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Full text of "Le Muséon"

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University  of  Ottawa 


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^^^^ 


(^ 


LE  MUSÉON 


REVUE     D'ÉTUDES     ORIENTALES 


FONDÉ  EN  1881  PAR  CH.  DE  HARLEZ 


SUBVENTIONNÉ     PAB     LE     GOUVERNEMENT     ET     PAS     LA     FONDATION     UNIVBBSITAIBB 


XXVI    i  7 


LOUVAIN 
1907  ~t>[ 


LE   MUSEON 


» 


LE  MUSÉON 


ÉTUDES 


PHILOLOOIOUËS,  HISTORIOIES  ET  RELIGIËISES 


publié  par  PH.  COLINET  et  L.  DE  LA  VALLÉE  POUSSIN 


Fondé  en  X^Hl  par  Cli.  de  HA.RI.1<:Z. 


NOUVELLE    SÉRIE 
VOL.  VIIL 


L  G  U  V  A  I  N 

J.-B.      ISTAS,      IMPRIMEUR-ÉDITEUR 

90,  rue  de  Bruxelles,  90 

1907 


i.UZJ 


» 


ÉLÉMENTS  CELTIQUES 


DANS 


les  noms  de  personnes  des  inscriptions  d'Espagne. 


Dans  ses  Monumenta  Linguac  Ibericae,  Hûbner  a  ras- 
semblé tons  les  noms  propres  des  inscriptions  latines  de 
l'Espagne  pour  lesquels  il  soupçonnait  une  origine  ibéri- 
que. A  parcourir  cette  liste,  on  ne  peut  s'empêcher  d'être 
frappé  par  l'apparence  celtique  d'un  certain  nombre  de 
ces  noms. 

L'on  sait,  du  reste,  qu'il  existe  des  divergences  entre 
les  philologues  au  sujet  de  l'importance  de  l'élément  cel- 
tique en  Espagne.  Hûbner  (MLI  intr.  p.  CXX)  admet  que 
les  noms  celtiques  se  sont  conservés  dans  une  aristocratie 
remontant  au  moins  partiellement  aux  belliqueux  enva- 
hisseurs venus  de  Gaule  et  qui  auraient  constitué  dans  le 
centre  de  l'Espagne  un  état  de  choses  analogue  à  celui  qui 
régnait  dans  les  pays  romans  du  moyen-âge  où  une  aris- 
tocratie remontant  aux  conquérants  germains  conserva 
longtemps  les  noms  propres  teutoniques.  M.  d'Arbois  de 
Jubainville  (Les  Celtes  en  Espagne.  Rev.  Celt.  XIV  p.  557 
sqq.,  XV  p.  1  sqq.)  admet  qu'une  grande  partie  du  centre 
de  l'Espagne  était  soumise  aux  Celtes.  Castulo  et  les 
Oretani   seraient  des   régions  celtiques.  Les  Vaccaei,  les 

1 


^  LE    MLStON. 

Arevaci  (avec  Clunia)  seraient  aussi  au  moins  partielle- 
ment des  Celtes.  S'appuyant  sur  le  témoignage  de  Strabon, 
il  croirait  aussi  à  la  piésence  de  Celtes  parmi  les  Berones, 
les  Suessetani,  les  Autrigones,  les  habitants  d'Uxama 
(=  la  très  haute  (?)  cf.  «  Uxellodunum  »  en  Gaule). 

11  est,  du  reste,  indéniable  que  le  curieux  document 
diplomatique  d'Asturica  (CIL.  il,  2053)  renferme  des 
noms  propres,  qui  pour  la  plupart  ont  un  aspect  celtique 
bien  accusé. 

M.   Leite  de  Vasconcellos  (Rev.  celt.  XXI.   5,  p.  508) 
regarde   également    comme   celtiques   les   noms    Togus, 
Endovellicus,  etc.  qui  se  rencontrent  plutôt  en  Lusitanie. 
11  m'a  semblé,  dès  lors,  qu'il  pourrait  y  avoir  un  certain 
intérêt  à  faire  pour  les  noms  de  personnes  des  inscrip- 
tions hispaniques  un  relevé  analogue  à  celui  que  M.  Garo- 
falo  a  opéré  pour  les  noms  géographiques  celtiques  de  ce 
pays.  {Sui  Celti  nclla  penisola  iberica.   Bol.  R.  Ac.   Hist. 
Madrid.  34  p.   97.  sqq.).  L'examen    méthodique  de  ces 
noms  propres  pourra  amener  à  dérpontrer  avec  une  cer- 
taine probabilité  l'origine   celtique  de  beaucoup    d'entre 
eux  ou  du  moins  dans  la  plupart  des  cas  à  établir  la 
possibilité  d'expliquer  par  des  ladicaux  celtiques  et  d'une 
manière    très   naturelle  la  signification   de  ces  appella- 
tions barbares.    Dans   le  cours  de  cet  article,   on    s'est 
naturellement  abstenu  de  mentionner  le  numéro  de  l'in- 
scription  où   se   rencontre   le   nom,  lorsque  celui-ci  est 
consigné  dans  l'Index  du  supplément  au  Vol.  II  du  Corpus 
inscriplionum  lalinarum  (i).  Quant  aux  substrats  celtiques, 
ils   sont   donnés   d'après    V Altkellisclicr   Sprachscliatz   de 
M.  Holder  et  le  dictionnaire  de  Whitley-Stokes,  revu  par 
M.  Bezzen berger. 

^1)  Les  numéros  sans  indication  de  tome  se  rapportent  au  CIL.  IL 


ÉLÉMENTS    CELTIQUES.  3 

Ce  qui,  au  premier  coup  d'œil,  engage  à  entreprendre 
cette  étude,  c'est  la  nature  évidemment  celtique  (i)  d'ur 
certain  nombre  de  ces  noms  tels  que  Caturis,  Camalus, 
Ambatiis,  Relugenus,  Boulins,  CJoutiiis  correspondant  aux 
noms  gaulois  Culurix,  Camulos,  Amhuctos,  Uectugenos, 
Houdios,  etc.,  des  superlatifs  comme  (Jlntamiis,  Tongeta- 
inus,  Loutamiis,  Pintamun  L'xama,  peut-être  Mcdamus, 
des  noms  formés  avec  des  particules  celtiques  comme 
A mhi-mocjidu'i ,  A mhi-rodacus,  > l ntu-bclliciis,  Eudo-vcllicns, 


(1)  Un  certain  nombre  d'areliL'Olojïnos  tendent  depuis  queique^s  années 
à  nier  l'origine  celtique  do  beaucoup  de  noms  de  lieux  et  de  pei'scnnes 
nettement  indo-européens  de  l'Kurope  méridionale  ou  occidentale.  Ils 
croient  en  effet  que  les  Celtes  auraient  été  précédés  en  beaucoup  de  ces 
régions  par  les  Ligures  et  c'i'st  à  cQ:i  ijcuplados  très  mal  connues  niais 
qui  auraient  paidé  une  langue  indo  eurniiéenne,  qu'ils  préfèrent  rapporter 
les  noms  en  question. 

Dans  un  récent  article  pul^lié  dans  les  Mélanges  tVArhois  de  Juhaiii- 
ville  i).  2.'JG  sqq.  M.  Pliilipon  revcncbqiuMnéme  Torigine  indo-européenne 
des  Ibères. 

Il  est  donc  évident  que,  pour  les  lenanl.s  de  ce<  Uiéories,  je  suis  très 
mal  fondé  à  rapporter  un  nom  de  personne  ;iux  langues  celtiques  parce 
qu'il  renferme  un  radical  indo-européen  -exislani,  en  pi-oto-celie,  attendu 
que  ce  radical  peut  avoir  existé  dans  les  suit-disant  idiomes  indo-euro- 
péens des  Ligures  ou  des  Ibères,  ,'e  puis  loub-fMi.s  répondie  que,  dans  cet 
article,  je  ne  préjuge  pas  de  questions  ethniques  et  que  dans  la  plupart  dos 
cas,  je  ne  prétends  pas  étalilii-  en  principe  qu'un  nom  est  celtique  mais 
seulement  (^u'il  trouve  son  explication  toute  naturelle  dans  le  vo-abulaire 
celtique,  ce  qui  est  une  question  de  fait.  Uemaiquuiis,  en  outre,  que  ce 
fait  se  produit  si  souvent  et  qui^-  le  numbre  des  noii.s  propres  d'apparence 
indo-européenne  qui  ne  s'expliquent  pas[)ai'lo  vocaijulaii'e  celtique  est 
si  petit,  qu'il  faut  si  l'on  admet  l'hypothèse  de  ces  savants,  regarder  le 
ligure,  voire  l'ibère  comme  une  espèce  de  dialecte  celtique,  .le  cmis  aussi 
que  quand  on  peut  montier  le  cai-actère  spéciiiquement  celtique  tl'un 
grand  nombre  de  noms  propres  barbai'cs  des  in-ci'i|ttions  liisi)aniques, 
l'hypothèse  la  plus  naturel. e  est  de  ramener  à  la  même  ni-igino  d'autres 
noms  tigui-ant  dans  les  mêmes  inscriptions  et  qui  se  prêtent  à  une  expli- 
cation aisée  par  le  celte,  d'autant  plus  que  rien  n'est  jibis  moins  établi 
que  les  relations  ethniques  des  Ligures  et  surtout  des  Ibèi es  Les  argu- 
ments de  M.  Philipon  pour  [trouver  l'origine  aryenne  de  ces  derniers  sont, 
en  particulier,  très  peu  convaincants. 


4  LK    MUSf.ON. 

An-dergus  etc.  ;  l'usage  fréquent  des  suffixes  celtiques  tels 
que  le  diiiiiiiutil-icws,  -ico{n)  {Docilico  :  Docilo  ;  Cariciis  : 
Caî'us  ;  Eturicu  :  Urcico  ;  Caturicus  :  Caturo  ;  Vaelo  : 
Vailico  ;  Cocus  :  Cocilicus),  ou  -ittus,  [A  lit  ta),  le  patro- 
nymique -yeiius  {Heluyenus,  Cabruageni,  Madicenus),  le 
suffixe  o{n)  répandu  à  profusion  ;  comme  la  présence  de 
noms  composés  à  la  manière  des  noms  celtes  (et  indo- 
eui'opéens)  :  IHctelanceus  (à  la  forte  lance),  Comnesc-iqum 
(qui  promet  la  victoire),  Acrosmiuus  (au  haut  héroïsme  ?), 
Caturis  (qui  commande  au  combat),  Segovesos  (qui  conduit 
à  la  victoire). 

C'est  ensuite  la  reproduction  presque  littérale,  sous  la 
forme  légèrement  latinisée  des  noms  propres  des  inscrip- 
tions, de  mots  celtiques  se  rapportant  à  des  catégories  de 
sens  fréquemment  représentées  dans  l'onomatologie  des 
divers  peuples,  tels  que  les  noms  de  couleur  :  Cuiitius 
{kantos  =-  blanc),  Melinus  [inelinos  =  jaune),  Cocus,  Coci- 
licus [kokkos  =  rouge),  des  adjectifs  exprimant  des  qualités 
physiques  ou  morales  :  Coelia  {koilos  ^  maigre),  Certus 
[kerlos  =  court),  Cambarus  [kambos  =  courbé),  Mailo, 
(mailos  =  chauve),  Andergus  {an-dergos  =  aveugle), 
Samilus  [samalos  ^^  6[jLaÂÔ;),  Seionus  {seros  ^=  long),  Mago 
(magon  =  grand),  Caenius  {kainis  =  beau,  aimable),  Doveus 
[devis  =  bon),  Avillius  [avillos  =  agréable),  Magilo  [maglos 
■=■  noble),  des  épithètes  affectueuses  :  Caranto  [karantos  ^= 
cher),  Coemea  [kuif nos  ^^  cher) ,  Cilius  [keilgos  =^  ami),  des 
noms  de  rang  :  Pintamus  [iiennotamos  ^^  premier),  Tritius 
(tritiyos  =  troisième),  des  sobriquets,  surtout  des  noms 
d'animaux  :  Crovus  {krovos  =  corneille),  Elanio  {elanis  = 
chevreuil),  Hroccus  [brokkos  =  blaireau),  Vaelo  [vailos  = 
bmp),  Veicius  [veikos  =  corbeau),  etc.  etc. 

bi  tant  de   noms   propi'cs  des  inscriptions  d'Espagne 


ÉLÉMKM'S    CElTIolES.  O 

apparaissent  clairement  dès  l'abord  coninie  étant  d'ori- 
gine celtique,  il  est  bien  naturel  de  ebei'cber  à  expli- 
([uer  par  la  même  voie  les  autres  noms  tiiiurant  cote  à 
côte  avec  ceux-ci  dans  les  mêmes  inscriptions  ou  dans 
celles  provenant  des  mêmes  localités. 

Evidemment  dans  un  tel  domaine,  la  force  convain- 
cante des  rapprocbements  est  plus  ou  moins  iirande  selon 
les  cas.  Alors  ([ue  rinter[)rétation  par  l'ancien  celte  de 
beaucoup  de  noms  propi-es  paraîtra  très  vraisemblable,  il 
se  trouvera  d'auti'cs  rapprocbements  plus  bypothétiijues 
n'offrant  ({u'une  certaine  possibilité. 

Toutefois  on  ne  pouvait  négliger  même  ceux-ci  parce 
<[ue  le  degré  de  probabilité  de  cbacun  de  ces  rap|)rocbe- 
ments  s'augmente  par  le  grand  nombre  de  ceux  du  même 
genre  et  leur  analogie  avec  des  cas  semblables  beaucoup 
plus  certains.  Ils  offrent  d'ailleurs  de  l'intérêt  à  titre 
documentaire.  Comme  il  impoi'te  toutefois  de  ne  pas 
mêler  le  probable  ou  très  pi'obable  avec  le  simplement 
possible,  j'ai  pris  soin  de  distinguei'  pour  cbaque  calégorie 
de  noms  entre  les  ra[»procbemcnts  séiieux  et  les  simples 
suiiiîestions. 

Pour  éviter,  d'autre  [)arl,  d'interpréter  arbitrairement 
par  le  celte  tout  nom  jtropre  où  l'on  pouvait  à  la  rigueuj* 
retrouver  un  radical  celtique  de  ({uelque  signification 
qu'il  fût,  danger  dans  le([uel  tombent  certains  étymolo- 
gistes,  cette  en([uête  prend  comme  [)oint  de  départ  non 
les  noms  propres  eux-mêmes,  mais  des  radicaux  celtiques 
appartenant  à  certaines  catégories  de  sens  qu'il  y  avait 
lieu,  a  priori,  de  s'attendre  à  rencontrer  dans  les  noms 
de  personnes  en  général  et  dans  ceux  de  l'Espagne  en 
particulier  (i). 

(1)  Cet  article  était  déjà  composé  quand  M.  G.  Dottin  dans  la  Revue  des 
Etudes  Anciennes  VII.  1.  (1905)  dressa  une  liste  de  radicaux  rencontrés 


6  LE    Ml'SftON. 


A.  Noms  d'animaux. 

A  parcourir  la  liste  des  nomina  et  cognomina  des  inscrip- 
tions latines  d'Espagne,  on  est  frappé  par  le  grand  nombre 
de  noms  d^niiniaux  qui  s'y  l'enconlrent  :  Aper,  Cerviis, 
Lupus,  Tout  us,  L'rsus,  Aquila,  Capella,  Lupcrcus,  Miisca, 
Pardus,  Rana,  Vilulus  (i)  etc.  etc. 

Plusieurs  de  ces  noms  se  rencontrent  aussi  en  Italie 
mais  non  pas  avec  la  même  fréquence,  si  bien  que  leur 
abondance  est  un  trait  caractéristique  de  l'onomatologie 
hispanique,  comme  l'a  remarqué  Hiibner  (MLI.  p.  CWI 
etCXXXIV). 

Puisque  les  Espagnols  avaient  une  prédilection  pour 
les  noms  d'animaux,  n'y  a-t-il  pas  lieu  de  penser  que 
celle-ci  s'est  manifestée  aussi  dans  les  noms  indigènes  ? 
On  est  donc  tenté  de  chercher  à  l'etrouver  dans  ces  derniers 
les  mots  celtiques  désignant  des  animaux.  Or,  de  fait,  une 
telle  enquête  est  des  plus  fécondes  : 

krovo-  (corneille)  :  Crovus. 

suf.  -io  :  Crovii,  Crovia. 
suf.  -es-ico  :  Crovesica. 


dans  les  noms  propres  des  anciens  Celtes  et  qui  peuvent  être  identifiés 
avec  des  termes  conservés  dans  les  dialectes  celtiques  modernes. 

