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(^
LE MUSÉON
REVUE D'ÉTUDES ORIENTALES
FONDÉ EN 1881 PAR CH. DE HARLEZ
SUBVENTIONNÉ PAB LE GOUVERNEMENT ET PAS LA FONDATION UNIVBBSITAIBB
XXVI i 7
LOUVAIN
1907 ~t>[
LE MUSEON
»
LE MUSÉON
ÉTUDES
PHILOLOOIOUËS, HISTORIOIES ET RELIGIËISES
publié par PH. COLINET et L. DE LA VALLÉE POUSSIN
Fondé en X^Hl par Cli. de HA.RI.1<:Z.
NOUVELLE SÉRIE
VOL. VIIL
L G U V A I N
J.-B. ISTAS, IMPRIMEUR-ÉDITEUR
90, rue de Bruxelles, 90
1907
i.UZJ
»
ÉLÉMENTS CELTIQUES
DANS
les noms de personnes des inscriptions d'Espagne.
Dans ses Monumenta Linguac Ibericae, Hûbner a ras-
semblé tons les noms propres des inscriptions latines de
l'Espagne pour lesquels il soupçonnait une origine ibéri-
que. A parcourir cette liste, on ne peut s'empêcher d'être
frappé par l'apparence celtique d'un certain nombre de
ces noms.
L'on sait, du reste, qu'il existe des divergences entre
les philologues au sujet de l'importance de l'élément cel-
tique en Espagne. Hûbner (MLI intr. p. CXX) admet que
les noms celtiques se sont conservés dans une aristocratie
remontant au moins partiellement aux belliqueux enva-
hisseurs venus de Gaule et qui auraient constitué dans le
centre de l'Espagne un état de choses analogue à celui qui
régnait dans les pays romans du moyen-âge où une aris-
tocratie remontant aux conquérants germains conserva
longtemps les noms propres teutoniques. M. d'Arbois de
Jubainville (Les Celtes en Espagne. Rev. Celt. XIV p. 557
sqq., XV p. 1 sqq.) admet qu'une grande partie du centre
de l'Espagne était soumise aux Celtes. Castulo et les
Oretani seraient des régions celtiques. Les Vaccaei, les
1
^ LE MLStON.
Arevaci (avec Clunia) seraient aussi au moins partielle-
ment des Celtes. S'appuyant sur le témoignage de Strabon,
il croirait aussi à la piésence de Celtes parmi les Berones,
les Suessetani, les Autrigones, les habitants d'Uxama
(= la très haute (?) cf. « Uxellodunum » en Gaule).
11 est, du reste, indéniable que le curieux document
diplomatique d'Asturica (CIL. il, 2053) renferme des
noms propres, qui pour la plupart ont un aspect celtique
bien accusé.
M. Leite de Vasconcellos (Rev. celt. XXI. 5, p. 508)
regarde également comme celtiques les noms Togus,
Endovellicus, etc. qui se rencontrent plutôt en Lusitanie.
11 m'a semblé, dès lors, qu'il pourrait y avoir un certain
intérêt à faire pour les noms de personnes des inscrip-
tions hispaniques un relevé analogue à celui que M. Garo-
falo a opéré pour les noms géographiques celtiques de ce
pays. {Sui Celti nclla penisola iberica. Bol. R. Ac. Hist.
Madrid. 34 p. 97. sqq.). L'examen méthodique de ces
noms propres pourra amener à dérpontrer avec une cer-
taine probabilité l'origine celtique de beaucoup d'entre
eux ou du moins dans la plupart des cas à établir la
possibilité d'expliquer par des ladicaux celtiques et d'une
manière très naturelle la signification de ces appella-
tions barbares. Dans le cours de cet article, on s'est
naturellement abstenu de mentionner le numéro de l'in-
scription où se rencontre le nom, lorsque celui-ci est
consigné dans l'Index du supplément au Vol. II du Corpus
inscriplionum lalinarum (i). Quant aux substrats celtiques,
ils sont donnés d'après V Altkellisclicr Sprachscliatz de
M. Holder et le dictionnaire de Whitley-Stokes, revu par
M. Bezzen berger.
^1) Les numéros sans indication de tome se rapportent au CIL. IL
ÉLÉMENTS CELTIQUES. 3
Ce qui, au premier coup d'œil, engage à entreprendre
cette étude, c'est la nature évidemment celtique (i) d'ur
certain nombre de ces noms tels que Caturis, Camalus,
Ambatiis, Relugenus, Boulins, CJoutiiis correspondant aux
noms gaulois Culurix, Camulos, Amhuctos, Uectugenos,
Houdios, etc., des superlatifs comme (Jlntamiis, Tongeta-
inus, Loutamiis, Pintamun L'xama, peut-être Mcdamus,
des noms formés avec des particules celtiques comme
A mhi-mocjidu'i , A mhi-rodacus, > l ntu-bclliciis, Eudo-vcllicns,
(1) Un certain nombre d'areliL'Olojïnos tendent depuis queique^s années
à nier l'origine celtique do beaucoup de noms de lieux et de pei'scnnes
nettement indo-européens de l'Kurope méridionale ou occidentale. Ils
croient en effet que les Celtes auraient été précédés en beaucoup de ces
régions par les Ligures et c'i'st à cQ:i ijcuplados très mal connues niais
qui auraient paidé une langue indo eurniiéenne, qu'ils préfèrent rapporter
les noms en question.
Dans un récent article pul^lié dans les Mélanges tVArhois de Juhaiii-
ville i). 2.'JG sqq. M. Pliilipon revcncbqiuMnéme Torigine indo-européenne
des Ibères.
Il est donc évident que, pour les lenanl.s de ce< Uiéories, je suis très
mal fondé à rapporter un nom de personne ;iux langues celtiques parce
qu'il renferme un radical indo-européen -exislani, en pi-oto-celie, attendu
que ce radical peut avoir existé dans les suit-disant idiomes indo-euro-
péens des Ligures ou des Ibères, ,'e puis loub-fMi.s répondie que, dans cet
article, je ne préjuge pas de questions ethniques et que dans la plupart dos
cas, je ne prétends pas étalilii- en principe qu'un nom est celtique mais
seulement (^u'il trouve son explication toute naturelle dans le vo-abulaire
celtique, ce qui est une question de fait. Uemaiquuiis, en outre, que ce
fait se produit si souvent et qui^- le numbre des noii.s propres d'apparence
indo-européenne qui ne s'expliquent pas[)ai'lo vocaijulaii'e celtique est
si petit, qu'il faut si l'on admet l'hypothèse de ces savants, regarder le
ligure, voire l'ibère comme une espèce de dialecte celtique, .le cmis aussi
que quand on peut montier le cai-actère spéciiiquement celtique tl'un
grand nombre de noms propres barbai'cs des in-ci'i|ttions liisi)aniques,
l'hypothèse la plus naturel. e est de ramener à la même ni-igino d'autres
noms tigui-ant dans les mêmes inscriptions et qui se prêtent à une expli-
cation aisée par le celte, d'autant plus que rien n'est jibis moins établi
que les relations ethniques des Ligures et surtout des Ibèi es Les argu-
ments de M. Philipon pour [trouver l'origine aryenne de ces derniers sont,
en particulier, très peu convaincants.
4 LK MUSf.ON.
An-dergus etc. ; l'usage fréquent des suffixes celtiques tels
que le diiiiiiiutil-icws, -ico{n) {Docilico : Docilo ; Cariciis :
Caî'us ; Eturicu : Urcico ; Caturicus : Caturo ; Vaelo :
Vailico ; Cocus : Cocilicus), ou -ittus, [A lit ta), le patro-
nymique -yeiius {Heluyenus, Cabruageni, Madicenus), le
suffixe o{n) répandu à profusion ; comme la présence de
noms composés à la manière des noms celtes (et indo-
eui'opéens) : IHctelanceus (à la forte lance), Comnesc-iqum
(qui promet la victoire), Acrosmiuus (au haut héroïsme ?),
Caturis (qui commande au combat), Segovesos (qui conduit
à la victoire).
C'est ensuite la reproduction presque littérale, sous la
forme légèrement latinisée des noms propres des inscrip-
tions, de mots celtiques se rapportant à des catégories de
sens fréquemment représentées dans l'onomatologie des
divers peuples, tels que les noms de couleur : Cuiitius
{kantos =- blanc), Melinus [inelinos = jaune), Cocus, Coci-
licus [kokkos = rouge), des adjectifs exprimant des qualités
physiques ou morales : Coelia {koilos ^ maigre), Certus
[kerlos = court), Cambarus [kambos = courbé), Mailo,
(mailos = chauve), Andergus {an-dergos = aveugle),
Samilus [samalos ^^ 6[jLaÂÔ;), Seionus {seros ^= long), Mago
(magon = grand), Caenius {kainis = beau, aimable), Doveus
[devis = bon), Avillius [avillos = agréable), Magilo [maglos
■=■ noble), des épithètes affectueuses : Caranto [karantos ^=
cher), Coemea [kuif nos ^^ cher) , Cilius [keilgos =^ ami), des
noms de rang : Pintamus [iiennotamos ^^ premier), Tritius
(tritiyos = troisième), des sobriquets, surtout des noms
d'animaux : Crovus {krovos = corneille), Elanio {elanis =
chevreuil), Hroccus [brokkos = blaireau), Vaelo [vailos =
bmp), Veicius [veikos = corbeau), etc. etc.
bi tant de noms propi'cs des inscriptions d'Espagne
ÉLÉMKM'S CElTIolES. O
apparaissent clairement dès l'abord coninie étant d'ori-
gine celtique, il est bien naturel de ebei'cber à expli-
([uer par la même voie les autres noms tiiiurant cote à
côte avec ceux-ci dans les mêmes inscriptions ou dans
celles provenant des mêmes localités.
Evidemment dans un tel domaine, la force convain-
cante des rapprocbements est plus ou moins iirande selon
les cas. Alors ([ue rinter[)rétation par l'ancien celte de
beaucoup de noms propi-es paraîtra très vraisemblable, il
se trouvera d'auti'cs rapprocbements plus bypothétiijues
n'offrant ({u'une certaine possibilité.
Toutefois on ne pouvait négliger même ceux-ci parce
<[ue le degré de probabilité de cbacun de ces rap|)rocbe-
ments s'augmente par le grand nombre de ceux du même
genre et leur analogie avec des cas semblables beaucoup
plus certains. Ils offrent d'ailleurs de l'intérêt à titre
documentaire. Comme il impoi'te toutefois de ne pas
mêler le probable ou très pi'obable avec le simplement
possible, j'ai pris soin de distinguei' pour cbaque calégorie
de noms entre les ra[»procbemcnts séiieux et les simples
suiiiîestions.
Pour éviter, d'autre [)arl, d'interpréter arbitrairement
par le celte tout nom jtropre où l'on pouvait à la rigueuj*
retrouver un radical celtique de ({uelque signification
qu'il fût, danger dans le([uel tombent certains étymolo-
gistes, cette en([uête prend comme [)oint de départ non
les noms propres eux-mêmes, mais des radicaux celtiques
appartenant à certaines catégories de sens qu'il y avait
lieu, a priori, de s'attendre à rencontrer dans les noms
de personnes en général et dans ceux de l'Espagne en
particulier (i).
(1) Cet article était déjà composé quand M. G. Dottin dans la Revue des
Etudes Anciennes VII. 1. (1905) dressa une liste de radicaux rencontrés
6 LE Ml'SftON.
A. Noms d'animaux.
A parcourir la liste des nomina et cognomina des inscrip-
tions latines d'Espagne, on est frappé par le grand nombre
de noms d^niiniaux qui s'y l'enconlrent : Aper, Cerviis,
Lupus, Tout us, L'rsus, Aquila, Capella, Lupcrcus, Miisca,
Pardus, Rana, Vilulus (i) etc. etc.
Plusieurs de ces noms se rencontrent aussi en Italie
mais non pas avec la même fréquence, si bien que leur
abondance est un trait caractéristique de l'onomatologie
hispanique, comme l'a remarqué Hiibner (MLI. p. CWI
etCXXXIV).
Puisque les Espagnols avaient une prédilection pour
les noms d'animaux, n'y a-t-il pas lieu de penser que
celle-ci s'est manifestée aussi dans les noms indigènes ?
On est donc tenté de chercher à l'etrouver dans ces derniers
les mots celtiques désignant des animaux. Or, de fait, une
telle enquête est des plus fécondes :
krovo- (corneille) : Crovus.
suf. -io : Crovii, Crovia.
suf. -es-ico : Crovesica.
dans les noms propres des anciens Celtes et qui peuvent être identifiés
avec des termes conservés dans les dialectes celtiques modernes.
Toutefois cette liste, très insuffisante, ne comprend guère que des noms
de la Gaule et de la Bretagne et l'étude présente sera de nature, je crois
à la compléter utilement par un grand nombre de noms, en ce qui con-
cerne l'Espagne (Des noms aussi évidemment celtiques que Cl utatniis,
I-'m(amus, Tridus, Ambatus, etc. n'y figurent môme pas). Traitant, du
reste, de la péninsule ibérique en particulier, cette étude contribuera
aussi à faire juger de l'impoi-tance de l'élément celtique dans l'Espagne
pré-romaine.
(1) Cf. aussi l'Eap. Lopez = Suppici = Lupici.
ÉLÉMENTS CELTIQUES.
suf. -es 4- qum \ ^
, , , . : Corovesqum.
avec svarabhakti
— A côté de krovo, paraît avoir existé une forme
lorho- (cf. Holder I. 1117 —a. h. ail. hraba-n) d'où
dérivent Corhelius qu'où trouve une fois en Espagne
(2140) et de nombreux noms de la Gaule (i).
elani- (chevreuil, biche) : Elaniis.
suf. on : Elanio.
hroJcko- (blaireau) : Broccus. (gaul. Broccomagos)
suf. ino : Brocina.
suf. illo : BrocilJa.
vailo- (loup) suf. on : Vaelo.
suf. ikon : Vailico {^= petit loup. Cf. goth. Wulfila).
liino- (mouton) : Lunus.
matu- (ours) (2) suf. on : Mato.
suf. no (?) : Matuna.
suf. tion (?) : Metuttio (Cf. le nom gaulois : Matuiio).
-\- radical geno : Medugenus (s) (Cf. le nom gaulois
fréquent Matugenus) .
eqo- (cheval) : suf. aro : Eparus.
(Cf. les n. gaul. Epona, Ateporix, Eporedius, etc.).
Cet exemple et plusieurs qui suivront, montrent que la
gutturale labialisée a abouti à une labiale dans le dialecte
celtique de l'Espagne comme en gaélique.
gahro (chèvre) : suf. geno : Cabruageni.
suf. il 4- io -{- on : Cabrilio.
(1) Pour le sens, qu'on compare le nom italique fréquent Corvilius, le
vieux nom Scandinave Ibrabnaz et le nom de femme espagnol Corona
qui parait bien reproduire fe grec Ko&wvtj.
(2) D'après M. d'Arbois de Jubainville qui s'appuie sur l'irl. math et le
cymr. madawg (renard).
(3) Holdor préfère traduire Medugenus = fils de l'hydromel et regarde
de même Medubriga comme signifiant Melbury. La comparaison si con-
vaincante de Metuttis = Matutio m'engage toutefois à faiie un même
radical de metu et matu : meta = matu. Dès lors le rapprochement
entie Matugenus et Medugenus s'impose presque. I.e sens donné par
m.atu est d'ailleurs plus vraisemblable que celui donné par medu.
8 I.K MISÉON.
suf. eno (?) 1 ,, ,
, , , . : Cahurene.
et svarabhakti \
Dans ces noms, le radical celtique a été laflueDcé par
le voisinage du latin : cajira, Caper.
Sur c pour g cf. Lat. Esp. II, § 6.
JcarvO' (cerfj : Carvi.
suf. anko )
et svarabhakti i
Caravnnca.
,.,,,.. j Carbilus — b pour r après consonne,
suf. </o (dimin) : r i . t- it .• .,
^ i cf. Lat. Esp. II. § M.
damo- (bœuf) : Dama.
suf. no : Damoni (génitif).
muTikU' (porc) suf. ilon : Mocilo CIL. V. 6042, nom porté par des
légionnaires originaires, semble-t-il, de la péninsule ibé-
rique, (o pour u cf. Lat. Esp. I § 1).
sUf. ulatus : Mocidatus. Ce dérivé est plus douteux.
La simplification des consouues doubles est un phéno-
mène orthographique très l'réquent dans les inscriptions
latines.
<p>orko- (porc) : suf. ikon : Urcico. (u pour o cf. Lat. Esp. I § 7).
suf. al-lo-ko- (Y) Urcallociis (?) La chute de la labiale
sourde initiale est un phénomène universel dans les
idiomes celtiques.
<p>etro- (oiseau) : suf. ikon l r<^ .
, , , . : Etunco.
et svarabhakti (
veiko- (corbeau) : suf. io : Veicius, Vecius.
erho- (bouc) : suf. ufo ou utfo (?) : Erhutus.
hou- (bœufj suf. alo : Bovalus.
M. Holder compare hovalo- au skr. gavala (buffle),
suf. ano : Bovana.
suf. ehjo : Bovecius^ Bovegins.
(Ce dernier dans CIL. III. 4227, épitaphe d'un légion-
naire asturien).
hélio- (corbeau) suf. ako : Veliagun.
Hubner y rattache aussi les noms espagnols modernes
Velea, Velasguee {M\A. CXXXIV).
— L'échange entre 6 et v est un phénomène qui se
*
ÉLÉMENTS CELTIQUES. 9
constate assez souvent dans les inscriptions latines. Cf.
Lat. Esp. II § 3. Il en est de même de la transformation
des consonnes sourdes intervocaliques en consonnes
sonores. (Lat. Esp. II § 1),
tarvo- (taureau) suf. ello : Tarbellus (nom d'un Narbonnais 3876).
C'est aussi le nom d'une peuplade d'Aquitaine. (6 pour v
comme dans Carbilus de karvo, cf. supra).
suf. ilcon : Taurico.
ur pour ru est un processus phonétique qui n'aurait
rien de trop anormal. Du reste, une contamination avec le
latin taurus est possible.
hukko- (bouc) : Boccus. (o pour û cf. supra).
suf. io : Buccins.
Outre ces étymologies qui s'imposent presque, on peut
encore dans le même oi'dre de signification, signaler
quelques rapprochements moins évidents bien qu'encore
assez vraisemblables.
ogno- (agneau) : Onna (EE. 4. 753).
La chute de la gutturale, première de groupe se con-
state dans plusieurs noms celtiques en Espagne, tels que
JRetiigenus pour Rectugenus, Mutius de muktos, etc.
— Les noms Acnon, Agno permettent de se demander
si à côté à'ogno, n'existait pas en celtique une forme
parallèle : agno = lat. agnus, gr. à[j.voç. Cependant cf.
infra s. v. agno-.
qerqâ (coq) : Perça.
suf. atus )
uu 1 i.- } : Ferecatus.
et svarabhakti \
Le second q aurait-il perdu son élément labial par
dissimilation ? (cf. infra s. v. qeqto-).
* lu(p)o- (loup) : Lovatus à côté de la forme latinisée : Lupatus. —
Ce radical lup- se retrouve dans le lat. lupus, skr. lopâça
(chacal), avest. raopi (espèce de chien), gr. âloiTzril (?)
arm. alu^s. Avec le suffixe -erno, il a formé le substrat
celtique lu{p)erno- (renard). Toutefois il est vraisemblable
10 I.K MISf.ON.
que lup- existait ea vieux celtique dans d'autres dérivés
que lii(p)er)io, par exemple dans notre Lovatus. M. Holder
signale divers dérivés, soit-disaut celtiques de cette
racine, mais ils paraissent avoir été latinisés car ils ren-
ferment le fJihme luppo : LnppiacHS, Loppio, etc.
marko- (cbeval) : Marcus. Ce nom est généralcnif^nt latin mais
quand il apparaît dans des inscriptions ne renfermant
que des noms indigènes, ce qui est parfois le cas en
Espagne, il est assez naturel d'en faire un nom celtique
appartenant à la catégorie des noms d'animaux.
(Cf. le n. gaul. Marcomaf/os, gall. Mnrchvid).
torl'O- (sanglier) : suf. al-io : Tnrcalium (i).
suf. ino : Trocina.
tarvo- (taureau). Outre les rapprochements indiqués ci-dessus, on
peut se demander si tarvo- ne se retrouve pas dans :
TiiravHS et peut-être dans Turanis, Tureus, l'urauclcus
avec réduction de la diphtongue axi en u (?).
elaios (cygne) suf. eso^ is-ico : Elarsiis, Elaisicum Ci).
barro- (éléphant) : Darrns.
sut. ifio^ cfto (i) :
* Baréta
Ce mot emprunté à une langue orientale par le latin a
pu aussi passer on celtique. (?)
wawwo- (petit cheval) : Mannus.
(cf. Holder s v.)
andera- (génisse) d'où l'anc. cymr. enderic (veau) vis-à-vis iïAn-
dergus, nom qui signifie plutôt « aveugle ».
ago- (bouc) d'où Ton pourrait dériver : Agavus, Agio, Agena,
Agile, Agilio.
B. ÉpITHÈTES de COILELHS.
Très fréquents sont les noms propres tirés de couleurs,
tels que Moreno, Blanco en Esp;i<îne, Lchnin, Leblanc,
De Wittc, Sc/iwarz, liolli, lirown, W'Iiile, dans les diverses
(1) Pour le suffixe, qu'on compare Urcaliocus qui a à peu près le même
sens.
ÉLÉMENTS CELTIQUES. il
langues modernes de l'Europe, Flavus, Fulvius, Albius,
Caesius, dans l'onomatologie romaine. Ce genre de nom
paraît aussi être bien représenté dans les inscriptions
d'Espagne et cela tout autant parmi les noms d'origine
romaine que parmi les noms barbares :
hanto- (blanc) : suf. io : Cantius.
(Cf. le n. gaul. Canfosenus, Avi-ccmtus, bret. Eucant).
suf. i-ano : Caniianorum (génitif ethnique).
suf. ig-itano : Cantigitana.
suf. on-io : Cantonius.
suf. aber (?) ; Cantaher.
Comparez à la finale de ce dernier nom, celle du nom
des Artahri, peuplade galicienne et peut-être le nom des
Iheri et Ccltiheri.
liokko- (rouge) Cocus (simplification de consonne double, cf. supra).
suf. -il-iko : Cocilicus.
vindo- (blanc) suf. io : Vindius.
(Cf. gaul. Vindomagos)
suf. al-on : Vendalo.
suf. er-ilio : Vendericus .
Au sujet de e pour ï, cf. Lat. Esp. I § 3.
aunio- (vert pâle) Aunlus.
melino- (jaune) (de meli = miel) : Melinus.
De la même origine est, sans doute, aussi Melite.
<p>erTto- (obscur) suf. av-iko : Ercavica.
dergo- (rouge) suf. in-io-on : Dercinio.
La présence d'une explosive sourde à la place d'une
explosive sonore, après une autre consonne se constate
plusieurs fois dans les noms barbares de l'Espagne. Cf.
Lat. Esp. 11. § 9.
suf. io (?) : Arcea, Arciiis.
suf. Iso : Arcisus.
. ,, , , ( suf. ailo-ilo : Arnailo, Arqilicus.
argio- (blanc) : j ,. -, .
' sur. amo ~\- no -'^ iko : Argamonica.
suf. on : Arco Ç?).
12 LE MISÉON.
albo- (blanc) d'où Albeis (Alpes) (?), Albion.
suf. uro : Albnra. ] 41 i. ... -i i
/ .-HeoM5 aurait- il la même ori-
suf. ono : Albonns. ) . „
\ gine ?
suf. dimin. iko : Albicus. ]
îeto- (gris) (Cf. Holder s, v.).
suf. nd-on : Letondo,
suf. nd-iko : Letondiquni.
Plus iacertaines sont les dérivations de :
viryo- (vert) suf. ato : Viriatus.
agno- (" feurig, hell ». Whitley-Stokesj suf. on : Agno, Acnon
(Cf. Lat. Esp.).
uro- (vert) suf. eius : Ureius. Ce suffixe se rencontre plusieurs
fois dans les noms barbares hispaniques.
suf. avo : Uravus, Urauvus.
suf. amo : Uramus.
suf. àlo-on : Uralo.
suf. nlxo, uk-io : Uruga, Urucius (V).
bodw (jaune) : Boddius.
lat. burrus (rouge, roux) : Burrus.
suf. -aJus : BurraJus.
Le premier nom est porté par un Celte (Burrus Magi-
lanis f.) ; le second est formé par le suffixe celtique -aJo.
Il est donc vraisemblable que ce mot burrus forme altérée
de Tcuppoç (roux) avait pénétré dans les dialectes celtiques
du Midi de l'Europe. Ce fait expliquerait le mot burricus
(rosse, baudet, etc.), qui ne serait qu'un diminutif à la
celtique (suf. iJxo) de ce mot burrus et rendrait exactement
le fr. roussin.
{]. CAUACTÈnES PHYSIQUES.
Non seulement la couleur des cheveux, des yeux ou du
teint servait à désigner souvent les individus niais tout
caractère plnjsique pouvait être mis en relief dans les
noms de personnes. C'est encore là un usage commun
à beaucoup de peuples.
à
ÉLÉMENTS CELTIQUES. 13
Aussi est-i] justifié d'identifier les noms suivants avec
des adjectifs celtiques désignant des qualités physiques
ou se rapportant à diverses parties du corps :
koilo- (maigre) : suf. io : Coelia, Quoelia.
Ces noms peuvent toutefois aussi être rapportés à koild
(« omen ») cf. infra.
herso- (gauche^. Ceresus (avec svarabhakti).
Pour le sens, qu'on compare le nom latin : Laevius.
kerto- (court) : Ccriiis.
suf. i-ato : Cirtiatiss (génitif?)
i pour e devant r est un phénomène assez fréquent, cf.
Lat. Esp. I § 4. c.
longo- (long), suf. io : Longius.
suf. ino : Loncinus.
c pour g après consonne, cf. Lat. Esp. II § 9.
Ces noms peuvent aussi être romains, mais ils appa-
raissent souvent au milieu de noms barbares et la pré-
sence des dérivés suivants, évidemment barbares, induit
à admettre aussi pour ceux-ci une origine celtique en
beaucoup de cas.
suf. amo : Longamus.
suf. ido-Jco (?) : Longeldoqum.
-\- substantif hrica (= briga, mot celtique, désignant un
bourg.) : Loncohricenses.
A ces dérivés de ?ow^o-, j'aimerais de joindre le nom fréquent
Lancius et celui de : la gens Lanciqum. c pour g ne fait aucune
difficulté. On vient de le voir dans Loncohricenses, Loncinus et on
constate le même fait dans Dercinio (dergo-) Tancinus : 2'anginus,
Tongeta : Tonceta, etc.
Quant à l'hésitation entre a et o devant nasale, elle est plus
étonnante, mais elle n'est pas inadmissible puisqu'on trouve dans
la même situation l'alternance entre e et a cf. A)nba{c)tus = emhi
-\- aklo, Ambimogidus : embi -\- mogo-, Endovellicus : Antuhel-
licus, Turennus vis-à-vis de toranno, etc. (cf. infra). Ces variantes
peuvent s'expliquer soit par Vablaut, soit la production de voyelles
nasales. Du reste, ce qui engage à admettre l'équivalence entre
44 1»^^ MISÉON.
longo- et Inngo, c'est rexistence de Langohrega à côté de Longo-
briqa, Lnngiacua à côté de Longiacus et des noms celtiques :
Langohritac (Eq Espagne, Plut Sert. 13), Langodunnm^ etc. à
côté de Lougorectus, Longeidocum, etc.
Le mot latiu lancca, qu'on s'accorde à faire venir de l'Espagne
signitierait donc : " la longue », épitUcte très naturelle pour une
arme de celte sorte. Qu'on y compare le ^oX'./ô'7/.iov ëy/oç des
poésies homériques. La finale ai pour ùi de ce mot est un fort
argument en faveur de son origine hispanique, cf. Lat. Esp. I § 5.
Si hypothétique que soit cette dérivation de mot lancea, elle me
paraît préférable à celle proposée par Thurneyseu qui rapporte ce
terme à l'anc. irl. Iccim (je lâche).
niuilo (chauve) : Muela.
suf. io : Maelius, Melia (c pour ae cf. Lat. Esp. I § 14.).
suf. on : Maelo, Maeilo.
suf. on-io : Maélonius.
kackû- (borgne) suf. ou : qaico.
suf. anko : Caccanqum.
suf iko : Cecciqum (V)
Pour le sens, qu'on compare les uoms romains : Cae-
cius, Caecilius.
* aql, aqilo (obscur, aveugle), (cf. ir. adaig (nuit), lat. aquilus,
n. pr. rom. en Espagne : Aquilus, Aquilo, Aquilinus.) :
Apilus, Apulus, dira. ApiUcus.
an-dergo- (aveugle) : Andergus. Dérivation plus probable que celle
indiquée ci-dessus pour ce nom (s. v. andcro-J.
kondo- (sens, esprit) suf. iso : Condisa
suf. i-ano : Condiamis.
„ ,. , -n m • . X I AncondeL (tribu)
Préfixe négatif : an : sufhxc lo (i) ,, ...
° ^ M ('p'^ insensés .-')
suf. aro : Coniarus.
suf. uko-io (0 : Contuci (gén.) (?)
suf. (i)vo -\- aio : Contkai (géuit.).
Dans ces trois derniers exemples, on a la sourde pour
la sonore après consonne, comme dans beaucoup de noms
cf. supra et infra.
(1) eo pour io, cf. Lai. Esp. I, § 5.
ÉLÉMENTS CELTIQUES. 15
Pour le sens, cf. Pellus, etc., se rattachant à qeisln
(esprit) (cf. iufra).
mandu- (= * mndhu) : Mantua, (qui réfléchit à, qui pense, etc.)
d'après M. d'Arbois de Jubainville, (cf. Holder s. v.).
C'est encore un cas d'assourdissement de l'explosive
après consonne.
maqali' (enfantin) de maqo- (fils) : Mapalia.
samo- (égal) suf. io- Samius (Samiarius ?).
suf. -aio- : Samaius.
suf. -ak-io : Samacia.
samalo' (égal, tranquille, cf. gr. ôjxaXdç) : Samilus.
sknto- (écaille) : suf. illo : Scantilla.
sero- (long) : suf. ano : Seranus, Seranna.
magôn- (grand) : Mago.
suf. -tano : Magontana.
suf. i-ano : Magonianus.
De la même racine est, sans doute, Magenus.
okro- (pointe) : suf. ato-io : Ocratia (la pointue? l'élevée?)
akro- (pointu, haut) d'où, sans doute, le dérivé :
* akri-dho (lat. acerbus, osk. acrid) : suf. on : Acerdo, (cf. Nieder-
mann. IF. X. 231)..
Pour le sens cf. le n. p. lat. Acidus 2353.
suf. illo- : Acirtilla.
{t pour d^ cf. s. V. longo-, dergo-, orget-^ etc.).
doklo- (frange, boucle de cheveux), suf. -on : Docilo (avec svara-
bhakti) (le petit bouclé ?).
korno- (corne), suf. ilio : Coronicum.
suf. ero : Coronerus.
Dans tous ces noms, il y a svarabhakti d'après la règle
ordinaire qui fait prendre à la voyelle épenthétique le
timbre de la voyelle adjacente, (comparez spécialement
Corovesqiim de krovo- cf. supra).
suf. ano : Cronanus.
Ici, il y a métathèse, phénomène fréquent dans le
groupe cens. -|- r -j- voy. ou cons. -|- r "i~ ^oy. (cf. Tir-
talicus, Tritalicus, Trocina, torko-, etc.).
16 l't MLSÉON.
lamho- (courbé^ : suf. avo-io : Camhavius.
suf. aro, etc. : Camharus, Camharicu{m) (gens),
— A la même racine îiam, se rapporte très probable*
ment le n. propre fréquent en Espagne : Garnira, qui est
une formation analogue aux mots latins : cannir (courbé)
(cf. gr. y.T.u.y.ooi. (voûte), av. kanmra (ceinture), et cam-
marus (homard, « animal recourbé »j). Le nom latin
Camur se trouve aussi en Espagne (4970. 114).
* mldn- (di'licat) : Maldua. L'ir. meld remonte à la forme forte :
meldo , mais le thème mldu est indo-européen comme le
prouvent skr. mrdu, gr. i'.p.aXS'j-vto, a. si. mladu.
manti- (= ninti) : (grandeur, quantité), Mantia (= grande V),
(cf. ir. mei, bret. nieTd, franc, maint.)
hiH-o- (indolent), suf. on : Lacon, Laco. (Simplification de con-
sonne double, cf. supra).
suf. -ino : Lacinus.
suf. -aro : Lacares.
Les élyniologies suivantes, dans le même ordre d'idée,
tout en offrant en plus dun cas assez de vraisemblance,
sont d une nature beaucoup plus hypothétique.
multv- (faible) suf. io : Muiius.
La chute de la gutturale, première de groupe se con-
state dans plusieurs cas, cf. supra s. v. ogno-.
Holder préfère rattacher ce nom à un thème, muto-
qui signifierait « voix r. Cette dérivation donne un sens
moins naturel.
sagro- (fort) : Sarus.
suf. aid-io-on : Saraucio.
Même remarque que ci-dessus.
Pour le suffixe cf. Al-auc-lus et peut-être Ahiquius.
ando- (aveugle), de là peut-être AndotuSy Andaitia.
hnnhl (branche, bâton) : suf. io, i^ (0 '■ Cancies.
suf. io-on : Cancio.
suf. dim. ilo : Cancilus.
Ces noms sont, probablement, des sobriquets : « droit
comme un bâton ».
I
♦
ÉLÉMENTS CELTIQUES. 17
Pour le sens, qu'on y compare le nom latin Scipio.
liJckâ (pierre), suf. ino : Licinus.
Ce nom, quoique fréquent en Italie, pourrait au moins
en certains cas avoir une origine celtique. Cf. Holder s. v.
suf. ir-no (?) Licirnus.
Pour le suffixe, cf. Zeuss. p. 827.
* qraisa- (gourmandise, a. ir. croes (gourmandise), craes (glouton-
nerie). Forme assez hypothétique, cf. Holder s. v. Frae-
stamarci.
suf. io : Presia, Prasius (= Praesius) (?).
suf. on do (cf. Letondo de leto, cf. supra) : Praesondo.
Ce nom se trouve dans une inscription barbare mal
déchiffrée (738).
meino- (petit) : Minatus. i pour ei est normal dans une forme
latinisée.
hodaro (sourd) : suf. on : Bodero (e pour « est embarassant. Serait-
ce une altération due au voisinage de IV, cas où e et a
alternent souvent dans les dialectes les plus divers Y)
Vadaro a peut-être la même origine. Quant à l'échange
de V et h (cf. Lat. Esp. Il, § 3.).
L'a dans la premièie syllabe pour o serait une assimi-
lation vocalique, (cf. Lat. Esp. I. § 17).
se.no- (vieux) suf. i-ano : Saeniane.
(Cf. le nom. gaul. Cantosenus, Senocarus).
superl. senotamo- (terme honorifique) : Slntamo CIL.
II, 738, 739 dans une inscription barbare (celtique ?).
kaleto- (dur) : Calaetus. Pour ac au lieu d'e dans ces deux noms
cf. Lat. Esp. I § 14.
(Cf. le n. gaul. Caletos, Vassocaletos).
arduo- (élevé) : Ardunnis (Cf. Ardiienna silva).
qenno- (tète) : suf. aro -\- io : Finareiis.
Pour le sens cf. lat. Capito, Cajnfatus. i pour e devant
n cf. Lat. Esp. I § 4.
tnh- (front). Pour le sens, cf. lat. Fronto, Frontonins. Ce mot se
retrouve peut-être dans Ja?/o(suf. io-on), Talavus et TaJe-
vus (suf. va), Tallicus (suf. ilio), Talantea (suf. ant-io) et
peut-être dans Talaharus Ç?"?).
(cf. n. gaul. Dumnotaîus, Acrotàlus).
18 LE MUSÉON.
mongO' (criaière) : Mancinus. — Cas fort douteux, anc pour ong
s'expliquerait ici comme dans Lancius vis-à-vis de longo-
(cf. supra).
♦ krukl, krouka, krokenno- (dos, bosse) sui. uto : Corocuta (=
bossu ?).
(cL garni. Pennocrucium (montagne) ir. croceim (dos),
cruach (bosse), etc.).
<p>îûmà (main) : suf. cno : Lamenus (à la forte main) (?) mais
peut-être ce nom est-il parent de Lama, Lamecum, Lami-
nium, noms de villes hispaniques, (ibériques ?)
cf. lat. palma, gr. TraXajxy) .
tnrkto (bigarré) : Martus. (chute de la gutturale devant consonne,
cf. supra).
D. Épithètes laudatives.
On sait combien sont fréquents chez les peuples les
plus divers les noms laudatifs et éclatants. Il sutlit de se
rappeller combien de noms germaniques renferment les
éléments liloth, berlit, adel, etc., combien de noms grecs
sont tirés des radicaux àpiTTo-, àyaOo-, cpav-, xa).o-, eu-, etc.
11 est donc normal de chercher aussi dans cette voie,
l'explication des noms des Barbares de l'Espagne d'après
les radicaux celtiques.
On trouve, tout d'abord, des dérivés évidemment celti-
ques du même radical igerm, * hliid) qui apparaît dans
Clovis, Clotaiî^e, Clodomir, etc. C'est :
klouto , kluto- (illustre « inclytus ») suf. io : Cloutius, Chtius.
suf. aio : Cloutaius.
superlatifs : Clutamus, Clutimo.
On a ensuite :
kaini- (beau, aimable) : Caenius.
suf. iko (dimm.) : Caenicus.
suf. on (?) : Caeno (i).
(1) Cf. le n. propre latin Caeso vis-à-vis de Caesitts.
ÉLÉMENTS CELTH,>UES. 19
suf. ko-ieno : Caeniclenus .
répétition du radical : Caenecaeni,
kadro- (distingué) : Cadarus (avec svarabhakti).
(cf. le n. gaul. Belatucadros). De la même racine kad
« se distinguer » que M. Whitley-Stokes retrouve dans
Cassivellaunus, etc., dérive probablement Cadus (thème
kado-?) et son diminutif Cadilla.
viro- (héros) suf. no : Vironus. Cf. Garofalo R. celt. XXI. p. 200
sqq.
(cf. les n. gaul. Viromanduos, Senoviros, etc.).
\ : Rectngenus (de noble naissance) et Retu-
rékiu- (droit, noble) / genus, même nom avec chute de la gutturale
~\- geno- (naissance) i première de groupe comme ci-dessus (s. v.
] sagro-, etc.).
niati- (bon) -|- -geno : Madicenus. d pour i intervocalique cf. Lat.
Esp. II § 1. -g pour c cf. ib. II § 9.
ouksamo- (très élevé, sublime) : Uxama, nom de personne dans
2907, 2854 et nom de ville dans les autres textes. La
même racine avec suffixe lo se trouve, sans doute, dans
le nom de ville gaulois : Uxellodunum.
(cf. F. Lot. dans Mel. Arbois Jub. p. 168, n. gaul. de
lieu : Oxima, Oxlsama).
dovi- (fort, bon) : suf. io : Doveus pour Dovius cf. Lat. Esp. I§ 5.
suf. de : Dovide.
suf. de-no : Dovidena.
suf. l-on : Dovilo.
suf. ro-on (ou ero) : Dovero.
suf. de-ro-on : Dovidero et avec chute de v après voyelle
labiale (cf. Lat. Esp. II § 2. B.) : Boidero, Doiderus.
Se rapportent vraisemblablement aussi à la même
racine rfow, dû (être fort) les noms suivants dérivés, sans
doute, de
? douta- (fort) (ou duto) : suf. lo : Doutius^ Dutius.
suf. aio : Dutaius.
suf. iko (diminutif) : Dotice,
bolo- (fort) suf. so -j- io : Bolosea,
20 LL MISÉO.N.
Pour le suffixe, qu'où couapare Caretosa (cf. infra) tiré
de karato-. De ahro-^ thème du même sens que holo- on
tire aussi Ahrosus (cf. Holder s. v.).
suf. -ano : Bolanus.
ahro- (fort) cf. got. abra-^ etc. (Holder. s. v.) suf. no : Ahrunus,
sans doute pour Abronus, nom qu'oQ retrouve à Mayence
et à Raveune (cf. Holder s. vv.).
avillo- (agréable) : suf. io : Avillius.
suf. iko (dimiu.) : AvelUcus [e pour ï cf. Lat. Esp. I § 3).
— Abilus (= Abillus pour Avillus avec b pour v inter-
vocalique cf. Lat. Esp. II § 3.) et son dérivé le génitif
ethnique Abliq(umJ et le nom de ville : Avila (?) se
rapportent peut-être mais beaucoup plus douteusement
à la même origine.
magîo- (noble) : suf. on : Magilo à moins que ce nom ne se rattache
à magulo (esclave) cf. infra.
meido- (gloire) -\- -ber : Meiduber (= qui porte la gloire ?) — :
Cf. le nom de ville de Meidu-briga CIL. 2. 760.
superlatif (?) : Medamus.
tonkeiS (fortune) : Tongeta, Toceta (chute de nasale Cf. Lat.
Esp. 11 § 10).
superlatif : Tongetanius .
tongi' (destinée, fortune) (i) : Tongius.
On trouve en outre en Espagne les noms géographiques
celtiques : Tongobriga (cf. gr. Ntx.aîa), Tongenabiacos^
qui d'après M. Leite de Vasconcellos serait tiré de tongo
-f- ind. eur. nabi (tleuve) cf. Navia, Nabis).
koiîâ (« omen »,) : Coela.
suf. io : Coelea, Quœlia. (Cf. pourtant supra s. v. koilo).
suf. i-ano : Coelianus.
— Les noms propres Caelius, Caelaon^ Caelicus^ Cae-
lioniga sont difficilement assimilables à ceux-ci malgré
leur grande parenté de forme, à cause de la différence des
diphtongues. 11 est impossible de leur trouver pourtant un
(1) D'après M. d'Arbois de Jubainville reproduit par M. Holder, Alt. Spr.
s. V. Tongius.
ÉLÉMENTS CELTIQUES. 21
autre substrat celtique satisfaisant et d'autre part, l'emploi
du suffixe -icus (dimin.) et la présence du nom de ville
celtique : CaUobriga ne permet guère de douter que l'on
ait affaire à des dérivés d'un mot celtique IcaUo-. Serait-ce
une forme parallèle de Jcoilà, le vocalisme des mots de
cette famille étant encore assez mal connu ? D'une part
ce vocalisme semble indiquer un àblaut : ei, oi fgot.
hails, gr. /.o^au = to -/.oCkov. Hés., a. si. re/e (complet), de
l'autre il montre la diphtongue ai, cf. lat. caelebs, parent
de lett. Jcails, skr. kevala- (propre, seul, entier). — Le
nom Caela-on tiré d'un thème Jcailà suggère surtout le
rapprochement avec Jcoilà, au point qu'on se demande si
ai pour oi n'est pas ici une variante dialectale.
kelto-, keltâ-. De nombreuses étymologies ont été proposées de ce
nom. Elles sont rassemblées dans Holder p. 88*^. La plus
probable est celle de Gliick qui rapproche Jceltà du lat.
cel-suSj lith. kelta, (élevé).
Ce nom est usité comme nom de peuple avec le suffixe
iko pour une tribu du sud de la Lusitanie, les Céltici.
Le simple Celti, désigne une localité près d'Hispalis,
l'ancienne Séville.
On a, en outre, en Espagne l'ethnique : Celtigun,
forme populaire pour Celtiqum et le nom de personne
Celtius (trois fois) ainsi que ses dérivés Celtitanus (une
fois), Celtica (une fois), sans parler de Celiiher, usité
parfois aussi comme nom de personne.
sunno- (brillant) : Sunna.
suf. lia : Sunua.
akro- {élevé) d'oii le nom gaulois : Acrotalos (au front haut) se
retrouve, avec le radical semon- (héros) dans Acrosminus,
nom d'un évêque de Bejiastrum (Espagne). IHC. 406.
vesu- (digne) (d'où les n. gaul. Bellovesus, Sigovesus, Visurix).
suf. alo : Visalus. {i pour e, cf. Lat. Esp. I § 4 D. et
comparez le n. gaul. Visurix de vesu).
Comme rapprochements plus hypothétiques, dans le
même ordre de significations, on peut indiquer encore les
suivants :
22 LE MUSftON.
JcounO' (beau) suf. ido-ko : Couneidoqum (ethnique).
suf. i-anko : Couneancus. (e pour i en hiatus, cf. Lat.
Esp. I § 5).
vello- (meilleur) suf. — no -{- io : Velaunls = Vellau-nius.
vellavo- (id.) (Cf. Leite de Vascoucellos. Rev. Celt. XXI. 3.
p. 308.) Cf. gaul. Cassivellaunus, Vellmmodunum. (is
pour lus cf. supra s. v. maglo-).
-\- suf. -iko : Vellicus, Bellicus. h pour v cf. Lat. Esp. II § 3.
-f- préfixe celtique : endo- (i) Endovellicus (nona d'une
divinité lusitanienne. — On trouve aussi Antuhellicus
qu'il faut peut-être identifier avec ce nom (?)
mati' (bon) : Outre Madicenus cf. supra, ou a peut-être avec suf.
is -\- io : Matisius.
togi- (agréable) : Togins. — Qu'on compare les noms gaulois :
Togimarus, Togirlx, Togisonus (au son agréable) etc.
meido- (gloire) : Outre Melduber et Medamus (cf. supra), on a
peut-être :
-f- suf. iko : Medicus 4975 (ce n'est pas le mot latin).
-|- suf. ano -\- iko : Medanica.
-f- suf. iko -f- io -j- avo (?) : Mediceavus.
e pour ei comme i pour ei est une réduction normale
de la diphtonge ci dans une forme latinisée.
loH-, lovo- (lumière) : (gaël. goleu = lucidus — Cf. gaul. Lovocatus
« brillant au combat »).
superl. : Loutamus.
suf. eso : Lovessus, Lobessus. {h pour v cf. Lat. Esp. II
§ 3). suf. es-io : Lovesius.
[/louk (briller) : cf. lat. luccre.
suf. erno : Logirnus. — Cf. ir. locharn, cf. lat. lucerna,
corn, lugarn, (lumière, lampe).
Les noms Logas, Logias, Logius se rapportent- ils à la
même racine ?
suf. io : Loucius.
suf. ino : Loucinus.
suf. (u)mo (?) -on : Lucumo.
(1) and ou ande, cf. le n. gaul. Andehremos, Anderetom.
ÉLÉMENTS CELTIQUES. 25
Qu'on compare à ces trois noms les substrats * ïouko-
(blanc), luko- (clair), etc.
suf. eso -j- io : Lovesius.
Rac. dék d'où l'irl. dech (optimus), et qui se retrouve dans le latin
decus, doces, gr. SéxopLat, Sox.ip.oc.
Cette racine se trouve peut-être à la base des nombreux
noms en doc- : Docquirlcus, Doccius, qui se rencontrent
souvent en Espagne et sont certainement d'origine celti-
que car ils se retrouvent dans tout l'Ouest de l'Europe
(Doccàlus, Bocco, Docius, etc. cf. Holder, s. vv.)
qeislô (iateWigere) d'où l'irl. cm/Z (intelligence), cymr. proyell, corn.
gobuUoc (insensé), raoy. bret. pollot (esprit) se retrouve
peut-être (cf. Holder, s. v.) dans les noms ci-joints :
PeUus.
suf. io : Fellius.
suf. ieio : Pellieius.
suf. iko : Pellieus.
Rac. arg qui se retrouve dans Arguna, Argentia, etc. cf. Holder,
s V. ou org (briller) existe peut-être avec divers suflSxes
dans Argaelo, Argilicus (dérivés d'un adjectif argelo
(brillant) (?) et Argemonica ('•').
dago- (bon) : (cf. les n. gaul. Dagodubnus, Bitudaga, etc).
suf. anJc -\- io (?) Dagencium ethnique. — Rapproche-
ment fort douteux.
E. ÉpITHÈTES GUERKIÈUES.
Parmi les épithèles élogieuses, on pouvait présumer
que chez un peuple aussi guerrier que l'étaient les Celtes,
celles se rapportant aux choses de la guerre devaient être
particulièrement nombreuses. De fait, on peut en retrouver
une assez grande quantité dans les noms propres de
l'Espagne :
Kamulo- (Dieu de la guerre) : (cf. Wbitley Stokes et Bezzenberger,
p. 70). On en dérive les noms gaulois : Camulorix,
Camulognata,
24
LK MISKON,
Ce nom se retrouve, sans doute, aussi dans : Camalus,
nom extrêmement fréquent en Espagne.
a pour û est une simple assimilation vocalique à
Va tonique comme il s'en est produit fréquemment en
Espagne : Cf. Lat. Esp. I § 17.
— Camalus pourrait aussi être interprété comme signi-
fiant « esclave, serviteur » de même que kamulà (d'où
l'irl. cumal) signifiait « servante » en celtique. Ce nom
serait alors le même que le latin CamiUns.
katu- (combat) -{- rig (commandant) : Caturis forme identique au
nom gaulois Caiurix mais avec chute de la gutturale,
première de groupe, phénomène constaté déjà plusieurs
fois (cf. supra s. v. relia-, etc.).
— Du même radical kafu-, dérivent vraisemblablement
aussi les noms suivants qui devaient, sans doute, avoir la
signification du celte kntarnos (brave).
suf. ro -\- iho : Caturicus.
suf. ro -j- on : Caturo.
suf. eno : Catuenus.
bondi- (victoire) (ou houdo- cf. le n. de ville gaulois Botidohriya) :
Bontins. Ce nom est bien connu en Gaule sous la forme
Boudius (= houdi-ijo « victorieux »). Il est impossible de
séparer ces deux noms. Le t du nom espagnol n'est pas
un cas absolument isolé (cf. Lat. Esp. II, § 9, et supra
s. V. Madicenus) (i).
D'autres dérivés espagnols de houdi ont un d :
suf. ko : Boddegun, forme vulgaire d'un génitif ethnique
pour Bodiqum ou Boudiqtim, Qu'on compare le gaulois
Boiidikos.
suf. ko -\- io : Bodrcius (= Boudi-cius ?)
suf. no ou enno : Boudenna.
suf. ko ou ikko : Boudicca. Cf. le n. gaul. Boudicca.
suf. (e)ro-on : Bodero.
suf. on (?) : Bodon.
(1) Il est digne de i-emaniue que o'est inie tendance bien ni;u*(iuéc dans
l'histoire de l'espagnol de prommcer dos explosives sourdes après les
diphtongues.
I
ÉLÉME^'TS CELTIQUES. 25
M OU 0 pour ou sont des réductions naturelles de la
diphtongue ou dans les transcriptions latines.
— Quelques-uns de ces noms doivent peut-être être
rapprochés du radical hôdio qu'on trouve dans les noms
gaulois Bodiocasses, bret. Butgtioret, etc., et qui signifie
« jaune, bai ».
gallois tangi- (paix) : (d'un substrat tanlîo- d'après M. Holder (Vj)
suf. no : Tanginus, Tancinus.
Pour l'hésitation entre g et c surtout après «, cf.
supra s. V. longo.
Il faut comparer à Tancinus pour le sens les nombreux
noms germaniques où se trouve le radical de l'allemand
Friede : Frédéric, Godefroid, Alfred, 6'igefroid, etc. et
pour la forme et le sens : Tancrih (cf. Holder s. v. tanko).
sego- (victoire, force) -|- rac. ved (cjaduire) : Secovesos pour
Segovessos avec 55 pour d comme dans Cassivellaunus
de la rac. kad (cf. supra s. v. kadro). Quant à c pour g,
cf. supra s. v. Madicenus, etc.
Le génitif Segovetis se rapporte, certes, à une autre
forme de ce même nom.
Du même radical on a enore :
suf. eio : Segeius.
suf. ianio : Segeamus.
suf. on : Sego.
suf. ilo : Segilus.
suf. l-io : Segolia.
suf. nt-io : Sngontius et le nom de ville Segontia d'où est
issu l'ethnique Segossoqum pour Segontioqiun.
suf. -eno : Secemis. c pour g comme supra dans Secovesos.
suf. ero : Sigerus — i pour e protonique cf. Lat.
Esp. I, § 4. D.
— Ce radical sego- se trouve encore dans divers noms
de ville de l'Espagne, outre Segontia, par exemple dans
Segohriga, (= Siegburg), Segisamo.
Tous ces noms propres tirés du radical sego- rappel-
lent les nombreux noms germaniques tels que Siegfried,
Siegelinde, etc.
26 LE MlSÉOiN.
, , , ., s f Picfeïanceus, composé possessif = « à la
-f lanl-ea (lance) ;
x lui le iciijut! n .
(cf. supra s. V. longo-) ]
Le second q a perdu l'élément labial, sans doute, à
cause de sa position de première de groupe (cf. lat.
quoique : quincius). A comparer qeqto < inJdo, à qerqà
< perlca (cf. supra) ^ on pourrait aussi croire à une sorte
de dissimilation (cf. lat. quinque < romain cinque).
Quelques-uns des noms cités dans la subdivision D
pourraient aussi bien figurer ici car ils expriment une
gloire qui devait être essentiellement militaire, tels sont,
par exemple : Vironus, Meiduher, Medatnus, Acrosminus
et les dérivés de tongi-, tonketd; kelto-.
D'un caractère plus douteux mais dignes encore d'être
mentionnées sont les dérivations suivantes se rapportant
toujours aux choses de la guerre :
kesti- (lance) : (de la même racine que lat. Castro, skr. castra)
se trouve peut-être dans Cestius, Cestinus, Cestus, qui
seraient des formations tout à fait similaires à Colgius.
colg (épée) (cf. infra).
gaiso- (trait) : d'où les noms celtiques : Cralsorias, Gaisorix, Gaiso,
Gaesatus, etc.
suf. aro : Caisaros.
Ce nom est extrêmement commun en Espagne où
il apparaît toujours pour designer des Barbares. Il se
décline comme un thème en o. Dès lors, faut-il admettre
que ce soit une forme barbare du nom latin Caesar
répandue parmi les indigènes, ou bieu, se rappelant que
le suffixe aro est fréquent dans les noms propres celtiques
de la péninsule hispanique et que les indigènes de ce
pays avaient une affection particulière pour la lance et
aimaient à rappeler dans leurs noms leur arme favorite
(cf. ci-dessus Fictelaticeus et les dérivés de kcsti-), ne
vaut-il pas mieux regarder Caisaros comme uq dérivé de
gaiso- V Lcg pour c n'est pas une difficulté insurmontable
ÉLÉMENTS CELTIQUES. 27
puisqu'on a plusieurs exemples de ce phénomène (cf. Lat.
Esp. II, § 6 et supra les explications de Madicenus,
Loncohricensis, etc.), et que dans ce cas-ci une contami-
nation avec Caesar était fatale. L'étymologie populaire
a produit inversement Gallaeci pour Callaeci sous
l'influence de Gallus.
De Caisaros, on a aussi le dérivé Caesardta, qui est
sans doute, pour Caesaria (suffixe io, ia fréquent) puisque
di et * se confondirent dès l'époque impériale (Cf. Lat.
Esp. II).
lankia (lance) : Lancius, Lanciqum, cf. supra.
Jcobo' (victoire). De ce mot de sens analogue au radical si fécond
sego- (cf. ci-dessus) oq tire le nom gaulois Cobnertus.
Je serai assez disposé à y rapporter l'ethnique espagnol :
Comenesciqum qui serait un composé de koho -{- naskd
(je lie) et dont le sens aurait pu être : « qui lie, engage ou
promet la victoire » (V). (Cf. irl. arnascim = je promets).
On a vu plus haut divers composés de ce genre (Segovesos,
Caturix^ etc.) Comenesciqum serait évidemment issu de
Comnesciqum par un phénomène très régulier de svara-
bhakti oîi la voyelle épenthétique prend le timbre de la
tonique voisine, processus que nous avons constaté bien
des fois. Quant à la réduction du groupe labiale -{- n
à mn, c'est un phénomène phonétique assez fréquent
(qu'on compare, par exemple, le latin Samnium pour
Sabnium, somnus pour sopnus, etc.). Le radical celtique
obno- (crainte) donne de même à côté de Exobnus, les
noms Exomnus et l'a. irl. oman (crainte) où il y a même
svarabhakti.
rad. org (tuer). De ce radical, dérive l'anc. bret. orgiat « caesor ».
On en tire le nom gaulois Orgetorix. Peut-être bien
faut-il y rattacher le nom Orgeteius porté par un légion-
naire espagnol de l'Illyricum (CIL. III. 5191) et qu'on
trouve en Espagne même sous la forme Orecetus pour
Orgetus avec svarablialiti comme ci-dessus et c pour g
comme dans Madicenus, Loncobricenses, Tanclnus, etc.,
cf. supra. Le sens serait analogue à celui du latin Caesar
qu'on dérive généralement de caedere.
28 LE MISÉON.
rad. kél-Cayd (frapper). De cette racine dérive l'ancien irlandais :
ceUtach (guerre).
Peut-être se retrou ve-t-elle dans le nom espagnol Cela-
dus, dont le sens alors se rapproche de Orgeteius et de
Caturo.
irl. colg. (épée). C'est au substrat de ce mot que M. Holder rap-
porte le nom barbare Colgius^ Colins.
On en a en Espagne le dérivé Coliacini. — On sait que
i pour gi est fréquent à l'époque impériale (cf. Lat.
Esp. II §\).
feodfâ, hodvo (combat). (Ce radical se trouve dans Boduagnatus
Ateboduus et autres noms gaulois) : Bodives.
Le suffixe est-il -io et Bodives est-il pour Bodvius <
Bodvis (cf. supra s. v. niaglo. i serait ici épenthétique).
Jcarhito- (char, char de guerre (?) d'où le n. de lieu gaulois Car-
j;)entoracte (Carpentras), l'ir. carpat (chariot), etc.)
suf. io : Carpetius (Formation analogue à Cestius, Col-
gius, Loncius, etc.
suf. ano : Carpefatius (a. d'une tribu hispanique). L'explo-
sive sonore après consonne a fait place à la sourde cor-
respondante comme dans de nombreux exemples (cf. s. v.
dergo-, longo-, acerdho-, etc.). Il en est de même dans les
dérivés erso-cymriques de cette souche.
F. ÉPITHÈTES d'amitié.
Il n'y a guère de peuples, chez qui l'on ne trouve pas
en assez grand nombre les noms exprimant laffection.
Nombreux sont, par exemple, les Romains dénommés
Carus, Amatus, Amandtis, Amoenus, etc.
Ce genre de noms ne manquait pas non plus parmi les
Barbares de l'ancienne Espagne :
koimo- (cher) suf. io : Coemea, Quemea, Comea {ea pour ia cf. Lat.
Esp. I § 5).
karanto- (cher) suf. on : Garante. (Cf. le n. gaul. Carantomagos j
Carantus).
ÉLÉMENTS CELTIQUES. 29
haro- (cher) : Garus (aussi souvent celtique que latin).
suf. i-on : Cario.
suf. dimin. iko : Caricus, Careca.
suf. dimin. ilo : Carïla.
suf. i-ano : Carianus.
suf. is-io : Carisius.
Jcarato- (aimable) suf. oso : Caretosa.
Pour le suffixe, cf. Bolosea de &oZo- (fort) — e pour a est,
sans doute, une dissimilation.
Tceilyo- (ami, compagnon) : Cilius, Cilea (ea pour ia cf. Lat. Esp.
I§5).
suf. ko : Cilieus.
suf. wo : Cilinus.
Comme ces noms sont confinés en Lusitanic, plusieurs
auteurs les regardent comme ibériques. 11 est à remar-
quer pourtant qu'on les trouve souvent mêlés aux noms
évidemment celtiques qu'on rencontre très nombreux
dans cette province.
G. Noms de parenté et « Lallwôrter ».
Encore une catégorie de noms particulièrement féconde
dans les diverses familles linguistiques. Les Italiotes
avaient dans ce genre : Althis, Ammiiis, Avius, tirés de
radicaux qui se trouvent également dans les langues
celtiques et dans bien d'autres familles de langues, du
reste (cf. Zimmermann Bez. B. XXIII, p. 266 sq.), parce
qu'ils sont empruntés au langage des enfants, lequel est le
même partout.
Voici les noms qui en Espagne sont formés au moyen
de radicaux de ce genre sans qu'on puisse toujours dire
s'ils sont vraiment celtiques :
attio- \
^ I (père, nourricier) : Attius (aussi italique), Atta. cf. gr.
., \ àTTa, got. atta, etc. lat. n. p. Attus, Attius^ etc.
30 LE MISÉON.
suf. on : Attio.
suf. ua : Atlua (cf. infra : Annua).
suf. ro-on : Atturo.
suf. nrt : Attuna.
suf. diminutif : /^^)a : Attifa,
anna (inère, taute, sœur, etc.) : Anna Lalla (doublement « Lall-
wort n) Anne, Anna (cf. lat. anus, Anna, Peremia, An-
naeuSy Annidliis, etc.
suf. io, i-on, i-ano : Anius, Annius, Anio, Annianus
(latin ?).
suf. eio : Anneins.
suf. ano, eno, ino : Ananus, Anenus, Aninus, Aninna,
Anninius.
suf. ua : Annua (cf. supra : Attua).
suf. oca : ^wnoca.
suf. iko (diminutif) \ -\- lllo : AniciUa.
{ -\-io : Anicius.
nanna (id.) : Nanna.
allô- (autre " Lallwort ») : Allus, Alla.
suf. ono : Allonus.
suf. w, w« ; Allius, Allio.
lallo- (id.) cf. lat. lallare, lallus.
Lalla, Lalus, Laie. Ces noms sont fréquents dans tous
les pays celtiques.
akka (mère) : cf. skr. akkâ, gr. 'A^x-w n. pr. lat. Accius, etc.
Acca (n. d. femme) Accès (homme).
suf. on : Acco (n. d'homme et de femme).
suf. io : Accia (lat. ?).
suf. iko (gentilice) : Acciq{iim), A cceicum(<\\i' on compare
pourtant les noms de villes (ibériques ?) : Acci, Accinipo).
ahba (père, etc.) suf. oko : Abboiocum (gens) (?).
ammâ (mère, grand'mère) suf. io : Atnmius (aussi italique).
suf. on : Ammo.
suf. ino : Amminus, Ammoinius 5812.
suf. ira (?) : Ammira.
suf. dimin. iko : Animica.
suf. ino — suf. gentil, iko : Aminicum, Amaonicum (?).
ÉLÉMENTS CELTIQUES. 31
avo- (aieul, oncle, etc.) cf. 1. avus, got. awô (aieule), et en celtique :
ir. aue ('ne pas,), cymr. ewythr (oncle).
Avvus.
suf. io : Ahia.
suf. ano : Avana^ Ahana.
suf. i-eno : Avienus, Abienus.
suf. lo-no : Abionnus.
suf. ? : Avopate (?).
mammâ (mère) : suf. to : Mammatus.
suf. ? : Mamercus (?).
Beaucoup plus douteux sont les suivants :
suJcnô (tèter) : suf. ino : Sucninus (= nourisson ?).
melgo- (lait) : suf. aiJco (?) : Melgaecus (même signification ?).
H. Nombres ordinaux.
On sait combien ce genre de noms était familier aux
Romains : Primus, PrinnUa, Secundus, Tertius, Quintus,
Sexhis, Septimus, Oclaviis, etc. figurent parmi leurs
dénominations les plus communes. Ce genre de noms
remonte, sans doute, originairement à l'usage de désigner
les enfants selon leur ordre de naissance. Il y avait lieu
de se demander si quelque trace d'un usage analogue
pourrait se découvrir chez les Celtes d'Espagne. De fait
plusieurs nombres ordinaux celtiques se retrouvent dans
les noms indigènes de cette péninsule, les uns très claire-
ment, les autres avec une certaine vraisemblance.
qennotamo- : (« primus » — signifiant aussi « princeps ») (super-
latif de qenno- (tète)).
Pintamiis. Ce rapprochement est évident. * pour ê
devant la nasale est un phénomène bien connu, (cf. le
nom Pintareus tiré aussi de qenno. (tête) cf. Lat. Esp.
I§4,C.
tritiyo- (troisième) : (Autre forme * trito- ? cf. gr. xpixoç).
52 '^^ MIJS|5;0N.
Tritius, Triteus, Trites (eus pour ius cf. Lat. Esp.
I§5).
suf. aio : Tritaius.
suf. a{l)lo : Tridalla. d pour t intervocalique cf. Lat.
Esp. II § 1.
suf. a{l)lo -j- ilco : Tritalicus, Trifalicum (ethnique),
Tirtalico.
qenq{e)to- (cinquième) suf. io : Fenfius (cf. lat. Quintius).
suf. aio : Fentaius (cf. supra Triiaius à côté de Triiius).
suf. i?/ : Feniilis (cf. lat. Quitictilis).
suf. y-io : Pentovius (cf. supra Petravio ?).
Tous ces noms remontent non à qcnqeto substrat des
nombres ordinaux britanniques mais bien à qcnqto- (i),
forme analogue au latin quinctus et devenue qento par
chute de la gutturale. Cette disparition de la gutturale
devant consonne est un phénomène très fréquent dans
les noms celtiques de l'Espagne comme on a pu le con-
stater plusieurs fois (cf. sv. reJdu-, emhi-akto, sagro,
imihfo-, etc.). Du reste, la gutturale étant ici entre deux
consonnes avait une chance de plus de tomber comme
cela s'est produit aussi en latin : quintus pour quinctus.
Les autres noms de nombres ne se retrouvent pas aussi
clairement.
allô- (l'autre, le second) cf. ir. aile, indaile (second), gall. eil.
Allias, jillo (V) mais peut-être sont-ce des « Lallwor-
ter » cf. supra.
qetveres, qetosres (quatre) n'a pas de dérivés évidents (cf. gaul.
petor dans pctorreium = char à quatre roues).
On trouve Fctravio sur une inscription lusitanienne
d'interprétation difficile (CIL. 2. 410. MLI. LVII) qui,
comparé à Fcniovio (de qeuqe = cinq V), paraît remonter
en quelque sorte à qetveres avec un suffixe avo, ovo.
(1) On a vu do même, ci dessus Pintamus remontera qentamo pour
qennotamo.
ÉLÉMEiNTS CKLTIQL'ES. OO
qenqe (cinq) (gaul. pempe = cinq). Outre les divers dérivés de
qcnq(e)io ci-dessus énuQiéiés, on se demaude si [a. gens
des Pemheli ne conserverait pas une autre forme d'ordi-
nal dérivé de pempc fscu pemhe ?j pour qemie au moyen
du suffixe ili qui se retrouve dans Fcntilis, quinctilis.
Inutile de dire que ces derniers rapprochements avec
qetvcres et qenqe ne sont donnés qu'à litre documentaire.
I. Noms tirés de l'état social.
Il s'agit de noms analogues aux noms l'oinains fréquents
Servitis, Lihertus, etc. ou de noms de professions comme
Fabcr et dans nos langues Lc/rrrc, Charpentier, Mercier,
Marchand, Smith, Schuhmacher, etc.
On ne trouve en Espagne, dans cet ordre de signitica-
tion, que peu de noms indigènes dont la dérivation soit
claire.
Le plus répandu et le plus évidemment celtique est :
embl-
mbi
-{- akto- ? (= iu/il -\- y-v-xôc, (= captif, esclave) ir, amaeth
(servus arans). Le germ. amhacht serait aussi emprunté
au celtique). De là
Anihatus pour Amhactus par suite de la chute si
fréquente de la gutturale, devant consonne (cf. supra).
Les grammairiens romains rapportent que « ambactus,
apud, Ennium, liugua, gallica servus, appellatur. «
•A côté d'Amhatus, forme très fréquente, on trouve
Amhadns où le t intervocalique est devenu sonore d'après
un processus bien connu (Lat. Esp. II § 1).
On peut encore citer :
kaklyo- (Fick) (serviteur) cf. lat. cacula (soldat auxiliaire) :
suf. on : Cacalo- Fick pose le substrat kaklyo en s'ap-
puyant sur Tir. cele^ mais ce mot est évidemment composé
de kakla (cf. lat. cacula) -{- le suffixe io. L'existence du
3
34 LE Ml'SÊON.
simple kakla en ancien celtique est présumable et permet
de rendre aisément compte du nom propre Cacalo avec
épenthèse pour kaUo{n).
Imagulo- (esclave) suf. ion : Magulio.
\mogulo- suf. io : Mugilis (Mogilius).
*magio- -\- geno- (fils d'esclavej : Maigenus — Je pose le substrat
Ma(gjio-geno d'après le nom suivant fréquent : Magius
à côié duquel on trouve Maius comme on a Maiusa :
Magiusa (tlolder s. v.).
magu-, mogu- (serviteur) : (Cf. les n. gaulois Rotomagus, irl.
Dairmagh, Findmag, etc.).
suf. io : Magius.
suf. eno : Magenus (i).
-|- préfixe emhi (cf. Ambatus) : Ambimogiclus.
I suffixe ido.
reâo = conduire un char 4- préf. emhi < i, • j
^ : Ambiroaacus.
rotâ = char, roue suf. ako
Ce nom signifie « conducteur de char r, ou peut-être
simplement « auxiliaire, serviteur » comme le grec £7:ip:o6oç
qui paraît se rapporter à la même racine (cf. skr. rathas).
skotto- (propriétaire, chef) : Scotus.
toutCi (peuple) suf. ono : Toutoni (génitif ?).
On a aussi le rad. teuto-, cf. les noms gaulois Teuto-
maros, Teutiorix, Teutomatos.
suf. io : Tauiius ('?).
suf. io : Toutati. Ces noms probablement d'origine hispa-
nique se trouvent dans CIL. 3. .5320, 7819.
Comme simples suggestions, on peut signaler la possi-
bilité d'une parenté entre :
qero (j'achète) (d'où irl. go-hr (marchandise) et Copirus, Co-po-
rus (2) qui signifierait « marchand » ou plutôt « acheté,
esclave ».
(1) Mainna se rapporte-til à la même racine ? On trouve dans les régions
celtiques de l'Kurope : Main me lus, Maïu-rus, Maiu-sus qui indiquent
un thème main dont lidentiticalion avec magu est difficile.
(2) Cf. aussi le radie, celliq. kobro- des noms gaulois : Dubrodunum,
Vernodubrum et coveri (juste, vrai).
ÉLÉMENTS CELTIQUES. 55
vcito- (poésie, poète) et Vatinons, Vatro (?) (barde ?) (cf. irl. faith
= poète).
Les noms Arentero, Aranto, Aranditonl semblent tirés au
moyen du suffixe celtique fréquent -ant- (Zeuss. p. 798) d'une
racine qui peut être soit era, ra (ramer, travailler — cf. ir. ara(d)
(servante), soit ar (labourer). Ils signifieraient donc « laboureur »
ou « domestique ».
J. Noms de plantes ou d'arbres.
L'idée de dénommer des individus d'après des végétaux
peut paraître extraordinaire. Elle semble cependant avoir
eu quelque faveur à Rome où Fabius, Cicero, Senecio,
Piso, Laurmtius, etc. ont été maintes fois rapprochés de
faba, cicer, senecio, pisiim, laurus, etc., étymologies dont
quelques-unes sont certes discutables mais dont plusieurs
ne paraissent guère contestables. En Espagne où les noms
d'animaux sont si largement représentés, on pouvait se
demander s'il en serait de même des noms de végétaux
et, de fait, une demie douzaine de noms propres s'expli-
quent très bien par des noms celtiques de plantes, si bien
qu'on doit trouver assez raisonnable étant donné leur
nombre d'admettre ce genre d'étymologie végétale.
ehuro- (if) suf. anko-on : Eburanco.
suf: ino : Eburinus.
Plus douteux est Ebarus (IL 751).
Ce radical ébur est bien connu de tous ceux qui s'occu-
pent de toponymie. On le retrouve dans les noms de lieu
de presque toute l'Europe centrale et occidentale, ce qui
prouve comme le remarque M. )^no\>s (Waldbaume und
Kulturi' flan zen des deufschen Altcrtums) qije cet arbre
devenu assez rare aujourd'hui à l'état imligène dans ces
régions y était jadis bpaucoup plus répandu. Il paraît
avoir joué un rôle assez impurtant dans l'industrie des
anciennes peuplades de l'Europe,
36 l,K MISKON.
leima (tilleul), suf. mo : Lima (?) Limenhis.
suf. vo : Lerndvi (geus).
lemo^ limo (orme, cf. lat. ulmus) suf. iko : Limici (gens) cf. Limica,
localité de l'Espagne.
Le tilleul est aussi un arbre qui a attiré très tôt l'atten-
tion des peuples européens. Son nom ligure très largement
dans la toponymie.
dragino- (épine, prunellier) : Draganum (gens).
(assimilation vocalique ordinaire).
luhi- (herbe médicinale) : Lidianus. A moins que ce nom ne soit
le n. lat. Lupianus.
seano- (nom de plante de signification mal déterminée) : Seanicum
(gens).
Ihssu (herbe) suf. io (?) Liisi gen.
suf. on : Lnsones (tribu celtibère).
hetu-a ( ,, , , „ Betou-na.
, , T \ (bouleau) suf. no : -r. .
betu-la ( Beau-nus.
d pour t intervocalique (cf. Lat. Esp. L § 1).
cf. ir. hethe (buis), ogm. hedw (bouleau), a. br, bedun ;
corn, hedewen (peuplier).
suf. no -\- il-Q : Betunica. Plus douteux sont Bedo, Bedo-
nicsis, etc.
corn, les (herbe) (?) : suf. alo : Lesala (?)
suf. on : Lesson (?).
ahall 0- ([^omme) I . .., . ..^
, ,,_ , . cf. Abiomus (?)
aballon (verger) \
fanion (tronc) suf. iJco : Tamnicum (gens).
messu (gland) suf. iko : J^Lesicum (gens).
beru (épine, rejeter) suf. iso : Beriso. Ce nom s'interprète mieux
comme venant de berso (court) cf. supra.
On remarquera que tandis que les noms d'animaux désignent
généralement des individus (i), les noms de plantes s'appliquent
presque toujours à des clans. Ceux-ci étaient-ils dénommés d'après
des noms de villages auxquels s'appliqueraient proprement les noms
(1) Quelques-uns cependant s'appliquent à des gentes : Eturicum, Tw-
galiiim (?), Urcico, Crovii, etc.
ÉLÉMEiNTS CELTIQUES. 37
d'arbres ou bien les plantes auraient-elles été des insignes de clan ?
On trouve aussi en Gaule des noms de plantes, fruits ou arbres tels
que Aballo (de ahallo- pomme) Ehurones, Ehuracus (de ehuro- if)
Betuvius, Betuus, et (de bctuà- (bouleau)), les Lemovices, etc.
K. Noms divers.
Les catégories qui viennent d'être distinguées parmi
les noms barbares d'Espagne n'épuisent pas absolument
le nombre de ceux d'entre eux qui peuvent s'interpréter
par des radicaux celtiques. Voici encore quelques rappro-
chements se rapportant à des significations diverses.
toranno- (tonnerre) : Turennus.
suf. 10 : Turannica.
Ogmio-, Ogmo- (L'Hercule gaulois) — Ce nom se retrouve proba-
blement dans Ocmugilis.
desso : (dieu) suf. iho : Dessica (gens).
suf. onko : Desonci.
melit- (miel) : Meltie, Melete.
suf. on : Meleton.
suf. ino : Melitine.
medu- (hydromel) : suf, i-ano : Meduianus.
ir. a55a (sandale) ; (pour <j;>a<^>5a,cf. gr. 7rà^,lat.&a:î;ea,etc.).
suf. ato • Axati (tribu de Bétique près des Celti et à'Arva,
autres noms celtiques).
f= les gens chaussés de la sandale gauloise (?)). De
même avec chute de la gutturale le nom de personne :
Assatus, Assata. A ces noms il faut peut-être joindre :
suf. alo -\- iko : Assalica.
suf. aro-\- àko : Assaracus.
i. e. V^quet d'où latin : colo, inquilinus, av. caraiti (versatur)
caràwa (champ), etc. Cette racine qui signifie « tourner »
tendait donc déjà en indo-européen vers le sens d' « habi-
ter „ et même de « cultiver » .
58 LE MISÉON.
suf. endo : PcJendones, peuplade celtibère. (Etymol. de
M. d'Arbois de Jubainville), Fhndus.
suf. ando (variaute du précédent) 4- -iko- (dimiautifj :
riandica (id) -|- ido- : Plandida. — Une variante de pel-
end-, pal-and c'est, sans doute, le nom de ville : Fallen-
iia ou PaUantia. (assourdissement, cf. supra) Le mysté-
rieux nom Palarus viendrait-il de la même racine avec
le suffixe bien connu -nro y Les variantes en pal et pel
sont peut-être attribuables à Vahlnut.
lero- (mer) : suf. (mlo : Lcranqum (gens).
Ce nom est sans doute, pour le sens équivalent d'^r-
morici « habitant près de la mer ».
Une origine celtique est possible, en outre, bien que
beaucoup plus douteuse pour quehjues auties noms qu'on
peut conipai'er aux radicaux celti(|ues suivants :
veido- (sauvage) : suf. aio : Vedais pour Vedaius (i)
Qu'on compare les surnoms latins Ferox^ Férus, Rudis,
etc.
rac. deng (être fort), d'où dangeno- (fort) : suf. to : Dancetus.
c pour g après n se constate plusieurs fois (cf. supra
s. V. iangi-, longo-, dergo-, etc.)
varto- (habit) : suf. h (diminutif?) : Varduli (?).
L'alternance entre cons. -f- / et cons. -f- d est un peu
extraordinaire, mais se retrouve peut-être dans : Endo-
vellicus : Antuhellicus (?).
Sont, probablement, encore celtiques bien que l'étymo-
logie en soit incertaine, les noms suivants :
. ( Il faut y comparer le nom des Betasii, peuplade
JBataesius \ , , .r, r,orx ti • i ^ • •
_ { belee, (Zeuss. p. 785). — Il y a simplement ici assimi-
Batasius , , ' y a v ^ v , ■
[ lation vocalique de 1 e a la tonique.
Ruga (et peut-être llucius, Rocius). Il faut y comparer : Roveca
(nom d'un monnayeur gaulois), Rouca XV. 7101, (cf.
Roucius XII. 8861, RoHcillns, M. Caes. C. c. 3, 59. 1.),
ÉLÉMENTS CELTIQUES. 59
Ruca III 8311, etc. (cf. Solder s. v. v.). Si Roveca est la
forme pleine de ce nom, on pourrait essayer d'en faire
un diminutif (suf. ilw) de la racine rou- qui se trouve
dans le celte rou-do-s (rouge) (= lat. rufus, gr. épuGpdç,
etc.), et qui apparaît munie de divers suffixes en sanscrit :
raviSy a-ru-na-s, a-ru-sas. Ceci est évidemment très
hypothétique.
Adronus (cf. Adros, île entre l'Irlande et la G''^ Bretagne) ;
Adrotu CIL. 3. 4886.
Adrohrica, ville d'Espagne à nom celtique, etc. :
M. Holder suggère avec toutes réserves le rapproche-
ment celt. * adro- = iSpoç (fort). Ce dernier mot est
dérivé d'i. e. smdro- à côté duquel paraît encore exister
mdro, qui serait en celte andro ou peut-être adro ? Cette
étymologie est peu convaincante.
Alaucus. Ce nom se retrouve sur les monnaies éduennes. Plusieurs
mots et noms celtiques paraissent dériver d'un radical
alau-, dont le sens est inconnu : alau-da (alouette),
alau-sa (alose), Alan-no, ville des Gaules, etc., etc.
Aranto. Ce nom est à comparer avec Arantius, Arantillus^ noms
celtiques. Chez les Celtici de Lusitanie, on a le nom de
ville : Arandis.
Nous voici au terme de cette enquête. On voit que le
nombre des noms propres mentionnés dans les inscrip-
tions latines d'Espagne et dont l'étymologie celtique est
sinon certaine, du moins possible est assez considérable.
Il y a peu de noms mentionnés dans les Indices nominum et
cognomimim du Corpus Inscriptionum Latinarum Vol. IL
Supplem. qui n'aient été interprétés ici.
Quant à la distribution de ces noms celtiques sur le sol
bispanique, l'on ne peut guère tracer de lignes bien nettes.
Ils abondent dans des régions où la présence des Celtes
est constatée telles que la Celtibérie et le sud de la Lusi-
40 II. MISÉON.
tanie mais aussi dans les Astiiries, le ceiitie et le nord-
ouest de l'Kspagne, pays généralement regardés comme
ibériques. Ils y apparaissent plus d'une fois mêlés à des
noms (|u'on ne peut raisonnablement interpréter par les
langues aryennes. Ils manciuont à Test et au sud de la
péninsule, mais, dans ces régions, on ne trouve guère que
des noms romains. Seuls les pays turdédains renferment
quelques inscriptions à noms barbares mais ceux-ci ont
un aspect nettement anaryen tels que Vrcestar, Galdu-
riainiin, fiastogannin, Uninauniu, Simnwdim, Idnnegisce-
ris, (Aisllosaic, etc. (!) Ce genre de noms qui révèle un
système de flexions et de suftixes nettement étranger à
notre famille de langues est assez peu représenté en
Espagne.
On arrive donc à cette constatation assez étonnante que
l'onomastique ancienne de l'Espagne, le seul })ays qui ait
conservé jusqu'à nos jours dans l'Europe occidentale
des populations parlant une langue non-aryenne, est
presque entièrement indo-européenne et, on peut l'atïirmer
dans la mesure où nos rapprochements sont probants,
d'un caractère celtique bien accusé. Cette constatation
est la conclusion de cette étude. On a vu dans notre
avant-propos quelle portée, il convenait de lui donner.
A. Caunov.
LE PARADIS DE L'ATLANTIQUE
D'APRÈS LES TRADITIONS CONCORDANTES DE
L'ANCIEN ET DU NOUVEAU MONDE.
I. Le Paradis Kronien.
C'était et c'est encore une légende commune à beaucoup
de polythéistes que cei'tains dieux détrônés, des êtres
surhumains, et même des hommes supérieurs (dignes
d'être immortalisés pour leurs <{ualités extraordinaires
ou leurs bienfaits), continuaient, après avoir quitté leur
peuple, à vivre dans (|uelque contrée lointaine, maritime
ou fort isolée, attendant les uns leur restauration, les
autres l'heure de reparaître sur l'ancien théâtre de leurs
exploits, pour expulser les intrus, réparer liîs torts et
rétablir l'âge d'or. Cet asile des demi-dieux, des héros
vaincus, des bienfaiteurs disparus, n'est ni un coin de
l'empyrée, ni une section de l'enfer, mais bien une
contrée terrestre, même accessible aux mortels qui ont le
courage de braver tous les périls pour aller adorer leur
dieu relégué au loin, rendre visite à leurs anciens protec-
teurs ou implorer leur miséricorde.
La situation de ce paradis terrestre, bien différent de
l'Eden, devrait être indiquée dans chaque pays par la
marche de l'astre duquel dépend le réveil de la nature,
4
4:2 LE MUSf.ON
l'activité (les èties vivants et finalement leur sommeil ou
leur nioil apparente, Et en effet l'antiquité classique,
ainsi (jue les Celtes, par une association d'idées assez
lojii(pie, ont comparé la course du soleil au cours de la
vie terrestre des êtres supérieurs et supposé qu'après les
labeurs d'ici bas ils jouissaient d'un repos et d'une félicité
sans fin dans la station du soleil, c'est-à-dire dans le lieu
variable, selon les longitudes, où le soleil, disparaissant
ot j'cparaissant peu après, |)assait pour avoir son foyer, et
coninie cette station devait être en Occident où l'astre
semltlait s'ari'êtei' pour y passer la nuit, c'est de ce côté
(juc ion cbercha le séjour des disparus survivants ; mais
au liir et à mesure de l'exploration des contrées mysté-
rieuses où on l'avait d'aboid placé, on dut constater que
ce n'était pas encore là et supposer qu'il fallait aller
toujours plus loin vers l'Ouest pour le trouver. C'est ainsi
(jue les (irecs s'avancèrent jus(ju'en Ibérie sans y découvrir
la terre des Bienheureux, puis, vainement encore, à la
suite des Carthaginois, jus(ju'aux lies Fortunées.
Par un [U'océdé analogue, les Celtes avaient transporté,
successivement et d'ile en île depuis les Hébrides, à
travers les Orcades et les Shetlands, jusqu'en Islande, le
séjour des immortels auquel ils donnaient le nom carac-
téristique dllc (les seigneurs et des liéios (i). Les Bretons
regardaient les insulaires comme sacrés et inviolables,
parce (|ue les gnuides ànies habitaient dans le voisinage
et (ju'il y avait dans les mêmes parages une lie | l'Islande]
où Kronos [Saturne] retenu captif par le géant Briarée,
sommeiMait dans une grotte ayant auprès de lui beaucoup
de génies pour compagnons et serviteurs (2). Jusque vers
(1) En gaélique Fluilh innis, en groc ^éi^io'. oat.aovwv xal Tiptôtov.
CJ) Hlutarque, Scripla moralia, l [, p. 511 do Tôdit. Dilbner. Paris 1831^
gr. in-8; clr. j). 1151-1153.
LE PAIUDIS DE LATLANTIQUE. 45
la fin du paganisme otïiciel, les Romains eux-mêmes ont
regardé la Grande-Bretagne comme « plus sacrée et plus
voisine du ciel que les pays méditerranéens » (i). La quali-
fication d'insiila sacra, également donnée à l'Irlande (2),
fut probablement aussi appliquée à l'Islande, puisque les
pèlerins, s'y rendant pour adorer Kronos, y devenaient
sacrés et en recevaient la qualification.
Comme on l'a dit, la situation attribuée au Paradis
atlantique a varié avec les connaissances géograpbi(|ues
des divers peuples. Avant noire ère, on le localisa notam-
ment jusque dans la dernière des iles noi'datlantiques,
sous le cercle polaire, c'est-à-dire en Islande, puisqu'on
ne connaissait pas d'autre ile remarquable où le soleil
parût se couclier et se levei- à la même lieure. C'est à elle
que s'appliquent le mieux les notions sur VUltima Thulc
consignées dans les ouvrages des Anciens. Ils sont à peu
près unanimes à la placei' à l'ouest (ô) ou au nord (4) de la
Grande-Bi'etagne. 11 ne faut pas croire ([ue ces indications
(1) Eumène, Discours, texte et trad. par MM. Landi'iot et Rocket,
Autun, 1854 iu-8, p. 132-l:i3.
(2) Sacrum sic iiisulam
Dixere prisci
Eamque late gens Hibeniorum colit.
(Avienus, Ora marltimu, V. 108-10't, 111. — Cl'r. Lor. Diefenbach, C't'^
tica, II, p. 37'J-380, Stuttgart, 1840 iu-8i.
(3) In ultinio plagae occidentalis aliam insulam nomine Tliylen (Jordanis
de Getarum site Gothorum origine et rébus gestis. I. p. 7 de la 2'^ édit.
de G. -A. Closs. Stuttgart, l^Od, \n-U}.
(4) Au témoignage de Pytliéas. conser\é p;ir Strabon et Pline l'ancien
(voy. infra, p. 44, n. i\ et à celui de Ptolrmée (L. I. ch. 7 ; L. III. ch. (l ;
L. VIII, ch. 2), ou peut ajouter quelques allusions des poètes :
quantusque niî;ranit'm
Fiuctibus occiduis l'ossoque Hyperi<ine Tliulen
intrarit (Stace. Silvae, IV, 4, 62).
Si.'quemur
Te vel Hyperboreo damnai ani sidciT' Tliuli'ii. (Claudioii, V. 2 lit).
44 I>E^ MUSÉON.
soient absolument contradictoires. Les termes ouest et
nord ne désignent pas uniijuement deux des points cardi-
naux ; ils peuvent embrasser toute la plaga, selon l'ex-
pression latine ; ou la banda, comme s'expriment les
Espagnols ; ou bien la bande, comme nous disons en
français. Aussi Isidore de Sëville, se plaçant au point de
vue des insulaires d'Albion, a-t-il parfaitement précisé la
situation de Thulé, qui est, dit-il, « au-delà de la Bretagne,
entre la bande du nord et celle de l'ouest, » (i) ou en
d'autres termes au nord-ouest de la Bretagne. Cette asser-
tion ainsi comprise, en met d'accord beaucoup d'autres
dont il faut tenir compte quoiqu'elles soient trop vagues :
d'après la relation de Pythéas de Marseille citée par Pline,
Thulé était « à six jours de navigation au nord de la
Bretagne (2), .... la plus éloignée des îles dont
il soit fait mention. Au solstice, lorsque le soleil traverse
le signe du cancer, il n'y fait pas de nuit, et au contraire
pas de jour lors de la brume [ou solstice d'hiver] (5). »
Solin, après avoir expliqué qu à ces dates lespectives le
lever du soleil coïncide presque avec son coucher, ajoute
qu'en partant du promontoire Calédonien pour Thulé, on
atteignait les Hébrides en deux jours ; qu'il fallait ensuite
sept jours et sept nuits pour aller aux Orcades, et de là
cinq jours et cinq nuits pour parvenir à Thulé, au-delà
de laquelle la mer était coagulée (4). D'après ces indica-
(1) Liber elymologiarum, XIV, 6. — Orose, cité par Giraldus Cam-
breiisis [Topographia Hibernica, cli. 17, p. 99 du t. V de l'édit. de J.-F.
Dimmock, Londres 1867, in-8) disait également que " Tyle, située vers le
Circius (ou nord-ouest) au milieu de l'Océan, était séparée des autres îles
par un espace infini. »
(2) Hist. nat. L. II, eh. 77. — Cfr. Slrabon, Géogr. L. L cli. 4, § 3 ; L. II,
ch.ô, §8; L. IV, eh. 3, §8.
(3) Pline, Hist. nat. L. IV, ch. 30.
(4) Polyhistor, L. I, ch. 22.
I
LE PARADIS DE l' ATLANTIQUE. 45
lions il est certain que l'une des îles auxquelles on a
appliqué le nom de Thulé ne peut être cherchée à l'Est
des lies Britanniques ni confondue avec une partie de la
Norvège, comme l'ont foit Procope (i) et ses commenta-
teurs, d'autant plus qu'elle était « à l'opposite du littoral
des Bergi » (2), c'est-à-dire du massif montagneux (berg)du
Nordenfjelds ou diocèses de Bergen et de Throndhjem (3),
et que l'on s'y rendait en partant de Nerigo (i), la Norvège,
énumérée dans un même contexte avec ScflHf/m[laSkanie|,
Dumna [transcription défectueuse de Dannia,\e Danemark]
et Bergi.
Cette Thulé du Nord-Ouest, qui doit être la vraie, celle
dont le nom a été appliqué à plusieurs autres lies ou
contrées passant à tort pour être les dernières dans la
direction du nord, — cette Thulé, disons-nous, est en
même temps celle qui correspond le mieux à l'idée que
l'on peut se former de VOgygie septentrionale. Plutarque,
qui nous a transmis nos notions sur celle-ci, dit expres-
(1) De hello Gothico, L. II, ch. 14, 15 ; L. IV, ch. 20. — Cette confusion
doit tenir à ce que l'estimable historien grec, entendant parler du Thela-
mœrk (littéralement Forêt glaciale), nom qui convient parfaitement
aux hauts plateaux de la Norvège, a rapproché Thilir (dénomination de
ses habitants) de Thule et leur attribue une partie des récits relatifs à
l'Islande. — Cette même erreur fait que des cartographes du moyen-âge
et nombre de commentateurs ont placé à l'Est de l'Islande et de l'Ecosse,
près de la Norvège, une île de Thile, qui correspond aux Shetlands,
mais qui devrait être le Telemarken actuel (Voy. J. Fischer, The Disco-
veries of the Norsemen in America, trad. par B.-H. Soulsby. Londres,
1903, in-8, p. 69, 84 et cartes II, III, IV).
(2) Outre que le nom de la ville de Bergen est dérivé de la racine Scan-
dinave berg (montagne), les Norvégiens appliquent la dénomination de
fjeld, ayant presque le même sens, à nombre de divisions, de montagnes
et de localités, correspondant toutes à Be^^gi de Pline.
(3) Pomponius Mêla, De situ orbis, L. III. ch. 6.
(4) Pline, Bist. nat. L. IV, ch. 30.
46 LK MUSÉON.
sémrni (|ii(' la localisation du paradis des héros dans
(les Iles voisines de la (iiande-Bretagne était due aux
Bretons, ainsi (|ue la léj^ende sur la captivité de Kronos
dans l'une de ces Iles (i) ; Tzetzes nous apprend en outre
que les (iiees leur avaient emprunté ees traditions sur le
séjour des àines {'■2). Il est donc rationnel de chercher dans
les langues eelti(jues l'étymoloirie du nom de cette Oirygic
inconnue d'Homère, quoicpi'il ait été calqué sur celui de
l'île de Calypso, et le rapprochement des dénominations
grecque et eelti([ue a été d autant plus natuiel (ju'elles
avaient trait à des conceptions analogues : limmortalité
attrihuée aux bienheureux insulaires. A défaut d'un voca-
bulaire tant soit peu complet de la langue celtique d'avant
notre ère, nous recourons aux dictionnaires gaéliques qui
sont au contraire encombi'és de mots ayant à |)eu près le
même son, mais des significations totalement différentes.
I^our nous en tenir à notre sujet, bornons-nous à citer
ofjli (sacré, saint), og (jeune) et oige (jeunesse), oig (héros),
oighc (glace). Chacun d'eux pouvait servir à qualifier l'Ile
de Kronos, ainsi que celles des Bienheureux ; et en les
combinant avec iagli (île, ig en anglo-saxon), on pouvait
former des composés signifiant )'espectivement : /7e sacrée,
'lie des jeunes ou de jouvence, correspondant à Tir na n-og
ou 77/' ud h-oge dont il est si souvent questi(»n dans les
poèmes ossianiques, île des héros, et même île glaciale
(un des multij)les noms Scandinaves de l'Islande). Le
eom|)Osé, quel ([u'il fut, avait (juebjue ressemblance avec
(1) Voy. supra, [>. -i-J.
(2) Idcirco fama exstitit apud Graecos. mot-tuoium animas illic degerc,
quod iiunc etiam ait Hesiodus de heroibus {Ex commenlarih in Hesio-
dtmi, dans Plutarchi Fragmenta spuria. t. V, p. 21 de ses Opei'a édités
pai" DObner. Paris 1855. gr. in-S).
LE PAIUDIS DE L ATLV.NÏIQl E. ït
le nom QÏOgygie qui, étant mieux connu, dut lui ôtve
substitué, selon un procédé qui a été et qui est encore en
usage. Le dictateui* Sylla, employant le dernier, au lieu
de Thulé, se réfère expressément à Homère dont l'Og-ygie
n'était certainement pas à la latitude du cercle polaire.
Dans cette identification on ne tenait pas compte de la
nature réelle de l'Islande dont les tremblements de terre
et les éruptions volcaniques rappellent bien les convul-
sions litaniques de Kronos (i), mais dont le rigoureux
climat septentrional ne comporte ni les suaves parfums
ni la douceur de l'air ambiîuit, (jue lui attribue Sylla, ni
la plantureuse végétation que décrivent les légendes con-
cordantes du Nouveau Monde ; mais il sutîisait que Vile
glaciale tut lasile des immortels pour (|ue l'imagination
des conteurs la représentât comme un pays de délices !
car avoir été détrôné par son fils, Kronos n'en restait [)as
moins un des dieux de l'Occident (2) ; il c'ait adoré des
Celtes (jui lui sacrifiaient des victimes humaines (r,) ; les
hauts lieux, les rochers lui étaient consacrés ; son essence
divine qu'aucun revers n'avait pu lui enlever ne laissait
pas que de déteindre aussi bien sur son entourage que sur
la grotte profonde où il sommeillait sur un rocher brillant
comme de l'or et doù s'exhalaient des parfums ({ui
(1) On doit se borner ici à faire allusion au récit de Sylla, reproduit par
Plutarque dans son traité De facie in orbe lunac [Scripta moralia
p. 1151-1153 du t. Il, de l'édit. Diibner, Paris 1539, gr. in-8), traduit et
commenté dans notre iném. sur YElysée des Mexicains comparé à celui
des Celtes (apud Revue de Vhist. des religions. V« année, nouv. série,
T. X, Paris 1884, in-8, p. 3-9).
(2) Hésiode, Op. et dies. v. 111 et s., 167-173 ; — Diodore de Sicile,
Bibl. histor. h. V, § 6(3 ; cfr. III, § 53, 55, <30.
(3) Denys d'Halicarnasse, Ant. Rom. 1. I, dans Script, rerum Gallica-
rum de D. Bouquet, 1. 1, p. 368.
48 LE MLSÉON.
embaumaient lîlc cotière. On fut donc amené à confon-
dre celle-ci, nial^M'é sa stérilité, avec les îles des Bienheu-
reux où les immortels vivaient dans une douce quiétude
sous le sceptre de Kronos, où la fertilité du sol faisait
fleurir trois fois par an l'arbre aux fruils suaves (i) [les
oranges (2)], où Rhadamanthe, des héros de la guerre de
Troie et les hommes vertueux jouissaient d'une lumière
sans fin (3). Ce dernier trait a du faciliter lidentification
des îles Fortunées avec la seule lie connue des (Irecs où le
soleil ne se couche pas au solstice d'été et, (juoique l'Islande
eût été visitée avant notre ère au moins })ar des Celtes, si
ce n'est par Pythéas de Marseille, elle frappait l'imagina-
tion des anciens par ses volcans, ses geysers et le carac-
tère mystérieux des montagnes de l'intérieur qui n'ont été
complètement explorées que de nos jours. Grâce à ces
circonstances et aux traditions persistantes, elle continua
de passer pour la terre des merveilles, comme une suc-
cursale du paradis teirestre, même après que les croyants
eurent commencé de chercher plus loin, non vers le
Nord obstrué par les glaces, mais vers l'Ouest dans le
Nouveau Monde, ce qu'ils n'avaient pu trouver dans
l'ancien.
C'est dans le cours de ces pérégrinations que des Grecs,
c'est-à-dire des Celtes hellénisés (4) avaient fondé trois
(1) Hésiode, Op. et dies, v. 167-173.
(2) Qui sont devenues des pommes dans les trad. galloises (Insula
pomoriim ; en cynirique Afallcnau, d'où le latin Avnlo, qui désignent
une contrée transatlantique). — E. Beauvois, V Elysée transatl., p. SIS-
SU.
(3) Selon Pindare pariant des Bienheureux de la citadelle de Kronos.
{Olympica, II).
(4) Voy. dans VElysée iransatl. et l'Eden occidental (apud Revue de
Vhist. des religions, IV" ann., t. VII, Paiis, 1883, in-8, p. l>-lo) les sources
»
LK PAKADIS DE l'a TLAMIQUE. 49
colonies, aussi éloignées l'une de l'autre quOgygie Test
de la Grande-Bretagne. Ces distances indiquent qu'il
s'agit probablement de stations en Grœnland, sur la Terre
de Batïin ou en Labi'ador et sur le littoral d'un golfe non
moins grand que la Méotide européenne, situé à la lati-
tude de celle-ci et faisant partie d'un immense continent,
qui était à 500 stades (900 kilom.) dOgygie, mais à une
moindre distance des autres îles ou presqu'îles, car ces
deux termes sont synonymes dans beaucoup d'anciennes
relations. Pour se i-endi'e de la Nouvelle-Méotide à Ogygie
et aux autres contrées plus occidentales, il fallait navi-
guer à rames (i), entre les glaces et les sédiments venant
de l'intérieur des terres (^2). Ce long et pénible trajet
était effectué tous les trente ans par des habitants de la
Méotide américaine, désignés par le soi*t, allant faire des
sacrifices dans lile kronienne pour interroger Saturne
qui du fond de sa grotte rendait des oracles par la bouche
de ses prêtres. Un de ces pèlerins, qui avait voulu pousser
jusqu'à Carthage d'où le culte de Kronos s'était répandu
en Occident, fit à Sylla un récit très détaillé que le célèbre
classiques, d'après lesquelles les Grecs avaient fondé des établissements
sur le littoral de l'Océan Atlantique et jusqu'en Grande Bretagne. C'est
de là sans doute que des Celtes philhellènes (pour enaployer l'expression
d'Ephore de Cumes) étaient partis pour la Nouvelle-Méotide, en passant
par les échelles nordatlantiques et notamment par Thulé. Eux-mêmes et
les Indiens de leur colonie n'étaient pas plus Grecs que les sauvages de
la Nouvelle-France n'étaient Français. Il faut bien se garder de confondre
les noms géographiques avec les faits ethnographiques.
(1) Il est en effet plus facile pour des kayaks et des umiahs que pour
des navires à voiles, de se glisser entre les glaces flottantes qui obstruent
les détroits de Davis et de Danemark.
(2) Sur le littoral du Labrador et du Grœnland les cours d'eaux sont
en effet remplacés par des cours de glace, qui en vêlant (selon l'expression
danoise) projettent en mer d'énormes glaçons, très dangereux pour les
navigateurs.
50 LE MUSÉON.
dictateur paraît navoir pas toujours bien compris et
qu'il écourta malheureusement, mais dont plusieurs traits
attestent la véi-acité du narrateur. Les notions relatives à
l'étendue et à la situation de la Nouvelle-Méotide, aux
glaces flottantes, à la diflîculté de la navigation, à la
longueur du jour au delà du cercle polaire, sont conformes
à la nature des terres et des mers septentiionales et, lors
même que le pèlerin serait un personnage fictif, la relation
n'en serait pas moins le plus ancien document historique
qui nous reste sur le nord-est de l'Amérique avant notre
ère. Elle atteste que les anciens étaient mieux informés,
qu'on ne l'admet généralement, de l'existence d'un conti-
nent transatlantique et même de certaines particularités
de sa nature.
Ce que cette relation nous apprend de la Nouvelle-
Méotide ne peut malheureusement pas, dans l'état actuel
de nos connaissances, être complété par d'abondantes
notions archéologiques. Il doit pourtant n'en pas manquer
sur le littoral du golfe et de l'estuaire du Saint Laurent qui
offrent tant d'avantages pour les pêcheries. Mais le sol
y est sans cesse modifié par des érosions sur les rivages
et, parfois à l'intérieur, par de terribles tremblements
de terre (i), comme celui du 5 février 1(365, qui se fit
sentir, pendant plus de six mois, sur une superficie de
vingt mille lieues et qui a été si bien décrit par le
P. Jérôme Lalemant (^2). Dans une Puissance qui n'est
(1) Regio [Nova Francia] subitis terrae raotibus infamis. [Cor-
nélius Wytfliet, Descripiionis Ptolemaicae augmentiim, Louvain, 1597,
in-4, p. 186).
(2) Relations des Jésuites Nouvelle France. T. III. Québec, 1858,
gr. in-8, p. ;i-5. — Cfr. Ferland, Cours d^hisl. du Canada, W I. Québec,
1861,in-8,p.;48j-4^Kj ;— [Paillon,] Hist. de la jcolonte française en Canada.
T. III, p. 39-52, Villemarie, 1866, in-4.
LE PARADIS DE l'aTLANTIQUE. 51
pas dotée, comme les Etats-Unis, de riches et actives
institutions chargées d'étudier le passé et où l'archéologie
n'est pas sortie de l'état denfance (i), il doit être difficile,
sinon actuellement impossible, de retrouver les vestiges
d'un lointain passé, quand il y en a si peu pour la période
de la domination française. Et puis les objets importés
d'Europe, avant notre ère, ne peuvent avoir été fort nom-
breux, vu l'exiguité des embarcations primitives. Quant
aux ustensiles fabriqués par la colonie kronienne et aux
bâtiments eux-mêmes, ils devaient être d'une nature bien
périssable là où la variété et la qualité des essences
forestières invitent l'industrie à employer le bois de préfé-
rence aux autres matières premières (2).
Il n'y aura donc pas lieu d'instituer de lumineuses
comparaisons entre les antiquités de l'Europe et celles
du Canada, tant que celles-ci ne seront pas plus nom-
breuses et mieux étudiées. Mais on peut dès maintenant
tirer parti de certaines analogies entre les mythes de
l'Ancien et du Nouveau Monde. Déjà, dans un mémoire
sur la Fable des Amazones chez les indigènes de l'Amérique
précolombienne (5), nous avons essayé de démontrer que,
(1) Même chez nous où la culture et l'archéologie sont infiniment plus
développées que dans la Nouvelle France, on a été des siècles sans se
douter qu'il existait à Alise-Sainte-Reine d'imposants vestiges de l'Alesia
do Vercingetorix. Il y a cinquante ans on aurait traité de visionnaire le
voyant qui eût annoncé qu'on en découvrirait prochainement de fort
nombreux.
(2) On lit dans la relation d'un naufragé Frislandais, insérée dans celle
des Zeno, que les habitants del'Estotilanda [Nouveau Brunswick], vers
la fln du XIV^ siècle « avaient des bois d'une immense étendue et en fai-
saient des murailles, n {The Voyages of Nicolù and Antonio Zeno, édit.
par H. Major. Londres 1875, in-8. p. 21. — Cfr. E. Beauvois, Les notions
des Zeno sur les pays transatlantiques, dans./^evwe des questioy^s
scientifiques, .S*" sér. t. VI. Louvain 1?04, in-8, p. 136, 538-539).
(3) Dans Le Musëon, nouv. sér., vol. V, p. 287-326, 1904, Louvain, in-8.
52 LK MUSÉO.N.
tout en ('tant ré[)an(lue au loin et au large dans les deux
Ariiori<|ues, mais restant idcnticjue avec la léûrende gréco-
latine, elle devait en être un éelio, et eoinnie celle-ci
n'avait plus cours chez les Européens modernes, elle
n'avait pu se propager chez les Américains qu'antérieure-
ment à l'arrivée des Espagnols ; ceux-ci la trouvèrent en
effet dans diverses contrées sans y avoir jamais découvert
de véritables Amazones ; ce n'était qu'une fiction com-
posée de traits si peu naturels (pi'ils n'auraient certes pas
été imaginés de la même façon en plusieurs pays. Origi-
naire des contrées où s'étaient formées les traditions sur
Hercule, et étant en connexion avec elles, elle avait dû
être portée dans la Nouvelle-Méotide par des sectateurs
d'Hercule (|ui, selon le prêtre de Saturne, s'étaient mêlés
à la population Kronienne (i) ; or, parmi les nombreux
personnages <{ui ont été identifiés avec l'Héraklès des
Grecs, était l'Ogmios des Gaulois, l'Ogma des Gaëls (2),
dont les sujets, les Tuatha Dé Danann habitaient les sids
ou mounds (tertres) aussi bien en Irlande qu'au delà de
l'Océan Atlantique (0), de sorte (ju'en ce point les tradi-
tions plus récentes des Irlandais sont d'accord avec les
légendes que Plutarque et Tzetzes disaient être répandues
chez les anciens insulaires des Iles Britanniques (4).
II. Lk Paiudis Atlantique des Amionkins.
Si la fable des Amazones n'a pas, (|ue nous sachions,
laissé de traces chez les riverains du golfe Saint-Laurent,
(1) N'oy. L" Elysée des Mexicnins. p. 5.
(2) Ibid. p. 5, 10-11, 13, l'.)-21.
(3j Ibid. p. 13, 16, 19, 29, 38. - Ct'r. L'El.i/sée transatl. p. 290, 296, 310.
(4) Voy. supra, p. 46.
I
»
LE PARADIS DE LATLANTIQUE. 55
par contre la croyance au séjour des immortels dans une
île de l'Atlantique a été et est encore fort répandue chez
les tribus Algonkines, notamment chez celle dont le nom
générique Wapanachkis (d'où la forme française Abenaki)
signifie tout à la fois Oriental (i) et peuple blanc (2). Il
s'applique aussi bien aux Lénapés et en général aux
quarante tribus de même race (5), qu'en particulier aux
Abenakis du Nouveau Brunswick. Le pays de ces derniers
correspond à la Grande Irlande (4) et au Hvitramannaland
(Pays des hommes Blancs, dans les Sagas des Scandi-
naves) (0), et certaines traditions des Algonkins font venir
de l'Est, non pas les ancêtres de leur nation, mais ses bien-
faiteurs ou civilisateurs qu'elles rattachent aux Blancs (c).
(1) J. Heckewelder, Hist., mœurs et coutumes des nations indiennes
qui habitaient autrefois la Pensylvanie, trad. par Du Ponceau. Paris,
1822, in-8, p. 41-42 ; — Dan. G. Brinton, The Lenâpé and their Legends,
with the complète Text and Symbols of ihe Walam Olum, a new
Translation etc. Philadelphie, 1885, in-8, p. 19.
(2) Wabanaki, a word derived from a rtot signifying, white or light
(Charles G. Leland, The Algonkin Legends of New England. Boston,
1884, in-18, p. 1 ; Cfr. p. 50, n. 1 ; ^Yabeya. the white, p. 14ô, n. 2;. — En
algonkin, loahish olano ; loaban est et aurore, en micmac icobun aurore,
et wobac blanc ; en lénapé wab, est ; en menomini wabiskiu blanc et
waban lumière du jour ; ivabenunaqsivok, peuple de l'Est ; en ojibwa
wabish blanc et loabish keze homme blanc ; en miami icawpeke blanc ;
en openango, idiome du Passamaquoddy, wabate, blanc.
(3) Heckewelder, Op. cit., p. 41-42 ; — Leland, Op. cit. p. 1,
(4) E. Beauvois, La Grande Irlande ou Pays des Blancs précolombiens
du Nouveau Monde, passim (Extrait du Journal des Américanistes de
Paris, 1. 1, n° 2. Paris 1904, gr. in-8).
(5) Ibid. et La Découverte du Nouveau Monde par les Irlandais
{Congrès international des Américanistes, Nancy, 1875, 1. 1, p. 82-87);
— Les colonies européennes du Markland et de VEscocHand (Congrès
de Luxembourg, t. I. Extrait, p. 10-15) ; — L'Elysée des Mexicains,
p. 271-273.
((5) Relations des Jésuites, t. III, ann. 1667, p. 12. — Voy. plus loin (p. 65)
les traditions des Lénapés et celles des Mexicains.
54 LE MUSÉON.
Les légendes algonkines où figurent ces diverses croyan-
ces sont trop touffues pour qu'on les reproduise in-extcnso
au détriment de la clarté ; il faut, pour mettre en l'clief
ce qui concerne notre sujet, nous borner à de brèves
analyses, en commençant par les Abcnakh proprement
dits, ou tribus du Nouveau-Brunswick et des bassins du
Passamaquoddy et du Pcnobscot dans l'État du Maine.
D'après leurs récits, Glnsijalihé, le maître des hommes et
des animaux, lut [comme Kronos] dieu de l'âge d'or(i) ;
selon les uns il naquit à l'est du pays des Abenakis, selon
d'autres il y vint sur un grand canot de granit couvert
d'arbres [mâts] (-2). Pourvu d'une ceinture qui lui donnait
la force et le pouvoir magique, il se signala par de
grands exploits, voyageant au loin et au large |comme
Hercule] laissant partout des traces de son passage :
rochers qu'il avait bouleversés, chaussées gigantesques
qu'il avait élevées, lacs qu'il avait creusés. 11 aimait les
Indiens et les tira des ténèbres où ils vivaient ; il leur
montra la manière de chasser, de faire des armes, des
filets ; il leur enseigna les vertus cachées des simples,
l'usage que l'on pouvait tirer des plantes, de la chaii- des
animaux, des oiseaux, des poissons ; il leur apprit les
noms de toutes les étoiles. N'étant pas marié, il vivait à
l'écart avec une vieille femme et un jeune homme, (ju'il
appelait respectivement sa grand' mère et son frère (3).
Il traversait la mer sur le dos des baleines (4). 11 purgea
la terre des démons, des géants, des monstres, des ser-
pents, des sorciers qui l'infestaient (5), mettant à mort
ses ennemis, ressuscitant ses amis.
(1) Leland, Op. cit., p. 67.
(2) Id. ibid., p. 28-29.
(3) Id. ibid., p. 28-31, 62-07, 74-77.
(4) Id. ibid., p. 31-35, 41-42, 127-12'.».
{')) Id. ibid., p. 38-50, 104-105, 120.
LE PARADIS DE l'aTLANTIQUE. 55
Ses propres métamorphoses, celles qu'il opérait (i) et
sa puissance surnaturelle, le mirent à même de mener à
bonne fin toutes ses entreprises. Pourtant lui qui avait
triomphé des forts, il échoua devant l'indifférence de
Wasis, le Bébé, qu'il ne put, pas plus par des incantations
que par des menaces et de douces paroles, faire venir à
lui (2). Comme l'immortel Vseinaemœinen du Kalevala, il
ne fut vaincu que par un enfant (5) ; comme lui, il s'éloigna
sur sa barque et disparut non pour toujours, mais jusqu'à
ce que son peuple eût besoin de lui. Dans sa retraite, il
fabrique sans cesse des flèches pour le combat qu'il aura
à livrer lors de son retour (4). Ni la malice des hommes
en effet, ni l'ingratitude de ses obligés, ne l'empêchèrent
de promettre son assistance à ceux qui l'imploreraient. Il
devait reparaître au milieu de ceux qui l'appelleraient et
exaucer les vœux des hommes intrépides qui braveraient
tous les périls pour aller le visiter fort loin dans l'ile
enchantée de l'Océan de TEst où il s'était retiré (5). Tous
ceux qui firent ce long et pénible voyage obtinrent ce
qu'ils désiraient, les uns à leur avantage, lorsque leurs
demandes étaient niisonnables ; les autres à leur détri-
ment, comme les insensés qui aspiraient à l'immortalité
et qui furent métamorphosés en arbres ou en pierres (e).
Il fit une jouvencelle de son aïeule vieille et décrépite (7).
Il tenait tout à la fois d'Hercule pour ses travaux, son
(1) Id. ibid., p. 51-58, 83-91, 100, 105, 108, 111, 117, 119, 124, 126.
(2) Id. ibid., p. 120-122.
(3) Le Kalevala, trad. par Léouzon Leduc, ch. 50, p. 492 de la 2^ édit.
Paris, 1868, gr. in 8.
(4) Leland, Op. cit., p. 130.
(5) Id. ibid., p. 67, 82, 107, 130.
(6) Id. ibid., p. 68-72.
(7) Id. ibid., p. 100.
56 I.R MUSÉON.
(l'iivic civilisatiice, et do Saturne comme roi de l'âge d'or
l'ctiir dans une ilc de l'Océan.
Ce tliauinatin'iic fiiiure, presque sous le même nom
{(Honshcij», dans les iétrendes des .Micmacs, tribu la plus
rajiproclH'c des Abonakis et établie dans le Xouveau-Bi'uns-
witk, la Nouvelle-Kcosse et l'île de Terre-Neuve. Il y joue
à peu [)i'ès le même rùleii), soit en enchantant ses adver-
saires, soit en prêtant sa ceinture à ses protégés ou en les
couvi-ant de ses vêtements (car c'est ici le cas de dire ([ue
l'habit t'ait le moine). Mais (juant à la localisation de sa
retraite, les nairateui's varient : « Les uns disent (pi'il
s'en alla vers l'Est, au delà de la mer, dans une barque
de pierre avec hujuelle il reviendra un jour ; d'autres
ipi'il partit pour l'Ouest (-2) ». Cette dernière croyance,
répandue chez les Micmacs (0), nous parait cadrer moins
bien (jue la [)récé(lente avec une autre tradition du même
peuple, dajjrès laquelle le grand Esprit, identifié avec
l'Esprit du bien, c'est-à-dire avec Glooskap, « résidait
dans une île du grand Océan » c») | l'Atlantique]. Elle ne
s'accorde guère non plus avec l'origine attribuée à Gloos-
kap, « ((ui vint de l'Est au pays des Micmacs en traversant
le trrand Océan » Ci). Par là, elle est en contradiction avec
(1) RaiiJ (Silas Tertius), Leycnds of the Micmacs. New-York, 1804.
in-8, p. 23-21», 228-229, 232-237, 253-257, 270-278. 339-340. — l.eland (Op. cit.)
eiitromêle plu.sieiirs légendes {\q^ Micmacs avec ceile.s des Abenakis. mais
il a soin d'indiquer la provenance de chacune d'elles fp. 1.^3-13'.»).
(2) Leland, p. 130.
(3) S.-T. Raud, 1». 232-233.
(4) iMaui'a, Hinl. des Ahenahis. guébec, ISdtî. in-8, p. 18.
(.")) Il ne faut pas non plus conl'ondi'e la retraite des Immortels, le para-
dis des Héros et des Bienfaiteurs avec le séjour des âmes vulgaires, et
encore moins avec le lieu de sépulture ordinaire. C'est à ce dernier que
se rapporte ce que Lescarbot dit des Soiifir/uois, établis de son temps
dans la Nouvelle-Ecosse et ancêtres des Micmacs : Après avoir fait les
LE PARADIS DE l'aTLANTIQUE. Oi
.les légendes analogues (algonkines, mexicaine, quichée),
qui parlent tout à la fois de l'ariivée et du départ des
Génies civilisateurs, car elles les font retourner du côté
par oli ils étaient venus, c'est-à-dire vers l'Est. Il nous
semble donc que les récents conteurs Micmacs ont con-
fondu le séjour des bienfaiteurs immortalisés avec celui
des ombres vulgaii'es qui, s'il n'est pas placé dans les
airs ou sous terre, doit l'être logiquement dans la direc-
tion du soleil couchant (i).
On va voir (|ue ces assertions sont confirmées par la
légende correspondante des Menominis ou Folles- Avoines,
Malouminek, Maroiunines, comme les nommaient nos
missionnaires d'après le seigle (zizania acjuatica) qui croît
spontanément dans les marais et qui leur servait de nour-
riture (2). Ils n'occupent plus le bassin de la rivière qui
porte leur nom et qui se jette dans la Gi'een Bay (autrefois
Baie des Puants) ; leur réserve a été portée plus loin vers
l'ouest dans lÉtat de Wisconsin. C'est une des tribus
algonkines dont les croyances ont été le mieux étudiées,
et grâce à cette circonstance (r>), sans doute, nous trouvons
chez eux une des versions les plus circonstanciées de la
légende de Manaboncli (0, où les principaux traits de celle
funérailles de l'un des leurs, ils « le portèrent (selon leur coutume) en une
ile écartée vers le Cap de Sable à vingt cinq ou trente lieues loin du Port
Royal [Annapolis]. Ces iles qui leur servent de cimetière sont entre eux
secrètes, de peur que quelque ennemi n'aille tourmenter les os de leurs
morts, w {Histoire de la Nouvelle- France, édit. de Paris 1612, L. VI,
ch. 26, p. 872 ; reprod. par Kdwin Tross. Paris 1866, in-8, p. 845).
(1) Voy. supra p. IG, n. 5 ; infra, p. (Jl.
(2) Relat. des Jésuites, 1640, p. 35 ; 1<')58, p. 21 ; 1671, p. 25, 42.
(3) Hoffman (Waltor James), The Menomini Indians ddius Fourleenih
Annual Report of tlte Bureau of Ethnology, part. I. Washington, 1896,
in-4, p. 3-328 avec 37 planches et 55 tig. dans le texte.
(4) Hoflfraan (Op. cit. p. 87 n. 2 et 114 n. 2) décompose ce nom en Micha
grand et Wabus lièvre. Plus rapprochée de cette étymologie est la forme
5
tîS I'>^ MUSÉON.
deGlooskap sont mêlés à beaucoup d'autres qui en diffèrent.
Selon les uns, le Silex, fils de Nokomis (la Terre, Grand'
Mère), enfouit dans le sol un vase qui se remplit de sang ;
il s'y forma un lapin qui fut lui-même métamorphosé en
homme appelé Manabouch (i). Selon d'autres, la fille
non mariée de Nokomis, donnant le jour à deux enfants,
mourut avec l'un d'eux ; l'autre, placé par sa grand'mère
sous un vase de bois, devint un lapin blanc qu'elle éleva
et qui fut un puissant Maiiido [Manitou], doué de la
faculté de se transformer en femme, loup, ours blanc,
arbre (2). Participant do la nature de ces êtres, il n'était
pas plus qu'eux exempt d'infirmités et dans les périls il
invoquait le ])on Manido qui lui avait donné mission de
combattre les mavais génies souterrains et de protéger les
hommes en instituant Y Association médicale (Mitawit) ou
chamanique. Celle-ci fut composée de manidos qui per-
sonnifient les forces de la nature : le soleil, la lumière
du jour, le vent du Nord, les quadrupèdes (ours, renards,
loutres, etc.), les oiseaux (aigles, hiboux, coqs d'Inde) (5).
Il enseigna aux hommes les propriétés des plantes, l'usage
des instruments magiques (le tambour, la crécelle). Outre
Michabaus^ adoptée par le P. Allouez {Relat. des Jésuites 1670, p. 93) qui
la rend par Grand Lièvre. — Cfr. Missaba, dieu de la chasse chez les
Ojibwa (H.-R. Rchoolcrat't, The Indiayi Tribes of the United States.
Part. V. Philadelphia, in-l, IS.'JO, p. 420, 436-437). — Il serait plus naturel
de substituer au second terme de ce composé l'algonkin et l'ojibwa wnbish
blanc (Voy. supra p. 53, n. 2), et l'on traduirait alors le tout par : Grand
Blanc, ayant pour totem ou emblème de son ^dma protecteur, le Wabus
lièvre blanc. A l'appui de cette interprétation on peut citer le nom de
Wabcno (oiiental) venant de Wabish blanc et donné, chez les Menominis,
à une classe de redoutables Magiciens (Hoffman, p. 62, 68, 314), (Voy.
supra, p. 53, n. G).
(1) Hoffman, p. 87.
(2) Id. p. 113, 114, 115, 132, 133, 135.
(3) M. p. 43, 88,91,92, 1.34.
LE PARADIS DE LATLANTIQUE. 59
le mitawit qui sert à guérir les Indiens, il leur donna la
chair des animaux pour vivre et les plantes, notamment
le tabac (i).
Lorsqu'il eut accompli sa mission, il s'établit au nord-
est d'un grand lac. Comme il n'y avait pas dans la maison
d'autre femme que sa grand'mèi'e, son frère jumeau, que
le grand Manido avait ressuscité, lui fut donné pour com-
pagnon (2), mais celui-ci, entraîne au fond de l'eau par
les mauvais génies souterrains, fut placé dans l'Ouest
pour attendre les âmes des morts. Quant aux vivants,
Manabouch pi'omit de leur donner au nord-ouest un foyer
perpétuel pour leurs enfants et leurs successeurs, mais
lui, il devait allei* dans l'Est pour vf^ller à la pi'ospérité
des Indiens (5). Malgi'é ses ])ienfaits, il avait des ennemis
qui lui rendirent la vie dure et ([ui se jouèrent do lui.
On le ridiculisa, on le traita de fou, on lui déroba ses
vivres ; il eut j)arfois peine à se soustraire aux embûches
qu'on lui tendait (i). 11 ju'it le parti de dis[)araiti'e : <c Mes
amis, dit-il, je vais vous laisser, ayant été mal traité, non
par vous, mais par des gens ({ui vivent aux alentours. Je
vais du côté du soleil levant, à travers le grand Océan,
oîi il y a un pays de i-ochers ; ce sera ma demeure. Lors-
que vous serez rassemblés, })ensez à moi ; (juand vous
prononcerez mon nom je vous entendrai ; tout ce que
vous entreprendrez sous mes auspices réussira et je ferai
tout ce que vous demanderez » (.;). Il exauça en effet les
vœux des gens raisonnables qui avaient fait un long et
(1) Id. p. 92, 93, 114, iO(S.
(2) Id. p. 113-115.
(3) Id. p. 73, 87, 88, 113, 115.
(4) Id. p. 134, 163-165, 173, 204.
(5) 1(1. p. 199-201, 20(;.
60 i^e: muséon.
pénible voyage pour l'aller trouver, mais il changea en
pierres les insensés qui lui avaient demandé l'immorta-
lité (i).
Suivons la même légende chez une autre tribu algonkine
qui était au Wll* siècle contiguë aux Menominis et qui,
de nos jours, refoulée avec eux plus loin vers l'Ouest, est
encore leur voisine. Il s'agit des Outchibouek (2), dont le
nom a été corrompu en ceux d'Odjihewais, iVOjibwa et de
Chippewa (5), qu'il ne faut pas confondre avec les Chippe-
wvans (4) de l'Athabasca. Nous emploierons le plus court
de ces synonymes. Les Ojibwas se disaient originaires de
l'Est : leurs ancêtres avaient habité le littoral de la grande
eau salée [Océan Atlantique], plus tard les rives d'un
grand fleuve [le Saint-Laurent], ensuite celles d'un grand
lac [Ontario ou Huron], et ils avaient fini par s'incorporer
aux Sauteurs, Algonkins du Saut de Sainte-Marie, par où
les eaux du lac Supérieur se déversent dans le lac Uuron.
Ces traditions, recueillies par un lettré de leur race (o),
sont confii'mées par les multiples analogies de leur
langue (e), de leurs institutions et de leurs croyances
(1) Id. p. 118-120, 20(î.
(2) Relat. des Jésuites, 1667, p. 24 ; 1670, p. 79.
(3) J. Tailhan, S. J. Notes dans son édit. du Mem. sur les mœurs, cou-
tumes et religion des sauvages de VAmérique septentrionale, par
Nicolas Perrot, Leipzig et Paris, 1864, in-18. p. 193-194, 295.
(4) Selon Schoolcralt {Op. cit., t. V, p. 172), ce nom leur a été donné
par les Chippewas et il se décompose en wyan pelisse et ojeeg pécheur ;
il a trait à leur costume. — Le vocabulaire chippewyan donné par
Mackenzie (p. 304-310 du 1. 1, de ses Voyages dans Vintcrieur de r Amé-
rique septentrionale, trad. par J. Castéia, Paiis, 1802, in-S) diffère essen-
tiellement de ceux des quatre dialectes Ojibwas publiés par Schoolcraft,
Op. cit., 1. V, p. 172-179.
(ô) W.-W. Warren, Traditions orales des Ojibxcas, dans le t. II de
Schoolcraft, p. 136-137, avec une carte de la situation de la tribu en 1851.
{<)) lielat. des Jésuites, 1007, p. 24.
LE PARADIS DE LATLANTIQUE. 61
avec celles des Menoininis. Chez eux Manabouch est
appelé Menahozlwo et iScnabozIioo dans leui' dialecte oi'ieii-
tal (i). C'était un des jumeaux nés d'une vierge qui était
descendue du ciel et qui y remonta. Il créa la terre, la
peupla, donna des noms aux êtres et aux plantes, notam-
ment au maïs qu'il lit descendre du ciel pour la nourri-
ture des hommes. C'est de l'Est où il réside ([u'il envoie
le vent ; c'est vers ce côté que se tourne le Jesukad, otH-
ciant de la meda (sacrilice magique ou médical), pour lui
offrir le calumet (2). Après avoir fait beaucoup de choses
merveilleuses, il disparut du côté de l'Est où il est
encore (.">), tandis que les âmes vulgaires vont à l'Ouest
dans un pays de cocagne (4). Telle est une des versions
répandues chez les Ojibwas et chez plusieurs des tribus
congénères. Selon une autre, les âmes vont dans une
conti'ée située au sud, sur le littoral du grand Océan et
où les bons vivent dans l'abondance et les plaisirs (o).
Les Potawatomis, congénères des Menominis et des
Ojibwas, étaient devenus leurs voisins, en se réfugiant
dans l'île Hurone, puis sur la rive occidentale de la Baie
des Puants, après avoir été expulsés par les Ii'0([uois, avant
1657, d'un territoire situé entre les lacs Huron et Michi-
gan (g). Chez eux Nenabozhoo est appelé Nanahoiijou.
C'était l'aîné de quatre jumeaux, (ils d'un grand mnito
(1) Schoolcraft, Op. cit., t. V, p. 418, n. 1.
(2) Id. ibid., t. V, p. 193, 418-421.
(3) Brinton, The Lenâpé, p. 131.
(4) Schoolcraft, Oj). cit., t. II, p. 135. — Cfr. Supra, p. 56 n. 5, et 57.
(5) Keating, Longs Expédition, 1824, t. II, p. 158, cité par Yarrow, The
mortiia7'i/ customs of the north American Indians, dans First A77.nual
Report ofthe Bureau of Etlmology, 1879-1880, Washington, 1881, in-4,
n 1 OQ-'Xin
p. 199-200.
(6) Relat. des Jésuites, 1640, p. 35 ; 1667, p. 18 ; 1671, p. 25 et 42 ; — Nie.
Perrot, Op. cit., p. 215.
62 LR MtiSÉOX.
[manitou] et d'une mortelle. Le (fuatrième d'entre eux,
Chakekenapok, l'homme de silex, ayant en naissant,
causé la mort de sa mère, fut plus tard poursuivi avec
acharnement et tué par Nanahoujou (jiii, au contraire,
s"effor(;a vainement de soustraire aux embûches des mau-
vais esprits son puîné, Chipiapous. Celui-ci tinit par être
entraîné sous la glace du lac Michigan, mais il fut alors
chargé de régner sur les âmes et de pourvoir à leur béati-
tude. Nanaboujou, initié au grand mystère de la mcda
(médecine magique), prescrivit aux membres de sa famille
d'en perpétuer religieusement les céiémonies et leur
donna des amulettes pour guérir les maladies et réussir
à la guerre et à la chasse. Il fut le principal intercesseur
des hommes auprès du Grand Esprit qui leur donna les
animaux pour vivre de leur chair et se vêtir de leur peau,
les racines et les simples pour traiter les maladies. Dans
le cours de ses voyages sur terre, il détiuisit les bètes
malfaisantes, comme les mastodontes et les mammouths ;
il plaça les vents aux quatre points cardinaux : celui du
nord qui souille la neige et permet de poursuivre le gibier ;
celui du midi qui fait croître les courges, les melons, le
maïs, le tabac ; celui de l'ouest qui amène les pluies,
enfin celui de l'est qui donne la lumière et met le soleil
en marche pour sa course quotidienne. Ce génie vit encore
et se repose sur une banquise dans le grand lac [Océan].
Les Indiens appréhendent que les Blancs ne découvrent
sa retraite et ne l'en fassent sortir, car s'il posait le pied
sur la terre, l'Univers entier s'enilammerait et tous les
êtres seraient consumés (i).
(1) Récit (le Potogojees, chef Potawatomi, recueilli par le R. P. de Sraet,
Ch'egon Missions and Travels over ihe Rochy Mountains, in 1845-46,
New-Yoïk, 1847, p. 341-345; reproduit par Schoolcraft. Op. cit., t. I,
p. 316-319, et par Hoffman, Op^ cit., p. 207 209.
LE PAKADIS DE LATLANTIQUE. 63
C'est évidemment au même Manitou que s'applique le
passage suivant du P. Allouez : « Les lUinioûek, les Outa-
gami et autres sauvages du côté du Sud croyent qu'il y a
un grand et excellent génie, maistre de tous les autres,
qui a fait le ciel et la terre, et qui est, disent-ils, du costé
du Levant, vers le pays des François (i) ». Les tribus en
question sont de la branche algonkine qui s'étendait au
sud du lac Michigan et du territoire des Iroquois, depuis
le Mississipi jusqu'au littoral de la Nouvelle-Angleterre.
Schoolcraft (2) qui les appelle en général Michigamis, à
cause du voisinage du lac autrefois nommé d'après les
Illinois, compte parmi eux les Sfiawanoes [ou Chaou-
anons], les Odaivas [OttaouaisJ, les Pedadumics [Potawa-
tomis] et les Obunegos [Abenakis de la Delaware ou
Léni-Lénapés]. Dans une assemblée générale des Algon-
kins méridionaux qui eut lieu sur la Wabash vers 1816,
ces tribus furent ainsi classées selon leur ancienneté ou
leur importance. Les Obunegos (5) ou Lénapés furent
qualifiés de grands-pères (4), les Chaouanons de frères les
plus anciens, les Ottaouais de frères aînés, et les Potawa-
tomis de frères (5). Nos notions sur les croyances des
Chaouanons, Sliawnees ou Méridionaux (e) sont insutfi-
(1) Relat. des Jésuites, 1667, p. 12.
(2) Schoolcraft, Op. cit., t. V, p. 192-193, 196.
(3) Cfr. le terme Openango qui désigne l'idiome des Abenakis du Pas-
samaquoddy (Kidder,dans le t. V de Schoolcraft, p. 690) ; —et Opuhnanke,
nom des Abenakis de la Delaware (Brinton, The Lenâpé, p. 19). — Cfr.
Opeek et Oppâi, blanc.
(4) Bien que Schoolcraft T. V, p. 192, n'ait pas reconnu le nom des
Abenakis sous la forme Obunegos, il est certain que l'un et l'autre dési-
gnent les Lénapés, puisque d'après Heckewelder {Op. cit., p. 68, 113, 121,
177, 180, 182), les Chaouanons donnaient aux Lénapés le titre de grand-
père.
(5) Schoolcraft, Op. cit., t. V, p. 196. —Cfr. Heckewelder, p. 175-182.
(6) Dans l'idiome de cette tribu shawanoong signifie le Sud. (School-
craft, Op. cit., t. V, p. 255).
6i Lii: MISÉON.
santés ; nous savons seulement (jue, sans [)ai'ler de leurs
incessantes péi'égrinations en Amérique, ils avaient une
curieuse tradition sur Toriiiine de ieuis ancêtres, (jui
seraient venus de Tb^st, à travers l'Océan, en marchant
sur l'eau (i).
De même les Lcni-fjénapés, comme on le verra plus
loin, contaient (|ue leurs ancêtres avaient traversé l'Océan
pour venir s'établir en Amérique. On n'a pas de peine à
s'ex|)liquer l'idcndité de celte tradition avec celle des
Chaouanons, (juand on sait (|u'ils se rattachaient comme
eux à la branche méridionale des Algonkins. De même que
les Illinois (2), (ioiil ils portaient le nom (3), ils avaient
habité le Far-West (4), quoiqu'ils vinssent de l'Est,
comme l'indique leur nom générique : ]Vai)onaclil{is,
Ahcnahis (;.), OIntncf/o ou Opuhnankc. ((0 (Orientaux).
(1) Id. ibid., t. I, p. 19 et IV, p. 2.55.
(2) « Qui uiit jiutrefois habité proche de la mer de l'Ouest. " {Relat. des
Jésuites, li>7l. p. 1(1. — On en disait autant des Miamis, les Indiens de
Chicago, qui avaient d'ailleurs d'intimes affinités avec les Illinois. (De Char-
levoix, Journal d'ioi voyage dans l'Atnérifjue septentrionale, t. III de
son Histoire de la Nouvelle France. Paris, 1744, in-4. lettres 11 et 26,
p. 188, 308).
(3) Linioueh ou Illiniouek {Relat. des Jésuites, 1(>56, p. 39 ; 1G67, p. 12,
21), qui signifie hommes et correspond à leno (au pluriel lenoioah) en
Lénapé ; à ellcnu en Abenaki ; à i(l7ioo en micmac ; à lajiea en Miami ;
à linni, illenni en Chaouanon : à inani en Menomini ; à cnene en Ojibwa.
— Lénapé a le même radical que leno (vir) et comme on le traduit par
homo (Du Ponceau, Mém. sur le système graynmatical des langues de
quelques nations indiennes de l'Amérique du Nord. Paris, 1838, in-8,
p. 330), le nom composé doit sif^niticr homme viril, ce qui avait dû jus-
tifier à l'origine le titre honorifique de yrand-prrc (Voy. supra p. ()3). —
« Qui dit Illinois, c'est comme qui dirait en leur langue les hommes. »
(Récit des vogages et décour crtes du P. J. Marquette, dans le t. II, p. 2H5
de Mis.sion du Canada ; Relations inédites de la Nouvel le- hYance,
publiées par le P. Mai'tin, Paris ISiU, in-8).
(4) Heckewelder. Op. cit., p. 40.
(5) Voy. supra, p. 53, n. 2.
(6) Voy. supra, p. ti3.
LE PARADIS DE LATLANTIQUE. 65
Cette longue pérégrination, du littoral de l'Atlantique à
celui du Pacifique, qu'ils ont presque renouvelée au
XIX' siècle (i), ne leur avait pas fait perdre le souvenir
de leur origine transatlantique. Il était encore vivace en
1650, d'après le récit fait à lingénieur suédois Lind-
strœm par un indien de la Delaware : « Autrefois une
femme de votre race [c'est-à-dire une Européenne] venue
chez nous, devint enceinte après avoir bu dans une
crique... Elle donna le jour à un fils qui, parvenu à une
certaine taille, était si sage et habile, que personne ne put
jamais lui être comparé, tant il parlait bien, ce qui excitait
l'admiration. 11 fit aussi beaucoup de miracles. Lorsqu'il
fut grand, il nous quitta et alla au ciel, promettant de
revenir, mais on ne l'a jamais revu (2) ». — Au XVIP siè-
cle, les Eéni-Lénapés rapportaient en outre que, dans les
anciens temps, la chasse et l'industrie leur avaient été
enseignées par un homme vénérable et éloquent, venu de
loin et qui les quitta, non en mourant ni en partant pour
une autre contrée, mais en montant dans les nuages. Ils
ajoutaient que ce vieillard portait une longue barbe (3).
Aussi leurs ancêtres croyaient-ils qu'il leur viendrait un
bienfaiteur de la direction de l'Est, et lorsqu'ils virent
les premiers Blancs, ils les regardèrent comme divins et
les adorèrent (4).
(1) Réduits, en 1890, à 94 qui avaient conservé leur nationalité, ils
achèvent de la perdre dans i'Oklaliaraa, après avoir été successivement
refoulés de la Delaware au Kansas, puis au Texas. (James Mooney, The
Ghost Dance Religion and the Sioux Outbreak of 1890, dans Four-
teenth annual Report of the Bureau of Ethtiology, 1892-93, Part. II.
Washington 1896, in-4, p. 1095).
(2) Brinton. The Lenâpé, p. 131.
(3) Th. Canipanius Holm., Kortbeskriftiing om provincien Nya sverige
uti America, 1702. L. III, ch. Il ; — Brinton, American Hero-myths,
Philadelphie, 1882, in 8, p. 53.
(4) Brinton, The Lenâpé, p. 132.
66 LE MUSÉON.
Jusqu'au milieu du XIX* siècle, les Léni-Lénapés ont
cru que les âmes des sages, des braves, des chasseurs
infatigables, des hommes bons et hospitaliers allaient au
Pays de la vie {Wal{-an-da), dans une giande et belle ile,
au centre de la(|uelle dcnieurail le Grand Espiit, au
sommet d'une haute montagne. Le soleil ne cesse jamais
d'y luire ; un printemps perpétuel y règne ; les bienheu-
reux n'y vieillissent pas ; la chasse ne les fJiUigue pas ;
ils ont en abondance des butïïes, des cerfs, des chevreuils,
des loutres, des castors, des poissons ; des forêts y om-
bragent les campagnes qui sont couvertes de fleurs (i).
C'est à cet élysée (|ue faisait allusion le prophète Delaware
innommé de 1762. Dans le cours de ses prédications, il
montrait sur une carte en peau de chevreuil une avenue
placée au nord-nord-est et conduisant, disait-iJ, aux déli-
cieuses régions célestes situées au-delà du grand lac salé
[Atlantique] et réservées par le Grand Esprit pour la
demeure des Indiens dans la vie future ; tandis qu'un
autre passage au sud-sud-est, conduisait, à travers des
précipices, à l'afFi-eux séjour du Mauvais Esprit (2). —
Comme l'Islande est à peu près au nord-nord-est de l'an-
cien pays des Delawares, cette ultima Thulé correspond à
la mystérieuse Tula dont il est question dans un docu-
ment analogue aux peintures de ce prophète innommé. Il
s'agit du Walam-Olum ou Figures peintes exécutées au
XVin* siècle d'après les traditioris des Lénapés et accom-
pagnées d'une explication en leur langue. On y retrouve
(1) Cinquante nouvelles lettres du R. P. de Smet, publiées par Ed. Ter-
wecorcn, Paris, 1858, in-l8, p. 219-220.
(2) Heckewelder, Op. cit., p. 471-474, — Cfr. une croyance analogue
des Alibamons, Indiens de l'Alabama, qui ne sont pas de la famille Algon-
kine. (Bossu, Nouveaux voyages aux Indes occidentales. Paris, 17G8,
in-18, t. U, p. 48-50).
LF, PARADIS DP. LATLANTIQUE. 67
le Grand-Lièvre ou Grand-Blanc que nous connaissons
déjà par les légendes des Menoininis, des Chippewas et
des Potawatomis et pai* le récit fait à Lindstrœm (i). Mais
là-même où le fond est identicjuc, les conteurs ditlerent
tellement par l'exposition qu il n'y a pas lieu de croire
qu'ils se soient copiés. Ils ont dû puiser à une même
source les éléments communs qu'ils ont mêlés à d'autres,
en les traitant chacun à sa manière. Qu'on en juge par
l'exposé suivant :
Un puissant serpent, ennemi des hommes, les expulsa
de leurs demeures, en soulevant jusqu aux montagnes les
eaux qui détruisirent tout. JSanahoucfi Maskaboucli (2)
était à Tula, sur l'île des premiers ancêtres, où allèrent
les hommes et les êtres en traversant les tlots. Une partie
d'entre eux fui'ent dévorés par des serpents monstrueux ;
mais la fille du manitou, avec son emharcation, aida les
autres à passer vers Nanabouch, le grand-père des hom-
mes. Rassemblés à Tula ils demandèrent que ce qui leur
avait été ravi leur fût rendu. L'eau diminua, la terre
sécha, tout devint silencieux et le puissant serpent dis-
parut. Après quoi les Lenàpés, qui s'étaient ensemble
réfugiés dans les gi'ottes de Tula, éprouvés par la neige,
les tempêtes, les gelées, parlèi'ent dans ce pays du Nord
de climats doux et froids, où il y avait beaucoup de cerfs
et de bisons. Ils partirent : les uns devinrent constructeurs
de maisons [les Pueblos ^J, les autres chasseurs ; les uns
restèrent sur les bords de la mer, les autres allèrent dans
l'Ile des serpents [Amérique méridionale?] (3).
(1) Voy. supra, p. 58, 62, 63, 64, 65.
(2) Correspondant aux synonymes employés respectivement et isolé-
ment par les Menominis, les Ojiliwas et les Potowatomis, mais réunis ici
pour désigner le même personnage bienfaisant.
(3) Dan. G. Brinton, The Lenâpé, p. 177-184.
68 LE MLSÉON.
III. Le Paradis âtlamioie des .Mexicains
ET DES MaYAS-QI'ICIIÉS.
Quehjues-unes des obscurités du |>ai'aij;raphe précédent
seront dissipées par la conii)araison avec les traditions
des peuples de la région isthmi([ue : Quiches et Cak-
clîiqueis du Guatemala, Mayas du Yucatan, ïoltecs du
Mexique. Commençons par celles des Quiches, qui nous
paraissent être les plus archaï(fuos : si des conceptions
chrétiennes y ont été intei'|)olécs après la conquête espa-
gnole, il est facile de les en séparer. Chez les Mexicains,
au contraire, les diverses Tulas et les Quetzalcoatl (jui en
étaient originaires, ont été confondus dès les temps
païens, et il est d'autant plus dillicile d'opérer le triage.
Si les traditions des peuples Quiches se sont perpétuées
avec aussi peu de changements que leurs idiomes, elles
remontent bien à deux mille ans (i), ce qui nous rappro-
cherait du temps où les croyances en l'Elysée de l'Atlan-
tique ont passé de l'Ancien dans le Nouveau Monde. Elles
ont été consignées, vers le milieu du XVl^ siècle, dans
des mémoriaux dont le plus étendu est le Pojwl Viilt
(Livre de la communauté) (2j. (^est la reproduction plus
(1) Otto StoU, Zur Ethnographie der Repiihlik Guatemala. Zurich,
1884, p. 157, cité par D. G. Brinton dans The Annals ofthe Cakchiquels,
texte, traduction, notes. Pliiladclphie, 1885, in-8, p. 10.
(2) Edité par l'Abbé Brasseur de Rourbourj^-, avec traduct. et notes.
Paris, 1861, gr. in 8 ; traduction espagnole du P. Francisco Ximénez,
publiée par le D'' C. Scherzer, sous le titre de Las hi.ston'as dcl origcn
de los Indios de esta provincia de Guatemala^ Vienne, 1857, inS. — Une
version espagnole de la traduction fiani^aise. avec des notes tirée de
celle de Ximénez, et due probablement à .lusto Gavairete. a paru de 1894
à 1896, dans El educacionista de Guatemala. C'est elle probablement
qui a été reproduite sous le titre de El Popol Vuh, avec une étude préli-
minaire de Santiago I. Barberena et publiée par Arturo Ambrogi dans sa
Bibliolheca centroamericana, en trois lascic, in-12, San Salvador, 1905.
LE PARADIS DR LATLANTIQUE. 69
OU moins fidèle, en caractères alphabétiques, d'un ancien
recueil de peintures ou d'iconophones (sons représentés
par des figures), en usage à Tula (i).
On y voyait que leurs ancêtres avaient d'abord habité au-
delà de la mer, dans l'Est, où ils connaissaient des hommes
blancs et noirs, des hommes qui vivaient sans maisons [des
nomades]. Us quittèrent leur pays pour aller chercher des
dieux à Tulcm-Zuiva, à Vukuh-Pck (aux Sept Grottes), à
Vukub-Civan (aux Sept Ravins). Ils eurent à faire un long
trajet pour s'y rendre (^2). 11 y avait là nombre de tribus,
entre autres des Yarjuis, Sacrificateurs, qualifications don-
nées aux marchands et pèlerins Mexicains (0), dont le dieu
portait en effet des noms nahuas : Yolcuat-Quitzalciiat (4)
(1) Popol viih. p. 295-6 ; trad. espagnole, p. 117. — Voy. infra, p. T2.
(2) Popol vuh, p. 206-217 ; Cfr. p. 22S-229, 240-241, 244-245, 290-291 ;
trad. esp. p. 83-85, 92, 96, 116, 117.
(3) Popol vuh, p. 206-207, 212-213, 216-217, 246-247, trad. esp., p. 86, 87,
98. — Leur dieu Quetzalcoatl en effet était patron de la ville de Cliolula
et dieu des marchands (D. Duran, Historia de las Indias de Nueva
Espana, t. II, 1880, in 4, p. 118), et les Annales des CakcJaquels (p. 165),
parlent de Yaquis de Culuacan, cest-à-dire de la confédération Culua
du haut Anahuac, envoyés en Guatemala par le roi Modeczumatzin (Mon-
tezuma II). — Yaqui est un terme nahua qui signifie : marchant, voyageur,
par extension marchand ; il a le même radical que yani, pèlerin et pouvait
désigner aussi bien les pèlerins allant à Tulan que les voyageurs de com-
mei'ce ou. pour mieux dire, les célèbres colporteurs de l'Anahuac.
(4) Popol vuh. p. 246-247 ; ti'ad. esp. p. 98. — Le premier de ces deux
mots parait être une transcription de yollotl cœur, apocope en j/ol pour
entrer en composition et cuail. chef en nahua. Il signifierait : chef cou-
rageux. Mais comme on ne connaît pas d'épithète semblable apposée au
nom de Quetzalcoatl, il est à croire que c'est une transcription défec-
tueuse de yoalli nuit, apocope et ecatl vent, esprit, le tout signifiant :
Esprit nocturne, une des qualitications de Quetzalcoatl fQuizalcoatl, por
otro nombre Yagualliecatl, selon Historia de las Mexicanos por sus
pinturus, p. 228 de iSaeva coleccion de docurnentos para la historia
de Mexico, qCl\\. par J. Garcia Icazbalceta, t. III, Mexico, 1891, in-8). Le
P. D. Duran {Op. cit., t. IL p. 122) l'appelle aussi Yecatl (eau pure).
70 LE MUSÉON.
et Nacxit (i), et employa un composé nahua cinpuvnl-ta-
xucfi (2) pour donner l'investiture à Oibaltzam {7,). Il
correspondait à To/iil (Tonnant) (4). Ses adorateurs, mou-
rant de l'aim et de froid, lui demandèrent du feu, il leur
en donna, mais leur défendit d'en faire part aux autres
tribus ; celles-ci n'en purent obtenir qu'en lui promettant
ce qu'il y avait dans leur poitrine, sous leur ceinture.
C'étaient leurs enfants qui plus tard furent enlevés à la
dérobée et immolés sur l'autel de Tohil. Ce dieu de
Tulan, comme Kronos, le dieu dOgy^ie, exigeait des
victimes humaines, mais les Quiches étaient dispensés
d'en prendre dans leur tribu ; ils n étaient tenus que de
se tirer du sang des oreilles et des bras, de brûler de
l'encens, et de sacrifier des oiseaux et des cerfs {.-ij.
A Tulan s'était produite la confusion des langues : les
peuples ne s'entendaient plus les uns les autres ; ils se
séparèrent. Les uns retournèrent dans l'Est. Tohil dit
aux Quiches et à leurs confédérés : « Ce n'est pas ici notre
demeure, partons pour notre destination ». Le narrateur
avoue qu'il ne sait pas bien comment se fit la tiaversée
de la mer, si ce fut sur des pierres éparses [glaces flot-
(1) Popol vtih, p. 294-295. — Cfr. Ceacatl y Naxitli y Quetzalcoatl ■
Quetzalcoatl Ceacatl y Nacxitl, chez Tezozomoc (Hernando Alvarado),
Cronica Mexicana, édit. par M. Orozco y Bena. Mexico, 1878, in-4,
oh. 101, 108, p. 659, 694. — On parlera plus loin de ce titre (p. 56, n. 3).
(2) Le premier mot est une transcription de cempualli vingt ; le second
peut être une forme syncopée et apocopée de tlaxuchtli, ceinture, ou un
composé do tatli père, apocope et xochiil fleur. Le tout signifierait : Père
ayant vingt fleurs pour armoiries.
(3) The Annal s of Ihe Cakchiqiiels, p. 91, 201.
(4) Popol vuh, CXXII, 214-215, 218-219; — Annals ofthe Cakchiquels,
p. 89, 111, 147; — Brinton, ibid. 199 et The Names ofthe Gods in the Kiche
Myihs, Philadelphie, 1881, in-8, p. 23. où il identifie ce nom avec le maya
tohil, droit, justice.
(5) Popol vuh, p. 216-217 ; cfr. p. 250-263 ; trad. esp., p. 87-91 ; cfr. p. 100-
105.
LE PARADIS DE l' ATLANTIQUE. 71
tantes et banquises] ou sur le sable, les eaux entr'ouvertes.
Ils étaient affligés à la pensée de ne plus voir le lieu oîi
le soleil se lève. Il ne se niontra pas (i). N'ayant pour
nourriture qu'un peu de farine et de l'eau pour boisson,
ils regrettaient leur patrie et les compagnons laissés en
arrière, parmi lesquels étaient les Yaquis ou Pèlerins et
leur dieu Quetzalcoatl (2), qui s'y trouvait encore long-
temps après et qui, sous le nom de Nacxit, y donna
l'investiture à des princes Quiches et à Orbaltzam (3).
Grande fut leur allégresse lorsqu'ils virent l'étoile qui
précède le lever du soleil. Ils continuèrent leur marche,
firent beaucoup de stations, qu'il est difficile et inutile
d'identifier. Ils étaient à Hakavitz, lorsque les quatre
chefs de leur migration disparurent d'une façon mysté-
rieuse. Quoique bien âgés et venus de fort loin depuis
bien longtemps, ceux-ci n'étaient pas malades lorsqu'ils
prirent congé de leurs enfants, disant que leur mission
était accomplie et qu'ils retournaient dans leur patrie.
Ils recommandèrent à leurs successeurs d'aller revoir le
pays d'où ils étaient venus, leur laissant comme souvenir
un paquet enveloppé, correspondant au qiiimilli des
peuples de langue nahua (4). Longtemps après, trois de
(1) Ce qui s'expliquerait assez naturellement, si la traversée sur les
glaces avait eu lieu au cœur de l'hiver et à une latitude plus élevée que
le cercle polaire.
(2) Popol vuh, p. 246-247 ; trad. esp. p. 98-99.
(3) Popol vuh, p. 294-295 ; trad. esp. p. 117 ; — Ann. des Cakchiquels,
p. 90-91, qui ne disent pas où l'investiture eut lieu.
(4) Sahagun, Hist. gén. L. X. ch. 29, p. 674 de la trad. franc. —Juan de
Torquemada, Monarchia indiana, L. II, ch. 2, p. 79 du 1. 1 de l'édit. de
Madrid, 1723, in-4 ; — Nunô de Guzman, Relat. de Vexpédit. chez les
Teules Chichimecs, 1530, dans Coleccion de documentos inéditos
sacados de los archivas de Indias, T. III, Madrid, 1870, in-8, p. 379 ;
— J.-B. de Pomar, Relacion de Tezcuco, p. 13-14 du III (Mexico, 1891, in-8)
72 I.K MISÉON.
leurs fils partirent pour l'Kst à travers l'Océan, afin de se
f'aii'o investir par le iiraiid seigneni' des Orientaux, le
juge suprême Nacxit, (jui leur conféra les insignes de la
royauté. Ils rapportèrent de Tulan l'art de peindre les
histoires (i). C'est là, en effet, (jue les éniigrants avaient
laissé Naexit avec ses Ya([uis.
Un auti'e doiMiiiuMit (|iiiehé, conservé aux. archives de
Totonicapaii (-21. et dont on !» des traductions (5), fait
pendant au livre 11! ou partie histori([ue du Popol Vuli (i).
Quoiqu'il en (litière en heaucoup de points, il s'accorde
avec elle sur la situation de Tulan Civan, dans l'Est,
au-delà de la nier ^^,|, et sur le i'(')le irn})ortant (pi'y jouait
Naexit. leur gi'and-père et leur dieu (6I ; lors(|u'ils par-
tirent (le Tulan (t), ils r(^(^'urent de lui l'enveloppe niysté-
de Nueva coleccinn de documentos para la historia de Mc.rico, publiée
par .1. Gai-i-ia lpazl)aloeta. — B. de las Casas. Apoloff('tic'( h/s/oria, ch. IIS
oxti'aii tlaiis le 1. VU! des Antiq. of Mexico de Kingsboroufjh. notes
p. io8-i:>'.K
(1) Popol vuli. p. 2'.'l-2!.>:>; trad. csp. p. 117.
(2) C'était la tradition des Caveks. issus du premier des quatre cliofs do
la migration des Quiches.
(;!) L'une en espagnol, d'après le Quiche faite en 1834 par le P. D.-J.
Chunay. curé de Zaoapulas ; l'autre en français, faite sur cette der-
nière par le C*"^ de Charencey, qui les a publiées toutes les deux dans le
Bulletin des actes de la Société philologique. Tiré à part, Paris. 1885,
in-S. sous le titre de : Tilulo de las SeTiores de TûtO)iicapan.
(4) Qui. d'ajjrès une allusion à Santa-Cruz (p. 34(i-;i47), capitale des Qui-
ches, appelée anléi'ieuremcnt Utlallan et Gumarcaah. parait avoir été la
tradition des princes de cette contrée.
(5) Titnlo, ]). 12-1."), 28 21). 32-33, 44-4.J. M-Chj.
(6) Tilulo, |). M-l.'ï. 28-2<.i. 30-37. Il ny est pas identifié avec leur naliual
(ou nianitouj. connue c'est le cas dans le Popol vuh (Voy. supra, p. 7o),
(7) Ihid., p. 10-11, 12-13. G4-67, (cfr. p. 14-15). OÙ cette contrée est placée
aux contins do l'Assyrie et de la Babylonie. Les émigrants y sont iden-
tiliés avec les dix tribus Israélites subjuguées par Sahnanazar. Ces rémi-
niscences bibliques, que l'on ne retruuvc dans aucune des autres légendes
sur Tula, ne l'ais;dent assui'émenl j)as partie delà tradition (piicliée pri-
LE PARADIS DE l'aTLANTIQUE. 75
rieuse, appelée ici Giron Gagal, qu'ils développèrent plus
tard et qui leur servait dans les opérations magiques (i).
Comme ils employaient pour cet usage une pierre donnée
par Nacxit (2), on a supposé que celle-ci était tout à la fois
identique avec le Giron Gagal et avec la tablette d'obsi-
dienne que les Quiches ont conservée d'abord au tribunal
du Tecpan Guatemala et actuellement dans l'église de
cette localité. Après avoir servi d'amulette et été consultée
comme oracle, cette pierre transparente fait maintenant
partie de la table du grand autel (3). Ce ne fut pas le seul
don que les Quiches obtinrent de Nacxit ; ils en reçurent
en outre des loix, des institutions et des insignes de
dignité qu'ils étaient allé lui demander à deux reprises (4).
Ce législateur divin paraît correspondre aux compagnons
d'Hercule, restaurateurs de la civilisation dans la colonie
Kronienne de la Aouvelle-Méotide (o), tandis que Tohil,
exigeant des victimes humaines en retour du feu qu'il
donnait (0), joue plutôt le rôle de Kronos. Quant aux
premiers chefs de la migration, ils disparurent mysté-
rieusement (7), comme il est dit dans le Popol Vuli.
Les Calicliiqucls, possesseurs du Tecpan-Guatemala, inti-
mement apparentés aux Quiches, avaient comme eux une
mitive, quoiqu'elles aient été souvent associées à diverses autres théories
sur l'origine des Américains.
(1) Titiclo, p. 14-15, 22-23, 40-41.
(2) Ibid., p. 40-41.
(3) Fr.-A. de Fuentes y Guzmau. Historia de Guatemala 6 Recorda^
ciôn florida^ édit. par J. Zaragoza. Madrid in-8, t. II, 1883. p. 135-136. —
Cfr. Brinton, dans Ann. des Cakchiquels, p. 23-27.
(4) TitulO, p. 28-33, 44-45.
(5) Plutarque, Mot^al/a. éd. Diibner. t. I, p. 1152. — Cfr. U Elysée des
Mexicains, p. 5. 17-18.
16) Tihilo, p. 16-17, 21-22.
(7) Ihid.. p. 36-37.
7-4 lE MUSÉON.
sorte d'histoire génëalogi(|iie ou titre de famille écrit vers
1559 pour sei'vir de pièce justificative dans un procès.
Le zélé reslauratoiir des études relatives à l'Amérique
centrale, l'Abbé Brasseur de Bourbourg, qui en a t'ait
une traduction française inédite, lui donna le titre de
Mémorial du Tecpan Àlitlan, parce qu'il fut écrit dans
celle localité ; l'archiviste Gavarrete en publia une traduc-
tion es[)ai'nole (i), et le D' Dan. G. Brinton a édité le texte
avec traduction anglaise, notes et introduction, sous le
titre d'Annales des Cakcliiquels (2), pai'ce (ju'elles sont
écrites en leur idiome par des membres de la famille
princière de Xahila (3). Quoiqu'elles diffèrent essentielle-
ment des mémoriaux quiches, elles les confirment en ce
qui concerne Tullan (i) comme source de lumière et
d'intelligence (."i ; mais elles parlent de quatre localités
de ce nom et la situation de celle qui nous intéresse a
besoin d'être précisée (6). Nous pouvons laisser de côté,
(1) Dniis le Boletiii de la Sociedad economica de Guatemala, ISlS.
(2) The Annals of the Cakc/iiquels : fheorigmal Text, loith a Trans-
lation, notes and iniroduclion. tonnant le t. Vide Brinton's X/6ra?-f/
ûf ahoriyinal American Literature. Philadelphie. 1S85, in-8.
(3) Brinton. Ahoriginal American Authors, Philadelphie, 18S3. in-S,
p. 31-32, et introd. aux Annales, p. 53-59.
(4) Api)elée Tollan. dans d'autres sources. Ce sont des formes de Tonal-
lan [tonalli apocopô <à cause de la suffixe tlan. le tout sig-nitiant : au lieu
(lu soleil), qui. on i)erdant sa ti'oisièrne et sa quatrième lettre, est devenu
Tollan, TuUdi, Tula. Los quatre j)assages reproduits infra (p. 96 n. 5)
prouvent bien que Tonallan et Tula sont synonymes.
(5) - Vi-aiinent gi-andes étaient les connaissances do Qikab. et merveil-
leuse la i)iiissance de ce chef. Il avait non seulement la majesté d'un roi,
mais il imposait par la science et la profondeur de son esprit, dues à
Tulan. r {The Ann. of the Cahchique's, p. 13S I3t)).
(6) Bien que dans son vocabulaii'e (p. 213;, Brinton ti-aduise la préposi-
tion cho par to, in, (owards. il la l'end dans plusieui-s passages par from,
(venant) <'^r', ce qui produit une cxtrônio confusion, qui peut être évitée
en s'en tenant au sons do 0, dans, vers.
LK PARADIS DE L ATLANTIQUE. iO
comme mythique, deux de ces quatre Tullan, celle du ciel
et celle de l'enfer ; celle de l'Est est le point de départ des
émigiants ; celle de l'Ouest, une de leurs stations dans le
Nouveau Monde, soit la célèbre T^la de l'Anahuac, par
laquelle tous les émii>rants tenaient à passer h), soit une
Tula moins connue du Nouveau Mexique (2). La qualifi-
cation de Tultecs (3), donnée aux premiers rois et civili-
sateurs du Guatemala (4) dénote leurs relations avec une
au moins des Tulas réelles. Mais avec laquelle ? Les
Quiches de Santa Cruz et de Totonicapan, aussi bien que
les Mayas (.i) et les Mexicains s'accordent à placer dans la
Tulan oi'ientale, d'au delà de l'Océan, le berceau de la
civilisation de rAméri([uc moyenne. Est-il vraisemblable
que les Cakchiquels le b)calisent ailleurs ([uand ils ont la
môme tradition que ces peuples relativement à l'origine
toltèque ? Les textes ne justilient pas une telle inconsé-
quence, (juoiquelle paraisses i'('sulter d'un passage de la
traduction anghiise ^i). .Mais il est facile de l'cctifier celle-ci
^1) Domingo .luuiTOS. ^'omponiio de la hlf^tovia de la ciiulad de Gua*
ternala. Guatemala, 2 vol. in-8. t. H, p. 8.
(2j Fr.-A. de Fuentes y Guzinan, Hist. de Guatemala, t. I, p. 43.
(3) Ce nom ethnique est composé de Tullan. Tula. apocope pour entrer
en composition, et de la suffixe tccatl. au pluriel teca. gens.
(4) De Fuentes y Guzman, Bist. de GuoJemala. t. I. p. 5, IT. 19-21.
23-25. 29. 32, 4.3, 73. lô.
(5) Voy. iyifra, p. 78-79. 82-84.
(6) « From the sunsetting we came, from Tullan. from beyond the sea. »
(p. 69). De même dans son résumé des Annales, il écrit (p. liO) : « They cross
the sea. proceeding toward the east », ce qui est en contradiction avec le
texte qui porte : cha {^ to et non from) kahiljal (sunsetting, et avec trois
passages de la traduction, où les cmigrants disent : « Did we not corne
from the sun rising? " (p. 81). — - We came from tlie east «. (p. 83). —
« Thèse names [les noms des tribus] came from the east. » (p. 85). Par là
il est clair que les émigrants allaient de l'Est à l'Ouest de l'Atlantique
vers un pays qui est sur la rive orientale de cet océan.
*76 IK MLSÉON.
en ne donnant jamais de sens contraires aux mêmes
propositions et en traduisant toujours chu ou clw par vers,
à, et pu par dans, venant de. En nous conformant à cette
règle nonsextrayons ce (jui suh des Annales des (Mlicliujnels.
D'api'ès les paroles de leurs premiers ancêtres, Gagavitz
et Zactecahauh, il y avait quatre ïullan : une au soleil
levant, une en Xibalbay, une au soleil couchant où ils
allaient ; la (juatrième où est Dieu [au ciel] (i). Lorsqu'ils
eurent déposé leur offrandes à Tullan, ne gardant que
leurs arcs et leurs boucliers, leurs pères et leurs mères
leur dirent : Votre demeure n'est pas ici ; c'est au-delà
de la mer que vous trouverez vos montagnes et vos plaines.
Vous serez soutenus par Belche (neuf) ïoh, et Hun (un)
Tihax, [les dieux en] bois et pierre, aux(piels vous avez
payé tribut. Vous aurez besoin de vos armes ; il y a guerre
vers l'Est [du continent américain). Voilà les paroles qui
leur furent dites à leur dé})art de Tullan (^2).
Sans se laisser intimider par des oiseaux de mauvais
augure, qui leur prédisaient la défaite el la mort, mai--
chanl dans la boue, les ténèbres et les brumes, sous la
pluie, ils airivèrent au bord de la mer, où d'autres se
lamentaient de ne pouvoir la traverser. Les Cakchi<juels
n'eurent ((u'à pousser sur le sable le bâton rouge [cak chee,
l)ois rouge, qui était leur totem], pour (jue les eaux, s'écar-
tant en haut et en bas, leur livrassent [)assage. Ce n'est
que dans leur cinquième station qu'ils se trouvèienl en
présence de guerriei's Xonovalcat (r>) et Xulpit. Après un
terrible combat où ils les mirent en déroute et sempa-
(1) The Armais, p. 6S-(îO.
(2) Ihid., p. 7vJ-77.
(3) Ce nom passe pour être nahua (Brinton, ihid. p. 44, 199) et il dési-
gnerait aloi's une trihu des Mexicains, dans les traditions desquels il
ligure plusieurs fois.
LE PARADIS DE l' ATLANTIQUE. 77
rèrent de leurs embarcations pour continuer leur voyage
jusqu'à Zuyva où ils furent eux-mêmes défaits. Les bandes
d'émigrants cherchèrent chacun un protecteur et, comme
il tonnait, les Cakchiquels invoquèrent Tolioliil [peut-être
identique avec Belelie Toli et certainement avec Tolnl (i)J.
Ils se dispei'sèrent et les quelques survivants qui venaient
de l'Est se rendirent séparément à leur destination (2).
Nous n'avons pas besoin de les suivre plus loin dans leur
pérégrination qui les entraîne hors de notre sujet. Leurs
chroniques ne disent pas s'ils retournèrent à Tullan,
comme avaient fait les Quiches, pour rendre un culte à
Belehe Toh.
Leurs congénères, les Mayas du Yiicatan, avaient aussi
conservé des réminiscences de Tula, de Zuiva et de
Nonoval : on lit dans leurs Annales (3) : « Partis pour le
pays de leur résidence à Nonoval, les quatre ïutulxiu
[arrivèrent] dans l'Ouest à Zuiva, venant ensemble de
Tiilapan leur patrie » (4). [ci encore le traducteur anglais
n'a pas manqué d'embrouiller la géographie en donnant,
dans le même contexte, deux sens opposés à ti qu'il traduit
par from et to, quoique dans son vocabulaire il rende
cette préposition par à, vers, pour, et non par [venant] de.
Avec de tels procédés on rend les légendes méconnais-
sables. Heureusement qu'il est possible de rectifier celle-ci
par la comparaison avec trois autres documents d'origine
yucatanaise, pai'faitement d'accord sur ce point entre eux
et avec le sens que nous attribuons au passage des Annales.
En 1581 lors de l'encjuête qui fut faite par ordre de
(1) Popol Vuh, p. 24-6-7. — Voy. supra, p. 70. Tohoh en cakchiquel
signifie tonner d'où. Tohohil. (Brinton The Annals p. 199).
(2) The Annals, p. 78-85.
(3) The Maya Chronicles, texte, avec traduction, commentaires et
notes par Dan. G. Brinton. Philadelphie, 1882, in-8.
(4) Ibid., p. 93, 100, 108.
78 I.K MlS^:ON.
IMiilippo 11 dans tous les districts du Yucatan, les indigènes
déclarèrent que le premier seiîïneur de Miitul nommé Çak
MuiuL cesl-à-dire Homme liUmc (zaki était venu de
l'Est, sans préciseï' de (juelle contrée, mais (pie c était un
Indien (i). Malirré cet aveu d'iiinorance, l'épithète de lUnnc
nous semble être une indication plus utile (pie la conjec-
ture du I*. Diciro de Landa : « Quebpies vieillai-ds du
Yucatan disent avoir a|»piis de leurs ancêtres (pie ce
pays-ci avait été peu|)lé par des ijjens venus de l'Est,
(jue Dieu avait délivrés en leur ouvrant douze chemins
à travers la mer. Si c'était viai, ajoute-t-il, tous hîs
habitants des Indes devraient nécessairement être issus
des Juifs (-2) ».
Non moins hyi)()théti(|ue est l'oritïine carthatîinoise
attribuée par le P. Lizana à une partie des colonisateurs
du Yucatan : « La population d'ici, dit-il d'a[)rès les récits
des premiers évaniiélisateurs de ce pays, venait partie de
l'Ouest, paitie de l'Est.... Anciennement l'Orient s'appe-
lait i'.cn-'ial (Petite Descente) et l'Occident Sohcn-ial
((irande Descente) ». (l'est de l'Est, ajoutait la tradition,
(pie débar(pièrent les occupants les moins nombreux, et
de l'Ouest les plus nombreux. (5). Du commentaire assez
embiouillé (jue Lizana t'ait de ce récit, il semble ressortir
(ju'il regardait comme Carthaginois les envahisseurs
(1) Relaciones de Yucatan. t. I. p. 77. formant le t. XI de Coleccion de
documentos de Ultramar, 2" série (dont la l" est citée par abréviation
sous le titre de Documentas de Indias). Madrid. 189S, in-8).
(2) Diego de Landa, Relation des choses du Yucatan, texte et traduc-
tion par Brasseur de Bourbourg, Lyon, I8(i4. in-8, p. 28-29. — Nouvelle
édit. augmentée, quoique incomplète, dans le t. II des Relaciones de
Yucatan. Madrid, 1900, p. 279-2S0.
(3) Lizana, Historia de nuestra SeTiOt-a de Itzmal, extrait dans Touvr.
précité de Brasseur de Bourbourg, p. 354-355.
LE PARADIS DE l'aTLANTI(,>L E. 70
Orientaux et que, selon lui, les autres étaient venus du
Mexique. 11 se réfère, en effet, au P. J. de Torqueniada
d'après lequel les Teochichiniecs de Tlaxcala auraient mis
(c un peu moins de trois cents ans pour occuper la majeure
partie de la Nouvelle-Espagne, s'étendant d'une mer à
l'autre, du littoral de la mer du Xord [Golfe du Mexicpie]
à celui de la mer du Sud [Océan Pacifique], envahissant
les contrées moyennes [Amérique centrale] situées à l'Est,
dans lesquelles sont comprises les provinces de Tabasco,
de Champoton, de Yucatan, Campèche et l'ile de Cozumel,
jusqu'aux Hibueras [Honduras] » (i). Le P. Diego Lopoz
Cogolludo qui reproduit ce passage adopte l'opinion de
Torquemada, mais contrairement à celle de Lizana, il
aflirme que les colonisateurs orientaux étaient les plus
nombreux et les plus anciens, puisque Zamna leur prêtre
passe pour l'auteur des innombrables noms de localités du
Yucatan : ports, côtes, promontoires, montagnes (-2). Or
ces dénominations s'expliquent par le maya et non par
le nahua, fait positif qui justifie la théorie de Cogolludo,
aussi bien au point de vue de la chronologie que de la
linguistique, car l'invasion Teochichimèque est certaine-
ment la plus récente des temps païens, la dernière qui
ait pi'écédé l'arrivée des Espagnols.
Conformément à une tradition recueillie par Torque-
mada (3), les Naliuas du Nicaragua affirmaient que leurs
ancêtres étaient venus du couchant (4), ce (jui ne les
(1) J. de Torquemada, Mo7i. ind. L. III, ch. 13, p. 269 du 1. 1.
(2) Diego Lopez de Cogolludo, Uistoria de Yucatan. L. IV, ch. 2, p. 285-
287 du t. I, de la 3« édit. Merida, 18r)7-lS68, 2 vol. pet. in-4.
(3) Mon. ind., L. llli ch. 40, p. .331-332 du t. I.
(4) Oviedo y Valdés (Gonzalo Fernandez), Eistoria gênerai y natural
de las Indias, édit. par José Amador de los Rios, T. IV, Madrid, 1855,
in-4, p. 45.
80 Lt MUSÉUN.
ein[U't'Iiaif pas de placer en haut, là où le soleil se lève
(arriha) (i) le séjoui' de leurs créateurs, Tamagastad et
Cipattoiial. (|iii étaient descendus sur terre, avaient vécu
coimne honiiiie et leininc parmi les mortels et restaient
toujours jeunes. C'est [)i'ès deux (ju'allaient les âmes des
guerriers, des ijens pieux, des bons {'■2]. — Comme ils se
disaient originaires de Cholula dans le haut Anahuac et
qu'ils avaient émitiré du Soconusco |)Our se soustraire à
la tyranie des Ohnecs ou llubnccs (ô), <|ui avaient égale-
ment passé par le Mexicpie i4), leurs croyances sont, pour
ce qui nous en est connu, et devaient être [)our le reste,
analogues à celles de leurs congénères les peuples Nahuas.
Ceux-ci savaient que la i)lupart des tribus colonisatrices
du Mexique y étaient entrées du côté de l'Ouest, mais que
leur plus célèbre civilisateur, le Blanc Quetzalcoatl était
venu par mer de la direction de IKst. La différence
d'origine des peuples du Mexicjue, ainsi (|ue celles de
date et de mode d'immigration. expli([uent la diversité de
leurs conceptions relativement à l'autre vie, non pas en
ce qui concerne les morts ordinaires, car tous, eussent-ils
été des grands de la terre, allaient au MictUni (séjour
des morts), souterrain, septentrional, et ténébreux (;i) ;
(1) « Ponde el sol sale llamanios nosotros arriba. n (Id. ibid.. p. 4'A du
t. IV.) — Cfr. dans L'Eli/séc des Mexicains, (p. 24, n. 5) d'autres textes
où ar7'iba désigne VEst.
(2) Oviedo, Op. cit., t. IV, p. 40-45.
(3) Torquemada, L. III, cli. 40, p. 332 du t. I.
(4) Bernardino de Saliagun, Histoire gcncrnle des choses de la Notc-
vclle Espagne, trad. et annotée par [>. -lourdanet et Hémi Siméon. Paris,
1880, gv. in-8. !.. X, ch. 29, p. 672-()75 ; — Torquemada, Mon. ind. L. III,
ch. 8, 11, 13, p. 257, 262. 269; — Ixllllxociiitl (Fernando de Alva), Obras
histôtv'cns, édit. par Alfredo Cliavero. Mexico, 1S91, 1892, 2 vol. in-8. t. I,
p. 19-20 ; '1'. U, p. 22.
(5) Sahagun, Op. cit. Append. du L. III, cli. I, p. 221-222 ; L. VII, ch. 8,
p. 487.
LE i'AUADlS DE LMLWllOVE. 81
mais pour lélite il y avait trois paradis, tous dans le
voisinage du soleil : l'un à l'ouest qui était appelé ciliual-
lampa (côté des femmes), pour les femmes mortes en
couche ou à la guerre (i) ; l'auti'e à l'est, pour les guer-
riers qui avaient péri en coml)attant, soit quils aient été
victorieux, soit que l'ennemi les eut fait prisonniers,
torturés ou immolés dans le combat gladiatorial (i) ; le
troisième, également à l'Est, pour les gens foudroyés,
novés, morts d'une maladie contagieuse, les ualeux, les
varioloux, les goutteux, les hydropiques ; leur demeure
était le TIalocan ou séjour des Tlalocs, dieux du tonnerre,
des nuages, de la pluie ; ces météores étaient la source
de tous les biens pour les pays tropicaux ; aussi le TIalocan
était-il considéré comme un vrai pays de cocagne, dont
les hôtes, oubliant leurs infortunes passées, vivaient dans
les plaisirs, la quiétude et l'abondance (-2). A ce titre, ils
pouvaient être confondus avec les nis de Qiietzalcoall qui,
en qualité de dieu du vent précurseur de la pluie (5), les
établit sur teri-e au milieu d'une natuie exubérante, le
Tamoanc/Kin, sorte de paradis terrestre, où ses adorateurs
devaient trouver toutes sortes de richesses, de délices,
jointes aux jouissances de lart (4).
Quant à lui, après avoir été avec ses trois frères (o) un
des créateurs de l'univers («), après avoir joué pendant
(Il Id. ib/d., L. VI, ch. 29, p. 435-43G ; L. VII, ch. S, p. 487.
(2) Id. ibid., L. I, ch. 4, 11, p. l.o, 21 ; !.. III, append. ch. 2, p. 225 ; L. Ylb
ch. 5, 6, 7, p. 484, 48(5 ; L. X, ch. 29, p. (i72 ; L. XI, ch. 12, p. 780.
(3) Id. ibkl., L. I, ch. 5, p. 15-16.
(4) Sahagun, Hùt. gén., L. III, cli. 3, p. 205; - Torquemada, L. VI.
ch. 24 ; L. X, ch. 29 ; p. 48, G72, (574 676.
(ô) Comme dans la légende des Potawatomis (supra, p. 61-62).
(6) Historia de los Mexicanos por sus jyinluras (Hist. iconophonique
des Mexicains), T. III de la Nueva Coleccion de J. Garcia Icazbalceta,
p. 229, 235-236.
82 LbL MUSÉON.
676 ans le rôle de soleil et jeté dans les flammes son tils
ineonçu (i), afin qu'il éclairât le monde comme astre du
jour (2), il s'incarna dans le sein de Chimalma, la vierge
de Tulan ou Tula (0), devint seii^neur de cette ville et
grand guerrier (i), à tel point que Sahagun le compare à
Hercule, tout en le donnant comme grand magicien (5).
A la tète des Toltecs ou gens de Tula, Quetzalcoatl partit
sur mer à la recherche du Paradis terresti'e, le Tamoan-
chan, s'avança du nord au sud, côtoyant la Florida,
littoral atlantique des États-Unis, alla déharcjucr à Panuco,
dans le golfe du Mexi((ue (e), et fonda dans le haut
Anahuac une ville à laquelle il donna le nom du pays
d'où il venait (7). Mais il ne s y fixa pas, il continua sa
pérégrination vers le sud en suivant le littoral à vue des
volcans et des hautes montagnes, pai'ce (jue c'était au
sommet de Tune d'elles que l'on localisait (s) le paradis
terrestre (9). Il prit part à l'invention du calendrier et
des vingt signes dont chacun désignait un jour du mois
et servait aussi de lettre ou plutôt d'iconophone, image
représentant une ou plusieurs syllahes (10) ; il enseigna
(1) Né sans mère comme Minerve.
(2) Hist. iconoph., p. 235-236.
(3) Torquemada, L. VI, ch. 45, p. 80 du t. II. — Deux sources de VHist.
des Quetzalcoatl, par E. Beauvois, dans Le Muscon, T. V, 1886, p. 436,600.
(4) Hist. iconoph., p. 237-238.
(5) Hist. gén. L. III, ch. 3 ; prol. du L. VIII ; p. 207-208, 495. — Cfr.
Torquemada, Mon. ind., L. VI, ch. 7, p. 20 du t. I.
(6) Sahagun, Hist. gén. prol. du L. I ; prol. du L. VIII ; L. X, ch. 29,
p. 9, 495, 673-675.
(7) Porque venian de Tulla, poblaron luego ;'i Tullan (Fi*. I.opez de
Gomara, Conquista de Méjico, p. 431 du t. I do Historiadoresprimitivos
de Indias, édit. par E. de Vcdia, Madrid, 1863, gr. in 8).
(8) Cfr. la légende des Lénapés {supra, p. 65) et p. 59, 69.
(9) Sahagun, prol. du L. I ; prol. du L. VIII ; L. X, p. 9, 495, 674.
(10) Sahagun, inirod. du L. IV, p. 238 ; — Mendieta, p. 97-98 ; — Torque-
LE PARADIS l)li l'atlantique. 85
aux indigènes l'art de fondre les métaux, de travailler la
pierre et le bois, de peindre, et d'autres industries (i).
Les Toltccs et les Naliuas, leurs descendants, étaient si
versés dans les sciences et si habiles dans les arts que
leur nom est devenu synonyme de savant et d'artiste (2),
Irrité de l'ingratitude et de l'hostilité de ceux qu'il avait
civilisés et dont il îivait voulu adoucir les moeurs en
substituant aux sacrifices humains les saignées rituelles
et volontaires, avec l'offrande d'oiseaux, de serpents, de
papillons (5), il se retira du coté de l'est et s'embarqua
pour retourner au lieu d'où il était venu (i), à TiiUan-
Tlapallan, la cité du soleil, promettant de revenir lorsqu'il
en serait temps (:;). Aussi les Mexicains attendaient-ils
mada, L. VI, cli. 24, p. 52 du t. II ; — Cfr. D. Duran, Hist. de las Indias,
t. II, p. 257.
(1) Sahagun, L. III, ch. 13, p. 218.
(2) Sahagun, L. X, ch. 29, p. 656-6.59, 663, 672-676 ; — Torquemada, L. I,
ch. 14, 48 ; L. III, ch. 7, p. 37, 73, 255.
(3) A. de Tapia, Relacion, p. 574 du t. II de la 1" Coleccion de docu-
mentos para la historia de Mexico \ édit. par J. Garcia Icazbalceta,
Mexico, 1866, in-4 ; — Sahagun, Hist. gén. L. III, ch. 3; L. X, ch. 29,
p. 208, 659 de la trad. franc. ; — Gomara, Conquista de Méjico, édit, de
Vedia, p. 327 ; — B. de las Casas, Apologética historia, ch. 122, extr. à la
suite de son Historia de las Indias, édit. par le M'' de la Fuensanta del
Valle, p. 449-450 du t. V, Madrid, 1876, in-8 ; — J. de Torquemada, Mon.
ind., L. VI, ch. 24, p. 50 du t. Il; — Anales de Cuauhtitlan, publ. en
append. aux Anales del Museo Nacional de Mexico, t. Il, 1880, in-4,
p. 17.
(4) Sahagun, Hist. gén. L. X, ch. 29,. p. 674; — Ixtilxochitl, Eist. chi-
chimeca, ch. I, p. 206 du t. IX des Ant. of Mexico de Kingsborough. Cfr.
Torquemada, L. IV, ch. 13, 14, p. 379, 381 du 1. 1.
(5) B. de las Casas, Historia gênerai de las Indias, L. III, ch. 122,
p. 489 du t. IV de l'édit. de Madrid ; — D. Duran, Hist. de las Indias,
t. II, 1880, p. 5, 9 ; — Sahagun, Hist. gén., L. III, ch. 14 ; L. VIII, prol. et
ch. 7 ; L. X, ch. 29 ; L. XII, ch. 2, 3, pp. 220, 495, 506, 674, 798, 799 ; —
Codex Tellerianus, p. 154 du t. V de Kingsborough ; — Tezozomoc,
Cron. mexicana, ch. 107, p. 687 de l'édit. d'Orozco y Beira ; — I. Suarez
de Peralta, Noticias histôricas de la Nueva E.spaàa, édit. par J. Zara-
goza, Madrid, 1878, in-4, p. 79-80, 97; — Ixtlilxochitl, Hist. chichimeca,
ch, I, p. 206 du t. IX de Kingsborough, cl'r. p. 459. — Voy. infra, p. 88, 94.
84 LE MlStON.
son retour à tiaveis la moi- do l'Est, et e'est pourquoi ils
prirent pour lui d'abord Juan de Grijalva, ensuite
F. (Portés il), d'autant plus (ju'il était l)lanc et harhu
comme eux irj). Il devait être rajeuni et jouir de I immor-
talité à Tullan-Tlapallan, ainsi ([ue Ceteuctii ([u'il y avait
emmené et ({ue de grands magiciens comme Matlacxochitl,
Ozoniatli et Timal (ô).
IV. Tlla = TniLi::.
Voilà le lésunié des légendes américaines ipii corres-
pondent, au moins en certains points, à l'idée i|ue les
documents classicpies nous donnent du paradis de la mer
Kronienne. Les populations du Nouveau Monde chez les-
(juelles ces croyances avaient cours habitaient ou avaient
toutes habité ([uehjue partie du littoral de rAtlanti(jue,
mais ce ne doit pas être le voisinage de cet océan (jui les
poi'ta à y localiser le séjour des immortels ou des héi'os divi-
nisés. On s en convaincra en constatant que les croyances
en un })ai'adis s|)écial |>our les héros, chez d'autres peuples
placés dans des situations soit analogues soit différentes,
n'ont pas été influencées par la proximité ou l'éloigne-
ment de la mer (i) : les Estiuimniix du Grwnland \)\\v
(1) Sahagun, H/st. gcu. L. XII, ch. 2, 3. 6, p. 792, 798. 801. 811-812; —
Ixtlilxochill. Op. cit.. cli. 69, p. 276 du t. IX. - Cfr. notre mém. sur Les
Deux Quetzalcoatl espar/no Ist : .T. de Grijalva et F. Cortés, (dans Le
Muséon, t. IV, Louvain. isx-l, in-S, p. 478-484. 57:^ .^i'^i-SSS).
(2) Voy. les textes reproduits dans notre raéni. sur Les Blancs préco-
lombiens figurés et décrits dans les plus anciens documents du
Me.rii/ue et de IWmérirj ne centrale idâns Revue des questions scienti-
fiques. 2" scr. t. XVI, Bruxelles, 1899. in-8, p. 85).
(:?) Siihagun, Hist. gén.. L. III, cli. 4. p. 209-210; — Tezozomoo, CVon.
mexic, cli. 105. p. nsi de Tédit. d'Orozco y Berra; — Torquemada. Mon.
ind., L. VI, ch. 24, p. 49 du t. II.
(4) Les Norvépiens, dont le littoral est baipno. comme les pays celtiques,
par la mei- du Nord, lOcéan atlantique et l'Océan glacial, n'ont localisé
LE PARADIS DE i/aTLANTIQUE. 85
exemple, qui s'étendent sur le littoral de plusieurs mers,
baies ou détroits, ne placent ni dans les eaux, ni sur terre,
ni au ciel, le séjour des immortalisés : ils le localisent
dans un paradis souterrain ou il fait chaud et où les vivres
abondent ; tandis que leur enfer est dans le monde supé-
rieur, où les mânes souffrent du froid et de la disette (i).
— Les Iroquois, qui étaient entourés de tribus algonkines,
ne partageaient pas leurs idées sur le sujet en question :
ils pensaient que Tarenyawago, descendu du ciel sur un
canot magique et devenu, sous le nom de Hiawatha, le
civilisateur des Onondagas, disparut dans les nuages et
alla vivre dans la céleste région exclusivement habitée par
le dieu suprême Owayneo et ses élus (2). — Leurs con-
génères les Hiu'ons, établis au milieu des Algonkins,
paraissent avoir adopté les croyances de ceux-ci en plaçant
au bout du monde, vers l'Est, la demeure de Ataentsic
et de son petit-fils louskeha, leur bienfaiteur, mais dans
l'ouest le grand village où allaient les âmes des morts (3).
— Les Montagnais au contraire, qui étaient les Algonkins
inférieurs, s'étendant du Saint Laurent au territoiie de la
baie de Hudson, et du Saguenay au Labrador, disaient
que les âmes des morts suivaient la voie lactée pour se
rendre à un grand village situé au couchant (4). — Les
ni dans celle-là, ni dans un de ceux-ci leur Uddinsahr (champ d'immor-
talité), qu'ils placent au contraire dans l'Est, au-delà de VlnûeiFlatey-
jarbôk, t. I, p. 29-35, Chiistiania. 1S60, iii-8 ; — Fornaldar sœgur Nordr-
landa. édit. par \aldimar Àsmuudarson, t. III, Reykjavik. 1889, in-12,
p. 518-527).
(1) H. Rink, Eshimoiske Eventyr og Sagn. Supplément, p. 1S2. Copen-
hague, 1S71, gr. in-8.
(2) Schoolcraft, Op. cit.. t. III, p. 314-317, 511 ; t. V, p. 157-163, 636.
(3) Relut, des Jésuites, ann. 163"^ p. 34 ; 1636, p. 102-105.
(4) Ibid., ann. ic,34. p. 17-18.
86 LE MUSÊON.
Indiens de la JSouvelle- Angleterre, quoique riverains de
l'océan Âtlanti(jue, localisaient dans le sud-ouest la con-
trée où les àines des grands et des bons étaient admises à
vivre dans la société de leur dieu Kainantowit (i). — Les
Viryiniens, dit M. Lescaibout, « ont estimé que les âmes
des bons allaient au ciel et celles des méchants en une
grande fosse ou tiou (juils pensent entre bien loin au
couchant, (ju'ils aj)[)ellent Popogosso pour y brûler tou-
jours » (2). — Les Creelis ou Mas/iolàs (Muscogees) du sud
des Etats-Unis croient que le paradis des chasseurs est en
haut, mais ils n'en ont pas une idée nette (5). — Les
Cheyennes ou Crées j)lacent leur jjaradis dans les Mon-
tagnes Rocheuses (4), tandis que les Arapaho, leurs voi-
sins, croient (|uc le monde des Esprits est à l'ouest, plus
haut que la terre dont il est séparé par la mer (o). —
D'après les Comanclies, tous les morts vont en haut où ils
jouissent de la félicité ((i). — Les Tewas ou Tuos se
disaient originaires de la lagune de Shipapu, où les âmes
retournaient après la mort (7). — Les Moliaves du Colorado
pensent (jue les âmes de ceux (jui ont été incinérés
montent en fumée à la Montagne Blanche, comme ils
(1) Rogei' Williams, Key into Ihe lamjuayes of America. 1()43, cité
dans Fourtcenth Report of the Bureau of Etlmology, 18!»218y3, 2» part.
Washington 1896, in-4, p. 982-983 ; — Cli'. Schoolcraft. Op. cit., 1. 1, p. 286 ;
t. V, p. 39.
(2) Hist. de la Nouvelle-France. L. VI, cli. 5. p. 1)44 de l'édit. Tross.
Paris, l&diî, in-S.
(3) Schoolci-aft, Op. cit.. t I, p. 273.
(4j Washington Irving, Astoria. Voi/ages au-delà des Montagnes
Rocheuses, trad. par P.-N., Grolier, 2'= édit. Paris, 1843, in 8, ch. 27, t. I,
p. 362-3.
Ç)) Fourleenlh Report ofthe Bureau of Ethnology, part. II, p. 983.
(6) Schoolcraft, Op. cit., t. V, p. 685.
(7) Fourleenth Report ofthe Bureau of Ethnologi/, t. II, p. 609.
LE PARADIS DE LATLANTIQUE. 87
appellent le ciel où réside Mas-zam-ho (i). — C'est dans
leur propre pays, au pied du pic de Kok-kô, que les Zunis
localisent le lac sacré des ancêtres, où les esprits jouissent
de la félicité éternelle, ce qui ne les empêche pas de
l'egarder comme sacrée l'eau du soleil levant qu'ils allèrent
puiser, en i882, sur le littoral de l'Atlantique (2). —
D'après les Hopis, les âmes vont à Wénima, la sainte
résidence de Oilako, où elles sont changées en katcinas,
génies anthropomorphiques (3). — Les Sioux donnent le
nom de Mdewaka ioiva, Lac mystérieux, à la première
demeure de leurs ancêtres dans le Minnesota et le regar-
dent comme le séjour des Esprits (4). — Leurs congénères,
les Assi)iiboins , assignent pour séjour aux âmes des morts
une contrée méridionale où ne manquent ni le gibier, ni
le poisson, ni les fruits (5). — De même, les Mandans
croient que les âmes des méchants passent par une sorte
de purgatoire septentrional, et que les bons vont dans un
climat plus doux (e). — Celles des tribus de la Californie
qui ont notion d'un pays des Bienheureux, le placent les
unes dans l'air où 1 âme est emportée par un petit
oiseau (-] ; la plupart des autres dans l'Ouest au delà de
l'Océan (s).
(1) Annual Report ofthe Board of Régents ofthe Smithsonian Insti-
tution, 1890. Washington, 1891, in-8, 1. 1, p. 312.
(2) Fifteenth Report of the Bureau of Ethyiology, 1893-1894. Washing-
ton, 1895, p. 312.
(3) Ibid., p. 312.
(4) Ibid,, p. 215.
(5) De Smet, Cinquante nouv. Lettres, p. 131.
(6) Geo. Gatlin, Letters and notes on the manners, customs and condi-
tion of the Northamerican Indians, 4'-' édit. lett. XXII, New-York, 1842,
p. 156-1.57.
(7) Steplien Powers, Tribes of California, p. e,Q, 91, 144, 161. 170, (for-
mant le t. m de Contributions of North American Ethnology , Washing-
ton, 1877, in-4).
(8) Id. ibid., p. 34, 110, 154, 181-182, 200, 240.
88 LE MUSÉON.
Quoi(jue cette éiminération soit loin d'être complète,
piiice (|iie les cioyaiiccs de beaucoup de tribus éteintes ou
vivantes nous sont inconnues, on bien (|ue la situation du
paradis ne soit pas toujours spécifiée, il y a là assez de
superstitions dis[>arales pour montrer que les tribus
indieimes n avaient pas toutes les mêmes conceptions de
laiil rc vie : (|ue celles-ci ditVéraient souvent cbez des peu-
plades voisines ou placées dans des conditions analogues.
Il est d(mc vraisemblable (pie les ijroupes de tribus chez
lesipielles on a constaté un ensemble de croyances ana-
logues ne les tiennent pas de génération spontanée clie/
cbacune d'elles, mais (pie toutes les ont puisées à une
même source. (>"est le cas pour la |)lu|)art des tribus
Algonkines et pour [)lusieui's des peuples de rAméri(pie
moyenne : les Mexicains, les Mayas, les Quiches et les
(^ak(lii(|uels, (jui pourtant ne pailaient pas la même
langue, mais (jui avaient une tradition commune sui'
l'origine orientale soit de leurs ancêtres, soit au moins
de leur civilisateur. Tant(*)t celui-ci, tanttU ceux-là ])as-
saient pour être apparentés avec les Blancs ou avoir passé
par Tuld. Quet/alcoatl était Ulanc et barbu, il venait de
Tula et il y retourna (ii, de mémo (pie (ilusgabhé dont
les prot(^gés portaient le nom caractéristi(iue de Blancs ou
Orientaux (2) ; les Chaouanons disaient que leurs ancêtres
(1) Voii' les textes rcprod. dans nos mém. sur VEIi/sée des Mexicains,
p. 5;7:5, n. 1 ; ~ Les migrations d'Europe en Amérique pendant le moyen
ûfie : les Gai'ls (clans Mém. de la Société bourguignonne de géogr. et
d'iiist. t. VII, p. 14(1- I4ti. Dijon, 1801, in-S ; — La Tula priinitivc, berceau
des Papas du Nouveau Monde (dans Le Muséon. Louvain 1891, in-8,
p. 21?. n. 3 ; 21:î, n. 2, 4 ; 215, n. 1) : — Les Blancs précolombiens figzirés
et décrits dans les plus anciens documents du Mexique et de V Amé-
rique centrale (dans Revue des questions scientifiques, 2" sér. t. XVI,
Louvain, 180'.», in-S, p. 85, n. 1).
(2) Voy. supra, j). 53, G3-G5.
LE PARADIS DE l'aTLANTIQUE. 89
étaient venus de VEst, non pas seulement de l'Amérique,
mais d'au-delà de l'Océan Atlantique (i). Le Manitou barbu
des Lénapés était fils d'une Blancfie et, à l'arrivée des
Blancs, on crut qu'il était avec eux (2). L'un des antiques
seigneurs du Yacatan passait pour être venu de l'Est et
se nommait X Homme Blanc (3). Les quatre peuples pré-
cités du grand isthme américain étaient venus de VEst en
passant par Tula et plusieurs de leurs princes y retour-
nèrent (4).
Reportons-nous aux traits les plus saillants des légendes
communes de ces populations transatlantiques. Glusgahhé
ou Glooskap, le civilisateur des Abenakis et des Micmacs,
qui était plus puissant par ses enchantements que par
la force athlétique, vivait à l'Est dans une île lointaine de
l'Océan (5). Il en était de même de Manabusli qui du pays
montagneux de l'Océan oriental, où il s'était retiré après
avoir civilisé les Menominis, continuait à les protéger (n).
Son sosie, Menahozlioo, le Manitou des Ojibwas, disparut
du côté de l'Est oii il est encore (7). Nanaboujou, le bien-
faiteur des Potawatomis, se repose de ses travaux sur
une banquise de l'Océan, située du côté des Blancs puis-
qu'on craint qu'ils ne l'y découvrent (s). Le grand génie
des Illinois et des Algonkins du Sud (y compris sans
aucun doute les Chaouanons ou Méridionaux) était égale-
(1) Voy. supra, p. 64.
(2) Voy. supra, p. 65.
(3) Voy. supra, p. 78.
(4) Voy. la Tula primitive, p. 212-215. 221-226. — Cfr. supra, p. 08-78,
81-84.
(5) Voy. supra, p. 54-57.
(6) Voy. supra, p. 57-60.
(7) Voy, sujira, p. 61.
(8) Voy. supra, p. 61-62.
7
00 I.E MISÉON.
inoilt (In côté des Français fi). l.e Manitou barbu des
Lénaprs, Manabouch qui leur avait enseigné la chasse et
jindustiie, lésidait au nord-est de leur pays, à Tula, dans
le \V(il,-(iu-(l(i ou Pays de la vie (2). I.es Quiches, les Cakchi-
(|ucls cl les Mayas avaient aussi quelques réminiscences
d'il M pays situé vei's l'Est et qui, chez tous ces peuples,
|i()it!iil un nom presque identique Tollnn, Tuinn, Tula.
l.à trônait leur dieu Toliil on Toli, qu'ils identifiaient arbi-
trairement avec Quetzalcoatl ou Nacxit, le dieu des Yaquis
;)ii Mexicains (3).
Ce dernier et cette contrée servent de trait d'union
entre la tradition européenne sur le i^aradis Kronien et
les légendes américaines sur le Paradis Atlantique. Quet-
zalcoatl, i'e})résenté comme Blanc et barbu, grand enchan-
teur, comme l'appellent Sahagun (4), Mendieta (o), Torque-
mada ((;) ; comme l'inventeur de la magie (7) et des
lettres s) ; comme j)r()pagateur de la culture, des arts
et de l'industrie (!•), s'en fut à Tula d'où il venait dans
rcs[)oir do rajeunir (i(t) et de devenir immortel avec les
magiciens cpi'il emmenait (11). Il a plusieurs attributs des
(1) Voy. supra, p. ô.*^.
(2) Voy. supra, p. 6(i.
(.'{) Voy. supra, p. 68-79.
(4) Hist. fjén. L. HT. ch. .3, 12 ; prol. du L. VIII, p. 207, 217, 495.
(.j) Hist. ecles. indiana, p. 92.
(6) .1/ow. ind., L. IV, cil. 14. p. 3S0 du t. I ; L. VI. ch. 7, p. 20. du t. IL
(7) Uiat. icovophon. des Mexicains, 2« édit. p. 233, 234 ; — Sahagun.
Hist. {i(-)i., L. III, cJi. 12. prol. du L. VIII. p. 217, 495 ; — Torquemada.
L. VI. ch. 24, p. 5(1 du (. II.
(8) Voy. supra, p. 82.
(9) SaiuiKun, Hist. f/cn., L. HI. rli. .s. 13; L. X, ch. 29. p. 217, 219, 6,-)6-
t)59 ; — Men(het;i, p. 91-92 ; — Torqueniadn, L. VI, ch. 24, p. 48-50.
(10) Sahagun, Hist. fién., !.. III, ch. 4, p. 209-210 ; — Annales de Cuauh-
titlun, ]). 19 ; — Toniuomada, L. VI. ch. 7, p. 20 du t. I.
(11) Sahagun, Hi.^t. (jén.. L. XII, ch. .{, p. 799. — Torquemada, L. VI.
ch. 24, p. 49; — Tezo/.onioc, Cronica mc.ricana, cli. 105, p. <i81.
LE PUIADIS I)K LATLAXTIi^HE. î)l
divers Hercules, qui sont tous des civilisateurs. Il
ressemble plus particulièrement à celui des Latins qui
abolit les sacrifices humains (i) ; à l'Hercule Egyptien
qui inventa les lettres phryi^iennes (-2) ; à Oixmios,
l'Hercule Gaulois, qui enchantait les auditeurs par son
éloquence (ô) ; à Ognia, l'Hercule des Gaëls, (|ui leur
enseigna l'écriture ogamique et qui était un des plus
célèbres chefs des Tuatha De' Daiiann, les Sids de
l'Irlande, maîtres des sciences et de la magie (i), parfois
métamorphosés en hommes ou en femmes, en animaux,
en oiseaux (.•>).
(^est à Quetzalcoatl, «. ce! mitre Hercule », solou
l'expression de Sahagun <; . (|u<' devait faire alhisiou le
pèlerin de la Méotide Américaine T) pai'lant du rest;iuia-
teur de la civilisation gi*ec(|ue dans ce [t;ivs. (ielje-ei en
effet s'étendait bien au-delà du bassin nK'dilerrani'en, et
les barbares qui en avaient subi l'inlluenee, ('taient impro-
prement ap[)elés Grecs, comme plus tard on qualifia de
Romains (Houmisi et de Tianes des [)eii|des (jui n'étaient
pas de leur race et ne [)ai'laient pas uK-nie leui- langue,
mais ({ui pi-ofessaient leur religion ou avaient ad()[)t('' leurs
m(eurs et leurs institutions. De grands savants de lanti-
quité auxquels se référait Saint-.léi'ome et parmi les([uels
fl) Denys d'Halicarna.s.<e. L. I, oh. 4, d.rii^ le l'cciieil de D, Bouquet,
t. I. p. 3t;8.
{■2} Natalis Cornes. M>/(hol., L. VII.
(•'5) Lucien de Samosate, Préface ou Ilerculr, â ]-'i.
(4) Nennius, The Irish Version ofthe Historin Britoiiniii. édit. avec
notes et trad. par J.-H. Todd. Dublin, 1^4-^. in-i. p. 41): — D'Arbois de
Jubainville, Le Cycle mijtholo[iique Irlandais. Paris, 1-^Sl. in-8, p. 2S.3-
285. — Clr. LElysi-e des Mexicains, p. l'>2iJ. mhi'JX.
{T}) D'Arbois de Jubainville. Le Qicle rnylhol. irl., p. •20':. 288. 295, 297,
321.
(6) Hist. yen., L. III. ch. :i. p. 2i)7 df la (rad. fram;.
(7) Voy, supra, [k V.k
S>2 LE MUSÉON.
il citait Phiégon, Sisinias Capiton, Varron, affirmaient
que les Grecs avaient établi des colonies jusque sur le
littoral Biitannique ; Solin signale en Calédonie un autel
qui portait une inscription grecque ; et des auteurs sur
lesquels s'appuyait Aniniien iMarcellin atïirinaient que des
Doriens sectateurs dHercule avaient occupé des localités
voisines de l'Océan, qui, selon Pisander, avait été
traversé par ce demi-dieu. D'après des anciens dont
s'autorise Richard de Cirencester, Hercule avait fondé un
royaume en Bretagne, près des côtes de laquelle il y avait
une ile nommée Herculea ; Ephore de Cumes, contem-
porain d'Aristote, qualifiait les Celtes de Philhellènes, et
un géographe, qui écrivait une centaine d'années avant
notre ère, parle de Celtes qui avaient adopté les mœurs
des Grecs (i). Ce sont ces Celtes hellénisés qui auraient
porté à Ogygie le culte de Saturne et de là auraient passé
dans la Méotidc Laurentienne, doù leurs pèlerins reve-
naient à date fixe et régulièrement à l'île sacrée (Ogygie),
selon le rapport de l'un d'eux, ce que le dictateur Sylla
navait pas de peine à croiie et Plutarque à répéter, puis-
que ce récit était conforme aux notions courantes de leur
temps.
Les assertions du Pèlerin relativement à la nature des
lies et pays transatlantiques étant confii-mées [)ar nos
connaissances actuelles en géographie (3), nous n'avons
pas de raison de mettre en doute ce qu'il allirme « des
compagnons de Héraklès, mêlés postérieurement à la
(1) Voy. les sources citées dans V Elysée des Mexicains, p. 'MO.
(i) Voy. IJ Elysée des Mexicains, p. 3-5. — Cfi*. L'Elysée tramail.^
p. 9-lU.
(:3) Vuy. supi'a, p. 10. — Cfr. L'Elysée transall., p. 721 et L'Elysée des
Mexicains, p. î».
LE PAEUDIS DE LATL.VNTIOUE. 95
population Kronienne [de la Méotide américaine] et restés
dans ce pays, qui y avaient comme ressuscité et propagé
la civilisation grecque supplantée par la langue, les lois
et les mceurs barbares. Aussi est-ce à Héraklès cjuils
rendaient le plus d'honneur, ensuite à Kronos (i) ». Au
nombre des croyances qu'ils avaient imposées aux indi-
gènes, était l'existence du paradis des héros situé au nord
de l'Océan Atlantique. Il ne peut y avoir de doute à cet
égard, puisque malgré les ditïicultés et la longueur de la
navie:ation, malijré la nature sévère et le climat risoui'cux
d'Ogygie, la population Kronienne continuait d'envoyer
en Islande des théories religieuses avec des offrandes ; et
qu'elle localisa, non dans l'ouest, comme elle l'eût fait si
elle n'avait pas obéi à un mot d'ordi'C, mais dans l'est
pour se conformer aux enseignements de ses civilisateurs.
Cette survivance d'idées invétérées, qui se perjiétuent
sans raison ou contre toute raison, a son pendant bien
topique chez les Celtes du moyen âge : après leur conver-
sion au christianisme les Gaëls, les Gallois, les Armori-
cains, s'écartant des croyances de leurs évangélisateurs,
localisèrent d'abord au milieu de l'Océan Atlantique,
ensuite en Amérique {2), l'Eden que les traditions bibliques
plaçaient en Asie, du côté de l'Orient. La foi catholique
chez les Néo-Celtes ne triompha pas mieux des croyances
erronées de leurs ancêtres, que la logique (.") ne prévalut
dans la Méotide du Saint-Laui*ent sur les idées préconçues
des colons Celto-Grecs.
Mais quoique la population Kronienne eût adopté au
(1) Plutarque, De facie in orbe lunae, p. 752 du t. II des Moralia, édit.
Diibner.
(2) Voy. L'Elysée transatl., p. G72-673, 682-683, 687, 702 (p. 322-324, 330-
331, 335, 350 du tirage à part.).
(3) Voy. supra, p. 41-42.
Oi l.i: >HSÉO.>.
moins cil partie le «ullt^ des (^arthaiiinois et les lïKeurs
(les Grecs, la lanitue des indij^èiies avait pendant un
certain temps repris le dessus, suivant le témoi^naj^e
]K)siti(du IN'Ierin, et il y a lieu de supposer (|ue Tliulé,
I un des noms de I ile de Kronos était tiré de cet idiome,
comme Of/Uffie l'est du iraélique (i) et Isinmfc du norrain.
l'onr contrôler l'hypotlièsc en ([uestion, il iinj)()rte de
déterminer la nationalité des aljori^ènes de la Méotide
aiiM-riçainc. l>es documents i{recs et celti(jues étant nmets
à cet éiiard, nous ne pouvons avoir recours ([uaux
antit|ucs traditions des Mexicains, les seules de l'Amérique
du Nord <jui aient été consignées dans des peintures
iconophoniques (sons représentés par des images) remon-
tant à un millier d'années avant la conquête Espagnole.
Oi'. toutes sont d'accoi'd pour attester que les civilisateurs
du Me\i(jue étaient originaii'cs de l'Amérique septen-
trionale, et (jucl(|ues-unes, précisant mieux, nous les
montrent côtoyant la Florida ou littoral Atlantique des
iJats-Unis actuels poui- se rendre dans l'Amérique
moycimc. C.ette voie maritime fut notamment suivie par
Quetzalcoatl et ses sujets ou disciples les Toltecs (2). Ils
avaient été |»récé(lés par les Xicalancs, colonisateurs des
Kfals (le Vera-(]ru/. Tal»asco, Campèche, Yucatan (3) et,
piobahlemciil par des Scandinaves (i), les Holmecs (3) qui
(1; Vny. supra, j). i"..
(2) Saiiaprun. Bist. pet/, prol. du !.. I et du L. VIII ; L. X, ch. -21», p. 9,
■l'.C). •;";;{-( '.7 4 do la ir.id. frjiiK;. ; — « Quet/.alcoatI se volviô por la
iiiisnia parte de dondo liahia veiiido que ïnc por la de Oiiente <•. (Ixtlilxo-
chitl. His/. chichhncca. v\^. I. j). 20r. du t. IX de Piinf^sljorough . — - Quet-
zalcdhu.itl vino delà parle del Oriente Se volviô por la parte de
donde vino. » (Id. Sumaria rcloc/o», |). -IS'.i du t. IX de Kingsborough.)-
— Cfi'. supra les textes aux(|acls renvoient les notes \. 5 de la p. 83 et 1
de la p. 88.
(3) Ixtlilxochitl, p. 20.". et AW^ du t. IX de Kingsborougli.
{A) \o\. La Tnla primitive, p. 22(1-22'.'.
^">) Mot li\ lii'idc eoniposc du naliua catl au pluriel ca. gens, hommes,
LE PAUADIS DE r/ATLANTIQUË. 95
s'étendirent à travers la région isthmique jusqu'au
Nicaragua (i).
Notre conjecture sur Tidionne nahua, qui aurait eu
cours avant notre ère dans la Méotide américaine, est
fondée sur des faits auxquels on n'a, jus([u'ici, pas accordé
d'attention : on va voir qu'il était parlé dans le Paradis
Atlantique, ou, en d'autres termes, dans l'ile d'Ogygie
qui, étant à cinq journées de navigation à l'ouest de la
Grande-Bretagne, correspond à VUltima Tliulé (au moins
en ce cas : l'Islande) (2). Or, selon les légendes du Nouveau
Monde, la même île sacrée, qualifiée de contrée monta-
gneuse (3), était à l'Est de l'Amérique, au-delà de la mer et
au milieu des glaces (/s/o»jrf = Pays de glaces) (4). Il y avait
là des Yaquis ou Pèlerins Mexicains (5). Leur pontife Quet-
zalcoatl y trônait et c'est lui qui donna l'investitui'e aux
princes Quiches (e). Selon les Annales des Cakcliiquels {-},
il conféra à Orbaltzam le titre de Cempoalli Tuxiiclilli (h),
qui s'explique par le nahua, ainsi que ses propres noms
et du norrain holmr ou holmi (ile), qui entre en composition dans beau-
coup de noms géographiques et qui pris absolument s'applique à Borgun-
darholm (Bornholm), station des Rurgondes dans la mer Baltique, et à
l'Islande. Il pouvait parfaitement désigner les insulaires d'origine Scan-
dinave dont les expéditions maritimes ont commencé, selon les auteurs
classiques, bien des siècles avant les dates données par leur propre his-
toire et par les chroniques gaéliques et anglo-saxonnes.
(1) J. de Torquemada, Mon. ind., L. III, ch. 40, p. 331-333 du 1. 1.
(2) Voy. supra, p. 42-47.
(3) Voy. supra, p. 59, 66, 69. Cfr. p. 82.
(4) Appelée Snœland (pays de neige) par son découvreur norvégien, et
Gardarsholm (Ile de Gardar) par un autre explorateur dano-suédois.
(Landndmabôk, part. I, ch. 1, p. 26-28 de l'édit. de Copenhague, 1843,
in -8).
(5) Voy. supra, p. 69, 71.
(6) Voy. supra, p. 71-73.
(7) P. 90-91. — Cfr. supra, p. 70-71.
(8) Voy. supra, p. 70, n. 2.
90 LE MUSÉON.
et qualilicatioiis : QuetzalcoatI (i), Yulcoall ('2) et Nacxitl (ô).
(^e (|iii est eneoi'C plus roinaïupiable, c'est le nom de ce
Paradis : Tolhni, Tuhin, Tula sYnc()[Ȏ de Tonullun (i),
IMace du soleil |.)). La ressemblance de Tula et de Thulc
(1) Qiietzalli. plumet, et coati, clief, fligaitaire à panache. —Ce der-
nier mot qui, dans les iconophones. était représenta par un serpent, ne
dési;^ne pas seulement ce reptile, mais il a beaucouj) d'autres significations
notamment colles do gcnéral. principal, comme on peut le voir par les
exemples cités dans notre mém. intitulé : Echo des croyances ch?'éù'ennes
chez les Mexicains du moi/ev-àge (apud Le Muséon, t. XVIII, p. 374, n.
Louvain, 189'.»).
(2) Voy. supra, p. H!», n. 4.
(.3) Dans la version espagnole publiée en 190.3 (fasc. III. p. 27). ce nom
est rapproché d"un mot signifiant pierre précieuse en pokoman, idiome
de la famille maya-quichée. Mais comme il désigne le seigneur de l'Est,
QuetzalcoatI. qui employa la nahua en investissant Orbaltzam, il vaut
mieux nous semble-t-il exi)li(iuor par le naliua tous ses noms. Nacxit nous
j)arait ôti-e composé de naui apocope, quatre et d'icrid pied, le tout rendu
en espagnol \vdv ca7ninador, voyageui-, titre convenant bien au patron des
Vaquis (Voy. supra. ]i. (39, n. 3 ; 70. n. 1). — Comme dieu des vents. Quet-
zalcoatI avait pour atti'ibut la croix gammée ou tétraskèle (quatre jam-
bes', qui symbolisait le mouvement des asti-es et dos météores. Elle n'était
pas seulement répandue dans l'ancien monde d'où elle parait être origi-
naire. On la trouve aussi au loin et au large dans les trois Amériques.
(Voy. dans The Swasdlui, par Thomas Wilson, la carte placée en lace
de la p. 904. Exti'ait du Report for JS'J4 de la Smithsonian Institution.
Washington. lS9fi. in-8). A la vérité les .jambes ou les pieds sont jilus
rarement et i)lus mal figurés dans les tetraskèles que dans les triskèles,
mais on en peut voir des exemples dans le savant mémoire du D"" L.
Millier {La croix dite ansée, sov emploi et sa signification dans Vanti'
quité. Copenhague 1^77, in-4, extr. de Mém. hisfor. -philosophiques de
l'Académie des sciences du Danemark, 5« sér. t. V, i, p. 12 fig. 7, p. 38,
lig. 27,28; cfr. p. 47). — Pour les tetraskèles d'Amérique, v. l'ouvrage
précité de Th. Wilson (p. 879-905). Le profond archéologue écrit que la
swastika n'a pas été inventée par les Américains, mais empruntée par
eux à r.incien monde, dans les temps précolombiens 'p. 981-983). C'est un
nouvel indice de la réalité des relations dont parle le Pèlerin.
(4) Voy. supra, p. 74, n. 4.
(5) Uncerroqueestâantes de Tula, ([uc se llama Coatebeque{Hist. ico-
nojthonique, 2« édit. p. 2i\) ; — H;'iciala parte de Tula un céiro que
LE PAHADIS DE l'aTLANTIQUE. 97
doit déjà nous frapper, puisque ces deux noms paraissent
être synonymes, désignant des îles situées dans les mêmes
parages et qui doivent n'en faire qu'une ; mais l'analogie
serait loin de nous autoriser à les identifier, si nous ne
savions que leur signification est exactement la même :
« Le nom de Thulé, dit Isidore de Séville, vient du soleil,
parce qu'il y est stationnaire au solstice d'été » (i).
Les pèlerins, dont parle Sylla, qui correspondent aux
Yaquis (2) et qui étaient astreints à y résider trente ans
de suite avaient apparemment emprimté à leur i)ropre
langue la dénomination de la Colonie religieuse et les
Gaëls, qui regai'daient l'ile de Saturne comme la demeure
des héros et des génies, ont bien pu, tout en lui donnant
le titre d'ile sainte (insula sacra, og sacré et iay île en
gaélique, d'où la forme grecque Ogygie), transcrire le
nom de Tula sous la forme Thulé, que Pytliéas de Mar-
seille propagea et qui est devenu classique.
Mais, dira-t-on, l'Islande n'est habitée que depuis un
millier d'années 1 C'est vrai pour la colonisation Scandi-
nave ; mais la géographie de Dicuil prouve ({ue, pour les
Papas Gaëls, il faut remonter plus haut, et même jus([u'au
V® siècle de notre ère, si l'on veut s'en rapi)orter aux
se llama Coatepec (D. Duran, H/st. de las Indtas. t. I. p. 23) ; — Coatcpec
termines de Tonalan, lugar del sol. (Tezozomoc, Cron. me.cic,
cil. 1, p. 22 de i'édit. de LS78;;— Touala quiere decir lugar del sol.
(M. de la Mota Padlila, Historia de la conquista de laproi'incia de la
Nueva-Galicia. Mexico, 1870, in-4, p. :3s.)
(1) Thule a .wlc norneii hahcns, quia in ea aestivum solsticium sol
facit. (Isidore de Séville. Liber etyrtiologiarurn, L. Xl\', cli. li. — Cfi'.
Dicuil, De mensura orbis lerrae, cli. 7, § 2. n" 3j.
(2) Voy. Supra, p. 60. 72. C'étaient des sacrificateurs représentés dans
les Annales des Cakcliiquels (p. 164-165) comme des envoyés mexicains.
Leur nom nahua correspond exactement à viator qui, dans la latinité du
moyen-âge (Voy. Du Cange), désignait des missionnaires ou voyageurs.
98 LE MUSÉON.
lia^Moloiîies irlandaises (i). L'existence bien attestée de
moines scoto-irlandais à Tlmlé avant l'établissement des
Norvégiens rend assez vraisemblable la description de la
colonie philhellénique d'Oifygie. D'après le [)èlerin, les
membres de cette société religieuse joignaient aux prati-
ques du culte (2), l'étude des lettres, de la philosopbie,
de l'astrologie et des sciences naturelles. 11 n'en fut pas
autrement chez les Islandais du moyen âge ; leurs skalds
étaient les poètes attitrés des cours du Nord, aussi bien
dans les iles Britanniques et en Russie qu'en Norvège,
en Danemark et en Suède ; leurs conteurs de sagas se
sont distingués à une épo((ue où les peuples de l'Kurope
n'avaient en fait d'histoiie que des annales et de sèches
chroniques. La nature de l'Islande porte ses habitants à
se replier sur eux-mêmes au lieu de vivi'e au dehors
comme le permettent les climats plus tempérés. Aussi
l'Islande a-t-elle été et est-elle encore un véritable foyer
intellectuel, et grâce aux documents grecs, concordant
avec les traditions des Mexicains, des Quiches, des Cakchi-
quels et des Algonkins, elle peut faire remonter son
histoire au moins jus(ju'au siècle qui a j)récédé notre ère.
Ici, comme dans une cinquantaine de mémoires précé-
demment publiés sur les îles nordatlantiques et l'Améri-
que précolombienne, on s'est efforcé de justifier certaines
assertions des anciens ; de montrer par des exemples
incontestables que des faits jugés impossibles ont eu des
antécédents avérés ou sont conformes à la réalité ; que
(1) Voy. UElysce iransatl., p. <;97-6'.)8 (34."j-.3-16 du tirage à pail). — Les
premiers chrétiens des iles nordatlantiques par E. Beauvois, dans Le
Musëon, t. VIII, 1S8S, p. 428-429, n. 1.
(2) Pliitarqufi, Mornlia, t. IL p. 1152-1153. — Cfr. L'Elysée des Me.vi-
C'ins, ]). (i-8.
LE PARADIS DE L'ATrANTIQUE. 99
sur bien des points obscurs les documents ne manquent
pas quand on sait les chercher partout où il peut y en
avoir ; que des témoignages suspects ou incompris, quand
on s'obstine à les considérer isolément, deviennent con-
cluants quand on les confère avec d'autres ; que l'antiquité
n'a pas plus ignoré l'existence d'un monde transatlantique
que les sources du Nil, et que sur le premier point comme
sur le dernier, elle était mieux informée que des géogra-
phes plus récents ; que nombre de questions regardées
comme insolubles le seraient moins, si on les approfon-
dissait au lieu de répéter à satiété ce qui a été dit, et si l'on
essayait de juger en connaissance de cause au lieu de s'en
tenir à des .à- peu-près ou à des truismes ; en un mot, si
l'on daignait appliquer la saine méthode de l'érudition
historique, en réunissant le plus grand nombre possible de
documents, en les élucidant par des rapprochements, des
commentaires, des traductions, atin d'en tirer les conclu-
sions qu'ils comportent. Conduite d'après ces principes,
la présente étude a pour but de provoquer un nouvel
examen d'une question qui n'avait pas encore été traitée à
notre point de vue. Si elle ne suffît pas à porter la con-
viction dans l'esprit de chaque lecteur, elle aura du moins
pour résultat de donner à réfléchir à ceux qui sont capa-
bles de penser.
Eue. Beauvois.
UN COIN DE L'ASIE-MINEURE
LE DJANIK
ÉTUDE DE GÉOGKAPHIE ET D HISTOIRE.
SOMMAIRE
Premièrk Partji: : .Snni!«oiin-Villo.
1° Entrée en matière et Débarquciiifiii. — 2° Le Djanik et les Samii. —
3° Le Royaume de J).ianik. — 4" Etymolo^ic de Samsoun. — 5" Fondation
d'Aniisus. — rt'' Amisus sons les Romains. — 7" Samsoun clu'élicîme. —
8" Martyrs et Evoques. — 9" Samsoun moderne.
Seconde Partie : Kamsonn-Torriloirc.
lU" Visite aux Ruines d'Amisus. — 11^ La cote juscju'à Sinope et au-delà.
— 12" Gazélonitide, Sai'amène. Balia. — 13" l'iauie de l'Iris. — 14° Le
Pays des Amazones et leur em|)ii-e. — 15" Inia. — lii" Kalè keuï. —
17» Polémonium et Folémom IL — ls° Kavak et Tcliamourlou.
PHEMIÊHE PAHTIE : SA.MSOrN-MLLE.
\° l^^xritKh: i:,N .MArri;iu: i:r DfiuAUoi kmkm.
Oiix (|ui (h'sii'cnl connMiti'c IWsic-.MiiuMii'c, surtout si
leurs rct'heiclies portent spéeiiileinent sur les anciennes
pi'ovinces situées au hord de IWichipel, de la IN'Oj»ontidc
et. même de la .Médilcrranc'c, Irouvenl sans peine les
renseiiinernenis «pTils dc'sirenl. Les (Mivi'atics, lécils de
L\ c;01> DE I. ASIK AIOEIIU:. MU
voyages ou travaux de eabinet, ne iiKUKjueut pas : ils
abondent au conti'aire au [toiut ([u'il devient nécessaire
de faire un choix. Mais si ((uel(|u un pousse sa cuiiosité
vers le eenti-e et surtout vers Tl^^st de la pres([u"ile, ininié-
diatenient les ouvrages se font l'arcs et ceux (pii en
traitent, dissiuïulent mal ou pas du tout la pénurie des
matériaux mis en leuvre.
C'est là un fait ([u'on [)eut déjà constater dans Stra-
bon (i). Il provicMit de ce ([ue les écrivains grecs et latins,
qui sont nos guides en somme, ont cux-nuMues peu connu
ces régions de l'Asie-MiiuMire. I.cs auteurs [dus récents
n'ont guère pour com[)léter les dires des anciens ([lu^ des
relations de voyageurs dont la [>lu[»art n'ont fait (jue
traverser le pays le j»lus souvent sans en coni[)rendre ni
les UKCurs ni la langue. Ce (jui a été loin de faciliter la
tache de ceux d'entre eux (pii oui voulu |tultlier leur
voyage.
il est vrai (ju'ordinairenieni ils sont accompagnes
d'interprètes ; mais il arrive (pie ces deiniers lu' com-
prennent bien ni la langue (]o Tt'l ranger ([u'ils accom-
pagnent, ni mènu' souvent celles des indigènes 1-2!. Cette
atïirmation peut étonner celui (pii ne fait [tas attention à
la multiplicité de ces langues et de leurs dialectes. Il
l'ésulte naturellenient de là ((ue les renseignements des
(1) La plus grande partie de ce que cet auteur a consacré à la Cilicie,
est remplie par une digression sur les Amazones du Pont, qu'il raccroche
ici à propos du golfe d'Issus qu'on plarait sur le même méridien (|ue
celui d'Amisus. Comme ce qui est dit de la Cilicie est évidemment tronqué
et que cette digression n'ajoute : ien à ce qui avait déjà été dit, il est
difficile d'y voir autre chose que du remplissage.
(2) Texier qui parait avoir eu à souffrir de cette ignorance des inter-
prètes a contre eux une phrase cinglante : « L'interprète se présente
« ordinairement comme parlant indistinctement toutes les langues du
« pays. Il est presque toujours dans le vrai n. (Asie Mineure, p. 3, col. 2).
8
10:2 LE MUSÉON.
interprètes, souvent inexacts, ne peuvent pas même être
toujours compris ; et cette cause d'erreur vient s'ajouter à
beaucoup d'autres.
En considérant ces ditïicullés on rêverait volontiers
d'un idéal (jui serait de voir un tel sujet traité par un
homme du pays, instruit, en connaissant parfaitement les
langues et les usages, l'ayant parcouru et étudié con
amore. Quoique je ne sois pas du pays, j'ai fait le présent
travail à peu près dans ces conditions. C'est en 1884 que
je suis arrivé dans l'Est de 1 Asie-Mineure, jy ai habité
pendant près de ;20 ans, employant mes heures de loisir
à étudier son passé. Depuis trois ans que je suis à
Constantinople j'ai revu mes notes et les ai complétées
grâce à une bonne bibliothèque privée et à celle de
l'Institut Russe si riche et si utile aux érudits qui sont
surs d"y trouver toujours un bienveillant accueil.
Je suis loin toutefois de penser avoir dit le dernier mot
sur toutes les questions que je soulèverai en cours de
route. J'ai fait lire mon travail par nombre de personnes
ayant habité le pays et j'ai profité de toutes les remarques
qu'elles ont bien voulu me faire ; j'espère donc que cet
article, au moins au point de vue de l'exactitude, satisfera
les lecteui's les plus exigeants.
A notre arrivée dans le golfe de Samsoun le soleil était
l'adieux et la mer parfaitement calme. Notre vapeur, ancré
à une assez grande distance du l'ivage, était entouré de
barques et de chalands, qui semblaient glisser comme sur
un miroir. Il n'en est pas toujours ainsi : la mer est par-
fois si mauvaise que les bateliers ne peuvent aller cher-
cher à bord les passagers ni même les valises de la poste.
Dans ce cas ils continuent le voyage jusqu'à Trébizonde
et Batoum et ce n'est qu'au retour à Samsoun qu'ils |
UN COIN DE LASIE MINEURE. 105
débarquent. Aujourdhui aucune difficulté et le débar-
quement s'effectue le plus facilement du monde.
Sur la jetée qu'on a bien améliorée, mais qui naguère
n'était qu'un reste de vieux môle en ruine, je trouvais
avec bonheur deux amis de France, dont l'un devait
m'accompagner en voyage. Ils me firent le i)lus cordial
accueil, assurant qu'ils seraient allés me prendre à bord
si, à la suite d'un arrêté pris contre les Arméniens, la
police ne le leur eut interdit.
Le gouvernement avait pris cette mesure pour empêcher
l'exode en masse de cette population. Son application à
des Européens était dans le cas aussi absurde que vexa-
toire ; mais que faire ? Ici on ne gagne jamais rien à
insister auprès des subalternes. Ils s'en tiennent mordicus
à ce qu'ils ont une fois déclaré, quelque déraisonnable
que ce puisse êti'e. Il eut fallu recourir au consul, prendi'e
son cavas(i) et son interprète, insister auprès des chefs
pour leur faire casser la décision de leurs subordonnés.
Autant que possible on évite d'en venir à cette extrémité
ennuyeuse pour tout le monde.
