est  expiré.  Voilà 
deux  ans  de  per- 
dus, c'est  assez.  Je 
vais  essayer  du 
café-concert  pen- 
dant deux  nou- 
velles années. 
Après  ça,  N,  I,  NI, 
Fini,  comme  je 
chantais  dans 
Barbe-Bleue.  » 

Il    lui    fallait 
apprendre    le    mé- 
tier, c'est  ce  qu'elle  fit  dans  divers  éta- 
blissements, jusqu'au  jour  où  la  fortune 
vint   la   prendre   par  la  main  au  Divan 
Japonais. 

Encouragée  par  les  compliments  des 
journalistes  et  les  applaudissements  du 
public,  elle  alla  demander  une  audition 
à  M.  Saint-Ange,  qui  dirigeait  l'Eden- 
Concert,  aujourd'hui  disparu,  boulevard 
de  Sébastopol,  à  deux  pas  du  Châtelet. 
Après  l'avoir  entendue  dans  les  couplets 
de  Mamzelle  Gavroche,  cet  imprésario 


YVETTE     SINISTRE 


lui  dit  sur  un  ton  familier  :  «  Tu  n'as 
pas  la  beauté  fatale,  mais  tu  es  quel- 
qu  un.  Je  te  donnerai  six  cents  francs 
par  mois.  » 

Un  louis  par  jour!  C'était  le  rêve 
longtemps  caressé.  Dans  sa  hâte  d'aller 
porter  la  bonne  nouvelle  à  sa  mère,  la 
future  étoile,  ne  trouvant  pas  de  train 
en  partance  à  la  gare  Saint-Lazare,  vou- 
lait faire  à  pied  le  trajet  de  Paris  à  Cour- 
be voie. 

Quelle  joie  d'avoir  enfin  un   numéro 


080 


YVETTE    GUILHERT 


en  bonne  place  clans  le  programme,  de 
chanter  dans  une  grande  salle,  devant 
un  public  enthousiaste,  de  lire  dans  les 
journaux  des  appréciations  flatteuses! 
Sarcey  —  qui  depuis  ne  s'est  pas  toujours 
montré  bienveillant  —  Sarcey,  dans 
ses  comptes  rendus  des  vendredis  clas- 
siques de  rÉden-Concert,  ne  dédaignait 
pas  de  complimenter  la  divette. 

Pourtant  Tappétit  vient  en  mangeant, 
surtout  quand  on  a  eu  longtemps  les 
dents  longues.  Yvette  Guilbert  eut  un 
jour  ridée  triomphante  d'aller  trouver 
M.  Mussleck,  le  directeur  du  Concert- 
Parisien,  et  de  lui  tenir  ce  langage  : 
«  Vos  affaires  ne  vont  pas,  vous  faites 
des  recettes  de  cent  vingt-cinq  francs, 
vous  êtes  à  la  Abeille  de  déposer  votre 
bilan.  Pour  vous  tirer  d'embarras,  pour 
attirer  le  public,  il  vous  faut  un  clou... 
Ce  clou,  ce  sera  moi.  Raclez  vos  tiroirs, 
trouvez  quelques  centaines  de  francs 
pour  faire  coller  des  affiches.  Risquez 
le  paquet,  vous  m'en  direz  des  nou- 
velles. »  M.  Mussleck,  goûtant  la  saveur 
de  ce  raisonnement,  fit  afficher  sur  tous 
les  murs  de  Paris  dix  mille  bandes  mul- 
ticolores portant  ces  simples  mots  : 
Yvette  Guilbert,  Étoile  Fin  de  Siècle, 
au  Concert-Parisien.  La  légende  veut 
qu'il  ait  employé  ses  premières  recettes 
à  des  libéralités  envers  les  journaux. 
Toujours  est-il  que  ces  recettes  dépas- 
sèrent les  prévisions  les  plus  opti- 
mistes. Si  bien  que  d'un  commun  accord 
le  cachet  d'Yvette,  primitivement  fixé  à 
80  francs  par  jour,  fut,  au  bout  d'une 
semaine,  porté  à  300  francs,  et,  au  bout 
d'un  mois,  à  500  francs.  Depuis,  elle 
n'a  jamais  gagné  moins,  et  souvent  elle 
a  été  payée  beaucoup  plus  cher. 

Avec  le  sans-façon  que  comporte  le 
genre,  l'étoile  fin  de  siècle  avait  été  in- 
tercalée dans  la  revue  en  cours  de 
i^eprésentation  Débinons  le  Truc.  Au 
premier  acte,  elle  paraissait  en  bon  rang 
dans  le  défilé  des  actualités  de  l'année, 
chantait  trois,  quatre,  cinq  chansons, 
autant  que  lui  en  demandait  un  public 
enthousiaste  où  étaient  en  nombre  les 
hommes  en  habit,  les  femmes  en  grande 


toilette,  les  uns  et  les  autres  bien  sur- 
pris de  se  voir  dans  cette  salle  enfumée. 
Au  deuxième  acte  elle  faisait  une  imita- 
tion de  Sarah  Bernhardt,  dans  Jeanne 
d'Arc;  acclamations  et  bis  recommen- 
çaient de  plus  belle. 

Fêtards  bruyants  et  pacifiques  habi- 
tués de  rÉden-Concert  étaient  d'accord 
pour  rendre  hommage  à  l'originalité,  à 
la  fantaisie,  à  la  diction  impeccable  de 
la  débutante.  Mais  l'admii'ation  unanime 
se  traduisait  par  les  appréciations  les  plus 
variées  dont  on  trouve  l'écho  dans  \es 
journaux  du  temps.  Quelques-unes  mé- 
ritent d'être  signalées  :  ^-  Elle  est  fine 
et  blonde  ;  son  visage,  gracieux  malgré  la 
dureté  des  pommettes  saillantes  et  vo- 
lontaires, est  illuminé  par  un  regard  mo- 
bile et  câlin.  Dans  ses  attitudes  comme 
dans  sa  façon  de  chanter,  elle  se  montre 
tour  à  tour  simple  et  maniérée,  candide 
et  perverse.  Son  sourire  ironique  d'un 
joli  j'menfichisme  est  comme  l'exégèse 
drolatique  des  énormités  qu'elle  dit  de 
sa  voix  claire  et  mordante. 

Ce  qu'elle  veut  être?  la  Judic,  la  Gra- 
nier,  la  Réjane  des  Variétés  quand  Ré- 
jane,  Granier  et  Judic  n'y  seront  plus... 
Ce  quelle  est?  une  spirituelle,  étour- 
dissante et  originale  diseuse,  méritant 
vraiment  le  succès  que  lui  fait  non  seu- 
lement la  gomme  qui  l'applaudit  beau- 
coup par  chic,  mais  l'engouement  du 
public,  qui  s'y  connaît  plus  qu'on  ne 
croit,  et  n'adopte  pas  sans  raison  une 
nouvelle  diva  de  café-concert.  —  Cette 
jeune  femme  est  une  grande  artiste,  la 
plus  grande  que  nous^  ait  donnée  le  café- 
concert  depuis  l'incomparable  diseuse 
que  fut  Thérésa.  Son  geste  est  sobre  et 
précis,  son  débit  original,  sa  pronon- 
ciation merveilleuse.  Jamais  on  n'inter- 
préta la  chanson  graveleuse  avec  un 
sentiment  aussi  exact  des  convenances, 
jamais  non  plus  on  ne  mit  autant  de 
sous-entendus  scabreux  dans  les  mots 
en  apparence  les  plus  indifférents.  Tout 
le  talent  d'Yvette  Guilbert,  tout  son 
succès  tiennent  à  ce  fait  qu'elle  marche 
comme  une  acrobate  de  la  chanson  sur 
la  corde...  raide,  qui   sépare  la  grivoi- 


YVETTE    (JUILHEHT 


CSl 


LA      \'  U  A  I  E      YVETTE 


série  de  la  pornographie.  Elle  est  à  Taise 
en  ce  domaine  étroit  qu'elle  parcourt 
d  un  pied  sûr,  grâce  à  sa  vive  intelli- 
gence et  à  son  goût  s^ans  défaillance. 

"^  vetle  lancée,  les  dii-ecteurs  se  la 
disputèrent.  M.  Donval  arriva  bon  pre- 
mier et  la  fit  entendre  au  Nouveau- 
Cirque,  une  enceinte  assez  peu  faite 
pour  ce  genre  d'auditions.  Dans  une 
sorte  de  revue   intitulée  Garden-Party, 


on  la  voyait  paraître  tout  à  coup  sur 
une  estrade  d'où  elle  égrenait  les  perles 
de  son  répertoire.  Ce  fut  là  qu'à  propre- 
ment parler  elle  prit  contact  avec  le 
public  parisien.  Dans  une  salle  de  café- 
concert,  l'élément  mondain...  ou  demi- 
mondain  ne  peut  être  qu'une  minorité 
noyée  dans  la  masse  des  habitués; 
exception  faite  naturellement  pour  les 
concerts  des  Champs-Elysées,  où  Yvette 


es2 


YVETTE    GUILBERT 


devait    être    engagée    l'année   suivante. 

Très  peu  après,  en  février  1891, 
M.  Bodinier  voulut  la  présenter  aux 
abonnés  du  Théâtre  d'Application, —  on 
ne  disait  pas  encore  la  Bodinière,  —  avec 
accompagnement  d'une  conférence  de 
M.  Hugues  Le  Roux,  alors  très  en  vogue. 
Réussir  là,  c'était  la  consécration  défini- 
tive par  une  élite  qui  impose  ses  arrêts 
au  Tout-Paris  des  salons...  qu'il  ne  faut 
pas  confondre  avec  le  Tout-Paris  des 
théâtres.  Yvette  Guilbert  passa  sans 
difficulté  ce  cap  dangereux,  sa  fortune 
était  faite.  Un  souvenir  personnel  da- 
tant de  cette  époque. 

Le  soir  où  elle  chantait  pour  la  pre- 
mière fois  dans  Garden-Party,  Yvette, 
que  je  connaissais  depuis  l'époque  où 
elle  fréquentait  chez  Sari,  m'avait  engagé 
à  venir  la  voir  en  camarade;  elle  habi- 
tait alors  rue  Saint-Lazare,  à  deux  pas 
du  Théâtre  d'Application.  Quelques 
jours  plus  tard,  je  sonnai  à  sa  porte;  elle 
me  reçut  dans  un  salon  déjà  encombré 
de  bibelots.  Apercevant  la  carte  cornée 
du  baron  Alphonse  de  Rothschild  sur  le 
coin  de  la  cheminée  : 

—  Mes  compliments!  fis-je. 

—  Il  vient  de  sortir,  répondit-elle.  11 
m'a  apporté  mon  cachet  pour  quelques 
chansons  dites  chez  lui  l'autre  soir. 

—  Combien,  ce  cachet? 

—  Ah  !  voilà  !  quand  il  est  venu,  la 
semaine  dernière,  me  demander  mes 
conditions,  je  lui  ai  répondu  que  je 
m'en  rapportais  à  lui,  et  comme  il  insis- 
tait, je  lui  ai  dit  :  «  Aux  épiciers,  monsieur 
le  baron,  je  prends  mille  francs  ;  pour 
vous,  ça  sera  ce  que  vous  voudrez.  » 
Voilà  ce  qu'il  vient  de  me  laisser. 

Et  d'une  enveloppe  elle  tira  deux 
billets  de  mille  francs. 

Nous  ne  la  suivrons  pas  dans  ses 
tournées  à  travers  la  France,  l'Europe 
et  les  deux  mondes.  Sa  première  pro- 
menade hors  des  frontières,  avant  l'Eden- 
Concert,  avait  parfaitement  réussi.  Les 
bons  Liégeois  sont  très  fiers  de  l'avoir 
fêtée  alors  que  Paris  l'ignorait  encore. 
Ils  se  congratulent  de  ce  que  leur  ville 
a  été  le   berceau  de  sa  réputation  et  de 


son  succès.  Plus  que  Charles-Quint,  qui 
s'honorait  d'être  bourgeois  de  Gand, 
elle  aurait  des  titres  à  être  bourgeoise 
de  Liège. 

Pourtant  il  faut  signaler  sa  tournée  à 
travers  les  Etats  d'Amérique  en  1896, 
qui  dura  six  semaines  et  lui  rapporta 
net  300,000  francs;  il  y  avait  de  quoi 
l'engager  à  y  retourner.  Elle  en  a,  au 
surplus,  ramené  un  mari  :  un  homme  ex- 
quis, dit-elle  toutes  les  fois  qu'elle  parle 
de  lui.  Sa  nouvelle  famille,  qui  lui  a 
fait  le  meilleur  accueil,  est  fort  bien 
posée  à  New^-York;  elle  a  pour  beaux- 
frères  et  neveux  des  membres  du  Parle- 
ment américain,  des  avocats,  des  ingé- 
nieurs, des  architectes. 

Actuellement,  Yvette  est  liée  pour 
tous  les  hivers  avec  M.  Marchand,  di- 
recteur de  la  Scala,  qui  la  fait  parfois 
entendre  aux  Folies-Bergère,  dont  il  a 
également  la  direction  ;  pour  l'été,  avec 
le  Concert  des  Ambassadeurs.  Ici  comme 
là,  elle  touche  25,000  francs  par  mois, 
soit,  avec  les  matinées,  un  peu  moins 
de  800  francs  par  représentation.  Elle 
peut  se  faire  payer  chaque  soir,  avant 
d'entrer  en  scène,  mais  elle  n'use  pas  de 
ce  privilège. 

L'année  de  l'Exposition,  son  cachet 
quotidien  sera  porté  à  1,000  francs,  en 
vertu  d'un  engagement  en  bonne  forme. 

Aux  premiers  jours  de  décembre,  la 
divelte  part  pour  une  tournée  plus  fruc- 
tueuse encore  que  les  précédentes,  en 
Russie,  en  Autriche,  en  Allemagne. 
Outre  le  prix  ferme  de  300,000  francs, 
pour  cent  représentations  données  en 
quatre  mois,  elle  aura  50  pour  100  de 
la  recette,  les  frais  payés,  et  compte 
bien  arriver  de  ce  fait  à  une  dizaine  de 
mille  francs,  certains  soirs. 

Si,  comme  elle  en  a  le  projet,  Yvette 
se  retire  à  la  fin  de  1900,  elle  aura  gagné 
2,800,000  francs.  Il  a  fallu  vivre,  elle 
n'a  pas  tout  conservé  ;  mais,  sachant  le 
prix  de  l'argent,  elle  a  évité  les  dé- 
penses inutiles,  et  puis  il  faut  faire  en- 
trer en  ligne  de  compte  les  placements 
heureux. 

Sa    mère  lui  a  apporté   un  concours 


YVETTE    GUILIÎEUT 


C83 


précieux,  mais  à  ce  point  de  vue  seule- 
ment; pour  les  questions  d'art,  de  mé- 
tier, elle  n"a  jamais  donné  même  un 
conseil...  elle  ne  l'a  pas  entendue  trois 
fois,  en  dehors  de  chez  elle. 

«  Cette    pauvre  mère,    dit-elle   avec 
une  sincérité  qu'on  ne  songe  même  pas 


à  mettre  en  doute  quand  on  la  connaît, 
des  rares  satisfactions  que  me  rapporte 
cet  argent  gagné  maintenant  si  facile- 
ment, la  plus  grande,  c'est  encore  de  lui 
passer  ses  caprices,  ses  fantaisies.  Elle 
n'en  a  plus  guère.  Pourtant,  en  bonne 
Normande  qu'elle  est,   elle  a  un  faible 


684 


YVETTE    GUILBERT 


V\'ETTE     EXI'LIyUANT     LES     INTENTIONS     D'UNE     CHANSON 
A     UNE     FEMME     JOURNALISTE     EN     AMÉRIQUE 


pour  le  lin^e,  le  beau  linge  bien  fin, 
bien  brodé.  Je  lui  en  ai  rempli  des  ar- 
moires. » 

Quand  elle  parle  des  rares  satisfactions 
qu'apporte  Fargent,  Yvette  trouve  natu- 
rellement des  incrédules.  On  lui  objecte 
son  appartement  de  l'avenue  de  Villiers, 
meublé  et  décoré  dans  le  style  Louis  XV 
le  plus  pur,  avec  une  sûreté  de  goût 
impeccable;  sa  ravissante  propriété  de 
Vaux,  où  survit  le  souvenir  du  bon 
Sari,  en  dépit  des  constructions  nou- 
velles. 


Elle  fait  une  moue  dédaigneuse  et 
déclare  que  ce  qu'il  y  a  de  meilleur  en- 
core, c'est  de  faire  des  heureux;  elle 
ajoute,  sans  fausse  modestie  :'  «  Depuis 
dix  ans,  j'ai  donné  250,000  francs  en 
secours  ou  en  aumônes,  sans  parler  na- 
turellement des  fêtes  de  charité  et  des 
représentations  à  bénéfice,  dont  le  pro- 
duit doublerait  cette  somme.  » 

Cette  confidence  faite  dans  le  laisser 
aller  d'une  conversation  familière,  peut- 
être  ne  sera-t-elle  pas  du  tout  satisfaite 
d'en  trouver  l'écho  ici  ;  mais  je  me  suis 


VVKTTH    GUILBEHT 


C«5 


^^^"^Ê^^m^'^;-^^^ 


(Salon  de  1896.) 

LA     LOGE     DE     YVETTE 


La  petit*  cousine  Redelsperger.  Bac. 

de  Kobert.  A.  Ricard. 

UILBERT    —    TABLEAU     DE     HENRI     ALBERTI 


promis  de  faire  connaître  Yvette  Guil- 
bert  sous  tous  ses  aspects  et  de  in  élever 
au-dessus  des  banalités,  des  lieux  com- 
muns et  des  fausses  légendes  qui  déna- 
turent la  physionomie  exacte  des  per- 
sonnalités en  vue. 

Autre  guitare.  —  On  la  croit  assoiffée 
de  réclame,  avide  des  occasions  de  se 
produire,  de  se  mettre  en  évidence  ;  en 
réalité,  elle  a  Tâme  d'une  bourgeoise, 
elle  vit  d'ailleurs  très  bourgeoisement, 
on  ne  la  voit  nulle  part.  Bien  plus,  elle 
a  lappréhension  de  la  foule  ;  le  public, 
même  lorsqu'il  l'acclame,  lui  inspire  une 
appréhension  instinctive.  Si  elle  avait 
eu  le  choix,  elle  aurait  préféré  une  autre 
carrière  dans  laquelle  elle  eût  gagné 
moitié  moins.  Pour  exprimer  le  malaise 
quelle  éprouve  encore  maintenant  cer- 
tains soirs,  elle  disait  un  jour  :  «  Came 
tortille  au  point  que  je  sens  mes  intes- 
tins   qui    font  des  chignons!  »   Que  de 


révélations  du  même  genre  on  pourrait 
faire  sur  elle!  C'est  une  des  femmes 
sur  lesquelles  on  a  le  plus  écrit,  dont  on 
a  le  plus  parlé,  et  qu'on  connaît  le 
moins. 

Ne  vous  la  ligurez  pas  poseuse,  d'a- 
près les  quelques  lignes  quelle  a  écrites 
pour  le  Monde  Moderne.  Cette  pensée, 
dans  sa  forme  énigmatique,  lui  a  été 
inspirée  par  la  nécessité  de  donner  quel- 
que chose  de  soi  en  pâture  à  la  jalousie: 
l'habileté  consiste  à  lui  abandonner  dé- 
libérément une  proie,  pour  l'empêcher 
de  choisir  et  de  mordre  ailleurs,  sur  des 
points  plus  sensibles.  Ainsi  fît  Sarah 
Bei  nhardt  avec  sa  maigreur. 

A  ceux  qui  demandent  pourquoi  son 
succès  —  et  combien  de  fois  ne  s'est- 
on  pas  posé  cette  question!  —  on  peut 
répondre.  Comparez-la  aux  autres  ar- 
tistes du  café-concert  et  avouez  qu'elle 
a  sur  elles  une  supériorité  qui  légitime 


c«o 


YVETTE    GUILBERT 


et  ce  qu'elle  gagne 
et  rengouement 
du  public.  Évi- 
demment, un  ca- 
chet de  800  francs, 
cela  paraît  bien 
gros  pour  quelques 
chansons  ;  mais 
soyez  assuré  que 
les  directeurs  ne 
la  payeraient  pas 
aussi  cher  s'ils  n'y 
trouvaient  pas  leur 
profit.  Dès  que  son 
nom  figure  sur 
l'affiche,  la  recette 
grossit  proportion  - 
nellement  au  sup- 
plément de  frais 
qu'elle  nécessite. 
Voilà  pour  le  ré- 
sultat. Quant  à  la 
cause  de  son  suc- 
cès, il  faut  la  cher- 
cher dans  la  ren- 
contre entre  ce 
talent  fait  d'ironie, 
de  raillerie  pi- 
mentée de  perver- 
sité, et  —  il  faut 
bien  dire  le  mot, 
quoiqu'on  en  ait  j 
abusé  —  la  névrose 
de    notre    époque 

fiévreuse  et  déliquescente.  Son  réper- 
toire... comment  en  donner  une  idée? 
Laquelle  choisir  parmi  ses  centaines  de 
chansons  si  différentes?  Prenons  les 
Jeunes  Mariées,  de  Xanrof,  l'une  des 
meilleures  parmi   les  plus  récentes  : 

C'est  la  c'hniir  qui  va  s'transfornier, 
L'allumett'  qui  va  s'allumer, 
La  fleur  qui  demain  s'ou\rira, 

Ah  !  ah  !  —  Ah  1  ah  ! 
Au  premier  baiser  des  rosées. 
Les  jeun's  mariées. 
Y  en  a  qu'est  comme  des  morceaux  d'bois, 
D'aut's  pleiu-'nt  comme  un  cerf  aux  abois. 
D'autres  fredonn'nt  le  :  «  Ça  ira!  » 
Elles  veul'nt  avoir  l'air  renseignées, 
Les  jeun's  mariées! 

Ces  couplets ,    choisis   à   grand'peine 


parmi  les  moins  inconvenants,  se  chan- 
tent sur  une  sorte  de  mélopée  lente  et 
monotone  que  la  diva  coupe  de  sursauts 
brusques,  sans  jamais  abandonner  sa 
diction    nette    et    martelée. 

Vous  désirez  évidemment  connaîtra 
la  part  de  collaboration  d'Yvette  dans 
les  couplets  toujours  inédits  qu'elle 
chante.  Eh  bien,  sachez-le,  exception 
faite  pour  les  poètes  d'un  talent  reconnu, 
ses  chansonniers  développent  et  riment 
le  plus  souvent  des  idées  à  elle,  encore 
lui  arrive-t-il  fréquemment  de  modifier 
les  vers...  comme  la  musique  d'ailleurs. 
\'oici,  dans  cet  ordre  d'idées,  un  sou- 
venir de  son  séjour  en  Amérique. 

Elle    avait  été   frappée    de    la    façon 


Y  \' ET  TE    (ÎUILHERT 


(iS7 


dont  les  lilleLles  de  dix  à  douze  ans, 
employées  dans  les  magasins  de  nou- 
veautés, crient  cash!  (caisse),  en  accom- 
pagnant les  clientes.  Cash!  ce  mot  sec 
articulé  sur  un  Ion  nasal  et  criard  par 
des  centaines  de  petites  bouches  fait 
songer  à  une  serre  pleine  de  perro- 
quets. 

«  Or,  fait-elle,  lidée  me  vint  que  Ion 
pourrait  écrire  une  chanson  en  prenant 
pour  thème  ce  mot  caisse,  prononcé 
sans  trêve  par  ces  enfants  de  dix  ans. 
—  D'abord  une  fillette  jolie,  commen- 
çant sa  vie  de  misère  en  criant  du 
matin  au  soir  dans  le  brouhaha  du  ma- 
gasin :  Caisse  !  —  Puis,  quittant  le  tra- 
vail pour  la  galanterie...  Caisse!  à 
plusieurs  couplets.  —  Enfin,  sur  le  point 
de  mourir,  recevant  les  secours  de  la 
religion  et  criant,  au  moment  de  passer 
l'octroi  divin,  ce  mot  significatif  en 
diable:  caisse!  C'est  ce  que  j'ai  expliqué 
à  une  femme  reporter,  miss  Samson.  » 

La  préoccupation  du  renouvellement 


incessant  de  son  répertoire  n'est  pas  le 
moindre  souci  de  l'infatigable  artiste. 
Elle  tente  dans  ce  moment-ci  une 
évolution  vers  le  genre  dramatique  ; 
le  public  paraît  d'ailleurs  l'y  encou- 
rager; mais  ce  n'est  là  qu'un  premier 
pas  dans  une  carrière  nouvelle  où 
M'""  Yvette  (iuilbert  désire  ardemment 
cueillir  d'autres  lauriers.  D'ici  à  quelques 
années  nous  la  verrons  peut-être  jouer 
les  héroïnes  d'Alexandre  Dumas  fils, 
succéder  à  Sarah  Bernhardt,  devenir  la 
Duse  française.  Seulement  il  faut  pré- 
parer le  terrain  à  longue  échéance.  Rien 
n'est  difficile  comme  de  donner  de  nou- 
velles habitudes  au  public:  s'il  attend 
des  gaudrioles,  il  ne  faut  pas  songer  à 
lui  offrir  autre  chose.  Polin  se  ferait 
siffler  s'il  s'avisait  de  chanter  des  chan- 
sons patriotiques.  Y  serait-elle  excel- 
lente, Yvette  Guilbert  ne  peut,  du  jour 
au  lendemain,  se  montrer  dans  la  Dame 
aux  Camélias. 

C.     DE    Né  RONDE. 


YVETTE,     PAR    TOULOUSE-LAUTREC 
D'après  le  journal  le  Rire. 


LE     CAPITOL E 


TOULOUSE 


La  ville  de  Toulouse,  par  sa  position 
^géographique,  a  eu  de  tout  temps  une 
importance  de  premier  ordre.  Elle  com- 
mande, en  effet,  la  haute  plaine  de  la 
Garonne  et  se  trouve  à  mi-chemin  de 
risthme  qui  sépare  l'Océan  de  la  Médi- 
terranée, et  son  importance  stratégique 
n'a  eu  d'égale  que  son  importance  com- 
merciale. Aussi  de  tout  temps  a-t-elle 
été  l'entrepôt  de  tous  les  pays  qui  l'en- 
tourent, recevant  aussi  bien  les  marchan- 
dises de  l'Orient  que  celles  de  l'Occident. 

D'un  autre  côté,  la  chaîne  des  Pyré- 
nées forme  pour  elle  une  barrière  effi- 
cace et  qui  l'a  toujours  protégée  contre 
les  invasions  du  Midi. 

A  Toulouse  peut  s'appliquer  mieux 
qu'à  toute  autre  cette  formule  quasi 
banale  :  son  origine  se  perd  dans  la  nuit 
des  temps.  L'homme,  en  effet,  a,  dès  les 
premières  civilisations,  reconnu  et  oc- 
cupé les  points  de  celte  importance,  et 
son  coup  d'œil  ne  l'a  jamais  trompé. 

Aujourd'hui,  âge  du  tourisme,  elle 
sert  de  halte  aux  voyageurs  qui  visitent 
le  Midi,  aux  malades   qui  vont  deman- 


der la  santé  aux  eaux  thermales  des 
Pyrénées.  Par  sa  physionomie  pitto- 
resque et  toute  spéciale  elle  offre  un 
attrait  tout  particulier,  réunissant  en 
elTet  tous  les  progrès  de  la  vie  moderne 
aux  séductions  des  œuvres  du  temps 
passé.  C'est  ainsi  que  Montalembert, 
dans  une  lettre  célèbre  à  Victor  Hugo, 
disait  que  :  «  Toulouse  présente  l'as- 
pect d'une  de  ces  villes  de  paysage 
du  xv^  siècle ,  dominée  par  une  foule 
de  clochers  pyramidaux  et  "d'immenses 
nefs,  hautes  et  larges  comme  des  tentes 
plantées  par  une  race  de  géants  pour 
abriter  leurs  descendants  affaiblis.  Tou- 
louse est  une  ville  qui  mérite  au  plus 
haut  point  l'attention  du  voyageur,  ne 
fût-ce  qu'à  cause  du  grand  nombi-e  de 
ruines  qui  la  parent  encore  et  qui  ont 
conservé,  au  milieu  de  leurs  humilia- 
lions,  tant  d'importantes  traces  de  leur 
antiquité.   » 

Le  premier  centre  d'occupation  de 
Toulouse  primitive  s'élevait  au  sud- 
ouest  de  la  ville  actuelle,  sur  le  coteau 
de    Pech-David  ;    comme    toujours  ,    la 


TOULOUSK 


689 


lÉ^r^ 


liilni  gauloise    des  V'olkes    avait    établi 
on  ce  lieu   une  sorte  de  bourgade,  lieu 
(le   refuge  en   cas  d'attaque,  de  rassem- 
blement   lors    des 
expéditions     Orga- 
nisées par  ces  peu- 
plades  remuantes. 

Mais  comme 
dans  bien  d'autres 
localités,  le  plateau 
de  Vieille-Toulouse 
fut  abandonné  et, 
plus  tard,  ses  habi- 
tants se  rapprochè- 
rent des  bords  du 
fleuve,  trouvant  là 
un  chemin  naturel 
pour  leurs  excur- 
sions aventureu- 
ses. Superstitieux 
comme    toutes    les 

races  primitives,  ils  consacraient  aux 
dieux  les  masses  dor  qu'ils  enlevaient 
de  tous  côtés  et  les  enfouissaient  dans 
les  mares  sacrées.  C'est  là  que  le  consul 
Cépion,  en  106  avant  Jésus-Christ,  bat- 
tit les  Volkes;  après  avoir  pillé  la  ville, 
les  Romains  desséchèrent  les  marais 
sacrés  et  s'emparèrent  de  l'or  de  Tou- 
louse. Peu  de  temps  après,  la  défaite 
de  Cépion  par  les  Cimbres  fut  regar- 
dée comme  une  punition  des  dieux  ir- 
rités de  cette  profanation,  et  l'on  dit 
désormais  des  malheureux  accablés  par 
les  catastrophes  qu'ils  avaient  de  l'or  de 
Toulouse. 

Toulouse  devint  rapidement ,  sous 
1  influence  civilisatrice  de  Rome,  une 
cité  très  prospère  ;  les  poètes  célébrèrent 
ses  écoles,  et  les  succès  de  ses  rhéteurs 
lui  firent  donner  par  Martial  le  surnom 
de  Pal/adia,  ville  de  Minerve,  cité  Pal- 
ladienne,  dont  elle  s'enorgueillit  encore. 

Les  architectes  du  pays  s'emparèrent 
de  la  brique  et  de  la  tuile  romaines,  qu'ils 
n'ont  plus  abandonnées  et  qui  étonnent 
encore  les  habitants  du  Nord,  comme 
elles  surprenaient  déjà  le  poète  Ausone  : 

Coclilibus  mûris  quant  circuit  ambitus  ingens. 

Pendant  longtemps   la  ville   nouvelle 
VIII.  -  44. 


fut  reliée  à  la  vieille  Toulouse  par  une 
voie  des  tombeaux;  un  cimetière  termi- 
nait au  levant  ces  alignements  funèbres 


P  O  X  T     DE     I'  I  E  R  U  E 

au  lieu  dit  de  Saint-Roch.  Aux  derniers 
jours  de  février,  chaque  famille  appor- 
tait des  offrandes  sur  les  tombeaux  :  des 
marchands  de  toute  sorte  s'installaient 
aux  abords  de  Saint-Roch  et  la  tradition 
vivante  de  ces  antiques  cérémonies  s'est 
conservée  jusqu'à  nos  jours  sous  le  nom 
de  ferelra,  transformé  en  fenetra. 

Toulouse  était  tellement  assimilée  aux 
Romains  et  César  fit  entrer  tant  de  Tou- 
lousains au  Sénat  que  Cicéron  craignit 
un  instant  pour  la  pureté  de  la  langue  de 
\'irgile.  Malgré  leur  accent  provincial, 
les  Toulousains  tinrent  avec  honneur  la 
place  qui  leur  était  faite. 

Le  christianisme  fut  accueilli  avec 
une  faveur  marquée  par  toute  la  popu- 
lation, et  les  chrétiens  étaient  déjà  nom- 
breux lorsque  le  pape  Fabien  envoya 
1  évêque  Saturnin  diriger  les  nouveaux 
convertis;  mais  les  intrigues  du  grand 
prêtre  réussirent  à  ameuter  les  idolâtres 
contre  le  saint  évêque  et  il  fut  marty- 
risé :  attaché  à  la  queue  d'un  taureau 
sauvage  ;  sur  son  tombeau  s'élève  en- 
core  l'insigne  basilique  Saint  -  Sernin. 

L'empire  ne  survécut  que  peu  de 
temps  au  paganisme  et  les  Barbares 
démolirent  peu  à  peu  le  vieil  édifice  : 
en  419,  l'empereur  Honorius  était  obligé 


690 


T  0  U  L  O  U  S  E 


de  céder  aux  Msigoths  Toulouse  et  tout 
son  territoire,  et  pendant  plus  d'un  siècle 
elle  fut  la  capitale  des  rois  barbares; 
mais,  en  508,  les  Francs,  conduits  par 
Clovis,  s'emparèrent  du  pays  et  Tou- 
louse devint  le  chef-lieu  de  l'Aquitaine 
franque. 

Après  bien  des  vicissitudes,  Toulouse 
passa  sous  la  domination  des  comtes  et 
conserva  une  indépendance  entière  jus- 
qu'au  milieu   du   xni''  siècle  :   ce  fut  la 
période    la    plus    brillante    de     tout    le 
moyen  âge.  A  la  gloire 
militaire  acquise   par 
ses    comtes    dans    les 
croisades  et  dans  les 
guerres  auxquelles  ils 
furent      mêlés,     vint 
s'unir    la   vitalité  des 
institutions     munici- 
pales,   qui    furent    la 
note     distinctive     du 
comté    de    Toulouse. 
La  prospérité  de  la 
ville  s'accrut  avec  une 
rapidité     surprenante 
grâce       à       l'entente 
absolue  entre  le  pou- 
voir et  la  population. 
Celle-ci,     à     la     fois 
active  et  intelligente, 
avait     appris     peu    à 
peu,   et  surtout    pen- 
dant l'absence  de  ses 
souverains  en  Terre - 
Sainte,  à  compter  sur 
elle,     à   s'administrer 
elle-même,  à   agir  de 
son     propre     mouve- 
ment  :    aussi     avait- 
elle     été     amenée     à 
constituer    vin   centre 
communal    qui    diri- 
geait    tout     sous     la 
tutelle     bienveillante 
des    comtes.    L'un 
d'eux,    Alphonse,    fa- 
vorisa de  tout  son  pouvoir  cette  éman- 
cipation   et    reconnut   les    vingt-quatre 
consuls  qui  prirent  le  nom  de  capitouls, 
du  nom  du  chapitre   capitulum,   où  ils 


s'assemblaient  :  Cc^yj/Vu/um  qui  fut  trans- 
formé plus  tard  en  Capitole. 

L'hérésie  des  Albigeois  vint  mettre 
un  terme  à  cette  période  glorieuse  :  le 
peuple  avait  accueilli  avec  ferveur  cette 
croyance  venue  d'Orient,  qui  expliquait 
le  douloureux  problème  de  la  vie  par  la 
lutte  de  deux  principes  également  puis- 
sants du  bien  et  du  mal. 

D'un  autre  côté,  la  richesse  si  rapi- 
dement venue  avait  produit  un  relâche- 
ment  des    mœurs ,  que    la    poésie    sen- 


■  :  f 


ANCIENNE  PORTE  DU  CAPITOLK 


suelle  des  troubadours  entretenait  chez 
les  grands,  pendant  que  le  peuple  se 
jetait  tête  baissée  dans  une  doctrine  qui 
prêchait  la  révolte. 


TOULOrSK 


691 


A  plusieurs  reprises  TÉglise  essaya 
^l'arrêter  la  doctrine  hérétique,  mais 
reulraincment  était  irrésistible,  et  les 
comtes  de  Toulouse  l'aNoriscrent  ouver- 
tement les  sectes  nouvelles. 

De  là  la  croisade  des  Albigeois, 
guerre  religieuse  à  l'origine,  et  qui  de- 
vint plus  tard  une  guerre  politique, 
lutte  terrible  CJitre  le  Nord  et  le  Midi. 
Aurcs  I)ien  des  allernati\'es  de  succès  et 


L'  A  P  I  T  (J  L  E 


C  C)  I'  1!      Il  E  X  n  I     I  V 


de  revers,  le  Midi  fut  vaincu  et  le  roi 
de  France  prit  possession  de  la  con- 
trée en  l'21l  ;  bientôt  lurent  rétablis 
le  calme  et  la  tranquillité  dans  un  pays 
ravagé  par  plus  de  trente  années  de 
guerre. 

Les  habitants  de  la  ville  prêtèrent 
serment  de  fidélité  au  roi,  mais  en  ré- 
servant les  privilèges  attachés  à  leurs 
consuls,  le  maintien  du  droit  romain  et 
le  vote  libre  des  impôts. 

Désormais  Toulouse  ne  fut  plus  que 
le  chef-lieu  dune  province  importante, 
mais  elle  conserva  toujours  l'empreinte 
de  ces  grandes  périodes  anciennes  :  elle 


était  déjà  une  cité  importante  lors  de 
son  assimilation  romaine;  plus  lard, 
par  deux  fois,  elle  devint  la  capitale 
d'un  royaume,  puis  d'une  principauté 
féodale  qui  avait  rapporté  des  croisades 
des  goûts  artistiques  qui  se  dévelop- 
pèrent avec  éclat. 

Telle  est,  résumée  en  quelques  lignes, 
l'histoire  de  Toulouse  :  elle  peut  être 
fière  de  son  passé,  et  grâce  aux  nom- 
breux vestiges  de 
ces  brillantes  épo- 
ques que  l'on  ren- 
contre encore,  la 
ville  moderne  est 
une  des  plus  inté- 
ressantes du  Midi 
que  le  touriste 
puisse  visiter. 

La  ville  est  bâtie 
dans    une    plaine 
fertile,     mais    qui 
n'a  rien   de  pitto- 
resque; cependant, 
lorsque     le    temps  ; 
est      clair,      alors! 
surtout  que  le  vent  [ 
du     Sud     (l'autan) 
s'apprête  à  souffler, 
on      découvre      la 
chaîne  entière  des 
Pyrénées,  qui  for- 
me à  l'horizon  une 
ceinture       étince- 
lante    de   neige   et 
de   glaces    éter- 
nelles. La  ville  proprement  dite  s'étend 
sur  la  rive  droite  de  la  Garonne,  tandis, 
qu'en  face,  sur  la  rive  opposée,  le  fau- 
bourg Saint-Cyprien    forme   à  lui   seul 
une  ville  avec  ses  :2(>,000  habitants;    la 
population  totale   est    de    140,000  habi- 
tants. 

Un  magnifique  pont  de  pierre,  con- 
struit par  les  États-généraux,  de  1543 
à  1546,  relie  le  faubourg  à  la  ville;  deux 
autres  ponts,  de  Saint-Pierre  et  de 
Saint-Michel,  facilitent  encore  les  com- 
munications entre  les  deux  aggloméra- 
tions. 

Le  canal  du  Midi  contourne  la  ville 


692 


TOULOUSE 


au  nord  et  va  se  jeler  dans  la 
Garonne  à  rextrémité  nord-ouest 
du  faubourg-  des  Minimes. 

Une  ceinture  de  boulevards 
a  remplacé  les  anciens  remparts 
et  fait  le  tour  de  la  ville  cen- 
trale. En  un  point  seulement, 
une  partie  de  ces  vieilles  fortifi- 
cations existent  encore  et  for- 
ment l'enceinte  de  l'Arsenal. 

Nous  conduirons  notre  tou- 
riste dans  les  différents  quartiers 
de  la  ville,  ce  qui  nous  per- 
mettra, chemin  faisant,  de  parler 
de  chacun  des  monuments  que 
nous  pourrons  rencontrer  sur 
notre  route. 

La  gare  principale,    gare  Ma- 


ferrée  qui  s'engage  en  tran- 
chée pi'ofonde  dans  l'étroit 
espace  qui  sépare  le  canal  des 
coteaux  voisins,  au  haut  des- 
quels on  aperçoit  la  colonne 
de  briques  élevée  en  l'honneur 
des  braves  morts  pour  lu  pa- 
irie lors  de  la  bataille  de  1814, 
livrée  par  le  maréchal  Soult 
aux  troupes  anglaises. 

A  côté,  l'on  aperçoit  l'Obser- 
vatoire et  les  coupoles  de  ses 
lunettes. 

En  avant  du  pont  du  che- 
min de  fer,  un  nouveau  pont 
de  briques  permet  de  franchir 
le  canal  et  d'entrer  en  ville. 

Une  statue  élevée  à  Riquet, 


s  A  I  N  T  -  s  E  R  N  I  N 


tabiau,  bâtie  de  l'autre  côté  du  canal, 
s'étend  assez  loin  sur  les  côtés  de  la 
ligne  de  Bordeaux,  étroitement  resserrée 
qu'elle  est  entre  le  canal  et  les  hauteurs 
du  Cal vi net. 

Tout  à  côté  s'élève  l'Ecole  vétéri- 
naire, bâtiment  sans  caractère  (1835), 
mais  dont  les  aménagements  intérieurs 
sont  excellents. 

En  face  de  l'École  vétérinaire,  un 
pont  en  fer  passe  au-dessus  de  la  voie 


le  créateur  du  canal  du  Midi,  s'élève  au 
milieu  du  rond-point  qui  précède  la 
promenade  des  allées  Lafayette,  laquelle 
va  nous  conduire  au  centre  de  la  ville, 
en  croisant  les  boulevards  et  le  théâtre 
des  Variétés. 

La  place  Lafayette  termine  au  sud  les 
allées  de  ce  nom  ;  c'est  une  place  circu- 
laire, entourée  de  constructions  uni- 
formes et  sans  caractère. 

La  rue  principale  qui  s'ouvre  à  l'ouest 


TOri.OUSK 


693 


(le  colle  place,  la  rue  Larayclte,  nous 
conduira  en  'quelques  niiiuiles  à  la 
])lace  du  Capitole.  Sur  un  de  ses  côtes 
sélève  l'hôtel  de  ville,  décoré  du  nom 
pompeux  de  Capi- 
tole, qui  peut  faire 
naître  tout  d'abord 
une  étrange  confu- 
sion avec  le  Capi- 
tole romain  ;  ici 
nous  n'avons  af- 
faire, comme  nous 
l'avons  dit,  qu'à 
une  corruption  du 
mot  capilaluin  : 
habitation  du  cha- 
pitre, du  conseil  de 
ville. 

Le  Capitole  est 
une  vaste  con- 
struction ,  isolée 
aujourd'hui,  don- 
nant d'un  côté  sur 
la  grande  place,  de 
l'autre  sur  un 
square,  que  longe 
la  rue  Lafayette, 
et  au  milieu  du- 
quel s'élève  le  don- 
jon. 

Cet  édifice,  qui 
ne  manque  pas  de 
grandeur  et  qui  ma- 
rie à  la  fois  la  brique 
et  la  pierre,  date 
du  siècle  dernier. 
Edifié  par  l'archi- 
tecte Cammas,  il 
se  compose  d'un 
arrière-corps  et  de 
trois  avant-corps 
de    style    ionique  ; 

huit  colonnes  de  marbre  rouge  sup- 
portent un  fronton  triangulaire  sur- 
monté de  deux  génies. 

Sur  la  frise,  une  longue  plate-bande 
de  marbre  noir  porte  pour  toute  inscrip- 
tion le  mot  Capilolium.  Les  avant- 
corps  latéraux  sont  également  ornés  de 
statues  représentant  Clémence  Isaure, 
personnification    de    la    poésie   toulou- 


saine,  Minerve,  Melpomène  et   Thalie. 

Cammas,    l'architecte     du    Capitole, 

pouvait    être    un    artiste    de     talent  ; 

mais  il  était   laid    et    difforme,    ce   qui 


T  (  )  M  B  E  A  l'    B  y  Z  .\>"  T  I  X    —    S  A  I  X  T  -  P  I  E  R  It  E      DES     C  U  I  S  I  X  E 


ne  l'empêcha  pas  d'être  accusé  d'avoir 
enlevé   une  jeune   fdle. 

L'avocat  Boubée,  alors  célèbre  dans 
le  barreau  de  Toulouse,  plaidait  pour 
lui  :  ('  Messieurs,  dit-il,  je  plaide  pour 
un  laid,  je  plaide  pour  un  gueux,  je 
plaide  pour  un  sot.  Pour  un  laid,  mes- 
sieurs, le  voilà  !  Pour  un  gueux,  mes- 
sieurs, c'est  un  peintre,  et  qui  pis  est. 


694 


TOULOUSE 


L  '  A  R  s  E  X  A  L     —     \'  I  E  U  X     C  A  P  I  T  ()  L  E 


le  peintre  de  la  ville!  Pour  un  sot  :  que 
la  cour  se  donne  la  peine  de  l'inter- 
roger. »  Et  Favocat  gagna  sa  cause. 

La  façade  de  Canimas  et  la  cour  de 
Henri  IV,  qui  occupe  le  centre  des 
constructions,  sont  les  seules  parties 
anciennes  de  l'édifice  ;  des  bâtiments 
neufs,  dus  à  M.  Ducler,  ont  remplacé, 
il  y  a  quelques  années  seulement,  les 
constructions  de  toute  sorte  qui  dépa- 
raient l'hôtel  de  ville.  Parmi  celles-ci 
il  fallait  remarquer  l'ancien  arsenal  et 
une  vieille  porte  du  Capitole,  au- 
jourd'hui reconstruite  au  Jardin  des 
Plantes. 

La  cour  centi'ale,  cour  de  Henri  IV, 
a  été  restaurée  et  sera  certainement  re- 
marquée par  tous  les  archéologues,  grâce 
à  ses  détails  charmants  de  l'époque 
de  la  Renaissance.  Au  fond,  une  belle 
porte  de    l'architecte    Bachelier   donne 


accès  sur  le  square  du  donjon; 
au-dessus  de  l'entablement  se  lit 
l'inscription  suivante  : 

///  c  Th  e  m  is  cl  a  l  jura  c  iv  il)  us. 

Apollo  flores  camœnis,  Minervn 

palmas   arlihus. 

Tout  à  fait  au  sommet  une 
niche  renferme  une  statue  de 
Henri  IV,  en  marbre  noir  avec 
la  tête  et  les  mains  en  marbre 
blanc. 
^m*  C'est   dans   cette  cour  que   le 

^^  I  duc  de  Montmorency  eut  la  tête 
tranchée  le  30  octobre  1632,  et 
l'on  montre  encore  le  couperet 
qui  aurait  servi  à  cette  odieuse 
exécution. 

Au   delà    de    la   porte  de   Ba- 
chelier, s'ouvre  le  grand  escalier 
qui    conduit    aux    étages    supé- 
rieurs :  salle  du  conseil  au  nord, 
salle  des  fêtes  sur  la  façade  prin- 
cipale, en  complète   reconstruc- 
tion actuellement.  Les  trois  salles 
du  trône,  des  illustres  et  de  Clé- 
mence-Isaui^e  ont  été  réunies  en 
une  seule  et  vaste  pièce,  décorée 
de  riches  motifs  de  la  Renais- 
sance, dus  à  M.  Pujol;  une  série 
de  panneaux  et  de  plafonds  de  MM.  Paul 
Laurent,    Ponsan ,    Martin,   Yarz,    Des- 
trem,     de    groupes    de    sculptures    de 
MM.  Falguière,  Mercier,  Laporte,  tous 
Toulousains,    retraceront    l'histoire    de 
Toulouse   et    feront    de    cette    salle    de 
fêles  un  des  plus  beaux  ensembles  artis- 
tiques de  notre  époque. 

Elle  remplacera  avec  avantage  l'an- 
cienne salle  des  illustres,  sorte  de  pan- 
théon toulousain,  dans  laquelle  les 
bonnes  gens  admiraient  une  longue  série 
de  bustes  de  plâtre  rangés  dans  des 
niches  dorées,  creusées  dans  l'épaisseur 
des  murs  :  ostentation  un  peu  préten- 
tieuse et  qui  semblait  bien  démodée  de 
nos  jours. 

La  plupart  de  ces  bustes  trouveront 
place  cependant  dans  la  nouvelle  salle 
et  compléteront  cette   histoire  de  Tou- 


TOULOrSK 


695 


La  salle  de  Clémence-Isaure  a\ait 
perdu  depuis  lon},4emps  son  cachet  pri- 
mitif :  il  ne  restait  plus  que  la  statue  de 
dame  Clémence  autour  de  laquelle  s'as- 
semblaient les  maintcneurs  des  Jeux 
Floraux. 

I/Acadomie    des    Jeux   Floraux  n'est 


LA     DALBADE 


pas  la  plus  célèbre,  mais  elle  est  incon- 
testablement la  plus  ancienne  des  in- 
stitutions littéraires  de  la  France  et 
elle  dure  sans  interruption  depuis  le 
\iv*  siècle. 

En   1323,  sept  lettrés,  di?lingués  par 
leur  sagesse  et  la  finesse  de  leur  esprit, 


rapportent  les  annales  toulousaines, 
voulant  trouver  la  science  de  faire  de 
bons  poèmes,  invitèrent  tous  les  poètes 
des  contrées  de  langue  d'oc  à  leur 
apporter  leurs  ouvrages,  promettant  au 
plus  vaillant  une  violette  d'or  fin  en 
signe  d  honneur.  Au  jour  indiqué, 
l"^'  mai  1324,  les 
poètes  arrivèrent 
de  tous  côtés;  la 
fête  eut  un  succès 
tel  que  les  Capi- 
touls  décidèrent 
que  les  frais  de  la 
Joie  de  la  violette 
seraient  couverts 
par  les  revenus  de 
la  ville. 

Non  contents 
de  se  livrer  <(  au 
seul  plaisir  d'en- 
tendre chanter 
d'un  son  mélo- 
dieux et  gai  des 
chants  bien  versi- 
fiés, célébrant  de 
beaux  faits  et  des 
mots  notables  qui 
pénètrent  l'âme 
dune  bonne  doc- 
trine »,  les  sept 
troubadours  pu- 
blièrent une  poé- 
tique écrite  en 
vers.  Ce  manu- 
scrit, unique  en 
son  genre,  existe 
encore  aujourd'hui 
dans  les  archives 
lie  l'Académie:  il 
lut  rédigé  en  1356 
par  Molinier,  chan- 
celier du  collège 
du  «  Gai  savoir  » 
et  il  est  bien  certainement  un  des 
monuments  les  plus  anciens  et  les  plus 
curieux  des  commencements  de  la  lit- 
térature méridionale. 

Les  Jeux  Floray^x  se  conservèrent 
intacts  pendant  une  bonne  partie  du 
XIV®  siècle;  mais  à  son  déclin,  les  guerres. 


636 


TOULOUSE 


les  pestes,  les   disettes,  diminuèrent  Fé- 
clat  des  fêtes  de  mai  et  en    1484  le  col- 
lège du   Gai   savoir  cessa  ses   réunions. 
Cet   état  d'abandon    ne  fut  pas 
de  longue  durée  ;  grâce  à  la  main 
généreuse  d  une  noble  dame,  les 
jeux  se  relèvent  cl  elle  préside, 
dit  la  tradition,  à  la  distribution 
des  prix  de  1496,  à  celle  de  1498. 

L'on  sait  peu  de  choses  sur 
cette  figure  idéale  de  Clémence 
Isaure,  et  la  critique,  qui  ne  res- 
pecte inen,a  été  jusqu'à  nier  son 
existence  ;  mais  si  sa  biogra- 
phie nous  manque,  son  œuvre 
subsiste   encore,  non  sans  éclat. 

Le  renom  des  Jeux  Floraux 
s'était  étendu  au  dehors  et  exer- 
çait sur  la  France  entière  un 
rayonnement  incontesté  ;  et  lors- 
que le  roi  venait  dans  la  ville 
de  Toulouse,  rien  ne  paraissait 
plus  intéressant  à  lui  montrer 
que  le  spectacle  d'une  séance  lit- 
téraire de  la  docte  académie  : 
c'est  ce  que  l'on  put  voir  lorsque 
Charles  IX  fit  son  entrée  à  Tou- 
louse en  1563. 

Les  réunions  poétiques  du  Gai 
savoir  changèrent  peu  à  peu  de 
manière   d'être,   et  en  1694  des 
lettres  patentes  du  roi  érigèrent 
le  collège  du  Gai  savoir  en  Aca- 
démie des   belles-lettres.   Enfin, 
en   1773,  un  arrêté  royal  donna  à  l'Aca- 
démie les  statuts  qui  servent  de  base  à 
ses  délibérations   et    à    ses  concours,  et 
qui     sont   encore    en    vigueur     aujour- 
d'hui. 

L'aile  gauche  du  Capitole  est  consa- 
crée au  théâtre,  reconstruit  récemment, 
d'une  richesse  de  décoration  du  meilleur 
goût  et  qui  se  trouverait  en  bonne  place 
dans  la  capitale.  La  scène  du  Capitole 
est  une  des  meilleures  de  province; 
mais  le  public,  très  exigeant  et  très  bon 
connaisseur  en  musique,  est  redouté 
des  artistes. 

Derrière  le  Gapit.ole,  isolé  dans  un 
square,  malheureusement  trop  exigu,  le 
donjon  restauré  renferme  les  archives  de 


la  ville,  dépôt  des  plus  riches  en  docu- 
ments précieux.  A  l'angle  sud-ouest  de 
la    place  du   Capitole,  la  rue  du  Taur 


s  A  I  N  T  -  É  T  I  E  N  N  E 


va  nous  conduire  à  l'église  de   ce  nom 
et  à  la  basilique  Saint-Sernin. 

La  première  de  ces  églises  a  été  bâtie 
sur  le  tombeau  primitif  de  l'apôtre  de 
la  contrée.  Saint  Hilaire,  troisième  évê- 
que  de  Toulouse,  voulant  i^eridre  aux 
reliques  de  saint  Saturnin  les  honneurs 
qui  leur  étaient  dus,  fit  creuser  le  sol  à 
l'endroit  où  devaient  reposer,  suivant  la 
tradition,  les  restes  du  martyr.  Ces 
derniers  furent  retrouvés  profondément 
enfouis  dans  la  terre  et  encore  enfermés 
dans  une  caisse  de  bois  ;  mais  n'osant 
touchera  un  cercueil  aussi  saint,  Hilaire 
le  fit  entourer  d'une  construction  en 
briques,  en  forme  de  four,  et  il  éleva 
encore  au-dessus  un  édicule  en  bois. 


TOULOrSK 


En  remaniant  l'autel  principal  de  Té- 
glise  actuelle,  on  a  mis  à  découvert  une 
crypte,  qui  semble  répondre  à  Vopus  /a- 


HOTEL     d'assez  AT 

lericium  foriucis  édiiié  par  saint  Hilaire. 

La  nef  de  l'église  actuelle  date  du 
xin*^  siècle,  mais  la  façade  a  été  recon- 
struite en  1530;  elle  est  munie  de  cré- 
neaux, de  mâchicoulis  et  de  meurtrières, 
ce  qui  lui  donne  l'aspect  d'une  forte- 
resse. 

En  face  de  l'église  du  Taur,  une  pe- 
tite rue  nous  conduira  au  petit  sémi- 
naire de  l'Esquille  et  aux  ruines  de 
l'église  des  Cordeliers. 

Celle-ci  a  longtemps  servi  de  maga- 
sin aux  fourrages,  mais  en  1870  elle  a 
été  complètement  détruite  par  un  incen- 
die; la  tour  du  clocher  a  seule  résisté 
aux  flammes  et  elle  sert  aujourd'hui  de 
fonderie  de  plomb  de  chasse.  Cette  église 
renfermait,     avant    la    Révolution,     un 


mausolée  élevé  à  la  mémoire  du  prési- 
dent Duranti,  massacré  dans  une  sédi- 
tion, et  le  tombeau  d'une  Toulou- 
saine célèbre,  la  belle  Paule. 
Celle-ci  apparut  aux  yeux 
ravis  des  Toulousains  lors  de 
l'entrée  de  François  I'"^  Le  roi 
venait  de  prêter  serment  et 
de  jurer  qu'il  maintiendrait 
les  franchises  et  coutumes  de 
la  ville,  lorsqu'une  troupe  de 
jeunes  fdles,  vêtues  en  nym- 
phes, se  présenta  devant  lui  ; 
à  leur  tête  était  Paule  de  Vi- 
guier,  à  peine  âgée  de  quinze 
ans.  Elle  récita  un  discours 
en  vers,  et  le  prince  demeura 
frappé  d'admiration;  il  crut 
voir  le  modèle  de  ces  statues 
grecques,  chefs-d'œuvre  de 
l'antiquité,  qui  venaient  de- 
puis peu  d'être  découvertes 
en  Italie.  Dans  son  enthou- 
siasme, il  l'appella  la  belle 
Paule,  et  depuis  lors  elle  ne 
porta  jamais  d'autre  nom. 

Les     poètes     chantèrent     la 

jeune  Toulousaine  sur  tous  les 

tons  ;     ils    la    comparèrent     à 

'        toutes  les  déesses  et  en  firent 

la  quatrième  Grâce.  Elle-même 

cultiva  les  muses  avec  succès. 

Voici   les  vers    qui    lei'minent 

ses  plaintes  à  l'occasion  de  la  mort  de 

son  premier-né  : 

Las  !  j'ai  perdu  ce  rosier  fleury, 

De  mon  vieux  temps  lorgueil  et  l'espérance  ; 

La  seule  mort  peut  donner  allégeance 

Au  mal  cruel  qui  mon  cœur  a  meurtry. 

Or,  adieu  donc,  mon  enfant  moult  chéry. 

De  toi  toujours  garderai  souvenance. 

La  foule  qui  l'entourait,  chaque  fois 
qu'elle  sortait,  était  devenue  si  incom- 
mode qu'elle  prit  le  parti  de  se  renfer- 
mer dans  son  hôtel  et  de  n'en  jamais 
sortir  qu'avec  un  voile. 

Cette  résolution  lit  rumeur  dans  le 
quartier  des  étudiants,  on  annonça  un 
mouvement  séditieux,  et  les  capilouls 
menacèrent  la  belle  Paule  de  la  rendre 
responsable    de    tous   les    résultats    du 


698 


TOULOUSE 


tumulte  si  elle   ne   se   montrait   pas  au 
moins  deux  fois  par  semaine. 

L'église  Saint-Sernin  est  certainement 
le  monument  le  plus  intéressant  de  ceux 
que  Ton  rencontre  à  Toulouse,  et  l'un 
des  plus  importants  de  toute  la  région. 
Bien  que  l'insigne  basilique,  pour  em- 
ployer l'expression  habituelle,  paraisse 
avoir  été  construite  d'un  seul  jet,  et 
malgré  l'unité  de  son  plan,  il  est  assez 
facile  de  voir  qu'elle  a  été  reprise  à  trois 
époques  différentes.  Bien  des  fragments 
de  sculpture,  d'un  édifice  primitif,  ont 
été  utilisés  au  xn^  siècle  et  rappellent 
seuls  la  chapelle  primitive  édifiée  en 
dehors  des  murailles  de  la  ville 
en  l'honneur  du  premier  apôtre 
de  Toulouse,  saint  Saturnin. 

Au  xiv^  siècle,  la  nef  fut  en- 
tièrement reconstruite,  en  uti- 
lisant en  grande  partie  les 
anciens  matériaux  ;  mais  les 
murs  des  bas  côtés  durent  res- 
ter debout  avec  leurs  portes 
décorées  de  curieux  chapiteaux 
romans.  L'architecte  a  conservé 
le  plan  primitif,  l'aspect  gé- 
néral de  la  décoration  inté- 
rieure ;  il  s'est  contenté  de 
mettre  le  cachet  de  l'époque 
dans  une  voûte  à  arête  ogi- 
vale. Les  étages  supérieurs  de 
la  tour  et  la  flèche  furent  éle- 
vés alors  ;  mais  le  poids  énorme 
ajouté  ainsi  écrasa  les  quatre 
piliers  des  transepts,  et  ils  fu- 
rent entourés  d'un  revêtement 
de  maçonnerie  de  briques. 

Le  chœur  fut  également  sur- 
élevé de  plus  de  deux  mètres 
au-dessus  du  sol  primitif,  pour 
donner  place  aux  cryptes. 

La  façade  est  encore  incom- 
plète et  dépare  l'édifice  entiè- 
rement restauré,  trop  restauré 
peut-être,  par  Viollet-le-Duc, 
dans^ toutes  ses  parties. 

Deux  portes  latérales,  fort  curieuses, 
donnent  accès  dans  l'intérieur  de 
l'église;  la  porte  de  Miègeville,  située 
en   face  de  la  rue   du  Taur,  est  précé- 


dée d'un  charmant  portail  isolé  de  la 
Renaissance. 

La  porte  elle-même  est  encadrée  de 
colonnes  de  marbre,  surmontées  de  cha- 
piteaux représentant  des  scènes  de 
l'histoire  sainte,  la  frise  est  ornée  des 
figures  des  douze  apôtres.  Un  bas-relief, 
en  marbre  blanc,  un  Christ  apparais- 
sant dans  sa  gloire,  décore  le  tympan  ; 
enfin,  un  bas-relief^  à  gauche,  repré- 
sente saint  Jacques,  un  autre,  à  droite, 
saint  Pierre. 

La  porte  des  Comtes,  vulgairement 
de  Filleuls,  s'ouvre  à  l'extrémité  sud  du 
transept;  elle  doit  son  nom  à  une  niche 


HOTEL    B  E     F  E  L  Z I N  S 


voisine,  reconstruite  en  1774,  où  furent 
ensevelis,  dans  des  sépulcres  pour  la 
plupart  gallo-romains,  plusieurs  comtes 
de  Toulouse.  La  dignité  de  ces  princes 


TOTLOrSK 


f)99 


souverains  ne  suffisait  pas  à  leur  faire 
accorder  la  sépulture  clans  Vinsic/ne  ha- 
silif/ue,  où  (les  corps  saints  pouvaient 
seuls  cire  conserves.  La  partie  la  plus  in- 


HOTEL     DE     F  E  L  Z I X  S 


téressante  de  l'extérieur  de  lédifice  est 
l'abside  :  cinq  chapelles,  religieux  souve- 
nir des  cinq  plaies  du  Christ,  se  groupent 
avec  les  quatre  chapelles  des  transepts. 


Ces  chapelles  cl  la  ligne  courbe  à 
laquelle  elles  se  rattachent  constituent 
un  immense  soubassement,  au-dessus 
duquel  paraît  s'élever  le  mur  du  chœur, 
le  chevet  de  l'é- 
glise. Toutes  ces 
constructions  sem- 
blent s'appuyer 
mutuellement, 
pour  servir  de  base 
à  la  tour  qui  s'élève 
au  point  de  jonc- 
tion des  bras  de  la 
croix.  De  cet  en- 
semble résulte, 
ainsi  que  l'a  fait 
remarquer  Méri- 
mée, une  disposi- 
tion pyramidale 
des  plus  heureuses 
qui  frappe  de  loin 
le  spectateur. 

11  faut  entrer 
dans  l'église  par 
la  porte  occiden- 
tale, afin  de  voir 
dans  son  ensemble 
l'intérieur  de  l'édi- 
fice, sombre  et 
jrrandiose  et  d'un 
effet  saisissant. 

En    avant    du 

chœur,  des  stalles 

de   la  Renaissance 

portent  leur  date, 

156G;     elles     sont 

remarquables    par 

leur  excellent  état 

de  conservation  et 

quelques       détails 

pleins  de  fantaisie; 

c'est  ainsi  que  l'une 

d'elles    représente 

un  porc  assis  dans 

une    chaire ,    avec 

cette  inscription  : 

Calvin  le  Porc. 

Au-dessus  du  chœur  s'élève  un  grand 

baldaquin   doré,   élevé   à  chers  deniers 

en  1734,  au  lieu  et  place  d'un  mausolée 

très  ancien  qu'a  malheureusement  rem- 


T  O  U  L  O  Lî  S 1-: 


placé   ce    mauvais    spécimen    de    cette 
oriiemeiilalion   lourde,    si    froide    et    si 


HOTEL     DE     L  A  8  B  0  U  1)  E  S 

poncive,  du  siècle  dernier.  Au-dessus 
de  Taulel,  une  niche  grillée  contient  ce 
qui  reste  des  reliques  de  saint  Sernin, 
c'est-à-dire  le  crâne  du  martyr,  sauvé 
en  1794,  lors  de 
la  spoliation'  de 
Téglise. 

Tout  à  côté, 
l'on  ne  manquera" 
pas  de  remarquei" 
un  admirable 
Christ  byzantin, 
trésor  inestima- 
ble jadis  relégué 
dans  les  combles, 
et  dont  bien  des 
parties  ont  été 
abîmées  ;  chose 
déplorable  ,  car 
ceci  est  le  fait  des 
bonnes  dévotes 
de  nos  jours,  le 
Christ  entier  a  été 
doré  à  neuf! 

Le  pourtour  de 
labside,    nommé 

le  Tour  des  corps  saints,  dans  le  lan- 
gage toulousain,  est  l'objet  d'une  vé- 
nération    toute    particulière,    à     cause 


des  nombreuses  reliques  qu'il  contient. 
Les  cryptes,  situées  au-dessous  du 
monument  de  sainl 
Sernin,  s'ouvrent  dans 
ce  même  pourtour  de 
l'abside.  De  tout 
temps,  le  reliquaire 
de  saint  Sernin  a  eu 
une  immense  renom- 
mée; et  c'était  devant 
ces  grottes  souter- 
raines que  les  monar- 
ques les  plus  puissants 
venaient  tour  à  tour 
fléchir  les  genoux  et 
déposer  leurs  of- 
frandes. 

Jusqu'au  siècle  der- 
nier, les  Toulousains 
associaient    les  corps 
saints  a-ux  circon- 
stances     importantes 
de    leur   existence.   Dans    les  calamités 
publiques     notamment,     ils    les    invo- 
quaient comme    les    véritables   protec- 
teurs  de  la  cité  :  Hic  sunt  vigiles  qui 


HOTEL     DE     r I E  U  U  E  S 


cuslodiunt    civitatem,   dit    l'inscription 
gravée  au-dessus  de  la  porte  d'entrée. 
Mais  tous  ces  trésors   furent  enlevés 


TOI"  I.OISK 


■701 


le  11  octobre  171)3,  les  châsses  démou- 
lées, et  l'or  et  l'argent  ainsi  confisqués 
donnèrent  près  de  3,000  marcs  seulement. 
La  j)lus  jj^rande  partie  des.  ossements 
sacrés  furent  sauvés  par  un  relif^ieux 
et  plus  tard  réintéj,M'és  dans  des  chasses 
de  bois;  quelques  reliquaires,  lamés  de 
cuivre,  échappèrent  seuls  au  pillage. 
Tout  à  côté  de  l'église,  les  bâtiments 


PETIT    CLOITRE     D  l'     MUSEE 


du  collège  Saint-Raymond,  habilement 
restaurés,  contiennent  aujourd'hui  un 
musée  des  arts  décoratifs,  véritable 
Cluny  toulousain,  dans  lequel  M.  Ros- 
cach  a  groupé,  avec  infiniment  de  goût, 
tous  les  objets  intéressants  recueillis 
dans  la  région,  soit  par  l'administration 
municipale,  soit  par  la  société  archéo- 
logique. 

Non  loin  de  là  s'élèvent  les  bâtiments 
de  la  faculté  de  droit  et  ceux  de  la 
faculté  des  lettres,  constructions  récentes 
sans  caractère.  Au  delà,  adossée  aux 
bâtiments  de  l'arsenal,  s'élève  l'église 
Saint -Pierre,  bâtie,  en  1607,  par  les 
Chartreux;  elle  forme  une  croix  par- 
faite, au  centre  de  laquelle  s'élève  le 
maître-autel  ;  les  adorateurs  en  marbre 
blanc  qui  laccompagnent  passent  pour 
un  des  meilleurs  morceaux  du  sculpteur 
François  Lucas,  de  l'ancienne  école  tou- 
lousaine.   Dans    les  murs   d'une    vieille 


consli'uction  du  xn'"  siècle,  Sainl-Pierre 
des  Cuisines,  aujourd'hui  magasin  de 
sellerie  de  l'arsenal,  se  trouve  encastré 
un  tombeau  byzantin  des  plus  intéres- 
sants; on  croit  qu'il  renfermait  les  restes 
d'une  comtesse  de  Toulouse,  fondatrice 
de  l'église. 

L'arsenal   étend   ses   vastes  construc- 
tions   contre    les    anciens    remparts    et 
contient  un  matériel  de 
guerre  considérable. 

Ipl»      -]  Le  pont  suspendu  de 

iJr-^  I  Saint-Pierre  nous  con- 
duira  dans  le  faubourg 
Saint-Cyprien,  dévasté 
par  l'inondation  de 
J  875,  mais  aujourd'hui 
entièrement  recon- 
struit, grâce  aux  of- 
frandes considérables 
envoyées  de  tous  les 
points  du  globe. 

L'église    Saint-Nico- 
las est  une  vieille  con- 
struction du  xni**siècle, 
souvent    remaniée,    et 
surmontée  d'un  clocher 
en  briques  qui  rappelle 
celui   de   Saint-Sernin. 
Le    faubourg     possède    encore    deux 
grands  hôpitaux  :  la  Grave,  plus  spécia- 
lement consacrée  au.x  vieillards  et  aux 
infirmes;  Saint-Jacques,  aux  malades  et 
particulièrement  aux  cliniques  de  la  fa- 
culté de  médecine.   Il  existe  encore  un 
troisième  hôpital  destiné  aux  malades  de 
la  garnison,  car  celle-ci  est  nombreuse  : 
elle  comprend  quatre  régiments. 

Nous  repasserons  la  rivière,  pour 
aller  visiter  les  trois  églises  que  nous 
apercevons  du  pont  de  pierre. 

Les  Jacobins,  ancien  monastère  des 
Dominicains,  ordre  fondé  à  Toulouse  en 
1229,  huit  ans  après  la  mort  de  saint 
Doniinique.  L'église  fut  consacrée  le 
20  octobre  1385,  et  elle  peut  être  re- 
gardée aujourd'hui  comme  le  spécimen 
le  plus  complet  des  monuments  de 
brique  de  cette  époque.  Elle  se  com- 
pose d'un  seul  grand  vaisseau,  divisé 
en  deux  nefs  par  une  rangée  de  hautes 


■702 


TOULOUSE 


colonnes  posées  sur  Taxe  du  bâtiment. 

Sur  le  flanc  nord  de  l'église  et  entiè- 
rement en  dehors  de  la  masse  princi- 
pale, s'élève  un  magnifique  clocher  qui 
date  de  12U4;  il  est  octogonal  dans 
toute  son  étendue,  et  toute  la  construc- 
tion est  en  briques,  que  le  temps  a 
revêtues  d'une  patine  superbe. 

A  côté  de  l'église,  existe  encore  un 
cloître  du  xn  "^  siècle,  sur  lequel  s'ouvrent 
la  salle  du  chapitre,  la  chapelle  de 
Saint-Antonin,  aux  curieuses  peintures, 
et  le  réfectoire.  Enfin,  sur  la  cour  inté- 
rieure, un  immense  bâtiment  du  siècle 
dernier  servait  de  demeure  aux  moines; 
il  contient  aujourd'hui  le  petit  collège. 

L'église  de  la  Daurade  {dea  aura(a), 
reconstruite  en  1764,  a  remplacé  une 
des  plus  Abeilles  églises  de  Toulouse,  qui 
elle-même  avait  été  élevée  sur  l'empla- 
cement d'un  temple  romain.  Aux  basses 
eaux,  on  peut  voir  encore  les  restes 
du  monument  antique. 

La  Dalhade  {dea  alhala)  est  située 
non  loin  de  la  Daurade,  en  face  d'un 
vieux  pont  qui   fait  communiquer  l'îlot 


GRAND     CLOITRE     DES    A  U  G  U  S  T  1  X  S   —  MUSEE 


deTounis  avec  la  ville.  Elle  date  de  1455, 
époque  de  transition  entre  l'école  du 
xiv*^  siècle,  caractérisée  par  la  belle  pro- 
portion des  lignes,  et  celle  du  xv^  siècle, 
plus  élégante  dans   son  ornementation. 


L'extérieur  de  l'église  est  remarquable 
par  son  majestueux  aspect,  à  la  fois 
élégant  et  sévère;  mais  deux  parties 
surtout  sont  dignes  d'attention,  le  clo- 
cher et  le  portail.  Le  clocher,  isolé 
comme  celui  des  Jacobins,  est  une  haute 
et  massive  tour  carrée  en  briques,  dont 
les  angles  sont  déguisés  et  consolidés 
par  des  tourelles  arrondies  :  une  flèche 
élancée,  également  en  briques,  tout  ré- 
cemment reconstruite,  surmonte  le  tout 
et  termine  de  la  manière  la  plus  heu- 
reuse la  masse  du  clocher.  Le  portail, 
quoique  disparate,  par  son  style,  avec 
l'ensemble  du  monument,  est  une  des 
plus  belles  pages  laissées  par  Bachelier, 
cette  gloire  de  la  Renaissance  toulou- 
saine, complétée,  il  y  a  peu  de  temps, 
par  une  grande  composition  en  terre 
émaillée,  dans  le  goût  italien  et  qui 
s'harmonise  fort  bien  avec  l'ensemble. 
L'intérieur  de  l'église  forme  une  seule 
nef  dont  la  hardiesse  a  fait  craindre 
injustement  pour  sa  solidité. 

Parmi  les  autres  monuments  religieux, 
et  ils  sont  nombreux  à  Toulouse,  nous 
citerons  encore  la  cathé- 
drale de  Saint-Etienne, 
fondée  on  ne  sait  trop  à 
quelle  époque  ;  édifice 
singulier  et  qui  a  souvent 
exercé  la  sagacité  des  ar- 
chéologues. C'est,  en  ef- 
fet, une  œuvre  multiple, 
dont  l'œil  le  moins  exercé 
reconnaît  sans  peine  l'ir- 
régularité originale,  mais 
qui  ne  choque  pas  tout 
d'abord. 

Un  clocher  de  briques 
s'élève  à  côté  de  la  porte 
principale,  qui  elle-même 
donne  sur  une  immense 
nef,  mais  qui  ne  se 
trouve  pas  dans  l'axe  du 
bâtiment;  de  même  la 
rosace  qui  la  surmonte  s'éloigne  de 
son  centre.  Au  bout  de  cette  nef  prin- 
cipale s'ouvre  une  seconde  église , 
placée  dans  la  même  direction,  mais 
sur    le    côté    de    l'axe   de    la    première 


TOl'I.OUSK 


703 


lll^»lfTigyiH-y:^rP^ 


K  (>  \  T  A  I  N  li 


JAliniX    DKS   PLANTES 


ù  la    ville 


par 


nef,  et  dune  au- 
tre époque  (1502- 
1()09). 

Toulouse  pos- 
sède encore  de 
nombreuses  mai- 
sons particulières 
de  dillerentes  épo- 
ques el  dont  quel- 
ques-unes sont  des 
plus  remarqua- 
bles: nous  citerons 
les  plus  intéres- 
santes. 

Uhûtel  d'Assé- 
zat  a  été  bâti  en 
1555  ;  tout  récem- 
ment il  a  été  lé^ué 
généreux    Mécène, 


M.  Ozenne,  et,  complètement  débarrassé 
des  constructions  parasites  qu'il  conte- 
nait, il  servira  de  demeure  somptueuse 
aux  Sociétés  savantes  de  la  cité  Palla- 
dienne.  C'est  là,  sans  contredit,  un  des 
plus  beaux  monuments  du  xvi®  siècle  de 
tout  le  Midi.  Une  cour  carrée  est  entourée 
de  bâtiments  qui  portent  trois  ordres  de 
colonnes  superposées  :  ionique  au  rez- 
de-chaussée,  toscan  au  premier  étage  et 
corinthien  au  deuxième  étage.  A  l'angle 
ouest  s'élève  la  tour  de  l'escalier,  ter- 
minée par  une  flèche  et  un  clocheton. 

Si  l'on  en  croyait  la  tradition,  l'hôtel 
d'Assézat  aurait  été  construit  sur  les 
dessins  du  Primatice,  par  l'ordre  de 
François  I*"' ,  qui  l'aurait  donné  à  sa 
sœur  Marguerite  d'Angoulême.  Il  est 
certain  qu'il  appartenait,  au  milieu 
du  xvi''  siècle,  à  Pierre  d'Assézat,  capi- 
toul  du  quartier  de  la  Daurade. 

L'hôlel  de  Feizins ,  rue  de  la  Dal- 
bade,  porte  sa  date  dans  un  écusson  du 
portail  (1556j.  Celui-ci  serait  également 
l'œuvre  du  sculpteur  Bachelier  et  il  est 
remarquable  par  la  pureté  de  son  style. 
Ce  portail  franchi,  on  entre  dans  une 
cour  dont  le  côté  gauche  est  orné  de 
pilastres  d'ordre  dorique  ;  on  passe 
ensuite  dans  une  seconde  cour,  trop 
remaniée,  mais  qui  possède  encore  dans 
un   angle  une   petite   tourelle  terminée 


en    cul-dc-lampe  du  style  le  plus  pur. 

Dans  l'intérieur  de  l'hôtel,  une  che- 
minée, qui  est  la  seule  partie  non  mo- 
dernisée, est  attribuée  à  Jean  Goujon. 

h' hôtel  de  Lushordes ,  place  des 
Carmes,  est  un  peu  plus  ancien  f  1515  ; 
mais  c'est  encore  l'œuvre  du  sculpteur 
Bachelier  et  la  meilleure  de  toutes  celles 
qu'il  a  laissées  à  Toulouse.  L'intérieur  de 
la  cour,  fort  bien  restaurée,  est  surtout 
remarquable  par  l'ornementation  des 
fenêtres  :  chacune  d'elles  est  encadrée 
par  deux  cariatides,  «  non  de  ces  figures 
roides  et  froides  comme  la  pierre  dans 
laquelle  elles  sont  taillées,  mais  de 
véritables  personnages  qui  se  saluent, 
qui  discutent  ensemble,  qui  nous  regar- 
dent passer  ;  il  y  a  surtout  une  vieille 
femme,  connue  de  tous  les  habitants  de 
la  ville,  qui  est  une  des  choses  les  plus 
belles,  d'étude  et  d'expression,  que  le 
ciseau  ait  jamais  produites  ». 

h'hôfel  Bernay,  le  lycée  aujourd'hui, 
est  également  un  monument  de  cette 
époque,  et  ici  encore  la  cour  est  des 
plus  intéressantes;  elle  a  été  complète- 
ment restaurée  par  l'Etat ,  chose  bien 
nécessaire,   car  elle   tombait  en  ruines. 

Uhôtel  de  Pierres,  rue  de  la  Dal- 
bade,  construction  lourde,  mais  origi- 
nale, a  été  édifié,  en  1612,  par  Bache- 
lier fils,  pour  François  deClary,  premier 
président  au  Parlement. 

Le  nouveau  musée  de  Toulouse,  con- 
struit par  Viollet-le-Duc.  s'élève  au- 
devant  de  l'ancien  cloître  du  couvent 
des  Augustins. 

Le  petit  cloître  est  du  xvi''  siècle  ;  il 
a  été  construit  sur  les  dessins  du  reli- 
gieux augustin  Ambroise  Frédeau,  et 
cela  dans  le  style  le  plus  pur. 

A  côté  s'ouvre  le  grand  cloître,  qui 
remonte  au  xiv"  siècle.  Ses  longues  gale- 
ries, ornées  de  colonnes  jumelles,  en 
ogives  tréflées,  le  savant  et  poétique 
aspect  du  cloître,  avec  ses  arbres  majes- 
tueux, dont  le  port  et  le  sombre  feuillage 
s'allient  si  bien  avec  les  nobles  ruines 
qu'ils  ombragent,  forment  un  ensemble 
saisissant  que  domine  encore  une  vieille 
tour    de    brique,    aux     tons     chauds, 


TO-i 


T  O  U  I.  G  L'  S  E 


véritable     reflet    du     soleil    du     Midi. 

Une  importante  collection  de  sculp- 
tures antiques  garnit  les  différentes  gale- 
ries ,  et  la  série  provenant  des  fouilles 
de  Martres  est  une  des  plus  belles  de 
l'époque  romaine,  d'une  grande  richesse 
en  bustes  impériaux. 

La  salle  du  réfectoire  contient  une  col- 
lection très  nombreuse  de  chapiteaux  et 
de  fragments  de  sculptures  du  moyen  âge. 

Enfin,  dans  les  bâtiments  neufs,  sont 
rangées  les  collections  de  sculptures  et 
les  tableaux.  L'une  et  l'autre  contien- 
nent des  morceaux  de  grande  valeur. 

Mais  l'on  remarquera  surtout  les 
œuvres  de  l'Ecole  toulousaine  ancienne 
(siècle  dernier)  et  actuelle.  C'est  là  que 
nos  grands  peintres,  Paul  Laurens  en 
tête,  ont  groupé  leurs  meilleures  toiles, 
et  que  les  sculpteurs  Falguière,  Mercier, 
Idrac  et  tant  d'autres  ont  envoyé  soit  les 
originaux,  soit  les  copies  de  leurs  mor- 
ceaux les  plus  remarqués. 

Tout  à  côté,  s'élevait  V Ecole  des  arts, 
qui  a  donné  naissance  à  cette  pléiade 
d'artistes  toulousains,  dont  les  noms 
tiennent  les  premières  places  en  pein- 
ture et  surtout  en  sculpture. 

Aujourd'hui,  l'école,  transformée, 
agrandie,  est  installée  dans  les  bâtiments 
de  l'ancienne  manufacture  des  tabacs, 
quai  de  la  Daurade.  Neuf  cents  enfants 
environ  fréquentent  les  cours  de  l'école, 
et  les  heures  des  leçons  sont  choisies  de 
façon  à  leur  laisser  disponible  la  plus 
grande  partie  de  la  journée,  de  telle 
sorte  que  les  apprentis  ne  sont  nulle- 
ment obligés  de  négliger  l'atelier. 

Le  Conservatoire  de  musique  a  cer- 
tainement une  réputation  égale  et  aussi 
méritée  que  celle  de  ll^cole  des  arts,  et 
les  chanteurs  toulousains,  grâce  à  leurs 
voix  chaudes,  bien  timbrées,  sympathi- 
ques, jointes  à  un  réel  instinct  musical, 
maintiennent  toujours  leur  ancienne  ré- 
putation. 

Les  promenades  du  Grand-Rond,  du 
Jardin  royal  et  du  Jardin  des  plantes 
forment  à  l'extrémité  sud  de  la  ville  un 
ensemble  toujours  admiré  par  les  voya- 
geurs. Grâce  au  soleil  du  Midi,  à  l'abon- 


dance des  eaux  d'arrosage ,  une  char- 
mante fraîcheur  règne  toujours,  même 
au  plus  fort  de  l'été,  sous  les  ombrages 
touffus  du  Grand-Rond  et  surtout  du 
Jardin  des  plantes.  Là  encore  les  Tou- 
lousains ont  mis  leur  cachet  artistique, 
et  dans  les  massifs  s'élèvent  le  Vain- 
queur au  combat  de  coqs  de  Falguière, 
le  David  de  Mercier,  le  Conteur  arabe 
de  Ponsin  et  bien  d'autres  encore.  Enfin, 
dans  le  Jardin  des  plantes,  une  fon- 
taine monumentale  a  donné  l'occasion 
à  M.Alexandre  Laporte,  notre  habile  et 
sympathique  professeur  de  l'Ecole  des 
arts,  de  produire  une  œuvre  à  la  fois 
élégante  et  grandiose  :  la  Garonne  ouvre 
la  montagne  pour  donner  passage  au 
fleuve  et,  assise  à  ses  pieds,  dans  une 
pose  charmante,  l'Ariège  vient  mêler  ses 
eaux  à  celles  de  sa  sœur  aînée. 

Partout  une  population  gaie,  aimable 
sillonne  les  rues,  encombre  les  prome- 
nades le  dimanche,  et  la  grisette  tou- 
lousaine, aux  cheveux  d'un  noir  ardent, 
aux  yeux  pleins  de  charme,  maintient 
toujours  le  renom  de  beauté  que  la  belle 
Paule  avait  déjà  affirmée  aux  siècles 
passés. 

Les  étudiants  aussi  donnent  à  Tou- 
louse une  physionomie  toute  particu- 
lière. Leurs  anciens,  qui  rossaient  le 
guet  quand  il  voulait  s'opposer  à  leurs 
ébats  quelquefois  excessifs,  formaient 
une  puissance  à  Toulouse  ;  au  théâtre, 
ils  étaientles  maîtres  absolus.  Lorsqu'une 
troupe  de  comédiens  venait  s'installer 
à  Toulouse,  ceux-ci  ne  manquaient  pas 
de  faire  visite  aux  étudiants;  comédiens 
et  comédiennes  en  costume  de  ville 
étaient  introduits  dans  le  grand  amphi- 
théâtre de  la  Faculté,  et  l'un  d'eux, 
plus  souvent  l'une  d'elles,  débitait  un 
compliment  aux  étudiants,  leur  deman- 
dant appui  et  protection. 

Toulouse  est  encore  la  ville  de  prédi- 
lection des  étudiants  :  ils  trouvent  là 
une  population  qui  les  regarde  comme 
chose  lui  appartenant  et  qu'elle  soigne 
avec  mille  attentions. 

Elgi;nk    T  ru  ta  t. 


LA    VISITE    AU     CHATEAU 


...  Eiilin  grand'mère  arriva  avec  les 
oiil'anls  au  parc,  où  M.  Prochck,  son 
iicndre,  les  alleiulait  déjà. 

Le  parc  princier  était  ouvert  à  tout 
le  monde  et  n'était  pourtant  pas  bien 
éloifi^né  de  la  \  ieille-Hlanchisserie;  mais 
j^rand'mère  nV  allait  que  rarement  avec 
les  enfants,  surtout  si  les  maîtres  s'y 
trouvaient.  Elle  en  admirait,  il  est  vrai, 
l"arrani;cment  exquis,  les  magnifiques 
Heurs,  les  arbres  rares,  les  jets  d'eau  et 
les  poissons  dorés  qui  se  jouaient  dans 
le  bassin;  et  cependant  elle  préférait 
aller  avec  les  enfants  dans  la  prairie 
ou  dans  la  foret.  Là  du  moins  ils  pou- 
vaient se  rouler  à  l'aise  sur  le  moel- 
leux tapis  de  verdure;  là  ils  pouvaient 
respirer,  sentir  le  parfum  de  chaque 
Heur,  et  en  cueillir  autant  qu'ils  vou- 
laient pour  en  faire  des  bouquets  et  des 
couronnes.  Dans  les  champs  ne  crois- 
saient ni  orangers  ni  citronniers,  mais 
çà  et  là  se  dressait  un  large  merisier  ou 
un  poirier  sauvage  qui,  dans  la  saison, 
était  couvert  de  fruits,  et  tout  le  monde 
pouvait  en  cueillir  à  volonté.  Dans  la 
forêt  il  y  avait  des  fraises,  des  airelles, 
des  champignons,  des  noisettes  à  foison. 

Dans  la  prairie,  grand'mère  rencon- 
trait des  personnes  qui  s'empressaient 
de  la  saluer,  s'arrêtaient  et  lui  deman- 
daient :  «  Où  allez-vous  donc,  grand'- 
mère ?  Comment  vous  portez-vous  ? 
Qu'est-ce  qu'on  fait  donc  chez  vous?  » 
l'^t  tout  de  suite  on  se  donnait  des  nou- 
velles. 

Mais  au  château,  rien  de  semblable  ! 
Aussi  disait-elle  toujours  à  la  maison  : 
-'   Là-bas,  c'est   une  vraie   Babylone  !    » 

Devant  le  château  étaient  assis  deux 
laquais  tout  galonnés,  un  de  chaque 
côté  de  la  porte.  Quand  M.  Prochek 
s'approcha  d'eux,  ils  le  saluèrent  en 
allemand,  chacun  avec  un  accent  diffé- 
rent. L'antichambre  était  pavée  de 
dalles  de  marbre  blanc;  au  milieu,  il  y 
-iivait   un    billard  artistement    travaillé. 


Le  long  des  murs,  des  piédestaux  de 
marbre  vert  supportaient  de  blanches 
statues  de  plâtre,  représentant  des  per- 
sonnages mythologiques.  Quatre  portes 
donnaient  accès  dans  les  appartements 
de  la  princesse.  Devant  l'une  d'elles, 
sur  un  fauteuil,  était  assis  le  valet  de 
chambre  en  frac,  il  dormait.  C'est  là 
que  M.  Prochek  conduisit  grand'mère 
et  les  enfants.  Le  valet  de  chambre,  en 
entendant  du  bruit,  s'éveilla  en  sursaut. 
Mais  en  apercevant  M.  Prochek,  il  sa- 
lua et  demanda  quelle  circonstance 
amenait  monsieur  au  château. 

—  M'"''  la  princesse  a  désiré  que  ma 
belle-mère  vînt  la  voir  aujourd'hui  avec 
les  enfants,  répondit  M.  Prochek.  Je  vous 
prie,  monsieur  Léopold,  de  les  annoncer  ! 

M.  Léopold  fronça  les  sourcils,  se- 
coua les  épaules  en  disant  : 

—  Je  ne  sais  si  elle  voudra  recevoir  : 
elle  est  dans  son  cabinet,  elle  travaille. 
Je  vais  toujours  les  annoncer. 

Il  se  leva  et  d'un  pas  nonchalant 
franchit  le  seuil  de  la  porte  près  de  la- 
quelle il  était  assis.  Un  instant  après  il 
ressortit,  laissant  la  porte  entr'ouverte, 
et  d'un  air  gracieux  leur  fit  signe  d'en- 
trer. M.  Prochek  se  retira,  et  grand'- 
mère pénétra  avec  les  enfants  dans  un 
magnifique  salon.  Les  enfants  ne  respi- 
raient plus,  leurs  petits  pieds  glissaient 
sur  le  parquet  poli  comme  une  glace. 
Grand'mère  se  croyait  dans  un  rêve. 
Elle  se  demandait  si  elle  pouvait  mettre 
le  pied  sur  ces  tapis  brochés.  «  C'est 
vraiment  dommage  »,  se  disait-elle. 
Mais  que  faire?  Il  y  en  avait  partout, 
et  M.  le  valet  de  chambre  y  marchait 
bien.  Il  les  conduisit,  à  travers  la  salle 
de  concert  et  la  bibliothèque,  jusqu'au 
cabinet  de  la  princesse,  puis  il  retourna 
à  son  fauteuil  en  grommelant  : 

—  Ces"  seigneurs  ont  de  singulières 
fantaisies;  comme  si  l'on  était  ici  pour 
servir  une  personne  aussi  commune  et 
des  enfants  1 


VIII. 


706 


LA    VISITE    AU    CHATEAU 


Dans  le  cabinet  de  la  princesse  les 
tapisseries  étaient  vert  clair,  brochées 
d'or;  des  portières  tout  à  fait  sembla- 
bles pendaient  à  la  porte.  Aux  parois 
étaient  suspendus  beaucoup  de  tableaux, 
petits  et  grands,  qui  tous  étaient  des 
portraits.  En  face  de  la  fenêtre  se  trou- 
vait la  cheminée  en  marbre  gris,  tacheté 
de  noir  et  de  blanc,  sur  laquelle  étaient 
placés  deux  vases  de  porcelaine  du 
Japon  remplis  de  mag'uifiques  ileurs 
dont  le  parfum  embaumait  tout  le  cabi- 
net. Des  deux  côtés  se  dressaient  deux 
étagères  en  bois  précieux  d'un  travail 
exquis,  sur  lesquelles  étaient  toutes 
sortes  de  choses  remarquables,  les  unes 
par  l'art  de  leur  exécution,  les  autres 
par  leur  haute  valeur  ou  leur  prove- 
nance, comme  de  beaux  coquillages,  des 
coraux,  des  pierres,  etc.  C'étaient  des 
souvenirs  de  voyage  et  des  présents  de 
personnes  chères.  Dans  un  angle  près 
de  la  fenêtre  se  dressait  une  statue 
d'Apollon  en  marbre  de  Carrare;  dans 
l'autre  un  bureau  secrétaire  fort  simple, 
mais  artistement  travaillé.  C'est  devant 
ce  bureau,  sur  un  fauteuil  garni  de  ve- 
lours vert  foncé,  qu'était  assise  la  prin- 
cesse, en  robe  blanche  du  matin.  Elle 
venait  de  déposer  sa  plume  au  moment 
oià  grand'mère  et  ses  petits-enfants  en- 
traient dans  son  cabinet. 

—  Loué  soit  Jésus-Christ,  dit  grand- 
mère   en    s'inclinant  respectueusement. 

—  Dans  l'éternité  !  répondit  la  prin- 
cesse. Sois  la  bienvenue,  bonne  vieille, 
ainsi  que  tes  enfants  ! 

Les  enfants  étaient  tout  stupéfaits  ; 
mais  sur  un  signe  de  grand'mère,  ils 
vinrent  aussitôt  baiser  la  main  de  ma- 
dame la  princesse.  Elle-même  les  baisa 
sur  le  front  et,  indiquant  un  magnifique 
siège  de  velours  et  de  brocart,  à  franges 
d'or,  elle  invita  grand'mère  à  s'asseoir. 

—  Merci,  madame  la  princesse,  je  ne 
suis  pas  fatiguée,  dit  grand'mère  avec 
cérémonie  ;  la  vérité  est  quelle  avait 
peur,  en  s'y  asseyant,  que  la  chaise  ne 
glissât  ainsi  qu'elle-même,  ou  qu'elle  ne 
se  brisât. 

Mais  la  princesse  lui  ayant  dit  alors 


positivement  :  «  Assieds-loi,  ma  bonne 
vieille  !  »  grand'mère  déploya  son  fichu 
blanc  sur  la  chaise  et  s'y  assit  avec  pré- 
caution en  ajoutant  : 

—  Pour  ne  pas  contrarier  madame  la 
princesse  ! 

Les  enfants  se  tenaient  immobiles 
comme  des  cierges  ;  mais  leurs  yeux 
sautaient  d'un  objet  à  l'autre  ;  la  prin- 
cesse les  regarda  et  leur  demanda  en 
souriant  : 

—  Eh  bien,  cela  vous  plaît-il  ici? 

—  Oui,  firent-ils  tous  d'un  signe  de 
tête. 

—  Quant  à  cela,  ce  serait  une  bien 
jolie  place  pour  s'amuser  et  il  ne  fau- 
drait pas  les  prier  beaucoup  pour  les 
faire  rester,  ajouta  grand'mère. 

—  Et  toi,  est-ce  que  tu  ne  te  plairais 
pas  ici  ?  demanda  la  princesse  à  grand'- 
mère. 

—  C'est  aussi  beau  qu'au  paradis  ; 
mais  pourtant  je  ne  voudrais  pas  y  de- 
meurer !  répondit  grand'mère  en  hochant 
la  tête. 

—  Et  pourquoi  pas  ?  demanda  la  prin- 
cesse avec  étonnement. 

—  Et  qu'y  ferais-je  ?  Vous  n'avez 
point  de  ménage  ici  ;  je  n'y  pourrais  ni 
préparer  des  lits  de  plumes,  ni  faire 
tourner  mon  rouet;  à  quoi  pourrais-je 
m'occuper? 

—  Mais  ne  voudrais-tu  pas  y  vivre- 
sans  tous  ces  soucis  et  y  passer  en  paix 
tes  vieux  jours? 

—  11  viendra  sans  doute  un  peu  plus 
tôt,  un  peu  plus  lard,  le  temps  où  le  soleil 
se  lèvera  et  se  couchera  sur  ma  tête  et 
où  je  dormirai  sans  soucis.  Mais  tant 
que  je  vivrai  et  que  le  bon  Dieu  me  con- 
servera en  bonne  santé,  il  convient  que 
je  travaille.  Cela  coûte  cher  d'être  pa- 
resseux, et  cela  ne  sert  à  rien;  et  vivre 
sans  aucun  souci  n'est  donné  à  personne  ; 
l'un  a  une  peine  et  l'autre  en  a  une- 
autre;  chacun  porte  sa  croix  avec  cette 
difïérence  que  chacun  ne  succombe  pas 
sous  son  poids,  reprit  grand'mère. 

A  ce  moment,  une  main  blanche  sou- 
leva la  lourde  portière  de  la  porte,  et, 
dans  l'ouverture ,    parut    un    charmant 


I-A     NISITl-:    Ali    CHATEAU 


visa},'c  (le  ii'iiiic  lillc  l'iicjicli'é   de  boucles 
châtain  clair. 

-    Puis-je     eiihcr?     (iLMuanda  - 1 -clic 
(l'une  vdix  harmoiuensc. 

--  l'InlrCj  llorteiisc,  lu  Irouvcias  une 
aimable  socic'lé,  lui  répoiulil  la  prin- 
cesse. 

Aussil(")t  enlra  dans  le  cabinet  la  com- 
tesse Ilorlense,  la  lille  adoplive  de  la 
princesse,  comme  on  disait.  Sa  taille 
c-tait  mince,  non  encore  développée. 
KWc  portait  une  robe  blanche  très 
simple;  d'une  main  elle  tenait  un  cha- 
peau de  paille  rond  et  de  l'autre  un 
bouquet  de  roses  : 

—  Ah  !  les  gentils  petits  enfants  ! 
s'écria-t-elle,  sans  doute  les  petits  Pro- 
chek  dont  lu  m'as  apporté  les  bonnes 
fraises  ? 

La  princesse  lit  un  signe  d'aflirmalion. 
La  comtesse  s'inclina  pour  donner  à 
chacun  des  enfants  une  rose;  elle  en 
donna  aussi  une  à  grand'mère,  une  autre 
à  la  princesse  et  mit  la  dernière  à  sa 
ceinture. 

—  C'est  un  bouton  aussi  frais  que 
vous,  ma  gracieuse  demoiselle,  dit 
grand'mère  en  respirant  son  parfum. 
Que  le  bon  Dieu  vous  la  conserve,  ma- 
dame, ajouta-t-elle  en  se  tournant  vers 
la  princesse. 

—  C'est  aussi  mon  plus  ardent  désir, 
dit  la  princesse  en  baisant  le  front  pur 
de  sa  chère  enfant. 

—  Puis-je  emmener  un  peu  les  petits 
enfants  avec  moi?  demanda  la  comtesse 
à  la  princesse  et  à  grand'mère;  la  prin- 
cesse fit  signe  que  oui,  mais  grand'mère 
observa  qu'ils  seraient  à  charge  à  ma- 
demoiselle ;  les  garçons  étaient  remuants 
comme  des  chiens  de  chasse;  et  Jean, 
c'était  encore  le  pire  de  tous. 

Mais  Hortense  en  souriant  leur  tendil 
les  deux  mains  et  leur  dit  : 

—  'V^oulez-vous  venir  avec  moi? 

—  Nous  le  voulons  bien,  répétèrent 
les  enfants  tout  joyeux  en  lui  saisissant 
les  mains.  Elle  s'inclina  devant  la  prin- 
cesse et  grand'mère  et  disparut  avec  eux 
derrière  la  porte.  La  princesse  alors  prit 
une  sonnette  d'argent  placée  sur  la  table 


cl  sotuia;  un  instant  après  apparaissait 
à  la  porte  le  valet  de  chambre  Léopold. 
La  princesse  lui  ordonna  de  faire  servir 
le  (léjeiiner  dans  le  [)elit  salon  et  lui 
remit  un  paquet  de  lettres  à  expédier  à 
leur  adresse.  Léopold  s'inclina  et  dis- 
parut. 

Peudaul  que  la  princesse  parlait  au 
valet  de  chambre,  grand'mère  examinait 
les  portraits  suspendus  tout  autour  de 
la  salle. 

—  Mon  bon  seigneur  Dieu  !  fît-elle 
dès  que  le  valet  de  chambre  fut  sorti, 
quels  drôles  de  costumes  et  de  visages! 
Cette  dame-là  est  habillée  justement 
comme  défunte  Halachkova,  Dieu  lui 
donne  le  ciel!  Elle  portait  aussi  de  hauts 
talons,  des  jupes  bouffantes  si  serrées  à 
taille  qu'elle  semblait  coupée  et  sur  sa 
tête  un  bonnet  à  aigrette.  Son  mari  était 
conseiller  à  Dobrouchka,  et  quand  nous 
y  allions  quelquefois  à  la  fête,  nous  les 
voyions  à  l'église.  Nos  garçons  l'appe- 
laient «  Poupée  pavot  »,  parce  que  ses 
robes  et  sa  tête  poudrée  la  faisaient  res- 
sembler à  une  fleur  de  pavot  aux  pé- 
tales recourbés.  On  disait  que  c'était 
la  mode  française. 

—  Cette  dame,  c'est  ma  grand'mère, 
dit  la  princesse. 

—  Eh  bien!  pourquoi  pas?  c'est  une 
belle  dame,  répondit  grand'mère. 

—  A  droite,  c'est  mon  grand-père; 
à  gauche,  mon  père,  continua  la  prin- 
cesse en  les  montrant. 

—  Beaux  hommes!  madame  la  prin- 
cesse ne  reniera  pas  son  père.  Et  où  est 
madame  sa  mère? 

—  Voici  ma  mère  et  ma  scxîur,  dit  la 
princesse  en  montrant  deux  portraits 
placés  au-dessus  de  son  bureau. 

—  Deux  belles  personnes  :  on  a  du 
plaisir  à  les  regarder,  ajouta  grand'mère, 
mais  la  jeune  sœur  ne  ressemble  ni  à 
son  père  ni  à  sa  mère;  il  arrive  quel- 
quefois que  les  enfants  ressemblent  à 
un  de  leurs  ancêtres,  Dieu  sait  à  quel 
degré.  Ah!  ce  jeune  homme  ne  m'est 
pas  inconnu,  mais  je  ne  puis  pas  me 
rappeler  où  je  l'ai  vu. 

—  C'est  l'empereur  de  Russie  Alexan- 


708 


LA    VISITK    AU    CHATEAU 


dre,   se  hâla  de  répondre  la   princesse, 
lu  ne  l'as  pas  connu  ! 

—  Mais  si,  comment  ne  l'aurais-je 
pas  remarqué  :  je  me  trouvai  à  peine  à 
vingt  pas  de  lui.  Celait  un  bel  homme, 
seulement  ici  il  est  plus  jeune;  mais 
pourtant  je  lai  bien  reconnu.  Lui  et 
l'empereur  Joseph,  cela  faisait  vraiment 
une  belle  paire  ! 

La  princesse  montra  sur  la  paroi  op- 
posée un  buste  de   grandeur  naturelle. 

—  L'empereur  Joseph  !  s'écria  grand'- 
mère  en  frappant  dans  ses  mains. 
Mais  voyez  donc  un  peu  comme  vous 
les  avez  ici  tous  ensemble  !  Je  ne  pen- 
sais guère  voir  l'empereur  Joseph  au- 
jourd'hui. Dieu  lui  donne  la  gloire  éter- 
nelle !  C'était  un  bon  seigneur,  surtout 
pour  le  pauvre  peuple  !  Cet  écu  d'ar- 
gent, c'est  lui  qui  me  l'a  donné  de  sa 
propre  main,  dit  grand'mère  en  tirant 
l'écu  de  son  sein. 

Madame  la  princesse  aimait  la  fran- 
chise de  grand'mère  et  ses  reparties  si 
justes;  elle  lui  demanda  de  lui  raconter 
quand  et  comment  l'empereur  lui  avait 
donné  cette  pièce  d'argent.  Grand'mère 
ne  se  fit  pas  prier  et  raconta  à  la  prin- 
cesse ce  que  nous  venons  de  lui  en- 
tendre dire  au  moulin.  La  princesse  rit 
de  bon  cœur  à  ce  récit.  Grand'mère,  con- 
tinuant ensuite  son  examen  de  la  chambre, 
aperçut  le  portrait  du  roi  Frédéric. 

—  Ah  !  c'est  le  roi  de  Prusse,  fit-elle, 
j'ai  bien  connu  aussi  ce  potentat.  Mon 
défunt  Jirji  a  servi  dans  l'armée  prus- 
sienne, et  moi  j'ai  passé  quinze  ans  en 
Silésie.  11  a  plus  d'une  fois  fait  sortir 
Jirji  des  rangs  pour  le  récompenser.  11 
aimait  les  hommes  grands  ;  et  mon  Jirji 
était  le  plus  grand  de  tout  le  régiment 
et  svelte  comme  une  jeune  fille.  Je  n'au- 
rais jamais  cru  que  je  le  verrais  un  jour 
dans  la  tombe;  un  homme  comme  lui, 
solide  comme  le  roc;  et  il  est  déjà  de- 
puis longtemps  dans  l'éternité  et  moi,  je 
suis  encore  ici!  soupira  la  pauvre  vieille 
et  une  larme  coula  sur  sa  joue  ridée. 

—  Est-ce  à  la  guerre  qu'est  tombé  ton 
mari?  demanda  la  princesse. 

—  Pas  positivement,   mais    c'est   des 


suites  d'un  coup  de  feu  qu'il  est  mort. 
Quand  éclata  l'insurrection  en  Pologne 
et  que  le  roi  de  Prusse  s'y  joignit  aux 
Russes,  notre  régiment  s'y  trouvait.  J'y 
suivis  mon  mari  avec  mes  enfants;  j'en 
avais  deux  et  le  troisième  naquit  pen- 
dant cette  campagne.  C'est  ma  fîlle 
Jeanne,  celle  qui  est  maintenant  à 
Vienne  et  cest  peut-être  pour  cela  qu'elle 
est  si  courageuse;  car  dès  sa  naissance, 
elle  dut  s'habituer  à  tout  comme  un 
soldat.  Ce  fut  une  campagne  bien  mal- 
heureuse. Au  premier  choc,  ils  me  rap- 
portèrent Jirji  au  camp  sur  une  civière. 
Un  boulet  lui  avait  brisé  la  jambe.  — 
Ils  la  lui  coupèrent.  Je  le  soignai  du 
mieux  que  je  pus.  Quand  il  fut  un  peu 
rétabli,  ils  le  renvoyèrent  à  Nisse.  J'étais 
contente  en  pensant  qu'il  allait  être 
guéri ,  que,  puisqu'il  était  estropié,  ils 
n'en  voudraient  plus  et  que  nous  pour- 
rions retourner  en  Bohême.  Mais  mon 
espérance  fut  bien  déçue.  Il  commença 
tout  d'un  coup  à  s'affaiblir,  et  ni  remède 
ni  secours  n'y  firent;  il  lui  fallut  mourir. 
Je  donnai  jusqu'à  mon  dernier  gros 
pour  les  médicaments  et  tout  cela  ne 
servit  à  rien.  Je  crus  bien  cette  fois  que 
je  perdrais  la  raison,  que  mon  cœur  se 
fendrait  de  chagrin.  Mais  l'homme  peut 
supporter  bien  des  choses,  madame  la 
princesse  !  Il  me  restait  trois  orphelins; 
d'argent  pas  un  denier,  et  seulement 
quelques  haillons.  Dans  ce  même  régi- 
ment où  Jirji  servait,  il  y  avait  un  ser- 
gent nommé  Lehotsky,  le  meilleur  ami 
de  Jirji;  il  s'occupa  de  moi  et  dès  que 
je  lui  eus  dit  que  je  pouvais  faire  des 
couvertures,  il  me  procura  un  métier  à 
tisser  et  toutes  les  autres  choses  dont 
j'avais  besoin  pour  cela.  Que  Dieu  l'en 
récompense  !  Cela  me  vint  bien  à  point, 
ce  que  dans  ma  jeunesse  j'avais  appris 
de  feu  ma  belle-mère.  Mon  travail  se 
vendait  bien;  et  bientôt  je  pus  payer 
ma  dette  à  Lehotsky  et  même  vivre  con- 
venablement avec  mes  enfants.  Je  dois 
dire  qu'il  y  avait  de  braves  gens  dans 
cette  ville,  mais  pourtant  je  m'y  en- 
nuyais à  mourir.  Depuis  le  moment  où 
Jirji   n'était   plus,  je  m'y  sentais   aussi 


LA    VISITK 


AU    CHATEAU 


709« 


abandonnée,  aussi  isolée  qu  un  poirier 
au  milieu  d'un  champ.  Il  me  semblait 
que  je  serais  mieux  dans  mon  pays  qu'au 
milieu  d'étrangers  et  je  m'en  ouvris  à 
Lehotsky.  Mais  il  m'en  dissuada  en 
m'assurant  que  je  recevrais  certainement 
une  pension  et  que  le  roi  prendrait  soin 
de  mes  enfants.  Je  lui  en  sus  gré;  mais 
je  n'en  restai  pas  moins  résolue  à  re- 
tourner dans  mon  pays.  —  Une  chose 


aussi  qui  me  contrariait,  c'étaiila  langue 
allemande.  Tant  que  nous  fûmes  à  Kladsk 
(Glatz',  cela  allait  ;  là  j'étais  comme  chez 
nous,  car  on  y  parlait  plus  tchèque 
qu'allemand  ;  mais  à  Nisse  déjà  l'alle- 
mand prédominait  et  jamais  je  n'ai  pu 
apprendre  la  langue  allemande.  —  A 
peine  étais-je  un  peu  hors  d'embarras 
qu'une  inondation  survint.  C'est  un'mé- 
chant  élément    que  l'eau    quand   il   est 


;io 


LA    VISITE    AU    CHATEAU 


déchaîné  et  qu'on  ne  peut  Téviter  même 
à  cheval.  Ce  fut  si  rapide  que  les  gens 
ne  purent  sauver  leur  vie  qu'à  grand'- 
peine.  Je  rassemblai  en  toute  hâte  ce 
que  j'avais  de  plus  précieux,  mis  le  pa- 
quet sur  mon  dos,  pris  mon  plus  jeune 
enfant  sous  mon  bras,  les  deux  autres 
par  la  main  et  ainsi  je  me  sauvai  avec 
eux  ayant  déjà  de  l'eau  jusqu'à  la  che- 
ville. Lehotsky  accourut  à  notre  secours 
et  nous  porta  dans  la  ville  haute  où  de 
bonnes  gens  nous  reçurent  sous  leur 
toit.  On  sut  bientôt  dans  la  ville  que 
j'avais  perdu  à  peu  près  tout  et  aussitôt 
de  braves  gens  se  hâtèrent  de  me  venir 
en  aide.  Le  général  lui-même  me  fit 
appeler  et  me  dit  que  je  recevi^ais  cha- 
que année  quelques  thalers  et  une  occu- 
pation fixe  par  la  faveur  du  roi;  que 
mon  garçon  entrerait  dans  un  Institut 
militaire  et  mes  filles  dans  l'Institut 
royal  pour  les  jeunes  filles.  Cela  ne  me 
causa  pas  la  moindre  joie  et  je  le  priai 
de  me  donner  quelques  florins,  s'il  vou- 
lait me  faiix  une  faveur  pour  que  je 
pusse  retourner  chez  moi  en  Bohême. 
Quant  à  mes  enfants,  je  ne  voulais  pas 
m'en  séparer,  afin  de  les  élever  dans  ma 
religion  et  dans  ma  langue.  Mais  c'est 
ce  qu'ils  ne  voulaient  pas  et  on  me  dit 
que  si  je  ne  restais  pas,  je  n'obtiendrais 
rien.  «  Rien,  eh  bien!  va  pour  rien;  le 
bon  Dieu  ne  nous  laissera  pas  mourir 
de  faim  !  »  pensai-je  et  je  remerciai  le 
roi  de  toutes  ses  faveurs. 

—  Il  me  semble  pourtant  que  tes  en- 
fants y  auraient  trouvé  un  avenir  assuré, 
objecta  la  princesse. 

—  C'est  bien  possible,  madame  la 
princesse;  mais  ils  me  seraient  devenus 
étrangers.  Qui  là-bas  leur  aurait  appris 
à  aimer  leur  patrie  et  leur  langue  ma- 
ternelle ?  —  Personne.  Ils  auraient 
adopté  une  langue  étrangère,  des  mœurs 
étrangères  et  finalement  ils  auraient  en- 
tièrement oublié  leur  origine.  Comment 
aurais-je  pu  prendre  la  responsabilité 
de  tout  cela  devant  Dieu?  —  Non,  non, 
celui  qui  a  dans,  les  veines  du  sang 
tchèque  doit  rester  fidèle  à  la  langue 
tchèque  !  —  Je  demandai   l'autorisation 


de  partir  ;  et  après  avoir  rassemblé  les 
quelques  hardes  qui  me  restaient,  j'em- 
menai mes  enfanls  et  je  dis  adieu  à  cette 
ville  où  j'avais  passé  tant  de  jours,  les 
uns  amei's  et  les  autres  heureux.  Les 
ménagères  chargèrent  les  enfants  de 
gâteaux  et  me  donnèrent  quelques  tha- 
lers pour  le  voyage.  Que  le  bon  Dieu 
rende  aux  enfants  de  ces  braves  gens 
tout  le  bien  qu'ils  m'ont  fait  !  Le  pauvre 
Lehotsky  m'accompagna  une  bonne  lieue 
en  portant  ma  petite  Joanka.  Il  était 
attristé  de  mon  départ;  car  notre  mai- 
son, c'était  sa  Prague,  à  lui  !  Nous  pleu- 
râmes tous  deux  en  nous  disant  adieu. 
Tant  qu'il  fut  à  Nisse,  il  allait  sur  la 
tombe  de  Jirji  dire  un  Notre-Père  :  ils 
s'étaient  aimés  tous  deux  comme  deux 
frères.  Il  périt  dans  la  campagne  de 
France.  Que  le  bon  Dieu  lui  donne  le 
repos  éternel  ! 

—  Et  comment  es-tu  revenue  avec  les 
enfants  en  Bohême?  lui  demanda  encore 
la  princesse. 

—  Oh  !  madame,  j'ai  beaucoup  souf- 
fert en  route.  Je  ne  connaissais  pas  le 
chemin  :  je  m'égarai  et  perdis  ainsi  beau- 
coup de  temps.  Nous  avions  les  pieds 
couverts  d'ampoules  sanglantes,  les  en- 
fants et  moi;  et  nous  pleurâmes  souvent 
de  faim,  de  fatigue  et  de  douleur  quand 
nous  étions  longtemps  sans  pouvoir 
trouver  un  toit  hospitalier.  Heureuse- 
ment j'arrivai  avec  eux  dans  la  monta- 
gne de  Kladsk  où  je  me  sentis  déjà 
comme  chez  moi.  Je  suis  originaire 
d'Oleschnits  près  de  la  frontière  de  Silé- 
sie,  mais  peut-être  madame  la  princesse 
ne  sait-elle  pas  où  est  Oleschnits.  Au 
fur  et  à  mesure  que  j'appi'ochais  de  la 
maison  paternelle,  je  sentais  mon  cœur 
se  serrer  comme  sous  le  poids  d'une 
lourde  peine.  Je  me  demandais  si  mes 
parents  étaient  encore  en  vie  et  com- 
ment ils  me  recevraient.  Ils  m'avaient 
donné  une  belle  dot  et  voilà  que  je  re- 
venais les  mains  vides  et  amenais  avec 
moi  trois  orphelins  !  Que  vont-ils  me 
dire?  Ces  pensées  me  trottaient  dans  la 
tête  tout  le  long  du  chemin.  Et  puis 
aussi  je  craignais  que  de  tristes  change- 


I.A     NISITK     AT     CIIATICAU 


:ii 


nienls  ne  fussent  siirveiius  pciulanl  ces 
deux  années  peiulaiil  lesquelles  je  n'a- 
vais eu  d'eux  aucunes  nouvelles. 

—  VA  ne  leur  avie/.-vous  donc  jamais 
écrit,  ton  mari  du  moins,  sinon  toi  ? 
demanda  la  princesse  étonnée. 

— -    Ce    n'est    pas 
l'usage     che/     nous 
d'envoyer  des 
lettres.     Nous 


de  notre  village,  qui  étaient  bien  loin  au 
delà  des  frontières;  c'étaient  des  lettres 
(le   leurs  parents  qui    désiraient  savoir 
s'ils  étaient  en  vie  ou 
non,  ou  bien  qui  leur 
envoyaient 
quelques  flo- 
rins.      Mais 


Jg^âi^^ 


pensons  les  uns  aux  autres;  et  par  occa- 
sion, quand  on  rencontre  un  visage 
connu,  on  se  fait  savoir  comment  cela 
va  chez  soi.  Des  feuilles  de  papier  !  — 
On  ne  sait  entre  quelles  mains  elles  tom- 
bent ni  où  elles  vont.  Mon  père  a  écrit 
quelquefois  des  lettres  aux  soldats  natifs 


lorsqu'ils    étaient  de   retour,   ils 

disaient  toujours  qu'ils  n'avaient 

rien  reçu.    Et   c'est   comme   ça, 

madame  la  princesse,  quand  arrive  une 

lettre  d'un  homme  du  commun,  on   n'y 

fait  aucune  attention. 

—  Ne  va  pas  penser  cela ,  ma  bonne 
vieille!  lui  dit  la  princesse  en  l'inter- 
rompant, toute  lettre,  quelle  que  soit  la 
personne  qui  l'envoie,  doit  être  remise 


712 


LA    VISITE    AU    CHATEAU 


en  propres  mains  à  celui  à  qui  elle  est 
adressée.  Aucune  autre  personne  ne 
peut  ni  la  retenir,  ni  l'ouvrir  :  on  en- 
courrait par  là  une  grande  punition. 

—  C'est  une  chose  bien  juste,  cela; 
et  je  crois  M""®  la  princesse  ;  mais  à 
quoi  bon  tout  cela,  puisque  nous  avons 
plus  confiance  dans  un  brave  homme? 
Sur  un  de  ces  morceaux  de  papier  on 
ne  peut  pas  tout  de  même  écrire  entiè- 
rement tout  ;  on  voudrait  bien  encore 
demander  cecij  puis  cela  ;  et  on  ne  le 
peut  pas;  mais  quand  arrivent  soit  un 
colporteur,  soi  t  quelque  pèlerin  de  là-bas, 
ceux-ci  rapportent  fidèlement  tout,  mot 
pour  mot.  Et  ainsi  j'aurais  eu  des  miens 
beaucoup  plus  de  nouvelles  ;  mais  il  y 
avait  des  troubles  dans  la  contrée  et  bien 
peu  de  monde  allait  et  venait.  La  nuit 
allait  tomber  quand  j'arrivai  avec  mes 
enfants  au  village.  C'était  en  été;  et  je 
savais  que  c'était  l'heure  où  ils  sou- 
paient.  J'entrai  par  derrière  à  travers  le 
verger  pour  ne  rencontrer  personne. 
Mais  de  notre  ferme,  les  chiens  accou- 
rurent en  aboyant  après  nous.  Je  les 
appelai. par  leurs  noms,  mais  ils  aboyè- 
rent encore  plus  fort.  Les  larmes  me 
tombèrent  des  yeux,  tant  j'avais  le  cœur 
gros  !  Sotte  que  j'étais,  je  ne  pensai 
point  qu'il  y  avait  déjà  quinze  ans  que 
j'étais  partie  de  la  maison,  et  que  ce 
n'étaient  plus  les  mêmes  chiens  à  qui 
j'apportais  autrefois  leur  nourriture. 
Dans  le  jardin,  on  avait  planté  beau- 
coup de  jeunes  arbres  ;  la  haie  avait  été 
renouvelée;  le  toit  de  la  grange  refait; 
mais  Te  poirier  sous  lequel  je  venais 
m'asseoir  avec  Jirji  avait  été  touché 
par  l'envoyé  de  Dieu  (la  foudre)  et  sa 
cime  avait  été  brisée.  A  la  chaumière 
voisine,  rien  n'avait  changé  ;  mon  père, 
qui  l'avait  prise  en  viager,  l'habitait  de- 
puis la  mort  delà  Novotna.  C'était  cette 
Novolna  qui  faisait  des  couvertures  de 
laine,  et  feu  mon  pauvre  mari  était  son 
fils.  Près  de  la  chaumière,  il  y  avait  un 
petit  jardin  ;  la  défunte  y  avait  toujours 
un  carré  de  persil  et  d'oignons,  quelques 
touffes  de  menthe  crépue,  de  la  sauge 
et  de  ces  autres  choses  dont  on  a  besoin 


dans  un  ménage;  car  elle  aussi,  elle 
aimait  les  simples  tout  autant  que  moi. 
Jirji  lui  avait  fait  une  haie  de  baguettes 
entrelacées  autour  du  jardinet.  C'était 
bien  encore  la  même  haie  ;  mais  le  jardin 
était  couvert  d'herbe  ;  c'est  à  peine  sil 
y  avait  çà  et  là  quelques  oignons.  De  la 
niche  sortit  un  vieux  chien  à  moitié 
aveugle.  Khloupatchk  (poilu),  me  re- 
connais-tu? lui  criai-je  et  aussitôt  il 
vint  se  frotter  à  mes  pieds.  Je  crus  que 
mon  cœur  allait  éclater  dans  ma  poi- 
trine, en  voyant  celle  face  muette  me 
reconnaître  et  m'accueillir  ainsi.  Les 
enfants  étaient  tout  étonnés  de  me  voir 
pleurer;  car  je  ne  leur  avais  pas  dit  que 
nous  allions  chez  leur  grand'mère;  je 
pensais  en  moi-même  :  s'ils  sont  fâchés 
contre  moi,  au  moins  les  enfants  ne  le 
sauront  pas.  Gaspard,  l'aîné,  me  dit  : 
«  Pourquoi  pleures-tu,  maman?  est-ce  que 
nous  ne  trouverons  pas  à  coucher  ici  ? 
Assieds-toi  et  repose-toi  ;  nous  attendrons 
un  peu  et  moi  je  le  porterai  ton  paquet  : 
nous  n'avons  pas  faim.  »  Johanka 
et  Térezka  affirmèrent  aussi  qu'elles 
n'avaient  pas  faim;  ils  avaient  pourtant 
bien  faim,  car  nous  avions  marché  plu- 
sieurs heures  à  travers  bois  sans  ren- 
contrer aucune  habitation,  a  Mes  enfants, 
leur  dis-je  alors,  c'est  ici,  dans  cette 
habitation,  que  naquit  votre  père,  et 
c'est  là,  à  côté,  que  votre  mère  est  née  ; 
et  c'est  là  que  demeurent  votre  grand- 
père  et  votre  grand'mère.  Remercions 
le  bon  Dieu,  qui  nous  a  heureusement 
conduits  jusqu'ici  et  prions-le  qui! 
veuille  nous  y  ménager  un  accueil  pa- 
ternel !  »  Nous  récitâmes  ensemble  le 
Notre-Père  ;  ensuite  je  m'avançai  près 
de  la  porte  de  la  chaumière.  Mon  père 
et  ma  mère  habitaient  la  réserve;  mon 
frère  avait  le  bien,  je  savais  tout  cela. 
A  la  porte  était  encore  l'image  que  Jirji 
avait  apportée  de  Vamberjits  à  sa  mère  : 
c'étaient  la  sainte  Vierge  et  les  quatorze 
aides.  Il  me  tomba  du  cœur  comme  une 
pierre  en  la  voyant.  «  C'est  vous  qui 
m'avez  vue  partir,  et  c'est  vous  qui 
m'avez  ramenée  »,  pensai-je;  et,  pleine 
de  confiance,  j'entrai  dans  la  chambre. 


LA     VISITK     AT     Cil  A  TK  AU 


TU- 


Mon  père,  ni.'i  inèrc  fl  lii  vieille  Biclka 
élaienL  à  table;  ils  manj;o;iicnl  dans  une 
même  soupière;  c'élail  une  ;uil(/ilia 
(bouillie  au  lailj,  et  je  m'en  souviens 
comme  si  c'était  aujourd'luii.  —  Loué 
soit  Jésus-(]lirisl  !  dis-je  en  saluant.  — 
Dans  lélernité,  répoiulirent-ils.  —  ,Ie 
vous  prie,  maître,  de  vouloir  nous 
donner  à  coucher,  à  moi  et  à  mes  en- 
fants. Nous  venons  de  loin  ;  nous  avons 
faim  et  sommes  fatigués  »,  ajoutai-je, 
mais  ma  voix  commençait  à  trembler. 
Ils  ne  me  reconnaissaient  pas,  car  il  fai- 
sait déjà  obscur  dans  la  salle.  «  Mettez 
de  côté  votre  paquet  et  prenez  place  à 
table  !  »  me  dit  le  père  en  posant  sa 
cuiller.  —  Bietka,  dit  en  même  temps 
ma  mère,  va  faire  chauffer  encore  un 
peu  de  soupe.  En  attendant  asseyez- 
vous,  la  mère,  coupez-vous  du  pain  et 
donnez-en  aux  enfants  !  Ensuite  on  vous 
fera  un  lit  au  g^renier.  D'où  venez-vous 
donc? —  De  Silésie,  de  Nisse,  répon- 
dis-je.  —  Tiens  !  c'est  là  qu'est  notre 
Madeleine,  dit  mon  père.  —  Dites-moi, 
je  vous  prie,  bonne  femme,  vous  n'en 
avez  pas  entendu  parler?  demanda  ma 
mère  en  se  rapprochant  de  moi,  Made- 
leine Novotna,  son  mari  est  soldat.  C'est 
notre  fille,  et,  depuis  deux  ans  déjà, 
nous  ne  savons  pas  ce  qu'elle  est  de- 
venue. Moi,  je  fais  toujours  de  mauvais 
rêves;  dernièrement  j'ai  rêvé  qu'il  me 
tombait  une  dent,  et  cela  me  fit  bien 
mal  ;  depuis  je  ne  fais  que  penser  à  ma 
fille  et  aux  enfants  ;  je  me  dis  que  peut- 
être  il  est  arrivé  quelque  chose  à  Jirji, 
depuis  qu'il  y  a  continuellement  des  ba- 
tailles. Dieu  seul  sait  pourquoi  ces 
j;ens-là  ne  préfèrent  pas  le  repos!  »  Je 
pleurais,  mais  les  enfants,  en  entendant 
cette  vieille  femme  parler  ainsi,  me 
tirèrent  par  la  robe  et  demandèrent  : 
«'  Maman,  est-ce  là  notre  grandmère  et 
notre^  ;^a'and-père?  »  A  ces  mots,  ma 
mère  me  reconnut  tout  de  suite  et  se 
jeta  à  mon  cou  ;  mon  père  prit  les  en- 
fants dans  ses  bras  et  nous  nous  mîmes 
alors  à  raconter  tout  ce  qui  s'était  passé. 
Bietka  courut  chez  mon  frère  et  ma 
sœur,  mon  beau-frère  et  ma  belle-sœur; 


el,  en  (pielques  instants,  tout  le  village 
fut  rassemblé.  Ce  n'étaient  pas  seule- 
ment mes  parents  et  mes  camarades, 
c'était  un  chacun  qui  venait  me  féliciter 
de  mon  retour  connue  si  j'avais  été  sa 
propre  sœur.  <«  Tu  as  bien  fait  de  re- 
venir chez  nous  avec  tes  enfants,  dit 
mon  père,  c'est  vrai  que  c'est  partout  la 
terre  du  bon  Dieu  ;  mais  chacun  préfère 
son  pays  à  tout  ;  et  nous,  nous  préférons 
le  nôtre,  et  c'est  ainsi  que  cela  doit  être. 
Tant  que  le  bon  Dieu  nous  donnera  du 
pain,  tu  ne  seras  ni  toi,  ni  tes  enfants, 
dans  le  besoin,  quand  même  tu  ne  pour- 
rais pas  travailler.  Tout  le  reste,  tout  ce 
qui  t'est  arrivé,  c'était  une  lourde  peine  : 
mais  il  faut  mettre  tout  cela  tout  en 
haut,  sur  la  planche!  Ne  l'oublie  pas, 
c'est  à  celui  que  le  bon  Dieu  aime,  qu'il 
envoie  une  croix  à  porter.  »  C'est  ainsi 
que  je  fus  reçue  au  milieu  d'eux  comme 
leur  enfant.  Mon  frère  voulait  me  céder 
une  chambre,  mais  je  préférai  rester 
avec  mes  parents  dans  la  chaumière  où 
Jirji  avait  vécu.  Les  enfants  s'y  trou- 
vèrent comme  chez  eux  et  les  parents 
les  aimaient  bien.  Je  les  envoyais  assi- 
dûment à  l'école.  Dans  ma  jeunesse,  une 
fille  n'apprenait  pas  à  écrire;  c'était 
assez  pour  elle  qu'elle  sût  un  peu  lire  et 
encore  n'y  avait-il  que  celles  de  la  ville. 
Et  c'est  pourtant  dommage,  c'est  même 
un  péché  pour  celui  qui  a  reçu  le  don 
du  Saint-Esprit,  de  le  laisser  impro- 
ductif. Mais,  si  l'on  n'en  a  pas  l'occasion, 
que  peut-on  faire  seul?  Mon  pauvre 
mari,  c'en  était  un  qui  savait  tout;  il  se 
connaissait  dans  les  écritures;  bref,  il 
eût  été  à  sa  place  sur  une  charrette 
comme  en  calèche.  Et  cela  est  bien  :  si 
seulement  tout  le  monde  était  comme 
cela  !  Je  fis  des  couvertures,  comme  au- 
paravant, et  j'en  tirais  de  jolis  gros.  Les 
temps  étaient  bien  mauvais  alors  :  les 
guerres,  les  maladies,  la  famine  plus 
qu'on  n'en  voulait.  Le  boisseau  de  seigle 
coûtait  cent  florins  en  papier.  C'est  assez 
dire  !  —  Mais  le  bon  Dieu  nous  a  pro- 
tégés, car  nous  avons  tout  supporté  tant 
bien  que  mal.  La  misère  était  telle  que 
des  gens  allaient  de  tous  côtés,  l'argent 


714 


LA    VlSITl':    AU    CHATEAU 


à  la  main,  et  ils  ne  pouvaient  rien 
acheter.  Notre  père,  c'était  un  homme 
<'omme  on  n'en  trouve  plus;  toute  sa 
vie  il  a  aidé  chacun  où  et  comme  il  le 
pouvait;  aussi  c'est  près  de  lui  que 
chacun  venait  cpiand  on  ne  savait  plus 
où  aller.  Quand  nos  voisins  plus  pauvres 
venaient  lui  dire  :  »  Cédez-nous  un  bois- 
seau de  seigle,  nous  n'avons  ni  pain,  ni 
grain  »,  il  répondait  :  «  Tant  que  j'en 
ai,  j'en  donne  volontiers;  quand  je  n'en 
aurai  plus,  un  autre  en  donnera  »  et 
aussitôt  il  fallait  que  ma  mère  mît  du 
qrain  dans  le  sac.  Mais  il  n'acceptait  pas 
dar'^'-ent,  oh!  cela,  non  !  «  Nous  sommes 
voisins,  disait-il,  et  si  nous  ne  nous 
aidons  pas  l'un  l'autre,  qui  viendra  à 
notre  secours?  Quand  le  bon  Dieu  bé- 
nira vos  récoltes,  vous  me  rendrez  du 
grain  et  nous  serons  quittes.  »  Et  cela  se 
passait  ainsi.  Aussi  mon  père  recevait-il 
des  milliers  de  :  <i  Dieu  vous  le  rende  »  ; 
et  si  dans  la  journée  il  n'était  pas  venu 
un  seul  mendiant,  ma  mère  serait  allée 
jusqu'à  la  croisée  des  chemins  voir  s'il 
j  en  avait;  c'était  son  bonheur.  Pour- 
quoi aussi  n'auraient-ils  pas  aidé  les 
autres?  Nous  avions  de  quoi  nous  rassa- 
sier et  nous  vêtir,  pourquoi  n'aurions- 
nous  pas  donné  aux  autres  de  notre  su- 
perflu? Il  n'y  a  pas  à  cela  un  bien  grand 
mérite;  ce  n'est  que  le  simple  devoir  du 
chrétien.  Mais  celui  qui  ôte  de  sa 
]:)Ouche  pour  donner,  voilà  qui  est  vrai- 
ment de  la  vertu.  Pourtant,  pour  nous 
aussi,  cela  alla  si  loin  que  nous  ne  fai- 
sions plus  qu'un  i^epas  par  jour,  pour 
que  les  autres  pussent  aussi  avoir  à 
manger.  Eh  bien,  nous  avons  tout  de 
même  passé  ces  mauvais  temps,  et  de 
nouveau  le  soleil  a  lui.  La  paix  revint 
sur  la  terre,  et  tout  alla  de  mieux  en 
mieux.  Quand  Gaspar  quitta  l'école,  il 
voulut  apprendre  à  tisser  ;  et  je  ne  l'en 
détournai  pas.  Tout  artisan  est  son 
maître.  Pour  finir  son  apprentissage,  il 
dut  nous  quitter  et  aller  ailleurs.  Jirji 
disait  toujours  qu'un  artisan  qui  tourne 
autour  du  poêle  et  des  jupes  de  sa  mère 
ne  vaut  pas  un  radis.  Au  bout  de  quel- 
ques années,   il  revint,   s'établit   à  Do- 


brouchka  où  ses  affaires  vont  bien.  Les 
fdles,  je  les  formai  à  tous  les  travaux 
du  ménage,  pour  qu'elles  pussent  con- 
venablement entrer  en  service;  mais 
voici  que  vint  à  notre  village  une  de 
mes  cousines  de  Vienne,  Térezka  lui 
plut  et  tout  de  suite  elle  désira  l'em- 
mener avec  elle  et  prendre  soin  de  son 
avenir.  Cela  me  fut  assez  pénible;  mais 
je  pensai  qu'il  ne  serait  pas  bien  de 
mettre  obstacle  à  son  bonheur,  si  elle 
voulait  aller  voir  le  monde.  Et  puis 
Dorotka  est  une  brave  femme;  ils  ont 
une  maison  comme  il  faut  à  Vienne  et 
pas  d'enfants.  Elle  eut  soin  de  Térezka, 
comme  si  elle  eût  été  sa  mère  et  lui 
donna  un  beau  trousseau  quand  elle  se 
maria.  J'étais  bien  un  peu  contrariée 
que  ma  fille  eût  pris  un  Allemand,  mais 
maintenant  je  n'y  pense  plus.  Jean  est 
un  homme  fort  bon  et  intelligent;  et,  à 
présent,  nous  nous  comprenons  déjà 
bien.  Et  puis,  les  petits  enfants,  ils  sont 
à  moi.  A  la  place  de  Térezka,  Johanka 
est  partie  pour  Vienne.  Elle  s'y  plaît  et 
s'y  trouve  bien,  à  ce  qu'on  m'a  dit. 
Toute  celte  jeunesse  a  maintenant 
d'autres  idées  ;  pour  moi,  je  n'aurais 
jamais  voulu  de  ma  vie  quitter  la  maison 
surtout  pour  aller  au  milieu  d'étrangers. 
Quelques  années  plus  tard,  mes  parents 
moururent,  à  six  semaines  d'intervalle. 
Ils  s'étaient  préparé  un  doux  lit  de  repos 
et  doucement  ils  s'y  sont  endormis.  Que 
le  bon  Dieu  leur  donne  la  gloire  éter- 
nelle! 

—  Et  tu  ne  t'es  pas  ennuyée  après  tes 
enfants  lorsqu'ils  t'eurent  quittée  tous 
les  trois?  demanda  la  princesse. 

—  Ah  !  madame  la  princesse,  le  sang 
n'est  pas  de  l'eau.  J'ai  pleuré  bien  des 
fois,  mais  je  n'en  ai  rien  dit  aux  enfants 
pour  ne  pas  troubler  leur  bonheur.  El 
puis  je  n'ai  jamais  été  seule;  les  enfants, 
ça  ne  cesse  de  naître  et  ainsi  l'on  a  tou- 
jours à  s'en  occuper.  Quand  je  voyais, 
chez  les  voisins,  les  berceaux  s'agiter  et 
la  l)Ouillie  se  faire,  il  me  semblait  que 
c'étaient  encore  les  miens.  Quand  on  a 
bon  cœur  pour  les  autres,  ceux-ci  vous 
ont  aussi  en  affection.  —  Ils  m'ont  assez 


LA     VIS1T1-:    AU    CHATKAr 


priée  daller  à  \'iennc  : 
eh  I  oui,  je  sais  bien 
que  j'y  aurais  trouvé  de  bonnes  gens 
comme  ailleurs  et  que  j'y  serais  bien 
traitée  ;  mais  il  y  a  un  bon  bout  de 
chemin  d'ici-là  et  quand  on  est  vieux, 
on  n'est  plus  en  état  de  voyaji^er.  Et  puis 
il  se  pourrait  que  le  bon  Dieu  se  souvînt 


W  rV^^^ 


de  moi  et  mon  plus  cher 
désir  est  que  mon  corps 
l'epose  dans  la  terre  natale.  —  Mais, 
madame  la  princesse,  voilà  que  je  vous 
raconte  tout  cela  comme  si  nous  étions 
entre   fileuses  à  la  veillée;   excusez  ma 


716 


LA    VISITE    AU     CHATEAU 


familiarilé  !  ajouta  grancrmère  en  termi- 
nant son  récit  et  en  se  levant  de  sa 
chaise. 

—  Ton  récit,  ma  bonne  vieille,  m'a 
été  bien  agréable  et  tu  ne  sais  pas  comme 
je  t'en  suis  reconnaissante,  lui  dit  la 
princesse  en  posant  la  main  sur  l'épaule 
de  grand'mère.  Mais,  maintenant,  viens 
avec  moi  déjeuner!  Je  pense  que  les 
enfants  aussi  auront  gagné  de  l'appétit. 

Et,  ce  disant,  elle  conduisit  grand'mère 
de  sa  chambre  dans  le  salon  où  étaient 
servis  du  café,  du  chocolat  et  diverses 
friandises.  Le  valet  de  chambre  était  là, 
attentif  au  moindre  signe  ;  sur  l'ordre 
de  la  princesse  ,  il  courut  prévenir  la 
comtesse  et  les  enfants.  Quelques  in- 
stants après,  ils  arrivaient,  la  comtesse 
courant  avec  eux  comme  une  enfant. 

—  'V^oyez  donc,  grand'mère,  ce  que 
M""  Hortense  nous  a  donné  !  s'écrièrent- 
ils  tous  à  la  fois  en  montrant  divers  pe- 
tits cadeaux  précieux. 

—  Vraiment,  depuis  que  je  suis  au 
monde,  je  n'ai  rien  vu  de  pareil  ;  mais 
avez-vous  au  moins  bien  dit  merci  ? 

■  Les  enfants  répondirent  que  oui. 

—  Mais  que  dira  Mantchinka  lors- 
qu'elle verra  cela,  et  Tsilka   et  Vaslav? 

—  Qui  donc  est  cette  Mantchinka,  et 
Tsilka  et  Vaslav?  demanda  la  princesse 
qui  aimait  à  tout  savoir  depuis  A  jus- 
qu'à Z. 

—  Je  vais  te  le  dire,  chère  princesse, 
les  enfants  me  l'ont  appris,  se  hâta  de 
dire  la  comtesse.  —  Mantchinka  est  la 
iille  du  meunier;  Tsilka  et  Vaslav  sont 
les  enfants  d'un  certain  joueur  de  vielle 
qui  en  a  encore  quatre.  Barounka  m'a 
raconté  qu'ils  mangent  des  chats,  des 
écureuils,  des  corbeaux,  qu'ils  n'ont  pas 
de  quoi  vivre,  ni  de  quoi  se  vêtir,  et 
que  tout  le  monde  s'en  écarte. 

—  Est-ce  parce  qu'ils  sont  pauvres, 
demanda  la  princesse,  ou  parce  qu'ils 
riiangent  des  chats  et  des  écureuils? 

—  C'est  pour  cela,  affirma  grand'mère. 

—  Eh  !  mais  les  écureuils  ne  sont  pas 
mauvais  à  manger;  moi-même  j'en  ai 
goûté,  reprit  la  princesse. 

■  —    Oh!    oui,    madame    la    princesse. 


mais  autre  chose  est  de  manger  une 
chose  par  pur  plaisir  ou  parce  qu'on  a 
faim.  Le  joueur  de  vielle  a  reçu  de  Dieu 
un  bon  estomac  ;  les  enfants,  cela  va  de 
soi,  ont  bon  appétit;  et,  pour  suffire  à 
tout  cela,  il  n'a  que  sa  musique.  C'est 
une  chose  bien  difficile  :  pas  grand- 
chose  sur  soi,  pas  grand'chose  en  soi 
et  à  la  maison  pas  plus  que  dans  ma 
main. 

Tout  en  conversant  ,  la  princesse 
s'était  mise  à  table  ;  Hortense  plaça  les 
enfants  près  d'elle  et  grand'mère  fut 
aussi  obligée  de  s'asseoir.  La  comtesse 
voulut  lui  verser  du  café  ou  du  choco- 
lat ;  mais  grand'mère  remercia,  disant 
qu'elle  ne  prenait  ni  café,  ni  autre  chose. 

—  Et  de  quoi  déjeunes-tu?  demanda 
la  princesse. 

—  Depuis  mon  enfance,  je  suis  habi- 
tuée à  manger  de  la  soupe,  le  plus  sou- 
vent aigre;  c'est  une  coutume  à  laquelle 
nous  tenons  beaucoup  dans  les  mon- 
tagnes. De  la  soupe  aigre  et  des  pommes 
de  terre  à  déjeuner;  pour  dîner,  des 
pommes  de  terre  et  de  la  soupe  aigre, 
et,  pour  souper,  la  même  ritournelle;  le 
dimanche,  un  morceau  de  pain  d'avoine. 
Voilà  la  nourriture  des  pauvres  gens  des 
monts  des  Géants  d'un  bout  de  l'année  à 
l'autre,  et  ils  remercient  le  bon  Dieu 
quand  ils  n'en  manquent  pas;  mais  il 
arrive  souvent  qu'ils  n'ont  pas  même  du 
son  à  manger.  Plus  loin,  dans  la  plaine, 
on  a  déjà  un  peu  de  pois,  de  la  farine 
plus  blanche  ,  des  choux  et  d'autres 
choses,  même  un  morceau  de  viande  de 
temps  en  temps;  c'est  déjà  l'abondance  ! 
Mais  une  nourriture  de  seigneurs  ne 
convient  pas  à  un  homme  du  commun  : 
il  tomberait  vite  dans  la  misère.  Aussi 
bien  toutes  ces  friandises  ne  lui  donne- 
raient que  peu  de  forces. 

—  Tu  te  trompes,  ma  bonne  vieille, 
cette  nourriture  est  très  fortifiante  ;  et 
si  vos  gens  avaient  tous  les  jours  un 
morceau  de  viande  et  une  bonne  bois- 
son, cela  leur  donnerait  beaucoup  plus 
de  forces  que  toute  la  nourriture  qu'ils 
absorbent  pendant  toute  la  journée,  re- 
partit la  princesse. 


LA     X'ISITK     AT    Cil  A  TK  AU 


717 


—  -  Voyez- VOUS  ,  comme  on  apprend 
toujours  quelque  chose  ;  j'avais  tou- 
jours pensé  que  les  grands  seigneurs 
PO  sont  ordinairemcnl  si  pâles  et  sou- 
\eiil  si  maigres  que  parce  qu'ils  nian- 
genl  de  ces  friandises  qui  no  dmi- 
nent  pas  de  forces. 

La  princesse  sourit  sans   rien    ré- 
pondre, mais  elle  présenta   à  grand'- 
mère  un  petit  verre 
d'un  vin  doux  en  lui 
disant  : 

—  Bois,  ma  bonne 
vieille,  cela  te  fera 
du  bien  à  l'estomac. 

Grand'mère  leva 
son  verre  et  dit  : 

—  A  la  santé  de 
madame  la  princesse. 

Elle  but  quelques 
gouttes  et  prit  aussi 
un  petit  morceau  de 
pâtisserie  pour  ne 
pas  manquer  aux 
égards  dus  à  l'hospi- 
talité. 

Barounka,  qui 
était  assise  près  de 
grand'mère,  lui 
fourra  quelque  chose 
dans  la  poche  en  lui 
chuchotant  : 

—  Gardez  cela;  c'est  de  l'argent; 
mademoiselle  me  l'a  donné  pour  les 
Kouderna,  et  j'ai  peur  de  le  perdre. 

M"'*'  la  princesse  avait  entendu  ce  que 
Barounka  avait  chuchoté  et  ses  yeux 
se  portèrent  avec  une  expression  indi- 
cible de  bonheur  sur  le  beau  visage  de 
la  comtesse.  Grand'mère  ne  put  tenir 
sa  joie  renfermée  dans  son  c(i;ur  et 
d'une  voix  émue  elle  dit  : 

—  Que  le  bon  Dieu  vous  en  récom- 
pense, mademoiselle  ! 

La  comtesse  rougit  et  menaça  du 
doigt  Barounka,  qui  rougit  de  son 
côté. 

—  Comme  ils  seront  contents  !  dit 
grand'mère  ;  à  présent,  ils  pourront  se 
vêtir  ! 

—  Et  nous  y  ajouterons  quelque  chose 


pour   leur    venir    encore    aulroment  en 
aide,  ajouta  la  princesse. 

—  Vous  ferez  une  bonne  action,  ma- 
dame   la    princesse,   en   leur  venant  en 
aide  autrement  que   par  des  aumônes! 
dit  grand'mère. 
.^  —     Eh  !      com  mon  l 

alors?   demanda     la 
princesse. 

—   Ce  serait 

en   procurant  à 

Kouderna, 

l;mt  (juil   se 


conduirait  bien,  du  travail  assuré,  et  je 
pense  que  ce  serait  pour  toujours,  car 
il  est  honnête  et  laborieux.  Que  Dieu 
vous  récompense  pour  tout  ce  que 
vous  voudrez  faire  ;  mais  les  aumônes, 
madame  la  princesse,  chez  ces  gens-là, 
ça  ne  les  aide  qu'en  passant.  Ils  achè- 
tent ceci,  puis  cela;  quelquefois  même 
des  choses  dont  ils  n'ont  pas  besoin, 
tant  qu'ils  ont  de  l'argent  en  main  ; 
quand  ils  l'ont  mangé  et  dissipé,  ils  se 
retrouvent  dans  la  même  gêne  qu'au- 
paravant et  ils  n'osent  revenir  deman- 
der. Mais  lui  assurer  son  pain  quotidien, 
ce  serait  vraiment  lui  venir  en  aide, 
et  madame  la  princesse  aussi  y  gagne- 
rait un  ouvrier  laborieux  et  un  fidèle 
serviteur,  sans  compter  que  madame  la 
princesse  aurait  fait  une  bonne  œuvre. 


718 


LA     VISITE    AU    CHATEAU 


—  Tu  as  raison,  ma  bonne  vieille, 
mais  quel  travail  puis-je  lui  faire  l'aire, 
à  ce  musicien  ? 

—  Ah  !  madame  la  princesse,  ça  n'est 
pas  difficile  à  trouver.  Je  sais  qu'il  serait 
content  d'être  garde  ou  maître  grang-ier. 
Et  quand  il  irait  dans  les  champs,  il 
pourrait  prendre  sa  vielle  avec  lui; 
maintenant,  même  quand  il  va  dans  les 
champs,  il  joue  en  chemin  pour  s'amu- 
ser. C'est  un  joyeux  compagnon,  ajouta 
grand'mère  en  souriant. 

—  Eh  bien,  nous  aurons  soin  de  lui, 
dit  la  princesse. 

—  0  ma  chère  et  bien-aimée  prin- 
cesse !  s'écria  la  comtesse  en  se  levant 
pour  aller  baiser  sa  belle  main. 

—  Ce  n'est  qu'auprès  des  gens  de 
bien  que  sont  les  anges,  dit  grand'mère 
en  regardant  la  princesse  et  sa  fille  adop- 
tive. 

La  princesse  resta  quelques  instants 
silencieuse,  puis  elle  dit  à  mi-voix  : 

—  Dieu  me  l'a  donnée  et  je  ne  ces- 
serai de  l'en  remercier. 

Et  continuant  plus  haut  : 

—  Si  j'avais  un  ami  comme  toi  qui 
me  dît  toujours  franchement  la  vérité 
et  me  parlât  avec  autant  de  sincérité 
que  toi,  ma  bonne  vieille,  comme  je  se- 
rais satisfaite  ! 

—  Ah  !  madame  la  princesse,  si  vous 
le  voulez,  vous  en  trouverez  un.  Un 
ami  se  trouve  plus  aisément  qu'il  ne  se 
conserve. 

—  Tu  penses  peut-être  que  je  ne  sau- 
rais pas  l'apprécier? 

—  Pourquoi  aurais-je  une  telle  pensée 
de  madame  la  princesse  ?  Seulement, 
c'est  ordinairement  ce  qui  arrive.  Par- 
fois un  entretien  sincère  est  agréable  ; 
puis  il  devient  importun,  et  c'en  est  fait 
de  l'amitié. 

—  Tu  as  encore  raison.  Mais  toi,  à 
partir  d'aujourd'hui,  tu  as  le  droit  de 
venir  me     voir    quand   tu    voudras  ;  je 


t'écouterai  toujours  avec  plaisir.  El  si 
tu  as  à  me  demander  quelque  chose  qu  il 
soit  en  mon  pouvoir  de  t'accorder,  sois 
sûre  que  je  le  ferai. 

Et  sur  cette  parole  la  princesse  se  leva 
de  table.  Grand'mère  voulait  lui  baiser 
la  main  ;  mais  ce  fut  elle  qui  la  prévint  en 
s'inclinant  et  en  baisant  la  bonne  vieille 
sur  la  joue,  elle  ne  voulut  pas  qu'elle  lui 
baisât  la  main.  —  Les  enfants  reprirent 
leurs  beaux  cadeaux,  mais  ils  n'auraient 
pas  voulu  quitter  l'aimable  comtesse. 

—  Venez  aussi  chez  nous,  chère  de- 
moiselle !  lui  dit  grand'mère  en  prenant 
la  petite  Adèle  que  la  comtesse  tenait 
par  la  main. 

—  Viens,  viens,  mademoiselle  Ilor- 
tense  !  lui  répétaient  les  enfants,  nous 
te  cueillerons  encore  des  fraises  ! 

—  J'irai  certainement,  dit  la  comtesse 
en  souriant. 

—  Nous  vous  remercions  pour  toutes 
vos  bontés,  madame  la  princesse,  et  que 
le  bon  Dieu  vous  protège  !  dit  grand'- 
mère en  se  retirant. 

—  Adieu  !  répondit  la  princesse  en 
lui  faisant  un  dernier  sourire  pendant 
que  la  comtesse  les  accompagnait  jus- 
qu'à la  porte  extérieure. 

Lorsque  le  valet  de  chambre  vint  des- 
servir, il  lit  une  moue  et  murmura  : 

—  Singulier  caprice  qu'ont  ces  dames 
de  trouver  du  plaisir  avec  une  vieille 
aussi  commune  ! 

Cependant  la  princesse,  qui  était  à  la 
fenêtre,  les  suivit  des  yeux  aussi  long- 
temps qu'elle  put  apercevoir  les  robes 
blanches  des  petites  filles  et  la  blanche 
coiffure  de  grand'mère  brillant  à  travers 
le  feuillage.  Et  en  rentrant  dans  son 
cabinet,  elle  murmura  : 

—  Elle  est  heureuse,  cette  femme  I 

B  o  z  E  N  A    Ne  m  c  o  \'  a  . 

{Traduit  du  tchèque ,  par  E.  ThiÉROT.) 


Bozena  Nemcova  (prononcez  :  Bogéna 
Nièm'tçovâ)  tient  dans  la  littérature 
tchèque  contemporaine  une  place  d'hon- 
neur et,  sans    contredit,   le  premier  rang 


parmi  les  femmes  célèbres  qui,  dans  le 
courant  de  ce  siècle,  ont  illustré  la  Bo- 
hême. 

B.    Nemcova   naquit   à    Vienne  le   4  fé- 


LA    VISITE    AU    CHATEAU 


;iî> 


vrier  1H20  el  mourut  à  Prague  le  21  jan- 
vier I8t)2.  Mariée  à  l'âge  de  dix-sept  ans, 
à  losef  Nemec  (Nioniôls'),  employé  des 
liiiaiices,  elle  le  suivit  dans  les  nom- 
breuses pérégrinations  ([u'il  plut  à  Tadmi- 
nislration  autrichienne  de  lui  faire  faire. 
Partout  où  elle  va,  elle  observe  et  trouve 
les  sujets  de  ses  ouvrages,  dont  plusieurs 
sont  des  chefs-d'œuvre.  Dos  (|uel({ues  an- 
nées de  son  enfance,  qu'elle  passe  sur  les 
J)ancs  des  écoles  de  Skalice  (Skalitsé)  et 
de  Chvalkovicc  (Khvalkovitsé) ,  petites 
villes  du  nord-est  de  la  Bohême,  elle  tire 
son  bel  et  intéressant  récit  Pan  ucitel 
[Monsieur  le  maître),  où  elle  nous  apprend 
entre  autres  choses  de  quelle  manière  on 
instruisait  les  enfants  tchèques  à  cette 
époque  (1830).  <(  Nous  faisons  une  dictée  et 
ensuite  nous  devons  la  traduire  soit  de  l'al- 
lemand en  tchèque,  soit  du  tchèque  en 
allemand;  pas  un  de  nous  ne  comprend 
l'allemand  ;  mais  monsieur  le  maître  le 
veut  ainsi...  »  La  langue  tchèque  alors  ne 
se  parlait  que  dans  les  chaumières  des 
paysans  où  n'avait  pu  l'étoulTer  la  germa- 
nisation systématique,  qui  pesait  sur  la 
Bohème  depuis  1620. 

A  Kostelec  (Kostélèts'j  —  1839  —  elle 
puise  le  sujet  de  son  touchant  récit  : 
Chudï  lidé  [Pauvres  gens). 

En  1845-1848,  elle  profite  de  son  séjour 
à  Domazlice  (Taus),  près  de  la  frontière 
bavaroise,  pour  écrire  ses  Tableaux  des  en- 
virons de  Domazlice  [Obrazy  z  okoli  do- 
înazlického)  et  son  Pohorska  vesnice  (Ze  Vil- 
lage de  la  montagne^,  qui  est  regardé  comme 
son  meilleur  ouvrage,  après  Bahicka 
[Grand'mère). 

Babicka  (185b),  dont  nous  donnons  un 
passage  ci-dessus,  est  le  couronnement  des 
travaux  antérieurs  de  B.  Nemcova.  C'est 
l'exposition  de  la  vie  champêtre  des  habi- 
tants de  la  Bohême,  qui  se  trouvent  près 
de  la  frontière  de  la  Silésie.  C'est,  en  elfet, 
chez  ces  montagnards  que  se  sont  con- 
servés avec  le  plus  de  pureté  les  usages, 
les  coutumes  et  même  les  superstitions 
d'autrefois.  B.  Nemcova  fait  passer  sous 
nos  yeux  une  série  de  scènes  de  grand 
intérêt  où  le  nom  de  Dieu  est  respecté, 
l'idée  de  patrie  haut  placée,  sans  que 
jamais  une  parole  de  haine  se  fasse  en- 
tendre contre  l'oppresseur.  La  simplicité 
du  style,  la  fraîcheur  de  l'élocution,  la 
poésie  des  descriptions,  la  noblesse  des 
sentiments  sont  les  qualités  dominantes  de 


cet  ouvrage,  dans  lequel  la  note  gaie  ne 
man({ue  pas,  bien  (jue  l'âme  slave  soit 
plutôt  mélancolique  et  résignée. 

Outre  ces  ouvrages,  B.  Nemcova  a  écrit 
des  contes  et  récils  populaires  tchèques, 
justement  estimés,  dont  le  plus  remar- 
quable, le  plus  esthétique,  est  le  Dobry 
clovek  [le  Brave  homme). 

Les  dix  deinières années  de  sa  vie  furent 
attristées  par  la  misère  qui  vint  s'asseoir  à 


son  foyer,  mais  qui  ne  put  en  rien  altérer 
la  bonté  de  son  cœur. 