Toutefois  cette  liste,  très  insuffisante,  ne  comprend  guère  que  des  noms 
de  la  Gaule  et  de  la  Bretagne  et  l'étude  présente  sera  de  nature,  je  crois 
à  la  compléter  utilement  par  un  grand  nombre  de  noms,  en  ce  qui  con- 
cerne l'Espagne  (Des  noms  aussi  évidemment  celtiques  que  Cl utatniis, 
I-'m(amus,  Tridus,  Ambatus,  etc.  n'y  figurent  môme  pas).  Traitant,  du 
reste,  de  la  péninsule  ibérique  en  particulier,  cette  étude  contribuera 
aussi  à  faire  juger  de  l'impoi-tance  de  l'élément  celtique  dans  l'Espagne 
pré-romaine. 

(1)  Cf.  aussi  l'Eap.  Lopez  =  Suppici  =  Lupici. 


ÉLÉMENTS    CELTIQUES. 


suf.  -es  4-  qum  \     ^ 

,  ,    ,    .    :  Corovesqum. 
avec  svarabhakti 


—  A  côté  de  krovo,  paraît  avoir  existé  une    forme 

lorho-  (cf.   Holder  I.   1117   —a.  h.    ail.  hraba-n)  d'où 

dérivent   Corhelius   qu'où   trouve   une  fois  en   Espagne 

(2140)  et  de  nombreux  noms  de  la  Gaule  (i). 
elani-  (chevreuil,  biche)  :  Elaniis. 

suf.  on  :  Elanio. 
hroJcko-  (blaireau)  :  Broccus.  (gaul.  Broccomagos) 

suf.  ino  :  Brocina. 

suf.  illo  :  BrocilJa. 
vailo-  (loup)  suf.  on  :  Vaelo. 

suf.  ikon  :  Vailico  {^=  petit  loup.  Cf.  goth.  Wulfila). 
liino-  (mouton)  :  Lunus. 
matu-  (ours)  (2)  suf.  on  :  Mato. 

suf.  no  (?)  :  Matuna. 

suf.  tion  (?)  :  Metuttio  (Cf.  le  nom  gaulois  :  Matuiio). 
-\-  radical  geno  :  Medugenus  (s)  (Cf.  le  nom  gaulois 

fréquent  Matugenus) . 
eqo-  (cheval)  :  suf.  aro  :  Eparus. 

(Cf.  les  n.  gaul.  Epona,  Ateporix,  Eporedius,  etc.). 
Cet  exemple  et  plusieurs  qui  suivront,  montrent  que  la 

gutturale  labialisée  a  abouti  à  une  labiale  dans  le  dialecte 

celtique  de  l'Espagne  comme  en  gaélique. 
gahro  (chèvre)  :  suf.  geno  :  Cabruageni. 

suf.  il  4-  io  -{-  on  :  Cabrilio. 


(1)  Pour  le  sens,  qu'on  compare  le  nom  italique  fréquent  Corvilius,  le 
vieux  nom  Scandinave  Ibrabnaz  et  le  nom  de  femme  espagnol  Corona 
qui  parait  bien  reproduire  fe  grec  Ko&wvtj. 

(2)  D'après  M.  d'Arbois  de  Jubainville  qui  s'appuie  sur  l'irl.  math  et  le 
cymr.  madawg  (renard). 

(3)  Holdor  préfère  traduire  Medugenus  =  fils  de  l'hydromel  et  regarde 
de  même  Medubriga  comme  signifiant  Melbury.  La  comparaison  si  con- 
vaincante de  Metuttis  =  Matutio  m'engage  toutefois  à  faiie  un  même 
radical  de  metu  et  matu  :  meta  =  matu.  Dès  lors  le  rapprochement 
entie  Matugenus  et  Medugenus  s'impose  presque.  I.e  sens  donné  par 
m.atu  est  d'ailleurs  plus  vraisemblable  que  celui  donné  par  medu. 


8  I.K    MISÉON. 

suf.  eno  (?)       1      ,,  , 

,  ,    ,   .     :  Cahurene. 
et  svarabhakti  \ 

Dans  ces  noms,  le  radical  celtique  a  été  laflueDcé  par 

le  voisinage  du  latin  :  cajira,  Caper. 

Sur  c  pour  g  cf.  Lat.  Esp.  II,  §  6. 

JcarvO'  (cerfj  :  Carvi. 


suf.  anko  ) 

et  svarabhakti  i 


Caravnnca. 


,.,,,..  j  Carbilus  —  b  pour  r  après  consonne, 
suf.  </o  (dimin)  :  r   i    .   t-       it    .•  ., 

^     i      cf.  Lat.  Esp.  II.  §  M. 

damo-  (bœuf)  :  Dama. 

suf.  no  :  Damoni  (génitif). 

muTikU'  (porc)  suf.  ilon  :  Mocilo  CIL.  V.  6042,  nom  porté  par  des 
légionnaires  originaires,  semble-t-il,  de  la  péninsule  ibé- 
rique, (o  pour  u  cf.  Lat.  Esp.  I  §  1). 
sUf.  ulatus  :  Mocidatus.  Ce  dérivé  est  plus  douteux. 

La  simplification  des  consouues  doubles  est  un  phéno- 
mène orthographique  très  l'réquent  dans  les  inscriptions 
latines. 

<p>orko-  (porc)  :  suf.  ikon  :  Urcico.  (u  pour  o  cf.  Lat.  Esp.  I  §  7). 

suf.   al-lo-ko-  (Y)  Urcallociis  (?)  La  chute  de  la  labiale 

sourde  initiale   est   un    phénomène    universel   dans   les 

idiomes  celtiques. 

<p>etro-  (oiseau)  :  suf.  ikon  l     r<^     . 

,  ,    ,   .     :  Etunco. 
et  svarabhakti  ( 

veiko-  (corbeau)  :  suf.  io  :  Veicius,  Vecius. 
erho-  (bouc)  :  suf.  ufo  ou  utfo  (?)  :  Erhutus. 
hou-  (bœufj  suf.  alo  :  Bovalus. 

M.  Holder  compare  hovalo-  au  skr.  gavala  (buffle), 
suf.  ano  :  Bovana. 
suf.  ehjo  :  Bovecius^  Bovegins. 

(Ce  dernier  dans  CIL.  III.  4227,  épitaphe  d'un  légion- 
naire asturien). 
hélio-  (corbeau)  suf.  ako  :  Veliagun. 

Hubner  y  rattache  aussi  les  noms  espagnols  modernes 
Velea,  Velasguee  {M\A.  CXXXIV). 
—  L'échange  entre  6  et  v  est  un  phénomène  qui  se 


* 


ÉLÉMENTS    CELTIQUES.  9 

constate  assez  souvent  dans  les  inscriptions  latines.  Cf. 

Lat.  Esp.  II  §  3.  Il  en  est  de  même  de  la  transformation 

des    consonnes    sourdes    intervocaliques   en    consonnes 

sonores.  (Lat.  Esp.  II  §  1), 
tarvo-  (taureau)  suf.  ello  :  Tarbellus  (nom  d'un  Narbonnais  3876). 

C'est  aussi  le  nom  d'une  peuplade  d'Aquitaine.  (6  pour  v 

comme  dans  Carbilus  de  karvo,  cf.  supra). 

suf.  ilcon  :  Taurico. 
ur  pour  ru  est  un  processus  phonétique  qui  n'aurait 

rien  de  trop  anormal.  Du  reste,  une  contamination  avec  le 

latin  taurus  est  possible. 
hukko-  (bouc)  :  Boccus.  (o  pour  û  cf.  supra). 

suf.  io  :  Buccins. 

Outre  ces  étymologies  qui  s'imposent  presque,  on  peut 
encore  dans  le  même  oi'dre  de  signification,  signaler 
quelques  rapprochements  moins  évidents  bien  qu'encore 
assez  vraisemblables. 

ogno-  (agneau)  :  Onna  (EE.  4.  753). 

La  chute  de  la  gutturale,  première  de  groupe  se  con- 
state dans  plusieurs  noms  celtiques  en  Espagne,  tels  que 
JRetiigenus  pour  Rectugenus,  Mutius  de  muktos,  etc. 

—  Les  noms  Acnon,  Agno  permettent  de  se  demander 
si  à  côté  à'ogno,  n'existait  pas  en  celtique  une  forme 
parallèle  :  agno  =  lat.  agnus,  gr.  à[j.voç.  Cependant  cf. 
infra  s.  v.  agno-. 
qerqâ  (coq)  :  Perça. 

suf.  atus  ) 

uu  1  i.- }  :  Ferecatus. 
et  svarabhakti  \ 

Le  second  q  aurait-il   perdu  son  élément  labial  par 

dissimilation  ?  (cf.  infra  s.  v.  qeqto-). 

*  lu(p)o-  (loup)  :  Lovatus  à  côté  de  la  forme  latinisée  :  Lupatus.  — 

Ce  radical  lup-  se  retrouve  dans  le  lat.  lupus,  skr.  lopâça 

(chacal),  avest.  raopi  (espèce  de  chien),  gr.  âloiTzril  (?) 

arm.  alu^s.  Avec  le  suffixe  -erno,  il  a  formé  le  substrat 

celtique  lu{p)erno-  (renard).  Toutefois  il  est  vraisemblable 


10  I.K    MISf.ON. 

que  lup-  existait  ea  vieux  celtique  dans  d'autres  dérivés 
que  lii(p)er)io,  par  exemple  dans  notre  Lovatus.  M.  Holder 
signale  divers  dérivés,  soit-disaut  celtiques  de  cette 
racine,  mais  ils  paraissent  avoir  été  latinisés  car  ils  ren- 
ferment le  fJihme  luppo  :  LnppiacHS,  Loppio,  etc. 

marko-  (cbeval)  :  Marcus.  Ce  nom  est  généralcnif^nt  latin  mais 
quand  il  apparaît  dans  des  inscriptions  ne  renfermant 
que  des  noms  indigènes,  ce  qui  est  parfois  le  cas  en 
Espagne,  il  est  assez  naturel  d'en  faire  un  nom  celtique 
appartenant  à  la  catégorie  des  noms  d'animaux. 
(Cf.  le  n.  gaul.  Marcomaf/os,  gall.  Mnrchvid). 

torl'O-  (sanglier)  :  suf.  al-io  :  Tnrcalium  (i). 
suf.  ino  :  Trocina. 

tarvo-  (taureau).  Outre  les  rapprochements  indiqués  ci-dessus,  on 
peut  se  demander  si  tarvo-  ne  se  retrouve  pas  dans  : 
TiiravHS  et  peut-être  dans  Turanis,  Tureus,  l'urauclcus 
avec  réduction  de  la  diphtongue  axi  en  u  (?). 

elaios  (cygne)  suf.  eso^  is-ico  :  Elarsiis,  Elaisicum  Ci). 

barro-  (éléphant)  :  Darrns. 

sut.  ifio^  cfto  (i)  : 

*  Baréta 

Ce  mot  emprunté  à  une  langue  orientale  par  le  latin  a 

pu  aussi  passer  on  celtique.  (?) 
wawwo- (petit  cheval)  :  Mannus. 

(cf.  Holder  s   v.) 
andera-  (génisse)  d'où  l'anc.  cymr.  enderic  (veau)  vis-à-vis  iïAn- 

dergus,  nom  qui  signifie  plutôt  «  aveugle  ». 
ago-  (bouc)  d'où  Ton  pourrait  dériver  :  Agavus,  Agio,  Agena, 

Agile,  Agilio. 

B.    ÉpITHÈTES    de    COILELHS. 

Très  fréquents  sont  les  noms  propres  tirés  de  couleurs, 
tels  que  Moreno,  Blanco  en  Esp;i<îne,  Lchnin,  Leblanc, 
De  Wittc,  Sc/iwarz,  liolli,  lirown,  W'Iiile,  dans  les  diverses 


(1)  Pour  le  suffixe,  qu'on  compare  Urcaliocus  qui  a  à  peu  près  le  même 
sens. 


ÉLÉMENTS    CELTIQUES.  il 

langues  modernes  de  l'Europe,  Flavus,  Fulvius,  Albius, 
Caesius,  dans  l'onomatologie  romaine.  Ce  genre  de  nom 
paraît  aussi  être  bien  représenté  dans  les  inscriptions 
d'Espagne  et  cela  tout  autant  parmi  les  noms  d'origine 
romaine  que  parmi  les  noms  barbares  : 

hanto-  (blanc)  :  suf.  io  :  Cantius. 

(Cf.  le  n.  gaul.  Canfosenus,  Avi-ccmtus,  bret.  Eucant). 

suf.  i-ano  :  Caniianorum  (génitif  ethnique). 

suf.  ig-itano  :  Cantigitana. 

suf.  on-io  :  Cantonius. 

suf.  aber  (?)  ;  Cantaher. 

Comparez  à  la  finale  de  ce  dernier  nom,  celle  du  nom 

des  Artahri,  peuplade  galicienne  et  peut-être  le  nom  des 

Iheri  et  Ccltiheri. 

liokko-  (rouge)  Cocus  (simplification  de  consonne  double,  cf.  supra). 

suf.  -il-iko  :  Cocilicus. 

vindo-  (blanc)  suf.  io  :  Vindius. 

(Cf.  gaul.  Vindomagos) 

suf.  al-on  :  Vendalo. 

suf.  er-ilio  :  Vendericus . 

Au  sujet  de  e  pour  ï,  cf.  Lat.  Esp.  I  §  3. 

aunio-  (vert  pâle)  Aunlus. 

melino-  (jaune)  (de  meli  =  miel)  :  Melinus. 

De  la  même  origine  est,  sans  doute,  aussi  Melite. 

<p>erTto-  (obscur)  suf.  av-iko  :  Ercavica. 

dergo-  (rouge)  suf.  in-io-on  :  Dercinio. 

La  présence  d'une  explosive  sourde  à  la  place  d'une 

explosive  sonore,  après  une  autre  consonne  se  constate 

plusieurs  fois  dans  les  noms  barbares  de  l'Espagne.  Cf. 

Lat.  Esp.  11.  §  9. 

suf.  io  (?)  :  Arcea,  Arciiis. 

suf.  Iso  :  Arcisus. 

.     ,, ,       ,      (  suf.  ailo-ilo  :  Arnailo,  Arqilicus. 
argio-  (blanc)  :  j      ,.  -,         . 

'  sur.  amo  ~\-  no  -'^  iko  :  Argamonica. 

suf.  on  :  Arco  Ç?). 


12  LE    MISÉON. 

albo-  (blanc)  d'où  Albeis  (Alpes)  (?),  Albion. 

suf.  uro  :  Albnra.  ]    41  i.  ...  -i  i 

/  .-HeoM5  aurait- il  la  même  ori- 

suf.  ono  :  Albonns.  )     .      „ 

\  gine  ? 

suf.  dimin.  iko  :  Albicus.  ] 

îeto-  (gris)  (Cf.  Holder  s,  v.). 

suf.  nd-on  :  Letondo, 

suf.  nd-iko  :  Letondiquni. 

Plus  iacertaines  sont  les  dérivations  de  : 
viryo-  (vert)  suf.  ato  :  Viriatus. 
agno-  ("  feurig,  hell  ».  Whitley-Stokesj  suf.  on  :  Agno,  Acnon 

(Cf.  Lat.  Esp.). 
uro-  (vert)  suf.  eius  :  Ureius.  Ce  suffixe  se  rencontre  plusieurs 

fois  dans  les  noms  barbares  hispaniques. 

suf.  avo  :  Uravus,  Urauvus. 

suf.  amo  :  Uramus. 

suf.  àlo-on  :  Uralo. 

suf.  nlxo,  uk-io  :  Uruga,  Urucius  (V). 
bodw  (jaune)  :  Boddius. 
lat.  burrus  (rouge,  roux)  :  Burrus. 

suf.  -aJus  :  BurraJus. 
Le  premier  nom  est  porté  par  un  Celte  (Burrus  Magi- 

lanis  f.)  ;  le  second  est  formé  par  le  suffixe  celtique  -aJo. 

Il  est  donc  vraisemblable  que  ce  mot  burrus  forme  altérée 

de  Tcuppoç  (roux)  avait  pénétré  dans  les  dialectes  celtiques 

du  Midi  de  l'Europe.  Ce  fait  expliquerait  le  mot  burricus 

(rosse,  baudet,  etc.),  qui  ne  serait  qu'un  diminutif  à  la 

celtique  (suf.  iJxo)  de  ce  mot  burrus  et  rendrait  exactement 

le  fr.  roussin. 

{].    CAUACTÈnES    PHYSIQUES. 

Non  seulement  la  couleur  des  cheveux,  des  yeux  ou  du 
teint  servait  à  désigner  souvent  les  individus  niais  tout 
caractère  plnjsique  pouvait  être  mis  en  relief  dans  les 
noms  de  personnes.  C'est  encore  là  un  usage  commun 
à  beaucoup  de  peuples. 


à 


ÉLÉMENTS    CELTIQUES.  13 

Aussi  est-i]  justifié  d'identifier  les  noms  suivants  avec 
des  adjectifs  celtiques  désignant  des  qualités  physiques 
ou  se  rapportant  à  diverses  parties  du  corps  : 

koilo-  (maigre)  :  suf.  io  :  Coelia,  Quoelia. 