D'ordinaire on préfère recourir au grand moyen.... la
pièce blanche ; mais cela ne réussit pas toujours. Lorsque
ces Messieurs de la police sont de méchante humeur, ils
deviennent incorruptibles. S'ils veulent de l'argent, ils
savent bien le faire entendre, au besoin ils le disent
ouvertement. Mais s'il n'y a pas d'inconvénient à ce qu'un
passant emploie ce moyen avec des subalternes qui lui
sont inconnus, il n'en est pas toujoui's de même pour ceux
qui sont fixés dans le pays. La facilité avec laquelle ils
(1) Gavas (u-V) ^°''^^ ^® gardes particuliers reconnus par l'autorité
en faveur de certaines personnes et de leurs demeures.
loi i.i: MisroN.
ouvriniicnt la main, (h'voloppei'ail jtar trop les convoitises
et les exigences, (lest tout un ai't cjiie de savoii' donner un
hakcliicli ( j ■.
Cependant les ijai^ages avaient été déhaivpjés : Ja douane
fut assez accommodante et cela, joint au plaisir de retrou-
ver des amis, lit vite oublier la police et son humeur
tracassière. Ma premièi-e visite à Samsoun fut tout natu-
rellement pour Monsieur de Cortanze, notre sym[)athi(|ue
consul. Mais comme rien ne me pressait de hâter mon
départ pour « l'Intérieur » (-2) je pris le parti de l'ester
quelques jours à Sanisoun.
i" Le D.IANIK ET LES Sv>M.
La partie occidentale de la pro\ince de Tréhizonde,
ibi-me le sandjak (5j de Samsoun, ou mieux du Djanik ;
(1) Hakchich (^i.a,>) mot persan dont le sens n'implique pas une idée
do corruption, comme le mot arabe correspondant rèclivèt (^^y^-i.. ). Il
signilic don, présent, pourboiie, etc. tandis que l'autre y ajoute l'idée
qu'il est doinié i)Our faii'c commetti'e une illégalité ou une injustice par
celui qui le reroit. Aussi n'olfre-t-ou jamais que des bakchich... et ne
l)arle-t-on de rOchvèt ([u'en se plaignant de ceux dont on croit avoir
éprouvé un déni de justice.
(2) L'Intérieur, cette expres.sion est courante à Constantinople et dans
les provinces de l'Asie Mineure. Kilo désigne pi-écisément cette contrée
et semble avoir été traduite trop littéralement du grec : car èv-côc toj
Tajooj parait signifier " en decja du Taurus », encore mieux que « à l'in-
térieur du Tauriis v. Cette appellation pourrait l'emontcr à l'antiquité.
Strabon distingue déjà, en dehors de la province romaine d'Asie. l'Asie
située à ri)itcrieur de la chaîne du Taurus. appelée Asie Mineure, par
oiiposiiion à la Haute Asie, située à l'e-îtérieur de cette chaîne.
(3) Sandjak ( j^jt.i-.) signifie au propre - étendard, drapeau, n C'est un
synonyme de hairah i^jS)^ dont le correspondant arabe est liva (^y).
Sous les trois premiers sultans ottomans leurs possessions étaient divisées
en petits gouvernements administrés par des chefs militaires dont l'in-
signe consistait eu un touyfi (pJj ou queue de cheval attachée au sommet
d'une lance ([u'on portait devant eux. Ces gouverneurs étaient désignés
sous les noms de Mir-liva (\y .^) on de Sandjdh bey (^Vji ^3?.^.^-), chef
décoré d'iui étendai'il, et les noms do " liva « ou •* sandjak n sont peu à
peu devenus ceux des divisions tei ritoiiales (lu'ils admiuistraient.
IN COIN DE L ASIE MINEURE.
105
car telle est sa dénomination officielle. Je remarquerai ici
que les Européens ([ui résident en Turquie, sous j)rétexte
de simplifier les choses, donnent volontiers à chacune des
divisions administratives de l'empire le nom de son chef-
lieu ; tandis que les gens du pays, conservateurs des tra-
ditions locales, se servent presque toujours des noms que
le pays portait antérieurement et qui lui sont spéciaux.
Si on leur parle du Sandjak deSamsoun, ils comprennent
ce qu'on leur dit ; mais eux désignent ce pays sous le
nom de Djanik.
Ce nom se trouve sur les cartes de 1" Asie-Mineure et les
auteurs le mentionnent ; mais sans rien dire de son ori-
gine, pas plus que de sa signitication ni de l'étendue' de
pays auquel il sappliquait dans le passé. Quant à son
étymologie, si on la demande à un lettré du i»ays, il
répond — ce qui se dit couramment, — que donné à la
région à cause de sa ravissante heauté, ce nom diminutif
du mot (c djan » (jW) qui signifie « âme », correspond à
l'expression « mon petit cœur » que les mères donnent
parfois à leurs enfants. Cette explication gracieuse méri-
terait d avoir une légende ; mais elle ne repose sur aucun
fondement scientifique.
On trouvera peut-être que je vais trop loin en affirmant
que les auteurs ne disent rien sur l'origine du nom
« Djanik ». En effet M. Vivien de Saint-Martin (Descrip-
tion historique et géographi([ue de TAsie-Mineure, t. 2,
p. 4i:2) a écrit : u Strahon nous apprend que le nom réel,
« le nom national des Macrônes (têtes longues) de Xéno-
ce phon (Retraite des Dix-mille, 1. 4, c. 7) était Sanni ou
« Tzanni. Ils sont très fréquemment cités par les histo-
cc riens de la période byzantine et leur nom est resté à
« tout le pays compris entre Tréhizonde et IHalys, sous
106 LE MISÉO^.
« la forme altérée de Djanik », Deux lignes plus loin le
mémo savant ajoute : « Les Tzannes sont des Lazes, par
« conséquent appartiennent à la famille géorgienne. Les
« Souanes, leurs frères, habitent, au pied de l'Klbrouz,
« les hautes vallées de la Mingrélie. » 11 cite à ce propos
le « Voyage autour du Caucase » t. 3, p. H, de l'archéo-
logue suisse Frédéric Dubois de Montpéreux.
Je ne demanderais pas mieux que de m'incliner devant
cette autorité ; mais dans le cas présent, et cela sans
aucun parti pris, son assertion me parait discutable.
L'illustre savant qu'était M. Vivien de Saint-Martin, a
publié tant d'ouvrages qu'il serait téméraire d'accepter
chacun de ses dires pour le seul motif quil est de lui ;
alors que la plupart du temps il ne fait que citer tel quel,
ce qu'il a rencontré dans les historiens et les voyageurs.
Ici il me parait faire remonter bien haut l'origine du
nom « Djanik ».
Strabon ne parle qu'une fois des Sanni et dit sim-
plement qu'ils avaient été appelés Macrôncs. Xénopiion
raconte qu'après avoir traversé le pays des Macrônes, les
Dix Mille durent franchir les montagnes des Colches avant
d'arriver à Trébizonde. Il semble indubitable que ces
Macrônes sont ceux que le périple de Scylax désigne sous
le nom de Macrocépales. Or cet ouvrage, comme Xéno-
phon, les place à l'Est de Trébizonde. Le texte de Strabon
(trad. de A. Tardieu, Paris, 1875) 1. \2, c. ô jii 18, doit
s'entendre dans le même sens ; le voici : « La région des
« Tibarani ou Tibarèni, des Chaldaei et des Sanni (autre-
« fois Macrônes), des Arméniens de la Petite Arménie,
« occupe la région au Sud de ïiébizonde et de la Phar-
« nacie ». Il faut remarquer ((u'après avoii' énuméi'é les
peuples de la montagne en allant de l'Occident à l'Orient
(sauf pour les Arméniens qui occupent une troisième
UN COIN DE l'aSIE MINEURE. 107
ligne), il nomme les pays du bord de la mer en réti'ogra-
dant de l'Orient à l'Occident.
Je ne contesterai pas que les écrivains byzantins ne
fassent très frccfuemment mention des Sanni ; mais, ce
qui importerait davantage, ce serait de savoir s'ils les font
émigrer à l'ouest de la ville de Trébizonde et sur toute la
côte du Pont à la(juelle ils auraient donné leur nom. Or
il ne semble pas qu'aucun le fasse.
La géographie de Moïse de Chorène, qui serait du
V* siècle, si elle était de celui à qui on l'attribue, parle
des « Djaniv » qui sont « Chaldek ». M. Jean Saint-
Martin, dans ses « Mémoires sur l'histoire et la géogra-
phie de l'Arménie » (t. :2, p. 588,) afïirme bien lui aussi
que « c'est la région montagneuse, limitrophe de Trébi-
« zonde, habitée autrefois par les Tzanni ou Sanni,
« dont le pays est appelé « Djanèt » par les Arméniens,
« Ichanèthi » ou « Zanèthi » par les Géorgiens et
« Djanik » par les Turcs. » Je ne trouve nulle part
ailleurs mention de ces Djaniv ; mais il suffît pour
montrer toute la faiblesse de cette opinion de constater
que M. Jean Saint-Martin se met ici en conti'adiction avec
l'auteur qu'il commente. Le géographe arménien dit en
effet que les « Djaniv » habitent dans la Colchide, à
l'Orient du Pont iFAixin), à proximité de la Sarmatie et
à l'Occident de l'Ibérie. » Ce qui les laisse exactement
dans la contrée où les placent Strabon, Xénoi)hon et le
périple de Scylax.
Il en est encore ainsi au VI* siècle, époque où les Sanni
et leur roi embrassent le Christianisme. Les auteurs
byzantins qui en parlent à ce propos, disent ([u'ils habi-
taient sur les bords du Phase ii). L'on jie voit donc ni
(1) R. P. .]. Pargoire. A. A. — Eglise Byz;intine, p. 17.
108 Li: MLSÉO>.
quand, ni comment, ce petit peuple de la Colchide a |)u
jnendie assez d'intluence dans le pays de Samsoun poui*
lui donner son nom. D'ailleurs en devenant chrétiens les
Sanni n ont-ils pas été, comme tant d'autres, amalgamés
avec toutes les populations hétérogènes dont se composa
le peuple grec ? On rencontre encore, au XVP siècle, un
prince géorgien du nom de Djanik ; mais il semhle n'avoir
rien de commun ni avec le pays de Samsoun, ni avec les
Tzannes.
Enfin ce qui est rapporté, dans l'ouvrage de M. Vivien
de Saint-Martin, sur la sauvagerie des hahitants des mon-
tagnes du Pont me parait fort exagéré et encore plus ten-
dencieux. On semhle vouloir les faire |)asser pour la race
ahorigène, qui s'y serait maintenue à travers les siècles
non seulement piesque indépendante, mais encore sans
suhir les inlïuences de leur voisin.
Moi aussi, je connais ces montagnes. Je les ai traver-
sées et par la chaussée de Samsoun à Amasia, et sur la
rive gauche de l'Iris, depuis Sounissa et la plaine d'Lrèk
juscju'à celle de Tcharchamha, j'y ai pénétré au nord de
Niksar et je puis atlirmer que les gens n'y sont pas plus
sauvagesquailleurs. Partouton trouvedes ruines grecques,
les villages grecs y sont nomhreux et paraissent prospères.
La population musulmane, en général Kezelhach (i) les-
(1) Kezelbach ( ji. ^? Jji) tôle rouge, nom ou plutôt sobriquet par lequel
les Sunnites désignent les Chihites qui n'admettent pas comme légitimes
les trois premiers successeurs de Mahomet : Abou Bèkr, Omar et Oth-
man. Ils sont restés très nombreux dans la partie orientale de l'Asie
Minoui'o qui a appartenu «à la Perse. Sami bey, dans son Dictionnaire
turc-lrançais (voir : bacli ji, U) dit que ce mot désigne les memtires
d'une secte musulmane traitée par méi)i'is de « Communauté de femmes »
— dans le sens de - secte de lâches », (|ui n'osent pas franciiement con-
fesser leur foi. Sous ce nom se dissimuleraieni, dit-on, de nomlireusos
sectes dont quelques-unes seraient chrétiennes et n'auraient de musul-
man que l'extérieur.
ÉÉ
UiN COIN DK LASIE MliNElIlE. 100
semble à celle des montagnes situées ]j1us au centre de
l'Asie-Mineure.
Les habitations de ces soi-disants descendants des San ni
sont analogues aux chalets des montagnards des Alpes.
Elles sont construites d'après les besoins des gens et les
matériaux dont ils disposent beaucoup plus (|ue d'après
les souvenirs traditionnels du peuple mossunèque. D'ail-
leurs M. Vivien de Saint-Martin (l. c. t. 1, p. 5:27, en
note) proteste lui-même contre cette affirmation.
5" ROVAIIMK DU DjA.MK.
L'opinion émise par M>I. Vivien de Saint-Martin et
J. Saint-Martin ne me semble pas l'emonter au delà de
1818, date oii John Macdonald Kinneir, capitaine au scn-
vice de la compagnie des Indes, publia son voyage de
1815-14 à travers l'Asie-Mineure, lArménie et le Kurdis-
tan. C'est lui qui le premier j)arait avoir pi'oposè de voir
dans Djanik une altéi-ation de T/.anni. Mais lui-même
tbui'nit les éléments dune solution toute dilïérentc ; car
(p. 282) il parle dune ville appelée « Djanik ^) entourée
de montaunes sauvaues habitées pardes tribus tui'comanes.
Cette ville, à n'en pouvoir douter, est celle (jue la carte
mise en tête de l'ouvraae de M. Euuène Bore, intitule''
« Correspondance et Mémoires d'un voyageur en Orient »
place entre Samsoun et l'Halys, sur le versant septentrio-
nal du jNébian dagh (Mont aux Pr()|>hètes).
Elle dut avoir une grande impoi'tance au XIV'' siècle,
car les histoi'iens la citent avec Samsoun et Osmandjek,
parmi celles ([ue les Ottomans occui)èrent au siècle sui-
vant, ï^lle servait alors de capitale à Hucein bey, chef de
la tribu turcomane des fils d Al[)-Arslan. Pour sauver sa
vie, le bev consentit à devenir vassal du Sultan et à livrer
liO LE MLSÉON.
sa citadelle à Yourkedj Pacha, alors gouverneur de la
Petite Arménie (i).
La ville de Djanik est encore mentionnée au commen-
cement du XVI^ siècle, lorsque le Sultan Sélim en contia
le gouvernement, ainsi que celui du district d'Eizindjan
et des villes de Kara hissar et de Trébizonde, à son écuyer
Beyekle Mohamed (Mahomet à la grande moustache) dont
il voulait récompenser les services.
Ce tut alors que les trois provinces grecques du Lazi(|ue,
du Pont Polémoniaque et de l'IIélénopont furent dési-
gnées par un nom que les Occidentaux transcrivaient
« Genesch » (d'autres éciivaient « Gènes » et môme
« Genne »,) on trouve ^<■ Gianisch » dans Bratutti. Ces
mots prononcés à l'italienne devenaient « Djènèsk » et
« Djianisk », on peut donc avec beaucoup de vraisem-
blance les identilier avec celui de « Djanik ».
De tout cela il est permis de conclure que la princi-
pauté turcomane aurait tout naturellement pris le nom
de sa capitale, et ([ue son nom se serait étendu à toute la
partie du littoi'al située à l'Est de l'Halys, lorsque, au
XVl^ siècle, tout ce pays fut réuni sous un même gouver-
neur. Si, dans la suite, le nom de Djanik s'est trouvé res-
treint au seul Sandjak de Samsoun, c'est parce que cette
région est celle où était située la principauté de ce nom.
Quant à l'origine elle-même du mot « Djanik, » on
peut croire (juc c'est le nom du premier bey musulman
(1) A la suite de la conquête musulmane, on a désigné sous le nom de
Petite Arménie une vaste légion comprenant les provinces orientales de
la Cappadoce ancienne que les Romains et plus tard les Byzantins dési-
gnaient sous les noms d'Arménie 1" et d'Ai-inénie 2'" ; ainsi que les [)ro-
vinces d'Hélénopont et du Pont l'olémoniaquc dont, au VII'^ siùcle, Héra-
clius avait fait le thème d'Arménie. Ce pays n'a que le nom de commun
avec la Petite Arménie dont parlent Strabon et les Anciens.
LiN COIN ni: LASIE MINEIRE. l l 1
qui, en se fixant dans cette localité, le lui aui-ait donné.
Cela expli(}uerait comment il y a d'autres localités du
même nom, entre autres celle que le Djihan Auma (i)
place à 10 h. de marche de l'Kuphiate sur la route de
Sivas à Erzeroum ; et celle que la carte de Kiepert indique
sur la côte orientale du lac de Van.
Pour avoir des renseignements complets et précis, il
faudrait les chei'chei" dans l'histoire de la conquête musul-
mane de r Asie-Mineure, à la lin du Xlll*" siècle et au cours
du X(V® ; mais cette histoire où la trouver ?
M. le Comte de Mas Latrie, dans son « Trésor de la
Chronologie » (col. 1797, n" VI) parle d'une pi'incipaulé
de Kaouïa, dans le Pont. Sur l'autorité du uéouianhe
Chèhabeddin (-2) de Marache, mort en 1549, il atïirme
qu'elle portait le nom de sa capitale et se trouvait située
sur les bords de la mer Xoire, entre Samsoun et Sinope.
Il ajoute que c'est cette principauté que Hammer désigne
sous le nom de Djanik. M. Vivien de Saint-Martin (^Des-
cription de l'Asie-Mineure, t. I, p. iOO) cite également le
royaume de Caouïa (mot qu'il fait suivre d'un point
d'interrogation), et son l'oi Mourad eddin que nomme
aussi le géographe de Marache : il ajoute que cet état était
voisin de celui de Castamouni.
(1) Djihan Numa (U» <^\=s-) ^ Miroir » ou plutôt " Description du
Monde «, mot à mot « Montre Monde -, ouvrage de géographie écrit en
1648 par Hadji Khalfa, flls de Kiatib Tchélébi. Le vrai nom de l'auteur
était « Moustafa, tils d'Abdallah „.
(2) Cet auteur n'est pas mentionné par M. Vivien de Siiint-Martin, dans
sa « Description de l'Asie Mineure » ; mais des fragments de son ouvrage
traduits par M. de Quatremère, ont été publiés au tome XIII des •^ Notices
et Extraits ». Le « Trésor de la Chronologie » cite aussi Abou Abdallah
ben Batouta, cependant il n'est pas question de Kaouïa dans tout ce
qu'en donne M. Vivien de Saint-Mariin (Description de l'Asie Mineure,
1. 1, p. 513 et sq.). Hammer ne cite aucun de ces auteurs dans son « His-
toii-e de l'Empire Ottoman ".
112 l.E MLSÉON.
Haminei' (Histoire de l'Empire Ottoman, Irad. par J. J.
Hellert, t. 17, p. d'I et 9U), cite les princes de Djanik,
pai-nii les dynasties qui sont arrivées au pouvoir pendant
le Vll^ siècle de l'hégire. (]e qu'il en dit est tiré de l'His-
toire Universelle de l'astronome arabe Mohamed-efVendi,
mort en KHO. Cet auteur compte la dynastie de Djanik
comme la onzième des douze qui setablii'cnl sur les l'uines
des Seldjoucides. Il en cite i princes : I" Kaliad oiihiou,
:2" Taschni oijfhlou (le « Trésor » écrit Tasclisin), 5' Djou-
néid bey et 4" Houcèin bey.
Ce n'est là qu'une liste incomplète de noms propres
dont le dernier seul est un peu connu. C'est donc peu
de chose ; mais, en attendant mieux, sauvons-les de
l'oubli. Un jour, (|ui sait? uik; monnaie, une inscri[)tion,
un manuscrit en fera connaître plus long.
Il semble toutefois que cela ne fasse que complique)' et
embrouiller la question. Car enfin où trouver cette loca-
lité de Kaouïa (Kavia) citée par MM. Vivien de Saint-
Martin et le Comte de Mas Latrie ? Il n'y a rien de sem-
blable dans l'onomastique de la région. Faute de mieux,
on pourrait conjecturer qu'un copiste a écrit Kaouïa
(ijojlâ) pour Bâtira (i^Jl). Ces mots écrits en caractères
arabes se ressemblent assez pour ([u'on ait [)u s'y mépren-
dre (i). La lecture paraît douteuse au consciencieux
M. Vivien de Saint-Martin, de plus, outre la ressemblance
des mots, la situation de Bâfra répond à celle assignée à
Kaouïa : cela su (lit à fonder une conjecture.
Dans cette hypothèse il n'est point nécessaire de suppri-
(1) On me dit qu'en arabe le mot s'écrit (iij^) (Kaouia) co qui, on sup-
primant les deux points et la tête du ( j) kaf, ne lait que rendie plus
facile la substitution d'un de ces mots à l'autre.
UN COl.N F)E l'aSIE MINEURE. 115
iner la ville de Djanik dont parlent les documents histo-
ri({ues, comme le voyageur anglais John Macdonald
Kinneir. Il est tout à fait dans les mœurs turcomanes
d'habiter durant l'été une localité située dans les mon-
tagnes comme la ville forte de Djanik dont parle Kinneir,
et de descendre pendant l'hiver dans la plaine. Ces mœurs
sont même encore aujourd'hui celles de la plus grande
partie do la population non seulement des villes, mais
encore des campagnes et des montagnes dans l'Est de
l'Asie-Mineure. De plus la tradition locale fait remonter
l'origine de Bâfra à une population de pasteurs et le
Djihan Numa, comme nous le verrons, parait dire qu'à
l'époque où il fut rédigé. Bâfra était une localité plus
importante que Samsoun.
Pour conclure, le nom de Djanik serait celui d'une prin-
cipauté turcomane, constituée vers la fin du moyen âge
dans les montagnes au Sud-Est de Samsoun. Le Djihan
Numa confirme cette opinion, lorsque, à propos du liva
de Djanik, qui dépendait alors de la province de Sivas, il
écrit : « Le Djanik proprement dit consiste en un Cadi-
« lik (ij situé dans les montagnes. Il renferme des vil-
ce lages formés de hameaux de trois ou quatre maisons
« fort éloignées les unes des autres. Ces villages ont tous
« leur nom ; mais tout le pays est connu sous le nom de
« Djanik. » Il ne dit pas pourquoi et n'a pas l'air de le
savoir, mais il indique sa position exactement où je l'ai
placée. « Ce Cadilik, dit-il, proche de la Mer Noire, est
(c borné au Nord et à l'Est par celui de Samsoun, au
« couchant par Kara Yaylak et au sud par le village
(1) Cadilik, territoire administré par un Cadi. Cette division du liva
correspond à notre Gaza ou Kaïmakamlek. actuel. C'est le nom qu'on
donnait alors aux subdivisions de la province.
\\i I.K MLStON.
<c (rAhdal. » Mallieureuseinoiit le nom de ces deux der-
nières localités no se tronve pas sur les eai'tes. Il semble
toiitelois (ju'nn doute raisonnable ne soit plus permis sur
lexistaneeet la situation de la prineipauté du Djanik.
V(»ilà doue un point (jue l'on peut regarder comme
éclairci et ac(|uis à hi science.
ï" Etymologii: de Samsoun.
Pour<|U()i, a[)rès le Djanik, ne pas s'occuper de sa capi-
tale actuelle dont le nom au point de vue étymologique
n'oiVre presque aucune difïiculté. La ville a conservé son
ancien nom grec d Amisos, précédé de la préposition e-.'; :
ce (|ui lui a valu la désinence de raceusatit'. Comme pro-
nonciation cela a donné d'abord « Isamison », d'où
« Samison « et enfin « Samsoun ». — Il n'est pas rare
(renlcndre les gens de la campagne et les voituriers pro-
noncer ce mot à la grec(|ue selon la forme « Isamison ».
J'avoue que ce genre de formation par l'addition d'une
préfixe prépositive au nom antérieur peut paraître dou-
teux, vu (jue les noms propres se transforment plutôt j)ar
abréviation. En dehors de la langue grecque et des noms
de localités qui s'y rencontrent, on ne trouve pi'obable-
menl rien d'analogue. En grec même, cette formation n'a
lieu (|u'avec la préposition e>lq plus ou moins défigurée et
souvent l'éduite à une simple s : comme Constantinople
devemi 8tan)boul, par l'aggloméi'ation des trois mots :
6'.'; TY.v -ôÀ'v. Cette étymologie est aujourd'hui contestée,
sous i)rétexte que le nom de Stamboul était déjà donné à
la capitale byzantine longtemps avant sa chute au pouvoir
des Ottomans. On préférerait y voir une abréviation du
nom grec Comlanlinoupolis, mot interniinable, qui aurait
perdu 4 de ses () syllabes pour n'en conserver que la
seconde « Stan » et l'avant-dernière « pol ».
UN COI> DE LASIE MINEURE. 115
En réalité, si l'explication proposée pour Stamboul
pouvait se donner pour toute la série des noms modernes
du même genre, je renoncerais bien volontiers à ma thèse.
Mais cela n'est pas possible comme le montre un rapide
examen. L'ancienne Cos est devenue « Stancô » que les
Turcs prononcent « Stankeuï » (le village de Stan). Nicée
en turc s'appelle « Isnik » et Mcomédie, « Isnikmid 5).
Lemnos est devenu « Stalimèna ». Les anciennes cartes,
même celles de « l'Asie-Mineure » de Texier, au lieu
d'Adalia pour Attalia, portent ordinaii-ement « Sathalia »
ou « Sathalièh », et il serait facile de multiplier ces
exemples et d'en trouver jusque sur les côtes de l'Adria-
tique où le non) de Spalatro, ou mieux Spalato, se dérive
du palais que Domitien y tit bâtir.
Ces exemples paraissent surtout frappants pour les noms
communs transformés en noms propres, s-,'; tt,/ -oa-.v (à la
ville) devient Stamboul ; £■.'; tô -xÀàTov (au palais), Spalato ;
mais la plus remai-quable de ces transformations est celle
du nom de Lemnos. On a l'air d'avoir pris ce mot pour
le génitif de 6 A-.p.v, d'où £'!<; tôv A'.uéva (au port), qui est
devenu Stalimèna.
Ce genre de formation semble donc bien sérieusement
établi, et Ion ne voit pas ce qui pourrait empêcher de
l'admettre pour Samsoun.
En turc ce mot pris comme nom commun signifie
« dogue ». C'est peut-être ce qui a donné lieu à l'étymo-
logie fantaisiste qui a cours dans le pays. Pourquoi ne
pas en dire un mot, puisqu'elle est consignée dans l'ou-
vrage de M. Vital Cuinet (la Turquie d'Asie, t. 1, p. 102),
où il est dit que d'anciennes chroniques turques font
remonter la fondation de Samsoun à Sem, fils de Noé,
qui lui aurait donné son nom, et que la seconde syllabe
\\i\ l.i: MLSÉO.N.
« Soun )) aurait ('te ajoutée à l'épocjue des Turcs Seldjou-
cides, j)arce qu'il y avait alors dans la ville un énorme
chien (|ui en était reifai-dé comme le bon génie. On est
averti, entre parenthèses, qu'en arabe « soun » signifie
chien.
Cette assei'tion est erronée : de toutes les langues parlées
dans le pays, l'arménien est la seule qui ait un mot
de cette assonance avec cette signification et c'est le
mot « choun ». Les gens du pays qui eux n'ont pas
recours « aux anciennes chroniques tui'(jues » simplifient
beaucoup ce récit. A les entendi'e « Samsoun » signifie
« chien de Sem », parce que le partriarche, traversant le
pays après le déluge, y aurait enterré son chien.
Ce n'est là évidemment qu'une fable populaire.
Je ne pense pas que la ville de Samsoun ait jamais
porté d'autre nom. Cependant la « Géogi-aphie Sacrée »
de Charles de Sainte-Croix ([ui lui donne celui de Hou-
n)a il) transcrit par Ssamzsun, le mol turc (i.^_^lo) qui
représente la prononciation actuelle et, comme toutes les
autres transcri[)ti()ns dérive du grec.Texier (Asie-Mineure,
p. 620, col. 2j note (ju'une cai'te catalane la nomme Sinuso,
ce qui n'est [)eut-ètre (ju'une simple faute d'orthographe
ou de lecture pour Simiso.
5" FOiNDATIO.N d'AmISUS.
Théopompe de Chio, auteur du IV*" siècle avant J.-C.
affirme quAmisus est une colonie de Milet. Quant à
(1) Houma [\*Jb) est un mot persan qui désigne un oiseau fabuleux dont
l'ombre était de bon augure, lorsqu'elle passait sur quelqu'un. Il sert
aussi à désigner tout oiseau extraordinaire, mémo le vautour royal. Far
suite d'un rapprochement llatteur et bien oriental, enti'c l'ombre du
souverain et celle de l'oiseau, son dérivé (^^^Ufe) houmayoun, qui en
serait l'adjectif ou le féminin, correspondrait à Vaugiisùis des Romains
et à notre impérial ou royal.
I
UN COIN DE l'aSIE MINEURE. 117
Strabon (1. l'2, c. 5, § 14) il parle de trois fondations
successives : d'abord par les Milésiens, puis une seconde
fois par un prince Cappadocien qu'il ne nomme pas,
enfin une troisième fois par Athènoclès (i) qui y conduisit
une colonie athénienne. Plutarque, Arrien, etc. parlent
surtout de cette dernière colonie. C'est elle qui a donné
au port d'Arnisus le nom de Pirée (Ilerpa) qu'on lit sur cer-
taines monnaies d'argent de cette ville. Elles sont toutes
du même type et portent au revers une chouette les ailes
étendues pennes en bas : leur seule différence est dans le
nom du magistrat (:>) dont on voit les initiales dans le
champ.
Mais Strabon ne s'est pas contenté d'énumérer les trois
fondations successives dont il vient d'être question, (1. 12,
c. 5, § 25) il cite Hécatée de Milet, logographe du VP
siècle avant J.-C. qui pense qu'Homèi'C (Iliade, chant 2,
V. 851), parle de Samsoun. Ce serait cette ville qu'il dési-
gnerait sous le nom d'Hénétè dont un corps de troupes
« sous la conduite du robuste et hardi Pylaemène »
marcha au secours de Troie. Sti'abon, qui adopte cette
opinion et la défend avec chaleui*, cite encore (1. 1:2, c. 5,
§ 8), en sa faveur Zénodote, grammairien d'Eplièse, qui
fut le précepteur des enfants de Ptolémée Soter (117-81
avant J.-C). 11 semble donc que si, à l'époque d'Homère,
Samsoun s'appelait llénétè et était peuplée de Paphlago-
niens, sa premièi'e origine ne [Miissc pas être grecque.
(1) strabon écrit ainsi ; mais dans -^ l'Asie Mineure » de Texier une
erreur typographique a transforntié ce mot en celui d'Athèclès, et c'est
ainsi que les copistes ne manquent jamais de le reproduire.
(2) L'une porte A0, faudrait-il y voir le nom d'Athénoclès ? Les autres,
que je connais, portent : AIi')*-Hr ; AI-MIA ; AH-IA ; AP-lv ; APls-ir ; APls-
TEO ; AP-TE ; AP-XE ; A*-P0 ; BAAA ; Ml'-AA et ZHNO.
9
il8 IK MUSÉON.
Strabon ne dit rien pour expliquer cette antilogie. Une
manière de le faire, qui me paraît admissible, consiste-
rait à dire que les auteurs jurées n'ont prétendu pailer
que de la fondation des colonies que leurs compatriotes
établirent dans la ville cappadocienne.
Cette hypotbèse a au moins l'avantage de mettre les
auteurs grecs d'accord entre eux. et avec les plus anciennes
traditions du pays. Car enlin la tète d'Ama/one qui figure
sur tant de monnaies autonomes de Samsoun, comme
sur celles de Sinope et de Smyi'ne, semble indiquer autre
chose qu'une origine grecque.
Je ne veux pas chercher un argument dans le silence
de Scylax. Cet auteur du IV" siècle avant J.-C, par consé-
quent contemporain ou à peu près de Théopompe, ne
parle pas de Samsoun, bien que dans son péi'iple il
énumère avec soin les cités grecques qu'il i*encontre. Il
faut remarquer qu'il donne le nom d'Assyrie, à la région
qui nous occupe et (|ui comprenait le littoral des sandjak
actuels de Samsoun et de Sinope. Ce nom indique sutïi-
samment que le pays ap[»artcnait alors au grand roi. Cela
est contirmé par le témoignage d'Hérodote et par celui
des historiens d'Alexandre. Car si le conquérant, comme
le veulent ces derniers, a rendu à Samsoun ses droits de
ville libre, il faut bien convenir qu'elle avait été soumise
par les satrapes persans.
G" AmISUS sous LES KOMAINS.
Avant le règne de Mithridale, tout ce que l'on sait de
Samsoun se réduit à peii |)rès au siège qu'Asandros en lit
sans pouvoir la prendre, en ôl5 avant Jésus-Christ.
Près de deux siècles et demi plus tard Lucullus s'en
empai'a et ce fut là le grand événement qui semble avoir
UN COIN DE l'aSIE MINEURE. 119
tiré Samsoun de l'obscurité. Mithridate Eupator y avait
fait construire plusieurs temples et l'avait agrandie de
tout un quartier qui de son nom fut appelé Eupatoria.
Dès son arrivée dans le pays, en 75 avant J.-C, le général
romain avait bloqué Samsoun ; mais, selon son habitude,
sans presser les choses. Aussi Mithridate eut-il le temps
de lever une armée pour venir au secours de la ville.
Alors, hûssant Muréna continuer le blocus, Lucullus, avec
le gros de ses troupes maicha à l'ennemi qu'il rencontra,
semble-t-il, sur les confins de la Phanarée.
Les circonstances, plus encore que le succès de ses
armes l'ayant, comme devant Cyzique, délivré de son
redoutable adversaire, Lucullus ramena son armée devant
Samsoun. Callimaque (|ui la défendait, était un général
habile : il ne put cependant empêcher le faubourg d'Eu-
patoi'ia d'être pris et rasd Quant à la ville proprement
dite, elle offrit une bien plus longue résistance ; mais elle
finit pai' être enlevée [)ar sur[>rise.
Tous les jours, }»res({ue à la même heure, le général
romain faisait atta([uer la i)hice, j)uis ses troupes se reti-
raient. Un jour supposant que l'ennemi, habitué à ce
manège, ne se tenait plus sur ses gardes, les assiégeants
reviennent à l'improvislc et donnent un furi(Mix assaut.
Personne ne h s attendait, ils forcent les remparts et le
gouverneur, ne songeant {)lus qu'à s'enfuir par mer, fait
mettre le feu à la ville pour assurer sa retraite.
Lucullus, assure-t-on, fit son possible pour sauver
Samsoun. La crainte d'une mutinerie de la part de ses
troupes l'aurait seule décidé à lui en permettre le pillage.
Encore ne l'aurait-il fait que dans l'espérance que poussés
par la convoitise du butin qu'il leur abandonnait, les
soldats chercheraient à éteindre le feu allumé par l'enne-
120 I.i: MISKON.
nii. (><'t psjtoir fut (lôcii : les soldats oux-incMnos incen-
dièrent un iii'and nonil)i(' d'éditiccs. C('|K'ndant la pluie
tomba aloi's en telle abondance (|u'elle liin'l par arrêter le
lléau et préserver une jiarlie de la ville.
Les [(anéiryristes du vain(jueiir le représentent pleurant
sur ces ruines et disant à ses amis : « J'ai toujours
u îidmiré le boidieni'de Sylla (pii ;i pu sauver Athènes de
« la destruction, j'aurais voulu limiter en faveur de
« Samsoun, et me voilà réduit au sort de Memmius, qui
« a pris (lorintlie, mais en la détruisant ». Avant de
rentrer dans la province d'Asie. Lucullus donna des ordres
]»otir l'aire i'eb;'ilir ton! ce (pii avait été brûlé, repeupla
Samsoun, anumenta son territoire d'une étendue de 15
milles plus de :22 kilomètresi, et lui rendit ses droits de
ville libre m.
(À' ipii étal)lit avec évidence (|u'elle ne fut pas détruite,
c'est ({ue huit ans après (()i avant J.-C.l, Pompée y donna
rendez-vous aux rois et aux députés de tous les peuples
de l'Asie. A cetle réunion se renconti'èi-ent douze rois et
un bien plus giand nombre de pi'inces et d'ambassadeurs
à (|ui le iiénéral romain disti'ibua les états de Mithridate
définitivement vaincu. Pompée aurait aloi-s constitué une
provinee du Pool (IIovt'./.V. ivj'j.^/'.y.\ dont Samsoun aurait
été la capilale.
(yesl, il nie semble, la seule occasion où eette ville a
pu recevoir le nom de Pompeïopolis. Va\ tout cas cette
dénomination, (]ui aurait été fort éphémère, peut paraître
(1) Iiic villo pillée et incondiée dans les conditions que nous venons de
voii-, n'esl piis inie ville rasôo et dotruite de fond en comble. Il est donc
dilliciledaccepler le dire <le l'exier (Asie .Mineuiv, p. &2<), col. 2} : « D'après
le tableau ipie fait l'hiiar.iuo de la destruction dWinisus, on conçoit qu'on
ne pourrait y trouver aucun débris de la ville grecque.
UN COIN DE l'aSIE MINEURE. 121
d'autant plus douteuse que Ton place, dans la même pro-
vince, une antre ville de Pompeïopolis, la bourgade actuelle
de Tache Keupi'u île Pont de pierre) (i).
Après son expédition en Syrie, Pompée, traversant
l'Asie-Mineure, vint de nouveau à Sainsoun, où Pharnace,
l'oi du Bosphore, lui fit porter avec de riches présents le
cadavre de son père Milhridate. C'était en 05 av'ant J.-C.
Après un séjour assez bref à Samsoun, le général romain
alla passer l'hiver à Ephèse.
Deux monnaies que j'ai eues en ma possession et tpii
doivent se rapporter à cette époque, portent au droit le
buste de Pallas avec la légende AMlïOV et au revers
« Rome » divinisée avec le mot PQMIl, à l'exergue, de
façon à ne laisser aucun doute sur le sujet représenté. La
légende de l'une est Elll TAIOV KAIKIAIOV KoPNoVToV,
« Sous Caïus Caecilius Cornutus ». Je ne pense pas
m'avancer troj) en supposant que c'est là le nom du gou-
verneur placé par Pompée à la tête de sa province de
Pont : car plusieurs membres de la famille Caecilia se
fii'ent remarquer parmi les paitisans de ce général. La
légende de l'autre est Elll PAIOV nAnElPlOï KAPBQNOi:,
(c Sous Caïus Papirius Carbo ». Cette seconde légende se
retrouve — absolument identique, — sur une monnaie
de Nicée, en Bithynie, que j'ai eue également en ma pos-
session ; mais je ne sais si ce gouverneur a passé d'une
province à l'autre, ou s'il les a administrées simultané-
ment.
(1) Il faut toutefois remarquer que la position de Samsoun et de Tache
Keupi'u dans la même province de Pont créée par Pompée, n'est pas hors
de conteste. On peut soutenir avec beaucoup de vraisemblance que la
seconde do ces localités se ti-ouvait dans la partie du royaume de Mithri-
date attribuée à Déjotare qui, par reconnaissance, aurait pu lui aussi
donner à cette ville le nom de Pompeïopolis.
122 LE MlSf.ON.
Pondant la i^iierre civile (i9-i8 avant J.-C.) Pharnace
reconquit tout l'ancien royaume du Pont. On l'accuse
d'avoir, à cotte occasion, fait massacrer toute la population
de Samsoun pour la punir de sa résistance. Strahon (1.
12, c. 5, !^ I i) nous apprend (pie « déclarée libre par le
« divin César, Âinisus n'en vit pas moins Antoine la
« livrer de nouveau à dos rois ». Il ajoute (ju'(( elle eut
« ensuite beaucoup à soulï'rir du fait du tyran Straton :
« mais (pi'après la Itataillo d'Actium (en ôl) César Au-
« iiuste lui restitua son autonomie, et, ui'àce à ce bienfait,
« elle est aujourd'bui heureuse et tranquille. » Presque
toutes ses monnaies im|)ériales, d'Aui^usto à Salonine, et
quelques-unes de ses monnaies autonomes portent son
titre de « libre » (èXsjOspoO).
7° Samsoun Cuuétienne.
Nous avons vu que Pompée avait réduit en province
romaine une grande partie des régions soumises à iMithri-
date. Bientôt toutefois cette province démembrée en faveur
de divers personnages, fut tellement réduite que la partie
restée directement soumise à l'ompiro, fut annexée à la
province de Bithynie et regardée par Pline l'Ancien (1. 6,
c. 2) et plus tard pai' Ptolémée comme faisant partie de
la Paphlagonie.
Au commencement du IP siècle de l'ère chrétienne
Pline le Jeune, proconsul de Bithynie, dans son épitre 86
k Trajan, parle do Gabius Bassus, pi-éfot des « Côtes du
Pont » Kuxin, comme d'un magistrat sous ses ordres.
Toute une série de ses lettres à l'empereur paraît avoir
été écrite au cours d'un voyage cpi'il aurait fait sur les
côtes (le la mer Noire. Il y parle de ce qu'il a fait ou exa-
miné par lui-mome d'abord à Nicée, sa résidence, puis à
UN COIN DE L ASIE MINEURE.
125
Sinope, à Samsoun et enfin à Amastris, sans doute en
retournant au chef-lieu de sa province. Il ne semble pas
être allé plus loin que Samsoun, d'où l'on peut conclure
que le royaume de Polémon ou Pont Polémoniaque avait
été rattaché à la Cappadoce.
La lettre 9:2 de Pline à Trajan est particulièrement
intéressante pour l'histoire de Samsoun à cette époque.
En voici la traduction : « Âmisus, ville libre et alliée,
« doit à votre bienveillance de s'administrer d'après ses
« propres lois. On m'y a remis une re([iiéte concernant
« un « éranos «. ,1e la joins à cette lettre afin, Seigneur,
(c que vous voyiez vous-même ce qu'il convient de per-
ce mettre ou de défendre. »
La réponse impériale aide à mieux com[)rendre la
situation politique de la ville et même ce ([u'il y a
d'obscur dans la lettre du gouverneur. La voici : « Vous
« m'avez envoyé la requête des habitants d'Amisus. Si
« les lois qui les régissent, selon les stipulations du
« traité d'alliance, leur permettent d'avoir un « eranum n,
« nous pouvons d'autant plus facilement ne pas le leur
« interdire qu'ils paraissent se servir de ces contributions
c< volontaires non pour fomenter des désordres ou des
« assemblées illicites ; mais pour subvenir à l'indigence
« des pauvres. Toutefois une chose semblable doit être
« interdite dans les autres villes soumises à notre domi-
(c nation. »
Que signifie ])roprement le mot « eranus » (è'pavo;) ?
Pline emploie le nominatif grec comme si le mot était
indéclinable, tandis que l'empereur le transcrit et le
décline en latin (i). Dans la langue à laquelle il est
(1) Il ne semble pas que ce mot grec soit employé en latin en dehors de
ces deux lettres.
124 LE MLSÉON.
emprunté, il signifie « cotisation, festin où chacun paye
son écot ; (juète, aumône, collecte. » Mais s'il n'eut été
question (jue dune bonne (euvie transitoire et non d'une
institution permanente chargée d'administrer les contri-
butions volontaires versées par les particuliers en faveur
des pauvics, il seiait im|)ossible de comprendre pourquoi
l'on adressait une r('(|iicte au proconsul et encore moins
])Ourquoi celui-ci en réféiait à rcmpereui'.
On peut remarquer en outre (juc linslilution dont il
s'agit était (pielqne chose d'inouï parmi les païens. Le
latin n'avait |)as de mot jtoiir la désigner, et le mot grec
dont on se servait, devait pour y parvenir niodilier sa
signitication ordinaire. Il seml)le {[non ne puisse donner
une explication plus vrai;-emblable de cette innovation
qu'en l'attribuant au\ chrétiens. Car il est tout naturel
de la i*a[q)i'ocher des « Collectes » dont S. Paul écrit aux
Corinthiens : « Quant anx k collectes » «jii si: iom en
« laveur des saints, faites, vous aussi, ce (|ue j'ai prescrit
« aux Eglises de la (ialatie. Que le [)remier jour de la
« semaine chacun de; vous mette che/ soi (|uelqu(» chose
(( de côté, réservant ce qu'il jngera convenable, afin ijue
« les collectes ne se fassc^nt pas lorsque je viendi'ai (i Cor.
« 10, \) ». i^e mot « logie » ().oy'>/) dont se sei't l'apôtre et
((ui a été tradnit en latin parait éti'C r(''(jnivalent exact du
mot employé par Pline, au moins dans le dialecte
d'Alexandrie. Cette conjecture sur l'origine chi'étienne de
l'éranos, est sérieusement établie par la UG* lettre de Pline
àTrajan (i).
Quoique moins tyrannique (|ue d'autres cet empereur,
(1) D'après l'édition d'Henri Keil, Loip/ig, 189(). — Ailleurs elle est
comptée pour la 97».
UN COIN DE LASIE MINEUKE.
125
comme tous les despotes, redoute par dessus tout toutes
les initiatives qui se pi'oduisent en dehors de celle de
l'état. Sa lettre dit assez clairement qu'il désapprouve
l'éranos et ne se résigne à le tolérer (jue s'il est formelle-
ment autorisé par les lois en vigueur à Amisus et dans
l'unique but de ne pas créer de complications. Pline ne
s'y trompe pas et dans la lettre (9G) (jui suit la réception
du rescrit impérial, il annonce à Trajan que « selon ses
ordres il ;i publié un édit pour défendre les « liétairies »
(associations).
Comme il expose dans cette lettre tout ce ([u'il a [»u
savoir de l'état du chi'istianisme à Amisus, elle mérite de
nous arrêter plus longtemps. Le ()rocorisul entre en
matière en disant ([ue « n'ayant jamais été méh' aux
(c enquêtes faites à propos des Chrétiens, il ne sait ni sur
« quel sujet, ni juscpi'à quel point on a coutume de
« faire des recherches et d'infliger des châtiments. — Car
« en définitive il ne doute pas (ju'il ne faille — (|iielle
« (|ue soit la nature de leurs aveux, — cliàtier leur cntè-
« tement et leur inflexible o[)iniàtreté. »
Parmi ceux ([ui étaient atteints d'une telle folie, il en
a trouvé (juil a notés pour les envoyer à Home parce
qu'ils sont citoyens romains iij et (|ue, sans doute, ils
ont, comme S. Paul, revendi(pié le droit <]ue ce titre leur
donnait d'être jugé [)ai' César, il y en eut d'auties qui
nièrent être chrétiens et fournirent des preuves péreinp-
toires qu'ils ne l'étaient pas. Car ils ont invoqué les dieux
(1) Ce passage est à rapprocher de ceux des actes des Apùtres (di. 21
et 25) où S. Luc raconte comment S. Paul se prévalut de ce titre et des
droits qu'il lui conférait. Pline ne pai-ait pas, comme le gouverneur de
la Judée en avoii- conféré avec son conseil, c.:'la nie seml)le un indice de
plus que sa lettre fut écrite, non de Nicée, mais de Samsoun, où il se
sei ait rendu sans se faire accompagner de ses assesseui'S.
126 LK MUSÉON.
dans les termes que je leur suggérais, ils ont par l'encens
et le vin rendu un culte à votre image (ju'à cet effet j'avais
ordonné d'apporter avec les simulacres des divinités, de
plus ils ont maudit le Christ : toutes choses auxcpielles
on afïirme qu'il est impossible de contraindre ceux qui
sont véritablement chrétiens. Ceux-là j'ai cru qu'il fallait
les relâcher.
D'autres, inscrits sur la liste des chrétiens, en firent
laveu, mais bientôt se dédirent : ils expli(juaient qu'ils
l'avaient effectivement été, mais ne l'étaient plus quehjues-
uns depuis plusieurs années, et l'un ou l'autre (non
nemo) même depuis vingt ans. Ce chiffre est fort remar-
quable. Pline le Jeune, mort en 115, exerça à Home
diverses charges après son proconsulat qui dut prendre
fin au plus tard en 113. C'est la dernière date (jU(^ l'on
puisse assigner à la lettre (|ui nous occupe. Les 20 ans
dont elle parle, font donc remonter les apostasies men-
tionnées comme les plus anciennes, à l'année 93 qui est
précisément celle où commença la |)ersécution de Domi-
tien (i), qu'il est d'usage de compter comme la seconde.
La lettre de Pline établit (ju'elh^ se fit sentir sur les « côtes
du Pont » Euxin et à Samsoun avec assez, de violence
pour y occasionner des apostasies.
(1) Suétone (Domitien, § 12) parlant des excès de cruauté de cet empe-
reur, écrit " qu'il poursuivit avec beaucoup plus de rigueur que tous les
autres trésors, celui du lise juif auquel contribuaient et ceux qui sans
professer le judaïsme en pratiquaient à Rome les usages et ceux qui
dissimulaient cette origine pour ne pas payer les taxes imposées à
cette race ». Ce texte avec la contradiction qu'il renferme ne i)eut s'expli-
quer que par la confusion que Suétone a dû faire entre Clirétiens et Juifs.
D'après cet auteur, il semble que la persécution de Domitien aurait sur-
tout été fiscale : ce qui n'est contredit ni par l'historien I']usèbe (His-
toire Ecclésiastique, 1. 3, ch. 17, 18, 19 et 20), ni par les deux auteurs
qu'il cite à son sujet : S. Irénée et Hégésippe.
I
LIS coLN DE i/asie minklhi:. 127
Le reste de la lettre n'est \ms inoins intéressant que
son commencenaent. Pline raconte à Ti'ajan ((ue les apos-
tats qu'il a pu intenoiier lui « alïirinaienl ([u'en somme
a leur faute ou leur erreur avait été de se réunii' à jour
(c fixe, avant l'aube, pour réeiter en alternant entre eux
« des hymnes au Christ, comme à un dieu, et de s'être
« engagés par serment non à des crimes (fuelcomjues,
« mais à ne commettre ni vol, ni hriuandaiie, ni adul-
« tère, à ne pas maïKjuer à la foi jurée, à ne i)as nier un
« dépôt réclamé... Cela fait, ajoutaient-ils, ils avaient
« l'habitude de se retirer, ])uis de se réunir de nouveau
« pour prendre tous ensemble un rej)as (jui n'avait cepen-
« dant rien que d'honnête et qu'ils ont même lenoncé à
« cela après la publication de l'édit [>ar lequel, sui- vos
« ordres, j'ai interdit les associations.
« J'ai ci'U cette mesure d'autant plus nécessaii'e cjue,
« pour savoir la véiité, j'ai mis à la ([uestion deux ser-
« vantes, appelées « diaconesses » sans d'ailleui's ti'ouver
« rien de plus qu'une superstition absurde et sans frein.
« C'est pourquoi j'ai sursis à l'enquête afin de vous con-
« sulter. Certes la chose me parait réclamer la plus
(c grande attention vu le nombre des suspects. Car ceux
« qui sont déjà mis en cause et le seront })ar la suite,
« sont toute une multitude de tous les âges, de toutes les
« conditions et des deux sexes. La contatiion de cette
« superstition s'est répandue non seulement dans les
(C villes, mais même dans les bourgades et dans les cam-
u pagnes.
« Il semble toutefois qu'on [leut l'enrayer cl la faire
« disparaître. En effet on voit clairement que les temples
« des dieux déjà presque déserts ont l'ecommencé à être
« fréquentés, que les cérémonies sacrées longtemps inter-
128 LE MLSÉON.
« rompues sont i'étal)lies et (|u'()ii se remet à manger des
« victimes (i) dont on ne tiouvail même plus (pie de très
« rares acquéreurs. L'on peut donc iacilement conjectu-
« rer de ces faits (juc ia tourl>e populaire peut revenir à
(c des idées plus sages, si on loi donne le temps du
« re[)entir. »
Eusè])e (Hist. I'>cl. 1. ."), v. 50) parle de cette lettre ;
mais, semble-t-il, sur ce <ju'en cite Tertullien ([ui n'en
donne qu'un fragment. A elle seule, elle sullit [)our éta-
blir combien, dès les premières années du second siècle,
le Christianisme était sérieusement implanté à Samsoun
et dans toute la région. Les gages de retour de la popula-
tion aux pi'atiques païennes dont IMine fait l'étalage avec
tant de complaisance, ne sont pas capables d'alVaiblir (;ette
impression.
11 n'est pas douteux que la province du Pont ait été
évangélisée dès les temps apostoli([ues [>uis([ue S. Piei're
écrit à ses habitants. Sa premièi'e lettre })rouve même
que, comme dans la Galatie, la C.appadoce, etc. les Eglises
vêtaient hiérarchiquement constituées. Lu etVet (1 Petr.
5, 1 à 4), l'apôtre, « senior » et témoin des souffrances
de Jésus-Christ, s'adresse aux « seniores » ([ui sont paiini
les fidèles de ces contrées, leur recommande de se con-
duire en bons pasteurs et leur trace la règle à suivre vis-
à-vis du clergé. Cela contirme et aide à comprendre le
récit de Pline le Jeune.
(1) On trouve la variante : " pasturaque venire victiraarum cujus
adhuc rarissimus emptor inveniebatur » dont le sens serait " et qu'on
apporte la nourriture des animaux destines aux sacrifices, (nouniture)
dont etc. n Cela donnei-ait à supposer que les gens avaient la dévotion
d'acheter ou du moins de payer la nourriture destinée à engraisser les
victimes. C'est fort probablement parce que cet usage ne se trouve pas
mentionné ailleurs qu'on a abandonné cette leçon.
UN COIN DE l'aSIE MINEURE. 129
Aucun texte de ces lettres ne dit positivement que
S. Pierre ait porté la foi dans ces provinces ; mais cette
tradition est très ancienne. Eusèbe, dont M. Harnack
semble priser si fort l'autorité, atïirme ce fait par deux
fois (Hist. Eccl. 1. 5, ch. i et i,) ajoutant qu'Oi-igène le
mentionne expressément au troisième volume de ses
commentaires sur la Genèse. Ce dernier témoignage qui
est du commencement du II!" siècle, est d'autant plus
précieux que ce docteur a eu plusieurs disciples origi-
naires du Pont et qu'il y aurait lui-même fait quelque
séjour, lorsqu'il fut obligé de se réfugier auprès de
S. Firmilien, évèque de Césarée de Cappadoce.
Il est vi'ai que le moine grec Xicéphore Calliste, dans
la première moitié du XW" siècle, attribue l'évangélisa-
tion du Pont à S. André ; mais il ne semble le faire que
dans le but d'opposer entre eux les deux frères André et
Pierre, comme les deux capitales Constantinople et Rome.
Quant à la tradition actuelle, qui montre S. Pierre
préchant à Amasia et à Sinope, elle reste absolument
muette pour Samsoun.
H" Mautyus et Evéques.
D'après ce qui vient d'être dit, la persécution de Néron
et celle de Domitien se seraient fait sentir à Samsoun
ainsi (jue semblent l'indiquer la première lettre de
S. Pierre et la 96" (alias 97*^) de Pline le Jeune à Trajan.
Ce deiuier y aurait fait des martyrs ; il le déclare lui-
même : « En attendant (la solution des difïicultés qui se
(c présentaient à mon esprit), voici comment je me suis
« comporté envers ceux (jui m'étaient déférés comme
« chrétiens : je les ai intei'rogés leur demandant s'ils
« l'étaient. Puis en les menaçant du supplice j'ai interrogé
i30 I.E MLSÉO.N.
« une secorult' et une troisième fois ceux (jui avaient
« avoué IV'tic. Kiiliii j'ai condaniné à mort ceux (]ui s'y
(( opiiiiàliaiciit ".
De plus il elle deux diaconesses (juil a fait mettre à la
question e( (|ui ne lui l'évélèrenl qu'une superstition
ertVénée. (îe lexle, jappioehé du précédent, amène à croire
(|u'il ieui* a lail sulur la peine capitale et que si aucun
martyroloiic n"indi(|ue : « A Samsoun, le martyre de deux
« diaconesses (|ui souffrirent la mort sous l'empereur
« Trajan et le proconsul Pline le Jeune », c'est unique-
ment parce (|ue les lettres du liouverneur de la Bithynie
sont restées trop longtemps ignorées. Elles n'avaient
pas encore été publiées au commencement du XVI° s. (i).
11 semblerait toutefois ({ue le nom de Samsoun dût se
trouvei* souvent dans les Martyrologes. Il ne faudrait
cepcndaiil pas conclure du contraire qu'elle n'a pas fourni
un nombreux contiiiLcent de marlyi'S. Nous venons de
voir, (jiie conformément aux lois, Pline notait, pour les
envoyer à liome, les chrétienscjui étaient citoyens romains.
Les autres étaient ti'ès liabituellement conduits aux gou-
verneurs soit aux chefs-lieux [-2) des provinces, soit à la
(1) Cf. Puni Allai'tl. Histoire des Persécutions pendant les deux premiers
siècles, p. 124, 3-- édit. Paris.
(2) C'est ta ce poinl que la situation administi-ativedes villes de l'empire
à l'époque des persécutions pourrait presque se calculer d'api'ôs le nombre
de fois qu'elles sont mentionnées dans le Maityrologc Romain. Sans
donner à cet ouvrage plus d'autorité qu'il n'en a, il est pour le moins
remarquable que la capitale de l'Kmpire, Rome y soit citée plus de
400 fois.
Alexandrie,
70 fois
Nicée.
10 fois,
Antioche,
00 V
Sivas,
10 V
Nicomédie,
60 „
Néocésarée,
5 »
Constantinople,
GO w
Naziance,
5 r,
Césarée du Capi)
adoce.
20 »
Amasia,
4 T.
Angora
10 r
Comane du Pont
4 r,
Sans parler, bien entendu, de ceux dont le lieu du martyre n'est
indiqué que par le nom de la province où ils l'ont subi.
UN COIN DE LASIE MINEURE. 131
ville OÙ ils se trouvaient lors de l'arrestation des confes-
seurs. Au commencement de notre ère, Amisus n'était
plus chef lieu de province (i) et, par conséquent ne doit
pas être fréquemment mentionnée au martyrologe. On l'y
trouve cependant une ou deux fois : le 20 mars, et peut-
être le 5 octobre.
A la première date le Martyrologe romain porte : « A
« Amisus, en Paphlagonie, les sept saintes femmes
« Alexandra, Claudia, Euphrasie, Matrona, Julienne,
« Euphémie et Théodosie, qui furent égorgées pour la
« confession de la foi. Derphuta et sa sœur les suivirent. »
Le Quien pense que ces saintes souffrirent la mort durant
la persécution d'Antonin, vers 165 ; mais il ne dit pas
sur quoi il fonde son opinion.
Les Bollandistes (mai, t. 4, pp. 147-164) placent leur
martyre en 504. Il est vrai qu'ils le font à propos de
l'éloge qui se lit le 18 mai, tant dans les Menées grecques
que dans le xVlartyrologe Romain. Ce dernier le formule
ainsi : « A Ancyre, en Galatie, S. Théodote, martyr, et
« les sept saintes vierges Thécusa, sa tante paternelle,
« Alexandra, Claudia, Faïna, Euphrasie, Matrona et
« Julitte. D'abord condamnées à la prostitution par le
« président de la province, ces vierges en furent défen-
« dues par la puissance divine ; puis ayant eu des pierres
« attachées au cou, elles furent noyées dans un marais.
« Leurs reliques ayant été recueillies, Théodote (les Grecs
« qui lui donnent le titre d'évêque d' Ancyre en font
« de nouveau mémoire le 7 Juin (2),) leur donna une
U) On est étonné de trouver des écrivains, contrairement à l'histoire,
donner à cette ville le titre de capitale du royaume du Pont.
(2) Ruinart bien postérieur à Baronius, donne les Actes de ces martyrs
tels qu'ils auraient été écrits par un certain Nil qui se dit contemporain
152 LE MLSÉON.
« sépulture honorai)!*'. Arivté pour ce fait par le prési-
« dent, il fut cruelleiueiit déchiré à coups de fouet, puis,
« frappé d'un coup d'cpée, il rcynt la couronne du niar-
« tyi'c. »
Ce ([ui conduirait à penser que ces deux éloges se rap-
portent aux mêmes jïersonnes, c'est d'abord que toutes
les ditféi'cnccs entre leui's noms peuvent facilement s'ex-
pliquer pai- (le sim[des erreurs de copistes. Sui* huit noms,
il y en a (|uatre qui sont absolument identiques dans
les deux listes et s'y ])rcsentent dans le même ordi'c :
Âlexandra, Claudia, Eu])hrasie et Matrona. Le suivant n'a
qu'une variante de terminaison : Julienne à Samsoun,
devient Julitte à Anirora. Eu{)hémie semble être celle
que l'autj'e liste appelle Faïna. Quant aux noms de Théo-
dosie et de Dorphuta, de la liste de Samsoun sont-ils autre
chose que la corruption de ceux de Théodote et de Thé-
cusa ?
Tout cela parait encore confirmé par ce détail caracté-
risticjue (jue, d'un coté comme de l'autre, ces martyrs ne
subissent pas tous la mort en même temps. Le texte du
:20 mars devrait donc être sinon corrigé du moins com-
plété j)ar celui du 18 mai. Le premier transforme en nom
de femme celui de Théodote ({u'il ajoute aux autres,
peut-être pour compléter le nombre sept qu'il avait
annoncé : puis il ajoute Derplnitc et sa sa'in\ comme s'il
s'agissait de deux autres femmes, tandis qu'il devrait
mentionner Thécuse, sœur de Théodote ou plutôt sceur
de son père, comme le dit le texte d'Angoi-a.
et ami de S. Tliéod'jlo. Us sont conformes au martyrolog-e romain et font
de Théodote un cabai'etiei', sans rien dire qui puisse induire à soupronner
qu'il eut été en même temps évoque. Quant au président de la province
ils disent que c'était un apostat du nom de Théotècne.
UN COIN DE LASIE MINEURE. 455
Cette hypothèse est d'autant plus facile à admettre que
Baronius lui-même reconnaît dans ses « Annales » que
son « Martyrologe » est à corriger. Or, sans même le cor-
riger, je ne fais qu'interpréter deux passages l'un par
l'autre et de telle façon que l'auteur lui-même pourrait
adopter mon hypothèse, au moins comme probahle. Elle
revient, en effet, à dire que Baronius, ou antérieurement
déjà l'auteur d'un des Martyrologes qui lui ont servi à
composer le sien, trouvant des documents différents où il
était question de ces martyres d'abord à propos de leur
lieu d'origine, où elles étaient probablement honorées
d'une manière spéciale ; puis à propos du lieu où elles
avaient souffert, en a fait lui aussi mention à deux dates
différentes et dans chacune de ces localités.
Resterait-il même un doute sur ce point, si l'histoire
indiquait la raison pour laquelle ces Saintes ont pu être
envoyées d'Amisus à Angora pour y souffrir le martyre ?
Si, par exemple, on venait à établir que la Paphlagonie,
qui n'a peut-être été érigée en province romaine distincte
que sous Constantin, faisait ainsi que Samsoun partie de
la Galatie à l'époque où nous reporte le Martyrologe ?
L'autre martyre que l'on cite comme étant également
de Samsoun est celui de « Sainte Charitine, vierge, qui
<( sous l'empire de Dioclétien, tourmentée par le feu, fut
« ensuite jetée à la mer, d'où étant sortie saine et sauve,
« elle eut les mains et les pieds coupés, les dents arra-
« chées et rendit enlin son dme à Dieu tandis qu'elle
« était en prière. » Ce ne furent certainement pas là les
seuls martyrs d'Amisus (i) ; mais c'est tout ce qu'on
trouve dans le martyrologe romain.
(1) Outre la preuve fournie par la lettre de Pline, EusèLe (Hist. EccI,,
1. 8, c. 12) écrit que « le récit de ce qui se passa sur les côtes du Pont
Euxin, pendant la persécution de Dioclétien, suffit à inspirer l'horreur.
10
loi- l-K MLSÉON.
Quant aux évéques, Le Quien n'en cite qu'un seul avant
le concile de (llialcédoine, mais cela tient certainement
moins à l'absence d'évèques antérieurs qu'à la manièi-e
dont cet auteur a exécuté son travail. En le lisant on peut
constater (juil a pris les actes des grands conciles et
qucl([ues autres documents anciens et que les listes de
leurs signataires lui ont servi à dresser ses séries épisco-
pales. Cependant pour les [)rincipaux sièges, il a complété
ce piemier travail au moyen d'autres noms rencontrés,
dirail-on, au hasard de ses lectures, ou peut-être dans le
Ménoioge de Basile.
il no mentionne ([ue six évèques d'Amisus :
I' Antoine, dont les représentants, le diacre Olympe et
le piètre llelpidius, signèrent les actes du concile de Chal-
cédoine (i51).
2' Erythrée (Erythrius), signataire de la lettre que
lepisc()[)at oriental pres([ue entier adi'cssa à l'empereur
Léon, à l'occasion de l'assassinat de Protérius, patriarche
d'Alexandiie, en ïol .
5' Flore, originaire de Constantinople, qui se fit moine
après avoir été engagé dans les liens du mariage. Sa
notice veut même qu'il ait été secrétaire impérial et
patrice, avant de prendre l'Iiahit religieux dans un monas-
tère situé sur le iios[)li()re. il lut évèijue d'Amisus sous
les règnes de .(ustin, de Tihère et de Maurice, à la tin du
Vr siècle, (^e prélat a le litre de Saint et sa fête le 18''
joui- de Décemhie ; mais je ne la trouve mentionnée que
dans Le (^)iiien.
V Tiheie, (jui signe les Actes du Concile de Constan-
tinople, en ()<S().
5" Léon, signataire de ceux du Concile de iNicée, en
787,
L'iN COIN bK L ASIE MINEUIIE. 135
6° Basile, qui assista au concile que Photius réunit à
Constantinople, après la mort de S. Ignace, 879. Cette
liste montre combien est fondée la conjecture émise plus
haut sur la manière dont elle a été dressée par son auteur.
A partir de Constantin, Amisus lit partie de la pro-
vince dite de l'Hélénoponl, jusqu'à ce que l'empereur
Héraclius, dans la première moitié du VI 1° siècle divisa
l'empii-e en « thèmes ». Le territoire d'Amisus fut alors
attribué à celui qui reçut le nom d'Arméniaque, parce
que, dit-on, il se trouvait sur les frontières de l'Arménie
(Texier, Asie-Mineure, p. 12, col. 1). Quelques écrivains
arméniens désignent cette province sous le nom d'Arménie
Pontique ; mais, sur ce point, comme sur beaucoup
d'autres, ils sont loin de s'accorder entre eux (i).
9" Samsoun modeune.
La ville actuelle de Samsoun est située à une grosse
demi-heure de l'ancienne Amisus. Ce déplacement n'a
très probablement pas eu lieu avant l'époque de la con-
quête musulmane.
L'assertion de Plutar([ue atlirmant que Lucullus fit
reconstruire les quartiers de la ville que l'incendie avait
(1) Ce thème d'AimCMiic, auquel plus tard vinieiit s'ajouter la province
byzantine de Haute Ai'ménie ou Arménie Supérieure, et les divers
royaumes entre lesquels, peu avant la fin du moyen-àge, le pays armé-
nien fut divisé, sans parler des cinq anciennes provinces romaines d'Ar-
ménie, qui se distinguaient les unes des autres par leur numéro d'ordre ;
puis la division consacrée par Strabon, de la Granle Arménie et de la
Petite, tout cela a causé la confusion la i)lus complète. Quelques écrivains
arméniens semblent avoir pris plaisir à embrouiller cette question de
géographie administrative, si bien qu'il est pi-esiiue impossible de ne pas
commettre quelque erreur en parlant de ces diverses contrées décorées
du nom d'Arménie, quoique souvent elles n'aient jamais fait partie de ce
royaume.
156 LE MISÉON.
dévastés, établit positivement (|u'aIors la ville ne fut })as
(léplaeée. Ce sentiment paraît a[)puyé par le lait que dans
la ville actuelle on ne trouve absolument aueun vestige
grec ou romain, à l'exception de ceux qui y ont été trans-
portés de l'ancienne Amisus.
La nouvelle ville était terminée à l'Ouest par le môle,
à l'Est par un cbàteau dit « génois », comme beaucoup
d'auti'es constructions anciennes que l'on rencontre dans
toute l'Âsie-Mineure. Entre ces deux points extrêmes,
elle s'élevait des deux côlés d un ravin sur les flancs de la
colline qui longe la côte. Le « Djiban Numa » dit que
« Samsoun est bâtie dans un creux, La montagne contre
« laquelle elle s'adosse au Sud, s'étend à l'Est et à l'Ouest
« jusqu'à la mer et l'entoure comme une enceinte, ce qui
« fait (jue l'air y est malsain. Il y a à Samsoun un ancien
« cbàteau ruiné, une mosquée, un bain et un petit
« marché. Le port y est très bon ». Le même ouvrage
ajoute : « Quelques-unes des maisons de Samsoun sont
(c bâties sur le bord d'un lac qui se décharge dans la
« mer ». Ce lac a complètement disparu.
M. Bore qui l'a visitée, en 1857, la caractérisait alors
« Une ville du Bas-Empire, restaurée par les Turcs et
« prisonnière dans l'enceinte de ses murs crénelés à
« demi ruinés. » Aujourd'hui les anciens remparts ont
presque complètement disparu et la ville, que le com-
merce de transit a fort enrichie, s'est considérablement
développée à l'Est le long de la mer et de la grande route
de Bagdad. La municipalité a fait construire un hôpital,
établir une foire et même un champ de courses avec
tribunes. Elle a également doté la ville de fontaines
publicpies alimentées par l'eau du Merdermak, à laquelle
les gens de la classe aisée préfèrent celle de leurs citernes.
UN COIN DE l'aSIE MINEURE. 137
La majorité de la population est chrétienne. Les Grecs
possèdent dans les nouveaux quartiers de Samsoun une
église de belle apparence. Elle sert de cathédrale au Mé-
tropolite d'Ainasia qui, depuis fort longtemps, réside
dans cette ville. Les Européens ont une petite église, sur
la route de Bagdad et deux écoles prospères. Les Armé-
niens catholiques viennent de faire construire une nou-
velle église ; les autres en ont jeté les fondements et en
sont restés-là : ils continuent à se servir de leur ancienne
église.
En somme la ville n'offre aucun monument qui
demande à être visité. La fabrique de tabac pourrait
cependant intéresser, ainsi que certaines boutiques du
marché. Il y aurait encore à l'Ouest de la ville à voir par
curiosité le « Naustathme » (station des bateaux) où
suivant l'antique usage les marins du pays continuent à
retirer sur la rive leurs grandes et lourdes barques.
Au delà on voit la côte se recourber en cercle jusqu'au
Kayale bournou (cap Rocheux) à l'extrémité duquel
s'élève un phare. Vers le sommet de la colline qui forme
le cap, on voit très distinctement un grand pan de mur
avec de traces de pilastres et d'arceaux : c'est un vestige
de l'ancienne ville.
Fin DE LA PREMIÈRE PARTIE.
158 IB MLSi:ON.
SECONDE PARTIE.
TERRITOIRE DE SAMSOUN.
10 VlSITK AL\ KUI.NES d'AmISLS.
Ce n'est vrjiiiiient pas In peine de monter jusqu'à Kara
Sainsoun fi) voii' deux exeavalions dont l'une passe |)oui'
une citerne, l'autre pour les restes d'un hain ; puis d'iei
de là (|iiel<{iies fondations au i-as du sol. Car voilà tout ce
(|u'y ont rencontré ceux (jui ont parcouru ces lieux au
XIV siècle.
La ville ancienne a eu le malheur de se trouver trop
ju'ès de la nouvelle. Peu à peu on en a ti'ansporté tout ce
(|ui était transportable ; puis à diverses reprises on en a
entièrement remué le sol dans l'espérance d'y découvrir
des trésoi's enfouis. A Samsoun encore plus (pi'ailleurs
on peut répclcr avec le poète : « Etiam periere ruinae ».
(1) Kara Sarnsoim (Samsoun la Noire, ou plutôt la Désolée), tel est le
nom que l'on donne aujourd'liui à remplacement de l'ancienne Amisus.
Quoi qu'on ait p\i en dire le mot •• Kara (i.ij noir ", à moins que la cou-
leur des objets qu'il détermine, n'oblige à le prendre au propre, signitie :
triste, sinistre, dangereux. Son opposé " ak ( j\) blanc n signifie au con-
traire : gai. propice, favorable. 11 faut remarquer que ces déterminatifs
sont pi'csquc toujours doimés simultanément comme pour opposer deux
objets. L'usage est si général que lorsipiOii trouve l'un on peut cherciier
l'autre.
UN COIN DE l'aSIE MINEURE. 159
M. Vital Cuinet (La Turquie d'Asie, t. I, p. 101), faisait
imprimer en 1890 : « Une compagnie de Persans exploite
« ces ruines, pour en extraire des pierres et des colonnes
« qui sont employées aux constructions de la ville
« actuelle ». .l'ai dernièrement reçu une letti'e où l'on
me disait : « Voilà trois mois que des émigrés, (jui
« habitent ici, s'abattent cha(jiie jour par bandes sur
« Kara Sainsoun dont ils violent les tombes dans l'espoir
« d'y trouver de l'argent. Il est écœurant de voir avec
« quelle attention ils remuent cendres et ossements ;
« puis, lorsqu'ils n'ont rien trouvé, ce qui est le cas
« ordinaii'c, avec (pielle rage ils piétinent ces débris
(( humains ». Le peu de resjject dont on témoigne dans
toutes ces contrées poui' les cimetières et les tombeaux,
est un des spectacles (jui surprennent et choquent le plus
les étrangers.
Disons cependant, poui' reprendi*e mon récit, qu'une
excursion à ces ruines, faite par une belle matinée, jieut
êti'c agréable et procurer une vue d'ensemble sur le golfe
de Samsoun, si célèbre chez les anciens géographes. Tous,
Strabon lui-même en exagèrent la profondeur. Ils l'ima-
ginaient symétrique à celui d'Alexandrette, situé sur le
même méridien et séparé de lui par un isthme véritable,
beaucoup moins large que le reste de l'Asie-Mineure.
A Kara Samsoun aujourd'hui, on circule au milieu de
vastes plantations de tabac, coupées de petites rigoles
creusées par les cultivateurs pour arroser leurs plants.
Les deux principales citei'nes où ils l'ecueillent avec soin
l'eau de pluie qu'ils emploient à cet usage, sont précisé-
ment les deux excavations mentionnées comme des restes
de l'ancienne ville. Llles doivent sans doute au service
qu'elles rendent ainsi de n'avoir pas entièrement disparu.
140 LE MISÉON.
Partout dans les champs cultivés ou non, on rencontre
des débris de poteries, de grandes briques cassées, des
fragments de i)ierres taillées, toutes choses communes
sur l'emplacement des villes ruinées. On y trouve parfois
encore, mais rarement, des pierres tombales avec inscrip-
tion grecque ou même latine. L'an passé, une de ces der-
nières [)Oi'tant un relief assez soigné, a été déterrée. On y
voit un personnage couché dans un lit, devant lui est un
ti'é[)ied élevé, tout semblable aux autels sur les(iuels on
brûlaitde l'encens aux divinités du paganisme. Au premier
])lan se tiennent debout deux autres peisonnages et un
cheval ; mais ils sont si petits qu'on dirait des jouets
d'enfant. A première vue toutefois on les prendrait plutôt
pour des adorateurs en présence d'une divinité dont la
puissance serait indiquée par sa taille de géant et dont la
figure toute jeune symboliserait l'immortalité.
L'inscription
C.IVLIO.VLF.
SEHC. ALLl
ANO
ne semble pas nous apprendre quoi que ce soit au sujet
du relief.
Après avoir considéré l'ancien port abandonné depuis
longtemps et à demi comblé, nous i('mar([uons sur la
falaise un sentier fort raide et parfois taillé dans le rocher.
Il conduit à une excavation connue de ceux qui frécjuen-
tent ces parages sous le nom de « Chapelle de S. Nicolas ».
Ne leur en demandez pas davantage, c'est tout ce (ju'ils en
savent. Cela, peut-éti'c, vaut mieux, car chacun peut y
voir ce (|u'il désire : soit les restes d'un ei'mitagc, soit
ceux d'un jjélerinage, où les navigateurs de l'ancienne
Amisus chrétienne venaient a('con)|)lir les vieux (pi'au
iiiomciil (lu [K'iil ils avaient faits à leur saint |)rotecteur.
UN COIN DE LASIE MINEURE. i il
11° La Cote jusqu'à Sinope et au-delà.
D'un des points culminants de l'ancienne ville on peut
apercevoir la côte jusqu'à l'embouchure de l'Halys (i) et
au-delà. Entre Amisus et le fleuve, Arrien indique les
trois stations d'Eusène, (^nopeïum et Naustathmus.
La première de ces stations est certainement l'Ezène
que la « Table de Peutinger » place à 8 milles à l'Ouest
d'Amisus. Le mille valant 1482 mètres, cela donne un
peu moins de 12 kilomètres que l'on doit compter à partir
de l'ancienne ville. On poui'rait donc facilement retrouver
l'emplacement de cette localité, si l'Ai'rien ne la [jlaçaiî
4 kilomètres plus près de Samsoun.
Le nom de Kwvojtïc-.ov (Mousticjuaire, ou mieux peut-être
« hanté par les moustiques ») est laissé en ])lan(' sur la
« Table de Peutinger ». (]ette station, à 22 kiloinèlres au
delà d'Eusène, n'avait pas de port et se ti'ouvait située
sur le bord d'un mai'ais. A cause de la distance, M. Texier
(Asie-Mineure, p. ()20) a cru pouvoir l'identifier avec
Koumdjoughaz ; mot qu'il a tort d'interpréter « |)e(,' de
sable ». Koum ('^s) signifie effectivement « sable » ;
mais la terminaison « djegbaz i.k»^) est, d'après les dic-
tionnaires, un diminutif caressant qui s ajoute aux sub-
stantifs. Peut-être (|u'ici, comme aiileui's, on fait un
pareil compliment au sable de la rive à cause des avan-
(1) Le nom de l'Halys est dérivé de « âX? = sel, eau salée >? ce qui est
une des caractéristiques de ce fleuve, dont les eaux, après avoir traversé
des régions remplies de carrières de sel gomme, ont une saveur salée
assez prononcée. Une autre caractéristique encore plus apparente lui a fait
donner en turc le nom de « Kezelermak (^'•o J>. )*) cours d'eau rouge «
à cause de la teinte que prennent ses eaux en travei'sant des terrains
ferrugineux.
142 LE MLSÉON.
tages qu'on en retire. Koumdjoughaz sert actuellement de
port h Bâfra, ville bâtie à quel(}ue distance de là sur les
bords de THalys.
Quant à Naustathmus (station de bateaux) qu'Arrien
indique à 90 stades, soit un peu plus de IG kilomètres et
demi avant d'arriver à l'Halys, c'était un poit antique
situé près d'une lagune. Klle correspond à la station de
Nautagino de la « Table de Peutinger », qui la place à
près de 18 kilomètres à l'Est du fleuve. Il convient de
remarquer que la différence d'un peu plus d'un kilomètre,
entre les distances données par les deux auteurs, n'est
pas même d'un mille. Il semble donc que cette localité
se trouvait au delà du onzième mille entre la lagune de
Hammamle (où il y a des bains) et la mer : sans doute
sur le canal voisin d'Indjir bournou (Cap aux ligues).
Un petit château, bâti sur un rocher de la rive droite
à l'embouchure de l'Halys, devait à celte situation son
nom de « Château de l'embouchui'e ». Le Djihan Xuma
est, je crois, seul à le mentionner. Xénophon, dans lAna-
baze, donnait :2 stades (570 mèties) de large à l'embou-
chure de l'Halys. A l'époque où existait la voie romaine
la traversée s'en faisait probablement à bac ; aujourd'hui
la route fait un coude assez prononcé pour aller chercher
le pont de Bâfra.
A partir de Nautagino jusqu'à Sii)o|)e toutes les indica-
tions de la « Table de Peutingei' » sont à corriger et à
compléter. Non seulement l'orthographe des noms est
défectueuse, — ce qui ne provient ()eut-ètre que d'erreurs
commises par les copistes ; mais en outre l'endroit où
elle marque le passage de l'Halys est beaucoup trop à
l'Occident. A ce sujet on doit legretter que l'Itiiu^raire
d'Antonin ne mentionne pas cette voie qui semlde avoii'
UN COIN DE LASIE MINEURE. 145
suivi tous les détails de la côte, comme aurait fait un
chemin de halage. Cela faciliterait les corrections à faire
ou du moins les confirmerait.
La « Table de Peutiuger » marque la station de Halega
que d'autres appellent Eleca, à 12 milles — un peu moins
de 18 kilomètres de Nautagino (Naustathmus). C'est là
une erreur ; car cette localité est celle qu'Arrien appelle
Zalecus (on ti'ouve aussi ce nom écrit Zaliscus et même
Zalichus). Le périple de Marcien d'Héraclée dit que c'est
une localité située sur un cours d'eau, mais qui n'a pas
de port. Elle n'est fort probablement pas différente de la
ville nommée Saltum-Zalichen (ïaXxov ZaÀ'//Yiv) dans le
manuscrit farnèse du catalogue de Hiéroclès. Ce nom est
dédoublé dans les autres copies, ce qui fait que la liste
des villes de l'Hélénopont porte 8 noms, alors que le titre
n'en annonce que sept. Au IX^ siècle, cette ville devint
archiépiscopale et reçut, probablement de Léon le Sage,
le nom de Léontopolis.
Sa situation à 150 stades, près de 28 kilomètres à
l'Ouest de l'Halys, est sans doute ce qui a décidé Texier
(Asie-Mineure, p. 621, col. 2) à l'identifier avec Alatcham
(le beau pin) ou plutôt avec une ruine byzantine qui se
trouve aux environs. Alatcham n'est plus aujourd'hui
qu'un mudiriet (i) dépendant de Bâfra.
Zacoria que la « Table de Peutinger )> indique à 25
milles (57 kilomètres) au delà d'Alatcham, est appelée
Zagora par Arrien, qui, lui, ne compte que 110 stades
(un peu moins de 20 kilomètres et demi) de là à Alatcham,
il déclare néanmoins qu'elle est à mi-chemin entre l'Halys
(1) Le mudiriet est la dernière des subdivisions administratives. On
n'en établit que dans les parties des caza où l'action du sous-gouverneur
se ferait difficilement sentir.
144 LK MLSÉON.
et Sinope. Or, c'est encore au delà de cette localité que
la « Table de Peutingcr » place l'estuaire de l'Halys :
son ei'i'cur est donc manifeste.
Plus loin Peutinijei' cite Oi'ifibate, que d'autres appellent
Gourzoîbanlhe, à IG kilomèti'es ; puis, à 11 kilomètres,
Kai'ousa, où Miicl aiiiait envoyé une colonie. Arrien
rernar(jue (|iie le port de celte ville n'était })as abrité contre
le vent d'Ouest. C'est peut-être la localité appelée aujour-
d'iuii Guerzè.
Vient ensuite, à !"> kilomètres, Avarcha, [)lus tard
appelée Evècho, sur un couis d'eau ; enfin Cléoptasia, la
Cloptasia de Peutinger, a|)pelée Coptasia })ar Ptoléniée,
est située à i kiloinèti-es et demi d'Avarcba et à 10 de
Sinope.
Je viens de vous taire faii-e un voyage pénible tout le
long de la côte. Je ne vous dirai rien de Sinope ; mais
permettez-moi un mot sur Arménè, port (|ui en dépen-
dait, et où les Dix mille de Xénopbon prii'ent terre.
Strabon (1. 1:2, c. 5, !:$ 10) rajtporte à son sujet le
dicton : « Il ne savait (jue faire, il l'a fortifiée. » Ce mot
pourrait bien tomber à faux si, comme l'écrit Scylax,
cette ville était sur la frontière de l'Assyrie du côté de la
Paphlagonie.
Kst-ce que je veux renverser les opinions sérieusement
établies sur les textes formels de Xénopbon, d'Hérodote,
de Strabon, etc. ? Tous placent à l'Halys la limite entre
la Paphlagonie et la Cappadoce, dont les babitants étaient
appelés Syriens blancs ou, si l'on veut. Assyriens : ce qui
revient au même. 11 n'en est rien. Je remarcjue seulement
(jue des auteui-s de bien moindre icnom ne se sont pas
crus obligés de les suivie.
Je viens de citer Scylax, contemporain de Xénopbon et
IN COI.N DE l'aSIE MI^iElRE. 445
d'Hérodote, il n'en connaissait peut-êti'e pas les ouvrages,
ce qui l'aurait dispensé de les copier ; mais voilà Marcien
d'Héraclée, qui dut les connaître tous et (jui néanmoins
place la frontière orientale de la Paphiagonie au cours
d'eau d'Evarcha. Quant à Apollonius de Rhodes, auteur
du IIP siècle avant Jésus-Christ, il place cette frontière à
l'Iris. (Expédition des Argonautes, II, 946).
Toutes ces divergences ne montrent pas que tous ces
auteurs se sont trompés. Elles ne le montreraient que
s'ils avaient écrit à la même époque ou s'il s'agissait
d'autre chose que de frontières. iMais supposer que les
frontières sont immuables, cela sonne faux. Il ftmdrait
dans ce cas ne pas parler d'une frontière réelle, mais de
ce qui pourrait l'être ; comme Iors{(ue parfois on assigne
les Alpes pour frontière entre la Erancc et l'Italie. Cette
frontière réelle aujourd'hui ne l'est devenue qu'après le
milieu du XIX'^ siècle. Cette manière de s'exprimer est
aussi commode que peu exacte et n'est employée qu'à
cause de sa commodité.
Il pourrait aussi se faire que, lors d'une antique recen-
sion, on eût fait parler les grands auteurs comme ils
l'auraient fait s'ils avaient écrit alors ; tandis que per-
sonne ne s'est occupé de corriger les autres.
12" Gazélonitide, Saramène, Bâfra.
Il est grand temps de revenir à l'Halys.
Au temps de Strabon le pays qui nous en sépare et qui
a un peu plus de 40 kilomètres de développement le long
de la côte, était partagé en i territoires. D'abord l'Ami-
sène, qui évidemment ne se bornait pas à la ville d'Ami-
sus, la Saramène venait ensuite, puis la Gazélonitide.
Mais écoutons l'auteur (1. XII, c. 5, § 15), il décrit la
1 i() l.K, MISÈON.
côte en allant de l'Ouest à l'Est, en montant, comme se
seraient exprimés les anciens : « La Gazélonitide (i),
« éciit-il. fait suite à l'enihoucliure de l'Hahs et se pro-
« lon^e jus(|u'à la Sarainène. (^'est une contrée fertile,
(c composée uniquement de plaines ». il s'agit donc
évidemment de la plaine à IKst du fleuve et sur le bord
de la mer, où elle est coupée j)ar une grande lagune :
ce qui paraît la multiplier et justifie le pluriel employé
par Strabon.
11 nous apprend de plus que ce territoire avait été divisé
par i^ompée. Ce général en avait attribué une partie à la
ville d'Âmisus et l'autre à Déjotare, tétrarque des Galates
Tolistoboges. 11 ajoute, il est vrai, qu'« à la mort de ce
prince ses états furent démembrés » ; mais il ne s'en suit
pas que les deux parties de la Gazélonitide aient alors été
réunies. Le contraire parait même plus probable ; car au
siècle suivant Arrien place à la lagune de Hammamle, au
milieu de la Gazélonitide, la limite entre le Pont et la
Paplilagonie. (Texier, Asie-Mineure, p. 6'21, col. 1).
La Saramène, que Strabon ne Ml que nommer, s'est
peut-être étendue jusqu'au bord de la mer ; mais au moins
par opi)osition à la Gazélonitide « composée uniquement
de plaines », elle a dû comprendre en partie le Nébian
dagb, de telle soi'te ({u'on puisse donner une étendue rai-
sonnable aux 4 territoires mentionnés
Bafua
caza (
les deux rives de l'Halys : il a 80 kilomètres de côtes et 70
Bâfra est le nom d'un caza de 1 15 villages. Situé sur
(1) Cette leçon, à cause de la forme c-azélo employée par Pline, VI, 2,
paraît préférable à celle de Oadilonilide que donnent les manuscrits de
Strabon.
UN COIN DE l'aSIE MINEURE. 447
environ de profondeur. Son chef-lieu, ville du même nom,
est bâti sur la rive droite du fleuve, à 20 kilomètres de
son embouchure et à 45 de Samsoun.
Le Djihan Numa, qui ne cite que trois localités dans le
Djanik, place Bâfra ou Baflra (i) comme il écrit, avant
Samsoun et Alatcham. Il lui attribue « une ou deux mos-
quées et deux petits bains publics ». C'est encore aujour-
d'hui une ville de 6.000 habitants. Des jardins et des
bouquets d'arbres lui donnent, ainsi qu'à toute la plaine,
un aspect frais et verdoyant fort rare en Asie-iVlineure.
Son territoire a toujours été extraordinairement fertile.
Lorsque Lucullus le traversa avant le siège d'Âmisus, ses
soldats s'y trouvèrent dans une telle abondance qu'ils se
vendaient entre eux un bœuf pour une drachme et un
esclave, pour quatre. Aujourd'hui encore toutes les cul-
tures y prospèrent ; mais la principale, qui a porté bien
loin le nom de Bâfra, est celle du tabac. Bon an mal an
elle rapporte un million et demi à ses habitants.
L'un d'eux, rencontré à Samsoun, a donné les rensei-
gnements qui suivent sur la pèche de l'estui'geon et la
fabrication du caviar, qui procure aussi à Bâfra des res-
sources considérables.
Pour la pèche, le procédé actuellement en usage est,
dit-on, d'importation russe. D'une rive à l'autre de l'Halys
on établit au moyen de pieux des cordes solides et bien
tendues auxquelles on en suspend nombre d'autres moins
fortes, toutes terminées par un hameçon très acéré et
assez lourd pour maintenir ces cordes, malgré le courant
(1) En turc, à moins qu'elles n'appartiennent à des syllabes différentes,
les consonnes consécutives sont d'ordinaii'e séparées par un i qu'on pour-
rait appeler euphonique. Crète est devenu Kirid, notre mot français
« plan r> se transforme en " pilan » et « frère » en « flrèr », etc.
1 iK I K Mrsf:o.\.
assez, laililt' (raillems, dans \v sens de la verticale. Ces
soitcs (le l)anaifes se i'é|i('t('nt de distance en distance et
l()rs(|ne resturticfui, en mars et en août, entre dans le
llciivc |K»ur cliciclicr iiii lien lavoiahlc à la [tonte, il
s accioclic (I (iidiiiaire à (|ii('l(|iie hameçon, sinon à ceux
de la premieic corde du moins à ceux des suivantes, et
(dus il l'ait d elî'orts pour se déi;ai:ei', plus le crochet
s'enlunee dans sa chair.
Le poisson. (|ui peut alleindre ius(|u'à "> mètres de long,
es| porté au marché ou il est réparti en lots de »'> à 10
pièces et vendu aux enchères sans (|u'on en puisse exami-
ner le contenu. (Tesl [»our({uoi les acheteurs ont recours
à (\i'S experis capahles à simple vue d'évaluer la tpiantité
dM-ur- (pie peut fournir cha(|ue hète et aussi leur (|ualité.
i'/.w il V a deux espèces d'esturgeons ; avec les œufs de
l'une, on obtient un caviai' iu)ii' très foncé, c'est le plus
eslime : avec ceux de l'autre, on a un caviar grisâtre,
regarde comme de <pialité inférieure.
La préparation du caviar est tout ce (pi'il y a de plus
sim|tle et de [dus sommaire. Les (eufs retirés du poisson
sont mis [»endanl une heuic dans la saunuire, on les lave
ensuite à laide d'un tamis, afin de les séparer de tout
cor[»s étranger. [»uis on les fait égouter dans un sachet
de tulle et, au bout dune demi-heui'c, il est prêt à èti'e
mangé. L'ouvriei' ([ui le [>ré|)are a le di'oit de prendre
|)oiir lui fout ce (pii dans le [toisson sei't à pré|)arer la
colle l'orle. OiianI à la chair de l'esturgeon, qui est très
a[>[)réciée dans le [tays, (die est vendue, [taifois le double
de la viande de boucherie, [»ar celui ([ui la acheté des
pécheurs.
Nous essayons d'obtenir de cet homme ([uel([ues ren-
seignements sur les ruines (pie le Djiban Numa signale à
tJN COIN DE l'aSIE MINEURE. 449
l'embouchure de THalys ; mais il nous avoue en ignorer
jusqu'à l'existence. II nous dit que plusieurs villages du
caza ont conservé des noms grecs et il nous cite « Caballa »,
à une journée en remontant le fleuve. Ce serait plutôt un
nom latin.
Ce qui nous intéresse davantao:e, c'est le village très
ancien, à ce qu'il prétend, de Madèni Kalè. Ce nom
annonce en même temps une mine et une forteresse. 11
nous dépeint sa position sur les premiers ressauts des
collines qui terminent la plaine en remontant la rive
droite de l'Halys ; si bien (|ue nous nous le i-éprésentons
comme une forteresse construite pour barrer ce passage.
15" Plaine de l'Iris.
Lors de mon derniei' voyage à Y intérieur, mon compa-
gnon de route avait loué un splendide araba (i) a ressorts,
flambant neuf. Nous ne pûmes partir qu'assez tard, si
bien que le premier jour nous ne fîmes pas un long
trajet. Cette route que je faisais pour la cinquième fois
ne m'offrait que des i)aysages connus. Ici, le gros village
de Kadi keuï peuplé de Grecs. Plus loin des tumuli, qui
s'obstinent à garder leurs secrets. 11 y en a d'abord 4 ou
o d'assez chétive apparence au dessus des collines qui
dominent Samsoun, puis un autre qu'on ne voit, au
dessus de la route, qu'après être parvenu bien haut sur la
pente assez raide qui domine la vallée du Lycastus. Celui-
là est grand, complètement boisé et comme accroché au
(1) L'araba est une voiture à quatre roues, recouverte en guise de
capotte par une toile tendue sur des arceaux assez peu élevés. L'arrière
est fermé par un rideau mobile. Deux ouvertui-es incommodes sont
ménagées sur les côtés et servent à s'introduire dans le véliiciilo. L'inté
rieur n'a ni banc, ni banquette : 0}i y supplée en étendant des matelas
sur lesquels on se tient accroupi ou étendu.
11
^;;0 I.K MLSÉON.
liane de la montagne, sur le bord de l'ancien chemin. Je
m'adressai une l'ois à mon voiturier, qui avait longte?nps
séjoui'né dans le pays, pour savoir ce qu'en disent les
lial>ita[its. Fout ce qu'il put me répondre, c'est que c'était
un '< Kvlia ». Cela ne m'apprit pas grand chose ; car, en
turc viilgaii'c, ce mot arabe sert à désigner un tombeau
ou tout autre lieu où l'on se rend pour obtenir quelque
grâce et surtout des guérisons.
Tout en giavissant, au pas de nos chevaux, les hauteurs
du Mèdjnoun dagh, nous prenons le temps de considérer à
loisir et la mer .Noire et la mei'veilleuse plaine qu'arrose
l'Iris. Elle constituait autrefois le territoire de la Thémis-
cvre, divise aujourd'hui entre les deux caza de Tchar-
chamba et de Tiicrmè.
Uclisons ce qu'en dit Slrabon : « La Thémiscyre est une
a [daine (pii n'est guère ([u'à GO stades — (un peu plus de
(( II kilomètres) d'Amisus. Baignée d'un côté parla mer,
)) elle est bordée de l'autre par la chaîne de montagne
» (le Paryadrès) (i) dont nous avons déjà parlé. Cette
« chaîne est couverte de belles forets et sillonnée de
« n<>nd)reux cours d'eau auxcjuels elle a eltc-inême donné
« naissance. Tous ces cours d'eau (ceux de la partie Sud-
« Ouest du Paryadrès), se réunissent pour former un
u même lleuve (jui, sons le nom de Thermodoii, traverse
« la plaine d'un bout à l'autre.
a Lhis est un autre lleuve de même importarice ou peu
« s'en faut (pu; le Thermodon (2). Grâce à la présence
(1) Stnibon donne le nom de F';iiyadirs à la chainc de montagnes qui
commence à la Th«'mi.scyrc et se \»rol(Hi^'e à l'Est jusqu'à la Petite Armé-
nie, c'est-à-dire ju3(iue vers Gumuehe Kliano, au Sud-Ouest de Trébizonde.
(2) L'examen d'une carte rend iieu croyable cette aflirmation du {,féoffra-
phcd'Amasia etcei)endant aujourd'hui encoi'e, au dire de M. Vitiil Cuinet,
UN COIN DE LASfE MFNEl IIE. loi
« de ril'is, cette plaine de ïhéniiscyre demeure toujours
« humide et verdoyante ; aussi peut-elle nourrir de nom-
ce breux troupeaux de bœul's et de elievaux. On y sème
« beaucoup de panis et de mil, ou, pour mieux dire, ces
« deux plantes n'y man(|uent jamais ; car il n'y a pas de
« sécheresse qui tienne contre une irrigation aussi abon-
« dante et je ne sache pas cpie le [»ays ait jamais éprouvé
« une seule année de disette.
«. Ajoutons que la ({uantité d'arbi*es fruitiers qui vien-
« nent sans culture dans tonte la partie basse de la mon-
« tagne, est si grande ({ue, dans toutes les saisons de
« Tannée, les habitants en allant faire leur provision de
« bois y trouvent à discrétion des raisins, des [)oires, des
« pommes, des noix, ou encore [)endus aux branches des
« arbres, ou, lorsque la chute des feuilles a eu lieu, tom-
« bés à terre et cachés sous d'énormes tas de feuilles.
K Enfin, dans toute la }>laine de Thémiscyre, la chasse est
« très abondante et très variée par suite de la facilité (|ue
(c le gibier y ti'ouve à se nourrir ». (Strabon, 1. XII, c.
3 Mo).
Telle est la (lescri])tion un peu longue que Strabon fait
de la merveilleuse fécondité de ce j)ays. Ce que nous pou-
vons en voir des hauteurs où nous sommes, pai'ait confir-
mer son dire. Les voyageurs anglais « ont souvent com-
paré cette région aux |)lus beaux districts de l'Angleterre ».
(Texier p. 620). Cette fertilité a surtout du les fi'ap[)er
le Thermodon est navigiible par des bateaux de 7 à 8 tonneaux, tandis
que l'Iris, qui se divise en plusieurs branches et n'est pas canalisé, n'est
pas navigable par des bateaux de ce tonnage. Il est de plus parfaitoinont
exact que le Tiiermodon recueille toutes les eaux du versant Sud-Ouest
de la montagne : celles du versant Nord vont directement se jeter dans la
mer Noire.
152 I,K MISÉON.
après un séjoiii' un peu prolongé à rinl(''ii('iir où il va si
peu de bois et où depuis l'époque de la moisson jusqu'au
pi'inleinps les endi'oits eultivés eux-mêmes paraissent si
arides.
La ville actuelle de Tcharchamba est située sur l'Iris,
qui la traverse, à une vingtaine de kilomètres de son
embouebure. Une route de iO kilomètres la relie à Sam-
soun. Elle compte environ l.j.OIMI babitanls : nnisulmans,
grecs et arméniens. Leur grande occupation est l'élevage
des troupeaux, la pèche de l'esturgeon et la fabrication du
caviar, comme à Bâfra. Quant à la culture des céréales,
elle est presque insignifiante. La population vit habituelle-
ment de pain de maïs et les marchands trouvent avantage
à Y faire transporter de la farine par des bêtes de somme.
11 en vient même de Tokat, [)ar Erbaa. Les muletiers cou-
pent à tiavers la montagne, et leur trajet n'est guère que
de deux jours.
La ville tire son nom de Tcharchamba du mot turc qui
signifie Mercredi (mot à mot le quatrième de la semaine
^1=^ _j- A*;^ pour A«^^). Il le doit au grand marché qui s'y
tient ce jour-là. Le Djihan Numa en parlant de l'Iris dit
que dans le Djanik ce fleuve passe à l'endroit où se tient
la foire du Mercredi au canton d'Erim {^_j\)- Cette foire
aujourd'hui est encore si considérable qu'au dire de Vital
Cuinet (La Tui'quie d'Asie, t. i, p. 106) « ce jour-là il faut
abattre de 150 à :200 têtes de bétail [)our sutïii'c à la nour-
riture de ceux qui s'y rendent de toutes parts ». Cette
assertion uw parait exagérée, mais n'en montre pas
moins l'importance du concours attiré par ce marché.
En dehors du chef-lieu, le caza de Tharchamba compte
environ oOO localités. On y trouve un petit lac appelé
UN COIN DE l'aSIE MINEURE. 155
Tui'kmèng'eul (lac des Turconians), situé à une petite
distance à l'ouest de Tcharchaniba.
L'iris, aujourd'hui Yèchilermak (fleuve vei't) traverse
tout le pays sur une longueur de 70 kilomètres. En aval
du chef-lieu, il se divise en plusieurs branches dont les
trois principales sont navigables. Ce delta forme une
presqu'île boisée actuellement appelée « Tchatle » qui
semble signifier que l'endroit est tout « crevassé ». On a
construit un phare sur le cap du même nom à l'extrémité
de cette plaine.
\¥ Le pays des Amazones et leur empire.
Les anciens géographes placent la ville de Lycastia à
l'embouchure d'un cours d'eau auquel elle donnait son
nom. Comme ils la disent située à 20 stades (un peu
moins de i kilomètres) à l'Est (de l'ancienne) Amisus,
il faut nécessairement la chercher sur le Merdermak
(fleuve bouillant, impétueux), à quelque distance de la
ville actuelle de Samsoun. C'était une des trois villes des
Amazones dont parle Apollonius de Rhodes (I. II, v. 999) :
elle aurait dans la suite reçu une colonie de Milet, puis
aurait été rangée parmi les villes grecques des côtes de la
mer Noire.
Une autre ville des Amazones, Chadisium, était située
sur la branche occidentale de l'Iris et à son embouchure.
Venait ensuite, sur l'autre branche du fleuve, le port
d'Ancon. Ârrien l'assure et Tournefort dans son Voyage
dit avoir « relâché, le II mai I70I, à l'île formée par les
« branches de l'Iris ; puis le lendemain, 12, au port
« d'Ancon, à une des embouchures de ce fleuve». Cela doit
faire rectifier l'assertion de Hamilton qui a cru pouvoir
identifier Ancon avec Derbend.
I*»t I.K MISÈOIS.
L;i « Table de Peiitinger » à la suite d'Amisus, indique
la Station d'Aneon (juVIle dit en être distante de 24 milles,
nn peu plus de 55 kilomètres et demi (i). Nous sommes
done surs (pi" il ne faut pas chercher Ancon à Tchar-
chaml)a.
On i)lace généralement, avant l'embouchure du Ther-
modon, le Lrrand j)ort, la forteresse et le temple du cap
Héracléum. Arrien l'en dit à 40 stades, (environ 7 kilo-
mètres et demi). I.a « Table de Peutingei' » qui a ajouté
4 milles à la distance marc^uée par Arrien entre Amisus
et Ancon, en retranche presque 5 à celle (5G0 stades)
qu'Arrien indi(|ue d'Aneon au cap. Héracléum. Strabon
doit donc parler d'un autre cap de même nom, lorsque
(1. XII, c. 5, § 17), il semble le mettre bien plus à l'Est
et au delà de la Sidène.
Arrien, si je ne me trompe, dit textuellement : « Pour
« ceux qui viennent par mer d'Amisus, le cap Héracléum
« est le premier (qu'ils rencontrent), viennent ensuite le
« cap Jasoniuin et le Génêtés. » (Scylax nous apprend
((ue le (îcnètés était un [)ort t'ei-mé, probablement situé
dans une laiiune ou peut-être simplement protégé).
Après le cap Héracléum vient l'embouchure du Ther-
modon, avijoiird'lmi Theiinètchaï (cours d'eau de Thermè).
Ce petit lleuve, qui a un parcours de I iO kilomètres dont
GO sur le terriloire de Niksar (Vital Cuinet : La Turcjuie
dAsie, t. I, p. :20), est « célèbre par la tradition des
Amazones (jui s'y rattache ». (Vivien de Saint-Martin :
Description de l'Asie-Mineure, t. :2, p. \ïï).
Tout le pays de Cérasus à Sinope est plein de leur sou-
ci) Cette (list.mce est de 4 milles plus considérable que celle donnée par
Arrien qui ne met que 1()0 stades entre Amisus et Ancon.
UN COIN DE l'aSIE MINEURE. 155
venir et il n'est pas jusqu'à Amasia, au Sud, et Amisus,
au Nord, dont les noms ne paraissent rappelei' le leur.
La montagne elle-même que nous gravissons, doit être
l'antique Mont des Amazones où se trouvait une localité
fortifiée (castellum) du même nom. C'est aujourd'hui le
Mèdjnoun dagh (la montagne de l'hébété ou [)luiôt de
Mèdjnoun). Ce mot en effet s'emploie comme nom [)ropi'e :
c'est en particulier celui du héros d'un ancien roman
arabe très populaire. Il se sera peu à peu substitué à
l'ancien nom grec « 'Aua^ôvî-.ov o.po; » qui a dû se transfor-
mer successivement en « Mazon, Madjoun, puis Mèdj-
noun. »
Thermè, chef lieu de caza, est actuellement un petit
port de 600 habitants, situé à 2 heures de la mei* sur la
rive gauche du cours d'eau (|ui l'airose. L'ancienne TIk'-
miscyre, capitale des Amazones, occupait, pense-t-oii, le
même emplacement, mais était située sur les deux rives.
C'est le cas ou jamais de parler de ces héroïnes et de
leur empire qu'a tant célébrés rancienne Grèce. Je me
restreindrai cependant aux notions histori(jues relatives à
celles que l'on fait habiter sur les bords de la mer Xoire.
Diodore de Sicile (1. 5, 51, 5i-) parle des Amazones de
l'Afrique et assure qu'elles resseml>laient à celles (pii,
dans les temps anciens (avant la guerre de Troie), avaient
élevé un empire florissant sur les boi'ds du Thermodon,
en Cappadoce. Homère (Iliade, 1. 5, v. LSDi, rappelle leurs
guerres contre les Phi'vgiens nouvellement établis sur les
rives du Sangarius et les fait secourir par Priam, roi de
Troie. Cela montre que leur empire n'était pas restreint
au petit pays où d'ordinaire les auteurs semblent vouloir
les cantonner et laisse même soupçonner ([u'à travers
l'Asie-Mineure celles du Pont doimaient la main à celles
des bords de la Méditerranée.
Io6 LE MISÉON.
Dans ce cas Méduse et ses sœurs qui sur les sommets
du Taurus tentèrent d'arrêter une invasion des Amazones
africaines, ne seraient-elles pas des Amazones de Tliémis-
cyre ? La numismatique semble appuyer cette hypothèse,
car la légende de la lutte entre Persée et iMéduse se
retrouve fréquemment sur les monnaies autonomes du
Pont et tout spécialement sur celles d'Amisus, de Comane
et de INéocésarée. On y voit Persée debout tenant une épée
de la main droite et de l'autre la tète de Méduse dont le
tronc git derrière lui. Sur d'autres monnaies du même
genre, on voit le bouclier orné de la tête de Méduse,
Pégase (il se trouve aussi sur les tétradrachmes de Mithri-
date Eupator), la tête laurée d'Hercule, celles d'Ares et
autres figures rappelant les Amazones et leurs légendes.
C'est à Thémiscyre qu'on s'accorde à placer l'un des 12
travaux d'Hercule, (son expédition contre les Amazones),
à qui le port d'Héracléum doit son nom. Ces guerrières,
pensant que le héros thébain venait enlever leur reine
Hip[)olyte, l'attaquèrent dans la plaine sur les bords du
lleuve. Klles périrent en grand nombre dans ce combat
meurtrier et leur reine captive devint l'épouse de Thésée,
roi d'Athènes, et l'un des plus illustres compagnons
d'Hercule. D'autres cependant veulent que ce héros ait
fait contre les Amazones une expédition pai'ticulière et
quilereule ait tué llippolyte et empoité le baudrier de
cette reine comme trophée de sa victoire.
Lors de leur expédition à la conquête de la h Toison
d'or » les Ai'gonautes signalent dans la direction opposée
aux Ours du Nord — la grande ourse et la petite, — le
lieu 011 reposent les l'estes gigantes(|ues de Thémiscyre,
lille de Doas, et dans les environs les villes (maritimes)
des Amazones. Apollonius de Hhodes (I. Il, v. ^Tô), dit
UN COm DE LASIE MINEUHE. 157
qu'il y en avait trois, ailleurs il les nomme Thémiscyre,
Chadésia et Lycastia. Ce même auteur (Argonautes, 1. 2,
V. 988), désigne la plaine de Thémiscyre sous le nom de
TÔ TOoiov DwàvT'.ov la plaine de Doas ou tô aX^o; Aàxjjlôv.ov, le
bois d'Alcmon.
On parle encore des Amazones à propos de la guerre de
Troie, où elles prirent parti contre les Gi'ecs. Mais après
leur expédition désastreuse contre l'ile de Leucé dans la
mer IVoire, elles disj)araissent, du moins celles des hords
du Thermodon, sans qu'on en sache trop la cause. Il est
toutefois probable que tout leur pays fut soumis par les
Assyriens, puisque le périple de Scylax désigne toute
cette côte, depuis le cap Jason jus(|u'au delà de Sino[)c
sous le nom d'Assyi'ie. Telle qu'elle nous est parvenue,
l'histoire de ce peuple parait être un mélange de vérité et
de fiction qu'il est l)ien ditïicile de distinguer.
Tout en achevant cette dissertation sur les Amazones
nous avions rejoint notre véhicule qui nous attendait au
sommet de la montaifue. Le vent était frais et le voiturier
de mauvaise humeui*. Il ne comprenait pas quel intéi'èt
nous avions pu avoir à considérer si longuement l'im-
mense plaine verte bornée i)ar l'indéfinie plaine griséttre
que paraissait être la mer.
\o" TciFAKALLE.
Cette seconde partie de la route fut marcjuée par un
petit accident qui fort heureusement n'eût aucune suite
fâcheuse. Nous avons tourné dans un si beau chcinin (|ue
nous n'eussions vraiment pas mieux choisi si nous avions
eu à le faire : le voiturier n'en revenait pas, nous, non
plus. Les l'oues d'un même côté de la voiture passent sur
158 • t^ MLSÉOiN.
trois roches en saillie qui se trouvaient assez rapprochées
j)Our (jue les élans des l'cssorts, chaque ibis plus grands,
aient fini par l'aire passer le centre de gravité en dehors
des points d'appui. Alors, vlan ! tout doucement nous
voilà couchés par terre ; un des chevaux en fait autant,
l'autre se tient coi.
Le premier émoi passé, nous relevons la voiture :
c'était elle (pii avait le plus soufl'ert. l ne de ses lanternes
était en miettes, et la toile qui tapissait 1 intérieur de la
tente avait été défoncée d'un coup de tête. Quant au voi-
tui'iei', il était j)rofondément humilié et prenait ensuite
de grandes précautions dans tous les mauvais pas ([uon
rencontrait.
Nous arrivons à Tchakalle, modeste village dont le
nom a l'air de signifier « hanté par les chacals ». 11 est
situé sur le iMerdermak, ([u'on y travei'se sui' un beau
pont de pierres, dont la maçonnerie seule était achevée
en 188i. Je n'y ai remar(|ué aucune trace d'antitpiité et
la vallée paraît bien resserrée pour y chei'cliei' môme une
de ces anciennes villes qui tenaient sur un rocher. Cepen-
dant M. Bore (Mém. t. I, p. 298) y signale une vieille
église byzantine probablement cette construction en
pierres que l'on voit encore en amont du |>ont sur la rive
gauche.
Chaque fois que je traverse cette localité je l'cgarde avec
un certain intérêt le |)auvre et misérable caravanséiail
aujourd'hui abandonné où j'ai passé une si mauvaise nuit
lors de mon premier voyage. Actuellement les choses sont
bien changées : on construit auprès du pont un caravan-
sérail en pien-es, (|ui s'annonce foit bier>. Kn attendant
qu'il soit achevé, il y en a trois autres (|ui sont passables.
Notre automédon nous conduit dans celui d'ismaël
UN COIN DE LASIK MINEURE. 159
effendi (i). C'est le plus grand et le plus convenable ;
mais son propi'iétaire, qui a quitté l'administration pour
se faire aubergiste, n'a perdu ni son titre d'efïendi, ni
son habitude d'écorcher les gens.
En notre qualité d'étrangers, il nous octroie la plus
belle de ses petites chambres. Elle était meublée avec une
profusion encombrante : outi'e le sofa gai'ni occupant
toute la façade principale, il y avait un vaste lit de fer à
sommier, une commode en bois blanc fort modeste, mais
surmontée d'une large glace tapageuse avec son cadre doré
orné d'une guirlande de roses, et de vases en porcelaine
peinte qui, rangés devant elle, s'y miraient avec complai-
sance. Un tout petit guéridon, assorti à la commode, des
(1) En dehors des titres officiels et protocolaires ceux que l'on emploie
dans les rapports quotidiens sont beaucoup plus variés qu'en France.
Les gens de la classe supérieure, s'ils sont lettrés, ont le droit d'être
appelés « eflfendi », ou même " bey-efîendi r> si ce sont des fonctionnaires.
S'ils sont illettrés, on leur dit « agha « ; les jeunes gens sont facilement
traités de « bey ». Pour la classe inférieure on dira facilement « agha »
à quelqu'un qu'on voudra honorer, mais l'on dit « ousta = maître » à un
homme de métier. On emploie très bien aussi le nom de la profession,
quelquefois suivi du mot « bâche = chef ».
On honoreia un homme de la campagne surtout s'il est âgé en lui
disant " baba = père », kardache = frère, « daye, èmmi = oncle ». Avec
les jeunes gens il y a diverses séries de termes d'amitié et de familiarité
depuis « oghloum = mon flls », « dostoum = mon ami ", jusqu'à « djanem
= mon cœur » ; et depuis " Arslanem = mon lion », jusqu'à " kouzoum
= mon agneau ». Les hommes de condition tout à fait inférieure : voitu-
riers, chameliers, muletiers, àniers, etc. s'interpellent ordinairement
par les mots : « bana bak = regarde-moi » ou bien - arkadache = com-
pagnon ».
Les Musulmans disent à un chrétien riche, s'il est étranger " Tchè-
lèbi », s'il est sujet ottoman « Tchorbadji ». Les chrétiens se parlent
entre eux comme les musulmans dont ils parlent la langue avec cette
différence que, dès qu'ils le peuvent, ils traduisent en leur langue parti-
culière, les formules de la politesse turque et semblent affectionner sur-
tout les termes de parenté.
IGO I.t: MLSF,0.\.
chaises et un fauteuil coinpiétaient ce nioliilier, qui nous
iréna fort, surtout lorsque le ifaryon, avec mille précau-
tions pour ne lien renverser, eut entassé là dedans notre
literie de voyai!;e et nos l»agaji:es. Volontiers nous eussions
prié notre hôte de mettre ses meuhles dehors, ou de nous
donner une autre chamitre ; mais le madré avait disparu
et nous Unîmes par nous ari'aniicr de notre mieux.
Le lendemain au (lé|>art, il prétendit nous faire payer
la itène. aussi l)ien ([ue la cliaml)re. Il nous fit un prix
exorbitant ; car il savait tiès hieii (jue nous étions à sa
merci. Le personnaiie semblait même, chose inouïe chez
un nmsulman, chercher à nous exasi)érer par la manière
dont il lépondait à nos piotestations : « Si vous avez des
plaintes ou des réclamations à f'aiie, adressez-vous à voti'e
consul 011 à votic anibassadeur. ^ Il avait l'air de s'en
moquer autant (|ue du (irand Turc, sachant ti'ès bien
qu on ne pouvait recourir à eux tour des faits de si maigre
importance. Il ne nous restait plus (ju'à nous exécuter et
à passer par ses exiiiences.
15" Uma.
Nous aurions encore à parler du caza d Tnia et de celui
de Fatséa, entre lesquels on a divisé l'ancien territoire de
la Sidène.
Strabon n'en dit (jue très peu de chose. Toutefois son
assertion : c< Ce canton qui fait suite à celui de Thémis-
cvre, dépend lui aussi d'Amisus, » me paraît très impor-
laiile. Il en résulte en effet que, sauf poui' la partie située
à rOuest de l'Halys, le territoire du sandjak de Sainsoun
correspond assez exactement à I ancien territoire d'Ami-
sus.
L'auteur (|ui dit la Sideiic fertile, n'y signale pourtant
L\> COIN DE l'aSIE MIINEIHE. 161
que trois forteresses bâties au bord de la mer. C'était
Sidè, qui donnait son nom au pays, Chabaca et Phauda.
La u Table de Peutiniier » indique quatre stations, elles
aussi sur les bords de la mer : Caena, Camila, Pytane et
Polémonium. Arrien, dans son périple, signale un cours
deau du nom de Bèi'is, qui pourrait être le Mélitch actuel,
et au delà Thoaria (Turè) localité à 150 stades (près de
28 kilomètres), de l'embouchure du Thermodon. 11 semble
que ce soit la ville de Tiria qu Hécatée de Milet (500
avant J.-C.) nomme chez les Leucosyriens.
L'auteur du périple indi({ue à 50 stades (environ 5
kilomètres et demi), plus à l'Est le port d'"0',voYi, Oenoe,
situé à l'embouchure d'un petit cours d'eau. M. Vivien de
Saint Martin (t. 2, p. i40), écrit « Aenoe » et la « Table
de Peutinger » Caena. Quoi qu'il en soit de l'orthographe,
il s'agit certainement ici d'Unia (Ounièh). La distance
donnée par Arrien est à peine dépassée de 5 kilomètres
par celle que donne la « Table )>.
La transformation que ce mot a subie dans la « Table
de Peutinger )> qui écrit « Caena », serait due à une
erreur de copiste, à moins que ce ne soit le nom primitif
de la localité. Lors de la construction de la voie romaine,
on le lui aurait donné à cause de ses « fanges » ; car « les
eaux stagnantes et les marais entourent la ville d'Unia ».
(Vital Cuinet : la Turquie d'Asie, t. I, p. ILl). Dans ce cas
ce seraient les Grecs qui aui'aient transformé le mot latin
pour lui donner une tournure grecque tout en lui conser-
vant quelque analogie phonétique.
Il semble aussi que le nom actuel, (écrit « Inéa » dans
les dernières listes épiscopales), ne soit qu'une altération
du même mot. On a donc tort de l'écrire avec une li à la
fin : beaucoup de personnes en adoptant cette transcrip-
10:2 1,K MISKON.
tion ont mis à la mode cet usatje (léfocliioux, puisiiu'il
ne sa^nt pas d un mol arabe.
La ville d'IInia (10.0(10 habilants), est d'un aspect assez
ajïréable. Elle se présente à ceux qui y arrivent par mer,
sous la forme d'un croissant coucbé au fond d'une petite
baie. Sa population, en grande majorité chrétienne, aurait
foit diminué depuis le milieu du \1V siècle. On attribue
cet état de décadence à la navigation à vapeur qui a tué
le petit cabotage dont cette ville était un centre impor-
tant.
Ce (|ui prouve sa splendeur au WIU" siècle, c'est
(pi'alors (i) elle est devenue conjointement avec Néocésa-
rée, le titre du Métropolite grec, exarque du Pont Polé-
monia(iue. La juiidiction de ce prélat s'étend aujourd'hui
sur les 4 caza d'Ordou, Fatséa, Unia et Thermé, dans
le vilayet de Trébizonde, sur la sandjak de Tokat, qui
ajipartient au vilayet de Sivas, et sur tout le vilayet de
(]astamouni. (Vital Cuinet : Turquie d'Asie, t. i, p. 405).
Ce diocèse métropolitain est donc séparé en deux par
celui d'Amasia et le prélat qui en a la charge, doit rési-
der alternativement à Ordou et à Inéboli, l'ancienne
Junopolis de Paphlagonie.
Le caza d'Unia a GO kilomètres de côte et Vital Cuinet
(t. I, p. 108), lui en donne 110 juscpi'à la limite du
vilayet de Sivas. Ce chiiï're doit éti'e beaucoup trop foi't,
puisque la route qui parcourt toute cette distance en
(1) Elle n'a pas dû le devenir plus tôt, puisqu'elle ne se trouve pas
indiquée dans la liste des villes épisoopales dépendant du patriarcat gi'ec
de Constantinople, publiée quelques années avant 1697, par Thomas
Smith, ambassadeur d'Angleterre auprès de la Porte, ni dans aucune
des listes antérieures. La t^éogi-aphie sacrée de Charles de Saint-Paul cite
cependant dans cette province un siège 6pisco])al iXEunici et le fait
remonter au IX* s., mais Le Quien ne le mentionne pas.
UN COIN DE l'aSIE MINEURE. 165
suivant la vallée de l'Elèkdjison (l'eau du fabricant de
tamis) qui traverse la ville d'Unia, n'aurait que 77 kilo-
mètres. (Vital Cuinet, Turquie d'Asie, t. I, p. 2o).
16" Kalè keuï.
Sur les premiers contreforts de la montagne, à 8 kilo-
mètres de la ville, on rencontre un des nombreux Kalè
keuï .(Village de la Forteresse), qui pullulent dans le pays,
presque tout autant que les Monts Blancs et les Monts
Noirs. Celui-ci doit son nom à d'anciennes fortifications,
qui furent jadis construites sur une roche élevée et pres-
que inaccessible, dans le but de défendre le passage con-
duisant à Niksar (INéocésarée).
Texier (Asie Mineure, p. 019, col. 2), dit qu'un monu-
ment sépulcral a été creusé dans une des parois à pic du
rocher et que son ouverture, où l'on ne voit pas le moyen
de parvenir, est entourée par la représentation d'une
façade de temple tétrastyle. Le correspondant de M. Vital
Cuinet (Turquie d'Asie, t. I, p. 109), ajoute qu'un souter-
rain de deux mètres de large conduit par des centaines de
degrés du sommet de la roche jusqu'aux abords de la
chaussée. Ces deux lenseignements établissent que l'on se
trouve en présence d'une de ces nombreuses forteresses
attribuées à Mithridale le Grand ; mais qui selon toute
vi'aisemblance sont antérieures à Alexandre.
Si aujourd'hui le souterrain n'est plus obstrué, comme
on semble le dire, c'est qu'il a probablement été dégagé
par ceux qui ont rétabli la forteresse, Strabon afïirme en
effet que Pompée les avait tous fait combler, et ils le sont
généralement encore, du moins tous ceux que j'ai visités,
une dizaine. L'aigle romaine sculptée au dessus de la
porte, ainsi que les peintures à fresque qu'on y voit prou-
IGi I-K MISKO.N.
vont (juo Iii tbi'toirsso a été rétablie par Jes byzantins et
t'oit j)i()bîjl)k'iiu'nt à ré|jo(|ue de l'empire de Trébizonde.
La route ([iii |)asse au pied de eette forteresse traverse
kara koiicli, village de oOO habitants et ehet'-lieu d'un
naliiyc du iiiènie iioiii, à (>() kilomètres d'Unia. Le nom
de Kara koueli (oiseau uoir, qui désigne l'aigle royal),
pourrait s'ètie substitué à eelui de Kara keeb (biver rude,
rigoureux», (jui semble [)arraitement convenir à ces lieux
situés au sommet de la montagne. On compte dans ce
naliiyc Mil localités dont les plus considérables nont pas
KM) maisons, |)res(pi(' toutes à plusieurs minutes de dis-
tance les unes des autres.
LIisée Heclus (Asie Antérieure, p. Ô5i), pai'le d'une
épo(jue déjà éloignée où les constructions nuiritimes et les
carrières d'inia lui donnaient une certaine importance,
il ajoute (pic les gens du pays « fondent et forgent en de
rusti(jues usines des nodules ferrugineuses trouvées dans
l'ai'gile jaunâtre (pii recouvre les collines, (ju'ils sont à la
fois mineurs, forgerons et cbarbonniei-s, et mènent une
vie errante, déplaçant leurs cabanes et leurs foi'ges quand
un gisement leur parait épuisé ». Tout cela a l'air de
remonter à des temps fort reculés. M. Vital Cuinet du
moins ne fait aucune allusion à ce genre d'exploitation,
et ne signale (pie des carrières de plàti'c aux environs de
la ville.
Le port d Tnia auiait jhi j)rendre avec avantage la place
occupée aujourd'hui par celui de Samsoun. Sa rade est
[H)ui' le moins aussi coiiiiiiode, et le trajet jusqu'à Sivas
serait abrégé de deux jours. Malheureusement au milieu
du XIX' siècle, Unia n avait pas de chaussée la reliant
avec les grandes villes d(^ llntéi-ieui'. Samsoun a succédé
à Sinope et obtenu la préférence. I^lle a aujourd'hui trop
UN COIN DE LASIE MINEURE. 165
d'avance pour redouter sa rivale, qui n'a point cependant
perdu tout espoir de la supplanter un jour. On vient
encore de m'affirmer que la chose ne manquerait pas
d'arriver, si Rèchid bey, vali actuel de Si vas, restait assez
longtemps en charge pour achever la route de Sivas à
Unia, par Niksar dont il a entrepris la construction.
Arrien indique sur la côte à 50 stades, environ o kilo-
mètres et demi, à l'Est d'Unia la station de Phigamon
bâtie à l'embouchure d'un cours d'eau, le Phigamus
que Texier identifie avec le moderne Derviche dèrè sou
(l'eau du val aux Derviches), (pie d'autres appellent
Djèviz sou (l'eau à la voix). Vient ensuite à 20 stades (près
de 4 kilomètres) plus loin, Amélète ; c'est la Camila que
la « Table de Peutinger » place à 10 kilomètres d'Unia ;
elle ferait encore partie de son caza.
17" PoLft.MOMlM ET PoLÉMOX II.
Quant à Pytane ({ue la même « Table » indique à
8 milles (environ 1:2 kilomètres) plus à l'Est, il est diffi-
cile de l'identifier avec Fatséa. En effet cette localité, chef*
lieu du caza le plus oriental du sandjak de Samsoun, était
tout au plus à 10 kilomètres de l'embouchure du Polémon
tchaï, dont Pytane d'après la « Talde » se trouvait à
20 milles (plus de 29 kilomètres et demi).
Fatséa, d'après Texier (p. 619, col. 2) et Vivien de Saint
Martin (t. 2, p. 440) serait l'ancien château de Phatisana ;
peut-être la Phauda ou Phabda, place forte citée par
Strabon (t. XII, c. 5 MO).
Polémonium n'est plus aujourd'hui qu'une ruine à
l'embouchure d'un cours d'eau. Son nom est cependant
conservé et par le gros ruisseau du Boulémant chai, et par
une localité du même nom, située sur sa rive droite et
chef-lieu d'un nahiyé du caza voisin d'Ordou.
12
1()0 IK MISÉON.
Otte ville s'il faut en croire Pline (VI, i) juirait rem-
placé la ville <juc Straboii appelle Sidè. L'auteur Latin la
place à 1:20 milles ipi'ès de 178 kilomètres) d'Amisus.
La somme des distances données par la « Table de Peu-
tinger » est de 121) milles. Cette différence (près de
15 kilomètres), pourrait n'être due (ju'à une modification
dans le tracé de la route. Otte route, telle que la donne
l^'utiniier, suit la côte, comme nous l'avons remarqué.
Elle n'était peut-être pas encore construite au temps de
Pline et aurait pu, au lieu de la contourner, couper en
diagonale la plaine de Tliémiscyre, pour aller rejoindre la
côte vers l'embouchure du Thei-modon.
Strabon, qui j)arle longuement de Polémon, de Pytho-
dôris et leur royaume (1. XI, c. 2 ,^ 18 et 1. Xll, c. 5 § :29,
51, 57 — c. 8 5^ 16) ne dit pas un mot de la ville de
Polémonium. En rapprochant ce silence de ratïîrmation
de Pliru\ il semble naturel de conclure que c'est Polé-
mon il ([ui a donné son nom à cette ville en y transportant
sa capitale.
L'histoire de ce roi est assez peu connue. Strabon nous
apprend que Pythodôris, veuve de Polémon 1", gouverna
le royaume après la mort de son époux. Elle avait cepen-
dant deux tîls ; mais les Komains avaient fait de l'aîné
un roi d'Ai'ménie. Quant à l'autre Strabon le montre
aidant sa mère dans l'administration de ses états. D'après
les monuments numismatiques de la Collection NVadding-
ton, il serait monté sur le trône enti'e l'année 29 et 52 de
l'ère chrétienne, sa femme s'appelait Tryphaine. 11 parait
avoir eu une série de monnaies sur lesquelles sa dépen-
dance vis-à-vis de rem|)ii'e romain ne se trouve pas indi-
quée, comme elle l'est sur les monnaies de la 12, 15 et
17' année de son règne : ce sont précisément sur celles-là
UN COIN DE LASIE iMINEUHE. 167
que se trouve la figure ou du moins le nom de sa femme.
Enfin il aurait abdiqué la couronne en faveur de Néron,
l'an 65 de l'ère chrétienne (i). C'est tout ce qu'en disent les
monuments historiques. Les légendes chrétiennes - où
il y a au moins un aussi grand nombre de vérités (|ue
dans celles que les Grecs ont racontées à propos des
Amazones, — montrent l'apôtre S. Bai'thélemi prêchant
la foi dans les douze villes du Pont et convertissant le roi
avec toute sa famille. Polémon ne voyant pas comment
concilier l'humilité chrétienne avec les exigences de la
dignité royale, et voulant à tout prix s'assurer la posses-
sion du royaume de Dieu, abdiqua celui qu'il possédait
sur la terre.
L'apôtre avant de quitter le pays pour aller porter
l'Evangile à d'autres contrées, confia la direction de
l'Eglise qu'il venait de fonder dans le royaume du Pont
à celui qui, malgré son abdication, y conservait naturel-
lement une si grande influence et qui venait de donner
un si grand exemple. Le dernier roi du Pont en devint le
premier évêque.
Son frère, en montant sur le trône d'Arménie, — avait
abandonné son nom grec de Zenon pour prendre celui
d'Artaxias (Ardachès), — la légende latine dit Astyage.
Ce roi ayant fait mettre à mort S. Barthélemi pendant une
expédition qui l'avait conduit en Orient, peut-éti'e jusqu'à
Derbent, Polémon, qui était lesté attaché à l'apôtre,
comme le fils à son père, alla en Arménie, se fit recon-
naître pai' son frère et obtint de lui la permission d'em-
(1) Deux historiens du IV» siècle, Aurélius Victor et Eutrope, dans
leurs vies de Néron, mentionnent cette abdication à la suite de laquelle
le Pont Polémoniaque fut réduit en province romaine ou, plus exactement,
annexé à celle de Cappadoce.
168 I.K MISiON,
|>()i'ter les reliques du Saint. 11 les fit transporter à
Polénioniuni, son ancienne cajutale, où il continuait à
faire son séjour. C'est de là qu'environ deux siècles plus
tard, la persécution sévissant en Asie-Mineure alors (jue
l'Eglise jouissait de la paix en Occident, le corps de
S. Barthélenii y fut porté. Il séjourna d'abord à Li[)ari
d'où il fut, dans la suite, transféré à Hénévent et enfin
à Rome.
Ce récit, trouvé tout entier dans les légendaires du
Moyen-Age, semble assez vraisemblable ; car enfin puis-
que Pline, dans sa fameuse lettre à Trajan, indique que
50 ans plus tard il y avait déjà beaucoup de chrétiens dans
le pays, il faut bien trouver à ce fait une cause propor-
tionnée.
A propos des évéques d'Amisus j'avais })arlé de ceux de
Polémonium. Le Quien qui nomme six évéques de la
première de ces villes en nomme autant pour celle-ci :
\" Hystricus, qui assiste au synode de Néocésarée et
signe, évêque de Timoniacensis (i), — dans la Cappadoce
Polémoniaque.
2" Jean, qui signe les actes du concile de Chalcédoine,
en 451, et la lettre de l'épiscopat à l'empereur Léon,
en 457.
5° Anastasius, qui signe les actes du concile de Con-
stantinople, en 680.
4" Dornitius, signataire du concile Quinisexte, en 00:2.
(1) Le nom de la ville épiscopale est évidemment défiguré ; mais il
s'agit certainement de Polémonium, qu'une erreur du même genre a fait
nommer Tolémonium dans la liste de Hiéroclès. Le Quien doute de plus,
on ne voit trop pourquoi, s'il ne s'agirait pas ici d'un piélat nommé
Erétius ou Arétius, évêque de I.agania, en Gaiatie r«, qui lui aussi aurait
assisté à ce synode.
LN COIN OK I,'aSIE MINKl'KE. IGO
5° Constantin (ailleurs Constant) qui assiste au concile
de Nicée, en 787.
6° Jean, signataiie du concile de 869, tenu à Constan-
tinople contre Photius.
Je ne trouve aucune mention de cette ville ni dans le
Martyrologe romain, ni dans les Menées des Grecs.
18" KWAK KT TCIIAMOUULOU.
Tout en dissertant nous avions franchi la montagne
qui sépai'e ïchaivalle de Kavak. Cela se t'ait assez rapide-
ment aujourd'hui que les ponts sont achevés, et que la
route est encore praticahle ; mais jadis que d'embarras,
surtout lorsqu'on venait à se croiser avec de longues files
de chameaux, qui s'effrayaient, se mettaient en travers du
chemin et faisaient mine de se précipiter dans les ravins.
Le mot Kavak que M. Bore écrit Quarak, signifie
« Peuplier » ; chef-lieu d'un mahiyé de liO villages, qui
dépend du Caza de Samsoun ; c'est la première station
sur la route de cette ville à Bagdad. Le plâtre ([u'on y
fabrique est estimé et s'exporte au loin.
Ce bourg assez animé, est parfaitement exposé au midi,
sur le flanc d'un coteau où la route fait de nombreux
lacets. Il était autrefois dominé par une petite forteresse
dont il ne reste plus aujouid'hui que de rares vestiges.
Bientôt ils auront complètement disparu ; car, ici comme
ailleurs, les ruines sont exploitées comme des carrières
d'où l'on n'a qu'à emporter des moellons tout prêts.
J'ai visité une fois son emplacement sans y trouver
aucun vestige d'antiquité et n'aurais fait remonter sa
fondation qu'à quelques siècles. M. Bore (Correspondance
et Mémoires d'un voyageur en Orient, t. 1, p. 298), la
signale en ces termes : « Forteresse turque de chétive
170 I-E MISKON.
construction, qui remplace un château de l'époque
gi'ec(|uc ».
Le fond de la vallée est occupé pai' un petit ruisseau à
propos duquel je chercherais volontiers querelle aux
cartographes. Le ruisseau de Kavak n'est pas le même
que celui de Tchakalle ; car on ne le traverse pas entre les
deux localités et dans chacune il coule de l'Ouest à l'Est.
Ces deux cours d'eau se réunissent ; mais celui de Tcha-
kalle, étant en toutes saisons le i)lus considérahle, doit
être considéré comme le principal. Or c'est précisément
le contraire qui se fait ; c'est au plus petit qu'on donne
le nom de Merd ermak, qui devrait, ce semble, appartenir
au plus grand.
Au delà du bourg de Kavak, la route monte plusieurs
heures, toute bordée d'hellébores noirs. Je n'ai jamais
rencontré cette plante à l'intérieur de l'Asie Mineure ;
mais elle abonde sui' ce versant de la montagne. Nous
finies un arrêt à la poi'le d'un caravansérail à Utch-
khanlar (i) (les trois h/ian ou Caravansérails). Le tenancier
de l'établissement nous invita à monter au premier et
nous offrit le café.
Pendant que nous causions un paysan vint nous mon-
trer (|uelques vieilles monnaies très communes ; puis
nous indiquant de la main les sommets que nous avions
devant nous, il nous parla d'un village de Yaghmourlou
(le pluvieux) où il y avait, atïirmait-il, beaucoup d'anti-
quités.
C'est peut-être la station que le (Corpus Inscriptionum
latinarum (vol. IH) indique sous le nom de Tschamourlou
(1) Dans ce nom propre, il faut remarquer l'addition de l'afBxe « lar »
marque du pluriel dans la langue turque; addition tout à lait hois
d'usage, lorsque le substantif est précédé d'un nom de nombre.
tJN COIN DE l'aSIE mineure. 171
(le boueux) à 2 h. au S. E. de Kavak. Elle a été visitée
par M. Bilïotti, jadis consul d'Angleteri'e à Trébizonde,
qui y a reconnu une triple enceinte, et trouvé beaucoup
d'antiquités en particulier un nombre considérable de
statuettes en terre cuite. Tout cela semble indiquer quel-
qu'un de ces très anciens sanctuaires où ces sortes de
figurines étaient consacrées à la Divinité. Nous n'avons
pas cru pouvoir nous y rendre ; mais cela a été un regret.
Un peu avant d'atteindre le sommet de la montagne,
nous rencontrons un hameau groupé autour d'un caravan-
sérail : c'est le Kara dagh keuï (village du mont Noir).
L'administration sanitaire y a fait construire un certain
nombre de baraques en briques où, en temps d'épidémie,
on installe la quarantaine. Il y a quelques années ceux
qui étaient chargés de sa direction, contraignaient indis-
tinctement tous ceux qui passaient, qu'ils vinsent de pays
indemnes ou non, à faire le temps de quarantaine pres-
crit. Généralement on en était quitte pour une nuit et un
bakhchiche proportionné au luxe des habits et de l'équi-
page. Quant aux misérables, s'ils n'avaient pas assez
d'esprit pour prendre à travers bois par les anciens
chemins, on était impitoyable pour eux.
A quelque distance de là, on se trouve au sommet de
la montagne, où une borne marque la limite entre les
vilaijct de Sivas et de Trébizonde. Ce point paraît si
naturellement frontière qu'il me semble entrer dans la
Phazémonitide de Strabon. (1. XII, c. 5, § 13 et 14).
D. iM. Girard S. J.
ANALYSE
d'un
ESSAI DE SVXTIIÈSE PSYCHOLOGIQUE
DE LA SCIENCE DU LANGAGE ".
L"uiivrage de M. Vau Giuuekea est im essai d'explication psycho-
logique de la nature et des procédas du langage, considéré non
seulemeut dans sa coustitutiou physique, mais aussi dans ses
éléments idéologiques. Sa méthode consiste à étudier le langage à
la lumière de la psychologie expérimentale : d'abord le mot,
expr(S>ion des idées et des sentiments ; puis le discours suivi, ou
les unités secondaires du langage. Armé de vastes connaissances
«lans le domaine de la linguistique indo-européenne, ancienne et
mo leruc, il uou^ offre successivement Texplication des faits parti-
culiers et géui'raux accumuh'S par les travaux d'un siècle.
L'ensemble l'orme une histoire psychologique du langage en géné-
ral, mais étudie le plus souvent dans la famille indo-européenne.
Cette histoire psychologique, me paraît, dans la pensée de l'auteur
— (jii'il n'exprime qu'à propos de certains faits particuliers —
répondre à Ihistoire chrouologi(iue.
( 1 ) .1. \'an Ginneken s. J. Gi'ondheginselen der Paychologische Taalioe-
tvnsch<ip. Eene synthetische ptoeve. — L'ouvi-aj^e a été publié dans
Leiivcnsche Bijdrapen. opliet gebied der Germaansche Philologie en in
M tjyzondei' van de Nederl;uulsolio Dialectkunde, onder de icdactie van
Vn. CoLiNET, L. (joEMANs OU L. ScHARrÉ. — Vl'>e jaargaug, l^te afleve-
ring. bl. 1-23'.»; 2'ie aileveriiig 241-265 et VIl'^p jaargaug. l^te aflevering,
bl. l-2:v.».
ANALYSK d'i.N KSSAt DE SVMIII.SIi l'SVCFlOLOGIQlE. i 75
L'« Essai de Synthèse « représente une somme de travail consi-
dérable et suppose un talent de combinaison extraordinaire. Cette
construction, dans son ensemble, répond-elle à la réalité et dans
quelle mesure ? 11 serait téméraire de se prononcer à cet égard, et
de montrer ainsi plus d'assurance que l'auteur lui-même. Mais on
peut dire que l'auteur, original dans l'ensemble de sa conception,
offre à tout moment l'explication de faits qu'on avait simplement
constatés jusqu'ici. Ces explications sont plus ou moins plausibles,
mais toujours suggestives. 11 n'est pas permis d'ailleurs de les
considérer isolément : dans la pensée de l'auteur, elles empruntent
toujours une partie de leur force à l'ensemble du système. Je
dois attirer l'attention sur ce point en vue de certaines critiques
que je ferai au courant de cette analyse.
Les lecteurs du 3Iusi'on, même les spécialistes, seront heureux,
sans doute, de trouver ici une analyse détaillée de ce remarquable
Essai. Parfois cette analyse sera critique, et je protitorai de l'oc-
casion pour exposer quelques observations, fruit de fues études
dialectologiques, et qui me paraissent d'une certaïuo portée
générale.
PREMIÈRE PARTIE.
La première partie est essentiellement un essai sur l'origine
des parties du discours.
Le premier et le second chapitre ne sont qu'une introduction : le
résumé, ou plutôt la synthèse des données de la psychologie
moderne sur les images des mots, les images des choses et sur
leurs relations.
Le second chapitre traite de l'intelligence et de 1' « acte d'ad-
hésion ». Par ce dernier terme l'auteur entend l'acte par lequel
« prenant conscience de nos perceptions et de nos représenta-
tions, nous nous distinguons du monde extérieur, et nous le
reconnaissons comme objectif » (p. ô-i). C'est l'acte conscient de
la force suprasensible qui se manifeste comme le moi un et
toujours identique à lui-même. L'acte d'adhésion seul parvient
à expliquer les faits du langage : l'existence d'images de mots ou
de choses ne suffit pas ; il est l'élément essentiel du langage, même
13
174 LE MUSÉOIS.
le plus simple. L'auteur apporte plusieurs preuves de ce qu'il
avance. La dernière consiste en ceci que, en dehors de cet acte, il
est impossible de concevoir l'existence des catégories grammati-
cales. Le développement de cette preuve occupe près de 60 pages,
et consiste à expliquer la différenciation de ces catégories par les
variétés de l'acte d'adhésion considéré dans son objet ou dans son
mode.
Le quatrième chapitre est intitulé « sentiment et valuation ».
Le sentiment, tel que l'entend l'auteur, est une manière d'être,
une affection transitoire du moi conscient, accompagnant l'acte
d'adhésion dont il reste cependant distinct : tels sont les sentiments
de la certitude, du désir etc. Le moi dont il s'agit n'est pas le
substratum permanent des phénomènes psychiques ; mais le moi,
le substratum permanent considéré à un moment particulier. On
pourrait l'appeler la conscience directe subjective. C'est dans l'un
de ces sentiments, ainsi entendu, à savoir le sentiment de la con-
nexion que l'auteur trouve la signification propre de toutes les
conjonctions, de toutes les prépositions, de toutes les particules ;
leur sens idéel est métaphoiique et accidentel.
La valuation est uu autre facteur du langage, moins important,
et qu'il ne faut pas ranger parmi les sentiments, mais qui occupe
une place à part, parce qu'ici le sentiment est nécessairement uni
avec un acte d'adhésion.
On le voit, le corps du travail est une explication de l'origine
des catégories grammaticales, par les faits psychologiques qui se
trouvent à la base du langage. Ou se demande pourquoi toute la
première partie de cette démonstration, celle qui traite des mots
variables, est présentée comme une simple preuve de l'existence de
l'acte d'adhésion. 11 en résulte que logiquement cette partie occupe
une toute autre place dans l'ensemble que ta seconde consacrée aux
mots invariables. Mais ceci est une simple question de forme. Il
n'en est pas moins vrai que co procédé déroute quelque peu le lec-
teur, qui suit l'auteur à travers les 00 pages que comprend cette
partie, et qui n'entend plus parler ensuite de la force démonstrative
des faits si longuement exposés.
Le travail de M. Van Ginnekcn, dans sa partie originale, est une
application toute nouvelle des résultats de la psychologie moderne
mots.
ANALYSE d'un ESSAI DE SYNTHÈSE PSYCHOLOGIQUE. 175
à la grande question, toujours irrésolue, des catégories grammati-
cales qui se retrouvent, quant aux traits essentiels, dans la plupart
des langues anciennes et modernes. En outre, ses recherches
l'amènent à traiter des questions fondamentales dans le domaine
de la sémantique. Les théories de l'auteur sont très hardies, et on
hésitera souvent à se prononcer sur la valeur de ses conclusions.
Mais à tout moment il ouvre des horizons nouveaux, où le lecteur
ne découvrira pas toujours, il est vrai, ce que l'auteur veut lui
faire voir.
* *
Nous voyons ici comme quoi, dans les conditions normales de Premier chapitre.
notre société moderne l'entité psychologique d'un mot se compose ^^^ images des
de quatre éléments : l'image phonique, l'image visuelle, l'image
motrice de l'articulation et l'image motrice de l'écriture. Ces
quatre éléments, bien entendu, ne sont pas séparés, mais sont reliés
entre eux et s'influencent constamment l'un l'autre. Cette action
réciproque n'est pas la même chez tout le monde, ni toujours la
même chez un même individu. Ceci dépend naturellement de l'im-
portance relative des quatre images, qui varie d'après les conditions
physiologiques, psychologiques et sociales oii se trouvent l'individu
parlant. — Il est évident que la représentation est anormale
chez les sourds muets et, à notre point de vue, chez les peuples non
civilisés. Même chez les peuples civilisés — au point de vue qui
nous occupe — il est probable qu'il existe des variétés dans la repré-
sentation verbale, provenant du caractère particulier des langues
qu'ils parlent. Prenons les langues indo- chinoises. Dans ces langues,
un même groupe phonique, une même syllabe possède les sens
les plus divers, que l'on distingue par la modulation, par l'accen-
tuation musicale. Or, on a constaté en Europe des cas d'aphasie
où l'image motrice de l'articulation avait disparu. Néanmoins le
malade avait conservé la faculté de reproduire la modulation des
mots qu'il ne pouvait plus prononcer. On on conclut que l'élément
musical du langage ne se confond pas entièrement dans les organes
avec les autres éléments acoustiques. Il semble bien probable que
dans les langues monosyllabiques où le caractère musical est si
prononcé, la représentation verbale diffère de ce chef de nos
\H] LK MISÉO.N.
langues, où la modulation musicale des mots ne se rencontre que
d'une manière sporadique.
Il résulte de l'ensemble de ces faits que chez un individu nor-
mal vivant dans notre société civilisée, les mots peuvent constituer
des cUcgories psychologiques différentes. L'étude des mathéma-
tiques p. e., commencée à un certain âge, et devenant une occu-
pation absorbante, aura pour effet de donner la prédominance aux
images visuelles en ce qui regarde les mots acquis à partir de
l'époque, où l'on s'est livré entièrement à cette étude. Dans les
mots des langues étrangères que l'on apprend surtout dans les
livres, c'est l'image visuelle qui a le plus d'importance, tandis
que dans les mots du patois qu'on a entendus et répétés sans jamais
les écrire, c'est naturellement l'image phonique et l'image motrice
de larticulation qui jouent le rôle principal.
En outre il semble que chez tout le monde le nom que l'on porte
et les chiffres occupent une place spéciale.
Conclusions. De cette diversité daus la constitution psychologique des repré-
sentations verbales, l'auteur tire certaines conclusions que nous
préiérous traduire littéralement (p. 15) :
1° « Parmi les facteurs de l'évolution historique du langage, les
quatre images verbales occupent la premièreplace, du moins de nos
jours ; les deux deruières sont moins importantes comme quantité,
mais ont au fond la même importance.
2" Dans toutes les langues où la lecture et l'écriture sont de
quelque importance on ne peut restreindre les questions relatives
au changement de forme des mots à la seule phonétique, à l'étude
exclusive des sons.
o" En ce qui regarde nos langues modernes. II. Paul a « ferri-
hlcnicnt exagéré » lorsqu'il a dit : « dass das geschriebeue nicht
die Sprache selbst ist, dass die in Schrift umgesetzte Sprache
immer erst eine Riickumsetzung bedarl', ehe man mit ihr rechnen
kann ».
1" Dans nos langues modernes, les lois phonétiques sans excep-
tion sont au nombre des choses impossibles, et, pour les temps
primitifs, à ce point de vue du moins, improbables ; car h même
son est l'effet de représentations verbales d'une composition varia-
b'es : un mot qui extérieurement est identique à un autre peut
cependant appartenir il une catégorie psychologique différente ».
ANALYSE d'UiN ESSAI DE SYNTHÈSE PSYCHOLOGIQUE. 177
Ces conclusions tirées d'une série de faits psychologiques dûment
établis sont séduisantes au premier abord. A la réflexion, elles
paraissent cependant un peu hâtives. On se demande p. e. s'il est
juste de conclure que les images visuelles et motrices de l'écriture
ont la même importance que celles du son (i). C'est une affirmation
qui ne découle pas nécessairement des faits exposés, et qui exige-
rait une démonstration à part difficile sans doute à établir. Il
semble, bien plutôt, que les faits suggèrent le contraire. Même
dans les pays les plus civilisés, la proportion des personnes qui
lisent et écrivent plus ou autant qu'elles parlent et écoutent est
fort petite. Les autres forment l'immense majorité. Or, chez eux, les
images acoustiques sans cesse renouvelées acquièrent une intensité,
une force psychique beaucoup plus grande que les images de l'écri-
ture. Celles-ci ne peuvent donc exercer une influence aussi grande
sur le langage que les premières. De fait, les images de l'écriture
doivent être extrêmement faibles chez le plus grand nombre, pour
qui les signes écrits restent probablement ce qu'ils sont en réalité,
les signes des sons, sans lien direct avec les objets désignés. —
L'évolution des langues littéraires, des Cultursprachen a été fort
peu étudiée au point de vue théorique, alors qu'on s'est occupé,
non sans succès, des langues naturelles, des patois. Dès lors on
peut se demander si les paroles de Paul sont si terriblement exagé-
rées. La réponse à donner sur le degré d'exagération dépend de la
question de savoir si l'évolution des langues littéraires — abstrac-
tion faite des mots savants introduits en masse dans la langue du
peuple dans certains pays — dépend de la très faible minorité
chez qui les images de l'écriture ont peut-être une importance
égale aux images acoustiques, ou bien du grand nombre, chez
lequel l'élément acoustique l'emporte certainement sur l'élément
visuel. Les deux groupes y contribuent sans doute chacun de son
côté, mais dans quelle proportion ? Aucun raisonnement ne pour-
rait résoudre la question.
(1) L'auteur dit (Conclusions, 1^) que les deux dernières représentations
verbales sont moindres quantitativement que les deux premières — pho-
nique et visuelle. Celles ci paraissent donc se trouver sur le même piedi
comme du reste tout le contexte l'insinue.
ITS LE iMLiSÉON.
Reste la quatrième conclusion, la critique de l'Ausnahmslo-
sigheit des lois phonétiques, en taut (ju'elle se rapporte aux
langues des temps primitifs, harhares. Ce n'est évidemment pas le
lieu d'ouvrir une discussion sur les lois phonétiques. Je voudrais
cependant, à cette occasion, présenter quelques observations faites
sur le langage naturel, vivant et qui pourront servir à comprendre
le rôle de facteurs psychologiques distincts de l'analogie. Notons
que les Junggraramatiker ont restreint leur axiome aux sons
pris à un moment donné et placés dans des conditions iden-
tiques ; qu'il ne s'agit pas non plus chez eux de la constacee des
effets, puisqu'ils admettent que l'action des lois phonétiques peut
être traversée par l'action de facteurs d'un autre ordre. Il est vrai
que, dans la pratique, ce facteur se réduit à un seul, l'analogie,
notion restée passablement vague jusqu'ici. L'étude des patois
modernes qui représentent approximativement ces « langues pri-
mitives n ne paraît pas contredire essentiellement la théorie de la
constance des lois phonétiques. C'est l'impression, sinon la conclu-
sion de M. l'abbé Rousselot à la fin de son travail magistral sur
le patois de Cellefrouin. L'étude du patois d'Alost — dialecte
bas-franc — m'a laissé la môme impression.
Dans la très grande majorité des cas, l'état du patois s'explique
par l'action des lois phonétiques ou de l'analogie. Il reste cepen-
dant un assez grand nombre de cas difficiles, un résidu irréduc-
tible aux lois phonétiques ou à des analogies plausibles. Sans
doute une connaissance exacte de l'histoire de ces mots pourrait
fournir une explication par les moyens ordinaires ; mais il me
parait probable que plus d'une fois, les irrégularités proviennent
de causes peu ou point observées.
Le sentiment agit directement dans la transformation de 5 en i
dans le patois de Louvain. Sous Timpulsion de la colère sluker
devient îiluler^ smeerlap devient .hnachlap, etc. (i). Il est vrai que la
prononciation normale conserve le s. Mais le S n'aurait-il pu deve-
(1) Voir GoEMANS, Hct dialect van Leuven, p. (■)4. — Pour des raisons
d'ordre typopraphique, j'écris les mots dialectaux dans l'ortiiographe
néerlandaise; sauf u (néerl. oe = franc, ou) et À-, que je note phonéti-
quement.
ANALYSE d'un ESSAI DE SYNTHÈSE PSYCHOLOGIQUE. 179
nir normal ? Ne trouverait-on pas ainsi l'explication de certains s
inexpliqués ? — Le s, pour s, est devenu plutôt normal pour le
patois d'Alost dans le mot M'ngeren, walgen ; 't Miigert î)iè, j'ai
des nausées, littér. il (impersonnel) me fait monter, soulève (le
cœur.) Il est vrai que la transformation de s en .s^ est plus ou
moins phonétique et qu'on entend aussi ka^tiïl à côté de Jcastiïl.
Mais au commencement du mot, cette transformation est inconnue
ailleurs : stùn (steen), 't sti'inen hnis.
Le néerlandais ja (a long) existe dans le patois sous les formes
jà,jà^ (avec esprit doux), Jo, d'après les dispositions afifectives de
celui qui parle. La forme jd réclamée par les lois phonétiques
n'existe pas.
La position particulière des interjections à l'égard des lois pho-
nétiques n'est pas un fait inconnu. A Alost — comme à Louvain —
il existe une interjection qui continue à se prononcer régulière-
ment avec un son complètement disparu dans l'un et l'autre patois :
c'est JH / fr. hue !
Voilà un certain nombre de cas oii le sentiment influe d'une
manière intermittente ou définitive sur la forme des mots. Ils
sont clairs, mais son action ne s'est-elle pas exercée parfois
d'une manière cachée dans les cas que nous devons laisser sans
explication. Il sera peut-être permis de tenter par ce moyen
l'explication d'un mot obscur jusqu'aujourd'hui, à savoir le mot
bUr, qui devrait se dire hlr, comme dans gehîr. Mon point de
départ est l'interjection n, qui exprime le mépris. Autrefois, plus
qu'aujourd'hui, le paysan était un objet de mépris pour l'habitant
des villes. Le mot hûr — comme ])mjsan en français — est
souventune injure. Comme tel, il appartient à la langue du senti-
ment. On pourrait conjecturer, que ce mot ait continué à être pro-
noncé avec U précisément pour cette raison qu'on l'employait pour
exprimer ce sentiment. Ceci suppose naturellement que, sur une
grande étendue du territoire flamand, le son U sert à exprimer le
mépris, chose que je n'ai pas vérifiée (i). L'explication donnée par
(1) Pour Louvain voir Goemans, Het Dialect van Leuven, dans Leu-
oensche fiijdrogen, II, p. 230 C'est de cette manière, comme expression
(lu sentiment, qu'on pourrait expliquer la conservation, très probable du
moins, de l'ancien doe dans ce patois, Ibid., p. 150.
18U IK MLSÉO>.
Franck, Fà. Woord. n'est qu'une conjecture — comme la nôtre,
du reste. D'après Fr. (néerl.) boer serait emprunté à Tallemand ou
aux dialectes intermédiaires ; le mot flamand serait dorper. De
fait (lorper est un synonyme de hocr qui oppose l'habitant des vil-
lages à ceux des villes, aux poortcrs. Les deux mots ont coexisté,
mais dorpcr a disparu. Cet emprunt ne s'expliquerait pas du reste.
L'influence des provinces de l'Est sur la Flandre et le Brabaut est
faible ou nulle à partir d'une certaine époque. Bien mieux, le
mouvement a lieu en sens inverse. Aussi la Flandre a-t-elle donne
à l'Allemagne son mot dorper — devenu Tolpel — avec bien
d'autres (i).
Ces observations me paraissent suffire pour rendre probable
que le sentiment peut exercer une influence directe sur le déve-
loppement des sons. Voici maintenant un cas où la même action
semble pouvoir être attribuée à la volonté intelligente. C'est dans
la création du doublet mujer à côté de mur, la femelle des ani-
maux.
En Alostois d, placé entre voyelle longue ou diphtongue et syllabe
atone, disparaît, avec ou sans modification de la voyelle ou de la
diphtongue. Mais lorsque la longue précédant le (i est /7, représenté
en néerl. par oe ou o (long, zachtlang), le résultat est moins uni-
forme : ^hudem (hodem) donne huj/m (2) ; *dHder, fmoyen-néerl.
ddder) donne dur ; d'un autre côté, nous avons 6i*y>n (néerl. hoden, de
hieden) ; huj^ muj, ruj (néerl. hode, moede, roede) ; vujeren, gujeren
(néerl. twederen, f/oedercn) ; puis, hlujcn, brujen (néerl. blocdcn,
broedcn), et ujen, plur. de iid (néerl. hoed). Les deux premières
formes, isolées sous tous les rapports, représentent le pur déve-
loppement phonétique : dans la première, la longue est devenue
diphtongue, dans la seconde elle est restée intacte devant r
final. Ceci rappelle Vu long néerl. devant r échappant à la diph-
tongaison, dans uur p. e. En alostois cet u était devenu i, très
probablement avant l'époque de la diphtongaison, et aurait donné
oè en toute autre position. Dans la diphtongue de buym, le 2'' élé-
ment n'est guère qu'au 2** « gipfel n de la voyelle, plus ou moins
(1) Comparez l'allemand T(ilpel, chez Kluge, Et. W.
(2) l'y représente un a indistinct.
ANALYSE d'i> KSSAI DE SVMliÈSE PSYCHOLOGIQUE. I8l
dissimilé en il. Le développement de cet élément en glide, puis en
j devant la terminaison en, tendant à s'introduire à nouveau dans
la forme régulière *huyn et donnant hujen (boden) est très natu-
relle. Les infinitifs et le pluriel de àd s'expliquent de même.
Quant à ruj, muj, huj, ils sont sortis des formes allongées par en.
Il est même possible que la diphtongue de bni/m représente le
premier stade, dont les dissyllabes avec . uje... représentent le
plein développement. Cette idée est suggérée par le doublet but/n,
à côté de hujen. Les doublets gelécn et leti (1) ; ce dernier étant le
même participe, consacré à un usage spécial et qui n'est plus
senti comme tel présentent une différence analogue. — Nous pou-
vons maintenant procéder à la discussion du cas qui nous intéresse :
c'est le doublet mûr, mujer, mère, que nous considérons en même
temps que hrûr et brîlder, frère. Nous passerons à côté du dou-
blet ^?7r, poudre à canon, et p'^jer, poudre de médecine : c'est un
mot étranger, qui peut avoir été introduit deux fois ; dans le sens
de poudre de médecine, il tient du reste de la nature du mot
savant, ayant été introduit sans aucun doute par les membres de
la docte Faculté. Quant à brnr, ce n'est pas la forme organique du
dialecte. Il a remplacé un plus ancien brlr, qui n'a pas encore
entièrement disparu. Brader est simplement le néerl. broeder, et
désigne un religieux. Comment expliquer maintenant le doublet
mûr, mujer ? La première forme désigne la femelle des animaux ;
la seconde signifie mère. La forme dur de *dàder — à laquelle on
peut ajouter >'^7r (néerl. roer, ail. ntrfer) gouvernail, et mévue hrûr ,
emprunté à des dialectes contigus, dont les tendances sont les
mêmes, me paraissent démontrer que mUr est la forme normale.
On ne pourrait objecter mujer de *mnder, comparatif de mw;", las :
le jeu de l'analogie est ici trop clair. Comment expliquer alors la
forme mujer '^ Certainement pas en invoquant purement et sim-
plement ractiou du suffixe -er finissant par s'introduire à nouveau
et développant mûr en *mû- er : les mots voér (néerl. vader), hrûr
sont parfaitement restés tels quels, et on ne voit pas pourquoi le
dissyllabe zister (néerl. zuster) aurait agi plutôt que voér. La seule
cause qu'il me soit possible d'imaginer, c'est qu'on aura répugné
(1) L'un et l'autre de (ge)leden, forme néerl. = passé.
18-2
LE MLSÉON.
à employer le même mot pour désigner la mère de famille et la
femelle des animaux. Il est à noter 1" qu'il y a lieu de dési-
gner assez souvent la femelle des animaux ; 2" que la langue des
gens simples a conservé, beaucoup plus que la langue littéraire,
l'emploi de mots distincts pour désigner les actions — et aussi les
membres — des nommes d'un côté, et des animaux de l'autre.
Sous l'impulsion de cette volonté consciente, sinon réfléchie, niRr
aura pu subir une modification phonétique déterminée dans sa
forme par le suffixe -er de le mot littéraire moeder, coexistant
avec mûr dans l'usage quotidien — dans les prières, en particulier.
Le suffixe se sera^ introduit à nouveau, ou aura maintenu son
existence dans une forme en diphtongue, se développant ensuite
en forme dissyllabique. Il n'en resterait pas moins vrai que le
facteur qui aurait créé un doublet, à côté de la forme organique,
serait d'abord et esssentiellement la volonté intelligente.
Second chapitre. Le second chapitre est consacré aux représentations objectives
Les images ob- ^^g choses. Chez l'en faut, à chaque représentation verbale corres-
jectives des cho- ' ^ '
ses. pond une représentation intuitive de l'objet perçu. Naturellement
la représentation u'est pas toujours une image visuelle ; elle est
souvent la reproduction d'impressions reçues par l'intermédiaire
des autres sens. Faute de mieux, nous emploierons ici le mot
intuitif dans le sens général de sensible. — De plus, chez l'enfant
la représentation intuitive est isolée. Bientôt, et à mesure qu'il se
développe, elle cesse d'être intuitive et s'associe d'autres représen-
tations reçues par les sens.
La représentation ne reste pas intuitive. Peu à peu, elle devient
plus vague, les détails disparaissent, même les plus essentiels ;
à la fin, il ne reste plus d'image appréciable, et elle devient
complètement inconsciente. Les mots qui expriment des actions
sensibles sont plus incolores que ceux des objets sensibles et cela,
parce que la représentation mentale d'une action, comportant une
durée, demande plus de temps. Le caractère intuitif manque tout
à fait lorsque le sujet n'a jamais perçu l'objet ou l'action par
lui-même. Il en est de même des mots qui expriment des sensa-
ANALYSE d'un ESSAI DE SYNTHÈSE PSYCHOLOGIQUE. 185
tions internes, comme la douleur, la fatigue, l'aversion, la colère.
Une fois que le caractère intuitif a complètement disparu, il ne
reste naturellement plus de représentation, mais seulement Vana-
logue de cette représentation dans le domaine de l'inconscience,
que l'auteur appelle représentation in potentia En langage algé-
brique nous remplaçons l'expression arithmétique d'une quan-
tité par a, et nous continuons nos opérations mentales au moyen
de ce symbole, mais en gardant la faculté de le remplacer, à
tout moment, par sa valeur. Par ce procédé, nous allégeons le
travail de notre cerveau, mais nous courons danger, si nous le
poussons trop loin, de tomber dans le nominalisme et dans le
psittacisme.
L'auteur explique au moyen de ces observations la confusion
qu'on remarque souvent, dans l'histoire des langues, des noms de
choses étrangères : plantes, animaux, etc., et en présente un
exemple typique dans le gothique ulhandus, chameau, étymo-
logiquement éléphant : c'est que la relation de la chose à la
représentation verbale était devenue si faible qu'à un moment
donné il n'a plus été possible d'en rappeler les éléments concrets
dans la conscience.
La représentation objective ne reste pas isolée. Il ne s'agit pas ici
de la polysémie des mots, mais du fait qu'à la suite d'expériences
répétées, la représentation mentale devient de plus en plus com-
préhensive et finit par se composer de diverses images sensibles,
parfois sans lien entre elles, de telle sorte qu'il s'agit plutôt de
groupes de représentations que de représentations isolées. Une
série de ces groupes analysés p. 34 et 35 montre, par des exem-
ples relativement simples, à quel point ces combinaisons sont
compliquées.
11 résulte de cet exposé, que d'après le degré d'affaiblissement
du caractère intuitif des représentations, et le degré de complica-
tion oii elles sont arrivées, les mots se divisent en deux nouvelles
séries psychologiques.
Il semblerait au premier abord que l'évolution de la représen-
tation objective soit soumise à l'action de deux forces divergentes.
XI n'en est rien, du moins si l'on a égard au résultat. L'une et
IS^ LE MLSÉON.
l'autre concourent, à leur façon, à faire du langage le moyen de
communication entre les hommes.
Pour démontrer ceci, il est nécessaire de distinguer le processus
psychologique chez celui qui écoute et chez celui qui parle. La
personne qui entend prononcer un mot doit passer de la représen-
tation mentale du mot à celle de l'idée (i). 11 en résulte que la
représentation provoquée par le mot diffère selon les habitudes
intellectuelles, qui différent d'une personne à l'autre. L'effet de celte
diversité est de créer des représentations in poientia dont l'énergie
psychique latente est variable. C'est ainsi qu'on parvient à expliquer
les phénomènes de par a fantaisie. Ces phénomènes, plus fréquents
dans la jeunesse que dans l'âge mûr, consistent en ceci que l'audi-
teur se représente spontanément une chose toute différente, bien
qu'il saisisse parfaitement le sens réel du mot. De plus, les repré-
sentations passées forment des groupes — il en est de môme des
mots — et il se fait ainsi que, même dans le cas où leur énergie
psychique n'est pas plus grande, ce sont les représentations d'un
certain groupe qui se présentent devant l'esprit de l'auditeur, dès
qu'il les entend prononcer en connexion avec des mots apparte-
nant au même groupe. — Quand à la personne qui parle, qui veut
exprimer une idée par la parole, elle se trouve placée devant un
certain nombre de représentations verbales in potentia plus ou
moins adéquates. Le choix est déterminé par la plus grande
énergie psychique latente de Tune d'entre elles. L'auteur croit
entrevoir ici l'origine de la synecdoque et de la métonymie.
De ce double processus, il résulte que, psychologiquement, cha-
que mot de la langue appartient à une double catégorie, selon
qu'on le considère dans celui qui parle ou dans celui qui écoute.
Jusqu'ici nous n'avons que la description des faits psycholo-
giques, en général déjà connus, mais qu'il était indispensable
d'exposer avant d'aborder le chapitre relatif à rintelligencc et à
l'adhésion intellectuelle. Désormais l'auteur devient original et il
nous présente une série d'applications importantes de la psycholo-
gie à l'histoire des langues.
(1) L'analyse du processus psychologique est faite d'aitrés les expé-
riences d'Alfred Binet, de Cordes et de l'auteur lui-même.
ANALYSE d'un ESSAI DE SYNTHÈSE PSYCHOLOGIQUE. 185
*
*
L'ancien ternae idea et le nom moderne d'aperception, dit Troisième
l'auteur, donnent lieu l'un et l'autre à une foule de malentendus. ,. ^''■l"*'"®-
L adhésion men-
II préfère désigner l'acte fondamental, primordial de l'intelligence taie. Le principe
par le terme néerlandais beaming. Le verbe heamen, étymologique- ^"P"^^^^"^'
ment, signifie dire {oui) amen. C'est reconnaître, avouer la réalité
d'une chose. Il est difficile à traduire en français. Les mots qui
s'en rapprochent le plus sont le verbe adhérer, et surtout le sub-
stantif adhésion, qui a pris un sens à peu près identique dans
donner son adhésion : c'est le consentement dans l'ordre intellec-
tuel. Le terme de heaming résume toute la théorie de l'auteur sur
l'intelligence. Voici comment il en décrit la nature (i).
« Beamen, c'est donner son adhésion aux paroles d'autrui. Il
suffit d'une légère extension de ce sens pour dire que, par l'action
de la force suprasensible qui est en nous, nous donnons notre
adhésion à nos propres perceptions et représentations (2).
L'existence de ce principe suprasensible est démontrée par des
preuves d'ordre expérimental ou pathologique, dont plusieurs sont
entièrement nouvelles, et d'où il ressort, pour employer les termes
de William James cités par l'auteur, que « The image per se, the
nucleus, is functionally the least important part of the thought.
The added consciousness is an absolutely positive sort of feeling,
transforming the mère noise or vision into something understood ;
and deterraining the sequel of my thinking, the later words and
images, in a perfectly definite way r. Remarquons en passant que,
dans un des faits apportés comme preuves et oii l'on voit la pensée
se produire sans le secours de l'image acoustique, nous avons une
réfutation complète du paradoxe défendu si brillamment par Max
Millier dans son ouvrage The Science of Thought.
(1) Leuvensche Bijdragen Vide jaargang, bl. 52-53.
(2) Le substantif heaming est difficile à traduire ; les termes adhésion
et assentiment., qui s'en rapprochent le plus, ont un sens plus précis.
Selon les besoins de la phrase, nous emploierons tantôt l'un, tantôt l'autre,
dans le sens technique attribué ici au verbe beamen.
180 LK MUSÉON.
Pour conclure : la représentation verbale peut faire défaut, la
repri'sentution des choses fait souvent défaut, et n'est au mieux
qu'un symbolisme très imparfait. 11 en résulte que « même dans
le récit le i)lus simple, le plus concret, l'essentiel c'est l'adhésion
mentale, tant chez celui qui parle que chez l'auditeur ». — Cette
adhésion mentale, indépendante de tout élément d'origine sensible,
suppose nécessairement une cause, une énergie ayant les mêmes
caractères. L'existence de l'adhésion mentale comme facteur psy-
chique, indépendant dans le langage, paraît maintenant bien
établie, même pour celui qui ne voudrait pas suivre l'auteur dans
sa conclusion métaphysique.
La plus grande partie de ce Chapitre, consacré à l'adhésion
mentale, est occupée par un dernier argument, qui au fond est une
théorie sur l'origine des cat(''gorics grammaticales, basée sur les
formes diverses que prend l'adhésion. Cette théorie originale,
reconnue vraie, serait évidemment une preuve iudirecte de l'exis-
tence d'un facteur psychique du langage. Voici cette théorie :
Les diverse* es- « Lorsque », dit l'auteur, « dans les circonstances ordinaires,
etjeur expression Dous pci'cevons quelque chose, nous sommes pousses par 1 élément
dans le iant.'at:e. conscient de notre nature, à donner notre adhésion à l'objet
per<;u : oui, je perçois cela. Eu analysant ensuite par la réflexion
le contenu de cet acte si simple, nous remarquons qu'il se com-
pose des éléments suivants, que nous pouvons exprimer en termes
abstraits, en disant : oui, j'admets l'existence pure et simple de
l'objet perçu et en même temps telles manières d'être de cet objet,
c-à-d. l'existence pratique.
Mais ce n'est pas tout ; car, en vertu de la loi d'association des
représentations mentales, il se présente sans cesse devant l'esprit,
en même temps que les objets perçus, d'autres objets perçus
autrelbis ; il arrive même parfois que nous nous int(''ressons plus à
ces derniers qu'aux objets perçus actuellement. C'est ainsi que
l'attention est attirée sur la représentation elle-même, en d'autres
termes nous devenons conscients que nous avons devant Vcsprit
telle ou Idle représentation.
Il ressort clairement de ces derniers mots que Vadhésion donnée
à la représentation est différente de Vadhésion donnée à la percep-
tion^ quoiqu'elles aient pour fondement, l'une et l'autre, le même
ANALYSE d'un ESSA! DE SYNTHÈSE PSYCHOLOGIQUE. 187
acte de conscience, et soient à bon droit désignées par le même
terme générique. Dans la dernière, nous n'adhérons pas à ce qui est
perçu actuellement, au point de vue métaphysique : à ce qui existe
hic et nunc, mais nous reconnaissons ce qui a déjà été représenté,
ce qui a été perçu autrefois, et qui pourra être perçu de nouveau ;
en termes métaphysiques, nous adhérons au possible ^ à l'essence.
Dans la suite nous appellerons la première, adhésion réelle ; la
seconde, adhésion potentielle : les deux adjectifs portant non sur
l'adhésion elle-même, mais sur son objet. Notons qu'il y a des cas
où la réalité de la perception laisse subsister des doutes ; dans ce
cas nous adhérons à une chose simplement potentielle. Inversement
il arrive qu'une simple représentation, évoquée par le souvenir,
hnit par nous faire sentir sa réalité, et, dans ce cas, nous adhérons
à la réalité. C'est ce qui a déterminé le choix des termes qui
désignent les deux espèces d'adhésion.
Sous un autre rapport, l'adhésion se subdivise en adhésion
absolue et adhésion relative. Lorsque nous percevons un objet un
certain nombre de fois, les représentations antérieures s'associent
chaque fois à la représentation actuelle et se fondent avec elles.
Notre adhésion porte alors sur la dernière en relation avec tous ses
antécédents. C'est l'adhésion relative opposée à l'adhésion abso-
lue, qui porte sur une perception simple.
Cette distinction a trouvé son expression dans la structure de la origine psycho-
1 , , , T 1 • i j 1 logique du nom et
plupart des langues. Lorsque nous devenons conscients de la per- du verte.
ception d'un fait, notre adhésion est une adhésion absolue. Mais
prendre conscience d'une chose, c'est reconnaître la présence d'une
entité qui est restée plus ou moins identique à elle-même dans
des perceptions antérieures ; dans ce cas, notre adhésion porte
sur cette entité considérée relativement au contenu de nos per-
ceptions antérieures. L'adhésion absolue, portant sur un fait,
telle est la base psychologique du verbe. L'adhésion relative,
portant sur uue chose, a cr(;'é la catégorie du nom.
L'auteur cherche à expliquer de cette manière une foule de faits
grammaticaux — et cette explication, à son tour, est une confir-
mation de la théorie.
La distinction en adhésion réelle et potentielle se révèle dans
les catégories grammaticales du substantif et de l'adjectif, ce qui
188 I.K Ml SÉO.N.
revient à dire que le premier exprime la perception de l'existence
et de l'essence, à la lois, et le second, de l'essence seulement. Le
premier représente une chose réelle (ou couçue comme telle) ; le
second, une entité simplement possible. Des faits empruntés à la
grammaire et à l'histoire des langues viennent confirmer cette
théorie. La même distinction se trouve originairement à la baee
d'une part, de l'indicatif présent : adhésion réelle, — d'autre
part, du prétérit, du futur, du subjouctif et de l'optatif : adhésion
potentielle. Ceci ne nie paraît qu'une hypothèse, appuyée sur
d'autres hypothèses parfois brillantes, mais qui ne créent pas la
conviction. Ce n'est pas à dire que nous regrettons que l'auteur les
ait exposées ; au contraire. L'origine de ces formes et l'histoire primi-
tive des procédés syntactiijues qui s'y rattachent sont si incertaines,
si obscures qu'on doit lui savoir gré d'avoir ouvert de nouveaux hori-
zons vers lesquels d'autr^ n*^ '.rronl d-riger leurs recherches. Du
reste, nous avons ici un ce a " ^onibie d'iudices constituant un
commencement de curmlativi eoidc7ice, et qu. ne permettent pas
de regarder cette hypothèse co;a-.;c me simple conjecture.
Résumons mainteuanl, en employant ses propres termes, (Résu-
mé de la l"" partie, p. 24U, 250 et 251), la pensée de l'auteur
sur l'origine psychologique des parties du discours déjà étudiées.
« La cause psychologique de la différence linguistique (taalkun-
dig) entre le verbe et le nom se trouve dans le sentiment de la dis-
tinction existant entre l'assentiment absolu et relatif, n
« Le sentiment de la distinction existant entre l'assentiment
réel et potentiel est la cause effective de la division des noms en
substantifs et adjectifs. »
« La cause effective des catégories verbales en indo-européen est
presque toujours la distinction que l'on sent entre les assentiments
réels et potentiels. »
Une troisième distinction, qui trouve son expression dans la
langue, est celle de l'assentiment indicatif et de l'assentiment
descriptif. Le premier est l'assentiment qui porte sur une repré-
sentation possible d'une chose dont les détails restent complète-
ment indéfinis, mais qu'un ne confond cependaut avec aucune
autre. L'assentiment descriptif porte sur une représentation plus
ou moius claire et détaillée. Au premier de ces assentiments
ANALYSE d'un ESSAI DE SYNTHÈSE PSYCHOLOGIQUE. 189
correspondent, dans la catégorie des assentiments absolus, les
pronoms de toute espèce ; dans la catégorie des assentiments poten-
tiels, les verbes auxiliaires.
Enfin l'auteur, pour prévenir des malentendus, fait remarquer :
« Je ne prétends absolument pas que tous les verbes expriment
toujours un assentiment absolu, ni que tous les noms expriment
toujours un assentiment relatif. Il n'en est certainement pas ainsi.
« Je n'affirme pas davantage que le premier Indo-Européen, qui
qui employa un adjectif ou un subjonctif, ait voulu exprimer un
assentiment potentiel etc. Cela est fort possible^ mais cela n^est
pas en question.
« La seule chose que je pense avoir démontrée, c'est que, dans
les catégories grammaticales que j'ai traitées, les diverses sortes
d'assentiment constituent la signification psychologique fondamen-
tale ; en d'autres termes, que la diff'érence entre ces diverses sortes
d'assentiment, en se faisaot sentir peu à peu, a été la cause créa-
trice de la différenciation de ces catégories, et la cause de leur
maintien, la cause de leur restauration sous des aspects variés,
mais équivalents pour le sens, dans les cas où elles avaieat péri
par suite de circonstances quelconques, n
Le 4"°® chapitre traite du sentiment et de la valuation comme Qu
facteurs du langage. C'est dans ce chapitre que l'auteur explique ^h
Le s
bledu
l'origine des parties invariables, dans un ordre qui n"est pas tou- comme
jours très visible. Je me contente de le suivre pas à pas.
Par sentiment, l'auteur entend les manières d'être, les affections parties
momentanées du moi, qui accompagnent les actes d'adhésion, mais
qui en restent cependant indépendantes : tels sont les sentiments de
la certitude, du désir etc., en d'autres termes la conscience directe.
Cette notion du sentiment est une abstraction, de même que
celle de l'adhésion. Ce qui est réel dans chaque cas donné c'est le
tout indivisible, formé par l'adhésion consciente donnée à l'objet
et le sentiment s'arrétant au sujet. Cela n'empêche qu'on n'ait le
droit de parler de deux ordres d'activité. La première aboutissant
14
190 I^E MUSÉON.
au non-moi, l'adbésion ; l'autre tendant vers le moi, et s'y arrêtant.
Bien entendu, le moi dont il s'agit ici n'est pas le substratum perma-
nent des opérations conscientes, mais le moi conscient considéré
à un moment donné. Nous pouvons, aussitôt que nous avons
éprouvé un sentiment donné, réfléchir sur ce sentiment, qui appar-
tient alors au non-moi actuel, et peut comme tel devenir l'objet d'un
acte d'adhésion objective. Cette distinction entre le sentiment actuel
et l'adhésion réfléchie portant sur ce sentiment est d'une haute
importance.
Le sentiment est un facteur important du langage des enfants. On
a fait remarquer plus d'une fois, — et on en a tiré des conclusions
importantes — que les enfants emploient de préférence des mots
d'un sens très général. La chose a paru étonnante ; mais, en y regar-
dant de plus près, on a vu que tous ces mots ne servaient qu'à
exprimer un sentiment agréable ou désagréable. Tout ce qu'ils aiment
s'appelle de tel nom ; tout ce qu'ils n'aiment pas, de tel autre.
Et c'est là le premier procédé qu'ils emploient dans leur langage,
sans l'avoir appris des persoones qui les entourent. Il semble
donc bien que ce procédé soit naturel à l'homme. Peu à peu, ces
mots purement « affectifs » deviennent les signes des représenta-
tions idéelles. Et voilà le fait que l'on observe souvent dans le lan-
gage plus développé de l'homme, comme l'auteur l'expose plus
loin. Réciproquement, les mots qui représentent les idées deviennent
des moyens d'expression du sentiment. Deux exemples. On dit
fai soif etfai soif de vengeance. Pourquoi le désir de la vengeance
s'appelle- t-il soif 7 C'est que ce désir provoque un besoin d'apaise-
ment analogue à celui que procure la boisson à l'homme qui éprouve
la soif. — La tâche accomplie, l'ouvrage fini apporte un sentiment
de satisfaction ; ce sens s'est communiqué à l'adverbe enfin, qui
s'emploie comme une espèce d'interjection pour exprimer diverses
nuances de ce sentiment.
Les sentiments étudiés par l'auteur, comme facteurs sémanti-
ques du langage sont :
1" Le sentiment de l'association ou de la connexion, toujours
très faible et de peu de durée, et dont la nature n'est guère per-
ceptible qu'à la réflexion.
2' IjCs sentiments qualitatifs, d'une intensité moyenne et dont la
qualité distinctive est perçue spontanément.
ANALYSE d'un ESSAI t)E SYNTHÈSE PSYCHOLOGIQUE. 191
3° Le sentiment de l'intensité, toujours très fort et de longue
durée et dans lequel les qualités distinctives se confondent, domi-
nées qu'elles sont par le sentiment de l'intensité.
Le sentiment est donc un facteur du langage, et c'est par ce
facteur que V. G. explique les mots invariables et les particules.
« Toutes les conjonctions, toutes les prépositions, toutes les parti-
cules sont, dans leur signification propre, l'expression du sentiment
de l'association ; leur signification idéelle est métaphorique et
accidentelle » . — C'est par le premier de ces sentiments que s'ex-
plique l'origine de tous les indéclinables, sauf l'adverbe.
Rien de plus connu que le fait de l'association des idées, et par origine psyciio-
conséquent des actes d'adhésion, qu'il faut se représenter non pas joncu^on/
comme des perles qui se suivent sur un fil, mais comme un courant
d'ondes parallèles qui se pressent, et se succèdent avant que les
premières aient disparu. Normalement, elles ne sont jamais isolées,
quoique, presque toujours, il y en ait une qui l'emporte sur les
autres. Or nous sentons l'action que les actes d'adhésion donnée à
ces idées mouvantes exercent l'une sur l'autre. Le sentiment de
cette association se compose de deux éléments étroitement unis :
le départ de... et la tendance vers. Et, de fait, l'étymologie des mots
qui exprime idéellement l'association se ramèoe étymologiquement
au sens physique de départ ou de tendance. L'auteur cite : Néerl.
en, m-néerl. ende, ail. und, angl. and: got. anda-unpa, « de...
vers ».
Grec. Se, identique avec -Se et av. da == vers.
Lat. et ; grec sti, etc.
Celui qui d'abord employait ces mots, avec leur sens primitif, ne
faisait qu'exprimer le sentiment du passage d'un acte d'adhésion
à un autre ; c'est l'auditeur qui transforma le sens « affectif « en
sens idéel, exprimant la notion de l'association, qui devint ensuite
le sens conventionnel du mot, et pour ceux qui les employaient, et
pour ceux qui les entendaient.
L'association des idées est de deux espèces : l'association de
similitude et l'association d'expérience. La similitude dont nous
parlons n'est pas la ressemblance complète, et comporte une dissi-
militude partielle. C'est ainsi qu'on explique que les mots qui ont
d'abord exprimé la connexion aient passé d'un côté au sens de res-
iD:2 l-E MUSÉON.
semblance, de l'autre, à celui de dissemblance, d'opposition. Il en
est ainsi du lat. ceu = *ce-ve, ou ceci. Le scr. dpi, signifie à la
fois aussi et mais ; le got. afar, après cela, a pris le sens de mais
dans Tall. aber ; le m-néerl. echter, après cela, signifie aujourd'hui
cependant.
Les termes qui expriment le sentiment diffèrent de ceux qui
expriment l'adhésion intellectuelle surtout en ceci : que ces derniers
provoquent d'ordinaire chez l'auditeur la même action psychique
que chez celui qui parle : Tadhésion traduite en paroles fait naître
cbez l'auditeur la même adhésion. Tandis qu'un sentiment traduit
en paroles ne produit pas chez l'auditeur ce même sentiment, mais
une adbésion intellectuelle à ce sentiment. La différence entre les
deux sens accidentels des conjonctions qui viennent d'être traitées
est une différence d'adhésion intellectuelle ; le sentiment lui-
même ne la connaît pas (Résumé de l'auteur p. 255).
Les phénomènes qui résultent de l'association d'expérience sont
tout à fait parallèles. Ici encore nous constatons que les mots, qui,
à l'origine, expriment le sentiment de l'association, acquièrent des
sens accidentels divers : ils expriment le motif, la cause, la raison,
la conséquence ; et la preuve qu'il ne s'agit pas ici d'un développe-
ment logique, idéel, c'est que les mêmes mots sont employés indif-
féremment pour exprimer la concession, qui en est logiquement
le contraire. L'auteur traite en particulier les conjonctions issues
de la racine du pronom relatif, et cherche à démontrer que leur
sens propre et originaire n'est autre que celui de l'association,
de la connexion qu'elles expriment comme sentiment.
Telle est, d'après V. G., l'origine des conjonctions. Les listes de
mots qu'il dresse à l'appui de sa thèse sont frappantes. Il a rappro-
ché ici un grand nombre de faits étranges, et qui du coup trouvent
ainsi une solution simple et profonde. Mais est-ce la seule solution
possible V La Molutiou est-elle la même pour tous ? Avant de m'atta-
cher à montrer qu'on a le droit d'hésiter à répondre affirmative-
ment à ces questions, je voudrais signaler une difficulté portant
sur la théorie elle-même. J'avoue que je ne me parviens pas à me
représenter la marche des choses in concreto. En quoi le mot par
lequel s'exprime le sentiment de l'association diffère-t-il de l'inter-
jection ? Le mot hélas chez celui qui parle exprime la douleur ou la
ANALYSE d'un ESSAI DE SYNTHÈSE PSYCIIOLOGIQLE. 195
compassion ; chez l'auditeur elles éveillent une idée : c'est la diffé-
rence du sentiment à l'adhésion intellectuelle, à la perception du
sentiment. On voit fort bien ici que l'interjection est entrée
primitivement dans le langage à titre de Naturlaut, d'expression
immédiate du sentiment ; elle est devenue ensuite une des formes
conventionnelles de la langue, différant essentiellement, sous cer-
tains rapports, de tous les autres mots. Mais elle n'est pas allée
plus loin. L'auteur signale lui-même cette analogie, ou plutôt cette
identité fondamentale, mais sans nous rien montrer dans l'histoire
de nos langues qui la rende probable.
Si les faits allégués par M. V. G. ne pouvaient s'expliquer par
aucune autre cause, son hypothèse serait singulièrement séduisante.
Mais il n'en est pas ainsi pour plusieurs des exemples choisis, et
qui s'expliquent de diverses manières. Les exemples qui vont être
discutés sont empruntés aux langues modernes, où la discussion
n'est pas embarrassée de problèmes historiques ou d'étymologies
qui ne sont pas toujours d'une certitude absolue.
Le néerl. vandaar, en conséquence, étym. de là, montre la même
dualité de sens que le fr. de là, et l'angl. hence. Dans les trois
langues on dit : là se trouve la raison, daar is de reden, tliere is
the reason, et dans les trois cas l'adverbe de lieu est l'équivalent
du démonstratif. Peu importe la raison de cette substitution : il
paraît clair que les expressions de là, vandaar, hence sont sorties
de ces manières de parler et que de là signifie de cela découle =
en cela, en ce qui précède se trouve la raison de ce qui suit. Il me
paraît qu'on sous-entend ici un verbe comme venir, découler, qui
en français du moins, est souvent exprimé. En d'autres termes cette
conjonction, indiquant la conséquence, est une proposition abrégée.
Telle paraît être aussi l'origine de bien d'autres conjontions : je
citerai le grec iXkx que l'on est parfois tenté de traduire : voici
autre chose ; en français une très forte opposition se marque par
mais voici autre chose ou simplement par autre chose, qui tend
à devenir une formule. C'est ainsi qu'on explique sans effort le
français mais, dans plusieurs de ses significations (Voir Littré, Dict.
de la langue française).
Une autre cause qui a produit l'évolution du sens de certains
mots, que M. V. G. allègue à l'appui de sa thèse, c'est ce qu'on
10 i LE MISÉON.
pourrait appeler l'irradiatioa syntactique, terme employé par
M. Bréal pour désigner un phénomène analogue dans la dérivation
des mots. Il y a d'abord le français tout de même, signifiant à la
fois de la même manière et néanmoins, comme le grec Sj^-wç et le
néerl. (dial. flara.) al gelijk. Populairement, dit Littré (Dict.), tout
de même se prend dans le sens de néanmoins : Je n'y vais pas de
bon gré, mais firai tout de même. Celui qui parle ainsi a trois
idées dans l'esprit : Je n\j vais pas de bon gré — j'irai — de la
même faron que si j'y allais de bon gré. « Tout de même », idéolo-
giqucment, est une proposition abrégée, et par lui-même ne marque
nullement l'opposition. L'opposition se trouve dans les deux pre-
mières idées vis-à-vis de la trosième, et elle est marquée par mais.
C'est l'habitude d'employer tout de même dans des phrases sembla-
bles qui a fait passer le sentiment de l'opposition dans cette
expression, tant pour celui qui parle que pour celui qui écoute.
Le .sens de l'expression est si clair, en effet, qu'on ne se figure
pas qu'il ait été oublié. Ce que l'on comprend facilement au con-
traire, c'est que la répulsion à aller se fasse sentir particulière-
ment au moment où l'idée d'un homme qui agit de bon gré se
présente à l'esprit, et trouve son expression dans la manière de
prononcer le mot qui l'exprime. Ainsi prononcé, ce mot ne fait
évidemment pas passer le sentiment dans l'âme de l'auditeur,
mais elle y éveille l'idée d'opposition ; l'auditeur sait que son
interlocuteur sent une opposition, qu'il exprime par tout de même,
et à juste titre il prend ce mot, tel qu'il est prononcé, comme
l'expression de cette opposition. C'est ainsi que tout de même finit
par avoir le sens idéel de néanmoins, et par être employé comme
tel, même isolément. Cette analyse ressemble beaucoup à la théorie
de M. V. G. Il y a cependant une différence. Même chez celui qui
parle, tout de même, dans la phrase ci-dessus, n'est pas une simple
interjection ; il conserve au contraire tout son sens : c'est justement
l'idée de la similitude des deux positions qui provoque l'explosion
du sentiment. 11 n'en est pas moins vrai que le sentiment, venant
à la suite d'une idée, a affecté l'expression tout de même chez
celui qui parle, et que c'est l'auditeur qui y a attaché Vidée d'oppo-
.sition. Et voilà la part de vérité qui, à mon avis, se trouve dans
la théorie de V. G.
ANALYSE d'un ESSAI DE SYNTHÈSE PSYCHOLOGIQUE. 195
Voici maintenant des cas analogues, mais oii je suis en mesure
d'analyser des faits pris au langage naturel, vivant. Ils sont de
nature d'abord à confirmer ce qu'il y a de conjectural dans ce que
précède, et en même temps à nous laisser entrevoir quelque chose
de ce qui a pu se passer aux époques primitives.
Le français avec signifiant nonobstant est un autre phénomène
allégué par notre auteur pour démontrer que les particules expri-
ment en réalité le sentiment, et que leur sens idéel est accidentel.
Mais dans des phrases comme celle-ci (citée dans Littré, Dict.) :
Ce n'est pas qu'avec tout cela^ votre fille ne puisse mourir (Molière),
avec n'a le sens de nonobstant qu'en vertu du contexte, et c'est
encore l'habitude de ce sens accidentel qui permet de employer
le mot avec isolément dans ce même sens, de préférence cependant
dans des tournures ironiques. Le même fait se présente dans mon
patois natal, où il me sera plus facile de l'étudier à la lumière
de faits positifs. Met (i) s'emploie ainsi dans deux tournures où
l'ironie est évidente, et toujours exprimée par des inflexions spé-
ciales de la voix. On dira p. e. Met dat hij zoo gevachtig is ! C'est-
à-dire avec cela, que lui-même aime tant à donner (est si donneur)
en parlant d'un homme réputé peu généreux, et qui se serait plaint
d'avoir été traité d'une manière peu généreuse lui-même. Toute la
proposition se prononce comme une exclamation ; la voix monte et
traîne sur hij en ge . — On dit encore (dans un air populaire) :
Met al zijn geld, met al zijn goed, dat hij nog sterven moet ! — La
phrase est exclamative, et le chant traîne deux fois sur al (prononcé
avec un a long). Mais elle pourrait devenir simplement énonciative :
en met al zijn geld, moet hij toch nog sterven. On remarquera que
dans la première phrase, exclamative, aucun mot ne marque
l'opposition : la voix suffit. Dans la seconde, elle est indiquée par
nog, qui pourrait être omis. Dans la troisième, au contraire, un
mot qui marque l'opposition est de rigueur ; de fait, on en mettrait
toujours deux toch nog ou dan nog. Met n'est donc pas arrivé à
signifier malgré, par lui-même ; le sens ironique est parfaitement
senti. Mais rien n'empêcherait qu'il y fût arrivé ou qu'il n'y arrive
(1) Je transcris en néerlandais les mots du dialecte.
t9G LE MUSÉON.
dans l'avenir. Il est superflu de poursuivre cette analyse après ce
qui a été dit de tout de même, les deux cas sont analogues. Mais,
pour le second, j'ai pu affirmer positivement ce que je ne pouvais
que supposer, avec grande probabilité du reste, pour le premier.
Le pronom relatif en sanscrit, en grec, en latin a été approprié
à divers usages ; en védique le même pronom neutre yad revêt les
sens les plus divers. Ici encore, il est probable qu'il y a eu irra-
diation syntactique, et que le sens temporel, causal, explicatif,
etc., résultent du rapport idéologique des deux propositions unies
par le relatif. La marche de la pensée est sans doute la même que
dans une phrase française comme : faites attention à vos paroles :
c'est que les murs ont des oreilles, qui s'analyse idéologiquement de
cette manière : un avis — une indication : c'est (ceci) — la raison
de l'avis. Il est clair que l'indication ne fait qu'appeler l'attention
sur ce qu'on va dire, et que le rapport est établi par l'auditeur.
Ici encore, je puis heureusement apporter des exemples empruntés
à la nature même. Dans mon patois natal on répond à une ques-
tion : Hoe is dat gekomen ? « Comment cela (cet accident) est-il
arrivé? n par une phrase comme : Ehivel,jongen, donher zijn, en
niet goed sien en op ^nen steen schuppeti « Eh bien, mon cher,
faire obscur, et ne pas avoir la vue bonne et heurter contre une
pierre.... » Toute la phrase est toujours scandée et modulée dune
manière spéciale, et caractérisée par l'emploi de l'infinitif histo-
rique. Si ce patois était devenu langue littéraire, l'infinitif aurait
sans doute été préservé et regardé comme le moyen de présenter
une explication, mais les mouvements de la voix se seraient cer-
tainement perdus. Voilà donc la nature explicative des propositions
indiquée par une modulation de la voix et une construction spé-
ciale (i). Nous allons voir le même sens obtenu par la modulation et
(1) Psychologiquement la réponse : Ehioel etc. me parait consister tout
d'abord dans un acte d'indication, de " démonstration •, à savoir l'inter-
jection suivie ou non d'un vocatif avec la modulation qui raccompagne,
et qui se prolonge sur le reste de la phrase : c'est un geste vocal, auquel
si joint souvent le geste de la main et la mimique du visage. La suite des
infinitifs représente les objets qu'on ferait passer devant les yeux d'un
spectateur. — En langage réfléchi et abstrait ce pi-ocessus se traduirait
ainsi : Voici les causes qui ont amené l'accident : les ténèbres, la cécité
ANALYSE d'un ESSAr DE SYNTHÈSE PSYCHOLOGIQUE. 197
par expression démonstrative. L'expression française c'est que se
retrouve dans la tournure H is dat hij rijk is, zulle, « c'est qu'il
est riche, voyez-vous, » qui sert à expliquer un fait ou des paroles
devant lesquels l'interlocuteur s'est montré surpris. Ici encore
nous avons une modulation spéciale. Or il paraît clair que nous
devons analyser c'est ceci = faites attention Et voilà la con-
struction que je crois voir transportée dans une phrase simple-
ment énonciative comme, aïs hij niet Jcomt, is H dat hij zieli is.
S'il ne vient pas, c'est qu'il est malade.
Nous venons de voir la nuance explicative exprimée par une
modulation spéciale, précélée ou non d'une expression indicative,
et le premier procélé reproduit dans de simples énonciations, où
la modulation peut être absente. Quelque chose d'analogue ne se
serait-il pas passé aux époques anciennes ? Quelque chose, me
paraît-il, d'assez différent de la théorie proposée par M. V. G.
En résumé, il me semble que la modulation symbolique de la
phrase a joué, et joue encore un rôle dans l'expression des
relations entre les parties de la phrase ; que les conjonctions qui
les expriment aujourd'hui n"ont acquis cette fonction, en plus
d'un cas, que par un procédé qu'on pourrait appeler l'irradiation
syntactique, et qui peut-être ne diffère pas au fond de la théorie de
M. V. G. D'autres fois, la conjonction ne fut, à l'origine, qu'une
proposition abrégée. D'autres conjonctions peuvent être arrivées à
leur fonction par d'autres voies que je n'ai pas lieu de rechercher.
Ceci me paraît suffire pour démontrer que la théorie qu'on nous
propose est trop absolue.
*
(de X.), une pierre, un achoppement. — En somme on montre les causes
de l'accident ; on n'en fait pas le récit. — Cette analyse fait comprendre
pourquoi, au lieu d"un temps consacré à la narration, on emploie une
forme nominale, abstraite.
Evidemment Tintinitif, par lui-même, n'est pas plus de nature qu'une
autre forme verbale à exprimer le sens qu'on a en vue dans cette phrase,
lien est sans doute de même d'un grand nombre des procédés syntac-
tiques, employés dans les langues anciennes et modernes.
i98 LE MUSÉON.
L'origine psy- Avant de passer à la démonstration de sa thèse, en ce qui regarde
chologlque de la ^ ^ ' i & ^
préposiuon. les prépositions, l'auteur le formule à nouveau en ces termes :
« Toutes les prépositions, comme telles, sont des mots exprimant
le sentiment, en particulier le sentiment de l'association. Ce n'est
pas à dire qu'elles ne puissent avoir un sens idéel, surtout dans la
langue écrite et même dans la conversation des gens instruits ; mais
ce sens doit presque toujours son origine à la réflexion se portant
sur ce sentiment. En tout cas, le sentiment pur et simple se sert
de ces prépositions, et même souvent, sans y attacher aucune
idée ». — Et il ajoute en note : « Cette restriction vise des cas où
la proposition est originairement un participe, p. e. Souvent alors
le participe lui-même est un mot de sentiment ; mais souvent
aussi le participe maintient son sens idéel primitif plus longtemps
qu'il ne le faudrait ; de fait, ces prépositions-là ne sont jamais
employées comme telles par le peuple «. Il s'agit bien entendu du
sens de la préposition chez celui qui parle, comme il le rappelle
dans la note, p. 151.
La preuve principale de cette thèse se trouvent dans le fait
que les prépositions ont un sens très variable ; que plusieurs,
même dans les langues anciennes, peuvent avoir les sens les plus
divers. Pour lui, toutes ces significations dérivent d'un sens
primitif, ou plutôt de la fonction primitive de la préposition, qui
est d'exprimer le sentiment de la connexion. C'est le sens général
de la phrase qui aurait fait naître chez l'auditeur le sens idéel,
ou plutôt les nombreuses significations que peuvent prendre en
grec homérique, en sanscrit védique et en latin les prépositions
Trepî, pari, pro, T^apà, prâti, Trpoç. Il peut avoir raison en tout ou
en partie, mais pour la démonstration de sa thèse générale, il
faudrait que toute autre explication fût impossible. Sans doute il
apporte d'autres faits, mais je dois avouer que, même pris dans
leur ensemble, ils ne me paraissent pas de nature à emporter
la conviction.
choiogfqucdefad. ^^^ adverbes, à l'origine, sont des mots qui n'expriment autre
verbe. Le senti- chose que Certains sentiments spécifiques.— Voici commeut l'autcur
ment de la certi- i . v
tude. 8 exprime a ce sujet au n° 242 : « Nous avons vu comme quoi
ANALYSE d'i> ESSAf DE SYMriÈSE PSYCHOLOGIQUE. 199
beaucoup de mots déclinables et d'adverbes sont sortis de mots
exprimant le sentiment, ou ont dû devenir des mots exprimant le
sentiment, soit les diverses qualités du sentiment, soit simplement
l'intensité r>. — Il semble d'abord qu'il y ait ici quelque contra-
diction, que dans le texte il y ait une restriction : « beaucoup d'ad-
verbes n, qui ne se trouve pas dans le résumé. Ce serait, ce me
semble, trop presser le sens d'une phrase isolée, alors que tout
l'ensemble du travail, et l'affirmation précise du résumé, sont abso-
lument clairs. — Môme, parmi les déclinables, les pronoms, — de
même que les adverbes de lieu — , sont des mots « affectifs », expri-
mant le sentiment de la connexion (Texte n° 231 f et note, Résumé
n° 231 f). Il y a plus, d'après le n° 241 (texte et résumé), il semble
que les mots déclinables, substantifs, adjectifs et verbes soient, à
l'origine, des mots « affectifs », exprimant le sentiment de la percep-
tion au moyen des divers organes des sens. La différence, dans la
théorie de l'auteur, si je la comprends bien, est celle-ci : les pre-
miers -— les indéclinables — sont entrés dans les langues consti-
tuées comme elles le sont aujourd'hui, à titre de mots affectifs, et
n'y ont développé — pour les auditeurs — leur sens idéel que d'une
manière secondaire ; les seconds, au contraire y sont entrés, à titre
de mots exprimant l'adhésion intellectuelle à l'objet perçu.
Pour démontrer sa thèse relativement à l'adverbe, l'auteur nous
signale plusieurs séries de dérivation de sens qui restent incom-
préhensibles, croit-il, si l'on n'a égard qu'au sens idéel, mais qui
s'expliquent aisément et exclusivement par la fonction fondamen-
tale qui reste la même, à savoir l'expression (affective) de certains
sentiments spécifiques. D'abord celui de la certitude, de la con-
viction .
On pourrait répéter ici la remarque générale déjà faite, c'est
qu'il importerait de s'assurer d'abord de l'histoire des mots, qui
pourrait révéler d'autres causes. Je crois la chose superflue pour
l'anglais never et le m.-néerl. nooit, qu'il est facile de concevoir
comme de simples moyens de renforcer la négation, dans ce
sens qu'il est plus fort de dire qu'une chose n'est vraie en aucun
temps que de dire simplement qu'elle n'est pas vraie. L'usage du
reste peut être né dans des phrases où ces mots conservaient leur
sens propre. Cette explication m'est suggérée par l'usage de mon
200 lE MLSÉON.
patois natal. Je ne puis pas dire (à Alost) : dat is nooit niet waar,
mais je puis dire : da 'n Jean nooit niet ivaar zijn^ et cette dernière
manière de parler peut avoir été empruntée à d'autres phrases où
le mot uaar signifie « réel r, : da'n zal nooit niet waar eijn, cela ne
se fera jamais. Nous aurons alors dans da 'w /.an, etc., un usage
impropre du mot nooit. Sans doute, le mot a été emprunté ici
sous l'impulsion du sentiment, mais cela ne veut pas dire qu'il
soit devenu, dans la bouche de celui qui parle, un mot simple-
ment affectif. J'avoue que ce n'est pas une simple catachrèse —
pour parler le langage des vieux rhéteurs — comme feuille dans
l'expression feuille de papier^ où le sentiment ne joue aucun rôle.
Mais cela n'empêche que le mot ne soit destiné par celui qui parle
à renforcer la négation. Je sais bien que l'auteur cherche à
démontrer (n" 216 et svv.) que « la négation dans la langue natu-
relle n'est pas la négation idéelle (logique), mais l'expression
(affective) du sentiment de l'opposition ». L'expression « négation
renforcée n, dit-il encore, « n'a pas de sens. Une négation idéelle
ne comporte pas de renforcement, pas plus que le signe moins en
algèbre ». — Sans doute, mais l'évidence — positive ou Légative
— peut être plus ou moins lumineuse (et ajoutons : le sentiment
concomitant de la certitude plus ou moins intense) ; et la per-
ception de cette évidence est d'ordre idéel ; quant aux moyens
employés pour exprimer l'évidence négative, leur provenance
importe peu. Admettons que ces moyens d'expression soient en
fin de compte des particules n'exprimant que le sentiment, il
paraît clair qu'ils deviennent, chez celui qui parle, le moyen d'ex-
primer un fait d'ordre idéel, et, dans l'ordre concret des choses,
« affectif » à la fois, puisque les deux phénomènes psychologiques
sont toujours étroitement unis (i). Encore une fois, la provenance
(1) Une autre preuve de la nature « affective " de la négation serait
l'accumulation des particules négatives dans une même phrase, où ces
particules n'expriment qu'une négation « renforcée ». Mais cette répéti-
tion est-elle autre chose que la répétition usitée dans la conversation
pour exprimer un « renforcement n de l'idée ? Le phénomène est surtout
fréquent en anglais, même dans la langue écrite : it was raining rainitig
raining. — I saw him running, running, running. L'accumulation de
synonymes est du même ordre.
ANALYSE d'un ESSAI DE SYNTHÈSE PSYCHOLOGIQUE. 201
des moyens d'expression importe peu au point de vue de la ques-
tion, à savoir à quel titre les expressions de la négation sont
entrées dans la langue comme telles. Il est vrai qu'on pourrait
pousser l'investigation plus loin, et se demander d'où proviennent
ces moyens d'expression. Mais ceci serait-il autre chose que poser
la question de l'origine du langage ? Et dans ce cas ne vaudrait-il
pas mieux la poser explicitement, et l'étendre à tout le matériel
de la langue (i) ? — Je crois que ces raisonnements s'appliquent
mutatis mutandis à la plupart des exemples donnés par l'auteur.
Signalons encore, parmi les exemples, qui s'expliquent aisément
d'une autre façon que ne le voudrait V. G. l'ital. caldo caldo, aussi-
tôt, en flagrant délit, qui exprime, dit-il, une vive sensation
interne et qui passe de ce sens à celui de aussitôt. Je crois qu'ici
il se trompe. Dans l'exemple cité et dans les autres qu'il donne,
la transition de sens s'explique plus naturellement d'une autre
manière : il s'agit d'une qualité conçue comme objective. Il en
est de même des termes qui, signifiant vif ou lent, en arrivent à
signifier plus tard tôt ou tard.
Le second sentiment spécifique étudié par l'auteur est celui de Le sentiment de
la satisfaction résultant de l'identité sentie entre l'objet que l'on
perçoit et un autre déjà perçu.
Lorsque l'esprit, à l'occasion d'un objet qu'il perçoit, parvient à
se rappeler en même temps une perception antérieure semblable
l'identité.
(1) Je n'entends pas nier que l'auteur ait raison, s'il s'agit de l'origine
dernière de ces moyens d'expression — pas plus du reste que son affirma-
tion du n° 241 (résumé) où il regarde comme " certain n que (certaines
catégories de mots) ne signifiaient autre chose à l'origine que le sentiment
de la perception au moyen de tel ou tel organe des sens ». Je suis fort
porté plutôt à lui donner raison.
Notons que pour l'auteur les adverbes de temps et de lieu sont origi-
nairement des mots « affectifs » (n°^ 215 et 231, f., texte et résumé). —
C'est comme tels qu'ils servent à exprimer le sentiment de la certitude ;
c'est là le tertium commune de la « métaphore ». — Admettons que ce
tertium commune « affectif » soit le véhicule qui transporte le mot
d'une sphère dans une autre. Mais il semble clair que c'est la vue intel-
lectuelle qui détermine l'emploi " abusif », la catachrèse. C'est le senti-
ment qui pousse, mais c'est l'intelligence qui agit après avoir vu.
20^ LE MUSÉON.
à la première, il éprouve un sentiment agréable. Le contraire
arrive lorsque se présente à l'esprit un objet, qui ne cadre avec
aucune des impressions antérieures, ou bien, quand l'esprit ne
réussit pas à faire revivre l'impression antérieure, qui fait sentir
vaguement sa présence. C'est par là qu'on explique que toute espèce
de mots — des noms et des verbes, non moins que des adverbes —
passent du sens de semblable ou dissemblable à celui d'agrcable
ou de désagn'able. Telle est la théorie exposée par l'auteur dans
les n°« 191-203.
Je dois avouer que les exemples apportés à l'appui de cette
opinion ne me satisfont pas. La plupart sont des mots empruntés à
des langues anciennes et dont l'histoire est peu connue, de telle
sorte que le passage du premier sens au second peut s'être opéré
d'une autre manière. Sans doute l'accumulation d'un grand nombre
de cas peut créer une accumidative évidence, mais seulement dans
le cas où une autre explication générale est impossible. Natu-
rellement, et tout d'abord, il ne faut pas que l'histoire du mot
contredise, ou rende invraisemblable, l'explication donnée. Tel est
cependant le cas pour l'exemple le plus important, à savoir l'an-
glais io Uhe. Comment ce mot est-il arrivé à signifier " aimer,
trouver du plaisir dans? » En anglo-saxon lician signifie d'abord
ressembUr, puis^;?a/>-e,en anglais archaïque il signifie encore plaire
(impers.) ; aujourd'hui il n'a plus que le sens connu. — Nous disons
dans le Brabant (belge) : dai gelijkt u niet, cela n'est pas conve-
nable, bon pour vous. Nous avons ici sim^ lement le passage du sens
de ressemblance à celui de convenance. Bien entendu la compa-
raison ne s'établit pas encore vous et cela, mais entre l'objet et
vos besoins, goûts, position etc. Ceci est évident dans l'expression
anglaise : that is just like you : ceci est tout à fait conforme à
vous, c'est à dire k votre caractère, à ce que vous faites habituelle-
ment. Le pronom renferme implicitement tout le sens de l'énoncé
formel nécessaire en français. L'explication la plus naturelle de
notre expression brabançonne n'est-elle pas de prendre le pronom
u dans le même sens prégnant V Et voilà comment le mot signifiant
ressembler a pu passer à celui de être convenable, bon, par voie
idéelle. Le passage ultérieur, par voie idéelle, basée sur l'expé-
rience, à celui d'agréable est si naturel qu'il me paraît superflu
ANALYSE d'un ESSAI DE SYNTHÈSE PSYCHOLOGIQUE. 205
d'en chercher un autre pour l'anglais archaïque it likes me, cela
me plaît ? (Voir Griele-Schroer, English-German dictionary), dont
l'usage moderne du mot est dérivé (i).
L'exemple latin aequus ne me paraît pas choisi plus heureuse-
ment. D'abord le sens figuré n'est jamais purement et simplement
favorable, bienveillant ; c'est plutôt la disposition d'un juge, d'une
personne équitable, qui considère aussi volontiers les circonstances
qui militent en faveur d'une personne que celles qui pourraient
emporter un jugement défavorable ; c'est l'anglais fair^ employé
de la même façon. Or ce sens est si visiblement connexe avec celui
de juste, qu'il paraît vraiment superflu de lui chercher une autre
origine. Il me paraît évident que nous avons ici un passage d'une
idée à une autre. Il suffisait pour cela que le mot fût appliqué avec
son sens de juste par ceux qui ne voyaient que de la justice dans
une manière d'apprécier qu'eu général on regardait comme dépas-
sant la limite requise de cette vertu. — Parmi les autres mots
rapprochés, ne s'en trouverait-il pas encore dont l'histoire, si elle
était mieux connue, nous amènerait à des conclusions analogues ?
Je ne puis pas me convaincre que la connexion de satyds vrai
et de sdt = bon vertueux s'explique comme le voudrait l'auteur.
Sans doute, le premier s'explique par le fait que reconnaître
une chose comme vrai n'est autre chose, à l'origine, que de voir
l'identité d'une perception avec une représentation, créée par une
perception antérieure ; le sanscrit satyds et le français c'est cela
expriment la même opération de l'esprit. Mais est-il vrai qu'un
homme est appelé bon, vertueux parce que ces qualités font naître
en nous un sentiment analogue à celui du sentiment agréable que
nous éprouvons en reconnaissant l'identité d'une idée avec une idée
précédente ? — N'est-ce pas plutôt l'assimilation idéelle, l'assimi-
lation de l'idée actuellement perçue, identifiée, au point de vue
moral, avec un idéal conçu antérieurement.
(1) Littré, sub voce, signale un sens prégnant de ressembler : cela ne
vous ressemble pas, cela n'est pas conforme à tout ce que l'on connaît de
vous. Bi'éal, Poui^ mieux connaître Homère, p. 208, signale ressembler
avec le sens de convenir dans, " c'est une action qui no lui ressemble
pas ».
204- LE MLlSÉON.
Les mots qui signifient deux passent à divers sens péjoratifs. Cela
vient-il de ce qu'on assimile un sentiment provoqué par une chose
désagréable à celui qu'on éprouve lorsqu'une idée nouvelle ne par-
vient pas à s'assimiler aux idées déjà existantes dans l'esprit ? Ne
suffit-il pas d'admettre que ce sens est né par le fait que l'on a
appelé double, séparé, divers, des hommes ou des choses qui de leur
nature devaient être uns, réunis, semblables. Par le fait même, le
mot signifiait indirectement mauvais. — D'autres fois, il suffit d'ad-
mettre une manière de parler abrégée, comme p. e. le sanscrit
anyathâ faussement, tout simplement autrement (qu'il ne faudrait).
Les mots comme l'anglais hardhj, le français à peine ont-ils
nécessairement acquis leur sens adverbial abstrait parce qu'on
éprouve de la douleur, de la difficulté lorsqu'une perception
(waarneming) est sur le point de s'assimiler à une représentation
(voorstelling), mais n'arrive pas encore à ce résultat? La cause peut
être toute différente. Le sens : dans une petite mesure, du français
à peine, peut reposer sur une observation extérieure, à savoir qu'une
chose faite avec peine, avec difficulté ne réussit guère, comme dit
Bilderdijk : 't Gedicht — Uit plicht — Gelukt niet licht. Les
expressions latines facile primus etc. pourraient reposer sur l'obser-
vation contraire. — L'origine du même sens dans hardly peut être
la même.
Le sentiment de L'auteur analyse ensuite le sentiment désigné en néerlandais par
la tendance vers streven, ail. streben, intraduisible en français. Streven a un sens
très général, et couvre le sens des termes français tendre, aspirer
vers, s'efforcer de, lutter (pour arriver à). Suit une longue liste de
mots dans laquelle on voit une même racine revêtir les sens les plus
divers, dont l'élément commun est le sentiment qu'on éprouve
lorsqu'après avoir conçu une idée, on cherche à la réaliser à travers
les obstacles. Un grand nombre de ces rapprochements sont incon-
testables ; il en est d'autres qui paraissent douteux. — C'est à ce
sentiment que l'auteur rattache l'origine de l'idée de temps : « stre-
ven », dit-il, est essentiellement une suite, une succession de
sentiments, un mouvement continuel, qui n'existe jamais tout entier
à la fois, mais qui possède toujours un passé, un présent et un
futur. En conséquence il cherche à rattacher les mots qui signifient
temps ou durer à d'autres qui expriment diverses nuances du sen-
ANALYSE d'un ESSAI DE SYNTHÈSE PSYCHOLOGIQUE. 205
timent en question. Jusqu'ici il n'a été question que de noms et de
verbes; l'auteur revient à son sujet en concluant brièvement que
les particules, conjonctions et prépositions dérivent des mêmes
racines que les mots précédents, démontrant ainsi qu'elles procè-
dent de mots exprimant le sentiment.
Le sentiment opposé « tegenstreven « qui se traduirait bien par
le français répugner^ pris dans son sens, étymologique fournit
l'explication de l'origine de la négation et des pronoms démon-
stratifs. Je me contente de résumer cette digression dans les
termes même de l'auteur (Résumé p. 261) :
« L'article personnel de l'arménien montre trois Démonstrations-
Arten, avec lesquels concordent les trois personnes du verbe. La
particule de la T® personne exprime originairement le sentiment
de la connexion avec le moi immédiat de chaque moment : nos
sentiments. La particule de la seconde personne exprime le senti-
ment de la connexion avec nos « adhésions » à la réalité
immédiate. La troisième personne exprime le sentiment de la
connexion avec nos souvenirs (« adhésions » à la potentialité).
La parenté de la 2'' et de la 3" personne s'explique par la parenté
des « adhésions » réelles et potentielles. La parenté de la 2^ et de
la 3® personne, par celle des « adhésions » potentielles et réelles.
Il n'y a pas de parenté entre la P et la 2^ personne. Nous avons
ainsi deux séries : 2*^ personne, 3' personne et l'' personne et
3® personne. Il eu résulte que les pronoms, ainsi que les adverbes
de lieu, sont des mots exprimant le sentiment. Un nouvel argu-
ment ; beaucoup de particules sont en rapport étymologique avec
les pronoms. Conclusions par rapport au sens primitif des sufiixes
casuels et personnels. Dans les cas des noms nous retrouvons les
trois Demonstrations-Arten :
Accusatif : T® personne.
Vocatif : 2^"° personne.
Nominatif : 3"'® personne.
* ♦
Le sentiment de l'intensité naît dans les cas suivants :
\° lorsqu'un objet répond à notre attente dans une mesure Le se
extrêmement grande, soit par sa nature, soit par suite de notre
disposition personnelle.
15
l'intens
200 LE MUSÉON.
2" lorsqu'un événement ne répond en aucune manière à notre
attente ;
3° lorsque la « tendance n (streven) va jusqu'au désir violent,
parfois même jusqu'au délire ;
4° lorsque la " répugnance » (tegenstreven), devient du dégoût,
de la haine ;
Suit une longue liste, oii l'on voit des mots sortis de la même
racine et dans lesquels l'un ou l'autre de ces sentiments se trouve
exprimé. Je ne discuterai aucun de ces rapprochements, mais je me
contenterai de répéter une remarque générale, qui s'applique aussi
à la liste précédente. Presque tous renferment des mots empruntés
à des langues différentes et dont l'histoire est difficile à suivre. Il
est parfaitement possible que, si nous pouvions le faire, d'autres
explications se présenteraient, différentes selon les cas. Un mot
cependant sur le rapprochement des sens de klein dans divers
dialectes germaniques. La coexistence du sens de petit à côté de
ceux à'élégant, joli, pur, me paraît reposer sur un fait psycholo-
gique plus compliqué. Ces divers sens se retrouvent uu peu par-
tout et sous diverses formes. Les diminutifs, dans les langues où
cette formation est vivante, servent très souvent à exprimer la com-
passion ; il en est ainsi en italien, en néerlandais et en allemand.
Les augmentatifs en italien sont surtout péjoratifs. Dans d'autres
langues, l'épithète grand sert souvent à renforcer les expressions
injurieuses :^ra»d diable, grand dadais. En français Vépiihèie petit
fait souvent le même effet que le diminutif dans d'autres langues,
et en néerlandais klein est parfois ajouté au diminutif pour en
renforcer le sens spécial.
La vaiuatiott. l^es effets de la valuation sur les langues est parlée assez briève-
ment, avec des exemples très intéressants tirés des langues
vivantes et des conjectures destinées à éclairer les origines de la
déclinaison indo-européenne .
ANALYSE d'un ESSAI DE SYNTHÈSE PSYCHOLOGIQUE. 207
SECONDE PARTIE.
Dans la P® partie, l'auteur a étudié l'origine des parties varia^
blés et invariables du discours. Dans cette 2™* partie, il étudie le
discours suivi, dans sa constitution et dans son évolution, sous
l'action de la volonté intelligente et délibérée, et surtout de l'auto-
matisme psychologique.
L'auteur expose le fait bien connu de l'automatisme psycholo- L'automatisme
gique en citant des exemples empruntés au langage. Voici Psychologique,
comment il formule les quatre lois fondamentales qui le régissent,
d'après l'ouvrage de P. Janet, V Automatisme psychologique.
1° Toute représentation mentale d'un mouvement corporel
quelconque tend à la réalisation actuelle de ce mouvement : c'est
la loi idéodynamique. — C'est par elle que s'expliquent les faits
décrits par Meringer-Mayer dans leur ouvrage « Versprechen und
Verlesen ».
2" Une disposition psychique ne peut d'elle-même changer son
état cinétique ; si elle est en repos, elle reste en repos, jusqu'à ce
qu'une influence extérieure la réveille ; si elle est en mouvement,
elle reste en mouvement jusqu'à ce qu'elle ait cédé son énergie à
d'autres dispositions environnantes.
3° Lorsqu'un certain nombre d'actes psychiques plus ou moins
semblables doivent se combiner dans une unité supérieure, on
remarque une tendance à différencier ces actes multiples, de manière
à ce qu'ils forment un groupe central autour d'un des termes,
comme centre de gravité.
4° La loi d'association : Lorsque deux dispositions psychiques se
sont trouvées en activité simultanément, à une ou plusieurs reprises,
elles ont une tendance à se reproduire l'une l'autre. Ceci s'applique
aux associations de similitude, et aux associations d'expérience
de faits simultanés et successifs. En ce qui regarde les faits suc-
cessifs, il faut remarquer que la première action ne cesse pas brus-
quement, mais continue à se faire sentir au moment où la seconde
entre enjeu.
:208 LE MUSÉON.
Application de Le langage, parlé ou écrit, procède tantôt de l'activité automa-
rauto mutisme . ^ .«.i n i-*- • . j-il'^
rsychoiofique au tique, consciente ou non, tantôt de 1 activité consciente, délibérée,
langage : gj. pj^g souvent encore de ces deux activités combinées.
les unités secoii- '
daires du langage L'effet Ic plus remarquable de l'automatisme linguistique, c'est
de créer des associations d'idées et de mots, qui, à l'origine, furent
l'effet d'une action délibérée ; associations que l'habitude finit par
transformer en groupes fixes, qui se reproduisent dans les cir-
constances ordinaires sans nouvel effort psychique. Ces groupes,
composés de plusieurs mots, sont les unités secondaires du langage.
Ces unités secondaires sont donc à l'origine « des synthèses con-
scientes nouvelles n, et le redeviennent très souvent. L'auteur
attache une telle importance à ces unités secondaires qu'il regarde
comme le grand desideratum de la linguistique : la recherche,
pour toutes les langues, et pour chacune de leurs périodes, des
« adhésions » et des sentiments qui, isolés à l'origine, se sont
fondus en un groupe unique dans la conscience d'un individu nor-
mal, ayant atteint son plein développement.
Dans la l""^ partie, il avait étudié les phénomènes primaires
du langage, les « adhésions » et les sentiments isolés. Dans la
période secondaire de la langue, ces unités primaires continuent
plus ou moins à exister, mais ce sont les unités secondaires qui
deviennent les causes psychologiques décisives. On ne peut plus dire
alors que '' tous les mots ont une signification par eux-mêmes, ni
que tous les mots sont encore voulus et sentis dans leur fonction
particulière. On s'exprime et on s'entend plutôt au moyen de
groupes de mots (« woordcomplexen »).
De fait, que sont ces groupes dans nos langues ? L'auteur y
répond par un exposé critique des réponses données à cette ques-
tion, ou des travaux et des vues qui l'ont aidé à trouver la solution
qu'il présente. Ce n'est ni la proposition telle que l'entendent les
grammairiens, ni le « stress-group ou Sprechtakt » même tel qu'il
est entendu par Hirt, ni la phrase telle que Wundt l'entend ; —
mais bien la « construction «, qu'il définit ainsi provisoirement :
c'est un groupe de mots qui se suivent ou qui se trouvent à distance,
qui sont séparés par la poncluation ou ne le sont pas, mais qui
sont clairement unis par une influence réciproque de forme et de
ANALYSE d'un ESSAI DE SYNTHÈSE PSYCHOLOGIQUE. 209
sens. La construction est identique, dit-il (i) avec ce que W. James
décrit à un autre point de vue :
« What is that first instantaneous glimpse of some one's meaning
which we hâve when, in vulgar phrase, we say we « twig » it ?
Surely an altogether spécifie affection of our mind. And has the
reader never asked himself what kind of a mental fact is this inten-
tion of saying a thing before he has said it ? It is an entirely defi-
nite intention, distinct from ail other intentions, an absolutely
distinct state of consciousness.... Linger, and the words and
things corne into the mind ; the anticipatory intention is no langer
there. But as the words that replace it arrive, it welcomes them
successively and calls them right, if they agrée with it, it rejects
the mand calls them wrong, if they do not. It has therefore a nature
of its own, and yet what can we say about it without using words
that belong to the later mental facts that replace it ? The intention
to-say-so-and'SO is the only name it can reçoive ». — En d'autres
termes, ce sont des propositions très simples, représentant un
« assentiment » unique, mais dont l'expression exige d'ordinaire
plus d'un mot : ce sont Tes unités secondaires du langage.
Pour compléter la définition provisoire de l'unité secondaire du
langage, l'auteur en signale les quatre caractères suivants : elle
est le résultat d'un acte de volonté unique ; — elle est unie par
l'accent ; — les parties peuvent se trouver en contact ou à dis-
tance ; — elle représente un « assentiment » unique.
« C'est exclusivement dans la « construction » ainsi définie, dit- L-évoiution du
langage sous l'ac-
il, qu'ont lieu tous les changements historiques spontanés des tion de rautoma-
langues, tant les changements de son que les changements de sens ^^^^ psychoiogi-
et de fonction et les changements dans le groupement et l'ordre
des mots, — le tout entendu dans le sens le plus large. La raison
en est que tous ces changements ne sont que des conséquences des
quatre lois fondamentales de l'automatisme psychologique » (2).
(1) P. .36.
(2) A comparer avec cette théorie, les paroles de Brugraann, Griin-
driss^, I, pp. 44-45. " Durch blosse Aneinandersetzung von Wôrtern in der
Form, wo jedes fia- sich ausgesprochen wird, entsteht noch kein unzwei-
deutig verstandlicher Satz. Die Wortreihe erhalt erst dadurcli ihren
Inhalt, dass sie durch eine ganz bestimmte Abstufung nach Exspiration,
210 LK MISKON.
Il traitera donc successivement, comme étant l'ordre le plus
commode :
1° les changements de forme des parties de la construction ou la
jyhonéfique historique générale ;
2° Les changements de sens et de fonction des parties de la
construction, ou la sémasiologie générale ;
3" Les changements dans le groupement des parties de la con-
struction ou la théorie générale de la syntaxe (arrangement des
mots).
Dans chacune de ces divisions, il envisage les effets des quatre
lois de l'automatisme psychologique. L'unité d'accent est traitée
en même temps que la phonétique ; l'unité d'assentiment est traitée
dans la sémasiologie. Dans le chapitre sur l'ordre des mots, on
traite la possibilité de la « Kontakt- und Distanzstellung ».
La phonétique historique générale comprend la théorie de
l'accent et les lois phonétiques.
Laccent. Le terme accent est pris dans un sens fort étendu : •' c'est la plus
grande énergie psychique d'un son relativement à un ou plusieurs
autres, qui se manifeste en le faisant ressortir davantage sous le
rapport de l'intensité, de la hauteur, de la quantité, du timbre
ou de l'articulation ».
C'est la première fois, je crois, que l'on envisage ces deux der-
nières espèces d'accent. « Les voyelles, dit l'auteur, dont les har-
moniques caractéristiques sont plus élevées ont plus d'énergie
psychique » (i). — « Les sons buccaux, les sourdes et les sons avec
occlusion complète et énergique ont plus d'énergie psychique ;
ils ont lacoent d'articulation par rapport aux nasales, aux sonores
et aux sons à occlusion faible et incomplète » .
Ces cinq accents sont distincts. Cependant ils ne sont pas
toujours indépendants l'un de l'autre. C'est ainsi que l'accent
d'intensité s'accompagne souvent d'un accent de hauteur et de
Starke, Tonhdlie, Daner, Stimmqualitat u. s. \v. zu einer plionetischen
Einheit zusamniengegliedeit wird In dieser phonetische Satzein-
lieit gescliieht aucli iin Wesentlichen die lautliche Fortentwickelung
der Spiachen
(1) D'après Helrnholtz-Koenig les voyelles, sous ce rapport, présentent
l'ordre suivant : u, o, a, e, i.