B.  Nemcova  connaissait  l'allemand  et 
lisait  avec  plaisir  Gœthe  el  Schiller  ;  elle 
savait  le  russe,  le  serbe  et  le  bulgare,  et 
écrivit  en  dialecte  slovaque  les  Contes  et 
récits  des  Slovaques  (Slaves  qui  habitent  le 
nord  de  la  Hongrie). 

Pendant  ses  divers  séjours  à  Prague, 
elle  fut  en  relation  avec  Tyl,  Riéger, 
Tomek,  Nebesky,  etc.,  et  toute  cette  cou- 
rageuse phalange  qui  travailla,  comme 
elle,  au  relèvement  de  la  langue  et  de  la 
littérature  nationales.  Aujourd'hui,  dans 
ce  pays  où  la  langue  tchèque,  longtemps 
proscrite,  était  à  peine  tolérée  il  y  a  cin- 
quante ans,  s'élèvent  de  nombreuses  écoles 
très  fréquentées.  Les  Tchèques  ont  leur 
université  spéciale  et  une  haute  école 
polytechnique;  et  la  littérature  tchèque, 
en  réveillant  le  patriotisme,  a  sauvé  la. 
nation  de  l'anéantissement. 

E.  T. 


LES 


CHATEAUX    DE    LOUIS    II    DE    BAVIÈRE 


1 


Le  nom  de  Louis  II  de  Bavière  est  lié 
à  celui  de  Richard  Wagner  el  au  souve- 
nir de  fastueuses  excentricités.  Au  début 
de  son  règne,  ce  roi  de  dix-neuf  ans, 
beau  de  visage,  de  taille  imposante,  de 
caractère  magnifique  et  généreux,  donna 
de  grandes  espérances  qui  s'évanouirent 
quand  ses  goûts 
<anistiques  dégé- 
nérèrent en  folie 
des  grandeurs.  Il 
tomba ,  victime 
d'hérédités,  mais 
il  possédait  une 
naturelle  et  belle 
intelligence,  une 
riche  imagina- 
tion et  un  très 
vif  amour  de  l'art 
qu'obscurcit  la 
maladie. 

A  partir  du 
moment  où  ses 
sujets  l'obligè- 
rent à  renvoyer 
Wagner,  le  jeune 
roi  commença  à 
montrer  une  pas- 
sion grandissante 
pour  la  solitude. 
Il  ne  passait,  du- 
rant l'hiver,  que 
quelques  semai- 
nes dans  sa  capi- 
tale et  vivait  le 
reste  de  l'année 
dans  ses  châteaux 
des  Alpes  de  Ba- 
vière, à  Berg,  à 


Hoheiuchxvangau ,  à  Linder/iof,  à  Neu- 
schivansiein,  à  Herrenchiemsee.  11  fit 
construire  les  trois  derniers  et  rêvait 
encore,  au  moment  où  il  fut  déposé, 
d'en  voir  s'élever  un  à  Falkenburg  en 
l'honneur  du  faucon  et  un  autre  à  Ga- 
rafshausen,  qui  eût  été  un  palais  chinois 
à  la  gloire  du  paon. 

Ce  fut  à  Hohenschwangau  qu'il  passa 
une  grande  partie  de  son  enfance  et  de 


H  0  H  E  X  s  C  H  W  A  X  (i  A  U 


F.KS    CIIATKAIX     Di:    I.Ol'IS    II     DH    HAVIKHK 


721 


sa  prcmicrc  jeunesse  en  une  ennlree 
sauvage,  lîef  au  moyen  âge  des  Schwan- 
gau,  fidèles  vassaux  des  Guelfes  et  qui  y 
bâtirent  quatre  burgs,  Os  donjons  tom- 
bèrent plus  (ard  au  pouvoir  des  comtes 
Schyren,  aticêlres  des  W'illelsbacli  ;  cri- 
blés de  dettes,  ils  durent  les  revendre 
les  uns  après  les  autres  :   liolicnscliwaii- 


Lech.  Ce  l'ut  en  celte  demeure  que  le  roi 
Louis  prit  le  germe  de  la  maladie  que  Ion 
a  appelée,  en  Allemagne,  la  Schivanriller 
krankheil,  —  la  maladie  du  cbevalierau 
cygne;  —  car,  à  Ilohenschwangau,  son 
père  ressuscita,  avant  Wagner,  le  moyen 
âge  allemand,  et  surtout  la  légende  du 
cbevalierau  cygne,  bretoime  d'origine. 


H  O  H  ENSC  H  W  ANi;  AU.     —     LES      LATS 


gau  ,  Schwanstein  ,  Schwarzenberge  et 
Frauenstein. 

Après  dilîérentes  vicissitudes,  Ho- 
henschwangau  était  devenu  une  ruine, 
lorsque,  en  1832,  le  père  de  Louis  IL 
Maximilien  II,  encore  prince  royal,  l'ac- 
quit et  le  fit  reconstruire  en  style  go- 
thique. Des  artistes  munichois  en  ornè- 
rent les  salles  de  fresques  et  de  peintures. 

Ce  château  est  situé  sur  un  escarpement 
boisé  du  Frauenstein,  dans  la  j)artie  la 
])lus  romantique  des  Alpes  de  Bavière, 
entre  deux  lacs,  le  Schwansee  et  I  Alp- 
see,  et,  de  ses  fenêtres,  on  en  aperçoit 
au  loin  deux  autres  :  le  Hopfensee  et 
le  Hannwaldsee,  ainsi  qu'une  rivière,  le 

VIII.  -   46. 


mais  retrou^ée  et  chantée,  en  France, 
par  Chrestien  de  Troyes,  en  Germanie, 
par  Wolfram  d'Eschenbach.  Dans  la 
Schwanrittersalle,  entre  autres,  qui  ser- 
vait de  salle  à  manger,  la  légende  de 
Lohengrin  est  peinte  en  quatre  grands 
tableaux.  —  Durant  sa  première  jeu- 
nesse, Louis  II  porta  le  cygne  dans  ses 
armes  ;  il  le  remplaça  plus  tard  par  le 
faucon  que  détrôna  le  paon.  Et  déjà  à 
Hohenschwangau,  la  chambre  à  coucher 
du  roi  a  son  clair  de  lune  artificiel,  ses 
plantes  exotiques  et  sa  cascade.  Cet  as- 
soiffé de  rêve  en  arriva  bien  vite  à  l'ab- 
surde, au  puéril,  afin  d'échapper  à  la 
réalité. 


722 


LES    CHATEAUX    DE    LOUIS    II    DE    BAVIERE 


II 


Hohenschwangau  était  trop  petit  pour 
contenir  aisément  deux  cours,  et  comme 
la  reine  mère  aimait  à  y  séjourner  au  mo- 
ment où  son  fils  leût  volontiers  habité, 
celui-ci  forma  le  projet  de  se  faire  bâtir 


roc  escarpé  qui  supporte  le  château.  Au 
moment  où  l'on  approche  du  pont  sus- 
pendu —  Marienbrùcke  —  jeté  d'un 
bord  à  l'autre  du  Pôllat,  le  burg  surgit 
semblable  à  une  «  légende  de  pierre  ». 
Le  Tegelfels  se  dresse  presque  per- 
pendiculaire au-dessus  de  la  plaine. 
A  l'ouest,  le  goufTre  du  Pôllat  le  sépare 


1-5= i 


»     •,  M    0  w      i  tu  w  la.wi 


««•«date 


N  E  U  s  C  H  W  A  X  s  T  E  I  N 


un    WallhaU  sur  les  ruines  d'un  autre 
donjon  des  Scliwangau,  Schwanstein. 

Neiischivanstein,  à  1,008  mètres  au- 
dessus  de  la  mer,  s'appela  d'abord  le 
Nouveau  hurg  de  Hohenschwangau  :  il 
domine  le  gouffre  du  Pôllat.  Des  fenêtres, 
on  aperçoit  les  quatre  lacs  dont  nous 
a^'ons  déjà  parlé  et  au  loin  la  plaine.  — 
On  ne  peut  lui  comparer  que  Pelesch, 
près  de  Sinaïa,  dans  les  Garpathes,  rési- 
dence favorite  de  Carmen  Sylva.  — 
Neuschwanstein  est  plus  hardi  de  con- 
struction,  mais  situé  dans  une  contrée 
moins  inaccessible.  La  route  qui  y  con- 
duit fut,  par  places,  taillée  en  plein  roc 
et  traverse  la  forêt  au  pied  du  Tegelfels, 


de  la  montagne.  De  trois  côtés,  l'escar- 
pement est  inabordable  ;  du  quatrième, 
l'accès  en  est  difficile.  Pour  le  rendre 
impossible,  on  fit  sauter  le  rocher  et  la 
muraille  y  monte,  sans  ouverture,  jus- 
qu'à une  hauteur  de  deux  étages.  On  ne 
peut  entrer  dans  le  château  que  du  côté 
de  la  plaine,  grâce  à  des  travaux  de  ter- 
rassement. Mais  le  roi  ordonna  de  pra- 
tiquer devant  la  porte  une  tranchée  dans 
le  roc,  avec  pont-levis. 

Louis  II  eut  tout  d'abord  l'intention 
d'élever  un  château  gothique  ;  les  puis- 
santes fondations  en  étaient  même  po- 
sées lorsqu'il  changea  d'avis  et  choisit 
le  style  des  premiers  temps  de  la  R.enais- 


LKS    C.IIATKArX    DE    LOUIS    II     DK    15  A  \' I  K  H  K 


723 


sauce  ilalit'iiiie.  Il  falliil  loiit  (l('m()lir. 
\.c  ;")  sepliMuhre  1869  eut  lieu  la  |)i)se  de 
la  première  pierre.  —  On  avait  déjà  tra- 
vaillé au  ddiijon  lui-même. 

Le  roi  sOecupail  de  tous  les  détails 
et  inspirait  les  artistes  à  cpii  il  eoniiait 
rexéculiou  de  ses  rêves.  Il  a  réuni  à 
Ncuschwanslein  des  trésors  artistiques. 
1 /ameublement  et  la  décoration  en  sont 
grandioses  et  sobres. 

ï/,\  bâtisse  se  compose  de  cinq  étapes, 
flanqués  de  trois  tourelles  et  de  deux 
tours.  Les  murs  en  briques,  revêtus  de 
plaques  de  marbre,  ont  des  fenêtres  cin- 
trées et  le  toit  est  recouvert  de  lamelles 
de  cuivre.  Celui  qui  surmonte  le  balcon 
<lu  troisième  et  du  quatrième  étage,  sur 
l'étroite  façade  qui  regarde  la  montagne, 
est  écaillé  d'or,  à  limitation  sans  doute 
du  fameux  toit  doré  d'Inspruck. 

Seuls  les  appartements  du  roi  sont 
entièrement  achevés,  le  troisième  et  le 
quatrième  étage.  Il  aimait  à  habiter  le 
plus  haut  possible. 

Au  troisième,  à  travers  une  succes- 
sion de  salles,  les  murs  sont  ornés  de 
fresques  :  scène  de  TEdda,  aventures  de 
Lohengrin  ou  de  Tanidiauser.  Puis  tout 
à  coup  une  grotte,  avec  l'inévitable  cas- 
cade et  le  clair  de  lune  facultatif,  rap- 
pelle la  folie  tapie  derrière  les  aspira- 
tions artistiques  du  malheureux  prince. 

Sur  les  meubles  et  les  tentures  violet 
clair  du  cabinet  de  toilette  des  paons 
d'or  tissés  se  pavanent,  étonnés  un 
peu  en  face  des  peintures  murales  qui 
célèbrent  les  chants  du  doux  Minne- 
Sfienger,  Walter  von  der  \ogeh\eitlc, 
lami  des  rossignols  el  des  fauvettes.  La 
chambre  à  coucher  est  de  pur  style  go- 
thique, avec  balcon  fermé,  toute  tendue 
de  bleu  éclatant  brodé  d'or.  Les  ara- 
besques fleuries  qui  courent  aux  cor- 
niches el  aux  chambranles  des  salles 
précédentes  sont  remplacées  ici  par  les 
bêles  favorites  du  roi  :  le  cygne  et  le 
lion  de  Bavière;  et  les  scènes  qui  dé- 
corent les  murs,  tirées  de  Tristan  et 
I.seuif,  par  Spiess,  sont  parmi  les  plus 
belles  œuvres  qu'ait  produites  la  pein- 
ture à  fresque  en  AUemag'ne.  Le  lit  est 


gigantes(pie ,  à  baldaquin,  surmonté 
d'une  garniture  gothique,  un  des  plus 
admirables  travaux  sur  bois  de  notre 
éj)oque.  Sur  le  fond  rouge  de  la  salle  à 
manger,  le  célèbre  Piloty  a  peint  des 
épisodes  de  la  vie  à  la  Wartburg.  Le 
cygne  y  triomi)he. 

La  salle  du  trône,  byzantine  de  style, 
est  la  plus  belle  de  ce  château  splendide 
perdu  dans  les  nuages.  Elle  mesure 
'20  mètres  de  long,  12  mètres  de  large, 
13  mètres  de  haut  et  s'élève  à  travers 
deux  étages.  Seize  colonnes  de  porphyre 
en  soutiennent  la  voûte  ;  celles  des  deux 
galeries  imitent  le  lapis-lazuli.  Dans  l'ab- 
side, surélevée  de  neuf  degrés  en  marbre, 
le  trône  d'or  et  d'ivoire  devait  être  placé 
sous  un  baldaquin  pyramidal  soutenu  par 
des  colonnes.  On  ne  l'y  verra  jamais.  De 
la  Loggia  au  toit  doré,  la  vue  s'étend 
magnifique  sur  les  montagnes,  Hohcn- 
schwangau,  les  lacs,  le  Lech,  tandis  qu'à 
vos  pieds  les  eaux  grondent  dans  le 
gouffi'e  du  Pôllat. 

Le  quatrième  étage  n'est  qu'une  suite 
de  nouvelles  merveilles  ;  la  salle  des 
fêtes,  entre  autres,  de  27  mètres  de  long 
sur  10  mètres  de  large,  reproduit  en  un 
grandiose  effet  celle  des  chanteurs  à  la 
A^  artburg.  Piloty,  Munsch  et  Spiess  ont 
orné  les  murailles  de  ce  hall  immense 
de  scènes  tirées  de  Parsifal,  la  poésie 
épique  de  Wolfram  von  Eschenbach.  Du 
plafond  formé  de  quarante -deux  cais- 
sons en  bois  sculpté  pendent  dix  lustres; 
cinq  candélabres  de  cristal  sont ,  en 
outre ,  disposés  de  chaque  côté  de  la 
pièce,  —  portant  en  tout  850  bougies. 

Dans  cette  salle,  meublée  et  ornée 
avec  un  goût  parfait,  Louis  II  demeu- 
rait des  heures  accoudé  ou  debout  à 
lune  des  fenêtres,  le  regard  perdu  sur 
les  lacs  et  les  montagnes.  Durant  les 
derniers  temps  de  sa  maladie,  il  en  fai- 
sait rdlumer  les  innombrables  bougies 
et  il  passait  ses  nuits  à  s'y  promener, 
se  parlant  à  lui-même.  Parfois  aussi  il 
ordonnait  qu'on  éclairât  toutes  les  salles 
du  burg,  tandis  que,  penché  sur  le  para- 
pet de  la  Marienhrûcke,  il  jouissait  de 
l'efTet   fantastique   produit   par  les   ter- 


721 


LES    CHATEAUX    DE    LOUIS    II     DE    BAVIÈRE 


rents  de  lumière  que  projetait  dans  la 
nuit,  au-dessus  de  l'abîme,  son  castel 
de  rêve. 

m 

Mais  c'est  à  Linderhof  que  Louis  II 
fit  les  plus  long's  séjours,  parce  que  tout 
s'y  trouvait  réuni  :  luxe  et  confort. 

De  NeuscliAvanstein,  on  peut  se  rendre 
à  pied  en  cinq  heures  à  Linderhof,  en 
allant  vers  le  nord -ouest.  Non  loin  se 
trouve  le  village  d'Oberammergau,  où 
de  simples  paysans  représentent,  tous  les 
dix  ans,  la  Passion  de  Notre-Seigneur. 
Le  roi  Maximilien  II,  qui  aimait  cette 
vallée  solitaire,  Grasswangthal,  y  avait 
fait  bâtir  une  fruste  maison  de  chasse. 
Par  ordre  de  son  fils,  on  la  transporta 
plus  loin,  et  un  château  rococo,  dans  le 
genre  du  Petil-Trianon,  s'éleva  à  la  place 
qu'elle  avait  occupée.  Il  n'a  qu'un  rez- 
de-chaussée  et  un  premier  étage.  Les 
jardins  y  sont  admirablement  disposés. 
A  tout  autre  arbre,  le  roi  préférait  les 
chênes ,   dont   il   fit   apporter  une   cen- 


taine à  cette  hauteur  où  ils  ne  croissent 
plus. 

Dans  toutes  les  salles  de  Linderhof 
s'étale  l'admiration  de  Louis  II  pour 
Louis  XIV.  Dès  le  vestibule  se  dresse, 
sur  un  socle  de  marbre  noir,  la  statue 
équestre  en  bronze  du  roi -soleil;  elle 
fut  faite  à  Paris.  Puis  viennent  des  salles 
somptueuses,  murs  et  plafonds  ornés  de 
copies  de  Watteau,  de  Boucher,  ou  des 
peintures  représentant  des  épisodes  de 
la  vie  du  grand  roi  et  des  scènes  mytho- 
logiques. Le  cabinet  de  travail  est  en 
velours  vert,  avec  d'étonnantes  brode- 
ries or;  on  y  voit  un  secrétaire  merveil- 
leux, surmonté  d'un  baldaquin  dont  les 
tentures  sont  fourrées  d'hermine.  Sur  le 
fond  de  velours  les  armes  de  Bavière 
ont  été  brodées  en  soie  sertie  d'her- 
mine. 

Le  lustre  de  la  salle  à  manger,  en  por- 
celaine de  Meissen,  a  coûté  20,000  marcs. 
Au  moyen  d'un  mécanisme  ingénieux,  la 
table  disparaissait  après  chaque  service 
au  coup  de  sonnette  du  roi  et  remontait 


LINDEIiHOP     VU      DE     CÔTÉ 


I.KS    Cil  AT  K  Al   \     I>K     l.ollS     II     Dl']     UAXIKHK 


725 


^  a--l-^:.n  n_  :ii   n  ii  ;l,  :%.  :irvi  j 


Il  1 


:*'i  •*?  ■.  --è?   -•*:_  .^,. ,«;  JsSISiHBai 


H  E  R  R  F,  X  ('  H  I  F.  M  .s  E  K 


fharjl^ée.  Aucun  domesliquc  ne  se  mon- 
trait. L'acteur,  Joseph  Kainz,  à  qui 
J.ouis  II  ténioij^nait  une  vive  amitié, 
était  seul  admis  parfois  à  lui  tenir  com- 
j)agnie  durant  quelques  semaines.  Ce 
favori  logeait  alors  dans  la  vieille  mai- 
son de  chasse. 

Le  roi  utilisait  la  salle  des  Glaces 
comme  chambre  à  coucher;  le  style,  les 
peintures,  les  moindres  détails  rappellent 
Louis  XV  et  son  règne.  Les  glaces  dont 
sont  tapissées  les  murailles  reflètent  et 
renvoient  Téclat  des  dorures,  le  luxe 
des  détails  dont  la  description  serait 
fastidieuse.  Du  balcon,  la  vue  s'étend 
sur  les  jardins  et  la  contrée  —  un  coin 
de  nature  alpestre  où  ce  château,  vrai 
bijou  du  grand  siècle,  semble  avoir  été 
transporté  au  coup  de  baguette  de 
quelque  capricieux  enchanteur. 

Les  jardins  sont  ornés  de  statues,  de 
jets  d'eau  et  de  kiosques.  La  construc- 
tion la  plus  étonnante  en  est  la 
Grolle  bleue,  imitée  tout  ensemble  de 
celle  de  Capri  et  de  la  grotte  de  Vénus 
dans  l'opéra  do  Tannhaiiser.  Pour  la 
créer  on  a  creusé  la  colline  de  1875  à 
1877;  elle  a  100  mètres  de  long  sur  15  mé- 
tros de  haut  et  coûta  1 ,250,000  marcs. 


Le  bloc  mobile  de  l'entrée,  les  colonnes 
qui  soutiennent  la  voûte,  les  stalactites 
qui  en  tombent  ne  sont  que  du  fer,  re- 
couvert de  ciment  auquel  on  a  donné 
l'apparence  du  rocher.  Cette  pseudo- 
caverne pouvait  être  chaufTée.  Du  siège 
du  roi,  trône  de  coquillages,  on  domi- 
nait la  grotte  et  le  lac  profond  de  3  mè- 
tres qui  en  occupait  le  milieu.  Une 
conque  dorée  y  attendait  le  pauvre  ma- 
lade, qui  y  montait  souvent,  vêtu  à  la 
Lohengrin,  tandis  qu'un  appareil  spé- 
cial agitait  l'eau  et  qu'un  éclairage  de 
sept  couleurs,  produit  par  sept  lampes  à 
arc,  augmentait  l'élrangeté  du  lieu. 
Louis  II  prenait  à  cette  mise  en  scène 
un  plaisir  enfantin.  On  obtenait  la  cou- 
leur bleue  el  transparente  de  la  grotte 
en  l'éclairant  par  le  haut. 

IV 

Tous  ces  châteaux,  Berg  compris, 
dont  nous  parlerons  plus  tard,  sont 
situés  au  sud  de  Munich  et  relativement 
près  les  uns  des  autres.  Quant  à  Hèr- 
renchiemsee,  la  dernière  el  la  plus  coû- 
teuse fantaisie  de  Louis  II,  celle  qui  le 
fit  déclarer  en   faillite  el   déposer,   il  se 


726 


LES    CHATEAUX    DE    LOUIS    II    DE    BAVIERE 


trouve  à  Test  de  la  capitale,  et  l'on 
prend  pour  s'y  rendre  la  ligne  de  Mu- 
nich-Saizburg-. 

Au  milieu  du  Chiemsce,  aux  bords 
marécageux,  appelé  aussi  mer  havar'oise, 
trois  îles  surgissent,  avec,  pour  arriére- 


le  projet  d'y  élever  un  château  (jui  sur- 
passerait Versailles  en  beauté.  11  ne  tint 
nul  compte  du  sol  très  marécageux,  ni 
de  l'obligation  où  l'on  serait  de  trans- 
porter par  eau  tous  les  matériaux  né- 
cessaires à  la  colossale  construction.  La 


GRANDE     (4  A  L  E  R  I  E     (  H  E  R  R  E  X  C  H  I  E  M  S  E  E  ) 


fond,  l'imposante  chaîne  des  Alpes  de 
Bavière  continuées  par  celles  d'Autriche  ; 
l'île  aux  Herbes  est  inhabitée;  dans  celle 
de  FraueuAN  (erth  s'élèvent  un  cloître  de 
femmes,  une  belle  église  et  de  très  vieux 
tilleuls.  Le  château  de  Herrenchiemsee 
est  bâti  dans  celle  que  l'on  désigne  sous 
le  nom  de  Herrenwœrth. 

Un  cloître  de  Saint-Tassile  s'y  vovait 
déjà  au  vni«  siècle;  en  908,  les  Huns  le 
détruisirent;  il  fut  rebâti  en  1131.  Il 
devint  la  résidence  des  princes-évêques 
en  1231.  Au  commencement  de  ce 
siècle,  les  biens  du  clergé  ayant  été 
confisqués,  il  fut  cédé  à  des  particuliers. 
Louis  H  racheta  Fîle  en   1873  et  forma 


partie  du  palais  qui  a  été  achevée,  y 
compris  les  jardins,  a  coûté  25  millions 
de  marcs;  les  fondations  seules  qui 
rendirent  possible  la  mise  debout  sur 
un  terrain  mouvant  de  l'énorme  bâtisse, 
ont  englouti  une  bonne  part  de  cette 
somme,  et  les  immenses  communs  à 
peine  sortis  du  sol  forment  déjà  un  amas 
de  débris.  I^a  mousse  envahit  les  salles 
du  rez-de-chaussée,  le  marbre  se  dété- 
riore, les  pierres  de  taille  se  descellent; 
et  l'on  assure  que  dans  peu  d'années  le 
château  tout  entier  ne  sera  qu'une 
ruine  couverte  de  plantes  folles. 

Les   travaux  ne  commencèrent  qu'en 
1878  et  furent  menés  avec  une  hâte  fié- 


I.KS    CIIATKAUX    DIO    LOTIS    II     DK    HAXIKRK 


■327 


vrcuso  (luriiiil  les  sopl  iimu't's  (jiii  sui- 
viroiil.  Louis  II  avait  épuisé  sa  liste 
civile;  tous  ses  secrélaires  et  con- 
seillers privés  cpii  osaient  lui  faire  des 
remontrances  étaient  congédiés;  ses  an- 
ciens   architectes    subissaient    le   même 


I^ouis  XIV  avec  une  richesse  de  cou- 
leur pourpre  et  or  et  un  ameublement 
fabuleux  qu'on  ne  trouve  pas  à  Ver- 
sailles. Le  lit  surpasse  tout  ce  qu'on 
peut  rêver.  Tendue  de  velours  bleu 
brodé    de    lis    d'or,  la    salle  du    conseil 


SCHLOSSBERG,     VU     DU     LAC     DE     STARXBERK 


sort.  Le  bâtiment  central  —  sa  façade 
est  la  copie  exacte  de  celle  de  Mansart  — 
s'éleva  et  fut  aménagé  avec  une  richesse 
inouïe.  Sur  toutes  les  tentures ,  les 
portes,  le  parquet  s'étalent  le  soleil  de 
Louis  XI\'  et  le  lis  royal.  \'ersaillcs  eût 
été  éclipsé  si  le  roi,  ayant  mieux  choisi 
son  emplacement,  eût  possédé  les  fonds 
nécessaires  à  l'entreprise. 

Ilerrenchiemsee  témoigne  d'une  ad- 
miration sans  bornes  pour  nos  rois, 
pour  le  grand  roi  surtout.  Toutes  les  salles 
de  ce  palais  portent  des  noms  français. 
L'QKil-de-Bœuf  est  copié  sur  celui  de 
Versailles;  il  est  vert  serti  d'or.  De 
même  la  chambre  de  parade  reproduit 
exactement    la   chambre   à    coucher    de 


appartient  par  son  architecture  au  règne 
de  Louis  XV. 

La  grande  galerie  ou  galerie  des  glaces 
est,  dit-on,  la  plus  longue  qui  existe; 
elle  a  75  mètres  et  demi  de  long  — 
97  mètres  avec  les  salons  de  coin,  — 
10  mètres  et  demi  de  large  et  13  mètres 
de  haut.  Celle  de  Versailles  n'a  que 
73  mètres  de  long.  Dix-sept  fenêtres 
cintrées  font  face  à  dix-sept  portes  en 
verre  poli  de  9  mètres  de  haut,  —  fenê- 
tres et  portes  séparées  par  dix  piliers 
de  marbre  rouge  royal.  Du  plafond  re- 
produisant des  compositions  de  Le  Brun, 
pendent  33  lustres  de  cristal  qui  portent 
avec  44  candélabres  2,500  bougies. 

Le  roi  lit  allumer  cinquante-deux  fois. 


72.S 


LES    CHATEAUX    DE    LOUIS    II    DE    BAVIERE 


durant  ses  divers  séjours  au  château, 
cette  prodigieuse  quantité  de  bougies. 
Il  fallait  que  ce  fût  fait  en  un  quart 
d'heure.  Leurs  lumières  reflétées  à  l'in- 
iini  dans  les  glaces  offraient  un  spectacle 
féerique,  tandis  que  Louis  II  allait  et 
Aenait  lentement  à  travers  l'immense 
salle. 

La  salle  à  manger  présente  la  même 
particularité  que  celle  de  Linderhof  :  la 
table,  ornée  d'un  bouquet  aux  fleurs  de 
porcelaine  d'un  travail  admirable,  dis- 
paraissait après  chaque  service  pour 
reparaître  chargée  à  nouveau.  Un  lustre 
énorme  aux  milliers  de  fleurs  de  porce- 
laine l'éclairait;  il  coûtait  25,000  marcs. 

Peintes  par  des  maîtres,  ou  reprodui- 
sant les  œuvres  d'artistes  français,  innom- 
bi'ables  sont  les  salles  de  ce  palais  déjà 
croulant.  Les  marbres,  l'or,  les  glaces, 
le  velours,  la  soie,  les  porcelaines  rares, 
les  bois  précieux  y  sont  prodigués. 
Pour  qu'il  pût  se  rendre  à  ce  palais  en 
un  équipag'e  digne  de  sa  splendeur,  le 
roi  s'était  fait  construire  au  prix  de 
80,000  florins  bavarois  un  carrosse  de 
gala  en  style  rococo  de  9  mètres  de 
long  et  de  6  mètres  de  haut  qui,  dé- 
monté, se  transformait  en  traîneau.  On 
l'attelait  de  six  chevaux  blancs.  L'in- 
térieur en  est  surchargé  de  broderies 
sur  fond  de  velours  bleu  foncé.  Il  en 
existe  un  plus  petit,  sur  le  même  mo- 
dèle, dont  la  couronne  et  la  lanterne 
s'éclairaient  à  l'électricité  au  moyen 
d'un  accumulateur  placé  sous  le  siège 
du  prince. 


\' 


Il  nous  reste  à  dire  quelques  mots  de 
Berg,  au  bord  du  lac  de  Starnberg,  villa 
plutôt  que  château  et  qui  n'offre  rien 
de  remarquable;  mais  ce  fut  là  que  se 


déroulèrent  les  péripéties  de  la  fin  tra- 
gique du  royal  dément.  On  se  rappelle 
qu'une  commission  de  cinq  membres 
vint  lui  apprendre  à  Neuschwanstein, 
où  il  résidait  alors,  qu'il  était  déposé  et 
que  sa  santé  exigeait  des  soins.  Après 
une  violente,  mais  courte  résistance,  il 
parut  se  soumettre  et  il  se  laissa  con- 
duire à  Berg,  le  12  juin  1886.  Le  I4juin, 
ni  lui  ni  sou  médecin,  le  docteur  de 
Gudden,  ne  revinrent  d'une  promenade 
faite  vers  sept  heures  du  soir  dans  le 
parc.  On  retrouva  leurs  deux  corps  flot- 
tant sur  les  eaux  du  lac,  non  loin  du 
bord.  , 

Le  château  de  Berg,  bâti  en  1650  par 
le  baron  Ilorwarth,  fut  cédé  en  1676 
au  prince-électeur  Ferdinand -Marie. 
MaximilienlIIetitrestaureren  1849-1851 
et  son  fds  en  orna  la  plupart  des  salles 
de  tableaux  tirés  des  opéras  de  Wagner. 

Une  inquiétude  maladive  s'était  em- 
parée du  malheureux  roi  dans  les  der- 
nières années  de  sa  vie.  Il  allait  d'un 
projet  à  un  autre,  fuyait  de  Berg  à  Lin- 
derhof, de  Linderhof  à  Hohenschwan- 
gau,  pour  se  faire  conduire  de  là  à  son 
nid  d'aigle  de  Neuschwanstein.  Au 
milieu  de  la  nuit  —  il  ne  voyageait  plus 
que  la  nuit  —  les  habitants  des  bourgs 
et  des  villages  entendaient  le  pas  des 
gardes  qui  venaient  occuper  les  routes. 
Puis,  au  galop  fou  des  chevaux,  l'équi- 
page royal  passait.  Ces  courses  vaga- 
bondes duraient  parfois  plusieurs  nuits 
de  suite.  Louis  II  en  était  venu  à  croire 
sa  vie  en  danger  et,  à  Munich  surtout, 
lorsqu'il  y  arrivait  par  des  chemins  dé- 
tournés, on  prenait  les  mesures  les  plus 
rigoureuses  pour  sa  sûreté.  La  mort 
qu'il  chercha  lui  épargna  sans  doute 
les  dernières  déchéances  morales. 

.1 .    H  U  D  R  Y  -  M  E  N  o  s . 


LE    GIMETIKHK    MONTMARTRE 


l,a  [x^pulatioii  parisienne  ne  manque 
jamais  d'accomplir,  chaque  aimée,  son 
pèlerinage  chez  k^s  morts. 

Les  fleurs,  qu'aux  autres  dates  elle 
jette  au  vent  de  tous  les  enthousiasmes, 
sont  réservées  ce  jour-là  aux  tombeaux. 
Car  ce  siècle,  qui  ne  croit  plus  à  rien, 
conserve  intact  le  culte  du  souvenir. 

Le  cimetière  Montmartre,  qui  est  un 
des  plus  vieux  de  Paris ,  reçoit  donc 
toujours,  à  ces  anniversaires  mortuaires, 
de  très  nombreux  visiteurs.  Tant  de 
gens  dorment  là,  dont  les  noms  sont 
encore  vivants  dans  notre  mémoire  ! 


Un  connaît  les  origines  de  ce  lieu  de 
sépulture. 

En  1766,  le  Parlement  avait  dû  s'oc- 
cuper des  inconvénients  auxquels  don- 
naient lieu  les  enterrements  qui  se  fai- 
saient à  Paris. 

«  Dans  la  plupart  des  grandes  pa- 
roisses, disait  le  rapport ,  et  surtout 
dans  celles  qui  sont  au  centre  de  la  ville, 
on  se  plaint  journellement  de  l'infection 
que  répandent  aux  environs  les  cime- 
tières, principalement  dans  les  grandes 
chaleurs.  En  ce  temps,  la  putréfaction 
est  telle  que  les  aliments  les  plus  néces- 
saires à  la  vie  ne  peuvent  se  conserver 
quelques  heures  dans  les  maisons  voi- 
sines, sans  s'y  corrompre.  » 

Les  hygiénistes  de  notre  époque  fré- 
miraient en  lisant  ces  lignes;  ceux 
d'alors  se  contentèrent  de  fermer  le 
cimetière  Saint-Roch  et  de  le  remplacer 
par  un  vaste  terrain  d'inhumation  dans 
la  plaine  de  Clichy. 

Puis,  en  1798,  une  ordonnance  dé- 
cida l'établissement,  sur  l'emplacement 
d'une  immense  carrière  à  plâtre,  du 
cimetière  actuel  qui  prit  le  nom  de 
cimetière  du  Nord  ou  de  cimetière 
Montmartre.  Il  reçut,  à  diverses  re- 
|)rises,     d'importants     agrandissements 


et  occupe  aujourd'hui  une  superlicie  de 
dix  hectares.  Il  est  donc,  à  un  hectare 
près,  de  la  dimension  du  cimetière  Mont- 
parnasse et  quatre  fois  moindre  que 
celui  du  Père-Lachaise. 

Jusqu'à  ces  dernières  années,  le  cime- 
tière s'étendait  entre  les  quartiers  de 
Caulaincourt  et  de  Clichy,  comme  une 
zone  infranchissable.  Il  semblait  que 
cette  situation  dût  causer  un  empêche- 
ment perpétuel  à  la  circulation  directe 
entre  ces  deux  points. 

Peut-être  même,  à  une  autre  époque, 
eût-on  considéré  comme  une  sorte  de 
profanation  du  lieu  sacré  l'établisse- 
ment de  ce  large  pont  métallique,  vé- 
ritable boulevard  suspendu  sur  des 
tombes. 

Mais  il  s'agissait  de  prendre  une 
grande  mesure  d'utilité  publique,  de 
donner  un  peu  d'air  à  une  population 
qui  étouffait  en  son  enceinte  devenue 
trop  étroite.  Dans  ce  but,  des  travaux 
gigantesques  furent  entrepris  ;  une  vie 
nouvelle  surgit  comme  par  enchante- 
ment au-dessus  de  la  Cité  des  Morts. 
Et  ce  n'est  pas  une  antithèse  banale  que 
cette  exubérance  de  mouvement  et  d'ac- 
tion, que  ce  continuel  va-et-vient  de 
piétons,  que  ce  roulement  sourd  et  pro- 
longé des  véhicules  de  toute  sorte  sur 
le  champ  du  repos  lui-même. 

Les  inégalités  de  terrain  font  qu'un 
certain  nombre  de  sépultures  apparais- 
sent presque  au  niveau  de  la  voie  pu- 
blique. Le  soir,  elles  piquent  d'une  note 
blanche,  étrange  et  fantastique,  l'ob- 
scure clarté  produite  par  les  becs  de  gaz. 
A  ceux  qui  regagnent  tardivement  leur 
logis,  dans  l'épanouissement  de  la  joie 
de  vivre,  elles  se  révèlent  soudain 
comme  l'architectural  symbole  de  l'im- 
placable mémento  quia  pulvis  es  de 
r  Ecclésiasle. 

Il  ne  faut  pourtant  pas  exagérer  cette 
impression,   quand   on   parle    du    cime- 


730 


LE    CIMETIERE    MONTMARTRE 


LE     CIMETIÈRE      MONTMARTRE     VU      DU     PONT      MÉTALLIQUE 


tière  du  Nord.  Incontestablement, 
parmi  toutes  les  nécropoles  parisiennes, 
c'est  en  celle-là  que  Tidée  de  la  mort  se 
présente  avec  un  caractère  particulier 
de  sereine  philosophie.  Est-ce  l'influence 
du  milieu?  Est-ce  le  voisinage  d'éta- 
blissements bruyants  de  plaisir  et  de 
maisons  particulières,  récemment  con- 
struites, qui  entourent  le  lieu  funèbre 
comme  s'ils  voulaient  en  chasser  les 
méditations  trop  sombres  par  la  gaieté 
ou  les  combinaisons  artistiques  de  leurs 
façades? 

Quoi  qu'il  en  soit,  alors  que  le  Père- 
Lachaise  ou  que  le  cimetière  Montpar- 
nasse, avec  leurs  hautes  murailles,  leurs 
portes  d'entrée  ornées  d'attributs  ma- 
cabres, nous  semblent,  dans  leur  isole- 
ment majestueux  et  froid,  de  vastes 
lieux  de  désolation,  le  cimetière  Mont- 
martre revêt  l'apparence  d'une  oasis 
fraîche,  ombragée  et  tout  imprégnée 
de  cette  poésie  mystique  qui  nous 
permet  d'affronter,  sans  appréhension, 
l'insondable  mystère  de  l'au  delà. 


De  tout  temps,  le  cimetière  Mont- 
martre abrita  les  restes  de  nombre  d'ar- 
tistes et  d'écrivains.  C'est  encore  au- 
jourd'hui le  nom  des  hommes  devenus 
célèbres  par  la  plume,  le  pinceau  ou  le 
génie  musical,  qui  se  lit  sur  la  plupart 
des  principaux  monuments. 

Après  avoir  poursuivi,  pendant  leur 
vie,  par  des  moyens  différents,  la  re- 
cherche du  même  idéal,  ils  reposent  du 
moins  en  paix,  dans  l'intimité  de  cette 
même  terre  où  les  gloires,  les  vanités, 
les  joies  et  les  souffrances  ne  sont  plus 
que  de  la  poussière. 

En  revanche,  les  hommes  politiques 
y  sont  rares. 

Tout  le  monde  a  vu  le  monument  de 
Godefroy  Gavaignac,  placé  à  l'entrée 
du  cimetière  et  qui  est  une  des  œuvres 
magistrales  de  Rude.  Après  cette  sépul- 
ture et  celle  d'Armand  Marrast,  d'une 
grande  simplicité,  comme  il  convenait 
au  rigide  républicain,  nous  ne  relevons 


LE     C  IMKTIKin-:    MONTM  AH  TMK 


731 


plus  que  les  noms  de  personnages  d'une 
importance  secondaire  :  Sonj^eon,  ancien 
présideni  du  Conseil  municipal  de  Paris; 
Martin  Bernard,  (îustavc  Chaudey, 
Haudin. 

Le  monument  de  Baudin  rappelle 
beaucoup,  par  sa  conception  générale, 
celui  de  Cavaignac;  mais  on  y  remarque 
la  dillérence  d'école  bien  caractéristique 
de  notre  époque.  C'est  peut-être,  avec 
le  tombeau  de  \'iclor  Noir,  au  Père- 
I.acliaise,  l'œuvre  la  plus  réaliste,  selon 
le  beau  sens  du  mot,  que  l'on  puisse 
rencontrer  dans  les  nécropoles  pari- 
siennes. Quant  à  Gustave  Chaudey,  ses 
traits  sont  fidèlement  reproduits  en  un 
médaillon  de  bronze  au-dessous  duquel 
se  détachent,  en  gros  caractères,  les  deux 
lignes  prophétiques  qu'il  écrivait  le 
24  mars  1871  dansle  Siècle  :  «  Si  quelque 
balle  récriminalrice  nous  est  réservée, 
nous  n'aurons  qu'à  tomber,  faisant  des 
vœux  pour  la  République.  » 

Un  autre  homme  politique  de  haute 


envergure,  un  des  plus  grands  patriotes 
italiens  qui  rêva  l'aHranchissement  de 
son  pays ,  mais  succomba  à  la  tâche 
avant  f[u'arrivât  ce  beau  jour,  Daniel 
Manin,  l'ut  enterré,  en  1857,  au  cime- 
tière Montmartre.  Pendant  onze  années, 
son  cor[)s  reposa  dans  le  caveau  funèbre 
de  la  famille  d".\ry  SchelTer.  C'est  là  que 
vint  le  rejoindre  son  plus  fidèle  ami, 
Augustin  Thierry.  Kn  1868,  les  restes  de 
Manin  furent  rendus  à  Venise  enfin  dé- 
livrée. I.,e  gouvernement  impérial  lit 
enlever,  la  nuit,  ce  précieux  dépôt,  dans 
la  crainte  d'une  manifestation  républi- 
caine. Pour  Augustin  Thierry,  la  trans- 
lation de  ses  cendres  au  cimetière  Mont- 
parnasse, dans  une  sépulture  de  famille, 
eut  lieu  quelques  années  plus  tard. 


La  superficie  relativement  restreinte 
du  terrain,  à  Montmartre,  permet  aux 
visiteurs  de  retrouver  facilement  les 
tombes  célèbres.  Aussi,  tout  en  s'en  re- 


MONUMENT     D'ALPHONSE     BAUDIN 


732 


LE    CIMETIERE     MONTMARTRE 


MONUMENT     DE     LA     I'^  A  M  I  L  L  E     G  Ê  K  0  M  E 

nietlaut  aux  hasards  de  lexcursion, 
sont-ils  certains  de  tout  voir  et  de  pas- 
ser par  cette  série  d'émotions  que  font 
naître  en  nous  les  souvenirs  soudaine- 
ment évoqués  de  noms  que  la  mort, 
cruellement  ironique  parfois,  réunit 
dans  de  bizarres  promiscuités. 

Auprès  de  Cavaignac  sont  les  tombes 
d'un  certain  nombre  de  victimes  du 
Deux-Décembre  :  tombes  modestes  et 
sans  aucune  inscription.  La  sépulture 
de  la  famille  de  Mauprivez,  qui  four- 
nit plusieurs  hauts  fonctionnaires  à  la 
France,  sous  la  monarchie,  les  domine 
de  son  architecture  assez  élégante.  Plus 
loin,  alignés  le  long  de  l'avenue  princi- 
pale, étouffés  un  peu  par  la  massivité 
du  pont  Caulaincourt,  les  monuments 
funéraires  de  Castagnary,  de  Stendhal, 
de  Feyen-Perrin  attirent  les  regai'ds. 
Les  amis  du  peintre  délicat,  enlevé  trop 
tôt  à  son  art,  dans  la  plénitude  du  talent, 


ont  consacré  à  sa  mémoire  une  statue 
symbolisant  bien  son  œuvre;  l'expres- 
sion de  la  jeune  paysanne  laissant  tom- 
ber une  fleur  sur  le  sépulcre  de  celui  qui 
donna  la  vie  à  tant  d'œuvres  charmantes 
est  d'une  infinie  tristesse.  C'est  dans  le 
voisinage  de  ce  monument  qu'est  enterré 
Eugène  Labiche  ;  c'est  là  aussi  que  se 
dressent  les  caveaux  de  la  famille  d'Henri 
Rochefort  et  de  celle  du  peintre  Gérôme, 
deux  vivants  illustres,  à  des  points  de 
vue  différents,  ceux-là,  et  qui  ont  en- 
core, espérons-le,  de  longs  jours  à  pas- 
ser parmi  nous. 

De  l'autre  côté  du  pont  Caulaincourt, 
dans  la  partie  du  cimetière  qui  s  étend 
derrière  l'avenue  de  Clichy  jusqu'aux 
confins  de  la  rue  Ganneron,  les  arbres 
séculaires  forment  de  magnifiques  allées 
pleines  d'un  charme  mystérieux,  d'une 
mélancolie    poétique    qui    enveloppent 


>r  O  N  t)  M  E  N  T     DE     HENRY     M  U  R  G  E  K 


I,  K    d  M  K T  1  K  1{  K    M  O  N  T  M  A  11  T  H  E 


733 


tout  le  paysafjfe  mortuaire.  C  est  bien 
là  le  lieu  du  repos  des  artistes;  aussi  les 
retrouve-l-on  nombreux  dans  ce  décor 
que  la  Nature  semble  avoir  brossé  spé- 
cialement pour  eux. 

La  terre  y  doit  être  légère  à  Murj^er, 
dont  le  tombeau  est  surmonté  d'une  gra- 
cieuse statue  d'Aimé  Millet.  Un  peu  plus 
loin,  le  buste  d'Ollenbach,  d'une  res- 
semblance parfaite,  semble  sourire  au 
bruissement  des  arbres  et  à  la  perpé- 
tuelle chanson  des  nids.  Ce  sont  aussi, 
à  peu  de  distance  :  Victor  Massé,  Em- 
manuel Gonzalès,  Nestor  Hoqueplan,  ce 
«  dieu  de  l'esprit  parisien  ",  Dupre/. 
dont  l'épitaphe  en  vers  un  peu  trop  sim- 
ples résume  ainsi  la  vie  : 

Ci-git  un  brave  artiste,  auteur,  compositeur, 
Poète  quelquefois,  mais  surtout  grand  chanteur. 
Il  conquit,  dans  son  art,  une  place  d'honneur. 


MDNCMENT  DE  JACQUES  OFFENBATH 


MONUMENT  DE  SAMSON 

Duc,  Samson,  l'inoubliable  tragédien, 
dont  le  buste  est  un  des  plus  beaux  qui 
soient  au  cimetière  Montmartre;  Lam- 
bert-Thiboust,  avec  un  bas-relief  syn- 
thétique d'une  jolie  inspiration  ;  Véron, 
Adolphe  Adam,  Méry,  Raymond  Des- 
landes, Léon  Gozlan,  Gustave  Nadaud, 
l'auleur  d'adorables  chansons  dont  quel- 
ques-unes vivront  longtemps;  Rouvièrc, 
le  surprenant  artiste  qui  fût  devenu  un 
grand  peintre  s'il  n'eût  été  un  grand 
comédien,  l'homme  qui  comprit  et  in- 
carna le  mieux,  avant  Mounet-SuUy,  le 
personnage  d'Hamlet  et  duquel  le  poète 
a  dit  : 

Rouvière  !  il  est  deceuxque  l'Art  prend  pour  victimes; 
Il  est  de  ceux  qu'on  voit  se  plonger  dans  la  nuit 
Où  le  poète  parle  avec  des  mots  sublimes, 
Mêlant  aux  ouragans  leurs  sanglots  et  leur  bruit. 


Les  vivants  vont  vite  !  est-on  porté  à 


734 


LE    CIMETIERE    MONTMARTRE 


penser,  en  voyant  se  restreindre  crannée 
en  année  les  étroites  bandes  du  terrain 
encore  inoccupé  !  C'est  la  revanche  du 
cimetière  qui  s'emplit,  s'emplit  sans  cesse 
et  déborde  de  tous  les  côtés.  A  l'heure 
actuelle,  l'administration  a  dû  se  rési- 
gner, pour  l'aire  place  aux  nouveaux 
arrivants,  de  sacrifier  une  partie  de  la 


plus  d'un  spécimen  au  Père-Lachaise. 
C'est  ég^alement  dans  cette  partie  du 
champ  du  repos  que  sont  enterrés  Eu- 
gène Flachat,  Fourneyron,  le  baron  de 
Menneval,  le  maréchal  de  Ségur,  Emile 
de  Girardin  et  sa  femme  Delphine  Gay, 
Guvillier-Fleury,  Les  familles  de  Poli- 
gnac-Mirès  y  ont  leur  sépulture,  ainsi 


TOMBEAU     D'ALEXANDRE      DI':MAS      FILS 


large  et  belle  avenue  Montmorency  où 
se  trouvent  les  monuments  les  plus  re- 
marquables. 

Il  en  est  deux  qui  attirent  particuliè- 
rement l'attention,  plus  encore  par  leurs 
dimensions  colossales  que  par  la  renom- 
mée de  ceux  dont  ils  portent  si  haut  la 
mémoire  :  nous  voulons  parler  des  sépul- 
tures Marc-Lejeune  et  Montmorency- 
Luxembourg.  Le  premier  est  un  véri- 
table mausolée  de  granit  de  16  mètres 
de  haut,  surmonté  de  personnages  allé- 
goriques d'une  facture  assez  délicate. 
Le  second  se  compose  d'une  de  ces 
pyramides  dans  le  goût  du  commen- 
cement du  siècle  et  comme  on  en  voit 


qu'un  administrateur  de  la  Compagnie 
des  Indes,  dont  le  nom  est  bien  oublié 
aujourd'hui,  Bérard,  en  lequel  Dupleix 
trouva  toujours  un  appui  sûr  durant  ses 
luttes  célèbres  contre  l'influence  anglaise 
en  Asie. 

Et  voici  qu'après  cette  évocation  d'une 
époque  lointaine  surgissent  les  amer- 
tumes des  deuils  récents. 

Sur  le  marbre  poli  et  rose  de  la  même 
tombe,  deux  médaillons,  dont  l'un  porte 
encore  le  reflet  brillant  des  choses  nou- 
velles :  ce  sont  les  proflls  fiers  et  distin- 
gués de  Jules  et  Edmond  de  Goncourt. 

Quelques  mètres  plus  loin,  le  nom 
d'Alexandre  Dumas  se  détache  en  lettres 


LK    CIMi:  riKRK    MONTMARTRE 


735 


dorées  sur  le  fronlon  d'un  monument 
remarquable.  Les  restes  du  -^rand  dra- 
maturge sont  à  la  place  qu'il  avait  lui- 
même  désignée  d'avance  depuis  long- 
temps. On  sait  quelle  préférence  singu- 
lière il  avait  toujours 
manifestée  à  ce  sujet. 
Le  cimetière  Montmartre 
était  pour  lui  un  lieu  fré- 
quent de  pèlerinage. 

En  outre  du  souvenir 
de  tant  d'hommes  dispa- 
rus et  qui  lui  étaient 
chers  par  la  parenté  du 
talent  ou  du  génie,  il 
retrouvait  toujours  une 
impression  troublante 
lorsqu'il  s'arrêtait  devant 
la  tombe  de  Marie  Du- 
plessis. 

Celle  Dame  aux  camé- 
lias, c'était  sa  supersti- 
tion. Elle  lui  rappelait 
les  premières  heures  de 
bonheur,  les  premiers 
sourires  de  la  gloire.  Et 
plus  d'une  fois,  de  grand 
matin,  à  l'heure  où  le 
cimetière  est  imprégné 
encore  de  la  rosée  noc- 
turne, les  gardes  l'aper- 
çurent déposant  avec  re- 
cueillement des  fleurs  sur 
la  sépulture  de  la  femme 
qui  fut  très  banale  par 
elle-même  et  que  cepen- 
dant il  immortalisa  par 
un  récit. 

C'est  le  privilège  des 
grands  écrivains  de  faire 
pénétrer  ainsi  dans  les 
masses  des  légendesadap- 
tées  par  leur  imagination 
à  des  faits  qui  seraient  sans  cela  d'un 
bien  piètre  intérêt.  Il  en  est  résulté 
pour  la  Dame  aux  camélias,  dont  l'his- 
toire fut  enjolivée  avec  tant  d'art  par 
Alexandre  Dumas,  une  réputation  tel- 
lement universelle,  que  pas  un  étranger 
ne  visite  le  cimetière  sans  s'enquérir  de 
l'endroit  où    repose    l'héroïne.   Il    n'est 


pas  rare  môme  que  des  personnes  sen- 
timentales rapportent  de  leur  passage 
devant  cette  tombe  quelques  feuilles  ou 
quelques  brins  d'herbe,  qu'elles  conser- 
veront précieusement. 


M  0  N  l"  JI  E  X  ï     D  '  A  L  P  H  0  N  S  E     DE     X  E  C  V  I  L  L  E 


Aux  grands  jours  des  fêtes  mor- 
tuaires, cet  endroit  devient  un  véritable 
rendez-vous  pour  les  amoureux  aux- 
quels l'âge  ou  l'expérience  n'a  pas  en- 
levé encore  les  premières  illusions. 
Ils  viennent  là  comme  beaucoup  d'au- 
tres se  retrouvisnt  au  Père-Lachaise  au- 
tour du  monument  d'Héloïse  et  d'Abé- 


736 


LE    G I  M  E T  I  E R  I-:    MON  T  M  A  R  T  R  E 


TOMBEAU     DE     THÉOPHILE     fiAUTIEn 

lard.  Qu'on  ne  s'imagine  pas  cependant 
que  Théroïne  de  Dumas  possède  un 
somptueux  caveau  et  qu'il  soit  très  fa- 
cile de  le  découvrir. 

Un  simple  sarcophage  de  pierr«,  por- 
tant cette  inscription  presque  eflacée 
par  le  temps  et  rongée  par  la  pluie  : 
Marie  Duplessis,  recouvre  dans  l'avenue 
Saint-Charles  le  corps  de  celle  qui  est  à 
la  fois  pour  nous  la  Dame  aux  camé- 
lias et  la  Traviala. 

Tous  les  ans,  à  la  fête  des  Morts, 
M"'«  Sarah  Bernhardt  y  fait,  paraît-il, 
porter  des  fleurs. 

Le  tombeau  d'Alexandre  Dumas, 
quoique  d'un  style  assez  sobre,  produit 
un  g^rand  effet  artistique.  L'auteur  du 
Fils  naturel  et  du  Demi-Monde  gît 
étendu,  mort,  sur  la  dalle  de  son  sé- 
pulcre. Le  corps  est  revêtu  du  légen- 
daire costume  de  travail  si  souvent  re- 
produit par  la  photographie;  les  pieds 
sont  nus;  une  couronne  de  lauriers  met 
son  auréole  au   front  puissant   du  glo- 


rieux écrivain.  L'œuvre  est  de  réminent 
sculpteur  de  Saint-Marceaux.  On  peut 
la  considérer  comme  une  des  plus  belles 
qu'il  ait  produites,  et  l'on  reste  troublé 
longuement  devant  la  sérénité  de  ce 
\'isage  auquel  la  délicatesse  de  ciseau 
du  statuaire  a  ajouté  un  je  ne  sais  quoi 
tout  empreint  de  la  majesté  de  la  mort. 
(Quatre  colonnettes  de  granit  blanc  sou- 
tiennent au-dessus  de  la  dalle  funéraire 
le  faîte  du  monument  où  les  idées  spiri- 
tualistes  du  maître  regretté  éclatent 
dans  cette  inscription  empruntée  à  l'une 
des  pièces  de  son  théâtre  :  «  Je  me  con- 
stituai dans  ma  vie  et  dans  ma  mort, 
qui  m  intéresse  bien  plus  que  ma  vie, 
car  celle-ci  ne  fait  partie  que  du  temps, 
et  celle-là,  de  l'éternité.  « 


En  cette  même  avenue  Saint-Chai'les 
dont  nous  parlons  plus  haut,  éloignés 
de  la  chaussée,  perdus  pour  ainsi  dire 
au  milieu  des  tombes,  dorment  le  com- 
mandant Rivière  —  dont  un  buste  en 
bronze  nous  rappelle  les  traits  du  vail- 
lant marin  —  et  un  grand  poète  pour 
lequel  la  gloire  fut  toujours  injuste  : 
Alfred  de  Vigny. 

Mais  voici  que  ressuscitent  dans 
notre  mémoire  de  larges  visions  d'art, 
que  chantent  à  nos  oreilles  de  suaves 
mélodies,  tandis  que  défilent  sous  nos 
yeux  les  monuments  funèbres  de  Ber- 
lioz, d'Ambroise  Thomas,  de  Troyon, 
de  Gain,  d'Aimé  Millet,  de  Théophile 
Gautier,  de  Guillaumet,  de  Léo  De- 
libes,  d'Alphonse  de  Neuville. 

Le  peintre  populaire  qui  reproduisit 
de  si  saisissante  façon  les  épisodes  de  la 
guerre  néfaste  et  qui,  aux  heures  tra- 
giques encore,  fit  battre  nos  cœurs 
d'une  espérance  patriotique,  possède 
une  sépulture  digne  de  lui.  En  un  geste 
d'une  éloquente  tristesse  une  femme, 
qui  symbolise- la  patrie  et  qui  est  ter- 
rassée par  la  douleur,  presse  entre  ses 
bras  le  drapeau  finançais  que  domine  un 
buste  de  l'auteur  du  Porteur  de  dé- 
pêches, de  la  Dernière  cartouche  et  de 
tant  d'autres  œuvres  remarquables. 


M':    CIMETIKUK    MONT  M  A  HT  H  K 


737 


Le  souvenir  de  Berlioz  esl  évoqué  par 
une  construction  très  modeste  où  appa- 
raît le  médaillon  en  hion/.e  du  j^rand 
musicien,  l  ne  sorte  d'auréole  en  métal 
doré,  d'un  ellet  peu  harmonieux,  cou- 
ronne l'édicule,  qui  pourrait  être  en  or 
massif  si  chacun  de  ceux  que  charma  la 
Damiuidon  de  Faust  eût  seulement 
fourni  son  obole  d'un  centime. 

Le  monument  de  Théophile  Gautier, 
conçu  dans  le  goût  de  la  seconde  moitié 
du  xvni'"  siècle,  est  fort  gracieux.  Les 
proportions  y  sont  bien  observées,  et  la 
statue  allégorique  qui  le  surmonte 
semble  d'un  très  agréable  modelé.  Sur 
la  pierre  on  lit  le  quatrain  suivant  com- 
posé par  le  poète  lui-même  : 

L'oisoiui  s'en  \a.  la  feuille  tombe, 
L'anioui"  s'éteint,  cai"  c'est  l'hixei"; 
l^etit  oiseau,  viens  sur  ma  tombe 
Chantei-  quand  l'arbre  sera  verL. 

On  ne  peut  s'empêcher  de  faire  une 
remarque  en  lisant  ces  vers  :  presque 
toujours  les  poésies  gravées  sur  les 
pierres  des  cimetières  ont  un  caractère 
spécial  qui  frise  le  ridicule.  Et  même, 
quand  elles  sont  l'œuvrç  d'hommes 
célèbres,  elles  ex])riment  rarement  autre 
chose  qu'un  sentiment  banal,  sous  une 
forme  nu  puérile  ou  exagérée. 

C'est  ainsi  que  le  poète  Autran,  se 
lamentant  sur  la  mort  d'un  de  ses  amis, 
peintre  distingué,  sans  doute,  mais  qui 
est  loin  d"a\oir  laissé  un  nom  impéris- 
sable, émet  de  la  sorte  son  opinion  en 
un  alexandrin  reproduit  sur  le  marbre  ; 

^'enise  en  te  perdant  aurait  porté  le  deuil! 

C'est  ainsi  —  mais  dans  un  autre 
ordre  d'idées  —  qu'Alphonse  Karr 
écrit  sous  un  médaillon  où  sont  repro- 
duits les  traits  de  Carlolta  Patti  : 

Ah!  je  vous  reconnais,  chère  petite  Orphce  ! 
C'est  vous,  cette  filleule  à  laquelle  une  fée 
Fit,  an  temps  de  Perrault,  un  don  si  merveilleux 
Que  veulent  en  vain  mettre  au  rang  des  contes  bleus 

Seuls  les  gens  envieux  et  tristes. 
Oui,  le  don  est  réel,  cai'  je  vois  et  j'entends 
Emeraudes,  rubis,  topazes,  améthystes 
Ruisseler  à  travers  les  perles  de  vos  dents. 

Ces  exemples  ne    suffisent- ils    pas    à 
faire  ressortir  ce  que  nous  disons  plus 
VIII.  —  1-. 


M  0  N  U  M  E  X  T     DE     HE  N  RI     RI  V  1ÈRE 

haut"?  Et  cependant  Autran,  Théophile 
Gautier  et  ^Alphonse  Karr  sont  des 
maîtres. 


Le  peuple  de  Paris  aime  à  témoigner 
sa  sympathie  à  la  mémoire  des  grands 
comédiens  qui  ont  fait  vivre  à  ses  yeux 
les  héros  de  théâtre  et  qui  ont  incarné 
les  conceptions  de  nos  auteurs  drama- 
tiques les  plus  répandus.  Au  Père-La- 
chaise,  les  tombes  de  Talma  et  de  Rachel 
reçoivent  toujours  beaucoup  de  Heurs  à 
certains  anniversaires,  et  pourtant  bien 
des  années  se  sont  écoulées  depuis  la  dis- 
parition des   deux  célèbres   tragédiens. 

Au  cimetière  Montmartre,  où,  ainsi 
que  nous  l'avons  déjà  dit,  reposent  les 
restes  de  Rouvière,  on  peut  voir  égale- 
ment le  monument  élevé  à  la  mémoire 
de  Erédérick  Lemaître.  Un  buste,  d'une 
étonnante  expression,  rappelle  les  traits 
du  génial  créateur  de  Robert  Macaire, 
de    Ruy  Blas,  d'Othello,  de   Kean.   Et 


•738 


LE    CIMETIERE    MONTMARTRE 


devant  rhomme  étrange  qui  traduisit 
pendant  un  demi-siècle,  avec  un  succès 
qui  ne  put  jamais  être  surpassé,  toute 
la  puissance  des  passions  humaines,  les 
visiteurs  s'arrêtent  pieusement  émus. 

Un  autre  artiste  de  bien  moindre 
renommée,  mais  qui  lit  longtemps  les 
délices  des  théâtres  de  quartier  :  Bati- 
gnolles,  Montmartre,  Belleville,  etc., 
possède  une  somptueuse  sépulture,  à 
peu  de  distance  de  celle  de  Frederick 
Lemaître.  Sous  son  nom  de  Paschal 
Delagarde  il  avait  interprété  à  peu  près 
tous  ces  grands  drames  de  cape  et 
d'épée  que  les  habitants  des  faubourgs 
finissent  par  savoir  par  cœur.  A  être 
tour  à  tour  d'Artagnan,  Lagardère,  Buri- 
dan  ou  le  chevalier  de  Maison- Rouge, 
il  amassa  une  très  belle  fortune  dont  il 
usa  d'ailleurs  fort  généreusement  pour 
faire  le  bien  autour  de  lui. 

Un  groupe  de  personnes  dont  le 
nombre  va  toujours  en  diminuant  ne 
manque  pas  de  venir  au  mois  d'avril  de 
chaque  année,  à  l'anniversaire  de  la 
naissance  de  Charles  Fourier,  déposer 
une  couronne  sur  la  tombe  du  célèbre 
philosophe  humanitaire.  En  cette  occa- 
sion encore  on  fait  ici  pour  Fourier 
ce  qu'on  fait  au  Père-Lachaise  pour 
Enfantin.  Mais  tandis  qu'en  ce  dernier 
lieu,  le  (I  Père  »  possède  un  monument 
d'apparence  assez  artistique,  surmonté 
d'un  buste  dû  au  ciseau  d'Aimé  Millet, 
Charles  Fourier  dort  son  dernier  som- 
meil avec  une  simplicité  que  ne  posséda 
malheui'eusement  jamais  son  style.  Son 
effigie,  taillée  assez  grossièrement  dans 
une  pierre  que  la  pluie  a  noircie,  rap- 
pelle seule  son  souvenir  d'une  façon 
assez  vague. 

Devant  cette  sépulture  les  «  phalan- 
stériens  «  —  car  il  existe  encore  des 
adeptes  de  cette  doctrine  —  célèbrent  la 
gloire  de  leur  chef,  en  attendant  que  se 
réalise  sa  fameuse  prédiction  au  sujet  de 
la  «  Phase  d'Harmonie  qui  doit  engendrer 
un  printemps  perpétuel  sur  notre  planète, 
par  l'expansion  d'un  acide  alnqiie  bo- 
réal... »  dont  les  chimistes  actuels 
n'ont  pas  encore  découvert  le  secret. 


Tout  aussi  fidèles  que  les  phalansté- 
riens,  les  disciples  du  baron  du  Potet 
de  Sennevoy,  chef  de  l'Ecole  Magné- 
tique Moderne,  ne  manquent  jamais 
non  plus  de  se  réunir  une  fois  par  an 
devant  le  monument  qu'ils  lui  ont  fait 
élever,  comme  à  un  «  bienfaiteur  de 
l'humanité  ». 


On  conçoit  qu'il  serait  trop  long  d'é- 
numérer  ici  toutes  les  personnalités 
dont  le  nom  fut  répandu  autrefois  et 
qui  peuplent  aujourd'hui  les  silencieuses 
allées  de  la  nécropole.  Citons  cependant 
encore,  au  hasard  du  souvenir  et  sans 
tenir  compte  d'aucun  ordre  chronolo- 
gique :  le  comte  Daru,  Sevesle,  le  jeune 
artiste  de  la  Comédie-Française,  tué  à 
Buzenval  ;  Paul  Lacroix,  plus  connu  sous 
le  pseudonyme  de  Bibliophile  Jacob  et 
l'un  des  hommes  qui  traitèrent  avec  le 
plus  d'érudition  les  questions  les  moins 
amusantes  ;  Clapisson,  Bineau,  Réca- 
mier,  Nourrit,  Delessert,  Ruggieri,  Ho- 
race Vernet,  Alfred  et  Tony  Johannot,  le 
célèbre  navigateur  Bougainville,  Louise 
Collet,  la  femme-poète  dont  la  signature 
Louise  Collet,  née  Revoil,  prodiguée 
dans  toutes  les  publications  de  l'époque, 
poursuivait  comme  d'une  intolérable 
obsession  le  doux  Théodore  de  Banville  ; 
Louis  Rostan,  médecin  des  hôpitaux, 
professeur  à  la  Faculté  de  Paris;  Léon 
Moreau,  le  physicien  célèbre  ;  Deho- 
dencq,  peintre  d'histoire;  l'amiral  Bau- 
din,  Nelftzer,  Chaix  d'Est-Ange,  le  gé- 
néral baron  Travot. 

On  n'ignore  sans  doute  pas  que  le 
cœur  du  maréchal  Lannes,  duc  de  Mon- 
tebello,  est  au  cimetière  Montmartre 
dans  un  caveau  de  famille. 

D'autres  inscriptions  rappellent,  de- 
ci  de-là ,  les  souvenirs  héroïques  des 
guerres  de  la  Révolution  et  de  l'Em- 
pire. Ce  sont  des  colonels,  des  géné- 
raux, qui  prirent  part  à  la  grande  épopée 
et  sur  les  tombeaux  desquels  les  noms 
des  victoires  se  lisent  à  peine  aujour- 
d'hui. Voici  le  général  comte  de  Girar- 
din  ;   le   général  baron    Ilurel  qui  fut  à 


LE    ClMETIKin-:     MOXTMA  HTli  i: 


739 


Dresde,  à  llaiiau,  à  W  alerloo,  à  Alger, 
.lelcz  les  yeux  sur  celle  aulre  sépul- 
ture et  dites  si  les  quelques  ligues  sui- 
vantes  ne   vous  apparaissent   pas,  dans 


TOMBEAU      DE     fiUILLAUMET 

leur  laconisme,  comme  un  merveilleux 
chant  de  gloire  : 

«  Hippolyle  Cazeaux  —  colonel- 
major  des  Invalides,  baron  de  l'Empire 
—  62  ans  de  services. 

«  Sabre  d'honneur  reçu  de  la  main  de 
Bonaparte,  premier  consul,  pour  avoir 
fait,  suivi  d'un  seul  homme,  quatre- 
vingts  prisonniers  de  guerre,  à  la  Re- 
doute du  pont  de  Plaisance,  au  A'III.    « 

Ce  colonel  qui  traversa  toute  l'Eu- 
rope en  vainqueur,  qui  fut  blessé  un 
peu  partout,  qui  perdit  une  jambe  en 
]80i>,  ne  mourut  qu'en  1846. 

Nétaient-ils  pas  véritablement  d'une 
génération  de  géants,  ces  hommes  qui 
écrivirent  de  si  grandes  choses  avec 
l'épée  et  que  l'âge  seul  put  abattre? 


Les  questions  de  différence  de  religion 
ont  perdu  de  nos  jours  de  leur  impor- 
tance, au  point  de  vue  de  l'enterrement 


dans  des  parties  distinctes  du  cimetière. 
De  sorte  que  catholiques,  protestants, 
israélites  et  orthodoxes  de  toutes  les 
Eglises  se  trouvent  souvent  reposer  pêle- 
mêle  dans  le  même  respect  dû  dernier 
champ  d'asile.  Cependant  on  voit  en- 
core, dans  la  plupart  des  nécropoles 
])arisiennes,   des  endroits    aifectés    plus 


MONUMENT      DE     BERLIOZ 

particulièrement  à  certaines  sépulture;?. 
.\  Montmartre,  les    tombes  israélites 
occupent  une  portion    de  terrain  assez 
vaste  et  située  en  élévation. 


740 


LE    CIMETIERE    MONTMARTRE 


TOMBEAU      DE     JI.     O  S  1  U  I  S 

Deux  monuments  remarquables  en 
indiquent,  pour  ainsi  dire,  Tentrée  et  la 
sortie.  Le  premier  est  celui  de  M.  Osiris, 
qui  vit  encore  et  que  tout  le  monde  con- 
naît comme  un  de  nos  amateurs  d'art  les 
plus  dislinj^ués,  doublé  d'un  philan- 
thrope. Sur  un  caveau  de  marbre  blanc 
d'une  admirable  pureté,  M.  Osiris  a  l'ait 
placer  une  reproduction  par  Barrias 
du  Moïse  de  Michel-Ange.  La  base  de 
la  statue  porte  ces  quatre  mots  :  «  Au 
plus  grand  législateur.  » 

L'autre  monument  est  celui  d'Halévy. 
L'auteur  de  tant  d'immortels  opéras  est 
représenté  sur  un  piédestal  énorme  qui 
affecte  les  allures  d'une  colonne  triom- 
phale. Halévy  est  debout,  dans  cette 
pose  méditative  et  très  conventionnelle, 
chère  aux  artistes  de  l'époque  Louis- 
Philippe.  Signalons  encore  dans  cette 
zone  le  caveau  de  la  famille  Millaud 
sur  lequel  sont  inscrits  ces  quatre  beaux 
vers  des  Conlemphitions  : 

Je  dis  que  le  tombeau  qui    sur  les   mort.*  se  ferme, 

Ouvre  le  tirmament 
Et  que  ce  qu'ici-bas  nous  preuons  pour  le  terme 

Esi  le  commencement. 


Une  des  particularités  du  cimetière 
Montmartre,  c'est  de  donner  asile  aux 
restes  d'un  grand  nombre  d'officiers 
polonais  qui,  après  avoir  pris  part  aux 
grands  et  patriotiques  mouvements  in- 
surrectionnels de  leur  pays,  durent 
s'exiler  après  l'écrasement  final.  On  sait 
comment  ils  retrouvèrent  chez  nous 
une  nouvelle  patrie. 

Mais  ce  qu'il  y  eut  de  véritablement 
touchant  dans  cet  exode,  ce  fut  —  c'est 
même  encore,  après  de  si  nombreuses 
années  —  la  solidarité  qui  unit  toute 
cette  colonie.  Ils  vivaient,  pour  ainsi 
dire,  presque  exclusivement  entre  eux 
et,  quand  ils  mouraient,,  le  même  coin 
de  terre  les  réunissait  pour  l'éternité. 

Le  plus  beau  monument  renferme  le 
corps  du  maréchal  de  la  noblesse,  Léon 
Stemposky,  qui  fut,  d'ailleurs,  le  fon- 
dateur de  cette  Œuvre  des  Tombeaux 
polonais.  Dans  ce  même  caveau  repose 
le  comte  Joseph  Potocki,  major  célèbre 
qui  se  couvrit  de  gloire  dans  l'insurrec- 
lion  du  Palatinat  de  Podolie. 

A  quelques  mètres  plus  loin  est  en- 
terré le  P.  Zelowicki,  supérieur  de  la 
mission  polonaise.  Il  est  enfin  un  autre 
monument  élevé  à  la  mémoire  d'un  en- 
fant de  la  Pologne  :  c'est  celui  d'un 
jeune  homme,  nommé  Kamienski,  qui 
s'enrôla  dans  l'armée  française  au  mo- 
ment de  la  guerre  d'Italie  et  fut  tué  à 
Magenta.  Ce  monument,  qui  représente 
Kamienski  frappé  à  mort,  est  d'une  belle 
expression  artistique  et  mérite  pour 
cela  d'être  signalé. 

Dans  le  même  ordre  d'idée,  mais  sim- 
plement au  point  de  vue  de  l'originalité 
du  style,  plus  que  de  sa  beauté,  il  con- 
vient de  rappeler  l'étrange  mausolée 
que  se  construisit  au  cimetière  Mont- 
martre l'architecte  français  Laurecisque, 
auteur  des  plans  de  l'ancienne  ambas- 
sade de  notre  pays,  dans  le  quartier 
Péra,  à  Constantinople. 


u  Un  cimetière,  a  écrit  Théophile 
Gautier,  donne  toujours  une  leçon  aux 
vivants,  car  il  résume,  mieux  que  n'im- 


,-^. 


I.  K    CI  M  ET  IK  HE    M  (i  N  T  M  A  H  T  H  E 


7il 


porlc  quel  livre,  la  philosophie  d'une 
époque.  C'est  là  qu'il  faut  venir  cher- 
cher la  caractéristique  de  tel  ou  tel  âg-e. 
I.a  pierre,  le  marbre,  le  bronze,  la  mo- 
deste croix  de  bois  comme  la  plus  hau- 
taine des  pyramides  prennent  une  voix 
et  nous  parlent.  » 

A  Montmartre,  l'observation  qui  sini- 


sées, colonnes  brisées,  sabliers,  taux  du 
Temps,  ossements  en  croix,  vous  ne 
retrouverez  pas  cela  dans  la  nécropole 
contemporaine,  qui  n'est  plus'.  Dieu 
merci,  un  de  ces  lieux  d'où  l'on  sort  avec 
l'esprit  plein  de  visions  apocalyptiques. 
Léx'olution  littéraire,  artistique  et 
philoi-ophique  s'y  manifeste  dans  toute 


MONUMENT      DE      X  E  F  F  T  Z  E  R 


pose  à  tous  les  esprits  est  que  la  simpli- 
cité relative  de  nos  mceurs  actuelles  se 
traduit,  dans  le  choix  de  nos  sépultures, 
par  l'horreur  de  ce  qui  est  solennel  et 
pompeux.  L'idée  moderne  se  prête  mal 
à  ces  élucubrations  macabres  qui  com- 
posaient autrefois  le  cortège  obligé  de 
chaque  trépas.  Nous  ne  savons  peut-être 
pas  mieux  vivre,  mais  nous  savons  cer- 
tainement mieux  mourir  que  nos  ancê- 
tres. Les  marbriers  eux-mêmes  semblent 
avoir  laissé  de  coté,  dans  leurs  construc- 
tions nouvelles,  les  emblèmes,  les  attri- 
buts, sans  lesquels,  il  y  a  cinquante  ou 
soixante  ans,  un  tombeau  n'eût  pas  été 
un    véritable    tombeau.    L'rnes  renver- 


sa splendeur  et  l'on  n'y  voit  pas,  comme 
au  Père-Lachaise,  des  monuments  exces- 
sive.r.ent  coûteux  qui  pourraient  passer 
pour  des  chefs-d'œuvre  du  mauvais  goût. 
La  plupart  du  temps,  la  besogne  de 
l'architecte  se  trouve  très  simpliliée  et 
c'est  au  statuaire  que  l'on  s'adresse.  La 
ferronnerie  d'art  joue  aussi  un  rôle  pré- 
cieux dans  l'ornementation  des  tombes, 
grâce  à  ces  volutes  légères  qui  se  dérou- 
lent capricieusement  autour  du  marbre 
ou  du  granit  ;  grâce  à  ces  fleurs  de  métal 
repoussées  au  marteau  et  retombant  en 
gerbes  éternellement  belles  ;  grâce  à  ces 
vases  aux  formes  fines,  élégantes,  dans 
lesquels  poussent  des  plantes  vivaces. 


742 


LE    CIMETIERE    MONTMARTRE 


En  certains  endroits  l'œil  est  attiré 
par  des  tombeaux  d'une  blancheur  im- 
maculée, ainsi  que  des  robes  de  jeunes 
épousées;  on  n'y  lit  parfois  qu'un  simple 
prénom,  deux  dates  rapprochées  l'une 
de  l'autre  :  la  naissance  et  la  mort.  Et 
l'on  voit  agenouillées  devant  ces  mar- 
bres qui  recouvrent  des  dépouilles  bien 
chères,  de  pauvres  mères  éplorées, 
blessées  au  cœur  pour  toujours  : 

Jeunes  filles,  hélas!  qui  donc  croit  à  l'aurore? 
Votre  lèvre  pâlit  pendant  qu'on  danse  encore 

Dans  le  bal  enchanté. 
Dans  les  lustres  blêmis  on  voit  grandir  le  cierge. 
La  Mort  met  sur  vos  fronts  un  grand  voile  de  vierge 

Qu'on  nomme  Éternité! 


On  ne  peut  faire  une  description  un 
peu  détaillée  d'un  cimetière,  sans  rele- 
ver un  certain  nombre  de  ces  inscriptions 
tombales  qui  sont,  en  certains  cas,  stu- 
péfiantes. Il  y  avait  jadis  toute  une  lit- 
térature mortuaire  dont  bien  des  spéci- 
mens se  retrouvent  sur  les  vieilles 
sépultures.  C'est  changé  aujourd'hui. 
Certes,  les  regrets  que  nous  manifestons 
pour  nos  chers  défunts  sont  les  mêmes; 
mais  ils  ne  se  traduisent  plus  par  ce 
débordement  d'éloges  ou  par  ces  impré- 
cations contre  le  trépas  «  injuste  », 
((  cruel  »,  «  aveugle  »,  «  funeste  »,  etc. 
La  concision  de  la  forme  et  la  sobriété 
des  épithètes  deviennent  presque  une 
façon  de  témoigner  de  son  respect 
devant  l'implacable  volonté  du  destin. 

Cependant,  à  Montmartre  comme 
ailleurs,  il  existe  des  exceptions  à  cette 
règle.  En  voici  quelques-unes,  recueil- 
lies surdifFérentes  pierres  tombales  : 

Ci-gîl X 

//  se  maria  trois  fois  et  fit  toujours 
le  bonheur  de  ses  épouses. 

Dans  une  autre  zone,  à  l'extrémité  de 
1  allée  principale,  on  lit  cet  aveu  : 

Ving t-quatre  ans  de  mariage  ne  m'ont 
semblé  que  vingt-quatre  Jours! 

Un  tombeau  porte  ces  trois  mots, 
presque  effacés  par  le  temps  : 

Le  silence,  enfin! 


Un  philosophe  a  exhumé  ce  quatrain 
connu  d'un  vieux  poète  : 

On  entre,  on  crie 
EL  c'est  la  vie! 
On  crie,  on  sort, 
Et  c'est  la  mort. 

Sur  une  plaque  de  métal  suspendue 
à  la  grille  d'un  monument,  on  lit  : 

J'attends  ma  femme  tranquillement. 

Dans  l'avenue  Montmorency,  deux 
amis,  Epicuriens  l'un  et  l'autre,  dorment 
réunis  en  la  même  concession.  Ils  ont 
tous  deux  résumé  leur  existence  en  des 
acrostiches  dont   voici  un  échantillon  : 

Cujjidité  ne  fut  son  vice; 
Le  goût  des  arts  seul  recoupa; 
Amour  fit  longtemps  son  supplice. 
Vainement  il  ne  soupira. 
Euterpe  assez  lui  fut  propice, 
La  musique  le  consola. 

Le  second  Epicurien  ne  le  cède  en 
rien  au  premier;  qu'on  en  juge  : 

En  bonne  et  sinistre  occurrence, 
Usant  de  ses  droits  de  chevance. 
Rien  jamais  ne  l'inquiéta. 

Mais  la  plus  curieuse  épitaphe  est 
certainement  la  suivante  : 

A  quoi  sert  de  pleurer.''  Comme  a  dit  La  Palisse, 
Ainsi  que  tout  commence,  il  faut  que  tout  finisse. 


Bornons-nous  à  ces  quelques  citations. 
Elles  montrent  que  tout  ne  meurt  pas 
avec  nous  et  que  même  dans  le  champ 
de  l'éternel  repos,  l'homme  se  retrouve 
avec  ses  gaietés,  ses  ironies,  ses  tris- 
tesses, ses  haines,  le  désir  parfois  de  se 
singulariser  jusqu'au  ridicule  et  d'atti- 
rer l'attention  sur  sa  petite  personna- 
lité, même  quand  sa  personne  n'existe 
plus. 

Vanité  des  vanités! 

Le  sort  nous  use  au  jour,  triste  meule  qui  tourne. 
L'homma  inquiet  et  vain  croit  marcher,  il  séjourne. 

Il  expire  en  criant  ! 
Nous  avons  la  seconde  et  nous  rêvons  l'année! 
Et  la  dimension  de  notre  destinée, 

C'est  poussière  et  néant! 

AmÉDIÎE     Fr  a  IGNE  au. 


ÉGLOSION    ET    ÉLEVAGE    DES    POULETS 


Pour  pratiquer  Taccouvage,  il  y  a 
deux  sortes  de  couveuses  :  la  couveuse 
naturelle  et  la  couveuse  artificielle. 

La  couveuse  naturelle  a  deux  repré- 
sentants :  la  dinde  et  la  poule. 

La  couveuse  artificielle  est,  en  re- 
vanche, représentée  paP  une  soixantaine 
de  systèmes  d'incubateurs  difîérents  que 
l'on  essaye  une  fois,  et  que  l'on  relègue 
ensuite  le  plus  souvent  au  grenier. 

Parlons  dabord  des  couveuses  na- 
turelles. 

Les  couvoirs  à  dindes  sont  de  deux 
sortes  :  nous  avons  les  couvoirs  orga- 
nisés à  la  diable  et  les  couvoirs  bâtis 
ingénieusement.  En  général,  l'accou- 
veur  installe  ses  dindes  dans  une  salle 
basse,  sombre,  éloignée  de  tout  bruit  et 
du  passage  des  voitures;  il  dispose  le 
long  des  murs  des  paniers  ouverts  ou 
fermés  suivant  la  méthode  employée, 
ou  encore  de  vieilles  caisses.  Les  cou- 
veuses y  sont  au  nombre  de  trente  à 
tpiarante  par  salle.  Elles  sont  séparées 
les  unes  des  autres  par  une  cloison  de 


planches,  ce  qui  évite  les  duels  à  coups 
de  bec.  On  les  lève  deux  fois  par  jour 
et  elles  regagnent  ensuite  seules  leur 
panier  respectif.  11  existe  des  couvoirs 
autrement  agencés.  Les  dindes  y  sont 
placées  dans  des  cases  de  bois  sem- 
blables à  celles  que  l'on  remarque  dans 
les  magasins  des  commissionnaires  en 
marchandises.  Ces  cases  sont  fixées  au 
mur  sur  trois  ou  quatre  rangs,  suivant 
la  hauteur  du  plafond;  les  dindes  sont 
levées  par  séries  et  replacées  sur  leurs 
œufs.  Cette  superposition  de  cases 
permet  de  loger  trois  et  quatre  fois  plus 
de  couveuses  dans  le  même  local.  Cet 
avantage  a  ses  dangers,  car  nous  rap- 
pellerons aux  intéressés  que  cette  agglo- 
mération de  dindes  en  un  même  lieu, 
souvent  mal  aéré,  est  cause  de  ces  épi- 
démies de  mortalité  qui  s'abattent  sur 
les  couvoirs.  Il  n'est  pas  rare  d'y  trouver 
des  dindes  mortes  sur  leurs  couvées. 

L'incidDation  par  les  dindes  a  ses 
petits  déboires,  dont  le  premier  est  la 
perte    des    couveuses    à    la    quatrième 


m 


KCI.OSIOX    ET    ÉLEVAGE    DES    POULETS 


couvée  consécutive  ;  certaines  résistent 
à  ce  supplice  de  la  réclusion,  mais  elles 
s'amaigrissent  beaucoup.  Il  est  salutaire 
de  les  relever  de  leur  stage  pour  les 
mettre  au  vert  quelques  mois.  La  santé 
des  dindes  et  le  sort  des  couveuses  dé- 
pendent de  la  basse-courière  chargée  de 
les  lever  :  il  lui  faut  surveiller  avec 
sollicitude  chacune  de  ses  bêles,  les 
forcer  à  prendre  de  la  nourriture;  si 
elles  la  dédaignent,  provoquer  leur  ap- 
pétit ;  offrir  des  friandises,  des  verdures, 
à  celles  qui  refusent  les  graines  ou  les 
bols  farineux.  Les  poudrer  régulière- 
ment d'insecticide,  afin  de  garantir  les 
poussins  d'une  invasion  de  parasites, 
enfin,  les  obliger  à  se  vider  au  moins 
journellement,  et  voir,  comme  le  disait 
Molière,  si  la  malière  est  louable. 
'  Chaque  province  a  son  procédé  pour 
accélérer  chez  les  dindes  la  fièvre  d'in- 
cubation. La  barbarie  et  la  naïvelé  s'y 
mélangent  agréablement  ;  on  leur  plume 
le  ventre,  on  le  frotte  d'essence  de  téré- 
benthine, etc. 

Celui  qui  a  étudié  les  oiseaux  sait  que 
l'obscurité  est  un  puissant  moyen  d'édu- 
cation et  que  la  complicité  des  ténèbres 
dispense  des  tortures  que  la  Société  pro- 
tectrice des  animaux  réprouve.  A  la 
faveur  de  la  nuit,  on  oblige  l'oiseau  à 
se  taire,  à  jeûner,  à  ne  plus  bouger.  Une 
dinde  ramassée  dans  la  basse-cour,  au 
hasard ,  placée  sur  un  panier  rempli 
d'œufs  d'essai,  renfermée  dans  un  lieu 
obscur,  ne  bouge  plus.  Pour  plus  de 
sûreté,  on  ferme  le  panier  d'un  cou- 
vercle ou  de  plateaux,  et  la  dinde,  ter- 
rifiée par  son  passage  subit  de  la  lumière 
à  l'obscurité,  s'étend  craintivement  sur 
le  fond  du  panier. 

Une  manière  encore  plus  simple  con- 
siste à  mettre  à  couver  la  dinde  qui 
manifeste  cette  intention.  On  la  pose 
sur  des  œufs  de  poule.  Gomme  la  durée 
d'incubation  de  ces  œufs  est  de  vingt  et 
un  jours  en  hiver  et  de  Vingt  en  été,  et 
que  la  dinde  couve  dans  l'ordre  naturel 
trente  jours,  on  lui  enlève  les  poussins 
éclos  que  l'on  remplace  par  une  tren- 
taine d'œufs  frais.   Durant  l'espace  de 


deux  incubations  de  dinde,  on  obtient 
trois  couvées  de  poules.  Après  la  troi- 
sième couvée,  on  lâche  la  dinde  pour  la 
reprendre  trois  semaines  après. 

Le  lever  des  dindes  s'exécute  au  gré 
de  l'accouveur;  la  meilleure  méthode 
est  celle  qui  espace  également  les  repas  ; 
ainsi,  le  premier  à  six  heures  du  matin, 
le  second  à  six  heures  du  soir.  En  hiver, 
pour  la  commodité  et  aussi  pour  que  les 
couveuses  ne  mangent  pas  à  la  clarté 
des  lanternes ,  on  recule  le  repas  du 
matin  vers  sept  heui^es  et  l'on  règle  le 
second  sur  la  chute  du  jour;  car  on  a 
remarqué  que  les  dindes  et  les  poules 
ne  mangent  qu'imparfaitement  à  la 
lumière  d'une  lanterne  ou  d'une  lampe. 
La  température  du  couvoir  est  main- 
tenue  vers    15   degrés  centigrades. 

Quant  aux  divers  systèmes  d'incuba- 
teurs artificiels,  le  public  a  été  si  souvent 
ti'ompé  qu'il  est  presque  impossible  d'en 
recommander  un  nouveau.  Une  chose 
encore  plus  fâcheuse  à  dire,  c'est  qu'au- 
cun des  appareils  fabriqués  en  France 
ne  peut  rendre  service  :  les  deux  seuls 
incubateurs  qui  fonctionnent  régulière- 
ment sont  d'origine  anglaise.  Le  pre- 
mier est  à  eau  chaude,  le  second  à  air 
chaud.  Ils  incubent  tous  les  deux  un 
peu  plus  de  deux  cents  œufs.  Le  pre- 
mier demande,  pour  fonctionner,  une 
mise  en  marche-à  blanc  de  trois  jours  ; 
le  second  commence  1  incubation  instan- 
tanément et  règle  lui-même  la  tempéra- 
ture sans  tâtonnements.  Ce  dernier  a 
donné  des  résultats  indiscutables.  Sans 
entrer  dans  les  détails  d'une  description 
qui  serait  trop  technique,  nous  dirons 
seulement  que  cet  appareil  est  basé  sur 
les  propriétés  d'irradiation  de  la  cha- 
leur par  le  zinc  en   feuilles. 

Cet  incubateur,  qui  utilise  l'air  chaud, 
qui  règle  automatiquement  sa  tempéra- 
ture, est  certainement  le  plus  pratique 
et  le  plus  simple  de  tous  ceux  que  nous 
avons  manipulés  durant  de  longs  mois. 
Le  chauffage  coûte  environ  8  francs  par 
incubation.  Chaque  éclosion  donne  cent 
trente  à  cent  cinquante  poussins  sur 
deux  cent  trente  œufs  non  mirés. 


ÉCLOSION    KT    ÉLEVA  CE    DES    POULETS 


745 


Les  (l'ufs  qui  ne  produisent  rien  se 
décomposent  :  en  ceufs  clairs,  leufs  l'aux- 
^^ermes,  germes  arrêtés  dans  leur  évolu- 
tion. La  mortalité  en  coquille  est  relati- 
vement faible,  contrairement  à  ce  qui 
se  produit  avec  les  incubateurs  à  tiroirs. 

Cet  incubateur  n'a  qu'un  léger  incon- 
vénient :  c'est  la  délicatesse  de  son  ma- 
niement ;  il  exige  une  personne  adroite, 
aux  mains  fines. 

La    première    condition    de    réussite. 


d'Kgypte,  ont  observé  que  l'immobilité 
de  l'd'uf  cause  la  mort  de  l'embryon  ; 
cette  constatation  a  été  conlirmée  par 
tous  les  savants  qui  ont  expérimenté 
l'incubation  artilicielle. 

Le  retournement  des  œufs  se  fait 
rapidement  ;  avec  un  peu  de  pratique, 
on  arrive  à  retourner  cinq  cents  œufs 
en  dix   minutes.    On   profite  du  retour- 


Y  x'-x—n'-a    cr:.:-.- 


cor  VE  USE     A  UT  I  FI  CI  ELLE     A     Al  II     CHAUD 


c'est  de  placer  la  couveuse  au  premier 
étage  de  la  maison  et  non  au  rez-de- 
chaussée;  à  4  ou  5  mètres  au-dessus 
du  sol,  la  mortalité  en  coquille,  iné- 
vitable en  temps  de  pluie,  diminue  des 
trois  quarts. 

On  choisit  une  pièce  dégarnie  de 
meubles  et  de  tentures,  bien  saine  et 
à  l'abri  de  l'humidité  ou  d'un  courant 
d'air.  Une  chambre  mesurant  au  moins 
3  mètres  de  côté  ou  9  mètres  carrés. 
L'appareil  se  place  au  centre  de  la 
pièce  ;  il  est  garni  d'tcufs  frais  ayant 
au  plus  trois  à  quatre  jours,  dont  les 
coquilles  auront  été  lavées  avec  soin  et 
sans  précipitation.  Une  fois  la  lampe 
allumée,  le  couvercle  de  lappareil 
fermé,  l'évolution  de  l'embryon  con- 
tenu dans  l'd'uf  commence.  Il  ne  s'agit 
plus,  pour  aider  à  cette  évolution,  que 
de  retourner  les  œufs  deux  fois  par 
jour  à  intervalles  fixes,  comme  le  fait 
la  poule,  et  cela,  parce  que  les  prêtres 
d'Isis,  qui  pratiquaient  déjà  l'incuba- 
tion artificielle  au  temps  des  Pharaons 


nement  des  œufs  pour  remettre  de  l'huile 
dans  la  lampe.  Le  remplissage  de  la 
lampe  qui  chauUe  l'appareil  doit  seffec- 
tuer  le  soir,  de  manière  que  la  flamme 
soit  en  pleine  vigueur  durant  les  pre- 
mières heures  du  jour,  moment  cri- 
tique où  la  température  baisse  sensi- 
blement. 

Vers  le  quatrième  jour,  les  avicul- 
teurs de  carrière  mirent  les  œufs  afin 
de  retirer  les  (cufs  clairs;  nous  ne  con- 
seillons pas  le  mirage  aux  débutants 
qui  veulent  faire  de  l'incubation  pour 
se  distraire.  A  la  fin  du  dix-huitième 
jour,  des  bruissements  discrets,  des 
murmures  imperceptibles  ont  troublé  le 
silence  de  l'appareil.  Des  coquilles  ont 
tressailli,  remuées  par  une  force  invi- 
sible, on  perçoit  les  premiers  vagisse- 
ments des  poussins;  ces  avertissements 
ne  trompent  pas  l'oreille  exercée. 

La  manipulation  des  œufs  cesse  avec 
les  premiers  cris,  l'appareil  ne  devrait 
plus  être  ouvert.  Avec  les  couvées 
d'œufs  pondus  à  huit  jours  d'intervalle. 


746 


ÉCLOSION    ET    ÉLEVAGE    DES    POULETS 


il  est  permis  de  réunir  les  œufs  bêchés, 
de  les  retourner;  avec  les  couvées  d'œufs 
du  même  jour,  les  éclosions  sont  simul- 
tanées ;  ouvrir  Tappareil ,  le  refermer, 
c'est  troubler  riiygrométrie  de  la  cou- 
veuse ,  c'est  nuire  à  Féclosion ,  c'est 
favoriser  le  collage  des  poussins  ! 

Le  collage  se  produit  lorsqu'après 
avoir  fracturé  l'endroit  bêché,  sur  la 
coquille,  le  poussin  a  déchiré  la  mem- 
brane de  l'œuf,  puis  s'est  tenu  en  repos. 
Alors  l'air  entre  par  la  déchirure,  pénètre 
dans  l'intérieur  de  la  coque,  change  en 
colle  sèche  la  liqueur  qui  mouille  les 
bords  de  la  déchirure  et  celle  des  feuil- 
lets qui  entourent  le  corps  de  l'oiseau. 
Quand  le  poussin  veut  continuer  le 
bêchage,  il  ne  peut  plus  tourner  le  bec, 
il  ne  peut  plus  bouger  son  corps  :  il  est 
sous  bande.  Les  ouvertures  fréquentes 
de  l'appai'eil  sont  causes  de  ce  malheur. 
Pour  délivrer  ce  poussin,  on  ne  doit 
pas  hésiter  à  continuer  le  bêchage  en 
frappant  à  petits  coups  la  coquille  autour 
de  la  tête  de  l'oiselet.  Quand  l'ouverture 
faite  est  assez  grande,  on  humecte  la 
membrane  collée  avec  un  pinceau  chargé 
de  blanc  d'ccuf  tiède  ou  d'eau  de  gui- 
mauve. Ce  traitement  l'aide  à  se  tirer 
dafTaire  ;  on  le  remet  dans  la  couveuse, 
car  il  est  imprudent  d'aider  le  poussin 
à  sortir  de  l'œuf. 

Le  retrait  des  poussins  s'exécute  rapi- 
dement. On  les  place  dans  les  sécheuses 
qui  accompagnent  l'appareil  et  qui  uti- 
lisent la  chaleur  perdue  de  l'incubateur. 
Lorsqu'ils  sont  ressuyés,  qu'ils  tiennent 
sur  leurs  pattes,  que  leur  fourrure  duve- 
tée, lisse  comme  un  satin,  maintient 
autour  de  leur  corps  une  couche  d'air 
chaud  qui  peut  lutter  avec  la  tempéra- 
ture extérieure,  c'est-à-dire  quarante- 
huit  heures  après  leur  naissance,  l'éle- 
vage commence. 

Dans  toutes  les  exploitations  où  l'on 
travaille  sérieusement  à  la  production 
de  la  ^'olaille,  on  place  les  poussins, 
sitôt  leur  éclosion,  dans  une  sccheiise. 
C'est  une  boîte  vitrée,  remplie  d'une 
couche  de  foin  ou  de  paille  d'orge  brisée, 
chauffée  soit  par  le  moyen  d'une  bouil- 


lotte, soit  en  utilisant  une  source  de 
chaleur  quelconque.  Les  poussins  y  sont 
logés  au  nombre  de  cinquante  et  de 
cent.  Ils  doivent  occuper  ce  logement 
deux  jours,  en  attendant  qu'ils  soient 
bien  ressuyés  et  qu'ils  aient  résorbé  le 
jaune  de  l'œuf  qui,  par  un  mouvement 
mécanique,  est  rentré  dans  leur  petit 
corps  quelques  heures  avant  leur  sortie 
de  la  coquille.  Pendant  ces  deux  jours 
de  réfection  interne,  on  ne  leur  donne 
pas  à  manger;  néanmoins,  il  faut  veiller 
à  l'existence  de  ces  petits  êtres.  Si  la 
chaleur  est  excessive,  ils  s'écartent  les 
uns  des  autres  et  donnent  des  signes  de 
suffocation  en  ouvrant  démesurément 
le  bec;  si,  au  contraire,  la  température 
de  la  sécheuse  est  insuffisante ,  l'en- 
vahissement des  angles  est  immédiat, 
la  bousculade  est  prochaine.  Un  peu 
plus,  un  peu  moins  de  litière,  un  mor- 
ceau de  lainage  appliqué  sur  les  vitres 
de  la  sécheuse  remédient  à  ces  excès 
qu'il  faut  prévoir  en  se  guidant  d'un 
bon  thermomètre  ;  les  poussins  pas- 
seront la  nuit  dans  la  sécheuse  et  cette 
nuit  peut  être  terrible. 

Les  poussins  ressuyés,  les  quarante- 
huit  heures  écoulées,  il  est  temps  de  les 
livrer  aux  éleveuses. 

L'élevage  naturel  se  sert  de  poules 
ou  de  dindes  captives  ;  l'élevage  artifi- 
ciel, d'éleveuses  à  lampes  et  à  chau- 
dières. 

Commençons  par  l'élevage  naturel. 

L'aviculteur  qui  emploie  des  poules, 
des  dindes  ou  des  chapons  dressés  à 
conduire  est  rare,  et  les  résultats  qu'il 
obtient,  malgré  son  adresse,  sont  plutôt 
maigres  ;  aussi  presque  tous  les  pro- 
ducteurs de  volailles  qui  veulent  opérer 
avec  certitude  s'assurent-ils  du  concours 
de  dindes  ou  de  poules  captives. 

Ces  poules,  ces  dindes  sont  prises  au 
couvoir  ou  à  la  basse-cour,  parmi  celles 
qui  viennent  de  terminer  une  couvée 
ou  de  la  gâcher;  elles  sont  alors  in- 
ternées dans  des  boîtes  délevage  ayant 
40  sur  50  centimètres  pour  les  poules, 
60  sur  70  centimètres  pour  les  dindes. 
Ces  sortes  de  caisses  sont  munies  d'un 


KCI.OSIOX    KT    KLK\A(;  1-:    DKS    POULETS 


7  47 


couvercle  pour  y  introduire  l'oiseau  et 
d'une  poignée  pouren  faciliter  le  trans- 
port; l'un  des  plus  petits  côtés  est 
(lanqué  d'un  grillage,  ou  d'un  lattage  à 
claires-voies,  assez  larges  pour  faciliter 


boite    d  '  é  l  e  v  a  (j  e 
i'oi;r    mère     captive 

la  rentrée  ou  la  sortie  des  jeunes  élèves, 
assez  étroites  pour  empêcher  la  sortie 
de  la  femelle.  Les  boîtes  d'élevage  les 
mieux  conditionnées  sont  accompagnées 
de  deux  portes  mobiles  :  l'une  pleine, 
l'autre  à  claires-voies.  La  première 
porte  s'emploie  vers  la  fin  de  l'élevage, 
la  seconde  au  début. 

En  maintenant  les  femelles  captives 
durant  trois  semaines  au  moins,  en  ne 
les  laissant  sortir  que  deux  fois  par 
jour,  comme  elles  le  doivent  en  cours 
d'incubation,  les  poussins  peuvent  se 
réchauffer  quand  ils  le  désirent,  et  c'est 
là  l'essentiel  pour  eux,  car  ils  n'ont 
besoin  d'aucun  conseil  pour  apprendre 
à  manger.  A  la  lin  de  la  troisième 
semaine,  ils  peuvent  sortir  accompagnés 
de  leur  mère  adoptive;  on  ne  laisse  à 
leur  disposition  qu'un  espace  restreint 
d'abord,  qu'on  agrandit  peu  à  peu  jus- 
qu'au jour  où  ils  peuvent  être  lâchés 
dans  les  parcs,  c'est-à-dire  à  six  semaines, 
pendant  la  l)elle  saison,  deux  mois  pen- 
dant l'hiver  et  le  printemps.  Une  poule 
peut  élever  de  douze  à  quinze  poussins, 
une  dinde  de  \ingt-cinq  à  trente.  Les 
règles  à  suivre,  les  précautions  à  prendre 
durant  l'élevage  naturel  sont  les  mêmes 
que  celles  que  nous  indiquons  plus  loin 
pour  l'élevage  artificiel,  celui  qui  cap- 
tive le  plus  l'attention  des  amateurs. 

Dans  l'élevage  artificiel,  la  conduite 
des    bandes    se    fait   en   chambre.    La 


chambre  est  sombre,  croisées  closes, 
volets  fermés,  température  maintenue 
à  15  degrés  par  le  voisinage  d'une  pièce 
chauffée.  Deséleveuses  à  récipient  d'eau 
chaude  à  trente  degrés  sont  disposées 
sur  une  couche  de  sable  bien  sec  qui 
couvre  le  sol;  des  nids  de  foin  tapissent 
le  dessous  des  hydro-mères. 

L'hydro-mère  est  un  cadre  de  bois 
monté  sur  quatre  pieds  qui  supportent 
une  chaufferette  à  eau.  Les  poussins 
sortant  des  sécheyses  sont  placés  sous 
ces  hydro-mères.  Les  aviculteurs  qui 
ne  disposent  pas  de  jfUcaux  secs  et 
chauds  se  servent  de  bâches  vitrées 
comme  celles  qui  servent  à  la  germina- 
tion de  certaines  graines  délicates.  En 
général,  on  se  sert  d'hydro-mères,  en 
tendant  rigidement  sous  la  chaudière,  à 
l'aide  de  cordons  noués  aux  quatre  pieds, 
un  carré  de  mousseline  à  rideaux,  un 
peu  ferme,  genre  crochet;  ce  morceau 
de  tissu  broché  tendu  horizontalement 
à  quatre  ou  cinq  centimètres  du  fond  de 
chaudière  sert  de  vélum  aux  poussins, 
ils  se  frottent  la  tête  et  le  dos  contre  et 
s'imaginent  recevoir  les  caresses  d'une 
mère.  Pour  que  l'illusion  soit  complète, 
il  suffît  que  la  mousseline  résiste  aux 
poussées  de  soixante  petites  têtes.  Quand 
la  rigidité  du  vélum  faiblit,  on  le  change. 
Cette  gymnastique  est  excellente  pour 
la  santé  des  jeunes  oiseaux  élevés  par 
quantités;  elle  est  un  besoin  de  leur 
nature,  comme  celte  faculté  de  gratter 
la  terre  qu'ils  possèdent  par  atavisme  et 
par  intuition. 

Une  hydro-mère  mesurant  40  centi- 
mètres  de    côté    peut    abriter    soixante 


hydro-mère 


poussins;  on  peut  disposer  quatre  hydro- 
mères par  chambre  de  grandeur  moyenne. 


748 


ÉCLOSION    ET    ÉLEVAGE    DES    POULETS 


Afin  d'empêcher  le  mélange  des  compa- 
gnies cantonnées  dans  la  même  pièce, 
un  coupon  de  fil  de  fer  de  25  centimètres 
de  hauteur  circonscrit  Tespace  autour 
des  éleveuses.  La  portion  de  territoire 
réservée  aux  petites  bêtes  pendant  les 
premiers  jours  ne  doit  pas  excéder  le 
double  de  la  superficie  couverte  par 
l'éleveuse;  il  faut  qu'à  la  moindre  im- 
pression de  froid  le  poussin  puisse 
recourir  sans  tâtonnements  à  son 
abri. 

Les  petits  poulets  exigent  autant  de 
soins  que  n'importe  quelle  race  réputée 
difficile  à  élever.  S'ils  savent  manger  et 
gratter  de  naissance,  ils  ne  savent  pas 
rentrer  sous  l'éleveuse;  c'est  ce  que  le 
conducteur  a  pour  mission  de  leur  en- 
seigner. Sitôt  qu'il  voit  ses  poussins  se 
coller  en  boule  contre  le  grillage,  il  les 
pousse  doucement  sous  l'éleveuse  en  les 
accoutumant  à  écarter  les  rideaux  d'en- 
trée. Certaines  races  comprennent  sans 
avertissement;  le  caneton  et  le  pinta- 
deau, par  exemple;  on  peut  même 
ajouter  que  le  fils  de  la  cane  a  le  senti- 
ment de  l'élevage  artificiel,  il  s'y  livre 
avec  un  abandon  comique.  Le  poulet 
s'y  résout  moins  vite;  il  forme  des 
groupes  protestataires  qu'il  faut  dis- 
perser si  l'on  veut  prévenir  la  diarrhée, 
les  refroidissements  et  la  congestion 
pulmonaire.  Le  conducteur  distribue  la 
nourriture  et  la  boisson,  nettoie  les 
abreuvoirs,  s'assure  en  faisant  recharger 
les  billots  qu'aucun  pensionnaire  ne 
refuse  la  nourriture,  que  les  billots  et 
les  abreuvoirs  sont  en  nombre  suffisant 
pour  satisfaire  l'appétit  de  chaque  esto- 
mac sans  querelles.  Les  conducteurs  ont 
la  charge  d'agrandir  le  cercle  qui  enserre 
les  compagnies,  ils  sont  juges  de  la  vita- 
lité de  chacun,  et  les  billots,  les  abreu- 
voirs qu'ils  placent  judicieusement  près 
de  l'éleveuse  au  commencement  de 
l'éducation  s'éloignent  de  jour  en  jour 
de  l'hydro-mère  pour  augmenter  le  par- 
cours des  petits  gourmands.  Les  pous- 
sins se  familiarisent  rapidement  avec 
leur  conducteur;  ils  ne  tardent  pas  à 
voleter  sur  ses  bras,  sur  ses  épaules  et 


se  pi'écipitent  à  sa  rencontre  au  son  de 
sa  voix. 

Le  rôle  des  conducteurs  n'est  pas  une 
sinécure,  on  peut  leur  donner  de  six 
cents  à  mille  poussins  à  diriger  pour  les 
habituer  à  être  vifs.  Ce  ne  sera  jamais 
une  fonction  pour  l'adulte.  Il  n'y  a  que 
l'extrême  jeunesse  qui  s'accommode  à 
cette  existence,  qui  consente  à  se  traîner 
sur  les  genoux,  à  vivre  de  la  vie  des 
poussinées.  Peu  de  femmes  s'y  astrei- 
gnent, l'enfant  n'y  met  ni  fierté,  ni 
mauvaise  grâce,  aussi  les  élevages  où  il 
est  employé  comme  conducteur  sont-ils 
plus  prospères  que  les  autres  :  il  n'y  a 
que  lui  pour  remplacer  la  poule  avan- 
tageusement. 

L'élevage  a  quatre  périodes.  La  pre- 
mière est  celle  de  la  surveillance  active; 
la  seconde,  celle  de  la  phase  critique, 
la  troisième,  celle  de  la  demi-liberté  ;  la 
quatrième,  celle  de  l'émancipation.  La 
période  de  surveillance  et  la  période 
critique  ont  une  durée  fixe,  établie  ; 
elles  comprennent  les  trois  premières 
semaines  ;  avec  un  climat  aussi  variable 
que  celui  de  Seine-et-Oise  et  des  dépar- 
tements limitrophes,  les  deux  dernières 
sont  livrées  à  la  clémence  du  temps. 
Xous  allons  exposer  minutieusement 
limporlance  de  chacune  de  ces  périodes 
et  leur  influence  sur  le  régime  des  bandes. 

La  première  période  est  celle  de  la  sur- 
veillance assidue;  elle  exige  un  fonds 
inépuisable  de  patience.  Elle  commence 
avec  l'entrée  sous  l'éleveuse.  La  chambre 
d'élevage  est  plongée  dans  une  demi- 
obscùrilc  afin  d'habituer  lentement  les 
oiseaux  à  la  lumière  et  pour  ne  pas 
qu'ils  s'eil'arouchent  :  à  chaque  nou- 
velle installation,  l'obscurité  est  un  auxi- 
liaire. Le  conducteur  distribue  dans  des 
assiettes  ou  des  soucoupes  du  pain  ras- 
sis broyé  finement  et  veille  à  ce  que  ses 
élèves  quittent  l'hydro-mère  à  des  inter- 
valles réguliers,  mais  qu'ils  ne  restent 
pas  dehors  plus  de  quatre  heures  par 
jour.  //  ne  leur  donne  pas  à  boire.  Les 
choses  ne  se  passent  pas  autrement  avec 
les  poules  conductrices.  Voyez  le  manège 
de  la  poule  négresse  réputée  la  meilleure 


KCLOsioN   i:t   Ki,K\'Ar. k  des  potlets 


des  mères,  il  se  compose  de  petits  ébats 
coupés  de  longs  repos  :  la  poule  statiomie 
n'imjiorte  où  pour  réchauffer  sa  couvée, 
l'élevage  industriel  n'a  fait  que  copier  la 
nature.  Le  troisième  jour,  en  maintenant 
la  même  discipline,  les  billots  garnis  de 
pâtée  apparaissent,  les  \olels  des  croi- 
sées sont  ouverts  ;  de  onze  heures  à  midi, 
on  ouvre  quelques  instants  la  fenêtre 
pour  renouveler  l'air,  si  la  journée  n'est 
ni  humide,  ni  pluvieuse.  On  attache  au 
grillage  des  touffes  de  chicorée  ou  quel- 
ques feuilles  de  laitue  ;  on  ne  leur  donne 
pas  à  boire. 

La  composition  des  pâtées  tlu  premier 
âge  est  trop  souvent,  chez  les  amateurs, 
un  amalgame  de  matières  qui  se  combi- 
nent mal.  Ils  incorporent  avec  le  plus 
grand  sérieux  du  chènevis,  du  sarrasin. 
du  millet,  de  l'orge,  de  l'œuf,  de  la 
salade  et  des  coquilles.  Ces  combinai- 
sons ont  trois  défauts  :  elles  coûtent 
cher,  elles  sont  indigestes,  elles  deman- 
dent trop  de  main-d'œuvre,  enfin  elles 
ne  sont  pas  nourrissantes,  car  les  pous- 
sins les  refusent.  Les  pâtées  de  poussins 
doivent  être  simples  et  ne  contenir  que 
deux  éléments.  De  la  farine  et  des  auifs; 
des  grains  moulus ,  blutés,  avec  de  la 
verdure,  de  la  ciboule,  de  l'oignon,  du 
cerfeuil  ou  de  la  chicorée.  Les  établisse- 
ments d'élevage  qui  fournissent  le  plus  de 
poulets  à  la  consommation  ont  renoncé 
à  l'œuf  durci,  du  moins  pendant  les  pre- 
miers jours.  Les  billots  sont  chargés  de 
farine  d'orge,  délayée  dans  de  l'eau  fil- 
trée. Il  ne  faut  pas  que  cette  pâle  soit 
coulante,  elle  doit  tenir  sur  les  billots 
sans  être  trop  ferme  ahn  que  les  oiseaux 
ne  restent  pas  pris  par  le  bec  en  l'atta- 
quant. La  farine  de  sarrasin  est  aussi 
très  bonne,  on  la  mélange  d'un  tiers  de 
farine  d'orge  ou,  par  économie,  d'un  tiers 
de  petit  son  ;  ce  mélange  corrige  le  sar- 
rasin .  modilie  ses  propriétés  échauf- 
fantes. 

Le  quatrième  jour  de  la  station  en 
chambre,  on  élargit  le  cercle  tracé  par 
le  coupon  de  grillage  autour  de  l'éle- 
veuse  et  l'on  dépose  sur  le  sable,  après 
le  premier  repas,  trois   à  quatre  mottes 


de  gazon  par  compagnie.  Des  mottes 
dont  l'herbe  ne  soit  pas  mouillée  et  qui 
ne  contiennent  pas  dans  leur  épaisseur 
des  vers  longs  de  huit  pouces.  Ces 
mottes  ont  été  enlevées  dans  un  pré 
à  l'aide  d'une  bêche.  On  les  espace 
convenablement,  de  manière  à  former 
des  îles  de  verdure  assez   éloignées  les 


A  ni!  E  r  Vi>  I  11 
SI  1>  H  ôïl)  E 


BILLOTS 
I  :  A  H  M 


PATE  E 
V  I  I)  E 


unes  des  autres  pour  faciliter  la  circu- 
lation en  cas  d'émeute  ou  de  défilé 
tumultueux.  Sitôt  les  poussins  lâchés 
au  milieu  de  ces  mottes,  ils  tournent 
autour,  poussent  une  pointe  de  recon- 
naissance, et,  au  bout  de  quelques  mi- 
nutes, ils  les  escaladent,  les  pillent,  les 
piochent,  dégringolent,  s'emparent  des 
vermisseaux,  se  poursuivent  et  mènent 
une  vie  de  petits  gueux.  Quand  le  conduc- 
teur juge  que  la  partie  a  duré  suffisam- 
ment, il  enlève  les  mottes.  Ces  mottes 
ne  resservent  jamais  deux  fois  :  elles  sont 
broutées  jusqu'aux  racines.  Avec  elles , 
on  installe  les  abreuvoirs.  Ces  abreu- 
voirs, minuscules,  en  terre  et  de  forme 
siphoïde  ,  ne  doivent  contenir  qu'un 
demi-lilre;  ils  sont  remplis  d'eau  pure 
filtrée.  On  change  deux  fois  leur  contenu 
parjour,  en  supposant  qu'il  y  en  ait  quatre 
par  compagnie  de  soixante.  Cet  entraîne- 
ment des  poussins  sur  les  obstacles  se 
continue  les  jours  suivants  pendant  toute 
la  durée   de  la    station  en  chambre. 

De  jour  en  jour,  aux  heures  les  plus 
chaudes,  la  fenêtre  de  la  chambre  d'éle- 
vage reste  plus  longtemps  ouverte. 

Le  soir  du  dixième  jour,  avant  la  ren- 
trée des  poussins,  il  est  temps  de  placer 
sous   l'hydro-mère   le   parquet  de  plan- 


750 


ECLOSION    ET    ÉLEVAGE    DES    POULETS 


cheltes  qui  servira  au  transport  des 
poussins;  car,  à  dater  du  dixième  jour, 
les  oisillons  doivent  affronter  le  plein 
air  ;  quelques  heures  de  récréation  sur 
la  prairie  ne  peuvent  pas  nuire,  mais 
par  les  temps  secs,  par  les  jours  de 
soleil.  La  surveillance  des  compagnies, 
pour  être  moins  stricte  que  pendant  la 
première  période,  n'en  est  pas  moins 
attentive.  En  cas  de  pluie  ou  d'orage, 
il  faut  rentrer  les  poussins  dans  la 
chambre  d'élevagre   et  leur   fournir  des 


mottes  de  gazon  toujours  nouvelles  pour 
remplacer  les  distractions  de  la  prairie. 
La  nourriture  devient  plus  substantielle, 
plus  variée.  Elle  se  compose  de  riz  cuit 
à  l'eau,  de  distributions  d'asticots,  de 
vers  de  farine,  de  hachis  de  viande  crue 
roulée  dans  la  farine  de  sarrasin  ou 
d'orge,  car  les  parcelles  de  viande  rouge 
hachée  ont  une  tendance  à  se  coaguler  : 
la  farine  s'y  oppose.  La  pâtée  des  billots 
est  ainsi  faite  :  six  œufs  battus  en  mousse, 
puis  additionnés  de  deux  verres  de  lait 
pur;  le  lait  s'impose,  il  empêche  les  œufs 
d'épaissir  à  la  cuisson.  Ce  mélange  est 
mis  sur  le  feu  pendant  quelques  minutes  ; 
lorsqu'il  est  chaud,  on  le  verse  au  milieu 
d'une  quantité  de  farine  suffisante  pour 
l'absorber  et  on  pétrit  jusqu'à  ce  que  la 
pâte  ait  pris  assez  de  consistance  pour  se 
maintenir.  On  peut  remplacer  la  farine 
par  des  croûtes  de  pain  réduites  en 
miettes.  Ce  changement  de  menu,  ces 
gourmandises  permettent  à  l'oiseau  de 
traverser  sans  accident  l'époque  cri- 
tique ;  la  richesse  de  l'alimentation  lui 
restituera  ce  que  la  pousse  des  plumes 
de  la  queue  et  des  ailes  lui  fera  perdre. 


C'est  à  partir  de  cette  époque  seulement 
que  l'on  met  à  In  disposition  des  pous- 
sins des  augetles  remplies  de  gravier, 
de  coquilles  d'auifs  pilées  ou  d'écaillés 
d'huîtres  broyées.  La  boisson  est  la 
même.  Quelques  éleveurs  ont  éprouvé 
les  bons  effets  des  trempelles  au  vin, 
nous  préférons  le  hachis  de  viande  qui 
enthousiasme  les  oiseaux.  Il  ne  faut  pas 
en  abuser  afin  d'éviter  la  constipation, 
une  seule  distribution  tous  les  deux 
jours,  le  matin,  tant  que  dure  la  période 
critique,  et  une  distribution  de  pâte  aux 
œufs.  Pas  de  riz  le  jour  de  la  viande. 
Ces  aliments  octroyés  largement,  les 
poussins  garantis  de  l'humidité ,  une 
température  de  18  degrés  centigrades 
permanente,  et  la  crise  ne  fera  pas  de 
victimes. 

Les  poussins  ont  vingt  et  un  jours, 
la  crise  ne  leur  a  pas  été  funeste,  ils 
entrent  dans  la  période  de  la  demi- 
liberté  ;  cependant,  se  presser  de  les 
considérer  comme  sauvés  serait  témé- 
raire. Une  alimentation  soignée  leur  a 
donné  un  sang  riche  et  des  forces  dont 
ils  abusent;  ils  sont  turbulents,  effron- 
tés, désobéissants.  Si  le  conducteur  n'in- 
sistait pas  pour  les  obliger  à  se  reposer 
sous  l'hydro-mère,  ils  passeraient  toute 
la  journée  dehors  sans  rentrer  une  seule 
fois,  c'est  là  l'écueil  de  l'éducation  artifi- 
cielle. A  trois  semaines,  après  le  passage 
de  la  crise,  on  est  disposé  à  se  relâcher. 
L'éleveur  doit  se  souvenir  que,  si  les 
oiseaux  ont  passé  quatre  heures  en 
moyenne  dehors  la  première  semaine, 
six  durant  la  seconde  et  la  troisième,  ils 
n'y  peuvent  rester  plus  de  huit  heures 
durant  la  quatrième.  Les  poussins  les 
plus  précoces  recourent  à  la  chaleur  de 
la  poule  pendant  vingt-cinq  jours.  Ce 
passage  de  la  troisième  semaine  à  la 
sixième  est  plein  de  périls,  la  tempé- 
rature peut  changer,  l'air  peut  se  char- 
ger d'humidité  ;  la  bande  installée  au 
grand  air  serait  mieux  dans  la  chambre 
d'élevage.  Le  menu  est  changé,  aux 
mets  délicats  succèdent  les  pâtées  plan- 
tureuses de  pommes  de  terre,  de  farine 
grossière,   de  recoupes,  de  remoulages, 


KCLOSION    KT    Kl.  K  V  AC.  K    DES    POIJI.ETS 


751 


les  croûtes  Irenipées,  les  légumes  cuits 
mêlés  de  son,  les  rations  économiques 
que  Ion  maintient  jusqu'au  bout  de  la 
sixième  semaine. 

Nous  voici  parvenus  au  moment  de 
prendre  une  grave  détermination  :  celle 
d'émanciper  les  bandes,  d'ellectuer  le 
transport  général  dans  les  parcs  d'élèves 
et  l'installation  au  poulailler.  A  six 
semaines ,  ce  déménagement  semble 
indispensable;  cependant,  il  est  sou- 
mis aux  indications  du  thermomètre, 
aux  dépressions  barométriques. 

Depuis  le  commencement  de  l'élevage, 
on  n'a  jamais  distribué  de  grains  aux 
oiseaux,  la  mise  en  parquet  va  modifier 
cette  coutume.  Les  pâtées  de  pommes 
de  terre  seront  accompagnées  de  distri- 
butions d  avoine  moulue  grossièrement, 
de  brisures  de  riz,  de  maïs  ;  de  purées 
de  pois,  de  féverolles,  de  cosses  de  légu- 
mineuses jusqu'au  moment  où  l'éleveur 
jugera  de  son  intérêt  de  ne  plus  donner 
que  du  grain. 

L  installation  des  jeunes  poulets  se 
lait  dans  des  cabanes-abris  en  planches 
mesurant  2  mètres  décote.  On  les  porte 
sous  leur  éleveuse,  la  nuit  venue,  au 
nombre  de  deux  cents  par  poulailler.  La 
porte  de  ces  poulaillers  ouvre  au  ras  du 
sol,  afin  qu'en  cas  de  pluie  les  oiseaux 
puissent  rentrer.  Quand  les  poussins  ne 
s'abritent  plus  sous  les  hydro-mères, 
c'est  qu'il  est  temps  de  placer  les  per- 
choirs, ils  vont  devenir  poulets,  on  fait 
disparaître  les  éleveuses. 

De  six  semaines  à  trois  mois,  les  pou- 
lets grossissent,  leurs  pectoraux  s'élar- 
gissent, ils  prennent  plus  de  place  sur 
les  juchoirs.  Sitôt  que  le  conducteur 
s'aperçoit  que  les  perchoirs  deviennent 
trop  étroits,  ce  qui  se  constate  à  la  vue 
de  groupes  de  poulets  pelotonnés  dans 
les  angles  de  la  cabane,  sur  le  sol,  on 
procède,  pour  ne  pas  perdre  de  temps, 
à   la  séparation  des  sexes. 

On  forme,  suivant  la  grandeur  des 
poulaillers  que  l'on  possède,  des  bandes 
de  poulettes  et  de  coquelets  de  cent, 
cent  cinquante  à  deux  cents,  et  on  les 
transporte  dans  les  locaux  et  les  parcs 


qu'ils  doivent  occuper  définitivement. 
La  séparation  des  sexes  calme  les  co- 
quelets et  favorise  la  croissance  des 
élèves,  c'est  le  meilleur  acheminement 
à  la  sélection,  à  l'engraissement. 

Toute  l'économie  de  l'engraissement 
et  du  gavage  repose  sur  l'appropriation 
des  pièces  réservées  à  l'installation  des 
épinettes.  Il  est  nécessaire  que  ces 
pièces  soient  fraîches  en  été,  chaudes  en 
hiver,  et  alternativement  claires  et 
obscures.  La  nécessité  d'une  température 
en  rapport  avec  la  saison  et  le  nombre 
des  volailles  réunies  en  un  même  lieu  se 
conçoit,  les  alternatives  d'obscurité  et 
de  clarté  exigent  une  explication. 

Les  éleveurs  ont  depuis  longtemps 
remarqué  que  la  privation  de  lumière 
diminue  la  stabulation  des  animaux  de 
basse-cour  soumis  à  l'engraissement,  et 
qu'avec  une  ditférence  notable  sur  les 
quantités  d'aliments  fournis,  les  vo- 
lailles atteignent  en  dix-huit  jours  le 
poids  des  poulardes  gavées  six  semaines. 
Mais,  si  l'obscurité  est  favorable  à  la 
digestion,  à  l'assimilation,  elle  est  con- 
traire à  la  manducation  ;  aussi  pour  l'en- 
courager ouvre-t-on  les  volets  aux  heures 
des  repas  et  les  referme-t-on  aussitôt 
après.  Pour  obtenir  de  bons  effets  de 
cette  ruse,  il  faut  que  l'obscurité  soit 
aussi  complète  que  la  clarté  a  été  grande, 
que  l'oiseau  perde  la  notion  du  jour  et 
de  la  nuit,  que  sa  mise  à  l'engrais  soit 
pour  lui  comme  une  seule  journée  pen- 
dant laquelle  on  lui  aurait  servi  cin- 
quante-quatre repas. 

L'engraissement  pratique  délaisse  les 
entonneuses  et  les  gaveuses,  il  emploie 
les  épinettes  fixes  qui  ne  laissent  passer 
que  la  tête  de  l'oiseau.  Sur  le  devant 
s'accroche  une  augette  en  fonte  à  deux 
compartiments  :  un  pour  la  pâtée,  l'autre 
pour  la  boisson. 

La  nourriture  est  donnée  trois  fois 
par  jour ,  les  distributions  coïncident 
avec  l'ouverture  des  volets.  L'immo- 
bilité, l'obscurité,  la  tranquillité  sont 
les  facteurs  d'un  engraissement  rapide 
à  prix  réduits. 

Le   régime   des    poulets    durant    leur 


752 


ÉGLOSION    ET    ELEVAGE    DES    POULETS 


stage  en  épineltes  est  le  suivant  : 
On  commence  par  oblig^er  les  prison- 
niers des  épinettes  à  se  nourrir  de 
pommes  de  terre  cuites,  ce  qui  les  pré- 
pare à  manger  beaucoup  ;  la  pomme  de 
terre  trompant  la  faim  sans  la  satisfaire. 
On  corse  le  régime  par  des  pâtées  de 
maïs,  de  vesces,  de  pois,  de  graine  de 
lin,  de  tourteaux  de  colza,  de  noix  de 
coco,  de  gluten  pressé.  Quand,  pour 
l'engraissement,  on  use  de  substances 
économiques,  il  convient  pendant  les 
huit  derniers  jours  de  reprendre  les 
pâtées  de  farine  de  céréales  additionnées 
d'œufs  cuils  ou  battus  dans  du  lait.  La 
première  pâtée  de  la  journée  :  pommes 
de  terre,  les  deux  distributions  sui- 
vantes, pâtées  variées  pour  maintenir 
les  volailles  en  appétit. 

L'industriel  qui  se  livre  à  la  produc- 
tion des  volailles  grasses  calcule  sa  dé- 
pense par  tête  à  raison  de  0  fr.  10  au 
plus  par  jour.  Quand  la  mise  à  l'engrais 
dépasse  cette  minime  dépense,  il  vaut 
beaucoup  mieux  vendre  ses  poulets 
maigres. 

Puisque    nous   venons    d'indiquer    le 


régime  des  poulardes,  donnons,  en  ter- 
minant, celui  des  poules  et  des  dindes 
couveuses,  tel  qu'il  est  suivi  chez  l'un 
des  aviculteurs  qui  fournit  le  plus  de 
poulets  de  choix  aux  restaurateurs  pa- 
risiens. 

Repas  du  matin.  Six  féverolles  par 
jour,  ou  douze  pois,  ou  des  vesces;  une 
poignée  de  sarrasin,  d'avoine  ou  d'orge. 
Quelques  tranches  de  navets  crus,  ou 
de  betteraves,  d'oignons,  de  topinam- 
bours ou  de   feuilles  de  chou  hachées. 

Repasclusoir.  Pâtée  de  farine  d'avoine, 
d'orge,  ou  de  sarrasin,  ou  de  pois,  de 
vesces.  Pour  varier  :  orge,  avoine,  sar- 
rasin, pâtées  de  biscuit  de  troupe  mé- 
langées de  son.  Croûtes  de  pain  mouillées. 
En  cas  de  perte  d'appétit,  les  déchets 
de  cuisine  seront  vivement  appréciés 
des  couveuses  et  des  mères  captives.  Le 
cas  n'est  pas  rare  de  ces  poules  gour- 
mandes qui  viennent  couver  dans  la  cui- 
sine pour  être  plus  proche  du  bullet; 
il  n'y  a  pas  de  curé  de  campagne  qui 
n'en  possède  au  moins  une  ! 

Pal'l    De  vaux. 


POULAILLER       MOBILE 


LK    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 


Léditeurdes  Façades,  roman  de  M.  Fran- 
çois de  Nion,  annonce  ainsi  son  livre  : 
(■  Cc>s  fa(,'ades  sont  colles  dei  rière  los(|uellcs 
s'agite  et  se  contorsionne  la  vie  des  hautes 
classes.  Ces  façades  calmes  et  sculplées 
que  nous  voyons  s'aligner  sur  les  avenues 
bruyantes  des  Champs-Klysées  ou  sur  les 
rues  silencieuses  du  faubourg  Sainl-Ger- 
inain,  jamais  main  plus  violente  et  plus 
rude  ne  les  a  déi'eneslrées,  jetées  bas, 
pour  laisser  voir  tout  d'un  coup,  derrière 
i'abatis,  le  mensonge  des  apparences  et  la 
misère  des  réalités.  C'est  un  livre  impla- 
cable, peul-ètre  injuste,  peut-être  au-des- 
sous de  la  réalité,  mais  c'est  un  livre  : 
c'est  le  premier  roman  sur  le  monde,  écrit 
avec  sincérité  par  quekjuun  qui  en  est.  » 
C'est  un  livre,  oui,  et  curieux  et  méri- 
toire; et  il  mérite  de  nous  arrêter.  Quant 
à  dire  que  c'est  le  premier  de  ce  genre, 
c'est  une  superfétation  pour  la  publicité, 
car  le  grand  monde  a  été  souvent  scruté, 
scalpé,  depuis  La  Bruyère,  depuis  Saint- 
Simon,  jusqu'à  Alexandre  Dumas  tlls,  tîyp 
ou  llermant.  Mais  le  titre  a,  comme  tout 
le  livre,  son  ingéniosité.  Lex  Façades  !  Cela 
rappelle  le  Diable  boiteux  de  Le  Sage,  cet 
Asmodée  enlevant  les  toits  des  maisons 
comme  la  croûte  d'un  pâté  pour  voir  de- 
dans ce  qui  s'y  passe.  Et  c'est  aussi 
M""'  de  Sévigné  disant  ({u'elle  rêvait  un 
cabinet  tout  tapissé  de  cartes  à  jouer, 
qu'un  petit  diablotin  retournerait  pour  nous 
faire  voir  le  dessous  de  cartes,  et  nous 
aijprendre  ce  que  cachent  les  façades  des 
maisons.  M.  de  Nion  la  l'ait.  Il  a  retourné 
les  cartes  de  M°"  de  Sévigné. 

Son  livre  ne  peut  guère  se  raconter.  Ses 
personnages  font  assez  sotivent  mouvoir  le 
■'  cinématographe  de  leur  pensée  >•,  pour 
évoquer  des  séries  de  tableaux,  des  bandes 
d'images.  Tout  le  livre  entier  est  un  ciné- 
matographe, une  lanière  pelliculaire,  sur 
laquelle  se  succèdent  des  tableaux  de 
Paris. 

L'action  n'est  pas  fortement  nouée  :  les 
acteurs  ne  concourent  pas  à  une  intrigue 
solidement  serrée;  ils  sont  comme  les 
compères  du  montreur  de  vues.  Ils  se  res- 
seml)lent  trop  et  ne  se  distinguent  ni  ne 
se  différencient  assez  dans  leur  canaillerie 
uniforme.  Le  décor,  très  joli,  écrase  et 
éteint  les  personnes,  qui  se  confondent 
dans  un  mépris  général  :  M™"  de  Caudale, 

VIII.  —  4s. 


qui  ne  reçoit  jamais  son  mari  à  qui  elle 
donne  un  louis  par  jour  pour  s'amuser,  et 
qui  a  des  vices  affreux  ;  .M"">  d'Arcole  qui 
veut  faire  de  son  amant  son  beau-frère; 
^jme  jjgg  Mesmes,  qui  brocante  et  machine 
des  affaires  louches  dans  une  agence 
I)orgne  ;  .M.  de  Sartines,  cjui  entretient  une 
modiste  et  l'épouse  ;  seule,  M™'"  des  Ormes 
a  de  l'honneur  et  de  la  vertu,  encore  con- 
çoit-elle le  dessein  de  prendre  un  amant, 
de  fuir  avec  lui  et  d'aller  donner,  pour 
vivre,  des  leçons  de  chic  parisien  à  New- 
York. 

Ce  sont  d'intéressantes  silhouettes,  dont 
le  seul  défaut  est  d'être  toutes  sur  le  même 
plan.  On  les  brouille.  C'est  un  écheveau 
d'intrigues.  L'auteur  a  oublié  le  conseil  si 
sage  de  Boileau  :  un  seul  fait  accompli! 

Derrière  ces  gens  de  la  haute  qui  sont 
très  orduriers,  se  déroule  le  panorama  de 
la  vie  parisienne. 

Ce  sont  des  panneaux  qu'on  peut  étique- 
ter :  la  partie  de  polo,  à  Trouville,  la  chasse 
à  courre,  le  monologuiste  mondain,  la 
séance  de  spiritisme,  le  soir  des  abonnés 
à  l'Opéra,  le  concert  des  tziganes,  l'agence 
Tricoche,  l'orgie  au  cabaret  .Montmartrois, 
le  suicide  d'un  grand  seigneur  impliqué 
dans  une  affaire  tie  mœurs, un  enterrement 
dans  le  grand  monde,  la  grande  dame  bro- 
canteuse, l'incendie  du  Bazar  de  la  Cha- 
rité, le  Salon  de  peinture  l'année  du  Balzac 
de  Rodin,  et  ainsi  de  suite. 

Ces  vues  sont  joliment  et  curieusement 
étudiées  par  un  observateur  perspicace 
qui  sait  voir  et  qui  fait  voir.  Des  scènes 
sont  fortement  traitées  et  restent  pré- 
sentes, et  parmi  celles-là  je  vous  citerai, 
au  début,  le  cas  de  cette  mondaine  qui  est 
chez  son  amant  |)endant  que  son  enfant 
meurt  étouffé,  négligé  par  sa  nourrice  en 
goguette  ;  la  mort  du  père  de  Lemesle,  un 
jeune  parveneur  sans  scrupule,  le  suicide 
du  comte  dans  les  ])ois,  l'incendie  du  Bazar, 
forte  et  vivante  peinture,  une  remarquable 
chasse  au  cerf,  à  comparer  avec  celle  de 
M.  de  Soyecourl,  dans  les  Fâcheux,  de 
Molière  :  elle  est  aussi  techniquement  do- 
cumentée et  contient  de  belles  pages  que 
je  voudrais  vous  faire  lire,  si  j'avais  la 
place  ;  je  vous  en  citerai  du  moins  quelques 
lignes  : 

Les  cliiens,  d'une  même  gorge,  se  récrient 
et  le  cerf,  de  nouveau,  dressé  sur  ses  jambes. 


754 


LE    MOUVEMENT    LITTERAIRE 


s'allonge,  pousse  lout  droit  maintenant  d'une 
refuite  éperdue,  perce  l'espace  des  bois  pro- 
fonds enfiévrés  par  la  voix  des  chiens  qui 
boivent  la  voix,  par  les  boufTées  cuivrées  des 
trompes  sonnant  les  bien-ailés  ^'ifs.  fjais  et 
courts.  Au  fond  de  ses  yeux  ovales  naît  les- 
poir  de  la  plaine,  l'étendue  libre  où  déployer 
le  galop  de  ses  pieds  fourchus;  il  se  souvient 
d'y  avoir  vu  —  aux  heures  d'amour,  quand, 
avec  son  harpail  léger,  il  broutait  aux  lisières 
de  la  forêt  —  des  moissons  toufl'ues  où  se 
cacher,  des  lointains  bleus  infinis  où  fuir. 

Mais,  dans  les  taillis,  une  harde  au  galop  ; 
les  jeunes,  biclies  et  daguets,  peureux  et  ha- 
gards, le  cou  tendu,  les  pieds  précipités.  Le 
\ieux  cerf  court  à  eux,  se  mêle  à  leur  trou- 
peau, tâche  de  confondre  dans  leur  animalité 
l'odeur  de  son  corps,  l'odeur  vivante  et  mor- 
telle qui  tire  à  sa  suite  la  course  aboyante 
des  chiens. 

—  Il  s'est  accompagné! 

—  Un  bat  l'eau,  dit  le  duc. 

Les  chiens  jiiétinent  dans  la  vase,  au  bord 
de  l'étang,  en  un  enragement  de  gueules.  Les 
plus  ardents  se  décident,  prennent  l'eau,  na- 
gent à  cinq  ou  six  autour  du  cerf,  accueillis  à 
coups  d'andouillers.  Bientôt  c'est  le  long  de 
ses  lianes  une  remuée  grouillante;  il  sent  des 
dents  cuisantes  pénétrer  dans  sa  peau,  des 
crocs  claquer  contre  les  tendons  de  ses  jambes 
et  des  larmes  de  douleur  jaillissent  de  ses 
yeux... 

Un  soir  d'ambre  pâle  mourait  à  la  cime 
noire  et  grêle  des  arbres  et  la  douceur  de  la 
nuit  planait;  elle  était  délicieuse  et  calme, 
indifl'érente,  et  si  le  cerf  songeait,  si  des  vi- 
sions passaient  dans  sa  pensée  mue  de  souf- 
france, il  voyait  sans  doute  les  lointaines  re- 
posées où  les  autres  bêtes  en  ce  moment, 
énervées,  épou^■antées,  devaient  se  grouper 
et  se  tapir;  il  sentait  l'odeur  des  profonds 
intimes  du  bois,  la  délicate  paix  de  nature 
qui  bientôt  s'étendrait  lumiide  et  bienfai- 
sante sur  les  autres,  sur  ceux  qui  ne  devaient 
pas  mourir  ce  soir-là. 

La  nappe  enlevée,  ils  se  ruèrent  sur  les  dé- 
l)ouil!es  sanglantes  et  fraîches.  Les  fanfares 
solennelles  élargissaient  les  sonorités  de  leurs 
cuivres,  se  répondant  en  partie  d'un  bord  à 
l'autre  de  l'étang  pendant  qu'un  ciel  de  ve- 
lours rouge,  moiré  d'or  et  de  violets  tendres, 
drapait  ce  décor  ancien  de  magnificence,  de 
grandeur  et  de  carnage. 

Les  chiens,  à  gueules  sanglantes,  carna- 
geaient  les  entrailles  et  les  membres  du  cerf, 
des  os  craquent  entre  leurs  dents  l)lanches. 
L'étang,  déserté  par  les  maîtres,  s'ensablait  de 
nuit,  redevenait  le  lieu  de  chasse  des  loin- 
tains commencements  de  la  ^'ie,  le  tragique 
lieu  de  solitude  et  de  silence  où  des  bêtes 
avides  et  disputeuses  en  mangeaient  une 
autre. 

C'est  une  des  meilleures  choses  du  livre. 
Elle  l'ait  penser  à  telle  page  de  Lamartine  ou 
de  de  Pêne.  Le  dernier  mol  marque  la  phi- 
losophie dont  ce  livre  cfuel  et  matérialiste 
est  empreint.  La  civilisation  elle-même, 
aussi  bien  ([ue  le  luxe  des  mondains,  est  une 
façade.  Le  vrai,  c'est  la  sauvagerie,  et  l'au- 
teur la  retrouve  partout,  autour  de  la  table 
somptueuse  où  l'homme  se  nourrit  et  s'em- 


plit de  santé  et  de  joie,  comme  à  l'incendie 
où  le  mâle  piétine  les  femmes  pour  se  sau- 
ver. Les  voici  à  table  et  la  couleur  du  ta- 
bleau est  bien  imprévue  : 

—  Les  filets  de  renne  circuitaient  autourde 
la  table;  leur  goût  fauve  et  faisandé,  mâché 
par  tant  de  bouches,  fit  dans  la  vaste  pièce 
une  haleine  vague  de  pourriture  et  de  sauva- 
gerie. Les  convi\es  s'animaient,  leurs  cellules 
se  gonflèrent  de  barbaries,  envoyèrent  à  leurs 
cerveaux  l'influx  des  anciens  ataves,  ciui,  jadis 

—  avant  —  avaient  banquet'é  ainsi,  pleins  de 
vins  et  de  viandes,  heureux  de  vivre. 

Il  y  a  plusieurs  excellents  passages  à 
relever  :  et  le  détail  du  rendez-vous  de 
]\jmc  d'Arcole  qui  fait  penser  à  la  même 
scène,  dans  la  Duchesse  bleue,  de  Paul 
Bourget;  et  la  toquade  de  la  grande  dame 
pour  le  tzigane,  comme  dans  l'Insaisissable, 
de  M"'®  de  Pougy,  dont  je  vous  parlerai 
tout  à  l'heure  ;  et  la  magistrale  étude  du 
feu  pour  la  description  de  l'incendie  : 

Une  vaste  flamme  unique,  immense,  par- 
fois légère  et  fluide  quand  l'éther  des  bon- 
bonnes y  mêlait  sa  flambe  d'alcool,  —  verte 
alors  ou  bleuâtre  ;  —  tantôt  d'or  vert  comme 
si  c'était  l'âme  du  bois  qui  s'exhalait  ;  tantôt 
livide  et  lourde  et  violâtre,  —  combustion 
violente  des  chairs,  —  tantôt  libre,  envolée, 
soyeuse,  —  celle  des  étofi'es  ou  des  tentures, 

—  se  déployait  toute  dans  l'admirable  ciel 
bleu  de  mai  d'un  azur  tendre,  léger,  profond, 
d'une  mansuétude  adorable  d'Lafini.  Parfois 
un  grand  souffle  de  vent  —  comme  celui  de 
cjuelque  grand  archange  chargé  d'aviver  le 
bûcher  —  creusait  des  tourbillons  dans  le 
feu,  le  faisait  se  séparer  et  se  tordre,  le 
trouait  de  taches  rouges  ;  il  roulait  alors  en 
volutes  énormes,  tournoyait  d'ardentes  spi- 
rales ou  bien  s'abaissait,  s'étendait  en  nappes 
ondulantes  qui  venaient  lécher  doucement  le 
tas  confus  des  vivants  et  des  morts. 

Une  grande  originalité  de  cette  œuvre 
en  est  le  style.  M.  F.  de  Nion  est  un  pré- 
cieux ;  il  enjolive  et  pare  de  dentelles  le 
vêtement  de  sa  pensée  ;  il  l'habille  avec 
amour  et  recherche,  excentricité,  et,  par 
l'horreur  du  banal,  il  en  fait  une  petite 
renchérie  qui  ne  dit  rien  comme  tout  le 
monde.  Cette  préciosité  le  conduit  cjuel- 
quefois  à  d'heureux  traits,  quelquefois  à 
des  hasards  de  plume  aventureux  et  à  des 
néologismes  inquiétants. 

Un  duc  boit  un  verre  de  rhum  et  ses 
cellules  .se  réjouissent  : 

—  Leur  influx  enfla  son  ai-rogance,...  son 
large  rire  éclata  et  la  nuit  happa  sournoise- 
ment cette  gaieté,  l'étoufla   dans   ses  obscurs. 

Que  d'affaires  pour  nous  dire  que  ce 
rhum  le  réconforta!  C'est  du  phœbus  qui 
tombe  sous  le  coup  des  étrivières  de  La 
Bruyère  et  de  Le  Sage. 

Un  monsieur  achète  un  bouquet  de  vio- 
lettes, cela  se  dit  : 


LE     MOUVEMENT    LITTÉUAIME 


755 


—  Il  aoiniil   sa  i>ail  de  iiadiro. 

Nous  somm(>s  donc  l)icn  dans  losal)ords 
de  celte  chambre  1)1(mio  et  lampolitaine  où 
l'on  appelait  un  verre  d'eau  un  l)ain  inté- 
rieur. 

C'est  ainsi  partout.  Il  passe  des  «  stea- 
mers trépides  »,  des  cnnus  ont  k  des  cy- 
clones et  des  tornades  »;  on  nous  parle 
du  <<  dérail  »  des  roues,  d'un  «  lâchage 
désinvolte  ».  Regardez  cette  femme  pen- 
sive dans  la  pénombre  de  son  boudoir  : 

—  Los  ombres  du  soir,  en  s'abaissanl  sur 
le  Ira^iiiue  (lél)at  rouf^c  du  soleil  abinic  dans 
la  nier,  enveloppèrent  sa  rêverie  de  crêpes 
lourds:  les  lampes  rcrusées,  elle  met  sa  pensée 
dans  les  tentures  de  deuil  encore  suspendues 
au  décor  de  sa  mémoire... 

Et  plus  loin  : 

—  Ses  lèvres  modelèrent  l'ombre  if''. 

Je  ne  souligne  ces  quelques  passages 
que  pour  mieux  montrer  le  péril  où  va 
M.  de  Nion,  dont  le  beau  talent  d'obser- 
vation im])lacable  n'a  pas  besoin  de  ces 
excentricités  pour  séduire  l'attention.  Qu'il 
s'en  défasse,  et  il  fera  une  belle  œuvre, 
car  il  a  l'étoffe  d'un  artiste. 

Il  le  jirouve  en  mainte  autre  page,  où 
son  désir  curieux  du  mol  typique  suggestif 
et  frappant  ne  l'a  pas  trahi  ni  induit  en  des 
audaces  pernicieuses. 

De  l'esprit  çà  et  là,  et  des  mots  piquants. 
Un  grand  seigneur  a  vendu  cher  à  un  ami 
un  cheval  taré.  Sa  femme  le  blâme. 

—  Il  dira  partout  que  lu  Tas  enrossé.  Gran- 
dier  sera  furieu.v. 

—  Grandier?  C'est  son  métier  denrosscr  les 
gens  avec  des  actions  ou  des  parts  de  fonda- 
tciu". 

—  Ce  n'est  pas  la  même  chose.  C'est  en 
jïrand. 

«  C'est  en  grand  »  est  un  mot  admirable 
et  bien  vrai. 

Et  cet  autre.  Une  vieille  douairière  est 
présentée  dans  une  loge,  à  l'Opéra,  à  un 
ministre  de  la  Républi(jue  : 

—  Vous  êtes  ministr'e.  monsieur,  ministre 
protestant  peut-être? 

Et  cette  opinion  encore  sur  les  ventes 
de  charité  : 

—  Il  y  en  a  qui  sanuisent  à  \'endre.  vous 
croyez  que  c'est  par  charité,  pas  du  tout  :  elles 
ont  ça  dans  le  sang. ça  leur  vient  dun  grand- 
papa  quelconc[ue  qui  était  boutiquier. 

Au  total,  livre  curieux,  plein  de  talent, 
avec  des  pages  de  premier  ordre  ;  seule- 
ment, c'est  vu  trop  menu,  la  composi- 
tion d'ensemble  est  égrenée,  les  lignes  sont 
courtes,  cela  n'a  pas  d'ampleur,  la  touche 
est  grenue  et  c'est  évidemment  la  nature 
mêmedel'espril  derauleur,carelle  setrahit 
et  se  traduit  tout  de  même  dans  la  minutie 
patiente  et  précieuse  du  style,  dans  la  re- 


cherche    micrographi((ue     de     l'éinlhète. 
En    un   mot,  ce   sont  des  façades  à  fa- 
cettes. 


l^Ile  a  vécu,  Myrto,  la  jeune  Tarentine! 

Non,  doux  alcyons,  oiseaux  chers  à  Thé- 
lis,  ne  pleurez  plus,  car  voici  Myrto  res- 
suscilée,  la  Myrto  de  Louis  Enault,  un 
roman  agréable  et  distingué  paru  chez 
IIacuette. 

Jacques  de  Lauris  n'était  pas  seulement  un 
compositeur  distingué  doublé  d'un  lnmime  du 
monde  :  c'était  encore  un  \-oyagcur  iiassionné. 
Dès  que  juillet  commençait  à  rendre  le  trot- 
toir brûlant  et  Paris  inhabitable,  il  lui  deve- 
nait h  peu  près  impossible  de  résister  à  une 
folle  envie  de  franchir  la  frontière.  Il  était  de 
la  race  de  ces  oiseaux  migrateurs  qui  obéis- 
sent docilement  à  l'appel  des  saisons. 

Quelles  que  fussent  les  attaches,  ou  fortes 
ou  charmantes,  qui  le  retenaient  à  Paris,  il 
lui  était  ditlicile  de  ne  pas  les  rompre,  ou 
tout  au  moins  de  ne  pas  les  relâcher,  pour 
s'échapper  en  de  longues  fugues  à  ti'avers  le 
monde.  Mais  ces  voyages,  qui  se  propo- 
saient toujours  un  but  artistique,  n'avaient 
rien  de  la  banalité  du  tourisme  ordinaire.  Il 
avait  l'habitude  de  faire  ses  excursions  dans 
des  pays  où  les  billets  Cook  n'ont  pas  cours. 
Mais  comme  il  emportait  avec  lui.  partout, 
la  préoccupation  de  l'art  qui  tenait  ime  si 
grande  place  dans  sa  vie,  où  que  ce  fût  qu'il 
allât  et  qu'il  recherchait  avant  tout,  c'étaient 
ces  traditions  musicales  qui  sont  comme 
l'àme  chantante  des  peuples  :  œuvres  parfois 
restées  à  l'état  d'ébauche,  toujours  anonymes, 
souvent  nées  au  hasard,  on  ne  sait  trop  com- 
ment, dans  une  minute  d'inspiration  incon- 
sciente, venue  on  ne  sait  d'où,  que  ne  retrou- 
vera jamais  peut-être  celui  qui  l'eut  une  fois; 
mais  transmises  d'une  génération  à  l'autre, 
avec  l'accent  de  la  tendresse  ou  de  la  passion 
qui  les  vit  naître. 

Lauris  les  cueillait  avidement  sur  toutes  les 
lèvres,  comme  le  baiser  de  la  Muse. 

Aussi  disait-il,  avec  autant  di*  sincérité  que 
de  modestie,  qu'il  rentrait  à  Paris  de  ses 
voyages  avec  des  forces  nouvelles  et  un  véri- 
table rajeunissement  de  sa  verve.  C'était 
comme  un  sang  plus  jeune  et  plus  frais  qu'il 
avait  infuse  dans  ses  veines. 

Cette  année-là,  c'étaient  les  côtes  assez 
sauvages  et  généralement  peu  fréquentées  de 
la  Dalmatie.  et  les  îles  Ioniennes,  leurs  voi- 
sines qu'il  avait  prises  pour  but  de  ses  excur- 
sions. Il  avait  des  loisirs,  et,  dans  sa  pensée, 
ces  courses  devaient  être  assez  longues.  Sans 
parler  de  certaines  mélodies,  d'une  grâce 
na'ive  et  d'un  accent  original,  qu'il  rencon- 
trait souvent  dans  ses  pèlerinages,  il  avait 
été  séduit  par  les  beautés  natiu-elles  du  pays, 
où  la  douceur  se  joint  à  la  sévérité  des  as- 
pects; où  les  horizons  offrent  aux  regards  des 
lignes  onduleuses  et  souples;  les  vallées,  de 
verdoyantes  profondeurs  ;  les  montagnes  , 
d'élégantes  silhouettes,  et  les  rivages,  des 
courbes  gracieuses,  brodées  de  golfes  et  den- 
telées de  promontoires. 

Puis,  aussi,   pourquoi    ne   pas    l'avouer  ?    il 


756 


LE     MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 


trouvait  je  ne  sais  quel  charme  captivant  chez 
les  femmes  de  ces  îles,  dont  la  population  est 
encore  primitive  dans  ses  habitudes,  dans 
ses  amours  et  dans  ses  usages,  et  remontant, 
par  une  filiation  trop  visible  pour  être  con- 
testée, jusqu'aux  types  les  plus  anciens  et  les 
plus  purs  de  la  grande  famille  des  Hellènes. 
Il  était  d'une  essence  trop  sensible  —  trop 
sensuelle  peut-être,  —  il  avait  une  fibre  artis- 
tique trop  vibrante,  pour  ne  pas  être  très  vi^•e- 
ment  impressionné  par  toutes  les  manifesta- 
lions  de  la  beauté  humaine.  Là  où  il  rencontrait 
des  types  attachants,  il  demeurait  volon- 
tiers. 

I'  La  patrie,  c'est  où  l'on  est  bien!  »  a  dit 
un  ancien.  Pour  lui,  la  patrie,  c'était  où  les 
femmes  étaient  belles. 

Séduit  cette  fois-là,  il  s'attarda  à  Corfou. 
Il  y  rencontra  une  fillette  de  pêcheur, 
Myrto,  petite  créature  étrange  : 

Il  ne  lui  trouva  ni  la  beauté  calme  et  régu- 
lière de  ses  aînées,  ni  leurs  yeux  lumineux  et 
rieurs,  ni  leur  fin  profil  de  camée,  ni  cette 
fleur  de  teint  qui  les  rendait  si  attrayantes. 
Il  n'y  avait  même  pas  entre  elles  cet  air  de 
famille,  plus  ou  moins  frappant,  mais,  qu'il  est 
rare  de  ne  pas  rencontrer,  au  moins  à  quelque 
degré,  entre  les  enfants  du  même  père  et  de 
la  même  nièi'c.  On  eût  dit  une  petite  aiglonne, 
tombée  dans  un  nid  de  jeunes  cygnes. 

Mais  on  ne  tardait  pas  à  s'apercevoir  que 
l'on  avait  devant  soi  une  de  ces  créatures  qui 
ne  se  révèlent  point  au  ])remier  regard,  et 
dont  on  ne  ]3énètre  les  mystérieuses  profon- 
deurs qu'après  une  longue  étude.  Il  y  avait 
chez  elle  deux  êtres  en  un  :  celui  que  l'on 
voyait  tout  d'abord,  et  celui  qu'il  fallait  dé- 
couvrir et  surtout  deviner.  On  découvrait 
déjà  quelque  chose  de  la  femme  dans  cet  en- 
fant, dont  l'expression  sérieuse  ne  laissait 
point  de  vous  étonner.  L'arc  fier  et  frémis- 
sant des  lèvres  faisait  pressentir  tous  les  tres- 
saillements de  la  passion  qui  agiteraient  un 
jour  cette  âme  virginale,  mais  déjà  vibi'ante  ; 
les  larges  paupières  qui  voilaient  souvent  ses 
yeux  n'en  cachaient  pas  toujours  les  éclairs, 
et  son  front,  dont  elle  écartait,  par  un  geste 
brusque  et  fréquent,  la  che^•elure  retombante, 
accusait  autant  d'énergie  que  d'intelligence. 
On  peut  dire  que,  sous  ce  rapport,  elle  ne  res- 
semblait guère  à  ses  sœurs,  qui  se  conten- 
taient d'être  jolies. 

Elle  n'a^•ait  pas  la  main  blanche  des  belles 
indolentes  qui  vi\ent  dans  des  intérieurs, 
protégés  contre  les  saisons  changeantes.  Cette 
main  était  plus  brune  encore  que  son  visage; 
mais  son  galbe  était  pur,  et  fines  ses  attaches. 
La  taille  très  mince,  sans  aucune  promesse 
d'avenir,  n'avait  pour  elle  que  sa  souplesse 
robuste.  Elle  faisait  l'effet  d'une  silhouette 
encore  incertaine  d'une  ébauche  de  Tanagra 
dont  on  poiuait  dire  qu'elle  venait,  mais  in- 
comi)lète  encore,  el  attendant  toujours  le 
coup  de  pouce  final  de  l'artiste  créateur. 