Ces  noms  peuvent  toutefois  aussi  être  rapportés  à  koild 
(«  omen  »)  cf.  infra. 
herso-  (gauche^.  Ceresus  (avec  svarabhakti). 

Pour  le  sens,  qu'on  compare  le  nom  latin  :  Laevius. 
kerto-  (court)  :  Ccriiis. 

suf.  i-ato  :  Cirtiatiss  (génitif?) 

i  pour  e  devant  r  est  un  phénomène  assez  fréquent,  cf. 
Lat.  Esp.  I  §  4.  c. 
longo-  (long),  suf.  io  :  Longius. 
suf.  ino  :  Loncinus. 

c  pour  g  après  consonne,  cf.  Lat.  Esp.  II  §  9. 
Ces  noms  peuvent  aussi  être  romains,  mais  ils  appa- 
raissent souvent  au  milieu  de  noms  barbares  et  la  pré- 
sence des  dérivés  suivants,  évidemment  barbares,  induit 
à  admettre  aussi  pour  ceux-ci  une  origine  celtique  en 
beaucoup  de  cas. 
suf.  amo  :  Longamus. 
suf.  ido-Jco  (?)  :  Longeldoqum. 

-\-  substantif  hrica  (=  briga,  mot  celtique,  désignant  un 
bourg.)  :  Loncohricenses. 
A  ces  dérivés  de  ?ow^o-,  j'aimerais  de  joindre  le  nom  fréquent 
Lancius  et  celui  de  :  la  gens  Lanciqum.  c  pour  g  ne  fait  aucune 
difficulté.  On  vient  de  le  voir  dans  Loncohricenses,  Loncinus  et  on 
constate  le  même  fait  dans  Dercinio  (dergo-)  Tancinus  :  2'anginus, 
Tongeta  :  Tonceta,  etc. 

Quant  à  l'hésitation  entre  a  et  o  devant  nasale,  elle  est  plus 
étonnante,  mais  elle  n'est  pas  inadmissible  puisqu'on  trouve  dans 
la  même  situation  l'alternance  entre  e  et  a  cf.  A)nba{c)tus  =  emhi 
-\-  aklo,  Ambimogidus  :  embi  -\-  mogo-,  Endovellicus  :  Antuhel- 
licus,  Turennus  vis-à-vis  de  toranno,  etc.  (cf.  infra).  Ces  variantes 
peuvent  s'expliquer  soit  par  Vablaut,  soit  la  production  de  voyelles 
nasales.  Du  reste,  ce  qui  engage  à  admettre  l'équivalence  entre 


44  1»^^    MISÉON. 

longo-  et  Inngo,  c'est  rexistence  de  Langohrega  à  côté  de  Longo- 
briqa,  Lnngiacua  à  côté  de  Longiacus  et  des  noms  celtiques  : 
Langohritac  (Eq  Espagne,  Plut  Sert.  13),  Langodunnm^  etc.  à 
côté  de  Lougorectus,  Longeidocum,  etc. 

Le  mot  latiu  lancca,  qu'on  s'accorde  à  faire  venir  de  l'Espagne 
signitierait  donc  :  "  la  longue  »,  épitUcte  très  naturelle  pour  une 
arme  de  celte  sorte.  Qu'on  y  compare  le  ^oX'./ô'7/.iov  ëy/oç  des 
poésies  homériques.  La  finale  ai  pour  ùi  de  ce  mot  est  un  fort 
argument  en  faveur  de  son  origine  hispanique,  cf.  Lat.  Esp.  I  §  5. 
Si  hypothétique  que  soit  cette  dérivation  de  mot  lancea,  elle  me 
paraît  préférable  à  celle  proposée  par  Thurneyseu  qui  rapporte  ce 
terme  à  l'anc.  irl.  Iccim  (je  lâche). 
niuilo  (chauve)  :  Muela. 

suf.  io  :  Maelius,  Melia  (c  pour  ae  cf.  Lat.  Esp.  I  §  14.). 

suf.  on  :  Maelo,  Maeilo. 

suf.  on-io  :  Maélonius. 
kackû-  (borgne)  suf.  ou  :  qaico. 

suf.  anko  :  Caccanqum. 

suf  iko  :  Cecciqum  (V) 

Pour  le  sens,  qu'on  compare  les  uoms  romains  :  Cae- 

cius,  Caecilius. 
*  aql,  aqilo  (obscur,  aveugle),  (cf.  ir.  adaig  (nuit),  lat.  aquilus, 

n.  pr.  rom.  en  Espagne  :  Aquilus,  Aquilo,  Aquilinus.)  : 
Apilus,  Apulus,  dira.  ApiUcus. 
an-dergo-  (aveugle)  :  Andergus.  Dérivation  plus  probable  que  celle 

indiquée  ci-dessus  pour  ce  nom  (s.  v.  andcro-J. 
kondo-  (sens,  esprit)  suf.  iso  :  Condisa 

suf.  i-ano  :  Condiamis. 

„    ,.         ,      -n  m       •    .  X  I  AncondeL  (tribu) 

Préfixe  négatif  :  an  :  sufhxc  lo  (i)      ,,  ... 

°  ^  M  ('p'^  insensés  .-') 

suf.  aro  :  Coniarus. 

suf.  uko-io  (0  :  Contuci  (gén.)  (?) 

suf.  (i)vo  -\-  aio  :  Contkai  (géuit.). 

Dans  ces  trois  derniers  exemples,  on  a  la  sourde  pour 
la  sonore  après  consonne,  comme  dans  beaucoup  de  noms 
cf.  supra  et  infra. 


(1)  eo  pour  io,  cf.  Lai.  Esp.  I,  §  5. 


ÉLÉMENTS    CELTIQUES.  15 

Pour  le  sens,  cf.  Pellus,  etc.,  se  rattachant  à  qeisln 

(esprit)  (cf.  iufra). 
mandu-  (=  *  mndhu)  :  Mantua,  (qui  réfléchit  à,  qui  pense,  etc.) 

d'après  M.  d'Arbois  de  Jubainville,  (cf.  Holder  s.  v.). 
C'est  encore  un  cas  d'assourdissement  de  l'explosive 

après  consonne. 
maqali'  (enfantin)  de  maqo-  (fils)  :  Mapalia. 
samo-  (égal)  suf.  io-  Samius  (Samiarius  ?). 

suf.  -aio-  :  Samaius. 

suf.  -ak-io  :  Samacia. 
samalo'  (égal,  tranquille,  cf.  gr.  ôjxaXdç)  :  Samilus. 
sknto-  (écaille)  :  suf.  illo  :  Scantilla. 
sero-  (long)  :  suf.  ano  :  Seranus,  Seranna. 
magôn-  (grand)  :  Mago. 

suf.  -tano  :  Magontana. 

suf.  i-ano  :  Magonianus. 

De  la  même  racine  est,  sans  doute,  Magenus. 
okro-  (pointe)  :  suf.  ato-io  :  Ocratia  (la  pointue?  l'élevée?) 
akro-  (pointu,  haut)  d'où,  sans  doute,  le  dérivé  : 
*  akri-dho  (lat.  acerbus,  osk.  acrid)  :  suf.  on  :  Acerdo,  (cf.  Nieder- 

mann.  IF.  X.  231).. 
Pour  le  sens  cf.  le  n.  p.  lat.  Acidus  2353. 

suf.  illo-  :  Acirtilla. 

{t  pour  d^  cf.  s.  V.  longo-,  dergo-,  orget-^  etc.). 
doklo-  (frange,  boucle  de  cheveux),  suf.  -on  :  Docilo  (avec  svara- 

bhakti)  (le  petit  bouclé  ?). 
korno-  (corne),  suf.  ilio  :  Coronicum. 

suf.  ero  :  Coronerus. 

Dans  tous  ces  noms,  il  y  a  svarabhakti  d'après  la  règle 

ordinaire  qui  fait  prendre  à  la  voyelle  épenthétique  le 

timbre  de  la  voyelle  adjacente,  (comparez  spécialement 

Corovesqiim  de  krovo-  cf.  supra). 

suf.  ano  :  Cronanus. 
Ici,  il  y  a  métathèse,  phénomène   fréquent  dans  le 

groupe  cens.  -|-  r  -j-  voy.  ou  cons.  -|-  r  "i~  ^oy.  (cf.  Tir- 
talicus,  Tritalicus,  Trocina,  torko-,  etc.). 


16  l't    MLSÉON. 

lamho-  (courbé^  :  suf.  avo-io  :  Camhavius. 

suf.  aro,  etc.  :  Camharus,  Camharicu{m)  (gens), 

—  A  la  même  racine  îiam,  se  rapporte  très  probable* 
ment  le  n.  propre  fréquent  en  Espagne  :  Garnira,  qui  est 
une  formation  analogue  aux  mots  latins  :  cannir  (courbé) 
(cf.  gr.  y.T.u.y.ooi.  (voûte),  av.  kanmra  (ceinture),  et  cam- 
marus  (homard,  «  animal  recourbé  »j).  Le  nom  latin 
Camur  se  trouve  aussi  en  Espagne  (4970.  114). 

*  mldn-  (di'licat)  :  Maldua.  L'ir.  meld  remonte  à  la  forme  forte  : 
meldo  ,  mais  le  thème  mldu  est  indo-européen  comme  le 
prouvent  skr.  mrdu,  gr.  i'.p.aXS'j-vto,  a.  si.  mladu. 

manti-  (=  ninti)  :  (grandeur,  quantité),  Mantia  (=  grande  V), 
(cf.  ir.  mei,  bret.  nieTd,  franc,  maint.) 

hiH-o-  (indolent),  suf.  on  :  Lacon,  Laco.  (Simplification  de  con- 
sonne double,  cf.  supra). 
suf.  -ino  :  Lacinus. 
suf.  -aro  :  Lacares. 

Les  élyniologies  suivantes,  dans  le  même  ordre  d'idée, 
tout  en  offrant  en  plus  dun  cas  assez  de  vraisemblance, 
sont  d  une  nature  beaucoup  plus  hypothétique. 

multv-  (faible)  suf.  io  :  Muiius. 

La  chute  de  la  gutturale,  première  de  groupe  se  con- 
state dans  plusieurs  cas,  cf.  supra  s.  v.  ogno-. 

Holder  préfère  rattacher  ce  nom  à  un  thème,  muto- 
qui  signifierait  «  voix  r.  Cette  dérivation  donne  un  sens 
moins  naturel. 
sagro-  (fort)  :  Sarus. 

suf.  aid-io-on  :  Saraucio. 

Même  remarque  que  ci-dessus. 

Pour  le  suffixe  cf.  Al-auc-lus  et  peut-être  Ahiquius. 
ando-  (aveugle),  de  là  peut-être  AndotuSy  Andaitia. 
hnnhl  (branche,  bâton)  :  suf.  io,  i^ (0  '■  Cancies. 
suf.  io-on  :  Cancio. 
suf.  dim.  ilo  :  Cancilus. 

Ces  noms  sont,  probablement,  des  sobriquets  :  «  droit 
comme  un  bâton  ». 


I 


♦ 


ÉLÉMENTS    CELTIQUES.  17 

Pour  le  sens,  qu'on  y  compare  le  nom  latin  Scipio. 

liJckâ  (pierre),  suf.  ino  :  Licinus. 

Ce  nom,  quoique  fréquent  en  Italie,  pourrait  au  moins 
en  certains  cas  avoir  une  origine  celtique.  Cf.  Holder  s.  v. 
suf.  ir-no  (?)  Licirnus. 
Pour  le  suffixe,  cf.  Zeuss.  p.  827. 

*  qraisa-  (gourmandise,  a.  ir.  croes  (gourmandise),  craes  (glouton- 
nerie). Forme  assez  hypothétique,  cf.  Holder  s.  v.  Frae- 
stamarci. 

suf.  io  :  Presia,  Prasius  (=  Praesius)  (?). 
suf.  on  do  (cf.  Letondo  de  leto,  cf.  supra)  :  Praesondo. 

Ce  nom  se  trouve  dans  une  inscription  barbare  mal 
déchiffrée  (738). 

meino-  (petit)  :  Minatus.  i  pour  ei  est  normal  dans  une  forme 
latinisée. 

hodaro  (sourd)  :  suf.  on  :  Bodero  (e  pour  «  est  embarassant.  Serait- 
ce  une  altération  due  au  voisinage  de  IV,  cas  où  e  et  a 
alternent  souvent  dans  les  dialectes  les  plus  divers  Y) 
Vadaro  a  peut-être  la  même  origine.  Quant  à  l'échange 
de  V  et  h  (cf.  Lat.  Esp.  Il,  §  3.). 

L'a  dans  la  premièie  syllabe  pour  o  serait  une  assimi- 
lation vocalique,  (cf.  Lat.  Esp.  I.  §  17). 

se.no-  (vieux)  suf.  i-ano  :  Saeniane. 

(Cf.  le  nom.  gaul.  Cantosenus,  Senocarus). 

superl.  senotamo-  (terme  honorifique)  :  Slntamo  CIL. 
II,  738,  739  dans  une  inscription  barbare  (celtique  ?). 

kaleto-  (dur)  :  Calaetus.  Pour  ac  au  lieu  d'e  dans  ces  deux  noms 
cf.  Lat.  Esp.  I  §  14. 
(Cf.  le  n.  gaul.  Caletos,  Vassocaletos). 

arduo-  (élevé)  :  Ardunnis  (Cf.  Ardiienna  silva). 

qenno-  (tète)  :  suf.  aro  -\-  io  :  Finareiis. 

Pour  le  sens  cf.  lat.  Capito,  Cajnfatus.  i  pour  e  devant 
n  cf.  Lat.  Esp.  I  §  4. 

tnh-  (front).  Pour  le  sens,  cf.  lat.  Fronto,  Frontonins.  Ce  mot  se 
retrouve  peut-être  dans  Ja?/o(suf.  io-on),  Talavus  et  TaJe- 
vus  (suf.  va),  Tallicus  (suf.  ilio),  Talantea  (suf.  ant-io)  et 
peut-être  dans  Talaharus  Ç?"?). 
(cf.  n.  gaul.  Dumnotaîus,  Acrotàlus). 


18  LE    MUSÉON. 

mongO'  (criaière)  :  Mancinus.  —  Cas  fort  douteux,  anc  pour  ong 

s'expliquerait  ici  comme  dans  Lancius  vis-à-vis  de  longo- 

(cf.  supra). 
♦  krukl,  krouka,  krokenno-  (dos,  bosse)  sui.  uto  :  Corocuta  (= 

bossu  ?). 
(cL  garni.  Pennocrucium  (montagne)  ir.  croceim  (dos), 

cruach  (bosse),  etc.). 
<p>îûmà  (main)  :  suf.  cno  :  Lamenus  (à  la  forte  main)  (?)  mais 

peut-être  ce  nom  est-il  parent  de  Lama,  Lamecum,  Lami- 

nium,  noms  de  villes  hispaniques,  (ibériques  ?) 
cf.  lat.  palma,  gr.  TraXajxy) . 
tnrkto  (bigarré)  :  Martus.  (chute  de  la  gutturale  devant  consonne, 

cf.  supra). 

D.  Épithètes  laudatives. 

On  sait  combien  sont  fréquents  chez  les  peuples  les 
plus  divers  les  noms  laudatifs  et  éclatants.  Il  sutlit  de  se 
rappeller  combien  de  noms  germaniques  renferment  les 
éléments  liloth,  berlit,  adel,  etc.,  combien  de  noms  grecs 
sont  tirés  des  radicaux  àpiTTo-,  àyaOo-,  cpav-,  xa).o-,  eu-,  etc. 
11  est  donc  normal  de  chercher  aussi  dans  cette  voie, 
l'explication  des  noms  des  Barbares  de  l'Espagne  d'après 
les  radicaux  celtiques. 

On  trouve,  tout  d'abord,  des  dérivés  évidemment  celti- 
ques du  même  radical  igerm,  *  hliid)  qui  apparaît  dans 
Clovis,  Clotaiî^e,  Clodomir,  etc.  C'est  : 

klouto  ,  kluto-  (illustre  «  inclytus  »)  suf.  io  :  Cloutius,  Chtius. 
suf.  aio  :  Cloutaius. 
superlatifs  :  Clutamus,  Clutimo. 

On  a  ensuite  : 

kaini-  (beau,  aimable)  :  Caenius. 

suf.  iko  (dimm.)  :  Caenicus. 
suf.  on  (?)  :  Caeno  (i). 


(1)  Cf.  le  n.  propre  latin  Caeso  vis-à-vis  de  Caesitts. 


ÉLÉMENTS    CELTH,>UES.  19 

suf.  ko-ieno  :  Caeniclenus . 
répétition  du  radical  :  Caenecaeni, 
kadro-  (distingué)  :  Cadarus  (avec  svarabhakti). 