ANALYSE d'un ESSAI DE SYNTHÈSE PSYCHOLOGIQUE. 211
quantité. L'auteur s'attachera à ne considérer que les cas d'accen-
tuation primaire, spontanée, en éliminant ceux qui sont dus à
l'action mécanique d'un accent d'une autre espèce. Dans tout ce
volume, et particulièrement dans ce chapitre, l'auteur met en
œuvre des travaux nombreux et variés, 11 lui était naturellement
impossible de vérifier la valeur de tous ses matériaux. C'était là
un inconvénient inévitable dans cette vaste synthèse. Une erreur
qu'il aurait pu éviter, c'est d'affirmer avec E. 0. Meyer (Englische
Lautdauer, p. 47), que les voyelles avec articulation linguale
supérieure, c.-à-d. i et ii, sont toujours plus brèves, ceteris parihus,
que les voyelles avec articulation linguale inférieure. Des expé-
riences de Meyer, il ne ressort rigoureusement qu'une chose :
c'est que ce phénomène existe dans sa manière de prononcer l'an-
glais. Il faudrait des expériences bien plus variées pour affirmer
que c'est un caractère général de la prononciation anglaise. Cela
fût-il démontré, il n'en résulterait pas qu'il en est ainsi partout,
et que la chose résulte de la nature même des sons. De fait, rien de
pareil ne se présente p. e. dans le patois de Louvain, ni dans celui
d'Alost (1).
L'accent d'intensité est plus facile à étudier et est mieux connu. _i^'accentd'inten-
11 résulte, d'après Rousselot et beaucoup d'autres, d'une expi-
ration plus énergique d'un plus grand volume d'air ; d'après
Forchhammer, au contraire, il résulte d'un rétrécissement du
larynx. L'auteur admet la première opinion pour le cas oii l'inten-
sité porte surtout sur les consonnes ; et la seconde, pour le cas
où elle porte davantage sur les voyelles. — Il montre ensuite
l'application des lois de l'automatisme à l'accent d'intensité, et
s'occupe des caractères de cet accent, considéré en lui-même,
mettant à profit les ouvrages de Jespersen-Davidsen et de Lipps,
Die Aesthetik. Les exemples sont tirés des langues anciennes et
modernes, et, plus d'une fois, les explications et les observations
sont originales.
site.
(1) Pour Alost, mon affirmation n'est que provisoire ; elle repose sur des
expérimentations incomplètes. Pour Louvain, le fait est certain, d'après
les expérimentations de M. L. Goemans, dont les résultats paraîtront
prochainement dans les Leuvensche Bijdragen.
il\'l i.f: mlséo>.
^^L'accent musi- L'auteur montre ensuite Taction de l'automatisme sur l'accent
musical, en interprétant ou en discutant, comme d'habitude,
nombre de phénomènes linguistiques. Il s'occupe plus longuement
des caractères propres à l'accent musical, considéré en lui-même,
en s'aidant des analogies fournies par la musique et de divers
travaux relatifs à la matière, qu'il résume quelquefois. Les don-
nées ainsi recueillies servent ensuite à expliquer, dans les langues
anciennes, plusieurs faits d'accentuation ou des faits connexes :
le caractère atone du verbe védique dans lu proposition principale ;
des particularités de l'accentuation nominale en indo-européen et
qui se retrouvent en sanscrit et en grec, et, dans leurs résultats,
en gothique ; l'alternance d'accent dans le verbe. Cette dernière
question est traitée longuement et conduit l'auteur à formuler une
théorie sur l'origine du verbe (postérieur au nom). « Les mots
primitifs (abstraction faite du sentiment) étaient des « assenti-
ments » absolus, bientôt différenciés en assentiments réels et
potentiels. Ceux-ci donnèrent naissance aux assentiments relatifs,
à côté desquels la catégorie primitive continue son existence —
et c'est ainsi que se développèrent le nom et le verbe comme
nous l'avons montré au Ch. III ». Dans ce qui précède l'auteur a
trouvé une confirmation de cette théorie psychologique. Voici
comment. Les verbes qui, aujourd'hui, sont formés d'adjectifs et de
noms abstraits — assentiments potentiels — sont perfectifs ; les
verbes formés de noms concrets — assentiments réels — sont
presque tous duratifs. Or le sens perfectif se ramène au sens
potentiel. D'un autre côté, il se trouve qu'en règle générale. Tas-
sentiment potentiel est caractérisé dans les noms par l'accentua-
tion finale, l'assentiment réel par la barytonaison. D'autre part,
il est certain, d'après V. G., que l'indo-européen possédait deux
formations verbales, l'une toujours accentuée sur la 1" syllabe de
la base, l'autre sur la dernière : ce sont le présent et l'aoriste. II
rejette l'opinion de ceux qui attribuent à la première un sens
essentiellement duratif, à la seconde un sens perfectif. Pour lui, le
sens est celui de l'assentiment réel dans le premier cas, de l'assen-
timent potentiel dans le second. Naturellement, la première forma-
tion verbale est sortie des formes nominales barytonées, à sens
« réel » ; l'autre, des formes nominales à sens « potentiel ».
ANALYSE d'un ESSAI DE SYNTHÈSE PSYCHOLOGIQUE. Hiù
Deux remarques générales sur ces pages extrêmement intéres-
santes.
D'abord, le mot isolé ne semble posséder aucune existence
autonome, ou, du moins, son rôle, dans le langage actuel, n'est
nulle part défini d'une manière claire (i). A la page 24, V. G. nous
dit que ces unités primaires continuent « plus ou moins à exister «,
mais dans la vie et l'évolution du langage ils ne jouent plus aucun
rôle autonome. Cette assertion me paraît fort douteuse, et mes
doutes proviennent de l'étude minutieuse de mon dialecte natal.
Dans ce dialecte, le sandhi, au sens le plus large — comprenant les
sons isolés, l'enclise et la proclise des mots — est extrêmement
développé. Or, je remarque que les mots accentués conservent très
fidèlement leur forme normale « abstraite « . La consonne initiale
et finale sont presque toujours modifiées dans la phrase ; un mot
commençant par d, ,?, v, est constamment prononcé par /, 5, v, et
malgré cela, je ne connais aucun cas où une confusion se serait
faite entre les deux sons. Il n'en est guère autrement de l'Auslaut,
où il y a cependant quelques rares cas où la sourde est devenue le
son normal. Ce fait devient plus frappant, si on considère en
même temps le cas des proclitiques, où très souvent la forme acci-
dentelle est devenue normale. Je sais que, dans quelques mots, le
n final du proclitique s'est attaché au mot accentué suivant com-
mençant par voyelle — comme en français VI de l'article. Mais
ce phénomène est d'autre nature, et, en outre, ces cas sont
si rares qu'ils perdent toute signification à fcôté de la masse des
cas où l'Auslaut reste intact. Qu'en conclure, sinon que tout en
réunissant plusieurs mots sous un accent, tout en étendant l'ac-
tion du sandhi proprement dit sur toute la « construction »,
l'on garde bel et bien conscience de l'individualité du mot accen-
tué ? Je ne voudrais pas dire du reste qu'il en est autrement, en
général, des mots atones. Mais, pour le mot accentué, je crois qu'il
est nécessaire d'aller plus loin et que — malgré quelques cas
d'altération phonétique à la finale dans les langues anciennes et
modernes, on doit maintenir que le mot accentué — dans le stress-
group — est indépendant de la proposition ou construction où il
(1) Chez Brugmann, il paraît ne plus exister comme réalité concrète.
214 LE MUSÉON.
se trouve, et même des mots rju'il se subordonne ; et cela tant au
point de vue de l'accent qu'au point de vue des sons dont il se
compose.
Ici, comme ailleurs, on a l'impression que l'auteur mène de
front doux ordres d'idées. On voit bien qu'il a voulu nous donner
une histoire psychologique de l'origine et du développement du
langage. Mais qu'il le veuille ou non, la question de l'histoire
concrète, chronologique, se pose sans cesse sous mille formes.
De temps en temps il nous donne quelques indications à cet
égard, mais elles sont isolées et incomplètes. Ses idées et ses
théories deviendraient beaucoup plus claires s'il nous exposait la
manière dont il conçoit les étapes successives du langage dans
l'histoire. C'est évidemment demander beaucoup, trop même.
Peut-être cet essai de synthèse est-il destiné à faciliter la solution
future de la question. En tout cas, la présente remarque, qui
s'applique à toute cette seconde partie, aura l'avantage d'appeler
l'attention sur un grave desideratum du lecteur.
Ma seconde remarque porte sur le rôle que l'auteur assigne à
l'accent en indo-européen, et, implicitement, en sanscrit et en
grec. On admet généralement que l'accent musical prédominait
dans ces deux langues. Mais dans quelle mesure ? Et même, le
fait est-il absolument incontestable V II est vrai que les grammai-
riens indigènes ne parlent que de l'accent musical. Mais ceci pour-
rait tenir au fait qu'ils ont eu surtout en vue la parole modulée
dans des hymnes ou des lais primitifs. Il est vrai que, si le langage
n'avait modulé les mots dans un grand nombre de cas, ils n'au-
raient pu parler comme ils l'ont fait. L'inverse se passe sous nos
yeux aujourd'hui. Nos langues germaniques ont l'accent d'inten-
sité, exclusivement^ ajoute tel grammairien de renom. Ce n'est
guère que dans une œuvre de premier ordre, comme le Grundriss
de Brugmann, qu'on s'exprime d'une manière plus exacte : « vor-
wiegend expiratorisch n.
Nos connaissances sur l'accentuation des langues même modernes
sont encore vagues et incomplètes ; l'étude expérimentale en est
à peine commencée. Ce sera là mon excuse pour hasarder une
conjecture sur le rôle comparé de l'accent d'intensité et de l'accent
musical dans le mot : on peut croire que l'accent musical n'est dans
ANALYSE d'un ESSAI DE SYiNTIIÈSE PSYCHOLOGIQUE. 215
le mot, comme expression de l'idée, qu'un accompagnement de
l'accent d'intensité, et que, là oiiiljoue le rôle principal, c'est-
à-dire là oii il apparaît comme le moyen principal de ramener à
l'unité les parties du mot, il n'est que le « suppléant » de l'accent
d'intensité.
Cette conjecture m'est suggérée par l'évolution du mot vergeten
dans un patois voisin d'Alost, celui de Nieuwerkerke. La pronon-
ciation des dialectes environnants est vrgétn (avec e fermé long).
A Nieuwerkerke, le mot se prononce de deux façons normales. La
l""^ est vrgétn, quand on parle vite ; la 2'^^ est employée lorsqu'on
parle plus lentement. Alors le Schwa de la première syllabe, au
lieu de disparaître, se développe, et devient e (e long ouvert^. Il en
est résulté une forte dépense d'air sur ver ; le reste ne suffisant
pas pour produire l'intensité sur ge, on y supplée par une tension
plus forte des cordes vocales et une élévation considérable du ton.
Détail à noter : Ve est devenu plus fermé et tend vers Vi. Quant à
l'intensité, elle est plus grande sur ver que sur ge. — Je n'oserais
affirmer qu'il en est de même pour la première syllabe des compo-
sés polysyllabiques. Toujours est- il. que l'accent musical est très
fort sur une initiale comme uitgeven. Il y a entre uit et ge\= ge)
un intervalle de trois tons et demi. L'intensité des deux premières
syllabes ne diffère guère (I).
Dans ce second cas, il y aurait économie d'air sur uit en vue de la
seconde syllabe longue et pourvue d'un accent secondaire. Si ces
procédés sont ceux de la nature, si l'on pouvait admettre que ces
dispositions étaient les mêmes chez les peuples anciens, ils suffi-
raient pour expliquer la grande importance de l'accent musical en
sanscrit, en grec, voire même en latin. Je crois qu'il me serait
impossible, à moi et à tous ceux do la communauté linguistique à
laquelle j'appartiens, de prononcer avec l'accent d'intensité, des
mots comme jâouXojxévwv, [xéXXouctv, y^y^'op-s^otÇ» ôp.o>.oyô, cpépvjTS,
en maintenant la quantité propre des voyelles. Mais dans des mots
comme ïdoç, xarà, Trepi, Xoyoç , il n'en est pas de même, et rien
n'empêche de croire que l'accent d'intensité n'ait prédominé chez
(1) L'intensité relative des syllabes de vergeten et de uitgeven a été
étudiée expérimentalement.
210 LE MISÉO^.
les anciens dans des mots de ce genre. On s'expliquera le fait que
leurs grammairiens n'en ont pas parlé, en remarquant d'abord que
l'accent musical accompagne l'accent d'intensité, et, en outre, que
cet accent d'intensité ne doit pas être confondu arec celui des
langues germanii]ues, fort différent encore aujourd'hui de l'accent
d'intensité de l'italien et du néo-grec.
Parmi toutes les considérations de notre auteur sur l'accent musi-
cal, il n'est aucunement question de l'accent d'intensité. De plus,
il ne considère les mots que dans les « constructions r . Ces mots
avaient-ils déjà un accent avant d'entrer en combinaison avec
d'autres, ou bien étaient-ils amorphes sous ce rapport ? J'avoue
que je ne saurais guère me représenter cette situation d'une manière
même vaguement concrète.
L'accent tempo- A propos de l'accent temporel, l'auteur montre de nouveau
rel.
l'application des lois de l'automatisme, et s'en sert pour discuter,
ou expliquer, par des conjectures d'ordinaire très plausibles, les
travaux récents portant sur des questions relatives à la quantité :
p. e. la loi rythmique de Blass, la théorie de Streitberg sur l'origine
de la Dohnstufe etc.
Quant aux détails caractéristiques et à la signification originaire
de l'accent temporel, il se borne à faire remarquer : que l'allonge-
ment d'une voyelle est une espèce de redoublement ; que le
redoublement a parfois le sens énoncé par Pott dans ces termes : le
sens « des Schillerns, Aehuelns, gis. nur hin uud her Schwankenden
Herumspielens « ; un sens affaibli : « wie das deutsche-lich,
etwas «. Or un « assentiment potentiel n'est autre chose que l'assen-
timent à « quelque cho.se de ce genre, qui y ressemble, qui s'en
rapproche «. — Et voilà enfin l'explication, pour M. V. G., de la
Vrddhi , qui caractérise les formes exprimant l'assentiment potentiel.
L'accent " chro- L'accent que l'auteur appelle « kleuraccent n ce qu'on pourrait
matique ••. * ' ' ^ '
peut-être traduire par " accent chromatique », s'applique non-seu-
lement aux voyelles, mais aussi aux consonnes : le mouillement
leur communique le timbre de 1'/ (kleur, Farbe), l'action des lèvres
donne le timbre de V/i. 11 fait remarquer que la manière dont les
sons se subordonnent sous ce rapport diffère souvent, et cela par
suite de l'action des autres accents.
L'auteur montre ensuite comment les lois de l'automatisme
ANALYSE d'un ESSAr DE SYNTHÈSE PSYCHOLOGIQUE. 217
produisent différentes modifications de voyelles dans la syllabe ou
dans le mot. Il explique ainsi la diphtongaison des longues dans les
langues germaniques et romanes, l'Umlaut et la Brechung germa-
niques, l'harmonie vocalique etc.
Ici l'auteur ne nous laisse aucun doute sur les questions d'ori-
gine, sur le substratum qui se modifie sous l'action des lois de
l'automatisme. Il est vrai qu'il ne parle directement que des
langues indo-européennes et sémitiques, mais je ne crois guère
me tromper en admettant, que dans sa pensée, la théorie s'étende
aux langues en général. Il admet donc qu'à l'origine les langues
indo-européennes et sémitiques n'avaient d'autre voyelle que le
Schwa, voyelle amorphe dont seraient sorties les voyelles exis-
tantes. Les raisons qu'il apporte en faveur de cette opinion sont
extrêmement intéressantes, mais ne me paraissent pas convain-
cantes. L'auteur lui-même nous avertit de ne pas attacher une
valeur absolue à cette théorie qui « n'est qu'une idée » . Quoiqu'il en
soit, cette idée a l'avantage de rendre claire sa pensée générale —
ce qui n'est pas le cas quand il parle de l'accent d'intensité ou de
l'accent musical.
L'accent d'articulation des consonnes est l'énergie relative avec L'accent d'arti-
laquelle elles sont prononcées. L'ordre décroissant des sons sous ^"^^'^'°"'
ce rapport est le suivant : tenues — mediae, lenes — aspirata —
spirantes, nasales, liquidae — i, u — a, e, o. Par l'application des
lois de l'automatisme, on explique une grande quantité de change-
ments de consonnes voisines, ainsi que la dissimilation à distance.
C'est par la subordination et la différenciation que s'expliquent
éran. haft, vis-à-vis du sanscrit sapta ; AejApwpa de l'hébreu deb-
hora, Marseille de Massilia ; l'inertie et parfois l'anticipation
amènent le changement des sourdes en sonores.
Un mot sur le sens attribué au terme accent, sens qui s'applique
réellement aux cinq phénomènes décrits. L'usage général, à part
celui des rares linguistes qui parlent d'accent temporel, a jusqu'ici
réservé ce mot pour l'accent d'intensité et l'accent musical. Ces
deux accents ont ceci de spécial qu'ils constituent le principe de
l'unité du mot, avec ou sans enclitiques, et de la phrase (j'entends
par là les groupes secondaires de l'auteur). Les autres « accents n
218 LE ML'SÉON.
ne jouent pas ce rôle, et je me demande si Ton a raison de modifier
ainsi l'usage établi, en employant le même terme pour désigner des
faits différant d'une manière aussi considérable.
Les lois <iu lan- Pour l'auteur, les lois du langage sont des lois psychologiques.
Les .. lois phoné- p. e. Ics quatre lois de l'automatisme. " Une loi psychologique du
^"ï"*^^" langage, dit-il, est une tendance d'une ou de plusieurs forces psy-
chiques, pour changer un fait ou un groupe de faits de la langue
dans un sens déterminé. Cette tendance a son effet en tout temps,
en tout lieu et à toute occasion, pourvu que les circonstances
voulues existent ».
Mais les « Lautgesetze », les lois historiques du langage sont
tout autre chose. « C'est un groupe de changements phonétiques
opérés pendant une période déterminée, dans un milieu déterminé,
et opérés une fois pour toutes » — ou, eu termes plus psycholo-
giques, « la réalisation d'une tendance, d'une force psychique, ou
de plusieurs forces psychiques combinées, pour changer un fait ou
un groupe de faits parallèles, dans une direction déterminée, dans
un temps et un milieu déterminé, et une fois pour toutes ».
On peut les appeler lois, mais ce ne sont pas des lois naturelles.
Pour l'auteur les « unbedingte Lautgesetze n sont impossibles, et
il formule sa propre opinion dans les termes suivants :
« Toutes les lois phonétiques trouvent leur explication dernière
et complète dans l'action combinée de nos principes d'automa-
tisme psychologique sur toutes les qualités du son articulé par
l'homme : en d'autres termes, sur nos cinq sortes d'accents ».
Comme application il nous offre une explication complète de la
LautsverschiebuDg, explication brillante et suggestive.
Le mouvement est parti des Celtes. « La plupart des Germains,
d'après d'Arbois de Jubainville, ont vécu d'environ 800-400 sur
les côtes de la Baltique sous la domination des Celtes Ce sont
ces Germains du nord de l'Allemagne qui ont pris de leurs maîtres
cet affaiblissement des tenues et des mediae aspiratae Et c'est
d'eux que ce changement phonétique a passé aux Scandinaves ».
Seulement ce changement conditionné chez les Celtes, est devenu
absolu chez les Germains, mais très lentement, sous l'action de
l'analogie, de manière que la Lautverschiebung n'est accomplie
que vers 300 av. J. C. — Ceci explique le changement des tenues
ANALYSE d'un ESSAI t)E SYNTHÈSE PSYCHOLOGIQUE. 219
en spiraates sourdes et des mediae aspiratae en spiraates sonores.
Reste le changement de certaines catégories de spirantes sonores
en mediae et des mediae en tenues. Ces deux changements repré-
sentent une tendance toute différente de la première. L'auteur
l'explique par un caractère différent de l'articulation générale.
Pendant la période des premiers changements l'accent d'articula-
tion se portait sur les voyelles : d'où vibration des cordes vocales,
et une plus grande ouverture de la bouche. Pendant la période
suivante, c'est l'articulation des consonnes qui prédomine, en pro-
duisant des effets contraires.
La manière ingénieuse dont la théorie est combinée, les faits
exposés en vue de produire une « cumulative évidence » rendent
la lecture de ces pages attrayante et la théorie séduisante. Mais
les objections ? Il est vrai que l'auteur les réfute. — Mais il en est
une tirée de la seconde Lautverschiebung, qu'il explique sans
présenter le fait comme une objection. « L'affaiblissement des
tenues en spirantes après voyelle, est dans le cadre de l'évolution
celtique. » Je ne vois pas d'abord pourquoi l'affrication ne rentre-
rait pas dans le même cadre : au point de vue de l'auteur : ts, pf
non moins que th, pli me paraissent articulés moins éoergiquement
que t, p, si j'accepte la graduation donnée par l'auteur, n" 489.
Mais peu importe : retenons le changement des tenues en spirantes,
qui s'expliquerait par le fait que l'Allemagne du Sud est habitée
par une race mêlée de Germains et de Celtes. Ce serait donc un
fait d'atavisme linguistique. Mais cet atavisme devait d'abord pro-
duire un n accent d'intensité vocalique ». Comment expliquer alors
les faits donnés comme se rattachant à l'évolution germanique et
qui supposent « accent d'intensité consonantique ». Cette expli-
cation ne me paraît pas solide, et si la 2*^^ Lautverschiebung
s'explique sans les Celtes, pourquoi pas la première ?
Dans les deux dernières sections, l'auteur traite rapidement la
« sémasiologie générale » et la théorie générale de l'ordre des
mots. Il fait remarquer lui-même (p. 274), qu'en cherchant à
appliquer les lois de l'automatisme à ces matières, il se hasarde
dans une région à demi obscure. Il traite ces sujets d'une manière
fort succincte, mais il a voulu néanmoins présenter ses conclu-
sions, parce qu'elles lui paraissent de nature à confirmer les
théories qu'il a exposées dans le corps de son essai.
220 LE MLSÉON.
* *
Je traJuis la conclusion où l'auteur expose brièvement son
but, sa méthode, et le degré d'importance qu'il attache à son
essai. « Lorsque je commençai mes études, dit-il, je me suis
trouvé en face de beaucoup d'opinions et de théories, de séries de
fliits et de collections de matériaux. J'ai voulu les réunir dans
une synthèse.
" Cette synthèse était impossible, si je devais travailler d'après
la méthode reconnue sûre par la Science expérimentale des langues
indo-européennes (positivisistische ludogermanistiek) ; cette syn-
thèse m'eût été très facile, si j'avais pu me lancer au hasard dans
une théorie simplement idéalistique, comme l'ont fait autrefois
Bopp et Pott, et comme le voudraient de nouveau aujourd'hui
K. Vossler et B. Croce.
« Cette synthèse n'aurait pas été une synthèse, si je m'étais rallié
soit à ceux qui, comme H. Paul, ne voient dans la langue que de
l'histoire, ou à ceux qui, à l'exemple des phonétistes et des dialec-
tologues, ne s'occupent que des données actuelles : les uns et les
autres sont également exclusifs.
" Et cependant j'ai voulu emprunter quelque chose de chacun
d'eux.
« Aux positivistes, leur méthode sûre ; aux idéalistes, leur vue de
l'ensemble ; aux « historiques » comment la langue naît et change ;
aux phonétistes et aux dialectologues : comment la langue est
faite dans les menus détails.
« Mais j'aurais eu beau vouloir, si je n'avais disposé de ressources
antérieures : observations personnelles, étude de mon entourage,
expérimentation sur les hommes et les animaux, connaissance de
la vieille psychologie rationnelle et de la psychologie nouvelle,
expérimentale, qui en est encore à ses débuts.
« La psychologie était ici la virtus in medio : elle garantit plus de
sécurité aux positivistes ; elle donne une base aux châteaux en
l'air des idéalistes ; elle explique et donne des raisons exactes de
ce que les langues sont, de la manière dont elles naissent et
changent.
« Voilà ce que j'ai cherché à réaliser ; mais, — naturellement !
— le résultat présente des couleurs moins brillantes.
ANALYSE d'un ESSAI DE SYNTHÈSE PSYCHOLOGIQUE. 2^21
« Plus d'une fois je me suis écarté du juste milieu, plus souvent
sans doute que je n'en ai conscience Néanmoins j'espère que
la science linguistique du siècle prochain conservera plus d'une
trace de mon essai synthétique » .
Notre analyse, si longue qu'elle soit, n'a pu donner qu'une idée
très imparfaite de l'Essai de M. V. G. Elle est forcément sèche,
abstraite, alors que l'ouvrage lui-même est rendu vivant et
attrayant par des exemples, des discussions, ou par l'exposé,
parfois éloquent, des théories de l'auteur ; telle, avant tout,
r « histoire » de la première Lautverscbiebung. Je dis « éloquent »,
et ce n'est pas une ironie. L'auteur est enthousiaste de son sujet,
d'une conception qui dans son ensemble est bien à lui, et il cherche
à communiquer son enthousiasme au lecteur. Aussi le style no
ressemble-t-il guère au style des ouvrages didactiques. La lecture
en devient plus agréable, mais [)as toujours plus facile. La pensée
de Fauteur ne se dégage pas toujours d'une manière nette, daiuaut
plus que la conception générale suppose à tout moment la con-
naissance des points de départ historiques. Il est presque impos-
sible que M. V. G. n'ait pas là-dessus de< idées plus ou moins
arrêtées dans leur ensemble, puisquà certains endroits il en [iarle
explicitement. Ce n'est pas le cas des lecteurs, qui, je le craius,
resteront souvent dans un certain vague, même sur les tiieories
psychologiques de l'auteur.
Nous ne terminerons pas cette analyse sans féliciter .M. Van Gin»
neken de sa courageuse initiative. S'il n'a pas ouvert de voie entiè-
rement nouvelle, il a été le premier à élaborer une thf'-orie générale
du langage basée à la fois sur une connaissance approfondie de la
psychologie moderne et de la grammaire comparée.
Ph. Colinet,
m
COMPTES RENDUS.
RiCHAED PisCHEL. Leboi und Lehre des Buddha. — Leipsick-
Berlia, Teubner, 1900, in-8°. Vll-127 (Fait partie de la collection
Aus Natur und Geisteswelt). — Prix : un mark.
Je ne pense pas que ce petit livre soit sans défaut du point de
vue où l'auteur s'est placé. Écrivant non seulement pour le public
non spécialiste, mais encore pour le grand public, l'historien du
Bouddhisme est tenu à certaines précautions que le savant profes-
seur de Berlin me paraît avoir négligées. Le lecteur n'y est pas
suffisamment averti des doutes graves que soulève la vieille histoire
du Bouddhisme, des contradictions que présentent les plus anciens
documents, de l'insécurité inhérente à toutes les hypothèses sur le
Bouddhisme du Bouddha. Je crois, pour ma part, qu'à examiner
avec une critique un peu acérée les traditions et les textes on
arrive aisément à des résultats absolument négatifs. Si complexe
qu'ait été la psychologie du Bouddha, il est difficile de considérer
comme authentiques tous les discours que la tradition lui attribue.
Mais cette tradition est néanmoins respectable. Nous savons
aujourd'hui, tant par l'étude des livres et des commentaires sans-
crits, que par la comparaison des canons chinois et par des docu-
ments de l'Asie centrale, traduits par M. Pischel lui-même, qu'à
une époque fort ancienne plusieurs sectes du Petit-Véhicule, tant
l'école pâlie que des écoles prâcrites ou sanscrites, ont possédé
des Écritures étroitement apparentées. D'autre part, moins que
jadis je suis porté à croire que ces Écritures se sont constituées
spontanément ; et l'hyper-critique, généralement condamnable en
soi, est dangereu.se même quand il s'agit du Bouddhisme. Ce n'est
pas en passant au crible les détails philologiques qu'on a le plus
COMPTES U EN DUS. 225
de chance d'arriver à des conclusions satisfaisantes. Il faut voir
les choses dans l'ensemble ; et il y a quelques raisons de supposer
que les générations bouddhiques contemporaines de la rédaction
des Corbeilles, ont eu de Toeuvre du Maître une idée assez juste.
Mais de là à affirmer, avec M. Pischel, que le Bouddha se taisait
du nirvana l'idée précise d'anéantissement, de « mort éternelle »,
ainsi que le comporte (à l'avis des Occidentaux) la théorie des
skandhas, il y a très loin. Et je pourrais indiquer d'autres et de
nombreux exemples des difficultés que comporte la sélection, parmi
tant de documents hétérogènes, de ceux qu'on regardera comme
représentatifs du Bouddhisme du Bouddha. En un mot, le grand
public, qui en somme est notre maître, a droit à une entière
franchise. Il ne faut pas lui dissimuler ses doutes, quand on en a ;
et si on a le bonheur de se reposer avec confiance daus les résultats
obtenus par notre philologie bouddhique en cette année 1906, si
on se croit suffisammeat éclairé pour prendre parti, il faut néan-
moins dire, et répéter, que des savants non chimériques, s'ils ne
récusent pas le problème, le consiilèrent comme plein d'embûches.
Mais, visiblement, M. II. Pischel a pensé à ses collègues tout
autant qu'au lecteur ordinaire ; il dit, avec raison, que le spécialiste
trouvera beaucoup de choses nouvelles dans son livre. Si on doit
faire part au public des opinions reçues et des résultats acquis, il
y a tout avantage au contraire à exprimer, quand ou s'adresse aux
gens du métier, srs opinions et ses impressions personnelles. On
n'a pas, comme M. Pischel, acquis une longue familiarité avec les
textes bouddhiques et avec l'ensemble des litt('ratures hindoues
sans avoir relevé une foule de détails qui ont échappé aux autres ;
et si ces détails se groupent daus une conception originale, fût-elle
contestable, c'est un grand gain pour tout le monde.
Notre auteur insiste sur ce point que ses devanciers, et notam-
ment M. Oldenberg, n'ont pas suffisamment caractérisé le Boud-
dhisme en tant que système religieux. Telle quelle, cette remarque
capitale me paraît entièrement juste. Reste à savoir si des Pita-
kas (i) se dégage nettement ce système religieux : on peut croire
(1) Les « Corbeilles «, c'est-à-dire les trois recueils canoniques de langue
pâlie.
224 IvE MUSÉON.
que cette littérature, étninemmeut monastique, a surtout pour
centre l'idée de VArhat, c'est-à-dire du saint qui, par l'extinction
des passions, obtient le calme parfait durant cette vie, et, à la
mort, le nirvana, « mort éternelle » dit M. Pischel, « vie éternelle »
comprennent souvent les bouddhistes, « ni Tun ni l'autre » pensent
quelques-uns. — Ceci posé, comme le Bouddha, dans tous les
cas, est en possession du repos définitif ; comme, d'ailleurs, aucun
être ne peut rien pour autrui, à raison du dogme de l'acte conçu
comme strictement personnel et irréversible, on ne voit pas très
bien comment le Bouddhisme, admirable méthode d'ascèse en vue
du nirvana, peut être à proprement parler une religion. Aussi les
exégètes ont-ils avisé. Tels savants, qui sont traditionalistes, ont
expliqué la psychologie spéciale qui permet au moine bouddhiste
de rendre un culte au Bouddha éteint, et d'éprouver pour le repos
du nirvana, pour la vie calme du saint et la non-renaissance, un
enthousiasme vraiment dévotieux. D'autres, plutôt historiens,
auxquels la tradition apparaît comme plus ou moins suspecte et
incohérente, et qui sont portés à tenir compte de la littérature
postérieure et des monuments figurés, M. Senart et M. Kern
notamment, ont fixé l'attention sur la personnalité du Bouddha,
être mythologique et merveilleux, sur le caractère mystique que
le Bouddhisme officiel affecte dès l'origine, sur le rôle qu'a joué le
Bouddhisme populaire, aussi préoccupé des reliques, des icônes,
des paradis, qu'il l'était peu du nirvana béat des Arhats. Et il est
bien certain que les spéculations du Mahâvastu et des Sukhâva-
tïvyûhas ont eu des antécédents dans les temps les plus anciens.
M. Pischel, à son tour, indique une direction nouvelle, et il la
trouve dans des textes canoniques. 11 a raison de dire que le
Bouddhisme a été pénétré, non seulement par la <• saveur » de la
délivrance de la douleur, par la « saveur » de la qualité d'Arhat,
mais encore par un singulier esprit d'affection pour le Bouddha et
pour toute créature. Nous avions pris l'habitude de caractériser
l'ancienne moralité bouddhique comme purement négative : « ne
pas tuer, ne pas voler... », comme hostile à tout sentiment, bon
ou mauvais, car le désir est passionnel, et, par conséquent, quel
que soit son ol)jet, contraire au but poursuivi qui est l'extinction
de la pensée dans le nirvana. Et nous n'avions pas tort. Mais, à
COMPTES RKNDUS. 225
lire les textes avec M. Pischel, on s'aperçoit que l'affection (maitrï)
est hautement prisée, non seulement comme moyen de « purga-
tion » morale, mais encore pour elle-même et en elle-même (i).
On savait que le Bouddha fait de la concorde {avivcida) le premier
devoir du moine ; M. Pischel nous fait constater que la vie du
moine comporte une bienveillance, une abnégation, qui ont quelque
chose d'actif et de vraiment religieux. Par là, et à ma très grande
satisfaction personnelle, il établit un lien nouveau entre le Petit
Véhicule (ancien Bouddhisme) et le Grand Véhicule (nouveau
Bouddhisme), et il jette une lumière très vive sur l'état d'esprit
qui a amené la substitution, comme axe de la vie religieuse, du
Bodhisattva, saint altruiste qui travaille au salut et au bonheur
des êtres, à l'Arhat, saint égoïste qui ne vise qu'à son propre
nirvana. Mais, si précieuse que soit cette constatation, je crains
que M. Pischel n'en ait tiré des conséquences trop larges. Que la
pensée fondamentale du Bouddhisme soit l'amour ou la charité
{die Liebe),}e ne le nierai pas, si on prétend parler du Grand Véhi-
cule, que nous connaissons, et du Bouddhisme du Bouddha, que je
ne connais pas, pour ma part. Mais que ce soit la pensée fondamen-
tale du Bouddhisme monastique et scolastique des Pitakas, le seul,
en somme, dont M. Pischel s'occupe ici et qu'il paraît peu porté
à regarder en quelque mesure comme ésotérique, c'est extrême-
ment contestable, ou, pour parler franc, c'est inexact. — Les effu-
sions du Suttanipâta : « Il faut aimer sans mesure tous les êtres,
comme une mère protège au prix de sa vie un enfant unique «,
appartiennent avant la lettre au Grand Véhicule ; elles manifestent
une contradiction nouvelle dans la littérature pâlie ; mais elles
n'infirment pas les conséquences logiques de la définition de l'Ar-
hat (2). La pensée fondamentale du Bouddhisme pâli est la pensée
de la déUvrance : les Pirakas, dans l'ensemble, reconnaissent le
moyen de la délivrance dans la pratique des quatre extases, précé-
dée de certaines conditions morales parmi lesquelles la bienveil-
(1) Ne pas perdre de vue des textes comme Therïgrithâ, 383, signalé par
Oldenberg, Bouddha^, p. 150.
(2) Sur le sens de aupadhika pui.iyakriyâvastu, voir Miiuiyeff, p. 172. —
La traduction de M. Pischel, p. 16, me parait contestable.
226 LE MUSÉO.N.
lance pour déraciner la haine, et le détachement pour déraciner
rattachement (comparer le Yoga) ; le Grand Véhicule, au contraire,
trouve le chemin de la délivrance dans la carrière du futur Boud-
dha, dans la pratique de la charité. Les docteurs du Grand Véhi-
cule ne s'y sont pas trompés, et ils marquent nettement que leur
doctrine se distingue de la doctrine dite « inférieure » par cette
manière de comprendre le Chemin, bien plus que par les concep-
tions métaphysiques (i).
Aussi bien M. R. Pischel n'a t-il pas entièrement raison de tra-
duire maitri par ' amour ' ' charité ' (die Liebe) (2) : « La maitrl,
« nous dit-il, n'est ni la pitié, ni la bienveillance, mais l'amour
« chrétien (die christliche Liebe) ; ... c'est l'amour du prochain,
« c'est-à-dire de tous les êtres : on ne l'acquiert qu'en se débarras-
« sant de l'affection et de la haine. L'affection est l'amour sensuel,
« l'attachement aux choses de ce monde, à sa femme et à ses
« enfants, à la richesse, aux joies de la vie [et aussi au bonheur
« du paradis, etc.]... On ne se débarrasse de l'affection et de la
« haine qu'en acquérant l'indifférence, c'est-à-dire : « Je suis le
« même pour ceux qui me font du mal et du bien ; je n'ai ni bien-
« veillance (=^ partialité, antheilnahme), ni malveillance ».
Il serait plus exact de dire que la maitrl est la charité bouddhi-
que ; cette charité, si elle conduit à la qualité d'Arhat, doit, sem-
ble-t-il, par définition, être dégagée de tout élément passionnel.
Le bouddhiste, j'entends le candidat à la qualité d'Arhat, n'aime
pas le prochain comme soi-même, puisque le premier principe du
Bouddhisme est la négation du « moi », puisque l'Arhat ne travaille
pas à r « arhatship » de ses frères ! Bien plus, les sectes ont discuté
sur la question de savoir si le Bouddha était susceptible de pitié
(karimâ) et l'orthodoxie pâlie affirme que « oui » ; mais cette
discussion en dit long sur la manière dont se posait le problème de
la sainteté. Quand le Grand Véhicule enseigne qu'il faut aimer en
toute créature la fraction qui s'y trouve, si minime soit-elle, des
(jualités du Bouddha ; quand il prêche l'amour des créatures, car
(1) Voir le Madhyamakâvatâra(Bibl. Buddhica), chapitre ï, dont j'espère
publiei- prochainement la traduction.
('^) Le mot allemand court après lobha, attachement, affection,
COMPTES RENDUS. 227
« nous ne pouvons montrer notre affection aux Bouddhas qu'eu
aimant les créatures » ; quand il décrit la charité des Bodhisattvas
qui veulent se revêtir du péché d'autrui, assumer les souffrances
des damnés, il n'emploie pas pour caractériser cette charité le
terme maitrî. En fait, c'est du râga, de l'affection, de l'attache-
ment ; ces héroïsmes généreux sont des actions d'ordre inférieur,
contraires à la destinée d'Arhat, saturées de la croyance à l'exis-
tence des êtres individuels. — Le Grand Véhicule, encore un coup,
déclare que la vertu parfaite du don est la plus médiocre des vertus,
— quoique la plus nécessaire, — comment admettre que la maitrî^
avec le sens que lui attribue M. Pischel, soit le « leit-motif n du
Bouddhisme des Pitakas ? — Il faut traduire « bienveillance »,
« amitié », « good-will », comme M. Fausboll (i) ; et considérer
comme aventureuse telle ou telle expression du Suttanipàta ; —
ou bien, et j'y incline, et je remercie M. Pischel d'avoir frayé le
chemin à cette hypothèse, reconnaître que les théories de l'Arhat
et des extases, qui sans doute ont leur place dans l'économie du
Bouddhisme le plus archaïque comme la méditation du Brahman
innomable dans l'ancien Brahmanisme, ont pris cependant dans la
littérature monastique du Canon une place disproportionnée avec
leur importance historique réelle dans le Bouddhisme primitif.
Mais on aperçoit toutes les conséquences de ce mouvement tour-
nant, et combien vont-elles troubler l'orthodoxie de plusieurs de
nos confrères, celle de M. Pischel lui-même ! Ou frémit en y
pensant !
Il y a beaucoup d'autres points, très importants, sur lesquels
M. Pischel prend nettement position contre M. Oldenberg. Celui-ci
avait rencontré une adhésion presque unanime quand il affirma que
la doctrine officielle sur la survivance du Bouddha est strictement
agnostique : « Le Bienheureux a refusé de s'expliquer sur ce
point ». Ce n'est pas exact, dit notre auteur. Le Bouddha a récusé
cette question, parce qu'elle est inutile pour la délivrance ; mais
il n'a pas laissé le moindre doute sur ceci que le but de sa doctrine
est la cessation des slandhas, c'est-à-dire la mort éternelle »
(p. 76). — Il tombe sous le sens que, à notre point de vue, la théo-
(1) Comparer Oldenberg «, p. 288, Buddha ^ 343.
228 LE MISÉON.
rie des sJcandlias comporte cette solution, car elle réduit le moi à
UQ complexe d'éléments impermanents ; mais il semble que la
question se puisse poser si le Bouddha a prêché la théorie des
sJcandhas et en a conçu toutes les conséquences logiques : je ne suis
pas sûr que, incontestablement, pour le Bouddha lui-même, son
nirvana ait été l'extinction complète.
Sans doute, il a dit que ni les hommes ni les dieux ne le verront
plus ; et il est certain qu'il ne renaîtra plus. Mais n'a-t-il pas parlé
d'un pudgala {=purusa des Sûmkhyas) qui dépose les skandhas ?
C'est une très grosse question que celle du nirvana, et qu'il serait
malséant d'étudier ici en quelques lignes. Mais on peut dire qu'il
n'y a rien de certain sur ce point, sinon que la théorie des skan-
dhas paraît comporter le nirvana = anéantissement ; que, d'autre
part, l'anéantissement est une doctrine hérétique ; sinon, enfin,
que les textes, relevés par M. Oldenberg, témoignent de l'incerti-
tude de la Communauté, présentée par cet habile écrivain avec
une délicatesse dans les nuances qui ne me rassure pas complète-
ment ; tandis que d'autres textes, hérétiques, adoptés par des sectes
qui adhèrent à la doctrine des skandhas, concluent à la survi-
vance : « L'exemple de la lampe qui s'éteint n'est qu'un exemple,
et n'a pas la force d'une définition. Le nirvana est quelque chose
{hhàva), c'est la condition dans laquelle le désir est éteint, et non
pas l'extinction du désir ; c'est la condition dans laquelle la pensée
est délivrée (i) ». — Il est nécessaire de verser dans nos catégories
occidentales les philosophoumènes des Brahmanes et des Bouddhis-
tes ; mais il est dangereux de croire que nous les comprenons.
Quoi qu'il eu soit des doctrines contradictoires relatives au nir-
vana, toutes au même degré authentiques, la traduction « mort
éternelle » est inadmissible. « Mort éternelle » ne sonne pas à nos
oreilles comme nirvana sonnait aux oreilles des délicieuses Therïs,
Le nirvana est la, délivrance de la vie et de la mort, le nirvana
est l'immortalité {awata). Nous avons afi'aire à une donnée trans-
cendante : le Bouddhiste désire le nirvana (?) ; il lui est interdit
(1) Madhyamakavftti. chap. XXVI.
(2) Du moins dans le:^ livres pfilis ; les docteurs de langue sanscrite,
plus logiques, condamnent tout dC'sir.
COMPTES RENDUS. 229
de désirer l'existence ou le néant (vihhava, voir Pischel, p. 28,
64) (i).
Le Bouddhisme, et M. Pischel le conteste à tort (p. 52), est
religieux en ceci qu'il est une foi. Il est vrai que le Bouddha ruine
l'argument d'autorité, qu'il se vante d'enseigner avec des preuves
à l'appui. Mais il me parait presque certain Ique, historiquement,
les bouddhistes se sont attachés à la parole du maître, à la loi
infaillible : « Le Tathâgata sait, et je ne sais pas », disent les tex-
tes (2). La méditation correcte ne doit pas porter sur les mystères
(acintya) ; il faut y croire, et se dire : « Ceci est à la portée du
Bouddha, non à la mienne » (3). Ailleurs « le Bouddha a défendu
d'examiner la doctrine de l'acte, parce que l'on ne peut se livrer à
cet examen sans tomber dans Thérésie » (4). En principe aussi, le
recours (pratisarana) n'est pas la raison raisonnante (vijhcina),
mais l'intuition (jùâna, hhàvanâ). Le Bouddhisme, non seulement
est couronné de mysticisme, mais a ses fondements dans une certi-
tude mystique, expérimentée par ses saints, recherchée pieusement
et avec foi par tous ses adeptes (5).
(1) Dans un instructif compte rendu du livre de M. Pischel {Deutsche
Literatur Zeitung, 15 décembre 1906), M. R. Garbe conteste la traduction
vibhavatanhà = « soif de la mort [éternelle] ». Cette traduction, dit-il,
est possible au point de vue linguistique, mais, encore qu'elle soit admise
par la tradition bouddhique, elle ne peut être correcte en raison de la
doctrine bouddhique. La soif de la mort éternelle est la même chose que
le désir du Pariuirvâna ; le Bouddha ne peut l'avoir condamnée comme
blâmable et nocive. Aussi, d'accord avec une vue ancienne de M. Olden-
berg, je crois qu'il faut traduire : soif du pouvoir. — A notre avis la
gradation des trois soifs, soif du plaisir, soif de l'existence, soif de
vibhava, suffit à écarter l'opinion de M. R. Garbe ; voir aussi vibhava-
drsti. Il faut en retenir ce point, important, que la logique occidentale
acculée à la traduction : nirvana = mort éternelle, par la théorie des
skcmdhas, est démentie par les textes canoniques. Les bouddhistes se
sont peut-être doutés de cette contradiction et c'est pour cela qu'ils ont
fait du nirvcma une question « réservée ». — Je commence à croire que
M. Oldenberg a vu juste sur ce point, encore qu'il y ait, dans les Pita-
kas, tous les germes du Madhyamaka (Voir Bouddha-, 21-.?, note.)
(2) Voir, p. ex., Majjh. I. 480 ad finem.
(3) Bodhisattvabhûmi.
(4) Madhyamakavftti.
(5) Je ne pai-le pas des vertus magiques que possède tout Arhat comme
tout Jîvanmuhfa du Brahmanisme — ceci m'entraînerait vers des consi-
250 lj: mlséo.n.
Faut- il admettre, avec M. Max Walleser loué par M. Pischel
(p. 51), que le Bouddhisme primitif professait une indifférence
absolue pour toutes les questions théoriques ? En d'autres termes,
— je crois que c'est la pensée de l'auteur, — faut-il admettre que,
fors deux points : trausmij^ration dos uon-Arhats, nirvana des
Arhats, il n'y a rien dans le Bouddhisme du Bouddha que des pré-
occupations d'ordre pratique : comment les simples obtiendront-ils
les paradis, comment les moines deviendront-ils Arhats?
Il y a certainement dans cette manière de voir une grande part
de vérité : " le Bouddha enseigne à ses auditeurs ce qui leur est
utile n. C'est la doctrine, célèbre dans le Bouddhisme, des divers
enseignements. Il semble que les Pûrvaçailas, parmi les sectes du
Petit Véhicule, ont été des premiers à relever cette tendance du
Maître à accommoder sa prédication aux besoins des fidèles et à
en tirer parti pour admettre les théories les plus avancées, canoni-
ques ou non. Mais si nous faisons nôtre cette conception, — et les
Pitakas, eu somme, quelque « travaillés « qu'ils aient été par les
diverses sectes, ne sont pas sans nous y inviter, — combien il sera
difficile de reconstituer le vieux Bouddhisme doctrinal !
Aussi bien M. R. Pischel est-il de ceux qui considèrent comme
médiocre l'originalité bouddhique au point de vue de la théorie
pure. Avec MM. (larbe, .lacobi, et plusieurs autres, il trouve dans
le Sâihkhya-Yoga les sources voisines de la doctrine bouddhique :
« Le Bouddhisme doctrinal a presque tout emprunté au Sâmkhya n
(p. 70). — Je ne puis attacher une grande importance aux relations
du Bouddha avec ses maîtres, ArHda, etc. (voir p. 22) et je partage
les scrupules de M. Oldenberg (). En tout cas, si le Bouddhisme
dérive du Sâriikhya, il faut reconnaître qu'en substituant au j^uriisa
la série ou le complexe des slrnidhas, les bouddhistes n'ont pas
fait preuve d'une médiocre originalité. Pour ma part, je croirais
volontiers qu'ils réagissent contre des philosophoumènes védan-
tiques et que le Bouddhisme, d'après uoe pensée de M. Barth, a
dérations d'une autre n.iUire, quelque indispensables qu'elles soient dans
un exposù complet du Bouddhisme.
(1) Appendice à lii troisième édition du Bouddha, et Buddhisticlio Stu-
dien. Voir aussi Buddlia, cinquième édition allemande, p. 06 et SI.
COMPTES RENDUS. 251
été créé par des gens qui avaient cru au Brahraan, « car il faut
avoir cru à l'absolu pour sentir si profondément la vanité des
choses passagères et pour l'ignorer avec une résolution aussi
calme » (i). Mais, aussi bien, le nirvSna n'est-il pas l'absolu ? Non
pas l'absolu ontologique et cosmologique, mais le Mivalyam,
l'absolu dans lequel s'enferme le saint délivré prolongeant une
extase sans limite ? — Et si les bouddhistes étaient partis du point
de vue Sâmkhya, pourquoi l'auraient-ils abandonné ? Ce point de
vue, avec l'isolement définitif du purusa inconscient, correspond si
étroitement à leur idéal de la délivrance ! Nous savons que les
systèmes hindous convergent tous vers le même but ; ils présentent
un air de famille qui rend plausibles, dans une certaine mesure,
toutes les hypothèses, mais qui, par contre, justifie pleinement la
prudence de M. Oldenberg.
Ce que dit notre auteur sur l'attitude du Bouddha à l'égard des
dieux (p. 53) est fort exact ; mais pourquoi dire que cette attitude
est « caractéristique » (eigenartig) ? C'est l'attitude de tous les
ascètes qui prêchent ou cherchent la délivrance. On aurait aussi
pu remarquer que le Bouddhisme a respecté le paganisme contem-
porain en attendant qu'il engendrât un paganisme bouddhisant.
L'attitude d'une élite intellectuelle, comme les Bouddhistes, à
l'égard du surnaturel grossier et fantaisiste, est à signaler.
Je n'ai relevé dans les pages qui précèdent que les points sur
lesquels je croyais utile de contredire M. R. Pischel ; ce n'est pas
le lieu de constater sur plusieurs autres détails des divergences
d'opinion de moindre portée. Mais ce n'est que justice de louer sa
très riche information, la clarté de sa langue exempte de préten-
tion stylistique comme de négligence, et le bonheur avec lequel il
a traité des questions fort abstruses ou rebelles comme le Pratïty-
samutpâda (2}, le nirvana dans cette vie (sj, la plus ancienne
(1) Religions of India, p. 116.
(2) M. R. Pischel est trop sâ//ihhyavâdùi ! Que les sarhskâras aient
été, à l'origine, entendus comme identiques aux vàsanâs (traces des actes
anciens), c'est très possible. Mais la tratlition des pitakus attribue au
mot une signirtoation et beaucoup plus flottante et beaucoup plus large.
(3) Voir Kern, Lotus, p. 138, n. 3, Senart, Album Kern, 102, pour l'équi-
valence arhattva = jlvanmukti.
252 LE MLSÉON.
histoire ecclésiastique, etc. (i). Nous souhaitons qu'il développe
daus un cadre plus large, avec d'amples développements et des
références nombreuses, la somme vraiment considérable de ren-
seignements et d'appréciations qu'il a concentrés dans ce petit
volume, clair, concis, bien écrit et bien composé (2).
L. DE LA Vallée Poussin.
(1) Des remarques très fines sur les conciles.
(2) M. R. Pischel croit, ou est porté à croire, à l'influence du Bouddhisme
sur le Christianisme. Je me suis récemment expliqué sur cette question
dans la Revue Biblique. Parmi les arguments présentés en faveur de
l'influence, il en est qui sont, à mon avis, ruineux, à savoir les analogies
ou ressemblances verbales entre les Suttas et le Nouveau Testament.
Que Siméon se soit rendu au temple sv xù» TrveûjjLa-cl, et que Asita soit venu
saluer le Bouddha nouveau-né en traversant Vespace, du sommet de
l'Himalaya ou du Vindhya jusqu'à Kapilavastu. cela ne constitue pas une
preuve d'appoint en faveur de l'hypothèse de l'emprunt. — La lecture du
mémoire de M. Pischel sur l'origine du symbole chrétien du poisson
(S, B. K. P. A., 1905, 11 mai) m'a singulièrement intéressé. On est émer-
veillé par l'abondance et la précision des renseignements -, mais, oserai-je
le dire, cet article qui est très précieux pour nos études, qui contribue
notamment à expliquer le mystérieux .Matsyendra des Népalais, ne me
parait pas rendre probable la thèse soutenue par son auteur. — Par
contre, dans le présent volume, M. R. Pischel adopte une attitude très
prudente en ce qui concerne l'épisode de la tentation ; il considère comme
plus vraisemblable l'opinion que les récits bouddhiques et évangéliques
sont indépendants. M. Van den Berg croit à l'influence bouddhique en
raison de l'offre faite par Satan de la souveraineté du monde, ce qui ne
pouvait être une tentation pour Jésus. L'argument est puéril ; voir, sur
le caractère des tentations, " tentations messianiques, qui tendent moins
à solliciter Jésus au péché qu'à le faire dévier de son but i>. V. Rose, Ev.
selon S. Mathieu, 6« édit., p. 22. — Quant à la tentation du Bouddha, je
ne doute pas que le récit le plus ancien soit conservé dans les sources,
fussent-elles tardives, qui font intervenir les rtlles de Mfira : il n'y a pas,
comme on sait, d'ascète indien \\\\ peu éminent dont l'austérité n'inquiète
les dieux ; ceux-ci lui députent des tentatrices, tandis qu'Indra se trans-
forme en coucou et vient chanter sur un arbre voisin du lieu de péni-
tence. Les bouddhistes ont arrangé cette histoire ; quelques-uns ont été
jusqu'à supprimer les déesses, mais où en serait la critique si elle était
incapable, dans un cas aussi simple, de dégager l'élément ancien ? Cpci
soit dit sans contester le rare mérite du travail de M. \\in(lisch sur la
chronologie des versions pâlies et sanscrites. C'est encore luie question à
reprendre, pour la faire avancei* .... ou reculer.
COMPTES-RENDUS. 235
Atharva-Veda Sanihitâ. Translated with a critical anJ exegetical
Commentary by William Dwight Whitney. Deux volumes
gr. ia-8°, formant les vol. VII et VIII de « Harvard Oriental
Séries ». Prix : 5 dollars.
Cette magnifique publication est à la fois une œuvre scientifique
de première importance et un monument dressé à la mémoire d'un
grand savant par son élève et digne émule. Cette traduction est le
fruit d'études et de travaux qui commencent au début même de la
carrière de W. D. Whitney et qui s'étendent sur toute sa vie
jusqu'au moment où la mort vint interrompre une œuvre encore
imparfaite dans plusieurs de ses parties. C'est dans cet état qu'elle
a été reprise par M. Lanman qui a soin de déterminer dans son
introduction les parties dont il est responsable.
Whitney a voulu donner une traduction littérale ; son but était
de « réunir autant que possible les matériaux qui devront contri-
buer à l'étude et à l'intelligence définitive du Véda ». Dans le
commentaire, il nous donne tous les renseignements critiques qui
se rapportent à chaque vers traduit. Les variantes, les commen-
taires, les traductions proposées ; en un mot toutes les données
qui aideront le lecteur à se former une idée personnelle du sens
de chaque vers.
L'œuvre tel que l'a conçue l'auteur et que l'éditeur a complétée
est exécutée avec un soin qui la rend parfaite dans son genre.
Une introduction générale — dont la P^ partie est due à l'éditeur
et la seconde rédigée par le même en grande partie sur les notes
laissées par Whitney — contient les renseignements généraux sur
les mss., les divisions du texte, etc.
Quelques notes de Whitney lui-même servent de « préface de
l'auteur ». La préface de l'éditeur contient l'histoire des travaux
de Whitney sur l'Atharva-Véda.
La courte notice bibliographique, et le beau discours sur la vie
et les œuvres de Whitney, prononcé par l'éditeur en 1894, seront
lus avec intérêt et sympathie par tous les admirateurs de l'illustre
savant.
254 LE MUSÉON.
La disposition des matières est des plus heureuse et l'exécution
typographique digne eu tous points de Tœuvre elle-même.
Louvain, 5 novembre 1906. Ph. Colinet.
Proverbes arabes de V Algérie et du Maghreb, recueillis, traduits
et commentés par Mohammed Ben CnENEB, professeur à la
médersa d'Alger. (Publications de l'Ecole des lettres d'Alger.)
Tome second. In-S" de olO pages. Paris, Ernest Leroux, 1906.
Au cours de l'année dernière, j'ai eu l'heureuse fortune de
signaler (Mtiséon, 1905, vol. VI, n"' •j-i) le premier volume des
Proverbes arabes de M. Mohammed Bon Cheneb. Je souhaitais
alors de ne pas devoir attendre trop longtemps l'achèvement d'un
recueil remarquable par sa richesse et sa variété, et aussi recom-
mandable par le soin généralement apporté à la mise en œuvre
des matériaux qui le composent. Mon souhait est en bonne voie
de réalisation. Ce « tome second » embrasse treize lettres de
l'alphabet et va du sîn au mîm inclusivement. Le diligent collec-
tionneur n'a donc plus, pour être au bout de sa tâche, qu'à réunir
et publier les proverbes où les quatre dernièreV lettres se pré-
sentent comme initiales.
Le nouvel apport est digne du précédent ; il me semble même
l'emporter un peu au point de vue de l'impression du texte arabe.
On dirait que l'auteur et son prote, avertis, ont été davantage sur
leurs gardes. La plupart des petites fautes qui avaient encore,
malgré tout, échappé d'abord à leur attention, ont été relevées
et redressées dans une liste finale d'Additions et corrections qui
ne comprend pas moins de sept pages. Il en est pourtant resté
d'inaperçues, et voici quelques échantillons.
On lit, pag. 19, lign. 23 : ^j-^^, pour ^-*i3is ; pag. 25, l. 8 : c-îj,
pour LT-îJj ; pag. 38, 1. 11 : s--£ ytt, ^, pour s--c y^ u ; pag. 108,
1. 3 : ewLjj, pour cwLij ; pag. 211, 1. 1 : 5^^, pour ^_s**^^ ;
pag. 221, 1. 20 : <5-JU (sic), pour <JJJ^? ; pag. 263, 1. 20 : ï;V.)i^j, pour
^>>î^ ; pag. 276, 1. 15 : ;jUJ\ ^, pour jJuJ\ ^ ; pag. 276, 1. 24 ;
^o-Jb, pour jAjJ^ ^ ; pag. 291, 1. 19 : 19 : à^yj>, pour ^jj>.
COMPTES-RENDUS. 23o
Les erreurs ou négligeuces de ce genre sont surtout regrettables
dans les expressions et formes du langage populaire, pour les-
quelles les dictionnaires les plus étendus n'offrent pas toujours
aux spécialistes des éléments suffisants de contrôle, mais attendent
eux-mêmes de livres comme celui-ci les moyens de se compléter.
Aussi bien, dans la courte énumération ci-dessus, ai-je omis à
dessein plusieurs détails qui me paraissent très probablement
fautifs, mais qui pourraient à la rigueur n'être que des anomalies
réelles de la langue parlée. En revanche, le lecteur attentif sus-
pectera parfois à tort des vocables et des locutions reproduisant
fidèlement la réalité, et en cela il obéira à une disposition très
compréhensible et devenue proverbiale en Orient comme en Occi-
dent : dans le même sens oii nous disons : ■* Chat échaudé craint
l'eau froide », les Arabes disent : « Celui qui a été piqué par un
serpent tremble à la vue d'une corde. »
Dans la multitude de menus renseignements et de rapproche-
ments de toutes sortes que l'auteur a groupés autour d'un millier
d'adages familiers aux Algériens et aux Maugrabins, rien d'éton-
nant qu'il se soit glissé, par-ci par-là, quelques expressions
obscures, quelques assertions plus ou moins contestables. Elles
sont relativement assez clairsemées, et je me reprocherais de
paraître y attacher trop d'importance. Mais il me sera bien permis
de constater qu'on ne saisit guère, tout d'abord, la signification ou
la justesse de ces traductions : « L'approbation (6jii\y^\) est la
condition de l'amitié ; — souffre ta patience pour toi-même, plutôt
que de la faire souffrir par autrui ; - la piété est entre les boucles
d'oreilles et la joue ( J^-^^; u^f^^ e^O? ^^'^ n'est pas sur les som-
mets des montagnes ; — on ne peut en faire ni tambour de basque
ni violeur (^j^ ^;j ; — la nue des fenêtres (3^^ "i^V^) a au doigt
une bague ; — au moment de l'évacuer, tu entendras ses cris
(6\jj ^...-.j. M^ •^^)', — celui-là seul connaît la passion qui l'éprouve,
et l'amour qui le redoute (K-^^?. er(. n Dans ces cas et autres sem-
blables, le français ne devient clair que par la confrontation avec
l'arabe, et plus d'une fois il faut reconnaître que l'interprétation
s'écarte légèrement de l'original. De même, la maxime : ^y 6\,-*J\
J^j^\ est-elle bien rendue ainsi : « La femme est l'égale de
l'homme « ? Et le sens de cette proposition : ^-^^ ^^ ^^rrf ^ se
256 LE MISÉON.
retrouve-t-il clairement dans celle-ci : « Cent Juifs valent mieux
qu'un seul Blidéen (musulman) » ?
Parfois, de la négligence du style résultent des dires étranges
ou inintelligibles. Je serais, quant à moi, reconnaissant à qui
m'expliquerait cette phrase : '^ De la prière ovine (on caprine) il
n'a pris que l'oreille », et qui me la montrerait contenue dans le
texte : W>-i^ ^^^^ ^'^^ ^. Voici un dernier exemple d'où ressortent
plus nettement encore les inconvénients du manque de correction
ou de clarté dans l'interprétation française ; je le cite sans com-
mentaire, en respectant le réalisme et la réticence de l'auteur :
« Ayant loué le chat, il a uriné dans la pâte ; ayant loué le
chat, il a ch. dans la chambre à farine. » L'arabe porte, là :
^;^,^\ ^ J^> \cïi\ U^, et ici : ^-j»a5\ c:^> ^ ^^ i=5î\ u^
J'ajoute enfin que je cherche vainement un rapprochement
d'analogie entre le proverbe arabe : « Le prêt est une perte « et
le proverbe français : « On ne prête qu'aux riches ». D'autre part,
je ne vois nulle « opposition » entre ces deux affirmations : « Sans
les larmes les côtes auraient bnllé, — les grandes douleurs sont
muettes », dont la première s'entend du soulagement naturel que
les pleurs peuvent apporter à une grande tristesse.
J. FORGET.
Etienne de Flacourt. — Dictionnaire de la langue de Mada-
gascar, d'après l'édition de 16.58 et ['Histoire de la grande isle
Madagascar, de 1661, par Gabriel Ferrand, consul de France.
Vol. in-8° de XL-2'.)8 pages. Paris, Ernest Leroux, r.»05.
L'objet propre de ce volume n'est point la langue actuelle de
Madagascar. Son but est scientifique, non immédiatement pratique.
A ceux donc qui s'intéresseraient plutôt à la connaissance de la
langue parlée de nos jours dans la grande île, ce n'est pas ceci
que je conseillerais, mais plutôt un autre travail que M. Gabriel
Ferrand a fait paraître il y a quelque quinze ans et qui est intitulé :
Les Musidmans à Madagascar et aux îles Comores. H porte le
numéro IX dans la série des Publications de V Ecole des lettres
d'Alger. Les Appendices qui terminent le 3* fascicule expliquent
COMPTES-RENDUS. 257
nettement comment, parmi les dialectes malgaches, c'est le merina
qui domine aujourd'iiui et qui, enseigné dans toutes les écoles
indigènes, est devenu la langue officielle, la seule qu'on écrive.
Dans les pages que voici, c'est de la langue du XVIP siècle qu'il
est directement question, et c'est spécialement de sa forme sud-
orientale, assez différente du merina. Comme source principale
M. P'errand a utilisé un livre publié en 1658 par Etienne de
Flacourt, avec ce même titre, qu'il a repris : Dictionnaire de la
langue de Madagascar. E. Jacquet et d'autres érudits ont établi
que Flacourt méritait à peine le nom d'auteur, et qu'il n'avait
guère fait que copier et compiler les travaux antérieurs de plu-
sieurs missionnaires. Mais d'où que vienne l'œuvre, elle n'a jamais
pu prétendre à la perfection du genre. Et je ne parle pas seule-
ment des idées de linguistique générale, semées de ça de là, qui
portent naturellement la marque de l'époque, à tel point qu'on
nous affirme, par exemple, que l'idiome malgache « a beaucoup
d'affinité avec l'arabesque » ; j'ai aussi en vue la quantité et la
qualité des matériaux rassemblés. Il faut remarquer que l'enquête
à poursuivre parmi les indigènes n'était alors qu'à ses débuts ; et,
de plus, Flacourt ignorait même qu'il eût eu un devancier dans la
personne de Frédéric de Houtmau, dont le Spraecli ende Word-
boecJi inde Maleysche ende Madagaslxarsche Talen avait paru à
Amsterdam en 1603.
Tel qu'il était, le Dictionnaire de Flacourt comprenait trois
sections biens distinctes : 1° un dictionnaire proprement dit, ou
vocabulaire français-malgache rangé par ordre alphabétique ; 2° un
Vêtit recueil, dans lequel les termes et les expressions étaient
groupés par catégories de choses ou d'idées, dans le genre de nos
modernes manuels de conversation ; 3° un Petit catéchisme avec les
prières du matin et du soir.
M. Ferrand a jugé avec raison qu'il y aurait profit à réunir en
une seule liste tous les mots de la première et de la deuxième
partie ; et, en y adjoignant les éléments nouveaux recueillis soit
dans la troisième, soit dans VHistoire de la grande isle Mada-
gascar, en rectifiant ensuite certaines erreurs par la comparaison
avec deux anciens mss. du fonds arabico-malgache de la Biblio-
thèque Nationale, il a pu arriver à une œuvre lexicographique rela-
17
^38 LE MUSÉON.
tiveraent sûre et plus complète ou, si l'on veut, moins incomplète.
Là ne s'est pas borné son apport personnel. Aux deux colonnes
du vocabulaire primitif, qui donnaient, l'une le français, et l'autre
le « malgache sud-oriental ancien », il en a ajouté deux autres.
Dans la troisième, en regard des précédentes, il a placé les vocables
correspondants du « malgache sud-oriental moderne », et il l'a
fait avec la compétence exceptionnelle qu'il doit à un séjour de
près de quatre ans dans la région qui s'étend de Mananjary au
cap Sainte- Marie. La quatrième colonne présente, là où il y a
lieu, les formes « du merina, de l'arabe et du souahili » plus ou
moins voisines des formes malgaches.
Enhn, je me reprocherais de ne pas signaler à l'attention des
spécialistes la savante préface, rédigée en collaboration avec
M. l'aobé Rousselot et où sont analysés et décrits avec une préci-
sion scientifique remarquable les phonèmes du malgache, y compris
et surtout ceux pour la transcription desquels nos moyens ordi-
naires sont absolument insutiisants.
Refondu et enrichi comme il l'a été par son nouvel éditeur, le
Dictionnaire de la langue de Madagascar constitue une contribu-
tion précieuse à l'étude historique et comparative d'un des idiomes
les plus importants du groupe agglutinatif malayo-polynésien.
J. FOEGET.
■le *
Noies de mythologie syrienne, par René Dussaud ; II-IX et index.
In-S" de 124 pages. Paris, Ernest Leroux, 1905.
Ce second fascicule des Notes de mythologie syrienne de M. Dus-
saud est suivi d'un index détaillé qui facilitera aux chercheurs
l'utilisation de tout le petit recueil. Il se compose de huit études
détachées, qui, sauf une, avaient déjà paru dans des revues spé-
ciales. A cause de sa variété, il se prêterait difficilement à une
analyse. Je me contenterai d'y relever quelques vues et indica-
tions qui me paraissent intéressantes.
Les premières pages nous signalent une curieuse réplique de
Jupiter Héliopolitain dans une statue de la collection Garimberto,
que Cavalleriis avait prise pour une Diane d'Ephèse. De là nous
COMPTES-RENDUS.
259
passons à un ensemble de considérations qui aboutissent à iden-
tifier le dieu Bel de Syrie et Dagon, de sorte que celui-ci ne serait
que la divinité solaire phénicienne connue sous le nom de Melqart
à Tyr et d'El-Kronos à Byblos. Un troisième chapitre, consacré
aux Syvnboles et simulacres de la déesse parèdre, examine succes-
sivement les figures du lion et du taureau, le préfendu symholisme
du cyprès, les représentations figurées d'Atargatis et des déesses
assimilées, les dieux si/mbéff/les Simios et Simia ; la conclusion est
en faveur d'une famille divine, composée de Kadad, d'Atargatis et
d'un ou deux enfants. Cette famille, venue de Babylonie, prit pied
à Hiérapolis, pour rayonner de là sur la Syrie, la Palestine et la
Phénicie. Voici ensuite une série de remarques, minutieusement
précises, d'où il résulte que la main de bronze du Louvre au type
de Jupiter Héliopolitain confirme la valeur « main de Dieu « des
objets votifs similaires. Le chapitre intitulé : Le Panthéon pliéni-
cien, sans étudier dans le détail les diverses divinités phéniciennes,
souligne leur nature et leurs caractéristiques communes, en ce
sens qu'on retrouve à Tyr, à Sidon et à Byblos les mêmes divinités
principales, dont la classification s'oppose naturellement à celle
des divinités syriennes proprement dites. A remarquer encore les
arguments, de valeur du reste inégale, développés pour prouver
que l'existence d'un dieu phénicien Milk ou Mélelc n'est qu'une
pure hypothèse. Plus sûrs et plus uniformément concluants me
paraissent ceux que l'auteur oppose à Baudissin recourant, pour
expliquer l'origine des sacrifices humains, à une époque de canni-
balisme et supposant qu'anciennement le sacrifice consistait dans
une offrande d'aliments. « Le sacrifice expliqué comme une simple
préparation culinaire à l'usage des dieux est une théorie dont l'in-
suffisance a été nettement mise en lumière. »
Une note, que je lis dans les Additions et corrections de la fin,
se rapporte à une assertion du premier fascicule et tendrait à
faire croire que M. Dussaud est moins familier avec les textes du
Nouveau Testament qu'avec les monuments profanes. Aux objec-
tions produites contre sa conception du Bon Pasteur dans l'icono-
graphie chrétienne et contre son affirmation d'un « lien indiscutable
entre Hermès Criophore » et ce symbole, il répond : « La parabole
de Jean chap. X n'a pu à elle seule fixer le type plastique du Bon
240 LE MISÉON.
Pasteur, puisqu'il n'y est dit en aucune façon que le Bon Pasteur
portait une brebis sur les épaules. » Je me permets de faire
observer à M. Dussaud que la « parabole », c'est-à-dire la com-
paraison ou figure en question se rencontre aussi en un autre
endroit des Evangiles, à savoir en Luc XV, 4-7 ; or, au verset 5,
le texte porte, en termes propres, que le pasteur, « ayant retrouvé
sa brebis égarée, la charge, tout joyeux, sur ses épaules, pour la
reporter chez lui n. J. Foeget.
Il
CHRONIQUE.
Dans la Zeitschrift der Deutschen Morgenl. GeseUsch., tom. LX,
3® livr. (1906), M. Ed. Kooig consacre un article très documenté
aux Questions du calendrier, c'est-à-dire au jour, au mois et à
l'année, chez les anciens Hébreux, Il remarque avec raison que,
sur ces trois points, en dépit de la belle assurance des manuels
classiques, nous sommes encore loin de la lumière complète et
définitive. Il est le premier qui les traite en joignant à un examen
suffisamment compréhensif des textes bibliques les données'four-
nies par l'assyriologie. Ses conclusions sont à noter.
La Bible, dit-il, connaît deux jours civils, dont l'un commence
au lever du soleil et l'autre à son coucher. La seconde manière de
compter ne se rencontre que dans les livres ou les parties de livres
d'une époque plus récente. Son introduction doit avoir été favorisée
par la coutume de régler la date des fêtes d'après la nouvelle lune,
qui n'est visible que le soir.
Quant aux mois, leurs noms primitifs, voisins des noms fournis
par l'épigraphie cananéo-phénicienne, ne nous sont connus qu'en
partie, et ils ont été, lors de l'exil, remplacés par d'autres,
empruntés à la langue babylonienne. Mais avant comme après la
captivité, les mois n'étaient souvent distingués que par les nombres
ordinaux : l*"", 2®, etc. Du reste, aussi haut que nous pouvons
remonter, nous rencontrons des mois lunaires, jamais des mois
solaires. De là la substitution, comme appellation ordinaire et
presque exclusive, du mot ^7/^) 1^^ étymologiquement et propre-
ment signifie nouvelle lune, au mot Î1^^, seul employé chez les
Phéniciens,
2'r2 LE MUSÉON.
Toutefois, de ce qui précède ou a eu tort d'inférer que l'année
des Hébreux fut elle aussi, de tout temps, une année lunaire. Il
ne manque pas, dans les plus vieux monuments, d'indices en
faveur de l'année solaire. Mais — question plus importante, —
quand commençait l'année ? en automne ou au printemps ? La loi
qui fixait la fête des récoltes à la fin de l'année est, quoi qu'en
dise Dillmann, un argument sérieux pour la première hypothèse.
D'autre part, les textes sont nombreux qui disent clairement que
la pâque se célébrait au premier mois, ce qui suppose une année
commençant après l'hiver. Que pouvons-nous légitimement en
conclure ? que les deux usages sont parfaitement contemporains
et datent l'un et l'autre de l'époque mosaïque ? Non pas ; car des
documents d'une antiquité et d'une autorité indiscutables sont
muets sur le second. Celui-ci n'est pas, semble-t-il, antérieur au
Vil® siècle ; il serait donc né peu avant l'exil ou durant l'exil. Tel
est du moins le résultat où aboutit un ensemble imposant d'indices,
que M. Konig a réunis et qu'il analyse avec son ordinaiie sagacité.
Dans ces conditions, il n'est pas douteux que nous retrouvions
ici encore l'influence des coutumes babyloniennes. D'ailleurs la
nouvelle computation ne parvint jamais à supplanter l'ancienne,
qui non seulement se maintint, mais reprit vite le dessus, par
suite notamment des contacts avec les peuplades araméennes et
surtout avec la Syrie antiochienne. J. F.
*
* *
— Dans le Corpus Scriptorum cimstianorum Orientalium, de
M. Chabot, à signaler le deuxième fascicule du texte arabe du
Synaxarimn Ahxandrlnum (Paris, Poussielgue, 1906). Ce volume
comprend les vies de saints du second tiers de l'année copte, soit
des mois de Kîhak, Tobe et Amchîr. Nous attendrons, pour appré-
cier cet important travail, la publication de la traduction latine
que l'éditeur, M. J. Forgot, nous annonce comme prochaine, et
de l'introduction oîi il doit nous faire connaître les six ou sept
manuscrits dont les sigles figurent dans ses annotations critiques.
*
CHROMQUE. 245
Rencontré dans une revue qui n'a rien de spécial, la Scuola
cattoUca, (septembre, 1906), un article qui peut, par un certain
côté, intéresser les orientalistes et les ethnographes. 11 est inlitulé :
Gli Ebrei a Cremona. L'auteur essaie de remonter jusqu'aux
origines de la colonie juive de cette ville. S'il constc que la Lom-
bardie a recueilli successivement des groupes expulsés de France
par Dagobert I, en 630, par Philippe le Bel, en 1181, et par
Philippe le Long, en 1316, ce n'est qu'en 1278 que nous constatons
avec certitude qu'ils ont essaimé jusqu'à Crémone. Alors un décret
de la cité leur défend d'exiger des emprunteurs plus de six deniers
par franc et par mois. Après cette date, les monuments, quoique
rares, permettent de les suivre assez bien dans les manifestations
de leur activité multiforme, au milieu de leurs métiers et négoces
très divers, de leurs pratiques usuraires, et aussi des mesures
restrictives et vexatoires dont ils sont l'objet. Souhaitons de voir
bientôt la suite de cette étude, commencée avec un grand souci
d'exactitude et de documentation. Peut-être M. D. Bergamaschi
trouvera-t-il dans ses sources quelques indications sur les préoccu-
pations scientifiques de cette race aussi intelligente qu'active et en
particulier sur la manière dont elle se comportait à l'égard du texte
et de l'exégèse bibliques.
* *
Je viens de passer en revue les vingt-quatre dernières livraisons
à'Al-Machriq de Beyrouth, soit toute la collection de 1906. J'y
trouve quantité d'articles d'un cachet hautement scientifique. Je
me borne à signaler quelques-uns des principaux.
Voici d'abord, du P. H. Lammens, dans les quatre premières
livraisons (janvier et février), une étude très fouillée sur L'ono-
mastique du Liban. Le P. Lammens s'est fait une spécialité des
recherches géographiques et toponymiques relatives à la Syrie et
au Liban en particulier. On s'en aperçoit à l'aisance avec laquelle
il se meut sur ce terrain et au flair exercé que révèlent des
réflexions et des rapprochements parfois inattendus.
Dans les n°' 2, 6, 7 et 9, sous le titre de Philologie arabe,
M. Marta a réuni, d'après les grammairiens et lexicographes
'244 LE MLSÉOiN.
indigènes, et groupé méthodiquemeut une série instructive de
remarques sur certaines singularités morphologiques et syntaxi-
ques. Du même auteur et du même genre sont les Notes de lin-
guistique insérées dans le n° 12 (15 juin).
Très intéressants Les proverbes populaires de V'Irâq, rassemblés
par M. Gbanimé (n° 7), et Les proverbes du 'Aîckar, par le
P. Ghanera (n° 12). M. Ghanimé a ajouté à son texte de petites
gloses marginales fort utiles ; mais on pourra regretter qu'il n'ait
pas, comme le P. Ghanem, respecté et reproduit avec une entière
fidélité toutes les formes et expressions du langage vulgaire.
La collection nous fournit un nombre relativement considérable
d'anciens documents ou écrits inédits Le savant et infatigable
P. L. Cheïkho, dont la signature reparaît au moins une fois dans
chaque livraison de la revue, a, pour sa part et sans compter ses
autres apports, publié, dans le n° 1, le Texte arabe de trois traités
grecs ji^rdus sur les orgues ; dans le n" 10, Un traité inédit sur
Vorgue à flûtes par les Bani Mousa (IX^ siècle) ; dans le n° 15, le
Traité sur Véducation de la jeunesse attribué à Platon, traduction
de Ishaq Ibn Honein ; dans les n"" 16 et il, La description du
mont Sinai par le diacre Ephrem. De son côté, M. l'abbé Charon
nous donne, dans le n° 3, les Actes des trois conciles melchites
tenus en 1731, 1736, 1751, et dans les n°*^ 20-23, les Actes du
concile melchite de Daïr al Mokhallès {1790). De même, dans le
n<* 8, le P. Rabbath donne la Lettre des Grecs de Tripoli à Gré-
goire XIII (1584). Enfin, du P. Malouf, dans le n° 21 et les deux
suivants, la publication d'f/» traité inédit d' Avicenne sur la bonne
conduite, c'est-à-dire sur la manière dont l'homme doit se traiter
lui-même, régler son intérieur et ses démarches extérieures, gou-
verner sa famille, ses enfants et ses serviteurs. J. F.
*
* *
Les deux derniers fascicules des Proceedings of the Society of
biblical Archœology (novembre et décembre, 1906 ; vol. XXVIII,
part 6, 7) sont consacrés presque exclusivement à l'assyriologie.
A y signaler notamment une étude du prof. A. II. Sayce sur « The
Chedor-laomer Tablets », qui n'est que commencée. L'auteur y
CHUOMyLE. 245
reprend sur nouveaux frais l'examen et Tinterprétatiou des textes,
et il confirme la lecture du nom Kudur-laghgumar, proposée,
mais non démontrée par Pinches, il y a onze ans, et depuis lors
contestée. — Pour les curieux d'hiérologie, une étude de M. Th.
G. Pinches, intitulée : The BahyJonian Gods of War and their
Legends, présente des interprétations en partie conjecturales et
provisoires, mais toujours savamment motivées. — Dans la livrai-
son de décembre, M. F. Legge, par son article sur « The tahïcts of
Negadah and Ahydos ii^, nous fait passer au domaine de l'égypto-
logie. Illustré de belles planches, ce travail n'est pas encore com-
plet ; mais dès maintenant il y a intérêt à rapprocher plusieurs
vues de M. Legge de celles qu'avaient émises sur le même sujet
Maspéro, Naville, Griffith, Petrée et quelques autres.
A. WiEDEMANN : Âgyptische Religion (1904-1905) ; tiré à part de
VArchiv fur Religionsivissenschaft, IX, pp. 481-499.
Dans cette très intéressante esquisse, le savant professeur de
Bonn énumère les publications philologiques relatives à la religion
égyptienne parues depuis 1904.
Les progrès faits dans le domaine de la religion égyptienne
pendant les dernières années ne correspondent pas à la somme de
travail dépensé à l'étude des diverses questions qui constituent ce
domaine : telle est l'impression d'ensemble qu'a laissée à M. Wiede-
mann l'examen des dernières publications égyptologiques. La
peine n'a pas été cependant dépensée en pure perte ; car l'analyse
minutieuse des documents et les découvertes nouvelles montrent
qu'il en est de la religion et de la langue de l'Egypte comme de sa
population : le peuple égyptien, loin de former une race homogène,
est au contraire un agglomérat assez varié ; sa langue est saturée
d'éléments hétérogènes ; rien d'étonnant après cela que sa religion
présente un phénomène analogue.
The Kashmirian Atharva-Veda. Book one. Edited by Leeot
Cahr Babret, m. a., Ph. D., of Johns Hopkins University
246 LE MUSÉON.
(From the Journal of the American Oriental Society. Vol. XXVI,
Second Half, 1906).
Prefatori/ note. — This élaboration of the first book of tbe Paip-
paliida is in the nature of the case an cxperiraent and only that :
nothing absolutely definite can be attained untill the whole shall
hâve been worked ovor in a manner somewhat sirailar to this. The
form in which the material is presented is the resuit of some
experimenting on my part and advice from Professors Bloomfield
and Lanman.
* *
Université Saint-Joseph de Beyrouth (Syrie). — Mélanges de la
Faculté Orientale. Vol. in 8° de VIII-378 pages. Beyrouth,
Imprimerie Catholique, 1906.
La Faculté Orientale de l'Université de Beyrouth vient de
publier, en un grand volume in-S" de près de 400 pages, les pré-
mices d'une série de Mélanges. A en juger par ce début, la col-
lection sera de tout point digne des savants maîtres qui la dirigent
ou y collaborent. On pourra peut-être s'en faire une idée d'après
l'indication sommaire des sujets traités dans les neuf mémoires
qui composent ce tome initial.
Les Etudes sur le règne du calife Mo'âwia P' , du P. Lammens,
occupent plus de cent pages. C'est une suite de recherches érudites
et sagaces, de travaux d'approche méthodiquement conduits, qui
aboutiront bientôt, tout nous permet de l'espérer, à une histoire
largement renouvelée et richement documentée de la dynastie des
Omaiyades et de son fondateur.
Infatigable et se multipliant avec une aisance étonnante, le même
orientaliste, nous donne, un peu plus loin, des notes diverses, mais
toutes intéressantes, sur la Géographie syrienne^ et en particulier
sur les Nosairis et les « Galiléens » de Sozomène,
Une Ecole de savants égyptiens au moyen âge, tel est le titre
d'un travail consacré par le P. Mallon aux ouvrages philologiques
coptes qui ont vu le jour du XP au XIV" siècle. On y trouvera
CHRONIQUE. 247
nombre de données nouvelles sur une demi-douzaine de grammai-
riens ou lexicographes les plus illustres de cette époque.
L'épigraphie et rarchéologie ont leur bonne part dans le volume.
Elles y sont représentées par les Inscriptions grecques et latines
de Syrie et par les Bas-reliefs rupestres des environs de Qahéliâs.
Sous la première de ces deux étiquettes, le P. Jalabert reproduit
en fac-similé et commente une soixantaine d'inscriptions inédites,
parmi lesquelles trois groupes notables de monuments relatifs au
culte d'Esculape et à la triade héliopolitaine ou découverts dans
les ruines des sanctuaires de Deir el-Qal'a. Des deux bas-reliefs
relevés près de Qabéliâs et étudiés par le P. Ronzevalle, l'un
surtout est remarquable. Là figurent, à côté d'un taureau de
grandeur naturelle, trois petites niches, au fond desquelles on
reconnaît distinctement un dieu dans la pose classique de Jupiter
héliopolitain, la déesse parèdre et un dieu-enfant. Ces trois per-
sonnages représentent peut-être, au jugement du R. P., une
triade locale, dont le taureau exprimerait la puissance et la fécon-
dité divines.
Le Cycle de la Vierge dans les apocryphes éthiopiens^ du
P. Chaîne, nous offre, comme échantillons d'une publication plus
étendue en préparation, quelques extraits des Mss. de la Biblio-
thèque Nationale de Paris.
Ensuite, deux jeunes docteurs de la Faculté Orientale, les
RR. PP. E. Power et A. Hartigan, qui avaient pris pour sujet de
leur thèse inaugurale les poètes préislamiques : Oumayya ibn
Abf§-Salt et BiÉr ihn AU Hazini, résument ici leurs principales
conclusions, en ayant soin de marquer sur quels points ils se
séparent des érudits qui les ont devancés. Rédigés en anglais, les
deux résumés nous présentent ainsi les Mélanges sous un certain
aspect international qui n'est pas fait pour nous déplaire.
Pour clore le volume, voici un assez long mémoire du P. Cheikho.
11 est intitulé : Un dernier écho des croisades, et contient plusieurs
documents inédits, publiés en arabe avec traduction et notes
explicatives. L'ensemble jette un jour très appréciable sur l'his-
toire, mal connue jusqu'ici, des expéditions égyptiennes en Chypre
"lïX I.K MISKON.
SOUS le roi Jaou^. Ce sera, pour le savant arabisant, un titre de
plus à la reconnaissance de tous ceux qui ont à cœur la connais-
sance de rOrii-nt médiéval.
J. F.
MADHYAMAKAVATARA
INTRODUCTION Al TRAITE DU MILIEU
DE
L'ÂCXRVA CANDRAKTRTI
AVEC LE COMMENTAIRE DE LALTEIR
traduit d'après la version tibétaine
P AE
Louis de la Vallée Poussin
AVANT-PROPOS.
Le Madhyamakâvatâra est une iatroductiou au traité de Nâgâr-
juna, « le traité du milieu » eutre l'affirmation et la négation,
livre fondamental de l'école Mâdhyamika (ij, et que les sources
désignent sous différents noms : Madhyamaka, Madhyamakaçâstra,
Prajùâ nâma mûlamadhyamakakârikâ.
(1) De la littérature soolastique de cette école existent dans l'original :
1. Mûlamadhyamaka et commentaire de Candrakïrti i Bibliotheca Buddhi-
ca, IV; cinq fascicules parus, 1907), 2. Çiksâsamuccaya iBibl. Buddhica I),
3. Bodhicaryâvatâra et Panjikâ (Bibl. Indica, cinq fascicules parus,
1907), et quelques fragments épars (i'Àryadeva(Çataka), de Buddhapâlita,
de Bhâvaviveka.
La littérature canonique est notamment représentée par les Prajnâ-
pâramitâs, le Daçabhûmaka (dont le Bhûmïçvara est une recension) et
par les citations du Çiksâsamuccaya et des commentaires.
18
250 LK MISKON.
Il nous a été conservé dans le Taudjour avec un grand nombre
de commentaires et, au premier rang, le hltâsi/a ou commentaire
de Tauteur. On y trouve un exposé, suffisamment limpide et mé-
thodhique, de tous les principes philosophiques et religieux qui
caractérisent l'école. Ce n'est pas, essentiellement, une œuvre
de polémique, mais vraiment une introduction, et qui initie le
lecteur, non seulement aux thèses dialectiques et métaphysiques
des Mâihyamikas, mais encore, dans le sens le plus large, au Grand
Véhicule et à la doctrine du Bodhisattva.
Nous avons cru que l'édition de ce texte, — eu cours d'impression
dans la Bibliotheca Buddhica — , et sa traduction, tout au moins
partielle, contribueraient utilement aux études tibétaines et à la
connaissance du Bouddhisme indien.
Les renseignements relatifs à Candrakïrti, comme le sommaire
du présent ouvrage, trouveront leur place dans une étude que nous
préparons sur l'école de Nâgârjuna. Il suffira de noter ici que
Candrakïrti semble avoir fleuri vers la tin du vi® ou le commence-
ment du vu" siècle. Postérieur à Bluivaviveka, qu'il combat, et
qu'on nous donne pour un contemporain de Dharmapâla, il a été,
à son tour, critiqué par Devaçarman, élève de ce même Dharmapâla.
Quant aux traducteurs tibétains du Madhyamakûvaiâra et du
bhâsya, et à la littérature exégétique assez Taste dont ce bhûsija
est, à son tour, le point de départ, nous aurons l'occasion d'en
parler dans la préface de l'édition du texte tibétain.
Il nous reste à dire un mot de la traduction que nous présentons
aux indianistes et aux tibétanisants. Nous ne sommes, à vrai dire,
certain d'avoir approximativement compris notre auteur que dans
les cas, d'ailleurs assez nombreux, oîi nous étions guidé, soit par
l'original, — grâce à des citations éparses dans divers ouvrages
sanscrits et qui seront soigneusement relevées, — soit par la doc-
trine expliquée dans ces ouvrages. Nous avons indiqué, à l'occasion,
les phrases dont la syntaxe et le vocabulaire nous demeurent mys-
térieux.
M. le D"" P. Cordier a relu, à notre grand profit, les premières
pages de notre travail ; nous devons à M. F. W. Thomas, pres-
que toute entière, l'explication que nous avons proposée des éty-
mologies du mot paramlta (i)age 278) ; .M. Max Walleser nous a
MADIIYAMAKÂVATÂRA CHAPITRE PREMIER. 251
fourni plus d'une remarque précieuse ; M. E. J. Rapson a identifié,
dans la Sârdhadvisâhasrikâ, une citation importante (page 263) ;
M. A. Cabaton nous a rendu le même service pour divers passages
du Daçabhûmaka.
C'est, enfin, notre devoir de nommer avec reconnaissance
M. Th. de Stcherbatskoi : c'est grâce à son intervention et à celle
de M, S, d'Oldenbourg que l'Académie de S' Pétersbourg a
entrepris l'édition du Madhyamakâvatâra tibétain, et ce sont ses
encouragements amicaux qui me décident à mettre du tibétain en
français, ce qui est une besogne peut-être indispensable mais
certainement délicate.
HOMMAGE AU PRINCE ROYAL (i) MANJUÇRÏ
[Chapitre premier
La terre Pramiiditâ ou première production de la pensée
d'illumination]
L'auteur, dont le but est d'initier au Traité du Milieu (2), tient à
commencer l'Introduction au Madhyamaka (3) en établissant que la
« grande compassion » du Bienheureux mérite d'être exaltée avant
les parfaits Bouddhas et les Bodhisattvas même, cette compassion
qui est la première et essentielle cause (4) de l'état de Bouddha et
dont la caractéristique réside dans la protection des êtres sans
(1) Kumârabhûta. La neuvième terre des Bodhisattvas est celle des
« princes royaux n ; la dixième, celle des princes associés au pouvoir
royal [yuvardja]. Le Bouddiia est le roi de la loi. — C'est dans ce sens,
croyons-nous, qu'il i'aut comprendre Mahâvyutpatti, § 30. 79 : te ca hodhi-
sattvamahàsattvà bhûyastvena sarve kumàrabhiUâli. — M. Kern (Sad-
dharmapundarîka, p. 4) traduit « prince royal « ou « still a youth », et
cette dernière explication eist celle de Çarad Candra Das (.1. B. T. S. L 39,
n. 2) : ManjuçrL patron de la doctrine et des lettres, est considéré comme
un étudiant.
(2) Madhyamaka çâstra, le castra fondamental de l'école mâdhyamika,
œuvre de iNâgârjuna.
(3) Madhyamakâvatâra.
(4) hetusampad.
252 LE MISÉON.
nombre, dépourvus de refuge et rivés à la prison des renaissances.
11 rétablit dans les deux premières stauces. [Voici la prcmièrej :
1. « Des rois des Munis naissent les Çrâvakas et les Bouddhas
« intermédiaires, et du Bodhisattva naît le Bouddha. C'est la
« pensée de compassion, la connaissance (ij exempte de dualité et
« la pensée d'illumination qui engendrent les [Bodhisattvas ou]
« Fils du Victorieux ».
/2.i) l'ar TexpressioQ « roi des Munis » (-2) sont désignés les Bienheu-
reux Bouddhas, parce qu'ils possèdent la majesté de souverain de
la loi suprême, parce que leur perfection est d'une supériorité
souveraine par rapport aux Çrâvakas, aux Pratyekabuddhas et aux
Bodhisattvas même, parce que c'est leur enseignement qui déve-
loppe les Çrâvakas et les autres [saints].
Les Çrâvakas etc. naissent d'eux, c'est-à-dire qu'ils sont engen-
drés par eux. Comment ? dira-t-on. Lorsque les Bouddhas apparais-
sent, étant donné qu'ils procèdent à l'enseignement exact de la
production en raison des causes (3j, en l'entendaut, eu y réfléchis-
sant, en le méditant (4j, les Çiâvakas et les autres [saints], chacun
suivant ses aspiiations (5j, atteignent leur condition parfaite. Si
quelques-uns toutefois, par l'audition seule de l'enseignement de
la production en raison des causes, et quoique devenus habiles
dans l'intelligence de la vérité absolue (c), n'arrivent pas au nirva-
na dans leur existence présente, en revanche et sans aucun doute,
possesseurs de cet enseignement (7), ils obtiendront dans une autre
existence la maturation parfaite du fruit souhaité, comme on
obtient le fruit d'un acte dont la maturation est fatale (s).
(1) ou « rintelligence » [blo==mati, buddhij, mais ci-dessous (p. 25(i) le
mot est i-emplacé pdivprajnâ (science; etjncma (savoir).
(2) munîndra.
(3) pratKi/asconutpcida. — Voir la stanoe d'introduction du Mudliya*
maliaçâstra (Madhyanial'iavj'LLi, 11. 13).
(4) La prajTtà est çnitamayl, cintâmayl, bhàoandmayl ^Mahâvyut-
patti, 75;
i5) adldmuhti (ou adhiniohça).
(6) paramârlhapicUilikuçala. — rloys = adliigania, avabodha, pratl-
li, prativedha ; je traduis : « inlelligenco n.
(7) Traduction conjecturale. — iq)adc<,as!/(( sddhuka (M
(8) niyatavipaha. — Comp. M. Vyut. 1-21. 4 niyutavedaniya.
MADHYAMAKÂVATÂUA CHAPITRE PREMIER.
255
Aryadeva le dit :
« Si celui qui connaît la vérité n'arrive pas actuellement au
Nirvana, dans une autre vie, et sans effort, il l'obtiendra certaine-
DQent : il en est ici comme de l'acte, n (i)
Le Madhyamaka s'exprime aussi dans le même sens :
« Lorsqu'il n'apparaît point de Bouddha Parfait, quand il y a
pénurie de Çrâvakas, la connaissance surgit chez les Pratyeka-
buddhas solitaires. » (2).
Les Çrâvakas portent ce nom parce qu'ils font atteindre (3) le (3.3)
fruit de l'enseignement parfait, à savoir de dire : « J'ai fait ce que
j'avais à faire ; après cette existence, je n'en connais plus d'autre,
etc. n (4). Ou bien, parce que, après avoir entendu des Tathâgatas
le fruit suprême ou la voie de Bouddha incomparable et accompli,
ils les prêchent (5) à ceux qui le demandent.
C'est ce que dit le Saddharmapundarïka (e) :
« En ce jour, ô Protecteur, nous sommes devenus des Çrâvakas
et nous allons prêcher la suprême illumination et proclamer la
parole d'illumination ; aussi serons-nous comme d'irrésistibles
Çrâvakas ».
Il en est certes de même des Bodhisattvas [qui sont essentielle-
ment prédicateurs] ; mais, tout en étant des prédicateurs, ceux qui
n'ont pas même rempli les devoirs qui incombent [à cette profes-
(1,1 Cette stance est extraite du Cataka. viii, 22 ; elle est citée Madhya-
makavrtti, p. 378. 4 :
ilia yady api tattvajno iiirvânarii nndhigacchati /
prâpnoty ayatnato 'var-yam punarjanmani karmavat //
(2) Madhyamakaçâstra xviii, 12, Madhyamakavrtti, 378. 7 :
sambuddlirinâm anutpâde çrâvakanâni punah ksaye /
jnânaih pratyekabuddhânâni asaiiisargât pravartate //
Compai-er Abhidharmakoçavyrikhyâ, Soe. As. 264 a 3 : khadgavisâna-
kalpâ iti yathâ khadgavisânâ advitïyâ, bliavanti, evaih te giiiasthapra-
vrajitair anyaiç ca pi'atyekabuddhaii' asaiiisr^taviliâi-ina iti.
Mais il y a aussi des Pratyekabuddhas \-cmjacnriiias. d'où l'explication
de la Madhyamakavrtti : osrf,iisai-(/(f — kâyai-ofasoh pravivpkah kalyil-
naniitiâpaiyesanaiii va.
i3) prâpayanti. rrâyayanti ?
(4) krtaiii karanîyam, nâparam asiuâd biiavaiii prajâiifuiûti.
(5) rt'dvayavti
(fi) Lotus de la bonne loi. iv. 53
254 LE MUSÉON.
sion], ceux-là, étant des Çrâvakas, ne s'élèvent point au-dessus des
Bodhisattvas.
(3.18) Cette qualification de Bouddha, la nature (i) de Bouddha, appar-
tient à trois classes de personnes, les Çrâvakas, les Pratyekabud-
dhas et les incomparables parfaits Bouddhas (2). Par conséquent
l'expression de Bouddha s'applique aux Pratyekabuddhas. Ceux-
ci, par le fait de la prééminence de leurs mérites et de leur
savoir (3), l'emportent nettement en grandeur sur les Çrâvakas ;
mais l'absence de l'équipement de mérite et de savoir (-i), de la
grande compassion (5), de la science universelle (e), les rend infé-
rieurs aux parfaits Bouddhas : ils sont « intermédiaires » (7). Et
comme le savoir naît en eux sans enseignement, comme ils sont
d'eux-mêmes Bouddhas, isolément et pour eux-mêmes, ils sont
Pratyekabuddhas.
lia été exposé, au sujet des Çrâvakas et des Pratyekabuddhas,
comment, tirant leur origine de l'enseignement de la loi par les
Tathâgatas, ils naissent des rois des Munis. Or de qui, dira-t-on,
naissent les rois des Munis ? L'auteur déclare que :
« Le Bouddha est issu du Bodhisattva ».
N'est-ce donc point parce que les Bodhisattvas sont engendrés
par l'enseignement du Tathâgata qu'on les appelle « Fils du Victo-
rieux »? En ce cas, dira-t-on, comment les bienheureux Bouddhas
sont-ils issus des Bodhisattvas ? — Ceci est certes vrai ; mais.
(1) buddhasya tattvam.
(2) « On peut dire, en un certain sens, que tout disciple qui va dioit à
la sainteté est un Bouddha aussi bien que le Maitre » (Oldenberg, Bouddha,
trad. Foucher, 2« éd. p. 320-1).
{'i)jnâna.
(4) punya° jnânasambhâtri. — Le premier comprend les vertus de
dàna, çïla et kmnti \ le second la projTiâ. — Voir iii. 12.
(.■5) La compassion [kariom) ne considère que les ôtres de la sphère de
la convoitise (hâmadhâtu) et que la souffrance dite de la souffrance
{duhkhaduhkhatâ); la grande compassion ^mahâkaruvâ) porte sur les
trois espèces de souffrance (voir fi-dossous, p. 2ti0 n. 2) et sur les ôtres
des trois sphères. La première est ndvemsrnhhâ al , la seconde awolui-
svabhâvâ. (Abliidliarmakoravyâkhyâ, Ms. Burn. 44^^ a-b).
(6) sarva^jùatâ.
(7) iitadhyu.
MADHYAMAKÂVATÂUA CHAPITRE PREMIEU. 255
cependant, il y a deux facteurs qui font des Bodhisattvas la cause
essentielle des bienheureux Bouddhas : le caractère particulier de
leur condition, l'induction à prendre [la pensée d'illumination]. En
effet, d'une part, la condition de Tathâgata a pour antécédent la
condition de Bodhisattva ; et, de l'autre, l'Écriture rapporte que le
bienheureux Çâkyamuni et d'autres Tathâgatas, au premier début
[de leur carrière], ont été induits à prendre (i) la pensée d'illumina-
tion par Arya Manjuçrï le Bodhisattva. Par conséquent, puisque la
réalisation complète de l'effet dépend de ce qui eu est la cause
principale, il est établi que les Tathâgatas sont issus du Bodhi-
sattva.
C'est pour cette raison que, indiquant le culte de la cause en (5.7)
vue d'affermir les causes essentielles [de rillumination], mais en
visant implicitement le culte de l'effet, voulant enseigner qu'il faut
sauvegarder avec zèle la pousse et [les premiers rameaux] qui
donneront les fruits immenses et certains du grand arbre de guéri-
son (2), — comme on fait pour les feuilles qui se lèvent et sont
encore fragiles, — voulant appliquer au seul Grand Véhicule la
masse des créatures qui se fixent indistinctement dans les trois
Véhicules, — c'est pour cette raison, disons-nous, que les bienheu-
reux Bouddhas ont fait l'éloge des Bodhisattvas.
L'Aryaratnakïïta (3) s'exprime dans ce sens : « Oui, Kâçyapa,
de même qu'on vénère la nouvelle lune et non pas la pleine lune,
de même ceux qui ont foi en moi doivent vénérer les Bodhisattvas
et non pas les Tathâgatas. Et pour quelle raison ? Parce que les
Tathâgatas tirent leur origine des Bodhisattvas. Eu revanche, des
Tathâgatas procèdent tous les Çrâvakas et Pratyekabuddlias ».
Il est donc établi, tant par le raisonnement que par l'Écriture,
que les Tathâgatas naissent du Bodhisattva.
Mais, dira-t-ou, quelle est l'origine de ces Bodhisattvas ? L'auteur (6.6)
a répondu à cette question (4) :
(H HCimàdrina ; Sûfrni. 15. 1 ; Mahrivyut. 245. 1,,^ : samâdâpayati.
ri) bhai.sojijataru. — Les BodhisaUvas sont fréquemment appelés
hudflhniiliara.
(3) Sur ce texte, voir Çiksâsamuccaya, p. wi, noie.
(4) Vnir ci-ile^sus p. 25:^.
256 LE MLSÉON.
« C'est la pensée de compassion, la connaissance exempte de
dualité et la pensée d'illuminatiou qui sont la cause des Fils du
Victorieux » .
La compassion ou pitié, dont on expliquera ici-même les diverses
espèces et la nature propre. La connaissance exempte de dualité,
c'est à dire la science (i) exempte des couples d'extrêmes, être et
non-être, etc. La pensée d'illumination, telle qu'elle est enseignée
dansrAryadharmasaihgîtisritra(-2) : « Par la pensée d'illumination le
Bodhisattva pénètre tous les principes. Tous les principes sont
identiques au dharmadhrdti. Après avoir connu tous les principes
comme adventices et instables, après les avoir connus parfaitement
en tant que vides de tout sujet connaissant, la pensée qui naît dans
le Bodhisattva, à savoir qu'il faut faire comprendre cette nature
[de tous les principes] aux créatures, c'est ce qu'on appelle la pensée
d'illumination du Bodhisattva. C'est la pensée d'utilité et de bon-
heur pour toutes les créatures, la pensée humide d'affection, la
pensée qui ne retourne pas en arrière par la compassion, la pensée
exempte de regret par la joie, la pensée exempte de souillure
par l'indifférence, la pensée immodifiable fs) par la vacuité, la
pensée exempte d'obscurcissement par l'ignorance du particulier,
la pensée non localisée par l'absence de but » (4).
(7.7) Les trois facteurs essentiels des Bodhisattvas sont la compassion,
la science (5) exempte de dualité et la pensée d'illumination. La
Ratnûvalï (e) dit en effet :
« Sa racine, c'est la pensée d'illumination ferme comme le roi
des montagnes, la compassion s'étendant sur tout l'univers et le
savoir (7) qui ne s'appuie pas sur la dualité. »
(1) prajùà =jTiâna, voir ci-dessus p. 252. note 1.
(2) Cette restitution est conjecturale.— hun-hgro-ba correspond quel-
quefois •d.sai'nglli, mais le titre tibotain Kandjoui-, iMdo, XIX (Feer iûiî)
^ovie yaii-dag-pai' sdiul-pa. — Voir çilcsâsamuccaya, passiin.
(3) ahmra (Çaradcancira 294 b).
(4) çûnyatà, ânimittam, apravihitayn. — Voir riksâsamuccaya 6. 15.
(5) prajnâ.
(6) Texte attribué à Nâgârjuna dans la Nrunasaiiisîtitikâ (Gûdhârtha
55, 9(i) et fréquemment cité dans la Madhyamakavrtti, L^ô.;, 1^8.13, 27.5.7,
.346.5, 3.59.1, xxiii, 9, xxiv, 11. xxv. 'A.
(7) ye-çes =jnâna.
MADIIVAMAKÀYAT.VllA CIIAPITUE PUEMIEU. ^257
Or, comme la compassion est la racine à la fois et de la pensée
d'illumination et du savoir exempt de dualité, Tauteur, pour
établir l'importance primordiale de la compassion, s'exprime ainsi :
2. « Puisque, de cette bénie moisson que sont les Victorieux, la
compassion est regardée comme la semence, comme l'eau qui déve-
loppe, comme la maturité par laquelle est lentement obtenu l'état
comestible, pour cette raison j "exalterai tout d'abord la compassion . »
De même que cette bénédiction des fruits matériels, riz, etc., a (S-Ù
pour indispensables conditions au début, au milieu et à la tin, la
semence, l'eau et la matuiitô (jui en sont le Ibndcment, de même
on nous enseigne ici que c"c.st la compassion qui, au cours des trois
périodes, est la condition indispensable de cette moisson bénie que
sont les Victorieux. Le compatissant, en efïet, souffrant par la
souffrance d'autrui et voulant protéger l'universalité des créatures
qui souffrent, produira certainement cette pensée : « 11 faut absolu-
ment que je m'applique à la conquête de la condition de Bouddha
en retirant tout cet univers de la souffrance ». Or cette résolution
ne peut être réalisée en dehors du savoir exempt de dualité : le
compatissant s'établira donc dans le savoir exempt de dualité.
Par conséquent, c'est bien la compassion qui est la semence de tous
les principes d'un Bouddha. La Ratuâvalï s'exprime dans ce sens :
« Honneur à ce Grand Véhicule dans lequel toute la conduite
procède de la compassion, oii réside le savoir immaculé, oii la pensée
obtient l'extinction complète ».
Mais, quand bien même la pensée d'illumination a éti'^ produite
[à l'état de semence], si elle n'est pas dans la suite continuellement
arrosée par l'eau de la compassion, manquant à accumuler une
grande quantité de fruits, on obtiendra certainement le nirvana
par le nirvana des Trâvakas et des Pratyekabuddhas [: on n'ob-
tiendra pas rilluraination des Bonldhas]. Et eût-on obtenu un stade
de fruit infini, si la maturiti' complote de la compassion fait
défaut, pour un temps très long, on ne jouira i)as du fruit : non pas
qu'il y ait iuterru[)tiùn do la >érie graduelle de la grande accumu-
lation du noble fruit, mais p^-ur un tomps très long le dt'veloppe-
meut comjjlet fait délaui.
Maintenant, voulant rendre homuiago à la compassion tout en
258 LE MUSÉON.
éclairant les caractères de sa nature propre par l'examen de ses
divers objets (i), l'auteur s'exprime ainsi :
3. « Hommage à la compassion qui naît ayant pour objet les
créatures qui adhèrent d'abord au moi en disant " moi », attachées
aux objets en disant : « ceci est à moi », non maîtresses d'elles-
mêmes et semblables aux godets du moulin à eau ! » (2)
(9. 11) Les créatures, avant d'adhérer au « mien », en vertu de l'idée
de moi imaginent qu'il y a un « moi » — lequel n'existe pas — et
y adhèrent comme à une réalité vraie ; pensant : « ceci est à moi »,
elles adhèrent à toutes les choses, de quelque nature que ce soit,
qui sont différentes de l'objet de l'idée de moi (s). Adhérant au
« moi » et an « mien », elles sont enveloppées dans les liens de
l'acte et de la passion. Elles se meuvent soumises aux mouvements
de ce saltimbanque qu'est l'intelligence (1) et circulent sans répit
dans le grand et profond puits de l'existence, du paradis suprême (5)
au dernier enfer (g). De leur nature, elles vont en bas ; si, par
miracle, l'effort les tire vers le haut, comme elles sont marquées de
la triple souillure de l'ignorance et des autres passions, de l'acte et
de la naissance (7), sans qu'il y ait dans leur évolution commence-
ment, fin ou milieu, brisées à chaque instant par la souffrance dite
(1) La. kariouc, comme la w?r/?YrI, est triple sattvàlamband , dharmâ-
lambanà, anâlambann; voir Çiksâsamuccaya 212. 12, 259. 10, Bodhica-
ryâvatâraparijikà, ix. 76, Dharmasariifïralia cxxx et cxxxi (mauvaises
lectures). Aussi longtemps qu'on croit au " moi » et à l'existence indi-
viduelle des créatures, la compassion a pour objet les créatures (sattvd-
lambanâ) \ qn^nà. on reconnaît que les individus iâtmcui, pudgala) ne
sont que des groupes de skandhas, la compassion a pour objet les prin-
cipes {dharma) ou éléments ; quand on reconnaît le néant des shandhas,
elle n'a plus d'ol)jet (anâlambanâ).
(2J Comparer le kïipauanirafihalihânyâya. Col. A. .Jacob, A liandful
of popular maxims, I, p. 14 ; Dict. de St Péfersbourg, s. voc. ghainjantra.
(3) ahatUprai]ia\iavisaya. U) vijTiâna.
(5) hhavnçjra, le sommet de l'existence, (il) avlci.
(7) Cette triple souillure (.wy/V/.7e(?(7) est délinie dans le comment.iirc
de la Nâmasailigïti ad 84 : kleçasai'nkleça = avidjâtrsnopâdnnruii : kar-
ma.saihkleça --= saniskârâ bliavaç ca ; janmasaiiiklcça =- «.csâny angâni.
MADFIYAMAKÂVATAUA CHAPITRE PHEMIEH. 259
de la souffrance et la souffrance dite du changement (i), elles
persistent à ne pas dépasser la condition des godets du moulin. Et
comme le Bodhisattva, souffrant de la souffrance de cet univers des
vivants, ému d'une extrême compassion à son égard, s'efforce de
le sauvegarder, pour cette raison, dès le début, l'auteur rend hom-
mage à la grande compassion du Bienheureux.
Cette compassion des Bodhisattvas a pour objet les créatures.
L'auteur, en vue d'expliquer, d'après leur objet,la compassion qui a
pour objet les clharmas et celle qui n'a pas d'objet, s'exprime
ainsi :
4 a. " Dans celui qui voit que les créatures, semblables à la lune
reflétée dans une eau agitée, sont mobiles et dépourvues de nature
propre. »
Il faut construire avec [la stance précédente] : « Hommage à la
compassion qui naît [dans celui qui voit....] n.
De même que, dans une eau très pure et secouée de légères (10. 15)
vagues en raison d'un veut peu violent, le reflet de la lune est
d'abord aperçu et disparaît [aussitôt], en même temps que [la ride]
qui lui sert de point d'appui ; leur production, pourrait-on dire, est
l'objet d'une perception immédiate, et les savants voient que l'un
et l'autre [ride de l'eau et reflet] révèlent pour ainsi dire leur propre
nature (2), à savoir la qualité de périr d'instant en instant (3) et
l'absence de substance (4) ; — de même les Bodhisattvas, bien que
soumis à la direction de la compassion, voient que les créatures,
placées devant eux, s>nt comme le reflet de leurs actes projeté sur
l'océan de l'hérésie du moi (r,), océau qui est la cause de la sur-
abondance de la saveur de l'ambroisie du principe d'ignorance (e),
(1) Voii- ci-dessuus p. 2iiO. n. 2.
(2) Traductioa conjecinrale. Voici un essjii de version sanscrite: tayor
(â-i'ayapratiljimbalvayoi') Ijhâvah sâRsâd upalabdlia ivodeti : sadbiiir dvâv
etau svâtinatriprakncakâv iva stliitau d.rçyeto, ladyathâ
(:>) pra('//,'.sy(//a//? aniliialii .
(1) sriihlKirdçnnfjatj'i, la 11011 siilistaiitialiti'.
(5) sallinijadr-sli.
(il) avul!iiJdhar)iW)nit(i.rasa.prak(i.i's(ihcti'h (?).
260 LE MUSÉON.
qui est caractérisé par une infinité de conceptions fausses, et
dont l'eau d'ignorance épandue sur l'univers, bleue, large, est
agitée par le vent des imaginations (i) incorrectes ; ils voient ces
créatures comme foudroyées d'instant en instant par la souffrance
de l'impermanence (2) et comme vides de substance ; en eux existe
le désir d'obtenir parfaitement l'état de Bouddha qui est comme le
triomphe sur la souffrance de l'impermanence, qui est la cause de
la surabondance de la saveur de l'ambroisie de la loi suprême, qui
a pour caractère la suppression de toutes les imaginations erronées
et pour essence (3) d'être le parent de toutes les créatures.
(11.13) Ayant rendu hommage aux [trois] compassions des Bodhisattvas,
compassions à l'égard des créatures, compassion à l'égard des
dharmas et compassion sans objet, désirant exposer les dix aspects
distincts de la pensée d'illumination dos Bodhisattvas, l'auteur
s'occupe d'abord de la première pensée et s'exprime ainsi :
4b-5a. « La pensée [d'illumination] de ce fils du Victorieux,
pensée qui, en vue de la délivrance des créatures, est soumise à la
direction de la compassion qui est infléchie (4) par la résolution
« universellement propice », qui est fixée dans la joie, c'est la pre-
mière [terre] « .
(12. 1) Le savoir immaculé (5) des Bodhisattvas, subdivisé suivant qu'il
est [particulièrement] uni (e) à la compassion, etc., prend le nom
de terre (hhUmi) parce qu'il est le support des qualités. Eu raison
de la différence dans le nombre des qualités, dans l'acquisition de
forces surabondantes, dans l'entrée en possession des vertus trans-
cendantes du don, etc., dans le développement de la maturité, ce
(1) vikalpa.
(2) anityatnduhhhatâ, ex\^\'\quée dm}s Abhidharmakoravyrikhyri, Soc.
As. 389 b : anityaih tu drçyamânaili 2>f'(ifihUlam ity anityâhâro
duhhhàhctram àharsati. — On distinfïue communément trois diili/ihoiâ,
savoir duhkha", sa)iiskfira°, v/parfnâma'^, voir Maliâvyut[)atti, m,
Madliyamakavrtti, xxiv, au dobnt.
(3) svabhàva.
(4) parivâmita, appliquée au sahit des ciéa turcs.
(5) anàsravamjnànam.
(6) parigrhïta.
MADHYAMAKAVATÀKA CHAPITRE PREMlEft. 261
[savoir] prend dix aspects distincts de plus en plus élevés, se sub-
divisant en « Joyeuse Terre », etc. (i) Mais, en cela, ce [savoir] ne
supporte pas de division résultant de différences dans sa nature.
Un texte établit cette doctrine (2) :
« De même que la trace de l'oiseau dans le ciel ne peut être ni
nommée par les babiles, ni vue ; de même toutes les terres du fils
du Victorieux ne peuvent être nommées. Comment pourraient-elles
être entendues ? »
La terre des Bodhisattvas [nommée] « Joyeuse » (3) est la première
production de pensée [d'illumination] des Bodhisattvas ; la dernière
[terre] « Nuage de la loi n (4) est la dixième production de pensée.
[Expliquons la stance.] Donc la pensée du Bodhisattva qui voit,
de la manière qui a été dite, que les créatures sont dépourvues de
substance (5), pensée [par conséquent] unie à une certaine forme
de compassion (e), soumise à la direction de la compassion, appli-
quée [au salut des créatures] par la résolution « universellement
propice » du Bodhisattva, dénommée « Joyeuse », étant le savoir
exempt de dualité désigné par l'effet dont il est la cause (7), cette
pensée est la première [terre ou production de pensée].
Les dix « nombres incalculables » (sj de 100000 résolutions, à
commencer par les dix grandes résolutions (9) que projette le Bodhi-
sattva en produisant la première pensée [d'illumination], sont toutes
comprises dans la résolution « universellement propice » (10) du
(1) Sûtrâlaihkâra, iii, 2 ; Bodhicaryâvatârapanjikâ ad ix, 4 (p. 370.13).
(2J Voir Daçabhûmaka (Mss. Bendall, XVIII, 5, 3).
yathântarikse çakunet padam budhair
vakturii na çakyaiii na ca darçanopagam /
tathaiva sarvâ jinaputrabhûmayo
vaktmh na çakyâ
(3) pramuditâ.
(4) dharmamegha.
(5) svabhâva.
(6) A cette iorme de compassion qui vise, non pas les créatures, mais
les dharmas ; ou bien qui n'a pas d'objet.
(7) La syntaxe de cette dernière partie de la phrase est obscure.
(8) asarhkhyeya.
(9) daça mahâpraf^idhândni, expliquées dans le Daçabhûmaka (Daça-
bhûmïçvara).
(10) samantabhadraprai^idhdna.W s'agit sans doute du vœu de Saman-
tabhadra (Lotus de la bonne loi, chap, xxvi) fort analogue au Bhadra-
carlpranidhâna ; voir Çiksâsamuccaya, p. 297.
262 LE MISÉON.
BodLisattva. La résolution « universellement propice « a été con-
stituée en vue de concentrer toutes les résolutions sans exception.
(13,6) De même que, dans le Véhicule des Çrâvakas, sont établies huit
terres de Çrâvaka, d'après la distinction [pour chacun des quatre
fruits] de « candidat » (i) et de « placé dans le chemin du fruit », (2),
de même aussi, dans le grand Véhicule, il y a dix terres de Bodhi-
sattva pour les Bodhisattvas.
Et aussi, de même que le Çrâvaka eu qui est produite la condi-
tion nirvcdhahJiây'iija (aj n'est pas considéré comme se trouvant dans
la condition de « candidat « au premier fruit, de même il en est
pour le futur Bodhisattva (4).
C'est dans ce sens que s'exprime le llatnameghasûtra (5) : « Cette
terre, placée immédiatement avant la première, et consistant
essentiellement dans la pratique excessivement excessive (e) de
l'aspiration (7j, est la terre du Bodhisattva qui n'a pas produit la
pensée d'illumination » (s), et encore : « 11 en est, 6 fils de famille,
de celui qui est placé dans ce moment de la pratique de l'aspira-
tion comme, par exemple, d'un monarque souverain ; celui-ci
dépasse la nature humaine, mais n'atteint pas la nature divine.
(1) pratipannaka.
(2) phalamârgasiha. — Cette expression est étrange : on a d'habitude
1. srataccpattiphalapratipannaka, srotaâpaltlphdlastha, sahrddgâmi-
phalapratipannaka, °stha, et ainsi de suite. Voir Cliilders et Madtiya-
makavi'tti, xxiv, initio.
(3) nirvedhabhaglyâvasthà (Abhidharmakoçavyâkliyâ, Soc. As. ;{S7 a
3j. Il s'agit d'états spirituels " mondains » ou « naturels >» (laukikci) qui,
chez les Bouddliistes, ne sont que préparatoires aux extases {dhyâna) et
à la « candidature aux fruits ». Voir Mahâvjutpatti, § 55, § 48. 32; Netti-
pakarana, 157 au bas (interprétation différente) ; Sûtrâlaiiikâra vi, 7,
xiv. 27 ; Wassiiictr, 24(> ; Çarad Candra Dâs. p. 355.
(4) bti a V i.syadbûdh isa IL va .
(5) Voir Çiksrisainuccaya, 7.13.
(6) adhiniâlrâdhimâtru, la neuvième itaiini les combinaisons des
ternies mrdu, niadhya, adhimâtra.
(7) Il s'agit de V adhimuhlicarynhhâmi . période jiendant laquelle on
« aspire " : la pensée d illumiiuition n'a pas encore été produite dans les
conditions nécessaires pour ci-éer une terre proprement dite. Le lidèle
n'est encore qu'un futurBodhisattva.— Sûtrrdaihkarax 1,75, xiv, 19, xx, 41.
(8) anutpâditàbodhicUia.
iMADIIYAMAKÂVATÂRA CIlAPfTRE 1>REMIKI\. 205
De même le Bodhisattva, [daûs ce stade de la pratique de l'aspira-
tioQj, dépasse beaucoup toutes les terres des [saiuts] mondains, des
Çrâvakas et des Pratyekabuddhas, mais il n'atteint pas la terre du
vrai Bodhisattva » .
Mais lorsqu'il est entré dans la première terre qu'on appelle
Pramuditâ,
5 b. « A partir de ce [moment], ayant acquis cette [pensée], il
n'est plus désigné que par le nom de Bodhisattva ».
Ayant acquis cette pensée, placé dans une condition de toute
manière supérieure à la terre des hommes ordinaires (prthagjana),
il ne peut être désigné que du nom de Bodhisattva et non autre-
ment, car il est maintenant un Arya.
Comme il est dit dans la Sârdhadvisâhasrikâ Bhâgavatî (i) : (14.9)
« Le terme Bodhisattva signifie un être comprenant, par lequel
sont compris, connus tous les principes. Connus de quelle façon ?
[Comme] non-nés, non produits, faux ; non comme ils sont conçus
par les ignorants hommes ordinaires ; non comme ils sont perçus
par les ignorants hommes ordinaires. C'est pour cette [connais-
sance] qu'on l'appelle Bodhisattva. Et pourquoi cela ? Parce que
la Bodhi n'est pas l'objet de conception, la Bodhi n'est pas con-
struite, la Bodhi n'est pas perçue. Car, ô Suvikiântavikrâmin, la
Bodhi n'est pas obtenue par le Tathâgata ; eu raison de la non
obtention d'aucun principe, en raison de la non perception d'aucun
(1) Correspond à Camb. Add. 1543, fol. 1(3 b : bodhisattva ity anubuddha-
sattvasyaitad adliivacanam, yeua sarvadliarmâ buddhâ jnâtâl.i. kathaiii
jùâtâh i abhûtâ, [alsaiiibhûtâ vitathâ naite tathâ yatlui brUaprthagjanaih
kalpitâh, naite tathâ yatbâ bâlaprtliagjanai[r] labdhâs tenocyate bodhi-
sattva iti . tat kasya hetor ? avikalpitâ hi bodhir, avithapitâ hi bodhir,
anupalambhâ lii bodhih . na hi Suvikrântavikrâmim tuthâgatena bodhir
labdhâ, alambhât sai-vadharniânâm anupalambluit sarvadharmânâm
bodhir ity ucyate, evaih buddhabodliir ity uoyate, na punar yatho-
cyate . yena i?) Suviki'ântavikrâmiih bodhàya cittam utpâdayanti : idaiii
cittaiii bodhâyotpâdayisyâma iti, bodhiili nianyante : asty asau bodhir
yasyâih vayaih cittam utpâdayisyâma iti, na te bodhisattva ity ucyante,
utpannasattvâs ta ucyante . tat kasmâd dlietos? tathâ hi, utpâdâbhini-
vistâç cittâbliinivistâ bodhim abhiniviçante.
Suit la définition de ces faux Bodhisattvas comme « abhisamskâra-
sattvas ».
âOi i.i: MisKON.
principe, on dit '' Bodbi », de même « Bodlii de Bouddha» ; et
non pas comme [les ignorants] disent. 0 Suvikrriutavikrânïiu, ceux
qui produisent une pensée pour l'illumination en disant : « Nous
produisons cette pensée pour Tillumination », et se l'ont une idée
de la Bodhi en pensant : « Il y a une Bodhi pour laquelle nous
produisons la pensée », ceux-là ne sont pas appelés Bodhisattvas ;
ils sont appelés UipannasaUvas. ¥A pourquoi cola V Parce qu'ils
adhèrent à l'idée de production, de pensée et du Bodhi. »
Et encore : " La Bodhi est non caractérisée, étant exempte de
la nature de caractère. Ce qui comprend ainsi on l'appelle Bodhi
et non pas comme [les ignorants] disent. 0 SuviUrriutavikiâmin,
on dit « Bodhisattva » en raison de Tintelligence de ces principes.
Quiconque, ô Suvikrântavikrâmin, ne connaissant pas, ne compre-
nant pas ce principe, pense de lui-même : « Bodhisattva, Bodhi-
sattva, » celui-là est loin de la terre du Bodhisattva, loin des
principes du Bodhisattva. Et, par le nom de Bodhisattva, il trompe
les mondes des dieux, des hommes et des Asuras. 0 Suvikrântavi-
krâmin, s'il devient Bodhisattva par la seule prononciation de ce
[mot], si par suite toutes les créatures même deviennent Bodhisat-
tvas, cela, ô Suvikrântavikrâmin, n'est pas même i)ur acte de
parole, de même que « terre de Bodhisattva » [n'est pas même un
motj B (i).
(16. i) Ayant acquis la pensée d'illumination définie ci-dessus, [le saint],
dans cette [terre], non seulement ne peut être désigné que du nom
de Bodhisattva, mais en outre :
6. « Il est né dans la famille des Tathâgatas et le triple lien est
totalement brisé pour lui ; étant Bodhisattva, il manifeste une joie
extrême ; il serait capable d'ébranler cent univers » (-2).
(1) Traduction conjecturale. Voici la traduction littérale du tibétain :
tadvacanamctlrena bodhisatlvo bhavet. iatak sarvasatlvà api bodhi-
satlvâ bhaveyur, etad vâkkarmamcitraiii )idsii tudyallid bodhisat-
tvabhûmir ity âdi.
(2) L'original sanscrit nous est connu par une citation d'un commen-
taire de la Nâmasaihgïti (ad 127) : tatlià coktaih Candrakirtinâ :
jâtalj kule bhavati caisa tathâgiitânâiii
saïuyojanatrayam api ksatam asya sai'vain /
modaih bibharti ca paraih sa lii bodhisattva^
syâl lokadhâtuçatake parijâtaçaktiti //
Ms. moham .... °çatakarh parajûta».
MADIIYAMAKAVATÂRA CIIAPITIIK PIIEMIEU. 2(}0
Comme il dépasse toutes les terres des hommes ordinaires, des
Çrâvakas et des Pratyekabuddhas, et qu'il est né dans le chemin
qui conduit à la Samantaprabhà ou terre des Tathâgatas (i), le
Bodhisattva est né dans la famille des Tathâgatas (2).
Comme il voit alors, d'ime façon immédiate, le néant de l'indi-
vidu (3), il est délivré des trois liens, à savoir de l'hérésie du moi,
du doute et de la confiance dans les pratiques ; ces liens, en effet,
ne se reproduiront plus [pour lui]. C'est l'intuition de la réalité (5),
et non point un autre principe, qui détruit l'hérésie du moi issue
de la supposition du moi (e), et aussi la possibilité de marcher
dans un mauvais chemin en raison du doute (7),
Comme il est entré dans la prédestination (s), il acquiert les
qualités qui ont cette transformation pour cause, et, délivré des
défauts incompatibles avec la terre [d'un Bodhisattva], il naît dans
une excellence de joie extraordinaire. Par la surabondance de la
joie, ce Bodhisattva manifeste une prééminence de joie.
Parce que la joie est excellemment noble (a), cette terre reçoit
le nom de Joyeuse.
Et [le Bodhisattva qui l'occupe] est capable d'ébranler cent
univers (10).
(1) Mahâvyutpatti, 3.
(2) Comparer Bodhicaryâvatâra, iii, 25.
(3) pudgalanairàtmya, voir p. 268, n. 1. — « d'une façon immédiate »
pratyahsa.
(4) satkâyadrsti, vicikiisà, çîlavrataparâmarça.
(5) tattvadarçana.
(6) àtmasamàropa.
(7) Traduction conjecturale.
(8) niyâmâvahrànti, c'est-à-dire, dans le langage du Petit Véhicule,
âryamârgâvatârana (Abhidliarraakoçavyâkhyâ, Soc. As. 290 b 3). — Il
s'agit ici de l'entrée dans une niyatabhûmi, dans une terre à proprement
parler, où l'on est sûr du salut et du progrès, par opposition aux stades
préliminaires comme sont la gotrabhùmi et Vadhimoksacaryâbhûmi
(Voir ci-dessus p. 262, n. 7 et Sûtralaiiikâra iii, 6, xii, 19, xix, 38).
(9) dry a.
(10) Ceci indique la possession des pouvoirs surnaturels, contempler les
Bouddhas, etc. Le nombre des univers ébranlés va croissant dans les
terres supérieures, 100, 100,000 etc.
19
2(i() i-i: MLNtoN.
7. " Piissaut Je terre ca terre (i), il ira en moutaut ; en ce
moiueut, pour lui, les cheiuius des mauvaises destinées sont tous
détruits ; en ce moment, pour lui, les terres des hommes ordi-
naires sont toutes détruites ; comme sur i'Arya du huitième rang (2),
ainsi est-il enseigné sur sou compte ».
En raison de la méditation des principes tels qu'il les a péné-
trés (3), eu raison du grand effort pour passer dans la deuxième
terre et les suivantes, passant de terre en terre, il ira eu montant.
En résumé, de même que le noble Srotar4)auna (^J, par l'intelli-
gence des nobles priuci[>es qui lui sont appropriés, est délivré de
déiauts et acquiert des qualités, de même [l'auteur] explique clai-
rement, par l'exemple du tSrolaâpanna, que ce liodhisattva, par
rintelligeuce de [saj terre (5), ac(juiert les (qualités appropriées et
détruit les délauls.
(17.16) -^^ Bûdhisattva,
8. " bien que placé seulement dans la première vision de la
pensée de la pariaite illumiuation, domine dans sa grandeur, par
son mérite, les Pratyekabuddhas et aussi les [saintsj nés de la
parole du roi des Munis. »
Ceci est une nouvelle excellence [de la première terre].
LÂryamaitreyavimok.sa (oj s'exprime dans ce sens : « De
même, ô hls de famille, le tils d'un roi, peu de temps après sa
naissance, étant revêtu des marques d'un roi, surpasse toute la
troupe des ministres, malgré leur âge, en vertu de la majesté de sa
race ; de même le Bodhisattva débutant {-.), peu de temps après
(1) Comparer Mah'ivyutpatti 245, 4oJ-G, bhûmyâkramayam, bhûmer bhû-
myantarasaiiiki-anianam.
i<;,i hpliays-pa 0)gyad-pa ^ a^tamaka Cirya. c'est-à-dire, croyons-
nous, le (jifivaka de Va^lamakabliânii (Mahàvyuipatti 50^), de la hui-
tième terre en connnciigaut par le haut ; le plus humble des Aryapudgalas
ou srolaOpattt phalapratipannaka (Comp. Dharmasaiiigraha CU).
la) yalliânubuddhadliarniabliâvaiiri.
(4) L'édiiion noire ajoute - et les suivants r. — On ne voit pas comment
le Srotaâjiaïuia peut êtie le huitième Ârya.
(ô) Chacune des « terres » est un aspect du « savoii' «.
(Gj Voir un autre e.vtrait du même Sûtra traitant du même point de
doctrine, çik.^âsainuccaya, V.a l^ Bodhicai-yrivatâiaparijikâ -JS.u)-
(7) ôdikannika.
.MADIIVAMAKAVATÂr.A (.IIAPITIU: l'Ul^.MEEU. :2(j7
avoir produit la pensée d'illumination, comme il est né dans la
famille de ce roi de la Loi qu'est le Tathâgata, surpasse, en vertu
de la pensée d'illumination et de la compassion, tous les Çrâvakas
et Pratyekabuddhas qui pratiquent la vie religieuse depuis long-
temps. De même, ô lils de famille, que chez le petit du grand
roi des Garudas, peu de temps après sa naissance, existent des
qualités, force du vent des ailes, pureté parfaite de Toeil, qui ne se
rencontrent chez aucun autre oiseau même adulte ; de même chez
le Bodhisattva qui a produit la première pensée d'illumination,
qui, petit du grand roi des Garudas, est né dans la lignée de la
race de ce grand roi des Garudas qu'est le Tathâgata, existent des
qualités, héroïsme par la force des ailes qui produisent la pensée
de rOmniscience, et, pour l'œil, pureté parfaite d'intention ; qua-
lités qui ne se reucontreut chez aucun Çiâvaka ayant renoncé au
monde depuis cent mille millénaires, ni chez aucun Pratyeka-
buddha », et le reste (ij.
8d. « Mais, dans la [terre nommée] Dûraiiigamâ, il les domine (19. i)
aussi par rintelligeuce » (-2).
C'est ce qu'enseigne aussi l'Aryadaçabhûmika (3) : « De même,
I
11) Voir Çiksâsamuccaya, 6.,o, la comparaison du Bodhisattva encore
ignorant et du kalavùlha encore dans l'œuf.
(2) dîiramgamdyâiii tu dhiyddhika.
Cette ligne est citée dans la Madhyamakavj'tti, p. 353.i.
(3) Ce passage correspond au Daçabhûmîçvara, Ms. Burn. fol. 82 a et au
fragment Bendall viii a i> :
tadyutliâpi nania bliavanto 1 jinaputi'â râjakulaprasûto râjaputro
râjalaksanasainanvrigato jâtamâtra eva sarvam runâtyaganam ^ abhi-
bhavati râjâdhipalyena, na punah svabuddhivicârena . yadâ punah sa
sariivrddiio bliavati, tailâ svabuddliibalâdhânatal.! sarvâmâtyakrlyâm
atikrâuto '^ bliavati . evain eva blio jinaputi'â bodhisattvah saha
cittotpâdena sarvaçrâvakapratyekabuddliân abhibhavaty ^ adhyâçaya-
mâhâtmyena, na punah svabuddhivicru-ena . asyârii ^ tu saptamyâih
bodhisattvabbûmau stliito bodhisattvah ^ svavisayajùânaviçesamâhâ-
tmyâvasthitatvât sarvayrâvakapratyekabuddhakriyâm atikrânto bha-
vati.
1 Bendall : bho. — ^ Paris : sarvâmâtya».
3 Bendall : sarvam (?) amâtyakriyâm atp ; Paris : sarvâmâtyakriyâ-
samati°. — * Bendall °ti a". — ^ Paris : asyâm s°.
^ Paris : svavisayajnânâvasthitatvât.
208 I.K MtSÉON.
ô fils (lu Victorieux, le fils d'un roi, né dans une famille royale et
revêtu des marques royales, surpasse dès sa naissance, par la sou-
veraineté royale, toute la troupe des ministres, mais non pas par
l'exercice de son intelligence propre ; mais, lorsqu'il est adulte,
ayant réalisé la force de sou intelligence propre, il dépasse intiui-
ment toute l'activité des ministres. De même, ô fils du Victorieux,
le Bodhisattva, aussitôt produit-il la pensée [d'illuminatiouj, sur-
passe, par la grandeur de sou intention, tous les Çrâvakas et les
Pratyekabuddhas, mais non pas par l'exercice de son intelligence
propre ; mais, quand il est placé dans cette septième terre du
Bodhisattva, le Bodhisattva, résidant dans la grandeur de la con-
naissance de son domaine propre, surpasse infiniment toute l'acti-
vité des Çrâvakas et des Pratyekabuddhas ».
C'est donc seulement à partir de la [tcrrej Dûraïugamâ que le
Bodhisattva, réalisant la force de son intelligence propre, surpasse
les Çrâvakas et les Pratyekabuddhas ; il n'eu est pas de même
dans les terres inférieures. Telle est la doctrine,
f 19.n) (0 ^^ texte sacré qui précède établit clairement que les Çrâvakas
et les Pratyekabuddhas possèdent, eux aussi, la connaissance de
la nou réalité substantielle de tous les principes (-2) ; s'il en était
autrement, par le fait qu'ils seraient dépourvus de l'intelligence (3)
de la non réalité substantielle de toutes choses, ils seraient, comme
les saints mondains (4), surpassés par le Bodhisattva même qui
n'a produit que la première pensée [d'illumination], et cela même
au point de vue de l'exercice de son intelligence propre ; semblables
au non-bouddhistes (5), ils n'auraient rejeté aucun des attache-
Il) L'auteur profite de ce parallèle entre les Bodhisattvas et les saints
du Petit Véliicule pour montrer que, quoi qu'eu disent les théoriciens du
Hinayûna et Bhâvaviveka, les anciens Sûtras enseignent, tout comme
les livres du Mahâyâna, le double néant : pudgalanairàtynya (°rûnyntâ)y
inexistence d'une àme ou d'un moi ; dhanna°, skundhanairâlmya
{°çânyatà), inexistence en soi des prétendus éléments du ptcdgala. —
Voir le système de Bhâvaviveka, Madhyaiuakavi'tti, 351.15.
(2) sarvudltanna-svabhdca-abhdva.
(3) parijndna.
(4) lauhikavltaràga (Abhidharmakoçavyrdthyâ, Soc. As. -Ka a).
(5) bâh y avat. — C'est seulement par le Nol»le Cliemiii qu'on abandonne
délinitivement la souillure des passions, et non pas par les méditations
mondaines ou naturelles [laukika). — Voir ci-dessus p. 262, n. 3.
MADIIYAMÂKAVÂTÂRA CHAPITRE PREMIER. 269
ments des trois sphères du monde (i). Plongés dans l'erreur par
l'adhésion à l'essence réelle de la matière et des autres [élé-
ments] (2) ils ne réaliseraient même pas le néant de l'individu (3),
et cela, par le fait même qu'ils admettent les éléments (4) qui sont
la cause de [l'idée et dej la dénomination de « moi » (5).
C'est ce qui est expliqué dans la Ratnâvalî : (20.8)
« Aussi longtemps qu'on croit aux éléments, aussi longtemps on
croit à son « moi n ; aussi longtemps qu'on croit à son « moi », on
agit, et de l'acte s'ensuit la renaissance ».
« Ne présentant, au cours des temps, ni commencement, ni fin,
ni milieu (e), le cercle des existences, semblable au cercle formé
par un tison, tourne par la causalité mutuelle ».
« Quand on reconnaît qu'à aucun moment de la durée il n'existe
par soi, par autrui, par soi et autrui, l'idée de « mon moi » dispa-
raît ; par suite aussi l'acte et la naissance ».
Et encore :
« De même que l'œil, par illusion, perçoit le cercle formé par le
tison, de même les sens perçoivent les objets actuels ».
« On définit les sens et les objets des sens comme ayant pour
substance (7) les [grands] éléments (s) ; mais ceux-ci, pris sépa-
rément, n'existent pas (9) ; donc les [sens et les objets] n'existent
pas en réalité ».
« Si les [grands] éléments, pris séparément, isolément, [exis-
taient], il y aurait du feu sans combustible ; mêlés, ils seront sans
caractères. Et la même conclusion vaut pour le reste » (10).
(1) tri-dhâtv-avacara-anuçaya.
(2) rûpâdaynh shandhâh.
(3) piidgalanairâtmya.
(4) skandha.
(5) dtmaprajnapti.
(6) Traduction conjecturale.
(7) svabhcwa.
(8) mahàbhûta, eau, feu, etc.
(9) ou « ne sont pas objets » idon-med) ; mais voir la stance suivante.
Dans l'Alambanapaiîksri, Dignâ;^a démontre parla même méthode l'inexis-
tenoe des atomes et des composés d'atomes.
(10) C'est à dire, croyons-nous, pour les autres éléments (skandha) ; les
« f,n'ands éléments », eau, feu. etc., constituent l'élément matière (rûpa).
270 LE MLSÉON.
« De la sorte, les [grands] éléments, même considérés sous deux
aspects, [isolés ou mêlés], n'existent pas ; donc leur mélange
n'existe pas, par suite de l'inexistence des composants ; donc,
en réalité, la matière (i) n'existe pas ».
« La connaissance, la sensation émotive, la faculté de dénomi-
nation, les dispositions morales (2), prises isolément en elles-mêmes,
n'existent pas ; donc elles n'existent pas en réalité vraie ».
« De même qu'on attache l'idée positive de bonheur à la guéri-
son (3) de la souffrance ; de même on attache l'idée de souffrance
à la destruction du bonheur ».
" De la sorte, en raison de la non-substantialité [du bonheur et
de la souffrance], sont abandonnées la soif de l'acquisition du bon-
heur, la soif de l'exemption de la souffrance : par conséquent,
celui qui voit ainsi est délivré ».
« Mais, dira-t-on, quel est le principe qui voit [ainsi] ? — Du
point de vue des apparences, on l'appelle " pensée » ; mais il
n'existe pas de pensée sans les « succédanés de la pensée » (4) ;
[ceux-ci] n'existent pas, donc nous tenons la pensée pour inexis-
tante ».
« Quand donc elle connaît ainsi le monde tel qu'il est, c'est-à-
dire dépourvu de réalité, ne se fixant, ne s'appuyant sur rien, elle
s'éteint comme un feu non entretenu ».
(21.14) Mais, dira-t-on, une semblable intuition (5) de la non-réalité
substantielle n'appartient qu'aux seuls Bodhisattvas ? — C'est une
erreur, car c'est au sujet des Çrâvakas et des Pratyekabuddhas
que sont dites les stances ci-dessus. — Comment le savez-vous ?
dira-t-on. — Parce que, aussitôt après, il est dit au sujet des
Bodhisattvas :
« Mais quand le Bodhisattva voit ainsi, il désire fermement
l'illumination ; bien plus, par compassion, il continue à renaître
jusqu'à l'obtention de l'illumination ».
(1) rûpa.
(2) vijTiânam^ vedanâ, saêiijTià, sai'askCirdh.
(3) pratividhâna ; voir ci -dessous p. 273, notes 4 et S.
(4) scms-libyuù = caitta ; ces •• produits de la pensôe n sont notamment
lu sensation agréable, désagréable, etc., dont l'auteur a établi la non-
existcncc.
(5) darçana.
MADIIYAMAKAVATARA CHAPITRE PUEMlEIl.
271
D'ailleurs, dans les Sûtras même qui enseignent le chemin des
Çrâvakas, on trouve des passages comme celui-ci :
« La matière est semblable à un flocon d'écume ; la sensation
émotive à une bulle dans l'eau ; la dénomination à un mirage, les
dispositions morales au bananier ; la connaissance à une magie :
ainsi l'a déclaré le neveu du soleil ». (i)
Les termes de comparaison, flocon d'écume, bulle, mirage,
bananier, magie, etc., constituent l'examen critique des samsMras,
exposé en vue de l'abandon, par les Çrâvakas, de l'obscurcisse-
ment passionnel.
Ce point est enseigné par [Nâgârjuna,] notre maître, quand il dit : ('22.8)
« Le Grand Véhicule enseigne la non-naissance, l'autre [Véhicule]
la destruction ; c'est la même vacuité dans le sens de destruction
et de non-naissance ; il faut la supporter » . (2)
Et encore :
« Dans le Kâtyâyanâvavâda, le Bienheureux, qui sait ce que
c'est que l'existence et la non-existence, a défendu d'affirmer et
de nier l'existence « . (3)
Mais, pensera-t-on, si le Véhicule des Çrâvakas enseigne le (22.15)
néant des éléments (4), la doctrine du Grand Véhicule devient
inutile ? — Semblable opinion est contredite par le raisonnement et
par l'Écriture. En effet, la doctrine du Grand Véhicule n'enseigne
pas seulement le néant des éléments, mais encore les terres des
Bodhisattvas, les vertus transcendantes (pàraniitcls), les résolu-
tions (5), la grande compassion, etc. ; mais encore l'application (e)
[du mérite à l'illumination], les deux équipements [de mérite et
de savoir] (7) et la nature incompréhensible du clharma (s).
(1) Voir Sailiyuttanikâya III, p. 142. Ces lignes sont citées Madhyama-
kavrtti, p. 41.
(2) Traduction conjecturale. — La « patience » se dit de l'adhésion à
une vérité dure à supporter {dharmanidhijânaksànti).
(3) Madhyamakaçâstra xv. 7, Madliyamakavrtti, 269.5.
Kâtyâyanâvavâde oâstïti nâstïti cobliayam /
pratiçiddhaiii bhagavatâ bhâvribhâvavibliâvinâ /
Comparer Samyuttanikâya II, p. 17.
(4) dharmanairàlmya.
{')) ■pranidhàna, voir p. 261 ad tinem.
(6) pcaHnàmanâ, voir p. 278, n. 3.
(7) Voir ci-dessous, chap. iii, 12.
(8) acintyadharmatâ.
272 LE AILSÉON.
C'est dans ce sens que s'exprime la Ratnâvalî :
« Le Véhicule des Çrâvaiias ne parle ni des résolutions du
Bodbisattva, ni de la carrière [de l'illumination], ni de l'application
[du mérite], — ni, à plus forte raison, du Bodhisattva n (i).
« [Le Bienheureux] n'a pas enseigné dans les Sûtras l'utilité
qui réside dans la carrière de l'illumination (2) ; il l'a enseignée
dans le Grand Véhicule : c'est pourquoi les sages s'attachent à ce
[Véhicule] ».
(23.8) D'ailleurs, l'enseignement du Grand Véhicule est justifié en vue
d'une claire explication du néant des éléments dont un exposé
étendu était nécessaire ; tandis que, dans le Véhicule des Çrâvakas,
le néant des éléments n'est traité qu'eu résumé et indirectement.
C'est ce que dit notre Maître :
« Vous avez dit qu'il n'y a pas de délivrance sans l'intelligence
de l'absence de marques (s), et c'est pourquoi vous avez enseigné
cette doctrine au complet dans le Grand Véhicule (4) ».
(23.15) Mais c'en est assez, car ceux dont l'esprit n'est pas troublé,
1 ourront, d'après ce qui précède, saisir d'eux-mêmes la vérité sur
ce point. Revenons à notre sujet.
9 a. « Pendant cette période (5) ce qui prédomine dans ce
[Bodhisattva], c'est la charité (e), cause première de l'illumination
des parfaits Bouddhas ».
Dans le Bodhisattva qui est parvenu à la terre Pramuditâ, parmi
les dix [vertus tranccndantes], charité (e), moralité, patience,
énergie, recueillement, science, moyen, résolution, force, savoir,
c'est la vertu transcendante de charité qui prédomine ; mais les
autres ne sont pas absentes. Et cette charité est la cause première
de l'omniscience.
(1) ou bien : " .... comment y aurait-il un Bodhisattva ? «, bodhisattvah
kuto hhavet. — (2) hodhicaryâ.
(Z) ânimitlam; suppléez çûnyatâ et apranihitam, les deux autres
vimok.sas. ci-dessus, p. 256, n. 4.
(4) Nrif,^rirjun;i s'adresse à. Bliaf?avat. — Plusieurs stances empruutoes
au même ouvrage, non identifié, sont citées ci-dessous et dans la Madliya-
makavftti.
(5) (adô, dans la première terre. (()) dnna, don, aumône, charité.
MADHYAMAKAVATÂllA CHAPITRE PUEMIEll. l273
9 b. « [La charité,] qui, par le zèle (i) [du Bodhisattva] pour le
don même de sa propre chair, est l'indice des [qualités] qui ne
sont pas qualifiées à se manifester [dans la première terre] ».
Pendant cette période, les qualités du Bodhisattva, intelligence (2)
etc, qui ne sont pas qualifiées à se manifester, sont clairement
induites [de la charité] au moyen du raisonnement inductif qui a
pour caractère de faire voir (3) les choses [cachées] internes ou
externes ; de même que de la fumée, etc., on connaît l'existence
du feu, etc.
De même que la charité est, pour les Bodhisattvas, la cause (24.12)
première de la condition de Bouddha et l'indice de leurs qualités
non évidentes, de même pour les hommes ordinaires, pour les
Çrâvakas et les Pratyekabuddhas, elle est la cause de la suppres-
sion (4) de la souffrance et de l'acquisition de la béatitude défini-
tive (5). L'auteur s'exprime ainsi :
10. « Tous les hommes désirent le bonheur, et, pour les hommes,
il n'est pas de bonheur sans la jouissance. Sachant que la jouis-
sance est produite par le don, le Muni prêche d'abord le don ».
Les créatures, (e) attribuant par erreur une continuité substan-
tielle à la réunion des causes dont procède le « bonheur de
l'existence » (7) qui n'est que le palliatif (s) de la souffrance, l'anti-
dote (9) de la faim, de la soif, de la maladie, du froid, etc., —
s'attachent à l'extrême à la suppression des misères (10) [de l'exis-
tence] laquelle n'est pas un bonheur positif. Le bonheur des [créa-
tures] éprises d'un semblable bonheur, consistant seulement dans le
(1) àdara.
(2) rtogs-pa ; voir ci-dessus p. 252, n. 6.
(3) Traduction conjecturale et reposant sur la correction de ston en
ston.
(4) pratividhàna.
(5) âtyantika sukha.
(6) Traduction conjecturale ; la syntaxe est obscure.
(7) hhavasuhha.
(8) pratividhàna.
(9) pi'atipaksa.
(10) upadrava.
27 i lf: muséon.
palliatif de la souffrance, réside dans la jouissance des objets
désirés, antidote de la souffrance, et ou constate qu'il ne peut se
produire sans la jouissance, laquelle est faite de confusion (i). Or
ces objets, causes du palliatif de la souffrance, Bhagavatsait qu'ils
manquent à ceux qui n'ont pas accumulé les bonnes actions maté-
rielles qui découlent de la charité ; c'est pourquoi, connaissant
les dispositions de toute créature sans exception, il prêche d'abord
la charité avant de prêcher la moralité et les autres [vertus].
(25. u) L'auteur montre maintenant la grandeur de la charité, en con-
formité avec ses actes, même quand la créature qui donne n'y est
pas conforme :
11. « Même pour les créatures dépourvues de compassion,
brutales, appliquées à leur intérêt propre, découlent du don les
jouissances désirées, causes de l'apaisement de la souffrance ».
Ceux qui, semblables à des trafiquants, désirant une très grande
fortune comme fruit de l'abandon d'une très petite somme,
réclamant beaucoup plus qu'on ne réclame d'eux (2), vénèrent le
désir du don (2) ; ceux-là ne développent pas, comme les fils du
Sugata, l'allcgrcsse (H du désir du don exempt de l'attente du
fruit de la charité et entièrement dirigé par la compassion, — mais
cependant, obtenant cette lumière de ne plus critiquer [le don]
mais d'en apprécier seulement les qualités ("O, le don est pour eux
cause de rapaisemeut de la souffrance, car il triomphe des souf-
frances corporelles et mentales, faim, soif, etc., au moyen de la
surabondance des jouissances.
(26. 11) Quand des créatures, quelles qu'elles soient, dépourvues de
compassion, et en vue seulement de combattre la souffrance
personnelle, vénèrent le désir de la charité,
12. « en outre, elles obtiendront bientôt de rencontrer quelque
(1) vipnryâsâlmaha. — La jouissance (bhoga, tipabhoga) a pour prin-
cipe la conliision entre dichkha et suhha^ nouci et çuci, anitya et nitya.
Ci) Us attendent plus de ranmône que lo mendiant n'attend d'eux.
(:{) Traduction conjccturalo. — Celte " vénération n (mlnra) comporte
le désir du don, voir p. 27;î, n. 1.
(4) utsava. (5) [junamntraf/rahana.
MADIIYAMAKÀVATÂUA CHAPITRE PI'.EMIEl\.
275
jour, à l'occasion de l'aumône, un saint bouddhiste (i) ; par suite,
rompant la série des existences, elles arriveront à la paix, qui,
[comme on voit] , a le [don] pour cause » .
En effet, « les bons vont au devant du donneur vraiment
charitable (2) », aussi celui qui aspire à donner entrera en contact
avec un saint bouddhiste à l'occasion de l'aumône ; par ses instruc-
tions, il comprendra que l'existence est dépourvue de qualités ;
il réalisera le Noble Chemin immaculé; parl'abandon de l'ignorance,
apaisement de la souffrance, il abandonnera la série des existences,
cette succession de naissances et de morts oii il gravite depuis
l'éternité ; il s'éteindra dans le complet nirvana par le Véhicule
des Çrâvakas et des Pratyekabuddhas.
C'est ainsi que, pour ceux qui ne sont pas des Bodhisattvas, la
charité est la cause de l'obtention du bonheur temporel (3) et du
bonheur du nirvana.
13 a. « Ceux qui portent dans leur âme la promesse du salut
de l'univers, obtiennent par la charité une félicité immédiate (5) ».
Ceux qui ne sont pas des Bodhisattvas ne jouissent pas, au (27.6)
moment de l'aumône, des fruits que nous avons dits ; aussi, les
fruits de l'aumône n'étant pas immédiatement perceptibles, il
arrive qu'ils n'entrent pas dans la charité ; mais les Bodhisattvas,
au moment même de l'aumône, par le seul fait de satisfaire (e) les
besoigneux (7), revêtent une allégresse supérieure à tous les fruits
qu'on peut souhaiter de la charité : dans l'aumône même, ils
jouissent du fruit de l'aumône. Par conséquent, c'est en tout temps
qu'ils se réjouissent dans la charité.
Donc, d'après la démonstration qui précède,
13 c. « puisque compatissants et non-compatissants, »
(1) âryapurusa, sat [purusa], un Ârj^a, un Bodhisattva, et, dans le Petit
Véhicule, les possesseurs des Fruits et les candidats aux Fruits.
(2) dànâtmaha. — (3» sariisârnsuhha.
(4) yratijnà. — (.j) npi^atiliata.
(6) paritosa.
(7) arthin.
27() Ll. MISI^ON.
tous trouvent dans la charité la cause du bonheur temporel et de
1.1 félicité suprême (i),
13 d. « par conséquent le sermon sur la charité f 2) forme la base ».
(28. 1) Mais dites-nous donc par une comparaison quelle est cette joie
excellente que ressentent les Bodhisattvas en satisfaisant les besoi-
gneux par la distribution des objets de jouissance, et en vertu de
laquelle ils honorent toujours la charité ?
14. « Tel est le bonheur quo ressent le fils du Victorieux à la
pensée d'entendre ce mot : « donne », telle n'est pas la félicité que
cause aux Bouddhas l'entrée dans la paix [du nirvana]. Que dire
[de la joie qu'il ressent] de l'abandon de tous les biens ? n
Quand seulement leur pensée s'arrête sur l'audition de ce mot
" donne «, prononcé par les besoigneux,lcs Bodhisattvas se figurent
qu'on leur demande, et ressentent un bonheur toujours nouveau et
qui l'emporte sur le bonheur même du nirvana. Que dire [du bon-
heur] des [Bodhisattvas] quand ils satisfont la foule des besoigneux
par l'abandon de tous leurs biens internes ou externes, [de leur
corps et de leurs richesses] ?
Mais, dira-t-on, qu'est-ce qui peut empêcher que les Bodhisatt-
vas, en abandonnant, comme vous dites, tout bien interne et
externe, ne ressentent une souffrance corporelle V — Il est impos-
sible, répondrons-nous, qu'une souffrance corporelle se produise
chez les magnanimes [Bodhisattvas], de même que quand on brise
une chose inanimée.
Telle est, en effet, la doctrine de rÂryagaganaganjasa-
mâdhi (;^) : " Supposez par exemple une grande forêt de râlas et
que quelqu'un y vienne couper un râla. Les çàhs qui restent ne
pensent pas : " il est coupé, et nous ne sommes pas coupés » ; il
il n'y a chez eux ni attachement, ni répulsion ; ni imaginations,
ni idées. Une .«cmblablc patience, c'est la patience épurée,
suprême, semblable à Tcspace, du Bodhisattva. »
(1) nhhyudayn, naihrrc'i/asa. — (2) iJimahathn.
(U) Même lexlo, extrait du (Jjiffaiiagafi.iasrilra dans (. ik.'fâsaimiccaya.
p. 272, s-H. — Notre veision supprime le luolparikalpa, ajoute lépithète
- epnréP r [parii-udilhn] (.'l (tniisli'uit : i/diram bod/iisatfrasi/n hmiitir
iyarn
MADIIVAMAKÂVATÂr.A (IIAI'I I lU: l'UEMI Kl',. ^77
Et OU lit aussi dans la Ratnâvalï :
'•' Il u'y a pas chez lui do souffrance corporelle ; et comment
y aurait-il souffrance morale V En vertu de la compassion, il est
cher aux créatures ; en vertu de la compassion, il demeure long-
temps [dans les existences] « (i).
Il n'est pas douteux, toutefois, que, chez le [Bodhisattva] qui (29. lo)
n'a pas atteint le stade de non-attachement (2), la rencontre
d'objets eu contradiction avec la persistance du corps ne produise
la souffrance corporelle ; mais cette Fdouleur] est pour lui une
raison de s'adonner davantage à Tactivilé utile aux créatures.
L'auteur expose ce point eu disant :
15. « Celui qui abandonne son corps aux mutilations, quand il
apprécie d'expérience personnelle, par sa propre souffrance, les
souffrances infernales et autres du prochain, s'applique aussitôt,
avec un zèle accru, à supprimer ces souffrances. »
Quand, éprouvant sa propre souffrance, le Bodhisattva reconnaît
que les créatures douloureuses, accablées dans leur corps des
souffrances intolérables, ininterrompues, terribles de l'enfer, des
matrices animales, du monde de Yama, sont revêtues d'une souf-
france mille fois plus grande que la souffrance des mutilations de
son corps, sans tenir compte de la souffrance des mutilations de
son corps, il s'efforce aussitôt et davantage pour mettre un terme
aux souffrances infernales et autres des créatures.
Nous avons vu ce que c'est que la charité ; l'auteur nous dit (30. 7)
[maintenant] ses subdivisions en tant que « vertu transcendante (3) » .
16 a. « La charité vide d'aumône, de receveur et de donneur,
s'appelle vertu trauscendante surnaturelle (4) ».
Dans le [mot paramlta], param siguiûe l'autre bord de l'océan
des existences, la qualité de Bouddha qui consiste dans l'abandon
complet des obscurcissements de la passion et du connaissable (5).
(1) Comparer Bodhicaryâvatrira, vii, 21.
na duhkhï tyaktapâpatvât panditatvân na durmanâh /
tisthan parârthaih saiiisâre kfprUuh kena khidyate //
(2) vltaràgdvasthâ (?). dans la huitième tarife (?).
(3) 'pâramiiâ. — (4) lokottara.
(5) hleçâvarana Qijneyâvarar^a.
278 LK MISKON.
Le mot pUramità, c'est-à-dire « parvenu à l'autre bord « (pûra-
gata), est formé par la non-suppression de la désinence casuelle,
d'après la règle : « Il n'y a pas élision devant le second terme du
composé » (i), ou bien, appartenant au groupe du type iJrsotZam,
il présente la lin du second [ter me J (2).
[Ce motj se dit au propre au sujet de la science (praJHà) ; la
charité, etc., sont des pdramitàs par leur ressemblance avec la
pâramità.
La charité, quand, par une application excellente (3j, elle est
conditionnée de manière à parvenir à l'autre bord, obtient le nom
de pâramitd. Et il en est de même pour la moralité et les autres
[vertus] qui seront définies au cours de cet ouvrage.
(31.2) Cette charité qui est pciramita, lorsqu'elle est exempte de la
notion de l'aumône, du receveur et du donneur, est une ^Jàram/Yà
surnaturelle. C'est là l'enseignement de la JLJhâgavatï Prajùâpâra-
mitâ, la non- notion (4) étant surnaturelle, la notion étant natu-
relle (5) parce qu'elle est constituée par la vérité pratique. Cette
[pâramitâ surnaturelle] ne peut être connue par ceux qui n'ont pas
obtenu la qualité de Bodhisattva.
L'auteur poursuit :
16 b. « Quand il y a attachement à cette triade, la [charité] est
dite " pâramitâ naturelle " ».
(1) alug uitarapade (Pân. vi. 3. 1). — On di pâramitâ au lieu depâreiâ.
(2) prsodarâdini (Pân. vi. 3. 109j. — L'interprétation de ce passage est
conjecturale, pour ne pas dire hasardée. Le tibétain semble correspondre
à un original : uttarasya antavattvena [vyava]sthupyate. Je com-
prends : « le moi pâramitâ ne présente que la tinaie du second terme -,
soit, \}Q\xX-êivQ, pâramitâ = paru- <gâ;>mitâ.
(3) ou « par une certaine appUcation n, parinâmanâciçemt, c'est-à-
dire, la charité est pâramitâ quand on appUque son mérite à la conquête
de l'illumination pour le salut des êtres, en d'autres termes quand elle
est précédée de la pensée d'illumination et parfumée de compassion. —
C'est à ce passage du Madliyamakâvatâra que fait allusion un des com-
mentaires de la Nâmasariigiti : ete dânâdayab sambodliicittapûrvakâl.i
sarvasattvesu maitrâgayaparibhâvitâl.i pâramitânâma labhante . tâb
punar laukikâ lokottaràç ca : tatrânivâritâtmâdyupalambhâ laukikâ,
lokottarâç ca skandhâdisv anâtmâdyadliimoksapravrttâs tattvâdhigama-
paribhâvitâç ca . etac câha Madhyaraakâvatâre Candrakïrtib.
(4) dmigs-pa = âlambana, upalambha.
(5) laukikâ, mondaine.
iMADIIYAMAKÂVATÂUA CHAPITRE PUEMIEll. 279
Cette même charité, quand il y a notion de la triade, est appelée
pàramitâ naturelle.
Maintenant, pour montrer par répétition la surabondance des
qualités de cette espèce de savoir qui constitue la terre ci-dessus
décrite, l'auteur dit :
17. « Telle, installée dans l'esprit du fils du Victorieux, revê-
tant dans ce bon réceptacle un éclat aimable, triomphe cette 3îu-
dità (ij, chassant toutes les ténèbres épaisses, comme fait la pierre
de lune » (2).
Le mot « telle » indique les caractères exposés ci-dessus. Muditâ
fait résonner le nom de la terre. « triomphe » c'est-à-dire défait
définitivement tous les [éléments] contraires. Cette [muditâ], rési-
dant dans l'esprit du fils du Victorieux qui a pour nature le savoir,
entre en activité (3) : la terre Pramuditâ écarte, de la façon qui a
été expliquée, tjutes les obscurités épaisses et triomphe. Et pour
illustrer ceci par un exemple, l'auteur ajoute : « comme la pierre
de lune » .
Fin de la peemièee
production de pensée appelee joyeuse.
(1) muditâ = joie = pramuditâ « joyeuse », première terre du Bodhi-
sattva.
(2) candrakântâ.
(3) uttisthate 0)
280 I.K MISKON.
[Cll\PITI\K H
La terre Vhnalû ou deuxième production de la pensée
d'illumination.]
(32.13) L'auteur a exposé la première production de pensée du Bodhi-
sattva ; maintenant, il traite de la seconde et s'exprime ainsi :
1 a. « Possédant les pures qualités de la plénitude de la mora-
lité, le [Bodhisattva], même en rêve, abandonne la souillure de
l'immoralité ».
Les diverses espèces du savoir qui porte (i) le nom de « terre n
ont toutes la même nature ; aussi l'auteur explique-t-il le caractère
propre de la deuxième production de pensée et des suivantes, par
l'éminence des qualités, vertu transcendante de moralité et les
suivantes, qui en sont inséparables (2).
Moralité, ou çila, soit parce qu'elle est froide (3), apaisant le feu
du remords de la pensée par la résistance aux passions et la non-
production du péché (4), soit parce que, étant cause de bonheur,
elle est prise comme point d'appui (s) par les bons.
(1) ou « qui portent «
(2) Littéralement : tadavhidbhûtaçîlapâi'amitâdigiojaprakat'sâd eva
Le sens parait être : les diverses terres ou " productions de pensée
d'illumination » comportent les mêmes éléments ; elles sont diversifiées
par la prééminence que chacune des vertus acquiert dans chacune d'elles,
la charité dans la piemipre, la moralité dans la seconde, etc. Mais toutes
les vert\is existent, au moins en germe, dans la " terre n du Bodhisattva,
dans la production de pensée d'illumination, quelle qu'elle soit.
(3) citai a.
(4) Traduction conjecturale, dandu len-pa, d'après les lexiques, signi-
fie « to comply with [passions], to yield to [passions] » ; mais aussi
(Schmidt critiqué par Jaschke) « sich anheischig machen ». Il semble qu'on
puisse comprendre ni-grah. — Les lexiques donnent l'équivalence yid
bcags pa — vipraitsâra, hauk)\ya, vilehha.
(5) àçri ou àçl.
MADHYAMAKAVATARA CHAPlTKE II. 281
La moralité a pour caractère les sept abandons (i). (33.4)
Il y a trois choses : l'absence de concupiscence, l'absence de
haine, la vue correcte, qui sont « productrices » (2) [de moralité].
C'est pourquoi, pour rendre compte de la moralité accompagnée
de [ses] « producteurs », on expose les dix chemins de l'action.
Par plénitude de la moralité (3) on entend « excellence de la
moralité (4) ». Pures qualités (s), c'est-à-dire « très pures quali-
tés (ô) ». En d'autres termes, « plénitude de moralité parfaitement
pure n. En raison de la parfaite pureté (:) de ses qualités, la mora-
lité est excessivement noble (s).
Etant en possession de cette [moralité], le Bodhisattva, même en
rêve, n'est pas souillé par les souillures de l'immoralité (v).
Mais, dira-t-on, comment deviennent parfaitement pures les (33. 14)
qualités de la plénitude de la moralité 'i — Le Bodhisattva, entrant
dans la deuxième terre du Bodhisattva,
1 c-d. « par la pureté des démarches du corps, de la voix et de
l'esprit, accumule en même temps les dix bons chemins de l'action. »
Ainsi qu'il est dit dans la « Deuxième terre du Bodhisattva » (10) :
« 0 fils du Victorieux, le Bodhisattva placé dans la terre du
Bodhisattva [nommée] la Pure, est naturellement revêtu des dix
bons chemins de l'action. Quels sont ces dix chemins? il s'abstient
(1) 'prahcina ou virati. — S'agit-il de l'abandon de sept sarhyojanas ou
de sept anuçayas, comme Anguttaranikâya, IV, p. 7, p. 24? Il y a huit
prahânas, Majjhima I, 360.
(2j samutthàpaka (voir Madhyamakavptti, p, 308, pour réquivalence).
— Il s'agit des trois huçalamîlla.
(3) çîlasa/hpad.
(4) çîlaprabhûtatd (?)
(5) çuddhagu\ia.
(6) viçuddhagwia,
(7) pariçuddha.
(8) ou « prend une grande élévation r<.
(9j danhçilya.
(10) J'ai sous les yeux les fragments, sou\-ent peu lisibles, du Daçabhû-
maka (Fragments Bendail) et le Daçablmmîçvara, Ms. Dev. 126, fol. 23 b
et suivants. — Comparer Brahmajâlasutta, 1. 1. S ; Sumangalavil. p. 69.
2u
28â i'E MLSÉON.
du meurtre ; il a déposé bâton, épée, hostilité ; il a honte [du
meurtre] ; affectionné, il est compatissant pour le bien et le bonheur
de tous les êtres vivants ; sa pensée est tendre ; même en imagina-
tion, il ne lait pas de mal aux vivants : à plus forte raison n'intlige-
t-il pas des injures corporelles (i), avec préméditation (?), aux
autres créatures qu'il sait être des créatures.
Il s'abstient de prendre ce qui n'est pas donné, satisfait de ce
qu'il a, compassionné (sj, ne désirant pas ce que les autres ont ;
considérant comme biens d'autrui les bieus qui sont eu possession
d'autrui, il ne prend pas, avec une pensée de vol (4), même une
feuille ou un brin d'herbe qu'on ne lui donne pas, à plus forte
raison d'autres choses nécessaires à l'existence.
Il s'abstient de l'amour défendu, satisfait de son épouse, ne
désirant pas les épouses des autres. Pour les épouses d'autrui,
femmes en la possession d'autrui, pour celles qui sont sous la
tutelle d'un clan, de l'étendard ou de la religion (5), il ne forme
pas de convoitise. Que dire de l'union charnelle ou d'une décla-
ration d'amour ? (e)
Il s'abstient du mensonge (7), véridique, disant ce qui est, disant
au moment voulu, faisant comme il dit [qu'il fera] ; enfin, même
en rêve, s'arrêtant à vue, inclination, opinion, avis (s), il ne dit pas
(1) audarikakàyavihethayâ.
(2) scahcintya.
(3) compassionné manque dans le sanscrit.
(4) steyacittam iipasthâpya.
(5) gotradhvojadharmaraksitâ ; voir l'énumération de Mahâvyutpatti,
281, 251 et suiv. : pitrraksitri, nifitro, bhrâtr", bhaginî», rvaçurao, rvaçrû",
jfuiti", gotra° et 217 dhvajahûtâ (0 — M. Kd. Miiller me signale les dasa
iithio et les dasa bliariyâyo de Vinaya, III, 13i*-140 (Oldenberg) ; il ajoute
gottarakhhiià = protégée par le yotra, la famille ; dhnmmat'akkhitâ
— protégée par ceux qui appartiennent à la môme religion ; dhajàhatà
{dhvajahrtcl) = karamarânltâ = faite prisonnière en guerre (Trik. 2.
8. 63. Hem. Dec. ii, 15, Hâr. 209, Pâiyal. 106).
(6) dv'indriyasamâpatti, anangavijnapti^ même formule Çiksâsa-
muccaya 78, 13.
(7) anrtavacuna.
(8) Passage obscur : vinidhâya dj'stiih ksântim rucarn niatiiii preksâm
[Dev. 126 prajùâm] visamvadanâbhiprâyo — Le tibétain semble omettre
mati, traduit prajùâ par rnh-ia rlogs-pa et vinidhâya par bsgyur-te,
= altérer, traduire. — Comparer majjh. II. p. 43, 1. 11.
MADHYAMAKÂVATÂUA CHAPITRE M. 285
une parole fausse avec l'intention de tromper ; à plus forte raison
un Dflensonge prémédité (i).
Il s'abstient de la parole de scandale ; attaché à ne pas diviser,
à ne pas blesser les créatures, il ne répète pas aux uns ce qu'il a
entendu des autres pour irriter les uns, il ne répète pas aux autres
ce qu'il a entendu des uns pour irriter les autres ; il ne divise pas
ceux qui sont unis ; il n'excite pas ceux qui sont divisés (2) ; il
ne dit pas, se plaisant dans la discorde, visant la discorde, une
parole vraie ou fausse qui cause la discorde (3).
Il s'abstient de la parole injurieuse (4) ; il ne dit pas une parole
de blâme (5), rude (g), amère pour autrui (7), critiquant autrui (s),
grossière, impolie (9), [parole] d'invective ou tendant à l'invec-
tive (10), non exempte de défauts (11), déplaisante à l'oreille,
prononcée par colère et mécontentement, non mélodieuse (12),
antipathique (13), brûlant le cœur (14), affligeant l'esprit (15), menant
à la perte l'âme d'autrui et la sienne (le). vS'abstenant de semblable
parole, il prononce une parole tendre, douce, plaisante à l'esprit,
exempte de défauts (n), agréable à l'oreille, allant au cœur, cour-
(1) samanvàhrtya.
(2) na hhinnânâm anupradànayk karoti. — sahitànâm va anuppà-
cîdiâ : « he lives as au encourager of those who are friends ».
(3) vyagrakaranï. — Voir p. 317, 1. 11.
(4) Voir Mahâvyutpatti, 20.
(5) garhana.
(6) karkaça.
(7) paràkatuka (?)
(8) parcibhisarhjananl (?)
(9) grâmyà pârthagjanahï ; le Ms. Dev. a grâmyâ apâryâ.
(10) anvaksâ, anvaksapragbhàrà, « paroles dites à la tigure ».
(11) Le tibétain porte rdzun = « fausse » ; le sanscrit anelà = dés-
agréable. — Voir ci-dessous note 17.
(12) manque ici dans le sanscrit, (mi snan-pa).
(13) amanaâpà.
(14) hrdayaparidahanï.
(15) manahsamtàpakarl. — Le sanscrit ajoute apriyâ amanojnâ.
(16) svapat^asanitânavinàçinî.
(17) nelâ (rdzun-du ma yin-pa). Le sens me paraît fixé par la position de
ce mot avant karnasuhha. — L'explication de Buddhaghosa, Suman-
galavil. p. 75, Dialogues, p. 5, « blameless n, et de M. E. Senart, Mahâ-
vastu, I, p. 605, ad 314, 14 (nela = neja -=na -\- ela pour enas). Il faut
noter que Mahâvyutpatti, 20, 10, anelà (mi tshugs-pa), « not doing
harm », est une des caractéristiques de la parole de Bouddha.
284 LL MUSÉON.
toise (i), agréable au cœur de la foule (2), sympathique à la foule,
réjouissant Tesprit (a), récoufonaat l'esprit (4), réjouissaut Tàme
d'autrui et la sienne : telle est sa parole.
Il s'abstient des discours inutiles (5) ; sa parole est ad hoc (ti) ;
il parle au moment voulu, dit les choses comme elles sont, dit
des choses utiles, parle de la Loi, dit des choses logiques (7), parle
d'après la rè^le de conduite ; son discours comporte une prudente
habileté et des demandes faites à propos (s). Enlia, il s'abstient
et persiste à s'abstenir (9) même de tout récit historique (loj, à
plus forte raison de la dissipation en parole (11).
Il est sans pensée de convoitise (1-2). Pour les biens d'autrui, les
plaisirs d'autrui, les jouissances d'autrui (laj, les objets (u) en pos-
session d'autrui, il n'engendre pas de pensée de désir, il ne forme
pas d'attachement, il n'a pas d'intention, il n'engendre pas de
pensée d'attachement.
Il est sans pensée de malveillance ; pour toute créature, il a une
pensée d'amitié, d'utilité (15), de compassion, de bonheur, de ten-
dresse ; il a la pensée de rendre service à tous les hommes : donc
(1) Le sanscrit ajoute : varnavispasLâ vijneyâ çravar},iyâ aniçritâ.
(2) bahujana".
(3) manahprahlàdanakarl.
(4) manaaudbilyaharl
(5) saynbhinnapt^alàpa — Dev. 126 : iidndpraîâpa.
(6) Littéralement : " parole de bonne réponse n (supratikdravacana ?) ;
Dev. 126 porte : parsatpratihâryavacana ; lacune dans le Ms. Beudall.
Cette formule manque au pâli.
(7) nydyavddin. — Manque au pâli.
(8| vinayavddin, sanidhdtiavatuh vâcaiii bhdsatc kdlena sdvadd-
ndm (Dev. sâpadânâm), — Pâli : nidhânavatiih vâcam bhâ^itâ kâlena
sâpadesam pariyantavatim : « he speaks, and at tlie right time, words
worthy to be laid up in one's heart, titly illustrated, clearly divided ».
(9j parihdrya pariharati. — La version tibétaine est peu claire comme
syntaxe.
(10) itihdsa. — Voir Çiksâmuccaya, 52, ig.
(11) vàgvikfepa.
(12) anabhidhyûhi,
(13) parabhoya,
(14) vitlopakararjia,
(15) hitacitta.
MADHYAMAKAVATÂUA CHAPITRE II. 285
toutes les pensées de colère, d'inimitié, de rancune, de dénigrement,
de malveillance, d'hostilité (i), etc., il les abandonne, et il nourrit
les pensées pénétrées d'amitié.
Il s'abstient de la vue fausse ; étant de vue correcte et placé
dans le chemin correct (s), il est exempt des opinions erronées sur
les pratiques religieuses et des diverses superstitions (?) ; il est de
vue droite (4), sans ruse et artifice (5) ; son intention est fixée (e)
sur le Bouddha, la loi et la congrégation. »
Les trois premiers bons chemins de l'acte sont accomplis par le
corps ; les quatre suivants par la voix ; les trois derniers par
l'esprit. — C'est ainsi que le [Bodhisattva] accumule en même
temps les dix bons chemins de l'acte.
Mais, dira-t-on, le Bodhisattva qui a produit la première pensée (37.6)
n'accumule-t-il pas ces dix chemins de l'acte ? — Il les accumule
sans doute, mais, toutefois
2 a-b. « quand il est entré dans cette [deuxième terre], tous les
dix bons chemins de l'acte deviennent extrêmement purs ; »
et il n'en est pas de même pour le Bodhisattva qui a produit la
première pensée.
2 c-d. Semblable à la lune d'automne, toujours parfaitement
pur, il rayonne, éclatant de paix, par ces [chemins de l'acte].
Par « paix n on entend la contrainte des sens (7) ; par « éclatant »,
possédant un corps d'apparence lumineuse.
Mais la moralité fut-elle, de la sorte, parfaitement pure, /^j ^^\
(1) krodha-upanàha-khila-mala-vyâpàda-pi'citigha.
(2) samyakpatha.
(3) Kautuhamangalannnàpraliâ.rahuçl.laârsfivigata. — Comparer
Abhidhannakoi'avyâkhyfi, 324 a : kautukamai'igalatitliimuhûrtanaksa-
ti'âdidfsti.
(4) rjudrsti.
(5) açatho 'màyàvi. — Voh' Çiksâs, 53, 1.
(6) °niyaicirayah .
(7) indriyasamvara.
3 a-b. « Si le [Bodhisattva] voit dans la pureté de la moralité
quelque chose de réel, par le fait même, il n'est pas de pure
moralité. »
C'est ce qu'enseigne l'Aryarainakûta (i) : « 0 Kâçyapa, si quelque
religieux est doué de moralité, est lié de la contrainte de la règle
disciplinaire, possède la plénitude de la bonne conduite, voit un
danger dans les plus petites fautes, pratique les points de précepte
desquels il a fait vœu (2), devient participant à la pureté parfaite
des actes corporels, vocaux et intellectuels, et qu'il soit partisan
du « moi » : c'est là, ô Kâçyapa, le premier manquement à la
moralité de celui qui possède la moralité (3) », et le reste, jusque :
" En outre, ô Kâçyapa, si même quelque religieux a fait vœu des
douze qualités ascétiques, et qu'il croie à un support (4) [des che-
mins de l'acte], qu'il réside dans la croyance au « moi » et au
« mien « : c'est là, ô Kâçyapa, le quatrième manquement à la
moralité. »
3 e-d. « Par conséquent il est toujours complètement exempt
des démarches de l'idée de dualité relativement aux trois [supports
de l'acte] ».
Il est exempt de l'idée de dualité, c'est-à-dire des idées d'exis-
tence et de non-existence, etc., relativement à ces trois [données] à
la fois : les créatures à l'égard desquelles il y a abstention [du
meurtre, etc.], l'abstention elle-même, l'être qui s'abstient.
(38.16) Ayant de la sorte et jusqu'ici parlé des Bodhisattvas qui sont
revêtus de la moralité (5), voulant en outre montrer que, d'une
(1) Voir dans Çiksâsamuccaya (52. 10, 54. n, 146. 4, 148. s) des extraits
de ce sQtra traitant de points de doctrine analogues.
(2) Même phraséologie dans les soui'cos pâlies, par exemple Majjhima,
I. p. 30 : sampannasïlâ sampannapatimokkhri pâtiraokkhasamvarasam-
vutâ âcâragocarasampannâ anumattesu vajjesu bhayadassâvï samâdâya
sikkhatha eikkhâpadesu.
Ci) prathamani (;îlavatprativarnikam dauljçilyam (?) — prntivarnika
(entsprecliend), dans les Lexx.
{\) dlambayiadrstika (?) — croyant à la réalité du meurtrier, du
meurtre, du tué, etc.
(5) çîlasampad.
MADIIVAMAKÂVATAU.V CHAPITRE II. 287
manière générale, pour les non-Bodhisattvas (i), la moralité est
chose beaucoup plus importante que la charité, etc., et qu'elle est
le fondement de toutes les qualités (2), l'auteur s'exprime en ces
termes :
4a-b. « Les jouissances, qui procèdent de la charité, se produi-
sent, fut-ce dans les mauvaises destinées, pour les hommes privés
des pieds de la moralité (3) ».
C'est de la charité seule que naissent, pour les charitables (4) (39.4)
doués de moralité, des jouissances extrêmement élevées (5) dans
les destinées humaines et divines. Mais les mêmes, manquant des
pieds de la moralité, tombent dans les mauvaises destinées, renais-
sant parmi les damnés à court terme (e), les taureaux, les chevaux,
les grands éléphants, les singes, les nàgas, etc., \qs prêtas à pouvoir
magique (-), etc., et c'est là qu'ils obtiennent les diverses sortes de
jouissances (s). — Par conséquent,
4 c-d. « la masse des biens périssant en même temps que ce qui
la produit, il n'y aura plus de jouissances dans l'avenir ».
Si quelqu'un, ayant semé une très petite quantité de semence, (39.14)
obtient une grande quantité de fruits, et, à nouveau, pour obtenir
des fruits, sème une quantité de semence beaucoup plus grande
[que la première fois] ; au temps convenable se produira pour lui,
par une série ininterrompue d'accroissement, une grande quantité
de fruits. Mais si quelqu'un, par stupidité, dilapidateur de ce qu'il
(1) tadanya.
(2) gunasampacl.
(3) çllapàdavipanna (?). Sur la valeur de pâda, voir ci-dessous 310, n. 1.
(4) dàncUmaka.
(5) ou " très nobles » : khyad-par-du hphyags-pa.
(G) prâdeçika. — L'équivalence parait certaine ; voir ci-dessous 43, n. 1.
— On voit que, dans le Grand Véhicule, des enfers particuliers sont réser-
vés, non seulement aux Bodhisattvas, mais encore aux « charitables »
en général.
(7) maharddhika. — Les animaux énumérés s'opposent aux « petits
animaux ».
(8J nànâbhogasampad (?)
288 LE MISÉON.
a fait, consomme les premières semences telles quelles, la masse
des fruits étant perdue du même coup que ce qui les produit, d'où
se produirait pour lui une récolte de fruits à venir V De même,
celui qui, par manque de moralité, consomme des jouissances hors
de place fi), il ne fait pas, par stupidité, de nouvelles semailles ; il
consomme entièrement ce qu'il avait semé auparavant ; donc, pour
lui, la production de jouissances dans l'avenir est impossible.
(40.5) jj'on seulement la production dos jouissances est presque impos-
sible (2) pour celui auquel manquent les pieds de la mora-
lité, mais encore, tombé dans les mauvaises destinées, il lui
est presque impossible d'eu sortir. C'est ce que l'auteur expose
dans ces termes :
5. « Si, alors qu'il est son propre maître et placé dans une
situation favorable, il ne se dompte pas lui-même, plus tard, tombé
dans l'abîme infernal, livré au pouvoir d'autrui, comment pourra-
t-il en sortir ? »
Si, alors qu'il n'est pas au pouvoir d'autrui, alors qu'il se trouve
dans les destinées humaine, divine, etc., semblable à un héros libre
d'entraves et placé dans des conditions d'égalité (3), volontairement
il ne se dompte pas lui-même ; plus tard, semblable au héros chargé
d'entraves qu'on précipite dans un abîme profond, tombé dans les
mauvaises destinées, comment en sortira-t-il ? Donc, frappé [à mort
par l'immoralité], il est voué aux mauvaises destinées. Et si, dans
la suite, il lui arrive de naître parmi les hommes, il subira la dou-
ble fructification [du péché] (4),
(41. 1) Puisque, comme on vient de le voir, l'immoralité comporte une
très grande masse d'inconvénients (5),
6 a-b. « Pour cette raison, le Victorieux, après avoir prêché la
charité, a prêché la moralité (e) ».
(1) asthâna.
(2)atidurlabha.
(3) Allusion à un combat judiciaire (?)
(4) Voir p. 290, n. 1 et suiv.
(5) atibahudosasthônam.
(6) çîlâyiugahathà.
MADIIYAMAKÂVATAHA CIIAPIJUE H. 289
Pour cette raison, le [Bouddha qu'on appelle le] Victorieux par-
ce qu'il a triomphé d'innombrables principes de péché, pour la
sauvegarde (i) des qualités, charité, etc., a prêché la moralité
immédiatement après avoir prêché la charité.
Parce que (41 .s)
6 c-d, « les qualités se développant dans le champ de la mora-
lité, la jouissance ne sera pas interrompue n.
La moralité est un champ parce qu'elle est le point d'appui de
toutes les qualités. Dans ce [champ] se développent les qualités,
charité, etc. ; se développe, par la succession ininterrompue et
ascendante des causes et des effets, la moisson des fruits qui seront
comestibles dans un temps éloigné. Il n'en est pas de même dans
le cas contraire, [lorsque le champ de la moralité fait défaut].
Par conséquent et comme nous l'avons vu :
7. « Pour les hommes ordinaires, pour les [Çrâvakas] nés de la
parole [du Bouddha], pour les prédestinés à l'illumination des
Pratyekabuddhas, pour les fils du Bouddha, il n'y a pas, fors la
moralité, d'autre cause de la félicité suprême et du bonheur
temporel ».
A ce sujet on lit [dans un Sûtra] (2) : « Les dix mauvais chemins
de l'acte, quand on les pratique et affectionne extrêmement, sont
causes d'enfer ; médiocrement, cause de matrice animale ; faible-
ment, du monde de Yama (3). Le meurtre, d'abord, conduit en
(1) avipranâça.
(2) Dans le Daçabhûmaka (obhûmîçvara), chapitre ii. — Comparer
Anguttaranikâya, IV, p. 247, dont la phraséologie est très voisine : pânâ-
tipâto bhikkhave âsevito bhâvito bahulïkato nirayasaihvattaniko tirac-
chânayonisamvattaniko pittivisayasamvattaniko. yo sabbalahuso pânâ-
tipâtassa vipâko manussabhûtassa appâyukasamvattaniko hoti. — Les
vipâkas sont, dans l'ordre, bhogavyasana, sapatnavera, abhiitabbhak-
khâna, bhedana, amanaâpasabda, anâdeyavâcâ ; les péchés de l'esprit
sont remplacés par le surâpàna.
(3) ime khalu punar daçâkuçalâh karmapathâ adhiraâtratvâd âsevitâ
bhâvitâ bahulikrtâ nirayahetur, madhyatvât tiryagyonihetur, mpdutvâd
yamalokahetu^i.
290 LK MUSÉON.
enfer, dans la matrice animale, dans le monde de Yama ; et si, par
la suite, on vient à naître parmi les hommes, il produit une double
fructification : vie courte, nombreuses maladies (i). Le vol conduit
en enfer.... ; jusque : peu de jouissances, jouissances communes (2).
L'amour défendu conduit en enfer... ; jusque : entourage n'inspi-
rant pas la confiance, épouse infidèle (3). Le mensonge conduit
en enfer .... ; jusque : nombreuses calomnies, contradiction d'au-
trui (4). La parole de scandale conduit en enfer... ; jusque : discorde
avec sou entourage, mauvais entourage (5). La parole injurieuse
conduit en enfer.... ; jusque : entendre des [paroles] désagréables,
être querellé (e). La parole inconsidérée conduit en enfer.... ; jus-
que : ne pas être cru, s'exprimer mal (7). La pensée de convoitise
conduit en enfer.... ; jusque : dissatisfaction, grands désirs (s). La
pensée de malveillance conduit en enfer ; jusque : désir du
nuisible, mauvais traitements d'autrui (9). La vue fausse conduit
en enfer, dans la matrice animale, dans le monde de Yama ; et si,
par la suite, on vient à renaître parmi les hommes, elle produit
une double fructification : mauvaises doctrines, artifice (10). — C'est
ainsi que les dix mauvais chemins de l'acte accumulent une incal-
culable masse de souffrance ».
(11) « Au contraire la pratique des dix bons chemins de l'acte
(1) prânâtipâto nirayam upanayati, tiryagyonim upanayati, yamalokam
upanayati. atha cet punar manusyesûpapadyate dvau vipâkâv abhinir-
vartayaty alpâyuskataih ca bahumlânatâih (?) ca.
(2) parïttabhogatâ, sàdhdranabhogatà.
(3) anàjâneyaparivdratâ, sasapatnakalatratâ (°dâratâ, Dev. 126).
(4) abhyàhhyànabahidatâ, parair visamvâdanatâ.
(5) bhinnaparivàratà, hlnaparivàratâ.
(6) amanàpaçravcmatà, kalahavacanatd . (Dev. 126 : kalahatâ).
(7) anâdeyavacanaià , aniyatapratibhânatâ.
(8) asamtusiîtâ, mahecchatâ.
(9) [ana}'theccha]tà, parotpidanatâ (manque dans Dev. 126).
(10) hudrstipatitaç ca bhavati çafhaç ca màyàvi.
(11) punaU kuçalânârn karinapathânruii sainrulânahctor manuijyopapat-
tim âdiih kftvâ yâvad bbavâgritiii ity upapattayati prajùâyanle — [tata]
uttaram ta eva daça kuçalâ^i kaimapathâl.i prajûâkârena paribhâvya-
mânâU prâdeçikacittatayâ traidliâtukotti'astamânasatayri nialiâkarunâ-
vikalatayâ paratab çravanânugamena gliosânugamena ca çrâvakayânaih
MADHYAMAKÂVATÂRA CHAPITIIE 11. 291
produit la renaissance [dans les mondes supérieurs] depuis les
dieux et les hommes jusqu'au sommet des existences. Mieux
encore, cultivés par la pensée de l'impermanence (i), l'esprit de
crainte à l'égard des trois sphères [de l'existence], l'absence de la
grande pitié, l'espèce de science qui suit la parole et vient à la
suite de l'audition d'autrui, les dix bons chemins de l'acte pro-
duisent le Véhicule des Çrâvakas. Mieux encore, parfaitement
purifiés par la non-conduite par autrui, par l'illumination person-
nelle, par l'absence de la grande pitié, par l'absence d'habileté
dans les moyens, par l'intelligence du profond système de la
production par les causes, ils produisent le Véhicule des Pratye-
kabuddhas. Mieux encore, parfaitement purifiés par la possession
d'une très étendue et incommensurable pitié et compassion, l'habi-
leté dans les moj'^ens, les grandes résolutions parfaitement liées, le
non-abandon de toutes les créatures, la prise comme objectif du
savoir très étendu du Bouddha, ils produisent la parfaite pureté
de la terre du Bodhisattva, la parfaite pureté de la vertu transcen-
dante, le grand développement de la pratique ».
Et le reste.
Par conséquent, en dehors de ces dix bons chemins de l'acte,
pour les hommes ordinaires, les Çrâvakas, les Pratyekabuddhas et
les Bodhisattvas, il n'y a pas d'autre moyen d'obtenir, suivant leur
capacité (2), le bonheur temporel des bonnes destinées (3) et la
saihvartayanti. — tata uttarataram paricodhitâ [a]parapraneyatayâ
svayambhûtvânukûlatayâ svayam abhisambodhanatayâ parato 'parimâr-
ganatayâ mahâkarunopâyavikalatayâ gambhïredampi'atyayânubodha-
nena pratyekabuddhayânarh sarhvartayanti. — tata uttaratararîi pari-
codhitâ vipulâpramânatayâ mahâkarunopetatayâ upâyakauçalasariigrhï-
tatayâ sambaddhamahâpranidhânatayâ sarvasattvâparityâgatayâ bud-
dhajfiânavipulâdhyâlambanatayâ bodhisattvabhûraipariçuddhyai pâra-
mitâpariçuddhyai caryâvipulatvâya sarâvartante. — tata uttarataram
pariçodhitâti sarvâkârapariçodhitatvâd yâvad daçabalabalatvâya sarva-
buddhadharmasamudâgamâyasamvartante tasmât tarhy asmâbhih
(1) prâdeçikacitta. Le sens est fixé par le tibétain : « éphémère n. —
Le même terme (ni-tshe-ba) désigne les damnés à court terme ~ On a
prâdeçikaydna, Çiksâsamuccaya 183.io, Mahâvyutpatti, 59.5.
(2) yathâyogam.
(3) àbhyudaya-sarhsàrasuhha.
292 LE MLSÉO.N.
félicité suprême (i), laquelle a pour caractère la délivrance, qui,
de sa nature, n'est ni bonheur ni souffrance. Ceci est exposé
claireoaent.
(44.18) Le Bodhisattva qui possède la deuxième production de pensée,
8. « de même qu'il y a incompatibilité entre l'océan et la saveur
douce, entre la prospérité et la calamité, de même entre ce
magnanime, soumis à la moralité (2), et Timmoralité «.
« calamité n, c'est-à-dire « non-prospérité «.
(45.4) L'auteur expose les subdivisions de la vertu transcendante,
relativement à la moralité qu'il a décrite :
9 a-c. « Quand il y a idée de la triade, celui qui s'abstient, l'ab-
stention, l'objet de l'abstention, la moralité est nommée vertu
transcendante naturelle (3) d .
L'auteur montre que la moralité, quand il y a idée de la triade,
est une vertu transcendante naturelle.
9 d. « Vide d'attachement à cette triade, elle est surnatu-
relle (4) «.
L'auteur dit que cette même moralité, en l'absence de l'idée de
cette triade, est une vertu transcendante surnaturelle.
(45.13) L'auteur, en rappelant les qualités de cette [deuxième] terre (5),
précise la manière d'être de la vertu transcendante de moralité :
10. « Issue de cette lune qu'est le fils du Victorieux, non du
monde, gloire du monde, cette [terre] Immaculée, vierge de
souillures, comme la lumière (e) de la lune d'automne, chasse
la chaleur qui tourmente l'âme des créatures « .
(1) naihçreyasasukha.
(2) çllavaçihrta.
(3j laukika ; voir ci-dessus I. 10.
(4) lohottara.
(5) yathoktàyâ bhûmer gtcnànuvàdadvàreno .
(6) prabhà.
MADHYAMAKÀVATÀRA CHAPITRE II. 293
« Immaculée « (i), parce que, en vertu des dix bons chemins de
l'acte, elle est vierge de souillures : c'est le nom, conforme à la
chose, de la deuxième terre (2). De même que l'immaculée lumière
de la lune chasse les tourments (3) des hommes, de même cette
Immaculée, issue de la lune qu'est le fils du Victorieux, chasse
les brûlures (3) de l'âme faites par l'immoralité. Comme elle n'est
pas contenue dans le cercle des transmigrations, elle n'est pas du
monde (4) ; mais elle est la gloire (sj du monde, parce que toutes
les qualités en foule la suivent, parce qu'elle engendre la majesté
de « souverain des quatre continents » (ô).
Fin de
la deuxième production de pensee.
I
(1) vimalci.
(2) Comparer SQtrâlarhkâra, XX, 32,
(3) âtâpa.
(4) bhava.
(5) çrî.
(fi) càturdvïpaha-îçvara-sampad. — Le Bodhisattva qui possède cette
terre renaît en qualité de Grand Cakravartin.
■201 FF, MISl'.ON.
[Chapitre III.
La terre Prahliâliarl on Iroisicme production de la pensée
d'illumination].
(46.11') Maintenant l'auteur traite de la troisième production de pensée,
et dit :
1 a-b. « Comme [dans cette terre] apparaît la lumière du feu qui
consume entièrement le combustible [appelé] « connaissable n,
cette troisième terre est la Lumineuse (i) r .
« Lumineuse », tel est le nom de la troisième terre du Bodhi-
sattva. — « Pourquoi est-elle lumineuse ? » dira-t-on. — L'auteur
montre la conformité [du nom] avec la chose : on nomme cette
terre la Lumineuse, parce que, en ce moment, apparaît la
lumière (2) du feu, fait de paix (3), du savoir qui consume entière-
ment le combustible [appelé] connaissable (4). Quand lia produit
la troisième pensée :
1 c-d. « dans le fils du Victorieux, en ce moment, apparaît une
splendeur (5) couleur de cuivre, comme [celle] du soleil n.
De même que, avant le lever du soleil (g), apparaît une splendeur
couleur de cuivre (7), de même aussi dans le Bodhisattva apparaît
alors la splendeur du savoir.
(1) Comparer Sûtrâlamkâra, XX. 33 :
mahâ dharmâvabhâsasya karanâc ca prabhâkarï.
(2) prahhà.
(3) çântimaya (?), upaçania° (f)
(4) jneyendhana =jTieycivarana.
(5) snan-ba. — ((i) sûryodaycivasthâyâh purvam (t)
(7) Comparer tâmrâruna, Mahâvyutpatti, 281. 99, " eine kupferrothe
Morgenrôthe » (Dict. de St Petersbourg).
MADIIYAMAKAVATARA CHAPITUE III.
^95
Dans ce Bodhisattva qui a obtenu une telle splendeur du savoir, (47.7)
la vertu transcendante de patience est extrême ; c'est ce que
l'auteur montre en disant :
2. « Si quelqu'un, irrité sans motif, lui arrache du corps la
chair avec les os, longtemps et fréquemment, sa patience naît
extrême pour celui qui le mutile ».
Le Bodhisattva garde la pensée d'autrui et possède le savoir
que nous avons dit : par conséquent, il est naturellement exempt
de tout mouvement du corps, de la voix ou de la pensée tel qu'on
puisse jamais en redouter (i) quelque dommage qui serait, pour
autrui, un motif de la pensée de [le] faire souffrir. C'est pourquoi
l'auteur précise en disant :
« Si quelqu'un, irrité sans motif, lui ».
Si une créature de cette espèce [c'est-à-dire irritée sans motif]
arrache du corps de ce Bodhisattva la chair avec les os, à fréquen-
tes reprises, de moment en moment, et pendant longtemps, non
seulement sa pensée ne s'irrite pas contre un tel tourmenteur ;
mais encore, considérant (2j les souffrances infernales et autres
qui seront la conséquence de cette action pécheresse, dans le
Bodhisattva naît une extrêmement grande patience.
Autre point : (48.6)
3. « Ce Bodhisattva qui voit le néant (s), — quels que soient
la mutilation, son auteur, son moment, son mode (4), — comme il
voit que les choses (5) elles mêmes sont comme un reflet, pour
cette raison il est patient » .
Non seulement il est extrêmement patient parce qu'il considère
les souffrances infernales et autres qui seront la conséquence de
cette action pécheresse, mais encore, voyant les choses elles mêmes
(1) çarhk.
(2) adhyàlambya.
(r<) nairdtmya.
(4) yad yena yadâ yathct chidyate (?)
(5) dharma. — Voir ci-dessus la note sur les deux nairâtmya. —
D'après la petite édition : « comme il voit que toutes choses sont... »
^96 LE MUSÉON.
comme semblables à un reflet, exempt de la notion (i) de « moi »
et de « mien », pour cette raison encore il est extrêmement patient.
— Le mot yasya est employé pour grouper les raisons de la
patience (2).
(48 16) Noïï seulement cette patience est une vertu qui convient (3) aux
Bodhisattvas ; mais encore elle est, pour les non-Bodliisattvas, la
cause de la sauvegarde de toutes (4) les qualités. Aussi est-il raison-
nable que ceux qui sont impatients (5) s'abstiennent de la colère.
L'auteur le démontre en disant :
4. « Si l'offensé a du ressentiment (e) à ce [sujet], la colère (e) à
ce [sujet] fait-elle que ce qui est fait soit défait ? Par conséquent
sa colère est certainement sans utilité dans ce monde, et, en
outre, elle est en désaccord avec l'autre ».
Si, en effet, donnant occasion à la colère (7), celui qui est offensé
a du ressentiment contre autrui, alors, comme l'offense, une fois
faite, ne peut être défaite, le désir ardent (s) à ce sujet est sans
utilité, puisqu'il n'y a rien à faire. Non seulement son ressentiment
est sans profit, mais en outre il est en désaccord avec l'autre
monde, parce qu'il est issu de la haine (9) et projette une fructifi-
cation douloureuse (10).
(■49.11) Alors qu'on ne fait que manger les fruits déterminés des offenses
qu'on a soi-même commises, on s'imagine par ignorance : « cette
offense m'est faite par autrui » ; d'oii naît la colère contre l'offen-
seur et le désir de vaincre ses offenses par des représailles. Pour
réprimer cette [colère et ce désir], l'auteur dit :
5. « De ce fruit d'actes mauvais accomplis auparavant et qu'il
(l)samjnâ.
(2) Obscur,
(3) hodhisattvocitadharrna.
(4) ananta.
(5) « doués de non-patience «.
(6) upanâha, vaira.
(7) krodha {?)
(8) zhe-hrham-pa.
(9) khoii-khro-ha = dvesa.
(10) amanaàpavipâka.
MADIIYAMAKÂYATÂIIA CIIAPM IIE III. "297
faut nommer destructeur [du péché], comment fait-on, par
l'offense d'autrui et la colère, une semence de souffrance ? » (i)
La souffrance que des ennemis acharnés infligent à son corps
sous le tranchant aiguisé des couteaux est la dernière production
du fruit [du meurtre] : celui qui a commis le meurtre endurant
[d'abord] le terrible « fruit de rétribution » [de l'acte] dans les
enfers, la matrice animale et le royaume de Yama. Elle est
cause de la suppression de l'entièreté des fruits désagréables
pour les êtres corporels en qui reste le « fruit d'écoulement »,
[c'est-à-dire] les passions {2). Comment, à nouveau, comme [un
malade] altérerait la dernière potion qui est la cause de la guéri-
son d'une maladie interne, en fait-on la cause productrice d'un
fruit beaucoup plus nocif que le fruit désagréable antérieur ?
Il est donc raisonnable de supporter avec une extrême patience
[l'offense] cause d'une souffrance momentanée, comme on doit
supporter le remède qui fait un mal cause de la guérison de la
maladie (sj.
Non seulement, comme nous l'avons vu, la non-patience est une (50.15)
cause qui projette une rétribution désagréable et étendue ; elle est
encore la cause de la destruction de l'ensemble des mérites accu-
mulés depuis longtemps.
6. « Comme la colère contre les fils du Victorieux détruit en un
moment les mérites de la charité et de la moralité accumulés
(1) L'acte produit notamment deux fruits, le vipàkaphala, à savoir la
soutIVance dans les mauvaises destinées et dans les naissances tiumaines,
et le nùyandcqjhala, à savoir des dispositions passionnelles semblables à
celles qui ont provoqué le susdit acte. En supportant patiemment la
souffrance, qui est la dernière manifestation et la plus bénigne du vipà-
kaphala, riiomme détruit le nisyandaphala.
(2) avaçista-nisya)idaphala-hleçànâm(i) dehindm açescinistaphala-
sya nlvartanahetuh.
(3) Traduction approximative : bhaisajye vyddhicikitsàhelvi)hûta-
-tiksnaharmakareharanlyaihyuthd. — L'équivalence ùagcags-cha
m'est inconnue, tihsnakarmahrt, d'après les Lexx. européens, " habile « ;
peut-être « faisant une opération chirurgicale » {dyahçdlika = tlksna-
harman). Mais il semble bien que ce soit un qualificatif de bhaisajye.
21
298 LE MUSÉON.
au cours de cent millénaires, il n'y a pas d'autre péché que la
non-patience ».
Si ce magnanime Bodhisattva, — soit parce que lui fait défaut
un rang marqué dans la sainteté (i), soit parce que, possédant ce
rang, il agit sous l'influence de l'impression des passions (2), —
attribuant, à tort ou à raison, une faute à des personnes qui ont
produit la pensée d'illumination, produit, ne fut-ce qu'un moment,
une pensée de haine : cette seule pensée détruit les mérites engen-
drés par la culture (3) des vertus transcendantes ci-dessus décrites
de charité et de moralité, fussent-ils accumulés au cours de cent
millénaires. A plus forte raison si un non-Bodhisattva produit [une
pensée de haioe] contre des Bodhisattvas.
Donc, de même qu'il est impossible de déterminer en nombre de
palas (4) la mesure de l'eau de l'océan, de même ici est-il impossi-
ble de déterminer la limite de la rétribution. Par conséquent il n'y
a pas un autre plus grand péché que la non-patience, projetant
une semblable fructification désagréable, destructeur du mérite.
Comme il est dit : « U Maùjuçrï, la haine détruit les bonnes
œuvres accumulées pendant cent millénaires ; c'est pour cela
qu'on l'appelle haine » (5).
(51 .jo) Autre point. Les non-patients, qui ne font du mal qu'à eux-mêmes
(1) Littéralement pudgalena viçe^ef^a niyâma-rahitatvât. On com-
prend bien niyâmarahiia « qui n'a pas encore obtenu le niyâma ». Il
s'agit ici d'un Bodhisattva, à qui manque la niyâmàvakrànti (voir ci-
dessus), qui n'est pas niyatabhûmisthiia (Mahâvyutpatti 123. 2), qui
réside dans les terres préliminaires qui ne sont pas des » terres de
niyama », car on peut en déchoir, par opposition à la Joyeuse, à l'Imma-
culée, etc. — Je ne sais que faire de pudgalena. En corrigeant gan zag
gi, on a pudgalaviçis^aiilyâma» =■ privé de la prédestination propre aux
Aryapudgalas.
(2) hleçavâsanàdhlnavrtti.
(3) bhâvanà.
(4) Mesure de capacité.
(5) pratighah pratigha iti Manjuçrîh kalpaçatopacitam kuçalaih prati-
hanti, tenocyate pratigha iti. — Manjuçrivikrîditasûtra, cité Çiksâsa-
muccaya, 149. 5 et Bodhicaryâvatârapanjikâ, 168. 1. — Pour toute cette
théorie, voir ce dernier texte 167. 7 et Çïksâs. 124. lo-
MADHYAMAKÀVATÀRA CHAPITRE III.
299
lorsqu'ils sont incapables de nuire à autrui ; qui, puissants et
dépourvus de compassion, font du mal à eux-mêmes et à autrui (i),
dès leur naissance
7 a-b « ont une forme repoussante, ont commerce avec les mé-
chants, sont privés de la distinction du bien et du mal ».
Et, dans la suite, ayant abandonné [les actes] qui produiraient
la renaissance dans le même état [d'homme où ils se trouvent
maintenant] (2),
7 c. « par la non-patience, bientôt il sont précipités dans les
mauvaises destinées » .
Si tels sont les défauts de la non-patience, quelles sont, deman- (52.8)
dera-t-ou, les qualités de la patience qui lui est opposée ?
7 d. « La patience produit des qualités opposées aux [défauts]
susdits, n
8. « Par la patience on est beau, on a relation avec les bons (3),
on est expert dans la connaissance du bien et du mal, et, en
outre, on obtient la renaissance divine et humaine et la destruction
du péché ».
Il faut donc savoir que la patience possède les qualités contraires
aux défauts que nous avons dit être ceux de la non-patience. Par
conséquent :
(1) Traduction conjecturale ; la syntaxe de la phrase ne m'est pas
claire,
(2) Littéralement : sabhàgam tyahtvâ.
L'acte est sabhâgahetu (ou nikâyasabhâgahetu) quand il produit la
renaissance dans le même nikâya, c'est-à-dire, dans la même destinée
(jâti, gati) ; visabhùgahetu, dans le cas contraire. — Voir Mahâvyut-
patti, 104. 70, 114. 6, 245. 598 : Madhyamakavrtti, 321, g. — Toutefois, dans
le texte cité Çiksâsamuccaya, 252. 16 ^sabhàgasya harmanah hninaivât)^
il s'agit de l'acte qui doit être rétribue dans la vie présente et qui, par
conséquent, l'entretient. Quand il est épuisé, c'est la mort; il faudrait
donc traduire : " et après, à la mort ».
(3) satpurusa.
500 LE MUSÉON.
9. " Hommes ordinaires et fils du Victorieux, connaissant les
défauts et qualités de la colère et patience, abandonnant la non-
patience, doivent aussitôt et toujours pratiquer la patience vantée
par les Saints (i) ».
Comprenant les qualités de la patience par opposition aux défauts
de la colère, ci-dessus décrits, abandonnant la non-patience, ils
doivent en toute occasion pratiquer la patience (2).
(53.6) L'auteur enseigne maintenant les diverses espèces de la vertu
transcendante de patience :
10 a-b. « Même appliquée à l'illumination des parfaits Boud-
dhas (3), la patience appuyée sur la triade n'est que [vertu trans-
cendante] naturelle ».
Même appliquée à l'acquisition de la qualité de Bouddha, quand
elle prend point d'appui sur ces trois [données], la patience, celui
qui supporte, les êtres qui sont supportés, la patience est désignée
comme vertu transcendante naturelle de patience.
10 c-d. « Mais, quand elle n'a pas de point d'appui, le Bouddha
enseigne qu'elle est vertu transcendante surnaturelle n (4).
(53.15) ^^ même que, dans cette terre, la vertu transcendante de patien-
ce devient très pure, de même,
11. « Dans cette terre le tils du Victorieux, en même temps que
les dhyanas et les pouvoirs miraculeux (5), obtient la destruction
complète de la convoitise, de la haine ; et il est aussi toujours
capable de vaincre la convoitise charnelle du monde ».
(1) aryapuru§a.
(2) Le commentaire (53. 1-3] explique le composé krodhaksântyor dosa-
guuun,
(J) Comme nous l'avons vu (I. 16), c'est par l'application [parb^âmanû)
à l'acquisition de la Bodhi que les vertus acquièrent le pouvoir de mener
à la Bodhi et méritent le nom de Pciramitâs.
(4) Voir ci-dessus I. 16, II. 9.
(5) abhijnâs.
madhyamakAvatâra chapitre m. 501
Par le terme « dhjânas » sont implicitement indiqués les samâ-
pattis et les apraniânas.
Comme l'enseigne la Troisième terre du Bodhisattva (i), où il est
dit : « Le Bodhisattva placé dans la Lumineuse, troisième terre du
Bodhisattva, entre et persiste dans le premier dhyana isolé des
désirs, isolé des principes de péché et de démérite, où la réflexion
s'exerce [encore], où le raisonnement s'exerce [encore], né de
l'isolement, accompagné du plaisir de la joie » Tels sont
les quatre dhyànas (2).
« Les quatre ârîlpyasamàpattis , à savoir : « Les notions relati-
ves au monde matériel étant toutes dépassées, les notions d'antipa-
thie (?) étant congédiées, les notions de variété n'étant pas prises
en considération «Telles sont les quatre â;v7p^a5amà-
paitis (3).
« Les quatre apramâms, à savoir l'amitié, la complaisance, la (55.14)
compassion et l'impartialité (4).
" Les cinq pouvoirs miraculeux, à savoir : la faculté magique, (56.2)
l'ouïe divine, la connaissance de la pensée d'autrui, le souvenir
des existences antérieures, la vue divine (5).
(1) Titre du troisième chapitre du DaeabliQmaka < Daçabhûmïçvara).
(2) Je crois inutile de traduire in e.rtenso la description des quatre
dhuânos {54.4-54.1;,). Le texte est classique, Lalitavistara, p. 127 (voir
Mahâvyutpatti (M. Burnouf, Lotus, 800 et comparer Dîgha II, .313, Warren,
p. 288) ; le pâli, comme on sait, porte vivicc 'eva hàmehi vivicca akusa-
lehi dhammehi au lieu de vivihtatit kàmair viviktarii pâpakair aku-
çnlair dhormair....
(3) 54.;.o-5.5.i:j. Même texte que Mahâvyutpatti OS, Samyutta IV, llOsuiv.
(4) 55.11-56.1. Sa maitrisahagatena cittena vipulena mahadgatenâdvaye-
nâpramânenâvairenâsampannenânâ[va]ranenâv3'âvâdhena sarvatrânu-
gatena dharmadhâtuparame loke âlcàçadliâtuparyavasâne sarvâvantarii
lokaiii spharitvopasampadya viharati; evaiii karunâsahagatena muditâ-
sahagatena upek.^âsahagatena cittena vipulena — Les quatre apra-
riuoidni ou niiramdmjâni (Dharmaçai'iraJ sont énumérés dans le même
ordre Mahâvyutpatti 69 ; diredvitlyâm, cathurthïm ; ^ Abhidharmakoça-
vyâkhyâ, Soc. As. 336 a) ; mais la phi'asêologie est légèrement moditiêe.
Pour le pâli, voir par exemple Anguttara II, 128.
(5) L'ordre n'est pas le même dans Mahàvyut. 14 ; voir pour la
rddhijabhijTin, Mahàvyut. 15, Majjhima I. 34 ; pour la pUrvcciiivâsânu-
smrti, Visuddliimagga apud Warren 315. Je crois devoir reproduire le
502 LE MUSÉON.
(60. 3) « Il entre dans ces dhyànas et samàpattis et il en sort : mais
il aspire [seulement] dans la direction où il voit le perfectionne-
ment des « membres de la Bodhi », et il n'y a pas de naissance
pour lui par l'efficace de ces [dhyànas], mais seulement des
naissances par l'efficace de la projection de ses résolutions. Et
pourquoi ? parce que ce Bodhisattva est en possession d'une « série
de pensée » nourrie par l'habileté dans les moyens » (1).
C'est de la sorte que, dans cette [terre], se produisent pour le
Bodhisattva les dhyànas et les ahhijnàs.
(60. 11) Et, demandera-t-on, comment sont diminuées la concupiscence,
la haine ? — [Dans la stance] le mot « et » [la concupiscence et
la haine] est omis pour que l'expression soit compréhensive : pour
ce [Bodhisattva] l'erreur aussi est diminuée.
Comment [a lieu cette diminution] ? Comme il est dit dans le
Sûtra :
« Il voit que tous les 'dharmas' sont exempts de transmigration
et d'annihilation, en raison de leur production par des causes con-
ditionnées ; par conséquence, dans une large mesure, tous les
liens de la concupiscence, de la forme, de l'existence et de l'igno-
rance deviennent faibles. Quant aux liens de la « vue fausse «, ils
sont déjà abandonnés. Pour le Bodhisattva placé dans cette terre
de Bodhisattva, la Prabhâkarï, pendant de nombreuses centaines
de millénaires, de nombreux milliers, centaines de milliers, dizaines
de millions, jusque de nombreuses centaines de millions de millé-
naires, le « faux désir » va à la disparition, à l'abandon ; de
même la « fausse haine «, la « fausse erreur » (2).
texte du Daçabhûmi (Dev. 126) en l'amendant d'après le tibétain : on le
trouvera dans la note p. 305 ; mais une traduction française me paraît
superflue.
(1) sa imâni dhyânâni vimoksân samâdhîn samâpattïç ca samâpadyate
vyuttisthate na ca tesârîi vaçenopapadyate, anyatra yatra bodhyanga-
paripûi-im paçyati tatra saiiicintya pranidliâna[va]çenopapadyate. tat
kasya hetos. tathâ hi tasya bodhisattvasyopâyakauçalâbhinirhrtâ citta-
samtatil.1.
Si cette habileté fait défaut, on obtient, en sortant de la méditation, telle
ou telle renaissance (monde des Asarnjnas, etc.) peu favorable à la car-
rière de futur Bouddha — Voir Sûtrâlamkâra XX, 8.
(2) sa sarvadharmânâm asamkrântitâiii câvinâçitârii ca pratîtyapra-
I
MADIIYAMAKÂVAÏÂRA CHAPITRE II[. 305
C'est ainsi que, pour ce [Bodhisattva] diminuent le désir, la
haine et l'erreur.
Et comment, demandera-t-ou, devient- il constamment capable de (61.8)
vaincre la concupiscence (i) du monde ? Ainsi qu'il est dit : 0 fils
dn Victorieux, cette troisième terre du Bodhisattva, est enseignée
en résumé : FrahhaJiarï. Le Bodhisattva qui y est installé renaît
généralement roi des dieux, maître souverain des dieux (2) ; il est
habile dans la confection du moyen pour réprimer la concupiscence
des créatures. Etant le maître, il est habile à retirer les créa-
tures de la boue du désir (3) ».
De la sorte, ce fils du Victorieux est capable de vaincre la con-
cupiscence des créatures.
De la sorte, ce Bodhisattva, dans la troisième terre du Bodhi- (61. n)
sattva, obtiendra sans doute aucun la pureté de la vertu transcen-
dante de patience, les dhpclnas, les apramânas, les samàpattis,
les abhiJHàs et la diminution du désir, etc.
Ceci établi, maintenant, pour mettre en lumière P les différents (62. 1)
réceptacles des trois vertus transcendantes dont la vertu parfaite
de patience est la plus haute, et 2® la nature du sambhàra et la
spécification du fruit complet du samhhàra, l'auteur dit :
12. « Ces trois principes, charité, etc., les Sugatas les vantent
d'habitude chez les laïcs : ces mêmes [principes], qui constituent
l'équipement dit du mérite, sont la cause du corps matériel du
Bouddha, n
Certes, seuls les Bodhisattvas sont les récipients de la charité et
tyayatayâ vyavalokayati. tasya bhûyasyâ mâtrayâ sarvâni kâmaban-
dhanâni tanûni bhavanti ; sarvâni rûpabandhanâni, sarvâni bhavaban-
dhanâni, sai'vâny avidyâbandhanâni tanûni bhavanti. drstikptabandha-
nâni ca pûrvam eva praliînâni bhavanti. tasyâsyârii prabhâkaryâiii bodhi-
sattvabhQmau sthitasya bodhisattvasyânekân kalpân anekâni kalpaça-
tàny anekâni kalpasahasrâni.... anekâni kalpakotiniyutaça[ta]sahasrâny
anupacayaih mithyâiâgo prahânaiii gacchali, anupacayarh mithyâdosal?,
anupacayam mithyâmohah prahânam gacchati.
(1) kâmarâga.
(2) devapati, dcvâdhipati (?). — Comparer ci dessus 293, n. 6.
(.3) kâma.
504 LE MUSÉON.
des autres [vertus] telles qu'elles ont été décrites : toutefois en
raison de ce qu'il y a dualité parmi les Bodhisattvas par la dis-
tinction des laïcs et des religieux, l'auteur s'exprime ainsi.
Or, c'est surtout aux laïcs, d'une manière générale, que les trois
principes dont la charité est le premier, sont faciles à réaliser ;
aux religieux, c'est [surtout] l'énergie, la méditation et la science :
bien qu'aucune [de ces vertus] ne manque [complètement] à
aucune des deux catégories.
(62.15) Il y a deux 'équipements' (i), cause de la qualité de Bouddha :
à savoir l'équipement de mérite et l'équipement de savoir.
Les trois vertus transcendantes dont il a été question constituent
l'équipement de mérite : le recueillement et la science constituent
l'équipement de savoir ; l'énergie est un facteur des deux [équipe-
ments]. Telle est la distribution [des vertus]. (2)
Or l'équipement de mérite est la cause du corps matériel (3) des
parfaits Bouddhas, caractérisé par des centaines de mérites, revê-
tu de diverses formes merveilleuses, incompréhensibles ; et l'équi-
pement de savoir est la cause du corps de la Loi caractérisé par
la non-naissance (4).
(63.5) Maintenant, ayant dit sa grandeur par la grandeur de son
réceptacle, etc., l'auteur achève de décrire la troisième terre du
Bodhisattva :
13 a-c. « Résidant dans ce soleil qu'est le fils du Victorieux ;
ayant, d'abord, parfaitement illuminé les ténèbres qui lui étaient
adhérentes, on espère que cette Prabhâkarl triomphera des ténè-
bres du monde. »
(1) sarhbhâra : « cellection of things required for any purpose » (Monier
Williams). — Voir Journal Asiatique, 1903, II, p. 395.
(2) Çântideva, dans le Bodhicaryâvatâra, explique très judicieusement
que le recueillement (samcidhi) est, comme l'énergie {vïrya), une vertu
auxiliaire des deux équipements.
(3) rûpakâya — Il s'agit soit du sambhogakâya, soit du nirmmiakàya.
Aux explications que j'ai données dans J. R. A. S. 1906, p. 943, il convient
d'ajouter les éclaircissements qu'apporte le Sûtrâlamkâra, ix, 26, xi, 43,
57-59, 75.
(4) On peut comprendre anutpâdajnâna.
MAimVAMAKÂVATÂKA CHAPITKE III. 505
Cette terre Prabhâkarï résidant dans le soleil qu'est le fils du
Sugata, ayant, à l'état naissant (i), chassé l'ignorance qui se trouvait
daos son propre réceptacle et faisait obstacle à son apparition ;
on espère qu'elle vaincra, grâce à un enseignement de cette
sorte (-2), l'obscurité qui fait, chez les autres, obstacle à l'appari-
tion de la troisième terre.
Le Bodhisattva, (63.15)
13 d. « dans cette terre, bien qu'il soit extrêmement ardent,
ne s'irrite pas ».
Chassant l'obscurité du mal fa), bien que sa victoire lui donne
une extrême ardeur, tel le soleil, il ne querelle pas un homme
vicieux : en raison de son extrême application à la patience et de
la compassion qui attendrit son âme.
Fjn de la teoisième peoduction de pensée.
Note.
Les pouvoirs miraculeux (voir p. 301, n. 5)
so 'nekavidhâm rddhividhim pratyanubhavati, prthivïm api
kampayati. eko' pi bhûtvâ bahudhâ bhavati ; bahudhâpi bhïîtvai-
ko bhavati. âvirbhâvam tirobhâvam api pratyanubhavati (4) ;
tirah kurlyaiii tirah prâkâraih parvatam apy asajjan (5) gacchati,
tadyathâpi nâmâkâçe. âkâçe 'pi paryankena krâmati, tadyathâpi
nâma paksiçakunili. prthivyâm apy uumajjananimajjanam karoti,
tadyathâpi nâmodake. udake 'py amajjan (e) gacchati, tadyathâpi
prthivyâm. dhûmayati, prajvalati, tadyathâpi nâma mahân agni-
skandhah. svakâyâd api mahâvâridhârâ utsrjati (7) tadyathâpi nâma
(1) jâyamânâvasthâ.
(2) evaihvidha iipacleça.
(3) Littéralement dosa-tamo-guna {?)
(4) D'après le tibétain âvirbhavati tirobhavati.
(5) Mahâvyut. asajjamrmo.
(6) Mahâvyut. abhidyaraâna ; Dev. 126 asajjan.
(7) Sic Mahâvyut. — Dev. 126 udakam api kâyât pramuiîcatl yena
vârinâ
506 LE MUSÉON.
mahâmeghah, yâbhir vâridhârâbhir ayam trisâhasramahâsâhasro
lokadhâtur âdïptah pradîptah samprajvalito' gninâ ekajvalïbhîito(i)
nirvâpyate.imâv api candrasûryàv evammaharddhikâv evaiii mahâ-
nubhâvau (2) paninâ parâmrçati parimârsti (3) yâvad brahmalo-
kam (4) api kâyena vaçam vartayati.
sa divyena çrotradhâtunâ [viçuddhenâ]tikrântamâausyakeno-
bhayâD çabdâa çrnoti, divyân mâansyakào, sûksmâii audârikâmç
ca, ye dure 'ntike va antaço damçamaçakakltamaksikânâm api
çabdân çrnoti, [esâ divyaçrotrâbhijùâ].
sa parasattvâDâm parapudgalâoâm cetasaiva cittam yatbâbhû-
tam prajânâti, sarâgam cittam sarâgacittam iti yathâbhûtam
prajânâti ; virâgam. . . . prajânâti ; sadosam, vigatauosam,
samoham, vigatamoham, sakleçam, nihkleçam, parîttam, vipulam,
mahadgatam, apramânam, samksiptara, [vistîrnam], samâbitam,
asaraâbitam, vimuktam, avimuktam, sâùganara, anaiiganam ;
audârikam cittam audârikacittam iti yathâbbûtam prajânâti ;
anaudârikam prajânâti, iti parasattvânâm parapudgalânâm
cetasaiva cittam yathâbhntaih prajâûâlï[ty esâ paracittajùânâ-
bbijnâ], (5)
so 'nekavidham pûrvanivâsam anusraarati ; ekâm api jâtiin
anusmarati ; dve, tisraç, catasrah, panca, daça, vimçati, trimçatam,
catvârimçatam, pancaçatam, jâtiçatam anusmarati ; anekâny api
jâtiçatâny, anekâny api jâtiçatasabasrâni, samvartakalpam api,
vivartakalpam api, anekân api samvartavivartakalpân apy anu-
smarati ; kalpaçatam api, kalpasahasram api, kalpaçatasabasram
api, kaipakotïm api, kalpakotïçatam api, kalpakotïsahasram api,
kalpakotïçatasahasram api, yâvad anekâny api kalpakotïniyuta-
çatasahasrâny anusmaraty : amutrâham âsam evamnâmâ, evaiii-
gotra, evamjâtir, evamâhâra, evamâyuhpramâna, evamcirastbitika,
evamsukhaduhkbapratisamvedï. so' bam tataç cyuto 'tropapannah.
(1) Dev. 126 : âdïpto nirvâpyate.
(2) Mahâvyut. ajoute evam mahaujaskau ; Dev. 126 °maharddhikâu,
°maheçâk.hyau.
(3) Mahâvyut. parimârjayati.
(4) Mahâvyut. brahmalokâd api sattvân....
(5) Comparer le ceiopariyanàna dans Majjhima, I. p. 34.
MADHYAMAKÂVAÏÀRA CIIAPITKE III. 307
tatah cyuta ihopapanna. iti sâkâram soddeçarii sanimittam aneka-
vidham pûrvaaivâsam anusmarati. [esâ pûrvanivâsâausmrtya-
bhijnâ.]
sa divyena caksusà viçuddheaâtikrâQtamâQusyakeua sattvâa
paçyati, cyavamânâQ upapadyamâDâQ suvarnâa durvarnâa sugatan
durgatâa pranîtâû hlnâu yathâkarmopagâû sattvâa yathâbhûtaih
prajânâti . irae bhavantah sattvâh kâyaduçcaritcna samanvagatâ,
■vâgduçcaritena samanvagatâ, [manoduçcaritena samanvagatâ],
âryânâm apavâdakâ mithyâdrstayah, mithyâdrstikarmasamâdâoa-
hetos taddhetu (i) tatpratyayam (i) kâyasya bhedât param maranâd
apâyadurgativinipâtanirayesûpapadyante ; ime punar bhavantah
sattvâh kâyasucaritena samanvagatâ, [vâksucaritena samanvagatâ.
manahsucaritena samanvagatâ], âryânâm anapavâdakâh, samyag-
drstikarmasamâdânahetos (2) taddhetu (1) tatpratyayam fi) kâyasya
bhedât param maranât sugatau svarge devalokesûpapadyanta (3)
ity [prajânâti, evam] divyena caksusâ viçuddhenâtikrântamanu-
syeua sâkâram soddeçam sanimittam (4) sattvân paçyati, cyavamâ-
nân upapadyamânân yathâbhûtam paçyati (5).
(1) Manque dans le tibétain.
(2) Dev. 126 : "harmadharmasamâdâna'' .
(3) Tibétain : svargalohe devesu.
(4) L'aspect ou la nature des êti-es, le lieu et la cause de leur renais-
sance. — M. Vyut. 15.19 rnam-pa dan bcas yul phyogs daii bcas gzlii ci
las gyu)^ pu dan hcas (P. Cordier).
(5j C'est le sattànarh cuiûpapàie nàna.
508 LE MUSÉON.
[Chapitre IV
La terre Arcismatî ou quatrième production de la pensée
d'illumination].
(64.4) Maintenant, en montrant la supériorité de la vertu transcen-
dante d'énergie sur les vertus transcendantes de charité, de mora-
lité et de patience, l'auteur traite de la quatrième production de
pensée en disant :
1. « Toutes les qualités vont à la suite de l'énergie ; l'énergie
est cause des deux équipements de mérite et d'intelligence (i) :
la terre oii elle s'enflamme est la quatrième, l'Arcismati [ou la
Rayonnante] (2) ».
Celui qui manque d'effort pour la bonne action, il ne peut en
aucune façon entrer dans la charité, etc. ; et par conséquent
aucune qualité ne peut naître. Dans celui qui s'efforce pour accu-
muler les qualités ci-dessus étudiées, par l'accroissement de
l'acquis et l'acquisition du non-acquis, les qualités existent : l'éner-
gie est la cause de tout. Qu'elle est la cause des deux équipements,
ou l'a dit plus haut. — La terre où c<?tte éucrgie, par la pureté de
ses qualités propres, revêt une intensité extrême, c'est la quatrième
terre du Bodhisattva, nommée Arcismatî.