Soit  qu'elle  ne  fût  pas  coquette,  ou  que  ses 
moyens  ne  lui  permissent  pas  de  montrer 
qu'elle  l'était,  elle  ne  cherchait  à  rehausser 
ses  avantages  natiu'els  par  aucun  artifice  de 
toilette.  Elle  était  couverte  plutôt  qu'habil- 
lée. 

Tel,  jadis,  M.  de  Ferriol,  ambassadeur 


de  France  à  Conslantinople,  s'attacha  la 
petite  Arménienne  A'issé,  qu'on  appelle 
aussi  Haydée,  tel  Jacques  de  Lauris  em- 
porta Myrto,  dont  le  type  l'intéressait.  11 
voyagea  avec  elle,  se  plut  à  éveiller  cette 
petite  âme  fruste,  et  sans  s'en  apercevoir 
devint  très  épris  de  la  jeune  fille,  gran- 
dissante en  charme  et  en  beauté. 

Mais  Jacques  avait  eu  une  liaison  avec 
une  dame  qui,  à  ce  moment,  devient  veuve 
dans  des  circonstances  difficiles.  Elle  im- 
plore l'appui  et  la  présence  de  Jacques, 
son  ancien  ami,  qui  ne  peut  refuser  ce 
service  à  une  femme  autrefois  aimée.  11 
met  Myrto  au  couvent  el  il  part. 

En  son  absence,  un  certain  M.  d'Aslor, 
épris  de  Myrto,  diffame  Jacques  auprès 
d'elle  et  l'enlève  du  couvent  avec  des  des- 
sein pervers.  Myi'to  aimait  silencieusement 
et  passionnément  Jacques,  son  tuteur.  La 
douleur  de  se  croire  délaissée  et  la  honte 
des  tentatives  de  M.  d'Aster  la  rendent 
malade. 

Jacques  revient  à  ce  moment  de  son 
absence.  Au  couvent,  plus  de  Myrto.  On 
lui  dit  qu'elle  est  à  la  succursale,  à  Saint- 
Germain.   II  y  court. 

La  succursale  du  couvent  de  l'Assomption 
était  tenue  avec  la  même  sévérité  que  la  mai- 
son mère.  Dès  les  premiers  pas  qu'il  voulut 
faire  dans  le  vestibule  ouvert  devant  lui,  Lau- 
ris fut  arrêté  par  la  sœur  tourière,  qui  lui 
barra  le  chemin  en  lui  demandant  ce  qu'il 
voulait. 

—  Je  viens,  répondil-il  avec  une  certaine 
brusquerie,  chercher  ma  pupille,  que  j'avais 
laissée  au  cou^'ent  d'Auteuil  et  que  l'on  a 
amenée  ici  sans  m'en  demander  la  permission 
et  sans  même  me  prévenir. 

—  Veuillez,  monsieur,  nie  pardonner  cette 
question,  car  je  n'ai  pas  l'honneur  de  vous 
connaître,    comment   s'appelle    votre    ]5upille  ? 

—  Je  suis  M.  de  Lain-is.  et  ma  pupille  est 
M"""  Myrto  Antonidès,  répondit  Jacques,  d'un 
ton  qui  laissait  deviner  son  impatience  et  son 
mécontentement.  Je  vous  prie  de  la  faire 
appeler  sans  retard... 

—  Donnez-vous  la  peine  d'entrer  au  parloir, 
répondit  la  tourière.  en  regardant  le  nouveau 
venu  avec  un  certain  élonnement  :  je  vais 
prévenir  ces  dames. 

—  Avertissez  surtout  ]SI"<*  Antonidès,  et 
faites  vite.  Je  suis  très  pressé. 

Sans  rien  ajouter  à  sa  première  réponse,  la 
tourière  pénétra  dans  l'intérieur  du  couvent, 
tandis  que  M.  de  Lauris  promenait  autour  de 
lui  des  regards  étonnés,  examinant  la  pièce 
froide  et  nue,  qui  n'a^■ait  pour  tout  mobilier 
qu'une  table  de  bois  blanc  et  quatre  chaises 
de  paille,  et,  pour  tout  décor,  qu'une  peinture 
du  Christ  ou\rant  sa  poitrine  pour  montrer 
son  cœur  sanglant,  et  une  Vierge  en  train  de 
monter  au  ciel,  comme  il  convient  dans  un 
couvent  qui  s'appelle  l'Assomption. 

Lauris  n'eut  pas  du  moins  à  subir  le  sup- 
plice d'une  trop  longue  attente,  car  la  poi-tc 
du  parloir  ne  tarda  pas  à  s'ouvrir. 

La  religieuse   qui    entra    lui  déclara   ne 


LK     MOUVEMENT    MTTEHAIHE 


757 


pouvoii  li>  liiisser  cnlietenir  M"''  Myi-lo 
Antonidès.  Giande  ruicui-  de  M.  de  Lau- 
ris,  trembliMiîcnl  de  colrrc,  llamme  dans 
les  yeux. 

I.a  iH'lijiii'usi',  au  c-iml  i-airo.  à  i'oiri'  di'  \t>- 
Itink'-.  îiiU'clail  loujuui-s  la  pai'l'aiU'  possossinii 
(Iclli'-uuMiu'.  Aussi  I.H'  lui  sans  aucune  l'uio- 
lion  appai't'iitt-'  ((u  flU'  i\''[)li((ua  : 

—  Si  vous  croyez,  nionsieuf,  avoir  à  vous 
plaindre  de  la  maison,  c'est  A  M"'»  la  Supé- 
rieure que  NOUS  \oudrez  bien  vous  adresser. 
Elle  seule  pourra  \(ius  réi)oiulre.  ,1e  n'ai.  moi. 
aucime  (pialilé  poiu-  vous  entendre.  .le  suis 
cliarjiée  tout  simplement  de  l'adminislralion 
de  celte  petite  succursale,  ('est  i'i  quoi  se 
borne  mon  rôle.  Hors  de  là.  je  ne  suis  rien 
et  je  ne  puis  rien. 

Jacques  retrouve  enfin  sa  Myrto,  mais 
mourante  cramour  pour  lui  et  de  dégoût 
pour  d'Aster.  Sa  première  démarche  est 
d'aller  trouver  le  misérable;  il  le  provoque 
à  mort,  au  pistolet  d'al)ord,  et  en  cas  de 
résultat  nul,  l'épée  ensuite.  A  la  première 
décharge,  d'Aster  tond)e  roido  mort,  le 
Iront  percé  dune  balle. 

Myrto  a  cette  dernière  consolation  do 
savoir  son  alTront  vt'iigé  et  son  ami  tou- 
jours fidèle,  aimant,  digue  d'elle.  Mais  le 
mal  était  trop  profond.  Elle  meurt. 

—  C'est  sur  celui-là  qu'il  faut  pleurer  main- 
tenant !  se  dit  M™e  de  Né  vis  comme  on  reve- 
nait du  cimetière,  en  regardant  Jaccjues  de 
Lauris. 

Elle  avait  raison,  car  cette  mort  avait  tué 
la  joie  de  sa  vie.  Il  aNait  reçu  un  de  ces 
coups  dont  on  ne  revient  pas,  et  il  était 
condamné  désormais  à  porter  partout  avec 
lui  rimaj;e  éplorée  de  celle  qui  était  morte 
pour  l'avoir  trop  aimé. 

Plusieurs,  parmi  ces  j;énéreuses  et  ces  dé- 
vouées, ([ui  sont  deux  fois  femmes,  parce 
qu'elles  sont  également  attirées  par  l'amour 
et  par  la  douleui-.  essayèrent  de  lui  apporter 
des  consolations.  Il  n'en  voidut  point,  et  le 
reste  de  sa  vie  ne  fut  ([u'im  Ion;;'  deuil. 

—  Tout  est  fini  poui'  moi,  disait-il  parfois. 
Mon  cœur  est  une  tombe,  et  personne  à  pré- 
sent n'en  soulèvera  la  jjierre. 

Tout  ce  récit  est  charmant  de  grâce,  de 
finesse,  de  tenue  et  de  mesure.  C'est  dé- 
licatement dit,  facilement  et  nettement 
écrit  ;  la  peinture  des  sentiments  y  est 
agréablement  encadrée  par  des  cro({uis  de 
voyage,  et  le  tout  est  d'une  tonalité  telle 
qu'on  a  plaisir  à  reconnaître  à  la  fois  un 
lettré  et  un  artiste. 


Bien  (|ue  M™*^  Liane  de  Pougy  n'appar- 
tienne pas  à  la  littérature,  nous  mention- 
nerons ici  son  livre  V Insaisissable,  ])aru 
chez  l'éditeur  Per  LA>r>i,  ])arce  qu'il  con- 
tient une  partie  intéressante  et  ([u'il  peut 
nous  suggérer  ({uclques  réflexions. 


D'abord,  il  csl  un  Ivpc  curieux  d'un 
genre  (jui  a  de  rares  manifestations,  et 
([u'on  ap|)elle  le  roman  de  condition.  Sous 
ce  nom,  on  désigne  ou  on  désignait  un 
i-omau  ou  un  drame  dont  l'intérêt  est 
fourni  par  la  condition,  c'est-à-dire  la  pro- 
fession, le  métier  du  héros.  Les  exemples 
sont  peu  nombreux.  Beaumarchais  a  étayé 
son  di'auu'  les  Deux  Amis  sur  les  nécessi- 
tés spéciales  du  métier  de  receveur  des 
fin;inces.  Le  Sage,  dans  Turcaret,  a  fait  la 
psychologie  spéciale  du  financier.  M"'^  de 
Pougy  a  fait  la  iisychologie  spéciale  de  la 
marchande  de  sourires,  et  Josiane  de  Val- 
neige  apporte  véritablement  qnel(|ue  chose 
de  nouveau,  de  senti,  de  véca  à  la  galerie 
des  ty[)i's  de  l'omaus.  Elle  est  une  impure, 
et  elle  ne  s'en  cache  pas.  C'est  déjà  un 
premier  cai'actère  très  particulier  de  celte 
œuvre,  (pie  l'espèce  d'humilité  avec  la- 
([uelle  l'héro'ine  frappe  sans  cesse  sa  [)oi- 
trine  et  fait  son  mea  culpa.  Il  est  curieux 
de  l'entendre  si  souvent  rappeler  ce  qu'elle 
est,  et  {[uelle  distance  elle  sait  la  séparer 
des  autres  femmes,  qu'elle  semble  regar- 
der d'en  lias,  sans  amertume  ni  envie, 
avec  la  résignation  d'un  sort  librement 
choisi. 

Ce  livre  ne  contient  pas  seulement  un 
tvpe,  mais  une  idée.  La  marchande  de 
sourires  a  un  cœur,  et  elle  peut  souffrir  du 
manque  d'amour  vrai  au  milieu  de  ses 
amours  vénales.  Le  thème  est  joli.  La  fille 
de  joie  en  (juête  d'une  passion  authentique, 
d'un  amour  véritable  au  milieu  de  ses  ga- 
lanteries postiches,  à  l'affût  de  l'insaisis- 
sable, du  bonheur  que  donne  l'amour  par- 
tagé; voilà,  certes,  un  sujet  net  et  iDien 
posé. 

La  composition  du  développement  est 
inégale.  La  première  moitié  du  volume  est 
une  enfilade  d'aventures  au  cours  desquelles 
Josiane  croit  toujours  aimer  et  être  aimée  : 
ce  n'est  jamais  (pi'une  fausse  alerte.  C'est 
une  série  d'anecdotes  :  le  fils  de  famille, 
le  tsigane,  le  petit  journaliste,  l'acteur,  etc. 
J'aime  infiniment  mieux  la  seconde  partie 
qui  forme  un  tout  complet,  et  qui  est  une 
histoire  touchante,  délicatement  contée  ; 
la  mère  en  permettra  la  lecture  à  sa 
fille. 

Désabusée  sur  le  compte  du  tsigane  qui 
mange  de  la  pâtée  grasse  avec  ses  doigts, 
de  l'acteur  qui  donne  dans  le  torchon,  et 
des  autres  êtres  insuffisants  qu'elle  ren- 
contre, Josiane  se  retire  à  Brunoy,  du  côté 
de  la  campagne  de  François  Coppée.  Ici  le 
récit  devient  véritablement  charmant  de 
grâce  ingénue  et  d'innocence.  Comme  Bo- 
bespierre  écrivait  de  sa  main  sanglante  de 
candides  pastorales,  Josiane  raconte  de 
ses  doigts  coupables  une  idylle  exquise. 
Elle  rencontre  un  bon  et  gentil  jeune 
homme    qui    vit    avec   sa   mère   en    deuil. 


/58 


LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 


u  II  était  beau,  étrangement  beau.  » 
M"'®  Duvert  est  la  veuve  d'un  chef  de  bu- 
reau mort  de  la  poitrine.  Le  petit  est  dé- 
licat, aussi  est-il  «  un  peu  trop  sous  les 
jupes  de  sa  maman  ».  Josiane  a  l'occasion 
de  le  soigner  après  une  chute  de  bicy- 
clette, et  elle  s'éprend  follement  de  lui  ; 
ils  se  donnent  des  rendez-vous  dans  les 
bois,  ou  bien  à  dix  heures  du  soir  chez  elle, 
pendant  la  fête  foraine  que  Paul  a  prise 
comme  prétexte  de  sa  sortie,  et  tout  cela 
honnêtement,  en  bons  petits  camarades, 
Paul  prenant  Josiane  pour  une  adorable 
grande  dame  et  Josiane  prolongeant  avec 
délices  cet  amour  platonique  et  tendre 
(jui  la  régénère.  Tout  ce  conte  est  charmant 
d'ingénuité  ;  la  discrétion  de  Josiane,  son 
respect  devant  la  brave  et  honnête  mère 
de  Paul,  chez  qui  elle  sei*it  qu'elle  ne  peut 
entrer,  les  enfantillages  de  ces  amants  qui 
rappellent  J.-J.  Rousseau  etM™''de  Warens 
faisant  des  confitures  aux  Charmettes,  tous 
ces  épisodes  sont  traités  avec  goût  et  me- 
sure. Paul  découvre  ce  qu'est  Josiane.  Il 
en  meurt.  Celle-ci  ne  peut  même  pas  aller 
prier  à  son  chevet.  Elle  obtient  de  l'excel- 
lent curé,  qui  la  pousse  au  repentir  et  à  la 
prière,  de  passer  la  nuit  à  l'église,  dans  la 
crypte  où  le  corps  repose.  Invention  in- 
génieuse, qui  permet  de  ne  jamais  faire 
venir  Josiane  dans  la  maison  chaste  de 
Paul  et  de  sa  mère.  La  peinture  de  ce  sen- 
timent ingénu  et  honnête  est  délicatement 
touchée. 

Ma  résistance  me  brisait,  me  torturait,  mais 
j'avais,  moi,  Josiane  de  Valneige,  si  peur  de 
voir  s'écrouler  mon  bonheur  en  y  louchant, 
il  me  répup^nait  si  fort  de  faire  de  cet  amour 
un  amour  comme  les  autres,  de  le  voir  s'éva- 
nouir comme  eux,  après  une  nuit  de  plaisir, 
un  instant  d'ivresse,  que  je  me  raidissais  sous 
l'étreinte  comme  pour  défendre  ma  vie  elle- 
même. 

Josiane  veillant  le  corps  dans  la  crypte 
à  la  lueur  des  cierges  est  une  composition 
intéressante  et  émue. 

Ce  silence,  cet  endroit  sacré,  ces  murs  qui 
parlaient  de  tout  ce  que  démentait  ma  vie, 
et  puis  ce  mort,  ce  petit  nidrt  qui  était  là, 
les  mains  jointes  dans  son  linceul!  C'était 
plus  fort  que  moi,  ce  frisson. 

Des  larmes,  oh  !  quelles  larmes  !  comme  on 
n'en  a  jamais  répandu  dans  aucun  sanctuaire, 
auprès  d'aucun  être  perdu,  me  coulèrent  des 
yeux,  et  tandis  que  ma  main  tremblait,  et 
que  j'étais  à  j^enoux,  je  compris  ce  qu'est 
l'immense  douleur. 


Prier!  oui,  j'aurais  voulu  prier,  ainsi  que 
Ion  fait  dans  les  naufrajtes.  Mais  toujours  ma 
pensée  retombait  de  là-haut  sur  celui  qui 
dormait  là   et  que  je  veillais. 

Ainsi,  c'est  au  bord  d'un  cercueil  que  ve- 
nait échouer  le  rêve  de  toute  ma  vie;  ces 
mots  que  si  longtemps  j'avais  j;ardés  au  fond 
du  cœur,  c'est  une  voûte  funèbre  qui  allait 
les  répéter  dans  son  écho,  c'est  à  un  cadavre 
que  je  faisais  les  confidences  qui  me  Ijrûlaient. 
Oui,  tout  haut  je  parlais,  je  l'appelais,  je  le 
suppliais. 

—  Mon  Paul!...  Mon  bien-aimé  !...  Mon 
seul  aimé!  Mon  mort  adoré!  Mon  enfant! 
Oui,  mon  enfant!  car  je  t'ai  aimé  de  toutes 
les  amours  comme  ime  mère,  comme  une 
sœur,  comme  une  amante.  C'est  donc  fini, 
iini,  est-ce  possible?  Avec  ta  vie,  tu  em- 
portes ma  vie  et  c'est  à  toi,  mort,  que  va  ce 
cri  de  mon  cœur  :  Je  t'aime. 

"  Je  t'aime  »,  dire  cela  dans  une  église, 
auprès  de  Dieu  ! 

Ce  qui  mancjue  ?  C'est  encore  plus  de 
sincérité,  de  spontanéité,  d'oubli  de  soi. 
Le  récit  pathétique  est  gâté  par  des  re- 
marques qui  rompent  le  charme  et  nous 
rappellent  que  nous  écoutons  une  femme 
très  occupée  d'elle-même.  Dire  «  je  t'aime  » 
dans  une  église,  au  milieu  de  circonstances 
aussi  poignantes,  l'amuse  parce  (jue  ((  ce 
n'est  pas  banal  i>,  et  la  fait  penser  à  Musset. 
Qu'avons-nous  à  faire  de  ces  réminiscences 
(|ui  constatent  seulement  que  l'écrivain 
appli([ue  à  son  récit  son  esprit,  au  moins 
autant  (|ue  son  cœur? 

En  (juelques  mots  de  préface.  M™®  de 
Pougy  exprime  la  crainte  qu'on  ne  croie 
pas  que  ce  roman  soit  d'elle.  Cette  crainte 
est  superflue,  car  le  style  trahit  l'amateur. 
Un  professionnel  n'eût  sans  doute  pas 
laissé  passer  des  incorrections  ou  des  bi- 
zarreries comme  :  n  Que  vouliez  vous  que 
je  fasse?  »,  ou  :  "  'Vouliez-vous  que  je  lui 
crie  )',  ou  <(  "Vos  lettres  sont  du  dernier 
attachant  i),ou  :  ^  Il  devait  m'embêter  toute 
la  vie  '),  et  autres  petites  tares.  La  débu- 
tante a  mis  sa  griffe  sur  son  style.  H  y  a 
une  certaine  facilité,  sans  trait  ni  nerf. 
Mais  comme  il  est  donc  vrai  que  tant  vaut 
l'idée,  tant  vaut  la  forme.  Si  ce  qu'on  con- 
çoit bien  s'énonce  clairement,  ce  qu'on 
éprouve  nettement  s'énonce  avec  la  même 
aisance.  Tout  le  récit  des  amours  chastes 
de  Paul  et  de  Josiane  est  ex([uis,  et  il  faut 
savoir  gré  à  M"^''  de  Pougy  d'avoir  apporté 
cette  contribution  imprévue  à  la  littérature 
ingénue. 

Léo    Clahetie 


<=<1»^ 


GAUSKHIK    SCIENTIFIQUE 


Nous  avons  si^iiah-  (loniii'i  rinent  uiu> 
inslaîlalion  failc  en  AiiU'riiiiio  poiu-  U' 
rein()r([ua{i('  (U's  haloaux,  sur  les  canaux, 
au  moyen  d'un  Iracteur  éleflii(iue,ol  nous 
(lisions  à  ce  sujel  ([ue  nous  n'avions  jusiiu",-! 
présenl  en  Fiance  d'auli-e  renioiniue  (luc 
celle  (les  chevaux.  En  elVel,  à  de  raies 
exceptions  pirs,  le  lialai,''e  ni(''caHi(pie  n'esl 
appli(pu''  (pie  surde  raii)les  parcoui-s.  Cepen- 
danl  nous  n'avons  pas  élé  devaiuH's  dans 
celle  voie  i)ai-  l'éli-anj^-er,  car,  deiniis  un 
an  environ,  une  inslallalion  d'une  certaiiu> 
impoiiance  a  élé  faite  sur  une  dislance  de 
:>()  kilomètres  entre  Marles(près(leBélliune 
et  Pont-à-Vendin.  sur  les  canaux  de 
l'Aire  el  de  la  Deule;  elle  doit  être  pro- 
lonfïée  sur  les  canaux  d(^  la  Scarpe  et  de 
la  Sensée,  jus(pi"au  Bassin  Rond  (près 
Cambrai),  ce  ([ui  donnera  un  parcours  de 
84  kilomètres. 

Le  système  au(|uel  se  sont  arrêtés 
MM.  Dn'elle  et  C'%  (pii  ont  été  chargés  de 
l'installation,  comprend  deux  procédés  dif- 
férents :  l'un  de  traction,  l'autre  de  pro- 
l^ulsion;  mais  ils  emploient  tous  deux  des 
moteurs  éleclri(|ues,  (jui  re(:oivenl  le  cou- 
rant dune  usine  centrale,  au  moyen  de 
trolleys  ^lissant  sur  une  doulde  ligne  lon- 
geant le  chemin  de  halage.  Pour  la  traction, 


les  lilsde  ligne  (|uc  les  trolleys  parccjurenl 
en  gardant  une  position  slai)le,  grâce  au 
contrepoids  dont  ils  sont  munis.  Pour  la 
]>r()|)ulsion,  on  remplace  le  gouvernail  du 
î)ateau  par  un  gouvernail  moteur;  celui-ci 
secom|)ose  d'une  étroite  caisse  étanche  en 


F'ig.  1.  —  Traction  clceUui.ic  Jt..  Kateaux  sur  les 
canaux  de  l'Aire  et  de  la  Deule. 

Le  tracteur  est  relié  par  câbles  souples  et  trolleys  à  une 
ligue  qui  suit  le  chemin  de  halage. 


le  moteur  est  monté  sur  un  tricycle  (fîg.  i) 
au(iuel  il  transmet  le  mouvement;  les 
roues  sont  très  larges,  comme  dans  les 
hjcomolives  routières,  de  fa(,'on  à  ne  |)as 
détériorer  le  sol.  Le  moteur  est  relié  aux 
trolleys  par  un  câble  souple,  muni  d'un 
appareil  de  connexion  facile  à  manijjuler  ; 
ce  câble  est  soutenu  par  une  potence  mo- 
bile (|ui  le  fail  passer  au-dessus  de  tous 
les  obstacles,  et  évite  toute  traction  sur 


Gouvernail  propul- 
seur lilectrique 
([u'on  peut  appli- 
(juer  aux  bateaux 
eu  les  reliant  à 
la  ligne  de  la 
même  façon  que 
le  tracteur,  quand 
on  veut  suppri- 
mer celui-ci. 


tcjle  (Tig.  2j  renfermant  le  moteur  ([ui  ac- 
tionne une  liélice  placée  à  rextrémité.  La 
prise  de  courant  se  fait  de  la  même  façon 
et  sur  la  même  ligne  (jue  pour  le  tracteur; 
le  mât  remplit  le  r(')le  de  ])otence  et  permet 
au  lil  souple  de  franchir  les  obstacles  qui 
sont  sur  le  chemin  de  halage  ou  sur  le 
canal.  La  vitesse  obtenue  est  sensiblement 
la  même  qu'avec  le  tracteur;  l'adaptation 
de  l'appareil  à  tous  les  bateaux  se  fait 
ra})idement  et  la  direction  est  aussi  facile 
([u'avec  le  gouvernail  ordinaire.  Le  halage 
mécanicpie  })crmet  de  parcourir  3  kilo- 
mètres à  l'heure,  au  lieu  de  1  h  i  1/2  qu'on 
obtient  avec  le  cheval.  Le  prix,  sans  être 
iieaucouj)  moins  élevé  que  celui  du  halage 
animal,  a  l'avantage  d'être  constant  ;  il  n'est 
pas  comme  ce  dernier  soumis  aux  lluctua- 
lions  qui  proviennent  de  la  concurrence 
(|ue,  suivant  la  saison,  le  cultivateur  peut 
faire  au  haleur  de  profession.  En  somme, 
celte  installation  parait  démontrer  ([ue  la 
traction  électrique,  au  moins  sur  les  canaux 
à  trafic  important,  peut  être  rémuné- 
ratrice, tout  en  olfrant  des  avantages  cer- 
tains à  la  ])atellerie. 


Les  piles  du  pont  Alexandre  III  ter- 
minées, on  va  itrocéder  au  montage  de 
l'arc  métalli(pie  (pii,  comme  (m  sait,  doit 
franchir  la  Seine  d'un  seul  jet.  Pour  mettre 
en  place  les  fermes  qui  composent  cet  arc, 
on  aurait  pu  construire  des  échafaudages 
au  milieu  du  ileuve;  mais  on  aurait  ainsi 
beaucoup  gêné  la  navigation,  (jui  se  plaint 
déjà  de  l'envahissement  de  son  domaine. 
On  a  donc  résolu  de  procéder  au  montage 


760 


CAUSERIE     SCIENTIFIQUE 


par  en-dessus,  au  moyen  dune  passerelle 
provisoire  doù,  avec  un  oulilla^e  a|)proi)rié, 
on  fera  descendre  les  i'ernies  et  ((ui  les 
soutiendra  jus([u'à  leur  montage  définitif: 
après  quoi  elle  sera  démontée.  La  con- 
struction et  le  lancement  de  celte  passerelle 
présentent  un  travail  d'un  très  grand 
intérêt  :  elle  a  la  forme  d'une  longue  cage 
de  180   mètres  de  long   sur  G  de  large  et 


Fig.  3.  ■ —  Passerelle  de  montage  jetée  sur  la 
Seine  pour  la  mise  en  place  des  fermes  du  pont 
Alexandre  III. 


7  de  haut  (tig.  3),  et,  comme  onnedispose 
pas  de  la  |)lace  suffisante  sur  les  rives  pour 
la  monter  complètemcmt  avant  son  lance- 
ment, on  a  dû  procéder  en  trois  opérations 
successives.  C'est  sur  la  rive  droite  ([u'était 
établi  le  chantier  de  c(mslruction  et,  dès 
(|ue  la  place  a  mancpié,  on  a  procédé,  au 
mois  d'août,  à  une  première  poussée  en 
liavers  du  lleuve  ;  puis  on  a  pu  continuer 
l'allongement  et,  en  septemljre,  on  a  fait 
une  nouvelle  marche  vers  la  rive  gauche; 
enfin  en  octobre  une  poussée  définitive 
faisait  reposer  l'extrémité  sur  le  quai.  Pour 
mettre  en  marche  une  aussi  Icjurde  masse, 
il  ne  faudrait  pas  croire  (ju'on  a  eu  recours 
à  de  puissantes  machines  à  vapeur  :  tout 
cela  s'est  fait  à  [)ras  d'hommes,  au  moyen 
de  treuils  placés  à  l'intérieur  et  prenant 
un  point  d'appui  sur  l'échafaudage  établi 
le  long  du  quai.  A  chaque  tour  de  treuil, 
l'énorme  masse  de  fer  glissait  sur  les 
galets  en  acier  placés  dessous  et  lavance- 
ment  était  de  10  mètres  à  l'heure.  Toutes 
les  opérations  ont  réussi  sans  accroc  et  on 
ne  peut  (ju'admirer  la  parfaite  précision 
avec  laquelle  les  ingénieurs  avaient  tout 
prévu  et  réglé. 


La  lutte  entre  le  gaz  et  l'électricité  n'est 
pas  près  de  finir  et  le  premier  peut  encore 
lutter  longtemps,  malgré  ce  qu'on  avait 
pensé  au  début  de  l'installation  des  usines 
électriques.  Celles-ci,  pour  des  raisons  mul- 
tiples, vendent  l'hectowatt  à  des  prix  très 
variables.  Dans  une  statistique  récente,  nous 
le  trouvons  à  0^,05  centimes  et  à  0',12  cen- 


times ;  il  y  a  de  la  marge.  Mais  il  faudrait, 
pour  bien  se  rendre  compte,  pouvoir  com- 
parer l'hectowatt  et  le  mètre  cube  de  gaz  : 
or  il  est  fort  difficile  de  fixer  un  coeffi- 
cient. Si  nous  empruntons  les  chiffres 
fournis  par  M.  Bouvier,  ingénieur  au  gaz 
de  Lyon,  au  sujet  du  dernier  congrès  de 
cette  industrie,  nous  trouvons  que  le  car- 
cel-heure  électrique  consomme  0  hecto- 
watt  'M,  avec  la  lampe  à  incandescence 
ordinaire,  et  le  carcel-heure  gaz  125  litres, 
avec  le  bec  papillon.  11  résulterait  de  là 
que  l'hectowatt  donne  2  carcels  7  quand 
le  mètre  cube  de  gaz  donne  8  carcels  : 
c'est-à-dire  qu'il  faudrait,  pour  avoir  l'équi- 
valence, multiplier  le  prix  de  l'hectowatt 
par  3,  en  chiffres  ronds.  Celui-ci  coûte  à 
Lyon  y  centimes,  et  le  mètre  cube  de  gaz 
2()  centimes;  c'est  donc,  à  éclairage  égal, 
ce  dernier  qui  serait  le  moins  cher  d'après 
M.  Bouvier,  qui,  il  est  vrai,  est  gazier.  Il 
faut  ajouter  cependant  que  le  bec  papillon 
est  le  moins  avantageux  et  qu'il  existe  de 
nombreux  systèmes  d'autres  becs  très 
employés  qui  consomment  beaucoup  moins 
par  carcel  ;  notre  coefficient  3  devient  alors 
trop  faible.  Nous  ne  chercherons  pas  à  en 
établir  un  autre  ;  les  électriciens  et  les 
gaziers  sont  là-dessus  tiès  peu  d'accord. 
Les  uns  donnent  2,  les  autres  donnent  10; 
les  uns  el  les  autres  ont  peut-être  raison, 
cela  dépend  de  circonstances  très  variables, 
et  nous  avons  voulu  seulement  montrer 
combien  la  comparaison  est  difficile.  Cepen- 
dant, d'une  façon  générale,  dans  les  grandes 
villes,  réleclricité  est  plus  chère  que  le 
gaz,  ce  qui  ne  l'empêciie  pas  du  reste 
d'avoir  souvent  la  préférence,  à  cause  des 
avantages  précieux  quelle  présente  dans 
bien  des  cas. 


Puisque  nous  parlons  d'éclairage,  voici 
une  idée  originale  que  M.  le  docteur  Cal- 
mette  expose  dans  le  Nord  agricole  et  que 
le  Cosmos  signale  aux  cultivateurs  :  «  En 
fermentant,  le  fumier  produit,  outre  l'acide 
carbonique,  de  l'ammoniaque  et  de  nom- 
breux carbures  d'hydrogène  susceptibles 
de  servir  à  l'éclairage.  11  suffirait  de  recou- 
vrir le  fumier  d'une  cloche  munie  d'un 
tube  abducteur  qui  conduirait  le  gaz  dans 
un  laveur,  et  de  là  dans  un  gazomètre  d'où 
il  serait  ensuite  distribué  dans  la  ferme.  » 

Outre  l'économie  sur  l'éclairage,  le  cul- 
tivateur trouverait,  en  ayant  soin  d'aciduler 
l'eau  du  laveur,  l'avantage  de  recueillir 
l'énorme  quantité  d'ammoniaque  (jui  se 
perd  dans  l'atmosphère.  11  pourrait  aussi 
l'utiliser  comme  engrais  à  l'état  liquide, 
en  laissant  précipiter  les  sels  ammonia- 
caux (ju'on  recueillerait  de  temps  en  temps. 

«  En  procédant  de  la  sorte,  dit  M.  Arti- 
gala,  on  ne  perdrait  plus  des  quantités  de 


C  A  L' s  K  n  l  K     S  C  I  !•:  X  T  I  F  I Q  V  K 


7)31 


5;;iz  ferlilisanls.  On  estime  à  S()()  millions 
do  francs  la  valeur  du  fumier  produit 
annuellement  en  France  ;  en  évitant  l'ap- 
j)auvrissonient  de  cette  masse  den^^rais, 
on  en  augmentera  d'un  bon  tiers  la  valeur. 
L'agriculture  fran(;aise  s'enrichirait  donc 
de  la  somme  respectable  de  --<•  millions 
par  an.  »  C'est  un  chiffre  qui  donne  à 
réiléchir  et  cela  vaudrait  la  peine  de  re- 
cueillir les  gaz  du  fumier,  même  en  laissant 
de  côté  la  question  de  l'éclairage.  Reste 
à  trouver  un  moyen  pratique  pour  faire 
cette  opération. 

*  » 
Il  paraît  au  premier  abord  inexplicable 
(|ue,  depuis  le  temps  (ju'on  fait  des  ma- 
chines à  vapeur,  on  ne  soit  pas  encore 
arrivé  à  obtenir  directement  le  mouvement 
de  rotation  :  on  a  toujours  un  mouvement 
de  va-el-vient  dont  on  n'a  pas  Ijesoin  et 
qu'on  transforme.  Ce  n'est  pas  que  les  in- 
venteurs aient  manqué  :  la  machine  à  rota- 
tion directe  est  peut-être  celle  qui  a  fait  le 
plus  de  victimes;  mais,  en  général,  beau- 
coup de  ces  chercheurs  se  sont  exagéré 
les  inconvénients  de  la  transformation  du 
mouvement  rectiligne  en  mouvement  de 
rotation;  la  perte  de  travail  qui  en  résulte 
n'est  pas  aussi  grande  qu'on  pourrait  le 
croire,  elle  est  même  nulle  dans  les  ma- 
chines bien  construites  ci^i  la  bielle  a  la 
longueur  voulue, el,  quand  on  voudra  obte- 
nir une  grande  puissance,  c'est  encore  la 
machine  à  mouvement  alternatif  ((ui,  pen- 


Fig.  4.  —  ilachine  à  vapeur  à  rotation  directe 
de  MM.  Arbel  et  Thion. 

La  vapeur  venant  de  E  passe  en  A  par  l'échancrure  de 
la  genouillère  qui  supporte  la  cloison  D  ;  la  vapeur  pro- 
venant de  Topératioa  précédente  s"évacuc  de  B  en  V 
par  l'échancrure  opposée  au  moment  où  le  piston  est 
en  haut  de  sa  course. 


dant  longtemps,  aura  la  préférence.  11  n'en 
est  pas  moins  vrai  cependant  que  dans  des 
cas  spéciaux,  comme  pour  la  commande 
d'une  dynamo  électrique  ou  de  l'hélice  d'un 


canot,  par  exemple,  on  aura  avantage  à 
avoir  une  machine  à  rotation  directe,  qui 
tiendra  toujours  moins  de  place  qu'une 
autre  à  puissance  égale;  aussi  les  inven- 
teurs onl-ils  continué  leurs  recherches. 
Les  solutions  heureuses  ne  sont  pas  nom- 
breuses, car  on  rencontre  dans  cet  ordre 
d'idées  de  grandes  difficullés  de  construc- 
tion, et  c'est  toujours  avec  un  vif  intérêt 
que  nous  voyons  une  de  ces  machines 
donner  de  bons  résidtats;  c'est  le  cas  de 
celle  que  viennent  de  construire  MM.  Arl)el 
et  Thion.  Elle  se  compose  d'un  cylindre  H 
à  double  enveloppe  (flg.  4),  à  l'intérieur 
duquel  se  déplace  un  anneau-piston  C,  re- 
lié par  une  cloison  articulée  D  à  un  dôme 
qui  surmonte  le  cylindre.  C'est  la  genouil- 
lère formant  l'articulation  de  cette  cloison 
qui  sert  en  même  temps  à  la  distribution 
de  vapeur.  Si  nous  suivons,  en  effet,  l'ar- 
rivée de  celle-ci  en  K,  nous  voyons  que, 
quand  la  cloison  est  inclinée,  la  genouil- 
lère présente  une  échancrure  qui  donne 
accès  à  la  vapeur  dans  l'espace  compris 
entre  la  paroi  du  cylindre  et  l'anneau-pis- 
ton  ;  celui-ci  est  déplacé  et,  lorsque  la  cloi- 
son arrive  à  être  verticale,  ce  qui  corres- 
pond au  point  le  plus  l)as  du  piston, 
l'admission  est  fermée  et  la  vapeur  agit 
par  détente  pour  remonter  le  piston  qui 
arrive  bientôt  au  haut  de  sa  course;  la 
vapeur  s'échappe  alors  par  l'échancrure 
opposée  à  celle  de  l'admission,  puis  le  pis- 
ton reprend  sa  position  première.  En  dé- 
plaçant de '.10  degrés  la  lumière  des  robinets 
qui  se  trouvent  en  face  des  échancrures  de 
la  genouillère,  l'admission  et  l'échappement 
se  trouvent  intervertis  et  la  machine  tourne 
en  sens  inverse  :  le  changement  de  marche 
est  donc  des  plus  simples.  Les  machines 
de  ce  genre  présentent  toujours  des  diffi- 
cultés de  construction,  surtout  pour  rendre 
élanches  les  joints  des  surfaces  planes  fer- 
mant le  cylindre,  et  contre  lescjuelles  doit 
glisser  à  frottement  doux  l'anneau  piston  ; 
ici  on  a  utilisé  le  liège  qui,  se  gonllant 
sous  l'action  de  la  vapeur,  donne  une 
élanchéité  al)Solue.  La  liaison  entre  l'axe 
et  l'anneau-piston  est  faite  au  moyen  d'un 
roulement  à  billes  qui  présente  une  grande 
douceur.  Cette  machine  pourra  être  appli- 
quée avantageusement  h  la  navigation  de 
plaisance  et  aux  tracteurs  pour  omnibus 
sur  roules. 


L'une  des  grandes  attractions  de  rEx|)o- 
sition  <{ui  vient  d'avoir  lieu  à  Turin  était 
roslcntation  du  Saint  Suaire  conservé  dans 
cette  ville. 

De  nombreux  fidèles  ont  défilé  devant 
cette  relicpie  et,  afin  qu'ils  en  pussent  gar- 
der un  souvenir  diu'al)le,  on  leur  en  ven- 
dait une  photographie. 


762 


CAUSERIE     SCIENTIFIQUE 


La  presse  ilalienne  a  signalé  comme  une 
chose  extraordinaire,  miraculeuse,  l'appa- 
rition, sur  le  cliché  photographique',  d'une 
image  représentant  le  visage,  les  mains  et 
les  jam])es  du  Christ,  et  accusant  nette- 
ment les  formes  du  corps;  toutes  choses 
non  visi])les,  ])araîl-il,  sur  la  reliciue  elle- 
même.  Mais  la  tradition  rap])orle  (jue  sur 
ce  linceul,  venu  de  Terre  sainte  en  Italie 
au  temps  des  croisades,  il  y  a  eu  une  pein- 
ture représentant  le  Christ.  Dans  la  suite 
des  siècles,  cette  peinture  s'est  effacée 
suffisamment  pour  n'être  plus  visible  a 
l'œil,  pas  assez  pour  que  la  plaque  photo- 
graphicjue  ne  puisse  encore  la  reproduire. 
Le  fait  n'est  pas  sans  exemple,  et  on  a 
souvent  cité  le  cas  de  manuscrits  grattés, 
de  Ijillets  de  ]jan(pie  falsifiés,  où  la  fraude 
était  dévoilée  parle  cliché  photographique. 
Nous  ne  doutons  pas,  certes,  de  la  bonne 
foi  de  ceux  qui  ont  pu  croire  au  miracle, 
toutes  les  croyances  sont  res])ectables 
quand  elles  sont  sincères;  mais  il  est  bon 
cependant  de  se  mettre  en  garde  contre 
des  phénomènes  ([ui  paraissent  mystérieux 
au  premier  abord  et  ne  résistent  pas  à  un 
examen  approfondi.  Sans  vouloir  faire  de 
rapprochement  aVec  ce  qui  s'est  passé 
jjour  cette  photographie  du  Saint  Suaire, 
nous  rappellerons  (ju"on  a  tpiehjuefois  tiré 
parti,  dans  un  but  peu  louable,  de  cette 
faculté  de  la  plaque  sensible  de  révéler 
des  détails  que  r(r'il  ne  voit  pas  :  avec  une 
solution  de  sulfate  acide  de  quinine,  parfai- 
tement incolore,  on  peut  tracer  des  dessins 
(pii  disparaissent  une  fois  secs  et  qu'on 
retrouve  sur  le  cliché.  Les  photograjthes 
spirites  ont  sans  doute  tiré  parti  de  ce 
procédé,  et  d'autres  semjjlables,  et  ([uel- 
ques-uns,se  lançant  sans  scrupule  dans  la 
])ure  supercherie,  ont  facilement  pu  sur- 
pi-endre  la  bonne  foi  de  personnes  non 
prévenues.  On  fait,  par  exemple,  poser 
très  peu  de  temps  un  squelette,  ou  une 
forme  fantasticpie  quelconcjue,  devant  im 
fond  noir  et  on  ne  développe  pas  la  pla((ue  ; 
on  se  sert  ensuite  de  celle-ci  pour  faire, 
comme  à  l'ordinaire,  le  portrait  du  sujet 
en  expérience  :  au  développement  la  pre- 
mière image  vient  en  même  temps  que  la 
seconde  ;  on  montre  alors  triomphalement 
le  portrait  de  l'esprit  évociué!  Lorsqu'on 
se  trouve  en  présence  de  choses  inexpli- 
cables, il  est  toujours  bon  d'y  regarder  à 
deux  fois,  et  même  plus,  avant  de  crier  au 
miracle. 


Dans  les  navires,  on  suspend  les  canots 
à  des  potences,  dites  portemanteaux,  mu- 
nies de  palans,  (jui  servent  à  les  descendre 
à  la  mer  au  moment  voulu.  Les  passagers 
doivent  se  mettre  dans  le  canot  ([uand  il 
est  encore  en  place,  et  on  fde  aloi-s  lente- 


ment les  cordes  qui  sont  fixées  à  chacun 
de  ses  bouts;  il  descend  ainsi  à  la  surface 
de  l'eau.  On  comprend  cpi'il  faut  opérer 
avec  ensemble  et  sang-froid  pour  réussir 
cette  opération  sans  chavirer  ;  la  ma- 
nœuvre est  toujours  assez  lente  et  difficile, 
et  on  a  remarqué,  dans  différents  grands 
sinistres  de  pacjuebols,  que  bien  des  exis- 
tences eussent  pu  être  sauvées  si  les  em- 
barcations avaient  été  mises  j)lus  facile- 
ment à  flot. 

Le   système   imaginé  j)ar   M.  Mackinson 


Fig.  5.  —  Système  de  treuil  facilitant  la  mise  à 
la  mer  d'ua  canot  placé  sur  les  portemanteaux 
d'un  navh'e. 


(fig.  5)  a  j)récisément  pcjur  but  de  simpli- 
fier celte  opération.  Le  canot  est  toujours 
muni  de  câbles  à  l'avant  et  à  l'arrière  ; 
mais,  au  lieu  d'être  logés  dans  celui-ci  pour 
être  tirés  h  la  main,  ils  se  réunissent  sur 
un  treuil  placé  sur  le  pont  du  navire  et 
mis  en  mouvement  à  la  main  par  une 
chaîne  sans  fin,  passant  sur  une  poulie 
fixée  à  l'un  des  portemanteaux.  Un  dispo- 
sitif ingénieux  permet  à  ceux-ci  de  tour- 
ner automati(juemont  pour  faire  passer  le 
canot  par-dessus  le  bord,  car  on  sait  qu'en 
lemj)S  ordinaire  il  est  ramené  vers  le  pont. 
Il  suffit  d'un  seul  homme  pour  mettre  à 
flot  un  canot  tout  chargé,  pesant  4  tonnes, 
en  moins  de  deux  minutes. 


Pendant  la  construction  du  chemin  de  fer 
qui,  traversant  toute  la  Sibérie,  doit  aboutir 
à  la  mer  du  Japon,  le  chantier  de  construc- 
tion, qui  se  déplace  au  fur  et  à  lîiesure  que 
la  tète  de  ligne  avance,  a  nécessité  des  dis- 
positions spéciales  qui  lui  permettent  de 
traverser  les  régions  les  plus  inhospita- 
lières. Un  train  complet  sert  à  la  fois  de 


CAUSERIE     SCIENTIFIQUE 


-tj.T 


bureau  et  de  logement  aux  ingénieurs  et 
on  y  a  joint  bienlol  tout  un  villag-e  roulant  : 
wagon-épicerie,  wagon-citerne,  etc.,  qu'on 
remplace  :iu  fur  et  à  mesure  (|u'ils  se  vident 
par  daulres  arrivant  des  régions  civilisées 
par  la  voie  déjà  terminée.  La  nourriture  du 
corps  ne  sulfil  pas  à  soutenir  le  travailleur, 
les  Russes  ont  pensé  aussi  à  lui  fournir 
celledelàmeet  ils  ont  construit  les  wagons- 


Fii 


Wagon-chapelle  des  trains  de  la  ligne 
du  Transsibérien. 


chapelle  (fig.  6)  qui  servent  non  seulement 
au  chantier  de  construction,  mais  aussi 
aux  voyageurs  qui  parcourent  la  partie  déjà 
longue  de  la  ligne  en  exploitation.  Ces 
wagons  sont  montés  sur  deux  boggies,  de 
fa^on  à  permettre  de  leur  donner  une 
grande  longueur;  ils  sont  décorés  extérieu- 
rement d'une  ornementation  qui  rappelle 
leur  destination,  sans  oublier  la  double 
croix  de  l'Eglise  orthodoxe  et  les  cloches  ; 
l'intérieur,  comme  celui  de  toutes  les  églises 
grecques,  est  très  richement  orné,  et  à 
l'une  des  extrémités  se  trouve  réservé  le 
logement  du  pope. 


Les  labwatoires  météorologiques  sont 
pourvus  d'instruments  qui  inscrivent  auto- 
matiquement d'une  façon  continue  les  indi- 
cations données  par  les  baromètres,  tlier- 
momètres,  etc.  ;  mais  pour  la  girouette  on 
n'arrive  pas  aussi  facilement  à  enregistrer 
ses  dilTérentes  positions,  à  cause  de  la  rapi- 
dité des  mou^  emenls,souvent  très  brusques, 
qu'elle  exécute  à  chaque  instant.  Il  fallait 
trouver  un  mécanisme  qui  régularisât  ses 
déplacements,  tout  en  lui  conservant  sa 
sensibilité,  et  inscrivit  une  courbe  continue, 
sans  tenir  compte  des  embardées  de  quel- 
ques secondes  qu'un  vent  capricieux  peut 
lui  faire  subir.  Ce  n'est  pas  d'hier  qu'on 
a  pensé  à  cela  et  il  existe  déjà  des  sys- 
tèmes régulateurs,  mais  ils  ne  sont  pas 
sans  avoir  des  inconvénients  qui  ont  déter- 
miné .M.  de  (jrandmaisonà  cliercher  mieux. 
Dans  l'appareil  qu'il  a  imaginé  (fig.  7  ,  la 
girouette  G  communique  son  mouvement  à 


l'enregistreur  par  l'intermédiaire  d'une 
came  A,  taillée  d'un  large  cran  à  sa  partie 
inférieure  ;  dans  ce  cran  vient  se  loger  un 
galet  qui  est  relié  aux   engrenages  com- 


Fig.  7.  —  Girouette  de 
M.  de  Grandmaisou, 
pourreuregistremeut 
de  la  direction  du 
vent. 


La  girouette  G  est  reliée 
par  la  tige  T  à  une  came 
spéciale  A,  interposée 
avant  le  mécanisme  d'eu- 
tr,i,înem°)it  du  cylindre 
enregistreur  C,  afin  d'at- 
ténuer les  mouvements 
iirusques  de  la  girouette. 


mandant  le  mouvement  du  cylindre  C,  sur 
lequel  une  plume,  qui  descend  en  2i  heures 
le  long  d'une  tige  filetée,  marque  les  indi- 
cations. Il  résulte  de  ce  mode  de  liaison 
entre  le  mécanisme  et  la  tige  T,  que  pour 
les  mouvements  modérés  l'entrainement  se 
fait  régulièrement,  le  galet  restant  logé 
dans  la  partie  supérieure  du  cran;  mais 
s'il  se  produit  des  mouvements  brusques,  le 
galet  suit  la  pente  qui  lui  est  oITerte  :  la 
came  tourne  en  se  soulevant  et  le  choc  se 
trouve  ainsi  amorti.  La  roue  dentée  qui 
porte  le  galet  se  trouve  du  reste  en  relation, 
par  une  roue  à  rochet,  avec  un  mouvement 
d'horlogerie  muni  d'un  système  d'échap- 
pement qui  contribue  à  régulariser  encore 
la  marche  du  cylindre.  Cet  appareil  vient 
compléter  d'une  façon  très  heureuse  la 
série  des  enregistreurs  des  observatoires 
météorologiques,  car  la  connaissance  con- 
stante de  la  direction  du  vent  est  un  élé- 
ment essentiel  de  la  prévision  du  temps. 


Un  médecin  militaire,  M.  Berthier,  s'est 
livré  récemqjent,  à  propos  du  suint  de  la 
laine,  à  une  étude  publiée  par  la  Revue 
d'hygiène,  dont  les  conclusions  sont  fort  in- 
téressantes pour  tous  ceux  qui,  comme  les 
militaires,  les  touristes,  les  chasseurs... 
doivent  marcher  beaucoup  et  sont  exposés 
à  toutes   les   intempéries.    Il  a  remarqué, 


764 


CAUSERIE     SCIENTIFIQUE 


pendant  son  séjour  en  Algérie,  que  les  bur- 
nous des  Arabes  sont  imperméables  ;"i  cause 
du  suint  dont  ils  sont  imprégnés,  la  laine 
cjui  sert  à  les  tisser  étant  employée  à  l'état 
brut.  Il  a  pensé  qu'il  serait  possible  d'uti- 
liser cette  propriété  en  imprégnant  les 
vêtements  de  suint  purifié,  et  ses  expé- 
riences sont  fort  concluantes.  Le  suint,  qui 
a  une  odeur  désagréable,  est  un  produit 
assez  complexe  dont  on  débarrasse  la  laine 
avant  son  emploi  industriel.  On  le  purifie 
et  on  l'utilise  en  pharmacie  et  en  parfu- 
merie sous  le  nom  de  «i  lanoline  »,  dans 
toutes  les  préparations  destinées  à  donner 
de  la  souplesse  à  la  peau.  L'épuration 
moins  com|)lète  donne  la  «  suintine  »,  qui 
coûte  meilleur  marché  et  remplit  le  même 
but;  en  s'enduisant  les  pieds  de  cette 
matière,  les  marcheurs  évitent  bien  des 
écorchures;  ils  peuvent  encore  pousser 
plus  loin  son  emploi  en  l'utilisanl  comme 
cirage,  car,  outre  qu'elle  assouplit  le  cuir 
du  soulier,  elle  le  rend  imperméable.  Cette 
question  d'imperméabilité  nous  paraît  sur- 
tout intéressante  au  sujet  du  vêtement;  on 
nous  dira  qu'on  a  le  caoutchouc,  mais  il  a 
le  grave  inconvénient  de  former  une  enve- 
loppe hermétique  qui  empêche  complète- 
ment l'évaporation  de  la  sueur;  il  s'ensuit 
qu'on  est  quelquefois  plus  mouillé  en  des- 
sous qu'en  dessus,  et  l'on  risque  le  refroi- 
dissement et  ses  fâcheux  effets.  D'après  les 
expériences  de  M.  Berthier,  le  suint  laisse 
au  contraire,  aux  étoffes  toute  leur  porosité, 
tout  en  supposant,  par  sa  composition 
graisseuse,  à  la  pénétration  de  l'eau.  Il  a 
fait  dissoudre  la  lanoline  dans  de  l'essence 
de  pétrole  à  la  proportion  d'environ  10  0/0, 
et  en  trempant  le  vêtement  dans  cette  so- 
lution, ou  en  l'étendant  avec  une  éponge, 
il  a  obtenu  un  succès  complet;  l'eau  glisse 
sans  pénétrer,  la  transpiration  se  fait  libre- 
ment. Les  couleurs  ne  sont  pas  dénaturées 
par  ce  traitement,  qui  n'altère  pas  la  soli- 
dité de  l'étoiTe.  Le  prix  de  revient  est  in- 
signifiant. Il  y  a  là  une  application  nou- 
velle d'un  grand  intérêt. 


Les  Parisiens  ((ui,  en  1890,  avaient  eu 
recours  GOO  fois  au  service  de  désinfection, 
organisé  par  la  ville,  ont,  en  1893,  de- 
mandé 34000  opérations  do  ce  genre;  en 
trois  ans,  c'est  un  joli  progrès,  et  ce  nom- 
bre a  encore  augmenté  de  2  000  en  1897. 
Aussi  le  budget  de  ce  service,  qui  était 
d'abord  de  2G  000  francs,  est-il  maintenant 
de  400  000  francs.  Le  personnel  c()mi)rend 
cent  vingt-cinq  agents  intelligt'uts  et  exer- 
cés, qui  opèrent  soit  à  domicile,  soit  dans 
l'une  des   quatre   stations   établies   par  la 

Les  renseignements  de  cet  article  sont  donnés  au  point  de  rue  scientifique  et  en  dehon 
sera  pas  répondu  aux  demandes  d'adresses  ou  de  renseir/nemeiits  commerciaux. 


municij)alité  pour  les  étuves  àvaj)eur  sous 
jn-ession  ;  les  oljjets  y  sont  enfermés  pen- 
dant (jiiinze  il  vingt  minutes,  et  les  em- 
ployés ont  acquis  une  habitude  telle  ([ue 
les  étoffes  les  plus  précieuses  peuvent  leur 
être  confiées  :  les  chefs  d'équipe  sont,  du 
reste,  responsables  pécuniairement  des 
détériorations.  Pour  la  désinfection  à  do- 
micile, on  s'en  tient  encore  au  lavage, 
ou  à  la  pulvérisation  avec  du  bichlorure 
de  mercure,  dit  sublimé,  en  solution  à 
1  pour  1  000  quand  il  s'agit  de  meubles  et 
d'appartements  ;  le  sulfate  de  cuivre  en 
solution  à  1  pour  100  est  réservé  aux  cai)i- 
nets  d'aisances.  D'autres  procédés  ont  été 
souvent  proposés,  et  notamment  les  sub- 
stances gazeuses,  qui  semblent  devoir 
mieux  j)énêlrer  partout;  mais  jusqu'à  j)ré- 
sent,  la  commission  de  perfectionnement, 
à  laquelle  sont  soumises  toutes  les  propo- 
sitions de  ce  genre,  n'a  pas  jugé  à  propos 
de  eiianger  de  méthode. 

Ce  n'est  pas  seulement  après  une  maladie 
contagieuse  qu'on  a  recours  à  la  désinfec- 
tion, mais  aussi  au  cours  de  celte  maladie, 
pour  faire  enlever,  par  le  service  spécial, 
les  linges  et  vêtements  souillés  qui  doivent 
passer  à  l'étuve  ;  il  est  certain  qu'en  don- 
nant directement  ceux-ci  au  blanchisseur, 
on  risque  de  contaminer  nombre  de  per- 
sonnes par  les  mains  desquelles  ils  doivent 
passer.  Sur  les  36  000  désinfections  de- 
mandées en  1897,  il  y  en  a  environ  10  000 
pour  la  tuberculose  et  5  000  pour  la  scar- 
latine; la  fièvre  typhoïde  en  use  3  000  et 
le  croupe  3;)00;  le  reste  se  répartit  sur  la 
variole,  la  coijueluche,  etc.,  et  les  assainis- 
sements des  fosses  d'aisances,  des  écoles, 
des  salles  de  réunions  publiques.  En  sui- 
vant la  statisti(|ue  des  maladies  conta- 
gieuses, parallèlement  à  celle  des  désin- 
fections, (|ui  sont  classées  par  catégories 
de  maladies,  on  est  frappé  de  la  concor- 
dance des  chiffres  :  au  fur  et  à  mesure 
(jue  la  désinfection  augmente,  le  nombre 
des  maladies  diminue. 

La  ville  de  Paris  possède  un  dossier,  cjui 
n'est  pas  livré  au  public,  mais  qui  sert  à 
renseigner  les  commissions  spéciales  sur 
l'état  sanitaire  de  chaque  habitation.  Pour 
chaque  immeuble  on  a  noté  quel  est  le 
genre  de  maladie  contagieuse  qu'on  y  a 
constaté;  on  indique  aussi  l'état  des  ^vater- 
closets,  des  canalisations  à  l'égout,  etc., 
enfin  tous  les  renseignements  utiles  à 
connaître  pour  permettre  de  rechercher 
l'origine  d'une  épidémie,  la  combattre  ou 
même  la  })révenir.  C'est  là  un  travail  con- 
sidérable qui  rendra  les  plus  grand  services 
à  la  population  parisienne. 


G.    M.\RESCHAL. 

de  toute  réclame.  Aussi  il  ne 


EVENEMENTS     GEOGRAPHIQUES 
KT   COLONIAUX 


Marchand  était  arrive  à  l'achoda  le 
10  juillet. 

Durant  vin^t  jours,  depuis  le  départ  du 
vainqueur  du  mahdi,  le  sirdar  Herbert 
Kitchener,  pour  le  sud,  jusqu'à  son  retour 
à  Onulourmau,  tête  de  ligne  télégraphique, 
les  journaux  anglais  n'ont  cessé  d'élucubrer 
à  notre  adresse  fausses  nouvelles,  menaces, 
ultimatums.  A  les  en  croire,  ou  bien  Mar- 
chand n'était  pas  à  Kacboda,  ou  bien,  si 
d'aventure  il  s'y  trouvait,  le  sirdar  aurait 
vite  fait  de  le  contraindre,  et  manu  militari, 
à  abaisser  son  pavillon  et  à  partir.  Or 
Marchand  était  bien  à  l'achoda,  et  il  y  est 
resté.  La  rencontre,  qui  sera  historique, 
entre  le  général  anglais  —  aujourd'hui 
baron  Kitchener  de  Khartoum  —  et  le 
hardi  capitaine  français  —  aujourd'hui 
commandant,  —  a  pu  se  produire  sans  in- 
cident fâcheux  :  voici  dans  quelles  circon- 
stances. 

La  ilottille  anglaise  avait  quitté  Onidour- 
man  le  10  septembre  au  matin.  Le  18, 
on  aperçut  le  vapeur  derviche  Safia;  la 
canonnière  Sultan  ouvrit  immédiatement 
le  feu  contre  lui  et  le  désempara.  Le  Nil 
s'était  rétréci  ;  son  cours  était  encombré 
d'herbe;  mais  l'eau  restait  profonde,  avec 
un  chenal  navigable.  Le  21,  à  dix  heures 
du  matin,  les  Anglais  étaient  en  vue  de 
Fachoda. 

Le  drapeau  tricolore  Hottail  sur  le  vil- 
lage. Celui-ci  était  fait  de  maisons  petites, 
construites  en  briques  et  blanchies  à  la 
chaux;  il  était  défendu,  ;i  la  façon  dervi- 
che, par  une  l'edoute  assez  forte,  bâtie  en 
terre  et  dont  la  forme  était  celle  d'un  fer 
à  cheval.  La  redoute  était  entourée  de 
tranchées;  au-dessus,  on  apercevait  une 
ligne  de  visages  noirs,  ■■  ceux  de  Sénéga- 
lais, ajoute  la  dépêche  anglaise,  évidem- 
ment prêts  au  combat  ■>.  Mais  les  Sénéga- 
lais ne  tirèrent  point.  In  canot,  à  l'arrière 
duquel  flottait  le  drapeau  tricolore,  s'avança 
vers  la  Ilottille.  Il  portait  Marchand.  Kit- 
chener reçut  Marchand  à  son  bord,  lui 
serra  la  main  et  la  conversation  s'engagea. 
Le  sirdar  déclara  que,  en  sa  qualité  de 
commandant  en  chef  de  l'armée  égyptienne 
—  la  qualité  de  général  anglais  était  lais- 
sée, pour  l'occasion,  de  côté,  —  il  était  de 
son  devoir  d'occuper  Fachoda,  partie  de 
l'empire  du  khédive.  «  J'ai  protesté  dans 
les  termes  les  plus  énergiipies,  dit- il  dans 
son  rapport  ,  contre  l'occupation  de  Fa- 
choda et  l'érection  du  drapeau  fiançais 
dans  les  territoires  du  khédive.  En  ré- 
ponse. Monsieur  Marchand  dit  qu'il  avait 
reçu  des  ordres  précis  pour  l'occupation 
du  pays  et  l'érection  du    drapeau    français 


à  l'aciioda  ;  enfin,  qu'il  ne  pouvait  pas  se 
retirer  sans  des  ordres  de  son  gouverne- 
ment. Je  lui  demandai  alors  si,  en  pré- 
sence d'une  force  supérieure,  il  était  dis- 
posé il  résister  ii  l'érection  du  drapeau 
égyptien. 

Cl  II  hésita  et  répondit  (ju'il  ne  pouvait 
pas  résister.  » 

Toutes  les  troupes  qu'avait  amenées  le 
sirdar  débarquèrent  alors;  elles  occu- 
pèrent un  bastion  en  ruines,  qui  com- 
mande la  seule  route  conduisant  à  l'inté- 
rieur de  la  position  française  :  cette  posi- 
tion est  entièrement  entourée  au  nord  par 
des  marais  infranchissables.  C'est  sur  ce 
bastion  que  fut  hissé  le  long  d'un  grand 
màt  le  drapeau  égyptien.  Mais  le  drapeau 
français  continua  de  llotter. 

C'est  beaucoup,  c'est  trop  de  drapeaux 
pour  un  seul  point  du  globe;  et  nécessité 
sera,  un  jour  prochain,  d'amener  un  des 
deux  drapeaux.  Lequel  sera  amené?  et 
quand  luira  ce  jour?  11  faudrait  se  garder 
de  trop  d'optimisme.  La  présence  de  Mar- 
chand il  l'achoda  a  surpris  le  gouverne- 
ment anglais  et  a  dérangé  ses  plans  : 
l'irritation  qu'il  n'a  pu  se  tenir  de  mani- 
fester est  donc  naturelle  ;  elle  est  aussi 
inquiétante.  Le  Livre  bleu  qu'il  a  publié 
dès  le  10  octobre  montre  quelle  attitude 
peu  conciliante  il  a  cru  devoir  adopter. 
Son  ambassadeur  à  Paris  a  déclaré  à  notre 
ministre  des  affaires  étrangères  ([u'  «  il 
devait  très  franchement  dire  (|ue  la  situa- 
tion sur  le  haut  Nil  était  très  dange- 
reuse »,  que  '(  l'achoda  rentrait  directe- 
ment dans  les  territoires  désignés  comme 
dépendances  du  khalifat  »,  que  «  son 
gouvernement  était  décidé  à  maintenir  sa 
clécision  »  et  que  "  sur  ce  point,  il  pouvait 
l'affirmer  catégorie (uement,  il  ne  transige- 
rait jamais  ». 

Marchand,  cependant,  est  encore  à  Fa- 
choda; et  ce  que  l'irritation  anglaise  a  fait 
éclater  d'abord,  c'est  l'utilité  de  sa  mis- 
sion. Vne  poignée  d'iiommes,  depuis  des 
mois  coupés  de  toute  communication  avec 
la  patrie,  ont  arrêté  les  vainqueurs  d'un 
grand  empire;  ils  empêchent  la  réalisation 
du  fameux  plan  :  l'Afrique,  du  Caire  au 
Cap,  aux  Anglais;  et  c'est  peut-être  à  eux 
que  nous  devrons  la  solution  de  la  ques- 
tion d'Egypte.  Ils  méritent  l'admiration, 
les  remerciements  et  aussi  l'appui  efficace 
de  leur  pays. 


La  question  d'Egypte  est  une  des  formes 
actuelles  de  la  question  d'Orient. 

Ah!    cette  question  d'Orient,   combien, 


766 


ÉVÉNEMENTS    GÉOGRAPHIQUES 


depuis  le  jour  où  le  Turc  établit  son  cam- 
pement sur  la  terre  d'Europe,  n'a-l-elle 
pas  fait  couler  et  d'encre  et  de  sang  ! 
L'Orient  passe  pour  le  berceau  de  l'huma- 
nité. Il  est  le  pays  des  souvenirs  clas- 
siques. Il  fut  honoré  par  la  naissance  et 
par  la  mort  du  fondateur  de  la  religion 
chrétienne.  Il  est  la  roule  des  marchés  de 


Candie 


LES      QUESTIONS      [)  "  (  I  R  I  E  X  T 

-'Inde  et  de  la  Chine.  C'est  pourquoi 
l'Europe  regarde,  depuis  des  siècles,  vers 
le  pays  d'oîi  vient  le  soleil,  et  s'est  forgée 
une  question  d'Orient.  Bien  plutôt,  mille 
questions  d'Orient  !  Car  chaque  génération 
a  les  siennes.  Nos  grands-pères  et  nos 
pères  parlaient  —  vous  en  souvenez-vous  ? 
—  de  Conslantinople.  Pour  Constantinople 
se  sont  battus  et  les  Russes,  et  les  Autri- 
chiens, et  les  Anglais,  et  les  Français,  et 
les  Piémontais  de  Cavour  ;  la  consigne  de 
l'Europe,  en  ce  temps,  était  d'empêcher 
l'ours  moscovite  d'aller  se  baigner  dans  le 
Bosphore.  On  ne  parle  plus  guère  aujour- 
d'hui de  Constantinople;  et  la  raison  de 
cet  abandon  est  sensible  :  le  Turc  ne  me- 
nace plus  l'Europe  et  le  Russe  ne  songe 
plus  au  Bosphore.  Depuis  quarante  ans, 
en  effet,  le  Bosphore  n'est  plus  la  grande 
route  qui  menait  d'Europe  en  Asie;  cette 
roule,  aujourd'hui,  passe  plus  au  nord  et 
j)lus  au  sud  ;  c'est  le  chemin  de  fer  trans- 
sibérien, c'est  le  canal  de  Suez.  Or  le 
transsibérien  est  tout  entier  russe  ;  bientôt, 
quinze  jours  suffiront  pour  que  la  garnison 
de  Moscou   assiège   Pékin.    Qu'irait    donc 


faire,  pour  le  quart  d'heure,  leCzar  à  Cons- 
tantinople".' Il  a  d'autres  chats  à  fouetter, 
et  c'est  ainsi  qu'on  peut  s'expliquer  que 
ses  agents,  naguère  encore  si  actifs  dans 
la  péninsule  des  Balkans,  semblent  au- 
jourd'hui y  dormir. 

Mais,  dans  le  même  temps,  la  voie  inter- 
nationale du  canal  de  Suez  a  pris  une  im- 
portance singulière  ;  et,  par 
le  fait  même  de  sa  création, 
des  questions  nouvelles  ont 
surgi,  comme  la  Cretoise  et 
l'égyptienne.  La  mission  du 
capitaine  Marchand  nous  a 
donné  l'occasion  de  mettre 
au  point  cette  dernière; 
voulez-vous,  dans  le  mo- 
ment où  des  soldats  fran- 
çais s'apprêtent,  à  Toulon, 
à  rejoindre  leurs  cama- 
rades campés  en  Crète,  que 
nous  partions,  nous  aussi, 
pour  l'île  de  Minos  ? 


*  * 
En  rade  de  Candie,  le 
14  septembre.  Le  contre- 
torpilleur  Faucon  est  arrivé 
ce  matin.  A  l'instant  vient 
de  jeter  l'ancre  un  énorme 
cuirassé  anglais,  r/ZZz<s<Hows. 
Il  y  a  beaucoup  de  vais- 
seaux anglais  dans  cette 
rade  :  trois  cuirassés,  trois 
croiseurs,  deux  contre-tor- 
pilleurs. Il  y  a  aussi  un 
autrichien,  un  italien,  un 
français,  un  russe.  Va-t-on 
à  frais  communs,  le  mémo- 
La   ville    semi)le 


JérusalÈ  n 


recommencer, 
rable  siège  de  Candie? 
morte.  Le  port,  enfermé  dans  de  hautes 
murailles  crénelées,  est  invisible.  Au- 
dessus  du  rempart,  aux  fenêtres  des  mai- 
sons, pas  une  tête  ;  et  on  ne  voit  per- 
sonne dans  les  rues  hautes,  dont  la 
perspective  va  se  perdre  dans  les  fonds 
rosés  de  la  montagne.  Une  légère  buée 
flotte  sur  le  quartier  chrétien;  il  y  a  eu 
là  de  récents  incendies.  Au  bord  de  la 
mer,  par  les  fenêtres  béantes  de  grandes 
maisons,  dont  la  façade  seule  est  debout, 
on  voit  le  ciel  ;  et  ces  signes  de  destruction 
s'accordent  bien  avec  les  récils  qu'on  nous 
fait  :  hier  encore  «  les  officiers  du  Vau- 
tour voyaient  flotter  le  long  de  leur  bord 
des  cadavres  de  femmes  et  comptaient  les 
morts  que  les  Musulmans  venaient  en- 
terrer sur  la  plage,  au  pied  des  murs  ». 
Car  le  6  septembre  dernier  fut  jour  de 
grande  tuerie  :  les  Turcs  ont  massacré 
dans  cette  ville  six  cents  chrétiens. 

Cet  acte  sera-l-il  le  dernier  d'une  longue 
série  de  tragédies  sanglantes?  Malheureux 
pays  !   malheureux  peuple,   qui  veut  être 


E  V K \ E M  K N TS    GEOGRAPHIQUES 


7G7 


LES      ÉVÉXEilKNTS 


U  E      tit  É  ï  E 


LA     0  A  N  E  E 


libre,  pour  revenir  à  la  Grèce,  sa  patrie, 
et  que  la  diplomatie  européenne  semblait 
se  complaire  à  laisser  aux  griffes  otto- 
manes! Il  y  a  là  60,000  musulmans  et 
270,000  chrétiens.  Ces  derniers  ont  com- 
mencé la  lutte  contre  les  premiers  dès  le 
xviii^  siècle,  dès  le  départ  des  Vénitiens 
des  deux  citadelles  qu'ils  possédaient  en- 
core en  Crète.  Ils  ont  été  le  plus  souvent 
victorieux  :  toujours  ils  ont  vu  l'Europe 
aider  contre  eux  le  Sultan  et  leur  arra- 
cher, pour  un  peu  d'eau  bénite  de  cour, 
leur  victoire.  Un  instant,  lors  de  la  guerre 
de  l'indépendance  helléni([ue,  ils  ont  cru 
accomplie  leur  union  avec  la  Grèce  ;  le 
20  mai  1822,  ils  votèrent  leur  charte  con- 
stitutionnelle ;  ils  allaient  élire  leurs  dépu- 
tés au  Parlement  d'Athènes,  quand  la  Con- 
férence de  Londres,  en  IS.'ÎO,  les  rendit  au 
Sultan.  En  18.33,  puis  en  1841,  ils  reprirent 
les  armes.  L'Angleterre  proposa  la  création 
d'une  principauté  Cretoise,  qu'elle  s'enga- 
geait à  protéger.  La  bonne  apôtre  !  Elle 
voulait,  ici  encore,  appliquer  sa  maxime 
qui  est  de  s'emparer  de  toute  terre,  car 
toute  terre  peut  servir  un  jour.  Les  insur- 
gés sentirent  un  rat  et  tirèrent  leur  cha- 
peau à  l'Angleterre.  En  1850,  insurrection 
de  Mavrogheni;  en  1866,  nouvelle  insur- 
rection qui  dure  près  de  trois  ans,  force 
la  Turquie  à  mettre  sur  pied  50,000  hommes 
et  toute  sa  flotte.  L'Europe  s'inquiéta  ; 
Gortschakoff  parla  "  de  la  seule  issue  pos- 
sible, l'annexion  de  la  Crète  à  la  Grèce  »  ; 
la  France,  la  Russie,  l'Italie,  l'Autriche,  la 
Prusse,  —  non  l'Angleterre,  —  deman- 
dèrent à  la  Porte,  le  17  mai  1867,  "  la  con- 
sultation libre  et  sincère  des  poi)ulations 
Cretoises  ». 

Ce  beau  zèle  ne  dura  pas  :  l'Europe  se 


contenta  de  la  promesse  de  réformes  (loi 
organique  du  18  septembre  1867)  et  se 
prononça,  en  1869,  contre  l'annexion  à  la 
Grèce.  Pourquoi  ce  mauvais  vouloir,  ou 
cette  impuissance?  D'abord  la  Crète  est 
une  île  :  elle  peut  brûler,  sans  mettre  le 
feu  aux  Balkans;  l'Europe,  rassurée,  a 
laissé  brûler.  Deuxièmement,  il  est  des 
puissances  qui  ne  sont  pas  intéressées  à 
l'indépendance  de  la  Crète  ;  au  contraire. 
L'ile,  devenue  grecque,  serait  perdue  pour 
elles  ;  elles  ne  veulent  pas  engager  l'ave- 
nir, elles  attendent  la  ruine  de  l'empire 
ottoman,  dans  l'espérance  de  se  porter 
adjudicataires  des  travaux  de  démolition. 
Il  ne  faudrait  pas  oublier  que  la  Crète  est 
grande,  féconde  et  qu'elle  se  trouve  sur  la 
route  du  canal  de  Suez. 

(rest  pourquoi,  en  1878,  l'Europe  arrêta 
de  nouveau  les  chrétiens  insurgés;  elle 
leur  permit  bien  d'élire  une  assemblée 
nationale,  qui  signa  avec  la  Porte  le  pacte 
de  Halepa  ;  mais  lorsque,  dès  1889,  les  pro- 
messes que  renfermait  cet  acte  furent 
retirées  par  un  firman  impérial,  l'Europe 
ne  souffla  mot.  La  huitième  insurrection 
éclata  ;  cette  fois,  les  insurgés  devaient 
trouver  un  appui  effectif  :  la  coopération 
de  l'armée  grecque.  Hélas  !  comme  tou- 
jours, ils  devaient  voir  se  dresser  devant 
eux  l'Europe.  En  mai  1896,  la  Canée  fut 
mi&e  au  pillage.  Les  consuls  européens  ne 
se  sentirent  plus  en  sûreté,  se  plaignirent  : 
quelques  jours  après,  les  pavillons  des 
six  grandes  puissances  flottaient  en  rade 
de  la  Canée  et  le  conseil  des  amiraux  con- 
stituait, à  côté  de  V Epitropie  insurrection- 
nelle et  du  gouverneur  musulman,  un  troi- 
sième pouvoir.  L'Angleterre  essaya  alors, 
pour  la  seconde   fois,    d'agir  seule   :  elle 


7G8 


ÉVÉNEMENTS    GÉOGRAPHIQUES 


aurait  voulu  échanger  la  Crète  contre 
Chypre,  qui  est  trop  loin  de  Suez.  Elle  se 
fit  écrire  ceci  par  son  consul  :  les  membres 
influents  de  TÊpitropie  affirment  que  l'oc- 
cupation anglaise  serait  la  seule  chance  de 
salut  pour  l'île.  Lord  Salisbury  félicita 
chaudement  l'agent  pour  son  zèle,  et...  le 
désavoua  à  Constantinople.  Peu  après,  le 
même  consul  recevait  l'ordre  d'entre- 
prendre une  tournée  dans  l'île  entière, 
2}our  calmer  les  esprits  :  amiraux  et  consuls 
protestèrent,  la  tournée  n'eut  pas  lieu.  Le 


X  A  Z  A  R  E  T  H 


LA     SORTIE     DE    LA    MESSE 


sultan,  effrayé,  fit  des  concessions  :  il 
nomma  un  gouverneur  chrétien,  Bérovitch 
pacha,  réunit  les  députés  crétois,  adopta 
lo  projet  constitutionnel  élaboré  par  notre 
consul,  M.  Blanc.  Mais  il  était  déjà  trop 
tard,  —  août  189G.  —  Les  bandes  des  in- 
surgés, grossies  et  commandées  par  des 
soldats  et  officiers  grecs  déserteurs,  te- 
naient la  campagne;  dans  les  villes,  les 
musulmans  entassés  mouraient  de  faim, 
préparaient  de  continuelles  émeutes.  Le 
désordre  était  partout;  un  nouveau  mas- 
sacre des  chrétiens,  le  23  janvier  IS'JT, 
précipita  les  événements,  et  le  ministère 
grec  répondit,  dès  le  M  février,  en  en- 
voyant en  Crète  trois  cuirassés. 

Le  colonel  Vassos  proclama  l'annexion 
de  l'île  et  la  guerre  éclata,  le  18  avril. 
Elle  fut  malheureuse  pour  la  Grèce.  Nous 
avons  étudié  ici  même  le  traité  de  paix 
(numéro  de  décembre  1897).  Cependant 
1  Europe,  tout  entière  au  spectacle  des 
armées  qui  se  heurtaient  en  Thessalie, 
avait  oublié  la  cause  de  la  guerre,  la 
Crète.  La  paix  signée,  et  le  fracas  des 
armes   tombé,  on  entendit  à    nouveau   le 


gémissement  de  la  pauvre  île;  et  la  ques- 
tion Cretoise  apparut  plus  pressante  (jue 
jamais. 

Cependant  le  sultan   était   victorieux  et 
la  victoire  lui  avait  donné  l'amitié  de  l'em- 
pereur   allemand.    L'Allemagne    et    l'Au- 
triche rappelèrent  leurs   vaisseaux.   Entre 
les   quatre   autres  puissances  et  la   Porte 
allait  se  poursuivre  une  lutte  sourde,  qui 
maintint  la  Crète  dans  son  pitoyable  état. 
Le    sultan   annonce   l'envoi    d'un    gouver- 
neur ottoman,  affecte  de   croire  encore  à 
sa     souveraineté    sur   l'île, 
formule  un  programme  d'au- 
tonomie   —   d'autonomie  à 
la  turque,  —    fait   ses  pro- 
positions pour  le  rétablisse- 
ment   de    l'ordre,    pour    le 
désarmement   de    la   popu- 
lation (octobre  1897),  parle 
de  relever  les  garnisons  tur- 
ques (décembre   1897,  juil- 
let 1898).  Ambassadeurs  et 
amiraux  s'opposent  succes- 
sivement   à   tous    ces   pro- 
jets,   les   font  échouer.  Le 
sultan     s'applique    alors    à 
faire  échouer,   à   son    tour, 
les   projets  élaborés  en  de- 
hors  de   lui    et    contre  lui. 
Dès  le    mois  de  mai  1897, 
les  puissances  avaient  étu- 
dié  un  programme   d'auto- 
nomie. La  France  eut  l'hon- 
neur  de  voir  accepter   ses 
|)roposilions    :     désignation 
par  les  puissances  d'un  gou- 
verneur    civil    provisoire  ; 
proclamation  de  l'autonomie  et  de   la  neu- 
tralisation de  l'ile  ;  départ  des  troupes  otto- 
manes; réuniondel'Assembléecrétoise,  etc. 
Le  28  octobre,  l'accord  était  fait  «  sur  l'adop- 
tion   des   propositions    françaises    comme 
point  de  dépai't  d'une  entente   relative  à 
l'organisation  future  de  l'île  ».  Le  20  dé- 
cembre,  les  ambassadeurs  avaient   réussi 
à  élaborer  le   règlement  provisoire.  11  ne 
restait  plus,  pour  aboutir  enfin,   qu'à  dé- 
terminer le  mode  de  nomination  du  gou- 
verneur. Ce  fut   la  pierre  d'achoppement. 
Furent  proposés    successivement  pour  le 
gouvernement  de   l'île  :    un  jurisconsulte 
suisse,  M.   Numa  Droz  :  il   se  récusa  ;  un 
colonel  luxembourgeois,  M.  Schaefer  :  il  fut 
trouvé  trop  ami  de   la  politique  anglaise; 
un  voïvode  monténégrin,  Bozo  Petrovitch  : 
son    cousin  et    prince  Nicolas  de  Monté- 
négro ne  lui  permit  pas  d'accepter.  Alors, 
tandis  que   vingt  candidatures  fantaisistes 
étaient  mises  en  avant,  le  tsar  proposa  le 
nom  du  prince  Georges,  second  fils  du  roi 
de  Grèce.  La  proposition  était  inattendue  ; 
on  la   trouva,    à  la    réflexion,   fort   raison- 
nable et  fort  juste.  La  France,  puis  l'An- 


KVKNKMKNTS    GKOT,  lî  A  IMl  KjUES 


769 


gleteire  el  ritalic  l'adoplèrenl.  Mais  l'adhé- 
sion du  sultan  nv  vint  pas. 

Ainsi,  le  ;>  septembre  dei-nier,  la  Crète 
était  aussi  éloi^^née  qu'en  automne  IHU7 
de  la  pacification  et  d'une  organisation 
définitive.  Les  massacres  du  0,  à  Candie, 
dans  la  responsabilité  (lesquels  autorités 
et  soldats  turcs  ont  leur  part,  surtout  l'at- 
titude de  l'Angleterre,  qui,  prenant  texte 
de  l'assassinat  de  son  vice-consul,  se 
montra  disposée  à  agir  énergiquement,  et 
seule,  si  l'Kurope  sommeillait  encore,  ont 
réveillé  ministres  et  ambas- 
sadeurs. De  Malte  et  d'K- 
gypte,  mais  aussi  d'Italie, 
de  Russie,  de  Toulon,  des 
renforts  furent  immédia- 
tement envoyés  au.x  ami- 
raux. L'Angleterre  eut  bien- 
tôt "),000  hommes  dans  lile. 
L'Italie  demanda  à  l'Alle- 
magne et  à  l'Autriche  de 
rentrer  dans  le  concert  ; 
ses  alliés  refusèrent.  Les 
(|uatre  puissances  se  réso- 
lurent alors  à  l'action.  Le 
n  octobre,  leurs  drogmans 
ont  remis  à  la  Porte  un 
ultimatum,  dont  voici  les 
termes  : 


Les  ambassadeurs  (int  reçu 
l'ordre  d'inviter  la  Sublime 
Porte  à  rappeler  dans  un  délai 
d'un  mois  loules  les  troupes 
qui  tiennent  jAurnison  en  Crète, 
l'évacuation  de^■unt   commen-  i, "em 

cer  quinze  jours  après  la  re- 
mise de  la  présente  note... 
Dans  le  cas  oii  les  quatre  puis- 
sances éprouveraient  un  refus,  elles  se  ver- 
raient dans  l'oblijiation  de  recourir  inniiédia- 
temcnt  ;\  des  mesures  décisives  pour  faire 
évacuer  la  (^rèle  par  les  troupes  turques. 
Elles  laisseraient  au  fiouvernement  impéi-ial 
ottoman  la  responsalMlité  de  cette  solution  et, 
déj^aiiées  de  toute  obligation  morale  (|uaut  à 
la  conservation  de  la  souveraineté  ottomane 
sur  la  Crète,  elles  aviseraient  à  constituer, 
dans  cette  ile,  un  régime  approprié  aux  vieux 
de  la  population...  Une  adhésion  sans  ré- 
serves à  cette  demande  devra  leur  être 
adressée    dans    un    délai    de  huit   jours. 

De  leur  côté,  les  amiraux  ont  délimité 
nettement  leurs  zones  d'occupation  :  à  la 
France  sont  confiées  les  villes  de  Sitia  et 
d'Hierapetra,  et  la  côte  orientale  de  lile  ; 
à  l'Italie,  Kisamo  et  la  côte  occidentale  ;  à 
la  Russie,  Retimo  ;  à  l'Anglelerre,  Candie. 
La  Canée, siège  du  conseil  des  amiraux,  — 
fpie  préside  l'amiral  Pottier,  Français,  — 
estsous  la  surveillance  communedesquatre 
puissances. 

II  est  ilonc  permis  d'espérer  une  solution 
prochaine.  Que  les  ({uatre  puissances  aient 
une  volonté,  et  cette  volonté  sera  faite.  La 

VIII.  —  i9. 


libération  de  la  Crète  sera  pour  elles  un 
honneur  éternel,  car  elles  auront  accompli, 
pour  une  fois,  un  acte  de  justice»  et  d'équilé. 


Le  sultan  pourra,  d'ailleurs,  [juiser  des 
consolations  dans  la  visite  de  son  impérial 
ami,  (iuillaume  11. 

Le  voyage  de  l'empereur  allemand  est 
un  événement  i)olitique  et  colonial  (pii  peut 
être  gros  de  conséquences.    Le  lecteur  en 


■  E  R  E  U  H     ALLEMAND    EN    PALESTINE 
CiiT.Uier  turc  de  l'escorte. 

a  lu  dans  les  joui'naux  le  programme  :  sé- 
jour à  Constantinople,  pérégrinations  en 
Palestine  et  en  Syrie,  de  Caïifa  à  JafTa,  de 
Jaiïa  à  Jérusalem,  Bethléem,  Jéricho,  la 
mer  Morte,  retour  à  JalTa  et  CaiiTa,  Naza- 
reth, le  mont  Thabor,  le  lac  de  Tibériade, 
de  Caïffa  à  Beyrouth,  Damas,  Baalbek.  A 
la  simple  lecture,  on  dirait  d'un  de  ces 
voyages  d'excursions  qui  sont  à  la  mode. 
Ne  sait-on  pas  que  l'empereur  s'est  en- 
tendu, pour  le  transport  et  l'entretien  do 
sa  caravane,  avec  l'agence  Thomas  Cook 
and  Son  ?  Et  n'a-t-il  pas  annoncé,  urbi  et 
orbi,  qu'il  ne  faisait  ce  voyage  dun  mois 
(pic  pour  inaugurer  à  Jérusalem  une  église 
protestante?  Où  voyez-vous  dans  tout  cela 
Vévércmeni  ? 

Examinons  :  l'empereur  s'embarquera  à 
Venise.  Il  amènera  avec  lui  M.  de  Bi'ilow, 
secrétaire  de  l'office  des  allaires  étran- 
gères de  l'empire  allemand  ;  il  sera  reçu 
par  le  roi  Ilumbert,  le  général  Pelloux, 
président  du  conseil,  l'amiral  Canevaro, 
ministre  des  all'aires  étrangères.  Voilà  bien 
des  embarras  pour  recevoir  un   touriste; 


770 


ÉVÉNEMENTS    GÉOGRAPHIQUES 


et  à  qui  fera-t-on  croire  qu'il  ne  sera  pas 
parlé  politique  à  Venise? 

Et  à  Constantinople  "?  Le  yacht  Hohen- 
zollern,  qui  portera  Guillaume  II,  sera  ac- 
compagné par  un  grand  croiseur  cuirassé 
de  2"  classe,  la  Hertha;  ce  croiseur  fait 
partie  de  la  flotte  de  guerre  allemande  et 
non  de  la  flottille  de  plaisance  de  Thomas 
Cook. Guillaume  II  arrivera  à  Constantinople 
en  empereur,  et  il  y  parlera  en  allié.  Car 
c'est  ici  surtout  que  ce  voyage  aura  un 
caractère  politique. 


î 


L    INFLUENCE     FRANÇAISE     EN     P  A  \,  E  S  T  I  N  E 

L'Eoole  française  de  Caïffu. 


L'Allemagne  a  rendu ,  dans  ces  der- 
nières années,  de  signalés  services  au  sul- 
tan ;  elle  a  forgé  pour  lui  l'armée  qui  fut 
victorieuse  sur  les  champs  de  J^ataille  de 
Thessalie  ;  en  rappelant  ses  navires  de 
Crète,  elle  lui  a  permis  de  faire  obstacle 
jusqu'à  ce  jour  aux  justes  demandes  des 
quatre  puissances. 

Qu'attend  donc  l'Allemagne  de  la  Tur- 
quie ? 

Tout  d'abord,  la  coopération  éventuelle 
d'une  armée  de  400,000  hommes ,  bons 
soldats,  bien  armés  et  qui  viennent  de 
vaincre,  n'est  nullement  méprisable;  et 
cette  armée  se  trouve  campée  non  loin  de 
la  frontière  russe.  La  Turquie,  de  plus,  est 
la  maîtresse  de  l'Asie  Mineure,  et  ce  der- 
nier pays  est  le  théâtre  d'une  véritable 
colonisation  allemande.  Depuis  de  Moltke 
jusqu'au  baron  von  der  Goltz,  les  voyages 
d'officiers  allemands  en  Asie  turque  ont 
été  nombreux;  le  lieutenant  Kannenberg, 
dans  la  préface  de  son  récent  ouvrage 
sur  l'Asie  Mineure ,  nous  en  donne  la 
raison  :  il  y  étale  une  admiration  sans  ré- 


serve pour  les  Turcs,  ces  n  Allemands  de 
l'Orient  »,  et  estime  que  les  victoires  de 
ces  bons  élèves  de  von  der  Goltz  doivent 
profiter...    à   l'industrie    et    au   commerce 
allemands.    M.     Oberhummer   termine    un 
récit   de    voyage   par    ces    mots    :    «  Nous 
sommes    en  Asie    Mineure    la   grande    na- 
tion (ces  deux  mots  sont  en  français  dans 
le  texte).  C'est  vers  l'Allemagne  que  re- 
garde le  Turc  éclairé.  »  Son  compagnon, 
M.   Zimmerer,  termine  un  intéressant  ar- 
ticle sur  les   explorations   allemandes  en 
Anatolie  par  le   refrain  de 
la    Wacht  am  Bhein  !   C  ela 
n'est-il    pas  significatif?  et 
doit-on  s'étonner  des  résul- 
tats  suivants?    Le   mouve- 
ment   d'affaires    de    l'Alle- 
magne avec  le  Levant  a  plus 
(jue  triplé  depuis  1889.  En 
janvier  dernier,    en    pleine 
lutte  des  quatre  puissances 

tet  de  la  Porte  à  propos  de 
la  Crète,  la  Compagnie  des 
chemins  de  fer  allemands 
d'Anatolie  obtenaitdusultan 
une  augmentation  considé- 
rable de  la  garantie  d'in- 
j  térêts,  la  concession  du  fort 
j  d'Haïdar-Pacha,  qui  est  sa 
tête  de  ligne  sur  le  Bos- 
phore, et  un  droit  de  prio- 
rité pour  le  raccordement 
de  la  ligne  anglaise  Smyrne- 
Aïdin-Diver  avec  sa  propre 
ligne  Eskicheïr-Konieh. 

A  Constantinople,  sultan 
et  empereur  auront  à  se  re- 
mercier mutuellement.  Enfin,  s'il  faut  en 
croire  un  bruit,  l'Allemagne  voudrait  acqué- 
rir, sur  la  route  de  l'extrême  Orient,  des 
stations,  afin  d'y  établir  des  dépôts  de 
charbon.  La  côte  turque  de  Syrie  lui  offri- 
rait des  ports  à  proximité  du  canal  de 
Suez;  peut-être  songe-t-elle  à  Jaffa. 

En  Palestine,  où  il  sera  escorté  par  Dje- 
vad  pacha,  Guillaume  II  aura  également 
l'occasion  de  faire  son  métier  d'empereur. 
De  par  de  nombreux  traités  avec  l'empire 
ottoman,  durant  des  siècles  notre  ami,  le 
protectorat  de  tous  les  catholiques  qui  se 
trouvent  sur  le  territoire  de  l'empire  nous 
appartient.  Léon  XIII,  dans  une  lettre 
adressée  à  l'archevêque  de  Reims,  et  dont 
la  publication  a  fait  quelque  bruit,  a 
reconnu,  le  20  août  dernier,  à  nouveau  et 
expressément,  notre  droit.  Les  journaux 
allemands  ont  proflté  de  l'occasion  pour 
nous  dire  des  choses  désagréables.  Il  est 
probable  que  l'empereur  voudra,  dans  son 
voyage  à  .lérusalem,  régler  aussi  cette 
question. 

Gaston    Rouvier. 


GHUONIQUK   THÉÂTRALE 


La  (lerniôre  saison  théâtrale  s'est  pro- 
longée si  longtemps  que  les  lampions  de 
la  nouvelle  s'allument  alors  que  les  quin- 
quets  de  l'autre  sont  encore  l'umanls... 

Contrairement  à  la  coutume,  le  bil;in  de 
ce  premier  mois  olFre  quelque  intérêt. 
Après  l'essuyage  obligatoire  des  plâtres, 
nous  pouvons  noter  une  reprise  sensation- 
nelle à  la  Comédie-l'rançaise,  deux  nou- 
veautés ;>  rOdéon  et  une  première  au 
Palais-Royal...  C'est  de  bon  augure... 

Procédons  par  ordre. 

La  reprise  du  Théâtre-Français,  c'est  le 
Louis  XI,  de  Casimir  Delavigne,  "  ce  mort 
qu'il  faut  qu'on  tue  »,  comme  disait  l'autre. 
A  proprement  parler,  Louis  XI  n'a  jamais 
quitté  ral'liche.  Il  se  promène  depuis  1803 
de  théâtre  en  théâtre,  encensé  par  les 
uns,  dénigré  par  les  autres,  remportant 
chaque  fois  ces  succès  d'estime  qui  sont 
pires  qu'unechute  retentissante,  et  replon- 
geant dans  la  nuit  de  l'oubli,  après  quelques 
soirées  d'un  éclat  factice...  Il  faut  bien 
convenir  pourtant  que  l'étoile  du  poète 
havrais  ne  devait  être  que  de  troisième 
grandeur,  puisqu'elle  n"a  jamais  que  fai- 
blement i)rillé  comme  une  modeste  veil- 
leuse, qu'un  souffle  d'indifférence  suffit 
à  éteindre  jus({u'au  moment  où  une 
main  complaisante  la  rallume...  En  l'es- 
pèce, la  main  complaisante  est  toujours 
celle  d'un  comédien  qui  voit  dans  le  per- 
sonnage principal  un  rôle  dont  il  espère 
tirer  de  bons  effets... 

Ah!  les  bons  rôles,  quel  mirage  trom- 
peur! Neuf  fois  sur  dix,  l'expérience  le 
prouve,  neuf  fois  sur  dix,  le  bo7i  rôle  est  tout 
de  convention,  faux  d'un  bout  à  l'autre  et 
n'arrive  à  l'etfet  souhaité  par  l'interprète 
que  grâce  à  des  coups  de  théâtre  d'une  in- 
vraisemblance criante.  Je  ne  parle  pas, 
bien  entendu,  des  chefs-d'œuvre.  L'art 
dramatique  français  est  assez  riche  pour 
qu'on  se  montre  sévère  à  l'égard  des  ros- 
signols, des  fonds  de  magasin  qu'on 
s'obstine  ii  tirer  des  cartons  et  dont  l'éclat 
de  la  rampe  révèle  chaque  fois  davantage 
l'irréparable  vétusté...  En  général,  je  n'aime 
guère  le  drame  historique,  au  sens  qu'on 
attribue  d'ordinaire  à  ce  mot.  J'estime  que 
l'Histoire  ne  peut  entrer  dans  le  cadre  re- 
lativement étroit  de  la  scène  qu'à  la  con- 
dition expresse  de  se  réduire  aux  propor- 
tions de  l'épisode.  Les  grands  anciens,  qui 
n'étaient  pas  plus  sols  ([ue  nous,  avaient 
créé  pour  la  tragédie,  ce  drame  historique 
d'antan  ,  des  règles  sévères  ,  austères 
même,  qui  en  firent  la  grandeur.  La  règle 


des  trois  unités  contre  la([uelle  on  a  tant 
crié,  non  sans  raison  toujours,  condensait 
sur  un  seul  fait,  accompli  en  un  seul  jour  et 
dans  un  seul  lieu,  toute  la  somme  d'atten- 
tion dont  le  public  est  susceptijjle...  L'effet 
produit  était  contraire  à  ce  qui  se  passe  à 
présent...  Au  lieu  ([uavec  la  méthode  ac- 
tuelle les  événements,  lassés  en  cin([  actes 
comme  des  conserves  dans  leur  boite, 
soient  déformés  et  desséciiés,  le  fait 
unique,  en  dépit  des  accessoires  qui  l'as- 
saisonnent, s'épanouissait  à  l'aise,  se  dé- 
veloppait, s'amplifiait,  emportant  l'esprit 
vers  les  plus  hauts  sommets  de  la  psy- 
chologie, et  laissait  aux  lèvres  la  saveur 
d'un  jjeau  fruit  mùr.  Celte  bonne  perruque 
de  Boileau  a  exprimé  cette  opinion,  en 
termes  poncifs,  mais  dune  indiscutable 
justesse...  Que  nous  importent,  je  vous 
le  demande,  les  événements  dans  lesquels 
roule  l'action  s'ils  ne  se  reflètent  dans 
l'âme  même  du  personnage  qui  les  subit 
ou  les  dirige?...  Quel  chaos  informe  ne  pro- 
duit pas  celte  succession  ininterrompue 
d'aventures  où  se  ballotte  le  fameux  bon 
rôle  réduit  à  n'être  plus  qu'un  pantin  cos- 
tumé, dont  on  voit  non  seulement  les 
ficelles,  mais  encore  la  main  qui  les  tire... 
Que  m'importe  aussi  l'auteur,  quand  je 
suis  assis  dans  mon  fauteuil  ?  Je  ne  veux 
pas  savoir  qu'il  existe,  je  veux  ignorer 
même  son  nom,  je  ne  veux  pas  avoir  une 
minute  conscience  de  son  talent.  Est-ce 
qu'en  écoulant  Cinna  je  songe  à  Corneille, 
est-ce  qu'en  palpitant  aux  angoisses  de 
Phèdre  je  me  rappelle  qu'il  y  eut  un  Ra- 
cine?.. Ce  n'est  qu'après,  quand  la  toile 
est  baissée,  que  je  me  reprends,  que  ma 
reconnaissance  va  porter  au  poète  l'hom- 
mage d'un  enthousiasme  d'autant  plus  vi- 
brant, qu'il  se  sera  fait  davantage  oublier... 
Tenez,  sans  remonter  au  déluge  et  pour 
prendre  un  exemple  tout  près  de  nous  et 
très  terre  à  terre,  est-ce  que  je  songe  au 
père  Dumas,  lorsque  dans  ses  amusettes, 
il  m'entraîne  à  la  suite  de  ses  invraisem- 
blables d'Artagnan  dune  si  délicieuse  fan- 
taisie, ou  de  ses  Henri  III,  de  ses  Guises, 
de  ses  Chicot  abracadabrants  qui  ont  sur 
les  personnages  du  drame  historique  à 
prétentions  d'exactitude  l'avantage  de  ne 
pas  se  prendre  eux-mêmes  au  sérieux?  Par 
contre,  quand  les  Olivier  de  Jalin,  les  de 
Rieux,  les  Rémonin  et  autres  raisonneurs 
insupportables  et  falots  du  répertoire  dé- 
modé de  l'autre  Dumas ,  semblent  me 
crier  à  tout  bout  de  champ  :  <(  Hein  !  notre 
auteur  a-t-il  de  l'esprit,  en  a-t-il,  en  a-t-il 


772 


CHRONIQUE    THÉÂTRALE 


Cl.  Mairet. 
inrs  (il.  Alb.  Lamtert) 


Louis  XI  (M.  SylvaiiO.       Le  Dauphin  fil""  Lecoutc) 

M.  Sylvain.   —   Rôle  de  Louis  XI. 


le  mâtin  »,  j'ai  des   envies  folles   de   leur 
jeter  des  petits  bancs  à  la  tète. 

Oui  !  rauteur  doit  disparaître  derrière 
son  œuvre,  de  même  (ju'il  serait  d'un  goût 
déplorable  qu'au  lieu  d'être  caché  dans 
les  coulisses  pendant  la  représentation,  il 
se  tînt  assis  sur  le  trou  du  souffleur  face 
au  public,  dans  la  pose  d'un  monsieur  dis- 
posé à  s'écrier  chacjue  fois  cju'un  effet 
porte  :  Me,  me  adsum  qui  feci  !  si  j  ose 
mexprimer  ainsi,  sans  déplaire  à  M.  Jules 
Lemaitre.  Quant  à  l'artiste,  cela  ne  se  dis- 
cute même  pas,  c'est  pour  lui  un  devoir 
rigoureux  de  s'annihiler  dans  le  person- 
nage. L'art  du  comédien  est...  ou  plutôt 
devrait  être  tout  d'abnégation...  11  ne  suffit 
pas  qu'on  oublie  un  moment  l'acteur, 
l'idéal  artisticjue  serait  qu'on  l'ignorât  im- 


porturljablement  juscju'à  la 
fin,  quitte  à  l'acclamer  ensuite 
à  part,  à  lui  décerner  en  bra- 
vos d'autant  plus  flatteurs 
pour  son  légitime  amour- 
propre,  qu'ils  s'adresseraient 
plus  j)ersonnellement  à  lui,  le 
juste  prix  que  mériterait  son 
talent  d'interprète.  11  n'en  va 
pas  toujours  ainsi,  soit  dit  sans 
aucune  malice;  et  en  bonne 
conscience  à  qui  en  incombe 
la  faute?  Au  bon  rôle,  à 
l'odieux  l)on  rôle  qui  fait  pré- 
cisément J)riller  tout  le  clin- 
([uant  et  relègue  dans  l'ombre 
la  psychologie  trop  sommaire- 
ment exprimée  du  personnage. 
Si  je  me  suis  laissé  aller  à 
cette  digression,  c'est  que  la 
pièce  de  Casimir  Delavigne 
réunit  comme  à  plaisir  tous 
ces  inconvénients  et  même 
tous  ces  défauts  :  c'est  presque 
le  modèle  du  genre.  Je  défie 
qui  que  ce  soit  —  de  bonne  foi 
s'entend  —  de  n'être  pas,  en 
écoutant  Louis  XI,  obsédé  par 
le  souvenir  de  l'auteur  et  par 
la  personnalité  du  comédien 
qui  interprète  le  rôle. . .  Il  règne 
dans  l'ouvrage  tout  entier,  en 
dépit  de  certains  passages  qui 
dénotent  un  homme  de  théâtre 
habile  par  instants  à  faire 
vibrer  les  passions  et  non  dé- 
pourvu de  psychologie,  un 
esprit  X  pompier  »  tout  à  fait 
réjouissant...  La  mode  am- 
biante déteint  toujours  sur  les 
œuvres  qui  portent  l'empreinte 
indélébile  non  pas  du  temps 
qu'elles  sont  censées  repré- 
senter, mais  de  l'époque  à  la- 
cjuelle  elles  ont  été  écrites.  Ça 
n'est  pas  précisément  la  même 
chose!  Nul  n'y  échappe,  les  plus  grands 
comme  les  plus  petits  :  c'est  un  écueil 
contre  lequel  viennent  régulièrement  se 
heurter  tous  les  auteurs  sans  exception... 
Les  Romains  de  Corneille  eux-mêmes  et 
aussi  les  Grecs  de  Racine  s'expriment 
dans  un  superbe  langage,  c'est  vrai,  mais 
les  formules  de  ce  langage  sont  irré- 
médiablement celles  du  xvii''  siècle,  et 
sous  les  éternellement  frais  ombrages  des 
Champs-Elysées  où  ils  dissertent  sans 
doute,  loin  des  ag-itations  actuelles,  Cicé- 
ron  et  Démosthènes  doivent  sûrement 
demander  à  nos  deux  illustres  poètes  tra- 
giques l'explication  de  cet  anachronisme. 
Ouvrez  au  hasard  un  quelconque  cahier 
d'estampes  anciennes  sur  le  costume  au 
théâtre,  vous  y   verrez,  non    sans  surprise 


CHU  o  x  I Q  V 1-:  t  i  i  i^;  a  t  h  a  l  e 


cl  joie,  des  Augustes  eu  perruque  Louis  XIV 
et  des  Iphif^énies  en  bonnet  à  la  Mainte- 
non  :  plus  loin  Vi-nus  Aphrodite  elle-même, 
d'ordinaire  vêtue  de  sa  seule  beauté,  nhé- 
sifc  pas  —  car  nous  sommes  sous  la  lié- 
gence  —  à  s'adorner  d'un  trousse((uin  en 
l'orme  de  panier  du  |)lus  réjouissant  efTet... 
Les  Homains  de  David,  eux,  ont  un  petit 
style  Empire  dans  l'arrangement  de  leur 
toupet   (|ui   laisse   rêveur  l'observateur  et 


nialiques  sont  assaisonnées  uniformément 
à  la  même  sauce  brune...  Passe  encore 
pour  l'afTêterie  du  xvin''  siècle  ou  len- 
goncement  du  premier  Empire  ;  mais  la 
garde  nationale,  les  soldats  citoyens,  l'Hô- 
tel des  Haricots,  c'est  un  peu  exagéré... 
Casimir  Delavigne,  pour  son  malheur,  vint 
au  monde  cinquante  ans  trop  tard,  sans 
cela  il  eut  peut-être  été  un  grand  poète. 
Or,  et  c'est  par  là  qu'il  faut  conclure,  quel 


XI  (M.  Svlvain).     Olivier  le  Daim  (il.  VillainJ.  Tristan  (il.  Hamil). 

Le  Dauphin  (M"'  Lcconte).     Marie  (M""  Dn  Mlnil). 


Uu  officiur  (M.  Falcouiiier;. 


Louh  XI. 


Dernier  acte. 


l'incite  à  se  demander  par  quel  juste  re- 
tour des  cocasseries  humaines  ce  régime 
qui  s'évertuait  à  copier  servilement  la 
Grande  République  a  fini  par  imposer  sa 
mode  aux  plus  grands  artistes  de  cette 
époque  cocardière  et  superlificoquentieu- 
sement  empanachée...  Du  moins,  à  ce  mo- 
ment, l'exemple  était-il  grandiose  malgré 
tout  ;  mais  quand  nous  tombons  dans  la 
Restauration,  et  surtout  dans  le  gouver- 
nement de  Juillet,  dont  l'absence  si  com- 
plète de  goût  se  prolongea  très  avant  dans 
le  second  Empire,  alors  c'est  du  délire. 
Même  avant  DS.'IO,  même  après  18iS,  tous 
les  héros  de  ce  temps-là  sont  Louis-Phi- 
lippe de  la  tète  aux  pieds...  Le  moyen 
âge,  l'antiquité,  les  temps  contemporains, 
tout  a  le  même  goût.  Comme  les  plats  des 
restaurants  à  bon  marché,  les  œuvres  dra- 


que  soit  le  talent  de  l'artiste,  il  lui  est 
impossible  de  dissimuler  cet  aspect  sur- 
anné des  rôles,  je  dirai  même  plus,  c'est 
quand,  en  toute  conscience,  il  fait  le  plus 
d'efforts  pour  se  rapprocher  de  la  vérité 
intéurale,  qu'il  laisse  voir  davantage  le 
rococo  dont  l'auteur  habille  son  person- 
nage. 

Sylvain,  pour  lequel  évidemment  la 
pièce  fut  reprise,  est  un  artiste  conscien- 
cieux, qui  sûrement  avant  de  se  mettre 
dans  la  mémoire  les  centaines  de  vers 
dont  se  compose  le  rôle  de  Louis  XI,  n'a 
pas  manqué  d'étudier  son  personnage  his- 
torique ailleurs  que  dans  Casimir  Dela- 
vigne. Il  a  dû  se  forger  de  ce  souverain, 
sur  lequel  nos  maîtres  nous  donnèrent  jadis 
de  si  mauvais  renseignements  que  la  con- 
naissance   plus  exacte    de    la   vie   et    des 


C 1 1  R  O  N  KO  U  i:    T  II  É  A  T  R  A  L  E 


hommes  nous  a  fait  tenir  pour  le  plus  sou- 
vent injustes,  un  idéal  dont  il  a  autant  que 
possilile  cherché  à  se  rapprocher...  C'est 
un  louahle  effort,  mais  alors  il  s'est  passé 
ceci  :  c'est  que,  le  Louis  XI  en  question 
étant  à  une  énorme  distance  de  la  vé- 
rité, plus  Sylvain,  par  son  jeu  simple  et 
grand  à  la  fois,  se  rapprochait  de  cette 
vérité,  plus  il  s'éloignait  de  la  conception 
du  poète...  Ne  vous  étonnez  pas  après  cela 
si  la  pièce,  intéressante  à  revoir  pour  les 
professionnels,  n'a  point  de  chance  de 
porter  sur  le  grand  public  autant  qu'on 
osait  r  espérer  dans  la  maison  de  ce  Mo- 
lière qui,  lui  aussi,  tomba  dans  la  chausse- 
trape  commune  et  confectionna  des  Psy- 
chés en  vertugadin  et  des  Amphitryons  en 
petite  oie  et  en  canons,  mais  sut  du  moins, 
pour  peindre  son  temps  d'après  nature,  em- 
ployer des  couleurs  éternelles... 

Voilà  bien  des  réserves  faites  sur  l'ou- 
vrage que  la  Comédie-Française  a  cru  de- 
voir exhumer.  Il  nen  reste  pas  moins  d'une 
vigueur  et  dune  entente  de  la  scène  qui 
justifient  à  merveille  sa  longévité  récalci- 
trante. Quant  au  style!...  Ah!  dame!... 
Laissez-moi  vous  conter  une  anecdote  qui 
vous  prouvera  on  cjuelle  piètre  estime  les 
vrais  poètes,  les  im{)eccables  tiennent  la 
versification  de  l'auteur  de  Louis  XI.  C'est 
Théodore  de  Banville,  le  maître  ciseleur 
de  rimes,  qui  la  rapporte  en  quelque  en- 
droit... Un  jour,  il  est  présenté,  lui  encore 
peu  connu,  à  Scribe,  alors  dans  tout  l'éclat 
de  sa  gloire.  Aussitôt,  il  est  saisi  par  un 
bouton  de  son  habit,  —  c'est  Banville  que 
je  veux  dire,  —  entraîné  dans  une  embra- 
sure de  fenêtre  toujours  tenu  par  le  bou- 
ton résistant...  M.  Scribe  parlait,  par- 
lait, expliquant  à  son  jeune  émule  la  ma- 
nière dont  il  s'y  prenait  pour  faire  une 
pièce  de  théâtre.  Et  toujours  le  bouton 
résistait  à  son  illustre  tripatouillage... 
«  Voyez- vous,  jeune  homme,  disait  en  sub- 
stance le  librettiste,  le  vers  à  mettre  en 
musique  a  sa  forme  toute  spéciale,  mais 
cela  n'empêche,  en  certaines  occasions, 
([u'on  puisse,  lorsque  la  situation  l'exige, 
s'élever  au-dessus  de  la  versification  habi- 
tuelle. Ainsi,  dans  tel  opéra,  j'ai  eu  besoin, 
un  jour,  de  strophes  pleines  d'ampleur  et 
de  majesté.  Eh  bien,  je  n'ai  pas  hésité  : 
j'ai  prié  M.  Casimir  Delavigne  de  me  les 
écrire...  »  Banville  ajoute  qu'à  ce  trait  il 
ne  put  se  contenir  :  c'en  était  trop.  Il 
avait  résisté  tout  comme  son  liouton  ;  mais, 
cette  fois,  il  s'avouait  vaincu  et,  tirant  su- 
brepticement son  canif  de  sa  poche ,  il 
coupa  le  bouton  sans  que  Scribe  s'en 
aperçût  et,  le  laissant  entre  ses  mains 
comme  un  trophée,  il  s'enfuit  et  ne  se  laissa 
jamais  plus  repincer... 

La  pièce  est  trop  connue  pour  qu'il  soit 
besoin  d'en  faire  l'analyse.  Elle  est  e  amu- 


sante »,  c'est-à-dire  que  rafîabulation,  sans 
profondeur  et  sans  portée,  présente  un 
intérêt  de  jeux  de  scène  successifs  comme 
ceux  d'un  roman  à  péripéties.  Nous  repro- 
duisons deux  scènes  principales  de  ce 
drame,  qui  sera,  je  n'en  doute  pas,  accueilli 
quand  même  avec  faveur  par  le  public  de 
l'abonnement,  peu  soucieux  en  général  des 
œuvres  qui  font  penser,  et  friand  do  co 
genre  de  spectacle... 


Voici  encore  une  pièce  ■  amusante  », 
un  drame  historique  tel  que  je  les  aime, 
parce  qu'ils  n'ont  d'autre  ambition  que  de 
s'appuyer  sur  un  fait  quelconque,  consigné 
dans  les  annales,  et  de  nous  entraîner  dans 
une  série  d'aventures  imaginaires  sans 
émettre  la  moindre  prétention  à  l'exacti- 
tude documentaire.  Colinette,  les  quatre 
actes  que  M.  G.  Lenôtre  et  Gabriel  Martin 
ont  donnés  à  l'Odéon,  rélève  de  l'esthé- 
tique de  la  triomphante  J/™''  Sans-Gêne,  ûe 
Sardou  et  Moreau,  et  de  Paméla,  mar- 
chande de  frivolités,  de  Sardou  seul.  Sans 
être  égale  à  la  première,  Colinette  est  de 
beaucoui)  supérieure  à  la  seconde,  et  j'ose 
espérer  que  sa  carrière  tiendra  le  milieu 
entre  le  triomphe  de  l'une  et  le  désastre  de 
l'autre  ;  elle  fournira  une  bonne  carrière  et 
divertira  les  gens  qui  aiment  l'anecdote 
pittores({uement  contée,  mêlée  d'incidents 
dramatiques  suffisants  pour  justifier  l'in- 
térêt. Ce  qui  relève  singulièrement  Coli- 
nette et  la  met  très  au-dessus  des  pièces 
à  combinaisons  plus  ou  moins  heureuses, 
c'est  l'authenticité  indiscutable  des  docu- 
ments dont  elle  se  compose.  M.  Lenôtre  est 
un  archiviste  très  distingué,  chez  lequel 
l'érudition  profonde  n'alTecte  pas  des  airs 
hauts  en  cravate  et  dune  insupportable 
solennité... 

Au  cours  de  ses  recherches  officielles,  il 
furette,  il  bibelotte,  U  braconne  un  détail 
à  côté,  une  anecdote,  un  de  ces  mille  riens 
qui  sont  à  l'histoire  ce  que  la  chanson  est 
à  la  musique,  et  qui  jettent  une  lumière 
subite  dans  ses  obscurités  et  sur  ses  mys- 
tères. C'est  de  toutes  ces  pièces,  de  tous 
ces  morceaux,  que  M.  Lenôtre  a  très  heu- 
reusement construit  son  oeuvre  de  début. 
Je  souligne  ces  mots,  car  qui  a  mordu  au 
théâtre,  y  veut  mordre  de  nouveau,  et  je 
sais  certains  Collets  noirs  en  préparation 
qui  verront  bientôt  le  feu  de  la  rampe. 

Cette  Colinette  est  loin  d'atteindre  la 
perfection,  et  M.  Lenôtre,  qui  est  un  es- 
prit des  plus  fins,  nous  en  voudrait  si  la 
sympathie  justifiée  qu'il  inspire  entraînait 
ses  amis  à  l'assommer  à  coups  d'encen- 
soir; mais,  en  dépit  de  quelques  défail- 
lances nullement  préjudiciables  au  résultat 
final  et  toutes  naturelles  chez  un  débutant, 


cil  H  O  N  I  g  U  K    T  !  I  K  A  T  H  A  I.  !•: 


775 


c'est  là.  je  le  répète,  une  pièce  amusante, 
sans  pri'tention  exagérée,  et  qui  nem- 
bouche  point  la  trompette  épique  pour 
raconter  sa  gentille  histoire.  Oh  !  le  drame 
historique  en  vers  !  !  !  Celte  comédie,  du 
moins,  est  une  prose  claire  et  légère... 

En  voici  le  sujet  : 

Le  marquis  de  Houvray,  colonel  à  trente 
ans,  est  un  llls  d'émigré  qui,  sur  les  con- 
seils de  son  père,  s'est  rallié  à  l'Empire.  Il 
épouse  M"*'  Colinette  Pradels,  fille  d'un 
banquier,  à  qui  l'empereur  a  donné  pour  dot 
les  biens  de  la  famille  de  Rouvray,  confis- 
qués sous  la  Révolution  en  exécution  de  la 
loi  votée  contre  les  émigrés.  L'Empire 
tombé,  les  Rouvray  rentrent  en  France  avec 
les  Bourbons  ;  ces  fossiles,  très  entichés 
de  leur  noblesse,  ne  considèrent  la  jeune 
marquise  que  comme  une  roturière  parve- 
nue, elle  est  toujours  pour  eux  la  jeune 
Colette  Pradels,  fille  de  croquants...  Mais 
cette  vilaine  a  été  distinguée  par  le  Roy,  qui 
lui  a  fait  des  vers.  Ohl  alors,  tout  change. 
En  passe  de  devenir  favorite,  Colinette  est 
choyée.  Xi  elle,  ni  son  mari,  qu'elle  adore 
et  dont  elle  est  aimée,  ne  sont  dupes  de  ce 
changement  d'allures  dont  ils  se  moquent. 

Là-dessus  arrive  en  grand  mystère  un 
général  de  l'Empire,  CoUières,  condamné  à 
mort,  et  qui  vient  demander  à  son  compa- 
gnon d'armes,  Jacques  de  Rouvray,  l'hos- 
pitalité et  les  moyens  d'échapper  à  la  jus- 
tice royale.  On  le  cache  en  attendant 
qu'on  puisse  se  procurer  un  passeport  pour 
le  faire  fuir.  Colinette  est  naturellement 
dans  le  secret.  Cependant  le  comte  d'Al- 
barède,  porte-parole  de  Louis  XVIII,  vient 
de  la  part  de  son  maître  proposer  à  la 
marquise  de  Rouvray  la  place  de  lectrice 
de  Sa  Majesté,  insinuant  en  même  temps 
que,  pour  bien  remplir  ces  fonctions  déli- 
cates, il  est  nécessaire  d'éloigner  son  mari. 
Voilà  le  moyen  tout  trouvé  de  faire  fuir 
Collières.  Colinette  accepte  le  poste  qui  lui 
est  proposé,  mais  pour  que  Rouvray  parte 
il  faut  un  passeport.  Le  comte  d'Albarède 
le  signe  et...  c'est  à  Collières  qu'on  le  donne. 
La  supercherie  est  découverte.  Par  ordre 
du  Roy,  on  vient  arrêter  Rouvray,  complice 
de  trahison,  puisqu'il  a  protégé  la  fuite 
d'un  ennemi  de  la  royauté.  Malheureuse- 
ment, on  saisit  sur  Rouvray  des  papiers 
compromettants  dont  Collières  lui  a  confié 
la  garde.  Son  cas  est  grave.  On  l'empri- 
sonne... Colinette  a  plus  d'un  truc  dans  son 
sac.  Elle  accourt  chez  le  Roy,  le  supplie  de 


faire  grâce  à  son  mari.  Louis  XVIII,  bon 
enfant  et  un  brin  féru  pour  cette  charmante 
et  jolie  jeune  femme,  s'en  laisse  conter, 
sans  être  dupe  cependant  :  mais  ne  pouvant 
pas,  par  crainte  de  ses  ministres,  plus 
royalistes  que  lui-même,  paraître  protéger 
un  coupable,  il  se  laisse  volontairement 
berner. 

—  Madame,  dit-il  à  Colinette,  votre  mari 
est  dans  celte  chambre  à  côté.  Allez  le 
voir.  Vous  avez  vingt  minutes  pour  lui  faire 
vos  adieux. 

Et  il  se  remet  à  travailler  aux  affaires 
courantes  avec  son  confident  d'Albarède. 

Un  instant  après,  une  jupe  sort  de  la 
chambre.  D'Albarède,  méfiant  et  ne  recon- 
naissant pas  l'allure  svelle  de  la  marquise, 
veut  s'élancer. 

—  Laissez  passer!  dit  le  Roy,  qui  a  com- 
pris. 

Rouvray  est  sauvé.  Quant  à  Colinette,  ne 
soyons  pas  en  peine.  Louis  XVIII  est  un 
brave  homme,  Colinette  a  de  beaux  yeux 
et  un  fin  sourire.  Et  puis,  et  puis...  tous 
les  deux  se  souviennent  du  dévouement  de 
M"'=  de  Lavalette. 

Voilà  cette  pièce,  à  laquelle,  je  le  répète, 
manque  parfois  le  tour  de  main  génial  de 
Sardou,  mais  qui  constitue  un  aimable  et 
amusant  spectacle. 


Lecteurs,  avez-vous  les  hypocondres  en- 
dommagés"? Désirez-vous  échapper,  pour 
un  soir,  aux  soucis  de  l'heure  présente  ? 
Voulez-vous  rire,  enfin,  rire  de  ce  bon  rire 
sonore  et  profond,  sans  vergogne  ni  rete- 
nue, de  ce  rire  qui  secoue  et  désarme?... 
Allez  au  Palais-Royal,  allez-y  voir  la  co- 
médie à  la  fois  fine  et  bouffonne  de 
MM.  Maurice  Hennequin  et  Albin  Valabrè- 
gue  :  Place  aux  femmes. 

C'est  une  satire  bien  amusante  des  fémi- 
nistes à  outrance,  des  féministes  ridicules, 
comme  les  Précieuses,  de  Molière. 

N'attendez  pas  de  moi  que  je  vous  conte 
la  pièce.  Vous  imaginez  sans  doute  qu'une 
action  où  se  ruent  des  personnages  qui 
s'appellent  Cascadier,  Pontgirard,  Ciboulet, 
Malvina,  etc.,  etc.,  défie  toute  analyse  sé- 
rieuse. Cela  ne  se  discute  pas,  mais  c'est 
bien  amusant. 

Dieu,  que  c'est  bon  de  rire  un  peu! 

Maurice  Lefevre. 


-iy^^- 


Cl.  Paul  Bovri-, 


Charassus    et     riusonnet 
(W.  Lassouchc).  (M.  Simon  Maxi. 


Zex  Quatre  files  Aymon,  II«  acte,  3"^  tableau. 


M.  (le  Porto-Eico 

(M.  TaTasscur). 

Micheline 

(M""  Mariette  Sully) 

et  ses  trois  sœurs. 


LA    MUSIQUE 


Un  joli  litre,  un  sujet  agréablement  pré- 
senté, une  musique  charmante,  une  inter- 
prétation de  premier  ordre,  une  mise  en 
scène  très  soignée,  rien  ne  fut  ménagé  par 
la  nouvelle  direction  du  théâtre  des  Folies- 
Dramatiques,  aux  destinées  duquel  pré- 
side M.  Nunès,  pour  conquérir  le  succès 
qui,  le  20  septemi)re  1898,  se  dessina  fran- 
chement dès  la  fin  du  premier  acte,  et  fut 
presque  un  triomphe  lors(|ue,  a|)rès  le 
dernier  tableau,  on  vint  ,  selon  Tusage, 
annoncer  à  Tavant- scène  :  «  Mesdames  et 
messieurs,  l'opérette  que  nous  venons 
d'avoir  riionneur  de  représenter  devant 
vous  est,  pour  les  paroles,  de  MM.  Ar- 
mand Liorat  et  Albert  Fonteny;  et,  pour 
la  musique,  de  M.  P.  Lacome.  » 

Le  sujet?  Mais  c'est  une  bonne  comédie 
dont  les  différentes  scènes,  après  une  mélo- 
dieuse ouverture  oîi  flûtes,  hautbois  et  cla- 
rinettes gazouillent  en  compagnie  des  vio- 
lons, se  déroulent  agréablement. 

Le  même  jour  les   quatre  lllles  Aymon, 


]Vpies  Micheline  (M"<^  Mariette  Sully),  Nini, 
Lisa  et  Phrasie,  doivent  épouser  MM.  Pin- 
sonnet  (M.  Simon  Max),  Pluvier,  Bécavin 
et  Grissouris.  Au  moment  de  partir  pour 
l'église  on  s'aperçoit  que  Pinsonnet  est 
absent. 

Que  s'est-il  donc  passé?... 

Après  avoir  fait  de  chaleureux  serments 
d'amour  à  sa  fiancée  Micheline  : 


.do-  le!  Moo  p'til  coBor  fait  1 


le  volage  Pinsonnet  s'est  subitement  épris 
d'une  séduisante  danseuse.  M"*"  Cyclamen 
(M"*"  Marie  Burty),  qui  était  venue  faire 
une  partie  de  campagne. 

Le  chic  parisien  de   la  danseuse  a  bien- 
tôt éclipsé   dans   l'espi'it   du   villageois  le 


LA   MUSIQUb; 


sDiiNiMiir   de 
[IMS  ii\()ir  rlr 


Miclu'liiu'. 
I  rni;ir(|iu'' 


Ne    s"iina^iiu' 
le  iat  ! 


t-il 


Je  voistont's  les  femm's  me  son  j-ire,  m'a?  ti  coter. 

par    la    hollo    coquelte    ([ui ,    élalaiil    avec 
juste  raison  rexpérienec  ac(juisi',  dit  : 


hommes,  j'ai  qoelqoe  pr  i-ti  .  qae. 


Si  ce  naïf  de  Pinsonnet  est  coupable,  il 
a  pourtant  une  circonstance  atténuante. 
Habitant  le  même  pays  que  lui,  Cliavassus 
(M.  Lassoucbe),  un  type  de  directeur  de 
théâtre  ([ui  a  toujours  fait  faillite  sans  ja- 
mais s'enrichir,  vient  lui  monter  la  tête 
en  lui  disant  (jue  M"''  Cyclamen,  dont  il 
se  trouve  être  l'oncle,  s'est  amourachée 
de  lui.  Etant  employé  dans  l'étude  du  no- 
taire du  pays,  Chavassus  a  apj)ris  que 
Pinsonnet  venait  d'hériter  d'un  oncle 
d'Américjue.  La  fortune  est  belle,  il  vou- 
drait bien  y  toucher;  aussi  a-t-il  échafaudé 
tout  un  plan  assez  ingénieux  :  il  faut  que  sa 
nièce,  la  danseuse,  tourne  la  tète  du  naïf 
Pinsonnet,  ce  qui  est  déjà  fait,  et  s'en 
fasse  épouser,  ce  qui  n'est  pas  impossible, 
puisque,  conduit  par  Chavassus,  Pin- 
sonnet a  indignement  abandonné  sa  fian- 
cée j)our  aller  à  la  poursuite  de  l'actrice 
qui  s'est  enfuie  en  riant,  lorsque  son  oncle 
lui  a  exposé  ce  plan  plein  de  sagesse  et 
de  prévoyance  pour  l'avenir. 

La  noce  est  donc  interrom[)ue,  car  les 
quatre  filles  Aymon  ne  veulent  pas  se  ma- 
rier les  unes  sans  les  autres.  Après  avoir 
essuyé  quelques  larmes  de  dépit  et  de 
tristesse,  Micheline,  suivie  de  ses  trois 
sœurs,  saute  à  califourchon  sur  le  dos  de 
leur  âne.  Elles  poursuivent  le  volage, 
qu'elles  retrouveront  dans  les  coulisses  du 
théâtre  dont  Cyclamen  est  la  plus  brillante 
étoile.  Là,  au  milieu  de  ce  monde  joyeux 
de  ballerines  et  de  galants,  faisant  maintes 
gaffes  (|uc  Chavassus  pallie  le  plus  pos- 
sible, Pinsonnet  se  pavane  et  fait  le  beau 
dans  un  resplendissant  habit  multicolore. 
Il  chante  même  à  ce  sujet  des  couj)lets- 
réclames  ([ue  j'ai  trouvés  de  l)ien  mauvais 
goût.  Cyclamen  se  moque  du  prétendu 
que  lui  offre  son  oncle;  mais,  réllexion 
faite,  elle  ne  le  lui  fait  },oint  voir,  car  la 
situation  financière  de  son  protecteur  en 
titre,  M.  de  Porto-Rico  (M.  Vavasseur), 
doit  être  en  bien  mauvaise  posture  pour 
qu'un  bijoutier  ait  i-efusé,  en  payement 
d'un  joyau,  un  chèque  portant  sa  signa- 
ture. Aussi  elle  pense  qu'il  serait  j)rudent 
de  se  faire  épouser  par  ce  bêta  de  mil- 
lionnaire sans  le  savoir.  Elle  lui  fait  croire 


([u'elle 
intime, 
lisnte  : 


l'aime,    et    pendant    un    enlictien 
joue   la    comédie   (\v\    sentimenta- 


Le  joor  entier    3s  . 


e   à   moD    fo  .  yer. 


Dans  ce  petit  piège  féminin,  dans  ces 
galantes  roueries,  notre  Pinsonnet  s'em- 
pêtre aveuglément.  Cyclamen  l'aime,  il 
exulte!...  Suivie  de  ses  inséparables  sœurs 
et  arrivant  à  l'improviste  ,  Micheline  se 
trouve  face  à  face  avec  Pinsonnet.  Se  sou- 
venant complaisamment  de  tout  ce  que 
vient  de  lui  dire  la  danseuse,  qui  a  bien 
voulu  lui  accorder  un  baiser,  il  écoute 
d'une  oreille  indifférente  les  reproches  de 
Micheline,  qui  lui  dit  ironic[uement  : 


Ah'.c'eEtanfierfoinbeDrde  femmes QnemonsieurPinîonnet. 

Accompagnée  par  un  charmant  dessin 
d'orchestre  (cordes  en  pizzicati  et  basson 
jouant  le  chant),  elle  ajoute  menaçante  : 


Si   c'est     du    pied   qae    je     me 


Pinsonnet  veut  se  sauver,  mais  Miche- 
line le  poursuit  et  lui  remet  la  feuille  de 
convocation  aux  vingt-huit  jours  qu'avait 
apportée  un  gendarme,  juste  au  moment 
oîi  l'on  s'apercevait  de  l'absence  du  marié. 
—  Mais  j'ai  un  sursis,  s'écrie-t-il  !  tu  le 
sais  bien,  puisque  je  l'ai  demandé  pour  me 
marier.  —  Eh  bien,  marie-toi  !  —  Oui, 
mais  avec  Cyclamen  !  —  Micheline  ne 
veut  pas  se  tenir  pour  battue  :  elle  met  la 
maréchaussée  aux  trousses  de  Pinsonnet, 
et  éveille  la  jalousie  de  M.  de  Porto-Rico, 
qui  veut  alors  tout  massacrer.  Poursuivi 
par  la  fureur  de  l'exotique,  qui  est  salous 
comme  ounc  tigré  dé  las  2Mmpas,  Pinsonnet 
se  précipite  dans  la  loge  de  Cyclamen. 

Au  troisième  tableau,  nous  voyons  un 
prolongement  de  la  salle  sur  la  scène.  Le 
public  se  trouve  faire  partie  du  décor. 
Nous  ne  sommes  plus  aux  Folies-Drama- 
tiques, mais  au  théâtre  où  danse,  comme 


LA    MUSIQUE 


première  étoile,  Cyclamen.  Ici,  M"'^  Burty 
se  révèle  sous  un  nouveau  jour  :  elle 
danse,  fait  des  pointes  aussi  bien  qu'une 
danseuse  professionnelle.  Après  le  ballet 
espagnol  du  quatrième  tableau,  viennent 
deux  célébrités  de  la  danse.  Faut-il  le 
dire?...  C'est  Chavassus  et  Pinsonnet,  qui 
se  sont  travestis,  l'un,  en  danseur  espa- 
gnol, pour  sauver  la  représentation  com- 
promise par  l'absence  imprévue  d'un 
artiste  ;  l'autre,  en  Belle  Otero  pour  mieux 
se  dérober  aux  recherches  des  gendarmes 
que  Micheline  est  allée  chercher,  et  à  la 
colère  inassouvie  de  M.  de  Porto-Rico. 

Malheui'eusement  pour  eux,  tout  le 
monde  les  reconnaît.  Grand  scandale  dans 
la  salle!  Le  gendarme  vient  arrêter  en 
public  Pinsonnet,  qui  disparait  subitement 
dans  une  trappe;  et  Micheline,  toujours 
suivie  de  ses  sœurs,  enjambe  lestement  le 
rebord  de  son  avant-scène  pour  aller  se 
crêper  le  chignon  avec  Cyclamen,  qui 
s'évanouit,  tandis  que  M.  de  Porto-Rico, 
brandissant  toujours  de  formidables  re- 
volvers, veut  brûler  la  cervelle  à  Chavassus, 
qui  s'est  effondré  dans  le  trou  du  souffleur 
en  agitant  désespérément  son  tambour  de 
basque. 

Au  troisième  acte,  cinquième  tableau. 
Cyclamen  reçoit  dans  sa  villa  ses  amis  et 
leur  annonce  son  prochain  mariage  avec 
Pinsonnet,  de  retour  de  la  caserne,  où  l'on 
a  reconnu  qu'il  avait  effectivement  obtenu 
un  sursis.  Pendant  que  Cyclamen  fait  les 
honneurs  de  sa  propriété,  l'oncle  Chavassus 
prépare  un  projet  de  contrat  de  mariage 
sur  une  formule  d'engagement  artistique. 
Cette  scène  est  une  charmante  trouvaille 
d'un  effet  comique  irrésistible;  car,  y 
a  t-il  rien  de  moins  compatible  que  les 
devoirs  l'espectifs  de  deux  époux  l'un 
envers  l'autre,  et  les  obligations  réci- 
]»roques  de  directeur  à  artiste  ? 

Micheline,  qui  malgré  tout  aime  encore 
son  volage  fiancé,  était  allée  pour  le  voir 
et  lui  apporter  quelques  friandises  à  la 
caserne  où  elle  le  supposait  triste  et  mal- 
heureux; mais  ne  l'y  ayant  pas  trouvé, 
et  se  doutant  bien  qu'il  était  auprès  de 
cette  coquette  de  Cyclamen,  elle  arrive, 
toujours  en  robe  de  mariée,  au  moment  où 
ce  nigaud  de  Pinsonnet,  ignorant  l'héritage 
inespéré,  vient  de  signer,  les  yeux  fermés, 
un  dédit  de  500,000  francs  que,  dans  sa 
ridicule  fatuité,  il  prend  pour  un  témoi- 
gnage de  grande  affection  et  de  désinté- 
ressement. 

Après  de  charmants  petits  couplets  pa- 
triotiques d'une  allure  très  crâne. 


faut,       chacDr 


iji'i     I    '  |l    I  M'II  M  M,l    I 

s   soD   tonr  doit  y  faire  od  petit  se'.joBP 

—  et  qui  sont  acclamés,  ])issés,  trissés 
même,  tant  ils  sont  jolis  et  bien  tournés, 
tant  l'exquise  chanteuse  qu'est  M"''  Ma- 
riette Sully  les  détaille  avec  talent  —  Miche- 
line essaye  de  dessiller  les  yeux  de  Pin- 
sonnet en  lui  apprenant  que  Cyclamen  ne 
tient  à  lui  qu'à  cause  de  cet  héritage  dont 
elle  lui  annonce  l'heureuse  nouvelle.  Pin- 
sonnet, qui  veut  toujours  croire  à  l'amour 
de  la  danseuse,  rudoie  sa  pauvre  petite 
fiancée.  Elle  lui  conseille  alors  de  se  cacher 
et  d'écouter  ce  que  Cyclamen  va  dire  à  son 
ami  de  cœur,  le  clarinettiste  Mitoufiet 
(M.  Liesse).  Ayant  entendu  les  quolibets 
de  Cyclamen  à  son  égard,  furibond,  Pin- 
sonnet surgit  hors  de  sa  cachette  et  lui 
reproche  son  langage.  La  rusée  danseuse 
se  justifie  en  lui  disant  avec  des  larmes 
dans  la  voix  ;  c  Je  savais  que  vous  étiez  là. 
Vous  êtes  riche,  maintenant,  et  ce  que  j'ai 
dit,  c'était  pour  vous  détacher  de  moi,  moi 
trop  pauvre  pour  vous  !...  Adieu!...  »  Une 
telle  comédie  happe  de  nouveau  ce  benêt 
de  Pinsonnet  qui,  définitivement,  va  l'épou- 
ser, lorsque  Micheline,  par  une  heureuse 
disposition  du  testament,  se  trouve  être 
maîtresse  de  la  situation.  L'oncle  d'Amé- 
rique n'a-t-il  pas  stipulé  que  Pinsonnet  ne 
serait  son  légataire  universel  qu'à  la  con- 
dition expresse  d'épouser  Micheline ,  et 
que  s'il  refusait  d'exaucer  ce  vœu,  il  serait 
déshérité  à  son  profit.  Dès  que  Cyclamen 
a  entendu  cette  clause  du  testament,  elle 
envoie  promener,  et  vertement,  Pinsonnet 
qui,  navré  et  déconfit,  ne  sait  que  dire, 
que  faire.  Mais  Micheline  n'est-elle  pas  là? 
Ne  voulant  ni  s'imposer  comme  épouse, 
ni  ruiner  Pinsonnet,  son  bon  cœur  et  sa 
tierté  lui  font  déchirer  le  testament  et 
rendre,  par  cela  même,  la  fortune  et  la 
liberté  à  son  infidèle  fiancé.  Puis,  essuyant 
une  dernière  larme,  avant  de  s'éloigner, 
elle  lui  dit  un  délicat  adieu  : 


Qnandil  ^-tail  benrenijQaand  ehacon  brign.Tstsa  conqnè.te, 

Tant  de  preuves  d'affection  et  de  désin- 
téressement touchent  enfin  Pinsonnet,  qui 
la  retient,  lui  prend  la  main  et  implore 
un  pardon  que  Micheline  lui  accorde  gen- 
timent. Et  ne  faut-il  pas  que  tout  le 
monde  soit  heureux  ?  M.  de  Porto-Rico 
met  aux  pieds  de  Cyclamen  les  millions 
que  lui  a  envoyés  l'exotique  république 
dont  il  est  le  très  décoratif  ambassadeur, 
et  Chavassus  aura  son  rêve  !  une  maison- 
nette avec  des  volets  verts. 


LA    MUSIQUE 


Si  (les  Folies-Dramati(|ues 
nous  passons  au  Théâtre - 
Lyricjue  errant  de  la  salle  des 
Variétés  au  Théâtre  de  la  Ré- 
publique, nous  constatons  (jue 
cette  tentative,  sans  démon- 
trer l'utilité  absolue  d'un 
tliéâtre  lyrique,  prouve  irré- 
futablement l'indulgence  du 
public  jiarisien. 

MM.  Miliiaud  frères  n'ont 
pas  voulu  quitter  le  théâtre 
des  Variétés  sans  tirer,  le 
plus  brillamment  possible,  le 
bouquet  de  leur  feu  d'artifice 
lyrique.  Faut-il  le  dire,  et 
bien  à  regret,  ce  bouquet  a 
lamentablement  raté  non  par 
la  faute  de  l'œuvre,  mais  par 
le  manque  d'étude,  par  la 
précipitation  avec  laquelle 
cet  important  ouvrage,  Love- 
lace,  a  été  distribué,  étudié, 
mis  en  scène  et  exécuté  dans 
toute  l'acception  du  mot.  Sur 
les  interprètes,  jetons  un 
épais  voile  d'indulgence. 

Lovelace,   opéra   en   quatre 
actes  de   MM.  Jules   Barbier 
et  P.  de  Choudens,  musique 
d'Henri  Hirschmann,  est  tiré 
du  fameux  roman  de  Samuel 
Richardson   (1689-1761),  Cla- 
risse Harloii-e.  L'œuvre  musi- 
cale   est    assez    bien    venue, 
([uoique  l'on  puisse  lui  repro- 
cher l'abus  de  certains  pastiches;  mais  à 
un    jeune    compositeur  de    vingt-six   ans, 
avide  de  gloire  et  ayant  tout  ce  qu'il  faut 
pour  la  conquérir,  peut-on  faire   un  bien 
grave  reproche  de  se   souvenir  des   meil- 
leures pages  de  l'école  française  ?  Du  reste, 
il  sait  être  très  personnel  quand  il  le  veut  : 
témoin  cette  jolie  phrase  qu'il  eût  été  si 
agréable  d'entendre  bien  chanter. 


cieurtoat  fD_tier 


Témoin  celte  cantilène  qui  perd  sa  grâce 
et  sa  tonalité  sur  les  lèvres  de  l'interprète. 


danaancoÏD     de  son       àme     Une  i.nia  -  ge 

Témoin    cet    arioso    que    la    cantatrice 


M.  H I R  s  c  H  M  A  x  X,  auteur  de  Lovelace. 


aurait  pu  clianter  avec  plus  de  justesse  et 
moins  de  froideur. 


Toi   <joe  Di'^n  mets  Eor     mon  pa=-5s    .     gt 

Nous  reverrons  bientôt,  je  l'espère, 
M.  H.  Hirschmann  avec  d'autres  artistes 
et  dans  un  autre  théâtre;  et,  comme  aux 
concerts  de  l'Opéra  avec  une  brillante 
Suite  d'orchestre,  comme  à  l'Opéra-Comique 
avec  l'Amour  à  la  Bastille,  comme  à 
l'Olympia  avec  Folles  amours,  il  aura  le 
succès  que  son  talent  mérite,  et  qui,  en 
cette  circonstance,  a  été  trahi,  même  par 
ses  collaborateurs.  Ayant  l'expérience  du 
théâtre,  ils  n'auraient  pas  dû  permettre  le 
massacre  de   cette  intéressante   partition. 

Aussi  je  ne  veux  considérer  ces  repré- 
sentations que  comme  des  auditions  don- 
nées à  la  va-comme-je-te-pousse  et  dont 
le  bon  à  représenter  abandonné  par  les 
auteurs  me  semble  encore  un  incompré- 
hensible problème. 

Guillaume    D  a  n  v  e  r  s  . 


Ronde 

DES    QUATRE    FILLES   AYMON 

chantée  au  premier  acte 

par 

M""     Mariette      SULLY 


Allegro  mf  gaiement 


Jl"^*     MARIETTE      SULLY 


.  SOU,  ^ous  iiHquîmes  quatre  jiimel     .      les;     Euuous  voy.ant,  pap;i    dit:  Bon!Nûus.achèt'rdns  quatre  gamf 


p  hh  doux 


poco  rit. 


^   j3  A  tempo 


-les;      Les     en.fantscomm' les hiron.del-les,Porteut bonheur  à    la    mai  .  son!     Et     ron!  ron!  petit  pa. ta 

^/^       A  tempo 


pou!        Pas   besoin     de     chercher     leur     nom...      Ron!  ron!       p'tit    pa.ta  .  pou!        Ças'ra 


■( 


Publié  avec  l'autorisation  de  M.  Paul  Dupont,  éditeur,  Paris.  Tous  droits  réservés. 


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LES    Ql'ATUE    FILLES     AYMOX 


781 


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2*'  Couplet 


Com.me     les      qua.tre  fiis  Ay.raon  Peintur.hi.res     sur  cette  ensei 


.^ne.         Sur  Ri.jou    notre    A.  li  .  b o .  ron,     Ain.si  que  rhis.toi.re   l'en.^ei     .    giie,       Tou  .  ti 
rit.  .        /^    p  A  tempo  ' 

le?    qua.tre  sans  qu'il  gei.giie, Nous  grimpons    à        ca.  li  .  four.chon!     Et       rrii!   ron!  p'ti-t  [la     t; 

Ê 

.pon!     Qui  tra.verse  ain.si    le         can.ton?.       Ron!  ron?        p'tit   pa.ta  .  pon!    Ci'   ^ont  If 

.MICHELINE  et  ses  sœurs     _  ■        '      J 


qua.tre  fiH's   Av.  mon!     Ron!     ron!    p'tit  pa.ta. pon!  Ce  sont  les  qua.tre  fill's  Av-mon! 
Allegro 


a-  COUPLET 


Ain.si  dans  toute  oc.ca.si  .  on,    On  nous  voit  de.puis  notre  enfan 


é'  r   '  ^'  ^'-  P I  r  p  r   p  i^'  W'  p  p  p  ir  ^'  i>  ^"^   ij  -^  j    j»  i 

.ee,  A.gir    de      pa.reii.le       fa  .  con        Et  nous  al. Ions   bravant  la  chan    .    ee,      Daas        le 

rit.  .       ^   p  A  tempo 


co'ur     la     même  vail  .  lance    Aux    le  .   vr.  s       la      mè.me    <  han.son!       Et     ron!    ron!    pe.tit  pa.ta. 


pon!       La    tè.te    prompteet    le       cœur  bon,        Ron!  ron!         p'tit    pa.ta  .  pon!     Vi .  ve     les 

/vMICHELINE  et  «es  sœurs 


qua.tre  fill's  Ay.mon!  Ron!       ron!  p'tit  pa.ta. pon!    Vi.ve  les  quatre  fill's  Ay.mon! 


LA     MODE     DU     MOIS 


Ce  qu'on  trouvait  «  laid  »  au  printemps  dernier, 
devient  aujourd'hui  «  ravissant  »,  au  dire  de 
toutes  les  femmes.  C'est  ainsi  que  les  grandes 
mantes  Louis  XV  et  les  longues  redingotes  fuyantes 
sont  plus  que  jamais  à  l'ordre  du  jour;  et  chacun 
s'extasie  sur  leur  grâce,  si  contestée  cependant 
il  y  a  six  mois. 

Il  en  est,  je  crois,  des  mod^s  comme  des 
femmes,  dans  lesquelles  un  homme  d'esprit  pré- 
tendait trouver  toujours  une  beauté  on  un  charme 
quelconque. 

Toici,  à  l'appui  de  mon  dire,  un  long  manteau 
d'automne  (n°  1).  C'est  un  vêtement  ajusté  der- 
rière  et  légèrement  vague   devant,    dont  la   jupe 


tombe  jusqu'à  terre.  Le  modèle  est  en  drap  beige, 
avec  biais  rapportés  et  piqués.  Le  col,  toujours 
très  montant,  mais  roulé  sur  lui-même,  est  en 
velours  olive  clair.  Un  biais,  en  drap  crème  accen- 
tuée, court  sous  le  col  et  ce  biais,  qui  forme  revers 
et  volant,  ondule  sur  le  devant  du  manteau;  il 
les  dépasse  en  les  soulignant  agréablement.  Les 
manches  sont  très  longues  et  très  simples,  avec 
doubles  piqûres  à   l'emmanchure  et   petit  dépas- 


sant crème  sur  les  poignets.  Grand  chapeau  de 
feutre  beige,  forme  Montpensier,  empanaché,  sui- 
vant le  goût,  de  plumes  vert  olive  clair,  ou  châ- 
taigne, formant  camaïeu  avec  le  feutre. 

Les  robes  à  volants  sont  tout  à  fait  en  faveur. 
Celle-ci  (n"  2)  est  en  petit  drap  amazone   rouge. 


LA    MODE    DU    MOIS 


783 


Les  volauts  dont  la  jupe  est  ornée,  sont  bordés, 
soit  par  des  ruchettes  en  ruban  de  satin  noir, 
soit  par  d'étroites  petites  bandes  d'astrakan 
((  mort-né  ».  Le  corsage-boléro  est  garni  de  même  ; 
mais   les  revers  sont   en   taffetas  blanc  orné    des 


mêmes  ruchettes  ou  des  mêmes  bandes  de  four- 
rure que  le  costume.  La  ceinture  est  en  taffetas 
noir  drapé  et  assez  montante  pour  former  cor- 
selet. Quant  au  gilet,  il  peut  se  faire  en  guipure 
ficelle  sur  fond  de  satin  ivoire.  Boa  tour  de  cou 
en  plumes  noires  ou  mousseline  de  soie  très  frou- 
f routée.  Chapeau  de  feutre  rouge  à  calotte  ronde 
assez  haute  et  à  bords  larges,  retroussés  de  côté, 
orné  de  satin  ou  de  velours  noir,  avec  plumes 
noires.    Boucle  en  strass  ou  en  or  mat  ciselé. 


Comme  toilette  de  visite,  de  château  ou  de 
réunion  intime,  un  peu  habillée,  voici  un  cos- 
tume (n®  3)  en  drap  gris  orné  de  zigzags  en 
Breitzwants,  avec  revers  carrés  en  velours  orange, 
recouverts  en  partie  de  guipure  rousse  ;  chemisette 
en  mousseline  de  soie  crème  plissée,  et  ceinture  de 
cuir  gris  clair  avec  boucles  et  barrettes  en  argent 
ou  en  or  ciselé.  La  même  robe  peut  se  répéter  en 
velours,  en  satin  ou  en  armure  ;  et  l'on  peut  rem- 
placer aussi  les  bandes  de  fourrure  par  des  incrus- 
tations de  vieille  guipure  d'Irlande,  ou  des  bro- 
deries en  relief.  Il  est  encore  très  nouveau  de  porter 
des  robes  peintes  à  la  main.  Mais  on  se  lasse  vite 
d'une  toilette  de  ce  genre  ;  aussi  ne  peut-elle  être 
conseillée  qu'à  une  femme  dont  la  garde-robe  est 
luxueusement  garnie. 

Le  chapeau  rond  qui  accompagne  cette  toilette 


LA    MODE    DU    MOIS 


est  en  velours  tendu,  gris  ou  noir,  suivant  le  goût, 
orné  de  plumes  et  de  nœuds  de  ruban  formant 
choux. 

Voici  enfin  (n»  4)  la  mante  Louis  XV,  en  zibe- 
line de  nuance  nouvelle,  fauve  par  exemple,  bordée 
par  un  volant  en  forme  également  en  zibeline.  Ce 
volant  lui-même  est  soutenu  par  d'autres  volants, 
doublés  et  taillés,  intérieur  et  extérieur,  en  taffetas 
de  nuance  assortie,  ou  tranchante,  et  mélangés 
de  dentelle.  Un  grand  empiècement,  emboîtant 
bien  les  épaules,  est  en  vieux  point  de  Bruges 
réappliqué.  II  se  termine  par  un  grand  col  rabattu 
de  forme  nouvelle,  cravaté  de  mousseline  de  soie 
noire  ou  crème;  enfin  un  ruche  de  ruban  de  satin 
noir  contourne  l'empiècement  et  achève  l'ornemen- 
tation du  vêtement,  que  l'on  doit  doubler  de    soie 

claire. 

Grand  chapeau  bergère  en  feutre  assorti  de 
nuance  au  manteau,  ou  en  velours  noir,  garni  de 
plumes  noires  ou  assorties  de  nuance  avec  le 
feutre.  En  noir,  ou  orné  de  plumes  noires,  il  sera, 
naturellement,  plus  facile  à  mettre,  tout  en  res- 
tant fort  élégant. 


POUR    LES    MESSIEURS 

Les  breloques,  parmi  lesquelles  on  multiplie  les 
porte-honheur,  redeviennent  à  la  mode;  on  les 
suspend  à  la  chaîne  de  montre,  que  l'on  dissimule 
cependant. 

Comme  charmante  nouveauté  pour  boutons  de 
chemise,  nous  signalons  de  simples  boutons  en 
nacre  blanche  ou  grise,  cerclés  par  un  filet  en 
poussière  de  diamant  ;  la  même  poussière  simule, 
au  centre,  le  point  croisé  produit  par  le  fil  pour 
coudre  le  bouton.  Des  boutons  de  ce  genre  rem- 
placent fort  bien  ceux  en  or  uni  ou  ciselé,  même 
ceux  en  perles  fines.  Les  boutons  en  diamant  ne 
sont  pas  de  bon  ton. 

Les  boutons  de  manchettes  se  font  assortis, 
doubles,  et  retenus  ensemble  par  une  petite  chiîne 
d'or. 

Les  gilets  en  peau  de  daim  ou  de  renne,  gris 
ou  de  nuance  Suède,  sont  d'excellents  préservatifs 
du  froid.  Mais,  sans  porter  un  gilet  entier,  beau- 
coup de  messieurs,  susceptibles  des  bronches, 
portent  toujours  en  hiver,  dissimulé  sous  la  che- 
mise, un  plastron  de  ce  genre. 

Envelopper  un  chapeau  haut  de  forme  d'une 
housse  en  soie,  le  brosser  vigoureusement  et  suc- 
cessivement, sur  la  housse,  avec  plusieurs  brosses 
humides,  puis  lui  enlever  sa  housse,  le  faire  vive- 
ment pirouetter  sur  lui-même  en  le  plaçant  sur 
une  machine  spéciale  qui  tourne  avec  une  rapi- 
dité vertigineuse,  afin  de  le  sécher,  et  lui  redonner 
ensuite  un  simple  coup  de  brosse  sèche,  est  le  plus 
sûr  moyen  de  lui  conserver  son  lustre  sans  l'user. 
Ce  procédé  très  simple  est  plus  long  à  expli- 
quer qu'à  mettre  à  exécution. 

Il  est  préférable  au  coup  de  fer  et  peut,  sans 
inconvénient,  se  renouveler  chaque  jour. 


NOS    PATRONS 

Corsage  pour  jeune  fiUc.  —  Ce  corsage  se  fait  en 
soie  ou  en  lainage. 

En  soie  ou  en  petit  drap  bleu  lavande,  garni  de 
deux  rangs  de  velours  de  même  ton,  mais  un  peu 


plus  soutenu,  ce  corsage  serait  à  la  fois  coquet 
et  facile  à  mettre  un  peu  avec  toutes  les  jupes. 
L'empiècement,  dans  ce  cas,  doit  se  faire  en  ot- 
toman crème,  avec  tour  de  cou  recouvert  d'un 
drapé  en  tulle  bleu  lavande  sur  transparent  d'ot- 


toman crème.  Ceinture  en  velours,  mélangé,  si  on 
le  désire,  pour  augmenter  la  coquetterie  du  cor- 
sage, d'un  peu  de  tulle  lavande  dans  le  nœud. 

Métrage  :  4™,50  de  soie.  —  Om,(;0  d'ottoman. 
—  6  mètres  de  ruban  de  velours.  —  4'", 50  de 
petite  soie  légère  pour  doublure. 


LA    MODE    DU    MOIS 


785 


POUR    L'APPARTEMENT 

Jticor  il'auffle  pour  petit  i^alon  ou  fumoir  élé- 
gant. —  Le  divau,  dans  ce  eus,  peut  fort  bien  se 
composer  d'un  sommier  et  d'un  matelas-coussin, 


utilisable,  à  l'occasion,  comme  lit  de  supplément. 
La  draperie  qui  le  recouvre  entièrement  en  fait, 
le  jour,  un  élégant  lit  de  repos.  Suivant  que  ce 
divan  se  trouve  dans  un  fumoir  ou  dans  un  petit 
salon,  le  tissu  du  drapé  et  des  coussins,  comme 
celui  des  tentures,  varie  de  nuance  et  de  genre. 
Ces  tentures  sont,  dans  tous  les  cas,  toujours  dra- 
pées sur  des  lances. 

Décor  pour  piano  droit.  —  Il  s'exécute  avec  un 


FANTAISIES    DE    SAISON 

Il  arrive  souvent  qu'en  novembre  le  temps  est 
beau  et  chaud  dans  l'après-midi.  Alors  la  fourrure 
est  parfois  trop  chaude  autour  du  cou  que  la  pru- 
dence oblige  cependant  à  ne  pas 
laisser  découvert. 

Voici  à  cet  effet  un  très  gra- 
cieux tour  de  cou  en  mousseline 
de  soie  et  ruban  de  satin.  Les 
longs  pans  sont  composés  de 
volants  en  mousseline  de  soie, 
superposés  et  lisérés  par  un 
petit  bouillonné  froufrou  ;  un 
nœud  page  très  fourni  et  for- 
mant touffe  termine  les  pans. 
Une  boucle,  au  milieu  du  nœud 
de  derrière,  rendra  ce  boa  plus 
coquet. 

Le  même  modèle  peut  se 
répéter  en  plumes  ;  dans  ce 
cas,  les  pans  se  feront  toujours 
en  mousseline  de  soie,  mais  les 
volants  seront  lisérés  par  un 
bord  de  plume  au  lieu  d"un 
chiffonné  froufrou. 