(cf.  le  n.  gaul.  Belatucadros).  De  la  même  racine  kad 
«  se  distinguer  »  que  M.  Whitley-Stokes  retrouve  dans 
Cassivellaunus,  etc.,  dérive  probablement  Cadus  (thème 
kado-?)  et  son  diminutif  Cadilla. 
viro-  (héros)  suf.  no  :  Vironus.  Cf.  Garofalo  R.  celt.  XXI.  p.  200 
sqq. 
(cf.  les  n.  gaul.  Viromanduos,  Senoviros,  etc.). 

\  :  Rectngenus  (de  noble  naissance)  et  Retu- 
rékiu-  (droit,  noble)  /  genus,  même  nom  avec  chute  de  la  gutturale 
~\-  geno-  (naissance)   i  première  de  groupe  comme  ci-dessus  (s.  v. 
]  sagro-,  etc.). 

niati-  (bon)  -|-  -geno  :  Madicenus.  d  pour  i  intervocalique  cf.  Lat. 

Esp.  II  §  1.  -g  pour  c  cf.  ib.  II  §  9. 
ouksamo-  (très  élevé,  sublime)  :  Uxama,  nom  de  personne  dans 

2907,  2854  et  nom  de  ville  dans  les  autres  textes.  La 

même  racine  avec  suffixe  lo  se  trouve,  sans  doute,  dans 

le  nom  de  ville  gaulois  :  Uxellodunum. 

(cf.  F.  Lot.  dans  Mel.  Arbois  Jub.  p.  168,  n.  gaul.  de 

lieu  :  Oxima,  Oxlsama). 

dovi-  (fort,  bon)  :  suf.  io  :  Doveus  pour  Dovius  cf.  Lat.  Esp.  I§  5. 

suf.  de  :  Dovide. 

suf.  de-no  :  Dovidena. 

suf.  l-on  :  Dovilo. 

suf.  ro-on  (ou  ero)  :  Dovero. 

suf.  de-ro-on  :  Dovidero  et  avec  chute  de  v  après  voyelle 

labiale  (cf.  Lat.  Esp.  II  §  2.  B.)  :  Boidero,  Doiderus. 
Se  rapportent  vraisemblablement    aussi    à   la  même 

racine  rfow,  dû  (être  fort)  les  noms  suivants  dérivés,  sans 

doute,  de 
?  douta-  (fort)  (ou  duto)  :  suf.  lo  :  Doutius^  Dutius. 

suf.  aio  :  Dutaius. 

suf.  iko  (diminutif)  :  Dotice, 
bolo-  (fort)  suf.  so  -j-  io  :  Bolosea, 


20  LL    MISÉO.N. 

Pour  le  suffixe,  qu'où  couapare  Caretosa  (cf.  infra)  tiré 
de  karato-.  De  ahro-^  thème  du  même  sens  que  holo-  on 
tire  aussi  Ahrosus  (cf.  Holder  s.  v.). 
suf.  -ano  :  Bolanus. 

ahro-  (fort)  cf.  got.  abra-^  etc.  (Holder.  s.  v.)  suf.  no  :  Ahrunus, 
sans  doute  pour  Abronus,  nom  qu'oQ  retrouve  à  Mayence 
et  à  Raveune  (cf.  Holder  s.  vv.). 

avillo-  (agréable)  :  suf.  io  :  Avillius. 

suf.  iko  (dimiu.)  :  AvelUcus  [e  pour  ï  cf.  Lat.  Esp.  I  §  3). 
—  Abilus  (=  Abillus  pour  Avillus  avec  b  pour  v  inter- 
vocalique  cf.  Lat.  Esp.  II  §  3.)  et  son  dérivé  le  génitif 
ethnique  Abliq(umJ  et  le  nom  de  ville  :  Avila  (?)  se 
rapportent  peut-être  mais  beaucoup  plus  douteusement 
à  la  même  origine. 

magîo-  (noble)  :  suf.  on  :  Magilo  à  moins  que  ce  nom  ne  se  rattache 
à  magulo  (esclave)  cf.  infra. 

meido-  (gloire)  -\-  -ber  :  Meiduber  (=  qui  porte  la  gloire  ?)  —  : 
Cf.  le  nom  de  ville  de  Meidu-briga  CIL.  2.  760. 
superlatif  (?)  :  Medamus. 

tonkeiS  (fortune)  :   Tongeta,   Toceta  (chute  de  nasale  Cf.   Lat. 
Esp.  11  §  10). 
superlatif  :  Tongetanius . 

tongi'  (destinée,  fortune)  (i)  :  Tongius. 

On  trouve  en  outre  en  Espagne  les  noms  géographiques 
celtiques  :  Tongobriga  (cf.  gr.  Ntx.aîa),  Tongenabiacos^ 
qui  d'après  M.  Leite  de  Vasconcellos  serait  tiré  de  tongo 
-f-  ind.  eur.  nabi  (tleuve)  cf.  Navia,  Nabis). 

koiîâ  («  omen  »,)  :  Coela. 

suf.  io  :  Coelea,  Quœlia.  (Cf.  pourtant  supra  s.  v.  koilo). 
suf.  i-ano  :  Coelianus. 

—  Les  noms  propres  Caelius,  Caelaon^  Caelicus^  Cae- 
lioniga  sont  difficilement  assimilables  à  ceux-ci  malgré 
leur  grande  parenté  de  forme,  à  cause  de  la  différence  des 
diphtongues.  11  est  impossible  de  leur  trouver  pourtant  un 


(1)  D'après  M.  d'Arbois  de  Jubainville  reproduit  par  M.  Holder,  Alt.  Spr. 
s.  V.  Tongius. 


ÉLÉMENTS    CELTIQUES.  21 

autre  substrat  celtique  satisfaisant  et  d'autre  part,  l'emploi 
du  suffixe  -icus  (dimin.)  et  la  présence  du  nom  de  ville 
celtique  :  CaUobriga  ne  permet  guère  de  douter  que  l'on 
ait  affaire  à  des  dérivés  d'un  mot  celtique  IcaUo-.  Serait-ce 
une  forme  parallèle  de  Jcoilà,  le  vocalisme  des  mots  de 
cette  famille  étant  encore  assez  mal  connu  ?  D'une  part 
ce  vocalisme  semble  indiquer  un  àblaut  :  ei,  oi  fgot. 
hails,  gr.  /.o^au  =  to  -/.oCkov.  Hés.,  a.  si.  re/e  (complet),  de 
l'autre  il  montre  la  diphtongue  ai,  cf.  lat.  caelebs,  parent 
de  lett.  Jcails,  skr.  kevala-  (propre,  seul,  entier).  —  Le 
nom  Caela-on  tiré  d'un  thème  Jcailà  suggère  surtout  le 
rapprochement  avec  Jcoilà,  au  point  qu'on  se  demande  si 
ai  pour  oi  n'est  pas  ici  une  variante  dialectale. 

kelto-,  keltâ-.  De  nombreuses  étymologies  ont  été  proposées  de  ce 
nom.  Elles  sont  rassemblées  dans  Holder  p.  88*^.  La  plus 
probable  est  celle  de  Gliick  qui  rapproche  Jceltà  du  lat. 
cel-suSj  lith.  kelta,  (élevé). 

Ce  nom  est  usité  comme  nom  de  peuple  avec  le  suffixe 
iko  pour  une  tribu  du  sud  de  la  Lusitanie,  les  Céltici. 
Le  simple  Celti,  désigne  une  localité  près  d'Hispalis, 
l'ancienne  Séville. 

On  a,  en  outre,  en  Espagne  l'ethnique  :  Celtigun, 
forme  populaire  pour  Celtiqum  et  le  nom  de  personne 
Celtius  (trois  fois)  ainsi  que  ses  dérivés  Celtitanus  (une 
fois),  Celtica  (une  fois),  sans  parler  de  Celiiher,  usité 
parfois  aussi  comme  nom  de  personne. 

sunno-  (brillant)  :  Sunna. 
suf.  lia  :  Sunua. 

akro-  {élevé)  d'oii  le  nom  gaulois  :  Acrotalos  (au  front  haut)  se 
retrouve,  avec  le  radical  semon-  (héros)  dans  Acrosminus, 
nom  d'un  évêque  de  Bejiastrum  (Espagne).  IHC.  406. 

vesu-  (digne)  (d'où  les  n.  gaul.  Bellovesus,  Sigovesus,  Visurix). 

suf.  alo  :  Visalus.  {i  pour  e,  cf.  Lat.  Esp.  I  §  4  D.  et 
comparez  le  n.  gaul.  Visurix  de  vesu). 

Comme  rapprochements  plus  hypothétiques,  dans  le 
même  ordre  de  significations,  on  peut  indiquer  encore  les 
suivants  : 


22  LE    MUSftON. 

JcounO'  (beau)  suf.  ido-ko  :  Couneidoqum  (ethnique). 

suf.  i-anko  :  Couneancus.  (e  pour  i  en  hiatus,  cf.  Lat. 

Esp.  I  §  5). 
vello-  (meilleur)  suf.  —  no  -{-  io  :  Velaunls  =  Vellau-nius. 
vellavo-   (id.)      (Cf.   Leite  de  Vascoucellos.  Rev.  Celt.  XXI.  3. 

p.  308.)  Cf.  gaul.   Cassivellaunus,  Vellmmodunum.  (is 

pour  lus  cf.  supra  s.  v.  maglo-). 

-\-  suf.  -iko  :  Vellicus,  Bellicus.  h  pour  v  cf.  Lat.  Esp.  II §  3. 

-f-  préfixe  celtique  :  endo-  (i)  Endovellicus  (nona  d'une 

divinité  lusitanienne.  —  On    trouve  aussi  Antuhellicus 

qu'il  faut  peut-être  identifier  avec  ce  nom  (?) 
mati'  (bon)  :  Outre  Madicenus  cf.  supra,  ou  a  peut-être  avec  suf. 

is  -\-  io  :  Matisius. 
togi-  (agréable)  :  Togins.  —  Qu'on  compare  les  noms  gaulois  : 

Togimarus,  Togirlx,  Togisonus  (au  son  agréable)  etc. 
meido-  (gloire)  :  Outre  Melduber  et  Medamus  (cf.  supra),  on  a 

peut-être  : 

-f-  suf.  iko  :  Medicus  4975  (ce  n'est  pas  le  mot  latin). 

-|-  suf.  ano  -\-  iko  :  Medanica. 

-f-  suf.  iko  -f-  io  -j-  avo  (?)  :  Mediceavus. 
e  pour  ei  comme  i  pour  ei  est  une  réduction  normale 

de  la  diphtonge  ci  dans  une  forme  latinisée. 
loH-,  lovo-  (lumière)  :  (gaël.  goleu  =  lucidus  —  Cf.  gaul.  Lovocatus 

«  brillant  au  combat  »). 

superl.  :  Loutamus. 

suf.  eso  :  Lovessus,  Lobessus.  {h  pour  v  cf.  Lat.  Esp.  II 

§  3).  suf.  es-io  :  Lovesius. 
[/louk  (briller)  :  cf.  lat.  luccre. 

suf.  erno  :  Logirnus.  —  Cf.  ir.  locharn,  cf.  lat.  lucerna, 

corn,  lugarn,  (lumière,  lampe). 

Les  noms  Logas,  Logias,  Logius  se  rapportent- ils  à  la 

même  racine  ? 

suf.  io  :  Loucius. 

suf.  ino  :  Loucinus. 

suf.  (u)mo  (?)  -on  :  Lucumo. 


(1)  and  ou  ande,  cf.  le  n.  gaul.  Andehremos,  Anderetom. 


ÉLÉMENTS    CELTIQUES.  25 

Qu'on  compare  à  ces  trois  noms  les  substrats  *  ïouko- 
(blanc),  luko-  (clair),  etc. 
suf.  eso  -j-  io  :  Lovesius. 

Rac.  dék  d'où  l'irl.  dech  (optimus),  et  qui  se  retrouve  dans  le  latin 
decus,  doces,  gr.  SéxopLat,  Sox.ip.oc. 

Cette  racine  se  trouve  peut-être  à  la  base  des  nombreux 
noms  en  doc-  :  Docquirlcus,  Doccius,  qui  se  rencontrent 
souvent  en  Espagne  et  sont  certainement  d'origine  celti- 
que car  ils  se  retrouvent  dans  tout  l'Ouest  de  l'Europe 
(Doccàlus,  Bocco,  Docius,  etc.  cf.  Holder,  s.  vv.) 

qeislô  (iateWigere)  d'où  l'irl.  cm/Z  (intelligence),  cymr. proyell,  corn. 
gobuUoc  (insensé),  raoy.  bret.  pollot  (esprit)  se  retrouve 
peut-être  (cf.  Holder,  s.  v.)  dans  les  noms  ci-joints  : 
PeUus. 

suf.  io  :  Fellius. 
suf.  ieio  :  Pellieius. 
suf.  iko  :  Pellieus. 

Rac.  arg  qui  se  retrouve  dans  Arguna,  Argentia,  etc.  cf.  Holder, 
s  V.  ou  org  (briller)  existe  peut-être  avec  divers  suflSxes 
dans  Argaelo,  Argilicus  (dérivés  d'un  adjectif  argelo 
(brillant)  (?)  et  Argemonica  ('•'). 

dago-  (bon)  :  (cf.  les  n.  gaul.  Dagodubnus,  Bitudaga,  etc). 

suf.  anJc  -\-  io  (?)  Dagencium  ethnique.  —  Rapproche- 
ment fort  douteux. 

E.    ÉpITHÈTES    GUERKIÈUES. 

Parmi  les  épithèles  élogieuses,  on  pouvait  présumer 
que  chez  un  peuple  aussi  guerrier  que  l'étaient  les  Celtes, 
celles  se  rapportant  aux  choses  de  la  guerre  devaient  être 
particulièrement  nombreuses.  De  fait,  on  peut  en  retrouver 
une  assez  grande  quantité  dans  les  noms  propres  de 
l'Espagne  : 

Kamulo-  (Dieu  de  la  guerre)  :  (cf.  Wbitley  Stokes  et  Bezzenberger, 
p.  70).  On  en  dérive  les  noms  gaulois  :  Camulorix, 
Camulognata, 


24 


LK    MISKON, 


Ce  nom  se  retrouve,  sans  doute,  aussi  dans  :  Camalus, 
nom  extrêmement  fréquent  en  Espagne. 

a  pour  û  est  une  simple  assimilation  vocalique  à 
Va  tonique  comme  il  s'en  est  produit  fréquemment  en 
Espagne  :  Cf.  Lat.  Esp.  I  §  17. 

—  Camalus  pourrait  aussi  être  interprété  comme  signi- 
fiant «  esclave,  serviteur  »  de  même  que  kamulà  (d'où 
l'irl.  cumal)  signifiait  «  servante  »  en  celtique.  Ce  nom 
serait  alors  le  même  que  le  latin  CamiUns. 

katu-  (combat)  -{-  rig  (commandant)  :  Caturis  forme  identique  au 
nom  gaulois  Caiurix  mais  avec  chute  de  la  gutturale, 
première  de  groupe,  phénomène  constaté  déjà  plusieurs 
fois  (cf.  supra  s.  v.  relia-,  etc.). 

—  Du  même  radical  kafu-,  dérivent  vraisemblablement 
aussi  les  noms  suivants  qui  devaient,  sans  doute,  avoir  la 
signification  du  celte  kntarnos  (brave). 

suf.  ro  -\-  iho  :  Caturicus. 
suf.  ro  -j-  on  :  Caturo. 
suf.  eno  :  Catuenus. 
bondi-  (victoire)  (ou  houdo-  cf.  le  n.  de  ville  gaulois  Botidohriya)  : 
Bontins.  Ce  nom  est  bien  connu  en  Gaule  sous  la  forme 
Boudius  (=  houdi-ijo  «  victorieux  »).  Il  est  impossible  de 
séparer  ces  deux  noms.  Le  t  du  nom  espagnol  n'est  pas 
un  cas  absolument  isolé  (cf.  Lat.  Esp.  II,  §  9,  et  supra 
s.  V.  Madicenus)  (i). 

D'autres  dérivés  espagnols  de  houdi  ont  un  d  : 
suf.  ko  :  Boddegun,  forme  vulgaire  d'un  génitif  ethnique 
pour  Bodiqum  ou  Boudiqtim,  Qu'on  compare  le  gaulois 
Boiidikos. 

suf.  ko  -\-  io  :  Bodrcius  (=  Boudi-cius  ?) 
suf.  no  ou  enno  :  Boudenna. 

suf.  ko  ou  ikko  :  Boudicca.  Cf.  le  n.  gaul.  Boudicca. 
suf.  (e)ro-on  :  Bodero. 
suf.  on  (?)  :  Bodon. 