(64.19) Mais pourquoi ce nom d'Arci.sraatï ? Pour en montrer la raison
d'être, l'auteur dit :
2 a-c. « Alors, dans le fils du Sugata, par la culture extrême (2)
des auxiliaires d(3 la parftiite illumination (4), naît un éclat qui
est supérieur au resplendissement de cuivre «.
(1) matismhhhâra ou dhl".
(2) Comparer Sûtrâlamkâra XX, 34.
(3) bhàvanâ.
(4) samyahscDiibodhipahsa.
MADHYAMAKÀVATÂRÂ CHAPITRE IV. 509
De la sorte, dans cette terre, le Bodhisattva, par la culture des
trente-sept principes d'illumination (i), voit se produire en lui un
éclat supérieur à l'éclat cuivré dont il a été parlé plus haut (2) ;
par conséquent, produisant le rayon du feu du savoir parfait,
cette terre du Bodhisattva est appelée ArcismaU.
Les trente-sept bodhipaksikadharmas sont les suivants : quatre
smrtyupasthànas, quatre samyakprahânas, quatre rddhlpàdas,
cinq indriyas, cinq balas, sept bodhyahgas, et huit âryamâr-
gàhgas.
D'abord quatre « applications de la mémoire » : (3) 0 fils du (65.1»)
Victorieux, le Bodhisattva placé dans cette terre du Bodhisattva
Arcismaiï, s'efforçant, conscient, doué de mémoire, ayant écarté
convoitise ou mécontentement à l'égard du monde, se tient en
considérant dans le corps interne ce que c'est que le corps. De
même pour le corps extérieur, pour le corps intérieur- extérieur ;
pour les sensations intérieures, extérieures, intérieures-extérieures ;
pour la pensée intérieure, extérieure, intérieure-extérieure ; pour
les dharmas intérieurs, extérieurs, intérieurs-extérieurs (4).
Les quatre « parfaits abandons » (5) : pour que les principes mau- (66.8)
vais et malfaisants, non produits, ne se produisent pas, il forme
un souhait, il s'efforce, il déploie l'énergie, il se rend maître de la
pensée, il forme une parfaite résolution ; de même pour abandonner
les principes mauvais et malfaisants qui sont déjà produits ; de
même pour engendrer les bons principes non produits ; de même
pour que les bons principes déjà produits demeurent en l'état, ne
diminuent pas, se développent, naissent déplus en plus et devien-
nent accomplis.... (e)
Les quatre « pieds de la puissance magique b : il cultive le (66.10)
(1) bodhipaksikadharma.
(2) Voir chap. III stance 1.
(3) D'après le Daçabhûmaka.
(4) Voii- Dîgha II, 290 ; Majjhima I, 55 ; Samyutta, V, 141 ; Warren, 353 ;
Pischel, Neue Bruchstucke aus Idykutsari, 6, Çiksiisamuccaya, chap. xiii-
xiv ; Bodhicaryâvatâra, ix.
(5) Voir Kern, Geschiedenis, I, p. 301.
(6) Le même texte que Mahâvyutpatti 39 et que Abhidharmakoçavyâ-
khyâ 386 b. — Comparer Çiksàs. 356.io.
5i0 LE MUSÉON.
rddhipâda du souhait (i) entouré des dispositifs de l'effort vers le
recueillement, reposant sur le discernement [ou l'isolement du
corps et de la pensée], sur la non- convoitise, sur la destruction,
tourné vers le complet abandon [des passions et du connaissable] (2).
De même pour le rddhipâda de l'énergie, de la pensée et de l'exa-
men (3).
(67.4) Les cinq « pouvoirs » : le pouvoir de la foi reposant sur le discer-
nement [ou l'isolement], reposant sur la non convoitise, etc. ; de
même le pouvoir de l'énergie, de la mémoire, du recueillement et
de la science (4).
Les cinq « forces » sont les mêmes [que les pouvoirs] en tant
qu'elles triomphent du contraire : donc comme ci-dessus.
(67 11) ^®^ ^^P^ " membres de l'illumination » : la mémoire reposant sur
le discernement, etc., membre de l'illumination ; de même la déter-
mination des principes, l'énergie, la joie, la satisfaction (5), le
recueillement, l'impartialité.
(67 19) ^^^ ^^^^ " membres du Noble Chemin « , vue correcte reposant sur
le discernement, sur la non-convoitise, sur la destruction, tournée
vers le complet abandon ; conception correcte, voix correcte,
action correcte, vie correcte, effort correct, mémoire correcte,
recueillement correct.
(1) C'est-à-dire : il cultive cette cause de pouvoir magique qu'est le
souhait; il cultive le souhait, l'énergie, etc., qui sont des facteurs de
l'illumination, et qui, pn.r surcroît, confèrent le pouvoir magique. Le
tibétain parait justitler cette exégèse et d'après Abhidharmakoyav.
Burn. 41b, rddhipàdâh = rddhihetavah. — Voir Dharmasaiiigraha (46)
dont la tj'aduction (p. 45) : « the will to acquire magie power » est inad-
missible. Le désir du pouvoir magique ne peut être un élément de la
Bodhi.
(2) chandasamâdhiprahânasariiskârasamanvâgatani rddhipâdam bhâ-
vayati vivekauiyritam virâganiçritaih nirodbaniçritarîi vyavasargapari-
natam. — Maliâvyutpatti 40 et Trigiotte p. 17 b ont anupalcunbhayogena
bhavati{\ bsgom-mo). Le Pâli (apud Childers) omet anupakonbhayogena
et porte bhciveti.
(3) vïrya, citta, mïmâriisâ.
(4) Mabâvyutpatti 41, Dharmasamgraha 47. — Les qualificatifs viveha-
niçrita, virâganiçriia, etc., sont, ce me semble, propres à notre texte.
[h) praçi^abdlii. L'équivalent tibétain signifie « pureté r, ; noter l'expU-
cation de Çarad Candra (p. 939) « practised, disciphned ».
MADIIYAMAKÂVATÂUA CHAPITRE V. 3H
Dans cette terre, non seulement se produit la culture des hodhi-
paksas, mais encore :
2 d. « est détruite toute relation avec l'idée de soi. »
Dans cette terre, l'idée de soi du [Bodhisattva] est détruite.
Comme il est dit [dans la Quatrième terre du Bodhisattva] (i) :
« 0 fils du Victorieux, placé daus cette Arcismatî, quatrième terre
du Bodhisattva, le Bodhisattva est débarassé de toutes les spécula-
tions ascendantes ou descendantes (2), conceptions, réflexions,
idées de durée (3), idées de mien, idées de richesse, de tous les
lieux mondains quels qu'ils soient qui vont à la suite de la
safkàyadrsti et qui sont édifiés par l'adhésion au moi, à l'être, au
principe vital, au principe nourricier, au mâle (4), à l'individu,
aux slîandhas, dhâhis et àyatanas. »
Fin de la quatrième
PRODUCTION DE PENSEE NOMMEE AeCISMATÎ.
(1) Daçabhûmaka : tasya khalu punar bhavanto jinaputrà bodhisattva-
syâsyâm arcisraatyârii bodhisattvabhûmau sthitasya yânimâni satkâya-
drstipûrvaihgamâni âtmasattvajïvaposapudgalaskandhadhâtvâyatanâ-
bhiniveçasamucchiitâny unminjitâni niminjitani vicintitâni vitarkitâni
kelâyitâni raamâyitâni dhanâyitâni niketasthânâni tâni sarvâni vigatâni
bhavanti sma.
(2) Je pense que unminjita, niminjita sont de simples variantes de
samâropa, apavâda ou àvj/ûha, nirvyilJt,a, et signifient : affirmation,
négation. — Voii' Mahâvyutpatti 133, 23-04, Çiksfts. 215, le, Leumann,
Album Kern, p. 293, Sukhâvatïvyûha, traduction, p. 4.
(3) Sens fourni par le tibétain, brtan-pa == sthira, drdha, nitya ; mais
voir Mahâvastu III, 484, (Majjhima I, 2G0, Milinda 73, 20)) kelâyati =
nourrir.
(4) purusa manque dans le sanscrit.
r>i:2 lE MISÉON.
[Chapitre V
La terre Sudiirjaijâ ou cinquième production de la pensée
d'illumination.]
(Qg ^\ Maintenant, traitant de la cinquième production de pensée,
l'auteur dit :
1 a-b. « Dans la terre Siidurjayâ, ce magnanime ne peut être
vaincu même par tous les Mâras (i). »
Le Bodhisattva, fixé dans la cinquième terre du Bodhisattva, ne
peut être vaincu par les « Devaputra Mâras » qui se trouvent dans
tous les univers {i) ; à plus forte raison par d'autres, serviteurs de
Mâra, etc. C'est pourquoi le nom de cette terre est Sudurjaya ou
Invincible.
Ce Bodhisattva :
1 c-d. « par la prédominance de la méditation (3) obtient une
extrême habileté même dans l'intelligence de la profonde nature
des vérités des « bien pensants. »
Ici, parmi les dix vertus transcendantes, c'est la vertu de
méditation qui a la prédominance. « Bien pensant n (4), c'est-à-
dire les Aryas ; leurs vérités sont les vérités des bien pensants ;
c'est-à-dire les nobles vérités. La nature propre, c'est-à-dire
l'essence. La profonde nature, c'est-à-dire la nature qui ne peut
être comprise que par une profonde science. Ce [Bodhisattva]
(1) Comparer Sûtrâlaiiikara XX. 35.
(2) lokadhâtu.
(3) dhyâna.
(4) sudhîh, dhimân {?).
MADHYAMAKÂVATÂUA CIIAPITUE V. 515
devient très habile dans l'intelligence de la subtile nature des
vérités des « bien pensants ».
Les quatre nobles vérités sont la douleur, la production, la
destruction et le chemin.
Mais, dira-t-on, Bhagavat n'a enseigné que deux vérités, à savoir (70.8)
la vérité relative et la vérité absolue (i). Comme il est dit dans le
Pitâputrasamâgama :
« Le connaisseur du monde (2) a enseigné d'après deux vérités,
inouies chez les autres : la vérité de la sanivrtl et du paramartha;
il n'y en a pas de troisième » ;
et dans le Madhyamaka (3) :
« Les Bouddhas enseignent la loi en s'appuyant sur deux vérités :
la vérité de samvrti du monde et la vérité du paramàrtha » .
Par conséquent, où y aurait-il quatre nobles vérités distinctes
de ces deux vérités ? (4)
Sans doute, il en est ainsi, [il n'y a que deux vérités] ; cependant, (70. le)
en vue de montrer la nature de cause et de fruit de ce qui doit
être pris et abandonné, on énumère les quatre vérités. D'abord,
côté de ce qui doit être abandonné, c'est-à-dire l'obscurcissement
(saihlileça) : son fruit, c'est la vérité de la douleur ; sa cause,
c'est la vérité de la production ; ensuite, côté de ce qui doit être
pris, c'est-à-dire la purification (yyavadâna) : son fruit, c'est la
vérité de la destruction ; la cause qui fait qu'on l'atteint (5), c'est
la vérité du chemin.
La vérité de la douleur, de la production, du chemin rentrent
dans la vérité de samvrti ; la vérité de destruction a pour nature
la vérité de paramàrtha (e). De même, il est établi que toute autre
vérité, quelle qu'elle soit, rentre, comme il convient, dans [l'une
ou l'autre de] ces deux vérités.
(1) samvrii" et paramàrthasatya.
(2) lokavid. — La lokajTiatci est exposée dans la Bodhisattvabhûmi.
(3) Mûlamadhyamakavftti, xxiv. 8.
dve satye samupâçritya buddhânâih dharmadeçanâ/
lokasamvftisatyam ca satyaiii ca parainârthatati //
(4) Ces deux vérités seront longuement expliquées dans le chapitre VI.
'5) Le mârga est pràpanaheiu du nirvana, mais non pas hetu tout
court ; le nirvana n'a pas de cause.
(6) Même doctrine Bodhicaryâvatârapanjikâ, ix, 2.
22
314 \E MUSÉON.
(71 8) Est-ce donc qu'il y a d'autres vérités distinctes des quatre
vérités ? Oui, répondons-nous ; ainsi qu'il est dit dans la Cinquième
terre du Bodhisattva (i) : « 'Ceci est vraiment, pour les nobles, la
douleur', connaît-il en vérité ; 'ceci est la production de la douleur',
'ceci est la destruction de la douleur', 'ceci est vraiment, pour les
nobles, le chemin qui va à la destruction de la douleur', connaît-il
en vérité. Et il est habile dans la vérité de la smhvrti, dans la vérité
du paramârtha, dans la vérité des caractères, dans la vérité de la
distinction, dans la vérité de « discursion » (-2), dans la vérité des
choses, dans la vérité des origines, dans la vérité de destruction et
non-naissance, dans la vérité d'introduction à la connaissance du
chemin ; habile, entin, dans la vérité de la production de la connais-
sance des Tatbâgatas grâce à la réalisation de la naissance suc-
cessive dans les terres des Bodhisattvas. Il connaît la vérité de la
samvrti en tant qu'il satisfait les autres créatures conformément
(4| L'original dans Daçabhûmaka (V, initio).
idaih dul.ikliam âryasatyam iii yatluibhûtam prajânfiti, ayaih dub-
khasainudayal.i, ayaih du^khaniiodhati, iyaih dutikhanirodhagâminï
pratipad riryasatyain iiiyalhûbhùtaiu prajânâti. sa saihvrtisatyakuçalaç
ca bhavati, paranuirthasatyakuçalaç ca, laksanasatyakuçalaç ca, vibhâ-
gasaiyakuçalaç ca, nisllianasatyakuçalaç ca, vastusatyakuçalaç ca,
prabliavasatyakuçalaç ca, ksayâimlpâdasaLyakuçalaç ca, mârgajùrinâ-
vaiârasaiyaku(;alaç ca, sarvabodhisattvabliûinikramânusamdhinispâda-
natayâ yâvat tailiûgatajùrmasamudayasatyakugalai,' ca bhavati. sa
pai-asaltvânâih yathâçayasaiiitosanât saihvf tisatyaih prajânâti ; ekanaya-
samavasjranât paramârthasatyaih prajânâti ; svasâmânyalaksanânu-
bodhâl lak§anasatyaih prajânâti ; dhannavibliâgavyavasthânânubodhâd
vibhâgasatyaiii prajânâti ; skandhadhâtvâyatanavyavasthânânubodliân
nislïrana;atyaih prajânâti ; cittagariraprapîdanopanipâtatvâd vastusa-
tyaih prajânâti ; galisaiiidiiisambandhanatvât prabliavasatyaih prajâ-
nâti ; sarvajva[i'apratâpopaçaaiâtJ ksayânutpâdasatyaih prajânâti;
advayâbbiniiliârân niârgajùânâvatârasatyam prajânâti ; sarvâkârâbhi-
saihbodhât sarvabodliisattvabhûmikramânusaradhinispâdanatayâ yâvat
tailiâgatajùânasamudayasatyaih prajânâti, adhimuktijnânabalàdhânân
na khalu punar niravaçe§ajnânât.
(5j nistirana = i^hye sie rtogs pa, « comprendre en distingant » ; com-
parer saiiulrcoia, °nd, iNettipakarana, 82, 191. 12 ; Visuddhimagga,
J. P. T. S. 1893, p. 145 ; Bodhisattvabbûmi, 1, vi : dharmesu sarayaksaih-
lîranâksânti ; Abhidharmakoçav. Burn. 95a samtïrikâ yâ prajnâ sa
dpstib. sa cebâRuçalâ gfhyate.
MADHYAMAKÀVATÀRA CHAPITRE V. 315
à leurs dispositions ; la vérité du paramârtha parce qu'il a recours
au seul Véhicule ; la vérité des caractères, parce qu'il pénètre les
caractères généraux et individuels ; la vérité de distinction, parce
qu'il pénètre la manière d'être de la distinction des principes ; la
vérité de « discursion » , parce qu'il pénètre la manière d'être des
sJcandhas, dhâtus et àyatanas ; la vérité des choses, en raison [de
la connaissance] des tourments qui tombent sur la pensée et le
corps ; la vérité des origines, par l'intelligence des relations qui
déterminent les renaissances ; la vérité de destruction et non-
naissance, par l'apaisement de toutes les brûlures de toute fièvre ;
la vérité d'introduction dans la connaissance du chemin, par la pro-
duction de la non-dualité (i) ; et, par la compréhension de tous les
aspects [des choses], la vérité de la production du savoir des
Tathâgatas, grâce à la réalisation de la naissance successive dans
toutes les terres des Bodhisattvas (2). »
Fin de la cinquième
PEODUCTION DE PENSEE, NOMMEE STJDUEJATI.
(La suite dans un prochain cahier.)
(1) àbhinirlmra. — nirJirta = utpcuUta. — Je comprends : parce qu'il
pénètre les diverses vertus de l'idée de non-dualité (voir ci-dessus, la
distinction des lauhika et des lokottara Tpàramitâs) et, par là, s'intro-
duit et introduit dans le chemin du nirvana et de la Bodhi.
(2) Le tibétain omet la dernière phrase de l'original: " en tant que le
Bodhisattva prend possession de (ou assume) la force du savoir par
adhimuhti, par aspiration, car il ne possède pas le savoir au complet ».
510 LE MUSÉON.
Notes et corrections au texte tibétain.
Page 1 1. 2 au lieu de Ihiigs lire hzhugs.
inverser le caractère çya et supprimer l'anusvâra.
au lieu de shije ho lire shye ha.
édition noire : gsum chah,
les deux éditions sans rgyas hyis.
au lieu de hcom Itan Mas lire hcom Idan hdas.
les deux éditions : btan snoms kyi.
les deux éditions me dun ; lire mdun.
au lieu de nas, lire na sa.
les deux éditions 2)hid du.
au lieu de mde lire med.
lire y in.
effacer la finale ro (d'après l'original sanscrit),
au lieu de hdir lire hdis.
d'après l'édition noire, lire zhugs pa la sogs pa
la ran....
19 les deux éditions dhah gas.
lire rnani par hphel.
19 10 effacer les mots s^o?;5 liyis d'après l'original san-
scrit.
les deux éditions de la gzhan.
les deux éditions dhos po stoh ; lire ston.
les deux éditions hrtags pas ; lire htags.
les deux éditions da ni stoh pa poi.
les deux éditions de yi rgyu.
ks deux éditions hes par lohs spyod ; lire ne har.
édition noire rnams par hgyed.
au lieu de go lire ko.
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MADIIYAMAKÂVATÀRA. NOTES ET CORRECTIONS. 517
Page 29 1. 3 les deux éditions rtogs-pa.
9 édition noire shin rjei.
17 lire mthoh.
30 6 lire bya bai phyir.
16 les deux éditions pre ço da ra.
32 16 noir et rouge htshal.
1 8 rouge de med ni.
34 5 lire snin brise.
10 lire, contre les xyll., bag ma byed.
11 lire, contre les xyll., gshan gyis.
35 8 lire, contre les xyll., mi dga, ma yin te = il ne
se plait pas dans la discorde, il ne vise pas....
12 et 17 rd2un, n'est pas donné, semble-t-il, par les Lexx.
avec un sens satisfaisant,
lire, serable-t-il, riih bar byed.
lire, contre les xyll., rgyud dga bar.
lia ba can dan... ; can est difficile à expliquer,
lire, contre les xyll , glags te.
lire, contre les xyll., hdag hdzin.
Xyll. gah gis.
Lire, contre les xyll., mi hdum.
marquer un double çad.
effacer le çad à la fin de la ligne,
lire dmigs.
lire chos kun de yis.
lire contre les xyll. gah zag gi.
lire byed de sa.
lire, contre les xyll., lus Jcyis.
lire ces so.
J 9 et 59. 20 la lecture dan rtags est suspecte, voir 307,
n. 4.
lire peut-être de lia bur.
lire rnams pas contre les xyll.
lire bral bar ^rjô ba rnams
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J9
60
18
64
5
68
14
ETUDES
SUR
L'ÉSOTÊRISMË MUSULMAN
(Suite.)
IV.
Les Soufis, même ceux qui vivent en communauté, ont
des retraites pendant lesquelles ils se séparent complète-
ment des gens avec lesquels ils vivent d'habitude, pour
se livrer aux méditations les plus austères et à la prière.
Ces retraites portent le nom de iji^ et leur durée dépend
du degré d'exaltation de ceux qui s'y livrent. Les docteurs
mystiques attribuent à ces retraites une importance con-
sidérable et ils les considèrent, si on s'y livre avec ardeur,
comme l'un des moyens les plus etïicaces pour avancer
rapidement dans la Voie mystique jJ^U et pour arriver
au Nirvana (i). Celui qui aime à faire la retraite, a dit le
célèbre hermétique Zoul-Noun Misri, tient dans ses mains
les colonnes de la vertu et les piliers de la sincérité (2).
Un autre auteur mystique, Yahya ibn Miad, a dit que
la solitude est la citadelle des grands Saints (3) en même
(1) \\ cllaSi\. c> — J\£ j ^4=> »? i:^th /*^^? Jy°) 3 C:?^'* '^J »£)»L. Ui (iXj\^>
i*$uJ\ àfi^ d^\h£~ ,3e. >0 JoS ^^ o-~>Uj ^J;!^ (A* ) ^3J-C (SJJ^ t3*=; "i-io^ àSoUa-
Man. supp. persan 1082, folio 54 verso.
Avan'f eI-Mca)vy\ man. ar. 1332, folio 77 verso. jjuJ\ ^^\^j\ ^^
(3) fj^_x^\ L^j.^ ÏA=.y\ oljw ^vj ^__<ajj JU Ms. ar. 1332, folio 78 recto.
ÉTUDES SUR l'ÉSOTÉRISME MUSULMAN. 319
temps que l'une des œuvres les plus méritoires qu'il soit
donné au Mysti({ue d'accomplir. L'auteur du Mersad el-
ibad, Abou-Bekr Abd Allah ibn Mohammed el-Razi, est
d'avis que la Voie mystique est basée sur la Loi religieuse
et que le vrai moyen d'arriver au monde de la science
absolue -^Ju Jls^ consiste dans les retraites et dans la
a„ - f
réclusion volontaire jJ^c, ainsi que dans le renoncement
au monde.
« Tout être, dit Shems ed-Din d'Eberkouh dans son
Medjnm ci-bahrcin (i) (jui choisit la réclusion volontaii'e
JUl^c de préférence à la vie en communauté, et qui vit
dans la retraite au lieu de fréquenter la société des hom-
mes, est à jamais délivré de toutes les existences, sauf de
l'Existence absolue, de toutes les volontés, sauf de la
volonté d'arriver à l'Être Unique, de toutes les pensées,
sauf de celle de Dieu ; il est complètement purifié et sanc-
tifié ».
Ce passage du Medjma el-bahrcin n'est d'ailleurs que
l'adaptation d'un passage de V Àvarif el-Méarif de Sohraver-
di : cet auteur rapporte une sentence d'un célèbre docteur
souti, nommé Abou Témim el-Maghrébi (2), qui disait que
Man. persan 122, page 462.
(2) Jk^ j>\ V>\ JU SjW\ <_ûk. i^i ^i ^^. t^ J-inî^ ^^y y.? ^^ ^M^
Man. arabe 1332, fol. 78 verso et ssq. lA» ^\ Ejj^i ^ &siy
C'est avec intention que Sohraverdi emploie en même temps les mots
de ï^U et de ^W.. Shems ed-Din Ibrahim dit en effet dans le Medjma el-
bahreïn ^a &iysji^ ^'i}M,\^ ui-w,\ ^^^ÀSCij ^ja 4_5ÎW. 3^ uljjLc c>^ jJ cyJs»
Man, persan 122, page 461. ci-w.\ ^^â. ^_^l=. j\ vs»jW*^
5:20 LE MUSÉON.
la retraite claustrale est préférable à la vie en commu-
nauté, parce que, dans la retraite, le Soufî ne se souvient
que d'un Être et ne profère que le nom d'un seul Être,
l'Être Unique ; parce que s'il la fait bien, il est délivi'é de
toutes les passions, sauf de la passion de la Divinité et
que, dans la retraite, l'âme ^^i^ n'est pas constamment
occupée à solliciter l'esprit -..^j et à le tourmenter de ses
demandes. Celui qui ne fait pas la retraite de cette ma-
nière attire sur lui les plus grands malheurs.
Ce qui démontre mieux que tout argument l'extrême
importance de la retraite, c'est que les Prophètes et les
Saints LU ont presque tous commencé leur vie mystique
jj^ en quittant le monde et en vivant durant un temps
plus ou moins long dans la solitude (i). C'est au cours de
leurs retraites qu'Allah se manifesta pour la première fois
à Moïse et à Mahomet (-2). Le célèbre Souti Abou Bekr el-
Varrak disait, à ce que rapporte Sohraverdi (3) : « J'ai
trouvé ce qu'il y a de meilleur dans ce monde et dans le
monde futur en fuyant les hommes et en me renfermant
dans la retraite, tandis que j'ai trouvé tous leurs défauts
dans la société des humains. Quant à celui qui entre en
retraite sans y avoir l'esprit complètement disposé et
sans conviction absolue, le démon y entre en même temps
(1) Man. supp. persan 1082, fol. 54 verso.
(2) Avarif el méarif, ms. arabe 1:^32, folio 78 recto.
o^}^ <U JU j ^\^\ /> J\ S^^3 J\ J^j »W J^i J^W ^^> A*^^ ui..*^ J^
^j^s*^^ ^^\ àl J^j (^^W^^ "i^c J^i-J àJ^io (_^ Su«^ SyiôJ^ J^J ^^
Man. arabe 1332, fol. 79 recto. Cette tradition est rapportée par Mohammed
ibn Hamid, Mansour. Abou Abd er-Rahman. Abou Bekr et Abou-Zoraa.
ÉTUDES sun l'ésotéeusme musulman. 5:21
que lui dans sa cellule et l'incite à toutes les impiétés
et à toutes les révoltes contre la Divinité ». Il en est de
même de celui qui la commence sans en connaître les
règles et les prescriptions ^1^^. D'api'ès les principaux
docteurs mystiques, les Soufis qui se livrent avec ardeur
à la pratique de la retraite arrivent à des révélations mi-
raculeuses extraordinaires, car l'Être Unique leur montre
clairement les divers stades du xôa-ao; pour qu'ils leur
soient soumis et, en fin de compte, il les fait arriver au
dévoilement ^iC complet (i).
Dans un passage de son traité de Soufisme, Shems ed-
Din d'Eberkouh dit que chaque Mystique doit posséder,
dans le monastère où il réside, un endroit qui lui soit
spécialement réservé pour faire ses retraites (2) de façon
à ne pas être troublé par ses frères, ni par aucun bruit,
dans l'exercice de ses devoirs religieux ; cette prescription
ne vise évidemment (jue le Soufi oi'dinaire, celui qui n'a
pas atteint un stade assez élevé pour échapper aux distrac-
tions de la vie du monde. Dans un autre endroit, le même
auteur dit en effet, qu'une chambre spéciale n'est pas
absolument nécessaire à celui qui veut faire cette retraite,
car, le Mystique qui dans toutes les situations, aussi bien
dans le domaine ésotérique que dans le monde extérieur
garde le silence complet du cœur et de la langue, observe
(1) Shems ed-Din Ibrahim, Medjma el-bahrein, man. persan 122, pages
498 et ssq. et Mohyi ed-Din Mohammed ibn Ali ibn el-Arabi ^juj» U*» j\ji"i\
Man. arabe 1337, folios 29 et sqq. j\j^'i] ^^ ï>^\ >— ^U
Man. persan 122, page 470.
522 LF, MUSÉON.
la retraite la plus sévère et acquiert des mérites considé-
rables puisqu'il ne communique qu'avec l'Être Unique (»).
Dans l'immense majorité des cas, c'est bien d'une claustra-
tion et d'une claustration fort sévère qu'il s'agit.
Le Mystique qui veut entrer en retraite doit renoncer
complètement à toute idée relative au monde, abandonner
tout ce qu'il possède, faire une ablution générale, revêtir
des habits d'une propreté immaculée, réciter une prière
de deux rikaa et faire une coufession générale de ses
péchés (2). La prière et la méditation sont la principale
occupation, on peut même dire la seule, du Mystique en
retraite (3), et il doit réciter continuellement la formule :
« J'atteste qu'il n'y a pas d'autre divinité qu'Allah » qui
a, comme on sait, une valeur infinie.
Le Soufi qui s'est ainsi volontairement retiré, pour
un temps plus ou moins long, de la communauté doit
réciter cette formule, faire le ^, jusqu'à ce qu'il meure à
ce monde imaginaire pour se réveiller dans le monde réel.
\jiSf\^j:^y» ^U> J^V} ^j^\i c>^s> (jV}j> j\ j ^\i (^Wj 5 '^^» «JI^-'lo J.i
JAU ^\aS^ ^_jJ J^ Ja>\ ^_/-o Jkâ,b jVi5L» Jo j (^Uj \j^jJi> j o^? ^^i^y* ; ij»^
Man. persan 122, page 477.
(2) j^*^. ^\ ^S ^ y.3\ ^\i i^\ >J^?. (^\ ^V U\ ^U\ j^.y^\ U\,
àjyj y^ ^_5ÎU> <sI5\ ^î\ sJ^'^.j ch:^ o^i^ iij^vîaJ^) ïilkJW
Man. arabe 1332, folio 82 recto.
(3) ^Uj ^ o^> JUi. ^Ui j\ \ï jj^ Jj*'^^ /-^î... th:-^ ^^ «^^ '^ "^A*
Man. persan 122, page 497. ju»^ tj^^Uu/» \y^j .\i\j^ (^^ /-^
Il serait facile de multiplier les passages des livres canoniques qui
recommandent la récitation de la formule ôll\ i3\ ô.l\ 3 comme étant l'acte
le plus méritoire que l'on puisse effectuer au cours de la retraite.
ÉTUDES SUR LÉSOTÉRISME MUSULMAN. 525
c'est-à-dire dans le monde des vérités transcendantales, et
jusqu'à ce qu'il arrive ainsi à la « Révélation », c'est à
dire au Nirvana ésotérique. Il ne doit demander à la Divi-
nité qu'elle seule et ne laisser aucune autre idée hanter
son esprit (i). D'après Sohraverdi, le Mystique ne doit sor-
tir du lieu oii il fait sa retraite que pour se rendre à la
prière du Vendredi et à la prière en commun. C'est une très
grande faute pour un Soufi qui vit dans la retraite, même
la plus sévère, que de ne pas venir faire la prière avec le
reste de la communauté. S'il ne veut sortir de sa cellule,
sous aucun prétexte, il doit tout au moins y faire entrer
quelqu'un qui prie avec lui ; on sait en effet que la prière
isolée n'est pas ai^réée, ou qu'elle l'est beaucoup moins
que la prière récitée en commun (-2), Le kadi Béha ed-Din
ibn Sheddad, l'auteur des Â>^w^Jl ^--iJ^j ÂAJllalJl jù\y^\
raconte que le sultan Salah ed-Din ne faisait jamais la
prière seul et que, lorsqu'il était indisposé, il faisait venir
un imam pour la réciter avec lui.
En récompense de ces austérités, les Mystiques sont
favorisés de miracles oUI^, obj[j, p-^ extraordinaires,
ils éprouvent des extases Jl^=>-1, ols^jl d'une intensité
particulière, ils arrivent à la Certitude absolue dans toute
sa pureté et les voiles derrière lesquels est caché le monde
métaphysique s'écartent devant leur vue ésotérique, sui-
u:^.vc )»J ij^t^5 t-s-^-"' <.=JV£ «— -oVc . J >w>y.<3^ àç> (^j.^ {jf^ JjL» J»È> u^t^ Ifcj—U
Man. persan 122, page 494 ^^-.o.
dit* <4'*?. (_/**•■*• ^ O^^' ^^y^ (-S* à-ifS >i^^ o\\i a liai, j Sale ÀcWaJ^ iXo jjtc
Ms. ar. 1332, fol. 82 recto .,_, \j^ ï^uJU ^f_ ^\ ^^. Sj iiyicsJ\ ^ Ï^W
524 LE MUSÉON.
vant la sentence : « Mon cœur a vu mon Seigneur » (i) ;
ils parviennent même à s'extérioriser, au moins à ce qu'ils
prétendent ; Sohraverdi cite notamment le cas d'un sheïkh
qui vivait à Hamadan et qui racontait que se trouvant un
jour dans les environs de cette ville, il vit son fils qui était
alors dans la Transoxiane sur le point de tomber du pont
d'un bateau qui naviguait sur l'Oxus. Cette vision lui arra-
cha un cri et l'enfant ne tomba point ; quand ce dernier
s'en revint à Hamadan, il raconta qu'effectivement il avait
failli tomber à l'eau, mais qu'il avait tout à coup entendu
la voix de son père et que, par un hasard étrange, il
n'était point tombé (2). Quoique ce fait paraisse tenir du
miracle, il est de ceux que la science moderne admet sans
pouvoir encore les expliquer et il y en a de bien plus
extraordinaires. Dans son Avarif, Sohraverdi en rapporte
d'autres qui sont de pures inventions et qui ressemblent
à ceux que Férid ed-Din Attar raconte dans le Tezkéret-d-
evlia, au cours des histoires de Malik-Dinar, de Rabiyya
et de l'hermétique Zoul-Noun.
Quoique le mot de Cy^ « retraite » soit de beaucoup
celui que l'on trouve le plus souvent chez les Esotéristes,
il leur arrive d'employer quelquefois le terme de jj;c
i^S v_iy Syi^\ \»l=>Jki v__JUrC^
Avarif el-méarif, man. arabe 1332, folio 78 verso.
Ibid., fol. 79 verso, ^t^ ^Aï ^\j ^glfU
^\JU-fe ^^AtJ^ ^Jas^.iJ\ \JJfc M^ j '=•0 } /♦'^i <*'*Wji J^ àj;.->iu.s3\ ^^ s\.*i\ _» i=ii~~?. -J^
^^ SJkJ^j «l>»x3 ^.♦■•—i sU.3\ ^ ^^*~-T>. "^^ ^^ J-t^^ «^î^^ f*"^ ^♦^ 0}^::^ ^^ '"^JJ
Avarif el-^méarif, man. arabe 1332, folio 81 recto ._, La-?.
ÉTUDES SUR l'éSOTÉUISME MUSULMAN. 525
que je traduirai par « réclusion volontaire ». En réalité,
ces deux mots ne sont point synonymes, comme l'indique
suffisamment la différence du sens initial des racines dont
ils sont dérivés, mais ils désignent les deux aspects du
même acte : j:J;c « réclusion volontaire » est l'acte qui
consiste à se séparer moralement du monde en renonçant
à prendre sa part des charges de la vie sociale, tandis que
Ojici- « retraite » désigne spécialement l'acte matériel de
s'enfermer dans une cellule ; la o^W « retraite » ne pou-
vant aller sans la jJ^p ou renoncement aux contingences
de la vie, on comprend comment ces deux termes ont fini
dans le langage des Mystiques par devenir, à peu de chose
près, des synonymes. Voici comment le mohtésib Shems
ed-Din d'Éberkouh s'exprime à ce sujet dans le Medjma el-
hahreïn (i) : « La « retraite » C;^lcL peut également être
nommée « réclusion volontaire » jJ;p, en effet, la « re-
traite » est l'une des habitudes louables des Soufis et la
« réclusion volontaire » est le critérium absolu que le
iMystique est arrivé au Nirvana. Au commencement de la
vie mystique ^jLj, celui qui a l'intention de faire la
^3^^ y cSJy.-. c:^\Aj >J \> Jyx*/* ovîj-ij cwjli. (j~^. o-J-oj c:,%>»ac lï^vc • e:-~>-\
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Man. persan 122, pages 461-462 c^yi^j ^û> j u:.~-.\ c>J)*j ^ô
Cf. Kosheïri, Risalah, man. arabe 1330, folio 16 recto, qui dit que le
novice doit d'abord fuir la société des hommes, puis à la fin s'enfermer
dans une cellule pour rester en tête à tête avec lui-même.
5â6 LE MUSÉON.
l'etraite ^j.', o^i»- doit, de toute nécessité, se détourner
complètement du monde de façon à ce que la haine de la
société soit fermement établie dans son âme ; c'est seule-
ment à la fin de la vie mystique qu'il fera matériellement
la « retraite » o^ic^ (0 ft qu'il arrivera à la commu-
nion ^Jl absolue avec l'Être Unique. Dans le choix de la
réclusion volontaire sjui^c, l'intention doit être telle que le
monde soit complètement garanti du mal qui peut prove-
nir du Mystique, tandis que le Mystique ne sera nullement
protégé contre le mal qui peut lui être causé par autrui. En
réalité, la « retraite » o^l»- <?st l'action de renoncer com-
plètement aux vices auxquels on a coutume de s'adon-
ner (2) et la « réclusion » jj^c est la « retraite » faite
avec l'Être Unique en dehors absolument de toute créa-
ture.
C'est en ce sens qu'Abou Yézid el-Bistami a dit : « Je
vis Dieu dans un rêve et je lui dis : Comment ferai-je pour
arriver jusqu'à toi ? il me répondit : Renonces à ton Moi
et élèves-toi ! )>. Cette sentence s'applique aussi bien à la
(1) En d'autres termes, et d'une façon plus intelligible, la personne qui
veut faire la " retraite v ci>»U. doit tout d'abord faire la e^-J^c, c'est à dire
la retraite morale ; il est clair que celui qui s'enfermerait dans une cellule
en ayant conservé le goût du monde et en ayant gardé toutes ses passions,
c'est à dire sans avoir fait la u^Jy:, ne ferait que se ronger l'esprit de
dépit et ne tirerait aucun profit de ces pratiques ascétiques. Dans tout le
Soufisme, l'acte moral doit toujours précéder l'acte matériel et les Ésoté-
ristes considèrent avec raison que la formule, la mantra, n'a aucune
valeur intrinsèque et qu'elle n'est rien sans l'intention.
(2) Litt. de faire la <^-^ ( jy^^) des vices ; cette définition est,
comme on le voit, beaucoup trop étroite ; car il suffirait, si elle était
exacte, de renoncer aux pratiques blâmables de la vie ordinaire pour se
trouver dans l'état du Mystique qui fait la retraite parfaite.
ÉTUDES SUR l'éSOTÉRISME MUSULMAN. 527
« retraite " C>ji»^ qu'à la « réclusion volontaire » jul^c
La « réclusion volontaire » JUl;c, dit Hoseïn ibn Ali el-
Vaïz el-Kashifi dans le Lcbb-i lobab-i Mesnévi, signifie
l'action de s'abstenir de tout péché, de se garder de toute
affection pour les créatures et de cesser toute relation avec
son prochain(i).La condition primordiale et le connnience-
mcnt de la réclusion volontaire est de s'afl'ranchir complè-
tement des sens, car toutes les calamités qui assaillent
l'esprit p.jj proviennent de ce fait qu'elles l'atteignent
par l'intermédiaire des attributs de l'âme ^^k^ oUo, car
elles pénètrent par la fenêtre des sens ; c'est de cette façon
qu'elles ternissent la pureté de l'esprit et qu'elles font
tomber l'homme du stade suprême ^yAs- Js.] delà Proxi-
mité d'Allah au stade infime ^jLlI Ji^l de la nature
physique ; si le Mystique ne se délivre pas du joug des
sens, il lui sera toujours impossible de se livrer à la
réclusion volontaire et à la retraite (2).
L'une des retraites les plus méritoires auxquelles les
Soufis puissent se livrer est la retraite de quarante jours
(1) La réclusion volontaire, dit Mohyi ed-Din Ibn el-Arabi dans le
Haliyet el-abdal, man ar. 1338, folio 3 verso, se présente sous deux
aspects : celle des novices qui consiste à s'éloigner simplement du monde,
et celle des Soufis parfaits qui consiste à chasser du cœur toute idée de
contingence, pour n'y plus concevoir que celle d'Allah ; cette dernière
forme de la réclusion volontaire conduit à la révélation des secrets de
l'Unité divine.
LT-î '^j^'^^ i^ «.ï-^*?^ yJiLJ\ Ji-U ij^^ji (^>-Jlc ^Jlc\ ^\ \j^^\^ <J3^~-<y» 6;->
Man. supp. persan 1141, folio 79 verso. j^aU 6jW cy^i^. ^ c>Jkc \\ UaUL
528 LE MUSÉON.
que les auteurs arabes nomment L:.^:^j^\ et les persans
AI40. (1). Le nombre 40 chez les Esotéristes, et même chez
les Musulmans, a une valeur mystique qu'il est difii-
cile d'expliquer d'une façon satisfaisante. On sait que
dans le très grand nombre des traditions musulmanes,
on en a choisi 40, qui sous le titre de j^j\ ont été tra-
duites dans toutes les langues de l'Islam ["i). Sohraverdi
dans son A varif cl-Mcarif pvélcnd que la vertu extraordi-
naire de ce nombre provient de ce que le prophète-roi
David a prié Allah durant 40 jours pour obtenir de lui
son pardon (5). Ce qui, mieux que tout argument, montre
la valeur de la retraite de quarante jours, dit l'auteur du
jiLJl ^loj-«, Abou BekrAbd Allah ibn Mohammed el-Râzî,
c'est que l'Être Unique l'a imposée à Moïse avant de lui
remettre les tables de la loi sur le mont Sinaï ; Abou Bekr
Abd Allah ajoute, ce qui ne lui pai'ait pas moins concluant,
que le corps d'Adam fut formé par Allah de l'eau et du
limon de la terre également en quarante jours et chacun
des jours de la retraite quarantenaire correspond à l'une
de ces journées (4).
(1) C'est même la seule dont Sohraverdi parle aux chapitres XXVI-
XX VIII de son Avarif el-méarif qui sont intitulés ainsi qu'il suit :
(2) Le plus célèbre de ces traités de quarante traditions est sans contre-
dit celui qui fut compilé par l'imâm shafeïte Mohyi ed-Din Yahya ibn
Shéref el-Névavi qui mourut en 676 de Thégire ; ce traité a servi de base
à un grand nombre de travaux sur les traditions, parmi lesquels l'un des
plus importants est le ^;>^?;ï^ cH!jU.iJ\ c^à ^ y.-<>Èy^ c^*^; t:>c-<^^^ 2;^*
d'un nommé Abou Abd Allah Mohammed el-Hoseïni el-Shafeï el-Idji, qui
se trouve conservé sous le n° 27 de l'ancien fonds persan.
(3) Man. arabe 1332, folio 81 verso.
(4) o»^^ <^ Ai;i^> jj/^-fi. J6*^> j^ «^si^j (^j; ;» \ f»->^ J^ J V^ <»-^
ÉTUDES SUR l'éSOTÉRISME MUSULMAiN. 529
La vie que menaient les Soufis durant ces retraites de
quarante jours n'était pas précisément confortable et rien
ne leur était épargné pour leur permettre de s'infliger les
macérations qui devaient les conduire à la Connaissance
Sui)rème li,»^ et à 1" Unification avec 1 Etre Uni(jue j^-^s^y.
Le confortable est une chose dont on se passe facilement
en Orient et un [)aillasson sous un appentis constitue un
coucher très suffisant, aussi les iMystiques se livi'aient-ils
à des jeûnes extraoï-dinairos qui étaient pour eux le seul
moyen de se causer une souffrance réelle. Sohraverdi cite
duns VAvarif cl-Méarif des gens qui durant une retraite
de 40 jours ne prirent de nourriture que (juatre fois : le
septième, dix-septième, trente-deuxième et ([uarantième
jour (i). 11 parle même d'un Soufi qui dans sa journée ne
mangeait que le quart d'un septième, soit la vingt-huitième
partie d'un pain plat, de telle sorte qu'un de ces pains lui
durait tout près d'un mois. Telle n'était pas évidemment
la règle générale, car tout le monde n'aurait pu résister à
un pareil régime. Le jeûne rigoureux durant la retraite
de quarante jours était le symbole du jeûne que l'Etre
Unique imposa au Prophète Moïse avant la sortie d'Egypte
et avant de lui remettre les tables de la Loi sur le Sinaï (2).
En fait, la seule nourriture qui soit permise dans la
retraite est du pain et du sel {3). Chaque soir, le Soufi
Man. supp. persan 1082, folio 55 recto. Cf. Avarif el-7néarïf, man. arabe
1332, folio 76 verso et ssq.
(1) j^c <L«»..«.i.« f»\i\ i-iuc. ^b\ ii*.<,^ ^]\ ^2^0 c^î-^^ L.S^'^ ^JVL uù>]S A*i AÏ.
^uar^/e^w^car^/, man. arabe 1332, folio 83 recto. y~>*3j3^ ^\ Uo
(2) Avarif el-méarif\ man. arabe 1332, folio 7(5 verso.
(3) Jj^J^j^ e^-^^; jfs^^i C-^.! (J^ 1^;^^ ïy>^^ ) à^JL^*j^S\ ^ ^j^ ei>ys l»\j
23
57)0 LE MUSÉON.
reçoit une seule livre de pain, dont il fait deux parts :
l'une qu'il mange au commencement de la nuit et la
seconde vers sa fin. Sohraverdi trouve que c'est là une
nourriture légère qui ne fatigue pas l'estomac, et qu'elle
permet à ceux qui s'en contentent de garder leurs idées
nettes pour faire les invocations et la prière. Autant que
possible, le Soufi doit se contenter de cette maigre pitance;
toutefois il ne lui est pas absolument interdit de manger
quelque autre chose, à la condition de diminuer d'une
quantité équivalente le poids du pain qui lui est donné.
11 doit même, pour bien faire, arriver à diminuer progres-
sivement cette quantité de nourriture de façon à arriver
dans la dernière décade de la quarantaine à une demi-livre
de pain par jour ; il s'est même trouvé des Mystiques qui
commençaient la quarantaine avec une demi-livre de pain
et qui la terminaient avec un quart.
D'autres mangeaient pour la première fois vingt-quatre
heures après leur entrée en cellule, puis ils ne prenaient
plus rien jusqu'à la soixante-douzième heure ; leur pitance
pour la journée se réduisait à un tiers de livre, celle de
chaque heure prise isolément revenant à un sixième
d'ocque (i). On ne s'étonne plus après cela de la maigreur
J^lUi ^bï^ ^y J^ ;^. ^ ^\j j^l\ J\ 6;^^ j^\ ^\)\ (j^; "^^h /-^^
j.i^\ ^ <iU5ï ^xii cu^js.? ï.^\ ^^)'i ÏU Ji" ^jssjj, \^\ jjkfl3^ Uô ^ J-1^^
Jj^ e^* J^J '-^^? (^,~jlJ\ ç.xi ^fi ^J|^ ^ Jlj <_A-Ù ^\ ^^i»ij^\ ij^ j^'i\
^ï^ ^«J\ ^ JL,j gjj ^\ i^^si ^>y*i ^^ j-ï;-^^ ï^ J^ ^j<r-i u^«^; O^iji^^
Avarif el-méarif, man. arabe 1332, folio 82 verso.
(.ï^»^\j \ij^j> Ui e)^^^ ^a-*— '«ï j^ ï;=-S\ lijJ^ Jk«} ^ai*».?. ï^:J\^ ïiS\> LSj\ ^ju.
Qj^^ ïiiVi3\ ïiJJ\ ^ j^3\j (i^c^ ^^ (J>^ ^^ (i^cV-i (:>:^^ lt*!) o'^/^'^^
Avarif el-méarif, ms. ar. 1332, folio 82 verso. JI=y\ eJi> ïy^ ^^ Jî3
ÉTUDES SUIl l'ÉSOTÉRISME MUSULMAN. 551
cadavérique des derviches qui sont représentés dans les
peintures persanes.
Si le Mystique en retraite demande à boire et qu'on lui
offre de l'eau pure, il doit l'accepter ; il doit accepter le
lait, même s'il est coupé avec de leau ainsi que du miel ;
il doit refuser le vin à moins qu'il ne soit coupé par
moitié avec de l'eau de pluie, mais il ne doit pas le boire
s'il est coupé avec de l'eau de rivière ou de fontaine (i).
Cela explique d'une façon assez inattendue un passage du
Miradj-ISâmèli. Après avoir dépassé le Sidret el-Mounté/ia,
la réplique du Haoma blanc, du Gaokerena de la théologie
mazdéenne, Mahomet raconte ce qui suit : « Les anges
vinrent au devant de moi et me donnèrent le salut. Us
apportaient trois coupes et me les présentèrent ; dans
l'une était du lait, dans l'autre du vin, et dans la troisième
du miel. Je pris celle qui contenait du lait et j'en bus.
Voyant que je ne touchais pas aux deux autres, les anges
me dirent : Tu as bien fait de choisir le lait et de le boire,
car tous ceux qui suivent ta voie sortiront de ce monde
avec la foi (2) ».
Malgré son exceptionnelle rigueur, le mohtésib d'Eber-
kouh n'a pas hésité à faire de cette retraite de 40 jours,
l'une des prescriptions essentielles de la Voie mystique en
s'appuyant sur la tradition. « Celui qui offrira à Dieu un
culte rigoureux pendant 40 jours, les sources de la sa^cesse
Mecljma el-bahreïn, man. persan 122, page 497. Cf. Miradj-Namèh en
ouigliour, Supplément turc 190, folio 35 verso.
(2) Medjnia el-hahreïn, man. persan 122, page 463.
352 LE MUSÉON,
passeront de son cœur sur sa langue » (i). Les termes
mêmes de cette tradition semblent indiquer qu'il n'était
pas besoin de se livrer à cette retraite quarantenaire plu-
sieurs fois de suite, mais c'est là un point sur lequel ni
le mohtésib d'Eberkouh, ni les autres auteurs mystiques
ne s'expliquent clairement. Un fait certain, c'est qu'il a
toujours été recommandé aux Soufis de ne pas s'y livrer
à l'aveuglette et de leur propre autorité, sans savoir s'ils
y sont ou non préparés.
« Le Mystique doit se scruter, dit Shems ed-Din (2), pour
connaître le stade auquel il est parvenu et pour savoir
quelle importance la faculté Imaginative jb^ (5) possède
dans son âme ; si elle y occupe une place prépondérante,
il doit se garder de faire la retraite, à moins cependant
qu'un skeïkb ne le lui ordonne ; si au contraire, c'est
l'intellect J.i£^ qui domine en lui, il ne peut que tirer des
avantages de la pratique de la retraite ».
(1) àj\^ ^_J\ à.Ai ^J'^ à^S^J\ ^t:?^} >^j\^ WL-s ijt*ij^ "^^ 1^=-^ e^"
ji\ . \i\ui (J^yài ï^ Jj? JS>A? 3>-^'* ei^J^ j^ \j>~t\.à.*^ . Ail» Ijl-à* y^ jJ J^ («V^^
ci>J.i. jJ \ji^\ s-Jlc ^ji J,ac ijVJu ^ ei.~-.\ c;^îl\i. j^_y.>,<J f*^^'* ^ *.=-~~~sfiy-^
c:,^\ ,^^ïu j -j\ Medjma el-bahreïn, man. persan 122, page 492. On
remarquera dans ce passage l'emploi du mot v>U, litt. : « savant, sage »
dans le sens du mot arabe ^^ ; en réalité li\j est ici, comme dans tous
les passages similaires du Medjma el-hahreïn dans lesquels on le rencon-
tre, la traduction de l'arabe ^«Ic, « celui qui est arrivé au stade ^Ul. de
de la Connaissance ei-i^ w, stade qui est celui du sheïlvh, supérieur et
directeur de conscience de toute la communauté.
(3) Dans la terminologie des Esotéi'istes, le mot i^-^ô^ désigne la faculté
par laquelle on saisit la qualité des objets et grâce à laquelle on se forme
des opinions.
ÉTUDES SUR l'ÉSOTÉRISME MUSULMAN. 555
Se livrer à ces austérités sans l'avis et sans la surveil-
lance immédiate d'un directeur de conscience est aussi
funeste que de se cloîtrer hors de propos et sans avoir pris
conseil d un des supérieurs de l'ordre, car, toujours
d'après le mohtésib d'Eberkouh « la première condition
pour faire cette quarantaine avec profit est de chercher,
soit en dehors du couvent, soit même parmi les Soufis qui
y vivent, un homme sage et aussi parfîiit que possible (|ui
serve de guide et de directeur (i) ». Une fois par semaine,
le sheïkh doit se rendre dans l'endroit où le novice fait sa
retraite, d'abord pour voir comment il se comporte et pour
lui apporter par sa présence des encouragements à suppoi-
ter le poids de la lutte contre les tentations et ses mauvais
instincts, ainsi que pour lui donner toutes les directions
spirituelles dont il peut avoir besoin (2).
Toutes ces précautions minutieuses pour empêcher les
Soufis de se livrer aux quarantaines à contre-temps por-
tent à croire qu'elles étaient l'un des actes les plus impor-
tants de la vie mystiijue, i)eut-être isolé, ou tout au moins
qu'on ne répétait pas souvent.
Les conditions de la valabilité de la retraite sont à peu
près les mêmes chez tous les auteurs mystiques ; Sohra-
verdi se borne à dire dans V Avarif el-Méarif q^ae le Soufi
IbicL, page 463. d— -i yX«--
(2) e>s-^ ^3^ j"^ )^ «yjM ^ ^_5Û>^.> <J^-^V> ^^>^ (jL.j\ j_yjt> J^\^ ^fc* (jjc^
s- =- J ^.ï,^a^i-a^ *3*J 7- " ij^ f^i^"'' Ç:^ JS?«^" ^ *-*jaï C>^-.^> (ji.» »i.| ^^ ^^3 î
Aà.U iAèi ^ï\j o'»-^ ^-^ l5^ r'^ î '^'^Z iJkô^Sï^ J^\ J-*5>.^ j ^yà, JW ^J»
Ibid., page 470. Jk>\j^
334 LE MUSÉON.
qui s'y livre doit passer la plus grande partie de son temps
en prières et en méditations. Plus explicite que Sohraver-
di, Abou Bekr Abd Allah ibn Mohammed el-Razi affirme
que les conditions qui assurent au Souti tous les avantages
qu'il peut tirer de la retraite sont innombrables, mais
qu'il y en a huit qui sont plus importantes que toutes les
autres, au point que l'inobservation d'une seule d'entre
elles entraîne fatalement la nullité de la retraite.
Le Soufi doit se tenir rigoureusement seul dans sa cel-
Iule (i), les yeux constamment tournés vers la kibla et
n'en sortir (jue pour aller faire ses ablutions légales ; la
cellule doit être aussi inconfortable que possible, toute
petite, obscure, avec une porte bien fermée et recouverte
d'un tapis, pour empêcher le son et toute lumière d'y péné-
trer, de façon à ce que le Mystique ne soit troublé par
aucune contina:ence.
•jt). \asj\ -^ ^ SJj4.â. J^.f^ -J^? \) <SJ^^ «i>^&-> û»y» J-~£ y^iJ i'J;^ J-— c fi^^e» ^\)
^j (^U> li^jb.^ r*9->-^ o'''^ î ^"^y" 5 ^^ ''^^ Uî/"^ e^?.-^^ «iXiUj^ tï— \ <iiJ\ S^
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(j-vSkV • gjj « ic-~.? « (_^s^ 3* a;^-.»» .a? >■■. ■■;f j\ d<>- .fc ai j_5-~*^ c:)'"^? ts -7' i-ï--— <\
jaU ^jki c:->>^'. Mersad cl-ibad, man. supp. persan 1082, folio 55 et 55
verso.
ÉTUDES SIR l'ésotérisme musulmain. 355
2° Il doit répéter aussi souvent que possible les ablutions
j-^j et 5° réciter sans discontinuer la formule « Il n'existe
pas d'autre divinité qu'Allah ». Il doit être tellement sub-
mergé dans cette occupation que si quel({u'un vient à
entrer dans sa cellule, non seulement il ne doit pas le
reconnaître, mais il ne doit même pas s'apercevoir de sa
présence (i).
4** Il doit s'appliquer à refréner constamment les mou-
vements et les inclinations de son cœur et ne plus s'occu-
per que d'Allah.
5° Il doit se livrer à un jeûne rigoureux, 6" garder le
silence le plus absolu, et n'élever la voix que pour réciter
la formule de l'Unité et pour s'adresser au supérieur du
monastère quand celui-ci vient lui rendre visite.
7° Il doit observer dune foçon constante les mouve-
ments de son cœur de façon à être toujours en commu-
nion spirituelle avec le sheïkh et à recevoir ainsi les
grc4ces de l'Être Unique dont le sheïkh est l'intermédiaire,
8° ne jamais se révolter contre la Divinité et considé-
rer tout ce qu'elle lui envoie, bonheur ou malheur, comme
une grâce.
Le silence que le Mystique doit garder dans la retraite
a deux aspects : le premier est le silence de la langue, le
silence matériel ; le second, le silence du cœur qui, au
figuré, signifie que le Mystique doit arracher de son cœur
les passions qui y sont causées par l'âme concupiscente
et qui y apportent une perturbation funeste ; il doit au
Solii'a verdi, Avarif el-méarif, man. arabe 1332, folio 80 verso.
556 LIi 31USÉ0N.
contraire s'efforcer de faire pénétrer dans son cœur des
pensées rahmaniennes ^Uo-j, c'est-à-dire, en d'autres ter-
mes, des pensées qui aient Filtre Unique jUc^j pour seul
but.
L'homme qui impose silence à la fois à sa langue et à
son cœur est plus favorisé de révélations que s'il se livrait
à n'importe quel exercice de mortification.
Le premier aspect du silence est celui de la grande
majorité des Soufis, tandis ([ue le second n'est l'apanage
que d'une minorité, celle qui comprend les êtres qui sont
arrivés à la Contemplation et au Nirvana Uiblt^ ^cwlo.
Le silence, ajoute Shems ed-Din Ibrahim, est la préface
de la connaissance de la Divinité, il a pour but de délivrer
celui qui arrive à cette connaissance, le ei;l£^, des entraves
de la matérialité ^1^*.^. (grec jÀt,), comme a dit Mahomet :
(c Celui qui se tait est un homme sauvé » (i).
Dans un autre passage du Medjma el-bahrein (2), Shems
(1) Medjma el-bahrein, man, persan 122, pages 476 et 478.
2^? J** cii^ ^ (j-Aaï j ^\x) ui— .\ ,3=- J*i iiAç. i^ c:^3^ Medjma el-
bahrein, man. persan 122, pages 463 et sqq. «si" e — >) f»jO v"^^ ^ M* ^ — -
*^"-.'-^ i^\}i (^J"**^ j -^«i^ S-*^? jîr" <^ ^♦^ (_5^^ (i)^ i*^ ) >^^! <*5^ ij-»vii>^ c>v»«>\y» j
ÉTUDES SLU L ÉSOIÉUISME MUSULMAN. OO i
ed Din donne neuf autres conditions de la retraite qui dif-
fèrent sensiblement de celles (jui viennent d'être exposées
et dont voici le résumé :
La première condition al)solue de validité de la retraite
est que le Souti doit chercher soit dans l'intérieur, soit
môme à l'extérieur du couvent, un homme savant qui lui
serve de directeur de conscience et qui peut même être
une personne appartenant au siècle. La science ne peut
Jkj\»j M5j-^^ J^;^"^ ■'^'••^'* ^'"^ "^ c""^ iS^ {ibicL, p. 470) JuS \\c\ j^ji . J»i. i)i<i
I«UL» .Ac> ct>l^'^ . ^^j ,J ^_— iiij lii ^::^,v.^!=,5. JJ .»-ic^ .Sj oï« «J • u:-^~<../**
jl;;^^ «j>v-.\ f»\ytt s^t^J iS àiW ^^ (J,î\ s \ybj>;;..^ j^o\ j\ ^ u:-->.\ tj?^.. jl? ^c j
^^»à. Jk.-ïa^jï àS^ jÔ \yL?Xi/» > e:^-.\ ^^♦^^ •^:^y' ^ ♦** ^^ ♦*> -^ \y\^a^%X^ • AàiU
g^, j^ ^j^ --^'Ay Jkj^yï! <5i'.^>y ^i5 ^3^^'» u\ («è/fZ., p. 472) Ci— .\ ^^^>s^^^
e:-^i^,=- j\ Sbi\i («jW . ^^à> .) |j\ Ll~Jo^\ . JkOjLj c:^.j,^à i^^^^^ (J^ l"^ cîXjUç^ «JjL»
Ly» j [ibid.. page 473) ci^\ ^«jy. j ç_sà ;> cU^:^ ^,l.j ij.^ Jgi^ jk> S U cdj^
S->Vîa-^ ^-i ^^7^ ^5 '''^) i_5^^'^ ^*^^^^ JiiJy*J
i.ï-~~>;;jj l.»£ ^^ (Sç^ JkA»l> ^sLs <îJ^3'^ («^.'.^ j>J «J^
^;;à& v»'^^ ; ^j^ {ibid., page 474) j>jk cd^y ^Ic-a. -jW-* \ï ^J^) ^^ya^'j^
o^r^ Jj^ er -"^^ *^V gy î'' J"^ ; o^?3 ^?
*■=-*— ::'j^-î^ (:y^y ) '■^:— ^ J^ ^r*^ r^^ ^^ ^ "^=-^^ '3=- r^ •^.'^jJ é;^ j '■^^-^ (:)^>3
^^Llfe.» ^ JuS" ^^/ï^ Ail» ^jIjU^ (J^^^ 3^ O^^- ^ ^i^ài slô^U. j^ Jj u£\i\ j\
„ iJufcUU/» w_>l^^\ . ^lîJi/» tjijiio v\ Jo j-àfc^W. • JiAil» cJ»!-» ij.jfc\ (•*<^
^9- y^j juS" ^ >-j^^i. (Si' u:,w.sj\ ^v^uijfc s-*->^ ) i^y» (^^«V^, pages 476 et 477)
^\â=. iS ei.v--^\ ^e^ sJ->^ j ^j^ } (^■6^■rf., page 478) m,\> c^=. àa.^;;» ^~. j Jaj\ji-
^_5jUjs.-j JtâiU ^v-J» .ly>- (jj>^ . J^ o.\. i»j^~. ?V^ 3^ c^L. J-J »> <!s&J^3^ ci-~»>^i^^-rC
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(?62d., page 480) jui.1} ^Uys.
338 LE MUSÉON.
en effet s'acquérir que de deux manières : par l'effort et
sans efl'brt. Effort signifie action, c'est ce qu'on nomme
la vie de macérations jJ^L ; sans effort, signifie passivité,
c'est ce qu'on appelle la grâce révélatrice aj^o- (i); cette
grâce est l'acte de l'Être Unique, tandis que la vie ascétique
^jl.^ est un acte qui dépend uniquement de la volonté de
l'être créé ; la seconde condition est que le Mystique qui
veut faire la retraite, soit simple, soit de quarante jours,
doit faire tous ses efforts pour choisir avec précision le
moment où il la commencera, de façon à bien la faire en
temps opportun ; en effet, il ne convient point de se
mettre en retraite au moment où le froid est le plus
rigoureux ou quand la chaleur est écrasante, ni dans l'ex-
trême vieillesse ni dans la trop grande jeunesse ; il faut
pour cela un âge convenable et des circonstances extérieu-
res moyennes, sans quoi on risque fort de n'en tirer aucun
avantage. On reconnait dans ces recommandations qui
étonnent à première vue de la part de gens pour lesquels
la vie ascétique est le moyen suprême d'arriver au Nirva-
na, le juste milieu de la philosophie hellénique. La troisiè-
me condition est que le Soufi doit posséder un endroitdans
lequel il ne soit pas exposé à être troublé par les allées et
venues de tous les gens de façon à pouvoir s'isoler complè-
tement et n'être dérangé par aucune des contingences de
la vie. Le Soufi ne doit se laisser distraire ni par le bruit
de sa porte quand elle s'ouvre, ni par le bourdonnement
des mouches, ni par n'importe quel bruit de la vie ; c'est
là une condition essentielle pour qu'il oublie son ipséïté ;
(1) Ce terme de àjjuj. qui signifie une grâce spéciale par laquelle Allah
attire à lui .-jj^. le Soufi sera étudie au cours de l'article suivant.
ÉTUDES SUR l'ÉSOTÉRISME MUSULMAN. 539
le Soufi dans sa cellule, doit se tourner vers la Icibla et
réciter l'Invocation ^ (i) mais d'une voix si faible que
personne ne l'entende ; durant un long temps cette réci-
tation peut n'être qu'une opération toute machinale, mais
il arrive un moment où l'Invocation entre dans le cœur
du Mystique et le remplit entièrement ; cela se produit
seulement quand le Soufi, grâce à sa vie claustrale, a
perdu toutes les habitudes et toutes les conventions de la
vie contingente, ce qui, comme le dit le mohtésib Shems
ed Din d'Éberkouh est le but suprême que l'on doit cher-
cher à atteindre. La condition expresse pour la validité
de la récitation de la formule de l'Invocation est que le
cœur du Souli ne soit distrait par aucune contingence ;
poui' ceux {[ui sont seulement au commencement de la
vie ascétique, l'Invocation est la formule bien connue dans
l'Islamisme : « Il n'y a pas d'autre divinité qu'Allah »,
c'est l'Invocation de la communauté musulmane. Il est
intéressant de remarquer à ce propos que les Soufis n'ajou-
tent pas comme les Musulmans ordinaires « et Maho-
met est son Prophète ». Ceux qui sont arrivés au milieu
de la « Voie » disent : « Il n'y a pas d'autre Ipseïté que
Lui » ; c'est la formule de l'Unité _x^=»jj des élus; ceux enfin
qui sont parvenus aux limites extrêmes de la Voie mysti-
que se bornent à dire « Lui ! » C'est la formule des Élus
par excellence. Chaque fois que le Soufi qui est parvenu
au point le plus lointain de la « Voie » mystique dit
« Lui ! », il disperse dans les six directions de l'Espace les
cinq stades de l'Existence (2) parce qu'aucune existence ne
(1) ou plus exactement la formule : « Il n'y a pas d'autre divinité qu'Al-
lah „.
(2) En disant houa, qui est composé de h qui vaut 5 et de v qui vaut 6.
540 LE MUSÉON.
peut conserver son ipseïté en présence de Tlpseïté de
l'Être Unique.
La quatrième condition de la validité parfaite de la
retraite est de n'user rigoureusement que des aliments
licites.
La cinquième est de répéter le plus souvent possible les
ablutions "^-^3 (jui, de l'avis de tous les théologiens et
traditionnistes musulmans, est l'arme la plus etlicace du
croyant contre les attaques du démon ; elle consiste aussi
à s'acquitter avec la plus grande régularité des prières
canoniijues ; une tradition attribuée à Mahomet dit à ce
sujet : ce Celui qui prie converse avec son Maître et Dieu
est matériellement dans le milirah de celui qui lui adresse
une oraison ».
La sixième est d'observer un jeune rigoureux pendant
la retraite de 40 jours ; en effet, le jeune émacie le corps
et le garde des attaques du démon.
La septième consiste dans le silence ; le silence, dit le
mohtésib d'Eberkouh, dans le Mcdjma el-baliréin, a deux
aspects : l'un concerne la langue, c'est le silence matériel ;
l'autre regarde le cœur, c'est le silence sjdrituel. Le
silence spirituel consiste dans ce t'ait que le co'ui' du dévot
n'écoute plus les sentiments qui émanent de son àme ^«ii
et qui ne peuvent se rapporter qu'aux contingences, pour
n'écouter que les sentiments (jui lui sont inspirés par le
Rahman, c"est-à-dire par r£tre Unique. Le silence maté-
riel est celui que peuvent garder tous les adeptes du Sou-
fisme .Lp ; quant au silence spirituel, il n'y a ({ue les « Par-
venus )), ceux qui sont airivés aux dernières limites delà
c( Voie », iLjh, à la Connaissance j)l<.1, ((ui peuvent l'ob-
server ; ce sont les ^a\j^\ ^o\^^
ÉTUDES SUR LÉSOTÉRISME MUSULMAN. 341
La huitième consiste à peu dormir, la veille est d'ail-
leurs le résultat fatalement amené par le jeûne.
La neuvième et dernière condition indiquée par le
mohtésib d'Éberkouh est que le Soufi doit bien connaître
la véritable nature des inclinations de son cœur Ul c^ de
façon à savoir dans quel sens il est bon qu'il agisse et dans
quelle mesurCjljJL,. Ces inclinations, qui portent l'esprit
et le cœur du Mystique à faire telle ou telle chose suivant
leur nature, peuvent se rapporter à quatre genres tout à
fait différents : celles qui sont produites par l'Être Unique
agissant avec les attributs qui sont attachés à l'épithète
de c( Miséricordieux » jUo-j et à celle de « Souverain »
^^, celles qui sont produites par l'àme ^JlI du Mystique,
celles enfin qui sont causées par le démon ; chacune de ces
inclinations, de ces impulsions données au cœur du Soufi
ont des propriétés particulières et elles se révèlent par
des signes spéciaux et qui varient des unes aux autres ; ce
sont ces signes que les Mystiques nomment dans leur ter-
minologie ^lyL oli;«*.
Un passage de VAvarif el-Méarif montre l'importance
que les Soufis, et en général les personnes qui voulaient
parvenir à la béatitude dans l'autre monde, attribuaient
à la pratique de la retraite. Il y est dit que des gens ayant
été témoins des avantages extraordinaii-es que les Mys-
tiques retiraient de leurs retraites et de leurs macérations
voulurent les imiter sans rien avoir du Soufi et ([ue, loin
d'arriver à la quiétude, ils ne cessèrent d'être tourmentés
par le démon. Cela prouve surabondamment que ces qua-
34^ LE MUSÉON.
rantaines n'ont d'utilité que si l'on est Soufi et que si
l'on connait la Règle (i).
{A continuer.) E. Blochet.
(1) ^gJuc J'=""^) à*^\^ (^ iJ^\ ^y/>-j («y» ^t^^i)^^) ï^^\ (3^;^ o* ^ "^i
d>ijW (^ A^aj; — j» |J-o\ w^c _Ic Ï*1&J\ ^î^'*) Jjy*^^ *^^- »»0c^^ C^) (jWa*Ju3\
J^\ (j=«s?^} JU;^Ï\ ^ ^Aa^ liJGJ v-i^ ^yai.n \yuùJk» S->^^i^j S-^»\;Aj \jà&>jij
^..àiî J^^ (_/5^^^ (_r«iJ\ J^^^ ''^*; CiH*^^ iUïuJ BJia.^^^ ïy^\ hj^^ <*f^^ ^^>
Avarif el-Méarif, ms. ar. 1332, folio 78 verso....
C'est dans le même sens qu'un Mystique a dit : Ceux qui entrent en
retraite sans en remplir intégralement toutes les conditions, la calamité
tombe sur eux. » ^gtj^ ^> ï^^\ \^>i f»y» ^Ic ï.jj^\ ctJi<i.o jJ>j ; ms. arabe
1332, fol. 79 recto.
LES
IDÉES RELIGIEUSES ET SOCIALES
DU MAHÂBHÂMTA
ADIPARVAN
PAR
A. ROUSSEL
Professeur de sanscrit a l'Université de Fribourg (Suisse).
IX. Mort.
Le poète commence par établir que tous les hommes
doivent nécessairement mourir (i). Ce que nous avons de
mieux à faire, en face de cette fatalité inéluctable, c'est
de nous rési2;ner et d'en prendre courageusement notre
parti.
Jaritâri, l'aîné des fils de Mandapâla et de Jaritâ, disait :
« Le sage demeure vigilant en face de la mort, et quand
la mort se présente, il n'en ressent pas les affres. L'im-
prévoyant, au contraire, qui ne veille pas, quand l'heure
critique approche, en ressent les angoisses et n'atteint pas
le salut » (2).
Pour les Hindous, le dieu de la Mort, c'est Yama qui
envoie ses serviteurs, munis d'un filet, lui chercher, chaque
jour, sa provision de victimes. Une fois, cependant, il
(1) CLVIII, 2. — S. Paul a dit : Statutum est hominibus semel mori.
Heb. IX, 27.
(2) CLXXXII, 1 et 2. — Cf. Matt. XXV, 13. Marc, XIII, 33.
54-4 LE MLSI^:ON.
iiéii'liii'ea, volontaiicnient du reste, de l'aire mourii' les
hommes. Voici eoinment Vyàsa raconta révènement à
Di'iipada.
<( Autrefois les Dieux étahlii'cnt un salira (i) dans la
t'orèl de Nainiisha (-2). Varna, lils de Vivasvat, remplit
rofïice de sacrificateur (.-). Pendant qu'il était ainsi occu-
pé, il s'abstint de taire périr les êtres (humains) qui,
é})argnés [)ar le temps et ne mourant plus, devinrent très
nond)i'eux. Soma, Çakra, Varuna, Kubera, les Sâdhyas (4),
les Rudras, les Vasus (.•>), les deux Âevins, Prajàpati,
le guide de l'univers, el d autres dieux accoururent ]jrès
du gourou des mondes ((>), et lui dirent : « Nous voici
saisis d'etlVoi en voyant les hommes se multiplier (ainsi).
Treml)lants d'épouvante, et désirant (recouvrer notre)
félicité, nous nous l'éfugions tous près de toi ».
L'aïeul leur répondit : « Poui'quoi donc cette frayeur
ins[»irée par les hommes ? Puis({ue vous êtes immortels,
vous n'avez rien à redouter des mortels. »
Les Dieux reprirent : a Les mortels étant devenus
immortels, il n'y a plus de ditférence (entre eux et nous).
Cette parité nous fait peur et nous sommes venus pour
que (tu rétablisses) la distinction (entre les Dieux et les
hommes) ».
(1) On appelle ainsi un sacrifice spécial où le soma coule à flots ainsi
que le sang des victimes.
(2) Forêt illustrée par les solitaires qui y fixèrent leur demeure.
(3j II lit le çàmitra, c'est-à dire qu'il fut chargé de découper les chairs
des victimes et de les jeter dans le feu sacré.
(4) Dieux secondaires, nés de Dharma et de Sâdhj'â, ou encore flls du
Manu Càkshusha et frères des Viçvas. Cf. Bhàg. Pur. 2, III, 4 ; 6, VI, 15.
(û) Les Vasus sont au nombre de huit ; ils sont issus de Dharma et de
Vasu, tille do Daksha. Bhàg. P. 6, VI, 10.
(6j Brahmà.
IDÉES RRIJGIKLSKS ET SOCIALES DU MAIIÂBIIARATA. 545
Le vénérable et bienheureux (Brahmà) dit : « Le fils de
Vivasvat étant oceupé au sattni, voilà pourquoi les hommes
ne meurent point. Lorsqu'il aura terminé son otïice, le
trépas les (visitera) de nouveau (i) ».
Un Rsi avait prédit à Pàndu qu'il mourrait le jour
où il se laisserait entraîner à 1 ivresse des sens. Il dépen-
dait de lui, par conséquent, d'échapper au tombeau. Dans
ce but, il s'abstint longtemps de toute volupté. Malheu-
reusement, il s'oublia un jour avec Màdri et il paya de sa
vie son imprudence (2).
Cependant l'infortuné Pàndu fut enseveli suivant les
rites ; et lorsque, le temps venu, on célébra en son hon-
neur le çrâdda, il prit rang définitivement parmi les
Pitrs (5).
Les Dieux de l'Inde, à rencontre de ceux de la Grèce,
j'entends de la Grèce homérique, pouvaient être tués,
du moins, en principe ; à plus forte raison pouvaient-
ils être blessés, à leur exemple. Dans l'Iliade, en effet,
nous voyons Diomède blesser Vénus à la main (4), et
Dionée, sa mère, que la déesse va trouver en pleurant, lui
raconte comment autrefois, pour îivoir également voulu
se mêler aux querelles des hommes, le dieu Mars, lui-
même, faillit périr dans un cachot où il demeura enfermé
durant treize mois (5).
Ici, ce sont tous les Immortels, Çakra en tête, qui
luttent, armés chacun dune façon spéciale, contre les
(1) CXCVII. 1-7.
(2) CXXV. C'est un peu la légende de Laïus.
(3) CXXVI, 33.
(4) lUiade H, 336.
(5) Ibid. 385 et seq. Cf. les chants XX et XXI où les Dieux se battent et
se blessent mutuellement.
24
546 LE Ml'SÉON.
seuls Ai'juna et Krsna. Le roi des Dieux, le tonnerre à la
main, était monté sur son éléphant blanc. Telle la Mort
sur son cheval pâle, dans l'Apocalypse (i). Ai'juna et
Krsna demeurent invincibles. Ils font un horrible mas-
saci'C de Daityas et de Danavas (2). Mais, prenons garde.
Ces divinités, bien (jue massacrées, continuent souvent
à se porter assez bien. C'est ainsi (|ue la tête coupée de
Râhu roule vivante dans l'espace, au grand effroi du
soleil et de la lune qu'elle avale provisoirement de temps
à autre, ce (|ui nous vaut les éclipses solaii'es et lunaires(5).
Cependant Arjuna et Krsna restèrent maîtres du champ
de bataille (}ue les Dieux vaincus abandonnèrent, pleins
d'épouvante, et s'abritant derrière Indra lequel s'émerveil-
lait de l'héroïsme prodigieux des deux guerriers (ju'il ne
reconnaissait pas^i).Une voix immatéiieUe lui apprit(ju'Ar-
juna et Krsna ét.aient la double incarnation de Nara et de
Nàrâyana c"est-à-diie de Visiiu (.;), et dès lors il ne devait
plus s'étonner de les voir invincibles. Il put même se
rappeler, et nous avons quebpie di'oit d'être surpris qu'il
ne l'ait point fait tout d'abord, quAi-juna était son propre
fils, et qu'il l'avait eu de Kuntî (e). Nous savons que cette
princesse était l'une des deux épouses de Pându, con-
damné à n'avoir d'enfants que pai- le moyen de l'adop-
tion. Anila, le dieu du vent, s'unit aussi à Kuntî qu'il
rendit mère de Bhîma. Lorsque le chef des Asuras, le
Rakças Baka, engagea plus tard une lutte terrible avec le
(1) VI. s.
(2) CCXXVII, 27.
(3) Cf. Bhâf,'. Pur. .5, XXIV, 2; 6, XVIII, 12, 13 ; 8, IX, 24 et seq.
(4) CCXXVII, 43 et seq.
(.5) CCXXVIII, 15 et seq.
(Gj Cf. Bhâg. Pur. 9, XXII, 2(5.
IDÉES RELIGIEUSES ET SOCIALES DU MAIIÂBIIÂRATA. 5i7
jeune Pândava, Kuntî ne douta pas un instant que Bhîma
n'en sortît vainqueur.
« Non, ce Râksasa ne saurait tuer mon fils qui est
vaillant, instruit à fond dans la science des mantras et
plein d'héroïsme » (i).
Savoir les formules d'incantation désignées sous le
nom de mantras, c'était l'un des moyens les plus puis-
sants contre la mort. Chez les Hindous ces sortes de prières
s'appelaient cuirasses ; elles rendaient invincihle, c'était
une armure impénétrahle aux traits de l'ennemi.
Plus haut l'on a vu l'histoire du roi Kalmasapàda mau-
dit pas l'ascète Çakti, le fils de Vasistha, qu'il avait
insulté et condamné à vivre de chaii' humaine, comme
un Râksasa (2). Le lecteur se souvient <{ue Viçvâmitra,
Vennemi de tout le monde, en général, et tout spécialement
de Vasistha (0), saisit l'occasion et ordonna au Râksasa
Kinikara de s'emparer de Kalmasapàda qui dès lors fut
possédé de ce démon (4). Çakti et ses frères furent préci-
sément les pi'emières victimes de la faim homicide du
monarque. Vasistha reconnut l'œuvre de son l'ival ; il sup-
porta son chagrin, pareil à un grand mont, chargé du
fardeau de la terre {:■>). Plutôt (pie de se laisser emporter
par la colère et <pie de maudire la race de Kuçika, à
laquelle appartenait son ennemi, il résolut de se donner
lui-même la mort. Il fit, à ce sujet, })Iusieurs tentatives
qui restèrent vaines. Tout d'ahord, il se pj'écii)ita du haut
du Méru ; il se jeta ensuite au milieu d'un hrasier, puis
(1) CLXI, 14.
(2) Cf. tiré à part p. Tf. et 88.
(3) Tous deux s'étaient disputé la tutelle de ce pi'inco.
(4) CLXXVI, 21 et seq
(5) Id. 43.
548 LE MUSÉON.
au fond de la mer, une jjieri'e au eou. Tout fut inutile.
Le grand Muni ne parvint nieine pas à se faire le moindre
mal. Désolé, il regagna son ermitage. Bientôt il recom-
mença ses tentatives, sans plus de succès. Il se lia de
fortes cordes et se lança ainsi garrotté dans une rivière
qui rompit ses liens et le déposa sain et sauf sur la rive.
En conséquence, il la noiximaVipâçâ (i). Il courut alors se
plonger dans une autre appelée Haimavatî parce qu'elle
sortait de l'Himavat ; mais, au contact du corps de l'ascète,
comme si c'eût été un feu irrésistible, cette rivière se par-
tagea aussitôt en cent courants et s'échappa dans cent
directions diverses, en laissant Vasistha sur le sable ; ce
qui lui valut le suinom de Çatadru (2). Bientôt après, le
solitaire ayant reconnu que la veuve de Çakti, Adrçyantî,
était enceinte, renonça à ses idées de suicide, puisque sa
race allait se perpétuer, contre son attente.
Lorsqu'il cherchait à se tuer, Vasistha oubliait la
parole qu'il mettait un jour dans la bouche des Pitrs, en
racontant l'histoire des Blirgus : « Celui cpii se détruit
lui-même n'atteint pas le séjour du bonheur « (sj. Cette
histoire est assez curieuse pour être narrée au moins
sommairement. Les Ksatriyas avaient exterminé la race
des Bhrgus. Une femme Bhrgu qui était enceinte voulut
sauver son fruit en l'enfermant dans sa cuisse. Elle
fut dénoncée par une Brahmine aux Ksatriyas, mais
lorsqu'ils vinrent pour lui airacher son enfant, celui-ci,
sortant de la jambe où il était enfermé projeta une
lumière si éclatante qu'ils en furent aveuglés (4). Ils con-
(1) Celle qui n'a iioint de liens, ou celle qui brise ses liens. CLXXVII, 6.
(<i) Celle qui fuit de cent côtés, kl. 9.
(;i) CLXXIX, 20
(4j CLXXVIII, 25.
IDÉES RELIGIEUSES ET SOCIALES DU MAHÀBHÂUATA. 349
jurèrent cet enfant à qui sa naissance merveilleuse mérita
le nom d'Aurva (i) de leur rendre la vue, ce qu'il fit ; mais
en même temps il fut si irrité de l'anéantissement de sa
tribu qu'il se résolut d'exterminer les Ksatriyas à leur
tour, avec les sept mondes. Ses Pitrs le détournèrent de
ce dessein en lui apprenant que dans leur race, lorsque
l'âge se fait sentir et qu'ils deviennent décrépits, les
Bhrgus, pour se voir débarrassés du fardeau de l'existence,
tout en évitant le suicide qui est défendu, recourent à un
stratagème ([ui leur réussit toujours. Ils cachent en terre
des trésors afin d'exciter la cupidité des Ksatriyas qui,
pour s'en emparer, les massacrent alors jusqu'au dernier,
sans même respecter, on vient de le voir, les enfants au
sein de leur mère, pour Ies(|uels cependant la vie qu'ils
ne sentent pas encore ne saurait être un faix bien acca-
blant. Sur le conseil de ses Pitrs, Aurva laii^a le feu de
sa colère dans l'Océan. Ce feu se changea en une tête de
cheval qui but toute l'eau de la mer (2).
Yasistha racontait ces merveilleuses histoires à son petit-
fils Paràçara, pour le détourner de détruire les mondes,
ainsi qu'il en avait l'intention (3). Du moins Parâçara
voulut-il venger sur tous les Râkshasas, la mort de son
père Çakti, dévoré, on l'a dit plus haut, par l'un d'eux,
Kiiîikara, dont était possédé le roi Kalmâsapada. 11 pro-
céda, dans ce but, à un sacrifice de Ràksasas, comme
autrefois Janamejaya au sacrifice des serpents, afin de
punir, par l'extinction de sa race, ïaksaka, le meurtrier
de Parîksit, son père. Cédant à l'irrésistible impulsion
(!) N(f de la cuisse. CF.XXIX, S.
(2) CLXXX, 22. Hayaçiras : Celui qui a icne tète de cheval, désigne
l'un des avatars de Vishnu. Cl'. Bluig. I-*ur. 7, IX, ;J7.
(3) CLXXX, 23.
5o0 LE MUSÉON.
des mantras évocateuis, les Râksasas tombaient par
bataillons dans le feu du sacrifice. Ils allaient tous périr,
loi'sque Pulastya et Vasistha décidèrent le fils de Çakti à
mettre fin au sacrifice (i).
« Alors Paràçara jeta le feu qu'il avait allumé pour
l'immolation de tous les Râksasas sur le versant nord,
couvert de forêts, de l'Himavat » (-2).
Ruru, le fils de Pramati, venait de perdre sa jeune
femme, Pramadvarà, dont il avait un tils, Çunaka. 11 se
désolait près du cadavre, et conjurait le ciel de lui rendre
sa bien aimée. Les dieux lui députèrent un messager qui
lui dit : « Tes plaintes sont inutiles, ô Ruru, homme de
devoir, le mortel ne peut revenir à la vie » (3).
Après avoir établi ce principe, le messager ajoute aussi-
tôt que s'il consent à donner la moitié de sa vie, son
épouse revivra. La condition est acceptée ; aussitôt le roi
des Gandharvas, dont Pramadvarà était la lille, et le mes-
sager céleste s'en vont trouver Dharmaràja, le dieu des
Morts, qui consent à relâcher sa victime (4).
Paràçara dont nous parlions tout à l'heure fut ainsi
nommé (o) parce (|ue Vasistha, son aïeul paternel, cessa,
nous l'avons vu, ses tentatives de suicide, lorsqu'il eût
reconnu que sa belle-fille Adrçyantî, la veuve de Çakti,
était enceinte. C'est comme s'il eût ramené son grand-
père à la vie (o).
Les exemples de morts revenus à l'existence sont assez
(1) CLXXXI.
(2) Id. 22.
(3) IX, 7.
(4) 14 et seq.
(5) De Paràsuli : qui a ou qui donne une autre vie. C'est une étymo-
logie par à peu près.
(6) CLXXVIII, 3.
IDÉES RELIGIEUSES ET SOCIALES DU MAIIÂBHÂKÂTA. 551
peu rares, dans ces vieilles légendes ; et le plus souvent
il s'agit de morts véritables ; le cas de Vasistha est spécial ;
il ne saurait entrer en ligne de compte parmi les résur-
rections.
Çântanu, l'époux de la divine Gangâ, dut son nom à la
vertu qu'il avait de rajeunir les vieillards en les touchant
des deux mains (i). Ramener un vieillard en arrière, le
faire rétrograder jusqu'à la jeunesse, cela pouvait bien
passer pour une résurrection. Le poète observe que ce
qui caractérisait ce rajeunissement, c'était le réveil des
sens émoussés par le grand âge.
Puisque nous sommes au chapitre des résurrections
ou des rajeunissements, nous signalerons un fait assez
curieux, très curieux même, qui se passa lors de la guerre
des Suras et des Asuras. Les Suras constatèrent que les
ennemis qu'ils tuaient étaient aussitôt ramenés à la vie
par Uçanas (2), tandis que Brhaspati ne parvenait pas à
ressusciter leurs morts, parce qu'il ignorait la science
de la Samjîvani, de la résurrection (3). Ils décidèrent alors
Kaca, le fils de Brhaspati à se rendre près d'Uçanas pour
se constituer son disciple et essayer de lui dérober son
secret. 11 y avait cinq cents ans que Kaca vivait près
d'Uçanas, lorsque les Dànavas devinèrent son dessein. Ils
résolurent d'en empéchei* l'accomplissement. Ils le tuèrent
une première fois, dépecèrent le cadavre et le donnèrent
à manger aux chacals et aux loups de la forêt. Sur la
prière de sa fille Devayânî qui était éprise du jeune homme
(1) XCV, 46. Çântanu, celui dont le corps est sain, ou rend sain.
(2) Cf. Bhâg. Pur. 8, XI, 47. Çuka, le narrateur, observe cependant
qu' Uçanas ne ranimait que ceux des Asuras qui avaient encore leurs
membres et dont la tête n'était point tranchée.
(3) LXXVI, 7 et seq.
5o2 LE iMUSÉON.
— car en dépit des cinq cents ans écoulés Kaca était tou-
jours demeuré jeune, comme aussi Devayànî, du reste, —
Liçanas ressuscita son disciple que les démons mirent
à mort une seconde fois et qu'ils jetèrent à la mer, après
avoir réduit son corps en bouillie. Une seconde fois, sur
les instances de Devayàni, l'ascète rendit la vie à Kaca.
Les ennemis des Suras qui voulaient à tout prix se défaire
de Kaca imaginèrent ce dernier moyen. Ils le tuèrent à
nouveau, l'incinérèrent et mêlèrent la cendre au vin
d'Uçanas qui l'avala, sous cette forme. Devayànî conjura,
une fois de plus, son père de lui rendre son bien aimé.
Uçanas, employant sa formule magique ordinaire, somma
le jeune homme de répondre à son appel. (]e fut alors,
comme nous l'avons vu ailleurs, que Kaca lui paila du
fond de son estomac. Le solitaire se trouva bien embar-
rassé, car il ne |>ouvait le faire sortir de là qu'au dépens
de sa propre vie. Les Dànavas s'applaudissaient déjà du
succès de leur stratagème, lorscju'Uçanas s'avisa d'ap-
prendre à Kaca sa formule évocatrice, afin ([ue ressuscité
et sorti de son corps, il pût le ressusciter à son tour, ce
qui fut fait.
Plus tard, nous l'avons vu, Devayànî maudit Kaca qui
refusait de lépouser, et lui dit que sa science ne lui ser-
virait pas. « Si elle ne me sert pas, lui répondit Kaca,
elle servira du moins à qui je la transmettrai » (i). Et il
la transmit aux Dieux qu'il alla retrouver (2). C'est ce ([ui
assura la supériorité de ceux-ci sur leurs adversaires avec
([ui d'ailleurs Uçanas s'était bi'ouillé, au sujet de Kaca (5)
Cependant Uçanas que l'on nomme encoi'e Çukra voulut
(1) LXXVII, 20.
(2) LXXVIII, 1.
(3) LXXVI. (iU et seq.
IDÉES IIELIGIELSES ET SOCIALES DU MAUÂBIIAHATA. 553
tirer lui-même la moralité de son histoire. C'était sa
passion pour le vin qui lui avait fait avaler Kaca. Il notifia,
en conséquence, défense aux Brahmanes, à l'avenir, de
boire du vin. Quiconque enfreindrait cette loi serait con-
sidéré comme déchu de sa dignité, coupable de brahma-
nicide et réprouvé en ce monde et dans l'auti'e (i).
X. Destin.
Saiîijaya disait à Dhrtaràstra, pour le consoler d'avance
de la mort des Kurus, ses fils :
« Â quoi te servirait-il de déplorer ce qui est inévitable ?
Qui saurait à force de sagesse écarter le Destin i Nul ne
peut se détourner de la voie que lui traça le Régulateur (2).
Tout a sa racine dans le Temps (5) : l'être et le non-être,
le bonheur et l'infortune. Le Temps émet les êtres, et c'est
lui qui les détruit. Lorsque le Temps détruit les êtres,
il ne peut être apaisé que pai' le Temps. C'est le Temps
qui, dans tous les mondes, rend les êtres heureux ou mal-
heureux. Après avoir anéanti toutes les créatures, le
Temps les émet de nouveau. Le Temps veille, quand (tout)
dort ; il est irrésistible. Le Temps foule aux pieds tous les
êtres indifféremment, sans qu'on puisse l'arrêter. Puis-
que tu sais que tous les êtres passés, futurs et présents
dépendent du Temps, tu ne dois pas te laisser troubler» (4).
Kàla ou le Temps n'est autre que la Divinité, daivam (s).
(1) I.XXVI, 67.
(2) Brahmà dont le rôle consiste à émettre les mondes et à régler leur
disposition.
(3) Kàla, identitié ici avec la destinée.
(4) I, 246 et seq.
[ô) Cf. Cosmologie hindoue 173 et seq.
554 LE MUSÉON.
Il joue à la fois les rôles de Brahmâ, de Vishnu et de Çiva,
puisqu'il crée, conserve et détruit les êtres. C'est Brahme
lui-même qui agit, non pas aveuglément, comme la
Fatalité antique, la Tû-^ri des Grecs, mais irrésistiblement,
comme elle, bien qu'avec intelligence et préméditation.
C'est plutôt la Providence, comme l'a compris l'Hindou
Pratâp (i).
Nous avons vu précédemment que les serpents avaient
été maudits par Kadrù, leur mère, pour désobéissance.
Vâsuki, l'aîné d'entre eux, après avoir établi en principe
que l'on pouvait échapper à toutes les malédictions,
excepté à la malédiction maternelle, ajoutait, en parlant
à ses frères :
« En entendant (notre mère) prononcer cette malédic-
tion, à la face de 1 Immuable, de l'Incommensurable et
du Vrai (2), j'ai senti mon cœur palpiter. Désormais notre
extermination complète est imminente, puisque le Dieu
qui n'éprouve aucun changement ne l'a pas arrêtée, lors-
qu'elle nous maudissait « (3).
Nous savons toutefois qu'une partie des reptiles furent
épargnés par le feu destructeur. Quoi qu'il en soit, toute
parole de malédiction ou autre produisait nécessairement
son effet, lorsqu'elle était ratitiée par le Destin, c'est-à-
dire la Divinité. Dieu seul pouvait exempter de cette loi
qui venait de lui.
Elâpatra, prenant la parole après Yàsuki, s'exprima en
ces termes :
« Celui qui est frappé par le Destin, doit recourir au
(1) Traduction anglaise du Mahàbiiârata, 1" fascicule, p. 19.
(2) C'est-à-dire en face de Bralimà, explique la glose.
(3) XXXVIl, 5 et 6.
IDÉES RELIGIEUSES ET SOCIALES DU MAIIÂBUÂKATA. 555
Destin ; il n'y a point d'autre asile. 0 serpents, notre
effroi, c'est le Destin, refugions-noas donc vers le
Destin » (i).
11 leur raconta qu'il se tenait par frayeur caché dans la
giron de leur mère, lorsque celle-ci proféra la redoutable
malédiction. De là il entendit les Dieux reprocher à
Brahmà d'avoir ratifié les paroles de cette mère barbare
et d'avoir dit : « // en sera ainsi ».
« Nous désirons savoir, lui avaient-ils demandé, pour-
quoi tu n'as pas arrêté (Kadrù) ?
« Brahmâ répondit: Les reptiles sont nombreux, cruels,
horribles, pleins de venin. C'est parce que je veux le
bien des êtres que je n'ai point arrêté (Kadrù). Ceux
d'entre les serpents qui aiment à mordre, qui sont
farouches, pervers, venimeux, périront, mais non les
bons. » (2)
C'est ce qui eut lieu, le lecteur doit s'en souvenir. La
malédiction de Kadi'ù eut donc toute l'extension, tout
l'effet que le Destin voulut, et dans la mesure exacte qu'il
voulut.
Vaiçampàyana, l'un des narrateurs du iVIahàbhârata,
observe quelque part que si Duryodhana, par des moyens
cachés ou manifestes, ne put venir à bout de perdre les
Pàndâvas, c'est parce que ceux-ci étaient protégés par le
Destin et leur avenir (3). De peur que l'on ne s'y trompe,
Nîlakantha explique ces deux termes, le premier daivam,
par VInvisible, ce que l'on ne peut ni voir, ni prévoir, le
second Bhâvi, en rappelant que les Kurus devaient périr et
(1) XXXVIII, 3 et 4. Cf. Cosmologie hindoue 139.
(2) Id. 7-10.
(3) LXI, 16. Cf. ci-dessous.
556 LE MUSÉON.
les Pândavas reprendre leur royaume. En réalité, il ne
s'agit que du Sort ou de la Destinée des cinq frères.
L'Avenir ici n'est uni au Destin que par pléonasme ; les
deux n'en font qu'un.
Devayânî répondait à Yayàti qui lui demandait avec
étonnement comment il se faisait que Çarmisthâ, la fille
du roi des Dânavas, Vrsaparvan, fût son esclave :
(c Tout dépend de la Règle ; si tu viens à réfléchir que
cela est prescrit par la Règle, ton étonnement cessera. « (i)
Ici encore le glossateur tient à éviter toute méprise.
Le mot vidluhiam que nous traduisons par i^'gle, il a soin
de le rendre par daivam, le divin, la destinée.
Yayâti, après avoir j)ris rang parmi les Siddlias et les
Rsis, tomba pour avoir cédé à l'oi'gueil et méprisé tous
les êtres (2). Voici comment il expliquait sa déchéance au
Rsi royal (3) Astaka :
« Il ne faut pas se réjouir de ses trésors, ni s'enor-
gueillir pour la connaissance (([ue l'on peut avoir) des
Védas. Nombreuses sont les conditions des hommes, dans
le monde des vivants. Ils dépendent de la Destinée, contre
laquelle ils ne peuvent rien, quels que soient leurs eflForts.
Quoiqu'il arrive, le sage ne se laisse point abattre : « Le
Sort est tout puissant » se dit-il, dans la science qu'il a
de lui-même. Puiscjue l'homme reconnaît que le bonheui'
et le malheur dépendent de la Destinée et non de son
propre pouvoir, s'il vient à réfléchir sur cette influence
du Sort, il ne s'attristera ni ne se félicitera de rien. Le
malheur n'abat point le sage, la piospérité ne renfle
point ; il reste toujours égal. )> (i)
ri) Lxxxi, 12.
(2) LXXXIX, 1.
(3) LXXXVIII, 6.
(4) LXXXIX, 6 et seq.
IDÉES UELIGIEUSES ET SOCIALES DU MAHÂBIIÂIIATA. 557
Yayâti raconte ensuite comment il entendit, un jour,
pendant qu'il prenait ses ébats, en compagnie des Âpsaras,
dans le JNandana (i) qu'il habitait depuis un millier d'an-
nées, un messager divin, d'aspect terrible, lui crier par
trois fois : « Sois déchu »! 11 tomba aussitôt du iNandana,
dépouillé de tous ses mérites (2).
Cette voix redoutable, c'était celle du Destin, c'est-à-
dire, ne l'oublions pas, celle de la Divinité, dont les
arrêts sont inéluctables.
Tout dépend de la Destinée et d'elle seule, l'homme ne
saurait par ses actes y a})})ortei' la moindre moditication ;
voilà ce qui ressort de cette doctiine. Plus loin, l'auteur
semble revenir sur cette atlii-mation et faii(3 sa part à
l'activité humaine.
« Le monde, nous dit-il, i'e[)()se sur le Destin et sur
l'action de l'homme » 10). .Mais il ajoute immédiatenient :
« La Destinée s'accomplit avec le temps ».
De sorte que le dernier mot reste au Destin, non à
l'homme et qu'au demeurant celui-ci ne fait que ce que
veut celui-là.
C'est, du reste, ce ({ue le poète pi'oclame formellement,
lorsqu'il place dans la bouche de Drupada, les paroles
suivantes :
« Le nœud de la Destinée ne ])eut être défait ; rien,
dans ce monde, n'est le résultat de nos actes. » (i)
Et encore, lorsqu'il prête ce langage à Duhyàsana qui
(Ij L'un des quatre jardins célestes ou paradis. Les trois autres sont le
Caitraratha, le Vaibhràjaka et le Sarvatobliadra. Cfr. Bliag. Pur. 5. XVI,
15.
{2) LXXXIX, 19 et seq.
(3) CXXIII, 21.
(41 CXCVIII, 2.
558 LE MUSÉON.
constate l'insuccès des tentatives multiples faites par lui
et ses frères contre les fils de Pându :
« La Destinée, je le reconnais, est au-dessus (de tout) ;
l'action de l'homme est stérile. Que (nous) a servi d'agir,
puisque les Panda vas survivent ? » (i)
Protégés par la divinité, Yudhisthira et ses frères échap-
paient, comme par miracle, à toutes les embûches, à tous
les périls : témoin, entre cent autres, l'histoire de la
fameuse maison de laque.
Purocana s'était engagé près de Duryodhana, l'aîné des
Kurus, à faire périr les Pândavas avec Kuniî leur mère.
Il construisit à cet effet une maison de laque, rendue,
par conséquent, très combustible par cette substance
résineuse. 11 y avait un an qu'ils l'habitaient avec lui,
lorsqu'il projeta d'y mettre le feu durant leur sommeil.
iMais son dessein fut découvert, et les Pândavas résolurent
de le prévenir en incendiant eux-mêmes leur logis,
pendant que leur hôte perfide était endormi. C'est ce
qu'ils firent. Aussitôt l'incendie allumé, ils se hâtèrent
de disparaître avec leur mère par des souterrains. Or, une
femme de la caste des Nisâdas, poussée par le Destin,
s'était réfugiée, cette nuit-là même, avec ses cinq fils dans
la maison de laque, oîi elle périt avec sa famille et le
perfide Purocana (2). Lorsque l'on découvrit, dans les
décombres, les restes calcinés des victimes, on crut les
Pândavas morts ainsi que leur mère Kuntî.
Voilà comment le Destin sauve, contre toute attente, et
perd de même ceux qu'il veut sauver ou perdre.
On citait encore, comme preuve de cette toute-puis-
sance de la Destinée, l'histoire d'Ambuvîca (3). C'était un
(1) ce, 12.
(2) CXLVIII.
(3) CCIV, 17 et seq.
IDÉES RELIGIEUSES ET SOCIALES DU MAIIÀBHÀKATA. 559
prince indolent qui, renfermé dans Ràjagrha, la capitale
de son royaume, celui du Mag:adha, ne s'occupait que de
respirer, c'est-à-dire de vivre, abandonnant le soin du
gouvernement à Mahàkarnih, son ministre. Mahàkarnih
était ambitieux. Il s'empara du harem de son prince, de
ses trésors, de son autorité, sans que d'ailleurs celui-ci fît
le moindre effort pour l'arrêter. Il essaya alors de lui
ôter sa couronne pour la mettre sur sa tête propre, mais
il échoua, bien que le prince restât plongé dans son
indolence. C'est que le Destin voulait qu'Ambuvica fût
roi (i). Dès lors toutes les tentatives de Mahàkarnih
devenaient inutiles.
Les Dieux eux-mêmes ne pouvaient rien contre le
Destin ; ils le savaient bien. Indra, le lecteur s'en sou-
vient, peut-être, avait pris sous sa protection la forêt
de Khândava. Il voulut la défendre contre les entre-
prises d'Arjuna et d'Agni, lorsqu'une voix incorporelle se
fit entendre : « 0 Vâsava (2) la destruction de K/iândava
est ordonnée par le Destin. » — Ayant ouï cette parole :
C'est vrai, dit le chef des Immortels et, renonçant à sa
colère, et à sa jalousie, il s'en retourna au ciel. » (3)
Telles sont les idées maîtresses qui se dégagent de
l'Adi Parvan, de ce premier livre ou chant, comme l'on
voudra, de la plus gigantesque épopée du monde, le
Mahàbhàrata. Le lecteur aura pu s'apercevoir qu'elles ne
sont pas toujours méprisables, et que Vyâsa, ou le com-
pilateur quelconque de ces rapsodies gangétiques, ne perd
jamais de vue, au milieu même de ce qui nous semble le
(1) Id. 23.
(2) Surnom d'Indra.
(3) CCXXVIIf, 15 et seq.
5G0 LE MISKON.
plus extra valsant, les lois morales qui se retrouvent au
fond de toute (îonseienee humaine. Ce poème, nous ne
sommes plus à ra[)pren(lre, est une eneyclopédie théolo-
gi(jue et [)hilosophique où l'on remue les plus importants
problèmes de la destinée humaine. Encore une fois, c'est
ce qui le sauve du ridicule. Le génie intempérant de
rinde se plaît aux divagations les plus antipathiques à
nos natures occidentales que nous voulons croire plus
sensées et qui certainement sont plus froides et moins
emportées : prenons-en noti'e )»arti. Les traditions, les
légendes, les doctrines de l'Adi se retrouvent souvent
dans les autres Parvans du Mahàbhàrata ; car les répéti-
tions furent assez du goût des anciens poètes, et sans
doute aussi de leurs lecteurs ; mais ils renferment autre
chose et en les dépouillant on remarque vite que l'on
n'y 'à pas seuhïment à glanci', mais à moissonner. Les
idées de Vyâsa et ses enseignements s'étendent, se pré-
cisent, avec une indiscutable unité de vue qu'on lui a
pourtant longtemps déniée, en affectant de ne voir dans
son œuvre colossale qu'un monstrueux chaos. Le lecteur
du Miiséon, si toutefois cette ([uestion l'intéresse, pourra
s'en convaincre par le dépouillement rapide du Sabhâ
Parvan que je me propose de faire sous ses yeux, quelque
jour.
COMPTES RENDUS.
Catalogue des manuscrits persans de la Bibliothèque Nationale par
E. Blochet, sous-bibliothécaire à la Bibliothèque Nationale.
Tome premier, n°^ 1-720. Paris, Imprimerie Nationale. Ernest
Leroux, éditeur, rue Bonaparte, 28, 1905. In-8" de VIII et 411
pp.
Voici enfin le catalogue des manuscrits persans de la Biblio-
thèque nationale, dont on se préoccupait déjà vers 1870 et dont le
monde savant saluera avec joie la publication. Ce premier volume
comprend deux matières, la théologie d'abord (théologie chré-
tienne et théologie musulmane orthodoxe ou hérétique, parsisme,
hindouisme, n"" 1 à 237) et l'histoire, avec ses sciences auxiliaires
(biographie, mémoires, voyages, géographie, lettres et documents
officiels, n°^ 238 à 720.) Le plus richement représentées sont l'his-
toire générale (n°^ 238 à 2.54) et celle de l'Inde (n"^ 530 à 632). Un
second volume, dont nous souhaitons la rapide publication, nous
fera connaître le reste. Ce nouveau volume nous apportera aussi
une introduction générale, qui nous donnera sans doute l'histoire
du dépôt : elle ne jjeut manquer d'être intéressante à en juger
d'après les noms des anciens propriétaires des collections (Gaulmin,
David d'Ispahan, Vansleb, Anquetil, Galland, Gentil, Thévenot,
Brueys, Polier, Schefer, etc.).
On ne saurait trop remercier M. Blochet de sou remarquable
travail. S'il n'est pas d'œuvres plus utiles pour le progrès de la
science que les catalogues des manuscrits, il n'en est pas non
plus de plus difficiles ni de plus ingrates ; car le succès n'en peut
jamais être assez grand pour récompenser un auteur du travail
ardu que lui impose l'étude de manuscrits orientaux, et surtout de
25
562 LE MUSÉON.
manuscrits persans, moins faciles encore à déchiffrer que beaucoup
d'autres. On ne saurait non plus trop louer notre auteur, car il a
rempli sa tâche avec un soin, une exactitude et une érudition
remarquables.
Rien de plus instructif que la lecture d'un catalogue de manu-
scrits décrits en détail par un savant compétent. Ainsi, en beaucoup
d'endroits, M. Blochet complète ou rectifie Hadji Khalfa (pp. 63,
69, 76, 86, 89, 99, 100, 110, 114). Ainsi encore, il nous dit dans
quels autres dépôts se trouvent les œuvres dont il y a des manus-
crits à la Bibliothèque Nationale, ou il nous fait connaître les édi-
tions qu'on en a données. Ici peut-être pourrait-on compléter
parfois. Le Moufarrih al Qouloûb (p. 188) a été édité à Lucknow
en 1869 et il y en a un manuscrit à Berlin (IV, p. 1033). Le
Goudjastak Abalish (pp. 147 et 164) a été publié et traduit par
Barthélémy en 1887 ; cette édition a fait l'objet de plusieurs
comptes rendus, notamment par Darmesteter, Rev. critique, 1887,
I, pp. 482 483. Le Zafarnâaièh a été traduit par Diez, DenkwUr-
digkeiten, 2, pp. 39 et suiv. et il y aurait encore à ajouter à ce que
nous en avons dit dans la Bibliog. arabe, 1, p. 60. Pour les paroles
d'Ali, voir Bibliog., I, pp. 7 et suiv. Pour Mirkhond, il n'eût pas
été inutile de citer la Bibliographie de la Perse de Schwab, pp. 51-
52, ou, tout au moins, de mentionner la traduction de Rehatsek
et Arbuthnot (nouvelle série de l'Oriental translation Fund.) A la
page 122, n° 159, 2 il s'agit évidemment de Wahb ibn Mounabbih.
(Récension égyptienne des Mille et une nuits, pp. 51 et suiv.).
Victor Chauvin.
*
♦ *
Catatogus codieum manuscriptorum hibliothecae universitatis Lip-
siensis II.... Katalog der islamtschen, christUch- orientalischen,
jûdischen und samaritanischen Handschriften der Universiidts-
Bihliothek su Leipzig von K. Volleks mit einem Beitrag von
J. Leipoldt. Leipzig Otto Harrassowitz 1906. Gr. in-8 de XIV
et 509 pages.
La belle collection dont le savant professeur d'Iéna nous donne
le catalogue est surtout riche en manuscrits arabes de valeur, dont
COMPTES RENDUS. 5G5
la grande majorité, formant jadis à Damas la bibliothèque connue
sous le nom de Rifâ'iyya, a été acquise en 1853 par le D' Wetzstein
pour l'université de Leipzig. Cette collection comprend aussi des
manuscrits persans, turcs, hindoustanis, malais, syriaques, coptes,
éthiopiens, arméniens et géorgiens, en moins grand nombre. Il y
a, en tout, 1120 numéros. Sauf les manuscrits coptes, qui figurent
sous les n*^^ 1080 à 1090 H. et qui ont été catalogués par M. Leipoldt,
tous les numéros ont été décrits en détail par M. VoUers, qui a
aussi ajouté des tables, très soigneusement rédigées, pour les titres
des livres et pour les noms de personnes.
Après l'éloge sans réserve qu'un maître tel que M. Goldziher a
fait du travail de M. Vollers dans la Wiener Zeitschrift fur die
Kunde des Morgenlandes (XX, pp. 391-395), il ne reste plus rien à
dire. Répétons, avec ce savant éminent, que M. Vollers, grâce à la
profonde connaissance qu'il a acquise de la littérature arabe
pendant qu'il remplissait les fonctions de bibliothécaire du Khédive
au Caire, a fait une œuvre de premier ordre, qui, comme les
catalogues d'Ahlwardt pour Berlin et de Pertsch pour Gotha,
servira de modèle et de guide à tous ceux qui auront à déchiffrer
et à classer des manuscrits arabes. C'est surtout aux très nom-
breux numéros contenant des collections d'écrits que l'auteur a
consacré tous ses soins, décrivant chaque pièce en détail et don-
nant, chaque fois, toutes les indications bibliographiques ou bio-
graphiques désirables. Le monde savant, qui doit déjà tant à
M. Vollers, lui saura un gré infini de ce nouveau et considérable
travail.
A une œuvre aussi vaste et embrassant tant de détails, il est
toujours possible de faire quelques additions. M. Vollers qui veut
bien renvoyer souvent à notre bibliographie arabe n'a pas eu à sa
disposition notre neuvième volume, non encore publié quand il
rédigeait son catalogue. Il ne sera peut-être pas inutile de faire les
renvois à ce volume. Page 122, n° 396 = Bibl. ar., IX, p. 68. —
181, n° 589 = IX, p. 61. - 181, n° 590 = IX. p. 64. — 185,
n° 601 = IX, p. 67 ; British muséum, p. 513 ; supplément, p. 714 ;
trad. persane, manuscrits de Sacy, n" 316. — 186, n** 603 = IX,
p. 67 ; Bibliographe moderne, X, p. 233. — 193, n° 618 = IX,
p. 69 ; Brit. mus., p. 346. — 195, n° 622 = IX, p. 60. — 184,
T>C)i LE MUSI^:0N.
n° 597 = IX, p. 99 et suiv. — 180, n° 587 = I, pp. 7 et suiv. — 184,
n» 598 = I, pp. 12 et suiv. — 842, n» 954 = II, pp. 44 et suiv. —
343, n° 960 = III, p. IIG. - 198, n° 629. Paris, pp. 632-636 ;
Brit. mus. suppl., pp. 741-743. — 198, n° 630, Brit. mus. p. 698 ;
suppl., pp. 740-741. — 111, û° 366. On pourrait citer d'Ohsson,
Tableau général do l'empire othoman. — 343, n° 959. Cette histoire
a été traduite de l'iiindoustani par Garcin de Tassy (Allégories,
récits poétiques et chants populaires, 1876, pp. 307 et suiv.) et
insérée par Mardrus dans sa traduction des Mille et une nuits,
XVI, pp. 7 et suiv.
Dadichi, dont il est question p. 130, est né à Antioche et profes-
sait la religion grecque. Attiré en Europe avec Salomon Negri par
Heinrich W'ilhelm Ludolf (cousin de Job L.), il a enseigné, dès
1701, à Leipzig et à Gotha. (A. Th. Hartmann, Oluf Gerhard
Tychsen, I, p. 26 et Memoria negriana hoc est Salomonis Negri
damasceni vita, p. 8). Il a fait ensuite des voyages dont il rend
compte dans une lettre à La Croze (Jordan, Histoire de la vie et
des ouvrages de M'' La Croze. Amsterdam, 1741, pp. 192-197). II
huit par remplacer Negri à Londres comme interprète de Sa
Majesté pour les langues orientales. (Ibidem.) Il a rédigé le petit
catalogue des manuscrits orientaux de la Bibliotheca Uffenbachia-
na. (I, pp. 609-700 ; cfr. Préface, h et Acta eruditorum, 1721,
p. 235) et celui de la bibliothèque du sénat de Leipzig (Thés, epist.
Lacrozianus, I, p. 80.) Il a eu pour élèves Barthius, Lakemacher
et Lederlin et a écrit sur Avicenne. (Journal des Sçavans, 1766,
XXI, p. 124 et Muséon, N. Sér., IV, p. 77.) Il est parlé de lui peu
favorablement dans les Gott. gel. Anzeigen de 1758, p. 872. On
trouvera encore des renseignements dans les ouvrages suivants :
Acta erudit., J739, 431-432. — Mursinna, Biographia selecta,
Halae 1782, I, p. 204. — Miscell. groning., II, p. 339. — Allg.
Literaturzeit., 1796, I, p. 683. — Thés, epist. Lacroz. I, pp. 43 et
82. — Pertsch, die arab. Haadschriften... Gotha, V, p. 53. —
Academy, XXI, p. 364, col 1. Voir surtout les lettres de Barthius
et la biographie de Dadichi par le consciencieux Schelhorn dans le
Com. epist. Uffenbachianum, I, pp. 421-437.
ViCTOE Chauvin.
*
COMPTES RENDUS. 365
Xoros Kardasch (Bruder Hdhn.) Ein orientalisches Marchen-
und Novellenhuch, mis dem Turkischen siim ersten Mal ins
Deutsche ûhertragen von D^ Geoeg Jacob, ao. Professor an der
Universitât Erlangen. Berlin, Mayer u. Millier, 1906. Pet, in-S"
de XIV et 122 pp. (Tiirkische Bibliothek, 5*" Band.)
M. le Professeur Jacob, qui, par de nombreuses et importantes
publications a fait faire de grands progrès aux études turques trop
négligées, nous donne, dans le cinquième volume de sa Tiirkische
Bibliothek, d'un recueil de contes extrêmement intéressant, une
traduction élégante, très agréable à lire et accompagnée de
savantes explications. Les personnes qui étudient le turc trouve-
ront ici beaucoup à apprendre. Quant aux folkloristes, ils se
réjouiront de voir s'enrichir la littérature des contes d'une collec-
tion inconnue jusqu'à ce jour et présentant un très grand intérêt,
La collection se compose de dix contes, qui se retrouvent déjà
ailleurs, mais qui ont subi, chez les Turcs, certaines modifications.
L Le premier est celui d'un enfant qui est victime d'un acte de
violence et qui se venge cruellement, (Jacob, 1-20 et VIIL) Voir
notre compte-rendu des Tiirkische Volksmurchen de Kùoos, Zeit.
des Vereins fiir Volkskunde, 1906, p. 241. — IL (Jacob, 21 et
VlII-IX). Une des formes du conte de la réunion ; voir Mille et
une nuits, n° 322 C. — III. (J. 24-2.5 et X.J Le dépositaire infidèle,
dont on obtient restitution par ruse. (Pierre Alphonse, n° 13.) —
IV. (J. 69). Un jeune homme pauvre demande la main d'une jeune
fille riche. Il l'obtiendra s'il prouve qu'il a les qualités d'initiative
et de courage dont il se vante ; dans ce but on l'envoie s'enquérir
de la cause de certaines actions étranges. Ce récit forme ainsi le
cadre des n° V, VI et VIL — - V, (J. 80 et 99-101. j L'homme qui
se fait souffleter ; c'est le baba Abdallah des Mille et une nuits,
n° 72, — VI (J. 84, 94-98 et XLXII.) L'homme triste parce qu'il
s'est enquis malgré les avertissements qu'il a reçus. C'est le n° 15
de Syntipas et le n" 50 de Kunôs. — VII (J. 80 et X-XI). L'homme
qui se blesse contre des piliers parce qu'il a tué sa femme et son
fils, qu'il ne connaît pas et qu'il soupçonne à tort, Lucanor, n" 36;
Syntipas, n° 136 ; Gonzeubach, Siciliauische Marchen, n° 81. —
VIII (J. 102 et XII. j Le juif et l'oiseau. Bibliographie arabe, VI,
566 LE MLSÉON.
p. 160. — IX (J. 104 et IX-X.) Le roi orgueillleux. Lucanor,
n° 51. — X. (113.) Daos une dispute entre marchands, l'un d'eux
ne blâme pas Satan ; celui-ci, pour le récompenser, se change en
une mule, que l'autre vend. La mule s'amincit un jour et disparaît
dans un puits. Quand le marchand raconte sa mésaventure, on le
croit fou et on l'enferme ; il n'obtient sa liberté que quand il déclare
impossible ce qu'il a raconté, encore qu'il continue à croire.
ViCTOE Chauvin.
*
* *
Resuereccion Maeia de Azkue, Diccionario Vasco-Espaîlol-
Francés (Dictionnaire Basque-Espagnol-Français). Bilbao. Chez
l'auteur. En dépôt à Paris chez Paul Geuthner. Tom. I (A-L)
1905. Tom. II (M-Z) 1906.
Espanan cla guizon bat
beardeguna maita...
J. M. DE Iparraguirre.
Seit Vator und Wilhelm von Humboldt das Intéresse der Sprach-
forscher Europas auf die wuudervoUe Baskensprache hinlenkten,
hat ihr Studium fiir romantische Seelen immer einen besondern
Reiz gehabt. Durch den starken Agglutinationstrieb, durch den
angehàngten Artikel und die zahlreichen Casus-Postpositionen,
durch den scharfen, den ganzen Satzbau beherrschenden Gegensatz
von Transitiv und Intransitiv, der nicht nur in der Verbalflexion,
sondern auch in der Casuslehre eine Hauptrolle spielt, durch die
Einverleibung des leidenden Objects, des Dativus commodi und des
Dativus ethicus in das Verbum finitum, durch aile dièse und noch
durch andere Eigentiimlichkeiten, macht das Baskische, in neola-
tinischer Umgebung, auf wenige Gebirgs- und Kiistenlandschaften
beschrânkt, einen iiberaus fremdartigen Eindruck. Diirfen wir uns
dariiber verwundern, dass man in den hoffnungsvoUen Anfangsta-
gen der Sprachwissenschaft an amerikanische Zusammenhânge
gedacht hat ? Denn auch viele Sprachen des neuen Continents
haben eine grosse Anreihungsfahigkeit und incorporieren Pronomi-
nalstâmme mit Objectsbedeutung in die Verbalform, ja, manche
unter ihnen ist in der Zusammenkittung viel weiter gegangen als
das Baskische und hat durch Einverleibung von Nomina in das
COMPTES RENDUS. 367
Prâdicat, durch Hiiufung grammatisch-bedeutuugsvoUer Suffixe
uadandere Vorgânge solche Wortiingeheuer geschaffen, mit denen
sich der Baske nicht elier aïs unser einer befreunuen koonte.
Aber es giebt auch tiefere Ubereinstimmungen zwischen dem Bas-
kischen und gewissen Sprachen Amerikas, wie z. B. die transitive
und iatrausitive Conjugatioa des Eskimo und des Dakota. Dennoch
bat schon Humboldt gesehen, dass derartige Ahnlicbkeiten sich
nicht fiir die Annahme eines gemeiusamen Ursprungs verwerten
lassen, denn sie sind in der gleichen Beanlagung des menschlichen
Geistes begriindet und vieimehr als Zeichen bes/immter Bildungs-
stufen zu betrachten. Einverleibung findet man ja nicht nur im
Baskischen und in Amerika, sondern auch im Kaukasus, in gewis-
sen Idiomen der ugro-finnischen Gruppe und sonst an verschiede-
nen Stellen der Erde (vgl. meine Kar aliter istielc der Bashische
grammatica in den Verslagen der Amsterdamer Académie von
1906). Aucb der Gegensatz transitiver und intransitiver Conjuga-
tion ist weit iiber die Welt verbreitet und der damit enge zusam-
menhangende Unterschied eines transitiven und intransitiven Casus
kehrt z. B. in Sprachen des Kaukasus und Australiens wieder (vgl.
ZeHschrift fur vergleichende Spracliforschung XXXIX, 600 ff. und
meine oben gemannte KaraMeristieh). Die genaueste Parallèle
zu den baskischen Verhaltnissen liefert weder das Gronlândische,
wo der Casus transitivus zugleich als Genitivus fungiert, noch das
Dakota, demjede Bezeichnung grammatischer Casus am Nomen
abgeht, sondern das Tschuktschische, dessen Casus instrumenti
vel auctoris in seiner Gebrauchsweise ganz dem baskischen Tran-
sitivus entspricht und mit der Verteilung transitiï'er und intransi-
tiver Pronominalelemeute iu der Verbalflexion, gerade so wie im
Baskischen, Hand in Iland geht (vgl. Bogoraz, Izvestija Impera-
torsJ:oj Akademii nmiJc X, 289. ol5), wâhrend das Jukagirische
zwar den Unterschied transitiver und intransitiver Conjugation,
nicht aber einen Casus transitivus besitzt (vgl. Jochelson, Annals
oftlie New York Academy XVI, N° 5, Part II, 139 und Izvestija
ImpcratoisJcoj Akademii nauk IX, 170). Nein, solche Dinge konnen
ohno eine gauze Reibe stofflicher Ubereinstimmungen keine Ver-
wandtschaft beweisen. Nun ist es nicht zu leugnen, dass Àhnlich-
keilcn in den grammatischen Eleraeuten und im Wortschatze mit
568 LE MUSÉON.
kaukasischen und semitisch-chamitischen Sprachen tatsâchlich
vorhauden siad und es bat dann auch nicht an Sprachforschern
gefehlt, welche eine Beziehung entweder zum Georgischen und
andern Kaukasus-Sprachen oder zum Chamitischen vermutet
haben, aber ein eudgûltiges Urteil ist auch durcb die neuesten
Untersucbungen — ich denke an Giacomino, Georg von der Gabe-
lentz, Trombetti — noch nicbt ermoglicht worden."I(j{jt,ev yàp oûSèv
TpavÉç, àXX' àX(op,£9-a.
Gramniatiscb ist scbon viel flir das Baskiscbe geleistet. Hatte
Larramendi den Gruud gelegt fiir die beschreibende Grammatik
der guipuzcoaniscben Muudart, im neunzehnten Jahrhundert wurde
der eine Dialect uach dem andern in mebr oder weuiger tiichtigen
Einzeldarstelluugen niedergelegt und begriindeten van Eys und
Bonaparte die historiscb-vergleichende Grammatik des Baskischen,
der Prinz durcb seine auf genauer Beobacbtung beruhenden Mate-
rialsammlungen, mein verehrter Landsmann durch die Sicbtung
und Anordnung der ihm bekannten grammatiscben Tatsachen.
Auch andere — ich nenne insbesondere Julien Vinson — haben
die grammatische Erforschung des Baskischen gefordert, aber in
den letzten Jahrzehnten ist nichts so wichtiges auf diesem Gebiete
erschienen als Schuchardts Abbandlung iiber die Bezugsformen.
Ebenso wichtig wie die Morphologie ist die Kenntnis des Wort-
schatzes. Auch in dieser Hinsicht ist der alte Larramendi ein
Babnbrccher gewesen, aber sein Diccionario trilingue liess an
Vollstândigkeit und Zuverlàssigkeit leider noch viel zu wiinschen
ûbrig und seitdem ist kein Lexicon erschienen, das den praktischen
und wissenschaftlichen Bediirfnissen der Neuzeit gerecht wiirde.
Aizquibels Diccionario bilingue ist zu sehr von Larramendi abhàn-
gig und ist auch sonst nicht frei von Màngeln. Van Eys' Diction-
naire basque- français ist zwar eine ausgezeichnete Vorarbeit zu
einem baskischen Worterbuch, aber lâsst uns doch zu oft im Stich.
Es giebt auch noch andere Worterbiicher und Glossare, aber sie
stehen den bis jetzt genannten an Wichtigkeit nach. Nun ist uns
aber in Herrn de Azkue, R. C. Priester und Professer der baski-
schen Sprache am Instituto de Bilbao, ein neuer Lexicologe erstan-
den, der — die Liicken in unserer Kenntnis des baskischen Wort-
schatzes ausiiillend — uns mit eiuera Worterbuch beschenkt, das
den meisten gerechten Anforderungen entspricht.
COMITES KENDUS.
569
Der Name des Verfassers ist den Bascologen schon seit vielen
Jahren bekannt. In 1891 veroffentliclite er eine zweisprachige
Grammatik der bizcaischen Mundart uoter dem Titel Euskal-Iz-
Undea {Gramatica eusMra), eine sehr urspriinglicbe, aber zugleich
etwas eigensiunige Arbeit, welche der Verfasser selbst jetzt als
« une œuvre prématurée » bezeichnet. Seiu Hauptfehler war
damais, dass er die verschiedenen Dialecte vereinigea zu kôonen
glaubte « aussi facilement que des substances que l'on mélange
dans une iiole » und aus der Dialectvergleichung abstrabierte
hypothetische Urformen in seine Paradigraeu aufnabm. Das war
gewiss ein grosser Irrtum und wir diirfen uns nur freuen, dass der
geistreiche und gelebrte Verfasser davon zurlickgekommen ist,
denn sonst wâre das vorliegende Worterbuch nicbt der viel ersehnte
Thésaurus zuverlassiger Sprachfacta geworden, als den wir es jetzt
begriissen konnen. Immerhin bleibt sein Euskal-IzMndea ein
niitzliches Buch, das der Bascologe nur zu seioem eigenen Schaden
ungelescn lassen kann. Dass de Azkue auch seitdem seine Mutter-
sprache unablàssig studiert und cultiviert hat, kann man aus dem
Verzeichnis seiner Worke auf dem Umschlag des Wortorbuches
ersehen, aber dies ailes betrachtet er selbst nur als angeuehme
Zerstreuungen wàhrend seiner einzigen, ernsthaftcn Arbeit, der
Sammlung und AnordnuDg der Baustoffe seines Lexicons. Jetzt
liegt das grosse Wcrk in der Hauptsache vollendet vor und kann
der Verfasser sich mit Horaz l'iihmen : Exegi monumentum aère
peremiius.
Das Buch beruht nicht so sehr auf der umfassenden Lectiire des
Verfassers, obwohl dièse in zahlreichen Citaten aus âltern und
neuern Schriftstellern klar zu Tage tritt, und auf den von ihm sys-
tematisch durchgearbeiteten gedruckten und handschriftlichen
Worterbiichern, als auf seiner eigenen Beobachtung der Volks-
sprache. Im voUen Leben seines Volkes stehend, hat er reichlich
aus der immer sprudelnden Quelle der lebendigen Rede geschopft.
Jeden Sonntag versammelte er eine ganze Schar von Handwerkern,
mehrenteils Vizcayern und Guipuzcoaoern, mit einigen Navarresen,
um sich von ihnen sprachlich-technisch belehren zu lassen. Schon
bald wurden dicse Versammlungen im Asilo de las Hermanitas de
los Fohres in Bilbao gehaltuu : « là j'eus sous la main — sagt der
570 LE MUSÉON.
Verfasser — aveugles, paralytiques en fauteuils à roulettes, éclop-
pés de toute nature, sauf, naturellement, les sourds et les muets,
et quelles nobles âmes ! » Spater verbrachte er langere Zeit in San
Sébastian und machte er eine kurze Reise in das Tal von Salazar.
Schliesslich organisierte er neue Zusammenkiinfte von Leuten aus
verscbiedenen Gegenden des Baskenlandes, welche in Bilbao und
in der Nâhe von Tardets gehalten wurden,stets mit unermiidlichem
Eifer sein Material vermehrend und vervollstàndigend. De Azkue
hat etwas in sich, das an den russischen Lexicografen Dal erin-
nert. Wie dieser hat er es verstanden in die durch die verscbiede-
nen Handwerke und Fertigkeiten bedingten technischen Ausdrucks-
sphàren einzudringen, wie dieser ist er ein begeisterter Vorfechter
eines die Schàtze der eigenen Sprache zu Tage furdernden Puris-
mus. Aber de Azkues Vorliebe fiir einheimisches Sprachgut ist im
Lauf der Jahre durch ruhige Besonnenheit gemiissigt worden und
verfâllt nicht in die fanatische Ubertreibung, die so oft dem Puris-
mus den Stempel des Làcherlichen aufdriickt. « L'arrogance con-
vient mal à chacun — sagt er ganz richtig — , mais elle choque
plus dans le gueux que dans le riche ; c'est pourquoi il est peu
conforme au sens commun de montrer dans notre pénurie littéraire
des délicatesses de hidalgo, en l'appauvrissant quotidiennement
par le désir de ne pas frayer avec le vulgaire, quand des langues
comme l'allemand, qui unissent à leur haut lignage une vie exubé-
rante et une féconde littérature, possèdent dans leur dictionnaire
des vocables d'origine étrangère ». Der Verfasser scheint sich aber
wohl nicht geniigeud bewusst zu sein, wie sehr der baskische Wort-
schatz mit fremden Elementen durchsetzt ist, sodass man mit
gutem Grund behaupten diirfte, dass ohne die Mithilfe romauischer
Lehnworter ein baskisches Gesprâcli einfach unmuglich ware. Er
hat gewiss Unrecht, wenn er in Bezug auf die Fremdworter sagt :
« J'ignore s'il y a dans le monde des oreilles aussi délicates que
les nôtres pour cette espèce de vocables n. Mit diesem Irrtum
hangt es zusammcn, wenn er in scinem Worterbuch nur zu oft
unterlàsst offenkundige Fremdworter als solche zu bezeicbnen.
Wann wird ein Kenner des Romanischen, der zugleich mit dem
Baskischen vertraut ist, dasjenige fiir die ueolatinischen Elemente
der Eskuara leisten, was Briickuer fiir das slavischo Sprachgut im
COMPTES IIKNDUS. 371
Baltischen, Hûbschmann fur die iranischen Fremdworter im Arme-
nischen geleistet bat ? Eine Menge voa VorarbeiteQ bat Scbucbardt
geliefert und keiner wâre befahigt wie er, die so iiberaus schwie-
rige Aufgabe zu losen. Diirfen wir vielleicbt in seiner durch de
Azkues Worterbucb hervorgerafene Abbandlung Baskiscli und
Romanisch einen defioitiveu Anlauf dazu erblicken ? Geroko gero.
Was iramer die Zukunft uns bringen wird, schon jetzt gebiibrt
uns dankbare Anerkennung des vielen — aber leider zerstreuten — ,
was Schuchardt uns bisber geboten bat, nicbt weniger aber sind
wir dem Lexicografen zum Dank verpflicbtet, der durcb genaues
Registrieren des Wortschatzes etymologische Untersuchungeu erst
recht ermoglicht. Schade, dass de Azkue nicbt immer an die
Bediirfnisse des Spracbforscbers gedacbt bat ! Vor ailem vermissen
wir bei Wortern, die nur lautlicbe Varianten anderer Worter sind,
gar zu oft die so erwiinscbten Hinweise auf die betreffenden Arti-
kel. Auch ist es unbequem, dass etymologiscb ganz verscbiedene,
aber zufallig gleicblautende Worter nicbt getrennt aufgefiibrt sind.
Aber wer kann es allen recbt macben ? So wie es vorliegt, ist der
Diccionario Vasco EspaTiol-Francés ein Werk von bervorragender
Bedeutung. Indem icb dem Verfasser meinen berzlicben Dank
abstatte fiir den entsagungsvoUen Fleiss, mit welchem er der bas-
kiscben Wortforscbung eine feste Grundiage gescbaffen bat, erlaube
ich mir zum Schlusse die Bemerkaog. dass er im Irrtum ist, wenn
er mich « linguiste bavarois « und « professeur à l'Université
d'Amsterdam » nennt. Seit Ende 1899 gehore icb der Leidener
Universitat an. Wie van Eys bin icb IlolUinder und nicbt gern
mochte icb meine Nationalitât preisgeben. Der patriotiscbe Baske
wird es mir nacbseben woilen, wenn aucb icb patriotiscbe Gefiible
hege !
Leiden. C. C. Uhlenbeck.
* *
Paul Olteamake, Professeur à l'Université de Genève, Histoire
des idées théosophiques dans Vlnde, tome premier, La théosophie
brahmanique, pp. xii-382. — Forme le vol. xxiii de la Biblio-
thèque d'Etudes du Musée Guimet, Leroux, 1907.
Dans ce premier volume, M. Paul Oltramare définit les divers
systèmes « théosophiques » qui appartiennent en propre, du moins
37:2 LE MUSÉON.
SOUS leur forme historique, aux brahmanes ; le second volume,
que nous n'attendrons pas très longtemps, sera consacré à la plus
notable des disciplines non-brahmaniques, au Bouddhisme ; le
troisième à l'Hindouisme, aux multiples formes du Visnouisme et
du Çivaïsme qui ne sont qu'une brahmanisation, souvent super-
ficielle, des spéculations, des représentations mythiques et des
émotions « hindoues » ou populaires. Quand sa tâche sera arrivée
à bonne fin, M. Oltramare aura parcouru le cycle entier des
conceptions indiennes du salut ou de la délivrance.
Le titre qu'il a choisi, à bon escient, marque nettement à quel
point de vue il se place, et fait saisir la différence qu'il y a entre
son œuvre et les diverses histoires des religions indiennes, celles
de M. Barth ou de M. Hopkins, pour ne nommer que les plus
célèbres. C'est une histoire, une description des « idées ». Le per-
sonnel mythologique et divin reste au second plan, de même que
le culte, sacrifices savants ou pUjàs populaires. L'auteur ne s'y
intéresse que dans la mesure où s'y manifestent les conceptions mi-
religieuses, mi-philosophiques, appelées de leur vrai nom « théoso-
phiques », qui font que les choses indiennes sont bien hindoues.
La désignation « théosophique » est fort heureuse, bien qu'elle ait
le défaut d'évoquer les théories niaises et malfaisantes des Bla-
vatsky et des Olcott. Mais ces frivoles imaginations méritent si
peu d'estime que M. P. Oltramare a eu grandement raison de ne pas
renoncer à un terme qui correspond bien à l'objet. Les Hindous,
chose miraculeuse, aussi bien au temps des Upanisads qu'à celui
du Hathayoga, ont combiné des mentalités à la Spinoza, ou à la
Malebranche, avec des dispositions critiques dignes de l'Académie,
avec des aspirations morales et ascétiques de Thébaide, avec
r « animisme » et l'enfantillage dont les sociétés « rudimentaires »
fournissent, hélas, tant de curieuses manifestations. De telle sorte
que ce n'est pas de la religion, car il s'y trouve beaucoup trop
d'orgueil d'esprit ; ni de la philosophie, car la raison y est beaucoup
trop obscurcie par la dévotion mystique et la fantasmagorie
payenne. C'est de la théosophie, le mélange, eu quantités variables
et souvent difficiles à apprécier, de toutes les spéculations, de
toutes les méthodes intellectuelles, dévotes ou théurgiques imagi-
nables, mises au service de la « divinisation », de la « sublimisa-
COMPTES RENDUS. 375
tion n ou de l'anéantissement du « moi ». Si, quelque part dans ce
monde, on rencontre une image voisine de ce que l'Inde nous offre,
c'est sans doute à Alexandrie et dans les mystérieuses sectes des
Gnostiques. La vérité de salut, chez les Hindous, et sauf de
rares ou contestables exceptions, ne rentre jamais dans les cadres
de la pensée raisonnante, c'est toujours une « gnose », une con-
naissance supérieure à l'entendement discursif, toujours conçue
comme révélée, obtenue sous sa forme complète et réalisée dans
l'extase. C'est bien de la théosophie.
Non pas que l'Inde n'ait pas eu des religions à proprement
parler, comme celle des dieux védiques, celles du Bouddha Amitâ-
bha, celle de Krsna ou de Râma ; mais ces religions, à l'état pur,
ne sont pas livresques, si on excepte le SukhâvaLlvyUha ou les
poèmes hindis dont M. Grierson s'est fait l'éloquent interprète. La
hhakti ou dévotion s'encombre régulièrement de gnose ; et l'on
peut dire que la religion à proprement parler reste en dehors des
lois générales de la pensée indienne. Ces gens-là, de même que
les Gnostiques, ne se contentent jamais d'une théodicée, d'une
théologie. Les appeler des « mystiques », c'est encore ne pas les
appeler de leur vrai nom, car ils raisonnent dans le supra-ration-
nel avec une sécurité de dialecticiens. Ce sont des théosophes.
J'approuve donc, et très vivement, la conception qui a présidé à
la définition du sujet, et je suis tout aussi satisfait de la méthode
de recherche et d'exposition. Il y a un joli çloha^ — tous les çlokas
sont jolis — , que M. L. D. Barnett cite spirituellement à la fin de
sa préface à la traduction de l'Antagada-dasâo :
na M vandyà vijânâti garhhaprasavavedanâm.
M. P. Oltramare seul sait combien de travail et de réflexion
représente ce livre irréprochable au point de vue de la compo-
sition et de la clarté, — que tout le monde peut comprendre et
goûter, — irréprochable au point de vue de la précision et de la
critique. Une histoire des idées indiennes ne doit pas prétendre à
l'infaillibilité et à la pénétration de la théologie positive : étant
donné l'état actuel de l'enquête indianiste, ce qu'il faut, c'est
étudier et décrire les systèmes dans leur état parfait d'organismes
vivants. La chose est suffisamment difficile pour qu'il ne soit pas
oiseux, dangereux et même un peu pédant de sacrifier la besogne
57 i LE MUSÉON.
descriptive à des vues profondes sur les genèses et les évolutions.
Et la description réclame des précautions infinies : mettre en
lumière les diverses idées directrices, déterminer leur hiérarchie
dans rharmonie d'un système et dans la conscience du lidèle,
choisir les textes capitaux, représentatifs, et les traduire au mieux.
Non seulement l'auteur doit avoir des littératures, si vastes et si
embrouillées, une connaissance approfondie ; mais encore il doit
suivre la méthode que les Yogâcâras prêtent au Bouddha : « De
même que les parents expliquent d'abord à leurs enfants ce que
c'est que des chevaux ; leur donnent ensuite des chevaux en bois ;
leur montrent enfin de vrais chevaux : et cette connaissance seule
est vraie...», de même, pour aboutir à la vraie leçon de choses qui
est la lecture de l'original dans une traduction adéquate, il faut
que l'historien des théosophies de l'Inde achemine son lecteur par
d'ingénieux sentiers, des résumés et des analyses claires et simples,
vers le sentiment de la réalité complexe et trop souvent inintelli-
gible. A ne donner que des textes, comme Warren l'a fait admira-
blement pour le Bouddhisme pâli, je crains qu'on n'éblouisse ou
ne stupéfie le lecteur ; à se borner aux analyses et aux définitions,
je crains qu'on ne substitue à la conscience des choses hindoues,
toujours assez vague quand elle est exacte, un schéma européen.
Le vrai procédé pour rendre les « idées théosophiques « est bien
celui que M. P. Oltramare a adopté et auquel il fait porter des
fruits savoureux : ne pas abandonner le terrain solide des docu-
ments explicites, expliquer autant qu'il est nécessaire, laisser
parler les textes en montrant, avec une grande probité, toute la
marge qu'ils laissent à l'interprétation occidentale et indienne.
Le présent volume est divisé en trois parties inégales. La pre-
mière est intitulée « Les germes de la pensée théosophique n.
C'est, à proprement parler, une introduction historique : la spécu-
lation brahmanique a eu pour centre et point de départ la religion
et le sacrifice védique, une religion dite « naturaliste » et dont
beaucoup de choses pouvaient sortir, sur laquelle, plus exacte-
ment, bien des systèmes pouvaient être greffés. L'auteur examine
les éléments qu'elle fournissait à la spéculation qui, de fait, s'y
est superposée. La deuxième partie " La formation des idées
théosophiques n (p. 63-141) examine sous trois chefs la doctrine
COMPTRS UENDUS. 575
des Upanisads : le monisme, la transmigration, la délivrance. La
troisième partie (14:1-374) traite du Vedânta, du Sâmkhya et du
Yoga.
Il serait très long d'énumérer les points, de détail ou de grande
portée, sur lesquels M. P. Oltramare diffère d'opinion avec ses
devanciers. Je regrette, pour le dire en passant, qu'il ait, de parti
pris, écarté toute référence de détail aux ouvrages contemporains.
J'aurais aimé pouvoir me reporter plus commodément à tel ou tel
endroit oii MM. Barth, Deussen, Max Millier, Oldenberg, Garbe,
expriment sur tel ou tel point des vues divergentes. Il me paraît
certain que l'auteur a lu tous les ouvrages de " référence », mais
plus certain encore qu'il s'est d'abord formé une opinion d'après
la lecture des originaux : son information est très ample, sans
viser à une documentation ambitieuse ; il ne dépend ni de Deussen,
ni de Thibaut pour le Vedâuta, ni de Garbe pour le Sâmkhya. Pour
le Yoga comment dépendrait-il de quelqu'un, sinon des commenta-
teurs indigènes ? Il n'y a pas jusqu'au Hathayoga, si intéressant
quoi qu'on puisse dire, qui n'ait été l'objet d'une analyse extrême-
ment méritoire. — Aussi, tout le long de l'ouvrage, se pressent des
observations et des remarques inédites.
Si j'avais quelque autorité dans des matières que j'ai seulement
étudiées sommairement et au point de vue des recherches bouddhi-
ques, j'aimerais à présenter quelques observations sur des points
non dépourvus d'intérêt, mais peu susceptibles d'être tranchés par
la « déduction positive ». Je crois pouvoir, sans présomption, en
signaler deux.
Notre auteur s'arrête à la définition fameuse « yog<xé cittavrtti-
ntrodhah. » : « Le yoga, d'après Patanjali, c'est la suppression de
l'activité de l'organe pensant ». « Cette définition toute négative,
— ajoute-t-il, — doit s'entendre, cela va sans dire, comme mar-
quant, non pas le but à atteindre, mais la méthode pour atteindre
ce but, qui est ici, comme dans tous les systèmes orthodoxes, le
salut » (p. 301-2). Plus loin, M. P. Oltramare traduit « Le yoga
est la suppression des modifications du principe pensant ». — Mon
impression est que le salut et la méthode sont, ici, identiques, que
la suppression définitive du processus intellectuel et conscient est
bien la même chose que la délivrance, la suppression momentanée
576 LE MUSÉON.
et provisoire de la pensée dans Textase n'étant qu'un avant- goût
et un gage de la suppression définitive. En un mot, je comprends
la formule à la bouddhique ! Le yoga admet un « organe pen-
sant n, — c'est une des boîtes dans lesquelles s'enferme le principe
éclairant, en soi-même inconscient — et on peut l'appeler un « prin-
cipe pensant » sans grand dommage, tandis que le Bouddhisme
n'admet, dit-on, que des pensées évoluant suivant une chaîne
autonome. Et de même que cette théorie bouddhique n'entraîne
pas l'équivalence, parmiVi'àwa = néant, de même je ne dis pas
que le « salut « ne soit pas autre chose que « la suppression de
l'activité de la pensée » : il doit être autre chose, puisqu'il est
l'au-delà, l'ineffable ; mais il ne peut être conçu que négative-
ment, et précisément comme " suppression r>,saniji àveditanirodha,
comme disent les Bouddhistes. Toute définition positive, ou bien
est métaphorique, ou bien décrit le yoga comme moyen, non dans
son résultat dernier : « Le yoga est l'application de la pensée à
l'essence unique ».
Je crois — et je ne demande pas mieux que de me tromper —
que les ihéosophes hindous, quelle que soit leur école, Vedan-
tistes ou Bouddhistes, sont d'accord pour affirmer la non-existence
réelle, métaphysique, du « moi » au sens occidental du mot. Le
« cogito, ergo sum » est au nadir de leur horizon spéculatif. Ils
croient précisément que ce qui « est » ne saurait penser. La pen-
sée est pure mâyà chez Çaiiikara, elle est prakrti chez Vijùâna-
bhiksu : chez tous, elle est duhkha, anitya, anàtmaka ; arrêter ses
manifestations, c'est bien le but du yoga.
J'ai lu, avec un très vif intérêt, les pages où M. P. Oltramare
explique le dogme de la transmigration et la place logique de ce
dogme dans le développement de la pensée védique et brahma-
nique. Je n'ai pas vu ce que dit M. Deussen sur le même sujet,
mais je crois qu'il cherche à marquer l'évolution de l'idée de
remort et de revie dans la sphère brahmanique. M. A. -M. Boyer,
il y a quelques années, a publié un fort beau mémoire dans le
même sens ; et j'avais été, en le lisant, séduit par la simplicité des
lignes et la solidité des résultats. Mais des doutes me sont venus,
et j'en veux à M, P. Oltramare de ne pas les avoir dissipés. « Il
n'y a rien, dit-il, dans le principe même de la métempsychose qui
COMPTKS IIENDIS. .)/ /
ne puisse s'expliquer par révolution naturelle d'idées spécifique-
ment hindoues et brahmaniques. En outre, dans la manière dont
les anciennes Upanisads se sont représenté le processus des revi-
viscences, il y a eu trop d'hésitations, de divergences, d'ébauches
suivies de dessins plus complètement poussés, pour que cette
élaboration ne soit pas tout entière le fait des penseurs brahma-
niques eux-mêmes. « — Notre auteur examine ensuite les élé-
ments de la doctrine du samsara, les croyances animistes, la con-
ception brahmanique du sacrifice, l'idée que les principes vivants
descendent du ciel par la pluie, le besoin d'une sanction morale et
d'une justice rétributive, le dogme enfin du Brahman : puisque
toutes les âmes sont Brahman, si elles sont diverses, c'est en vertu
des actes d'une vie antérieure.
Pour le dernier point, il m'accordera, j'ose l'espérer, que le
dogme du Brahman peut conduire à une conclusion toute diffé-
rente : « L'atman (ou Brahman) est semblable à l'espace infini ;
\ejlva (ou atman individualisé, conscient), semblable à l'espace
contenu dans un pot ; ce pot, c'est le corps. Cette comparaison
montre ce qu'il faut entendre par naître. Quand les pots sont
détruits, que devient l'espace contenu dans un pot V II disparaît
dans l'espace. Ainsi fait lejlva dans Vatman » (i) (Mând. K. 3. 3. 4,
cité p. 91). Aussi bien Yâjnavalkya dit-il : « Il n'y a pas de
conscience après la mort ». — Et M. Kern (trad. Huet, I. p. 11)
reconnaît une antinomie profonde entre le dogme du samsara et
la spéculation ancienne de l'Inde : « Il peut sembler étonnant
qu'un dogme, si peu d'accord avec les principes fondamentaux de
la métaphysique indienne, ait pu se faire adopter à demeure
L'étonnement augmente quand nous voyons que le dogme de la
renaissance et du Jcarma n'a nullement été adopté sur l'autorité
des anciens textes sacrés. Au contraire, on n'en trouve aucune trace
dans les Mantras ».
(1) Je crois bien que les « pots « ne sont pas nécessairement les « çarî-
ras » faits de chair et d'os, mais des « lingaçarïras ». Mais quelle fut la
pensée de l'auteur ? — Cet excellent Naeiketas ne sait pas du tout si on
existe après la mort : « les uns disent oui, les autres disent non ». — Dans
le texte bien connu, c'est en secret que deux sages s'entretiennent du
karman.
2G
378 LE MLSÉON.
La trausmigration me paraît, logiquement, aussi incompatible
avec la métaphysique mouiste qu'avec le nihilisme bouddhique ;
elle dérange les grandes lignes nettes de la spéculation savante :
celle-ci s'en accommode à la longue — de quoi ne s'accommode-t-
elle pas ? — et les hésitations, les divergences, les ébauches que
signale M. P. Oltramare peuvent être les indices, non d'une pensée
qui cherche ses voies, mais d'une adaptation progressive ou sacca-
dée. Le samsara suppose la notion d'un purusa^ d'un pudgala,
comme disent les Bouddhistes, d'une monade indestructible et
permanente : c'est tout le contraire des aspirations de la pensée
brahmanique, au moins sous le plus notable de ses aspects.
A bon droit, M. Oltramare parle des croyances animistes, et
M. Boyer des vieilles croyances aux incorporations et aux méta-
morphoses ; en d'autres termes de la croyance à une âme dont le
destin n'est pas éternellement iixé à la mort. C'est la vieille foi hin-
doue. Les brahmanes avaient renoncé, en faveur du grand être
immanent, à leur royaume des Pères et à l'idée même du « moi ».
Cependant, en bons payens qu'ils sont, ils crurent dès lors aux
métamorphoses et à la survie, comme les Çûdras, et parce que les
Çûdras y croyaient. — Mon impression actuelle est que le brahma-
nisme n'est pour rien dans l'idée de transmigration, qui n'est au
fond pas plus « aupanishadique n que védique, et que, la loi du
karman, on peut en faire honneur à quelque préhistorique Tathâ-
gata plutôt qu'à des yâjhihas professionnels ou à des brahmavàdins !
Louis DE LA Vallée Poussin.
REVUE DES PERIODIOUKS.
American Journal of Pliiloloyij,
XXVII. 4. Whole 108.
1° Boot Reducihility in Folynesian by VV. Chuechill, L'auteur
a consacré de longues années à l'étude des idiomes de l'Océanie,
principalement ceux de l'archipel Samoa qui, d'après lui se trouve
placé au centre des migrations des tribus malayopolynésiennes.
Le dialecte y représenterait, de même, assez bien l'état moyen
entre les divers types extrêmes d'évolution tels que ceux d'Hawaï
et de la Nouvelle-Zélande. Les mots de ces dialectes se répar-
tissent en trois classes : les attributifs jouant, suivant le cas, le
rôle de prédicats nominaux ou verbaux ou même de substantifs,
les démonstratifs et les « paradeictic » ou particules de relations.
Les racines sont généralement dissyllabiques. M. Churchill montre
le développement que subit le sens primordial d'une racine lors-
qu'elle entre en composition avec d'autres racines ou particules.
Il tente de réduire les racines polynésiennes à leur plus simple
expression et cherche même à en faire des entités algébriques.
Cet article n'est que la préface à un grand travail sur les idiomes
polynésiens, qui apportera une ample collection de faits aux études
de linguistique générale.
2" Corrections and Conjectural Eniendaiions of Vcdic Texts by
M. Bloomfield.
Le nombre des corrections proposées est d'environ quatre-vingts.
3° Tlie prosody of ille. A study of the anomalies of Roman
quantity, by R. S. Radfoed, V article.
Cet article est le premier d'une série d'études qui ont pour but
380 LE MUSÉON.
d'apporter une solution au vieux problème quantitatif de ïîle-ïll(e)f
nëmpë-nëmp(e) discuté notamment par Skutsch. La solution de
M. Radford coïncidera en partie avec celle proposée par Birt.
(Rh. Mus. L. I. p. 240 sqq.)-
4° Notes on tlie Fseudo-Vergilian Ciris by J. Moetimee Lin-
FOKTH. Remarques diverses d'ordre critique sur ce petit poème.
5° New Inscriptions from Sinope, by D. M. Robinson.
Idem. XXVIII. 4. (Whole 109).
1° The Unreal Conditional Sentence in Cicero First Paper, by
H. C. NUTTING.
2° The Prosody of Ille. A study of the Anomalies of Roman
quantlty. by R. S. Radfoed.
Suite de l'article du numéro précédent. La finale des mots
iambiques dissyllabiques tels que homo^ ego, etc. devient souvent
brève et cette valeur est acceptée dans la métrique latine chaque
fois qu'elle ne met pas en question des principes trop essentiels de
la prosodie. L'abréviation des monosyllabes n'était pas admise.
Les langues romanes ne permettent point d'accepter la théorie
qui prétend que la finale de ille, illa, etc., s'élidait dans la pro-
nonciation courante.
3° Notes on the SchmaU-Krebs Antibarbarus by E. B. Lease.
Corrections et remarques sur divers articles du premier volume
de la nouvelle édition de cet important ouvrage de référence.
4° Cicero. De Ofticiisl §§ 7. 8. by Ch. Knapp.
5° Lucretius. 5. 1006. by W. A. Meeeil.
Le vers doit être conservé sous la forme qu'il a dans les mss.
6° Notes on Philolaus by W. A. Heidel.
Meineke corrige dans fr. 6 la leçon insoutenable iaorxyT^ en
i(îo>^ay^. M. Heidel préférerait tcroTay^ avec le sens de l'adjectif
Transactions and Proceedings of the American Philological
Association XXXVI (1905).
1° The Oxyrhynchus Epitome of Livy and Reinhold's Lost
Chronicon by Prof. H. A. Sandee.
REVUE DES PÉUIODIQUES. 381
2" Type of Sentence Structure in Latin Prose Writers by Prof.
Claeence Linton Meadee.
L'auteur applique à l'étude de la prose latine les théories da
Prof. Wundt de Leipzig. Il montre que ce système permet une
analyse plus rationnelle du style des auteurs qui ont une person-
nalité accusée, tels que Tacite et Sénèque.
3° The Reported Influence of tlie Dies Natalis in determining
the Inscription ofBestored Temples by Prof. Duane Reed Stuart.
4" The Ablative of Association by Prof. C. E. Bennett.
M. Bennett est de l'avis des linguistes qui pensent que le sens
primitif et fondamental de l'instrumental indo-européen était le
sens sociatif. Il montre par un nombre imposant d'exemples que
l'ablatif latin a plus souvent ce sens qu'on ne le pense d'ordinaire.
5° The Relation of Accent to Elinain in Latin Verse, not inclu-
ding the Prama by Prof. A. Granger Harkness.
On tend dans la prosodie latine à éviter de mettre l'accent sur
la syllabe qui suit une élision « in pausâ «.
6° Notes on the Bucolic Diaeresis by Prof. S. Eliot Basset.
7° Donatus Version of the Terence Didescalive by D"" J. C.
Watson.
8° Plantine Synisesis, by Prof. Robeet. Etude sur les phéno-
mènes de la « brevis coalescens » .
9° The Title of Caesar's Worh, on the Gallic and Civil Wars
by Prof. F. W. Kelsey.
Les mss. anciens varient beaucoup sur le titre de ce que nous
sommes habitués à nommer le « de Belle Gallico », et le « De
belle civili ». M. Kelsey pense que l'appellation originale était :
C. Juli Caesaris Commentarii Rerum Gestarum.
Revue de CHistoire des Religions. LIV. N°^ 2 et 3.
1° M. Revon : Le Shinntoïsme.
Suite des articles publiés dans la même revue depuis deux ans.
Les présents chapitres traitent a) de la synthèse mythique, c'est-
à-dire de la fusion en un vaste corps hiérarchisé par l'alliance
ancestrale de deux grandes masses de divinités étudiées jusqu'ici :
dieux de la nature et dieux-esprits ; h) de la nature des dieux en
582 LE MusÉo^.
général (ils nous apparaissent comme la nature humaine élevée à
une puissance supérieure) et de leur séjour qui ressemble fort au
milieu où vivaient les Japonais primitifs.
2° A LoDS. Le Panbalnjlonisme de M. Jeremias. Analyse de
l'ouvrage de M. A. Jeremias : Bas Alte Testament im Lichte des
Alten Orients.
« Comme manuel, il rendra de très réels services. Comme mani-
feste, il appelle sur bien des points des réserves importantes ».
3° J. Ebeesolt. Un nouveau manuscrit du rituel d'abjuration
des musulmans dans VEglise grecque.
Formule d'anathème extraite du ms. 364 de la Bibliothèque
Nationale de Paris et en usage dans la cérémonie préalable au
baptême des convertis d'origine musulmane.
4° A. Cabaton. Raden Faku, sunan de Giri, légende musul-
mane javanaise : Texte et traduction d'une légende tendant à
expliquer la domination musulmane qui existe encore aujourd'hui
dans la partie orientale de Java.
P. Alphandéry. Notice biographique sur M. Albert Réville,
décédé le 25 octobre 1906.
Skrifter uigifha af Kuntjl. fmmanistike Vetenslmps-
Samfiindet i Uppsala. Bd. IX.
Ce volume contient :
1° Kalender auf das jahr 1492, gedruckt von Ghotan (Beitrag
zur Geschichte des Liibecker Buchdrucks). von Isak Collijn.
' 2° BesTiattnig och Statsreglering i England of Otto Vaeenius.
3° Var Alsta Handschrift pà Fornsvànska af Otto von
Feiesen.
On regarde généralement le codex princeps de la loi de West-
gota (B. 59) comme le plus ancien manuscrit en langue suédoise.
M. A. Munch croit que quelques fragments de cette même loi qui
se trouvent aujourd'hui aux archives nationales de Norwège sont
d'une date plus ancienne. M. 0. van Friesen apporte des argu-
ments paléographiques et linguistiques en faveur de cette thèse.
4° A'onst och Jconstndrcr vid Mogrus Gabriel de la Gardies Hof.
af A. Hahe.
I
♦
REVUE DES PÉRIODIQUES. 383
5° Ziim Gehrauch des Futurums ini Altlateinischen von H. Sjô-
GREN.
Le futur grec en -so (proprement conjonctif aoriste) n'a subsisté
en latin que clans quelques archaïsmes : faxo, deixo, capso. Le
futur en eso, iso (ancien conjonctif d'un aoriste en is) qui était un
futur de l'action ponctuelle s'est spécialisé comme futurum exac-
tum (fecero, etc.). Il reste pour exprimer l'action future en latin :
1° Des tournures périphrastiques en -bo, -bis, -bit.
2° Des potentiels en iâ et en ïf employés dans le sens du futur.
L'auteur étudie notamment les nombreux cas où le présent est
usité en latin avec la signification du futur, tout en remarquant
que cet usage est moins fréquent en latin que dans plusieurs
langues modernes. Il s'attache aussi à vérifier l'opinion générale-
ment admise qui veut que le futur en iam ait eu encore chez
Plaute la valeur d'un conjonctif. Le futur et le conjonctif, d'après
lui, auraient déjà été nettement différenciés à cette époque.
6° Nordiska Bidrag II af Otto von Friesen. L'article traite
des doublets nordiques saér, sior, sidr (mer), oe, ey (toujours) et
d'autres questions connexes.
CHRONIQUE.
Sous le titre de « Documents pour V Etude de la Bible »,
M. l'abbé F. Martin, Professeur de langues sémitiques à l'Insti-
tut Catholique de Paris avec la collaboration de MM. L. Delaporte,
J. Françon, B. Legris et J. Pressoir, membres de la Confé-
rence d'Ethiopien du même Institut, a entrepris une série de
traductions qui comprendront les Apocryphes de l'Ancien Testa-
ment, les textes religieux de l'Assyrie et de la Babylonie, les
inscriptions phéniciennes et les Targums. M. Martin dans son
introduction au premier volume paru de la collection : « Le Livre
d'Hénoch, traduit sur le texte éthiopien » explique que, tandis
qu'un réel progrès se dessine dans l'interprétation rigoureuse des
textes de la Bible proprement dite, les autres documents qui sont
d'importance pour la compréhension de la Bible, ont été malheu-
reusement négligés. C'est cette lacune que la présente collection
est destinée à combler en rendant ces documents accessibles à un
plus grand nombre de personnes. Il ne se dissimule pas que les
traductions ne remplacent pas les originaux et il espère que le
nombre croîtra de ceux qui se familiariseront avec les langues de
l'Orient et les saines méthodes critiques ; mais comme le nombre
de ceux-ci sera nécessairement petit, il est hautement désirable
que d'autres, grâce à une traduction fidèle, disposent des moyens
suffisants pour contrôler des assertions et exercer avec plus d'in-
dépendance leur jugement sur les questions du jour.
Le Livre d'Henoch, qui est traduit de la version faite en éthio-
pien sur un texte grec perdu, est un apocryphe de sérieuse impor-
tance puisqu'il a joui d'une assez grande autorité dans les premiers
siècles chrétiens. L'abbé Martin analyse les doctrines renfermées
ciiKoiNiQUb:. 585
dans cet écrit par rapport à Dieu, au monde, aux anges, aux
démons, à l'homme et au péché, à l'eschatologie et au Messie.
L'ouvrage est de nature composite et renferme des morceaux de
date assez différente. Ses auteurs sont des juifs de Palestine,
probablement des Pharisiens.
*
Les fouilles dirigées par M. Gerstang, professeur à l'Université
de Liverpool aidé de MM. E. Harold Jones et R. H. Trefusis,
sur le site d'Abydos ont donné des résultats importants. Les
scarabées, les ornements, les inscriptions sont en très grand nombre
et datent de 2000 à 1200 avant J.-C. Il y a aussi des stèles de la
période ptolémaïque et des objets antérieurs au 2** siècle de notre
ère. Les restes les plus intéressants sont de la IT et de la 13® dyna-
sties et beaucoup d'entre eux sont d'une beauté particulière. Il s'y
trouve deux ou trois représentations en bronze d'Osiris. Un hippo-
potame en faïence est d'un type assez rare, comme aussi une
statuette en bois représentant une femme et un enfant. Le corps
est long et les membres courts bien que la longueur des jambes et
des bras soit une caractéristique de ces populations. Les traits
rappellent, du reste, plutôt les races nègres que le type égyptien
pur.
D'autres objets, très bien conservés, sont un singe en cage, des
chats, des babouins et un beau vase sacrificatoire orné de deux
oies. L'habileté de l'artisan ainsi que la grâce des formes font
songer à l'art grec.
Un des spécimens les plus exquis est un sceau en ivoire repré-
sentant un enfant très soigneusement dessiné. Une hache de combat
en bronze d'une forme unique et un rasoir en bronze montrent les
progrès atteints dans le travail des métaux, il y a 4000 ans.
Une palette et de la gomme pour la fabrication des cosmétiques,
des peignes, des pots à parfum et d'autres articles montrent que
les ornements et la vanité féminine avaient atteint un haut degré
durant la 13^ dynastie.
580 LE MUSÉON.
Le Bureau of American Ethnology de la Smithsonian Institu-
tion publie à part en un petit volume (Bul. 32) une étude de M.
Edgar L. Hewett sur les Antiquities ofthe Jemez Plateau, Neiv
3Iexico. Ce volume est, paraît-il, le premier d'une série qui trai-
tera des antiquités du domaine public des Etats-Unis. M. E. He-
wett, en s'occupant des débris de l'ancienne civilisation qui avait
pour centre le plateau de Jemez, a choisi une des portions les plus
intéressantes de ces restes d'un passé obscur. Il décrit et reproduit
en phototypie les curieuses habitations souterraines de Tshirege,
du Parc Pajarito et de Puye, les sculptures et les peintures sur
roc de Las Vacas et de la Cueva Pintada, les poteries et objets
cultuels de ces anciens aborigènes.
Dans le Journal de la Société des Américanistes de Paris, IIL 2,
M. E. DE JoNGHE, publie une intéressante étude sur le calendrier
mexicain. Les documents espagnols renferment d'assez nombreux
renseignements sur ce calendrier. M. de Jonghe s'est efforcé de
mettre un peu d'ordre dans ces notions souvent assez divergentes.
On peut constater que ce calendrier des aztèques, en grande partie
l'œuvre des prêtres était basé sur de sérieuses observations astro-
nomiques. Il reposait à la fois sur une période de 260 jours, subdi-
visée en 20 treizaines (tonalamatl) et sur une période de 365 jours
se décomposant en dix-huit vingtaines et cinq jours supplémentai-
res (tonalpoualli). L'origine du tonalmatl est discutée. M. de Jonghe
avec M"® Zelia Nuttall croit qu'elle représente primitivement la
durée d'une gestation ou neuf lunaisons. Ce tonalamatl offrait une
base commode pour combiner dans la chronologie les mouvements
de la planète Vénus avec ceux du soleil.
— M. Beatjrepaire-Fboment, l'écrivain français bien connu
est également un érudit. C'est ainsi qu'il vient de rendre service à
tous ceux qui s'occupent de Folk-Lore et de poésie populaire en
publiant une Bibliographie des Chants Populaires Français (Paris.
Edit. de la Revue du Traditionnisme 1906). Cet ouvrage répond à
un besoin réel et offre une liste très complète d'ouvrages.
— L'importance que joua pendant une période assez courte mais
de grande conséquence dans l'histoire de l'humanité, le petit peuple
macédonien donne de l'intérêt aux recherches concernant son
origine. On sait que Kretschmer y voit une peuplade ethniquement
CHRONIQUE. 587
assez parente des Grecs mais n'appartenant pourtant pas à la race
hellénique. Hatzidakis, au contraire, on fait une tribu grecque
et son opinion vient de trouver un sérieux défenseur dans la per-
sonne de M. 0. HoFFMAN (Die Makedonen. Gôttingen 1906). Celui-
ci, qui est fort au courant des questions de dialectologie grecque, a
rassemblé tous les noms de personnes désignant des Macédoniens,
ainsi que les mots cités par les écrivains et les lexicographes. Une
étude soigneuse de leurs éléments l'amène presque toujours à y
retrouver des radicaux nettement helléniques. Bien que plusieurs
des rapprochements soient un peu forcés, il en est un si grand
nombre de convaincants que M. H. paraît avoir obtenu gain de
cause dans une grande partie du monde des philologues, comme en
témoignent les nombreux comptes -rendus approbateurs dont son
livre a été l'objet.
*
* *
M. GusT. Rtdbeeg, de l'Université d'Upsala continue la série
déjà si importante de ses études sur V Histoire de Vd français.
Le fascicule II. 5 est consacré aux monosyllabes comme les deux
précédents. L'étude porte cette fois sur les démonstratifs composés,
les relatifs, les conjonctions et les adverbes.
M. Rydberg recueille soigneusement toutes les formes dérivées
de eccioc. Il constate le parallélisme dans tous les dialectes entre
ces formes et celles dérivées de ego.
Les opinions varient au sujet de la date où cest devint ce. M. R.
ne croit pas qu'il faille la reculer trop haut. Il pense que beaucoup
d'exemples anciens de ce remontent à cel, non à cest.
L'étude de si(c) atone aboutit à la conclusion que la forme se
était répandue au 13^ siècle dans les régions picardes, wallones et
lorraines.
Quant aux négations, on voit devant voyelle, triompher nen dans
l'ouest et le centre, non dans le nord et le sud-est, né dans le fran-
çais du sud-est à une époque postérieure.
Le reste du volume est consacré à l'histoire très compliquée de
la conjonction si et des relatifs. On peut y relever maints détails
intéressants. Le fuit est que la minutieuse étude de M. R. sur
588 LE MUSÉON.
l'histoire des monosyllabes est devenue un véritable exposé de
l'évolution des pronoms français accompagné d'une histoire des
conjonctions et des adverbes les plus usités dans le langage. Il est
fâcheux que M. R. n'ait pas cru devoir terminer son immense
enquête sur les monosyllabes par un exposé de ses conclusions. La
raison qu'il en donne est que cet exposé sera mieux à sa place en
tète de l'étude qu'il projette sur les vollworter. C'est d'autant plus
regrettable qu'il nous avertit que diverses circonstances le forcent
à un arrêt momentané dans la série de ses publications.
*
* *
La rédaction du Muséon a reçu l'étude de M. F. Van Kalken
sur la Fin du régime espagnol aux Pays-has, Etude d'histoire
politique, économique et sociale (thèse présentée à la Faculté de
Philosophie et Lettres de l'Université libre de Bruxelles). L'auteur
s'attache à éclairer la période assez obscure qui s'étend de 1692 à
1715.
AÎVIVÉE 1907.
EuG. Beauvois. Le Paradis de l'Atlantique d'après les traditions
concordantes de l'ancien et du nouveau monde. 41
E. Blochet. Etude sur l'ésotérisme musulman .... 318
A. Carnoy. Eléments celtiques dans les noms de personnes des
Inscriptions d'P>spagne ...... 1
Ph. Colinet. Analyse d'un Essai de synthèse psychologique de la
science du langage 172
Louis de la Vallée Poussin. Madhyamakâvatâra, introduction
au Traité du milieu de l'Acârya Candrakîrti avec
le commentaire de l'auteur, traduit d'après la
version tibétaine 249
D. M. Girard S. J. Un coin de l'Asie Mineure, le Djanik . . 100
A. Roussel. Les idées religieuses et sociales du Mahâbhârata.
Adiparvan {suite) 343
Comptes-rendus
Mohammed Ben Cheneb. Proverbes arabes de l'Algérie et du
Maghreb. — J. Forget ...... 234
E. Blochet. Catalogue des manuscrits persans de la Bibliothèque
Nationale. — Victor Chauvin .... 361
Resurreccion Maria de Azkue. Diccionario Vasco-Espanol-
Francés. — C. C. Uhlenbeck 366
Etienne de Flacourt. Dictionnaire de la langue de Madagascas.
— J. FORGET 236
René Dussaud. Notes de mythologie syrienne. — J. Forget . 238
William Dwight Whitney. Atharva-Veda Saihhitâ. — Ph. Co-
linet 233
590 LE MUSÉON.
D»- Georg. Jacob. Xoros Kardasch (Bruder Hahn) Ein orientali-
sclier Marchen-und Novellenbuch, aus dem Tur-
kischen zum ersten Mal ins Deutsche iibertrâgen.
— Victor Chauvin. ....... 365
Paul Oltramare. Histoire des idées philosophiques dans l'Inde.
— Louis de la Vallée Poussin .... 371
Richard Pischel. Leben und Lehre des Buddha. — Louis de la
Vallée Poussin 222
K. Vollers Catalogus codicum raanuscriptorum bibliothecae
universitatis Lipsiensis IL — Victor Chauvin. 302
Revue des Péuiodiqles ... 379
Chronique 211, 3S4
LE MUSÉON
REVUE D'ÉTUDES ORIENTALES
FONDÉ EN 1881 PAE CH. DE HAELEZ
STJBVENTIONNi; PAB LE GOTIVEBKEMENT ET PAR LA FOITDATION X7KIVBBSITAIBB
XXVII
LOUVAIN
1908
LE MUSEON
LE MUSÉON
ÉTUDES
PHILOLOGIOUES, HISTORIOUES ET RELIGIEUSES
publié par PH COLINET et L. DE LA VALLÉE POUSSIN
Fondé en ISSl par Cli. de HA.RLK:Z.
NOUVELLE SÉRIE
VOL. IX.
LOUVAIN
J.-B. ISTAS, IMPRIMEUR-ÉDITEUR
86, rue de Bruxelles, 86
1908
ÉTUDES SUR LES SOURCES
DE L'ETHl\OGRAPHlE CONGOLAISE
PAU Ed. De Jonghe,
Docteur en philosophie et lettres.
LES BANGALÂ,
C'est en 1877, le i4 février, que les Bangala virent
la première fois des hommes blancs. Qu'on juge de
l'impression que dut produire sur leurs imaginations
d'enfants l'apparition soudaine d'êtres bizarres, de cou-
leur blanche, tout couverts d'étoffes, voyageant sur des
bateaux de formes et de dimensions inconnues ! Ce ne
pouvaient être là que des envoyés du grand esprit Ibanza.
L'étonnement ne les empêcha pas d'attaquer la tlotille
de Stanley avec une énergie et une violence sans pareilles.
Le combat des Bangala fut le trente-et-unième et der-
nier que le grand explorateur eut à livrer pendant sa
périlleuse traversée ; ce ne fut, certes, pas le moins redou-
table.
Pour Stanley, les Bangala étaient de tous les Congolais
les plus « terribles ». Rien, à ce moment, ne pouvait lui
faire prévoir qu'en 1884 déjà un poste permanent serait
établi paisiblement au milieu de ces sauvages et que, le
14 juillet 1885, le premier chef de poste de Nouvelle-
Anvers parviendrait à les enrôler au service de l'Etat.
Depuis cette dernière date, les Bangala sont devenus
l
2 LE MUSÉON.
les adjuvants indispensables des Européens au Congo. Ils
s'engagent comme soldats au service de l'Etat ; on les
rencontre sur les bateaux comme pilotes, comme ouvriers
sur les chantiers. Ils ont accompagné l'Européen dans
toutes ses pérégrinations à travers le continent noir et
c'est à juste titre qu'on a pu dire d'eux : « partout où il
y a au Congo un blanc enterré, il y a au moins un Bangala
qui repose à côté de lui. »
Aussi devient-il chaque jour plus difficile de rencontrer
un de ces indigènes qui n'ait pas subi de quelque manière
l'influence européenne. La civilisation naissante crée des
besoins nouveaux. Le costume primitif fait place au
pantalon et à la jaquette ; la misérable hutte est aban-
donnée pour des habitations plus confortables ; des cou-
tumes séculaires disparaissent ; les croyances s'en vont ;
la langue elle-même s'altère au contact des langues euro-
péennes ou d'une sorte de volapuk, d'une langue com-
merciale congolaise commune.
Quel beau sujet d'études cependant que ces coutumes,
ces pratiques, ces croyances, ces traditions naïves ! Quel
précieux aliment pour la psychologie et la sociologie !
Les générations futures ne manqueraient pas d'accuser
notre époque d'insouciance, si nous ne nous attachions
pas à leur transmettre des documents authentiques aussi
complets que possible sur les civilisations que nous
voyons disparaître. C'est suffisamment dire que la publi-
cation de monographies ethnographiques répondait à un
besoin réel de la science (i).
Mais tous les renseignements ne sont pas d'égale impor-
(1) Van Overbergh et De Jonghe. Les Bangala (Etat Indépendant du
Congo). Bruxelles, De Wit, 1907.
i:ti Di-s (lUTini lis I) i:rii.N(>(.r,\i'iiiE cogolaise. ô
tance. Lear valeiu' est siil)()i'clonnéc non seulement à la
qualité mais aussi à res[»rit d'observation, à l'expéi-ience
de eeliii (|ui les a recueillis. De plus, les lémoii;nages ne
sont pas toujours coucoidauts ; la cause en est souvent
(piils se rapportent à des localités ditïerentes, à des
épo(pies ditïerentes.
Pour ([ue la publication des sources rende à la science
tous les services cpie celle-ci est en droit d eu attendre, il
est nécessaire de fournir à celui cpii veut se servir du
document autant crélémcnts d a[)préciation que possible ;
il faut montrer la valeur relative des différents témoi-
enases.
C'est ce que nous essaierons de faire dans les pages qui
suivent.
Nous les répartissons en trois catégories :
l. Fonctionnaires,
:2. Missionnaires.
5. Vovaueurs.
Avant de passer en revue ces différents informateurs, il
ne sera peut-être pas superllu d'indiquer rapidement
quelles sont les conditions d'une bonne observation ethno-
graphique.
Beaucoup de personnes pensent qu'il sutïit d'aller dans
un pays neuf pour ètie ethnographe. C'est une erreur. On
ne s'improvise pas ethnographe. Les observations ethno-
graphiques sérieuses supposent des qualités naturelles de
l'esprit : un esprit ouvert, curieux, soucieux du détail
— et du caractère : un caractère patient, plutôt froid. Il
ne faut pas que le voyageur ethnographe s'étonne ou s'in-
digne inutilement. Sa froideur ne doit pas l'empêcher
d'être sympathique aux populations qu'il étudie et dont
il possédera toute la confiance.
4 LK MUSÉON.
Le développement de ces qualités naturelles forme l'ob-
jet de la formation ethnographique, qui comporte en outre
l'acquisition d'un certain bagage de connaissances utiles.
Le voyageur se propose-t-il d'observer les phénomènes
de la vie matéi'ielle, d'examiner comment les hommes se
nourrissent, s'habillent, construisent leurs huttes, pour-
voient à leurs besoins ; ses connaissances ne devront pas
être aussi étendues que s'il veut s'attacher à l'étude de la
vie psychique et de ses manifestations.
Dans le premier cas, il lui sutïira de feuilleter un bon
manuel d'instructions aux voyageurs et géographes, ou de
se munii' d'un questionnaire ethnographique qui lui indi-
quera les points sur lesquels son attention doit se porter.
Puis, il s'exercera à voir, à observer méthodiquement
de façon à ce qu'aucun détail important ne lui échappe.
Il s'aidera du dessin, de la photographie ; il collectionnera
des objets dont il s'appliquera à connaître tous les modes
d'emploi.
Dans le deuxième cas, des études préalables de psycho-
logie, d'histoire et de philologie sont très utiles pour ne
pas dire indispensables. Certaines universités étrangères,
notamment celle d'Oxford, ont inauguré dans ces derniers
temps un enseignement ethnographique ou anthropolo-
gique complet qui constitue une préparation immédiate
aux observations ethnogi'aphiques (i). Il est à souhaiter
que la Belgique puisse s'engager dans une voie semblable.
L'observation des phénomènes sociaux des soi-disant
primitifs est d'autant plus difficile que ces phénomènes
(1) Voir Read : Anthropology at the universities ; dans « Man n 1906,
Mars-Avril ; et Manouvrier : Le classement universitaire de l'anthropo-
logie ; dans «Revue de l'Ecole d'Anthropologie de Paris». XIII (1907) 75-96.
ÉTUDES CRITIQUES d'eTHNOGRAPHIE CONGOLAISE. 5
sont inconscients. Il ne suffît pas de regarder, d'observer
les manifestations de la vie psycliique ; il faudra souvent
recourir aux questions. Et l'art de bien interroger est
incontestablement plus délicat que celui de bien voir.
L'art de bien questionner présu[)pose entre autres
choses qu'on connaisse la langue des indigènes, qu'on
vive de leur vie de façon à jouir de leur entière confiance.
Un individu ne reflète pas nécessairement la mentalité de
toute une peuplade : on interrogera [)liisieurs individus
et éventuellement on dressera des statistiques. Il faut
éviter d'éveiller par la forme ou la fréquence des (jues-
tions les soupçons de ceux qu'on interroge ; on question-
nera sans en avoir l'air, en s'efTaçant et en laissant le
plus longtemps possible la parole à l'indigène ; surtout,
on ne l'interrompra pas pour inscrire ses réponses. On
évitera tout ce qui serait susceptible d'influencer en ([uoi
que ce soit la nature de la réponse.
Pour ({u'une enquête soit vraiment fructueuse, il ne
suffit pas du zèle du voyageur : il lui faudi-a souvent user
de patience et attendre ([u'un heureux hasard se présente.
lue fois les éléments recueillis, il reste à les exposer.
Ce travail exige la plus grande précision : dire tout ce
qu'on a vu, tout ce qu'on a ap|)ris, et rien (jue ce qu'on a
vu ou aj)pi-is ; indicjuer le tem{)s et l'endroit exacts des
observations ainsi (pie toutes les circonstances susceptibles
d'en inoditier le sens ou la valeur.
L'ex[)osé doit être précis et complet ; il doit aussi être
méthodi([ue. il faut distinguer entre les faits qu'on a
pu constater de ses yeux et ceux (pii sont le fruit d'une
en({uête. Pour ceux-ci, les sources d'erreur sont plus
nombreuses (jiie poui- c«'iix-l;i. Mais la faute la plus
grave qu'on puisse eomnieltre contre la métbode consiste
6 LE MUSÉON.
à mêler d'interprétations personnelles l'exposé des faits
observés.
Quant au style, il sera simple et même sévère, mais
surtout concis et clair. Les phrases creuses et banales, les
généi'alités qui sont toujours des interprétations de foits,
des hypothèses ou opinions, seront évitées : elles ne
peuvent que diminuer la favenr objective des faits.
Telles sont, rapidement esquissées, les principales con-
ditions d'une bonne information ethnographique.
Examinons dans quelle mesure ceux qui ont observé
la vie ou quelques détails de la vie des Bangala se rap-
prochent de cet idéal.
I. Fonctionnaires.
Coquilhat fut le véritable fondateur du poste de Nou-
velle-Anvers. C'est notre première source en date et en
importance.
Il est né à Liège en 1855 et mort à Boma le :2i mars
1891. Lieutenant au 2^ Régiment de Ligne, il prit service
à l'association internationale du Congo en 1882 et séjour-
na quelque temps dans la région des chutes. Stanley le
désigna avec son camarade Van Gèle pour le poste de
l'Equateur dont ils firent une station modèle. On était à
la veille de la conférence de Bei'lin. 11 y avait urgence à
établir un poste chez les Bangala. Stanley s'y rendit avec
Coquilhat le 5 janvier 1884, mais il échoua à Lulanga
comme à Iboko. Trois mois plus tard, c'est Hannsens qui
tenta avec Coquilhat un nouvel effort couronné de succès.
Coquilhat s'établit à Nouvelle-Anvers et y resta abandonné
à lui-même pendant plus d'un an. Â force d'adresse et
d'énergie il parvint à s'y maintenir : il a su gagner la
confiance des indigènes.
Au mois d'août 1885, il fut remplacé par le capitaine
ÉTUDES CRITIQUES DETHNOGRAPHIE CONGOLAISE. 7
Van Kei'ckhoven et rentra le 21 octobre suivant à Anvers.
A peine reposé, nous le voyons reprendre la route du
Conû;o avec le titre de chef du territoire des Bant^ala. Au
cours d'une expédition aux Stanley-Falls, il contracta la
maladie d'intestins qui devait finir par l'emporter.
Retourné en Europe au mois de décembre 188G, il y
resta cette fois jusqu'en 1890, remplissant ad intérim les
fonctions d'administrateur général du département de
l'Intérieur de l'État Indépendant du Congo. Il fut nommé
inspecteur d'Etat et i*epartit, le 25 mars 1890, pour rem-
placer le major Cambier. Un décret du 9 novembre de la
même année le désigna comme Vice-gouverneur Général.
C'est en cette qualité qu'il résidait à Boma lorsqu'une
attaque de dysenterie l'enleva, le 24 mars 1891 (i).
Coquilhat était un enthousiaste. H appartenait à ce
groupe de vaillants officiers, travailleurs de la première
heure, qui allèrent réaliser des merveilles en créant au
cœur de l'Afrique un immense Etat. Esprit ouvert et cu-
rieux (2), caractère loyal et sympathique (3).
(1) Voir Mouvement Géographique VIII (1891) 31.
(2) « J'ai profondément regretté, dit-il, de n'avoir pas pu mieux utiliser
le séjour que j'ai fait dans le Haut Congo pour recueillir des données
scientifiques. Mes loisirs étaient, certes, minimes ; mais il eût été possible
de les utiliser pour la botanique, la zoologie, la météorologie, la minéra-
logie, si je n'avais pas, comme la plupart de mes camarades Belges, été
dépourvu des moyens nécessaires. Ni instruments, soit de précision, soit
de dissection, ni camphre, ni savon arsenical, ni alcool, ni sel — ni même
caisses pour emporter des collections sérieuses. Des livres scientifiques,
à moi adressés d'Europe, avaient été dérobés dans le bas fleuve.
« Si j'insiste sur ce point, c'est que l'on s'est étonné, surtout en Alle-
magne, que les voyageurs belges n'aient pas apporté toutes les contribu-
tions attendues aux connaissances scientifiques relatives au Congo.
Tandis que toutes les expéditions étrangères, allemandes et autres,
étaient parfaitement outillées scientifiquement, nous ne l'étions même
pas complètement au point de vue matériel de nos conditions d'existence
et d'installation. Les offlciers belges furent presque toujours réservés
pour la politique indigène et pour les travaux matériels des transports et
des établissements. r> (Sur le Haut-Congo, 375-376.)
(3j A preuve les manifestations qui se sont produites à son départ de
Nouvelle- Anvers, le 9 août 1885 : « Les Monanga, guidés par le vieux roi,
8 LE MUSÉON.
iMalheui'cuseinontaucuiio formation immédiate ne l'avait
préparé à l'étude des civilisations congolaises. Homme
d'action, il a surtout observé les traits de n^eurs dont la
connaissance pouvait lui être d'une utilité pratique imnné-
diate à lui et à ses successeurs dans leurs rapports avec
les indii^ènes.
Il est i)ermis de se demander si l'atmosphère de lutte
diplomati(pie de c}ia(jue jour n'a pas imprimé à quelques-
unes de ses o])servations une note trop pessimiste. Il
généralise ti-o[), semble-t-il, lorsqu'il avance ([ue les
femmes esclaves restent peu dans la tribu, que le couteau
du sacriticateur les attend (i). Le fait est formellement
contesté par M. Lothaire. Coquilhat avait le caractère trop
loyal pour qu'on puisse le soupçonner d'avoir voulu déni-
grer les noiis auxquels il s'est imposé par la persuasion.
m'attendent au bord de l'eau. Tous me donnent l'amicale poignée de mains
du départ et Mata Buiki, m'embrassant en pleurant, me dit : « Revenez
bientôt, car je suis vieux et je veux vous revoir avant de mourir n. Je
m'arrache à son étreinte et je monte à bord. Au bruit du canon et des
acclamations de nos braves serviteurs et des Bangala, nous nous éloignons
rapidement vers l'aval, .le suis profondément remué et récompensé. Nous
avons conquis le cœur des sauvages Bangala. Maintenant que ce rivage
fuit à notre horizon, la tristesse s'empare de moi ; dans une de ces
visions ine.tplicables qui concentrent en un instant les événements et
les impressions de toute une période de temps, je repasse les jours écoulés
de ma vie agitée chez les Bangala et mon jugement final me dit que ces
enfants primitifs de la nature ne sont pas aussi mauvais que nous le
croyions. En donnant au mots la valeur toute relative que l'insuffisance
d'éducation de ces sauvages comporte, je vois en Mata Buike un sage,
un homme bienveillant et supérieur, qui a vaguement pressenti le pro-
grès que les hommes blancs pourront assurer à son pays. En tant que
Bangala, c'était un ami fidèle et il fut, par le rôle du conciliateur qu'il
avait assumé, le co-fondateur de notre établissement, n (Sur le Haut
Congo, 358-359.)
(1) Van Overbergh et De Jonghe. Les Bangala, n" 93 (p. 239). —
Coquilhat, Pur le Haut Congo, 365.
ÉTUDES CIUTIQUES DETUNOGUAPHIE CONGOLAISE. 9
D'autre part, des cas de cannibalisme et de sacrifices
humains se produisaient à l'époque de la première occu-
pation du pays. Le P. Cambier l'assure également. Nous
admettons donc que Coijuilhat a forcé un peu la note : ce
qu'il avance n'est pas un fait observé, mais une opinion,
fruit d'une certaine expérience.
N'a-t-il pas aussi trop généralisé en affirmant que le
cannibalisme n'existait pas à l'Equateui'? «Je sais, dit-
il, que cette pratique n'existe pas à l'Equateur » (i). Or,
le majoi' Fiévez dit que le cannibalisme y est pratiqué. La
phrase citée de Coquilhat est malheureuse : il oublie de
dire d'où et comment il sait ; détail non moins impor-
tant, il n'indi{jue pas ce qu'il entend par l'Equateur :
Est-ce la localité de (^oquilhatville, ou une autre localité
sur le fleuve ? Est-ce aussi l'intérieur des terres ?
Très réussie, celte peinture du caractère des principaux
Bangala avec lesquels il était le plus en contact. Coquilhat
les connaissait bien pour les avoir longuement étudiés.
Sous sa plume, ils prennent des traits connus en Europe(2).
Une comparaison d'idées, de mœurs Bangala avec des
idées et des mœurs européennes peut contribuer à nous
faire comprendre celles-là ; il ne faut pas qu'elle empêche
l'ethnographe de saisir le fond de la pensée Bangala.
N'est-ce peut-être pas une idée européenne qui a induit
Coquilhat en erreur dans l'intei'prétation du nom de Mata
Buike? Stanley avait eri'onément traduit ce nom par
« beaucoup de fusils ». (C'est, parait-il, le sens du mot en
Kibangi). Notre observateur le traduit par le « fils de
Buike » (3). Ce « Mata » qu'on trouve dans beaucoup de
(1) 0. C n» 28 (p. 118).
(2) 0. C. 11° 8 (p. 75).
(3) Sur le Haut Congo, 248.
40 LE MUSÉON.
noms Bangala est à ses yeux une particule d'origine,
quel(jue chose comme une particule de noblesse. Or, Mata
Buike ne veut pas dire « le fils de Buike » mais bien « le
père de Buike » (i). Chez les Banijrala, c'est le père qui
prend le nom de son enfant poui* toute la famille de la
mère de l'enfant et, dans certaines circonstances, [)our
tout le monde.
Ce point très important de la vie familiale des Bangala
avait complètement échappé à Coquilhat. C'est au com-
mandant Lothaire qui a observé le môme phénomène,
notamment à Basankusu, que nous devons ce renseigne-
ment précieux.
Coquilhat a consigné ses observations dans son livre
« Sur le Haut-Congo » (2). Au point de vue critique qui
nous préoccupe ici, il convient d'y distinguer deux par-
ties :
i. Des notes éparses, prises au jour le jour, et publiées
sous la forme du journal ; elles se rapportent surtout à
l'organisation juridique et politique de la peuplade, aux
rites funéraires, au cannibalisme, bref aux faits que le
chef de poste avait jugés les plus dignes d'intérêt.
'2. Des renseignements complémentaires, relatifs à la
préparation des aliments, aux tatouages et mutilations.
(1) 0. C. n° 90 (p. 233).
(2) Bruxelles. Lebègiie, 1888. Des articles de Coquilhat ont paru dans
le Bulletin de la Société de Géographie de Bruxelles, dans la Revue
de Belgique, dans le Bulletin de la Société de Géographie d'Anvers,
dans \& Journal ofthe Manchester Geographical Society, dans le Bollet-
tino délia sezione Fiorentina délia Società Africana d'Jtalia, dans le
Mouveynent Géographique, duns le Bulletin de la Société des ingénieurs
et industriels. Ajoutons que des extraits de Coquilhat ont été reproduits
par le Congo Illustré, comme par le Congo Belge, malheureusement
sans indication de nom d'auteur.
ÉTUDES CKITIQLES d'eTHNOGRAPIIIE CONGOLAISE. 11
aux vêtements, coiffure, danses, chants, musique, condi-
tion des femmes et enfants, armes, industries, médecine,
pêche, pii'Oiiues, agriculture, habitation, etc. Ils occupent
les pages 501-57"? de son volume. Ils se distinguent des
renseignements précédents par le fait qu'ils ont été rédi-
gés de mémoire en Europe. Au moment de publier
son livre, Co({uilhat s'est aperçu que les détails contenus
dans son journal donnaient une idée trop imparfaite de
la vie des Bangala. 11 a soigneusement étudié les « Notes
sur r Etimofjraphie de la partie orientale de l'A [ruine Eqiia-
toriale « rédigées d'api'ès le questionnaire de la Société
d'Anthropologie de Paris (i) et c'est d'après le schéma de
cette étude qu'il s'est efforcé de combler, dans la mesure
de ses moyens, les lacunes de son « journal ».
Coquilhat n"a i)as réussi à pénétrer le secret des croyan-
ces religieuses des Bangala. Il lui est arrivé cependant de
leur poser sur ce point des questions (i>). Le sujet auquel
il s'est adressé ne convenait-il [)as ? A-t-il posé ses ([ucs-
tions trop directement, trop vite ? Toujours est-il que le
résultat en fut nul. Il est permis de supposeï' ([u'cn choi-
sissant bien un sujet et en piocédant ha])ileinent, patiem-
ment, par séances répétées, il eût réussi à obtenir des
renseisinements très importants sur la vie reliiïieuse des
Bangala.
Ces quelques considérations n'enlèvent pas sa valeur à
l'ceuvi'e de Coquilhat (|ui restera la base de toute étude
ultérieure sur les Bangala (ô). Ses renseignements témoi-
(1) Jacques et Stoi-ms, dans le Bulletin de la Société d'Anthropologie
de Bruxelles. V (1886-1887) 01<^24.
(2) Sur le Haut Congo, 289.
(.3) Il a été beaucoup utilisé pai- ceux qui se sont essayés aux études
d'ethiioft-raphie conn-olaise comparée : Barthel, C. Millier, Thonnar, etc.
Lamotte aussi s'en est beaucoup servi dans son livre : Chez les Congolais.
Bruxelles. Callewaert 1895.
12 LE MUSÉON.
gnent d'un grand esprit d'observation et d'une absence
complète de parti pris ; ils sont abondants et variés ; ils
portent sur des gens qui n'avaient pas encore subi l'in-
fluence européenne.
Les successeurs de Coquilhat furent Van Kerckhoven et
Baert qui n'ont rien publié que nous sachions sur l'ethno-
graphie de cette région. Après eux, c'est le commandant
Lothaire que nous trouvons comme chef de poste à Nou-
velle-Anvers vers 1891. Ses observations ethnographiques
ne furent publiées qu'en 1907, à la suite de quelques inter-
views. Les enquêtes orales auprès d'anciens fonctionnaires
coloniaux figurent |)armi les sources les moins sûres de
l'ethnographie.
M. Lothaire a fait au Congo plusieurs séjours dont la
somme s'élève à sept ans et quatre mois. Il résida à
Nouvelle-Anvers, à Basankusu, dans l'Ubangi, à Léopold-
ville. Il s'appliqua à apprendre la langue des Bangala
qu'il parvint à parler couramment : condition requise
pour pénétrer dans la psychologie des indigènes.
Autant Coquilhat nous a paru pessimiste au sujet de la
condition sociale de la femme, autant M. Lothaiie est
optimiste. Pour lui, la femme libi-e jouit d'une indépen-
dance assez grande : « on ne disposei-a jamais de la femme
libre, jeune fille ou veuve, sans son consentement ))(i). La
proposition eut gagné à êtie foi'mulée avec quebjue
réserve. Car, il faut certainement faire une excej)ti()n pour
celles, filles de pères influents, qui sont mariées à trois
ou quati'e ans (2). Quant à celles qui sont mariées plus
tard, la règle n'est-elle pas plutôt que les parents arrangent
le mariage (3) ? Dans ces conditions, on conviendra (jiie le
consentement de la jeune fille n'est pas toujours sjiontané.
(1) 0. C. no 100 (p. 251). — (2) 0. C. n° 78 (p. 215). — (3) 0. C. n» 77 (p. 21.3).
ÉTUDES ClUTiyiES DliTIINOGIlAPHrE CONGOLAISE. 15
L'observateur, disions-nous, doit autant que possible
s'attacher à enregistier les faits sans les interpréter ; il
doit, en tous cas, éviter d'entremêler ses obsei'vations et
ses interprétations. M. Lothaire n'a pas toujours su se
défendre d'interpréter les faits. A certains endroits, on
éprouve 1 impression ([u il plaide en faveur d'une thèse
plutôt qu'il ne constate des faits.
« Les Bangala nont pas la propriété foncière. » Cette
proposition est formulée une première fois comme expli-
cation du cai'actère économiciue du mariage : le Bans;ala
1 ce
ne connaît pas d'autre placement de fonds que l'achat
d'une nouvelle épouse (i). Il est donc établi que pour les
capitalistes Bangala il n'existe pas de spéculations sur les
terrains. Est-ce à dire qu'il n'y a pas une cei'taine pro-
priété foncière ? Non ; tout Bangala libre est propriétaire,
au sens Bangala bien entendu, du terrain qu'il occupe et
aussi longtemps (ju'il l'occupe. La propriété foncière
existe pour l'individu, conmie pour la famille, comme
pour le village et la tribu ; elle n'est pas assurée par des
actes notariés mais réglée par des conventions admises (2).
Les négociations qui eurent lieu lors du premier établis-
sement des Européens subiraient d'ailleurs à prouver
qu'une certaine propriété foncière existait chez les Ban-
gala (3).
Autre thèse : « les Bangala ne possèdent pas de castes».
Elle est vraie dans une certaine mesure. En effet, les
hommes libres, les notables ne forment pas une classe
fermée par la naissance. Mais pour les esclaves la question
(1) 0. C. noSOCpp. 217,218).
(2) 0. C. n" 153 (p. 347).
(3) Coquilhat. Sur le Haut Congo, 192, 198 etc.
a LE MUSÉON.
est un jjeu plus compliquée. Les esclaves ne peuvent-ils
engendrer que des esclaves? Les enfants d'une esclave et
d'un homme libre sont libres, dajtvès le témoignage de
M. Lothaii'C. Mais les enfants de pèi'C et mère esclaves,
d'après le P. Cambier (i), viennent grossir la fortune du
maitre. Encore conviendrait-il de savoir si l'esclave peut
se marier. S'il faut en croire le major Hanolet, l'esclave
devient botela, affranchi, en prenant femme ; les enfants
sont affranchis eux aussi (:2).
Les considérations émises sur l'aire d'extension des
Bangala (0), sur leur origine (i), sur l'identiiication des
Bangala et des Gombe n'appartiennent pas à l'ordre des
faits observés ; ce sont des opinions personnelles à
M. Lothaire, des interprétations de faits.
Jusqu'ici lesGombe, populations de l'intérieur, n'ont pas
été sufïisamment étudiés pour qu'on i)uisse les confondre
avec les Bangala. On peut même assurer quil existe entre
Gombe et Bangala desdifférences très nettes (o) : différences
de type physique, de langue, de geni-e de vie, de tatouage,
de mœui's etc. Ces différences sont-elles ethni(iues ou
purement accidentelles ? Des enquêtes complémentaires
fourniront bientôt, nous osons lespérer, la réponse à
cette question complexe qui n'est nullement résolue.
(1) Missions en Chine et an Congo. I (1890) 363 a.
(2) Belgique Coloniale III (1897) 244a.
(3) Les Bangala s'étendent de Bongata à Mobeka ; il n'est pas démontré
que les populations en aval de Bongata jusqu'à l'Equateur et celles en
amont de Mobeka jusqu'à Upoto soient Bangala. Sur la carte, M. Lothaire
ne fait pas non plus remonter les Bangala jusqu'à Upoto. Cette inconsé-
quence diminue singulièrement la valeur de son opinion.
(4) Le chef Mata Buike étant né dans le pays même, il serait difficile
d'admettre que les Bangala aient été poussés par des peuplades chassées
elles-mêmes par les Egyptiens vers 1869 ou 1870. (0. C. n° 6).
(5) Pour ces différences, voir Coquilhat, Sur le Haut Congo, 3G0, 210 etc.
ÉTUDES CIUTIolKS DF.TlINOdHAPriIE CONGOLAISE. 15
Les renseignements de M, Lotliaire se raijportent aux
difféi'ents aspects de la vie des Bangala, et quelques uns
sont d'un intérêt très grand au point de vue de la coloni-
sation. Mous taisons allusion surtout aux détails l'elatifs
à l'introduction de la monnaie, à l'organisation de la
justice, etc.
Le major Hanolet ne fut pas chef de poste mais com-
mandant de district de reclasse des Banij;ala. Comme tel,
il ne fit que des séjours intermittents à Nouvelle-Anvers.
Ses observations se distinguent par leur objectivité :
l'observateur s'efface et n'a qu'une préoccupation : rendre
le plus exactement possible ce ({u'il a vu.
Il passa au Congo onze ans et sept mois. C'est à son
quatrième départ qu'il prit le commandement du district
des Bangala. Parmi les régions ([u il parcourut en divers
sens, signalons surtout l'ibangi, l'Ccle, le Nil (i).
A l'époque où il commandait le district des Bangala, le
Gouvernement de 1 Etat du Congo envoya des instructions
à ses fonctionnaires pour leur demander d'envoyer des
collections en Belgique en vue de l'Exposition de Tervue-
ren. Les collections ainsi réunies devaient former le
noyau du musée du Congo. Les notes du major Hanolet
étaient destinées à expliquer les collections ethnogra-
phiques du pays des Bangala et furent publiées en bonne
partie dans la Belgique Coloniale.
On sait que les collections ethnographiques du Musée
Congolais sont groupées idéologiquement sous douze
rubriques : 1. aliments et boissons ; 2. habillement ;
3. habitation ; 4. chasse et pèche ; 5. agriculture ; 6. navi-
(1) Voir sa Biographie dans le Mouvement Géographique, XIII (1896)
341.
^6 LE MUSÊON.
gation ; 7. commerce ; 8. industrie ; 9. guerre ; 10. état
de société ; 11. arts; 12. religion. C'est dans cet ordre
aussi que sont gi'oupées les notes du n)ajor Hanolet.
Ce qu'on y trouve ce sont surtout des descriptions d'ob-
jets, d'instruments, dont l'auteur prend soin de donner
le nom indigène. Il a plus observé qu'il n'a interrogé.
Au lieu de demander aux indigènes des explications
sur leurs croyances (i), il a dirigé toute son attention sur
les pratiques et les coutumes. C'est ainsi qu'il décrit en
détail les cérémonies funéraires. Dans cet ordre d'idées,
nous lui devons la constatation d'un fait qui n'est pas
sans importance au point de vue sociologique : « en signe
de deuil, les amis du décédé ne mangent plus des aliments
que celui-ci a pris en dernier lieu. Cette abstention dure
quelques mois, une 'année et quelquefois toute la vie. Il
n'est pas rare de voir tel Bangala refuser la poule, tel autre
le poisson. » Les tabous Bangala seraient donc en rapport
avec certaines croyances relatives à la mort et il n'est-^pas
impossible qu'ils doivent leur origine à ces croyances (2).
II. Les MissioNiNAiRES.
En 1890, l'évangélisation des Bangala fut entreprise
par les Pères de Scheut qui se fixèrent à Nouvelle-Anvers
au mois de janvier. Au mois d'août de la même année les
missionnaires baptistes anglais s'établirent à Monsembe,
en aval de Nouvelle-Anvers.
Parmi les missionnaires catholiques qui contribuèrent
à l'étude des populations Bangala, citons les Pères Cam-
(1) L'affirmation qu' « ils n'ont pas de vie future » est trop générale. Il
faut y faire des réserves.
(2) Belgique Coloniale III (1897) 231-232 ; 243-245.
ÉTUDES CUITFQUES I)'i:T[liNOGl\APIIlE CONGOLAISE. 17
biei', Van Ronslé, Gannyii, De Wilde, Geeiis et De Boeck.
La plupart de leurs iniorinalions ont paru sous forme de
lettres dans l'organe de la Congrégation : [.es Missions en
Chine el au Congo (i). Cette revue s'adresse aux bienfai-
teurs de l'œuvre et au grand public. 11 en résulte que le
choix du sujet est limité : le missionnaire ne peut pas
traiter tous les détails de la vie des indigènes ; il doit
comptei' avec la masse des lecteurs, rendre son exposé
agréable et attrayant.
Cette remarque générale faite, passons rapidement en
revue les différents auteurs.
Le Père Cambier est un travailleur de la [)i'emière
heure. Il partit au Congo en octobre 1(S8(S. .\[)rès avoir
séjourné (pielque temps à Bei'ghe-S"-Marir, il alla sinslai-
1er à Nouvelle-Anvers, le i janvier 1,S!)0. Vax 1S!)I, il
partit pour Luluabourg et, (le[)uis loi's, c'est le Rasai ({ui
est le théâtre de son activité.
Ses lettres de 181)0 ne touchent (pi'aux ijhénomèncs les
plus apparents de la vie des indigènes : alimentation,
re[>as, cannibalisme, esclav;ige. Ln 1«SÎ)I seulement, il
aborda des sujets plus dillieiles el ([ui exigent une con-
naissance plus ap[)rofondie de la langue et des nKcurs.
Ses informations sur les idées i-cliiiieuses sont le fruit
d'une en(|ucte très curieuse faite à .Mpombu. Il étudia aussi
la médecine des Bangala.
Le i*ère Cambier est l'auteur dune grammaire de la
langue Bangala (dialecte d'IbolvOi (|ui a îciidu de grands
services au point de vue colonial. L'etlmogiMphe y trouve
certaines données très [)récises : noms d'instruments,
nomenclature des [larentés, numéi-ation, danses, etc. (-i).
(1) Imprimerie de Sclieut-lez-Bruxcllcs.
(i) Essai sur la langue congolaise. Bruxelles, PoUeunis et Ceuterick
1891.
2
18 LE MUSÉON.
Le Père Van Ronslé, actuellement Mgr Van Ronslé, par-
tit au Congo en 1889. Il fonda avec le Père Cambier la
mission de Nouvelle-Anvers. Dans le récit du voyage qu'il
lit aux Stanley-Falls se rencontrent quelques détails ethno-
graphiques intéressant surtout les Bayanzi, les Bangala de
Mobeka et les Bapoto. La question de la dépopulation l'a
beaucoup préoccupé. Les principales causes en sont,
d'après lui, la maladie du sommeil, la diminution de la
natalité, l'abolition de l'esclavage (i).
C'est en 1889 aussi que le Père Garmyn s'embarqua
pour l'Afrique équatoriale. Après un séjour d'un an à
Bcrghe-S''-Marie, il demeura de 1890 à 189^ à Nouvelle-
Anvers et de 1895 à 1905 (année de son retour en Bel-
gique) au Kasai. Son dernier séjour fut le plus fécond en
résultats ethnographiques, témoin l'étude détaillée sur les
Baluba qui parut dans le Bulletin de la Société de Géogra-
phie de Bruxelles (2). Pour les Bangala, le Père Garmyn
n'a malheureusement pas publié tout ce qu'il sait. Il s'est
borné à un propos assez vague sur leurs conceptions reli-
gieuses, propos qu'il avait surpris dans la bouche d'un
enfant (3).
Le Père De Wilde vécut à Nouvelle-Anvers de 1890 à
1896. L'excursion qu'il lit dans la Mongala est reproduite
dans le Congo Illustré (4). Ses informations sur les Ban-
gala sont variées : il décrit leurs procédés de chasse, dis-
sèque la mentalité des enfants. Il rapporte aussi une
légende sur l'origine de la mort, légende qu'il s'est fait
raconter par un enfant.
(1) Recueil usuel de la Législation Congolaise, 31« Livraison (1907) 35-38.
(2) XXIX (1905) 127-135.
(3) Missions en Chine ei au Congo, I (1890) 332.
(4) IV (1895) 186-187. — Voir Missions en Chine et au Congo, III (1895)
157-160.
ÉTUDES CUITIQUES D'ETII.MXiUAPIIIt: CO.NT.Or. VISE. 19
Parti en I8ÎI7, le Pèi-e Geens résida deux ans à T^eriilie-
S**-Mai'ie qu'il ([iiitta pour iXouvelle-Anvers. Vin lî)()i,
l'Annuaire de l'Etat Indépendant du Coniio le renseiiiiie à
Bokuml)i, sur la rive gauehe du lleuve ; depuis (|uel({iies
mois, il s'est rendu au Lac Léopold II jiour y étalilir une
nouvelle mission. Son énuméralion des ietiehes et des
poisons d'é[)reuves est du plus haut intérêt ; il en donne
les noms indigènes avec une descrii>ti()n courte et objec-
tive (i).
I^e Père De Boeck est l'auteur d'un voealuilaire Bangala.
C'est moins la lannue des Banuala, (lue le Linirala ou lan-
gue commerciale (f>). Ce missionnaire est au Congo (le[)uis
1900, et lAnnuaire le i-enseimie en 1901 comme dii'ec-
leur de la colonie scolaire. A re\ce[)ti()n de ce vocabulaire
et de la grammaire du Père Camliier, toutes les informa-
tions des Pères de Scheut relativement aux mceurs des
Bangala ont paru dans les Missions en Chine et au Congo.
C'est dire (jue ces missionnaires n'ont pas publié tous les
renseignements (ju'ils possèdent et qu'ils constituent une
puissante réserve pour les enquêtes futures (.-,).
Avant de passer aux missionnaires Baptistes de Mon-
sembe, il convient de dire un mot d'un missionnaire Bap-
tiste qui n'a pas résidé à Monsembe et (jui a visité les
Bangala antérieurement à l'établissement de ce poste de
mission. Nous voulons parler du Bév. T. J. Comber.
(1) Missions en Chine et an Congo,\.Vl (19U4) 2;}6-240 ; article reproduit
par la Belgique Coloniale, X (1904) 55C)-.j57 et par LeCongo, I (iy04j n° 46,
2-4.
(2) Grammaire et vocabulaire du Lingala ou langue du Congo. Bru-
xelles. Polleunis, 19U4.
(3) Les renseignements biographiques relatifs aux missionnaires de
Scheut sont dus à la bienveillance du R. P. De Ciercq, auquel nous sommes
heureux de présenter ici l'expression de notre reconnaissance.
20 LE MUSÉOiN.
Né à Londres en 1852, le Rév. Comber fut au Camoi'on
de 1875 à 1878, puis à San Salvador, au Congo portugais.
En 1885, il poussa jusqu'au Stanley-Pool et, en juillet 1884,
il accompagna Mr Grenfell dans sa fameuse exploration.
Sur le steamer « Peace », ils remontèrent le Congo jusqu'à
Bangala (où Coquilhat venait de s'établir) et le Kasai
jusqu'au confluent du Kwango. Plus tard nous le trouvons
à Lutete (Wathen). Il mourut en mer au mois de juin 1887
et fut enterré à Mayomba (i).
Ses informations sur les Bangala sont peu nombreuses
et assez vagues. Elles sont dues aux propos d'un indigène
de Lukolela, Mangaba, qui l'accompagnait, beaucoup plus
qu'à l'observation directe.
C'est le Rév. Weeks qui fonda, en août 1890, le poste de
mission de Monsembe. Il a eu le temps d'observer de près
les Bangala et |)ublia dans le Missionary Herald (2) des
détails sur leur métempsycose, sur leurs divinités, etc.
Mais sa principale œuvre au point de vue ethnographique
est le recueil de soixante à soixante-dix légendes indigènes.
En 1892, un soir, le Rév. Weeks était en train d'écrire,
lorsqu'il remarqua par hasard qu'un des enfants racontait
une historiette. Les autres enfants écoutaient attentive-
ment. Il s efforça de comprendre et de retenir et, le len-
demain, il pria l'enfant d'écrire ce qu'il avait raconté la
veille. C'était bien une légende indigène. A l'aide de petits
cadeaux, le missionnaire encouragea l'enfant à raconter
d'autres légendes ; d'autres enfants suivirent et mirent sur
papier des historiettes indigènes ou les dictèrent quand ils
étaient incapables d'écrire eux-mêmes.
(1) Voir Proceedings of the R. Geographical Society, London. IX
(1887) 583-584.
(2) Londoi), 1890, 443-445 ; 1892, 398-399 ; 1899, 259-262.
ÉTUDES CRITIQUES d'eTHNOGRAPHIE CONGOLAISE. 21
La plupart de ces lég:endes ont été publiées à Mon-
sembe. Elles servent de livre de lectui-e à l'école ; le mis-
sionnaire s'en sert pour étudier plus facilement la langue ;
l'ethnographe y recourra utilement à l'effet de découvrir
la pensée intime des indigènes. Nous ne connaissons ce
livre que par les extraits qui en ont paru dans la revue
anglaise « Folklore » (i). En même temps que quelques
légendes (cinq), le Rév. Weeks y publia des notes sur la
magie, le likundu, les poisons d'épreuve, les boissons,
les noms donnés aux enfants, les croyances relatives à la
réincarnation.
Des missionnaires Baptistes c'est certainement le Rév.
Weeks qui a le plus contribué à l'étude de l'ethnographie
et du folklore des Bangala. Après lui vient le Rév. Staple-
ton ({ui résida successivement à Bolobo, à Monsembe et à
Yakusu aux Stanley-Falls. C'est dans ce dernier poste
qu'il a fait paraître ses contributions à la grammaire
Bangala (langue commerciale) avec un petit vocabulaire (2)
et son manuel comparé des langues congolaises (5).
Il rapporte un fait qui prouve l'existence d'une certaine
métempsycose : l'homme qui meurt laisse sur terre un
animal pour le représenter et la famille du défunt est res-
ponsable des dégâts que peut causer cet animal (4). Signa-
lons aussi la légende de Nkengo ; les hommes ne sont pas
immortels parce que Nkengo, soulevé au ciel, n'a pas su
veiller sept jours consécutifs. Cette légende est-elle em-
(1) XII (1901) 180-189 ; 458-464.
(2) Suggestions for a grammar of Bangala with 2,000 words and many
useful phrases. Yakusu. Stanley-Falls.
(3) Comparative Handbook of Congo languages. Yakusu. Stanley-Falls.
190.3.
(4) Mis^ionary Herald, 1895, 302.
22 Ll. AllSKON.
pruntée au répertoire du n('>v. Weeks ? Le Rév. Sta[)leton
se contente de dire (pie tous les indigènes la connaissent (i).
III. VovAf.i:ius.
Le ('haj)itre des fonctionnaires coloniaux a été exclusi-
vement réservé à (^(xpiilhat, Lotliaire et llanolet, (|ui ont
étudié la vie des Bangala sous ses divers aspects. Les mis-
sionnaires se sont surtout attachés à dépeindre les phéno-
mènes de la vie psychi(jue, et se sont appli(jués aux travaux
de liniruisti({ue. Il reste ceux (pii ont ohseivé pres(ju"uni-
quement les phénomènes de la vie matérielle, phénomènes
plus apparents, qu'un court passatïe dans le pays permet
de constater. Le litre « Voyaiçeurs » n'est pas j)ris dans
un sens restrictif et comjjrend également des otïiciers et
agents coloniaux.
Nous passerons en revue d'ahoi'd les Belges : .M>L Gus-
tin, VVilverth, Bi'iart et Deliene ; en suite les ('tianueis :
Baumann, Ward, Gleerup et Westmarck.
M. Gustin est actuellement encore au (]ongo, en (jualité
de commissaire de district de i)iemière classe. Pendant
son séjour de huit ans et dix mois, il ap[)rit à connaître
surtout rilele et le district des Bangala. Il a fait une étude
sur l'apiculture chez les indigènes congolais (2). Sa note
sur la langue Bangala (langue commerciale) })résente plus
d'intérêt au point de vue colonial cpi'au point de vue
ethnographi(|ue proi)rement dit (5) M. Gustin s'est montré
ethnographe et ohsei'vateur minutieux en décrivant la
(1) Missionary Herald. 18%, 135.
(2) Congo lUiistrc, IV (1895) K) ; 'M ; :39-40 ; 55-50.
(3) Mouvement (iéogruphique, XV (1898) 295.
ÉTUDES CRITIQUES D*ETHNOGRAPHIE CONGOLAISE. 23
fabrication des cordes et des nattes chez les Bangala. Cette
description est précise et soignée (i).
Nous pouvons en dire autant des descriptions du com-
mandant Wilverth. Elles portent sur la construction des
huttes, la fabrication des pirogues, les procédés de chasse
et de pèche, et permettent de conclure que la plupart de
ces procédés ne diffèrent pas sensiblement de ceux des
Bapoto (2). Le commandant Wilverth les a bien observés
et les a décrits avec méthode. 11 passa trois ans et dix
mois au Congo et résida surtout à Boma, au Lomami,
chez les Mogwandi, à Nouvelle-Anvers, et à Cmangi (2).
Le D' Briart n'a fait que passer chez les Bangala. 11 n'a
pas fait d observations proprement dites et s'est borné à
expliquer pourquoi les villages des Bangala ne sont pas
fortifiés. Né en 18(>0, il partit au Congo, le 7 juin 181)0,
comme médecin de l'expédition Delcommune qui pénétra
dans le Katanga par le Lomani. 11 rentra en Europe au
mois d'avril 1895 (4). Son étude sur les fortifications
indigènes (3) est le fi'uit de ce voyage.
M. Ernest Deligne était agent de la société du Haut-
Congo. Il publia dans le Comjo Illustré (e) quelques
légendes et proverbes Bangala. L'atïirmation que les Ban-
gala auraient « des coutumes extra-conjugales qui chez eux
sont toutes natui'elles « (t), est contestée par M. Lothaire.
(1) Belgique Coloniale, IX (1903, 535.
(2) Congo Illustré, III (1894) 181.
(3) Le Département de l'Intérieur de l'Rtat Indépendant du Congo a eu
l'extrême obligeance de nous communiquer des notices biographiques
sur MM. Lothaire, Hanolet, Gustin. Wilverth. Ward et Westmarck.
(4) Congo Illustré, III (1894) 9.
(5) Congo Illustré, IV (1895) 12-14 ; 22-24 ; 28-30.
(6) Congo Illustré, II (1893) 82-83.
(7) Congo Illustré, II (1893) 123.
24 LE MUSÉON.
Ajoutons qu'elle manque de précision. L'auteur entend-il
par là des pratiques honteuses, ou bien l'adultère du
niaii ? L'adultère du mari, dans une société polygame,
peut paraître chose assez naturelle et l'on se demande
bien laquelle des femmes lésées pourrait l'empêcher.
Quant aux légendes et proverbes, M. Deligne ne donne
malheureusement aucun détail sur la façon dont il les a
recueillis, ni sur l'endroil où il les a recueillis. Nous
regrettons aussi qu'il n'ait pas publié à côté de la traduc-
tion française le texte en langue indigène.
Parmi les voyageurs étrangers, citons d'abord l'autri-
chien 0. Baumann, docteur en philosophie. 11 naquit à
Vienne en 1864 et fut adjoint à lexpédition Lenz (1885-
1880) qui remonta le Congo jusqu'aux Falls. Nous lui
devons le premier levé du tleuve entre le Stanley-Pool
et les Slanley-Falls. En 1888, il lit partie de l'expédition
du D' Meyer au Kilimandjaro et explora l'Usambara en
1890. De 1801 à 1893, il dirigea une expédition impor-
tante au pays des Masai (i).
C'est le premier de ces voyages qui nous intéresse ici.
11 fournit au D' Baumann la matière d'un intéressant arti-
cle dans les Mittcilungeii de la Société d'Anthropologie de
Vienne (2). 11 y dépeint les populations qu'il a pu entrevoir
en remontant le lleuve. Ses renseignements sur les Ban-
gala se rapportent à l'aspect des habitants, tatouages,
pagnes, huttes, occupations principales, etc. Ce sont des
notes plutôt que de véritables descriptions.
M. Ward s'est occu})é sans s'y arrêter longuement de la
(1) Congo Illustré, II (1893) 89.
(2) XVII (1887J 160-180. Voir aussi Lenz: Mitteihmgen cler Geographi-
schen Gcsellschaft za ^Yien, XXIX (1886) passim.
ftTLDES ClUTlolLS d'eTIINOGUAPHIE C0XJ0LAI8K. 25
vie matérielle des Bangala, de leur cannibalisme, de leur
histoii'e. 11 n'a pas négligé de raconter certains faits rela-
tifs, par exemple, à la propriété des canots, à la fraternité
du sang, etc. iM. \Vard fut au service de l'État pendant un
an et dix mois en qualité d'adjoint. Après quoi il passa à
la « Sanford ex[)loring Exjjedition. » Il publia un livre
intitulé « Five yeai's amonii' the (^on^o Cannibals » (i).
Le suédois Glcerup fut attaché à M. Van Gelé. Il passa
au Coniio deux ans et neuf mois et fit la traversée de
l'Afrique de Boma à Bagamoyo. Les observations qu'il fit
à Vivi, Manyanga, Kimpoko et aux Stanley-Falls sont con-
signées dans son récit de voyage (2). Il ne parle des Ban-
gala que très accessoirement ; comme son compatriote
Pagels, il ne connaissait surtout que ceux qui s'étaient
engagés au service de l'Etat (5).
11 reste à parler d'un autre suédois, M.Westmarck, qui
fut au service de l'Etat Indépendant, en (jualité d'adjoint,
pendant trois ans. Il séjourna successivement à Manyanga,
à Lutete, à Léopoldville, à Msuata, à Nouvelle-Anvers
(avec Coquilhat). A son retour en Europe, il fit des confé-
rences à la Société de Géographie commerciale de Paris,
aux Sociétés de Géographie de Lille, de Bordeaux, de Tou-
louse et de Marseille.
Ses affirmations sont sujettes à caution. M. Lothaire en
conteste un certain nombre. M.Westmarck a chei'ché avant
tout, semble-t-il, le détail curieux, et il ne manque pas
de l'exagérer à l'occasion. Il faut accepter ses dires avec
(1) London. Chatto et Windus. 1891. Voir aussi Journal of the Anthro-
pological Institute, XXIV (1895) 285-299.
(2) Môller, Pagels, Gleerup : Tre âr i Kongo. Stockliolm, 1887. III 151-
502. Gleerup : Tuârs genom Afrika. (2.50-251).
(3) Ibid. II, 1-150 ; Pagels : vid ôfvre Kongo (117, 119, 14G).
2a
âG LE MUSÉON.
une g;i'ande réserve, d'autant plus que ses conférences ne
sont connues que par des analyses et des résumés rapide-
ment l'édigés.
Nous ne pouvons terminer cette étude critique sans
signaler l'importance des études anthropologiques dont
les Bangala ont fait l'objet. Aux expositions d'Anvers et
de Bruxelles, les Bangala étaient représentés. Le docteur
V. Jacques, secrétaire de la Société d'Anthropologie de
Bruxelles, en a profité pour les étudier aux points de vue
somatique et physiologique (i). Sans doute le nombre des
sujets n'était pas assez élevé pour permettre des conclu-
sions définitives. Mais les mensurations du D' Jacques ont
été faites suivant une méthode rigoureuse et il faut recon-
naître que ces études, comme les travaux antérieurs du
môme auteur, (voir plus haut p. 11) ont beaucoup con-
ti'ibué au développement de l'ethnographie congolaise.
(1) Bulletins de la Société d'Anthropologie de Britxelles. XIII (1894)
284-331 et XVI a897; 1^3-244.
LA
mmïïm iiïïÉiiÂiiiE des mmm ntmi
Les portraits du Roi Messie que l'on a con.teinplës jus-
qu'ici (i), et que les meilleurs ei'iticjiies atlinnent avoir
été crayonnés, soit un peu avant, soit dans le temps même
où l'on composait les Paraboles d'Hénoch, sont de nature
à faire ressoitir tout ce qu'il y a d'original dans la phy-
sionomie du héros messiani(|ue (ju'elles nous révèlent.
Cependant une question préalable, de la plus grande
importance, nous retient encore. Le Messie des I*araboles
est-il un personnage unique ? N'apparait-il pas plutôt avec
des traits disparates, et n'est-on pas amené à cette idée
d'une reproduction, en surchai'ge sur l'original, d'une ou
de plusieurs autres ligures (|ui concorderaient plus ou
moins entre elles ? Sans doute, un seul et même écrit a
pu relater ou mettre à [)rolit des traditions fort diver-
gentes ; évidemment un auteur d'apocaly[>se, écrivant à
l'époque de syncrétisme que l'on sait, était tout disposé,
comme le dit fort bien Clemen (2), à apposer l'une à
l'autre ou à mélanger des conceptions aussi diverses que
(1) Cf. Muséon N. S. 1905, pp. 129- 139, 19Uiî pp. 231-24S.
(2) Die Zusammensetzung des Bûches Henoch. TlieoL... — Stud. u Kiit.
1898, p. 211.
â8 LK MUSÉON.
les motifs qui les inspirent. Mais il n'en faut point rester
là, et, dans l'espèce, notre premier souci doit être de
savoir si les Paraboles sont un ouvrage un ou composite ?
La réponse à cette question n'étant point douteuse (i),
nous avons à chercher, pour autant que cette recherche
est possible, quelles ont été les sources de l'écrit qui
nous occupe, ou plutôt quels sont les documents reflé-
tant peut-être des traditions divergentes, dont les restes
peuvent encore se découvrir en Hen. XXXVII-LXXI.
Ce travail essentiel étant des plus délicats, et laissant
trop souvent à celui qui s'y livre avec le plus de soin
l'illusion de ramasser, au lieu des documents brisés qu'il
croit, quelque sable de nulle importance dont le reflet
(1) En effet, ceux-là même qui comme Martin (Le livre d'Hénoch, Paris
1906) déclarent que - dans son ensemble, le Livre des Paraboles parait
d'une rédaction homogène " (p. LXXXII), sont les premiers à relever les
interpolations qui sont venues rompre cette soit-disant unité ; et ces inter-
polations sont en noml^re si considérable, et se groupent parfois de telle
manière, qu'il vaudrait mieux tout simplement parler du caractère com-
posite de récrit Hen. XXXVII-LXXL Le temps n'est plus où l'on discutait
sur l'unité de plan du livre d'Hénoch tout entier, et où, critiquant l'œuvre
d'Ewald qui avait inauguré les recherches de critique littéraire en cette
matière, Phihppi écri"ait très ônergiquement : " Dièse Zergliederung des
Bûches ruht auf willkùilichen unbegrùndeten Hypothesen, sic ignorirt
die kunstvolle Anlage des ganzes Werkes und wurdige den geistreichen
Verfasser zu einem geistlosen Compilator herab... » (D. Buch Henoch,
p. 14). Chose intéressante à noter ! Ceux-là même qui parlent assez légè-
rement du travail consistant « diejenigen Stellen einer Apokalypse, die
der Hauptmasse widersprechen, auszuscheiden und mehr oder minder
willkurlich einer oder mehreren Quellen oder Ueberarbeitungen zuzu-
schreiben «, supposent très fermement acquise, p. ex. la distinction du
livie des Paraboles, qu'après Krieger et Lùcke, Ewald, que l'on condam-
nait alors pour cette même raison de « Willkùrlichkeit », avait bien mise
en lumière. Aujourd'hui, l'on pourra admettre que, non-seulement le livre
d'Hénoch dans son ensemble, mais encore la section des Paraboles, est
l'œuvre d'un compilateur, qu'il sera toujours loisible de qualifier à volonté
« geistreicher » ou geistloser ».
LA COMPOSITION LITTÉllAIIŒ DES PAUABOLES DIIÉNOCII. 29
brillant a trop inipressioniio sa vue, il convient d'ores et
déjà d'énoncer ({uehpies principes qui pouri'ont diriiici- le
jugement dans l'appréciation des textes, le discernement
de leur parenté ou de leur opposition récipro(|ue, et assu-
reront, du moins en (piel([ue manière, l'objecliviti' des
pages suivantes.
11 me parait d'abord (jue, i-ègle générale, la présence
en divers passages de mots ou de locutions ayant un sens
plus spécial en ces [)assages ne permet j»ms de conclure
fermement à la [)arent('' j)rimitive de ces textes : ce pro-
cédé qui serait assez sûr, si nous j)ossédions l'original
d'un ouvraue, le devient moins, s'il ne nous en reste
qu'une version, et l'est bien [»cu, si nous en sommes
réduits — et c'est malbeureusement le cas — à une ver-
sion de version. Entre des mots paraissant synonymes,
un li'aducteur peut bésiter, et un second, accentuer davan-
tai;e encore les nuances éloignant le mot ti-aduil du sens
[)récis ([u'il avait dans l'original. Dans tel passage du
livre des Paraboles, le terme (jcj/iisini est l'ései-vé aux
anges (v. g. LXl <S, et 10 on il devient ré([uivalent de
liajjela sawàjât), et l'on peut avoir ([ucbjue tendance à
croire (}u'il en allait toujours de la sorte dans l'original ;
mais aujourd bui, nous le lisons à coté ou à la place de
sediujfiH et /icrujdn, comme désignation des bommes
justes, soit encore [jrésents, soit dispai'us de ce monde
(v. g. L I, Ll 2). — (Cependant rinbabilet('' ou l'inatten-
tion des traducteurs ne l'ont pas tout : et il y ;i l)ien
plusieurs cas, où l'on ne saui'ait certes les mettre en
cause, et où le sens spécial (ju'il convient d'atti-ibuer à
un terme a été certainement voulu de l't'crivain original.
C'est alors avec justice (|ue de la diversité des sens on
pourra conclure à la diversité des auteurs.