Joli  capuchon  genre  bébé, 
pour  sortie  de  bal  et  de  théâtre. 
Il  se  fait  en  ottoman  de  nuance 
claire  bordé  tout  autour  par 
trois  petits  volants  froncillés 
et  très  mousseux,  en  taffetas  ou  en  mousseline  de 
soie,  de  nuance  assortie  ou  ivoire.  Des  nœuds  de 
ruban  en  achèvent  l'ornementation.  Une  boucle  en 


morceau  d'étoffe  ancienne  élégamment  relevé,  mais 
doublé,  afin  de  donner  plus  d'élégance  et  de  sou- 
tien aux  plis.  Si  le  morceau  n'est  pas  assez  grand, 
on  peut  faire  en  peluche  le  dessus  du  piano.  Rien 
n'empêche  de  faire,  également  en  peluche,  la 
bande  que  laisse  à  découvert  la  draperie  coquillée 
dans  le  dos  du  piano. 
VIII.  —  50. 


strass,  sur  le  lieu   du  nœud  qui    semble  séparer, 
derrière,  le  capuchon  du  bavolet,  fait  très  bien. 

Ce  même  capuchon  peut  se  faire  en  satin  ou 
ottoman  noir,  orné  de  mousseline  de  soie,  ou  bien 
encore  en  dentelle  noire  sur  fond  de  soie  de  cou- 
leur. La  fantaisie  a,  dans  ce  cas,  libre  cours. 


786 


LA    MODE    DU    MOIS 


OUVRAGES    DE    DAMES 

N"  1.  —  Dessus  de  clavier  clochettes.  —  Il  se 
fait  en  satin  gris  doublé  d'un  molleton  blanc 
bordé  par  un  surjet  en  fil  d'or  un  peu  lâche. 

La  portée  se  compose  de  fils  d'or  cousus  à  plat. 


Les  clochettes  bleues  sont  brodées  en  soie,  en 
plein  et  à  plat,  en  travers,  en  allant  d'un  bout  à 
l'autre.  Ce  sont  les  points  réunis  qui  renforcent 
les  traits. 

Les  clés  de  sol  se  brodent  en  soie  noire  et  un 
peu  en  relief. 

N"  2,  —    Di'tail  du    dessus   de    clavier,  que  l'on 


peut  faire,  bien  entendu,  sur  tout  autre  fond. 
N"  3.  —    Chiffre  pour  nappe.  —   Ce    chiffre   se 


In'ode  au  plumetis,  sauf  les  parties  noires  sur  le 
dessin  qui  doivent  se  faire  au  point  d'arme.  Tel 
qu'il  est  il  a  la  taille  d'un  chiffre  pour  serviettes; 
pour  nappe,  il  faut  le  faire  juste  le  double  plus 
grand. 


N°  4.  —  Petite  bande  festonnée  pour  lingerie.  — 


W, 


Les  fleurettes  se  brodent  au  plumetis  et  un  peu 
bourrées  pour  leur  donner  du  relief. 


LA    TOILETTE    DE    BÉBÉ 

L'heure  de  la  toilette  des  bébés  n'est  pas  une 
des  moins  occupées  de  la  journée.  Les  jeunes 
mères  savent  combien  les  cris  et  les  contorsions 
auxquels  se  livrent  ces  chers  mignons  rendent 
cette  opération  compliquée.  Or,  peut-être  seront- 
elles  heureuses  d'être  mises  au  courant  d'un  pro- 
cédé fort  usité  chez  nos  alliés  les  Russes.  Il  est  à 
la  fois  pratique  pour  les  enfants,  et  commode  pour 
les  i^ersonnes  qui  les  soignent. 

Il  consiste  à  entourer  le  dessus  de  la  com- 
mode dont  les  tiroirs  servent  de  garde-robe  à 
bébé,  d'un  rebord  assez  élevé  pour  servir  de  cadre 
à  un  matelas  très  mince,  et  empêcher  l'enfant, 
couché  sur  ce  matelas,  de  rouler  à  terre.  Ce  re- 
bord, qui  n'a  que  trois  côtés,  est,  de  plus,  muni 
d'une  tablette  sur  laquelle  on  dispose  tous  les 
menus  objets  nécessaires  à  la  toilette  :  éponges, 
brosses,  houppe,  boîte  à  poudre,  etc. 

La  baignoire  dans  laquelle  le  bébé  prend  son 
bain,  au  moins  une  fois  par  jour,  est,  elle-même, 
supportée  par  un  trépied,  ce  qui  la  met  à  la  hau- 
teur des  bras  de  la  mère  ou  de  la  nourrice. 

Quant  on  sort  l'enfant  de  l'eau,  on  le  dépose 
sur  le  matelas  recouvert  de  linges  destinés  à  le 
sécher.  Et  ainsi  commodément  étendu,  on  le 
poudre  et  l'habille  sans  difficultés,  sans  crainte 
non  plus  de  le  laisser  glisser,  préoccupation  inces- 
sante, au  contraire,  lorsqu'on  le  tient  sur  les 
genoux. 

On  est,  du  reste,  d'autant  plus  adroite  avec  ce 
système,  que  l'on  a  les  deux  mains  libres  ;  aussi, 
de  cette  façon,  ovite-t-on  chez  les  petits  êtres  une 
irritation  toujours  mauvaise  pour  le  bon  équi- 
libre de  la  santé. 

Un  bon  conseil  pour  finir.  Quand  bébé  sera  un 
peu  plus  grand  et  que  la  coquetterie  de  sa  mère 
voudra  voir  son  joli  minois  encadré  de  jolies 
boucles  brunes  ou  blondes,  qu'elle  abandonne  donc 
les  rigides  bigoudis  pour  un  chiffon  mou;  les 
cheveux  n'en  seront  pas  moins  bien  frisés  et 
l'enfant  se  sentira  la  tête  plus  à  l'aise. 

Pour  cela,  il  suffit  de  découper  dans  du  vieux 
linge  des  bandes  ayant  de  15  à  20  centimètres  de 
long  et  de  6  à  10  de  large.  On  roule  les  cheveux; 
on  met  la  papillotte  sur  le  linge  posé  à  plat,  puis 
on  en  noue  les  deux  bouts,  en  ayant  soin  de 
serrer  un  peu;  le  lendemain  matin,  la  papillotte 
est  admirablement  bouclée. 

Berthe    de    Présilly. 


MEMENTO     ENCYCLOPÉDIQUE 

Événements  de  Septembre  1898. 


1.  —  Lo  général  Renouard  est  nommé  clief 
■l"(-t;it-major  j.'rii(^'ral.  en  reiiiiilai'emcnt  ilii  général  île 
IJiiisJefïre,  iléniissioniiairc.  —  T/escadre  de  manœuvres 
allemande  fait  l'expérience  de  la  traversée  du  canal 
de    Kiel.  Malgré  quelques  accidents,  la   traversée  s'est 


3.  —  Par  suite  de  ilésaccord  avec  le  président  du 
Conseil  sur  la  question  de  la  revision  du  procès 
Dreyfus,  M.  Cavaignac,  miiiistro  de  la  guerre,  démis- 
sionne. —  M""'  Alfred  Dreyfus  adresse  au  ministre 
de    la    justice    une    i-equéte   demandant    la   revision  du 


LE      C  0  TJ  R  O  X  X  E  M  E  X  T     DE       LA      REINE      W  I  L  H  E  L  il  1  X  E      DE      H  0  L  L  A  X  D  E 
Le  Président  de  la  Chambre  des  députés  prêtant  serment. 


effectuée  en  dix-huit  heures.  —  La  grève  des  mi- 
neurs du  pays  de  Galles  est  terminée.  —  nu  ver  turc 
du  Congrès  d'histoire  diplomatique  en  Hollande. 
2.  —  Ouverture  du  Congrès  international  des  pêches 
maritimes  à  Dieppe.  —  Le  Borgou  est  évacué  par 
les  Franc  lis,  et  les  Anglais  prennent   possession  du  pays. 

—  Le  président  des  Etats-Unis,  eu  villégiature 
ilans  rOhio,  est  insulte  pnr  des  gens  qui  lui  reprochent 
d'avoir  toléré  des  négligences  dans  les  services  sanitaires 
et  le  ravitaillement  de  l'arracc  américaine  à  Cuba.  Une 
femme  brandissant  un  couteau  est  aiTÔtée.  puis  relâchée. 

—  A.  l'occasion  du  couronnement  de  la  reine 
■Wilhelmine  de  Hollande,  l'empereur  d'Allemagne  lui 
octroie  le  commandement  du  lô"  régiment  de  hussards. 

—  Le  lieutenant-colonel  .Sir  Harry  ilac  Callum,  gouver- 
neur de  Lagos,  est  nommé  gouverneur  de  Terre- 
Neuve.  —  Le  président  de  la  Cliambre  des  îles  Bar- 
bades,  qui  fut  victime  d'un  attentat  le  22  juillet, 
succombe  aux  suites  de  ses  blessures.  —  L'amiral 
Cervera  et  ses  officiers  sont  remis  en  liberté  par  le 
gouvernement  américain. 


procès  de  son  mari.  —  Les  troupes  anglo-égyptiennes, 
sous  le  commandement  du  sirdar  Kitchener,  battent  les 
derviches  à  Omdurman  et  font  flotter  les  drapeaux 
anglais  et  égyptien  sur  Khartoum,  —  L'empereur 
d'Allemagne  arrive  à  Hanovre  pour  assister  aux 
grandes  manœuvres.  —  Malgré  les  protestations  du  gou- 
vernement, les  autorités  internationales  installent  le 
nouveau  service  de  perception  des  dîmes  dans  les  ports 
Cretois. 

4.  —  A  Pogny,  obsèques  du  lieutenant-colonel 
Henry  qui  s'est  suicidé  au  Mont-Vakrien.  —  Le  con- 
seil des  ministres  espagnol  approuve  le  projet  de  loi 
demandant  aux  Cortès  l'autorisation  de  négocier  un 
traité  de  paix  avec  les  Etats-I'nis. 

5.  —  Le  général  Zurlinden,  gouverneur  mili- 
taire de  Paris,  e>t  nommé  ministre  de  la  guerre,  en  rem- 
placement de  M.  iMidetroy  Cavaignac.  —  Le  général 
Borius  est  nommé  gouverneur  de  Paris  par  intérim. 
—  La  reine  d'Espagne  confère  la  Toison  d'Or  à 
M.  F.  Faure. 

6.  —  M.  F.  Faure  reçoit  le  comte  de  Montebello,  qui 


7SS 


MEMENTO    ENCYCLOPEDIQUE 


s.     JI.     l/l  M  l'ÉU  ATR  ICE      ELISABETH 
D'AUTRICHE 


lui  remet,  au  nom  du  Czar,  la  médaille  commémo- 
rative  de  l'inauguration  du  monument  d'Alexandre  II  à 
Moscou.  —  En  réponse  à  une  lettre  du  cai'dinal  Langé- 
nieux  relative  aux  conséquences  possibles  du  voyage  de 
l'empereur  Guillaume  en  Talestine,  le  pape  affirme  le 
droit  exclusif  de  la  France  à  protéger  les  établisse- 
ments catholiques  en  Orient.  —  Mort  de  M.  Pes- 
chard,  artiste  lyrique.  —  A  Candie  (('rète),  un  con- 
tiit  se  produit  entre  les  autorités  militaires  anglaises, 
voulant  occuper  les  bureaux  de  la  dou:inc,  et  les  musul- 
mans. Les  musulmans  font  feu  contre  les  Anglais  et  les 
chrétiens.  Un  navire  anglais  bombarde  la  ville.  Vingt 
Anglais  sont  tués,  dont  le  vice-consul.  —  A  Amsterdam, 
cérémonie  du  couronnement  de  la  reine  de  Hol- 
lande dans  la  Nieuwe-Kerk. 

7.  —  Mort  de  M.  Carrier,  député  de  Nantua.  — 
M.  Witt.  astronome  à  l'Observatoire  de  Berlin,  découvre 
une  planète  de  onzième  grandeur  dans  la  région 
située  au-dessus  du  Lion.  —  Le  général  Palavieja 
rédige  un  manifeste  dénonçant  tous  les  partis  qui  ont 
gouverné  l'Espagne  comme  une  cause  des  malheurs  du 
pays.  Le  gouvernement  interdit  la  publication  de  ce 
manifeste.  —  Au  Sénat  espagnol,  il  se  produit  des 
scènes  de  violence.  Le  comte  Almenas  accuse  les  géné- 
raux de  n'avoir  pas  fait  leur  devoir.  —  Un  paquebot 
ramène  en  Espagne  2,4U(>  hommes  de  l'armée  espa- 
gnole de  Cuba.  Il  se  produit  7li  décès  pendant  la  tra- 
versée. 

8.  —  Le  lieutenant-colonel  Picquart  demande 
sa  mise  en  liberté  provisoire.  —  Inauguration,  à  Pont- 
de  l'Arche,  d'un  groupe  représentant  Notre-Dame-des- 
Arts,  sculpté  et  offert  par  la  duchesse  d'Uzès.  —  Le 
premier  fiacre  électrique  circule  dans  Paris.  —  Le 
ciiuseil  fédéral  suis-e  acceirte  de  servir  d'arbitre  entre  la 
France  et  le  Brésil  au  sujet  du  territoire  contesté. 
—  L'expcditiim  suédoise  au  Pôle  Nord  arrive  à  Tromsoe 
à  bord  de  rjiit/ir/ic.  —  L'Espagne  proteste  contre  la 
capitulation  de  Manille  comme  s'étant  produite 
lieux  jours  après  la  signature  du  protocole  de  paix. 

9.  —  Une  colonne  française  inflige,  près  du  fleuve 
Cavally  (Côte  d'Ivoire),  une  sanglante  défaite  aux 
troupes  de  Samory.  5,(>0o  prisonniers  rendent  les 
armes  et  20,OOU  indigènes  font  leur  soumission.  —  Mort 
du  poète  décadent  Stéphane  Mallarmé.  —  Les 
troubles  continuent  à  Candie.  Les  Anglais  bombardent 


ASSASSINAT     DE     S.     M.      L  '  1  M  1' É  II  A  T  U  I  C  E      D'AUTRICHE 
A  Genève.  La  foule  devant  l'hôtel  Beau-Rivage. 


MEMENTO    ENCYCLOPEDIQUE 


7S9 


de  nouveau  la  ville.  Les  consuls  se  rofngieiit  à  boni  ile-^ 
navires.  L'état  ilo  siège  est  proclauu'.  l'ri's  de  mimi  clin- 
tiens  sont  niassiicrés.  —  La  jeune  reine  de  Hollande 
fait  son  entrée  au  Palais  de  la  Haye.  —  Le  roi  d'Itaiie 
décide  de  ilonner  nu  Conservatoire  de  Naples  le  nom  de 
Verdi. 

10.  —  Le  duc  de  Connau^ht,  fils  de  la  reine 
d'Angleterre,  vient  en  l'rancc  imur  suivre  les  grandes 
manœuvres  du  Centre. —  Un  apprend  que  des  Kuropéeiis 
occupent  Fachoda,  sur  le  Nil.  Il  s'agit  de  la  mission 
Maroliand.  —  Le  général  Zurlinden  renvoie  le  dossier 
Dreyfus  an  garde  des  sceaux.  —  Cn  terrible  ouragan 
dévaste  les  Petites  Antilles,  faismt  L'od  victimes.  — 
L'impératrice  Elisabeth    d'Autriche   est  assas- 


culture  à  Lausanne.  —  En  Crète,  les  amiraux  dé- 
clarent que  la  question  crétoise  ne  peut  être  résolue  que 
par  le  retrait  des  troupes  turques  et  demandeat  à  leurs 
gouvernements  d'agir  dans  ce  sens.  Les  familles  chré- 
tiennes continuent  d'abandonner  la  Canée. —  A  Genève, 
mise  en  bière  de  la  dépouille  mortelle  de  l'impératrice 
d'Autriche.  —  Le  sirdar  Kitcliener  parc  de  Khar- 
toum  pour  Fachoda,  où  la  présence  d'Européens  est 
signa  Icc. 

13.  —  Séance  tumultueuse  au  Sénat  espagnol. 
M.  Almeiias  attaque  vivement  les  généraux. qui  ripostent. 
M.  Sagasta  accuse  de-;  ilésastres  la  race  espagnole,  qui, 
suivant  lui,  est  devenue  anémique.  —  La  Cliambre 
adopte  le  protocole  de  paix.  —  A  l'occasion  de  l'a-- 


LE.S     FUNÉRAILLES      DE      S.      M.      L  '  I  M  P  É  R  A  T  R  I  C  E      ÉLI.SABETH      D'AUTRICHE 

A      V  I  E  X  X  E 


sinée  à  Genève  par  un  anarchiste  italien,  nommé  Luc- 
oheni,  qui  lui  porte  un  coup  de  poignard  au  cœur  au  mo- 
ment où  elle  se  remlait  de  l'hôtel  Beau-Rivage  à 
l'embarcadère  du  bateau  à  vapeur.  —  Le  Sénat  espagnol 
adopte  le  protocole  de  paix. 

11.  —  A  Beaune,  inauguration  du  monument  de 
Pierre  JoigneauK,  ancien  représentant  du  peuple, 
publiciste  agricole.  —  Le  colonel  Ivanof,  ministre 
de  la  guerre  de  Bulgarie,  démissionne.  —  Li-Hung- 
Chang  est  relevé  de  ses  fonctious  de  membre  du 
Tsong-li-Yanien.  La  révolte  continue  dans  le  Haïnan  et 
le  Kouang-Si.  —  Onze  fonctionnaires  de  Corée  sont 
arrêtés  sous  l'inculpation  d'avoir  voulu  empoisonner 
l'empereur  et  le  prince  impériaU  —  Dans  son  interro- 
gatoire, Liiccheni  déclare  qu'il  est  anarchiste  et  se  féli- 
cite de  son  crime.  Il  fait  preuve  d'un  cynisme  révoltant. 

12.  —  Le  lieutenant-colonel  du  Paty  de  Clam  est 
mis  en  non-activité  par  retrait  d'emploi,  à  cause  de  ses 
agissements  au  cours  de  l'affaire  Esterhazy.  —  Mort  du 
général  de  brigade  en  retraite  Morel,  écrivain  mili- 
taire. —  M.  F.  Faure  pirt  pour  les  grandes  manœu- 
vres. —  La  9"  chambre  repousse  la  demande  de  mise  eu 
liberté  provisoire  du  lieutenant-colonel  Picquart. 
—  Ouverture  du  4''  Congrès  international  d'agri- 


sassinat  de  l'impératrice  d'.Vutriche  par  un  anarchiste 
italien,  des  manifestations  anti-italiennes  se 
produisent  à  Trieste.  l'2U  manifestants  sont  arrêtés.  — 
L'amiral  commandant  les  forces  anglaises  en  Crète 
ordonne  au  gouverneur  de  Candie  de  désarmer  les  mu- 
sulmans ilans  les  vingt-quatre  heures.  —  Les  repré- 
sentants de  l'empereur  d'Autriche  arrivent  à  Genève.  Le 
cercueil  contenant  la  dépouille  mortelle  de  l'impéra- 
trice Elisabeth  est  clos  en  leur  présence.  L'évêque 
de  Fribourg  donne  l'absoute.  Le  président  Ruffy  et  le 
comte  Kuefstein  prononcent  des  discours. 

14.  —  M.  F.  Faure  assiste  à  la  dernière  journée  des 
grandes  manœuvres  du  centre  avec  le  duc  de  Con- 
uaught.  —  Les  ouvriers  terrassiers  de  l'Exposition  se 
mettent  en  grève.  —  La  conférence  de  la  commission 
pour  le  nglement  de  frontière  chilo-argentin  est 
terminée.  Les  prétentions  des  deux  parties  étant  incon- 
ciliabUs.  le  Chili  demandera  l'arbitrage  de  l'Angleterre. 
—  La  dcpouille  mortelle  de  l'impératrice  Elisabeth 
est  transportée  de  Genève  en  Autriche. 

15.  —  Arrivée  de  quatre  ambassadeurs  bamir- 
guéens  venus  de  la  région  du  Tchad  pour  visiter  la 
France.  —  Mort  de  M.  Alfred  Poirier,  sénateur  de 
la  Marne.  —  La  Porte  demande  la  nomination  d'un  gou- 


790 


]S  I K  M  E  \  T  O    ENCYCLOPEDIQUE 


verneur  ottoman  en  Crète  et   l'envoi  de  troupes  tur- 
ques pour  rétablir  l"orilre. 

16.  —  Lii  revue  ijui  termine  les  grandes  ma- 
nœuvres du  centre  est  passée  par  M.  F.  Faure  et  en 
présence  du  duc  de  Connauglit.  Une  foule  considérable 
acclame  chaleureusement  les  troupes  au  moment  du  dé- 


fi. Desi-cz.  Clurl.nmu 


L  E      31  0  N  r  M  E  N  T     D  E     il  I  L  L  E  T 
A      a  R  É  V  I  L  I-  E 


filé.  Au  déjeuner  qui  suit,  des  toasts  sont  portés  par 
M.  P.  Faure,  le  duo  de  Connauglit  et  le  général  de  Né- 
grier. —  A  Yigo,  une  manifestation  hostile  se  produit 
contre  le  général  Torral,  signataire  de  la  capitula- 
tion de  Santiago.  —  La  reine  d'Kspagne  signe  la  loi  de 
cession  de  territoires  coloniaux.  —  Vue  céré- 
monie en  l'honneur  de  l'impératrice  Elisabeth  a 
lieu  à  la  chapelle  de  la  Hofliurg.  à  Vienne,  en  présence 
de  l'empereur  François- Jofeph.  Le  public  est  admis  à 
défiler  (levant   le  cercueil. 

17.  —  Le  conseil  des  ministres  autorise  le  garde  des 
sceaux  à  réunir  la  commission  instituée  au  ministère  de 
la  justice  en  vue  d'examiner  s'il  y  a  lien  de  demander 
la  revision  du  procès  Dreyfus.  A  H  suite  de  cette 
décision,  le  général  Ziirlindcn,  ministre  de  la  guerre,  et 
M.  Tillaye,  ministre  îles  tr:iv;iux  publics,  donnent  leur 
démission.  —  Le  général  Chanoine  est  nommé  mi- 
nistre de  la  gnerre  et  M.  Godin,  .■sénateur  de  l'Inde, 
est  nommé  ministre  des  travaux  publics.  —  Mort  du 
docteur  Betancès,  délégué  de  l'insurrection  cubaine  à 
Paris.  —  Le  duc  de  Connaught  fait  sa  visite  d'adieux 
au  président  de  la  liépublique.  —  Inauguration  du  mo- 
nument élevé  à  la  mémoire  des  marins  tués  au  siège  de 
Sfax  (Tunisie),  en  18S1. —  A  Vienne,  funérailles  solen- 
nelles de  l'impératrice  d'Autriche.  L'empereur 
François-Joseph  marche  derrière  le  cercueil  avec  l'em- 
pereur Guillaume,  le  prince  régent  de  Bavière,  les  rois 
de  Saxe,  de  Iloumanie,  de  Serbie,  le  prince  île  Naples,  le 
grand-duc  Alexis  de  Russie,  ete.  —  M.  Day.  ministre 
d'Etat  des  Etats-Unis,  démissionne.  —  Nomination  de  la 
commission  espagnole  pour  la  paix.  —  L'Al- 
lemagne, l'Autriche  et  l'Italie  répnndent  à  la  circulaire 
du  comte  Mouraview  concernant  le  désarmement. 
Elles  mettent  comme  condition  à  leur  adhésion  que  le 
statu  quo  territorial  de  chaque  puissance  sera  maintenu 
et  ne  pourra  pas  être  discuté. 

18.  —  Election  législative  dans  la  2=  circon- 
scription de  Mayenne,  en  remplacement  de  M.  Chauliu- 
Servinière,    décédé  ;    M.   Déribéré-Desgardes  est    élu  par 


9,457  voix.  —  Ciuverture  du  Congrès  national  des  So- 
ciétés de  géographie,  à  Marseille.  —  Le  Sultan 
ordonne  à  Djevad  Tacha  d'accéder  à  la  demande  de 
l'amiral  anglais  et  de  désarmer  la  population  de  Candie. 
La  ville  sera  occupée  par  les  troupes  anglaises.  —  L'as- 
semblée nationale  de  Manille  est  ouverte  sous  la  pré- 
sidence d'Aguinaldo.  Les  partisans  de  l'annexion  aux 
Etats-Unis  sont  en  majorité.  Us  décident  d'établir  pro- 
visoirement un  gouvernement  autonome.  —  L'éruption 
du  'Vésuve  ]n-enil  des  proportions  inquiétantes.  —  Il 
est  créé  un  ordre  d'Elisabeth  pour  perpétuer  le  sou- 
venir de  l'impératrice  d'Autriche. 

19.  —  Premier  coup  de  pioche  pour  le  métropo- 
litain. —  Le  duc  d'Orléans  lance  un  nuinifeste  pour 
protester  contre  la  décision  du  cabinet  concernant  la 
revision  de  l'affaire  Dreyfus.  —  L'Espagne  adhère  à  la 
proposition  de  conférence  pour  le  désarmement.  — 
Mort  de  Sir  George  Gray,  qui  fut  gouverneur  de 
plusieurs  grandes  colonies  anglaises.  —  Une  procla- 
mation de  l'empereur  de  Chine  au  peuple  dit  qu'il 
est  déterminé  à  adopter  la  civilisation  occidentale  dans 
ce  qu'elle  a  de  bon  et  prend  une  série  de  résolutions 
dans  ce  sens. 

20.  —  Le  général  Zurlinden  est  nommé  gou- 
verneur de  Paris.  —  M.  Périvler,  premier  président 
à  la  cour  d'appel  de  Paris,  atteint  par  la  limite  d'âge, 
est  remplacé  provisoirement  par  M.  Lefebvre  de  Vief- 
ville.  —  M.  de  Santos  Dumont  fait,  au  Jardin  d'accli- 
matation, des  expériences  avec  un  ballon  diri- 
geable. —  La  reine  de  Hollande  ouvre  la  session 
des  Etats  généraux.  —   La  Hollande  adhère  à  la  circu- 


S.     M.      liA      REINE      LOUISE 
DE      D  A  X  E  M  A  R  K 


laire  du   comte   Mouraview.  —    La    Russie    obtient    le 
monopole  des  chemins  de  fer  en  Perse. 

21.  —  L'amiral  Cervera,  332  officiers  espagnol- 
et  1,352  marins  de  la  tiotte  de  Cuba  arrivent  à  San- 
t,i„iièr.  —  Ouverture  du  congres  de  l'Association 
littéraire  et  artistique  internationale  à  Turin. 

22.  —  Le  colonel  Picquart,  en  détention  pré- 
ventive à  la  prison  de  la  S  mté,  pour  l'affaire  Picquart- 
Leblois,    est   livré  à   l'autorité  militaire,  qui   commence 


MEMENTO    ENCYCLOPÉDIQUE 


791 


uue  iiistniotioii  i)om-  l'aU'aire  ilitc  >(  du  Petit  bleu  ». 
M.  PicqHiirt  ost  transfiTi't  à  lu  prisuu  du  Clicrche-Midi. 
—  Au  cimetière  de  Suresnes,  inauguration  du 
monnuient  t^lcvi'  à  la  ni6iiu)iro  dis  solilats  uiorts  pour  la 
patrii".  —  Un  i!'dit  iniiirrial  remet  le  iwuvoir  iV  Timpé- 
ratrice  douairière  de  Chine,  (lui  aurait  l'intention 
d'empOeher  les  rét'oruics  que  l'eniiiereur  projetait  d'ae- 
ooniplir  sur  les  conseils  ilu  marquis  Ito,  ministre  du 
Japon,  iictuoUement  eu  Chine.  —  Le  Sénat  de  la  Répu- 
blique argentine  sanctionne  la  mobilisation  de 
.lO.CMKi  li()mmes. 

23.  —  M""  Paulmier,  femme  du  député  du  Calva- 
dos, tire  plusieurs  coups  de  revolver  sur  M.  OUivier,  se- 
crétaire de  la  rédaction  do  la  Limterne,  iiour  se  venger 
d'un  article  outrageant  pour  elle  et  sou  mari,  paru  dans 
ce  journal.  —  A  liruxelles,  ouverture  du  congrès  inter- 
national de  l'Art  public.  —  Le  Conseil  fédéral  suisse 
décide  l'expulsion  de  36  anarchistes.  —  En  Alle- 
magne, inauguration  du  monument  élevé  à  la  mémoire 
du  prince  de  Mecklembourg-Schwerin  et  des 
marins  qui  ont  péri  avec  lui  lors  du  naufrage  du  torpil- 
leur S. -26. —  Le  président  Mac  Kinlcy  approuve  le  projet 
d'une  souscription  dans  les  écoles  des  Etats-Unis  en  vue 
d'élever,  ;\  Paris,  un  monument  à  la  mémoire  de 
Lafayette.  —  Suivant  des  chiffres  officiels,  la  guerre 
de  Cuba  a  coûté  près  de  deux  milliards  à  l'Espagne 
depuis  189.'i.  —  Un  tribunal  militaire  est  constitué  en 
Crète,  pour  juger  les  émeutiers  de  Candie. 

24.  —  A  la  commission  consultative  du  ministère  de 
la  justice,  appelée  à  donner  son  avis  sur  la  demande  de 
révision  du  procès  Drej-fus,  3  membres  se  prononcent 
pour  et  3  contre.  —  La  mission  bamirguéenne, 
amenée  en  France  par  l'explorateur  Gentil,  retourne  en 
Afrique.  —  Mort  de  M.  Desprez,  ancien  ambassadeur 
de  France  auprès  du  Saint-Siège.  —  L'empereur  de 
Chine  et  les  hauts  fonctionnaires  rendent  hommage  à 
l'impératrice  douairière.  —  D'un  commun  accord,  le 
Chili  et  la  République  argentine  soumettent  à 
l'arbitrage  de  la  reine  d'Angleterre  le  litige  concernant 
la  question  de  frontière. 

25.  —  A  Gréville.  inauguration  du  monument  élevé 
à  la  mémoire  du  peintre  Millet.  —  Mort  de  M.  Ga- 
briel de  Mortillet,  anthropologiste,  conservateur  du 
musée  de  Saint-Germain.  —  Au  pic  du  Midi  de  Bigorre, 
inauguration  des  bustes  du  général  de  Nansouty  et 
de  l'ingénieur  Vaussenat,  fondateurs  de  l'observatoire  du 
pic  du  Midi.  —  A  Yerviers  (Belgique),  inauguration, 
sur  la  place  du  Congrès,  de  la  statue  du  violoniste 
Vieuxtemps.  —  Le  sirdar  Kitchener,  avec  deux  ba- 
taillons soudanais,  arrive  à  Fashoda.  Le  capitaine 
Marchand,  qui  occupe  la  ville  depuis  le  IM  juillet, 
refuse  de  céder  la  place.  Le  sirdar  établit  un  poste  et 
hisse  le  pavillon  anglo-égj'ptlen  à  côté  du  pavillon  fran- 
çais. —  Kang-Yu-Mei,  grand  réformateur  chinois,  à 
l'instigation  duquel  l'empereur  avait  lancé  sa  proclama- 
tion, devant  être  arrêté  par  le  gouverneur  de  Shangaï, 
se  réfugie  sur  un  navire  anglais.  Il  est  accusé  par  l'im- 
pératrice d'avoir  formé  un  complot  contre  la  vie  de 
l'empereur.  Une  puissante  fiotte  anglaise  est  dans  le 
Petchili. 

26.  —  Le  cabinet  décide  que  le  garde  des  sceaux 
transmsttra  à  la  Cour  de  cassation  la  demande  de  revi- 
sion du  procès  Dreyfus.  —  Dans  une  circulaire  aux 
procureurs  généraux,  le  garde  des  sceaux  prescrit  de 
poursuivre  immédiatement  les  attaques  contre  l'ar- 
mée. —  Des  bagarres  sanglantes  se  produisent  entre 
terrassiers  grévistes  et  non  grévistes.  —  Des 
troupes  anglaises,  parties  de  Kassala,  s'empai'ent  de 
Gédarif  après  un  vif  combat.  —  Le  sirdar  Kitche- 
ner est  nommé  pair  d'Angleterre.  —  A  Lisbonne,  ou- 
verture du  Congrès  international  de  la  presse, 
en  présence  du  roi.  —  A  Turin,  ouverture  d'une  confé- 
rence pour  l'union  internationale  de  paix  et  d'arbi- 
trage. —  Le  Khédive  arrive  à  Vienne.  —  Ouverture 
du  Parlement  autrichien.  Le  docteur  FucUs  est  réélu 


Cl.  Paul  BoTtr 


MADAME      CARNOT 


président. —  A  Liège,  ouverture  du  Congrès  interna- 
tional d'hydrologie,  de  climatologie  et  de  géologie. 

27.  —  M.  Jules  Cambon,  amlMssadeur  à  Constan- 
tinople,  est  nommé  ambassadeur  à  Londres,  en  remplace- 
ment de  M.  de  Courcel.  —  Démission  de  M.  "Woodrord, 
ambassadeur  des  Etats-Unis  en  Espagne.  —Les  membres 
américains  et  espagnols  de  la  Commission  de  la 
paix  arrivent  à  Paris.  —  Un  édit  impérial  rapporte 
toutes  les  réformes  édictées  par  l'empereur  de  Chine, 
qui  serait  malade  depuis  le  mois  de  mai.  —  Malgré  de 
nombreuses  exécutions,  la  révolte  continue  dans  le 
Kouang-Si 

28.  —  M.  Manuel  Estrada  Cabrera  est  acclamé  prési- 
dent de  la  République  de  Guatemala  par  l'Assem- 
blée nationale,  pour  la  période  de  1899-1905.  —  Djevad 
pacha,  gouverneur  de  Crète,  révoque  Edhem  pacha, 
gouverneur  de  Candie.  —  Inauguration  du  monument 
élevé  dans  la  vallée  de  Gœschenen,  à  la  mémoire  des 
soldats  russes  morts  en  Suisse  à  la  fin  du  siècle 
dernier.  —  Un  Japonais,  M.  Tomojé  Skinsouké,  invente 
un  remède  contre  la  phtisie,  dont  l'élément  principal 
serait  le  nitrogèue.  Cette  médication  aurait  été  reconnue 
très  efficace. 

29.  —  Le  ministre  des  affaires  étrangères  reçoit^  à 
déjeuner  les  membres  de  la  Commission  de  la  paix 
hispano-américaine.  —  Dix-huitième  congrès  de  la 
Ligue  de  l'enseignement,  à  Rennes.  —  Mort  de 
la  reine  Louise  de  Danemark.  Elle  était  âgée  de 
quatre-vingt-un  ans.  —  M.  Ohigashi,  ministre  de  la 
justice  du  Japon,  donne  sa  démission.  —  L'insurrec- 
tion  des  Philippines  prend  du  développement.  Le 
gouvernement  espagnol  autorise  le  général  Rios  à  accor- 
der les  réformes  demandées  par  les  indigènes  des  ile< 
Visayas. 

30.  —  Mort,  au  château  de  Presles,  de  M'"''  Carnot, 
veuve  du  président  Carnot.  —  Les  Etats-Unis  adhèrent 
à  la  circulaire  de  M.  Mouraview  concernant  le  désar- 
mement. —  A  Malatos  (Philippines),  cérémonie  orga- 
nisée par  Aguiniildo  pour  célébrer  l'indépendance  de  la 
République  des  Philippines.  —  A  Anvers,  confé- 
rence iuternationale  de  droit  maritime. 


-<^ii)<^- 


QUESTIONS    FINANCIERES 


(le  mois  n'a  pas  été  ])on.  On  pouvait 
espérer  que,  comme  d'habitude,  octobre 
verrait  un  réveil  de  ractivité  financière; 
mais,  à  cet  égard,  la  Bourse  a  éprouvé  une 
assez  vive  désillusion.  Il  faut,  du  reste, 
avouer  que  les  circonstances  ne  militaient 
pas  en  laveur  d'une  reprise   des  affaires. 

Au  fond,  beaucoup  de  gens  pensent  que 
le  mal  n'est  pas  ])ien  profond,  en  dépit  du 
nombre  d'ouvriers  inoccupés;  mais  les 
faits  sont  grossis  à  plaisir  par  les  politi- 
ciens et  il  en  résulte  que  les  informations 
expédiées  à  l'étranger  ou  dans  les  dépar- 
tements sont  de  nature  à  inquiéter  ou 
lout  au  moins  à  troulder  les  espiits.  En 
cons<'>({uence,  la  clientèle  l)oursière  imite 
les  terrassiers  et  les  démolisseurs;  elle  se 
met  en  grève,  elle  aussi,  préférant  attendre 
que  les  temps  soient  devenus  plus  calmes. 
On  dit,  d'autre  part,  que  les  marchés 
étrangers  ont  des  préoccupations  au  sujet 
du  resserrement  des  capitaux.  Il  nous 
semble  qu'on  exagère  beaucoup.  L'argent, 
en  somme,  n'est  ])as  plus  serré  et  plus 
cher  que  d'hal)itude  à  pareille  époque  de 
l'année. 

Nous  pensons  que  le  public  proprement 
dit  fera  bien  de  ne  pas  attacher  trop  d'im- 
portance à  toutes  ces  choses,  dont  l'effet 
ne  nous  apparaît  point  comme  devant  être 
très  durable.  Puisqu'on  est  un  peu  lourd 
en  ce  moment-ci,  ce  serait,  selon  nous, 
intelligent  de  profiter  des  cours  actuels 
pour  enti'Cr  dans  quelques  bonnes  valeurs, 
que  vous  verrez  repartir  dès  que  la  Bourse 
retrouvera  un  peu  d'activité.  Le  vieux 
«licton  :  »  Pour  gagner  de  l'argent,  il  s'agit 
simplement  d'acheter  bon  marché  et  de 
revendre  cher»,  semble  empreint  d'un  peu 
de  naïveté.  Cependant  il  exprime  une  vé- 
rité un  peu  plus  compliquée  qu'il  ne  parait 
au  premier  abord.  Un  fait  certain  est  que 
la  grande  masse  du  public  n'achète  jamais 
en  baisse;  il  vend  et,  pour  acheter,  il  at- 
tendtoujoursque  les  cours  se  soient  relevés. 

A  l'extrême  rigueur,  on  comprendrait 
cette  façon  d'opérer  quand  il  s'agit  de  va- 
leurs «  politi(jues  »,  — ■  les  rentes  étran- 
gères, par  exemple.  En  temps  de  discus- 
sions internationales,  on  ne  sait  jamais 
exactement  où  l'on  va,  ni  comment  on  va, 
ni  comI)ien  de  temps  dureront  les  discus- 
.sions.  Le  mieux,  dans  ce  cas-là,  est  donc 
d'attendre.  Mais  il  y  a  sur  la  cote  une 
foule  de  titres  qui,  par  la  nature  des  en- 
treprises qu'ils  représentent,  échappent 
totalement  aux  influences  des  discussions 
politiques.  Nous  visons,  on  le  devine,  les 
valeurs  industrielles,  et  surtout  les  valeurs 
industrielles  nouvelles,  —  celles  qui  n'ont 
pas  encore  atteint,  sur  la  cote,  le  déve- 
loppement aucjuel  elles  peuvent  prétendre 


dans  l'avenir.  Ainsi  je  conçois  très  bien 
(ju'en  des  temps  troublés  on  vende  des 
actions  des  chemins  de  fer  français,  de 
Suez,  etc.  ;  elles  ont  ])eaucoup  monté  de- 
puis déjà  quehjue  temps  et  l'acheteur 
peut  ]jarfaitement  se  dire  que  le  moment 
est  venu  de  réaliser  son  bénéfice  —  et  il  le 
fera  d'autant  plus  volontiers  (jue  ces  va- 
leurs classiques,  à  force  de  progresser, 
ne  présentent  jjIus  qu'un  taux  de  capitali- 
sation des  plus  médiocres,  quelque  chose 
comme  2  3/4  à  3  </o. 

Mais  les  nouvelles  valeurs  sont  logées 
à  une  meilleure  enseigne.  Elles  se  trouvent 
dans  d'excellentes  conditions,  sous  tous 
les  rapports;  nous  jiarlons,  bien  entendu, 
des  valeurs  sérieuses,  émanées  d'indus- 
tries sérieuses.  Il  y  a  des  titres,  accessi- 
bles encore  à  toutes  les  bourses,  même 
les  plus  modestes,  et  qui,  parce  qu'ils 
ne  jouissent  pas  d'une  énorme  notoriété 
(circonstance  qui  tient,  dans  la  plupart  des 
cas,  à  ce  que  les  promoteurs  de  ces  entre- 
prises n'ont  pas  jugé  à  propos  de  faire  les 
frais  d'une  publicité  dispendieuse),  se  ca- 
pitalisent encore  à  ."»  %,  6^,  voire  davan- 
tage. C'est  ce  qui  arrive,  par  exemple, 
pour  les  actions  des  Chaussures  l'Incroyable, 
ou  des  Biscuits  Olibet,  ou  des  Chaussures 
françaises,  et  à  quelques  autres  encore,  — 
—  l'obligation  du  Monde  Aloderne,  pour 
citer  une  obligation  aux  personnes  qui 
préfèrent  à  toutes  les  autres  des  valeurs  à 
revenu  fixe.  Les  Chaussures  l'Incroyable 
valent  216  francs  environ;  je  les  ai  signa- 
lées, voilà  moins  d'un  an,  à  la  clientèle 
du  Moniteur  économique  et  jinancier,  qui 
donne  régulièrement  les  taux  de  capitali- 
sation de  toutes  les  valeurs  industrielles 
de  la  cote;  elles  cotaient  alors  loO  francs 
au  maximum  et  il  n'y  a  pas  de  raison 
pour  que  ce  prix  ne  s'élève  pas  encore  : 
le  revenu  de  cet  exercice  devait  très  pro- 
bablement dépasser  le  précédent  qui  était 
de  12  fr.  50.  Des  observations  du  même 
genre  s'appliquent  à  d'autres  valeurs. 
Tout  ce  qu'on  peut  demander  à  des  entre- 
prises présentant  une  indiscutable  sécurité 
financière,  c'est  un  revenu  moyen  de  4  1/4 
à  4  1/2  o/o  au  plus.  A  ce  taux,  l'obligation 
du  Monde  Moderne  vaut  facilement  de  115 
à  120  francs,  au  lieu  de  100  à  102  francs 
qu'elle  coûte  actuellement,  et  l'action  des 
Chaussures  Vlncroyable  vaut  275  francs. 
Ces  prix  seront  sûrement  atteints  un  jour 
ou  l'autre,  et  ce  serait  peut-être  déjà  fait 
si  nous  étions  dans  un  moment  plus  tran- 
quille. Mais  c'est  justement  parce  que 
certaines  valeurs  se  présentent  dans  de 
bonnes  conditions  qu'il  faut  se  hâter  d'en 
profiter. 

E.    Benoist. 


Adresser  les  communications  pour  cette  page  à  M.  Emile  Benoist.  17,  rue  du  Punt-Neuf. 


BOURSE   DE   PARIS  (Comptant).  —  Cours  extrêmes  de  Septembre  1898. 


FONDS   D'ÉTAT   ET  DE  VILLES 


3  %  français  perpétuel 

3  Jf         cl"      amortissable 

3l/2/do       

Obligations  tunisiennes  3  %  1892. . . . 
Emprunt  Annam  et  Tonkin  2  1/2  % 

Emprunt  de  Madagascar  2  1/2  % 

Angleterre,  consolidés  2  3/4  % 

République  argentine  5  %  1886 

Autriche  4  %  1876,  or 

Belge  3  %  1873  conv.  (2-  série) 

Brésilien  4  %  1889 

Chine  4  %  1895,  or 

Étal  iudép»  du  Congo,  lots  1888 

Egypte  7  %,  dette  unifiée   nouvelle . . 

—      3  1/2  %,  dette  privil.,  conv.. 

Espagne  extérieure  4  %  1882,  perpét . 

Hongrois  4  %  1881,  or 

Italien  6  % 

Portugais  1853  Z  % 

Roumain  i  %  1890 

Russe  4  %  1880  (6»  émission) 

—  i%  1889,  or 

—  i  %  consol.  (1"  et  2^  séries). . 

—  4  ^  1890  (2«  et  3»  séries) 

—  3  Jg"  1891,  or 

—  4^  1893,  or 

—  3  1/2  %  1894,  libéré 

—  Z  %  1896 

Serbie  4  %  1895 

Suisse  (chemins  de  fer)  Z  % 

Turquie,  dette  convertie  (D)  4  ^ . . . . 

—  oblig.  consolidé  1890,  i  % 

—  —    ottom.  priorité  1890,  4  %. 

—  —     privil.  douanes  5  % 

—  —     ottom.  1894,  i  % 

—  —     1896,  5  % 

Ville  de  Paris   1865,  i  % 

—  1869,  Z  % 

—  \in,Z% 

—  1875,4^ 

—  1876,  i.% 

—  1886,  Z  % 

—  1892,  2  1/2 ^tout payé. 

—  1894-96,  2  1/2  %  d» 

■  Ville  de  Marseille  1877,  Z  % 

—  d'Amiens  1871,  4  J' 

—  de  Bordeaux  1863,  Z  % 

—  de  Lille  1860,  Z  % 

—  —      1893,  3  1/2^ 

—  de  Lyon  1880,  Z  % 

ÉTABLISSEMENTS    DE   CRÉDIT 

Banque  de  France (Actions) 

Banque  Paris  et  Pays-Bas .  d" 
Banque  Transatlantique  . .  d" 
Compagnie  Algérienne  ...         d° 

Comptoir  d'Escompte d" 

Crédit  Foncier  de  France..  d" 
Foncières   1879,  Z%...  (Obligations) 

—  1883,3^ d» 

—  1885,3^ d" 

—  1895,  2,80^  lib.         d» 
Communales  1879,  2,60  % .         d° 

—  1880,  Z  X  ■■■         d» 

—  1891,3^...         d» 

—  1892, 3  J....         d» 

Crédit  Industriel (Actions) 

Crédit  Lyonnais d" 

Société  Générale d° 

Banque   Ottomane. .  .•. d* 


RtT.nct 
d'impOt 

3     » 

3     ). 

3  50 
15     » 

2   50 


» 
20  08 
17  67 

4 

4 

4 

»  93 

4 

4 

4 


3 

4 

3 

3 

4 

3 

1 
20 
20 
25 
20 
25 
18  08 
10  66 
10  68 
18  06 
18  06 
10  68 

8  82 

8  82 

10  70 
3  60 
3  » 

2  64 

3  16 
2  67 

115  » 
36  95 

11  68 
29  60 
25  » 
24  96 
13  40 
13  48 
13  40 

12  46 

11  50 

13  40 
10  72 

14  36 

12  » 
32  05 
12  » 
12  50 


Plus  haut. 

103  .')ii 

102  » 
10(i  2.5 
503  75 

90  lT) 

91  ). 
112  » 
4(iO  1) 
101  .■)0 

101  GO 
56  « 

lor.  )) 

91  » 
111  \h 
106  25 

41  30 

103  40 

93  10 
21  » 

94  10 
103  75 

103  15 

104  60 
103  SO 

97  25 

105  50 

102  90 
97  SO 
60  75 

101  15 

23  40 

423  » 

4S9  » 

503  » 

46.5  » 

465  » 

561  » 

432  » 

418  » 

685  » 

585  » 

405  » 

406  » 
401  » 
408  » 
125  » 
127  » 
12.S  » 
510  » 

103  50 


3590  » 

964  » 

435  » 

790  » 

.596  B 

705  » 

508  » 

474  » 

802  » 

500  50 

502  » 

506  50 

40G  » 

602  » 

615  » 

878  » 

550  » 

555  1) 


Plus  bas. 

102  15 
101  60 
105  50 
501  » 

S9  Kl 

S  9  SU 

lo;i  7.5 

440  » 

103  50 

101  15 

.52  SO 

104  ). 
S  9  » 

109  75 

105  20 
41  5(» 

102  (10 

92  :îO 
20  95 

93  S5 

103  » 

101  ',10 
103  60 

102  20 
96  50 

103  7.5 
101  60 

96  50 

59  50 

100  50 
22  20 

390  » 

465  » 

490  » 

451  1) 

452  » 
552  » 
428  )i 
416  » 
681  » 
581  » 

398  25 
401  » 

399  1) 
405  50 
120  » 
122  50 
125  » 
503  .50 

101  61) 


3550  » 

949  » 

429  » 

776  » 

682  50 

680  » 

505  » 

465  25 

601  25 

498  .50 

496  50 

600  » 

403  25 

600  B 

610  » 

847  » 

549  » 

545  » 


CHEMINS  DE    FER 


Est 500  f r.  tout  payé  (Actions) 


P.-L.-M 

d° 

d" 

Midi 

d» 
d° 

d" 

Nord 

d» 

Orléans 

d» 

d» 

Ouest 

d» 

d» 

Bône-Guelma.  . 

d" 

d» 

Est-Algérien . . . 

d" 

d" 

Ouest-Algérien . 

d° 

d» 

Andalous 

d» 

d» 

Autrichiens. . . . 

d» 

d» 

Sud-Autriclie  . . 

d« 

(1° 

Nord -Espagne. . 

d» 

d» 

Saragosse 

d» 

d» 

Kst  3  %  nouveau (Oblig.) 

P.-L.-M.  3  %  nouveau d» 

Midi  Z  %  nouveau d" 

Nord-Est  français  Z  % d" 

Orléans  1884 d» 

Ouest  3  %  nouveau d" 

Bône-Guelma  Z  % d» 

Est-Algérien  Z  % d» 

Ouest- Algérien  Z  % d» 

Médoc  Z  % d» 

Andalous  3  %  estamp d" 

Autrichiens  3  %  l'«  hypoth.  d" 

Nord-Espagne  1'"'' hypothèque.  d" 

Saragosse d" 

VALEURS   DIVERSES 

Docks  et  Entrep.  de  Marseille.(Actions) 

Entrep.  et  Mag.  Gén.  de  Paris.  d" 

Cie  G'"  Transatlantique d» 

0'"=  française  des  Métau.x. ...  d" 

C'«  générale  des  Tramways ...  d" 

C'"  générale  des  Eaux d" 

C'«  du  Gaz  de  Bordeaux....  d" 

C'«  du  Gaz  général  de  Paris.  d" 

C'"  du  Gaz  de  Marseille d» 

Aciéries  de  France A" 

Forges  et  Chantiers  Méditer .  d» 

Bateaux  Parisiens d" 

C'<^  franc,  des  Chargeurs  réunis,  d" 

C'"*  des  Lits  militaires d" 

Société  de  la  Tour  Eiffel d" 

C"  interu'''  des  Wagons-lits . .  d» 

Régie  des  tabacs  ottomans..  d» 
C'"  générale  des  Eaux  Z  % ..  (Oblig.) 

-  -  5^..  d" 

C'«  Parisienne  du  Gaz  4  ^  . .  d» 

Gaz  central  500  fr.  4  X d" 

C''^  du  gaz  p.  France  et  Et.  4  %.  d» 

C'>'desMessag.Marit.31/2  J'.  d» 

Ci« G'"  Omnibus  de  Paris i% .  d» 

Q\K  Qie  Voitures  à  Paris i% .  d» 

Qie  Qie  Voitures  Urbaine  5  J .  d» 

C'«  des  Lits  militaires  i  % . .  d» 

Canal  de  Panama,  lots,  t.  p. .  d° 

—  —  210  p d» 

—  —     bons  à  lots  89.  d° 
C'"  du  Canal  de  Suez  b  % ...  d» 

—  Z  %  (l"-*^  série).  d» 

—  Z%  (2«  série).  d* 
Obligations  du   Monde  Moderne  {Ty  ix. 

net  de  revenu).  —  Couiwns  paj^ables 
le   1^''  avril  et   le    l'i"  octobre  aux 

bureaux  du  Monde  Moderne  ou  au 
Comptoir  geiiéni!  de  cnjdit,  17,  rue 
du  Pont-Neuf. 


Rit  net 

d  impoi  Plus  haut.    Plus  bas. 


32  16 
49  70 
45  42 
55  90 
52  99 
34  75 
26  97 
26  10 
22  78 
5  » 
31  » 


5  » 
4  25 
13  44 
13  44 
13  44 
13  44 
13  44 
13  44 
13  46 
13  50 
13  48 

13  54 
11  » 
15 
11 

14  30 


16  43 
25 

17  30 
27  95 

» 
59  98 
82  66 

20  32 
45  60 
34  44 
25  30 
22  63 
65  04 
44  79 

5  15 
30  » 
25  » 
13  46 

22  94 

18  16 
18  16 
18  20 
15  84 
18  » 
18  18 

23  30 

21  81 
» 

» 
» 

24  50 
13  40 
13  50 


1095  B 

1968  » 

1468  » 

2162  B 

1900  » 

1235  B 

810  B 

747  B 

675  » 

103  .50 

765  » 

174  50 

76  B 

143  50 

483  » 

477  50 

482  50 

479  50 
486  » 

483  60 
468  » 
465  60 
473  » 
428  B 
198  50 

480  50 
225  B 
2S8  » 


4G5  B 

716  B 

355  » 

665 

1125  B 

2300  B 

1950  » 

470  B 

1170  B 

1175  B 

850  B 

841  B 

1539  B 

1660  B 

605  B 

780  B 

291  B 

479  50 

531  » 

610  » 

514  B 

614  B 

612  26 

618  » 

524  » 

178  75 

623  B 

127  B 

262  B 

117  >) 

670  B 

485  B 

484  B 


»   100  »l 


LA    CARICATURE    INTERNATIONALE 


Les  Curiofilcs  sooloftiques  de  l'Afrique  (d'aiirts  Fiscliiello,  tlu 
Turin).  —  L'BXPLORATEUll  ASGI.AIS  :  «  Tiens,  les  merles  de 
ITachoda  ont  une  crête  de  coq,  ou  tout  au  moins  de  loin  cela  m'en 
a  tout  l'air.  »  (Allusion  îi  l'occupation  de  Marchand  et  jeu  de  mot 
italien  :  merli,  merles,  désignant  également  les  créneaux  où,  près 
du  coq  gaulois,  flotte  le  drapeau  français). 


Lord  Saliêbury  fermanl  boutique  (d'après  Punch,  Londres). 
La  politique  de  lord  Salistury  au  Foreign  Office,  encore  trop 
calme  au  gré  de  certains  dans  les  affaires  d'Egjirtc  et  d'ailleurs, 
répond  peu  aux  imjiatiences  actuelles  de  l'Angleterre  et  la  re- 
traite du  (i  Premier  »  serait  goûtée  outre-Manche,  au  moins 
par  les  plus  belliqueux. 


c  de  la  Turquie  (d'aprcs  C/,out,  Saint- 


Bouillie  trop  cJiaude  (d'après  Humoristicke  Lislu,  Prague).  — 
L'Allemagne,  qui  vient  en  premier  pour  goûter  la  bouillie  du 
Czar,  hésite  à  s'approcher  de  la  terrine  (sur  laquelle  on  lit  : 
«  pésarnicment  »)  ;  —  elle  entraînerait  cependant  l'Autriche- 
Hongrie,  l'Amérique,  la  France,  et  le  restant  de  la  Itaudc,  en 
attente  den'ière  elle. 


LA    VIE    PRATIQUE 


Nettoyage  des  meubles.  —  Le  vernis  qui 
l'ccoiivre  los  nu-iihlcs  et  c|iii  leur  donne  un 
aspect  si  agréaljle  s'en  \a  petit  à  petit  et  ne 
laisse  à  sa  place  cpi  une  surface  terne,  désa- 
j^réable  à  \\vi\.  Nos  lecteurs  seront  sans  doute 
heureux  de  sax'oir  comment  on  peut  remédier 
à  cet  accident  dont  tout  le  nioiidc  est  victime. 
Pour  cela,  on  l'ait  foiulrc  à  une  douce  chaleur  : 

("ire  jaune 125  grammes. 

Orcanétine  en  poudre.       30         — 

Tant  que  le  mélange  est  sur  le  feu,  on  remue 
constamment.  Ensuite  on  passe  au  tra\ers 
d'une  grosse  toile  ou  mieux  d'un  tamis.  Dans 
la  partie  qui  a  passé,  ou  met  125  grammes 
d'essence  de  térébenthine  et  on  continue  de 
remuer  jusqu'à  complet  refroidissement.  On 
conserve  dans  un  vase  pouvant  se  boucher 
hermétiquement.  Quand  on  veut  réparer  une 
surface  décirée,  on  met  un  peu  du  mélange 
avec  un  chifîon  de  laine  et  on  l'étend  en  couche 
mince.  On  frotte  enfin  a\"ec  un  autre  chiffon 
de  laine  jusqu'à  ce  que  la  surface  soit  bien 
polie  et  ne  colle  plus  aux  doigts. 

Enlèvement  des  taches  de  boue  et  d'huile 
sur  la  soie.  —  \'oici,  d'après  le  Praticien  in- 
iluslriel.  le  mo_%  en  d'enle\er  les  taches  de  boue 
et  d'h-uile  sur  la  soie. 

l"  Pour  enle\er  les  taches  d'huile  sur  la 
soie,  si  la  tache  est  vieille,  remettre  dessus  de 
l'huile  fraîche;  laisser  ainsi  une  dizaine 
d'heures.  On  peut  alors  enlever  la  tache  à 
l'essence  de  lérébcntliine  avec  un  tampon  de 
flanelle  pour  frictionner.  Il  faut  avoir  soin  de 
dédoubler  l'objet  et  de  mettre  un  linge  dessous 
pour  recevoir  la  tache.  Mais  la  composition 
suivante  : 

250  grammes  d'essence  de  térébenthine, 
.30  grammes  d'élher  sulfurique, 
mise   en    flacon  bien  bouché  et    employée  en 
mouillant  les  taches  et  en  les  frottant  avec  un 
morceau  de  flanelle,  est  préférable  à  l'essence 
de  térébenthine  seule  ; 

2"  Pour  enlever  les  taches  de  boue  sur  la 
soie,  mouiller  les  taches  avec  un  peu  d'eau  et 
couvrir  ensuite  de  crème  de  tartre  en  poudre. 
Au  bout  de  quelques  minutes,  rincer  la  partie 
tachée  a\ec  de  l'eau  claire. 

Si  l'étoffe  est  de  couleur  trop  délicate,  il  ne 
faudrait  pas  laisser  séjourner  trop  longtemps 
la  crème  de  tartre,  de  peur  d'altérer  la  cou- 
leur. 

Pièces  fausses  de  20  francs.  —  Nous  voici 
à  l'époque  de  l'année  où  l'on  dépense  le  plus 
d'argent.  C'est,  par  conséquent,  le  moment  où 
les  pièces  fausses  circulent  le  plus  ;  on  ne  se 
figure  pas  comme  elles  sont  abondantes.  La 
chose  est  particulièrement  grave  pour  les 
pièces  de  20  francs.  Certaines,  en  platine  doré, 
sont  si  bien  imitées  que  les  caisses  de  l'Etat 
elles-mêmes  s'y  trompent.  Mais  si,  par  mal- 
heur, elles  s'en  aperçoi\  eut,  la  pièce  est  im- 
médiatement coupée  en  deux,  (^es  pièces,  en 
platine  doré,  sont  à  l'efligie  de  Napoléon  III, 
non  couronnées,  avant  1S60.  On  les  reconnaît 
à  ce  que  leur  son  est  pliis  clair,  |)lus  argen- 
tin que  celui  des  pièces  ordinaires  ;  de  plus, 
les  caractères  des  mots  :  «  Dieu  protège  la 
France    »,    sont    comme    hachés    et,    partout. 


presque  illisibles.  Kn  outre,  dans  la  figure,  il 
y  a  diverses  imiierfections  :  la  raie  des  che- 
veux est  tro]!  accentuée  ;  la  face  est  tro]>  pleine, 
l'oreille  un  i)eu  écras('-e.  la  barbiche  trop  rele- 
vée à  la  pointe.  Sur  la  même  face,  les  lettres 
de  l'exergue  sont  trop  i)clites.  Sur  l'autre  face, 
le  chiffre  20  francs  est  trop  gros  et  les  armes 
manquent  de  l'clief.  —  11  existe  aussi  d'autres 
pièces  analogues,  mais  couronnées  el  jjortant 
les  dates  de  ISGO  à  1S70.  Dans  celles-là.  la  tète 
de  l'emijcreur  est  trop  courte  et  les  feuilles  de 
la  couronne  sont  trop  épaisses.  Elles  présen- 
tent d'ailleurs  les  mêmes  eléfectuosités  que  les 
précédentes.  Certaines  sont  aussi  à  l'efTigie 
de  la  République:  on  les  reconnaît  à  ce  que 
la  jambe  droite  du  Génie  présente  une  légère 
solution  de  continuité  et  semble  cassée.  Dans 
toutes  ces  pièces ,  ayant  un  peu  roulé ,  la 
tranche  laisse  voir  la  couleur  blanche  du  pla- 
tine :  elles  ne  valent  pas  plus  de  s  francs.  — 
Les  pièces  de  20  francs  en  cuivre  se  reconnais- 
sent à  leur  son  bizarre  et  à  leur  poids  qui  est 
d'un  tiers  plus  léger  que  celui  des  bonnes 
pièces  ;  à  part  cela,  elles  sont  très  bien  imi- 
tées. 

Encre  pour  écrire  sur  le  parchemin.  —  Pour 
écrire  sur  le  parchemin,  il  faut  une  encre  spé- 
ciale qui,  croyons-nous,  ne  se  trouve  pas  dans 
le  commerce.  Aussi  croyons-nous  bon  d'en 
donner  la  fabrication,  très  simi^le,  comme  on 
va  le  voir.  On  fait  macérer  100  grammes  de 
noix  de  galle  broyée  dans  200  grammes  d'eau 
pendant  quarante-huit  heures.  On  ajoute  en- 
suite : 

Couperose  verte  ....     lo  grammes. 

Gomme  arabique.   ...       5  — 

On  fait  chauffer  le  tout  à  l'ébullition,  puis 
on  laisse  refroidir.  Finalement,  on  décante  et 
on  verse  dans  des  flacons  bien  bouchés,  tenus 
au  sec.  Au  moment  de  s'en  servir,  verser  un 
peu  de  l'encre  dans  une  petite  capsule  et  chauf- 
fer légèrement. 

Procédé  pour  préparer  de  la  bonne  glu.  — 
"\'oici.  d'après  la  Science  en  faiaille,  le  moyen 
à  em])l<iyer  pour  obtenir  une  glu  excellente. 
On  fait  bouillir  de  l'écorce  de  houx  pendant 
dix  ou  douze  heures  ;  lorsque  la  partie  verte 
est  séparée  du  reste,  on  l'expose  jîendant  une 
quinzaine  de  jours  dans  un  endroit  humide,  en 
ayant  soin  de  la  recouvrir;  on  la  pile  ensuite 
de  façon  à  former  une  sorte  de  pulpe  qu'on 
lave  dans  un  coiu'ant  d'eau  jusqu'à  ce  qu'elle 
ne  contienne  plus  aucune  fibre.  Puis  on  laisse 
fermenter  pendant  quatre  ou  cinq  jours  et  on 
écume  à  plusieurs  reprises.  Pour  l'emploi,  on 
ajoute,  en  se  plaçant  au-dessus  du  feu.  un 
tiers  de  partie  d'huile  de  noix  ou  de  graisse 
légère.  Si  l'on  peut  mettre  cette  recette  en 
pratique,  il  faut  certainement  la  suivre  de 
préférence  à  la  recette  ci-après,  qui  est  peut- 
être  plus  à  la  portée  de  tous.  Dans  un  pot  de 
fer,  on  met  de  l'huile  de  lin  jusqu'au  tiers.  On 
place  le  pot  sur  un  feu  doux  et  on  laisse 
bouillir  lentement  jusqu'à  ce  que,  après  avoir 
remué  de  temps  en  temps  avec  un  bâton, 
l'huile    soit   devenue    assez    épaisse. 

^'^<:T0R    DE    ClÎîves. 


LA    CUISINE    DU    MOIS 


Potage  clair  aux  abatis.  —  Formule.  — 

1  kilo  de  ^ilc  de  bo'iif,  3  abatis  de  dinde  ou 
de  grasse  poularde,  3  litres  d'eau,  20  grammes 
de  sel,  1  carotte  et  1  navet  un  peu  gros, 
3  beaux  poireaux,  1  gousse  d'ail  piquée  de 
'2  clous  de  girofle;  cuisson    1  heures. 

Oi'KRATiON.  —  Mettre  le  bœuf  à  l'eau  froide 
avec  le  sel,  dans  une  petite  marmite  en  terre, 
l'aire  bouillir  et  écumer  avec  soin.  Sauter  la 
carotte  et  le  navet,  coupés  en  gros  dés,  len- 
tement afin  de  les  dorer,  ajouter  au  bouillon 
avec  les  abatis  liés  avec  du  fd  de  cuisine. 
Lier  le  blanc  des  poireaux  et  le  cuire  1  heure 
seulement. 

Laver  les  foies  et  les  laisser  dégorger  dans 
l'eau  froide,  les  chauffer  sans  les  laisser  bouillir. 
Au  dernier  moment,  les  diviser  en  lames; 
couper  les  poireaux  de  2  centimètres  de  long, 
réunir  aux  foies  dans  la  soupière,  verser  le 
bouillon  passé  et  dégraissé,  servir  en  même 
temps  des  tranches  de  pain  dorées  au  four. 

Pâté  chaud  de  Pithiviers.  —  Formule: 
La  l'ATi:.  — ■  100  grammes  de  farine,  180  gr. 
de  beurre,  5  granmies  de  sel,  1  décilitre  de 
\in  blanc. 

Mélanger  le  beurre,  le  sel  et  la  farine, 
mouiller,  fraiser  la   pâte  et   la  laisser  reposer 

2  heures  au  frais. 

La  ftARMTUiiiî.  —  G  ou  8  mauviettes,  250  gr. 
de  foie  gras,  50  grammes  de  mie  de  pain, 
1  petit  verre  de  cognac  et  de  vin  blanc, 
00  grammes  de  beurre,  10  grammes  de  sel, 
épices  et  poivre.  Deux  petites  bardes  de  lard. 

Opération.  —  Tremper  le  pain  dans  un  peu 
de  lait.  Ouvrir  les  mauviettes  sur  le  dos,  jeter 
le  gésier,  mettre  l'intérieur  dans  un  mortier 
avec  le  foie  gras,  piler,  ajouter  la  mie  de  pain 
pressée,  les  assaisonnements  et  piler  encore  ; 
passer  au  tamis.  Étaler  la  pâte  en  rond  ou  en 
carré  ;  sur  le  milieu  ime  bande  de  lard,  une 
couche  de  farce  et  une  rangée  d'alouettes  rem- 
plies de  farce;  une  couche  de  farce,  les  autres 
mauviettes,  la  farce  et  l'autre  barde.  Parer 
la  pâte,  qu'elle  déborde  en  pliant  les  côtés 
longs  d'abord  de  2  centimètres  un  sur  l'autre,  le 
dessous  légèrement  mouillé,  aplatir  les  bouts, 
mouiller  le  dessus  et  replier  les  bouts.  Avec 
les  parures  faire  une  abaisse  qui  recouvre  le 
]iâté,  doré  à  l'œuf  battu,  presque  aux  trois 
quarts  ;  faire  un  trou  au  milieu  ;  y  planter  en 
forme  de  cheminée  un  papier  fort,  roulé  ; 
dorer  et  ciseler  au  couteau  ;  cuire  au  four  un 
peu  chaud  2  heures. 

Chapon  de  la  Brasse  à  la  Périgour- 
dine.  —  Trousser  un  chapon  de  même  que 
pour  rôt.  Foncer  une  casserole  avec  couennes 
de  lard,  oignons  et  carottes  émincés,  bouquet 
garni;  couvrir  l'estomac  du  chapon  avec  des 
ronds  de  citron  parés  à  vif  et  coupés  très 
minces,  puis  d'une  barde  de  lard.  Le  mettre 
dans  UTie  casserole  ov'i  il  entre  juste,  recou- 
vrir d'un  rond  de  papier  d'ollice  beurré,  faire 
suer  5  minutes,  arroser  avec  1  décilitre  devin 
blanc  de  Sauternes,  laisser  tomber  à  sec, 
mouiller  avec  1  litre  d'eau  chaude,  saler, 
ajouter  500  grammes  de  gîte  de  veau,  laisser 
cuire  au  four  doux  1  heure  un  quart  ou  1  heure 
et  demie  si  le  chapon  est   fort,  arroser  2  fois. 

Brosser  250  grammes  de  petites  truffes,  les 
monder.  Dans  une   casserole  qui  ferme  bien. 


on  prépare  :  1  décilitre  de  madère,  2  décilitres 
de  jus  du  chapon  bien  dégraissé,  on  met  les 
truO'es  et  on  fait  bouillir  5  minutes. 

La  sauce.  —  Fondre  et  pousser  à  la  noi- 
sette 30  grammes  de  beurre,  mélanger  30  gr. 
de  farine,  blondir  très  peu,  mouiller  avec  le 
jus  et  les  truffes,  laisser  mijoter  jusqu'au 
moment  de  servir. 

Débrider  et  débarder  le  chapon;  l'estomac 
doit  être  blanc  et  fin,  très  appétant;  passer 
ce  qui  reste  de  jus,  le  dégraisser  et  le  faire 
réduire  pour  le  tomber  à  glace  jiresque  ; 
dresser  le  chapon  sur  un  plat  chaud,  le  jus 
autour  et  non  dessus.  Envoyer  la  sauce  aux 
truffes  dans  une  saucière. 

Endives  à  la  bruxelloise.  —  Formule. 
—  1  kilogramme  d'endives  fraîches  et  blan- 
ches, 150  grammes  de  beurre  fin,  5  grammes 
de  sucre  semoule,  15  grammes  de  sel  fin,  un 
peu  de  poivre  blanc  et  un  soupçon  de  noix 
muscade. 

Opération.  —  Parer  les  endives  de  façon  à 
pouvoir  éviter  de  les  laver;  si  on  les  lave,  les 
essuyer  en  les  pressant  dans  un  linge  ;  les 
couper  en  rondelles  de  1  centimètre  d'épais- 
seur et  les  assaisonner. 

Beurrer  fortement  un  moule  en  cuivre  un 
peu  épais,  rond,  uni,  de  18  centimètres  de 
diamètre,  tasser  les  endives,  arroser  le  beurre 
fondu,  cou\'rir  d'un  rond  de  papier  d'office  et 
d'un  couvercle,  cuire  au  four  sur  une  plaque 
pendant  1  heure  1/2  environ;  renverser  sur  le 
plat  de  service.  On  doit  obtenir  presque  un 
gâteau  bien  doré,  dans  le  genre  des  pommes 
x\nna. 

Bûche  de  Noël,  aux  marrons.  —  Le 
luscuiT.  —  4  u^ufs.  100  grammes  de  sucre, 
100  grammes  de  farine,  1  petit  verre  de 
cognac. 

Opération.  —  Monter  le  sucre  avec  3  jaunes 
et  le  cognac,  ajouter  l'œuf  entier  et  travailler 
5  autres  minutes,  mélanger  la  farine,  monter 
les  blancs  bien  fermes  et  les  incorporer. 

Étaler  cette  pâte  sur  une  demi-feuille  de 
papier  écolier  et  faire  cuire  25  ou  30  minutes 
dans  le  four  doux.  En  le  sortant  du  four, 
retourner  le  dessus  dessous  sur  la  table,  enle- 
ver le  papier,  badigeonner  le  biscuit  a^  ec  un 
peu  d'abricot,  marmelade  ou  gelée,  rouler  en 
saucisson  et  laisser  refroidir  dans   le  papier. 

Piler  500  grammes  de  débris  de  marrons 
glacés,  y  ajouter  1  petit  verre  de  kirsch, 
1  décilitre  de  lait  bouillant  et  100  grammes  de 
beurre  fin  ;  passer  au  tamis,  ramollir  un  peu 
la  pâte  à  la  cuiller  de  bois.  Dans  un  plat 
long  en  argent  on  fait  un  petit  canapé  avec 
la  purée  de  marrons,  de  1  centimètre  et  de  la 
largeur  du  biscuit.  Couper  celui-ci  en  6  ou 
8  tranches,  étaler  une  couche  de  purée  sur 
chaque  tranche  et  les  poser  debout  sur  le 
canapé  pour  reconstituer  le  saucisson.  Napper 
avec  ce  qui  reste  de  purée.  Prendre  une  carte 
de  visite,  la  découper  en  dents  de  scie  un 
peu  grosses,  passer  d'un  bout  à  l'autre  et  sur 
les  côtés  :  la  bûche  est  finie. 

Pour  imiter  les  branches  on  fait  deux  petits 
bouchons  en  purée  de  marrons  et  on  les  pique 
suV  les  deux  côtés  de  la  bûche. 

A.     GoLOMniK. 


Jeux   et  Récréations,  par  m.  g.  Beudin. 


N°  246.  —  Haut  :  Noirs.  —  Bas  :  Blancs. 


■    8P     ^ 


W^A      I"      wk      ^m. 


v^/ym,^       W^  *.,^^^^        ^^, 


Les  l)lancs  jouent  et  fonl  mat  en  trois  coups. 
N°  247.  —  Haut  :  Noirs.  —  Bas  :  Blancs. 


BoB   B   H   K 


Les  blancs  jouent  et  gagnent. 


248.  —   Rébus  graphique 

Lundi,      Mardi,      Mercredi,      Jeudi,      Vendredi, 
Samedi,      DIMAN'CHE. 


N'  249.—  MOTS   EN   TRIANGLE 
SYLLABIQUES 

—  Habite  La  Taissie. 

—  Cité  (les  bords  du  Rhin. 

—  Produit  le  jus  divin. 

—  Au  verbe  s'associe. 

N°  250.  —  LA  LETTRE   EN  TROP 

Enlever  une  même  lettre  aux  dix  mots  de  six  lettres 
ci-dessous  et  former  dix  mots  nouveaux  de  cinq  lettres. 

GUIMPE,      ItEMÈDE,      IMAX.VT,      MAJUXE, 

tHEMlX,      KOMBKE,      AXUIEB,      ÏAMl'OX,      EMl'lUE, 

SOMBRE. 


N"  251. 


MOTS   EN   CARRE 


—  Au  piquet  il  exerce  un  vrai  droit  léonin. 

—  Adjectif  possessif  du  genre  féminin. 


SOLUTIONS 

N'   239.  —  1.  D  1  C  1)  écliec.     1.  F  .><   1"  D  couvre. 

2.  D  pr.  F  écliec.        2.  F  s  D  couvre. 

3.  F  6  T  D  échec.     3.  D  7  K  couvre. 

4.  D  pr.  F  écliec  et  mat. 


N»  240.  — 


37      26     21      2K     17     35     3(i      37     32 


26      la     21      34     2.5      27     38 
fait  dame  et  gagne. 


N°  241.  • —  La  solution  de  ce  problème  étaut  très 
longue,  nous  ne  la  doimerons  que  dans  le  prochain  numéro. 

N°  242.  —  Pomme,  Somme  ou  encore  Poire,  Loire. 

N^  243.  —  Mat,  Tam-Tam. 

N°  244.  —  Sur  la  place  de  Bavay  (Xord),  d'oii  par- 
tent les  sept  chaussées  romaines,  dites  de  Brunehaut,  se 
trouve  la  statue  de  la  reine  Brunehaut.  Ce  monument, 
de  10  mètres  de  haut  environ,  est  eu  pierre  de  taille. 
Brunehaut,  le  front  ceint  de  sa  couronne,  est  debout,  et 
de  sa  main  droite  montre  la  route  de  Paris.  Chaciuie  des 
faces  du  piédestal  porte  le  nom  et  les  armes  de  la  ville 
où  se  terminait  chacune  des  chaussées  Brunehaut.  On  y 
lit  :  Cologne,  Utrecht,  Tournay,  Amiens,  Soissons,  Reims, 
Trêves. 

Au  point  initial  des  chaussées  on  lit  cette  inscription  : 
((  Ces  voies  furent  construites  par  Marcus  Agrippa,  lieu- 
tenant de  César  Auguste,  vers  Tan  25  avant  J.-C.  et  res- 
taurées par  la  reine  Brunehaut.  morte  en  l'an  618.  —  Ce 
monument  a  été  réédifié  en  l'année  1872.  » 

N»  245.  —  Pour  trouver  le  jour  de  la  semaine  d'une 
date  donnée,  la  méthode  la  plus  simple  est  celle-ci  : 
Prenez  l'année  considérée,  son  quart  sans  fraction  et  le 
nombre  de  jours  écoulés,  inclusivement,  depuis  le  l'"'  jan- 
vier ;  faites  la  somme  de  ces  trois  quantités,  puis  de 
cette  somme  :  retranchez  2  si  l'année  considérée  est  anté- 
rieure à  la  réforme  du  calendrier  (octobre  l.")82)  et,  si  les 
années  sont  postérieures  à  cette  réforme,  retranchez  12 
(au  lieu  de  2)  pour  le  xvu''  siècle,  13  pour  le  xviu"  et 
14  pour  le  xix<';  puis  divisez  la  somme,  ainsi  réduite, 
l)ar  7  :  le  reste  de  cette  division  iniliquera  le  jour  demandé, 
dimanche  étant  1,  lundi  2...  et  samedi  0.  pour  7''  jour. 

Exemples  : 

1°  François  l"  écrivit  les  p.iroles  en  question  le  24  fé- 
vrier  1525,  c'est-à-dire  :  1525  -f  381  -j-  .55  —  2  =  1959  : 


19.59 


=  279,  reste  6  ^  un  rendredi. 


'':'  Cambronne  a  prononcé  son  fameux  mot  tels  juin  lsi5, 

c'est-à-dire  :  1815  -f  453  +  169  —  14  =  2423  : 

2423 

—z —  =  346,  reste  1  =-  un  dimanche. 

yot((.  —  L'exactitude  des  résultats  ci-dessus  a  été 
contrôlée  par  la  méthode  des  lettres  dominicales  et  par 
les  tableaux  jjubliés  chaque  année  dans  \' Annuaire  du 
Bureau  des  Longitudes. 


Adresser  les  communications  pour  cette  page  à  M.  d.  Beudin,  à  Billancourt  {Seine),  avec  timbre  p"ur  réponse 


BIBLIOGRAPHIE 


Voici  le  moment  venu  d'aller  rejoindre  les 
hirondelles,  et  de  tous  les  pays  où  le  soleil  est 
roi,  c'est  encore  nos  cotes  de  Provence  où  sa 
souveraineté  paraît'la  plus  aimaljlc.  Tous  les 
ans,  le  mouvement  s'accentue  et,  tout  à  point 
pour  l'éclairer  cette  année,  paraît,  à  la  librairie 
May,  le  guide-album  de  Constant  de  Tours, 
consacré  aux  Côtes  de  Provence.  De  plus  fort 
en  plus  fort  :  160  dessins  d'après  nature.  C'est 
trop,  dirions-nous  volontiers,  car  l'image  prend 
la  place  du  texte  et  ce  texte  vaut  bien  l'image. 
Nous  ne  pourrions  que  répéter  ce  que  nous 
avons  dit  souvent  à  propos  de  ces  guides- 
albums  :  ils  sont  compris  avec  un  rare  mé- 
lange de  goût  artiste  et  de  sens  pratique  qui 
en  font  le  plus  précieux  des  auxiliaires  de 
voyage.  Un  soupçon  de  réclame  intéressée  se 
glisse,  serpent  dans  les  fleurs,  entre  les  pages 
cie  la  plupart  des  guides,  surtout  de  ceux  que 
Compagnies  et  Sociétés  distribuent  gratuite- 
ment. Ici  l'indépendance  de  l'écrivain  éclate 
à  chaque  page  et  ses  opinions  donnent  la  sé- 
curité. Pour  les  débutants ,  cet  album  sera 
le  sommet  d'où  l'œil  embrasse  le  panorama  d'un 
pays  avant  de  se  fixer  sur  un  point.  Il  rappel- 
lera aux  initiés  de  chères  impressions  et  il  con- 
solera ceux  qui  restent  attachés  à  leur  chaîne. 

M.  Henri  A\enel  Aient  de  publier  la  dix- 
huitième  année  de  son  Annuaire  de  la  Presse 
française  et  du  Monde  politique.  Les  der- 
nières élections  tlnnnenl  à  celle  étlilion  une 
importance  excei)linnnelle,  car  elles  y  sont 
consignées  en  de  nombreux  tableaux  (pie  l'on 
ne  trouvcrail  nulle  part  ailleurs.  Le  répartis- 
sement  des  Aotes  est  présenté  sous  tous  les 
aspects,  et  ces  groupements  ingénieux  expri- 
ment la  ))lulosoi)hic  politique  de  la  France. 
Tons  les  partis  y  trouveront  leur  compte 
d'enseignements  et  de  réflexions.  Mieux  que 
tous  les  discours,  les  chiffres,  réunis  ici  au 
prix  d'un  labeur  dont  l'efTort  n'est  égalé  que 
par  l'intelligence,  permettront  aux  esprits  cu- 
i-ieux  des  destinées  de  la  patrie  de  com|)arer 
le  i^résent  au  jjassé  et  de  })révoir  l'avenir. 

t]et  ouArage  considérable  donne  le  tableai\  de 
la  jn-esse,  cimiplet  pour  la  France  et  suflisant 
pour  l'étranger.  A  feuilleter  ces  pages  si  rem- 
plies, une  pensée  vient  et  grandit  en  pro- 
portion de  leur  nombre.  Que  de  noms  se 
l)ressent  ici,  beaucoup  de  célèbres,  ])rest|ue 
tous  connus,  les  autres  encore  dans  le  rang, 
mais  que  l'on  sent  armés  pour  la  bataille  ! 
Quelle  puissance  représentent  ces  esprits  vi- 
vants, actifs,  hardis,  courageux,  toujours  sur 
la  brèche  !  C'est  l'armée  de  la  i^ensée. 

Les  plaisanteries  faciles  sur  la  presse  ne 
font  plus  rire.  Quelques  indignités  pei'son- 
nelles  et  passagères  ne  sauraient  diminuer 
une  corp(M'afion  qui  est  une  élite  dans  son 
ensemble.  (]eux  qui  feignent  de  la  dédaigner 
sont  les  premiers  à  requérir  son  aiJjmi  et, 
(juand  toutes  les  autorités  semblent  disparaître, 
seule   la  suprématie  de  la  presse  s'allirme. 

Encore  est-ce  une  puissance  qui  s'éparpille 
comme  celle   des  A'ents   et   se  replie  soment 


sur  elle-même  comme  celle  des  marées.  Mal- 
gré leurs  noml)reuses  associations  et  leurs 
syndicats  i)arfois  illusoires,  les  journalistes 
sont  isolés.  La  ixilitique  les  sépare,  eux  qui 
sont  supérieurs  à  la  i^olitique  ;  les  questions 
sociales  les  divisent,  eux  qui  tiennent  en  main 
la  sokdion  des  questions  sociales  ;  les  per- 
sonnalités les  irritent,  eux  qui  mesurent  tous 
les  jours  la  valeur  des  renommées  ;  l'argent 
les  trouble  parfois,  eux  qui  pourraient  être  les 
nnii[ues  dispensateurs  de  la  fortune. 

Mais  le  temps  est  proche  où  la  presse, 
étonnée  delà  vanité  de  ses  divisions,  se  ressai- 
sira et  réunira  le  faisceau  de  ses  forces.  Ce 
jour-là  elle  sera   la  maîtresse  du  monde. 

Et  cet  annuaire  apparaîtra  comme  le  livre 
d'or  de  rintelligence  humaine.  Cette  fois, 
M.  Henri  Avenel  a  écrit  une  très  juste  préface 
sur  l'iutluence  de  la  presse  sur  l'éducation 
nationale.  Al<irs  il  pourra  intituler  son  article 
de  ces  sim|)les  mots;  La  Presse  souveraine. 

Nous  n'avons  pas  pu  signaler  plus  tôt  un 
ouvrage  du  commandant  Chabrol  sur  nos 
Opérations  militaires  au  Tonkin,  publié  chez 
Lavauzelle  ;  mais  son  intérêt  est  toujours  ac- 
tuel et  son  enseignement  permanent.  Quelques 
mots  suffisants  sur  les  grandes  lignes  de  l'his- 
toire d'Annam  précèdent  le  résumé  historique 
des  combats  qui,  de  isso  à  1895,  ont  achevé 
la  pacification  des  territoires  composant  la 
partie  annamite  de  notre  empire  d'Indo-Chine. 
Ces  combats,  dont  l'auteur  a  pris  une  noble 
part,  sont  exposes  avec  la  plus  grande  exac- 
titude et  cette  clarté  sans  jîhrases  à  effet 
que  doit  toujours  rechercher  l'ollicier  d'état- 
major  dans  ses  écrits  techniques.  C'est  le  gé- 
néral Duchemin,  le  commandant  en  chef  de 
1S92  à  IMHi  et  le  grand  paciticatein- du  Tonkin, 
qui  décerne  à  l'ouvrage  cet  éloge  mérité,  et 
le  lecteur  demeure  saisi  de  tant  d'exemples 
de  courage  donnés  par  les  ofliciers  et  les  sol- 
dats dans  ces  campagnes  d'héro'isme  obscur. 
Le  nom  des  combats  eux-mêmes,  dont  les  dé- 
sinences annamites  entrent  mal  dans  nos 
oreilles  européennes,  ne  laisse  qu'un  souve- 
nir confus,  et  ceux  qui  y  sont  tombés  savaient 
qu'ils  se  sacrifiaient  à  la  grandeur  de  la  patrie. 
La  liste  des  olficiers  morts  au  champ  d'hon- 
neur se  retrouve  dans  l'ouvrage  du  comman- 
dant Chabrol  comme  au  piédestal  d'un  monu- 
ment funéraire.  On  peut  y  compter  aussi  les 
soldats  victimes  de  leur  devoir  et  reconnaître 
que  ces  petits  combats  ont  souvent  été  pro- 
portionnellement plus  meurtriers  que  des 
grandes  batailles.  Nombre  de  nos  olliciers  ont 
trouvé  dans  les  campagnes  coloniales  l'expé- 
rience des  faits  accomplis;  ils  ont  pris  contact 
avec  l'ennemi  ;  ils  ont  mesuré  leur  pouvoir  sur 
leurs  troupes  et  ce  qu'on  pouvait  attendre 
d'elles.  C'est  un  enseignement  supérieur  à 
celui  de  la  théorie,  et  ceux  qui  n'ont  pas  pu 
être  acteurs  eux-mêmes  trouveront  utilement, 
dans  un  ouvi-age  comme  celui-ci,  un  écho  di- 
rect de  l'action. 

A.  Q. 


L'EiUtcur-Grrant  :  A.    QuANTiN. 


147.JG.  —  Lib.-Imp.  rùuuics,  iloTTEKùZ,  D'',  7,  rue  S.nnt-Bcnoit,  Paris. 


Le 


Monde    Modetne 


Décembre     1898 


VIII.  —  51. 


LA     CLOCHE 


24    AOUT    157  2 


—  Par  les  cornes  de  Belzébuth,  se- 
rait-ce poinl  loi,  Tavardin,  vieux  par- 
paillot ? 

I.a  phrase,  malgré  renluininure  vio- 
lente des  mots  et  la  grondante  truculence 
du  juron,  fut  lancée  d'une  voix  sourde, 
éloulïée,  contenue  à  dessein;  elle  mar- 
quait plus  de  chagrin  que  de  colère  et 
semblait  attendrie,  douloureuse. 

Celui  qui  venait  de  l'articuler  ainsi, 
presque  en  sourdine,  un  homme  d'une 
cinquantaine  d'années,  aux  gestes  encore 
souples  malgré  sa  corpulence  imposante, 
émergea  soudain  de  l'ombre  épaisse  for- 
mée par  le  porche  de  Saint-Germain- 
rAuxeri'ois  et  acheva  d'enfouir  dans  ses 
chausses  l'énorme  clef  avec  laquelle  il 
avait  fermé  la  porte  de  l'église. 

Le  mouvement  de  sa  tête  projetée  en 
avant  mit  en  relief  un  nez  empourpré 
comme  une  vigne  d  automne  et  dont  la 
coloration  s'aviva  en  braise  ardente, 
dès  qu'il  se  trouva  frappé  brusquement 
par  le  reflet  du  soleil  couchant  incen- 
diant encore  quelques  nuages  tendus  en 
travers  du  ciel. 

—  Barbanson  !..  Barbanson  en  graisse 
et  en  lard  !...  Barbanson  en  personne  1... 
Ah  !  ah  1  ah  !  On  m'avait  bien  dit  que  je 
le  rencontrerais  dans  ces  parages  et  que 
je  le  reconnaîtrais  à  première  vue  1... 
Pas  besoin  de  demander  ton  signalement, 
c'est  toujours  le  même,  un  falot  en  plein 
milieu  du  visage,  comme  autrefois,  et 
un  ventre  qui  a  besoin  de  cercles  comme 
un  tonneau  I...  .\h  !  ah!  ah!...  Quant 
aux  idées,  toujours  les  mêmes  aussi,  à 
ce  que  j'entends,  toujours  aussi  enragé 
papiste,  hé  !  compère  Barbanson  ? 


Ce  fut  ricané  d'une  voix  sonore  et 
affectueuse,  roulant  des  fracas  de  ba- 
taille et  allant  éveiller  orageusement  les 
échos  du  cloître. 

Une  main  sur  la  coquille  d'acier  bruni 
d'une  immense  rapière,  l'autre  tiraillant 
le  poil  ébourilTé  d'une  longue  moustache, 
se  campait  au  centre  de  la  place,  avec 
un  air  de  surprise  joyeuse,  un  grand 
gaillard  aux  larges  épaules,  au  buste 
athlétique  emprisonné  dans  une  casaque 
de  buffle  rejoignant  un  haut-de-chausses 
de  drap  commun,  les  jambes  perdues 
jusqu'à  mircuisses  en  de  profondes  bottes 
poudreuses  dont  les  éperons  sonnaient 
sur  le  pavé. 

Les  cheveux  ras  poivre  et  sel  sous  le 
feutre  roussi,  les  joues  tannées  par  le 
grand  air,  le  nez  à  l'ossature  luisante 
courbé  en  bec  d'acier  sur  les  mousta- 
ches, la  barbiche  en  pointe  achevaient 
de  lui  donner  la  tournure  et  la  mine 
d'un  de  ces  vieux  routiers,  plus  habitués 
à  l'atmosphère  des  champs  de  bataille 
qu'à  celle  des  villes,  et  ayant  plus  d'an- 
nées de  campagne  sur  le  corps  que 
d'écus  dans  la  bourse. 

—  Chut  !...  Plus  bas  !  Plus  bas  !  com- 
manda Barbanson,  baissant  le  dos  et 
levant  à  demi  ses  deux  bras,  les  mains 
étendues  horizontalement  devant  lui 
comme  pour  étoufl'er  ce  verbiage  tapa- 
geur; en  même  temps,  d'une  circon- 
specte ondulation  du  cou,  il  jetait  sur 
la  place,  sur  les  maisons  muettes,  vers 
le  débouché  des  rues  et  dans  la  direc- 
tion de  l'hôtel  de  Bourbon,  cependant 
silencieux,  un  craintif  regard  circulaire. 

Le  soldat  eut  un  sursaut  brusque,  une 


80  s 


LA    CLOCHE 


véritable  révolte,  et  son  gosier  éclata 
en  coup  de  bombarde  sous  la  poussée 
des  mots  : 

—  Ho  !  ho  !  Est-ce  là  le  camarade  qui 
se  battait  si  rudement  au  temps  jadis  et 
qui  n'avait  pas  assez  de  toute  sa  voix 
pour  crier  au  milieu  de  la  mêlée,  si  fort 
qu'on  aurait  juré  la  trompette  de  Jéri- 
cho? Les  Espagnols  ne  te  reconnaîtraient 
plus,  mon  pauvre  Barbanson,  dans  ce 
marguillier  effarouché,  d'autant  que,  par 
l'Amiral,  tu  en  portes  déjà  l'uniforme  !... 
Le  diable  soit  de  la  Messe  qui... 

Ces  derniers  mots  furent  étouffés  sous 
une  épaisse  main  qui  vint  s'appliquer 
lourde  et  impérieuse  sur  ses  lèvres  : 

—  Ventre  du  pape,  Tavardin,  damné 
bavard,  si  tu  tiens  à  ton  salut  et  à  mon 
amitié,  tais-toi  I... 

Sous  les  dernières  lueurs  finissantes 
de  cette  chaude  journée  d'août,  la 
silhouette  massive  et  robuste  de  Barban- 
son se  détachait  sur  les  arcades  enténé- 
brées  du  porche,  tout  le  bas  de  l'église 
entrant  peu  à  peu  dans  l'ombre,  tandis 
que  la  tourelle  seule  restait  encore 
éclairée.  En  dépit  de  son  costume  uni- 
formément noir,  imprégné  d'une  vague 
et  persistante  odeur  d'encens,  malgré 
l'absence  de  toute  arme  à  sa  ceinture, 
la  figure  énergique,  cuite  à  tous  les  so- 
leils, le  front  entaillé  d'une  balafre,  le 
nez  rubicond  et  les  moustaches  martiales 
trahissaient  encore  le  soldat. 

La  rudesse  du  geste  qui  avait  renfoncé 
les  paroles  dans  sa  gorge,  la  gravité 
inquiète  des  yeux  noirs  fixés  avec  auto- 
rité sur  les  siens,  avaient  cloué  Tavar- 
din à  la  même  place  sans  qu'il  fît  un 
mouvement  ou  articulât  un  mot  de 
plus.  Il  regardait  son  camarade  sans 
rien  comprendre  à  son  attitude. 

Celui-ci,  les  sourcils  réunis  par  l'ef- 
fort de  l'attention,  écouta  un  instant  les 
confuses  rumeurs  de  Paris  arrivant  jus- 
qu'à eux  par-dessus  les  toits  en  pignon 
de  la  capitale,  poussa  jusqu'à  la  rue 
des  Fossés-Saint-Germain-l'Auxerrois, 
s'avança  vers  celle  du  Petit-Bourbon  lui 
faisant  suite,  pour  examiner  les  masses 
ténébreuses  de  l'hôtel  de  Bourbon  et  du 


Louvre   dont  les   fossés  étaient    gardés 
par  des  soldats. 

Tout  était  déserf  ;  la  nuit  venait.  Des 
passants,  très  rares,  glissaient  en  ombres 
furtives;  à  peine  une  lumière  étoilait  çà 
et  là  quelque  fenêtre;  du  côté  de  la 
Seine,  le  long  du  quai  de  l'Escolle  Saint- 
Germain,  du  port  aux  Passeurs,  du  port 
de  Bourbon  et  du  port  au  Foin,  un 
silence  profond,  silence  de  tombe  qui 
semblait  envahir  peu  à  peu  tout  le  quar- 
tier depuis  la  rue  du  Froid-Mantel,  au 
delà  du  Louvre,  jusqu'à  celle  de  l' Arbre- 
Sec,  derrière  l'église. 

Sans  doute,  ce  calme,  cette  solitude 
rassurèrent  Barbanson;  revenant  à  petits 
pas,  il  frappa  sur  l'épaule  de  son  ancien 
ami,  interloqué  et  intrigué  par  ces 
bizarres  allées  et  venues  : 

—  Allons  !  viens,  je  t'emmène  chez 
moi  :  nous  souperons  ensemble.  Mais, 
par  la  mort  Dieu,  ne  dis  rien,  ne  t'étonne 
de  rien  ou  je  te  plante  là  et  tu  te  dé- 
brouilleras tout  seul  ! 

En  quelques  enjambées  ils  atteigni- 
rent un  petit  logementattenant  à  l'église, 
sans  que  Tavardin,  devenu  subitement 
muet,  cherchât  à  s'expliquer  le  motif 
des  étranges  manières  de  son  compa- 
gnon et  pensât  à  s'offusquer  de  cette 
réception  extraordinaire. 

C'étaient  non  seulement  des  compa- 
gnons d'armes,  mais  des  amis  d'en- 
fance. 

Nés  tous  deux  dans  le  même  village 
du  Blésois,  ils  s'étaient  juré  une  amitié 
éternelle  que  rien  ne  romprait  jamais, 
et,  devenus  grands,  avaient  d'abord  fait 
leurs  premières  armes  ensemble  sous  les 
ordres  de  François  de  Guise  contre 
Charles-Quint.  C'avait  été  la  meilleure 
époque  de  leur  existence,  la  période 
durant  laquelle  leur  affection  avait  été 
la  plus  étroite  et  la  plus  complète.  Après 
avoir  défendu  Metz  avec  le  duc  de  Guise 
en  1552  et  battu  les  Espagnols,  ils  se 
trouvaient  encore  de  compagnie,  l'an- 
née 1557,  à  la  bataille  de  Saint-Quentin, 
faisant  tous  deux  partie  de  la  troupe 
que  Gaspard  de  Coligny  avait  jetée  dans 
la  place  pour  la  défendre;  enfin,  en  1558^ 


LA    CLOCHE 


805 


c  était   cote    à  cote  qu'ils   prenaient    Calais. 

Entraînés  par  des  l'orluncs  cHlFérenles,  ils  se  per- 
daient ensuite  de  vue  pendant  quelque  temps,  n'ayant 
plus  aucune  nouvelle  l'un  de  l'autre,   se  ci^ovant  réci- 
proquement morts,   puis  se  retrouvaient  brusquement  face  à   face  dans  des  camps 


806 


LA    CLOCHE 


opposés,  TaA'ardin,  huguenot,  avec  le 
prince  de  Condé  ;  Barbanson,  catholi- 
que, l'un  des  meilleurs  soldats  du  maré- 
chal de  Tavannes. 

Ç/avait  été  une  terrible  surprise  pour 
ce  dernier.  Pourquoi  Tavardin,  né  de 
parents  catholiques,  bon  catholique  lui- 
même  autrefois,  avait-il  quitté  la  reli- 
gion des  siens  pour  se  faire  protestant? 

Ce  fut  en  vain  que  Barbanson  cher- 
cha à  éclaircir  ce  mystère,  en  question- 
nant, lorsqu'il  le  put,  son  ami  d'enfance. 
Celui-ci  ne  donna  que  des  raisons  vagues, 
invoqua  de  mystérieux  engagements,  de 
sentimentales  et  énigmatiques  considé- 
rations; mais  le  catholique  pensa  tou- 
jours qu'une  influence  féminine,  cette 
influence  qu'ils  s'étaient  tous  deux  pro- 
mis de  ne  jamais  subir,  en  ne  se  mariant 
pas,  avait  cependant  pesé  à  un  moment 
de  son  aventureuse  existence  sur  la  dé- 
termination de  son  ancien  compagnon. 
Depuis,  soit  par  zèle  de  nouveau  con- 
verti, soit  par  suite  de  quelque  serment, 
Tavardin  n'avait  plus  voulu  ou  n'avait 
plus  eu  la  liberté  de  revenir  à  ses  pre- 
mières croyances. 

L'amitié  jurée  entre  eux  n'en  avait 
pas  été  brisée  pour  cela  ;  ils  se  combat- 
taient, s'invectivaient  au  besoin  dans 
les  intervalles  de  repos,  mais  leur  cœur 
conservait  toujours  la  même  tendresse 
profonde  pour  le  camarade  de  naissance. 

A  la  suite  du  combat  indécis  d'Arnay- 
le-Duc  et  de  la  paix  signée  le  2  août  1570 
à  Saint-Germain-en-Laye,  paix  qui  don- 
nait aux  protestants  quatre  villes  de 
sûreté,  la  Rochelle,  Montauban,  Cognac, 
la  Charité,  la  confiance  étant  revenue 
dans  tous  les  esprits,  le  huguenot  rega- 
gnait son  village  du  Blésois  pour  y  vivre 
d'un  petit  bien  qu'il  possédait  ;  l'autre, 
grâce  à  la  protection  de  son  chef,  obte- 
nait la  place  de  gardien  de  l'église  et 
du  cloître  Saiut-Germain-l'Auxerrois,  la 
paroisse  royale. 

Au  bout  de  deux  longues  années  de 
repos,  las  de  son  inactivité,  entendant 
constamment  parler  de  la  guerre,  tou- 
jours prochaine,  toujours  reculée,  que 
l'on  devait  faire  en  Flandre,  Tavardin, 


sachant  son  ancien  compagnon  d'armes 
en  bonne  position  de  lui  être  utile, 
s'était  décidé  à  quitter  la  province  pour 
venir  renouer  connaissance  avec  lui  et 
lui  demander  son  appui. 

Ce  fut  ce  qu'il  lui  expliqua  briève- 
ment, tout  joyeux  de  trouver  bon  gîte 
et  bonne  table,  après  une  harassante 
journée  de  marche,  précédée  de  beau- 
coup d'autres,  mais  plus  fatigante  encore 
parce  qu'il  avait  dû  la  faire  à  pied,  sa 
monture  étant  morte  à  lavant-dernière 
étape. 

Barbanson,  réfraclaire  au  mariage  et 
qui  n'avait  jamais  voulu  entendre  par- 
ler de  se  mettre  en  ménage  même  pour 
prendre  sa  retraite,  vivait  seul.  Il  y  ga- 
gnait de  n'avoir  à  craindre  autour  de 
lui  ni  indiscrétions  ni  bavardages  ;  du 
reste,  l'exemple  de  la  transformation 
religieuse  opérée  dans  son  ami  par  une 
volonté  de  femme,  même  passagère, 
n'avait  certes  pas  été  pour  peu  de  chose 
dans  cette  détermination  de  nouveau 
prise  par  lui  de  rester  éternellement  cé- 
libataire. 

En  vieux  soldat  habitué  à  tout  faire 
par  lui-même,  il  lui  suffit  de  quelques 
instants  pour  mettre  le  couvert  et  étaler 
sur  la  nappe  quantité  de  victuailles  appé- 
tissantes, accompagnées  de  nombreuses 
bouteilles  poudreuses  comme  des  fan- 
tassins après  une  marche  forcée. 

Cette  vue  épanouit  le  visage  de  son 
convive  qui,  montrant  un  solide  pâté 
entouré  des  imposants  flacons,  décida, 
la  lèvre  humide  de  gourmandise  : 

—  Voilà  une  citadelle  que  j'aurai  un 
fameux  plaisir  à  attaquer,  malgré  les 
pièces  au  long  col  qui  la  défendent!... 
Jamais  je  ne  me  serai  senti  plus  de  cœur 
pour  monter  à  l'assaut... 

Barbanson  soupira  : 

—  Il  y  a  longtemps  que  nous  n'aurons 
combattu  ainsi  de  compagnie  contre  le 
même  adversaire  1 

—  Ma  foi  !  tu  dis  vrai  1  s'exclama 
Tavardin  en  prenant  place,  sans  décro- 
cher sa  rapière  par  vieille  habitude  de 
soudard  toujours  sous  les  armes.  —  C'est 
la  première  fois  que   nous  soupons  en 


I.A    CLOCHE 


«07 


tête-à-lêlo  depuis  ce  m;iigrc  repas  que 
nous  fîmes  au  revers  de  la  tranchée, 
sous  les  murs  de  Calais,  au  nez  et  à  la 
barbe  de  ces  enragés  d'Anglais  qui  nous 
criblaient  de  projecliles  de  toute  espèce 
pour  assaisonner  nos  plats  1 

—  ( '/était  le  bon  temps  tout  de  niêmel 
appuya  l'autre.  On  ne  songeait  qu'à  bien 
se  battre,  à  bien  manger  et  à  bien  boire  ! . . . 
Ah  !  je  voudrais  être  d'autant  d'années 
moins  vieux!...  Quatorze  ans  déjà  de 
cela,  quatorze  ans  I  Si  amis  qu'on  était, 
et  maintenant...  ennemis!... 

Le  routier  hocha  la  tête  : 

—  Hah  !  On  ne  l'a  jamais  été  beau- 
coup, cpiand  même  :  le  cceur  n'a  jamais 
changé,  lui,  si  le  cerveau  a  un  peu  va- 
rié!... Du  reste,  il  n'y  en  a  plus  d'enne- 
mis, puisque  tout  est  raccommodé,  que 
le  roi  a  marié  sa  sœur  à  Henri  de  Na- 
varre et  que  l'amnistie  a  été  proclamée! 
(  )n  va  se  rebattre  en  Flandre,  et  tu  vien- 
dras, et  nous  nous  battrons  encore  coude 
à  coude  et  nous  boirons  gaiement,  comme 
nous  allons  le  faire  aujourd'hui ,  sans 
soucis,  sans  préoccupations,  en  songeant 
que  la  vie  est  belle,  que  nous  sommes 
toujours  solides,  qu'on  est  heureux  de 
pouvoir  jouir  et  profiter  des  bonnes 
choses  ,  des  excellentes  choses  que  la 
terre  produit  pour  la  satisfaction  de  nos 
corps  et  la  joie  de  nos  esprits  !... 

Son  hôte  semblait  rêveur  ;  une  obses- 
sion pesait  sur  son  front,  rabattait  en 
fronces  épaisses  ses  sourcils  sur  ses 
yeux;  il  murmurait,  se  parlant  à  lui- 
même  : 

—  Boire,  oui,  un  peu,  mais  pas  trop  !... 
11  faut  être  sage  aujourd'hui  !...  Diable 
de  consigne,  va  !... 

Il  tendait  par  moments  l'oreille  vers 
la  fenêtre,  guettant  des  bruits  loin- 
tains, avec  le  même  marmottement 
songeur  : 

—  Je  n'aurais  qu  à  me  griser,  à  ou- 
blier!... Sang  du  Christ,  quelle  affaire  !... 
Ce  soir,  c'est  défendu  !... 

—  Tu  n'as  pas  fini  de  jaboter  tout 
seul  !  interrompit  la  grosse  voix  rieuse 
de  Tavardin. 

Se   secouant  pour  échapper  aux  peji- 


sées  qui  le  tourmentaient,  le  catholique 
déclara  : 

—  Je  te  donne  le  logis  et  la  pâtée  pour 
tout  le  temps  de  ton  séjour  ici  ;  mais  tu 
vas  me  promettre... 

—  Par  l'Evangile,  tout  ce  que  tu  vou- 
dras !  — ■  riposta  le  voyageur,  c[ui,  déjà 
installé,  une  fourchette  brandie  d'une 
main,  un  couteau  de  l'autre,  attendait, 
les  yeux  luisants  et  les  narines  tendues 
vers  le  centre  de  la  table,  que  son  am- 
phitryon prît  place  et  commençât  l'at- 
taque contre  les  fortifications  du  pâté. 
—  Mais  donne  le  signal  ;  je  ne  peux  plus 
tenir  mes  gaillards,  ils  veulent  monter 
à  l'assaut  !... 

Barbanson,  s'asseyant ,  enfonça  mé- 
thodiquement le  couteau  à  découper  en 
plein  cœur  de  la  citadelle,  et  continua 
d'expliquer  : 

—  ...  Me  promettre,  pour  des  raisons 
à  moi  connues,  importantes  pour  ton 
avenir,  de  ne  pas  bouger  de  chez  moi, 
quoi  qu'il  arrive...  Tu  comprends? 

—  Entendu  !  riposta  l'afTamé,  les  pru- 
nelles rivées  sur  le  plat.  —  Heum  !  quel 
parfum!  Il  sent  fameusement  bon,  l'in- 
térieur de  ton  fort!...  Un  pan  de  ses 
murailles  ne  me  fera  pas  peur,  tu  sais. 

Un  énorme  quartier,  où  tremblaient 
des  chairs  blanches  et  roses,  emplit  à 
moitié  son  assiette,  avec  cette  recom- 
mandation : 

—  Mange,  et  surtout  sois  aveugle  et 
muet,  et  sourd,  tout  le  temps  que  tu 
demeureras  ici  ! 

Tavardin,  la  bouche  pleine,  répondit  : 

—  Convenu!...  Bien  que,  en  vérité, 
tu  sois  devenu  joliment  bizarre  et  que 
ce  fameux  Paris,  que  je  ne  connaissais 
pas,  soit  fort  extraordinaire!...  Partout 
des  gens  pressés,  inquiets,  évitant  de  se 
parler!...  11  y  a  donc  la  peste,  ici?...  Je 
ne  me  figurais  pas  la  capitale  ainsi  !... 
Ah  !  si  je  n'avais  pas  une  faim  de  loup 
et  une  soif  à  absorber  un  fleuve,  ce  que 
ça  me  démangerait  de  savoir  pourquoi 
on  me  regardait  tant  quand  je  suis  arrivé, 
pourquoi  on  me  répondait  si  brièvement 
quand  je  demandais  mon  chemin,  pour- 
quoi ceci,  pourquoi  cela?...   Mais,  mo- 


«os 


LA    CLOCIIl': 


tus,  muet,  sourd  et  aveuf^le,  c'est  juré  !... 
A  la  santé,  vieux  camarade'.... 

Barbanson  le  regarda  sans  répondre, 
paraissant  lutter  contre  des  mots  qui 
voulaient  s'échapper  malgré  lui  de  sa 
bouche.  Il  se  contenta  de  remplir  jus- 
qu'au bord  le  gobelet  que  le  buveur  ve- 
nait de  vider  et  de  ncmplir  qu  à  moitié 
le  sien. 

Peu  à  peu  les  vins  brûlants  délièrent 
la  langue  du  convive  à  mesure  que  la 
première  violence  de  son  formidable 
appétit  se  calmait  ;  Tavardin  devint  lo- 
quace, expansif  ;  il  lança  avec  une  cer- 
taine conviction  sensuelle  : 

^  Tu  as  une  vraie  cave  de  chanoine, 
compère,  une  cave  d'homme  d'ég-lise  !... 
Cela  a  du  bon,  le  papisme  ! 

Barbanson  trempa  ses  lèvres  dans  son 
gobelet  pour  cacher  l'émotion  qui  le 
gagnait,  et,  l'ayant  vidé  complètement, 
le  remplit  de  nouveau  machinalement, 
puis  goûta  lentement,  savourant  gorgée 
par  gorgée  le  précieux  liquide,  auquel 
il  devait  les  rubis  de   son  nez  : 

—  Oui,  c'est  du  boni  C'est  celui  pour 
les  amis  ! 

Ses  coudes,  plantés  dans  la  table,  il 
s'attendrit  : 

—  Nous  étions  si  amis  !  Nous  en  avons 
tant  supporté  ensemble,  le  froid,  la  faim, 
le  typhus,  les  balles  1... 

—  Puisqu'on  te  dit  que  nous  le  sommes 
toujours,  qu'on  n'a  jamais  cessé  de  l'être, 
amis,  vrais  amis,  à  la  vie,  à  la  mort  ! 
—  g-ronda  doucement  l'autre,  les  yeux 
tout  papillotants,  allumés  de  lueurs 
g^aies,  et  son  gobelet  heurta  celui  du 
camarade. 

Celui-ci  but  à  petits  coups,  ensuite 
plus  vite,  attiré,  humant  avec  une  gour- 
mandise grandissante,  dans  l'oubli  de 
tout  ce  qui  n'était  pas  la  joie  de  vivre  : 

—  Fameux!...  Il  me  semble  meilleur 
encore  depuis  que  tu  es  là,  toi,  mon 
fidèle  I...  Hé  !  te  souviens-tu  de  ce  grand 
pendard  d'Espagnol  qui  faillit  me  fendre 
la  tête  comme  une  courge  et  que  tu  dé- 
pêchas d'un  si  fier  coup  de  hallebarde, 
en  plein  creux  des  fossés  de  Metz!... 
J'en  porte  toujours    les  traces,  tu   sais. 


et  lorsque  je  passe  mes  doigts  sur  mon 
crâne  et  que  je  sens  la  couture  de  la 
cicatrice,  je  me  dis  :  —  «  Ça,  c'est  un 
souvenir  de  vingt  ans,  du  temps  de  mon 
grand  ami  et  sauveur  Tavardin  !  » 

—  Heu  !  Je  n'ai  pas  eu  de  mal  à  faire 
ce  sauvetage-là,  bien  sûr!...  Cet  Espa- 
gnol que  tu  dis,  ça  vaut  bien  l'Anglais 
qui  allait  membrocher  à  l'assaut  de  ce 
même  Calais  dont  je  parlais  tout  à 
l'heure  et  que  tu  arrêtas  si  à  propos 
dune  pistoletade  en  travers  du  corps 
qui  le  mit  où  il  comptait  me  mettre!... 

A  ces  ressouvenirs  sortis  un  à  un  des 
cendres  légères  du  passé  comme  de  pré- 
cieuses et  rares  liqueurs  soudainement 
retrouvées  en  quelque  cellier  merveil- 
leux, des  larmes  heureuses  humectaient 
leurs  yeux  à  mesure  aussi  que  leurs 
trognes  s'enrubifîaient  mirifiquement 
sous  les  lampées  successives  de  pleins 
gobelets  de  vieux  vin  couleur  de  pourpre. 

Barbanson,  qui  d'abord  résistait,  fai- 
sant mine  de  boire  et  ne  buvant  qu'à 
demi,  se  laissait  à  présent  aller,  tenant 
vigoureusement  tête  à  son  invité  et  lui 
donnant  l'exemple  ;  un  amollissement 
croissant  détendait  ses  traits  longtemps 
crispés,  déliait  ses  grosses  lèvres  avides, 
et,  noyé  dans  le  vin,  brisant  ses  der- 
nières résirlances,  le  sourire  montait  ; 
son  nez  maintenant  flambait  comme  aux 
plus  beaux  jours. 

Prêt  à  des  révélations,  il  supplia  en 
une  crise  suprême  de  tendresse  : 

—  Tavardin,  mon  vieux  compagnon, 
tu  ne  sais  pas  ce  que  tu  devrais  faire 
pour  moi  ? 

—  Tout,  tout  ce  que  tu  A'oudras  !... 
Je  serai  muet,  aveugle  et  sourd,  c'est 
promis  I  Les  promesses  pour  moi,  c'est 
sacré;  rien  ne  me  fait  plus  changer!  Un 
serment,  c'est  un  setnnent,  c'est  pour  la 
viel...  Hein!  Te  voilà  heureux!...  A 
boire  encore,  toujours!... 

L'autre  bégayait  : 

—  Tu  devrais  renoncer  à  ton  maudit 
prêche  et  crier  avec  nous,  avec  moi  : 
«  Vive  la  Messe  I  » 

—  Ouais  !  se  rebiffa  le  soldat,  repre- 
nant son   sang-froid.  C'est  pas  de  jeu  ce 


I.A    CLOCHE 


809 


que  lu  réclames  là  :  je  n'ai  pas  jure  ça  1... 
Mon  serment. .. 

—  C'était   [jourtant    Ion   parti   autre- 
fois! objecta  le  j^ardien. 

—  ]\Ion    parti!...    Ilalte-là  1...    Com- 


père, en  Guyenne,  j'ai  eu  ail'aire  à  Biaise 
de  INIontluc,  le  boucher  du  roi;  je  ne 
serai  jamais  de  ce  parti-là!...  Le  parti 
du  connétable  de  Montmorency,  le  capi- 
laine  Brûle-Bancs,  si  heureusement  tué 


810 


LA    CLOCHE 


par  Stuart  à  la  bataille  de  Saint-Denis, 
oh!  que  non  pas  !...  Je  suis  soldat,  moi, 
et  pas  massacreur!... 

Barbanson  se  leva  à  demi,  comme 
souffleté,  hurlant  : 

—  Massacreur!...  Appelle  plutôt  ainsi 
ton  capitaine  Briquemaut,  se  faisant  un 
collier  avec  les  oreilles  des  prêtres  qu'il 
avait  égorgés!...  Massacreur,  c'est  ton 
baron  des  Adrets  obligeant,  par  raffine- 
ment de  cruauté,  ses  malheureux  pri- 
sonniers à  sauter  du  haut  d'une  tour  à 
Monlbrison!.  .  Massacreur!...  Heureu- 
sement que  Montesquiou  a  bien  com- 
mencé à  prouver  de  quel  côté  était  le 
bon  droit,  à  la  bataille  de  Jarnac,  en 
cassant  la  tête  de  ton  prince  de  Condé, 
tandis  que  le  meurtrier  du  brave  conné- 
table, Stuart,  fait  prisonnier,  était  tué  à 
coups  de  poignard  !...  Ah  !  tiens  !  Vous 
ne  valez  pas  mieux  les  uns  que  les  autres, 
décidément,  et  on  aurait  bien  tort  de 
chercher  à  vous  convertir!... 

Et  d'une  voix  plus  sourde,  éraillée 
par  ce  déchaînement  de  paroles  furieuses, 
il  conclut,  menaçant  : 

—  Mais  le  temps  de  la  vengeance  est 
venu,  et  vous  y  passerez  tous,  messieurs 
les  parpaillots  !... 

Plus  calme,  alouixli  par  la  nourriture 
qu'il  avait  engloutie,  parle  vin  déjà  bu, 
Tavardin,  toujours  assis,  riposta  : 

—  IIo!  ho  !  Tels  chats  ne  se  prennent 
pas  sans  mitaines!  disait  notre  vaillant 
La  Noue  en  forçant  l'armée  royale  à 
lever  le  siège  de  Cognac.  On  connaît 
nos  griffes  et  on  ne  s'y  frottera  pas. 

Le  gardien  de  Saint-Germain-l'Auxer- 
rois  vida  son  gobelet  d'un  trait  pour 
lubrifier  sa  gorge  enrouée  et  poursuivit: 

—  Moncontour  nous  a  vengés,  et  le 
fameux  Gaspard  y  a  eu  la  mâchoire  fra- 
cassée ;  sans  compter  qu'il  est  bien  ma- 
lade en  ce  moment-ci  !  —  souligna-t-il, 
faisant  allusion  à  l'attentat  dont  Coli- 
gny  venait  d'être  victime  deux  jours 
auparavant. 

Son  ancien  camarade  ignorait  encore 
le  crime  de  Maurevel,  le  Tueur  du  Roi, 
comme  ou  l'appelait  ;  il  questionna  ma- 
chinalement : 


—  Hein?  Malade  !  Comment  cela? 

—  Oui,  quoique  celui  qui  a  tiré  sur 
lui  ait  eu  la  maladresse  de  le  manquer, 
lui  brisant  seulement  le  bras  gauche  et 
lui  coupant  l'index  droit!... 

—  La  maladresse!...  Est-ce  de  Coli- 
gny  que  tu  parles  ainsi,  Coligny  sous 
lequel  tu  as  combattu  avec  moi,  lors- 
qu'il nous  a  jetés  si  habilement  dans 
Saint- Quentin  pour  défendre  cette 
place?...  Un  attentat  pareil,  un  assas- 
sinat!... Et  tu  oses  dire,  toi,  Barban- 
son, la  maladresse!...  Voilà  donc  ceux 
avec  lesquels  tu  me  demandes  de  m'as- 
socier  !... 

Cette  fois,  à  demi  dégrisé  par  l'indi- 
gnation, le,routier,  lui  aussi,  s'était  sou- 
levé  de  son  siège  ;  ses  deux  poings  sur 
la  table,  tout  le  corps  arc-bouté  sur  ses 
bras  semblables  à  des  piliers,  il  donnait, 
en  catapulte  vivante,  de  la  tête  devant 
lui,  ne  pouvant  donner  du  corps, 
oscillant  comme  une  barque  sous  un 
coup  violent  de  roulis  et  ne  se  main- 
tenant debout  que  par  un  miracle 
d'équilibre,  en  son  mouvement  balancé 
de  })cndule. 

En  face,  de  l'autre  côté  de  la  table, 
heureusement  très  large  ,  tête  baissée 
également,  appuyé  de  la  même  façon, 
avec  un  balancement  presque  pareil, 
la  face  cramoisie,  Barbanson  lui  cra- 
chait d'obscures  menaces  en  plein  vi- 
sage. 

C'en  était  fini  des  doux  propos,  des 
souvenirs  émus,  de  l'amitié,  de  la  recon- 
naissance des  frères  d'armes,  la  haine 
religieuse  les  dévorait  et  tout  ce  vin 
ardent  absorbé  brûlait  dans  leurs  veines 
comme  un  feu  caché  de  volcan  qui  ali- 
mentait incessamment  leur  colère,  fai- 
sant jaillir  une  intarissable  coulée  de 
paroles  farouches  et  insultantes. 

Debout  de  chaque  côté  de  la  table, 
sans  lâcher  ce  précieux  et  unique  point 
d'appui,  ne  pouvant  se  frapper  de  la 
main,  ils  se  bombardaient  de  leurs  pru- 
nelles étincelantes  ,  où  flambaient  les 
torches  de  la  fureur  et  de  l'ivresse. 

Tout  près  d'eux,  au  moment  où  ils 
essayaient    vainement    de     soulever    la 


LA    CLOCIIK 


SU 


table  massive  pour  la  renverser  chacun 
sur  Tadversaire  exécré,  le  timbre  d'une 
horloge  tinta  lentement. 

Barbanson  compta  tout  haut  : 

—  Un...  deux...  trois... 

Tout  s'éteignit,  retombant  dans  le 
silence,  et  Tavardin,  surpris,  dit  : 

—  Trois!..  Hein?  Qu'y  a-t-il?...  Trois 
heures,  déjà  ? 

D'un  violent  effort  le  gardien  de 
l'église  s'arracha  à  la  table ,  s'excla- 
mant  : 

—  Trois  heures  ! . . .  C'est  impossible  ! . . . 
J'aurais  entendu...  Je...  je... 

Il  releva  la   tête  et  ses  yeux  perçant 


le  nuage  trouble  étendu  sur  eux  fixèrent 
un  cadran  placé  dans  un  des  angles  de 
la  pièce  ;  il  balbutia  : 

—  Onze  heures  trois  quarts!...  Ce 
sont  les  trois  quarts!... 

Un  sursaut  le  secoua  de  la  nuque  aux 
talons  : 

—  Par  la  Messe,  j'allais  trahir!..» 
Qu'aurait  dit  ^U  de  Tavannes?...  J  ai 
une  mission,  oui,  une  mission...  La... 
laquelle?...  C'est  lui-même  qui  m'a 
donné  l'ordre...  ^'oyons,  du  calme! 

Ses  doigts  se  promenaient  sur  son 
front  ,  semblant  aider  à  débrouiller 
l'écheveau  emmêlé  de  ses  souvenirs  ;  il 


X12 


LA    CLOCHE 


s'écria,  avec  une  certaine  suite,  en  son 
incohérence  d'ivrogne  : 

—  J'y  suis!...  Oui,  je  sais  :  il  faut 
aller  là-haut  et  je  n'ai  plus  qu'un  quart 
d'heure.  Au  premier  coup  de  minuit,  je 
dois...  Un  quart  d'heure  seulement!... 
Jamais  je  ne  pourrai  tout  seul  !...  Damné 
vin  !. ..  Ah  !  j'y  songe  ;  après  tout,  il  s'agit 
pour  moi  de  l'honneur,  de  la  vie!...  Ta- 
vardin,  un  ami  tout  de  même,  malgré... 
Un  ami,  il  doit  me  secourir,  m'aider!... 
Je  lui  ai  sauvé  la  vie  ;  lui  aussi ,  nous 
sommes  quittes,  c'est  vrai!...  On  peut 
recommencer  :  je  le  sauverai  encore... 
Alors,  je  peux  bien  lui  demander...  il 
m'aidera,  c'est  dit!... 

Et,  la  voix  mouillée,  pleurarde,  se 
laissant  retomber  sur  un  siège,  il  im- 
plora : 

—  Tavardin,  tu  m'en  veux?...  Tu  n'es 
plus  mon  ami?...  Ilein?  Si  on  oubliait 
tout?...  Faisons  la  paix,  veux-tu? 

L'autre  souriait  mollement,  déjà  prêt 
à  céder,  n'éprouvant  aucune  haine  véri- 
table contre  son  amphitryon  ;  il  ac- 
quiesça  : 

—  Je  veux  bien,  moi!...  C'est  toi, 
avec  tes  histoires... 

Comme  si  ses  forces  lui  fussent  sou- 
dain revenues  sous  le  coup  de  fouet  de 
cette  colère  passagère,  il  parvint  à  faire 
le  tour  de  la  table  sans  se  tenir;  il  mar- 
chait ti'ès  raide  et  très  droit,  flageolant 
à  peine,  à  la  grande  admiration  de  son 
camarade  qui  avait  cependant  conscience 
d'avoir  moins  bu  que  lui. 

Le  soldat  avait  empoigné  de  ses  doigts 
gourds  son  gobelet  et  le  tendait  en  di- 
sant : 

—  La  preuA'e,  c'est  que  je  veux  encoi'e 
boire  à  ta  santé.  .  en  vrai  ami,  tou- 
jours !... 

—  Buvons  !  approuva  le  camarade, 
£ans  résistance  devant  le  liquide  ver- 
meil. 

Les  gobelets  sonnèrent,  heurtés  pe- 
samment; le  vin,  en  coulant  en  cascade 
dans  le  gosier  de  Barbanson  et  en  en- 
voyant ses  fumées  vivifiantes  vers  son 
cerveau,  au  lieu  d'accroître  son  ivresse, 
parut  momentanément  nettoyer  et  éclair- 


cir  ses  idées  encore  brumeuses.  La  pen- 
sée diabolique  qui  avait  traversé  son 
esprit  s'accentua,  s'affermit,  en  même 
temps  qu'il  se  rendait  tout  à  fait  compte 
de  son  impuissance  à  se  lever  seul  et  à 
se  diriger  ainsi  que  l'avait  fait  le  pro- 
testant. 

Les  yeux  fixés  toujours  sur  l'aiguille 
qui  s'avançait  vers  minuit,  il  suggéra, 
doucereux,  tenaillé  par  la  pensée  fixe 
du  devoir  à  remplir,  de  la  mission  de 
confiance  dont  on  lavait  chargé  : 

—  lié  bien,  si  tu  es  un  ami,  comme 
tu  le  prétends,  l'ami  d'autrefois  enfin, 
tu  vas  me  rendre  un  service,  un  grand 
service,  d'où  dépend  pour  moi... 

—  Un  service  !  s'exclama  Tavardin 
sans  le  laisser  achever,  un  service,  c'est 
là  tout  ce  qu'il  te  faut,  et  tu  as  l'air  d'hé- 
siter !...  Est-ce  que  je  t'en  ai  jamais  i^e- 
fusé?...  Ai-je  même  besoin  de  savoir 
de  quoi  il  s'agit  pour  marcher,  me  jeter 
pour  toi  dans  l'eau,  dans  le  feu?...  Ah  ! 
compère,  les  deux  doigts  de  la  main  que 
nous  étions  !  Quand  l'un  faisait  un  pas, 
l'autre  achevait  l'enjambée!... 

Le  gardien  appuya  :  ; 

—  Nous  sommes  toujours  ainsi,  c'est- 
dit  ! 

—  Tope  là,  camarade  ! 

La  large  main  de  Tavardin  vint  sap- 
puyer  dans  l'épaisse  paume  tendue  de 
celle  de  Barbanson,  dont  les  doigts,  se 
refermant,  s'accrochèrent  à  cette  poigne 
solide  et  confiante. 

Le  catholique  expliqua,  se  soulevant 
enfin  de  son  siège  grâce  à  ce  puissant 
levier  : 

—  Donc  il  faut  venir  avec  moi,  ne 
pas  me  quitter. 

—  En  route. 

Ils  réussirent  à  se  dresser  tous  deux, 
séquilibrant  mutuellement,  épaule  contre 
épaule,  avec  une  tendresse  nouvelle  d'a- 
mis raccommodés  que  le  vin  rapprochait, 
après  les  avoir  un  instant  divisés,  res- 
serrait  plus  étroitement  qu'auparavant. 

Au  contact  de  ce  grand  corps  vigou- 
reux de  Tavardin,  resté  plus  résistant, 
moins  lourd  que  le  sien,  Barbanson  re- 
trouva   sa    vigueur   passée  et  se  sentit 


LA    C LOCHE 


K-i;i 


capable  de  marcher,  de  faire  ce  qu'il 

aurait  été  incapable  d'exécuter  tout  seul, 

après  de  telles   libations,  malgré  Thabitude    qu'il 

en  avait. 


\ 


814 


LA    GLOCHE 


11  marmotta,  réjoui,  plein  de  confiance  : 

—  C'est  un  ami,  un  vrai  ;  sans  lui  je 
manquais  à  mon  serment  et  j'étais  perdu, 
tout  était  perdu!...  On  compte  sur  moi  ! 
Le  signal!...  Oui,  oui,  le  signal,  c'est 
moi...  alors,  si  on  n'entendait  pas...  Le 
roi,  le  maréchal,  les  Guise!...  Que  pen- 
serait-on?... 

Des  paroles  confuses  se  perdaient  en 
un  gargouillant  soliloque  au  fond  de  sa 
gorge,  tandis  que  Tavardin  répétait  : 

—  En  route  !... 

Bras  dessus,  bras  dessous,  les  jambes 
molles,  la  démarche  zigzaguante,  ils  sor- 
tirent, se  dirigeant  vers  la  porte  laté- 
rale de  l'église,  le  catholique  guidant  la 
marche  et  sachant  où  il  lui  fallait  aller, 
le  protestant  soutenant  son  camarade  et 
l'empêchant  de  s'écrouler  sur  le  sol,  leurs 
deux  grandes  carcasses  brimbalant  comi- 
quement  dans  les  ténèbres. 

La  nuit  élait  lourde,  chaude;  çà  et  là 
un  brouhaha  intermittent  roulait  jus- 
qu'à eux  ;  des  tapages  brefs,  cahotés,  irré- 
guliers:, —  galopades  de  chevaux  le  long 
des  berges  de  la  Seine,  cadences  de  pas, 
comme  de  troupes  en  marche  à  travers 
les  rues,  cliquetis  d'armes  montant  tan- 
tôt d'un  point,  tantôt  d'un  autre  ;  des 
lueurs  courtes,  rapides,  traversaient  des 
vitrages,  puis  s'éteignaient  soudain  et 
des  fumées  de  torches  passaient  en  che- 
velures rousses  apportant  aux  narines 
d'acres  senteurs  de  résine  ,  de  poix. 
C'était  lugubre,  mystérieux  et  inquié- 
tant. 

Tavardin  eut  un  rire  épais  : 

—  Drôle  de  ville  ce  Paris  !... 
Barbanson,  étant  parvenu  à  ouvrir  la 

petite  porte  à  l'aide  de  la  clef  pénible- 
ment tirée  de  ses  chausses  et  plus  péni- 
blement enfoncée  dans  la  serrure,  ils 
s'avancèrent  dans  l'église  complètement 
déserte  et  obscure,  tandis  que  le  hugue- 
not protestait  vaguement  d'un  ton  de 
plaisanterie  : 

—  C  est  à  la  Messe  que  tu  me  mènes?... 
Un  ami,  un  vieil  ami!  Oh  !  ce  n'est  pas 
gentil  !.. . 

Ils  allaient  toujours,  se  soutenant  avec 
une  fraternité  aimable  et  émue. 


Une  nouvelle  porte  fut  franchie  ;  des 
marches  tournaient  en  un  escalier  étroit  ; 
quelques  chauves-souris  voletèrent,  leur 
balayant  le  visage  du  duvet  poudreux 
de  leurs  ailes  et  disparurent  sans  bruit 
vers  les  hauteurs  de  la  tour.  Le  routier 
grogna  : 

—  Pouah  !  C'est  plein  de  toiles  d'arai- 
gnées qui  marchent  !  Faudra  nettoyer  ça, 
vieux  frère;  je  te  donnerai  un  coup  de 
main,  si  tu  veux  ? 

Ils  atteignirent  un  palier  éclairé  par 
des  ogives  :  au  dehors  la  brume  de  cha- 
leur étendue  sur  Paris  semblait  rouge. 

Là,  après  avoir  tâtonné  autour  de  lui, 
Barbanson  empoigna  quelque  chose  qui 
pendait,  à  la  fois  rugueux  et  graisseux  et 
y  accrocha  les  mains  de  son  compagnon 
en  disant  : 

—  En  attendant ,  attrape-moi  ça  et 
tire  dessus  comme  sur  la  queue  du 
diable  !...  Ça  sera  le  commencement  du 
nettoyage  ! .  . .  Un  fameux  nettoyage 
qu'on  va  faire  là!...  Ah!  ah!  Je  l'en 
réponds  !... 

Son  rire  gloussa,  caverneux,  un  peu 
sinistre. 

Le  camarade,  sans  défiance,  répondit  : 

—  Ce  n'est  que  cela?  C'est  pas  diffi- 
cile :  en  avant,  une,  deux,  aïe  donc! 

Ils  se  pendirent  après  la  corde. 

—  Dûmm  !  dùmm  !  dûmm  !  dûmm  !... 
Un    grondement    de    tonnei're    éclata 

au-dessus  de  leur  tête  en  funèbre  bat- 
tement de  tocsin,  emplissant  la  tour 
d'une  clameur  terrible  qui  se  répercu- 
tait contre  les  murs  à  leur  briser  le  tym- 
pan et  les  enveloppait  d'un  ouragan  d'ai- 
rain aux  résonances  infinies. 

Ahuri,  assourdi,  grisé  davantage  par 
le  furieux  tapage  soudain  déchaîné  sous 
la  vigoureuse  action  de  ses  bras,  Tavar- 
din, d'un  élan  acharné,  aidait  son  ami. 
Amusé  de  se  sentir  enlevé  et  balancé  par 
l'envolement  de  la  cloche,  il  ne  s'inter- 
rompait que  pour  crier  : 

—  Quel  métier  me  fais-tu  faire  là  à 
une  pareille  heure  ? 

Il  avait  un  gros  rire  content,  comme 
à  la  pensée  d'une  farce  énorme  : 

—  Si  c'est  comme  cela  qu'on  berce 


LA    CLOCHE 


S15 


les  Parisiens,  on  ne  doit  pas  dormir 
beaucoup  dans  la  capitale  1... 

Mais  voilà  que,  de  tous  les  points  de 
Paris,  d'autres  voix  de  bronze  répon- 
daient, f;rêles,  aiguës  ou  graves,  comme 
si  leur  appel  eût  soudain  réveillé  la  ville 
entière  pour  quelque  monstrueuse  fête 
nocturne,  et,  immédiatement,  suivirent 
des  coups  de  l'eu,  des  cris,  en  même 
temps  que  des  lueurs  d'incendie  llot- 
laient  dans  le  ciel. 

Tavardin,  éperdu,  lâcha  la  corde,  se 
pencha  par  l'une  des  ogives  et  regarda, 
cherchant  à  comprendre. 

Soudain,  presque  sous  ses  pieds,  un 
lland^oiement  de  torches  jaillit  des  ténè- 
bres ;  une  bande  de  soldats  déboucha 
d'une  rue,  poursuivant  des  malheureux 
à  moitié  vêtus,  sans  doute  surpris  dans 
leur  premier  sommeil,  des  hommes,  des 
femmes  qu  ils  abattaient  à  coups  de  pis- 
tolet, d'arquebuse  et  achevaient  avec 
leurs  épées  ou  leurs  pertuisanes. 

Le  protestant,  atlblé,  s'exclama  : 

—  Que  se  passe-t-il  donc? 

Un  cri  distinct  lui  arriva  en  réponse 
lointaine,  perçant  le  brouillard  de  son 
ivresse  : 

—  Morl  aux  huguenots  1... 

Et  la  meute  hurlait  son  aboiement 
implacable  : 

—  Tue  !  tue  ! 

Il  eut  une  stupeur  et  se  tournant  vers 
son  ami  : 

—  As-tu  entendu,  Barbanson?  Que 
disent-ils  donc,  ceux-là  ? 

Avant  qu'il  eût  reçu  une  réponse,  ses 
yeux  furent  attirés  par  l'apparition  d'un 
homme  à  cheval  qui  semblait  venir  du 
Louvre  et  qui  traversait  la  place  à  la 
tête  dune  nombreuse  troupe;  il  Tenten- 
dil  encourager  d'une  voix  railleuse  ceux 
qui  massacraient  : 

—  Saignez!  saicfuez!  Les  médecins 
disent  que  la  saignée  est  aussi  bonne  au 
mois  d'août  qu'en  mai I 

—  Tavannes  1  gronda  le  prolestant, 
reconnaissant  dans  ce  cavalier  le  célèbre 
maréchal. 

Il  venait  enfin  de  comprendre  :  on 
massacrait  ses  coreligionnaires  par  suite 


de  quelque  complot  formidable.  Tout  lui 
fut  expliqué,  et  Faspect  étrange  de  Paris, 
et  les  airs  mystérieux  de  Barbanson,  et 
ses  recommandations,  et  enfin  ce  signal 
qu'il  avait  aidé  à  donner. 

Il  bondit  vers  son  compagnon  : 

—  Misérable,  que  m'as-tu  fait   faire  ? 
Déjà   l'autre,   connaissant    mieux    les 

lieux  et  pouvant  s'orienter,  malgré  son 
ivresse,  retrouvait  des  jambes  pour  dé- 
gringoler l'escalier,  poursuivi  par  Tavar- 
din qui,  l'épée  au  vent,  se  débattant 
entre  ces  murs  inconnus,  hésitant  devant 
les  marches  où  ses  éperons  s'accrochaient, 
criait  : 

—  Ah  !  traître  !  ah  !  bandit  1  ah  I  faux 
amil...  Je  voyais  bien  que  tu  n'étais 
plus  le  camarade  d'autrefois  et  que  tu 
avais  la  mine  d'un  cafard  d'église,  mais 
j'ignorais  que  tu  en  eusses  le  cœur  et  les 
tripes!...  Par  l'Amiral,  je  vais  te  les 
mettre  à  l'air,  et  ta  dernière  heure  aura 
été  sonnée  par  cette  cloche  de  malheur, 
cette  cloche  de  massacre  !... 

Dans  l'obscurité  maintenant  il  se  heur- 
tait aux  bancs,  aux  piliers,  se  perdant 
à  travers  les  dédales  de  l'église,  sans 
parvenir  à  rejoindre  son  ennemi. 

Celui-ci,  ayant  trouvé  une  hallebarde, 
fit  cependant  tête  à  l'enragé,  en  lui  hur- 
lant : 

—  \'ive  la  Messe,  parpaillot  de  Safan  1 

—  \'ive  le  Prêche,  sonneur  d'assas- 
sins 1  —  répondit  le  huguenot. 

Ils  se  ruèrent  l'un  vers  l'autre,  se  de- 
vinant plutôt  qu'ils  ne  se  voyaient  et 
trébuchant  à  chaque  pas.  Leurs  bras, 
engourdis  par  l'ivresse,  ne  portaient  que 
des  coups  mal  assurés  ;  Tavardin,  s'étant 
pris  les  pieds  dans  un  banc,  s'écroula 
tout  de  son  long,  sans  lâcher  sa  rapière, 
et  ne  parvint  plus  à  se  relever,  hoque- 
tant encore  de  vagues  injures,  de  plus 
en  plus  rauques,  de  plus  en  plus  étouf- 
fées, semblables  à  un  râle   d'agonisant. 

Barbanson,  toute  sa  fureur  tombée,  le 
cœur  crevé  de  douleur  et  de  remords, 
croyant  l'avoir  traversé  de  sa  hallebarde, 
lança  l'arme  meurtrière  loin  de  lui  et 
s'abattit  sur  le  cadavre,  en  gémissant 
lamentablement  : 


SI6 


LA     CLOCHE 


—  J'ai  tué  mon  meilleur  ami  ! 
Autour  de  l'église,  redevenue  brusque- 
ment silencieuse,  la  furie  du  massacre 
emplissait  toujours  la  ville  ;  les  rues 
ruisselaient  de  san^  et  la  Seine  charriait 
des  corps  humains  par  grappes  hor- 
ribles. 

Au  petit  jour,  Barbanson  revint  à  lui, 
se  dressa  péniblement  sur  ses  jambes  et 
chercha  à  comprendre  ce  qui  lui  était 
arrivé  ;  les  fumées  du  vin  un  peu  dissi- 
pées, il  se  remémora  une  partie  de  ce 
qui  s'était  passé  et  se  pencha  de  nouveau 
pour  examiner  son  malheureux  cama- 
rade. 

Pas  de  traces  de  sang,  aucune  bles- 
sure. Il  respira,  soulagé;  il  ne  l'avait 
pas  tué.  Un  grondement  de  tuyau  d'or- 
gue montant  du  grand  corps  étendu 
acheva  de  le  rassurer  :  Tavardin,  assommé 
d'ivresse,  ronflait  comme  un  chantre. 

Heureux  de  ce  résultat  inespéré,  le 
catholique  n'eut  plus  qu'une  pensée, 
qu'un  désir,  sauver  son  ami  ;  il  l'empoi- 
gna sous  les  épaules  et  parvint  à  le  traî- 
ner jusque  chez  lui  sans  attirer  l'atten- 
tion de  personne. 

J^e  protestant  dormit  tout  le  jour. 

Quand  il  se  réveilla,  seulement  vers 
le  milieu  de  la  nuit  suivante,  il  ne  se 
souvint  d'abord  de  rien,  s'étonnant  de 
se  trouver  couché  dans  un  lit,  au  milieu 
d'une  chambre  inconnue.  Au  chevet, 
dans  le  remords  de  plus  en  plus  vif  de 
sa  mauvaise  action,  Barbanson  attendait 
anxieusement  ce  moment;   il  balbutia  : 

—  Hein?  tu  m'en  veux  toujours? 
Tavardin    questionna,   la  bouche  pâ- 
teuse : 

—  T'en  vouloir...  de  quoi?...  Un  ami... 
un  vrai  !...  Ah  !  mais  un  fameux  vin, 
par  exemple  1... 

Il  souriait,  passant  sa  langue  sur  ses 
lèvres. 

Brusquement  la  mémoire  revint  fou- 
droyante, en  irruption  de  torrent,  au 
dormeur  qui  eut  un  élan  terrible  pour 
se  jeter  à  bas  de  son  lit  : 

—  Je  ne  dois  pas  être  ici  ;  ma  place 
est  auprès  de  mes  frères  qu'on  égorge  !.. 
Laisse-moi  passer!... 


L'autre  l'arrêta  doucement,  les  bras 
tendus,  les  yeux  humides  de  tendresse 
contrite  : 

—  Ton  vrai  frère,  c'est  moi  !...  Chut  I 
ne  bouge  pas;  ce  serait  inutile.  Il  est 
trop  tard,  tout  est  consommé  !...  Je  ne 
veux  pas  qu'on  te  tue,  toi,  mon  ami, 
mon  frère  d'armes,  mon  vieux  cama- 
rade ! . . . 

Tavardin  résistait,  se  débattait,  récla- 
mant : 

—  Mon  épée  !  mon  épée  !... 

Tant  bien  que  mal,  avouant  sa  faute, 
expliquant  comment  c'était  la  conscience 
qu'il  avait  eue  subitement  de  son  inca- 
pacité physique  à  exécuter  une  promesse 
solennellement  faite  à  son  chef,  à  son 
bienfaiteur,  une  chose  jurée  sous  la  foi 
d'un  serment  sacré,  qui  l'avait  seule 
poussé  à  abuser  de  l'ignorance  de  son 
camarade,  à  se  servir  de  lui,  Barbanson 
se  montra  si  repentant,  si  afTeclueux  qu'il 
arriva  peu  à  peu  à  le  calmer. 

Ce  premier  résultat  obtenu,  il  eut 
moins  de  peine  à  le  raisonner,  à  lui  faire 
comprendre  que  toute  sa  bravoure  ne 
servirait  à  rien  dans  la  circonstance, 
qu'on  ne  pouvait  lutter  contre  le  roi, 
contre  la  reine-mère,  contre  tant  de 
hauts  seigneurs,  contre  une  nation  pres- 
que entière,  fanatisée  par  ses  chefs. 

Il  le  persuada  de  l'inutilité  qu'il  y 
aurait  pour  lui  à  aller  se  faire  tuer  sot- 
tement, sans  prolit  pour  personne,  pas 
même  pour  ses  convictions,  à  présent 
qu'il  avait  échappé  à  la  première  fureur 
des  catholiques,  et  termina  en  évoquant 
les  souvenirs  d'autrefois,  la  camaraderie 
du  village,  ce  village  où  peut-être  ils 
pourraient  aller  finir  leurs  jours  côte  à 
côte,  comme  ils  avaient  commencé  de 
vivre. 

Tous  deux  encore  sous  l'influence  des 
vins  généreux  qu  ils  avaient  absorbés 
en  cette  veillée  mémorable,  d'autant 
plus  faciles  à  l'attendrissement,  à  l'amol- 
lissement des  rancunes,  à  la  désagréga- 
tion des  dissentiments  religieux,  à  l'ou- 
bli, ils  finirent  par  tomber  dans  les  bras 
l'un  de  l'autre. 

Leur  enfance,  leur  jeunesse,  tant  d'an- 


LA    CLOCHE 


817 


nées  passées  à  saimer  triomphèrent  de 
ces  terribles  et  sanglantes  dernières 
années;  catholiques,  protestants,  ils 
étaient  avant  tout  Français,  fds  de  la 
VIIL  —  52. 


même  terre  nourricière  qui  devait  un 
jour  les  reprendre  dans  son  sein  pour  le 
repos  éternel. 

Tavardin  pardonna  à    Barbanson,  et 


818 


LA    CLOCHE 


Barbanson  jura  de  n'avoir  plus  d'autre 
ami  cjueTavardin,  de  tout  quitter,  même 
le  service  du  roi  pour  le  suivre,  et  de 
ne  jamais  révéler  la  part  involontaire 
qu'un  huguenot  avait  prise  à  la  Saint- 
Barthélémy  en  aidant  un  catholique  à 
donner  le  siornal  du  massacre. 


C'est  dans  la  vieille  église  gothique 
d'un  petit  village  du  Loir-et-Cher,  entre 
Blois  et  Romorantin,  que,  lors  d'une  ré- 
cente excursion,  mes  yeux  lurent  pour 
la  première  fois  ces  deux  noms  accou- 
plés, Barbanson-Tavardin  :  ils  figuraient, 
à  quelques  mètres  de  l'autel,  dans  un 
des  bas  côtés,  sur  une  pierre  tombale 
usée  par  les  sabots  des  fidèles,  rongée 
par  les  ans  et  dont  l'inscription  se  trou- 
vait presque  indéchifïrable. 

Ce  qui  m'avaitparticulièrementfrappé, 
c'était  une  énorme  cloche  gravée  dans 
le  granit  et  portant  cette  date  inoublia- 
ble :  24  août  1572. 

Me  rappelant  que  le  Blésois  avait  été 
une  des  provinces  les  plus  éprouvées 
par  les  guerres  religieuses  du  xvi"  siècle, 
je  pensai  qu'il  y  avait  peut-être  là  quel- 
que curieux  souvenir  historique,  et 
époussetant  soigneusement  la  lame  de 
granit  funéraire,  je  déchiffrai,  immédia- 
tement au-dessous  de  la  cloche  et  comme 
abrités  par  elle,  ces  deux  noms  :Barhan- 
son-Tavardin. 

Une  inscription  latine  suivait,  en  par- 
lie  effacée,  ne  laissant  plus  deviner  que 
quelques  mots  dévorés  par  des  moisis- 


sures parasites,  et  d'où  il  semblait  résul- 
ter que  ceux  qui  reposaient  là,  vaillants, 
hommes  de  guerre,  d'humble  extraction, 
après  avoir  été  unis  dans  la  vie,  pui& 
passagèrement  désunis,  dormaient  en- 
semble pour  l'éternité,  à  jamais  réunis, 
et  que  le  motif  qui  les  avait  divisés  un 
moment  avait  été  cause  justement  de 
cette  suprême  et  définitive  union. 

Le  sacristain  de  l'église,  en  même 
temps  fossoyeur  du  village,  avait  suivi 
curieusement  mes  mouvements;  il  me 
dit  que  les  archives  de  la  cure  renfer- 
maient beaucoup  de  vieux  papiers  aux- 
quels personne  ne  connaissait  rien,  mais- 
qu'on  y  avait  lu  les  deux  noms  gravés 
sur  cette  antique  pierre. 

C'était  exact  et  les  indications  un  peu 
confuses  que  j'ai  pu  recueillir  en  déchif- 
frant un  de  ces  parchemins  m'ont  per- 
mis de  reconstituer  cette  histoire  étrange 
dont  nul  n'a  gardé  le  souvenir,  que  sans 
doute  on  a  toujours  ignorée  et  dont  le 
secret  reste  à  jamais  enfoui  dans  l'ombre 
séculaire  de  cette  pauvre  église  de  pro- 
vince. 

Le  huguenot  Tavardin  s'est-il  converti 
au  moment  de  mourir,  et  s'est-il  en- 
dormi dans  la  foi  de  ses  pères?  Le  ma- 
nuscrit n'en  dit  rien,  mais  il  y  a  tout 
lieu  de  le  supposer  en  voyant  qu'il  repose 
en  terre  catholique  auprès  de  son  ami 
Barbanson,  et  que  la  cloche  qui  les  re- 
couvre tous  deux  porte  la  date  de  la 
Saint-Barthélémy. 

Gustave   Toudouze. 


'» 


PKllOUSK 


I 

Avant  crentrer  dans  Pérouse,  un  de 
nos  compagnons  de  route,  professeur 
non  de  profession,  mais  par  tempéra- 
ment, et  qui  en  était  à  son  premier 
voyage  d'Italie,  dit  :  Nous  allons  visiter 
une  des  cités  mortes  de  l'Italie. 

Il  fut  bien  vite  détrompé. 

Aux  heures  du  repos,  les  places  et  les 
{grandes  rues  horizontales  de  Pérouse 
sont  encombrées  d'oisifs;  les  uns  se  pro- 
mènent lentement,  les  autres,  selon  la 
coutume  italienne,  restent  debout  sur 
les  trottoirs,  lorsqu'il  y  en  a,  et  devant 
les  cafés. 

Les  voitures  ne  gênent  pas;  elles  sont 
très  rares,  comme  dans  toutes  les  villes 
sur  montagne. 

Les  rues  en  pente  et  en  escaliers  sont 
les  plus  nombreuses,  mais  elles  ne  sont 
nullement  désertes.  Elles  desservent  les 
quartiers  bas  et  la  plaine  très  peuplée  ; 
les  piétons  les  gravissent  sans  hâte,  et 
de  petits  ânes,  coquettement  capara- 
çonnés, mais  lourdement  chargés,  grim- 
pent la  côte  d'un  pas  alerte. 

C'est  là,  sur  les  déclivités ,  qu'on 
trouve  le  véritable  caractère  de  la  cité. 
Il  n'est  pas  unique,  beaucoup  de  villes 
italiennes  étant  bâties  sur  des  hauteurs, 
mais  il  est  marqué  plus  qu'ailleurs. 

Pérouse  occupe  plusieurs  petites  col- 
lines coupées  par  des  vallons,  mais 
reliées  entre  elles  par  des  constructions. 
De  là  d'énormes  murs  de  soutènement, 
des  substructions,  des  ponts,  des  ar- 
cades, des  voûtes,  des  passages  cou- 
verts, des  murailles,  des  portes,  des 
réduits,  des  carrefours,  des  ruelles  sans 
issues,  des  églises  perchées,  des  maisons 
en  contre-bas,  d'autres  en  l'air,  des  rues 
et  des  places  sopramuro,  des  enchevê- 
trements, des  coins  obscurs,  et,  par  ci 
par  là,  des  échappées  et  des  vues  éten- 
dues sur  la  campagne. 


Comme  de  toutes  les  cités  sur  monts 
de  la  vallée  supérieure  du  Tibre,  la  vue 
qu'on  a  de  Pérouse  est  un  enchante- 
ment. 

La  vallée  fertile  est  poinlillce  de  mai- 
sons; ce  n'est  pas  l'aride  campagne  de 
Rome  semée  de  ruines,  c'est  une  cam- 
pagne vivante,  civilisée. 

Elle  retient  le  Tibre  ;  ce  n'est  pas  non 
plus  le  ff.'ivus  Tiher  d'Horace,  le  Tibre 
jaune  de  Rome  ;  de  près,  l'eau  est  claire 
et  verte  comme  le  Rhin  en  Suisse  ;  de 
loin,  on  dirait  une  rivière  de  mercure. 
Il  coule  en  boucles  comme  dans  des 
cirques,  on  ne  dislingue  pas  l'issue  qui 
le  laisse  rouler  plus  loin. 

Des  montagnes  de  hauteurs  mo- 
dérées, étagées  par  plans,  lui  font  une 
ceinture.  Rien  de  heurté  dans  les  profils  ; 
de  tous  côtés  des  lignes  simples,  arron- 
dies et  douces.  Un  philosophe  grec  a  dit 
que  la  beauté  résulte  de  l'harmonie  des 
proportions;  à  ce  compte,  la  beauté  ici 
est  parfaite. 

La  coloration  varie  selon  la  lumière  ; 
vers  le  soir,  les  premières  collines  res- 
tent dans  un  ton  vert  foncé,  mais  tout 
l'horizon  est  baigné  dans  un  air  bleu, 
ton  sur  ton,  gradué  d'après  la  distance. 
Lorsque  le  soleil  s'abaisse,  le  bleu  de- 
vient violet;  le  pi^ofesseur,  qui  a  fré- 
quenté des  paysagistes ,  veut  qu'une 
pointe  de  laque  se  mêle  au  bleu  ;  le 
violet,  tendre  d'abord,  s'accentue  et  va 
jusqu'au  violet  rouge ,  puis  la  nuit  arrive 
enveloppant  la  masse  dans  une  ombre 
transparente  et  chaude. 

Ce  n'est  pas  seulement  l'étranger  que 
ce  spectacle  ravit,  les  habitants  ne  s'en 
lassent  pas.  Ils  vont  en  jouir  sans  cesse, 
comme  le  marin  débarqué  va  contem- 
pler la  mer. 

Sur  les  anciens  remparts ,  sur  les 
esplanades,  le  long  des  routes  en  lacets, 
se  déroulent  des  fdes  :  officiers  en  élé- 
gant uniforme,  curés,  écoliers,  moines. 


820 


PEROUSE 


PORTA     URBICA     ETRT^SCA     —     ARC     D'AURUSTE 


séminaristes,  ouvriei^s,  bourgeois,  pay- 
sans; ce  n'est  pas  non  plus  à  ce  mo- 
ment-là que  Pérouse  est  une  ville  morte. 


II 


c(  Cette  terre  crOmbrie  que  nous  fou- 
lons est  saturée  d'histoire  »,  a  dit  gra- 
vement notre  professeur. 

Certainement,  mais  toutes  les  terres 
de  l'Italie  en  sont  là. 

Le  professeur  en  convient  et,  en  quel- 
ques mots,  il  nous  apprend  que  Pérouse 
fut  une  importante  cité  de  la  Confédé- 
ration étrusque,  —  nous  nous  en  étions 
bien  douté  à  l'aspect  de  ses  murs  et  de 
ses  portes  étrusques,  —  qu'elle  fut 
vaincue  par  Rome,  conquise  par  les 
Goths,  après  un  siège  de  sept  ans  — 
ce  qui  prouve  qu'il  n'a  pas  été  bien 
effectif    —    prise    par    les     Lombards, 


donnée  aux  papes,  rendue  à  son  indé- 
pendance, en  proie  à  des  guerres  civiles, 
reprise  par  le  Saint-Siège  qui  la  garda 
jusqu'à  la  fondation  de  la  République 
cisalpine  en  1797,  convertie  en  dépar- 
tement français,  restituée  aux  Etats  de 
l'Église  en  1814,  affranchie  momentané- 
ment en  1848-1849,  rendue  aux  papes 
jusqu'aux  événements  de  1860  qui  ont 
enfin  et  fort  heureusement  constitué 
l'unité  de  l'Italie. 

((  Maintenant,  ajoute  le  professeur, 
pour  cette  terre  d'Ombrie,  l'ère  des  révo- 
lutions est  définitivement  close,  la  satu- 
ration historique  du  sol  étant  arrivée  à 
son  maximum.  » 

Nous  le  pensons  bien;  une  terre  peut 
être  saturée  à  moins. 

Nous  autres  Français,  nous  avons  un 
faible. 

Nous  reconnaissons  que  les  annexions 


PEHOUSE 


821 


par  force  sont  en  violation  des  principes 
élémenlaires  de  la  justice  et  du  droit, 
cl  cependant  lorsque  nous  sommes  à 
rélranger,  chez 

Les  nations  reines  par  nos  conquêtes, 

comme  dit  Béranger,  nous  recueillons 
avec  intérêt  les  traces  de  nos  victoires 
et  de  notre  domination. 