(1)  Il  est  digne  de  i-emaniue  que  o'est  inie  tendance  bien  ni;u*(iuéc  dans 
l'histoire  de  l'espagnol  de  prommcer  dos  explosives  sourdes  après  les 
diphtongues. 


I 


ÉLÉME^'TS    CELTIQUES.  25 

M  OU  0  pour  ou  sont  des  réductions  naturelles  de  la 
diphtongue  ou  dans  les  transcriptions  latines. 

—  Quelques-uns  de  ces  noms  doivent  peut-être  être 
rapprochés  du  radical  hôdio  qu'on  trouve  dans  les  noms 
gaulois  Bodiocasses,  bret.  Butgtioret,  etc.,  et  qui  signifie 
«  jaune,  bai  ». 
gallois  tangi-  (paix)  :  (d'un  substrat  tanlîo-  d'après  M.  Holder  (Vj) 
suf.  no  :  Tanginus,  Tancinus. 

Pour  l'hésitation  entre  g  et  c  surtout  après  «,  cf. 
supra  s.  V.  longo. 

Il  faut  comparer  à  Tancinus  pour  le  sens  les  nombreux 
noms  germaniques  où  se  trouve  le  radical  de  l'allemand 
Friede  :  Frédéric,  Godefroid,  Alfred,  6'igefroid,  etc.  et 
pour  la  forme  et  le  sens  :  Tancrih  (cf.  Holder  s.  v.  tanko). 
sego-  (victoire,  force)  -|-  rac.  ved  (cjaduire)  :  Secovesos  pour 
Segovessos  avec  55  pour  d  comme  dans  Cassivellaunus 
de  la  rac.  kad  (cf.  supra  s.  v.  kadro).  Quant  à  c  pour  g, 
cf.  supra  s.  v.  Madicenus,  etc. 

Le  génitif  Segovetis  se  rapporte,  certes,  à  une  autre 
forme  de  ce  même  nom. 

Du  même  radical  on  a  enore  : 
suf.  eio  :  Segeius. 
suf.  ianio  :  Segeamus. 
suf.  on  :  Sego. 
suf.  ilo  :  Segilus. 
suf.  l-io  :  Segolia. 
suf.  nt-io  :  Sngontius  et  le  nom  de  ville  Segontia  d'où  est 

issu  l'ethnique  Segossoqum  pour  Segontioqiun. 
suf.  -eno  :  Secemis.  c  pour  g  comme  supra  dans  Secovesos. 
suf.   ero  :   Sigerus  —  i  pour    e    protonique    cf.    Lat. 
Esp.  I,  §  4.  D. 

—  Ce  radical  sego-  se  trouve  encore  dans  divers  noms 
de  ville  de  l'Espagne,  outre  Segontia,  par  exemple  dans 
Segohriga,  (=  Siegburg),  Segisamo. 

Tous  ces  noms  propres  tirés  du  radical  sego-  rappel- 
lent les  nombreux  noms  germaniques  tels  que  Siegfried, 
Siegelinde,  etc. 


26  LE    MlSÉOiN. 

,   ,     ,      .,        s         f      Picfeïanceus,  composé  possessif  =  «  à  la 
-f  lanl-ea  (lance)         ; 

x  lui  le  iciijut!  n . 

(cf.  supra  s.  V.  longo-)  ] 

Le  second  q  a  perdu  l'élément  labial,  sans  doute,  à 
cause  de  sa  position  de  première  de  groupe  (cf.  lat. 
quoique  :  quincius).  A  comparer  qeqto  <  inJdo,  à  qerqà 
<  perlca  (cf.  supra) ^  on  pourrait  aussi  croire  à  une  sorte 
de  dissimilation  (cf.  lat.  quinque  <  romain  cinque). 

Quelques-uns  des  noms  cités  dans  la  subdivision  D 
pourraient  aussi  bien  figurer  ici  car  ils  expriment  une 
gloire  qui  devait  être  essentiellement  militaire,  tels  sont, 
par  exemple  :  Vironus,  Meiduher,  Medatnus,  Acrosminus 
et  les  dérivés  de  tongi-,  tonketd;  kelto-. 

D'un  caractère  plus  douteux  mais  dignes  encore  d'être 
mentionnées  sont  les  dérivations  suivantes  se  rapportant 
toujours  aux  choses  de  la  guerre  : 

kesti-  (lance)  :  (de  la  même  racine  que  lat.  Castro,  skr.  castra) 
se  trouve  peut-être  dans  Cestius,  Cestinus,  Cestus,  qui 
seraient  des  formations  tout  à  fait  similaires  à  Colgius. 
colg  (épée)  (cf.  infra). 

gaiso-  (trait)  :  d'où  les  noms  celtiques  :  Cralsorias,  Gaisorix,  Gaiso, 
Gaesatus,  etc. 
suf.  aro  :  Caisaros. 

Ce  nom  est  extrêmement  commun  en  Espagne  où 
il  apparaît  toujours  pour  designer  des  Barbares.  Il  se 
décline  comme  un  thème  en  o.  Dès  lors,  faut-il  admettre 
que  ce  soit  une  forme  barbare  du  nom  latin  Caesar 
répandue  parmi  les  indigènes,  ou  bieu,  se  rappelant  que 
le  suffixe  aro  est  fréquent  dans  les  noms  propres  celtiques 
de  la  péninsule  hispanique  et  que  les  indigènes  de  ce 
pays  avaient  une  affection  particulière  pour  la  lance  et 
aimaient  à  rappeler  dans  leurs  noms  leur  arme  favorite 
(cf.  ci-dessus  Fictelaticeus  et  les  dérivés  de  kcsti-),  ne 
vaut-il  pas  mieux  regarder  Caisaros  comme  uq  dérivé  de 
gaiso-  V  Lcg  pour  c  n'est  pas  une  difficulté  insurmontable 


ÉLÉMENTS    CELTIQUES.  27 

puisqu'on  a  plusieurs  exemples  de  ce  phénomène  (cf.  Lat. 
Esp.  II,  §  6  et  supra  les  explications  de  Madicenus, 
Loncohricensis,  etc.),  et  que  dans  ce  cas-ci  une  contami- 
nation avec  Caesar  était  fatale.  L'étymologie  populaire 
a  produit  inversement  Gallaeci  pour  Callaeci  sous 
l'influence  de  Gallus. 

De  Caisaros,  on  a  aussi  le  dérivé  Caesardta,  qui  est 
sans  doute,  pour  Caesaria  (suffixe  io,  ia  fréquent)  puisque 
di  et  *  se  confondirent  dès  l'époque  impériale  (Cf.  Lat. 
Esp.  II). 

lankia  (lance)  :  Lancius,  Lanciqum,  cf.  supra. 

Jcobo'  (victoire).  De  ce  mot  de  sens  analogue  au  radical  si  fécond 
sego-  (cf.  ci-dessus)  oq  tire  le  nom  gaulois  Cobnertus. 
Je  serai  assez  disposé  à  y  rapporter  l'ethnique  espagnol  : 
Comenesciqum  qui  serait  un  composé  de  koho  -{-  naskd 
(je  lie)  et  dont  le  sens  aurait  pu  être  :  «  qui  lie,  engage  ou 
promet  la  victoire  »  (V).  (Cf.  irl.  arnascim  =  je  promets). 
On  a  vu  plus  haut  divers  composés  de  ce  genre  (Segovesos, 
Caturix^  etc.)  Comenesciqum  serait  évidemment  issu  de 
Comnesciqum  par  un  phénomène  très  régulier  de  svara- 
bhakti  oîi  la  voyelle  épenthétique  prend  le  timbre  de  la 
tonique  voisine,  processus  que  nous  avons  constaté  bien 
des  fois.  Quant  à  la  réduction  du  groupe  labiale  -{-  n 
à  mn,  c'est  un  phénomène  phonétique  assez  fréquent 
(qu'on  compare,  par  exemple,  le  latin  Samnium  pour 
Sabnium,  somnus  pour  sopnus,  etc.).  Le  radical  celtique 
obno-  (crainte)  donne  de  même  à  côté  de  Exobnus,  les 
noms  Exomnus  et  l'a.  irl.  oman  (crainte)  où  il  y  a  même 
svarabhakti. 

rad.  org  (tuer).  De  ce  radical,  dérive  l'anc.  bret.  orgiat  «  caesor  ». 
On  en  tire  le  nom  gaulois  Orgetorix.  Peut-être  bien 
faut-il  y  rattacher  le  nom  Orgeteius  porté  par  un  légion- 
naire espagnol  de  l'Illyricum  (CIL.  III.  5191)  et  qu'on 
trouve  en  Espagne  même  sous  la  forme  Orecetus  pour 
Orgetus  avec  svarablialiti  comme  ci-dessus  et  c  pour  g 
comme  dans  Madicenus,  Loncobricenses,  Tanclnus,  etc., 
cf.  supra.  Le  sens  serait  analogue  à  celui  du  latin  Caesar 
qu'on  dérive  généralement  de  caedere. 


28  LE    MISÉON. 

rad.  kél-Cayd  (frapper).  De  cette  racine  dérive  l'ancien  irlandais  : 
ceUtach  (guerre). 

Peut-être  se  retrou ve-t-elle  dans  le  nom  espagnol  Cela- 
dus,  dont  le  sens  alors  se  rapproche  de  Orgeteius  et  de 
Caturo. 

irl.  colg.  (épée).  C'est  au  substrat  de  ce  mot  que  M.  Holder  rap- 
porte le  nom  barbare  Colgius^  Colins. 

On  en  a  en  Espagne  le  dérivé  Coliacini.  —  On  sait  que 
i  pour  gi  est  fréquent  à  l'époque  impériale  (cf.  Lat. 
Esp.  II  §\). 

feodfâ,  hodvo  (combat).  (Ce  radical  se  trouve  dans  Boduagnatus 
Ateboduus  et  autres  noms  gaulois)  :  Bodives. 
Le  suffixe  est-il  -io  et  Bodives  est-il  pour  Bodvius  < 
Bodvis  (cf.  supra  s.  v.  niaglo.  i  serait  ici  épenthétique). 

Jcarhito-  (char,  char  de  guerre  (?)  d'où  le  n.  de  lieu  gaulois  Car- 
j;)entoracte  (Carpentras),  l'ir.  carpat  (chariot),  etc.) 
suf.  io  :   Carpetius  (Formation  analogue  à  Cestius,  Col- 
gius,  Loncius,  etc. 

suf.  ano  :  Carpefatius  (a.  d'une  tribu  hispanique).  L'explo- 
sive sonore  après  consonne  a  fait  place  à  la  sourde  cor- 
respondante comme  dans  de  nombreux  exemples  (cf.  s.  v. 
dergo-,  longo-,  acerdho-,  etc.).  Il  en  est  de  même  dans  les 
dérivés  erso-cymriques  de  cette  souche. 

F.    ÉPITHÈTES    d'amitié. 

Il  n'y  a  guère  de  peuples,  chez  qui  l'on  ne  trouve  pas 
en  assez  grand  nombre  les  noms  exprimant  laffection. 
Nombreux  sont,  par  exemple,  les  Romains  dénommés 
Carus,  Amatus,  Amandtis,  Amoenus,  etc. 

Ce  genre  de  noms  ne  manquait  pas  non  plus  parmi  les 
Barbares  de  l'ancienne  Espagne  : 

koimo-  (cher)  suf.  io  :  Coemea,  Quemea,  Comea  {ea  pour  ia  cf.  Lat. 

Esp.  I  §  5). 
karanto-  (cher)  suf.  on  :  Garante.  (Cf.  le  n.  gaul.  Carantomagos j 

Carantus). 


ÉLÉMENTS    CELTIQUES.  29 

haro-  (cher)  :  Garus  (aussi  souvent  celtique  que  latin). 

suf.  i-on  :  Cario. 

suf.  dimin.  iko  :  Caricus,  Careca. 

suf.  dimin.  ilo  :  Carïla. 

suf.  i-ano  :  Carianus. 

suf.  is-io  :  Carisius. 
Jcarato-  (aimable)  suf.  oso  :  Caretosa. 

Pour  le  suffixe,  cf.  Bolosea  de  &oZo-  (fort)  —  e  pour  a  est, 

sans  doute,  une  dissimilation. 
Tceilyo-  (ami,  compagnon)  :  Cilius,  Cilea  (ea  pour  ia  cf.  Lat.  Esp. 

I§5). 

suf.  ko  :  Cilieus. 

suf.  wo  :  Cilinus. 
Comme  ces  noms  sont  confinés  en  Lusitanic,  plusieurs 

auteurs  les  regardent  comme  ibériques.  11  est  à  remar- 
quer pourtant  qu'on  les  trouve  souvent  mêlés  aux  noms 

évidemment  celtiques  qu'on  rencontre  très  nombreux 

dans  cette  province. 

G.  Noms  de  parenté  et  «  Lallwôrter  ». 

Encore  une  catégorie  de  noms  particulièrement  féconde 
dans  les  diverses  familles  linguistiques.  Les  Italiotes 
avaient  dans  ce  genre  :  Althis,  Ammiiis,  Avius,  tirés  de 
radicaux  qui  se  trouvent  également  dans  les  langues 
celtiques  et  dans  bien  d'autres  familles  de  langues,  du 
reste  (cf.  Zimmermann  Bez.  B.  XXIII,  p.  266  sq.),  parce 
qu'ils  sont  empruntés  au  langage  des  enfants,  lequel  est  le 
même  partout. 

Voici  les  noms  qui  en  Espagne  sont  formés  au  moyen 
de  radicaux  de  ce  genre  sans  qu'on  puisse  toujours  dire 
s'ils  sont  vraiment  celtiques  : 

attio-  \ 
^      I  (père,  nourricier)  :  Attius  (aussi  italique),  Atta.  cf.  gr. 

.,      \      àTTa,  got.  atta,  etc.  lat.  n.  p.  Attus,  Attius^  etc. 


30  LE    MISÉON. 

suf.  on  :  Attio. 

suf.  ua  :  Atlua  (cf.  infra  :  Annua). 

suf.  ro-on  :  Atturo. 

suf.  nrt  :  Attuna. 

suf.  diminutif  :  /^^)a  :  Attifa, 
anna  (inère,  taute,  sœur,  etc.)  :  Anna  Lalla  (doublement  «  Lall- 

wort  n)  Anne,  Anna  (cf.  lat.  anus,  Anna,  Peremia,  An- 

naeuSy  Annidliis,  etc. 

suf.   io,  i-on,  i-ano  :   Anius,  Annius,   Anio,  Annianus 

(latin  ?). 

suf.  eio  :  Anneins. 

suf.  ano,  eno,  ino  :  Ananus,  Anenus,  Aninus,  Aninna, 

Anninius. 

suf.  ua  :  Annua  (cf.  supra  :  Attua). 

suf.  oca  :  ^wnoca. 

suf.  iko  (diminutif)  \  -\-  lllo  :  AniciUa. 
{  -\-io  :  Anicius. 
nanna  (id.)  :  Nanna. 
allô-  (autre  "  Lallwort  »)  :  Allus,  Alla. 

suf.  ono  :  Allonus. 

suf.  w,  w«  ;  Allius,  Allio. 
lallo-  (id.)  cf.  lat.  lallare,  lallus. 

Lalla,  Lalus,  Laie.  Ces  noms  sont  fréquents  dans  tous 

les  pays  celtiques. 
akka  (mère)  :  cf.  skr.  akkâ,  gr.  'A^x-w  n.  pr.  lat.  Accius,  etc. 

Acca  (n.  d.  femme)  Accès  (homme). 

suf.  on  :  Acco  (n.  d'homme  et  de  femme). 

suf.  io  :  Accia  (lat.  ?). 

suf.  iko  (gentilice)  :  Acciq{iim),  A cceicum(<\\i' on  compare 

pourtant  les  noms  de  villes  (ibériques  ?)  :  Acci,  Accinipo). 
ahba  (père,  etc.)  suf.  oko  :  Abboiocum  (gens)  (?). 
ammâ  (mère,  grand'mère)  suf.  io  :  Atnmius  (aussi  italique). 

suf.  on  :  Ammo. 

suf.  ino  :  Amminus,  Ammoinius  5812. 

suf.  ira  (?)  :  Ammira. 

suf.  dimin.  iko  :  Animica. 

suf.  ino  —  suf.  gentil,  iko  :  Aminicum,  Amaonicum  (?). 


ÉLÉMENTS   CELTIQUES.  31 

avo-  (aieul,  oncle,  etc.)  cf.  1.  avus,  got.  awô  (aieule),  et  en  celtique  : 

ir.  aue  ('ne  pas,),  cymr.  ewythr  (oncle). 

Avvus. 

suf.  io  :  Ahia. 

suf.  ano  :  Avana^  Ahana. 

suf.  i-eno  :  Avienus,  Abienus. 

suf.  lo-no  :  Abionnus. 

suf.  ?  :  Avopate  (?). 
mammâ  (mère)  :  suf.  to  :  Mammatus. 

suf.  ?  :  Mamercus  (?). 
Beaucoup  plus  douteux  sont  les  suivants  : 
suJcnô  (tèter)  :  suf.  ino  :  Sucninus  (=  nourisson  ?). 
melgo-  (lait)  :  suf.  aiJco  (?)  :  Melgaecus  (même  signification  ?). 