50 LE MUSÉON.
Une rupture dans les textes et l'apparition d'un frag-
ment hétérogène seraient à constater chaque fois que, dans
un même morceau, l'on passe du style indirect au direct ;
voilà, du moins, ce que suppose Appel qui en vient là à
un principe assez hardi de critique (i). Et, de fait, non-
seulement les Sémites, mais encore les peuples simples
de l'Orient et d'ailleurs, ne trouvent-ils pas naturel qu'un
récit, une phrase même, commencée en style indirect se
continue dans le direct, ou inversement ? La transition,
si elle ne va pas de soi, se fera par une incise introdui-
sant les paroles ou en marquant la fin, et cette variété
donnera plus de vie à l'ensemble. Mais conclure de ce
rapprochement à un recollage de morceaux serait assez
aventuré, et plus d'un pensera, sans doute, qu'un œil
bien pénétrant pouvait seul deviner une fêlure, p. ex.
entre Hen. LXIII 1-11, et LXIll 1:2 (2) où la conclusion de
tout le passage est mise, assez maladroitement, du reste,
dans la bouche de Dieu.
De ce qu'une vision suit une apocalypse, et (ju'au tout
succèdent quelques pieuses exhortations, il n'y a de soi
rien à conclure. Mais il faudrait conclure à l'unité de ces
pièces, si, comme l'assurait Philippi (3), entre autres, celle
qui suit expliquait la précédente, en déterminait le sens
et la portée d'une manière plus explicite. Au contraii'e, il
I
(1) Die Komposition des aethiop. Henochbuches, dans Beitrâge z. FOrder.
christl. Theol. 1906, III. L'auteur de ce travail, que l'on a été tieureux
de pouvoir utiliser, ne s'est malheureusement pas astreint à toute la
rigueur de méthode désirable, et il a trop oublié qu'à une époque de
remue-ménage d'idées, certaines conceptions peu cohérentes ont pu
voisiner dans les mêmes cerveaux avant de voisiner dans les mêmes
livres (cf. Schûrer, dans Theol. Literaturzeit. 1907, 9, 265). Ceci rend, du
reste, délicate toute recherche en la matière.
(2) Appel 40 (252).
(3) 1. c. 14, pass.
LA COMPOSITION LIÏTÉKAIRE DES PABABOLES d'iIÉNOCH. 51
serait juste d'estimer garantie leur diversité d'origine, si
ces pièces dénotaient des préoccupations par trop diverses
et qu'il résultât de leur rapprochement immédiat quelque
incohérence qui n'est point dans la nature ; à plus forte
raison, si elles venaient à se heurter, en amenant côte à
côte deux idées opposées et contradictoires. 11 n'y a pas
de logique dans les Apocalypses, dira-t-on, et elles i-ecueil-
lent au hasard les traditions les plus diverses. J'en con-
viens : mais avant d'être cristallisées dans une commune
agglomération, ces traditions se sont flottées, ont perdu
de leur état brut, se sont habituées à aller ensemble. Une
fois tout ce tassement accon)[)li, idées, traditions, espé-
rances, auront encore quelque chose de disparate — il
n'en peut être autrement — , mais ce disparate chei'chera
à se dissimuler, et Ion peut tenir assui'é (ju'un auteur,
même d'Apocalypse, prendra soin de ne point mettre en
évidence un défaut qui montrci'ait trop le factice de son
œuvre.
Ce sont là (juelques réflexions générales qu'il était, me
semble-t-il, utile de faire tout d'abord, avant d'en venir
à scruter notre terrain et à chercher les sources des Para-
boles d'Hénoch.
Un texte de nature à projeter un assez gi-and jour sur
la composition de notre écrit est celui que nous lisons en
LXVm 1, et qu'il convi(;nt d'examiner avec soin. « Mon
grand-père Ucnoc/i me donna dans un livre les signes
[te' mcrta) de tous les secrets, et les paraboles {mesâljâta)
qui avaient été données à lui-même, et il les réunit pour moi
dans le texte du livre de la Parabole (niasliaf za-mesâlê). »
Celui qui parle est le [)etit-fils d'Hénoch, Noé : la réflexion
se lisait donc en dehors du recueil concernant Hénoch,
dans des textes racontant quelques légendes noachiques.
32 LE MUSÉON.
Rappelons simplement que Dillmann (i), Ewald, Witti-
chen (2), Tidemann (5), Lipsius (4), Thomson (5), Charles,
Clemen, Schûrer, Béer, Baldenspert;er, Martin, Appel
sont d'accord pour reconnaître empruntés à ce cycle noa-
chique divers passages de notre livre des Paraboles, parmi
lesquels ils rangent d'oi'dinaire les suivants, XXXIX 1-2^,
LIV 7-LV 2, LX au moins partiellement, LXV-LXIX 25 ;
que ces textes qui tranchent sur le reste du livre, comme
Charles entre autres, l'a fort bien montré (p. 145 sq.), ne
sont point à considérer comme des fragments détachés
d'un même ouvrage, et qu'il y aurait lieu de suivre
l'exemple d'Appel (pp. 71-76) et de distinguer plusieurs
légendes, probablement d'époques diverses, ici embrouil-
lées. Ce travail n'a point à nous retenir. 11 nous sutïit
simplement de constater que l'un des rédacteurs des écrits
noachiques a connu comme indépendant ce qu'il appelle
le Livre de la Parabole, et qu'il sait que les soins pré-
voyants d'Hénoch ont réuni deux écrits dans ce même
Livre. Ces deux écrits, il nous les nomme, et nous laisse
le soin de découvrir ce qui, dans les chapitres XXXVII-
LXXI, peut bien correspondre à leur signalement.
Le premier, qui était contenu dans un livre, ou qui à
lui seul formait ce livre (e), traitait « des signes de tous
(1) Das Buch Henooh.
(2) Die Idée des Reiches Gottes.
(3) Th. Tyd. 1875. De Apokalypse van Henocli et het Essenisme.
(4) ap. Smith. Diction, of Christian biography II 124.
(5) Books that influenced our Lord and his Apostles.
(6) Je crois pouvoir conclure que la locution ba-mashaf se rapportait
seulement à ce qui précède, non aux deux termes de l'énumération. Sa
place dans la phrase est suffisamment caractéristique, et si déjà l'on eût
voulu nous apprendre que dans un livre, dans un même livre, se ti'ou-
vaient à la fois le premier et le second écrit, toute autre addition sur le
mélange de ces deux écrits dans un même livre, à savoir, celui de la
Parabole, eût été une redondance parfaitement inutile.
LA COMPOSITIOX LITTÉRAIRE DES PARAROLES d'hÉNOCH. 55
les secrets ». Ce n'est pas bien clair, et Ton comprend
sans peine que de bonne heure on ait cherché, au prix
même d'un remaniement, à obtenir un texte moins
ambigu et plus explicite. Le ms. M (XVIIP s.) nous donne
la lectui'C : ce // me donna tous les secrets des signes et les
secrets ». Les « secrets des signes » se comprennent mieux
que « les signes des secrets », et peuvent s'entendre
notamment du caractère mystérieux des constellations
zodiacales (cf. XLVIII 5, où ta amer a ce sens). Mais ms.
M ne peut prévaloir contre la leçon commune, et la seule
répétition du mot « secret » montre suffisamment qu'on
a retouché le texte — Béer suppose une confusion entre
temkert, doctrine, et temert. L'on obtiendrait dès lors
un sens tout-à-fait satisfaisant : Hénoch a donné à son
petit-fils dans un livre la doctrine ou les enseignements
concernant tous les secrets. Il faut avouer que cette lec-
ture est bien attrayante : mais alors, s'il y a eu bévue des
copistes reproduisant la version éthiopienne, la leçon
fautive a seule pi'évalu dans tous les mss. que nous con-
naissons pour l'instant. — Martin, et, avec quelque hési-
tation. Appel, essayant de s'accommoder, vaille que vaille,
de notre texte actuel, nous renvoient au Lexicon de Dill-
mann (col. 755), et traduisent, explication. C'est là une
traduction qui n'est pas « autorisée par d'autres passages
semblables », mais seulement par l'analogie du seul texte
Levit. Vili 8 : encore faut-il reconnaître qu'elle ne rend
parfaitement le grec des Sept. o/iXwcyi.ç, qu'en se référant
au sens original de l'hébreu traduit D"il5<. Peut-être y
aurait-il lieu de serrer davantage le mot grec et de tra-
duire, manifestation ; ou bien, d'entendre au sens concret,
la chose même qui est manifestée (grec : ôT,Xw[ji.a). L'on
arriverait ainsi tout près du sens exact de ce mode inten-
Oi LE MLSÉON.
sif 11! ^ (se cognosfendum praobere), dont le substantif
étliiopien (quod eognoseenduni se [)i'ael)et aut praebuit)
dérive direetenient (i). Notre texte se traduirait donc litté-
ralement : Hénoeh me donna dans un livre ce qui s était
montre {à lui) de tous les secrets ; e'est-à-dire, il me fit
part des seei'ets dans la mesure méine où ils lui avaient
été eondés.
Quel (ju'ait été le sens préeis de roriii:inal, une chose
ressort avec clarté de notre texte, et c'est qu'un premier
éci'it inséré plus tard au « livre de la Parabole ?) apportait
divei's renseignements sur les secrets. Qu'est devenu cet
écrit? Ap[)el (p. il) suppose cpae les parties qu'on en
pourrait découvrir sont à chercbei- dans le voisinage immé-
diat de la notice (jui en fait mention. Mais XXXVII 1 sqq.
est égalenu^nt une notice (jui introduit une (euvre litté-
raire, et, de l'aveu du même ci'itique, les fragments qui
l'csleraienl d(> cette (cnvre sont dispersés de droite et de
gauche dans notre livre des Paraboles : pourquoi en irait-
il d'autre sorte dans le cas pi'ésent ? C'est, répondra-t-on,
qu'ici la petite notice se préoccupe d'acci'éditer le livre
des Secrets, et (pi'il est nécessaire, pai' eonsécpient, que
l'écrit recommandé soit là présent j)()ur recevoir le bon
témoignage «iiTon porte sur son coinjite. Si l'on observe,
d'autre part, (|ue les fiagments (pii précèdent cette notice
api>articnnent connue celle-ci au cycle de Noé, il en résul-
tera (pic le livre des Seci'cts n'est j»oint à chercher ailleuj's
qu'en LWHI l-JAIX '25 (ii). A dire viai, tout ce raisonne-
(1) Cf. li-irtli, l)io .Noiiiiiialbildiiiip;- iii dcn scniit SiH'aclien, p .'S04.
(2) Mit (loin Hucli tler /oiclu'ii dei- (iclieiniiiit;se wird ein (u-tlicli dieser
No'iz iialioslehendcs SUick ^^omoiiit sein, das hier bogijuibi^t werden
soi!. Nun bieibt liieil'iir uber dor voiaiisehende iioanliisnlie Theil, kap.
c.ô ff., aiisier Botiaflilung, denn diet-cr staiumt ja obcn von Noali von
dem, wclcher die Notiz es, 1 bringt. So kann es sich nur um das l'olgende
Stiick bis (l'J, 2ô iiandeln. — 1. c.
LA COMPOSITION LITTÉIUIUE DES PAIUBOLES DIIÉNOCH. 55
ment repose sur une mauvaise compréhension des rensei-
gnements que LXVIII l nous apporte. L'auteur de cette
note avait apparemment un doul)Ie but en l'écrivant :
justifier tout d'abord la fusion de deux écrits qui se pré-
sentent sous le nom d'Hénoch ; introduire enfin le per-
sonnage de Noé, et, en le légitimant comme héritier des
livres de son grand'père, donner à lui-même, et, dès lors,
aussi à ses compositions littéraires, quelque chose de
l'autorité qui s'attachait au nom et à l'œuvre de son pré-
décesseur. Pourquoi conclut-on plutôt que c'est le Livre
des Secrets qui a besoin d'une garantie? Il n'y parait
guère vraiment. Les deux écrits fondamentaux sont placés
sur le môme pied : tous les deux contiennent le récit de
choses que vit Hénoch ou d'enseignements qu'il reçut ;
l'un et l'autre nous ont été transmis par le Patriarche ;
ils ont donc la même valeur, et on n'a pas idée qu'il en
puisse être autrement (i). Mais la réunion des deux écrits
ne doit point être sujette à des critiques prématurées :
c'est Hénoch en personne qui l'a faite, et cela, le lecteur
l'apprend de Noé lui-même qui en avait bien connaissance.
Au fond, les renseignements de la notice ne nous appren-
nent directement (|u'une chose : le Livi'e des Secrets, tout
comme les Paraboles, est à chercher en dehors des frag-
ments noachiques. Sans doute LXVIII 2-LXIX :25 a bien
des chances d'être étranger à ces fragments, ne fût-ce que
pour cette seule raison, que le personnage de Noé n'y
(1) L'on pourrait même aller plus loin, et affirmer que, si cette première
partie de la notice vise à garantir l'un j)lu.s que l'autre des deux écrits
mentionnés, cette garantie va moins au Livre des Secrets qu'aux Para-
boles. Le rédacteur, en eflet, a pris soin d'ajouter très-explicitement en
ce qui concerne ces dernières, - qu'elles avaient été données à lui-même »,
à Hénoch, et donc elles ont une autorité plus grande encore que la sienne
propre.
56 LE MLSÉON.
paraît plus en scène : mais alors, je ne vois pas ce qui
désigne spécialement ce passage, comme étant un reste de
l'écrit fondamental en question. On nous dit bien « qu'en
réalité, là plus qu'en tout autre endroit du livre entiei'
d'Hénoch, c'est de secrets qu'il est question «, et il y faut
souscrii'e. Mais, si l'on met à part les (juelques vers con-
cernant le nom caché et le serment de Kâsbe'êl, lesquels
provietment vraisemblablement d'un autre milieu, on
n'apprendra pas grand nouveau dans le passage signalé,
et on se rappellera trop les détails du même genre
qu'avaient donnés chap. Ylll et la tradition (juil repré-
sente. Le pis est que les données du prétendu Livre des
Secrets coi'respondent assez mal au signalement fourni par
la notice : d'abord elles proviennent on ne sait de (jui, et
cette façon impersonnelle de nous l'enseigner laisse peu
de (chances qu'Hénoch ait jamais été présenté comme l'au-
teur du morceau ; la plupart des seci'cts dont il est (|ues-
tion sont des secrets mauvais, et je ne vois pas (ju'une
note de ce genre soit à supposer le moins du monde en
ce que dit le petit texte LXVIll I qui guide nos recher-
ches ; enfin et surtout, on nous appoite ici, non point les
renseignements annoncés sur les secrets, mais bien [)lutôt
des renseienemeuts sur l'origine de la connaissance,
aujourd'hui devenue générale, de certains se(;i'ets, ce (jui
n'est pas du tout la même chose. J'en conclus (ju'il faut
cherchei' ailleurs, et avec plus de méthode.
Jusqu'ici nous avons parlé « des secrets », en nous con-
formant à la teneur même du texte LXVIII 1, mais il serait
bon que Ion pût j)réciser davantage une dénomination
trop vague, que le rédacteur su[)pose, du reste, parfaite-
ment compréhensible pour nous, et que nous ne compre-
nons point pourtant si facilement. En dehors des fragments
LA COMPOSITION LITTÉUAIllli DES PAUABOLES DIIÉNOCII. 57
noachiquos, lo terme liebuât pai-aît, soit coinine substantif,
soit comme adjectif, dans les passages des Paraboles dont
nomenclature : XXXVIII 5, XL -2, 8, XLl I, 5, XLIII 5,
XLVI -2, 5, XLVIII 0, XLIX 2, i, LI 5, LU 1,2, 5, 5, LVIII
5, L(X 1, 2, 5, LX ll,LXI5, LXII 7, LXIII 5, LXIV 1 —,
passages qui peuvent se classitiei* ainsi qu'il suit.
1" Cboses cachées, a) Astronomie. XLI ô'\ 7)^, LU 1,
? LIX 1, 2, 5.
b) En dehors d'astronomie. Communauté des justes
XXX\ III 5. — Fils de 1 homme XLVIII 6, LXII 7.
2" Choses qui doivent arriver dans l'avenir. XLl 1,
? LU 2^
ô" Locutions stéréotypées : secrets de justice, de sagesse.
? XLVI 5, XLIX 2, LVIII 5.
4° Enfin ce terme est reproduit régulièrement toutes les
fois qu'il est fait mention de « l'Ange qui était avec moi
et me révélait tous les secrets » (i) ; hormis en XL 8, il ne
l'est jamais, au contraii'e, alors qu'apparaît « l'Ange de
paix qui allait avec moi. »
De cette vue d'ensemble, il résulte que, dans les Para-
boles, le terme liebuCU est employé de préférence pour
désigner les choses de l'astronomie, c.-à.-d. les secrets des
deux qui sont ces astres se mouvant suivant certaines lois
cachées, ou ces phénomènes de la nature inexplicables
pour l'homme qui na point reçu une connaissance nou-
velle par une révélation d"En-Haut. Chaque section astro-
(1) Abstraction faite toutefois de LU 3 et de LXl 3. De LXI 3, nous aurons
à parler plus loin. En LU 3, « l'ange qui était... « est amené en scène,
alors que le mot " secret r> venait d'être coup sur coup prononcé deux
fois : une troisième mention survenant encore eut été inutile pour dési-
gner l'ange parfaitement annoncé par ce qui précède, et fût devenue
décidément fastidieuse.
58 LK MUSÉO.N.
nomique des Paraboles d'Hénoch est annoncée tout d'abord
comme concernant « les secrets des éclairs et du tonnerre,
les secrets des vents.... » — Mais il n'en faut point rester
à une constatation aussi générale. 11 y a lieu de remar-
quer, et ceci apportera à notre sujet un éclaircissement
notable, que l'emploi du mot liebuCit dans une liaison de
ce genre est particulier aux Paraboles : on n'en trouve
point trace dans les récits d'exploration (chap. XVII-
XXXVll); et, dans cette partie d'Hen. qui s'intitule « Livre
du changement des Luminaires célestes » et qui pourtant
traite de l'astronomie ex professo, il est question, non
plus de liebuài, mais de serût ou de te'zzOz. Les phéno-
mènes de la nature sont envisagés à un autre point de vue :
ce ne sont plus des secrets dont l'explication et la connais-
sance dernière dépassent les forces humaines ; ce sont des
manifestations réglées par les ordonnances et les comman-
dements divins. Ceci se comprend mieux dans une disser-
tation scientitîque-théologique ; cela est tout juste approprié
à un journal de voyage merveilleux. Le livre où Hénoch
contait « ce qui s'était montré (à lui) de tous les secrets »
a toutes chances de nous avoir entretenu des mystères
astronomiques, et il parait bien que les révélations pré-
cieuses qu'il avait reçues lui-même, et s'était empressé de
nous transmettre, ont été conservées — hélas ! en partie
seulement — dans les fragments épars, XLI 3-9, XLIII
1-3, XLIV, LIX.
En même temps que le Livre des Secrets, Noé avait
connu « les mesâljât qui furent données à Hénoch » :
qu'étaient ces écrits et que sont-ils devenus ?
Dans notre livre d'Hen., le mot mesâlë se trouve employé,
1, 2 (du moins, d'après grec), 3, XXXYH 5, XXXVHI 1,
XLV 1, LVII 5, LVHI 1, LXIX 29. H faut ajouter encore
LA COMPOSITION LITTÉlUlIlE DES PARABOLES DU ENOCH. 59
XLIII 4, qui survient à la tin d'un chapitre probablement
modifié (i), et où il conviendrait de traduire mesâlë,
« sinnbildliche Bedeutung », suivant Iheureuse formule
de Béer, si l'on se tenait pour obligé à tenir compte néan-
moins de tout le contexte. Dans le fragment noachique
LX i, le même terme se présente encore: mais là, son
sens est tout différent, et il faut entendre, vision. Selon la
remarque de Charles (p. 155), l'interpolateur a voulu
jouer à l'auteur des Paraboles, et dans son style il enchâsse
telles expressions se faisant assez remarquer dans le texte
original, mais (jui deviennent de faux brillants entre ses
doigts, et dénoncent assez le faussaire dont la maladresse
les a employées comme il ne convient pas. Dans le cas
présent, l'auteur des Paraboles ignore ce sens nouveau de
bwû, et traduit toujours vision, raei (XXX Vil i^'', XXXIX
4, LU 1) (2).
Si l'on en vient maintenant à reprendre les passages
signalés et à considérer tout d'abord Hen. I, l'on pourra
reconnaître que le terme mesâlë vise directement, non
point le contenu de ce même chapitre, mais le contenu
de ceux qui suivent, c'est-à-dire II-V. Les phénomènes de
la nature s'accomplissent régulièrement les uns après les
autres, et les astres suivent sans aucune transgression la
voie que Dieu leur a tracée : c'est avec une discipline
analogue que les hommes devraient agir, eux qui, en
péchant, refusent de se soumettre aux ordres de Dieu. Il
(1) L'unité primitive du chapitre est des plus douteuses, et l'on ne
saurait que souscrire au jugement très sage de Dillmann (p. 153) et de
Martin (p. 91). Le groupe XLIII 1-3 se range plutôt parmi les fragments
astronomiques, et je l'ai envisagé comme faisant vi'aisemblablement
partie du Livi'e des Secrets.
(2) En dehors des Paraboles, voir Hen. I 2, XIII 8, 10, XIV 1, 4, 8, 14.
40 LE MISÉON.
y a comparaison et masal au sens habituel du mot. Je ne
vois pas qu'il en aille de même en quelque endroit des
Paraboles, si l'on excepte toutefois XLI 5 (Livre des
Secrets), où la même comparaison est plutôt sous-enten-
due que nettement exprimée. Supposer donc qu'un même
sens doive s'attacher au mot mesùlc, qu'on rencontre
celui-ci en Hen. I ou au livre des Paraboles (i), n'est peut-
être i)as absolument exact. 11 vaudrait mieux dire que,
dans ces chapitres XXWIl-LXXI, le terme en question
exprime une idée qui convient à tout cet écrit fonda-
mental dont parlait le Pseudo-i\oé, (jui convient même,
dune cei'taine manière, à la compilation des deux écrits
fondamentaux signalés, puisque l'un d'eux est appelé
mcsfiljût et (pi'à lensemble on donne le nom de mashaf
za-niesâlP. Or, s'il faut eu croire Kœnig, le sens habituel
de c( Parabole » est justement celui qui convient dans l'es-
pèce : et la raison en est, que dans ces chapitres XXXVII-
LXXI c( des phénomènes et opérations de la sphère supra-
terrestre sont employées pour décrire la fortune terrestre
du royaume de Dieu » (2). Cela n'est pas juste. Si on met
de côté chap. XLIll pour le motif que j'indiquais plus
haut, il serait dilHcile de trouver quelque texte des Para-
boles qui opposât l'une à l'autre une scène du monde
céleste en qualité de prototype ou de double et une scène
analogue du monde terrestre, selon qu'il en va, par exem-
ple, dans les conceptions religieuses babyloniennes ; de
plus, le royaume messianique des Paraboles n'est point
si décidément un royaume terrestre, et il y a bien quelque
(1) Appel p. 79 (291).
(2) Phenomena and pi'ocess of the superraundane sphère are employed
to illustrate the earthly fortune of the kingdom of God — ap. Hastings,
Dict. of the Bible III 661.
LA COMPOSITIOIN L[ Tl i:ilAlUI': hi:s l>AUABOLES d'iIÉNOCII. 41
pai't un texte qui atïii-me des citoyens de ce royaume à
venir « qu'ils deviendront tous anges dans le ciel » (Ll 5).
H vaut mieux reconnaître au mot mesâlë, pour autant
qu'il se présente en Hen. XXXVll-LKXI, une signification
plus générale, et, d'ailleurs, assez imprécise : selon le
terme allemand, UUdcrrcde, on pourrait traduire avec
assez d'exactitude, discours figuré. De même qu'on appe-
lait masal la parabole proprement dite qui soutient la
comparaison entre deux ordres de faits, de même il se
peut que, par dérivation, l'on ait attribué ce nom aux
productions poétiques, dont la comparaison était l'orne-
ment habituel : et l'esprit se reportera tout naturellement
à Job XXVII 1, aussi peut-être XXXIX 1 (i).
LXVIII 1 (suite). « Mon grand-père Hénoch me donna...
les discours figurés qui avaient été donnés à lui-même ».
La phrase est incorrecte, et de nature à éveiller peut-être
quelques soupçons : passe que l'on donne en héritage un
recueil de discours, mais l'o'-i aurait quelque embarras à
léguer ces discours eux-mêmes. Une première interpréta-
tion se présente à l'esprit tout natui'ellement, et c'est qu'il
faudrait renoncer à ce que je disais tout-à-l'heurc, puis
entendre le mot mesâlë dans le sens tout spécial qu'il a en
LX 1, puisqu'aussi bien le rédacteur noachique a rédigé
(1) C'est là, ou peu s'en faut, l'avis de Charles. « bUJ/J is uscd pretty
much in the same sensé liere as in Num. XXXII 7, 18, oi' Job. XXVII 1,
and means merely an elaborate discourse, wiiether in the ibrm of a
vision, a prophecy, or a poem Its objcct is generally parenet'c n (p. 111).
Néanmoins, étant donnée la diversité de formes sous lesquelles savent
se présenter les enseignements ou les exhortations données en XXXVII-
LXXI, on peut trouver trop exclusive la traduction MaJiwcde de Flem-
ming-Kadermacher. Bien qu'il soit critiquable, gardons encore le teime,
Parabole : depuis Dillmann, il a bien acquis droit de cilo, et on doit lui
reconnaître, au moiTis, cet avantage, de rappeler le sens original du
mot mesâlc.
3
4^ LE MUSÉON.
l'un et l'autre de ces textes. A dire vrai, nous n'en serions
pas beaucoup plus avancés : on ne donne pas plus en héri-
tage des visions que des discours, mais seulement des
récits de visions comme des recueils de discours. Il faut
reconnaître simplement que notre auteur n'a point souci de
châtier son style, et qu'il renouvelle une incorrection qu'on
eût pu signaler déjà plus haut : « Hénoch me donna ce
qui (lui) avait été montré des secrets (célestes) ». Cette
manière de parler assez étrange rappelle une autre formule
tout aussi gênée, et qui, sans le moindre doute, devait
iniluencei' lauleur de la notice : « Et il y eut pour moi
(Hénoch) trois paraboles » (XXXVII 5). La pluralité des
récits qu'on annonce en ce texte est indiquée une fois
encore par le })luriel mesâljât de la notice, pluriel que le
ti'aducteur éthiopien oppose au singulier mesûlê réservé
pour désigner tout le livre : entre LXVIII I et XXXVIl 5
il y a entente complète. Si l'on peut donc utiliser les ren-
seignements appoi'tés par ce dernier chapitre, l'on recon-
naîtra que l'écrit fondamental mesûljât comprenait : 1" une
vision (XXXVIl 1), ce qui suppose évidemment les explica-
tions les plus strictement nécessaires pour qu'on y entende
quelque chose, et ce qui n'exclut point, du reste, les
exhortations mojales qu'à cette occasion on peut juger
pi'olitable de faire ; — 2° un discours de sagesse (XXXVIl
2). De l'une des parties il est donné connaissance en même
temps que de l'autre, ou plutôt la venue d'un discours de
sagesse est annoncée entre temps, alors qu'auparavant et
qu'ensuite on disait assez haut qu'une vision nous serait
contée. Ceci rappelle assez le début d'Hen. : là aussi il
était question pour commencer d'une parabole que dirait
le Patriarche (vers. 2, grec) ; puis l'on s'oubliait à parler
de vision céleste, à noter avec soin quels étaient les desti-
LA COiMPOSITION LlTTÉIlAlUi: DES 1>AUAB0LES D IlÉNOCIf. *0
nataires de l'éci'it, ceux (jui devaient prétei' une oreille
docile à la leçon sainte (^'', comparer avec XXXVIl :2''-i) ;
enfin, et seulement après toute cette parenlhèse, on son-
geait à faire le récit de la parabole annoncée.
Il convient d'établir une autre comparaison entre Hen. l
qui introduit au moins les premiers chapitres de notre
Apocalypse, et Hen. WXVII qui. Ton [)eut en croire JNoé,
sert de préfaceà l'écrit fondamentab/je.sr///r/^ Hen. I indique
tout de suite le sujet qu'il aborde, et cela pour la plus
grande commodité du lecteur : « sur les élus, je parlerai, et
je prononcerai un masal sur eux. » Cette bonne habitude est
aussi en partagea l'auteur d'Hen. XXWII-LXXl : la seconde
parabole concernera « ceux qui ont renié le nom de l'ha-
bitation des saints et le Seigneur des Esprits » (XLV 1) ; la
troisième est annoncée comme « touchant les justes et les
pécheurs » (i). P;ir un scrupule d'exactitude, ce même
auteur prend soin, après ses second et troisième mesalim,
de prévenir le lecteur qu'il a fini et que l'on ne doit pas
en attendre davantage : « Ceci est la fin de la.... para-
bole » (LVH 7), LXIX '20). Quant au premier masal, il
n'a dans notre texte ni formule introductoire (-2) ni for-
mule conclusive : étant donné le soin de fauteur d'en
(1) Pourquoi Charles ccrit-il : « It is idie to cxpeot an accurato descrip-
tion of tlie contexts of tlie Similitudes from tlie openiny verses of supe.--
scription. We lind none suoli in XXXVIII I, 2 nor yet in LVllI 1, 2 « ?
(p. 125). Ce dernier point n'est pas exact : qu'est-ce donc que LVIII 1 sinon
une formule introductoire ?
(2) On ne saurait considérer comme formule d'introduction les deux
mots secs qui se trouvent en tête de XXXVIII 1. " Parobole première » :
ceci est un numéro d'ordre tout simplement. De plus, l'opinion d'Ewald
n'a rien de vraisemblable, que cette première Parabole •' sfinor Ueber-
schrift nach (il vise XXXVII 2, wieder insbesondere uber die Gcheimiiisse
der Weisheit handeln soUte ». Cliap. XXXVIl est une introduction géné-
rale au livre, et ne fait pas réellement partie de la première Parabole.
44 LE MUSÉON.
pourvoir toujours ses pièces, on peut conclure avec la
plus grande probabilité qu'il ne les a plus. Or, disons-le,
on conçoit sans peine qu'un rédacteur ajoute début ou
conclusion habituelle à une pièce rapportée, et, s'il faut
en croire Appel (p. 57), ce serait peut-être le cas de LVII
5*^ ; mais l'on ne conçoit point que conclusion ou début
aient été biffés de gaité de cœur en queue ou en tête de
pièces authentiques qui les possédaient. Dès lors, chap.
XXXVII et XLÏV tiennent indûment la place des notices
introductoires et conclusives aujourd'hui absentes, et aux
deux bouts de la Parabole on a mutilé en quelque manière
le texte original.
Puisque les introductions aux deux dernières paraboles
sont heureusement restées en place, il nous est loisible
de rapprocher des sujets annoncés ceux qui sont traités
réellement dans le corps de chaque section. Or, si nous
en venons à ce travail, nous constaterons, après tant
d'autres, que le contenu de la deuxième parabole ne con-
corde point avec ce que l'on pouvait attendre trouver.
Pour éviter sans doute de faire une constatation aussi fâ-
cheuse, Dillmann a compris dans le titre de cette parabole
tout le chapitre XLV : mais ce procédé est manifestement
abusif, et ch. XLV manque même d'unité. Le changement
de style au vers 3 s'y fait sans transition ni avertissement
d'aucune sorte : Hénoch ou le rédacteur nous parlaient,
et voici que nous entendons maintenant la voix de Dieu ;
on nous entretenait du sort futur des pécheurs, et main-
tenant, quelle que soit d'ailleurs l'obscurité du vers. 3
que son contexte naturel n'est plus là (i) pour éclairer, il
(1) Ce vers. 3, dans un tel milieu, est assurément énigmatique. Quels sont
ces personnages que l'on a en vue, dont les actions sont " choisies >? par
lElu ? Cette expression a de quoi surprendre, mais elle a chance cependant
LA COMPOSITION LITTÉRAIRE DES PARABOLES d'iIÉNOCII. 45
paraît bien qu'il s'agisse d'un tri parmi les justes vivants
et des récompenses qui doivent leur revenii'. — A ren-
contre de Dillmann, Drummond, je n'en nomme pas
d'autres, estime que l'on doit maintenir fermement le titre
donné en XLV \, mais qu'il faut lâcher les parties même
de la Parabole qui n'y correspondent point, c'est-à-dire
tous les fragments messianiques (i). Pour être logique, il
eût fallu rejeter encore bien d'autres choses : chap. Ll qui
décrit la résurrection des morts, LU (passages de « l'Ange
qui était avec moi »), LIV qui s'intéresse trop à Azazel et
à ses troupes impies, LVII qui conte vraisemblablement
le retour de la Diaspora dont on n'a cure, etc. — Du
reste, cette œuvre d'épuration doit s'étendre à la troisième
Parabole. En dehors des fragments noachiques, et des sec-
tions astronomiques, que de textes étrangers au sujet
annoncé, et qui ne parlent point « des justes et des élus ! »
Une partie du chap. LXI s'intéresse aux qcdusân et' au
Messie leur juge ; si l'on excepte LXIIl 15-16, le grand
d'être originale, et le traducteur étliiopien qui a disposé sa plirase de
manière à rapprocher les deux mots, herui-jajahari, avait sans doute
trouvé dans son texte un jeu de mots analogue. Les habitations [me'rd-
fommu, comme en XXXVIII 2, malgré le sens initial de 'arafa) des
pécheurs ne seront pas sans nombre, puisque ceux-ci ne doivent se trouver
ni au ciel ni sur terré (vers. 2) : une réflexion do ce genre se comprend,
au contraire, s'il est question des justes du temps messianique (comp.
Evang. Johan. XIV 2). Enfin l'apparition du Messie triomphant n'aura
point pour résultat - d'affermir « les pécheurs, mais tout à l'opposé, de les
rendre faibles et chancelants : comme une traduction de san'a (n!23) ,
endurcir^ ne donnerait point un sens plus satisfaisant, il reste que le
texte n'est pas à entendre des pécheurs, mais plutôt des justes demeurés
sur terre, lesquels ont été, sans doute, éprouvés et aflfaiblis par les vexa-
tions antérieures des méchants. De tout cela, il ressort manifestement
que le voisinage de ce verset a subi des altérations quelconques.
(1) « The very tille appears to me to excite a just preliminary doubt
against the messianic passages, and to offer us a key by which to discover
the original contexts ». The Jewish Messlah, p. 63.
46 LK MUSÉON.
fragment LXII-LXIV auquel il faut reconuaîti'e une certaine
un lié (i) vise tout juste le jugement final des pécheurs, et
c'est lui qui le dit dans sa formule conclusive (LXIII 12) ;
enfin au petit cha[)itre LXIV, les anges qui jadis perver-
tirent le monde reviennent égarés sur la scène que depuis
longtemps déjà ils avaient quittée. — Ainsi donc, les
introductions qu'on a mises en tête des Paraboles ne con-
viennent point à leur contenu, et vice-versa. Jusqu'à pré-
sent, on a moins remai'qué, — et la constatation mérite
pourtant d'être faite — qu'il en va tout de môme au début
du livre d'Hen. Les premiers versets du chap. I, déjà com-
parés plus haut à l'introduction générale chap. XXXVII,
annonçaient un masal sur les élus : à supposer que l'on
désignât par là le jugement décrit en I 7>^' sqq., il fau-
di'ait reconnaître, du moins, que toute la section suivante
II-V 7 procède d'autres soucis, qu'elle s'intéresse en appa-
rence à l'ordre et à la régularité des phénomènes de la
nature, et en réalité, aux fautes présentes et au châtiment
futur des pécheurs qui troublent l'ordre divin, n'observant
point la régularité morale prescrite aux hommes. On nous
donne là, en toute vérité (cf. supra p. 59), un masal sur les
pécheurs.
Toutes ces constatations montrent assez quel dédale
forment les Pai'aboles d'Hénoch, et quelle peine éprouve
celui qui doit s'y reconnaître : jusqu'ici, nous nous sommes
heurtés de toutes parts à des difïicultés qui ferment l'issue
vers une solution du problème. Avant de nous engager
dans une autre voie, il convient de mesurer le chemin
déjà parcouru, ou plutôt de noter les acquisitions diverses
que nous avons pu faire en cours de route. A côté des
(1) Cf. Appel, p. 40 (252), et infra.
LA COMPOSITION LITTÉUAIRE DES PAUABOLES DlIÉNOCII. 47
fragments noachiqvies que les exé^rètes ont indiqués, se
trouve dispersé dans les chapitres XXX VI [-LWI un certain
Livre des Secrets célestes, ou plutôt quelques fragments
de ce Livre, et ceux-ci sont vraisemblablement les sections
astronomiques XLI 5-9, XLIII 1-5,XLIV, LIX. Ln discours
de sagesse nous a été signalé en même temps qu'un récit
de vision, et il se peut ({ue l'on doive distinguer l'un de
l'autre. Le cadre dans lequel nous ont été gardées les Para-
boles n'est point solidement uni à ces Paraboles mêmes,
et celui qui a joint avec si peu de solidité ces pièces dis-
parates avait, en quelque manière, pris modèle sur l'as-
semblage des chap. I-YI d'Hénocb.
Les Paraboles d'Hénocb sont une réunion de textes ou
de documents séparés, et, dans une trame aussi fortement
serrée, on peut se demander quel fil saisir qui soit solide
et permette, en écartant les mailles, d'entrevoir par quels
entremêlements cette pièce fut faite aussi diversement
coloriée que nous la voyons. Ce fil. Appel, sur une indi-
cation de Béer (p. '227), déclare l'avoir trouvé sutïisamment
distinct et en tenir le bout au chap. LIL De fait, la men-
tion de« l'Ange de paix» jointe à celle de « l'Ange qui était
avec moi », la réponse du premier interrompant brusque-
ment celle du second, sont assurément choses qui doivent
surprendre, et l'on avouera qu'il serait impossible d'expli-
quer raisonnablement ce passage sans recourir à l'une des
deux hypothèses que voici. Le vers. 4, qui nous apporte
une réponse trop courte, apparemment tronquée, de
« l'Ange qui était avec moi », est un verset interpolé ; ou
bien, les deux anges et les deux réponses supposent deux
documents qui furent distincts jadis l'un de l'autre. Or,
s'il en faut croire Appel (p. 50 sqq.), la première hypo-
thèse n'a point à nous retenir, car les deux fragments
48 LE MISÉON.
ce stehen in dii'ektem Widerspruch miteinander » (i), et
rinterpolatcur le plus maladroit n'en viendra pas, sans
doute, à glisser sa rétlexion tout juste là où elle contredit
directement le contexte. Le Messie du vers. 4 est un héros
qui pour mener à bien son œuvre utilise les métaux cachés
qu'Hénoch avait aperçus, et assure ainsi sa puissance et sa
force sur cette terre (^2). Le Messie de vei-s. 5-9 est un per-
(1) Appel note ailleurs (p. 48), et il convient de noter, ainsi que nous
le verrons, la constance de cette opposition entre les fragments divers
où paraissent, d'un côté " l'Ange qui était... »>, de l'autre" l'Ange de
paix. »
(2) Il faut convenir que ce chap. LU est bien obscur, et qu'un littéra-
lisme absolu ne suffit point à l'expliquer. Il y a là du symbolisme, c'est
sûr ; mais tout est-il symbole, et quelles sont les réalités que l'on nous
découvre ainsi dans le mystère ? Question difficile ! S'il faut en croire la
plupart des critiques, les montagnes du vers. 2 sont les empires qui se
succéderont ici-bas, empires incai'nant à des époques diverses les puissan-
ces du mal, et qui disparaîtront miraculeusement un jour, alors que sera
venu le Messie, ou qu'apparaîtra le royaume nouveau, caché pour l'heure,
mais néanmoins planté ptw le Seigneur des Esprits (vers 5), et qu'il
révélera en son temps, le royaume de Dieu. Ne lit-on pas, en effet, que
ces montagnes sont les choses cachées qui doivent être [jekaun halo)
sur terre (vers. 2)? elles représentent donc les groupements politiques
importants de l'avenir. Tout ce développement aurait son parallèle en
Daniel II 37-46, avec cette différence pourtant que la personne du Messie
est mise ici en pleine lumière, avec cette dilî'érence encore qu'il est
question maintenant, non plus de quatre, mais de six montagnes. Ce
dernier changement peut trouver d'ailleurs son explication, et il con-
vient de rappeler les six autres montagnes qu'Hénoch aperçut jadis
(chap. XXIV), et qui entouraient une septième, laquelle était le ti ône de
Dieu (en tout, sept, nombre sacré). Peut-être trouverait on dans ce der-
nier rapprochement quelque motif de suspecter l'explication entièrement
symboliste du chap. LU : Hénoch, en XXIV voyait d'un coup d'œil toutes
les montagnes, parce que toutes choses étaient constituées dans leur
état définitif ; mais, au chap. LU, les choses sont dans leur état transi-
toire, puisque les royaumes terrestres ne sont pas encore venus (2, 5) ; ils
viendront probablement les uns après les autres, et pourtant, malgré
tout, le voyant les aperçoit tous qui sont encore groupés ensemble. Il y
a réponse à cela ; et l'on peut invoquer l'habitude des écrivains apoca-
lyptiques de confondre l'avenir et le présent dans une perspective indé-
LA COMPOSITION LITTÉIIAIUE DES PARABOLES d'hÉNOCH. 49
sonnagc doué de qualités siirnaturolles, dont la présence
mystérieuse fait fondre et réduit à néant ces mêmes métaux
finie ; l'on peut rappeler surtout la .statue symbolique de Nabucliodonosor
dont les quatre parties, actuellement et simultanément existantes, repré-
sentaient quatre l'oyaumes qui devaient se former les uns après les
autres dans l'avenir. Toutes ces raisons sont sérieuses, et je ne discon-
viens point qu'il y ait quelque rapport entre Hen. LU et Dan. II 37 sqq. ;
mais il faut voir si ce rapport n'est pas plutôt apparent, de surface, et
s'il atteint vraiment le fonds même des choses. On remarquera tout
d'abord que la septième montag-ne, celle qui serait la montagne de Dieu,
ne parait pas, et, à s'en tenir à l'explioation donnée, il faudra faire l'aveu
que le développement est incomplet et que l'auteur s'arrête justement
avant l'essentiel. De plus, ces montagnes sont " les choses cachées du
ciel », et l'on peut être surpris qu'à côté du Fils de l'homme, l'être bon
éternellement préexistant, se trouvent au ciel les puissances du mal
qui lui sont radicalement opposées et contre lesquelles c'est sa mission
de réagir sur la terre : Daniel nous avait habitués à un ordi'e moins
étonnant, et si le Fils de l'homme dans sa vision (VII 13) venait avec les
nuées du ciel, les royaumes teiTestres sortaient en leur temps des élé-
ments intimes du monde (VII 3). L'explication par Dan. II de tout ce
chapitre d'Hén. se heurte de plus à notre vers. 4. L'on ne voit guère
comment les puissances du mal serviront un jour à la gloire du Messie,
puisqu'elles ne se soumettent point à lui, et qu'il doit les faire disparaître
de cette terre. Ce n'est point, d'ailleurs, cette disparition qui prouve la
force du Messie, car, à s'en tenir au texte, la force et le pouvoir messia-
nique sont dépendants du service prêté par les éléments symboliques en
question (« tout cela sert à la gloire du Messie a/în qu'il soit fort »), non
pas existant entièrement de soi et prouvés seulement par l'évanouisse-
ment mystérieux des montagnes. Ce n'est pas tout. Ces mêmes montagnes
du vers. 2 sont à nouveau mentionnées au vers. 6, et il y a là un contexte
qui s'impose à l'attention : avec les métaux qu'on trouve dans les mines,
les pécheurs auraient pu payer une rançon, faire des cuirasses ou des
armes de guerre, etc. Ces métaux sont donc bien des réalités, et un
symbolisme absolu n'est point ici de mise. Somme toute, l'auteur ou les
auteurs de ce chap. LU s'arrêtent donc à cette idée, que des métaux —
un symbolisme modéré entendra des ressources matérielles de natures
diverses — sont cachés pour l'instant, qui tout en une fois seront un
jour révélés à la terre : ils serviront à la gloire du Messie et lui permet-
tront de manifester sa force et sa puissance ici-bas ; ou bien, ils s'éva-
nouiront mystérieusement à son approche, et il n'en restera rien qui
puisse être de quelque utilité aux pécheurs. A propos du chapitre LU
Dillmann et les critiques anciens, rappelaient le souvenir des mines de
métaux que les Phéniciens avaient en Espagne, et de la richesse, par le
fait même, de la puissance, que pouvait procurer leur exploitation : le rap-
prochement était heureux, et le lecteur comprenait que l'on symbolisât
sous la figure de montagnes cachées pleines de métaux la richesse et la
50 LE MUSÉON.
dont les pécheurs comptaient l)ien se servir. Reconnais-
sons-le, ces deux conceptions sont assez divergentes; mais,
à dire vrai, elles ne sont pas manifestement contradictoires,
et une conciliation est possible qui interprète le premier
texte en fonction du second. Les métaux que les pécheurs
croyaient pouvoir employer se trouvent mystérieusement
anéantis, alors que le Messie entre dans son rôle effectif ;
les pécheurs eux-mêmes sont mis dans limpossibilité de
se sauver ou de s'enfuir : dès lors la partie est gagnée ;
rien n'empêche plus le Messie de devenir fort et puissant
sur cette terre, et tout cela, fusion des métaux, désarroi
des pécheurs, « a servi (à la manifestation) du [)ouvoir de
son Oint », (traduction de Béer). Si donc les deux frag-
ments du chapitre LU correspondaient primitivement à
deux traditions distinctes, ces deux traditions pouvaient
n'être pas en opposition réelle.
Et pourtant Appel a raison, d'une manière générale,
tout au moins, mais il convient d'amener en ligne de
compte un argument qu'il n'a pas utilisé. 11 est assez
remarquabje, que la désignation des angcii interprètes
soit particulière à chaque section du livre d'Hén. Chap.
XVIl-XXXVIl emploient la formule : 'Urêl (ou Uufâ 'c/ )
'a/iadu 'em-qedusân mala 'ket za-meslc-ja Cf. XXI 5, 9,
(pas en XIX I qui est la suite manifeste du discours),
XXII 5, 6, XXIII 5, XXIV 0, XXVII 2. Une autre formule,
mafak qedûs Rufâ 'ël za-mcslê-ja halo, est usitée en
puissance mystérieuses qui viendraient au Messie, sur lesquelles comp-
taient les pécheurs. Tout cela valait, sans doute, beaucoup mieux que
l'explication par Daniel. — L'on ajoutera encore que des traditions ou des
conceptions théologiques qui semblent avoir été plus ou moins répandues
peuvent avoir exercé, elles aussi, quelque influence sur cette représenta-
tion symbolique des six (sept) montagnes de métal (Cf. Zimmern, Keil-
inschr. u. AT^ p. 618 note 4 ; Gressniann, Ursprung der isr.-jiid. Eschato-
logie p. 107, etc.) : à elles seules, elles seraient cependant incapables d'ex-
pliquer notre mystérieux chapitre LU.
LA COMPOSITION LITTÉUAIUE DES PAIUBOLES d'iIÉNOCH. 51
XXXII 6, et c'est là un chapitre où l'on ajoute aux inter-
prétations successives des quatre archanges une interpré-
tation après coup de Raphaël, et où l'on se reprend à
donner quelques détails sur l'arbre de la science du bien
et du mal, dont l'oubli à côté de l'arbre de vie (XXV)
devait bien être réparé par qui se souciait d'être exact.
Aussi, chap. XVIfl 14 mentionne seulement mal'ak qui
prend la parole, et le lecteur reste à se demander quel
personnage est en jeu, puisqu'on ne lui a point encore
présenté quel ange que ce soit : ces versets sont, d'ailleurs,
un doublet de XXI l-G, où parait, cette fois, à sa vraie
place, et après qu'on nous l'a bien lait connaître, l'ano-
nyme désigné maintenant « Uriel, l'un des saints anges
qui (était) avec moi » — Dans la section LXXII-LXXX,
la formule devient : 'Ur 'ël maCak qedûs [za-lialo meslê-
ja) marâ/ii-liommu za-ve'etu. Cf. LXXII 1, LXXIV 2,
LXXIX. — Les Paraboles ont aussi leurs formules spé-
ciales de désignation : l'on sait déjà (i) que la mention des
deux anges s'y présente avec une différence assez caracté-
ristique, et qu'on lit régulièrement (2), « l'Ange qui était
avec moi et me montrait tous les secrets, l'Ange de paix
qui allait avec moi ». Il convient donc de distinguer les
textes suivant ces données, et tout d'abord, pour ce qui a
trait au chap. LU, d'interpréter la première moitié indé-
pendamment de la seconde: dès lors sera garantie la vérité
qu'a exprimée Appel, qu'elles sont en opposition directe
l'une à l'autre.
Cependant tout ne va point sans difficultés. « Dans XL
8, et LUI 4, LVl 2, écrit Martin (p. 106), les deux locu-
tions (Ange qui..., Ange de paix) sont réunies, et nous
(1) Cf. supra p. 37.
(2) Quelques lignes plus bas, les exceptions ou prétendues exceptions.
52 LE MUSÉON.
lisons (( l'ange de paix qui marchait avec moi. » C'est très
exact ; mais l'éminent professeur n'a pas remarqué qu'à
côté du nom des anges, à côté de cette incise, « qui mar-
chait avec moi », laquelle s'attache régulièrement à la
mention de l'ange de paix (i) comme à celle de l'anonyme,
il y en avait une autre, « qui me révélait tous les secrets »,
laquelle convient seulement à l'interprète anonyme (cf.
XL 2, XLIll 3, XLVI 2 (2). L'on aurait tort de se rabattre
sur les deux textes LU 5 et LXI 5, qui, dans les mêmes
conditions ne la témoignent pas : ce ne sont là que des
exceptions apparentes. De LU 5, il a été question ail-
leurs (5). En LXI 5, l'ange qui a été interrogé, qui donne
tout d'abord sa l'éponse, n'est point désigné autrement :
c'est « l'ange », ainsi qu'il en va en LXIY 2. Tout à coup
survient « l'ange qui était avec moi », qui interrompt la
réponse (ju'on écoutait et nous ftiit part lui-même de
l'explication désirée. Le même phénomène d'accumula-
tion de textes se produit ici ([ue nous avions remarqué
déjà au chapitre LU, avec cette différence pourtant, qu'au
chapitre LU ce phénouiène était d'observation plus facile,
puisque les textes s'opposaient réellement l'un à l'autre (4).
Je ne vois, somme toute, qu'une seule raison vraiment
sérieuse qui puisse infirmer ou réduire à néant les remar-
(1) Exactement, XL 8, LUI 4, LIV 4, LVI 2. Elle manque en LU, à
cause du voisinage immédiat de l'anonyme " qui marchait avec moi >», et
de l'identification proposée des deux anges [ve'elu mal'ak saldm).
(2) Cf. note à texte éthiopien de Flemming.
(3) Cf. supra p. 37, note.
(4) Si l'on tient à porter un jugement sur le début de ce chap. LXI qui
a occasionné la modification indiquée, puis sur le texte LXIV 2, il con-
viendra de se rappeler le précédent de XVIII 14, et l'on saura s'il faut
aveuglement se fier à l'originalité des visions qu'interprète uu mal'ak
d'ailleurs inconnu.
LA COMPOSITION LITTÉllAmE DES PARABOLES d'hÉNOCH. 55
ques faites ci-dessus et tout essai de distinction de docu-
ments sur les bases proposées : en XL, le premier ange
et l'ange de paix sont introduits absolument dans les
mêmes termes, et XL est assurément « un chapitre dont
on ne peut pas contester l'unité » (Martin, p. LXXXII).
C'est à cette extrémité pourtant, qu'Appel en est venu,
lequel écrit sans hésitation : « In Kap. 40 steht der Bericht
des Engels des Friedens zu dem des Engels der mit mir
ging in keiner Beziehung ». Le jugement est, certes,
on ne peut plus radical, et il faut le dire, inexact. Dans
la seconde partie du chapitre, en effet, les anges portent
des noms assez en rapport avec le rôle qui leur est assigné
dans la première : la chose est manifeste pour Michaël
dont la louange s'adresse à Dieu, pour Gabriel qui est
établi « sur toutes les forces » et s'intéresse donc en
premier lieu à l'homme ("^i:») habitant de l'aride, pour
Phanuel qui, en écartant les Satans du trône céleste, permet
aux pécheurs d'espérer et de faire pénitence. La difficulté
serait donc pour Raphaël. De ce que l'ange qui guérit
les maladies et les blessures des hommes ait été préposé
au soin des élus du ciel (i), je ne vois qu'une explication
raisonnable, et c'est que les élus ont souffert de maladies
et de blessures, de celles-là, sans doute, qui résultèrent
des mauvais traitements des pécheurs, qu'en conséquence
les élus du ciel dont il est question sont principalement
des Martyrs (compar. Dan. XI 35) (2). Ghap. XL est d'un
(Ij II s'agit sûrement des justes qui sont morts, puisqu'on les distingue
soigneusement des « habitants de l'aride n.
(2) Alors, il est vrai, on se demandera ce qui nous vaut en ce contexte
une mention de « l'Elu ». Peut-être faut-il dire, qu'entre les quatre
archanges on a partagé le souci de tous ces êtres qui " héritent de la vie
éternelle » ; dès lors, que l'un d'entre eux était obligé de prendre un inté-
riel plus spécial à la personne du Messie, et qu'enfin on ne crut pas pou-
54- LE MUSÉON.
seul jet, et donc l'ange interprète du vers. 8 est identique
à celui du vers. 4. Serait-ce donc qu'ainsi a l'Ange de
paix )) et ce l'Ange qui était avec moi et me montrait tous
les secrets » faisaient corps, et que l'on aurait par quel-
que illusion dédoublé une même personne ? Ou bien,
doit-on en venir à penser que celui qui compila les frag-
ments divers de notre livre des Paraboles, le rédacteur
même qui, par l'addition en LH 5 du seul mot ve 'etii,
correspondant, sans doute, à un léger changement dans
le texte original, sut identifier les angeli interprètes et
essaya de fondre deux traditions en une seule, eût l'habi-
leté d'introduire ici encore ce seul mot salàm (jui consa-
crait déjà, par avance, l'identité prétendue des deux anges
et l'unité parfaite de la tradition qu'il rapportait (i) ?
Pour élargir le débat, si l'on en vient à rassembler
d'un côté tous les fragments qui mentionnent « l'Ange de
paix », de l'autre, ceux où paraît « l'Ange (jui marchait
voir attribuer ce soin au premier mentionné, Michaël, dont le nom seul
rappelait trop la gloire unique, à nulle autre comparable, de Dieu. Néan-
moins, et malgré cette explication, il reste étrange que ce soit Tange
guérivSseur auquel incombe cet office, et que le Messie ait sa place à côté
et au premier rang des élus, sans doute, martyrs. L'on pense, malgré
soi, à une glose chrétienne. « Such expressions might easily be inserted,
if it were only by a translator or a copyist » Drummond p. 62.
(1) Il est intéressant de noter qu'au chap. XL des anges accompagnent
Hénoch, qu'on ne nous a point fait connaître au préalable (à la ditîérence
de XVII-XXXVIL Cf. supra.) Cette particularité avait déjà frappé Ewald,
lequel en concluait que la première vision des Paraboles avait dû pré-
senter à Hénoch l'ange qui serait son compagnon de voyage, et que le
sens de la dénomination, ange de paix, avait dû être expliqué tout au
début dans un fragment que nous n'avons plus (1. c. p. 18 et note 1). Ce
dernier point a ses probabilités. L'on peut se demander vraiment pour-
quoi le début de la première parabole a été mutilé (cf. supra p. 43), et
pourquoi nous n'avons point les renseignements désirables sur la venue
et la personnalité des cicérones célestes (comparer, au contraire, Dan. VU
16, VIII 15, IX 21).
LA COMPOSITION LITTÉRAIllE DES PARABOLES d'hÉNOCH. 55
avec moi », l'accord entre eux des fragments d'un même
groupe, plus la diversité de conceptions d'un groupe à
l'autre, indiqueront, je crois, que nous ne nous étions
pas illusionnés, et qu'il y a bien lieu de distinguer deux
documents distincts, I et II, pour leur conserver les
numéros d'ordre dont se sert Appel. En I, le Messie, qui
est, du reste, préexistant, agit à la place de Dieu, et
emploie les moyens naturels d'action. C'est lui qui jette à
bas le trône des rois (XLVJ 4 ,,) : il se sert des métaux
cachés que connaît Hénoch, et il devient puissant sur
terre (LU 1-3). En un mot, il reste roi vainqueur. En II,
le Messie est, avant tout, un juge, doué, il faut le dire,
de qualités sui'uaturelles, puisque les métaux qui sont la
ressource des pécheurs fondentàson approche (LII 5,,). S'il
est juge, il n'est point cependant justicier, et cette fonction,
trop indigne de lui, sans doute, revient aux Anges du châti-
ment, lesquels ont commission d'anéantir par le feu Azazel
et ses troupes d'abord, les pécheurs ensuite (LUI, LIV —
aussi LXll, LXIII, cf. infia). Nous aurons à reprendre ces
sujets en leur donnant, d'ailleurs, le développement qu'ils
méritent : pour l'instant, il suffit de dire que, nonobstant
cette diversité de conception, les noms du Messie ne sont
point absolument différents en Tune et l'autre source. Enl,
nous trouvons, l'Elu, XL o, LXI 4 ; — le Fils de l'homme,
XLVI -2, 4 ; — jonction des deux, XLVI 5 ; — l'Oint, LU 4.
En II, le Juste et l'Elu, LUI 6 ; — l'Elu, LU 9, LV 4.
Autant que l'on en peut juger, l'hypothèse de Béer (p. 227),
sans être exacte, n'est donc pas absolument erronée, et
« l'Ange de paix qui allait avec moi est (disons ; de pré-
férence à son confrère) chargé des explications sur la
nature de l'Elu. » — Somme toute, la source II contient
d'abord une vision prophétique ; la source I est avant
56 l'E MISÉON.
tout un récit de voyage, voyage au cours duquel le Pa-
triarche a reçu de son cicérone de précieux renseigne-
ments concernant l'avenir (i). — Appel note encore une
autre divergence entre les fragments 1 et H (p. 50), et
c'est le sens divers qui s'attacherait au mot, Satan. Dans
les fragments I, les Satans (ils sont plusieurs) s'en
viennent, comme leur prototype du livre de Job, accuser
les hommes près du trône de Dieu (XL 7) ; dans les frag-
ments 11, Satan, personnage unique, serait présenté
comme le chef des anges du châtiment (2). Mais, à dire vrai,
fussent-elles absolument garanties d'accord avec les textes,
les deux conceptions signalées n'ont rien d'inconciliable,
et le rédacteur du livre de Job savait, lui aussi, que Satan
peut faire venir divers malheurs sur les hommes, et qu'il
porte plainte contre eux auprès du Très-Haut. Du reste,
il ne parait guère que les fragments II aient placé Satan
chef des Anges de peine. La locution « instruments de
Satan » pouvait èti'c dans le vocabulaire courant syno-
nyme de ce insti'uments de tortures », puisque le peuple
savait bien d'où venaient maladies et tortures [)hysiques
quelconques (LUI ^, sq.). Quant à LIV 0, son sens est
précis : Satan y est désigné comme le chef des esprits
célestes qui jadis pervertirent la terre ; il est la puissance
(1) Au point de vue de la forme extérieure, il y aurait donc une véri-
table ressemblance entre la source I et le Livre des Secrets, et l'on .com-
prend assez qu'Appel ait uni sans plus de distinction l'une à l'autre. Il
avait, du l'este, pour l'amener plus facilement à ce résultat l'unité appa-
rente du chap. XLIII (cf. supra, p. 39, note 1), où je crois les deux groupes
préseniement réunis. — Au point de vue du fond, il semble que les
données pro[)hétiques sur l'avenir aient eu droit de cité dans les frag-
ments I, mais point, ou du moins rarement, dans les fragments du Livre
des Secrets, car ceux-ci s'intéressent directemeht, ])eut-ètre exclusive-
ment, aux phénomènes habituels de la nature et à leur explication cachée.
(2) Cheyne est d'un autre avis, qui identilie sans plus les anges du châ-
timent avec Satan (Origin ot the Psalter, p. 413).
LA COMPOSITION LITTÉUAIRE DES PARABOLES d'iIÉNOCH. 57
du mal à laquelle se soumirent Azazel et ses troupes, s'il
n'est pas plutôt Azazel lui-même. Et de cette idée est née
en LUI 3 la leçon singulière des mss. T^ et groupe II :
puisque Azazel est condamné en même temps que ses
troupes, c'est donc pour lui, « pour Satan », que les
anges du châtiment préparaient les instruments du sup-
plice.
Entre les fragments I et H des Paraboles, il convient de
noter, à côté des divergences signalées, plusieurs points
de contact. L'on serait tenté de rapprocher tout d'abord
chap. LIV de chap. XL, puisqu'ils nous apportent l'un et
l'autre les mêmes noms d'archanges : pourtant, ce serait
un tort. L'ordre donné par le Seigneur des Esprits de
s'emparer des troupes d'Azazel, de les précipiter dans un
abîme, de les recouvrir de pierres pointues (LIV o), nous
renvoie manifestement à X 4 sqq : de même, cette tradi-
tion qu'au jour du grand jugement les anges mauvais
seraient jetés dans un brasier de feu. Or, ce chapitre X
suppose que Raphaël seul a reçu du Seigneur l'ordre en
question ; de plus ces mêmes archanges, que les Paraboles
rangent dans l'ordre, Michaël, Gabriel, Raphaël (i), Pha-
nuel, s'appellent ici Uriel, Raphaël, Gabriel et Michaël (2).
Si chap. LIV se réfère directement à chap. X, mais si,
d'un autre côté, il en modifie les données dans le sens de
chap. XL, la composition dernière doit en être attribuée
à quelqu'un qui avait intérêt à égaliser les traditions
arrivant jusqu'à lui. Après le fragment noachique que la
mention préalable des anges corrupteurs a permis d'intro-
(1) En XL, Michaël, Raphaël, Gabriel...
(?) Peut-être en venait-on à identifier plus ou moins Uriel et Phanuel,
puisque la face de Dieu était essentiellement lumineuse. Alors, entre
l'énumération des Pai-aboles et celle du chap. X, il n'y aurait d'autre
didércnce qu'une interversion complète des termes.
58 LR MUSÉON.
duire en LIV 7, quelques versets nous apprennent qu'au
moment fixé par Dieu, « ceux-ci », et il s'agit des troupes
d'Azazel, seront « saisis par la main des anges » : la
donnée paraît originale, et on peut croire que les anges
qui viennent en cause ne sont point les quatre présentés
dans le passage rédactionnel, mais ces mêmes anges du
châtiment mentionnés en LUI 5, et plus loin en LVI 1,
qui avaient été chargés déjà de saisir de la même manière
rois et puissants (LIV 2j (i). — Les ressemblances des
documents l et JI des Paraboles sont donc à chercher ail-
leurs, qu'en une nomenclature identique des archanges.
Il faut parler plutôt de cette idée commune d'une église
de justes cachée (2) avec le Messie auprès de Dieu, et qui
doit apparaître aux temps de la fin (cf. XLVI 8 et XL 5,
LUI G) (3). Il faut mentionner encore ces pécheurs, les
mêmes, que visent à la fois les deux documents, et qui
sont « les rois et puissants de cette terre » (cf. XLVI 4
sqq. ; LUI 5 et LV 4).
C'est donc avec une certaine probabilité, je le crois, du
moins, que l'on peut distinguer deux traditions diverses
qui s'incorporèrent dans les mesâ/jât connues, elles-mêmes,
(1) La source II qui nous a donné ce chap. LIV, et qui se réfère ainsi
au cliap. X, rappelle encore d'un mot (LIV, 6) la faute d'Azazel, et évoque
le souvenir de sa punition future ; ces détails paraissaient donc suffisam-
ment connus du lecteur pour qu'on jugeât inutile d'insister plus long-
temps. Dès lors il faut que cette source ait été reliée, en quelque manière,
à l'un des groupes de traditions relevés en chap. VI-XI par Ose. Holtz-
mann (ap. Stade, Gesch. d. Volkes Israël), p. 418, Béer, p 225, Appel,
p. 15 sqq., Martin, p. LXXIX sqq.
(2) Cette expression cachée, est rendue dans les fragments apparte-
nant à la source I (XL 5 et XLVI 8), par le terme assez étrange, seqûl^
suspendu. Les justes morts sont « suspendus devant le Seigneur des
Esprits. »
(3) A noter encore dans les deux passages la formule mystérieuse, " la
miison (les maisons) de leur rassemblement.
LA COMPOSITION LITTÉUAIIlli DES PARABOLES DIIÉNOCFI. 59
comme indépendantes [)ar le Pseudo-Noé. Il faut mainte-
nant se demander quels fragments de notre livre des Para-
boles paraissent devoir être attribués à l'une et à l'autre
tradition, et si ce tri, nous forçant d'examiner avec quelque
désordre, on n'en saurait disconvenir, les passages les
plus intéressants de notre livre, ne nous amènera point à
collationner quelques morceaux d'aspect étranger, que
l'on serait tenté de mettre encore à part, comme les débris
de certains documents quil est aujourd'hui impossible
d'identifier, ou l'expression écrite et, du reste, incomplète,
d'une nouvelle tradition distincte. Si la première partie de
cette j'ccherche était naturellement un travail délicat, que
ne sera pas la seconde ; et si les conclusions que nous
avons déjà exposées concernant le double élément des
mesùljàt n'ont pour elles (ju'un degré plus ou moins grand
de probabilité, celles que nous pourrons risquer encore
devront être acceptées, ainsi qu'on les présente, avec toute
la réserve nécessaire.
Chap. XLVfl (au moins depuis vers. 3), Ll nonobstant
l'addition ou le déplacement assurés de certaines phrases,
LXIX 20 sqq. décrivent les événements, non plus comme
à venir, mais comme déjà présents, et Appel croit qu'ils
ont fait partie jadis d'une petite apocalypse. Mais cette
apocalypse exista-t-elle jamais à l'état isolé, comme le
veut ce critique, ou bien n'était-ce pas plutôt une partie
spéciale des documents I et II, il serait certes bien ditlicile
de le dire. — Les chapitres LXII et LXIII décrivent aussi
comme présents les événements de la fin : néanmoins ce
n'est pas sans quelque probabilité qu'on peut augurer
de leur origine. Tout d'abord, ils font corjjs l'un avec
l'autre. Qu'on rapproche les formules qui nous désignent
les pécheurs, elles sont identiques : kiielommu nagaset
60 LE MLSÉOX.
va-azizân va-le ulân va- 'ella je liezeva la-meder (cf. LXII
5, 6, 9, LXIII 1, 12j. LXII 10 se trouve à peu près repro-
duit en LXIII 10, et l'épée de Dieu vient deux fois {LXIII
11 et LXII 1^) séjourner parmi les pécheurs et s'enivrer de
leur sang. Enfin les malheureux aujourd'hui châtiés adres-
sent leurs supplications aux anges exécuteurs de la sen-
tence suprême (LXlil), comme ils l'avaient fait auparavant,
mais hélas ! en vain, au Messie qui présidait le jugement
(LXII). Déjà, l'on voit toutes les ressemblances entre ces
deux chapitres et les fragments de la source IL Ici et là,
le Messie l'cmplit le même rôle, et les mêmes Anges
reçoivent également commission de torturer les condam-
nés : en un mot, LXII et LXIII ont toutes les apparences
de décrire la scène terrible que LUI annonçait déjà par
avance (i). Mais, il faut le dire aussi, un certain nombre
d'allusions au document I se remarquent depuis LXIII 2
et jusqu'au vers. 1 1. L'obscurité se répandait sur le visage
des pécheurs (LXII 10'', LXIII II) : elle couvre maintenant
leur couche et le lieu où ils habitent (LXIII 0, comme
LXVI &^). Le sceptre des rois, la richesse des puissants,
qui sont le soutien et la confiance des uns et des autres
(LXIII 7 et 10), nous étaient connus déjà par XLVI 7. Dans
ce dernier passage, les impies étaient accusés d'avoir eu
foi dans les dieux et d'avoir renié le nom du Seigneur des
Espi'its (XLVI 6^, 7^) : et voici que l'on reproche encoi'e
(1) De même qu'après ch. LUI, cli. LIV, LV 3 sqq. mentionnaient le
châtiment futur d'Azazel et de ses troupes impies, de même, après LXII-
LXIII, cil. LXIV en vient à parler des anges déchus qui enseignèrent jadis
les secrets du mal aux habitants de la terre. Mais il faut dire qu'ici
ch. LXIV ne fait point corps avec ce qui précède. Comme si Hénoch ne
savait point déjà qui sont ces anges déchus, on veut lui fournir un ren-
seignement là-dessus, et c'est l'anonyme mal'ak qui se présente pour
l'apporter (cf. supra p. 52). Du reste, pas un mot n'est prononcé sur la
punition à venir de ces ciiminels, et le chapitre huit ex abrupto.
LA COMPOSITION LITTÉRAIRE DES PARABOLES d'iIÉIVOCH. 61
aux mômes personnages de n'avoir point confessé leur foi,
non plus que glorifié le nom du Seigneur (lAIH 7) (t).
Entre les fragments de la source l et le triple discours des
pécheurs en LXIII, il y a donc bien ([uelque parenté, et
l'on comprendrait assez qu'un rédacteur y eût mis la main
qui connaissait cette source et s'y reportait volontiers.
Au chap. LXIII, les pécheurs puraissent convaincus
qu'ils seraient sauvés s'ils pouvaient obtenir le répit su tfi-
sant pour confesser leurs fautes ; mais ce répit ne leur est
point accordé, il est trop tard et le Seigneur ne les sauve
pas (vers. 8). L'auteur du chap. L croit tout de même à
l'influence salutaire pour les impics d'une conversion et
d'une confession sincère, mais il estime qu'en réalité la
possibilité en sera laissée aux pécheurs, pendant quelque
temps, du moins. Peut-être conviendrait-t-il de rappro-
cher ces données de celles du chap. XL : l'archange
Phanuel y paraissait, qui écartait les Satans du trône de
Dieu, et, dès lors, permettait à « ceux qui héritent de la vie
éternelle » de faire pénitence et d'espérer. Le chapitre L
nous donnerait donc, dans une tradition spéciale, des con-
ceptions communes aux sources I et Il.Cependant les anges
du châtiment n'y figurent plus en tant qu'exécuteurs de la
(1) En LXIII It», les pécheurs désirent quelque répit clans leurs souf-
frances, afin de pouvoir « confesser leurs péchés n ; au vers. 5, ils
demandent ce même repos, pour « louer et glorifier (le Seigneur^, et
pour confesser leur /be devant sa majestés. Les deux choses ne sont pas
contradictoires, pour peu qu'on rapproche à la fois ces deux textes de
XLVI 6, 7, et que l'on sache bien que rois et puissants se sont rendus
coupables de péchés contre la foi (vers. 7). — La lecture du chap. LXIII
donne cependant une sensation étrange, et il est facile d'en trouver la
cause en ceci, que le répit nécessaire aux pécheurs pour confesser leurs
crimes et louer Dieu, ne leur est point accordé, bien qu'ils le demandent,
mais que néanmoins ils trouvent le moyen de louer le Seigneur par la
doxologie du vers. 2.
G:2 Li>: miséon.
justice divine : mais il nous est dit que « les justes vain-
cront au noîn du Seigneur des Esprits », et ceci doit
s'entendre d'autre chose peut-être que d'une victoire sym-
bolique, à savoir, d'un ti'iomphe réel des justes, lequel
suppose un combat ayant touiné définitivement à leur
avantage. La représentation, dès loi's, aurait bien quelque
conformité avec ce que nous apprenons du document T,
puis(|ue le Messie en personne y paraît en scène pour
prendre les armes et qu'il se montre à nous sous l'aspect
d'un vainqueur.
Au chap. L, les justes remportent la victoire sur les
pécheurs; en XXXVIII 5 et XLVIII 9, les pécheurs sont mis
à la discrétion des justes (i). — Le chap. XXXVIII dont
nous parlons est assez clairement apparenté avec les
autres qui ouvi-ent les Paraboles, si toutefois on laisse de
côté les formules i(énérales d'introduction dont il a été
question ailleurs. Les idées qui s'y expriment sont les
mêmes : la lumière va briller pour les justes (XXXVIII 2
et LVIII 5), etc. Les secrets des justes (XXXVIII 3) et les
secrets de justice (LVIH 5) se ressemblent d'assez près ;
enfin XLV "2 est si manifestement uni à XXXVIII 1-2 que
l'on y croirait trouver une réponse à la question posée.
D'Anges du châtiment, il n'est plus question, et XXXVIII
5 nous laisse entendre que ce sont les justes et les saints
qui doivent anéantir rois et puissants d'ici-bas. Tout cela
nous amène à la source L Du reste, Appel (p. 58) a remar-
qué que la locution, renie?' le Seigneur des Esprits, était
(1) Il va de soi que le rapport relevé entre ces chapitres est purement
extérieur : un combat, de fait, n'est pas nécessaire pour qu'un auteur
d'Apocalypse amène les pécheurs aux mains des justes, et le dénouement
du grand drame eschatologique peut se produire de multiples façons.
Du reste, l'opposition d'idées est manifeste entre XLVIII 8 sqq. et L.
LA COMPOSITION LITTÉRAIUE DES PAIIABOLES DIIÉNOCH. 65
particulière à cette môme source : or elle se retrouve deux
fois dans ces passages (XXXVIil 2 et XLV 1). J'ajoute que
XXXVIII ^ emploie à nouveau l'expression sequlân avec
le sens signalé plus haut, et que l'on avait noté déjà en
XL 5 et XLVI 8. — Pour les mêmes raisons (cf. 9% 10'^),
on conclui'a aussi avec ({uelques chances de vérité que
XLVIII 8 S({q. appartint jadis au même groupe.
L'origine des deux gi'ands fragments messianiques (i)
(1) Il conviendrait aussi d'envisager le récit fort étrange de LXXI sur
la vocation mes^'ianique d'Hénoch. Mais ici, je renvoie sans plus à Appel
(p. 43) pour la structure littéraire du morceau. Si l'on en vient à examiner
la composition du fragment, vers. 5- tin, on peut y noter des références
assez nombreuses à la soui'ce I. Les milliers de milliers et myriades de
myriades (8, 12;, Ceux qui ne dorment pas (7), les Seraphim, Cherubim et
Ophanim(7), les archanges MicJiaël, Gabriel, Raphaël et Phanuel (8,9,
13', l'Ancien et le Fils de l'homme (10, i4b), sont des parallèles à LX ],
XXXIX 12 et XL 2, LXI 10, LX 9, XLVI 2. Le Rédacteur cherche à donner
des explications qu'on n'a point eues et qui pourtant eussent été utiles ;
il identifie les Seraphim, Cherubim et Ophanim de LXI 10 avec « ceux
qui ne dorment pas " de XXXIX ; il se croit obligé de nous donner d'après
Daniel une description de l'Ancien mentionne en XLVI. Enfin — Kôstlin
l'avait (léjîl recoimu (Theol. .Tahi-b. 1856, p. 3789) — il a calqué sur chap.
XIV le récit qu'il nous fait; et les derniers vei'sets présentent des inco-
hérences nombreuses, signes manifestes de retouches qu'on ne saurait
mieux pi'éciscr. Tout cola donne assez raison à Charles qui écrit très
bien : " This chapter is most certainly a later addition. It is aiien ali'Ke
in thought and phraseology to Similitudes. Outwardly indeed there is a
resemblance in phraseology, but it is not real, for the technical terms of
the Similitudes which are incorporated in this chapter are wrongly used
in almost every instance. This chapter was probably added by the same
hand Ihatinterpolated the Noachic fragments «. (p. 183). Nous ne revien-
drons donc pas sur ce chap. qui, s'il no provient pas d'un cycle noachique,
est assurément étranger aux Paraboles ; mais, puisque nous y sommes
pour l'instant, ajoutons un mot encore à propos du vers. 14 et de la voca-
tion messianique d'Hénoch. — Quel qu'ait pu être l'original (cf. Appel).
Hénoch dans le contexte actuel, reçoit le titre de Fils d'homme. Cette
dénomination est imposée trop solennellement, le contexte, d'ailleurs,
est trop sembable à XLVI 3, pour qu'on puisse attribuer à cette locution
« exactly indeed « le même sens qu'elle a dans le fragment noachique LX
10 (cf. supra). Il y aurait là plutôt un sens nouveau, et il me semble que
64 LE MISÉON.
XLVIII "2-8 et XXXIX 5-12 est de nature à nous intéresser
davantage : pourquoi faut-il qu'un [)()int d'a})pui solide
fasse défaut, et que l'on en soit réduit à relever quelques
notes sans grande importance ? Chap. XLVIIl nous dépeint
l'Eternel sous les traits d'un vieillard, et ceci nous reporte
à XLVl 2, comme aussi à LXXI 10, mais bien mieux
encore àDaniel Vil 9. Le Messie porte les nobles dénomina-
tions de « bâton des justes » et de « lumière des peuples » ;
il est le « vengeur de leur vie », de la vie de ceux-là qui
ont souffert pour la justice. Cela rappelle assez le rôle
que les usages juifs ou plutôt sémitiques, légitimés, du
reste, en quelque sorte, par la loi mosaïque (Num. XXXIX
19 sqq., Deut. XIX 6 sqq., etc.), attribuaient au D^n b^ç:s
et nous approchons dès lors des conceptions messianiques
de la source I. Mais le Roi à venir se trouve présentement
caché devant Dieu, et la sagesse du Très-Haut l'a mani-
festé aux saints et aux justes : toutes expressions qui se
l'on doive parler de la prédestination, non point de la vocation messia-
nique d'Hénoch. Béer (p. 277) a raison, me seinble-t-il, de rappeler Hen.
slave XXII 8, et ce texte montre assez la relation qui existe entre l'onction
céleste mystérieuse et la transformation d'un élu au séjour de gloire.
« Et le Seigneur dit à Michaël : Va, et prends à Hénoch sa robe tei-restre,
et oins-le (m'JJ'J, m^^'O) de mon huile sainte, et revéts-le du vêtement de
ma gloire (cf. Parab. : source I, XXXVIII 4, L 1, L VIII 3; surtout source II,
LXII 16). Et Michaël agit ainsi que le Seigneur lui avait dit. Il me oignit
et me revêtit.. .. Et je me regardai moi-même, et j'étais comme l'un de
ces êtres glorieux, et il n'y avait pas de différence (cf. Parab. l.I 4b). »
Pour le rédacteur ou l'interpolateur de Hen. eth. LXXI 14, le " Fils de
l'homme » serait donc, non point le Roi-Messie qui est ainsi désigné dans
le document I, non point l'homme même que l'on apostrophe comme il en
va dans le fragment noachique indiqué, mais celui-là spécialement qui
est prédestiné à la gloire et sait qu'il l'est. L'idée qui s'exprime en ce
texte serait donc analogue à celle de XXXVII 4, peut-être aussi de
XXXIX 9. (Autrement, Gressmann, p. 360.) Tout ce que nous venons de
dire, ne convient, bien entendu, qu'au seul vers. 14, l'expression « Fils de
l'homme » gardant par ailleurs son sens habituel.
LA COMPOSITION LITTÉIlAIRi: DES PABABOLES d'hÉNOCH. 65
retrouvent en LXII 7, où elles sont noyées dans les déve-
loppements de la source II. — Chap. XXXIX révèle assez
clairement le dessein de son auteur, de relier son œuvre
littéraire aux parties déjà préexistantes de la littérature
d'Hénoch. Le vers, i annonce « une autre vision » : et
c'est celle-là môme, cette « seconde vision de sagesse que
vit Hénoch », dont il était question en XXXVII 1, dans
une petite incise que Clemen (p. :2'20), Béer (pp. '2'27 et
258), et Appel afïirment inauthentique (i). D'ailleurs,
personne ne paitage plus l'opinion d'EAvald, que la pre-
mière vision supposée par cette « seconde » se trouvait au
début même de la pi'cmière Parabole : il convient de la
chercher plutôt dans les chapitres qui précèdent, et, d'une
manière plus précise, au dé])ut même de notre livre d'Hé-
noch, ainsi que je lai proposé (cf. supra, p. 42). L'auteur
du chap. XXXIX écrit, plus loin, que « là (c.-à.-d. avec
les saints et les élus (ju'il aperçoit près du Seigneur des
Esprits) avait été sa part jadis » (9), et l'on pourrait hasar-
der que le Patriarche veut ainsi rappeler un épisode de
sa vie antérieure, quelque séjour momentané auprès des
esprits célestes, comme celui dont il est question en XII 1
(cf., pour ce dernier texte, contre Dillmann, Lods p. 128,
Charles et Béer ad h. 1.). Cependant les exégètes convien-
nent qu'il doit s'agir plutôt de la prédestination du voyant
(cf. Dan. XII 15), et ce texte mérite, dès lors, qu'on le rap-
proche de XXXVll 4. C'est là qu'on apprend tout d'abord
qu'un sort de vie éternelle fut fixé à l'avance pour Hénoch,
(1) Il faut avouer que l'incise en question unit deux données qui parais-
sent d'ailleurs distinctes (cf. supra p. 42). L'on n'y parle plus simplement
d'une vision (vers, la), ni simplement d'un discours de sagesse (vers.
2 sqq.) : mais l'on annonce l'un et l'autre à la fois, ou plutôt le mélange
de l'un et de l'autre, « une vision de sagesse ».
66 LE MUSÉON.
et que la béatitude lui fut promise autrefois «selon le bon
plaisir du Seigneur des Esprits. » A propos de la vocation
messianique, la même formule revient à jour, ba-kama
faqadû la-'egzia manCifest (XLIX 4) : Dieu a prédestiné son
Messie comme il l'a voulu. Peut-être n'est-ce pas tout-à-fait
la même idée qui s'exprime en XLVI 5, où l'on apprend
qu'auprès de Dieu le sort du Messie l'a emporté ba-retea
sur celui de tous les êtres. En tout cas, chap. XXXIX
parait bien n'appartenir point au même groupe que ce
chap. XLVI, c'est-à-dire au groupe I ; la rupture qui se
fait dans le récit après ch. XXXIX qu'on croit être de cette
source, le changement subit qui se produit on ne sait
quand, « en ce temps-là », dans la situation extérieure du
Patriarche, nous font ensemble incliner vers cette conclu-
sion, et ce ne serait point l'infirmer que d'arguer avec
Philippi de la prétendue habitude de l'écrivain, de fiiiie
suivre vision et apocalypse pour que l'une expliquât
l'autre, puisqu'aussi bien chap. XXXIX n'explique pas ce
que doivent devenir pécheurs et impies à l'époque du
jugement, que le jugement dernier reste même en dehors
de l'horizon actuel du voyant (i), et qu'enfin les yeux de
celui-ci s'arrêtent tout le temps avec complaisance sur le
séjour des élus auprès du Messie, « sous les ailes du Sei-
gneur des Esprits. « Rien n'indique que ce même chapitre
ait appartenu à la source II, et, pour lui trouver une ori-
gine, Appel (p. 65) introduit un nouveau document qu'il
chiffre III. Mais qu'est-ce donc vraiment que la source III ?
La source III se distinguerait par la place prépondé-
(1) Le voyant se trouve ici dans les mêmes conditions qu'en XIV 8, qui
est bien un texte parallèle : référence est donnée à l'événement qu'on
décrit ici, par la note qui parait additionnelle au début du chap. LU.
LA COMPOSITION LITTÉUVIUK DES PARABOLES d'iIÉNOCH. 67
rante (i) qu'elle réserve à la Sagesse, et par le rapproche-
ment qu'elle aime à établir entre la Sagesse et la Justice
qui en serait la dérivation (2). Ainsi, au chap. XXXIX, la
Justice parait à l'occasion des élus et du iMessie (vers. 6),
chap. XXXIX serait donc de cette même source : l'on
pensera plus justement que pareille mention de la Justice
se retrouve aussi en XLVI 5, et que néanmoins notre
chapitre XXXIX est assez étrangerà la source I qui entre
ici en considération. Appel nous dit encore que XXXIX 5^^,
XL VIII i, et XLIX \ s'inspirent des mêmes idées et déve-
loppent une même image : on n'en disconviendra point,
mais encore faudrait-il montrer qu'une source III a pu
seule utiliser idées et images en question. Accumuler les
citations où se trouve mentionnée la Sagesse est chose
facile : mais conclure à une source III qui aurait produit
ces textes divers, suppose que l'on a prouvé au préalable
que les rédacteurs I et II qui nous sont connus n'auraient
pu en être les auteurs. Kst-il bien vrai que chap. LI 5 et
LXI 6 sqq. donnent à la Sagesse une place si prééminente ?
L'on a intérêt, certes, à rapprocher « les Secrets de
sagesse » (LI 5) des « Secrets de justice » (XLIX 2) : mais
ces mêmes « Secrets de justice « paraissent bien iden-
tiques « aux trésors de ce qui est caché », que révélera le
Messie au temps voulu (XLVI 5) ; mais ces mêmes « Secrets
de justice » reviennent explicitement nommés en LVIII 5,
et le malheur veut qu'Appel attribue lui-même ces pas-
sages à la source î (cf. pp. 49, 59). De plus XLIX 5, qui
serait aussi de cette nouvelle source, est une citation assez
(1) « in auflfallender Weise » Appel, p. 52 (264).
(2) Die Weisheit erscheint ôfters als Quelle der Gerechtigkeit und als
Gegensatz zur Ungerechtigkeit — ibid.
68 LE MUSÉON.
légèrement modifiée d'isaïe XI 2 : or on sait déjà (i) que
l'auteur de Ps. Salom. XVII avait utilisé ce même texte
au profit de son Messie, et le Messie des Psaumes de
Salomon est un personnage qui ressemble fort à celui des
Paraboles source I.
Restent, il est vi-ai, pour garantir une source III, chap.
XLYIII 1 avec XLI\ 1 (cf. XXXIX 6), et chap. XLII. Les
deux premiers textes sont rapprochés, eu égard à l'image
qu'ils développent, « la Sagesse est comme l'eau » ; cepen-
dant la comparaison se continue en deux directions paral-
lèles : tantôt la Sagesse est l'eau de ces nombreuses fon-
taines du ciel, où viennent se désaltérer ceux qui ont soif,
et ceci convient assez à un récit de voyage merveilleux;
— tantôt elle s'écoule de soi-même, tombant en une pluie
bienfaisante sur le Messie ou sur les élus des temps messia-
niques, et ceci pourrait, à la rigueur, n'être qu'une méta-
phore (2). En dehors de ces textes, nous connaissons bien
d'autres récits de voyage du Patriarche, et jamais on n'y
trouve symbolisme de ce genre : tous les détails y sont à
entendre au sens réel, les pierres précieuses qui ont sei'vi
à la construction du palais céleste, le feu qui l'entoure,
et tout le reste. Dans la circonstance, un rédacteur aurait-il
donc voulu tirer parti d'Is. LV 1, et, sur ce thème, com-
poser quelques variations, assez harmonieuses, du reste,
mais d'un style à part, qui tranche sur le mode de tous
les morceaux semblables ? L'on ne saurait affirmer qu'une
chose, c'est que l'auteur s'intéressait moins au concept
abstrait de Sagesse, qu'à cette question essentiellement
pratique, du soulagement et du bonheur qui seront donnés
aux hommes par la venue des temps messianiques ou par
(1) Cf. Muséon, N. S. VII 3, p. 24G.
(2) Cf. Sir. 1 19, aussi plus tard Philon, De prof. 25.
LA COMPOSITION LITTÉRAIRE DES PARABOLES d'hÉNOCH. 69
la personne du Messie ; dès lors, que la Sagesse n'est point
directement, et pour soi-tnème, l'objet de ses développe-
ments littéraires. — Il en va d'autre sorte au chap. LU :
la Sagesse, avec l'Injustice, sont toutes les deux en scène,
et, personnifiées, cette fois, elles jouent le premier rôle.
Que le petit chapitre en question n'ait rien de commun
avec son conlexte, que le personnage symbolique appa-
raisse inopinément et s'en aille tout de même, les critiques
en conviennent. Ces développements-là se comprendraient
au sein de la littérature connue sur la Hokmah, et plus
d'un croira (ju'ils trouveraient leur contexte naturel dans
les exhortations morales qui abondent par là. Mais il n'en
manque point non plus dans notre Apocalypse, et il est
telle section d'Hen. qui s'annonce comme devant traiter
kùclo tcmlicita tchab. Dans cette section, l'on apprend
une fois encore que la Sagesse n'a pu trouver de place sur
terre (XCIV 5), qu'elle doit se lever et éti-e donnée aux
ressuscites de la fin des temps fXCI 10) (ij. Peut-être ne
serait-il pas impossible qu'une parenté d'origine existât
entre ces textes et notre mystérieux chap. XLII : en tous
cas, ils s'inspirent tous des mêmes traditions.
Notre enquête sur la composition des Paraboles d'Hé-
noch est à son terme. On regrettera, sans doute, qu'elle
ne soit pas plus concluante : l'on eût aimé reconnaître
en toute sûreté la diversité des terrains qui laissent croître
à la fois des conceptions si diverses sur tous sujets de
théologie, et spécialement sur le messianisme. Mais nos
moyens d'information sont trop réduits (2) pour que nous
(1) Cf. Charles, p. 123, les rapports entre la Sagesse personnifiée et
l'humanité, d'après les produits de la littérature juive antérieure ou con-
temporaine.
i2) Et c'est là ce qui doit rendre le critique modeste, le retenir loin de
70 Le muséon.
puissions en arriver là, et il faut se contenter des proba-
bilités plus ou moins grandes, quelquefois bien légères,
auxquelles un renseignement très court d'un rédacteur
noachique, et l'examen minutieux du texte actuel, per-
mettent d'atteindre. — Une source I parait avoir fourni
à notre livre les chap. XXXIX 1:2-XL1, XLIII 5 sqq., XIAI,
LU 1-5, LXI 1-5 ; peut-être aussi XXXVllI, XLV 1-5,
LVIII, XLYIII 8-XLlX. 11 conviendrait d'attribuer k une
source 11 les chap. LU o-LlV 7, LV 5-LVI 5, LXII 5-LXlIl
2..., 11 et 1:2. Peut-être faut-il parler encore d'une
source 111 (source de Sagesse), qui correspondrait assez au
nagara tebab annoncé en XXXVll 2-o, et nous aurait donné
XXXIX 5-1:2, XLVIIl 1, aussi ce fameux chap. XLll, si ce
n'est pas plutôt une interpolation ou une transposition.
Tout cela était désigné sous le nom généi'ique de « Para-
boles qui furent données à Hénoch », et était envisagé
comme une œuvre distincte par le Pseudo-Noé auteur de
la notice. A côté de cette compilation principale, se trou-
vait un livre d'astronomie, taillé sur un patron assez sem-
blable à celui que notre Apocalypse s'incorpora plus loin :
les chapitres XLI 5-9, XLIII 1-5, XLIV, LIX en seraient les
fragments épars aujourd'hui subsistants. En tout cas, un
rédacteur réunit plus tard « les Paraboles » avec « le livre
des signes des secrets », et crut prudent de justifier sa
témérité en la mettant au compte du Patriarche lui-même :
tous les fragments qu'il unissait ainsi plus ou moins au
hasard se donnaient donc comme la composition même
cette confiante assurance qui veut s'en imposer à elle-même, et lui faire
relire, une fois de plus, ces deux lignes très exactes de Béer, qu'Appel,
dont il serait injuste de rabaisser le mérite, n'avait dû pourtant pas trop
méditer : « eine Textscheidung im Einzelnen durchzufûhren, Solange nur
der âthiopisclie Text zur Hand ist, ist gewagt » (p. 227).
LA COMPOSITION LIÏTÉKAIKE DES PARABOLES d'hÉNOCH. 7l
d'Hénoch. Les fragments noachiques qui, de ci de là, s'y
collèrent, et que les exégètes ont distingué depuis long-
temps comme pièces rapportées, obtinrent garantie, par
ce fait même que Noé leur auteur était l'héritier des livres,
et, en quelque sorte de la sagesse de son grand'père ; et
peut-être d'autres petits fragments qu'il serait impossible
et superflu de chercher à identifier, réussirent-ils à s'intro-
duire dans le tout, grâce à l'analogie qu'ils présentaient
avec les pièces déjà en place.
Fribourg (Suisse). Léon Gry.
ÉTAT DE MES TRAVAUX M ÉTRUSQUE
PAR
LE B"" C. DE Vaux.
Le premier article que nous avons publié sur l'étrusque
dans le Miiséon, en 190i, a un peu vieilli ; il n'est plus
au point des connaissances que nous croyons avoir acqui-
ses sur ce sujet. Nous voudrions aujourd'hui corriger
plusieurs des étymologies que nous avons proposées alors,
en confirmer d'autres, en ajouter de nouvelles, et montrer
au lecteur quel est l'état d'avancement de nos recherches,
en interprétant quelques inscriptions.
PREMIÈRE SECTION.
Les mots.
Nous rapportons en principe les mots étrusques, ou
ceux que l'on peut croire étrusques, (et nous ferions de
même pour les mots pélagiques), aux racines altaïques (i).
Souvent nous constatons que ces vocables peuvent conve-
nir aussi à des racines aryennes qui se trouvent être ana-
(1) En pratique, nous nous servons surtout de V Etymologisches ^yor^
terbitch der Tarho-Tatarischen Sprachen, d'Hermann Vambéry, (Leip-
zig-, 1878), que nous désignons dans cet article par la lettre V.
ÉTAT DE MES TRAVAUX EN ÉTRUSQUE. 73
logues aux racines altaïques pour le sens et pour le son.
Dans quelques cas exceptionnels, le rapport des nfiots
étudiés avec l'aryen est même plus proche qu'avec l'altai-
que. Ces constatations sont faites sans qu'aucune théorie
préalable soit émise sur les relations possibles de l'altaïque
et de l'aryen. Nous prenons pour critérium de nos étymo-
logies, leur clarté, leur simplicité et l'harmonie qu'elles
ont entre elles.
I. Les mots dont nous avons à corriger l'étymologie
sont : Lucinno, Solemnis, Idus, Drouna, Histrio, Lanista,
Ataison, Agalletora.
Lucumo. Nous avions été séduit, comme Taylor, par le
rapprochement avec le turc oiiloug, grand (i). Depuis, nous
avons constaté qu'il n'y a pas lieu ici de recourir à aucune
métathèse ; il faut laisser Lucumo, selon la règle la plus
constante, à la racine luc qui, en altaïque, sera représen-
tée par une racine Tog ou Juk (V. § 194 et § 7) ; ces racines
très claires indiquent l'idée d'élévation, de hauteur ; le
Lucumon est le haut personnage. Ex. : T. cagataï : toka,
chef; et avec Vm de la désinence o^Hm, gigantesque.
Le parallélisme aryen se manifeste dans les mots diix,
doctor.
Nous ne pouvons pas admettre que le mot lauchumncû ,
du manuscrit d'Agram, représente, comme l'ont cru divers
étruscologues, le mot lucumo ; il doit appartenir à la racine
lag. Le rapport avec le mot tfiucu du même manuscrit,
aurait plus de chance d'être exact.
Solemnis. Cet important vocable rentre dans la racine
TOL, signifiant ce qui meut en cercle, ce qui revient. Ex.
(1) Nous avons besoin de la raeine ul pour des mots en Vol, bol ; ainsi
la forme ulug, grand, correspond au nom Volucenas.
5
74 LE MUSÉON.
T. cagataï, tolan-mak, se mouvoir en cercle (V. § 195).
L'idée que la solennité est ce qui revient périodiquement,
se rencontre dans d'autres langues ; ainsi le mot fête en
arabe, îd, signifie chose qui revient, et appartient à une
racine âd signifiant être de retour.
Mus. Nous avons eu à ce mot une véritable distraction,
que nous avons déjà signalée dans nos Etrusca n" III.
Aucune étymologie n'est plus facile. L'altaïque possède
une racine ut, ùd (V. § 69) qui signifie temps, section de
temps. Ex. T. uig. ût, ûd, temps ; altaïque ûdelCy le midi,
et en allant jusqu'au magyar ido, temps.
Le mot paraît se retrouver dans l'allemand heiite, et
peut-être bien dans le latin hodie, qui, vu la forme adjec-
live liodiernus, ne doit pas être une contraction de hoc die.
Drounu. II faut rattacher drouna, initium, à la racine
TL'iA, donnant l'idée d'antériorité (V. § 197) ; ex. : T. jak.
tui\ se lever, s'élever. Cette racine est très nette. Nous en
avons parlé à propos des mots turuce et xupawoç (i).
Remarquer le déplacement de l'accent : drou pour dour.
Histrio. Nous avons indiqué, dans une communication
à la Société des études grecques, l'étymologie de ce mot
que nous croyons être la véritable : Histrio appartient à la
racine is, us désignant l'art, l'intelligence, le talent (V.
§ 67). Ex. : T. jakout iistuk, art ; T. cuvash, usta, maître.
Le mot turc a passé anciennement dans le persan ustad,
maître.
Le parallélisme aryen se manifeste sans doute dans des
mots tels que maestro (ital.), meister (ail.), oii l'm doit
être préfixe.
Lanista, gladiateur, mot étrusque d'après Isidore. Le
(1) Voyez nos Etrusca V, pages 10 et 20.
ÉTAT DE MES TRAVAUX EN ÉTRUSQUE. 75
plus simple est de laisser ce mot près de lanio, boucher.
La racine doit donner l'idée d'écorcher. Elle paraît en
altaïque sous la forme jan et plus souvent jon (V. § 144).
Ex. : T. cagataïjonwaA:, tailler, découper ; T. cuvasch jan,
couteau.
Ataison et Agalletora. Pour ces deux mots, nous nous
sommes trompé, à la suite de Taylor, en les croyant com-
posés. Ils ne le sont pas ; l'a est prétixe dans les deux ; on
et tora sont désinence. La racine du premier est tas, don-
nant l'idée de passer au delà, de s'étendre (V. § 24). Ex. :
T. cagataï tasik, qui enjambe, qui passe au-dessus. Le
lecteur se souvient que ataison, d'après Hésychius, désigne
la plante grimpante. La môme racine appai-ait très nette
en aryen dans -ziTiq, extension.
Quant à agalleiora, la racine en est gal, lait, et cette
fois l'explication est notablement plus claire en aryen
qu'en altaïque ; ayallelora, d'après Hésychius, désigne les
jeunes enfants. Le grec a des mots voisins, comme ya/a-
ô/ivôç, qui tête encore, tendre. L'altaïque a bien la racine
c'al, jal indiquant l'idée de chose lisse, qui convient au
lait (V. §§ 120, 127) ; mais l'application de cette idée à
notre vocable n'est pas immédiate.
IL Nous avons des corrections partielles et des additions
à faire aux articles augur, arakos et capra.
Augurium, désignant le présage ne nous parait pas
pouvoir être mieux expliqué que comme nous l'avons fait,
par le Turc oriental augour, bénédiction, bonheur. Mais
nous pensons (pi'il convient de distinguei' l'étymologie de
ce mot de celle d augur, l'homme augure ; nous rappro-
chons ce dernier mot du qualificatif aî<<y»s?Ms, et nous les
rapportons ensemble à la racine ak, og, signifiant la hau-
76 LE MUSÉON.
teur (V. § 7). Ex. : T. c'agataï okar, haut ; T. uig. okis,
haut, élevé ; ogmek, louer, priser, glorifier. Cette racine
est voisine, mais suffisamment distincte de celle qui nous
a servi à expliquer Lucumo.
Le parallélisme aryen se poursuit par des mots tels que
augere, augmentum, etc.
Arakos et Capra, Dans des recherches indépendantes de
nos travaux sur l'étrusque, nous avons remarqué que les
animaux étaient souvent dénommés d'après leur habitat.
Ceci nous permet de préciser l'explication de ces deux
noms de l'épervier et de la chèvre. Le premier est compa-
rable à des noms de pics et de montagnes en ark, ou carg
ou crag (V. § 20); le second convient avec des noms de
pays rocheux tels que Capri (cf. V. § 155), racine tchap.
in. Ya\ publiant nos Etrusca, III à V, nous avons déve-
lo|)pé et confirmé plusieurs des étymologies données dans
notre premier article, à savoir celles de : Sinistei\ Scclum,
Cassis, linia, Tagès,Avil et Hit, Fan. Nous voudrions main-
tenant confirmer celles de deux vocables particulièrement
intéressants Ccremonia et Italia.
Ccrcmonia. Il n'y a évidemment pas de raison de consi-
dérer mania autrement que comme une désinence, ainsi
qu'il est naturel de le faire dans les mots querimonia,
acrimonia, trislimoiiium, etc. La racine kour à laquelle
nous avons rattaché le mot cerimonia est une importante
racine altaïque, qui parait aussi sous la forme kar ; elle
indique l'idée de regarder de surveiller, de prendre soin,
et au passif celle de quelque chose que l'on regarde, de
quelque chose d'orné et de beau (V. § 85). A ce dernier
sens appartiennent les mots de turc oriental que nous
avions cités, dont le plus remarquable est kourmîche.
I
ÉTAT DE MES TRAVAUX EN ÉTIILSQI E. 77
action d'orner, de disposer une chose ; on a de même en
mongol korim, la fête, le festin. N'est-ce pas là notre
mot (c kermesse » ?
Le parallélisme aryen se manifeste pour cette racine
dans Carus, cher, ce dont on a soin. Et il paraît bien clair
que c'est à ce premier sens de la l'acine qu'il faut rappor-
ter le nom de Cérès ; ce serait la divinité qui veille sur le
monde, qui en prend soin. Ce sens s'applique non moins
aisément à Ccrus.
Italia. Nous avons interprété ce mot par pâturage,
racine altaïque ot, bois ou plante (V. § 56) ; T. oriental
otun, bois ; oiitlâg, pâturage. Le nom d' Italia reparait
sans sa désinence dans les noms des deux monts Ida de
Crête et de Phrygic ; souvent les noms de montagnes
signifient le pâturage ou le bois ; on le reti'ouve encore
dans le nom d'Etolie ; le charpentier qui lit le cheval de
bois était un étolien, appelé etule sur un miroir étrusque ;
on doit croire que cette appellation se rapportait moins à
son pays d'origine qu'à son métier. La racine a une forme
vot. Cela montre que le nom de l'Italie est le même que
celui de la ville de Vétulonie. C'est justement à Vétulonie
que l'on a retrouvé une tasse sur le pied de laquelle on
lit ces mots ithalthilen itlialiclicm. Malgré l'obscurité des
désinences, on ne peut que se joindre aux étruscologues
qui ont voulu reconnaître dans ces mots une mention des
premiers Italiens.
IV. Nous n'avons qu'à maintenir ce que nous avons dit
sur Putcal, Saamm, Calendae, Vates, Dcxter, Summanus,
Uégoé, Aiser, JE fia, Damnos, Ovis, Capys, Gnis, Ariini^
Balteus, Sagitta, Gapos, Tliensœ, Atrium, Burrus, Clan,
Kiartlii, Tliapiri. — Pour puteal, on peut noter la présence
78 LF, MUSÉON.
de la racine à palatale initiale kiU, analogue de la racine
put{\. §98).
V. Pour finir cette étude lexicologique, donnons l'expli-
cation encore inédite de deux autres mots, ausil ou usel
et lautn.
Usil est le soleil levant d'api'ès un miroir ; Hésychius
donne pour le même sens la forme ausel. Ces mots appar-
tiennent à la racine ish, idée de lumière (V. § 155); Ex. :
T. cagataï ishlamak, luire, paraître.
L'aryen offre des cas de parallélisme : Ausonia, et par
rotacisme aurclitis, aurora. On a en outre un cas très net
de prélixation de l'm, dans le nom de Mausolus. Il faut
remarquer que Mausole a pour femme, d'après Hérodote,
une Artémis, dont le nom aussi signifie le matin (i).
Laiitn est un mot étrusque donné par un bilingue : il a
le sens de libertus, affranchi. L'orthographe étrusque
étant quelquefois surabondante pour les voyelles, il con-
vient de considérer ce mot comme appartenant à une
racine lat qui doit se présenter en altaïque sous la forme
JAT. Cette racine indique la pauvreté, la situation d'un
homme étranger ou peu notable (V. § 137). Ex. T. uigour,
jatik, étranger, pauvre ; jatin, faible.
C'est apparemment ce mot qui dans le haut moyen-âge
désigna les leudes.
(1) Voyez nos Etriaca V, page 19.
ÉTAT DE MES TRAVAUX EN ÉTULSQUE. 79
DEUXIÈME SECTIOX.
Les Insciuptions.
L'étude des inscriptions n'est qu'une application de
l'étude des mots ; si les racines sont bien connues et si
leur sémantique est bien comprise, il doit être possible
d'interpréter les textes. Nous avons donné la traduction
d'un certain nombre d'inscriptions dans nos Etnisca (i);
la plus caractéristique est celle de la statue de l'orateur de
Florence. Nous possédons des traductions approchées de
la plupart des autres textes ; à mesure que nous acquérons
un sens plus fin de toute cette linguistique, nous les
retouchons et nous les précisons.
Voici quelques exemples inédits.
L Une inscription dédicatoire dialectale.
Sur la statuette en bronze d'un jeune homtne couronné
de lauriers et drapé dans une toge (Fabretti, n° :2680),
se trouve cette inscription :
Caispaiz variens
Juve zal sesiire.
Pour quiconque a l'habitude des textes étrusques, ces
mots ont au premier abord une physionomie un peu anor-
male, et paraissant appartenir à un dialecte C'est ce que
confirme l'explication suivante.
Les deux premiers mots sont un nom propre ; l'inscrip-
tion est donc dédicatoire : « A Caispaiz Variens ». Sur les
trois premiers mots de la seconde ligne, on en connaît
(l; Paris, Klincsieck, 1904-1906.
80 LE MUSÉON.
un, zal. C'est un nom de nombre que nous rendrons par
six (i).
Que peut désigner ce nom de nombre dans une dédi-
cace très brève ? L'hypothèse la plus simple qui se présente
est qu'il s'agit d'une offrande à un défunt dont ce nombre
indique l'âge. Le mot qui précède zat doit donc être celui
qui signifie année, et qui a d'ordinaire la forme avil ; en
d'autres ternies jiive serait une forme dialectale de avil
ou aivit. L'examen des racines est tout-à-fait favorable à
cette hypothèse.
Nous avons en effet expliqué avil par une racine qui
signifie tourner ; un an, c'est un tour. Or cette racine
(V. § 31) a les formes aj, ej, ev, ôv ; et encore ov, juv
(V. § 49). Les formes aj, ej sont un peu écourtées ; les
autres rendent très bien compte de la double écriture
aivil etjuve. Ex. T. cagataï, ovalamak, faire tourner.
Le parallélisme existe en aryen dans les mots a-'wv,
aevum. Il peut être suggestif aussi de comparer à ces formes
le nom de l'œuf, ovum, le rond ; ce n'est sans doute pas
par un simple hasard que les Romains se servaient
anciennement d'un œuf en bois pour compter les tours
des chars dans l'arène. Le sémantique que nous indiquons
devait leur être alors présente à l'esprit.
Le mot sesure se rattache aisément à la racine os, ms,
juz, suz, (V. § 64), indiquant l'idée de ce qui s'élève, de
ce qui croit. (Cf. aussi § 55 où l'idée d'âge est plus expli-
cite.) Ex. T. cagataï : ôzenmek, s'élever ; T. jakout tsûsun,
l'aspect, la forme, la figure ; T. altaïque, ozogi, âgé. La
désinence r paraît en altaïque dans des formes qui signi-
fient en haut. Sesure peut donc se traduire par « âgé de ».
(1) Nous avons traité des noms de nombres dans une communication à
l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, encore inédit^.
ÉTAT DE MES TRAVAUX EN ÉTRUSQUE. 8i
Le texte se lit :
« à N...
âgé de six ans. »
II. L'inscription du lampadaire de Gortone, corrigée
et complétée.
Nous avons déjà étudié les trois premiers mots de
l'inscription gravée sur le beau lampadaire étrusque de
Cortcne, laquelle est ainsi conçue :
Thapna lusni
Tlnskvil
Athlik Salthn.
Nous avons, après Taylor, rapproché lusni de mots
signifiant lampe, tels que XuyveîTov, — et on ne peut trouver
un rapprochement plus naturel ; — puis, pensant que
cette belle œuvre d'art pouvait être une de ces lampes à
niveau constant dont il est question dans la mécanique
antique, nous avions apporté thapna à la racine tam don-
nant l'idée de goutte, et nous avions proposé le sens de
lampe égoutteuse. Aujourd'hui, il nous paraît meilleur
de laisser thapna à sa racine naturelle qui est tap. Cette
racine exprime l'idée d'impression au physique, et au
moral d'honneur et d'admiration (V. § 172).
Mais il se peutque thapna et lusni ne soient pas des noms
communs, que lusni soit le nom de Lucina qui signifie
en somme lampe, et thapna le nom Daphné, qui s'applique
au soleil et à la lune, et signifie admirable. On aurait
donc une dédicace à Daphné Lucine. C'est le sens qui
nous paraît maintenant le plus probable.
Nous n'avons qu'à maintenir pour tinskvil le sens de
merveille. Quant aux deux autres mots, ils s'expliquent
bien comme des épithètes laudatives renforçant tinskvil.
82 LE MUSÉON.
Athlik va avec la racine Atii (V. !^ 26) donnant l'idée de
noblesse ; le parallèle de ce mot existe dans l'allemand
edel-stein, la pierre noble, la pierre précieuse. Sattlin va
avec la racine sal, tal (V. § i5'2) qui fournit l'idée de
suspension, de balancement. Le développement de cette
idée est manifesté par le parallèle aryen Tâ).avTov, balance,
talent. Le mot sert évidemment à désigner un objet de
prix. La traduction s'établit donc ainsi : « A Daphné
Lucine, — merveille — noble, de grand prix. »
III. Insci'iption du tombeau des Volumni, et autres
textes où se trouve le mot akil.
Le mot akil est écrit sur une lampe d'argile (Fabretti,
supplément III, n" 552) :
Uiivfies akil
sur un tombeau à Arezzo (Ga. n" lOi) :
Tluikcr akil tlius thuves,
et dans Finscription gravée à l'entrée du célèbre tombeau
des Volumni à Pérouse :
Arnt/i Lartli Velimnas
Arzneal Thusiur
Sutlii akil t/ieke.
Ruvfies est nom propre dans le premier de ces textes ;
Thuker l'est dans le second ; et les quatre premiers mots
le sont dans le troisième.
Les hypothèses possibles pour le sens sont assez limi-
tées. La mention placée sur la lampe ne peut guère
indiquer qu'une œuvre ou un don de Ruvfies. Il n'est
même pas vraisemblable que akil exprime l'idée de pro-
priété ; celle-ci serait sutïisamment exprimée par le nom
seul du propriétaire de l'objet.
ÉTAT DE MES TRAVAUX EN ÉTRUSQUE. 83
Au point de vue lexicographique le mot akil doit être
rattaché à la racine ak. On pourrait penser que l'a est
préfixe et que la racine du mot est kil ; mais ce serait le
premier exemple d'un a préfixe que nous aurions dans les
textes ; jusqu'à présent nous ne connaissons d'à préfixe
que dans les transcriptions d'Hésychius. D'ailleurs il a
bien l'aspect d'une désinence.
La racine ak (V. §§ 8 et 150) donne l'idée de valeur, de
dépense : T. uig : akitmak, dépenser ; aki, libéral ; akilik,
générosité ; T. jakout agilin compté, estimé. D'oii il suit
que akil doit signifier payé, ou celui qui paye, libéral.
La chose payée n'est pas exprimée dans le premier de
nos trois textes ; elle l'est certainement dans les deux
autres par les termes tus tliuves et tliusiur suthi, entre
lesquels existe en conséquence un parallélisme. Or on
connaît suthi qui est tombeau ; thuves doit rendre une
idée voisine de celle de tombeau. On trouve justement à
la racine tôb, tiïb, (V. § 172) l'idée de partie inférieure,
de fond, de sous-sol. Ex. : T. cagataï et ouigour tûb, tôb,
le fond, le sol. Ces mots ont des analogues en grec dans
TOTio; et TÛfi-Poç.
Entre l'idée de payer et celle de tombeau, s'intercale le
terme tus ou tliusiur ; il se rapporte à la racine tôs, tûz,
jos (V. §§ 134 et 202) donnant l'idée d'ordre, de règle et
de droit. Ex. : T. uigour et cagataï tiiz, tûzuk, règle, loi.
Il existe un parallélisme aryen manifesté par des mots
tels que So-wç, juste, sacré. Il s'agirait donc dans ces textes
de l'usage du tombeau acquis régulièrement pour une
durée illimitée (i).
(1) L'idée d'extension et de prolongation se trouve aussi dans la racine.
Elle est explite au § 64 de Vambéry.
84 LE MUSÉON.
L'examen que nous venons de faire nous fournit en
définitive ces traductions :
« Libéralité de Ruvfies. »
« N... a acquis l'usage perpétuel du tombeau. »
Appendice. On rencontre sur deux sarcophages le mot
isolé tiisurthi, tusurtlûr. (Fabretti n"' 1:247 et 1246). tlii
doit indiquer une forme relative, une forme d'adjectif.
Ce mot, d'après l'explication précédente, doit signifier
« régulier », « sacré », légitimement acquis pour toujours.
B"" Carra de Vaux.
ÉTUDES
SUR
I
L'ÉSOTÉRISME MUSULMAN
(Suite.)
Qu'ils soient ou non en retraite, le jeûne est l'une
des prescriptions les plus rigoureusement observées par
les Soulis et l'une de celles auxquelles ils attribuent le
plus d'importance. Sohraverdi qui consacre aux forma-
lités du jeune les chapitres XXXIX-XLI de son Avarif
el-méai-if dit ({lie la grande porte qui mène à Dieu est la
privation de nourriture (i). Mahomet a dit que la patience
est la moitié de la foi et que le jeune est la moitié de la
patience (2) ; les sheïkhs soufis ont coutume de dire
que les règles de leur ordre reposent sur 4 bases :
peu manger, peu dormi i', peu parler, peu fréquenter le
monde (3).
(1) b\à*J\ j!ai 6ii\ ^J\ <u,» Ji.jo ^ji\ ^Jîi»5\ v*LJ\ ^3-i«> J^^ man. arabe
1332, folio 117 recto.
arabe 1332, folio 177 recto.
(3) ÏL»^ ^Uy\ àiï Li.\ l»ij\ ^Jic i*^x*^ ^i O^ o^ ï-ij-oJ\ j;i^.i-» ^yû\ Jkij
(j-U^ ^^c jyc^5 |«^\ Ai*; (»^^\ Avarif el-méarif, man. arabe 1332,
folio 82 verso.
86 LE MUSÉON.
Les Mystiques sont d'avis que la quantité de nourriture
qui est nécessaire pour un homme tue son intelligence et
que cet état, dans lequel il se met volontairement, fait
pleurer les anges qui implorent pour lui la miséricorde
de Dieu. Quant à celui qui mange trop, il se consume
dans le désir et dans la passion. Le jeûne, comme le
croyait le Prophète, est en effet pour les Soufîs le princi-
pal moyen de venir à bout de la concupiscence et d'écar-
ter les tentations causées par le démon : la faim de
l'estomac, dit le mohtésib d'Éberkouh, dégoûte des pas-
sions, tandis que la satiété de l'estomac est la cause de la
faim dévorante des passions (i). Dans ce même passage,
il est d'avis que l'excès de nourriture cause un sommeil
invincible tandis que la faim est la préface de la veille ;
on verra plus loin l'importance que les Soufîs attachent
au fait de rester éveillé durant toute la nuit, ou au moins
durant une grande partie de la nuit. Parmi les innom-
brables propriétés qu'il attribue au jeûne, Shems ed-Din
cite les suivantes (2) : Il met de la douceur dans Tàme
vjt^ is^'^ ^^ -^ „_ g^aJ^? \tt!,^^ï ^^\ f^ylis^ (•'i^ ij>\ i^ <^}^ ij\\\.-i')\ (j\
àS >,_j\»^> *»/àj/» «jy.iS i— ">■■<•.> vJjà» /j\ f^!& 6,^^^ c:,^*;;^b ^l-X*^ a^^ ]^\ ^
^JW *^*L j\ iJk*/* ^\ C»=. <^'S:^£^ tS-" } vi~->^ >g~» (i^Aft»» C»=. (J)*^ *^^ T^'^i
el-hahreïn, ms. persan 122, pages 474-5. ^^ ^^^ s-~- i-;^*- ^s^^/
c»^ v_s^-^/^ '^^ '•^^*^ t^^^- j "^^ 2&t£^., page 442.
j*^J' j ^jL~:^\ ^-i.à> c;^*w«i ^^ ^^»^. (:>^^? 17*^ ci>jU^ f*;^^^ cJir;* '^i'j^ai» f»^-»
ibid., page 443.
ÉTUDES SUR l'éSOTÉRISME MUSULMAN. 87
^j^, cause la pureté extérieure et intérieure du corps,
ainsi que la santé de l'esprit et du corps. 11 permet,
grâce à la lucidité qu'il donne à l'intelligence, de rendre
grâce à Dieu pour ses bienfaits, de faire les bonnes
œuvres, d'arriver facilement à la Connaissance, au con-
tentement de ce que l'on a V^j et à la résignation à la
volonté divine jSy et enfin, ce qui a son prix pour les
Soufis qui passent leur vie à courir les grandes routes, il
permet de ne pas s'encombier de quantités de provisions.
Les Soufis, jugeant que le jeûne du mois de Ramadhan
n'était suffisant que pour les gens qui ne marchent pas
comme eux dans la Voie mystique, ont la coutume de le
commencer pendant la première quinzaine de Shaaban ;
certains d'entre eux jeûnent même durant tout Shaaban
et Ramadhan, rompant le jeûne durant la moitié des deux
derniers jours entre ces deux mois (i), puis le 10 de chaque
mois. 11 n'y a pas sur ce point d'usage universellement
reçu et chacun est à peu près libre de s'infliger à sa guise
des jeûnes supplémentaires, en plus des jeûnes canoniques
qui sont d'observation stricte. Le jeûne du Ramadhan est
d'ailleurs très strictement observé par les Soufis ; Sohra-
verdi cite le cas d'un Mystique nommé Sahl ibn Abd
Allah (2) qui ne mangeait qu'une seule fois dans tout le
mois de Ramadhan : il est vrai qu'en temps ordinaire, ce
phénomène ne mangeait que tous les quinze jours, et on
voit que cela ne changeait guère son régime ; d'autres
moins extravagants jeûnaient un jour et mangeaient le
lendemain, d'autres deux jours sur trois (sj.
o^j; t)W*A Avarif el-méarif, ms. arabe 1332, folio 119 recto.
(2) J^U (jU-^ ^i^ Uy_ ^ î-.«^ ^ ^ ^\y iii\ s^ i^ Je- (^^ J^,
ÏA=.\^ &i^\ Avarif el-méarif , ms. arabe 1332, folio 118 recto.
(8) ibid , fol. 118 recto.
88 LE MUSÉON.
Certains Soufis de Wasith jeûnèrent durant deux années
consécutives, se bornant à ne prendre de nourriture
qu'après le coucher du soleil, sauf pendant le mois de
Ramadhan où ils ne mangèrent absolument rien (i).
Les Soufis, au dire de Sohraverdi, affectaient tout pai'ti-
culièrement de jeûner pendant les jours blancs, soit le
13, 14 et 15 de chaque mois (2). On sait, qu'après le péché,
le corps d'Adam était devenu tout noir et qu'il ne retrouva
sa couleur primitive que lorsque l'Être Unique lui eût
pardonné; il ordonna alors à Adam déjeuner pendant trois
journées consécutives durant chacune desquelles un tiers
de son corps redevint blanc. Ce sont ces trois jours que
les théologiens musulmans nomment « les jours blancs »
^_^;^Jl «M. Dans son traité de Soufisme intitulé Medjma el
bahréin, le mohtésib d'Éberkouh nous apprend qu'en plus
du mois de Ramadhan et des jeûnes canoniques, les
Mystiques observaient le jeûne le plus strict durant les
six premiers jours du mois de Shavval, les dix premiers
de Dhoulhidjdja et de Moharrem, les jours blancs, et le
premier et le dernier jour de chaque mois.
D'autres jeûnaient encore le lundi et le jeudi de
chaque serar^ine (5). C'est à peu de chose près ce que dit
(1) ibid., fol. 118 verso.
^J>^■^\ f>\\ ^L-a? 6jk^> C^"^ u^-?^ Avarif el-méarif, man. arabe 1332,
folio 119 recto.
(3) A«) ts^\ i.^Jii =^3.;^) ; cy,.»;v» cite-.,, .0 tiS e:,— .1 5;.j ^ifcij;\.J ^—jJI ^'•\ •
Medjma el-bahreïn, man. pers. 122, page 402.
ÉTUDES SUIl l'ÉSOTÉIUSME MUSULMAN. 89
Sohraverdi dans VAvdrif : d'après lui, certains Mysti({ues
n'aimaient pas jeûner tout Kedjeb pour ne pas imiter le
jeûne de Ramadhan et ils jeûnaient pendant une décade de
Dhoulhidjdja et de Moharrem, le jeudi, le vendredi et le
samedi des quatre mois sacrés. Une tradition dont l'auteur
de VAvarif el-méaî'if nimVique \n\s la source atïirme que
celui qui jeûne le jeudi, le vendredi et le samedi de cha-
que semaine des quatre mois sacrés sera éloigné du feu
de l'enfer durant 700 ans (i).
Les Mystiques qui vivent en communauté dans un
couvent doivent naturellement, avant toute chose, se con-
former aux règles qui y sont observées ; quant à ceux qui
ont l'habitude de vivre seuls, s'il leur arrive par hasard
de se trouver dans la société d'autres personnes du siècle
ou de l'Ordre, ils doivent conformer leur conduite à la
leur, ou tout au moins, ne jeûner, s'ils y tiennent, qu'avec
leur assentiînent de façon à ne provoquer aucun scan-
dale (2).
On se tronquerait en croyant que ce jeûne maléiiel
constitue par lui-même un ascétisme sufïisant. Moham-
med ii)n Xasii- cd-Din Djaafer el-Hoseïni dit dans le
Balir d-maani (pi'il y a deux aspects du jeûne ; le jeûne
exotéri({ue (jui consiste à ne pas manger, tout en laissant
leur liberté aux passions, et le jeûne ésotérique par lequel
le Soufi doit avant tout réfréner ses passions. Il ne faut pas
(j««*^ai.î\ i»^»^^ v^à (.!/• f»\y <iiii' /»U> <.v» y^'&J^ -» «Jj) («^va^î^ ;C'*'-^^ (/>'• f^" (O^
^W ijU*^ jU\ ^^^ juij o----J\j 3Jt«.aJ^^ Avarif el-méarif, man. arabe
1332, folio 119 recto.
(2) ^y3i 3 ïtU-v ^<cï-<» ^ ^ ô'*'~=' c^"- c)^ ''*^' "^^ V^ (j^ >ï=^^'^ <->S\ ^^ j
f^*^ j-^ ^lû ^'^5 ûj^ai) ^\xXi £-*-^^^ "^^ O"^ *^''* O^ ^^; f'J^'^i ^*
Avarif el-méarif\ man. arabe 1332, folio 120 recto.
6
90 LE MUSÉON.
se contenter du jeûne exotérique qui consiste seulement
à ne pas manger et le jeûne ésotérique a une tout autre
importance ; en d'autres termes, le Mystique doit faire
tous ses efforts pour arracher de son âme ses passions
mondaines et tout ce qui n'est pas l'amour exclusif de
l'Être Unique (i). Comme toutes les pratiques de l'Islam
appliquées au Soufisme, et comme celles qui sont propres
au Mysticisme, sans que les Musulmans ordinaires aient à
s'en occuper, le jeûne, ou ce qui revient au même, la
faim causée par le jeûne a un double sens : exotérique et
ésotérique ; considéré sous le second de ces aspects, elle
signifie, comme le dit Sohraverdi dans VAvarif, que l'on
doit retirer complètement son àmedu mouvement de la vie.
D'après Shems ed Din d'Éberkouh, la faim ou l'état de
jeûne Çj». a à la fois deux aspects et deux stades (2).
(1) \^\ c:^^\ v_JU^> 6jj)j ^^}\ ^ s-'^jâ> } («Vais c^Lw»\ j\ kj>M~.>jV*£ c^âi jO f»ya ^
y>- ^jy (à^)'^ ^ Vj ^^'^ (^^"^ hcf^ L>î^ "^^J i:)^^ fy (^-^ î •i'^\)=^ ^r*'*
t>\xi.>\ iS S'.i ^\^i;j^.J ;^^-i-> ) ^}^ j> f»)" i^r^ j'i^^? ^^ -^^-fi ij"-^
Man. supp. persan 966, folio 16 verso et 17 recto. j^àI? \ji=. j\ ^^^ ^-y
(2) y^ ; (^;^;^^^ ti^ j •^*'^? ^JlS3L. g^=. y\ ^ c=;^^^ tS"^ '^^- r*^* î"^ ti"^ î
^Jit^^i. u£)Jii\ (^^ • JyiiJ 6~i^S i^^^a^^ ^J~>o* <-^^ *.=-^3=- 3^ «^j? Jo\»j' (jlflàs-* Ç»î-
.L.M^ çj»0 J^àW u>..»tJ^ («VS/» jJ J'\ Aà.l> ijii;»i. Arï-»>> ) >^^; (./-^^ f»VjL» jvi »5^ Aài^J
^^jl^t^v* c;--.*^ \ii>^^i (j^^^ ^3^*^ »^ cs*c^=^ jV^ "^^ ^^ "^^^ ^3^'*^ (jVflàay» 0jj^
t£X»\ ^J aêil> J-;5j (j^-io\ (jJj^ vjjJJki^j Jkj^ Jy^"^^ J^^? ^^?;^ j^ (J^î^ ) 6J^
^JuS)\.j^ ^,j ;\ (0^^^ ) 6Jk^\ kioJki» jO M^»i^^ ^> u>— >\»^ '^Jî*'- <J^"^"^ »i»y.i>^
S-»j c^Wài <JÊ^j\ y> SJ^\) (Uij (jVS3L. M'ijy^ c2Jjk>\ j Jk>;\jj ^^^^i ^^i i,/"-*^ ^
A6.U ^>/ (j<M ^ ^kc J-i ^■♦-i^ j jV^ "^^y* ; J V^ *^>* "^-^ ^^ Medjma el-
bahrein, man. persan 122, page 475.
ÉTUDES SUll l'ÉSOTÊIUSME MUSULMAN. 91
Ces deux aspects sont :
La faim volontaii-e qui est celle des Mystiques qui ne
sont pas encore arrivés à la limite suprême de la Voie
ésotérique, mais qui marchent dans le chemin de la véri-
té, les saliks jAlL et la faim forcée qui est celle des
Soufis parvenus au Nirvana jis? ; en effet, dit le mohtésib
d'Éberkouh, l'âme ^-ii du Mystique parvenu à la vérité
absolue et non contingente ne peut connaître les appétits,
mais il mangera peu s'il se trouve au stade de la familia-
rité ^^i\ et beaucoup s'il se trouve à celui de la terreur
Jn«->. L'acte de beaucoup manger des Soufis parvenus à la
Connaissance indique que les lumières de la vérité absolue
illuminent leur cœur sous la forme de la Majesté de Dieu et
que c'est par suite de la crainte religieuse qu'ils s'occupent
à manger. Quand ils mangent peu, c'est un signe que ce qui
leur est révélé leur vient sous forme de la familiarité avec
l'Etre Unique ^Jl et que par suite de cette révélation
ïj^ibll, et de l'état de relativité dans lequel ils se trouvent
vis à vis de Lui ^1, ils ne peuvent s'occuper à un acte
aussi matériel que celui de manger. Quand les simples
saliks mangent peu, cela montre que les émanations de
l'Être Unique remplissent leurs cœurs et que, dans de
telles circonstances, les contingences du monde matériel
n'ont aucune valeur pour eux, tandis que ceux qui man-
gent beaucoup montrent suffisamment par là combien ils
sont éloignés de l'Être divin et à quel point les basses
passions de l'âme ^Jù l'emportent en eux sur l'esprit. En
tous cas, sous quelque aspect qu'on la veuille considérer,
la faim a toujours pour but dernier d'augmenter les états
92 LE MUSÉON.
extatiques Jlj=>-I et les stades pli. des Soutis et de les
faire pénétrer plus avant dans les secrets, intangibles pour
le reste des hommes, de l'Occultisme.
VI
Les repas des Soufis sont soumis à des règles invaria-
bles qui se rapprochent beaucoup de celles qui sont obser-
vées par les Musulmans ordinaires de telle sorte qu'il n'est
pas besoin d'insister longuement sur ce point. Le vrai
Souti, absorbé dans sa contemplation, ne doit prendre
aucun souci des détails de la vie matérielle et il ne doit
même pas s'inquiéter de savoir comment il se procurera
de quoi manger. Sohraverdi dit dans V Avarif el-méarif {i)
que celui qui agit ainsi a bien plus de mérite que celui
qui s'en préoccupe et il cite le nom de plusieurs Mysti-
ques (2) qui ne rompaient le jeûne que lorsqu'Allah leur
avait envoyé de la nourriture par un miracle ^.^As- ^ .
Malgré la rigueur de ces formules, il est bien certain
que la vie contemplative absolue n'était que l'exception
et que la plupart des Mystiques étaient bien obligés de se
préoccuper en quelque façon de la vie matérielle. L'exis-
tence n'est certainement pas dure en Orient, même pour
un homme qui entend ne rien faire, mais les miracles ne
sont pas journaliers et encore faut-il se donner la peine
de tendre la main si l'on veut qu'il y tombe quelque chose.
Sohraverdi reconnaît lui-même dans V Avarif (5) que les
Soufis étaient atteints comme tout le monde par les néces-
sités de la vie, et qu'ils devaient sacrifier comme les autres
U) Mail, arabe 1332. folio 120 recto.
(2) ibid., folio 119 recto.
[•ô) ibid., folio 120 veiso-121 recto.
ÉTUDES SUR l'ÉSOïÉRISME MUSULMAN. 95
aux faiblesses de la nature humaine. Sans doute, il est
regrettable que l'âme ne puisse se libérer autrement que
par la mort des entraves de la matière inerte, et que son
action soit étroitement limitée par les besoins du corps
qui la revêt, mais comme l'a dit Mahomet « la matière
est le véhicule de l'esprit, c'est sur eux deux que repose
l'édifice de ce monde et de l'autre (i) ». Si l'on ne nourrit
pas le corps et si on le laisse s'anéantir, l'àme immortelle
n'aura plus le moyen d'exercer son action dans le
monde (2). « L'action de gagner sa vie, a dit Sohraverdi, est
une affaire essentielle et grave qui requiert de nombreuses
sciences parce qu'elle s'étend à toutes les questions qui
se posent dans le monde spirituel et temporel » (3). Les
Soufis doivent commencer leur repas dès qu'ils ont du
pain et ne pas attendre que leur table soit mieux servie,
car le pain remplace à lui seul tous les autres mets ; et
encore ils ne le doivent faire que lorsqu'ils ressentent les
morsures de la faim ; dès qu'ils sont rassasiés, ils doivent
cesser de mangei' et bien se garder d'aller au delà. En
tout cas, il est absolument défendu à ceux qui vivent en
communauté de commencer leur repas avant le sheïkh.
Hodhaïfa rapporte à ce propos que lorsque les compa-
gnons de xMahomet se mettaient à table en même temps
que lui, personne ne se serait permis d'étendre la main
vers le plat avant que le Prophète n'ait commencé à
manger (4). Sohraverdi et les autres auteurs mystiques
(1) ï^)J\^ UaH Ï)Uc U:> } ^-J^]\ s-^-» ^^flî^ Avarif el-méarif, man.
arabe 1332, folio 121 recto.
(2) ibid.
îîjljiJkS^ kvarif el-méarif\ man. arabe 1332, ibid.
ibid.^ fol. 123 recto. àU\ J^^ U-k ^_2-^^ ^^. ^-^^^ C-^- f^ ^^*° ^^ J^-; t"
94 LE MUSÉON.
indiquent une foule de prescriptions sans importance
auxquelles sont soumis les repas des Soufis. Chacune
d'elles, suivant l'habitude, est basée sur une ou même
sur plusieurs traditions plus ou moins authentiques.
La plupart de ces prescriptions sont des minuties dont
le sens nous échappe complètement ; par exemple, il doit
toujours y avoir du vinaigre et des légumes dans le menu
des Soufis. D'autres paraissent plus importantes ; il leur
est en effet recommandé de diner sur des nattes et non
sur des tables pour se conformer à une coutume de Maho-
met et de se servir de la main droite ; de plus, il leur est
recommandé de ne pas manger seuls quand ils peuvent
faire autrement et de se réunir, autant qu'il leur est possi-
ble, pour prendre leurs repas en commun ; les Soufis qui
vivent en communauté ne mangent pas dans leurs cellu-
les, mais dans des réfectoires, à moins cependant qu'ils
ne soient en retraite (i).
C'est une bonne œuvre de commencer et de terminer
son repas par du sel (2) ; le Prophète l'avait recommandé
à Ali et Sohraverdi nous apprend que le sel n'a pas moins
de 70 vertus. Il est d'usage que les Soufis se lavent les
mains avant et après le repas (3). Sohraverdi rapporte que
Soleïman el-Farisi avait lu dans la Bible que la bénédic-
tion du repas consistait dans une ablution soigneusement
faite quand il est terminé et qu'il demanda au Prophète
quel était son avis sur ce point. Mahomet lui répondit
(1) Avarif el-ménrif, man. arabe 1332, folio 122 verso et 123 recto.
(2) V. <J^ J^* ài^ àï!>\ ^j^^ ^ ^jj ^U> ^;;_i.j ^Uîl? ^Ju^^ ^^\ cd5i ^v*j
çi*.U> ^i.\ j çJu.U> cd^UL. U>\ ^Ic Avarif el-méarif, man. arabe 1332,
folio 122 verso.
(3) ihid., fol. 123 verso.
ÉTUDES SUR l'ÉSOTÉIUSME MUSULMAN. 95
que c'est là une coutume que Ton ne saurait trop louer.
Avant de commencer leur repas, les Soufis ont l'habitude
de réciter une sourate ou un fragment de sourate et cela
est un usage presque universellement adopté. A la première
bouchée, on doit dire : Au nom d'Allah ; à la seconde : Au
nom d'Allah, le Clément ; à la troisième : Au nom d'Al-
lah, le Clément, le Miséricordieux. On doit également
boire en trois coups et dire au premier : Louange à Al-
lah ; au second : Louange à Allah, le maître des mondes ;
au troisième : Louange à Allah, le maître des mondes, le
Clément, le Miséricordieux (i).
11 serait trop long et parfaitement inutile d'indiquer
toutes les prières et toutes les formules que les Soufis
récitent au cours de leurs repas ; elles ont, dans l'es-
prit de ceux qui s'obligent à les réciter, des valeurs
mystiques qui nous semblent puériles, parce que les au-
teurs qui ont traité de l'Ésotérisme musulman n'ont pas
pris la peine de nous dire comment ils étaient arrivés à
cette interprétation ; peut-être était-ce un des grands
secrets j\^\ des maîtres du Soufisme, mais il se peut au con-
traire que ces interprétations paraissaient sutïisamment
claires aux adeptes les moins avancés des doctrines ésoté-
riques pour que les docteurs qui, du fond de leurs retrai-
tes studieuses, écrivirent les traités dogmatiques que nous
possédons, aient jugé inutile d'y insister. Jusqu'à preuve
du contraire, la première hypothèse me semble la plus
vraisemblable.
diî Ju^îi ^_;~.ji J^\ ^i Jyj; ^JM\à}\ ïJ'Àij un v;-i^.'; r^-'^r^^ (j-*^;^^ ^^ r*"*- ^^^^
^s=..j)\ Avarif el-mêarif, man. arabe 1332, folio 121 verso.
96 LE MUSÉON.
VII
Les vêtements des Mystiques doivent être conformes aux
prescriptions ordinaires de l'Islamisme poussées à l'extrê-
me rigueur, avec cette condition absolue qu'ils doivent
n'avoir aucune valeur intrinsèque comme tout ce qu'ils
possèdent (i) ; on ne peut évidemment s'en passer, mais
il faut réduire leur valeur au strict minimum (2). Dans
son c^i-^i^^ <~>^->\ Sohraverdi nous apprend que les Soufis
doivent s'habiller de ce qu'ils trouvent, sans choisir et
sans avoir honte de ce que le hasard leur envoie pour se
vêtir (5). Ali auquel les Soufis font remonter l'origine
première de leur secte avait une veste ^-a-^*? dont la valeur
ne dépassait pas 5dirhems (4). C'était dans leur rage d'imi-
tation de celui qu'ils considèrent comme le plus grand
Saint de l'Ésotérisme, le prix maximum que les vrais
Soufis consentaient à mettre à leurs vêtements. Sohraverdi
raconte en effet dans VAvarif cl-méarif, d'après un docteur
nommé Abou Soleïman el-Darani, qu'un certain Soufi
(1) Man. arabe 1337, folio 107 reoto.
(2) Avarif el-méarif, man. arabe 1332, folio 124 verso et 125 recto.
(3) ^^ f«UU\ ^^\ \^ "^j-^^^^ ^^^ C*''^ ^3*\)5/^ 5 (j~aiî^ ci^UU. 1^ ^j-^-^H
ctsJ^ ^joî ,_^à;J\ uyUU « Les vêtements sont un des besoins de l'àme
animale et une exigence dont elle ne se peut passer pour se défendre du
froid et de la chaleur; de même, les aliments sont un besoin imprescrip-
tible de l'àme animale pour repousser les attaques de la faim n Avarif
el-méarif, man. arabe 1332, folio 124 verso. On remarquera ici le sens
bien net du mot ^j.^ « âme animale », opposé à ç.,^ « âme intellectuelle,
esprit T> ; dans la théorie des Ésotéristes, et d'ailleurs des philosophes
musulmans, l'âme animale est naturellement l'origine des passions maté-
rielles qui agitent et déséquilibrent l'être humain.
(4) ibid., fol., 125 verso : U.^^ ,^,-.J àj^ iiJ^ ^j>^ Ub ^^y.^^\ j^\ ç^\ ^j^^
ÉTUDES SUR l'ÉSOTÉRISME MUSULMAN. 97
portait une tunique en poil de chèvre qui ne valait pas
plus de 5 dirhems ; il eut pendant longtemps fort envie
d'un manteau de 5 dirhems, mais il ne l'acheta pas parce
qu'il considérait cette envie comme un désir coupable et
presque sacrilège {i). On voit par plus d'un passage du
chapitre XLIV de VAvarif cl-méarif que les Soufis, sans
être tous des kalenders, avaient le plus profond mépris
qui se puisse imaginer pour les recherches les plus élé-
mentaires de la toilette.
Suivant des traditions musulmanes certaines, Jésus-
Christ, qui fut l'un des modèles des Mystiques, se revêtait
d'un habit de laine tout déchiré avec lequel il monta au
ciel ; un sheïkh raconta qu'il le vit en songe vêtu de cette
loque et de chacun de ses lambeaux émanait une lumière
éclatante (2). Le sheïkh s'écria : « 0 Maître ! quelles sont
ces lumières qui resplendissent sur tes vêtements ? — Ce
sont les lumières de ma passion, lui répondit le Christ,
j'ai cousu chacun de ces haillons au prix d'une souffrance.
C'est des angoisses que Dieu a envoyées à mon cœur qu'il
a rendu lumineux chacun de ces lambeaux ».
Ali ibn Osman el-Djoullabi, dans son Keslif el-mahdjoûb^
dit qu'il est d'observance stricte pour les Soufis de ne
porter que des habits déchirés et en lambeaux. Le Pro-
phète, d'après une tradition l'apportée par le même auteur,
(1) àjJa) ^S <S0'°k^â>> f>^^'^ ÏJùj ïcLc (•ÔJk:i\ (./~A*. i5'\)'^^ (;)^-*>*'^ ^y J^
ï^-L^n ^1*5 vù,]^ j^\ ^fej^j à-<.*.^> ihid., folio 125 recto.
(3) i.s,^W &j>lys iJic diî\ ïJi^ (*?.)'• c:>? ls^-!^ ^ c>>~.\ ûA/»^ rr^^^ j^^ j*'^^ î
c:-^-.^ 6A^b^ ^^^y \ji\ j^ u>.~.\ 6x0 Uj ^^w Jj*j àS Keshf el-mahdjoub, maii#
supp. persan 1086, folio 27 recto.
98 LE MUSÉON.
avait donné l'exemple aux premiers musulmans de porter
des vêtements de laine (souf) (i) et de ne monter que des
ânes. Ce serait même de cette circonstance que les Soutis
tireraient leur nom. Une tradition rapportée par cet auteur
dit : « Les vêtements en loques sont une robe d'innocence
pour les sectateurs de l'Ésotérisme et une capucinade
pour les gens du siècle » (2). Comme on ne peut pas avoir
d'emblée un vêtement en lo(|ues, il est évident qu'on doit
se résigner à en porter un entier, mais son étoffe doit être
de très faible valeur et, quand le vêtement est déchiré, on
doit le i'a|)iécer avec des haillons. Telle fut toujours, au
cours des âges et dans toutes les parties du monde de
l'Islam, la règle constante et invariable des ordres de
Soufis et des confi'éries du Maii;hrel) ; le luxe est l'ennemi
de l'homme parce qu'il l'entraine à sacrifier son existence
spirituelle aux contingences de la vie. A cet égard, les
prescriptions édictées par le Miihdi de Khartoum furent
aussi sévères que celles de Mahomet ; il n'y a qu'un légis-
(1) <li Vas>' \\ ki^w^ <Jc;-i ci>V*ï.-» (_;~.^5 • e>^-.\ à*i./» (r>■^î «-ij-a'^'* v^âi i^^Jkj
r»^J^* ^ yW^^ ï;^^ (J)-^^'> ^j^)\ ^^J^■i f^i^M i*^-, à.-)^ àii\ ^ c:-.2^ J^-;
Keshf el-mahdjoub, man. supp. persan 1086, folio 24 reoto.
(2) j^jx]\ J*:^ jjj^W Jlj^^ j \i^]\ jt'J Viy]\ ^^_fi ô.»ij^\ ce qui est traduit
en persan par Djoullabi dans le Keshf el-niahdjoub de la façon suivante :
Aij'^ j\i çiU ... parce que : « en les revêtant, les adeptes de l'Ésotérisme
se dépouillent des deux existences et se libèrent des ohaines de la vie
contingente et que les êtres qui vivent dans le siècle, en les mettant, se
voilent (par orgueil de vouloir imiter les Soutis) la vue d'Allah et perdent
le salut n. Il faut reconnaître que l'explication de Djoullabi et la tradition
attribuée à Mahomet sont assez obscures, {ibid., folio 26 recto et verso) ;
on trouve dans le Keshf el-mahdjoub d'Ali ibn Osman el-rijouUabi un
hombre très considérable de ces sentences qu'il serait trop long de
rapporter toutes ici et qui d'ailleurs se répètent très souvent.
ÉTUDES sua l'ésotérisme musulman. 99
lateur musulman qui s'écarta sur ce point du dogme
koranique, le Bab Ali-Mohammed ; mais c'est que le Bab
qui recommandait à ses fidèles de se couvrir de vêtements
luxueux dans les moments les plus heureux de leur vie
était l'adversaire juré des Soufis et qu'il est complètement
sorti de la tradition islamique ; d'ailleurs, il faut bien
reconnaître que les Mystiques et les Esotéristes de Perse,
tout en respectant les traditions attribuées au fils d'Abd
Allah, n'ont jamais apprécié les loques et les haillons
autant que les gens de Syrie, d'Egypte et du Maghreb. Les
miniatures persanes, dans lesquelles on voit figurer des
sheïkhs soufis et des docteurs mystiques, nous les mon-
trent en général fort proprement vêtus, et il est certain
que les peintres du XV^ et du XVI^ siècles n'auraient
pas habillé leurs personnages de vêtements décents s'ils
s'étaient promenés en loques et en guenilles sous le soleil
de Shiraz ou d'Isfahan.
VIII.
Le sommeil du Soufi est réglé aussi sévèrement que ses
repas ; d'après Sohraverdi, il convient de ne pas passer à
dormir plus d'un tiers de la journée, soit huit heures, six
heures durant la nuit et deux heures pendant le jour. On
peut dormir plus longtemps dans la journée, si l'on y tient,
à la condition de défalquer le temps qu'on aura ajouté aux
deux heures de la sieste du sommeil de la nuit (i). Tout
comme les Mazdéens, les Musulmans ont la conviction
que le sommeil prolongé expose aux tentations des sens.
(1) (^f^ti •x^sj\ s-'/a-'i ^ ^=- ^y j^^h J^^ ^^ 09^ o^ (_s*-!^ v3^ "^
méarif, man, arabe 1332, folio 127 verso.
100 LE MUSÉON.
Les docteurs soufis croient, et non sans raison, que c'est
durant la nuit que l'on est le plus exposé aux pires
appels des sens (i).
Avant de s'endormir, le Soufi doit l'éciter plusieurs
prières, cinq versets de la seconde sourate du Coran,
quatre de la Fatiha, le verset Joj^\^ oi^^Jl jl=^ j j^l, les
versets du Trône et aUI C, jl^ J^-^i ^*\, aIH \^^:>\ ^_^ le
commencement de la sourate Jo>sll l^^-^M fin de la sourate
,th ijj^, le jjylOl l^jl^ Ji et le J^^\ aDI _^i^ JS, les dix
premiers et les dix derniers versets de la sourate
,Sfi\ Ij^^ (2).
A son réveil, le Soufi doit rendre des actions de g;râces
à l'Être Unique ; avant le levei- de l'aube, il doit faire une
purification complète et la leconunencer dès que l'aube
apparaît, faire une prière de deux rikaa, réciter la Fatiha,
puis le 05/*^-^ ^i\i J}i, le j^=>-^\ <)lil _jib J.9, le aI^Ij \^^ y^s,
le — <S^j'>\ Uj U-ol \'^j, \etesbili etc., une prière dont l'efii-
cacité passe pour miraculeuse chez les Soufis : « Allah ! pi'ie
sur Mohammed et sur la famille de Mohammed. 0 Allah !
je te demande ta miséricorde pour ton serviteur, de diri-
ger mon cœur dans la vraie voie, etc. » (5), et d'autres for-
(1) C'est de même que les Soufis qui passent leur nuit à veiller et à se
livrer aux exercices spirituels éprouvent un plaisir intellectuel bien
supérieur à celui des gens qui s'amusent, a dit Abou-Soleïman el-Darani
r*^ o* )^^^ J**^ e^ '"^ -^^ r»sy o^ J.4î^ Ja>^ o^V-^^^ U^^ ^^^ J^*5
Avarif el-méarif, raan. arabe 1332, folio 127 verso
(2) ibid., fol. 130 recto.
..^ ^4X Vj} ^y^ v^*^^ W ^Vj *_s^^ ^3- ^^***J 26ïrf., fol. 134 verso.
ÉTUDES SUR l'ÉSOTÉRISME MUSULMAN. 101
mules sur lesquelles Sohraverdi insiste très longuement
dans les chapitres 46 à oO de VAvarif d-méarif parce
qu'elles forment, en définitive, la liturgie de l'Islamisme
mais qui n'ont que très peu d'intérêt pour nous.
Le mérite du Soufi croît en proportion directe de la
privation de sommeil qu'il s'impose (i). Le mohtésib
d'Eberkouh dit dans le Medjma d-ba/ircïn que l'état de
veille est préférable au sommeil et surtout au sommeil
troublé par des rêves. Les Sou fis cherchent à dormir le
moins possible, non pour se livrer à des oraisons ou à des
pratiques extérieures du culte, mais parce que le sommeil
est un triomphe du corps, c'est-à-dire de l'élément maté-
riel de l'homme sur son élément spirituel et que c'est
durant le sommeil, ou tout au moins durant le sommeil
prolongé que les attaques du démon sont le plus à crain-
dre. 11 y avait même des Soufis qui passaient des nuits et
des jours entiers sans fermer l'œil. Tels furent quarante
des tabis parmi lesquels Sohraverdi cite, d'après l'autorité
du ^^ii)\ Oj9 du sheïkh Abou Taleb el-Mekki, Said ibn
Mousayyab, Fadil ibn lyadh, Abou Soleïman el-Darani,
Ali ibn Nakkar, et Hébib el-Adjémi qui faisaient la prière
du matin avec la purification de la veille au soir. Tout le
monde n'ayant pas la force de se condamner impunément
à de pareilles insomnies, on admet que l'on peut rester
éveillé les deux tiers de la nuit et dormir le dernier tiers,
ou un tiers, toutefois le minimum extrême est le sixième
(l) La recommandation de prendre le moins de sommeil qu'il est pos-
sible forme le huitième adab de la vie des Soufis dans le Medjma el-bah-
reïn du mohtésib d'Èbericouh. ^ 0^ ^i s^^^ «5^ •-^ — '^ ff^^-^^^ s^-^^ 5 ^j'**
jaV} g^ d.,^ ^--j Aii^^i. ^e- \y\ man. persan 122, page 478.
10*2 LE MUSÉON.
de la nuit. Il y avait des Mystiques qui dormaient durant
le premier tiers de la nuit, qui veillaient pendant la
moitié et qui ensuite se rendormaient pendant le dernier
sixième de la nuit ; d'autres veillaient durant la première
moitié, restaient debout pendant un tiers et s'allaient
recoucher pendant le dernier sixième de la nuit (i).
(A continue?'), E. Blochet.
u**c^ iji J^*5 '-^t^" i^i «^î*- ,*9-^ oLijiî\ >t^y ï^JkAJ\ (j^^ ^y^ (:hi*?^^
(•W.J 'S'il' (•^5)^ JP^ <-À<jJ^ ^Ui j\^i5^ 4_ju. ^L>^ <Sac* i»jsi^ ^.'H] JJJ\ eJi>'
^_;-A--î\ Alvarif el-méarif. man. arabe 1332, folio 132 verso.
COMPTE RENDU.
E. De Jonghe. Les Sociétés secrètes au Bas-Congo. Extrait de
la Revue des questions historiques. Octobre 1907. Bruxelles
PoUeunis.
Il existe, au Bas.-Congo, des usages curieux consacrant Pépoque
de la puberté. Des jeunes gens se retirent dans les bois, sous la
conduite d'un vieillard ou d'un féticheur, dont ils reçoivent un
enseignement assez mystérieux.
Ces rites de la pubefté, exercés en sociétés secrètes, ont déjà
attiré l'attention des ethnographes, des voyageurs et des mis-
sionnaires. Mais il semble que les idées émises sont encore fort
discutables et que les observations faites à ce sujet ont besoin
d'être passées au crible d'une rigoureuse critique.
L'entreprise a tenté un jeune ethnographe, et je me hâte de
dire que l'essai de M. De Jonghe est plein de promesses pour
l'avenir. Aussi bien, il a eu l'honneur d'être associé à la collabo-
ration de l'ouvrage de M. C. Van Overbergh sur les Bangalas.
Dans son travail, l'auteur examine les idées de MM. Schurtz
et Frobenius, deux ethnologues allemands qui ont surtout appro-
fondi la matière. Sans se livrer à la critique complète de leurs
interprétations, M. De Jonghe énonce, chemin faisant, assez de
réserves, pour montrer que la question des sociétés secrètes au
Bas-Congo est encore susceptible de nouvelles recherches.
Il ramène à onze chefs principaux la coordination de celles
qu'il vient d'entreprendre lui-même.
Et d'abord quels noms portent ces sociétés secrètes ? En ne
tenant pas compte de formes dérivées ou altérées, on distingue
104 LE MUSÉON.
surtout le nkimba et le ndemho. L'âge d'admission des adeptes
est, par les auteurs, donné de façon assez variable, et les chiffres
vont de dix à quarante.
M. De Jonghe étudie ensuite successivement le choix des
adeptes, la durée et le lieu des épreuves, les cérémonies d'entrée,
les déformations artificielles, surtout la circoncision, le costume,
l'éducation et l'instruction. Pour ce dernier point, signalons la
langue secrète dont se servent les initiés du ukimba. Ils sont de
plus formés aux arts et métiers et instruits des croyances reli-
gieuses et des règles de la morale.
Enfin, l'auteur s'occupe des prescriptions et défenses des
cérémonies de sortie, et du caractère spécial qui s'attache à ceux
qui ont subi les épreuves du nkimba.
La conclusion de M. De Jonghe est, que si l'on connaît assez bien
les cérémonies du nkimba et ndembo, on est encore peu fixé sur
la véritable signification de cette institution. Provisoirement, ou
peut la considérer comme « un organisme d'institution religieuse
et de formation civique. Les jeunes gens reçoivent une préparation
à la vie réelle, au sens le plus large du mot, c'est-à-dire à la vie
familiale, à la vie religieuse, à la vie politique, etc.... „
L'article de M. Ed. De Jonghe se termine par une bibliographie
critique de la littérature déjà étudiée du sujet qu'il a traité. Il
a réparti en quatre catégories, celles des missionnaires, des
fonctionnaires coloniaux, des explorateurs, ou des auteurs de
seconde main, la liste des ouvrages et des articles de revues
auxquels il a eu recours. A l'indication bibliographique très soi-
gneuse est jointe en note une courte notice sur l'auteur et une
appréciation motivée sur la valeur de ses recherches. Cette partie
du travail de M. De Jonghe n'est certes pas la moins importante.
Elle constitue une heureuse innovation. Trop souvent, certains
bibliographes se contentent de citer pêle-mêle une foule d'ouvra-
ges, et le lecteur ne sait ce que valent ces informations. S'il est
du métier, la plupart de ces renseignements sont pour lui sans
valem'. S'il est un profane, cette prétendue abondance de biens
n'est souvent faite que pour l'induire en erreur.
Nous ne prendrons pas congé de M. De Jonghe, sans insister
sur la haute valeur de son travail. Conduit avec beaucoup de clarté
COMPTE RENDU. 105
et de méthode, il se distingue avant tout par une logique rigou-
reuse qui ne dépasse jamais dans ses conclusions la portée des
faits. L'ethnographie nous a trop fréquemment offert le spectacle
d'esprits aventureux, à l'imagination féconde, brodant sur les
données recueillies, parfois très minces, des systèmes aussi
fantaisistes que peu durables, pour que nous saluions pas avec
bonheur l'entrée dans la carrière d'un vaillant collaborateur
formé aux vrais principes et qui en fait la plus heureuse appli-
cation.
J. VAN DEN GhEYN.
REVUE DES PERIODIQUES.
Tlie American Journal of Philelogy,
Whole 110. (XXVIII, 2).
1° Transposition Variants in Cicero''s Verrines, byW.PETEEsoN.
Il existe 450 passages dans les Verrines où les mss. sont en dés-
accord par rapport à l'ordre des mots. Ce ne peut être l'effet d'un
hasard. La raison en est, sans doute, que ce texte a servi à
illustrer les règles énoncées par divers rhéteurs sur le rythme
de la prose cicérouienne et que, de la sorte, souvent on am'a été
amené à modifier Tordre primitif des mots pour le rendre plus
conforme aux théories. M. Peterson constate que le ms. 0, qui
jouit d'une grande autorité pour la constitution du texte des
Verrines n'est pas un guide sûr dans la question présente.
2" The nnreal Conditional Sentence in Cicero, by H. C. Ntjtting
— 2" article — L'étude porte sur la construction si essef-fuisset,
l'emploi du futur, la concessive irréelle.
3° Epigraphical Prohlcms in the history of Aitic Comedy, by
E. Capps. Les documents épigraphiques concernant les concours
de comédie à Athènes sont dans un état si fragmentaire qu'ils ne
fournissent que des renseignements insignifiants au sujet de la
chronologie de la comédie attique. M. C. cherche à rassembler
les données qu'on peut y recueillir sur la dm'ée de la synchorégie
(elle s'étendrait jusqu'au milieu du quatrième siècle), l'en-tète des
fastes (il suggère : ol'Se vôvcx-v^xaTiv àcc' où -pôJTov xûj^oi ^crav
Ttoi AiovuGcùi 'EXsuGîpeî), l'établissement des coucom's comiques
aux jeux lénéens, la question de savoir si c'était le poète ou son
SiSxcxxXoç qui était vaiuquem' (les listes de vainqueurs n'auraient
HEVUR DES PÉllIODIQUES. 107
contenu que les -of/jTaî proprement dits), la chronologie de la
liste dionysienne, etc.
4° Boccacio and Scneca, by A. S. Cook. Boccace intercale
plusieurs fois dans sou décaméron des passages de THippolyte de
Senèque.
Vol. XXVIII, 3. (Wholen" IH).
1° MiNTON Warren. The Stèle Inscription in thc Homan Forum,
P' part. Il s'agit de Tiuscription sur une stèle funéraire du forum
romain et publiée dans les Not. Scav. 1890. Depuis lors des flots
d'encre ont été versés à propos de ce texte fort maltraité. M. W.
pense que Ton ne pourra arriver à des conjectures sérieuses p(jur
combler les lacunes que par des comijaraisous avec les inscriptions
relatives aux sacritic(_\s dans les taides cuguluncs. M. W. restaure
le texte comme suit : -^ j)oplifugAO(/ Zuvei îi.nncnta Inpia dota
vitulationej» /ovei te. ri. forei viskesa kajjitirl keivro?u quoi
havelod neque stelos estod sakrutikiof/ luvesfod loiqniod n II prend
kapla comme un a<lj(K'tif v(n'bal de capio, analogue à ecimius et
effugia, uxmentfi signifierait " des Ixt'ufs ,• étant de la même
racine que le skr. uJcsan, havelod serait une méprisi^ jxjur liacc
volet. Le sens sei'ait : •' que tout citoyen qui le désire, })reiine les
viscères et que ce ne soit pas un })éclié, jjourvu qu'un sacrifice
convenable soit laissé. »
2' Tenney Frank. Latin and Germanie Modal Conreptions.
Comparaison entre l'importance et la nature de^s (Miiplois du sidi-
jonctif dans le syntaxe latine et dans (■elle di^s langues germani-
ques.
3° E. K. Rani). The Chronoloyy of Ooid Early U'orhs.
4° K. Allen. The date of Ciecro's Cato major De Senectnte.
L'évidence interne et externe indiipie (pie ce trait('' c(UTesp(»ud à
l'état d'esprit de C'ic(''ron peu a\ant les Lies dt^ .Mar.> dui"ant
lesquelles César fut assassiné.
5° G. DwiGHT Kellogg. Study of a Proverh Atlrihuted to te
Rhetor Apollonius. Il s'agit de cidui cité ])ar Cicéron (Invent. 1,
56, 109) : '' lacrima niliil eitiiis arescit. »
6" \Y. H. KiRK. Studies in the First Uooh of the Aeiidd,
408 LE MUSÉON.
Le vol. XI des Stiidies and Notes in Pliilology and Literature
est consacré à une importante étude de M. W, Marris Hart sur
« Ballad and Epie — A Study in the Development of the Narrative
Art ,5. L'auteur s'est donné la tâche de faire une étude compara-
tive sur la ballade et l'épopée comme G. Paris et Ten Brink l'ont
suggérée sans la tenter. Il s'attache à définir la simple ballade, à
en suivre les diverses phases à travers le Cycle et la Geste et
finalement à caractériser l'Epopée comme point d'aboutissement
de cette évolution lequel se trouve être en même temps le point
initial de la poésie d'art. Il s'efforce, documents en main, de
justifier par une analyse sérieuse des vieilles ballades germaniques
et ensuite des deux grands poèmes : la Chanson de Roland et le
Beow^ulf, la justesse des affirmations courantes un peu à-prioris-
tiques sur la filiation des poèmes narratifs et le développement
continu qu'on peut y suivre de la simple ballade à l'épopée.
La Revue de l'Histoire des Religions LV, 1, 2, 5 et LVI, i.
1" Jean Réville. Les origines de VEucharistie {V^ article).
En publiant une série d'articles sur cette question qui a déjà
fait l'objet d'études sans nombre, M. R. a l'intention de faire un
exposé aussi clair que possible de l'état des sources dont on
dispose pour faire l'historique des idées régnant dans les premiers
temps de l'église par rapport au sacrifice du pain et du vin.
2" S. Reinach. Mercure tricéphale.
Un bas-relief de l'ancienne Lutèce conservé au Musée municipal
de Paris représente un personnage à trois têtes. Des figures
analogues apparaissent sur d'autres pierres d'origine gallo-romaine.
M. R. croit pouvoir identifier cette divinité jusqu'ici sans déno-
mination avec le Mercure gaulois, à cause des attributs dont elle
est accompagnée. Il s'agirait d'une ancienne divinité celtique que
César déjà identifiait avec Mercure et qui, à ce qu'il rapporte,
était l'objet en Gaule d'un culte tout particulier. Les trois têtes de
ce dieu voyageur symboliseraient les carrefours. Le type des
bas-reliefs aurait été influencé par des représentations archaïques
d'Hermès, du VI® siècle.
REVUE DES PÉRIODIQUES. 109
3" R. Basset. La Connaissance de V Islam au Moyen-Age.
(!«■• article).
L'Islam était en général mal connu et défiguré au moyen-âge.
Toutefois certains ouvrages paraissent avoir puisé à des docu-
ments authentiques et donner sur la religion de Mahomet des
renseignements assez sérieux. Ce sont ces documents que M. B.
a l'intention de faire connaître. Il commence par un soit-disant
« rapport des frères prêcheurs d'Orient intercalé dans VHistoria
Anglorum major de Matthieu Paris,
4° E. Been. Leeoy. Interprétation iisychologique des visions
intellectuelles chez les mystiques.
Il s'agit parmi les formes revêtues par la connaissance mystique,
de celles appelées : « visions et paroles intellectuelles, d M. L. les
définit comme étant « des états survenant indépendamment de la
volonté du sujet, cessant de même, et pendant lesquels, il semble
être de son propre aveu, passif et soumis à l'influence directe de
forces supérieures « . Il en distingue trois espèces : Les phéno-
mènes de la première catégorie semblent consister en une sorte
•d'interprétation qui se présente à l'esprit du sujet. La seconde
catégorie comprend des faits de compréhension avec des idées
plus ou moins abstraites : En troisième lieu, il arrive que l'on se
croit accompagné d'une personne qui se tient à nos côtés à droite
ou à gauche et dont la présence nous impressionne agréablement
ou désagréablement.
5° M. Revon. — Le Shinntoïsme.
C'est le dernier d'une série d'articles parus dans les tomes
XLIX à LIV. Celui-ci est consacré à l'histoire des dieux japonais,
à des détails sur leur vie et aux mythes auxquels ils sont mêlés.
6° G. Paeis. Le Conte du trésor du roi Rhampsinife. Etude de
mythographie comparée, publiée d'après un manuscrit inédit, avec
préface de M. G. Iluet.
Il s'agit d'un travail, resté inédit, lu par l'auteur à l'Académie
des Inscriptions en 1874. Depuis lors, M. Kohler a publié une
variante bouddhique du récit d'Hérodote qui paraît effectivement
fort ancienne. L'historiette figure dans le livre de Sindibâd, le
Dolopathos, le roman de Berinus et Aigres, le Pecorome du
P'iorentin Ser Giovanni, les récits des Highlanders d'Ecosse
récoltés par M. Campbell, etc.
110 LE MUSÉON.
G. Paris s'attache à démontrer que loin (rètre la soiu'ce des
autres versious du conte, le récit d'Hérodote n'eu est pas même
la forme la i)lus ancienne ni la })lus pui'e. Il ne croit pas non plus
que rinde soit sa patrie. Sans vouloir tranclier la question d'ori-
gine, il penche })our Babvlone.
T'' J. ItÉviLLE. Lerons d' ouverture du Cours d'Histoire des
Bel /y ions au Collège de France.
8" Noie de M. Nicolas sur V Essence divine et la Volonté primilive
selon le Bàb.
9° A. J. Rr;iNACH. l^ila Horatia et Piluninoe Foplae.
M. 11. s'ap[)lique à démontrer que, contrairement aux explica-
tions des Romains, ni le soi-disant trophée d'Horace, les Fila Ho-
ratia, ni les mots ; pilumnae poplae du Carmen saliare, ne tendent
à démontrer que le piluni ait été l'arme caractéristique des
Romains primitifs. Celle-ci était la quiris. F ilumnus était un nom
de divinité d<' foj'uiation analogue à celle de Alemona de alo,
Vitumnus de vito, Volumnus de volo. Ce dieu formait un couple
avec Ficuninus (le dieu àw picnum : outil tranchant) et son nom
est tin'' du pilum, conçu non comme une arme, mais comme un
mortier.
10" R. 1)fss.\ud. Canaan d'après l'exploration récente.
Analyse du livre du R. P. Hugues Vincent. — Les découvertes
récentes les plus importantes eurent lieu à Gézer où l'on a trouvé
des cavernes avec des os de porc, restes de sacrifices pré-israélites,
et un bel exemple de haut lieu cananéen antérieur à l'an 2000,
avec des pieri-es dressées. A Tanmak, on a exhumé une nécropole
d'enfants, un " autel des parfums « du IX* siècle. Le P. Vincent
s'est attaché à l'interprétation et à la description de ces diverses
découvertes.
Transactions ofthe American Philological Association 1906.
1° E. W. Fay. Latin Word Studios : arcessit, (kv<x.jy.-fi • ^^(^^^^^
(base (e)nek), vicissim ("cf. germ. Wechsel), severus, amarus,
amoenus, amat (base amê(y) = premit), frangit: frëgit.
2° B. Perein. The Death of Alcihiades.
3" R. Grubb Kent. The Time Elément in the GreeJc Brama.
REVUE DES PÉRIODIQUES. 111
4" J. E. Hakry. The Perfect Forms in Later Greek from
Aristotle to Jiistinian.
b° A. R. Anderson^. Ei-Iieadings in the 31 ss of Plautus.
6" E. Washburn Hopkins. The Fcdic Dative Reconsidered.
7° Walton Bhooks Me. Daniel. Sonic passages concerning
Ball-Games.
8° A. T. :\IuEEAY. The BhcoUc Idylls of Theocritus.
9" A. Granger Harkness. The Relation of Accent to Pause-
elision and to Hiatus in Plautus and Terence.
10" E. Cary. Victorius and Codex I of Aristophanes.
CHRONIQUE.
M, Ehelich dans la Zeltschrift fur verglcichende Sprachfor-
schung 41. 3. p. 285 sqq. s'occupe de Pétymologie de quelques
divinités gréco-romaines fort importantes. Il s'élève contre le
rapprochement, souvent fait entre Juno et Aicovv). Aiwvt; est un
simple féminin de Zsuç. Il ne peut en être de même pour Juno,
car dans ce cas il faudrait que son u remontât à une diphtongue,
ce qui est contredit par les inscriptions les plus anciennes. Juno
serait plutôt l'équivalent du védique yôsâ,. gén. yosnds (jeune
femme, épouse), mais avec une racine faible, s est tombée devant
n comme danspeswis <^2)ennis, Losna <Lîina, etc. Le nom propre-
Junius est de même pour iusnios. Il est à remarquer que Junon
est la déesse du mariage. Toutes les particularités de son culte
s'expliquent par cette nature fondamentale de la grande déesse
romaine.
M. Brugmann (Ind. Forsch. III, 253) tente de rapporter fjt.oû<ya
à la racine mcn (penser). Ehrlich tout en ne pouvant accepter
cette étymologie pour des raisons phonétiques, admet qu'au point
de vue sémantique, elle est préférable à la conjecture de Wacker-
nagel (IMoûffa = (xovxta = nymphe des montagnes) parce que le
caractère primitif des muses ou plutôt de la muse n'est pas celui
d'une nymphe mais uniquement d'une excitation intellectuelle.
M. Ehrlich propose donc au lieu de *{jt,ovTta un primitif {xovQta,
provenant d'une racine menth (exciter, agiter) (skr. manthati,
a. si. mçtq = xapaTTsiv). [;.6v9ta de p,ev9 est une fornuition tout
à fait analogue à {Aotpa de (jLsp. Les mots grecs [xovOuXeusiv, {^.dcGuiai,
[xdôoç, |7.àffTa^, (x£<tt6(; se rapporteraient à la même racine que
ftoOca, mot qui aurait donc un sens voisin de xapa/^.
I
CHRONIQUE. il5
Le rapprochement : Vesta : 'EaTÎa, une des rares identifications
mythologiques qui ait conservé quelques partisans, ne trouve pas
non plus grâce devant M. Ehrlich. 11 remarque que écxia n'est
qu'une hypostase du foyer dont la personnification est postérieure
aux temps homériques. En outre la forme saTia ne se rencontre
qu'en attique oii elle a subi une contamination avec éa/àpa. Par-
tout ailleurs on a Igtitj ou larix dont la forme primitive paraît
avoir été (jFtaTia qui se rapporte à un ind.-eur. stieitô (brûler) cf.
a. h. a. swîdan (brûler), lat. sitls ])OVlV stàtis, etc.
Le nom des dieux Mânes, se rapporterait bien à l'ancien
adjectif manus comme le veut Vanicek mais cet adjectif signi-
fierait non pas " bon », sens qui reposerait sur une mauvaise inter-
prétation donnée par les anciens au Carmen Soliare, mais
« furieux n. Le singulier de Mânes : mânis serait identique à [;-^vtç
et se retrouverait dans mwftw/5 (farouche) = qui est in mâm.Cerus
manus serait le pendant masculin de Demeter Erinys. La Genita
Mana de Pline n. h. XXIX. 58 serait aussi une déesse de la terre
et de la mort. Les mânes seraient donc les âmes irritées des
défunts, conception analogue à celle des Erinyes.
Enfin, l'on aurait eu tort de faire des du Lares des divinités
du sol. Les anciens les identifiaient aux âmes des morts et
M. Ehrlich leur donne raison. Diverses particularités de leur
culte le prouveraient : la part réservée dans les repas au Lar
famlliaris comme en Grèce à l'àyaOôç Saîfxwv ou aux vjpweç, le cuite
des Lares compctales qui correspond à Hécate vénérée dans les
carrefours, endroits choisis pour placer les tombes, les Lares
reçoivent des sacrifices propitiatoires et ont pour mère Mania
(cf. dii mânes), Les représentations les plus anciennes des Lares
indiquent qu'ils furent considérés jadis comme des chiens ou des
oiseaux, de même que les Erinyes, les Keres et les Harpyies. Le
nom Lares (anc. Lases) ne peut être séparé de celui des larvae
(esprits des défunts) ou de la déesse de la mort chez les Sabins
Larunda (lat. *Larenia). Tous ces mots se rattacheraient au skr.
lasati « er ist lebhaft n, gr. XtXatofy-at " heftig verlangen « lat.
lascivus « lebhaft r, goth. lustus cret. Xstw (vouloir), etc. prove-
nant d'une racine ind. eur. Us qu'on ne peut séparer de celle qui
a donné naissance à got. lascios (faible), ags. lysu « méchant n,
114 LE MUSÉON.
lat. suhlestus (fsiihle), gr. àXao; " versehrt, blind «, àXà(jTcop (esprit
vengeur). Les Lares seraient donc les esprits des morts, remuants,
tourmentants et vengeurs.
Adonis est peut-être la divinité antique qui aura le plus pré-
occupé les historiens des religions à notre époque.
M. J. Frazer dans son ouvrage : Adonis, Attis, Osiris. Londres
1906, l'assimile à Melqart et rapproche les pratiques des Adonies
des cérémonies qui se passaient autour du l)ûclier de Melqart.
La résurrection d'Adonis est aussi comparée par lui au réveil
de l'Hercule de Tyr. Par là, M. F. s'efforce de rattacher la mort
d'Adonis et celle de Melqart à la notion fondamentale du Golden
Bough : « des représentants humains des divinités mis à mort à
des époques fixes ».
M, R. DussATJD (Rev. Relig. LV. p. 115) objecte à ces construc-
tions que Adonis est un appellatif tandis que Tamuiouz est un
nom propre qui n'avait pas cours chez les vrais Phéniciens. M. F.
aurait dû identifier, d'après lui, Adonis non pas à Melqart mais à
Esmun, lequel est un esprit de la végétation que des rites appro-
priés servent à récupérer au temps de la moisson.
C'est par un développement ultérieur qu'Adouis-Echmoun
aurait fini par s'élever à la représentation de l'Esprit vital par
excellence, ce qui amena son identification avec Asklepios.
M. D. a exposé ces idées dans une étude publiée dans le Journal
des Savants (janv. 1907) à propos des travaux récents de
M. von Baudissin consacrés au dieu Esmun.
*
* *
RoTH avait signalé dès 1875 l'existence au Cachemire d'une
recension originale de l'Atharva Veda, celle des « Paippalâdas ».
Bien que le savant sanscritiste eût montré l'importance de ce
texte qui est, à ce que pense M. Caland, plus ancien que la vulgate,
il n'avait encore fait l'objet d'aucune édition critique. Voici que
M. Le Roy Carr Barret vient d'en tenter une pour le premier
livre dans le Journal of the American Oriental Society XX VL 2^.
half. p. 197 sqq. Le texte est dans un assez triste état mais le
travail de l'éditeur n'en est que plus méritoire et plus utile : la
version des Paippalâdas fournit des matériaux nouveaux et pour
CHRONIQUE. H5
les parties commîmes, donne des variantes intéressantes. De plus,
le classement des textes est nettement différent de celui de la
vulgate.
— A propos de la transcription pâzende Jjco^ciji^ii^ du mot
\ '
pehlevi ^)^01?-^"*(yd' ^- Bartholomae établit dans la Wiener
Zeitschrift f. s. Kunde des Morgenlandes XXI p. 1. une particu-
larité intéressant(? de l'écriture pehlevie, c'est que devant 3 ou j
Va bref s'(''crit a). Il transcrit donc le mot ci-dessus par ^)a/«rëa:'^a)i
et non par pâlir l'xtaii. Une nombreuse série d'exemples viennent
à l'appui de cette règle jusqu'ici généralement méconnue.
*
* *
Il y a quelque temps, parut la nouvelle de la découverte de
deux textes grecs fort intéressants. L'un était un palimpseste
contenant un écrit perdu d'Archimède, l'autre était une collection
de papyrus exhumés à Kôm Ishkaou, l'ancienne Aphroditopolis
et contenant des fragments importants de Ménandre. Le texte
d'Archimède est maintenant traduit et les spécialistes n'ont pas
été peu surpris d'y trouver la démonstration très ingénieuse de
diverses propriétés du cylindre et des sections coniques, démon-
stration que les mathématiciens modernes n'avaient pu produire
que grâce aux méthodes des mathématiques supérieures. Les frag-
ments de Ménandre viennent eux aussi d'être rendus accessibles
au public par l'édition qu'en donne l'heureux inventeur, M. Gus-
tave Lefebvre avec le concours de M. Maurice Croiset, dans les
« Publications du Service des Antiquités d'Egypte «. Le Caire
1907.
Les feuillets découverts à Kôm Ishkaou sont des lambeaux d'un
codex de la fin du second siècle de notre ère. Malgré l'état frag-
mentaire de ces textes, on a pu reconstituer le développement
des quatre comédies.
L'une surtout est assez bien connue : Les Epitrepontes ». Le
jeune Charisios lors de la fête de nuit de Tauropolies a eu des
relations avec une jeune fille qu'il ne connaît pas et entre les
mains de laquelle il a laissé son anneau. Peu après, il épouse
116 LE MUSÉON.
cette jeune fille sans la reconnaître. Celle-ci après cinq mois de
mariage a un enfant, celui de Charisios, qu'elle fait exposer en
cachette. Le mari l'apprend et veut la répudier mais l'anneau fait
reconnaître que l'enfant est celui de son mari et les époux se
réconcilient ». Le nom vient d'une scène d'arbitrage qui n'a qu'un
rôle secondaire dans la pièce.
Une autre pièce a été identifiée avec la Samia. Le rôle le plus
important y est joué par une Samienne, concubine d'un certain
Meschion avec lequel, elle a diverses scènes de ménage.
Une troisième comédie est la Férikeiroméné dont MM. Grenfell
et Hunt avaient déjà retrouvé un important fragment.
Le passage de M. Lefebvre met en scène "Ayvota ou la Méprise
personnifiée qui renseigne les spectateurs sur les antécédents de
l'action. Il s'agit de deux enfants trouvés : Glykera et son frère.
Séparés dans leur jeune âge, ils se rencontrent ensuite sans que
le jeune homme reconnaisse sa sœur et il s'amourache d'elle. Il
s'en suit des aventures fort compliquées et difiiciles à restituer. La
quatrième pièce n'est connue que par un fragment d'une cinquan-
taine de vers. On pense qu'il s'agit de la pièce connue sous le titre
de Héros. Le passage retrouvé est un dialogue entre deux esclaves.
Dans la séance du 14 décembre 1906 de l'Académie des Inscrip-
tions et Belles-Lettres, M. S. RErNACH a fait une curieuse com-
munication sur le mot " sycophante » . Ce terme doit être rappro-
ché de «hiérophante» qui signifie "révélateurd'objets sacrés «dans
les mystères. A Eleusis, il révélait un épi de blé. Or, en Attique,
le culte de la figue existait concurremment au culte du blé. M. R.
pense donc que les « sycophantes » étaient aussi primitivement des
fonctionnaires des mystères. Hiérophantes et Sycophantes exclu-
rent des cérémonies ceux dont les pensées ou les actes étaient
jugés impurs. Tandis que les hiérophantes étaient respectés
comme attachés aux grands mystères d'Eleusis, leurs collègues
des cultes campagnards de l'Attique : les sycophantes ne jouirent
pas d'autant de considération et leur nom fut appliqué à tous ceux
qui accusaient à la légère leurs concitoyens.
*
CHRONIQUE,
117
Les résultats des fouilles opérées l'an passé en vue d'éclairer la
préhistoire de l'Europe en général et de la Grèce en particulier
peuvent se résumer comme suit : Dans le bassin de la mer Egée,
plusieurs petites découvertes ont ajouté de détails intéressants à
ce que nous savions de la civilisation Cretoise. Plus au nord, dans
le bassin du Danube, on a mis à jour des tombes qui oii'rent de
nombreux points d'analogie avec les types anciens de civilisation
en Thessalie et en Troade. En outre, vers l'ouest, on a pu consta-
ter l'existence d'influences Cretoises peut-être même de colonisa-
tion Cretoise dans tout le bassin occidental de la Méditerranée.
Une découverte assez curieuse est celle opérée à Sparte par
l'Ecole Anglaise d'Athènes. Dans le terrain sur lequel reposait le
temple de Artemis Orthia, on a trouvé des fibules analogues à
celles du Nord de l'Italie et de Halstatt et une grande quantité
d'ambre. Ces objets étaient mêlés à des potteries du type géomé-
trique et tout indique que le dépôt est du neuvième ou dixième
siècle. La présence de l'ambre et des fibules de ce type à Sparte
indique nettement l'origine septentrionale des Doriens.
On a pu reconstituer le tracé des murs de la ville de Sparte.
Le nom du tyran Nabis se trouvant sur beaucoup de tuiles permet
de dater la construction de ces remparts.
En Crète, les fouilles de M. Seager à Pseira ont fourni des
reliefs peints en gesso-duro, comme à Cnossos, notamment la
représentation d'une femme à la robe richement brodée. Les murs
étaient bâtis solidement en pierre sans l'usage de briques.
A Prinia, les archéologues italiens ont trouvé les restes d'un
temple grec archaïque. On en a découvert le sima qui avait un
mètre de haut. Il était orné de files de guerriers armés de bou-
cliers ronds et de lances, le tout en bas-relief. Comme dans le
sima semblable du temple de Zeus à Palai-Koitro, le coloris a été
partiellement conservé.
— Les historiens des origines de l'Europe liront avec intérêt les
deux volumes de M. C. Julliax : Histoire de la Gaule. I. Les
invasions gauloises et la Colonisation grecque. II. La Gaule indé-
pendante. L'intention de l'auteur est de poursuivre ultérieurement
son ouvrage jusqu'à l'invasion des barbares. Dans les présents
volumes, il parle des peuples qui ont précédé les Celtes en Gaule
H8 LE MUSÉON.
et s'occupe ensuite des migrations de ces derniers en Europe et
en Gaule. Il consacre un chapitre aux voyages de Pythéos et un
autre au passage d'Hannibal. Il termine son exposé historique
par un tableau de l'état de la Gaule au moment où César vint en
faire la conquête, tant aux points de vue géographique et poli-
tique qu'économique et moral, M. J. s'applique à montrer que la
Gaule était plus qu'une entité géographique : un état suffisamment
constitué, une nation dans le sens large du mot.
La faculté de théologie protestante à Paris avait en 1904-1905
posé comme question de concours « Les rapports entre le Code
de Hammourabi et le Livre de l'Alliance ». M. A. Boscheron a
entrepris ce travail. Ses conclusions sont que le code de Hiimmou-
rabi « est l'œuvre d'un juriste très instruit et qui a tenté d'une
façon heureuse pour son temps, de constituer un code au sens
exact du mot, t?ndis que le Livre de l'Alliance n'est qu'un recueil
de sentences, un embryon de code, destiné à fixer par écrit un
droit coutumier plutôt pauvre et cela sans souci d'y apporter un
peu d'ordre ».
Frappé par les lacunes nombreuses du code Israélite,
M. Boscheron conclut que son auteur u'a pas utilisé le code d'H.
Il codifie simplement un droit coutumier dout ou trouve des traces
déjà dans les récits des patriarches. Les deux codes remontent
pourtant à un prototype. M. B. tend à croire que ce prototype
est purement « le droit naturel qui se retrouve à la base de toute
société en formation, persistant souvent longtemps après que la
société s'est organisée... «. M. Schorr (W. Z. K. M. XXI p. 70)
s'élève conti'e cette explication à laquelle il préfère celle de
M. Millier qui croit à l'existence d'un code concret et fixé par
écrit ou par la tradition orale, et qui se retrouverait visiblement
dans ces deux monuments antiques.
*
Le 24* rapport annuel du Bureau of American Ethnology con-
tient comme travail original une étude très considérable de
M. Stewart Culin sur les Jeux des Indiens de V Amérique du Nord.
I
CHRONIQUE. 119
L'auteur a rassemblé une quantité étonnante de matériaux parmi
les tribus les plus diverses. Ses descriptions sont accompagnées
de 1112 gravures et photo typies. Son enquête si complète l'amène
à constater que les jeux des Indiens se laissent ranger en un
nombre assez restreint de catégories, qui se retrouvent dans leurs
formes essentielles dans presque toutes les tribus. Ou bien ils
sont encore aujourd'hui des rites d'un caractère religieux, ou bien,
à tout le moins, il remontent à des pratiques de cet ordre. Ils
sont associés avec des mythes, partout semblables. Bien qu'ils
paraissent n'avoir d'autre objet que le divertissement ou le gain,
ils sont considérés en même temps comme agréables aux dieux
et comme pouvant par leur puissance magique éloigner des mala-
dies, faire tomber la pluie, favoriser la reproduction des plan-
tes et des animaux. Il en est parmi eux qui correspondent en
gros et en détail avec certaines cérémonies fort répandues, qu'on
trouve dans les régions les plus diverses et qui, dans leurs formes
les plus anciennes, paraissent avoir eu un caractère divinatoire.
Le 25^ rapport annuel du Bureau of American Ethnology (1903-
1904), paru récemment contient une très importante étude de
M. Jesse Walter Fewkes sur The Aborigènes of Porto-Rico and
neighbouring Islands. Ce travail a une partie historique qui
remonte jusqu'aux temps précolombiens et tâche d'établir à
quelle race appartenaient les Indiens de l'île. Il s'occupe ensuite
des usages politiques, sociaux et religieux de ces peuplades.
Cette partie descriptive est suivie d'une sérieuse étude archéolo-
gique sur les objets divers rencontrés dans ce pays. Ceux-ci sont
plus nombreux qu'on ne pourrait le croire. L'île renferme même
des ruines de constructions anciennes. L'auteur a joint à son
mémoire cent vingt-neuf planches donnant des reproductions
phototypi<pies très soignées des ustensiles, bijoux, amulettes, et
monuments décrits, ainsi que de spécimens de huttes et des scènes
caractéristiques.
La quinzième session du Congrès international des Orientalistes
se tiendra à Copenhague du 14 au 20 août 1908 sous le patronage
du roi Frederick VIII. Le montant de la cotisation a été fixé à
42Ô LE MUSÉON.
18 couronnes (25 frs.). Les adhésions, accompagnées du montant
de la cotisation, peuvent être adressées au Trésorier du Congrès,
M. le Conseiller intime J. Gliickstadt, Landmandsbanken, Hol-
mens Kanal 12, Copenhague. Les membres sont priés d'indiquer
les titres des communications scientifiques qu'ils se proposent de
faire au congrès. Le comité d'organisation a pour président
M. V. Thomsen, et pour secrétaire général, M. Ch. Sarauw, tous
deux professeurs à l'Université de Copenhague. Le Congrès com-
prendra sept sections : a) Linguistique indo-européenne, h) Lan-
gues et Archéologie des Pays Aryens, c) Langues et Archéologie
de l'Extrême-Orient, d) Langues et Archéologie sémitiques,
e) Egypte et Langues africaines, f) Grèce et Orient, g) Ethnogra-
phie et Folk-Lore de l'Orient.
LE NOM DES MAGES
♦
Le lien entre la religion de Zoroastre et la corporation
des Mages est, comme on le sait, très intime.
Comme le dit M. Jackson (Zoroaster, p. 6) « pour les
écrivains de la Gi'èce et de Rome, Zoroastre était le repré-
sentant par excellence des Mages et il est plus célèbre
par les artifices magiques attribués à son pouvoir que
par les vues larges et profondes de sa philosophie et
de sa religion.... Il était regardé comme le fondateur de
la corporation sacerdotale des Mages, lesquels passent
souvent pour ses élèves et ses disciples. «
Dans ces conditions, tout ce qui touche à l'histoire des
mages ne peut manquer d'avoir son importance pour
éclairer les origines du zoroastrisme. S'il est vrai que
l'on ne reconstruit pas le passé à coup d'étymologies, il
reste évident pourtant que connaître l'origine d'un nom
peut parfois jeter un trait de lumière sur l'institution ou
la tribu qui le porte.
S'il était prouvé, comme on a tenté récemment de le
faire, que le mot « mage » est d'origine assyrienne (i), ne
serait-ce pas là un fort argument en faveur de ceux
qui admettent l'influence considérable et même presque
exclusive des idées assyro-babyloniennes sur la formation
(1) Cf. Bartholoinae. Alt. W. s. v. magav. et les références.
122 LE MUSÉON.
de ce système religieux du mazdéisme, si admirablement
construit que beaucoup hésitent à y voir le produit d'une
civilisal,ion encore aussi peu compliquée que celle des
Aryas de l'Iran ?
Cette étymologie, il est vrai, a été combattue par
MM. Nôldeke et Bezold dans deux lettres adressées à
M. Bartholomae. D'autre part aucun essai d'interprétation
du mot persan magav, au moyen des langues indo-euro-
péennes, n'a donné satisfaction et on en reste à l'opinion
de M. Geldner (KZ. XXVIII, p. 200). Celui-ci se refuse
à expliquer le mot en question, pour la raison que
Hérodote présente les Mâyoi comme une tribu médique,
dont le nom, par conséquent, a priori, ne doit guère avoir
de rapport avec les fonctions dont nous voyons investis
ses membres à une époque postérieure. 11 ne me paraît
pas que la question soit définitivement tranchée de la
sorte. Le texte d'Hérodote auquel on s'en rapporte est
formulé comme suit : èo-xt Se MtiOwv Toa-â5e ysvea, BoO^a'.,
Ila5T,-axr,vo([, S-rpoû-^axeç, 'AptJ^avTO'!, Boûowi,, Mâyo'. (Her. 1. lOI).
Le caractère aryen de ces dénominations, au moins de la
plupart d'entre elles, apparaît clairement et c'est même
un des plus puissants arguments invoqués pour démontrer
que les Mèdes parlaient un dialecte aryaque, fuit qui a été
mis en doute notamment par M. Oppert dans son ouvrage
sur Le peuple et la langue des Mèdes.
Mais il me semble qu'on est loin d'avoir tiré de ces
noms propres tout le parti possible. Aucun d'entre eux
ne figure même dans V Iranisclies JSamenbucli de M. Justi
et ils n'ont point été encore expliqués d'une manière bien
satisfaisante.
On se trouve, il est vrai, dans un domaine où l'on doit
se contenter d'hypothèses plus ou moins plausibles. Cette
LE NOM DES MAGES. 125
réserve faite, voici un essai d'interprétation de ces noms.
Le plus visiblement aryaque d'entre eux est Ap'.^avto'l
qui est, sans doute, un équivalent d'eùycverç, formé de
zanta (natus) et du préfixe ari (cf. siir. ari-gûrta, aristuta,
etc, gr. âp'.-, épr,-, âpeiwv, apt.(7To<;). 01 'Ap'-î^avTot, dans ce cas,
seraient-ils donc ol ap'.TTo-, ? (i)
Le nom des IlapY.TaxTivot paraît se rapporter à un autre
ordre d'idée. Il désigne une tribu asssez importante qui
est signalée plusieurs fois dans les auteurs anciens, notam-
ment dans Strabon 80, 52-2, 524, 725, 72G, 739, 744,
chaque fois comme habitant la iMédie. Le souverain
assyrien Sargon parle des Partalcanu comme d'une tribu
lointaine (Gr. Ir. Ph. II p. 405). Le notn est certainement
indo-européen et parait avoir désigné un héros légendaire,
un éponymc cf. skr. parâita « celui qui est parti (dans
l'autre monde) » doù parûitabliartr, parCiitarûja, épithètes
de Yama, parâitabliûnii (cimetière). Le mot serait en
iranien paracLu. De fait, M. Justi (Ir. Nam. 242) signale
d'après des auteurs arméniens que l^arétéiaxi le nom d'un
roi légendaire d'Arménie, successeur (ï Anmavan (cf. av.
anaoki «immortel») qui introduisit la dynastie ôes Ilayk.
Quant au second élément du nom, il serait assez naturel
d'y voir l'av. kaênan « vengeur », kacna « punition ». Il
est à noter, en otfet, (jue le terme kaênan est usité surtout
pour désigner les parents chargés de venger un des leurs,
(1) On pourrait toutefois aussi admettre que 'Api^avxof est pour 'Apta-
Çav-oî et signifierait " de naissance aryenne » (cf. 'ApiapâOr,; « der Arier
Fieund «, 'Apiay.£VTj; " arischen Sinns n, etc.) mais on peut se demander si
dans les noms de ce genre énumérés par M. Justi, arya- n'a pas souvent
le sens de *< noble, fort «. Cela parait s'imposer notamment pour les noms
'Ap'.âj-T,; >. aux forts chevaux r, 'Xry/iaÇ^o; " aux bras forts n, etc. Du reste,
arya- parait bien signifier primitivement « noble, seigneur •> comme dans
le gaul. ario-, ir. aire, (cf. Uhlenbeck s. v.).
124 LE MUSÉON.
cf. Yt. 15, 28, yat kaêna ... brâxirô « comme vengeur de
son frère », Yt. 15, 28, haosrava ... pn^rO kaêna syâvar-
sânâi naralie « Haosrava, le fils vengeur du héros Syâvar-
sâna )).
Le composé paraëlakaëna signifierait donc en fin de
compte simplement « le clan de Paraêta ». On arriverait
au même sens en voyant dans -xrivoî une forme plus ou
moins altérée d'un mot parent du gr. xaivo;, skr. kanyâ
(puella), kanlyûn (junior) kanhia (juvenis), osset. kanag
« petit ». On traduirait alors « les fils de Paraêta ».
Evidemment la première étymologie est plus satisfaisante
au point de vue phonétique.
Les autres noms n'ont pas une physionomie aryenne
aussi accusée. Il parait pourtant difticile de ne pas rap-
procher Boùùioi de la racine du skr. bodhati, av. baodaiti,
d'où skr. budfiâ « le sage », av. baodali « 1. wahrnemung
2. wahrnemend ». Bûdh est le nom du traducteur du livre
de Kalilag et Damnag du pehlevi en syriaque. La même
racine se retrouverait-elle dans Bûdâsp, le nom du fonda-
teur du snhéismc. 'f Baudliâyana est le nom d'un ancien
sage hindou, Bojowr. transcrivait donc apparemment une
forme baodlya ou baodya « le sage » (?).
Boùaa'. n'est pas clair. On pense naturellement à av.
baosa, any.^ )^eyô[jievov que M. Bartholomae traduit par :
« Lôsung, Rettung, Busse ». Le mot serait pour baox-
sdm, tiré de baog « retten » au moyen du suffixe sa
qui se trouve dans sraosa de si^av, vaxsa de vac, etc. Ce
mot se retrouve dans les noms iraniens : Bo^o;, Bûxs,
Bagabuxm, Meyâ.<^'j^oç, etc. (cf. Justi, Ir. N. s. v. Bu/ha,
Bagabuysa « Erlosung durcli Gott habend »). Le sens de
« amende », « acquittement », etc. est bien voisin de celui
de « tribut » et Boùo-ai signifierait-il « tributaires » ?
LE NOM DES MAGES. 125
STpoûyareç est le nom le plus étrange de la série, à
première vue. M. Oppert l'interprète par « vivant dans les
tentes ». Nous ne le suivrons pas. Toutefois le vocabulaire
iranien ne fournit aucune racine strav et l'on ne voit pas
non plus clairement quel mot peut bien se cacher sous la
li'anscription yy.-e<;. En ce qui concerne le premier élément,
on peut, je crois, raisonnablement suspecter que dans la
transcription, le t peut s'être laissé glisser entre la sifïïante
et 1'?% phénomène d'autant moins étonnant que le groupe
<7p répugne aux Grecs et qu'il répond à une tendance
phonétique bien connue cf. lat. vulg. essere : fr. estre, être,
lat. pascere : fr. paître, etc. On se trouve alors en face de
(jpou qui rappelle fort le préfixe iranien si^ao-, srava-
(= skr. çrava-), lequel se trouve e. g. dans srava-somna,
srao-gonâ « von tûchtigen Frauen bewohnt ». Quant au
second élément, le '/ peut y représenter un h ou une
spirante gutturale : a; ou y. On pourrait donc songer au
mot sanscrit : Idiadâ « hutte, étable ». *srava xadâ signi-
fierait donc (( aux belles huttes », sens qui se rapprocherait
de celui de M. Oppert. Toutefois, non seulement le mot
*xadà n'est pas connu en iranien, mais le xpour o fait un
peu difficulté. Je proposerais plutôt, parce qu'on entrerait
ainsi dans un ordre d'idées fréquent dans les noms propres
indo-européens, de partir d'un type iranien correspondant
au skr. *çrava-/tati « brave, fameux au combat ». Toutefois
lian est généralement ;aw en iranien, sauf devant n où l'on
a yn, ydn. Mais il ne faut pas oublier que l'on part d'un
i. e. g"hen, g"lion, g"lin où en sanscrit g"h devient h devant
e, i, seulement, tandis que devant a, o, îi, on a gh, et
même devant o (cf. Brugman, Kzg. Gr. Idg. Sp. § 251 :
skr. tigiia et non tijita, de ligota). De même en avestique,
on a le contraste : dardga : drâjista. A gli sanscrit,
126 LE MUSÉON.
correspond donc un g iranien, mais ce g devient la
spirante y, entre voyelles, sauf dans les 2:àthas et bien
que tous les dérivés avestiques de jan aient loj, l'exis-
tence en iranien de dérivés en g, y est rendue très
probable par l'existence en sanscrit des formes gliana
« coup, meui'tre », (cf. t>r. '■!fôvo(C\, gliâta « massacre »,
gliûtin « meurtrier », etc. En somme, au lieu de liati, on
attendait en sanscrit *ghati deg"/inti. L7« y est analogique,
d'après lian (cf. Brugman op. cit. § 252, 2 Anm.). On a,
en efTet, affaire à un dérivé en ti, avec racine faible comme
dans skr. mati, gr. (pâT-,;. g"hntï « combat » de g"lien est
analogue à l'ail, sclilacht de sclilagen et identique à ag. sax.
gundlî, « combat » qui survit dans Frédégondc, Ciinégonde,
Gonthier, etc. g"hnti donne régulièrement av. *gfiti, d'oîi
le composé sraoyati, transcrit par Hérodote : SxpoJ/aTsc;.
Ce nom est tout à fait semblable pour le sens aux
noms germaniques Ltidwig et Cimcgund, aux noms grecs
KÀsôu-ayo;, R'Ae^vôuiayo;, KXt'.'SVxy.yo^, K).£'.-wô|j.ayo;, etc.
Si l'on admet les étymologies ainsi proposées pour les
noms des tribus médiques mentionnées par Hérodote, et
je suis le premier à reconnaître le caractère hypothétique
de telle ou telle d'entre elles, on sera frappé du fait qu'à
côté de véritables noms de clans ou de tribus comme
ncxpY,Taxr,vo{, OU trouve une série de dénominations, « les
nobles », « les sages », « les bons guerriers », « les
tributaires » qui semblent désigner plutôt des castes, ou
du moins des classes d'un même peuple. N'est-il donc pas
probable que le bonhomme aura dans sa liste de tribus
enclavé des noms se rapportant plutôt à des groupes
sociaux du peuple mède, groupes rappelant, somme toute,
assez bien ceux des Aryas de l'Inde.
Ceci constaté, on peut se demander s'il n'en serait pas
LE NOM DES MAGES. 127
de même pour le dernier nom cité, celui des Mâyot.. Voyons
donc quelle en peut-être l'étymologie. Le mot est en persan
magav-, nom. magus. Dans l'Avesta, il n'apparaît que dans
le composé ïnoyutbis « ennemi des mages ». M. Bartho-
lomae s'abstient de lui assigner aucun eiymon. Toutefois,
l'explication qui se présente le plus naturellement et celle
que l'on a plus d'une fois proposée consiste à rapprocher
magav- du gâthique maga, terme obscur du langage
mystique mazdéen que M. Bartholomae rend par « Bund,
Geheimbund, spez. von der zara5ustrischen Religions-
gemeinschaft ». Il ajoute, il est vrai, en note que « das
Wort ist ein Term. techn., dessen eigentliche Bedeutung
nicht zu ermitteln ». Le sens donné dans V Altiranisclics
Wôrterbnch a été défendu par M. Geldner (KZ. XXVIII,
p. 200) : maga n'a pas selon lui le sens du skr. magha. Il
désigne une association, en particulier celle des fidèles
sous la direction spirituelle de Zoroastre et le protectorat
temporel de Vïstfispa ou encore l'union religieuse avec
Mazdâh. Un mogu serait donc « ein Mitglied einer maga,
irgend eines Verbandes oder einer Genossenschaft ».
Depuis lors, dans les Sitz. ber. Preuss. A. W. 1904,
p. 1091, sans indiquer aucune raison à ce changement,
M. Geldner a traduit maga par « Belohnung », sens contre
lequel s'élève M, Bartholomae (Zum Altir. Wôrt. p. 205),
surtout à cause de Y. 53, 7 où on lit : mîzdom (Lolin)...
magaliyâ, ce qui deviendrait dès lors une tautologie. Le
dictionnaire de M. Justi donnait comme traduction de
maga : « Grosse, grosse That, dat. magâi, zur Verherr-
lichung ». Ce sens est surtout basé, je pense, sur Y. 55, 7
où de Harlcz (Av. trad. p. 568) donne aussi « ce grand
œuvre », tandis que M. Mills (Gâthâs, p. 387) a « this
Greatness » et Dai'mesteter : (Zend-Avesta, p. 546) : « votre
128 LE MUSÉON.
perversité » ! ce dernier d'après la traduction pehlevie :
makîli, comnnentée par avèzliak sarllarlh « méchanceté
sans mélange » (cf. infra).
On voit donc que les traducteurs ne sont pas précisément
d'accord sur le sens du mot maga, de sorte qu'avant
d'examiner s'il existe quelque rapport entre magav et
maga, il convient d'essayer de fixer mieux qu'on ne l'a
fait jusqu'ici le sens de maga, en examinant à nouveau
les cinq ou six passages des gâthas où l'on rencontre ce
mot.
Le mot maga ne se trouve que dans les gàthas. Il
apparaît d'abord deux fois dans la gCiM voliûxm^)ra (Y. 51.
16 et Y. 51. 11).
L'objet de cet hymne, comme l'indique le premier
verset, est de célébrer le voluixèa^ra vairya « le bon
royaume souhaitable ^) ou plutôt « la bonne possession
souhaitable ». Celui-ci est accordé à ceux qui s'appli-
quent à produire le plus de bien dans leurs œuvres.
Aussi (v. 2), le fidèle demande-t-il à Mazdâh de lui
accorder ce xsa^ra désigné ici sous le nom de oùsa^rom
ûlôis, ce qui se traduit le plus naturellement, non pas par
« kingdom of désire » comme dit M. Jackson (i), mais
par « possession de la richesse », puisque le sens de
« Vermogen, Besitz, Reichtum », est attesté pour istay par
de nombreux exemples. Ce terme xsa^rom istôis est, du
reste, immédiatement précisé dans le texte par l'expression
{xsa^rdm) savanliô, c'est à dire : « Reich des Nutzens ».
Barth. (Harlez : « utilité », Darm. « bienfaits ») cf. le n.
pers. sud (utilité) de la même racine sav.
(1) Kshathra Vairya, dans « Avesta, Pahlavi and ancient Persian Stu-
dies in honour of the late Shams-Ul-Ulama Sanjana. M. A. »
LE NOM DES MAGES. 129
Ce xhaHra est dit ensuite (v. i) être accordé conime
fsdmtû « l'étribution » des peines [Cirôis). « Où est le
pardon, où aura-t-on part à Asa, où est la sainte
Ârniatay, où est Vahista Manah, où sont tes royaumes
— c. à d. tes biens — [Hwâ xsa^ira), o Mazdrdi ? » Les
ternies As<i, Ânnalaij, Valiista Mami/i, conuTie souvent
dans les gàthas, sont des abstractions, non des personnes
proprement dites. Ce qui le prouve clairement c'est que
le nom qu'on attendrait après ceux-là : Xm^ira vainja se
trouve remplacé par le pluriel ^wâ xsa^râ. L'emploi du
pluriel })récise, en outre, xmhra dans le sens de biens,
richesses, possessions (non [)as « règne, royaume «), sens
qui ressortait déjà des expressions : xkârdm istoifi, ou x.
sa van lui.
Le v. 5 précise encore le concept de « richesse » . vispâ
ta pDi'Dsas, ijatliâ asâd liacCi gam vidât vâstryO skuao^anàis
dVDsvô : (c En te demandant tout ceci : est-ce que le labou-
reui', juste dans ses leuvres, obtiendra d'Asa le biruf ». Il
faut remarquer, en effet, que la richesse, tant spirituelle
que temporelle, est couramment symbolisée dans l'Avesta
par le bétail. Il n'y a là rien de (juoi surprendre de la part
d'un peuple pasteur. Les Romains ne désignent-ils pas
eux aussi l'argent par pecunia ? Quant à la hardiesse des
métaphores (jui s'en suivent, elle ne dépasse nullement
celle de leurs analogues dans le Véda. gao désigne claire-
ment la richesse, par exemple, dans Y. 50. 2 : A«0«,
Mazdâ, rânyO-sIcdrdtîm gam isasôit ij0 hlm ahmai vâstra-
vaitlmstâi usyâtf « Est-ce que, o iMazdfdi, celui-là obtien-
dra le bœuf qui souhaite lavoir avec la piairie ?» — A
(juoi Mazdrdi ré[)ond que ceux-là l'auront, qui respectent la
justice. De même dans Y. 44* 6 : taibyO xsa^rdm Vohû
cinas Mananliû ? kaëibyo azlm rânyô-skdrdtîm gam lasô ?
130 LE MUSÉON.
« Est-ce par toi que le xsa^ra sera octroyé ? o V. M., pour
qui as-tu créé le bétail bienfaisant ? » Ici donc le xsa^ra, la
récompense céleste est aussi identifiée avec le bétail. Il en
est de même dans Y. 46. 19 : a/imâi mlzddm handntë para-
liûm mand-vlstùis mat vîspâis gava azî. « A celui qui mérite
la récompense de la vie future, qu'il soit accordé avec tout
ce qu'il désire, la vache AzI ». Darmesteter signale (Avesta
I, p. 326, N. 9) des passages du Dînkart où le guerrier
qui suit la bonne loi est dit « mériter le troupeau. »
Continuant notre paraphrase de l'hymne, nous voyons
qu'on demande à Mazdîlh, « qui a créé le bétail », les deux
grands bienfaits souvent divinisés de l'immortalité
(amdrdtât) et de la prospérité (ou santé) [haurvatât) . C'est
grâce à l'épreuve du plomb fondu (v. 9), qui distinguera
les bons des mauvais, que chacun recevra sa rétribution
(xsnûtdm « Belohnung im guten und schlimmen Sinn. »
Barlh.), c'est-à-dire les méchants, ce qui fait tort {râsayavhê
drdgvantdm), les bons, ce qui est utile (savayô asavaiidin).
Ce savayô est appelé au v. 40 vanliuyâ asl (la récompense,
le bon sort ». Puis (v. il) on reprend les questions du
v. 4 : « où est Asa, Àrmatay, etc., avec cette variante
qu'ici Zoroastre est mentionné : « Qui est l'ami de Zoro-
astre ?» titre qui, aussi bien que l'attachement à Asa,
Àrmatay, etc., donne droit aux bienfaits de la xha^i'a
i'slôis. Au V. 16, on signale parmi ceux à qui revient cette
récompense le kavay Vistâspa, Frasaostra Hvogva, Jâmâspa
Hvogva. Ces fidèles ont foi dans ce royaume [tat xsa^rjm) ,
c'est-à-dire celui dont il est question dans tout l'hymne.
Cet hymne où les idées sont, somme toute, mieux
ordonnées qu'on ne pourrait le supposer à première vue,
se termine par deux versets qui le résument en reprenant
l'idée dominante indiquée au début : « Mazdâh Ahura
I
LE NOM DES MAGES. 151
accordera le xsa^ira par Vohumanah. C'est vers cette bonne
récompense {vanuhlm aslm), que vont mes désirs ». Mais,
idée subordonnée développée dans v. 11, sqq., ce n'est pas
seulement par les Amesbas Spentas que s'obtient la
récompense du xsa^ira, mais aussi par l'amitié, la média-
tion de Zara^Justra (v. :22). Le propbète loue in globo tous
ceux qui ont foi daus le xsa^ra, fidèles dont quelques-uns
ont été, on l'a vu, désignés nommément dans l'hymne.
L'analyse de l'hymne fait donc clairement ressortir son
objet. Ceci étant, voyons quel est le sens qui en ressort
naturellement pour le mot maga dans le contexte des
versets 11 et 16.
Et d'abord, dans le verset 15 formulé comme suit :
îam KavCi vîsldspô magaliijfi xha^rà nqsat, vanlmis paddhls
mananliô, yam cislîm aM mantil spdiliO mazdao aliurô
a^mid scizdijài ustCi. « Puisse le kavay Vistaspa obtenir (i)
avec (2) le xsa^ira magaliyâ, par les voies (3) du bon
esprit, cette science que le saint Ahura Mazdâh a conçue
avec Asâ. Que s'accomplissent nos souhaits ! ». N'est-il
pas évident que le xsa^ra magaliyâ mentionné ici est
celui dont il est question dans tout l'hymne ? C'est-à-
dire, celui que l'on définit en tête de l'hymne d'une
manière suffisamment précise comme xèa^ra istôis «royau-
me de la richesse, possession des biens » ou xsaha savan-
(1) nasat 3 p. sg. du parfait valant un prétérit injonctif.
(2) datif sociatif très fréquent dans l'Avesta par exemple v. 43, 2 :
Vanhdus mdyâ Mananhô, vïspâ ayàrd daragqjyâtôis urvàdanhâ « les
bienfaits du bon esprit 1., tous les jours avec l'avantage de la longévité »
— V. 44. 7. kà bdrdxdam tâèl xsa^râ mat drmaitim « qui a créé avec
(= en même temps que) le xsadra l'estimable Armatay ? », etc.
(3) Les voies du bon esprit sont signalées dans divers passages notam-
ment dans Y. 34, 12, 13. Elles mènent à la « longue vie » (V. 33. 5,6).
152 LE MUSÉON.
hô « X. de l'utilité ». expression analogue, que nous avons
vue être synonyme de « bon sort ».
Ces textes doivent être rapprochés, en outre, de beau-
coup d'autres disséminés dans les gàthas, où, quand le
xsa^ra est déterminé par des mots au génitif, ceux-ci
toujours signilient « richesses » ou ont des sens analo-
gues.
Qu'on considère Y. 34. 1. xsa^h^dm liaurvalâtô « x. de la
prospérité », Y. 28. 9. xsaHrdm savanliâm « x. des biens
utiles » — Dans Y. 54. 5, xsa^ra est synonyme de istay
(richesse) et nombreux sont les passages des gâthas, où,
à propos de la récompense céleste, du xmh-a, on use de
termes de sens analogue. Dans ces conditions, je n'hésite
pas à dire que dans le texte présent xsa^ra magafiyâ =
xm^ra iètôis du v. 2. Donc maga a le sens de « richesse ».
Le mot se trouve encore une fois dans le môme hymne
au verset 77 : kd iirva^ô spilamâi zarahuUrâi nù mazdâ'i kd
va asâ âfrastâ, kCi spdùtâ ânnaitis, kj va vanliJus mananliô
acistû (i) magâi dvdsvO. « Qui est l'ami du Spitama Zara-
Oustra ? 0 Mazdâh, qui suit les conseils de l'Asâ (rectitude,
justice) ? Avec qui (2) est la sainte Armatay, qui donc,
vivant selon la justice songera à la maga de Vohu Manah
(le bon esprit) ? »
Peut-on traduire ici encore « la richesse c.-à-d. les biens
célestes que confère le bon esprit » ou « qui reviennent à
celui qui a le bon esprit », comme dit M. Bartholomae
(Gâthas p. 150) ? On ne peut guère en douter, il me sem-
ble, tant sont nombreux les passages de l'Avesta où il est
(1) Injonctif de a -|- hacl, avec sens du futur, comme c'est assez fréquent
dans l'Avesta.
(2) datif-sociatif , cf. supra la note sur xsa^i à.
LE NOM DES MAGES. 135
question des biens et des récompenses du bon esprit. Tout
d'abord, dans deux passages, on les trouve exprimées par
ce même mot qui, on Ta vu, semble être presque un
synonyme de maga : Vanliâus iUlm mananlw, « les riches-
ses de Vohu Manah » (Y. 46. 2 et Y. 32. 9.) Dans Y. 47. 3,
il est dit que Vohu Manah, en tant qu'opposé à Aka Ma-
nah, l'esprit mauvais, a créé pour nous le bétail bienfai-
sant, ce qui est encore une façon de désigner la richesse.
Dans Y'. 33. 3, on parle, de même, de la prairie de V, M.
Dans Y. 43, 1, râyO asîs « la récompense de la richesse »
est présentée comme signifiant la même chose que van-
fidus gaëm mananliô « la vie de V. M. » On trouve, en
outre, des expressions presque synonymes : v. 53. 4 m.
V. x^ônvat hanlius « des Guten Sinnes herrlichen Gewinn »
Barth., Y. 33. 13, v. m. aWa « la récompense de V. M. »,
\. 48. 7 V. m. vyqm « la part de V. M. » Y, 28. 7 v. m
âyaplâ « les délices de V. M. », Y. 45. 2. v. m. maya « les
bénédictions (ou joies) de V. M. ».
En outre, ce xha^ra, que, dans le verset précédemment
expliqué, on a vu être constitué par les richesses célestes
est aussi rapporté à Vohu Manah comme synonyme des
termes istay, asay, liaiihav, etc., puisque lui-même signi-
fie xsa^ra istois : Y. 34. 11. vanhduh xsa^râ mananliô,
Y. 46. 80, aUm asùi voliû xsa^rdm mananlui « en récom-
pense de sa justice, \QxUi^ra par V. M. » Dans Y. 33. 13.,
dâhl moi y à vd abifrâ là xsa^raliyâ, ahurâ^ yâ vanhôus asis
mananliô « Puisses-tu m'accorder, o Ahura, comme la
récompense de V. M., les (biens) incomparables de ton
xsahra ». Pour toutes ces raisons, dans le texte qui nous
occupe, nous traduirons donc mananliô acistâ magâi par
« qui songera aux richesses (c.-à-d. aux biens spirituels
et matériels) de Vohu Manah ?
154 LE MUSÉON.
Le texte pehievi, dans la leçon adoptée par M. Mills,
traduit dans ce passage, comme dans le précédent, inaga
par maglli « magianship «. Darmesteter appuie sa traduc-
tion sur la leçon pun maklh râst = mngâi drdsvO et écrit
donc « qui est droit en toute pureté ». magili et maklh
semblent bien n'avoir d'autre rapport avec le mot maga^
incompris des traducteurs mazdéens, qu'une ressemblance
externe (3). M. Mills, moins respectueux que Darmesteter
du texte peblevi, n'en tient pas compte dans le verset 1 i et
traduit maga par « great cause », tandis que pour le v. 16,
il dit « in the great realm », ce qui suppose une relation
erronée entre maga et lat. tnagmis. Spiegel, semble-t-il,
sous la même influence, dit : « Zur Verherrlichung des
V. M. » et « als mâchtiges Reich ». Cette dernière version
a, au moins, l'avantage de donner un sens assez convena-
ble, mais il faut préférer « possession de la richesse »
car, sans compter que les motifs sérieux de rendre maga
par « puissance » manquent, il est à remarquer qu'il
n'est point question de puissance dans cet hymne et fort
peu dans les autres, alors que le sens de « richesse, biens,
récompenses, délices, est, a-t-on vu, des plus fréquents.
De Harlez suit Spiegel en l'améliorant. 11 dit : « le déve-
loppement de V. M. » et « la possession de la puissance ».
Nous tenons donc que le meilleur sens à donner à maga
dans ces deux versets de Y. 51 est « richesse ». 11 nous
reste à voir si ce sens peut se maintenir dans les autres
passages des gâthas où l'on rencontre ce terme.
(1) Faut-il rapprocher ces traductions par semi-homonymie de la pro-
pension des Mazdéens aux jeux de mots, laquelle les amenaient par
exemple, à couper leurs ongles en récitant Y. 33. 7 parce qu'on y trouve
le mot sruyë ^ «ad audiendum», qui ressemble à srva -ongle», (cf.
Darmesteter. Av. I, p. 246).
LE NOM DES MAGES. 155
On le trouve encore dans deux textes où il est déterminé
par l'adjectif maz- « grand ». Cet adjectif est d'un emploi
fort restreint dans l'Avesta. Il paraît avoir un sens archaï-
que et solennel. On ne le trouve que dans des expressions
apparemment anciennes et stéréotypées, par exemple dans
l'instrumental adverbial mazibls « magnopere » Y. 32. 11,
dans le terme technique religieux : mazd yânliô Y. 30. 2
« le grand jugement c.-à-d. le jugement dernier, et enfin
deux fois dans le datif ^nazôi magâi, doublement archaïque
puisque le mot maga qui nous occupe, non seulement
n'apparaît pas dans le « jungawestisch » mais ne semble
pas avoir subsisté dans les dialectes iraniens. Ce mazôi
magâi paraît donc bien comme le mazd yânkô, être un
terme de la langue religieuse ancienne, se rapportant à
un élément important de l'eschatologie. Or, en lui donnant
la signification de « la grande richesse » c'est-à-dire celle
de l'autre monde qui donne des jouissances bien plus
grandes que les biens de ce monde, on satisfait d'autant
mieux à ces exigences sémantiques, que l'on obtient de
cette façon une expression visiblement pré-zoroastrienne
se rapportant à une époque où les conceptions eschalolo-
giques étaient plus matérielles que dans la religion du
prophète.
Et ce sens convient très bien aux deux passages: Y. 46.14:
Zara^ustrâ kastê asavà urva^O mazôi magai, kd va fdrasrûi-
dyâi vastî ; at hvO kavâ v'ûtâspO yâhl. Jmg tû, mazdâ haddmûi
minas, ahurà, tàng zbayâ vanlmis uxdâis mananhô.
« 0 ZaraOustra, quel homme juste est ton ami pour
(recevoir) le grand maga'i Qui désire s'entendre procla-
mer (i) (comme un élu)? C'est le roi Vistâspa, au jugement
(1) fdrasrui^yai. " audiri » M. Bartholomae traduit « dass man von
ihm hore », c'est-à-dire « dass er gerùhmt werde ». Ce sens est peu satis-
136 LE MUSÉON.
dernier. 0, Ahura Mazdâh, reçois {litt. môle) les (élus) dans
la même demeure (que toi). Je les proclamerais avec les
paroles de l'esprit de sainteté ».
Inutile d'insister sur le fait qu'il s'agit de la récompense
du paradis. Notons toutefois que cette dernière, ici comme
dans le passage précédemment étudié (Y. 51. 11), est
représentée comme dépendant de l'amitié de Zara^ustra,
exactement par la même expression : ks urvéUl spitamâi
ZarahihtrCi kastd asava iirvahô (Y. 46. 14). Il s'agit bien
clairement de la même récompense que l'on se représente
si explicitement dans cet hymne sous forme de «richesses».
Ici encore Spiegel traduit « Grosse », par fausse étymo-
logie. Le qualificatif maz- deviendrait par là pléonastique.
Spiegel le rend par « hehr ». De Harlez, d'après Justi
substitue « Grosse Tat — grande œuvre » à «c Grosse »,
simplement, sans doute, à cause de l'insufïisance du
sens de « grandeur ». La « grande œuvre » c'est de
« prêcher la doctrine » car tel est le sens que H. donne
à frasrfndiui. Outre les motifs invoqués ci-dessus pour les
sens de « richesse » et « proclamer », il faut noter (|ue
tout le contexte de cette partie de l'hymne porte non sur
la prédication, laquelle n'est pas, du reste, désignée dans
les gâthas comme une « grande œuvre », mais sur la
récompense future (cf. v. 10, 12, 15, 14, 16, 18, 19). Le
faisant car il n'est pas question, ni dans ce texte, ni dans V. 4G. 12 de célé-
brité, mais de la récompense de l'autre vie. (cf. les v. 2., 10, 13, 14, IG, 18,
19 du même hymne). Il est, de plus, bien pâle. L'expi'ession sricioyâi on
fdrasrïiioyrii, rare, du reste, est encore clairement usitée pour la parole
qui désigne les élus dans V. 45. vâcd srûirjydi hyat mardtaêibyo vahis-
tdm : yôi moi ahmâi soraosam dan cayascâ upâjimdn haut'vàtà
amdrdtàtd vanhdm mainyëus syao^kcndis mazdà ahiirô. " La parole la
meilleure à entendre aux hommes : « Ceux qui m'accordent leur obéis-
sance et leur bonne intention, qu'ils arrivent à la prospérité et à l'im-
mortalité par les oeuvres du bon esprit ».
LE NOM DES MAGES. 137
« fiii' den grossen Bund j^ de M. Bartholomae tombe pour
des raisons analogues, M. Mills dit « holy toils » (Gàth.
^'^ éd.), ce qui est un pas de plus dans la dérivation de
sens suggérée par Jusli. On s'éloigne de plus en plus du
sens, du reste, indéfendable de « Grosse «. Darmesteter
dit : « quel est celui qui veut la réputation de vertu
suprême ? » d'après le pehlevi mas makîli. Inutile de
montrer combien ce sens cadre mal avec le contexte où il
est question de jugement et de récompense céleste. Ici
encore, maklh n'a qu'une ressemblance phonétique avec
mcKja, terme archaïque visiblement incompris à l'époque
sassanide.
Le second passage où on lit mazoi mngâi est un peu
moins significatif que le premier mais ici encore le sens
de « la Grande Richesse c'est-à-dire les biens du paradis »
convient admirablement : Y. 29. II. laidâ asom vohucà
manO xsaHrdmcâ. At ma masâ yuzdm mazdCi frâxhidiië
mazôi magâi â paitlzânatâ . « Où sont Asa, Vohu Manah et
XsaOra ? o vous, hommes, o Mazdâh, accueillez-moi avec
sollicitude (i) pour le grand maga.
C'est l'âme du bœuf, le gdus iirvan qui demande à
(1) frclxsnonê. « utn unterwiesen zu werden » dit M. Bartholomae tirant
cet intinitif vare de fraœsnà (Yrp(L7-/.w). Mais deux versets plus loin, on
lit rafdnô frcixsndndm « fursorgliche Unterstiitzung ». Est-il raisonnable
de séparer ces deux mots et d'inventer un sens pour frâxmdnë alors que
celui de jraxmin, frâxsnan est assez bien établi comme « ftirsorglich n ?
Il y a, il est vrai V. 43. 12 : hyatcà moi mraos asam jasd fraxsndnè
« uud als du mir sagtest, zum Asa soUst du kommen um Unterweisung
zu erhalten », mais ici encore le sens parait être plutôt « pour la généro-
sité, pour être généreusement récompensé »; car deux lignes plus loin, il
est question d'Asay aux grands ù^ésoi^s qui distribuera aux deux camps
leur rétribution. Je ne vois pas de raison de rejeter ici comme dans Y. 29
la traduction pehlevie kahed « beaucoup -, sens qui parait être dérivé de
celui de « avec générosité ».
9
158 LE MUSÉON.
avoir sa part non seulement de leurs traitements ici bas
mais aussi des avantages du paradis, ce qui est bien
conforme à la coutume gàthique d'associer toujours les
biens de ce monde et ceux de l'autre, (cf. Y. 55. 10,
Y. 28. 2 (« les délices des deux mondes ))), Y'. 45 u les
avantages de la vie corporelle ici-bas et de la vie de
l'esprit », etc.).
Ici encore Spicgel donne avec moins de convenance que
jamais le sens de « Grosse » : « Ihr, o iMazdâ, gewahret
Grosse um Grosse )>. De Harlez dit, par une fausse analyse
de framonc : « pour le développement du grand œuvre ».
JN 'est-il pas plus naturel, en dehors de toute autre consi-
dération, de voir l'âme du bœuf demander à être associée
à la récompense du paradis, (ju'à l'œuvre de la conversion
des hommes ? Le « fur der grossen Bund Unterweisung zu
erhalten » de M. Bartholomae fait du bœuf un espèce de
catéchumène. Mgr Casartelli suit De Harlez : This the
Great-\Vork may prosper » (i). Darmesteter traduit :
« Donnez pleine récompense à ma haute vertu », d'après
le pehlevi mairt/i (cf. supra), alors que pourtant il n'est
pas autrement fait mention dans le morceau de la vertu
du bœuf. Le sens « ma haute vertu » n'est, du reste, pas
naturel.
Enfin, mciga se rencontre deux fois dans Y. o5. 7, un
verset fort obscur qui a bien tourmenté les traducteurs.
Ici, encore, comme dans Y. 51, le contexte servira à
établir la signification du mot. Le morceau débute par
valiihtâ istis si^ûvl zara^Histraliê spitfunahyâ. « La meilleure
richesse connue est celle de ZaraBuîtra Spitama », c'est à
dire « les délices que Mazdâh accordera grâce à A.sa »,
(1) Leave? from my Ras'ern Ganlen p. 31. Mai'ket W'eighton, 1908.
LK ^OM DES MAGES. 139
« Ja vie heureuse pour toujours », C'est celle que le
prophète souhaite à sa fille Porucistâ et à son beau-fils
Jâiiiâspa, en retour de la fidélité du jeune couple à la foi
mazdéenne. 11 la nomme luiuluis vanlijus iiiananlul, « le
noble gain de Y. M. », expression ({ue nous avons déjà
vue être synonyme de uuuja V. M. ou islaij V. M. Les deux
époux doivent être l'un [)Our l'autre paitijusUm saroin
c. à d. comj)ai'non et soutien (non pas « Linseharfer des
Bunds )) Barth.) pour le bon esprit, la vertu et le (service)
de Ma/drdi. Ils doivent rivaliser en justice pour obtenir
le bon <j(tui (huhJndm). Au contraire, s'ils agissent mal,
s'ils abusent de leui's coi'Ijs, ils auront le sort des com-
pagnons de la Druje dans le lieu de la damnation. Enfin
la dernière [)brase de l'Iiynine est : « C'est toi, o Mazdâli,
(jui possèdes le xsii'h-a (les biens de rau-delà, cf. su[)ra),
grâce auquel tu peux accoi'dcr à I indigent vertueux
[drdiDJijôi driguovc) un meilleur sort )). Ce dernier verset
qui résume plus ou moins Ihymne est aussi clair ([ue
possible : la récompense du paradis ([ue les deux époux
doivent mériter est représentée connue une richesse su[)é-
rieure, c'est le fiuizni )ii(i</âi, des textes [)i'écédents.
Or, voici le texte de cet hynmc où apparaît le mot maga:
Y. 5."). 7 : A{C(l l'à )nlt(ld)n animt alnja mafidlijjû ffaidi âziis
zrazdistô bûnôi liaxtdfja, puracd iiu-dovas aorâcd ija'fi'Ci
maiuijiis drDijvdtO diuistd purCi ivlKnjd'ia nmijôni Uni. A( vJ
vdijôi dnlidilt d]}jdiD)n vdcô : « Et vous aui'ez la récom-
pense de ce mdfja, pour autant (pie le zèle le plus
fidèle (I) se trouve dans vos entrailles et dans vos reins
(1) zrazdLsto. « qui ré.'-ide dans le cn:-ui' ., Harlez et divers. — Ce sens
est inii'ossible car zraul n'est pas zdrdd et ([ue le superlatif zrazdofornô
lorme un évident parallèle de zrazdiMlô. Donc, zra:distô a évidemment
un sens l'avorablc. Par là, échouent les oll'erls de quelques con)inontatcur.-^,
140 LE MUSÉON.
(littér. cuisses). (Mais), en vous accroupissant en avant et
en arrière, là oii l'esprit du méchant est allé à sa perdition,
vous vous éloignerez de ce maga et votre dernier cri sera
« hélas ! (i) »
La traduction est en partie hypothétique, le texte étant
obscur et peut-être corrompu comme celui du verset qui
le précède dans l'hymne (Y. 55. 6). Les traductions ne
sont pas toujours beaucoup plus claires que le texte. Ainsi,
celle de Spiegel : Das wird euer Lohn fur die grosse
Tat (cf. supra) : dass der im Herzen liegende Àzu (ein
dtimon) von den besessenem Innern sich hinwegstehlend
dahin gelangt, wo der Geist des Bosen (weilt). Strebet
nach diesen Grossen (!), er wird euch freundlich sein bis
zum letzten Worte ». L'auteur ajoute que la dernière
phrase est purement conjecturale. Il est évident que tra-
duire une fois maga par « Grosse Tat » et une fois par
(c der Grosse » (quel grand ?) n'est pas soutenable.
De Harlez est plus clair : « Que la récompense de ce
grand œuvre (cf. supra) vous soit (donnée) ; aussi longtemps
que Azhus qui réside dans le cœur s'agitera en avant, en
arrière, du fonds du corps là où l'esprit atteignit d'abord
les méchants. Vous abstenez-vous de cet œuvre, qu'alors
votre dernière parole soit un cri de détresse ».
Il ajoute en note que bùiia désigne le membre viril et
que maga est ici le mariage. Tout le verset se rapporterait
aux rapports sexuels.
En cela, le traducteur a, sans doute, vu juste car
qui rapportent tout le morceau à la conduite et font de aztiS, un démon
comme azay.
(1) vayôi. " wehe » Barth. C'est la leçon de M. Geldner. Quelques mss.
ont vayô : « 0 Vayav » qui donne un sens convenable, ce dieu étant invo-
qué dans l'angoisse (cf. Harlez. Avesta. Introd, p. eu).
LE i\OM DES MAGES. 141
l'emploi des mots si précis et pittoresques paracâ mraocqs
aorâcâ convient à une description réaliste dont les mots
bunoi liaxtaijâ font deviner la nature, ainsi, du reste, que
le contexte général. Cela ne justifie pas naturellement le
sens de « mariage » donné ici à mago, en tirant sur celui
déjà injustifiable de « grand œuvre ». Le sens de « très
fidèle » qui s'impose pour zrazdiW) défend aussi de faire
d'azM, le démon de la concupiscence.