Ainsi,  me  trouvant  un  jour  de  grande 
foire  à  bestiaux,  dans  une  bourgade  des 
Apennins,    j'ai     entendu     les     paysans-* 
compter  en  marenghi. 

Le  Marengo  est  resté  une  monnaie  de 
compte  dans  quelques  parties  de  Fltalie; 
c  était  une  belle  pièce  d'or.  D'un  côté, 
elle  portait  : 

LIBERTÉ.  ÉGALITÉ.  ERIDANO. 

"20  francs 

AN    X 

et,  de  l'autre  :  la  tète  de  la  République 
à  casque  lauré  et  autour  : 

L'ITALIE  DÉLIVRÉE  A  MARENGO. 


Non  loin  de  l'ancien  département  du 
Trasimène,  dont  Pérouse  a  d'abord  été 
le  chef-lieu,  transféré  plus  tard  par 
Napoléon  à  Spoleto,  j'ai  trouvé,  dans 
une  modeste  auberge  de  village,  une 
pièce  soigneusement  encadrée  sous  verre. 

En  voici  la  copie  : 

ASSEMHLÉE  DE  CANTON 

OÉPAUTEMENT   DE   l'oMBRONNE 

Extrait  des  mijiutes  de  la  secrétairerie  d'État. 

DÉCRET    IMPÉRIAL 

Napoléon,  etc.,  etc.  ; 

Sur  le  compte  qui  nous  a  été  rendu  de  la 
capacité  du  sieur  Muzzi  (Mutius),  maire  de 
Pog-gibonsi,  de  ses  bonnes  mœurs,  de  son 
attachement  à  l'État  et  à  notre  Personne  et  de 
ses  services  dans  l'ordre  administratif; 

Nous  l'avons  nommé  par  les  présentes, 
pour  présider,  jusqu'au  P"^  janvier  1S13, 
l'assemblée  du  canton  de  Poggibonsi,  arron- 
dissement de  Sienne,  département  de  l'Om- 
bronne. 

A  la  charge  par  lui  de  prêter,  avant  d'en- 
entrer  exercice,    devant   le    Grand   électeur, 


PALAIS     PUBLIC,     PAR     P  R  A     B  E  V  I  G  X  A  T  E     ^  X  I  V  e    SIÈCLE) 


PÉROUSE 


PORTE  SUZANNA  (ETRUSQUE^ 


OU,  en  cas  d'empêchement,  par  écrit,  le  ser- 
ment d'obéir  aux  constitutions  et  lois  de 
l'Empire  et  aux  règlements  émanés  de  nous 
pour  leur  exécution,  d'être  fidèle  à  notre  Per- 
sonne, de  se  conformer  aux  instructions  qui 
lui  seront  données,  de  maintenir  Tordre  dans 
l'assemblée  qu'il  présidera,  de  ne  pas  souflrir 
qu'elle  s'occupe  d'autres  objets  que  de  ceux 
qui  seront  prescrits  par  nos  décrets  de  con- 


vocation, de  ne  tolérer  aucune  coalition  ten- 
dant à  capter  ou  gêner  les  suffrages,  de  ne 
rien  faire  par  haine  ou  par  faveur,  de  clore 
l'assemblée  aux  époques  fixées  par  nos  dé- 
crets de  convocation,  et  enfin  d'exercer  ses 
fonctions  avec  zèle,  exactitude,  fermeté  et 
impartialité. 

Donné   au  palais   des  Tuileries,    le  27*  jour 
du   mois  de  décembre    de  l'an   de  grâce    mil 


PÉROUSE 


823 


PORTE  MAJEURE  DT  PALAIS  PUBLIC  (1340) 


huit  cent  douze  et  de  notre  règne  le  neuvième. 

Signé  :  Napoléon. 
Vu  par  nous. 
'Grande-duchesse  de  Toscane, 

E  LIS  A. 

Par  l'Empereur, 

Le  ministre  d'Éfat  (par  intérim), 

Duc  de  C  A  DO  RE. 

Le  ministre  de  l'intérieur, 
Comte  de  l'Empire, 

MONTALI  VET. 


Sauf  celle  de  Napoléon,  les  signatures 
sont  manuscrites. 

On  se  demande  comment  la  sœur  de 
Napoléon,  Élisa  Baeciochi,  avait  à  viser 
des  décrets  impériaux  relatifs  à  un 
département  français?  Après  avoir  été 
princesse  de  Piombino  et  de  Lucques, 
Napoléon  la  nomma,  en  1809,  grande- 
duchesse  de  Toscane  ;  mais  la  Toscane 


824 


PEROUSE 


n'en  faisait  pas  moins  partie  de  TEmpire 
français  ;  elle  comprenait  trois  départe- 
ments :  TArno,  chef-lieu  Florence  ;  la 
Méditerranée,  chef- lieu  Livourne,  et 
rOmbronne ,  chef- lieu  Sienne,  admi- 
nistrés par  des  préfets  impériaux.  La 
grande  -  duchesse  remplissait  non  pas 
une  fonction,  mais  une  dignité  pure- 
ment honorifique  et  décorative. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  cette  singulière 
combinaison  ,  le  président  de  l'Assem- 
blée du  canton  de  Poggibonsi  savait 
à  quoi  s'en  tenir  sur  la  façon  dont  Napo- 
léon entendait  faire  marcher  les  affaires. 

III 

Mais  revenons  à  la  cité  classique, 
comme  dit  le  professeur  auquel  il  faut 
toujours  quelque  chose  de  classique,  et 
commençons  par  l'architecture,  «  le 
premier  de  tous  les  arts,  puisqu'il  les 
renferme  tous  »,  ne  manque  pas  d'ajou- 
ter notre  docte  compagnon,  qui  a  en- 
tendu cette  phrase  dans  tous  les  discours 
de  distribution  de  prix  aux  élèves  des 
écoles  des  beaux-arts. 

Quoique  conservant  de  beaux  monu- 
ments, on  ne  peut  pas  dire  que  Pérouse 
ait  une  architecture  propre  ;  il  n'y  a  pas 
de  style  de  Pérouse  comme  il  y  a  un  style 
de  Florence  et  de  Venise;  les  édifices  de 
Pérouse  ne  sentent  pas  le  terroir  et  pour- 
raient tout  aussi  bien  se  trouver  ailleurs, 
ce  qui  n'empêche  pas  qu'on  ne  trouve 
nulle  part,  en  Italie,  une  seconde  Porla 
urhica  Elrusca,  dite  aussi  Arc  d'Au- 
guste. Cette  masse  sombre,  dont  l'austé- 
rité est  égayée  par  une  élégante  loggia, 
est  d'origine  étrusque;  le  fait  est  prouvé 
par  les  lettres  gravées  dans  les  pierres. 
Elle  fut  atteinte,  en  l'an  41  avant  Jésus- 
Christ,  par  l'incendie  allumé  par  l'armée 
d'Octave ,  victorieuse  des  troupes  de 
Mare- Antoine  ;  Pérouse  fut  alors  dé- 
truite presque  totalement;  mais,  de- 
venu empereur,  Octave  autorisa  la 
reconstruction  de  la  cité  et  lui  permit 
d'ajouter  son  nom  au  sien.  En  mémoire 
de  celte  faveur  (!)  la  porte  reçut  l'in- 
scription : 


COLONIA   VIBIA  AD  AVGVSTA 
PERVSIA. 

Le  Palais  public  est  l'œuvre  d'un 
moine,  Fra  Bevignate,  de  Pérouse  ;  il 
date  du  xiv"  siècle.  Ce  n'est  pas  une  for- 
teresse intérieure  comme  bien  d'autres 
palais  municipaux  de  l'Italie,  il  n'a  de 
particulier  que  la  disposition  des  fenêtres 
de  l'étage  supérieur  qui  allège  heureu- 
sement la  masse  et  sa  très  belle  porte 
majeure;  les  griffons  et  les  lions  symbo- 
lisent le  triomphe  du  parti  guelfe,  et  les 
écussons  qui  entourent  les  statues  des 
saints  protecteurs  de  la  cité  rappellent 
les  alliances  de  Pérouse  avec  les  autres 
cités. 

Selon  un  usage  dont  on  trouve  des 
exemples  ailleurs,  Pérouse  a  suspendu 
sur  une  face  de  son  Municipe  des  tro- 
phées de  ses  victoires  sur  les  cités  rivales  : 
un  griffon  et  un  lion  tiennent  encore 
dans  leurs  pattes  des  chaînes  et  des 
barres  de  fer  enlevées  aux  vaincus,  no- 
tamment à  Sienne,  en  1358.  Ces  sou- 
venirs ne  tiraient  pas  à  conséquence, 
car  d'adversaires  les  cités  devenaient 
souvent  alliées  ;  on  remarque  cependant 
que,  dans  l'espèce,  les  Pérugins  n'ont 
pas  suivi  l'exemple  donné  par  Florence  : 
Gênes  avait  jadis  fait  don  à  Florence  des 
chaînes  du  port  de  Pise,  enlevées  en  1362; 
Florence,  si  longtemps  ennemie  de  Pise, 
conservait  ces  trophées  ;  elle  les  a  ren- 
dus, en  1848,  à  Pise,  qui  les  a  suspen- 
dus dans  son  Campo-Santo  avec  une 
inscription  commémora tive. 

Entre  le  Palais  public  et  le  Dôme  de 
San  Lorenzo,  du  xiv''  siècle,  inachevé, 
s'élève  la  Fontaua ,  dont  les  Pérugins 
sont  fiers  ;  elle  est  de  1277,  l'architec- 
ture est  du  frère  Bevignate  et  les  sculp- 
tures de  Nicolas  et  Jean  de  Pise  ;  ce 
sont  deux  grands  noms,  mais  leurs  sculp- 
tures font  ici  fort  peu  d'effet,  la  Fontana 
étant  écrasée  parle  Municipe  et  le  Dôme. 

Mais  il  faut  savoir  se  limiter  et  passer 
sous  silence  les  autres  monuments  civils 
et  religieux  ,  sauf  la  belle  porte  San 
Pietro,  élevée,  mais  laissée  inachevée, 
en  1475,  par  Agostino  Fiorentino  et  Ste- 


FÉIIOUSE 


82» 


faiio  (la  Poru^Ma  ;  il  i'auL  aussi  omettre  la 
scul[)lure  en  bois  et  les  marqueteries,  très 
remar(jual)les  à  Pé- 
rouse,  et  arriver  ii 
la  peinture. 


1\ 


Le  jiro l'esse u  i 
fait  sonner  bien 
haut  les  mots  : 
école  d'Ombrie, 
mais  lorsqu'on  le 
presse  d'expliquer 
nettement  ce  qu'il 
entend  par  école 
d'Ombrie ,  école 
toscane,  etc.,  il  est 
fort  embarrassé,  il 
prend  des  tan- 
gentes et  finale- 
ment se  retranche 
derrière  Littré,  qui 
définit  ainsi  le  mot 
école  appliqué  aux 
œuvres  de  l'esprit  : 

«  Caractère  com- 
mun à  des  œuvres 
d'art,  de  littérature 
ou  de  science.  L'é- 
cole classique,  l'é- 
cole romantique, 
l'école  de  Port- 
Royal  ,  l'école  de 
Voltaire.  École  fla- 
mande, école  d'Ita- 
lie ,  école  fran- 
çaise, etc.,  suite  de 
peintres  célèbres 
qui  ont  travaillé 
dans  le  goût  de  ces 
pays  et  dont  la 
plupart  étaient 
Flamands,  Italiens, 
Français,  etc.  >■> 

Donc,  selon  Lit- 
tré,   le    mot  école 
n'indique   pas    né- 
cessairement   un   groupement  régional, 
puisqu'un  Flamand  peut  être  de  l'école 
italienne  ;  il  suffit  pour  être  d'une  école 


d'avoir  travaillé  dans  le  goût  de  ce  pays. 
Mais    ce   pays   peut    avoir  des  goûis^ 


GOXFALOX     DE    LA     CORPORATION     DE     SAN     BERNARDINO 
Peint  par  Benedetto  Bonfigli  (1420-1496).  (Pinacothèque  Vaunucci.) 


absolument  différents  selon  les  époques 
et  aussi  dans  une  même  époque  I  N'avons- 
nous  pas  eu  en  France,  en  même  temps, 


«26 


PEROUSE 


Ingres   et    Delacroix,    chacun   avec   son 
goût  particulier  très  marqué? 

Les  autres  définitions  ne  valent  pas 
plus  que  celle  de  Littré  ;  à  toutes  on 
peut  facilement  faire  de  valables  objec- 
tions. Le  professeur  le  reconnaît,  mais 
il  passe  outre,  car  il  lui  faut  quand 
même  des  classifications  ;  pour  Tltalie 
seule,  il  a  établi  une  quinzaine  de  divi- 


blement  un  siècle  auparavant,  et  même» 
dès  le  xii"  siècle ,  un  peintre  pérugin, 
nommé  Luca,  aurait  travaillé  à  Bologne; 
un  autre,  de  Pérouse,  aurait  peint,  à 
Assise,  un  portrait  de  saint  François 
en  1218. 

Mais  ces  deux  faits  ne  sont  connus 
que  par  des  documents  d'archives,  tan- 
dis que   la   Pinacothèque  Vannucci ,    le 


RUE  DE  PEROUSE  SUR  ARCADES 


sions.  Laissons-lui  cette  inoffensive  ma- 
nie, puisqu'elle  l'amuse  et  qu'elle  lui 
donne  un  vernis  de  science. 

Les  cités  italiennes  luttent  d'érudition 
pour  s'attribuer  des  priorités;  jadis  elles 
se  combattaient  les  armes  à  la  main,  à 
présent,  c'est  à  coups  de  parchemins  ; 
c'est  à  qui  aura  les  plus  anciennes  institu- 
tions de  charité,  corporations  de  métiers, 
matricules  de  peintres,  etc. 

Pérouse  se  flatte  d'avoir  une  matri- 
cule de  peintres  portant  la  date  de  1366; 
mais  la  corporation  existait  fort  proba- 


musée  municipal  de  Pérouse,  d'un  très 
grand  intérêt,  conserve  des  fresques  de 
l'ancien  couvent  de  Santa  Giuliana,  bâti 
en  1253,  et  des  peintures  recouvrant  le 
couvercle  du  cercueil  de  saint  Egidius, 
mort  en  1262.  A  ce  compte,  Pérouse 
aurait  eu  des  peintres  antérieurs  au  Flo- 
rentin Cimabue,  dont  on  fixe  la  nais- 
sance aux  abords  de  1240. 

Mais  Sienne  a  eu  Guido,  qui  peignait 
au  commencement  du  xni^  siècle,  et 
Lucques  s'honore  de  Belinghieri  Bona- 
ventura,  qui  travaillait  en  1235. 


PEROUSK 


827 


Ces  discussions  de  dates  n'ont  pas 
d'intérêt  sérieux  pour  l'histoire  de 
l'art  ;  la  question  n'est  pas  de  savoir, 
à  quelques  années  près,  quelle  est  la 
ville  italienne  qui  la  première  a  eu  des 
peintres  italiens,  l'essentiel  est  de  fixer 
le  point  de  départ  réel  de  la  peinture 


Gitta  délia  Pieve.  Pérouse  a  eu  la  bonne 
fortune  de  lui  accorder  la  cUladinanza, 
de  l'inscrire  sur  la  matricule  de  ses 
peintres  et  de  lui  donner  son  nom  mal- 
^^ré  lui  pour  ainsi  dire,  car  Pietro  préfé- 
rait se  dire  da  Gastel  délia  Pieve,  comme 
s'appelait  alors  son  village  natal. 


LA     M  A  D  (J  X  E     ET     L  '  E  N  F  A  X  T 

Docteurs  de  l'Église,  Saint  François  et  Saint  Dominique  mettant  leurs  disciples  sous  la  protection  de  la  Vierge, 

par  Boccali  Giovanni  (1447). 


italienne.     Ce     point    est    Florence    et 
l'homme  est  Cimabue. 

Il  suffit  d'aller  étudier  ce  grand  artiste 
dans  ses  grandes  compositions  pour  voir 
que,  le  premier,  il  a  donné  à  ses  figures 
la  vie,  le  mouvement  et  la  physionomie 
des   fonctions  qu'elles  doivent  remplir. 


V 


Pietro  ^'annucci  est  né  probablement 
en  1446  et  mort  en  1524.  Il  n'est  pas  de 
Pérouse,   mais   de   la  petite   localité  de 


Comme  peintre ,  Pérugin  clôt  l'ère 
des  primitifs,  comme  dit  le  professeur 
qui  tient  toujours  à  clore  des  ères. 

Primitifs  !  Encore  un  mot  à  effet,  mais 
qu'on  explique  difficilement. 

Le  professeur  appelle  primitifs  les 
peintres  qui  ont  précédé  la  Renaissance, 
autrement  dit  les  précurseurs  de  la  Re- 
naissance. 

Lorsqu'on  lui  demande  de  fixer  à  peu 
près  l'époque  de  l'apparition  de  ces  pri- 
mitifs et  l'époque  où  ils  ont  disparu,  il 
répond  qu'il  y  a    deux    Renaissances  : 


828 


PEROUSE 


la  première  et  la  seconde,  et,  en  fin  de 
compte,  il  est  forcé  d'avouer  qu'il  nomme 
«  primitifs  »  tous  les  peintres  à  partir 
du  XII®  siècle  jusque  vers  la  fin  du  xv". 
Gest  vraiment  un  peu  trop  large  ; 
laissons  donc  ce  mot  primitif,  d'abord 
parce  qu'il  ne  précise  pas  assez  et  en- 
suite parce  qu'il  entraîne  une  idée  d'im- 
mobilité dans  la  composition,  et  de  naï- 
veté et  de  rudesse  dans  l'exécution,  —  ce 


^._ 


centrée  de  ses  figures  religieuses  et  par 
lélégance  et  la  distinction  de  ses  per- 
sonnages allégoriques. 

On  lui  reproche  — •  car  maintenant  il 
est  de  mode  de  toujours  reprocher 
quelque  chose  à  un  artiste  —  d'avoir 
trop  travaillé  en  vue  du  gain  et  d'avoir 
abusé  de  l'uniformité  dans  ses  compo- 
sitions et  dans  ses  types. 

S'il  a  beaucoup  produit  pour  gagner 


;^,  ^Ij 


PORTE     SAN     PIETRO 
Construite  par  Agostino  Fiorentino  et  Stefano  da  Perugia  (1475). 


qui  n'est  nullement  la  caractéristique  de 
bien  des  peintres  du  xiv*^  et  du  xv*  siècle, 
—  et  disons  les  peintres  du  xiii",  du  xiv®, 
du  xv*^  siècle  et  ainsi  de  suite,  c'est  plus 
simple  et  plus  clair. 

Pérugin  est  donc  du  xv"  et  du  xvi*^  siècle. 
Il  a  travaillé  sans  relâche  pendant  plus 
d'un  demi-siècle  ;  ses  peintures  sont  ré- 
pandues partout,  et  c'est  certainement 
de  tous  les  peintres  italiens  celui  qu'on 
retrouve  le  plus  dans  les  musées. 

Tous  ceux  qui  mettent  le  sentiment 
au  premier  rang  des  qualités  d'un  artiste 
se  laissent  séduire  par  la  grâce,  la  dou- 
ceur, la  rêverie,  la  piété,  la  douleur  con- 


de  l'argent,  tant  mieux,  puisque,  grâce 
à  cette  intention,  ses  tableaux  sont  très 
nombreux;  s'il  a  persisté  dans  des 
types,  tant  mieux  encore ,  puisque  ses 
types  préférés  sont  exquis. 

Le  professeur,  qui  ne  perd  jamais 
une  occasion  de  discuter,  ne  manque 
pas  de  rappeler  la  phrase  de  Vasari,  le 
premier  biographe  de  Pérugin  :  Fu  Pietro 
persona  cli  assai  poca  religione,  e  non 
se  cfli  pôle  mai  far  credere  l'inimor- 
lalita  delV  anima. 

Comment  un  artiste  qui  n'avait  pas 
de  religion  et  qui  ne  croyait  pas  à  l'im- 
mortalité de  l'âme  a-t-il  pu  peindre  le 


PEROU SE 


829 


RUE     S  A  X  T  A     A  O  A  T  A 


Christ,  la  Madone,  des  saints,  des  an^^es 
empreints  du  sentiment  chrétien  le  plus 
pur  et  le  plus  élevé? 

Si  Vasari  dit  vrai,  il  n  y  a  pas  d'expli- 
cation à  chercher  :  c'est  ainsi,  voilà  tout  ; 


et,  du  reste,  peu  importent  l'homme  et 
ses  opinions,  ce  sont  ses  œuvres  seules 
qu'il  faut  juger. 

lime  semble,    au   surplus,   que  tel  a 
été  l'avis  des  contemporains  de  Pérugin. 


830 


PÉROUSE 


Municipes,  corporations,  clergé  séculier 
et  régulier,  congrégations  laïques, 
papes,  tout  le  monde  s'adressait  à  lui. 
En  1482,  le  pape  Sixte  IV  lui  confia 
des  fresques  dans  la  chapelle  Sixtine  et. 


munal,  lui  est  demandée.  Là,  n'étant 
tenu  par  aucune  discipline,  il  se  livre  à 
sa  fantaisie.  Il  peint  la  Nativité,  la 
Transfiguration,  Dieu  le  Père,  les 
Sibylles,  Jupiter,  Mars,  Mercure,  les 


PIETA    —    péri:  G  IN  (1-145-1524) 
(Pinacothèque  Vanuucoi.) 


plus  tard,  Jules  II  lui  fait  décorer  des 
chambres  du  Vatican. 

Des  tableaux  de  sainteté  lui  sont  com- 
mandés dans  nombre  de  localités. 

A  Pérouse,  vers  1500,  la  décoration 
de  la  salle  d'audience  du  Cambio,  col- 
lège des  changeurs,  installé  étroitement 
dans   une   dépendance    du    palais   com- 


Philosophes  de  V antiquité,  les  Pro- 
phètes, la  Justice,  la  Tempérance,  la 
Force,  la  Prudence.  Le  sacré  côtoie  le 
profane  ;  il  importe  peu  aux  changeurs, 
ils  veulent  une  décollation  somptueuse 
et  ils  l'obtiennent  ;  leur  Cambio  est 
l'œuvre  principale  de  Pérugin. 

Parmi  beaucoup  d'autres,  il  y  a  encore 


PÉROUSE 


831 


FRESQUES     DE     LA     CHAPELLE     SAX     SEVERO     —     RAPHAËL     ET     PERU«IX 


à  Pérouse  une  peinture  de  Pérugin  qui 
excite  particulièrement  l'attention. 

^  annucci  a  eu  la  gloire  dètre  le 
maître  de  Raphaël. 

Que  rélève  ait  dépassé  le  maître,  no- 
tamment dans  V Ecole  d'Athènes  et  la 


Dispute d u  saint  sacrement  des  chambres 
du  ^'atican,  ce  n'est  pas  discutable; 
mais  que,  dans  d'autres  ouvrages,  Pé- 
rugin n'ait  pas  été  éclipsé  par  Raphaël, 
ce  n'est  pas  discutable  davantage  ;  que 
même  parfois  Raphaël  ait  été  inférieur 


S32 


perousp: 


à  Pérugin,  beaucoup  radmettent.  Et, 
lorsqu'on  veut  comparer  deux  artistes, 
ne  faut-il  pas  rapprocher  des  ouvrages 
exécutés  dans  des  conditions  à  peu  près 
semblables?  Cependant,  c'est  ce  que  ne 
font  pas  ceux  qui  veulent  que  Raphaël 
ait  écrasé  Pérugin. 

En  1505,  Raphaël,  âgé  de  vingt- 
deux  ans,  a  peint,  à  Pérouse,  dans  la 
chapelle  de  San  Severo  d'un  couvent  de 
camaldules,  une  Trinité  avec  des  anges 
et  les  saints  Maur,  Placide,  Benoît  abbé, 
Romuald,  Benoît  martyr  el  Jean  mar- 
tyr. 

En  1521,  l'année  d'après  la  mort  de 
Raphaël,  Pérugin  a  complété  la  déco- 
ration par  les  figures  des  saintes  et 
saints  Scolastique,  Jérôme,  Jean  évan- 
géliste,  Grégoire  le  Grand,  Boniface 
martyr  et  Marthe. 

Que  dans  la  composition  de  Raphaël 
il  y  ait  plus  de  variété  dans  les  attitudes 
que  dans  les  figures  de  Pérugin,  cela 
saute  aux  yeux  ;  mais  qu'il  y  ait  des 
analogies  dans  l'expression  des  visages 
des  deux  fresques,  cela  n'est  pas  moins 
visible. 

Les  admirateurs  quand  même  de. 
Raphaël  et  les  détracteurs  quand  même 
de  Pérugin  se  sont  emparés  des  fresques 
de  San  Severo  pour  établir,  preuves 
sous  les  yeux,  l'écrasante  supériorité  de 
l'élève  sur  le  maître;  ce  n'est  pas  juste  : 
d'abord,  entre  la  qualité  des  deux 
fresques,  l'écart  n'est  pas  très  considé- 
rable, puis,  lorsque  Pérugin  a  peint  ses 
saints,  il  avait  soixante-quinze  ans. 

Le  pi'ofesseur  demande  pourquoi 
Pérugin  est  venu  peindre  de  sa  main 
affaiblie  cette  fresque  de  San  Severo. 

Il  incline,  comme  d'autres,  à  penser 
que  le  maître  a  voulu  ainsi  donner  une 
preuve  de  la  supériorité  de  l'élève.  C'est 
encore  là  une  de  ces  hypothèses  gra- 
tuites dans  les  habitudes  de  ceux  qui 
veulent  toujours  sonder  les  intentions 
des  artistes.  11  est  bien  plus  simple  d'ad- 


mettre que,  sur  la  demande  des  camal- 
dules,  Pérugin  a  consenti  à  décorer  un 
espace  vide  qui  nuisait  à  la  fresque  de 
Raphaël,  et  que  les  moines  se  sont 
adressés  à  lui  parce  qu'il  était  le  plus 
célèbre  des  peintres  de  Pérouse. 

Cette  célébrité,  en  effet,  était  telle 
qu'aussi  bien  les  prédécesseurs  que 
presque  tous  les  contemporains  de  Pé- 
rugin ont  été  éclipsés. 

Il  en  est  un  cependant  qui  brille 
d'un  grand  éclat,  c'est  Bernardino  di 
Betto  dit  Pinturicchio,  né  à  Pérouse  en 
1454,  mort  en  1513. 

Il  a  laissé  à  Pérouse  de  beaux  ou- 
vrages, pas  autant  cependant  que  son 
talent  le  méritait;  il  semble  que  ses  con- 
citoyens ne  l'ont  pas  estimé  à  sa  valeur 
et,  en  tout  cas,  ils  lui  ont  préféré  Pé- 
rugin. 

C'est  dans  la  Libreria  du  Dôme  de 
Sienne  et  dans  quelques  églises  de  Rome 
que  nos  contemporains  l'ont  surtout 
connu  jusqu'à  présent.  On  tenait  les 
peintures  de  la  Libreria  pour  son  chef- 
d'œuvre,  et  on  les  admirait,  malgré  cer- 
taines critiques  dq  sécheresse,  résultat, 
disait-on,  de  son  ancienne  profession  de 
miniaturiste. 

Grâce  au  goût  éclairé  du  pape 
Léon  XIII,  l'appartement  Borgia  du 
Vatican  est  maintenant  accessible  au 
public.  C'est  là  que  Pinturicchio  appa- 
raît avec  son  brillant  coloris,  son  élé- 
gance, son  goût  pour  le  faste,  en  un 
mot,  avec  toutes  les  qualités  d'un  déco- 
rateur exceptionnellement  doué. 

—  Tout  cela  est  parfaitement  vrai,  dit 
le  professeur  en  bouclant  sa  valise  ;  mais 
ça  n'empêchera  pas  que  Pérouse,  c'est 
le  Pérugin,  qu'il  y  a  beaucoup  à  voir  à 
Pérouse  et  qu'il  faut  engager  ceux  qui 
reviennent  de  Rome  à  s'y  arrêter  quel- 
ques jours. 

Cette  fois,  le  professeur  a  raison. 

Gerspacu. 


VIII    —  53 


Alors  le  vieux  bouvier,  paisible  el  sédentaire, 
Se  met  à  la  charrue  avec  ses  deux  bœufs  blanc> 
Qui  partent  lourdement  et  sillonnent  la  terre 
Où  plongent  leurs  sabots  vigoureux  et  gluants. 

ils  vont,  majestueux,  sous  la  main  qui  les  guide, 
Beuglant  vers  les  échos  des  étangs  isolés, 
Et  leurs  bons  yeux  profonds  contemplent,  dans  le  vide. 
L'inunensité  rurale  où  seront  les  grands  blés!... 


0  bouvier!  comme  toi,  loin  des  regards  des  hommes. 
Le  poète  s'exile,  et,  toujours  en  chantant. 
Il  marche,  glorieux,  au  milieu  des  royaumes 
Où  trône  la  grandeur  de  son  règne  puissant  ; 

11  va  dans  les  ravins  où  chemine  raïu'on'. 
Sans  cesse  s'engluant  dans  les  terrains  bourbeux, 
Ayant  pour  compagnons,  entre  l'air  et  la  flore, 
L'Idéal  et  l'Amour,  qui  sont  ses  deux  grands  bœufs. 

D'impénétrables  bois,  des  montagnes  géantes 
Enténèbrent  souvent  les  splendeurs  de  ses  yeux  ; 
(Ju' importe  !  il  les  contourne  et  près  des  hautes  plantes 
Il  reprend  ardenunenl  sa  marche  vers  les  cieux. 


O'^r^'k^ 


L'ÉTAT    D'AME    D'UNE    CHAMBRE    NOUVELLE 


Les  êtres  collectifs  ont  une  âme  comme 
les  individus,  une  âme  qui  n'a  rien 
d'impassible  ni  d'immuable,  qui  vibre 
tout  entière  à  certaines  heures,  malg-ré 
les  diverg-ences  des  partis,  une  âme  qui 
se  modifie  avec  le  cours  du  temps  et 
l'envolée  des  illusions,  qui  n'est  plus 
après  quatre  ans  de  luttes  ce  qu'elle  était 
au  jour  de  la  naissance. 

Quand  nous  venons  au  monde,  nous 
autres,  notre  petite  âme  est  assez  pi'opre, 
assez  fraîche  ;  elle  ne  laisse  guère  voir 
le  vice  originel.  Elle  se  raccornit  très 
vite,  mais  elle  est  vraiment  aimable  à 
contempler  à  l'aube  de  la  vie. 

Telle  aussi  l'âme  des  Assemblées.  Pour 
elle,  le  vice  originel,  c'est  la  lutte  im- 
pitoyable que  les  partis  se  livrent  avant 
le  vote.  Trahisons  atroces,  calomnies 
perfides,  accusations  infâmes,  il  faut 
tout  subir  pour  être  élu,  et  l'on  sort  du 
scrutin  comme  d'un  antre  noir  où  s'agi- 
teraient des  animaux  fantastiques. 

Mais  après,  quand  on  sest  un  peu  se- 
coué et  nettoyé,  quand  on  a  revu  la 
lumière  du  jour  et  respiré  l'air  pur,  on 
éprouve  une  sensation  de  joie  profonde, 
la  joie  de  vivre  désormais  non  plus  pour 
soi  seul,  mais  pour  son  pa}s,  la  joie 
d'espérer  qu'enfin  l'on  va  pouvoir  agir 
et  transformer  ses  rêves  en  réalités.  11  a 
toujours  été  de  mode  chez  nous  de  plai- 
banter  la  représentation  nationale.  Cela 
n'empêche  pas  le  mandat  législatif  d'être 
très  enviable  et  très  envié.  La  violence 
même  avec  laquelle  on  se  dispute  les 
sièges  tous  les  quatre  ans  suffit  à  dé- 
montrer que  c'est  un  grand  honneur 
d'être  choisi  pour  représenter  ses  conci- 
toyens, pour  parler,  pour  voter  en  leur 
nom. 

Aussi,  les  premières  heures  qui  suivent 
le  dépouillement  du  scrutin  sont  douces 
aux  élus;  ce  sont  des  heures  d'expan- 
sion, de  pardon  et  d'amour.  On  ne  veut 
plus  savoir  si  l'on  a  lutté,  si  l'on  a  souf- 
fert, si  l'on  a  été  combattu  par  celui-ci, 
insulté  par  celui-là  ;  on  se  sent  le  désir 


et  la  force  de  faire  du  bien  à  tous,  amis 
ou  ennemis. 

Et,  comme  ces  heures- là  sont  les 
mêmes  pour  tous  les  membres  d'une 
Chambre  nouvelle,  il  y  a,  dans  la  poli- 
tique, un  moment  exquis,  trop  court 
malheureusement,  où  l'âme  de  l'être 
collectif  qu'on  appelle  une  Assemblée 
paraît  propice  à  tous  les  apaisements,  à 
toutes  les  réparations,  à  toutes  les  am- 
nisties. Les  chefs  de  parti  n'en  profitent 
pas  toujours,  et  c'est  grand  dommage 

Si  l'on  voulait  cependant,  bien  des 
fusions  pourraient  se  faire  avant  que 
l'âme  de  la  Chambre  ait  été  durcie  par 
le  feu  des  passions  et  des  convoitises 
personnelles.  Les  candidats  signalés 
comme  terribles  d'après  leurs  profes- 
sions de  foi  arrivent  au  Palais-Bourbon 
beaucoup  plus  calmes  que  ne  le  disent 
les  journaux  dont  c'est  le  métier  d'en- 
fiévrer la  politique.  Ils  ont  plus  de  cu- 
riosités que  de  colères,  et,  s'ils  ren- 
contrent un  ancien  dont  ils  blâment  la 
politique,  ils  n'hésiteront  pas  à  lui 
prendre  le  bras  pour  se  faire  piloter. 

Tout  ce  fracas  de  voix  qui  ébranle 
les  vitres  de  la  salle  Casimir-Perier  est 
fait  de  plaisanteries  plus  que  de  me- 
naces. En  étudiant  les  dédales  du  Palais- 
Bourbon,  en  admirant  le  bas-relief  de 
Dalou  et  les  peintures  de  Delacroix,  les 
députés  gesticulent  avec  animation  ;  vous 
les  croyez  prêts  à  tout  briser;  appro- 
chez-vous ;  ils  font  simplement  assaut 
d'esprit  sur  les  questions  qui  les  divisent 
le  plus:  ils  s'applaudissent  de  bon  cœur 
entre  adversaires,  si  la  riposte  est  belle. 

Et  quand  ils  se  réunissent  mystéineu- 
sement   dans  un   coin  ou    autour   d'un 
canapé,    ce    n'est    pas    toujours    pour 
échafauder  les  conspirations  qu'on  leur 
prête  invariablement  le  lendemain;  c'est        / 
pour  causer  de  choses  très  matérielles,   .    i; 
très  terre  à  terre,  mais  qui  les  touchent      -/ 
plus  directement   que  la  solution   d'un  \/ 
problème  constitutionnel. 

Le  député  qui  arrive  du  fond  de  sa 


I/KTAT    DAMK    1)   TXK    CIIAMHHK    XolVKLLK 


83" 


province  se  sent  comme  un  oiseau  sur  la 
branche,  lanl  qu'il  n'a  pas  déniché  sa 
place,  son  groupe  et  son  logement .  Ce 
besoin,  commun  à  tous,  même  aux 
anciens  qui  proiitent  volontiers  dune 
réélection  pour  faire  peau  neu\e,  crée 
entre  les  membres  d'une  Chambre  nou- 
velle le  premier  el  le  plus  utile  des  liens. 
Il  leur  donne  cet  étal  d'âme  identique, 
grâce  auquel  on  se  sent  attiré  vers  ceux 
que  Ton  sera  plus  tard  forcé  de  com- 
battre. 

Le  choix  du  ne  |)lace  n'est  pas  inspiré 
par  la  politique  autant  qu'on  le  pense. 
Les  nouveaux  élus  s'inquiètent  moins 
de  savoir  si  les  places  qu'on  leur  offre 
sont  plus  à  droite  ou  plus  à  gauche  du 
président,  que  de  vérifier  si  elles  sont 
bonnes.  Et  ils  tiennent  pour  bonne  la 
place  où  l'on  entend  bien,  d'où  l'on 
sort  aisément  dès  qu'on  ne  veut  plus 
entendre,  où  le  voisinage  est  agréable. 

A  Londres,  dans  cette  vieille  cité  qui 
est  la  douairière  du  parlementarisme, 
où  les  mots  vifs  ne  sont  pas  épargnés 
entre  honorables,  on  a  tourné  la  diffi- 
culté en  laissant  les  membres  libres  de 
choisir  chaque  jour  leur  place.  Là-bas, 
il  suffit  de  transporter  sa  carte  ou  ses 
gants  pour  changer  de  voisins.  A  Paris, 
les  mœurs  sont  plus  administratives  : 
chaque  place  est  marquée  pour  la  durée 
d'une  législature  entière,  pour  quatre 
années,  grande  morlalis  œvi  spatium. 

Les  anciens  ont  même  le  droit  de 
garder  leur  place  d'une  législature  à 
l'autre.  Aussi,  dès  que  les  résultats  du 
scrutin  sont  proclamés,  les  nouveaux  se 
mettent  à  la  poursuite  des  anciens  ;  ils 
leur  demandent  de  faire  des  échanges, 
ou,  à  défaut,  de  donner  de  bons  conseils  ; 
ils  les  accablent  de  dépêches  qui  sillon- 
nent la  France  de  Dunkerque  à  Bayonne, 
de  Brest  à  Marseille,  et  qui  viennent 
toutes,  presque  à  la  même  heure,  s'abattre 
dans  les  bureaux  de  la  questure  sous  la 
forme  de  demandes  généralement  con- 
tradictoires. La  même  place  est  retenue 
par  des  membres  différents,  et  le  même 
membre  retient  plusieurs  places.  Après  le 
premiercoupdefeu,  les  mécontentements 


s'apaisent  et  il  ne  reste,  de  cette  chasse 
aux  places,  que  l'ébauche  d'une  camara- 
derie qui  ne  sera  pas  inutile  le  jour  où 
l'implacable  politique  viendra  rallumer 
les  divisions.  En  s'entr'aidant  pour  se 
caser,  les  anciens  et  les  nouveaux  se  sont 
fondus  ;  ils  ont  appris  à  se  connaître,  à 
s'estimer  malgré  la  divergence  des  doc- 
trines ;  ils  ont  compris  que,  même  pour 
les  besoins  matériels  de  la  vie  parle- 
mentaire, il  est  bon  d'éviter  les  chocs 
trop  brusques,  de  substituer  les  trans- 
actions aux  conflits. 

Quand  on  a  trouvé  sa  place,  quand 
on  sait  de  quel  œil  et  sous  quel  angle 
on  contemplera  la  tribune,  il  faut  choisir 
son  groupe.  Dans  le  parlementarisme 
classique,  —  celui  d'avant  1848,  —  la 
désignation  des  groupes  se  faisait  avec 
solennité,  d'une  manière  lourde  et  com- 
pliquée. On  tenait  des  réunions  longues, 
académiques,  où  se  débitaient  beaucoup 
de  discours,  où  les  ambitions  surgis- 
saient et  s'enflammaient,  au  bout  des- 
quelles on  songeait  souvent  beaucoup 
plus  à  se  battre  qu'à  s'entendre. 

On  a  simplifié  les  choses,  et  l'on  a 
bien  fait.  Avant  l'ouverture  officielle, 
quelques  membres  plus  actifs  ou  plus 
ambitieux  que  les  autres  se  promènent 
dans  les  couloirs,  guettant  ceux  qui 
passent  ;  ils  ont  dans  leurs  poches  des 
listes  avec  de  beaux  titres,  de  beaux 
programmes.  Au  fur  et  à  mesure  qu'on 
arrive,  ils  harponnent  : 

—  Mon  cher  collègue,  voulez-vous 
être  des  nôtres  ?  \^oici  déjà  un  tel  et  un 
tel  qui  ont  accepté. 

Entre  deux  boùlTées  de  cigare,  en 
déposant  son  chapeau  et  son  pardessus, 
le  cher  collègue  répond  oui.  Fort  sou- 
vent un  tel  et  un  tel  n'avaient  pas  en- 
core accepté,  n'avaient  même  pas  été 
consultés.  Peu  importe;  quand  on  leur 
présente  la  liste,  ils  sont  flattés  d'y 
figurer  les  premiers  :  ils  pardonnent 
l'abus  de  leur  nom  en  faveur  de  l'or- 
gueil satisfait. 

Ils  ont  d'ailleurs  mille  moyens  de  ne 
pas  enchaîner  leur  liberté.  Dans  le  cou- 
loir voisin  circulent  d'autres   listes   où 


LÉTAT    1)  AMK    DUNK    CHAMIJUK    XorVKLLK 


leur  nom  figure  également,  sous  un  titre 
diirérent,avec  un  programme  tantôt  plus 
large,  tantôt  plus  étroit,  quelquefois 
opposé.  Au  jour  de  l'action,  ils  n'au- 
ront que  l'embarras  du  cKbix.  En  atten- 
dant, ils  auront  senti  plus  de  coudes  et 
serré  plus  de  mains  ;  ils  auront  appris 
qu'entre  les  groupes  il  n'y  a  pas  de  fron- 
tière infranchissable,  et  cela  vaut  mieux 
que  d'apprendre  comme  autrefois  à  se 
murer  dans  un  camp  où  l'on  ne  con- 
templait que  soi,  sa  politique  et  ses 
amis,  où  l'on  regardait  le  reste  du  monde 
comme  n'existant  pas. 

Se  loger  dans  Paris  esl  un  problème 
difficile  à  résoudre,  surtout  pour  des 
hommes  dont  les  racines  sont  en  pro- 
vince, qui  tous  les  quatre  ans  sont  expo- 
sés à  n'avoir  pas  de  raisons  pour  venir 
à  Paris.  Cependant  tous  les  députés 
viennent  à  Paris  avec  plaisir.  Quelques- 
uns  même  ne  se  font  nommer  que  pour 
avoir  le  prétexte  d'y  venir. 

On  y  vient,  il  est  vrai,  plus  simple- 
ment que  jadis.  Il  y  a  quarante  ans,  on 
amenait  avec  soi  sa  famille  et  ses  meu- 
bles; on  ouvrait  des  salons,  parce  que 
la  famille  et  les  salons  jouaient  un 
grand  rôle  dans  la  politique.  Aujour- 
d'hui, ce  ne  sont  plus  les  relations  pari- 
siennes qui  font  avancer,  mais  la  fidé- 
lité de  la  province;  un  député  sûr  du 
renouvellement  de  son  mandat  en  vaut 
dix.  L'essentiel  n'est  pas  de  briller  à 
Paris,  mais  de  bien  tenir  sa  circonscrip- 
tion. 

Or  les  électeurs  sont  devenus  fort 
exigeants.  Ils  savent  qu'avec  les  chemins 
de  fer,  on  traverse  le  pays  d'un  bout  à 
l'autre  en  quelques  heures.  Ils  veulent 
qu'on  les  vienne  voir  au  moins  tous  les 
huit  jours.  De  là  cette  décision,  prise 
par  les  deux  Chambres,  de  ne  plus  sié- 
ger le  samedi,  veille  du  repos  domi- 
nical, qui  devient  ainsi  pour  les  députés 
jour  de  labeur  et  de  fatigue. 

Dans  ces  conditions,  avec  des  nireurs 
politiques  qui  brisent  plus  de  deux  cents 
mandats  tous  les  quatre  ans,  il  est  bien 
inutile  de  faire  à  Paris  les  frais  d'une 
installation   coûteuse,  d'imposer  à   une 


femme,  à  des  enfants,  un  déplacement 
précaire  et  malsain.  Beaucoup  de  mem- 
bres se  contentent  de  Ihôtel,  qui  crée 
entre  eux  un  lien  de  plus,  car,  suivant  la 
région  d'où  ils  viennent,  ils  se  rappro- 
chent. Telle  maison  abrite  les  députés 
de  la  Savoie,  telle  autre  ceux  de  la  ré- 
gion lyonnaise.  Il  y  a  aussi  des  groupe- 
ments qui  naissent  d'habitudes  com- 
munes. Les  noctambules  descendent  près 
des  boulevards  et  mangent  à  la  même 
table,  sans  se  soucier  de  leurs  divisions 
politiques.  Le  soir,  on  joue,  on  fume, 
on  bavarde  et  1  on  prépare,  souvent  sans 
le  savoir,  des  combinaisons  profitables  à 
la  paix  publique. 

Et  toutes  les  fois  que  les  députés  tra- 
vaillent pour  la  paix  publique,  ils  font 
de  bonne  besogne;  ils  accomplissent 
vraiment  l'œuvre  pour  laquelle  ils  ont 
été  choisis.  Sans  doute  les  Chambres 
sont  nommées  pour  voter  des  lois;  mais 
un  pays  n'a  pas  besoin  tous  les  jours  de 
lois  nouvelles,  et,  de  même  que  la  mul- 
tiplicité des  ordonnances  médicales  est 
mauvais  signe  pour  un  malade,  de  même 
des  changements  continus  dans  les  co- 
des font  douter  de  la  prospérité  d'un 
peuple.  Les  Chambres  ont  surtout  pour 
devoir  de  maintenir  en  équilibre,  en 
harmonie,  les  forces  contraires,  les  in- 
térêts hostiles  qui  sont  toujours  prêts  à 
se  déchaîner  et  à  se  combattre,  qui  ont 
d'autant  plus  d'ardeur,  qui  sont  d'au- 
tant plus  dangereux  qu  une  nation  est 
plus  vaste,  que  son  histoire  est  plus 
longue  et  plus  glorieuse. 

C'est  par  les  Chambres  et  dans  les 
Chambres  que  vient  s'apaiser,  se  récon- 
cilier, se  confondre  en  de  communs  sa- 
crifices et  d'utiles  transactions  ce  qu'il  y 
a  d'antagonisme  naturel,  légitime,  entre 
l'agriculture  et  l'industrie,  entre  le  ca- 
pital et  le  travail,  entre  les  vieilles  fa- 
milles orgueilleuses  de  leur  passé,  mais 
épuisées  par  trop  de  services  rendus,  et 
les  nouvelles  générations  qui  ne  deman- 
dent qu'à  donnera  la  patrie  le  trop-plein 
d'un  sang  jeune  et  généreux 


LA    NOUVELLE    CHAMBRE 


Le  Monde  Muderne  donne  aujour- 
d'hui le  tableau  des  élections  générales 
politiques  qui  ont  eu  lieu  les  S  et  '2'2  mai 
dernier. 

Nous  avons  adopté  un  plan  simple, 
en  vue  de  dégager  les  chilFres  qui  per- 
mettent de  se  faire  une  idée  de  l'état 
de  l'opinion  et  de  la  représentation  des 
partis  dans  le  pays  et  dans  le  Parlement. 

Après  les  colonnes  où  figurent  les 
données  fondamentales  en  pareille  ma- 
tière, c'est-à-dire  le  nombre  des  votants, 
celui  des  inscrits  et  des  voix  obtenues 
par  les  élus,  nous  donnons  une  réparti- 
lion  des  votes  d'après  un  système  très 
simplifié  ;  nous  n'avons  pas  adopté  les 
multiples  subdivisions,  le  plus  souvent 
éphémères  et  mal  définies,  par  lesquelles 
les  partis  aiment  à  se  différencier  les 
uns  des  autres.  Des  classifications  en 
petit  nombre,  bien  définies,  nous  ont 
paru  mieux  appropriées  à  notre  travail. 

Sous  le  nom  de  républicains,  nous 
inscrivons  les  opportunistes,  les  pro- 
gressistes, les  ralliés,  les  républicains  de 
gouvernement,  les  libéraux,  les  indépen- 
dants et,  d'une  manière  générale,  tous 
ceux  qui  repoussent  l'épithète  de  radical 
ou  de  radical-socialiste. 

Les  représentants  de  ces  deux  der- 
nières opinions  avancées  sont  eux-mêmes 
réunis  dans  la  même  colonne,  car  ils 
ont  entre  eux  trop  de  points  de  contact 
pour  être  séparés. 

Il  résulte  de  là  que  les  socialistes 
forment  un  groupe  auquel  ne  se  mêle 
aucun  élément  étranger  et  pur  de  tout 
alliage.  Nous  avons  à  leur  égard  un  cri- 
térium d'une  certitude  absolue,  en  ce 
qui  concerne  les  députés   ayant  appar- 


tenu à  la  précédente  législature.  Il  s'est 
présenté  dans  cette  période  deux  occa- 
sions dans  lesquelles  les  socialistes  ont 
pu  se  grouper  et  se  compter  ;  la  pre- 
mière fois,  le  23  octobre  1897,  en  votant 
l'ordre  du  jour  présenté  par  MM.  Jaurès 
et  Gérault-Richard  dans  l'interpellation 
de  ce  dernier  sur  la  cherté  du  pain.  Cet 
ordre  du  jour  était  ainsi  conçu  : 

"  La  Chambre,  convaincue  qu'il  est 
urgent  de  briser  la  spéculation  sur  les 
blés...,  invite  le  Gouvernement  à  lui 
proposer  d'urgence  un  projet  de  loi 
organisant  le  monopole  d'exploitation 
des  blés  étrangers  par  l'Etat.  » 

Cet  ordre  du  jour  socialiste  a  été 
voté  par  cinquante  et  un  députés. 

La  deuxième  fois,  le  20  novembre  1897, 
en  votant  contre  l'ordre  du  jour  pré- 
senté par  M.  Deschanel  pour  clore  l'in- 
terpellation de  M.  Jaurès  sur  la  crise 
agricole,  dont  la  première  partie  était 
ainsi  conçue  :  «  La  Chambre,  considérant 
que  la  transformation  de  la  propriété 
individuelle  en  propriété  collectiviste, 
serait  la  ruine  de  l'agriculture.  » 

Il  se  trouva  trente-neuf  députés  pour 
voter  contre  cette  partie  de  l'ordre  du 
jour. 

Voilà  donc,  dans  l'ancienne  Chambre, 
les  socialistes  désignés  par  leurs  propres 
votes  ;  quant  aux  nouveaux  députés, 
nous  avons  enregistré  leur  déclaration 
purement  et  simplement. 

La  dernière  colonne  de  notre  tableau 
est  réservée  aux  conservateurs,  et  par 
cette  dénomination  nous  entendons  dé- 
signer tous  ceux  qui  entendent  rester 
fidèles  à  leurs  convictions  du  passé  et 
à  leurs  traditions  de  famille. 


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COt^-*OOiCI>--*^COI>-C500l>-OOOi— l'^COO-l'^Cit-«5C->(M>OW(MOOC-iOt-OOOi— lOO'^CiCOCi 

lOOCOf^Oi— (C0'^-l<«S00-JC0(TÏ>O(MC0"J5-t<-JÏ(M'-i'— iCi0-J«DO00i0'*iC^(>aœ50<N00(MOO00C0 

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Le  tableau  récapilulalif  permet  de  se 
rendre  compte  de  la  manière  dont  fonc- 
tionne le  suffrage  universel. 

En  nombres  ronds,  la  France  compte 
38  millions  d'habitants,  I  1  millions 
d'électeurs  inscrits,  8  millions  de  volants, 
et  les  élus  se  sont  partagé  5  millions  de 
sulfrages. 

D'oii  les  proportions  suivantes,  par 
rapport  à  la  population  : 

l'ilecteurs  inscrits,  28,9  pour  100  ha- 
bitants. 

Votants,  21  pour  100. 

Suffrages  exprimés,  13  pour  100. 

Si  l'on  compare  le  nombre  des  élec- 
teurs inscrits  au  nombre  des  votant^, 
on  voit  qu'il  n'y  a  que  72,7  pour  lOO 
des  inscrits  qui  prennent  part  au  vote  ; 
les  abstentions  sont  au  nombre  de  27,3 
pour  100. 

Si  l'on  fait  le  total  des  voix  réparties 
entre  les  divers  groupes  politiques  et 
qu'on  le  compare  au  nombre  des  votants, 
on  aperçoit  une  différence  de  320,000 
au  profit  de  ces  derniers. 

Cet  écart  représente,  pour  la  presque 
totalité,  les  bulletins  blancs  ou  bulletins 
de  protestation,  c'est-à-dire  le  vote  des 
électeurs  dont  l'opinion  n'était  pas  re- 
présentée par  les  candidats;  il  nous  serait 
aisé  de  citer  des  cas  où  les  bulletins 
blancs  ont  été  de  plusieurs  milliers. 

En  ne  tenant  compte  que  des  suffrages 
exprimés,  on  verra  que  les  républicains 
représentent  46,7  pour  100  des  votants 
et  35,3  pour  100  des  inscrits; 

Les  radicaux,  28,2  pour  100  des  vo- 
tants et  2f,3  pour  100  des  inscrits; 

Les  socialistes,  10,3  pour  100  des  vo- 
tants et  7,8  pour  100  des  inscrits; 

Les  conservateurs,  10,9  pour  100  des 
votants  et  7,8  pour  100  des  inscrits. 

Si  l'on  opposait  aux  l'épublicains  seuls 
les  trois  autres  partis,  on  obtiendrait 
3,9<19,514  républicains  et  4,136,790 
d'autre  part. 

En  ajoutant  aux  voix  républicaines 
les  voix  conservatrices  et  aux  voix  radi- 


cales les  voix  socialistes,  on  se  trouve  en 
présence  des  chiffres  suivants  :  4,821,109 
pour  les  premières,  et  3,225,235  pour 
les  secondes. 

En  réunissant  les  républicains  et  les 
radicaux,  on  a  (), 268,649  voix  contre  une 
très  faible  minorité. 

Enfin,  à  qui  attribuer  les  abstentions? 
Sauf  les  cas  de  force  majeure,  on  ne 
peut  guère  les  attribuer  aux  radicaux,  et 
encore  moins  aux  socialistes,  qui  n'ont 
pas  l'habitude  de  déserter  le  vote. 

Il  paraît  plus  probable  de  les  attribuer 
aux  républicains  de  gouvernement,  trop 
sûrs  de  la  victoire,  et  surtout  aux  con- 
servateurs, dont  beaucoup  considèrent, 
à  tort,  l'abstention  comme  une  élégance. 

En  faisant  une  attribution  des  proba- 
bilités des  abstentions  à  raison  d'un 
dixième  aux  socialistes,  deux  dixièmes 
aux  radicaux,  trois  dixièmes  aux  répu- 
blicains et  quatre  dixièmes  aux  conser- 
vateurs, on  aurait  ce  l'ésultat  final  de  la 
répartition  des  opinions  en  France  : 

Républicains 4.800.000 

Radicaux 3.000.000 

Socialistes 1.200.000 

Conservateurs 2.000.000 

Et  il  en  résulterait  cette  observation 
que  4,8O0,0(H)  opinions  républicaines 
sont  représentées  par  293  députés  ; 

3,000,(»00  d'opinions  radicales  par 
174  députés  ; 

1,200,000  d'opinions  socialistes  par 
59  députés  ; 

2,000,000  d'opinions  conservatrices 
par  55  députés. 

Enfin,  si  par  un  système  plus  équita- 
ble les  opinions  étaient  représentées  en 
proportion  réelle  de  leur  nombre  et  s'il 
n'y  avait  pas  d'abstentions,  on  peut  dire 
que  les  58f  députés  se  répartiraient 
ainsi  : 

Républicains 254 

Radicaux 158 

Socialistes 63 

Conservateurs 106 


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Giguet. 


AIN   (li  députo). 

VOIX 

(ibtomios. 

ÉLKC-rKl-R.S 

UÉI'AIlTniON    DES   .SL'FKKAGE.S            1 

l'IIH'0Xm'KI['TlONS. 

PICITIKS   Kl.L-S. 

inscrits. 

votants. 

Jfi^pn'.'.. 

Hadic. 

Social. 

Conserv. 

Br.M.EY. 

Gkx. 

Nastua. 
Trévoux. 

Pochon 

Herbet 

Giguet 

Bizot 

Carrier . 

Bérard  

S. '.m:; 

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9.8S1 

0.27.1 
12.16!t 

17.H1'J 
17.514 
23.802 
G. 630 
14.586 
2.-).  022 

14.U'.)',1 
14.348 
18.K40 
4.5.52 
11.830 
20.809 

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5.807 
6.ÎI01 
361 
6  273 
8.538 

8.943 
8.434 
9.891 
3.984 
4  488 
12.169 

1 .  954 

947 

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Pochoa  (Joseph) 

Herbet 

Giguet 

Bizot 

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M    AUombert,  républicain,  a  été  élu  le  13  novembre  1S9.S  en  remplacement  de  M.  Carrier. 
Bérard  (Ale.x.i,  né  en  1S59,  ancien  subsl.  du  proc.  gén.à  Grenoble,  cons.gén..  dép.  sort.,  radical. 


Desjardins. 


Castelin. 


Hugues. 


Magniaudé. 


AISNE  (8  députés). 


(IliCOX.SCRIPTIOX.S. 

DRITTÉ.-*   ÉLUS. 

Laon  l"'. 

Ermant  (  2'  tour). . 

—    2". 

CHATEAU-THIKItltY. 

Morlot 

SAIXT-QUEXnX,   V'\ 

Hu;.'ues(2'  tour) 

—              2<'. 

Desjardins 

SOISSONS. 

Magniaudé  (2'  t.» 

VEimx.s,  l"'. 

Denêcheau 

—        2-. 

Fournière 

9.362 
9 .  405 
8.354 
6.117 
8.106 
8.374 
7.473 
6.123 


63,314 


KLK(    TErli.'^ 


904 
226 
735 
223 
731 
483 
096 
320 


votants. 


18.518 
17.625 
13.741 
16.656 
15.734 
16.561 
13.. 503 
12.716 


125.054 


IlEI'AIlTrnoX    DK.S    SUFFRAGE.S 


Iléi)ubl.       Kadic.       Social.      Conserv, 


9.362 
7.055 
5.1.54 
10.652 
8.106 
8.019 
5 .  758 
5 .  582 


59.688 


9.012 

» 
8.354 

» 
1.138 
8.374 
7.473 

426 


34.777 


.879 

.188 


109 
.123 


Ermant  (Gcorgrcs),  né  en  1S52,  architecte,  conseiller  g^énéral,  député   sortant,  républicain. 
Castelin  (André),  né  en  1S5S,  ajjriculteur,  journaliste,  député  depuis  1.SS9,  républicain. 
Morlot  (Emile),  né  en   1S50,  avocat,   docteur  en   droit,    cons.  g-énéral,   député   sortant,  radical. 
Hugues  (François),  né  en  l^i'iS,  ancien  manufacturier,  député  sortant,  républicain. 
Desjardins  (Jules),  né  en  isi5,  ancien  magistrat,  député  sortant,  répub.  de  gouvernement. 
Magniaudé  (E.),  né  en  1851,  propriétaire,  négociant,  nouvel  élu,  radical  socialiste. 
Denêcheau  (Maurice),  né  en  1815,  publiciste,  député  depuis  1S03,  républicain  progressiste. 
Fournière    Eugène"),  né  en  1S57,  liomme  de  lettres,  cons.  mun.  de  Paris,  nouvel  élu,  socialiste. 


S4-5 


LA    NOUVELLE    CIIAMHHE 


Létang. 


Delarue 


ALLIER  (6  députés). 

VOIX 

obtenues. 

ÉLECTEURS 

BÉPAIlTmON    DES    .SUFFRAGES 

ciRcoNSCRrmoNs.  1      iiÉPurÉs  élus. 

inscrits. 

votants. 

Républ. 

Radie. 

Social. 

Conserv. 

Moulins  l''-. 

Gannat. 
La  Pallsse. 

MONTLUÇON    1''-. 

Péronneau  

Ville  (  2"  tour  ) .  .  .  . 

Delarue 

Gacon  

Létang 

Sauvanet 

7.569 
7.240 
9 .  95.5 
16.. 300 
9.338 
8.619 

16.015 
21.154 
21.410 
30 . 980 
22.897 
20.973 

12.638 
17.084 
17.682 
24.988 
18.635 
17.004 

n 
7.103 
7.453 
8.443 
9.325 
8.120 

7.569 

7.240 

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2.528 

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9.338 

8.619 

4.449 
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)) 

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Totaux 

59.021 

133.429 

108.031 

40.444 

41.064 

20.832 

4.449 

Péronneau  (Henri-Georges),  né  en  1856,  conseiller  ^L-néral,  nouvel  élu,  radical  socialiste. 

Ville  (Pierre),  né  en  1839,  négociant,  maire  de  Moulins,  député  depuis  1889,  radical. 

Delarue  (Gabrieli,  né  en  1846,  docteur-médecin,  licencié  en  droit,  député   depuis  1893,  radical 

Gacon  (Jules),  né  en  1847,  docteur-médecin,  conseiller  général,  député  depuis  1889,  radical. 

Létang  (Stéphane),  né  en  1859,  nouvel  élu,  socialiste. 

Sauvanet  (Charles),  né  en  1851,  négociant,  conseiller  d'arrondissement,  dép.  sortant,  socialiste. 


Delombre. 


ALPES  (BASSES-)  (5  députés). 

VOIX 

obtenues. 

ÉLECTEUIÎS 

RÉPAR'nTION    DES    SUFFRAGES 

CIRCONSCRIPTIONS. 

DÉPUTÉS    ÉLUS. 

inscrits. 

votants. 

Républ. 

Radie. 

Social. 

Conserv. 

Digne. 

Barcelonnette. 

Castellaxe. 

Porcalquier. 

SiSTEBON. 

Roi'X  (2'-  tour) 

Delombre 

BonldeCastellane. 

Sicard 

Robert  (2':  tour).. 

6.074 
2.507 
2 .  785 
4.217 
2.087 

13.096 
3 .  460 
5.174 
9.853 
6.285 

10.870 
2.689 
4.398 
7.884 
5.119 

6.074 
2.507 
4.361 
4.217 
1.879 

4.661 

» 

» 
2.490 
2.087 

» 
» 

1.117 
» 

» 
» 

» 
1.106 

Total 

17.670 

37.868 

30.960 

19.038 

9.238 

1.117 

1.106 

Roux  'Paul),  né  en  1818,  ancien  notaire,  conseiller  général,  nouvel  élu,  républicain  progressiste. 
Delombre  fPauli,  né  en  1848,  publiciste,  conseiller  général,  député  sortant,  républicain. 
Comte  Boni  de  Castellane,  né  en  1867,  nouvel  élu,  républicain, 

Sicard  Martial),  né  en  1848,  avoué,  cons.  gén.,  député  sortant,  républicain  de  gouvernement. 
Robert  (Ludovici,  né  en  1854,  docteur-médecin,  conseiller  général,  nouvel  élu,    radical. 


i.A   N(»i' \i;i.i.i;   ciiAMunK 


s  15 


Euzière. 


Laurençou. 


Pavie. 


ALPES  (HAUTES-)  (3  députés). 

VOIX 

obtenues. 

ÉLECTEURS 

RÉPARTITION   DES  SUFFP.AGE.S            [] 

aRCONSCIlIPTI0N8. 

DÉPUTÉS    ÉLUS. 

inscrits. 

votants. 

Républ. 

Radie. 

Social. 

Conserv. 

GAP. 
BRIAXÇON'. 

Esiunux. 

8.056 
3.843 
4.798 

17.571 
6.197 
6.789 

14.747 
4 .  594 
5.296 

88 
3.843 
4.798 

8.056 
» 
15 

» 
» 

6.297 
» 
>) 

Laurençon 

Pavie 

[                        Totaux 

16.697 

30.557 

24.637 

«.  729 

8.071 

^' 

6.297 

Eiizière     Frédéric),  né   en   1842,  avocat,  conseiller   général,  député   depuis    1889,  radical. 
Laurençon  (Léon),  né  en  1841,  avocat,  conseiller  général,  député  depuis  1877,  républicain. 
Pavie    François),  né  en  18 i3,  industriel,  conseiller  général,  nouvel  élu,  radical. 


Ronvier. 


BischofEslieim. 


ALPES-MARITIMES  (4  députés). 

VOIX 

obtenues. 

ÉLECTEURS 

RÉPARTITION    DES   SUKFRAGES            || 

<  IRCONSCRIPTIflNS. 

DÉI'UTÉS   ÉLUS. 

inscrits. 

votants. 

Républ. 

Radie. 

Social. 

Conserv. 

Nice  l-^-. 

2^ 

Grassk. 
Puget-Thénikrs. 

Baiberti 

PouUan 

Bouvier 

Biscboffsheim 

9.240 
y .  720 
8 .  770 
4.814 

32.544 

17.303 

15.607 

22 . 303 

6.573 

11.895 

10.505 

16.200 

5.152 

10.401 
9.720 
8.770 
4.814 

» 

250 
7.404 
)) 

6 

» 

» 

96 

» 

» 
» 

Totau 

X 

61.7S6 

43 .  752 

33.705 

7 .  694 

102 

)) 

Raiberti  (Flaminius),  né  en  1S()2,  officier  démissionnaire,  député  depuis  1890,  républicain. 
Poullan  ;Félixj,  né  en  1857,  avocat,  conseiller  général,  nouvel  élu.  républicain  progressiste. 
Rouvier  (Maurice),  né  en  1812,  ancien  ministre  des  finances  et  président  du  conseil,  conseiller 

général,  député  depuis  1871,  républicain. 
Biscboffsheim  (Raphaël  ,  né  en  18:'3,  membre  de  l'Institut,  député  depuis  1893,  républicain. 


LA    N()U\-1:LI.E    CIIAMlUiK 


Odilon-Barrot. 


ARDECHE   (.5  députés). 

VOIX 
obtenues. 

ÉLECTECRS 

RÉPARTITION    DES    SUFFRAGES            il 

CmCOX.SCRIPTIONS. 

DÉPUTÉS    ÉLUS. 

inscrits. 

votant  s. 

Répiibl. 

R idic. 

Social. 

Conserv. 

Privas  l"'. 

Largentière. 
TounNON  !"■. 

—          2^ 

Perrin 

Astier 

Odilon-Barrot     . . 

Sauzet 

Roche 

7. 138 
8 .  .522 
11.448 
9.878 
9.138 

16.817 
21.969 
30.457 
23.102 
21.110 

12.013 
16.030 
22.895 
18.616 
16.860 

11.723 

3 .  989 

22.734 

9.878 
9.138 

Il 
11.785 

7.593 

)) 

8.627 

Total 

X 

46.124 

113.45.-) 

86.414 

57.462 

19.378 

» 

8.627 

Perrin  ;^Isaac\  né  en  l.sl2,  propriétaire,  conseiller  g-énéral,  ancien  député,  républicain. 
Astier  (Placide),  né  en    185(5,  pharni.,  vice-prés,  du  Cens.  mun.  de  Paris,  nouvel  élu,  radical. 
Odilon-Barrot  (Georgess  né  en  18 41,  ancien  secrétaire  d'ambassade,  avocat,  conseiller  général, 

dé]3uté  depuis  1893,  républicain  progressiste. 
Sauzet  (^Marc),  né  en  1852,  prof.  agr.  à  la  Fac.  de  droit  de  Paris,  député  depuis  1893,  républicain. 
Roche  (Jules\  né  en  1811,  avocat,  journaliste,  conseiller  généi-al,  ministre  du  commerce  et  des 

colonies   en   1890.  du  commerce  en  1892.  député  depuis  18Sl.  républicain. 


Teruaux  Compans 


Lassalle. 


Hubeit. 


Poulain, 


ARDENNES  (5  députés). 

VOIX 

obtenues. 

é:lectki-rs 

RÉPARTITION    DES    SUFFRAGES           j 

CIRCU.NSCRIPTIONS. 

DEPU'J-ES    ELUS. 

inscrits. 

votants. 

Républ. 

R-.idic. 

Social. 

Conserv. 

mézièkes. 
Rethei.. 

ROCROl. 

Sedax. 
vouziers. 

Poulain  (2'=  tour). 
Ternaui-(;oinpans(2'"t.) 
Dunaime  (2"  tour). 

Lassalle 

Hubert 

1 1 . 886 
7.101 
5.749 
7.724 

8.308 

21.848 
15 . 398 
13.503 
18.170 
15.202 

21.617 
12.995 
11.465 

14.880 
13.048 

9.461 
12.720 
5.749 
6.995 
4  .  592 

» 

5.672 

» 

8.308 

11.886 

1) 

» 

7.724 

» 

11 
» 

)) 

Total 

40,768 

39.517 

13.980 

19.610 

)> 

Poulain    Albert),  né  en  186G,  ouvrier  mécanicien,  nouvel  élu,  socialiste  révolutionnaire. 
Ternaux-Compans  (Maurice),  né  en  1846,  ancien  conseiller  d'ambassade,  nouvel  élu,  rép«blicain. 
Dunaime  (Eugène),  né  en  1855,  avoué,  docteur  en  droit,  cens,  gén.,  député  sortant,  républicain. 
Lassalle  tJean-Baptiste-Elysée),  né  en  1856,  ouvrier  mécanicien,  nouvel  élu,  socialiste. 
Hubert  (Lucien^,  né  en  1868,  homme  de  lettres,  publicistc,  député  sortant,  républicain. 


I..V   N(»r  V  i;i.i.i:   en  .\.\ii!i!  i: 


Deloassé. 


ARŒGE  (,3  députés). 

V01.\ 

obtenues. 

KI.EC- 

■nrR.s 

jtÉi'AUTrnoN  DES  suFFR.\r,i-:s        1 

«TRCOXt>CiarTIONS. 

DKrUTÉS    ELU.-J. 

inscrits. 

votants. 

ll(llJUt)l. 

Ridic. 

Social. 

Conserv. 

Foi.v. 
P.\mii;rs. 

S.MXT-GiKo.VS. 

Delcassé 

Dumas  (2''  tour).  . 
Galy  Gasparrou  . . 

9.226 
9.844 
9.152 

24.871 
24.346 
25.131 

17.771 
18.230 
18.210 

9.216 
8.360 
9 .  152 

» 
9.814 
9 .  050 

8 .  333 

» 
» 

~8T333~ 

" 

Total 

IX 

2H . 222 

74 . 348 

54.211 

26.728 

18.894 

Delcassé  Théophile),  né  en  1MJ2,  publiciste,  sous-secrétaire  d'Etat  aux  colonies  1893,  mini 
des  colonies  189  S,  conseiller  j^énéral,  ministre  des  aflaires  étrangères  1898,  député  depuis  1 
républicain. 

Dumas    Julien;,  né  en  1857,  avocat,  député  sortant,  républicain. 

Galy  Gasparrou    Léon\  né  en  1850.  conseiller  général,  nouvel  élu.  républicain. 


stre 

880. 


Baohimont. 


Tliierry-Delanoue. 


AUBE  (6  députés). 

VOIX 

obtenues. 

ÉLECTEURS 

uÉi'Ainrnox  des  suffrages        I 

1  1 1!<  (JN'I^CIIIPTION >;. 

IIÉFUTÉ.'*   ÉLIH. 

inscrits. 

votants. 

Républ. 

Radie. 

Social.    1  Conserv.l 

TnOYKS   1". 

2*". 

ARCI.S..SUR-ArBE. 

Bar  sur-Aube. 
Bar-.«ur-SeinT';. 

NO(iEN-T-SfU-SEINK. 

Charonnat(2- 1.». 

Dutreix 

Castillard  (  2' toui- 1 
Therry-Delanoue 

Guyard  

Bachimont  (2'  1. 1 

6 .  785 
6 .  503 
6.363 
6.210 
6.367 
5.151 

15 . 795 
15.125 
9.753 
10.984 
13.523 
11.548 

13.163 
11.985 
8.808 
9.201 
11.306 
9.924 

6.327 
3.885 
8.712 

6.210 
6.367 
4.686 

6 .  785 
6.. 503 

)) 

» 

» 

5.151 

8 
1.380 

» 
2.. 542 
4.604 

» 

8 .  .-)34 

Total 

X 

35.379 

76.728 

64.387 

36.187 

18.139 

» 

Charonnat    Jules,  né  en  18-31,  notaire  honoraire,  député  sortant,  radical  socialiste. 

Dutreix    Ciiarles;,  né  en  1818,  manufacturier,  député  depuis  1893,  radical  socialiste. 

Castillard    Henri;,  né  en  1817,  avocat,  député  sortant,  républicain. 

Thierry-Delanoue  (Paul),  né  en  1813,  propriétaire,  conseiller  général  depuis   1889,  républicain 

progressiste. 
Guyard    Albert  ,  né  en  184G,  agriculteur,  nouvel  élu,  républicain. 
Bachimont    Charles',  né  en  18 i4,  docteur-médecin,  député  sortant,  radical  socialiste. 


xis 


L.\     NOUVELLE    C  II  A  M  lîH  E 


DnjarJiu-Beaiimetz. 


AUDE  (5  députés). 

VOIX 

obtenues. 

ÉLECT'EUnS 

RÉPARTITION    DES    SUPFB.\GES            1 

CIRCOXSCRlrTTONS. 

DÉPUTÉS   ÉLUS. 

inscrits. 

votants. 

Républ. 

Kadic.    1   Social. 

Conserv. 

Carcassoxnk. 
Castelnaudaiiy. 

LiMOUX. 

Narbonne  l''»". 

2''. 

Théron  

Saba  (2'-  tour).  .  .  . 
Dujardin-Beaumetz 

Bartissol 

Turrel 

11.195 
5 ,  854 

10.992 
6.211 
7.459 

30.041 
14.543 
20.498 
15.385 
18.449 

22.185 
11.532 
15.811 

12.487 
14.613 

6.932 

)) 
4.659 
6.211 
7.453 

5.854 

10.992 

» 

2.890 

11.195 

» 

» 
6.162 
3.995 

21.352 

3.834 
» 
» 

Totau 

41.711 

98.916 

76.628 

25 . 255 

19.736 

3.834 

Théron  (Ferdinand),  né  en  183i,  propriétaire,  cons.  gén.,  ancien  député,  socialiste. 
Saba  (Edmond),  né  en  1848,  ancien  greffier,  secret,  de  mairie,  cons.  gén.,  nouvel  élu,  rad.   soc. 
Dujardin-Beaumetz  (Henri),  né  en  1852,  artiste  peintre,  cons.  gén.,  député  depuis  1889,  radical. 
Bartissol  (Edmond),  né  en  1841,  ingénieur-constructeur,  député  (1889-1893),  répub.  progressiste. 
Turrel  (Adolphe),  né  en  1856,  ancien  auditeur  au  Conseil  d  Etat,   ancien  ministre   des  travaux 

publics  (1890-1898),  député  depuis  1885,  républicain  modéré. 
M.  Turrel  ayant  été  invalidé  le  9  juillet,  il  a  été  remplacé   par  M.  Narbonne,  socialiste,  qui  a 

obtenu  7.400  voi.\  sur  9.900  votants. 


Moasservin. 


Maruéjouls. 


AVEYRON  (7  députés). 

VOIX 

obtenues. 

ÉLECl 

El'HS 

KÉl'Ain'ITION    DES    SUFFRAGES            II 

CTUCOX.SCRirTIOXS. 

DEI'l'TE.S    ÉLUS. 

inscrits. 

votai'-ts. 

Républ.  ■ 

Radie. 

Social. 

Conserv. 

Rouez  1'"<^. 

Monsservin 

7.307 

17.020 

13.744 

7 .  307 

6.379 

« 

)) 

—     2^ 

Gaf  f  ier 

7.887 

17.812 

14.042 

7.887 

6.103 

)i 

» 

ESPALION. 

Massabuau  (2'^  t.). 

6.639 

16.428 

12.810 

6.639 

6.319 

» 

» 

Millau. 

ïidiil  (le  Siiinl-lrliain  .  . 

8.516 

20.020 

16.406 

8.516 

7.823 

» 

» 

Saint-Affrique. 

Fournol 

7.565 

17.071 

13.485 

7.565 

5.270 

532 

» 

ViLLEFR ANCHE  l'<'. 

Cibiel 

8.121 

14.556 

10.761 

)) 

)) 

» 

8.121 

—             2^ 

Maruéjouls 

9.769 

18.977 

14.079 

9.769 

)i 

4.051 

» 

Total 

IX 

55.804 

121.884 

95.327 

47.683 

31.894 

4.583 

8.121 

Monsservin  (Joseph),  né  en  1864,  ancien  magistrat,  conseiller  général,  nouvel  élu,  républicain. 
Gîffier  (Edouard),  né  en  1861,  avocat,  nouvel  élu,  républicain. 

Massabuau  (Joseph),  né  en  1862,  avocat,  conseiller  général,  nouvel  élu,  républicain. 
Vidal  de  Saint-Urbain  (Gabriel),  né  en  1854,  anc.  avoc.  gén.  à  Dijon,  cons.  gén.,  dép.  sort.,  républ. 
Fournol  (Paul),  né  en  1852,  propriétaire,  cons.  gén.,  député  depuis  1893,  républicain  progressiste. 
Cibiel  (Louis),  né  en  18  41,  propriétaire,  conseiller  général,  député  depuis  1876,  conservateur. 
Maruéjouls  (Emile),  né  en  1837,  vice-président  du  Conseil  de  ])réfecture  de  la  Seine,  conseiller 
général,  ancien  ministre  du  commerce,  député  depuis  1889,  républicain. 


I.A    N()L!\'KI,LK    (MI  AMlîlîK 


SiO 


Pelletan. 

Chevillon. 

Boyer. 

Carnaud 

Cadenat. 

BOUCHES-du-RHONE  (8  députés). 

VOIX 

obtenues. 

ÉLECTEUnS 

IlÉl'AIlïrnOX    DES    SUFFRAGES            il 

ClIiCOXSCllII'TIllNS. 

IIÉPUTÉS   ÉLUS. 

inscrits. 

Totants. 

Républ. 

Radie. 

Social. 

CoDserv. 

Marseille  l'^ 

—  2''. 

—  Z'. 

—  4«. 

—  û"". 
Aix  1"-. 

—   2''. 

Al!  LES. 

Carnaud  (2''  tour). 
Cadenat  (2''  tour). 
Thierry  (  2''  tour). . 
Chevillon  (2'' tour). 

Boyer 

Perreau  (  2"  tour  ) . 

Pelletan 

Michel  (  2>  tour  ) .  . 

6.98.3 
8.44H 
8.289 
(i.673 
7.9.54 
4.386 
G. 287 
11.411 

20.216 
21.881 
20.408 
20.014 
21.11.5 
15.689 
16.897 
27.434 

13.789 
15.749 
12.480 
12.653 
13.206 
10.689 
12.022 
20.409 

» 
7.040 
8 . 2.S9 

4.789 
4.386 
4.872 

6.686 

» 

» 
6.673 

)i 

3.990 

6.287 

11.411 

6.983 
8.448 
3.822 
5.992 
7.9.54 
3.376 
733 
10 

)> 
)) 
)> 
)) 
n 

8.790 

Totaux 

6;i.43l 

163   714 

110.997 

29.370 

35.047 

37.318 

8.790 

Carnaud  Maximilien\  né  en  1S63,  ancien  instituteur,  député  sortant,  socialiste. 

Cadenat    Bernard;,  né  en  ls.î3,  coupeur  cordonnier,  conseiller  municipal  de  Marseille,   nouvel 

élu,  socialiste  révisionniste. 
Thierry  ^Joseph),  né  en  1857,  avocat,  nouvel  élu,  républicain. 

Chevillon  (Joseph),  ne  en  1849,  médecin,  élu  en  1885,    échoua   en    ls89,  réélu  en  1X9.3,  radical. 
Boyer  (Antide),  né  en  1850,  comptable,  député  depuis  18S5,  socialiste. 

Perreau    François\  né  en  18(5(3,  profess.  agrég-é  à  la   Faculté  de  droit,  nouvel  élu.  républicain. 
Pelletan    Camille),  né  en  1816,  journaliste,  député  depuis  18sl,  radical. 
Michel  iHenri^  né  en  1857,  professeur  au  lycée  d'Avignon,  nouvel  élu,  radical. 


De  Saiut-Quentin. 


De  Witt. 


Lebret. 


CALVADOS  (7  député.^). 


C.\EX    l'-. 

Baveux. 

Falaise. 

Lisij-:l'x. 

pont-l'evêquk. 

VlllE. 


DKI'UIES   Er.r.- 


Lebret  (2'-  tnur). 
l'.oailtMleSaiiit-QiKMirni 

Gérard 

Paulmier 

Laniel 

De  Witt 

Chanel 


5.719 
7.107 
9.167 
0.595 
7.25;; 
6. oui 
S .  790 


50 . 690 


ELEi'TEUUS 


inscrits. 


10.002 
13.793 
17.228 
13.445 
17.121 
16.067 
19.178 


112.894 


votants 


11.717 
8.315 
10.235 
10.772 
13.333 
9.916 
16.708 


SO.990 


liEPAllTlTIllX    JIES    SUFFRAGE: 


Kcpubl. 


11.360 
7.167 


10.660 
7.256 


5 .  938 

3.590 

48 


Couserv 


160 
9.167 


Lebret    (ieorges  .  né  en  ls53,  docteur  en   droit,  conseiller  général,  ministre  de  la  justice  1898 

député  sortant,  républicain  progi'cssiste. 
Comte  de  Saint-Quentin,  né  en  isso,  propriétaire,  député  sortant,  républicain. 
Baron  Gérard    Henri  ,  propriétaire,  conseiller  général,  député  depuis  18.S1,  conser\ateur. 
Paulmier    (-iiarles  ,  né   en  18  Is,  propr.,   cons.   gén.,    député   depuis    1885,    conservateur  libéral 
Laniel  ;llenri:,  né  en  1857,  manuf.,  ancien  juge  consulaire,  député  sortant,  républicain  libéral 
De  Witt  (Conrad  ,  né  en  1821,  propriétaire,  cons.  gén.,  député  depuis  1889,  républicain  rallié. 
Ghenel  (Emile,  né  en  1817,  avocat,  conseiller  général,  nouvel  élu,  républicain. 

VIII.  —  5i. 


LA    NOUVELLE    Cil  A  M  HUE 


Hugon. 


CANTAL  (4  députés). 

VOIX 

obtenues. 

ÉLEC'XTÎUKS 

KÉFAltTITION    DEri    SUFFRAGE.S            || 

CIKfKiNSCRII'TIONS.    j         DÉPUTÉS    ÉLUS. 

inscrits. 

votants. 

Répulil. 

Kadic. 

Social. 

Conserv. 

.\  URILr.AC. 
AlAUKIAC. 
MURAT. 

Sai.vt-Fi.oui:. 

Cazals 

Brun 

Peschaud(2'tour). 
HugoD 

9. 207 
7.563 
4.968 
G.  355 

24.554 

16.716 

9 .  724 

14.097 

18,387 

10.814 

5.695 

11.427 

7.061 

3.142 

116 

5.017 

11.050 
7.563 
4 .  968 
6.355 

)) 

179 
» 

Totaux . 

28.093 

65.091 

46.323 

15.336 

29.936 

11 

179 

Cazals  (Noël;,  né  en  1861,  docteur-médecin,  conseiller  f-cnéral,  nouvel  élu,  radical. 

Brun    Fernand  ,  ne  en  1867,  avocat,  nouvel  élu,  radical. 

Peschaiid   ^Gabrielj,  né  en  1861,  médecin,  cons.  gén.,  nouvel   élu,  répub.  radical  démocrale. 

Hugon    Pierre),  né  en  1851,  docteur-médecin,  conseiller  général,  nouvel  élu,  radical. 


Laroche-Joubert.         Babaud-Laoroze. 


Aruous. 


Caneo  d'Ornano. 


Paul  Déroulède. 


CHARENTE  (G  députés). 

VOIX 

obtenues. 

ÉLECTEUR.S 

KÉPAETITIOX    DES    SUFFRAGES            || 

CIUfOX.iiClIIPTKlNS. 

iiÉi'UTÉs  Ér,t-.s. 

inscrits. 

votants. 

Républ. 

Radie. 

Social. 

Conserv. 

AXdOULÉ.ME    r'_, 

Barbezieux. 

COGXAr. 
Ci)XFOLKX,'<. 

RcrFEC. 

Laroche-Joubert. 

Déroulède 

Arnous  

Cuneo  d'Ornano  .  . 
Babaud-Laoroze . . 
Liiiiouz3in-l,aiilaiiclii'(2"t.) 

s.  487 
7.768 
6.595 
8.762 
12.278 
6.326 

19.927 
20.518 
14.214 
20.734 

20.52S 
1U.26G 

15 . 400 
15.067 
12.120 
16.909 
14.090 
12.926 

15.127 
13.636 
5.337 
7.672 
12.278 
6.513 

» 

« 
10 

10 

11 
1.168 

111 

)i 
)> 

6.595 
8  .  762 

« 
6.198 

Tntai 

50  216 

112.187 

86.G12 

60.563 

1 .  290 

21.555 

Laroche-Joubert  Edgar),  né  en  1813,  fabricant  de  papiers,  administrateur  de  la  Banque  de 
France,  ancien  juge  consulaire,  cons.  gén.,  député  depuis  188  i,  républicain  plébiscitaire. 

Déroulède  (PauL,  né  en  1816,  conseiller  général,  ancien  député,  répulîlicain  révisionniste. 

Arnous  Eugène  .  né  en  18  i6,  ancien  auditeur  au  Conseil  d'Etat,  conseiller  général,  député 
depuis  ISN.i,  conservateur  libéral. 

Cuneo  d'Ornano  (lustave),  né  en  1S15,  avocat,  député  depuis  187G,  conservateur,  groupe  de 
ra])pel  au  peujile. 

Babaiid-Lacroze    .\.ntoinei,  né  en  1816,  journaliste,  conseiller  général,  réi)ublicain. 

Limouzain-Laplanche,  né  en  18  1,5.  pharmacien,  conseiller  général,  nouvel  élu,  républicain. 


i.A   X () u \' i: I. L )•:  <:ii AMiiHi", 


Sjl 


Launiiiic.  Roy  de  Loulay. 

Denis.  Cliarruyer. 


Amiral  Rieuuier. 


Garnier. 


CHARENTE-INFERIEURE  (7  .1.  ). 

VllIX 

obtenues. 

ÉI.ECTEfRS 

r.ÉI'AKÏITIOX    DES    .SUFFRAGE.S            ] 

1  ii;riiNsri;ii''lliiNs. 

llKlTTKS   ÉM'S. 

inscrits. 

votants. 

Républ. 

Radie. 

Social. 

Conserv-i 

i      L\  RoriiKM.!-:. 

JOXZAI  . 

Maren-xks. 

RuiilKl'OKT. 

Saintes  l". 
—      2'-. 
St-Jean-d'Anhjely. 

Charruyer 

Pommeray 

Garnier 

Amiral  Rieunier.  . 

Lauraine 

Denis  (2'"  tour).  .  , 
Roy  de  Loulay  (2'- 1./. 

10.02.) 
9 .  209 
S..J.S.3 
.S..')  70 
0.779 
7 .  3H-1 

10.778 

23 . 7.59 
24..il2 
17.292 
19.639 
16.700 
16.4.57 
2.5.019 

19.047 
17. .547 
9.888 
1.5.173 
12.6.50 
13.801 
20.933 

S.  7iiS 
9 .  299 
8.583 
8.. 5  70 
.5.. 5  75 
7.384 
10 

10.025 
6.894 

» 
6.459 
6.779 

» 
9.816 

)i 

337 

« 

» 

» 
» 

» 

1) 

6.283 

10.778 

1                            Totau 

X 

G1.41S 

143.40S 

109.039 

48.129 

39.9  73 

337 

17.001 

ChaiTuyer    Edouard  ,  ne  en  1861,  injj-.  des  arts  et  manuf.,   cons.  g'én.,  député  sort.,    radical. 
Pommeray    Léon  ,  né  en  1S5S,  docteur  en  droit,  député  sortant,  républicain  progressiste. 
Garnier    Frédéric  ,  né  en  1836,  propr.,   cons.  gén.,  dép.  depuis  1880,  répub.  de  g-ouvernement. 
Amiral  Rieunier  Henri  ,  né  en  ISS:»,  ministre  de  la  marine    180.3  ,  nouvel  élu,  républicain. 
Lauraine    <)ctave  .  né  en  1864,  avocat,  docteur  en  droit,  propriétaire,  nouvel  élu.  radical. 
Denis    Gabriel  .  né  en  ls.33,  propriétaire-viticult.,  cons.  gén.,  nouv.  élu,  républ.  progressiste. 
Roy  de  Loulay    Louis  .  conseiller  général,  ancien  député,  conservateur. 


D'Ai-enbers 


Pajot. 


CHER  (5  députés). 


JNSt'IlIITKiN.- 


DEITIÉ: 


BOlT.riES    1"-. 

SAIVr-AilAM)  I"-. 
—  2-. 

SASCEIUtE. 


D'Arenberg  (2'-  t.], 
Breton  (  2'  tour  ) . 

Pajot 

Lesage  (2''  tour).. 
Metret 


Totaux 


VOIX 

obtenues 


9.  On  4 

9.710 

8 .  535 

13.156 


inscrits. 


22 . 709 
21.281 
19.053 
16.538 
20.146 


Kifi. 


votaiits. 


18.473 
17.189 
1 1 . 986 
11.056 
22 . 246 


KÉI'AltTmON    DES    SUFFRAGES 


Républ.  I    Radie. 


.310 

.887 


1.897 
8 .  805 


9.710 
8.535 
13.156 


31.  171 


Social. 


8 .  742 

9 .  084 
170 
185 

30 


18.211 


Conserv 


Prince  d'Arenberg    .Vuguste,  né   en  J837,  propriétaire,  cons.   wn.,  député  depuis  1880,  rallié 
Breton    Jules-Louis  ,  né  en  1872,  ingénieur,  nouvel  élu,  sociafiste. 

Pajot    François  .  né  en  184 i,  vétérinaire,  conseiller  général,  député  depuis  1885,  radical. 
Lesage    Casimir  .  né  en  183.5,  propriétaire,  agriculteur,  conseiller  général,  député  depuis  18N.5, 

(chuiia  en  issi».  réélu  en  1803,  radical. 
Maret    llem-y     n.'  en  l>^'.^.  lionimc  de  lettres,  député  depuis  1881,  radical. 


S52 


LA    NOUVELLE    CHAMBRE 


Borie. 


Vacher. 


Bussière. 


CORREZE  (5  députés). 

VOIX 

obtenues. 

ÉLECTEURS 

RÉPARTITION    DKS    SUFFRAGES 

CIRCONSCRIPTIONS. 

DÉPUTÉS    ÉLUS. 

inscrits. 

votants. 

Républ. 

Radie. 

Social. 

Conserv. 

Tulle  1'^. 

—  2'^. 
Brive  !•■«. 

—  2«. 

USSEL. 

Borie  (2''  tour  ) .  .  . 
Vacher  {2"  tour).. 

Lachaud 

Bussière 

Delmas 

8.01G 

8 .  28.5 

9.  2.) 7 
9.224 
8.097 

20 . 983 
18.. 370 
18.764 
17.2.53 
18.916 

15.081 
14.286 
14.938 
14.486 
12.243 

71.034 

6.886 
5.996 
5.470 
5.105 
)) 

8.016 
8 .  285 
9.257 
9.224 
12.131 

49 
» 

27 
)) 
» 

« 

Total 

IX 

42.879 

94.286 

23.4.57 

46.913 

76 

« 

Borie  (Léon),  né  en  18i3,  receveur  de  l'enregistrement  démissionnaire,  ancien  député,  radicah 
Vacher  (Léon),   né  en    1832.  docteur-médecin,    conseiller  général,    ancien   député    1877   à   1889, 

non  réélu  en  1889,  républicain  de  gauche. 
Lachaud  (Edouard),  né  en  1857,  docteur-médecin,  nouvel  élu,  radical. 
Bussière  (Eugène),  né  en   1858,   ancien  juge  de  paix,  propriétaire,   conseiller  général,  nouvel 

élu,  radical  socialiste. 
Delmas,  né  en  1853,  conseiller  général,  député  sortant,  radical. 


Pozzo  di  Borgo. 


Emmanuel  Arène. 


CORSE  (5  députés). 

VllIX 

obtenues. 

ÉLF,(;TEURS 

RÉPARTITION   DES    SUFFRAGES             | 

CIRCONSCRIPTIONS. 

DÉPUTÉS    ÉLUS. 

insci'its. 

votants. 

Républ. 

Radie. 

Social. 

Conser7. 

Ajaccio. 
Bastia. 
Calvi. 

C'ORTE. 

Sartène. 

Arène 

C^'  Astima 

Malaspina 

Giacobbi 

C'«  Pozzo  di  Borgo. 

8 .  434 
G.  4(16 
3.1111 
6.841 
5.6.58 

23.032 
15.311 
7.989 
18.827 
11.291 

12.490 
12.809 

5 .  603 
11.749 

7 .  555 

8.434 
12.811 
2.482 
6.841 
7.525 

1.372 

)> 
3.119 
4 .  800 

» 

» 

« 
» 
» 

2.467 

Total 

IX 

30.45S 

76.450 

.50 .  206 

37.893 

9.381 

" 

2.467 

Arène  (Emmanuel),  né  en  185G,  journaliste,  cons.  général,  député  depuis  I88G.  républicain. 
Colonel  Astima,  conseiller  général,  nouvel  élu,  républicain.  —  Le  colonel  Aslima,  invalidé  le 

13  juillet,  a  été  réélu  le  2  octobre. 
Malaspina,  conseiller  général,  nouvel  élu.  radical. 
Giacobbi    Jslarius),  avocat,  conseiller  général,  nouvel  élu,  républicain. 
Comte  Pozzo  di  Borgo,  né  en  1858,  nouvel  élu,  républicain. 


LA    NOLMl-LLE    CIIAMHUK 


Sâ.'i 


liioarJ. 


COTE-D'OR  (li  députés). 

VOIX 

obtenues. 

ÉLECTEUR.S 

RÉl'AKÏITIOX    DES    SUFI'RAGES            1 

ciRioNsriai'i'uiN.-;. 

DKPUTÉS    Él.rs. 

inscrits. 

votants. 

Képubl. 

Eadic. 

Social. 

C'onserv. 

DiJox  !■•'• 

—  2>: 
Bkauxk  !'■'■. 

—  2''. 
C'hatillox-»s.-Skisf. 

SlîMUIi. 

Vaux  (  2"  tunr  1. .  ,  . 

Muteau 

Ricard 

Guéneau 

Leroy  (2<-  tour) . . . 
Debussy  (2"^  tour). 

7.960 
9.549 
7.777 
6.891 
4.936 
8.138 

2.5.09.-. 
21.522 
19.803 
14.834 
12.882 
18.799 

17.979 
14.764 
14.900 
11.804 
10.072 
15 . 545 

5.726 
9.549 
2.838 
4.878 
4.936 
7.225 

4.174 

)) 
7.777 
6. 891 
4.766 
8.138 

7.960 

)) 
4.186 

» 

4.723 
» 

« 

Totati 

45.2.-)l 

112.93.5 

85.064 

35.152 

31.746 

12.146 

4.795 

Vaux    Pierre),  ne  en  IS-Ss,  cultivateur,  commerçant  ferblantier,  député  sortant,  socialiste. 
Muteau    Alfred,  né  en  1.S30,  publiciste,  anc.  commiss.de  la  marine,   nouvel  élu,  républicain. 
Ricard    Henri),  né  en  1849,  docteur-médecin,  député  depuis  1891,  radical. 
Guéneau    Jean  ,  né  en  1849,  prof,  de  mathém.,  agrégé  de  l'Université,  nouvel  élu,  radical. 
Leroy  (Arthur;,  né  en  1828,  ancien  avoué,  sous-préfet  ISTO,  conseiller  général,  député  depuis  1877, 

républicain  progressiste. 
Debussy    Alfred;,  né  en  1847,  négociant,  nouvel  élu,  républicain  radical. 


Armez.  Derrien.  De  Kéroiiartz.        Mande.  Philippe.  De  Largentaye.     Jacquemin. 

Riou.  Le  Troadec. 


COTES-DU-NORD  (9  députes». 

VOIX 

obtenues. 

ÉLECTEURS 

RÉPARTinoX   DES   SUFFRAGES 

CIRCOXSCRII'TIOXS. 

UÉl'UTÉS  ÉLU.-;. 

inscrits. 

votants. 

Républ. 

Radie. 

Social. 

Conserv. 

Saixï-Brieuc  1''-. 
DixAx  u^ 

—  2>-. 
GmXGAMP  l"'''. 

—  2'-. 

L.A.NXIOX   l'"". 

2''. 

L0UDÉ.\.C. 

Armez 

Philippe 

Jacquemin 

De  Largentaye  . . . 

Riou 

De  Kéroiiartz 

Derrien 

Le  Troadec  

MaDdo 

10.948 
9.594 
9.713 
8.812 
6.876 
6.919 
6.871 
5 .  694 

10.776 

23.014 
24 . 652 
15.927 
13.034 
15 . 958 
16.766 
13.153 
14.626 
24.626 

13.138 
18.870 
10.. 504 
11.573 
12.253 
12.596 
9.060 
10.516 
19.733 

10.948 
9.594 
9.713 

» 
6.876 
5.644 
1.136 
5 .  694 

10.776 

» 

» 
)) 

» 

» 

» 
» 

» 

» 

)i 
9.103 

)> 
8.812 
5.224 
6.919 
6.871 
4 .  785 
8.268 

Totuu 

X 

76 . 203 

161.756 

118.243 

60.381 

" 

■>■ 

49.982 

Armez  (Louis),  né  en  1838,  ingénieur,  conseiller  général,  député  depuis  187G,  avec  interruption 

de  1889  à  1893,  républicain  progressiste. 
Philippe    .\mbroise  ,  né  en  1871,  négociant,  nouvel  élu,  républicain. 
Jacquemin    Albert  ,  né  en  1847,  avocat,  député  depuis  1889,  républicain  modéré. 
De  Largentaye    Marie),  né  en  1854,  propr.,  cons.  général,   député  depuis    1884,  conservateur. 
Riou    ^'\  esi,  né  en  1849,  avocat,  conseiller  général,  nouvel  élu,  républicain. 
De  Kéroùartz  (Frédéric),  né  en  1858,  propr.,  agric,  conseiller  général,  indépendant  progressiste. 
Derrien    Henry),  né  en  1857,  avocat,  docteur  en  droit,  cons.  gén.,  député  sort.,  conservateur. 
Le  Troadec  (Paul),  né  en  1860,  propriétaire,  conseiller  général,  député  sortant,  républicain. 
Mando    Eugène),  né  en  1855,  agriculteur-éleveur,  cons.  gén.,  nouvel  élu,  républ.   progressiste. 


LA    NOUVELLE    CHAMBRE 


Desfarges. 


CREUSE  (i  députés  au  lieu  de  6)  (1). 

VOIX 

obtenues. 

ELECTEURS 

RÉPARTITIdN    IILS    SUFFRAGES 

CUlCOXSrRII'TIONS. 

DÉPUTÉS  ÉLUS. 

inscrits. 

votants. 

Républ. 

Jiadic. 

Social. 

Conserv. 

GUÉRET. 

AUBUSSON'. 

BOURGANEUP. 

BOUSSAC. 

Berton  (2''  tour) .  . 

Cornudet 

Desfarges 

Aucouturier 

10.075 

13.016 

0.530 

G.  021 

2^.857 
28 . 340 
12.046 
12.335 

19.990 

18.994 

7.774 

9.353 

9.813 
5 .  792 

» 
3.240 

10.075 

13.016 

2.131 

■6.021 

5.530 
n 

» 

34.642 

81.578 

56.117 

18.845 

31.243 

5.530 

» 

1.  La  représentation  de  la  Cvense  a  été  diminnéc  (le  (lenx  députés,  les  arrondissements  d'Anbussou  et  de  Giiéret    n'ayant  idns 
droit  cliaeuu  qu'à  un  déi>nté,  par  suite  du  dénombrement  de  1896. 

Berton  (Oscar),  né  en  1859,  ancien  avoué,  cons.  d'arrondissement,  nouvel  élu,  radical  socialiste. 
Cornudet  (Emile),  né  en  1855,  propriét.,  agricult.,  conseiller  général,  député  depuis  1882,  radical. 
Desfarges  (Antoine),  né  en  1851,  maçon,  député  sortant,  socialiste,  non  collectiviste. 
Axicoiiturier  (Siméon),  né  en  1835,  maître  d'hôtel,  nouvel  élu,  radical. 


De  La  Batut.     Pourteyron. 


Magne.  Sarrazin.     Clament. 


Theuller.       Saumaude. 


DORDOGNE  (7  ûép.  au  lieu  de  8)  (1). 

VOIX 

obtenues. 

ÉLECTEURS 

RÉRARTITIOX    DES    SUFFRAGES            j 

('IRCONSCRIPTIOXS. 

PÉPUTÉS  ÉLUS. 

inscrits. 

votants. 

Républ. 

Radie. 

Social. 

Conserv. 

PÉRIGUEUX   V. 

Bergerac  l'''-. 

NOXTROX. 
RlRÉR.\.C. 

Sarlat. 

Saumande 

Magne  (2'' touri.  .  . 
VI'  de  La  Batut..  .  . 

Clament 

Theulier 

Pourteyron  (2«' t.). 
Sarrazin  (2'^ tour). 

8.482 
7.237 
9.798 
7.625 

13.183 
8.476 

11.089 

65.890 

19.315 
16.215 
20.328 
15.433 
24.900 
20.838 
32 . 225 

14.477 
13.876 
16.495 
12.621 
18.749 
16.026 
25.246 

12.5  79 

6.543 

9.798 

3.194 

)i 

15 . 780 

11.109 

13.183 

)> 

9 .  754 

1.201 
n 

238 
n 
« 
)) 
)) 

)) 
7.237 
6.253 
4 .  256 
4 .  999 

» 
4.236 

Totaux 

149.254 

117.490 

64.003 

22.937 

1.439 

26.981 

1.  La  députation  de  la  Dordogue  a  été  diminuée  d'un  député,  en  raison  du  dénombrement  de    1S96.   La  diminution  porte  .sur 
l'arrondissement  de  Sarlat,  dont  la  représentation  passe  de  2  députés  à  1. 

Saumande  (Georges),  né  en  1851,  avoué,  maire  de  Périgueu.x,  député  sortant,  républicain. 
Magne   (Napoléon),    né   en   1865,  capitaine  de  cavalerie,  cons.  gén.,  nouvel  élu,   conservateur. 
Vicomte  de  La  Batut  (Ferdinand),  né  en  1854,  juge  honoraire  au  tribunal  de  la  Seine,  conseiller 

général,  dciputé  depuis  1885,  républicain. 
Clament  (Clément),  né   en   185.3,  docteur-médecin,  cons.  gén.,  député  depuis  1890,  républicain. 
Theulier  ^Albert;,  né  en  I8i0,  docteur-médecin,  conseiller  général,  député  depuis  1885,  radical. 
Pourteyron  (Paul),  né  en  18  iO,  docteur-médecin,  cons.  gén.,  député  sortant,  républic,  progressiste. 
Sarrazin  (Pierre),  né  en  1854,  docteur-médecin,  conseiller  général,  député  sortant,  républicain. 


].\   N()r\"):i.F,i-:  cii.v.mhhk 


Beauqwier. 


Vdl.X 

obtenues. 

DOUBS  (.-.  a./putes). 

iii!<iixs<r:irTi(iNs. 

HKITTKS   Ér.i;.-:. 

inscrits. 

votants. 

Républ. 

Radie. 

Social. 

Conserv. 

Bksaxçox  V. 
B.^niE. 

MONTBKLIARD. 
POXTARI.IEn. 

Beauquier 

Tramu 

M'*  de  Moustier. 

Borne 

Ordinaire  (2'  touri. 

•"j .  2112 
G.  439 
8.496 
9.178 
G. 316 

13.224 
1.>..350 
16.370 
22.438 

14.882 

9.497 
12.. 524 
13 . 732 
17.831 
11 .  742 

3.468 
•5.7-57 
8.496 
4.954 
10.136 

5.799 
G.  639 
5.143 
12.204 
1.537 

133 

» 

» 
360 

1) 

» 
» 

» 

Total 

X 

3.5.631 

82.264 

G-ï  .326 

32.811 

31.322 

493     ■ 

" 

Beauquier    Charles},  né  en  1833,  archiviste  paléographe,  conseiller  général,  député  depuis  1880, 

radical  socialiste. 
Tramu    Charles  ,  négociant,  nouvel  élu.  radical. 

Marquis  de  Moustier,  né  en  is.'io.  propriét.,  cons.  gén.,  député  depuis  1889,  républic,  progressiste. 
Borne  Joseph  ,  né  en  1850,  decteur-médecin,  cons.  gén.,  nouvel  élu,  républic,  progress.  démocrate. 
Ordinaire    Maurice),  né  en  1862,  conseiller  général,  nouvel  élu,  républicain  progressiste. 


^y^ 


DROME  (5  députés». 

VfPlX 

obtenues. 

ÉLECÏKl  i;.s 

RÉrAUÏITIi  iX    DE.S    .Sl"FFl:  AGE.S            1 

flItCOX.'SfRn'TIOXS. 

DÉITTK-  lir.i  S. 

inscrits. 

votants. 

Républ. 

Radie. 

Social.     C'onserv.|| 

TAr.KXfF.  l'i-. 
—       2=. 
Die. 

MoXTÉI-IMAn. 

Xyoxs. 

Faure 

Bizarelli 

Blanc 

Gras  (2<-  tonr) 

C''d'Aulan(2n.).  . 

12.045 

11.390 

7.991 

7.702 

4 .  390 

25.053 
23 . 382 
18.178 
20.287 
9.603 

13.884 
13.722 
14.799 
15.298 
8.088 

» 

3.147 
7.431 

12.045 

11.390 

7.991 

7.702 

3.607 

» 
» 
»  > 

» 

» 
3.578 

» 
4.390 

Totau 

43.518 

96.503 

G5 . 791 

1U.5S1 

42.735 

7.968 

Faure    Maurice  ,  né  en  18.îo,  conseiller  général,  député  depuis  1.S85.  radical. 

Bizarelli    Louis  ,  né  en  1836,  docteur-médecin,  conseiller  général,  député  depuis  1881,  radical. 

Blanc    Louis  i,  né  en  1838,  entrepreneur  de  voitures  publiques,  cons.  gén..  député  sortant,  radical. 

Gras    Antoine  ,  né  en  18i7,  avocat,  ancien  magistrat,  député  sortant,  radical. 

Comte  d'Aulan    François  de  Suarez  ,  né  en  1864,  propriét.,  nouvel  élu,  nationaliste  plébiscitaire. 


8jG 


LA    NOUVELLE    CHAMBRE 


Leroy. 


Fouquet. 


Passy. 


EURE  (6  députés). 

VOIX 

obtenues. 

ÉLECTEURS 

RÉPARTITION    DES    SUFFRAGES 

CIRCOXSCKIPTIONS. 

DÉPUTÉS    ÉhVii. 

inscrits. 

votants. 

Républ. 

Badic. 

Social. 

Conserv. 

ÉVKEUX    !'■«■. 

—        2e. 

Les  Andelys. 

Bernay. 

louviers. 

pont-audemer. 

Isambard 

Leroy  (  2'*  tour) .  . . 

Passy 

Fouquet 

Thorel 

Loriot 

7.633 
6.478 
9.166 
7.916 
7.543 
9.394 

17.111 
15.156 
16.500 
16.795 
16.816 
17.870 

13.731 
12.179 
11.983 
13.705 
13.154 
11.170 

6.967 
6.478 
9.166 
5.691 
7.543 
9.394 

7.633 

143 

» 

» 
4.999 

» 

» 
» 
» 
» 

» 
5.356 

» 
7.951 

» 

» 

Totauî 

48.130 

100.248 

75.922 

44.239 

12.775 

» 

13.307 

Isambard  (Edouard),  né  en  1815,  médecin,  conseiller  général,  député  depuis  1890,  républicain. 
Leroy  (Modeste),  né  en  1855,  jurisconsulte,  conseiller  général,  député  sortant,  républicain. 
Passy  'Louis),  né  en  1830,  membre  de  l'Institut,  députe  dep.  1871,  républicain  constitutionnel. 
Fouquet  (Camille),  né  en  1841,  ancien  officier,  cons.  général,  député  depuis  1885,  indépendant. 
Thorel  Jules),  né  en  1842,  manufacturier,  conseiller  général,  député  depuis  1889,  républicain. 
Loriot    Charles),  né  en  1850,  propriétaire,  conseiller  général,  député  depuis  1889,   républicain. 


Dubois. 


Lliopiteau. 


EURE-ET-LOIR  (5  députés). 

VOIX 

obtenues. 

ÉLECTEURS 

RÉPARTITION    DES    SUFFRAGES             | 

ORCO.XSCRIPTIONS. 

DÉPUTÉS  ÉLUS. 

inscrits. 

votants. 

Républ. 

Radie. 

Social. 

Conserv. 

ClUKTRES  1". 

~       2^ 

ClIATEAUDUN. 

Dreux, 
nogext-le-rotrou 

Lhopiteau 

Bordier 

7.199 
S.  376 
7.691 
8 .  150 
6.682 

15 . 844 
13.366 
18.141 
19.162 
11.690 

12.815 
13.187 
14.799 
16.296 
8.000 

5.323 
4 .  658 
6.120 
8 .  150 
6.682 

7.199 
8.376 
8.586 
7.957 
» 

192 
» 
» 

« 
» 

» 

Dubois.           

Deschanel 

Totav 

X 

38.098 

78 . 203 

65.097 

30.933 

32.118 

102 

)> 

Lhopiteau  (Gustave),  né  en  1860,  avocat,  cons.  gén.,  député  sortant,  radical  progress.  démocrate. 
Bordier  (Emile),  né  en  1855,  notaire,  nouvel  élu,  républicain  progressiste. 
Isambert  (Gustave),  né  en  1841,  publiciste,  député  depuis  1880,  radical. 

Dubois  (Victor),  né  en  1837,  ancien  négociant,  cons.  gén.,  député  sortant,  républic,  progressiste. 
Deschanel  (Paul),  né  en  1856,  conseiller  général,  publiciste,  président  de  la  Chambre,  député 
depuis  1885,  républicain. 


F.A     \(tr  VK[,I.!':    CIIAMBHK 


S57 


De  Kerjcgu.  VilUers.  De  Miin.  Cosmao-Dumenez.  Diibuisson. 

Gavraud.  Janueii.  Hémon.  Miossec.  Isnard. 


FINISTERE  (  10  députés). 

VOIX 

obtenues. 

ÉI.ECTKDIS 

KliPAUTITloX    DRS    srFFIt.\GKS            II 

CIUCONSCUIPTIONS. 

DÉrOTKS   ÉLUS. 

inscrits. 

votants. 

Républ.  ' 

Radie. 

Social. 

Conserv. 

QL'iMrKi:  1"-. 

Hémon 

7.H34 

17.096 

13.174 

7.934 

)) 

» 

5.158 

—        2'-. 

Cosinao  Dumenez . 

y..-)  79 

25.38-) 

18.458 

9.579 

8.770 

» 

» 

Brest  !■•«■. 

Isnard  c-'"  tour:. . 

7 .  106 

24.748 

13.768 

6.627 

7.106 

>i 

)i 

—    a». 

VUliers 

9.289 

16.780 

10.428 

» 

» 

i> 

9.289 

—     3". 

Gayraud  

10.077 

17.977 

11.466 

10.118 

); 

)) 

M 

ClIATEAULIX   1". 

Miossec  

6.650 

16.582 

12.481 

12.420 

» 

» 

)) 

—           2". 

Dubuisson 

8.4.'-.l 

13.. 509 

8.696 

8.451 

n 

» 

» 

MOIiLAIX   l"'. 

Jaouen  

7.647 

19 . 760 

14.619 

7.647 

» 

» 

6.856 

—        2^ 

Comte  de  Mun .    . 

12.090 

18.850 

13.635 

» 

» 

» 

12.090 

Ql'iwpeulé. 

De  Kerjégu 

10.414 

15.152 

10.934 

10.414 

» 

» 

« 

TotauN 

89.237 

185.839 

127.659 

73.190 

15.8  76 

« 

23.393 

Hémon    Louis  ,  né  en  1844,  avocat,  cons.  gén.,  député  de  1876  à  1885  et  dep.   1889,  républicain. 

Cosmao-Dumenez    Sélim),  né  en  1840,  médecin,  cons.  général,  député  depuis  1889,  républicain. 

Isnard  \Auguste),  né  en  IS.'tô,  avocat,  nouvel  élu,  républicain  radical. 

Villiers     Emile,  né   en  1851,   propriétaire,  député   sortant,    conservateur. 

Abbé  Gayraud  (Hippolytei,  né  en  1856,  député  sortant,  républicain  démocrate  chrétien. 

Miossec  (Gabriel),  né  en  1839,  agriculteur  et  négociant,  nouvel  élu,  républicain. 

Dubuisson    (Louis),   né   en   1812,  docteur-médecin,  conseiller  général,   nouvel  élu,   républicain. 

Jaouen    Armand),  né  en  18.'î2,  propriétaire,  député  sortant,  républicain  progressiste. 

Comte  de  Mun  (Albert  ,  né  en  1841,  ancien  officier  de  cavalerie,  membre  de  l'Académie  fran- 
çaise, député  de  1876  à  1893,  réélu  en  janvier  1894,  catholique  constitutionnel. 

De  Kerjégu  James,  né  en  1846,  ancien  diplomate,  conseiller  général,  député  depuis  1889, 
républicain  progressiste. 


Doumergne. 


Delon-Soubeirau. 


GARD  (6  députés). 


ciitroN.sniiiTioxs. 


Al.AlS   1"'. 


X7.V.f. 
LK    VjtiAX. 


PEPITKS    ELV; 


Deloii-Soubi'iian(2''  1. 1 . 

Doumergue 

Devèze  (2''  tour').. 
DeRamel(2'tour). 
Pascal  (2^  tour). . 
Pastre  (2"  tour). . 


VOIX 

obtenues 


8.826 
11.514 

8.273 

9.471 
10.962 

8.097 


.143 


ELECTEUR.* 


inscrits. 


23.611 
26.855 
19.224 
21.199 
25.629 
18.244 


134.762 


votants. 


16.480 
17.636 
14.481 
17.574 
19.804 
13.849 


99.824 


ItEPAiaTTIOX   DES    SUFFRAGES 


Républ. 


10.962 
5.561 


8.826 

11.514 

6.052 

» 
8.589 


Social.     Conserv 


.423 
.795 


Delon-Soubeiran    Jules  .  né  en  ls37,  propriétaire-viticulteur,  nouvel  élu.  radical  socialiste. 
Doumergue    Gaston  ,  né  en  1N63.  avocat,  anc.  magistrat,  député  sortant,  radical  socialiste. 
Devèze    Marins,,  né  en  1803,  professeur  libre  de  philosopliie,  nouvel  élu,  socialiste. 
De  Ramel    Fernand  ,  né  en  18  17.  docteur  en  droit,  avocat  à  la  cour  de  cassation  et  au  Conseil 

d'Klat.  jurisconsulte,  conseiller  général,  député  depuis  1889,  conservateur. 
Pascal    Léonce),  né  en  1835,   ancien  administrateur  des   magasins   du  Bon-Marché,   conseiller 

général,  nouvel  élu,  républicain  progressiste. 
Pastre    Ulysse),  né  en  1864,  professeur,  nouvel  élu.  sociaUste. 


LA    NOUVELLE    Cil  AM  15  HE 


Cruppi.  Calvinliac.         Ruai..       Piou. 


Raymond  Leygues. 


GARONNE  (HAUTE-)  ( 7  députés ). 

VOIX 

ol>tenues. 

ÉLKC-l'ElBS 

IIÉI'ARTI-J-IOX    DE.S    SUFFRAGES            1 

(■Il;(X)\S(UIPTKlX^:. 

IJKPUTÉS    ÉLUS. 

iiiseritç:. 

votai  it.s. 

Répub'. 

Radie. 

.Social. 

Conserv.| 

—            2P. 

Muret. 
S.iixt-Gaudex.s  l''-. 

O''. 

ViLLEFRAXCHE. 

Leygue  (liajmoDil)  .  . 
Calvinhac  (  2f  tour). 

Cruppi 

Leygue  (Honoré) 

Piou 

Ruau 

Caze 

9.6K9 
9.212 
10.137 
12.24S 
7.312 
8.814 
6.918 

22. 54  G 
23.408 
19.856 
27.684 
16 . 708 
20.940 
16.417 

16.220 
14.855 
16.646 
22 . 550 
13.972 
15.273 
13.930 

3.294 
5.406 
10.137 
9.884 
7.312 
6.151 
3.413 

9.689 

» 
6.273 
12.248 
6.486 
8.814 
6.918 

» 
9.212 

» 

» 

2 .  928 

)> 
» 

» 
2.369 

64.330 

147.559 

113.446 

45.597 

50.428 

9.212 

5.297 

Leygue  Raymond  ,  ne'  en  1S50,  anc.  capit.  au  long-  cours,  cons.  gén.,  député  depuis  iNOO,  rad. 
Galvinhac  (Louis),  né  en  lMi9,  journaliste,  député  depuis  1SS9,  socialiste. 

Cruppi  Jean),  ne  en  1855,  anc.  avocat-général  à  la  cour  de  cass.,  cons.  gén.,  nouvel  élu,  répub. 
Leygue  (Honoré),  né  en  1856,  propriétaire,  anc.  officier  d'art.,  cons.  gén.,  nouvel  élu,  radical. 
Piou   Jacques),  né  en  18.38,  avocat,  ancien  député,  républicain. 

Ruau    Joseph  ,  avocat,  licencié  es  lettres,  conseiller  général,  député  sortant,  radical. 
Caze     Edmond),    né    en    1839,    industriel,   agriculteur,    ancien    sous-secrétaire    d'État    dans   le 
cabinet  Gambetta,  député  de  1876  à  1885  et  depuis  1889,  radical. 


De  Cassagnac. 


Delieux. 


Delpecli -Cantaloup. 


■  / 

Lazies.  Decker-David. 


GERS  (■>  députés). 


i'lRcoxsci:ii-j'iox.' 


DEI'UTE.S    ELCS 


AUCH. 
C'OXDOM. 

Lecïoure. 

LOJIBEZ. 

Miraxde. 


Decker-David  (2'- 1.) 
Lazies  (2''  tour).  . 
Delpecli  Cantaloup 
Delieux  (2'  tour). 
De  Cassagnac (2'- 1.).. 


voi.x 
obtenues 


7 .  00.5 

8 .  660 
r> .  086 
3. 824 
9. 805 


34.980 


ELKCTEUll.S 


inscrits. 


17.716 
16.678 
13.988 
11.762 
22.656 


82.700 


votants 


13.798 
16.721 
11.434 
9.645 
18.727 


70 . 325 


IlEP.iRTrnOX    DES    SUFFIÎAGES 


Républ. 


3.158 


Radie. 


7 .  00.-) 
7.941 
5.519 
3 .  824 
8.601 


32.890 


6.632 
8.660 
5.686 
2.618 
y .  805 


33.401 


IJecker-David  fPaul),  né  en  1863,  ingénieur-agronome,  projjr..  cons.  gén.,  dép.  sort.,  radi^ 
Lazies  Joseph;,  né  en  1862  ,  propriétaire,  officier  démissionnaire,  nouvel  élu.  conservateur. 
Delpech-Cantaloup  (Jules:,   né  en  18 19,   avocat,    grand  propriétaire  foncier,   conseiller  gêné 

nouvel  élu,  plébiscitaire. 
Delieux    André  .  né  en  1850,  propriétaire,  nouvel  élu,  radical. 
Granier  de  Cassagnac    Paul',  né  en  1843,  publiciste,  ancien  député,  conservateur. 


LA    XOU  VKI.LK    C.II  AMiiHK 


Chastenet. 
Constant. 


Decrais. 

CazatiTielh. 


Du  Périer  de  Larsan. 
Laroze. 


Jourde. 
Surchamp. 


GIRONDE  (11  députés). 

VÙI.X 

olitenues. 

ÉLECTErE.S 

KÉPAirnnox  de.s  .suffrages         j 

aiicox.si;  luPTioxs. 

DÉri"rÉs  Éi.rs. 

inscrits. 

votants. 

Républ. 

Radie. 

.Social. 

Conserv. 

BOnDEAUX   1''^ 
2<'. 

—  3^ 

—  4<-. 

—  5'^. 
Bazas. 
Blate. 

Lespaiïre. 

LlliOURXK    l'*". 
LA   RÉOLE. 

Chiche 

Bernard  (  2'  tour  ) . 

Jourde 

Decrais 

Cazauvielh 

Constant  (  2i'  tour). 

s. 1153 
8. 2.)  3 
14.868 
11.638 
7.176 
7.6.53 
7.297 
7.130 
9 .  503 
8.134 

22.659 
24.278 
33.450 
28.437 
16.926 
18.905 
l.-).256 
18 . 698 
18.914 
16.596 

14.238 
15.245 
15.911 
20.016 
15.375 
14.377 
15 . 345 
9 .  735 
14.438 
13.387 
13.057 

6.879 

7.056 

2.691 

14.868 

11.638 

14.241 

7.653 

7.297 

14.239 

9 .  503 

8.134 

1 .  3S6 
3.719 
2.148 

)) 
2.043 
1.587 

» 

4.079 

7.805 
8.053 
8.263 

)> 
» 
» 
» 
» 
1.005 
408 

» 
3.414 

» 

» 

» 
5.474 

» 

» 
2.453 

1) 

C'-ltiiPi'rierde  Lnrsao .  . 
Surchanip(2'tuui) 
Chastenet 

97.510 

236.841 

161.124 

104.199 

14.962 

25.534 

11.341  i 

Chiché  'Alberts  né  en  1854,  avocat,  ancien  député,  socialiste. 

Bernard    Jean-Charles  ,  né  en  1856,  journaliste,  nouvel  élu,  socialiste. 

Jourde    Antoine  ,  né  en  1848,  employé  de  commerce,  ancien  sous-officier,  député  depuis  1889. 

siicialiste. 
Decrais    Albert',  né  en  1838.  ancien  préfet,  conseiller  d'Etat,  ambassadeur  à   Rome,  à  Vienne. 

à  Londres,  député  sortant,  républicain. 
Cazauvielh    René  ,  né  en  ls5!>,  docteur-médecin,  conseiller  général,  nouvel  élu,  républicain. 
Goujon    Théophile,,   né    en  1835,   propriétaire-viticulteur,   ancien    vice-président  du  conseil  de 

])i'éfecture  de  la  Gironde,  conseiller  général,  député  sortant,  républicain  modéré. 
Constant  Emile  ,  né  en  isci.  avocat,  ancien  bâtonnier,  député  sortant.  ré|)ublicain. 
Comte   du   Périer   de    Larsan     Henri  ,    né   en    1844,    propriétaire,   ancien    magistrat,    député 

depuis  18!S9.  républicain. 
Surcbamp    Abel,  né  en  1849,  négociant,  conseiller  général,  député  depuis  18s9.  républicain. 
Chastenet    Guillaume;,  né  en  1858,  avocat,  député  sortant,  républicain. 
Laroze    Pierre  ,  né  en  18G1,  ancien  auditeur  au  Conseil  d'Etat,  député  sortant,  républicain. 


XCO 


LA    NOUVELLE    CHAMBRE 


Béiiézecli 


Ange. 


Lafferre. 


Razimbauil. 


Vigne  d'Octon. 


HERAULT  (6  députés). 

VOIX 

obtenues. 

ÉLECTEURS 

RÉPARTITION    DES    SUTFRAGES             il 

CIRCON.SCIUPTIONS. 

DÉPUTÉS    ÉLUS. 

inscrits. 

votants. 

Républ. 

Radie. 

Social. 

Conserv. 

Montpellier  l''*'. 
—           2^ 

BÉZIERS    !'■''. 
LODÈVE. 

Saint-Pons. 

Bénézech(2''t(iur). 

Salis 

Lafferre  (2<"tour). 

Auge 

Vigne 

Razimbaud 

12.199 
12.. 537 
12.730 
11.214 
7.768 
5.4C5 

28.862 
29.930 
29.409 
26.181 
17.202 
14.496 

20.031 
20.096 
18.162 
14.933 
12.746 
10.486 

7.337 

» 
2.946 
4.764 
4.029 

» 

12.734 
11.214 

7.768 
6 .  256 

12.199 
12.537 

7.124 

)) 
.5.875 

» 

Total 

X 

Cl. 913 

146.080 

96.4.54 

19.076 

37.972 

24.736 

12.999 

Bénézech  (Jean-Baptiste),  né  en  1852,  ouvrier  typograjjhe,  conseiller  municipal  de  Montpellier, 

nouvel  élu,  socialiste. 
Salis  (Jacques),  né  en  1818,  avocat,  conseiller  j^énéral,  député  depuis  1881,  socialiste. 
Lafferre  (Louis),  né  en  1861,  professeur  de  LUnivcrsité,  nouvel  élu,  radical  socialiste. 
Auge  (Auguste),  né  en  1850,  ancien  négoc,  propriét.,  viticult.,  dép.  sort.,  radical  prof^ressiste. 
Vigne  d'Octon  (Paul),  né  en  1859,  ancien  médecin  de  la  marine,  dép.  sort.,  radical  socialiste. 
Razimbaud   (Jules),    né   en    1837,  propriétaire-viticulteur,    ancien    notaire,    conseiller   général, 

ancien  député  de  1885  à  1889,  1889  à  1893,  républicain  démocrate. 


ILLE-ET-VIL.AINE  (8  députés). 

voix 
obtenues. 

ÉLECTEURS 

RÉPAimnON    DES    SUFFRAGES 

CIllCONSCRIPTIOXS. 

DEPUTES   ELUS. 

inscrits. 

votants. 

Républ. 

Radie. 

Social. 

Conserv. 

Rennes  l'"^. 

—      2'-. 

Fougères. 

montfort. 

Redon. 

Sai.vt-Malo  1". 

Vitré. 

Le  Hérissé 

Brice 

BaziUon 

Porteu 

L'-coloiu'l  du  Ualgouet. . 

Brune 

Surcouf  (2>'  tour). 
Le  fionidec  de  Iraissan. 

8.386 
12.63.5 
10.403 

7 .  750 
13.338 

7 .  952 

6.745 
11.928 

22.224 
18.048 
23.991 
17.177 
26.004 
16.661 
17.635 
20.443 

16.244 
13.726 
20.039 
14.390 
17.350 
12.629 
12.907 
15.889 

3.866 

12.635 

10.403 

6.384 

» 

7.952 

8.251 

» 

8.386 
» 

» 

» 
» 

316 

» 
» 
)) 
)i 

» 

3.512 

» 
9.353 
7 .  750 

13.338 
4.503 
4.551 

11.928 

Total] 

79.137 

162.183 

123.174 

49.491 

8.386 

316 

54 . 935 

Le  Hérissé  (René),  né  en  1857,  ancien  oflicier  de  cavalerie,  républicain  révisionniste. 

Brice  (René),  né  en   1839,   avocat,  conseiller   général,  député   de    187 J   à    1889,  échoua  en    1889, 

réélu  en  1893,  républicain  progressiste. 
BaziUon  (Alfred),  né  en  18  47,  propriétaire,  nouvel  élu,  républicain  progressiste. 
Porteu  (Armand),  né  en  1839,  fdateur,  ancien  préfet,  député  depuis  1889,  conservateur. 
Du  Halgouet  (lieutenant-colonel   Maurice),   né  en  1847,  cons.  gén.  député  sortant,  conservateur. 
Brune  (François),  né  en  1835,  ancien   notaire,   conseiller   général,    député  sortant,    républicain. 
Surcouf  (Robert),  né  en  1868,  propriétaire,  avocat,  nouvel  élu,  républicain  modéré. 
Comte  Le  Gonidec  de  Traissan  (Olivier),  né  en  1839,  propriétaire,  député  de  1876  à  1885,  échoua 

en  1885,  réélu  en  1889  et  en  1893,  conservateur. 


M 


I-A     NOU  VKl.I.K    CIIAMIJUE 


SOI 


De  Saint-Martin. 


Oavid. 


INDRE  (5  députés). 

VOIX 

obtenues. 

ÉLKCTEUKS 

liÉPARTITlOX    DES    SUFFRAGES             | 

ClKLWXdCIUPTIONS. 

DEPUTES   ELUS. 

inscrits.    |    votants. 

Républ. 

Kaiiic. 

Social. 

Conserv 

Chateauuoux  !■■<■. 

—            2'. 

Lk  Bi.axc. 

La  Châtre. 

lssoudun. 

Balsan 

David  (2'^'  tour). .  . 

Leglos 

De  Saint-Martin  . 
Dufour 

9.01.5 
6.137 
7,4r>9 
8.6.50 
6.  oui 

21.3H6 
13.137 
18.967 
19.89.5 
1;5.240 

17.721 
11.010 
1.5.024 
16.436 
12.742 

9.(11.5 
4.6.51 
14.687 
7.-594 
4.158 

8.351 
6.1.54 

1) 
6.. 5(11 

» 
1.987 

» 

» 

8.6.50 

» 

Totaux 

37.762 

88.62.5 

72.933 

40.10.5 

21.006 

1.987 

8.650 

Balsan  i  Charles),  ne  en  1838,  industriel,  cons.  gén.,  ciéputé  depuis  1880,  droite  royaliste. 
David  Alban),  né  en  1839,  propriétaire,  conseiller  général,  député  depuis  l.ssO,  radical. 
Leglos  Joseph),  né  en  1864,  agriculteur,  conseiller  d'arrondissement,  nouvel  élu,  républicain. 
De  Saint-Martin  (Aimé),  né  en  1831,  propriét.  agricult.,  cons.  gén.,  député  dep.  1876,  conservateur. 
Dufour  f Jacques),  né  en  1819,  négociant,  nouvel  élu,  socialiste. 


Tiphaiiio. 


INDRE-ET-LOIRE  (4  députés). 
eii:coN-si  Bii'Tiox.-i.  '|      décotes  élus. 

VOIX 

obtenues. 

ELEC" 

KUIÎS 

REPARTITION    DES    SUFFRAGES          il 

inscrits. 

votants. 

Républ. 

Radie. 

Social. 

Conserv. 

TouKS  l''''.           Dralie  (2>-'  tour). . . 

—     2<'.             Tiphaine  (2'^  tour). 

Chixox.              Letfet  (2'-  tour) .  . . 

Loches.              Wilson  (  2«  tour  ) . . 

Totaux 

12.419 

13.(J77 

13 . 103 

9.046 

28 . 609 
27.328 
26 . 3.59 
20.325 

23 . 605 
22.873 
20.905 
17.912 

12.419 
9.594 

20.778 
8 .  715 

11.U24 

13.(177 

)' 

9.04G 

37 
9 

» 

M 

47.64-5 

102.621 

85 . 295 

51.506 

33.117 

46 

Drake  i Jacquesi,  né  en  185ri,  propriétaire  viticulteur,  député  sortant,  républicain. 
Tiphaine  ^Alfred),  né  en  18.36,  propriétaire,  conseiller  général,  député  depuis  1S90,  radical. 
Leffet    Eugène),   né  en    1838,   ancien  ollicier  de  marine,  républicain  indépendant,  décoré  de  la 

Légion  d'honneur  pour  faits  de  guerre  en  1870,  conseiller  d'arrondissement,  député  sortant. 
Wilson    Danieli,   né   en    18  10,   sous-secrétaire  d'Etat   aux  finances   1879,  1880,  1881,  député  en 

1869,  puis  à  l'Assemblée  nationale  et  depuis  1876,  radical. 


i,A  ^'ul;^'ELLE  ciiambuk 


Dufour.  Bovier-Lapierre.  Meyer.  Kivet.  Christophle.  Zévaès. 


Chenavaz. 


ISERE  (8  député.5). 

VdIX 

obtenues. 

ÉLECTEUHS 

RÉPARTITION   DES    SVFPKAGE.S            1 

ClnCONSCKIPTIDN.S. 

DÉPl'i'K.S   Ér,!'.'^. 

inscrits. 

votants. 

Républ. 

Radie. 

Social. 

Conserv. 

GUEXOBLE    !'■'■. 

—  2";. 

—  3'-. 
Satnt-M.^ecellin. 

La  Toue  du  Pin  l'^'. 
—             2'-. 
Tienne  !'■''. 

Rivet 

BiiursoD,ditZcïa^s{2^'t.). 
Dufour  (2'^- tour)..  . 
Chenavaz  (2'- tour) . 

Rajon 

Eovier-Lapierre  .  . 

Christophle 

Meyer 

11.(176 
9.34S 
7.220 

10.SS3 
9.Î123 
S. 027 
0.21  fi 
8.4.-)6 

20.107 
27.UU2 
18.606 
23.830 
19.516 
10.2II.-) 
22.460 
19.8.32 

1-).144 
18.861 
13.697 
13.898 
16.016 
14.1.54 
16.487 
15.906 

3 . 0.56 
6.840 
13.-580 
1.979 
6.021 
5.674 
0.216 
8.462 

11.076 

» 

» 

10.983 

9.923 

8.027 

5.776 

7.272 

» 
9.348 

» 

364 
1.221 
)> 

2.552 

» 
» 

» 

Totau 

-x; 

74.140 

170.668 

124.163 

55 . 728 

53.057 

10.933 

2.552 

Rivet  (Gustave  ,  né  en  ISls,  homme  de  lettres,  ancien  universitaire,  conseiller  général,  député 

depuis  iss.'î,  radical. 
Bourson,  dit  Zévaès    Alexandre),  né  le  2 S  mai  isT.T,  Journaliste,  nouvel  élu,  socialiste. 
Dufour  (Eugène,,  né  en  1844,  docteur-médecin,  nouvel  élu,  républicain. 

Chenavaz  (Octave),  né  en  1855,  avocat  publiciste,  cons.  gén.,  député  sortant,  radical  démocrate. 
Rajon    Claude  ,  né  en  1SG6,  professeur,  député  sortant,  radical. 
Bovier  Lapierre     Amédéei,  né    en   1S37,   avocat,  docteur  en  droit,   conseiller  général,  député 

depuis   Issi,  radical. 
Christophle    Jean,,  né  en  1S51,  propriét.  agricult.,  cons.  gén.,  nouvel  élu,  républic,  progressiste. 
Meyer    Henri  ,  ancien  magistrat,  conseiller  général,  nouvel  élu,  républicain. 


JURA  (  4  députés  ). 

VOIX 

obtenues. 

ELECTEUHS 

RÉPARTITION    DES    SUFFRAGES           || 

CIUCOK.SCRIPTIONS. 

DÉPUTÉS    ÉLUS. 

inscrits. 

votants. 

Républ. 

Radie. 

Social. 

Conserv. 

L(;ins-i,e-Saui.niki!.. 

DÔLE. 
POLIGNY. 

Saint-Claudiï. 

Trouillot 

12.322 
8.060 
7.57  7 
5 .  722 

27.035 
20.010 
18.215 
15.689 

22 . 205 
16.208 
15.407 
12.755 

0.638 
8.017 
7.481 
5.294 

12.322 
8.069 
7 .  790 
5 .  722 

1.608 

» 

8 

Bourgeois 

Dûment  (2""  tour  ) . 
Gère  ( 2»  tour  ) . . . . 

33 . 600 

80 . 040 

66.665 

30.430 

23 . 003 

1 .  608 

8 

en  1S51,  avocat,  cons.  gén.,  député  depuis  1889,  républicain  démocrate, 
urgeois  '.Ican-ljaplistc  ,  né  en  18.31,  négociant,  cons.  général,  député  depuis  1885,  démocrate, 
mont     Cliarlesi,  né   en    1867,  professeur  agrégé  de   philosophie,  nouvel  élu-,   radical, 
en  1863,  homme  de    lettres,  nouvel  élu,  iépul)licain. 


Trouillot  (Gcoi 

Bo 

Dumo 

Cére  (Emilej 


I.A     XOl    VKl.J.K    Cil  .\Mi5Hl': 


Léglise. 


Jacquey. 


LANDES  (5  (lépiitOs). 

VOIX 

obtenue?;. 

ÉLECÏEL'IÎ.-; 

lîKrAiiTiTiON  riES  ?ui-fi;.\<;k>         || 

iil:riiNSCl:lPTli)X.-. 

iiÉrrTKs  Éi.rs. 

inscrits. 

votants. 

lîépubl. 

Riilic. 

Social. 

Conserv.' 

M.'-ii!:-M.\its.\N-  l'''-. 

2''. 

Dax  l'-'-. 

o.-_ 

S.VlXT-Se^TER. 

Général  Jacquey. . 

Jumel 

Denis 

Léglise 

Dulau 

7.831 

8.496 

8.814 

11.464 

15.897 

ie.963 
15.010 
15.816 
16.537 
24.027 

14.210 
10.821 
13.858 
1*.430 
17.554 

14.003 
8.406 
4.956 

11.464 

15.897 

1) 

8,814 

» 

;; 

>i 

52.502 

88 . 353 

es. 873 

54.816 

8.814 

«. 

» 

Général  Jacquey    Armand  ,  né  en  lS3i,  nouvel  élu.  répulalicain  indépendant. 

Jumel    Henri  ,  né  en  18 i7,  propriétaire,  avocat,  député  depuis  18S6.  répuhlieain. 

Denis   (Tliéodore  .  né   en    18o8,   avocat,   bâtonnier  de    l'ordre.  ,juf;e    suppléant.   dé[)uté   sortant, 

ré]3ublicain  radical.. 
Léglise    Féli.x;.  né  en  18  1.3,  négociant,  député  depuis  1881.  ré|)ublicain  pro^i'essiste. 
Dulau    Constant',  né  en    1Sj7,  avocat,  ancien    magistral,  ancien    ijrocureiu'   de    la    République. 

député  depuis  1891.  républicain  progressiste. 


Ragot. 


ilaymac. 


VOIX 

olitenues. 

ÉLECÏEl-U:S 

r.EPAUTITION   D 

ES   .SCFFll 

V.CiES 

tlIîCDXSrr.Il'TIox,-. 

HEICIES   ELTS. 

inscrits. 

votants. 

Républ. 

Radie. 

S.  725 

lO.nil 

5.431 

S  cial. 

Couserv. 

BI.01.S  l'-^-. 

Ky.MOlî.^STIN'. 

Vkxdô.mk. 

Gauvin  (2^'  tour). . 

10.911 
8.S72 
11.015 

23.561 
19.498 
17.895 
23.026 

18.817 
16.525 
14.734 
18.433 

68.509 

27 
3.466 

8.872 
11.015 

6.707 
» 
» 
164 

3.151 
.1.830 

» 
6 .  72r- 

Maymac 

Bozérian  (2"  tour) . 

Total 

X 

39.523 

83.980 

23.380 

25.067 

6.871 

11.706 

Gauvin    Eusèbe  .  né  en  1852,  propriétaire,  cultivateur,  cens.  gén..  député  sortant,  radical 
Ragot    Constant  ,  né  en  l<s:58,  propriét..  cons.  d'arrondiss.,  député  sortant,  républicain  rat 
Maymac    Cabriel  ,  né  en  18 i2,  avocat-avoué,  nouvel  élu,  républicain. 
Bozérian    (laston  ,  né  en  185î.  rentier,  cons.  gén.,  député  sortant,  républicain  progressiste 


adica' 


864 


LA    NOUVELLE    CHAMBRE 


Clamlinoii. 


Gay. 


LOIRE  (8  députés). 

VOIX 

obtenues. 

ÉLECTEUR.S 

RKI'ARTITIUX    DES    .SUFFRAGES            | 

C:IRC0N.SCRIPT10XS. 

DÉPUTÉS  ÉLUti. 

inscrits. 

votant?. 

Républ. 

Radie. 

Social. 

Conserv 

Saint-Etiexxe  l"'. 

—  V. 
M0N'13RIS0N  !'■'■. 

—  2^ 
Roanne  V>: 

Oriol  (.2*'  tour). .  .  . 
Galley  (i»^  tour).  . 

Gay  (2"  tour; 

Claudinon 

7.347 

.5.677 

7.535 

10.761 

10.492 

8.467 

10.171 

9.527 

19.96G 
16.441 
20.819 
22.782 
20.613 
21.070 
26.873 
23.142 

13.980 
10.412 
15 . 234 
15.887 
11.397 
9.366 
20.301 
IS.lll 

7.347 

5.677 

7.535 

10.761 

10.492 

S.  697 

10.171 

9.527 

6.477 
4 .  586 

4 .  956 

>) 
928 

7 .  45  7 

6 .  068 
25 

» 
» 

)> 

)) 

4.032 

7.475 

Dorian  (2'  tour). . 

Audiffred 

Morel      

Totaux 

69.977 

171.706 

114.688 

70.207 

16.947 

13.550 

11.. 507 

. 

'     ' 

,        , 

,.'.     ..ui:„ 

(Benoît),  né  en  1840,  manufacturier,  conseiller  général,  député  sortant,  républicain. 
If  (J.-B.),  né  en  1847,  conseiller  général,  nouvel  élu,  républicain. 
Victor),  né  en  1855,  avocat,  conseiller  général,  nouvel  élu,  républicain. 


Oriol 
Galley 

Gay  'V ,, ,  ,  .  ,   .    , 

Claudinon  (Georges),  né  en  1849,  maître  de  forges,  nouvel  élu,  ropublicam  progressiste. 
Levet  (Georges),  né  en  1834,  ingénieur  des  mines,  cons.  gén.,  député  depuis  ls79,  républicain. 
Dorian   (Charles),  né  en   1852,  propriétaire,  conseiller  général,  élu   en  lissT,  non  réélu  en  1889, 

député  sortant,  républicain  progressiste. 
Audiffred  (Honoré),  né  en  18iO,  avocat,  conseiller  général,  député  depuis  1879,  républicam. 
Morel  I  Jean-Baptiste),  né  en  1854,  pharmacien,  nouvel  élu,  républicain  progressiste. 


Nérou-Bancel. 


Dupuy. 


LOIRE  ( HAUTE-)  (4  députés). 

VOIX 

obtenues. 

ÉLECTEURS 

liÉl'AimTION   DES   SUPFR.VGES            1 

niicox.sorjPTiiixs. 

IlKPUTES    ELUS. 

inscrits. 

votants. 

Répuljl. 

Radie. 

So  cial. 

Conserv. 

Le  Puy  1"-. 
—        2'-. 
Brioudb. 

yssixgeaux. 

Dupuy  

Blanc 

Devins 

Néron-Bancel 

12.225 
10.006 
10.784 
12.087 

22.965 
19.061 
24.704 
26.081 

15.203 
12.733 
19.648 
14 . 504 

12.225 

10 . 006 

8.713 

12.087 

10.784 
10   784 

l 

n 

Total 

45 . 102 

92.811 

62.088 

43.031 

,> 

Diipuy  (Charles),  né  en  1851,  agrégé  de  philosophie,  ancien  ^■ice-rectcur,  ministre  de  l'intérieui, 
président  du  conseil  1893,  président  de  la  Chambre,  décembre  1893,  ministre  de  l'intérieur, 
président  du  conseil  1894,  ministre  de  l'intérieur  1898,  député  depuis  1885,  républicain. 

Blanc  (Henri),  né  en  1858,  avocat,  anc.  procureur  de  la  République,  dép.  sortant,  républicain. 

Devins  (Louis',  né  en  1850,  docteur-médecin,  conseiller  général,  nouvel  élu,  républicain  radical. 

Néron-Bancel,  né  en  1859,  conseiller  général,  député  sortant,  républicain. 


LA     NOUVELLE    Cil  A  M  BUE 


865 


De  La  Ferronnays.       De  Montaigu.         Méuard.         De  Pontbriand.        Dubochet. 


Roch. 


LOIRE-INFÉRIEURE  (S  députés). 

VOIX 

obtenues. 

ÉLECTEURS 

RÉPARTITION   DES   SITFRAGES              | 

ciKcox8cun"riux.s. 

DÉPUTÉS   ÉI.US. 

inscrits. 

votants. 

Républ. 

Radie. 

Social. 

Conserv. 

Nantes  l": 

2". 

—       3^ 
AXCENIS. 

Chai-eaubriaxt. 
Paimeœuf. 

Saint-Nazaire  1«-. 

SibiUe  {2''  tour). .  . 

Roch  (2"  tour) 

Dubochet 

M'*  de  la FcrrODnajs .  .  . 
(;"■  JuBreilde  Ponlliriand. 

Galot 

Ménard 

De  Montaigu 

ti.711 
7.978 

14.311 
6.612 

12.223 
7.547 
9.1.58 
9.949 

21.496 
21.351 
35.519 
14.619 
23 . 543 
14.312 
25 . 735 
22.135 

12.803 
13.856 
28.300 
12.482 
14.572 
11.528 
17.771 
18.678 

6.711 

7.978 
14.311 

5.270 

» 

11.320 

17.314 

8.668 

5 .  750 

» 
» 

» 

» 

86 

» 
12 

» 

» 

5.402 

13.635 

6.612 

12.223 

» 

9.949 

74.489 

178.710 

129.990 

71.572 

5.750 

98 

47.911 

SibiUe  (Maurice),  né  en  l<si7,  avocat,  conseiller  général,  député  depuis  1X9.3,  républicain. 
Roch    Gustave),  né  en  ISli,  avocat,  député  sortant,  républicain. 

Dubochet  (Louis),  né  en  l.sô2,  industriel,  conseiller  général,  nouvel  élu,  républicain  libéral. 
Marquis  de  La  Ferronnays  (Henri),  né  en  1842,  propriét.,  cons.  gén.,  ancien  officier  d'état-major, 
attaché  militaire  à  Berlin,  à  Berne  et  à  Londres,  député  depuis  1885,  conservateur  catholique. 
Comte  du  Breil  de  Pontbriand,  né  en  18i8,  cons.  gén.,  député  depuis  188ô,  conservât,  libéral. 
Galot  Jules  ,  né  en  1830,  propriét.  agricult.,  cons.  gén.,  nouvel  élu,  conservât,  libéral  catholique. 
Ménard  Anthimei,  né  en  ISfîO,  propriétaire,  avocat,  nouvel  élu,  républicain  catholique. 
Comte  de  Montaigu,  né  en  ISiS,  propriétaire,  conseiller  général,  nouvel  élu,  conservateur. 


Rabier. 


Cochery. 


Alasseur. 


LOIRET 

(5  députés). 

VOIX 

obtenues. 

ÉLEClTiURS 

RÉPARTITION'    DES   SUFFRAGES           1 

CIRCONS  CR I PTIOXS . 

DÉPUTÉS    ÉLUS. 

inscrits. 

votants. 

Républ. 

Radie. 

Social. 

Conserv. 

Orléans  l'". 
—       2-=. 

GlEX. 
MOXTARGIS. 
PiTHIVIERS. 

Totau\ 

Rabier  (  2'"  tour) .  . 
Vlger 

9 .  908 
14.044 

7.813 
10.499 
11.342 

23.132 
24.381 
17.824 
24.004 
17.753 

19.179 
16.796 
14.610 
19.540 
14.624 

9.280 

» 

» 
8.899 
11.342 

9 .  908 
14.044 

7.813 
10.499 

2.896 

» 

6.586 
34 
» 

» 
» 
» 
» 

Alasseur  (2>-  tour). 
Vazeille  (2"  tour) . 
Cochery 

53.606 

107.094 

84 . 749 

OC)     .r,OX 

45.160 

» 

Rabier    Fernand),  né  en  1855,  avocat,  député  depuis  1888,  a  été  secrétaire  de  la  Chambre,  radical. 
Viger    Albert),  né  en  18  53,  anc.  ministre  de  l'agric,  conseil,  gén.,  député  depuis  1885,  radical. 
Alasseur  (Gustave),   né   en    L813,  conseiller  général,  député  sortant,  républicain  progressiste. 
Vazeille  (Albert),  né  en  1859,  médecin,  nouvel  élu,  républicain  radical. 
Cochery  (Georges),  né  en  1855,  anc.  min.  des  finances,  cons.  gén.,  député  depuis  1SS5,  républ. 


Vin. 


55. 


866 


LA    NOUVELLE    CHAMBRE 


>^       l\ 


Vival. 


Rey. 


Lachièze. 


LOT  (3  députés  au  lieu  de  4)  (1). 

VOIX 

obtenues. 

ÉLECTEURS 

RÉPARTTnON    DES    SUFFRAGE.S 

CIRCOXSCRU'TIOX.S. 

DÉPUTÉS  ÉLUS. 

iuscrits. 

votants. 

Républ. 

Radie. 

Social. 

Conserv. 

Cahors. 

FiGEAC. 
GOURDON. 

Rey  (2''  tour) 

Vival 

Lachièze 

14.163 

12.268 
10 . 098 

33.008 
2.5.833 
22.407 

27.260 
22.097 
19.. 589 

27.023 

9.. 536 

10.098 

12.268 
9.305 

» 
» 

293 

Totaux 

36.. ^29 

81.248 

68.946 

46.657 

21.573 

» 

293 

(1)  Aux  élections    cle  1893,  lo  départemeut  du  Lot   a  eu  4    déinités  à  élire.   La  réduction  jiorte  sur  l'arrondissement  de  Cahors 
qui  n'a  plus  qu'un  seul  député  à  élire  en  raison  des  résultats  du  dénombrement  de  1896. 

Rey  (Emile),  né  en  1838,  docteur-médecin,  conseiller  général,  député   depuis  1889,  républicain. 
Vival    (Louis),  né    en   18-i7,  propriétaire,    conseiller   général,  député    depuis    1889,  républicain 

radical. 
Lachièze  (Albert),  né  en  1840,  propriétaire,  avocat,  docteur  en  droit,  conseiller  général,  député 

depuis  1889,  républicain. 


Lagasse. 


Georges  Leygues. 


LOT-ET-GARONNE  (4  députes). 

VOIX 

obtenues. 

ÉLECTEURS 

RÉPARTITION    DES    SUFFRAGES 

CIRCONSCRIl'TKXVS.    |         DÉPUTÉS    ÉLUS. 

inscrits. 

votants. 

Républ. 

Rvulic. 

Social. 

Conserv. 

Agex. 

Marmande. 

NÉRAC. 
VlULENEUVE-S.-LOT 

Dauzon  

MelUet 

Lagasse  (2'- tour). 
Leygues  (2''  tour) . 

9.465 
9.658 
7.596 
9.098 

23.907 
29.311 
17.946 
27 . 465 

17.226 
24.056 
13.683 
22.624 

» 

9.582 
5 .  729 
9.098 

15.180 

7.596 
» 

1.545 
9.658 

» 
5.673 

10.876 

» 

4.521 

» 

7 .  755 

Total 

35.817 

98  629 

77   589 

24.409 

22.776 

12.276 

Dauzon  (Philippe),  né  en  18G0,  avocat,  conseiller  général,  député  sortant,  radical. 
Melliet  (Léo),  né  en  1842,  maître  de  conférences  à  Edimbourg,  nouvel  élu,  socialislc. 
Lagasse  (Louis),  avocat,  conseiller  général,  nouvel  élu,  radical. 

Leygues  (Georges),  né  en  1856,  avocat,   publiciste,    ancien    ministre    de    l'instruction 
et  de  rintéricur,  député  depuis  1885,  républicain. 


pidîliquc 


LA    NOUVKIJJ':    CIIAMHHl'; 


867 


Daudé. 


w\ 


De  Chambrun. 


Jourdaii. 


LOZERE  (3  députés). 

VOIX 

obtenues. 

ÉLECTEURS 

RÉPARTITION    DES   .SUFFRAGE>;            1 

CIRCONSCRIPTIONS.            DÉl'DÏKS    KLU8. 

inscrits. 

votants. 

Hépubl. 

Radie. 

Social. 

Conserv. 

Mende.               Daudé  (2''  tour).. 

Florao.             Jourdan 

Marvkjols.          M's  de  Chambrun. 

Totaux 

6.0.^7 
fi .  8.53 
6.578 

14.300 
10. .577 
14.026 

11.178 

7.687 

10.910 

6.057 
1.71S 
7.414 

5.074 
5.853 
3.434 

» 
» 
» 

» 
» 

18.488 

38.903 

29.775 

15.189 

14.361 

» 

» 

Daudé    Paulin^  n^'  en  1S62,  avocat,  nouvel  élu,  républicain  démocrate. 

Jourdan    Louis  .  né  en  1X4.3,  avocat,  conseiller  général,  dé])uté  depuis  1885,  républicain. 

Marquis  de  Chambrun  (Pierre),  né  en  1865,  avocat,  républicain,  nouvel  élu. 


Bougére.  De  La  Bourdonnaye.       De  Grandmaison. 


MAINE-ET-LOIRE  (7  députés). 

VOIX 

obtenues. 

ÉLECTEURS 

RÉPARTITION    DES   SUFFRAGES            || 

riRCI  INSCRIPTIONS. 

DÉITTÉS  ÉLl'S. 

inscrits.    |    votants. 

Républ. 

Radie. 

Social. 

Conserv. 

Angers  V. 

Joxé  (2''  tour). .  .  . 

11.429 

28 . 224 

20.611 

1 1 . 429 

)) 

)i 

8.828 

—      2-^. 

Bougère  (FerdiiiaDd). 

10.322 

21 .  485 

18.304 

7 .  682 

» 

» 

10.322 

Baugé. 

Coudreuse  

13.007 

21.851 

15.638 

13.007 

» 

» 

» 

Cholet  l'o. 

Baron 

10.600 

18.170 

12.859 

» 

» 

» 

10.600 

—      2'. 

V'  deLaBiiunlonnaTe  .  . 

10.178 

19.119 

14.469 

3.974 

)» 

)> 

10.178 

Saumur. 

De  Grandmaison.. 

14.612 

27.858 

22.620 

22.413 

« 

» 

» 

Skgré. 

Bougère  J,aureiii;i. . 

10.827 

18.134 

14.411 

3.264 

)) 

)) 

10.827 

Totau'î 

80.975 

154.841 

118.912 

61.709 

» 

" 

50 . 755 

Joxé    Jean  .  né  en  1821,  maire  d"Ang:crs,  nouvel  élu,  républicain. 
Bougére    Ferdinand  ,  né  en  1868,  licencié  en  droit,  nouvel  élu,  conservateur. 
Coudreuse    Emmanuel  ,  né  en  18.37,  ancien  avoué,  député  depuis  181)1,  républicain, 
jn    .Tulcs  ,  ne  on   l.s.">r).  propriétaire,  conseiller  f^énéral,  député  sortant,  monarchist 

ro;> 


Baro 


Dai\jii     .»  ute?  ,    II*     cii    ■•■^.i.i.    j^i  <Ji-)i  iLHciii  c,    Li_Mi»Liuci    j^cin.'irti,    ucpLin;   suitaiii,    iiiuiiai  ciiiMC. 

Vicomte  de  La  Bourdonnaye  (Raoul  ,  né  en  1837,    secrétaire   dambassado,   conseiller  j;énéral, 

député  depuis   ISSi,  royaliste. 
De  Grandmaison    Geor}?es),  né  en  1865,  propriétaire,  conseiller  général,  ancien  officier,  député 

sortant,  républicain  libéral. 
Bougére    Laurent  ,  né  en  186-4,  propriétaire,  industriel,  député  sortant,  conservateur. 


LA    NOUVELLE    CHAMBRE 


Regnault. 


Guérin. 


Le  Moigne. 


Legrani.l 


MANCHE  (6  députés  au  lieu  de  7)  (1). 

VOIX 

obtenues. 

ÉLECTEURS 

RÉPARTITIO.V    DES    SUFFRAGES            1 

CIKCONSCRIPTION.J. 

DÉPOTÉS   ÉLUS. 

inscrits. 

votants. 

Républ. 

Radie. 

Social. 

CoiiservJ 

Saint-Lô. 
avranches. 
Cherbourg, 
coutances. 

MORTAIN. 

Valognbs. 

Rauline 

Biotteau 

Le  Moigne 

Regnault 

Legrand  

L'-colonel  Guérin. 