H.  Nombres  ordinaux. 

On  sait  combien  ce  genre  de  noms  était  familier  aux 
Romains  :  Primus,  PrinnUa,  Secundus,  Tertius,  Quintus, 
Sexhis,  Septimus,  Oclaviis,  etc.  figurent  parmi  leurs 
dénominations  les  plus  communes.  Ce  genre  de  noms 
remonte,  sans  doute,  originairement  à  l'usage  de  désigner 
les  enfants  selon  leur  ordre  de  naissance.  Il  y  avait  lieu 
de  se  demander  si  quelque  trace  d'un  usage  analogue 
pourrait  se  découvrir  chez  les  Celtes  d'Espagne.  De  fait 
plusieurs  nombres  ordinaux  celtiques  se  retrouvent  dans 
les  noms  indigènes  de  cette  péninsule,  les  uns  très  claire- 
ment, les  autres  avec  une  certaine  vraisemblance. 

qennotamo-  :  («  primus  »  —  signifiant  aussi  «  princeps  »)  (super- 
latif de  qenno-  (tète)). 

Pintamiis.  Ce  rapprochement  est  évident.  *  pour  ê 
devant  la  nasale  est  un  phénomène  bien  connu,  (cf.  le 
nom  Pintareus  tiré  aussi  de  qenno.  (tête)  cf.  Lat.  Esp. 
I§4,C. 

tritiyo-  (troisième)  :  (Autre  forme  *  trito-  ?  cf.  gr.  xpixoç). 


52  '^^    MIJS|5;0N. 

Tritius,  Triteus,   Trites  (eus  pour  ius  cf.  Lat.  Esp. 

I§5). 

suf.  aio  :  Tritaius. 

suf.  a{l)lo  :    Tridalla.  d  pour  t  intervocalique  cf.   Lat. 
Esp.  II  §  1. 

suf.   a{l)lo  -j-   ilco  :   Tritalicus,  Trifalicum  (ethnique), 
Tirtalico. 
qenq{e)to-  (cinquième)  suf.  io  :  Fenfius  (cf.  lat.  Quintius). 

suf.  aio  :  Fentaius  (cf.  supra  Triiaius  à  côté  de  Triiius). 

suf.  i?/  :  Feniilis  (cf.  lat.  Quitictilis). 

suf.  y-io  :  Pentovius  (cf.  supra  Petravio  ?). 

Tous  ces  noms  remontent  non  à  qcnqeto  substrat  des 
nombres  ordinaux  britanniques  mais  bien  à  qcnqto-  (i), 
forme  analogue  au  latin  quinctus  et  devenue  qento  par 
chute  de  la  gutturale.  Cette  disparition  de  la  gutturale 
devant  consonne  est  un  phénomène  très  fréquent  dans 
les  noms  celtiques  de  l'Espagne  comme  on  a  pu  le  con- 
stater plusieurs  fois  (cf.  sv.  reJdu-,  emhi-akto,  sagro, 
imihfo-,  etc.).  Du  reste,  la  gutturale  étant  ici  entre  deux 
consonnes  avait  une  chance  de  plus  de  tomber  comme 
cela  s'est  produit  aussi  en  latin  :  quintus  pour  quinctus. 

Les  autres  noms  de  nombres  ne  se  retrouvent  pas  aussi 
clairement. 

allô-  (l'autre,  le  second)  cf.  ir.  aile,  indaile  (second),  gall.  eil. 

Allias,  jillo  (V)  mais  peut-être  sont-ce  des  «  Lallwor- 
ter  »  cf.  supra. 
qetveres,  qetosres  (quatre)  n'a  pas  de  dérivés  évidents  (cf.  gaul. 
petor  dans  pctorreium  =  char  à  quatre  roues). 

On  trouve  Fctravio  sur  une  inscription  lusitanienne 
d'interprétation  difficile  (CIL.  2.  410.  MLI.  LVII)  qui, 
comparé  à  Fcniovio  (de  qeuqe  =  cinq  V),  paraît  remonter 
en  quelque  sorte  à  qetveres  avec  un  suffixe  avo,  ovo. 


(1)  On  a  vu  do  même,  ci  dessus  Pintamus  remontera  qentamo  pour 
qennotamo. 


ÉLÉMEiNTS    CKLTIQL'ES.  OO 

qenqe  (cinq)  (gaul.  pempe  =  cinq).  Outre  les  divers  dérivés  de 
qcnq(e)io  ci-dessus  énuQiéiés,  on  se  demaude  si  [a. gens 
des  Pemheli  ne  conserverait  pas  une  autre  forme  d'ordi- 
nal dérivé  de  pempc  fscu  pemhe  ?j  pour  qemie  au  moyen 
du  suffixe  ili  qui  se  retrouve  dans  Fcntilis,  quinctilis. 

Inutile  de  dire  que  ces  derniers  rapprochements  avec 
qetvcres  et  qenqe  ne  sont  donnés  qu'à  litre  documentaire. 

I.  Noms  tirés  de  l'état  social. 

Il  s'agit  de  noms  analogues  aux  noms  l'oinains  fréquents 
Servitis,  Lihertus,  etc.  ou  de  noms  de  professions  comme 
Fabcr  et  dans  nos  langues  Lc/rrrc,  Charpentier,  Mercier, 
Marchand,  Smith,  Schuhmacher,  etc. 

On  ne  trouve  en  Espagne,  dans  cet  ordre  de  signitica- 
tion,  que  peu  de  noms  indigènes  dont  la  dérivation  soit 
claire. 

Le  plus  répandu  et  le  plus  évidemment  celtique  est  : 


embl- 
mbi 


-{-  akto-  ?  (=  iu/il  -\-  y-v-xôc,  (=  captif,  esclave)  ir,  amaeth 

(servus  arans).  Le  germ.  amhacht  serait  aussi  emprunté 
au  celtique).  De  là 

Anihatus  pour  Amhactus  par  suite  de  la  chute  si 
fréquente  de  la  gutturale,  devant  consonne  (cf.  supra). 
Les  grammairiens  romains  rapportent  que  «  ambactus, 
apud,  Ennium,  liugua,  gallica  servus,  appellatur.  « 

•A  côté  d'Amhatus,  forme  très  fréquente,  on  trouve 
Amhadns  où  le  t  intervocalique  est  devenu  sonore  d'après 
un  processus  bien  connu  (Lat.  Esp.  II  §  1). 

On  peut  encore  citer  : 

kaklyo-  (Fick)  (serviteur)  cf.  lat.  cacula  (soldat  auxiliaire)  : 

suf.  on  :  Cacalo-  Fick  pose  le  substrat  kaklyo  en  s'ap- 
puyant  sur  Tir.  cele^  mais  ce  mot  est  évidemment  composé 
de  kakla  (cf.  lat.  cacula)  -{-  le  suffixe  io.  L'existence  du 

3 


34  LE    Ml'SÊON. 

simple  kakla  en  ancien  celtique  est  présumable  et  permet 

de  rendre  aisément  compte  du  nom  propre  Cacalo  avec 

épenthèse  pour  kaUo{n). 
Imagulo-  (esclave)  suf.  ion  :  Magulio. 
\mogulo-  suf.  io  :  Mugilis  (Mogilius). 

*magio-  -\-  geno-  (fils  d'esclavej  :  Maigenus  —  Je  pose  le  substrat 

Ma(gjio-geno  d'après  le  nom  suivant  fréquent  :  Magius 

à  côié  duquel  on  trouve  Maius  comme  on  a  Maiusa  : 

Magiusa  (tlolder  s.  v.). 
magu-,  mogu-  (serviteur)  :  (Cf.   les   n.    gaulois  Rotomagus,   irl. 

Dairmagh,  Findmag,  etc.). 

suf.  io  :  Magius. 

suf.  eno  :  Magenus  (i). 

-|-  préfixe  emhi  (cf.  Ambatus)  :  Ambimogiclus. 

I  suffixe  ido. 

reâo  =  conduire  un  char  4-  préf.  emhi      <    i,  •    j 

^  :  Ambiroaacus. 

rotâ  =  char,  roue  suf.  ako 

Ce  nom  signifie  «  conducteur  de  char  r,  ou  peut-être 

simplement  «  auxiliaire,  serviteur  »  comme  le  grec  £7:ip:o6oç 

qui  paraît  se  rapporter  à  la  même  racine  (cf.  skr.  rathas). 

skotto-  (propriétaire,  chef)  :  Scotus. 

toutCi  (peuple)  suf.  ono  :  Toutoni  (génitif  ?). 

On  a  aussi  le  rad.  teuto-,  cf.  les  noms  gaulois  Teuto- 
maros,  Teutiorix,  Teutomatos. 
suf.  io  :  Tauiius  ('?). 

suf.  io  :  Toutati.  Ces  noms  probablement  d'origine  hispa- 
nique se  trouvent  dans  CIL.  3.  .5320,  7819. 

Comme  simples  suggestions,  on  peut  signaler  la  possi- 
bilité d'une  parenté  entre  : 

qero  (j'achète)  (d'où  irl.  go-hr  (marchandise)  et  Copirus,  Co-po- 
rus  (2)  qui  signifierait  «  marchand  »  ou  plutôt  «  acheté, 
esclave  ». 


(1)  Mainna  se  rapporte-til  à  la  même  racine  ?  On  trouve  dans  les  régions 
celtiques  de  l'Kurope  :  Main  me  lus,  Maïu-rus,  Maiu-sus  qui  indiquent 
un  thème  main  dont  lidentiticalion  avec  magu  est  difficile. 

(2)  Cf.  aussi  le  radie,  celliq.  kobro-  des  noms  gaulois  :  Dubrodunum, 
Vernodubrum  et  coveri  (juste,  vrai). 


ÉLÉMENTS    CELTIQUES.  55 

vcito-  (poésie,  poète)  et  Vatinons,  Vatro  (?)  (barde  ?)  (cf.  irl.  faith 
=  poète). 
Les  noms  Arentero,  Aranto,  Aranditonl  semblent  tirés  au 
moyen  du  suffixe  celtique  fréquent  -ant-  (Zeuss.  p.  798)  d'une 
racine  qui  peut  être  soit  era,  ra  (ramer,  travailler  —  cf.  ir.  ara(d) 
(servante),  soit  ar  (labourer).  Ils  signifieraient  donc  «  laboureur  » 
ou  «  domestique  ». 

J.  Noms  de  plantes  ou  d'arbres. 

L'idée  de  dénommer  des  individus  d'après  des  végétaux 
peut  paraître  extraordinaire.  Elle  semble  cependant  avoir 
eu  quelque  faveur  à  Rome  où  Fabius,  Cicero,  Senecio, 
Piso,  Laurmtius,  etc.  ont  été  maintes  fois  rapprochés  de 
faba,  cicer,  senecio,  pisiim,  laurus,  etc.,  étymologies  dont 
quelques-unes  sont  certes  discutables  mais  dont  plusieurs 
ne  paraissent  guère  contestables.  En  Espagne  où  les  noms 
d'animaux  sont  si  largement  représentés,  on  pouvait  se 
demander  s'il  en  serait  de  même  des  noms  de  végétaux 
et,  de  fait,  une  demie  douzaine  de  noms  propres  s'expli- 
quent très  bien  par  des  noms  celtiques  de  plantes,  si  bien 
qu'on  doit  trouver  assez  raisonnable  étant  donné  leur 
nombre  d'admettre  ce  genre  d'étymologie  végétale. 

ehuro-  (if)  suf.  anko-on  :  Eburanco. 
suf:  ino  :  Eburinus. 

Plus  douteux  est  Ebarus  (IL  751). 

Ce  radical  ébur  est  bien  connu  de  tous  ceux  qui  s'occu- 
pent de  toponymie.  On  le  retrouve  dans  les  noms  de  lieu 
de  presque  toute  l'Europe  centrale  et  occidentale,  ce  qui 
prouve  comme  le  remarque  M.  )^no\>s  (Waldbaume  und 
Kulturi' flan  zen  des  deufschen  Altcrtums)  qije  cet  arbre 
devenu  assez  rare  aujourd'hui  à  l'état  imligène  dans  ces 
régions  y  était  jadis  bpaucoup  plus  répandu.  Il  paraît 
avoir  joué  un  rôle  assez  impurtant  dans  l'industrie  des 
anciennes  peuplades  de  l'Europe, 


36  l,K    MISKON. 

leima  (tilleul),  suf.  mo  :  Lima  (?)  Limenhis. 

suf.  vo  :  Lerndvi  (geus). 
lemo^  limo  (orme,  cf.  lat.  ulmus)  suf.  iko  :  Limici  (gens)  cf.  Limica, 

localité  de  l'Espagne. 

Le  tilleul  est  aussi  un  arbre  qui  a  attiré  très  tôt  l'atten- 
tion des  peuples  européens.  Son  nom  ligure  très  largement 

dans  la  toponymie. 
dragino-  (épine,  prunellier)  :  Draganum  (gens). 

(assimilation  vocalique  ordinaire). 
luhi-  (herbe  médicinale)  :  Lidianus.  A  moins  que  ce  nom  ne  soit 

le  n.  lat.  Lupianus. 
seano-  (nom  de  plante  de  signification  mal  déterminée)  :  Seanicum 

(gens). 
Ihssu  (herbe)  suf.  io  (?)  Liisi  gen. 

suf.  on  :  Lnsones  (tribu  celtibère). 

hetu-a   (  ,,      ,       ,      „  Betou-na. 

,  ,    T    \  (bouleau)  suf.  no  :  -r.  . 
betu-la  (  Beau-nus. 

d  pour  t  intervocalique  (cf.  Lat.  Esp.  L  §  1). 

cf.  ir.  hethe  (buis),  ogm.  hedw  (bouleau),  a.  br,  bedun  ; 

corn,  hedewen  (peuplier). 

suf.  no  -\-  il-Q  :  Betunica.  Plus  douteux  sont  Bedo,  Bedo- 

nicsis,  etc. 

corn,  les  (herbe)  (?)  :  suf.  alo  :  Lesala  (?) 

suf.  on  :  Lesson  (?). 

ahall 0- ([^omme)  I     .     ..,     .      ..^ 
,    ,,_    ,  .      cf.  Abiomus  (?) 

aballon  (verger)  \ 

fanion  (tronc)  suf.  iJco  :  Tamnicum  (gens). 

messu  (gland)  suf.  iko  :  J^Lesicum  (gens). 

beru  (épine,  rejeter)  suf.  iso  :  Beriso.  Ce  nom  s'interprète  mieux 

comme  venant  de  berso  (court)  cf.  supra. 

On  remarquera  que  tandis  que  les  noms  d'animaux  désignent 

généralement  des  individus  (i),  les  noms  de  plantes  s'appliquent 

presque  toujours  à  des  clans.  Ceux-ci  étaient-ils  dénommés  d'après 

des  noms  de  villages  auxquels  s'appliqueraient  proprement  les  noms 


(1)  Quelques-uns  cependant  s'appliquent  à  des  gentes  :  Eturicum,  Tw- 
galiiim  (?),  Urcico,  Crovii,  etc. 


ÉLÉMEiNTS    CELTIQUES.  37 

d'arbres  ou  bien  les  plantes  auraient-elles  été  des  insignes  de  clan  ? 
On  trouve  aussi  en  Gaule  des  noms  de  plantes,  fruits  ou  arbres  tels 
que  Aballo  (de  ahallo-  pomme)  Ehurones,  Ehuracus  (de  ehuro-  if) 
Betuvius,  Betuus,  et  (de  bctuà-  (bouleau)),  les  Lemovices,  etc. 

K.  Noms  divers. 

Les  catégories  qui  viennent  d'être  distinguées  parmi 
les  noms  barbares  d'Espagne  n'épuisent  pas  absolument 
le  nombre  de  ceux  d'entre  eux  qui  peuvent  s'interpréter 
par  des  radicaux  celtiques.  Voici  encore  quelques  rappro- 
chements se  rapportant  à  des  significations  diverses. 

toranno-  (tonnerre)  :  Turennus. 

suf.  10  :  Turannica. 
Ogmio-,  Ogmo-  (L'Hercule  gaulois)  —  Ce  nom  se  retrouve  proba- 
blement dans  Ocmugilis. 
desso  :  (dieu)  suf.  iho  :  Dessica  (gens). 

suf.  onko  :  Desonci. 
melit-  (miel)  :  Meltie,  Melete. 

suf.  on  :  Meleton. 

suf.  ino  :  Melitine. 
medu-  (hydromel)  :  suf,  i-ano  :  Meduianus. 
ir.  a55a  (sandale)  ;  (pour  <j;>a<^>5a,cf.  gr.  7rà^,lat.&a:î;ea,etc.). 

suf.  ato  •  Axati  (tribu  de  Bétique  près  des  Celti  et  à'Arva, 

autres  noms  celtiques). 

f=  les  gens  chaussés  de  la  sandale  gauloise  (?)).  De 

même  avec  chute  de  la  gutturale  le  nom  de  personne  : 

Assatus,  Assata.  A  ces  noms  il  faut  peut-être  joindre  : 

suf.  alo  -\-  iko  :  Assalica. 

suf.  aro-\-  àko  :  Assaracus. 

i.  e.  V^quet  d'où  latin  :  colo,  inquilinus,  av.  caraiti  (versatur) 
caràwa  (champ),  etc.  Cette  racine  qui  signifie  «  tourner  » 
tendait  donc  déjà  en  indo-européen  vers  le  sens  d'  «  habi- 
ter „  et  même  de  «  cultiver  » . 