Les traducteurs pehlevis rapportent avec plus de réalisme
encore le texte aux relations sexuelles. Darmesteter et
M. Mills les ont en grande partie suivis. Ils pensent qu'il
s'agit de la femme qui n'accomplit pas ses devoirs. Elle
se rend coupable de maklli (=maga), mot qui, par ailleurs,
avons-nous vu signifie « pureté » mais qui est ici glosé
par avêzak saritarili « méchanceté sans mélange, Darm, ».
ûzirfi devient dans le pehlevi « un hérisson » qui pénètre
dans le fond des cuisses (!) ce qui serait, d'après Darme-
steter, un allusion au supplice des femmes mordues par
les serpents tel qu'il est décrit dans XArdâ Virâf. Du reste,
non seulement le texte pehlevi est plus incohérent que le
texte avestique, mais il est encore plus obscur que lui et
Darmesteter doit recourir à des conjectures.
Quant à maga, il est un des mots les plus maltraités
dans ces traductions : Darmesteter dit « perversion ».
M. Mills (Gâthas, :2 éd. p. 19G) donne une fois : « the Holy
Cause » et la seconde fois : « the maga- [child, i. e.
A legitimate-ofï'spring-and-princely-child-of-the-Faith, the
Holy Cause] ». Inutile de montrer combien ces sens créés
pour la circonstance seraient insoutenables dans les autres
passages oii nous avons rencontré le mot maga. M. Bar-
tholomae, conséquent avec lui-même rend ici encore ce
mot par « Bund ». Mais peut-il encore s'agir de la confé-
142 LE MLSÉON.
dératioii des fidèles de ZaraOustra comme il l'admet dans
les autres passages. Cela parait ditlicile à emire. Du reste,
une « récompense pour une alliance » est quelque chose
d'assez étonnant.
Ici encore, aucune de ces ti-aductions ne vaut celle de
« richesse ». Il est vrai qu'à première vue « récompense
de la richesse » donne un sens qui surprend, mais est-il
bien nécessaire de donner au génitif cette valeur? Il vaut
mieux, je crois, faire de « richesse )> un simple détermi-
nant précisant l'idée contenue dans mlzdjm et traduire :
« la récompense en richesses, celle qui consiste en riches-
ses ». On y est, du reste, pleinement autorisé par ce
passage parallèle : Y. 45. I. a.sjm dordidijin râijO asis « la
récompense en richesse qu'on doit obtenir ». On voit que
rûyô asis est mot pour mot un synonyme parfait de
mlzdjm maf/ahiiû. Cette expression pourrait, du reste,
être traduite presque littéralement en gi-ec par -lo'j-ïo'j
lio~.poL<. (ixoîpy. = asis « sort, récompense »), d'après le
{jLOÎpav è'ys'.v àyOswv Esch. Theb. 947, iJ.O'^pyy ■f.rioyr,^ -ops^v
id. Pr. 651, ;jLo^pa .rav-;-oj îd. Pers. 1)17, Âg. 146:2. Ne
dit-on pas en franc^'ais aussi bien « la récompense du
paradis » que « la récompense de la vertu » ?
Or, il est à noter qu'en faisant de magalnjâ un génitif
subjectif, on échappe à la difticulté qui a égaré les traduc-
teurs. Il ne s'agit pas de trouver dans maga un acte
méi'itoire. Il est déjà une récompense et, comme on voit, ce
n'est qu'en une certaine mesure que M. Bartholomae peut
s'autoriser de ce passage pour contredire la dernière
traduction donnée par M. Geldner au mot maga, qui serait
« la récompense ». mîiddm est simplement le terme
général, magaliyâ ne fait que le préciser en disant de quel
genre de récompense il s'agit. Ce ne sont donc pas des
Lt KOM DES MAGES. 1 15
terrnrs corrélatifs et opposés tels que « mérite » et
« récoin[)ense ». mlzcbm magalujâ est en fin de compte,
une expi'ession presque synonyme de xW>rjm magaliyCi
(cf. suprji) et le j;.vrt'i?'rt est précisément le tnlzda promis.
La présen(;e des démonstratifs ainjil et tom devant maga
dans le présent verset montre que le prophète parle d'un
maga déterminé, bien connu, ce maga, (jui est célébré
dans tout le morceau. Dès lors, pour celte raison seule,
on peut dire (|ue maga désigne les biens célestes puisque
c'est là l'objet essentiel du morceau, le seul qui soit assez
présent aux auditeurs pour qu'on le leur désigne avec des
démonstratifs. Dans l'hymne pi'écédent, consacré, avons-
nous vu, au xsa^ira céleste, le xsahra magalujâ, on trouve
de même le démonstratif devant le mot xsa^iva Y. ol. 18 :
tat y;sa^U-jm.
Dès lors le verset obscur devient plus ou moins clair :
Si les époux vivent en bons zoroastriens, ils auront la
récompense céleste : le mazOi magâi, si, au contraire, ils
abusent de leurs corps et contractent les souillures (jui les
met au pouvoir de la Druje, ils s'éloigneront du mazôi
magâi et exhalei'ont les plaintes des damnés. Comme le
verset précédent et le verset suivant déci'ivent les peines
des suppôts de la Druje, de ceux qui détruisent en eux le
manalnm aliûm (vita spiritualis), le sens donné ainsi au
verset 7 est précisément celui qu'on doit attendre.
Notre enquête sur le mot maga aboutit donc à donner
à ce mot le sens de « richesses ». Or, il est intéressant de
constater que c'est là le sens dans le Véda du mot maglia,
qui lui correspond absolument quant à la forme (i). Il est
(1) magha sigiiitie à la fois «richesse» et «cadeau, gi'atilication. On
peut se demander lequel de deux est primitif. Si magha est parent du
verbe mailihale "il donne», le second sens parait être le plus ancien.
Mais le rapprochement est sujet à caution.
144 LE MUSÉON.
donc assez naturel de se demander si l'on ne pourrait
arriver à une constatation similaire au sujet du dérivé
magavan qui apparaît deux fois dans les gàtlias. Son
correspondant indien magliavan signifie, comme on sait,
« l'homme riche et généreux, qui a du maghà et qui en
donne » mais spécialement, il a acquis le sons techni([ue
bien établi de « donateur des sacrilices ».
Voici les passages où ce mot apparaît dans lAvesta :
\. 53. 7. à mû âidûni, vahistâ, à x' a'éiâca, niazdâ dcuDsatcâ
asâ volul mancuiliû, yâ srmjê pnrJ magâunô. avis un aùtaro
lidùtû nDmax'aitls ci^rti râtaijô. « Venez à moi, o vous
(êtres) si excellents, venez en personne et sous une forme
visible, o Mazdâh, avec Asa et Vohu Manah, afin que Ion
m'entende même en dehoi's des magavans (ou (f en présence
des magavans ») (i). Que les obligations de respect devien-
nent parmi nous claires et évidentes.
M. Bartholomae, naturellement, traduit ici magavan pai'
« Biindler ». Comme cette traduction ne peut se soutenir
qu'en admettant que maga signifie « Bund », nous n'avons
plus à la discuter. De Harlez dit « pour être entendu du
Très Grand », toujours en supposant que »iayrt signifie
« grandeur ».
Darmestetei' qui traduit, avons-nous vu, maga par
(1) Le texte est assez obscur. Je suis ici sans enthousiasme la traduction
de M. Partholomae, tout en faisant remarquer que le sens de " en deliors
de » n'est attesté pour pard, parô que par deux exemples discutables.
Partout ailleurs parô = " corani ».
Pourquoi au lieu de faire de magâunô un accusatif pluriel, dépendant
de para = skr. parah = « praetcr », ne pas le prendre, comme un génitif
singulier dépendant de para = para = « coram, Trapoc » et traduire « être
entendu du magavan r,% En réalité les deux sens peuvent se soutenir
mais cette divergence n'influe guère sur le sens de magavan qui dans les
deux cas peut s'interpréter par « l'homme riche, protecteur du zoroas-
trisme».
LE NOM DES MAGES. 145
(c pureté », d'après le pehlevi maLîli, dit « les très purs ».
Loixi([ue avec nous nièuies, nous devons donc traduire ici
matjaviui par « i-iclie », ce qui est uu de ses sens en sans-
crit. Or, le contexte, ici encore, plaide assez nettement pour
cette façon de ti'aduire. L'hymne, comme on le voit dans
les deux premiers versets dit (jue, pour être jugé digne de
récomi)ense future, il faut ùti-e attaché à Yam. Tous les
tenants de IV/.sïy, dit le v. 5, qu'ils soient nobles, prêtres,
artisans ou laboureurs, seront admis dans les prés d'Asa et
de Vohu Manalî. Le prophète continue dans le v. 4 à
distingue)' les classes sociales : Mazdâh doit préserver les
nobles de l'arrogance, le i)euple du voisinage des infidèles
et les prêtres du contact avec les blasphémateurs.
Cest cette division des fidèles en diverses catégories qui
caractérise l'hymne 55, le([uel à pai't cela traite de l'inva-
riable motif de la rétril)ution future. Dans ces conditions
la mention des magaians dans le sens des « riches » n'a
évidemment rien ([ue de bien naturel. Cette traduction
s'impose même si l'on donne à pard le sens que revendique
M. Bartholomae. Le prophète désire que sa voix soit
entendue de toute la population et non seulement de
quelques riches, qui apparemment fui'ent ses protecteurs
du début, car tout porte à croire que magavan a ici, pour
le prophète, quelque chose du sens favorable qu'il a si
nettement en sanscrit. Les magavans ce sont « les riches »
comme tels, sans doute, mais spécialement en tant que
soutiens des prêtres et du culte.
Cette nuance de sens me paraît encore mieux accusée
dans l'autre passage où parait le mot magavan : Y. 51. 15.
Iivat mîzchm Zara^Uistro magavabyO coist para, garô ddmûnë
ahurô mazdâ jasat pouruyô. mû va volai manaiihâ asâicâ
savais civîsî.
146 LE MUSÉON.
« La récompense que ZaraOustra promet ( i) aux mcuja-
vans, celle que dans la maison de louange Ahura Mazdâh
a obtenue le premier, je l'espère (2) pour moi gi'àee aux
avantages de Voliu Manah et d'Asa. (c. à d. en quelque
sorte : « par la vertu efficace du bon esprit et de la
justice) ».
Il ne serait pas admissible qu'on parlât d'une récom-
pense à donner aux riches comme tels. Il s'agit donc bien
visiblement des riches en tant que protecteurs de la
religion. Le prophète pi'omet la récompense céleste (dési-
gnée, on se le rappelle dans cet hymne par xm^ra istois
ou xsa^ra marjalujâ) aux fidèles et, en particulier, aux
fidèles de marque qui sont ses principaux soutiens. Ce
qui est convaincant, c'est qu'à la suite de ce verset, le
prophète énumère quelques-uns de ces magiivans. C'est le
Kavay Vistâspa, c'est Frasaostra Hvogva, le beau-père de
ZaraOustra, c'est Jâmâspa Hvogva, ce dernier qualifié de
x^aronanh istôis « brillant par ses richesses », épithète
assez caractéristique ; c'est encore Madyôimânha Spitama,
un membre de la famille même du prophète.
La présente enquête aboutit donc à l'identification à la
fois formelle et sémanti([ue de av. maga, magavan avec
skr. magluï, magliâvan, identité qui était contestée à ce
double point de vue.
Mais si maga signifie « richesse », est-il possible de faire
dériver de ce mot le nom des mages : magavi II faudrait
alors que les ;/ia{/cs soient la classe riche, celle demagavans,
mais une pareille dénomination est au moins étonnnule
pour une caste sacerdotale. La différence est bien nette
(1) littér. « enseigne, annonce ».
(2) litter. « je me l'accorde «.
LE NOM DES MAGES. 147
entre le ministre du culte et le magavan qui le soutient.
Si l'on veut donner au mot magav une étymologie accep-
table, il faut donc, je pense, détînitivement renoncer à le
faire dériver directement de mcuja ?
Il reste à voir si les mots ne peuvent, au moins, se
rattacher à une même racine ?
Parmi les nombreux mots sanscrits, désignant la
(c richesse », une nuance particulière de sens s'attache à
magha. Il désigne la richesse bienfaisante, qui soutient,
qui aide, maylia est un cadeau, une gratification, de même
que magliavan est le riche, en tant que généreux donateur.
C'est là un détail à ne pas perdre de vue en cherchant à
établir la parenté de ce mot avec d'autres vocables, tant
européens qu'aryaques.
M. Uhlenbeck (Et. W. p. 209) rapproche magliâm du
skr. mamliate « il donne » et de l'av. maga, qu'il traduit
par « Macht ». Il ajoute « man vermutet Zusammenhang
mit phryg. [joypo- machtig (?), a. k. s. 1. mogq vermag,
kann, mostî Macht, gr. [j-V'^?, i^T/^cp Hilfsmittel, [xyiyavr,,
dor. [-•ayavâ Wcrkzeug, List, ir. do-for-magaim, vermehre,
gall. Magonius, cymr. Mann, nom. pr., br. mog, mug,
Sklave, Diener, macdacht, Magd, got. magan vermogen,
mafits, Macht, magus, Knabe, Knecht, magatlis Jungfrau,
und andern Wortern ».
Toute question de forme mise à part, plusieurs de ces
rapprochements, présentés comme hypothétiques, peuvent
se défendre au point de vue sémantique. En partant d'un
sens primitif de c( aider eflicacement », on arrive aisément
à celui d' « aide, moyens pécuniaires » (maglia), moyen
d'action, de travail, instrument (i^o/avTi), moyen d'agir,
capacité, pouvoir {magan, malits) moyen de conjurer,
remède (fJ-ô/oO» personne qui aide, qui travaille (got..
magus, ir. mog, mug), etc.
148 LE MUSÉON.
Des dérivations de sens analogue se remarquent dans
les autres racines signifiant « aider ». Qu'on compare,
angl. to lielp (t), lith. szelpti au skr. kalpa (capable, pos-
sible), kalpate « se prête à, convient ». àpxioj signifie à la
fois <c aider, repousser » et « avoir la force de, sufïir».
Qu'on songe aussi aux divers sens du gr. à>>x/,.
En revanche, on se heurte à des ditïicultés phonétiques
si l'on veut reconstituer la forme primitive de la racine.
M. Uhlenbeck s'en abstient. Les étymologistes admettent
généralement pou I' ;^'V.^?, l-^'^'/a?. ^•'^{/^'^■'"'h une racine //Jrt(;/î (2).
Dans ces conditions magan, maclil seraient des formes
faibles pour mogh, mais que penser de maglu'un au lieu
de migliàm ?
Levocalisrnegermani({ue lui-même est assez surprenant,
M. Streitberg (Urgem. Gr. p. 92) doit pour expliquer la
conjugaison gothique sg. mag, pi. magum recourir à
« Eine Umbildung eines Prasens nach Art von abg.
moga « Kann », zii der Vollstufe gr. i^'^i'/pi, etc. ».
M. OsthofF, P. Br. B; XV. 2ll prétend que mag est un
« praeteritum praesens », ce qui est contredit par M. Brug-
mann. Gr. II. 887, anm. 1255. On peut aussi s'étonner de
l'o du celt. *mogu « esclave », correspondant au goth.
tnagu « Knabe, Knecht » et du phrygien [^oypo, s'il se
rapporte à cette même racine.
La raison pour laquelle, on n'ari'ive pas à retrouver la
forme primitive de la racine se trouve, me semble-t-il,
dans une façon ei'ronée d'expliquer Va de |^T/oç, etc. Au
(1) 1,0 p germanique parait s'expliquer par l'existonne d'uu doublet
indo-européen kelb à côté de help. Cf. Kluge. FA. W. p. 171.
(2) Cf. Hirt. Ind. Abl., Ualde. Et. W. Lat. p. ;^61, Pi'cllwitz. E. W. Gr.
p. 294, etc.
LE NOM DES MAGES. i49
lieu d'y voir une « VoUstuffe », je serais assez disposé à
le considérer comme une « Dehnstufe ».
Dès lors, on peut rendre compte de tout. Je pars d'une
base magli, mogfi, rn^gli avec 1' « Ablaut » en a (type ayw :
oV>"-oç, scabo : scohis, etc.).
Le skr. magliâm, pourrait alors remonter à niayli (i) ;
lo got. mng magum représente, sans doute, mogli :
m''gli{itm) ou magli : m''gli[um).
Le celtique mogu : magu présente les deux états forts.
magli se retrouve dans goth. magu, magaps [magliu-olis.
Streitberg, Urg. gr. p. l:23j. mogli se retrouverait-il dans
phryg. [^ovpo-v (2).
(^est en grec que la situation est la plus compliquée.
\^~f;/p^ est une forme refaite au lieu de la forme normale
|j.Y,y;, \j.~r,yy.^ (= mâglids ou màglts venant de mdgiies) où le
(1) Le rapprochement de magha avec mamhâée, « pourrait faire songer
à un i-eur. mngho Toutefois il faut noter que maiiihate ainsi que maiii-
hc'oia • don » maihhUta « très bienfaisant « semblent intimement liés à
une racine sanscrite mah « j'éjouir » (cf. mahas, mahayati, mâhina,
etc.), racine qui offre aussi des formes nasalisées : maiiihanâ « volon-
tiers n. Or \'h (le ces mots remonte apparemment à gh tandis que magha
ne se conçoit que comme dérivé de magh. Du reste, s'il fallait séparer
magha de la racine magh, cela n'ébranlerait nullement les conclusions
de cet article. Il en suivrait seulement que magav et maga seraient
encore plus étran^^ers l'un à l'autre que cela ne ressort de la présente
étude En outre, lien de plus compliqué que de séparer les dérivés dans
les langues indo-européennes de toute une série de racines de forme et,
pour quelques unes même, de signification fort semblables, telles que
magh Cm-^/o;) mcgh Hitt. mcgmi, -i;Ar,iJ.zy,-.i(M}, mang (ixâyyavov, lat.
mango\ mag (néerl. makher, gcmak), makh (skr. mahhas), mak (jxâajw,
lat. maceriae), mank (?) (litt. minkyii, skr. macate), mag (?) (.aâystpo;,
a. 11. mazati), mank (lat ^nanc.as), mak (y.a/-po';, lat, macer), megâ
(jj-Éya;. lat. magnus), meghct (skr. mahanl), etc. La mise en ordre de ce
matériel compliqué pourra faii-e l'objet un article ultérieur.
(2) Ce nom est assez fréquent dans les inscriptions latines, notamment
en Espagne, cf. Carnoy. Klem. Celt. Inscr. Esp. Muséon, 'VIII, 2.
150 LE MUSÉON.
sutïixe sigmatiqiie en position atone est sous sa forme
faible, tandis que, par compensation, l'a du radical
s'allonge, comme par exemple, dans y^ipaç : yspwv. M. Hirt
(Âblîiut, p. 200) voit aussi une trace de cet état de chose
ancien dans Vë de sêdes, forme refaite poui' sëds, comme
[^'ô'/oç est pour pi/ç.
{jLÔyap est une formation tout a fait analogue, i.e sullixc
atone s'est réduit à /• tandis que la voyelle radicale a été
soumise à la « Dehnung )), comme dans -^-y;- remontant
à un ind. eur. *icq'rt, et le lat. vPr = *uêsr à coté du skr.
vasar- « in der Friihe ».
Qui plus est, on peut admettre que |j.Y,'/ap et p;/av7i ne
sont que deux formes d'un seul et même mot indo-euro-
péen, un thème en rjn comme l'étaient, du reste, aussi
*icq"rt et uesr. On a, en effet, pour ces mots des dérivés
en n à côté de ceux en r.
D'une part gr. i'ap, èap-.vo;, lilt. vasam « Sommer », skr
vâsaras « hell » ; de l'autre skr. vasantâ- « Friihling »
si. vesna, « Friihjahr », cymr. gwannwijn « Friihling »
etc. (Walde Et. W. p. 658). Plusieurs langues ont conservé
la déclinaison polythématique de ie(f"r{t) : lat. jecur
jecin-or-is, skr. yàirri, yolnuis, gr. y-y.z : y-aro;, etc.
Ce type de déclinaison, aujourd'hui bien connu a lait
l'objet d'un important article de M. Pedcrsen (KZ. 52.
p. 241, sqq.) qui a recueilli dans les différentes langues;
et spécialement en grec, une longue série de doublets (|ui
en sont résultés. Qu'on compare notamment à ;j.?;/ap :
pi/avY,, exemple qui lui a échappé, les cas suivants :
TriTap, Tiieipa : T'.aîvw, -iwv ; a. h. ail. zcbar : oa-àv/j, ski'.
udhar, gr. o'jOap : gén. skr. Cid/inns, gr. o'jOaTO;; pour
OÙhu-T-oq ; gr. xxiap : y.-ziyyo'/ ; gr, y{y.a'.p7., y'.L/.apo; : yf.'j.biy,
a. h. ail. hël'(e)rO : L-r. xoizyyo;, ; i-r. ■hj.iy.zy.'.zy., ocOo/.oavoàwv
LE NOM DES MAGES. 151
^owv : xçiOL'^0^ ; gr. 5à{jiap : lat. dominus. L'alternance ûSwp :
uoa-roç est- analogue.
Il faut donc admettre une déclinaison en grec primitif :
nom. ace. \t-iyv.o, gén. [jiayavôç, etc. Entre ces deux sortes
de formes se sont naturellement produits deux phéno-
mènes d'analogie distincts. D'une part les suffixes se
sont répandus dans toute la déclinaison, ce qui a créé le
doublet pir;/ap : ijLYi'^avri. D'autre part, la longue a été intro-
duite dans les cas en a, ce qui explique sa présence dans
Mais les dérivés de magli se réduisent-ils en grec à
pYfy^o;, [j^rr/ao, Y-n'/j'-'^'K, comme on l'admet généralement?
Je ne le crois pas. M. Brugmann (Gr. Gr. p. 415),
parlant d'un mot de formation analogue à {^ô'/ap, l'adjectif
{jiâxap admet que ce dernier soit un substantif neutre
signifiant «Glûckseligkeit» qui, faisant fonction d'adjectif,
a reçu un nominatif masculin piaxapç et un féminin {jiâxaipa,
lequel est une épithète de Persephoné, ce qui prouve son
ancienneté.
N'en aurait-il pas été de même pour {^n^ap (expédient)
qui comme adjectif aurait signifié « utile » et qui aurait
eu pour féminin sans « Dehnung >> iKÔLyaipy. « celle qui
aide ou qui débarasse », donc « l'instrument de travail,
l'instrument de défense ».
D'une manière assez imprévue, nous en arrivons donc
à proposer une étymologie plausible de ce mot grec qui a
déjà bien intrigué les linguistes « Etymologia vocabuli
perobscura est », écrivait encore naguère M. Van Herw^er-
den (Append. Lexic. Gr. suppl. et dial. p. 139, 1904). Il
faut bien noter, en effet, que le mot ne désigne pas primi-
tivement une épée mais un couteau, dont on se servait
notamment pour couper la viande des sacrifices et que les
45â LE MUSÉON.
guerriers de l'Iliade portaient au côté comme arme auxi-
liaire. On trouve le mot dans Hérod. 6. 75, Pind. 0. 1. 79
avec le sens de « couteau ». ^^y:/%<.zy. xojpôî; est un « rasoir »,
(jiàya'-pa oitO^t^ désigne des « ciseaux ». 11 n'y a rien d'éton-
nant à ce qu'un mot désignant un instrument de travail
en vienne à être employé poui une arme de guei*re. Ce
paraît avoir été le cas notamment pour le lat. pilum (cf.
S. Reinach, Rev. Rel. LV, p. 546) (i).
En outre, il est intéressant de notei* que ii.y:/y.iz.y. était le
nom de l'instrument dont se servait Mayâwv, le grand
chirurgien mythique. Quoiqu'en pense M. Usener (Got-
tern. p. 170), ce nom propre ne doit pas s'interpréter,
comme « der Kneter » d'après aâa-G-o) (2) mais il est
simplement une expression analogue au ys-.pojpyô; des
époques postérieures. Mayàwv c'est celui qui travaille dans
le hut de porter remède, conformément au sens de p;/o;,
ij.Y,/ap. Mayào)v venant de magli est donc une formation
pai'allèle à 'lâjwv de <Ào\xy.<.. Le radical [j.ay se trouve peut-
être encore avec le sens de « guérir » dans o-l'/^ôuayo; (cf.
Van Herwerdcn, Lex. Sup. Dial. s. v., où on donne du
mot une autre interprétation), mot qui paraîtrait donc
signifier « qui guérit pai' le silphion (laserpitium) » ou
« remède au silphion » (2).
(1) M. Prellwitz Et. W. Gr. p. 284 réunit [xdf/a-.pa, [xi/ï), p-îj/o; mais
sans montrer le l'apport qui unit ces mots au points de vue de lu forme et
du sens.
(2) On trouve le ra lieal m-^/o dans divers noms de médecins, ainsi le tiis
de Machaon s'appelait Nikomachos. Il y avait à Marathon la tombe du
médecin Aristomachos (Usener Gôttern. p. 150), mots auxquels il faut
donc joindre aXt^dji-a/o;. M. Usener, traduit ces derniers noms par " best-
kneter, ein héros der massage n (!) et « silphionkneter. « Il pai'ait préfé-
rable de les rapprocher de Ma/âojv, d'abord, et ensuite de X£ic.o|j.â/a'., le
nom du parti des artisans à Milet (Prellwitz. Kt. \V. (Jr. p. 284). Donc si
— \>.'x/oc, ici ne signifie pas simplement " qui combat r>, il se rapportei'ait
LE INOM DES MAGES. 153
L'idée contenue à la fois dans ii-r\yyyr^, \t.~r{/oc„ F^'^i'/*p.
fjiâ'/aipa, Ma^âwv est celle d'aide etficace et active pour se
tirer d'affaire, repousseï* ou guérir un mal. Ce sens d'où
peuvent dériver ceux des dérivés éventuels de moifli on
germanique, celtique, etc. (cf. supra) est, donc probable-
ment le sens primitif de la racine maçjli. C'est à lui donc
que nous proposons de l'attacber le nom magav qui fait
l'objet de cette élude. On obtient de la sorte une étymologie
satisfaisante du mot. Il s'agirait d'une formation ancienne
en u du type de skr. ripû « trompeur » vâyâ « dieu du
vent », manu « homme, pâyii « protecteur ^i,j(iyii « victo-
encore au travail, et en particulier à l'action guérisseuse de ces hommes.
Je dirais donc plutôt " celui qui opère bien », « celui qui guérit par le sil-
pliium (laserpitium) », etc. —M. Prellwitz (loc. cit ) note que le composé
àfjLaxo? a parfois le sens de à[j.rj/avo;.
On en arriverait de cette façon à ,aâ/o;j.ai, iJ.i/r], termes dont la parenté
proposée soit avec le skr makhasyati, soit avec Tall. mengen est au
moins douteuse. Les mots cités ci-dessus ont montré que le radical —
|j.a/o — des composés a souvent un sens qui le rapproche de y-rj/o;, urj/avrî.
Il se rapporte à un travail et surtout à un travail qui porte remède, qui
conjure quelque chose. Dès lors on en arrive aisément à l'idée de " com-
battre contre un ennemi. « Il y a une bien faible distance entre y.v.o;
•/.axdiv, (X. vo'awv « moyen d'éloigner les maux, les maladies » et i^â/Ti
AïavToç 11. 11. 542, « lutte contre Ajax » c'est-à-dire en tin de compte, pour
se débarasser d'Ajax.
Le mot âXy.TÎ a suivi une évolution de sens analogue : à'ÀaÀ/.E;j.i-/oc. « tenir
éloigné, protéger de - i/./.ô <■■ force pour repousser un danger, défense,
aide efficace (aX-/.T)v TïoicKtiOat. Soph. 0. G. 459, 1524 ; i-i oT; èjtiv àX/cr,. Arist.
Eth. N. 3. 5. 12 «où il y a de la ressource »), enfin chez les tragiques
" combat «. On a àXxap « défense, sauvegarde « à côté d'àX/.i^ comme on a
(jLTi)(ap à côté de [J-â/r|.
Les Grecs aimaient à considérer le combat sous l'aspect d'une « défense »?
d'un «moyen de se préserver de l'ennemi ». Fréquents sont les passages
où ils emploient âX£;£y.Eva'. ou àajvs'.v. alors que nous dirions simplement
«combattre pour quelqu'un» et ces mots s'emploient aussi bien delà
préservation des maladies, des malédictions, etc. (^»Vf,; àX£;r/'.a/.oç, épith.
d'Hercule, àXEv.âoT, pâ;j.vo; « amulette » etc ) que de la défense contre im
ennemi, les armes à la m.ain.
9a
i54 LE ML'SÉON.
rieux », etc., et qui signifierait donc « celui qui aide, ([ui
travaille à guérir et à repousser les maux ».
Ce sens se rapprocherait assez bien de celui que M. 01-
denberg (Vedaforschung p, 8:2) revendique connme sens
primitif du nom des brahnianes : « celui qui emploie des
charmes pour conjurer, etc. » On sait que MM. Uhlenbeck
et Walde d'après M. Osthoft". BB. XXIV, p. 14^2 rattachent
le mot brahinan « Zauborspruch, Andacht » à Tir. bricht
« Zauber, Zauberspruch », anc. isl. bragr « Dichtkunst »,
Brcifjc a Gott der Dichtkunst ».
Si l'on admet cette dernière étymologie — il est évident
qu'elle n'est pas à l'abri de tout doute — on peut notei-
une cei'taine similitude entre l'Iran et l'Inde, quant aux
origines ou, du moins, quant aux caractères de la caste
sacerdotale à une époque ancienne. C'est à dire que les
fonctions des Brahmes et des Mages ne se réduisaient pas
au culte et à l'enseignement religieux. On faisait appel à
eux dans les embarras les plus divers pour conjurer des
fléaux ou pour guérir des maladies.
L'étymologie qui par elle-même n'a évidemment jamais
qu'une valeur plutôt relative, vient ici confirmer au moins
en ce qui concerne les mages, les données historicpies.
Ammien Marcellin allirme que les Mages formaient à
son époque une « gens solida » (|ui occupait en Médie
K villas nulla murorum formitudine communitas » (Am.
M. XXIÏI, ()., of Spiegel Av. Il, p. VI). Toutefois si cette
(( gens » avait certains centres d'habitation qui lui don-
naient l'aspect d'une véritable tiibu, elle avait, d'autre
part, le caractère d'une caste, en ce ([ue, déjà au temps
d'Hérodote, elle était disséminée par l'Iran où elle exerçait
une fonction bien déterminée: elle était préposée aux céré-
monies du culte : à'vsj Mà-oj oj T-i-, vo;/o; h-': OjTÎa; -oUz-rHy.:,
LE NOM i)i:s M.V(ii:S. 1»)0
dit l'historien i>i*ec (I. 152). Mais elle avait encore d'autres
fonctions. Hérodote lui-inènie mentionne leur l'ôle de
divinateur des songes, i)ar exemple à la cour d'Astyage
(I. 107, sqq.) Lucien (Macrob. 4) alHime aussi leur double
caractère : « Les mages sont une classe de pro[)hètes et
d'hommes dévoués aux dieux ». Cicéron (Divin. I. 2ô)
dit que ce sont des sages, des augures et des devins.
Du reste, ils ne sont pas seulement devins, ils sont aussi
et surtout médecins. Cojnme dit Pline l'ancien ce sont
eux qui ont enseigné l'ai't d'user des herbes magiques
(H. N. 24. 156). Ils ont des ])rocé(lés pour apaiser la
fureur des boucs (ib. ^«S. 198) et pour chasser les scorpions
(52. 55). Ils produisent la fécondité (28. 249) et savent le
moyen d'embellir le corps (24. K)5). Ils ont des formules
pour les migraines (28. 49), les fièvres (28. 228), l'hydro-
pisie (28. 252), les maladies de la rate, des reins, des
nerfs, des yeux, etc. etc. Leur pharmacopée renfermait
tout l'arsenal de la médecine magique : l)asilic, dragons,
hérissons, caillous trouvés dans l'estomac des hirondelles
(M. 205) chair de rossignol (,52. IIG) de lézard (50. lil)
ou de salamandre (29. 7(3), urine de tortue (52. 54), etc.
De plus, ils connaissaient le pouvoir de la lune (57. 124)
et le moyen d'évoquer les esprits (24. 100). Ils avaient
des règles à observer en urinant (28. ()9), en crachant
(50. 17). etc. On sait que des observances de ce dernier
genre se retrouvent dans l'Avesta.
Ce coté de l'activité des mages est si important qu'on
peut se demander si ce n'est pas à lui sui'tout qu'ils doivent
leur nom, puisqu'il parait bien qu'en grec la nmne Duigli
ait servi à dénommer des médecins (cf. Mayàwv, etc. supra).
A ces connaissances spéciales de mantique et de méde-
cine, ils ne doivent pas seulement leur nom mais proba-
15G LE MUSÉON.
biement aussi leur constitution en caste car il s'agissait
évidemment d'une sorte de savoir secret qui se transmet
de génération en génération. Ici encore le témoignage
des anciens vient à l'appui de ces inductions. Clément
d'Alexandrie (Strom. I, 357) dit que les mages possé-
daient une science secrète. M. Jackson (Zor. p. 8) signale
d'autres passages où l'on mentionne les '^^'ffk'.o\ à-ôxpjcpot.
Zupoào-Toou (c. à d. Twv [jLâYo)v). On ne doutait pas que cette
science ne fût d'ordre élevée. Aussi prétendait-on que
Pythagore et Démocrite avaient été à leur école (PI.
H. N. 25. 15, 50. 20, etc.) et que le mage Gobryas avait
donné des leçons à Socrate (Darmesteter, Z. A. lïl. 7).
Cette science était d'ordre essentiellement pratique. Elle
consistait à connaître les vertus des objets de la nature
comme le montrent les titres des ouvrages qu'on leur
attribuait : T:epî. X(8wv -'.[Jiiwv, Tiepl çuo-ew;, ào-Tepoa-xoTC'.xà Zcopo-
â(7Tpou, [j(.aYt,xà Xôyta ToJv ô.tzo toO Zwpoao-Tpo'j {j^àytov. On Voit
donc que, conformément à l'étymologie proposée, les mages
s'intéressaient à la nature dans le but d'y trouver Y-'h/-f\
Conclusion. En résumé, en tenant compte des réserves
exprimées au cours de cette étude qui porte sur un
domaine oii il est souvent difficile de faire plus que des
conjectures plausibles, on pourrait retenir de l'article :
1° que les Mèdes semblent avoir été divisés en classes d'une
manière qui rappelle un peu les castes de l'Inde et la
division des fidèles de Zoroastre en trois catégories: prêtres
(karpan), nobles (kavay) et paysans [vardzana). Ces classes
portaient des noms nettement aryaques. 2° Les mages
formaient une de ces sections de la population médique.
Ils constituaient bien en une certaine mesure une tribu,
ayant ses habitats mais ils étaient attachés à une fonction
LE ÎNOM DES MAGES. 157
particulière pour l'exercice de laquelle, ils étaient répandus
dans tout l'Iran. 5" Cette fonction comprenait bien la
direction du culte mais aussi divers arts tels que la
médecine et la divination. 4" Leur nom, comme celui des
brahmes paraît se rapporter à ce côté de leur activité
bienfaisante. Il serait dérivé de la racine magli. Cette
racine est, à tort, consignée sous la forme màgh par
M. Hirt et les divers étymologistes. En admettant le
vocalisme a, on expliquerait à la fois le skr. maylia, la
conjugaison obscure jusqu'ici du goth. tnag-magiim, et les
doublets celti(|ues: mayu : mogu. L'rt des mois grecs iji-â/o;,
[jLf.yap, \):t;/ri.Yr^ ne fait pas ditïiculté car il n'est pas une
Vollstufe nuiis bien une Dehnstiife. p^y;/^? ^t [j^viyavTi forment
un doublet et, de plus, ,u.â'/a!,pa, mot jusqu'ici inexpliqué
est proprement le féminin de [^nyap et signifie « instrument
utile au travail et à la défense » donc « couteau », enfin
« épée )). Le sens premier de cette racine aurait été « aider
efficacement, surtout pour préserver ou guérir ». Elle
s'employait avec prédilection pour l'action médicale et
c'est elle et non, comme le croit M. LIsener, la racine de
[xâ^Tw « broyer » qu'on trouve dans les noms de médecins
mythiques tels que Mayâwv. Ce serait ce sens primitif de
magli qui se trouverait à la base du dérivé magav « le
mage ». Il se rapporte au savoir supéi'ieur et à l'activité
bienfaisante de cette caste et il correspond absolument à
ce que l'antiquité nous apprend des mages. 5" Le mot
aveslique maga, dont on faisait parfois dériver le mot
magav, est tout au plus issu de la même racine que celui-ci
et n'a avec lui aucun autre rapport. Les traducteurs se
sont jusqu'à présent trompés sur le sens de ce mot maga,
qu'ils rendaient par « grandeur » (Justi, Spiegel) « grande
œuvre » (De Harlez) « cause sainte » (Mills) « alliance des
158 LE MUSÉON.
tîdèles » (Bartholoinae, Geklner) « pureté » (Darinestetei*).
Ces sens si divergents sont basés sur une fausse étyniologie
ou ne résistent pas à une sérieuse analyse du contexte.
Le sens qui convient le mieux à maga dans tous les
passages assez divers où on le rencontre est celui de
« richesse » et en particulici* « les biens célestes » {mazôi
încigâi, expression archaïque), magavan signifie « le riche)»
spécialement en tant que « protecteur du culte ». Cette
traduction a l'avantage d'identifier av. magn, magavan
avec skr. maglin, magliavan.
A. Carnov.
I
VOCABULAIRE
DE LA
LANGUE DE L'ILE-DE-PAOUES
ou RAPANllI
PAR LE R. F. HiPPOLYTE ROUSSEL,
de la congrégation des Sacrés-Cœurs de Picpus, missionnaire
à rile-de-Pâques.
LMRODUCTION.
Lu petite tei-rc océanienne que Roggewein baptisa du
nom d' « lle-de-Pàques » en mémoire du jour où il la
découvrit (1722), était appelée par ses habitants Te pito o
te henua, « le nombril de la terre », et un indigène venu
de Râpa lavait surnommée Hapa-nui, « la grande Râpa »,
en souvenir de sa terre natale. Ce nom de Uapanui a
prévalu chez les Océaniens comme celui d'Ile-de- Pâques
parmi les navigateurs et les géographes.
L'île est assez élevée, elle a la forme d'un triangle et
mesure de 10 à lo.OOO hectares ; elle ne renferme aujour-
d'hui que 250 habitants. Autrefois elle en eut plus de
5.000. Quand les missionnaires y abordèrent en I86i, il
y en avait encore 1200. Un millier venaient d'être enlevés
par des navires péruviens : ceux qui revinrent du Callao
10
1()0 Li: .MLSI^UiN.
rapportèrent avec eux la petite véi'ole et probableiiieiit la
phtisie. Il ne fut pas possible aux. missionnaires d'arrêter
les ravages de ces deux fléaux, et ils virent la population
descendre promplenient du chitïVe 1200 à celui de 900.
Toutefois les améliorations physiques et morales inti'O-
duites par eux dans hi vie des naturels laissaient entrevoir
l'aurore de jours meilleurs, quand l'arrivée d un homme
vint tout l'uiner. C'était un capitaine criblé de dettes qui
voulait faire fortune à tout prix. Sans aucun respect pour
la propriété, pour la vie des insulaires, pour aucun
pi'incipe de la religion et de la morale, il manœuvra si
bien qu'il se j'endit maître de l'île, et, après avoir terrorisé
et affamé la majeure partie de la population, il enibarqua
ce qu'il voulut de naturels pour Tahiti où un planteur,
qui avait traité avec lui, les employa au défrichement de
ses terres. !2ôl partirent ainsi : pas un ne revint.
Ce système d "exploitation et, disons le mot, cette
« traite « des pauvres Kapaimi, provoquèrent naturelle-
ment les réclamations du missionnaire, défenseur né de
ses néophytes et aussi des éternelles lois de la justice et
de l'humanité. Pour toute réponse, le capitaine donna
des coups de fusil et des coups de canon. L'éloignement
extrême, l'isolement complet de la petite île, rendant
inutile toute protestation, Mgr Jaussen, vicaire apostolique
de Tahiti, enjoignit au missionnaire, qui était le R. P. Hip-
polyte Roussel, d'abandonner Rapanui et de se réfugier
aux îles Gambier en emmenant avec lui tous les néophytes
qui voudraient le suivre. Malgré les efforts de l'aventurier
pour retenir le gros de la population dont il avait besoin,
presque tous les naturels montèrent à bord de la goélette
qui devait les porter aux Gambier. Le commandant du
navire prétexta que son bateau ne pouvait embarquer tant
VOCABULAtUE DE LA LANGUE DE L*ILE-DE-PAQUES. 161
de monde, et 175 indigènes furent brutalement ramenés
à terre où ils restèrent à la merci d'un maître qui les
traita en conséquence. Impossible de dépeindre la douleur
du missionnaire en se voyant ainsi violemment séparé de
ses ouailles pour les(juelles il eût donné jusqu'à la der-
nière goutte de son sang.
475 habitants, voilà donc tout ce qui restait à Hapanui
en 1871. Sous la dure domination du maître qui les
exploitait, ce nombre alla encore en diminuant. Lorsque
le Seignclay visita l'île en 1877, il n'y en avait plus que
m. Mais l'aventurier était mort, et bientôt on constata
un relèvement pi-ogressil'de la petite population indigène :
en 1900, le R. P. Isidore Butaye fut heureux de constater
qu'elle était montée au chiffre de :213, ce qui, avec une
vingtaine d'étrangers, faisait en tout 250 habitants.
L'île est aujourd'hui annexée au Chili. Comme juridic-
tion ecclésiastique, elle devrait dépendre en tout de l'Ar-
chevêque de Santiago-du-Chili, mais celui-ci a préféré
laisser au Vicaire Apostolique de Tahiti le soin d'évangé-
liser cette île lointaine ; malheureusement les occasions
sont rares pour aller de Tahiti à l'Ile-de-Pàques, plus de
800 lieues séparent ces deux points extrêmes, et Rapanui
reste plus quejamais en dehors de toute ligne de navigation.
Malgré son peu d'importance territoriale, le chiffre
minime de ses habitants et son isolement complet du
reste du monde, cette île a justement éveillé la curiosité
des ethnographes et les sympathies des âmes religieuses.
Sa conversion au catholicisme forme une des pages les
plus intéressantes des Annales de la Propagation de la Foi.
Elle fut commencée en 1804 par un frère convers de la
\&1 LE MUSÉON.
Congrégation des Sacrés-Cœurs de Picpus, le Fr. Eugène
Eyraud. L'intrépide religieux y vécut neuf mois d'une vie
toute d'aventures, de périls et de privations. En 1866 il y
revint accompagné du R. P. Hippolyle Roussel, qui dut
d'abord défendre sa vie avant de songer à évangéliser les
sauvages. En moins d'un an, tout fut changé. « J'ai été
émerveillé, écrivait le capitaine du Tampico qui visita l'île
le 6 novembre 1866, en voyant ce que la patience et le
travail de deux hommes seuls avaient pu faire en si peu
de mois.... J'ai vu la petite église pleine ; j'ai vu ces
mômes sauvages, qui avaient reçu les étrangers à coups
de pierre, réciter à genoux nos plus belles prières en
langue canaque, en langue française et en latin ». Aidé du
R. P. Gaspard Zumbohn et du Frère Théodule Escolan,
arrivés à cette époque, le R. P. Roussel eut bientôt
converti l'île tout entière. Lorsque, le 19 août 1868, le
Fr. Eugène, sur le point de mourir, demanda ce qu'il
restait de païens, le missionnaire lui répondit : plus un
seul ! Les sept derniers avaient été baptisés en la fête de
l'Assomption.
Au point de vue ethnographique, l'Ile-de-Pàques est
une terre de prédilection pour les amateurs du Folk-lore
océanien. Deux choses surtout attirent l'attention des
savants : les colossales statues de pieri'e dressées sur tous
les points de l'île, et les tablettes écrites que les indigènes
appelaient « bois parlants », « bois d'hibiscus intelli-
gents ». On s'est demandé et on se demande toujours
comment les naturels ont pu transporter à de grandes
distances et dresser debout les gigantesques statues. Le
Commodore anglais, commandant la Topaze, ayant voulu
VOCABULAFIIE DE LA LANGUE UE l'iLE-DE-PAOI I S. 165
emporter un des plus petits échantillons de ces géants de
pierre, un simple buste, fut obligé de recourir aux efforts
combinés de 500 marins et de "200 canaques, encore ne
fit-il que traîner le colosse jusqu'à la mei*.
Toutefois le problème qui se pose au sujet des tablettes
écrites est certainement d'un plus grand intérêt. L'exis-
tence de ces tablettes fut révélée, sans qu'on y prit garde,
par cinq ou six lignes d'une lettre du Fr. Eugène du mois
de décembre 1864 : « Dans toutes les cases, écrivait-il, on
trouve des tablettes de bois ou des bâtons couverts de
plusieurs espèces de caractères hiéroglyphiques : ce sont
des tiguresd'animauxinconnusdansl'ile, que les indigènes
tracent au moyen de pierres tranchantes. Chaque figure a
son nom ; mais le peu de cas qu'ils font de ces tablettes
m'incline à penser que ces caractères, restes d'une écriture
primitive, sont pour eux maintenant un usage qu'ils
conservent sans en rechercher le sens ». [Annales de la
Prop. de la Foi, t. 58, p. 71).
A leur tour, les missionnaires découvrii-ent ces siujies
graphiques. « 11 nous est arrivé quelquefois, écrit le
R. P. Gaspard, de trouver sur le bord de la mer certaines
pierres poi'tant des traces de ciselures ; mais, voyant (|uc
les gens du pays n'en faisaient aucun cas, nous pensâmes
qu'il n'y avait pas lieu de nous en occuper. Or voici qu'un
jour, faisant une excursion avec des enfants de l'école, je
vis entre les mains d'un jeune garçon un objet assez
cui'ieux qu'il venait de trouver sur un rocher : c'était un
morceau de bois, long de 55 centimètres environ sur 50
de large, mais un peu ari-ondi sur l'un de ses côtés ; on
y remai-quait des caractères en lignes régulières que le
temps avait malheureusement altéiés. Voyant que je
considérais attentivement sa trouvaille, l'enfant me la
164 LE MUSÉON.
donna, et je la conservai avec soin. Le lendemain, un
indien, ayant appiis l'importance que j'attachais à cette
découverte, m'apporta un objet semblable, mais d'une plus
grande dimension et très bien conservé, qu'il me céda
pour un peu d'étoffe. On y avait ciselé, en miniature, des
poissons, des oiseaux et autres choses connues dans le
pays, ainsi que des figures de fantaisie. Je réunis les plus
savants de nos indiens, pour les interroger sur le sens de
ces caractères, qui avaient toute l'apparence d'une écriture
hiéroglyphique. Tous me parurent contents de voir cet
objet ; ils m'en dirent le nom, que je n'ai point retenu,
puis quelques-uns se mirent à lire cette page en chantant ;
mais d'autres s'écriaient : « Non, ce n'est pas comme
cela ! » Le désaccord de mes maîtres était si grand que,
malgi'é mon application, je n'étais pas beaucoup plus
instruit après leur leçon qu'auparavant. Plus tard (1809),
dans un voyage, je montrai cette curiosité à Monseigneur
d'Axiéri qui la considéra avec un très vif intérêt, l'Cgrettant
bien que je ne fusse pas en mesure de lui expliquer la
signification de toutes ces figures énigmatiques. « C'est,
me disait-il, la première trace d'écriture que l'on rencontre
dans toutes les iles de l'Océanie ». Voyant combien cet
objet était précieux aux yeux de notre bien aimé prélat,
je m'empressai de le lui ofïj'ir. Sa Grandeur me recom-
manda instamment de m'entendre avec le R. P. Hippolyte
(Roussel) pour faire déchiffrer, s'il était possible, l'autre
écrit que j'avais laissé à l'Ile-de-Pâques... Je ne doute
point que cette écriture indienne n'offre u'> véritable
intérêt pour la science ». [Annales des Sacrés-Cœvrs lc80,
p. -252).
Les missionnaires recueillirent encore trois tablettes,
dont une a été offerte à l'Université catholique de Louvain,
VOCABL'LAIUH DE LA LANC.l K DE I/lLE-l)E-PA<jri:s. 165
les autres sont au Musée de la Congrégation des Saci'és-
Cœurs de Picpus,actuellennent à Couitrai. Le Père Roussel
essaya bien de faire déchiffrer ces documents primitifs ;
pas un Canaque ne lui donna une explication satisfaisante.
Les savants, les écrivains, les bardes, avaient tous disparu
eu 1862, enlevés par les pirates péruviens. Seuls, (|uel-
ques-uns de leurs plus jeunes élèves avaient échappé à la
razzia qui avait dépeuplé l'île. La plupai't avaient oublié,
ou bien ils étaient trop peu avancés, pour « chanter » la
mélopée écrite sur les bois parlants. Voilà pourquoi, leurs
maîtres disparus, ils ne faisaient prestjue plus aucun cas
de ces précieuses tablettes et s'en servaient pour alimenter
le feu. La trouvaille du R. P. Gaspard arriva juste à point
pour sauver les derniers spécimens.
iMgr Jaussen, évêque d'Axiéri et vicaire apostolique de
Tahiti, entreprit cependant de déchiffrer les mystérieuses
figures. 11 s'aida de la science d'un naturel de l'Ilc-de-Pâ-
ques déporté, comme nous l'avons dit, à Tahiti. Cet
insulaire, Métoro, avait été disciple des savants. 11 chanta
plus ou moins bien les tablettes, et Monseigneur écrivit
au fur et à mesure les paroles chantées. En fait de littéra-
ture et d'histoire, c'est d'une pauvreté remarquable. En
veut-on une idée ? Voici le chant de la première ligne
de la tablette dite, du nom de l'artiste, Aroukou-Kou-
reiKja (i), mesurant 42 centimètres sur 16 et contenant
22 lignes ; la première ligne compte 51 caractères :
« Qu'il pleuve du ciel sur les deux terres de Hoatuma-
tua ! Que lui siège au haut du ciel et sur la terre ! Le fils
aîné est sur la terre, sur sa propre terre : sa pirogue a
vogué vers son cadet, jusqu'à l'enfant. Pour lui, qu'il
(1) D'après le R. P. Vinccnt-Ferrier Jaueau, ce titre voudrait dire :
La grande affaire de la disparition, ou peut-être môme : la grande
affaire des sacrifices.
100 LE MUSÉON.
aille au ciel, (ju'il soit sur terre, (ju'ii arrive sur terie,
lui qui s'est réjoui au eiel ! Il tient en main la terre.
Honfiine, partez. Je reste sur ma terre. Père, qui êtes sur
votre siège, arrivez jusqu'à son eufont. Il s'est réjoui au
ciel. L'oiseau s'est envolé sur la terre, arrivant à l'homme
qui mange à terre. L'homme donne à la poule, il a inondé
la poule, il lui a pris des plumes. Poule, gare à la lance,
arrive à la honne place, arrive jusqu'au roi, à son logis,
vole : elle a volé à la bonne place, loin de la lance : volant,
vers les entants de la terre elle s est réfugiée ».
Malgré la pauvreté de ce chant, Mgr Jaussen aurait
volontiers publié la traduction interlinéaire de toutes ses
tablettes, si les frais n'avaient pas été si considérables. Il
dut y renoncer, et il se contenta de rédiger une courte
notice avec un l'épertoire d'environ 500 signes hiérogly-
phiques, qui parurent un an après sa mort dans le Bulletin
Géographique de 1895. Mgr de Harlez, l'éminent et regretté
professeur de l'université catholique de Louvain, examina
à son tour les curieuses tablettes et l'explication donnée
par le Rapanui de Tahiti. « Ces signes formeraient-ils
bien une écriture quelconque ? se demanda-t-il dans le
Muséon de novembre 1895. Ne serait-ce pas plutôt une
collection de vignettes, digne de l'imagerie d'Epinal ? »
Passant du doute à l'afiirmation : « Oui, conclut-il, (;'est
bien cela, une suite d'images indépendantes l'une de
l'autre ».
La réponse du savant linguiste doit-elle être acceptée
sans réserve ? Faut-il perdre l'espoir d'ai-river à une solu-
tion plus adéquate et plus à même de satisfaire la légitime
curiosité des ethnologues ? Quand on présente à un savant,
disait Mgr Jaussen, une tablette couverte de caractères si
bien dessinés et si méthodiquement alignés, il est difficile
de lui faire admettre qu'il n'y a rien ou presque rien sous
VOCABULAIUK DE LA LAM;Lt: DE l'iI.E-DE-1>A(jUES. 167
ces signes idéographiques. C'est pourquoi on cherchera
encore sans doute à pénétrer le mystère de ces « bois
parlants ». 11 nous semble que notre devoir est de fournir
tous les documents capables de seconder la sagacité des
chercheurs.
De ce nombre est certainement le vocabulaire de la
langue de l'Ile-de-Pâques, tel que nous l'a laissé le
R. P. Hippolyte Roussel. Ce modeste et intrépide religieux
était né à La Ferté-Macé, dans l'Orne, le 22 mars 1824.
Il entra dans la Congrégation des Sacrés-Cœurs de Picpus
en 1842 et lit une partie de ses études à Louvain, où, selon
toute apparence, il dut suivre les cours de l'Université
catholique vers 1846. Envoyé en Océanie en 1854, il
évangélisa d'abord les Marquises, puis en 1866 l'Jle-de-
Pâques jusqu'en 1871, heure de l'abandon de l'Ile par la
mission. Il se réfugia aux Gambier avec une colonie de
ses néophytes, dont il continua à être le pasteur bien
aimé jusqu'à sa mort arrivée le 25 janvier 1898. C'est le
seul homme, pensons-nous, qui ait pu composer et qui
ait effectivement composé un vocabulaire Rapanui. Ce
travail extrêmement précieux n'existe qu'en deux exem-
plaires manuscrits qui peuvent malheureusement dispa-
raître d'un jour à l'autre. En le livrant à l'impression, on
assurera à la science la possession d'un document qu'elle
regretterait plus tard.
La langue de l'Ile-de-Pâques appartient à la même
famille que tous les dialectes parlés dans la Polynésie.
Elle a une très grande similitude avec le Mangarévien et
le Néo-Zélandais.
P. Ildefonse Alazaud, des SS. CC. (Picpus).
168 LE MUSÉON.
LANGUE DE L ILE DE PAQUES.
Remar^jues phonétiques.
Pour exprimer les sons de la laiiiçue de l'ile de Pâques,
il est fait usaiçe, dans cette étude, des sicnes suivants :
Pour les voyelles : a, c, i, o, u (= franc, on).
Pour les consonnes : p, t, k, li, g, n, m, r.
Comme dans l'idiome des Gambier, g représente un
son nasal guttural qui nasalise la voyelle précédente.
On constate assez fréquemment le passage de rt à o.
C'est ainsi que ralîdii « bois » se prononce souvent rokaii.
Il n'y a ni groupes de consonnes ni consonnes doubles.
L'Ii est plus aspirée (ju'à Mangaréva, mais sensiblement
moins qu'à Tahiti.
L'avant dernière syllabe est généralement accentuée.
La finale -aa se rencontre parfois, mais moins souvent
qu'à Tahiti. Elle correspond à -afjn du dialecte des
Gambier.
Vu la grande similitude des deux dialectes Mangarévien
et Rapanui, on pourra consulter avec fruit la Grammaire
et le dictionnaii'e de la laïujuc des îles Gambier ou Manga-
réva, publiés en 1908 par les Pères de la mission des
Gambier. (Imprimerie Zech, Braine-le-Comte.)
VOCABULAIRE DE LA LANGUE DE l'iLE-DE-PAQUES. i69
1" LIGNE DE LA TABLETTE Aroukou-lcouvega (... réllQÙ
à l'européenne.)
Ka tuu i te ragi ki te henua e
rua no Hoatumatua.
Ka hakanohua ki te hi-to o te
ragi ki te henua te atariki,
ki te henua ki tona henua-kua
tere te vaka ki tona tahina mai
tae atu ki te tamaiti. Koia e biri
ki te ragi-kite henua-mai tae atu
ïa ki te henua-koia kua koakoa
ki te ragi. Kua ohoïaki te henua.
E tagata era e. Ka oho koe, ka
noho au. Ko te matua i ruga o to
pepe, mai tae tu ki tona tamaiti.
Qu'il pleuve du ciel sur les
deux terres de Hoatumatua.
Quil siège au haut du ciel et
sur la terre le fils aîné,
sur la terre, sur sa propre terre,
sa pirogue a vogué vers son cadet,
jusqu'à Venfant. Pour lui, qu'il
aille au ciel, qu'il soit sur la terre ;
qu'il arrive sur terre lui qui s''cst
réjoui au ciel. Il tient en main
la terre. Homme, partez ;je reste
sur ma terre. Père qui êtes sur
votre siège, arrivez jusqu'à son
enfant.
{Texte et traduction de Mgr Janssen).
170 LK MUSÉON.
PATER. AVE. CREDO
en dialecte de l'île de Pâques, presque le même que le Mangarévien
traduction mot à mot.
Pater.
To matou Matua noho Ragi e, ka tapu to koe
7)g nous le Père, à demeure an Ciel, que soit sanctifié de toi
igoa ; ka tu to koe aho ; ka mau to koe
le nom ; qu'il ndcicnne de toi le i^ègne ; qu'il ait le dessus le de toi
haga ki te kaiga pc ki te Ragi era. A kai no
vouloir à la terre comme au Ciel situé ailleurs. Le manger de
ilia raa ihaïaa ka avai mai koe kia matou a
ce jour i/j/S' que faire paroenir toi à nous le
laa iiei a. To matou mau rakeiakega ka hakahoki mai
iour Cl mnne. De nous les offenses que tu remettes
kia matou, pe matou e liakahokiatu ana ki te tagata
a nous. comme nous remettons aux hommes
rakerake mai ; ekore koe e hoatu kia matou ki te
offensant nous; ne pas lot livrer nous à la
tukiga kinoga ; ka hakaora maira kia matou mei te
rencontre du péché ; sauce au contraire nous de les
mau rakerakega. Amené (Amen).
mauvaises choses. Air,si-soitil.
Mam.ai'.évikn.
(le n'écris que les mots qui dilîèrent ilu Rapanuij.
Motua
De nous le Père a demeure au Ciel, que soit sanctifié de toi le
tiaga
noyn; qu'il advienne le de toi règne ; qu'il ait le dessus le de toi vouloir
à la terre comtne au Ciel situe ailleurs. Le manger de ce jour que
ho-mai noti rii-iaraga
faire don toi à nous le jour-ci inème. De nous les offenses que tu
hu ri ri a
remettes a. nous comme nous /■émettons aux hommes offensant nous.
VOCAliLLAIKE DE LA LANCJUE DK l'iLE-DE-PAQUES. i7l
titiri tatakegakinoga
Ne pas toi livrer nous à la tentation du péché ; sauve-nous au con-
atogariria
traire des mauvaises choses. Ainsi-soit-il.
On le voit, 8 ou 9 mots ne sont pas les mêmes en la traduction Manga-
révienne qu'en celle de Rapanui. Et même, je pense que ces mots y
seraient compris.
Ave.
Koô mai koe Maria titi ki te karatia e ; mee koe ana te
Salut à toi Marie remplie de grâce ; avec toi le
Ariki ; ku togi hia koe kivaega o te mau tama ahine
Seigneur i as été bénie toi entre les enfants femmes comme
annanake, e ku togi hia hoki mei te huaahaga o
l)as une, et a été béni aussi le provenant de la fécondité de
to koe kopu ko Jetu. — E Maria Peata e, te Matua tama
ton sein c'est Jésus. — Marie Sainte, la Mère enfant
ahine no te Etua, ka pure koe no matou tagata rake-
femme de le Dieu, que pries toi pour nous hommes mauvais
rake ra igeneira, e ki te (hora) o ta matou (matega).
néanmoins d présent, et à l'heure de notre mort.
Amen.
[Ainsi-soit-il).
Mangauévien.
Ena koe e pi marie ia koe te
Te voici (je te salue), Marie, bien remplie de grâce d toi le
Akariki ; ko te toa ite arake
Seigneur ; c'est la femme bénie toi par dessus toutes et a été béni
huaraga te kui
aussi le fruit de ton sein, c'est Jésus. S'e Marie, la Mère de Dieu,
te hu riria a koroio nei noti
que pries toi pour nous les gens mauvais d cette heure même
i te koroio ka mate ai matou.
et à l'heure que mourrons nous. Ainsi-soit-il.
On a employé souvent une tournure diiïérente à Mangaréva ; mais si le
traducteur avait pris la même, le tout eût été presque identique.
172 LE MllSÉON.
Credo.
E (kereto) ana au ki te Etua te Matua mananui tei
Je crois moi à le Dieu le Père ^9z«'5sance grande qui
haga ki te Ragi ki te kaiga. E kia Jetu-Kirito tooiia hua
a fait le Ciel la terre. Et en Jésus-Christ son fils
atahi lo tatou Ariki : te i hakatupu hia e le Kuhane-
tinique le de nous Seigneur : qui a clé produit par l'Esprit
Rivai'ii'iva, tei poreko mei roto mai o Maria Virigine no ;
Saint qui est né du sein de M,arie Vierge ;
tei mamae ki te aho a Poiiotio-Pirato ; tei titi hia ki ruga
qui a souffert à le régne à Ponce-Pilate ; qui a été cloué sur
ruga o te peka, tei amte hia ; e te i tanuhia i turu iho
la croix qui est mort ; a été enseveli est descendu
no ki raro o te pokoga ma te po etoru i ora
dessous le trou profond (en/erj, avec la nuit troisième vécut de
hakahou mai mei te papaku ; i piki ki te Ragi, et noho
nouveau du tombeau; estrnonlé au Cief et est
ana ki te rima matau o te Etua te Matua mana nui,
assis à la main di^oite de le Dieu le Père la puissance grande
mei ira e hoki hakahou mai mo hagakavaga ki
de là être revenir de nouveau vers nous pour juger à
te mau tagata ora e ki te mau tagata mamate atu. E
les hommes vivants et aux hommes morts. Je
(kereto) atu ana au ki te Kuhane Rivariva, ki te (Ekeretia
crois " le Esprit-Saint, à la Eglise
Peata Katorika) ki te (komunio) o te mau Peata ananake,
Sainte Catholique, d la communion de les Saints,
ki te vevetei'aga kinoga, ki te oraga hakahou mai o te
à la i^émission des péchés, à la vie de nouveau de la
kiko, ki te oraga inakai mou Amené (Amen).
chair, d la vie non susceptible d'être détruite. Ainsi-soit-il.
Mangarévien.
Motua
Je (crois) en Dieu le Père puissance grande qui a fait le Ciel et
Motire tei hakakunahia
la terre. Et en J.-C. son Fils unique notre Seigneur qui a été conçu
ete K-Poi'otu i hanau mei a M. V. o
par le St Esprit est né de la Vierge Marie, a souffert à le règne de
VOCAliULAlRE DE LA LAN(iUK DE LILE-DE-PAQUES. 173
Ponce-Pilate\ qui a été cloué sur la croix, est mort a été enseveli ; est
descendu dessous aux enfers; la 3« nuit (c. à d.jour ; jyarce quHts comp-
taient les jours par les nuits, à cause de la lune) vécut de nouveau
mei 0 te hu to te rua
de parmi les gens dans le tombeau, est monté au Ciel, est assis à la
maori
main droite de le Dieu le Père, la grande puissa7ice, de là être revenir
vers nous pour juger à les hommes vivants et aux hommes morts. Je
K. Porotu
crois à le Esprit St ; à la Eglise Sainte, Catholique, à la Communion
des Saints, à la rémission des péchés, à la vie de nouveau de la chair ;
à la vie non susceptible d'être détruite. Ainsi soit-il.
Dans ces trois prières, une trentaine de mots seulement diffèrent dans
le Mangarévien. Les légendes païennes des Gambier parlent de l'île de
Pâques (Matakiteragi, comme elles disent) ayant une population de Man-
garéva qui en aurait détruit la population plus ancienne. La prononcia-
tion du g avec le son nasal donné par. la vojelle précédente, est la
même à Rapanui qu'à Mangaréva, où on écrit en indigène : Mag'areva,
avec la prononciation française.
74
LE ]MUSr^:O.N.
DICTIONNAIRE
Français- Rapanui
(ILE DE PAQUES)
J , — kii, kia.
Abaissement. — kii'jîroiti, ka-
liaka, topa ki l'arn, liaka turu
ki laro.
Abandonner, — liaka rerc, lioa
alu. patii atu. titiri.
Abaiire, — liitia. kokojx', kaka
vii'i, hakâ Topa.
Ahcl'S. — tan, arakca, inai,a'0
[nbccs au genou), tiiri vai'(\, —
(gros) manu iiave.
Abdiquer, — avai,avai atu. topa.
Abhorrer. — kokonia ôéte, ko-
koina rita rita, kokonia hauo
lumo nmuava polii.
Abîme, — auoano, ki raro nui.
ata Iiaka hulionu.
Abjurer, — titiri. liaka rere.
Aboyer, — iiaugaii.
Abolir, - liaka mou, liaka uolio.
Abominable, — veiiveri. rake-
rak(>.
Abondance., abonder, — niauke
avai. tae lie luau ku lioa o, kai
taria te kai, liakapeô no kai
lioao.
Abord {d'), — o mua, komua.
Aborder, — kake a. tomo a, tau
a, tutuki a.
Aboutir, — ikapotu bakarere,
= ti)[)a le ika potu, tt'ho olio
te ika potu.
Abréger, — liorc, liaka poto po-
to, neginejjfi.
Abreuver, — liaka unu ora, ora
(kua ora te kevare).
Abri, abriter, — kooua maru
mani, kooua ua kore, koona
maliana.
Abroger, — liakamoii, liakakore.
Absence, s'absenter, — garo a,
ina 0 nei, ku olio a.
Absorber, — niiti, paka, mou,
garo a.
Absoudre, — vevete, patara,
ma tara.
Abstenir (s'), — kai rogo, kai
liaga, kai olio.
Abstinence, — poremo, marua-
ki, ina kaikai.
Absurde, — heheva, niva niva,
oôliia.
Abus, — kori ke avai, tae kori
iti, ika ke avai mo.
Accabler, — haka pagalia, liaka
gogoroaâ,mate maiamamae.
Accepter, — toô, m au, hapai,
liakatitika.
Accès, — maliani mai a.
Accident, — gogoroaà, tuu mai
VOCABULAIHK DE LA LANGUE DE L ILE-DE-PAQUES.
ilo
te horiliori.
Accommoder, — lioiiuliouo, li;i-
karivariva.
Accompagner , — haatigo, liaraî
(ka liavai kia iiiea), = nio
okoriia, i mûri oo na.
Accomplir, — kakapae, haka-
mou, liaka luoko.
Accorder, — aval, niau, tuku.
Accoster, — liakatata mai, ha-
katupuaki mai, tiiii mai. tiui
mai te vaka.
Accoucher, — poreko, to[)a, te
poki.
Accourir, — toliuti, tahnti, lio-
rau mai, pakakiiia mai, iiaka
uni uru uiai te vae.
Accoutumer. — uuihani. })eva.
Accréditer, — hakatitikaga.
Accroc, — lufjtu, i)aiiii, uujre,
paliao.
Accroître, — hakanui. uui uuia.
meuege a, teitei, teitei a, Id-
ruga uui, roaroa.
Accroupir, — hakaiti iti, liaka-
pakiroki, hakaviuviu.
Accueillir, — ragi, hakaaiMjha,
ragihakariva.
Accumuler, — hue, liakatiti,
liakauegouego, liakaruga uui,
hakajjuke.
Accuser, — tuiii reoreo, haka-
k('uu). tulii uouiai, tulii talia-
ga, — accuser à faux (-.MyVx.
fuhi).
Acheter, — hakalu-re = ncliet' r
une terre : lioù (lioùa te kaiga).
Achever, — liakapai'. iiakauiou.
mou, mouga.
Acide, — kavakava, uiagci^, uu;
acidifier : kakakavakava.
Acier. — ohio, liioliio.
Acquérir, — toù luai, uiau luai.
Acquiescer, — higa luai.
Acquitter, — hakapae, liakako-
re.
Acre, — kavakava, uiageo, o
liUÙ.
Acte, — liaga, taga.
Actif, — hora horau, i)akapa-
kiua.
Actuel, — igeueira, aueira, oa-
ha.
Additionner, — tataku, tapa.
Adhérer, — \ng'à, liaka rogo mai.
Adieu, — kaolio.
Adjoindre, — Iiakapiri, luoô
okorua, uioô arai.
Admettre. — too. hak.-iuru, uga
uiai.
Administrer. — haka rivariva,
iiakatitika, rakei.
Admirer, — maharo, titiro, va-
rikapau.
Adejlescent, — tiign tugu.
Adonner {s'). — uiakaui, piri
ilio.
Adopter. — ton, uiau.
Adorer, — uoi. hakaaroha.
Adoucir, — hakakouakoua. iia-
kauiagaro. hakahekalieka.
Adroit. — uiaori, luaoïike avai,
Adresser, — uga, haka mau.
Aduler, — haka aroiia reoreo,
vauaga reore(j.
Adultère, — ai, houilioui, roka-
reka, meiiia.
Advenir, — tui'u.
Adversaire. — cucuii, tng.ita
kokoiua eèt(,\
Adversité, — gogor.ià. lioi'iliori.
Aéré. — kooua haliaii, koona
kolink(jiiu, koona oi'a, kuona
liauhau.
Affeihle, — niagan». rivariva,
hakaaroha.
A /faiblir, hakaiti, i-auliiva. pa-
paku, uiaia.
Affaire, — hakaln'U, haga, keu-
keu, rapu, taga.
Affamer, — liakauiaruaki. ha-
ka per<jpero, agoago.
Affecter [affecté), — pagaha,
mauava pagaha, = hakaaro-
ha, akakïï, mauava tagi, =
peupeu, tatagi.
11
176
LE MUSÉON.
Affectionner, — liakaaroha, ragi.
Affermer, — hakanoho, tiaki.
Affermir, — liakahiohio, haka-
AffirJier, — e tau, e titi, e Imki.
Affiler, — horo, akui, rakei,
hakarivariva.
Affinité, — pirihaga.
Affirmer, — aaki, hakaraau.
Affliger, — pagalia, gogoroaâ.
Affluer, — uegonego mai, titi
mai, piri mai, maigo, maigo!
Affranchir, — hakatere.
Affreux, — veriveri, rakerake.
Affronter, — liiohio, mataû.
Afin, — ia, kia, ki, ana, raea,
moo.
Age, — tau.
Agenouiller, — uolio turi.
Agglomérer, — hue, negonego,
titi, pupu, pupupu.
Aggraver, — rakerake liakauui.
Agile, — neku ravatotouti, rava
ahere, liorohorau kina, paka-
paka.
Agir^ — haga.
Agiter, — elmhu,'Iiakaliului, ue-
ue, hakatipatipa, pakupaku,
haka revareva, tipatipa, mira
mira.
Agneau, — auio.
Agonie, aguagu, kevakeva, ga-
ga, tata.
Agrandir, — liakanui, hakanie-
nege, hakanego, hakarava.
Agréable, — rivariva, ueneue-
ue, meitaki.
Agréer, — hakatitika, liaga, lia-
ga mai.
Agrégation, agréger, — hakapa,
liakapiri, hakatupuaki.
Agrément, — higahaga, haga.
Agriculteur, — kerihaga aone.
Aguerrir, — haka mataû, haka
matatoa.
Ah ! — aue ! aueue !
Aider, — tarupu, okorua, moahu.
Aïeux, - - tupuna, tapuua.
Aigrette, — hauvaero, hauvari-
kapau.
Aigrir, — akavakava, mageo,
meniri. uû.
Aigu, — kaikai, panepane, ari-
ari, moko moko.
Aiguille, uira, ivi ohio, ivi.
Aiguillomier, — okaoka.
Aiguiser, — orooro, akui, horoi.
Aile, — kara.
Ailleurs, — koouake,
Aimable, — ariga ekaeka, ariga
reherehe, ariga magarc, ari-
ga meitaki.
Aimer, — hakaaroha, ragi.
Aine, — tapa, tatapa.
Aîné, — tuakana, atariki.
Ainsi, — peira, oira, etahi ha-
karite.
Air, — tokerau, raatagi, — air
de chant, reo; — air de visage,
mata, ariga ; — de bon air,
ariga meitaki ; — de mauvais
air, ariga topa.
Aise, — ora mai ; — mal à l'ai-
se, mate mai te tuaivi.
Aisément, — maamaa.
Aisselle, — haîga.
Ajourner, — moe atu ra, anei-
ra, liakarere.
Ajouter, — haka nego, haka titi,
haka rava, haka nui atu.
Ajuster, — liakapiri, honohono,
hakariva riva, titi.
Alarme, alarmer, — mataku,
hopo, hakamataku, hakaho-
l)oîiopo, mauava ruru.
Algue, — ri mu.
Aliéner, — hakahere, tuhi, avai,
vaai.
Aligner, — hakakauga, kakari-
te, tama.
Alimenter, — hagai ; aliment,
kai, namunamu.
Alinéa, — teki tekike.
Allaiter, — haka omoomo, ha-
gai ei u.
Alléger, — haka maamaa.
VOCABULAIUK DE LA LANGUE DE L ILE-DE-PAQUES.
177
Allégé, etc., — koakod, ateate.
Aller, — ulio ; — diversement,
oliotitika, = rà et là, talia.
tapoke, tariu'iniri ; — lente-
ment, koroiti ; — par marches
soudaines, liiviga kokekoke,
= sans bruit, liiri tè reka,
liiri koro iti ; = continu
olio, liiri talia^ira uo mai ; =
hardiment, liiriga tô matakii,
liiriga veve vevp, hora lioraii,
ati ati, pakapakakiua, = de-
vant, ka pu aimia : = de tra-
vers, — hiriga tahataha, == en
rond, — hiriga vari ka])au, =
à quatre pieds, liii'iga totoro ;
— à cloche pied, liiriga teki-
teki, = ohlique, hiriga hipa ;
= avec soin, koroiti ; — un à
un, avai varavara, = à deux,
hiriga okorua, hiriga hakapa ;
— s'en aller, teretere ; = pour
toujours, garo uoa ; — allons,
a mua.
Allier, — pirihaga.
Allonger, haka roa, hakaroaroa.
haka kumi.
Allouer, — haka uoho.
Allumer, — liakapura, = le
jour, ka.
Allumette, — ahi hakapiira.
Alors, — ira, reka, ra.
Altérer, — hakarij^oi, hakarakc
rake.
Altier, — teatea.
Amaigri, — pakiroki, uunupa-
ka, huga moa, moe a ivi,
Amarrer, — kere, hère, takai.
Amasser, amas, — hue, huega.
Ame, — kuhane.
Ambitionner, — hegu hegu.
Ambition, - atc hopo, makota.
akuaku.
Améliorer, — hakanieitaki, ha-
karitorito, hakauaponapo.
Amender, — hakamoitaki, ha-
karitorito, haka uapouapo.
Amener, — hari mai, patu mai,
huga mai.
Amer, — kavakava, takeo.
cimenter, — hakakoui.
Ami, — repa hoa, garu hoa
(pour les liommes) — pour les
femmes, uka hoa, garu hoa ;
= fidèle, repa hoa titika.
Amitié, hakaarohahaga, tatagi-
haga, peupeiihaga.
Amincir, — iiakaiti ; — amoin-
drir, hakaiti.
Amollir, — iiakaekaeka, haka-
vai.
Amonceler, — hue, hakahue,
hakauego.
Amorce, appât, — mouuu, uia-
haga.
Amour, haka arohaga.
Ampleur, — ahuahu pui)uiii,
tuuragauui.
Ampdifier, — hakanui, hakauui-
Dui.
Ampoule, — pati, patiga.
Amputer, — kokoti, hore, pao.
Amulette, — mohai riki riki.
Amuser, — hakareka,haka!i(^tu.
An, Année, — tau.
Ancêtre, — tupuna.
Ancien, — tuhai, hinihini ke
avai.
Ancre, — âka.
Anéantir, — hakakore, haka
mou.
Anecdote, — taga, = taga poki.
Ange, — augera.
Angle, — avaava, atiga.
Angoisse, — aguagu, tâta, paku-
paku.
Anguille, — koreha.
Animal, — puaka, ika.
Animer, — haka ora, haka ara.
Animosité, — riri, ririhaga, =
kokoma huri huri.
Annihiler, annuler, hakakore,
hakamou.
Annoncer, — hakatikea, = inu-
ko, = tara, hapai rogo.
Antécédent, — omua amua.
178
I,i: MUSÉON.
Antennes, — liihi.
Antérieur, — oiiiiia.
AnihropopluKje, — paoa kai ta-
gata,
Antique, — tuliai.
Antre, — aua, karava.
Anus, — mogugii, kaiilia.
Apaiser, — haka mou.
Apathie^ — vaiapuga, uolio uo,
uolio liakahaga.
Apercevoir, — tikoa, tikea ui, ui.
Appl finir, — hakakiva, liakaki-
vakiva.
Apologie, — gu.
Apparaître, — tikea mai, [jukou
mai, tata mai, lioraii mai.
Apparence, — tikea hua liaga ;
= trompeuse, tikea liualiaga
reoreo ; = bonne, hakatu ri-
va riva ; ^^ mauvaise, hakatu
rakerake ; = revêtir V — , a-
karipahe.
Appartement, — paiga hare.
Appartenir, — na mea.
Appât, — uiouuu, uiahaga.
Appauvrir, — haka iti, haka
mou, liaka kauiikami ki te
rakau.
Appel, — ragi, tara, ohu ; —
appeler^ id.
Appendre, — hakatautau, haka-
reva, hakarereva.
Appesantir, — liakapagaha.
Appétit, — vavakai, maruaki,
varahorohoro, uuiuava uuinui.
Applaudir, — reka, ohuohu.
Appliquer, — hakapiri; — s'ap-
pliquer, rava keukeu, = ha-
kahuhu.
Appointer, hakatitika, haka ti-
tika ; haka auhi augi.
Apporter, = hapai mai, amo
mai, hari mai, oho mai, horau
mai.
Apprécier, — maà, tikea.
Appjréhender, — mataku, ruru,
veveri.
Apprendre, — hakakai, akoako,
haka maà, maâ.
Ajjprêter, — hakarivariva, ha-
kaiuee, liakamea, rakei ; =
mal ((pp., iua kai rakei.
Apprivoiser, — mahaui, haka-
maiiaui, = i-ata.
Approcher, — tata, tupuaki, oi.
Approfondir, hakahohouu, ha-
kapokopoko, haka raro nui.
Approuver, — meitaki, titika,
liakatitika, liaga, mau.
Approvisionner, — hakahue, hue
ki te kai.
Appui, appuyer, — tarupu, =
tnru ; — s\ip..., hakanuitau.
Après, — i uuu'i, ki nun-i, ki
tua.
Araignée, — nauai.
Araser, liakavarevare.
Arbitre. — tiigata hakarivariva,
— tagata hakakio.
Arbre, — miro.
Arc-en-ciel, — lianuanua mea-
mea.
Archipel, — motupiri, motupu-
tuputu, = uu)tu haua.
Ardent, — uuitaû, uuita toa,
iliaiho ; — ardeur, — ihoiho,
tagi.
Ardoise, — tuki, hatipu.
Arête, — ivi ika, ivi tika.
Argent, — moui.
Argile, — ooue, lu'iieljehe.
Arguniod, — ki, kiluiga, — va-
uaga.
Aride, aridité, — pakapaka, gi-
higihi, kehokeho, mahiahia.
Arme, — mata.
Armoire, — pahu kumi.
Arpenter, — titaha, uuiroa ha-
haga.
Arracher, — oi, kume, hakapi-
ti, hoa.
Arranger, — haka riva riva,
rakei, liakamee.
Arrêter, aruaru, nu\u, tarupu,
mamau, kia hio ; — s'ar...
noho.
VOCABULAIKE DE L\ L\N(;l:E Di: L IF^E-DE-PAOUES.
no
An'icre, — inun'. faix, — evo.
Arriver, — aln^'e. hiri mai, tu-
l)a mai, paka mai, i"(ji'i mai,
j)iikou mai, tfhe mai, rcre
mai.
Arrogant, — tca t(^a.
Arroger, s'ar .., — iUo.
Arrondir, — hakaregoreiio. lia-
katakataka, haka virivii'i.
Arroser, — Iniri, liakaiiiiiiuiui.
Art. — ma\, lava.
Artère. — liualiua.
Article, — P'iig'i-
Articulation, — tmi tiiri rima
(main), tui'ituri vae ((jciion),
ivi tika (du dos).
Artifice, — reareo, reo.
Arnm, — kape.
Ascension. — pikiga, Iiiri.ua.
Asile, — pikoiia, iiarepiko.
Aspect, — mata, = ariiia, akai'i.
Assaisonner, — liiru liiro.
Assassiner, halca mate, kokoti,
oka.
A>isemUer, — hue mai, piri mai,
uego mai,liakaliue, liakaiiego.
Asseoir, — s' — , noho, — les
jamhes croisées, noho hahatu.
Asservir, — haka noho, haka-
kio.
Assez, — niouga, mou, moua,
pae, paea.
Assiduité, assidu, — })utuputu.
Assiéger, — vari takataka, =
vari ]<apau.
Assiette, — tukuga.
Assigner, — tuki, hakarivariva,
hakatitika.
Assimiler, hakarite.
Assister, — roau, rava, manau,
tahu.
Associer, — oko rua, hakapiri.
Assommer, tigotigi, puoj)iiQ,
Assomption, — liiriga, hapai-
haga.
Assoupir, assoupissement, — ma-
ta neranera, mata kevakeva,
= mata mamae.
Assouvir, — liakanego,hakiititi.
.Issujettir, — hakamau, haka-
higa, hakatalia.
fissurer, — aaki, mauteki.
Asthme. — kokugo, tugutugu ;
== hi. — hupeè i)eè.
Astre, — heet'.ui, huero, pupura.
^Istucc, — haavai'e, = reoreo.
Attacher, — hak.imau, = hère,
= kakahiohio = attacher par
la patte, — vae hère hère, —
(affection), hakaaroha.
Atome, — huhu.
Attaquer, — hakakai = raè =
riiti raè.
^Ittarder. haka hiui hini.
Atteindre. — rava, aati =: rere ;
difficile à at..., hihiri.
Attendre, attente, — aati, tatari
= aiaha hanha, ati ati.
Attendrir, — tagi, tatagi, eki-
eki, peupeu.
Attentat, — haga rakerake, mea
rakerake.
Attention, — mou, hakarogo ;
— attentivement, gutupîri, gu-
tii tae, makenu.
Atténuer, — liakaiti, — haka-
goigoi.
Attester. — hakatitika, aaki ki-
te mea titika, hakatikea.
Attirer, — kume, haro mai, ke-
riti — pokoomai.
Attraper, — mau, rava, morava.
Attrister, — s\ — pagaha, —
gogoroaa.
Attrifion, — mauava pohi.
jI ubier, — hului.
Aucun, — iua e mea etahi.
Audace, matatoa, matau.
Auge, — i)ahu.
Aiujmenter, — liakanui, haka-
mencge, hakanego, hakatiti,
haka rava.
Aujourd'hui, — (passé), oganei-
ra ; — (présent) igencira = a
raa noi a — (futur) aueira.
Auparavant^ — i nma, o mua.
i80
LE MUSEON.
Auprès, — tiipuaki, haka oi
mai, ata hakaneke mai.
Aurore, — ata tehe, ata tea,
ata mea.
Aussi, — hoki.
Aussitôt, — hora hoi'au.
Autant, — etahi hakarite.
Auteur, — tumu, ruti rae.
Autoriser, hakatitika. — auto-
rité, ao,
Autour, — vari, vari vari.
Autre, — ke, keke, = tetalii.
Autrefois, — omua, komua, ga-
ro atu ana, — tuhai.
Autre part, — koona ke, = ki
tetahi koona ke.
Autrui, — tagata ke.
Avaler, — horohoro,= akii, (gou-
lûment) hakaputaputa, maga
nuinui. (mâcher), namumimu.
Avancer, — bakatata, = haka-
tupuaki, tata mai, tupuaki
mai, ao mai.
Avant, — imua, = (cCun canot
de navire), po iliuihu.
Avantage, — rakau.
Avant-garde, — tagata raè.
Avant-hier, — agatahi ahi atu.
Avare, — kaikino, = magugu-
puru .
Avec, — mee, piri.
Avenir, — ki mûri, a mûri, mea
tehe mai.
Averse, — ua ke avai, ua tcirai.
Avertir, aaki, averi; = avis, ici.
aaki liaga, ki haga.
Aveugle, — mata keva, mata ra-
parapa.
Avide, atehopo, manava tagi.
Avilir, liaka rakerake = liaka-
topa.
Aviron, — matakao.
Avisé, — maà, rogo.
Avocat, — tarupu.
Avoir, — rava, morava, too ku,
to ku, taaka.
Arortement, — topa, topa tini.
Avorton, — poki puepue, poki
tuahuri, poki gaàpu.
Avouer, — aaki, haka rivari-
va ; = s'avouer, hakaaaki.
Avril, — hora,
Azur, — ragi.
Babiller, babillard, — rava va-
naga, vanaga roroa.
Badiner, — hoko.
Bafouer, — aanu.
Bagage, — rakau.
Bagatelle,^ — taga poki.
Bague, — hakauru.
Baguette, — miro vavau, =^ (à
tatouer), hui ; (l'os de poisson),
mata.
Baie, — haga.
Baigner, — hoopu, hopu, kau,
ruku.
Bailler, haka marna, = ha.
Bâillonner, — hakagau.
Baiser, — hogi.
Baisser, — hakaturu ki raro, =
haka rere ki raro ; — (l'aile),
hakamoe.
Balancer, — hakarereva = ha-
katono ; — contre-balancer,
hakaihoiho.
Balancier, — hamae.
Balayer, — tutu. = (balai), tntu.
Balbutier, — reouù, reohirehire.
Baleine, ivi heheu, — baleinier,
vakapoepoe.
Balle, mamara hago, — aku, —
(ballot), pahu.
Ballotter, — haka oi.
Banane, — meika ; bananier,
tuuui meika.
Banc, — pepe, noho.
Bannir, — tute, = haka raga,
— raga, — tui.
Baptême, — papatema.
VOCABULAIRE DE LA LANGUE DE L ILE-DE-PAQUES.
i81
Barbare^ — paoa kai tagata,
Barhe, — vere.
Barbouiller, — puô, puô ei oone,
= akui, rero.
Baril, — pahu.
Barioler, — hirohiro.
Barrière, — papae.
Barque, — vaka.
Bas, — tokini (chaussure).
Bas, — rakerake,
Base, — tumu.
Bas-fond, — parera.
Bastonnade, — punpuô.
Bas-ventre, — puku = komari.
Bataille, — toua, taua.
Bateau, — vaka.
Bâti?nent, — hare, = niiro.
Bâtir, — âto.
Bâton, — tokotoko, = (à croc),
rou ; — (à creuser), uki, oka ;
— à amasser, kio.
Battre, — piièpuô, r= Vétoffe,
tutu ; — (pouls), pakapakina ;
(battre en retraite), tetere.
Bavard, bavarder, rava ki, —
pogeha, — ravapeto, — rava-
ge!.
Baveux, vare, vare roroa.
Bayonnetie, — uki.
Beau, — rivariva, meitaki, rito-
rito, naponapo.
Beaucoup, — meanui, = raea
negonego.
Beau-fils, — hunoga.
Beau- frère, — taukete.
Beau-père, — hugavai.
Beaupré, — poihuihu.
Bec. - gutu.
Bêche, bêcher, — paopao, haka
heu, tonotono.
Bégayer, — reo hirehire.
Belle-fille, — hunoga.
Belle-mère, — huga vai.
Belle-sœur, taukete.
Belliqueux, — mataû, — mata
toa.
Bénir, — haka meitaki.
Béquilles, — toko toko.
Bercail, — huega.
Berge, — tiaki puaka.
Besoin, — tagi a,
Bête, — puaka.
Bêtise, — nivauiva.
Bien, — meitaki, rivariva ; —
(inespéré), m au topa pu, topa
tahaga, topa tahaga no mai ;
— (faire du bien), atakai.
Bienfaisant, bienfaisance, —
haka meitaki, rima atakai.
Bientôt, — aneira.
Bigame, — tagata vie erua.
Bigarré, — purepure, — gure-
gure, — horehore.
Bile, — nuu.
Bis, — ki hua — ki hua.
Bizarre, — haka uiva niva.
Blâmer, blâme, — kakai, — to-u.
Blanc, — teatea, ritorito.
Blanchir, — hakateatea, — {h.
à la rosée), hakaritarito ki te
hau, — (b. lelinge), tope.
Blasphémer, — haka mee meè.
Blé, — mokohi, mokohi haaroa.
Blesser, — pahure, = pahure-
hure, hahoa.
Bleu, — hurihuri, — kerekere.
Blond, — teatea, — kunekune,
kurakura.
Bobo, — mamae, mate mate.
Bœuf, — puaka toro.
Boire, — unu, — (boisson), unu-
ga, — rakau ; — (pour ava-
ler), horo.
Bois, — miro, — (b. à brûler),
ukauka, hahie, — [b. de lit),
pepepepe, — (b. où se bat Vé-
corce), tutua ; — (b. circulai-
re), takataka ; — (arrondi),
poripori ; — {b. flexible), gaie,
= geigei, = (à tirer du feu),
hauhau.
Boîte, — pahu-pahu.
Boiter,- tekiteki, = kokekoke,
— haroharo ; = oeoe.
Bon, — meitaki, rivariva.
Bonde, — kokomo, — api, —
182
LE ML'SÉON,
purnga.
IJondir, — pimeue, =■ nianaiia.
Ihnheur, — koakoa.
Bonjour, — kooiuai, — bonsoir,
id., — pu mai puiiui.
Bonté, — meitakihaga, — liva-
ga.
Bord, — tapa, titi.
Borgne, — keva, matakeva, ma-
ta étahi, == matapo.
Borner, - titàa = titaà = liore.
Bossu, bosse, — tuaivi niliinibi,
= tuaivi viriviii.
Bosseler, — avaava = tigi tigi,
= puopuo.
Bouc, — apailioru taiiia roa.
Bouche, — halia, — (2)eiife b.),
lialiai)ipi, ^ gututae mekenu
= tae uiakenu.
Boucher, — kokomo, = puru ;
— (bouchon), kokomo, — pu-
tuga, — puruga.
Boucle, — tekai, takai, := {b.
d'oreille), epe veo ; — (6. de
cheveux), rauoho mirimiri, ivau-
oho liiriliiri, rauoho maliatu.
Bouder, — tuuaviki, = haka-
viku.
Boue, — egu ooue vekuveku, —
ooue veriveri.
Bouffi, — aliu, = pupubi.
Bouillir, — paueue, puuekineki
= gaelie = pipi ; = (avec
pierres), id.
Bouillonner, — id.
Bouillon
Boule, — viriviri, — takataka.
Bouler, — mamara uui, luama-
ra uui.
Bouleverser, — pokupoku, =
hoaboa.
Bourbeux, ■=■■ vekuveku, rarira-
ri, =L bebebebe.
Bourdonnement, — bubu.
Bourgeon, bourgeonner, — pipi.
Bourrasque, — matagi, — ke-
keri, — taiparipari.
Bourrer, — bakapubapuba, ba-
kaucgonego.
Beurre, — id.
Bourru, — tarotaro, = baka-
luigomigo, = uibo.
Bourse, — kote.
Boussole, — uiiuiiro, = varika-
pau.
Bout, — potu, (potu pour toutes
les choses).
Boideille, — bipubiva.
Bouton, — veo.
Boutonner, — veo ; — (bouton-
nière), pu veo.
Bouture, — babati.
Boyau, — kokonui.
Boxer, — tigitigi.
Braie, — piere, piere biva.
Braise, — tutuma.
Branche, — uiaganuiga miro,
(b. jeunes), pipi ; — (sans b.),
boro varevare.
Branchies, — kauaba, = reru-
reru.
Branler, — gaeiei, eueue.
Braquer, — baro, barobaro.
Bras, — rima = aaru ki te ri-
ma (élever le bras), baro.
Brasse, — niaroa, — dix bras-
ses, kumi.
Brave, — mataiï, nuita toa, —
bravoure, id.
Brebis, ^- uuitoue.
Brèche, ava.
Bredouiller, — arero oeoe,
Bref, — horau borau, — borau
borau.
Bretelle, — pena.
Breuvage, — unu,
Bricli, — miro tuû erua.
Bride, — pana, pena hakamau,
bakaiboiho.
Briller, — brillant, — pupura,
meitaki, maeba, naponapo, —
tea.
Briquet, — ta.
Brisants, — tai poko, = paka-
kioa, lai hati.
Brise, — matagi, — tokerau; —
VOCABULAIRE DE LA LANGUE DE L ILE-DE-PAQUES.
d83
(h. agréable), ahau ora ; {don-
ner la hrise), bakaahau, haka
ora.
Briser, brisé, — hati, = gaa =
marero, = parehe, |iarehe.
Broder, — pu pu.
Broncher, — tapoke.
Bronze, — kiukiu, — ih àbo.
Brosse, brosser, — horohcro, a-
kui.
Brouillard, — puga ehu, — lai-
ko, ~ {b. déterre), motibo; —
{b. et pluie), puga ehu.
Brouillon, — oiva niva, = tae
ripoi, — baka ripoi.
Broussailles, — kobu kobu, =
maru maru.
Broyer, — ava a va, = ligi tigi,
= tuki tuki.
Bru, — huDOga.
Bruire, — pogeba, — bruit =
ravaki, = tariga kikiu. — (b.
lointain), obu obu, — (b. d'en-
fant), — tagi, oôa, cki eki. —
{quel bruit !), — pogeba ke. —
(grand bruit), pogeba ke ; —
(faire du b. ), hakapogeba mai,
— {en avalant), aku aku.
Brûlant, — mahana, — vera
vera, — vera paka, giigii ; —
{b. du ciel), giigii, pakapaka,
— (brûler), id.
Brume, — kobu.
Brunâtre, — ebuebu, ehuebu.
(brun), id.
Brusque, — gu, guba, keriti.
Bruyant, — pogeba, pogeba.
Bubon, — arakea, manu nave,
tao.
Buisson, — miro kobu kobu.
Bidle d'eau, — kuto kuto ; pupa
pupa.
Bureau, — bâta.
Bid, — bakaatu, bakatu ; — (6.
de voyage), ika potu ; — (s'ef-
forcer d'atteindre le but), ka
rava.
G
Cabane, — bare ; — {cabine),
bare iti iti no.
Cabestan, — bivo, ruruku.
Cacatois, — kabu oruga, kabu
oruga 0 le veuveu.
Cacher, uaâ, = baka uoku, ba-
kakebu ; — {se caclier), piko ;
(jeu à cache-cache), bikobiko
keke.
Cachet, cacheter, — bakapipiri ;
baka ibo iho.
Cachette, — pu moo naâ.
Cadavre, — papaku ; — {corps
à enterrer), ru maki ; — {entiè-
rement consumé), tataga, —
perigi.
Cadeau, — akatatiga,— akatari.
Cadenas. — pikopiko.
Cadet, — toina, — otua, o vaega.
Cage, — pabu.
Cailler, caillé, — kekebo, paka-
bia, iboibo.
Caillou, — kirikiri = kikiri.
Caisse, pabu.
Cajoler, cajoleur, — akurakura,
kenkeu, haka makeuu kenu.
Calamité, — gogoroaà, — gran-
de c, gogoroaà duquI.
Calcul, calcider, — tataku, —
tapa, tapa.
Calebasse, — bipu, huo, paka-
bera.
Caleçon, — vae no roto.
Calfat, calfater, — herurii,
akauru, betiibetu.
Calice, — hipubiva.
Calicot, — tapa guregure, tapa
tukituki.
Calme, — marie, })aka, bataba-
ta, gaogao, kotaki, mau, boii,
hopcbope, riva {pour la mer) ;
— magaro, riva, atakai, {^our
184
LE MUSÉON.
les hommes).
Calmer, — marie.
Calomnie, calomnier, — tuhi ta-
haga nomai.
Camarade, — repa hoa.
Camisole, — ropa o raro.
Camp, camper, — huega, hue.
Canapé, — rago, pepc.
Cancan, — rcoreo.
Cancer, — paka rerere, mahiti.
Cancrelas, potupotii.
Canne,— tokotoko, — c. à sucre,
loa.
Cannibale, — tagata paoa.
Canon, — pupuhi uunui.
Canot, — paepae, vaka ; —
éloigner le c, ea ki aho ; —
rejoindre le c, titi, tuku.
Cap, — ikapotu, moko moko.
Capable, — rava, maà, moraoa,
maâmaâ.
Cap (mettre le cap), — viri,
huhii huhu.
Capitale, — hetu.
Captif, captiver, raga.
Caquet, — pogeha, reokumi.
Caractère, — manava ; — mau-
vais, manava rakerake.
Caresse, — baka reka, haka
aaroa.
Cargaison, — nego ncgo, titi.
Carguer, — viri.
Carnage, — tigai nunui ke.
Carré, — hakavari.
Carreau, — {vitre), uira, rakei.
Carte, — parapara, (à jouer,
inconnu).
Cartilage, — poga.
Casanier, — noho no.
Cascade, — aâ, aâ.
Case, — hare.
Casquette, — bàû.
Casser, — cassé, — hati, gaaha,
motu.
Cataplasme, — hakapiri.
Cauchemar, — gogoro, pagaha.
Cause, — tuniu ; — (sans c).
tumu kore ; — à cause que,
no te mea.
Causer, — vanaga, ki ; — cau-
seur, pogeha.
Cave, — aua, rua, pokoga.
Ceci. — ko ia, a mea nei, tenei.
Cécité, — mata keva, — mata po.
Céder, — bakarcre, avai atu, tu-
ku atu, mae atu'ra.
Ceindre, — aratua.
Cela, — a mea era, tena ; — c'est
cela, ko ia.
Célèbre, — mataïl ; — célébrer,
roau.
Celer, — naâ, baka naà, — pu-
ru, tanu.
Céleste, — no te ragi — ruga ibo.
Célibataire, — noho tahaga, —
tae moe.
Celliih, — bare no iti.
Celui-ci, etc., — te, ko te, ta, to,
komeatera, tena, tenei, a mea
nei.
Cendre, — eo eo, ehu ehu.
Censurer, — tubi = taro tare.
Cent, — rau.
Centre, — vaega, ki vaoga.
Cependant, mea ra.
Cercle, — takataka ; — tourner
en cercle, viri, vari.
Cercueil. — pabu papaku.
Cerf-volant, — manu uru ; —
queue de c, vacro.
Certain, — m au, ua, ga ; — cer-
tainement, baki.
Cerveau, cervelle, — roro ; —
homme, m an a vai ; — mal de
tête, garuru.
Cesser, — mou, bakarere ; —
faire c, tigai, baka mou.
C'est pourquoi, — oira, no ira.
Chacun, — tera, tera.
Chagriner, chagrin, — haka pa-
gaha, pagaha ; — se ch., id.,
gogoraa.
Chaîne, — tarigariga, = obio,
tutui obo.
Chair, — kiko.
Chaire, — rago.
VOCABULAIRE DE LA LA>GLE DE L ILE-DE-PAQUES.
185
Chaise, — rago, pepo.
Châle, tutui kura.
Chaleur, mabana, haca, piima-
hana, veravera, — être en cha-
leur, bai.
Chaloupe, — vaka.
Chambre, — borega, râpe.
Champ, — kaiga.
Chanceler, — rori rori, — pato-
ke toke, = kuikui.
Chancre, — mata.
Chandelier, — tuu ràma ;
chandelle, ahi.
Changer, — buri ke, = baka
hariu ; — ch. comme le vent,
buri ke tabaga no mai ; — ch.
déplace, nobo ke nobo ko, =
baka kabuga
Chanter, chant, — hiraene, —
ch. de guerre.^ baka mee.
Chapeau, — baù.
Chapelle, — hare pure.
Chapitre, — paiga.
Chaque, — tera tera, tetahi.
Charbon, — garabu, — mama-
ra, eoeo ; — ch. de terre, ma-
ramara, mamara.
Charger, — hapai ki ruga, —
tari, — hue, haka rere.
Charge, — hakavega, — uraga,
amoga ; — mettre en ch., bue.
Charité, — hakaaroha.
Charmant, — riva riva,rito rito.
Charnière, — obgio taga taga.
Charpentier , — tagata maori.
Charrette, — potaka.
Chasse, — tute.
Chassie, - haka rava.
Châtier, — tigi tigi, puo puo.
Chatouiller, — haka reka reka.
Châtrer, — bore.
Chaud, - vera vera, vera ma-
bana, hana, pahia.
Chaudière, — pahu oui.
Chauffer, — haka mabana, —
rara rara, ha.
Chaume, — mouku.
Chausser, — uru, haka uru, vo-
ka ; — une plante, puke, ata
puo.
Chauve, — marego, marego pa-
ka.
Chaux, — puga.
Chef, — ariki.
Chemin, — ara.
Chemise, — kakava.
Chenal, — ava.
Chenille, — eanuhe.
Cher, chéri, — ate ate, koa koa,
baka aroha.
Chercher, — kimi kimi, — ma-
nau ; — ch. à tâtons, ata ui.
Chétif, — pepeke, rehe rehe,
raubiva,pakiroki; — pakiroki.
Cheveu, — rauoho, = en tresses,
rauoho hiri, — noirs et frisés,
rauoho pikipiki, — rouge, rau-
oho teatea, — bourrus, rauoho
mika mika, — bouclés, virivi-
ri ; — épais, matoru.
Chèvre, — apaihoru.
Chevron, — kaukau.
Che^, — ki te hare.
Chien, — hauhau.
Chiendent, — moukuhiva, mou-
ku.
Chiffon, — gio gio.
Chiffre, — ta, baite.
Choc, — poa, tutuki, piri.
Choisir, — vae, hue ke.
Choquant, — choquer, — veri
veri, rakerake, pogeba, paga-
ha haka riri.
Chose, — mea, mee.
Chronique, — matua.
Chuchoter, — hahumuhumu,
heguigui.
Chut, — mou, kamou.
Ci, — nei.
Cicatrice, — pahuro, kokoti,
perebe, a hau buri buri.
Ciel, — ragi, — c. sombre, ragi
kohu kohu ; — c. avec nuages
blancs, ragi puga; — c. bariolé,
ragi motio tio ; — c. pomelé,
ragi kiri kiri mire, ragi raohai,
186
LE MUSÉON.
ragi purepure, ragi ehu cLu.
Cil, — veke veke.
Cime, — ttketcke.
Cinq, — rima.
Cinquante, — e rima te baga uru .
Cintre. — taka.
Circonférence, — vari, vari ka-
pau.
Circonspect, — titika.
Circonstance, — e mca.
Circulaire, — taka taka.
Ciseau, — tapani.
Ciseler, — kokoti, hore bore, bo-
ni boni.
Citrouille, — mautiiii.
Clair, — rabi rabi, maeba ma-
eha, maramarama, — c de lu-
ne, maeba mabina, — c. semé
varavara, baka vara vara.
Clandestin, — bakanaa, baka
naa, a bere po.
Clapotis, — konakona, tai vana-
ga, tai 0.
Claquer, — bakapakakiua, ro
tu rotu ; — langue, korokoro,
miti miti, kurii kurii ; — lè-
vres, omoomo.
Clarifier, — haka meitaki.
Clarté^ — marama, maeba.
Classe, — borega, tika; -- école,
hare haka atuga, baka mara-
ma.
Clef, — taviri.
Cligner, — rotu rotu ; — cligner
d'un œil, bakakeva,
Cloche, — kiu kiu.
Cloclie pied, — ibi ihi.
Clore, clôture, — titi titi, pavari
kapau.
Clou, — veo ; — clouer, veo, titi.
— arakea, tao.
Coaguler, — pakabia, biobio.
Coche, — tebetehe, kokoti,
Cochon, — lioru ; — c. de lait,
punua horu.
Coco, — uiu ; — germe, tupu ;
— cocotier, id.
Cœur, — haipo ; — c. animal,
ici. : — kopu ; — à contre
cœur, tae baga = tae baga.
Coi, se tenir coi, — mou, mou uo.
Coiffer, puô.
Coin, — avabi, — coin à fendre,
id.
Colère, — riri, mauava riri, ko-
koma, huri buri, kakai, ma-
nava eete, toua, eete.
Colique, — manava uiiiibi, buki
Imki, mauava karava rava.
Colle, coller, bakapipiri baga,
baka pipiri ; - se coller, pi-
piri, piri.
Collection, collectionner, — bue-
ga, bue, pupu, puke.
Collier, — bakatau, bebere,
Colline, — takere.
Colombe, — kiakia.
Colon, noho no.
Colonne, — toga, pou.
Colorer, — akui, ta.
Combat, — toua, taua, — com-
battre, id.
Combien, — e bia.
Combiné, — bakatitika.
Combler, — titi.
Combustion, — veraga, uraga,
tutuga.
Comète, uero.
Commandeur, — ragi,
Comme, — pe, i)abe.
Comme cela, — peina, peira.
Commémorer , — baka nianau-
baga.
Commenconenf , — raega, rae.
Comment, — peliea, eaha.
Commerçant , — commercer, ba-
kabere, lioô ; — homme c, ta-
gata haka bere hoo.
Commission, — commissionnaire,
— rogo.
Commotion, — veveri, ruru.
Communicatif, — magaro.
Commun, — uoa, ananake.
Compacte, — putuputu ; — non
comp., varavara, ma toru
toru, pego pego.
VOCABULAIRE DE LA LANGUE DE L ILE- DE-PAQUES.
187
Compagne, compagnon. — n/pa
hoa ; — compagne, la femme,
uka hoa.
Compagnie, — liiiega ; — une
compagnie, piri mai, auanake.
Comparaison, — comparer, —
liakaritega, hakarite.
Compas, — hakataviri.
Compassion^ — liaka arolia ga ;
compatir, id., — vaine, lia-
kaarohareo.
Compenser, liakahere.
ConipJd, coinpléter, — liakari-
variva, liakatitika.
Composer, — liaka riva riva.
Comprendre, — rogu, liaka rogo;
— compris, — rogo a.
Comprimer, — liaka ueiiiu, ha-
kalioki.
Compromis, compromettre, — lia-
ka))agaha, liakagogoroaa, Iio-
rihori mai a i te reoreo, Laka-
liorihori mai a.
Compte, compter, tapa — tatapa.
Concave, — pokupoko, pokopo-
ko taheta, — iioki uoki.
Concentration, concentrer, — lia-
ka taka taka, — api.
Concepition, concevoir, — tu[)u.
Concile, — liuega.
Conciliation, conciliateur, conci-
lier, — hakatuu, riri, kaka
mou, liakarivariva.
Concis, — poto, potouoa.
Conclure, — liaka[)ae, liakamou,
mou.
Concordance, — liakaritega.
Concourir, concours, — tarupu.
Concubinage, — moe iio.
Concupiscence, - bai.
Condamnation, condamner, —
rarara , liaka l'ivari va .
Condisciple, — repa lioa.
Condition, — hakarite.
Condoléance, — tagi, tatagiragi.
Conduire, conducteur, — haka
tari, — a, haka uga.
Conduite, — haga.
Confédcrer, — hakapa, api.
Conférence, conférer, — vauaga.
Confesser, confession, — aaki ;
aaki.
Confier, uiau, tiaki.
Confondre, — liara ; — mêler,
tu, = haka eka eka.
Conforme, — pe, pahe.
Confort, confortable^ — haka
uuikoua, kavahia, haka kava-
laa.
Confier, — râpa hoa.
Confus, confusion, — haka ma.
Congé, congédier, — tute, haka-
hoki ; — prendre c, tere.
Conjecture, — iiiaiiau.
Conjurer, — iiouoi.
Connaître, — maà, rava ; — faire
c. haka tikea.
Conquérir, — rava, morava.
Consacrer, — haka viku, liaka-
ta})u.
Conscience, — uiauau, maiiau.
Conseil, conseiller, — haka maà.
Consentir, — liiga, biga mai,
haga, haga mai, rogo mai.
Conséquence, — ai ; — sans c,
oaha mai.
Conserve, aller.,, oho a rurua.
Conserver, — tiaki.
Considérable, — uunui, okoke.
Considérer ^ — miue mine, mata
miue, mata haka taha, mata
pupura, mata haka hire.
Consoler, — kamïora, kaka ma-
amaa, — sans c. pagaha mou-
ga kore.
Consolider, — haka iUo, haka
iho ilio, haka raau.
Consommer^ — haka mou, haka
pae.
Conspirer, — rakei, = rakei.
Constant, — mau, iho iho.
Consternation, consterner, — ma-
taku, maiiava eete, maiiava
ruru.
Constipation^ — mogugu kore,
tutae hihi.
J88
LE MUSEON,
Construction, construire, — ka-
to, titi.
Consumer, — haka mou, haka-
pae ; — se consumer, pae a.
Contact, — tupuaki.
Contagion, — poa.
Conte, faire un conte, — reo,
reo reo, haka reoreo, liaka-
kemo.
Contenir, — lioo, tomo.
Content, — koa koa, reka.
Contestation, contester, — ilio
ilio.
Continuer, — ki hua, horau ho-
rau.
Contorsion, — tipa tipa.
Contracter, — pipiri.
Contradiction, contredire, con-
trarier, — haka hori hori.
Contraire, — mea ke ; — faire
le c, haga ke.
Contrarié, — pagaha.
Contrat, — haka titikaga.
Contre, — kia.
Contre-cœur (à) — tae haga, tae
haga mai.
Contrée, — heenua, kaiga.
Contre-poids, — haka iho iho.
Contribuer, — piri, tarupu, hau
mai.
Contrition, — niauava pohi.
Contusion, — pahure, eperehe,
tutuki.
Convaincre, — higa atu, higâ
mai; — convaincu, ku higa a.
Convalescence, — riva no iti.
Convenable, — mea riva.
Convention, — haka titikaga ;
c. peu solide, hakatitikaga reo
reo.
Conversation — vanaga, — ki ;
— c. plaisante, haka reka, ha-
kareka no.
Convertir, — riva ; — se c, ri-
va, hariua.
Convier, — ragi ; — convié, ra-
gia.
Convoiter, — tagitagi, — ate
hopo.
Convulsif, convulsion^ — taora,
= hagu hagu.
Copie, copier, — ta.
Copieux, — nui ; — vivres, mau
nui.
Coq, — moa toa ; — c. lâche,
pepeka ; — courageux, mata
toa, mataû ; c. à long éperon,
moa tara piko, moa tara kai-
kai ; — chant du coq, moa
ohoa.
Coque, — pakahera ; — coquille,
pakahera, — hipu.
Corail, — puga ; — à branche,
puga pupu.
Corbeille, — kete.
Corde, — taura ; — faire une c,
taura hiri ; — nouer le bout
d'une c, hère.
Cordon, — liara tua.
Coriace, — uka uka, iho iho.
Corne, — tara.
Corps, — tino, — c. fluet, tino
vare vare ; — corporation,
huega.
Corriger, — haka rivariva, =
tigi tigi, avaava.
Corrompre, — tuki, tagata tuki
(homme corrompu).
Côté, — kao kao ; — se tourner
de côté, hariu ; — d\in côté sur
Vautre, hariu ke, hariu ke.
Coteau, — mouga iti, hiriga.
Côtelette, — kava kava.
Cotre, — miro iti.
Cou, — gao.
Couchant, — raà, rem rem.
Couche, — rago, pepe.
Couché, — moe ; — horikou, moo
haka taha ; — à plat, moe
— moe araruga; ;à^prre,ariga
moe ki raro ; jambes étendues,
moe vae haka roroa ; moe vae
a hatu.
Coude, — turi rima.
Couder, — rima tuku.
Coudre, — tia, tia.
VOCABULAIRE DE LA. LANGUE DE L ILE-DE-PAQUES.
189
Couler, — talie, iiini nini, turii,
inaina, tomo ; canot qui coule,
emu, kuto, punene.
Couleur, — hakarite.
Coulisse, — huhii.
Coup, — tigi, tigiga ; — c. de
poing, rima haka viri viri, ri-
ma hakaviriviri ; — donner
des c. de poings, tigi tigi.
Coupable, — tagata rakerake.
Coupe, — hipu.
Couper, — kokoti ; — aux Ci-
seaux,ta,\)Sim ; — en morceaux,
hore liore iti iti ; — avec cou-
teau, liore, motu ; court, hore
poto, motu poto.
Couperet, — tapani.
Couple, — piri okorua.
Coupure, — kokotiliaga, petelie.
Cour, — koona vare vare.
Courage, courageux, — mata
toa, mataû.
Courber, — uoi ; — pagaha, ta-
ha, amo.
Courir, — toliuti, talniti, tere,
liorarau, vae rere, ka rere,
toù vae, pakapaka kina, liaka
uru uni toù vae.
Courge, — liue, mautiui.
Couronne, — pukao, uru ; —
couronner, Iiakauru.
Courrier, — rogo.
Courroux, — kokoma huriliuri,
mauava pohi, kokoma eete,
courroucer, id.
Court, — poto, potopoto ; —
courte haleine, — aguagu, gae-
gae, manava tiha, liaipo ralii
rahi.
Courtisan, — liaka kouakoua.
Cousin, — teiua tama roa.
Coûter, — liaka hère, tuhi.
Couteau, — hoe ; — c. se fermant,
hoe hahatu, lioe haka nemu ;
user du couteau, kokoti.
Coutume, — maliaiii.
Couture, — kauihaga.
Couver, — moe, uha mau, =
faire c, haka moe.
Couvercle, — puru ; — mettre le
c, id.
Couvert, — puru a.
Couverture, de case, puru ; — de
lit, gio gio.
Couvrir, — puru ; — d'ombre,
haka maru ; — d'eau, haka-
ruku, haka garo, titivai.
Crabe, — pikea.
Crachat, — cracher, — aauu.
Craindre, — mataku, = liopo ;
— cramfe, id. ; — qui ne craint
ni vent ni mer, mataû.
Crampe, — ua piki.
Cramponner, — aaru, tarupu,
haka iho iho.
Cran, — titaa, hore.
Crâne, — roro, puoko.
Crapuleux, — rakei'ake mako-
ua.
Craquement, craquer, — keke-
keke.
Crasse, — oone.
Cravate, — heregao, heregao.
Crayon, crayonner ^ — ta
Création, — haga, kaga rae.
Crèche, — pahu.
Crépir, — haka vare, — haka
kiva, = ta.
Crépuscule, — huero ; — c. du
matin, huga raa.
Crète, — rerepe.
Crevasse, — crever, — gaa.
Creuser, — keri, are, — creux,
rua, raro nui.
Crevette, — viti viti ; — c.de mer,
ura .
Cri, — tagi, tatagi, ooa, ragi,
oiiu, — c. des rats, kikiu, vou,
— cricur, tagata ohu.
Criailler, — pogeha, — criard,
id.
Crime, — rakerake.
Crin, — huhuru, rauoho.
Cristallin, — pupura.
Critiquer, — haka hori hori,
haka horiga.
i90
LE MUSÉON.
Croc, — rou.
Croire, croyance, — l'ogo, ro-
goa ; — ne pas croire, ho ai a
inoo hakarogo atu.
Croiser, — haka peka ; — les
jambes, haka hihi.
Croissant, croître, — tupu, —
mauege, menege ; — vite, ho-
rahorau ; — être arrête dans
son croit, tae hora horau ; —
pour lliomme, ivi uha.
Croix, — peka.
Crotter, — oone no, oone.
Crouler, — toparia, perigi, po-
rohata, marere, iiierere.
Croupion, — pigei, piheigi, pi-
haigi ; cette partie du dos de
Vliomme, pi])i.
Croûte, — paka, pakapaka.
Cru, — mata.
Cruche, hipu, — calebasse, pa-
kahera.
Crucifier, — titi.
Cruel, — tigi tigi. gagau.
Cwillir, — ruuu, taii, tapa,
hakapiti.
Cuiller, — tukuga, ao.
Cuir, — kiri.
Cuire, — timii ; — dans le four,
tao, haka ootu, haka[)akiu,
haka p.'.iku. — mal cuit, iiiae
mae uo, tae ootu, mata no ;
trop cuiïjhope liope, rihariha,
veravera, pakapaka, kore te
ivi.
Cuisine, — hare tuiiu kai, —
hiiiuu hal•(^
Cuisse, — papa kona.
Cuivre, — veo.
Cultivateur, — tagata tanu kai.
Cupide, — ate hopo, ate hopo.
Curieux, curiosité, — rivariva
Cutané — kiriputi, kiri})utiti.
Vabord^ — komua, onuia, ki-
miia.
Danic-jeanne, — hipn liiva.
Damnation, damner, — topa ki
te pokoga.
Dandiner {se), — hakagaei.
Danger, — viriga, viritopa, —
higa, mataku.
Dangereux, — matalcu ke. =
matakn.
Dans, — ki roto.
Danse^ danser, — ate.
Dard, darder, — veo.
Dartre, — kiuo.
Date, — raà.
Davantage, — nui atu, — kihua.
De, — no, ua, o, a, to, ta.
Débarqu(r, — hoa.
Débarrasser, — haka riva liva,
= rakei.
Débat, débattre, — kakai, —
toua.
Débauché, — rakerake ; — dé-
baucher, tiiki.
Débile, — pepeke, tekeo, rehe-
relie, uenere.
Débit, débiter, — liakahere.
Déblayer, — (voir débarrasser).
Débordement, déborder, — taie
ku taie tetai.
Déboucher, débourrer, — matak i .
euai.
Débourser, — avai, haka liei'o.
Debout, — maroa.
Déboutonner , — vête vête, —
débrider, id. kume.
Débris — horega, hugahuga =
huga huga.
Débrouiller, — vête vête, = ve-
tevet(\
Début, débuter, — rae, raega.
Deea, — mei a.
Décapiter, — hore, hore te gao.
Déceler, — aaki.
Décembre, — ora.
Décent, — riva riva.
VOCABULAIKF, DE LA LANGUE DE l'iLE-DE-PAQUES. 191
Déchaîner, — vevete, patara.
Décharger, — haka maà, haka
ora .
Décharner , — toù ate kiko e ivi
i hakarere.
Déchirer, — horeliore, — liihi,
kotikoti, kokoti = d. arec les
dents, uanagi, iianagi, — rao-
tii, niomotu.
Décider, — kia, luikafitika a.
Déclarer, — aaki, hakakite, lia-
kakite.
Déclin, — ataata, ata ; — d. du
jour, i(l.
Déclinrr, — karo, hakataha.
Décoiffer, — patu. hakarere ki
te ])au.
Décoloré, — luarii'i, lueriri.
Décomhrcs, — tiaki, i)aopao,
keri.
Découper, — liore lior*', kokoti,
liore, liugahuga.
Décourager, Découragé, — kioa,
kio.
Découvrir, — mataki, = le jour,
inaoa, mataki, i)atu.
Décrassser, — lio])u, lioroi.akui;
= les mains, ko[)ikûpi.
Décrépit, — kuroua, migoiuigo;
— décrépitude, id.
Décret, décréter, — liakatitika,
hakatitika.
Décrier, — hakakemo, pogelia,
tuhi tahaga, tulii taliaga iio-
mai.
Décrire, — ta.
Dédaigner, — liakanieèiueè, ha-
kamigoiuigo, taehaga, liaka-
uukamika.
Dedans, — ki roto.
Dédicace, dédier, — tuku, îiiku-
ga, avai.
Dédommager, — liakalierc.
Déduire, — liakaiti.
Défaillance, défaillir, — rAm.
Défaire, défait, défaite, — higa.
Défendre, — tanij)!!, dans le
sens de protéger ; = tapii, lia-
katapu, rahui, — dans le sens
de interdit, prohibé.
Défenseur, — tarupu.
Défi, défier, — hakatatau.
Défiguré, — pohutu, poliutu a.
Défilé, — liakakauga.
Déflorer, — luoremorepua.
Déformer, — hakarakerake, lia-
tuliatii.
Défricher, — hakaheu, rapu,
keri.
Défunt, — mate, papaku.
Dégagé, — liakarivariva.
Dégainer, — pokoo.
Dégoût, dégoûtant, dégoûter, —
taehaga, = megeo.
Dégouttant, dégoutter, — topa,
turii, perigui, pakakina ki ra-
re.
Déguisé, déguiser, — hakakehu,
hakaiiehii.
JJehors, — ki aho.
J)éifier, hakaetua.
Déjà, — kireira.
Déjeter, (se), — makemakeiui.
Déjeûner, — kai.
J)elà, — raei a.
Délaisser, — hakarere, luoeatu,
moe atii, avai atii.
Délayé, — hakaeuru.
Délecter, — mea rivariva, luea
ruhiruhi, mea nomanoma.
Déléguer, — e oho, e uga, uga,
rogo.
Délibération, délibérer, — haka-
rivariva .
Délicfd, — ruhiruhi, livariva,
uomauoma.
Délice, — nomanoma.
Délier, — vevete, liakapatara.
Délire, — nivaniva, = délirer,
uivaniva, eeva.
Délit, — hara rakerake, rake-
rakega.
Délivrance, délivrer, — vevete,
hakaora.
iJéluge, — tarai.
Demain, — apo, = après d. —
12
192
LE MUSÉON.
apo era.
Demande, — ui, = demander,
id. ; = de case en case, uonoi ;
= avec empire, nonoi pogelia.
Démangeaison, démanger, — au-
au, mageo, rekareka.
Démarcation, — titaa, horoga,
hakatuutiiu, hakatuutuu.
Démence, — nivaniva.
Démentir^ — hakarivariva ki-
toona reoreo, rara.
Demeure, demeurer, — nolio ; =
sans d. fixe, rava ahere, rava
ahcre.
Demi, — vaoga, horega.
Démolir, — hakaheke, haka-
inarere, hakauioumou, haka-
perigi, hakatoparia hakatopa-
ria.
Démon, — tiaporo.
Démonstration, — hakakite, lia-
kakitega.
Dénaturer, — hakareoreo, haka-
ketuo.
Dénier, — ihoilio.
Dénombrement, — tapa, tatapa,
tataku.
Dénouer, — vevete, vetevete,
matara.
Dent, — iiilio ; = mal de d. , po-
koo, nilio gaa, = d. longues,
uilio keekee, = cassées, uiho-
hati, — niho gaa, = noires,
nilio reeree, niho kerekere,
= Manches, niho ritorito ; =
gâtées, niho monio momo, ni-
ho para ; = bien rangées, ni-
ho liakarite, = dents avancées,
niho hakakikaa, niho keekee,
= (niho iineki, nihourei, faire
voir les dents) ; — serrer les d. ,
niho gau.
Dénûment, dénuer, — rakaii ko-
re.
Départ, — terega, tere, tohuti.
Dépêcher, — uga, hakatere.
Dépenser, — hakamou, haka-
moumou.
Dépérir, — maruaki, opeope.
Dépit, — kokoraa hurihuri, ko-
konia hanohano.
Déplaire, — koona ke.
Déplaisir, pagaha, — uhatu,
uhatu.
Déplier, déployer^ — vevete, ha-
kapatara.
Déposer, — hakarere.
Déposséder, — iko, iko a.
Dépouillé, — too, ikoiko, huhu,
— se d., patu. '
Déprécier, — hakameemee, ha-
kamigoniigo.
Depuis, — mei a, =t?. longtemps,
tuhai tuhai.
Député, — rogo.
Déraciner, — oi, uhuti, keri,
aliu.
Dérangé {estomac), — mate keo,
te keo.
Dérision, — hakameemee, haka-
migomigo.
Dérider, — tahe, tehe mai.
Dernier, — omuri.
Dérober, — toketoke.
Dérouler, — vevete.
Déroulé, — tere a.
Derrière, — eeve, taki eeve,
pipi, niogugu ; = montrer le
d., hakahiti ki te eeve ; =
der. de la maison, tua o te hare.
Dés, — me mai ; = des que,
mau, na, ga.
Désagréable, — kavakava, ma-
geo.
Désappointer , — vaiapuga.
Désapprouver, — hakatun, riri.
Désavantageux, — rakerake.
Descendant, — makupuna.
Descendre, — turu ; = faire d.,
hakaturu, topa.
Description, — ta, ki.
Désembarquer, — hoa.
Désert, — koona, pakapaka ;
= déserter, raga, = déser-
teur, tere.
Déses]}érer, — tae tatari, tae
VOCABULAIRE DE LA LANGUE DE l'iLE-DE-PAQUES. J 95
manau.
DéshahiUer, — pata ki te kahn.
Déshonnête, — tae rivariva, ra-
kerake.
Désigner, — tuhi.
Désir, — haga, = vif, nui ; =
fixe, haga ihoilio, = qui ne
peut ..., mate, mate manava ;
= désir de manger, mariiaki.
Désister, — ^hakarere, moe atu.
Dès lors, — 0 ira.
Désobéissance, désobéir, — tari-
ga pogeha, tae hakarego, ta-
riga pmm, kikiu.
Désœuvré, — nohono, vaiapuga.
Désoler, — manava hopohopo,
manava more ; = sans habi-
tants, pakapaka.
Désordre, — hakaripai.
Désormais, — i mûri, ki mun.
Dessécher, — pakapaka, liaka-
pakapaka.
Dessein, — haga, manau.
Desserrer, — vevete, hatahata,
hakahatahata.
Dessin, dessiner, — ata, ta.
Dessous, — ki raro.
Dessus, — ki ruga, = mettre
sens dessus dessous, hakari-
poi.
Destiner, — vavae. hue, haka-
rere.
Destituer, — hakaniou.
Destruction, — moumou.
Désunir, — vavae, — haga ta-
kataka.
Détachement, — topahaga, vara-
vara.
Détacher, — vevete.
Détendu, — haka ekaeka, haka
ugauga, hakareherehe, haka-
otaota.
Détention, — mau, haka mau,
= détenir, id .
Détériorer, — ii , popopopo , para .
Déterminer, — titaà — titaà.
Détestable, — veriverike, =
eete, — hanohano.
Détester, — kokoma, eete, —
kokoma hanohano, mana po-
pi.
Détourner, — haka hariu — ha-
ka taha ; = se détourner, ha-
ka taha, = . . . pour voir, —
arui, ariu, ira, hakaira.
Détresse, — mama ki.
Détroit, — ava, haga.
Détruire, — haka marere —
hoahoa, haka mou.
Dette, — mau.
Deuil, — tatagi, timo, — ga-
rahu.
Deux, — e rua, = deux à deux,
kauga, hakakauga ; = deux
ensemble, piri mai.
Devancer, — kimua, a mua ; =
devant, id.
Dévastation, dévaster, — oi, mou
mou.
Développer, — hakarivariva ;
haka roroa.
Deviner, — hihoi ; = faire de-
viner, hakahihoi, hakahurike.
Déverser, — huri ; — nininini,
hakaparigi.
Déviation, dévier, — rere, hipa,
topa ke.
Devin, deviner, — mamahi.
Dévoiler, — aaki, hakakite.
Devoir, — e mea ta koe.
Dévorer, — namu namu.
Dévot, — tagata rivariva.
Dévoué, — hakarogo.
Dextérité, — maori, maori ke.
Diable, — tiaporo.
Diamant, — mapahiva.
Diarrhée, — nininini.
Dieu, — Atu a.
Diffamer, diffamation, — rava-
ki ravaki.
Différence, — hakarite ke ; =
différent, id., meake.
Différer, — hakahinihini, haka-
tuhai, hakaroa.
Difficile, — mea oko, mea oko
ke ; =: rendre difficile, haka-
194
LE MUSÉON.
niiui.
Difficulté, — haga nui ; = être
en difficulté, hakai, toua.
Difforme, — rakerake, ariga
rakerake.
Diffiœ, — tau, titika.
Dignité, — ao ; = la conférer,
haka topakite ao.
Diligence, diligent, — horaho-
i"au, — veve veve, — paka-
kiiia.
Dimanche, — Tomiuika.
Diminuer, — haka iti, = se
diminuer, haka poto.
Dîner, — kai.
J)ire, — ki, vanaga ; — hahiiaïu-
humu.
Direct, — titika.
Diriger, — hakatitika, hakatari.
Discerner , — lava ui, ui hagi-
hagi .
Disciple, — Atioo.
Discourir, discours, — vauaga ;
= emhiouillé, vanaga, tae
riva ; = agréable, vauaga
nuiitaki ; = mauvais, vauaga
rakerake ; = rot, vauaga ui-
vauiva.
Discret, — tao aaki, tae vauaga.
Discussion, — hakai, — toua,
= cl. sans connaître Vohjct,
toua hara toua reo.
Disette, — maruaki.
Disgracieux, — pagaha.
Disjoindre, — haka hâta, haka-
haata.
Disparaître, — garo ; = chms
V obscurité, garo ki te po.
Disperser, — tu te, tohuti.
Disposer, — too, m au.
Dispute, — kakai, toua, titigi,
tigitigi.
J)isscmhlal)lc, — hakarite ke.
Dissension, — toua, kakai ; —
les exciter, tuki toua.
I)issoudre, — hakavai ; = se
dissoudre, hirohiro, hakaeuru.
Dissuader, — hakauoho, tarupu,
Distance, — ava, roaga ; = lé-
gère, avapoto ; ^= distant, ici.
Distinct, — ke, niea ke, keke.
Distribuer, district, — tauga,
avai, tuha.
Divaguer, — uivauiva, — eheva,
eheva.
Divers, — ka, keke.
Diversité, — hakarite ke.
Dévaster, — reka, hakareka.
Divinité, — Etua haga.
Diviser, — hore, tuha ; = divi-
siofi d'un sujet, pae, paiga ;
= en parcelles, hugahuga.
Divorcer, — hakarere ki te vie.
Divulguer, — aaki, vanaga.
Dix, agahuru.
Doctrine, — ki, kihaga.
Dodu, — puti, — ruru, — ahu-
ahu, nuuui.
Dogue, — kihaga, tokoma.
Doigt, — magauiaga rima ; =
index, nuiga, maga tuhi ; =
petit, nieniri ko manava ; =
pouce, rima matua neanea; =
médium, roaroa tahaga, tuhi
auha tuhi auha, = du bout
des doigts, tuki ; = même
chose pour les doigts des pieds.
Domaine, — kaiga.
Domestique, — kia.
Domicile, — noho.
Dominer, — mataû.
Dommage, — hakaripoihaga ; =
souffrir le d., mou no.
Dompter, — tiite, — hakariga.
Don, — rima atakai.
Donner, — avai, mau. tuku.
Donc, — reka, ai.
Dorade, — aku.
Dorloter, — koakoa, okooko.
Dormeur, — auru, moe no, moe
tahaga.
Dormir, — moe, aiiru, horuhoru,
goruru ; = sans mesure, moe
no, auru no ; = pro fondement ,
rava a uru ; = agréable, riva-
riva ; = avec peine, taea uru,
VOCAIJULAIKE DE LA LANGUE DE L ILE-DE- PARLES.
195
inoe tahae ; = et parler^ iiioe
hakakepo, = les yeux ouverts,
inoe mata, kekeva ; = eau
dormante, marie ; = envie de
dormir, ahiiru, mata uevaue
va, mata éé.
Dos, — tiiavi ; = tourner le dos.
liariii.
Dot, — rakau.
Double, doubler, — liakapa, ha-
ll at a.
Doublure, — roto.
Douceâtre, — l'uliii'uhi, noma-
uoma.
Doucement, — koroiti.
Douceur, — riihiriihi, uaueiiaue,
iiomauoma.
Douleur, — tatagi,pauaha mate.
Douter, — kai maà.
Douteux, — pealia, pealia.
Doux, caractère, — mai^^aio, mea
marie ; = Ut doux, ekaeka ;
= mets, ruhirulii ; = au tou-
cher, ekaeka.
Douze, — haga Imrii mania.
Draguer, — taka.
Draj eau, — rêva.
Dresser. — liakatuû ■,=en ligne,
hakatitika.
Droit, — titika ; = se tenir droit,
maroa, tiui,
Droite, — mataû.
Droiture, — titika.
Du, — 110, to.
Ductilité, — ekaeka.
Dupe, — toke a.
Duper, — toke.
Duplicité, — reoreo, maà reo-
reo.
Dur, — ilioilio, — oko ; = tête
dure, pogelia, = à entendre,
= à faire, okoke.
Durable, — ihoilio, =^ durer, id.
Duvet, — liuliuru.
Dysenterie, — uini, uini toto.
E
Eau, — vai ; — salée, tai, mo-
aua ; = de source, vai puga ;
= qui jaillit, vai pupuhi ; =
puante, vai pipiro ; trouble,
vai Goue, = saumâfre, vai
kava ; = ambre, id. ; = dou-
ceâtre, magaro ; =tranquille,
marie ; = calme, id. ; = en
mouvement , vave ; = qui sape,
qui mine la terre, vai iho ; =
faisant irruption, vai pari ;
= profonde, vai liohouu ; =
marais, roto ; = eau bénite,
vai tapu ; ^= sur la tête, vai
liaka perigi ; = faire eau, pu-
iieue, — turu, mama.
Eau-de-vie, — vai megeo.
Eblouir, ébloui ssement, — reme-
reme, mata kekeva.
Ebranler, — Lakagerei, haka
makenukeuu.
maniga.
= écaille (le
varuvaru,
Ebrécher, — poro
Ecaille, — uuahi, =
tortue, pahera.
Ecailler, — unahi
imahi hakaha.
Ecatlate, — meamea, uraura,
heroliero.
Ecarter, - tono, — tiite, hava ;
= s'ec. du sujet, hakaripoi.
Echafaud, échafaudcr. — rago.
Echanger, échange, — hakahere
rua mai.
Echapper, (s'), — tere, horo,
tohuti.
Echasse, — eke,
Echauder, — hakamaaiia, haka-
pu maaua.
Echauffer, — id. — bakavera-
paka.
Echelle, — rago.
A'chcvelé, — karaerae, miramira.
196
LE MUSEON.
Echine, — lioi)e, tuà.
Echo, — vavovavo ; — vauaga-
rua.
Echouer, — màrere, — paepae
ki uta.
Eclabousser, — rerere.
Eclair, — uira
Eclaircir, — hoiolioru, hakara-
paiapa.
Eclairer, — Iiahapura, luika-
maeha, tuurania ; = éclairé
(homme), inaoïi.
Eclatj — du soleil, gii ; ^= delà
lune, maelia, — kii ; = des
flammes, ura herohero ; = ren-
dre éclatant, liaka])upura.
Eclater, — })akakiiia, — gaà,
— mamara.
Eclipse, — kohuraà.
Eclore, hakaragutu.
Ecole, — hakaiiiarama.
Econome^ économiser, — tito
koro iti ; — liorauho})ae, lio-
rohopae.
Ecorce, — kiri, = écorcer, liilii,
varuvaru, aati.
Ecorcher, — hakaha, huhure.
Ecosser, — hureliure.
Ecouter, — liakarogo, rogo.
Ecraser, — i)ii ; — liakapiipii,
rerorero.
Ecrevisse, — ura.
Ecrire, — ta, = écriture, id.,
= écrivain, tagata ta.
Ecrouelle, — tao, — pukupuku,
arakea,
Ecueil, — inotu ; = sans eau,
inotukivakiva.
Ecuelle, — tiikuga, tukaga.
Ecume, — kutokiito, — kukiito.
Ecurie, — liarepuaka.
Edifice, — liare, ^ édifier, kato,
titi.
Effacer, — horoi, — haka})aka-
paka, hakapeapea, hakapea-
pea .
Effaroucher, — rava tcro, —
tae ripoi.
Efféminé, — pepeke, reherehe.
Effet, efficace, — rivariva, —
lueitaki, ineitaki.
Effigie, — ariga.
Effleurer, — liiilui.
Efforcer, s'eff., — ki Jiua, haka-
ihoilio, liakamatatoa, — nia-
taù, Iiaka uiataù, iboilio.
Effraction. — avahi, — haliati,
nioinurc.
Effrayant, — niataku, eheeiiio-
roa, iiiiiaa.
Effrayer, hakamataku, liakajja-
rera.
Effroi, — mataku.
Effronté, effronterie, — pakeke.
Effusion, — })erigi.
Egal, égalité, — hakaiite.
Egalement, — e talii hakarite.
Egaliser, — hakarite, Lakai^iri.
Egard, —
Egarer, — garo, parei'a, kiito-
kuto ; = s^égarer, hara.
Egayer, — reka, liakareka.
Eglise. — liarepure.
Egoïsme, égoïste, — kaikino,
kaikino.
Egorger, — liiiki, tigai, oka.
Egratigner, — liaubau. kati-
kati. paliurehure.
Elionté, — tae hakama.
Elaguer, — liahalioki.
Elancer, s^élancer, — keetu,
liuri.
Elargir, — liakanii = (kokoro,
uni uru, amoanio pour les
keete, panniers de joncs).
Election, électeur, — vae.
Elégance, — rivariva, meitaki.
Eléments, — tumu, tumu, niea,
mea.
Eléphant iasis, — ahuaUu.
Elévation, élever, — liiri, liiri-
ga, hapai, hapaiaga, teitei,
kii'uga nui, haka kiruga nui ;
= s'élever, teatea, hakateatea.
Elève, — atu, vae, vae a.
Elle, — ia ; = elles y raua ; =
VOCABULAIIU, DE LA LANGUE DE LILE- DE-PAQUES. i97
eux d'eux, i(l.
Eloge, dire Fcloge, — nuiliaro,
niaharo.
Eloigné, — koroa, roroa.
Eloigner, s'éloigner, — liakalio-
ki. tt'terp, tere.
Eloquent, — lavaki.
Email des dents, — tra iiilio.
Emballer . — popo, liahao. ai.
Knibarcadère, — kato. — titi.
Embarcation, — poti, vaka ; =
des indiens, i)oei)oe.
Embarquer, — luan. niau atu,
hapai ; = s'embarquer, piki-
piki.
Embarras, — iiogoroaa.
Embaumer, — hakakava.
Embellir, — rakei, — liakarilo-
rito, liakaiiapoiia])u.
Embraser, — tutu, — v(M-a, lia-
kavera, liakaura.
Embrasser, — hoiii ; ^ avec les
bras, liai.
Embrouiller, — uiiminira, ha-
kainiraïuira, liakahoriliori.
Embûche, — pikoi)iko, — liaka-
piko ; = embusquer, id.
Emerveiller, — inaharo, mate
mauava.
Emettre, — hakatikca.
Emeute, — toua.
Emietter, — hakahugahuga, ha-
kaniarererere, hakâotaota.
Eminent, — teitei, ki ruga nui.
Emmancher, — liakauru, Iiaka-
uiu.
Emmener, — hakatari, — })atu,
— hakauga.
Emonder, — horehore, kokoti.
Emotion, — inaiiava ruru, eete
eete.
Emo2isser, — inaniga, nuiiiiga,
punipuui.
Empaqueter, — ai, popo.
Emp((rcr, {s). — toô, iko, iko-
iko.
Empêcher, — tute, tarupu, tiaki.
Empeser, — hakakivakiva, horo,
— Iiakaihoilio.
Empiéter, — hakatega, liaka
ariga.
Emplâtres, — iiakapiri, liaka-
piri.
Emplir, — uutu. liakanegonego,
inirihuri titi.
Emploi, — liaga ; = donner un
emploi, tuhi ki te haga.
Emplogrr, — toô, haga.
Empois, — pii-i.
Empoisonnement, empoisonner,
— liakauiageo.
Emporter^ — hapai atu, tao atu;
= emporter un mort on blessé,
tupatupa ; = par les vents,
pupuhihiîi.
Empresser (s'), — horaliorau,
vevevp, i)aka, i)akapakakinia.
Emprisonner, — pum ki te hare
[)o hurihuri.
Emprunt, emprunter, — avai
hakahou.
Emu, — ruru, eete nianava.
En, — ki, ki roto.
Encaisser, — hahao.
Enceinte, — pa.
Enceinte, — tupu.
Encens, — cm), h^rr ci hoiho.
EneJuDiter, — inahiii'o.
Enclaver, — hakauru.
Enclore, — [)a, titi ki te i)a.
Encombrer, — hue, puka.
Euconrayer — tuki.
Encore, — ki hua.
Encre, — garau.
Endommager, — hakaripoi, uio-
niore hihi.
Endormir, — auru, uioe, niata-
uevaiieva.
Endosser, — hakapegopego.
Endroit, — kooua ; = éloigné,
kooua koroa.
Enduire, — hakapipiri, haka-
ihoiho.
Endurcir, — ihoiho, pogeha —
mahaori (ou mahani).
Endurer, — mou noa.
198
LE MUSÉOiN.
Energie, — ihoiho, inataii, peu ;
= sans énergie^ pepeke, mata-
ku, reherehe.
Enfant^ — poki ; = enfance, \)0-
kihaga ; = sans enf., \)aa.
Enfantement, enfanter, — pore-
ko, topa, topa.
Enfer, — })okoga.
Enfermer, — pin-ii, ])iiru.
Enfler, — liakauru.
Enfin, — inaua, mouga.
Enflammer, — vera, nra, tutu.
Enfler, — ahuahu ; = âe colère,
luanava eete.
Enfoncer, — liukihuki, oka. lia-
katoino, hakaui'u.
Enfouir, — tanu.
Enfreindre, — pogeha, pogolia,
tariga pogeha.
Enfuir, (s.), — tere, lioro.
Engager, — tuki.
Engainer, — lialiao.
Engendrer, — poreko.
Engloutir, — emu, garo vuku a.
Engrais, — oone ; = engraisser,
hakatautau.
Enhardir, — tae matakù. ilio-
iho, nuitatoa.
Enivrer, — haka makoua. —
niakona.
Enjoué, — hakareka, — reka,
koakoa.
Enlacer, — hère, hihihihi, ta-
kaikai, migorigori.
Enlaidir, — rakerake.
Enlever, — too, iko, iiiau, ha-
pai ; = tout, paero, peau,
pahure.
Ennemi, — enenii ; = figure en-
nemie, mata toua.
Ennui, ennuyer, — eve ragara-
ga, ^= pagaha gogoroaa.
Enorgueillir, s\ — teatea —
hakariva.
Enorme, — uunui, nui.
Enquérir, — kimikirai, — ata
kimikimi, — haka rivariva.
Enraciner, — rava oho, aka to-
toro.
Enrager, — kokouiahurihiu'ike,
kokouuT hauohanoke, = faire
cnragir, hakapog(4ia, hakaga-
gau.
Enrayer, — hakat<M-e, liakaolio.
Enregistrer , — ta.
Enrhunur, — kokogo. — tugu-
tugn, — nuire, hilii, — hupe-
lnii)e.
Enrichir, — hakaneyoneiio la-
kau.
Enrouement, enrouer, — gnrua-
ra})uru. — i-eoi)uru.
Ensanglanter, - tot<», kiUoto.
Enseigner , — akoako. — liaka-
nuva.
Ensemble, — i)iri mai, — pnpn
mai, — ananake.
Ensemencer, — tanu, keri.
Ensorceler, — hakanivaniva.
Ensuite, — ki mûri, i mûri.
Entaille, — kokoti haga ; =
faire une ent., kokoti.
Entasser, — hue, puke, nego-
nego.
Entendrnient, — rogo ; = ent<n-
dre, i(l., haka rogo ; = non-
entendu, garoa.
Ente, enter, — hakapa. haka-
piri.
Enterrement, — tanu, tanuaga,
= enterrer, tanu.
Entêté, — pogeha, ihoiho.
Entier, entièrement, — ananake.
ananake.
Entonner, — rae, — tahito, ta-
hito.
Entonnoir, — liatahata, = en
user, i(l.
Entorse, — tarnri, tumoku.
Entortiller, — takaitakai, hihi-
hihi.
Entour, (à V), — taka taka, vi-
riviri, varivari.
Entourage, clôture, — pa.
Entourer, — varivari.
Entrailles, — kokoma, kopu,
VOCAlJLLAir.E DE LA LAXnii DE E ILE-DE-P.VQUES.
191)
iii;iii;i\.i ; =- les (irrdchor, lia-
Iwitac ; iiiaiiiac ]\(i|)ii. ( don-
Irnrs d' entra Ulrs).
l-'.niraiiwr, — totni. kiiiiif.
I-'ilfrcro-, — taiii|)ii. Iiakaimui.
loutre, — \,i('i;a. ki\a(';;a.
KnfnhdiJIcr, — W.A.x inaiiia.
Enflée. — iiiii^a, =-- d un porf,
liai^a a\a .
J\jifrel((cer, — liaka iiniiirii. lia-
l^apckaix'ka.
Entroncttre. (s ]. — laiiipii.
Entreprendre, (ntrejn-ise. entre-
preneur, — akuakii. liaLia rar.
l'jitrer, — uni, mu mai. -^ pro-
fondément, uru noa.
Entretenir, entn tien. — va iiaua,
(vaiiaiLia likiriki, enf. léf/er).
Entrevue, — tu[)uaki. piri.
Ivnuinérer, - tap.i. kalapa.
Enveloppe, oirelu/'per, ai,
kaviii.
Enverguer, — iiakaiiiu.
Envers., — i, ki. ia. kia ; =^
V envers, iakai>au.
Envie, envier, — a te hopu.
Environ, — |i( alia.
Envoler, (s'env.), — vevr.
Envoi, envoyer, — u,L;a. Iiaka
olio.
Epais, épaisseur, éjiaissir, —
liakaiiiatoi'utoru. liakaix'iiDpc-
go ; ^^ épais, ])eg()peu(), uiato-
rutoru.
Epanchemcnt ., épanch r , — uiiii
iiiui, liakci i)orijii.
Epanouir, — palioni, uialaki.
Epargner, (homme), — luikaaio-
lia, ]-ayi ; = chose, liakai'crc
Kpars. — varavai'a.
Epaule. — kapuivi, — liolu —
kapuivi.
Epée, — îiô.
Eperon, — ix'kc
Epervicr, — kupc^a.
Epier, — ui, luinc, niatapupui-a.
Epilé, —
Epilepsie, — gita.
Epmc, épineux. — tara, pipi ;
= ép. dorsale, tua i\ i ; = de
poisson, ivi x\\<:\ : ^= d'arbre,
tara.
l'pingle, — uialalit'tuki'.
i'.pissnrc. épisser. — liakania-
Eponge, — uiiiuapi'a ; ^= prend,
niili l'i iiiriiiapi'a.
Ep(j(jue, — tau.
Kpouse, — \ ic ; = épouser, uo-
jiu vie ; = époux, kt nu.
Epouvantable, — vcriverikt',
('(_'!('. rakorakckc.
Epouiruifer, — lutc liakain.ila-
ku, liakapai'ciM.
Epreuve, — luki, luki,i^a.
I\!puiser. — mou. Iiakaniouniuu.
pa<', liakaj)a(' ; = de fièvre,
rauliiva.
Ijjuarrir, — tarai ; ^= éaaarri,
tarai a.
Equipfige.
Equitable. — lilika. tau, lucita-
ki.
Eipiiv<dent, — ctalii, liakarite.
Ergot, — uiaikuku.
Eriger, — liakatuu, liakaniau.
Errer, errant, — uivauha ; =-
erreur, errata, liara ; ^ in-
duire en erreur, luikareorco.
Erudit, érudition, — maori.
Escabeau, — - rai^o rago, ahealie.
Escalader, — rerc, kctu, topa
kiraro.
Escarpé, — varc \-avv.
Escarpolette, — liiriliiri.
Esclave, — kio, raga ; = faire
esclave, lia/v a kio, haka rai^a.
Escorter, — luirai, liakatari.
Escrimer, — oliu.
EJspace, — ava ; = espacer, \a-
ravara, hakavaravara.
Espèce, — liakarite.
Espérer, — tatari, atiati ; =
espoir, tatarihaga ; = sans
esp., meu a.
Espion, — inata pupura.
200
LE MUSÉON.
Esprit, — kuliaue ; = âme,
akuaku, = [Dieu) esprit vrai
Etua.
Esquisse, — pepe.
Esquiver, — talia, — liipa.
Essaim, — takaure uiarere ke.
Essai, — essayer, akoako, ako-
akoga, rae.
Essence, — eo ; = essence d'.
Dieu, natura.
Essoufflé, — i^aegae, hagu.
Essuyer, — lioroi, = es. les
mains, rima kopiko])i,
Est, vent d'est, — puku liaga
oao, haga oao.
Est-ce-que, — hoki, = ro {après
un mot).
Estimahle, estime, estimer, —
hakaaroha..
Estomac, — keo ; = mal (V esto-
mac, mate keo ; == soulever
l'est., liakahia, = kerereki,
kerereki.
Et, — e, — mee ; = signifiant
avec, niee, ma, piri. i
Etabli — rago.
Etablir, — hakatuu ; = être
bien établi, mau noa.
Etage, — horega ; = de bas
étage, kio, tagata rakau kore.
Etain, — mamara ; = étauier,
hakaraparapa.
Etaler, — horahora, — tamaki ;
= étaler les pierres du four,
uru ; ketuketu, puopiio.
Etancher, — hakaïuiu, ora, ma-
kona ; = étanche, puni, ko-
mokomo.
Etat, — haga.
Etau, — hakapiri.
Etayer, — toga, togatoga ; =
étai, id.
Eté, — h ora.
Eteindre, — tigai ; = s'ét., mou,
mate, hakamate.
Etendre, — liorahora, tauaki,
hakararoa.
Etendu, — la main, haro, ou le
pied, hakaroroa ; = le linge,
tauaki ; = de son long, moe.
Etendue, — roa, roaga.
Eternel, — etereno, — ina kai
mou.
Eternuer, — telii ; = éternue-
ment, id.
Etincelcr, étincelle, — pipi, ahi-
pipi.
Etiolé, — i)ipi.
Etoffe, — kahu, kao, tapa.
Etoile, — heetuu, heetuu rere,
^ét. brillante, heetuu pupura;
= du matin, heetuu tauhoru.
Etonner, — matakuke, eete,
inaharo, manava eete.
Etouffant, — mahana nui, hero-
hero, giigii.
Etouffer, — aguagu.
Etoiipe, — verevere.
Etourderie, — uivaniva ; =
étourdi, étourdissenient, étour-
dir, — moko, pour toute accep-
tion.
Etrange, — mataku ke.
Etranger, — tagata hiva, etua.
Etrangler, — hère, hita, = par
Veau, kutokuto ; = avec l.
mains, gatu; =par une arête,
gao pu, oroiua, pukuhina.
Etre, — comme le dict. . . ( i) Dieu
est : aiua ra te Etua.
(1) Le R. P. Roussel fait sans doufe allusion au Dictionnaire de la Langue
Tahitienne de Mgr. Jaussen, qu'il avait en mains. Voici ce que nous y trouvons
au mot Etre : v. subst. présent et futur : e ; — passé, i Ùa ; — impératif, a, e ;
— subjonctif, la ; — présent de Vindicatif, te... ia ; — imparfait, te... ra. —
« A été «, sera en conséquence : e... ai, i... ai. Devant les noms et les pronoms,
aux trois temps, à, 6... la. Ce n'est pas, e éne, e ère. (Exister) vrai, n. Dieu est,
te vai nei te Atua. Je suis celui qui suis, o au te vai nei au. (Dictionnaire de la
Langue Tahitienne, par Mgr. Jaussen, V^ édition, p. 30).
VOCABULAIRE DE LA LANGUE DE L ILE-DE-PAQUES.
-201
Etrier, — pu.
Etroit, — rikiriki.
Etudier, — akoako. haka luaa.
Etui, — pahu rikiriki.
Eucharistie, — Eukaritia.
Eux, — raua.
Evacuer, — tetere.
Evader, (s'), — ora ; = faire
év., liaka ora.
Evaluer, — luauau, — hakari-
variva.
Evanç/éliser, — akoako, — haka
maà kite evagerio.
Evanouir, — gaga.
Eveiller, — ora, haka ora ; ^=
en sursaut, veveri.
Evénement, — atoga.
Eventail, — pu])Lihi.
Eventrer, — hakatee.
Evêque, — epikopo.
Evident, — luaâ, niaà maaki.
Evider, — huri.
Eviter, — hipa.
Exact, — titika.
Exagération, exagérer, — haka-
ripoi, hakauui, hakaimnui.
Exalter, — paru ; ^ soi-même,
paru kiaia.
Examen, examiner, — kiaiiki-
mi. — ata ui ; — mata mata-
ki.
Exaucer, — liaga mai, haga uo
mai.
Excavation, — keri, keriga.
Excellence, excellent, — rivari-
va, meitaki ; = exceller, riva-
riva atu.
Excepté, — mea ke.
Excitation, exciter, — uga mai ;
= ex. au mal, id.
Exclure, — haka noho, haka-
hori.
Excrément, — tutae.
Excuse, excuser, s'excuser, —
tae hakaripoi.
Exécrable, — vaveri, veverike,
— rakerake uunuike.
Exécuter, — hakapae.
Exemplaire, exemple, — haka-
tuu, hakatuu.
Exempter. — liakaiioho.
Exercer, — akoako, hakamaà.
Exhausser, — hakaruga nui,
hapaikiruga.
Exhortation, exliorter, — uga.
Exigence, exiger, — hiohio, —
uaua.
Exigu, — rikiriki, itiiti, moko-
moko, kaikai.
Exil, exiler, — raga.
Exister, — ora, tuu.
Exorciser, — tute tiaporo.
Expédient, — uga, hakauga.
Expérience, expérimenter, —
maà, maori.
Expiation, expier, — hakahere,
hakakore, hakaritoiito.
Expirer, — mate, agu mou.
Explication, expliquer, — haka-
rivariva mai, rakei.
Exposer, — hakarere, --= à Vair,
hakahahau, haka mahia, tau-
aki.
Exprès, — luaà.
Expression, — ki, kihaga, vana-
ga.
Expulser, — tute, uga, kakai,
hakatere.
Exquis. — rivariva ke.
Extasier, — mahara, manava
mate.
Extérieur, — no aho ; = bel
extérieur, akari riva riva.
Exterminer, — tigai, — haka-
mate, — avaava, haka mou.
Extinction — mouga.
Extirper, — kume, haro, totoi,
toô.
Extorquer, — toko, toketoke.
Extraction, extraire, — kume,
hapaikiruga.
Extraordinaire, — hakarite ke.
Extrême, — nunui.
Extrémité, — agu potu.
202
LE MUSÉON.
Fahie, — rt^ji-eo, — tapapoki.
taga[)oki.
Fabricant, fabriquer, — haj^a.
Face, — arijïa, mata.
Fâcher, — kokoina, hni'iliuri.
kokoma eete.
Facile, — inaâmaâ, inea no iti ;
Façon, façonner, facteur, — La-
ga.
Factieux, — tagata ki toiia.
Faculté, — huega.
Fade, — vaivai, migoiiiigo, ojx -
ope.
Faible, — l'elieit^lio, riliai'iha,
pepeke, rauhiva ; = par la
faim, nianiaki.
Faillir, — mai ; = il faillit pé-
rir, mai mate ia.
Faim, — maruaki. — ogc, —
agôâgo.
Fainéant, — vaia})Uga, — iiolio
no.
Faire, — haga, = à la légère,
hagahorahoran ; = inutile-
ment, hagatopa ; = ne rien
faire, vai apnga ; = ne savoir
que faire, id.
Faisceau, — iiraga.
Fait, accord fait, — titika, lia-
katitika.
Faîtage, faîte, — iialiaga ; ^
d'une colline, mouga.
Faix, — uraga, — amaga, —
liapaihaga, lunu.
Falloir, nécessité de, — mec ka,
— e mea ka ; — falloir, v. n.,
titika a, titika liia.
Falsification, falsifier, — haka-
euru, hakahiiioi, hakari])oi.
Famé, fameux, — nui, — nimiii,
menege ; = rendre fameux,
hakariva, riva ke.
Familiarité, familier, — ma-
hani.
Famille, — ivi ; = /'. désunie,
ivi kakaimai liakaiatii.
Famine, — maniaki.
Fanal, — paliualii.
Faner, (se), — ])akapaka, —
mae, giigii.
Fanfaronnade, — teatea, ma-
iiaro.
Fange, — oone ; = fangeux,
ooue uo.
Fantasque, fantaisie, — haka-
riteke.
Fantôme, — kuhaue, mea moe
mata.
Faquin, — teatea.
Farce, — reka ; = farce d'her-
bes, tao.
Fardeau, — uraga, amoga.
Farine, — haraoa.
Farouche, — manua.
Fasliionable, — teatea.
Faste, fastueux, — id.
Fastidieux, — pogeha, liikapa-
gaha.
Fatigant, fatiguer, — pagaha,
haganui, = gogoroaa, — pa-
liiake.
Faucher, — kokoti.
Fausser, — haka kemo, — lia-
ka)-eoreo ; = faux, reoreo.
Faute, — rakerake, rakerakega.
Fautif, — hara ; = faux, reo-
reo ; = faux témoin, mata
tikea reoreo, tagata reoreo.
Faveur, favoriser, — tarupu,
hakahiohio.
Favori, — hakakonakona.
Fécond, — horahorau ; = ani-
mal, porekoreko.
Feinte, feindre, — liakake, lia-
kakehu.
Fêler, — gaâ .
Féliciter, félicitât ion, — ragi,
hakauga.
Femelle, — uha.
Femme, — vie ; = /'. âgée, nue-
hine ; = /'. criarde, vie poge-
ha, pogelia ; = brune, vie
VOCABULAIRE DE LA LANGUE DE L ILE-DE-PAQUES.
205
huriburi.
Fendre^ — avahi, kokoti, tehe.
Fente, — avaava, — parehe.
Fenêtre, — haha.
Fer, — ohio.
Fer-blanc^ — oliioraparapa, ra-
parapa.
Ferme, — hakarava.
Ferment, fermenter, — pupuhi.
Fermer, — puni, papae.
Fermier, — kio.
Féroce, — gagau.
Ferrer, — hakaraau ei ohio ; —
ferrure, taviri.
Fertile, — toutou, = fertiliser,
hakatoutou, taiko, hakataiko.
Fervent, ferveur, — ravapure.
Fesse, — takieve.
Festin, festoyer, — kai, ragikai.
Fête, — uru, topa ; = fêter, id.
Fétide, — pipiro.
Feu, — vahi ; = mettre le feu,
tutu.
Feuille, — rau, tuke ; = gran-
des feuilles, raupa ; = f. flé-
tries, raupakapaka ; = /". de
bananier, hoke ; = f. de dra-
cena, rauti ; = f. d^ariim,
raukape ; = sans f., tuke pa-
ka.
Feuiller, — patu, holiora.
Fibre, — uaua.
Ficelle, — taura ; = ficeler,
hère .
Ficher, fiche, — titi, titi.
Fidèle, — ragi nui, — tariga
hakarogo.
Fiel, — au.
Fiente, — tutae.
Fier, fierté, — hakariva, haka-
rivaga.
Fier, — se fier.
Fièvre, — ruru, tetetete ; =
frisson, ruru.
Fifre, — hura, pu hura.
Figure, — mata, ariga, karoga ;
= f. blême, ariga rauhiva ;
= /'. belle, mata hurihuri, ma-
ta ritorito ; = /. tâchée, kino.
Figurer, — noho ; = se figurer,
manau.
Fil, — taura ; = fil de Vépée,
panepane, kaikai, ariari, ka-
higa.
File, — hakarauga.
Filer, — hiro.
Filet, — kupega ; =le faire, ha-
k a mata.
Fille, — tamaahine ; = adop-
tive, too.
Filou, — toketoke.
Fils, poki ; == fils unique, hua-
atalii ; = dernier, hagupotu ;
^^ fils aîné, atariki.
Fin, — gorigori, rikiriki ; —
finesse, maori.
Fin, — niau, mouga, = potu.
Finir, — mou, pae, liakapae.
Fiole, — hipu hiva.
Firmament, — ragi.
Fissure, — gaà.
Fixer, — haka nui.u, hakahio-
hio, — titi ; = n'être pas fixé,
tae m au.
Flageller, — puopuo, tigitigi.
Flageolet, — pu hm'a.
Flairer, —
Flambeau, flamber, — hakapu-
ra, vera, ura ; = flamme, ura.
Flanc, — tipi, — kaokao ; =
être sur le flanc, hakataha.
Flâneur, flâner, — vaiapuga.
Flatter, flatterie, — maharo,
maharohaga.
Flatulent, flatuosité.
Fléau, — gagoroaa, — pagaha
ke.
Flèche, — veo ; = /'. qui vole
mal, veo piko piko.
Fléchir, — hakapava, tarupu.
Flegme, — kukumukivakiva,
kukumu, tae kakata.
Flétrir, — mae, pakapaka.
Fleur, — pua ; de bananier, ve-
keveke.
Fleurer, — paha.
204
LE MUSÉON.
Fleurir, — buaa.
Flexibilité, flexible, rendre flexi-
ble, — gaiei, tae hiohio.
Florissant, — l'ivariva.
Flot, — ehu tai, pipi -^^ flots qui
se choquent, popo, papakina.
Flotter, — raga, ragaraga.
Fluet, — roroa.
Fluide, — vai.
Flûte, — pu hura.
Flux, — hati.
Foc, — kahutova, — kahu lia-
katepetepe.
Foi, — keretohaga (moderne).
Foie, — ate ; = douleurs de foie,
mate ate.
Foin, — moukii pakapaka.
Fois, — kuj)!!, kupii ; = combien
de fois, eliia kii])u ; = à la
fois, ananake.
l'oison, qui foisonne, — mau nui.
Folie, — nivauiva.
Fomenter, — hakatotopa.
Foncé, — huri huri, — kerekere.
Fond, — parera, parera tai ; =
fond de la mer, eeve ; = fond
de chapeau, puoko.
Fondation, fondement, — paega ;
= sans fond, tuniu kore.
Fonder, — liaka meitaki, liaga.
Fondre, — toto, kutoto = telie.
Fontaine, — puua, taheta, ta-
lieta pu.
Force, — matau ; = f. d''affec-
iion, mauava mate, mate ; =
égale force, etahi, hakarito te
matau ; = par force, hiohio ;
^= forcer, hakahiohio.
Forfait, — rakerake.
Forger, — tigitigi.
Formaliser, se f., — kokomahu-
. rihuri, — haiiohano.
Formalité, — hakatitikaga.
Forme, — hakatuu.
Formel, — titika.
Former, — haga, hakatuu.
Formidable, — mataku ke.
Formule, formuler, — ragi, va-
naga.
Fornication, forniquer, — hai.
Fort, — mataù, hiohio.
Fortification, fortifier, — pa,
haka ihoiho.
Fortuit, — iua e tumu, tumu
kore.
Fosse, fossé, — rua, pokopoko ;
— fosse, rua papaka.
Fou, — nivaniva, — eheva, ehe-
va.
Foudre, — Atutiri, — homo ; —
Foudroyer , mate atutiri.
Fouet, fouetter, — pupu taura,
— tata ei taura.
Fougère, — nehenehe.
Fougueux, — manava hanoha-
no, kokoma huriluiri.
Fouiller, — keri, are, okaoka,
matamataki, = uiui, fuir.
Foule, — gagata, huega ; = en
foule, piri mai.
Fouler, — reirei, gatugatu.
Four, — umu.
Fourbe, fourberie, — reoreo
Fourbir, — hiirihuri, horohoro.
Fourche, — magaga ; = four-
chette, okaoka.
Fourmi, — roe.
Fournaise, — ahi.
Fournir, — avai, mau ; = être
fourni, uego, titi.
Fourré, — pegopego, maruma-
ru, pouri.
Fourreau, fourrer, — takapau ;
= fourreau, kete, hahao.
Fracas, — papakiua.
Fracasser, fracture, — gaà, ati,
aati, more.
Fraction, — morega, horega.
Fragment, — huga huga, ho-
rega.
Frai, — koura.
Fraîcheur, fraîchir, — hahau,
pupuhi ; = frais, hou.
Franc, français, — harani (mo-
derne).
Franchir, — keetu.
VOCABULAIRE DE LA LANGUE DE L ILE-I)E-PAOUES.
205
Frange, — tapa, tapatapa.
Frapper, — puopiio ; = f. Veati,
lietu hetii, pokopoko, ruru, =
/'. main contre main, rotu rotu ;
= f. du maillet, tigi tigi, tigi-
tigi.
Fratricide, —
Fraude, frauder, — reoreo, to-
ketoke.
Frayer un chemin, — aino.
Frayeur, — mataku, nianava
hopohopo.
Frein, — pe>na liakagan.
Frêle, — rikiriki.
Frémir, frémissement, — mana-
va oetc.
Frénésie, être en, — uivaiiiva,
rupou.
Fréquent, — putui)utu.
Fréquenter, — piri, pirii)utupu-
tu.
Frère, — teina ; = f. aine, tn-
akaua ; = cadet, teina ; == ses
frères, teiua.
Frictionner, — akui ; = bois,
liorolioro.
Fripon, — toketoke.
Frire, — tuiiu.
Frisé, — miiiiiiiri, liiiihiri,
inikaniika, pHkajjeka.
Frisson, frissonner, — ru, luru,
papapapa.
Frivole, — vevega kore.
Froid, froideur, — tekoo, inaui-
ri, papapa})a, liaiimani.
Froisser, — liorolioro.
Frôlement, —
Froment, — liaraoa.
Froncer, — hilii ketuketu,gaeiei.
Fronde, — liiii'a.
Front, — korae ; = large, korae
pai-aralia ; = découvert, korae
marego ; = ridé, korae mimi-
go ; = presque chauve, iiiara-
go.
Frontière, taha talia.
Frontispice, — aro.
Frottement, frotter, — lianliau,
akui.
Fructifier, faire f., — liakatiti,
liakanegouego.
Frugal, — tae rave kai, inana-
va iti iti.
Fruit, — kai, niokai, liuaà ; =
jeune, liuaa valiio, huaa tae
oko ; = sec, pakapaka, [lara-
ruga ; = ahortif, mac ; =
chargé de fr. , uegoncgo.
Frustrer, — iko, toô, vaiapuiia.
Fugitif, — tore, uiauua.
Fuir, — tere ; = faire fuir,
liakatoi'e, tuto.
Fumée, — aualii. tuu alii ; = à
mauvaise odeur, kiokio, liae,
inamio au.
Fumer, — puhipulii ; ^ le ta-
bac, oiuoomo, puhi[)ulii.
Fumier, — tutae.
Funérailles, — taiiuaga papaku.
Fureur, furie, — kokoina liuri-
Iniri ; = avec fureur, luataù.
Furibond, — tarotaro, mauava
tona.
Furoncle, — arakoa, tao, luaki.
Fusil, — liago, liago ; = fusil-
ler, liago mai.
Fîi faille, — pahu.
Futile, — \evegakore,
Futur, — karorimai.
Fuyard, — tetei'e.
Gage, — akatari.
Gager, gageure, — mamalii.
Gagner, — rava, rava a mai,
raorava.
Gai, — reka, hakareka.
G
Gain, — akatarika.
Gaine, — hahao.
Gale, — mageo.
Galet, — tokotoko.
Galop, galopper, — tohuti.
^206
Le musèon.
Gangrène, — pipiro, tao.
Gant, — tokiai rima.
Garantie, — iiiamahi.
Garçon, — taniaroa.
Garde, — ara, tiaki.
Garde-manger, — pahupopokai.
Garder, gardien, — tiaki.
Garer, se garer, — hoi atu,
maeha atii.
Gargariser, se g., — haka riito-
riito.
Garnir, — haka matoru, haka-
piri.
Garroter, — hère.
Gâteau, — pakapaka.
Gâter, gâté, — pipiro.
Gauche, — matau, rima matau ;
= côté g., kao kao matau.
Gauchir, — hakataha, huri, pa-
tu.
Gaze, — haku rahi rahi.
Gazon, — niouku, mouku.
Gazouillement, gazouiller, —
reo hire hire.
Géant, — tagata roroa.
Gémir, gémissement. — tatagi,
peupeu, = eki eki, hakaku.
Gênant, — hakapagaha.
Gencive, — hakau.
Gendre, — hunoga.
Généalogie, faire la g., — tata-
ra, hakatotopa.
Gêne, gêner, — pagaha, haka-
pagaha.
Général, — ananake, arurua.
Généreux, — atakai, rima ata-
kai, rekireki, horahorau.
Genou, — turi ; = tomber à g.,
turi tiiku.
Genre, — hakarite.
Gens, tagata ; = jeunes gens,
tugutugu, 2jOur les deux sexes.
Gentil, — mata ritorito ; =
gentils, eteni.
Génuflexion, — uoho turi.
Gercer, — gaà.
Gérer, — hakarivariva.
Germe, — tupu, puneki, pukou;
= germer, id. ; — faire ger-
mer, hakatupu.
Giberne, — keete.
Gingembre, — pua, kiata,
Giraumont, — mautiui.
Glace., miroir, — huira.
Glaire, glaireux, — varevare.
Glaive, — kanamunamu, eka-
eka, kouakona, one.
Gland, — aratua.
Glande, — gamamari.
Glaner, — tuatua.
Glisser, — poroieko ; = faire
gl., hakaura.
Glorifier, .se glorifier, — tea,
ritorito, maharo, naponapo.
Glouton — ravakai, namuuamu.
Gluant, glu, — pipiri, pipiri.
Gobelet, — hipu.
Goélette, — miro tuu e rua.
Gomme, gommer, — pipiri, ha-
kapipiri.
Gond, —
Gonflement, gunfler, — ahu, pu-
puhi, takapau, garepe, karu-
karu.
Gorge, — gao.
Gorger, — mahaga puku.
Gosier, — guru liara, tuke gao
uoku uoku.
Goudron, — piere hiva ; = gou-
dronner, hakapiere hiva, pua,
akui ei piere liiva.
Gouffre, — parera.
Goulu, — veve veve, horolioro.
Gourde, — hue.
Gourmander, — tarotaro, haka
rivariva.
Goût, goûter, — omoomo, miti,
hakatu.
Goutte, — mata, turu.
Gouvernail, — uira. liakateka-
teka.
Gouvernement, — ao ; = gou-
verner, hakariva.
Gracieux, — ritorito, uiagaro.
Grâce, — karatia (moderne).
Gradin, — pikiga.
VOCABULAlKF, DE LA LAN(ilE DE l'iLE-DE-PAQUES. 207
Graduellement, — koroiti.
Grain, graine, — mokoi ; =
grosses (jrainrs, karu.
Graisse, — iiako ; = graisser,
akiii, i)ua.
Grand, — nui, imimi, nienege,
roa .
Grandeur, — uui^a, roaga.
Grandir, — teitoi. rori^a, niene-
ge.
Grand' mer c, grand'père, — tu-
l)una taina aliinc, tupuna ta-
nia roa.
Grappe, — kalnii.
Gras, — tunraga, liotonuiniii,
liotupararalia
Gratifier, — akatari.
Gratis, — avai nomai, — avai
taliaga nomai.
Gratter, — liaulian. koiikcii,
n<'knn('kn ; = I/i terre, liaka
lien. rapn. k^'iikcu.
Griffe, — maikuku, magamaga.
Griller, — hakapakapaka, ha-
kaveravera.
Grimace, grimacer, — hakami-
gomigo, hakapaupau.
Grimper, — piki ; == faire grim-
per, liakapiki.
Grincer , grincement, — uihototp.
Gris, grisâtre, — liuriliuri,
(hogner, — gorogoro, kogoko-
go ; — faire g., liakagorogo-
, l'Ogo.
Groin, — guta gutugutu.
(Grommeler, — haliumnlmniu.
Gronder, gronderie. — kakai,
toua.
Gros, — nui, meuege. — gros-
seur, grossir, id.
Grossier, — tae riva.
(}roupe, — liuega.
(rruger, — liakakorc, liakaniou,
liakapagalia.
Gué, — koakoa. liaLirrka.
Grave, — liaka iiiolii, ariga to
pakiraro, — liakakiva, liaka , Guérir, — hakaora, liakariva.
kivakiva — g(Mi. ; (riierre, — toua.
Gravier, — oone. i Guerrier, — niatatoa ; = liardi.
Grés — tagi, liaga. ! niataù ; = intrépide, actif, id.
Greffe, — liakapiri ; = greffer, Guerroyer, — hakatoua. toua.
id liakaiiru. Guetter, — pik*;, liakakehu.
Grelotter, — l'u. ruru, pajj.iiia- Gueule, — liaka.
pa — iiicniri. Gueux, — kaikinu, rakaukore.
Grésiller, — pugalicu, iniliimilii. ! Gui, — jiohiuliiu.
Grève, — liaga. '■ Guide, — liakatari.
Grief, fsidjst ), — liakapagalia. 1 Guirlande, — lioi, niuiko, iiini-
Grief, (adject.), — a nui, oko, ' ro, vavari.
okokc. 1
H
Hahile, habileté, — inai>ri, iiiaa,
niaaki.
Habiller, — puo, ui'u.
Habit, habillement, — tapa, kao,
kahu ; ^= h. nouveau, hou.
Habitude, — nialiani ; == habi-
tué, habituer, id.
Hache, — i)eu ; = de pierre,
toki, = mal emmanchée, peu
pakoa.
Habitant, — nolinno. tagata Hacher, — kokoti.
noliono. I Haie, — pa.
Habitation, — liiirc
Hahiter, — uoIk».
Haillon, — giogio.
Haine, — k(dcoina liui'iliuri.
â08
LE MUSÉON.
Hair, — id. kokoina hanohano.
Haleine, — agu ; = hors d'h. ,
gaegae, agu agu , =^ h. mau-
vaise, bahapipiro ; = prendre
h., hakaora, ora.
Haler, — aguagu.
Haleter, — hakaomoomo.
Halte, — noho, hue no.
Hameçon, — rou.
Hanche, — tuaapapa.
Hangar, — harepnpo.
Haranguer, harangue, — vana-
ga.
Harasser, — pagalia, mou.
Hardi, hardiesse, — mataù, tao
mataku.
Haricot, — pipi.
Èarpon, — veo.
Hasard, — peaha.
Hâte, — àla h.,\e\e, })apakuia,
liora, horau, = se hâter, id.
tohuti .
Hausser, — hapai kiruga.
Haut, — kiruga, — kiruga nui.
Hautain, — tea, id.
Hauteur, — kirugaliaga.
Hélas ! — aue, ue.
Hémorragie, — tahe toto, telip
toto, niui uiui, koto koto.
Héraut, — mataù.
Herhe, — mouku, pua muuku,
mouku tai, mouku uta.
Hérissé, — tutuu, maraka.
Hérisson, — lietuke.
Héritage, — rakau, tagata titi-
ka.
Herminette, — peu.
Hernie, héros, — matatoa, ma-
taù.
Hésitation, hésiter, — hagahaga.
Heure, — liora.
Heureux, — koakoa, maitaki.
Heurter, — tutuki, tonokio, poa.
Hibiscus, — bau.
Hideux, — eete, rakerake, ète,
rakerake banoliauo, veriveri.
Hier, — bagatabiabi ; = avant-
hier, hagatabiabi atu.
Hilarité, — reka, koakoa.
Hisser, — baro, kume.
Histoire, — taga poki, = faire
Vhistoire, vauaga ; baka l'iva
— riva.
Hiver, — toga — bo ! bo.
Holocauste, — ika, beaga.
Homard, — ura.
Homicide, — tigai ro.
Hommage, — bakaaroba, ragi.
Homme, — tagata, = mari,
kemu ; = petit, tagata poto ;
=^ bel, ritorito, = coupé, ta-
gata kokoti, borebore ; ^^ pr.
homme, tagata omua roa.
Hotineur, honorer, — bakaaroba.
Honte, honteux, — bakama.
Hoquet, — korereki.
Horizon, — tabataha.
Horloge, — motare, bora (mo-
derne).
Hormis, — mea ke.
Horreur, horrible, — eete, veri-
veri.
Hors, — kiabo.
Hospitalier, — atakai.
Hostilité, — kakai, totoua ; =
commencer, ouvrir Vh., rae
toua.
Hôte, — uobo.
Houille, — eoeo.
Houle, — uiuibi.
Houra, — teretere.
Huile, — mori (moderne) ; =
huileux, akui.
Huit, — e varu.
Humanité, humain, — tagata
baga.
Humble, — mauavatopa kiraro,
taetea.
Humecter, — bakaruku, baka
vekuveku.
Humeur, — ariga ; = mauvaise
h., ariga topa, = bonne h.,
ariga koakoa.
Humilier, — mauava topa kira-
ro.
Humus, — veku.
VOCABULATRE DE LA LANGUE DE l'iLE-DE-PAQUES. 209
Hurler^ — tapri, haka oki.
Hutte, — luire iti.
Hydropique, hi/dropisic, — taka-
pan, garepe, ahiikarukaiu,
pati, puti.
Hypocrite, — hipokerita.
Hypostase, hipotati.
Ici, — kiuei, iuei. konanei.
Idée, — mauau.
Identique, — etalii liakarito im.
Idiome, — reo, vaiiaga.
Idiot, — gita.
Idolâtre, — vtoiù.
Idole, — inoliai.
Igname, — ulii.
Ignohlc, — rakêiake.
Ignominie, — iga rakerako.
Ignorance, ignorant ignorer, —
taeiuaà — kai iiiaà, oa atikea.
H, — ia, kia ; — ils, vaua, raiia.
Ile, — 1110 tu.
Illégal, — tae titika, tao riva —
l'iva.
Illimité, — roroake, roroake.
Illicite, — rakerake, veriveri,
bauoliano.
Illuminer, — turania.
Illusion, — luaiiau luira.
Illustre, — rivarivake.
Ilot, — niotu rikiriki.
Image, — ata, = sculptée, luo-
hai.
Imagination, imaginer, — ina-
nau .
Imbécile, — uivauiva, — gita.
Imbiber, — liakaruku.
Imiter, — aati, bakatau, liaka-
rite.
Immaculé, — rakeraice kore.
Immatériel, — kuliaue, kuiiaue
uo, knhaiie tahaga, akuaku.
Immédiat, — tupviaki.
Immense, — uiinui ke, roroa ke.
Immerger, immersion, — riikii,
haka ruku.
Immobile, — liokatuù, iiolio iio.
Immodestie, immodcf'te, — liaka-
tikea, ki toona rakerake —
patu toona rake.
Immoler, — tao, tao ki te Etua.
Immonde, — rakerake, veriveri,
haiiohauo.
Immoral, — rakerake, veriveri,
hauoliaoo.
Immortalité, — oraga roaroa,
oraga iiiakai mou, oraga roa-
roa ke.
Immortaliser, — haka mau iho-
iho, haka ora iuakai mou.
Immuable, — tae hakataha, tae
luu'i .
Impalpable, — mauga kore.
Imparfait, — tae riva, toe uego,
tie titi maaki.
Impartial, — titika uoa ki te
mau, mea anaiiake.
Impassible, imjyassibiliié, — ma-
garo ke kokoina hurihuri ko-
re.
Impatience, impatienter, — ta-
rotaro, tarotaro no.
Imperceptible, — eliuehu.
Impérial, impérieux, — ragitea,
ragitea.
Impertinent, — pogeha.
Impétueux , impétuosité, — (hu-
hu pour le vent), = mataù.
Impie, — rakerake, = impiété,
rakerakega.
Impitoyable, — haka aroha kore,
ragi kore.
Implacable, — manava pohi uu-
nui ke.
ImpÂanter, — tauu, amomota-
nu, mo oka.
Implorer, — nonoi.
Impoli, — tae tau, tae titika.
Important, importance, — oko,
okooko ke.
210
LE MUSÉON.
Importer, — hapai tari, uta mai.
Importun^ — pogeha ; = impor-
tuner, importunuité, id.
Imposer, imposition, — ragi no.
Impossible, impossibilité, — tae
lava, e ko rava.
Imposteur, — reoreo, reoreo, =
imp)0sim'e.
Impôt, — ragiga.
Impression, — ta.
Imprimer, impression, {typogr.),
— ruru, maïuiva eete.
Improuver, — kakai, totona.
Imprudent, — tae laauau, tae
tiaki.
Impudent, — pogeha.
Impur, impureté, — liai.
Imputer, — hakakemo.
Inabordable, — vave kai kolie.
Inactif, inactivité, — nolio no,
vaiapuga.
Inanimé, — aguagii, mate a ;
oraga kore.
Inaperçu, — iiia kai tikea, ina
kotikea.
Inattendu, — topa no mai. topa
hakauaà.
Inattentif, — liaka horilioi-i.
Incop>able, — tae rava ; = faible,
])e2)eke.
Incarner, — tagata a.
Incendiaire , — tutn, vera, ura ;
= incendie, id.
Incertain, — ina kai riva, tae
riva .
Incessant, — ina e komon.
Incision, — kokoti, liore ; =
inciser.
Incliner, — liipa, hipahipa, =
sous le vent, hihiga.
Incolore, — teatea.
Incommode, — tae riva.
Incomparable, — haliarite kore.
Incomplet, — tae nego.
Incompréhensible, — tae maà,
kai maà.
Inconnu, — tae tikea.
Inconséquent, — nivaniva, tae
riva.
Inconsidéré, — tae manau.
Inconsolcdile, — tatahi taliaga.
Inconvenant, — tae tan, tae riva,
tae meitaki.
Inconvénient, — niatakn.
Inconstance, — manan hurike.
Incorporel, — tino kore.
Incorrect, — tae titika, ina kai
titika.
Incorrigible, — pogeha, hiohio.
Incurruptible, — tae pi])iro.
Incrédule, incrédulité, — tae
mau teki, ina kai.
Incriminer, inculper, — haka
kenio.
Incurable, — e ko riva, e ko
or a.
Indécent, indécence, — noho tae
riva.
Indécis, — horihori.
Indéfini, — tini, =nombre ind.,
migoigoi.
Indemniser, indemnité, — haka
hère, — haka hoki.
Indépendance, indépendant, —
nemouemo, nivaniva.
Indéterminé, — titaha kore.
Indice, — hakatnu.
Indifférent, indifférence, — tagi
kore, iiorihori, gogoraà.
Indigent, indigence, — rakau
kore.
Indigène, — nolio kaiga.
Indigeste, indigestion, — haka
manava ninihi, mauava ahn-
ahu.
Indignation, — manava pohi.
Indigne, indignité, — tae riva-
riva.
Indigner, — manava pohi.
Indiquer, indication, — tuhi.
Indirect, — titika kore, tae titi-
ka niaaki.
Indissoluble, — tae momotn, e
ko monmon, e ko momotn.
Indistinctement, — piri mai,
ananake, iore, makona =
VOCABULAIRE DE LA LANGUE DE L ILE-DE-PAQUES.
2H
voix, hegLiigiii, liahuinuhurau.
Individu, — tagata, inea, niee.
Indivisible, — kokotiga kore.
Indocile, — pogelia.
Indolence, indolent, — vai apuga.
Indomptable, — kokonia e été,
manava polii, nui nui ke.
Indubitable, — mau roa, titika
noa.
Induire en erreur, — haka ke-
mo, — rima.
Indulgent, indulgence, — inaga-
ro ; = indulgence, ata kai.
Industrie, industrieux, — mao-
ri.
Inébranlable, — mau uko, tae
gei mai.
Inefficacité, inefficace, — tae
riva, vai apuga.
Inégal, inégalité, — hakarite ke,
hakarite koe.
Inépuisable, — tae miti, tae
euiu.
Inerme, — huna.
Inerte, inertie, — vai apuga,
uoho uo.
Inexpérimenté, — kai maà, e
maà a.
Inexpugnable, — e ko higa, e
ko mou mou, e ko pae.
Infaillibilité, — e ko liuri ke =
infaillible, id.
Infamant, infâme, infamie, —
veriverike.
Infanticide, — tigai poki.
Infection, — hakapipiro.
Infécond, — paà, paà migomigo.
Inférieur, infériorité, — kiraro
roa, kio.
Infernal, — poko, pokoga.
Infester, — liakarakerake, —
hakanego.
Infidélité, infidèle, — kaikiuo,
(païen, eteni ), — mogugupuru
= rima omo
Infinité, infini, — roaroake,
pour le temps, = pour Vespace,
id. = pour le nombre : migoi-
goi, tiui.
Infirme, — pepeke ; — mamae,
mate.
Inflammation, — tac, aliuahu.
Ivflc.iible, — ilioiho ke ; =
infliger, tigitigi.
Influent, influence, influer, —
taki, maua.
Informe, — veriveri ke.
Information, — kimikimi.
Infortune, infortimé, — gogoro-
aa.
Infraction, — rakerakega.
Infructueux, — vai apuga, vere-
ga kore.
Infuser, infusion, — hirohiro,
iiaka e uru, haka hihoi.
Ingénieux, — maori.
Ingénu, — aaki, rava vanaga,
tae uaà.
Ingérer (s'), — l'ara, rara haka-
riva.
Ingouvernable, — pogeha.
Ingrat, — kaikiuo, mogugu
puru ; — mogugu kiukiu.
Inhabile, inhabileté, — tae maa,
tae maori.
Inhabité, — vihaviha.
Inhumain, — tae tagi, hakaaro-
ha kore.
Inhumation, — tanu.
Inimitié, — kokoma hurihuri,
maiiao a polii.
Inintelligible, — garo a, rehu a.
Inique, — rakerake ; = iniquité,
rakerakega.
Initier, — hakakite, akoako,
liakamaà.
Injecter, — haka e uru ; — hiro-
hiro.
Injure, — haka meemeega ; =
injurier : hakameemee.
Injuste, injustice, — tae titika.
Innocent, — rakerake kore, iua
e rakerakega.
Innombrable, — tini, migoigoi.
Innovation, innover, — rae ki te
mea hou.
212
LE MUSÉON.
Inodore^ eoeo kore.
Inondafion, inonder — aâ.
Inopiné, lioi'cihorau.
Inopportun^ — tae riva, luoo a
neira.
Inouï, — tae rogo, — tae tikea
a mai.
Inquiet, — pagalia, hakapagalia;
= inquiétude, id.
Insatiable^ — rava kai, — liuro-
horo.
Inscrire, — ta.
Insecte, — maau rikiiiki.
Insensé, — nivaniva.
Insensible, — tae tagi.
Insépjarahle, — avaliiga kore.
Insérer, — ta.
Insidieux, — i-eoreo.
Insigne, - hakatini ; = insigne,
iiuiiui.
Insignifiant, — tae riva, tae
verega.
Insinuer, — haka liahuiiiuliii-
iiui, — s'insinuer, rara.
Insister, — hiohiu.
Insolence, — pogeha.
Insomnie, — ara no.
Insondable, — ki raro nui. poko
poko ke, holionu parera.
Insouciance, insouciant, — tae
niauaii.
Insoumis, — pogeha.
Inspecter, — rarania, ui.
Inspirer^ — hahiiniuhumu.
Instable, instabilité, — aliere-
liere.
Installer, — haka noho.
Instance, instamment, hiohio.
Instant, ige neira, a neira, oga-
neira.
Instigation, — ki, tuki, haka
iiga.
Instinct, mauau.
Instituer, institution, — haka-
tuù.
Instruire, instruction, — haka
niaà, akoako, akoakoga ; ^=
instruit j maà.
Instrument, — mea, niee.
Insuffisant, — tae nego, tae ti-
tia.
Insulte, insulter, — haka mee
— mee.
Insupportable, — pogeha.
Insurgé, pogelia, toua ; = in-
surrection, id.
Intact, — nego ; — kai too a,
nego.
Intègre, intégrité, — id., kai
hore a.
Intellectuel, — mea, mânau.
Intelligent, — maori.
Intelligible, — rogo a.
Intempérant , — kai nui.
Intendance, — titikaga.
Intense, intensité — nunuiga, =
d'affection, manava mate.
Intenter, — hakatupu.
Intention, — liaga.
Intercaler, — haka])iri.
Intercéder . — uonoi.
Intercepter , — iko, toô.
Interdire, interdiction — rahui,
haka tapu, haka viku.
Intéresser, — tarupu ; =^ intérêt,
— tooku mea, mee ; = intérêt,
— riva kia ku.
Intérieur, — manava. o roto, =
int. des terres, uta.
Intérim, —
Intermédiaire, — ki vaega.
Interposer, (s'), — tarupu.
Interprète, interpréter, interpré-
tation, — rara, tagata rara,
tagata hakarivariva.
Interroger, — ui.
Interrompre, interruption, — ha-
kaniou, mouga.
Intervalle, — ava.
Intervenir, — tarupu, haka ri-
variva.
Intestin, — kokoma.
Intime, — repa hoa.
Intimer, — uga, ragi.
Intimider, — haka mataku, ma-
taku.
VOCABULAmE DE LA LANGUE DE L ILE-DE-PAQUES.
21;
Intitulé. —
Intonation^ — tahito l'ae.
Intrépide, intrépidité, — inata-
toa, niataù.
Intriguer, — liaka uga.
Introduire, — hakauru, liaka-
tonio.
Intrus, — toke nolio.
Inusité, — kai rogo a.
Imdile, inutilité, — vai apiiga.
Invalide, — pepeke, teatea,
rauliiva.
Invariable, — tae liinike, iiolio
iiua.
Invasion, — rava.
Invective, invectiver, — tuliitaga.
Inventeur, — rava, ^= invention,
— ravarae.
Investir, — aval titikaga.
Invétéré, — tuliai.
Invincihle, — tac liiga.
Invisible, — tae tikea mai.
Inviter, — ragi ; = invitation,
ragiga.
Invoccdion, — ragi, pure, uouoi
Invraisemblable, — reoreo pea-
ha.
Irascible, — tarotaro, tahaga.
Ironie, — hakamee, Iiaka mi go
— migo, haka uiikouuko.haka
paupau.
Irrégularité, irrégulicr, — .ke-
kee. tac liakarite.
Irréligieux, irréligion, — liaka
ripui liaga, liakaai])oi, rake-
rake, tagata rakerake.
Irrésolu, — liakatapona, — ha-
katotopa.
Irrévérence, — tae rntu, tae
1)11 re.
Irritable, irriter, irrité, — ko-
koma Imriliuri.
Irruption, — taliuti noa.
Isolé, — uolio okotalii ; = isoler,
liaka nolio okotaiii.
Issu, — mei a mea, niei roto 0
mea, 0 roto.
Issue, — kuapu, kaipurii a.
Ivre, — makona, tipatipa.
Jadis, — 0111 lia, komiia.
Jaillir, — pupuhi, hakapupuhi.
Jalousie, — makota ; [iiour
toîde acception).
Jamais, — kore noa, è kore iioa
a mûri noa atu.
Jambe, — vae.
Janvier, — ora.
Japper, — namunamu, — gao
aku, gao etu.
Jardin, — pa.
Jarret, — paoga.
Jaser, — haka reka.
Jatte, — pi pu.
Jaunâtre, — meamea; ^jaune,
1(1.
Jaunir, — haka meamea, pua
ei meamea.
Je, — au.
Jésus-Christ, — letu-Kirito.
Jet, jeter. — hoa, hoa atu, patu,
patu atu, huri. = Jeter une
pierre : pureva, = lance, pao.
Jeu, — reka, — hakareka.
Jeudi, — guti.
Jeûne, — maruaki, oge, — ope-
ope ; = jeûner, id.
Jeune, jeunesse, - hou.
Joie, — koakoa, — hogihogi,
ateate.
Joindre, jonction, — honohono,
hakapiri, hakatupuaki.
Jointure, — id. == ép)roiiver d...
maraae turi.
Joli, — ritorito, rivariva.
Jonc, — gaatu.
Joue, — kukumu, makuo.
Jouer, — hakareka, hura.
214
LE MLSÉON.
Jouet, — tumu o te hakareka.
Joueur, — tagata hakareka no.
Joug, — amo.
Jouir, — koakoa.
Jour, — raà, luarama, po l'aà ;
= hrnlant, mahaûa ke.
Joute, jouter, — liaka talniti.
Judicieux, — maori ke.
Juge, — hakava, hakarivariva.
= Jugement, id.
Juif, — iuteo.
Juillet, — anakena.
Juin, — maro.
Jumeau, — hauva, hauva.
Jument, — paaka tama aliiiie.
Jupon, — ropa kakari kore.
Jus, — vai.
Jusque, — teke ki nei, — mei
nei tehe i oho mai ai iuei te
ika potu.
Justaucorps, — pi ri aro.
Justesse, — titika.
Justice, — hakatitikaga.
Justifier, justification, — haka-
rivariva.
Képi, — haû.
K
La, (article), — te.
Là, — adverbe : ko, ua, ra, kira.
Laborieux, — rava hakaheu.
Labourer, laboureur, — haka-
heu.
Lac, — roto uui.
Lacer, lacet, — ueue.
Lacérer, — vero, pahure, pao-
pao.
Lâche, lâcheté, — pepeke, ma-
taku.
Lâcher, — hakatere, — vevete.
Laconique, — poto, popoto, =
parler d'une façon lac. : mou
noa.
Ladre, — (avare) ; — kaikino.
Lagon, — roto iti.
Laid, — veriveri, — rakerake,
— laideur, id.
Laine, — huhuru mutone ; =
laineux, huhuru mu.
Laisser, — hakarere, == aller,
tuku, hakatere.
Lait, — vaihu ; = coupé d'eau :
hirohiroa ei vai.
Laiton, — uki, uki.
Lambeau, — horega.
Lambin, lambiner, — vai apuga,
UOilO 110.
Lambourde, — pae.
Lame, — hoe ; = d'aviron, ma-
takao.
Lamentation, — tagi, tatagi,
iiiatavai.
Lampe, — tuù rama.
Lancer, — hoa, vero, — lance,
vero.
Langage, — reo.
Langue, — arero, = mauvaise
langue : rava ki. rava peto.
Langueur, languir, languissant,
— aguagu ; — ekieki, — ho-
pohopo ; hopohopo teni.
Lanière, — pena.
Lanterne, — hakapura.
Laper, — miti, namunamu.
Lapider, — pureva.
Lapin, — rapino, — kiore hiva.
Larcin. — toketoke.
Lard, — uako.
Largeur, large, — hakarava.
Largesse, — atakai, rima atakai .
Larguer, — vevete.
Larme, — matavai.
Larron, — toketoke.
Las, lassitude, — pagaha, —
VOCABULAIRE DE LA LANGUE DE LILE-DE-PAQUES. 215
fjogoroaa, lioriliori, = aux
jambes : — tuiim kore, vae
kore, — vae relierelie, — tu-
luu hatiliati.
Lascif, — Lai, rakeiake.
Latéral, — kaokao, — tatapa,
atatapa.
Latrines. — hare aeiaei.
Lavage, laver, — tata, liakani-
ku.
Le, la, (article), — te, te mau,
lia, ga.
Lécher, — miti.
Leron, — akoakoga.
Lecture, — heguigui, — ha liu-
iiiulmiiiii.
Légal, — titika, = légaliser,
liakatitika.
Légèreté, léger, — maainaa, =
course, koi'oiti, aliere koroiti.
Légitime, — poki titika, poki
aaua.
Legs, — tiikuga, availiaga.
Légume, — tuoukii.
Lendemain, — apoliera, apo era
(» te pi) nei.
Lénitif, — inokimoki.
Lent, lenteur, — koro iti, koro
iti koro iti.
Lente, — riha.
Lèpre, — kivi ekaeka.
Lequel, laquelle, — ko ai, te.
Les, — te, t(^ iiiau, ua, ga.
Léser, lésion, — liaka paliure,
pahure.
Lest. — rakau o te miro.
Léthargie, — nivaniva o te ma-
te.
Lettre, — ta.
Leur, — raua.
Levain, — pupulii, hakapupulii.
Levant, — liiti haga raà.
Lever, — hapai ; = l. du soleil,
raà ea mai, raà puiieki, he-
liega raà, maeharaà maliiiia,
hetuù.
Lèvre, — gutu, gutu ruga, gutu
raro ; = enflure, gutu aliu, =
croates, gutu pakapaka ; =
grosses, gutu liiti ; = en pointe
gutu mokoiuoko.
Lézard, — moko.
Liaison, — liaka liouoliouo.
Littérale, libéralité, — atakai,
rima atakai.
Libérer, — vevete, hakatere.
Libertinage, — rakerakega.
Licencier, — liakaliuki, haka-
tere.
Licite, — titika.
Lien, — herega, = lier, hère
— mau ; = lier les cannes à
sucre, kuku, kukukuku.
Lieu, - kooua.
Ligament, — herega ; = de l'œil,
tutu mata.
Lignage, — ivi.
Ligne, — titaà, (pour démarca-
tion) ; ligne de pêche, gohau.
Ligue, liguer, — huega, piriha-
ga, hakapiri, hakapa.
Limaçon, — kiikuo.
Lime, — mataariki.
Limite, limiter, — titalia, titaà,
haka titaà.
Limitrophe, — tupuaki, })iri.
Limon, — rimu, rimu.
Limpide, — vai ritorito ; =
limpidité, id.
Linceul, — kahuhakaviri.
Linge, — tapa, kahu ; = l'éten-
dre, tauaki.
Lion, — reone,
Liquéfier, — hakavai, hakatehe.
Liqueur, liquide, — vai.
Lire, — heguigui.
Lisière, — horega, tapa, — ta-
patapa.
Lisser, — hakarivariva. — ha-
karapa ; = les cheveux, id.
Liste, — igoa tapaa, = tapa
igoa.
Lit, — rago, — ragorago.
Littoral, — opata tai, — taha
tai.
Livre, — puka.
216
LE MUSÉON.
Livrer^ — avai, mau atu, tukii.
Local, localité, — koua.
Locataire, — noho no.
Locution, — vanaga.
Lofer, — rorirori.
Loge, logis, logement, — h are.
Loiiî, — koroa, roroa, kouiia
koroa.
Loisir, — vai apuga, haka reka.
Long, longuement, — roa, roaga.
Longévité, — tuhai.
Longtemps, — niea roaroa ; =
depuis longtemps : mea tuhai
tuhai ke.
Loquace, loquacité, — rava va-
naga, ravaki.
Lorgnette, — toa uira.
Lors, — ira.
Lorsque, — a niea.
Lot, — paiga.
Louable, — rivariva.
Louage, loger, louer, — haka-
here.
Louange, louanger, louer, — ha-
kahonui.
Louche, — mata hakahira.
Loupe, — pukupuku.
Lourd, — pagaha, pagaha noa.
Louvoyer, — haka roriroi-i.
Loyal, loyauté, — rivariva, riva-
riva noa.
Lucide, lucidité, — nuvori.
Lucre, lucratif, — akatariga,
akatari.
Lueur, — niarania, maeha.
Lugubre, — père, ge.
Lui, — ia, ko ia, oo ua, taa na,
noo na.
Luire, — purapura, — hakama-
rama.
Lumière, — niarania.
Lumineux, — pupura.
Lunaire, — ote niahina, = lune,
id.
Lunette, — uira puru mata.
Lustre, lustrer, — pupura, ha-
kapujjura.
Lutte, lutter, — hakahiga, ha-
kamoe.
M
3Ia, — a, inoo ku, no ku, too
ku, taà ku.
Macération, macérer. — tigitigi,
ava ava, puopuo.
Mâcher, — mama.
Machiner, — nieaniee.
Mâchoire, — kauae, kauae, ^
de poisson, kauaha.
Maçon, — tagata titi, titipa ; =
maçonner : titi.
Maculer, — poa.
Magasin, — hare popokai, po-
po rakau.
Magistrat, — ariki.
Magnificence, magnifique, — ri-
variva.
Mai,
Maigre, — pakiroki ; = mai-
greur, maigrir, — uga moa.
Maillet, — titi miro.
Maille, — faire des mailles, pi-
niku, raraga piniku.
Main, — rima, = droite, matau ;
= gauche, maori ; = joindre
les mains, hakauru rima ; in-
troduire les, id., = se toucher,
rima ruru ; =^élever, étendre la
main, haro ki te rima ; =
marcher les mains derrière le
dos, rima titiri.
Maintenant, — igeneira.
Maintenir, — haka mau.
Maïs, ~ tarake.
Mais, — meara, = reka, reka.
Maison, — hare.
Maître, — ariki, — maître es
arts : maori, maori ke.
Maîtriser, — hakatere, haka-
VOCABULAIRE DE LA LANGUE DE L ILE-DE-PAQUES.
2i7
higa,
Majesté, majestueux, — rivariva
ke, — ritoritoke.
Majorité, — horegn nui, — pai-
ga Dui.
Majuscule, — retera uni, retei'a
raè.
Mal, — rakerake, rakerakega ;
= mal de mer : rua ; — de tête :
garuru, — e alie, uiho gaa,
inamae keo ; = faire du mal :
liaka pagalia.
Malade, — mamae, mate, mai,
tiki ; = air malade : ariga
mamae ; = rendre malade :
liaka mamae, hakamate.
Maladie, — id. = mortelle :
aguagii, mate nui.
Maladie, — rau hiva.
Maladresse, maladroit, — koueè,
tagata rehe relie.
Malsain, mate.
Maie, (substantif), — tamaroa,
= parole dure : tarotaro.
Malédiction, — tarotaro.
Maléfice, —
Malentendu, — rogohara.
Mal faire, malfaisant, — haka-
pagaha.
31 al famé, —
Malgracieux, — tae magaro.
Malgré, malgré soi, — tae haga.
Malheur, — mate, gogoroaà =
qui va souvent faire des m. :
hakagogoroaà.
Malheureux, — id.
M<d honnête, malhonnêteté, —
tae tau, tae rioa {ou riva).
Malice, malignité, malicieux,
m^alin, — rakerake, rakerake-
ga.
Malle, — pahu.
M<dléable, — gaatu mai, gaatu
mai.
Malpropre, malpropreté, — veri-
veri.
Malsain, — haka mate ; =
endroit m., koouapipiro.
Maltraiter, — puopuo, tigitigi,
— avaaYa.
Maman, — matua tamaaiiiiie.
Mamelle, — u.
Manche, — rima o te kahu, —
m. de lance, kohau ; — m. de
hache : tokotoko.
Manchot, — rima hati.
Mandement — ragiga, = man-
der, ragi.
Manducation, — kai — kaikai.
Mânes, — akuaku,
Manger, — kai ; = ensemble :
kai piri mai ; = peu : kai no
iti, = des restes : kai ivi, kai
toega ; = en secret : kai naà-
naà, kai liakanaà, = avide-
ment, kai horohoro; — gaoku ;
= défendre de m. : kai rahui ;
— kaipera a mai ; = qui n'a
rien à manger^ kai gorigori,
maruaki •,z=qui ne laisse rien :
ravakai tae haka rere ; =
goulu ment : horohoro ; = en
faisant dti bruit : rava^namu-
uarau ; = sans attendre : —
kai okotahi ; ^ demander à
m. : nouoi ; = mangé : kai a,
= des vers : piro eka pua.
Maniable, — gaatu a ; — manier,
gaatu.
Manière, — hakarite.
Manifestation, manifester, —
aaki ; — manifeste, maà, ti-
kea.
Manivelle, — haka viri.
Manœuvre, — haga.
Manquement, — topa haga topa.
Mansuétude, — magaro.
Manteau, — kahu nui.
Marauder, maraudeur, — ahere,
ahere no.
Marchand, — tagata hakahere.
Marchander, — hakarivariva.
Marchandise, — rakau.
Marche, — oho.
Marché, — koona varevare.
Marchepied^ — pikiga.
I
218
LE MUSÉON.
Marcher^ marcheur, — oho,
aliere, hiri, = en tête : oho
rae, oho aniiia, = jambes et
genoux serrés : ahere ; z=jani-
hes écartées : hahae ; = lente-
ment : olio koro iti ; = en
corps : oho piri mai, pupu.
mai ; = sur la pointe de : teki-
teki ; = sur ce qui ne doit pas
être foulé.
Mardi, — po e rua.
Mare^ roto.
Marécage, marécageux, — teo
oone rari.
Marée, — tai iia, tai parera, tai
titi, tai iiegouego, tai kaukan.
Mari, — kenu.
Mariage, — noho, huuoga.
Marié, — noho kenu, noho vie ;
^ non m. : noho no, noho
tahaga.
Marin, — tere tai, tagata piki
kiruga o te niiro.
Marque, marquer, — hakatu,
hakatuhaga .
Mars, hora nui.
Marteau, marteler, — titi.
Martial, — niataù.
Masque, — puruga, — masquer :
pu ru.
Massacre, — titigi, hakaniate.
Masser, — hue, puke.
Massif, — rairo niatoru.
Massue, — titi nui.
Mât, — tuu ; — mater, hakatu
tuù.
Matériel, — niea tino.
Maternel, maternité, — no roto
mai 0 mea ; — no te matua
tama ahine.
Matière, — tino, akari.
Matin, matinée, — poi)o hagi
atatehe.
Matrice, — pokopoko ; — ce qui
entoure Venfant : kaliu viri.
Mâture, — te nuiu tuù.
Maudire, — niho, tarotaro.
Maussade, maussaderie, — po-
geha.
Mauvais, — rakerake, veriveri.
Me, (pronom), — au, kia ku.
Méchanceté, méchant, — rake-
rake.
Mèche, — hau.
Méconnaître, — tae tikea mai.
Mécontent, mécontentement, mé-
contenter, — pagaha, haka-
pagaha.
Mécréant, — tae hakarogo.
Médecin, — tagata haka neè-
neè.
Médecine, rakau.
Médiateur, — tarupu.
Médiocre, médiocrité,, — itiiti-
noa, goigoi.
Médire, médisant, — haka hae,
tara.
Méditation, méditer, — manau
no.
Méfait, — rakerake.
Méfiance, méfiant, méfier, — ra-
rau.
Meilleur, — rivariva ke, —
maitaki ke.
Mélange, mélanger, — hirohiro,
haka e uru, hakahilioi.
Méltr, — vog. mélanger.
Mélodieux, — reka.
JMelon, — hipu hiva, merone.
Membre, — akari tino ; = éten-
dre les m., haro.
Membrure, — vae.
Même, — a ; = de même : peira.
Mémoire, — maori, — rappeler
la mém., manau iho.
Menaçant, — rtigi tarotaro, ha-
ka meémeé.
Menace, menacer, — id.
Ménage, — noho e rua.
Ménager, — tito.
Mendiant, — nouoi ; = mendier,
— id. ; = des yeux : e ue ; =
sans honte, nonoi tae hakama.
Mener, — hakatari.
Meneur de troubles, — tagata
tuki pogeha.
VOCABULAIRE DE LA LANGUE DE l'iLE-DE-PAQUES. 219
Mensonge, — reoreo, — mente-
rle, mentir, id.
3Ienstniation,menstrne, — tiko.
Mensuel, — uo tera marama.
Mental, — inanaii o roto, no te
manau.
Mention, mentionner, — tapa,
tapatapa.
Menton, — kauvae.
Menu, {^adjectif), — gorigori,
bugahiiga.
Menuisier , — tagata haga miro.
Méprendre, — {se m.), harn ; —
méprise, id.
31éprisable, — veregakore, veri-
veri, rakerake, raeèmeè a.
Mépris, mépriser, — baka nieè
lueè, haka raigomigo.
Mer, — tai ; = haute mer : id.,
= profonde : moaiia ; = cal-
me, marie ; = lagon : roto ;
= agitée : taivave ; = le pro-
fond de la : tai lioliouu ; = à
gouffres, hati.
Mercenaire, — tagata haga ei
niea, ei mee.
Mercredi, — niereti (moderne).
Mère, — matua tama ahiiie ; =
p. les animaux, id.
Mérite, — mérita (moderne) ; —
tnériter, mca rivariva, inea
meitaki ka rava.
Merveille, merveilleux, — rivaga
ke, meitaki ke.
Mes, — moo ku, too ku.
Message, messager, — rogo ; =^
envoyer un m. : uga ki te rogo.
Messe, — pure meta ; = Messie,
metia, haka ora tagata.
Mesure, mesurer, — hahao, ha-
ka tuù.
Métal, — veo.
Météore, — hetun rere.
Méthode, — hakatuu.
Mets, — kai, mau, — liés en
paquets, hai.
Mettre, — hoa, = dedans, ha-
hao hahao ; = mis en pièce :
hore a, hore a.
Meuble, — rakau ; = hien meu-
ble, id.
Meule, — maea viriviri.
Meurtre, — tigitigi, haka mate,
— meurtrier, id.
Meurtrir, meurtrissure, — toto
pine.
Miauler, — tagi.
Midi, — ootea, raà tini, raà too,
— Vaprès-m., ahiahi.
Miel, — pivari (ou pirari).
Mien, — too ku, ua ku, uaku.
Mieux, — rivariva ke ; — mei-
taki ke ; = être mieux, oraora
no iti.
Migraine, — puoko garuru, ahe.
Milieu, — vaega.
Mille, — piere, mano.
Mille-pieds, — veri.
Million, milliard, — tinitini,
(migoigoi, nombre indéfini).
Mince, — rahirahi maeha.
3finr, (carrière), — keri ; =
miner, id. = (air) : mata,
ariga ; = vilaine : ariga rake-
rake ; = de bonne mine : ariga
ritorito.
Ministre, — haka kouakona.
Mimiit, — ao nui.
Minute, — minuta.
M imitieusement. — koro iti.
Miracle, — hakamaua.
Mirer, — ui, mata ui.
Miroir, — uira.
Misaine, — kahu nui.
Misérable, — rakau kore.
Misère, — gogoro aà.
Miséricorde, miséricordieux, —
haka aroha mai.
Mission, missionnaire, — pa
mitinare, mitinare.
Mdiger, — haka iti, hakariva-
riva.
Mitoyen, — paiga no tera tagata,
paiga no te tagata era.
Mixture, mixte, — hakae uruga,
hirohiro, tupa, gaiei.
^220
LE MUSl^:ON.
Mohilc, — tumu.
Mode, — hakatuu, — liakarite ;
= la mode, hakatuu rae.
Modèle, — hakatuu.
Modération, — koi'o iti.
Modérer, — haka koro iti.
Moderne, — iho, hou.
Modeste, modestie, — uiata ui a
raro ; — mata toi)a.
Modicité, modique, — iti, ^yoii-
gori.
Modification, modifier, — haka
rivariva iho.
MocUe, — nako.
Moelleux, — ekacka.
Mœurs, — moa.
Moi, — au.
Moins, moindre, — iti atu.
Mois, — maraina.
Moisissure, moisir, moisi, —
ekai)ua (pour tout).
Moisson, abondance, — uiau nui.
Moite, — vekuveku, rari, helic-
hehe.
Moitié, — vaeiia, horej^a vaeiia ;
— quand il sera minuit : ki
te ao nui, ao uui, fini po.
Molécule, — huliu.
Molester, — hakaj)agaha, haka-
gogoroaà.
Molasse, — ekaeka. — Molessr,
Jiai.
Mollir, — ekaeka, para.
Moment, — })oto no.
3Ion, — 00 ku, naa ku. luoo ku.
Monarque, — ariki nui.
Monde, — arova nei.
Monder. —
Moniteur, monitivn, — hakari-
variva.
Monnaie, — inoni.
Monstre, monstrueux, — veii —
verike.
Mont, montagne, — luouga.
Monter, — liiri. — piki ; =
montée, liiriga ; = astre qui
monte, hiti ; = sur un cheval :
piki, eke ; = sur un navire :
id. = faire monter : hakaeke.
Montrer, — hakatikea, hakati-
kea ; = du doigt : tuhi.
Moquer, moquerie, — hakaïuee-
uiee, haka migo.
Morale, — titika, l'ivariva noa.
Jloraliser, — hakarivariva.
Morceau, — hoivga.
Morceler, — horehore, niore-
niore.
Mordre^ morsure, — g;igau ; =
à riiamcçon, akaraù.
Moribond, — papaku, tagata
agnagu.
Morne, — mou no, mou noa.
Mors, — ohio haha, ohio gagau.
Mort, — matega ; = m. de faim,
maruaki ; = à Vart. de la
mort, aguagu, = mort suinte :
mate horahorau ;= apparente,
agu kore, tata.
Mortaise, — pu, — faire des ))i...
hakai)u.
Mortifiant, mortifié, — haka})a-
gaha .
Morve, — huiicè, — morveux,
— id.
Mot, — reo.
Motif, — tumu.
Mou, — ekaeka ; — para ; =
débile : pepeke ; = frop mûr :
para rakerake.
Mouche, — ta kaure.
Moucher, — hi, horoi.
Moucheté, — huruke.
Mouchoir, — horoi mata.
Mouillage, — liaga.
Mouiller, — (hoa, — jeter V an-
cre), = mouiller : \\;\k'à rari,
haka vekuveku.
Moule, mouler, — mea popo,
pahupojjo.
Mourir, — mate ; = subitement,
mate horahoi'au.
Mousse, — de mer, — rimu,
neheuehe.
Mousseline, — kahu rahirahi.
Moustache, — vere.
VOCABULAiUK DE LA t.A.M'.ll-: DE L ILE-l)E-l>AoUES.
-2^21
Moustique, — takaure iti.
Moutarde, — iiiogeo.
Mouton, — imitone.
Mouvement, mouvoir, — krukcu,
gaieiei ; = toujours : keiikeu
taliagaa ; = se mouvoir sans
cesse, id., = incapable de se
m. : nolio no.
Moyen, — rava ; = il ny a pas
moyen : e ko i\-na.
Muet, — luoii uo, mou uoa.
Multiplication, multiplier, —
liaka nui. haka uegoiiego, lia-
katiti.
Multitude, — gagata, gagaia
uni.
Munificence, — i-akau nui.
Urunissions, — rava, inorava,
hue mai.
Mur, muraille, — pa.
Mûr, — para, — ekaeka, =
non mûr, tae i)ara. i)uku uo.
^[àrier, — mante.
Mûrir, — para, liakai)ara.
Murmurer, murmure, — hegu
hegu, haka kani^ka ; = quand
il s'agit d'une femme ou d'un
homme qui ahandonne le con-
joint : — geu.
]\Iuscle, — vaha, vahavaha.
Museau, — goutu.
Mystère, mystnieux, — miterio,
pi)ko[)<»ko.
N
Nacre, — rei.
Nageoire, — rei kauaha ; = sur
le dos, oe ; = du ventre : tuu-
tuu — du rcf[uin, id.
Nager, — kau ; =sur la lame :
garu ; = face en bas., l'uku ;
= faire nager : hakakaii.
Nain, — tagala p<jt(j.
Naissance, naître, — poi'eko.
Nappe, — kaliu kai.
Narguer, — haka meèmoe, ha-
ka migouugo.
Narine, — poga. — naseau :
ihu.
Narrer, narrateur, — ra\a ki.
rava vauaga.
Nasarder, nasillard, — ihu piro
ihu })agaha.
Natal, — ote [)orcko haga.
Natation, — kau liaga.
Nation, — tagata no.
Nativité, — poreko haga.
Natte, — raoega.
Natter, — raraga.
Nature, — uatura.
Naufrage ,nauf rager , — niarcr»'.
gaa miro.
Nausée, — kereki, kerereki.
Navigable, — tai riva uio terc.
Navigateur, navigation, — terc,
t(^rt'ga ; — naviguer, id.
Navire, — miro ; =: de guerre :
uiiro manua ; = trois tnâts :
luù toru, = deux mâts : tuù
l'iia.
Ne, — ina, kakoi'c, c ko, e kore ;
= ne faites pas : eko, ekore ;
— n est -ce-pas : ro, ra.
Né, — porekoa ; ^^^ premier né :
atariki.
Néanmoins, — uiea ra.
Néant, — korega.
Nécessaire, nécessité, — <• mea
ka.
Négligent, — vai ai)Uga, nohouo.
Négoce, négociant, — haka hère
mai. haka hère alii.
Nègre, — kiii hurihiiri pdiijjoi'i,
kcrckci'c.
Nrige, — nieve, matamata ika.
Nerf, — valia, vaha.
Netteté, net, — ritorito, riva-
riva.
Nettoiement, nettoyer, — tutu.
222
LE MUSÉON,
Neuf, — hou, — neuf, (nomdre),
iva, — tiaki.
Neveu, — poki.
Névralgie, — ekaeka.
Nez, — ihu.
Ni, — ina, kakore.
Niais, — tae maori.
Nicher, nid, — ogaa ; = de rat :
pupa.
Nielle, — tutae.
Nier, — tae aaki, haka naà,
naà no.
Niveau, niveler, nivellement, —
liaka kivakiva, — mohimolii.
Noce, — liuuoga.
Nocturne, — o te po.
Nœud, — haka piikou, hère ; =
nouer : id. ; = nœud coulant :
gita.
Noir, — hurihui'i, kerekere ; —
noirâtre, id.
Noircir, — haka Inirihiiri, haka
kerekere.
Noix, — rama.
Nom, — igoa.
Nombre, nomhrer, — tapa, =
grand, tini, piere; = indéfini,
migoigoi.
Nombreux, — nui, nuiaui ke.
Nombril, — veo.
Nomination, — uai)e haga ; —
nommer, nape.
Non, — ina, kakore.
Nonchalant, nonchalance, non-
chalamment, — koro iti no,
koro iti no.
Nord. —
Nord-est. —
Nord- ouest. —
Nos, — to tatou, to matou, no
tatou, no motou, to maua, no
maua.
Notable, — nui, menege.
Note, noter, notice^ — hakakite,
ta, ta mau ihoiho, — notifier,
id.
Notion, — kite a haga.
Notre, — voyez nos.
Nouer, — hakamau, mau, —
hère.
Noueux, — pukupuku.
Nourrice, — matua tama ahine
hagai.
Nourricier, — hagai ; = nour-
rir, hagai.
Nourrisson, — kai ii.
Nourriture, — kai, mau.
Nous, — tatou, taua, matou,
maua.
Nouveau, — hou, iho, iho.
Nouveauté, — id.
Nouvelle, — rogo.
Novembre, — ora nui.
Noyau, — mokoi.
Noyer, se noyer, — emu, garo.
Noyer, (arbre), — rama.
Nu, — giogio kore.
Nuage, — kohu, kohu, = blanc,
ragi puga ; = noirs, ragi hu-
rilinri ; = rouge, e ata ; ==
annonçant le vent : ragi toke-
rau, — matagi ; = sans nuage,
ragi amo ; = nuageux : kohu-
kohu.
Nuisible, nuire, — hakapagaha,
haka gogoro àa.
Nuit, — po ; = obscure, po ha-
ha, = la nuit dernière : o'^dito ;
= la nuit prochaine : a po, a
po nei.
Nul, — kore no, kore noa ; =
nullilté, id.
Numéro, numéroter, — ta. —
hakatuu.
Nuptial, — moomoe.
Nuque, — tuke.
Nutritif, nutrition, — hakama-
kona.
VOCABULAIRE DE LA LANGUE DE L ILE-DE-PAQUES.
223
0, -e.
Obéissant, obéir, — tarigà haka-
rogo, hakarogo.
Objec/ion, — ihoiho.
Objet, — mea, mee ; = précieux,
rakau.
Obligation, — haka hokibaga.
Obligeant, obligeance, obliger, —
atakai, rima atakai.
Oblique, obliquité, — hipa, baka-
tahà, hipabaga.
Obscène, — rakerake.
Obscur, obscurité, — po baba,
kobu no, kerekere, baka buri-
bari ; = brume, mihi mibi ;
= brume des vagues qui se
subdivisent, puga ebu.
Obsèques, — tanu, tanubaga.
Observance, — ragiga.
Observateur, observer, — tariga
bakarogo.
Obstacle, — tarupu, tarupu ba-
ga ; = mettre 06., bakatarupu.
Obstination, obstiné, — iboibo,
pogeba ; = s'obstiner : ici.
Obstruction, — puru, pa.
Obtempérer, — biga, baga, baga
mai.
Obtenir, — rava, morava ; =
qui n'a rien obtenu : vaiîipuga.
Obtus, — nibiuibi.
Occasion, occasionner , — tumu,
raè, raèga.
Occident, — garoaga raà.
Occijntt, — tupuraki.
Occulte, occulter, — naà, baka-
naà.
Occupation, occuper, — baga.
Océan, — tai, moana.
Ocre, — kiè.
Octobre, — ora nui.
Odeur, — eo, nehe ; = putride :
pipiro ; — bogeboge ; = dé-
goûtante : pipiro ke avai ; =
pour tout : bonne odeur : eo ;
= mauvaise odeur : pipiro.
Odieux, — rakerake, ta a mei-
taki.
Odorifiant, odorant, — eo mei-
taki.
Odorat, — bogi.
Œil, — mata ; = fatigué : mata
pagaba ; = détourner les :
Lira ; = faire signe des yeux :
mine, = œillade, id., pupura
mai.
Œuf, — mamari ; = de poisson,
maraari, kopu.
Œuvre, — baga, bagabaga.
Offensant, offense, offenser, —
bakapagaba, bakameémeé,
vare gao.
Office, — baga.
Offrande, — bapaibaga, avai.
Offrir, — avai, bapai.
Ognon, oignon, — aniani.
Oh ! — bo.
Oindre, — akui akui.
Oiseau, — manu ; = sans plu-
mes, punua.
Oisif, — nobo no, vaiapuga ; =
oisiveté, id.
Ombilic, — pito.
Ombrage, — kobu, marumaru ;
= ombrager, bakakobu, baka
marumaru.
Ombre, — kobu ; = d'un mort :
akuaku.
Omettre, omission, — rebu, —
reburebu, garo.
Omoplate, — papa.
On, — te tagata.
Onction, — akui.
Onde, ondée, — ua, ua ke avai.
Ondoyant, ondoyer, onduler, on-
dulation, — pipine, aruaru.
Onéreux, — pagaba.
Ongle, — mai kuku, maikuku.
Onguent, rakau.
Onze, — etabi baga buru ma
tabi ; — onzième, id.
Opaque, — peugo peuga, mato-
14
224
LE MUSÉON.
rutoru.
Opération, opérer, — hakariva,
hakaora.
Opiner, opinion, — manau.
Opiniâtre, — pogeha, ihoiho,
tariga puru a.
Opportun, opportunité, — riva-
riva, tau.
Opposant, opposer, — ihoiho
mai ; = s'op., id., = tarupu
mai.
Oppresser, oppression, — paga-
ha, hakapagaha ; = oppressé,
id.
Opter, — tagi.
Opulent, — rakau mii, ke avai.
Or. (métal). — moui ineamea.
Or, (conjonct.J, — reka.
Orage, orageux, — atutiri, —
kohukohu.
Oraison, — pure.
Orange, oranger, — anaui.
Orateur, — rava ki.
Oratoire, — aretare niotu.
Orbite, — tutu mata.
Ordinaire, — uo, moo iha raa,
iha raa.
Ordonner, — hakarivariva.
Ordure, — tutae. oone.
Oreille, — tariga ; — qui entend
bien, tariga uieitaki ; = qui
entend mal : tariga pogeha.
Oreiller, — ragua.
Organisation, organiser, — haka
rivariva.
Orgueil, — tea.
Orient, — hitihaga raà.
Orifice, — niogugu, mogugu.
Original, originalité, — nivani-
va, — haka l'eka.
Origine, — tumu ; = originel,
rakerake tumu.
Ornement, orner, — rakei, =
or. du prêtre : kahu mitiuare.
Ornière, — poko, rua.
Orphelin, — mutua kore.
Orteil, — magamaga tumu.
Os, — ivi.
Otage, — hakanoho.
Oter, — iko, too, — mau.
Ou, (conj.), — kakore ra, kako-
re ro.
Où, (adv.), — hea, kihea, uohea,
ahea, ou no hea, a, hea.
Oubli, oublier, — rehu.
Ouest, — tokerau aho.
Oui, — e, ko ia.
Ouies, — taki turi.
Ouir, — rogo, hakarogo.
Ouragan, — vai nui, ua nui ke
avai.
Ourdir, — haka mee, hakariva-
riva.
Ourlet, — aamoni.
Outrage, — hakameèmeè.
Outré, — uuinui ke, = à V excès :
manava pohi.
Ouvert, — mataki ; = ouverture
petite : pu, pu no rikiriki.
Ouvrage, — haga, = grand, ro-
roa ke, = fâcheux : haga pa-
gaha.
Ovale, — takataka, viriviri.
Pacificateur, pacifier, — haka
magaro, magaro.
Pacte, — haka titikaga, haka-
rivariva.
Pagaie, — hoe, hoe.
Pagp, — patupatu.
Pagne, — pareu.
Paie, paiement, — hakatari, ha-
katariga.
Païen, — eteui, etenihaga.
Paille, — mouku.
Paiji, — haraoa.
Paire, — tahuga, ^ mettre par
paires : hakatahuga.
VOCABULAIUF DE LA LANGUE DE l'iLE-DE-PAQUES.
Paisihle, — magaro.
Paître, — kai, — naginagi, aino-
amo.
Paix, — pava, pava noa.
Palais, — liare nunui.
Pâle, — rauhiva, teatea, mata
teatea.
Palissade, — pa.
Palme, — niu, = palmier, id
Palpable, palper, — gatu, gatu
mai.
Palpitation, palpiter, — aguagu.
Pan, — liorega kahu.
Pandanus, — hara.
Panier, — keete, keete.
Panne, mdtre en panne, — hora-
hora.
Panse, — kopu.
Panser, — viri, hakaviri.
Pant(don, — piripou, vae liau.
Papa, — matua taïuaroa.
Pai^e, — papa.
Paquet, — liahi.
Par, — e.
Paradis, — ragi.
Paraye, — lieemia, kaiga.
Paragraphe, — paiga, iti.
Papier, — paiapara.
Paraître, — pukou mai, liiri
mai, il iti mai ; = soudain :
horalioraii.
Parallèle, — liakaritega.
Paralyser, — liakaripoi, = pa-
ralysie : aliu, takapau.
Parapet, — pa.
Paraphrase, — liakarivariva
mai.
Parapluie. — marumaru.
Parasite, — manu iti iti.
Parc, — pa.
Parcelle, — horega no iti, =
diviser m p., — liorehore.
Parce que, — no te mea.
Parcimonie, — kaikino. —
Parcourir, — tikea liorahorau,
tofiuti.
Pardessus, — a ruga, ma ruga.
Pardon, pardonner, — haka ho-
ki mai, haka garo te rake-
rakega.
Paré, — rakei a, parei, rakei,
hakariva.
Pareil, — etalii hakarite.
Parent, — ivi.
Paresse, — vaiapuga.
Parfait, — rivariva noa ; =
pas parfait, tae riva.
Parfum, — eo.
Parfumer, — haka eo.
Pari, parier, — mamahi.
Parlant, jiarhr, — ki, vanaga ;
= à voix basse : hahumuhn-
mu ; = haut, ohu ; = en dor-
mant, haka hepo ; = à soi-
même : haka tapona ; = avec
volubilité : ki veveveve ; =
indiscrètement : varegao ; =
beaucoup pour ne rien dire :
ki vaiapuga ; = avec énergie :
ki ihoiho ; = beau, aki, ou
ravaki.
Parmi, — ki vaega, ki roto.
Parole, — ki, vanaga.
Parricide, — tigitigi matua.
Part, — horega, tuha ; =- faire
sa part : too tahi ; = secrète-
ment: maà too tahi ; hakakopi ;
= de part en part, tehe e turu.
Partager, — tuha, tahuga, hore-
hore ; = en deux : tuha e rua.
Parti, — maigo, kio, horega
tagata ; = homme des deux
partis : mata e rua.
Partial, partialité, — avai tahi ;
haka noku.
Participation, participer, — mo-
rara, rava.
Particulièrement, — ko ia à.
Partie, partiel, — liorega, ava-
liiga.
Partir, — oho, tere ; = par-
tons : a nma, mata.
Partisan, — maigo.
Partition, — horega.
Partout, — kooua ananake.
Parure, — mahaua.
226
LE MUSÉON.
Parvenir, — tehe.
Pas, (adv.), — iua, kakore tae.
Pas, (suhst.), — raaumau.
Passage, — ava, = donner
pass. : liaka uta.
Passager, — tagata hiri, ahere,
tere.
Passe, — ava.
Passé, (fini) : — pae, pae a,
mou, mou a.
Passer, — garo, tere ; = passer
à : liihoi ; = aborder : teki ;
=])asser un liquide : hakauini-
niui, hakaperigi.
Passion, passionné, — mato a,
iiianava mate.
Pastcque. —
Pastoral, pasteur, — tiaki mu-
tone.
Patate, — kuiiiara.
Pâte, — liaraoa.
Paternel, — o te matua.
Pathétique, — haka manau.
Patience, — reo kore ; = pa-
tienter : id., mou no.
Pâtir, — matemate.
Pâtre, — tiaki nuitoue.
Patriarche, — pateriareka, (mo-
derne).