13.0.")  t 
11.9.54 
6.00.5 
16.834 
11.974 
11.260 

21.817 
25.319 
22.870 
27.041 
17.209 
19.218 

14.165 
20.998 
12.421 
19.179 
12.997 
12 . 040 

» 

11.954 

6 .  005 

16.834 

» 

» 

» 
» 
» 
» 
» 
11.260 

» 
» 

)) 
» 
j) 
» 

13.054 
8.994 

)) 

» 
11.974 

» 

Totaux 

71.081 

133.474 

91.800 

34.793 

11.260 

» 

34.022 

(1)  Aux  élections  générales  de  1893,  la  Manche  a  élu  7  députés.  Ce  nomtre    eu  est  réduit  à  G.  La  diininutiou  porte  sur    l'ar- 
rondissement de  Coutances,  en  raison  des  résultats  du  dénombrement  de  1896. 

Rauline  (Gustave),  né   en  1822,  propriétaire,  cons.   général,  député  depuis   1S76,   conservateur, 
Riotteau  (Emile),  né  en  1837,  armateur,  député  depuis  1876,  républicain. 

Le  Moigne  (Albert),  né  en  1849,  conseiller  général,  député  sortant,  républicain  jirogressiste. 
Regnault  (Alfred),  né  en  1843,  propriétaire,  cons.  général,  député  dep.  1891,  républicain  modéré. 
Legrand   (Arthur),    né   en    1833,   propriétaire,  conseiller    général,  député  de  1871   à  1881,  réélu 

dej^uis  1889,  bonapartiste. 
Guérin    Léon),  né  en  1841,  lieutenant-colonel  en  retraite,    député  sortant,   républicain  modéré. 


Bourgeoi 


■Morillot  Valle  Moutfeuillaid. 


MARNE  (7  députés  au  lieu  de  6)  (1). 

voix 
obtenues. 

électeurs 

EÉPARTITIOX    DES    SUFFRAGES              | 

CIRCONSf  UIPTIOXS. 

députes   ELUS. 

inscrits. 

votants. 

Républ. 

Radie. 

Social. 

Conserv.l 

Chalons-s.-Marsf. 
Eperxay. 
Reims  l'". 

—  2". 

—  3^ 
S'''-Mexehould. 

Vitry-le-François 

Bourgeois 

Vallé 

L^nnes  de  Montebello. . 

Mirman 

Montleuillard. . .  . 

Bertrand 

MorUlot  (2''  tour). 

7.759 
12.010 

7.183 
9.116 
7.104 
3.840 
6.294 

15.493 

28.834 
17.656 
20 . 928 
14.115 
8.411 
13.585 

13.486 
23.359 
13.993 

1.5.828 

10.513 

7.051 

11.434 

5 .  590 
8.255 
7.183 
3.794 
2.830 
3.840 
6.294 

7.759 
12,010 
6.350 
325 
7.104 
2,939 
4.984 

1) 

2.902 

)) 

10.522 

21 

127 

)i 

» 
)) 
5 
971 
» 

» 

Totaux 

53 . 306 

119.022 

95.664 

37.786 

41.471 

13.572 

976 

(1)  Aufrmcntotion  d'un  député  par  rapport  aui  élections  de  1893,  à  cause   du  dénombrement  de  1896.  L'arrondissement  de 
Kcims  élit  3  députés  au  lien  de  2. 

Bourgeois  (Léon  ,  né  en  J8r)l,  ancien  préfet,  ancien  dirccleur  des  affaires  communales,  ancien 
]M-éfeL  de  police,  ancien   ministre  et  président  du  conseil,  député  depuis  1888,  radical. 

Vallé    Ernest  ,  né  en  1815,  avocat,  conseiller  général,  député  depuis  1889,  radical. 

Lannes  de  Montebello  (Adrien),  né  en  1841,  propriét.,  viticulteur,  député  sortant,  républicain. 

Mirman  (Léon),  né  en  1865,  pi-ofesseur  agrégé  de  mathématiques,  député  sortant,  socialiste 
indépendant. 

Montfeuillard  (Ernest),  propriétaire,  maire  et  conseiller  général,  nouvel  élu.  radical. 

Bertrand  (Paul),  né  en  1847,  ancien  avoué,  député  depuis  1889,  républicain. 

Morillot  (Léon),  né  en  1838,  propriétaire,  docteur  en  droit,  conseiller  général,  iléputé  sortant, 
républicain   modéré. 


LA    NOUVKLLK    C  II  .V  M  U  U  K 


869 


llougeot. 


Dutailly. 


I   MARNE  (HAUTE-)  (3  aéputés). 

TÙIX 

obtenues. 

ÉLECTEUIiS 

KÉrArrriTios-  de.s  srFFiîAf;ES        || 

1  ClllcdXSt  lilPTUi.VS.    1         DEl'U-lES    ELUS. 

inscrits.    |     votants. 

Républ. 

Radie. 

Social. 

CoiiservJ 

Dutailly        

9 .  '.^4 
14.292 
11.566 

23.252 
26.350 
22.280 

19.664 
23.050 
16.852 

9.402 

8.463 

14.862 

9.984 

14.292 

» 

» 
» 

» 

LA.NfiREr^. 

Vassy. 

Mougeot 

Rozet 

Total 

iX 

35.842 

71.882 

59 . 566 

32.727 

24.276 

» 

» 

Dutailly    Adolphe  ,  né  en  1846.  ancien  professeur,  conseiller  général,  ancien  député,  radical. 
Mougeot    Léon  ,  né  en   1S57,   propriétaire,  avocat,   conseiller  général,   député  sortant,  radical 

démocrate  proirrcssiste. 
Rozet    Albin  .  né  en  1852,  propriétaire  de  forges,  ancien  attaché  d'ambassade,  consul  honoraire, 

conseiller  général,  député  depuis  1889.  républicain. 


Chanlin-Serviniore.  D'Elva 


Heuzey. 


'           MAYENNE  (5  députés). 

VOIX 

obtenues. 

ÉLECTEUR.^ 

RÉPAUTITIOX   DES    SUFFRAGES 

■  iiiroNscuimoNs. 

DÉPUTÉ.S    ÉLU.-:. 

inscrits. 

votants. 

Républ. 

Radio. 

Social. 

Conserv. 

Laval  l'*-. 
—     2^ 
Chateau-Gontieb. 
Mayenne  l''^'. 

2e_ 

Comte  d'Elva 

Heuzey  

Prince  de  Broglie. 
Renault-Morlière . 

Cbanlin-SerTinisre. . . 

10 . 328 
5.746 
11.825 
10 , 943 
13.U45 

18.815 
12.880 
20.671 
17.156 
20.781 

13.849 
11.141 
16.335 
12.874 
15.066 

10.328 

5.746 

» 

10.943 

13.045 

2.549 
» 
» 

» 

» 
» 
» 

5 .  296 
11.825 

» 

Totaux 

51. 8.x  7 

90.303 

69.265 

40  06" 

*>  549 

17.121 

Comte  d'Elva  Christian  .  né  en  1850.  propriétaire,  capitaine  démissionnaire,  conseiller  général, 
député  depuis  ISNO,  républicain  libéral  indépendant. 

Heuzey,  né  en  lNt).3.  industriel,  nouvel  élu,  républicain  progressiste. 

Prince  de  Broglie  Louis  ,  né  en  181c,  propriétaire,  ancien  diplomate,  ancien  secrétaire  dam- 
bassîule  à  L'indres.  sous-chef  du  cabinet  du  duc  Decazes.  député  sortant,  conservateur. 

Renault-Morliére  Aniédée  .  né  en  1839.  ancien  avocat  au  Conseil  d'Ltat  et  à  la  Cour  de  cas- 
sation, conseiller  général,  député  depuis  1876  avec  interruption  de  1SS5  à  1893.  républicain. 

Chaulin-Serviniére    Lucien  .  né  en  ls48,  avocat,  cons.  général,  député  depuis  1889.  républicain. 

M.  Deribére-Desgarde,  procureur  de  la  République  à  Laval,  a  été  élu  le  18  septembre,  par 
9.5  17  sutïrages  sur  16.700  votants  en  remplacement  de  M.  Chaulin-Servinière,  décédé  le 
26  juillet  1S9S. 


870 


LA    NOUVELLE    CHAMBRE 


Chapuis. 


Papelier. 


MEURTHE-et-MOSELLE  (6  dép.) 

VOIX 

obtenues. 

ÉLECTEUR.S 

liÉPARTITION    DES   SUÏ'PRAGES         H 

CIRCOXSCKIPTIOXS. 

DÉPUTÉS   ÉLUS. 

inscrits. 

votants. 

Républ. 

Radie. 

Social. 

Conserv. 

Nancy  l'"'. 

—  2'-. 

—  3-. 
Briey. 

lunkville. 

TOUL. 

Brice 

Papelier 

Gervaize  {•2'^  tour). 

Mézières 

Fenal 

Chapuis  (2''  tour) . 

9.010 
8.170 
G. 01.7 
11.667 
12.809 
8 .  885 

56.. 556 

19.599 
16.702 
21.416 
17.. 559 
25.846 
16.527 

14.905 
12,326 
15.155 
14.124 
21.347 
10.575 

12.524 
11.985 
8.916 
11.667 
12.809 
» 

» 
» 

6.015 
» 

» 
8.885 

2.079 
» 
» 
» 
» 
» 

2 .  254 
8.250 

Totaus 

117.649 

88.432 

57.901 

14.900 

2.079 

10 . 504 

Brice  (Jules),  ne  en  18,30,  propriétaire,  conseiller  grénéral,  député  sortant,  républicain  libéral. 
Gervaize  (Ludovic),  né  en  ISôl,  avocat,  nouvel  élu,  républicain  indépendant  antijuif. 
Papelier  (Albert),  né  en  1845,   négociant,  député  depuis  1889,  républicain  progressiste. 
Mézières  (Alfred),  né  en  1826.  membre  de  l'Académie  française,  membre  du  conseil  de  l'ordre 

de  la  Légion  d'honneur,  député  depuis  1881,  républicain. 
Fenal  (Théophile),  né  en  1851,  industriel,  cons.  gén.,  nouvel  élu,  républ.  libéral  progressiste. 
Chapuis  (Gustave),  né  en  1851,  docteur-médecin,  conseiller  général,  député  sortant,  radical. 


Prudhomme-Havette. 


Poiucaré. 


MEUSE  (4  députés). 

VOIX 

obtenues. 

ÉLECTEURS 

RÉPAU'J'iriON    DES    SUFFRAGES           1 

CIRCONSCRIPTIONS. 

DÉPUTÉS    ÉLUS. 

inscrits. 

votants. 

Républ. 

Radie. 

Sooidl. 

Cousfarv. 

Bar-le-Duc. 

commbrcy. 

montmédy. 

Verdun. 

Ferrette  (2<-  tour». 

Poincaré 

Sommeillier 

Prudhomme-Havette. . . 

10.138 

14.476 

8,385 

12,268 

22,003 
21.066 
15.148 
20.394 

18.285 
15.677 
12.214 
14.391 

7 ,  780 
14,476 
11,852 
12.268 

10.148 
» 
» 
» 

» 
» 
» 
» 

98 
» 

H 
» 

45,267 

78.611 

60.567 

4(;  .376 

10.148 

» 

98 

Ferrette    Henry),  né  en  1869,  avocat,  conseiller  général,  nouvel  éki,  républicain  radical. 
Poincaré    (Raymond),     né    en     1860,    avocat,    conseiller    général,    ministre     de     l'instruction 

publique  1893,  des  finances  1894,  député  depuis  1887,  républicain. 
Sommeillier  Mules),  né  en  1856,  conseiller  général,  nouvel  élu,  républicain  progressiste. 
Prudhomme-Havette  (Louis),  né  en  1834,  ancien  industriel,  cons.  gcn.,  dép.  sortant, républicain. 


I-A    X()U\'1:LLK    ciiamhhk 


«7] 


Jacob. 


De  Rohan. 


De  rEstourbeilloii. 


Le  Clec'h. 


Langlais. 


MORBIHAN  (7  députés). 

V(_>IX 

obtenues. 

ÉLECTEURS 

RÉPARTITION    DES    SUFFRAGES 

CIRCOX.SCRIPTIO>-S. 

DÉPUTÉS  ÉLUS. 

inscrits. 

votants. 

Républ. 

Radie. 

Social. 

Couserv. 

Vannes  !■■•■. 

—  2'-. 
LO RIENT  l'■^ 

—  2'-. 
Ploermei,. 

PONTIYY    l'"^. 

2". 

Mi'del'Eslourteillon.. 
Forest 

6.972 
11.202 

9.302 
12.332 
11.479 

6.803 

4.. 568 

16.711 
19.82.5 
22.280 
29.419 
25.808 
17.059 
11.. 503 

13.204 
15.853 
15.757 
21.310 
21.570 
13.591 
9.196 

6.175 
4.608 
6.366 
12.883 
9.908 
6.803 
4.576 

51.219 

» 
» 
9.302 
5 

» 
» 

4.568 

» 
» 
» 

» 

6.972 
11.202 

» 

8  .  363 

11.479 

6.775 

» 

Jacob 

Bucde  Rohan-Çhabot. . 
Langlais  (2''  tour) . 
Le  Clec'h 

Totau'ç 

62.658 

142.605 

110.481 

13.875 

» 

44.791 

Marquis  de  l'Estourbeillon  (Réçis),  né  en  1859,  propriétaire,  homme  de  lettres,  député  sortant, 

catholique  libéral. 
Forest  (François),  né  en  1S52,  propriétaire,  anc.  offîc.,  cons.  gén.,  nouv.  élu,  conservateur. 
Guieysse  (Paul),  né  en  1810,  directeur  adjoint  de  l'Ecole  des  hautes  études,  répétiteur  à  l'Ecole 

polytechnique,  ministre  des  colonies  (1895),  député  depuis  1890,  radical  socialiste. 
Jacob  (Joseph),  né  en  1849,  prop.  cultiv.,   publ.  agricole,   nouvel  élu,    républicain  progressiste. 
Duc  de  Rohan  Chabot  (Prince  de  Léon),  né  en  1844,  cons.  gén.,  député  depuis  1876,  royaliste. 
Langlais  (Charles),  né  en  1847,  docteur-médecin,  nouvel  élu,  républicain  de  gouvernement. 
Le  Clec'h  (Albert),  né  en  1857,  avocat,  docteur  en  droit,  député  sortant,  républicain. 


Turigny. 


Goujat. 


NIEVRE  (5  députés). 

VOIX 

obtenues. 

ÉLECTEURS 

RÉPARTITION   DES   SUFFPxAGES            1 

CIRCUSSCRIPTIOXS. 

DÉPUTÉS    ÉLUS. 

inscrits. 

votants. 

Républ. 

Radie. 

Social. 

ConservJ 

Nkvers  l"'. 
—       2'-. 
Chateau-Chinon. 
Clamecy. 

COSXE. 

Massé  (2'-  tour)  .  . 

Turigny 

Chandioux 

Jalnzot 

Goujat 

4.824 
7.513 
8.195 
9 .  845 
8.860 

23.631 
14.537 
20.714 
21.072 
22.436 

18.115 
11.365 
15.914 
16.547 
17.501 

4.148 
3.724 

» 
9.845 
8.068 

4.824 

>i 

12.240 

6.114 

8.870 

6.265 
7.513 

» 

2.212 

» 
3.472 

» 

410 

Total 

X 

39.237 

102.390 

79.442 

25.785 

32.048 

13.778 

6.094 

Massé    .Vlfred  ,  né  en  1N70,  avocat,  nouvel  élu,  radical  socialiste. 

Turigny    Jean),  né  en  1822,  docteur-médecin,  conseiller  général,  député  depuis  1873,  radical. 
Chandioux  (Jean),  né  en  1849,  négociant,  conseiller  général,  député  sortant,  radical. 
Jaluzot    Jules),  né  en  1834,  négociant,  industriel,   fondateur-directeur  des  magasins  du  Prin- 
temps, député  depuis  1889,  républicain  progressiste. 
Goujat    Claude),  né  en  1845,  expert-comptable  assermenté,  député  sortant,  radical  socialiste. 


872 


LA    NOUVELLE    CHAMBRE 


Barrois. 


Masurel. 


De  Moutalembert. 


Rogez. 


NORD  (22  députés). 

VOIX 

obtenues. 

ÉLECÏEUR.S 

RÉPAIITITIOX    DES    SCPFR.^-GES            || 

CIRCONSCEIPTIOXS. 

DÉPUTÉS   ÉLU8. 

inscrits. 

votants. 

Républ. 

Radie. 

Social. 

Conserv. 

Lille  l''*". 

—  2<: 

—  3^ 

—  4''. 

—  S^ 

—  6'. 

—  7''. 

—  8<-. 

AVESSES    l". 

—  2^ 

—  3^ 

Barrois 

Loyer  (2'-  tour).  .  . 
Rogez  (2'^'  tour). . . 

Dansette 

Delaune 

C^de  Montalembe;t.  . 

Motte 

Masurel (2'-  tour),. 
Guillemin  (2''  tour). 

Defontaine 

Eliez-Evrard 

9.12.') 

11I.24.J 

7.97-t 

10.921 

11.496 

8.075 

11.2.56 

10.275 

6.  752 

8.514 

7.688 

19.860 
22.328 
18.441 
21.231 
19.210 
16.636 
21.722 
22.737 
16.702 
18.8-)8 
15 . 746 

16.543 
18.892 
15 . 196 
18.314 
15.618 
14.242 
19.384 
20.415 
12.352 
16.037 
12.529 

9.125 

10.245 

7.974 

10.921 

11.496 

8.075 

11 . 256 

10.275 

6.752 

7.341 

3.961 

2.474 

» 

3.346 

» 

M 

)> 

10 . 030 

» 

7 .  688 

4 .  765 
8.411 
6.891 
3.874 
3.418 
5.670 
7.908 

» 

317 
8.514 

526 

» 

» 
» 
» 
» 
» 
4.977 

» 

A  rep 

oit/!)- 

102.321 

213.471 

179.522 

97.421    1    23.538 

.50.294 

4.977 

Barrois  (Théodore),  né  en  1857,  professeur  à  la  faculté  de  médecine,  conseiller  municipal  de 

Lille,  nouvel  élu,  républicain  de  {gouvernement. 
Loyer  (Ernest),  né  en  ISli,  filateur,  cons.  d'arrondissement,  député  sortant,  républicain  libéral. 
Rogez  (Paul),  ne  en  1869,  nouvel  élu,  républicain  libéral. 

Dansette  (Jules),  né  en  1857,  licencié  en  droit,  conseiller  général,  député  sort.,  répub.  libéral. 
Delaune  (Marcel),  né  en  1855,  distillateur,  conseiller  général,  nouvel  élu,  républicain. 
Comte    de    Montalembert,    né    en    l.SoO,    propriétaire,    ancien  officier,   député    depuis    1889, 

conservateur  rallié. 
Motte  (Eugène;,  né  en  18G0,  conseiller  général,  industriel,  nouvel  élu,  républicain. 
Masurel  (Albert),  né  en  1855,  filateur  et  tisseur  de  coton,  nouvel  élu,  républicain  ])rogressiste. — 

L'élection  de  M.  Masurel  a  été  annulée  par  la  Chambre  dans  sa  séance  du  S  novembre  1898. 
Guillemin  (Léon),  né  en  1859,  avocat,  docteur  en  droit,  député  depuis  1890,  républicain. 
Defontaine  (Paul),  né  en  1858,  docteur-médecin,  député  sortant,  socialiste. 
Eliez-Evrard,  né  en  1843,  notaire,  conseiller  général,  député  depuis  1889,  républic 


icain. 


LA     N()L' \i:i.I.K    Cil  AMlîltK 


Plichon.  Guillaiu.  Weil-ilallez.  Lepez.  Sirot-ilallez. 

Des  Rotours.  Bersez.  Debève. 

ilorcrette-Ledieu.  Abbé  Lemire.  Coctiiii. 


NORD  (Siiiti')  (_22  députés». 

VOIX 

obtenues. 

ÉLECTEURS 

UÉl'ARTITIOX    DE.S    I^UFFRAGES            il 

CIUCON-SC'RIPTIOXS.    1        DÉrTTÉS   Kl-fS. 

inscrits. 

votants. 

Républ. 

Radie. 

Social. 

Conserv.j 

Cambuai  V". 

—  2». 
Douai  l". 

—  2"=. 

DUN-KIRQUE    1". 

—  2"=. 

Hazebrocck  V. 

—  2^ 
Valenciennes  l'". 

—  2"=. 

—  3^ 

102.321 

15.432 

10.270 

9.532 

9.469 

7 .  508 

9.370 

8.752 

9.619 

6.286 

8.831 

10.914 

213.471 
29.143 
26.207 
20.863 
16.545 
20.213 
15.070 
15.874 
14.077 
15.185 
22.188 
22.462 

179.522 
24 . 506 
21.141 
11.563 
1 3 . 895 
14.163 
12.196 
11.818 
11.143 
12.170 
16.574 
18.176 

97.421 

19.694 

10.270 

9.829 

9.469 

7.508 

2.648 

8.752 

9.619 

11.800 

16.136 

10.914 

23.538 

» 
550 

» 

» 
676 

» 

» 
» 
)> 
» 

50.294 

4.469 

10.256 

724 
3.844 
3 .  508 

)> 

» 

748 

» 

133 
7.017 

4.977 
» 

» 
» 

2 .  254 
9.370 

» 

» 

» 

M(ircrclle-I.ed'ca  (2'^  t.). 
Debève  (2'=tour).. 
B""  des  Rotours. . 

H.  Cochin 

L'abbé  Lemire . .  . 

Plichon 

WeU-Mallez   2<t.). 
Lepez  (2'   tour). . . 
Sirot-Mallez(2''t.). 

Total 

X 

2m .  304 

431.298 

335.867 

214.060 

24 . 764 

81.023 

16.601 

Bersez    Paul  .  no  en  1857.  propriétaire,  nouvel  élu,  républicain. 
Morcrette-Ledieu    Louis  .  né  en  1833,  propriétaire,  conseiller  général,  nouvel  élu,  républicain. 
Debève    François  .  né  en  18.37,  cultivateur,  cons.   gén..  nouvel  élu.   républicain  progressiste. 
Baron  des  Rotours    UaouL,  né  en  ISOO,  licencié  en  droit,  cons.  gén.,   dép.   sort.,  rop.  modère. 
Guillain    Florent  .  né  en  1815,  inspecteur  général  des  ponts  et  chaussées,   conseiller  général, 

député  sortant,  républicain  de  gouvernement. 
Cochin    Henry,,  né  en  isjl.  propriétaire,  licencié  en  droit,  licencié  es  lettres,  journaliste,  députe 

sortant,  libéral,  conservateur. 
L'abbé  Lemire    Jules  .  né  en  1853,  professeur,  député  sortant,  démocrate  chrétien. 
Plichon    Jean  .  né  en  1NG3.  prop..  ingén..  métallurgiste,  cons. gén.,  dép.  depuis  ISSO.rép.  indep. 
Weil-Mallez    Emile  .  né  en  1S33,  industriel,  cons.  gén..  député  sort.,  républicain   progressiste. 
Lepez    Ferdinand  ,  né  en  1850.  publiciste,  conseiller  général,  député  sortant,  républicain. 
Sirot-Mallez    Pierre  .  né  en  1x35.  maître  de  forges,  agriculteur,  député  sortant,  républicain.  — 

M.  Sirot-Mallez  est  décédé  le  8  novembre  189S. 


874 


LA    NOUVELLE    CHAMBRE 


Baudon.  Chopinet. 


Gaillard. 


Chevallier. 


OISE  (6  députés  au  lieu  de  5)  (1). 

VOIX 

obtenues. 

ÉLECTEURS 

répartition  des  suffrages        I 

CIUCOXSCRIPTIONS. 

DÉPUTÉS   ÉLUS. 

inscrits. 

votant.?. 

Républ. 

Radie. 

Social. 

Conserv.l 

Beauvais  1". 
—       S"-. 

CLEnMOXT. 
COMPrÈGNE. 

Senlis  l". 
2''. 

Baudon 

Chevallier 

Rendu  (2"^  tour) . . 
Noël 

9.2U6 
9.667 
11.2.5.5 
13.526 
5.244 
5.825 

20.694 
15 . 593 
23.785 
26.367 
12.804 
13.496 

17.984 
12.696 
20.169 
19.957 
10.659 
11.056 

8.422 
9.667 
8.670 
13.526 
5.152 
5.835 

9.206 
2.366 

» 
3.589 
5 .  244 
2.297 

» 

11.255 

» 

» 

2.711 

198 
» 
» 

» 

Gaillard              •    . 

Totau 

54.723 

112.739 

92.521 

51.272 

22.702 

13.973 

198 

(1)  Augmc-n'ation  d'iin  député  sur  1893,  portant  sur  l'arrondissemeut  de  Senlis,  effet  (lu  déuom'bremeut  de  1896. 

Baudon  (Théodore),  né  en  18i8,  docteur-médecin,   cons.    gén.,    député   sortant,    rad.  socialiste. 
Chevallier  (Emile),  né  en  1S51,  économiste,  cons.  général,  député  sortant,  républicain  libéral. 
Rendu  (Armand),  né  en  184i,  conseiller  général,  député  sortant,  socialiste. 
Noël  (Ernest),  né  en  1847,  ingénieur,  conseiller  général,  député  sortant,   répub.  progressiste. 
Chopinet  (Gustave),  né  en  1847,  docteur-médecin,  conseiller  général,  nouvel  élu,  radical. 
Gaillard  (Jules),  né  en  1839,  anc.  attac.  d'ambas.,  cons.  gén.,  dép.  depuis  1889,  républicain. 


Bansard  des  Bois.              Gévelot. 

De  Mackau.     Lévis-ilirepoix. 

Chri 

-toplile. 

ORNE  (5  députés). 

VOIX 

obtenues. 

électeurs 

RÉPARTITION    DES   SUFFRAGES           II 

circonscriptions. 

députés  élus. 

inscrits. 

votants. 

Républ. 

Radie. 

Social. 

Conserv. 

Alexçon. 

Argentan. 

Domfront  !'■'■. 

2'". 

Mortagnb. 

C'<^  de  Lévis-Mirepoix. 
B  ■"  de  Mackau  . . . 

Christophle 

Gévelot 

Bansard  des  Bois. 

7.642 
13.753 

6.337 
11.181 
12.900 

16.980 
20.031 
14.141 
18.412 
27.202 

14.738 
16.122 
11.675 
13.257 
22.753 

14.623 

» 

8.128 

11.181 

12.900 

» 
» 

3.228 
» 

» 
» 

» 
» 

» 

13.753 

» 

» 

9 .  555 

Totaux 

51.813 

96.766 

78.  .545 

46.832 

3.228 

» 

23.308 

n  •  ' 

Comte  de  Lévis 
Baron  de  Mackau 


vat.  rallié, 
conserv. 


-Mirepoix  (Félix),  né  en  1816,  propriétaire,  député  dep.  1885,  conservât,  r 

^„  „au  (Armand),  né  en  1832,  propriétaire,  cons.  gén.,  député  depuis  1876,  con 

Christophle  (Albert),  né  en  1830,  ancien  avocat  au  Conseil  d'Etat  et    à  la  Cour   de  cassation, 
ministre    des    travaux    publics  en    1876,    gouverneur    du   Crédit    foncier   de    1878    a   189o, 
déjnité  depuis  1871  avec  une  interruption  de  1885  à  1887,  républicain  progressiste 
Gévelot    .îulesi,  né  en  1S26,  industriel,  conseiller  général,  député   depuis   1871,  républicain.^ 
Bansard  des  Bois   (Alfredj,   né   en   1818,    propriétaire,  conseiller    général,  élu  pour  la  première 
fois  en  1881,  non  réélu  en  1885  ni  en  1889,  élu  en  1893,  républicain. 


LA     N()U\  Kl,  1,1-:    CIlAMintK 


.S7& 


Graux. 
Basly. 


Adam. 

Dussaussoy. 


Ribot. 

Rose. 

Lamendin. 


Jonnart.  Fanien. 

Boudenoot.  Tailliandier. 


PAS-DE-CALAIS  (11  députés). 

VOIX 

obtenues. 

ÉLTXTEURS 

répartition  des  suffrage.s        il 

CIBCOSSCR(PTIO.\S. 

DÉPUTÉS   ÉLUS. 

inscrits. 

votants. 

Républ. 

Radie. 

Social. 

Conserv. 

Arbas  l". 

—     2''. 

Bkthune  !■■'■. 

—     K 

Boulogne  l'''-. 

ilOXTREUrL. 

Saint-Omer  l'-'^'. 
—            2^ 
Saist-Pol. 

Rose 

13.324 

10.7.50 

14.228 

11.940 

11.011 

9.610 

8.430 

1.).284 

6.635 

12.528 

16.828 

26.436 
23.422 
27.970 
25.898 
16.716 
23.331 
22 . 702 
20 . 394 
14.583 
16.801 
21.615 

20.370 
20.154 
22.976 
21.723 
13.695 
17.694 
16.755 
16.644 
11.754 
13.324 
18.146 

13.324 

20.008 

8.544 

9.431 

11.011 

9.610 

8.430 

15.284 

6.635 

12.528 

16.828 

5.968 

» 

» 

» 

» 
7,845 

» 

» 

» 

» 

» 

» 
14.228 
11,940 
2.353 

» 
8.007 

» 

» 

» 

» 

» 

» 

» 

» 

» 

5.004 

» 

Tailliandier 

Basly 

Lamendin 

Fanien 

Adam 

Dussaussoy  (S" tour). 

Boudenoot 

Ribot 

Jonnart 

Graux 

Totaux: 

130.568 

239.868 

193.23.^> 

131.633 

13.813 

36.52H 

5.004 

Rose    François,  ne  en  1S32,  ancien  notaire,  conseiller  général,  député  sortant,  républicain. 
Tailliandier  (Henri),  né  en  J847,  propriétaire,  cons.  gén.,  député  sortant,  républ.  indépendant. 
Basly    Emile),  né  en  1834,  ancien  ouvrier  mineur  et  cabaretier,  élu  en  ISSS,  non  réélu  en  1889, 

réélu  en  1891  et  en  1893,  socialiste. 
Lamendin    Arthur),  né  en  1852,  ouvrier  mineur,  député  depuis  1891,  socialiste. 
Fanien    .\chille),  né  en  1827,  industriel,  élu  en  1881,  non  réélu  en  1885,  réélu  en  1889  et  en  1893, 

républicain  progressiste. 
Adam    Achille,  né  en  1859,  banquier,  député  depuis  1889,  conservateur  rallié. 
Dussaussoy  (Paul),  né  en  1S60,  avocat,  conseiller  général,  député  sortant,  rallié, 
Boudenoot  (Louis),  né  en  1855,  ingénieur  des  mines,  cons.  gén.,  député  depuis  1889,  républicain, 
Ribot    Alexandre),  né  en  1842,  avocat,  ancien  ministre  des  affaires  étrangères,  ancien   président 

du  conseil,  ancien  ministre  de  Tintérieur,  député  de  1878  à  1881  et  depuis  1889,  républicain. 
Jonnart     Charles',   né   en    1857,    propriétaire,    ancien   ministre  des  travau.Y  publics,  conseiller 

général,  député  depuis  1889,  républicain. 
Graux  tGeorgesi,  né  en  1813,  avocat,  conseiller  général,  député  depuis  1889,  républicain. 


876 


LA    NOUVELLE    CHAMBRE 


Farjon.       Bony-Cisternes.      Guyot-Dessaigue.       Girard.  Chamerlat.         Cliambige.         Laville. 


PUY-DE-DOME  (7  rtéputés). 

VOIX 

obtenues. 

ÉLECTEURS 

EÉP.\RTITION   DE.S   SUFFRAGES            1 

CIRCONSCRIPTION.'^. 

DÉPUTÉS  ÉLUS. 

inscrits. 

votants. 

Républ. 

Radie. 

Social. 

Conserv. 

Cl.-Ferrand  l'-'^-. 
—           2". 
Ambert. 

ISSOIRB. 
ElOM    1". 

—      2<-. 
Thieus. 

Chambige 

Guyot-Dessaigne. . 

Farjon 

Bony-Cisternes .  .  . 

Girard 

LaviUe 

Chamerlat 

11.G21 
16.010 
11.390 
11.456 
11.325 
10.568 
11.295 

26.376 
26.674 
21.728 
30.652 
20 . 006 
25.232 
24.847 

20.834 
18.443 
14.205 
25 . 748 
13.727 
16.909 
20 . 708 

9 .  035 
» 
11.390 
11.178 
11.325 
10.568 

9.294 

11.621 
16.010 

» 
11.456 

» 
5.692 
11.295 

1.489 
» 

» 
» 

» 
)) 
» 

» 

Totaiis. 

83.665 

175.515 

130.574 

62.790 

56.074 

1.489 

» 

Chambige    Léon,,  né  en  is.'i.l,  docteur-médecin,  maire,  conseiller  g-énéral,  député  sortant,  radical. 
Guyot-Dessaigne  (Edmond  ,  né  en  1833,  ancien  ministre  de  la  justice   et  des  travau.v  jjublics, 

conseiller  général,  député  depuis  18.S9,  républicain  démocrate. 
Farjon  (Adrien),  né  en  1S50,  banquier,  cens,  gén.,  député  depuis  1889,  républicain  progressiste. 
Bony-Cisternes  (Antoine),  né  en  1847,  propr.,  cons.  gén.,  député  depuis  1889,  répub.  radical. 
Girard  .Vmédée),  né  en  1826,  médecin,  conseiller  général,  député  sortant,  républicain  libéral. 
Laville  Adolphe),  né  en  1831,  propriétaire,  conseiller  général,  député  depuis  1881,  républicain. 
Chamerlat  (Noël),  né  en  1811,  agriculteur,  conseiller  général,  député  sortant,  radical. 


Berloh 


Legrml  Qunitxa. 


Harriague. 


PYRENEES  (BASSES-)  (7  dép.). 

VOIX 

obtenues. 

ÉLECTEURS 

RÉPARTITION    DES    SUFFRAGES            || 

CIRCOXSCUIPTIONS. 

DÉPUTÉS    ÉLUS. 

inscrits. 

votants. 

Républ. 

Radie. 

Social. 

Conserv. 

Pau  V. 

—  2=. 
Bayoxne  1". 

—  2^ 
MAULÉOlSf. 

Olorox. 
Orthez. 

Cassou 

Quintaa 

Legrand 

Harriague  St-Martin. . 

Berdoly 

Barthou 

Clédou  (2«-  tour). . 

9.117 
9 .  388 
7.696 
7.SS1 
10.184 
11.645 
8.528 

17.438 
16.666 
14.327 
11.986 
15.020 
16.420 
19.327 

11.787 
11.915 
10.219 

8.175    . 
10.791 
12.356 
16.017 

9.117 

9.388 

7.696 

7.881 

10.184 

11.645 

15.320 

» 

» 
» 
» 
» 
)> 

» 

» 

1.959 

» 

» 

» 
» 

» 
» 
» 

Total 

64.439 

111.184 

81.260 

71.231 

» 

1.959 

» 

Cassou    .Team,  né  en  J8l7,  ancien  magistrat,  député  soi'tant,  républicain. 
Quintaa    Justin),  né  en  1813,  docteur-médecin,  cons.  gén,,  député  depuis  1889,  républic 
Legrand    Jules;,  né  en  1857,  professeur  agrégé  au  lycée  BufTon,  député  sortant,  républicain. 
Harriague  St-Martin,  né   en    1849,  propr.,  cons.   général,  député  sortant,  républicain   modéré. 
Berdoly  ÎMartialj,  né  en  1844,  avocat,  conseiller  général,  député  sortant,  républicain. 
Barthou    !  Louis),    né    en    1802,    avocat,    docteur    en    droit,   publiciste,    ministre    des   travaux 

publics  (1894),  ministre  de  l'intérieur  (1896),  député  depuis  1889,  républicain. 
Clédou  (Urbain),  né  en  1841,  docteur-médecin,  cons.  gén.,  député  depuis  1891,  républicain. 


LA    NOUVKIJ.K    CIIAMBUK 


S-7 


Kiimond  BUiiic.                          Alicot. 

Achille  FouM. 

Pédebidou. 

PYRENEES  (HAUTES-)  (  4  clép.). 

VOIX 

obtenues. 

ÉLECTEVIW 

lîÉl'ARTITIOX    DES    .'^L'FFHAGE.-;            || 

(■||;<HiXSri;n'TIOS.S. 

DKl'l'TÉS    ÉLUS. 

Inscrits. 

votants. 

Républ. 

Radie. 

Social. 

Conserv.j 

ÏAUBES    l"''-. 

—       2''. 
Argelès. 
Bagxèues-de-Biu. 

Pédebidou 

Fould  (•-'*■  tour) 

Alicot 

Blanc  (Ed  ) 

8.9U2 
5 .  965 
5 .  709 
9.388 

17.049 
13,437 
11.776 
23.769 

14.114 

11.85.5 

8.748 

18.800 

4  .  984 
5 .  965 
5 .  709 
9.388 

8.902 
5.729 

» 
8.851 

» 

XI 

» 
» 

)) 
» 

Total 

IX 

29.9C4 

66.031 

53.517 

26.046 

23.482 

» 

)i 

Pédebidou    Adolphe  ,  né  en  1854,  docteur-médecin,  conseiller  général,  radical. 

Fould    Achille\  né  en  1S61,  propriétaire  et  sportsman,  député  depuis  1X80,  rallié. 

Alicot     Michel\    né  en    1842,    avocat,    maître  des  requêtes  au  Conseil  d'Etat  (1879;,  conseiller 

f;énéral,  député  de  1876  à  1885  et  depuis  1891,  républicain. 
Blanc    Edmond',   né  en  1856,  propriétaire  de  haras,  députe  sortant,  républicain. 


Escanyé. 


PYRÉNÉESOR 

IENTALES(4d.). 

IIKITIÉS    ÉLU.<. 

VOIX 

obtenues. 

ÉLECTEURS 

KÉl'ARTIÏIOX    DErt    SUFFRAGES            || 

rn;((.ix.-;ci;irTiuXr;. 

inscrits.         votants. 

Républ. 

Radie. 

Social. 

Conserv. 

PEliPIGXAX    l"'. 
CÉRET. 

Pkades. 

Bolland  (2'  tour). 

Bourrât 

Pams 

Escanyé  

5  .511 
6 .  709 
6.632 
6.314 

18.222 
15.884 
13.209 
13.061 

9.592 
9.839 
7.068 
7.929 

)1 
2.871 

» 
6.314 

9.185 

5.511 

6 .  709 

6.632 

» 

3.441 
» 

» 

» 
1.118 

Total 

25.166 

60.376 

34.428 

18.852 

3.441 

1.118 

Rolland    Edouard  ,  né  en  1833,  comptable,  député  depuis  18S9,  républicain  radical  socialiste. 
Bourrât    Jean,  né  en  1859,  inj,'énieur  civil,  conseiller  général,  député  sortant,  radical. 
Pams    Jules  ,  né  en  1852,  avocat,  conseiller  général,  ùéputé  sortant,  républicain  radical. 
Escanyé   Frédéric),  né  en  18.33,  avocat,  cons.  gén.,  député  de  187Gà  1881  et  depuis  1891,  républicain. 


RHIN  (HAUT-)  Territoire  de  BeKorKld.). 
1  ciucoxs(i!ii-nox.           DÉruTÉ  élu. 

VOIX 

obtenues. 

ÉLECTEUHS 

1 
Républ. 

inscrits.    1     votants. 

1         Beliokt.            Viellard 

9.343 

20.923 

17.724 

9 .  343 

Viellard  Armand  ,  né  en  1812,  maître  de  forges,  administrateur  du 
canal  de  Suez,  administrateur  des  forges  de  Châtillon,  Com- 
mentry,  etc.,  fondateur  et  président  de  la  Société  forestière  de 
Franche-Comté  et  Belfort,  conseiller  général,  élu  en  1885,  non  réélu 
en  1889,  député  sortant,  républicain. 


}S78 


LA    NOUVELLE    CH AMBRE 


Genêt. 

Gourd. 

Palix. 

Aynard. 

Colliaril. 

Million. 

Krauss. 

De  Lanessau. 

Fleurj 

-Ravarin. 

RHONE  (11  députés). 

VOIX 

obtenues. 

ÉLKC'i'i-:un.s 

UÉPARTITIOX    DES    SUFFRAUES              | 

CIECOSriCKII'TION.S. 

DKITTErf    KM-S. 

inscrits. 

votants. 

Républ. 

Kadic. 

Social. 

Conserv. 

Lyon  !'<'. 

De  Lanessan  (  2*  t.  ) 

■1.148 

II.IOG 

8..^)  70 

8.265 

» 

204 

» 

—      2'. 

Gourd 

4 .  989 

11.999 

9.547 

4.989 

4.463 

» 

» 

—     3'. 

Bonard  (2«  tour;.. 

4.204 

13.198 

8.839 

3.421 

1.161 

4.204 

» 

—     i^. 

Florent  (2- tour). . 

2.858 

10.326 

6.841 

2.348 

1.739 

2.858 

» 

—      5". 

Erauss  (2''  tour).  . 

3.380 

8 .  553 

6.112 

2.611 

» 

3.380 

» 

—      6I-'. 

Fleury  Ravarin.  .  . 

5.353 

13.125 

9.662 

7.318 

» 

1.086 

)) 

—     7". 

Colllard  (^2'  tour). 

4. 788 

14.179 

9.658 

4.767 

» 

4.788 

» 

—    8^ 

Aynard  

10.388 

27.218 

19.640 

10.388 

7-170 

212 

» 

—      9". 

Genêt  (2''  tour). . . 

12.313 

31.780 

22.408 

11.080 

12.313 

» 

» 

ViLLEFRANC'irE  l^i'. 

Million 

10.(1G5 

23.494 

13.505 

10.665 

» 

1.644 

)) 

—                   2". 

Palix 

10.089 

25.558 

19.045 
133.827 

8 .  548 

•» 

10.089 

» 
» 

Total 

IX 

73   175 

190.53»; 

74.400 

26.846 

28.465 

De  Lanessan  (J.-L.),  né  en  184.'^,  professeui-  agrège  d'histoire  naturelle  à  la  Faculté  de  méde- 
cine de  Paris,  ancien  conseiller  municipal  de  Paris,  ancien  gouverneur  général  de  Tlndo- 
Chine,  auteur  d'ouvrages  scientifiques,  député  de  Paris  de  IXSl  à  1X91,  radical. 

Gourd  (Alphonse),  né  en  1830,  avocat,  nouvel  élu,  républicain  libéral  et  progressiste. 

Bonard  (Alexandre),  né  en  1855,  menuisier,  nouvel  élu,  socialiste. 

Florent  (Alexandre),  né  en  ISiO,  propriétaire,  nouvel  élu,  socialiste. 

Krauss  (Philippe),  né  en  1863,  représentant  de  commerce,  conseiller  municipal  de  Lyon,  nouvel 
élu,  socialiste. 

Fleury-Ravarin,  né  en  1S(51,  docteur  en  droit,  auditeur  au  Conseil  d'État  (1885\  conseiller 
général,  député  sortant,  républicain  progressiste. 


LA    XOl'NKLLE    CIIAMHKK 


liontomps.  De  Sivligiiac-Féiielon. 


Couyba. 


SAONE  (HAUTE-)  (4  députôs). 

VOIX 

obtenues. 

ÉLECTEURS 

r.KPAKTrriOX    DE.S    .«rFKUAOK.-î             j 

CUtCOX.St'UUTIONS.    1         DICITTlis    Kl.rS. 

inscrits. 

votants. 

Républ. 

Kadio. 

Social. 

Conserv. 

Vk.soul. 

GUAY. 

Lfre  1"'. 
—      2<^. 

Bontemps 

Couyba  (2''  tour). . 
llcSaliguaf-Féneloii(2"t.) 
Colle 

13.182 
9.710 
8.592 
8 .  050 

26.689 
19.850 
19.079 
17.921 

17.913 
13.285 
15.969 
14.928 

1.731 
» 

8.592 
8.050 

13.182 
9.710 
7.262 
6.732 

84 
» 
» 

» 

1  693 

» 

1) 

Total 

X 

3fl.r,34 

83.539 

62.095 

18.363 

36.886 

84 

1.693 

Bontemps   (Charles),  né  en  1840,  docteur-médecin,  conseiller  j^énéral,  député    sortant,  radical. 
Couyba    Charles),  né  en  1866,  ag^régé  d'histoire,  député  sortant,  républicain  indépendant. 
De  Salignac-Fénelon,  né  en  1858,  propriétaire,  cons.  gén.,  nouvel  élu,  républicain  progressiste. 
Colle  i  Alfred),  né  en  1847,  ancien  olRcier,  industriel,  nouvel  élu,  républicain  de  gouvernement. 


^:?:?^^ 


SAONE-ET-LOIRE  (9  députés). 

VOIX 

obtenues . 

ÉLECTEURS 

RÉPARTITIOX    DES    SUFFRAGES 

<IHCllX.-;CRIFTION-,S. 

DEI'UTÉS    ÉLUS. 

inscrits. 

votants. 

Républ. 

lladic. 

Social. 

Conserv. 

Macox  1"'. 

AUTUX  l'*". 

—        2'^. 

|C'halon-s.-Saône  l'''- 

Charolles  l'"". 
—          2^ 
LOUHAXH. 

Dubief 

Simyan 

Périer 

Schneider 

Boysset 

GiUot 

Chavet 

Sarrien 

Mathey 

8.871 
6.917 
6.962 
11.948 
13.429 
9.656 
8.047 
12.378 
12.104 

17.207 
15.493 
17.145 
21.281 
26.809 
20.605 
20.563 
19.889 
25.225 

14.125 
11.934 
13.521 
17.253 
14.799 
16.204 
15.574 
13.356 
14.481 

5.145 

)i 

6.962 

15.055 

» 
6.437 
7.179 

» 

» 

8.871 
11.806 

6.327 

» 

13.429 

9 .  656 

8.047 
12.378 
12.104 

» 

80 
» 
2 .  065 

» 
)) 
)) 

)) 

» 

» 
)) 

» 
» 
» 

Total 

90.312 

184.217 

131.247 

40.778 

82.618 

2.145 

» 

Dubief    Feinand  .  né  en   1830.  docteur-médecin,  conseiller  général,  député  sortant,  radical. 
Simyan    Julien  ,  né  en  1850,  docteur-médecin,  cons.  gén.,  député  de  18S5  à  1889,  radical  socialiste. 
Périer  'Germain),  né  en  1847,  avocat,  conseiller  général,  nouvel  élu,  républicain. 
Schneider    Eugène),  né  en  1868,  maître  de  forges,  cons.  gén.,  nouvel  élu,  répub.  indépendant. 
Boysset    ("harles,  né  en  J.S17,  député  à  la  Législative,  1849,  député  depuis  1S7J,  radical. 
GiUot    Léoni,  né  en  1851,  jiroprié taire,  conseiller  général,  député  depuis  1889,  radical. 
Chavet    Emmanuel),  né  en  18 i S,  propriétaire,  cons.  gén.,  nouvel  élu,  républicain  progressiste. 
Sarrien     Ferdinand;,  né   en  1840,  propriétaire,  avocat,  conseiller   général,  ministre  des    postes 

et   télégraphes,  1885,  de  l'intérieur,  1886  et   1888,  de  la  justice,  1887,   de   l'intérieur,    1887, 

ministre  de  la  justice,  1898,  député  depuis  1876,  radical. 
Mathey    Louis),  né  en  1828,  docteur-médecin,  conseiller  général,  nouvel  élu,  radical. 


sso 


LA    NOUVELLE    CHAMBRE 


Cavaignac. 


Gralpin. 


D'Estournelles. 


Caillaux. 


SARTHE  (  5  députés  au  lieu  de  6). 


CIRCON'SCEIPTrONP. 


Le  Maks  V. 

2<'. 

La  Flèche. 

Mamers. 
Saint-Calais. 


DEPUTES   ELUS. 


Rubillard  C-'  tour). 

Galpin 

iriislournfllesiIcCoiislaiil. 

Caillaux 

Cavaignac 


VOIX 

obtenues. 


[) 

y'ii) 

11 

24-t 

13 

126 

12 

929 

12 

653 

ELECTEl'It.S 


inscrits. 


27.6.54 
22.5.54 
27.431 
29.140 
18.232 


125.011 


votants 


1S.74K 
IS.SIS 
23.448 
24.887 
13.562 

99.463 


REPARTITION    DES    SUFFRAGES 


Républ. 


8.601 

7.471 

10.301 

12.929 

» 


Radie. 


9.759 

» 
13.126 

» 
12.653 


35.538 


Coi 

serv 

» 

11 

244 

» 

11 

737 

» 

Rubillard    Anselme),  né  en  1826,  propriétaire,  conseiller  général,   député  sortant,  radical. 
Galpin     (Gaston),  né   en  1851,  avocat,  conseiller    général,   député  depuis  1885,  conservateur. 
D'Estournelles  de  Constant,  né  en  1852,  ministre  plénipotentiaire,  député  sortant,  républicain. 
Caillaux     Joseph',  né   en    18G3,  inspecteur  des   finances,    nouvel   élu,    républicain    progressiste. 
Cavaignac   Godefroy  i,  né  en  1853,  conseiller  général,  ancien  ministre  de  la  marine  et  de  la  guerre, 
député  depuis  1882,  républicain  radical. 


Carquet. 


SAVOIE  (5  députés). 

VOIX 

obtenues. 

Électeurs 

réparittiox  des  suffrages        I 

CIRCllXSCRIPTIOXS. 

députés  élus. 

inscrits. 

votants. 

Répabl. 

Radie. 

Social. 

Couserv. 

c'ha.mbéry  1'^'. 

Albertville. 

moutiers. 

S.-J.-de-Maueiexxe 

Canet 

Perrier 

Forni 

Carquet 

Jouart 

8.148 
7 .  527 
4 . 1.30 
.4.509 
8.725 

20.579 

,  18.703 

9.444 

8.884 

13.809 

16.134 

14.755 

7.843 

7.281 

9.766 

14.621 
4.130 
4.867 
8 .  725 

15.643 

» 

3.636 

» 

» 

» 

» 

2.296 

» 

» 
» 

Total 

IX 

33.039 

71.419 

55 . 779 

32.343 

19.279 

2.296 

» 

Canet  (Félix  ,  né  en   1N.'57,  ancien  notaire,  conseiller  général,  nouvel  élu,  républicain. 

Perrier  (Antoine),  né  en  1836,  avoué  honoraire,  député  depuis  18S9,  répul^Iicain. 

Forni  (Jules),  né  en  1838,  avocat,  député  sortant,  républicain. 

Carquet  (Francis),  né  en  18i5,  avocat,  conseiller  général,  député  depuis  1X89,  républicain. 

Jouart  (Charles),  avocat,  ancien  conseiller  de  préfecture,  cens,  gén.,  député  sort.,  républicain. 


Mercier. 


Chautem])?. 


David. 


SAVOIE  (HAUTE-)  (4  députés). 

VOIX 

obtenues. 

électeurs 

KÉPAPITITIOX    DES   SUFFRAGES 

ciRroxsfRiPTioys. 

députî;s  élus. 

inscrits. 

votants. 

Républ. 

Radie. 

Social. 

Conserv. 

Anxecy. 

boxxeville. 

Saixt-Julien. 

Thoxon-l.-Baixs. 

Berthet 

Chautemps 

David 

12.287 

10.117 

6.877 

8.134 

23.403 
19.990 
18.027 
20.248 

17.027 
11.262 
12 . 550 
13.752 

15.928 

» 

7.477 

8.134 

» 

10.117 

4.647 

» 

» 
» 
» 
306 

)) 

)i 

5.137 

5.137 

Total 

IX 

37.415 

81.668 

54.591 

31.539 

14.764 

306 

Berthet  (Léon),  né  en  1861,  avocat,  conseiller  général,  nouvel  élu,  républicain. 

Chautemps    Emile),   né   en   1850,  ministre  des   colonies,  1894-1895,  député  depuis  1889,   radical. 

David  (Fernand),  né  en  1869,  avocat,  nouvel  élu,  républicain. 

Mercier  (Jules),  né  en  1834,  conseiller  général,  député  sortant,  républicain. 


L\    .Nor  \' i;i.i.i';   cii  .\  m  liH  i-. 


Berger. 
Gras. 


Lerolle. 
Viviani. 


Binder. 
Muzet. 
Puech. 


Chassaing.  Berry. 

Deuys  Cocliin.  Mesureur. 


SEEVE  (46  députés  au  lieu  de  45  ). 

VOIX 

oljteuues. 

ÉLECTKURS 

ItÉI'ARTITIOX    DES    SUFFRAGES             il 

ciucoxsi'uiprioN.s. 

llÉl'UTKS    ÉLU.S. 

iuscrits. 

votants. 

Républ. 

Radie. 

Social. 

C'onserv. 

Pauis  d"  arr. 

-  2         - 
^     3 

__      v     __ 

-  5-     -     l'-'. 

-  5-     -      2'. 

-  6-       -     1". 

-  6-       -     2'. 

-  7-     — 

-  8'       -      1". 
_      g.       _     ._„. 

-  9        -     V  . 

-  9         -     2'. 

Muzet  (2-  tour)  .  . 

Mesureur 

Puech  

Chassaing  (2'  t.). 

Viviani 

Gras  (2"  tour).  .  . . 
Berthelot  (2'-  t.). . 
Prache  (2'-  tour).. 
Lerolle  (2"  tour).. 

D.  Cochin 

Binder 

6.532 
9.18-1 
8.72.Î 
6.U5!) 
5.107 
3.731 
4.847 
7.742 
4.776 
2 .  734 
3.786 
7.229 

14.23."> 

15.493 

21.876 

22.529 

11.721 

12.523 

'      9.577 

12.810 

20.236 

11.490 

6.019 

9 .  723 

14..->63 

11.284 

12.070 

17.059 

16.155 

9.G43 

9.329 

7.049 

9.587 

15.432 

8 .  658 

4..')  20 

7.224 

10.50.') 

5  .  598 
3 .  594 

» 
6.954 
3.036 
3.242 
3 .  242 
4.856 

» 
3 .  604 
1.674 
6.653 
7.229 

5.563 
6.532 
9.184 
8.725 

» 

11 

3.731 

4.286 

7.513 

)) 

» 

2.324 

738 
6.881 

180 
6.050 
5.  227 

)) 

» 

» 
» 

)) 

871 

)) 

» 

» 
16 

)j 

)> 
7.742 
4.776 
2.734 

377 

» 

Berry 

Berger 

A   r.; 

lorler 

76.041 

182.79.-> 

138.575 

49 . 5K2 

47.869 

1 9.076 

16.516 

Muzet    Ak'.xis  .  Ile  en   18  i;?.  ancien  miiniifuclurier  el  jn-ésidenL  du  dinseil  des  priidhomnies  de 

la  Seine,  nouvel  élu,  prof;;ressiste. 
Mesureur    Gustave),  né  en  1817,  dessinateui-  industriel,  ancien  jjrésidcnt  du  (Conseil  municipal 

de  Paris,  minisire  du  commerce  en  1S9j,  député  depuis  1887,  radical. 
Puech    Luuis  .  né  en  1852,  avocat,  vice-prés,  du  Cons.  mun.  de  Paris,  nouvel  élu,  radical  socialiste. 
Chassaing    Henri  ,  né  en  I8r)j,  docteur-médecin,  vice-président  du  Conseil  municipal  de  Paris, 

député  depuis  1889,  radical. 
Viviani    Uené  ,  né  en  18();5,   avocat,  journaliste,  député  sortant,  socialiste. 
Gras     (-liarles  .  né  en   1850,  artiste   lithof,n'aphe.  conseiller  municipal   tle   Paris,  ancien  adjoint 

au  maire  du  X*^  arrondissement,  nniivel  élu,  socialiste. 
Berthelot    .\ndré  .  né  en  18!)2,  professeur,  maître  de  conférciK-es  à  TEcole  des    hautes    études, 

conseillei'  municipal  de  Paris,  nouvel  élu,  socialiste. 
Prache    Laurent),  né  en  185(5,  avocat,  cons.  munie,  de  Paris,  nouvel  élu,  républicain  libéral. 
Lerolle     Paul),  né  en  ISiG,  avocat,  conseiller  municipal  de  Paris,  nouvel  élu,  conservateur. 
Cochin    Denys),  né  en  1851,  ancien  conseiller  municipal  de  Paris,  député  sortant,  conservateur. 
Binder    Maïu-ice).  né  en  1857,  avocat,  ancien  cons.  munie,  de  Paris,  dép.  sortant,  lib.  indépendant. 
Berry    (leoi-f^es),  né  en  185.'3,  avocat,  économiste,  député  sortant,  républicain  modéré. 
Berger    (ît^oi-f^esi,  né  en  18.'V1,  infiéniem'-élcctricien,  propriétaire  viticulteur,  directeur  f,a'néral  des 

Expositions  de  1867,  1878.  1881,  1889,  député  dep.  188'.),  républicain  conservateur  prog-ressiste. 

VIII.  —   5(). 


I.  A    N  O  U  V  E  L  L  E    C II  A  M  B  R  E 


Paschal  Grousset.     Lockroy.  Bernard.  Brisson.  Paulin  Méry.  Humbert. 

Dubois.  Levraurl.  Milleranil.  Groussier.  Baudin. 


SEINE  (4i;  députés  au  lieu  de  -Jô  ).  (  ,'<uih'.  ) 

VOIX 

obtenues. 

ÉLECTEURS 

KÉrARÏlTION    DES    SUFFRAGES             II 

flRCON.SCEIl'TIONS. 

DÉPUTÉS    ÉLUS. 

inscrits. 

votants. 

Képubl. 

Radie. 

Social. 

Conserv. 

Paris  10''  arr.  1"^" 

—  10"    —    2". 

—  11"    —    P". 

—  11"    —    2". 

—  11"    —    3". 

—  12"   —    P". 

—  12"    —    2". 

—  13"    —    P". 

—  13"    —   2". 

—  14"    —    P". 

—  14"    —    2". 

—  15"   —   l"-". 

Report 

Groussier 

Brisson 

Baudin  (2"  tour). . 

Lockroy 

Levraud(2"  tour). 

Millerand 

Grousset 

Bernard  (2"  tour). 

Paulin  Méry 

Girou  (.2"  tour) . . . 
Dubois  (2"  tour).. 
Humbert  (2'  tour). 

7(5.041 
7.236 
G. 917 
5 .  710 
y.43r> 

6.552 
8.791 
6.217 
3.274 
8.480 
7.335 
3.743 
7.653 

182.795 
18.297 
15.278 
12.509 
19.404 
18 . 720 
12.279 
13.136 

8.603 
18.315 
20.635 

9.150 
18.459 

138.575 
14.097 
11.683 

9.021 
15.376 
13.215 

9.905 
10.851 

6.531 
14.692 
14.975 

6.698 
14.818 

49.582 

6.(154 

1.669 

» 

439 
)i 

» 
» 

4.649 

47.869 
)) 
6.917 
5.720 
9.435 
6 .  552 

1.069 
3.274 

>> 
6.431 
7.653 

19.076 
7.236 
1.833 
3.142 
4.032 
6.409 
8.791 
9.243 
3.109 

14.142 

9.930 

118 

5.136 

16.516 
859 

^-1  reporter 

157.384 

367.580 

280.437 

62.393 

94.920 

92.197 

17.375 

Groussier  (Arthur),  x\è  en  1863,  dessinateur-mécanicien,  député  sortant,  socialiste. 

Brisson  (Henri),  né  en  1835,  adjoint  au  maire  de  Paris,  4  septembre  1870.  ministre  de  la  justice, 

président  du  Conseil,  1885,  président  de  la  Chambre,  ministre  de    l'intérieur,  président  du 

Conseil,  1898,  député  depuis  187J,  républicain. 
Baudin  (Pierre),  né  en  1862,  avocat,  ancien  président  du  Conseil  municipal  de  Paris,  nouvel  élu, 

radical  socialiste. 
Lockroy    (Edouard),    né    en    18  40,    publiciste,    ministre    du    commerce,    issj,    de    Tinstruclion 

publique,  1888,  de  la  marine,  1895-1896,  1898,  député  depuis   1871.  radical. 
Levraud  (Léonce),  né   en   18i3,   docteur-médecin,   ancien   vice-président  du   (Conseil  municipal 

de  Paris,  nouvel  élu,  radical  socialiste. 
Millerand  (Alexandre),  né  en  1859,  avocat,  publiciste,  député  depuis  1889,  socialiste. 
Grousset  (Paschal),  né  en  1845,  homme  de  lettres,  député  depuis  1889,  socialiste. 
Bernard  (Paul),  né>  en  1862,  avocat,  ancien  conseiller  municipal,  nouvel  élu,  socialiste  français. 
Paulin-Méry,  né  en  1860,  docteur-médecin,  député  depuis  J889,  socialiste  patriote. 
Girou    (Georges),  né  en  1860,  comptable,  conseiller  municipal  de    Paris,  nouvel    élu,  socialiste. 
Dubois,  né  en  1853,  docteur-médecin,  président   du   Conseil    général    de    la   Seine,    nouvel   élu, 

radical  socialiste. 
Humbert   (Alphonse),  né    en    1844,  journaliste,  président  du  Conseil  municipal    de  Paris,  1893, 

député  sortant,  radical. 


\.\   xorvKi.i.K  en. \MHiti-: 


SS3 


Holtz.  Vaillaut.  Clovis  Hugues.         Chauvière.  Cliarles  Bos. 

Beauregard.         Dejeante.         Ernest  Roche.  Bompard.  Sembat.  Millevoye.  Rouanet. 


SEINE  (  46  députés  au  lieu  de  4.'>  ).  (  Suite.) 

VOIX 

obtenues. 

Éi,Ki:TEtîU.S 

liKl'ARTITIilN    DK.S    SUFFKAGE.S            II 

CIUCOXSCRIPTIOXS. 

DÉPCTÉS    ÉM-S. 

inscrits. 

votants. 

Répul.l. 

Radie. 

.Social. 

Couserv. 

Paris  15"  arr.  S"". 

—  16=    —   1". 

—  16'?    —    2". 

—  il'   —   1"-. 

—  17'    —    2''. 

—  18«=    —    l--'. 

—  18-   —    2-. 

—  18     —    3^ 

—  19-    —    1". 

—  19'    —    2-. 

—  20     —    1-. 

—  20-    -    2-. 

lieport 

Chauvière  (  2  ■  tour  > 
Beauregard  (2- 1.). 
Millevoye  (2- tour) 
Bompard  (2'  tour). 

Roche  

Sembat  (2-  tour). 

Rouanet 

Holtz  (;2'  tour).  . . 
Hugues  (2'^  tour). 

Bos  (2"  tour) 

Dejeante 

Vaillant  (2'tour). . 

157.384 
4.65« 
2.850 
3.178 
4.888 
9 .  598 
5.207 
9.8.58 
5.945 
9.71G 
3.335 
7.081 
7.612 

367..5!S0 
11.471 
10.447 
9.436 
14.084 
24.747 
12.509 
22.771 
16,331 
19.630 
8 .  506 
14.131 
19.279 

280.437 

9.05.5 

7.791 

6.930 

9.700 

19.187 

7.793 

17.039 

11.860 

14.324 

6.387 

11.450 

14.808 

62.393 

» 

2.8.50 

2.746 

4.888 

5.870 

1.567 

)i 

)» 
)i 
20 

94.920 
4.1.52 
2.835 
3.178 
4.626 

» 

J) 

» 
5.94.5 
66 
3.335 

788 
7.030 

92.197 

4 . 6.58 

1.959 

» 

9 

10.726 
5 .  954 

15.915 
5 .  765 
9.716 
2.886 
9.951 
7.612 

17.375 
» 

» 
» 
» 
)) 
4.110 
» 
» 
» 

A  n>2 

)orter 

231.310 

.5.50 .  922 

416.  7lU 

80 . 334 

126.87.5 

167.348 

21.48.5 

Chauvière     Emmanuel,  né    en    1830,  correcteiu"  d'imprimerie,  puijliciste,  consieillcr   municipal 

(le  Paris  en  1888,  député  sorLant,  socialiste. 
Beauregard   Paul  s  né  en  183.3,  professeur  à  la  Faculté  de  droit  de  Paris,  nouvel  élu,  républicain. 
Millevoye    Lucien  ,  né  en  J830,  publiciste,  ancien  magistrat,  ancien  député,  républicain. 
Bompard    Haoul  ,  né  en  1860,  docteur  en   droit,  conseiller  municipal,    nouvel   élu.   républicain 

(le  ccmcenlration. 
Roche    Ernest  ,  né  en  1830,  ouvrier  •graveur,  député  depuis  1883,  radical  révisionniste. 
Sembat    Mai-cel  .  né  en  1862,  avocat,  publiciste,  député  sortant,  socialiste  révolutionnaire. 
Rouanet    (iustave),  né  en  1835,  ancien  conseiller  municipal  de  Paris,  député  sortant,  socialiste. 
Holtz    Ai-mand),  né  en  1867.  ancien  sous-chef  de  bureau  au  ministère  des  colonies,  nouvel  élu, 

radical. 
Hugues   Clovis,  né  en  1831.  homme  de  lettres,  député  de  Marseille,  en   1881,  de  Paris,  en  189.3. 

socialiste. 
Bos    ('.liarlcs  ,  né  en   1862,  journalisle,  conseiller  municipal  de  Paris,  nouvel  élu,  i-adical. 
Dejeante  (VicUjrj,  né  en  1831),  chapelier,  député  sortant,  parti  ouvrier  socialiste  révolutionnnaire. 
Vaillant  (Edouard),  né  en  1840,  ingénieur  civil,  médecin,  conseiller  municipal  de  Paris,  1S84-1S93, 

député  sortant,  socialiste  révolutionnaire. 


88  i 


L  A    N  O  U  V  E  L  L  E    C  H  A  M  P,  H  E 


Wiilter. 


Baulard. 

Goussot. 
Richard. 


Coûtant. 


SEINE  (4 1;  dép.  au  lieu  de  15).  {.Suite)  (1). 

VOIX 

obtenue.?. 

ÉLECTEURS 

IIÉPARTITII.IX    DES    SUFFRAGES 

CntCd.NSCRII'TIONS. 

HÉCUTÉ.S    ihVfi. 

inscrits. 

votants. 

llépubl. 

Badic. 

Social. 

Conscrv. 

S.unt-Dknis  !'■'■. 

—  3"! 

—  4<-. 
'  -              5". 

Sceaux  l'"-. 

—  2<-. 

—  S'-. 

—  41*. 

Renort 

Goussot  (2''  tour.  . 
Walter  (2"'  tour).. 
Renou  (2''  tour). . 
Laloge  {'2"  tour). . 
Ferrand  (2-  tour). 

Richard 

Baulard 

Coûtant 

Gervais  (2>'  tour). . 

2.31.810 
6.419 
12.865 
6.276 
5.876 
!).6'J8 
7.285 
9.124 
9,955 
8.276 

550.922 
18.847 
28 . 550 
17.655 
16.585 
27.2113 
15..S62 
24..S23 
20 . 1 75 
18.475 

416.761 
12.946 
20 . 548 
13.589 
11.890 
19.398 
12.478 
18.365 
15.945 
13,334 

80 . 334 
1.842 
7,202 
4.458 
5.801 

» 

» 
4.618 

)) 
36 

126.875 
)) 
28 
2.616 

» 

9.717 

10.267 

)) 

4.856 

8,276 

167.. 348 

10.780 

12.865 

6,276 

5,876 

9,291 

1 ,  702 

13,035 

10,578 

4.677 

21  485 
)) 

» 

» 

» 
» 

Totii 

307.084 

739.187 

555.264 

104,291 

162,635 

242  424 

91    485 

(1)  Aux  élections  générales  de  1893  le  diiartemant  de  l:i  Seine  a  élu  4.i  députés  ;  en  1898  il  a  été  appelé  à  en  élire  46   en  raison 
dos  résultats  du  dénombrement  de    1S96.  I,.\s  modifications  portent  :  1"  sur  le  IV  .arrondissement  qui  a  pcrilu  1    député  ;  2*  sur  le 
XVI*  arrondissement  qni  a  gagné  1  député  ;  3'  sur  r.irrondissement  de  Sceaux  qui  a  vu  sa  députation  portée  de  3  à  4  représcnt.ants. 

Goussot  (Emile;,  ne  en  1862,  ancien  employé  à    la    prélecture  de   la  Seine,  député  depuis  1889, 

socialisle  révisionniste. 
Walter  (Albert),  né  en  1852,  dessinateur-mécanicien,  député  sortant,  socialisle  révolutionnaire. 
Renou  (Victor),  né  en  18i5,  tailleur  de  pierres,  conseiller  général  de  la  Seine,  1893-1896,  déjjuté 

so  rtant,  parti  ouvrier  socialiste  révolutionnaire. 
Laloge   (Philippe),  né  en  1869,  ancien  instituteur,  négociant,  nouvel  élu,  socialiste. 
Ferrand  (Stanislas),  né  en  1846,  architecte,  nouvel  élu,  socialiste. 
Richard    (Pierre),  né  en  1864,  député  depuis  1889,  socialiste  nationaliste. 
Baulard    (Ferdinand),  né  en  1827,  ancien  industriel,  député  depuis  1889,  radical  socialiste. 
Coûtant  (Jules),  né  en  1854,  mécanicien,  député  sortant,  socialiste. 
Gervais  (Auguste^,  né  en  1857,  publiciste,  ancien  officier,  nouvel  élu,  radical. 


i.A    \()r\i;i,Li;   ciiAMr.HK 


885 


De  Pomereii. 
Bouctot. 


Rispal. 
Rouland. 


.  Ricard. 
Lechevallier. 


De  Montfort. 
Breton. 


Briudeau. 
Goujon. 


SEINE-INFÉFUEURE  (12  députés). 

VOIX 

obtenues. 

ELECTEURS 

I;ÉPAP.TITI(IX   DE.'^    .SrEFUAGES            {| 

CIRCONSlUIPlIONS.    1         DEPITES    Ér.US. 

inscrits. 

votants. 

Républ. 

Radie. 

Social. 

Conserv. 

ROIEN-    1"-. 

—  3''. 

—  4f. 

DrEprK  1'". 

2''. 

Le  Havhe  !"•■. 

—  2'. 

—  3^ 
Neufchatel. 

Y^T.TOT  I"-. 

—  2^ 

Ricard.. . 

7.074 
8 .  659 
6.484 
6.894 
6.128 
5 .  652 
.5.320 
10.767 
7.988 
9.033 
6.. 33  7 
6.216 

15.740 
22.337 
17.166 
17.459 
14.679 
12.785 
16.418 
20.221 
20.681 
20 . 504 
14.110 
12.316 

11.605 
16.014 
13.064 
13.485 
11.548 
11.086 
10.705 
13.168 
16.175 
17.487 
11.420 
9.303 

3.619 
8 .  709 
6.484 

10 . 260 
5 .  307 

11.027 
5 .  320 

10.767 
7.927 
8.347 
6.337 
6.216 

7.674 
7.007 
6.470 

» 
6.128 

)i 
5.054 

» 

» 

» 

7 
» 
» 
2.733 

1) 

1 . 6.38 
30 

)> 

» 
» 
» 
« 

» 
M 

7.998 

9.0.33 

4.828 

)) 

De  Pomereu  (2'- 1.^ 
Goujon  (2''  tour).. 

Quilbeuf 

Breton  (  2<'  tour) . . 

Rouland 

Rispal 

Brindeau 

Suchetet 

Bouctot  (  2'  tour) . 

Lechevallier 

V"  de  Montfort  .  . 

Totaux 

S7.152 

2(t4.416 

155.060 

!)i  1.320 

32.333 

4.408 

21.859 

Ricard     Louis  .   né  en    ls31>.    avocat,   conseiller  f^énéral,   ministre  de   la  justice.    l.s<)2   et  1895, 

ili'-puté  depuis  I8S.Î,  républicain. 
Comte  de  Pomereu    Robert  ,  né  en  isoo.  ])ropriétaire,  cons.  f^énéral,  nouvel  élu.  conservateur. 
Goujon    .Julien  .  né  en   ISôl.  avocat,  député  ilepuis  1.s<.)l>,  républicain. 
Quilbeuf    r.ustave  .  né  en  ISll.  pro])riélaire,  nouvel  élu,  réjjublicain. 

Breton  Ij-nest;.  né  en  1841.  propriétaire  afcricole.  cons.  ^^énéral,  député  depuis  l.ss'.t.  radical. 
Rouland  .Uilien  ,  né  en  1860.  avocat,  propriétaire,  cons.  j^vn.,  nouvel  élu,  républicain  modéré. 
Rispal    -Vu^niste;,  né  en  1836,  né>;ociant  en  métaux,  membre  de  la  Chambre  de  commerce  du 

IIa\re.  député  sortant,  républicain  |)roiiressiste. 
Brindeau    Louis  ,  né  en  isâS,  avocat,  député  sortant,  républicain. 
Suchetet    André  ,  né  en  1849,  j^ropriétaire,  nouvel  élu,  conservateur. 

Bouctot  (îeorpes),  né  en  1853,  propriétaire  rural,  cons.  '^én.,  nouvel  élu,  républicain  proj^ressiste. 
Lechevallier  Ferdinand  ,  né  en  ls4t),  ancien  industriel,  dép.  dep.  issj.  i-épublicain  progressiste. 
Vicomte  de    Montfort  i  Louis  ,  né  en   184o,  propriétaire  aj^riculteur,  conseiller  général,  anc  ien 

oflîcier  d'état-major,  député  depuis  1889,  républicain  indépendant. 


<S8G 


LA    NOUVELLE    CIIAMlîRE 


Ouvré.  Balandreau.  Montant. 


SEINE-ET-WARNE  (6  d.  au  lieu  de  5). 

VOIX 

obtenues. 

ÉLE(_"rEUB.S 

BÉPARTITION    DES    .SITFFRAGE.«            il 

CmCOX.SCKlPTIOXS. 

DÉÏ'U'J'KS    ÉLU!<. 

inscrits. 

votants. 

Rt'publ. 

Radie. 

Social. 

Conserv. 

Melun. 

coulommiees. 

Fontainebleau. 

Meaux  !'■<'. 

2'". 

PllOVlNS. 

Balandreau 

Delbet 

Ouvré 

Menier  (•_"  tour).  . 
Chauvin  (2f  tour).. 
Montaut 

XASi 
(i.470 
10.. 394 
G .  63.5 
r> ,  264 
7.r,64 

19.1.58 
1.).132 
24 ,  7.52 
1.5.178 
12.382 
15.169 

15 .  79.5 
11.738 
20 . 228 
13.107 
10.048 
12.838 

6.865 
5.028 
10.399 
6.635 
4.721 
.5.087 

8.484 
6.470 
8.820 
6.406 

)i 
7.564 

» 
62 
5.264 

)) 

» 

439 

D 

» 
J> 

Total 

X 

44.816 

101.771 

83.754 

38 . 735 

37.744 

5.326 

439 

Balandreau  (Marc),  né  en  1S4.3,  ancien  commissaire-priseur,  députe  sortant,  radicaL 
Delbet  iPierre),  né  en  18.31,  docteur-médecin,  conseiller  général,  député  sortant,  radical. 
Ouvré  (André),  né  en  1852,  ind.,  négoc,  prop.,  cons.  gén.,  député  depuis  1889,  républicain. 
Menier  (Gaston),  né  en  1855,  industriel,  conseiller  général,  nouvel  élu,  républicain  progressiste. 
Chauvin  (Emile),  né  en  1870,  prof,  agrégé  des  fac.  de  droit,  cons.  gén.,  nouvel  élu,  rad. -social. 
Montaut  (Louis),  né  en  1823,  ingén.  des  ponts  et  chauss.,  député  depuis  1885,  radical-socialiste. 


Amodru.  Habert.  Lebaudy.  Cornudet.  Gauthier  (de  Clagny). 

Haussmann.  Berteaux.  Argeliés.  Aimond.  Périllier. 


SEINE-ET-OISE  (10  dép.au  lieu  de  9). 

VOIX 

obtenues. 

ÉLECTEUKS 

RÉPARTITION    DES-  .«UFPRAUES            | 

C  IBCON.S(  :  KIPTIONS. 

DEPUTÉ.S  ÉLUS. 

inscrits. 

votants. 

Républ. 

Radie. 

Social. 

Conserv. 

Vkesailles  1'''. 

2''. 

—          3'-'. 

CORBEIL  !'■'•. 

Étampes. 
Mante.s. 

PON'JOISE   l''''. 

Rambouillet. 

Berteaux. 

Gauthier  (de  Clagiij). 

Haussmann  (2<' tour) . 

Périllier  (2'"  tour). 

Argeliés 

Amodru 

■ Lebaudy 

ï'' Cornudet  lies  tliaiimelles 

Aimond 

Habert 

15.006 
8.844 
5 .  204 
5.618 
5 .  999 
5.773 
8.771 
7.673 
8.521 
8.741 

27.156 
15.031 
17.904 
13.091 
14 . 254 
11.925 
16.855 
18.172 
20.944 
19.595 

22.087 
10.791 
13.694 
10.203 
11.342 
9.943 
13.279 
15.113 
17.336 
15.196 

6.775 
8.844 
8 .  905 
113 
1 .  266 
5.773 
8.771 
7.673 
7.789 
4 .  532 

15.006 

» 

3.932 

5.618 

10.003 
991 
3.845 
7.170 
8.521 
8.741 

» 
» 

734 

» 

17 
n 

720 
1.732 

)) 

» 
4.368 

» 
3.067 

» 

» 

)) 

Total 

X 

80.150 

174.927 

138.984 

60.441 

63.827 

3 .  203 

7.435 

Berteaux  'Maurice:,  né  en  1852,  agent  de  change  à  Paris,  député  sorlant,  radical. 

Gauthier  (de  Clagny),  né  en  1853,  avocat  au  Conseil  d'Etat,  cons.  gén.,  dép.  depuis  1889,  répub. 

Haussmann,  né  en  1847,  avocat,  ancien  député,  républicain  démocrate. 

Périllier  (Jules),  né  en  1811,  avocat,  ancien  député  (1885-1889),  radical  socialiste. 

Argeliés  !.I.-B.),  né  en   1.S02,  avocat,  docteur  en  droit,  député  depuis  1889,  socialiste. 

Amodru  (Laurent),  né  en  1849,  docteur-médecin,  conseiller  général,  député  sortant,  républicain. 

Lebaudy  (Paul),  né  en  1858,  prop.  deraffîn.  de  sucre,  cons.  gén.,  député  depuis  1890,  républicain. 

Vicomte  Cornudet  (Jean),  né  en   1861,  prop.,  licencié  en  droit,   cons.  gén.,  nouvel  élu,  répub. 

Aimond  (Emile),  né  en  1850,  ingénieur,  nouvel  élu,  radical. 

Habert  Marcel),  né  en  1862,  avocat,  député  sortant,  radical  révisionniste  nationaliste. 


LA     X()r\i:i.I.K    {'.UAMHKK 


S87 


De  Beauregard 


Do  T,a  Porte. 


SEVRES  (DEUX-)  C  députés). 

VOIX 

obtenue:^. 

)ii.i;iTKUus 

RÉPAIIIIIION    1)1^   -.llll:\(,l> 

(■li'.riPNSciurnoxs. 

Dl^M'lTlis    KI.VS. 

inscrits. 

votants. 

Répul)l. 

Radie. 

Social. 

Conserv. 

Bi!K!*.-irii!i-:. 

Mkli.k. 
Tarthenay. 

Disleau  (2'  tour). 

De  La  Porte 

Savary  de  B-auregard. 
DeLaChevrelUère. 
Maussabré  (2-  t.). 

7  .S(i5 

7  .25)2 

12.356 

10.859 

11. «52 

50.024 

m.  660 
15.711 
2G.542 
23.76.'5 

25.U16 

15.925 

12.890 
21.409 
20.812 
22 . 238 

7 .  865 
5.413 

» 

9.507 

10.348 

7.858 

7 .  292 

8.465 

» 

« 
» 
» 
48 
» 

» 
12.356 
10.859 
11.652 

34.867 
-J 

Total 

X 

1 10 . 692 

93.271 

33.133 

23.615 

48 

Disleau     Aihicn  ,  m-  on   Isj.i,  avocat,  docteui-  en  droit,  dop.  sortant,    rcpulilicain   prog-ressiste. 
De  La  Porte    .Kniodre  .  ne  en  ISls,  i)r()i)riélaire,  cons.  j^-énéral,  ancien  auditeur  au  Conseil  d'Etat, 

sous-seciclaii'o  diktat  aux  colonies,  1885-1889,  député  de  1877  à  1889,  député  sortant,  radical. 
Savary  de  Beaiiregard  Menri),  né  en  1862,  propriét.  agricult.,  député  sortant,  conservateur. 
Baron  de  La  Chevrellière   Charles  ,  né  en  IS38,  ancien  capitaine  de  cavalerie,  conseiller  j^énéral, 

nou\el  élu.   ré]iul)!icain  libéral  progressiste. 
Marquis  de  Maussabré    Gilberts  né  en  1865,  propr.,  anc.  ofïic,  cons.  gén.,  nouv.  élu,  conserv. 


Coache.       Fiquet.       Cauvin.       Trannoy.       François. 


Saint. 


Gellé. 


SOMME  (9  députés  au  lieu  de  8)  (1). 

obtenues. 

ÉLECTKUIiS 

EÉrARTITION    DE.S   SUFFRAGES            || 

j  ciiiCox.sciai'Tioxs. 

]>ÉrUTÉ.S  ÉLU.s. 

inscrits.    1    votants. 

Républ. 

Radie. 

Social. 

Conserv. 

j           A.MIEN.S    l'". 

Abbevilu:  U''. 
2''. 

DorLLIiNS. 
MOVTDIDIEU. 
PÉROXNE   1". 
—        2'-. 

Fiquet 

Cauvin  (2'  tour). . 
Olive  (,2'-  tonr).. . . 

Coache 

GeUé 

Saint 

Klotz  

Trannoy  

François 

11.258 
6.467 
7.764 
12.730 
10.560 
8.374 
8.121 
6.179 
G.  792 

23.397 
16 . 745 
17.942 
18 . 158 
19 . 722 
14.718 
18.719 
13.964 
16.011 

17.352 
14.026 
15.047 
13.981 
15.900 
12.656 
16.191 
11.287 
12.668 

4.491 

6.467 

7.764 

12.730 

10.. 560 

8.374 

4.746 

6.179 

» 

12.258 

4.929 

77 

» 

3.824 

» 

10.839 

4.561 

8.357 

» 
» 

» 

» 

» 

3.702 

1.096 

2.436 

6.774 

» 

» 

428 
» 
» 

Totau.\ 

78.245 

159.376 

129.108 

61.311 

44.845 

3.702 

10.734 

(1)  Le  département  de  la  Somme  a  gagné  un  siège  depnis  1893.  L'augmentation  porte  sur  l'arrondissement  d'Amiens,  qui  passe     1 

(le  2  à  3  dépiitts.                                                                                                                                                                                                                     | 

Fiquet    .\lphonse  ,  né  en  1841,  ancien  industriel,  député  sortant,  radical. 

Cauvin    Ernest;,  né  en  1x4.3,  industriel,  conseiller  g^énéral,  nouvel  élu,  républicain. 

Olive    .\médée  ,  né  en  1835,  conseiller  d'arrondissement,  nouvel  élu,  radical. 

Coache    Emile,  né  en  1S57,  industriel,  conseiller  général,  député  sortant  républicain. 

Gellé    Ernest  ,  né  en  1845,  ancien  notaire,  conseiller  général,  député  sortant,  républicain. 

Saint   Charles  ,  né  en  1820,  manufacturier,  fdateur  et  tisseur,  député  sortant,  républicain. 

Klotz    L.-L.},  né  en  18(58,  avocat,  publiciste,  conseiller  général,  nouvel  élu,  radical. 

Trannoy    Gustave  ,  né  en  18.37,  avocat,  député  sortant,  républicain. 

François    Eugène),  né  en  1842,  propriétaire,  conseiller  général,  député  sortant,  républicain. 


LA    NOUVELLE    CHAMBRE 


Baron  Eeille.              Compayré 

Xavier 

Reille. 

G  ouzy. 

Andrieu. 

De  Solages. 

TARN  (6  députés). 

VOIX 

obtenues. 

ÉLECTEURS 

RÉrAliTITMN    DES   SUKER 

\(;es 

CIUCONSCRIl'TIOXS. 

DÉPUTÉS    ÉLUS. 

inscrits. 

votants. 

Hépubl. 

IJadic. 

Social. 

C^onserv. 

Albi  l'*". 

S"". 

Castres  V. 
—        2^. 
Gaillac. 
Lavaur. 

Andrieu 

M'"  de  Solages   .  . 

X   Reille 

Baron  Reille 

Gouzy  {•_"■  tdurl..  . 
Compayré  d'"  t.). 

ït.llO 
n.Oun 
8 .  303 
7.180 

17.710 
14.. 587 
21.6.51 
21.747 
20.410 
16.300 

14.175 
11.904 
18.021 
14.719 
16.355 
13.742 

6.778 
6.637 
9.410 

» 
8.020 

» 

7.062 

8.459 
5 .  400 
8 .  303 
7.180 

5.124 
21 

» 

» 

» 
9.069 

)) 
6.238 

TotaHK 

47.661 

112.435 

88.916 

30,845 

36 . 404 

5.145 

15.307 

Andrieu  'Edouard;,  né  en  1862,  nouvel  élu,  radical  socialiste. 

Marquis  de  Solages,  né  en  1862,  propriétaire,  ancien  député,  républicain. 

Baron  Reille  (Xavier),  né  en  1871,  anc.  ollic.  d'artillerie,  cens.  fi;'én.,  nouvel  élu,  républ.  libéral. 

Baron  Reille  (René),  né  en  1835,  président  du  conseil  d'administration  des  mines  de  Carniau.x, 
capitaine  d'état-major,  aide  de  camp  des  maréchaux  Randon  et  Niel,  sous-secrétaire  d'Etat 
au  ministère  de  l'intérieur,  1877,  député  depuis  1869,  conservateur. 

Gouzy  (Paul),  né  en  1833,  capitaine  d'artillerie  démissionnaire,  1872,  nouvel  élu,  radical. 

Compayré  (Emile),  né  en  1851,  avocat,  anc.  ju^e  suppléant,  cons.  gén.,  dép.  sort.,  radie,  social. 


rra\-raii>. 


TARN-ET-GARONNE  (  3  députés). 


L'IRCONSCRIPTIONS. 


montauban. 
Castelsarrasix. 

MOISSAC. 


DEPUTES    ELUS 


Prax-Paris . 
Lasserre. .  . 
Chabrié 


VOIX 

obtenues. 


13 

871 

S 

878 

7 

288 

ELECTEURS 


inscrits. 

31 

.525 

21 

736 

16 

765 

24.456 
18.030 
12.223 


REl'AUTrnON    DES    SUFFRAGES 


Républ. 


» 

8 

901 

7 

288 

» 

9.412 

8 .  765 

y> 

4.253 

» 

Prax-Paris  (Joseph),  né  en  1829,  propriétaire,  conseiller  général,  député  au  Corps  législatif  1869, 

à  l'Assemblée  nationale  1871,  et  à  la   Chambre  sans  interruption,  conservateur. 
Lasserre   (Maurice),   né    en    1862,   avocat,  député   depuis  1889,   républicain  libéral  progressiste. 
Chabrié  (Adrien),  né  en  1855,  avocat,  consul  en  disponibilité,  député  sortant,  républicain. 


LA     N()r\'i:LLK    C,  II  A  M  HHK 


Ferrero. 

Rousse. 

Al  lard. 

Cluseret. 

VAR  (4  députés). 

VOIX 

obtenues. 

ÉLEC 

KURS 

KÉrA  KTinON    DKS    SUFFUAGES            || 

CIRCONSCRIPTIONS. 

DÉrOTES    ÉLU.-;. 

inscrits. 

votants. 

Répulil. 

Radie. 

Social. 

Conserv. 

Dbaguigxan. 
Brigxoles. 
Toulon  1'''. 
—         2". 

AUard  (  2*-  tour  ) .  . 
Rousse  (2>'  tour). . 
Ferrero  (2<'  tour). 
Cluseret  (2<'  tour) . 

9.U68 
7.588 
7.-524 
6 .  319 

2.J.183 
18.012 
21.261 
20.732 

17.521 
11.570 
14.132 
1 1 . 865 

» 
» 

495 

1 7 . 366 

7 .  588 

6.546 

» 

» 

83 

7.524 

11.21U 

» 

3.367 

» 

» 

Totau5 

30 . 499 

8.J.188 

55.088 

495 

31.500 

1S.S17 

3,367 

Allard  Maurice),  ne  en  18(iO,  publiciste,  nouvel  élu,  socialiste. 

Rousse   (Charles),   né   en    1S60,    négociant,    publiciste,    député    depuis    1889,    radical    socialiste. 

Ferrero  (Prosper),  né  en  1859,  conseiller  général,  nouvel  élu,  socialiste. 

Cluseret  l,Paul),  né  en  1823,  ancien  officier,  député  depuis  1888,  patriote  socialiste  indépendant. 


Tourquery  de  Bois.serin. 


VAUCLUSE  (4  députés). 

VOIX 

obtenues. 

ÉLEC- 

•KUIIS 

liÉl'AliTlTION    Di;s   .■^Vl'M'Mt 

m:;i:s 

CII!CONS<l:ll'l'IoNS. 

DÉPUTÉS    ÉLUS. 

inscrits. 

votants. 

Répulil. 

Radie. 

Social. 

t'onserv. 

.\VlG\OX. 

Apt. 

('AltPKNTUAS. 

Oraxgk. 

rourquiTj  de  Roisserin,!''  t. 
Bernard  (  2'  tour  )  . 
Delestrac  (2"  t.). . 
Faure  (2"^  tour).. . 

10.221 
6.403 
0.9114 
9 .  024 

25.348 
15.042 
17.534 
23.556 

18.610 
12.004 
12.370 
17.682 

8.137 
17.460 

10.221 

5.453 

6.904 

146 

0.499 
» 

» 

» 

5 .  396 

Total 

IX 

32 . 55H 

82.080 

60.066 

25 . 603 

22.724 

G.  499 

5.396 

Pourquery  de  Boisserim  Joseph),  né  en  1851,  avocat,  maire  d'Avignon,  député  depuis  1889.  radical. 
Bernard    .Miel:,  né  en  1861,  avocat,  conseiller  général,  nouvel  élu,  socialiste. 
Delestrac  (Gustave),  né  en  J8li,  ancien   magistrat,  ancien   avoué,  avocat,  nouvel   élu,  radical. 
Paul-Faure,  né  en  1852,  avocat,  nouvel  élu,  républicain  radical. 


LA    NOUVELLE    CHAMBRE 


îaudry  il'Asson. 


Gaubert. 


De  Lespinay. 


VENDEE  (6  députés). 

VOIX 

obtenues. 

ÉLEC'X'EUKS 

RÉI'ARTITIOX    DES    .SUFFRAGES             II 

CIRCONSCRirTION.S. 

DÉPUTÉS    ÉLUS. 

inscrits. 

votants. 

Républ. 

Kadic. 

Social. 

Conserv. 

La  RocHE-s-YoN  r  •■ 

FONTENAT-LE-C''  l''*" 

Sabl.-d'Olonnb  !'■'■. 

De  Lespinay 

Bourgeois 

Guillemet 

Deshayes  

Gautret 

De  Baudry  d'Asson.  .  . 

9.33» 
13.613 

9.847 
10.. 547 

7.725 

8.994 

21.492 
26.081 
21.793 
21.644 
17.. 564 
19.772 

18.4.51 
16.477 
19.376 
18.733 
15.026 
16.377 

8.686 
» 

10  547 

14.747 

7.132 

» 
» 
9.847 
» 
» 

» 

9.338 

13.613 

9.322 

7.893 

» 
8.994 

Totaux 

60.064 

128.346 

104.440 

41.112 

9.847 

» 

49.160 

Marquis  de  Lespinay  (Zénobe),  né  en  1851,  propriétaire,  cons.  gén.,  nouvel  élu,  conservateur. 
Bourgeois  (Paul),  né  en  1827,  médecin,  conseiller  général,  député  depuis  1871,  conservateur. 
Guillemet  ((îaston),  né  en  1851,  ancien  négociant,  conseiller  général,  député  depuis  1890,  radical. 
Deshayes  (Prosper),  né  en  18.33,  propriétaire,  cons.  gén.,  député  sortant,  républ.  progressiste. 
Gautret  (Femandi,  né  en  1862,  propriétaire,  nouvel  élu,  républicain. 
De  Baudry  d'Asson  'Léon),  propriétaire,  conseiller  général,  député  depuis  1876,  conservateur. 


Demarçay.  Pain.  Bazille. 


Ridouard. 


Dupuytrem. 


VIENNE  (6  députés). 

VOIX 

obtenues. 

ÉLEC'J'EURS 

RÉPARTITION    DES    SUFFRAGES            1 

CIRCONSCRIPTIONS. 

DÉPUTÉS  ÉLUS. 

inscrits. 

votants. 

Républ. 

Radie. 

Social. 

Conserv. 

Poitiers  l". 
Chatbli.erault. 

CiVRAY. 

LOUDUN. 

MONTMORILLOX. 

Bazille  |2''  tour».. 

Dupuytrem 

Duvau 

Pain 

Ridouard 

Baron  Demarçay. 

7.157 
8 .  531 
9.447 

7 .  035 
5 .  289 

8 .  206 

17.523 
19.951 
20.513 
15.881 
11.878 
20 . 655 

13.726 
16.748 
16.174 
13.428 
9 .  959 
15.927 

25 
8.531 
9.447 
13.307 
4.539 
8.206 

44.055 

7.157 
7.948 

» 

5.289 
6 . 4.50 

» 
» 
6.105 
33 

)i 
)' 

6.138 

G.  235 
IS 

Totaux 

45.665 

106 . 396 

85.962 

26 . 844 

6.253 

Bazille  (Gaston),  né  en  1854,  avocat,  docteur  en  droit,  cons.  gén.,  député  depuis  1892,  radical. 

Dupuytrem  (Raymond),  né  en  1863,  propriétaire,  conseiller  général,  député  depuis  1889,  répu- 
blicain indépendant. 

Duvau  (Jules),  né  en  1855,  banquier,  conseiller  général,  député  sortant,  républicain. 

Pain  (Maurice),  né  en  1866,  avocat,  propriétaire,  conseiller  général,  nouvel  élu,  conservateur. 

Ridouard  (Maxime),  né  en  1865,  propriétaire,  artiste  peintre,  conseiller  général,  nouvel  élu, 
ré]3ublicain  progressiste. 

Baron  Demarçay  (Maurice),  né  en  1847,  propriétaire  agriculteur,  député  en  1881  et  depuis  1889, 
répul)licaiii  progressiste. 


LA    XorXKLLK    CHAMBUK 


S91 


Tourgiiiol. 


Codet. 


VIENNE  (HAUTE-)  (5  députés). 

VdIX 

obtenues. 

ÉLKCTEL-RS 

RÉPARTITION-    DE.S   SUFFR.^.GE.S            || 

(■n:coN-8Ci;ii'iioxs. 

DEPUTES  ELU8. 

inscrits. 

votants. 

Républ. 

Radie. 

Social. 

Conserv. 

Limoges   l''-. 
2'' 
Bellac. 
rochechouart. 

Saint-Yrieix. 

Labussière 

Tourgniol(2'^-tour). 

Gabiat 

Codet 

Boutard 

12.3911 

11.268 

9.13-t 

8.347 

5.983 

26.807 
24.109 
24.375 
15.909 
13.836 

20.704 
17.741 
17.S57 
12.603 
11.046 

8.129 
6.289 
17.736 
4.048 
4.971 

12.390 

» 

» 
8.347 
5.983 

» 

11.268 
» 

» 

» 

)) 

» 

Total 

X 

47.122 

105.036 

79.951 

41.173 

26.720 

11.268 

« 

Labussière  (Louis),  né  en  1853,  entrepreneur,  conseiller  p^énéral,  député  sortant,  radical. 
Tourgniol  (Jules),  né  en  1833,  anc.  profes.  de  philos,  et  d'hist.,  cens,  gén.,  nouvel  élu,  radie,  soc. 
Gabiat    Camille),  né  en  1862,  docteur  en  droit,  cons.  gén.,  nouvel  élu,  républicain  progressiste. 
Codet  ;Jean),  né  en  1832,  industriel    papeterie),  licencié  en  droit,  député  sortant,  radical. 
Boutard  (Baptiste),  né  en  1862,  docteur-médecin,  nouvel  élu,  radical. 


Ferrv.  Krantz. 


Boucher.  Méline. 


Mougin. 


VOSGES  (7  députés). 

voix 
obtenues. 

ÉLECTEURS 

répartition  des  suffrages        I 

Cl  KCONSC  RI  PTIONS. 

DÉPUTÉ.S   ÉLUS. 

inscrits. 

votants. 

Républ. 

Radie. 

Social. 

Conserv. 

ÉrixAL  \". 

MiRECOURT. 

Xeufchateau. 
Re.mire.mo.vt. 
.Saixt-Dié  f'-. 

Krantz 

Boucher  

Mougin 

Comte  d'Alsace . . 

Méline 

Ferry 

Kelsch 

8 .  809 

9 .  030 
9.-588 

10.331 

13.767 

6.933 

5.548 

15.742 
13.195 
17.338 
15.524 
20.913 
15.197 
14.811 

10.422 
9.933 
14.187 
11.614 
15.464 
12.443 
10.884 

8.809 

9.030 

9 .  .588 

10.331 

13.767 

6.933 

10.193 

» 
); 

)) 

5.169 

933 

» 

4.357 

» 

» 

Totaux 

64.056 

112.720 

84.947 

68.651 

5.169 

'.'33 

4.. 35  7 

Krantz  iCamillei,  né  en  1848,  ingénieur,  ano.  maît.  des  requêt.,  député  depuis  1891,  républicain. 
Boucher  Henrv,,  né  en  18  i7.  manufacturier,  conseiller  général,  député  depuis  1880,  républicain. 
Mougin  (.Xavier),  né  en  IS.îT.  industriel,  cons.  gén.,  dép.  dep.  1880,  républicain  de  gouvernement. 
Comte  d'Alsace  iPrince  d'IIénin  Thierry),  né   en   1853,   propriétaire,    ancien   oflicier,   conseiller 

général,  député  sortant,  républicain. 
Méline   i. Iules),  né    en    1838,  conseiller   général,  ministre    de   l'agriculture,    1882,    président    du 

Conseil,   1806,  fondateur  de  Tordre  du  Mérite  agricole,  républicain. 
Ferry  ^Charles  .  né  en  183'i.  conseiller  général,  sénateur   1888-1891  .  député  sortant,  républicain. 
Eelsch  (Maximilien  ,  né  en  18'iî,  industriel,  cons.  général,  nouvel  élu.  progressiste  libéral. 


S92 


LA    NOUVELLE    CHAMBRE 


Villejean. 


YONNE  (,6  fléputés). 

VOIX 

obtenues. 

ÉLECTEURS 

RÉPARTITION    DES    Sm''FRAGES            1 

CIlti'OXSCllIPTIOXS. 

IJEl'UTÉS    ÉLl-t^. 

iuscrits. 

votants. 

Républ. 

Radie. 

Social. 

Couserv. 

AUXERRE    !■■'. 

Martin 

9.(187 

U.r.n; 

12.152 

2.616 

9.087 

,, 

)) 

S"". 

Merlou 

S.  333 

16.644 

12.344 

» 

8.333 

» 

3.617 

AVALLOX. 

Gallot 

5 .  002 

12.842 

10.989 

5 .  309 

5 .  502 

78 

» 

JOIGXY. 

Loup 

12.557 

27.549 

18.892 

5 .  722 

12.557 

» 

)> 

Sexs. 

Cornet 

7.964 

18.835 

15.387 

6.931 

7.964 

» 

321 

TONXERRE. 

6.096 

12.557 

11.179 

4.917 
25.495 

6.096 

» 

» 

Totaux 

49.539 

104.973 

80.933 

49.539 

78 

3.938 

Martin  (Bienvenu),  né  en  1847,  maître  des  requêtes  honoraire,  cons.  ^én.,  tlép.  sort.,  radicaL 
Merlou  (Pierre),  né  en  1849,  docteur-médecin,  cons.  gén.,  député  depuis  1889,  radical  socialiste. 
Gallot  (Albert),  né  en  1845,  imprimeur-éditeur,  conseiller  général,  nouvel  élu,  radical. 
Loup  (Henri),  né  en  1846,  propriétaire  agriculteur,  cons.  général;  député  depuis  1892,  radical. 
Cornet  (Lucien),  né  en  1865,  ancien  négociant,  député  sortant,  radical  socialiste. 
Villejean  (Eugène),  né  en  1850,  pharmacien  en  chef  de  l'Hôtel-Dieu,  à  Paris,  professeur  agrégé 
à  la  Faculté  de  médecine  de  Paris,  conseiller  général,  député  sortant,  radical. 


Etienne.  Drumont. 


Marchai. 


ALGERIE  (6  députés). 

VOIX 

obtenues. 

ÉLECTEURS 

RÉPARTITION-    DE.S    .SUrFR 

VGES 

CIRCOXSCKIPTIOXS. 

IIÉI'OTÉS    ÉLUS. 

inscrits. 

votants. 

Républ. 

Radie. 

Social. 

Conserv. 

Alger  1''^. 

Drumont 

11.503 

20 . 209 

15.723 

1) 

13.892 

1.752 

)) 

—      2". 

Marchai 

6.690 

15.953 

12.602 

4.341 

8.031 

)) 

» 

COXSTANTIXE   ir". 

Morinaud 

5.724 

12.681 

9.687 

4.039 

5 .  724 

» 

» 

o.- 

Thomson 

5.137 

11.249 

6.862 

5.137 

1.200 

» 

)i 

Orax  l''^. 

Faure  (2'^  tour).. . 

5.119 

13.729 

10.097 

4.514 

5.519 

)i 

» 

—      2". 

Etienne 

7.175 

14.219 

11.514 

11.299 

>i 

» 

» 

Total 

IX 

41.408 

88.040 

66.485 

29.330 

34.366 

1.7.-.2 

» 

Drumont    Edouard),  né  en  1844,  journaliste,  nouvel  élu,  républicain  antisémite. 
Marchai  iCharles),' né  en  1849,  publiciste,   conseiller  général,    nouvel    élu,   radical   antisémite. 
Morinaud  (Emile),  né  en  1865,  avocat,  publiciste,  cons.  gén.,  nouvel  élu,  radical  socialiste  antijuif. 
Thomson  (Gaston),  né  en  1848,  publiciste.  député  depuis  1877,  républicain. 
Faure  (Firmin),  né  en  1864,  avocat,  nouvel  élu,  radical  antijuif. 

Etienne  (Eugène),  né  en   1844,   sous-secrétaire   d'Etat  des  colonies   (1888,    1889-1890),   vice-pré- 
sident de  la  Chambre,  député  depuis  1881,  républicain. 


LA    NOUVELLE    CIIAMHUE 


Gerville-Réache 

Le  Myre  de  Yillers. 

Bruuet. 

D'Agoult. 

De  Mahj. 

Guibert 

snay. 

Henrique. 

COLONIES  (10  députés). 

VOIX 

obtenues. 

ÉLECTEUR.? 

ItÉPARTITION    DE.S    ,';UFFRAGE.-<             || 

CIRCOXSCRU'TIOSS. 

DÉPUTÉE   ÉLUS. 

inscrits. 

votants. 

Républ. 

Radie. 

Social. 

Couscrv. 

)) 

5.329 

» 

M 
» 

)) 
» 
» 
» 

Martinique  l'''. 
Guadeloupe   1". 
La  Réunion  l''. 

—               2e. 

ikde  française. 

La  Guyane. 

Le  Sénégal. 

cochixchine  fran. 

Duquesnay 

Guibert 

Gerville-Réache    . 

Legitimus 

Brunet 

De  Mahy  

Henrique-Duluc  . . 

Ursleur 

D'Agoult 

Le  Myre  de  Vilers. 

6.497 
.-..329 
6.004 
h .  SOO 
î) .  3.59 
9.800 
31.776 
1.393 
2.89.5 
953 

23.446 

21.024 

14.872 

22.871 

14.183 

21.744 

GO. 30 7 

4.-564 

9.224 

2 .  422 

11.665 
9.295 
8.665 

10.184 
9.289 

13.096 

49.311 
2.602 
5.413 
1.477 

6.497 
4.010 

» 

» 
3.818 
9 .  800 
49.264 
1.393 
5 .  406 
1.215 

5 .  158 

» 
6.004 
3.875 
5.359 
3.950 
9 

» 

» 

» 
2.645 
5.800 

» 

» 

» 
1.163 

» 

135 

Totau 

7.5.806 

194.657 

120.997 

81.403 

24 . 355 

9.743 

5.329 

Duquesnay    Osman),  né  en  1846,  docteur-médecin,  conseiller  g:énéral,  républicain  prog:ressiste. 

Guibert    Denis),  né  en  lSi4,  publiciste,  nouvel  élu,  républicain  libéral  prog-ressiste. 

Gerville-Réache  (Gaston  ,  né  en  1S54,  avocat,  député  depuis  ixsi,  radical. 

Legitimus,  conseiller  g^énéral,  nouvel  élu,  socialiste. 

Brunet    Louisi,  né  en   18  i7,  président  du   conseil  général,  député   sortant,   républicain   radical. 

De    Mahy     François  ,    né   en    18.30,  docteur-médecin,    ministre    de    l'agriculture     1882    et    18S3\ 

ministre  intérimaire  de  la  marine    188-3),  ministre  de  la  marine   (1887),   ancien   questeur  de 

la  (Chambre  et  vice-président,  député  depuis  1871,  républicain. 
Henrique-Duluc  (Louis),  né  en  1852,  journaliste,  anc.  offîc.  de  chass.,  nouvel  élu,  républicain. 
Ursleur    Henri),  né  en   1837,  avocat,  président  du  cons.   gén.,  nouvel  élu,  républicain  radical. 
D'Agoult    Eniile-Hectori,  né  en  1861,  ancien  ofïicier  de  marine,  nouvel  élu,  républicain. 
Le  Myre  de  Vilers  (Charles,,  né  en    1833,   ancien  officier  de   marine,   ancien  préfet,  conseiller 

d'Etat,  gouverneur  de  la  Gochinchine,  ministre  plénipotentiaire  à  Hué,  résident  général  à 

Madagascar,  ambassadeur  honoraire,  député  depuis  1889,  républicain. 


LA  BEAUTÉ  ET  SON   HYGIENE 


«  Les  jolies  femmes  meurent  deux 
fois  »,  a  dit  Fontenelle.  11  est  certain  que 
la  femme  a  pour  devoir  de  conserver,  le 
plus  tard  possible,  l'aristocratie  de  la 
beauté,  c'est-à-dire  la  perfection  rendue 
intelligible  par  la  forme.  Restant,  pour 
ma  part,  dans  le  domaine  purement  mé- 
dical, ainsi  que  je  Tai  fait  dans  mes 
divers  ouvrages  sur  l'esthétique  fémi- 
nine, je  tiens  à  apporter  aux  aimables  lec- 
trices du  Monde  Moderne  quelques  con- 
seils pratiques,  exclusivement  basés  sur 
l'expérience  journalière  :  je  leur  parlerai, 
aujourd'hui,  du  teint  et  des  cheveux. 

Hygiène  du  teint.  —  Le  teint  est 
l'élément,  fragile  par  excellence,  de  la 
beauté  faciale.  Il  importe  donc  de  sa- 
voir le  soigner  et  de  l'entourer  pieuse- 
ment des  ménagements  indispensables. 
Chacun  sait  combien  la  lumière  inten- 
sive influe  sur  la  pigmentation  de  notre 
revêtement  cutané.  C'est  pourquoi  les 
gants,  les  ombrelles,  les  voilettes  jouent 
un  rôleincontestablepourla  conservation 
d'une  peau  claire.  Le  teint  hâlé  et  pain 
d'épices  des  Japonais  est  proverbial, 
n'est-ce  pas?  Eh  bien!  les  Japonaises  de 
la  caste  élevée  possèdent  le  teint  blanc 
rosé  des  plus  charmantes  Anglaises  : 
c'est  qu'elles  ne  sortent  que  fort  rarement 
et  jamais  sans  être  masquées  de  voiles 
épais.  J'ajouterai,  en  passant,  que  ce  sont 
surtout  les  pays  à  chaleur  humide  et  à 
radiation  lumineuse  vive,  qui  pigmentent 
la  peau  jusqu'à  la  noircir.  Les  Cubaines, 
les  Brésiliennes,  sont  souvent  déses- 
péi'ées  de  ces  pigmentations  faciales  et 
accusent,  à  bon  droit,  leur  climat  de 
ces  crimes  de  lèse-beauté. 

Contre  ces  teintes  anormales  (laides 
surtout  par  leurs  inégalités),  j'ai  con- 
seillé, avec  succès ,  le  traitement  sui- 
vant :  trois  fois  par  jour,  appliquer  sur 
la  partie  pigmentée  une  mixture  com- 
posée de  :  savon  médical  pulvérisé,  jus 
de  citron,  eau  oxygénée,  parties  égales 
(mêlez)  ;    laisser   en    contact   vingt  mi- 


nutes environ,  puis  laver  avec  la  tein- 
ture d'eucalyptus. 

Toute  médaille  a  son  revers.  Bien  des 
personnes  se  plaignent  d'avoir  une  peau 
trop  pâle.  Le  visage  s'en  fatigue  et  s'en 
décrépit  plus  vite  :  les  rides  y  creusent 
prématurément  d'ineffaçables  sillons.  Je 
prescris,  dans  ce  cas,  les  grands  bains 
de  son  tièdes,  additionnés  de  60  grammes 
d'acide  phénique  par  bain  ;  à  l'intérieur, 
je  fais  prendre,  avant  chaque  repas, 
vingt  gouttes  de  :  teintures  de  gelsé- 
mium,  viburnum  et  jaborandi  (parties 
égales).  Localement,  je  préconise  les 
lotions  froides  du  visage  avec  de  l'eau 
bouillie  aiguisée  d'un  peu  de  chloral  ou 
d'acide  chlorhydrique.  Si  les  rides  ont 
déjà  commencé  leur  funèbre  travail  de 
termites,  on  peut  retarder  l'apparition 
de  ces  stigmates  de  déchéance,  avec  les 
badigeonnages  suivants  :  teinture  de 
baume  de  la  Mecque  00  grammes,  glycé- 
rine 20  grammes,  alun  calciné  4  grammes. 

Les  peaux  transparentes,  du  type  roux 
ou  vénitien,  sont  particulièrement  pré- 
disposées, sous  la  morsure  des  rayons 
solaires,  aux  éphélides  ou  taches  de 
rousseur.  Jai  donné,  dans  mon  Hygiène 
de  la  beauté,  de  nombreuses  formules 
contre  ces  taches.  Je  n'y  reviendrai  pas; 
mais  je  tiens  ici  à  mettre  mes  lectrices 
en  garde,  une  fois  de  plus,  contre  les 
laits  antéphéliques  et  autres  prépara- 
lions  courantes  :  outre  leurs  dangers 
toxiques,  dus  au  sublimé,  ces  prépa- 
rations jouent,  à  mon  avis,  le  plus  grand 
rôle  pour  la  pousse  importune  des  mous- 
taches   et    autres    productions  pileuses. 

Souvent  héréditaire,  la  congestion  du 
teint  aboutit  finalement  à  la  couperose, 
ce  cauchemar  de  toutes  les  femmes.  Ici, 
le  traitement  est  souvent  long  et  minu- 
tieux ;  il  réclame  la  patience  et  la  per- 
sévérance, qui  sont  rarement,  hélas  !  des 
vertus  féminines... 

Lorsque  le  teint  présente  des  ten- 
i    dances   congestives,    il  faut    éviter    les 


LA    HEAUTK    KT    SON    IIVGIK.NK 


895 


plaisirs  tic  la  lablo,  les  dîners  en  ville, 
Texag'éralion  du  régime  carné,  Fnsage 
du  {j^ibier,  des  huîtres,  des  conserves, 
des  aliments  gras.  Mieux  vautnemanger 
de  la  viande  qu'à  un  repas  seulement  et 
se  contenter,  pour  les  autres,  de  laitage, 
œufs,  légumes,  pâtes.  On  préférera  les 
viandes  blanches  et  le  poisson  d'eau 
douce.  Comme  boisson,  la  meilleure  est 
une  bière  de  malt  pauvre  en  alcool. 

Bien  que  Tair  extérieur  semble,  dans 
certains  cas,  aggraver  la  congestion  du 
teint,  il  faut  préférer,  à  la  réclusion,  une 
vie  active  au  dehors.  Matin  et  soir,  des 
frictions  sur  tout  le  corps  avec  Talcool 
absolu,  une  douche  froide  de  pieds 
d'une  minute  feront  le  plus  grand  bien. 
En  outre,  j'ordonne,  chaque  matin, 
l'usage  dune  poudre  laxalive,  ainsi  com- 
posée :  acide  benzoïque,  bicai'bonate  de 
soude,  phosphate  de  soude,  soufre  lavé 
et  magnésie  lourde,  parties  égales  (une 
cuiller  à  café,  dans  un  peu  de  thé  léger). 
Avant  chaque  repas,  je  fais  prendre  dix 
gouttes  d'une  teinture  composée,  à  par- 
ties égales,  d'ergot,  noix  vomique,  digi- 
tale, hamamelis  et  hydrastis. 

Localement,  il  faut  faire ,  plusieurs 
fois  par  jour,  des  pulvérisations  très 
chaudes,  avec  une  solution  concentrée 
d'hyposulfite  de  soude.  Ce  traitement 
stimule  la  circulation ,  déterge  les 
glandes  sébacées ,  décongestionne  le 
derme  et  le  dégorge,  en  quelque  sorte. 
Mais,  s'il  existe  des  varicosités  (déve- 
loppements de  vaisseaux),  on  ne  saurait 
les  détruire  qu  en  les  supprimant  radi- 
calement. Cette  période  avancée  de  la 
couperose  est  donc  exclusivement  sous 
la   dépendance    de    la   petite  chirurgie. 

Toutes  les  fois  que  la  peau  est  gon- 
flée, rouge,  chaude,  cuisante  et  prurigi- 
neuse, il  faut  la  lotionner  d'eau  boriquée 
concentrée  tiède  ou  l'oindre  largement 
de  cold-cream  bien  frais,  additionné 
d'un  cinquantième  d'oxyde  de  zinc.  On 
calme  ainsi  1  irritation  aiguë,  mieux 
qu'avec  des  cataplasmes. 

Cest  ainsi  que  je  procède  dans 
l'eczéma.  Caractérisé,  le  plus  souvent, 
par  une   dénudation    vésiculeuse   de   la 


peau,  avec  exsudât  tle  sérosité,  l'eczéma 
réclame  des  émollienls  exclusifs  dans  sa 
j)ériode  aiguë  et  inflammatoire.  Toute- 
fois, je  l'ai  vu  avorter  assez  fréquem- 
mant  par  les  lotions  d'eau  distillée  d'ha- 
mamelis  additionnée  d'acide  salicylique 
au  centième,  dès  que  l'irritation  aiguë 
du  début  a  été  calmée. 

Que  de  fois  ne  vois-je  point  l'eczéma 
du  visage,  causé  par  l'emploi  de  mau- 
vais savon,  d'une  eau  de  toilette  irri- 
tante, de  certaines  poudres  de  riz  ou 
crème  dites  de  beauté,  de  l'emploi  habi- 
tuel des  teintures,  des  épilaloires,  etc.  !  Il 
faut  savoir  dépister  ces  causes  locales  :  car 
nos  clientes  sont  un  peu  de  l'école  d'.Avi- 
nain  ;  elles  n'aiment  guère  à  avouer... 

En  dehors  des  causes  locales,  un  dé- 
fectueux état  général  prédispose  évi- 
demment aux  éruptions  eczémateuses. 
Le  mauvais  estomac  et  surtout  la  con- 
stipation habituelle  se  retrouvent  vo- 
lontiers parmi  les  com-mémoratifs.  Mais 
l'eczéma  afîectionne  surtout  les  personnes 
arthritiques,  issues  de  parents  goutteux 
ou  rhumatisants,  migraineux,  asthma- 
tiques, hépatiques,  diabétiques,  etc. 
L'usage  du  poisson  de  mer,  des  mol- 
lusques, des  crustacés,  des  sucreries  et 
des  salaisons,  des  viandes  noires,  des 
fromages  forts  et  des  conserves  en  gé- 
néral, prédisposent  ces  sujets  aux  érup- 
tions. Parmi  les  médicaments  qui 
poussent,  comme  on  dit,  à  la  peau,  il 
faut  citer  surtout  les  iodures  et  les  brr»- 
mures,  1  antipyrine  et  le  chloral. 

Enfin,  il  est  incontestable  qu'un  choc 
moral  violent  peut,  par  l'intermédiaire 
du  système  nerveux,  notre  grand  rec- 
teur organique  .  solliciter  l'apparition 
de  l'eczéma.  La  présence  du  sucre  dans  le 
sang,  les  sueurs  acides,  riches  en  acide 
urique,  les  troubles  de  nutrition  locale 
causés  par  les  varices,  se  retrouvent  aussi 
parmi  les  causes  de  cette  dermatose  si 
commune  qu'elle  a  pu  être  définie  :  la 
pierre  angulaire  de  la  dermatologie. 

Non  seulement  l'eczéma  nuit  souve- 
rainement à  l'esthétique  féminine,  mais, 
par  les  démangeaisons  qu'il  détermine, 
il  entraîne  souvent  l'insomnie,  l'épuisé- 


896 


LA    BEAUTÉ    ET    SON    HYGIENE 


ment  nerveux,  ramaigrissement.  J'ai 
même  vu  rexallalion  ou  la  dépression 
psychique  aller,  par  sa  faute,  jusqu'à  la 
folie  et  au  suicide... 

l^]n  dehors  d'un  traitement  général 
approprié  à  la  cause  présumée  de 
l'eczéma,  il  faut  calmer  les  fourmille- 
ments ,  chatouillements  et  cuissons  : 
c'est  toujours  pour  cela  que  les  malades 
réclament  d'abord  l'intervention  du 
spécialiste.  Trois  fois  par  jour,  je  fais 
prendre  un  cachet  composé  de  0~'',50 
de  salophèue  et  0'-''',50  de  chlorure  de 
calcium.  Localement,  je  prescris  des 
onctions  au  ^lycérolé  tartrique,  suivies 
de  poudrage  avec  deux  tiers  d'amidon 
et  un  tiers  de  carbonate  de  magnésie. 
Dès  que  la  peau  se  dessèche  et  sexfolie, 
je  remplace  celle  médication  locale  par 
des  onctions  d'huile  de  lin  salicylée  au 
centième. 

Les  eczémas  des  lèvres  sont  surtout 
désagréables  et  rebelles.  Ils  entraînent  de 
douloureuses  gerçures  :  lorsque  la  lèvre 
est  tiraillée  et  fendillée  sous  leur  action, 
le  plus  doux  sourire  se  transforme  aisé- 
ment en  une  diabolique  grimace.  Pour- 
quoi la  lèvre  inférieure  est-elle  plus  su- 
jette aux  irritations?  C'est  que  son 
revêtement  est  plus  mince  et  que  son 
plus  grand  renversement  l'expose  da- 
vantage anx  influences  extérieures. 

Un  petit  conseil  en  passant  :  je  ne 
connais  guère  d'habitude  plus  stupide 
que  celle  qui  consiste  à  se  mordre  et  à 
se  sucer  les  lèvres,  à  tout  instant,  dans 
le  but  de  faire  grossir  et  de  rubéfier  ces 
organes.  Ce  tic  disgracieux  est  une  cause 
des  plus  fréquentes  d'eczéma  labial. 

Chez  certaines  personnes  nerveuses, 
on  observe  parfois  des  sueurs  colorées 
sur  la  peau  des  paupières.  C'est  ce  qu'on 
nomme  la  chromidrose.  On  guérit  cette 
bizarre  affection,  par  des  onctions  avec 
1  gramme  d'acide  phénique  pour 
00  grammes  de  glycérolé  d'amidon. 

Que  faire  quand  les  sourcils  tombent? 
Un  constate  souvent  alors  que,  en 
même  temps  que  les  poils  s'atrophient, 
dévient  et  se  hérissent,  la  peau  de  la  ré- 
gion sourcilière  devient  rouge,  l'âpeuse, 


grenue.  C'est  la  kératose  pilaire,  plus 
accentuée  l'hiver  que  l'été  et  commune 
chez  les  femmes  lympho- arthritiques. 
Les  cures  d'eaux  sulfureuses  et  les  onc- 
tions de  glycérine  boratée  additionnée 
d'un  quart  d'huile  de  cade  triomphent 
de  cette  disgracieuse  alopécie,  qui  nous 
servira  de  transition  pour  quelques  con- 
seils sur  l'hygiène  de  la  chevelure. 

On  évite  la  chute  des  cheveux,  en 
ayant  soin  de  ne  jamais  comprimer  le 
cuir  chevelu  et  d'éviter  notamment  les 
coiffures  trop  lourdes  ou  trop  serrées, 
qui  entravent  la  circulation  et  la  nu- 
trition locale  du  bulbe  pileux.  La  fri- 
sure et  l'ondulation,  qui  tirent  constam- 
ment sur  le  cheveu  sont  de  puissantes 
causes  de  calvitie  pour  le  sexe  féminin... 

Les  lotions  aqueuses  font  tomber  les 
plus  belles  chevelures  ;  les  lotions  alcoo- 
liques les  durcissent  et  les  blanchissent; 
les  corps  gras  irritent  le  cuir  chevelu  et 
prédisposent  à  la  séborrhée.  Mais  une 
grande  cause  de  calvitie,  pour  le  sexe 
féminin,  réside  dans  les  teintures,  sur- 
tout dans  celles  à  base  d'eau  oxygénée 
ou  de  nitrate  d'argent,  les  premières 
principalement,  toujours  si  à  la  mode. 
De  tout  temps,  les  esthètes  vantèrent  les 
cheveux  flavescents  ou  fuloïdes.  Remar- 
quons même  que  le  mot  anglais  fair 
signilie  à  la  fois  beau  et  blond... 

Quant  à  l'action  des  teintures  sur  la 
chute  des  cheveux,  elle  est  également 
connue  de  toute    antiquité. 

Ausone  rapporte  que  le  sculpteur 
Miron,  mal  reçu  par  la  courtisane  Lais, 
attribua  sa  disgrâce  à  ses  cheveux  blancs  : 
il  se  fit  teindre  et  se  présenta  à  sa  belle 
sous  l'allure  d'un  jeune  homme.  Mais 
Laïs  réconduisit  plaisamment,  en  lui 
disant:  «  Sot  que  tu  es,  comment  peux-tu 
me  demander  ce  que  je  n'ai  point  ac- 
cordé à  ton  père?   -> 

Celte  petite  histoire  s'adresse  aussi  au 
beau  sexe.  Jamais  aucune  teinture  ne 
saurait  s'harmoniser  avec  le  visage  :  une 
femme  teinte  porte  (suivant  le  mot  d'un 
autre  ancien)  le  mensonge  sur  la   tête  ! 

D'     E.     MOMN. 


NEUF  JOURS  AU  DÉSERT  EGYPTIEN 


Peadant  le  séjour  que  je  lis  à  Suez,  à 
mon  retour  de  la  Mecque,  comme  j'avais 
quelques  jours  à  attendre  le  passage  du 
navire  qui  devait  me  rapatrier,  il  me 
vint  l'idée  d'essayer  de  retrouver  les 
traces  des  antiques  voies  de  communi- 
cation qui  devaient  réunir  Memphis  et 
les  villes  du  delta  égyptien  à  la  mer 
Rouge. 

J'avais  été  frappé  des  difficultés  de 
la  navigation  dans  le  golfe  de  Suez  pour 
les  embarcations  à  voile. 

Très  resserré,  le  golfe  de  Suez  est 
battu  presque  exclusivement  par  les 
vents  du  nord  pendant  plusieurs  mois 
de  l'année. 

C'est  donc  du  vent  debout  pour  les 
navires  venant  des  Indes  et  de  l'Arabie 
et,  comme  les  côtes  sont  très  rappro- 
chées, il  est  presque  impossible  de  tirer 
des  bordées  pour  remonter  le  vent. 

De  nos  jours,  comme  dans  l'antiquité, 
les  barques  doivent  donc  renoncer  à 
faire  usage  de  leurs  voiles,  et  les  marins 
se  trouvent  dans  la  dure  nécessité  de 
franchir  péniblement  à  la  perche,  c'est- 
à-dire  en  poussant  sur  le  fond  avec  de 
grandes  perches,  une  distance  de  près 
de  soi.xante  milles. 


Il  faut  trois  jours  de  pénibles  elTorts 
pour  elîectuer  ce  trajet. 

Les  marins  de  l'antiquité  avaient 
donc  un  intérêt  considérable  à  atterrir 
à  l'entrée  du  golfe  de  Suez,  d'autant 
plus  qu'à  la  pointe  de  Zaffarana,  par 
exemple,  ils  se  trouvaient  presque  à  la 
hauteur  du  Fayoum  et  de  Memphis, 
tandis  qu'en  poussant  jusqu'à  Suez  ils 
auraient  dépassé  au  nord  ces  deux  points 
et  auraient  fait  ainsi  un  long  et  inutile 
détour. 

Zaffarana  paraît  donc  logiquement 
avoir  dû  être  le  point  choisi  pour  Tat- 
terrissement  des  navires  remontant  la 
mer  Rouge,  et  cette  hypothèse  est  d'au- 
tant plus  vraisemblable  que  toutes  les 
conditions  nécessaires  se  trouvent  réu- 
nies :  une  petite  crique  très  commode 
pour  les  navires  à  faible  tirant  d'eau; 
un  promontoire  pour  les  abriter  du 
vent  ;  une  montagne  pour  adosser  un 
village  ou  une  forteresse  :  une  source 
pour  l'approvisionnement. 

J'avais  donc  résolu  d'aller  sur  place 
étudier  à  fond  cette  question. 

Mon  ami  Mauran,  employé  à  la  Com- 
pagnie du  canal,  consentit  à  m'accompa- 
gner,  et  quatre  chameaux,  deux  guides. 


VIII.  —  57. 


898 


NEUF    JOURS    AU    DÉSERT    ÉGYPTIEN 


uu  domestique,  les  armes,  vivres  et 
munitions  nécessaires  furent  bientôt 
réunis  et  nous  partîmes. 

«  Le  désert  de  ZafTarana  est  la  patrie 


des  grands  fauves  et  des  vipères  à  cor- 
nes »,  me  dit  le  cheik  des  chameliers 
dé  Suez,  charg-é  d'organiser  notre  petite 
caravane. 

((  Méfie  toi  bien  sur  ta  route  —  avait-il 
ajouté,  —  méfie-toi  surtout  de  deux 
tribus  bédouines,  les  Jaoutat  et  les  7a- 
rabine,  que  tu  traverseras.  Mais  aie 
toute  confiance  dans  les  guides  que  je 
te  donne  et  dont  je  réponds  sur  ma  tête; 
ils  te  conduiront  sans  aucun  danger  là 
où  tu  voudras  aller.  » 

Cette  confiance  est  d'ailleurs  la  seule 
sauvegarde  pour  qui  veut  voyager  en 
sécurité  à  travers  le  désert,  et  le  mal- 
heureux de  Mores  a  été  cruellement 
puni  de  ne  pas  avoir  suivi  cette  ligne 
de  conduite  si  prudente  et  si  sage... 

Je  ne  vous  ferai  pas  le  l'écit  détaillé 
de  notre  excursion  charmante  de  neuf 
jours  à  travers  le  désert  égyptien  et  je 
n'essayerai  surtout  pas  de  vous  décrire 
le  charme  de  ces  grandes  solitudes 
mortes;  il  faut  l'avoir  éprouvé  pour  le 
comprendre  ;  il  serait  en  tout  cas  para- 
doxal d'en  vouloir  exalter  la  beauté  à 
des  civilisés.  Ainsi  des  douceurs  de  la 
navigation  à   chameau,  ou  du  bonheur 


de  se  coucher  à  la  belle  étoile  sur  un 
épais  lit  de  sable  moelleux,  et,  cepen- 
dant, je  dois  dire  que  nul  plus  que  moi 
n'apprécie  toutes  ces  choses  à  leur  juste 
valeur  et  ne  les  aime 
plus  profondément. 

Le  chameau  d'a- 
bord, cet  animal  pro- 
videntiel fait  pour  le 
désert,  le  chameau 
ridicule,  le  chameau 
récalcitrant,  dont  les 
attitudes  sont  grotes- 
ques, mais  dont  le 
cœur  est  bon,  le  cha- 
meau qui  se  plaint 
sans  cesse  quand  on 
le  charge  ou  quand 
on  le  décharge,  en  se 
levant  et  en  se  cou- 
chant, mais  qui  mar- 
che sans  trêve,  vivant 
de  rien,  sans  manger 
ni  boire  pour  ainsi  dire,  l'unique  mon- 
ture possible  dans  ces  pays  de  désola- 
tion, dans  ces  solitudes  sans  fin. 

Les  nôtres  étaient  d'une  sobriété 
extraordinaire.  Tout  le  long  de  la  route 
ils  broutaient  quelques  brindilles  d'her- 
bes amèrés  ou  des  tiges  rabougries  d'ar- 
brisseaux épineux.  Aux  étapes,  le  soir, 
on  leur  distribuait  quelques  petites 
poignées  de  fèves  sèches,  et  ils  sont  res- 
tés jusqu'à  quatre  jours  sans  boire  ! 

J'ai  reproduit  quelques-unes  de  leurs 
attitudes  les  plus  bizarres  pour  illustrer 
le  présent  récit,  et  les  lecteurs  du  Monde 
Moderne  pourront  ainsi  se  convaincre 
que  je  n'exagère  pas  quand  je  dis  que 
le  chameau  est  avant  tout  un  animal 
ridicule  et  invraisemblable! 

Pour  ce  qui  est  maintenant  des  nuits 
passées  à  la  belle  étoile,  mon  ami 
Mauran  pourrait  attester  avec  moi 
qu'elles  furent  pour  nous  délicieuses  ; 
car,  après  une  journée  de  marche  sous 
l'accablante  chaleur,  il  n'est  pas  de 
plaisir  mieux  goûté  que  celui  de  s'al- 
longer dans  la  nuit  tiède  et  douce  sur 
un  sable  fin,  si  fin  que  le  corps  s'y  moule, 
et  d'avoir  pour   plafond  cet  admirable 


NICUK    JOURS    AU    DÉSKHT    Kd  V  PT I  HN 


899 


ciel  constellé  des  pays  d'Orienl.  L'at- 
mosphère est  si  pure,  les  étoiles  y  bril- 
lent d'un  éclat  si  extraordinaire  et  sem- 
blent si  près  de  vous,  qu'on  pourrait  se 
croire  emporté  dans  les  espaces  infinis 
avec  toute  l'immatérialité  du  rêve... 

Je  passerai  sous  silence  les  détails  de 
notre  départ  de  Suez,  ainsi  que  les  péri- 
péties de  nos  trois  jours  de  route  sur  le 
littoral,  à  longer  le  golfe  pour  arriver 
à  Z;i/fnrana. 

Un  phare  se  dresse  sur  le  petit  pro- 
montoire. Quelques  modestes  construc- 
tions, aménagées  pour  le  logement  du 
gardien,  l'entourent. 

Ne  pouvant  nous  arrêter  et  séjourner 
pour  faire  des  fouilles ,  nous  dûmes 
borner  nos  investigations  à  de  longues 
promenades  en  tous  sens  sur  la  plage, 
autour  du  puits  de  Zaffarana,  pauvre 
mare  d'eau  fétide  et  saumâtre,  et  sur 
les  pi'cmiers  contreforts  de  la  mon- 
tagne. 

Des  débris  de  poteries,  des  traces  de 
ruines  émergeaient  à  chaque  pas  ;  mais 
aucun  monument  saillant  ne  s'ofTrit 
à       nos      recherches. 

Nous  partîmes  donc 
dès  le  lendemain,  avec 
l'espoir  d'être  plus 
heureux  sur  le  par- 
cours de  Zaffarana  à 
Beni-Suef,  route  que 
je  supposais,  pour  les 
raisons  précitées, 
avoir  dû  être  celle  des 
caravanes  de  l'anti- 
quité. 

Après  une  journée 
de  marche  de  lest  à 
l'ouest  sur  un  mau- 
vais sentier  très  acci- 
denté, nous  arrivons 
vers  les  cinq  heures  du 
soir  au  couvent  copte 
de     Saint-Antonious. 

Depuis       quatre 
jours^  nos  guides  ne  cessaient  de  nous 
entretenir  de  ce  Tanious,  comme  ils  l'ap- 
pelaient par  altération  d'Antonious. 

«  C'est  une  enceinte  énorme  avec  des 


constructions  superbes  au  milieu  >>,  me 
disait  l'un.  y     . ,  r^- 

«  C'est  un  monument  antique,  ant 
tique  —  me  disait  l'autre  —  une  forte- 
resse redoutable  dans  laquelle  personne 
ne  pénètre  et  où  vivent  de  pieux  céno- 
bites. )) 

Bref,  notre  curiosité  était  surexcitée 
au  plus  haut  point  et  nous  avions  hâte 
de  voir  ces  merveilles. 

Notre  attente  ne  fut  pas  déçue. 

Figurez-vous  une  immense  muraille 
haute  de  dix  mètres,  épaisse  de  cinq  à. 
la  base  et  de  deux  au  sommet,  formant 
enceinte.  Au  milieu,  et  gardée  par  une 
deuxième  muraille,  bien  plus  vieille, 
mais  presque  aussi  imposante,  toute 
une  petite  ville  et  une  véritable  forêt  de 
palmiers. 

Les  constructions,  de  foi'me  bizarre, 
rappellent  le  style  assyrien  ou  plutôt 
chaldéen,  s'étagent  et  se  superposent 
comme  dans  une  forteresse  des  temps 
antiques. 

Nous  approchons.  —  Trois  ouvertures 
s'offrent  à  nos  regards  ;  elles  affectent  la 


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forme  de  grandes  portes  voûtées;  mais 
ces  portes  sont  solidement  murées  et, 
dans  celle  de  gauche  seulement,  une  pe-. 
tite  fissure  dans    la   maçonnerie    donna 


900 


NEUF    JOURS    AU    DESERT    EGYPTIEN 


accès,  par  un  couloir  aussi  étroit  que 
bas,  à  une  porte  massive  solidement  ver- 
rouillée. Il  faut  se  plier  en  deux  pour 
passer  et  ne  s'aventurer  qu'un  à  un 
dans  cet  étroit  passage. 

Nous  faisons  halte  devant  cette  façade, 
sur  laquelle  surplombe  une  sorte  de 
petit  beffroi  d'où  pend  la  corde  qui  ac- 
tionne la  clocle  d'appel. 

Nous     sonnons     vigoureusement     et 


avec  les  chameaux,  les  armes  et  les 
bagages.  On  leur  envoie  des  pains,  des 
dattes  et  des  olives  dans  un  panier  atta- 
ché au  bout  d'une  corde  et  qu'on  des- 
cend du  haut  du  rempart. 

Nous  pénétrons  alors  dans  le  couvent 
par  la  fissure  et  la  petite  porte  dont  j'ai 
parlé  plus  haut,  et  les  religieux  nous  con- 
duisent un  à  un  par  la  main  sur  une  des 
plus  hautes  terrasses  du  monastère. 


DE      SUEZ     A      BENI-SOUEF 


bientôt  quelques  têtes  curieuses  appa- 
raissent aux  créneaux,  puis  disparais- 
sent presque  aussitôt. 

Nous  resonnons  et,  après  une  assez 
longue  attente,  les  têtes  réapparaissent 
et  entament  les  pourparlers  d'usage. 

Notre  petite  caravane  se  compose  de 
mon  ami  Mauran  et  moi,  vêtus  à  l'euro- 
péenne, mais  coiffés  du  tarbouch  égyp- 
tien, de  notre  domestique,  vêtu  à  l'égyp- 
tienne, et  de  nos  deux  guides  bédouins. 

On  parlemente  et  l'autorisation  d'en- 
trer dans  le  couvent  n'est  accordée  qu'à 
Mauran,  à  moi  et  à  notre  domestique. 
Les  deux  bédouins  resteront  à  la  porte 


On  nous  fait  asseoir  sur  des  nattes, 
on  nous  sert  une  légère  collation,  et 
tous  les  religieux,  au  nombre  de  soixante 
environ,  viennent  silencieusement  s'as- 
seoir en  rond  autour  de  nous. 

Ils  sont  tous  vêtus  de  la  longue  robe 
égyptienne  et  coiffés  de  turbans. 

Leur  religion  est  une  sorte  de  chris- 
tianisme nestorien,  religion  de  pa- 
triarches, professée  par  de  véritables 
patriarches  antiques.  On  est  chez  eux 
transporté  de  fait  à  seize  siècles  en  ar- 
rière ;  car  depuis  cette  époque,  date  de 
la  fondation  de  ce  couvent,  les  prêtres 
qui  s'y  sont  succédé  d'âge  en  âge  ont 


NEUF    JOURS    AU     DÉS  EUT    ÉGYPTIEN 


901 


conservé,  immuables,  leurs  traditions, 
leur  règle  et  leur  costume. 

]>'impression  en  est  profonde  et  inou- 
bliable. Et  nous  sommes,  Mauran  et 
moi,  d'autant  mieux  en  état  de  l'éprouver 
que  quatre  jours  d'isolement  et  de 
marche  à  travers  le  désert  nous  ont 
déshabitués  du  monde  civilisé. 

Les  religieux  du  monastère  de  Saint- 
Anlonious   sont   pleins  de   prévenances 


nous  ont  précédés;  des  écarts  de  vingt- 
cinq  années  séparent  les  autographes 
des  visiteurs  du  couvent. 

Et  cependant  nous  ne  voyons  que  la 
dernière  page,  celle  sur  laquelle  nous 
écrivons;  car,  comme  on  ne  nous  invite 
pas  à  feuilleter  l'album,  la  bienséance 
orientale  nous  commande  de  modérer 
notre  curiosité... 

Au  point  du  jour,  dès  le  réveil,  on 


t;n    puits    au    désert    égyptien" 


pour  nous.  La  collation  terminée,  ils 
nous  font  visiter  une  partie  du  couvent 
et,  comme  la  nuit  tombe  vite,  sans  cré- 
puscule, ils  nous  conduisent  à  la  cham- 
bre qu'ils  nous  ont  préparée  et  où  nous 
coucherons  tous  les  trois  côte  à  côte. 

Les  murs  sont  absolument  nus  et,  par 
terre,  trois  matelas,  des  oreillers  et  une 
grande  natte  constituent  tout  le  mobi- 
lier de  notre  logement. 

Avant  de  se  retirer  ils  nous  apportent 
un  registre  sur  lequel  ils  nous  deman- 
dent décrire  quelques  lignes  et  que 
nous  signerons. 

Bien    rares    sont    les    voyageurs    qui 


nous  conduit  auprès  du  frère  supérieur, 
qui  achève  de  nous  faire  visiter  en 
détail  toutes  les  parties  du  monastère, 
les  jardins,  la  meunerie,  la  boulangerie, 
le  réfectoire,  les  cellules  et  la  chapelle. 

Le  jardin  est  très  vaste.  Enfermé 
dans  le  deuxième  mur  d'enceinte,  il  est 
arrosé  par  une  source  qui  ne  tarit 
jamais,  nous  dit-on.  Elle  coule  gros 
comme  le  pouce  en  cette  fin  d'été,  mais 
est   beaucoup    plus    abondante    l'hiver. 

Le  précieux  liquide  est  recueilli  dans 
un  vaste  réservoir  où  il  s'accumule  et 
d'où  il  peut  partir  avec  une  certaine 
pression  pour  les  irrigations.   Tout  un 


902 


NEUF    JOURS    AU    DÉSERT    EGYPTIEN 


système  de  canalisation  en  tuyaux  de 
poterie  est  aménagé  pour  ne  pas  en 
perdre  une  goutte. 

Les  dattiers  sont  couverts  de  fruits; 
des  olives  grosses  comme  des  noix  sont 
en  pleine  maturité  et  les  arbres  en  sont 
chargés.  Des  vignes  grimpent  follement 
aux  troncs  des  palmiers  ou  sont  dispo- 
sées en  treilles.  Je  ne  vois  aucun  figuier, 
mais  en  revanche  quelques  beaux  abri- 


quelques  céréales  et  les  tissus  de  leurs 
vêtements. 

Une  mule  actionne  la  meule  de  leur 
moulin.  Elle  est  bien  vieille  et  tourne 
avec  résignation.  On  la  devine  bien  en- 
tretenue et  bien  s'oignée,  car  son  poil 
est  propre  et  luisant. 

Un  four  primitif  leur  sert  à  la  cuisson 
des  espèces  de  galettes  sans  levain  qu'ils 
confectionn.ent  une  fo.is  par  s-emaine  en 


NOTRE      ARRIVÉE     AU      MONASTÈRE      DE     SAINT-ANTONIOUS 


cotiers  et  de  superbes  grenadiers  entre- 
mêlent leurs  ombrages. 

Enfin,  à  en  juger  par  les  carrés  de 
tomates,  de  piments  et  d'aubergines,  de 
courges  d'arrière-saison,  de  pourpier,  etc., 
qu'ils  nous  montrent  avec  une  légitime 
fierté,  nous  sommes  convaincus  que, 
grâce  à  leur  travail  et  à  leur  patience, 
ces  braves  gens  ne  manquent  relative- 
ment de  rien.  Ils  sont  végétariens  d'une 
façon  absolue  et  ne  mangent  exception- 
nellement un  peu  de  viande  qu'une  fois 
par  an,  à  Pâques,  l'agneau  pascal. 

Leur  couvent  est  tributaire  du  cou- 
vent copte  de  Beni-Suef,  qui  leur  envoie 


même  temps  que  les  pains  consacrés 
qui  servent  à  la  communion. 

Nous  entrons  dans  la  chapelle.  Chose 
curieuse  à  noter,  ils  se  déchaussent  et 
conservent  leur  coiffure  comme  c'est 
l'usage  dans  les  mosquées.  Nous  suivons 
leur  exemple,  par  bienséance.  Leurs 
prières,  comme  celles  des  'Musulmans, 
commencent  par  le  «  Bismillah  »  (au 
nom  de  Dieu). 

Une  magnifique  lampe  de  mosquée 
en  verre  de  Venise,  dont  ils  ignorent 
évidemment  la  valeur,  pend  sous  la 
petite  coupole  de  la  chapelle. 

Des  icônes  bvzanlines  et  des  tableaux 


NEUF    JOURS    AU    DÉSKHT    ÉGYPTIEN 


903 


FAÇADE     PRINCIPALE     DU     il  O  X  A  .S  ï  E  II  E 


de    tous    les    siècles,    représentant    des 
scènes  religieuses,  ornent  les  murs. 

Des  étolTes  de, soie  et  de  Aelours,  qu'on- 
devine  dater  au  moins  du  temps  des 
croisades,  recouvrent  l'autel. 

On  nous  invite  à  prier  Dieu  et  on 
nous  offre  ensuite  le  pain  azyme,  que 
nous  partageons  fraternellement  avec  les 
religieux:  véritable  communion  chré- 
tienne à  la  fois  grandiose  et  simple  dans 
cet  antique  sanctuaire. 

Nous  sortons  vivement  impressionnés, 
Mauran  et  moi;  mais  l'heure  du  départ 
a  sonné.  Il  nous  faut  dire  adieu  à  ces 
braves  gens  et  poursuivre  notre  l'oute 
vers  Beni-Suef  et  le  Nil. 

On  garnit  nos  sacoches  de  dattes, 
d'olives  et  de  galettes  sèches;  nous  em- 
brassons les  religieux  et  notre  petite 
caravane  s'ébranle... 

Au  lieu  de  deux  guides,  nous  en 
avons  maintenant  trois. 

C'est  un  bédouin  du  pays,  monté  sur 
un  jeune  et  vigoureux  chameau,  qui 
s'est  joint  à  nous  volontairement. 

Ce  hasard  nous  a  miraculeusement 
servis  ;  car,  à  l'étape  du  lendemain,  sous 
prétexte  de  nous    faire  voir    «  quelque 


chose  »,  en  modifiant  légèrement  notre 
itinéraire,  il  nous  fît  découvrir  la  chose 
la  plus  curieuse  et  la  plus  inattendue, 
qu'il  soit  possible  d'imaginer.  .:' 

Là,  en  plein  désert,  au  pied  d'un  petit 
mamelon  dénudé,  des  ruines  s'amonce- 
laient. Nous  approchons  et,  au  milieu 
de  ces  ruines,  nous  découvrons  l'orifice 
d'un  puits  taillé  en  plein  grès  dur,  par- 
faitement déquerre,  aux  parois  bien 
verticales  et  d'une  profondeur  d'envi- 
ron 30  mètres  dans  le  roc  vif.  Vrai  tra- 
vail pharaonique,  d'une  analogie  frap- 
pante, quoique  de  proportions  bien 
réduites,  avec  le  puits  de  Joseph  au 
Caire  :  il  a  fallu  probablement  des  années 
de  patience  pour  terminer  une  pareille 
œuvre.  Un  intérêt  considérable  devait 
donc  être  en  jeu  pour  justifier  un  tel 
effort  et  une  telle  persévérance. 

Nous  explorons  les  environs  et  ne 
tardons  pas  à  acquérir  la  quasi  certitude 
que  nous  nous  trouvons  à  l'endroit  qui 
dut  être  jadis  la  bifurcation  de  deux 
routes  importantes,  dont  l'une  condui- 
sait au  Fayoum,  l'autre  à  Memphis,  et 
qui  avaient  pour  tête  de  ligne,  sur  la 
mer  Rouge,  Zaffarana, 


994 


NEUF    JOURS    AU    DÉSERT    ÉGYPTIEN 


Ce  monument  et  les  ruines  qui  l'en- 
tourent me  semblent  confirmer  presque 
irréfutablement  toutes  mes  hypothèses 
au  sujet  de  cette  grande  voie  commer- 
ciale de  l'antiquité,  sur  laquelle  l'atten- 
tion du  monde  savant  n'avait  jamais 
été  attirée. 

La  petite  carte  que  j'ai  relevée  à  la 
boussole  et  à  la  planchette  au  cours  de 
ma  route,  bien  que  très  sommaire,  don- 


investigations,  mais  je  crois  qu'il  serait 
intéressant  de  poursuivre  cette  étude. 

Pour  ma  part,  je  me  suis  borné  à 
prendre  le  plus  soigneusement  possible 
des  photographies  du  monument  et  des 
ruines,  dont  je  donnne  ici  la  primeur 
aux  lecteurs  du  Monde  Moderne. 

«  Le  désert  de  Zaffarana  est  la  patrie 
des  grands  fauves  et  des  vipères  à  cor- 
nes »,  nous  avait  dit  le  vieux  cheikdes 


LA.      DEUXIÈME      ENCEINTE      DU      MONASTÈRE 


nera,  je  pense,  une  idée  exacte  de  la 
vraisemblance  de  mes  suppositions. 

En  effet,  de  Zaffarana  au  Fayoum  ou 
à  Memphis,  la  route  des  caravanes 
devait  être  jalonnée  de  points  d'eau. 
Quelques  sources  naturelles  s'échelon- 
naient bien  ;  mais  à  la  bifurcation  des 
deux  routes,  l'eau  manquant,  les  hommes 
d'autrefois  ont  dû  se  trouver  dans  la 
nécessité  de  creuser  ce  puits.  Sa  forme 
et  son  emplacement  paraissent  démon- 
trer qu'il  devait  servir  aussi  de  citerne 
et  recueillir  les  rares  eaux  pluviales. 

Les  moyens  dont  je  disposais  ne  m'ont 
pas    permis    de  pousser  plus   loin   mes 


chameliers  de  Suez.  Inutile  de  dire 
que  nous  n'avons  pas  vu  trace  de 
grands  fauves,  et  nous  avons  failli  ter- 
miner le  voyage  sans  voir  de  vipères  à 
cornes. 

Elles  pullulent  cependant  et,  le  der- 
nier soir  de  notre  route,  nous  en  avons 
vu  une  de  grosse  taille,  blottie  en  rond 
sur  le  sable.  Nous  l'avons  surprise  dans 
son  sommeil  et,  avec  l'aide  des  canons 
de  nos  carabines  et  des  baguettes  des 
longs  fusils  de  nos  bédouins,  nous 
l'avons  serrée,  conduite,  dirigée,  intro- 
duite... dans  le  goulot  d'une  bouteille 
de   whisky  que  l'ami    Mauran    n'avait 


NEUF    JOURS    AU    DÉSERT    ÉGYPTIEN 


905 


jias  enlièremenl  vidée  et  qu'il   a  géné- 
reusement sacrifiée  à  la  science  ! 

Cette  petite  opération  ne  s'est  pas 
terminée  sans  exciter  1  effroi  de  nos  bé- 
douins, qui  avaient  une  peur  atroce  que 
le  reptile  nous  échappât. 

Nos  fusils  de  chasse  l'auraient  cepen- 
dant bien  vite  mitraillé,  et  nous  n'avons 
pas  à  nous  enorgueillir  d'un  acte  de 
grand  courage  pour  l'avoir  mis  ainsi 
en  bouteille;  mais  les  bédouins  ont  une 
peur  horrible  de  la  lefah,  dont  la  mor- 
sure est,  paraît-il,  mortelle. 

Le  lendemain,  sur  le  midi,  le  Nil  et 
les  pyramides  du  Fayoum  nous  appa- 
raissaient. 

Le  sentier  dévalait  maintenant  assez 
rapidement  du  plateau  sur  lequel  nous 
marchions  depuis  deux  jours,  et  nos 
chameaux,  humant  les  effluves  bienfai- 
sants du  fleuve,  accé- 
léraient leur  marche 
en  allongeant  leur 
long  cou  vers  l'eau. 
L'eau  dont  ils 
étaient  privés  depuis 
quatre  jours,  l'eau 
qu'ils  sentaient  à  plu- 
sieurs kilomètres  de 
distance,  l'eau  que 
nous  n'étions  pas  fâ- 
chés de  revoir  non 
plus,  nous  qui,  pour 
ne  pas  boire  le  liquide 
innommable  despuits, 
avions  emporté  notre 
provision  de  Suez  !... 
C'était  doncdeleau 
de  neuf  jours  qui  se 
balançait  maintenant 
dans  nos  outres,  sur 
le  dos  d'un  chameau.  Aussi  avait-elle 
pris  une  couleur  brune  tellement  foncée 
qu'en  la  buvant  nous  pouvions  avoir 
l'illusion  d'avaler  du  café  I 

Deux  heures  de  marche  et  nous  voilà 
les  pieds  dans  le  grand  fleuve,  barbo- 
tant fraternellement,  pêle-mêle,  bé- 
douins, chrétiens,  chameaux  :  une  véri- 
table ivresse... 


Les  ablutions  terminées,  nous  nous 
séparions  bien  cordialement  de  nos 
braves  guides  Salem  et  Sellam  ainsi  que 
du  compagnon  improvisé,  Ali,  qui  nous 
suivait  depuis  le  monastère  de  Saint- 
Antonious. 

Ses  chansons,  au  rythme  sauvage, 
avaient  souvent  charmé  la  monotonie 
de  la  route.  Nous  lui  devions  le  plus 
beau  résultat  du  voyage,  la  découverte 
du  puits,  et  c'est  de  bien  bon  cœur  que 
nous  lui  donnâmes  l'accolade  des  adieux, 
à  la  bédouine,  en  nous  heurtant  front 
contre  front. 

Ainsi  réduite  à  trois,  notre  petite 
troupe  passa  le  Nil,  prit  prosaïquement 
des  billets  de  chemin  de  fer  à  la  station 
du  Beni-Suef,  et  quelques  heures  après 
nous  arrivions  au  Caire. 

Notre  équipage  était  dans  un  si  lamen- 


LE     PriTS     ET      LES     RUIXES     VUS     DE     L'EST 


table  état,  notre  aspect  si  sordide,  que 
le  concierge  du  cercle  de  France,  oii 
nous  allions  retrouver  tous  nos  amis, 
se  refusait  avec  la  dernière  énergie  à 
nous  laisser  entrer,  et  nous  faillîmes  être 
expulsés  manu  militari.  C'était  le  retour 
au  monde  civilisé  !... 

Gervais-Courtellemont. 


L'AMOUR    QUI   TUEI 

Monomime  de  ]M.  Séverin. 


Pierrot   est  amoureux,   amoureux  comme  un   fou.  Or  Pierrot  s'embusquant,  par  la  nuit  bien  gardé, 

A  l'objet  de  son  rêve  il  fredonne  une  aubade.  — Qu'importe  un  inconnu  de  moins, c'est  peu  de  chose  ! 

Mais  ça  coûte  d'aimer  dans  la  haute,  et  beaucoup;  —  Vient  de  dévaliser  un  passant  attardé 

Tu  n'es  qu'un  sans  le  sou,  mon  pauvre  camarade  !  Dont  la  lèvre  blêmie  à  tout  jamais  est  close. 


«  La  belle,  pour  m'aimer,  exige  de  l'argent!... 
On  en  saura  trouver.  »  Ça  mène  à  la  folie 
D'aimer  par-dessus  tout,  quand  on  est  indigent, 
Une  fille  à  la  fois  sans  cœur  et  trop  jolie. 


Personne  ne  l'a  vu...  Sûre  est  l'impunité 
Et  Pierrot  cependant  s'en  va  comme  un  homme  ivre, 
Songeant  combien  c'est  chose  triste  en  vérité 
D'être  parfois  forcé  de  tuer  pour  bien  vivre. 


Photographies  de   M.  A.  da  Cunha. 
Vers  de  M.  Jean-Paul  Eluem. 


En  glissant  sur  son  cœur  l'argent  qu'il  prit  au  mort, 
Il  a  perdu  sa  joie  !  Et  sa  tendresse  est  morte! 
Et  sa  bonne  gaîté  !  L'implacable  remord, 
Une  fois  pénétré,  ne  passe  plus  la  porte... 


Lui!  Pierrot,  assassin!  Lui!   Pierrot,  un  voleur! 
Pour  qui?  Pour  une  femme!  Était-ce  bien  la  peine? 
Il  tombe,  terrassé  par  sa  grande  douleur, 
Et  pour  l'être  adoré  n'a  plus  que  de  la  haine. 


Rien  ne  peut  écarter  l'obsédant  souvenir. 
Il  pense  vainement  à  la  belle  qu'il  aime... 
Au  lieu  Je  son  image,  il  voit  toujours  venir 
L'autre,  le  regardant  de  son  regard  suprême. 


ï 

"     ■♦ 

Le  mort  est  toujours  là,  prés  de  lUi,  nuit  et  jour  ! 
Où  qu'il  soit,  à  ses  yeux  se  dresse  sa  victime! 
Vaincu  par  le  remords  plus  puissant  que  l'amour 
Il  ne  peut  plus  penser  à  rien...  rien  qu'à  son  crime!... 


LE    MOUVEMENT    LITTERAIRE 


Bruges,  les  canaux,  les  maisons  à  pignon 
étroit  dont  les  fenêtres  à  petits  carreaux 
se  reflètent  dans  Feau,  les  sons  égrenés 
des  carillons  par  les  airs  embrumés  d'hu- 
midité, les  rues  calmes  où  passent  des 
femmes  pieuses  encapuchonnées  de  noir, 
le  livre  d'heures  en  main,  devant  les  bou- 
tiques obscures  où  l'on  voit  briller  les 
cuivres  des  seaux  et  les  angles  des  fers 
forgés,  toute  la  ])ieuse  et  taciturne  mélan- 
colie de  ces  villes  mortes  des  Flandres 
qui  sont  des  vieilles  villes  espagnoles  : 
souvent  on  a  décrit  tout  cela,  et  ce  sont 
motifs  exquis  pour  les  poètes  à  l'âme  mé- 
lancolieuse,  qui  trouvent  là  des  sujets 
adéquats  à  leur  inspiration.  Comme  l'épo- 
que romantique  avait  créé  de  toutes  pièces 
une  Espagne  sémillante,  ornée  de  pam- 
pilles  et  vêtue  de  soie  rouge  et  jaune, 
l'époque  triste  de  notre  histoire  littéraire, 
durant  ces  vingt  dernières  années,  a  tourné 
l'attention  vers  les  pays  du  Nord,  dont  on 
nous  a  rapporté  de  nombreux  tableaux, 
sombres  et  gris.  M.  Georges  Rodenbach 
vient  d'accrocher  une  toile  de  plus  dans 
la  galerie.  11  a  publié  chez  Fasquelle  un 
poème  qu'il  a  appelé  le  Miroir  du  ciel  na- 
tal. C'est  une  œuvre  plus  remarquable  par 
le  sentiment  et  par  l'inspiration  que  par 
la  forme,  tant  celle-ci  est  indécise.  Evi- 
demment, et  à  choisir,  le  livre  est  plutôt 
écrit  en  vers;  mais  dans  bien  des  pages, 
la  disposition  typographique  est  le  seul 
indice  qui  nous  prémunisse  contre  l'erreur 
de  croire  que  ce  n'est  pas  de  la  belle 
prose.  Ouvrez  le  livre  au  hasard  : 

Ils  ont  vu  clair  en  eux  ; 

Ils  sont  tous  lumineux. 