58  LE    MISÉON. 

suf.  endo  :  PcJendones,  peuplade  celtibère.  (Etymol.  de 
M.  d'Arbois  de  Jubainville),  Fhndus. 
suf.  ando  (variaute  du  précédent)  4-  -iko-  (dimiautifj  : 
riandica  (id)  -|-  ido-  :  Plandida.  —  Une  variante  de  pel- 
end-,  pal-and  c'est,  sans  doute,  le  nom  de  ville  :  Fallen- 
iia  ou  PaUantia.  (assourdissement,  cf.  supra)  Le  mysté- 
rieux nom  Palarus  viendrait-il  de  la  même  racine  avec 
le  suffixe  bien  connu  -nro  y  Les  variantes  en  pal  et  pel 
sont  peut-être  attribuables  à  Vahlnut. 
lero-  (mer)  :  suf.  (mlo  :  Lcranqum  (gens). 

Ce  nom  est  sans  doute,  pour  le  sens  équivalent  d'^r- 
morici  «  habitant  près  de  la  mer  ». 

Une  origine  celtique  est  possible,  en  outre,  bien  que 
beaucoup  plus  douteuse  pour  quehjues  auties  noms  qu'on 
peut  conipai'er  aux  radicaux  celti(|ues  suivants  : 

veido-  (sauvage)  :  suf.  aio  :  Vedais  pour  Vedaius  (i) 

Qu'on  compare  les  surnoms  latins  Ferox^  Férus,  Rudis, 
etc. 
rac.  deng  (être  fort),  d'où  dangeno-  (fort)  :  suf.  to  :  Dancetus. 

c  pour  g  après  n  se  constate  plusieurs  fois  (cf.  supra 
s.  V.  iangi-,  longo-,  dergo-,  etc.) 
varto-  (habit)  :  suf.  h  (diminutif?)  :  Varduli  (?). 

L'alternance  entre  cons.  -f-  /  et  cons.  -f-  d  est  un  peu 
extraordinaire,  mais  se  retrouve  peut-être  dans  :  Endo- 
vellicus  :  Antuhellicus  (?). 

Sont,  probablement,  encore  celtiques  bien  que  l'étymo- 
logie  en  soit  incertaine,  les  noms  suivants  : 

.     (      Il  faut  y  comparer  le  nom  des  Betasii,  peuplade 

JBataesius  \  ,    ,       .r,  r,orx        ti  •      i         ^  •  • 

_  {  belee,  (Zeuss.  p.  785).  —  Il  y  a  simplement  ici  assimi- 

Batasius      ,  ,     '         y        a    v    ^  v    ,     ■ 

[  lation  vocalique  de  1  e  a  la  tonique. 

Ruga  (et  peut-être  llucius,  Rocius).  Il  faut  y  comparer  :  Roveca 

(nom  d'un  monnayeur  gaulois),  Rouca  XV.   7101,  (cf. 

Roucius  XII.  8861,  RoHcillns,  M.  Caes.  C.  c.  3,  59.  1.), 


ÉLÉMENTS    CELTIQUES.  59 

Ruca  III  8311,  etc.  (cf.  Solder  s.  v.  v.).  Si  Roveca  est  la 
forme  pleine  de  ce  nom,  on  pourrait  essayer  d'en  faire 
un  diminutif  (suf.  ilw)  de  la  racine  rou-  qui  se  trouve 
dans  le  celte  rou-do-s  (rouge)  (=  lat.  rufus,  gr.  épuGpdç, 
etc.),  et  qui  apparaît  munie  de  divers  suffixes  en  sanscrit  : 
raviSy  a-ru-na-s,  a-ru-sas.  Ceci  est  évidemment  très 
hypothétique. 

Adronus  (cf.  Adros,  île  entre  l'Irlande  et  la  G''^  Bretagne)  ; 
Adrotu  CIL.  3.  4886. 
Adrohrica,  ville  d'Espagne  à  nom  celtique,  etc.  : 

M.  Holder  suggère  avec  toutes  réserves  le  rapproche- 
ment celt.  *  adro-  =  iSpoç  (fort).  Ce  dernier  mot  est 
dérivé  d'i.  e.  smdro-  à  côté  duquel  paraît  encore  exister 
mdro,  qui  serait  en  celte  andro  ou  peut-être  adro  ?  Cette 
étymologie  est  peu  convaincante. 

Alaucus.  Ce  nom  se  retrouve  sur  les  monnaies  éduennes.  Plusieurs 
mots  et  noms  celtiques  paraissent  dériver  d'un  radical 
alau-,  dont  le  sens  est  inconnu  :  alau-da  (alouette), 
alau-sa  (alose),  Alan-no,  ville  des  Gaules,  etc.,  etc. 

Aranto.  Ce  nom  est  à  comparer  avec  Arantius,  Arantillus^  noms 
celtiques.  Chez  les  Celtici  de  Lusitanie,  on  a  le  nom  de 
ville  :  Arandis. 


Nous  voici  au  terme  de  cette  enquête.  On  voit  que  le 
nombre  des  noms  propres  mentionnés  dans  les  inscrip- 
tions latines  d'Espagne  et  dont  l'étymologie  celtique  est 
sinon  certaine,  du  moins  possible  est  assez  considérable. 
Il  y  a  peu  de  noms  mentionnés  dans  les  Indices  nominum  et 
cognomimim  du  Corpus  Inscriptionum  Latinarum  Vol.  IL 
Supplem.  qui  n'aient  été  interprétés  ici. 

Quant  à  la  distribution  de  ces  noms  celtiques  sur  le  sol 
bispanique,  l'on  ne  peut  guère  tracer  de  lignes  bien  nettes. 
Ils  abondent  dans  des  régions  où  la  présence  des  Celtes 
est  constatée  telles  que  la  Celtibérie  et  le  sud  de  la  Lusi- 


40  II.    MISÉON. 

tanie  mais  aussi  dans  les  Astiiries,  le  ceiitie  et  le  nord- 
ouest  de  l'Kspagne,  pays  généralement  regardés  comme 
ibériques.  Ils  y  apparaissent  plus  d'une  fois  mêlés  à  des 
noms  (|u'on  ne  peut  raisonnablement  interpréter  par  les 
langues  aryennes.  Ils  manciuont  à  Test  et  au  sud  de  la 
péninsule,  mais,  dans  ces  régions,  on  ne  trouve  guère  que 
des  noms  romains.  Seuls  les  pays  turdédains  renferment 
quelques  inscriptions  à  noms  barbares  mais  ceux-ci  ont 
un  aspect  nettement  anaryen  tels  que  Vrcestar,  Galdu- 
riainiin,  fiastogannin,  Uninauniu,  Simnwdim,  Idnnegisce- 
ris,  (Aisllosaic,  etc.  (!)  Ce  genre  de  noms  qui  révèle  un 
système  de  flexions  et  de  suftixes  nettement  étranger  à 
notre  famille  de  langues  est  assez  peu  représenté  en 
Espagne. 

On  arrive  donc  à  cette  constatation  assez  étonnante  que 
l'onomastique  ancienne  de  l'Espagne,  le  seul  })ays  qui  ait 
conservé  jusqu'à  nos  jours  dans  l'Europe  occidentale 
des  populations  parlant  une  langue  non-aryenne,  est 
presque  entièrement  indo-européenne  et,  on  peut  l'atïirmer 
dans  la  mesure  où  nos  rapprochements  sont  probants, 
d'un  caractère  celtique  bien  accusé.  Cette  constatation 
est  la  conclusion  de  cette  étude.  On  a  vu  dans  notre 
avant-propos  quelle  portée,  il  convenait  de  lui  donner. 

A.  Caunov. 


LE  PARADIS  DE  L'ATLANTIQUE 

D'APRÈS   LES   TRADITIONS   CONCORDANTES   DE 
L'ANCIEN  ET  DU  NOUVEAU  MONDE. 


I.  Le  Paradis  Kronien. 

C'était  et  c'est  encore  une  légende  commune  à  beaucoup 
de  polythéistes  que  cei'tains  dieux  détrônés,  des  êtres 
surhumains,  et  même  des  hommes  supérieurs  (dignes 
d'être  immortalisés  pour  leurs  <{ualités  extraordinaires 
ou  leurs  bienfaits),  continuaient,  après  avoir  quitté  leur 
peuple,  à  vivre  dans  (|uelque  contrée  lointaine,  maritime 
ou  fort  isolée,  attendant  les  uns  leur  restauration,  les 
autres  l'heure  de  reparaître  sur  l'ancien  théâtre  de  leurs 
exploits,  pour  expulser  les  intrus,  réparer  liîs  torts  et 
rétablir  l'âge  d'or.  Cet  asile  des  demi-dieux,  des  héros 
vaincus,  des  bienfaiteurs  disparus,  n'est  ni  un  coin  de 
l'empyrée,  ni  une  section  de  l'enfer,  mais  bien  une 
contrée  terrestre,  même  accessible  aux  mortels  qui  ont  le 
courage  de  braver  tous  les  périls  pour  aller  adorer  leur 
dieu  relégué  au  loin,  rendre  visite  à  leurs  anciens  protec- 
teurs ou  implorer  leur  miséricorde. 

La  situation  de  ce  paradis  terrestre,  bien  différent  de 
l'Eden,  devrait  être  indiquée  dans  chaque  pays  par  la 
marche  de  l'astre  duquel  dépend  le  réveil  de  la  nature, 

4 


4:2  LE    MUSf.ON 

l'activité  (les  èties  vivants  et  finalement  leur  sommeil  ou 
leur  nioil  apparente,  Et  en  effet  l'antiquité  classique, 
ainsi  (jue  les  Celtes,  par  une  association  d'idées  assez 
lojii(pie,  ont  comparé  la  course  du  soleil  au  cours  de  la 
vie  terrestre  des  êtres  supérieurs  et  supposé  qu'après  les 
labeurs  d'ici  bas  ils  jouissaient  d'un  repos  et  d'une  félicité 
sans  fin  dans  la  station  du  soleil,  c'est-à-dire  dans  le  lieu 
variable,  selon  les  longitudes,  où  le  soleil,  disparaissant 
ot  j'cparaissant  peu  après,  |)assait  pour  avoir  son  foyer,  et 
coninie  cette  station  devait  être  en  Occident  où  l'astre 
semltlait  s'ari'êtei'  pour  y  passer  la  nuit,  c'est  de  ce  côté 
(juc  ion  cbercha  le  séjour  des  disparus  survivants  ;  mais 
au  liir  et  à  mesure  de  l'exploration  des  contrées  mysté- 
rieuses où  on  l'avait  d'aboid  placé,  on  dut  constater  que 
ce  n'était  pas  encore  là  et  supposer  qu'il  fallait  aller 
toujours  plus  loin  vers  l'Ouest  pour  le  trouver.  C'est  ainsi 
(jue  les  (irecs  s'avancèrent  jus(ju'en  Ibérie  sans  y  découvrir 
la  terre  des  Bienheureux,  puis,  vainement  encore,  à  la 
suite  des  Carthaginois,  jus(ju'aux  lies  Fortunées. 

Par  un  [U'océdé  analogue,  les  Celtes  avaient  transporté, 
successivement  et  d'ile  en  île  depuis  les  Hébrides,  à 
travers  les  Orcades  et  les  Shetlands,  jusqu'en  Islande,  le 
séjour  des  immortels  auquel  ils  donnaient  le  nom  carac- 
téristique dllc  (les  seigneurs  et  des  liéios  (i).  Les  Bretons 
regardaient  les  insulaires  comme  sacrés  et  inviolables, 
parce  (|ue  les  gnuides  ànies  habitaient  dans  le  voisinage 
et  (ju'il  y  avait  dans  les  mêmes  parages  une  lie  |  l'Islande] 
où  Kronos  [Saturne]  retenu  captif  par  le  géant  Briarée, 
sommeiMait  dans  une  grotte  ayant  auprès  de  lui  beaucoup 
de  génies  pour  compagnons  et  serviteurs  (2).  Jusque  vers 


(1)  En  gaélique  Fluilh  innis,  en  groc  ^éi^io'.  oat.aovwv  xal  Tiptôtov. 
CJ)  Hlutarque,  Scripla  moralia,  l  [,  p.  511  do  Tôdit.  Dilbner.  Paris  1831^ 
gr.  in-8;  clr.  j).  1151-1153. 


LE    PAIUDIS    DE    LATLANTIQUE.  45 

la  fin  du  paganisme  otïiciel,  les  Romains  eux-mêmes  ont 
regardé  la  Grande-Bretagne  comme  «  plus  sacrée  et  plus 
voisine  du  ciel  que  les  pays  méditerranéens  »  (i).  La  quali- 
fication d'insiila  sacra,  également  donnée  à  l'Irlande  (2), 
fut  probablement  aussi  appliquée  à  l'Islande,  puisque  les 
pèlerins,  s'y  rendant  pour  adorer  Kronos,  y  devenaient 
sacrés  et  en  recevaient  la  qualification. 

Comme  on  l'a  dit,  la  situation  attribuée  au  Paradis 
atlantique  a  varié  avec  les  connaissances  géograpbi(|ues 
des  divers  peuples.  Avant  noire  ère,  on  le  localisa  notam- 
ment jusque  dans  la  dernière  des  iles  noi'datlantiques, 
sous  le  cercle  polaire,  c'est-à-dire  en  Islande,  puisqu'on 
ne  connaissait  pas  d'autre  ile  remarquable  où  le  soleil 
parût  se  couclier  et  se  levei-  à  la  même  lieure.  C'est  à  elle 
que  s'appliquent  le  mieux  les  notions  sur  VUltima  Thulc 
consignées  dans  les  ouvrages  des  Anciens.  Ils  sont  à  peu 
près  unanimes  à  la  placei'  à  l'ouest  (ô)  ou  au  nord  (4)  de  la 
Grande-Bi'etagne.  11  ne  faut  pas  croire  ([ue  ces  indications 


(1)  Eumène,  Discours,  texte  et  trad.  par  MM.  Landi'iot  et  Rocket, 
Autun,  1854  iu-8,  p.  132-l:i3. 

(2) Sacrum  sic  iiisulam 

Dixere  prisci 

Eamque  late  gens  Hibeniorum  colit. 
(Avienus,  Ora  marltimu,  V.  108-10't,  111.  —  Cl'r.  Lor.  Diefenbach,  C't'^ 
tica,  II,  p.  37'J-380,  Stuttgart,  1840  iu-8i. 

(3)  In  ultinio  plagae  occidentalis  aliam  insulam  nomine  Tliylen  (Jordanis 
de  Getarum  site  Gothorum  origine  et  rébus  gestis.  I.  p.  7  de  la  2'^  édit. 
de  G. -A.  Closs.  Stuttgart,  l^Od,  \n-U}. 

(4)  Au  témoignage  de  Pytliéas.  conser\é  p;ir  Strabon  et  Pline  l'ancien 
(voy.  infra,  p.  44,  n.  i\  et  à  celui  de  Ptolrmée  (L.  I.  ch.  7  ;  L.  III.  ch.  (l  ; 
L.  VIII,  ch.  2),  ou  peut  ajouter  quelques  allusions  des  poètes  : 

quantusque  niî;ranit'm 

Fiuctibus  occiduis  l'ossoque  Hyperi<ine  Tliulen 

intrarit (Stace.  Silvae,  IV,  4,  62). 

Si.'quemur 

Te  vel  Hyperboreo  damnai ani  sidciT'  Tliuli'ii.  (Claudioii,  V.  2 lit). 