Patrie, — lieenua tuinu, o te
pore kohaga, o te tupuna.
Patte, — vae, = aller à 4 pattes:
totoro.
Paume, — pararaha rima.
Paupière, — liihi mata ; = les
retourner : liilii ketuketu.
Pause^ pauser, — ora, liaka ora.
Pauvre, — rakau, kore.
Pavaner, — rakei.
Pavé, — paepae.
Pavillon. — rêva.
Payer, — liakatari.
Pays, — kaiga, heenua.
Paysage, — ata iieeuua.
Paysan, — uolio lieeuua.
Peau, — kiri ; = irritée, dessé-
chée : pakapaka ; = noire :
kiri huriliuri.
Pêche, pêcher, pêcheur, — rava
ika ; = au flambeau, ika pubi ;
= à la ligne, ika lii, ika ko-
hau ; == habile pêcheur : rava
ika maà, maori.
Péché, pécheur, pécher, — rake-
rakega, rakerake.
Pédoncule. —
Peigne, peigner, — tapani, {ou
tapauij, = peigner : hahari.
Peindre, — ta, ata ; = peinture
2)0ur peindre : peui akui ; =
peindre, akui.
Peine, peiné, peiner, — pagaiia,
gogoroaà ; == subite : gogo-
roaà liorahorau.
Pelé, peler ^ — varu varu, —
varuvaru.
Pelle, — ao oone, moo te ooue.
Peloton, — tekai, tekai.
Pelouse, — koona mouku.
Pelu. —
Pelure, — \dn,=debananier,\{\..
Penchant, — hiriga mouga.
Penché, pencher, — taha, liipa ;
^l^ewcAer la tête : liakatalia.
Pendant, (prép.), — a mea ka ;
= pendant que : mai.
Pendant, (subst.), — karokaro
tariga.
Pendre, — rêva.
Pénétration, — manau liohonu.
Pénétrer, — tomo, haka uru,
uru.
Pénible, — pagalia, gogoroaà.
Pénitent, — manava poki.
Pensée, penser, — manau ; =
pensif, nuanau no.
Pente, — turuga.
Pépin, — karu ; = mokolii,
quand c'est gros.
Percale, — kaliu.
Perception, — manau.
Percé, percer, — pu, hakapau ;
= percer un abcès, maki gaà.
Percevoir, — tikea.
Perchoir, percher, se percher, —
tau ; kua tau te moa, en par-
VOCABULAIRE DE LA LANGUE DE L ILE-DE-PAQUES.
-2-27
lant de la poule.
Perclus, — tuimi kore.
Perdant, perdition, perdre, —
l)erigui, garo, = de vue, relui
rehu, = se perdre : garo.
Père, — inatua taiiia roa ; =
nourricier : niatiia liagai ; =
adoptif : matua toù.
Perfection, perfectionnement, —
rivarivaga, liakarivariva.
Perfide, — rakerake uni ke, =
perfidie, rakerakega.
Perforer, — hou, pu, haka[)u.
Péril, périlleux, — uuitaku, ma-
taku ke.
Période, (longue), — raarama
roa .
Périr, — mate.
Perle, — mata ika.
Permanence, permanent, — tae
mou.
Permettre, permis, permission,
— liaga uiai.
Permutation, 2}ermuter, — liaka-
liere.
Pernicieux, — haka pagalia mai.
Pérorer. — vanaga, pogeba mai.
Perpendiculaire, — tuù uoa.
Perpétuel, — tae mou, iua kai
mou.
Perplexité, — mataku, pepeke,
reherehe.
Perruquier, — tagata varu puo-
ko.^
Persécuter , persécution, — liaka-
pagaha.
Persévérance, persévérer, — tae
liaka rere, ihoilio.
Personnage, — tagata lioo uui.
Persohne, personmdité, — taga-
ta ; = belle p , tagata ritorito.
Perspicace, perspicacité, — mao-
ri.
Persuader, persuasion, — halca
liiga mai, haka hati mai.
Perte, — garo a.
Perturbateur, — pogeha, tagata
pogeha.
Pervers, — rakerake, = perver-
sité : rakega.
Pervertir, perversion, — liakari-
poi ; hakaripoi haga.
Pesant, pesanteur, — pagaha ;
= peser, nmuau.
Pester, — mauava hanohano,
kokoma purihuri.
Pet. — hu.
Pétale. —
Petit, (adj.), — iti, gorigori ; =
très-petit : potopoto.
Petit, (subst.), — puuua.
Petit-fils, — nuikupuua, poki.
Pétition, pétitionner, — nonoi,
uouoihaga.
Pétrir, — reirei.
Pétulant, pétiller, — rava tohuti.
Peu. — iti, gorigori, horega no
iti ; = un peu plus, ki hua.
Peuplade, peuple, — gagata.
I^eupler, peuplé, — uuiga tagata,
hakanego.
Peur, peureux, — mataku, ho-
pohopo ; = de peur que, ho.
Peut-être, — peaha.
Phospjhoresceuce, — haka pura-
pura mai.
Phrase, — paiga, horega ki.
Phtisie, — keo, mate keo, kite
ke.
Physionomie, — ariga, akari.
Piailler, piauler, — tagi.
Piastre, — moni tara.
Pic à pic, — opata.
Picotlement, — hukihuki mai
hukihuki.
Pièce, — horega ; =^. d'étoffe :
])iia pua ; = mettre en piréces :
lioreîiore, roturotu.
Pied, — vae ; = pied bot, ko-
kope, = cent pieds, viri.
Piège, — pikoga ; ^ user d'un
piège, piko.
Pierre, — maea, = très-dure :
îhoiho ; = ronde : viriviri ;
= plate : paparaha ; = polie :
kirikiri ; = de fronde : kiriki-
2-28
LE MISÉON.
ri ueue ; = neigeuse, iiiaea lio-
rohoro ; ^ ponce, rapo ; =
lancée, pureva ; = ias de p.,
[)uke niaea ; =i)Jein dcpierres,
talairua ; = sans pierre :
maea kore, varevare.
Vierrerie.
Fierrler, — pu})ulii nui.
Fléfc, pieux, — livariva, niolta-
ki.
Piétiner, — hakalietu.
Pieu, — tuù, oka.
Pile, — hue, tuke.
Piler, — leivei.
Pilier, — pou, tuù.
Piller, — koii.
Pilon, — ti^itiyi.
Pilote, — liakatai'i niiro.
Pinceau, — akui.
Pincer, — liakura, gatu.
Pioche. — i)eu.
Pipe, — i)uhii)ulii.
Piquant, — taratara ; = ffoi'tf,
karakara, ou kavakava ; —
niageo ; = blessant, tarutaru.
Piquer, — pu, oka, okahia.
Pire, — l'akurake atu ; = gâté,
])i})ii'o.
Pirogue, — vaka, — i)oei)oe.
Pirouetter, — tahuri, liariu ; =:
faire p., haka tahuri.
PiSf(adv.), — rakerake ke, veri-
veri ke.
Pistolet, — liago poto.
Pitance, — iuaki.
Piteux, pitié, — hakaaroha ; =^
piteux, vaiapuga.
Pitoyable, — hakaai'oha.
Place, — kooua ; = lieu ouvert,
kooue varevare ; = faire
place, ci atu.
Placenta, — pu heenua.
Placer, — hakarere, avai, uioe
atu ; = être mal placé : uoho
pagaha.
Plage, — haga.
Plaider, — liakarivariva ; =
plaideur, tagata hakarivari-
va ; = qui plaide éloquenuiicnt,
hakarivariva meitaki .
Plaie, — uiaki, taô, paliure.
Plain, — nego, titi.
Plaindre, — hakaaroha.
Plainte, — geu, nuuiavaru, lua-
uava pagaha.
Plaire, — rivariva, meitaki.
Plaisant, plaisanter, plaisante-
rie, — tagata hakareka, ha-
kareka, reka.
Plaisir, — koakoa, reka.
Planche, — miro ; == circulaire,
niiro takataka ; = flottée,
niiro raga.
Plancher, — paepae, = plan-
chéier, hakapaepae.
Planète, — hetuù pupura.
Plant, — tauuga, niiro.
Plante, — miro, = des pi(ds,
reke vae, aro vae.
Plat, (ustensile), — hi])u.
Plat, (adj.), — pararaha.
Plateau, — kooua varevare.
Platine, — moni.
Plébéien, — kio.
Plein, plénitude, — titi, nego.
Pleurer, — niatavai, tatagi, ta-
gi ; = faire pleurer, hakatagi.
Pleuvoir, — ua, lioa nuii te ua ;
= cesser de pi. : uiou te ua.
Pli, — hahatu, takapau ; =
effacer les plis, hakauiou.
Pliant, (adj.), — hakapiko, ha-
kavari.
Plier, — haatu ; = plisser, id.
Plomb, — uuimara.
Plonger, — ruku ; = d''une hau-
teur, virî ; = la tête la pre-
mière, ruku.
Ployer, — hakapiko, hakavari.
Pluie, — ua ; = fine, niihimi-
hi, ehuehu, puga ehu ; =
longue, forte, ua ke avai ; =
près de tomber, kohu ; = optpa-
rence de p., ragi puga.
Plume, — huhuru, rou uieamea.
Plumer, = hutihuti.
VOCARLLAIUi: DE LA LANGLE DE L ILE-DE-l»AOUES.
^2-29
Plupart. — te iiiiiga.
Plusieurs, — niau.
Plus, — atu, — ake ne se dit
pas ; = plus que, uni atii.
Plus tôt, — i mua atu.
Plutôt, — boraliorau.
Pluvieux, — ua ke aval.
Poche, — ketc
Poids, — })agaha.
Poil, — liuliuru ; = harhes,
vcre ; = enlever le : — va ru.
Poinçon, — ulvi.
Poindre, — liiti. pukou mai.
Poing, — liuia hakavu'iviri ; =
fermer le p . : id \ = frapper
du poing : tigitiiii.
Point, {adv. nég.), — ina. ka-
kore, tae ; = point du jour :
liorau, hitihiti, liorau, mara-
ma uo iti ; = sur le point de :
ho.
Pointe, — de terre : l^uona uoi-
g'ôi ; =^ de luncc : uaiuai.
kaikai ; = se tenir sur une p. :
nolio oj)ata.
Pointeur, pointage, pointer, —
haka keva, hakakeva mai.
l^ointu, — voyez pointe.
Pois, — pipi.
Poison, — megeo.
Poisson, — ika ; := volant, ika
rere ; = hanc, lieu de p. : koo-
ua ika nui.
Poitrail, poitrine, — huma.
Poivre, — megeu.
Poix, — garau, hiva.
Poli, — râpa ; = polir, id.
Polluer, pollution, pollué, — ha-
kaooiie, oone.
Pommade, — mori eo eo.
Pompe, pomper, — pagupagu.
Pompe . pompeux , riva, rivaga
ke.
Pondre, neiuei.
Pont, — viriviri.
Pontife, — ivi etua ; == pontifi-
cat, ivi etua haga.
Populace, — gagata.
Popularité, populaire, — tagata
magaro.
Population, populeux, — nuiga
tagata.
Porc, — horu ; = de lait, [lunua
horu.
Port, — koua tau, kooua moo
tuuio ; = entrer au p., uru ;
== entrée d'un port : ava.
l'ortahle, — uiaamaa.
Portail, porte, — hahauui, haha.
Portée, — ])()re!<u haga, = n'être
pas à., ko roa.
Porter, — hai)ai,anio. hai, tu})a.
Portier, — tiaki haha.
Portion, — horega.
Portrait, — ata.
Poser, — hakarere, = Vun sur
Vautre : hue kiruga.
Position, — uolio.
Posséder, — \V^)w, = possesseur,
possession : id.
Possibilité, possiUe, — pea ha,
pcaha.
Poste, — piko.
Postérité, — poki.
Posture, — uoho ; = indécente :
noho rakerake.
Pot, — hipu, hue.
Poteau, — tuù ; = placer un p. :
tanu ki te tuù.
Potelé, — purepure a.
Potence, — tuù haka mate taga-
ta.
Potion, — rakau.
Pou, — kutu.
Fouce, — rima matua neanea.
Poudre, — ooue, = de tatouage :
garahu ; = à canon : paura.
Poulain, — kevare puiiua.
Poule, — moa, ulia ; = sauvage :
mua mauua ; = attachée : moa
hère a ; = sans queue : huahua .
Poumon, — ate.
Poupe, — po ihuihu miro.
Pour, — ei, raea, moo, ki, kia.
Pourceau, — horu.
Pour parler, — vanaga rikiriki.
^250
LE MLSÉON.
Pourpre, — kahu meaniea.
Pourquoi, — ma alia, no te alui,
ei aha.
Pourri, pourrir, — pipiro ; =
œuf, id. ; = pourriture : id.
Poursuivre, — aru arn, tiite.
Pousser, (dans le sens de germer),
— tupu, pipi ; = poulet dans
Vœuf : niainari puima ; ^=
fleur : hiiaà.
Pousse, — id. = jeune : i)ipi.
Poussière, — ooue, relui ; =
réduire en p. : ooiie no.
Poutre. — tuu.
Pouvoir, — man, rava, niorava ;
= autorité : titikaga ; =P- de
Dieu : manaliaga.
Prairie, — koona niouku, mou-
ku no.
Pratique, pratiquer, — niahani.
mahaui ki te liaga era.
Précaution, précautionner, {se),
— koro iti, tiaki.
Précédent, — raè, oniua, iuiiia.
Précéder, — olio a mua, — amua,
= papakiua.
Précepte, — ragi, ragiga.
Précepteur, — tagata haka maà.
Précieux, — [riche), rivarivake,
rivariva noa.
Précipitation, — horahorau, ve-
veveve, — tohuti liaga.
Précipité, précipiter,. — id. to-
huti.
Précisément, — ko ia a ; = là :
kira lioki.
Précoce, — tupu Jioraliorau.
Prédécesseur^ — rae.
Prédestiné, — vae a.
Prédicateur, — haka maa, tagata
haka maà.
Prédiction, prédire, — taku.
Prééminence, — titikaga ; =
prééminent : kiruga nui.
Préexister, — ora tuhai.
Préférable, préférence, préférer,
— vae, va vae ; — rivariva-
ke kia ku.
Préjudice, préjudiciahJe, — ha-
kapagaha, — hakapagahauiai.
Préméditation, — manau onma ;
= sans pr. : tae numau, tae
manau omua ; — préméditer :
manau omua.
Prémices, — rae, raega.
Premier : rae ; = à l'action : ko
te mea rae ki te.
Prémunir, — mata ara.
Prendre, — too ; = au nœud :
hère ; = au pnnirr : ka too
mau ei keete ; =^ aux traces :
rava hakatika, rara ; = pr. et
s'enfuir : ka too e ka iiakuki ;
= se pr. bec à bec : paôpaù,
kakai ; = à P improviste : a
aru ; = prends : ka ton.
Préoccupé, — gogoi'oaa, niauau
no.
Préparatif, préparation, prépa-
rer, — rakei, rakoi, hakari-
variva.
Près, — ki taha ; — tupuaki.
koona tupuaki.
Présage, — hakatuù, haka atu ;
— présager, id.
Prescription, prescrire, — ragi.
Présence, — aro, mata, ariga,
— ki te ariga o.
Présent, {offrande), — akatariga,
akatatariga ; = présent, {in-
terject.) : o !
Présentation, présenter, — tata,
tupuaki ; = se..., id.
Présentement, — igeneira, —
ogaueira.
Préserva tien , préserver , — 1 1 a 1< a -
rere, popo.
Président, présidence, présider,
— pa, noho vaega.
Presque, — nuii.
Pressant, — horahorau.
Presse, presser, — gaatu, gaatu-
a, ka kikiu ro ; = hâter :
veve, — horahorau ; = se
presser, id. ; pression: gaatu-
ga.
VOCAMlLAIKt; DE I.A LANCLH DE l/ir,K-DE-l>AQl'ES. '251
Pressurer, — neiuci.
Frcsumrr, présupposer, — ma-
iiaii.
Prêta, — ai naia, aiuai'a.
Prétention^ prétendre, — vaic
l*rcter, — m. m r huki mai.
J'rctre, — pcrcpitcro. {moderne).
Preuve, — liakatuù. liaka atii.
J'révfiricntcur, — po^elia ; =^
prév(iriratio77, préi ar/qu(r:U\.
Prévenir, — aaki ; — liakatikca ;
— liaka rava uiuna.
Prévoir, prévoijance, — luaiiaii
oiniia, niauau raè. luaàuiuiia.
l*ricr. prière. — i)nr(', })ii]Viia ;
= fréquente : puri' purtqxitn.
]'ri)nauié, — titikaga.
Primitif, — oiuua. raè.
Pri)ice, — aiiki.
J'rineififd, — iiira iiuLini.
]'rinri/e, — tuiiiii ; == d'un
déhid : i(l.
Prise, — rava, i-avaliaga.
Prison, — liarc i^u hurilmri.
Prisonnier, — tagata duIio ki
roto 0 te liare pu hurihuri.
Privation, privé, priver, — iku,
kore, pae a too a.
Prix, — rakau.
Prohe, pro})ité, — titika.
Procédfr, — ran.
Procès, — liakarivariva.
Prochain, (suhst ), — itorokiiuo
(moderne) ; = (adjectif) : tutu,
tn])uaki.
Proclamation, proclamer, — ta-
ra, raiii.
Procurer, — avai noa, rava,
inorava.
Prodifialité, — atakai, atakai.
Prodige, — liaga niana.
Prodigue, prodiçiucr., — atakai,
— rima atakai.
Production, }iroduire, — tiipu ;
liakatupu,
J'rofancdion, profancdiur, —
hakaripoi, haka oriori.
Proférer, — ki. vanaga.
Professer, — aaki ; = profes-
seur, akoako.
Profession. — liaga.
Profit, profiter, — morava, rava.
Profond, profondeur, — lioliouii,
pariM'a ; = à pic : u])ata ; =
dormir, gugoro. l'ava moe,
ravahaka ulin.
J^rof/éniture, - [)oki. makupuiia.
J'rofirès, — riva atu.
l'roliiher, — pera, rahui.
]*roie, — ika, heaga.
Projet, — iiiauau no l'oto ; =
projeter : id.
Prolixe, — marcrc. varavara,
liatahata.
]^rolon(/(dion. prolongement, pro-
longer, — iiakaroroa, liaka
liiiiihini.
Promenade — aliei'e; = se pro-
mener : id.
Promesse, promettre, — liakaru-
riiga. liakarui-u ; = ijui ne
tient pas sa pr. reoreo.
Promontoire, — 0])ata.
]'romotion, — vae.
Prompt, — V(-veveve, lioralio-
rau.
IWomulgation, promulguer, —
tara, oliu.
Prône, — rara. vauaga, maà ki,
inaà vanaga.
Prononcer , — ki, vanaga liaka
rivariva.
Pronostic, — taku, liakatnù.
Propagation, propager, — rara.
Prophétie, — takii.
Proportion, — hakai'ite.
Projios, — titika.
Proposer, — hakatata, hakati-
kea.
Propre, — ritorito ; ^ tenir p.,
id.
Propriétaire, — mau kaiga.
Proroger, — haka liiuihiui, lia-
ka l'oroa.
Proscrire, — lioa.
232
LE MUSEOIN.
Prospère^ prospérer^ — uui, uni
a.
Prosterner^ (se), — uoi, uoi.
Prostitution, prostituer, — rake-
rake, veriveri.
Protecteur, pjrotéger, protection,
— tariipu, tarupuhaga.
Protestant, — porotetani, (mo-
derne).
Protester, — ihoiho.
Protubérance, — aliii.
Proue, — poihnihu.
Prouver, — liakatikea atu.
Provenir, — mei a, — tupu ; —
rori mai.
Proverbe, — peira ta matou.
Provision, — mau nui, kai nui.
Provisoire, — poto no.
Provocation, provoquer, — rae,
toua rae, kakai rae, tuki.
Proximité, — tata, tupuaki.
Prwience, prudent, — koro iti,
koro iti no ; = agir avec p. :
haga koro iti no.
Prunelle, — hurihuri.
Puant, puer, — pipiro, liano-
hano.
Publie, — piri mai te tagata
ananake, ki te aro o te mau
tagata ananake.
Publication, publier, — tara,
oliu.
Puce, — koura.
Pudeur, — riva.
Puéril, — taga poki, tagapoki.
Puis, — ki mûri.
Puiser, — ootu.
Puisque, — ua (ou no) te mea.
Puissance, — mana, manahaga.
Puits, — puna.
Pulmonaire, — mate keo, mate
ki te keo.
Pulsation, — ua uene, nene, =
ua gaei.
Pulvériser, — haka liuu, liaka
eof'O.
Punir, punition, — tigitigi,
tigitigiga.
Pupitre, — raga rago.
Pur, pureté, — ritorito ke.
Purgatif, purger, — rakau lialca
neiuei.
Purgatoire, — })urukat()rio.
Purification, purifier, — tata,
haka litorito.
Purulent, — megeo, mageo.
Pustule, — ifl.
Putréfaction, — pipiro.
Putréfier, putride, — id.
Quadr angulaire, — haka rava
haka turu.
Quai, — kato.
Qualité, — rivaga.
Quand, — ahea ; -= quand (adv.),
ogahea.
Quanta, — ro, kia ku a.
Quantité, — nuiga, nego ; =
petite : iti no ; = petite, insuf-
fisante : gorigori.
Quarantaine, quarante, — eha
te haga uru, eha te hagahuru.
Quarré, — voijes quadr angulaire.
Quart, — horega.
Quasi, — mai.
Quatorze, — etahi te hagahuru
maha.
Quatre, — eha.
Quatre-vingt, — evaru te liaga-
huru.
Que, iconj.), — kia.
Que, [pron.), — to, ta, = qu'est-
ce que, e aha.
Quel, — ko ai, aha.
Quelque, — na ga, u;i, ga.
Quelquefois, — varavara nu.
Quelqu'un, — tetahi.
Querelle, — toua, kakai ; =
VOCABLLAIUE DE LA LANGUE DE L ILE-DE-PAQUES.
-255
provocateur de quer. :tukitoua.
Querelleur, — tarotaro, kakai,
ma:i ton a.
Quérir, — kimikimi.
Qmstion, — ni ui ; = question-
ner : i(l.
Queue, — d'animal, — iku ; =
(le 2wisson, id. ; = de fruit,
kavei ; = d'oiseau : vaero ; ==
de cerf-volant : niaim liakare-
re ; = remuer lu, : garei ki te
vaero.
Qui, — koai.
Quille, — iniro raro.
Quinze, — etalii te haiia liuru
ma rima,
Quiproquo, — liara.
Quittance. —
Quitter, — liakarere, lioa, patu
atii ; = en colère : niagaro ;
pava.
Quoi, — alia.
Quoique, — uoa.
Rabais, — haka iti.
liahattre, — turaki, haka toi)a
kiraro,
Bahoter, — varuvanu varuvani.
Ilahoteux, — pipi-
liabouf/ri, — goriguri.
Raccommodage, raccommoder , —
liouoliouo, = kaiiiui.
Raccorder, — liakarivariva.
Raccourccir, — Iiakapoto.
Race, — poki .
Racheter, — hakaliere, lioô.
Racine. — aka ; =^ les couper :
kokoti.
Racler, — varuvaru.
Racloir, — hakaraliiralii.
Raclure, — hakarahiraliiliaga.
Raconter, — vanaga rikiriki, =
vauaga.
Radeau, — rago, = faire un :
liaga ki te rago.
Radieux, — pupiira.
Radoucir, — liaka magaro.
Rafale, — tokerau nui.
Raffermir, — hakaman, — haka
ihoilio.
Rafraîchir, rafraîchissant, ra-
fraîchissement, — ora.
Raye, — toua ke, = rager, id. ;
— kakai nuiuni ke.
Raide, raideur, raidir, — haro,
haka ihoiho, ihoiho ; kume.
Raie, — kokotihaga, — nana.
Raillerie, railler, — hakareka,
reka uo
Raisin, — nva (moderne).
Raison, raisonnable, — rivari-
va, titika, titikaga.
Raisonner, — mauan, hakariva-
riva.
Rai.<;onnfur, — jiogeha.
Rajeunir, — hakameitaki iho,
hakarivariva iho.
Râle, râler, — agnagn.
Ralentir, — koro iti, hakakoro
iti.
Ralinguer. —
Ralliement, rallier, — hakapiri,
hakahne.
Rallonge, rallonger, — hakaro-
roa .
Rallumer, (se), — vera.
Ramage, — tagi.
Ramasser, ramassis, — puke,
Ime, hakapuke, liakahne, tari,
toô.
Rame, ramer, rameur, — mata-
kao.
Rameau, — maga maga miro.
Ramener, — harimai, haka hoki
mai.
Ramollir, — haka ekaeka.
Rampant, ramper, — totoi'o.
Rançon, — hakaherega, hoko.
254
LE MUSÉON.
Banronner^ — akatari.
Rancune, — tona, kokoma liuri-
liiiri.
Rang, rangée, ranger, rangé, —
taliu^^a, hakutaliuga.
Ranimer, — liakamataù, haka-
inata toà.
Rapace, — tok(^toke, = rima
niaà toù.
Râpe, — varu ; — rctper, id.
Rapetisser, — hakaiti.
Rapide, rapidité, — horalioraii,
veveveve.
Rapiécer, — liakapiri.
Rapine, — toketoke.
Rappeler, (se), — iiiauau iho.
Rapport, rapporter, rapporteur ,
— rava, arero kounii, arcro
roroa.
Rapprocher, — liakapiri, liaka-
tupuaki, hakatata.
Rareté, — varavara; — rare, iti
110 ; = ah ! que vous êtes rare! :
garo uoa koe ; = rarement :
varavara.
Raser, — varu.
Rassasier, — makoiia ; = dé-
goûté, kavaliia.
Rassemblement, — liuega ; =
rassembler : hue, hue iio.
Rassurant , rassurer, — haka-
iiiau, hakaora.
Rat, — kioè, = rate, id.
Râteau, — heruheru ; = ratis-
ser, id.
Ratifier, — hakatitika.
Ration, — horega, horegakai.
Rattacher, — hère Jiakahou,
hakamau hakahou.
Rature, raturer, — peapea, ha-
kapeapea.
Rauque, — liaua.
Ravage, ravager, — hakamou-
mou.
Ravaler, — hakaiiieeniee, haka-
inigomigu.
Ravet. —
Ravin, — nianavai.
Ravir, — iko (voler), haruharu,
= charmer : liakamate mai,
maharo.
Raviver, — liakaora.
Rayer, rayé, — haka uaua.
Rayon, — huero, hueroero ; =
brûlant : huero veravera ; =
rayonner, — huero mai.
Réalité, réaliser, — rava, mora-
va ei mea mau.
Rebelle, rébellion, — ihoiho,
pogeha.
Rebondir, — rere haka liou mai,
— rere a ruga.
Rebord, — tatapu.
Rebrousser, — hoki.
Rebut, — toega.
Rebutant, rebuter, — pipiro ke
avai, veriveri ke.
Récapituler, — tapa, hakahou
mai.
Recel»)-, — po])o ; = receleur,
id. = hue, hakahue.
Recensement, recenser, — tapa
ki te igoa.
Récent, — hou, iho.
Récejitacle, — popo, — pikoga.
Réception, recevoir, — ragi, rata.
Recette, — hakarivariva.
Rechange, — e rua.
Réchauffer, — hakaora, liaka-
mahaua.
Rechercher, recherche, — kiuii-
kiuii, kiniikiuiiga ; ^ être à
la r. : id.
Récif, — parera.
Récipient, - hipu.
Récit, — ki, vaiiaga, =: conte :
taga poki.
Récitation, réciter, — rutu.
Réclamation, réclamer, — nonoi.
Reclus, réclusion, — paru, puru
a.
Récolte, récolter, — tari.
Recomynandation, recommander,
hatu.
Recommencer, — hakahou iho.
Récompense, récompenser, —
VOCABULAIRK DE LA LANGUE DE l'iLË-DE-PA<JUES. 235
akatari .
Réconciliation, réconcilier, —
mou a te toua, ku magaro.
Ileconcluire, — liaka tari.
Béconforter, — hakamakona.
lieconnaissant, reconnaissance,
— atakai.
Reconnaiire, — tikea, tikea
hakahou, maà ; = se rec, id.
liecourher, — liakapiko, uoi,
hakauoi ; (pour les cannes à
sucre) : papau.
Jlecourir, — tuhuti, horo.
liecours en grâce, — liaka riva-
riva.
liecouvrement, recouvrer, — ra-
va, morava.
liecouvrir, — piu'u, hakaliou.
Itécréation, récréer, — liaka
rek;i, hakareka.
liecruter, — liakatonio, haka-
uni.
Iledifié, rectifier, — haka riva-
riva ilio.
liectnm, — kokoma.
Recueil, — pupii.
Recueillir, — tari râpa, (des
bruits)^ liaka rogo.
Recuire, — tunu ilio, timu haka-
hou niai.
Reculer, — hoki.
Rédempteur, rédemption, — ha-
kahere, hakaherega.
Redoidjler, — hakapiri.
Redoutable, — matakuke, liO])o,
niataku.
Redouter, — id.
Jtedresscr, — hakatitika, haka-
tuù.
Réduire, — haka iti.
Réel, — titika.
Refaire, — haga hakahou.
Réféchir, — manau noa ; =
sans refleiion : tae nianau.
Réfléchi, — manau, vauaga titi-
ka.
J te flux, — tai ua, = refluer, id.
Réformer, — hakarivariva iho,
— hakatitika.
Refouler, — totono, totono.
Refroidir, refroidissement, —
teo, tekeo meniri, takapau.
Refuge, réfugier, — pikoga ; =
se réf. : piko ; = à la mer :
turu ki tai ; = près d'un autre:
tere ; = réfugié, id.
Refus, refuser, — tae haga, tae
tagi.
Réfuter, — hakarivariva.
Régal, — kai, = régaler, ma-
koua, kavahia.
Regard, regarder, — mata ui ;
^=^ constamment : mata pupii-
ra ; = de côté : mata haka ke
keva ; = derrière : mata haka
hiva ; = de travers : mata ke
keva ; ==^ fixement : mata po-
reko ; = ses habits par vanité:
mata tea.
Regimber, — pogeha.
Régime, — kahui.
Riégion, — kaiga, heeiiua.
Régir, — hakarivariva.
Registre, — pu[)a ta.
Règle, règlement, — liakatitika-
ga ; = règles : mamae toto ;
régler : hakatitika, hakariva.
Régner, règne, — ao, titikaga,
kia ia te ao, topa kia ia te ao.
Regret, regretter, — tagi.
Régulariser, — hakarivariva,
hakatitika.
Régulier, — titika.
Rehausser, haka ruga nui.
Reine, — tamaahine ariki.
Reiii, tua ivi ; = mal de reins :
mamae tuaivi.
Reintégrer, — hakahoki
Réitérer, — kihua, hakahou,
haka iho.
Rejeter, — hoa, hoa atu.
Rejeton, — puk(ju, pukou.
Rejoindre, — })iri, tuù, tuîi a ;
être r. : tuù à, — tupuaki.
Réjoui, — ravakata, ravakaka-
ta.
236
LE MUSÈON.
Réjouir j — hakareka, haka koa-
koa.
Réjouissance^ — hakarokareka.
Relâche, relâchement, relâcher,
hakatere, haka tere, haka ère.
Rélâché, — tere à, vevete a.
Relation, (récit), — vanaga, ki,
ta.
Réléguer, — raga, raga.
Relever, — liakapiti ; = relevé :
id. ; — hakatuù iho, hakatuù,
hakahou.
Relief, — mohai.
Relique, — ivi.
Reluire, — piipura.
Remarquable, — rivarivake.
Remarque, remarquer, — haka-
tuù.
Remède, — rakau, = remédier :
hakarivariva.
Remercier, — maoa, maoa.
Remettre, — aval, mau, hoki.
Rémission, — vevetehaga rake-
rakega.
Remords, — gogoroaa, pagaha
ki te rakerake.
Rempart, — pa.
Remplaçant , remplacer, — hauù .
Rempli, remplir, — titi, uego ;
= un vase, id.
Remporter, — hapai, hoki haka-
hou.
Remuement, remuer, se remuer,
gaiei, pakuku, makenukenu.
Rémunération, rémunérer, —
akatariga, akatari.
Renaître, — poreko hakahou,
poreko iho.
Rencontre, rencontrer, — tupu-
aki, piri, tutuki ; = faire
rencontrer : hakapiri.
Rendez-vous, — koonà hakatiti-
ka.
Rendre, — haka hoki ; = rendu:
hakahoki a.
Renfermer, — puru ; = renfer-
mé : puru a.
Rengainer j — hahao.
Rengorger, se rengorger, — miui.
Reniement, renier, — ' reoreo,
hakareoreo.
Renom, renommée, — maori.
Renoncer, — tae toô, tae tagi,
tae haga.
Renouveler, — hakahou, haga-
iho, haga hakahou.
Renseignement, — hakatikea
haga ; — hakatitikaga mai.
Rentrer, — uru hakahou, uni
iho.
Renversement, renverser, — hu-
ri, hakahuri ; = renversement
de gouvernement : tute, tutega
ote ao ; = sur la face : vero.
Renvoi, renvoyer, — hakahaki,
tute.
Repaire, — pigoa.
Répandre, — hakaperigi, haka-
uiarere ; = un bruit : rara,
vauaga.
Reparaître, — pukou uiai, tikea
hakahou uiai (iho).
Réparateur , réparation , — haka-
rivariva, — hakarivariva iho,
hakaliou.
Répartir, répartition, — tahuga,
tuha.
Repas, — kai.
Repasser, — horo.
Repentant, repentir, — uiauava
pohi ; = se rep., id.
Répercuter, — morava.
Répéter, — ki iho, ki hakahou,
ki hua.
Replanter, — tanu iho, tanu ha-
kahou.
Repli, replier, — haatu, hamoui,
Ivero.
Réplique, répliquer, réponse, —
ki, vanaga mai ; = répondre,
id.
Reporter, — hakahoki, hapai
hakahou a.
Repos, reposer, se reposer, —
ora, hakaora.
Repoussant, — \Apiro,=(mets),
VOCABULAIRE DE LA LANGUE DE l'iLE-DE-PAQUES. 237
kava bia ; = repousser : haka-
tono.
Bépréhension, reprendre, — ka-
kai, toua kakai, = haleine :
ora.
BeprésaiUe, — hakahere.
Représentant^ — riinu, runu.
Représentation, représenter, —
haga, aite.
Répression, réprimer, — tigai,
titigi, tigi.
Réprimander, réprimande, —
kakai, tigi.
Reprise, — haga liakahou, haga
iho.
Réprobation, réprouver, — tute,
hoa.
Reproche, reprocher, — taro
taro, kakai.
Repu, — makona.
Répudier, — hoa, hakarere.
Répugnaïice, répugner, — paga-
ha, eete.
Répulsion, — haka kavahia, rua.
Réputation, — maori.
Requérir, — ragi.
Requin, — mogo.
Réserver^ — hakarere, haka-
moe.
Résider, — uoho.
Résidu, — toega.
Résigné, — reo kore.
Résignation, — mou te reo.
Résine, — ■ pau.
Résistance, résister, — ihoilio,
pogeha mai.
Résolu, — haga, mauau ihoiho,
mau.
Résolution, résoudre, — haka-
rivariva.
Résonnant, résonnement, réson-
ner, — kiiikiu, kiukiumai ;
= faire r. : hakatagi, tagi.
Respect, respecter, — roau.
Respectable, — hakaaroha.
Respiration, respirer, — aguagu ;
== courte : aguagu poto ; =
essoufflée : gaegae ; = d'un
moribond : aguagu.
Resplendissant, resplendir, —
raparapa, pupura, maoha.
Responsable, responsabilité, —
tiaki.
Ressemblance, ressemblant, res-
sembler, — etalii hakarite,
ariga hakarite.
Ressentiment, ressentir, — ko-
koma hurihuri.
Resserré, resserrer, — hakapoto-
poto.
Ressort, — tutu.
Ressource, — rakau ; = sans r. ,
rakau kore.
Ressusciter, — ora iho, ora ha-
kahou.
Restauration, — hakarivariva,
haka mau iho , = santé : riva,
riva no ; = restaurer : id,
riva a.
Reste, — toega, = pourrissant :
para ; ^= de provisions : toega.
Rester, — tae, = rester, habiter:
noho ; == attendre : tatari ; =
être de reste : nui ; = fixé,
titi ; = en arrière : noho no,
noho niui'i.
Restituer, — hakahoki.
Restreindre, — hakaiti.
Résulter, — mei ra, rori mai,
topa mai.
Résurrection, — ora hakahou.
Rétablir, rétablissement, — ha-
katuù iho, hakatuù hakahou.
Retard, — haka hinihiui ; =
retarder, id.
Retenir, retenue, — mau, haka-
mau, = retenu, mau a.
Rétention, — tae mimi.
Retentir, retentissant, retenti, —
kikiù, kiukiu.
Retirer, — kumu, toô, = se
retirer, — oho, tere ; = s'' exu-
ser : piko, piko ; les uns après
les autres : piko etahi, piko
e tahi ; = vers la terre : noi.
Retomber, — topa iho, higa iho.
-258
LE MUSEON,
Rétorquer. —
Hetour, retourner, — hoki, =
s'en rat., id. ; = 5e ret. , hariii,
hiiri, huri.
Retracer, — ta, hakarivariva.
Retraite, — pikoga ; = hattre en
r. : tere, piko ; = changer de
r. : noho ke.
Retrancher, — iko, hakaiti.
Rétrécir, — hakaiti ; = rétréci,
iti a.
Rétribuer, rétribution, — aka-
tari, akatariga.
Rétrograder , — hoki a niuri.
Jietrousser, — hakapiti.
Retrouver, — rava, inorava ilio ;
= se retr., piri.
Réunion, réunir, — hue, i)iri,
puke, = pupu puke, pour les
ignames à butter.
Réussir, — rava, niaà.
Revanche, — hakaliere.
Rêve, — moemoea ; = donne
des r. i(l, rêver, id.
Revêche, — pogeha.
Réveil, réveiller, — ara, veve
ara.
Révélation, — hahuinuhumu
Etua ; = révéler, aaki.
Revenant, — akiiaku.
Revenir, — hoki m ai ; faire rev.,
hakahoki,
Révérer, — hakaaroha.
Revêtir, — puô, uru.
Rêveur, rêverie, — vanaga riki-
riki.
Revivre, — ora hakahoii, ora iho.
Révolte, révolter, (se), — tona,
ihoiho ke.
Révolution, — toua.
Révoquer, révocation, — haka-
hoki.
Revue, — rarama.
Rhumatisme, — reherehe.
Rhume, — tugu, kokogo.
Riche, — rakau nui = richesse,
rakau.
Jî'tde^ — migomigo, = rider :
haka migomigo.
Rideau, — kahu.
Ridicule, ridiculiser, — haka-
meeniee, hakamigomigo.
Rien, — ina, kore no.
Rigide, rigidité, — tarotaro,
ihoiho.
Rigoureux, rigueur, — id., ma-
tau.
Rincer^ — tata.
Rire, ris, riant, rieur, — kata,
hiihii, == mépris : hakamee-
niee, -= bruyant : pogeha no.
Ris, (marine), — prendre un r.,
huliu.
Rivage, — taliataha tai, tahatai.
Rival, rivaliser, — haka tautau.
Rive, — tatapa.
River — haka ihoiho.
Rivière, — manavai, manavai.
Piixe, — kakai.
Ris, — ri.
Robe, — ropa.
Robuste, — puti, ihoiho.
jRoc, — niotu.
Rocailleux, — takarua.
Roche, rocher, — maea, motu ;
= à pic: opata ; = sous Veau:
toka ; = très escarpé : opata ;
= creux : motu ava ; = plein
de rochers : taratara.
Rôder, — ahere no.
Rognon, — mokoi mokoi.
Roi, — ariki ; = faire roi : ha-
ka ariki,
Roideur, roidir, roide, — haro,
haka ihoiho.
Romain, Rome, — roma.
Rompre, — motu, more.
Rond, — viriviri, takataka ;
rendre rond : haka viriviri.
Rondement, — horahorau.
Ronfler, — gogoro.
Ronger, — naginagi.
Rosée, — hau,
Piot, roter, — kerereki.
Rôti, rôtir, — pakapaka, haka-
pakapaka.
VOCABULAIRE DE LA LANGUE DE l'iLE-DE-PAQUES. 239
Rotule, — turi.
Roucouler, — kuku.
Roue, — taka, takataka.
Rouge, rougeâtre, — meamea,
uuii, egaega.
Rougir, — liakama, = faire r.,
liakakurakura.
Rouiller, — toto ; = rouille,
toto.
Rouleau, — viriviri.
Rouler, — hakaviriviri, — ha-
kateitei ; = Vun sur Vautre :
mimiro ; = en cercle : takata-
ka.
Roulis, — huliuri.
Route, — ara ; = directe : ara-
titika.
Rouvrir, — mataki iho, mataki
hakaliou.
Roux, — taka.
Royaume, — kaiga, ao ariki.
Ruban, — kaliu.
Rubicond, — meamea.
Rudesse, rude, — taratara, ke-
keè, — tarotaro ; = en par-
lant des saisons : tekeo.
Rudiments, — tumu.
Rîie, — arahare.
Ruer, — avava ; = se ruer : to-
uotouo, hakatono.
Rugosité, — pukui)uku.
Ruine, — toparia, toparia ; =
ruiné : mou no.
Ruisseaîi, — mauavai.
Ruml), — matagi.
Rumeur, — vanaga.
Ruminer, — namunamu, uamu
uamu.
Rupture, — liati, motu.
Ruse, rusé, — maori ke, maori-
ke.
Rusticité rustique, — mataù.
Sa, — to, etc. (voir diction, ta-
hitien).
Sabbat, — tameti.
Sable, — oone.
Sablière, — liahaga.
Sablonneux, — ooue oone.
Sac, — keete ; = faire un sac,
raraga, liiri.
Saccager, — moumoii, hakamou,
hakaripoi.
Sacerdoce, — ivi Etua.
Sachet, — keete iti.
Sacré, — tapii ; = sacrer : ba-
katapu, = sacré : tapu a.
Sacrement, — takarameta,
/Sacrificateur, — ivi etua.
Sacrifice, — tahaga, tahaga, ta.
Sacrifier, — ta, tigai.
Sacrilège, — hieroturia.
Sagace, sagacité, — maori.
Sage, sagesse, — maori.
Sage-femme, — vie hanau.
Saignée, saigner, — toto, haka-
tehe ki te toto.
/Saillant, — tikea a mai ; =
saillie : nivaniva.
Saillir, jaillir, — tehe, pupulii.
Sain, — ora.
/Saint, sainteté, — peata.
Saint-Esprit, - kuliane Iiiva.
Saisi, — gita.
Saisir, — aruaru ; = des vivres :
iko, kori.
Saison, — tau.
Salaire, salarier, — akatariga,
akatari.
Sale, saleté, — oone ; ^ sale-
ment : tae riva.
Salé, — paatai ; = saumàtre :
kavakava ; = saler : liirohi-
ro ei paatai.
Salir, — hakaooue, oone.
Salive, — aauu ; = saliver, id.
Salle, salon, — râpe luire, ho-
rega hare.
Salubre, salubrité, — baliau, lia-
15
240
LE Ml'SÉON.
kaora.
Saluer^ salut, — hakaaroha.
Salutaire, — hakaora.
Salve, — pupuhi heeuua.
Samedi, — tameti.
Sanctifiant, sanctifier, — haka-
tapu, hakaora.
Sanctionner, — hakatitika.
/Sanctuaire, — koonatapu ; koo-
na viku.
Sang, — toto, = coagulé : toto
kekeho, toto pakapaka ; =
sanglant : toto.
Sangle, — pena ; = sangler :
haka ihoiho ki te pena.
Sanglot, sangloter, — ekieki.
Sanguin, — toto, ariga toto,
ariga nieaniea ; = sangui-
naire : bakatehe toto.
Sans, — kore, tae.
Santé, — ora.
Sapeur, saper, — haka toparia.
Sarcasme, — haka inee, haka
migomigo.
Sarcler, — verevere, oi, huhuti.
Satan, — tatane.
Satiété, — makona.
Satisfaction, satisfaire, — iiiau,
riva, = joie : koakoa.
Saturer, — hirohiro.
Sauce, — vai.
Sauf, (adj.) — ora ; = sauf,
(prép.) inea ke.
Saumâtre, — taitai, kavakava,
niegeo.
Saut, sauter, — keetu ; — huri ;
= de joie : hakareka ; = sur
un pied : tekiteki ; = de haut
dans Veau : ruku.
Sauter, {omettre), — hakarere.
Sautiller, — tekiteki.
Sauvage, — niauua.
Sauvegarder, — tarupu.
Sauver, — haka ora ; = se sau-
ver : tere.
Sauveur, — hakaora.
Savoir, — maà, tikea.
Savon ^ — pua, tope, = savon-
ner : tata.
Scabreux, — mataku ke.
Scandale, scandaleux, scandali-
ser, — hakarakerake.
Sceau, sceller, — hakatuù.
Scélérat, — tagata l'akerake nu-
nui ke.
Sceptre, — eua.
Schisme, — kimatiko, (moderne).
Sciage, scie, scier, — kokoti,
hiahia.
Science, — tikeahaga, maori.
Scintillement, scintiller, — nini-
nini ; = des yeux : parei.
Sciure, — huhumiro, — hiihu
miro.
Scribe, — tagata maà ta.
Scrofule, scrofuleux, — arakea
gao, = gao pukupiiku.
Scrupule, — mataku no, mataku
verega kore.
Sculpter, sculpteur, — tarai,
tagata tarai.
Se, — kia ia.
Séance, — noho.
Seau, — pakete.
Sec, — pakapaka ; = sécheresse,
id. ; = sécher : haka pakapa-
ka.
Second, — karua, e rua, = 5e-
condement..., ka rua.
Secouer, secousse, — ruru, tutu.
Secourir, secours, — tarupu, ta-
rupu haga.
Secret, — ki haka naà. — vana-
ga haka naà ; = qui le trahit :
aaki, aaki no mai ; =: en se-
cret : naà, koro iti.
Secrétaire, — ta ki, ta vanaga.
Secte, — horega ; = section, id.
Sécurité, — e ko mataku, mei-
taki, piko ; = fausse s., piko
i^eoreo.
Sédentaire, — noho no.
Séditieux, sédition, — tuki rake-
rake, tuki toua ; = exciter, id.
Séduction, séduire, — id.
Séduisant^ — rivariva uoa.
VOCABULAIRE DE L\ LANGUE DE L ILE-DE-PAQUES.
241
Seigneur, — ariki nui,
Sein, — uma.
Seing, — hakatuù ta.
Seize, — etahi haga iiru ma ono.
Séjour, — noho, = séjourner,
id.
Sel, — paatai.
Selle, — pepe ; = aller à la s.,
neinei.
Seller, — luaii pepe, hère pepe.
Selon, — kia.
Semaine, — Toiniuika.
Semblable, — etahi hakarite ;
= sembler, id.
Semence, semer, — tanu, tauu-
haga, tanuga ; = semeur : ta-
gata tauu kai.
Semonce, semoncer, — kakai,
toua kakai.
Sempiternel, — etereno.
Sens, — nioo ki (signification) ,
= faculté de perception : lua-
nau ; = avoir les sens obscur-
cis : mauava vai ; = mettre
sens dessus dessous : rori ; lia-
kataha.
Sensation, — veveri, veveri ; =
agréable : veveri meitaki ; =
désagréable : veveri rakerake.
Sensé, — maori, marama, ma-
uava maramarama.
Sensibilité, sensible, — mataku ;
= au froid : mataku ki te te-
keo.
Sensualité, sensuel, — kai nui.
Sentence, — rara.
Senteur, — eo.
Sentier, — ara ; = parmi les
rocs : takurua, opata.
Sentiment, — manau.
Sentine, — koona neinei.
Sentinelle, — tagata tiaki, taga-
ta ara.
» Sentir, {exhaler une odeur) —
hogi ; = mauvais : pipiro.
Sentir, {percevoir) — tikea, ti-
kea.
Séparation, séparer^ — vavae ;
= se s. : taha ke.
Sept, — ehitu.
Sépulcre, sépulture, — tanuha-
ga, rua.
Serein, sérénité, — marie, marie.
Série, — avai varavara.
Sérieux, — haka nenehu.
Seringue, — pupulii vai, pupuhi
eve.
Sermonner, sermon, — hakari-
variva, haka maà.
Serpent, — teperanate.
Serpette, — hoe pikopiko.
Serre, — akikuhu.
Serrer, — mau, mau ihoiho,
hère, haro.
Serrure, — taviri.
Serviable, — apitahi.
Serviette, — kahukai.
Servile, — kio.
Servir, — kio, tariga hakarogo,
apitahi ; = sp s., toô. = se
servir le premier : toô raè ; =
qui reste à servir après les
autres : tuha mûri ; == service,
bon office : tarupu.
Serviteur, — kio, = servitude,
id.
Session, — iiakarere.
Seuil, — pae.
Seul, — okotalii, e talii ; = être
seul : okotahi no ; = c'est tout :
mouga.
Sève, — vai.
Sévérité, sévère, — taro taro.
Sévir, — tigitigi.
Sexe, — hakarite ta m a roa, ha-
karite tama ahine, tamaroa,
iiha.
Si, (conj.) — ana, koro.
Siège, siéger, — nohoga, noho.
Sien, — no ia, na ana, — taua.
Sifflement, siffler, — hia ; = de
fcdigue, hoe ; = siffl. de l'air,
lui, tokerau.
Sifflet, — hurahura, hura.
Signal, — hakatuu ; = faire
signe, tuhi ; = de la main :
24-2
LE iMLSÉON.
tuhi ; = des yeux : iiiineniine ;
= en secret : tuhi hakanaà.
Signature, signer^ — ta igoa.
Signification^ signifier, — mo Ici.
Silence, — mou, mou noa ; =
réduit au s., mou uo.
Silex, — mata.
Sillage, sillonner, — keri, tiaki.
Similitude, — liakaritega, peira
hoki.
Simple (plante niéd.), reoreo
mai.
Simple, simplicité, — mauava
vai, = adj., tahi ; = dupe :
nivaniva.
Simplifier, — liakarivariva.
Simulacre, — hakatuu reoreo.
Simuler, — kakarite.
Simultané, — etahi etahi.
Sincère, sincérité, — titika, titi-
ka uoa.
Singe, singer, singerie, — liaka-
ponoko.
Singularité, singulier, — haka-
rite ke.
Sinistre, — mataku ke.
Sinon, — e ko.
Sinuosité, — piko mai piko atu.
Situation, — nolio ; ^= situé, id. ;
= situer : aiua ra.
Six, — 6 ono.
Sobre, — kai no iti.
Sobriquet, — igoa tae ri va ri va.
Sociable, — magaro.
Société, — huega.
Sodomie, — piri, piri mai piri
atu, — gatu mai gatu atu.
Sœur, — teina, tuakaua tama
aliine.
Soi, — ko ia a.
Soif, — mate vai.
Soigner, — hakarivariva.
Soin, soigneux, — tiaki rivariva,
liakariva ; = avec soin : koro
iti.
Soir, — ahiahi.
Soit, — mao, maomao.
Soixante, — e ono te hagaburu.
Sol, — hunua, kaiga.
Solaire, — raà.
Soldat, — mata toa,
Solde, — àkatariga.
Soleil, — raà, = coup de s.,
mate raà ; = moitié couché :
garo raà.
Solennel, solenniser, solennité,
— gogoro.
Solide, solidité, solidifier, — iho
iho, haka ihoiho, =peu solide:
gaiei.
Solitaire, solitude, — topa oko-
taiii, topa tahi.
Solive, soliveau, — oka ; = les
placer : hakatutu.
Sollicitation, solliciter, — tuki.
Sollicitude, — gogoroaà.
Solo, — reo tahi.
Solution, — mouga.
Sombre, — marumaru, kohuko-
hu.
Sombrer, — emu, garo.
Sommaire, — poto, hakapoto.
Sommation, — ragi ; = sommer,
id.
Somme, (subst. fém.), — nego.
Somme, sommeil, sommeiller, —
nioe, auru, (mata uera, mata
neranera, = sommeil léger);
= profond : gogoro, = plein
d'anxiété : moe gogoroaà ; =
surpris par le s. : auru.
Sommet, — viriviri, = sommet
de la tête : tupuraki, tua mou-
ga ; = pousse : pipi-
Somnambule, — moe ahere po.
Somptuosité, — nuiga.
Son, (subst.), — kiri haraoa ;
= son de cloche : tagi kiukiu,
= de la mer : poko ; = de Veau :
mata mata, ika, tarai.
Son, (adj.), — tona, etc. (V. dict.
tahitien).
Sonder, — un terrain : keri ; =
quelqu'un : tulci ; = la mer :
haka turu.
Songe, — moe moea ; = songer,
VOCABULAIRK DE LA LANGUE DE L*ILE-DE-PAQUES. 243
id. manau.
Sonner, — haka kiukiu, haka-
tagi.
Sonnette, — kiukiu rikiriki.
Sonore, — kiukiu.
Sorcellerie, sorcier, — haka ni-
vaniva, tagata haka nivauiva ;
= être s., — tagata maà, ta-
gata taku.
Sordide, — rakerake, veriveri.
Sort, — tirer au sort : = ma-
mahi.
Sorte, — hakarite.
Sortir, — ea, tere.
Sot, sottise, — nivaniva.
Souche, — tumu.
Soucier (se), — nianau ; = souci,
gogoroaà,
Soudain, — horahorau ; = jjour
tout.
Souder, soudure, — hakapiri.
Souffle, — aguagu.
Souffler, — puhi, pupuhi ; = le
vent : hu.
Soufflet, — ava ava.
Souffrance, — mamae, mate
mate, gogoroaà ; = supporter
les s. : reo kore.
Soufre.
Souhait, souhaiter. — tagi ; =
du mal, tagi rakerake.
Souillé, souiller, — ooue, haka
oone, = de crimes, rakerake
ke, rakerake ke avai.
Souillure, — oone, oone rake-
rake.
Soûl, soûler, — rnakona.
Soulagement, soulager, — liaka-
ora, hakamaàniaà.
Soulever, — keetu, hapai ; =
ses., uiaroa.
Soulier, — kiri vae.
Soumettre, — hakahiga, haka-
toi)a ki raro.
Soumis, — tariga, hakarogo.
Soupçon, soupçonner, soupron-
neur, — tuhi, tuhi tahaga no
mai.
Souper, — kai ahiahi.
Soupir, soupirer, — aguagu.
Souple, souplesse, — tohuti no.
Source, — tumu, puna.
Sourcil, — hihi, hihi.
Sourd, — tariga pogeha ; =
faire le..., id.
Sourd, (sorte de lézard). — moko.
Sourire, — kakata, kata ; =
trompeur : kakata reoreo.
Souris, — kioe.
Sournois, — ariga topa, = aller
en... id.
Sous, — ki raro ; =- sous le vent,
raro.
Souscrire, — hakatitika, =
soussigner, taki te igoa a raro.
Soustraction, soustraire, — iko.
Soutenir, soutien, — tarupu, ta-
rupu haga.
Souvenir, — te manau noa ; =
raiipeler le s. : manau iho.
Souvent, — putuputu ; = faire
s., hakaputuputu.
Souverain, — ariki.
Spacieux, — hatahata.
Spasme, ahuahu.
Spécial, — ke, keke.
Spécieux, — hakareoreo.
Spéculer, — kiraikimi ei moni
Sphère, sphérique. — takataka.
Spirale, en spirale, — ure ure.
Spiritualité, spirituel, — kuha-
ne, akuaku.
Spiritueux, — megeo, kavakava.
Splendeur, splendide, — pupura
haga, pupura.
Spoliation, spolier, — iko, toke-
toke, toketoke.
Spongieux, — iriga pea,
Spontanément, — no mai.
Squameux, — nako.
Squelette, — ivi tupapaku.
Stabilité, stable, — noho no,
mau no ; = rendre st., haka
nuiu.
Station, — hakaora.
Statue, — mohai.
244
LE MUSÉON.
Statuer, — hakatitika, ragi.
Stature, — ariga.
Stérile, stérilité, — paà.
Stimuler, — tuki.
Stipulrr, — hakarivariva.
Stratagème, — haka ke.
Strict, — nego, titi.
Studieux, — luanava tagi ki te
lieguigui.
Stupéfait, — 111011 no, veveri,
hakanivauiva.
Stupide, stupidité, — nivaniva.
Suaire, — viriviri.
Suave, suavité, — inagaro, rulii-
rulii, iieiienene.
Subdivision, — horega no iti.
Subir, — kai.
Subit, — horalioi'au.
Subjuguer, — liakahiga.
Sublime, — rivariva ke.
Suhmerger, — garo, bakaenm,
hakaruku.
Subordination, — hakarogo.
Suborner, — liakaliere.
Subsistance, subsister, — oraga,
ora.
Substantiel , — liakamakona.
Substantif, — igoa.
Substituer, substitut, — haka-
noho, runii.
Subtif, — ravatere.
Subvenir, — tariipu.
Succéder, — peke mai.
Succulent, — nilii, noma, noma
ke.
Sucer, — miti.
Sucre, — vai toa ; = sucrer,
hiro ei vai toa.
Sud, — tokerau, iita, tokerau
tai.
Suer, sueur, — pahia.
Suffire, suffisant, — nego, titi.
Suffocation, suffocant, — liana,
niahana ke.
Suicider (se), suicide, — liaka-
mate, tigai.
Si.iie, — pupugarau alii.
Suif, — nako.
Suintement, suinter, — niaà-
inaà, nininini.
Suite. — maigo, ma, a ; = £?e
suite : igeneira, liorahorau.
Suivre, — roritekoa, aliere, no-
muri ; = à /a trace : rorite-
koa hogihogi.
Sujet, — tuuiu.
Superbe, — tea.
Supercherie, — reoreo.
Superficie, — ariga, kiri.
Superficiel, — no iti, tae mau ;
= paroles sup., gutu no.
Superflu, super fluité, — toega,
topa tahaga.
Supérieur, supériorité, — kiru-
ga, kiruga nui.
Superstition.
Supplanter, — tute, hoa.
Suppléer, — haka nego, haka
titi.
Supplément, — toega, horega
no iti hakapiri.
Suppliant, supplier, supplica-
tion, — ragi, pm-e.
Supplice, supplicier, — tigitigi-
ga, tigitigi.
Support, supporter, — tarii]ni,
hakamau, haka ihoiho, =
patiemment : mou no, reo kore,
mou no.
Supposition, sujjposer, — manau
no, manau tahaga.
Suppression, supprimer, — hoa,
haka kore, moumou no, ha-
ka moumou.
Suppuration, suppurer, — gatu.
Supputation, supputer, — ta]i)a,
ta tapa.
Suprématie, — titikaga.
Suprême, — kiruga nui.
Sur, (prép.), — ki ruga.
Sûr, (adj.), — mau noa, ihoiho.
Surabonder, — nui tahaga.
Surcharger, — hakapagaha ; =
d'ouvrage, haga nuiuui ke.
Surcroît, — toega.
Surdité, — tariga pogeha.
VOCABULAIRE DE LA LANGUE DE L ILE-DE-PAQUES.
245
Sûrement, — inau ; = sûreté,
id., = mettre en sûreté, popo.
Surface, — koruga ; ^^ de la
mer, rerarera.
Surgir, — niûinini mai, puhi
mai.
Surhumain, surnaturel, — ku-
hane, rima etua.
Surnager, — raga.
Surnom, — igoa topa ; == sur-
nommer, nape iho.
Surpasser, surpassé, — piki a
ruga, haka li;ika liiga — toi)a
ki raro, = surpassé : higa.
Surplomber. —
Surprendre, surpris, — haka-
rehu.
Surtout, — omua.
Surveillance, surveiller, — tiaki,
mata ui.
Survenir, — topa iho, turu iho.
Survivre, — ora.
Sus, (interj.).
Sus, fprép.), — ma ; = en sus,
ki hua.
Susceptibilité, susceptible, —
mauava eete ki te mau mea
ananake, = la soulever : ko-
koma haka hanoiiano mai.
Susciter, — hakatupu.
Suspect, suspecter, — manau uo.
Suspendre, — rêva, tau.
Sustenter, — agai.
Svelte, — iti iti, -^^ et (jrand,
reherehe.
Symbole, — hakatuu.
Sympathie, — ragi, mahani.
Symptôme, — akatuu.
Synonyme, — etahi hakarere.
Système, — peira ta ii.
Tabac, — avaava.
Tabernacle, — taperenakuro.
Table, — hâta.
Tableau, — ata.
Tabouret, — rago, uoho pepe.
Tacher, tache, — oone, guregu-
re, = marque : hakatuu a.
Tâche, tâcher, — haga ; = tâ-
cher : e ihoilio.
Tacheter, — horehore, purepure.
Taciturne, — mou, mou uoa, —
mou no.
Tact, — maà.
Taillant, — kaikai.
Taille, — akari, roaroa, teitei.
Tailler, — iiore, horehore, ko-
koti ; = tailleur : tagata maà
kokoti.
Taillis, — kooua manimai'u.
Taire, — mou, = faire taire,
haka mou.
Talent, — maori, rakau.
Taletiére (! !) — toga.
Jalon, — reke.
Tambour, — pahu, hura ; =
tambouriner : puopuo, e ruru-
ruru.
Tamiser, — ruru, ruru.
Tampon, tamponner, — oka.
Tandis que, — mai.
Tangage, tanguer, — hakaturu-
turu.
Tanguin, — rêva.
Tanière, — pigoa.
Tant, tant que, — mai.
Tante, — matua tamaahine ke-
ke.
Tantôt, (bientôt), — aneira ; =
tantôt (passé) : oga neira.
Tapage, tapager, — pogeha.
Taper, — avaava.
Tapis, — kahuvae, = eei'iki.
Taquiner, taquin, — liakamee-
mee.
Tard, — po, = plus tard, aaei-
ra.
Tarder, — haka hinihini ; =
tardif, id.
246
LE MUSÉON.
Tarière^ — hou,
Tarir, — miti, mama.
Tartre. —
Tas, — 1 liLiega ; = de terre :
puke.
Tasse, — hipuhiva.
Tâter, tâtonner, — haha.
Tatouage, tatouer, — ta ; = «
la figure : mata pea ; = aux
pieds : humu ; = aujp mains :
rima, piriu koua ; = au dos :
purariki ; tuaha igoigo ; = àla
tête : retu ; = aux lèvres : gutu
tika ; = aux oreilles : pagaha ;
= au menton : umiumi, umi
iimi.
Taureau, — toro.
Taxe, taxer, taux, — hakatiti-
kaga.
Technique, — vanaga, titika.
Teigne, — megeo.
Teindre, teinture, teinturier, —
pua, horeliore, tagata pua.
Tel, — peira ; = un tel, ko mea,
ko mee.
Téméraire, témérité, — mataù,
mataîi nivaniva.
Témoignage, témoigner, — mata
tikea.
Tempe, — hagu.
Tempérance, tempérant, — kai
no iti.
Tempérer, — haka magaro, ha-
ka iti.
Tempête, — inatagi, = bu,
kokoma hanohano.
Temple, — liare pure.
Temporaire, — arovanei.
Temps, — tokerau, = temps
paisible, marie.
Tenace, — ihoiho.
Tenaille, — niho.
Tenailler, — horehore.
Tendon, — ua.
Tetidre, (verbe), — haro, haka
ihoiho, haka hatahata.
Tendresse, tendre, — ekaeka.
lénèbres, ténébreux, — po haha.
po hurihuri.
Tenir, — mau, maoa.
Tenon, — hore, = le mettre en sa
mortaise : hakahuru.
Tentacule.
Tentateur, tentation, tenter, —
tuki.
Tentative, — akoako.
Tente, — hare kahu.
Tenue, — de bonne t. — tuu titi-
ka.
Tergiverser, — liakanivaniva.
Terme, — mouga.
Terminaison, terminer, — liaka-
pae, haka moumouga ] = àla
hâte, — hakapae horahorau.
Terrain, — kaiga, heeuua ; =
Terre, id., = ctdtivée : kaiga
rapurapu a.
Terreur, terrible, — mataku,
mataku ke.
Terrifier, terrifié, — haka mata-
ku, mataku a.
Territoire, — heeuua kaiga.
Testament, — hakarivariva pa-
paku.
Tête, — puoko, roho ; = couvrir
la t., puru ki te puoko ; =
baisser la tête : ariga topa ; =
secouer la t. : nene ki te puoko ;
= en signe d'opposition : tae
haga ; = mal de t., puoko ga-
ruru ; = tête ornée de..., haû-
vaero.
Téter, — omoomo ; = tétln,
téton : mata u.
Têtu, — pogeha.
Thé, — ti.
Théâtre, — rago.
Tiède, tiédeur, — vera iti iti no,
mabaua uo iti.
Tien, — to koe, ta koe, ma;iua.
Tige, — huri ; = t. de canne à
sucre : pipi ; = dti bols : pipi.
Timide, timidité, — uuvtaku,
hakauui.
Timonier, — hakatere.
Tintement, tinter, — huhu.
VOCABULAIRE DE LA LANGUE DE L ILE-DE-PAQUES.
247
Tirailler, {se), — totoi, ono ; =
se t. : tono mai tono atii.
Tirer, — kuine ; = arracher :
oi ; = retrancher : hoa ; = en
haut : kume a ruga, kiruga ; =
peu à peu : kuiiie koro iti.
Tiroir, — paliu oka.
Tison, — miro ahi, ehu ; =
agité la nuit en signal : ahi
iiakagaiei.
Tisser, tisserand, — liagakahu,
tagata hagakahu.
Titre, — hakatitikaira.
Toi, — koe.
Toile, — kahii ; = d'araignée :
kiipega uanai.
Toilette, — liakarivariva ki te
kahu, rakai ki te kalm.
2oit, toiture, — liakamaga ; =
sa pente : liaku magaturu.
Tolérer, — liaga.
Tomhf, tombeau, — rua papaku,
— tauuga i)apaa.
Tomber, — topa, higa, viri ; =
la tête la première : topa nilii ;
= sous la charge : higa ki te
uraga, amoga ; = en défail-
lance : gaga ; = d'une hauteur,
de la mer : viri ; = du mal
caduc : gita ; = L goûte à
goûte : iiiiiiiiini ; = menu :
niihiniihi ; = dru • topa, higa
oko ; = faire t^ : hakatopa,
etc. etc.
Tombereau, — })otaka.
Ton, — ton, to koe, ctc.,(v. dict.
tahit.).
Tondre, — varu, varuvaru.
Tonneau, — paliii viriviri.
Tonner, tonnerre, — atutive.
Torche, — tuù ahi.
Torchoir, — horoi, pua.
Tordre, — liiro, = se t., viri,
viriviri.
Toron, — taiira, taiii'a.
Torréfier. —
Torrent, — niaiiavai.
Tort, — rakerake, liara.
Tortue, — honu.
Tortueux, — piko, hipa, niko-
uiko.
Torturer, — hakapagaha, tigi-
tigi.
Totalité, total, — pae ro.
Touchant, — no.
Toucher, — toù, gaatu ; = légè-
rement: toô koro iti.
Touffu, — niatoru, pegopego.
Toujours — e ko mou, — ina
kai mou.
Toupie, — niu.
Tour, — viri, liakaviri ; =f.le
tour : viri takapau.
Tourbillon, tourbillonner, — ohi-
ohio.
Tourlourou, — tupa.
Tourmente, — gogoroaà.
Tourmenter , tourment, — haka-
pagaha.
Tournant, — viriga ; = tourner:
viri ; = tordre : hiro ; = une
manivelle : taviri ; = sur un
autre côté : hakataha ; = une
roue : hakaviri ; = convertir :
hakarivariva ; = faire face :
hariu ; = en cercle : niimiro ;
= être tourné sur un autre
côté: huri •, = t.le canoi : hariu.
tahuri ; = se tourner : hariu.
Tournoyer, — viriviri.
Tournure, — liakarite ; = mau-
vaise : ariga rakerake.
Tourterelle, — kuku, kuku.
Tout. — pae ro, anauake ; =
c'est tout : luouga.
Tout à coup, — iiorahorau.
Tout à llieure, — poto no, anei-
ra.
Toutefois, — ro.
Tout-puissant , — mauanoa ; =
toute puissance : numaliaga.
Toux, tousser, — kokogo, tugu.
Tracas, tracasser, tracasserie, —
pogeha ; = fracassier : tagata
pogeha.
Trace des pieds, — pokopoko
248
LE MUSÉON.
vae.
Tracer, — hakatuù.
Tradition, — haka aara.
Traducteur, — tagata hakariva-
riva, = traduction, traduire,
hakarivariva.
Trafic, trafiquer, — liakahere
hoko.
Trahir, trahison, traître, — ha-
ka reoreo, hakareoreo, mata
e rua, tagata piri a, tagata
hakaaroha reoreo.
Traîner, — totoi, kume, = se
t. : totoro.
Traire, — tatau.
Trait, — rona ; == flèche : veo,
uki.
Traité, — ta bakatitika.
Traitement, traiter ; = Ion trai-
tement : ragi ; = mauvais tr. :
hakapagalia.
Trajet, — hiriga.
Trame, tramer, — vauaga haka
naà.
Tranchant, — mata, kai.
Trancher, — kokoti, hore, houi-
honi.
Tranquille, — reo kore, mou uo.
Tranquilliser, — haka magaro ;
= paix, pava ; =^ faire la
paix : hakapava.
Transcrire, — ta e rua.
Transe, — gogoroaa, manava
ruru, mauava eete.
Transférer , — ahu, hapai ko-
oua ke.
Transfigurer , — huri ke a, =
transformer, ici., — hihoi.
Transfuge, — tagata tere.
Transgresser, transgression, —
pogeha, =^ transgresseur : ta-
gata pogeha.
Transi, — tekeo-tekeo.
Transmettre, — hapai atu.
Transparence, — ata, ku ata.
Transpercer, — veo, huki, kuki,
oka.
Transpirer, — pahia.
Transplanter, — ahu.
Transporter, — hari, tupo, ha-
pai, := sur un navire : haka-
eke.
Transvaser, — huri ke, haka-
perigi ke.
Travail, travailler, — haga, ra-
pu, = abandonner le t. : vai
apuga.
Travailleur, — tagata haga,
maahaga.
Travers, — piko ; = largeur :
hakarava ; = caprice : pogeha
no, = mis en travers : haka-
rava ; = de travers : higahiga.
Traverser, — teki, tekiteki.
Traversin, — ega rua.
Trébucher, — higa.
Treillage, treillis, — hihi, haka-
pekapeka.
Treize, — hagahuru niatoru.
Tremblant, trembler, tremble-
ment, — ruru, tetetete, papa-
papa, mataku ; :^ trembloter :
id.
Trémousser, trémoussement , —
Trempé, tremper, — rari, liaka-
rari.
Trente, — e toru te hagahuru.
Trépas, trépasser, — mate,
aguagu.
Très, — nui, etc.,{v. dict. tahit ).
Trésor, — rakau.
Tressaillir, — koakoa, haka
koakoa.
Tresse, tresser, — raraga.
Triangle, — toru.
Tribu, — etu.
Tribunal, — rago.
Tribut — hakatitikaga.
Tricher, tricherie, — reoreo, =
tricheur, tagata reoreo.
Trier, — runu.
Trinité, — Toru-tahi.
Trio, — reo toru.
Triomphe, triompher, — ihoiho,
mataù.
Tripaille, — kokoma, nirouiro,
VOCABULAIRK DE LA LAISCUE DE l'iLE-DE-PAQUES. 249
maga.
Triple, tripler, — liakatorii.
Tripotier, tripoter, — haga no
iti.
Trique, — rakau ta.
Triste, tristesse, — gogoroaà.
Trituration, triturer, —
Trois, — e toru.
Trois-mâts, — iiiiro tuù e toru.
Tromhe, — ohiohio \=::tro7nhlon,
id.
Tromper, tromperie, — reoreo,
= se tr. : hara ; = être trom-
pé : bakarogo ; = trompeur :
tagata reoreo.
Trompette, — liura. pu.
Tronc, — tuniu ; = creusé en
pirogue : vaka, poepoe ; = en
caisse : paliu, pahu.
Trône, — rago.
Tronquer, — hakaiii)oi.
Trop, — nui, noa.
Troquer, — hakahere.
Trot, — tohuti, horo.
Trou, — rua ; = grand : rua
nui ; = dans le roc : ana ; =
de mailles : mata ; ^^pirofond :
rua holionu, pokopoko ; =
instrument pour trouer : uki,
hou.
Trouble, troubler, — pogelia ; =
Veau : = oone ; = la puix :
toua, kakai no ; = l'esprit
d'autrui : hakapogeha ; =
exciter du tr. : id. =^ fauteur
de tr. : id. = par le bruit : id.
pogeha mai.
Trouer, — hou.
Troupeau, — huega puaka ; =
troupe : gagata (pour Vhomme
seulement).
Troupier, — matatoa.
Trouver, — rava, uiorava.
Truie, — tamaahine horu.
Tu, — oe. oou.
Tube, — hatahata.
Tubercule, — kuniara, — uhi
(igname) ; = vilains sur la
peau : kino.
Tuer, — tigai, hakamate ; =
se tuer, id. ; = tué, mate a,
tigai a.
Tuile, — maeapuru hare.
Tuméfier, tuméfaction, tumeur,
— arakea.
Tumulte, tunmltueux, — pogeha.
Turban, — viri.
Turbulent, — kori.
Turpitude, — hagarakerake,
veriverike.
Tutélaire, — tarupu ; = tutelle,
tuteur : tiaki.
Tuyau, — hatahata.
Type, — ariga.
Typographe, —
Tyran, — mataù rakerake.
U
Ulcère, — arakea, tao ; =
hydropisie, ahuahu, takai)au ;
= ulcérer : hakauieemee.
Ultérieur, — kimuri, a ti ave.
Un, — etahi ; = un à un : e-
tahi etahi.
Unanime, unanimité, — anaua-
ke.
Uni, — raparapa, ekaeka, vare-
vare, kivakiva.
Uniformité, uniforme, — etahi
hakarite .
Unique, — etahi no, = per-
sonne : huaàtahi ; = chose :
anake, — tahaga, no.
Union, unir, — honohono,f^'om-
dre) hakapiri, = s'unir : pi ri ;
= imi, poli, voyez uni.
Unisson, — ananake, reo laiii.
Unité, — etahi no.
Univers, — arova nei.
Universel, — ananake.
250
LE MUSÉON.
Urgent, urgence, — e mea, e
niee ka.
Urine, uriner, — mirai.
Usage, — peira hokita matou.
User, use, — para ; = par Vâge :
koroua.
Usité, usuel, — voyez usage ; —
usuel : kotiru no ilia raà no
iha raà.
Usurpateur, — toke, iko.
Utile, utilité, — meitaki ; =
rendre utile : haka meitaki.
Fa-t-en^ — ka oho, — ka tere,
ka ea, oi atu.
Vacance, vacation, — haka re-
ka, hakarere.
Vacarme, — iDogeha.
Vacciner, (inconnu) haka uru.
Vache, — puaka toro tamaahi-
ne.
Vaciller, — tumû kore, taruri-
ruri, pakuku, higahiga, tapo-
ke.
Vacuité, — puhare.
Vagahonâ, — ta gâta ahere no.
Vagir, vagiftsemeni, — tagi.
Vague, — hati ; = longue : va-
ve ; = se brisant : pakakina ;
= brisant a terre : pari ; =
creux de la vague : pokopoko
vave.
Vaillant, vaillance, = voyez
valeur.
Vain, — verega kore, haga to-
pa ; = être vain : id.
Vaincre, — haka higa, tiite ; =
les difficultés : ihoiho ; =^ vain-
cu : higa à, raga.
Vainqueur, — mata toa.
Vaisseau, — miro uimiii, miro
kumi ; :^ vase: hipu, hue.
Vaisselle. — hipu taka tore.
Valet, — kio.
Valétudinaire, — rauhiva, nia-
mae.
Valeur, — mata toa, mataku
kore ; = sans valeur : verega
kore, tae verega.
Valeureux, — tagata mataù,
mata toa.
' Valide, — meitaki, = validité :
id.
Vallée, — manavai, = vallon,
id.
Valve, —
Vanner, — tutu.
Vanité, — tea, = vaniteux : ta-
gata tea.
Vantard, — rava ki.
Vanter, vanterie, — maharo kia
ia a, paru ; = se v., paru.
Vapeur, — au ; ^= navire : mi-
l'o auahi.
Variable, — tahuti, = varié, ià.
Variété, — hakarite ke, haka-
rite ke.
Varlope, — varu, horo.
Vase, — hipu.
Vassal, — kio,
Vaste, — hâta hâta, kumi.
Vaurien, — tagata rakerake ke.
Vautrer, — viriviri, pakuku.
Veau, — punua puakatoro.
Végétal, végétation, — tupu, ha-
katupu.
Végéter, — tae tupu, = exciter
la V., haka tupu.
Veille, — raà i mua, vigiria, =
veiller, faire v., haka ara.
Veine, — ua ua.
Véloce, vélocité, — horaliorau,
veve veve, pakapakakina.
Velu, — verevere.
Vendeur, vendre, — tagata ha-
kahere, hakahere.
Vendredi, — veneri.
Vénéneux, venimeux, — raegeo,
kavakava.
VOCABULAIRE DE LA LANGUE DE l'iLE-DE-MQUES. 251
Vénérer, — roau, roau ; = véné-
rable, tagata ariga eulieu, ari-
ga euIieu, ariga meitaki.
Vénérien, — liai.
Vengeance, venger, — liakalie-
re ki te ika, hakaliere rua,
ati kopeka.
Venin, — piro.
Venir, — paka mai, turu mai,
rori mai, biho mai, oho mai,
piri mai.
Vent, — tokerau ; = gros vent :
hu ; — pupnhi, matagi ; =
froid, tokerau tekeo ; = agré-
able : tokerau mataki, liaka-
kiva tae makeuu, tae gei ; =
souffler : hu, pupulii ; = vent
du ventre: peti, puti, putiputi.
Vente, — liakahere.
Venter, — hu, peti.
Ventre, — kopu, manava ; =
gros, kopu takapau nui ; =
avide, maruaki, agu korc,
peropero, opeo])e, rihariha ;
= qui se relâche : kopu ueiiicn
lia te mataku.
Venu, nouveau y., — topa rae ;
= soyez le b. venu : koomai.
Venue, — ah ère ; = de rapide
venue, tupu k<^ avai.
Ver, = koreha licemia.
Verbe, — vauaga, ki.
Verge, — magamaga.
Verger, — mauavai miro.
Vergogne, — hakama.
Vergue, hakaiava ; = mettre les
V., liaro.
Véridique, — titika, titika noa,
= véraciM, id.
Vérification, vérifier, — liaka-
rivariva.
Véritable, vérité, — titika, mau.
Vermeil, — ura ura, mea luca.
Vermillon, — kie.
Vermoulu, — huhu, para.
Vérole, — mageo.
Verrat, — paha.
Verre, — à boire : hipu, hipu
uuu vai ; = verre à vitre : uira.
Verrue, — pati.
Vers, — mai.
Verser, — huri, liakai)erigi,
hakataha.
Verset, — varavara.
Version, — taga poki.
V^ert, (couleur), — luuihuri ; =
non màr : puku|)uku, mata.
Vertèbre, — tuaivi.
Vertical. —
Vertige, — garuru.
Vertueux, — tagata rivariva ;
= vertu, virctute (moderne).
Vessie, tau a mi mi.
l'esté, — kahu.
Vestige, — hakatuîi, hakauiii.
Vêtement, — kahu, tapa.
Vêtir, — puô ; = toujours vctu :
puô a tahaga.
Vétusté, — pai'a.
Veuf, veuve, — hove.
Vexant, vexer, — [)og('lia, haka-
pagaha.
Viande, — kiko.
Viatique, — Viatil
Vibration, vibrer,
des tons, kiukiu.
Vicaire, vicario {modirm-).
Vice, vicieux, — rakerakega, ra-
kerake.
Vicier, — hakaiipoi, liabirakc-
rake.
Victime, heaga, ika.
Victoire, victorieux, — mata toa,
liaka higa, tutc
Vide, vider, — hakaperigi, huri;
= la terre d'un trou : tiâki,
tiâki.
Vie, — oraga ; = la rendre :
hakaora.
Vieillesse, vieillard, — koroua.
Vierge, — virigiue (moderne).
Vieux, — tuhai.
Vif, — veveveve.
Vigilance, vigilant, — tiaki.
Vigne, — viuea {moderne).
Vigoureux^ — ora uui.
co (moderne]
— ruru : =
^52
LE MLSÉON.
Vil, — rakerake, veriveri.
Vilain, — arij^a, rakerake-
Vin, — topa, topa taliaga.
Vinaigre, — kavakava.
Vindicatif, — tarotaro.
Vingt, — e rua te hagahuru.
Vingt-quatre, — e rua te liaga-
huru peaha.
Violence, violent, — hakapaga-
lia ; = en paroles, id.
Violenter, — id.
Violer, — viol.
Violet, — huriliuri.
Virer, — hoki, hakahoki ; =
virer de bord, id.
Viril, tugutugu.
Vis-à-vis, — ki te aro, tupuaki.
Visage, — mata, ariga ; == ron-
deur du V. : mata puti ; =qui
n'a qu'un heau visage : mata
ritorito ; = petit, étroit : mata
iti, mata gorigori.
Viser, — hakakeva ; = viser
un seul but : id.
Visibilité, visible,— tikea a mai.
Visière, — liaka kohu.
Vision, — tikea haga ; = noc-
turne : tikea haga moemoe a,
tikea haga a uru.
Visite, visiter, — hakaaroha, =
rara.
Visiteur, — tagata ragi, tagata
ui.
Visqueux. —
Visser, — hakaviri.
Vite, vitesse, — horahorau, ve-
veveve.
Vitre, — uira ; = vitrer : haka
m au ki te uira.
Vivace, — oraga mau, oraga
ihoiho.
Vivacité, — horahorau.
Vivifiant, vivifier, — liaka ora.
Vivre, vivant, ora.
Vivres, — kai, mau ; = amas de
vivres, kai hue ; = retenir les
vivres : mau ki te kai o te
tagata ke.
Vocal, — reo.
Vocation, — ragi a mai.
Vœu, — liakaruru.
Voguer, — aère, tere, raga ; =
faire v. : hakaraga.
Voici, — ai ua ra.
Voie, — ara, = d'eaii, turu vai,
vai turu ; = aller en voie
directe : hiri a te ara titika.
Voilà, — ira, ena.
Voile, — kahu ; = mettre à la
voile : haka topa ki te kahu ;
= voile (subst. masc. ), pu-
ruga.
Voir, — tikea.
Voisin, — tagata tupuaki.
Voiture, voiturer, — potaka,
potaka, hakapotaka.
Voix, — reo ; = bruit de la mer :
vavovavo ; = effrayante : ha-
karuru ; = changeante : reo
ke ; = basse : reo nui.
Vul, (larcin) = toketoke ; =
voler, id. iko.
Volage, — uivauiva.
Volaille, — moa, manu.
Volatiliser, — hakapupuhi.
Volcan, — rano, rano.
Voler (prendre), — voyez vol.
Voler, (s'élever dans l'air) —
rare, = faire voler, paoa.
Volonté, volontaire, — haga.
Voltiger, — rere
Volubilité en parlant, — hora-
horau.
Volume, volumineux, — pupu ta.
Volupté, — hai, = voluptueux :
tagata rakerake, tagata hai.
Vomir, vomissement, — haka-
rua, rua.
Vorace, — kai nui, horohoro.
Voter, — vae.
Votre, — na au, to koe, na ko-
rua, ta korua.
Vouloir, — haga, = en vouloir
à autrui : kokoma lianohano
ki. Qui ne veut pas, — tae
haga mai.
VOCABULAIRE DE LA LANGUE DE l'iLE-DE-PAQUES. 255
Vous, — korua, koe, ooù.
Voyage, voyager, — hiriga, hiri ;
= hut de voyage, tunm o te
hiriga, = hui, fin, te mouga,
te ika potu o te hiriga ; =
être prêt à voyager, inatu ; =
voyageur : tagata aère ; =
voyageurs nombreux, gagata.
Voyons, — hage, hage mai, =
demandant à voir : voyons !
aia !
Vrai, — titika, titika noa.
Vraisemblance, — hakarite.
Vrille, — hou.
Vu, — tikea a mai ; = vu, uo
te mea.
Vue, — mata ; = être en vue :
tupuaki kaiga, := obscurcir
la vue : hakamata keva.
Vulgaire, — no iha raà iha raà.
Y, — ira.
Yeux, — mata, = saillants :
pupura mata ara ; = yeux
scintillants : mata pupura ; =
clignotants, mata keva, haka
mata keva.
Zélé, zèle, — tarupu.
Zéphyr, — hahau, ora.
Zénith, — ki te tiui te raà.
Zéro, — kore no.
Zigzag, — aller enZ..., ahere
atu ahere mai, = oriare miro
oriare.
Zinc, — raparapa.
254 LE MUSÉON,
Note du Correcteur.
Obligé de succéder au R. P. Vinceut-Fei-rier Jaueau dans la cor-
rection des épreuves de ce Vocabulaire Jiaponiii, nous lujus sommes
vite convaincu que ce lexique a été composé d'après le Dictionnaire
de la Langue Maorie, dialecte ïaliitien, j)ublié vers 18G0 par
Mgr Jaussen, évêque titulaire d'Axiéri et vicaire apostolique de
Taliiti. Non seulement le manuscrit du R. P. Roussel suit mot à mot
le Dictionnaire Tahitien, mais il en marque même la pagination de
la façon la plus précise. Cela nous a permis de décliifl'rer quelques
abréviations dithciles à comprendre, et de renvoyer au Dictionnaire
Tahitien cliaque fois que le missionnaire Tindique.
Comme il est facile de le voir, ce Vocabulaire n'est pas complète-
ment terminé. Il y a ici et là des mots français qui attendent encore
leur traduction rapanui. Nous avons été sur le point de supprimer
tous ces mots en un sens inutiles ; réflexion faite, nous avons cru
intéressant d'en gard(M' au moins quebjues-uns ; ils nous montrent,
pris sur le iait, le ti'avail patient et consciencieux du linguiste
océanien, qui ne se presse pas d'assigner des équivalents indigènes,
tant qu'il ne se sent pas absolument sûr de la traduction. Cette sage
réscM've nous est une garantie ])our le reste.
V. Ildefonse Alazard, SS. CC.
ÉTUDES
SUR
L'ÉSOTÉRISME MUSULMAN
(Suile) .
IX.
Les rapports des novices et des Soufis avec le sheïkh,
général de la communauté, constituent l'une des parties
les plus importantes de la Règle exotérique.
Le sheïkh (i) étant la clef de voûte de toute la hiérar-
(1) Les auteurs mystiques, principalement ceux d'une basse époque,
donnent au sheïkh le nom de^-e « vieux «. Ce terme fut surtout employé
à l'époque timouride, en Perse, d'où il est passé dans l'Hindoustan. L'au-
teur du Lebb-i lohûh-i maanévî, Hosein ibn Ali el-Vaïz el-Kasliifi, dit qu'il
faut comprendre ce nom de « vieillard » dans un sens mystique ^^^'•^s*
et non dans son sens exotérique ^))^j^, , autrement dit, il peut y avoir des
shéikhs relativement très jeunes. Un âge très avancé n'est pas une con-
dition absolument nécessaire de la perfection mystique, elle dépend
beaucoup plus de la prédisposition et de la rapidité avec laquelle on a
parcouru les stades intermédiaires de la Voie. C'est dans ce même ordre
d'idées qu'en Perse ou donne souvent le titre de J-t- ji.>j et dans le
Turkestan chinois celui de ak-sakal J^j^ « barbe blanche r> à des
chefs qui sont encore tout jeunes. Si l'on dit en arabe « la bénédiction est
avec les gens âgés «, dit el-Kashifi, il faut comprendre les grands Soufls
16
256 LE MUSÉON.
chie mystique, il n'y a que les Soufis, au sens absolu du
mot, qui puissent prétendre à cette dignité ; elle est for-
mellement interdite aux saliks et aux moiitésevvifs qui,
n'étant pas arrivés à la Connaissance et ayant encore
besoin d'être dirigés dans la Voie mystique, ne peuvent
réellement pas guider leur prochain vers une vérité qu'ils
n'ont pas encore atteinte.
La fonction essentielle du sheïkh, qui est le père spiri-
tuel (i), est d'apprendre l'amour de l'Être Unique aux
hommes dont il a la direction morale, de faire parcourir
aux novices tous les degrés de la Voie Mystique, et surtout
de les amener à être favorisés d'extases (2).
Suivant une tradition attribuée au prophète Moham-
med (5), le plus haut stade de la hiérarchie souHe est
celui du sheïkh que les docteurs mystiques considèrent
comme le vicariat de la Prophétie ï^*^l ÂjIJ, ou, en d'autres
termes, comme le Khalifat potentiel et ésotérique. Le
sheïkh dans ses fonctions est comme le Prophète au
milieu de son peuple et comme les grands khalifes ortho-
doxes, les ji->'^\;^\, au milieu de la communauté musul-
qui sont favorisés d'extases et non ceux qui sont âgés au point de vue des
années. ^_5;j- ^^ àic^^?^ ^y*^ j^, ^^ ^\ ^/ ^; jrt?. ^^^-*^ j-* 6^ î
JU j sU ^. <5j JkjJW u-^U. y^S;^> ^y. f^ji^^ 5'» ^yt^^ man. supp. persan
1141, folio 51 verso.
(1) Jij ^^^:^\ ^>> ^ ^•>^-^ o/j ^ JV^^^ -^.i;'"» ^^^■'- ^"^^ é"-^^
^^^».jas^\ ^x^ ^ U^U y^^. Avarif el-méarif, man. arabe 1332, folio
35 recto.
(2) ^i»^ s-'^^ jjfc ç^\ ^\ (^-^ Avarif el-méarif, man. arabe 1332,
folio 36 recto.
(3) ^^^ i&-;<iu^\ Â-jj jô ^j àAc. <si5\ ^J^ <iii\ J^j s^J ^JJ^ ^^}..~
4l5\ ^\ VcjJ\ ^ ij^\ àjU^ iLijJ\ ^_jl ^ s-^^\ ^J.e\ Sohraverdi, Avarif
elrméarif man. arabe 1332, folio 33 recto.
KTinKs SUR l'ésotérisme musulman. 257
inane (i). Xedjin ed-Din el-Razi dit tbrmellenient que le
sheïkiî est le vicaire v--*^^" de Mahomet, c'est-à-dire le
khalife ésotérique (-2). Le stade de la mission du sheïkh,
dit Mohyi ed-Din Mohammed ibn Ali ibn el-Arabi dans
son el-umr el-tnohkcm (r.) est identique, et rigoureuse-
ment, au stade de la Prophétie ; l'homme qui l'atteint
est nommé nébi « prophète » durant tout le temps qu'Al-
lah l'investit de la mission prophétique et tout le reste
du temps, il est nommé sliéikli ; dans la théorie de cet
ésotériste, sheïkh et Prophète sont donc les deux aspects
d'une même entité investie par Dieu de la mission de
gouverner les hommes et c'est là une terrible démoli-
tion de l'Islamisme, car elle revient, en somme, à faire
de chaque sheïkh un prophète potentiel. Le célèbre Ha-
madhani va même jusqu'à dire que le sheïkh est le
miroir dans lequel se reflète et se réfléchit l'àme du
Souti qui étudie et que ce dernier n'aperçoit l'ipséïté
de l'Etre Unique (|ue dans le sheïkh et par lui (4). Les
Soufîs se font une idée tellement élevée du sheïkh et
de sa mission ({u'ils regardent Jésus-Christ {r>) comme le
modèle du sheïkh, tout en se refusant à lui accorder d'au-
tres attributs, et (|ue Mohyi ed-Din Ibn ei-Arabi dit dans
(1) (j;;-.^ ^s ^-.il^S" ^Vo- ^ t^-^\ Djoullabi, Keshf el-mahdjoub,
man. supp. persan 1086, folio 30 recto ; Abou-Bekr Abd Allah ibn Moham-
med el-Razi, Mersad el-ibad, man. supp. persan 1082, folio 44 recto et
verso. — Shems-ed-Din Mohammed, mohtésib d'Éberkouh, Medjma el-
bahreùi, man. jiersan 122, page 470 ; Mohyi ed-Din Ibn el-Arabi, el-amr
el-moJikem, man. arabe 1337, folio 4 verso.
(2) Mersad el ihad, man/ supp. persan 1082, folio 44 verso.
(3) Man. arabe 1337, folio 4 recto.
jiA^j \j j^£. j\ Zoubdet el-hakaik, man. supp. persan 135G, folio 10 verso.
(5) Hoseïn ibn Ali el-Vaïz el-KashiH, ^^'-^-^^ s->^-J s-J, man. supp. persan
1141, folio 58 veiso.
:2o8 LE MUSKON.
son el-amr el-mohkem que l'ange Gabriel est le sheïkh des
prophètes (i). Pour montrer l'importance du sheïkh, Abou
Bekr el-Razi dit que iMoïse, bien qu'il fût l'un des plus
grands prophètes de l'Islamisme et qu'il ait gouverné les
douze tribus d'Israël durant de longues années, vécut
pendant dix ans, comme un disciple, auprès de Shoaïb
(Jéthro) jusqu'à ce qu'il fût devenu digne d'entendre la
parole de Dieu et, après avoir reçu la Bible, après avoir
été investi du gouvernement des 1:2 tribus (2) d'Israël et
les avoir fait sortir d'Egypte, il lui fallut encore suivre les
enseignements du sheïkh par excellence, du théosophe
hermétique du Gnosticisme musulman, le prophète Khidr,
le type parfait du skeïkh (3).
Il ne faudrait pas croire que tous les sheïkhs sont égaux
et que tous sont arrivés au même aspect du stade de la
Connaissance ; ce qui produit, dit Ziya ed-Din el-Sohra-
verdi, les ditférences que l'on remarque chez les sheïkhs
soufis, c'est qu'aucun d'eux n'arrive rigoureusement à
un même stade et que chacun parle d'après le degré de
science qu'il a acquise et le stade auquel il s'est élevé (4) ;
(1) Man. arabe 1337, folio 4 verso.
j\5aJU.\ \S es >^j ^ s--**» ^.ï'-'Ai- c:^j5U JL, sa JU o^^Aj jJ o^>«i^
^^ CV^^ O* ^^t^ cwjU-, ^ ^li\ ,^2^ c>Jj^} à.S^\ j\ A«i J ^A> ,3:^ <u3^^
fj«j; (jU-,^j jj 6jU ^o 6jjS j_5fllï cw^^=. i;}^» j^ «!-^jy i_^^-*'^ J <^^^ Jî'V*^
el-ibad, man. supp. persan 1082, folio 44 recto.
(3) Jj^ j^^J^^^a* <M/» ) ,.5^^ («^ WS>U>\ ^5LJ\ (jJkC V|;.&î. ,^Wï ^_^ i^^.X}
V»)f UjJ (^ jL^lc. ^Juc ^^ ï.4.=»j t\^\ \i>i\^ 1^ \iX^ i^ -iJbJ 1^ j^ ^\
»Wd., foUo 46 recto.
(4) Adab el-mouridin, man. arabe 1337, folio 96 verso.
ÉTUDES SUR l'ÉSOTÉUISME MUSULMAN. 259
l'auteur du Mersad el-ibad, Abou Bekr el-Razi, raconte
que l'Être Unique a fait passer le prophète Khidr par
cinq stades successifs avant de le faire parvenir à la per-
fection du stade du sheïkh. Pour les Musulnrians, Khidr,
le personnage le plus étrange de toutes les mythologies,
en qui sont venus se fondre le chaldéen Hasis Hadra,
l'amshaspend Haurvatat et Saint Georges, Khidr est le
sheïkh par excellence ; de curieuses anecdotes, l'apportées
par les éci'ivains arabes et persans, lui attribuent un
pouvoir magique bien supérieur à celui de tous les envoyés
célestes.
Ces cinq stades successifs par lesquels a passé le pro-
phète Khidr, et qui sont en définitive ceux de tous les
sheïkhs, constituent les cinq piliers sur lesquels repose
la dignité de sheïkh (i).
Dans le premier, le Mystique doit s'appliquer à une
seule chose, rechercher la vicinité de Dieu par l'obé-
dience, comme l'indiquent les mots « et parmi nos servi-
teurs » \^ùLs-j^.
Dans le second, il reçoit de l'Être Unique la révélation
(1) iS i^j.à^ e:^iJii£ ^joUaii.^ Jj^ 'M^'*/* (^ «i>Li"\ |«!iLJ\ «iJLc ^\j-à^ ^y* g-i»
^>\ j l^ic \iji ^v» àS <iÎQ-,L ^i (^"^ t^ ^^=-^*^ ki-J.O ^^B^ 6U.«.liC . 6^ «-u-às. \\
^i^--'\^ ^_j>\a;w^ jU«;ai^j (..jai^*' u>-c^\ ^J,'^ à^ •^ — '-^j g-i> man. SUpp.
persan 1082, folio 46 recto.
La formule arabe dont l'interprétation cabalistique sert de base aux
explications données par Abou Bekr el-Razi est la suivante, que l'on a vue
un peu plus haut : Uic ^jJ ^^^ sIjuIc^ Ujuc ^J^ L^&.j jL^ï^ \joLc ^J^ \-uc
C'est sur de pareilles interprétations ésotériques que reposent en défi-
nitive toutes les prescriptions du Soufisme ; leur sens exact nous échappe
quelquefois, et même souvent, mais il n'y faut pas voir de simples fan-
taisies.
260 LE MUSÉON.
des valeurs mystiques et cabbalistiques des choses et des
faits réels qui sont toujours très différentes des inter-
prétations habituelles.
Le Mystique parvenu au troisième stade y acquiert la
participation à la miséricorde particulière qui dérive du
stade de la vicinité {'indiijel) d'Allah.
Dans le quatrième, le sheïkh reçoit la science d'Allah.
Dans le cinquième et dernier, il reçoit enfin, directe-
ment et sans intermédiaire, la science infuse. Ce cinquième
stade de la dignité de sheïkh n'est autre, comme on le
voit, que l'union parfaite avec l'Être Unique ou la Con-
naissance suprême, le Nirvana ^j>^, qui est le dernier
stade de la Vie mystique. Ces cinq degrés représen-
tent les stades pU^ que doivent parcourir tous ceux qui,
partant du noviciat, sont destinés par la volonté divine à
diriger les Mystiques dans la voie de la Vérité.
La perfection de l'être moral est le but supiême de
l'Islamisme, et tous les docteurs musulmans s'accordent
pour penser qu'il est impossible de l'atteindre sans la
science. Aussi la recherche de la science est-elle une pres-
cription d'ordre rigoureusement canonique pour tous les
sectateurs du Prophète, qu'ils appartiennent à l'ortho-
doxie sunnite ou à l'hérésie schiite, et la première obliga-
tion de la Voie mystique, de même que le premier stade
de la Voie est l'Islamisme : « Recherchez la science, a dit
Mahomet, quand bien même elle se trouverait à la Chine,
car la recherche de la science est d'observance stricte pour
tout Musulman » (i).
(1) ^«i-.^ J^ j^Jlc ï-3>^ f^\ >~r^ ôS vj>~.\ ^ <-rJJ= ^^ U^^-V 3^ ^J* Jî^
e:-- \ çiU Medjma el-bahreïn, man. persan 122, page 486.
La tradition en question ^J^£^ &^?.ji ,Ji*î\ h-J^ y^ i,:^^ ^^ («^'^ ^_>^^
ÉTUDES SUR l'ÉSOTÉRISME MUSULMAN. 261
La science pure, dans son sens général, ne peut mener
ni à la Connaissance, ni même à la vérité, et l'étude, pour-
suivie durant toute une vie, du droit ou de la syntaxe arabe
pourra enrichir l'esprit et la mémoire de celui qui s'y livi'e
sans améliorer son être moral. Tous les auteurs qui ont
écrit sur l'Esotérisme musulman s'entendent pour affir-
mer que si la science externe, exotérique, est une condition
de stricte observance imposée à tous les fidèles, celle de la
science ésotérique est une œuvre surérogatoire, mais
qu'elle seule peut conduire à la Connaissance ti-anscen-
dantale (i).
La science exotérique, celle à laquelle tout le monde peut
prétendre, ne peut guère s'acquérir que sous la direction
d'un maître ; quant à la science ésotérique qui est faite tout
entière d'interprétations et de révélations mystiques, elle
sera toujours interdite à celui qui ne voudra pas se soumet-
tre à l'autorité d'un maitre spirituel. La science exotérique
est faite de définitions que l'élève doit apprendre et d'ex-
emples matériels qu'il doit s'efforcer d'imiter, aussi la
lecture des œuvres scientifiques peut-elle, dans une cer-
taine mesure, remplacer l'enseignement doctrinal, mais la
J^ est transmise par les autorités suivantes : Anes ibn Malik, Abou
'Ataka, el-Hasan ibn *Atia, Djaafer ibn 'Amir el-Askéri, Abou Saïd Ibn
el-Arabi, Abou Mohammed Abd Allah ibn Yousouf ei-Isfahani, le sheïkh
Aboul-Kasem Abd el-Kérim ibn Havazin el-Kosheïri, le tiafiz Aboul-
Kasem el-Moustelémmi, et Sohraverdi, Avarif el-méarif , man. arabe 1332,
folio 14 verso. Cette célèbre tradition est traduite ainsi qu'il suit par le
molitésib d'Éberkouh dans son Medjma elbahreïn e^-jl,^ \} j\ v_ii, ^>i S\
,ji cs^j ^i\^} j,j-i^ u^jUc « Si dans la recherche de la science, il te faut
aller jusqu'aux frontières des empires d'Orient, vas-y », man. persan 122,
page 748. Cette tradition est également rapportée dans le man. supp.
persan 1356, folio 21 verso et dans bien d'autres ouvrages.
(1) Sohraverdi, Avarif el-méarif , man. arabe 1332, folio 15 recto.
262 LE MUSÉON.
science mystique est une science de vie que l'on ne peut
aller chercher dans les feuillets morts des livres. Ce
n'est pas dans des lignes immuablement tracées que l'on
apprend l'amour de l'Etre Unique, et le sheïkh doit le
faire passer tout entier, par une transfusion directe, de
son cœur dans celui du novice qui s'est soumis à sa
discipline.
Les Ésotéristes sont d'avis qu'aucun homme ne peut
franchir les stades de la Voie et arriver au Nirvana par
ses seules forces et qu'il lui faut un guide spirituel qui lui
enseigne les uns après les autres les mystères de la Voie
ésotérique ih^)n\\J\j^\, car « pour provoquer les extases qui
déterminent l'avancement à travers les stades, il faut une
longue étude qui ne peut être menée à bien autrement
que sous l'influence dune direction constante et de tous
les instants » (i). L'auteur du Mersad el-ibad va môme
jusqu'à comparer le novice à un œuf qui contient en
puissance un être futur et qu'il faut couver durant long-
temps si l'on en veut faire sortir l'homme transformé
par la Connaissance (2). « Celui qui n'a point de maître.
(1) Abou Hafs el-Sohraverdi, Avarif el-méarif, man. arabe 1332, folio
38 recto. — Aboul-Nedjib Ziya ed-Din Abd el-Kadir el-Sohraverdi, Adab
el-mouridin, man. arabe 1337, folio 100 recto. — Abou Bekr Abd Allah
ibn Mohammed el-Razi, Mersad el-ibad, man. supp. persan 1082, folio 44
recto et ssq. — Shems ed-Din Ibrahim d'Éberkouh, Medjma el-bahrein,
man. persan 122, pages 359, 436, 485, 748.
(2) jJ ts-sic 6^> \^^\ ^-»à c>v»V> ^-i. «_i^*3Ï J^-f* ^.5^^^-—.?^ "^-f (Jv'ï' J^ >à^)'^
(jiJyi. i^\c o-«JS> ^ JkjvJ^ ij>-^\j^ jji^s^ii «:-~>.ï^ *-ij^ (*C^ (3^^* <J)^ 6M\^
^L.».^ »_i^ï Aii^ j^ ^>i^.f i^f» ^}>}i ) "^^"^ (^ _;«*» (j)"VA;j ^f^) y \) <^? )
{■yi^ * 1^'^ <^^>^^ LS^f* '^i^ii "^^ i^S^ tj*^4^ j*^^ ij^Aie d<àg> '^f^i ft^ ^s-'^to
ÉTUDES SUR l'ÉSOTÉRISME MUSULMAN. 265
a dit le célèbre Bayézid el-Bistami, a le diable pour maître;
celai qui n'a point de directeur de conscience n'a point
de loi religieuse » (i).
Le choix de ce directeur, qui constitue l'acte capital de
la vie du Soufi, est entouré de périls sans nombre et plus
d'un Mystique a du hésiter en pensant qu'il y allait non
pas du bonheur de sa vie terrestre, mais de son salut
pour l'éternité. Il est évident que le novice, le -^j^-, doit
choisir un sheïkh éprouvé qui soit capable par sa vue éso-
térique *^--^j de juger parfaitement ses actes et de peser
ses pensées ; il ne doit sous aucun prétexte contier le soin
de son instruction mystique à un homme qui n'est pas
encore parvenu à ce stade et qui est encore un étudiant
plutôt qu'un docteur (2). « C'est pour cela, dit l'auteur de
V Avarif el-méarif, que l'on doit choisir le sheïkh dans les
deux classes les plus élevés des Sou fis, ceux qui aiment
Allah d'un amour actif, mais auxquels Allah peut ne pas
rendre leur amour, et ceux qui sont aimés d'Allah passi-
vement, pour eux mêmes, ce qui est un stade très supé-
.„._.., «^^ ^ o'^;-? V-»'> ^\= ^^«> i-=-» y^ 5^j 3^ <^^)y° ty Abou Bekr Abd
Allah ibn Mohammed el-Razi, Me7'sad el-ibad, man. sui)p. persan 1082,
folio 47 recto.
(1) &i (^>j :J &] ^,> :i! ^-j iJb;-.\ yVL.iJ\ (jU &i j^x-.^ ^J ^^ Abou-Hafs
el-Sohraverdi, Avarif el-méarif , folio 38 recto. — Mohyi ed-Din Moham-
med ibn Ali Ibn el-Arabi, y^ ^J>^> à^^ v3>y= J*»^ f>j^. U-^* ^^.y*.)\ f,<^'*^\ y^\
t^jiJ^ man. arabe 1337, folio 4 verso. - Abou Bekr Abd Allah ibn Moham-
med el-Razi, Mersad el-ihad, man. supp. pers. 1082, folio 44 l'ecto. —
Shems ed-Din Ibrahim d'Éberkouh, Medjma el-bahreïn, man. pers 122
pages 450 et 478 ; oustâd est l'équivalent persan de sheïkh.
*iî^i-i ^_5;;^> «i*^? s-5^'» ; •^y*3^^>* j^ "^^^ s^i^^y Hamadani, Zoubdet el-
hahaïk, man. supp. persan 1356, folio 10 verso.
264 LE MUSÉON.
rieur au précédent (i). Même parmi les sheïkhs arrivés
à la dernière limite de la Connaissance, il y en a plus d'un
dont l'enseignement est dangereux et dont le novice doit
s'écarter. Si le sheïkh est un orgueilleux et un homme
entiché de sa science, si réelle soit-elle, le novice sera
entraîné dans une voie d'eri'cur au bout de laquelle il trou-
vera la perdition. Si même le sheïkh est un homme de
bien, connaissant à fond la vraie doctrine, s'il dévie tant
soit peu de la voie droite, et qu'il professe, soit la théorie
de Thypostase Jj^=^, soit des idées fausses sur le dogme de
l'Unité de Dieu, le novice aboutit à l'hétérodoxie et devient
un vrai zendik, comme cela est arrivé à beaucoup » (2).
Malgré toutes les bonnes dispositions du novice, il ne
pourra qu'aboutir à l'hérésie s il suit les conseils d'un
tel sheïkh car, comme l'a ti'ès bien dit el-Hamadhani dans
sa Zouhdet eL-hakaik (3), si le directeur de conscience est
le miroir du disciple dans lequel le disciple voit la Divi-
nité, le disciple est le miroir du sheïkh dans lequel il voit
la réflexion de son âme. Les Mystiques admettaient d'ail-
leurs que Ion peut avoir comme maître spirituel un
homme moi-t depuis très longtemps. C'est ainsi que le
célèbre Aboul-Hasan el-Kharrakani (t 4-25), que Nour
ed-Din Abd el-Rahman el-Djami nomme le Pôle de son
siècle, eut pour maître de la doctrine ésotérique, par
communication spirituelle, le grand Souti Bayézid el-
Bistami qui était mort bien avant sa naissance. C'était là
(1) Avarif el-méarif, man. arabe 1332, folio 35 recto.
(2) Medjma el-hahreïn, man. persan 122, page 748.
Si— .^ ^iy «yj\j\ ^j>.U-».î \;^\;:o. <u.Ê ^i-* \;J^ ^\ man. supp. persan 1356,
folio 10 verso.
ÉTLDES SLl\ LÉSOTÉRISME MUSULMAN, 265
un moyen commode d'avoir un maître tout en n'en ayant
pas et d agir comme on le voulait en se réclamant de la
volonté dune personne morte depuis des années.
Cette préoccupation, l'une des plus c:randes, et à juste
titre, des docteurs mysticpies rappelle celle qui tit pro-
noncer aux Mazdéens des couvents arsacides les sentences
que l'on retrouve dans le Mininyistân et dans les frag-
ments de l'Avesta (i) :
« 0 Spitàma Zarathushtra ! proclame connme la plus
excellente des choses d'avoir un Ahu et un Ratu.
Pour tout homme de ce monde des corps
qui étudie et qui juatique, qui apprend et qui ensei-
gne,
qui aime d'un amour toujours nouveau dans le monde
matériel de la Sainteté,
proclame comme la pire des choses de n'avoir ni Ahu
ni Ratu
ou d'avoir un mauvais Ahu,
car l'àme de ceux ([ui vivent sans direction ne peut
racheter par un mérite un péché à expier ! »
Le sheïkh est investi d'une puissance absolue et sans
bornes sur tous les Soufis, il est le maître absolu de
leur volonté (2) et il est considéré comme leur père spiri-
tuel, car la parenté matérielle n'est aux yeux des Mys-
tiques qu'un accident fortuit et sans aucune importance
qui ne compte en rien pour la transmission du pouvoir spi-
(1) ahumat ratumal vahishtem vaocatà Spetama Zarathushtra
kemcit anhcush astvatd aôi mareTitcm verezantem sihhshentem saca-
yantem paiteshentem gaêthâbyô astvaêitibyd ashahè anaônhô aratud
aeishtem duzhanhavô nôif zi asraôahyanàm tanunàm ashahè urva
cithidi vitâiti. Fragments Tahmuras dans James Darraesteter, Zend-
Avesta, tome III, XIII-XV, page 56.
(2) Zoubdet el-hakaïk, folio 10 verso.
266 LE MUSÉON.
rituel. Aboul-Nedjib el-Sohraverdi disait, à ce que raconte
Abou Hafs el-Sohraverdi dans V Avarif el-méarif: « Mon fils
est celui qui a marché dans ma voie et qui s'est laissé
diriger dans mon chemin (i) ». L'auteur du Mersad el-
ibad, Abou Bekr Abd Allah ibn Mohammed el-Razi dit
dans le même sens que l'on doit honorer son sheïkh
beaucoup plus que son père (2).
Cette puissance illimitée du sheïkh sur tous les êtres de
la hiérarchie mystique lui impose les devoirs les plus
rigoureux envers eux et envers l'Être Unique; du moment
où ils ont renoncé à se diriger eux-mêmes et où ils
s'en sont remis à lui du soin de les mener à la Connais-
sance, le sheïkh est entièrement responsable de leur vie
morale et il est juste, le cas échéant, qu'il porte la peine de
l'égarement de toute la communauté puisqu'il en est le
principal auteur. D'après Abou Bekr Abd Allah ibn
Mohammed el-Râzî, le sheïkh, pour remplir les hautes
fonctions (jui lui incombent, doit réunir 20 conditions
essentielles coinprenant toutes les prescriptions des règles
matérielle et morale dont voici le détail :
Tout d'abord le sheïkh doit posséder la science, con-
naître parfaitement la loi religieuse et toutes les applica-
tions qu'elle peut recevoir dans les différents cas de
conscience qui peuvent se présenter, de telle façon qu'il
lui soit possible de renseigner immédiatement son élève
quand celui-ci lui pose une question concernant la religion
et ce qu'il doit faire. - En second lieu, il doit avoir une
foi pure et conforme au dogme islamique de façon à ne
.xis^i ^■i^\ man. arabe 1332, folio 35 recto
(2) Man. supp. persan 1082, folio 48 recto.
ÉTUDES SUR l'éSOTÉU[SME MUSULMAN. ^()7
pas donner au novice qui suit son enseignement de mau-
vais exemples, ce qui Tentrainerait dans l'iiérésie. — En
troisième lieu, il doit jouir de ses facultés et de sa raison ;
mais cette intelligence ne doit pas être uniquement bornée
aux. choses de la religion, et elle doit également s'étendre
aux choses de la vie du monde ; quoique mort au siècle et
revenu de ses pompes, le sheïkh doit avoir une notion
extrêmement précise de ce qui se passe dans le monde, de
fîiçon à être en état de pourvoir à tout ce qui peut se pré-
senter dans l'éducation du novice. — La quatrième con-
dition de la perfection du sheïkh est la générosité ; il faut
qu'il pourvoie largement aux besoins matériels du novice
et qu'il se garde de le laisser manquer, soit de nourri-
ture, soit de vêtements, car l'exercice des devoirs religieux
demande un minimum de besoins matériels auxquels le
sheïkh est tenu de pourvoir ; il serait d'ailleurs dangereux
pour le novice de tomber entre les mains d'un directeur de
conscience qui lui fournirait beaucoup trop largement les
choses nécessaires à la vie, car cela risquerait de faire tom-
ber l'élève dans la fainéantise ou, tout au moins, de le
détourner en partie de ses devoirs religieux. — En cin-
quième lieu, il doit avoir un courage à toute épreuve de
façon à ne pas s'inquiéter de l'opinion des ignorants et
des envieux et à mépriser tout ce qu'ils peuvent dire con-
tre lui quand il est bien persuadé d'avoir rempli tout son
devoir, et à ne pas chercher à répondre à son disciple
sur toutes les objections et les commérages des gens. —
Il faut, en sixième lieu, qu'il soit parfaitement chaste
et que, ni sérieusement, ni par plaisanterie, il ne prête
aucune attention aux femmes, de façon que son disciple
se garde des passions sensuelles et qu'il ne tombe pas
dans la débauche, car celui qui débute dans la Voie est
268 LE MUSÉON.
exposé à bien des faiblesses. — En septième lieu, il faut
que ce soit un homme à grandes idées et qu'il n'ait aucune
sorte d'attachement pour le monde et pour les pei'sonnes
qui vivent de la vie mondaine, sauf cependant dans la
mesure de ce qui est rigoureusement indispensable, ce
qui, même quand on en use largement, ne peut avoir
d'influence nuisible ; il ne doit naturellement pas avoir
la moindre envie de ce que possède le disciple et il doit
bannir de son esprit toute idée d'acquérir des propriétés
quelconques et même si Dieu lui en donne, il doit les
vendre pour les consacrer à ses œuvres, car comme le
dit le proverbe arabe, l'amour du monde est la source de
tous les péchés. — En huitième lieu, il doit être bon : il
faut qu'il agisse envers son disciple avec une grande dou-
ceur et qu'il l'amène par degrés à se prendre de l'amour
le plus vif pour la vie mystique ; il doit écarter de sa route
tout fardeau qui serait trop pesant pour lui et ne jamais
lui imposer de charge qu'il ne l'ait supportée avant lui ;
quand le novice se trouve dans l'état de l'angoisse mystique
J<a^ (i), le she'ikh doit user de toute l'autorité que lui
(1) Dans ses Taarifât, Notices et Extraits des Manuscrits, 1818, p. 78,
Djordjani explique ainsi qu'il suit le sens des mots ^^ï et de L-.* :
fc_jjl*U ijà^l» ^^v^^î »— j.^^ wl=. (^c s^\ i_j*;ï A*} (^U3W Ujij L— ^U (jà*sJ\
^ '_y^ J■•^^■^^~^ ^^.> ^^^«i^^ ''^^^J «wi»*rJ^ (^^ ^3-^? ô/^^J i:)^"^ — ■♦^ ^»si>ÎVS^
J)^j 1^ »_jjljj\ «__-li ^Ic s ■Ikib e:^yJ\ ^-i ,^W» ./»l> k~-.JL (jà^JL >»j».»«v^
i^
.»-J^
et (jà^s litt. « conti'action » et L—j litt. " expansion » sont deux Etats qui se
produisent après que le Mystique s'est élevé au dessus de l'État de la crainte
et de l'espérance. L' « angoisse mystique " est à " celui qui est parvenu à
la Connaissance n, comme la crainte " au simple musulman. La différence
entre ces deux modalités de l'âme est que la crainte et l'espérance sont
en relation avec un événement futur que l'on redoute ou que l'on aime,
tandis que 1' « angoisse mystique » et la « délivrance mystique « ont pour
objet une cause présente dans le temps qui affecte le cœur du Souti arrivé
à la Connaissance par l'effet d'une grâce efficiente provenant du monde
ÉTUDES SUR LÉSOTÉUISME MUSULMAN. 269
confèrent ses fonctions ^t^j, «-^-^j pour l'en délivrer et
pour lui donner la « délivrance mystique » ; si au con-
traire, le Soufî se trouvait trop engagé dans l'état d'indé-
pendance et de délivrance ésotérique i3~>, le sheïkh devrait
agir sur son esprit de façon à provoquer dans son âme, mais
jusqu'à un certain point, l'angoisse mystique ^^t^- " ^^^
de la plus haute importance, que le sheïkh ait, à tous les
moments, une connaissance absolument parfaite de tous
les états d'àme de son disciple, aussi bien en ce qui con-
cerne le temporel que le spirituel. C'est dans le même
sens que Sohraverdi a dit dans son Avarif el-)néarif que le
sheïkh, dii'ccteur de conscience, doit s'enquérir constam-
de l'Invisibilité «. Hoseïn ibn Ali el-Vaiz el-Kashifi en donne dans son
Commentaire du Mesnévi, ^j-^^ v>M s-J, une autre définition.
... __s^s? ._j^-=^'» liXSl-,^ ».i^$^:^ jj <5-=^^, e:-à-o 5^7* (j-.>.^ ; ^^-i-.^^ ; man. supp.
persan 1141, folio 140 verso.
L' » angoisse v et 1' c< expansion v sont, dit-il, deux aspects de la crainte
et de l'espérance : en réalité ils ne font qu'un ; mais l'aspect de ce
sentiment lorsqu'il se manifeste dans le stade de lame {c'est-à-dire
quand le Souri en est encore à suivre les impulsions de son ilme t^ài), reçoit
le nom de crainte «wi^^- et d'espérance ^>- , tandis que ce même sentiment
se manifestant dans le stade du cœur (c'est-à-dire quand le Mystique
a fermé la porte aux conseils de son âme pour ne plus suivre que ceux
de son esprit -j^) se nomment « contraction » ^js et " expansion » k-«| .
L' « expansion » est une grâce efficiente qui provient de la Divinité dans
laquelle elle manifeste son approbation de la conduite du Mystique, sa
miséricorde et son intimité avec lui ; la contraction est un état, une
extase, qui provient d'une grâce par laquelle l'Être Unique reproche à
l'homme sa conduite, lui indique la voie à suivre et lui inspire la crainte
de sa puissance. Ces deux aspects de la crainte et de l'espérance sont tou-
jours en mouvement et le Soufi se trouve constamment dans l'un d'eux «.
270 LE MllSÉON.
ment de l'état d'esprit des Mystiques qui vivent sous sa
direction morale et scruter les recoins les plus secrets de
leur cœur pour être toujours prêt à agir sur eux de la
façon la plus etïicace pour les maintenir ou les rame-
ner, suivant le cas, dans la voie droite.
La neuvième perfection (i) à laquelle doit arriver le
sheïkh est la mansuétude et la patience, le directeur de
conscience ne devant jamais brusquer ses disciples, on
conçoit qu'il ne doit les malmener que très l'arement et
seulement dans les cas de nécessité absolue, pour leur
éviter un faux pas qui aurait pour eux des conséquences
autrement graves que la blessure d'amour propre qui
résulte d'une juste remontrance.
La dixième est le pardon des injures et des fautes ; il faut
que si le Mystique commet un acte répréhensible au point
^,Jk)w^ \j Jki»l^ iJj\ ,j>>cJkj à.i ^ ^j\j> c:-^cU=. ^ c>.i-. Jô\ jULïc\ à^ A>1} ci-~5^=»
c>-^k&^r> Sa?^;-^-? •^]^'' ■'^^^f )^ ^ ■^)^'^ J^^? (^J^^^ ij^^*'* J»* («r^'* J^ ^•
Jkj\y)' ^\.^ Jo,*» ?r^'^<^. ^? ^' "^^^ o*"^ ^ "^^^ e:-^-\ iiy^l&,-. f»j^3^ -i^ -^>^f («V-*
Jk^ JkàiW (j~>à-J\ (^àjàc ai Jk W c:,^ — ïàc ^•i^'S» >jJ<^ jW jL-.^ jL-jij ^ Jo^Jt^ ,li
Aà.\^V w*.* \kj\ ^^\j (j\ cy»i <S<^ y^^ j ç.^yi-«^} ci>lfl^î\ (JJ*-*-* "^J'J'^ J"^- ^^ "^^
g^ô \)"'')'* ^ '^' "^^^^ cyJ^,\ j -^V o^^;-^^ j'^ '^J^'* '*^^? "^'T* J^ j^ C"*"^ }
^JM^J LiJj\ s-e- <S^ J'î^ ■^•^> j^ J-J ;J EÎ;*^J O^ i-y""}"^ 3^' ''^ J^^^ jUic ^ c^;^ j
ÉTUDES SUR L*ÉSOTÉRISME MUSULMAN. 271
de vue de la loi religieuse exotérique v^^i ou à celui |de
i.:.«A>.Jk> V'J'jy* ^' '^^^ i^V^ \J^i^ ^ ^^' e: ««..fllo /^«.g» ^«jfeJjl) JuS ij:^^\ «.-ojl?
^ JUi\ j J^^s-^ <S«^^ J^^ 'JW <^ '^T*^ V S-'y^ (J^^ ,^) 3^ •**/• 5 JS»^/» j_5^
^_5^ 6Atoli^ yW/» J^^^ '''^^ ;** O^J^i ct^iiij JU^ A^ J^^ «i^j J^^ è** »3^^
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d*s»^ j jaU ^L.,.,;..,.^ J^»^'^ C*"*^ J*^ •'^î "^7*^ 6jU^ &^ Jjfc\»i > ^,> (_2^ i<i^t^. gjj
w:^l» \i • c:^iU j\ M^>ijy» >> J>iW t-î^ (3=^ <S.sj\ o lS*^ ''SÎ^ (•W* ij*^'*' 'O'^r^J
i^/!^> u:^^» j\ OX* Jbii\> fiJ^j >^y* J*^ 1*^ )^ £') ) ^-â^ ^>lif J^yfc JjL* i».^^,<«
tï.»-.* «>■--& Ai:;.».*^ JkiJkge ^Co • j^«^^^ «Mr* ^ i »-=-^*^3^ c:-*-.jO . JaU ^Ji
(^*^ ç-jA y»^ ;j««> JciLi Jow» .0 t_ivâ> j^^i^? j^»*» '.s-S!'^) <.s-~<ni-fe ) «^St^ 3^ \j\Io-A
Mersad el-ibad. man, supp. persan 1082, folio 47 verso — 48 verso.
17
272 LE MtJSÉON.
la loi religieuse ésotérique ^^i^Lje sheïkh le lui pardonne,
qu'il oublie en quelque sorte qu'il l'a commis et qu'il
l'aide par ses conseils de façon à ce que, le cas échéant, il
ne retombe pas dans ses errements. 11 va de soi que,
malgré cette sage recommandation, le sheïkh ne doit pas
avoir le pardon tellement facile que les novices qui se
sont exposés à ses reproches soient sûrs de n'avoir pas à
les craindre ; une telle conduite de la part du supérieur
du phalanstère souti aboutirait rapidement à la destruc-
tion complète de la Règle et de l'ordre moral ; si ses bons
conseils ne réussissent pas, le sheïkh ne doit pas hésiter
à châtier le délinquant.
En onzième lieu, le sheïkh doit jouir d'un bon naturel,
de façon à ne pas commander durement son disciple et de
sorte que le novice qui suit son enseignement et qui est sous
sa direction prenne de lui ce bon caractère et des mœurs
excellentes : la nature du novice est en effet le miroir
dans lequel viennent se réfléchir les États J^^^^l, les actes
et les qualités d'esprit du sheïkh ; c'est dans ce sens que
quelques auteurs mystiques ont dit : « La perfection de la
mission J^X des sheïkhs jUj se retrouve dans le miroir
des États (i) des novices ».
La douzième qualité requise du sheïkh qui veut diriger
ses ouailles avec fruit est le désintéressement et le détache-
ment j^A ; il faut, de toute nécessité, que le sheïkh fasse
passer toutes les affaires de ses disciples, tant au point de
(1) Le mot État a ici un sens tout spécial, celui de quantité de grâce
que le Mystique peut recevoir et qui se manifeste par les extases ; on
trouvera des explications sur ce terme dans l'article III.
ÉTUDES SUR l'ÉSOTÉRISME MUSULMAN. 275
vue temporel que spirituel, avant les siennes propres et
leurs plaisirs avant les siens.
La treizième est la générosité, qui découle tout naturel-
lement du désintéressement et de la bonté que le sheïkh
doit témoigner à tous ceux qui viennent lui demander à
profiter de sa science pour que le disciple acquière cette
générosité.
La quatorzième est la résignation la plus absolue aux
volontés de l'Être Unique et la confiance dans la Provi-
dence, de façon qu'il ne s'inquiète jamais des moyens
grâce auxquels il lui sera possible de subvenir aux besoins
matériels de ses disciples, et qu'il n'en refuse jamais pour
ce motif ; il doit être persuadé, qu'il ait un seul disciple,
ou qu'il en ait un millier, qu'Allah leur enverra immé-
diatement leur subsistance, et même plus, et qu'il ne
permettra jamais que l'un d'eux vienne à manquer du
pain quotidien, ni des choses qui s(Hît d'une utilité immé-
diate pour la vie.
La quinzième est l'abandon à la volonté de l'Être
Unique ; cette condition paraît faire double emploi avec
celle dont il vient d'être parlé immédiatement, mais il
n'en est rien : la résignation aux décisions de la Divinité
J^y ne regarde que les besoins matériels, tandis que
l'abandon --i-j concerne les faits moraux et spirituels ; c'est
dans ce sens que l'auteur du Mersad el-ibad dit qu'il doit
pratiquer cet abandon en ce qui regarde les choses cachées
ou, pour plus d'exactitude, en ce qui concerne les choses
qui appartiennent au monde transcendantal, au monde
qui est caché à la vue exolérique des hommes ; le sheïkh
doit accepter comme élève qui Dieu lui envoie, il ne
doit pas rechercher un grand va et vient de disciples, ni
274 LE MUSÉON.
se montrer désespéré quand ils le quittent ; il doit pren-
dre le lennps comme il vient et considérer que tout ce
qu'il fait pour eux, c'est comme s'il le faisait à l'égard de
Dieu.
La seizième est de se contenter de ce que l'Être Unique
lui donne sans jamais estimer que cela est trop peu de
chose et de s'arranger de façon à instruire convenable-
ment les élèves dont il a la charge. Cette qualité du sheïkh
dérive naturellement des deux précédentes.
En dix-septième lieu, le chef du phalanstère soufi doit
être un homme à l'aspect grave et que sa tenue fasse res-
pecter ; il faut qu'il se conduise avec ses disciples sans
morgue ni hauteur, mais il est de toute nécessité qu'il
vive avec eux de façon à ce qu'ils aient la plus grande
considération pour lui et qu'ils ne soient jamais tentés de
le traitei* comme un égal, car cela lui ferait perdre toute
autorité sur eux et ils perdraient le profit de la mis-
sion du sheïkh. Tous les auteurs mystiques, à quelque
nuance de l'Esotérisme qu'ils appartiennent, sont d'avis
que l'un des points essentiels et primordiaux de la doc-
trine soufie est le respect absolu, de l'élève pour son
maître spirituel : c'est en ce sens que plusieurs d'entre eux
ont dit que le disciple doit avoir beaucoup plus de respect
pour son sheïkh que poui' son père.
La dix-huitième condition que doit remplir le sheïkh
est la placidité ; il ne doit jamais agir avec précipitation
et il faut qu'il traite doucement son disciple, sans s'empor-
ter contre lui, ce qui, dans certains cas, risquerait de lui
faire perdre la trace du droit chemin.
La dix-neuvième qualité doit être la plus grande fermeté
d'esprit et une décision absolue ; il faut, quand le sheïkh
a entrepris une affaire, qu'il aille jusqu'au bout et qu'il se
ÉTUDES SUR l'ÉSOTÉUISME MUSULMAN. 275
garde bien de s'arrêter en chenniin, aussi bien dans les
affaires qui ne regardent que lui que dans colles qui
conceinent ses disciples. Ceux-ci, en effet, s'ils le voyaient
changer constamment d'idées et renoncer à ses projets,
finiraient par penser qu'il ne sait pas ce qu'il veut et par
conséquent que son enseignement n'est d'aucune utilité ;
il doit de plus tenir rigoureusement les promesses qu'il
fait à ses disciples.
Enfin, en vingtième lieu, il doit avoir une grande res-
pectabilité, de telle sorte que le disciple garde toujours
pour lui un sentiment de crainte et qu'il reste constamment
sous l'influence morale et spirituelle de son directeur de
conscience, que celui-ci soit présent ou absent ; dans ces
conditions, l'âme du disciple sera toujours occupée par
l'idée du maître et les tentations infinies du démon ne
pourront avoir de prise sur son esprit.
Mohyi ed-Din Mohammed Ibn el-Arabi trace dans son
el-amr el-molikem un tableau à peu près identique des
devoirs du sheïkh (i), mais il ajoute quelques détails qui
sont intéressants, en ce sens qu'ils montrent la surveillance
extrêmement étroite et de tous les instants que le direc-
teur de conscience était tenu d'exercer sur ses disciples ;
d'après Ibn el-Arabi, le sheïkh ne doit pas laisser un
novice sortir de sa cellule sans lui demander pour quoi il
sort, pour combien de temps et où il va (2). Cette pres-
cription rappelle les coutumes des ordres monastiques
chrétiens, de même que celle qui obligeait le sheïkh à
donner à chacun de ses disciples une cellule séparée (3)
(1) Man. arabe 1337, folio 4 verso.
(2) ibid., folio 7 recto.
(3) ibid., folio 6 verso.
276 LE MUSÉON.
de façon à ce qu'il puisse travailler et méditer tranquille-
ment sans être dérangé par le bruit et les conversations
des importuns. Enfin le sheïkh ne devait pas surmener
ses élèves et il était tenu de ne pas leur ûiire plus d'un
cours pour une journée de 24 heures (i).
(A continuer). E. B loch et.
(1) ibid., folio 6 verso.
MATERIAUX
P O U H S E U V I R A L ' II I S T 0 1 11 E DU
MATÉRIALISME INDIEN
PAK LE D' L. SlALI.
Je crois impossible, dans l'état actuel de nos connaissances,
d'écrire une étude d'ensemble sur le matérialisme indien. Il faut
d'abord rechercher patiemment dans les textes des autres sys-
tèmes toutes les données indirectes qu'ils fournissent, surtout
dans leurs parties polémiques, et exploiter systénuitiquement
un genre de littérature qui est restée jusqu'à présent presque
oubliée, c'est-à-dire les ouvrages qui ont la prétention d'être
des encyclopédies philosophiques et qui, en tout cas, nous réser-
vent une riche moisson de matériaux toujours intéressants, et,
souvent aussi, nouveaux. Parmi ces ouvrages, le mieux connu et
le plus célèbre est le Sarvadarçanasamgraha de Mâdhavâcârya ;
mais il y en a d'autres, plus anciens ou plus importants, qui
réclament notre attention. Je me propose donc de donner ici, au
fur et à mesure que je les rencontrerai, les informations qui me
paraîtront dignes d'être relevées, et la traduction intégrale de
tous les morceaux qui se réfèrent au matérialisme indien. C'est
donc un recueil de matériaux que j'ai intention d'inaugurer par
le présent travail qui apporte déjà quelque chose de nouveau, les
extraits d'un texte dont je donne la première édition complète.
Je crois cette méthode de recherche nécessaire ; il est vrai que
les idées fondamentales des Cârvâkas nous sont, dans certaine
mesure, connues par l'exposé du Sarvadarçanasamgraha ; mais il
278
LE MUSÉON.
y a toujours à apprendre, surtout pour ce qui a rapport à la
manière d'envisager certaines questions ou d'interpréter, du point
de vue matérialiste, les faits de la conscience. Je publierai donc
et traduirai tous les documents qui me seront abordaliles : et si
même, à la fin de mes recherches, je n'étais parvenu qu'à
retrouver quelques morceaux inédits de Brhaspati ou à relever
quelques traces d'influence matérialiste dans les idées des autres
systèmes, il me semblerait n'avoir perdu ni mon temps ni mou
travail.
1.
{Safldarçanasamticcaija (i), chapitre VI).
Avant tout, on dit ce que c'est que les Nâstikas. Il y a
certains Nâstikas qui ne reconnaissent pas les Brahmanes
et les autres castes ; ils sont des ascètes qui portent des
couronnes de crânes et sont adonnés à la pratique de se
couvrir de cendre. Ils n'admettent ni l'âme ni [l'état de]
pureté ni le péché, et soutiennent que l'univers résulte
des quatre éléments. D'autres [Nâstikas] au contraire, qui
forment une partie des Cârvâkas, admettent un cinquième
élément — l'éther (âkâça) — et affirment [par conséquent]
que l'univers résulte de cinq éléments. Dans leur théorie
le principe intelligent (caitanya) se produit des éléments,
comme le pouvoir enivrant d'une boisson spiritueuse; les
âmes [individuelles] sont semblables à des bulles d'eau ;
et l'âme (purusa) n'est autre chose que le corps pourvu
d'intelligence. Ils se nourissent de viande et de boissons
alcooliques [madya] et ont commerce avec leur mère et
(1) The Saddarçanasamuccaya of Haribhadra, with Guriaratna's com-
mentary, edited by L. Suali, Ph. D., Calcutta, Bibliotheca Indica. La
première livraison a paru en 1905 ; la deuxième est déjà imprimée ; et
j'espère, pour autant qu'il soit permis d'espérer lorsqu'il s'agit des impri-
meries indiennes, que tout le texte paraîtra dans d'assez brefs délais.
niSTOlUb: DU matérialisme IINDIEIN. 271)
d'autres gens avec lesquels ils n'est pas permis [aux autres
hommes] d'avoir commerce. Tous les ans, à certain joui',
ils se trouvent tous ensemble ; et selon l'ordre dans lequel
sortent leurs noms, ils s'amusent avec les femmes (i). Ils
n'admettent d'autre loi (dliarma) que le plaisir {hâma).
Leurs noms sont : Cârvâkas, Lokâyitas etc. Le nom de
Cârvfika [s'explique étymologiquement de la manière sui-
vante : ] les racines yal et carv sont employées dans le
sens de « manger ». [Donc, Cârvâka signifie] ceux qui
mangent {carvanti=^blial{sayanti),c est-à-dive, dans le fait,
ceux qui n'admettent aucun objet ultrasensible, p. ex. le
péché et les bonnes actions. Le mot [Cârvâka] est men-
tionné dans la série [des mots qui ont le suffixe fikci]
indiquée par le mot âdi du sûtra de la grammaire de
Hemacandra qui dit mûvdka-çyâmâka etc (2). Le nom de
Lokâyitas signifie qu'ils se conduisent comme des hommes
communs, en donnant au mot « hommes » {loka) le sens
de gens sans réflexion. Il y a aussi la forme Lokâyatika.
Ils s'appellent aussi Bârhaspatyâs parce que leur système
émane de Brhaspati.
Or [Haribhadra] expose le système de ces [Cârvâkas] :
80. Les Lokâyatas disent ainsi : il n'y a ni âme ni béatitude
finale ; il n'existe ni mérite ni démérite, ni fruit d'actions bonnes
ou mauvaises.
Les Lokâyatas, ou Nâstikas, disent ainsi [evam), c'est-à-
(1) Texte : varse varse kasminn api divase sarve sarpbhûya yathâ
nâmanirgamam strïbhir abhiramante.
(2) Hemacandra, Unâdiganasûtra, 37 : mavâka-çyâmâka-vârtâka-vrii-
tâka-jyontâka-guvâka-bhadrâkâdayati (Quellenwerke der Altindischen
Lexicographie, vol. II, Wien-Bombay 1895). La vivpti ajoute : eta âka-
pratyayântâ iiipâtyante ... âdigrahanât syonâka-cârvâka-.parâ,kâdayo
bhavanti.
280 LE MUSÉON.
diredecette manière {ittliam) Comment? Il [= Haribhadra]
dit : — ïl n'y a pas d'âme pourvue d'intelligence et desti-
née à aller au monde d'au delà, parce que l'intelligence,
qui est le résultat des cinq grands éléments, périt dans
ce monde, aussitôt que périssent les éléments ; [d'où il
s'ensuit] qu'il lui est impossible de parvenir à l'autre
monde. U y a aussi la variante deva au lieu dejlva (i) :
[et alors, le sens serait :] il n'y pas de Dieu omniscient
etc. — Aussi, il n'y pas de béatitude ou libération finale
[nirvrli = moksa). Ainsi est le sens — Encore : il n'y a ni
mérite ni démérite, c'est-à-dire qu'il n'y a ni bonnes ni
mauvaises actions : tel est le sens. Et [par conséquent] il
n'y a non plus de fruit de [ces] actions bonnes ou mau-
vaises, qui consiste [selon les autres systèmes] dans le
paradis, l'enfer etc. : car, d'oii viendrait le fruit de ces
actions, puisqu'il n'y a ni mérite ni démérite ?
[Haribhadra], pour montrer leur cynisme, comme ils
l'étaient dans leurs textes, dit :
Et leur système est comme suit :
81. Ce monde est justement tel qu'il se présente aux sens.
« Regarde, mon amie, ce que les gens sans expérience appellent
des pieds de loup ».
Tathâ ca a valeur démonstrative. Tanmata signifie,
selon l'ordre [où sont exposés les systèmes dans ce texte],
liithéov'iede&NsLSliksLS.Ayam=pratyaksa;loka=-manusyalo-
(l) C'est la lectio de la reoension adoptée par Manibhadra. Le texte des
sûtras de Haribhadra nous est parvenu en deux recensions : l'une suivie
par Manibhadra, dans son petit commentaire (publié dans les Chowk-
hambâ S. S., N° 95), qui est un abrégé de celui de Gunaratna ; l'autre,
adçptée par Gunaratna dans son magnifique commentaire perpétuel.
Gunaratna, qui les a connues toutes les deux, rapporte aussi les variantes
de la première.
HISTOIKE DU MATÉRIALISME INDIEN. 28!
ha; etâvat = màira eva; yâvat = yâvan mâtra. [Le composé]
indnya(joccira signifie domaine (gocara) c'est-à-dire ol)jet
(visaya) des sens, qui sont le tact, le goût, l'odorat, la vue
et l'ouïe. [En d'autres mots], il n'existe pas d'autre chose
que ce qui est objet des cinq sens. Il faut ajouter que par
le mot « monde » (loka) on veut exprimer l'ensemble des
objets qui existent dans le monde. Par conséquent, il
n'existe rien de ce qu'admettent les autres [systèmes],
savoir l'âme, les actions bonnes ou mauvaises, le paradis,
l'enfer etc. qui en seraient le fruit, parce que [toutes ces
choses] ne peuvent pas être perçues par les sens. Et, si
l'on opposait : « Mais ce qui ne peut pas être perçu par
les sens, existe aussi w, nous répondrions : « Alors, il
faudrait aussi admettre comme possible qu'un lièvre ait
des cornes, et une mère stérile, un fils ». Car on ne per-
çoit jamais rien en dehors de ce qui peut être connu au
moyen de la perception directe des sens {pratyaksa), de ce
qui est de cinq espèces : [i] objets solides ou mous, [2]
substances [de goût] amer, acre ou astringent, [5] objets
qui ont une odeur agréable ou désagréable, [4] la foule
variée des objets immobiles ou mobiles, savoir les mon-
tagnes, les mondes {bliuvana), les arbres, les colomnes,
les cruches, les lotus, les hommes, les quadrupèdes, les
insectes, [5] les sons des divers [instruments de musique],
la flûte, la lyre, etc. Et, comme il est impossible de con-
naître au moyen de la perception directe des sens une
âme qui ne soit pas, [comme nous soutenons, nous autres
Nâstikas], l'intelligence produite des éléments, mais soit
imaginée, [comme dans les autres systèmes], comme
cause de l'intelligence et douée de la faculté d'aller au
monde de l'au-delà, de la même manière qui pourrait ne
pas trouver ridicules, comme un tableau peint dans l'air,
:282 LE MLSÉON.
les choses qu'affirment les autres philosophes, c'est-à-dire
le lïiëi'ite et le démérite [qui seraient] la cause du bonheur
et du malheur de l'âme, le paradis et l'enfer, [qui seraient]
le lieu où l'âme en savoure le fruit, et la béatitude de la
libération, qui devrait se produire de la destruction des
œuvres bonnes et mauvaises ? Par conséquent le fait qu'il
y a des gens qui, l'esprit trompé par le désir des bonheurs
du paradis ou de la libération finale, s'en vont en quête
de l'âme etc., [toutes] choses qui ne sont ni touchées, ni
goûtées, ni senties, ni vues, ni ouies(i), et toui'mentent
leur existence pai' des peines (kleça) comme de se raser la
tête et le visage ou de pratiquer d'autres pénitences bien
plus dures, p. ex. en supportant l'ardeur intolérable
du soleil, [ce fait] est l'effet de l'excès de leur grande
sottise. Car l'on dit :
Les pénitences, les tourments variés de l'enfer, Tabstinence,
le renoncement aux plaisirs, la cérémonie de Vagnihotra etc.,
sont (les jouets d'enfants.
Tant (pron vit, ou doit vivre joyeusement, en jouissant des
plaisirs des sens : comment pourrait revenir le corps, après qu'il a
été réduit en cendres ?
Donc, il est démontré qu'il n'y a de réel que ce qui est
l'objet des sens.
Mais, puisque ceux qui soutiennent l'existence de l'âme,
de la vertu [punya) et du péché [en employant dans cette
démonstration ces mêmes] moyens de preuve [qu'ils
appliquent à la démonstration d'un] objet ultra-sensible,
savoir l'illation et l'Écriture, ne cessent jamais [d'y avoir
recours], notre auteur se sert d'un exemple pratique pour
les illuminer, [et il y fait allusion] avec les mots : «Regarde,
(1) C'est-à-dire, qui ne sont nullement perçues par les sens.
I
HISTOIRE DU MATÉlUALISftiE INDIEN. 283
mon amie, ce que les gens sans expérience appellent des
pieds de loup ». La légende à laquelle se rapportent ces
mots est la suivante.
Un homme, dont l'esprit est absorbé dans la fausse
doctrine du système des Nâstikas, cherche chaque jour à
convertir sa femme, — qui [au contraire] a dévoué son
esprit aux théories des Àstikas, — au moyen des argu-
ments contenus dans les traités de son système, et dans
lesquels il est versé. Mais, comme sa femme ne veut pas
se convertir, [il pense] : « Elle parviendra à se convertir
par ce moyen [que j'ai imaginé] ». Ayant ainsi pensé dans
son esprit, à la dernière veille de la nuit, après être sorti
de la ville avec sa femme, il lui dit : « Ma bien-aimée,
regarde comme ils sont habiles à réfléchir les hommes
qui habitent cette ville, qui soutiennent que Filiation etc.
ont une valeur démonstrative pour les objets ultra-sensi-
bles, et à qui les autres hommes ont recours à cause de
leur expérience » (i). Après ces mots, ayant uni ensemble
les trois doigts : pouce, index et médius de ses deux mains
et les ayant couchés dans la poussière, en partant de la
porte de la ville jusqu'au carrefour, il fit [en y imprimant
ses doigts] les pieds d'un loup sur la route royale, où il y
avait une grande quantité de poussière étendue régulière-
ment {samlbhùta) par le vent qui soufflait plus doucement.
Le matin après, quelques personnes, ayant aperçu ces
empreintes de pieds [de loup], s'assemblèrent sur la route
royale. Les hommes d'expérience {bafiuçrutâh) y allèrent
aussi, et dirent à ces gens : « Oh ! oh ! sans doute un loup
— car autrement ce serait impossible qu'il y eût ici des
empreintes de pieds [de loup] — est venu cette nuit de la
(1) Texte : lokena ca bahuçrutatayâ vyavahriyamânâh.
284 LE MUSÉON.
forêt jusqu'ici ». Alors, regardant ces hommes qui par-
laient de telle manière, [le Nâstika] dit à sa femme : «Oh !
ma bien-aimée, [vois donc ce que ces hommes sans expé-
rience appellent des pieds de loup] ».
[En commentant ces mots du texte de Haribhadra, il
faut observer que] : bhadre == priye; le singulier vrkapadam
est employé en sens collectif; paçya = nirlksasva; yadvrka-
padâni vadanti est objet de paçya, et vadanti = jalpanti.
Abaliuçmlâk indique des hommes qui, bien qu'ils soient
estimés généralement par le monde comme pourvus d'ex-
périence, dans le fait en sont dépourvus, parce qu'ils
parlent sans connaître la vérité. Tel est le sens mot à mot.
— Si l'on admet la variante yad vadanti baliuçrutâh (t), il
faut commenter dans ce sens, que haliuçrutali équivaut à
lokaprasiddliâli.
En effet, ces gens qui, ne connaissant nullement la
vérité en ce qui a rapport aux pieds de loup et en parlant
comme un seul homme quoiqu'ils soient nombreux,
aveuglent l'esprit de beaucoup de sots, ne sont pas dignes
que ceux qui connaissent la vérité acceptent leurs dis-
cours. De la même manière sont dignes du mépris des
hommes de bien, les discours de ces philosophes, nom-
breux à vrai dire, charlatans du truc du dliarma {dluirmi'
kaccliadmadluirtâli) , occupés seulement à tromper les
autres, qui, ayant démontré au moyen de l'illation et de
l'Écriture la stabilité d'une chose quelconque, prétendent
affirmer que de la même manière existent l'âme etc., et
font ainsi faussement tomber les sots dans une confusion
de choses qu'on peut ou qu'on ne peut pas manger, de
[personnes] qu'on peut ou qu'on ne peut pas posséder, de
(1) Donnée par Manibhadra.
HISTOIUE DU MATKIUALISME INDIEN. 285
choses qu'on doit prendre ou quitter, etc., [en exploitant]
l'avidité qu'ils ont de cette série ininterioinpue de bon-
heurs qu'on peut acquérir en atteignant au paradis etc. ;
ou bien encore, les troublent par des prescriptions reli-
gieuses nombreuses et dépourvues de sens.
Après cela, la femme du Nâstika approuva en tout le
discours de son mari.
[A présent, Haribhadra], pour exposer ce que l'époux
de cette femme lui dit après ce [discours], dit :
82. Bois et mauge, [et jouis selon ton bon plaisir], ô toi aux
beaux yeux ! Cette [jeunesse et cette beauté que tu as à présent],
ô femme dont les membres sont parfaits, [tu] ne [les aiua plus],
une fois [qu'elles seront passées]. Car, ô craintive, ce qui s'en est
allé, ne revient jamais plus. Ce corps n'est pas autre cliosf^ (ju'uu
aggrégat des éléments.
Cârulocane est un vocatif = çobhanâhsi. « Bois )> {piha)
signifie : adonne-toi à boire des boissons alcooliques etc.,
sans tenir compte si elles sont dans les conditions de
pouvoir ou de ne pouvoir pas être bues. Et non seulement
bois, mais aussi mange {kitàda), c'est-à-dire nourris-toi
de viande etc., sans regarder si [ce que tu manges] peut
ou ne peut pas être mangé. Les verbes «bois)) et «mange»
expriment la partie pour le tout : il faut donc entendre
que par ces deux mots l'on exprime aussi cette phrase :
« Cueille le fruit de ta jeunesse, sans faire ditférence entre
gens avec qui il soit pei*mis d'avoir commerce et gens
avec qui ce n'est pas permis, et en jouissant de [tous les]
plaisirs ». Tat cest-à-dire jeunesse etc. ; atita=^ atilirânta ;
le wocAiif vanKjâtri = yotutiï pnidliCniângi ; te=^ tava ; et il
faut sous-cntendre hhïujas bliavisijati [en l'unissant avec la
négation] na. Quoique les deux \oc'àiih cûrnlocane et vdra-
(jiitri aient le même sens, cependant il n'y a pas faute de
286 LE MUSÉON.
tautologie, parce qu'[ils ont le but d'exprimer] un très
grand désir de rappeler l'attention. Car l'on dit :
Il n'y a pas de tautologie [lorsqu'on veut] récapituler ou
rappeler l'attention, [dans le cas d'J itération (vlpsâ), lorsqu'on
veut décider quelqu'un à faire quelque chose, [lorsqu'on veut
indiquer] le terme moyen d'un syllogisme (hetu), [ou bien expri-
mer] méconteutenient, trouble léger, merveille, ou mettre en
évidence quelque chose (ganana), ou exprimer qu'on se rappelle
de quelque chose.
Mais [la femme du Nâstika pourrait lui opposer :] « En
buvant, en mangeant, en jouissant des voluptés selon son
bon plaisir, il est très facile d'obtenir dans l'autre vie
toute une série de peines ; tandis que, si l'on a accumulé
ici-bas des bonnes actions, on peut aisément obtenir dans
une autre existence, voluptés, bonheur, jeunesse, etc. »
[C'est] pour répondre à cette [possible] objection de sa
femme, que le Nâstika dit : [« ô craintive, ce qui est passé
ne revient jamais plus ; et ce corps n'est autre chose qu'un
aggrégat ■>■>]. Na lii = naiva. Le vocatif blilru signifie : ô toi,
qui, à cause de ce que disent les autres, es toute troublée
par la peur des malheurs qu'on a en part dans l'enfer etc. »
Gâta signifie sortie de cette vie [et le sujet sous-entendu
est] bonheur, jeunesse etc. « Ne revient jamais plus » (na
nivarlate) signifie qu'on ne peut pas l'obtenir dans le
monde d'au-delà. Le sens est qu'il est inutile de mépriser
les bonheurs de cette vie par désir des bonheurs de l'autre,
en ayant recours à des pratiques pénibles comme les
pénitences, etc.
Mais [l'on pourrait opposer] : l'âme, qui dépend de son
karman bon ou mauvais, après être restée pendant le
temps de cette vie (adhimâ) dans le corps qu'elle a occupé,
doit nécessairement jouir dans l'autre vie aussi d'un bon-
HISTOIRE DU MATÉRIALISME INDIEN. 287
heur ou d'un malheur etc. qui ont pour cause son kar-
man. [C'est pour répondre à cette objection que le Nfisti-
ka] dit : [« Ce corps n'est qu'un aggrégat. Dans le composé]
satnudayamâtra, samudaija (aggrégat) signifie : l'union
des quatre éléments ; le mot mâtra a un sens limitatif.
Idam = pralijalisa ; Icatevara = çarlra. Il faut supplir
evâsti. Le sens est le suivant. Dans chaque corps, en dehors
du seul aggrégat des quatre éléments, il n'y a aucune àme
qui puisse aller au monde d'au-delà, ou jouir des effets
d'un karman bon ou mauvais. Et, puisque cette union
des quatre éléments se voit et ne se voit plus dans un
moment, comme la lueur de l'éclair, bois et mange
comme il te jilait, sans avoir aucun souci de l'autre vie.
[Or Haribhadra dit quels sont] l'objet et le moyen de
connaissance admis [par ce système] :
Et encore :
83. Les quatre élémeuts sout la terre, l'eau, le feu et le vent :
la terre eu est le substratuni. Dans le système de ces [matéria-
listes] Ton n'admet d'autre preuvi' que la perception.
Kim ca est employé en sens adjonctif. Prllivl = bliûmili ;
jalam = fipali ; tejali = vahnili; vayuli = pavanali. Le com-
posé bliûlacdtusUnjdm signitie eUlni bliûtûïii catvCiri. Àdliûro
bliûmir etesfun signide (|ue la tQvvefbfiûmi = prthvl) est le
soutien {àdliûra), c'est-à-dire le substratum [adldkarana)
de ceux-ci, c'est-à-dire des éléments. En admettant la
leçon caitanijabluimir etesûm (i), par quoi serait déterminé
le suhsVdnùï cadislayam! [Par le composé] caitanyabhûmi
[qui] signifie : le lieu où a naissance l'intelligence. Le
sens serait : les éléments, s'étant réunis, produisent l'in-
(1) C'est la variante de Manibhadra.
18
288 Li: MusÉON.
telligence. Etesâm signifierait: dans le système des Cârvâ-
kas. Selon une autre leçon, [qui est] pramûnabliûmir etesâm
[l'on aurait ce sens, que] dans le système des Cârvâkas
[etesâm = Cârvâliânâm], les quatre éléments sont pramâna-
bliûmi, c'est-à-dire l'objet réel du pramâna [ou moyen de
connaissance].
Mânam tu = pramânam punali ; aksam eva = pratyaksam,
eva, [et eva signifie que dans le système des Cârvâkas il y a]
un seul [pramâna, c'est-à-dire la perception directe des
sens], et qu'on n'y admet pas les autres pramânas, illation,
etc. Le mot hi a ici valeur spécilicative. Le sens qu'on
veut spécifier {viçesali punali) est le suivant : les Cârvâkas
admettent l'illation de la fumée etc., qui a pour but
d'établir la réalité [d'un objet qui appartient à] l'ordre
des choses communes de cette vie, mais dénient une
illation ultra-sensible {alauldka) qui a pour but de démon-
trer l'existence du paradis, de la destinée, etc.
Mais comment peut-on parvenir à se faire une idée de
la manière dont se produit l'àmc par la force des
éléments? Pour répondre à ce doute, [HaribhadraJ dit :
84. Du corps, dont révolutiou est produite par Funioii des
quatre éléments, se développe l'esprit, à peu près de la même
manière dont le pouvoir enivrant d'une boisson se produit des
ingrédients alcooliques [qui la composent].
Le composé prl/ivijâdisamhatyâ doit s'expliquer comme
suit : prtlivyâdi indique [les éléments], terre, eau, feu et
vent, et doit être pris comme correspondant à un génitif;
samliatyâ est un instrumental, qui exprime la cause, et
le mot samliati équivaut à peu près à samyoya, ou sama-
vâya. Tathâ = tena prakârena. Le composé dehaparlnateli
doit s'expliquer ainsi : délia correspond à un génitif;
parînateli est un ablatif, et le mot parlnati équivaut à
HISTOIRE DU MATÉRIALISME INDIEN. 289
parhmma. Cit doit être uni avec cet ablatif. Comme
{yadvut = ijatliâ) [de l'union] d'ingrédients spiritueux {su-
rânga), c'est-à-dire d'ingrédients alcooliques {madyânga)
seproduitle pouvoir enivrant {madaçakti =7nodaknlva), de
la même manière {tadvat = iatlia) se produit l'âme (cit =
caitanya) dans le corps. Il faut remarquer que le mot
âtman, qui peut avoir beaucoup d'acceptions, doit être
ici entendu dans le sens de « corps », et non dans celui
d' « âme ». [Le sens est :] de l'union des quatre éléments
se développe le corps, et ensuite l'âme qui y réside. Dans
le mot parlnati, le préfixe pari peut avoir la dernière
voyelle longue, quoiqu'il n'y ait pas le sufïixe a (glian),
parce que la règle est passible d'applications variées.
Il y a aussi [de ce vers] la variante suivante :
prtlwyàdibliûtasamhatyilm tatlià dehâdisambhavali
madaçalitih suràngebliyo yadvat tadvat stliitâtmatâ. (i)
Dans cette leçon, [il faut sous-entendre] satyCim [après
le composé prthvyâdibhûtasamltatyâm]. Le mot tatlnï doit
être pris dans le sens copulatif, en rapport avec ce qui
est dit dans le vers qui précède. [Dans le composé] deliâ-
disamb/iavali, par le mot ûdi l'on entend la terre, les
montagnes, etc., qui sont, [eux aussi], produits par les
éléments. De la même manière que de [différents] ingré-
dients alcooliques se produit le pouvoir enivrant, ainsi
prend place {stliitâ = vyavastliita) dans le corps la qualité
d'être animé [ûtmata). En effet, Vâcaspati dit :
" Les substances sont la terre, Feau, le feu et le vent ; de leur
union se produisent le corps, les organes des sens et leurs objets,
et la conscience ; de ceux-ci, l'âme «.
(1) Variante donnée par Manibhadra.
290 LE MtJSÊON.
Ayant ainsi établi [ce qui précède, Haribhadra] dit,
pour exposer [les principes des Cârvâkas], comme ils
les enseignent :
85. Les Cârvâkas soutiennent que c'est par conséquent une
sottise que Je s'occuper, comme le font les hommes, des choses
ultra-sensibles, sans se soucier des choses sensibles.
Yasmât est un ablatif de cause, et veut dire : puisque
l'âme est produite par les éléments. [Le composé] drsta-
pajityûgâl doit être expliqué : paritijâgât régit drsta, qui
correspond à un génitif, et drsta indique le plaisir, pro-
duit par les objets matériels et perçus directement par
les sens, qu'on peut avoir dans ce monde. Les Cârvâkas
soutiennent {pratipedire = pratïpannûli) que c'est la faute
de la sottise, c'est-à-dire de l'ignorance des hommes, que de
s'occuper {pvavarlanâ = pravrtti) des choses ultra-sensi-
bles, du bonheur de l'autre vie qu'on doit atteindre au
moyen de pénibles pratiques d'ascétisme, en négligeant les
choses sensibles [drstapantyâgât. Ce composé doit être
expliqué de la manière suivante :] parityâgât régit drsla,
qui cori'espond à un génétif, et indique le plaisir produit
par les objets matéi'iels et perçus directement par les sens,
qu'on peut avoir dans ce monde. Car c'est justement leur
ignorance la cause par laquelle les hommes, troublés
dans leur bon sens par l'exposition de discours trompeurs,
quittent le plaisir de ce monde qu'ils ont sous la main,
et, par désir d'atteindre au bonheur du paradis ou de la
délivrance, s'adonnent à la pénitence, aux prières, à la
méditation ou aux sacrifices. Voilà ce qu'enseigne ce
système.
A présent, après avoir montré ces [philosophes] qui,
ayant l'esprit satisfait par l'apaisement du quiétisme,
I
lUSTOIKE DU MATÉKIALISME INDIEN. 291
décrivent le bonheur du calme [qui provient de ce quié-
tisme], [HaribhadraJ expose ce que disent les Cârvâkas.
86, Dans le système de ces [matérialistes] cette joie qu' éprou-
vent les hommes en s'appliquaut à ce qui est permis ou en
s'abstenaut de ce qui est défendu, est inutile, car il n'y a pas de
devoir autre (^ue le plaisir.
Sâdfiija signifie méditation (dliijâna), et peut être de
deux sortes : qu'on doit admettre {upâdeya) ou qu'on
doit éviter (heya). De la première est le couple du clharma-
çukla-dliyCma , de la deuxième, le couple de V ârta-raudra-
dhifCma (i). Ou bien, sâdliya signifie ce qu'on doit exécuter
{sûdhamya) ou faire {kârya) et indique alors ce qu'on
doit admettre, c'est-à-dire les actions pures, comme
l'ascèse, les vœux, etc., et ce qu'on doit éviter, c'est-à-dire
le péché, comme les plaisirs des sens, etc. ; et les mots
vrtti (s'occuper, s'adonner à quelque chose) et nivrtti
(s'abstenir de quelque chose) [se réfèrent respectivement
à ces deux séries d'actions. Dans le composé sâdhyavrlti-
nivrttibliyâm le mot sâdliya est régi par les deux termes]
vrtti et nivrtti, qui correspondent à pravartnna et nivartana.
Cette joie [prlti) ou bonheur de l'âme [manalmiklm) qui
en naît fjûyale) c'est-à-dire en dérive [sarmitpadyate) soit
aux hommes (jane), soit au monde (loke), dans leur
système, c'est-à-dire [dans le système] des Cârvâkas, est
inutile {nirartha) c'est-à-dire n'a pas de but {niliprayojana),
n'a pas d'effet (iiispliala), ne correspond pas à la réalité
{atâttvika) .CsiV [lii=^yasm(lt) il n'y a pas d'autre devoir que
le plaisir {kâma), c'est-à-dire le bonheur sensuel. Le sens
est ceci : que le plaisir est l'unique devoir et le bonheur
qui en dérive le bonheur suprême.
(1) C'est une interprétation donnée d'un point de vue trop étroitement
jaïnique — Sur ces termes, voir Biiandarkar, Report 1883/84 pag. 110.
292 LE MUSÉON.
Ou bien encore, les mots sâdliyavrttinivrttibhynm etc.
sont employés par Haribhadra pour montrer ce que les
Cârvâkas disent contre ceux qui soutiennent que dans ce
monde l'exécution on non d'un effet désiré ou non dépend
de la puissance du dluirma. Alors le sens du composé
sàdliijavrttimvrltil'hijûm serait à peu près ceci : vrtti signi-
fierait l'accomplissement {sidd/ii), au moyen d'exercices
ascétiques, de piières et de sacrifices, de ce qu'on veut
exécuter [sâdliya), c'est-cà-dire de l'effet qu'on veut obtenir
(prepsitakârya) ; nivrtti, le non-accomplissement (asiddlil)
ou l'absence, [provenant des mêmes moyens] des exei*-
cices ascéti(|ues, des pi-ières etc., d'une conséquence qu'on
ne désire pas. Les mots yâ jane prltir jûynte sa nirarlliakù
[restent les mêmes : seulement, le mot] nircirlliakd signifie
(c sans raison » {nirheluka), a sans fondement » [ninnùla),
pai'ce que artha peut aussi signifier « raison » {lietii).
Jli = yasmût ; et les autres mots dliannah kfnnân na paruh
ont le sens expliqué plus baut.
II.
(Ibid. chap. IV ; p. 159-112 dans mon édition de Calcutta,
Bibliotheca Indica).
REFLTATIO.N MATÉRIALISTE DE l'eXISTENCE DE l'aME.
Ici, (i) les matérialistes font les objections suivantes.
Dans l'expérience de tous les jours, l'on ne perçoit que
les éléments comme causant l'intelligence et dével()i)pés
dans la forme du corps, mais non aucune [entité nommée]
àme, pouivue des caractères dits i)lus haut, prédestinée à
(1) C'est-à-dire, à propos de la théorie jaïna de l'éternité de l'ùine.
IIISTOIUE DU MATÉIWALISME INDIEN. 295
renaître dans une autre existence et distincte des éléments,
parce qu'il n'y a pas de preuve de son existence réelle.
En effet, quelle preuve pourrjiitdémontrer l'existence réelle
d'une àme distincte des éléments, la perception ou l'illa-
tion ?
I) Non pas la perception, parce que celle-ci, ayant pour
objets la couleur, etc., qui sont connexes à un sens déter-
miné, ne peut pas s'appli({uer à l'àme, qui en diffère. Et
il ne faut pas afïirmer cpie « fTexistence d'june àme
distincte des éléments est évidente par sa propriété de
produire la connaissance, dans des expressions comme
« .le connais la] cruche », dans lesquelles entre la notion
du moi, — parce ([u'il s'ensuivrait que cette notion serait
aussi objet du corps, comme cette autre: «Jesuis gras», «Je
suis maigre ». Or, cette [dernière] notion ne peut absolu-
ment pas avoir son fondement dans l'àme, parce (jue
celle-ci est dépourvue de qualités telles que détre gras ou
maigre, etc. De la même niimière, nous ne [louvons pas
même en rêve reconnaître comme fondement de la notion
« Je connais la cruche », une àme telle ([ue vous l'admet-
tez, différente du corps. Et même en supposant (ju on
puisse l'admettre, il y [a ditïiculté à reconnaître une telle]
hypothèse, et il sensuiviait qu'aucun objet déterminé
ne sauiait être fixe et immuable. Et il ne faut pas non
plus atïirmer cpie « ([ue la notion du moi ne convient pas
au corps, qui est brute, comme une cruche, etc. », parce
que le corps est {xjiuvu d intelligence, par effet de son
union avec r|intelligence|. Aussi, il ne faut [>as soutenir
(pje « cette intelligence a pour facteur l'àme », parce (jue,
comme l'àme n'est [)as connue, cette (jualité d'être facteur
|(le rintelligen(re| ik; lui sied pas ; [autrement;, il s'en-
suiviait qu'un lotus céleste etc. [pourrait posséder] cette
294 LE MUSÉON.
[même qualité]. De cette démonstration il s'ensuit que la
qualité d'être facteur de rintelligence convient seulement
au corps, parce qu'il se trouve aussi [avec elle] dans une
relation de concomitance positive et négative. En forme
de syllogisme on dirait : Tout ce qui est avec quelque
chose dans une relation de concomitance positive et néga-
tive, en est l'effet, par exemple une cruche qui est l'effet
d'une boule d'argile. L'intelligence se trouve en relation
de concomitance positive et négative avec le corps :
donc, le corps en est le facteur. Car le rapport de
cause à effet se démontre en tout cas au moyen de
cette concomitance positive et négative. Or, cette double
concomitance se rencontre dans notre cas, parce que,
s'il y a corps, nous percevons aussi l'âme, et, si le
corps n'existe pas, nous ne pouvons non plus percevoir
l'âme. Et il faut se garder d'atïîrmer que « puisque,
le corps une fois mort, il est impossible d'apercevoir
l'âme, il est faux (ju'ils soient en relation de concomi-
tance positive et négative », — car, dans l'état de mort, il
n'y a plus de corps, par effet de l'absence [des deux
éléments] du vent et du feu, parce que le corps est tel
seulement lorsqu'il y a l'union de certains éléments déter-
minés. Aussi, il serait faux d'affirmer que la seule forme
du corps suffit pour produire l'intelligence, parce qu'alors
il s'ensuivrait aussi que dans un cheval peint sur un
tableau se produirait l'intelligence. Donc, il est démontré
que la notion du moi se produit en fait du corps uni avec
l'intelligence. [En résumé, il résulte de tout ceci] (jue
l'âme ne peut pas être connue au moyen de la perception,
et que, par conséquent, elle n'existe pas. En forme
logique : il n'y a pas d'âme, parce qu'elle n'est nullement
objet de la perception. Ce qui n'est nullement objet de la
IIISTOIllt: DU MATÉIUALISME INDIEN. 295
perception, n'existe pas, par exemple, un lotus céleste.
Au contraire, ce qui existe peut être connu au moyen de
la perception, par exemple unecrùche. II est bien vrai que
les atomes ne sont pas perçus par les sens ; mais ils
deviennent perceptibles, lorsqu'ils se sont développés en
forme d'effets sensibles, par exemple une cruche etc.
L'àme au contraire ne devient jamais perceptible. Par
conséquent, en employant l'adjectif «fj/anirt [dans l'expres-
sion atijantâpratijaksam] nous n'avons pas commis une
faute d'exclusion par rapport aux atomes.
2). En outre, l'illation ne peut pas non plus s'appli({uer
à démontrer l'existence réelle d'une âme distincte des
élénients, parce qu'elle n'est pas, pour nous, une preuve;
et, même si nous l'admettions, la raison {helu) serait,
dans ce cas, kâlâtyaffâpadisla, parce qu'elle serait em-
ployée après un développement logique contredit par la
perception. En effet, la thèse d'une àmc séparée du corps
est contredite parla perception. Et encore : l'illation est
précédée du souvenir du rapport entre le signe caractéri-
stique et la chose qui en est poui-vue. Ainsi, quelqu'un
qui, dans une cuisine, etc., a connu, par perception
directe, le rapport de concomitance invariable, positive et
négative, (jui existe entre le signe caractéristique et la
chose (jui en est pourvue — [en ce cas|, le feu et la fumée —
en voyantaprès un certain temps sui- le dos d'une montagne
ou dans une foi'ct de la fumée qui semble être suspendue
au ciel, se rappelle le l'apport qu'il a perçu auparavant,
[et qu'il exprime] de cette manière : Partout où il y avait
de la fumée, jai vu du feu, par exemple dans une cuisine
etc. : et l'on voit ici de la fumée ; par conséquent ici aussi
il doit y avoir du feu. De cette manière, celui qui raisonne,
parvient à la conclusion [de la présence] du feu au moyen
296 LE MUSÉON.
de la perception [antérieure] du signe caractéristique, et
du souvenir [conséquent] du rapport [enti*e ce signe et
l'objet qui en est pourvu]. Mais il est impossible de démon-
trer au moyen de la perception le rapport d'un signe
caractéristique quelconque avec l'àme, qui devrait en être
pourvue, au moyen duquel un homme, en voyant de
nouveau ce signe et en se rappelant ce rapport, puisse
avoir une notion du genre de celle mentionnée plus haut.
Si, au contraire, il était possible de démontrer au moyen
de la perception ce l'appoit entre l'éime et un signe [qui
devraiten être] caractéristique, alors, puisque l'âme serait
de cette manière perceptible aux sens. Filiation deviendrait
inutile, et l'àme serait de cette manière [préalablement[
démontrée. Encore, il ne faut pas dire que « l'àme est
démontrée, comme la marche du soleil, par une illation
sâmânijatodrsta : le soleil se meut, parce que nous voyons
qu'il parvient à un autre point de l'espace, comme Deva-
datta )) — parce que, ma foi ! dans le cas de Devadatta,
qui est le sujet de l'exemple, quatrième membre de syllo-
gisme, on peut au moyen de la perception établir d'une
manièi'e générale {sâmânyena) que le fait qu'il se trouve
dans un autre point de l'espace, est précédé d'un mouve-
ment ; et aussi en rapport au soleil celui qui raisonne
peut de la même manière établir la même chose — et
c'est juste ; — mais, dans le cas de l'âme, l'évidence des
sens ne nous montre pas de la même manière dans aucun
exemple aucune raison [lietu, deuxième terme du syllo-
gisme] qui soit invariablement concomitante avec l'existence
réelle de l'âme. Donc, l'on ne peut pas, même au moyen
d'une illation sùmânijatodrstn, démontrer [l'existence de
l'âme].
3). L'âme ne peut non plus être démontrée au moyen
HISTOIRE DU MATÉRIALISiME INDIEN. ^91
de rÉci'iture. L'autorité probante de l'Éci-iture repose sur
le fait qu'elle émane d'un Cipia, dont la parole a le carac-
tère d'une certitude absolue. Mais nous ne connaissons
aucun (ipta dont la parole ait ce caractère de certitude
absolue, pour qui l'àme soit perceptible directement. Et
alors, ne percevant pas [un tel homme], comment pour-
rions-nous connaître l'àme? Et encore: toutes les Écritures
sont en contradiction entre elles : donc, quelle d'entre
elles a valeur de preuve, et quelle ne l'a pas ? De telle
manière, l'autorité probative de l'Ecriture se trouve en-
tourée par les flammes d'un immense incendie (i) de
doutes. Par conséquent, l'àme ne peut pas être démonti'ée
au moyen de l'Ecriture,
4). Elle ne peut pas non plus être démontrée par le
moyen de preuve dit d'analogie. En effet, dans des
expressions telles que : « Comme est la vache, tel est le
(javaya » etc., la ressemblance, [exprimée au moyen du
mot] (c comme » (iva) sert à faire naître de nouveau l'idée
d'un objet éloigné. Mais, dans notre cas, il n'existe pas,
même dans les trois mondes, d'objet semblable à l'àme,
en voyant lequel nous puissions reconnaître l'àme. Si l'on
voulait opposer « Mais il y a des objets qui ressemblent à
l'àme, par ex. le temps, l'éther, l'espace, etc. », nous
répondrions : «Non, parce que, comme ceux-ci sont, eux
aussi, sujet de discussion, votre argument aurait les pieds
liés )) (2).
5). [Enfin], l'àme ne peut pas même être démontrée au
moyen de Vartliâpulli. En effet, en dehors de l'àme il
(1) Le texte a vraiment dâvânala.
(2) Texte : ... tadainlii'ibudilliHtvât : c'est-à-dire, si je ne nie tromne
pas, que J'argument de l'analogie de l'àme avec le temps etc., n'aui'ait
aucune force probative.
298 LE MUSÉON.
n'existe aucun objet visible ou ouïble, au moyen duquel
il nous soit possible de la démontrer.
Par conséquent il reste démontré que l'âme, ne pouvant
pas être objet des preuves qui ont une valeur de démon-
stration positive (i), devient l'objet de la preuve appelée
négation, qui sert à démontrer l'inexistence de l'objet.
L. SlALI.
U) samupalambaha. Le mot manque aux lexiques; mais covdT^.samupa
i/"labh dans PW.
THE VIRUPAKSA-PANCASIKÂ
By L. D. Barnett.
The Vii'ûpâksa-pancâsikâ is a curious little tract, pro-
bably of comparatively modem date, which repiesents a
development of the S'aiva idealistic Systems, — schools
which, apart from their inlrinsic importance, hâve a
further significance from their relation on the one hand
to the Mahâ-yâna and on the other to the classical
Vedânta. It is extremely rare ; probably the only copy in
Europe is that possessed by the British Muséum, Oi'.
6761 E, a Saradâ manuscript containing tho text with
scholia considerably defaced at the edges by damp and
wear. I give hère the former with excerpts from the hitter.
The text is sometimes obscure, and even, as it would
seem, barbarous in style ; but ksamantu sâdfiava/t.
500 LE MUSÉON.
Viriipâksa-paricOsikû .
Svasti om namah sivâya.
1 . Gajagandhasamararasikriyendrâya prakatitânghriyuga-
samarah /
nijasiddhil)ljam asmai kathayati prsto virûpâksah //
2. vimatipadam anga sarvam marna caitanyâtiiianali
saiïram idam /
sfinyapadân nîlfivadhi drsyatvât pindavat siddliam //
o. sanipanno 'smi krso "siiii snîhatkarano 'snii moda-
mâno 'smi /
pi'ânimi sQnyo smïli satsu padesv asmitâ di'stâ //
i. visayasani'cndi'iyadhîpiânanirodliaprasiddhyadai'si t-
vât /
ittham citim akhile 'dhvani dhârayato visvadehatvam//
5. utkiamya visvato 'l'igât tadbhâgaikataniinistliitâhan-
tah /
kanthaluthatprâna iva vyaktam jïvanmrto lokah //
G. délie 'smitayâ yadvaj jadayor âsphâlariam mitho brdi-
voh /
iechâmâtrenettham giryor api tadvasâj jagati //
7. bindum prânani saktim mana indriyamandalam sarl-
rani ca /
âvisya cestayaritïm dhâraya sarvatra câhantâm //
8. ïsvaratâ kartrtvam svatantratâ citsvarûpatâ ceti /
The Viriipâlmi-Pancàsikâ. 50i
ete 'hantâyâ iha pai'yâyâs sadbhii' ucyante //
virQpâksapancâsikâyâm visvasai'lratvavivekaskandah
prathaniah.
om namah sivâya.
i. pratyavamarsâtmâ 'sau citih svarasavâhinï para vâa;
yfi /
atyantapratyâhrtavarnaganâ saty ahaiitâ sa //
2. svaparâvabhâsanaksama âtniâ visvasya yah prakâso
'sau /
aham iti sa eka ukto 'hanlâsthitir ïdrsï tasya //
5. vicchinnâvicchinnc idain ity aham ity ubhe pratlie
tasya /
âbhrisyâbhrisakatâm prathayete cetyacitpadayoh //
4. ekah sa âtmano 'sau na hi kramo 'sty atia desakâlâ-
bhyam /
bhedini niithas samyuktas cetye bhedâsrayah khalu
sah //
5. svâiifff! cidiia£;anâtiHani duudhodanibhe svasaktilaha-
rlnâin /
sambhedavibhedâbhyâin srjati dhvamsayati caisa ja-
gat //
0. i'ûpridipancavisayâtmakabhoi^yahrsîkal)hoktvrnpe
'smin /
jagati [)i'a8aradanantasvasakticaki'â citlr bhâvyâ /
7 . somai'avi vahn ilaksanabhog:yendriyabhokt 1- 1) h â n a p i n -
dâtmâ /
biiidur viniarsadharmâ sannâiii cko '(Ihvanrun prâ-
ni»li //
8. vyaktaip bi padâithritinakaiii idani \\vj,',m iiityam eva
laHaiinain /
saktyâtmakam avyaktam tatraiva punar nimajjati ca //
502 LE MUSÉON.
9. sodasadhainam navadhâ sodhâ bhindanty atha tridhâ
vibudliâh /
âdhâi'abhedalaksyam bahusiddhikaiam ca setsyantah //
10. yasya vimarsasya kano mantraitadâi'iiâtmakas tiiclhâ
sal)dab /
purutattvakalâtmri 'rthodharmina itlham prakâsasya//
1 1 . svena vinâ mrtam andam svâvesabalena jïvayann ekah /
mâi'tândah païamo 'sau paranabbasi na kim tvayâ
drstah //
i2. cidgaganaksïrodam svayam icchâinandaiena saiikso-
bbya /
tacchaktivîcibhir asâv utthâpayatîndiim andâkhyam //
15. saktir mâyâ prakitih pithivîti caturvibhâgam andam
yat /
yasya vibhâgo 'sti punar babudhâ sarvam stbitain
mayi tat //
pi-akâsaikâtmyaviveko dvitïyab skandah.
om namab sivâya.
1. aham eko 'nastamitah prakâsarQpo 'sini tejasâm tama-
sâm /
antah sthito niamântas tejâmsi tarnâipsi caikasya //
2. prathamo madhyama uttama iti purusâ bbedinas
trayo \n mitbah /
mattas tu mahâpurusât pratyavamai'sâtmano na babib//
5. yusmaccbesâpobavad aham iti yad bhâti bbinnam iva
rûpam /
tad idam bbâgavibbedo na tv aham eko 'smi yan
nityam //
4. dyâvâprtbivî desah krdo 'horâtram iti yayob prasarab /
te bhânatirodhikrte saktl me bbâvavrndasya /
5. dhûmâvatî tirodhe bhâsvaty avabhâsane 'dhvanâin
saktib /
Tlie Virûpûksa-Paùcùsikâ . 503
ksobhe spandâ vyâptau vibhvî hlâdâ ca pustau me //
0. dhûmâvatï prtliivyânri hlTidâ 'psu sucau ca bhâsvatî
prathate /
vâyau spandâ vibhvî nabhasi vyâptam jagat tâbhih //
7. nijadharminam prakâsam sarQpayantl prakâsavarga-
sya/
saktir vimarsarûpâ sarQpayaty akhilam asya marna //
8. jnânajnâtrjneyâtmakam akhilam madvimarsavahni-
sikhâ /
dagdhvâ prakâsarùpam subhram bhasmâvasesayali //
9. akathoramadvimarsajvâhlgi'astam tiiodhimad bhâ-
nam /
angâravad iva bhasma prathate tatrândavargasya //
10. kâi'tsnyenâvistam ivâranyapurâdy agninâ maya 'pi
jagat /
citrabhavadhûyabhedam nanu grhnâty ekartipatvam //
11. antarmukhasvai'Qpam jfieyasya jnânam asya ca jnûtâ /
jnânasya jnâtrtanos citir ekâ syât tv aham nânyah //
12. akramatâ me kiamikam jnâtrâdyam sakramâkramâ
tu citih /
madvaj jnâtâ jnânam saktir iva tritayavaj jneyam //
15. pïtâdivsu na hi nîlam tesv atra ca bhâti câksusam
jnânam /
na sroti'âdisu tad api jnâtâ tesv atra cânugatah //
14. jnâtâram mâip jnânam saktir iva tritayavaj jneyam /
avibhaktam bhâvayatah so ham sa tat trayam tac ca //
lo. vedyam svakramasiddhâm vittim anupravisad anga
viçayâdyam /
veditari vicitimukhato llnam tallak§anam bhavati//
16. santânântaravâde jîîâtâ vyâvrttabhâsanah kramikah/
jlvàkhyo madyogân madvat syâd akramâbhâsah //
17. smrtyanubhavânusamhativasatas taj jagad idam tathâ
tad idam
19
304 LE MLSÉO>.
svaii'y aham âbhâsayitâ bhiniiani câpoliaiiena mithah/
18. smrtir anubhavasya bhânani so ithasya dvau saliânu-
sandliânam /
tritayam api mâm vinaikam kramaïahitam na ghatate
vidusâm //
19. astamitam arthajâtam bhâtvâ bhinnam iva kramâdi
majjiiânam /
majjnânenaikyena srota ivâmbudhau sthitam hiniayi//
ti'tîyah skandah.
om namah sivâya.
1. matstham api bhuvanavrndam bahir iva yad bhâti
mâyayâ bhavinâin /
atha vidyayâ bhaved bhavapadinâm antaibahistvena //
2. grâhakani ekam tv ajadam jadam anyad giâhyaiii
asya yo manute /
mâyâvimohitâtmâ bodhyah so 'nur bhavï sadbhih //
5. jadatâtniikâm idantâm athâjadatâtmikâm ahantâm ca'
sâmânyâdhikaranyâd idam ahamitibudhyatedvipadî //
4. tad bhavinâni kevalayâ nimagnaiii antah pade drsâ
bhâti /
magnonmagnobhayavidham anmanayâ mayi manah
pûrne //
5. ravisomatadidvajrâmbudavâdavajaladhigii'iguhârany-
aih /
drdhabhâvitritiiiabbâvair yogï tat karma nirvahati//
6. yâ devatâ yam artham kurute tenârthino drdham
tasyâm /
vidhrtâhamkârasya ksanena so 'rthah saniâyâti //
7. dhâranasamgrahapâkavyûhâpratighâtalaksanaii' mûr-
Itaih /
svasvaiiivistâhantair yogina istà kriyâ bhavati //
77/ c VirûpûLsa - Pa ùcCisiLd . 505
8. ih' tîHiniâti'rikai'majriânoïKlriyamânnsâsmifrulhlsu /
âvrktc puinsi drdhani (llirtacitisaktis ca tat karma/'
1). râganiyalyoli kâler vidyâkalayoi- guhâsarasvatyoh /
Isasadâsivasaktisa sive ca tadvat ki'tâ 'hantah '
10. sukavâniadevayoi' iha krsnadadhîcyos talhâ ca vainya-
sya/
bhrilâtniayoiiajain khalv ârse vaisvâtmyain âkhyâtam //
li. knlâgnikolidîptrim dâhe i)âsoccayasya patu trptyai /
aiiii'tauiiliavrstiinûrttini smara saktim bhava eurur
c_ • • • • O
jagatah //
1"2. kliyâtini apûinâm pfu'nakhyâtisamfivesadâi'dhyatah
ksapaya /
sija hlmvanâni yatheccliani sthâpaya liara tiraya bhâ-
saya ca //
13. vibûdhitas sa indio devesv adhikâraui ahun apâsya
s va m /
âvistasaktitattvah sivavad apasyat svam âtmânani //
vibhûtiskandas caluitliah. samâpteyam virûpâksapan-
câéikâ. iti sivam.
Notes.
I. 3. SacLah caksurâder iiidriyasya, moda ahainkaranasya,
prânaûam vâyoh, sFiayaiâ susuptasya, mahâmâyâparyâyasya,a?mi-
1â drstâ aliamabhimâDah tavâpi svâQubhavasiddhah, itthaiu sati
yadâ dehabâhyadrstâQtah tenâbbimate visaye 'hamabhimânah
tadâ drsyatvavisaye sarîratve, yadâ tu Dâhamabhiniânah tadâ
dehendriyânâm api na sarîratvam yatah atah pinde 'smiiâ (Schol.).
On rUpa cf. Dbarmasangraha xxxiv, The séries denoted by sam-
panno .... .iûnyo 'smi is identical with that of visaya .... nirodha
in verse 4.
I. 6. The intense intuition of the identity of thc macrocosniic
506 LE MUSftON.
with the microcosmic Self effaces the world created ia the Ego
by meaos of Will (II. 12) : cf. Spanda-kSrikSs, 22 foll.
I. 7. Binduh grâhakagrahanâdipralïtivisesodayâd arvâktani sva-
ram avâdiuï sâmâQyabhûtâ sûksnQâliampratîtih .... ISaktipade bud-
dhyahainkârau gihïtau (Scbol.).
Cf. generally the définition of the commentary on Spauda-kâri-
kâs, p. 3 : spaadanam [ca] nistaraiigasyâsya tâvat paramâtmanah |
yugapan nirvikalpâ yâ sarvatraunmukhyavrttitâ | .... sântasâd-
gunyarûpasya yat sphuran pratibhodayah | sa câtmabalasaktîsas
cidrûpah spandasamjnakab.
II. 1. Cf. the Spanda-kârikâs, 28-9. The Soûl is the imiversal
thought and thinker ; objects become existent by ascending into
consciousness, samvid, m the form of the higher or lower Vàk.
Objects are to their subject in the relation of tadâtmya. The
consciousness takes the form of speech by means of breath. FrZ/.',
the éaUl of the universal consciousness, objectifies itself as letters
and syllables. Thus everything is real, citsvarûpa, Siva. Mantras
should be applied to control this saJdi of Speech (26).
II. 2. Svain prakâsâtmakam param ca pratyavamarsâdinïlântam
(the pratyavamaria corresponds to the state of sUnjjatà, I. 2).
Nanv ahaniâ nâma ahamo dharmah, sa ko nâmânya upalabhyate
dharmï y ah pratyavamarsarûpah citivyatirikto 'hamvyapadesam
arhatïty ata âha svaparetyâdi (Schol.). ïdrsï = prakâsâtmikâ.
II. 3. Idara iti vedyarn aham ity ahampratyavamarsâtmako grâ-
hakah prakâsas ceti trayam upalabhâmahe, iti kathara uktàrtha-
siddhir ity ata âha vicchianetyâdi. Idam ity evamâtmikâ prathâ
vicchinnâ idamprathâpeksayâvicchinnâ ahainprathâ tu nïlâdâv
anuvrttâ (Schol.). Prathe, glossed as dharmabhîite prakâsasya.
II. 4. Nîlam pïtam ca vedmïti samyuktah (Schol.). The line is
unmetrical .
II. 6. Yadi grâbâdi na kiincit prthag asti vastu, sarvâtmakatayâ
prakâàa eka evâsti, ato grâhâdibhedabhramasamskâronmûlanâya
citir evettham bhâvanïyety âha rûpetyâdi (Schol.).
II. 7. Paravâgrûpatvâd bhogyam somalaksanam, indriyâni ravi-
laksanâoi, bhoktâ vahnilaksanah, cidekasvarûpatvâd bhânapindah,
bhogyatvâdivisesavigalanena sâmânyâtmakara bhânam tadvimar-
èamayam sa bindur ucyate. Bhogyâdiviéesarûpena pratïyamânasya
nirviéesapratïtyâtmako binduh (Schol.).
The Virûpclksa-Paiîcâsikci . 307
II. 8. Tallagnam, scil. in the hindu,
II. 10. Ittham prakâsasya dharmino dharmitvenaivam upapâdi-
tasya dharmabhûto yo vimarsah tasya kanah (Schol.).
II. 11. Yo hy asau prakâsarûpah rartasyânuprânanât paramo
mârtandah laukikamârtandasyâpi prakâsakatvât paramah sa ....
caitanyâbhivyaktisthâaahrdaye tvayâ drsyata eva .... tato hrdayâ-
vacchianatayaiva pratîyamâQO yo 'yam anavacchinnali prakâsah
sa eva tvam iti pratyabhij îiâtah (Schol.).
II. 12 b. Khecaryâdisvasaktirïipair ûrmibhih (Schol.).
II. 13 a. Saktih biaduh, tena kâranena .suddhâdhvalaksanam
kâryam upalaksyate, mâyayâ tu misrâdhvâtmakara, prakrtyâ
suddhatarâdhvarûpam, prthivyâ sthûlam (Schol.).
13 b. Svâtmabhittilagnatâm svâaubhavasâksitayâ darsayati ba-
hudheti (Schol.).
III. 3. Eko 'smi yan nityara anavacchinnaprakâsaikaghana eko
'smïti prathamamadhyamapuru.sârthâd vyâvrttam (Schol.).
III. 4. Grâhako visesato vivicyamâno 'pi mamaivâinsah tathâ
grâhyam visesato vivicyamânam mamaiva Aaktiprasara ity âha
dyâvetyâdi (Schol.).
III. 5. Is tirodhe a mistake for tirodhaii ?
III. 9. Bhânam= aham iti pratïtih. Tatra = jùâtrjùânâtmani.
III. 12 a. Catustayânuvrttir mamâkramatvam (Schol.). Puac-
tuate after me 3i.ndjnâtrâdyam.
12 b. Jnâtâham ceti jiiânam saktis ceti jneyântaram ceti tritayam
jùeyam eva (Schol.). Punctuate after opi.
III. 14. Jnâtâram mâm prakâsarûpam bhâvayata ity anena
bhedabhramâpagamalaksanâ siddhir bhavati, saktijùânayor abhe-
dabhâvanâdârdhye tadabhedajùânarûpâ siddhih, atah sarvatrâau-
vrttatvâa madvaj jùâtety (v. 12) api siddham. Tritayâtraakain
punàh jùeyam tathâ bhâvayatah tat trayam tac ca vedyasya
prakâsajiàâtrbhyâm saktijùâuâbhyâin vedyâûtarena ca sahasthityâ
yo 'yam mûrataro bhedabhramo bhavati tasya samûlonmûlanarûpâ
siddhih (Schol.). The second half-verse is unmetrical and appa-
rently corrupt,
III. 15. Bhogâyatanabhogyâdyritmakam vedyam svakramasid-
dbâin vittim anupravisat, ato naiva viseso hi, nirâkâratayâ dhiyâm
iti nayenokta upâdhitâdrûpyam âpadyamânam vedanam anupra-
308 LE MUSÉON.
visati, grahanakautukakoparasâd indriyavyâpâranivittau pïtam
jùânam marna jnâtam iti vedacàtmakam âpadyate (Schol.).
III. 16. °hhàsaka}h in ms., corrected °hhàsanah. The Scholiast
evideatly read santànàntaravahe, probably rightly : he remarks :
DÏlasaùkalpavikalpasantâQasamaaaataram pïtasaiikalpavikalpâ lau
santâae vahati sati vyâvrttabhâsanah jnâtâ, kramikali DÏlâvabLâ-
sakah, pïtâvabhâsako 'smîti parampara .... rïipenâvasthit(o ?j
grahanatvàd grâhakakramavân : yadâ cettham kramavattâ tadâ
câsau jïvâkhyah vastutah si(ve?) sato 'svajïva iti samjnâ : atah
paraprakâsasya yogât madvat syâd akramâbhâsah.
III. 17. Anusamhati = pratyabhijnâ. The first tad = smrti, the
jagad idam = anubhava, and the tad idam is pratyabhijnâ.
Apohanena mithah = mitho vyâvartanena.
III. 18. Yady akramikas ca sarvâQusandhâtâ prakâso nâbhyu-
pagamyate tadâ kramikâbhimatam tat etad ityâdi, apabhittikam
citram âpadyetety atah (Schol.). Punctuate after hhânam and
arthasya : so = annhhava, and supply hhânam with arthasya.
The dvau = sahitau smrtyanubhavau.
III. 19. Prabuddhasya pratïtiprakâro 'y^ni (Schol.).
IV. 1. Prabuddhakalpasya pratïtiprakârah, says the Schol.,
who aiso gives the glosses hhavinàm = hhedaprafUis tadvatCim,
bhavapadinâm = yesàm bhavo nâsti tatsamsTiârarûpani rartate,
and vidyâ = pramâtâ.
IV. 2. Anuh = aprajnâtasvasvarïipah.
IV. 3 b. Bhavâbhavasamskâravân svasarïrakalanayâ dvairûpyena
pasyati (Schol.). 3. a. is unmetrical.
IV. 4. The Scholiast glosses pade by ahamâtmake svarupe^
and dréâ by vimaréayuldya. Unmanâ seems a new word ; the
Scholiast remarks : — svasvarûpâvasthitir eva unmanâ ; unmanâ
sa tu vijneyâ mano yatra vilïyate (a quotation).
IV. 5. On drdha" the Scholiast remarks : — bhedabhramasaras-
kârâpagame.
IV. 6. Devatâ hariharasvarûpâ (Schol.).
IV. 7. The Scholiast reraarks : — dhâranam prthivyâh, sam-
grahanam apûm, vâyor vyûhah, tejasah pâkah, apratighâtah âkâ-
sasya ; vyfihah avayavasannahanam.
IV. 8. Asmilâ = ahamkârah. Âvrkte is written with a short a.
Over dhrta" is written dhrtâhamkàrah.
The Virûpàksa-PancâsikCi . 309
IV. 9. Kaler is barbarous. Gulm = maya. The last words seem
corrupt ; the scholion is tadvad ihj anena tat harmety anuhrsyate.
IV. 10. Bhûfàtmayogajam is glossed by pahcabhùtadhàmno-
dbhavam, ârse by itihàsâdau MstroJctaii, vaiévàtmyam by bhùta-
pancakàtmakaprapancarûpani.
IV. 11. Construe édktim paiu sniara (cf. Isa Upanishad 17).
Faéoccayasya is glossed by sadadhvalaksanasya.
IV. 13. AdhiMram is explained as svargasyàham adhlpatir iti
ptaAusvarûpagopàlalaksanam ; see the Spanda-kârikâs 45. The
verse is unmetrical.
ADDITIONAL CLASSICAL PASSAGES
MEiNTfONING
ZOROASTER'S NAME
In fhe collection of passages from the Greek and Latin
autliors who allude to Zoroaster, prepared by me in 181)1)
as the fifth appendix to Jackson's Zoroaster : The Prophcl
of Ancient Iran, pp. ^226-275, l naturally cndeavoui'od to
make niy list as complète as possible. Slnce that timc,
howcver, a number of i-efeiences then unknovvn to me
bave eitber been found by me or bave been brought to my
attention by othei'S. I propose, therefore, to jtresent this
additional material as a supplément to my woi'k in tiu;
volume already mentioned, following tbe airangement
whicb I there adopted. It cannot be pretended that the
allusions hère cited give any additional information con-
cerning Zoroaster, for they are merely répétitions and
amplitications of the statements of the carlie)* classical
writers. They are not altogether devoid of intcrest,
howevei', since they show the continuance and accretion
of legends in the Graeco-Roman world regard ing the
Iranian prophet.
512 LE MUSÉON.
Dioskorides
(A. D. Second Century)
Materia Medica II. 144 : MaXà^Tj xt,to!jt/i, ['PwfjLawt, ii.yl[ioL
ôpTSvaiç, IIu.Sayôpaç àv3ep.a, Zwpoâo-xprii; BiâSeo-pia, X'IyÙTz-cio'. ^wxop-
T'/iv, Ttpo<p7(Tat. aîybq <jTzkr\y, o'i ùï oûpà p.uo;j è5(0ûi|Jict)Tépa {jiàXXov
TY^ç yspaataç.
V, 17d : Ko)^ox'Jv5iç, oL oe xoXôxuv^a atlyoç, ol ok o-ixûav Tiupâv,
ol ok xo)vôxuv3a àXe^avopiv/^ | Zojpoâo-Tp'ri; 3'û[j.|3pr|, 'OT^àvr,c; aÛTO-
ysviç, 'Poifjiarof, xo'Jxo'Jp[jf,Ta o-'Aj^àTua, Aaxol TOUTao-xpa], x).T|[j.àT',a
xal (^'JWt. éa-xpto}ji.éva £7tl tyJç yT,ç àviyiTt.v.
Greek Papyrus
(Pi'obably between Third and Fourth Century A. D.)
(Leemans, Papyri Graeci Miisei Antiquarii Publici Lug-
diini Batavorum, Leiden, 1885-1885, vol. ii. pp. 154- lo5)
9 wç o'ev rri izpoç ^Qyov [iccuôdy. Tipô;
cpwvoûfjievov "Ay.ov ïl, Ûtio Sf-r\
Upoypa[jij;LeT£(i)<; • Ne^pioiJLafo,
Map'j^a-^5a, y^apiap, Za^5, ©apvtji,
O'JTio-taXwp, TÎTTj, ea-^, lawTjÇ,
15 Zea^e, aaa, -/^eou, 0w(3appa[jOL».
év ok Tor? Eùt.vou 'ATTop-vripiov-
eîiij.ao-!,v, è Aéye!,<; Tiapà toCç Xiyon-:ioiq
Hûpo'.ç cpwveÙ7,S-at • y5e5wv'..
wç Zwpoào-TpTjÇ 6 IIÉpTri; • E
20 pv!.(70'apt{;u'^t,(7(7ap. w; ok ev xo~.q
[lu^pou'Ç^ix, aaaa, eee, B[i[7.w£a,
Av(jt.ii)w(i), wç ok Mwuaïi(; ev vt]
Ap^^eyyeXu"^ AXoai^aw,
ZOUOASTEll's NAME. 513
25 PtJ^iar,, Qxewv, Ilveo, Mewu({j,
wç Se év Tw Nôpitj) SiaXeûerai. 'A[3-
pa'.TT'/ 'APpaâfi., 'lo-àx, 'laxwjS, xriw,
•^(oa, wari, t.eou, (.e-^, leo, law,
30 l'y., 'f\'^, OLO, eri, oe, ew.
Greek inscription at Cyrene
(Gesenius, De Inscriptione Phoenicio-Graeca in Cyrc-
naica, Halle, 1825, pp. 13-14)
c7'jvY,s, zi<^''rc>'fi Te TsAsia toTç toO tu'^)vOÙ o'fkou èx)vexTori; âyaSo^ç
àvôpâfnv, oO; ZapâoY,; te xxl IIuÔaYÔpa;, twv lepocpavtwv àpt-TTOt,
XO'.V^ UU[J.j3l.WT£!rv o-'jvîevTO.
6(00, Kpôvoç, ZwpoaTTpYiç, IluÇlayôpai;, 'ETiîxoupo;, MaaoâxT,?,
'Iwâvvrji;, Xpiaxôç xe xal oL Tiji-érepo!. Koupavauot, xa6Y|y^Tal a-'jiji.Œ)w-
voiÇ êvT£XX(i)3-t,v TiptïTv, jJLYiôsv o''xs',o-o(,erT9a!,, Toîi; û£ vô|jio'.; àppT,ye'.v,
xa', T7,v 7rapavoja.{av xaTa7roXeiJ.£rv. to'jto yàp •Ài ttiç o'.xa'.OT'JVY,; "YiyY',,
toÙto tÔ [Jiaxapîwç £v xo'.vy, (:^r,v,
Proklos
(About A. D. 450)
Proclus in Rempublicam Platonis (éd. Rudolf us Schooll,
in Anecdota Varia Graeca et Latina, éd. Rud. Sciioell et
Guil. Studemund, Berlin, 1880, vol. H. pp. 29, 14-16;
éd. Kroll, vol. ii. p. 59) : ol o£ -£pl nerôaeipw AiyÛTiT'.o'. xal
314 LE MUSÉON.
Zwpoào-TpTiÇ S'.aTeivov-at., xal nToX£[ji.at;oç àpÉTxeTa'., rViV [jiev TTropiar^v
wpav yiveo-^at eîç <Te)vTiVTiÇ tÔttov tov êv xar? à7ToxuT,Tea-L, ty,v oè
(y7rop({j.-^v <TeX-/ivY,v e''(; tTjV woav rTiç exTsçewç.
Ibid., pp. 59, 28-60, 22 (éd. Kroll, pp. 109-HO) :
àXX' où ijcévro'. to»,, 'f,v oè évo'), 'AXxivou ye à-ôXoyov ipw, âA)/
â).x'![xo'j uev âvopôç, 'Hpô; toO 'Ap|j.£v{ou, tÔ yévo; IlajJicp'JAo'J (l).
Ta; -£pl tÔv tottov to'jtov twv -pô y,[ji.wv O'.a'iopà; xal ypa'^'.xàç
O'.a(77pocpàç 5aujJiâ(Te!.ev av t',;. ol piev vàp où tÔv ^Hpà '^a7i> civa'. tÔv
TtaTÉpa TO'j [i.û5o'j TOjSe Tiavrôç, àXXà Zojpoâ.TTpriV, xai. w; xoOSe toO
o'vôpiaTo; £yx£!.|jL£V0'J TY,v ypacpYiV £X0£0wxaa-'.v,wa-7î£p xal à 'Eîcuo'jpE'.oç
KcoXwTY.ç, o\) xal TTpôxEpov £|jLVT|a5r,(jL£v. xal aÙTo; £V£T'jyov Zwpoâ.T-
Tpo'j |j'.|j),'!o'.ç TETpaT'. Il£pl o^ûa-Eco;, tov tÔ TTpooiu'.ôv £77'/ Zwpoà^rp-^ç
ô 'ApijLEvio'j nâ[JL'^'jÀo; xâoE )v£y£'., ôs-a t£ ev ttoXejjlci) TEÀ£'JTr,a-a; Tzapà
5EWV Eoâr, xal oVa éx xfjç oXXt]; lorxopiaç. £v ô£ [aetoi; aùxor; Ttpôç
Kùpov Tcpoo-'iwvwv Sv^Xô; éo-x'. xôv ^y.n^Xiy.' x'!va ok xov Kjpov où
o'.y.'jy.'zzl. Twv Oc Èvxaù.S'a Aevousvwv oùoEvô; ett' o'vô'j.aTo; |j.£av7,xat,,
tîXy.v xy.ç AvâvxY.c" -'y.'jTrcj o£ s'-va'. xôv àioa 'j;y,7'!v. àTXEOoXovtxwv
5e £7X', .S-£a'j.âxwv xà 3'-3À'.a véuovxa" xaî tto'j xal àvxOiyE'.v oox£r
-pô; XY,v £v HoX'.x'.xw [p. 269 e] àvaxùxXY.T'.v. wtx' aOY.lov £•' aTiô
xouxoiv o'jxo; 6 M-ù.S'o; ïi'/t xy,v y.(Sopu.ry, xal £>' Ztoooa.TxpY,; àvxl
xo'j 'Hpô; ÈyÉypa-xo £v xo-Tç àvx'.ypâ'^o'.i;' -Xy.v ox'. xôv y.aiov ÈxE^va
ti.£(70V O'.OE xwv — XavY,X(i)v, ô 0£ xôv [j.'j.S'ov xoùxov aocov 'JTTcC itKryr^^
EÙ5Ù;, oY.AÔv io-xiv xor? i'/.i\yy. xe e''oÔt!,v xal xoùxwv àxcoaTa^jLEvo',;'
(b-Tx' oùx av h riAâxwv àr:' exe'Ivwv e'Iyi xÔvOe xôv [j.0.rov o-jvi-Ei;. ol
Oc xôv ^Hpa UEV h'^rt^/,'jyo'j7<. yEypàcp.Sa'. xal Zwpoâ7xpY|V xoùxo'j
yEVET.Sra'. o'.oà'jxaAov, wo-TZEp KpôvLo;, xôv ïlâui'^'jAov xô ysvo; x'.và
xpoTTOv xw ZwpoaTxpr, o-jvE'lpovxEç (eÎ UYi àpa où xw HÉpTY, oalev av,
aAAà xw HajxcpùXw, xoùxo) oy, sxsivw où xor? Tzspl cpù^Ew; E'I'Trop.EV
Q'.p'kioïc, h-uytv*y ol os 'Hpô; jlôv E 'j|ji.al(ova xôv o'.Y,yoù(j.cvov ypâ-
cpovTEç xal ô'-w; xô 'e;y,ç àvs'j ap.rpo'j l'jvxâçwT'.v xwoe xw o'vô|j.ax!,
XÉyE'.v oùx È'yovxEç, oùx e''w.S'ôxwv xwv
(1) Plato, Resp. 614 B ; comp. Bergk, Griechische Literaturgeschichte,
iv. 429, note 52 : « In der Erzahlunff vom Er Pampliylus zeig^t sich doch
woJil eine gewisse Bekanntschaft mit der Lehre des Zoroaster ».
I
zouoaster's name. 515
Y£V',xV,v -T(JT',v Toù; —aTspa; T'jvâ-TS'.v O'. ok oùx 'Âsv.îv',ov tov -y.-zéoy.
'iâa-xovTc;, ctAAà o'.à .by-ioo'j twv uDy/ibr^ 'Ao'jlÔv.ov. T^'.y.oov T', -sol
I ' > 1 r /, Il 'il 1
70 ovoua — Ar,a'j.îA0'Jv7£; (xy.l s'jioaôv xal o'jto); èv toC; ;x£'!vo'j
l Ml V II ^ ^
Zwooâ-jTpo'j S',,3''^',ci!.; ApuciV'.ov Tov -aTJoa v£voau'jt.ivov)' o'iox ok i*'w
I I I I ^11 I i i I I I ' I
T'.vaç xal 'Apti.£V'.ov tov ^Hoa o£yo|j.£vo'jç, oO; ÈocoTàv Zzî, -w; tov
'ApjjLÉv'.ov llàfJi'^uAov E'Ivai cpï.g-'.v to yÉvoç' £>' xai. r,|jLrv àv£0£; a'-ooiTo',
toOto 6— £Aa|3ov, 0£Ôowpov ÀÉyw tov 'A^'.varov.
Ibid., éd. Kroll, p. 54 : ot-. xài. ZwpoàTTpT.; ;j.apTjp£'7 7r,
yavÉo-e'. Twv £— Taui.r,vwv —po A^yE'-v zot£ i— Tâp.Y,vov Èa-Tat, 0!.ôâçaç, AÉyîi
yàp O'JTw;' al xarà 7Û'/oooy 'r^io'j xal t£)vY,vy.; v£vÔ!i.£va'. T'j)>A/|'ii£'.;
£V -avTEXy'iVO'.; -owjvTa'. rà; à7cox'jY|'j£',;" al ok xa^à TcavréXrjVOv £v
a-Jvôoo',i; • xal o'.yo[j.7,v'!a',; ok yiyvovTX'. à-ox'jA,7£',;, à-o TJvoo'.x/p 'j.kv
auAÀritJ^EWç a'J;avo;j.£VY,; a-£),r,VY|; £v tw avTw i;^o)0'!(o, -ava-£).Y,v'.ax-7p
ok [ji£',o'j|j.£vri; (o',yo[j./,v{a; ok A£y£'. ràç o'.yoTO'jiO'j;). al ok iv o'/you/,-
V'!a',(; a-'jAAy, '!/£'.; ayo'jT'. Ta; àT:ox'JT,7£'.; a'j;ôa£va'. jo-kv £''; 7Tav7£AY,vov,
[j.£',0'jy.£va'. ok £'.'; 7'jvooov al ok 'j-iny.'. twv '7'jv[ôowv xal] ov!>0'ji.Y|V(ov
xal 7:av7£).Yv[wv xa]TaAa|J.|jâv£'. rôv Yj1'.[ovJ tÔtî ulev [kv tw
à'jTw] ^(oolw, [tÔJt£ ok £v TÔi k^Yi?, £v xa-r' y-oyy.^ to'j Î^ioo{[oj.
0T£] ok fi y£vop.£VY, xaTa)a[j.,3âv£'. aÔTOv £v -w xkXe'., yyr^ to'jto tyi^eCv,
— ô-£ Yj 7tkryr\ ojo — o'.EÏra'. TyY.iJLaT'.TjjLO'j;, olov O'jo t-jvooo'j; kv kvl
u.Y,vl £v Toj a'JTfo !^o)o{oj' ~6~ô vào 'z7z~y.'j.ryoy ~'o y',"'vÔ'ji.£vov. kv (o
I ' 1 I - É 1 11 i ' i I I .
yàp TcpwTw; kcpâv/^ teXe'.oI tÔ Sok'io;* o ok -ûOT£Aâu,jav£v tw ooo'jko
lit ^ i ' iii^ I il itii
TOO YiAIo'J, ToOtO Û— £T£|JLV£T0 TO'J £V TYj "aTTol ypôvOJ.
Zosimos.
(A. D. Fifth Century)
7:£pl o'pyâvojv xal xa;ji(vu)v yvY.T'.a •j-Oji.v/.jj.aTa' -Epi toO Q ttO'.-
y£'!o'j (Bertholet and Ruelle, Collection des anciens alclic-
mistes grecs, Paris, 1887, vol. ii. p. 229) : ô o£ 'Ep'^/j; xal
0 Zwpoâ'3TpY,ç tÔ cp'.Aoaôcpwv ykvo; àvo!)T£pov tvj; el|j.aptji.£VYi; e'I-ov,
Tw [J-Y,T£ TY, E'joa'.uovla aÛTYj? yaipE'-v, y,oovwv yàp xpaTOÙTt,, |jiy,t£
Tor? xaxov; aÛTYp |jâA).£a-.Sa',, TcâvTOXE ÉvauXiav àyovTEç, jjiYiTE ta
xa).à Swpa -ap' a'JTY^ç xaTaoe'^ôjjiEvot,, eteÎtcep £(!; Ttkpaç xaxwv j5i)i-
TTOuaiv
516 LR MISI^ON.
èvo-ojaou '-ppxTeo); '.pâTxsi, à-oa-Tp£Çi£a-.Sa!. Trâvxa xv]; £l[j.apij.ivT,; Ta
xaxà xal jjisp'.xà xai xa,^oXuâ.
Ecloge Historiarum
(A. D. Ninth Gentury ; see Rrumbacher, Gescli. der
byzant. Lit}, p. 595)
[Anecdota Graeca Parisiemia, éd. Cramer, vol. ii, p. 175,
4-11)
tÔt£ xal Nîvo; jSaaOvEÙç 'Aa-Tup{wv xt(J^£'. t:Ô).!.v NiTvov, xal àcp'
Éa'JTOÙ Tr,v ~poa-r,vop(av È'Beto, tt.v TcâXa», x)vT,0£ra-av N'.vs'jI, y,v to
TcâXa', wxoÔô[Ji.T,a-£v ô 'ÀTO'jp' xw os ypôvw cpOapEiTa o''x!!i;^£Ta', £v To;,;
7ïpox£'.pL£vo(.; ypôvot.;, xaO' oOç ZwpoàT-rpo; 6 [i-âyoç BaxxY.pûov [^aTt.-
Xeùç ÈYvwpi^ETO, £'^' ov êTTpàT£ua-£ NITvo:, O'j p.£T' oAiyov i!£[j.(pa[^!,(;
N{vo) (Tijvot.xTiTaTX, Ta T£'//Yi [J.£ya)v0'-p'j{ô; £TX£'jâ7aTCi, TÔT£ xal Kp-V.c;
aÛTÔyOwv (3aTi,X£Û£i, irpwTOç tvjç KpYiTTjÇ, à/f où xal -Âi -poa-Y,yop{a.
Rabanus Maurus ( 0
(Died 856)
(Ed. Migne, col. 422)
Magoi'um piimus Zoroaslres, rex Bactrianoruin, quetn
nimis [Ninus] rex Assyriorum praelio interficit. De quo
Aristoteles scribit quod uicies eentum millia uersimm ab
ipsocondita iudiciis uoluminum eius declarentur.
Hincmarus Rhemensis
(Died 882)
(Ed. Migne, col. 718)
Haec autem uanitas magicarum artium ex traditione
a) Tliis référence, like the one foUowing, was called to my attention
by Dr. Justin H. Moore, of the Collège of the City of New York.
zoroasteh's name. 517
aiigelorum inaloruin in toto tei'i'aniin orbe, auctore Zoro-
astre lege Bactrianoruin, quein Ninus rex Âssyriorurii
praelio interficit, et propagatore Democrito, plurimis
saeculis ualuit.
Petrus Gomestor
(Died 1178)
Hist. Schol. Lib. Genesis XLVH. (col. 4095, éd. Migne) :
Abram peritus astrorum, in quibus etiani secunduni
quosdam Zoroastren niagicae artis inuentoreniinstituit (i),
nouerat quod intempéries aeris, quae fit ex eleuatis uel
depressis planetis, semper usque ad quinquaginta annos
ad temperiem redeunt, et quod uidit fieri in astris uidit
inriitari in terris.
A référence to Zoroaster may alsô be contained, as
Mr. George Haniilton, of Ann Arbor, Mich., writes me,
in the commentary on the Tliebaid of Statius, vi. 558,
attributed to Lactantius Placidus : Sed huius tractatus
secretae philosophiae magna laus Persis debetur, quod
apud eam gentem horum secretorum primum ratio habita
est [uel Perses scilicet ille magnus praeceptor huius
philosophiaej.Finally, it may be noted that in the inters-
cenium of the Comocdia Josephi by Aegidius Hunnius
(first édition at Strassburg, 1597 ; reprinted by Eduard
Schroeder, Marburg, 1898) Zoroaster appears as one of
the « magi septem » attendant on Pharaoh, the others being
(1) This tradition, as weli as tlie le^end whicli connects Zoroaster with
Ninus, four.d its way into late Hebrew literature (see Gaster, ChronicJes
of Jerahmeel ; xxxii. 4 [p. TO]» xxxv. 4 [p. 78], a work of the fourteenth
century).
518 LE MllSÉOK.
Hermès, Budda (sic !), Zamolxis, Dainigei'on, Thespion,
and ni[p|)|ai'('liiis. When ealled in hy Phai'aoh lo inlerpiol
lo liini liis })ei'plexini; dreani (conip. Gen. XLI, 8), Zoro-
aslei', the firsl of the niagicians to speak, asks i'ov two
nionths in which to considei* the meaning of the vision,
this space of time being longer than that requested by any
of the otber « niagi ». The metamorphosis ofthe [irophet
ofiran into an Egyptian magician shows strikingly how
completely ail real knowledge of him was lost in Europe
durinii' the Middle Aiies.
Louis H. Ghay.
Newai'k, New Jersey, Sept. 1907.
LE MESSIANISME
DES
PARABOLES D'HÊNOCH.
I
Les Paraboles d'Hénoch ne forment pas un ouvrage
homogène et qu'il faille attribuer, en dernière analyse, à
un seul auteur (i) : elles sont plutôt un groupement d'écrits
s'inspirant tantôt des mêmes traditions, tantôt de tradi-
tions diverses, œuvre de plusieurs mains — et nous
avons cru pouvoir distinguer au moins deux d'entre elles,
— qui s'est ainsi constitué, et auquel on reconnaît une
unité relative, si on le compare seulement à l'ensemble
du livre, à cause des préoccupations eschatologiques et
messianiques qui sont les siennes. Cette composition par
morceaux de notre Apocalypse, les idées qui inspirent ses
différents auteurs et ont pu se développer sous des influen-
ces étrangères diverses, font penser déjà qu'il y aura plus
d'une divergente à noter dans les détails qui seront donnés
sur le Messie. Comme il en faut venir maintenant à juger
du portrait de ce grand personnage, nous ne nous attache-
rons pas à distinguer — et, du reste, pourrait-on le faire,
puisqu'ils sont tous confondus? — les traits qu'ont esquis-
sés ceux qui .se sont mis à cette œuvre, si ces traits
concordent entre eux, mais nous relèverons les coups de
crayon donnés en sens divers par les auteurs de nos docu-
(1) Cf. Muséon, N. S. 1905, pp. 129-139 ; 1906, pp. 231-248 ; 1908, pp. 27-71.
20
320 LE MLSÉON.
ments I et II. Enfin on pourra juger de l'ensemble en
comparant ce portrait du Messie à ceux que nous avons
envisagés déjà, qui se trouvent dans les parties anciennes
d'Hénoch et dans les Psaumes de Salomon.
Le chapitre XXXIX nous montre le voyant enlevé d'ici-
bas, transporté au bout du ciel, et contemplant dans son
ravissement les élus qui séjournent avec les anges, et le
Messie qui habite avec les élus. On aimerait avoir des ren-
seignements sur le temps auquel cette vision se réfère,
puisque un homme gratifié d'extases célestes comme le
Patriarche ne connaît plus aucune limite d'espace ni de
temps qui arrête sa vue, que le spectacle dont on fait la
description peut cori'espondi'e dès lors à une réalité cachée
déjà existante ou devant exister seulement plus tard. C'est
l'avis de Charles que notre chapitre XXXIX raconte une
vision du royaume messianique à venir (t) ; mais l'autorité
du savant auteur n'a pas rallié beaucoup d'adhérents à sa
manière de voir, et cela se comprend assez (2). Si les anges
et les élus qui sont en leur compagnie prient encore pour
les fils des hommes (v. 5), c'est donc que pour l'instant
il y a des hommes qui ont besoin que l'on prie pour eux,
et l'on nest point encore venu au siècle nouveau. Sans
doute, le Messie se trouve entouré de « tous ses justes
et ses élus » ; mais cette locution du vers. 7 n'est point à
considérer isolément, et il faut tenir compte du contexte.
Or il ne parait point qu'il y soit question de tous ceux-là
(1) The vision liere set fortli is prophétie, but there are many difFicul-
lies in Ihe interprétation wliich we can surmount only by bearing in
minii that what we hâve hère to deal with is a vision of the future Mes-
sianic Icingdom, and that we must not press the détails ; for in this, as in
visions frequcntly, there is no exact observance of the unities of tinie and
place. P. 115 sq.
(2) Cf. Baldenspergcr 144, Dahiian 107, Béer 259, Volz 15, Martin 83, etc.
LE MESSIANISME DES PAUAIJOLES d'iIÉNOCII. 521
qui seront sauvés, mais plutôt de «ces innombrables justes
élus qui brilleront à jamais devant le Messie » (6), et ceci
encore est une mention plus fortement accentuée des
« justes » inti'oduits au vers. 4. Depuis le début du chapitre
et jusque là, il y a donc une gradation de termes qui laisse
supposer plutôt un procédé littéraire : « tous les justes et
élus )) du vers. 7 sont les membres de « cette comnmnauté
mystérieuse » mentionnée au chapitre XXXVIIl, et qui,
pour l'instant, était bien cachée au ciel, puisqu'elle devait
apparaître déjà constituée avant le jugement, c'est-à-dire
avant le début du siècle nouveau.
Des renseignements précieux que fournit le voyant, il
résulte donc, qu'au bout du ciel (i), se trouvent présente-
ment cachés une église déjà constituée, le Messie et le
Seigneur des Esprits : il est évident que c'est au ciel
encore (2) qu'Hénoch put considérer les deux personna-
ges majestueux dont description nous est faite en XLVl.
Par Daniel VU 9'^ nous connaissons parfaitement l'un
d'eux : « Celui qui (avait) une tête de jouis et dont la tète
{était) comme laine blanche », est Dieu même, le ".""JV p'":?
du Prophète. « Avec lui, (se trouvait) un autre, à la figure
comme vision dlwmme, et pleine de grâce {était) sa figure
comme l'un des anges saints ». Si l'on rapproche tout de
suite ce personnage du mystérieux Fils de l'homme de
Dan. VII 15, il convient de remarquer cependant que la
formule de précaution Kama reejât correspond plutôt à
(1) Hilgeufeld (Jûd. Ap. 165) me semble avoir assez bien entendu la
localisation ici pioposée. C'est, nous dit-il, un lieu « der zwar nocli niclit
zum Himmel selbst geliôrt, aber doch schon in die Grenzen des Himmels
und der Krde, oder in die Mitte zwischen ihnen fàllt ».
(2) Eth. : ba-heja — ce qui reporte à un texte antérieur que nous pour-
rions bien ne plus posséder.
522 LE MUSÉON.
Daniel X 16, 18 D'ï^ " ^DH nrjis (vers. i8 n&^^^JS), et
qu'enfin le terme « homme » est traduit simplement sab'e.
Or ce dernier mot s'entend de l'universalité ou de la col-
lectivité des hommes, et il rend bien l'hébreu "jiî^— :n ; son
emploi pour désigner un individu en particulier est plus
rare, et il se rapproche moins de l'araméen irDX""H (i). Si
l'on pouvait s'appuyer sur ces bases, et avoir confiance
dans l'exactitude de la traduction que seule nous avons
entre les mains, l'on croirait volontiers que l'original se
rappi'ochait plutôt de Daniel X que de Dan. VII. Une
chose est certaine : l'auteur voulait faire remarquer
que le personnage de la vision était homme extérieure-
ment, par son apparence. Il y avait donc quelque motif
de le distinguer de ceux qui sont hommes en réalité :
peut-être l'auteur suppose-t-il que cet être mystérieux a
plus de rapport avec les anges qu'avec les hommes, puis-
que, dans la suite, il ne juge pas nécessaire de reproduire
à nouveau le mot reejat. La formule, « plein de grâce
comme un ange », rappelle I Sam. XXIX 7 : cette grâce se
manifeste sans doute au voyant par la forme lumineuse
sous laquelle les êtres se présentent, c'est une participation
à la oô;a divine, et il convient de rappeler les allusions
qui sont faites par ailleurs dans les Apocryphes à cette
lumière surnaturelle donnant tout son cachet aux visages
des esprits célestes, (cf. Hen. LXXf 1, CVl 5, Bar. s. Ll
5,, etc.)
Hénoch considère le second personnage de la vision, et
il n'hésite pas à lui donner une dénomination, « ce fils
(1) La locution 1û"i^'°"!3 dans un sens correspondant à l'hébreu Dlî<"*5S
collectif ne se trouve, du reste, qu'assez tardivement, dans le Targum
aux Prophètes. — Cf. Dalman, p. 193.
LK MESSIANISME DES PAUAUOLES d'hÉ.NOCII. 523
d'hoinnie ». Poui't;mt il le connaît si pou ([u'il demande
divers l'enseigneinents sur son compte, et tout d'al)ord (jui
il est : cette dénomination qu'il lui im[)ose ne préjuge donc
en rien de la ré[)onse (jui sera faite par l'ange et appor-
tera les explications demandées, elle ne peut donc avoii'
qu'un sens très liénéral. Le l\jtriarcl)e voulant désiuner
un inconnu ({u'il voit ne peut le faire qu'en signalant la
forme extérieure sous laquelle cet individu se manifeste à
ses yeux : on ne comprendrait pas cpiil en allât d'autre
sorte. Au point de vue de la locution originale qui fut ici
employée, nous rejoignons vraisemblablement Dan. Vil ;
mais le D°ï<"3S ou u;:ï<°n3 qui se trouvait ici était, ne
pouvait être qu'une amplilication du pi'onom démonstra-
tif, et référence est pi'ise encore à Celui dont la fujure est
comme vision dliominc, c'est-à-dire vi'aisemblablement
à Dan. X (i). — L'ange interrogé répond et donne les
renseignements demandés sur ce personnage mystérieux :
(c Ce (fils d'homme, vers. '2) est le Fils d'homme auquel
est en partage la justice » (grec : o\)-o:, h-<.y b b'M ~o-j i^/hù-
7I0J o;...). Puisqu'on demandait tout d'abord à l'ange qui
était celui qu'on avait vu, il est à supposer (jue l'ange
aura répondu à la question et donné en premier lieu le
nom ignoré du personnage, avant de s'exprimer sur la
mission future que celui-ci devra remplir : « le Fils de
l'homme » serait donc un nom du Messie dans les Para-
boles. Mais cette locution, s'il en faut juger par notre
texte, est identique à celle que nous avons trouvée deux
(1) Contre Béer qui conclut déjà : « jenor Menscliensohn, d. i. der Mes-
sias n. L'expression " rtls d homme n en ce contexte a tout juste le sens de
la locution qu'elle i-emplace : il n'y a donc pas lieu de ti'aduire, en y met-
tant un sens spécial, cet « Homme » (Fiebig, Der Menschensohn, p. 87),
mais plutôt de sous-entendre ce qui était dit plus haut, ce personnage,
à la figure....
324 LE MUSÉON.
lignes plus haut et qui est rappelée eneore par le démon-
stratif o'jTo;, premier mot de la phrase ; or, dans son
premier contexte, la locution avait un sens général et
indéfini : s'il en va de même en la circonstance et ])ar
ailleui's, « Fils de l'homme » sera donc tout juste une
amplification du démonstratif, et l'on aurait toi't, par
conséquent, de considérer cette désignation comme une
dénomination spéciale au Messie dans les Pai'aholes, Ainsi
l'on se trouve pris entre des arguments opposés, et la
solution à donner à un prohlème récemment si discuté
oblige de s'arrêter ici et d'examiner de plus près, non pas
un seul, mais l'ensemble des éléments qui viennent en
question.
En XLVl 5 et en LXXI \ï, la locution « Fils d'hom-
me » (i) se présente liée au contexte par le pronom de
jonction vectu,et précédant une phrase relative qui ])récise
le rôle de celui dont on parle. La première idée qui vient à
l'esprit est que le pronom relatif commandant cette phrase
se rapporte directement à la locution « Fils d'homme »
et en détermine le sens : « Celui-ci est le Fils d'homme, à
savoir, ce Fils d'homme qui a en partage la justice » (^2).
Mais ce pronom initial peut se rapporter aussi au premier
sujet introduisant tout le développement, et la phrase
relative se comporterait dès lors comme une apposition à
la locution « Fils de l'homme », apposition pouvant
énoncer dès lors une idée étrangère à la compréhension
primitive de cette locution : « Celui-ci est le Fils de l'hom-
me, c'est encore celui-là qui a en partage la justice ». Ce
dernier sens est-il bien satisfaisant ? Il n'y paraît guère.
(1) Je fais abstraction pour l'instant des formules éthiopiennes diverses
qui traduisent cette locution (cf. infra.)
(2) Avec Lietzraann, Der Menschensohn p. 45.
LE MESSIAÎNISME DES l'AKABOLES d'iIÉ.NOCH. 325
et l'on se souvient trop que le relatif se rapporte de préfé-
rence au nom le plus voisin, pour admettre qu'une phrase
soit ainsi en apposition là où elle n'est point nécessaire : je
me refuse à croire que le za ait pour rôle de joindre ce qui
suit à un sujet éloigné, parce que l'autre explication est
beaucoup plus naturelle et ({u'il y a un sujet tout proche.
Objecter qu'il n'en saurait aller de la sorte, du moins en
XLVI 5, parce que le jugement analytique qui trouverait
dès lors son expression manquerait d'objet formulé au
préalable, que l'on n'a point parlé d'hommes auparavant,
pour qu'on puisse dire « Celui-ci est de tous les hommes,
celui qui a la justice » (i), est oublier que nous avons déjà
rencontré deux fois l'expression générale sab'e, et vouloir
donner une précision trop grande à une locution qui avait
une ligne au-dessus un sens indéfini. Je ne vois pas que
rien nous force à rejeter de notre contexte ce même sens
indéfini : « Ce (personnage, vers. 2) est le (=- ce) pei'son-
nage, celui-là auquel est en partage la justice » (2).
Le pronom déterminatif affecte la locution en litige
dans les textes, XLYl 4, XLVIH 2, LXIÏ 5, 9, 14, LXIIl
11. La détermination est faite par le pronom personnel
de référence veelu en LXIX 26, 29^ \ LXX \, LXXl 17.
Enfin LXIX 27 nous présente cette même locution reliée
d'une part au verbe et de l'autre au complément par la
particule habituelle In (3). Dans tous ces cas, la locution
(1) Fiebig, p. 88. Mais ce critique a parfaitement raison de conclure :
" Dann wûrde aber auch hier auf jeden Fallein Uebergang zu der Anwen-
dung als Titel vorhanden sein ; denn der Mensch, der die Gerechtigkeit
hat, ist liein anderer als dieser eine, der vorher lilar genug als Messias
bezeichnet ist ».
(2) Cette remarque s'applique à XLVI. Quant au texte LXXI 14, son
sens peut être différent, car le cas n'est pas tout-à-fait le même. Cf.
Muséon N, S. 1908, p. 63, note.