Leur  conscience  est  un  écrin 

Plein  de  joyaux  qu'enfin  la  solitude  enflamme. 

Ah  !  comme  ils  dorment,  leurs  vieux  chagrins  ! 

Et  cet  orgueil  de  n'être  plus  qu'humain  à  peine! 

Trésor  intérieur  ! 

Richesse  de  son  cœur! 

Parure  de  soi-même  ! 

Heureux  ceux-là  dans  leur  demeure  ! 

Vie  heureuse  qu'ils  ont  choisie  ! 

Destinée  extatique  !  Allez-y 

Les  voir  gravir  en  paix  l'escalier  blanc  des  Heures. 

Et  ils  s'appuient  aux  lampes 

Comme  à  une  rampe... 

Il  y  a  un  oul^li  volontaire  de  toutes  les 
lois  autrefois  admises  de  la  prosodie  ;  hia- 
tus, mesure,  rimes,  césures  n'existent 
plus;  on  s'y  fera,  on  s'y  fait;  c'est  de  la 
prose  cadencée  qui  rappelle  les  gestes 
anciennes,  et  c'est  en  ce  sens  que  Sully- 
Prudhomme,  l'ennemi  né  de  toutes  les 
altérations  prosodiques,  pouvait  dire  que 
Chateaubriand,  avec  sa  prose  harmonieuse 
et  chantante,  est  le  père  de  l'école  poé- 
tique nouvelle. 


Le  Ciel  natal  se  compose  de  huit  recueils 
réunis,  dont  les  seuls  titres  disent  déjà 
le  ton  de  l'œuvre  et  les  prédilections  cou- 
tumières  du  poète  rêveur.  Ce  sont  les 
Lampes,  les  Femmes  enmante,  les  Réverbères, 
les  Jets  d'eau,  les  Premièns  communiantes, 
les  Cygnes,  les  Chches,  les  Hosties,  c'est-à- 
dire  tout  ce  que  l'on  voit,  tout  ce  que  l'on 
entend,  tout  ce  que  l'on  révère  dans  le 
pays  brumeux ,  dévot  et  at^soupi  des 
Flandres  orientales,  où  les  vieux  rêvent 
sous  la  clarté  de  l'abat-jour,  où  les  femmes 
noires  passent  sans  bruit  en  glissant  le 
long  des  églises,  dans  la  rue  dont  le  pavé 
ruisselant  de  pluie  reflète  la  lueur  des 
réverbères,  tandis  que  les  cygnes  voguent 
sur  le  lac  d'amour  et  que  les  blanches 
communiantes  vont  vers  les  saintes  hos- 
ties. De  ces  panneaux  tristes  et  pittores- 
ques, il  se  dégage  une  impression  pieuse- 
ment attrayante  de  ce  pays  silencieux 
dont  les  êtres  sont  pétris  de  dévotion 
espagnole  et  de  flegme  hollandais. 

La  lampe  s'allume,  et  la  chambre  prend 
des  airs  d'église  : 

Les  rideaux  de  guipure  aux  fenêtres 

Sont  des  voiles  de  premières  communiantes. 

C'est  l'heure  où  l'on  se  sent  un  peu 
(I  divin  »  : 

Des  nénuphars  sont  nés  parmi  les  glaces  nues  ; 
Un  ecclésiastique  amour  de  la  douceur 
Revêt  comme  de  lin  pascal  et  d'innocence. 

Tout  le  livre  a  de  ces  échos  du  paisible 
et  mystérieux  presbytère,  des  quartiers 
mornes  et  déserts. 

Et  par  les  soirs  de  pluie  en  leurs  mornes  faubourgs 
Quelque  chose  de  moi  briile  dans  les  lanternes. 

Et  ce  sont  les  béguines  qui  passent, 
longues  et  noires,  avec  la  grande  mante  à 
capuchon  arrondi,  en  forme  de  «  cloches 
de  drap  »  : 

Ah  !  ces  mantes  !  Est-ce  d'amantes,  de  démentes? 

Femmes  âgées  ! 

De  quoi  sont-elles  chargées? 

Que  vont-elles  portant  comme  vers  une  tombe? 

Elles  sentent  l'adieu! 

Leurs  manies  bombent... 

Elles  y  cachent  des  fardeaux  mystérieux. 

Que  vont-elles  jeter  au  fond  du  crépuscule? 

11  semble  qu'elles  tiennent 

Des  cercueils  de  petits  enfants. 

Toujours  des  tristesses,  de  navrants 
découragements  ;  c'est  le  ciel  qui  les  veut 
et  les  inspire,  le  ciel  de  la  ville  morte, 

Triste  comme  une  tombe  avec  des  chrysanthènuss  ! 

Est-ce  une  ville  où  ne  vivent  «  que  des 


LE     MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 


909 


aïeules  »  ?  On  croirait  tout  le   monde  ab- 
sent : 

Tout  s'adoucit  et  tout  s'ouate. 

Est-ce  qu'il  y  a  des  malades 

Pour  que  si  doucement  tintent  les  cloches 

Au-dessus  de  la  ville? 

Vieilles  cloclies  qui  s'eflîloclient 

Son  à  son,  comme  fil  à  fil... 

Tout  incline  à  un  silence  tel, 

Comme  d'une  ville  irréelle 

Et  qui  se  .«serait  faite  elle-même  en  dentelle  ! 

Universelle  solitude! 

Même  les  cygnes,  sur  l'eau  noire, 

Ont  l'ennui  du  reflet  d'eux-mêmes,  et  l'éludent: 

Les  nénuphars  sur  l'eau  sont  comme  des  fermoirs. 

Le  ciel  opaque  et  h.iut 

N'est  guère  vivant  davantage, 

Ciel  mat  d'immobiles  nuages, 

Et  qui  a  toujours  l'air  d'être  un  ciel  de  tableau. 

Cette  grisaille  est  jolie.  L'auteur  excelle 
dans  ces  tableaux  pour  lesquels  il  sait 
mélanger  et  préparer  sur  sa  palette  toutes 
les  nuances  du  gris.  Il  a,  par  la  préciosité 
même  de  son  esprit  ingénieux,  des  trou- 
vailles d'expressions,  d'images,  de  rappro- 
chements et  de  comparaisons  qui  piquent 
de  notes  vives  et  voyantes  le  fond  clair- 
obscur  de  son  paysage  gris, 

Un  gris  fait  de  blanc  et  de  noir. 

Fait  du  noir  des  soutanes 

Et  du  blanc  des  cornettes; 

Un  gris  formé  de  vos  robes,  ô  vous,  les  prêtres, 

Un  gris  formé  de  vos  linges,  religieuses  ; 

Couleurs  contagieuses 

Des  uniques  passants  y  traversant  les  soirs  ! 

Il  est  l'homme  de  ces  poèmes  parce 
qu'il  est  celui  de  ces  pays  dont  lame  mys- 
térieuse et  tacite  vit  en  lui  : 

Quelque  chose  de  moi  dans  les  villes  du  Nord 
Quelque  chose  survit  de  plus  fort  que  la  mort. 

11  n'était  pas  aisé  de  continuer  celte 
cantilène  durant  tout  un  volume  qui  vient 
après  d'autres  et  de  lui  conserver  la  va- 
riété, le  charme  du  mouvement  et  de  l'im- 
prévu. L'auteur  a  une  imagination  ingé- 
nieuse et  il  excelle  à  renouveler  le  thème 
—  il  faudrait  dire  le  thrène  —  à  tous  pro- 
pos. Il  regarde  les  réverbères  et  ils  lui  in- 
spirent un  poème  original,  triste  comme 
une  flamme  jaune  clignotant  seule,  le  soir, 
dans  un  quartier  désert,  à  travers  la  nuit 
embrumée  : 

La  nuit  s'acharne  au  réverbère  qui  la  nie. 

Tout  s'endort  ;  seul  son  feu, 

Obstiné  comme  l'insomnie. 

S'attarde,  avec  son  pouls  fiévreux, 

Ce  battement  de  flamme  chaude 

Et  comme  artéiiel 

Qui  continuera  jusqu'à  l'aube. 

Le  réverbère  est  seul  sous  le  grand  ciel 

Et  il  voit  que,  là-fas, 

D'autres  feux  tremblent, 

Etoiles  qui  jamais  ne  se  rassemblent. 


Seules  comme  lui 
Dans  un  éternel  célibat. 

O  étoiles,  ses  sœurs,  qu'il  nomme  dans  la  nuit  ! 

Un  même  mal  les  agite  ; 

Elles  sont  si  tristes  ; 

Elles  ont  le  rrême  sort, 

Le  même  tremblement  de  fanaux  dans  un  port 

A  des  vaisseaux  qui  jamais  ne  partent  ; 

Elles  ont  la  même  palpitation. 

Les  mêmes  pulsations, 

Comme  si  un  seul  cœur,  elles  et  lui,  les  faisait  battre. 

Vous  vous  rappelez,  à  propos  de  ces  vers, 
ceux  de  Sully-Prudhomme  : 

Aux  étoiles  j'ai  dit  un  soir  : 

«  Vous  ne  paraissez  pas  heureuses  !  » 

Les  étoiles  de  Sully-Prudhomme  gémis- 
sent de  vivre  dans  la  solitude  ;  les  mêmes 
tristesses,  M.  Rodenbach  les  attribue,  en 
des  vers  pittoresques,  à  des  réverbères  ; 
et  voilà  bien  la  note  de  ces  deux  poésies 
si  opposées,  dont  l'une  plane  dans  le  ciel, 
tandis  que  l'autre,  réaliste  et  matérielle 
dans  sa  philosophie  pessimiste ,  rase  le 
trottoir.  Comme  les  brouillards  du  Nord, 
la  mélancolie  baigne  et  noie  toutes  ces 
pages  douloureuses  qui  vous  laissent  un 
impérieux  besoin  de  relire  aussitôt  des 
pages  illuminées  de  soleil  et  embrasées  de 
Midi,  comme  on  a  envie  de  se  réchauffer 
en  sortant  d'une  cave.  Triste,  le  glas  des 
cloches  !  Triste,  le  pas  lent  des  pauvres 
femmes  !  Triste,  le  glissement  silencieux 
des  cygnes  blancs  sur  l'eau  noire  !  Triste, 
le  défilé  à  pas  comptés  des  blanches  com- 
muniantes qui  avancent  comme  des  mar- 
tyres ! 

Extase  d'un  dimanche  d'avril  à  Malines 
Quand,  à  VAgnus  Dei,  U  clochette  bruine. 

Blancs  propagés!  Blancs  unanimes! 

Les  tulles  sont  d'accord  avec  les  hymnes! 

C'est  donc  enfin  le  moment  du  Graal  ; 

C'est  le  moment  enfantiuement  nupii.il. 

Marches  rythmiques  !  Pantomime  ! 

Processionnellement,  et  presque  sans  oser: 

Elles  ont  un  air  de  victimes 

A  marcher  vers  le  banc,  les  doigts  juxtaposés. 

Et  se  pâment  au  pain  azyme, 

Ecarquillant  leur  bouche  comme  à  un  baiser... 

Oh  !  les  cloches  !  Elles  tintaient  à  faire 
crier  pendant  qu'était  représenté  le  petit 
drame  du  même  auteur,  h  Vceu,  et  les  voici 
encore,  lancinantes,  implacables  comme 
les  carillons  de  Bruges  et  de  Gand ,  en 
notes  désolantes,  comme  des  gouttes  de 
pluie  : 

Ah!  ces  cloches  et  cette  pluie 

Qui  se  sont  obstinées. 

Toute  la  journée, 

Et  sur  mon  âme,  ensemble,  appuient  ! 

Je  rêve  de  très  tristes  choses, 
D'une  orpheline  avec  sa  camériste... 


910 


LE     MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 


Comme  la  vie  est  triste 

Vue  ainsi  à  travers  de  la  plaie  et  des  cloches! 

Tout  est  fané,  tout  est  défunt  ! 

Ah  !  cette  pluie  et  ces  cloches  qui  sont  complices  ! 

Dans  mon  ame  grise 

Elles  ne  font  plus  qu'un... 

La  cloche  décroît,  taudis  que  s'accroît 

La  pluie  fine  ; 

Et  dans  mon  âme,  alors,  on  dirait  qu'il  pluvine 

En  gouttes  de  son  froid. 

Tant  de  motifs  divers  risqueraient  de 
s'égrener  dans  la  pâle  monotonie  s'ils 
n'étaient  reliés  par  un  sentiment  intime  et 
profond  comme  par  un  fil  qui  noue  les 
grains  d'un  chapelet.  Cette  unité  est  ici 
assurée  par  la  piété  dévote  qui  a  été  l'in- 
spiratrice de  l'œuvre.  Le  poète  dit  quelque 
part  : 

Seigneur,  j'ai  fait  le  vœu  d'une  œuvre  en  votre  honneur. 

C'est  pour  lui  que  brûlent  les  lampes, 
que  vont  les  communiantes,  que  chante  le 
concert  noir  des  cloches,  que  jaillissent 
les  jets  d'eau  comme  des  actes  de  foi;  il 
était  logique  que  ces  hymnes  au  ciel  fus- 
sent couronnées  par  un  cantique,  le  poème 
des  Hosties,  d'une  inspiration  solennelle  et 
mystique ,  teintée  par  la  lueur  grise  des 
vitraux  nus  et  les  petites  flammes  des 
cierges  : 

C'est  la  douceur,  c'est  la  candeur  du  temps  pascal 
Et,  pour  les  âmes  repenties, 
11  neige  des  hosties... 

Les  vergers  du  ciel  sont  en  fleurs, 

Neige  tiède  de  Horéal, 

Comme  celle  tombant  des  branches 

En  rieurs  blanches  ; 

Ah  !  cette  chute  dans  les  cœurs 

De  la  neige  en  fleurs  des  hosties  ! 

A  la  fin  resplendit,  comme  la  déesse  de 
l'apothéose,  la  grande  cathédrale,  l'âme  de 
celte  vie  lente  et  ecclésiastique  des  villes 
du  Nord  en  prières,  —  la  cathédrale  de 
Bruges,  dont  l'image,  qui  se  dresse  là-bas 
vers  l'Escaut,  rappelle  ses  sœurs  d'Espagne, 
et  fait  songer  aussi  à  cette  cathédrale  de 
Chartres,  dont  Huysmans  nous  révélait 
récemment  la  grandiose  et  poétique  sym- 
bolique. M.  Rodenbach,  en  quelques  vers 
plus  réguliers,  ou  moins  irréguliers  que 
les  autres,  a  fort  bien  dit  l'origine  de  la 
cathédrale  et  sa  ressemblance  avec  les 
forêts  aux  dômes  verts  : 

Parmi  les  grandes  cathédrales  aux  murs  frais, 
C'est  t(.>ute  la  Nature  éternelle  qu'on  goiite. 
On  y  entre  comme  on  entre  dans  la  forêt 
Dont  les  rameaux  cintrés  s'arrondissent  en  voûte. 

Oui!  toute  la  Nature  y  règne,  transposée: 
Soleil  de  l'ostensoir'  Et  l'encens  peu  à  peu 
Evaporant  parmi  les  nefs  un  brouillard  bleu, 
L'eau  bénite  répand  des  gouttes  de  rosée. 


Les  jardins  des  vitraux  ont  des  roses  trémières 
Toujours  en  Heurs,  et  les  rosaces  sont  des  paons 
Immobiles,   qui  font  la  roue,  au  soir  tombant. 
Les  cierges  sont  du  blé  aux  épis  de  lumière. 

O  Nature  que  les  cathédrales  copient! 
Les  orgues  font  le  bruit  du  vent;  les  soprani 
Ont  une  voix  qui  s'aile  et  sort  comme  d'un  nid; 
Dans  la  forêt  de  pierre,  à  leur  tour  ils  pépient... 

Mais  il  est  temps  de  fermer  ce  livre,  d'une 
forme  très  nouvelle,  très  moderne,  ce  qui 
n'est  pas  un  éloge,  et  d'une  inspiration  inti- 
mement et  délicatement  poétique,  —  ce  qui 
en  est  un.  Le  poète  a  fini  l'œuvre  de  piété, 
et,  comme  Memmling  après  la  châsse  de 
sainte  Ursule,  il  peut  contempler  avec 
amour  ce  reliquaire  saintement  ciselé,  ce 
livre  fait  de  sons  pieux  comme  un  anti- 
phonaire  et  l'offrir  au  ciel  dans  un  der- 
nier élan  : 

Seigneur,  en  ma  faveur,  souvenez-vous,  Seigneur! 
Seigneur,  de  l'humble  etîort  d'une  œuvre  en  votre  hon- 

[neur! 


c(  C'est  une  vieille  histoire  »,  dit  quelque 
part  Henri  Heine  en  racontant  une  aven- 
ture d'amour.  C'est  l'éternelle  histoire,  et 
elle  n'est  pas  près  de  sa  fin,  car  l'amour 
ne  parait  pas  disposé  à  céder  sa  place  dans 
la  littérature  fictive.  Voici  quatre  romans 
à  peu  près  contemporains,  et  leurs  seuls 
titres  constatent  assez  que  les  variations 
différentes  recouvrent  le  même  thème. 

Celui  ci,  publié  chez  Lemerre  par  Léon 
Barracand,  s'appelle  Un  grand  amour.  Cet 
autre,  publié  chez  Ollendorff  par  Jean 
Rameau,  a  pour  titre  Plus  que  de  l'amour. 
Celui-là  est  de  Jean  Reibrach,  et  a  paru 
chez  Ollendorff  encore  :  c'est  la  Force 
de  l'amour.  Un  quatrième,  édité  par  Flam- 
marion, est  de  Fernand  Lafargue  et  inti- 
tulé Toujours  aimé! 

Ah!  le  vieil  air,  toujours  écouté  et  tou- 
jours recommencé.  Car  on  pourrait  inter- 
vertir les  titres  de  ces  volumes,  ils  ne 
seraient  point  pour  cela  débaptisés.  Tous 
disent  que  l'amour  est  plus  fort  que  beau- 
coup d'autres  choses. 

Ecoutons  Barracand.  11  nous  conte  avec 
agrément,  dans  un  style  clair  et  facile, 
dans  un  récit  où  l'observation  donne  du 
corps  à  l'invention,  l'histoire  d'un  amour 
cruellement  trahi  dans  le  délire  de  son 
héroïsme  et  de  ses  sacrifices.  Une  jeune 
fille  de  la  très  haute  et  très  riche  bour- 
geoisie épouse  un  duc  mauvais  sujet,  le 
plus  séduisant  des  hommes,  lequel  lui 
rend  la  vie  amère  ;  mais  elle  l'aime  tou- 
jours et  quand  même.  De  même  que  cer- 
taines femmes  du  peuple  aiment  l'homme 
qui  les  maltraite,  de  même  d'autres  s'atta- 
chent  à    celui    qui    les   abreuve    de   souf- 


LE    MOUVEMENT    LITTÉHAIUE 


911 


frances  morales.  Armand,  duc  de  Cressan, 
en  arrive  à  étrangler  une  fille  pour  lui 
voler  son  porte-monnaie,  et  l'amour  de 
Marthe  résiste  à  cotte  infamie.  La  scène 
du  meurtrepCt  le  retour  du  meurtrier  dans 
sa  famille  sont  traités  avec  un  grand  talent  : 

Quelques  minutes  s'écoulèrent.  Toujours 
accroupie  aux  pieds  d'Armand,  elle  avait  re- 
levé la  tète  et  regardait.  Il  avait  repris  sa 
pose  immobile,  accoudé  sur  un  bras,  les  yeu.v 
rouges  et  en  larmes...  Elle  l'interrofrea  : 


—  C'est  vrai!   c'est  donc  vrail 


Toi  ?  c'est 


loi 


Il  hocha  tristement  la  tète  : 

—  Mais  c'est  alTreux  !  affreux!...  Qu'allons- 
nous  faire!  mon  Dieu? 

Elle  se  tordit  les  mains. 

Il  était  pitoyable  à  voir!  Cet  homme  qui  se 
laissait  abattre,  qui,  comme  une  pauvre  bête 
traquée,  à  bout  de  force,  était  venu  se  réfu- 
gier aui^rès  d'elle  et  qui  pleurait,  pleurait  de- 
vant elle,  sans  plus  de  souci  de  lui  en  impo- 
ser... lui  qu'elle  n'avait  jamais  vu  pleurer! 

Avec  un  redoublement  de  larmes,  elle  l'en- 
toura de  ses  bras  ;  puis,  dans  un  délire  de 
tendresse,  se  pressant  sur  son  cœur,  y  en- 
fouissant sa  tête,  elle  balbutia  : 

—  Mais  je  ne  veu.x  pas,  moi  !  je  ne  veux 
pas...  Je  veux  que  tu  vives!  je  te  sauverai!... 

La  thèse  était  hardie  ;  elle  a  rencontré 
un  subtil  et  habile  avocat,  qui  l'a  présentée 
avec  agrément. 

Jean  Reibrach  est  un  écrivain  sobre, 
nerveux,  qui  a  de  la  puissance.  Dans 
la  Force  de  l'amour,  il  constate  les  ravages 
exercés  dans  les  familles  par  les  passions 
et  les  dangers  que  fait  naitre  la  lutte  pour 
l'argent.  L'œuvre  est  faite  de  scènes  dra- 
matiques et  de  situations  poignantes  au 
milieu  desquelles  fleurit  un  amour  irré- 
ductible et  touchant  qui  donne  au  livre 
une  solution  rassérénante  et  un  beau  dé- 
nouement. On  lit  avec  un  intérêt  soutenu 
les  malheurs  d'Hélène  Devauxelles,  jeune 
fille  convoitée  pour  sa  dot  et  généreu- 
sement refusée  par  celui  qu'elle  aime  et 
qui  est  pauvre  et  fier.  Cette  jeune  fille 
évolue  au  milieu  d'un  monde  équivoque 
où  sa  vertu  subit  de  rudes  assauts;  elle 
sait  que  sa  mère  a  un  amant  qui  aspire  à 
devenir  le  gendre  de  sa  maîtresse;  elle  va 
à  des  bals,  décrits  avec  bien  du  pitto- 
resque, où  fonctionnent  mystérieusement 
des  agences  matrimoniales.  La  peinture 
de  la  villa  Rozière,  sorte  de  family  hoiise, 
«  une  parodie  du  monde,  un  raccourci 
cosmopolite  de  la  société»,  est  intéressante. 
Les  aventures  du  père  d'Hélène  avec  sa 
maîtresse  Cora  sont  divertissantes  et  mo- 
rales par  la  leçon  de  choses  qu'elles  ren- 
ferment. La  demande  en  mariage  faite  par 
Hélène,  écœurée  de  son  monde,  au  pauvre 
et  honnête  Jean  Rugues,  est  contée  avec 
talent  : 

Il  dut,  une  seconde,  appuyer  sa  main  au 
marbre  de  la  cheminée. 


Alors,  la  voix  changée,  voilée  de  la  fatigue 
de  son  effort  : 

—  Ma  vie,  Hélène,  doit  demeurer  pauvre. 
Je  ne  puis  pas,  je  ne  veux  pas  vous  épouser, 
quand  même  je  vous  aimerais. 

Le  silence  battit  entre  eux,  énorme.  Enfin, 
relevant  le  front,  la  voix  raffermie  : 

—  Adieu!  dit   Hélène. 

—  Adieu!  dit  Rugues. 

Longtemps  après  le  départ  d'Hélène,  Rugues 
demeura  immobile,  laissant  se  prolonger  en  lui 
un  grand  saisissement.  Ah!  la  vie  avait  donc 
vraiment  de  romanesques  et  d'invraisembla- 
bles aventures  ? 

Toutes  ces  pages  sont  d'excellent  style, 
clair,  sobre  et  juste. 

En  quittant  Jean  Reibrach  et  son  livre 
pour  ouvrir  celui  de  Jean  Rameau,  on 
passe  des  salons  douteux  et  des  sociétés 
faisandées  de  la  vie  parisienne  au  plein 
air,  bleu  et  pur,  des  belles  Pyrénées.  Le 
drame  de  jalousie  qui  torture  le  cœur  de 
Germain,  le  mari  de  la  nerveuse  Noële, 
que  poursuit  le  plat  Montdidier,  se  déroule 
dans  un  décor  splendide  qui  a,  une  fois  de 
plus,  bien  inspiré  son  peintre  attitré. 

Il  faisait  beau,  l'air  embaumait  ;  le  ciel,  lavé 
par  les  pluies  de  la  nuit,  semblait  d'un  bleu 
tout  neuf,  le  soleil  faisait  resplendir  les  cas- 
cades et  leur  mettait  un  arc-en-ciel  à  la  cein- 
ture. Germain  regardait  tout  cela,  de  ses  yeux 
vides,  et  la  joie  des  êtres,  la  beauté  des  choses 
étaient  une  tristesse  de    plus    pour  son  cœur. 

Les  paysages  se  succédaient,  gracieux  ou 
grandioses.  Une  chèvre,  sur  un  mur,  bêlait, 
éplorée.  appelant  son  chevreau.  Un  paysan 
étendait  du  foin  dans  une  prairie,  des  vaches 
buvaient  au  bord  du  gave,  une  roue  de  moulin 
tournait  dans  un  éblouissement  d'écume. 

Suivons  encore  Germain  devant  la  grande 
cascade  : 

Il  l'admira  une  dernière  fois,  de  ses  yeux 
tristes,  qu'il  voulait  fermer  à  tous  les  spec- 
tacles terrestres.  Comme  elle  lui  semblait 
belle  !  A  cette  époque  de  l'année,  elle  débi- 
tait trois  fois  plus  d'eau  qu'au  mois  d'août  et 
son  jet  avait  une  ampleur  incomparable. 

Oh!  oui,  elle  était  belle,  et  terrible,  et  atti- 
rante !  Son  eau  n'avait  pas  l'air  de  tomber 
aussi  vite  que  l'eau  ordinaire.  Elle  semblait 
une  eau  de  rêve,  très  légère,  presque  impal- 
pable, une  mousse  d'argent,  un  lent  déroule- 
ment de  tulle,  une  écharpe  blanche  que  le  pic 
du  Marboré ,  penché  là-haut,  jetterait  avec 
amour  à  quelque  fée  invisible,  couchée  au 
fond  du  cirque,  sur  ce  lit  immaculé  qui  s'ap- 
pelle la  Plaine-de-Xeige. 

Le  dénoument,  qui  nous  fait  assister 
aux  anxiétés  du  mari  instruit  d'un  rendez- 
vous  de  sa  femme,  et  qui  en  est  quitte 
pour  la  peur,  est  conduit  avec  vérité  et 
agrément. 

Et  c'est  l'amour  encore  qui  fait  les  frais 
du  récit  de  Fernand  Lafargue,  Toujours 
aimé,  dans  lequel  une  mère  étend  au  fils 
la   tendresse  qu'elle   eut  pour  le  père,  et 


912 


LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 


ce  fils  devient  son  gendre.  Celte  mère, 
M™«  Honorine  Prélat,  qui  avait  avoué  à 
son  mari  son  premier  amour  pour  un 
autre  que  lui ,  par  marque  de  confiance, 
rencontre  le  fils  de  ce  Jacques  Lormont 
qui  eut  jadis  sa  tendresse  : 

Jamais  le  souvenir  ne  vieillit  les  êtres.  Il 
les  évoque  sans  tenir  compte  du  temps  passé. 
S'ils  se  présentent  encore  vivants  et  diffé- 
rents d'eux-mêmes,  on  a  besoin,  pour  les  re- 
connaître, d'un  effort  qui  accuse  la  déception. 
M™»  Honorine  n'avait  pas  cet  effort  à  subir. 
Elle  reconnut  Jacques   Lormont  dans  André  I 

Ce  fut  en  se  sentant  vieillie,  en  se  compa- 
rant à  l'Honorine  de  jadis,  qu'elle  comprit 
que  ce  jeune  homme  n'était  que  le  Jih  de 
Jacques!  La  réflexion  fut  rapide,  l'émotion 
qui  la  suivit  fut  douce.  Elle  n'avait  pas  tout 
perdu  de  lui,  puisqu'elle  avait  devant  les  yeux 
son  fils  ! 

Le  reste  est  la  piquante  analyse  de  ce 
sentiment  délicat,  qui  fait  revivre  pour 
M"'«  Honorine  vieillie  le  type  aimé  et  les 
joies  de  sa  rose  jeunesse. 


M.  Jean  Richepin  vient  de  publier  chez 
Fasquelle  un  nouveau  livre,  Contes  de  la 
décadence  romaine.  Ce  sont  des  scènes  la- 
tines pleines  d'ironie,  de  philosophie, 
d'allusions  à  nos  mœurs  et  d'érudition. 
Ce  genre  convient  à  un  écrivain  qui  n'a 
jamais  oublié  ni  répudié  ses  antécédents 
de  normalien.  On  écrivait  récemment  que 
ces  Contes  sont  la  seconde  mouture  des 
études  préparatoires  qui  ont  servi  à  l'élabo- 
ration de  la  Martyre.  Il  n'y  a  pas  appa- 
rence. Ils  sont  le  divertissement  d'un  lettré 
et  d'un  érudit.  Il  y  a,  à  la  bibliothèque 
de  l'Ecole  normale  de  la  rue  d'Ulm,  un  re- 
gistre des  prêts.  (Voir  sur  le  séjour  de 
Richepin  à  l'Ecole  normale,  le  Moi^de 
Moderne,  tome  I'"'',  1895,  page  529.)  Pour 
l'année  1869  les  pages  sont  lacérées  de 
trous.  Ce  sont  les  normaliens  qui  ont  dé- 
coupé et  emporté,  pour  garder  des  auto- 
graphes, les  signatures  de  Richepin  jeune 
encore  à  l'époque  oii  il  signait  comme 
élève  les  prêts  de  la  bibliothèque.  Vingt 
ans  plus  tard,  on  devait  attacher  du  prix  à 
ces  paraphes  d'un  âge  où  la  certitude  du 
succès  n'avait  pas  encore  remplacé  l'es- 
poir. L'étudiant  manifestait  par  ses  lec- 
tures et  par  le  choix  de  ses  travaux  un 
goût  d'érudition  qui  ne  l'a  jamais  quitté 
dans  sa  carrière  littéraire.  Les  Colites  qu'il 
publie  aujourd'hui  me  faisaient  penser  au 
normalien  qui  demandait,  il  y  a  trente 
ans,  au  bibliothécaire  de  la  rue  d'UIm 
comme  livres  de  lecture  et  de  travail  le 
Calculs  Mysticus,  le  Diaholus  Confissor,  ou 
les  œuvres  de  Goripius,  qui  prouva  que  le 


hollandais  est  la  langue  parlée  par  les 
anges. 

Le  recueil  se  compose  de  vingt  et  un 
contes  différents  que  je  ne  puis  vous  ré- 
sumer tous.  Feuilletons-en  quaJques-uns, 
parmi  les  plus  typiques  et  les  mieux  ca- 
pables de  donner  le  ton  et  le  genre  du  vo- 
lume. 

La  Violette.  Une  inscription  en  lettres 
onciales  a  révélé  l'existence,  au  temps  de 
Marc  Mummius,  sous  Trajan,  d'un  jeune 
poète  prodige  qui  l'emporte  sur  le  vieux  et 
illustre  maître  Accius  Galbanus  Merula, 
champion  de  la  poésie,  surnommé  le  Pin- 
dare  d'Hisconium,  sa  patrie.  Le  triomphe 
du  jeune  éphèbe  fut  éclatant.  Le  vieux  et 
illustre  maître  lui-même,  découronné  par 
cette  indéniable  victoire,  s'inclina  : 

Il  n'y  a  point  de  honte,  disait-il,  à  s'avouer 
moins  grand  poète  que  pareils  vers.  Car  ils 
ne  sont  pas  d'un  homme.  Un  dieu  seul  a  pu 
les  faire.  Et  à  celui  qu'on  va  couronner  ici 
comme  le  prince  des  lettres,  c'est  certaine- 
ment Apollon  lui-même  qui  les  a  dictés  dans 
un  songe. 

Le  peuple  trépignait,  ému  et  vibrant 
devant  cette  hérédité  du  championnat  : 

—  Une  seconde  lecture!  Une  seconde  lec- 
ture ! 

Ce  fut  l'unanime  acclamation  du  peuple  et 
du  Sénattoutentier,  debout.  Et  Pollux,à  la  voix 
retentissante  et  modulatrice,  recommença.  Et 
plus  admirable  encore  sembla  le  poème,  où 
l'on  découvrait  des  beautés  nouvelles,  où  l'on 
savourait  mieux  celles  goûtées  déjà.  Et,  une 
troisième  fois,  on  voulut  l'entendre.  Et  tou- 
jours et  sans  fin  on  avait  envie  de  les  réen- 
tendre. Il  semblait  que  l'on  ne  pût  jamais  s'en 
rassasier. 

Pour  satisfaire  le  peuple,  pour  répondre  aux 
vœux  de  tous,  le  Sénat  dut,  séance  tenante, 
voter  une  loi  par  laquelle  fut  décrétée  la  lec- 
ture quotidienne  du  poème  pendant  toute  la 
durée  des  Lustrations  et  comme,  au  bout  de 
ces  huit  jours,  l'enthousiasme  avait  grandi  sans 
cesse,  loin  de  décroître,  le  peuple  finit  par 
demander  qu'au  nnlieu  du  forum  Lucius  Va- 
lerius  eût  une  statue  d'airain. 

Statue,  fêtes,  ovations,  le  jeune  poète 
connut  tous  ces  enivrements  de  la  gloire  ; 
mais  tant  de  gloire  et  plus  encore  ne  doit 
jamais  enorgueillir,  car  rien  n'est  si  éphé- 
mère, et  c'est  la  morale  que  le  conte  fait 
passer  après  lui  : 

Car  elle  a  disparu,  la  statue  de  Lucius  Va- 
lerius  Pudens.  Et  son  poème  non  plus  n'a 
point  subsisté,  cette  merveille  qui  promettait 
un  rival  au  cygne  de  Mantoue.  On  n'en  cite 
pas  un  vers,  pas  un  mot.  On  ignore  même  ce 
qu'est  devenu,  après  son  couronnement,  ce 
précoce  grand  poète.  Nul  scholiaste  ne  fait 
mention  de  lui.  On  ne  connaît  que  son  triomphe, 
à  l'âge  de  moins  de  treize  ans,  son  trait  de 
bonne  grâce  et  l'enthousiasme  qu'il  suscita 
parmi  ses  contemporains. 


LE    MOUVEMENT    LITTERAIRE 


913 


Encore  risquait-on.  même  cela,  de  ne  jamais 
en  être  instruit.  Il  a  fallu.  ])oup  qu'on  en  res- 
tituât la  mémoire,  le  hasard  heureux  dune 
découverte  épigraphique. 

Cela  est  simple  et  charmant.  S'il  y  avait 
en  plus  un  grain  de  nialico,  une  teinte  plus 
marquée  d'ironie  moqueuse,  il  vous  serait 
impossible  de  dire  si  vous  lisez  du  Richepin 
ou  de  l'Anatole  France. 

La  Thaumaturge  contient  une  description 
de  peste  inspirée  de  Thucydide  et  de  Lu- 
crèce ;  une  sorcière  se  fait  j^ayer  ses  gué- 
risons  de  façon  fort  plaisante,  et  le  ton  de 
la  conclusion  est  de  joli  style  : 

Et  Ion  ouvrit  exprès  les  livres  sibyllins,  aux 
feuillets  de  bronze,  pour  y  graver  en  lettres  dor 
le  mot  du  charme,  qui  ne  fut  d'ailleurs  compris 
par  personne,  surtout  par  le  pontife  Maxime, 
et  qui,  traduit  de  la  langue  des  nomades  en 
langue  latine  voulait  dire  simplement  : 

—  Imbécile  ! 

Telle  est  l'histoire  de  la  peste  violette  et 
de  la  thaumaturge  par  qui  Rome  en  fut  guérie, 
histoire  dont  j'ai  raconté  le  début  selon  la 
grave  version  romaine,  et  dont  j'ai  plus  allè- 
grement narré  la  fin  et  le  fin  du  fin  selon  la 
version  que  les  hommes  de  notre  sang  gla- 
pissent et  gutturent  dans  leurs  chansons  de 
route  au  rythme  quadrupédant  et  aux  rimes 
de  cuivre  tintinnabuleur. 

Triomphe  est  une  description  somptueuse 
du  cortège  triomphal  tel  qu'il  montait  au 
Capitole  ;  le  piquant  du  récit  est  dans  le 
souvenir  de  ces  insulteurs  que  la  sagesse 
romaine  plaçait  auprès  du  général  vain- 
queur, pour  lui  rappeler  son  humanité  et 
le  préserver  des  griseries  de  l'orgueil.  Le 
langage  de  ces  insulteurs  est  pimenté,  mais 
pittoresque.  Je  regrette  presque  de  ne 
pouvoir  le  transcrire  ici,  à  cause  des  jeunes 
filles.  Au  demeurant,  ce  n'est  point  pour 
elles  qu'est  écrit  ce  livre,  où  les  Rivaux, 
ni  le  Garamante  ne  sont  point  extraits  de 
la  Morale  en  action.  Mais  il  y  a  à  travers 
toutes  ces  pages  un  souffle  délicieux  d'an- 
tiquité, assez  vivant  et  aimable  pour  faire 
oublier  Vapparatus  livresque  qui  a  précédé 
ces  récits,  et  pour  évoquer  l'Italie  de  l'Em- 
pire, les  villas  aux  flancs  des  collines,  les 
ormeaux  chargés  de  pampres,  les  rues  des 
villes  encombrées  d'esclaves  et  la  petite 
maison  de  campagne  du  centurion  émérite  : 

Je  n'ai  certes  pas,  moi,  Furius  Albinovanus 
Labeo,  ancien  centurion  à  la  deuxième  légion 
belgique,  et  présentement  chef  de  municipe 
à  la  colonie  d'IIericium  en  Taxandrie,  la  pré- 
tention d'être  un  écrivain  pouvant  enrichir  le 
trésor  des  lettres  latines.  Je  suis,  néanmoins, 
assez  fier  de  mes  œuvres  poétiques  pour  tenir 
à  ce  quelles  ne  soient  pas  perdues,  et  je  me 
décide  donc  à  en  faire  la  copie  suivante,  sur 
des  rouleaux  de  peau  tannée  qui  servent  ici 
de  papyrus. 


De  vous  dire  par  quel  exploit  le  brigand 
IJuUa  mérita  d'être  sauvé  des  lions  de 
l'amphithéâtre,  c'est  ce  dont  je  serais  certes 
fort  empêché,  et  je  vous  renvoie  au  texte. 
Passons  devant  quelques  tableaux  anciens, 
les  Courses,  les  Agrafes  du  Mort,  les  Trente 
Braves,  (jui  sont,  en  mieux  et  avec  plus  de 
vie,  des  pages  dignes  de  Rome  au  siècle 
d'Auguste  de  Dezobry,  sur  le  cirque,  l'am- 
phithéâtre ou  les  funérailles  d'antan.  Les 
Rivaux  sont  une  preuve  assez  inconve- 
nante de  l'intelligence  des  éléphants  ;  mais 
le  décor  est  savant  et  étudié.  Tous  ces 
récits  nous  font  circuler  à  travers  un 
monde  équivoque  de  mimes,  de  baladins, 
d'alTranchis,  d'histrions,  de  gladiateurs,  de 
sportulaires,  de  magiciens  ;  ce  sont  les 
gueux  de  l'Empire.  Nous  allons  au  spec- 
tacle voir  un  sorcier  étrange  qui  évoque 
son  double  et  est  dévoré  par  ce  fantôme  ; 
nous  assistons  au  cirque  au  duel  des  deux 
Labrax,  qui  sont  le  père  et  le  fils.  Le  fils 
tombe,  blessé.  Le  peuple  hurle,  les  pouces 
en  bas  :  «  Frappe!  i>  Le  père  recule  de- 
vant l'infanticide. 

A  travers  ces  tableaux  de  mœurs  popu- 
laires apparaît  le  goût  complexe  de  Fauteur 
pour  un  passé  qu'il  connaît  et  dont  il  sait 
donner  une  vision  colorée  et  précise,  et 
aussi  pour  les  émotions  fortes,  terribles, 
macabres,  comme,  encore,  pour  le  culte 
et  le  soin  d'un  style  limé,  poli  à  l'ongle  : 
et  ce  sont  là,  dans  ce  livre,  tous  les  carac- 
tères de  ce  talent  qui  se  font  jour,  mar- 
quant d'une  touche  nouvelle  et  non  moins 
décisive  les  contrastes  violents,  les  écarts 
imprévus  de  cet  esprit  à  la  fois  attique  et 
faubourien,  érudit  et  plébéien,  livresque  et 
banal  au  sens  ancien  ;  savant  de  carrefour 
qui  aime  la  rue  et  les  bouquins,  qui  tache 
ses  doigt  d'encre  et  ses  souliers  de  l'eau 
du  ruisseau,  vagabond  qui  serait  demain 
cuistre  s'il  le  voulait  et  qui  promène  par 
les  places  publiques  sa  science  de  licencié 
et  son  flegme  de  picaro  ;  vrai  licencié  de 
Salamanque,  qui  parlerait  de  Cicéron 
comme  Mommsen  dans  une  taverne  de 
trabans,  et  qui  pourrait  piquer  à  son  feutre 
troué  sa  plume  d'où  coulent  ensemble  la 
science  et  l'argot ,  le  madrigal  et  l'obscé- 
nité, le  chant  des  gueux  et  la  prose  pré- 
cieuse d'un  Benserade  très  informé  ;  érudit 
de  plein  vent,  dont  ces  derniers  contes 
constatent  à  la  fois  la  rudesse  et  l'atti- 
cisme;  esprit  à  la  fois  brutal  et  distingué  ; 
Anatole  France  doublé  à  la  fois  de  Baude- 
laire et  d'Eugène  Sue  ;  écrivain  de  race  et 
d'originalité  que  pourraient  réclamer  avec 
des  droits  égaux  5lontmartre  et  l'Académie 
française  ! 

Léo   Claretie. 


VIII.  —  58. 


CAUSERIE    SCIENTIFIQUE 


Dans  la  guerre  hispano-américaine  on 
a  utilisé,  notamment  à  bord  de  VIoioa, 
pour  aveugler  les  voies  d'eau  produites 
par  les  projectiles,  un  appareil  d'invention 
française  qui  est  peu  connu  du  public  et 
qui  est  utile  aussi  bien  à  la  marine  de 
commerce  qu'aux  vais- 
seaux de  guerre.  Il  est  basé 
sur  l'emploi  de  la  cellu- 
lose, extraite  de  la  noix 
de  coco,  dont  les  curieuses 
propriétés  ont  été  décou- 
vertes par  l'amiral  Fallu 
de  la  Barrière  il  y  a  une 
vingtaine  d'années.  Cette 
cellulose  qu'on  appelle 
cofferdam,  du  nom  des 
caissons  élanches  qui  ont 
servi  aux  premiers  essais, 
est  imputrescible  et  in- 
combustible ;  elle  se  gonfle 
sous  l'action  de  l'eau  et 
forme  rapidement  un  joint 
étanche  ;  elle  est  quatre 
fois  plus  légère  que  le 
liège  et  se  comprime  faci- 
lement. Les  expériences 
ont  prouvé  qu'un  pro- 
jectile de  fort  calibre 
passant  au  travers  d'un 
matelas  de  0°>,80  d'épais- 
seur ne  laisse  pour  ainsi 
dire  pas  de  trace,  la  bles- 
sure se  refermant  d'elle- 
même,  si  elle  est  sous  la 
ligne  de  flottaison,  par 
suite  du  gonflement  de  la  matière  sous 
l'action  de  l'eau.  Sans  munir  les  navires 
d'un  matelas  de  ce  genre,  on  peut  em- 
ployer la  cellulose  à  réparer  très  rapide- 
ment les  voies  d'eau  qui  se  produisent 
pour  une  raison  quelconque.  M.  Colomès  a 
imaginé  à  cet  effet  un  système  de  tampons 
dont  l'emploi  a  été  reconnu  pratique: c'est 
celui-là  même  qui  a  été  utilisé  à  bord  de 
Vloira. 

L'appareil  se  compose  d'une  tige  filetée 
(fig.  1)  terminée  à  son  extrémité  par  un 
disque  A,  muni  d'une  charnière  lui  permet- 
tant de  basculer  et  de  venir  se  placer  le 
long  de  la  tige  ;  sur  celle-ci  on  enfile  un 
tampon  de  cellulose  C,  percé  en  son  centre, 
et  par-dessus  un  autre  disque  métallique  R; 
un  écrou  à  poignées  B  permet  de  comprimer 
le  tampon  entre  les  deux  disques.  Quand 
une  déchirure  se  produit  on  y  passe  le 
premier  disque  replié  le  long  de  la  tige 
(fig.  2);  mais,  dès  qu'il  est  de  l'autre  côté, 
la  pression  de  l'eau  lui  fait  reprendre  sa 
position    normale  ;    on     l'applique     alors 


contrôla  paroi  en  retirant  la  tige  vers  soi; 
on  met  rapidement  le  tampon  en  place, 
ainsi  que  le  second  disque,  et  on  serre  le 
tout  fortement  avec  l'écrou  ;  le  gonflement 
de  la  cellulose  la  fait  pénétrer  dans  toutes 
les  fissures.  Il   est   clair  que  la  déchirure 


Fig.  1  et  2.  —  Emploi  de  la  cellulose  pour  aveugler  les  voies  d'eau. 

1.  —  Appareil  Colomès.  A,  tige  filetée  et  disque  à  bascule.  R  et  B,  second 
disque  et  écrou.  C,  tampon  de  cellulose  que  l'on  comprime  entre  les  deux 
disques. 

2.  —  Mode  de  mise  en  place  des  appareils. 


n'est  pas  toujours  de  la  dimension  exacte 
d'un  tampon;  mais,  dans  le  cas  oià  elle  est 
allongée,  on  en  place  plusieurs  les  uns  à 
côté  des  autres,  et  la  matière  une  fois 
mouillée  est  assez  plastique  pour  qu'il  se 
fasse  automatiquement  un  raccord  dans 
l'ensemble,  qui  forme  alors  joint  étanche. 
Dans  les  expériences  faites  parla  marine 
américaine  sur  ces  appareils,  on  a  obtenu 
l'obturation  d'un  trou  de  0",07  à  0°i,08  de 
diamètre  en  une  demi-minute  ;  en  une 
minute  et  demie  on  a  bouché  une  déchi- 
rure de  0™,35  de  long,  et  en  trois  minutes 
une  de  0'",18  de  large  sur  0°»,65  de  long. 
La  cellulose  n'est  pas  moins  utile  sur  les 
navires  de  commerce  que  sur  les  vaisseaux 
de  guerre  ;  en  cas  d'abordage,  ou  de  ren- 
contre d'un  écueil,  son  emploi  peut  sou- 
vent au  moins  permettre  de  gagner  du 
temps  pour  sauver  les  passagers. 


Le    tunnel  du   Simplon,  auquel  on   tra- 
vaille en  ce  moment,  sera   beaucoup   plus 


CAUSERIE     SCIENTIFIQUE 


915 


long  que  ceux  qui  ont  été  faits  jusqu'à 
présent  dans  les  Alpes:  il  a  20  kilomètres, 
tandis  (jue  celui  du  mont  Cenis  en  a  13  et 
celui  du  Saint-Gothard  15.  Malgré  cela  il 
sera  terminé  plus  vite  et  coûtera  moins 
cher,  grâce  au  perfectionnement  de  l'outil- 
lage. C'est  surtout  par  l'emploi  de  l'élec- 
Iricité  (ju'on  arrive  à  accélérer  et  à  sim- 
plifier le  travail;  outre  l'éclairage  facile  et 
abondant  qu'elle  procure,  elle  fournit  aussi 
la  force  motrice  pour  les  perforatrices,  les 
ventilateurs,  etc.  Les  chutes  d'eau  qui 
ai)ondent  toujours  à  proximité  des  travaux 
de  ce  genre  permettent  de  l'obtenir  à  bon 
compte.  Pour  le  percement  du  mont  Cenis 
chaque  kilomètre  a  demandé  un  travail 
d'un  an  et  a  coûté  6  millions  de  francs;  on 
compte  (jue  dans  le  percement  du  Sim- 
plon  le  kilomètre  ne  demandera  que  trois 
mois  et  coûtera  trois  millions  de  francs. 
On  voit  qu'en  trente  ans  les  découvertes 
scientifiques  ont  permis  à  l'industrie 
moderne  de  faire  des  travaux  de  ce  genre 
({uatre  fois  plus  vite  en  dépensant  deux 
fois  moins  d'argent  ;  et  on  parle  de  la 
faillite  de  la  science  ! 


M.  le  professeur  Déhérain  a  fait,  à  l'Aca- 
démie des  Sciences,  le  compte  rendu 
d'expériences  qu'il  avait  entreprises  dans 
le  but  de  savoir  s'il  n'était  pas  nuisible, 
au  point  de  vue  de  son  utilisation  complète, 
de  laisser  séjourner  le  fumier  assez  long- 
temps sur  le  sol  avant  de  l'enfouir. 

On  trouve  l'azote  sous  deux  formes 
dans  le  fumier  :  la  partie  la  plus  impor- 
tante est  combinée  avec  des  matières  or- 
ganiques, provenant  des  albuminoïdes,  des 
fientes  d'animaux  et  des  micro-organismes 
qui  l'utilisent  pour  leur  formation  ;  le 
reste,  beaucoup  moins  important,  se  trouve 
combiné  à  l'hydrogène  pour  former  de 
l'ammoniaque.  Or,  des  expériences  de 
M.  Déhérain,  il  résulte  que,  dans  ces 
diverses  combinaisons,  l'azote  ne  résiste 
j)as  à  l'action  de  l'oxygène  de  l'air  et  qu'il 
se  dégage  à  l'étal  libre  dans  l'atmo- 
sphère. 

La  pratique  do  laisser  le  fumier  par 
petits  tas  sur  le  sol  avant  de  l'enfouir  est 
donc  nuisible,  puisqu'il  perd  au  bout  de 
peu  de  temps  une  grande  partie  de  ses 
principes  fertilisants,  et  il  y  a  lieu  de 
procéder  aussitôt  que  possible  à  son 
enfouissement. 


Depuis  longtemps  déjà  la  municipalité 
de  Paris  a  mis  à  l'étude  la  question  des 
gadoues  ou  ordures  ménagères.  Ce  n'est 
pas  une  petite  affaire  que  de  se  débar- 
rasser de  la  quantité  considérable  de  dé- 
chets que  produit   une  ville  de  cette  im- 


portance, et  surtout  de  s'en  débarrasser 
en  s'entourant  de  toutes  les  précautions 
hygiéniques  que  nécessitent  des  matières 
éminemment  putrescibles ,  chargées  de 
tous  les  microbes  connus  et  inconnus.  D'un 
autre  côté,  cela  constitue  la  base  d'un 
excellent  engrais  dont  on  peut  faire  pro- 
fiter l'agriculture,  tout  en  rentrant,  au 
moins  en  partie,  dans  les  frais  que  néces- 
sitent l'enlèvement  et  le  transport.  Quatre 
systèmes  ont  été  retenus  par  la  commis- 
sion de  chimistes  et  d'ingénieurs  chargés 
d'examiner  la  question. 

Le  premier  consiste  à  tout  brûler  ;  il 
est  déjà  pratiqué  à  Paris,  à  titre  d'essai, 
dans  une  usine  installée  à  Javel.  Le 
deuxième,  proposé  par  MM.  Tenin  et 
Pioger,  réduit  la  gadoue  en  pâte  dans  des 
appareils  spéciaux,  de  façon  à  lui  faire 
occuper  un  volume  minimum  et  à  lui 
donner  une  forme  plus  compatible  avec 
son  emploi  comme  engrais.  Dans  le  troi- 
sième procédé,  qui  est  celui  d'Arnold,  em- 
ployé à  Philadelphie,  et  dont  nous  avons 
déjà  eu  l'occasion  de  parler  ici,  la  gadoue 
est  mise  dans  une  cuve  où  elle  reçoit  pen- 
dant sept  ou  huit  heures  un  courant  de 
vapeur  qui  la  maintient  à  une  température 
de  145  degrés  ;  on  recueille  les  graisses, 
qui  s'écoulent  et  trouvent  leur  emploi  dans 
l'industrie  ;  il  reste  un  produit  solide,  bon 
pour  l'engrais  et  parfaitement  désinfecté  ; 
l'eau  qui  résulte  de  l'opération  doit  être 
envoyée  à  l'égout. 

Enfin  le  quatrième  projet,  qui  est  de 
M.  de  Bonardi,  consiste  à  stériliser  la  ma- 
tière en  la  desséchant  par  des  gaz  chauds, 
dépourvus  d'oxygène,  qui  favorisent  la 
transformation  de  l'azote  en  ammoniaque  ; 
puis  à  brûler,  dans  un  foyer,  les  matières 
combustibles  et  à  en  recueillir  les  cen- 
dres. On  obtient  en  fin  de  compte  un  pro- 
duit qui  se  conserve  et  peut  être  mis  en 
réserve  pour  être  utilisé  ultérieurement 
par  l'agriculture. 

Nous  aurons  à  revenir  sur  cette  question 
quand  la  commission  aura  fait  un  choix 
définitif. 


On  utilise  très  peu  la  force  du  vent  et 
l'antique  moulin  aux  grands  bras  disparait 
de  plus  en  plus  ;  pour  celui-là  le  mal  n'est 
pas  grand,  car  il  est  construit  d'une  façon 
un  peu  sommaire  ;  sa  conduite  est  diffi- 
cile, il  ne  marche  pas  par  vent  faible  et 
son  rendement  est  assez  mauvais.  Aujour- 
d'hui la  mécanique  moderne  a  permis,  par 
l'emploi  presque  exclusif  du  fer,  de  con- 
struire des  machines  qui  ne  sont  plus  de 
rustiques  et  élémentaires  moulins,  mais 
des  turbines  à  air  se  réglant  automati- 
quement, prenant  elles-mêmes  leur  orien- 
tation  au  vent  et   se  dérobant   aux  tem- 


916 


CAUSERIE     SCIENTIFIQUE 


Fig.  3.  —  Turbine  à  air_  se  réglant  automati- 
quement, employée  aux  Etats-Unis  pour  l'irri- 
gation. 


pêtes.  Elles  se  composent  (fig.  3)  de  lames 
d'acier,  à  inclinaison  variable  qui,  par  un 
mécanisme  spécial,  augmente  ou  diminue 
suivant  la  force  du  vent,  et  de  telle  sorte 
que,  si  celui-ci  devient  trop  violent,  elles 
se  présentent  do  profil  de  manière  à  lui 
ofTrir  une  faible  résistance.  L'agriculture 
de  l'Amérique  du  Nord  emploie  plus  de 
six  cent  mille  machines  de  ce  genre  ! 
Nous  sommes  loin  de  ce  compte  en 
France.  Il  est  certain  que  la  nécessité 
ne  s'en  fait  pas  autant  sentir  ;  mais  il  n'en 
est  pas  moins  vrai  que,  pour  les  irriga- 
tions par  exemple,  on  pourrait  demander 
au  vent  plus  qu'on  ne  lui  demande,  en 
Algérie  notamment.  Il  ne  manque  pas  chez 
nous  de  bons  constructeurs  de  ces  sortes 
de  turbines  qui  ont  déjà  fait  leurs  preuves 
dans  les  irrigations  du  midi  de  la  France 
et  ailleurs. 

Voici,  du  reste,  quelques  exemples  d'ap- 
plications citées  par  M.  Ringellmann, 
directeur  de  la  station  d'étude  des  instru- 
ments agricoles,  dans  une  étude  faite  à  ce 
sujet  à  la  suite  de  l'exposition  de  Chicago  : 
dans  une  ferme  de  150  têtes  de  bétail  un 
moulin  de  4  mètres  de  diamètre  suffit 
à  l'alimentation  de  l'eau  ;  dans  une  autre 
de  100  têtes  de  bétail  le  moulin  a  4"\60  et 
puise  l'eau  à  80  mètres  de  distance  :  il 
concasse,  en  outre,  le  maïs  pour  les  va- 
ches ;  ailleurs  le  diamètre  est  porté  à  6™, 60, 
mais  il  s'agit  d'abreuver  1 000  têtes.  La 
loi  américaine  permet  de  concéder  des 
terres  arides  à  la  condition  qu'on  en  fasse 
l'irrigation  dans  l'espace  de  dix  ans;  c'est 
là  que  le  moulin  à  vent  apporte  son  aide 
au  concessionnaire.    En  1896,    M.    Ronna, 


dans  un  rapport  à  la  Société  d'encourage- 
ment pour  l'industrie  nationale,  montrait 
comment,  grâce  aux  nouvelles  turbines, 
les  Etats-Unis  ont  transformé  en  région 
fertile  les  plaines  arides  de  plus  de  quatre 
millions  de  kilomètres  carrés  qui  s'éten- 
dent entre  le  100^  et  le  125'^  méridien.  Nous 
connaissons  bon  nombre  de  fermes  fran- 
çaises où  l'eau  fait  souvent  défaut  et  qui 
pourraient  très  bien  s'alimenter  par  ce 
procédé  ;  mais  l'habitude  n'en  est  pas 
encore  prise,  et  on  sait  quelle  est  la  force 
de  la  routine  dans  nos  campagnes.  En 
dehors  des  applications  qu'on  pourrait  ap- 
peler directes,  comme  celles  que  nous 
venons  de  citer,  on  peut  en  voir  d'autres 
dans  lesquelles  on  met  pour  ainsi  dire  le 
vent  en  réserve,  le  prenant  quand  il  se 
présente  pour  accumuler  sa  puissance 
qu'on  utilise  plus  tard,  soit  sous  forme 
d'eau  élevée  dans  un  réservoir,  soit  sous 
forme  d'électricité  emmagasinée  dans  des 
accumulateurs. 


L'emploi  du  thermo-cautère  Paquelin, 
en  chirurgie,  remonte  à  environ  vingt  ans 
et,  pendant  tout  ce  laps  de  temps,  il  a  été 
presque  exclusivement  employé,  malgré 
l'inconvénient  que  présente  la  nécessité 
d'entretenir  constamment  une  soufflerie  à 
laquelle  l'instrument  est  relié  par  un  tube 
de  caoutchouc.  Plusieurs  tentatives  ont  été 
faites  pour  affranchir  l'instrument  de  ces 
impedimenta  et  voici  le  modèle  (fig.  4)  qui 


r/s/^ 


Fig.  4.  —  Aphyso-cautère  ou  thermo-cautère 
sans  soufflerie. 

1.  —  E.,  manche  formant  réservoir  où  l'on  met  de  l'éther 
par  un  bouchon  à  vis  B.  M,  bouton  servant  à  manœuvrer 
l'aiguille  terminée  en  cône  qui  règle  l'écoulement  de 
l'éther  dans  la  chambre  de  vaporisation  E.  V,  pointe 
de  platine  formant  le  cautère. 

2.  —  Support  où  l'appareil  est  amorcé. 


est  aujourd'hui  employé  avec  succès  sous 
le  nom  d'aphyso-cautère  (c'est-à-dire  sans 
soufflerie). 

On  sait  que  le  principe  de  ces  appareils 
consiste  à  utiliser  la  propriété  qu'a  le  pla- 
tine de  rester  incandescent  tant  qu'il  est 
plongé  dans  la  vapeur  d'alcool,  d'éther  ou 
d'essence  ;  le  but  de  la  soufflerie  était  pré- 
cisément d'entretenir  cette  atmosphère  spé- 
ciale autour  de  la  pointe.  Aujourd'hui,  on 


CAUSERIE     SCIENTIFIQUE 


917 


obtient  le  même  résultat  automatique- 
ment :  le  manche  R  de  l'instrument  est 
creux  et  on  y  met  de  l'éther  par  une 
ouverture  B  munie  d'un  bouchon  à  vis  ;  au 
milieu  se  trouve  une  aiguille  qui  se  termine 
par  un  boulon  M  formant  l'extrémité  du 
manche;  c'est  cette  aiguille  qui,  terminée 
en  cône,  ouvre  plus  ou  moins  le  passage  à 
l'éther  dans  la  pointe  de  l'instrument  ;  le 
réglage  de  l'ouverture  se  fait  par  le  bou- 
ton M  dont  nous  avons  parlé  tout  à  l'heure. 
Pour  mettre  l'appareil  en  fonction,  on 
chaufTe  l'extrémité  sur  une  lampe  à  alcool 
et  on  ouvre  très  légèrement  le  passage  de 
l'éther;  il  s'infiltre  dans  une  chambre  E  où 
il  est  vaporisé  immédiatement  et  ces  va- 
peurs s'échappent  dans  une  petite  tuyère 
où  elles  rencontrent  de  l'air  qui  arrive  par 
de  petites  ouvertures  ménagées  sur  les 
côtés  ;  il  y  a  alors  à  ce  moment  combus- 
tion à  l'extrémité  de  celte  tuyère,  qui  se 
termine  par  une  pointe  creuse  P  en  platine 
formant  le  cautère  proprement  dit.  Une 
fois  cette  action  commencée  sur  la  lampe 
à  alcool,  elle  se  continue  tant  qu'il  y  a  de 
l'éther  dans  le  manche,  parce  que  la  cha- 
leur de  la  pointe  de  platine  se  commu- 
nique à  la  chambre  de  vaporisation,  située 
presque  à  sa  base,  et  produit  une  tempé- 
rature suffisante  pour  vaporiser  l'éther  qui 
continue  à  s'infiltrer  par  l'ouverture  que 
règle  l'aiguille.  Il  y  a  pendant  le  fonction- 
nement une  assez  forte  pression  dans  le 
manche  ;  elle  peut  arriver  à  trois  atmo- 
sphères ;  mais  le  tube  qui  le  forme  est 
éprouvé  à  trente  atmosphères  au  minimum 
et  peut  même  résister  à  une  pression 
beaucoup  plus  forte  ;  il  n'y  a  donc  aucun 
danger  d'explosion.  L'absence  de  soufflerie, 
en  donnant  plus  d'indépendance  à  l'ap- 
pareil, permet  de  le  manier  plus  facile- 
ment. En  dehors  de  ses  usages  chirurgi- 
caux, nous  rappellerons  en  terminant  que 
le  thermo-cautère  a  reçu  une  application 
dans  les  arts  pour  la  pyrogravure  qui 
donne  des  effets  de  décoration  très  artis- 
tiques. 


Arracher  les  dents  sans  douleur  est  au- 
jourd'hui chose  courante ,  mais  pas  tou- 
jours sans  danger  quand  on  a  recours  à 
des  agents  qui  procurent  une  anesthésie 
générale  ;  aussi  beaucoup  de  personnes 
appréhendent -elles  de  s'y  soumettre.  On 
a  de  préférence  recours  à  l'insensibilisa- 
tion locale  et  les  injections  de  cocaïne  sont 
souvent  employées  à  cet  effet  ;  elles  ne  sont 
pas  non  plus  sans  donner  lieu  parfois  à  des 
accidents  plus  ou  moins  graves.  Une  mé- 
thode préconisée  par  M.  le  docteur  Dumont 
semble  devoir  rendre  de  réels  services  à 
ceux,  et  ils  sont,  hélas  !  bien  nombreux, 
qui  doivent    recourir   à    l'intervention  du 


dentiste.  C'est  l'apjjlication  sur  la  gencive 
d'un  tampon  imbil)é  de  gaïacol  ;  cette  sub- 
stance donne  une  anesthésie  locale  suffi- 
sante pour  permettre  d'introduire  l'ai- 
guille qui  doit  insensibiliser  les  parties 
profondes  ;  elle  ne  provoque  jamais  d'ac- 
cident général. 

A  la  Société  de  thérapeutique,  M.  le  doc- 
teur Fereira  fait  part  des  succès  qu'il  a 
obtenus  en  administrant  l'asaprol  comme 
désinfectant  dans  la  fièvre  typhoïde.  Il  fait 
remarquer  que  l'emploi  des  antiseptiques 
insolubles  comme  le  naphtol,  le  salol,  etc., 
pour  le  traitement  de  cette  maladie,  tend 
aujourd'hui  a  être  abandonné  par  beaucoup 
de  praticiens,  à  la  suite  de  discussions  et 
de  travaux  récents  qui  semblent  démon- 
trer qu'il  ne  s'agit  pas  d'atteindre  directe- 
ment les  germes  pathologiques  implantés 
sur  l'intestin,  mais  de  produire  une  anti- 
septie  interne,  plus  générale,  au  moyen  de 
sels  solubles. 

M.  Fereira,  qui  habite  le  Brésil,  a  ob- 
servé dans  six  cas  de  fièvre  typhoïde 
l'effet  de  l'asaprol  (  naphtol  monosulfo- 
nate  de  calcium),  et  il  a  constaté  une  amé- 
lioration notable  et  rapide  par  l'absorp- 
tion de  2  ou  3  grammes  par  jour  en 
cachets  ou  en  potion.  Les  personnes  d'âge 
très  différent,  vieillards  et  enfants,  le  sup- 
portent, d'après  lui,  facilement  même  pen- 
dant plusieurs  jours  de  suite.  Il  explique 
l'effet  pi-oduit  par  cet  agent  en  faisant 
observer  qu'il  a  une  action  agglutinante 
caractéristique  sur  le  bacille  typhique  et 
il  estime  que,  dans  ces  conditions,  il  y  a 
probablement  une  antiseptie  générale  du 
sang. 


Les  fontaines  lumineuses  ont  été  l'un 
des  plus  grands  succès  de  l'Exposition  de 
1889  et  il  est  probable  qu'en  1900  on  ne 
manquera  pas  d'en  installer  de  nouvelles; 
car  on  pourrait  difficilement  trouver  un 
plus  joli  spectacle  à  offrir  au  visiteur  que 
ces  eaux  jaillissantes,  aux  couleurs  variées 
et  changeantes.  On  sait  que  le  principe  de 
ce  genre  de  fontaines  consiste  à  éclairer 
puissamment  le  jet  à  sa  base,  en  interpo- 
sant entre  lui  et  la  source  de  lumière  des 
verres  colorés  qu'on  peut  changer  à  vo- 
lonté. Le  système  employé  ordinairement 
pour  faire  ce  changement  dos  verres  est 
simple  comme  conception,  mais  assez  com- 
pliqué comme  exécution  quand  il  s'agit 
d'avoir  un  assez  grand  nombre  de  couleurs. 
Les  verres  sont  montés  sur  des  châssis 
qui  glissent  sur  des  coulisses  et,  au  moyen 
d'un  système  de  chaînes  et  de  leviers,  on 
les  fait  passer  l'un  ou  l'autre  à  volonté  de- 
vant le  foyer  lumineux.  Pour  faire  cette 
manœuvre  pendant  toute  une  soirée,  et  sur 
un  grand  nombre  de  jets,  il  faut  un  per- 


918 


CAUSERIE    SCIENTIFIQUE 


sonnel  assez  nombreux  ;  mais  voici  une 
disposition  (fig.  5),  employée  par  M.  Ada- 
mof  de  Bakou,  qui  nous  paraît  plus  pra- 
tique, car  elle  permet  de  faire  les  change- 


Fig.  5.  —  Fontaine  lumineuse  automatique. 

les  verres  de  couleur  V  sont  montés  sur  une  roue  polygo- 
nale R  actionnée  par  un  moteur.  La  lumière  de  la  lampe 
électrique  L  est  renvoyée  au  condensateur  C  par  un 
miroir  incliné  M  formant  réflecteur. 


ments  d'une  façon  automatique.  Les  verresV 
sont  montés  sur  une  roue  polygonale  R 
qui  tourne  lentement  sous  l'action  d'un 
moteur  électrique  ou  hydraulique;  en  bas 
se  trouve  un  miroir  M,  incliné  à  45  degrés, 
qui  renvoie  vers  le  châssis  du  haut  les 
rayons  lumineux  provenant  d'une  lampe  à 
arc  L  ;  de  cette  façon  chaque  verre  vient 
successivement  colorer  le  jet  d'eau,  qui 
change  ainsi  constamment  de  couleur.  Mais, 
si  l'on  veut  prolonger  chacune  des  colora- 
tions pendant  un  temps  plus  ou  moins 
long,  ce  qui  est  peut-être  préférable  au 
point  de  vue  de  l'effet,  on  peut  facilement 
arriver  à  ce  résultat  en  munissant  le  mo- 
teur d'un  mécanisme  spécial  qui  fait  avan- 
cer la  roue  par  saccades  plus  ou  moins 
rapides.  Avec  de  telles  dispositions  un 
seul  homme  peut  surveiller  plusieurs 
postes  et  dans  un  endroit  où  il  n'y  aurait 
qu'une  seule  installation,  comme  dans  cer- 
tains hôtels  ou  dans  les  fontaines  publiques 
isolées,  on  peut  même  se  passer  de  sur- 
veillant. 


Si  on  n'avait  pas  de  côtes  à  monter,  com- 
bien le  nombre  des  cyclistes,  déjà  si  res- 
pectable,   n'augmenterait-il    pas    encore  ! 


Un  jour  viendra,  dans  le  courant  du  xx^  siè- 
cle, où  on  fera  le  long  des  voies  ferrées 
des  pistes  spéciales  pour  les  vélos.  Ce  se- 
rait peut-être  un  peu  trop  demander  à  la 
bienveillance,  bien  connue,  des  Compagnies 
de  chemin  de  fer  pour  le  bon  public  ;  elles 
craindraient  probablement  de  tirer,  comme 
on  dit,  sur  leurs  pigeons,  à  moins  cepen- 
dant qu'elles  n'y  trouvent  leur  compte 
d'une  autre  façon  en  faisant  payer  une  re- 
devance à  ceux  qui  useraient  de  cette  piste. 
Mais,  à  l'époque  encore  lointaine  où  on  en 
sera  là,  les  trains  seront  peut-être  rem- 
placés par  les  ballons,  et  on  sera  trop 
heureux  d'utiliser  ainsi  les  voies  ferrées. 
En  attendant,  le  pédalage  idéal  sur  une 
roule  plate  est  réservé  aux  agents  de  la 
voie,  qui  n'en  usent  pas  du  reste,  et  pour 
cause  ;  mais  voici  un  inventeur  qui  leur 
propose,  puisque  le  terrain  n'est  pas  suf- 
fisamment uni,  de  se  servir  du  rail  lui- 
même,  sans  être  pour  cela  un  équilibriste 
hors  ligne.  A  cet  effet  il  construit  un  dis- 
positif spécial,  léger,  démontable,  qui  s'a- 
juste rapidement  à  une  machine  ordinaire 
(fig.  6).  Pour  assurer  le  guidage  parfait, 
il  attache  au  cadre,  de  façon  qu'ils  ar- 
rivent un  peu  au-dessous  des  roues,  deux 
petits  bâtis  qui  portent  des  roulettes  frot- 
tant sur  le  côté  latéral  du  rail;  en  outre, 
au  moyen  de  deux  tiges  en  forme  de  trian- 


Fig.  6. 


—  Bicyclette  disposée  pour  courir  sur  les 
rails  d'une  voie  de  chemin  de  fer. 


De  petits    galets  ajustés  au  niveau  inférieur  des  roues 
appuient  sur  la  partie  latérale  du  rail. 


gle,  attachées  aussi  au  cadre,  il  dispose 
une  petite  roue,  dont  le  bandage  est  sem- 
blable à  celui  des  roues  de  wagon,  destinée 
à  suivre  le  rail  opposé.  Tout  cela  alourdit 
évidemment  un  peu  la  machine  et  augmente 
les  frottements,  mais   la  piste  est  si  unie 


GAUSEUIE     SCIENTIFIQUE 


919 


et  si  plate  qu'il  y  a  une  largo  compensa- 
lion.  Inutile  de  faiie  remarquer  que  le  si- 
gnal avertisseur,  trompe,  sonnerie  ou  gre- 
lot, devient  inutile  ;  il  est  préférable  de  se 
déranger  pour  laisser  passer  les  trains. 


Dans  les  grands  parcours  comme  il  y  en 
a  sur  les  lignes  américaines  où  les  trains 
peuvent  circuler  pendant  des  journées  en- 
tières sans  s'arrêter,  il  y  a  une  cause  ma- 
jeure qui  impose  des  stations  plus  ou  moins 
prolongées  :  c'est  l'alimentation  d'eau  pour 
la  machine.  On  ne  peut,  sans  charger  outre 
mesure  le  convoi,  emporter  une  quantité 
suffisante  pour  d'aussi  longs  parcours. 
Aussi,  pour  pouvoir  passer  outre,  a-t-on 
eu  recours  à  un  artifice  ingénieux  qui  per- 


Fig.  V.  —  Disposition  permettant  d'alimenter  le 
réservoir  d'un  tender  de  locomotive  sans  arrêter 
le  train. 

A,  tube  recourbé  que  le  mécanicien  abaisse  au  moment 
où  il  arrive  au-dessus  d'un  canal  B  de  200  ou  300  mètres 
de  long  contenant  de  l'eau.  Celle-ci  est  refoulée  dans 
le  tube  par  le  seul  fait  de  la  marche  du  train. 

met  d'emplir  le  réservoir  du  tender  sans 
arrêt.  Pour  cela  on  dispose  (fig.  7),  le  long 
de  la  voie  et  entre  les  rails,  un  canal  B  en 
tôle  de  200  ou  300  mètres  de  long  dans 
lequel  on  met  de  l'eau;  le  tender  est  muni 
d'un  conduit,  analogue  à  un  tuyau  de  poêle, 
qui  traverse  le  fond  du  réservoir  d'eau  dont 
il  est  muni.  L'extrémité  supérieure  de  ce 
tube  débouche  au  niveau  de  l'eau  dans  le 
tender  et  l'extrémité  inférieure  A,  qui  est 
recourbée  en  avant,  peut  descendre  ou 
monter  de  quelques  centimètres;  cette 
manœuvre  est  faite  par  le  chauffeur  au 
moyen  de  leviers  qui  aboutissent  à  son 
poste.  Dès  qu'il  arrive  sur  le  canal  disposé 
sur  la  voie,  il  abaisse  donc  cette  partie  du 
tube  dont  l'extrémité  horizontale  vient  ren- 
contrer l'eau  du  canal  et  la  vitesse  du  train 


suffit  à  la  refouler  jusqu'en  haut,  pour  la 
déverser  dans  le  réservoir.  Maintenant  que 
beaucoup  de  locomotives  sont  chauffées 
au  pétrole,  on  pourrait  les  alimenter  de 
combustible  de  la  même  manière  et  les 
trains  directs  rouleraient  sans  aucun  arrêt 
entre  les  stations  extrêmes  de  la  ligne. 


On  ne  se  faisait  pas  une  idée  bien  nette 
du  fond  de  la  mer  jusqu'à  ces  derniers 
temi)s  oîi  la  pose  des  câbles  télégraphi- 
ques a  nécessité  une  étude  complète  des 
endroits  où  ils  doivent  reposer.  Dans  une 
conférence  faite  dernièrement  à  l'Union 
coloniale  française,  M.  J.  Depelly  a  donné 
des  renseignements  très  intéressants  à  ce 
sujet.  Les  sondages  de  la  marine  sont 
surtout  faits  en  vue  d'étaljlir  la  position 
d'écueil  et  par  suite  ont  lieu  principale- 
ment aux  approches  des  côtes  ;  en  pleine 
mer  il  importe  peu  de  savoir  si  on  a  150 
ou  3  000  mètres  sous  soi.  Pour  la  pose  d'un 
câble  il  est,  au  contraire,  très  important 
de  se  rendre  compte  s"U  se  trouvera  sur 
un  fond  plat,  une  vallée,  ou  si,  suspendu 
entre  deux  mamelons  plus  ou  moins 
rapprochés,  il  ne  risque  pas  de  se  rompre 
sous  son  propre  poids.  Des  études  qui  ont 
été  faites  à  ce  sujet  il  résulte  qu'en  géné- 
ral, lorsqu'on  atteint  certaine  profondeur, 
la  régularité  du  fond  est  remarquable. 
Les  sondages  opérés  dans  la  Méditerranée 
n'indiquent  pas  un  maximum  de  plus  de 
3  500  mètres;  ceux  de  l'Atlantique  rare- 
ment plus  de  6  000;  quant  au  Pacifique, 
les  sondages  faits  par  les  Anglais  donnent 
9  400  mètres  aux  environs  de  Tongatabou, 
dans  l'archipel  polynésien;  c'est,  croyons- 
nous,  la  plus  grande  profondeur  connue. 
Dans  l'Atlantique  nord  les  pentes  sont 
assez  régulières  et  assez  douces  pour  que 
(quand  il  sera  à  sec  !)  on  puisse  faire 
facilement  en  voiture  le  trajet  des  côtes 
d'Irlande  à  Terre-Neuve.  C'est  du  moins 
l'opinion  de  M.  Huxley,  savant  anglais  qui 
a  spécialement  étudié  la  question.  Le  sol 
est  aussi  vmi  qu'une  belle  plage  à  marée 
basse;  à  partir  de  la  côte  on  a  une  pente 
douce  dune  centaine  de  lieues  qui  mène 
à  une  plaine  de  400  lieues,  située  actuelle- 
ment à  4  000  ou  j  000  mètres  de  la  surface 
de  l'eau  ;  ensuite  on  remonte  par  une  pente 
douce  de  150  lieues  jusqu'à  Terre-Neuve. 
Voilà  le  vrai  terrain  des  cyclistes  de 
l'avenir  !  En  attendant,  pour  un  câble 
télégraphique,  c'est  un  excellent  lit  où 
il  peut  reposer  en  sécurité  pendant  de 
longues  années, 

G.  Maresciial. 


Les  renseignements  de  cet  article  sont  donnés  au  point  de  rue  scientifique  et  en  dehors  de  toute  réclame.  Aussi  il  ne 
sera  pas  répondu  aux  demandes  d'adresses  ou  de  renseignements  commerciaux. 


EVENEMENTS     GÉOGRAPHIQUES 
ET  COLONIAUX 


Marchand  est  rappelé. 

Voici  la  troisième  chronique  qui  parle 
de  lui  ;  elle  ne  se  terminera  point,  ainsi 
que  les  deux  précédentes,  par  des  paroles 
de  joyeuse  espérance.  Le  rappel  de  Mar- 
chand par  le  gouvernement  français  est, 
sans  nul  conteste  possible,  un  échec,  et  un 
échec  d'autant  plus  douloureux  qu'il  affecte 
davantage  notre  amour-propre. 

Depuis  deux  ans,  tous  ceux  qui  s'inté- 
ressent, en  France,  à  l'expansion  de  l'in- 
fluence française  suivaient  avec  émotion 
dans  leur  marche  à  travers  le  continent 
noir  ces  hommes  hardis.  On  savait  peu  de 
choses  de  leur  programme  et  de  leur  but; 
on  devinait,  à  défaut  d'indications  offi- 
cielles, qu'ils  allaient  vers  le  Nil,  qu'ils 
essayeraient  de  donner  la  main  à  cette 
monarchie  abyssine  sur  laquelle  nous  fon- 
dions, jusqu'en  ces  derniers  temps,  de  si 
grandes  espérances,  qu'ils  sépareraient  les 
Anglais  d'Egypte  et  les  Anglais  d'Ouganda. 
On  ne  pouvait  qu'admirer  un  plan  aussi 
audacieux.  Il  s'agissait  de  contrecarrer  ou- 
vertement un  dessein  que  l'Angleterre  avait 
formé  depuis  de  longues  années.  L'Angle- 
tjrre  avait  dit  :  «  La  vallée  supérieure  du 
Nil  est  sous  mon  influence.  »  Nous  refu- 
sons de  reconnaître  cette  prétention  :  «  Et 
si  l'Angleterre  se  fâche?  »  disaient  quel- 
ques gens  bien  avisés.  «  L'Angleterre,  se 
fâcher  sérieusement?  Baste  !  elle  a  été  si 
bonne  enfant  au  Siam,  à  Madagascar,  en 
Tunisie  !  Elle  ne  veut  que  bluffer.  Montrons 
les  dents.  Elle  reculera.  » 

L'Angleterre  s'est  fâchée  sérieusement. 
Pensez  donc  !  C'est  le  lendemain  de  la 
grande  victoire  d'Omdourman,  en  pleine 
fièvre  d'excitation  patriotique ,  à  l'heure 
où  enivrait  tous  les  cœurs  anglais  la  joie 
d'avoir  enfin  vengé  Gordon  et  de  croire 
assurée  la  réalisation  du  rêve  de  Cecil 
Rhodes  :  l'Afrique,  du  Caire  au  Cap,  à 
l'Angleterre,  qu'est  arrivée  la  nouvelle  de 
l'occupation  de  Fachoda  par  les  Français. 
Du  coup,  l'ivresse  est  tombée;  la  désillu- 
sion a  été  cruelle  ;  dans  toutes  les  colonnes 
des  journaux  britanniques,  des  poings  se 
sont  dressés  vers  la  France,  qui  troublait 
la  digestion  d'une  telle  victoire.  Nous  en 
avons  entendu  de  belles  sur  notre  compte  ! 
Mais  nous  disions  :  <(  Laissons  faire.  Notre 
gouvernement  a  eu  ses  raisons  d'agir;  s'il 
est  allé  à  Fachoda,  c'est  qu'il  est  certain 
d'y  pouvoir  rester.  Attendons  la  fin.  » 

La  fin  est  venue  :  Marchand  est  rappelé. 

C'est  que  l'Angleterre  ne  s'est  pas  con- 
tentée de  nous  manifester  son  sentiment 
par  la  voie  des  journaux  et  des  discours. 
Elle  a  préparé  délibérément  la  guerre. 


Elle  a  réuni  une  escadre  spéciale  à  Ply- 
mouth,  décidé  la  formation  d'une  escadre 
de  réserve,  levé  les  marins  de  la  garde 
de  ses  côtes.  Le  2  novembre,  l'arsenal  de 
Woohvich  expédie  300  tonnes  de  maté- 
riel de  guerre  à  Malte  et,  le  lendemain, 
300  tonnes  à  Gibraltar.  Le  4,  on  apprend 
que  l'Angleterre  achète,  en  Amérique, 
575,000  gallons  d'alcool,  destinés  à  la  fabri- 
cation de  la  poudre  sans  fumée  et  tout  le 
charbon  disponible.  Chaque  jour  ce  sont 
des  armements  nouveaux,  des  mouvements 
de  vaisseaux  et  de  troupes.  Nous  ne  pou- 
vions nous  empêcher  de  songer  à  l'époque 
qui  précéda  la  guerre  de  Sept  ans  et  à  cet 
inexpiable  attentat  de  la  nation  anglaise, 
donnant,  en  1755,  l'ordre  à  l'amiral  Bosca- 
wen  de  tomber  aans  déclaration  de  guerre 
sur  nos  escadres  et  sur  nos  vaisseaux  mar- 
chands ;  Boscawen  nous  prit  300  navires, 
10,000  matelots  et  pour  40  millions  de 
francs  de  cargaison.  Nous  ne  pouvions, 
non  plus,  nous  empêcher  de  nous  rappeler 
le  discours  encore  récent  (25  octobre  1894), 
où  lord  Roseberry,  alors  premier  ministre, 
disait  :  «  Je  crois  que  cette  nation-ci  est 
unie  et  résolue,  dans  les  questions  de  poli- 
tique étrangère,  comme  elle  ne  l'avait  ja- 
mais été  auparavant  à  un  tel  degré.  Je 
crois  que  le  parti  d'une  petite  Angleterre, 
d'une  Angleterre  réduite,  dégradée,  neutre, 
prête  à  toute  soumission,  est  mort...  Le 
souvenir  d'Azincovrt  nesi  pas  évanoui;  il 
nous  faut  rester  à  la  hauteur  de  ce  souvenir 
et  de  cet  idéal.  » 

Tandis  que  la  nation  anglaise,  unie  der- 
rière ses  chefs,  se  préparait  virilement  à 
la  guerre,  que  faisait   la   France? 

Son  ministre  civil  de  la  marine,  dans 
un  voyage  d'études  en  Corse  et  sur  les 
côtes  de  l'Algérie-Tunisie,  donnait  la  dé- 
monstration officielle  de  notre  faiblesse 
navale.  Les  ministres  de  la  guerre  étaient 
abattus  les  uns  après  les  autres  ;  à  deux 
reprises,  coup  sur  coup,  l'état-major  gé- 
néral de  l'armée  recevait  un  nouveau  chef. 
Ne  disons  rien  de  la  guerre  civile  latente, 
de  la  criminelle  division  des  citoyens  en 
deux  camps  :  les  partisans  de  la  justice, 
les  partisans  de  l'armée  nationale,  comme 
si  l'armée  d'une  République  pouvait  être 
autre  chose  que  la  vengeresse  du  droit  ! 
Mais  il  faut  se  rappeler  les  tristes  heures 
que  nous  avons  vécues  depuis  un  mois, 
depuis  une  année  entière,  pour  s'expliquer 
la  décision  d'évacuer  Fachoda.  La  ques- 
tion était  simple  :  l'Angleterre  armait, 
voulait  la  guerre  ;  nous  étions  dans  des 
conditions  morales  et  matérielles  qui  ne 
pouvaient  faire    présager  qu'un    insuccès. 


ÉVÉNEMENTS    GÉOGRAPHIQUES 


921 


Nous  avons  reculé.  Ne  fûmes-nous  point 
sages?  Mais  ceux  qui  nous  ont  préparé  cette 
humiliation  —  ne  nommons  personne  ;  nous 
ne  pouvons  cependant  oublier  que  Mar- 
chand fut  poussé  en  avant  surtout  par  le 
ministère  des  affaires  étrangères  —  ont-ils  été 
sages,  ceux-là,  et  c(ue  penser  d'eux?  11  est 
regrettable,  certes!  que  la  responsajjilité 
ministérielle  ne  soit  en  France,  comme 
l)ien  d'autres  responsabilités,  qu'un  mot. 
L'amour- propre  du  pays  est  froissé,  ses 
intérêts  futurs  lésés  :  ce  serait  une  satis- 
faction, pour  cette  justice  dont  on  parle 
tant,  que  de  tirer  au  clair  les  origines  de 
la  mission. 

Reste  un  autre  point. 

Le  4  novembre,  au  soir,  une  note  offi- 
cielle annonçait  :  «  Le  gouvernement  a 
résolu  de  ne  pas  maintenir  à  Fachoda  la 
mission  Marchand.  »  Nous  évacuons;  mais 
jusqu'où  nous  retirons-nous?  Le  Bahr-el- 
Gazal,  où  notre  drapeau  flotte  sur  vingt 
postes  :  Rafaï,  Sémio,  Fort-Hossinger 
(Tambourah),  Dem-Ziber,  l'ancienne  capi- 
tale de  Lipton-Bey,  Roumbeck,  Kodjalé, 
poste  des  Rapides,  Fort-Desaix,  Djour- 
Ghattas,  lévacuerons-nous  aussi?  Et,  sur- 
tout, cette  question  d'Egypte,  que  devait 
rouvrir  la  seule  présence  de  Marchand  à 
Fachoda,  l'abandonnerons-nous  définitive- 
ment? Certes,  on  est  loin  d'avoir  tout 
réglé.  Ecoutez  lord  Salisbury,  disant  au 
grand  banquet  offert  à  Kitchener,  le 
4  novembre  :  «  Je  ne  veux  pas  dire  que 
toutes  les  causes  de  discussion  ont  disparu 
entre  le  gouvernement  français  et  nous- 
mêmes  ;  il  n'en  est  probablement  pas 
ainsi.  »  Savez-vous  comment  les  journaux 
anglais  traduisaient  ces  paroles  peu  rassu- 
rantes ?  Le  Times  déclare  :  «  11  ne  saurait 
être  question  d'accorder  à  la  France  un 
débouché  sur  le  Nil.  »  La  Saint-James 
Gazette  affirme  que  le  moyen  le  meilleur 
de  couper  court  à  toutes  ces  questions  est 
de  proclamer  le  protectorat  anglais  sur 
l'Egypte.  Dans  le  même  temps,  malgré  la 
déclaration  officielle  française  d'abandon 
de  Fachoda ,  l'Angleterre  continue  ses 
armements  et  remplit  le  monde  du  bruit 
de  ses  préparatifs  ;  les  navires  de  la  flotte 
d'instruction  de  la  mer  du  Nord  rentrent 
en  hâte  pour  s'armer  et  embarquer  du 
charbon.  De  toute  nécessité,  il  nous  fau- 
drait donc  aujourd'hui,  à  nous  autres 
citoyens,  beaucoup  d'union,  à  nos  gouver- 
nants beaucoup  de  sagesse,  à  tous  beau- 
coup de  patriotisme.  Mais,  hélas!  dans  les 
négociations  qui  vont  s'ouvrir  —  et  dont 
nous  ne  parlerons  plus  que  pour  commen- 
ter les  résultats  —  nous  arrivons  au  len- 
demain d'une  reculade  ;  peut-il  ne  point 
se  faire  que  notre  dignité  en  soit  atteinte, 
notre  confiance  ébranlée  ?  L'Angleterre 
affiche  l'intention  d'en  profiter,  de  pousser 


son  avantage:  nul  ne  peut  dire  quels  évé- 
nements vont  suivre. 


Aussi  bien  tout  se  tient-il  dans  la  poli- 
tique générale.  Avez-vous  remarqué,  ces 
jours  derniers,  dans  l'avalanche  des  télé- 
grammes relatifs  aux  armements  anglais, 
un  détail  curieux?  Il  s'agissait  de  Fachoda, 
un  marécage  perdu  au  centre  de  l'Afrique, 
et  l'on  nous  annonçait  que  l'Angleterre 
faisait  de  grands  préparatifs  à  Plymouth 
et...  dans  le  golfe  du  Petchili.  A  Weï- 
Haï-Weï,  les  sept  navires  de  guerre 
anglais  prennent  leurs  dispositions  de 
combat  ;  à  Tché-Fou,  le  Victorious,  le  plus 
formidable  cuirassé  qui  se  trouve  dans 
les  mers  d'Extrême-Orient,  gorge  ses 
cales  de  charbon  ;  à  Hong-Kong,  on  monte 
les  canons  de  siège,  on  concentre  les 
canonnières.  Qu'est-ce  à  dire  ?  L'explica- 
tion était  facile  à  trouver.  Le  lecteur  sait 
qu'il  est  de  mode,  depuis  trois  ou  quatre 
ans,  chez  nos  voisins  d'outre-Manche  de 
se  lamenter  sur  la  politique  extérieure  de 
leur  gouvernement .  A  les  en  croire , 
l'Angleterre  aurait  été  mise  en  échec  sur 
tous  les  points  du  globe  :  la  Tunisie,  la 
boucle  du  Niger,  Madagascar,  le  Siam 
auraient  dû  devenir  terres  anglaises  !  La 
Chine  leur  échappe  !  Leurs  ministres  ont 
cédé  partout  devant  la  France  et  devant 
la  Russie  !  Les  bons  apôtres  !  Ils  voudraient 
frire  le  globe  et  accusent  ceux  qui  tiennent 
la  queue  de  la  poêle  daller  trop  lente- 
ment. 

11  semble  que  ces  reproches  aient  agacé 
les  ministres  anglais  :  comme,  à  la  nou- 
velle que  le  drapeau  tricolore  flottait  à 
Fachoda,  le  mécontentement  de  leurs  élec- 
teurs devenait  de  la  frénésie,  ces  minis- 
tres ont  résolu  de  jouer  le  tout  pour  le 
tout.  Ah  !  on  les  accusait  de  reculer  de- 
vant la  France!  On  allait  bien  voir!  D'où 
articles  de  journaux,  discours  commina- 
toires, armements.  La  France  a  cédé  : 
premier  triomphe.  Mais  on  les  accusait 
également  de  reculer,  en  Chine,  devant  la 
Russie  :  d'où  les  armements  qu'on  an- 
nonce dans  les  mers  de  Chine.  C'est  ici, 
surtout,  que  la  situation  pourrait  tourner 
à  l'aigre.  Dans  une  guerre  avec  l'Angle- 
terre, la  Russie  serait  bien  moins  vulné- 
rable que  la  France;  elle,  de  plus,  pour- 
rait rendre  coup  pour  coup  :  il  lui  est  aussi 
facile  d'envahir  llnde  et  d'aller  à  Pékin 
—  du  moins  au  printemps  —  qu'il  nous 
serait  difficile  de  descendre  sur  le  littoral 
anglais. 

Et  celte  question  se  pose  :  la  Russie,  en 
face  des  exigences  de  sa  vieille  ennemie, 
montrera-t-elle  notre  magnanimité  d'àme? 
Reculera-t-elle?  Nous  ne  faisons,  pour  au- 
jourd'hui, qu'indiquer  la  gravité  de  cette 


922 


ÉVÉNEMENTS    GEOGRAPHIQUES 


question  et  montrer  le  lien  qui  la  rattache 
à  la  question  de  Fachoda.  Depuis  que  nous 
avons  parlé  ici  de  la  Chine,  depuis  un  an, 
bien  des  événements  se  sont  produits  sur 
le  territoire  de  cet  énorme  empire  :  nous 
les  grouperons  et  tirerons  les  enseigne- 
ments qu'ils  compor- 
tent, dans  une  future 
chronique,  peut-être  la 
prochaine. 


En  manière  d'intro- 
duction à  cette  étude 
d'ensemble ,  peut-être 
ne  sera-t-il  point  inu- 
tile aujourd'hui  de 
donner  une  idée  de  nos 
possessions  en  Indo- 
Chine.  L'arrivée  ré- 
cente de  M.  Doumcr  en 
France  et,  nous  le  crai- 
gnons, les  prochains 
événements  de  Chine 
donneront  aux  notes 
qui  vont  suivre  quelque 
intérêt  d'actualité. 

11  est  manifeste  que 
dans  les  intentions  de 
la  France,  conquérant 
la  Cochinchine  et  le 
Cambodge,  l'Annam  et 
le  Tonkin,  le  Laos  — 
un  magnifique  empire 
dont  la  s  u  p  e  r  fi  c  i  e 
excède  de  la  moitié 
celle  du  sol  métropo- 
litain et  que  peuplent 
vingt  millions  de  su- 
jets, —  la  pensée  de  se 
dédommager  de  la  perte 
de  l'Inde  est  entrée 
pour  une  large  part.  Il 
s'agissait,  de  plus,  de 
nous  ouvrir  des  routes 
vers  les  marchés  de  la 
Chine  intérieure,  de 
forcer  les  «  portes  de 
derrière»  du  Céleste-Empire.  Or,  depuis 
1884,  année  où  nous  nous  emparâmes  du 
Tonkin,  nous  avons  dépensé ,  en  Indo- 
Chine,  six  cents  millions  de  francs.  A  ce 
prix,  avons-nous  réussi  dans  nos  projets? 
Ce  pays  est-il  pour  nous  une  Inde  nou- 
velle? Nous  a-t-il  servi  à  développer  notre 
commerce  avec  la  Chine?  La  réponse  est 
courte  :  le  commerce  de  l'Inde  anglaise 
s'élève  à  2,500  millions  de  francs,  celui  de 
rindo-Chine  française  à  277  millions;  le 
transit  entre  la  mer  de  Chine  et  le  Yunnan, 
à  travers  le  Tonkin,  varie  entre  6  et  8  mil- 
lions. Enorme  trafic  avec  la  Chine!  Nou- 
velles Indes!  Nous  avions  rêvé. 


Efforçons-nous  cependant  d'être  justes. 
S'il  est  vrai  que  les  six  cents  millions  dé- 
pensés là-bas  ont  été  presque  uniquement 
consacrés  à  des  dépenses  militaires  non 
toujours  indispensaljles  ;  s'il  est  vrai  que, 
pour  la  mise  en  valeur  agricole,  industrielle, 


100-  ^st  de  Pans 


Légende 
Zt./nU&r  ^e  Proi'irices . 


LES      Q 


TJESTIONS     d'extrême-orient 
'iNDO-CHINE     FRANÇAISE 

commerciale  du  pays,  fort  peu  a  été  fait; 
s'il  est  vrai  que  la  politique  des  gouver- 
neurs généraux  n'a  pas  toujours  été  très 
pratique,  ni  même  très  habile,  et  que  chaque 
gouverneur  a  eu  la  sienne,  il  ne  faudrait 
pas  oublier  ceci  :  les  Anglais  sont  dans 
l'Inde  depuis  deux  cents  ans,  et  nous 
sommes  au  Tonkin  depuis  quinze  ans; 
l'Inde  est  autrement  étendue,  fertile  et 
peuplée  que  l'Indo-Chine,  aux  vallées  plus 
étroites,  aux  deltas  plus  restreints  ;  nous 
avons  achevé  à  peu  près  complètement  la 
pacification  des  régions  occupées;  on  ne 
peut  nier  que  depuis  cinq  ou  six  ans  de 
grands  efforts  n'aient  été  faits  et  quelques 


ÉVÉNEMENTS    GÉOGRAPHIQUES 


923 


résultais  obtenus.  (>'était  un  peu  notre 
faute,  si  nous  avions  rêvé  trop  beau  ;  soyons 
plus  modestes,  et  nous  nous  réjouirons  de 
l'œuvre  accomplie. 

La  grande  culture  de  ces  Ijasses  terres 
d'Extrême-Orient,  longtemps  inondées 
par  les  eaux  que  précipite  svu"  elles  la 
mousson  du  Sud,  sans  cesse  imprégnées 
d'humidité,  sans  cesse  chauffées  par  un 
soleil  ardent,  c'est   le   riz.  L'énorme  delta 


importante,  après  celle  du  riz,  est  la  culture 
de  la  canne  à  sucre,  cjui  se  rencontre  aussi 
dans  le  territoire  de  Langson  ;  dans  l'An- 
nam,  Quang-Naï  est  le  centre  principal 
de  production  du  sucre  :  exportation, 
en  1896,  .'i, 880, 000  kilogrammes.  Le  poi- 
vrier est  exploité  à  Hâtien  (Cochinchine) 
et  dans  l'île  de  Phu-Quôc  ;  le  tabac,  dans 
l'Annam;  des  essais  de  pavot  à  opium  ont 
été  faits  dans  le    Haut-Laos  et   le   Haut- 


L'INDO-CHINE      FRANÇAISE     —     EN     ANNA  M     :     LE      CHEF     DES     BONZES 


du  Mékong,  qui  constitue  presque  tout  le 
Cambodge,  presque  toute  la  Cochinchine, 
en  exporte  déjà  de  notables  quantités  : 
108,000  tonneaux  en  mai  dernier;  et  ce- 
pendant cette  culture  s'y  étend  encore  : 
on  va  l'introduire  dans  la  Plaine  des 
Joncs,  jusqu'ici  à  peu  près  improductive. 
Au  Tonkin,  le  delta  du  Fleuve-Rouge  est 
beaucoup  plus  petit  et  plus  peuplé  :  la 
récolte  y  est  insuffisante;  aussi  de  grands 
efforts  sont -ils  faits  pour  augmenter, 
grâce  à  l'irrigation  artificielle,  l'étendue 
des  rizières;  30,000  piastres  étaient  con- 
sacrées à  cet  objet  en  1897,  et  318,000 
en  1898. 

Les  autres  productions  agricoles  sont 
fort  nombreuses  ;  mais  la  plupart  n'ont 
guère  donné  jusqu'ici  que  des  espérances. 
Le  coton,  cependant,  prend  une  place  rela- 
tivement considérable  dans  les  transac- 
tions du  Haut-Laos  avec  la  Chine.  Dans  le 
delta  du  Fleuve-Rouge,  la  culture  la  plus 


Tonkin,  où  l'administration  vient  de  faire 
distribuer  500  kilogrammes  de  semences 
venues  de  l'Inde.  La  culture  du  thé  a 
donné  des  résultats  remarquables  en  An- 
nam,  dans  les  environs  de  Tourane  ;  des 
pépinières  de  ce  précieux  arbrisseau  ont 
été  créées  dans  le  Haut-Laos,  à  Muong- 
Hon,  et  au  Tonkin,  à  Langson  ;  on  sait 
que  le  meilleur  thé  de  Chine  vient  des 
frontières  du  Laos  français.  La  culture  du 
caféier  se  développe  au  Tonkin  et  dans  la 
Cochinchine ,  dans  l'arrondissement  de 
Chaudôc,  où  une  caféière  de  1  hectare 
30  ares  a  produit  cette  année  500  kilo- 
grammes; elle  vient  d'être  introduite  dans 
l'Annam.  Une  plantation  de  vigne  a  réussi 
au  cap  Saint-Jacques.  La  badiane,  qui 
donne  l'anis  étoile,  est  l'objet  d'un  com- 
merce important  dans  les  territoires  de 
Yen-Thé,  de  Mon-Cay  et  de  Lang-Son,  au 
Tonkin;  l'indigo  est  cultivé  dans  la  Cochin- 
chine, à  Chaudôc;  le  ricin,  au  Tonkin,  à 


924 


ÉVÉNEMENTS    GÉOGRAPHIQUES 


Bac-Ninh.  La  cardamome,  produit  du  Bas- 
Laos  et  du  Cambodge,  a  pour  marché 
principal  Pnom-Penh.  Le  caoutchouc  se 
découvre  de  plus  en  plus  abondant  dans 
les  forets  de  la  Cochinchine,  du  Laos, 
du  Haut-Annam  ;  un  premier  envoi  a  été 
fait  cette  année  à  des  maisons  de  France; 
la  gutta-percha  a  été  trouvée  en  mars  der- 
nier dans  le  sud-ouest  cambodgien.  Le 
delta  du  Fleuve-Rouge,  l'Annam  cultivent 


tares  seulement  avaient  été  concédés;  en 
1897,  Font  été  38,795  hectares  et,  dans  les 
deux  premiers  mois  de  1898,  20,415.  Dans 
le  Cambodge,  les  demandes  de  conces- 
sions rurales  commencent  à  être  nom- 
breuses; en  Cochinchine,  une  société  vient 
de  solliciter  la  concession  de  100,000  hec- 
tares, dans  la  Plaine  des  Joncs. 

Ce  qui  retarde  cette  mise  en  valeur  du 
sol,  c'est  d'abord  la  pénurie  de  la  main- 


-\ 


L    INDO-CHINE      FRANÇAISE 
PNOM-PENH,     CAPITALE     DU      CAMBODGE     :     LE      PALAIS      DU      ROI 


le  ver  à  soie.  L'élevage  a  été  tenté  sur 
divers  points;  l'Annam  possède  aujour- 
d'hui cinq  dépôts  d'étalons.  Enfin  l'exploi- 
tation forestière  est  en  progrès,  surtout  au 
Tonkin. 

Les  richesses  naturelles,  on  le  voit, 
abondent  et  il  semble  qu'on  veuille  com- 
mencer à  les  exploiter  systématiquement. 

M.  Dounier,  après  avoir  institué  dans 
chaque  colonie  une  Cliambre  d'agriculture, 
élue  par  les  colons,  a  créé,  le  4  mars  der- 
nier, une  Direction  de  V Agriculture  et 
du  Commerce  de  l'Indo-Chine  :  la  Direc- 
tion doit  (art.  2  de  l'arrêté)  «  s'occuper 
spécialement  du  développement  de  la 
colonisation  française,  de  l'introduction 
des  cultures  nouvelles,  de  l'amélioration 
et  de  l'extension  des  cultures  existantes  ». 
A  l'initiative  du  gouverneur  a  répondu  la 
bonne  volonté  des  colons.  En  1888,  305  hec- 


d'œuvre  (les  plateaux  sont  presque  déserts  ; 
le  Laos  est  à  peine  peuplé  ;  au  Tonkin,  le 
système  du  métayage,  aujourd'hui  généra- 
lement accepté,  est  d'introduction  récente)  ; 
c'est  ensuite  l'absence  de  voies  de  com- 
munication. Après  avoir  dépensé  en  Indo- 
Chine  600  millions,  nous  n'y  possédons 
que  deux  courtes  lignes  de  chemin  de  fer  : 
au  Tonkin,  celle  de  Phulang-thuong  à 
Langson  (lOG  kilomètres);  en  Cochinchine, 
celle  de  Saigon  à  Mytho  (50  kilomètres). 
Un  beau  projet,  il  est  vrai,  et  fort  complet, 
a  été  conçu,  élaboré,  approuvé,  etc.  :  il 
comporte  un  grand  central  indo-chinois, 
de  Laokaï,  sur  la  frontière  de  Chine,  à 
Pnom-Penh,  dans  le  Cambodge,  via  Hanoï, 
Nam-Dinh,  Vinh,  Hué,  Tourane,  Qui-Nhon, 
Nha-Trang,  Phan-Tiet,  Saigon;  embran- 
chements: Hanoï-llaïphong,  Touranc-Hué- 
Savaneket  (de  la  mer  au  Mékong  moyen). 


ÉVÉNEMENTS    GÉOGRAPHIQUES 


925 


Mais...  ce  n'est  qu'un  projet.  En  attendant 
les  chemins  de  fer,  on  creuse  les  arroyos 
de  Cochinthine;  on  eiéc  quelques  routes 
en  Annam  :  de  Tourane  à  Ilué,  à  Ai-lao; 
on  construit  des  ponts  à  Hué,  à  Hanoï, 
des  appontements  à  Tourane,  à  Qui-Nhon. 
Ce  ne  sont  que  des  pierres  d'attente.  La 
locomotive  seule  créera  l'industrie  indo- 
chinoise; à  l'heure  actuelle,  malgré  l'ex- 
ploitation de  la  houille  du  Tonkin  à  Kebao, 


font  aux  nôtres  une  concurrence  le  plus 
souvent  victorieuse  :  «  Nos  articles  ne 
répondent  ni  au  goût,  ni  aux  besoins 
des  populations  auxquelles  ils  sont  des- 
tinés. »  (Rapport  officiel  de  M.  Doumer, 
du  30  mai  I8'.)S.) 

Une  réflexion  vient  d'elle-même  à  l'esprit, 
comme  conclusion  de  cette  rapide  enquête. 

Nous  possédons  en  Asie  —  et  nous  pos- 
sédons aussi  en   Afrique,    avec  notre   Ma- 


L'INDO-CHINE     française    —     LE     PORT     DU     TONKIN     :     HAIPHONQ 


à  Hon-gay,  de  l'Annam  à  Tourane,  cette 
industrie  n'existe  pas  :  un  peu  de  soie 
tissée  au  Tonkin,  des  allumettes  et  des 
pavés  de  bois  fabriqués  à  Vinh,  du  papier 
à  Hanoi",  le  riz  décortiqué  et  blanchi  à 
Cholon,  tel  est  son  bilan,  ou  à  peu  près. 

Comment,  s'il  en  est  ainsi,  s'étonner  de 
la  petite  importance  du  .commerce  indo- 
chinois?  Il  avait,  en  1882,  dans  les  pre- 
miers commencements  de  la  conquête, 
une  valeur  de  170  millions;  cette  valeur, 
aujourd'hui,  n'est  même  pas  doublée 
(277  millions).  Seuls,  le  Cambodge  et  la 
Cochinchine  vendent  plus  qu'ils  n'achètent 
(90  millions  contre  02);  l'Annam  importe 
pour  4  millions,  exporte  pour  un  et  demi  ; 
le  Tonkin  importe  pour  28,  exporte  pour 
sept  et  demi!  Encore  faut-il  ajouter  que, 
même  sur  les  marchés  de  nos  colonies, 
les  marchandises  anglaises  et  allemandes 


dagascar,  notre  Soudan,  notre  Congo  — 
d'énormes  territoires,  dont  le  sol  est  natu- 
rellement riche,  mais  dont  il  faut  prendre 
la  peine  de  cueillir  les  richesses.  Pourquoi 
perdre  notre  temps,  notre  argent,  nos 
amitiés  à  regarder  au  delà  de  leurs  fron- 
tières, à  envier  le  bien  d'autrui,  à  mettre 
la  main  sur  toute  terre  vacante  ?  N'est-ce 
pas  toute  la  politique  de  ces  enfants,  dont 
on  dit  vulgairement  ((  qu'ils  ont  les  yeux 
plus  grands  que  la  bouche  »  ?  La  crainte 
de  l'indigestion  sera  pour  ces  enfants,  et 
pour  nous,  le  commencement  de  la  sagesse. 
Profitons  de  notre  déconvenue  de  Fachoda. 
Si  nous  étions  sages,  nous  reviendrions  sur 
notre  terre,  sur  celle  que  nul  ne  nous  con- 
teste, et  nous  la  travaillerions  :  «  Un  trésor 
est   caché   dedans  ».    Ah  !   si  nous    étions 


sages 


Gaston   Rouvier. 


LA    MUSIQUE 


A  la  Renaissance,  la  Médée  de  Catulle 
Mendès  était  accompagnée  d'une  très  im- 
portante musique  de  scène  de  M.  Vincent 
d'Indy. 

Le  talent  de  ce  compositeur  a  le  mérite, 
c'en  est  un  très  grand  même,  de  susciter 
des  polémiques  dans  lesquelles  ses  amis 
—  il  en  a  beaucoup  même,  et  de  fort  mala- 
droits, parfois  —  exagèrent  autant  leur 
admiration  que  ses  adversaires  outrent 
leur  dénigrement. 

Au  sujet  de  cette  partition,  les  uns  ont 
dit  :  «  C'est  un  pur  chef-d'œuvre!  c'est  du 
Gluck!  »  D'autres  ont  répliqué  acrimo- 
nieusement  :  «  C'est  puéril  et  prétentieux! 
c'est  à  faire  détester  la  musique  !  »  11  est 
un  moyen  terme  qu'il  convient  d'observer 
en  cette  occasion,  et  auquel  je  me  range. 

M.  Vincent  d'Indy  est  un  travailleur. 
C'est  aussi  un  pur  artiste,  dans  toute  l'ac- 
ception du  mot,  car  il  ignore  absolument 
ce  que  c'est  que  de  faire  la  moindre  con- 
cession au  goût  du  public.  Rien  qu'à  ce 
point  de  vue,  il  mérite  un  profond  respect. 
Mais  a-t-il  tort?  a-t-il  raison?...  En  cela, 
sa  conscience  est  seule  juge  et  je  crois 
fermement  qu'il  n'appartient  pas  à  la  cri- 
tique de  formuler  autre  chose  qu'une  opi- 
nion personnelle.  J'attends  donc  la  pro- 
chaine exécution  au  concert  symphonique, 
qui  nous  a  été  promise,  non  pour  porter 
un  jugement  —  en  art  il  ne  peut  y  en 
avoir,  —  mais  pour  donner,  comme  d'ha- 
bitude, mon  avis  et  mes  impressions  sur 
cette  œuvre  qui  a  été  exécutée  à  la  Renais- 
sance dans  de  fort  mauvaises  conditions 
acoustiques,  et  dont  mon  éminent  confrère 
M.  Francisque  Sarcey  dit  :  «  Je  ne  suis 
pas  assez  musicien  pour  la  goûter.  »  Cet 
aveu  a  le  rare  mérite  d'être  franc  et  de 
fort  bien  traduire  l'impression  que  ressent 
généralement  le  public  à  l'audition  des  œu- 
vres de  M.  Vincent  d'Indy. 

C'est  très  beau  d'écrire  de  la  musifjue! 
Mais  faut-il  pourtant  songer  aussi  à  ceux 
qui,  appelés  à  l'entendre,  à  l'écouter,  n'ont 
pas  fait  d'études  spéciales,  ce  qui  est  bien 
regrettablement  le  cas  de  la  majorité  du 
public. 

On  peut  m'objecter  que  l'artiste  n'écrit 
pas  pour  les  ignorants.  En  cela  vous  avez 
mille  fois  raison;  mais,  avant  de  quitter 
cette  thèse  qui  m'entraînerait  beaucoup 
plus  loin  que  je  ne  le  puis,  faute  de  place, 
je  vous  répliquerais  que  l'œuvrant  doit, 
tout  en  donnant  libre  cours  à  son  génie, 
rester  compréhensible  et  clair  :  tels  Shake- 
speare, Michel-Ange,  Corneille,  Beethoven. 

En  général,  l'œuvre  de  M.  Vincent 
d'Indy  exige  non  seulement  une  étude 
approfondie  de  la  science  musicale,   mais 


encore  et  surtout  un  goût  marqué  —  je 
ne  dis  pas  snobisme  —  pour  cet  art,  qui 
est  à  la  musi([ue  ce  qu'était  le  Balzac  de 
Rodin  à  la  sculpture. 


Nous  voilà  arrivé  à  l'œuvre  musicale  qui, 
le  14  octobre  dernier,  a  le  plus  retenu 
l'attention  de  la  critique. 

Le  Soleil  de  Mimiit,  la  très  jolie  comédie 
lyrique  de  MM.  Nuitter  et  Beaumont, 
musique  d'Albert  Renaud,  a  trouvé  au 
théâtre  des  Bouffes-Parisiens  une  inter- 
prétation de  premier  ordre  qui  joue  et 
chante ,  fort  bien  soutenue  qu'elle  est 
dans  cette  double  tâche  par  le  très  bon 
orchestre  que  dirige  un  chef  d'un  rare 
talent,  M.   D.  Thibault. 

Au  premier  acte,  dans  un  paisible  inté- 
rieur norvégien,  nous  assistons  à  une 
séance  de  musique  de  chambre,  justifiée 
par  un  agréable  quintette,  qui  dégénére- 
rait bien  vite  en  une  vive  dispute  causée 
par  une  fausse  note  que  personne  ne  veut 
avouer,  mais  dont  tout  le  monde  s'indigne, 
si  Savine  (M"''  Alice  Bonheur)  n'arrivait 
plus  tôt  qu'on  ne  l'attendait  d'un  voyage 
qu'elle  vient  d'accomplir. 

Encore  tout  émotionnée,  elle  raconte 
à  son  père  Olaff  (M.  Regnard),  à  sa  mère 
Gertrude  (M™''  Vigoureux),  à  sa  sœur 
Christiane  (M"^  d'Orby)  et  à  son  futur 
beau-frère  Erick  (M.  Dumontier),  en  pré- 
sence de  Kanut,  le  fidèle  employé  de  son 
père  (M.  Poudrier),  la  scandaleuse  aven- 
ture qui  vient  de  lui  arriver  et  dont  nos 
lecteurs  trouveront  le  récit  in  extenso 
dans  le  rondeau  que  le  Monde  3Ioderne  se 
fait  un  plaisir  de  leur  olfrir. 

Voyageant  en  diligence,  elle  avait  pour 
compagnon  de  route  un  étranger  qui, 
profitant  de  son  sommeil,  l'embrassa  au 
moment  même  où,  minuit  sonnant,  le 
soleil  semblait  se  faire  un  plaisir  de  cares- 
ser de  ses  rayons  d'or  pâle,  errants  en 
nappes  lumineuses  à  travers  l'espace,  l'or 
étincelant  de  son  abondante  chevelure. 
Savine  demande  à  son  père,  qui  joint  à  son 
commerce  de  pelleterie  les  fonctions  de 
juge  de  police,  une  réparation  éclatante 
et  une  punition  pour  l'audacieux  marau- 
deur. 

Or  ce  compagnon  de  route,  dont  la 
galanterie  fut  un  peu  indiscrète,  est  un 
Français.  Voyageant  pour  son  père,  mar- 
chand de  gants  du  boulevard  Sébastopol, 
Gustave  Lambert  (M.  Perrin)  vient  juste- 
ment dans  la  maison  d'OIaff  pour  faire  des 
réasssorliments  et  des  achats.  Savine  le 
reçoit,  ils  se  reconnaissent. 

Toujours  fort  épris,   notre  compatriote, 


LA    MUSIQUE 


927 


do  plus  en  plus  gnlanl,  demande  la  main 
de  Saviue.  Elle  lui  est  accordée,  après 
qu'OlalT,  subsliluant  fort  adroitement  le 
père  au  commerçant  et  le  commerçant  au 
ju<ïe  de  police,  a  trouvé  le  moyen,  et  sans 
qu'aucune  de  ces  fonctions  nuise  aux 
autres,  au  contraire,  de  vendre  au  jeune 
voyageur  des  peaux  piquées  par  les  vers, 
de  le  condamner  à  une  forte  amende  pour 
s'être  permis  d'embrasser  sa  fdle,  et  de 
s'être  bien  assuré,  [)ar  téléphone,  que  son 
futur  gendre  a  rompu  toutes  relations  avec 
une  fort  jolie  personne  ([ui  répond  au 
nom  plus  faubourien  que  poétique  de  Nini 
Patrouillcl. 

Les  accordaillos  sont  conclues,  et,  selon 
la  mode  norvégienne,  les  deux  fiancés 
vont  parcourir  l'Europe  tête  à  tête. 

Au  deuxième  acte,  nous  sommes  à 
Berne.  Savine  et  Gustave  descendent  à 
l'hôtel  des  Boulangers  où  il  n'y  a  plus 
qu'une  chambre  de  libre.  Gustave  l'arrête 
pour  Savine,  et  lui,  bien  mélancolique- 
ment, se  contente  d'un  canapé  qu'il  s'est 
empressé  de  louer  pour  la  nuit.  Sur  ces 
entrefaites,  Nini  Patrouillet  (M'^''  Miche- 
line) descend,  elle  aussi,  dans  le  même 
hôtel,  traînant  à  sa  suite  un  type  d'amou- 
reux transi,  M.  de  Becfigue  (M.  Dubroca). 

Toujours  éprise  de  Gustave,  et  heureuse 
de  le  tenir  enfin  pour  se  venger  de  lui, 
Nini  lui  fait  une  scène  épouvantable. 

—  Des  fiancés  !...  voyageant  seuls  !... 
bonne  blague  !...  il  peut  conter  cela  à 
d'autres,  mais  avec  elle,  ça  ne  prend  pas  ! 
—  Elle  ne  veut  point  croire  à  la  pureté  de 
leurs  relations  et  ne  veut  voir,  dans  la 
jeune  fille,  que  la  rivale  qui  l'a  supplantée. 
El,  pour  l)ien  ennuyer  Gustave,  elle  le 
force  à  lui  présenter  Savine  avec  laquelle 
elle  est  des  plus  aimables.  La  naïveté  de  la 
jeune  fille  finit  par  la  convaincre.  Aussi, 
pour  donner  une  apparence  honnête  à  son 
compagnon  de  route  M.  de  Becfigue,  le 
lui  présente-t-elle  comme  son  futur  fiancé 
avec  lequel  elle  accomplit,  elle  aussi,  son 
voyage  d'agrément  et  de  sympathisation. 

—  Deux  couples  de  fiancés  ensemble, 
c'est  charmant!  s'écrie  ingénument  Savine. 
Si  vous  le  voulez  bien.  Mademoiselle,  nous 
voyagerons  ensemble,  et  je  vous  invite 
même  à  nous  accompagner  jusqu'en  Nor- 
vège. Ravie  de  cette  invitation ,  Nini 
accepte  avec  empressement,  et  —  ô  ironie 
du  sort  1  —  sert  de  chaperon  à  la  jeune  fian- 
cée de  son  ex-ami.  Ils  mangent  à  la  même 
table  et  chantent  ensemble  les  gais 
refrains  des  chansons  que  Nini  détaille 
ironiquement  à  l'intention  de  Gustave  qui, 
redoutant  d'elle  quelque  coup  de  tête,  est 
comme  sur  des  charbons  ardents. 

Fort  aimant  et  quelque  peu  exaspéré  par 
ces  interminables  fiançailles,  Gustave  pro- 
fite de  la  nuit  pour  être  plus  entreprenant 


cjue  jamais  auprès  de  Savine.  11  serait  peut- 
être  vainqueur  si  Nini,  qui  a  pris  son  rôle 
de  mentor  au  sérieux  et  veille,  —  en  cau- 
sant intimement,  Savine  lui  avait  déjà  fait 
part  des  craintes  que  lui  causaient  les  in- 
discrètes galanteries  de  Gustave ,  —  ne 
soufllnit  fort  à  propos  la  bougie  et,  favo- 
risant la  fuite  de  la  jeune  fille  à  la  faveur 
de  l'obscurité,  ne  se  jetait  hardiment  dans 
les  bras  de  Gustave.  Sauvant  l'honneur  de 
la  jeune  fille,  elle  se  venge  ainsi  de  la  plus 
agréable  manière  de  l'abandon  quehjue  peu 
cavalier  dont  elle  fut  victime. 

Au  troisième  acte,  Gustave  et  Savine, 
Nini  et  Becfigue  arrivent  en  Norvège,  chez 
Olaff.  Persuadé  que  sa  fiancée  lui  a  ac- 
cordé, à  Berne,  ce  qu'elle  devait  lui  refu- 
ser jusqu'au  jour  de  son  mariage,  Gustave 
en  fait  l'aveu  à  son  beau -père  d'autant 
plus  atterré  que  Savine,  demandant  à  être 
mariée  le  plus  tôt  possible,  a  terminé  sa 
prière  par  un  :  «  Il  le  faut  !  »  tout  plein 
d'inquiétants  sous-entendus. 

Après  s'être  chamaillé  avec  sa  femme 
qui  le  rend  responsable  de  la  faute  de  leur 
fille,  OlafT  se  livre  à  une  enquête  déplus  en 
plus  embrouillée.  Jusqu'à  Becfigue  qui  lui 
semble  aussi  coupable  à  l'égard  de  Nini 
Patrouillet  que  son  gendre  l'est,  selon  les 
apparences,  vis-à-vis  de  Savine  !  Et  lorsque 
la  petite  Christiane  —  sachant  que  Savine, 
tout  en  ayant  été  fiancée  après  elle,  se 
marie  avant  grâce  à  ce  fatidique  :  «  II  le 
faut  !  »  —  le  prononce  et  le  fait  prononcer 
par  son  timide  fiancé  Erick,  sans  en  con- 
naître l'exacte  signification,  d'atterré  qu'il 
était,  Olaff  se  met  en  colère  et,  indigné, 
les  force  tous  à  se  marier  sans  retard,  le 
plus  tôt  possible. 

Lorsqu'ils  reviennent  de  chez  le  bourg- 
mestre, Nini  avoue  malicieusement  à  Gus- 
tave l'heureuse  substitution  qui  s'est  pro- 
duite pendant  la  nuit  à  Berne. 

Comprenant  le  quiprocjuo,  il  s'en  égayé 
et  fait  partager  son  hilarité  à  ses  beaux- 
parents  en  leur  disant  tout  bas  la  vérité. 
N'ayant  plus  de  motifs  pour  lui  en  vou- 
loir, ceux-ci  ne  lui  accordent  plus  la  main 
de  Savine  par  la  force  des  choses,  mais  de 
très  bon  cœur. 

Dans  cette  partition,  il  y  a  de  bien  jolies 
choses  que  M"'^  Micheline  et  Alice  Bon- 
heur mettent  en  relief. 

^pie  Alice  Bonheur  réalise  le  type  par- 
fait de  l'ingénue  :  elle  en  a  le  jeu,  la 
voix  et  la  physionomie.  M"'^  Micheline  est 
toujours  la  fine  diseuse  que  l'on  sait  ;  vive, 
spirituelle  et  adorablement  jolie  dans  de 
fort  belles  toilettes  d'un  cachet  parisien 
de  bon  aloi,  elle  est  au  théâtre,  après 
l'avoir  été  au  café-concert,  l'étoile  dont  les 
scintillements  sont  de  plus  en  plus  étince- 
lants. 

Guillaume   Danvers, 


Cl.  Paul  Boyer.  Erick.  Cliristiane.  Gustave.  Sayine.  Olafl.  Gertrude.  Kanut, 

M.  Dumontier.  M"*  d'Orty.  M.  Perrin.  M"'  Alice  Bonheur.  M.  Regnard  M"  Tigouroui.    M.  Poudrier, 

Le  Soleil  de  minuit.  —  Final  du  premier  acte. 


RONDEAU 


Chanté  au  premier  acte,  par  Savine  (M"''  Alice  Bonheur). 


PIANO 


/ 

^ 

Moderato 
■i— S F  t  J'I 

F4= 

-fr-v- 

-^^=1 

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•î  ^  ^ 

iHh 1 

E  .cou-tez     bien  mon  a.venJure;  Dans  le    cou  .  pe'  de  la  voi.tu.re,  Non*  n'e'. lions    quedeuxau  de'part. 


Publié  avec  l'autorisation  de  M.  Choudens,  éditeur,  Paris.  Tous  droits  réservés. 


LE    SOLEIL    DE    MINUIT 


92» 


Moi,  d'à. bord,  etpuis...unjeunehorame  A  rœihif.pasmal  fait  en  som.me,    Un  Français  sai,   brun    et  bavard. 


En      route, bientôt      ons'ennui.  e;     Nous    avons  cause'     dt'Iapluie  Et  peut    ètr».'    aussi  du  beau  temps. 


$ 


J  J  rTr  F  J  f'  cj  I  r  r  f  i  r  [Lxilr  r  N  ^  i  1 1  ^M,  ii  i   i 

De   la  piè  .  ce  la  plus  rë.cente.    Du  cours  des    ble's  et  de  la  rente.      Et  d'autres      sujets  palpitants. 


Mais  tout-à-coup        mon  voisin  louche!       Il  me  contemple     et      de  sa  bouche 


Sor  .  tent  mil  .  le  {^ro.pos  flatteurs:     Je  suis  bel      le,char. mante,  aima     bie...  Spiritu.el.le... 


in.compa.ra-ble.    Pref       un  de',  lu  ge    de  fa-deurs;        Il   me  semble  très       ri.di.cu.  le, 


VIII.  —  59. 


aso 


LE    SOLEIL    DE    MINUIT 


t  je    le  lui  dis       sans  scrupu  .  le;  Je  memis   à    rire       aux  ë.clats:    "  Quit  .  t(>z  ce   ton...         il 


m'incommo.  de;Peut-êtreest-ce,à  Paris,  la    mo.  de?  Mais  chez  nous  ça  ne  se  fait    pas! 


lu.  ti  .  rai   .    dé  par  ce  lan-ga.ge.    Le   jeune  hom  .  me  de.vintplus  sage.     Et  s'est    po 


-liment  excuse'.  "Bonsoir  dis  -  je,  ne  vous  dépl;iise!-Dansmoncoin  je  me  mets  à  i'ai.se-    Dor.mez  dans  le 


in    oppose'.»      Le     soleil  de  mi. nuit  àpei.ne  Ë.clairait  la  bru  .  ne  lointai  .  ne.  Je  dorma-is 


^ans  penser  à   mal;  Soudain,    ma    joue  est  chatouille'    .     e,  Brusquement    je     fus  re'veillé     .    e  .. 


I.K    SOI.KIL    DE    MINUIT 


931 
dolce  espressivo 


.ser  qu'on  me  vo.le       Au  plus  profond  de     monsomaieil.      J'ë-tai^  d'u.iie  cdi'.rt'     fol  .  le      Kl  1» 


fisbienxoir  au  re'.veil Ahlpa.pa,  jevousie    de.  man.  de,   Si  Ton     pin  .  ce  l'audaxi  -eux,         Frappez- 


le      d'u.ne  forte  a  .  raen  .  de,  Et  le  plus      tôt  se.ra   le     mieux! Quand     u  .  ne 


filleestsansde'fense,  C'est  uiicrime,    u.r.e  grave  offense   Que  d'o.ser    Lui  prendre  un  baiser.         C'est  un  cri  me, 


i 


CHRONIQUE   THÉÂTRALE 


Un  drame  romantique,  une  tragédie 
presque  classique,  vm  drame  à  prétentions 
psychologiques  et  un  mélo  suivant  la  for- 
mule :  tel  est  le  bilan  de  ce  mois  de  no- 
vembre qui  est  le  renouveau  des  théâtres 
parisiens. 

La  Comédie-Française,  la  Renaissance, 
l'Ambigu,  le  théâtre  Antoine,  ont  donné 
avec  entrain  l'un  après  l'autre  et  avec  des 
fortunes  diverses. 

Nous  allons,  sans  nous  livrer  à  des  ré- 
flexions critiques  oiseuses,  vous  raconter, 
lecteurs,  ces  quatre  pièces  que  vous  êtes 
appelés  à  voir  jouer,  ou,  du  moins,  dont 
vous  aurez  ainsi  un  compte  rendu  impartial. 

Cependant ,  il  est  bon  de  dégager  un 
jugement  d'ensemble.  Il  est  à  constater 
que  fort  heureusement  et  très  dignement, 
sur  ces  champs  de  bataille  si  différents,  le 
drapeau  artistique  a  été  tenu  ferme  et  que 
si  le  succès  n'a  pas  été  du  même  ordre 
partout,  partout,  du  moins,  il  a  été  com- 
plet et  que  le  grand  honneur  est  plus  que 
sauf. 

Ceci  dit,  commençons. 

A     LA     COJIÉDIE-FRANÇAISE 

Struensée,  drame  historique,  en  cinq  actes  et 
sept  tableaux,  de  M.  Paul  Meurice. 

Le  Struensée,  mis  à  la  scène  par  M.  Paul 
Meurice,  s'écarte  un  peu  du  Struensée  histo- 
rique. C'est  à  travers  le  prisme  du  ro- 
mantisme le  plus  ardent  que  l'auteur  a 
vu  son  héros,  et,  en  cela,  on  ne  peut  que 
remercier  M.  Paul  Meurice,  qui,  au  cré- 
puscule de  la  belle  journée  que  fut  sa  vie, 
a  su  trouver  en  son  âme  tant  de  géné- 
rosité héroïque,  tant  de  juvénile  passion. 

M.  Paul  Meurice  a,  pour  la  belle  tenue 
de  son  personnage,  pris  seulement  le  côté 
généreux  de  son  caractère  et  l'a  développé 
avec  un  rare  bonheur  d'expression  et 
d'énergie. 

L'action  commence,  dans  une  auberge 
d'Altona,  par  une  lutte  entre  Struensée  et 
son  père.  Le  pasteur  Struensée  supplie 
son  iils  de  rester  au  logis,  de  ne  point 
tenter  l'aventure  périlleuse  d'apôtre  ;  mais 
dans  les  adieux  qu'il  fait  à  son  père  et  à 
sa  fiancée  Christel,  Struensée  affirme  le 
but  qu'il  poursuit  : 

Oui,  mon  père,  le  grand  rêve  dont  je  suis  fier 
N'est  pas  à  moi  seul;  c'est  ce  qui  flotte  dans  l'air, 
C'est  le  souffle  nouveau,  le  souffle  d'espérance, 
D'amour,  de  liberté,  qui   nous  vient  de  la  France. 
Ah  !  mon  père,  ils  sont  là,  tout  un  groupe  éclatant. 
Les  philosophes,  tous,  écrivant,  combattant. 
Et  sur  leur  siècle  à  qui  l'avenir  se  révèle 
Semant  la  vérité  de  la  bonne  nouvelle. 
L'Europe  les  admire;  ils  sont  comme  des  rois. 


Christel  l'encourage  dans  son  rêve  ; 
comme  lui,  elle  est  bercée  par  l'auguste 
espoir  de  temps  meilleurs,  par  l'ardent 
désir  d'une  justice  planant  sur  l'humanité. 
Les  adieux  sont  faits  :  Christel  et  le  pas- 
teur se  retirent.  A  peine  sont-ils  sortis 
qu'une  chaise  de  poste  amène  un  vieillard, 
cassé,  toussotant,  sacrant  après  le  froid, 
les  routes  et  les  postillons  ;  mais  à  peine 
installé  près  du  poêle,  commodément  assis, 
il  redevient  plus  sociable  et  lie  conversa- 
tion avec  Struensée,  qui,  entraîné  par  l'es- 
prit du  voyageur,  se  livre  peu  à  peu  à  lui. 
Il  lui  conte  ses  rêves,  ses  chimères  ;  d'abord 
sarcastique,  frondeur  et  sceptique,  le  vieil- 
lard interroge  Struensée,  il  fouille  son 
cœur  et  son  esprit;  mais,  peu  à  peu,  gagné 
par  l'enthousiasme,  la  foi,  le  courage,  la 
haute  ambition  de  cette  âme  prête  à  tous 
les  sacrifices,  il  se  laisse  aller  à  son  tour 
et  lui  impose  les  mains  sur  le  front,  comme 
pour  une  bénédiction  spirituelle. 

Bien,  jeune  homme,  c'est  bien..  .Va  donc  !  si  ton  audace 

Heureuse,  s'attaquant  au  passé,  fait  sa  place 

A  l'avenir;  si,  pris  de  la  grande  fierté 

D'établir  la  justice  avec  la  liberté. 

Tu  poursuis  sans  fléchir  cette  tâche  bénie, 

Tu  seras  plus  que  roi,  fils,  tu  seras  génie. 

A  ce  moment,  des  pandours  surgissent, 
courant  après  le  voyageur  à  qui  ils  récla- 
ment et  reprennent  une  cassette  renfer- 
mant des  vers  du  roi  de  Prusse.  Ce  vieil- 
lard, c'est  Voltaire,  et  Struensée,  comme 
illuminé  par  les  encouragements  et  les 
doutes  du  philosophe,  s'apprête  à  faire  les 
premiers  pas  sur  la  route  qu'il  s'est  tracée. 

Tel  est  le  prologue  dans  lequel  le  per- 
sonnage de  Struensée  se  pose  tout  entier, 
très  bien  établi,  très  entier.  M.  P.  Meu- 
rice a  également  très  bien  dessiné,  d'une 
main  sûre,  la  figure  de  Voltaire  à  laquelle 
M.  Barrai  a  donné  un  saisissant  relief.  Très 
étudiée,  très  bien  comprise,  cette  création 
fait  le  plus  grand  honneur  au  comédien. 

Au  second  acte,  Struensée  n'est  déjà 
plus  le  secrétaire  du  comte  de  Rantzau;  il 
a  grandi  de  cent  coudées  et  est  devenu  chef 
de  la  maison  de  la  reine  dont  il  a  sauvé 
l'enfant  rachitique.  Le  roi  souffre  d'un 
mal  que  les  médecins  officiels  sont  impuis- 
sants à  soulager.  La  reine  intervient,  de- 
mande que  le  roi  soit  remis  entre  les 
mains  de  Struensée.  Après  une  lutte  assez 
vive  entre  les  nobles,  Rantzau  consent, 
espérant  que,  impuissant  à  soulager  le  roi, 
Struensée  perdra,  dans  cette  aventure,  le 
pouvoir  qu'il  tient  déjà  ;  mais  Struensée 
réussit  et  la  reine,  obéissant  aux  idées  dé- 
fendues par    lui,   affranchit   les    serfs    de 


CHRONIQUE    THEATRALE 


933 


son  domaine.  Il  y  a  là  une  très  jolie 
scène,  où  M.  de  Kéraudy  (Erik)  soumet  à  la 
reine  les  désirs  des  serfs  qu'il  représiMile, 
jouée  avec  une  bonhomie  chai  mante  et 
une  émotion  simple  d'un  grand  effet 
théâtral.  La  guerre  est  déclarée  entre  la 
noblesse  et  Struensée;  les  sei- 
gneurs, sur  les  biens  desquels  il 
ose  porter  la  main,  commencent 
à  conspirer  contre  lui  et,  à  l'acte 
suivant,  Struensée,  devenu  pre- 
mier ministre  et  tout-puissant, 
se  débat  au  milieu  des  intrigues 
qui  veulent  le  renverser.  Cet 
acte  presque  en  entier  est  rempli 
par  une  adorable  scène  d'amour 
entre  Struensée  et  la  reine, 
amour  mystique  et  pur,  au 
milieu  duquel  le  jeune  homme 
vit  comme  dans  une  clarté  se- 
reine d'aurore,  sans  voir  que  les 
abîmes  se  creusent  autour  de 
lui.  En  effet,  à  peine  la  reine 
est-elle  partie,  pour  conduire 
l'enfant  royal  dans  une  autre 
atmosphère,  que  Struensée  donne 
l'ordre  d'introduire  le  chef  dune 
conspiration  arrêté  la  nuit  même. 
Ce  chef,  c'est  Rantzau  ;  il  com- 
parait devant  Struensée,  et  le 
cite  au  tribunal  de  la  Sainte- 
Vcehme.  Il  n'a  tenu  aucune  de 
ses  promesses.  Ses  rêves  d'éga- 
lité étaient  des  utopies,  le 
peuple  murmure  el  se  fatigue,  la 
reine  est  compromise.  Struensée 
se  défend,  mais  il  se  heurte  au 
scepticisme  de  Rantzau  dont 
l'ironie  mordante  et  hautaine 
flagelle  le  premier  ministre. 
Struensée  ira  donc,  lui-même,  à 
la  Sainte-Vœhme  ;    il  y   compa-  '''■  ^"^ 

raîtra  masqué,  entendra  ses 
accusateurs  et  répondra  lui- 
même  aux  griefs  de  l'assemblée  du  peuple. 

Struensée  est  allé  à  la  séance  secrète 
de  la  terrible  assemblée  ;  il  s'est  convaincu 
que  le  courant  qui  l'entraîne  est  impos- 
sible à  remonter  et,  devant  son  inutile 
effort,  devant  l'impossibilité  de  la  lutte, 
s'est  condamné  lui-même. 

A  l'acte  suivant,  le  plus  terriblement 
vivant  du  drame,  Struensée  a  comparu 
devant  la  haute  cour  des  nobles;  il  a  été 
condamné  à  mort,  et  Christian  VII,  qui 
est  là,  agonisant  dans  un  fauteuil,  attend 
de  voir  sa  victime,  pour  lui  cracher  sa 
haine,  sa  colère,  avant  qu'elle  meure. 
Lui,  le  roi,  lui  qui  n'a  régné  qu'à  travers 
la  volonté  de  Struensée,  lui  dont  la  vie  n'a 
été  sauvée  que  par  la  science  de  Struensée, 
lui  qui  lui  doit  tout,  succomberait  sous  le 
poids  de  la  reconnaissance  s'il  n'y  échap- 
pait   par   la    haine  !    et  quand    Struensée 


paraît,  le  roi,  qui  espère  voir  se  courber 
cette  tête  qu'il  va  faire  tomber,  l'insulte  et 
la  méprise  ;  mais  la  colère  est  trop  forte 
et,  au  moment  où  il  va  signer  l'ordre  de 
mettre  l'arrêt  à  exécution,  il  tomI)e  l'écume 
aux  lèvres,  mourant  !  Les  médecins  s'em- 


1,  r.  Eoyale. 

M.  PArL  Meurice, 


auteur  de  Struensée. 


pressent,  mais  seul  Struensée  sait  dompter 
le  mal.  Lui  seul  peut  sauver  le  roi.  Le  roi 
mort,  c'est  la  reine  revenue,  c'est  la  vie, 
le  bonheur!  Le  roi  vivant,  c'est  la  mort, 
c'est  l'échafaud,  c'est  l'honneur  de  la  reine 
intact.  Mais,  comme  l'a  dit  Voltaire,  un 
échafaud,  c'est  un  piédestal  du  haut  duquel 
on  se  fait  entendre  des  foules,  et  Struensée 
sauve  le  roi  !  Resté  seul  avec  Rantzau,  il 
explique  sa  conduite,  parle  de  son  rêve,  et 
l'ancien  rival,  vaincu  par  tant  de  généreux 
honneur,  s'incline  à  son  tour  et  offre  à 
Struensée  de  favoriser  sa  fuite  ;  celui-ci 
ne  fuira  pas,  il  lui  faut  lo  mort,  il  la  veut, 
mais  il  en  règle  les  détails  et  demande 
comme  dernière  faveur  de  voir  la  reine  le 
lendemain  dans  un  bal  qui  a  lieu  à  la  cour. 
On  le  laissera  libre  ;  on  taira  son  procès, 
sa  condamnation  ;  la  reine  trompée  viendra 
à  Copenhague  et  s'en  retournera  après  la 


934 


CHRONIQUE    THÉÂTRALE 


mort  de  Struensée,  semblant  ainsi  con- 
sentante à  l'arrêt  qui  le  frappe,  et  tous  les 
bruits  se  tairont,  toutes  les  calomnies  se 
dissiperont,  après  le  sacrifice. 

Au  dernier  acte,  les  choses  se  passent 
comme  l'a  prévu  Struensée.  Le  jeune 
homme,  dont  les  minutes  sont  comptées, 
hâte  le  départ  de  la  reine,  et  à  peine  celle-ci 
est-elle  partie  qu'il  va  se  rendre  au  supplice, 
lorsque  survient  Christel.  Le  vieux  père  est 
mort  ;  la  rumeur  publique  lui  a  appris  à 
elle  la  défaveur  et  la  condamnation  de  son 
fiancé.  Dans  une  scène  sobre  et  pathétique , 
Struensée  lui  avoue  son  amour  pour  la 
reine  et  lui  explique  pour  quelles  raisons 
supérieures  il  faut  qu'il  meure.  11  s'échappe 
brusquement  des  bras  de  Christel  et  marche 
au  supplice.  Aux  cris  de  la  jeune  fille  affolée 
la  reine  accourt,  trop  tard  pour  sauver  celui 
qu'elle  aime.  Une  décharge  de  mousque- 
terie  éclate  au  lointain.  Les  deux  femmes 
poussent  un  dernier  gémissement.  Struen- 
sée n'est  plus  ! 

Tel  est,  dans  ses  grandes  lignes,  ce 
drame  historique,  d'un  romantisme  attardé, 
où  l'influence  d'Ilugo  est  visible  en  maint 
endroit.  Même  goût  de  ranlithèse  !  Il  est 
vrai  que  ce  «  Ruy  Rlas  «  du  Nord  prêteit 
à  l'imitation...  à  moins  que  le  Ruy  Bias 
de  Victor  Hugo  ne  lui  ait  été  inspiré  par 
les  aventures  de  Struensée...  Quoi  qu'il  en 
soit,  et  bien  c{ue  la  forme,  encore  que  des 
plus  soignées,  soit  inférieure  à  celle  des 
grands  drames  duMaître,  le  fond,  du  moins, 
relève  de  sa  superbe  école  d'enthousiasme 
et  de  bonté.  M.  Paul  Meurice  a  le  parfum 
d'Hugo,  avec  quelque  chose  d'adouci, 
d'évaporé  ;  comme  la  feuille  du  joli  conte 
persan,  il  n'est  pas  la  rose  elle-même, 
mais  il  a  vécu  longtemps  en  sa  compagnie. 

Struensée  a  trouvé  en  MM.  Leloir  (Rant- 
zau).  Le  Bargy  (Christian  Vil),  Albert 
Lambert  fils  (Struensée),  Barrai  (Voltaire), 
^jiies  Lara  (la  reine),  Vanda  de  Boncza 
(Christel),  etc.,  une  interprétation  digne 
du  poème,  digne  de  l'auteur  et  digne  de 
la  Maison  qui  nous  est  chère,  et  à  laquelle 
il  faut  chaque  fois  rendre  ce  témoignage  : 
c'est  que  pour  tout  spectacle  quel  qu'il 
soit,  grand  ou  petit,  de  nouveau  venu  ou 
bien  de  vétéran,  chacun  y  paye  loyale- 
ment de  sa  personne,  donnant,  sans  mar- 
chander sa  peine,  le  maximum  de  l'effort. 
Entre  nous,  c'est  ainsi  et  seulement  ainsi 
qu'on  fait  et  qu'on  soutient  les  bonnes 
maisons. 


AU     THEATRE      ANTOINE 

Judith  Renaudin,  pièce  en    cinq    actes   et    sept 
tableaux  de  M.  Pierre  Loti. 

Le   théâtre  Antoine  a   été,  par  la   pre- 
mière représentation  de  Judith  Mcnaudin, 


l'objet  de  beaucoup  de  curiosité  et  de  con- 
versations. Faut-il  ajouter  que  la  curiosité 
a  été  un  peu  déçue?  Certes  oui,  M.  Pierre 
Loti  a  derrière  lui  un  bagage  littéraire 
qui  lui  permet  d'entendre  dire  que  son 
théâtre  n'est  pas  du  théâtre,  qu'il  n'en 
possède  ni  la  langue  ni  le  métier  et  qu'il  a 
une  revanche  à  prendre.  En  quelques  mots, 
voici  l'intrigue.  Nous  sommes  dans  l'île 
d'Oléron,  en  1685,  au  lendemain  de  la  ré- 
vocation de  l'édit  deNantespar  Louis  XIV. 
Les  dragons  viennent  d'arriver  pour  faire 
respecter  la  volonté  du  roi  et  l'édit  est 
affiché  au  poteau  communal  quand  le  ri- 
deau se  lève  sur  le  premier  acte.  Le  capi- 
taine des  dragons  d'Estelan,  catholique 
intransigeant  ne  comprenant  rien  au  delà 
de  sa  consigne,  les  commande.  Sur  la  place 
il  rencontre  Judith  Renaudin  et,  poussé 
par  un  camarade,  débite  à  la  jeune  fille 
un  compliment  et  un  madrigal  sur  sa 
beauté.  Judith  appelle  son  père,  qui,  très 
hautain  et  très  fier,  dit  à  d'Estelan  : 

—  Monsieur  le  dragon,  les  persécutions 
ne  doivent  commencer  que  dans  trois 
jours  ;  d'ici  là,  nos  filles  nous  appartien- 
nent. 

11  fait  rentrer  Judith  et  le  rideau  tombe 
sur  ce  premier  acte,  pittoresque  à  souhait, 
très  mouvementé  et  surtout  d'une  clarté 
d'exposition  qui  ne  laisse  aucun  doute 
dans  l'esprit  :  d'Estelan  aimera  Judith  et 
celle-ci  aimera  celui-là,  puis  nous  n'au- 
rons plus  qu'à  passer  avec  eux  par  la  sé- 
rie immanquable  des  épreuves  pour  arri- 
ver  au    dénouement. 

Au  deuxième  acte,  nous  sommes  chez 
les  Renaudin;  on  y  lit  la  Bible;  le  capi- 
taine survient,  porteur  des  ordres  du  roi  ;  il 
fait  lire  l'arrêt,  assigne  les  délais  et,  ce 
devoir  rempli,  s'excuse  auprès  de  Judith 
de  la  liberté  qu'il  a  prise  envers  elle  sur 
la  place. 

Au  troisième  acte,  toujours  chez  les 
Renaudin,  mais  cette  fois  dans  les  jardins, 
la  scène  capitale,  la  seule  qui  d'ailleurs 
emplisse  l'acte,  se  passe  entre  Judith  et 
une  jeune  fille  de  ses  amies.  Celle-ci  revient 
de  Châtellerault  et  elle  raconte  à  Judith 
qu'une  jeune  protestante  s'est  rendue  au- 
près du  commandant  des  dragons  venus 
dans  cette  ville  et,  par  son  intervention,  a 
pu  adoucir  le  sort  de  ses  coreligionnaires. 
Judith  est  très  frappée  par  ce  récit  et,  après 
quelques  scènes  de  remplissage,  le  rideau 
tombe  sur  le  récit  recommencé  à  la  prière 
de  Judith. 

Au  quatrième  acte,  nous  sommes  dans 
la  sacristie  de  l'église  catholique  ;  le  prê- 
tre, un  ami  des  Renaudin,  un  l3rave  homme, 
a  recueilli  et  caché  les  petits  protestants 
que  les  dragons  doivent  conduire  de  force 
aux  moines  convertisseurs.  La  scène  est 
joliment  menée  entre  le  curé  (Antoine)  et 


CIIRONIQUli;    TIIKATRALE 


935 


sa  bonne,  la  Benoîte  (M""^  Marie  Laurent). 
Les  enfants  sont  là  quand  on  signale  l'ap- 
proche du  farouche  d'Estclan.  Vite  on 
cache  les  enfants  ;  de  la  sacristie,  ils  pas- 
sent dans  réalise,  sous  l'autel,  et  le  curé 
reçoit  le  capitaine  ;  voilà,  enfin,  l'aveu 
tant  attendu  !  Le  capitaine  vient  prier  le 
curé  d'être  son  interprèle  auprès  de  Ju- 
dith ;  il  est  riche,  il  possède  des  terres,  il 


d'un  bateau  qui  les  conduira  en  Hollande, 
mais  les  dragons  surgissent  et  font 
feu.  Des  cris;  une  fuite  éperdue,  et  de- 
vant un  enfant  blessé  d'Estelan  jette 
son  épée,  honteux  d'accomplir  une  telle 
besogne. 

Le  sixième  tableau  nous  mène  au  corps 
de  garde  des  dragons  ;  un  soldat  prévient 
d'Estelan  que  Judith  Rcnaudin  demande  à 


Kemiudm.  Judiili.  M"*"  Kenaudin. 

M.  de  Max.  M"*  Mellot.        M"  Marie  Laurent. 


Judith  Renaudin.  —  Deuxième  acte. 


abandonnera  l'armée,  il  épousera  Judith 
et  tous  deux,  inconnus,  oublieux  du  passé, 
vivront  heureux  à  l'abri  des  tempêtes 
mondaines.  Le  brave  curé  a  beaucoup  de 
peine  à  faire  comprendre  à  d'Estelan  que 
rien  de  cela  n'est  possible;  rien  ne  pourra 
combler  l'abîme  qui  sépare  les  deux  jeunes 
gens,  car  jamais  Judith  ne  reniera  la  foi 
de  ses  pères.  D'Estelan  s'emporte.  Ah  !  on 
le  méconnaît.  Ah  !  on  le  repousse.  C'est 
bien,  il  retournera  à  son  devoir,  il  brûlera 
les  temples,  les  propriétés,  il  enlèvera  les 
enfants,  tuera  les  hommes  ;  on  verra  ce 
que  c'est  qu'un  amoureux  comme  lui.  Et 
d'Estelan  s'en  va  furieux  pendant  que  le 
bon  curé,  pas  très  perspicace,  préside  au 
repas  des  petits  protestants.  A  l'acte,  ou 
plutôt  au  tableau  qui  suit,  car  il  dure  à 
peine  dix  secondes,  on  est  au  bord  de  la 
mer,  la  nuit  ;  les  protestants  arrivent, 
troupe   muette,  pour   s'embarquer  à  bord 


le  voir  :  il  renvoie  ses  amis  et  reçoit  la 
jeune  fille.  Celle-ci  vient  demander  au 
capitaine  de  fermer  les  yeux,  de  laisser 
les  siens  et  les  protestants  fuyards  s'em- 
barquer en  sécurité  ;  mais  d'Estelan  parle 
de  son  amour,  il  redit  ce  qu'il  a  dit  au 
curé;  devant  l'implacable  refus  de  Judith, 
qui  pourtant  laisse  voir  qu'elle  l'aime,  il 
menace  de  nouveau ,  s'emporte,  refuse 
toute  grâce  et  promet  de  nouveaux  sévices, 
Judith  s'en  va,  lui  laissant  une  bible  dont 
le  capitaine  commence  la  lecture  quand 
le  rideau  tombe.  Au  dernier  acte,  les  Re- 
naudin vont  tenter  les  chances  d'un  départ 
et,  pour  la  dernière  fois,  on  lit  la  Bible  en 
famille  quand  le  curé  paraît  suivi  de  deux 
dragons.  Renaudin  se  croit  trahi,  mais  le 
curé  apaise  tout  le  monde.  Les  deux  dra- 
gons sont  envoyés  par  d'Estelan  converti  ; 
ils  assureront  le  départ  de  tous,  et  quant 
à  lui,  d'Estelan,  il  part  en  Hollande  avec 


936 


CHRONIQUE    THEATRALE 


eux.  Épousera-t-il  Judith?  Voilà  le  point 
d'interrogation  qui  reste  posé. 

La  pièce  de  M.  Pierre  Loti  est  curieuse 
par  le  pittoresque  et  l'observation  des 
mœurs,  mais  il  ne  faut  pas  y  chercher 
une  pièce  de  théâtre  dans  le  sens  absolu 
du  mot.  C'est  un  livre,  un  livre  intéres- 
sant et  très  bien  illustré,  dont  on  aurait 
intentionnellement  sauté  les  pages  de 
description  et  d'analyse.  Admirablement 
monté  et  joué  par  M.  de  Max,  très  en  pos- 
session du  personnage  de  Renaudin  ;  par 
Antoine,  qui  a  très  bien  dessiné  la  figure 
de  curé  d'une  bonhomie  conventionnelle  ; 
par  Daltour,  très  soudard  et  très  amoureux 
en  d'Estelan;  par  M™"  Marie  Laurent,  qui 
réédite  pour  la  dixième  fois  —  et  toujours 
avec  le  même  succès  —  dans  la  paraly- 
tique Renaudin  le  personnage  analogue 
qu'elle  dessina  magistralement  jadis  dans 
Thérèse  Raquin,  et  qui  pour  le  second 
rôle  de  la  Benoîte  n'a  eu  qu'à  choisir 
comme  modèle  une  des  nombreuses  figures 
de  son  vaste  répertoire.  M"*^  Mellot,  tou- 
jours agitée  et  nerveuse,  est  aussi  toujours 
en  possession  de  sa  voix  exquise,  qui  fait 
miracle  dans  la  rigide  et  austère  Judith 
dont  elle  a  rendu  heureusement  le  carac- 
tère aux  noljles  tendances. 

Le  théâtre  Antoine,  héritier  des  mœurs 
hospitalières  du  Théâtre  Libre,  a  accueilli 
Judith  Renaudin  ;  il  a  bien  fait,  c'était  son 
devoir.  Il  a  monté  la  pièce  avec  un  luxe 
inusité,  dû  à  la  noble  présence  d'un 
membre  de  l'Académie  française,  comme 
si  l'ouvrage  pouvait  durer  plus  de  quel- 
ques représentations  :  ça,  c'est  de  l'hé- 
poïsme. 


A     L    A  M  B  1  G  U 

Papa  la  Vertu,  drame  en  cinq  actes  et  huit 
tableaux  de  MM.  Pierre  Decourcelle  et 
René  Maizeroy. 

Voici  deux  noms  qu'on  ne  s'attendait 
guère  à  trouver  accouplés.  Que  Pierre 
Decourcelle,  l'auteur  si  fêté  de  Gigolette 
et  des  Deux  gosses,  de  glorieuse  mémoire, 
remporte  encore  un  succès  sur  le  théâtre 
où  tant  de  soirs  il  triompha,  rien  de  plus 
naturel;  mais  que  M.  René  Maizeroy,  le 
peintre  subtil  des  coins  secrets  de  la  vie 
ultra-parisienne,  s'essaye  dans  la  psycho- 
logie plus  rudiraentaire  d'un  drame  popu- 
laire, voilà  qui  pouvait  surprendre.  Cela 
est  cependant,  et  l'enfant  issu  de  ce  ma- 
riage heureux  est  un  rude  gaillard  chez 
lequel  la  vigueur  n'exclut  pas  la  grâce  et 
la  finesse  et  en  qui  l'on  découvre  aisément 
la  part  de  collaboration  qui  revient  à 
chacun  des  auteurs. 

Papa  la  Vertu  sort  de  la  donnée  usuelle 
des    mélodrames  par    la  philosophie    qui 


s'en  dégage  et  surtout  par  l'étude  assez 
fouillée  de  caractères  qui,  ma  foi,  ne  se- 
raient nullement  déplacés  dans  une  co- 
médie. Je  suis  heureux  de  constater  ce 
résultat  qui  vient  donner  une  sanction 
éclatante  à  la  thèse  que  je  soutenais  ici- 
même  il  y  a  quelques  mois  sur  la  néces- 
sité d'un  choix  éclairé  dans  la  collabo- 
ration. 

Mais  j'ai  promis  de  ne  point  m'égarer 
en  des  considérations  étrangères  au  sujet 
lui-même. 

Voici  donc  l'histoire  telle  que  les  au- 
teurs nous  la  racontent  et  telle  que  le  pu- 
blic l'a  accueillie  avec  de  longs  bravos. 