(3) Il n'y a pas lieu, me semble-t-il, de discuter l'authenticité ou la non-
526 LE MLSÉON.
est nettement déterminée, et l'on peut ti-aduire toujours
(( ce Fils d'homme » (0. — Un exemple se présente où,
sans discussion possible, « Fils de l'homme » paraît
comme une expression d'ailleurs connue, et c'est LXH 7
où la locution se trouve seule. Dalman, sans auti'e expli-
cation, déclare « ce passage critiquement douteux » ;
Liet/.mann le note comme « tout-à-foit suspect d'interjio-
lation )) (p. 46) ; tandis que Fiebig, qui en appelle à Béer,
trouve ([ue tout est pour le mieux dans le contexte (p. 87).
La question d'authenticité n'a point à entier en jeu. Que
le texte soit authentique ou qu'il ne le soit pas, l'écrivain
qui l'a confectionné empruntait ses idées et ses formules
à XLVIÏl 6, 7, qui suppose la lecture « ce Fils d'hom-
me » (2) ; et celui qui l'a mis en cet endroit le voyait
précédé d'une locution identique précisant le sens de tout
le passage, « ce Fils d'honnme (de femme) » (5). Il n'y a
pas de déterminatif exprimé, j'en conviens : mais nous
n'en avons que faire, et, le texte ayant toute hi clarté
désii'able, le déterminatif est sous-entendu (cf. Dillmann,
iEth. Gram. p. 555). Somme toute, la présence où l'ab-
sence d'une particule de détermination importe peu (2),
et la locution toujours déterminée en fait suppose un
personnage connu d'ailleurs auquel on se réfère (ojto;,
Les textes qu'on vient de signaler ne se trouvent point
authenticité de la locution en ce contexte : la chose n'est pas de telle
importance.
(1) Dalman (p. 199) traduit " le Fils d'homme ", là-même où la détermi-
nation se fait par le pronom personnel. Cependant c'est bien un démon -
stratif dans l'espèce, que ce - zuriickweisende Pronomen », comme
l'appelle Dillmann (Aeth. Gramm. p. 333).
(2) Cf. Schmidt, Was ïi'O]"*!^ a messianic title? dans Journal of bibli-
cal Literature XV, 48.
LE MESSIANISMK DES PAHABOLES d'iIÉNOCII. 5^27
accumulés en un même passage des Paraboles, et la locu-
tion « Fils de nwnnne » se rencontre à travers ces 5i
chapitres dans les documents I et 11 qui nous sont connus,
comme en d'autres fraiçments d'une orii>ine incertaine.
Parfois même, des développements dautre nature avaient
distrait notie attention, et nous ne pensions plus à la
scène décrite au chap. XLVI, (juand la mention subite de
« ce Fils d'homme » vient à nouveau se présenter à nos
yeux (cf. LXIX :20j : le rédacteur dernier de notre Apoca-
lypse ne trouvait pas qu'il fût nécessaire d'insister davan-
tage, ou d'atïirmer |)lus explicitement l'identité du per-
sonnage qui paraît en scène ; tous les lecteuis devaient
comprendre à demi-mot. Mais si une dénomination
l'épétée fréquemment suffit, sans plus d'explication, à
éveiller dans l'esprit l'idée d'un seul et même individu,
cette dénomination est bien près d'être un qualificatif qui
convient en propre et exclusivement à ce même indivi-
du (i) : dans l'espèce, et s'il faut tenir compte de la pré-
sence actuelle ou tout au moins j)otentielle du démonstra-
tif devant l'expression si souvent relevée, on trouvera
peut-être excessif d'atïirmer, avec Volz (p. 214j que « les
Paraboles font de cette expression, Fils de l'homme, un
titre messianique formel », mais, du moins, pourra-t-on
dire très légitimement avec Baldensperger (p. 128) qu'elles
forment « comme une étape (je dirai même la dernière
étape) avant la formation du titre » (wie eine Vorstufe der
Titelbildung).
(1) Cf. Bousset, qui écrit très-judieusement : « Wenn in einer Schrift
etwa zwanzigmal mit dem Ausdruclc " jener Mensch « auf .jemand liinge-
wiesen wird, dessen Charaktedstikum die Menschengestait ist, wie sollte
da niclit schliesslich der einfache Titel « der Mensch » (xat 'éÇoxTiv) ent-
stehen ! Die Bilderreden selbst zeigen dann dieser Uebergang ». Fieligion
des Judentliums*, p. 305, note. Cf. aussi Gunkel, dans la Zeitsclir. fur
wissent. Théologie 1900, p. 588 sqq.
5:28 LE MLSÉON.
L'on aurait tort de baser toutes conclusions contraires
sur la diversité des formules éthiopiennes que nous tra-
duisons sans plus « Fils d'homme ». Il est vrai que nos
mss. nous donnent les lectures, valda sab'e, valda he'esi,
valda ^egiulla emmû hejâv ; et que cette dernière formule
doit être envisagée comme technique, puisqu'elle traduit
les mi<''p d'Ezéchiel ou le irrjjî-^j de Daniel ; mais les
traducteurs de la Bible éthiopienne n'ont pas toujours été
dune suprême exactitude, et il y a maintes confusions
dans les textes (cf. Charles I28j. La version grecque lisait
donc ô jIô; toj àvf)p(ô-o'j. Que cette locution qui devient
maintenant un dénominatif de personne ait eu pour sens
primitif, « l'Homme » ou « le Fils de l'homme », il n'im-
porte : une chose est essentielle, c'est que, malgré l'appli-
cation (jui en est faite au Patriarche Hénoch (LXXl L4),
cette expression n'indi({ue nullement une identité de
nature entre le personnage ainsi désigné et les enfants des
hommes. — « Cet autre dont la figure est comme vision
d'homme », a bien quelque chose de Ihomme assuré-
ment, tout au moins son extérieur ; mais il se distingue
des autres hommes en ([uelque façon, et tout d'abord, en
ce qu'il n'est pas le fils de. l'un d'eux, et qu'il n'est i)oint
venu à l'existence par voie de génération. — On pourrait
être sui'pris de la chose, si l'on entendait dans un sens
analytique (|u'elle n'a pas l'expression u fils d'homme »,
et aussi s'il fallait faire entrer en ligne de compte les mss.
M et groupe il à LXII 5, G à LXIX ^iV\ qui lisent en ces
deux passages, valda hccsit. Dalman trouve la variante
sans importance (i) : on peut être d'un autre avis. Etant
(1) Ebenso ist es bedeatungslos, dass die aethiopische Uebersetzung in
dei* Wahl des Ausdriickes fur « Menschensohn » schwankt und zuweilen
auch " Manuessohn » « und Weibessohn n dafiir setzt. — P. 199.
LE MESSIAMSMi: DES l'AI'.AHOI.ES I) HE>0(;H.
5-29
donné l'ordi'e de la nature, il est assez indi lièrent pour
l'ordinaire (|ue quelqu'un soit a|)[telé « tils d Un homme »
ou « fils d'une femme », |)uis(|u'il est né des deux : mais il
en va autrement iei, et les deux termes de soi ne sont pas
absolument synonymes. Le second plus que le [)remier
indi([ue une référence à la loi de chair, aussi à la faiblesse
inhérente à la nature humaine, et il est léquivalent
strict du r:i^':^ ""b' de Job XIV {. L'idée de génération se
trouve bien encore dans la locution valda heesi, comme
une conséquence du sens propre au second mot, et il fau-
drait, du moins, valda sah'e, pour que le texte fût tout-à-
fait coi'rect : la lecture hc'csit aurait accentué la faute
davantage. Alors, l'expression eût été bien voisine du
v2vo;j.£vo; êxyjva'.xô; de lApôti'e Paul, et l'allusion manifeste
au Messie chrétien qui revient, triomphant cette fois,
juger la terre. Mais le texte n'est pas absolument sur.
Quant au second passage signalé, hi présence de cette
lecture dans G le plus vieux des mss. fait hésiter Charles
(p. 164) ; au premier passage, G. apporte une autre leçon,
mais le I!^ groupe de mss. ([ui appartient à une |)ériodc
plus récente témoigne de la lecture heesil,, et il en va de
même du mss. M que Flemming considère comme le
second en valeur (lien, aeth., p. X). Ce sont là, en tous
cas, des exemples isolés et qui n'ont pas à nous retenir.
Le personnage mystérieux désigné comme étant « ce
Fils d'homme » est ap[)elé « Messie » en deux textes des
Paraboles, XL\ 111 10 et LU i : Ion fait donc allusion à
quelque cérémonie sacrée, qui se serait accomplie, soit
récemment, pour que le personnage consacré devint apte
à remplir son nMe olïiciel, soit plutôt dans le passé, puis-
qu'on suppose que les puissances de la terre ont eu le
temps déjà de lui contester ce titre. Les deux textes en
350 LE MLSÉON.
question n'ont pas trouvé grâce devant Dalnian (p. 221).
Le second d entre eux serait « une insertion évidente » :
c'est aussi Topinion de la plupart des critiques, mais j'ai
dit avec assez de longueur qu'il ne m'était pas possible de
souscrire à cet avis, et pourquoi le verset signalé me
paraissait plutôt faire corps avec ce qui précède et demeu-
rer là comme l'un des fragments d'une source documen-
taire spéciale. L'influence du Psaume II sur Henoch LU 4
ne sei'ait, d'ailleurs, manifeste que si les montagnes dont
il est question en ce dernier passage symbolisaient uni-
quement les puissances impies (Ps. II 2) : or l'interpré-
tation ne me satisfait pas, et je me suis sutïisamment
expliqué sur ce point pour qu'il soit inutile d'y revenir (i).
— L'autre texte, Henoch XL\ III 10, nous apprend que
les rois et les puissants « ont renié le Seigneur des Esprits
et son Oint ». Il y aurait lieu de supprime!' ces derniers
mots, nous dit-on, parce (juailleurs l'on parle bien de
gens qui ont renié le Seigneur des Esprits (cf. XLI 2,
XLY 2, XLVI 7), mais jamais le Messie n'est mentionné
en pareille occasion. La raison est sérieuse, et ce ne serait
pas l'infirmer beaucoup que de remarquer l'addition
présentée en XLV 4, « ils ont renié le nom de l'habitation
des Saints et le Seigneur des Esprits », puis de noter ([ue
cette même habitation des Saints suppose déjà la présence
du Messie (XXXIX). Si l'on admet donc la possibilité
d'une retouche en cet endroit, il n'en reste pas moins que
LU 4 est assez garanti, et nous témoigne de la dénomina-
tion technique. Messie. Charles estime que nous avons là
le pi'emier exemple dans toute la littérature juive où
« Messie » soit ainsi pourvu d'un sens bien déterminé (â) :
(1) Cf. Muséon N. S. 1908, p. 48, note 2.
(2) In this technical sensé, it is tirst found in the Similitudes (ad h. 1
LE MESSIANISME DES l'AIlABOLES d'iIÉNOCII. 551
ce jugement est assez aftirmatit', et suppose que nous
avons des renseignements garantis sur le sens de ce mot
en d'autres passages ou sur la date des pièces qui les
contiennent. Est-ce que le Psaume H est décidément pos-
térieui' aux Paraboles d'Hénocli (i), et peut-on se poi-ter
garant que Ps. Sal. Wll 50, XVIll (i et 8 aient été écrits
quelques dizaines d'années plus tard ? En tout cas, nous
pouvons dire, sans crainte d'erreur, que le terme « Mes-
sie », prend d'une manière générale en cette période un
sens plus précis qu'il n'avait auparavant. L'on remarquera,
du reste, que les Paraboles, comme les Psaumes de Salo-
mon, ne nous apportent point la dénomination isolée,
comme elle le serait si elle était devenue sans conteste
nom personnel, mais un possessif est encore là (|ui la
détermine, « son Messie, le Messie du Seigneur », —
ceci à la difféi'cnce de Daniel 1\ :25 où le sens peut être
tout autre (n), et des écrits rabbiniques postérieurs dont
Dalman fait mention à la page :258.
Un autre nom messianique, et je veux parler de celui
« d'Elu », si fréquent dans les Paraboles (cf. XL o, LI 5,
o, LU 6, 9, LXI 5, 8, 10, LXII 11), est emprunté à l'An-
cien Testament (cf. Is. XLH l, Ps. LXXXÏX 4, etc.), mais
a vu disparaître le déterminatif qui s'accolait à lui. On
parle de « l'Elu » sans plus s'expliquer, de même qu'on
mentionnait « les Elus », et c'était tout : les questions
eschatologiques priment tellement toutes les autres dans
les Paraboles que l'on sait tout de suite qui vient en cause,
et que toute précision est superllue. Du reste, le person-
nage en question n'est-il pas « l'Elu » par excellence, ce
(1) Cf. Muséon N. S. 1005, page 131.
(2) Cf. Muséon N. S. 1906, page 242.
552 LE MISÉON.
Fils de l'homine que nous avons nppris à connaître, que
le Seigneur avait choisi (XLVI 5) ? S'appuyant sur ce texte
et le rapprochement qu'il suggère entre les deux dénomi-
nations messianiques, Dalman note que la locution, « Elu
de justice » (XXXIX G, cf. aussi LUI 6), « ne j)eut s'enten-
dre autrement que comme un écho du 'p'i:^ T^ryi de Jerem.
25, 5, T^pT^ v'2:i Jerem. XXXlll 15, expressions qui
deviennent dans le Targum iip-::i* ""0- >' (p. 200). Le
texte du Targum à Jérémie laisse, en effet, place à l'hypo-
thèse. Si l'on se reporte à l'original du Prophète, il paraî-
tra que le "li ':î porte ce titre, parce que lui-même doit
être juste et qu'il fera régner la justice en Israël : ceci
correspond peut-être à l'idée du Messie « qui a la justice,
en qui la justice hahite » (XLVI 5'^) ; je conviens, du reste,
très volontiers que l'expression signalée s'identifie avec
celle de XXXIX 6, heriija la-sedcq, qui est composée de
deux mots réunis sans conteste par le b attributionis. Mais
le Messie des Paraboles est plus qu'un personnage « choisi
pour faire régner la justice », et j'en appelle à XLVI 5^.
Le texte est curieux, et mérite qu'on l'observe : « Le
Seigneur des Espiits l'a choisi (le Messie), ci son sort a vaincu
(mss. ï^, II excl. E, toutes choses) devant le Seigneur des
Esprits ba-reVe à jamais ». Quel est le sens précis du terme
que j'ai gardé sans le traduire ? On pourrait croire d'abord
que la préposition ïi indique l'état et que le terme
est à entendre adverbialement : Dillmann (Dict. aeth.)
a relevé quelque exemple de ce genre dans le Synaxaire
éthiopien. Nous traduirions donc : « le sort du Messie l'a
justement emporté auprès de Dieu » ; ce serait la justice
divine qui serait mise en lumière, en même temps que la
prééminence du sort du Messie. Mais l'adverbe aurait été
bien écarté du verbe sur le sens duquel il doit influer, et
LE MESSIANISME DES 1»ABAB0LES D HÉNOCII. OÔ^)
cout le contexte rend évident que la justice de Dieu nest
point en cause, mais bien celle du Messie. Enfin une
ditliculté subsisterait toujours, et l'on pourrait se deman-
der comment en toute justice Dieu a pu constater la pré-
éminence du sort du Fils de l'homme. Car c'est bien de
constatation qu'il s'agit, du moins apparemment (i), et
toute la difficulté réside dans le verbe, dans cette formule
mystérieuse, « a vaincu toutes choses ». Nous avons donc
à traduire d'une autre manière : « devant le Seigneur des
Esprits le sort du Messie l'a emporté sur toutes choses en
justice » ; c'est parce qu'il a été juste, plus que tous les
êtres, que le Messie a été choisi de Dieu. Mais à quel
moment la chose s'est-elle donc passée ? A quelle heure les
êtres ont-ils comparu devant Dieu et fait montre de leur
justice qui ne se trouva point égale à celle du Fils de
l'homme ? Ce n'est pas à la fin des temps, puisque le
Messie, ainsi que nous le verrons, a été choisi dès leur
début. Serait-ce à ce début même ? mais les Paraboles
n'enseignent jamais la préexistence de tous les êtres
auprès de Dieu (2), et c'est là une doctrine juive que l'on
dit ne pas se manifester avant le Pesikta labbati du IX^
siècle (3). Dieu a donc prévu les actes de justice d'un indi-
(1) Le sort du Messie l'emporte pour quelque motif sur celui des autres
êtres : ceci se passe « devant le Seigneur des Esprits n, et, pour peu que
l'on fasse abstraction des mots qui précèdent, Dieu est là présent pour
constater les choses. Il en va de même ici et là dans la description du
drame eschatologique : parfois les êtres ont l'air de tendre à leur fin tout
naturellement, le châtiment attend les pécheurs, la récompense, les justes,
et tout se fait en la présence de Dieu.
',2) En ce qui concerne le texte XXXIX 8, cf. Muséon N. S. 1908, p. r)5.
— « Le sort de vie éternelle n qui a été fixé par le Seigneur des Esprits
pour Hénoch (XXXVII 4), doit s'entendre non d'une préexistence, mais de
la prédestination providentielle du Patriarche.
(3) Pes. Kab. 152b . _ cf. Dalman, Der leidende u. sterbende Messias,
p. 58. — Il peut y avoir quelque exagération dans ce sentiment de Dalman.
Avant les Pesikta, les midrasim Beresit rab. et Ruth rab. enseignaient
554 LK MLSÉON.
vidu, de même aussi les actes de justice des autres êtres ;
il a fait la comparaison et constaté que cet individu
« l'emportait en justice sur tous » : c'est pourquoi il l'a
choisi pour Messie. 11 s'agit donc d'un rapprochement de
prévisions (i), et il est intéressant de noter déjà quelque
apparence d'une doctrine de prédestination post praevisa
mérita sur un terrain juif et de si bonne heure. La chose
est d'autant plus piquante, que le Messie est dit aussi en
quelque endroit avoir été élu « devant le Seigneur des
Esprits, suivant son bon plaisir )> (XLIX 4) (2). Les deux
textes ne sont pas à opposer l'un à l'autre, et l'on aurait
tort de se demander comment « le bon plaisir » de Dieu
peut s'exercer en la circonstance, si la justice prévue
dans le Messie futur « l'emporte sur tous aux yeux du
déjà qu'ail temps où il créa le inonde, Dieu s'occupait de l'âme des justes.
Ces âmes se ti-ouvent maintenant au septième ciel (Arabôt), et c'est là que
sont les nV-UJDrî PIJ d'où elles seront tirées en leur temps pour être
unies aux corps qui leur conviennent (Aboda sara .5^. Cf. Weber 212 et
205). — Kn tout cas. cette idée de la Mischna n'est pas exprimée explicite-
ment en nos Paraboles ; et il est inexact de dire qu'elle doive y êti'e néces-
sairement supposée (note suivante).
(1) Avec Volz qui dit très bien : «Wenn der pràexistente Messias infolge
seiner Rechtschaffenheit aus allen ausgewâhlt wird, se wird er ausge-
wiihlt wegen der Rechtschaffenheit, die Gott vorausschaut » (p. 117), et
Charles, " On the ground of his essential righteousness has lie (the Mes-
siah) becnchosed no less than according to God's good pleasure « (p. Ii9).
— L'on voit ainsi ce qu'il convient de répondre à l'argument apporté jadis
par Sieffert, et qui, à première vue, pouvait faire quelque impression.
« Si ex una parte Deus Messiam elegit et coram se abscondit priusquam
mundus creatus est (48, 6), et ex altéra parte ille ceteris excellit nonnisi
per justitiam seterno tempore (46, 3), id est si, quia justitia ceteros omnes
superaverat, a Domino divinis laudibus ornatus est (51, 3) : num Messias
ceteros justitia superare potest, priusquam mundus creatus est, nisi
horum quoque animae ex seterno vivunt, nisi haud secus ac Messiae
majestas etiam electorum grex coram Deo est ex seterno in seternum
(39, 3)? » (NonnuUa .... , p. 23).
(2) Cf. Muséon N. S. 1908, p. m.
LE MESSIANISME DES PARABOLES d'hÉNOCH. 555
Seigneur ». Notre auteur n'a rien d'un Scholastique, et
il n'a certainement point pensé à donner des détails sur
l'oi'igine du iMessie. Ce qu'il en dit — et il faut hien qu'il
en dise quelque chose, puisqu'on a demandé très explici-
tement à l'ange interprète d'où venait le Fils d'homme
(vers. 2) — , il l'emprunte à la littérature sacrée, et je
crois qu'en écrivant son fameux mo'a kuclo, il ne songeait
pas à autre chose qu'à appliquer à son personnage, en les
modifiant comme de juste, les pai'oles du Psalmiste XLV
S : ?j-2n-^ .... D-nbïï Ty'^'2 -ç^rr: .... piï rnnï^
Le Messie a été prédestiné de Dieu : à quel moment,
cette prédestination fût-elle réalisée, ou, ce (|ui i-evient au
même, à quel moment le Messie fùt-il consacré comme
tel, et commenca-t-il d'exister ? Les textes sont assez
clairs. Hénoch XLVllI 5 nous apprend « qu'avant la crt-a-
tion du soleil et des signes du zodia({ue, avant que sc'ient
faites les étoiles du ciel, son nom fut nommé devant le
Seigneur des Esprits ». Charles i\s. l.")i) et Martin (p. 99)
notent tout de suite que le nom est identi({ue à la per-
sonne du Messie, et que le texte enseigne la préexistence
ah aeterno. Que le nom chez les Si'mites en général, et
dans tel passage du livre d'Hénoch, puisse avoir le sens
qu'on lui attiihue ici, je l'ai dit moi-même (i) : mais, dans
la circonstance, il ne faut point se hâter de la sorte. Le nom
du Messie, c'est ce <[iie l'on nous aj)pren(l,fut nommé avant
toute création ; mais le nom du Messie est nommé une fois
de plus, « à cette heure » (vers. :2), à un moment précis
du temps : le .Messie aurait-il donc été créé deux fois ? La
pensée du Messie plutôt fût présente devant Dieu avant
que ne fussent formés les astres, et il convient de rappeler
'1) Cf. Revue des sciences phil. et tli-'Ol. I, 1, ."8.
21
356 LE MUSÉON.
les doctrines sui* la préexistence idéale des êtres qui se
font jour dans les midrasim et la littérature rabbinique(i).
Mais, ce qui nous intéresse, c'est la personne vivante du
Messie, et non l'idée même de cette personne. 0. Holtz-
mann ne voit pas le bien-fondé de cette distinction entre
l'une et l'autre : « l'auteur de notre livre l'eût difficilement
comprise. Ce qui vivait dans la pensée de Dieu possédait,
d'après les conceptions philosophiques du platonisme
grec de ce temps, la plus grande réalité » (2). Il n'est pas
besoin d'en appeler avec plus ou moins de justesse au
platonisme : il suffît de lire encore quelques lignes de
notre texte, et l'existence réelle du Messie ab aeterno y
sera clairement enseignée. « Il fut élu et caché devant
Dieu, avant que le monde ne fût fait » (vers. 6) : il exis-
tait donc en réalité, et non-seulement dans la pensée
divine. Dalman se dit convaincu que ce texte est in-
authentique, et croit seulement à l'affirmation d'une exis-
tence antérieure du Messie dans le temps (p. 107). La
chose n'est pourtant pas si assurée. Sans doute, le Messie
des Paraboles n'est pas identifié à la Sagesse (5), puisque la
sagesse parait en la possession du Seigneur (XLVIII 7), que
lui-même, l'Elu, doit recevoir l'esprit de sagesse, etc. ;
mais, puisqu'on lui reconnaissait une vraie préexistence,
puisqu'il devait être en possession de la sagesse, je ne vois
pas pourquoi on ne lui aurait point appliqué le texte des
Proverbes IX 22, et il me semble même que les formules
ici employées pointent dans cette direction. En tout cas,
(1) Cf. Webcr, Jiid. Theol.^p. 355; Edersheim, Life and Times of Jésus
1 174, etc.
(2) Dam Stade, Gesch. d. Volk. Israël II, 486.
(3) C'est l'avis de tous ceux qui contestent aux Paraboles une origine
juive, et j'y reviendrai en son temps.
I
LE MESSIANISME DES PABABOLES d'hÉNOCH. 357
l'authenticité de Henoch XL VIII 6 n'est pas absolument
improbable, et, pour isolé qu'il soit, le texte affirme net-
tement une existence éternelle du Messie.
C'est ainsi qu'avant tous les temps, le Fils d'homme se
trouvait devant le Seigneur des Esprits (XLVIII 6, ? XLIX
2''), devant la puissance du Très-Haut (LXII 7), avec lui
(XLVI I). Le voyant, du reste, l'avait aperçu, et il se
trouvait sous les ailes du Seigneur : c'est là qu'est son
habitation (XXXIX 7). Le second ange de Face, à savoir
Raphaël, a reçu mission de célébrer ses louanges, en même
temps que celles des Justes (XL 5). Du reste, les Elus sont
devant lui (XXXIX 6), comme lui, l'Elu, est devant Dieu :
en face du Seigneur, il se présente déjà comme le chef de
la communauté de ces Justes innombrables (ibid.). Si les
chapitres XXXIX et XL pouvaient être expliqués l'un par
l'autre, il y aurait quelque garantie que ces justes fussent
des martyrs ; et la chose a bien, d'ailleurs (i), ses proba-
bilités. De ce que le Messie est le chef de la bnp céleste,
et de ce que les justes qui en font partie s'occupent, ainsi
que les anges et avec eux, de prier pour les enfants des
hommes, on n'en saurait conclure que l'Elu agit de même
et remplit déjà l'office d'intercesseur (2) : plus loin, anges
et saints chantent aussi les louanges de Dieu (vers. 7),
mais l'on ne parle pas davantage du Fils de l'homme.
C'est donc à tort que l'on suppose enseignée dans notre
livre, « la foi à une action du xMessic pendant la période
pré-messianique » : le Messie, plutôt, n'agit pas, il n'a pas
à agir, il n'a qu'à exister. On nous dit bien qu' « il est le
(1) Cf. Muséon N. S. 1908, p. 53.
(2) Dass der Messias ein Fûrprecher fur die Gerechten bel Gott sei, ist
also ein Gedaiike, den schon das vorehristliche Judenthum gezeltigt hat
— 0. Holtzmann, p. 487.
538 LE MUSÉON.
vengeur de la vie des justes », (XLVIII 7) mais ceci n'est
point lui attribuer quelque intervention actuelle en ce
monde: qu'on lui fasse honneur de ce titre, dès maintenant
si l'on veut, puisqu'il existe déjà, puisqu'il n'existe que
pour jouer ce rôle ; mais ce rôle, il ne le jouera qu'à la fin
des temps (ij. Pour l'instant, il garde le sort des justes
(vers. 7^), et ce sort demeure en sécurité, immuable,
parce que lui-même, immuable, demeure en sécurité.
Nous touchons ici à l'un des motifs qui ont favorisé, sans
doute, la ditfusion de cette croyance à l'existence anté-
rieure du Messie : le grand personnage représente les
biens messianiques que l'on attend, qui tardent à venir,
que l'on a peur de ne point posséder ; et la sécurité de
l'un, sa présence au ciel qui lui permet d'apparaître subi-
tement, tout de suite, sur cette terre, garantit la sécurité,
la venue des autres. Selon Iheureuse expression d'Har-
nack (2!, la préexistence du iMessie a dû être acceptée et
gardée précieusement comme « une police d'assurance
contre les pertes ».
Puisque le Messie existe déjà, mais que toute son activité
se manifestera seulement dans l'avenir, les qualités qu'on
lui reconnaît pour l'instant sont précisément celles-là dont
il devra faire preuve plus tard, lorsqu'il en sera venn à
remplir son rôle sacré. Ce rôle consistant principalement
à inaugurer sur teri'e le règne de la justice, la première
qualité du Messie sera d'être juste : la justice habite en
lui (XLVI 5), elle va dominer dans les jours de son exis-
tence (XXXIX 6). Ainsi le présent et l'avenir se rappro-
chent de plus en plus ; les qualités du Messie qu'il possède
(1) Il le jouera, quand il sauvera les justes par son nom, c.-à-d. dans
l'avenir (futur).
(2) Dogmengescli.3 1, 75").
LE MESSIANISME DES PAnABOI.ES d'iIÉNOCII. 359
maintenant, qu'il manifestera dans l'avenir, se confon-
dent. Tout paraît sur le même plan : il n'y a plus de
perspective. Où est l'illusion, et peut-on affirmer que
l'écrivain pensait au Messie caché ou au Messie futur,
lorsqu'il écrit, « il est puissant sur tous les secrets de
justice » (XLIX '2), lorsqu'il lui i-econnait en partage les
dons mystérieux d'Isaïe (XLIX 5) ? L'horizon n'est pas là
qui circonscrive le terrain sur lequel nous nous trouvons,
et, de là, cette sensation étrange d'être plongé dans l'irréel,
dans un monde illusoire où tout se confond en formes
indécises, qui ne sait plus reconnaître ni temps ni lieux.
Comme tout Messie authentique, l'Elu des Paraboles a
reçu l'Esprit du Seigneur dont Isaïo avait relevé les diver-
ses formes , «. eu lui hahite Cespvit de sagesse, et f esprit
(mss. M, Il excl. W, de celui) qui fait compreudre, et l'es-
prit de doclriue et de force, et l'esprit de ceux qui se sont
endormis en justice ». Ces derniers mots sont assez am-
bigus, et il convient de les examiner avec quelque soin.
De l'avis de Béer {ad h. 1.) on veut rappeler par là que
(c le Messie réalise l'espérance eschatologique des justes
défunts » : mais il n'est point question d'espérance escha-
tologique, et l'on ne pense pas à préciser le rôle futur du
Messie, mais plutôt les qualités supérieures dont il est ou
sera pourvu. — Volz (p. 17) montre que cette qualité
dont il est fait mention d'une manière si mystérieuse doit
avoir une importance spéciale pour les Justes qui sont
morts, et il en conclut qu'il s'agit de « l'esprit de vie »,
c'est-à-dire de la faculté de ramener à la vie et de conser-
ver en vie. L'interprétation serait-elle assurée, que nous
pourrions faire ici des constatations de première impor-
tance. Le Messie des Psaumes de Salomon avait aussi reçu
en partage l'esprit de l'Eternel sous ses sept formes : il
340 LE MLSÉON.
devenait, et il restait néanmoins « l'Oint de Jalivé ».
D'après la doctrine de tout l'Ancien Testament, la D"" "I"
est seulement en la puissance de l'Eternel, et dans la célè-
bre vision de la vallée des ossements, Ezéchiel appelait du
dehors l'esprit vivificateur. Le Messie des Paraboles aurait
donc cet esprit en lui : non-seulement l'Esprit de Jahvé
avec ses formes traditionnelles diverses reposerait sur sa
personne, mais, de plus, cette force suprême que la tradi-
tion reconnaissait à Jahvé seul créateur. 11 serait donc plus
que le Messie, et nous aurions là une première manilèsla-
tion de la doctrine chrétienne du Fils de Dieu vivificateur,
un parallèle assez nettement accusé en quelques mots aux
développements de Jean V 20. Mais, remarquons-le tout
d'abord, les Paraboles parlent bien ailleurs de la résurrec-
tion des morts (Ll I, LXl 5), et il ne paraît j>as du tout
qu'elle se fasse par l'entremise du Messie. La conclusion
du savant allemand dépasse d'ailleurs ses prémisses : ce
qui importe aux Justes morts, ce n'est pas seulement le
retour à la vie. La vie, ne l'ont-ils pas déjà sous une forme
nouvelle, avec les anges, au bout du ciel (\XXIX) ? Ce qui
leur importe avant tout, c'est la possession de la récom-
pense à laquelle ils ont droit, la punition rigoureuse de
leurs ennemis, en un mot, le jugement qui apporte la
rétribution. Aussi les diverses formes de l'Esprit sont-elles
présentées en fonction du jugement, et c'est de jugement
qu'il est question dans tout le contexte. On ne saurait ba-
ser quelque autre conclusion sur la lecture plus ou moins
garantie, « l'Esprit de celui qui fait comprendre » (i) :
Celui qui fait comprendre, c'est Dieu, et le Messie reçoit
(1) « Wie der Messias aus seinem Einsichtsgeist heraus Einsicht verlei-
het, giebt er aus seinem (Lebens-) Geist heraus das, was dieentschlafenen
Frommen brauchen : Daseinskraft. — Ibid.
LE MESSIANISME DES PARABOLES d'hÉNOCH. 341
rintelligence ; mais il ne la reçoit point pour la trans-
mettre aux hommes, bien plutôt pour s'en servir lui-même
à l'heure du jugement. — Gressmann (i) rapproche très
judicieusement notre texte de II Macc. XII 45, ol [jLex' sjte-
[ieiy.q xo!.fxw[^£voi (Is. XI, ap. Sept,, eûcrepe-ia) , et en conclut à
la sûreté de notre lecture. Puis il propose, sans y attacher,
du reste, plus d'importance, de s'appuyer sur ce rappro-
chement de textes pour expliquer les termes obscurs, et
met en avant la traduction, « l'Esprit qui rend capable du
martyre ». J'ai relevé ailleurs que le Messie était rapproché
assez singulièrement des Justes, sans doute, des Justes
martyrs, et il m'a semblé que le passage en question pou-
vait être une glose chrétienne (2). Mais ici, il n'est point
question, que je sache, de gens qui souffrirent une mort
violente, et l'on cherchera longtemps en quoi « l'Esprit
qui rend capable du martyre » pourrait aider le Messie
dans son rôle de juge supi'ême. Si l'on s'en rapporte au
texte, il parait plutôt que le Messie reçoit en lui « l'esprit
des justes morts » comme il reçoit « l'esprit de sagesse »
etc. : l'on en vient à penser à une absorption en lui-même
de l'existence supérieure des défunts. Mais ceci même est
assez étrange, et l'on eût parlé au pluriel « des esprits des
justes qui sont morts ». Au chapitre XXXIX, ces justes
sont devant le Messie, comme le Messie est devant Dieu :
un évanouissement des premiers dans l'Elu me semble,
dès lors, exclu dans la mesure même où l'on croit devoir
abandonner l'idée de quelque résolution panthéiste des
êtres. Gunkel, qui s'est entretenu de notre texte avec Gress-
mann, propose d'interï)réter les mots obscurs dans le sens
« d'une conception animiste : en lui s'incorpore l'esprit de
(1) Der Ursprung des israël.-jûd. Eschatologie, p. 359, note.
(2) Cf. Micséon N. S., 1908, p. 53, note 2.
54-2
LE MLiSEON.
ceux qui sont endormis ». Mais cette conception animiste
venait-elle à la pensée des rédacteurs des Paraboles ? Pour
eux, l'esprit de Jahvé n'était pas évidemment Jahvé lui-
même ; mais était-il quelque chose de vivant, participant
en ((uelque manière à la vie de Jahvé ou même la soute-
nant, qui soit extérieur à lui-même et communicable ? Si
on croit pouvoir raflirmer (i), je ne vois pas qu'on puisse
nier la possibilité d'une créance à quelque chose d'animé,
et ([ui soit de même dans les Justes, participant à leur vie
ou la soutenant, communicable au Messie après leui- mort.
Mais il me semble qu'il en va d'autre sorte ici : l'esprit de
Jahvé est esprit de sagesse, etc. ; l'esprit de ceux qui se
sont endoimis en justice, ne serait-il pas simplement esprit
de justice ? Charles (p. 157) note très-bien que « la justice,
qui, en quel({uc mesure, appartenait à tous les fidèles du
passé, atteindra en lui, Messie, sa parfaite réalisation ».
(1) Hilgenfeld, convaincu de la composition chrétienne de nos Paraboles,
ralTirmait tout à-fait, et en appelait pour garantir son sentiment à Justin
et aux Montanistes. « Das — d. h. XLIX 3 — erklart sicli aus der altchrist-
lichen Vorstellung, dass die ganze Fiille des heiligen Geistes aus seinen
vorchristlichen Triigern auf Christum tiberging, wie der Màrtyrer Justin
und die Montanisten lehrten « P. 178, note 1, et son écrit sur la Glossolalie
p. 101 et 118. — Kn réalité, ni Justin, ni Tertullien n'enseignent ce qu'on
leur t'ait dire. Le texte d'Isaïe XI 1, qui est à la base de ce passage des
Paraboles est discuté par Justin en Dial. ST. A partir du Christ, l'Esprit a
cessé (c'est sa traduction du requiescat d'Isaïe) de descendre sur les Juifs;
les sept dons reposent cependant dans l'âme du Christ, mais pour se
répandre de là sur les chrétiens II n'est donc point dit que l'Esprit soit
passé des Juifs morts dans le Messie, et il n'est question que des Juifs
vivants qui ne le reçoivent plus et du Messie qui le possède. — Pour Ter-
tullien (Adv. Marc. V, PL. II 489), les dons de l'Esprit ou plutôt la sub-
stance de l'Esprit a habité dans le Christ, non qu'elle y soit venue après
coup, puisque avant de s'incarner il était l'Esprit lui-même, mais elle a
habité en lui en ce sens, que l'Esprit a cessé dès lors de descendre sur les
Juifs (Cf. aussi De Baptismo 10, PL. 1, 1211 ; Adv. Marc. III, PL II, 314, 315 ;
Adv. Juda^os, IX).
LE MESSIANISME DES PAUABOLES d'hÉ?jOCH. 545
On doutera cependant (jue ceci sufïise à expli([uei' la
mention « des fidèles endormis » ; et je crois qu'il est bon
d'ajouter quelque autre remarque qui peut avoir son im-
portance. Il y a dans notre texte référence à l'esprit de
Jahvé, par l'allusion évidente à Isaïe ; l'on y trouve encore
mention explicite de l'esprit des justes morts : c'est que
le Messie, dans sa fonction de juge, participera à la
justice et de l'un et des autres. Or, la mention de ceux-
ci survient en dernier lieu, et l'emplace l'expression du
Prophète, riin' ns*", cù^t'^zU. IN'y a-t-il pas, dès lors,
quelque motif qui ait poussé à la suppression de ces
mots, et ait creusé, par conséquent, dans la citation
accommodée d'isaïe une lacune qu'il fallait combler pour
le mieux ? L'esprit de crainte de Dieu apporte avec
lui le respect du Seigneur et de sa Loi, c'est l'esprit qui
inspire la piété juive traditionnelle. Mais l'on sait que'
pendant sa vie cachée, le Messie demeure dans son immo-
bilité. Dans sa vie publique, il agira, sans doute, et ce
sei'a à l'égard des justes et en leur faveur ; si l'on fait
abstraction du seul texte LXl 10 l'on ne trouvera point
qu'il manifeste quel sentiment que ce soit en présence du
Dieu : le Seigneur des Esprits agit par le Messie et dans
le Messie ; le Messie agit sur les justes, mais son action
ne se manifeste que du côté des créatures. Le Pharisien
qui éci'ivit Ps. Sal. XVII notait avec soin que le Messie de
son idéal serait xpaTawç èv <pô|3o) ffeoO : l'Rlu des Paraboles
n'est plus le roi pieux et lidèle que nous avons appris à
connaître ; la situation est toute autre et l'on doit en
tenir compte d'après le détail : il sied moins d'aflirmer
la crainte de Dieu de quelqu'un qui se trouve justement
tout rapproché de lui, qui le représente dans le jugement
même et intervient en sa place auprès des justes.
344 LE MUSÉON.
Le Messie des Paraboles d'Hénoeh existe déjà : mais,
pour l'heure, il reste caché au monde. Sou existence de
l'au-delà n'est point cependant si dérobée aux regards que,
par une permission spéciale de Dieu, des yeux humains
n'aient pu percevoir sa réalité mystérieuse : avant la
révélation suprême qui manifestera le Messie aux pécheurs
comme aux justes d'ici-bas, il y aura, et il y a eu, des
révélations spéciales qui l'ont fait connaître déjà aux
Saints et aux hommes de bien (XLVIII 7, LXH 7). Que
l'on entende parler tout d'abord des défunts qui mainte-
nant habitent près de l'Elu (XXXIX), est chose naturelle :
ce sont ceux-là qui, plus ([ue tous les autres, haïrent ce
monde d'iniquité, qui ont besoin aujourd'hui d'un ven-
geur de leur vie, puisque la vie même leur a été enlevée.
Mais il s'agit bien aussi des Mystiques élevés par l'extase
au-dessus de la terre, emportés mêuie en réalité loin des
choses d'ici-bas ; hommes pieux qui, comme Hénoch, ont
joui des faveurs divines, et peuvent conter à ceux qui
savent entendre, les secrets des apocalypses qu'ils ont
appris en l'autre monde. II ne paraît pas, d'ailleurs, qu'il
soit question des Prophètes, et que Dieu ait révélé ce
mystère de l'Elu aux saints et aux justes dans les livres
de l'Ancien Testament (i).
Mais les temps s'écoulent, et voici que vont luire « ces
jours-là, ce jour » ; tout le monde s'entend, car l'on y
pense assez, aux espérances dernières et au jour qui les
réalisera. Faut-il préciser davantage, l'on parlera « du
(1) Ce dernier point, contre Charles et Martin. J'embrasse complètement
l'opinion de Volz, qui dit très bien : « Die Weisheit des Herrn offenbarte
den Messias den Heiligen.... : hiebei ist wohl nicht an die alttestaraent-
lichen Propheten und ihre Orakel, sondern an die apokalyptischen Mysti-
ker und ihre ekstatischen Visionen, sowie an die abgeschiedenen Seiigen
gedacht». P. 219.
LE MESSIAMS.ME DES l'AUAHOLES DllÉ.NOClI. 345
joui' de souffrance et de ti'ibulation ». Ce sont les pécheurs,
en etfet, qui verront alors le chaniiement le plus extra-
ordinaire se produire dans leur sort, et il est juste que
par avance on désigne l'heure suprême d'après l'événe-
ment le plus notable dont elle sera l'échéance (cf. XLV :2,
LV 5, XLVIIl 10, L 2). Ce moment solennel provoque
aussi un changement considérable dans les destinées du
Messie, puisqu'il était caché jusque là et qu'il commen-
cera maintenant sa vie publique : on parlera donc du
« jour du Messie » (LXI 5), et je ne sais pas si cette
explication n'est point sutlisante, sans qu'il soit besoin
d'entendre « le iour où le Messie aspira en maître )>,
et d'opposer, par suite, cette manièi-e de dire à celle (jui
était accoutumée en l'Ancien Testament, « le jour de
Jahvé » (i). Alors, le chitfre de justice sera atteint, et
la prière des justes exaucée (XLVII 4). C'est en prévision
de ce moment suprême, que les anges et les puissances
n'empêchent point ce ({ui se passe en ce monde : car Dieu
a fixé un juge pour tous (XLI D) (2). « A cette heure, ce
Fils d'homme fut api)elé auprès du Seigneur des Esprits,
et son nom (fut piononcé) devant la Tête des jours »
(XLVIIl '2) : c'est la seconde vocation messianicjue, (jui
plus que la première importe à la terre. Autrefois, avant
la création, le Messie avait été nommé devant Dieu, et ce
fut le premier instant de son existence ; « à cette heure »,
son nom est encore prononcé devant le Très-Haut, et c'est
le premier instant de son existence visible, de sa vie
d'activité. Dès le premier moment qu'il fut élu, le Fils
d'homme était devant Dieu et il y reste à jamais (XLVHl
(1) Nur in Hen B. ist der Tag des Messias = der Tag GoUes. Volz ISS.
(2) Le passage a ses difficultés : le texte n'y est point garanti et le sens
reste douteux.
546 LE MLSÉON.
6) ; « à cette heure », il paraît devant la face du Seigneur
des Esprits (LU 9). Du reste, rien ne change dans sa
nature : il ne se revêt point de chair, et c'est peut-être
qu'il en était déjà revêtu ; il n'acquiert point de qualités
nouvelles ; il reste ce qu'il était. La seule différence qu'on
doive noter et qui se produise en cet instant est purement
extérieure : jusque là il était caché, maintenant il est
révélé au monde. L'idée reste juive, sans le plus léger
mélange de la pensée grecque (i) : nous n'avons à relever
ici qu'une révélation complète du nom du Messie (LXIX
26), une extériorisation de sa personne, £-f.oâv£!.a(LXIX29).
Et la situation même ne change pas en tout, il y a sur
terre prolongement de l'état de choses céleste : le Juste
devient visihle aux hommes, la communauté des justes
devient visihle ici-has (XXXVIil 1 et 2) ; les justes et élus
brillaient au ciel devant le Messie, étaient et devaient être
pour toujours devant lui (XXXIX 6, 7), devant lui, au
dernier jour, ils se tiendront sur terre (LXII 8).
Jusqu'ici, et puisqu'il était toujours question de la vie
cachée du Fils de l'homme, nos sources diverses ont ap-
porté chacune leurs renseignements, renseignements plus
ou moins importants, mais qui concordaient, et devaient
concorder entre eux : s'agit-il de s'exprimer maintenant
sur l'œuvre terrestre qu'accomplira le Messie, sur les
moyens qu'il emploiera pour atteindre son but, dès lors,
sur le caractère même qu'il convient de lui reconnaître
au temps de son apparition ici-bas, l'accord cesse entie
nos documents I et II, ainsi que nous l'avons dit, et les
textes divergents doivent être envisagés à part.
Le Fils d'homme, de la source I, s'en prend aux rois et
(1) Cf. Harnack, Fur Vorstellung der Pràexistenz, l. c.
Le messianisme des paiwroles d'hénocii. 547
aux puissants de la terre. Il semble que ceux-ci, pour
l'instant, soient en toute tranquillité, les rois reposant
sur leurs couches, les hommes forts sur leurs sièges :
mais ce n'est peut-être qu'une mise en scène. Le Messie
les fait lever : « il relâche les rênes des hommes forts et
brise les dents des pécheurs » (XLVI 4). L'on aurait plutôt
pensé qu'il eût tiré à lui les rênes symboliques, relevé
brusquement ceux qu'on nous disait tout-à-l'heure au
repos, et dans ce coup inattendu, brisé violemment les
dents des pécheurs. Mais le terme jefateh n'autorise pas
ce sens, les deux parties de la phrase sont indépendantes,
et les images se choquent sans recevoir leur développe-
ment. Cependant il doit y avoir parallélisme, et si la
seconde moitié de la phrase décrit une punition des
pécheurs, on ne comprendrait pas qu'il en allât tout à
l'opposé dans la première : « les rênes des hommes forts
qui se relâchent » ne peuvent donc s'entendre des restric-
tions subitement enlevées qu'on avait apposées jadis à
l'exercice de leur liberté ; et ces hommes forts sont des
pécheurs qui doivent être punis. Ces rênes sont donc
celles-là que les puissants tiennent en main, et je suppose
que leur rupture symbolise la liberté subitement rendue
à des feudataires ou à des sujets indisciplinés. En tous
cas, les dents brisées indiquent assez que la force dont ils
disposaient jusque-là est venue à son terme (cf. Thren.
m i(), Ps. m 8, LYIll 7) (i). — Tout cela, est l'œuvre du
Messie. Pour en arriver à ses fins, il a pu se servir des
métaux amoncelés et formant montagnes, quHénoch
avait vu jadis cachés dans les cieux : et Ton entend bien
qu'il ne s'agit pas de matériaux à l'état brut dont le Fils
(1) L'image se retrouve peut-être dans les Midrasim : au Messie ap-
partient la Q'-'û'J nnp^ (Beresit rab. 99, etc. Cf. Weber p. 382).
348 LE MUSÉON.
d'homme n'a que faire, mais des ressources mystérieuses
qu'ils symbolisent (i). Ces ressources de toutes sortes qui
furent gardées pour ce moment suprême servii'ontà établir
aujourd'hui la puissance du iMessie : qu'il en use, et il de-
viendra sur terre puissant et fort (LU 1-5). Déjà la vigueur
des grands est abattue, le rouge de la honte se répand sur
leurs visages. L'humiliation qui leur est réservée, chacun
pourra la voir : ils auront pour demeure l'obscurité, et,
ceux qui reposaient sur des trônes, resteront étendus sur
une couche de vers (Isaïe XIV 1 1) ; cette misère épouvan-
table n'aura point de fin, et elle n'est que l'image, avant
de devenir la réalité même, de l'horreur du tombeau
(Job XV1[ 15). Comment on les a réduits à un état aussi
lamentable, les textes le laissent entendre assez claire-
ment : leur force résidait dans leur richesse, et cette
richesse leur a été enlevée ; ils avaient mis leur confiance
dans les dieux que leurs mains avaient faits, et l'inanité
des idoles a consacré la déchéance de leurs fidèles. Le
Messie avait chassé les rois de leur royaume ; les puis-
sants seront expulsés des maisons où s'assemblaient les
croyants (-2) (XLVJ 6-8). Du reste, il leur est impossible de
fixer le visage des justes, car déjà ce visage reflète quelque
chose de la lumière et de la gloire du Seigneur des Esprits:
pour eux qui tout-à-l'heure possédaient la terre, il n'y a
plus maintenant de puissance, la vie va leur être enlevée,
ils sont remis aux mains des justes et des saints qu'ils
avaient opprimés (XXXVIII 4-6).
Voilà ce qu'avait appris à Hénoch l'Ange qui marchait
avec lui et lui montrait tous les secrets ; il nous faut
recueillir maintenant des renseignements d'autre nature,
(1) Cf. Muscon N. S. 1908, p. 48, note 2.
(2j Cf. infra.
LE MESSIANISME DES PARABOLES d'hÉNOCH. 549
et l'Ange de paix est là qui vient nous les apporter. Dans
le désarroi qui se manifeste parmi les pécheurs au temps
de l'apparition du Messie, ceux-ci songent à utiliser,
contre lui, peut-être, les ressources qu'ils ont à leur dis-
position. i\Iais, chose extraordinaire ! le fer a disparu qui
leur eût permis de fondre des cuirasses et des armes ; il
ne leur est plus possible de faire la gueri*e. Le bronze et
l'étain perdent toute leur valeur, et l'on en fait ti : ils ne
trouvent plus ni lOr ni l'argent qui leur eussent, sans
doute, permis de solder une rançon ou d'acheter la paix,
et aucun deux ne peut se sauver par ce moyen. Toutes
leurs ressources ont disparu d'un coup : les montagnes
de métaux,
(c Elles toutes, en face de l'Elu, deviennent comme de
la cire en face du feu,
comme de l'eau ({ui descend d'en-haut par-dessus
ces montagnes,
et elles deviennent molles en avant de ses pieds »
(LU ()).
La comparaison de la cire fondante est fréquente dans
IWncien Testament, et l'on adapte ici à la venue du Mes-
sie, ce qu'avait dit le Psaume \X11 15, surtout Michée I 5,
de la venue de Jahvé. Toutes ces richesses des pé(;heurs
ont disparu subitement, au moment où s'est manifesté le
Eils de l'homme : en cette occasion, celui-ci ne parait pas
avoir agi directement, mais la simultanéité des deux
événements est assurée. Les montagnes s'évanouissent
d'elles-mêmes, comme la cire fond tout naturellement
quand le feu chauffe à côté d'elle ; « toutes ces choses sont
anéanties, sont fait disparaître de la face de la terre »
(on remarquera la tournuie passive), (juand le Messie se
550 LE MUSÊON.
présente. Les pécheurs, du reste, ne peuvent s'enfuir : on
ne nous dit pas pourquoi. Ils essaient cependant de se
tirer d'affaire, et — l'incohérence règne toujours plus ou
moins dans les développements apocalyptiques — appor-
tent des cadeaux et des offrandes, bien qu'on se fût imaginé
facilement qu'ils n'en avaient plus à leur disposition (i).
Le texte LUI I qui nous donne ces détails, est assez am-
bigu : il est question de présents jetés dans une vallée
qu'on ne saurait combler, et Vol/ conjecture qu'il y a là
deux idées tout-à-fait distinctes, aujoui'd'hui malheui'cu-
sement em])rouillées.
Le Messie est juste, nous le savons ; cependant l'esprit
de justice est encore versé en lui (LXII 2 ; cf. Is. XI avec
XLV 8) : c'est qu'il va entrer, de fait, en son rôle de
justiciei'. Aussi Dieu le fait-il asseoir sur le trône de sa
majesté (LXH "2, LV 4), et c'est la chaise d'honneur qui
est attribuée au juge suprême. « Le trône de sa majesté »
est-il de soi le trône de Dieu, est-il le trône du Messie ?
La dernière hypothèse parait plus probable : en tous cas,
on n'hésite point à appeler l'Elu « Celui ({ui règne sur
tout )) (LXH 6), et ceci semble bien avoir été jusqu'alors
une dénomination divine. Comme il s'aîïit dans le même
texte des rois qui s'humilient, la locution correspond à
celle de « Roi des rois » que d'autres passages d'Hénoch
réservaient à Dieu (IX 4), et elle a même une portée plus
considérable. On peut supposer, du reste, que l'écrivain
qui s'est permis de l'employer d'une manière aussi nou-
velle songeait à Daniel VII li. — Décidément, les pécheurs
ne pourront sortir de l'impasse où ils ont été poussés :
(1) Charles écrit : « AU those who dwell upon eartli will bring gifts and
présents to the Messiah to win a favourable judgment « ; mais Martin a
raison, qui ne sait trop si pour l'neure il s'agit du jugement.
LE MESSIANISME DES PARABOLES d'hÉNOCH. 551
inutile de songer au mensonge, ou plutôt à ces paroles
vaines et oiseuses qui essaient d'égarer le juge (i); de
pareils subterfuges seraient sans résultat. Ils se regardent
les uns les autres, épouvantés, déjà tout secoués de spas-
mes, telle une femme qui ne peut accoucher (Is. XIII 8).
Pour eux, plus d'espoir donc, si ce n'est dans la misé-
ricorde du Messie-juge : ils louent le Fils de l'homme
(LXII 5), ils demandent grâce (ib. 9). iMais c'est en viiin,
et déjà, dans une vallée, Hénoch a vu les anges du cliàti-
ment préparant pour eux dos instruments de torture
(LUI 5). Quelle est cette vallée ? La plupart des exégètes
pensent à celle de Josaphat, dont parlait Joël, et dont il
sera fait mention dans le Talmud : la localisation convien-
drait assez, remarque très judicieusement Martin, étant
donné la situation qu'on lui assigne ici par rapport à une
autre vallée qui est sûrement la Géhenne. Mais la sage
réserve de Volz parait encore plus justifiée : le lieu est
incertain, et Ion veut désigner la vallée de la condamna-
tion dernière (2). Qui peut donc dire où se dressera le
trône du Messie ?
Les circonstances de temps ne sont pas autrement
précises que celles de lieu : les événements se juxtaposent,
et on ne songe point à les ranger dans un ordre tant soit
peu rigoui'eux. Qui nous dira à quel moment « la com-
munauté des justes fut semée », et à quelle heui'c de « ce
jour, les justes se tiendront » plus spécialement « devant
(1) The woi'd translating «lyingr dénotes «emptinessn; thereisno
reality coiTesponding to it. — Charles 137.
(2) Geheimnisvoll bleibt die Situation dos Gerichtsvorganges in Hen B.;
nur soviei merken wir, dass die Gerichtsscene auf transcendentem Boden
spielen soll, und zwar ist... in Hen B mehr bloss(als in Dan 7) eine begrin-
liche Transcendenz. ûas Thaï in Hen LUI 1 ist wohl urspriinglich Ver-
dammnisthal. — P. 259.
22
552 LE MUSÉON.
le Messie » ? Le texte LXII 8 apporte avec lui un jeu de
mots par contraste : la communauté des saints, maliehar,
supposait la cohésion, le groupement de ses membres ;
la semence indique nettement leur dispersion. Les justes
et saints ont donc été dispersés de ci de là ; mais le jour
suprême les verra se lever ensemble {jeqaûm) devant le
Messie, donc dans un seul lieu, donc constitués dans un
groupement nouveau. Martin (p. 13:2) rapproche LXII 8
de X 16, et conclut : « La race des élus est comparée à
une semence qui se développera au dernier jour ». Il me
semble que l'idée de développement est accidentelle et
inhérente à la comparaison employée, mais l'auteur a
voulu symboliser l'éparpillement momentané des justes.
En tous cas, l'allusion est directe à la communauté cachée
(XXXVIII 1 — Source I), plus encoi'e à la maison de
rassemblement dont il est question en LUI 6. — On s'est
demandé ce que pouvait être cette « maison du rassemble-
ment de lui (Messie) », et s'il fol lait ridentifîer avec « les
maisons du rassemblement de lui (Seigneur des Esprits)
et des fidèles » (XLVI 8-source I). Le premier texte semble
supposer une action du Messie qui réunit un groupe,
sans doute autour de lui. Dès lors, a-t-on dit, il se pourrait
qu'il fût question des synagogues: le même Psaume LXXIV
ne les mentionne-t-il pas à la fois, en employant le
pluriel D"">T-: (vers. 8), ce qui ressemble à XLVI 8, et en
se servant du singulier (vers. 5), ce qui se rapproche
précisément de LUI 6 ? Notre texte pourrait donc laisser
entendre que le Messie triomphant rétablira les synago-
gues, et il est piquant de rappeler à ce propos quelque
analogie des livres rabbiniques (Weber 577). On eût pu
ajouter encore que le Messie parait devoir enseigner lui-
même dans ces réunions religieuses, puisqu'il a reçu
LE MESSIANISME DES PARABOLES d'hÉNOCH. 555
l'esprit de doctrine (XLIX5), qu'on l'appelle « la lumière
des peuples )> (XLVIIl 4), et qu'il doit révéler les secrets
de ce qui est caché (XLVI 5). Pour le coup, on eût cité
sans faute Jalkut Schimeoni (Is. XXVI 2) : « Le Saint
s'assiéra et il expliquera une nouvelle Loi qui sera donnée
par le Messie ». Au fond, tout ceci n'a rien à voir avec
nos textes. « Les secrets de ce qui est caché » sont, d'après
ce qui précède, les secrets de justice ; le Messie « lumière
des peuples » est un emprunt à Isaïe XLII 6, et il faut
rappeler le rapprochement qu'Hénoch institue ailleurs
entre la lumière et la justice (LVIII 4) ; l'esprit de doc-
trine vient aussi d'Isaïe XL En ce qui concerne nos textes
LUI 6 et XLVI 8, il convient de remarquer, et ceci est
essentiel, qu'il n'est point question de quelque fondation
nouvelle faite par le Messie, mais bien d'une révélation
de chose cachée {jàstarei, le mot même qui désignait
l'apparition du Messie). De plus, cette chose cachée n'est
pas simplement une assemblée, une église invisible
(XXXVII l I) : je ne vois pas de motif, du moins, qui nous
oblige à donner au mot bêt un sens autre que celui qu'il
possède en premier lieu. Ce qui se manifestera alors sera,
sinon précisément la Jérusalem nouvelle dont les Parabo-
les d'ailleurs ne parlent point, du moins quelque chose
d'analogue, la maison ou l'endroit où se rassembleront
les élus. L'on admet, du reste, que l'emploi du singulier
ou du pluriel a peu d'importance dans le cas présent :
peut-être le singulier rappelle-t-il davantage l'idée de
communauté, d'union des membres (malichar), tandis
que le pluriel correspond très exactement avec ce qu'on
nous avait appris ailleurs, que « leurs lieux de repos
devaient être innombrables » (XLV 5).
Les justes et les élus sont là, comme à un spectacle,
554 LE MUSÉON.
pour contempler le châtiment des pécheurs (LXII l'a), et
les pécheurs, qui semblent avoir été au préalable chargés
de loui'des chaînes (LIV 5), sont là, eux aussi, pour regar-
der le châtiment d'autres êtres (LV 4). De fait, Hénoch
aperçut jadis les anges du châtiment qui, une fois encore,
préparaient des instruments de torture, et ceux-ci étaient
pour Azazel, et ses troupes d'anges mauvais (LIV 4-0).
L'Elu les jugera au nom du Seigneur (LV 4), et le châti-
ment leur viendra sui' Tordre de Dieu, au moment qu'il
le voudra (5), Il tirei-a vengeance de ces esprits injustes
qui séduisirent la terre (LIV Oj, et les anges sont chargés
de cette œuvre de haute justice (cf. LXIV, et Miiséon, N. S.
1908, p. 60, note). Le second acte du jugement équi-
vaudra au premier, avec cette différence que, cette fois,
les pécheurs sont en scène. Le Seigneur des Esprits, ou,
plus probablement le Messie (i), les oblige à disparaître au
plus vite loin de sa face (lAH 10) ; la colère de Dieu repose
sur eux, et son épée s'enivre de leur sang (1^). Les anges
du cbàtiment reçoivent leurs nouvelles victimes (11), et,
quelles que soient les suppli(!ations qu'ils entendent, ne
consentent point à leur donner quelque répit (LXIII 1),
et à se relâcher eux-mêmes en quehpie chose du rôle de
vengeurs qui leur a été conlié (LXll 11). Une autre
tradition empruntée à Isaïe XI nous représente le Messie
exterminant d'abord et dès son apparition tous les
pécheurs et tous les impies par la parole de sa bouche
(LXII 2) : on n'insiste pas, du reste, et ceci n'est quun
détail (pi'on a gardé, bien qu'il fût assez incohérent à
côté des autres développements sur les assises dernières
(1) Bousset a remarqué très justement toute l'invraisemblance de la
locution, « ce Seigneur des Esprits v : le démonstratif est seulement expli-
cable, s'il s'agit du Fils de l'homme.
LE MESSIAMSME DES P.VKAUOLES d'iIÉ.XOCII. 555
et la condainiiatioii des péelieiirs après le juirement.
Somme toute, ces descriptions du judiciuui foreuse ont
elles-mêmes leui' incohérence, et celle-ci provient du
mélange qui se fait de deux conceptions, lune plus
ancienne, d'après laquelle la punition des pécheurs s'ac-
complit tout naturellement, parce que, ayant offensé Dieu,
ils restent sous le coup de sa colère, et l'autre qui suppose
des intermédiaires entre Dieu et les criminels, le Messie
([ui remplace le Seigneur dans son exercice de juge, les
anges du châtiment qui deviennent les justiciers divins.
Maintenant les justes goûteront tout leur honheui-. Ils
ont pu tressaillir d'allégresse en voyant les tortui*es de
ceux qui les opprimèrent jadis (lAIl 1:2) : désormais, ils
seront déharrassés d'eux (15). La vie nouvelle commence :
(c sur eux habitera le Seigneur des Esprits », et c'est là
peut-être, étant donné la singularité de la i)réposition,
une réminiscence d'isaïe LX 18 (i). En tous cas, les justes
sont éclairés : bien plus, ils ont revêtu ce vêtement huni-
neux qui est aussi un vêtement de vie ; leur vêtement ne
s'usera point, ils vivront donc sans lin, toujours glorieux.
Le Fils de l'homme sera en leur société : et ces justes
transfigurés mangeront, se coucheront et se lèveront avec
lui pendant toute l'éternité. Représentation naïve, non
point tant des jouissances grossières, mais de la paix, du
bonheui* et de la gloire qu'on attend, qu'on espère, dont
on a besoin !
La source I nous avait montré le Messie Roi vainqueur,
et la source II, le Messie juge : cette dernière conception
prédomine, du reste, dans les Paraboles, et, dans ces
(1) Comparer Apoc. Jolin. Vil 15, 6 xaôiîfjievo; èttI toO 6pdvou <JXT)vtjj(T£i in
356 LE MUSÉON.
textes divers qu'il est impossible de classer, nous retrou-
vons tout ou partie des détails connus, avec quelques
autres nouveaux qu'il convient de mentionner. A un
moment donné, se produit la résurrection des morts (LI 1,
LXI o), et il paraît bien qu'il s'agit de tous les morts, et
non-seulement des Israélites. Déjà le xMessie a paru, puis-
sant sur tous les secrets de justice (XLIX "2) : il sassied sur
son trône ou y est établi par Dieu, pour la plus iïrande joie
des justes (XLV 3''). La somme du jugement lui est remise
(LXIX 27), et, de fait, il doit juger les anges même du
ciel. Martin, après Dillmann, fait cette remarque que
« ceux qui sont en haut du ciel, c'est-à-dire les anges,
ont reçu l'ordre de louer l'Elu, une voix pour le faire,
une lumière pour voir ses grandeurs » : à la vérité, LXI G
parait viser le Seigneur des Esprits, non point le Messie.
Celui-ci donc, établi sur son trône, juge les <euvres des
saints du ciel et pèse leurs actions à la balance. On ne
voit pas bien de quels principes il s'inspire [)Our juger,
et ce qu'il faut entendre par les mots, « suivant la parole
du nom du Seigneur des Esprits «. Charles ([). IGl) en
appelle au membi-e parallèle dans la phrase, « suivant la
voie du juste jugement du Seigneur des Esprits » : mais
il faut aussi tenir compte du sens de chaque mot. Or l'on
comprendrait que le Messie fût présenté comme agissant
« au nom du Seigneur », ou « suivant les ordres du
Seigneur » ; mais à quel sens arrivons-nous, s'il faut
traduire, « suivant le commandement du nom du Seig-
neur » ? Volz (p. 253) explique ainsi le passage, « nach
dem ihm geoflfenbarten geheimen Wort desselben (des H.
der G.) », et il a raison : on ne voit guère autre sens à
donner que celui-ci, « suivant la formule du nom du
Seigneur des Esprits ». Il y a donc une formule qui doit
LE MESSIAMSME DES PAl'.AUOI.ES d'iIÉNOCII. 557
servir au Messie lors du jugement, et c'est le nom divin.
Ceci rappelle « le serment Aqae » dont la puissance occulte
produisit de si merveilleux etfets à l'heure de la création
(1A1\ 15-:2i', et on pense d'ailleurs à l'emploi connu du
nom sacré dans les formules magiques. Le Messie se
servirait-il ainsi de l'une d'elles pour juger, et donc tout
d'abord pour connaître « les voies cachées » des Anges
(lAI 9) ? Quoi ({u'il en soit, à l'occasion de ce jugement,
les esprits célestes louent le nom du Seigneur des Esprits,
[)uis lui-même parait avec eux, d'une manière fort étrange
et qui éveille les soupçons les plus sérieux quant à la
teneur primitive du texte (i), louant et célébrant la gloire
de Dieu (9, opposition de 10).
Le jugement des anges s'était fait au ciel (LXl 8) : le
Messie remplira maintenant vis-à-vis des élus ce même
otïice de juge. 11 va devenir effectivement le bâton des
justes, la lumière des peuples, le vengeur de leur vie
(XLYIII 5). Les secrets des pécheurs lui sont connus, et il
n'y a point de ])arole creuse qui se puisse prononcer devant
lui (XLIX i) : c'est qu'il a reçu de Dieu la puissance d'agir
avec autorité. Les secrets de sagesse procéderont de sa
bouche (Ll 5) : aussi peut-il faire un choix parmi les actions
des élus (XLV 5, cf. .)/M6eo?i N. S., 1908, p. 44, note),
et parmi les élus eux-mêmes (LI 2). Le jour de leur
délivrance est proche, et sa parole est puissante devant le
Seigneur des Esprits (LXIX "29) : les pécheurs et ceux qui
ont fait errer le siècle (? anges coupables) disparaissent de
ce monde (LXIX 29, XLV 6), enchaînés quelque part en
une prison commune (LXIX 27). L'injustice s'en est allée
comme l'ombre qui ne dure pas en ces pays d'Oj-ient
(1) Cf. infra.
558 lE iMLSÉON.
(XLIX 2) ; rien de corrompu n'existera plus désormais
(LXIX '20) . Il n'y a plus que le soleil dont les rayons
éclaireront les élus, la lumière de vie éternelle qui brillera
en eux (LVIll 2). Le ciel a été changé, et la terre aussi :
c'est sur elle que demeurent les élus (XLV 5), dont les
habitations sont innombrables (XI.V 5). Les anges sont
allés au ciel chercher « les secrets de justice, le sort de
foi », et c'est la récompense des saints. L'Elu se trouve
au milieu d'eux (XLV i), devant Dieu ils sont rassasiés
de salut (ib. 6), et cela dure à jamais (LVIII 6). On ne dit
pas qu'anges et hommes constituent à la fois cette com-
munauté éternellement heureuse de saints (i), mais tous
ceux-ci deviennent des anges au ciel (Ll 4). Les limites
s'effacent, qui sépai-aient les éléments, le surnatnrel et
le naturel ; le ciel et la terre nouvelle ne se distinguent
pas très-fermement l'un de l'autre, et il n'est pas trop
surprenant que l'on oublie ainsi les distinctions de natures :
les hommes glorifiés habitent la terre renouvelée (XLV 5),
et ce sont en même temps des anges au ciel (Ll 4) (2).
Tout cela n'est guère précis, sans doute, mais on peut
craindre que, nonobstant toute précaution, la précision
(1) On connaît déjà les conclusions de Charles en ce qui concerne le
chapitre XXXIX. « The chief inference that \ve can legitimately draw is
that the Messianic community will one day be composed of both angels
and men, under the rule of the Messiah and the immédiate protection of
the Lord of Spirits « (p. llti).
(2) Il ne semble pas qu'il y ait dans les Paraboles la moindre conception
chiliaste. Quoi qu'en dise Hilgenfeld (p. 17S et note 2), la terre nouvelle
n'est pas pour les élus « un simple lieu de passage avant leur élévation
au ciel, élévation qui doit vraisemblablement se faire après un règne de
mille ans du Christ sur la terre v. On ne suppose pas que l'état de béati-
tude des justes soit un état transitoire ; on ne pense pas qu'à un moment
précis ils doivent se trouver sur la terre seulement, puis, plus tard, seule-
ment au ciel, mais, comme l'avait déjà vu Sieflfert (p. 24), " omnes simul
in terra et in cœlo erunt, quia tune terra et cœlum unitae erunt »,
LE MESSIANISMK DES PARABOLES d'hÉNOCU. 55D
soit encore plus grande ici qu'elle ne l'est dans les textes :
ceux-ci sont dispersés à droite et à gauche, les traits sont
épars qui constituent cette curieuse figure de Messie ; en
rassemblant les textes, en coordonnant ces traits, le
rapprochement des uns et des autres grossira peut-être
celui-ci, atténuera cet autre, et ne conservera peut-être
pas entièrement, quoi que Ton fasse et que l'on puisse
faire, l'indécision et le flou du portrait messianique que
s'étaient faits les auteurs de nos Paraboles. Passe encore
pour le roi vainqueur de la source 1, mais l'être étrange
que nous avons appris à connaître dans la source H et dans
le reste même des Paraboles, nous surprend tellement que
nous ne pouvons nous empêcher de pénétrer au ti*avers
de cette buée, de percer, s'il est possible, jusqu'à ce
personnage mystérieux pour nous convaincre enfin quel
il peut être. Dieu, ange ou homme : tant il est vrai que
l'état d'esprit contemporain qui n'admet que les situations
claires et les êtres nettement définis est étranger à celui
des écrivains apocalypti(jues qui se complaît dans le vague
et le charme même du mystère !
Le Messie des Paraboles n'est point identique à Dieu :
mais il est toujours à côté de lui ; il ne parait sur terre
qu'au moment fixé par lui, et son jugement même est
ratifié par lui, puisqu'auprès de lui sa parole décisive est
puissante. C'est au début des temps et à la fin de ce monde
que la distinction entre l'un et l'autre est le plus nettement
marquée. Avant la création, le Messie était « sous les ailes
du Seigneur des Esprits », donc protégé par lui, donc
distinct de lui et de nature inférieure : du reste, dans cette
l'égion élevée qu'habitent les anges, Raphaël est chargé de
célébrer les louanges de l'Elu, et Dieu seul reçoit les
adorations de cet autre « Visage » dont le nom est
560 Li: MLSÉON.
« Michai'l, qui ressemble à Dieu ? » Après le jugement,
Dieu habitera « sur » les justes, mais le Fils de l'homme
sera avec eux à vivre et à se réjouir sur terre. Dans l'entre-
deux, pendant sa vie active, le Messie se confond davantage
avec Dieu. 11 est juste, sans ([ue mensonges, cadeaux,
prières puissent avoir quelque influence sur lui, et la
justice de Dieu est sans mesure ([All[ 5*') ; devant Dieu
tous les secrets sont manifestes (LXlll :2"), et lui est fort
sui* tous les secrets de justice (XLIX ^). Il faut dire cepen-
dant que justice et sagesse ne sont dans le Messie que par
participation, puisqu'il a reçu l'espi'it de Dieu sous ses sept
formes traditionnelles. Néanmoins sa ligure demeure bien
étrange, et, quoiqu'on puisse les expliquer en quelque
manière, certaines formules restent assez suggestives. Je
note, le jour de l'Elu qui remplace le jour de Jahvé, le
lieu de rassemblée du Messie qui se compare aux lieux
de rasseml)Iée de Dieu et des fidèles, avant tout la déno-
mination messianique « Celui qui règne surtout». Peut-
être l'idée du Messie chef de l'église des élus explique-l-elle
que les justes soient sauvés par son nom (XLVID 7), alors
que le nom de Dieu seul, on nous l'a dit, peut sauver les
pécheurs (L 5). Du reste, au dernier jour, ceux-ci dispa-
raîtront loin de la face du Messie (LUI 7), et loin de la
face de Dieu (LUI 2). Il est une comparaison qu'il me
parait intéressant d'établir et que je crois de nature à
monti'er comment les personnages de Dieu et du Messie
se cachent l'un l'autre, se substituent l'un à l'autre. On
parle des pécheurs.
LXII iO'\ Leur visage se LXIII 11. Leur visage se
remplira de confusion et remplira d'obscurité et de
l'obscurité s'accumulera en confusion
leur visage. devant ce Fils de lliomme,
LE MESSlAMSMi: DliS PAUAItOLtS DIIÉ.NOCIl. 501
1 0'^ Co Sei(jneur des Esprits et
les poussera afin quils se ils seroiil t'hassés
pressent et sortent loin de loin de son lisaijc idti Mcs-
son visage, sic,
lit et son iilaive {du Soi- et le lilaive
(jneur des /:,) s'enivrera
d'eux. liaJ)itera devant sa t'aee
(du .Messie) parmi eux.
Auti'e reniar(|ue. Les eriti(|ues parlent volontiers du
Messie tjvOsovo;, et l'expression serait exaete, si elle eorres-
pondait à la réalité de tous les faits ; mais ces laits ne sont
[)as identiaues. En \LVI[ 5, c'est Dieu ([ni |>rend place
sur le trône de uloire. Un 1A[ 8, lAll '2. 5, Dieu t'ait
asseoir le Messie sur le trône de sa iiloire, et nous
rejoignons Ps. CA :2. Le Messie s'assied lui-uRMue sur le
trône de iiloire \L\T), de sa uloire LXiX "27. 2t). En LV i-,
les niss. hésitent : le Messie s'assied sui' le tr<Mie de i;loire,
— Q, l, Il de mo liloire. On [(ourrait croire ici à une
leçon tardive malheureuse, mais en Id 5 les meilleurs
mss. a[)[)uient la lecture : « L'Elu prendi'a place sur mon
trcHie ». Si le Messie, à l'heure du juiicment, occu[te le
siège même de Dieu, et Ton voit (pi'aucun scru[)ule
théologique n'a gène les écrivains (|ui s'expriment de la
sorte, on comprendi-a qu il reçoive sur terre les lonangcs
et les uîarques de respect qu'il est accoutumé de réserver
à Dieu (LXll G, ? XLVI o, ? LX[ 7). Dieu n'en est point
frustré par ce fait même, et il semble qu'il soit honoré
plutôt dans la même mesure : on se prosterne devant le
Messie, et c'est le Seigneur des Espi'its qu'on loue(XLVIUo).
Ce dernier texte est de nature à jeter quelque jour sur le
caractère de l'Elu, et il foit revenir à l'esprit les anecdotes
sacrées de l'ancienne littérature, l'ange de Jahvé qui paraît
362 LE MUSÉON.
et c'est Jahvé qu'on adore, l'ange de Jahvé qui parle et
c'est Jahvé qu'on entend. Entre l'ange du Seigneur et le
Fils de rhoinme des Paraboles, il y a sûrement parenté
étroite, mais l'un ne saurait être confondu avec l'autre,
car tous les traits ne concordent pas. Le Fils de l'homme
est soumis à Dieu, il lui est inférieur, et, en quelque
texte, très suspect, sans doute (i), il parait à l'heure du
Jugement s'unir aux esprits célestes pour lui offrir ses
louanges et ses adorations. On le mentionne après l'armée
de Dieu, les Cheruhim, Seraphim et Ophanim, les anges
de puissance et les anges de majesté, non ])as qu'il soit
d'une dignité moindre que la leur, puisqu'il a exercé le
jugement à leur égard, mais bien au contraire, parce qu'il
est plus grand qu'eux tous. « L'Elu est nommé à la fin,
comme le dernier terme et le couronnement de la hiérar-
(1) Il faut le dire, le texte est tout-à-tait suspect. Le sujet de cette
phrase, comme celui de la précédente, parait bien être le Messie. Le Messie
appelle les esprits célestes et les invite à louer Dieu, comme lui-même a
prononcé la sentence en ce qui les concernait et pesé leurs actions à la
balance. Le vers. 10 semble l'explication ou plutôt le développement de ce
qui précède : tous les Esprits célestes vont d'une seule voix chanter les
louanges du Seigneur des Esprits ; l'Elu convie donc chacune de leurs
compagnies à remplir ce devoir (10), et elles le remplissent (11 sqq.). Il est
très étrange de voir le Messie établi juge des Esprits célestes se mêler à
ces mêmes Esprits et chanter les louanges de Dieu : ceci est tout-à-fait
contraire à l'idée que nous sommes obligés de nous faire de sa personne
(cf. supra p. 357). Puis, pourquoi l'ordre de développement ne serait-il pas
gardé d'un bout à l'autre, et comment se fait-il qu'on n'ait point nommé
dès le début, avant tous les autres, les puissances de la terre et de l'eau,
puisque Tordre va du moins au plus digne? Le texte parait retouché, et
il y a beaucoup de probabilités qu'au lieu de l'Elu il y ait eu là un nom
pluriel. C'était peut-être un nom d'ange, ainsi que le suppose Bousset
p. 375, et il peut se faire que nous ayions eu ici l'énumcration des sept
groupes hiérarchiques : Cherubim, Seraphim, Ophanim, àf^/at, xuptdxTjxsç,
âxXEXToi, £;o'jTt'ai. L'hypothèse est, sans doute, alléchante, mais elle se
heurte à cette diïBculté, que, d'un bout à l'autre des Paraboles, le nom
d'Elus s'entend des hommes justes membres de la communauté invisible,
et que ce sens revient même, autant qu'il semble, dès le verset qui suit,
12 (cf. LXX;4).
LE MESSIANISME DES PARABOLES d'iIÉNOCH. 563
chie des cieux » (Martin, p. 128). On ne laisse, après lui,
que « les autres puissances qui sont sur la terre et sur
l'eau », peut-être ces djinns d'espèce inférieure qu'on n'a
point voulu mettre au rang des Esprits célestes, puis-
qu'aussi bien ils ne sont pas au ciel, et qu'on a laissés de
côté, hors cadre.
Le Fils de l'homme a donc beaucoup de traits communs
avec l'Ange du Seigneur, et Ton se rappelle qu'Hénoch,
quand il le vit, lui reconnut un visage semblable à celui
des anges saints. Mais ce visage était aussi « comme vision
d'homme » ; d'autre part, il est question, en quelque
endroit, « des pieds » du Messie (LU 0). Celui-ci a donc
l'extérieur d'un honmie, et l'on doit dire que, dans une
certaine mesure, il en a aussi la réalité. Lorsque les temps
seront accomplis, il habitera avec eux sur la terre renou-
velée (XL 4), et ceux-ci mangeront, se coucheront et se
lèveront avec lui (LXII 14). Il est vrai qu'alors l'humanité
ne sera plus tout à ftiit telle que nous la connaissons ; les
élus, parce qu'ils seront glorifiés, seront hommes et
« anges dans les cieux », et on comprend assez que « Celui
dont le visage est comme vision d'homme et comme l'un
des saints anges » puisse alors frayer avec eux. En dernière
analyse, le Messie des Paraboles, qui semble un ange et
même, à un certain degré, l'Ange du Seigneur, qui a
pourtant l'extérieur d'un homme, et déjà celui du juste
glorifié, personnage surnaturel au-dessus des êtres sur-
naturels et existant avant même la création, pourrait bien
être, dans l'esprit des écrivains apocalyptiques, une sorte
de preinier homme, « l'homme céleste » (i), qui a pu
(1) Le Fils d'homme des Paraboles a quelques traits qui rappellent plus
ou moins certaines ligures héroïques des littératures sacrées do l'Oi'ient.
On pense d'abord aux légendes iraniennes plus ou moins effacées (cf.
Geldner, Zeitsch. f. vergleich. Sprachforschung, XXV 179) sur Yima flls
SO^ LE MUSÉON.
jouer quelque rôle au premier jour du monde — de cela,
nos textes ne disent rien, — mais qui jouera le plus grand
quand arrivera la (in des choses.
L'on voit, dès lors, toute la différence qui existe entre
ce personnage et ceux que nous avons appris à connaîti-e
dans les parties anciennes du livied'Hénoch et les Psaumes
de Vivanhant (Inde : Yama fils de Vivasvant). Autrefois Ahuramazda lui
donna commission dentretenir, de protéger et de gouverner ses créatures
(Vendid. II) ; c'est peut-être avant la rin du monde qu'il habite le Vara,
gardien des êtres qui seront l'humanité future. Comme le Fils d'homme se
trouve auprès de la Tête des jours, ainsi Yima demeure près de Vivanhant.
Il semble que le Paradis où il réside soit " dans l'Airyana-Vaéjah. Tlranvej,
le pays d"origine des Iraniens ^ : le séjour des élus (Hen. XXXIX) parait
être, nous l'avons dit (cf. Muséon, N. S. supra p. 321 et note 1) au bout
même des cieux, à la limite de ce monde. Yima se trouvait en son Vara
avec les hommes et les femmes qui sont les plus grands, les meilleurs et
les plus beaux sur cette terre : Hénoch — et c'était pourtant le septième
homme — aperçut, quand il fut enlevé au séjour de béatitude, des justes
innombrables qui s'y trouvaient réunis, les Patriarches et les saints qui
depuis un temps incalculable habitaient ce lieu (LXX 4). Du reste, si, avec
Volz, Gressmann et Bousset, il semble que l'on puisse, à propos du Messie
des Paraboles, songer à quelque mystérieuse figure de premier homme,
dans le fargard 11 cité, il parait demeurer comme un arrière-souvenir que,
avant Gayômart, Yima ait été premier homme (cf. Blochet, Rev. del'hist.
des rel. XXXVIII 55 ; Sôderblom, Vie future... 17(3 v). Ajoutons, cependant,
que le Fils d'homme des Paraboles n'est point, ainsi que le héros du Ven-
didâd, gouvernant bien son troupeau et chef suprême d'empire, mais plu-
tôt chef délégué d'une église de saints ; enfin et surtout — ceci est tout
différent —, il est le juge, le commis de Dieu pour la liquidation des choses
d'ici-bas. Si l'influence de l'Iran pouvait à cette époque se faire sentir en
Palestine, avec elle et par elle se faisait sentir l'influence de Babylone.
Comme le Fils d'homme, Marduk fils d'Ea, « Seigneur des Seigneurs et
Roi des Hois m (Hen. LXII 6\ participe à la sagesse de son père (de même,
Adapa), et celui-ci ne connaît plus rien qu'il puisse encore lui dire. Il se
manifeste comme le vengeur des dieux outragés et anéantit la puissance
de Tiamât : ainsi, à la fin des temps, le Fils d'homme punira ceux qui ont
outragé le Seigneur des Esprits, et consacrera le triomphe de la lumière
sur les ténèbres.
Ces rapprochements, on le voit, sont fort légers, et il importe qu'ils ne
soient point grossis.
LE MESSIANISME DES PARABOLES d'hÉNOCH. 365
de Salomon, et l'on peut mesurer maintenant le dévelop-
pement extraordinaire qui s'est fait dans les doctrines
messialogiques. Le Messie d'Hénoch était né au sein de la
communauté ; le Fils de l'homme des Paraboles, bien
qu'il soit appelé l'Elu et paraisse déjà au bout du ciel à
côté des Elus, n'est point par droit de naissance chef de
l'église aujourd'hui invisible,;! la fin des temps, glorieuse;
son origine est différente de celle des justes et antérieure
à la leur. Le Messie d'Hénoch était un héros aux traits
indécis, qu'on faisait apparaître après le jugement et dont
on avait peine à définir le rôle : celui des Paraboles est
un être surnaturel, dont l'activité se manifeste dans le
jugement même, bien plus, (|ui a été choisi, puis gardé
auprès de Dieu, pour être, à l'heure fixée, le juge de tous
et le vengeur des justes. Aussi i)ieii, la situation est-elle
tout autre : il n'est [dus question de la crainte des peuples;
le Messie a paru, a agi, et voilà tous les impies qui dispa-
raissent de ce monde, il ne reste avec lui que les justes
qui n'ont plus à lutter ni à agir, mais à vivre éternelle-
ment dans le bonheur et la joie.
Avant son àvâ^Ta-T',;, le Messie des Psaumes de Salomon
était déjà connu de Dieu, et, comme l'on ne précise pas
davantage, il est évident (jue l'on veut enseigner par là sa
préexistence idéale dans les desseins de la divinité. Dans
le texte Ps. Sal. XVllI (>, Charles a pensé trouver une
préexistence d'autre sorte (i), mais c'est amener dans le
texte, des idées qui n'y sont point, et je n'ai pas cru devoir
mentionner cette hypothèse en son lieu. Quelle différence
(1) « Thèse woi'ds (il s'agit de Bar. s. XXX li imply that tlie Messiali
preexisted in lieaven bel'ore His advent. He return wliitlier He liad corne...
This seem also to be tiie legitimate interprétation of Pss. Sol. XVIII c.
eU T,pÉpav £/.XoY'i; iv ava;£t /p'.trto^i au-o'j n. The Apocalypse of Baruch, p 56.
566 LE MUSÉON.
dans les Paraboles ! Le nom du Messie est appelé devant
le Seigneur des Esprits avant la ci'éation, et l'on y revient
encore ; sa personne même a été élue, puis cachée, avant
que le monde ne fût créé. Une existence personnelle du
Messie avant son i-ioâvz^^ est enseignée aussi dans cette
source 1, qui exprime des conceptions analogues à celles
des Psaumes. 11 y a des rapports entre le Fils de l'homme
de ce document et le héros du Psaume XVII : leur otïice
est le même, débarrasser le pays des rois et des pécheurs ;
leurs moyens sont les mêmes, et ce sont les ressources
naturelles qui sont à leur disposition ; le résultat auquel
ils parviennent est le même, les rois sont chassés de leur
trône et du royaume, ils deviennent forts et puissants sur
la terre. Mais ces similitudes qui viennent d'être relevées
sont plutôt extérieures et cachent des divergences profon-
des : le roi-vainqueur de la source I n'est plus le fils de
David, la terre opprimée paraît avoir une étendue plus
grande que le territoire d'Israël, les rois et les puissants
sont moins des chefs politiques que des pécheurs. Les
ressources naturelles qui feront la puissance du Fils de
l'homme étaient jusqu'à sa venue mystérieusement cachées
à la terre, et il semble que ce soit par miracle qu'elles
apparaissent à la disposition de celui qui vient, lui aussi,
d'être révélé au monde. — Le Messie des Psaumes de Salo-
mon est juge, et c'est là l'office propre au Fils de l'homme
de la source 11, et, en général, des Paraboles d'Hénoch.
Mais n'en restons pas à une équivoque. Le Messie des Psau-
mes, après avoir purgé le pays de ses oppresseurs, juge de
la nationalité des colons qui rentrent dans la patrie, et se
préoccupe d'assurer l'exercice de la justice au sein du
peuple reconstitué : l'on connaît, dans les Paraboles, le
juge suprême choisi de Dieu pour prononcer la sentence
LE MESSIANISME DES PARABOLES d'hÉNOCH. 567
sur les esprits du ciel, les hommes, et les anges coupables.
Le Messie des Psaumes, une fois le royaume reconstitué,
manifestait son action à l'intérieur, et c'était pour se
préoccuper de la fidélité du peuple à la Loi, à l'extérieur,
et c'était pour veiller sur l'attitude des ennemis qui lui
sont soumis et lui présentent leurs hommages : le Fils de
l'homme, dans le monde nouveau, n'agit plus, parce qu'il
n'y a plus à agir ; il ne veille pas, parce qu'il n'y a rien à
craindre et que l'injustice a disparu comme une ombre
qui ne revient pas ; même il ne règne point, à proprement
parlei-, mais il demeure au milieu des élus, vivant comme
eux et jouissant du bonheur et de la gloire. Dans les Psau-
mes, la scène se passe sur tei're, en la terre dlsraël qui a
été partagée, une fois encore, entre les arrivants: les Para-
boles mentionnent bien quelque part, et sans plus d'expli-
cation, le partage du royaume à venii* (\LÏ I) ; mais c'est
là un texte oi)scur et isolé, qui ne saurtiit nous faire
oublier ([ue les justes habiteront la terre renouvelée, que
leurs demeuies y seront sans nombre, qu'ils deviendront
anges au ciel. Pourquoi continuer encore? Les personna-
ges des Psaumes et ceux des Paraboles, tout d'abord le
Messie et le Fils de lliomme, ne se meuvent pas sur le
même terrain ; ils ne sont pas en tout différents, c'est
entendu, mais ils restent ditïicilement comparables.
Fribouru' (Suisse). Léon Gnv.
?3
LETTRES MÉDITES D'ANDRE SCHOTT
publiées et annotées par
Léon MAES
Docteur en philosophie et lettres.
Lettres de Levinus Torrentius (i) a A. Schott.
[Bibl. royale de Bruxelles, ms. 15704. Copies.)
43
Levinus Torbentius Ande. Schotto suo, s.
(Fol. 185''^^ ^•) Non meae mentis sed sola benovolentia erga me
tua factum est, rai Schotte, ut cum Damantio (g) istac iter habente
tam prolixe atque honeste de me coUocutus, literas quoque aman-
tissime scriptas ipsi tradercs ; quas quam avide atque attente
(1) Sur Laevinus Torrentius (Liévin Van der Beke), cfr. Paquot, Mém.
litt., t. II, p. 92-98, et un art. de Van Hulst dans la Revue de Liège, t. I,
p. 434 et t. II, p. 217.
Le P. Vanden Gheyn, conservateur à la section des manuscrits de la
Bibliothèque royale de Belgique, a eu l'amabilité de nous prêter sa pré-
cieuse collaboration pour nous aider à découvrir et à déchiffrer les manus-
crits des lettres de Schott existant à Bruxelles. No\is sommes heureux de
lui témoigner ici nos plus vifs sentiments de gratitude.
(2) Nicolas Damant, président du Conseil de Flandre, puis chancelier de
Brabant, fut appelé par Philippe II à Madrid, d'où il revint en 1596 avec
l'archiduc k\heTi.{Biogr. nat., t. IV, col. 647-49.)
Lettres inédites d'anoré schott. 569
perlegerim sciunt qui tune aderant sodales quidam tui, viri cum
pietate, tum doctrina praestantes, quorum familiaritate et utor
plurimum et eximie delector. Atque equidem verum est quod
audisse eoque nomiue gavisum te fuisse scribis, ecclesiae huius
Antverpiensis in qua Christo nomea te dédisse addis, curam atque
soilicitudinem me suscepisse (i), sed nimis profecto imprudeuter,
ne dicam temere, nec animo nec viribus administrandae tam diffi-
cili provinciae parem, ut taceam inclinatam atque affectam iam
aetatem quae magis otium ac quietem flagitat, nec alium admittit
Jaborem. Christi tamen hic labor est non voluptas summa quam
< capit > qui diviuae contemplandae maiestati, quavis alia post-
posita actione, impenditur. Satis iam mundo ac pernicioso huic
saeculo a me datum, qui ab ipsa paene adolesceutia ad annum
sexagesimum, quamquam sacris adscriptus ordinibus, totum me
undis civilibus, ut Horatii verbis utar, mersari pcrmiserim. Reli-
quam certe vitam quae non poterit non esse exigua, cum ne tota
quidem aliud quam vapor ac fumus sit, piis meditationibus desti-
naveram, scripturus fortassis aliquid adversus huius temporis
perturbatores, quod Gregoiio XIII, cum postremum essem Romae,
pollicitus fui, aut magnum Deo cantatum hymnum, impleturusque
quod olim professus sum de apostolorum rébus gestis scriptum car-
miné volumen (2), Atque looge aliter evenit, nimia mea, ut verum
fatear, facilitatc, qui non obniti tantum ac reluctari, quod aliquan-
tisper feci, debuerim, sed quidvis ferre ac pati potius aut etiam
ire in exitium ; quam onus subire tam imbecillis impar huraeris !
cui si succumbam et illis obsim quibus prodesse debeo et Deum
mihi iratum reddam, cuius ira morte gravier est, assiduis lacrymis
ac suspiriis expianda. Sed quod factum est, infectum fieri nequit.
Spartam itaque quam nactus sum exornare conabor, Deum speraos
propitium ut ille, in cuius nostra omnia sunt potestate, tôt piorum
hominum quotidianis pro me precibus sacriticiisque exoratus, quod
(1) Torrentius fut sacré évêque d'Anvers le 10 septembre 1587.
(2) Au nombre des poésies de Torrentius, on trouve un long poème sur
Saint Paul, et un autre moins long sur Saint Etienne. Ces pièces étaient
destinées à faire partie d'une espèce d'épopée religieuse racontant les actes
des apôtres.
570 LE MUSÉON.
meae deest imbecillitati sua ipse potentia suppléât, labentera
erigat, aegrotantem sauet, intirmum roboret atque confirmet.
Utinam ea nobis redeant tempora, quibus, non omnino pessime,
(ut nunc est), constituta respublica, mediocritati seu tetneritati
potius nostrae aliquis esse locus possit ; nunc vero tam deplorata
sunt omnia, ut, nisi Deus e machina, quod aiunt, atque ex impro-
viso appareat, humana nihil possint consilia. Neque haec tamen
prorsus abiicienda : ultimum malorum desperatio est ; neque qui
sibi ipse desit alienum débet implorare auxilium ne, praeter malum
quod patitur, repulsae quoque ignorainiam ferat : propter frigus
piger arare noluit, mendicabit ergo aestate nec dabitur ei. Cuius
divinae sententiae memor, dabo operam ut si pereundum sit, nulla
mea singulari culpa id accidisse dicatur ; quin et si forte impru-
dens peccavero, agnoscam crimen : pium ac misericordem habemus
Dominum, qui humanae conditionis iure dignatus est particeps, ut
huraane peccantibus succurrat nec perire sinat quos condidit. Haec
itaque instituti nostri ratio est, atque liac fretus fiducia, rem
aggressus sum omnium difficillimara, in qua si quid civibus tuis
atque ecclesiae Antverpiensi commodum, praestitero. Tune mihi
gratulare, cum obiero, usque adeo sera non est, quod times, ea
qua nunc uteris gratulatio.
Quoniam vero de studiis tuis ac lucubrationibus tam diserte ad
me scribis, unde magno ob rem literariam, quam amavi semper,
perfusus sum gaudio, reddam nostri studii rationem aliquam, si
tamen ante precatus te fuero ut ad me deferri ea omnia cures quae
vel peues te servas vel aliis commisisti : faciès enim rem mihi
longe gratissimam ; raaiorem etiam initurus gratiam si quid a viro
summo Antonio Augustino, cuius sancta mihi memoria est, addi-
deris ; cum ante annos XXXV adolesceus primum venissem Ro-
mam, per Octavium Pantagathum, Basilium Zanchum, Gabrielem
Faeruura (i) quique solus adhuc superest, Joannem Metellum (2)
(1) La plupart des poésies ad amicos de Torrentius sont adressées à
ces trois amis de jeunesse. ZiUichius de Bergaïue est mort en lôGO ; Gabriel
Faërne, illustre poète latin de Crémone, mourut en 15(31 et Ottavio Bacato,
dit Pantagatlius, décéda en 15G7.
(2) Jo. Matalius Metellus Sequanus, jurisconsulte de renom. Cfr. Jôcher,
Gel. Lex., t. III, col. 47<t, et Suppl., t. IV, col. 1550.
LCITUKS IMiDITtS 1)'aM)UÉ SCIIOIT. 371
in amicitiam eius admissus sum, quam quod extrema quoque
aetate apud te saepius testatus fuerit gaudco sane plurimum, et ut
manibus eius bene sit precari non desinam. Non deerunt mercato-
res qui, si quid dederis, bona fide ad me mittaot, ueque praeses
Damantius suam Liic operam denegabit aut cornes eius, Scbetus (ij,
cui magis vacat et nostri amantissimus est. Nam praeter antiqua
illa quae Romae scripsit, uihil indico, excepte coramentario quem
de familiis romanorum suo antiquorum numismatum libre Fulvius
Ursinus adiuuxit (2). Kgo opprcssus nescio quibus, non admodum
certe gratis atque iucundis Leodientium negotiis (3) ac plurimis
functus legationibus, nibil magnum praestiti. Suetonius (4) prodiret
iterum auctior simul ac melior si, quae in schedis habeo, coUigere
daretur. Horatius totis iam annis VII latere in scriniis cogitur quia
deest aliquid quod epistolae ad Pisoucs de Arte poetica adiunctum
velim (5). Idem de plerisque aliis ac maxime de nostris in Cicero-
nem annotationibus dicerem, si esset aliqua edendi spes ; nunc
perierit nobis iste labor. Recte enim facere quam multa in hoc
génère scribere est satins, et maior eorum quae ante dixi iactura
est, Uuicum superest opus : de Belgii nerape nostri motibus et
perducto ad captum usque Traiectum belle volumen tune proditu-
rum cum sine odio atque invidia prodire poterit (g). At illa quae
(1) Jean Charles Schets, chanoine de S' Lambert à Liège, conseiller au
parlement de Malines, fut appelé en 15S0 en Espagne et mourut en 1595.
(Van der Aa, Biogr. Woord., t. XVH, 1, p. 318-321).
(2) Familiae romanae quae repeiniintur in antiqids numismatibus...
ex hibl. F. Ursini, adiimctis familiis XXX ex lihro A. Augustini, epis-
copi Ilerdensis. Romae, 1577.
(3) Avant d'être pi'omu au siège d'Anvers, Torrentius avait été vicaire
général de l'évoque de Liège.
(4) C, Saetonii Tranquilli Xll Caesares cum Laevini Torrentii Com-
mentario. — Antv. Plantin, 1578, réédité en 1592 par les soins de son
neveu, Jean Lievens. V. ci-dessous la quatrième lettre de Torrentius (n» 46).
(5) Horatii opéra cum erudito L. Torrentii commentano, nunc
primum in lacem edito. — Antv. Plant. 1608, 4°. « Ce commentaire
comprend toutes les œuvres d'Horace à r exception de l'art poétique
que notre auteur avait aussi dessein de commenter ; mais ses occupa-
tions l'en détournèrent. » Paquot, 1. c.
(6) Cette œuvre, ainsi que celles dont Torrentius va parler dans la suite
de sa lettre, n'ont pas vu le jour.
372 LE 31USÉ0N.
iuvenis ad ius civile conscripsi a blattis tineisque corroduntur.
Atque, ut verum fatear, tota illa scribeadi ratio mihi vehementer
displicet, nec, si quaestus absit, placere potest cuiquam bono. Iq
poesi paulo pertinacius haesi ut e postrema carminura tam sacro-
rum quam aliorum editione, quae Plantini est, an. LXXIX vidisse
te existimo (i). Sed et alia accessere quoruua pauca huic epistolae
inclusi, praecipue autem in Gulielmum Nassaum, Orangiae prin-
cipem ludus sive epigrammatum libelli duo, quod ubi in lucem
venerit, si minus arte et inventione mea, argumenti certe novitate
ac gratia, lectorem puto inveniet. Superest Andreae Papii ac loan-
nis Livineii (2), quos carrissimos tibi esse perspicio, in hisce studiis
labor. Utinam illum haberemus incolumem ! Quid enim a tara
praestanti ingenio non exspectes V Deo aliter visum cui soli vitae
ac mortis nostrae ratio constat. Livineius vero hue venturus, uti
spero, mansurus est, qui fianainum collegio asscriptus sit. Tum
otii tum negotii sui, ipse tibi rationem per litteras reddet. Vale et
Deum pro me ora.
Antv(erpia), Nonis Decembris an. MDLXXXVII.
44.
Andreae Scotto.
{Fol. 240 et 2éT) Recte abs te factura, mi Schotte, quod tua-
rum ad amicos hic tuos literarum fasciculum loanni Carolo Scheto
commendaveris, cuius opéra, quas ad me pridie kalendas lunii
(1) L. Torrentii, Y. C. poemata. — Antv. Plantin, 1579, 8°. En 1575
avait paru une première édition des poèmes de Torrentius.
(2) André De Paep et Jean Lievens sont tous deux neveux de Torrentius
par leurs mères, Clara et Cornélie Van der Beke, sœurs de Liévin.
De Paep s'était noyé dans la Meuse le 15 juillet 1581. Lievens devint un des
premiers savants de son temps et un des amis les plus intimes d'André
Schott. Né àTermonde de fa«iille gantoise, vers 1546, il devint en 1573 cha-
noine de Saint-Pieire à Liège. " Il venait Wêtre fait diacre au commen-
cement de Î588 lorsque Torrentius, devenu évêque d'Anvers, Vappela
près de lui et lui procura une place de chanoine de la cathédrale, r,
Biog. nai.
LETTRES INÉDITES d'aNDUÉ SCHOTT. 375
dederas, XI kal. Septembris redditae fuere ; quas vero ipse Madrito
ad me hac occasione scripsit, non toto mense in itiaere haesere,
meliore fato quam uostrae quas sexto demum mense Valentiam (1)
pervenisse narras ; idque non aliam magis ob causam doleo quam
quod tam sera voluptas illa accesserit quam ex responso tuo per-
cepi, ea maxima parte quae Antonii Augustini viri summi laudes
et scripta continet ; quem ego virum cum eximiae bonitatis, tum
doctrinae causa Romae olim magno studio colui aotequam in
Britanniam legatus Pontificis maximi proficisceretur (2) ; nam et
in Varronis iibrum de Lingua latina emendatione nonnihil eum
adiuvi (3) et ex omnibus quos tune Romae novi, ipsum praecipue
mihi imitandum proposui, tanquam unum exemplar omnium vir-
tutum. lure igitur te felicem existimas qui in eius contubernio
vixeris, sed et ipse non infelix qui talem invenerit suarum laudum
virtutumque praeconem (4), uti et ex epitaphio quo sanctam eius
memoriam celebrasli constat, quod non in schedis tantum tuis
reperiri, sed et sepulchro insculpi oportuit ad nominis aeternita-
tem, quaraquam hue quoque spectant praeclara ingenii eius monu-
menta, quibus edendis, si Antverpiam aliquando veneris, una cum
Plantino, quam poterimus operam lubentissime ipsi quoque prae-
stabimus ; idem de tuis pollicemur. Invenies spero nostra in
(1) Schott, entré dans la compagnie de Jésus, étudia la théologie à
Valence. Ce passage de cette lettre est le premier témoignage en date de
son séjour en cette ville. Un second témoignage est une inscription de
Schott sur le ms. 4555-58 de la Bibl. l'oyale de Bruxelles contenant des
commentaires de .1. Borrasanus S. .1. sur certains traités d'Aristote ; la
voici ; In usuni And. Sckotii Societatis Jesu, et à la Hn : Valentiae, iô88.
Un dernier témoignage est donné par Baguet, p. 26, n. 2; d'après celui-ci,
Schott était encore à Valence en 1502.
(2) Antoine Augustin fut envoyé en 1558 en Angleterre par Jules III
pour négocier le mariage de Marie Stuart avec Philippe II. (Nie. Anton.,
Bibl. Hisp. nova, 1. 1, p. 98).
(3) Pars libroram quatuor et vAyinti T. Varronis de lingua latina,
ex bibl. Ant. Augustini. — Komae, 1557, 8^
(4) Schott composa en effet un éloge funèbre d'Ant. Augustin, publié à
Leyde, en 1580 ; la dédicace est adressée à L. Torrentius. — Cfr. Sommer-
voGEL, n° 4, et Baguet, p. 25.
374 LE MCSÉON.
bibliotheca quae aaxilio esse possint. Gravi enim et affecta iara
aetate, nallum suppetit otium quod istius modi lucubratioaibus
impartiar, eaque de causa, Livineium ad me vocavi ut ipse bis
studiis superesse possit ; quem a te amari et collaudari sane gaudeo.
Utinam superstes esset et Papius, alterius sororis meae olim filius,
ingens Belgii decus, nisi Deo aliter iussum fuisset, cuius divinae
voluntati acquiescendum est ; illi enim vitae mortisque nostrae
ratio multo melius quam nobis ipsis constat, qui in his mundi
tenebris vix quod ante pedes est cernimus. Salutat autem te Livi-
neius amantissime qui biduo post acceptas tuas a me litteras, Gan-
davum abiit brevi rediturus, nec omissurus quia ad te scribat ;
habet et ipse pênes se nonnulla veterum fragmenta quibus te
oblectet (1). Neque haec una ratio est quae ex Hispania te eliciat :
gaudebunt in primis fratres tui, viri honestissimi, gaudebunt et
alii, et tu quoque ante alios omnes pro insigni tua pietate, cum
aliam videbis patriae tuae faciem quam reliqueris (2) ; quanquam
enim adhuc tolerare cogimur baereticos et fervet bellum, quo a
praedonibus simul ac militibus misère diripimur, sic, quod unice
optandum nobis erat, in melius commutata religio sit, ut neque
ante res novas unquam floruerit magis : testes esse poterunt fratres
sanctae Societatis vestrae qui banc nobis operam praestant et,
quamvis pauci, adversus publicos Christianae pietatis et communis
boni hostes plus sine armis efficiunt quam Germanorum instructae
legiones decem qui, cum ingentes régis tbesauros exbauserint,
nulli bonae rei utiles, cum ignominia plerumque discedunt ac plu-
res relinquunt impios vitae suae morumque exemple, quam invene-
rint. Nulla itaque belle salus, pacem iam poscimus omnes. Verum
haec régis cura este cuius summa pietas et in Christi nomen amor
talis est ut, vel sine belle, vincere debeat. Quid ergo non speremus
ubi iustitiae tanta coniuncta etiam potentia est ? Hac igitur offir-
mati spe perdurabimus quaeque eveniunt mala, nostris asscribendo
sceleribus, precati veniam, exspectabimus meliora, non nostro, sed
Dei circumagendi arbitrio, in quo speramus ac vivimus.
(1) Jean Lievens avait, en effet, rassemblé une belle collection de manus-
crits qui vint plus tard enrichir la bibliothèque des Jésuites d'Anvers.
(2) Ce sont peut-être les désastres de la guerre civile qui engagèrent
Schott à quitter son pays. V. Baguet, p. 10.
LETTIIES LNÉDITES DA.NDHÉ SCIIOTT. 575
Sed ad Aotonium Augustinum redeamus. Ex cuius operum indice
nihil nunc aeque desidero ac Dialogos illos Hispana lingua scriptos
cura iconibus (1), Nam et ego antiquis nuraismatibus ceterisque
antiquitatibus abuodo, ut coram, spero, aspicies (2). Haec enim
raea in raaiore otio voluptas, puto non inhonesta, esse solet. Utar
ergo Ortelii nostri, ut suades, opéra cui epistolam tuam de manu
tradidi. Utinam idem cura Pamelio ('6) facere licuisset ! Verum vir
ille doctissiraus ac de sacra Tiaeologia optime meritus, cura iam
designatus Odomarensium episcopus, ut régis diploraa acciperet,
Bruxellam properarit, in itinere maguo omnium dolore occubuit.
Juverat eum in TertuUiani editione noster I.ivincius, cui tuas in
Cyprianum notas traJidi. Tuum erit signiticare an illustri D. prae-
sidi defuncti fratri (4) dari malis. Tanti viri exemplo, nos quoque
sarcinulas colligemus qui muito seoiores sumus. Tu vero vita fruere
et ecclesiam iuva, ac vale féliciter. Antverpiae, II! kal. sept,
an. MDLXXXVllI.
45.
L. ToREENTius Andreae Scotto.
(Fol. 272"). Novissimas tuas literas datas Valentiae IIIl Xonas
Octobris una cum duobus Antonii Augustini libellis, eius scilicet
Bibliotheca (5) et in Decretura Gratiani dialogis fG), opéra ac bcne-
(1) Dialogos de medallas, inscriciones y otros antignedades E:c. hibl.
Ant. Augustini. EnTarragona, Mey, 1587, A".
(2) Torrentius avait recueilli une belle et riche collection de médailles
antiques et de pierres gravées qu'il laissa api'ès sa mort, avec sa biblio-
thèque, au collège des .Jésuites de Louvain. La Bibliothèque royale de
Bruxelles possède le catalogue de ce cabinet (n^ c,2i'/J) ; en voici le titre :
Séries arcaram et numismatum totivsque rei antiqnariae hoc libvo
contentcœ, collegio Lovaniensi Societatis Jesu olim relictae a rererew-
dissimo episcopo Antverpiensi, D. Laevino Torrcntio.
(3) Sur .1. de Pamele, (15:jG-1587) l'éditeur bien coinui des œuvres de
TertuUien et de S' Gyprien. ctr. Biogr. nat., t. XVI, col. .J2S-542.
(4) Guillaume de Pamele (152S-].jî)l), i>résident du conseil de Flandre et
plus tard président du conseil privé iBiogr. nat., t. XVI, col. 52G-528).
(.5) Il s'agit probablement du r-atalogue delà bibliothèque d'Ant. Augus
tin, publié à Tarragone en l.',S(i.
(<)j Ant. Augustini, Arcliiepiscopi Tanne, de emcndatione Gratiani
dialogorum lib. IL — Tarraconae, 1587, 4".
576 LE MUSÉON.
ficio loannis Caroli Scheti duabus vicibus ad me missis, accepi ; et
propter tanti viri memoriam animo excitatam meo magnas habeo
gratias. Délectant me praeterea quod de numismatura Hispaniae
libello scribis, tanto equidem magis quod quae vir ille maximus
Romae me adolescente habebat, omnia viderim, imo et ipsius
exemple antiquarius esse coeperim, ac tandem eo in studio sic
profecerim ut nummorum veterum aliorumque antiquitatum cum
multitudine tum excellentia ac raritate in bac tota provincia cedam
nemini ne Laurinis quidem fratribus quos patronos habebat Golt-
zius (1) cessurus si, quod optarem, adhuc viverent. Verum tota
illorum supellex misère direpta periit hostium barbarorum iniu-
ria (2). Quid vero de mea futurura sit nescio : si emptorem inve-
nero, vendam non invitus, neque enim haec studia aetati ac pro-
fessioni conveniunt meae, uti neque paene oblita mihi nunccarmina,
quorum tamen maior ac constantior haeret amor. Mitto itaque
quam vides elegiam in Caesaris Baronii presbyteri Romani Annales
ecclesiasticos bis proximis diebus magnis ab ipso precibus obten-
tam ut Plantini nostri editio (3) illam praeferat brevi in lucem
proditura, uti et eiusdem auctoris martyrologium opus peregre-
gium (4). Coegit me materia apta senibus ut aliquid molirer. Quod
si tibi forte non placuerit, non equidem mirabor, nam ne mihi
quidem satis placet, sed obtrudendum erat aliquid quod pro munus-
culis tuis reponi sinas. Agam vero cum Ortelio ut ex Rovillii typo-
graphi manibus quod habere eum scribis (5) extorqueamus ac
tradamus Plantiuo, ut si qua fieri poterit, ipse suis typis imprimat ;
animosus est uec a fortuna se vinci patitur, quae tamen si esset
aequior, raulto maiorem ferremus singularis ipsius industriae fruc-
(1) Sur Guide et Marc Laurin de Bruges, cfr. Biogr. nat.^ t. XI, col. 457-
469, et sur leurs rolations avec Goltzius, cfr. spécialement la col. 462.
(2) Ibid., col. 467.
(3) Caesaris Baronii Sorani, Annales Ecclesiastici. Antv. Plantin,
1589. — Le texte est en effet précédé d'une poésie de Torrentius.
(4) Martyrologium romanum ciim notis Caes. Baronii. Rome, ISS*;
et suiv.
(5) A savoir le codex Covarruvianus des œuvres de M. Sénèque et le
manuscrit de l'édition de l'Itinéraire d'Antonin préparée par Jérôme
Çurita. Voir ci-dessus, les lettres de J. Dalecliamps.
LEllKES INÉblTES 1) .V.NDIIÉ SCIIOTT. 577
tum. Livineius noster amantissime te resalutat, versât uunc in
manibus Liturgiam sive missam Sancti Pétri, apostolorum principis,
a R. P. Gulielmo Lindano Gandaveusium episcopo, cum atiiicta
esset valet udine, sibi traditam ut editioni pararetur (1). Graece
enim scripta est et manca ac mutila ; prodibit tamen, quamquam
non multo post tempore Lindanus ipse mense novi episcopatus sui
tertio, non levi rerum theologicarum dispendiopostridiekal. Novem-
bris exstinctus est. Secutusque non longo post tempore loannes
Hauchinus, Arcbiepiscopus Mecbliniensis, vir et ipse magnus (2).
Nunc ego resto, aequo quidquid evenerit, uti spero, laturus animo :
nihil enim me nolentem admodum in vita retinet, eo maxime loco
ubi plena sunt omnia meseriarum ob tam diuturnum ac pervicax
bellum, quod tandem ipsam etiam religiouem, nisi Deus iuverit,
subvertet. Nos hac intérim in civitate, freti Sanctae Societatis
vestrae auxilio, obnitimur quantum possumus, nec laboris poenitet,
verum intra muros urbis tantum. Pagi atque vici misère desolan-
tur. Orandus Deus ut beuigno nos vultu respiciat in tantis malis.
Vale et me amare perge. Antverpiae,IIIkal. Febr. an. MDLXXXIX.
46.
S. P. Andeeae Scotto.
{Fol. 398"^-). Salutatum me venit, vir doctissime, tuo uomine
frater tuus (3), quaestor nunc huius civitatis, mihi amicissimus ;
atque soUicitum te esse ait de mea valetudine, ideo maxime quod
longo iam tempore nullas a me literas habueris, cum ipse non una
vice ad me scripseris. Fateor sane fuisse me in hoc neglegentiorera,
ut tamen nolim existimes amori quicquam detractum meo ; ncanebit
(1) Guillaume Lindanus, né à Dordrecht en 1525, promu en 15S8 au siège
épiscopal de Gand et mort la même année, le 2 novembre. Ce n'est qu'en
1589 que parut sa Missa apostolica sive clivinum sacrificium Sancti
apostoli Pétri. V. Biogr. nat., t. XII, col. 212-216.
(2) Jean Hauchain, deuxième archevêque de Malines, sacré le 30 cet.
1583, mort le 5 janvier 1589.
(3) François Schott.
578 LE MUSÉON.
ille quamdiu et ego in hac vita mansurus sum ; idque ita esse,
quaecumque sese offeret occasio, omnibus hic in fratres tuos officiis
demonstrabo. Utinam tandem meliora contingant tempera, ut hoc
praestem commodius ; verum ne sic quidem mutabitur animus ;
intérim doleo hisce in turbis atque tumultibus tam vane me affici
atque distrahi ut saepe ignorem quo me vertara ; unde et vita ipsa
quo inutilior eo et ingratior est, quia nec terapus ullum literis, quas
una tecum semper amavi, impartiri ipse possum, nec aliorum frui
laboribus. Mens et cogitatio omnis in miserrima hac nostra repu-
blica est. Scito tamcn Livineii nostri opéra prodire iterum his
nundinis Suetoniura, ut auctiorem, sic et eraendatiorem (1), et
apparari novam Sacrorum poematum editionem (2), adiectis priori
libris tribus, quorum primus missionem Sancti Spiritus et Pétri
apostolorum principis res gestas continet, alii duo Doctori gentium
Paulo inscribuntur ; erunt et alia non visa, nec ut spero tibi iniu-
cunda ; quem rogatum velim ut si quid in his quae exstant legendis
animadverteris ipse vel ab aliis animadversum intellexeris quod
vel lenissime dispiicere possit, eius me facias certiorem. Justus
Lipsius, postquam a Batavis discessit, nuuc totus noster, Leodii
agens et omnium etiam Patrum Societatis vestrae notis egregie
satisfaciens, mea potissimum cum apud ipsum persuasione, tum
apud ordines Brabantiae favore et gratia, nunc Lovanium venit,
summa populi illius laetitia, ornatus etiara honorario extra ordinem
sexceatorum fiorenorum annuorum. Quod rei litterariae vehemen-
ter profuturum nb ipsius nunc tranquillitatem et opto et spero
ut qui maxime (3). Vale et me Deo tuis precibus commenda. XIII
cal. Octobris, anno MDXCII.
(1) Cfr. p. 371, note 4.
(2) L. Torrentii poemata sacra. Antv. Plantin, 1594. Cette nouvelle
édition des poèmes de Torrentius contient en deux livres la vie de
Saint Paul, mais on n'y inséra pas le poème sur la mission du Saint-Esprit.
(3) V. Biogr. nat., t. XII, col. 266.
LETTRES INÉDITES d'aNDRÉ SCHOTT. 379
Lettres du Cardinal Frédéric Borromée a à. Schott.
{Bibl. royale de Bruxelles, ms. 8932 (i). Originaux.)
47.
Admodum Reveeende Patee.
{Fol. 107). Accepi duodecim Cardinalium icônes atque elogia (2),
gratissimum mihi abs te munus atque argumentum minime obscu-
rum tuae erga me benevolae voluntatis. Ego vero, quanJo, praeter
luculentam gratiarum actionem, quid tibi rependam non habeo,
memor tamen officii mei neque tuae pietatis ignarus, milto ad te
vicissim thecas argenteas duas, in quas Caroli Cardinalis Sanctae
Praxedis vestium particulae sunt inclusae, quae meum in te amo-
rem quoquo modo testari posseut. Vitas illas Cardinalium in duos
tomos congestas de quibus scribis, a Vivario primo quoque tempore
exigam ; agoque tibi hoc etiam nomine gratias. Quoniam vero de
Ambrosiano Collegio probari tibi consilium video meum, eiusque
Coliegii doctores iustis de caussis nota aliqua visum est a ceteris
oportere distingui idque aureo numismate potissimum fieri, quod
singuli collo appensum gestent, ecce habes etiam rudem iliius
informationem (3). Qua de re, si quid sentias, ingénue significare
grave non fuerit, sane mihi gratissimum feceris ; tribuo enim plu-
rimum iudicio tuo, resque adhuc est intégra. Vale, et si qua re
(1) J. Van den Gheyn, Catalogue des mss. de la Bibliothèque royale
de Belgique, t. V, p. 528 n» 3495.
(2) Anvers, 1d98. Cette lettre de l'illustre cardinal fournit une nouvelle
preuve en faveur de la thèse de Sommervogel, (n» 13) attribuant à Schott
une coopération à cet ouvrage.
(3) La reproduction des deux côtés de la médaille est collée en marge
de la lettre. Rappelons ici que l'avers portait les têtes de S. Ambroise et
de S. Charles, avec la devise : Singuli singula ; au revers se trouvait
l'image de la Vierge Marie portant l'enfant Jésus avec cette inscription :
MONSTRA TE ESSE MATREM.
580 Le muséon.
potes, meum hoc consilium iuva. Mediolani, IIII Non. Januarias
MDCVIII.
Admodum R. P. T.
studiosissimus
Fredericus Gard. Borromaeus
Andreae Schotto Ant. Olgiatus
(Adressé) Admodum R. Patri, il P.
Andreae Scotto
délia Compagnia di Gesu
Anversa.
48.
Admodum Révérende Pater,
(Fol. 98). Gratum est, quod scribis, non ingratum fuisse tibi
argumentum meae erga te benevolentiae levi illo munusculo decla-
ratae ; sed illud gratius quod ad ornandum augendumque Collegium
Ambrosianum tara amanter tuum studium atque operam non poUi-
ceris modo, sed etiara confers. Devincis me tibi quotidie magis
facisque iudicio tuo bene ut de meo consilio sperare non dubitem.
Quod attinet ad eas voces Singuli shigula, rem tetigisti : cautum
est enim ipsius collegii iegibus praescriptionique doctoris ut in
qua quisque scientia plurimum valere se sentit eam potissimum
colat in eaque versetur assidue, ne, dum varia doctrinarum atque
artium geuera consectatur, ingenii iures frangat et quasi nervos
incendat. Placuit igitur hoc esse peculiare et praecipuum Collegii
institutum, ne unus plura, sed singula singuli tractent. Habes
ratiouem consilii mei, quod ego non ante probabo quam tibi non
plane displicuisse cognovero. Vale. Mediolani, IIII Non. Mart.
MDCVIII.
Admodum Reverendae P. T.
studiosissimus
Fredericus Card. Borromaeus
P. Andreae Schotto. Ant. Olgiatus.
(Adresse :) Admodum R"*" Patri Andreae Schotto
e Societate Jesu.
Antverpiam.
Anversa.
LETTRES INÉDITES d'aNDRÉ SCIIOTT. 581
49.
Lettre de Michel Vosmeer(i) a André Schott,
[Bruxelles, Bibl. royale, ms. 8^48. Autographe) (2).
M. VOSMERDS VENERANDO P. AnDREAE SchOTTO S. D.
lam bis ad te satis longas dedi litteras, amicorum optitne, XVI
calendas Maii et Nonis Sextilis iabentis anai ; nec compertum
habeo an tibi redditae. Perierint in via timeo, nam intervallum
locorum licet non ita grande, minus tutum esse suspicor ob pago-
rum infrequentiam. Repeto igitur pauca quae nescire te nolim,
Joannem a Leydis MS. dico librum, quem Opmerus noster (3) tibi
olim commodavit, mancupio nunc a me habe ; et animum meum a
se, non a muniisculo hoc aestima aeternum tuum. Veuerandus
frater (4j sedulius nuper ad me visit et dolere se dixit, quod assi-
duis peregrinationibus distento, corrigendis Adami (5j operibus
(1) La biographie de Michel Vosmeer (né à Delft, mort en liibii se trouve
dans Van der Aa, Biographisch Woordenboek, t. XIX, p. 403.
(2) Le ms. 8343 de la Bibliothèque royale de Bruxelles contient les chro-
niques des comtes de Hollande et des évêques d'Utrecht rédigées par Jean
Gerbrand de Leyde. Il porte au fol. 1, cette note de Schott : Ej: dono
P. Vosrneri Michaelis, sum V. P. And. Schotli. Anno i610. Fr. Sweertius
a publié ce ms. dans son ouvrage Rerum Belgicaram annales, chronici
et historici, publié à Francfort en 1620 ; pourtant les premiers chapitres
de la chronique ne s'y trouvent pas, comme le remarque Schott au fol. 1
du ms. : Tredecim prima capita hnii'.s ms. désuni in imprcsso cudice
an. i620 ; forte praelermissa ah editoribus, qaia ad historiam Hollan-
diae vix spectant.
(3j 11 semble que ce soit Pierre Opmeer le Jeune (mort en l^il^j que Vos-
meer désigne ici : il vécut en eflfet à Delft et à Anvers (d'où noster}, et on
sait qu'il possédait des manuscrits que lui avait légués son père. Voir les
biographies des deux Pierre Opmeer dans Van der Aa, Biogr. Woorden-
boek, t. XIV, p. 182-186.
(4) Sasbout Vosmeer, archevêque de Philippi et vicaire apostolique dans
les provinces belges fédérées. Cfr. Van der Aa, Biographisch W'oorden-
boek, t. XIX, p. 404-405.
(ô) Adam Sasbout, religieux de l'ordre des Frères-Mineurs, né à Delft en
1516, mort en 1553, grand oncle de Michel et de Sasbout Vosmeer. Voir
Dirks, Histoire littéraire et bibliographique des Frères- Mine nrs,
p. 87-8y.
382 LE MUSÉON.
tempus et mens defuerint. Sed ante hoc factura, Revereadus frater
noster coram obtinuit ab vigilautissimo Praeside, Gulielmo Fabri-
tio (1) discipulls et convictoribus suis id negotii ut daret, quod
etiam pensum gnaviter coufecisse existimo. Unum nobis maie est :
fâctio ûimirum typographorum (ut ego autumo) ; duo namque
optimi collegiorum praesides, Pontilicii dico et Theologici, Reve-
rendissimo fratri nostro spem dederant accenderantque Masii (2)
inducendi ad hoc munus, sed longe aliter credidit. Alii item qui
Antverpiae iuter celeberrimos censentur, primo congressu optima
spondere nobis visi sunt ; verum ubi serio agendum est, remos
inhibent et cessim eunt. Nec aliam ob causam (dictis si habenda
fides est) quam quod officinae librariae compluribus exemplaribus
(Coloniae in-fol. pressis) (3) abundent : quae nullo illis futura numéro
praevident, (ut prae caeteris ad suum quaestum callent), si emenda-
tior nunc Adamus et excellentioribus typis ornatior, vita praeterea,
argumentis et detractionis (4) depulsioue auctior integriorque pro-
dierit (5). Quamobrem spcm abiicio, me vivo, opus videndi, nisi
ut Poenus ille Alpes aceto, ita nos aureo imbre aggerem illum
dissolvamus. Quod si brevi contigerit, videbis inter primos ; utinam
et probes ! eo affectu et iudicio quo nos tuum Laynum, Borgiam et
Sâlmerouem (6) suspicimus et adrairamur ; atque ita nobiscum, si
tara felix et laetus noster Scholtus in vertendis alienis, quid in aper-
tis campis ? Sed quo feror? Strepens anser inter olores. Quara
(1) Au sujet de Guillaume Fabritius, né à Nimègue, président du Grand
Collège des Théologiens depuis 1605, voir Paquot, Mém. litt. t. IV, p. 30.
(2) Peut-être Bernard Maes qui imprima à Louvain vers cette époque.
(3) Les œuvres complètes d'Adam Sasbout ont paru à Cologne, chez
Arnold Birckmaun, en 1568 et eu 1575.
(4) Plusieurs savants prétendaient que certaines œuvres imprimées
dans les éditions de Cologne étaient attribuées à tort à Sasbout : elles
appartenaient, disaient-ils, à son maitre, Jean de Hasselt. Michel Vosmeer
soutint le contraire dans un écrit publié à Cologne en 1613 et intitulé :
Responsio adversus calumniam cciusdam de Sasboldi scriptis.
(5) La nouvelle édition des œuvres d'Adam Sasbout ne vit jamais le
jour ; la vita, les argumenta et la detractionis depulsio parurent plus
tard en volumes séparés. Voir Dirks, 1. c.
(6) Cfr. SoMMERVOGEL, u^^ 23, 10 et 15. Les biographies de Borgia et de
Salméron turent composées par le P. Ribadeneira et traduites par Schott.
LKÏTUES FNÉDITES d'aNDRÉ SCHOTT. 583
solabor me imagine tui quae assiduo mihi aate oculos est. Meam
fàciem typis non commisi : nec enim tanti est. Adami effigies ope-
ribus eius accedctur. Haec quam mitto Reverendissimi fratris est,
duobus aanis mensibus quinque me iuaioris. Vale, vir clarissiine,
ab eo cui tu iam olim carus et magnus. Quin, vicissim quid valeas
vel uoico verbo signitica, tantillum si otii suppetit. Salutem V. D.
Corneliû, cognato nostro, cui dici voluisti, dixi ; idem te resalutat
et bas quas vides literas recipere iubet. Iterum vale. Delfi, VI idus
novemb. 1610.
Adresse : Venerando Patri
Patri Andreae Schotto, Societatis lesu
sacerdoti conspicuo
Antverpiam an vero Tornacum Nerviorum incertum.
50.
Lettre du P. Fronton Le Duc au P. Am>ré Schott.
(Bruxelles, Bibl. royale, ms. 2102-3, fol. 211 (i).
Autographe).
Reveeende in Cheisto featee.
Miratus sum nuper ad nos venisse R. P. Scribanium (2j, etsi
tamen scribere ad nos minime dignatus esset, cum tamen non
modo mirari sed indignari etiam se scripserit non ita pridem
dominas Miraeus (3) quod ad tuam reverentiam bis scripsissom
nec ad iilum quidquam misissem. Existimo autem iam literas eum
meas accepisse quibus inserueram varias lectiones ex manusciiptis
(1) Cfr. Van den Gheyn, Catalogue de la Bibliothèque royale de Bel-
gique, t. II, p. 203, n" 1193.
(2) Charles Scribani (1561-1629), recteur des collèges d'Anvers et de
Bruxelles et provincial de la Flandre. Voir Sommervogel, Bibliothèque
des pères de la Compagnie de Jésus, t. VII, col. 982-990.
(3) Voir la bonne étude sur Aubert le Mire publiée par de Ridder dans
les Mémoires couronnés et mémoires des savants étrangers publiés par
V Académie royale des sciences, des lettres et des beaicx-arts de Bel-
gique, t. XXXI (1862-1863).
24
384 LE MUSÉON.
collectas ia Marianum Scotum (1), monueramque statuisse Cra-
moisiutn ipsius Notitiae folia ultima praelo committere (2). Coepit
etiam Latinam editionem Epiphaaii (3) bibliopolus idem ciii non-
nullas correctioaes Billii (4j suppeditavimus. Morellus etiam cum
aliis tribus Augustiai opéra ïn lucem edit (5), annotatioûibus illus-
trata Theologi cuiusdam nomine Coquaei qui Magao Hetruriae
Duci est a confessionibus (6). Narn quiutum tomum, qui est de
Civitate Dei, post Ludovicum Vivem (7) exponere aggressus est.
Inchoavit idem typographus editionem Graeco-latinam Synesii (8),
cum quidem gratiticare placuisset hac iter habenti P. Dionysio
Petavio, cum Rhemis Fixam Andegavorum proficisceretur (9) ut in
illo regio collegio Rhemi (10) non profitentur. Praelum enim Cbry-
sostomo(lljaddictum illi commodavimus ut ad aliquot hebdomadas
(1) Aubert le Mire avait eu l'intention de publier la chronique de Maria-
nus Scotus. Ctr. ibid. p. 103.
(2) JSoticia Episcopatucm Orbis Christiani, sive codex provincialis
Romcoius... Parisiis, ex officina NiveU/ana, apud Sebastianum Cra-
moisy, MDCX, loi. Sur l'incertitude de la date de la publication de ce
vokane, consulter le mémoire cité ci-dessus, p. 63.
(3) Paris, 1()12, in-fol.
(4) Les corrections de Jacques de Billy au texte et à la version latine
des œuvres de S. Epiphane se trouvent dans les Sacrarwn ohservationum
libri duo, R. P. J. Billio Prunaeo... auctore. Parisiis, MDLXXXV.
(5) iS. Aicrelii Augiistini opéra, tomis decem comprehensa, per theo-
logos Lovanienses... emendata ... una cum Leonardi Coquaei... in
libi'os XXll de Civitate Dei commentariis. Paris, 1613-1614.
((i) Léonard Coquaeus était le confesseur de Christine de Lorraine,
épouse de Ferdinand I de Médicis, grand-duc de Toscane. Cfr. A. Miraeus,
Bibliotheca ecclesiastica, Antv. 1649, p. 214 et Ossinger, Bibliotheca
Augustana, Ingolst., 1768, p. 259.
(7) Bàle, J. Froben, 1522.
(8; Les œuvres de Synesius avec la traduction de D. Petau parurent en
1G12, à Paris, chez S. Cramoisy.
(9) Au sujet de Denis Pétau, cfr. C. Sommervogel, Bibliothèque des
Pères de la Compagnie de Jésus, t. VI, col. 588-616. On y dit qu'il
professa la i-hétorique à Reims (1609), à la Flèche (1613) et à Paris (1618).
(10) Ms. Rheari?
ill) Cfr. la bibliographie des éditions des œuvres de S. Jean Chrysostome
publiées par Fronton Le Duc dans Sommervogel, 1. c. t. III, col. 238-241,
n" 21.
LETTRES INÉDITES d'aNDRÉ SCHOTT. 58^
illi rei vacaret ; et cum epistolae Chrysostomi, quae solae restant
ex altéra parte quinti tomi excudendae, fuerint absolutae, per-
texatur editio Synesiana. Prius tamen subsidio mihi tuo est opus
ut nimirum cataloguai huuc epistularum illarum conferri cures
cum iis manuscriptis exemplaribus quae Autverpiae servantur.
Sicut admonuit me Dominus Dausqueius (1) et alii externi, praeter
Sambuci (2) et Livineii (3) apographum, quod vobis acceptum
feram, cupio et stari varias lectiones ex aliis codicibus collectas
deberi vobis ; ne minus instructus a libris rarioribus videar quam
Savilius qui in eo nunc est ut suara Graecam editionem absolvat (4).
Facile igitur fuerit, adhibito in consilium hoc catalogo (5), percur-
rere oranes epistolas et ex ipsis initiorum verbis coguoscere num
sint aliquae àvsx.Soroi quae non extent in Sambuci apographo.
Qiias enim reperit Billius in Cuiaciano codice (6) qui et ipse pênes
nos est, ab illustrissimo Cardinale Perronio (7) coramodatus, eas
indicant numérales illae notae : reliquae vero quae appictos
numéros non habent, exhibentur ab apographo Sambuci et vestro
in ea pagina quam subiectus numerus indicat. Exempli causa,
prima â.AXà x.al to'jto incipit et est décima inter Billianas, reperitur
autera in apographo Sambuci folio octavo, pagina a. Quae vero
incipit âvsTTvsuaau.ev est àvÉx.SoTo; et occurrit in Sambuci apographo
folio 62 a. Si qua crgo rcperiatur in aliis codicibus vcstris, cuius
initium non occurrat in hoc catalogo, poterit describi et ad nos
mitti, non deerit merces amanuensi. Pollicitus est etiam R. P. Fon-
(1) Claude D'Ausque, humaniste distingué de Saint-Omer (1566-1644),
entra d'abord dans la Compagnie de Jésus et devint en 1612 chanoine de
Tournai. — Cfr. Biographie nationale, t. IV, col. 698-701.
(2) La biographie de ce savant hongrois (1531-1584) se trouve dans
A. HoRANTi, Memoria Hungarorum, t. III, p. 196-209.
(3) Voir ci-dessus p. 372, note 2.
(4) Sur l'helléniste anglais Henry Savfle, cfr. L. Stephen, Dictionnary
of national hiograpliy, t. L, p. 367-369. Sa remarquable édition des
œuvres de S. Jean Chrysostome fut publiée à Eton, 1610 1613.
(5) Les deux feuilles formant cette table se trouvent, dans le manuscrit,
à la suite de la lettre.
(6) J de Billy publia ces lettres dans l'édition des œuvres de S. Jeau
Chrysostome imprimée à Paris en 1581.
(7) L'illustre cardinal Duperron.
586 LE MUSÉON.
denius (?) et nobis auxilio fore, si ipsius opéra indigeatur, vel eorum
qui ab eo reguntur. Misit ad nos Homilias in Psalmos et in Genesim
Dominus Savilius excusas, ut iterum conferri eas cum manuscriptis
nostris curemus, cum experientia didicisset longe emendatiores
aliorum nos esse, nactos non ex bibliotlieca solum regia, sed ex
aliis cum Gallicis, tum exoticis. At Casaubonus noster illic iiaeret
et diutius quam vellem haerebit ; partem enim librorum ipsius
sérum illuc advexit uxor eius (Ij, née uUis promissis abduci potuit,
licet stipendium duum raillium aureorum non deesset qui marito
poliiceretur. Significavit et mihi vix quidam fide dignus, iurasse
Casaubonum se nunquam Hugonotorum Galliae templum ingressu-
rum, sed dictis. alias ; filius quidem certe ipsius catholicus apud
nos degit et ducentorum aureorum honoraiio fruitur quod illi Gal-
liae clerus assignavit (2). Vale, et nos literis iuvare non cesses.
Lutetiae Parisiorum, III nonas Octobris CIOIOCXI.
Tuus in Cbristo frater et servus,
Fronto Ducaeus.
Liber epistolarum queni a vobis babeo est ex apographo Sambuci,
habet autem in margine varias lectiones ex altero Sambuci manus-
cripto a Livineio collectas, sed praeter hos duos, tertium habetis
antiquissimum (3).
{Adresse :) Reverendo Patri in Cbristo P. Andreae
Schotto Societatis Jesu
Presbytero.
Antverpiam.
(1) Casaubon était passé en Angleterre au mois d'octobre IGIO. Sa femme
revint en France le 2'J avril 1611, avec la mission d'expédier sa bibliothèque
à Londres, où elle rejoignit son mari à la tin du mois de septembre. V. M.
Pattisson, J. Casaubon, ^'^ éd. p. 301 et 410.
(2) " Durant ces négociations, Jean Casaubon, son tils aine, persuadé
moins par l'éloquence des convei'tisseurs que par l'appât d'une pension
de deux cents écus d'or qu'on lui avait promise, s'était fait catholique n
N'iZARD, Triumvirat littéraire, p. 419.
(3) Il ne m'a pas été possible d'identitter ces manuscrits ni avec les
n»* 2102-3, 76S.3-86 et 11.728 de la Bibliothèque royale de Bruxelles, ni avec
les n»"* 201 et 203 du Supplément grec de la Bibliothèque nationale de
Paris, (ces deux derniers manuscrits provenant également de la maison
LETTRES INÉDITES d'aNDIIÉ SCIIOTT. 587
51.
Lettre de Pierre Kyuit a André Sciiott.
(Bi'Hxclles, Bibl. roij., ms. 7978-79, f" 4{\). Àutogroplie),
Reveeende in Cheisto Patee.
Visae mihi sunt literae vestrae ad avunculum lacobum Brassi-
cam (2) datae in quibus Chronicorum Dunensium (3) fit mentio.
Verum enimvero cum Chronica haec olim a quodam monacho
Dunensi Brando lohanni, tribus voluminibus non exiguis copiose
a mundi exordio usque ad annum 1414 siut conscripta ; postea
vero a quodam Egidio de Roya eiusdem monasterii professo com-
pendiose, non de verbo ad verbum, sed in substantia, ut ipso in
proœmio fatetur descripta, et ad annum 1476 protracta, quod pos-
tremum pênes me est ; dubius sum num proposito Reverentiae
vestrae servient, quae, ut ex eius literis potui colligere, Belgica-
rum rerum scriptores solos videtur expetere (4). Profusius quidem
professe des Jésuites d'Anvers). D'ailleurs le texte delà lettre ne distingue
pas clairement les manuscrits. Je pense que duo codices désignent 1° un
cod. Sambuci, et 2° une copie de ce codex avec des variantes puisées par
J. Lievens dans un autre ms. de Sambucus.
(1) J. Van den Gheyn, Catalogue etc., t. V, p. 35-36, no 3107. — Ce
manuscrit, provenant de l'abbaye des Dunes, a appartenu aux Jésuites
d'Anvers. Il contient un abrégé de la chronique de Jean Brandon et une
continuation de celle-ci jusqu'en 1478. Dans les marges se trouvent le
Rapiarium d'Adrien de Budt. Schott a publié ces annales (peut-être
d'après ce manuscrit) dans le recueil de Sweertius, Rerum Belgicarum
annales, chronici et historici, sous le nom d'Annales Belg ici Aeffidii
de Roya.
(2) Jacob Cools, de Rotterdam, mort en 1637. Voir Van der Aa, Biogra-
phisch Woordenboek, t. III, p. 680.
(3) Sur les chroniques de l'abbaye des Dunes en Flandre, voir Kervyn
DE Lettenhove : Chroniques relatives à Vhistoire de Belgique sous la
domination des ducs de Bourgogne, textes latins, 1870, préface.
(4) Schott avait projeté de publier toute une collection de chroniques
belges inédites. (Cfr. une lettre à P. Scriverius, datée du 27 mai 1619 dans
BuRMANN, Sylloge epistolaram, t. II, ep. CXXXII). Les Rerum Belgica-
rum annales, etc. qui portent le nom de Sweertius, peuvent èti-e consi-
dérées comme un premier volume de cette collection ; il n'en parut pas
d'autre.
588 LE ML'SÉON.
post aanum millesimum treceatesitnutn res Burgimdicas, Gallicas,
Brabanticas ac Flandricas prosequitur, satisque exacte, meo qui-
dem iudicio, annorum numerum videtur computasse ; attamea
sicuti captum meum superare haec iogenia fateor, ita doctiorum
iudicio trutinaeque aequo gratoque animo subiicio. Quicquid sit,
lubenter, si aut rei litterariae, aut vigiiiis suis R(everentia) V(estra)
prodesse iudicet, ad tempus commodabo ; tôt enim ac tantis Socie-
tas DOS devinxit beneficiis ut merito ingratus dicar si in re tam
exigua difficilis inveniar. Domiaus Deus intérim R(evereDtiam)
V(estram) diu ecclesiae suae iacolumem servet, sanctosque labores
gratia sua prosequatur ad suam gloriam, haereticorum confusio-
nem et catholicorum provectum. Vale vir ornatissime, meique
memor in precibus vestris esto. Goudae, 3 septembris 1616.
R(everentiae) V(estrae) servus et amicus
integerrimus.
Petrus Ysbrandi Kijuit.
{Adresse :) Reverendo in Christo Patri
P. Andreae Scotto Societatis
Jesu presbytero.
Antverpiam.
Pétri Ysbrandi Kijuit.
D'autre main (Schott ?) : Ex bis videtur prosecutio Aegidii de
Roya, vel Chronodronaon Brandonis Joannis nionachi Dunensis seor-
sum exstitisse Goudae. Anno 1616.
52.
Lettre d'André Schott a Hugo Grotius.
[Bibl. royale de Bruxelles, ms. II 428. Autographe).
On sait que Théodore Ganter, exilé de sa patrie, s'arrêta quelque
temps à Anvers avant d'aller se fixer à Leeuwarden. Il ne manqua
pas d'aller visiter le P. Schott, son ancien ami ; il lui confia un
manuscrit dans lequel il avait recueilli les fragments qui nous
restent d'œuvres dramatiques ou lyriques, aujourd'hui perdues.
Schott les traduisit, puis les donna à un imprimeur de Genève,
LETTRES INÉDITES d'aNDRÉ SCIIOTT. 589
Pierre La Rovière, qui avait projeté d'éditer les œuvres d'Eschyle,
de Sophocle, d'Euripide et d'Aristophane (1). Ces œuvres parurent
en effet (2), mais sans les fragments de Ganter. Le savant jésuite
anversois insista encore auprès de l'imprimeur pour qu'il mît au
jour le précieux travail de son ami : ce fut en vain. Aussi Schott
résolut-il de retirer son manuscrit. Dans une lettre du 29 juillet
1623 adressée à Hugo Grotius (3), alors à Paris, il demanda au
célèbre jurisconsulte de réclamer aux héritiers de P. La Ptovière
le dépôt qui lui avait été confié, et il lui recommanda de s'en servir
pour son travail sur les tragiques grecs. Schott lui-même fit paraî-
tre, en 1624, à Francfort, les fragments d'Aristophane recueillis par
Ganter (4). G'est en 1626 que parut l'œuvre de Hugo Grotius sous
ce titre ; Excerpta ex tragoediis et comoediis Graecis emendata et
Latinis versihus reddita ah Har/one Grotio. L'auteur en envoya un
exemplaire à Schott avec une lettre que reproduit Baguet, p. 16 ;
il y dit qu'il a reçu des imprimeurs de Genève les fragments des
tragiques et des lyriques et qu'il en a tiré profit : « Non tam
mumis tibi mitto quam tuuui tihi r-eddo ».
Andeeas Schottus h. Grotio J. G. yxiozvK
Opportune mihi redditae tuae, doctissime Groti, mirificeque
recrearant, laeto nuutio. Tam enim gratum mihi accidit redhibitos
tandem esse labores Th. Ganteri quam si meus ille partus esset,
TzxvTx yàp Ta x.o-.và '^D.ojv, aiunt. Meae fidei et candori optirnus ille
vir patrie et ipse exsulans solo illa credidit. Aniavit me ille nondum
visum,nullo meo merito, ego vicissim mutuum praestiti rodamando,
(1) Cfr. la lettre de Schott à D. Hocschel datée de ir,iO(?; dans Heumanni
Prœeile, 1. 1, p. 5(i4-5Gô.
(2) Poetae Graeci veteres tragici, comici, Ij/i'ici, epigrammatarii...
Coloniae Allolroginn, Pet. de la Rovière, UiU.
(3) Epistolae celeberrisnorum virorura ex scn'niis literariis J. Bran-
tii, Amsterdam, 1715, p. 32 et suiv.
(4) Aristophanis comœdiae undecim (rraece et Latine... Accesserunt
praeterea fragmenta eiusdeni ineditarum comœdiarum Ariatophanis.
Lugd. Bat. I(i2i. Au sujet du maiiuscrii de Ganter, on i)OuiTa consulter
Fabiuïius-Harles, Bibliotheca Graeca, 1. 1, p. 747, note yy, et t. II,
p. 245, note 0,
590 LE MUSÉON.
ac teneris visceribus calamitati senis compatiendo. Doleo vero non
esse vobis omnia restituta quae fasciculo satis magno iuclusa Rove-
rio in nundinas per bibliopolas nostros miseram, saasu Danielis
H(eiasii) vestri. Erant in eo fasciculo et très tomuli Latino carminé
rodditorum, tragoediae aliquot Euripidis, ab Erasmo, Buchanano,
et Petreio Tiara Frisio Medaea (1). Item Homeri Ilias Latino car-
mine per Eobanum Hessum (2) cum numeris ad oram, et Odyssea
per Simonem Lemnium (3), opinor. Verum quae déesse scribis, si
Nemauso haberi non poterunt, recuperari fragmenta Aeschyli et
Sophoclis possunt describenda ex tribus tragicis a Joanne Meursio
an. 1619 Lugduni editis (4). Pauca sane desiderabuntur praeter
laborem describendi, Nam Euripidis pleraque nisi apud illum verti
soient medicum, sunt in Stobaei yvtop-aiç quas tute féliciter reddi-
disti carminé (5) quod suo quoque addi loco ut iubeas per ego te
hanc dexterara rogo atque obtestor. Obstetricari itaque ne graveris si
typograpbum isthic commodum reperies in tam opulenta et augusta
Republica urbeque Lutetiae. Hic enim a Graecis typographi nostri
nimium quantum abhorrent. Menandri, Diphili et Philemonis, si
amissa eriut >.£i(j/ava poterunt veluti naufragii tabulae colligi, si erit
usus, e Gulielmi Morelii comicorum collectione fragmentorum
Parisiis édita (6) : quae ad quinquaginta comicorum reliquias
(1) Dans la lettre à Grotius citée ci-dessus, Schott disait : « Miseram et
Euripidis... tragœclias Vil aut VU!, Latinis versibus redactas a doc-
tis, ut simul extruderet (La Rovière) Erasmo interprète duas, totidem
G. Buchanano., et una Fetro Tiara Medea, item una Q. Florente, nisi
fallit memoria senilis ; cas quoque répète, n Voici les ouvrages dont il
s'agit. 1° La traduction d'Hécube et d'Iphigénie en Aulide, par Erasme,
(Bâle, 1524). — 20 La traduction de Médée et d'Alceste par Georges Bucha-
nan, (Bâle, 1568). — 3° La traduction de Médée par Petreius Tiara,
(Utrecht, 1543).
(2) Bâle, 1540.
(3) Bâle, 1549.
(4) Janms Meursii Aeschi/les, Sophocles, Euripides sive de tragoediis
eorum libri JII. — Lugd. Bat. 16i9.
(5) Dicta poetarum quae apud Joannem Stobaeum exstant, emendata
et latino carminé reddita ab Bug. &rotio... Paris 1623.
(6) Ex veterum comicorum fabulis, quae integrae non extant sen-
tentiae, nunc primum in sermonem latinum conversae. — Parisiis,
1553. Apud Guil. Morelium.
LETTRES INÉDITES d'aNDRÉ SCIIOTT. 7)91
Jacob, Hertelius (1) coUegit an. 1560 ediditque Basileae (2). Hic
per sententias digessit ; ille ut quidque in manus venerat, ita
digesserat : neuter tamen auctores de more adiecit. Ganteras vero
per comœlias et tragœdias singula â-oGxâcp.aTa bene digesserat,
brevibus adiectis post singula scholiis, uade desumpta fragmenta
essent, vel qui eadem, ut fit saepius, laudassent. Ego vero de meo
nihil addendum duxi, cum quod ad AUobroges irent, quo nomea
non mitto meum, tu m quia iusserat 6 aa/capî-r-/]; in limine tant uni
affigi EX BIBLIOTHECA THEO. CANTERI. Quod vero disirahi
posse negarent, ut est ignavum hoc saeculum, nisi Latina appone-
rentur,curaviLatinaappendi;sed nunc malim tuam adjici metricam
interpretationem. Acceduut et ex animadversis Casauboni summi
viri in Athaenaeum quaedam (3j. Putabam equidem fidi me amici
fuDctum officie, quod mihi iam cito praestari exoptem. Quare,
magne Groti, per ego te hanc dexteram iterum rogo obtestorque,
obstetricari ne una gravere si, ut spero, typographum isthic reperies
in augusta illa foetaque viris doctis urbe Lutetia, allaborante et
doctissimo Salmasio quem saluto. Tribuite hoc boni viri manibus,
patria exsulantis et iu exsilio mortui Leouardio (4). Vale in Domino
nosque amare ne desine. Salutem tibi nunciari iusseram per Jus-
tum Rycquium Canonicum Gandavensem et poetam, Parisiis
Romam cogitante m (5). Dionysio Petavio et Jac. Sirmondo doctis-
(1) Le ms. semble donner : Hertelio ou Hertelis. Voici le titre de Tuu-
vrage dont il est question : Vetustissimorum sapientissimoriim comi-
corum qiiinquaginta (ji'.orum opéra intégra non exstant, sententiae
quae supersunt Graece et Latine collectae et secundum litteras in cer-
tes locos dispositae... Per J. Hertelium, Has. 1560.
(2) Rntre les lignes du manuscrit, on lit : Et H. Steph. comic. Henri
Estienne, en effet, publia, lui aussi, un recueil de fragments des poètes
comiques sous le titre de : Comicorum Graecorum sententiae, id est
gnomae latinis versibus ah H. Stepha?io redditae et annotationibus
illustratae... Excudebat H. Stephanus, 1569.
(3) Ces animadversiones in Athaenaeum de Casaubon parurent pour
la première fois à Lyon, en lOuO.
(4) En 1617.
(5) J. Kyckius, né à Gand en 1581, devint chanoine de Saint Bavon ; en
1624 il partit pour Rome et de là pour Bologne où il reçut une chaire de
professeur. Il y mourut en 1627. Cfr. Foppens, t. II, p. 788, et Paquot,
t. III, p. 188.
392 LE MUSÉON.
simis sociis isthic, defuncto iam Frontone Ducaeo, utero, si allô-
quium in malis est opus. Antverpiae, X VIII Novembris CIOIOXXIII.
(Adresse ;) Doctissimo viro Hugoni Grotio Jurisconsulte.
En la rue de S. Jacques,
Buon (1), son logis.
53.
Lettre d'André Schott a Olivier d^^" Wree.
(Bibl. royale de Bruxelles, ms. II 3012. Autographe).
Les lettres de Saint Lsidore de Peluse forment cinq livres ; les
trois premiers furent traduits et édités par J. de Billy, à Paris en
1585. Un quatrième livre y fut ajouté par Rittershusius en 1605.
En 1625, le P. Schott publia le cinquième livre (2j contenant près
de six cents lettres copiées d'un manuscrit du Vatican (3). Mais il
n'y ajouta pas la version latine qu'il en avait faite (4) : celle-ci ne
parut qu'en 1629. Dans l'épitre dédicatoire de l'édition du texte
grec, il s'excuse de ne pas donner sa traduction en disant qu'il est
préférable de lire les ouvrages dans la langue originale, parce que
les traductions ne sont jamais parfaites (5). Dans une lettre à
Grotius, il dit qu'il a ajourné la publication de sa version parce
qu'il se pourrait qu'il trouve encore des lettres inédites dans la
Bibliothèque du Roi (6). Mais en réalité, il souhaitait qu'un autre
se chargeât de la traduction, comme le dit l'éditeur du texte
(1) Imprimeur et libraire de Paris.
(2) SoMMERVOGEL, n° 58, et Baguet, p. 31, note 2.
(3) Dédicace au cardinal de la Cueva : B. Isidori Pelusiotae epistolas
sacras prope sexcentas, hactenus iypis Graece non éditas, erutas a
me, Romae cion degerem, e Yaticana Pont. Max. Bihliotheca.
(4) Dédicace : ...ex nostra interpretatione quant ipse nuper {sed mihi
ac Musisquod aiunt) feceram. Comme le remarque Baguet, il travaillait
déjà à cette version en 1620.
(5) Cfr. le passage de la dédicace cité par Baguet, 1. c. et en outre deux
lettres adressées à Meursius, l'une le 24 août 1620 (Meursii opéra, t. XI,
col. 361), l'autre le V octobre 1623 (ibid, col. 391),
(6) Le passage de cette lettre, datée du 29 juillet 1623, est cité par
Baguet, 1. c.
LETTRES INÉDITES 1)'aM)UÉ SCllOTT. 593
gréco-latin paru à Francfort : « Graece quidem dumtaxat hae sex-
centae lucem priinuui aspe.verunt cuiii spe hona ScJiofti fore ut
existeret aliquis qui latine iaterpretando pracvorteret illoque fasce
levaret, ut vel iis gratificari voluissc videretur qui sua quemque
scriptorem loquentem lingua cum légère tuni intcUigere satagunt,
sed saecuU itifelicitate, ne dicam socordia, nimis rari eodem lucu-
brando aspirant. »
Il semble avoir demandé au savant espagnol, Vincent Mariner,
de se charger de la traduction ; mais jugeant que celui-ci n'était
pas à la hauteur de la tâche, il lui conseilla de ne pas continuer
et il s'adressa à Olivier de Wree ; cette demande est le fond de la
présente lettre. Celui-ci très vraisemblablement ne voulut pas s'atte-
ler à une besogne vraiment trop lourde pour ses jeunes épaules ;
cette occupation au reste devait plaire médiocrement à un homme
qui se sentait attiré vers la poésie et vers l'histoire. Ainsi Schott
pouvait écrire encore en 1G27 à Elias Ehiuger (1 ) : (Epistolis Is.
Pel.). Graece tantum editis, quae Laiinum interpretem cditio exspec-
taf aliunde.
Il se décida enfin à publier sa propre traduction revisée. Il en
envoya une copie à Jean Gruter en le priant de la communiquer
à qui voudrait la revoir. Une autre copie en fut remise à David
Haex qui avait épousé une nièce de Schott et qui, à cette époque,
vivait à Rome ; celui-ci également s'était chargé de faire revoir la
traduction par des savants de son entourage. Dans une lettre de
Lucas Holsteinius du 12 janvier 1629 que nous publions plus loin,
l'on voit que cette version passa de fait en différentes mains sans
avoir été corrigée. Ce fut enfin Holsteinius lui-même qui se chargea
de la revision ; mais la revit-il tout entière ? On n'en sait rien.
Voici en effet ce que Haex écrivit à ce sujet à Gevartius en date du
VI des calendes de mars 1629 (2). « Nempe Holsteinius exami-
nando corrigendoque fessus est, et quem prius lahorem susceperat
libens, nunc récusât, cumque ad trecentcsimam epistolam pervene-
rit, quod propediem fore arbiiror, operam denegat idteriorem,
(1) Cette lettre se trouve dans les Amoenitates litterariae de Schel-
HORN, t. IIII, p. 258.
(2) Ms. de la Bibl. roy. de Bruxelles, n» 5p88, fol. 84.
594 LE MUSÉON.
dicens multis se àliis distineri negotiis, et reliquum àb alio qiiopiam
praestari posse. Perquisivi quotqiiof intellexi Graece peritos, sed
quisque se excusât modo. Pergam quaerere qui lahorem hune suheat;
an sim inventurus nescio. « L'édition entièrement revisée parut
néanmoins à Rome en 1629. La même année, on imprima à Franc-
fort une autre édition gréco-latine de ces lettres d'Isidore d'après
la version que Schott avait envoyée à Gruter et qui était parvenue
aux mains de Suffridus Sixtinus. Ces deux versions sont très diffé-
rentes, mais on voit clairement qu'elles ont un fonds commun ; il
est probable que la version de Francfort présente le travail original
de Schott.
Domine Oliveri (1) salve. Legi, ut iusseras, vel delibavi potius
quae de Carmclitano ordine et scapulare Brugis in sodalitatis
Beatae Virginis gratiam effudisti (2), rythmis Belgicis, Latinis
mallem, quae lingua vagatur longius ; angustis haec nostra finibus
coartatur, et Batavi, ut scis, qui plus hic operam in excolenda
lingua ad haeresim protelandam ponunt, Beatae Virginis hostes
sunt iuratissimi.
Vocat itaque licentiati titulus ad maiora maiore tuba scribenda
te iureconsultum. Cœperas bene in Graeca perdiscenda dum doces
linguam, elymis excutiendis nimis fortassis intentus. Si quantum
posses, libct in praesens periclitari in stylo VLrtendo, mitto Graece
a me nupcr hic éditas àvexSoTouç epistolas S. Isidori Pelusiotae ex
Vaticana bibliuthcca hausias. Meam iuterpretatiouem non edam
cerlis de causis, ncc communico, scd alienam exspecto ; nam in
(1) Olivier de Wree, né à Bruges en 1596, conquit son grade de licencié
en droit à Douai. Dans sa jeunesse, il cultiva la poésie flamande; plus tard
il fit partie du magistrat de Bruges et écrivit plusieurs travaux impor-
tants sur l'histoire des Flandres. Il est mort en 1652. Cfr. Vie des hommes
remarquables de la Flandre occidentale, t II, p. 283-289, et Biographie
Nationale, t. VI, col. 22-24.
(2) Ce poème fut publié à Gand, en 1624 sous ce titre : Den oorspronck
ende voort ganck der Carmeliten ofte Onze L.-Vrouwe-Broeders, ende
des H. Scapuliers. in rijme gestelt door Olivier de ^Yree, (Frederiks
et Vanden Branden, Biographisch Woordenhoek der Noord- en Zuid-
nederlandsche Letterkunde^ 2« druk, p. 904.)
LETTRES INÉDITES d'aNDRÉ SCHOTT. 395
Hispania Vincentius Mariaerius (l) susceperat, sed suasi desisteret
quia Dirais extemporaneus est. Si tibi commodum est Latine eas
vertere et Brugis Latine tautum edere forma oadem ut subiungi
queat Graccis exemplaribus omnibus raeo aère hic excusis, incipies
prodire in scenam cum inonore. Nam in iure vestro nimis exierant
multa et exibunt plura quam hominis aetas légère vcl titulos queat.
Habuistis Brugis excellentes, sed in Religione év ôpvj^xeia alieDiores
et aberrantes : Meckerchum (2j qui Moschi et Biouis dcdit z'.^ûXXia.
pauca et de pronunciatione Graeco-Latina post Erasmum (3) et
Joan. Chekum (4). Franc. Nansius (5) Nonnum S. Joannis para-
phrastem laboriose sane illustravit ; criticum in Graecis quem
Paulo Leopardo Furnio (6j anteponam in Flandris non reperio. Sed
haec nota vobis, nulli nota magis, ut sit domus sua, ait ille (7).
Venio ad Isidorum meum. Si habes vel habere potes epistolarum
S. Isidori Jac. Billii libris tribus Parisiis editis vel cum quarto
(Ij Vincent Mariner de Valence était préfet de la bibliothèque de l'Escu-
rial ; il est l'auteur de nombreuses traductions d'auteurs grecs. Cfr. Nie.
Antonio, Bibliotheca Hispana nova, Madrid, t. II, p. 326-328.
(2j Adolphe Vaii Meetkercke, né à Bruges en 1528, mort à Londres en
15'J1. Engagé dans la vie politique, il se mit du côté des Etats révoltés. Il
publia à Bruges en 1.565 : De veteri et recta pronunciatione linguae
Graecae commenta?'ius. La même année parut de lui : Mo'a/ou tou Si/.eXou
xal Bî(Dvo<; vjjfjpvaiou ElôjXXia. Cfr. Biographie 7iationale, t. XIV, col 277-
284.
(3) D. Erasme publia en 1528 à Bâle son fameux traité sur la pronon-
ciation du grec et du latin : De recta Latini Graeciqxe sermonis ■pro-
nunciatione dialogiis.
(4) John Cheke est l'auteur d'un traité De pronunciatione Graecae
potissimum linguae disputationes, paru à Bàle en 1555. Cfr. L. Stephen,
Dictionary of national biographe, t. X, p. 178-183.
(5) François Nans (1525-1595), né à Isenberghe près de Furnes, passa en
Hollande lors des troubles des Pays-Bas et devint professeur à l'école
latine de Dordreclit. Son édition de la Paraphrase de l'Evangile de St Jean
de Nonnus Panopolitanus parut à Leyde en 158*.) ; un complément à cette
édition parut en 1093. — Cfr. Biographie nationale^ t. XV, col. 425-427.
(6) Paul Léopard, né en 1510 à Isenberghe, dans le territoii-e de Furnes,
mort en 1567. Tous les savants de son temps s'accordent à louer ses
talents d'helléniste ; aussi le Collège royal de France lui offrit-il une chaire
de grec. Voir Biographie nationale, t. XI, col. 829-832.
^7) Juvénal, sat. I, 7.
59f) LE MUSÉON.
libro Heidelb. Conradi Rittershusii iurisconsulti sane eruditissimi,
vide an paria facere studio queas. Bonas bas horas bene colloca-
veris. Deiode bas prope sexcentas quas mitto accurate prius ter
miaimum evolvas ut stylum coguoscas ; deinde, stylo arrepto,
aggredere ^ùv Geo" iuterpretr^tionem, Ecclesiae bono ; tamen epis-
tolas similes inviccm comparato ut lux clarior affulgeat. Age, mibi
crede, Joannis ypuffoop-j^fv-ovoi; discipulum, qua valet eloquentia et
perspicuitate etiara in epistolis. Sed quia tk^.oi'^^xixi aliorum ad illum
litterae exstant, facessunt interpreti negotium, ut in Tullii ad
T. Atticum epistolas sex ego aut X desudasse observavi et spicas
adliuc reliqui. Tuam versionem iam maturam cum P. Gratio
Z'ikiXkr'vi communica, si eius modo fert valetudo tantam contentio-
nera auimi ac iudicii. Avec scire an Caroli comitis Flaudriae vita
quam beres Jani Lernutii babet prodibit in lucem, quia Parisiis
iam exiisse puto (l) ; vellem primam pagellam ad me mitti ut
comparem an eadem sit, ne frustra ille laboret.
Hanc epistolam cum libelle epistolarum credidi ad te perferen-
dum amico militi Ocbaves siguifero Ostendam Brugis iter habenti :
utioam responsum tuum rediens référât mibi ; cui si alias vis res-
pondere, mitte tuas Francisco Sweertio (2j bic mercatori qui mibi
tradet. Vale in Domino et rera cura publicam. Antverpiae, kal.
Febr. CIOIOCXXV anno saeculari sacro. Salutat te officiose.
And. Scbottus.
(Adresse :) Cl. Domino Oliverio Vredio
Brugensi, iuris utriusque
Licentiato
Brugis.
cum libro
arnica manu.
(1) Janus Lernutius (Bruges 1545-1019) cultiva beaucoup la poésie latine.
Sa biographie de Charles le Bon fut publiée par son fils à Bruges, en 1621.
— On ne saurait préciser de quelle vie de Charles le Bon il s'agit ici. Nous
savons qu'à Bruges, il y avait des manuscrits de la vie de ce saint compo-
sée i)ar Galbert de Bruges (Aci. SS. Mari 1 153, édition de 1(3(')8). On a dit
en outre que de Wree avait eu un de ces manuscrits en main, mais
M. Pirenne doute de la vérité de cette assertion (ci'r. son éd. de Galbert de
Bruges. Paris 1892). — A Paris fut publiée une vie de S. Charles composée
par Gauthier de Thérouanne.
(2) François Sweerts (1567-1()29) était commerçant de profession.
LETTRES INÉDITES DANDRÉ SCIIOTT. 597
54.
Lettre de Jacques Sirmond a André Scriorr.
[Bibliothèque des Uollandistes, correspondance manuscrite,
t. /, f. i7(i).
Reveeende in Cheisto Patee,
Pax Cheisti.
Serius aliquanto quam R(everentia) V(estra) cupiebat et quam
eius erga nos studium vel caritas postulabat, rescribo de Catena in
loaunem. Nam cum Holsteinium rogassem ut suam in bac re
operam comnaodaret Regiamque Bibliothecam scrutaretur, recepit
ille quidem perlubenter se facturum, ut est humano prorsus ingénie
et R(evereutiae) V(estrae) studiossimus (2). Sed variis ex eo tena-
pore difetractus negotiis, quod spoponderat, praestare non potuit.
Adii ergo ipse Bibliothecam atque ex duplici catena, quam ibi esse
meraineram, descripsi nomina autorum, eo nimirum ordine, quo
eorum in bis auctoritates proferuntur. Horum altéra, ut ex indice
a R(everentia) V(estra) misso coniectura est, a Cusana vestra (3)
(1) C'est encore à l'obligeance du P, Vanden Gheyn que nous devons la
découverte de cette letti-e.
(2) La correspondance de Schott nous révèle plus d'un témoignage de
l'amitié profonde qui existait entre Lucas Hoiste et le savant jésuite
anversois. V. Petavii epistolae, lib. III, ep. XII ; Meursii opei-a, t. XI,
ep. 404 et 438, et plusieurs passages des lettres inédites que nous publions
ci-dessous.
(3) Sur ce ms., voir Fr. Xav. Kraus, Bie Handschriften Sammlung
des Cardinals Nicolaus von Cusa {Serapeum, 1865, p. 98, cod. Gr. 3.)
Les Pères P. Lanssel et Bal th. Cordier transportèrent ce manuscrit à
Anvers. Schott collationna les textes de S. Jean Chrysostome contenus
dans cette chaîne sur l'édition de Savile ; l'exemplaire dont il s'est servi
est actuellement à la bibliothèque de l'Université de Louvain. Il fit, en
outre, copier les textes de S. Cyrille d'Alexandrie (cette copie se trouve à
la Bibliothèque royale de Bruxelles, ms. 11.259), ainsi que ceux de Sévère,
évèque d'Antioche, de Théodore, évêque de Mopsuhestia et d"Origène.
(Cette copie existe également à la Bibliothèque royale, ms. 4232-34). En
1630, le P. Cordier publia le manuscrit tout entier. Cfr. la lettre de Schott
publiée par Baguet, p. 31 (ou il faut lire Lanssel. et non Sausset), et Van
DEN Gheyn, Catalogue etc. t. II, n°^ 917 et 1183.
598 LE MISÉON.
parum differt. Quare, si qnid iu vestro exemplari vacui erit aut
corriipti, nostrum consulere licebit. BoQum certe factum, quod ad
Latinam eius versionem animum adiecistis. Erit enim operae pre-
tium, cum auctores in his multi sint non editi. Nec movere débet
quod nonnuUi eorum haeretici, quia verisimile est ea tantum
excerpta fuisse a Catenae opifice, quae culpa et labe carebant ;
constatque hos ipsos vel plerosque illorum citari passim ac laudari,
non modo aliis in Catenis, quae in diversas Sacrae Scripturae
partes plurimae visuntur, verum etiam ab antiqiiis orthodoxis
scriptoribus. In altéra XXYI auctorum, nuUus quidem sequioris
notae citari auctor videtur, et multo est recentior altéra superiore,
in qua nullus auctor memoratur qui non vixerit antc anno MC.
Fronto noster o L;.ax.apÎT-/;ç utrumque codicem diligenter pervolita-
rat, ex iisque excerpserat omnia Cyrilli àvéx-SoTa, quae a me nunc
inter eius schedas servantur ad Cyrilli Graeco-Latiuam editionem
quam meditabatur (1). Habeo et alia eiusdem Sancti Patris non
pauca, atque in liis libros contra Iulianura 7:apa^3CT-/]v (2), quos qui
veitere coeperat edilionisque spécimen iara dederat (3), facile
opinor non adducatur ut opus absolvat, nec deerunt tamen, ut
spero, qui lampada excipiant. Holsteinius hodierua die migrât in
aedes praesidis Memmii, vivitque ex animo catholicus (4). Utinam
eius exemplum imitetur aliquando Grotius, favente coelesti gratia,
(1) V. SoMMERVOGEL, Bibliothèque etc., art. Duoaeus, t. III, col. 248-
249, litt. D.
(2) Probablement le ms. 424 du supplément grec de la Bibliothèque
nationale de Paris.
(3) Nicolas Bourbon le Jeune avait préparé en 1619 une édition gréco-
latine du premier livre de ce traité de S. Cyrille, mais elle ne vit le jour
qu'en 1630. Le texte grec ne fut publié intégralement que dans l'édition
d'Aubert, Paris, 1638. V. Fabuitius-Harless, Bibliotheca Graeca, t. IX,
p. 471
(4) Il se rendit d'abord en Angleterre (1622), où il passa deux ans, puis
en France, où la protection des frères Dupuy lui procura la place de
bibliothécaii'e du président de Mesmes. Pendant son séjour à Paris,
Holstenius, qui avait été élevé dans la foi protestante, se convertit au
catholicisme. On a fait honneur aux jésuites, et particulièrement au
P. Sirmond, de ce changement de religion. « Hoefer, Biographie géné-
rale, t. XXV, col. 5.
LETTRES INÉDITES d'aNDRÉ SCHOTT. 599
quam R(everentiae) V(estrae) precor uberrimam, ac me panter
eius saactis sacrificiis commendo. Parisiis, 8 Augusti, 1625.
R(everentiae) V(estrae)
Servus in Christo
Jacobus Sirmondus.
Habebam et R(everendi P(atns) Heribeiti (1) litteras, sed eius-
dem argumenti. Qaare bas utrique communes esse cupio cum
sainte simillima. Exciderat monere in exemplari regio, quod Cusani
simile videri dixi, non esse admonitiunculam illam de haereticis
scriptoribus qui in ea citantur.
(Adresse :) Reverendo Patri in Christo
P. Andreae Schotto Societatis Jesu
sacerdoti
Antverpiam.
55.
Lettre d'André Schott a Denys Pétau (2].
{^ibl. l'oyale de Bruxelles, ms. Il, 428. Autographe).
Révérende Pater Petavi,
Pax Cheisti.
Exspectabam equidem adventum Lucae Hoisteni qui per litteras
hac se Romam cogitare cura amplissimo cardinale Spada (3), sed
clam ignotoque significarat ; sed frustra bactenus exspectavi veritus
(1) Le P. Héribert Rosweyd.
(2) Cette lettre est la réponse à la 15^ du livre III du recueil des lettres
do D. Petau ; celle-ci porte la date fautive de MDCXXVIII (du moins dans
la réimpression du recueil jointe au t. III de la Doctrina Temporum, éd.
d'Anvers, 1705 ) En voici deux passages auxquels la présente lettre fait
allusion : ^ Nimc Romam, ut audio, profecturus est (Holsteinius) cum
Cardinale Spadano .. Opeîns nostri de Doctrina Temporvjn editionem
tandem superiori mense ad exitum perduximus. Huius exemplar
unum mitto, quod tihi et Heriberto Rosweydo commune esse cupio.
(3) Bernardine Spada (1594-1661), nommé cardinal en 1626, fut envoyé
en 1627 à Bologne comme légat du pape.
25
4-00 LE MUSÉON.
ne consilium illud res alia turbarit. Praestolor tamen ut hominem
in Domino complectar, Romam ad alium Cardinalem Barberi-
num (1) teudentetn cum omine bono ut emergat, Graecisquc eruen-
dis e Vaticana posteritati prosit, ut vestri utiliter multa e Régis
ChristiaDissimi Bibliotheca in dies eruunt in lucemque producunt
vcteruin scripta non poenitenda. In bis bonam sane navat operam
Fredericus Morellus régi us interpres (2), qui fratrem Ciaudium
morte nuper amisit (3) ; et promitti in indice Germanico video
alterum Libanii sopbistae tomum (4), quem libenter coemissem si
hue allatum exemplar fuisset. Nam de sua vita û-6p.v/][xa spero istic
fore ex Ferrariensi codice typis olim edito (5) quia Basilio Magno
familiaris fuit et Chrysostomo, ut te omnium minime fugit, opta-
remque voluraen Epistolarum Libanii eidem Morello ut bene merito
do Graecis scriptoribus acccptum liceat relerre (6). Salutem nun-
ciabis seni a sene, nosque amabis, qui cum P. Heriberto pro
duplici opère Doctrinae Temporum (7) gratias agimus, quantas
complecti animo possumus et criticum illum egregie perstrictum
non invideo, sed Societati âdgratulor, pluresque R(everentiae V(es-
trae) de meis annis apprecor ut similes labores posteritati trans-
cnbere et imputare queat. Cuius et sacrificiis ac precibus adiuvari
(1) Le cardinal François Barberini fit d'Holstenius son bibliothécaire.
(2) Frédéric Morel (1558-16.32), impi'imeur du roi depuis 1581 ; il céda la
direction de rimprimei'ie à son frère Claude vers 1617.
(3) Claude Morel mourut le IG nov. 1626.
(4) Morel avait publié en 1606 un vol. d'œuvrcs de Libanius : il ne porte
pas d'indication de tomaison. En 1627 parut un autre volume (tome II) de
ses œuvres ; il commence par l'autobiogi'apliie de 1 ibanius
(5) Libanii !J.£Xïxai, Xdyoi, èxcppâaEi?, cura Soteriani Capsalis. — Fer-
rare, 1517.
(6) Parlant des lettres de Libanius, Schott s'exprime ainsi dans une
lettre à Meursius du !<"■ oct. 1623 : « (Freder. Morellus) qui et ipse Epis-
tolas eius pi'omisit et parturit perpetuo, lente parit. » Schott avait lui-
même un manuscrit de ces lettres et il le tenait à la disposition de Morel
en cas, où il en aurait eu besoin. Voir dans Meursii opéra, t. XI, col. 285,
une lettre de Schott datée, III kaL Sept. 1617. — Plus tard il trouva dans
le legs de Pantin un second manuscrit des lettres de Libanius.
(7) Dion. Petavii, Opus de doctrina temporum divisum in partes
duas. — Paris. MDCXXVIi. — On sait que cette œuvre est une critique
amère des travaux de Scaliger sur la chronologie.
LEttRES INÉDITES d'aNDRÉ SCHOTT. 401
vehementer exopto, salve[que] degere cum R(evereûdo) P(atre)
Sirmondo nostro. Aûtverpiae, III Pentecostis festo CIOIOCXXVII.
R(everentiae) V(estrae) in Christo servus
Andréas Schottus.
(Adresse :) Reverendo in Christo Patri
Dionysio Petavio Societatis Jesu
sacerdoti.
Parisiis.
56.
Lettre de Lucas Holsteinius a André Schott.
{Bibl. royale de Bruxelles, ms. 5088, fol. 75. Autographe).
Reveeendo et Cl. Andeeae Schotto, S. J. Theologo
Lucas Holsteinius S. P. D.
Gaudeo emendationes meas in Isidori vitam tibi placuisse, quas
in tui gratiara intcr legendum conscripseram, ut iterata editione
hac parte meliorem nobis Photium dares (1). Nunc cognatus tuus (2)
epistolas Pelusiotae ex censorum manibus iterum extorsit, sed ne
uno quidem apice emendatiores ; quocirca cum homines adeo ad
rem Christianam iuvandam segnes videam, ipse iterum me recen-
sioni absolvendae accingi quam in Galliis incboaram ; iamque
unum aut alterum quaternionem absolvi cum D. Haxio, qui haud
dubie eadem de re perscribet. Pergam quantum potero ubi aliquid
otii erit quod hisce curis impendam (3). Adeo enim alienis nunc
distringor ut de meis studiis vix cogitare liceat. Magnum opus prae
manibus habeo a Graecis Schismaticis editum quod iussu Cardina-
lis (4) in Latinum sermonem converto ; eo mihi iam mensis integer
periit atque amplius et vix ad tertiam partem perduxi. Quae in
Gallias mittere statueram Arriani et Oppiani (5) scripta, affecta
(1) On sait que la traduction de la Bibliothèque de Photius a été jugée
sévèrement Cfr. Baguet, p. 45-47.
(2) David Haex.
(3) Voir ci-dessus, p. 393.
(4) François Barberini.
(5) Cette édition dArrien parut à Paris, en 1644. L'Oppiend'Holsteinius
ne fut jamais imprimé.
402 LE MUSÉON.
pênes me servo, iatercluso nunc commercio ob grassantem luem.
Araplissimo Gevartio (1) proxime respondebo de R(everendi)
P(atris) Lansselii (2) negotio et Antonii fragmeutis quae necdum
inspicere licuit.
Vale, Cl. Schotte et me amare perge.
Romae CIOIOCXXIX.
Pridie idus Januarii.
L. Holsteinius.
(Adresse :) Reverendo et Cl. Andreae Schotto
S. J. Theologo
Antverpiam.
CORRESPODANCE D'AiNDRÉ ScIIOTT AVEC GeVARTIUS (s). |
[Bibtioth. royale de Bruxelles, ms. 5988. Autographes).
En dehors des textes que nous reproduisons ci-dessous, il ne
reste plus rien, à notre connaissance, de la correspondance d'André
Schott avec Gaspar Gevartius : celle-ci devait au reste être très
restreinte : Gevartius en effet est né 41 ans après Schott, et dès
1621 , à l'âge de 28 ans, c'est-à-dire à l'âge oii ses études sur Stace
lui avaient fait un certain renom et le recommandaient au monde
savant, il se fixa définitivement à Anvers, où il vécut pour ainsi
dire côte à côte avec Schott, alors septuagénaire. Dans ces circon-
stances, on comprend que les communications se faisaient surtout
verbalement, parfois au moyen de billets écrits à la hâte et com-
posés de quelques phrases détachées : les textes qui suivent sont
pour la plupart de ce genre. Ils sont presque tous postérieurs à
1625, année du mariage de Gevartius, comme l'attestent les for-
mules finales : vale cum uxore^ A. Scliottus aff}nis, proavuncu-
lus, etc.
(1) Voir plus loin les lettres de Schott à Gevartius. Son édition de
l'œuvre philosophique de Marc Aurèlc ne vit jamais le jour.
(2) Le P. Pierre Lanssel enseignait le hébreu à Madrid où il mourut en
1632.
(3) Au sujet de Gevartius, on peut consulter la Biographie nationale,
t. VII, col. 694-700.
LETTRES INÉDITES d'aNDRÉ SCIIOTT. 405
Une grande amitié unissait ces deux savants anversois. Gaspard
fit ses études au Collège des Jésuites d'Anvers, et il est très pro-
bable que le P. Schott fut un de ses professeurs. Celui-ci aura
remarqué dans son élève un esprit d'élite et plein de promesses
pour l'avenir, et c'est sans doute lui qui l'engagea à étudier ces
monuments de l'antiquité que lui-même aima toute sâ vie avec
tant d'enthousiasme. Quand Govartius partit pour la Hollande en
1614, Schott le recommanda vivement à son ami Jean Meursius :
Qui has (Homilias) tibi reddidit, écrit-il dans une lettre à c^lui-
ci (1), Gasp. Gevnrtiiis 'iiXîaTpo;, auditor ctiam tuus in Graecis
futurus est, a quihns non abhorret, imrente dodo doctior futurus,
si maturabit ingenium fllius. Eum mca commendfdione velim ita
complectare ut momenti quid obiinuisse sentiat. » Et dans une autre
lettre : « Adolescenfem illum ad grandia exsurgentem tibi iterum,
Meursi si pateris, de meliore commendo nota ^2). « En 1G1.5, il lui
écrit encore : « Grains niihi adventus Gevarlii, qui has tibi red-
det, fuit, doctiss. Meursi, coque gratior, quod familiarem vobis, a
quorum latcre non nisi doetior discederet, cognoscerem. Eum ut
amahiJem diligere, imo amare ne desinas rogo, in me collatum
beneficium interpretabor et apud me positum offîcium (3). b
Plus tard, ces liens d'amitié furent consolidés par des liens de
parenté : en effet, en 1625 Gevartius épousa Marie Haex, tide de
David Haex et d'Isabelle de Schott ; cette dernière était la fille de
Jacques Schott, frère du savant André (4).
57.
(Fol. 22). D. Gevarti, si habes in bibliotbeca Virgilium poeta-
rum Latinorum /copuçaïov eum indice Nicolai Erythraei iurecon-
sulti, non indigebis hoc indice Veronensis qui singulis editionibus
(1) Meursii opéra, t. XI, col. 245, lettre du 31 août 1614.
(2) Ibid. col. 250, lettre du 12 novembre 1614.
(3) Ibid. col. 253, lettre du 18 mars 1615.
(4) Cf. Biographie nationale, t. VIII, col. 597, art. D. Haex. — Dans la
lettre d'Aléandre à André Sctiott, publiée dans les Mélanges d'Archéo-
logie et d'Histoire U888, p. 396), on s'est trompé en lisant Haux ; l'éditeur
déclare au reste ne pas connaître ce neveu de Schott ; c'est Haex qu'il
fallait lire.
-404 LE MUSÉON.
aptavit sine contextu (1). Repperi exemplaria duo, si forte indige-
res. Praetium stuf. 5.
Vale cum uxore
et liberis
And. Schottus
(Adresse :) Domino Gaspari Gevartio, ab actis.
Le second billet du manuscrit a été publié par Mgr de Ram
dans : Chronica ducuni Lotharingiae et Brahantiae ac liegum
Francorum, aiictore M. Emundo de Dynter. Bruxelles 1854-60,
t. I, p. XCII, Mais il a cru devoir corriger cette phrase que nous
reproduisons d'après le manuscrit : « ad haec valde miror iihi
DiNTHERUS vestev, nunc procul dubio absolutus maneat. n
(Adresse :) D. Gasp. Gevartio.
58.
Domine Gevarti S.
(Fol. 23). 1. Domine Gevarti, si est in tua bibliotheca Sextus
Empiricus (fol.), sive tuus sive, ut opinatur P. Heribertus (2),
suus, liceat mihi ad unum diem inspicere : nec enim in nostra
comparet bibliotheca.
2. Si quoque lulii Pollucis remittes onomasticon, quo opus nunc
mihi, habebo gratiam.
3. Dominum Wendelinum (3) binis non respondere meis, quas
(1) Nie. Erythrée de Venise publia en 1539 une édition de Virgile avec un
index qui était très estimé, mais qui était inséparable du texte, car il
renvoyait aux pages de cette édition. Antoine Bassa de Crémone publia à
Venise en 1586 le même index remanié, mais renvoyant aux livres et aux
vers de façon à pouvoir s'adapter à toutes les éditions. Cfr Fabritius,
Bibliotheca Latina 1721, t. II, p. 288. Il faudrait donc lire ici Cremonensis.
(2) Le P. Heribert Rosweyd.
(3) Godefroid Wendelin, mathématicien célèbre (1580-1660). Il publia en
1626, à Anvers, un traité qu'il intitula : Loxias seii de obUqnitate solis
diatriba. Cfr. la notice de Le Paige dans les Bulletins de V Académie
royale de Belgique, 3« série, t. XX, p. 709-727.
LETTRES INÉDITES d'aNDRÉ SCHOTT. 405
per te misi, valde equidem aaimi pendeo cum non efflagitarem
Xo^iav dono ipsius sublimis meditationis, sed très libelios meos
repeterem depositos. Suspicor non vacare illi, litibus forensibus
irretito, ut et me praesente Balthasar Moretus nuper repetere se
velle ab illo Thesaurum Geograpbicum (1), dixerit quod nihilque
responderet. Vale in Domino.
Andréas Schottus
Affinis.
(Adresse :) D. Gaspari Gevartio
ab actis.
59.
Domine claeissime Gevaeti,
Quod catarrhus in oculum fluxerit, aliéna utor manu (2). Mitto
Constantini Porphyrogennetae Imperatoris quae habeo opuscula
ut utaris. Item Himerii duas declamationes ab Elia (3) ad te
missas ; comperi ab Henrico Stephano iam esse éditas (4) pag-. 50,
et alterum (sic) èx.Toû Xlokz[j.y.^yy/M'j , pag. 43. Miror equidem Eliam
describendi laborem sumpsisse cum typis iam exstarent venuste
excusa, et pro Severo, Veri esse epitbalamium crediderit. Peto
itaque utcumque descripta ista Eliae folia mihi relinquas, quia
Photius noster (5) in Bibliotheca legisse se affirmât et tibi usui
non erunt.
Remitto quoque parentis vestri Thucydidem et epistolas Michae-
(1) Le Thésaurus geographicus d'Abraham Ortelius.
(2) Le P. Schott s'est souvent plaint de la faiblesse de sa vue. Voir les
citations chez Baguet, p. 28.
(3) Elias Ehinger (1573-1653) devint en 1617 préfet de la bibliothèque
d'Augsbourg. Dans le même manuscrit 5988 de la Bibliothèque royale de
Bruxelles, nous trouvons (fol. 43) la lettre d'Elias Ehinger qui informe
Gevartius de l'envoi de ces déclamations d'Himère le Sophiste. Elle est
datée du 3 mars 1627.
(4) Polemonis, Himerii et aliorum quorumdam declamationes, nunc
primum éditas Graece. Excudehat, Henr. Stephanus, 1567.
(5) Le P. Schott a publié en 1606 la traduction de la bibliothèque de
Photius. — Cfr. Baguet, p. 45 et Sommervogel, n° 24.
406 LE MUSÉON.
lis Bruti quae duo putabam nostrae bibliothecae fuisse condonata.
Redeant itaque ad te, nosque amabis.
Vester pro-avunculus
And. Schottus.
60.
Claeissime Domine Gevaeti.
(Fol. 24). Triduum factum est, cum te domi a meridie quaesivi,
et absente te apud Religiosos, puerperam invisi, felicia cum proie
apprecatus. Restitui tempestive tuum Traianum Augusti Conradi
I. C. ; addidi utendum losephi Castaiionis in Romanum Obeliscum
Commentaria (1). Cumque Ta i\)A libens tibi permittam, rogas-
sem equidem nunc et nunc rogo ut liceat mihi Emanuelem Chry-
soloram de Urbe Roma (2) ad describendum haberc, nisi aut
premere perpétue decrevisti, aut intra annum vertere latine atque
edere decrevisti, ut spem nuper feceras anno saeculari sacro.
Negasti nuper quod e tua bibliotheca, ut aequum est, prodire
velles ; id amicus (3) Lutetiae suis litteris promittit, et quidem
uncialibus cbaracteribus, si iubes, et fronte addita, ut seorsum
queat exire. Sin secus, quamdiu Lucam amicurn bene doctum
exspectare vis ? an dum M. Antoninus exeat et Austriacos Princi-
pes promisses et Manilium poetam foras des (4) ? In hoc Manlio
(1) Josephi Castaiionis J urisconsulti explicatio ad inscriptionem
Augusti, quae in basi Obelisci... Romae ex typographia heredum Jo.
Liliotti, MDXXXIX. — La Bibliothèque de Bruxelles possède un exem-
plaire (ms. 8468) de cet ouvrage couvert de notes de la main de Schott et
d'une autre main.
(2) Dans une lettre à Meursius de 1618 (Meursii opéra, t. XI, col. 315),
on voit que Gevartius avait projeté depuis longtemps d'éditer cet opuscule
de Chrysoloras avec la traduction latine.
(3) L Holsteinius avait l'intention de publier cet opuscule de Chrysolo-
ras dans sa collection de géographes grecs ; il le cite parmi les auteurs
quos probe ah innurneris mendis expurgavi atque in latinam linguam
converti. Cfr, Molleri Cimbria litterata, t. III, p. 343.
(4) M. Roersch dans sa biographie de O^vd^vim^i (Biographie nationale,
t. VIT, col. 699) cite de lui ces deux ouvrages inédits : Vindiciae Manlia-
nae et Commentarius in M. Aurelii Antonini Twv et; èauxàv libros Xll,
LETTRES INÉDITES d'aNDRÉ SCIIOTT. 407
etiam codicem scriptum iam suppeditavi, si meministi. Quare si
iniquum non mihi, sed amico Lucae postulo, qui te honorare optât,
saltem mihi negare noli subitam Ohrysolorae epistolae versionera
a cognato mec loanne Boschardo (1) me boitante factam. Sic nos
ad officia mutua extimulabis. P. Lansselius cum Corderio nostro
in viam se dédit nudius-tertius venaturi per Germaniam (2), Uti-
nam quod optant capiant. Vale in Domino. Salva puerpera et filia.
And. Sebottus, affinis
(Adresse :) Clarissimo Domino G. Gevartio
ab actis Reipublicae
Antw.
61.
(Fol. 25). Si quid litterarum dare libet ad Eliam Bibliotbecae
Augustanae Praefectum super M. Antonino M. S. tuo, en bic co-
gnatus lo. Boscbardus Francofurto et Augusta cogitât Venetias ;
festo die S. losepbi, 19 Martii in viam se dabit cum bibliopolis
nostris.
Fronte capillata utere, quia Marcus Velserus (3) et Hoesche-
lius (4) iam fuerunt nec possuot opitulari. Scripta illa mibi com-
mendata a Josepho Castelione (sic) in columnam Aotonianam, fac
recipiam, quae vel uno describi queant die.
Salve et vale
And. Schottus.
Quant aux Austriaci principes, il s'agit probablement des éloges des
empereurs sortis de la maison d'Autriche, édités en 1645 à la suite de
son édition des Imperatorum romanorwn icônes de Goltzius. L'œuvre
de Chrysoloras dont il est question ici ne fut publiée ni par Gevartius,
ni par Holsteinius.
(1) Jean Boschard devait être parent de Schott du côté maternel ; la
mère d'André s'appelait en effet Anne Boschard.
(2) Voir ci-dessus, p. 397, n. 3.
(3) M. Velser, duumvir d'Augsbourg, mort en 1614, était pour A. Schott
un ami précieux qui surveillait l'impression de ses travaux pubUés à
Augsbourg et qui le renseignait sur tout ce qui pouvait l'intéresser dans
la bibliothèque.
(4) David Hoeschel était préfet de la bibliothèque d'Augsbourg depuis
1593. Il est mort en 1617 et eut Elias Ehinger comme successeur.
408 LE MLSÉON.
62.
Claeissime cognate Domine Gevaeti.
Puto Eliae Ehiagero a me satisfactum iri pro describendi labore.
Si e Francisco Balduino (1) quae volebas sumpsisti de M. Aurelio
Antonino ia Christianos utcumque animato, quia eo in opère ver-
ser, quaeso ad me redeat.
Amicus noster Santvliet a parente numismata romana habet,
selegimus ad videndum Antonini philosophi. Si lubet contemplari,
faxo videas. Vale cum uxore.
And. Schottus
pro-avunculus.
Forte brevi D. Kinschotium (2) visurus scripsi ; sponsus vester
P. Mommerency (3) Provincialis e vinculis rediit hodie ; gaudemus
socii. 29 septemb., festo S. Michaelis CIOIOCXXVl.
63.
Domine Grevarti, jtXçz. lube a tuo vicissim adscribi loca tria
de Chrysolora tuo, si forte epistola Graeca iucem nondum aspiciet.
Cuperem etiam uti ad triduum tribus tomulis Italicorum poe-
tarum quos memini Lutetiae edidisse loannem Matthaeum Tos-
canum (4). Vale in Domino.
P. Heribertus et Lansselius una profecti hodie Treviros usque.
Longum iter ; ad doctas proficisci malles Athenas.
And. Schottus.
(1) Voir la lettre de Schott à P. Dupuy (40).
(2) Il s'agit probablement de Fr. de Kinschot, avocat illustre, flls de
Henri de Kinechot qui épousa Marguerite Schott, sœur d'André.
(3) Florent de Montmorency, né à Douai en 1580, mort à Lille en 1659,
provincial de la Flandro-Belgique de 1623 à 1627. Ayant fait une inspection
dans le collège de Maestricht, il descendit la Meuse en bateau ; arrivé
près de Venloo, il fut arrêté et incarcéré par des soldats protestants. Cfr.
Necrologium Societatis Jesu Provinciae FlandroBelgicae, (Ms. de la
Bibl. royale de Bruxelles, no6485), t. IV, fol. 392.
(4) Carmina illustrium poetarum italorum, Jos. Matthaeus Tosca-
nus conquisioU recensuit et publicavit. — Lutetiae, 1576, 2 vol. in-16.
LETTRES INÉDITES d'a^SDUÉ SCHOTT. 409
64.
Domine Gbvarti.
(Fol. 26). 1. Redeat noster Polyaenus domum rogo quaesoque ;
quia Provincialis Praepositus decrevit ut posthac nemo nostrum
ne in cubiculum suum, nedum foras ferri permittat, librum magnae
bibliothecae publicae, sed iaibi describat, légat quae volet : ne
posthac amittantur libri ut multi amissi sane sunt ; qui idcirco in
aliis Religiosorum familiis cathenati asservari recte soient. Socii,
ut viri boni, cito a saecularibus falluntur, et senibus verba dantur.
Emes tibi e Gallia Polyaenum ut alias,
2. Si in tua sunt bibliotheca quae olim concesseram (cum te ob
oculorum morbum ad medicam invitarem meo consilio artem)
PEOBLEMATA Alcxaudri Aphrodisii, Plutarchi, Cassii latrosophistae
cum notis H. lunii (1), amabo te, mihi restitue, ut tuos restitui
libros, ut cognatum Boschardum iuvem Patavio ubi redierit, ad
Licentiam medicae artis brevi rediturum.
3. Rogo te si memoria repetens meministi ubi illud est vêtus in
Agricultura Octonarium, quod in Plutarcbo alibi : Triticum in
coeno serito, hordeuraque in pulvere (2).
Alium si suggères auctorem illius dicti, eris mihi magnus Apollo.
Vale.
Memini illius Maronis 1 Georg. v. 210 serite ordea campis, Dum
sicca tellure licet.
Sed nihil ibi Servius Pétri Danielis (3). Alla itaque quercus
excutienda.
And. Schottus
tuus.
(1) H. Junius publia à Paris en 1541 : Cassii Jatrosophistae medicae
quaestiones. et à Leyde en 1547 : Plutarchi Symposiaca Problemata.
(2) En marge, de la main de Gevartius : Plidarchus, Quaestiones
naturales, i8.
(3) Paris, 1600.
410 LE MUSÉON.
65.
Le P. Schott avait plusieurs manuscrits d'œuvres inédites de
Muret. Il les confia à Marc Velser qui se chargea de les publier.
Voici ce que dit Ruhnken à ce propos dans sa belle édition des
ouvrages de ce savant (Tome IV, p. X) : « Andréas Schottus, vir
non ille quidem exquisitissima dodrina praeditus, sed llterarum
iuvandarum studio nemini secundus, cum post Mureti niortem
Romam venisset, Muretina Anecdota^ in his quatuor lihros Varia-
rum Lectionum, dequihus mox dicemus, sibi vindicavit... Reversus
in patriam, Schottus haec anecdota M. Velsero... edenda commen-
davit. Qui exquisitiorem eorum partent, Variarum Lectionum
lihros IV et Ohservationes luris ipse in lucem emisit Augustae
Vindelicorum a. 1600, 8°, reliquam partent Ingolstadiensibus
edendam concessit. Quihus ita licuit omnium pJenissimam Oratio-
num, Epistolarum et Hymnorum editionem prodere ex officina D.
Sartorii an. 1592, quamvis homo ohscurus lohannes Cresselius,
qui huic editioni praefatus est, nec Schotti nec Velseri, per quos
editio sic locupletata videtur, ullam feccrit mentionem. Hinc Ingol-
stadienses curam suam ad opuscula edenda converterunt. » Il faut
pourtant remarquer que l'édition de David Sartorius de 1592 est
aussi incomplète que celles qui l'ont précédée : dès lors rien
d'étonnant qu'on ne fasse pas mention de Schott et de Velser. Ce
n'est que dans l'édition d'Adam Sartorius de 1600-1604 que furent
publiées pour la première fois plusieurs œuvres inédites dont Schott
avait les manuscrits, et les éditeurs ont eu soin d'en rendre hom-
mage aux deux savants qui ont sauvé de l'oubli ces œuvres de l'illus-
tre Muret. La dédicace de Velser, insérée dans l'édition des Variae
Lectiones, et adressée au jésuite anversois est au reste assez claire :
« Quod itaque volehas, feci omnino luhens, ut acceptos a te poste-
riores quatuor Variarum lihros et Ohservationum luris singularem
typographo vulgandos traderem. Unaque publiée attestarer cui
beneficium hoc deheremus : sine enim tua pietate fuisset, perierant
profecto haec planissime. De reliquis ne desperes. Enitemur qua-
cumque ne semper omnia lateant, nam praeclara sunt haud dubie
pleraque. » Rappelons encore que l'édition d'Augsbourg est précédée
d'une vie de Muret rédigée par le P. Schott (Sommebvogel, n° 17).
LETTRES INÉDITES d'aNDRÉ SCHOTT. 4H
Accipe saliitem a D. Rigaltio.
Mureti hymnas non habet Fraûc. Servet('!*) vénales. Si habes
editionem Ingolstadiensem ubi aiunt appositas, fac videam ad
unum diem, nam in Coloniae poematum editione (1) non reperio,
etsi maie oculatus. Vale cum coniuge.
a Schotto.
66.
Claeissime Domine Gevarti.
(Fol. 27). Tomus Observationum Sacrarum (2) velim ad me
redeat per meum Antonium qui a meridie accedet ut mihi adferat.
Et Maximi Tyrii sermones diu quaesiti recurrant.
Heri incidi in Aurelii Victoris nostri (3) Marcum Antonium ves-
trum. Qui sint populi Lorios frustra ibi quaero ; rem fortasse
excussisti et nodum expédies, nosque amabis salvebisque a tuo.
Schotto.
(1) Mureti epistolae, hymni sacri et poemata, Cologne 1600, in-8°.
(2) Ces Ohservationes sacrae n'ont jamais vu le jour. — Cfr. la dédicace
des Observationcs humanae et une lettre de Schott adressée à Hugo
Grotius, dans les Epistolae celeberrimorum virorum... Jani Brantii,
1715. p. 32.
• (3) Schott avait publié en 1579 les quatre opuscules historiques attri-
bués à Aurelius Victor. Cfr. Baguet, p. 11.
CHRONIQUE.
Université Saint-Joseph, Beyrouth (Syrie). — Mélanges de la
Faculté Orientale, Il ; graud in-8- de 424 pages. Paris,
(Teutliner ; Londres, Luzac and C" ; Leipsig, Harrassowitz ;
1907.
Les orientalistes qui ont parcouru le premier volume paru sous
ce titre ouvriront celui-ci avec une curiosité pleine d'intérêt. Leur
attente ne sera pas déçue. Le nouveau venu est, par la riche
variété et le caractère hautement scientifique de son contenu,
digne de son aîné. LTne sim]de indication des neuf travaux qui y
ont trouvé place pourra peut-être en donner quelque idée.
Une honne moitié de ce splendide in-8° est due à la plume
érudite et féconde du P. Lammens. Elle comjîrend deux, voire
trois sujets. Dans un premier article, l'auteur poursuit, avec ce
souci de l'information exacte et cette sagace critique qu'on lui
connaît, ses Etudes sur Je règne du Calife Omaiyade Mo'âwia 1^^.
Comme précédemment, il s'attache moins à refaire toute l'histoire
de ce prince qu'à éclairer davantage certaines questions, négli-
gées ou trop sommairement traitées jusqu'ici. C'est dans cet esprit
que, sans s'asti'eindre à un ordre rigoureusement chronologique,
il retrace le rôle du parti des « ^Otmâniya » et des " Mo'tazila v,
la conférence de Adroh, l'assassinat de ^Ali, le ralliement de la
famille du Prophète aux Omaiyades, et nous présente enfin
Mo'âwia, avec sa finesse polit ic^ue, sa politique agraire^ son talent
d'organisateur militaire, et son action intéressée sur les poètes,
comme le type du souverain arabe.
Sous cette étiquette un peu large : Etudes de géographie et
d'ethnographie orientales, le mêuie arabisant a réuni deux petites
CHRONIQUE. 415
monographies iudépendautes. L'une d'elles concerne Le massif
du Gobai Sim^an et les Yésidis de Syrie. Le R. P. y a recueilli
diverses particularités distinctives des Yésidis de la Syrie septen-
trionale, en s'efforçant de fixer l'époque de leur émigration en
deçà de l'Euphrate et l'étendue de leurs anciennes possessoius
syriennes. Dans la seconde, à rencontre d'une théorie récente, il
combat avec vigueur l'identification des Maronites, des Macjov'ïTat
de Ptolémée et des Mazoàn du '■Oman.
C'est encore l'histoire, appuyée sur l'archéologie, l'épigraphie
et la philologie, qui a bénéficié de plusieurs autres collaborations.
Le P. Cheikho enrichit considérablement, d'après un manuscrit
arabe inédit, la liste des Arclievêques du Sinaï : il porte à cin-
quante, au lieu de treize, qui figuraient chez Lequien, le nombre
des titulaires connus. Le P. Mouterde publie un milliaire, récem-
ment découvert près de Beyrouth, dont les deux inscriptions per-
mettent d'établir qu'il a existé dès le début de l'Empire une Voie
romaine d'Antioche à Ptolémaïs. Dans une étude antérieure sur
Une école de savants égyptiens au moyen âge, le P. Mallon avait
arrêté au XIIP siècle son esquisse historique. Il l'achève ici, par
une revue des grammairiens coptes du XIV® siècle ; et de copieux
extraits de l'œuvre philologique encore inédite d'Aboû Sâker
ajoutent à l'intérêt de ce tableau. Un nouvel apport pour le futur
Corpus épigraphique de Syrie est fourni par le P. Jalabert. 11 ne
comprend pas moins d'une cinquantaine d'inscriptions grecques
ou latines, parmi lesquelles les spécialistes apprécieront particu-
lièrement une dédicace à l'empereur Julien, d'une rédaction
sans précédent, une revision des textes de l'Hermon relatifs à la
déesse Leucothea, plusieurs inscriptions de Ba'albeck, Damas,
Homs, etc.
La critique et l'exégèse bibliques sont aussi représentées dans
ce volume par trois articles remarquables. L'authenticité de la
II" Pe^n est de la part du P. Dillenseger l'objet d'une enquête
approfondie. La conclusion, formulée du seul point de vue de la
critique et de l'histoire, est que, de toutes les objections accumu-
lées contre la thèse traditionnelle, aucune n'est décisive. Dans
une Note sur V expression '^ pliS en hébreu biblique^ le P.
Neyrand montre qu'on doit conserver à "02 sa signification con>-
4.14 LE MUSÉON.
parativo et traduire ainsi la locution ; « avoir droit plus que quel-
qu'un « ; ce (pli donne pour le cas particulier de Job IV, 17 :
« avoir raison contre (pielqu'un «. Entin, (jue les psaumes 40, 50
et 51 ne condamnent ni ne l)lâment les rites sacrificatoires comme
tels, mais insistent simplement sur Tesjji-it de religion, qui doit
toujoui-s les vivitier et <jui peut, au besoin, les suppléer, c'est ce
que le P. Wi(^smanu étal^lit dans un travail fortement documenté,
d(;nt le titre Die « opferfeindlichen « Psalmen nous rappelle heu-
reusement le caractèi-e eu quelque soile international de ces
Mélanges. J. Foeget.
* ' *
René Dussaud. Les Arabes en Si/rie avant V Islam. Avec 32
ii.uures. Iu-8° de 178 pages, l'aiis, E. Leroux ; 1907.
M. René Dussaud s"est fait une spécialité de l'épigrapliie safaï-
tiquc C"est en s'appuyant i)rinci])alement sur les résultats acquis
ou se continuant de jour eu jour dans ce domaine, qu'il étudie
riiistoire de la pénétration des Arabes en Syrie avant l'Islam.
Sous le nom d" Arabes, l'auteur, on le devine, n'entend ni uni-
quement ni indistinctement tous les habitants de l'Arabie, mais
les nomades (jui parcourent le centre et le nord de cette contrée
et le désert de Syrie. Des inscriptions (juïl reproduit eu fac-simi-
lés et (pril inter])rète aucune n'est inédite ; la plupart sont reprises
du volume (pi'il a jinblié avec M. Macler sous le titre de Mission
dans les régions désertiques de la Syrie moyenne ; mais il a fait un
heureux choix de celles qui, spécialement instructives eu elles-
mêmes, prêtaient de plus à une lecture nouvelle ou à des obser-
vations complémentaires. On est frappé de la richesse des con-
clusions certaines ou probables qu'il a tirées de l'onomastique
propre à ses sources. Grâce aux textes safaïtiques, il a réussi à
nous remettre sous les yeux un groujx' nonuxde n'ayant pas encore
abandonné ses dieux, sa langue et son écriture ; un groupe, par
conséquent, dont nous pouvons suivre l'acheminement à la vie
sédentaire. Les témoignages qu'il étudie révèlent une diffusion
insoupçonnée des dialectes arabes antéislamiques, qui permet de
mieux comprendre l'extension si rapide des doctrines prêchées
par Mahomet.
CHRONIQUE. 415
Eû dehors de ce qui, dans ces pages, va directement à éclairer
l'évolution linguistique, religieuse et artistique des Safaïtes et des
anciens Arabes, on remarquera un ensemble d'indications assez
neuves que M. Dussaud a cru pouvoir rattacher à une comparaison
minutieuse du dialecte et de l'écriture du Çafâ avec les autres
dialectes et écritures sud-sémitiques. Non seulement il tient pour
insuffisamment démontrée l'opinion commune sur le prototype
phénicien de tous les alphabets et sur la provenance égyptienne
du prototype, mais il établit sur de fortes raisons que les lettres
« sabéeunes n sont dérivées immédiatement des lettres grecques
archaïques, ce qui, ajoute-t-il, « constitue une présomption
sérieuse en faveur de l'origine égéenne de l'alphabet ». Je me
borne à signaler aux spécialistes ces vues aussi intéressantes que
peu banales, eu notant toutefois que, relativement à « l'himya-
rite «, M. Pilcher a naguère défendu la même thèse (Proceedings
ofthe Soc. of Bibl. Archœol., 1907, part. 3). J. Foeget.
L'Eglise chrétienne au temps de saint Ignace d'-4w<wc^e, par Henri
DE Genoulllac. Iu-8° de XII-268 pages ; Paris, Beauchesne ;
1907.
Les sept épîtres de saint Ignace étant admises comme certai-
nement authentiques par la généralité des critiques, en dégager
avec précaution ce qu'elles nous apprennent sur la situation de
l'Eglise au début du second siècle, voilà ce que M. de Genouillac
a voulu. Sou étude est essentiellement dominée par le point de
vue historique. C'est pourquoi, après avoir soigneusement décrit
le milieu civil, religieux et politique, il envisage successivement
le christianisme comme vie morale et cultuelle, comme société
et hiérarchie ecclésiastiques, comme pensée mystique, comme
hommes et comme peuples divers, comme dogme s'affirmant et se
défendant contre les premières attaques de l'hérésie. p]n utilisant
principalement les témoignages si précieux d'Ignace, il n'a point
négligé d'autres témoignages remarquables qui appartiennent à la
même époque ; tels ceux de saint Clément, de saint Polycarpe,
des derniers écrits du Nouveau Testament, surtout des Pastorales,
et de Pline le jeune. De tous ces documents réunis il a fornié un
2(i
416 LE MUSÈON.
tableau d'ensemble sobre d'affirmations catégoriques, mais qui
présente les meilleures garanties de fidélité. J. F.
Z D M G. , LX Band, IV Heft. — Le genre des infinitifs en arabe
a fourni à M. A. Fischer la matière d'une petite étude très fouillée.
M. De Goeje avait pensé que les noms d'action de forme mascu-
line 2)euvent être traités indifféremment comme masculins ou
féminins. M. Fischer conteste la seconde partie de cette assertion.
Un examen attentif des exemples sur lesquels elle s'appuie lui a
persuadé et persuadera sans doute au lecteur que chacun de ces
cas se justifie par des raisons particulières, et que, par conséquent,
tout fondement sérieux manque à l'affirmation générale de
M. De Goeje.
LXI Band, I Heft. — C'est encore M. Fischer qui, lors
d'un récent voyage au Maroc, a relevé dans toute la partie occi-
dentale de cette contrée une fort curieuse particularité gramma-
ticale : il s'agit d'une construction pléonastique fréquente avec les
noms de parenté ; et elle consiste à donner au premier nom le pro-
nom affixe de la 3" personne, puis à ajouter le mot complément au
génitif, celui-ci étant mar(|ué par un préfixe. Une tournure sembla-
ble existe, on le sait, en araméen, mais non restreinte aux termes
de parenté. M. Fischer soutient que le fait, dans le marocain, ne
se peut expliquer par des affinités sémitiques et qu'il constitue un
simple emprunt au berbère. Trois considérations confirment ce
sentiment : des nombreuses régions où l'arabe domine, deux seu-
lement, l'Algérie et le Maroc, c'est-à-dire celles qui sont origi-
nairement berljères, présentent le phénomène en question ; là
même, il apparaît d'autant plus rare que rinfiuence l)erl)ère s'est
fait moins sentir ; enfin, en marocain comme en lierbère, cette
construction ne se rencontre qu'après les noms de parenté.
La même livraison contient un intéressant article sur le
castel ou caravansérail de Kuseyr 'Amra, découvert par M. Mousil
en 1897 et décoré à l'intérieur de peintures et d'images magni-
fiques. M. C. Snouck Hurgronje y établit, contre le professeur
J. Karabacek, (pie ces décorations constituent une violation
fiagrante de la loi nuisulmane, et cela d'après l'interprétation
unanime des ulémas. Le fait de peindre ou de sculpter des repré-
CHRONIQUE. 417
sentations d'êtres vivants est toujours défendu. Mais la possession
et l'emploi d'objets couverts d'images sont licites, suivant beau-
coup d'autorités, pourvu que le mode d'emploi ou de possession
exclue toute vénération et toute estime des images. Ainsi est-il
permis d'entrer dans une maison, dans un établissement de bains
dont le vestibule ou le corridor est orné d'images ; il en serait
autrement, si les représentations prohibées se trouvaient à l'inté-
rieur d'un édifice, dans le salon d'une habitation. Les peintures
de Kuseyr 'Amra appartenaient précisément à la grande salle.
Proceedings of the Society of Biblical Archœology, vol. XXIX,
1907. — Dans le P'" fascicule, M. A. H. Sayce, en achevant son
étude sur trois tablettes de Koudour-Lagamer, souligne notam-
ment de curieuses ressemblances avec des passages de l'A. T. et
surtout d'Isaïe.
— Dans le fascicule 3, il donne la lecture et l'interprétation,
nécessairement provisoires, d'une tablette cunéiforme d'origine
hittite, que M. Raudolph Berens vient de découvrir à Alep et qu'il
se i^ropose de publier prochainement de façon plus complète.
— Du même orientaliste, dans le fascicule 5, le début d'un
exposé qui ne peut manquer d'intéresser vivement : c'est le résumé
de la méthode qu'il a adoptée pour le déchiffrement des inscrip-
tions hittites, des bases de cette méthode, de ses étapes progres-
sives et de ses résultats.
— De son côté, M. F. Legge poursuit, dans cinq livraisons suc-
cessives (1-5), et complète ses recherches sur les tablettes de
Neggadeh et Abydos. La tâche du lecteur est singulièrement faci-
litée par l'adjonction de fac-similés photographiques. L'auteur,
qui n'est pas toujours d'accord avec d'autres spécialistes, ne dis-
simule point ce que plusieurs de ses vues ont de conjectural. Mais
il paraît bien en droit de proposer comme probable cette conclu-
sion, que les dix-sept inscriptions tombales examinées par lui ont
un caractère commun : celui d'être commémoratives et destinées
à rappeler soit l'objet et la célébration de certaines fêtes, soit des
dons royaux faits aux temples ou à d'autres institutions reli-
gieuses.
418 LE MUSÉON.
— A remarquer (livr. 1-3), de Miss A. Murray, une intéressante
étude sur saint Menas d'Alexandrie, distingué avec i-aisou de
saint Menas d'Athènes, sur son culte, sur son iconographie et sur
les ressemblances « plus apparentes que réelles >? entre ses
représentations traditionnelles et celles du dieu égyptien Horus.
Les nombreuses petites poteries sur lesquelles on retrouve l'image
du saint ont été utilisées comme il convenait.
— A rencontre d'une théorie naguère généralement admise,
M. E. J. Pilcher soutient (fasc. 3) que l'alphabet himyarite n'est
pas directement apparenté au phénicien, mais qu'il dérive de
l'ancienne écriture grecque S'il avait été emprunté aux Phéni-
ciens, on ne s'expliquerait pas ses formes projjres pour rendre
une série de sons spécifiquement sémitiques ; ceux-ci auraient
naturellement trouvé leur expression à la même source que les
autres. En outre, des dix-huit caractères qui y paraissent primi-
tifs, dix-sept ont une ressemblance visible avec les caractères
doriens ; et, enfin, on retrouve dans l'écriture himyarite deux par-
ticularités notables de l'ancienne écriture grecque : la séparation
des mots par des traits verticaux et le procédé du boustrophédon.
— M. J. Lieblein place l'exode des Hébreux sous le règne
d' " Amenhetep III „, et non sous « Merenptah, comme on le fait
généralement. Une note insérée dans la 5° livraison défend cette
opinion contre Pétrie et Spiegelberg.
— Dans les fasc, 4 et 5, le Rév. W. T. Pilter publie et com-
mente un texte d'Hammourabi qui nous vient de la bibliothèque
d'Assourbanipal. Cette tablette coïncide en partie, par son con-
tenu, avec la fameuse stèle connue sous le même nom et projette
sur elle une précieuse lumière. M. Pilter en tire cette conclusion,
entre autres, que " c'est une erreur de considérer une partie de
la législation civile du Pentateuque comme fournie par des sources
babyloniennes ».
— A noter encore, dans les deux mêmes fascicules, la publica-
tion, par E. Crum, en texte arabe et copte et en traduction
anglaise, de la légende de Barsaumâ le Nu, ainsi qu'une analyse
de quarante-cinq miracles qui lui sont attribués par deux manus-
crits.
*
CIIRONlgUE. 419
— La Seuoïa Cattolica, de Milan, que sa direction veut bien
nous adresser régulièrement, u'aborde que rarement des sujets
qui intéressent directement les lecteurs du Muséon. Mais il nous
est agréable de signaler dans la collection de 1907 deux longues
séries d'articles d'un caractère plus spécialement sciontiiique. La
première, de M. Celliui, consacrée à la Question de la parousie,
constitue un véritable traité exégétique sur la matière ; l'autre,
due à la plume de M. Bicci et intitulée : Jupiter^ Jalivé et le
Christ, est eu réalité une étude historique et comparative, basée
sur une très ample information, des religions païennes, anciennes
et modernes, de la religion juive et de la religion chrétienne.
* *
A relire la collection du Machriq de Tannée 1907 les oiieu-
talistes ne perdront ni leur temps ni leur peine. Les arabisants
peuvent faire leur profit des nombreux articles du P. Cheikho
sur la Littérature arabe au XIX^ siècle ; d"un Traité sur les noms
féminins irréguliers par Nour ed-Dîn al-Hoseini (n" 4) ; d"uue
Epître poétique d'' Ibrahim Halàm sur son voyage d'Alep au Caire
(n"® 12, 13, 15) ; d'une F oésie perdue de Ghazzali, retrouvée par
le P. Cheikho (n° 13) ; d'une Critique des NaJcaid de Jarir et de
Farazdaq, par le P. Sahani (n" 14) ; d'un Choix de proverbes
usités à Alep, par l'abbé T. Ayoub (n''^ 18, 19, 20) ; enfin, des
Poésies choisies d'Ibrahim Ilaldm, éditées par M. Issa Malouf
(n" 18). Aux assyriologues M. J. Ofibrd parie des Découvertes baby-
loniennes et de V Ancien Testament (n"^ 3, 8) ; et, pour les curieux
d'antiquités juives, le P. Iionzevalle analyse les précieux Papyrus
araméens d'Egypte, découverts depuis 1904 (n" 15). Concernant
l'histoire et la topographie historique de la Syrie, à noter plu-
sieurs Causeries géographiques du P. Lammens (n"* 3, 4, 0), puis
ses études sur Les écrivains arabes et la géograpthie de la Syrie
(u" 12), sur Maqdesî et la Syrie au X^ siècle {u° 15), sur Ibn Jiibair
et la Syrie au XII'' siècle (u° 17), et une Monographie du Liban,
par M. Em. Khacho (n''^ 5-9). Touchant l'histoire des religions,
le travail de M. M. Alouf sur la Triade de Ba'albek (n° 4) et
celui de M. J. Offord sur l'Identité d'Àstaroth ou Ichtar et Vénus
méritent d'être signalés spécialement. L'excellente contribution
hagiographique contenue dans Une rccension arabe du martyre de
$aint Georges (n° 9), est encore du P. Cheikho. J. F.
420 LE MUSÉON.
Feédéeic Maclee. Mosaïque orientale : Epigraphica ; Hlstorica.
Iu-8° de lV-94 pages ; Paris, Geutlmer, 1907,
M. F. Macler, bien connu comme sémitisant et comme épigra-
phiste, trouve que toute parcelle de vérité est bonne à recueillir.
Voilà pourquoi, apparemment, il a élargi le cadre de cette
« Mosaïque orientale », au point d'y faire figurer tout d'abord une
« Note sur quelques écussons relevés à Munster dans le Haut-
Yalais ». Viennent ensuite une étude sur une inscription punique
du Musée archéologique de Genève, une autre sur une inscription
syriaque de Sainte-Anne à Jérusalem, une troisième sur une
inscription arabe de Sahwet el-Khidr, une quatrième sur une
inscription arménienne de la cathédrale de Bourges. Après cela,
une « Notice syriaque d'un manuscrit arménien u. Une série de
documents relatifs à l'imprimerie arménienne établie à Marseille
sous Louis XIV termine le petit volume. On voit, par cette simple
nomenclature, que le titre de Mosaïque est amplement justifié.
J. F.
*
Altsemitische Texte, herausgegeben und erkliirt von Maek Lidz-
BAESKi. Erstes Heft. Kanaanàische Inscltriften, mit 8 Abbil-
dungen. In-8° v. 64 S. ; Giessen, Alfred Topelmann, 1907.
Les Altsemitische Texte dont M. Lidzbarski a entrepris la
publication, ce sont les monuments écrits les plus importants
de l'antiquité sémitique, à l'exception de la Bible et des tablettes
cunéiformes. A la reproduction des textes le recueil joindra,
pour les éclairer, un bref commentaire. Ainsi conçu, il est assuré
de trouver bon accueil auprès des spécialistes, et il rendra de
précieux services. Le nom même de l'auteur du Handbuch dcr
nordsemiiischen Epigraphik, du directeur de VEphcmeris fur
semitische Epigraphik, lui est à priori une excellente recomman-
dation ; et le premier fascicule, celui que j'ai sous les yeux,
confirmera pleinement cette prévention favorable.
Parmi les Kanaanàische Inschriften de ce petit volume figu-
rent : l'inscription moabite de Mésa ; une inscription (celle de
CHRONIQUE. 42i
Siloah) et des cachets en hébreu primitif ; de nombreuses inscrip-
tions jJ^éniciennes, non seulement de Phénicie, mais de Cliypre,
d'Egypte, d'Attique et de Malte ; enfin, des inscriptions puniques
de Malte, de Sardaigne, d'Espagne, de Carthage et du nord de
l'Afrique en général. Le commentaire comprend ordinairement
deux parties : une introduction historique, simple indication de
la provenance et de l'objet de l'inscription ; quelques notes,
courtes, mais substantielles et relatives aux particularités lin-
guistiques les plus saillantes, avec de fréquents renvois aux
ouvrages susceptibles de fournir des éclaircissements plus com-
plets. Tout en recommandant, au point de vue de l'initiation
à l'épigraphie, le recours aux fac-similés des grandes collections,
telles que le Corpus inscriptionum Semiticarum, M. Lidzbarski
n'a pas laissé d'insérer lui-même ici une bonne demi-douzaine
de ces fac-similés. Son volume est essentiellement destiné à
devenir, entre les mains des professeurs d'hébreu, un manuel
pour mettre les élèves au courant des idiomes apparentés à la
langue de l'Ancien Testament. L'auteur souhaite qu'il puisse
servir aussi aux jeunes hébraïsants travaillant par eux-mêmes ;
mais je crains bien que, pour la généralité des cas, ce vœu ne
soit irréalisable, soit à cause des difficultés inhérentes à cet
apprentissage, soit surtout parce que les étudiants ne disposent
pas d'une bibliothèque assez vaste. A ce dernier inconvénient
M. Lidzbarski n'aurait pu parer qu'en multipliant et en allongeant
considérablement ses notes, en changeant donc le caractère de
son œuvre. J. Foeget.
* *
Die Poésie des AUen Testaments^ von Edtjaed KoNia, Dr phil,
uud theol., ordentlicher Professer an der Universitat Bonn.
(Wissenschaft und Bildung^ Einzeldarstellungen aus allen
Gebieten des Wissens, herausgegeben von Privatdozent Dr
Paul Heeee). In-8", 160 S. ; Verlag von Quelle und Meyer in
Leipzig, 1907.
C'est aux travaux des linguistes et des exégètes modernes que
nous devons de connaître le mécanisme de la poésie hébraïque.
De nos jours, les timides essais de Robert Lowth sur ce sujet ont
422 LE MUSÉON.
été bien dépassés. Cela ne veut pas dire assurément que toutes
les questions de détail soient résolues. Du moins, il est acquis
que la versification de l'Ancien Testament, envisagée quant à sa
forme, consiste essentiellement dans le rythme résultant non de
la mesure, du mélange des longues et des brèves, mais de
l'accentuation. Encore faut-il, comme le montre M. Konig, y
admettre une combinaison très variable et très libre des syllabes
accentuées et des syllabes non accentuées. Si Bickell exigeait
leur alternance régulière, cette théorie n'est plus soutenable ; et
Bickell lui-même, pour l'appliquer au seul recueil des Psaumes,
avait dû « sacrifier environ 2600 syllabes et introduire 4811
changements de voyelles ».
Après un aperçu sur « le caractère formel « des parties poéti-
ques de la Bible, M. Kônig en examine le fond. A ce nouveau
point de vue, il y distingue et analyse successivement cinq genres
principaux : le genre de l'épopée lyrique ; le genre de l'épopée
didactique ; le genre didactique pur ; le genre lyrique pur ; le
genre dramatique. Toutes ses observations sont appuyées et
éclairées de nombreux exemples. Ses vues sur le Cantique des
cantiques, à propos du genre dramatique, méritent de retenir
spécialement l'attention. 11 en est de même de Tétude qu'il con-
sacre au livre de Joh comme modèle de l'épopée didactique. A
ses yeux, ce poème n'a nullement la tendance pes.'^imiste que
plusieurs ont prétendu y voir ; il est bien plutôt une invitation
à admirer dans la marche de l'univers l'expression d'une sagesse
surhumaine, qu'il faut supposer et respecter dans les phénomènes
particuliers dont les raisons nous échappent.
En somme, on reconnaît dans ces pages l'hébraïsant consommé
et l'exégète relativement conservateur qu'est M. Konig. Il n'y a
pas que les lecteurs ordinaires de la collection Wissenschaft und
Bildung qui y pourront trouver agrément et profit.
J. FOKGET.
*
Talmud und Ncues Testament, von Eduaed Kônig. (III. Série,
8. Heft der Biblischen Zeit- und Sireitfragen znr Aujhlarung
der Gebildeten^ herausgegeben von D. Feiedrich Keopatscheck,
CHRONIQUE. 423
Professer in Breslau). ln-8°, 56 S., Verlag von Edwin Runge
in Gr. Lichterfelde. — Berlin, 1907.
Comme toute la collection dans laquelle il vient prendre place,
ce petit volume est destiné « à l'instruction des esprits cultivés r .
C'est dire qu'il ne s'adresse pas qu'aux spécialistes. Il était donc
naturel que l'auteur commençât par y résumer les notions les plus
indispensables sur l'origine et les éléments constitutifs du Talmud.
Cela posé, il aborde la question de l'influence de la littérature
talmudique sur le Nouveau Testament. L. Stein et, à sa suite,
Wiinsche ont dit de la doctrine du Christ qu'elle « est l'esprit
du judaïsme «, que « c'est du vin vieux dans des outres nouvel-
les V. M. Konig s'inscrit en faux contre cette assimilation. Inutile
d'insister sur le procédé de Wiiusche et de quelques autres, qui
ont voulu rattacher bien des maximes évangéliques à des dires
rabbiniques dont l'antériorité n'est nullement établie. Même
abstraction faite de ces cas particuliers, grande est la ditierence
du talmudisme et du christianisme dans leur façon d'envisager
l'Ancien Testament, dans leurs principes directeurs de l'ordre
religieux et de l'ordre moral et jusque dans lem* manière et leurs
moyens d'exposition.
Ce que les rabbins prisent dans les livres saints des Juifs, ce
qu'ils en ont retenu, c'est la loi ; de la partie prophétique ils
n'ont cure. Surtout, ils ne conçoivent le royaume de Dieu que
comme un royaume terrestre, national et politique. Sur ces deux
points déjà, tout autre est l'attitude du Nouveau Testament.
Celui-ci se caractérise en outre par l'idée d'un Dieu mieux défini,
d'un Dieu plus accessible à l'homme, d'un Dieu qui est Père ; et,
à l'encontre du cérémonialisme et du formalisme rabbiniques,
il insiste énergiquement sur la pratique des vertus fondamentales ;
témoin le chapitre des béafifudes, dont on chercherait vainement
l'équivalent dans tout le Talmud. Enfin, tandis que les docteurs
talmudistes noient leur exposé doctrinal dans d'interminables
discussions, le procédé d'enseignement par demandes et réponses
ne se rencontre qu'exceptionnellement dans les Evangiles. Ici
d'ailleurs, comme là, il est fait usage de similitudes, de paraboles ;
mais les paraboles évangéliques se distinguent encore par leur
tendance uniforme à appuyer la croyance à un messianisme plus
424 LE MUSÉON.
relevé et avant tout spirituel. A ce propos, M. Konig développe
des considérations qui ne plairont guère aux défenseurs modernes
de la conception eschatologique du royaume de Dieu, mais qui n'en
sont pas moins dignes de la plus sérieuse attention,
J. FOEGET.
E Destaing : Etude sur le dialecte berbère des Béni Snous. T. I,
(Publications de l'Ecole des Lettres d'Alger, Bulletin de Corres-
pondance africaine. T. XXXIV). Paris, Leroux, 1907, XXXI-
377 pp.
Après avoir situé géographiquement et historiquement la tribu
des Béni Snous, l'auteur aborde dans une T® section l'étude de
la phonétique (1-58) et de la morphologie (61-236) du dialecte
de cette tribu. La deuxième section constitue un recueil de textes
avec traduction. Les sept premiers morceaux de ce recueil sont
des contes populaires ; les vingt-six suivants nous donnent un
aperçu des occupations, des us et coutumes des Béni Snous ; les
huit derniers nous racontent quelques traditions populaires.
Les éléments de ce travail ont été recueillis sur place par
l'auteur ; c'est ainsi que les morceaux du recueil ont été transcrits
sous la dictée des principaux personnages de la tribu.
AXiVEE 1908.
L. D. Barnett. The Virûpâksa-pancâ«ikâ ....
E. Blochet. Etude sur l'ésotérisme musulman
A. Carnoy. Le nom des mages
Ed. De Jonghe. Etudes sur les sources de l'ethnographie congo
laise
B"" C. DE Vaux. Etat de mes travaux en étrusque .
Louis H. Gray. Additionnai classical passages mentioning Zoro
aster's name
Léon Gry. La composition littéraire des paraboles d'Henocli
— — Le messianisme des paraboles d'Henoch
Léon Maes. Lettres inédites d'André Schott ....
Hippolyte Roussel. Vocabulaire de la langue de l'Ile de Pâques
ou Rapanui
D"" L. SuALi. Matériaux pour servir à Thistoire du matérialisme
indien
299
85, 255
121
311
27
;ji'..'
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159
277
Compte rendu
E. De Jonghe. Les Sociétés secrètes au Bas-Congo. — J. van den
Gheyn
Revue des Périodiques
CnKOMQUE
103
100
. 112, 412
-ù
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