Papa  la  Vertu,  c'est  l'adjudant  Canta- 
beille,  sorti  du  rang,  type  d'honneur  mili- 
taire, vieux  brave  à  trois  poils,  esclave 
aveugle  de  la  discipline.  Vingt-cinq  ans 
de  bons  services  lui  ont  assuré  la  posses- 
sion de  ce  sobriquet  qui  est  un  de  ses 
plus  beaux  titres  de  gloire. 

Vous  pensez  bien  que  ce  long  passé  in- 
tact va  être  terni  par  le  passage  d'une 
femme  dans  la  vie  du  vieux  soldat.  De- 
puis Carmen  —  la  comparaison  avec  le 
chef-d'œuvre  de  Mérimée,  qui  n'a  rien 
d'offensant  pour  les  auteurs  de  Pax>a  la 
Vertu,  s'impose  d'autant  plus  que  l'ac- 
tion se  passe  sur  la  frontière  espagnole 
—  nous  sommes  habitués  à  ces  nau- 
frages de  l'honneur.  La  Carmen  ici  se 
nomme  Selika;  c'est  une  dompteuse,  fille 
de  bohème,  maîtresse  d'un  Escamillo  de 
baraques  foraines,  nommé  Prosper,  qui,  sa- 
chant que  l'adjudant  possède  une  petite 
fortune  personnelle,  lance  sa  compagne 
sur  le  pauvre  guerrier  naïf  dont  elle  ne 
fait  bientôt  qu'une  bouchée.  Cette  Selika 
a  des  exigences  ;  l'argent  de  Canlabeille 
file  vite,  et  Selika  demande  toujours  :  il  a 
sur  lui  des  lettres,  des  mandats,  pour  une 
somme  relativement  considérable,  car  en 
sa  qualité  de  vaguemestre  du  régiment 
c'est  lui  qui  est  chargé  de  recevoir  et  de 
toucher  à  la  poste  tout  l'argent  de  ses  ca- 
marades. Comme  de  juste,  ces  sommes  sont 
englouties.  Papa  la  Vertu  n'est  plus  qu'un 
voleur,  il  va  devenir  déserteur.  Il  s'enfuit 
avec  Selika,  la  ménagerie  déménage  et 
voilà  nos  contrebandiers  là-bas,  là-bas 
dans  la  montagne.  Mais  don  José...,  c'est- 
à-dire  Cantabeille,  ne  tarde  pas  à  s'aper- 
cevoir que  Carmen-Selika  ne  l'aime  plus, 
ne  l'a  même  jamais  aimé  et,  sans  attendre 
l'acte  de  la  Plazza  des  Toros,  il  se  jette 
sur  elle  et  la  tue  à  moitié.  Cependant, 
comme  il  est  toujours  Français  et  par  con- 
séquent toujours  galant  avec  les  femmes, 
il  retient  son  bras,  lui  montre  la  porte  et 
l'invite  à  s'aller  faire  étrangler  ailleurs... 
Et  maintenant  il  faut  expier. 

Cantabeille,  l'oreille  basse,  rentre  au 
régiment,   résigné   à   passer  au  conseil. 


CIIHONIQUE    TIIÉATRALIi: 


937 


O  bonheur!  ù  surprise!  on  no  s;\it  rien  de 
ses  vols  ni  de  son  escapade,  ou  plutôt  on 
feint  de  ne  rien  savoir.  In  certain  capi- 
taine Tourhanyès,  franc  de  cœur,  jjrave 
homme  comme  on  n'en  fait  plus,  compa- 
f^non  d'armes  de  Pa])a  la  \'ertu,  tuteur  d'une 
petite  orpheline,  la  jolie  Glorieuse  que  (lan- 
taheille  a  recueillie  jadis,  à  qui  il  a  donné 
30,000  francs  que  les  escarpes  de  la  bande 
à  Selika  sont  venus,  du  reste,  lui  voler 
après  mille  péripéties  dramatiques  :  voyage 


peu  conforme  à  la  vérité  vraie,  se  rap- 
))roche  de  la  vérité  des  contes  de  fées  qui 
est  j)eul-être  bien,  eu  somme,  la  vérité 
sans  phrase. 

Bien  montée,  avec  des  lions,  des  décors, 
des  trucs,  des  jeux  de  lumière  et  une  in- 
terprétation de  premier  ordre,  Duquesne 
et  la  belle  Marcelle  Lender  en  tète,  Pcqm 
la  Vertu  a  des  chances  pour  se  maintenir 
pendant  plusieurs  mois  sur  l'affiche  de 
l'Ambigu.   C'est  le    pire  que  je   lui   sou- 


PJBBPIi^^r^^^^                         i^^ 

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1 

-i'^|i4.f 

Cl.  Paul  Boyer. 


Selika.  C.viitil.  i\\ 

M""  Marcelle  Lender.  M.  Duciuesne. 


Papa  la  Vertu. 


JI.  R.avct. 

Septième  tableau. 


à  travers  les  précipices,  comme  celui  de 
la  pauvre  Micaëla,  de  l'Opéra -Comique, 
éboulement  de  rochers,  sauvetage  ines- 
péré, etc.  ;  le  bon  capitaine  Tourbanyès, 
dis-je,  a  tout  payé  de  sa  pauvre  poche  et, 
pour  justifier  l'absence  du  vaguemestre, 
avec  la  complicité  bienveillante  d'un  colo- 
nel en  or  pur,  a  fait  donner  à  l'adjudant 
une  permission  de  trente  jours  antidatée... 

Oh  !  le  bon  et  brave  régiment,  le  «  régi- 
ment-famille ».  Vive  l'armée  !.. 

Tout  s'arrange  donc  ;  mais  Cantabeille 
rendra  ses  galons  et  s'en  ira  au  Tonkin, 
en  qualité  de  simple  sergent,  se  faire  tuer 
ou  conquérir  l'épaulette... 

—  Adieu  !  lui  dit  le  bon  colon,  d'une 
intonation  significative. 

—  Au  revoir  !  murmure  le  public  en- 
Ihousiasmé  de  ce  dénouement,  qui,  s'il  est 


haite  bien  sincèrement,  car  ce  drame  est 
au  fond  plus  moral  que  bien  d'autres. 
C'est  égal,  si  M.  Jules  Ferry  n'avait  pas 
fait  le  Tonkin  qu'on  lui  a  tant  reproché, 
que  serait  devenue,  je  vous  le  demande, 
la  vertu  de  papa  Cantabeille?...  Après  cela, 
vous  me  direz  qu'il  aurait  pu  tout  aussi 
bien  aller  se  faire  tuer  à  Madagascar... 


J'aurais  voulu  parler  de  Ifédée,  la  tragé- 
die de  Catulle  Mendès,  que  Sarah  Bern- 
hardt  vient  de  faire  triomi^her  à  la  Renais- 
sance, mais  la  place  me  manque.  Ce  sera 
pour  le  mois  prochain  ;  nous  en  publie- 
rons de  longs  fragments  pour  les  proposer 
à  vos  méditations  admiratives. 

Maurice  Lefevre. 


LA     MODE     DU     MOIS 


Après  les  robes  larges  et  les  manches  bouf- 
fantes, voici  revenir  les  costumes  fourreaux  et  les 
manches  collantes;  ainsi  va  la  mode.  Elle  nous 
ordonnait  les  jupes  rondes,  il  y  a  peu  de  temps 
encore  ;  elle  nous  en  impose  de  longiies  aujourd'hui. 


moins  qu'on  ne  les  préfère  en  renard  bleu  ou  en 
astrakan,  ce  qui  donnerait  plus  de  sévérité  au 
costume. 

Par  anomalie,  on  porte  aussi  beaucoup  de 
formes  sacs,  surtout  pour  manteaux  de  voyage, 
de  matinale  promenade  ou  de  tardive  sortie. 
Celle-ci  (n°  2)  est  de  coupe  toute  récente  et  d'un 
cachet    tout  à  fait  distingué.  Ce  vêtement,  demi- 


Les  jaquettes  modernes  rappellent  beaucoup  les 
basquines  de  jadis.  Elles  sont  tellement  allongées 
de  basques  qu'elles  arrivent  à  couvrir  la  moitié 
de  la  hauteur  de  la  robe,  et  si  ajustées  qu'on  les 
serre  même  à  la  taille  par  une  ceinture.  Témoin 
le  modèle  que  nous  donnons  aujourd'hui  (n"  1). 
Celle-ci  est  en  loutre  avec  revers  et  intérieur  de 
col  en  chinchilla,  et  la  ceinture  en  rubis,  sertie 
de  vieil  argent. 

En  drap  vert  olive,  assortie  à  la  jupe  dont  le 
volant  rapporté  est  bordé  par  un  biais  même  ton, 
elle  serait  encore  fort  distinguée.  Dans  ce  cas,  les 
revers   continueraient  à   se  faire  en  chinchilla,  à 


long,  est  en  drap  rouge  caroubier  foncé  —  le  rouge 
est  très  en  faveur  cette  année.  —  Les  poches,  les 
revers  et  le  bas  des  manches,  très  simples,  sont 
en  velours  blanc  souligné  de  velours  noir.  Les  re- 
vers-châles seuls  sont  en  plus   soutachés  de  noir. 

Le  chapeau  marquis  qui  accompagne  ce  man- 
teau est  en  feutre  rouge,  du  même  ton  que  le 
drap  et  seulement  orné  de  nœuds  en  velours  noir. 
Ce  modèle  est  la  dernière  nouveauté  de   la  saison. 

Pour  accompagner  la  jaquette  de  loutre  ou  de 
drap  vert,  une  toque  en  velours  noir,  garnie  de 
plumes  noires  et  égayée  par  de  belles  boucles 
anciennes  en  strass,  est  tout  à  fait  charmante  (n°  !)• 


LA    MODE    DU    MOIS 


939 


Pour  mettre  sous  la  jaquette,  afiu  de  ne  pas 
faner  le  corsage  de  la  robe,  on  porte  souvent  des 
blouses  de  fantaisie.  Le  surah  écossais  jouit,  en 
ce  moment,  pour  cet  usage,  d'un  véritable  succès. 

"Voici  une  toilette  très  habillée,  pour  visites 
de  fin  d'année  ou  de  jour  de  l'an  (n°  3).  La 
robe  est  en  drap  idéal  beige  clair,  longue,  et 
ornée  de  biais  eu  drap  blanc  sertis  de  ganse 
noire.  Quant  au  vêtement,  —  une  redingote  demi- 
longue,  boutonnée  et  ouverte  sur  le  côté,  —  il 
est,  soit  en  zibeline  avec  revers  en  chinchilla,  soit 
en  drap  cuir  havane,  avec  revers  de  soie  crème 
ruchée  en   méandres.  Les  bords,  brodés  et  sou- 


lumes  tailleurs.  En  tous  les  cas,  si  on  ne  les 
porte  pas  noirs,  on  les  adopte  de  teinte  très 
foncée.  Pour  les  gants  de  visite  ou  d'après-midi, 
ce  sont,  au  contraire,  les  demi-teintes  ou  les 
nuances  très  claires  qui  priment,  suivant  le  degré 
de  cérémonie  de  la  toilette. 

En  hiver,  les  bottines,  genre  demi-bottes,  sont 
préférables  aux  souliers  même  boutonnés,  c'est- 
à-dire  emboîtant  la  cheville  et  le  cou-de-pied. 

Ce  collet  est  en  drap  et  velours  violine  (n"  4.) 
C'est  le  fond  qui  est  en  drap  et  le  volant  en 
velours.  Une  bande  de  skungs  souligne  la  couture 


tachés  en  soie  blanche  et  gris  argent,  ajoutent  à 
ce  vêtement  très  riche  une  coquetterie  de  plus. 
La  guimpe  intérieure  et  le  col  montant,  style 
Valois,  se  font  assortis  aux  revers,  c'est-à-dire  en 
chinchilla,  ou  en  soie  blanche  ruchée. 

Le  chapeau,  en  feutre  souple  ou  en  velours 
tendu,  est  de  nuance  assortie  à  la  robe  et  d'une 
forme  de  fantaisie  qui  rappelle  le  tricorne,  mais 
relevée  sur  le  devant  et  la  pointe  derrière.  Nœud 
en  velours  havane  et  plume  teintée. 

Quant  aux  bas,  les  noirs  continuent  à  régner 
en  maîtres.  Il  en  est  de  même  des  gants  lorsqu'il 
s'agit  de  ceux  qui  doivent  accompagner  les  cos- 


qui  rapporte  le  volant  au  collet.  La  fourrure  est 
elle-même  surmontée  d'incrustations  en  vieille 
guipure  pailletée. 

Le  costume  est  assorti  au  vêtement,  et  la  jupe 
ornée  d'un  volant  en  forme  liséré  de  skungs; 
mais  la  manière  dont  le  volant  est  posé  simule 
absolument  une  polonaise.  Cette  jupe  est  demi- 
longue,  bien  entendu,  et  assez  large  sur  l'ourlet, 
quoique  très  collante  sur  les  hanches. 

Comme  coiffure,  un  toquet-mignon  en  velours 
violine,  liséré  de  skungs  sur  les  cheveux,  avec 
nœuds  de  satin  enlevé  et  petites  têtes  de  plumes  à 
gauche. 


9i0 


LA    MODE    DU    MOIS 


LES    POSTICHES 

On  désigne  sous  ce  nom  tous  les  faux  cheveux 
dont  les  femmes  se  servent  pour  leur  coiffure  : 
nattes,  frisures,  mèches  ondulées,  boucles,  faux 
chignons,  perruques,  tours,  etc. 

Les  Napolitaines,  les  Eomaines,  les  Siciliennes, 
les  Espagnoles,  les  Auvergnates  et  les  Bretonnes 
sont  les  fournisseurs  ordinaires  des  marchands  de 
cheveux;  à  ce  propos,  il  est  bon  de  détruire  un 
préjugé  généralement  accrédité  :  il  n'est  pas  vrai 
que  l'on  se  serve,  pour  confectionner  des  pos- 
tiches, des  cheveux  des  femmes  mortes  dans  les 
hôpitaux. 

Les  cheveux  morts  n'ont  aucune  valeur  ;  ils 
ne  peuvent  être  travaillés,  se  cassent  et  ne 
durent  pas. 

Les  cheveux  les  plus  rares,  et  jDar  conséquent 
les  plus  chers,  sont  les  cheveux  roux  aux  reflets 
multicolores,  que  Henner  a  idéalisés  ;  puis  vien- 
nent les  cheveux  rouges,  les  blonds,  les  noirs,  et 
enfin  les  châtains  qui  sont  les  plus  communs  et 
par  conséquent  les  meilleur  marché. 

Contrairement  à  une  idée  faussement  répandue, 
les  faux  cheveux  exigent  un  entretien  aussi  soi- 
gneux que  les  cheveux  vivants. 

On  doit  les  peigner  et  les  brosser  soigneusement 
tous  les  soirs,  en  se  décoiffant.  La  chaleur  que 
leur  communique  la  tête  leur  donne  plus  de 
brillant,  les  rend  moins  friables  et  les  empêche 
de  garder  les  faux  plis  qu'ils  ont  pu  prendre  dans 
la  journée.  Ces  raisons  sont  suffisantes  à  expliquer 
pourquoi  la  toilette  des  faux  cheveux  est  préfé- 
rable à  faire  le  soir  que  le  matin. 

L'eau  de  son  est  excellente  pour  faciliter  la 
frisure  de  ceux  que  l'on  destine  à  être  frisés, 
ondulés  ou  bouclés.  Mais  l'eau  ordinaire  suffit 
pour  les  cheveux  frisant  naturellement,  surtout 
quand  ils  sont  de  belle  qualité.  Cette  opération 
oblige  à  prendre  des  précautions  infinies.  Aussi 
ne  doit-elle  être  confiée  qu'à  soi-même. 

Les  cheveux,  dans  ce  cas,  suivant  l'emploi  qu'on 
en  veut  faire,  sont  simplement  roulés  en  papil- 
lotes ou  mis  sur  des  épingles  à  onduler;  on  les 
dispose  ensuite  dans  une  casserole  contenant  de 
l'eau  de  son  tiède  ;  on  ne  les  laisse  bouillir  que 
quelques  instants  ;  puis  on  les  essore  dans  un 
linge  fin  et  on  les  étale  sur  une  table  jusqu'à  ce 
qu'ils  soient  très  secs. 

La  frisure  au  fer  est  tout  à  fait  mauvaise. 
Outre  qu'elle  n'a  pas  de  durée,  elle  a  pour  consé- 
quence directe  de  dessécher  et  de  faire  casser  les 
faux  cheveux. 

Au  contraire,  la  frisure  à  l'eau  dure  des  mois. 

En  général,  à  part  cette  circonstance  toute 
particulière,  les  faux  cheveux  ne  doivent  être  ni 
mouillés,  ni  enduits  d'huile  ou  de  pommade  quel- 
conque. 

Quand  on  veut  les  parfumer,  on  les  enferme, 
le  soir,  dans  un  carton  contenant  un  sachet 
d'iris,  par  exemple. 

Il  est  encore  essentiel  de  ne  se  servir,  pour  les 
coiffer,  que  d'un  peigne  en  écaille,  c'est-à-dire 
très  doux,  et  d'une  brosse  non  moins  douce. 


NOS    PATRONS 

Douillette  pour  bébé  en  cachemire  blanc  ou  en 
ottoman  blanc  crème  brodé  au  plumetis  de  fleu- 
rettes de  soie  en  relief.  Volant,  autour  du  col,  en 
soie  souple  brodée,  ou  bien  en  vieille    guipure. 


Grand  flot  de  ruban  à  la  fermeture.  Doublure  en 
soie  blanche  ouatée  et  piquée. 

La  pèlerine,  comme  le  grand  col,  sont  montés  à 
fronces  sur  un  empiècement. 

Matériaux  :  2™,50  de  cachemire  blanc  ;  5  mètres 


TTT\_JTY 


^         yi/^u'ne. 


d'ottoman  et  de  petite  soie  pour  doublure; 
3™,50  de  rubans. 

Ce  modèle  peut  se  répéter  en  molleton,  en 
cachemire  bleu,  blanc  ou  rose  uni,  pour  le  matin. 

On  fait  généralement  la  petite  capeline  assortie 
à  la  douillette. 


LA    MODE    DU    MOIS 


941 


LES   TISSUS    NOUVEAUX 

Lainaljes.  —  Drap  idml.  —  r",40  de  large, 
11  fr.  75  le  mètre.  Nuances  :  bleu  marine,  bleu 
de  France,  gris,  pervenche,  tourterelle,  vert  de 
gris.  Ce  drap  est  tellement  tin  qu'on  dirait  abso- 
lument un  vrai  drap  de  soie.  La  pluie  ne  le  tache 
pas.  Parmi  les  teintes  nouvelles,  il  faut  signaler 
le  gros  bleu  franc  et  la  gamme  très  variée  des 
gris.  Un  costume  de  ce  genre  remplace  une  robe 
de  soie. 

En  noir,  suivant  sa  finesse,  le  drap  idéal,  tou- 
jours en  1"',40  de  large,  vaut  9  fr.  25,  10  fr.  50, 
11  fr.  75,  13  fr.  50  et  15  francs  le  mètre. 

Pour  vêtements  seulement,  voici,  toujours  en 
noir,  le  cours  nouveau  : 

Drap  jaquette l'",42         11  fr.  25 

—  idéal 1     40         1.3       50 

—  cuir 1     48  15  » 

—  » 1     57  lli        50 

—  »   1     52         18       75 

heDrap  uni  corckscreiv,  compose  de  très  solides 
costumes  trotteurs,  ne  redoutant  aucune  intem- 
périe. Ce  tissu,  inusable,  un  peu  orné,  peut  cepen- 
dant s'employer  pour  robe  de  visite.  En  1"',30  de 
large,  il  coûte  7  fr.  25  le  mètre  et  se  fait  surtout 
en  bleu,  dans  toute  la  gamme  du  ton,  grenat, 
violine,  pensée,   capote  et  gris  foncé. 

Le  rayé  velouté,  lamé  en  travers,  est  une  gen- 
tille fantaisie  que  l'on  trouve  surtout  en  myrte  et 
vert  pré,  évéque,  beige,  gris  et  bleu,  dans  toute  la 
gamme  de  ces  deux  dernières  nuances.  En  l'",.30 
de  large,  il  coûte  7  fr.  50  le  mètre. 

En  ondine  veloutée,  1"',20  de  large,  à  G  fr.  75  le 
mètre,  tissu  tout  à  fait  nouveau,  on  fera  de  jolis 
costumes  pas  très  coûteux  et  cependant  tout 
à  fait  distingués.  Les  nuances  préférables  sont, 
pour  ce  tissu,  les  teintes  pensée,  gris,  caroubier, 
marine,  bleu  franc,  cuir  et  tourterelle. 

Ij  amazone,  drap  Jin,  en  l^ijSO,  ne  coûte  que 
6  fr.  50  le  mètre,  ce  qui  remet  la  robe  à  un  prix 
raisonnable.  Nuances  :  beige  clair,  fauve,  prune, 
violine,  gris  argent,  évéque,  pervenche  et  tourterelle. 

Veloutine,  tissu  laine  et  soie  en  1™,20,  à  11  fr.  75 
le  mètre.  Nuances  :  marine,  bleu  franc,  gris,  per- 
venche, tourterelle ,  vert-de-gris. 

Epingline  brochée  noir,  sur  fond  de  couleur 
laine  et  soie,  1™,20  de  large;  prix,  11  fr.  75  le 
métré.  S'emploie  pour  robes  de  visites  et  de  réu- 
nions. Nuances  :  bleu,  feu,  évéque  et   brome  vert. 

Epingline  ombrée  ou  faqonnée,  laine  et  soie, 
toujours  en  l'°,20  de  large,  au  prix  de  11  fr.  75 
le  mètre.  Cette  étoffe,  très  nouvelle,  est  tout  à 
fait  jolie  et  très  à  recommander.  Elle  est  parti- 
culièrement ravissante  en  rouge,  nuance  très  à  la 
mode  cet  hiver. 

Velours  cordelière  (coton),  eu  0'",5(j,  coûte 
4  fr.  50  le  mètre.  C'est  un  charmant  côtelé  en 
large  et  en  relief,  imitant  la  cordelière.  Il  se  fait  : 
beige,  de   deux   tons;  gris,    noir,   violine,  marron. 


bleu  foncé.  Charmant  pour  costume  de  chasse  et 
de  bicyclette. 

Velours  Palmettes  (anglais),  en  0"',56  de  large. 
à  4  fr.  90  le  mètre.  Ce  tissu  uni  est  à  dessins  ca- 
chemire noir  sur  fonds  blanc,  évéque,  ciel,  feu  et 
billard.  Kavissant  surtout  pour  chemisettes,  cor- 
sages de  fantaisie  et  robes  d'intérieur. 

Velours  Fédora  (coton),  en  0™,56  de  large,  à 
4  fr.  25  le  mètre.  Disposition  :  rayure  fantaisie 
noire  sur  fond  de  couleur,  havane,  blanc,  rose, 
parme,  or,  sèvres,  feu,  feuilles  naissantes.  Même 
usage  que  le  précédent. 

Soierie.  —  Damas  des  Açores,  broderies  noire* 
sur  fond  de  couleur,  compose  de  très  élégantes 
toilettes.  Ce  damas,  très  original  comme  dispo- 
sition, est  couvert  de  pois  en  relief.  Il  se  fait  sur 
fond  :  feu,  parme,  aventurine,  azalée  bleu  clair  tt 
or,  rouge  et  vert,  vert  bronze  et  mauve,  groseille  et 
vert.  Largeur  :  0™,54.  Prix  :  8  fr.  75  le  mètre. 

Le  Faqonné-Bengale  et  la  Serpentine  sont  des 
tissus  tout  indiqués  pour  robes  de  femme  d'un 
certain  âge,  mères,  tantes,  etc.,  dans  un  cortège 
de  mariage,  par  exemple.  La  disposition  de  ces 
dessins  (rayure  en  travers)  est  très  jolie,  et  tou- 
jours sur  fond  de  couleurs  variées,  dans  les 
demi-teintes,  un  peu  glacées. 

Givrine  amritsar,  petit  broché  de  fantaisie  dans 
les  nuances  neutres  sur  fonds  glacés.  Largeur  : 
0'",53.  Prix  :  5  fr.  90  le  mètre. 

La  Dogette,  gros  côtelé  à  dessins  inédits,  noirs 
et  couleurs  modes.  Jolie  robe  sérieuse  de  demi- 
toilette.  Largeur  :  0°»,52.  Prix  :  G  fr.  25  le  mètre. 

Le  Jannier,  sur  fond  de  faille  gros  grain  broché 
de  couleurs.  Toilettes  de  visites.  Ce  tissu  donne 
l'illusion  d'une  soie  noire,  ajourée  par  places  et 
posée  sur  un  fond  de  couleur.  Jolies  dispositions 
dans  les  nuances  nouvelles  :  azalée,  pensée,  bleu 
électrique,  émeraude,  solférino  et  bleu  lumière. 
Largeur  :  0°»,52.  Prix  :  G  fr.  75. 

Damas  oriental  fond  noir,  avec  rayures  éclairs 
rose,  pensée,  malachite,  feu  et  bleu  électrique.  Lar- 
geur :  0",56.  Prix  :  8  fr.  25  le  mètre. 

Armure  hongroise,  dans  les  teintes  claires,  pour 
toilettes  de  demoiselles  d'honneur,  dîners,  soi- 
rées, etc.  Tissu  irni.  Largeur  :  0™,54.  Prix  :  8  fr.  25 
le  mètre. 

Ondine  perlée,  brochée  de  dessins  très  fantai- 
sistes, convient  surtout  aux  jeunes  femmes. 
Nuances  :  vert  d'eau  et  blanc,  or  et  blanc,  bleu 
ciel  et  blanc,  rose  et  blanc,  mauve  et  blanc,  etc. 
Largeur  :  0™,54.  Prix  :  G  fr.  50  le  mètre. 

li'armure  Dera-Ghazi-Kan ,  dispositions  et 
nuances  claires,  idéales,  pour  demoiselles  d'hon- 
neur et  toilettes  de  jeunes  femmes  très  habillées, 
dans  les  teintes  nouvelles.  Largeur  :  0"',53.  Prix  : 
6  fr.  25. 

Soierie  noire.  —  Satin  Trianon,  ne  peut  se 
couper  et  ne  se  fait  qu'en  noir,  garanti  à  l'usage. 
Largeur  :  0'",56.  Prix,  suivant  la  qualité  :  9  fr.  25 
et  10  fr.  25  le  mètre.  En  0'",58  et  0™,60,  légè- 
rement rayé  en  travers,  à  12  fr.  50  le  mètre. 

Satin  de  Lyon,  rayures  plus  accentuées.  Lar- 
geur :  0'°,56.  Prix  :  6  fr.  75. 


9i2 


LA    MODE    DU    MOIS 


OUVRAGES    DE    DAMES 

N"  1.  Chaise  bonne-Jhnme,  charmante  à  mettre 
dans  un  salon  de  fantaisie,  une  chambre  de  jeune 
fille,  un  coquet  cabinet  de  toilette  ou  un  boudoir. 
Elle  se  fait  en  bois 
naturel  et  ciré,  ou 
en  bois  laqué  blanc 
ou  de  nuance  pâle, 
avec  siège  en  paille 
de  couleur.  Un  cous- 
sin têtière,  retenu 
par  des  nœuds  de 
rubans  se  terminant 
en  flot,  à  gauche,  lui 
sert  d'ornement.  On 
peut  faire,  si  on  le 
désire,  un  coussin 
semblable  pour  le 
siège,  mais  alors  sans 
nœuds  de  ruban. 

N»  2.  Ditail  du 
coussin. —  Ce  dernier 
se  fait,  suivant  le 
govit,  en  soie,  en  ve- 
lours ras  ou  en  toile. 
Il  se  brode  au  passé,  en  soie  lavable,  si  le  fond 
est  en  toile  granitée,  en  belle  soie  d'Alger  si,  au 
contraire,   le  coussin  est  en  velours,   en  satin  ou 


en  tout  autre  tissu  de  soie.  En  broderie  rococo,  ce 
genre  de  travail  est  également  très  joli. 

N"  3.  Porte-journaux.  —  Ce  bibelot,  très  com- 
mode, et  que  l'on  devrait  trouver  sur  toutes  les 
tables  de  travail,  est  une  véritable  symphonie  jaune. 

Il  se  fait  en  velours  ras,  vieux  jaune  glacé  de 
blanc,  rehaussé  d'un  jeté  de  fleurs  de  jonquilles 
brodées,  un  peu  en  relief,  avec  soie  d'un  jaune  bril- 
lant, tandis  que  les  feuilles,  d'un  vert  vif,  tirant 
un  peu  sur  le  jaune,  sont  brodées  à  plat. 


Il  est  à  double  face,  bien  entendu,  et  doublé,  à 
l'intérieui',  en   panne 
vieux  jaune. 

Tout  autour,  exté- 
rieurement, encadrant 
le  jeté  de  jonquille, 
une  dentelle  d'or, 
genre  ancien,est  posée 
à  plat.  Le  champ  est 

recouvert  par    un  galon    étroit,   toujours   genre 
ancien,   vert    mousse,   clouté    de  clous  dorés. 

N°  4,   Détail  du  travail.  —  Ce  porte- journaux 
peut  encore  se  faire  en  peinture  sur  soie,  au  lieu 


de  broderie,   ce  qui  est  à  la  fois  très   joli  et  très 
nouveau. 

N"  5.  Pelote.  —  Cette  pelote,  de  forme  ovale, 
est  en  soie  d'un  blanc  crème  appliquée  sur  un 
bord  en  velours  miroir  rose  ou  bleu  pâle,  glacé 
d'argent.  Un  rinceau 
de  broderie  au  plu- 
metis  et  un  jeté  d'an- 
thémises  ornent  gra- 
cieusement le  dessus. 
Un  volant  en  den- 
telle pailletée  l'en- 
cadre   en    retombant 

tout    autour.    Il    est  retenu  à  la  pelote  par  de 
jolis  nœuds  Louis  XVI  en  petits  velours  noirs. 

Cette  pelote,  faite  pour  se  poser  sur  une  table, 
peut  se    monter  en   boîte,  la    fermeture   du    cou- 


vercle dissimulée  sous  le  volant  de  dentelles,  et, 
à  l'occasion  de  la  nouvelle  année,  rien  n'empêche 
de  remplir  cette  boîte  de  bombons  exquis,  de  fins 
chocolats  ou  de  délicats  fruits   confits. 

N"  6.  Détail  de  la  broderie  de  la  pelote  pour 
laquelle  le  velours  ivoire  peut  fort  bien  rem- 
placer la  soie  crème. 

Berthe    de    Phêsillt. 


MEMENTO     ENCYCLOPEDIQUE 

Événements  d'Octobre  1898. 


1.  -    Ouverture  des  travaux  ile  la  commission  de 

la  paix  hispauo-amèrieaine.  La  commission  tient  ses 
réunions  an  ministère  des  affaii'es  étrangères,  à  Paris. 
Les  commissaires  décident  de  garder  le  secret  sur  leurs 


la  vie.   —   A  Pékin,  pendant  les  fêtes  de  la  Lune,  la 
foule  jette  de  la  boue  aux  Européens  qui  se  rendent  à  la 
légation  russe.  Les  légations  font  venir  des  troupes. 
2.  —  Elections  législatives  :  Dans  la  2"  cir- 


ENTREVUE     DU     COMMANDANT     MARCHAND     ET     DU     SIRDAR     KITCHENER 
A     BORD     DU     «DAL» 


délibérations.  —  Congrès  des  greffiers  de  justice 
de  paix  et  de  simple  police  de  France,  à  Rouen.  —  Mort 
du  peintre  alsacien  C.-A.  Pabst.  —  Le  Khédive 
d'Egypte  arrive  à  Coustantinople.  —  Dans  un  terrible 
incendie,  à  Haukow  (Chine),  plus  de  dix  mille  habi- 
tations sont  détruites  et  un  millier  de  personnes  perdent 


conscription  de  Narboune,  M.  Paul  Narbonne,  radical 
socialiste,  est  élu  par  7,447  voix,  eu  remplacement  de 
M.  Turrel,  invalidé.  —  A  Bastia,  le  colonel  Astima, 
républicain,  est  élu  par  7,129  voix.  L'élection  de  M.  Astima 
avait  été  invalidée.  —  Election  sénatoriale  :  A 
Clermout-Ferrand,  JI.  Chantagrel,  radical  socialiste,  est 


944 


MEMENTO    ENCYCLOPEDIQUE 


élu  par  62G  voix,  en  rem])'-aoemcnt  de  M.  Gaillard, 
décède.  —  Le  capitaine  Marchand,  cliargé  de  mis- 
siou  dans  le  Haiit-Oubanglii,  est  promu  chef  de  batail- 
lon. —  M.  Liotard,  gouverneur  du  Haut-Onbanglil, 
arrive  à  Bordeaux.  Il  est  reçu  par  M.  de  Brazza  qui, 
dans  son  discours  de  bienvenue,  rappelle  la  part  impor- 
tante prise  par  M.  Liotard  dans  la  préparation  de  li 
mission  Marchand.  —  A  la  salle  Wagram,  à  Paris,  devait 
avoir  lieu  un  grand  meeting  organisé  par  M.  de 
Pressensé,  en  faveur  de  la  revision  du  procès  Dreyfus. 
M.  Déroulède  devait  assister  h  la  réunion.  Au  dernier 
moment  le  propriétaire  de  la  sal'.e  en  refuse  l'accès. 
MM.  de  Pressensé  et  Déroulède  avec  de  nombreux  parti- 
sans se  rencontrent  devant  l'établissement  ;  des  bagarres 
se  produisent  et  des  coups  sont  échangés.  De  nombreux 
manifestants  sont  blessés  et  de  nombreuses  arrestations 
sont  opérées.  —  A  Souillac  (Lot),  inauguration  de  la 
statue  de  l'amiral  de  Verninac,  ancien  gouverneur 
de  l'Inde,  ancien  ministre  de  la  marine.  —  A  Fouge- 
rolles,  inauguration  du  monument  élevé  à  la  mémoire 
des  soldats  morts  pendant  la  guerre  de  187U-1871. —  Aux 
Philippines,  les  Espagnols  mettent  en  déroute  les 
insurgés  qui  avaient  débarqué  aux  îles  Yisayas.  —  L'As- 
semblée nationale  de  Malolo  discute  la  constitution. 

3.  —  Mort  du  général  Agard  de  Rouméjoux, 
l'un  des  doyens  de  l'armée  franc  lise.  —  A  Hammamet 
(Tunisie),  cérémonie  de  translation  des  restes  des  sol- 
dats morts  pour  la  patrie  en  1881-1884  dans  le  nouvel 
ossuaire.  —  A  Stuttgart,  ouverture  du  congrès  socia- 
liste allemand.  —  Le  conseil  des  ministres  espagnol 
décide  que  la  régente  acceptera  le  rôle  d'arljitre  entre  le 
Chili  et  le  Pérou  au  sujet  des  deu.x  provinces  dont 
la  nationalité  est  contestée.  —  Mort  de  la  grande  tra- 
gédienne américaine  Fanny  Davenport.  —  Le  gou- 
vernement italien  envoie  aux  États  européens  une  note 
les  invitant  à  participer  à  nne  conférence  internationale 
contre  les  anarchistes.  —  M.  Zola  est  élu 
membre  de  l'Académie  du  Brésil. 

4.  —  M.  Forichon,  conseiller  à  la  Conr  de  cassa- 
tion, est  nommé  premier  président  de  la  Cour  d'appel  de 
Paris,  en  remplacement  de  M.  Périvier.  —  M.  F.  Faiare 
reçoit  à  l'Eljsée  les  membres  de  la  commission  de 
la  paix  hispano-américaine.  M.  Day  lit  un  télégramme 
amical  du   président  Mac-Kinley.  M.  F.  Faure  y  répond. 

—  M.  Lockroy,  ministre  de  la  marine,  quitte  Paris 
allant  à  Toulon,  en  Corse,  en  Tunisie  et  en  Algérie.  Il 
est  accompagné  d'une  mission  chargée  de  l'étude  de  la 
défense  des  côtes.  —  Le  gouvernement  espagnol,  faisant 
droit  aux  réclamations  du  commerce  et  de  l'industrie, 
supprime  l'impôt  sur  les  exportations.  —  Le  pré- 
sident de  la  Kèpublique  de  l'Equateur  demande  au  Con- 
grès l'autorisation  de  provoquer  la  reconstitution  de 
l'ancienne  Colombie,  fondée  par  Bolivar,  qui  com- 
prenait l'Equateur,  la  Colombie  et  le  Venezuela. 

5.  —  Les  obsèques  de  M"""  Carnot  ont  lieu  à  la 
Madeleine  au  milieu  d'une  grande  aflfluence.  —  Les  ter- 
rassiers grévistes  ayant  commis  des  déprédations 
dans  le  quartier  de  (rrenelle,  la  troupe  est  requise  pour 
renforcer  la  police  afin  de  protéger  les  chantiers.  —  D.ms 
une  note  à  la  Porte,  les  puissances  demandent  que  les 
troupes  turques  évacuent  la  Crète  dans  le  délai  d'un 
mois.  —  Le  baron  Dipauli  est  nommé  ministre  du 
commerce  d'Autriche-Hongrie  en  remplacement  du  doc- 
teur Bœrnreither,  démissionnaire. 

6.  —  M.  Bard,  conseiller  à  la  Conr  de  cassation,  est 
chargé  du  ra|)port  dans  la  demande  eu  revision  du  procès 
Dreyfus.  —  M.  Liotard,  gouverneur  du  Haut-Oubanghi, 
arrive  à  Paris.  Il  est  reçu  par  les  présidents  des  groupes 
coloniaux  qui    lui  adressent  des  discours  de  bienvenue. 

7.  —  Une  réunion,  présidée  pur  M.  Déroulède,  vote  la 
reconstitution  de  la  ligue  des  patriotes.  —  Ismaïl 
bey,  gouverneur  civil  de  la  Crète,  informe  les  notables 
musulmans  que -le  sultan  accède  aux  demandes  des 
puissances  au  sujet  du  départ  des  troupes  turques. 
Les  Israélites  quittent  la  Crète. 

8.  —  Après  avoir  visité  les  établissements  de  la 
marine  à  Toulon,  M.  Lockroy  arrive   à  Calvi  (Corse). 

—  Le  Conseil  municiiial  de  Paris  décide  de  donner  le  nom 
de  Fachoda  à  une  rue  de  Paris.  —  A  Marseille,  ouver- 
ture du  congrès  de  gynécologie,  d'obstétrique  et  de 
ppediatrie.  —  Entrée  solennelle  à  Orléans  du  général  de 
Longuemar,  nouveau  commandant  du  â''  corps  d'armée. 
Des  manifestations  en  faveur  de  l'armée  se  jiroduisent  à 
cette  occasion.  —  A  Canton  (Ohio),  M.  Georges  Saxton, 
frère  de  M""^  Mac-Kinley,  est   assassiné  par  une 


femme.  —  Le  Congrès  socialiste  de  Stuttgart 
adopte  une  résolution  .le  M.  Liebknecht  protestant  contre 
l'exploitation  de  l'assassinat  de  l'impératrice  d'Autriche 
contre  les  socialistes  et  condamnant  sévèi-ement  l'assas- 
sinat politique.  —  Le  pape,  recevant  les  pèlerins  fran- 
çais, dit  que  si  la  France  s'abandonne  à  la  Révolution  et 
au  socialisme  ce  sera,  pour  la  classe  ouvrière,  la  servi- 
tude, la  misère  et  la  ruine.  —  A  Utrecht,  premier  con- 
grès catholique  néerlandais  de  la  tempérance. 

9.  —  Election  sénatoriale  :  Haute-Savoie.  M.  Ma- 
gnien,  radicil,  est  élu  par  T.")!!  voix,  en  remplacement  de 
M.  Buffet,  inamovible,  décédé.  —  A  Vimy  (Pas-de-Calais), 
inauguration  du  monument  élevé  à  Abel  Bergaigne, 
célèbre  orientaliste.  —  Au  Mans,  inauguration  du  pont 
en  X  sur  la  Sarthe.  —  A  Brouvelieures  (Vosges),  inau- 
guration du  monument  des  francs -tireurs  tués 
au  combat  du  11  décembre  1S70.  —  A  Argenteuil, 
inauguration  de  l'église  paroissiale  récemment  érigée  en 
basilique  par  le  pape.  —  Courses  de  Longchamp, 
grand  prix  d'automne  du  Conseil  municipal,  gagné  par 
«  Gardefeu  ■»,  à  M.  J.  de  Brémond.  —  Le  général  Gal- 
lièni,  rentrant  d'un  voyage  autour  de  Madagascar, 
exprime  sa  confiance  dans  l'avenir  de  la  grande  île  dont 
il  prédit  l'essor  rapide.  —  Le  Tsung-li-Yamen,  de 
Chine,  proteste  contre  le  nombre  de  soldats  amenés  à  la 
légation  russe.  —  Le  gouvernement  marocain 
verse  150,000  francs  à  la  légation  d'Italie  et  200,000  francs 
à  la  légation  de  Portugal  en  réparation  des  actes  de  pira,- 
terie  commis  sur  les  côtes  du  Riff. 

10.  —  Le  Conseil  municipal  de  Paris,  à  la  suite  des 
grèves,  décide  de  mettre  en  régie  les  travaux  de  la 
Ville  de  Paris.  —  Le  gouvernement  anglais  publie 
un  livre  bleu  sur  la  question  du  Nil  et  sur  le  main- 
tien des  droits  de  l'Angleterre  à  Fachoda.  —  La  Porte, 
répondant  à  la  note  collective  des  puissances,  concernant 
l'évacuation  de  la  Crète,  dit  qu'elle  accepte  les 
demandes  formulées  et  prend  acte  de  la  promesse  d'af- 
firmer la  souveraineté  du  sultan  sur  la  Crète,  de  main- 
tenir l'ordre  et  de  garantir  la  sécurité  des  sujets  musul- 
mans. Elle  demande  de  laisser  dans  les  places  foi-tes  du 
littoral  des  garnisons  suffisantes  pour  assurer  les  droits 
de  suzeraineté  du  sultan.  —  A  Séoul,  Kim-Hong-Nink, 
ancien  favori,  et  deux  autres  individus,  accusés  d'être 
les  auteurs  du  complot  formé  dans  le  but  d'empoisonner 
l'empereur  de  Corée,  sont  pendus  dans  leur  prison. 
La  populace,  parvenant  à  s'emparer  des  cadavres,  les 
traîne  dans  les  rues  et  leur  fait  subir  d'horribles  muti- 
lations. 

11.  —  Après  avoir  visité  les  ports  de  Corse,  M.  Loc- 
kroy part  pour  la  Tunisie.  —  Vente,  par  autorité  de 
justice,  des  objets  saisis  chez  M.  Zola,  à  la  requête 
des  trois  experts  en  écritures  de  l'affaire  Dreyfus,  en 
faveur  île  cliacun  desquels  M.  Zola  avait  été  condamné 
â  10,000  francs  de  dommages-intérêts  pour  diffamation. 
Au  premier  objet  mis  en  vente,  une  table,  l'éditeur  Fas- 
quelle  couvre  la  somme  réclamée,  soit  32,000  francs  et 
la  vente  est  terminée.  —  L'empereur  d'Allemagne 
et  l'impératrice,  avec  une  suite  de  100  personnes,  p.irtent 
de  Potsdam  pour  un  voj'age  en  Orient.  Ils  renoncent  au 
voyage  en  Egs'pte.  —  Le  général  Roca  assume  la  prési- 
dence de  la  République  Argentine.  Il  constitue 
un  ministère  composé  de  MM.  Yofre,  intérieur;  Rosa, 
finances;  Campos,  guerre;  Rivadavia.  marine;  Friers, 
travaux  publics  et  agriculture  ;  Alcorta,  affaires  étran- 
gères ;  Osvaldo  Magnusco,  justice.  —  Le  gouverne- 
ment du  Cap  est  battu  sur  la  question  de  confiance 
et  le  ministère  démissionne.  —  Le  khédive  quitte 
Constantinople  pour  rentrer  en  Egypte.  —  Aux  îles 
■yisayas  (Philippines),  38  chefs  insurgés  et  4,000  hom- 
mes font  leur  soumission  sans  condition  aux  autorités 
espagnoles. 

12.  —  Le  général  Roca,  président  de  la  Répu- 
blique Argentine,  prête  serment.  Son  message  constate 
une  détente  dans  les  relations  avec  le  Chili,  ce  qui  per- 
mettra au  pays  d'appliquer  toutes  ses  forces  vitales  à 
son  relèvement  financier.  —  Le  ministre  de  la 
guerre  de  Russie,  de  passage  à  Paris,  se  rend  à 
Ramliouillet  pour  visiter  l'Ecole  militaire. 

13.  —  Une  circulaire  du  comité  des  ouvriers  des  che- 
mins de  fer  enjoint  de  commencer  la  grève  générale. 
Cet  appel  n'est  pas  écouté.  Les  gares  de  Paris  et  des 
grandes  villes  sont  occupées  militairement.  Une  perqui- 
sition est  opérée  au  siège  du  syndicat  des  chemins  de 
fer.  —  Fin  de  la  grève  des  terrassiers.  Les 
autres  corporations  du  bâtiment  reprennent  progressive- 


MEMENTO    ENCYCLOPÉDIQUE, 


Oi5 


14.  —  Plusieurs  journaux  font  courir  le  bruit 
d'iui  complot  militaire.  Ce  bruit  est  démenti. 
—  Mort  lie  M.  Guindey,  sr^nateur  de  l'Eure.  —  Au 
Gap,  le  nouveau  cabinet  comprend  MM.  Schreiner, 
I)remier  ministre  ;  Merriman,  finances  ;  Sauer,  tra- 
vaux publics  ;  Salomon,  justice  ;  Herbolt,  agricul- 
ture; Water,  ministre  sans  portefeuille.  —  En 
Roumanie,  M.  Cantacuzène,  ministre  des  finances, 
démissionne.  Il  est  remplacé  par  M.  Parrani, 
ministre  de  la  justice,  auquel  succède 
M.  Stoïcesco,  ancien  ministre. —  En  Angle- 
terre, M.  Brodrich,  sous-secrétaire  à  la 
guerre,  succè'le  à  M.  Curzon  comme  sous- 
'^ecrétiire  aux  iffiires  Ltringtre'-  —  Au 
cap  L]7ird  naufrage  du  stexmer  anglais 
Moherjan  feui  -uo  pti  tonnes  qui  se  trou- 
viiont  a  bord    117  sont  noyde^ 

15.  —  L'amiral  Barrera  prend, 
Brest  le  commin  lement  de  \i  préfecture 
maritime  et  l'amiral  Sallandrouze  de 
la  Mornaix  celui  le  lescilre  du  Xord. 
—  Funériilles  de  la  reine  Louise  de 
Danemark  a  Crpenhaguc  —  Arri- 
\  Paris,  du  comte   Moura- 


ment  le  travail 


Le  chef  Samory, 
qui  depuis  de  longues  années  mettait 
obstacle  à  notre  développement  au 
Soudan  et  contre  lequel  on  dut  envoyer 
de  nombreuses  colonnes  expédition- 
naires, est  fait  prisonnier  avec  sa 
famille,  ses  chefs  de  bande  et  ses  sofas 
par  le  capitaine  Gouraud  et  le  lieute- 
nant Jaquin.  —  L'empereur  et  l'im- 
pératrice d'Allemagne  arrivent  à  Venise,  où  ils  sont 
reçus  par  le  roi  et  la  reine  d'Italie.  —  Maicimo  Gomez 
est  élu  président  de  la  République  cubaine,  eu  remplace- 
ment de  Masso.  —  Au  sujet  de  la  proposition  de  dés- 
armement du  tsar,  les  gouvernements  suédois  et 
norvégien  demandent,  dans  une  adresse  au  roi,  d'obtenir 
des  puissances  la  neutralité  de  la  Suède  et  de  la  Nor- 
vège. —  Le  ministre  de  la  justice  de  Corée  est  destitué 
pour  avoir  laissé  la  populace  mutiler  les  corps  des  cons- 
pirateurs pendus  le  10  octobre. 

VIII,  —  00. 


view,  ministre  des  affaires  étrangères  de  Russie,  Il  a 
une  entrevue  avec  M.  Delcassé. 

16.  —  A  Chaumont,  inauguration  du  monument  élevé 
à  la  mémoire  des  Haut-Marnais  morts  pendant  la 
guerre  de  1870-1871.  —  A  Bourg-Saiut-Andéol,  inau- 
guration de  la  statue  de  Madier  de  Montjau.  —  A 
Paris,  élection  de  14  conseillers  municipaux.  —  M.  Léon 
Dierx  est  élu  prince  des  poètes.  —  Mort  de  Louis 
Gallet,  librettiste.  —  L^appel  à  la  grève  des 
ouvriers   des  chemins  de   fer   n'ayant  été  suivi  d'aucun 


9i6 


MEMENTO    ENCYCLOPÉDIQUE 


effet,  les  troupes  gardant  les  gares  regagnent  leurs  caser- 
nements. —  Ms"'  Eilimani,  archevêque  d'Alep,  est  élu 
patriarche  d'Antioche.  —  A  San-Remo  (Italie), 
inauguration  du  monument  élevé  à  la  mémoire  de  Fré- 
déric III  d'Allemagne.  —  L'empereur  Guillaume 
part  de  Zante  pour  la  Turquie,  à  l)ord  du  Hohtiuollern. 

17.  —  Rentrée  des  tribunaux.  —  Ouverture  du 
12'"  congrès  français  de  chirurgie.  —  La  grève 
générale  du  bâtiment  étant  terminée,  les  troupes 
sont    retirées    des    chantiers.   —  M.   P.  Faure  offre   un 


de  la  République  du  Paraguay,  en  remplacement 
du  général  Egusquiza.  M.  Hector  Carvallo  est  élu  vice- 
président. 

20.  —  La  question  des  territoires  de  Puna  et 
d'Atacama  est  réglée.  Le  Chili  reconnaît  qu'ils  appar- 
tiennent à  la  République  Argentine.  —  Sir  George 
■Wyndham  remplace  M.  Brodrich  comme  secrétaire 
parlementaire  pour  la  guerre  dans  le  cabinet  anglais. 

21.  —  Arrivée  en  France  de  M.  Doumer,  gouver- 
neur de    l'Indo  Chine.  —  M.  Lockroy,  ministre  de  la 


C     AUDIENCE 
L  V    COUR 
CASSATION 


dîner  en  l'houneur  du  comte  Mouraview.  —  Mort 
du  peintre  Jules  Lenepveu,  membre  de  l'Académie 
des  beaux-arts.  —  Mort  de  Ms'  Depierre,  vicaire 
apostolique  de  la  Cochiii  chine  occidentale.  —  Le  Hohenzol- 
lern,  ayaut  à  bord  l'empereur  d'Allemagne,  arrive 
dans  les  Dardanelles.  —  Les  Américains  occupent  défini- 
tivement Porto-Rico.  —  Un  édit  de  l'impératrice 
douairière  de  Chine  promet  de  pourvoir  au  bien- 
être  du  peuple  et  de  faire  de  son  mieux  pour  assurer 
sa  prospérité.  —  La  Porte,  se  rendant  aux  injonctions 
des  puissances,  donne  des  ordres  pour  le  retrait  des 
troupes  turques  de  Crète. 

18.  —  Le  Journal  officiel  publie  un  mouvement 
administratif  portant  sur  17  préfectures,  et  un 
mouvement  judiciaire  dans  le  personnel  de  la  Cour 
de  cassation  et  des  Cours  de  Paris,  Nîmes  et  Montpellier. 
—  Les  souverains  allemands  arrivent  à  Constan- 
tinople,  od  ils  sont  reçus  par  le  sultan.  —  Un  complot 
pour  attenter  à  la  vie  de  l'empereur  d'A'lemagne,  aj'ant 
été  découvert  au  Caire,  une  enquête  est  ouverte  et  de 
nombreuses  arrestations  sont  opérées. 

19.  —  M.  Mac-Kinley,  président  des  Etats-tlnis,  pré- 
side le  jubilé  de  la  paix  à  Chicago.  —  M.  Emilie 
Aeeval,  ancien  ministre  de  la  guerre,  est  élu  président 


marine,  arrive  à  Toulon,  venant  de  Tunisie  et  d'Algérie. 
—  Le  ministre  des  affaires  étrangères  reçoit  télégraphi- 
quement  du  Caire  le  rapport  du  commandant 
Marchand  sur  l'occupation  de  Fachoda.  —  A  la  suite 
d'un  désaccord  avec  le  Président  de  la  République,  les 
ministres  des  travaux  publics  et  des  affaires  étrangères 
du  Chili  démissionnent.  —  Un  banquet  de  120  couverts 
est  offert  par  le  sultan,  à  Yildiz-Kiosk,  en  l'honneur  des 
souverains  allemands.  —  Tous  les  Etats  d'Europe, 
l'Amérique,  la  Chine  et  le  Japon  se  feront  représenter  à 
la  conférence  sur  le  désarmement.  — •  Par  suite  de 
désaccord  avec  ses  collègues,  M.  Gamazo,  ministre  des 
travaux  publics  d'Espagne,  démissionne. 

22.  —  M.  Moyaux,  architecte,  est  élu  membre  de 
l'Académie  des  beaux-arts,  en  remplacement  de  Ch.  Gar- 
nier.  —  Le  Conseil  municipal  de  Paris  vote  les  taxes 
destinées  à  remplacer  en  totalité  les  droits  d'octroi 
sur  les  boissons  hygiéniques.  —  Le  com.te  Mouraview, 
arrivant  de  Paris  à  Vienne,  est  reçu  par  l'empereur 
d'Autriche.  —  Les  Boers  battent  les  rebelles  Cafres 
dans  plusieurs  engagements. 

23.  —  M  Delcassé  fait  distribuer  deux  livrés 
jaunes,  l'un  sur  l'affaire  de  Fachoda,  l'autre  relatif  aux 
affaires  de  Crète.  —  Scrutin  de  ballottage  pour  les 
élections  municipales  de  Paris.  —  Mort  du  général 
de  division  Michel,  qui  commanda  la  charge  de  Reichs- 


MEMENTO    ENCYCLOPÉDIQUE 


947 


lioffeii.  —  Le  docteur  Mùller,  ilc  riiôpital  de  Vienne, 
meurt  de  la  peste,  ainsi  qu'un  des  iiitirniiers.  On  suppose 
que  la  maladie  leur  a  été  communiquée  par  des  tubes 
de  bacilles  rapportés  de  Bombay  par  des  médecins  et  dé- 
posés au  laboratoire  de  l'iiôpital. 

24.  —  Mort  du  peintre  Puvis  de  Chavannes 
(  Voir  poil  mit  cl  article  ilanx  U'  numéro  de  juilli-t  IS9S  du 
.Monde  Mnderne).  —  Ouverture  du  G''  Cougi'ès  de  la 
LiOire  navigable,  à  Saumur.  —  Le  gouvernement  an- 
glais publie  un  nouveau  livre  bleu  sur  l'affaire  de 
FacUoda.  —  Le  jiremier  transport  rapatriant  des  troupes 
tuniues  quitte  la  Crète. 

25.  —  Rentrée  des  Chambres.  —  \  u  Chambre 
des  Députés,  M.  Peytral  dépose  le  projet  de  budget 
pour  lt<93.  Au  sujet  de  la  fixation  de  la  discussion  des 
interpellations,  M.  Dérouléde  attaque  violemment  le  gé- 
néral Chanoine,  qui  dit  qu'il  a  toujours  partagé  l'opinion 
de  ses  prédécesseurs  en  ce  qui  concerne  l'affaire  Dreyfus 
et  déclare,  à  la  tribune,  qu'il  donne  sa  démission  de 
ministre  de  la  guerre.  Après  la  discussion  d'un  grand 
nombre  d'ordres  du  jour,  la  Chambre  repousse  finalement 
une  motion  de  confiance.  Le  cabinet  donne  sa  dé- 
mission au  Président  de  la  République.  M.  Lockroy 
est  chargé  de  l'intérim  du  ministère  de  la  guerre.  Pen- 
dant la  séance,  des  manifestations  se  produisent  sur  la 
place  de  la  Concorde  et  aux  environs.  150  an-estatlous 
sont  opérées.  —  Le  comte  Leontiefif,  gouverneur  des 
provinces  équatoriales  de  l'empire  d'Ethiopie,  guéri  de 
ses  blessures,  repart  pour  le  Harrar.  —  Séance  publique 
annuelle  des  cinq  Académies. 

26.  —  Le  Président  de  la  République  fait  appeler  les 
présidents  des  Chambres  pour  conférer  avec  eux  au  sujet 
de  la  crise  ministérielle.  —  Inauguration  du 
musée  Cernuschi.  —  Arrivée,  à  Marseille,  du  capi- 
taine Baratier.  de  la  mission  Marchand.  Il  est  l'objet 
de  chaleureuses  ovations.  —  Le  capitaine  commodore 
Gerhard  Dyrssen  est  nommé  ministre  de  la  marine 
de  Suède,  en  remplacement  du  contre-amiral  Christerson. 

27.  —  A  la  Cour  de  cassation,  ouverture  des  débats 
sur  la  demande  en  revision  du  procès  Dreyfus.  La 
première  audience  est  consacrée  a  la  lecture  du  rapport 
<le  M.  Bard.  —  Le  sirdar  Kitchener,  venant  d'Egypte, 
arrive  à  Douvres.  —  Les  souverains  allemands 
arrivent  à  Jaffa.  —  Elections  au  Landtag  prussien. 

28.  —  A  la  Cour  de  cassation,  deuxième  audience 
consacrée  à  l'aiffaire  Dreyfus.  Fin  de  la  lecture  du 
rapport  de  M.  Bard  et  conclusions  du  procureur  général. 
—  M.  Dupuy  accepte  la  mission  de  former  le  nouveau 
cabinet.  —  Le  commandant  Marchand,  ayant 
quitté  Fachoda,  arrive  à  Khartoum,  se  rendant  au  Caire 
pour  transmettre  au  Gouvernement  la  fin  de  son  rapport, 
qui  n'avait  pu  être  donnée  au  capitaine  Baratier.  — 
M.  Carolus  Duran  est  élu  président  de  la  Société 
nationale  des  beaux-arts,  en  remplacement  de  M.  Puvis 
de  Chavannes,  décédé.  —  Ouverture,  à  Stuttgart,  du 
congrès  géodésique,  auquel  quinze  Etats  sont  re- 
présentes. 

29.  —  Affaire  Dreyfus.  Après  plaidoirie  de  M«  Mor- 


nard,  avocat  de  la  famille  Dreyfus,  la  Cour  entre  en 
délibération  et  rapporte  l'arrêt  suivant  :  «  La  Cour  dé- 
clare la  demande  recevable,  dit  qu'il  sera  procédé  par 
elle  à  une  instruction  supplémentaire  ;  dit  n'y  avoir  pas 
lieu  de  statuer,  quant  à  présent,  sur  la  demande  du 
procureur  général   tendant  à  la  susjjension  de  la  peine.  » 

—  Le  Conseil  de  l'Ordre  raye  le  conunandant  Esther- 
hazy  des  cadres  de  la  Légion  d'honneur.  —  Le  capi- 
taine Baratier  retourne  en  Egypte,  porteur  des  instruc- 
tions du  Gouvernement  pour   le  commandant  Marchand. 

—  Congrès  des  Sociétés  de  gymnastique  de 
France.  —  La  dépouille  mortelle  de  l'impératrice 
d'Autriche  est  transportée  à  sa  place  définitive  au 
couvent  des  Capucins,  à  côté  du  tombeau  de  son  fils 
l'archiduc  Rodolphe. —  La  candidature  du  prince  Georges 
de  Grèce,  comme  gouverneur  provisoire  de  Crète, 
est  proposée  à  la  Porte  par  les  puissances.  —  Au  Ja- 
pon, M.  Osaki-Yu-Kio,  ministre  de  l'instruction  publi- 
que, ayant  parlé,  dans  un  discours,  de  l'établissement 
d'une  république  japonaise  comme  d'une  possibilité  éloi- 
gnée, est  contraint  de  donner  sa  démission.  Des  diver- 
gences s'étant  produites  au  sujet  de  la  nomination  de 
son  successeur,  tous  les  membres  libéraux  ou  avancés  du 
cabinet  donnent  leur  démission. 

30.  —  A  Craon  (Mayenne),  inauguration  de  la  statue 
de  "Volney.  —  Election  législative  à  Nantua  : 
M.  Philipou,  ancien  député  radical,  est  élu  par  4,015  voix, 
en  remplacement  de  M.  Carrier,  républicain,  décédé.  — 
A  Saulx-de-Vesoul,  inauguration  du  monument  élevé  à 
la  mémoire  des  soldats  morts  pour  la  patrie.  — 
Les  souverains  allemands  visitent  le  Saint-Sépul- 
cre et  Bethléem.  —  Le  comte  Emmanuel  Széchinyi  est 
nommé  secrétaire  d'Etat  au  ministère  de  Hongrie, 
à  Yieime.  —  Un  infirmier  de  l'hôpital  de  Vienne  meurt 
de  la  peste.  —  A  Madagascar,  le  poste  de  Marota- 
lama,  en  face  de  Nossi-Bé,  est  attaqué  par  une  bande  de 
Sakalaves.  Deux  miliciens  et  deux  colons  sont  tués.  — 
Une  nouvelle  rébellion  contre  le  gouvernement  de 
Pékin  éclate  à  quelques  milles  au  sud-ouest  de  Shan-Si. 

31.  —  Le  nouveau  ministère  est  constitué  comme 
suit  :  intérieur  et  présidence  du  Conseil,  M.  Charles 
Dupuy  ;  justice,  M.  Lebret  ;  guerre,  M.  de  Freycinet  ; 
marine,  M.  Lockroy;  affaires  étrangères,  M.  Delcassé; 
finances,  M  Peytral  ;  instruction  publique,  M.  Georges 
Leygues  ;  commerce,  M.  Delombre  ;  colonies,  M.  Guillain  ; 
agriculture,  M.  Viger;  travaux  publics,  M.  Krantz.  — 
A  Cluny,  fêtes  jubilaires  du  centenaire  de  la  célèbre 
abbaye,  sous  la  présidence  du  cardinal  Perraud.  —  Mort 
du  général  de  division  Gastine,  inspecteur  des  comités 
d'artillerie  et  du  génie.  —  De  grands  préparatifs  sont 
faits  en  Angleterre  pour  mettre  sur  le  pied  de 
guerre  les  forces  de  terre  et  de  mer.  —  L'empereur 
Guillaume  inaugure  le  nouveau  temple  protestant  du 
Sauveur  à  Jérusalem.  —  A  la  réunion  de  la  Conmiis- 
sion  de  la  paix,  les  délégués  américains  réclament, 
au  nom  de  leur  gouvernement,  la  cession  absolue,  aux 
Etats-Unis,  de  l'archipel  des  Philippines.  —  Au  Japon, 
tout  le  ministère  démissionne. 


■^1»=>- 


QUESTIONS   FINANCIÈRES 


La  crise  est  finie,  à  ce  qu'il  semble  tout 
au  moins.  Elle  a  été  rude.  Des  difficultés 
monétaires,  des  appréhensions  politiques 
à  l'extérieur,  des  préoccupations  poli- 
tiques à  l'intérieur,  —  voilà  trois  éléments 
fâcheux,  et  dont  un  seul  suffirait  à  mettre 
la  Bourse  sens  dessus  dessous. 

Quoi  qu'il  en  soit,  il  est  certain  que  la 
spéculation  à  la  hausse  a  été  cruellement 
éprouvée.  Et  le  public  proprement  dit? 
Pas  trop.  Les  gens  qui  ont  en  portefeuille 
des  renies  françaises,  de  bonnes  valeurs 
industrielles,  et  un  ou  deux  fonds  d'Etats 
étrangers,  peuvent,  à  moins  de  se  trouver 
obligés  de  réaliser  leur  avoir  du  jour  au 
lendemain,  supporter  avec  une  certaine 
philosophie  sereine  ces  bourrasques  qui, 
quelque  violentes  qu'elles  soient,  ne  lais- 
sent guère  de  ti-aces  sur  les  titres  vrai- 
ment solides.  Le  pire  inconvénient  de  ces 
temps  de  tempêtes  c'est  que,  pendant 
qu'elles  durent,  le  capitaliste  qui  ne  spé- 
cule point  est  à  peu  près  réduit  à  l'im- 
puissance. 11  ne  saurait,  pour  lui,  être 
question  de  vendre  :  à  moins  d'y  être  ab- 
solument forcé,  on  ne  vend  pas  en  temps 
de  baisse.  Acheter?  C'est  bien  délicat. 
Quand  un  marché  est  en  plein  désarroi, 
on  s'expose  à  payer  ses  acquisitions  trop 
cher;  et  cela  est  à  tout  le  moins  inutile. 
L'attitude  abstentionniste,  en  pareil  cas, 
est  donc  ce  qu'il  y  a  de  mieux. 

Cependant  il  y  a  moyen  de  tirer  parti 
de  tout  et  de  ne  pas  perdre  son  temps. 
S'il  est  hasardeux  de  s'engager  à  nouveau 
d'une  façon  ou  d'autre,  on  peut  tout  au 
moins  procéder  à  un  examen  attentif  et 
raisonné  de  ce  qu'on  possède,  et  se  de- 
mander s'il  n'y  a  pas  lieu  de  modifier  en 
l'améliorant  le  contenu  de  son  portefeuille. 
Beaucoup  de  personnes,  en  se  livrant  à  ce 
petit  travail  qui  n'est  d'ailleurs  pas  dénué 
d'agrément,  s'apercevront  qu'elles  per- 
dent de  l'argent  comme  à  plaisir,  ou,  pour 
parler  plus  exactement,  qu'elles  manquent 
à  en  gagner,  simplement  parce  qu'elles 
n'ont  pas  suffisamment  étudié  la  situation. 
C'est  ainsi  qu'il  y  a  plusieurs  rentes  tur- 
ques. Les  séries  les  plus  familières  au 
public  sont  les  séries  C  et  D.  Elles  ont 
exactement  les  mêmes  garanties,  puisque 
c'est  la  Caisse  de  la  dette  publique  qui, 
sur  les  recettes  provenant  des  six  grandes 
contributions  dont  le  produit  lui  est  dé- 
volu, paye  les  coupons.  Le  montant  an- 
nuel de  ces  coupons  est  d'un  franc,  qu'il 
s'agisse  du  Turc  C  ou  du  Turc  D.  Seule- 
ment, le  Turc  C  coûte  environ  26  francs, 
tandis  que  le  Turc  D  vaut  environ  4  francs 
de  moins.  Cette  difTérence  provient  de  ce 
que  les  titres  de  rente  turque,  divisés  en 
quatre  séries,  s'amortissent  par  ordre  alpha- 
bétique, La  série  A  est  déjà  remboursée, 
et   l'amortissement  de  la  série  B   s'achè- 


vera dans  une  période  qui  n'est  plus  main- 
tenant très  éloignée.  Après,  ce  sera  le 
tour  de  la  série  C  ;  et  c'est  à  cause  de  cela 
que  la  série  C  coûte  plus  cher  que  la  série  D, 
qui  sera  remboursée  la  dernière. 

Sur  le  papier,  et  envisagée  à  ce  point 
de  vue  spécial  de  l'amortissement,  la  dif- 
férence de  prix  entre  les  séries  C  et  D 
apparaît  comme  assez  logique.  Mais  quand 
on  vit  de  ses  revenus,  on  ne  peut  pas  se 
placer  absolument  à  ce  point  de  vue-là. 
Une  opération  bien  simple  me  prouvera 
que  100,000  francs  placés  en  Turc  C  me 
rapportent  seulement  3,840  francs.  Les 
mêmes  100,000  francs,  placés  en  Turc  D, 
me  rapporteront  4,540  francs.  La  diffé- 
rence, on  le  voit,  est  énorme;  elle  est,  en 
effet,  de  700  francs,  soit  de  18  1/4  %  du 
revenu  du  Turc  C.  Et  je  ne  vois  pas  pour- 
quoi je  me  priverais  d'un  aussi  sensible 
surcroît  de  revenu,  sous  prétexte  qu'un  de 
ces  jours  on  me  remboursera  mon  argent.  Je 
vendrai  donc  mon  Turc  C  pour  acheter  du 
Turc  D  ;  c'est  ce  qu'on  appelle  un  arbitrage. 

D'autres  groupes  de  valeurs  suscitent 
des  réflexions  analogues,  pour  des  raisons 
diverses.  Dans  le  groupe  russe,  par  exem- 
ple, nous  avons  des  types  différents.  Il  y  a 
les  3  %  et  les  4  %  entre  autres.  Les  rentes 
du  type  4  %  valent  104  à  105  francs;  leur 
revenu  ressort  ainsi  à  3.80  %.  Les  3%,  eux, 
sont  aux  environs  de  95  francs,  ce  qui 
leur  assigne  un  taux  de  capitalisation  de 
3.25  %  à  peu  près.  Au  premier  abord,  il 
semblerait  qu'il  y  eût  intérêt  à  échanger 
un  revenu  de  3  1/4%  contre  un  revenu  de 
3  3/4  %;  mais,  à  la  réflexion,  on  s'aperçoit 
qu'il  faut,  au  contraire,  opérer  dans  le  sens 
opposé.  Pourquoi  ?  D'abord  parce  que,  du 
seul  fait  que  le  pair  est  obtenu  et  même 
assez  largement  dépassé,  on  peut  conclure 
que,  fidèle  à  ses  habitudes,  le  gouverne- 
ment russe  saisira  la  première  occasion 
de  ((  convertir  »  sa  rente,  c'est-à-dire 
d'en  rembourser  les  porteurs  pour  leur 
offrir  un  taux  de  capitalisation  moins  élevé. 
Ce  remboursement  implique  donc  une 
perte  possible,  puisqu'il  serait  effectué 
à  100  francs,  alors  que  le  4  %  russe  est  ac- 
tuellement à  104  ou  105.  Les  3  %,  au  con- 
traire, sont  au-dessous  du  pair;  ils  l'attein- 
dront bien  certainement  un  jour  ou  l'autre 
et  cela  leur  laisse  ainsi  une  marge  bénéfi- 
ciaire assez  importante.  En  conséquence, 
tant  pour  ma  sécurité  que  pour  obtenir 
une  plus-value  de  mon  capital,  je  n'hési- 
terai pas  à  faire  un  léger  sacrifice  sur  mon 
revenu. 

Ce  chapitre  des  arbitrages  est  un  des 
plus  intéressants  qu'il  y  ait.  Les  deux 
exemples  que  je  viens  de  donner  suffisent 
pour  aujourd'hui.  Mais  j'y  reviendrai. 


E.    Benoist. 
Adresser  les  communications  pour  cette  page  à  M.  Emile  Benoist,  17,  rue  du  Pont-Neuf. 


BOURSE   DE    PARIS  (Comptant).  —  Cours  extrêmes  d'Octobre  1898. 


FONDS   D'ÉTAT   ET  DE  VILLES 

Rct.  ne 
d'imptl 

Plus  haut. 

Plus  b». 

3     n 

102  40 

101   70 

3      D 

101   U 

100  26 

3  1/2  J;"  d»       

3  50 

105  85 

104  90 

Obligations  tunisiennes  3  Z  1892. . . . 

15     » 

601  50 

495     » 

Emprunt  Annam  et  Tonkin  2  1/2  %' 

2  50 

89  90 

87  85 

Emprunt  de  Madagascar  2  1/2  ^ 

12  50 

90  50 

89     » 

Angleterre,  consolidés  2  3/4  ^ 

» 

111  50 

108  80 

République  argentine  6  ^  1886 

26     » 

4.>2     » 

440     » 

4     » 

104  5C 

101  50 

Belge  3  Jg"  1873  conv.  (2'  série) 

3     » 

101   15 

101  15 

Brésilien  4  ^  1889 

4     » 

67     » 

54     » 

Chine  4  2'  1895  or 

20     » 

104  50 

104     » 

État  indép'  du  Congo,  lots  1888 

» 

92     » 

87     » 

Egypte  7  JT,  dette  unifiée   nouvelle . . 

20  08 

111     » 

109  80 

—      3  1/2  ^,  dette  privil.,  conv.. 

17  57 

106  25 

102  75 

Espagne  extérieure  4  ^  1882,  perpét. 

4     » 

44  10 

40  80 

4     » 

103  1-5 

102  10 

Italien  5  % 

4     » 
»  93 

92  60 
24  40 

91   50 

Portugais  1853  3  JT 

22  65 

Roumain  4  ^  1890 

4     » 

94  50 

93  75 

Russe  4  %  1880  (6''  émission) 

4     )j 

104     » 

103  30 

—     4^  1889,  or 

4     » 

102  50 

101  25 

—    i  $  consol.  (1"  et  2»  séries). . 

4     » 

104  20 

101  60 

—    4  ^  1890  (2«  et  3=  séries) 

4     » 

102  80 

101  30 

—     3  ^  1891,  or 

3  » 

4  » 
3  50 

3  » 

4  » 
3     » 

97     » 
105  75 
102     » 

97     ). 

59  90 
102     » 

94  65 

—     4  Jg"  1893,  or 

104  20 

—     3  1/2^  1894,  libéré 

100  25 

—     3  Z  1896 

96     » 

Serbie  4  %  1895 

5S   70 

100  90 

Turquie,  dette  convertie  (D)  4  ^ 

1     » 

22  60 

22  10 

—   oblig.  consolidé  1890,  i  ^ 

20     » 

406     » 

395     » 

—       —    ottom.  priorité  1890,  4  ^. 

20     » 

473     » 

466     » 

—       —     privil.  douanes  5  ^ 

25     » 

502     » 

493     B 

—       —     ottom.  1894,  4  ^ 

20     » 

459     » 

451     » 

—       —     1896,  5  Z 

25     » 

462     » 

457     » 

Ville  de  Paris   1865,  4  jg" 

18  08 
10  66 
10  68 

555  75 
432     » 
416  75 

64!^      B 

—            1869,  3  Z 

422     » 

—            1871,3^ 

411  60 

—             1875,  4  ^ 

18  06 
18  06 

689     » 
590     » 

565     » 

—             1876,4^ 

664     » 

—            1886,  3  J 

10  68 

309     » 

398  50 

—            1892,  2  1/2 ^tout  payé. 

8  82 

409  50 

403     » 

—            1894-96,2  1/2  J  do 

8  82 

400  25 

397  50 

Ville  de  Marseille  1877,  3  ^ 

10  70 

407  .50 

404     » 

—    d'Amiens  1871,  4  J' 

3  68 
3     » 

121   50 
130     » 

120  » 
127     » 

—    de  Bordeaux  1863,  3  ^ 

—    de  Lille  1860,  3  ^ 

2  64 

3  16 

129     » 
506     » 

126  25 
602     » 

—          —      1893,  3  1/2^ 

—    de  Lyon  1880,  3  J 

2  67 

103     » 

101  25 

ÉTABLISSEMENTS    HE   CRÉDIT 

Banque  de  France (Actions) 

115  B 

3645     n 

3550     » 

Banque  Paris  et  Pays-I  as .         d" 

36  95 

059  50 

934     » 

Banque  Transatlantique  . .         d° 

11  68 

434  50 

430     » 

Compagnie  Algérienne  ...         d" 

29  60 

785     » 

770     » 

Comptoir  d'Es?ompte d" 

25     » 

587     » 

577     » 

Crédit  Foncier  de  Trance. .         d« 

24  96 

703     » 

710     » 

Foncières  1879,  3^    ..  (ObUgations) 

13  40 

609  50 

505     » 

—        1883,3^ d» 

13  48 

467     B 

458     » 

—        1885,3^ d" 

13  40 

502     » 

494   -.5 

—         1895,  2,80  Jlib.        d" 

12  46 

500     » 

495     B 

Communales  1879,  2,60  ^ .         d» 

11  50 

497  75 

496     » 

-          1880,  3  ^  . . .         d» 

13  40 

500     ). 

497     » 

—          1891,3^...         d» 

10  72 

405  25 

3?:    » 

—          1892,3^....         d» 

14  36 

602     »l 

499     B 

Crédit  Industriel (Actions) 

12     n 

615     » 

610     » 

32  06 

859     » 
649     » 
551  50 

842  » 
542  » 
540     » 

Société  Générale d» 

12     » 

12  50 

Banque  Ottomane d» 

CHEMINS  DE    FER 
Est 600  fr,  tout  payé  (Actions) 


P.-L.-M 

d« 

d» 

Midi 

d» 

d» 

Nord 

d» 

d» 

Orléans 

d» 

d» 

Ouest 

d» 

d» 

Bône-Guelma.  . 

d» 

d» 

Est-Algérien . . . 

d» 

d» 

Ouest-Algérien . 

d" 

do 

Andalous 

d" 

do 

Autrichiens 

d» 

do 

Sud-Autriche  . . 

d« 

do 

Nord -Espagne. . 

d» 

do 

Saragosse 

d» 

do 

Est  3  Z  nouveau (Oblig 

P.-L.-M.  3  Z  nouveau do 

Midi  3  Z  nouveau do 

Nord-Est  français  3  % do 

Orléans  1884 do 

Ouest  3  Z  nouveau d» 

Bône-Guelma  3  Z do 

Est- Algérien  3  Z do 

Ouest- Algérien  3  ^ do 

Médoc  3  Z do 

Andalous  3  X  estamp do 

Autrichiens  3  Z  1"  hypoth.  do 

Nord-Espagne  l"  hypothèque.  do 

Saragosse do 

VALEURS    DIVERSES 

Docks  et  Entrep.  de  Marsellle.(Actions) 

Entrep.  et  Mag.  Gén.  de  Paris.  d° 

Cie  G-ie  Transatlantique do 

C'^  française  des  Métaux ....  do 

C'o  générale  des  Tramways ...  d° 

C'«  générale  des  Eaux do 

C'«  du  Gaz  de  Bordeaux ....  d" 

C'«  du  Gaz  général  de  Paris.  do 

C'o  du  Gaz  de  Marseille do 

Aciéries  de  France d» 

Forges  et  Chantiers  Méditer.  do 

Bateaux  Parisiens d° 

C'«  franc,  des  Chargeurs  réunis,  do 

C'<'  des  Lits  militaires do 

Société  de  la  Tour  Eiffel do 

C'<^interu'*  des  Wagons-lits. .  do 

Régie  des  tabacs  ottomans..  do 
C'*  générale  des  Eaux  3  ^ . .  (Oblig.) 

-  -  5Z--  à» 

C'o  Parisienne  du  Gaz  4  Jg  ■•  <lo 

Gaz  central  500  fr.  4  ^ do 

Ci'' du  gaz  p.  France  et  Et.  4^.  do 

C''=  des  Messag.  Marit.  3 1/2  ^.  do 

C'«G''î  Omnibus  de  Paris4^.  do 

Cie  G'e  Voitures  à  Paris4^.  do 

C"  G'^  Voitures  Urbaine  5^  •  do 

C'«  des  Lits  militaires  4  ^ . .  do 

Canal  de  Panama,  lots,  t.  p . .  do 

—  —  210  p do 

—  —     bons  à  lots  89.  do 
C'«  du  Canal  de  Suez  5  % ...  d' 

—  3  %  (1"  série),  do 

—  3  ^  (2e  série) .  d« 
Obligations  du   Monde  Moderne  (5  fr. 

net  de  revenu).  —  Coupons  payables 
le  l'^'  avril  et  le  l'^''  octobre  aux 

bureaux  du  Monde  Moderne  ou  au 
Comptoir  général  de  crédit,  17,  rue 
du  Pont-Neuf. 


ReT.  let 
d'impit 

32  16 
49  70 
46  42 
55  90 
52  99 
34  75 
26  97 
26  10 
22  78 
5  » 
31  » 

4  1) 

5  » 
4  26 

13  44 
13  44 
13  44 
13  44 
13  44 
13  44 
13  46 
13  50 
13  48 

13  54 
U  » 
15  » 
U  » 

14  30 


16  43 
25  72 

17  30 
27  95 

» 
59  98 
82  66 
20  32 
45  60 
34  44 
25  30 
22  63 
55  04 
44  79 
5  15 
30  » 
25  » 
13  46 

22  94 
8  16 
8  16 
8  20 
5  84 
8  » 
8  18 

23  30 
21  81 

B 
» 
» 

24  50 
13  40 
13  SO 


Plus  haol. 

1095  » 
1939  » 
1449  n 
2140  » 
1884  B 
1220  » 
804  » 
760  » 
675  » 
108  B 
756  » 
171  50 
77  » 
146  » 
474  50 
i78  50 

481  » 
476  60 

482  50 
481  60 
469  50 
463  25 
465  » 
423  » 
202  » 
469  75 
223  25 
296  B 


460 

710  B 

353  » 

672  » 

1130  » 

2290  » 

1955  B 

475  » 

1165  » 

1159  » 

825  » 

830  » 

1521  » 

1630  » 

495  » 

770  » 

290  » 

473  B 

635 

508 

514 

606  B 

505 

518  » 

616  » 

219  » 

620  » 

124  50 

259  B 

117  » 

664  » 

484  26 

483  » 


Plut  iu. 

1077  50 

1905  » 

1413  » 

2095  » 

1815  » 

1176  » 

766  > 

730  » 

660  D 

101  » 

746  » 

161  » 

73  80 

142  » 

469  26 

472  50 

468  25 

466  75 

471  » 

471  » 

462  50 

458  » 

456  > 

415  » 

194  » 

466  » 

218  » 

285  » 


455  B 

695  » 

342  50 

650  B 

1085  » 

2260  » 

1965  » 

468  B 
1155  B 
1125  » 

791  » 

800  » 

1355  » 

1590  » 

465  » 

762  > 

260  » 

469  B 
610  » 

606  » 
498  n 
501  B 
600  » 
610  50 

607  60 
165  » 
617  » 
120  » 
254  » 
113  » 
641  » 
480  26 
476  50 


100  »   100  » 


LA    CARICATURE    INTERNATIONALE 


Réponse  à  des  attaques  (d'après  f««^../,  Paris).  —  L'année?... 
Je  l'aime  autaut  que  TOtremonsieiirDéroulède...  Seulement,  moi, 
je  l'aime  bien  cuite  !... 


La    Vérité  dans   l'affaire  Drenfus  (d'après   la  Caricature, 
Paris).  —  Oh!...  hisse!...  Oh!...  his.se!... 

L.4  FOULK  (sur  l'air  des  Lampions).  —  Sortira...  sortira  pas. 


Le  char  à  hancs  de  l'oncle  Sam  (d'après  Puck,  New-York  .  —  UN  VIEUX  PARTISAN  DE  MoXEOE  :  «  Est>cc  que  vous  n'en  prenez 
pas  trop  dans  votre  voiture,  Sam  ?  » 

L'ONCLE  Sam  (nouveau  jeuj  :  «  Non,  grand-père,  j'ai  l'attelage  qu'il  faut  pour  eux  tous.  »  (Quatre  nouveaux  venus  :  Cuba,  Porto- 
Eico,  Philippines,  Ladronnes,  se  préparent  à  prendre  place  dans  le  char  à  hancs  traîné  par  deux  chevaux  sur  les  plumets  desquels  on  lit  : 
Cl    Union  —  Liberté  ».) 


LA    CUISINE    DU    MOIS 


Moules  à  la  marinière.  —  Formui.k.  — 
2  litres  de  moules,  1/  i  de  litre  de  vin  blanc, 
2  çrammcs  de  poivre  concassé,  15  {grammes  de 
sel,  une  feuille  de  laurier,  un  peu  de  thym, 
20  {grammes  de  persil,  un  bel  oipnon,  20  gr. 
d'échalote,  120  grammes  de  beurre. 

Opération.  —  Ratisser  les  moules  une  par 
une  avec  un  couteau  un  peu  fort  de  lame, 
taper  dessus  pour  sassurer  qu'elles  ne  sont 
pas  creuses,  mortes  ou  remplies  de  vase,  ce 
qu'il  est  facile  de  reconnaître  au  bruit  sourd 
au  lieu  d'être  plein.  Les  mettre  à  mesure 
dans  un  bassin  sans  eau  ;  les  laver  à  plusieurs 
eaux  jusqu'à  limpidité  parfaite  du  dernier 
lavage.  Ciseler  l'oignon  et  le  persil,  écraser  le 
poivre  et  réunir  dans  une  casserole  un  peu 
grande  avec  les  moules,  le  sel,  le  thym  et  le 
laurier.  Couvrir  et  faire  bouillir  à  feu  vif. 
Aussitôt  que  l'eau  des  moules  déborde,  enle- 
ver la  casserole  du  feu,  tenir  couvert  et 
attendre  10  minutes.  Faire  réduire  à  moitié 
le  vin  blanc  avec  l'eau  des  moules  passée  au 
tamis  de  soie  et  ne  pas  verser  le  fond,  qui  est 
toujours  sableux,  ajouter  l'échalote  et  faire 
réduire  encore  10  minutes,  goûter  pour  le 
sel.  Enlever  une  coquille  à  chaque  moule  et 
poser  la  pleine  au  milieu  d'un  plat  rond  creux, 
suivre  ce  mouvement  jusqu'à  la  dernière 
moule,  diviser  le  beurre  en  4  ou  5  parties,  le 
mettre  dans  la  casserole  aux  échalotes  en 
dehors  du  feu,  tourner  avec  un  fouet,  verser 
sur  les  moules  et  servir. 

Chouoroute  garnie.  —  Formule.  —  2  ki- 
logrammes de  choucroute,  250  grammes  de 
saindoux,  250  grammes  de  lard  maigre,  150  gr. 
de  saucisson  de  Lorraine  ou  six  saucisses  de 
Strasbourg,  15  grammes  de  poivre,  autant  de 
baies  de  genièvre,  une  gousse  d'ail,  un  oignon 
piqué  de  deux  clous  de  girofle,  1/2  feuille  de 
laurier,  1/2  litre  de  vin  blanc  du  Rhin  ou  de 
Bourgogne. 

Opération.  —  Envelopper  les  condiments 
dans  un  petit  linge,  laver  la  choucroute  deux 
fois  et  la  presser  très  fortement  par  toutes 
petites  poignées  pour  la  sécher  complètement. 
Laver  le  lard  et  le  saucisson.  Etendre  un 
quart  de  saindoux  dans  le  fond  de  la  casse- 
role, un  lit  de  choucroute,  le  lard  et  le  sau- 
cisson, couvrir  avec  ce  qui  reste  de  chou- 
croute, de  saindoux,  le  vin  et  un  papier  blanc 
un  peu  fort  et  un  couvercle  :  faire  partir  sur 
un  feu  moyen  et  pousser  au  four  un  peu 
chaud  2  h.  1/2. 

A'.  B.  —  On  peut  rôtir  une  demi-grive  par 
personne  et  les  mettre  au  milieu  de  la  chou- 
croute. On  peut  aussi  servir  en  même  temps 
des  pommes  de  terre  cuites  à  part.  Si  on  sert 
des  saucisses  de  Strasbourg  il  faut  les  pocher 
simplement  dans  l'eau  bouillante  pendant 
10  minutes.  On  les  divise  par  le  milieu,  on 
taille  le  lard  en  morceaux  égaux  et  on  dresse 
autour  de  la  choucroute  en  alternant. 

Humpsteak  grillé.  —  Le  rumpsteak  se 
taille  dans  le  contrefîlet,  de  0'",0S  d'épaisseur 
environ  ;  il  faut  le  débarrasser  complètement, 
ainsi  que  le  chateaubriand,  de  tout  ce  qui  dé- 
pare une  grillade  :  graisse,  couenne,  aponé- 
vroses. Le  mariner  simplement  dans  l'huile 
et  le  griller  sur  un  feu  doux  ou  au  gaz  pas 
trop  allumé  14  minutes  par  demi-kilogramme, 
7  minutes  de  chaque  côté.  Le  saler  en  sor- 
tant du   gril   et  le   couvrir  avec  60  grammes 


de  beurre  fin  trituré  à  froid  avec  sel,  poivre, 
jus  de  citron  et  une  cuiller  à  bouche  de  persil 
haché.  Ce  beurre  doit  arriver  à  table  mou. 
mais  non /oiiil'i  en  huile.  Couper  le  rumpsteak 
par  le  travers  et  servir  des  pommes  de  terre 
bouillies  en  même  temps. 

Nouilles  à  l'alsacienne.  —  Pour  C  per- 
sonnes, on  dispose  une  demi-livre  de  farine 
en  fontaine,  on  met  dans  le  milieu  un  peu 
de  sel,  20  grammes  de  beurre  et  3  œufs 
moyens,  incorporer  la  farine  et  faire  une  pâte 
très,  très  dure  et  fine  ;  si  les  œufs  ne  sufTisent 
jjas  on  ajoute  une  goutte  d'eau  ou  de  blanc 
d'œuf.  Diviser  la  pâte  en  trois  parties  égales 
et  les  arrondir  en  les  triturant  pour  rafliner 
la  pâte.  Saupoudrer  légèrement  de  farine  une 
soupière  ou  légumier  et  y  mettre  la  pâte  à 
couvert,  laisser  reposer  au  moins  deux  heures. 
L'étendre  au  rouleau  sur  un  marbre  de  préfé- 
rence au  bois,  très  mince,  il  faut  voir  le  jour 
à  travers,  étaler  la  pâte  pour  la  sécher  un 
peu,  prendre  une  de  ces  abaisses,  la  fariner, 
la  couper  en  lanières  de  0™,04,  les  poser  l'une 
sur  l'autre  et  tailler  en  filets  aussi  minces 
que  possible.  Les  étaler  sur  un  tamis  en  les 
séparant,  ce  qu'il  est  facile  de  faire  en  les 
jetant  en  pluie  dessus. 

La  cuisson.  —  Mettre  au  feu  dans  une  cas- 
serole un  peu  grande  :  2  litres  d'eau,  25  gr. 
de  sel,  10  grammes  de  beurre,  un  peu  de  lait, 
un  oignon  piqué  de  deux  clous  de  girofle, 
faire  bouillir,  y  jeter  les  nouilles,  les  remuer 
avec  le  trident  ou  fourchette  de  cuisine  pour 
les  séparer,  au  premier  bouillon  retirer  la 
casserole  à  côté  du  feu,  tenir  couvert  25  mi- 
nutes. Les  égoutter,  les  verser  dans  un  légu- 
mier, les  saupoudrer  de  poivre,  d'un  peu  de 
sel,  de  croûte  de  pain  rassis  écrasée  grossiè- 
rement, faire  blondir  100  grammes  de  beurre 
à  la  noisette,  le  verser  sur  les  nouilles  et 
servir  avec  des  assiettes  chaudes  surtout. 

Noix  farcies  aux  marrons.  —  Casser 
en  les  tenant  debout  12  ou  18  noix  du  Quercy 
ou  de  l'Ardèche,  très  grosses,  les  écaler  sans 
les  briser  le  moins  possible,  les  diviser  en 
deux,  saupoudrer  une  plaque  de  sucre  en 
poudre  très  fine,  poser  les  demi-noix  et  sucrer 
dessus;  les  praliner  au  four,  mais  ne  pas  les 
brûler;  laisser  refroidir.  Piler  125  grammes 
de  marrons  glacés  dans  un  mortier,  y  ajouter 
un  verre  à  madère  de  très  bon  kirsch,  d'ani- 
sette  ou  de  maraskino,  un  peu  de  vanille  en 
poudre,  50  grammes  de  beuiTe  très  fin  ;  rele- 
ver la  purée  sur  une  assiette  et  la  mettre  au 
frais.  Saupoudrer  la  table  de  sucre  glace,  y 
rouler  la  purée  en  boudin  et  la  sectionner  en 
autant  de  morceaux  que  l'on  a  de  noix  à 
farcir,  arrondir  ces  morceaux  et  y  coller  une 
demi-noix  de  chaque  côté;  poser  ces  noix 
reconstituées  sur  la  plaque  et  les  sécher  à 
l'air  froid. 

Mouiller  avec  un  décilitre  d'eau  et  cuire  au 
cassé,  250  grammes  de  sucre  cassé  à  la  main, 
dans  lequel  on  met  quelques  gouttes  de  jus 
de  citron  pour  l'empêcher  de  graisser,  dès 
qu'il  casse  bien  sans  coller  aux  dents;  on  y 
trempe  les  noix  une  par  une  en  les  prenant 
avec  une  fourchette  et  on  les  pose  sur  une 
plaque  légèrement  huilée.  Servir  sur  papier 
dentelle  ou  serviette  à  thé. 

A.    Colombie. 


LA   VIE   PRATIQUE 


Conservation  des  échalas.   —  Le  moyen  le 

plus  simple  et  l'un  des  meilleurs  pour  conser- 
ver les  échalas  consiste  à  les  faire  tremper 
pendant  quatre  ou  cinq  jours  dans  une  solution 
de  3  à  4  0/0  de  sulfate  de  cuivre. 

L'emploi  de  la  créosote  est  encore  plus  effi- 
cace, mais  aussi  plus  compliqué.  On  place  les 
échalas  debout  dans  une  chaudière  de  manière 
qu'ils  baignent  dans  1  huile  de  créosote  jusqu'à 
une  hauteur  de  0"',60,  puis  on  chauffe  jus- 
qu'à 80».  On  éteint  ensuite  le  feu  et  on  ne 
retire  les  échalas  qu'au  bout  de  dix  heures. 
Enfin  on  laisse  sécher  aussi  longtemps  que 
possible. 

Soudage  de  l'ambre.  —  Les  fume-cigarettes 
en  amljre  ont  le  défaut  de  se  briser  facile- 
ment, ce  qui,  étant  donné  leur  prix  élevé, 
constitue  une  perte  réelle.  Pour  recoller  les 
morceaux  séparés,  on  peut  faire  usage  d  une 
composition  liquide,  formée  en  chaufl'ant  en- 
semble une  partie  de  copal  et  deux  parties 
d'alun. 

Pour  repasser  le  crêpe  anglais.  —  Pour 
repasser  et  réappréter  les  voiles  de  deuil  en 
crêpe  anglais,  on  les  place  entre  deux  fla- 
nelles, et  sur  celle  qui  est  la  partie  supérieure, 
on  pose  un  linge  mouillé.  On  repasse  ce  der- 
nier jusqu'à  ce  qu'il  soit  sec.  A  ce  moment, 
le  crêpe  est  repassé.  A  recommander  au 
moment  de  la  Toussaint. 

Contre  les  engelures.  —  Faire  bouillir  des 
épluchiu-cs  de  céleri  dans  de  l'eau.  Quand 
elles  sont  cuites,  on  les  retire  du  feu  et  on 
les  laisse  diminuer  un  peu  de  température. 
11  faut  que  la  chaleur  de  l'eau  puisse  être 
supportée  par  la  main. 

On  y  trempe  les  engelures  pendant  dix  mi- 
nutes. On  les  éponge  ensuite  et  on  les  main- 
tient à  la  chaleur,  à  l'abri  de  l'air.  Renou- 
veler l'immersion  au  moins  deux  fois  par  jour 
après  a^'oir  réchauffé  l'eau.  Elle  peut  servir 
de  quatre  à  six  jours. 

Capture  des  corbeaux.  —  Il  n'est  pas  aussi 
facile  qu'on  le  croit  de  capturer  des  corbeaux. 
Ces  oiseaux,  si  nuisibles  à  l'agriculture,  sont 
d'une  très  grande  prudence  et  évitent  les 
pièges  avec  une  habileté  désespérante.  Il  ne 
faut  pas  non  plus  songer  à  les  chasser  au  fusil, 
car  ils  fuient  toujours  hors  de  la  portée  du  coup. 
"Voici  un  procédé  très  simple  et  très  ingénieux 
pour  arriver  à  ses  fins.  On  prépare  chez  soi  un 
certain  nombre  de  cornets  de  papier  et  on  loge 
tout  au  fond  un  petit  morceau  de  viande,  frais 
ou  mieu.x  un  peu  faisandé.  En  outre,  on  garnit 
le  cornet,  à  l'intérieur ,  tout  près  du  bord, 
d'une  couche  de  glu.  Ces  cornets  sont  ensuite 
répandus  dans  le  champ  que  l'on  sait  habité 
par  les  oiseaux  au  plumage  sombre.  On  se  cache 
derrière  un  arbre  ou  une  haie  et  l'on  attend. 
Les  corbeaux  arrivent,  attirés  par  l'odeur  de 
la  viande  :  les  plus  hardis  introduisent  leur 
tête  dans  le  cornet  pour  happer,  au  fond,  avec 
leur  bec,  le  morceau  aux  émanations  nauséa- 
bondes. Malheureusement  pour  eux,  le  sac 
se  colle  dès  lors  sur  leur  tête  et  ne  peut  plus 
s'en  détacher  malgré  les  efforts  de  l'oiseau. 
Celui-ci  essaye  bien  de   prendre  l'essor,  mais 


après  deux  ou  trois  coups  d'ailes,  il  retombe 
dans  le  champ,  sans  doute  très  vexé.  A  ce  mo- 
ment on  peut  s'en  approcher  à  pas  de  loup  et 
le  capturer  sans  difficulté.  En  tout  cas,  avec  le 
fusil  le  plus  ordinaire,  on  peut  être  sûr  de  lui 
faire  son  affaire.  C'est  à  la  fois  utile  et  amu- 
sant. 

Pour  faire  revivre  l'encre  sur  les  vieux 
parchemins,  «m  les  badigeonne  avec  de  l'hy- 
drosulfure  d'ammoniaque.  L'encre  éteinte  re- 
devient noire,  tout  au  moins  suffisamment 
pour  permettre  de  la  lire. 

Réparation  et  polissage  des  objets  en 
marbre.  —  Il  arrive  fréquemment  que  des 
pendules  en  marbre  ont  les  angles  écornés 
ou  ébréchés.  Ces  accidents  nécessitent  par- 
fois le  remplacement  des  tablettes  atteintes; 
mais,  lorsque  les  cassures  ne  sont  pas  trop 
accentuées,  on  peut  les  effacer  en  réduisant 
les  parties  attaquées  et  en  repolissant  ;  on 
procédera  de  la  manière  suivante,  qu'indique 
l'Union  horloffère.  On  commencera  à  i-attra- 
per  le  marbre  en  diminuant  insensiblement  à 
la  lime  la  partie  où  se  trouvent  les  éclats  et 
en  lui  conservant  la  forme  primitive;  on  pren- 
dra ensuite-  un  morceau  de  pierre  ponce,  taillé 
de  la  forme  convenable,  et  en  l'humectant 
d'eau  on  commencera  l'adoucissage,  en  frot- 
tant dans  les  deux  sens,  s'il  est  possible  ;  on 
]5rend  ensuite  de  la  pierre  d'Arkansas,  dite 
pierre  à  l'eau,  et  on  continue  l'adouci  de  la 
même  manière,  en  i-espectant  bien  les  angles 
et  les  contours.  On  fera  ensuite  un  tampon 
dur  de  toile  que  l'on  mouille  légèrement  et 
qu'on  saupoudre  de  tripoli  ou  d'émeri  fin, 
et  on  termine  l'adouci  par  friction  jusqu'à  ce 
qu'on  aperçoive  un  brillant  naissant;  on  polit 
alors  aA'ec  un  autre  tampon  de  toile  sur  le- 
quel on  met  de  la  potée  d'émeri  très  fine,  avec 
du  rouge  ;  on  essuie  et  on  lustre  avec  de  l'en- 
caustique à  la  cire  et  à  l'essence  de  térében- 
thine. Cette  méthode  est  applicable  à  tous 
les  marbres.  Dans  le  cas  où  les  cassures  se- 
raient profondes  et  ne  pourraient  être  réduites 
sans  nuire  aux  contours,  on  peut  reboucher 
avec  des  mastics  préparés  avec  de  la  poudre 
impalpable  de  marbre  de  même  nature,  mé- 
langée avec  un  peu  de  siccatif  incolore  liquide 
ou  du  silicate  de  soude  liquide;  on  en  fait 
une  pâte  épaisse  que  l'on  fait  pénétrer  dans 
les  cavités,  on  laisse  sécher;  on  dresse  et  on 
repolit  comme  si  c'était  le  marbre  lui-même. 
Quand  on  a  les  morceaux  d'une  cassure  et 
qu'ils  se  rajustent  bien,  on  peut  les  recoller 
en  les  enduisant  d'une  solution  aqueuse  de 
silicate  de  potasse  ;  on  rapproche  les  débris 
dans  leur  repère  et  on  laisse  sécher  quarante- 
huit  heures.  Pour  le  marbre  blanc,  on  rem- 
placera le  siccatif  par  l'albumine  ou  blanc 
d'œuf,  et  on  ajoutera  un  peu  de  chau.x  de 
Vienne.  Pour  lustrer  les  objets  en  marbre,  il 
suffit  de  les  enduire  avec  un  chiffon  ou  un 
]3inceau  d'encaustique  liquide  formée  d'essence 
de  térébenthine  et  de  cire  vierge  dissoute 
dedans  ;  on  sèche  par  friction  avec  un  linge 
de  toile  ou  de  coton  jusqu'à  ce  qu'on  obtienne 
un  beau  brillant. 

Vie  Ton   DE   Clkves. 


Jeux  et  Récréations,  par  m.  g.  Beudin. 


N**  252.  —  Haut  :  Noirs.  —  Bas  :  Blancs. 
Par   M.  AiiÉLA 


mvm.^m  m 


Les  blancs  jouent  et  font  mat  en  trois  coups. 
N°  253.  —  Haut  :  Noirs.  —  Bas  :  Blancs. 


i    m^M m^'m 


\  M0W0MpMQM 

W0M.  B   Bo^ 

■   B   B   B   BS 
QBqB   BqB   B 


Les  blancs  jouent  et  gagnent. 
N°  254.  —  WHIST 

Avec  le  jeu  suivant  : 

^   A.  3. 

^    A.  R.  9.  7.  G  (atouts). 

4.    11).  S. 

4.    D.  7.  5.  4. 

Quelle  est  la  meilleure  ouverture  ?  Que  donuerait  le  jeu 
(lu  10  (le  trèfle  en  premier  lieu  ?  Supposons  qu'il  soit 
joué  et  fasse  la  levée,  alors  par  quoi  continuer  et  pour- 
quoi ?  Prière  de  donner  les  raisons  d'une  ouverture  par 
atout  s'il  en  existe. 


N"  255. 


MÉLI-MELO 


Par  un  Lecteur. 

COULEURS     ET     NUANCES 

Remplacer  par  le  mot  propre  les  périphrases  suivantes 

1.  Un  des  travaux  du  plus  utile  état. 

2.  D'horloge  une  importante  pièce. 


3.  Type  achevé  d'inique  magistrat. 

4.  Terme  usuel  de  politesse. 

5.  Une  vieille  cité  d'un  royaume  allemand. 

6.  Celui  qui  porte  un  vrai  cœur  d'homme. 

7.  On  y  mange,  on  y  boit,  mais  en  payant. 

8.  Un  des  sept  monts  autour  de  Rome. 

9.  Un  monarque  mérovingien. 

10.  De  Lucifer  et  du  Sabbat  l'amie. 

11.  De  la  tyrannie  un  soutien. 

12.  Le  défenseur  zélé  de  sa  patrie. 

Retranclier  des  douze  mots  obtenus  les  lettres  compo- 
sant les  noms  des  douze  couleurs  ou  nuances  dont  les 
noms  suivent  : 

Bleu,  Blanc,  Blond,  Noir,  Brun,  Rouge,  Vert,  .Taune, 
Gris,  Rose,  Lilas,  Violet. 

Et,  ce  retranchement  opéré,  trouver  les  mots  propres 
des  périphrases  suivantes  : 

1.  Le  nom  à  vous  connu  d'un  illustre  savant. 

2.  Une  petite  ville  au  nord  de  notre  France. 

3.  Pour  métiers  manuels  nécessaire  instrument. 

4.  Déité  (les  beaux-arts,  du  chant  ou  de  la  danse. 
Ij.  De  l'être  organisé  l'état  rudimentaire. 

6.  Un  bon  pays  normand,  fertile  et  verdoyant. 

7.  Un  stentor  discordant  qu'on  ne  peut  faire  taire. 

8.  L'abri  de  la  paupière  et  de  l'oeil  l'ornement. 

9.  L'être  doué  d'instinct,  d'âme  déshérité. 

1(1.  Un  produit  animal  propre  pour  luminaire. 

11.  Des  membres  et  du  corps  le  chef  incontesté. 

12.  Au  sein  de  l'Italie  une  grande  rivière. 


SOLUTIONS 

N''  241  {(.lui  n'a  pu  trouver  place  dans  le  dernier 
numéro).  —  A  notre  avis,  le  valet  d'atout  est  le  meil- 
leur début  avec  cette  maiu.  De  tels  atouts  sont,  en  effet, 
sans  utilité  pour  la  coupe,  mais  le  jeu  du  valet  peut  être 
d'un  grand  secours  pour  votre  partenaire,  dont  il  forti- 
fiera la  main.  Lorsqu'on  a  peu  d'atouts,  il  y  a  des  chances 
pour  que  le  partenaire  en  ait  beaucoup.  Et  bien  que  ces 
chances  soient  légèrement  contre  vous,  puisque  vous 
avez  deux  adversaires  contre  un  partenaire,  il  est  bon 
de  jouer  ainsi,  car  vous  pouvez  faire  un  gros  point  si 
votre  partenaire  est  fort  en  atout.  D'ailleurs,  en  la  cir- 
constance, l'essai  n'est  pas  dangereux,  car  si  votre  par- 
tenaire est  faible,  vous  avez  toutes  vos  couleurs  proté- 
gées. En  outre,  votre  partenaire,  lisant  pour  ainsi  dire 
dans  votre  jeu,  fera  tous  ses  efforts  pour  faire  tomber  les 
atouts  et  ce  à  votre  profit. 

N°  246.  —  1.  P  8  F  D  fait  T.  1.  R 

2.  P  8  F  R  fait  T.  2.  R 

3,  T  6  F  R  échec  et  mat. 


3  R. 
3  D. 


36  31 

45 

40 

29  23   33  13 

20 

14 

26  37 

35 

44 

au  choix.  42   8 

49 

21 

14   1 

16   7 

1 
44 

42 
33 

42  35 
gagne. 

45 

40 

1  35 

gagne. 

N»  247. 


33 

N"  248.  —  Les  jours  se  suivent  et  ne  se  ressemblent 


N"  249.  —  MOS 

CO 
VI 
TE. 


CO       VI     TE. 
LO     GNE. 
GNE. 


N°  250.  —  La  lettre  M  est  en  trop.  Les  nouveaux 
mots  sont  : 

Guipe;  Edére;  Anita,  Tiniaï :  Anitr,  Arien,  Raine,  Niera, 
Renia;  Mche,  Chien,  Chine;  Borne;  Tapon,  Ponta,  Epire, 
Pirée,  Priée;  Sobre,  Robes,  Bore. 

N»  251.  —  A  S 

S  A 


Adresser  les  communications  pour  cette  pageàM.  G.  Beudin,  à  Billancourt  (Seine),  avec  timbre  pour  réponse. 


BIBLIOGRAPHIE 


M.  Emile  Hinzelin  vient  de  publier  à  la 
Société  libre  d'édition  des  Gens  de  lettres  un 
volume  de  vers,  Toute  une  année,  qui  té- 
moigne une  fois  de  plus  de  l'exubérance  toufîue 
du  poète.  Pour  donner  une  synthèse  de  l'âme 
humaine,  l'année  lui  a  semblé  la  juste  mesure 
et  il  a  voulu,  comme  il  le  dit  lui-même,  mul- 
tiplier les  points  de  contact  avec  la  terre, 
avec  l'esprit,  avec  la  douleur,  avec  la  vie. 
Nulla  dies  sine  linea  ne  suffît  pas  à  M.  Hinzelin  ; 
c'est  un  poème  par  jour  qu'il  veut  écrire.  Et 
cela  dans  les  milieux  les  plus  divers,  comme 
un  Juif-Errant  de  la  pensée,  évoquant  la 
Muse  partout  où  le  pousse  sa  curiosité. 

La  Forme  n'est  point  ici  en  premier  hon- 
neur; c'est  l'Idée  ou  la  Sensation  qui  prime 
tout.  Les  vers  se  pressent,  tumultueux  et 
variés,  suivant  l'impulsion  du  moment,  et 
l'âme  de  l'écrivain  a  comme  une  hâte  de 
s'épancher,  sans  atours  apprêtés,  sans  arti- 
fices de  coquetterie. 

C'est  un  rare  mérite  de  franchise  qui  fait 
aimer  le  penseur  dans  le  poète.  La  sincérité 
n'est  peut-être  pas  une  qualité  de  prosodie, 
mais  c'est  une  vertu  humaine.  Rien  d'humain 
n'est  étranger  à  M.  Hinzelin  et  on  le  croit 
quand  il  écrit,  en  pays  d'Alsace  : 

J'écris,  j'écris  ces  vers  devant  le  lieu  du  Monde 
Que  jadis  j'ai  le  plus  profondément  aimé. 
Le  soir  silencieux,  siiblime  et  parfumé. 
M'enveloppe  à  longs  plis  de  sa  douceur  féconde. 

Mon  àme  est  toujours  prête  à  combattre.  Toujours 

Mon  âme  de  pitié  loyale  et  douloureuse, 

Vouée  à  la  pensée  humaine  qu'elle  creuse, 

Est  prête  à  s'abîmer  dans  ses  profonds  labours  ; 

Quels  que  soient  le  danger,  l'eSort  et  la  querelle, 
F(it-oe  au  prix  d'un  amour  ou  d'un  cœur  déchiré, 
Que  la  Justice  ordonne,  et  je  la  bénirai 
D'avoir  besoin  de  moi,  quand  j'ai  tant  besoin  d'elle. 

Des  vers  encore,  les  Chansons  de  chez  nous, 
de  Théodore  Botrel,  parus  en  3*  édition  chez 
Ondet.  Le  volume  est  charmant,  illustré  de 
na'ives  compositions  de  E. -Hervé  Vincent, 
avec  les  airs  de  Feautrier,  de  Paul  Delmet  et 
de  Botrel  lui-même.  Il  mérite  d'être  signalé, 
mais  il  méi'ite  aussi  qu'on  s'y  arrête,  au  point 
de  vue  littéraire,  d'une  façon  toute  particu- 
lière. 

J'aime  Paimpol  et  sa  falaise, 

Son  église  et  son  grand  Pardon  ; 

J'aime  surtout  la  Paimpolaise 

Qui  m'attend  au  pays  breton... 

Pourquoi  celte  chanson  fait-elle  la  joie  des 
âmes  naïves  qui  la  répètent  en  Bretagne  et 
aussi  celle  des  snobs  qui  vont  la  chercher  sur 
la  butte  Montmartre  ?  Pourquoi,  quand  on 
l'a  entendue  une  fois,  surtout  dite  par  le 
barde  d'Armor  lui-même,  en  demeure-t-on 
comme  obsédé  ?  Rien  n'y  est  extraordinaire, 
ni  les  paroles,  ni  la  pensée,  ni  la  musique. 

Mais  quoi  !  cela  est  sorti  du  cœur,  tout 
droit,  et  cela  y  entre  de  même. 

Et  beaucoup  d'autres  chansons  —  petits 
poèmes  —  de  Botrel,  sont  dans  le  même  cas. 
Des  musiciens  nomades  vont  les  colporter 
dans  les  campagnes  ;  elles  y  rencontrent  le 
franc  succès  qu'elles  méritent,  de  même  qu'elles 
charment  les  lettres. 


Car,  si  elles  ont  le  parfum  de  simplicité 
mystique  qui  émane  de  la  terre  bretonne, 
elles  sont  imprégnées  aussi  de  courage  et  d'a- 
mour, qui  sont  f leurs  de  Finance. 

M.  Léon  Cros  a  donné,  chez  Charles,  un 
LamentO  d'amour  en  quelques  vers  que  liront 
ceux  que  tourmente,  pour  les  ravir  comme 
pour  les  navrer,  l'éternel  féminin. 

Dans  un  à-propos  en  vers.  Au  bord  de 
l'eau,  qui  a  remporté  le  premier  prix  du  con- 
cours pour  le  récent  centenaire  de  Jasmin  et 
qui  a  été  édité  chez  Brun-Rey,  à  Toulouse, 
M.  Blanchier  La  Feuillade  célèbre  le  charme 
de  la  langue  du  poète  et,  du  moment  que  la 
scène  se  passe  sur  les  bords  de  la  Garonne, 
n'hésite  pas  à  mettre  le  patois  au-dessus  de  la 
langue  française.  Nous  avouons  ne  pas  être 
bien  convaincus  que  de  dire  : 

Plus  de  bounhur  !  ey  perdut  moun  amigo. 
Me  cal  mouri  1 

soit  plus  harmonieux  que  : 

Plus  de  bonheur  1  j'ai  perdu  mon  amie. 
Je  dois  mourir  ! 

et  nous  sommes  de  ceux  qui  regrettent,  au 
contraire,  que  Jasmin  n'ait  pas  écrit  en  fran- 
çais. On  aurait  été  un  plus  grand  nombre  à 
pouvoir  le  savourer.  Mais  ce  petit  acte  est 
alerte,  frais  et  plein  de  jolis  vers  qui  ne  per- 
dent rien,  au  contraire,  à  être  écrits  en  bon 
français. 

La  librairie  Delagrave  n'est  pas  en  l'etard 
pour  éditer  un  calendrier  artistique,  intitulé 
l'Année  chrétienne,  et  dû  à  Rudnicki,  l'au- 
teur de  la  couverture  de  nos  livraisons  men- 
suelles. Depuis  quelques  années  il  a  été  pu 
blié  —  et  même  donné  gratuitement  par  des 
magasins  de  nouveautés  —  des  calendriers 
fort  remarquables.  Celui-ci  est  dune  note  nou- 
velle, et  il  était  difficile  de  mieux  présenter, 
dans  les  douze  tableaux  de  chaque  mois,  la 
divine  épopée  qui  commence  à  l'étable  de 
Judée  et  finit  au  Calvaire.  Ces  compositions 
sont  d'une  structure  et  d'un  coloris  qui  rap- 
pellent les  suaves  compositions  des  âges  pri- 
mitifs de  la  foi.  La  présentation  de  ces  douze 
planches  est  faite  dans  un  cartonnage  qui  peut 
servir  de  portefeuille,  et  l'idée,  aussi  pratique 
qu'originale,  constitue  une  œuvre  d'art. 

Le  second  volume  de  l'Histoire  du  Mou- 
vement religieux  à  Paris  pendant  la  Révo- 
lution, par  le  docteur  Robinet,  vient  d'être 
mis  en  vente  à  la  librairie  May.  Il  traite  des 
Préliminaires  de  la  Déchristianisation,  depuis  le 
mois  de  septembre  1791  jusqu'à  celui  de  1793. 

C'est  d'après  l'ensemble  de  mesures  telles 
que  reprise  et  vente  ou  utilisation,  par  l'Etat, 
des  biens  meubles  et  immeubles  de  l'Eglise, 
et  par  sa  subordination  au  pouvoir  civil, 
que  celle-ci,  matériellement  appauvrie  et  dés- 
armée, ne  put  opposer  aucune  résistance  au 
mouvement  d'émancipation  de  1793. 

Après  avoir  posé  d'une  façon  retentissante 
le  problème  de  l'Éducation,  dans  A  quoi  tient 
la  supériorité  des  Anglo-Saxons  et  dans  les  Fran- 


BIHLIOGRAPHIE 


955 


çais  d'aujourd'hui,  M.  E.  Demolins  apporte  un 
problème  une  solution  pratique,  qui  ncst  pas 
banale. 

Il  entreprend,  avec  le  concours  de  quelques 
amis,  de  créer  en  France  un  nouveau  type 
d'Ecole  mieux  approprié  aux  exifjenccs  de  la 
vie  actuelle.  Il  en  explique  le  fonctionnement 
dans  un  livre,  l'Education  nouvelle,  édité  chez 
Firmin-Didot. 

Ce  volume,  qui  a  pour  but  de  démontrer  la 
supériorité .  d'exposer  le  pro{2:ramme  de  la 
nouvelle  Ecole  et  les  conditions  d'admission, 
est,  en  même  temps,  le  plus  terrible  réquisi- 
toire qui  ait  encore  été  dressé  contre  le  régime 
scolaire  actuel. 

Les  nombreuses  illustrations  qui  accompa- 
};:nent  le  texte  permettent  de  se  rendre  compte, 
d'une  façon  saisissante,  de  l'installation  de  la 
nouvelle  Ecole  et  de  la  vie  des  élèves  dans  les 
écoles  analogues  qui  existent  en  Angleterre  et 
en  Allemagne  et  qui  sont  décrites  dans  ce  livre 
de  la  façon  la  plus  attrayante. 

(^certainement,  ce  nouveau  volume  de  M.  Ed- 
mond Demolins  va  passionner  l'opinion  aussi 
vivement  que  les  deux  précédents.  Au  point 
de  vue  de  l'enseignement,  il  inaugure  une 
époque  nouvelle  et  nous  ne  saurions  trop  re- 
commander les  justes  idées  qu'il  propage. 

M.  R.  de  Maulde  La  Clavière  vient  d'ajouter 
à  ses  nombreuses  études  historiques  un  curieux 
volume  sur  les  Femmes  de  la  Renaissance, 
publié  à  la  librairie  Perrin.  <<  11  n'est  guère 
question  que  des  femmes  )>,  dit  l'auteur  dans 
son  avant-propos,  et  l'ouvrage  est  opportun. 
C'est,  d'ailleurs,  une  opportunité  permanente, 
car  on  s'est  toujours  extrêmement  occupé 
d'elles  ;  elles  ont  toujours  été  là ,  dans  le 
monde  civilisé,  pour  empêcher  qu'on  les  ou- 
blie. Au  xvi"  siècle,  elles  avaient  les  mêmes 
ambitions  que  maintenant,  les  mêmes  désirs, 
le  même  pouvoir  et  les  mêmes  faiblesses.  On 
les  mariait  à  treize  ans  ;  mais  ce  fut  une  mode 
qui  dura  peu  et  leurs  sentiments  étaient  tels 
qu'ils  ont  inspiré  un  chapitre  intitulé  :  «  Le 
mari,  manière  de  s'en  débarrasser  ».  Déjà  ! 

Il  ne  faudrait  pas  croire,  d'après  ce  titre, 
que  le  livre  de  M.  de  Maulde  n'est  pas  sé- 
rieux. Il  l'est  extrêmement,  même  dans  ce 
chapitre.  Il  est  appuyé  sur  des  études  telles 
que  la  seule  table  des  références  occupe  de 
nombreuses  colonnes.  Mais  de  tant  d'études, 
de  tant  de  citations,  de  tant  de  conscience 
d'auteur  il  se  dégage,  malgré  tout,  l'éternelle 
ironie  de  l'éternel  féminin.  Le  sourire  de  la 
Joconde  demeure  inexpliqué. 

Depuis  saint  Augustin  jusqu'à  Ruskin,  — 
les  deux  sont  cités,  —  la  femme  a  souri  devant 
ses  peintres,  mais  pour  les  faire  poser,  eux  et 
non  elle.  Elle  s'est  joué  de  leur  finesse,  ayant, 
d'ailleurs,  pour  excuse  constante  de  sa  dupli- 
cité, qu'elle  ne  se  connaît  pas  elle-même. 

Quant  à  son  rôle  dans  la  société,  elle  l'a 
toujours  joué  et  le  jouera  toujours,  mais  sans 
codes  ni  règlements,  personnellement.  Toute 
la  sagesse  des  philosophes ,  toute  la  science 
des  historiens,  —  M.  de  Maulde  est  l'un  et 
l'autre,  —  se  résumeront  dans  le  vieux  dicton  : 
«  Une  bonne  femme  est  ce  qu'il  y  a  de 
meilleur  au  monde  ;  une  mauvaise  est  ce  qu'il 
y  a  de   pire.  » 

Nous  avons  témoigné  par  divers  articles 
que  nous  considérions  l'afïiche  comme  une  des 


j)lus  intéressantes  expressions  de  l'art  mo- 
derne. Aussi  nous  sommes  heureux  de  pou- 
voir parler  ici  d'une  très  complète  étude  sur 
l'Affiche  belge,  par  M.  Demeure  de  Beaumont, 
éditée  chez  l'auteur  même,  à  Toulouse. 

Des  considérations  d'une  philosophie  ingé- 
nieuse sur  les  collections  d'affiches  servent  de 
jjréface  à  des  vues  générales  sur  l'art  lui-même 
et  à  des  critiques  raisonnées  de  l'teuvre  des 
l)rincipaux  artistes  belges.  Ils  sont  vengés  du 
reproche  qui  leur  a  été  fait  à  la  légère  d'être 
im  reflet  des  artistes  français. 

Nos  voisins,  en  edet,  sont  en  plein  mouve- 
ment artististique  et,  en  architecture  notam- 
ment, nous  aurions  autant  à  apprendre  chez 
eux  qu'ils  pourraient  puiser  chez  nous. 

Leurs  «  imagiers  •>  d'affiches  sont  nombreux 
et  leurs  œuvres  variées  à  un  point  que  l'on 
n'aurait  pas  soupçonné  avant  d'en  trouver, 
dans  l'ouvrage  de  M.  de  Beaumont,  la  preuve 
appuyée  de  plus  de  cent  reproductions  d'af- 
lîches,  de  portraits  et  de  catalogues.  Aussi  ce 
volume  est-il  à  la  fois  un  document  précieux 
pour  les  amateurs  et  une  sorte  de  galerie 
d'exposition    très    agréablement    commentée. 

Nous  signalons  toujours  avec  plaisir  les 
bons  ouvrages  édités  en  province,  et  En  Mon- 
tagne, par  M.  J.  Gauthier,  publié  à  la  librairie 
dauphinoise  de  Grenoble,  nous  est  une  nou- 
velle preuve  que  l'art  typographique  n'est  pas 
exclusivement  parisien.  Il  est  difficile  de  feuil- 
leter avec  plus  de  plaisir  un  petit  volume 
plus  gentiment  fabriqué  et  où  les  illustra- 
lions  se  présentent  plus  coquettement  aux 
yeux.  Le  texte  est  une  série  de  récits,  sans 
prétention  et  pleins  de  bonne  humeur,  d'ex- 
cursions dans  les  Alpes  dauphinoises,  qui  sont 
les  plus  belles  montagnes  de  l'Europe,  car 
elles  réunissent  le  charme  à  la  grandeur. 

M.  Edmond  Bonnaffé,  coutumier  du  fait, 
vient  de  publier  à  la  librairie  May  un  char- 
mant volume  de  savoureuse  archéologie.  Ce 
sont  des  Etudes  sur  la  vie  privée  de  la  Re- 
naissance. Chez  nos  aïeux  de  cette  époque, 
quels  étaient  les  usages  de  politesse  et  leur 
savoir-vivre?  Comment  mangeaient  -  ils  ? 
Quelles  étaient  leurs  habitudes  de  propreté? 
Question  délicate  et  peu  connue.  Comment 
logeaient-ils?  Quelles  étaient  la  distribution  et 
la  décoration  intérieure  de  leurs  maisons?  etc. 
Tous  ces  détails  de  l'intimité,  —  les  miettes 
de  l'histoire,  si  l'on  veut,  —  M.  Bonnaffé  les 
ramasse  avec  une  patience  minutieuse  ;  il  sait 
que  l'archéologue,  contrairement  au  prêteur 
de  l'antiquité,  curât  de  minimis.  Ces  menues 
révélations  ne  sont-elles  pas  le  passé  lui-même 
pris  sur  le  fait,  l'histoire  vécue? 

L'auteur  nous  montre  aussi  que  les  amou- 
reux, "  ces  délicieux  rabâcheurs,  se  répètent 
indéfiniment  les  uns  les  autres  ». 

Le  volume  se  termine  par  deux  études,  l'une 
sur  les  causeries  au  xvi«  siècle  et  ce  que  l'on 
appelait  les  caquetoires,  les  sérées;  l'autre 
sur  la  danse  à  la  ville  et  au  village. 

Ainsi  va  ce  petit  livre,  plein  de  documents 
choisis  avec  clairvoyance  parmi  les  mieux 
faits  et  les  plus  suggestifs,  mine  féconde  pour 
tous  les  amateurs  de  la  couleur  locale. 

La  librairie  Fer  Lamm  vient  de  publier  la 
première  année  d'un  Répertoire  bibliogra- 
phique   des  principales   revues  françaises. 


956 


BIBLIOGRAPHIE 


par  M.  D.  Jordell,  le  savant  continuateur  de 
Lorenz.  Ce  titre  un  peu  long-  causera  peut- 
être  quelque  efl'roi  à  un  certain  public,  mais 
il  charmera  les  lecteurs  sérieux.  Nous  ne 
saurions  trop  appeler  leur  attention  sur  cet 
ouvragfe.  Les  revues  ont  pris  depuis  quelques 
années  un  développement  considérable,  toute 
la  vie  intellectuelle  s'y  concentre  ;  elles  forment 
une  bibliothèque  sans  cesse  renouvelée.  Mais 
si  une  revue  j^^énérale,  comme  le  Monde 
Moderne,  peut  suffire  à  donner  des  clartés  de 
toutes  choses,  il  n'en  faut  pas  moins,  pour 
ceux  qui  veulent  épuiser  un  sujet,  recher- 
cher comment  il  a  été  traité  dans  les  divers 
recueils  périodiques.  Ce  besoin  se  fait  sentir 
surtout  pour  les  questions  scientifiques.  Mal- 
heureusement il  n'existait  aucun  moyen  de 
faire  des  recherches  dans  toutes  les  revues. 
Les  feuilleter  toutes,  il  n'y  fallait  pas  songer. 

Le  répertoire  de  M.  Jordell  vient  combler 
cette  lacune  de  la  façon  la  plus  heureuse. 
'Veut-on  savoir  où  et  comment  la  fièvre 
typhoïde  a  été  étudiée?  A  ce  titre,  le  réper- 
toire cite  vingt  ai'Licles  publiés  dans  diverses 
revues.  Cinq  articles  ont  été  consacrés  à 
Gustave  Flaubert,  trente-deux  à  l'armée 
française,  etc.  (jomnie  les  auteurs  sont  éga- 
lement l'objet  d'un  relevé  à  part,  on  verra 
que  M.  Jules  Lemaître  a  écrit  vingt-huit  ar- 
ticles de  revue,  et  ainsi  des  autres.  Bien  en- 
tendu les  articles  sérieux  seuls  sont  cités. 
Les  titres  de  ces  articles  sont  rapportés  tout 
au  long,  ce  qui  facilite  encore  les  recherches. 
On  jugera  de  l'importance  du  travail  en 
apprenant  que  vingt  mille  articles  environ 
y  sont  dénommés,  et  il  n'y  a  ni  fatras,  ni 
encombrement,  puisque  chacun  peut  n'aller 
qu'aux  renseignements  qui  l'intéressent.  Un 
pareil  labeur  mérite  un  vif  succès,  qui  encou- 
ragera l'auteur  à  ajouter,  pour  les  années 
suivantes,  les  principaux  articles  des  jour- 
naux quotidiens,  et  qui  le  récompensera  de 
se  donner  tant  de  mal  pour  le  profit  dautrui. 

Les  nombreux  touristes  qui  se  sont  pro- 
menés cet  été  dans  les  ^'osges  et  surtout 
dans  les  environs  de  Gérardmer  pourront 
fixer  leurs  souvenirs,  s'ils  ne  l'ont  déjà  fait, 
en  acquérant  l'album  de  cent  vues  édité  ])ar 
M.  Bergeret,  à  Nancy  :  Huit  jours  dans  les 
Vosges.  C'est  le  triomphe  des  reproductions 
dues  à  la  photographie.  Les  clichés,  obtenus 
par  M.  A.  Thiriat,  ont  surpris  la  nature,  avec 
ses  horizons,  ses  forêts  et  ses  eaux  courantes, 
et  l'ont  fixée  avec  un  rare  sentiment  artis- 
tique. L'impression  photocoUographique,  par 
M.  J.  Royer,  a  mis  en  valeur  les  oppositions 
de  lumière  et  les  finesses  des  détails  avec  une 
perfection  absolue,  et  cet  album  est  un  véri- 
table petit  chef-d'œuvre. 

La  librairie  Deyrolle  a  édité  un  petit  vo- 
lume sur  Le  Piégeage,  par  J.  Marcassin,  et 
malgré  le  nombre  d'ouvrages  publiés  sur  le 
même  sujet,  celui-ci  est  loin  de  faire  double 
emploi,  parce  qu'il  donne  les  résultats  d'une 
longue  expérience  et  les  procédés  pratiques 
qui  peuvent  initier  à  cet  art  difficile  ceux 
qui  ne  sont  pas  passés  maîtres  en  la  matière. 


La  librairie  May  pubHe  les  Notices  et  Dis- 
cours de  M.  Eugène  Guillaume,  de  l'Aca- 
démie française  et  des  beaux-arts. 

Les  quatre  notices  biographiques  et  cri- 
tiques sur  Charles  Blanc ,  Paul  Baudry,  Jean 
Alaux,  Antoine  Barye,  qui  forment  le  fonds 
principal  de  ce  recueil,  seront  lues  avec  un 
grand  profit  par  tous  ceux  qui  s'intéressent 
à  l'histoire  réelle  et  sérieuse  de  l'art  contem- 
porain. L'éminent  artiste  et  savant  profes- 
seur a  connu  et  aimé  les  quatre  hommes  su- 
périeurs dont  il  parle  et  c'est  avec  autant  de 
reconnaissance  émue  que  de  compétence  spé- 
ciale et  d'expérience  réfléchie  qu'il  s'efforce 
de  leur  rendre  justice  et  de  les  remettre  en 
leur  vraie  place,  soit  comme  praticiens,  soit 
comme  théoriciens,  à  nos  yeux  souvent  trou- 
blés par  les  fluctuations  de  la  mode  et  les  lé- 
gendes   d'une    critique  superficielle. 

L'un  des  passages  les  plus  intéressants  du 
livre  est  celui  où  M.  Guillaume  raconte  les 
péripéties  par  lesquelles  passèrent  les  pen- 
sionnaires de  la  "S'illa  Médicis,  durant  le  siège 
de  Rome  et  la  noble  conduite  de  leur  direc- 
teur d'alors,  M.  Alaux. 

La  discrétion  élégante  et  mesurée  du  lan- 
gage, la  sûreté  et  la  richesse  des  informa- 
tions, l'élévation  constante  et  naturelle  de  la 
pensée  qui  donnent  à  ces  études  spéciales 
le  charme  d'œuvres  littéraires  et  la  portée 
d'œuvres  philosophiques,  montrent,  une  fois 
de  plus,  que  la  place  de  M.  Guillaume  est 
aussi  bien  à  l'Académie  Française  qu'à  l'Aca- 
démie des  Beaux-Arts. 

La  Librairie  agricole  vient  de  publier  les 
cours  de  Mécanique  expérimentale  que 
M.  Ringelmann  a  professés  pendant  plus  de 
dix  ans  à  l'Ecole  nationale  d'agriculture  de 
Grignon  et  que  M.  J.  Danguy  a  réunis. 

L'ouvrage  est  divisé  en  six  parties,  consa- 
crées successivement  aux  études  des  mouve- 
ments, des  forces,  du  travail  mécanique,  des 
machines  simples,  de  la  résistance  des  maté- 
riaux, de  l'hydraulique  et  de  la  pneumatique, 
le  tout  en  vue  des  applications  de  la  méca- 
nique au  génie  rural. 

De  nombreuses  gravures  aident  à  la  clarté 
de  ce  livre,  écrit  dans  un  style  simple  qui 
le  met  à  la  portée  de  tous. 

M.  Edmond  Thiaudière  a  déjà  publié  quatre 
volumes  de  philosophie  portant  comme  sous- 
titre  :  Notes  d'un  pessimiste.  Il  maintient  encore 
cette  profession  de  foi  sur  son  nouvel  ou- 
vrage, l'Obsession  du  Divin,  édité  chez 
Fischbacher.  Le  pessimisme  n'est  pas  de 
notre  goût,  pas  plus  que  le  scepticisme.  Ce 
sont  vertus  négatives,  qui  ne  sont  point  pour 
améliorer  l'humanité.  Cette  réserve  faite,  il 
convient  de  reconnaître  chez  l'auteur  une 
subtile  élévation  de  pensée  et  une  noble  préoc- 
cupation de  la  justice.  "  Quiconque  est  aimant 
ne  cesse  d'agrandir  le  champ  de  son  cœur  », 
dit  M.  Thiaudière,  et  c'est  une  belle  maxime. 

Elle  n'a  rien  de  pessimiste,  au  contraire  ; 
si  l'on  gratte  les  moralistes  les  plus  moroses, 
on  trouve  qu'ils  sont,  dans  leur  genre,  des 
bourrus  bienfaisants. 


TABLE    DES    AUTEURS    ET    DES    ARTISTES 


Abbéma  (Mlle).  —  Portrait,  VIII,  223. 
ACHiLiiE-FoULD  (Mlle  Georges).   —  Les  Joyeuses 

Commères  de  Windsor,  VIII,  248. 
Adan  (Emile).  —  La  Lectrice,  VIII,  259. 
Adeline  (Jules).  —  L'Art  d'exposer  et  d'encadrer, 

VIII,  407. 
Adeline  (Jules).  —  Illustration  de  VArt  d'exposer 

et  d'encadrer,  VIII,  407. 
Baffier  (J.).   —    Cheminée   de   salle    à    manger, 

VIII,  215. 
Bail  (Joseph).  —  Reflet  de  cuivre,  VIII,  265. 
Balluriau    (Paul).    —    Illustration    de    Génie, 

VIII,  323. 
Baschet  (Marcel).  —  Portrait,  VIII,  230. 
Baudry    de    Saunier    (L.).    —    Le    Tourisme, 

VIII,  569. 
Bacre  (A.).  —  L'Astrologue  Pisan,  VIII,  559. 
BaurÉ   (Albert).  —  Illustration   de    Le  Château 

d'Agor,  VIII,  483. 
Benjamin-Constant.  —  M.  IIanotaux,YlII,  229. 
Bergeret.  —  Un  Électeur,  VIII,  264. 
Bbrgeret    (Gaston).    —     Le     Château    d'Agor, 

VIII,  483. 
Berthier  (A.).  —  Le  Chemin  de  fer  de  la  Jung- 

frau,  VIII,  417. 
Bertrand  (M™^).  —  Illustration  de  L' Astrologue 

Pisan,  VIII,  559. 
Bertrand  (M™e).  —  Illustration  de  La  Visite  au 

Château,  VIII,  705. 
Besnard.  —  Portrait  de  théâtre,  VIII,  237. 
Beddin  (G.).  —  Jeux  et  Récréations,  VIII,  156, 

314,  471,  637,  797,  953. 
Boccali   Giovanni.    —  La   Madone  et  l'Enfant, 

VIII,  827. 
Bonfigli  (Benedetto).  —  Gonfalon  de  la  Corpo- 
ration de  San  Bernardino,  VIII,  825. 
Bonnat  (Léon).  —  M^^  Rose  Caron,  VIII,  220. 
Bonnefon  (Paul).  —  La  Bibliothèque  de  l'Arsenal, 

VIII,  507. 
Bouguereau.  —  L'Assaut,  VIII,  239. 
BoTJRRiER    (Théodore).  —  Les  Animaux  de   bou- 
cherie, VIII,  369. 
BoZENA     Nejicova.  —    La    Visite    au    Château, 

VIII,  705. 
Brausewetter  (E.).  —  Les  Maîtres  de  la  Litté- 
rature contemporaine  du  Nord,  VIII,  187, 
Broutelles     (De).    —     La    Jetée     de    Dieppe, 

VIII,  251. 
Brunet  (M'1«).  —  Portrait,  VIII,  268. 
Burnand  (L.).  —  Les  Disciples,  VIII,  219. 
Calmels     (De).    —     Illustration     de     Toulouse, 

Vin,  688. 
Carrey.  —  Illustration  de  La  Vie  militaire  en 

Autriche,  VIII,  531. 
Carret.  —  Illustration  de  IJÉcole  supérieure  de 

guerre,  VIII,  660. 


CARrcHET  (Henri).  —  Illustration  de  Elle  ! 
VIII,  545. 

Caruchet  (Henri).  —  Le  Bouvier,  VIII,  833. 

Caruchet  (Henri).  —  Illustration  de  Le  Bou- 
vier, VIII,  833. 

Chabrier  (Emmanuel).  —  Credo  d'Amour, 
VIII,  613. 

Champeville  (Paul  de).  —  Annecy,  VIII,  193. 

Chevalier  (A).  —  Traduction  de  L'Idylle  de 
Polichinelle,  VIII,  69. 

Chorpin.  —  Enrôlé  de  179:2,  VIII,  213. 

Chrétien  (M^^  Hedwige).  —  Tarentelle,  VIII, 
452. 

Claretie  (Léo).  —  Le  Mouvement  littéraire, 
VIII,  113,  273,  433,  593,  753,  908. 

Clèves   (Victor  de).   —   La  Vie  pratique,  VIII, 

154,  312,  469,  633,  795,  952. 
Cogghe.  —  Caramba!  VIII,  264. 

Colombie  (A.).  —  La   Cuisine  du  mois,  VIII, 

155,  313,  470,  636,  796,  951. 

CORMON.  —  Le  Brome,  VIII,  218. 

CoRMON.  —  Les  Races  humaines,  VIII,  218. 

Cottet  (Ch.).  —  Le  Repas  d'adieu,  VIII,  245. 

CoupiN  (Henri).  —  L'Histoire  naturelle  de  Mada- 
gascar, VIII,  387. 

Curot-Barberel     (M"'«).    —     Face    et    Profil, 

VIII,  268. 
Da  Cdnha  (A.).  —   Illustration  de  L'Amour  qui 

tue,  VIII,  906. 
Danvers    (Guillaume).    —    La    Musique,  VIII, 

135,  294,  451,  611,  776,  926. 
Delacroix-Garnier    (M™e    P.).    —    Portrait, 

VIII,  226. 
Demeure  de  Beaumont  (A.).  —   Un  Essai   de 

Résurrrection  du  théâtre  grec,  VIII,  617. 
Demont-Breton    (M'"e).    —    Dans    l'eau    bleue, 

VIII,  235. 
Détaille.  —  Châlons,  9  octobre  1S9G,  VIII,  244. 
Devaux  (Paul).  —  Éclosion  et  Élevage  des  poulets, 

VIII,  743. 
Dubois  (Paul).  —  Marckesina,  VIII,  221. 
Dubuffe  (Guillaume).  —  Cypris,  VIII,  255. 
DUFFAUD.  —  M^e  RoulUer,  VIII,  223. 
DURRUTHY  (Mlle).—  Consolation,  VIII,  246. 
ÉCOLLES  (Pierre   d').   —   Le   Palais   de   l'Elysée, 

VIII,  81. 
Edgy.  —  Génie,  VIII,  323. 
Elhem    (Jean-Paul).  —   L'Amour   qui   tue,  VIII, 

906. 
Etcheverry.  —  Ils  ne  lisaient  plus,  VIII,  255. 
Fabrès.    —    Illustration    de    Pépita     Carbajal, 

VIII,  395. 
Fantin-Latour  (H.).  —  Andromède,  VIII,  236. 
Paye  (H.).  —  Loches,  VIII,  103. 
FÈVRE  (Henry).  —  L'Héritage  de  l'oncle  Florot, 

VIII,  163. 


958 


TABLE    DES    AUTEURS    ET    DES    ARTISTES 


Flanagan.  —  Horloge,  VIII,  272. 

Flandrin  (Jules).  —  Portrait,  VIII,  224. 

FoLEY  (Charles).  —  La  Chaconne,  VIII,  5. 

FoTjgrERAY.  —  AbouMr,  VIII,  243. 

FOTJRNERT.  —  Illustration  de  La  Mode  du  mois, 
VIII,  146,  300,  462,  626,  782,  938. 

Fraigneau  (Amédée).  —  Le  Cimetière  Mont- 
martre, VIII,  729. 

Fraipont.  —  Marché  à  Falaise,  VIII,  261. 

Frédéric.  —  Les  Ages  de  l'ouvrier,  VIII,  263. 

Ganibr  (A.).  —  La  Caricature  à  l'étranger, 
Vni,  355. 

G-ARDET  (Gr.).  —  Lion  et  Lionne,  VIII,  214. 

Garibaldi.  —  Abbaye  de  Monlmajour,  VIII,  258. 

Gelhat.  —  Un   Coin  de  province,  VIII,  260. 

Geoffroy.  —  École  maternelle,  VIII,  256. 

GÉRARDIN  (Léon).  —  Les  Algues,  VIII,  426. 

GÉROME.  —  Timour-Lang,  VIII,  266. 

Gbrspach.  —  Péronse,  VIII,  819. 

Gbrvais-Courtellemont.  —  Neuf  jours  au  dé- 
sert égyptien,  VIII,  897. 

Grandin  (commandant).  —  Pépita  Carbajal, 
VIII,  395. 

GuiNiER  (H.).  —  Enfants  de  Marie,Ylll,  249. 

Henner.  —  Le  Lévite  d'Ephraïm,  VIII,  235. 

HÔFLINGER  (A.).  —  Me-'  Kneipp,  VIII,  234. 

Hudry-Menos  (J.).  —  Les  Châteaux  de  Louis  II 
de  Bavière,  VIII,  720. 

HuMBERT.  —  M.  Jules  Lemaîlre,  VIII,  227. 

INDY  (Vincent  d').  —  Fervaal,  VIII,  189. 

JOANNON.  —  L' Essayage,  VIII,  247. 

Kahn.  —  Famille  de  Pécheurs,  VIII,  252. 

Kelly  (M""  Grâce).  —  Portrait  de  M'^"  C, 
VIII,  267. 

Knight.  —  Sur  la  Terrasse,  VIII,  259. 

Lacome  (P.).  —  Les  Quatre  Filles  Aymon, 
VIII,  780. 

Lalique  (René).  —  Peignes  de  coiffure,  VIII,  269. 

Larbalétrier  (Albert).  —  Le  Rôle  des  Microbes 
en  Agriculture,  VIII,  97. 

Laurens  (Jean-Paul).  —  L' Arrestation  de  Brous- 
sel,  VIII,  240. 

Lecoy  de  la  Marche  (A.).  —  Les  Sceaux, 
VIII,  677. 

Le  Duc.  —  Le  Duc  de  Chartres  à  Jemmapes, 
VIII,  244. 

Lefebvre  (Jules).  —  Le  Comte  de  Kerchove  de 
Deuterghem,  VIII,  228. 

Lefevre  (Maurice).  —  Chronique  théâtrale,  YIII, 
131,  291,  771,  932. 

Le  Gout-Gérard.  —  Temj>s  gris,  VIII,  250. 

LiÉGEARD  (Stephen).  —  Elle!  VIII,  545. 

Lieutenant  (Un).  —  Le  Moderne  Tratneur  de 
sabre,  VIII,  380. 

LOBRICHON.  —  Mes  Modèles,  VIII,  256. 

LoEVY  (E.).  —  Illustration  de  Loches,YHl,  103. 

Lux.  —  Les  Cartes  coloniales,  VIII,  48. 

Lynch  (Albert).  —  Le  Soir,  VIII,  254. 

Mac-Ritchie  (MUe).  _  Suzanne,  VIII,  225. 

Majorelle  (Louis).  —  Buffet,  VIII.  271. 

Mareschal  (G.).  —  Causerie  scientifique,  VIII, 
119,  279,  439,  599,  759,  914. 

Martel  (Emile).  —  La  Pêche  du  hareng  à  Bou- 
logne-sur-3Ier ,  VIII,  342. 


Matot  (D.-E.).  —  Henri  Ibsen,  VIII,  61. 
M.  C.  —  Peinture  sur  toiles,  VIII,  525. 
MiGLiARO  (Vincenzo).  —  Illustration  de  L'Idylle 

de  Polichinelle,  VIII,  69. 
MONIN   (D''  E.).   —   La    Beauté  et   son   Hygiène, 

VIII,  894. 
MONTBARD  (Georges).  —  Sur  le  Nil,  VIII,  173. 
MoNTBARD   (Georges).  —  Illustration  de  Sur  le 

Nil,  VIII,  173. 
MONTBNARD  (Fr.).    —    La    Cueillette  des   olives, 

VIII,  257. 
MoROT  (Aimé).  —  Le  Duc  de  La  Rochefoucauld- 

Doudeauville,  VIII,  231. 
Mothe    (Bernard    de    la).    —     L'Ile    de     Capri, 

VIII,  498. 
Muenier.  —  Un  Dimanche  à  Fribourg,YIII,  253. 
Mcraton.  —  Portrait,  VIII,  232. 
NÉRONDE  (C.  de).  —  Yvette  Guilbert,  VIII,  673. 
Neukomm    (Edmond).  —  A  travers  la  Nouvelle- 
Autriche,  VIII,  550. 
Obiols  (G.).  —  Lampe  électrique,  VIII,  270. 
Orazzi  (Manuel).  —  Illustration  de  Missa  Solem- 

nis,  VIII,  643. 
Pardiellan  (P.  de).  —  La  Vie  militaire  en  Au- 
triche, VIII,  531. 
Pelle  (M™e).  _  Quatre  sœurs,  VIII,  267. 
PÊRUGIN.  —  Pieta,  VIII,  830. 
Pescador  (Félix).  —  Illustration  de  La  Chaconne, 

VIII,  5. 
Présilly    (Berthe    de).    —    La    Mode  du    mois, 

VIII,  146,  300,  462,  626,  782,  938. 
PrÉvot-Valéri.  —  Le  Soir,  VIII,  258. 
Prouvé  (V.).  —  Cuir  repoussé,  VIII,  270. 
PUECH  (D.).  —  Monument  Francis  GarnieT,YLII, 

213. 
Puvis     DE     Chavannes.    —     Œuvres    diverses, 

VIII,  33. 
Puvis  de  Chavannes.  —  Sainte  Geneviève,  VIII, 

238. 
QUANTIN  (A.).  —  Les  Salons  de  1898,  VIII,  209. 
Raphaël   et    PÉRUGIN.   —  Fresques  de   la  cha- 

2)eUe  San  Severo,  à  Pérouse,  VIII,  831. 
Renaud  (Albert).  —  Le  Soleil  de   minuit,  VIII, 

928. 
RiBAUX  (Adolphe). —  3Iissa  Sole7nnis,  VIII,  643. 
Rixexs.  —  Portrait,  VIII,  222. 
Rochegrosse  (G.).  —  Le  Chant  des  muses  éveille 

l'âme  humaine,  VIII,  219. 
RODIN  (Aug.).  —  Balzac,  VIII,  217. 
Romane  (De).  —    L'Ecole  supérieure  de  guerre, 

Vin,  660. 
Rousseau  (Samuel).  —  La  Cloche  du  Rhin,  VIII, 

296,  298. 
RouviER  (Gaston).  —  Evénements  géographiques 

et  coloniaux,  VIII,  125,  285,  445,  605,  765,  920. 
RoYBET.  —  V Astronome,  VIII,  241. 
RoYER  (Lionel).  —  Louis  XI  au  Mans,  VIII,  242. 
RozE  (Albert).  —  Résurrection,  VIII,  212. 
Saint-Marceaux  (De).  —  Vers  l'inconnu,  VIII, 

216. 
Sangnier    (Félix).   —    Une   Société   de    charité, 

VIII,  17. 
Serao    (Mathilde).   —    L'Idylle  de    Polichinelle, 

VIII,  69. 


TABLE    DES    MATIÈRES 


939 


Sevsses.  —  Le  RHvur,  VIII,  214. 
SoNKEL  (M"").—  L'Ofrandeàla  V!erffe,\nî,  '2(;<;. 
SoiilANO.  —  Malhevreuae!  VIII,  '2G;}. 
SorLÈs  (Félix).  —  Tombeau,  VIII,  211. 
Steixeiî.  —  Le  Déclin.  VIII,  216. 
Stevens  (L.).  —  G.  Courteline,  VIII,  233. 
TeiÉROT  (E.).  —  Traduction  de  La  Visite  au  Châ- 
teau, VIII,  705. 
TouDorZE  (Gustave).  —  La  Cloche,  VIII,  803. 


TuuTAT  (Eugène).  —  Toulouse,  VIII,  688. 
Vachon  (Marins).  —  Puvis  de  Chavannes,  YllJ,  33. 
Vauzanges.    —    Illustration    de    l'Héritage    de 

l'oncle  Florot,  VIII,   103. 
Weeiits.  —  Portrait,  VIII,  226. 
Weiss   (G.).  —  Les  Detix  souverains,  VIII,  262. 
WÉRY.  —  Fille  de  Penmarch,  VIII,  249. 
ZiER  (Éd.).—  Illustration  de  La  Cloche,  VIII,  803. 
ZrBER.  —  Le  Passé,  VIII,  262. 


TABLE    DES    MATIÈRES 


Littérature. 

Amour  qui  tue  (L'),par  Jean-Paul  Elhem,  VIII, 

90G. 
Astrologue  Pisan  (L'),  par  A.  Baure,  VIII,  559. 
Bouvier  (Le),  par  Henri  Garuchet,  VIII,  833. 
Chaconne  (La),  par  Charles  Foley,  VIII,  5. 
Château    d'Agor    (Le),    par   G-aston   Bergeret, 

VIII,  483. 
Cloche  (La),  par  Gustave  Toudouze,  VIII,  803. 
Elle  1  par  Stephen  Liégeard,  VIII,  .î45. 
GÉME,  par  Edgy,  VIII,  323. 
Héritage   de  l'oncle  Florot  (L'),  par  Henri 

Fèvre,  VIII,  163. 
Idylle   de  Polichinelle    (L'),  par    Mathilde 

Serao,  VIII,  69. 
MissA  SOLEMNis,  par  Adolphe  Ribaux,  VIII,  643. 
Pépita  Carbajal,  par  le  commandant  Grandin, 

VIII,  395. 
Visite  .vu  Château  (La),  par  Bozena  Nemcova, 

VIII,  705. 

Critique,  Théâtre,   Musique. 

Bibliographie,  VIII,  315,  798,  954. 
Caricature  a  l'étranger  (La),  par  A.  Ganier, 

VIII,  355. 
Chronique    théâtrale,    par   Maurice    Lefevre, 

VIII,  131,  291,  771,  932. 
Cloche   du  Rhin   (La),  par    Samuel  Rousseau, 

VIII,  296,  298. 
Credo  d'amour,  par  Emmanuel  Chabrier,  VIII, 

613. 
Essai  de  résurrection  du  théâtre  grec  (Un), 

par  A.  Demeure  de  Beaumont,  VIII,  617. 
Fer  VA  AL,  par  Vincent  d'Indy,  VIII,  139. 
Ibsen  (Henri),  par  D.-E.  Matot,  VIII,  61. 
Maîtres  de  la  littérature  contemporaine 

DU  Nord  (Les),  par  E.  Brausewetter,  VIII,  187. 


Mouvement  littéraire  (Le),  par  Léo  Claretie, 

VIII,  118,  273,  433,  593,  753,  908. 
Musique  (La),  par  Guillaume  Danvers,  VIII,  135, 

294,  451,  611,  776,  926. 
Quatre   filles  Atmon  (Les),  par    P.    Lacome, 

VIII,  780. 
Soleil  de   Minuit    (Le),    par    Albert    Renaud, 

VIII,  928. 
Tarentelle,  par  M^^  Hedwige  Chrétien,  VIII, 

452. 
Yvette  Guilbert,  par  C.  de  Néronde,  VIII,  673. 

Histoire,  Philosophie,  Économie  sociale, 
Instruction. 

Bibliothèque  de  l'Arsenal  (La),  par  Paul  Bon- 

nefon,  VIII,  507. 
Châteaux  de  Louis  II  de  Bavière  (Les),  par 

J.  Hudry-Menos,  VIII,  720. 
Couvent  des  Célestins  (Le),  VIII,  520. 
Mémento  encyclopédique,  VIII,  141,  305,  457, 

623,  787,  943. 
Nouvelle  Chambre  (La),  VIII,  836. 
Palais  de  l'Elysée  (Le),  par  Pierre  d'EcoUes, 

VIII,  81. 
Société  de  charité  (Une),  par  Félix  Sangnier, 

VIII,  19. 

Beaux-Arts. 

Art  d'exposer  et  d'encadrer  (L'),  par  Jules 

Adeline,  VIII,  407. 
Cimetière  Montmartre  (Le),  par  Amédée  Frai- 

gnean,  VIII,  729. 
Peinture  sur  toiles,  par  M.  C ,  VIII,  525. 
PÉROUSE,  par  Gerspach,  VIII,  819. 
Puvis    de     Chavannes,    par    Marins    Vachon, 

Vni,  33. 


960 


TABLE    DES    MATIERES 


Salons  de   1898   (Les),   par  A.  Quantin,  VIII, 

209. 
Sceaux    (Les),    par    A.  Lecoy    de    la    Marche, 

YIII,  577. 

Géographie,  Voyages. 

Annecy,  par  Paul  de  Champeville,  VIII,  193. 
Capri    (L'île    de),    par   Bernard    de    la    Mothe, 

VIII,  498. 
Chemin  de   fer  de    la   Jungfrau    (Le),   par 

A.  Berthier,  VIII,  417. 
Événements   géographiques    et    coloniaux, 

par  Gaston   Rouvier,  VIII,  125,  285,   445,   605, 

765,  920. 
Loches,  par  H.  Faye,  VIII,  103. 
Neuf  jouks  au  désert  égyptien,  par  Gervais- 

Courtellemont,  VIII,  897. 
Nouvelle-Autriche  (A  travers  la),  par  Edmond 

Neukomm,  VIII,  550. 
Sur  le  Nil,  par  Georges  Montbard,  VIII,  173. 
Toulouse,  par  Eugène  Trutat,  VIII,  688. 

Armée,  Marine. 

Cartes  coloniales  (Les),  par  Lux,  VIII,  48. 
École    supérieure    de  guerre   (L'),  par    de 

Romane,  VIII,  660. 
Moderne   traineur   de   sabre    (Le),  par  Un 

Lieutenant,  VIII,  380. 

PÊCHE   DU  HARENG    A  BOULOGNE-SUR-Mer  (La), 

par  Emile  Martel,  VIII,  342. 
Vie  militaire  en   Autriche  (La),  par   P.  de 
Pardiellan,  VIII,  531. 


Sciences, 
Commerce  et  Industrie,  Agriculture. 

Algues  (Les),  par  Léon  Gérardin,  VIII,  426. 
Animaux    de  boucherie   (Les),   par  Théodore 

Bourrier,  VIII,  369. 
Beauté  et  son  hygiène  (La),  par  le  D""  E.  Mo- 

nin,  VIII,  894. 
Causerie  scientifique,  par  G.  Mareschal,  VIII, 
_  119,  279,  439,  599,  759,  914. 
ÉcLOSiON  ET   Élevage  des  poulets,  par   Paul 

Devaux,  VIII,  743. 
Histoire  naturelle  de  Madagascar  (L'),  par 

Henri  Coupin,  VIII,  387. 
Microbes  en  agriculture  (Le  rôle  des),  par 

Albert  Larbalétrier,  VIII,  97. 
Questions  financières,  VIII,   152,    310,   467, 

631,  792,948. 

Sport,  Mode,  Vie  pratique,  Caricature. 

Caricature  internationale  (La),  VIII,  151, 

311,  634,  794,  950. 
Cuisine    du  mois  (La),  par  A.  Colombie^  VIII, 

155,  313,  470,  636,  796,  951. 
Jeux  et  Récréations,  par  G.  Beudin,  VIII,  156, 

314,  471,  637,  797,  953. 
Mode    du    mois    (La),    par    Berthe   de    Présilly, 

VIII,  146,  300,462,  626,  782,  938. 
Tourisme  (Le),  par  L.  Baudry  de  Saunier,  VIII, 

569. 
Vie    pratique     (La),    par    Victor    de    Clèves, 

VIII,  154,  312,  469,  633,  795,  952. 


Table  des  auteurs  et  des  artistes,  VIII,  957. 


FIN     DU    HUITIEME    VOLUME 
(Tome  II  de  1898.) 


L' Editeur-Gérant  :  A.   QuANTiN. 


14823.  —  Lib.-Imp.  réunies,  Motteroz,  D',  7,  rue  Saint-Benoît,  Paris. 


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