44  I>E^    MUSÉON. 

soient  absolument  contradictoires.  Les  termes  ouest  et 
nord  ne  désignent  pas  uniijuement  deux  des  points  cardi- 
naux ;  ils  peuvent  embrasser  toute  la  plaga,  selon  l'ex- 
pression latine  ;  ou  la  banda,  comme  s'expriment  les 
Espagnols  ;  ou  bien  la  bande,  comme  nous  disons  en 
français.  Aussi  Isidore  de  Sëville,  se  plaçant  au  point  de 
vue  des  insulaires  d'Albion,  a-t-il  parfaitement  précisé  la 
situation  de  Thulé,  qui  est,  dit-il,  «  au-delà  de  la  Bretagne, 
entre  la  bande  du  nord  et  celle  de  l'ouest,  »  (i)  ou  en 
d'autres  termes  au  nord-ouest  de  la  Bretagne.  Cette  asser- 
tion ainsi  comprise,  en  met  d'accord  beaucoup  d'autres 
dont  il  faut  tenir  compte  quoiqu'elles  soient  trop  vagues  : 
d'après  la  relation  de  Pythéas  de  Marseille  citée  par  Pline, 
Thulé  était  «  à  six  jours  de  navigation  au  nord  de  la 
Bretagne  (2),  ....  la  plus  éloignée  des  îles  dont 
il  soit  fait  mention.  Au  solstice,  lorsque  le  soleil  traverse 
le  signe  du  cancer,  il  n'y  fait  pas  de  nuit,  et  au  contraire 
pas  de  jour  lors  de  la  brume  [ou  solstice  d'hiver]  (5).  » 
Solin,  après  avoir  expliqué  qu  à  ces  dates  lespectives  le 
lever  du  soleil  coïncide  presque  avec  son  coucher,  ajoute 
qu'en  partant  du  promontoire  Calédonien  pour  Thulé,  on 
atteignait  les  Hébrides  en  deux  jours  ;  qu'il  fallait  ensuite 
sept  jours  et  sept  nuits  pour  aller  aux  Orcades,  et  de  là 
cinq  jours  et  cinq  nuits  pour  parvenir  à  Thulé,  au-delà 
de  laquelle  la  mer  était  coagulée  (4).  D'après  ces  indica- 


(1)  Liber  elymologiarum,  XIV,  6.  —  Orose,  cité  par  Giraldus  Cam- 
breiisis  [Topographia  Hibernica,  cli.  17,  p.  99  du  t.  V  de  l'édit.  de  J.-F. 
Dimmock,  Londres  1867,  in-8)  disait  également  que  "  Tyle,  située  vers  le 
Circius  (ou  nord-ouest)  au  milieu  de  l'Océan,  était  séparée  des  autres  îles 
par  un  espace  infini.  » 

(2)  Hist.  nat.  L.  II,  eh.  77.  —  Cfr.  Slrabon,  Géogr.  L.  L  cli.  4,  §  3  ;  L.  II, 
ch.ô,  §8;  L.  IV,  eh.  3,  §8. 

(3)  Pline,  Hist.  nat.  L.  IV,  ch.  30. 

(4)  Polyhistor,  L.  I,  ch.  22. 


I 


LE    PARADIS    DE    l' ATLANTIQUE.  45 

lions  il  est  certain  que  l'une  des  îles  auxquelles  on  a 
appliqué  le  nom  de  Thulé  ne  peut  être  cherchée  à  l'Est 
des  lies  Britanniques  ni  confondue  avec  une  partie  de  la 
Norvège,  comme  l'ont  foit  Procope  (i)  et  ses  commenta- 
teurs, d'autant  plus  qu'elle  était  «  à  l'opposite  du  littoral 
des  Bergi  »  (2),  c'est-à-dire  du  massif  montagneux  (berg)du 
Nordenfjelds  ou  diocèses  de  Bergen  et  de  Throndhjem  (3), 
et  que  l'on  s'y  rendait  en  partant  de  Nerigo  (i),  la  Norvège, 
énumérée  dans  un  même  contexte  avec  ScflHf/m[laSkanie|, 
Dumna  [transcription  défectueuse  de  Dannia,\e  Danemark] 
et  Bergi. 

Cette  Thulé  du  Nord-Ouest,  qui  doit  être  la  vraie,  celle 
dont  le  nom  a  été  appliqué  à  plusieurs  autres  lies  ou 
contrées  passant  à  tort  pour  être  les  dernières  dans  la 
direction  du  nord,  —  cette  Thulé,  disons-nous,  est  en 
même  temps  celle  qui  correspond  le  mieux  à  l'idée  que 
l'on  peut  se  former  de  VOgygie  septentrionale.  Plutarque, 
qui  nous  a  transmis  nos  notions  sur  celle-ci,  dit  expres- 


(1)  De  hello  Gothico,  L.  II,  ch.  14,  15  ;  L.  IV,  ch.  20.  —  Cette  confusion 
doit  tenir  à  ce  que  l'estimable  historien  grec,  entendant  parler  du  Thela- 
mœrk  (littéralement  Forêt  glaciale),  nom  qui  convient  parfaitement 
aux  hauts  plateaux  de  la  Norvège,  a  rapproché  Thilir  (dénomination  de 
ses  habitants)  de  Thule  et  leur  attribue  une  partie  des  récits  relatifs  à 
l'Islande.  —  Cette  même  erreur  fait  que  des  cartographes  du  moyen-âge 
et  nombre  de  commentateurs  ont  placé  à  l'Est  de  l'Islande  et  de  l'Ecosse, 
près  de  la  Norvège,  une  île  de  Thile,  qui  correspond  aux  Shetlands, 
mais  qui  devrait  être  le  Telemarken  actuel  (Voy.  J.  Fischer,  The  Disco- 
veries  of  the  Norsemen  in  America,  trad.  par  B.-H.  Soulsby.  Londres, 
1903,  in-8,  p.  69,  84  et  cartes  II,  III,  IV). 

(2)  Outre  que  le  nom  de  la  ville  de  Bergen  est  dérivé  de  la  racine  Scan- 
dinave berg  (montagne),  les  Norvégiens  appliquent  la  dénomination  de 
fjeld,  ayant  presque  le  même  sens,  à  nombre  de  divisions,  de  montagnes 
et  de  localités,  correspondant  toutes  à  Be^^gi  de  Pline. 

(3)  Pomponius  Mêla,  De  situ  orbis,  L.  III.  ch.  6. 

(4)  Pline,  Bist.  nat.  L.  IV,  ch.  30. 


46  LK    MUSÉON. 

sémrni    (|ii('  la    localisation   du    paradis  des  héros   dans 
(les   Iles  voisines  de   la   (iiande-Bretagne  était   due  aux 
Bretons,  ainsi   (|ue  la  léj^ende  sur  la  captivité  de  Kronos 
dans  l'une  de  ces  Iles  (i)  ;  Tzetzes  nous  apprend  en  outre 
que  les  (iiees  leur  avaient  emprunté  ees  traditions  sur  le 
séjour  des  àines  {'■2).  Il  est  donc  rationnel  de  chercher  dans 
les  langues  eelti(jues  l'étymoloirie  du  nom  de  cette  Oirygic 
inconnue  d'Homère,  quoicpi'il  ait  été  calqué  sur  celui  de 
l'île  de  Calypso,  et  le  rapprochement  des  dénominations 
grecque  et  eelti([ue  a  été  d  autant  plus  natuiel  (ju'elles 
avaient  trait  à  des  conceptions  analogues  :  limmortalité 
attrihuée  aux  bienheureux  insulaires.  A  défaut  d'un  voca- 
bulaire tant  soit  peu  complet  de  la  langue  celtique  d'avant 
notre  ère,  nous  recourons  aux  dictionnaires  gaéliques  qui 
sont  au  contraire  encombi'és  de  mots  ayant  à  |)eu  près  le 
même  son,  mais  des  significations  totalement  différentes. 
I^our  nous  en  tenir  à  notre  sujet,  bornons-nous  à  citer 
ofjli  (sacré,  saint),  og  (jeune)  et  oige  (jeunesse),  oig  (héros), 
oighc  (glace).  Chacun  d'eux  pouvait  servir  à  qualifier  l'Ile 
de  Kronos,  ainsi  que  celles  des  Bienheureux  ;  et  en  les 
combinant  avec  iagli   (île,  ig  en  anglo-saxon),  on  pouvait 
former  des  composés  signifiant  )'espectivement  :  /7e  sacrée, 
'lie  des  jeunes  ou  de  jouvence,  correspondant  à  Tir  na  n-og 
ou   77/'  ud  h-oge  dont  il  est  si  souvent  questi(»n  dans  les 
poèmes  ossianiques,  île  des  héros,  et  même  île  glaciale 
(un    des    multij)les    noms    Scandinaves    de   l'Islande).  Le 
eom|)Osé,  quel  ([u'il  fut,  avait  (juebjue  ressemblance  avec 


(1)  Voy.  supra,  [>.  -i-J. 

(2)  Idcirco  fama  exstitit  apud  Graecos.  mot-tuoium  animas  illic  degerc, 
quod  iiunc  etiam  ait  Hesiodus  de  heroibus  {Ex  commenlarih  in  Hesio- 
dtmi,  dans  Plutarchi  Fragmenta  spuria.  t.  V,  p.  21  de  ses  Opei'a  édités 
pai"  DObner.  Paris  1855.  gr.  in-S). 


LE    PAIUDIS    DE    L  ATLV.NÏIQl  E.  ït 

le  nom  QÏOgygie  qui,  étant  mieux  connu,  dut  lui  ôtve 
substitué,  selon  un  procédé  qui  a  été  et  qui  est  encore  en 
usage.  Le  dictateui*  Sylla,  employant  le  dernier,  au  lieu 
de  Thulé,  se  réfère  expressément  à  Homère  dont  l'Og-ygie 
n'était  certainement  pas  à  la  latitude  du  cercle  polaire. 

Dans  cette  identification  on  ne  tenait  pas  compte  de  la 
nature  réelle  de  l'Islande  dont  les  tremblements  de  terre 
et  les  éruptions  volcaniques  rappellent  bien  les  convul- 
sions litaniques  de  Kronos  (i),  mais  dont  le  rigoureux 
climat  septentrional  ne  comporte  ni  les  suaves  parfums 
ni  la  douceur  de  l'air  ambiîuit,  (jue  lui  attribue  Sylla,  ni 
la  plantureuse  végétation  que  décrivent  les  légendes  con- 
cordantes du  Nouveau  Monde  ;  mais  il  sutîisait  que  Vile 
glaciale  tut  lasile  des  immortels  pour  (|ue  l'imagination 
des  conteurs  la  représentât  comme  un  pays  de  délices  ! 
car  avoir  été  détrôné  par  son  fils,  Kronos  n'en  restait  [)as 
moins  un  des  dieux  de  l'Occident  (2)  ;  il  c'ait  adoré  des 
Celtes  (jui  lui  sacrifiaient  des  victimes  humaines  (r,)  ;  les 
hauts  lieux,  les  rochers  lui  étaient  consacrés  ;  son  essence 
divine  qu'aucun  revers  n'avait  pu  lui  enlever  ne  laissait 
pas  que  de  déteindre  aussi  bien  sur  son  entourage  que  sur 
la  grotte  profonde  où  il  sommeillait  sur  un  rocher  brillant 
comme   de    l'or   et    doù    s'exhalaient   des   parfums  ({ui 


(1)  On  doit  se  borner  ici  à  faire  allusion  au  récit  de  Sylla,  reproduit  par 
Plutarque  dans  son  traité  De  facie  in  orbe  lunac  [Scripta  moralia 
p.  1151-1153  du  t.  Il,  de  l'édit.  Diibner,  Paris  1539,  gr.  in-8),  traduit  et 
commenté  dans  notre  iném.  sur  YElysée  des  Mexicains  comparé  à  celui 
des  Celtes  (apud  Revue  de  Vhist.  des  religions.  V«  année,  nouv.  série, 
T.  X,  Paris  1884,  in-8,  p.  3-9). 

(2)  Hésiode,  Op.  et  dies.  v.  111  et  s.,  167-173  ;  —  Diodore  de  Sicile, 
Bibl.  histor.  h.  V,  §  6(3  ;  cfr.  III,  §  53,  55,  <30. 

(3)  Denys  d'Halicarnasse,  Ant.  Rom.  1.  I,  dans  Script,  rerum  Gallica- 
rum  de  D.  Bouquet,  1. 1,  p.  368. 


48  LE    MLSÉON. 

embaumaient  lîlc  cotière.  On  fut  donc  amené  à  confon- 
dre celle-ci,  nial^M'é  sa  stérilité,  avec  les  îles  des  Bienheu- 
reux où  les  immortels  vivaient  dans  une  douce  quiétude 
sous  le  sceptre  de  Kronos,  où  la  fertilité  du  sol  faisait 
fleurir  trois  fois  par  an  l'arbre  aux  fruils  suaves  (i)  [les 
oranges  (2)],  où  Rhadamanthe,  des  héros  de  la  guerre  de 
Troie  et  les  hommes  vertueux  jouissaient  d'une  lumière 
sans  fin  (3).  Ce  dernier  trait  a  du  faciliter  lidentification 
des  îles  Fortunées  avec  la  seule  lie  connue  des  (Irecs  où  le 
soleil  ne  se  couche  pas  au  solstice  d'été  et,  (juoique  l'Islande 
eût  été  visitée  avant  notre  ère  au  moins  })ar  des  Celtes,  si 
ce  n'est  par  Pythéas  de  Marseille,  elle  frappait  l'imagina- 
tion des  anciens  par  ses  volcans,  ses  geysers  et  le  carac- 
tère mystérieux  des  montagnes  de  l'intérieur  qui  n'ont  été 
complètement  explorées  que  de  nos  jours.  Grâce  à  ces 
circonstances  et  aux  traditions  persistantes,  elle  continua 
de  passer  pour  la  terre  des  merveilles,  comme  une  suc- 
cursale du  paradis  teirestre,  même  après  que  les  croyants 
eurent  commencé  de  chercher  plus  loin,  non  vers  le 
Nord  obstrué  par  les  glaces,  mais  vers  l'Ouest  dans  le 
Nouveau  Monde,  ce  qu'ils  n'avaient  pu  trouver  dans 
l'ancien. 

C'est  dans  le  cours  de  ces  pérégrinations  que  des  Grecs, 
c'est-à-dire  des  Celtes  hellénisés  (4)  avaient  fondé  trois 


(1)  Hésiode,  Op.  et  dies,  v.  167-173. 

(2)  Qui  sont  devenues  des  pommes  dans  les  trad.  galloises  (Insula 
pomoriim  ;  en  cynirique  Afallcnau,  d'où  le  latin  Avnlo,  qui  désignent 
une  contrée  transatlantique).  —  E.  Beauvois,  V Elysée  transatl.,  p.  SIS- 
SU. 

(3)  Selon  Pindare  pariant  des  Bienheureux  de  la  citadelle  de  Kronos. 
{Olympica,  II). 

(4)  Voy.  dans  VElysée  iransatl.  et  l'Eden  occidental  (apud  Revue  de 
Vhist.  des  religions,  IV"  ann.,  t.  VII,  Paiis,  1883,  in-8,  p.  l>-lo)  les  sources 


» 


LK    PAKADIS    DE    l'a TLAMIQUE.  49 

colonies,  aussi  éloignées  l'une  de  l'autre  quOgygie  Test 
de  la  Grande-Bretagne.  Ces  distances  indiquent  qu'il 
s'agit  probablement  de  stations  en  Grœnland,  sur  la  Terre 
de  Batïin  ou  en  Labi'ador  et  sur  le  littoral  d'un  golfe  non 
moins  grand  que  la  Méotide  européenne,  situé  à  la  lati- 
tude de  celle-ci  et  faisant  partie  d'un  immense  continent, 
qui  était  à  500  stades  (900  kilom.)  dOgygie,  mais  à  une 
moindre  distance  des  autres  îles  ou  presqu'îles,  car  ces 
deux  termes  sont  synonymes  dans  beaucoup  d'anciennes 
relations.  Pour  se  i-endi'e  de  la  Nouvelle-Méotide  à  Ogygie 
et  aux  autres  contrées  plus  occidentales,  il  fallait  navi- 
guer à  rames  (i),  entre  les  glaces  et  les  sédiments  venant 
de  l'intérieur  des  terres  (^2).  Ce  long  et  pénible  trajet 
était  effectué  tous  les  trente  ans  par  des  habitants  de  la 
Méotide  américaine,  désignés  par  le  soi*t,  allant  faire  des 
sacrifices  dans  lile  kronienne  pour  interroger  Saturne 
qui  du  fond  de  sa  grotte  rendait  des  oracles  par  la  bouche 
de  ses  prêtres.  Un  de  ces  pèlerins,  qui  avait  voulu  pousser 
jusqu'à  Carthage  d'où  le  culte  de  Kronos  s'était  répandu 
en  Occident,  fit  à  Sylla  un  récit  très  détaillé  que  le  célèbre 


classiques,  d'après  lesquelles  les  Grecs  avaient  fondé  des  établissements 
sur  le  littoral  de  l'Océan  Atlantique  et  jusqu'en  Grande  Bretagne.  C'est 
de  là  sans  doute  que  des  Celtes  philhellènes  (pour  enaployer  l'expression 
d'Ephore  de  Cumes)  étaient  partis  pour  la  Nouvelle-Méotide,  en  passant 
par  les  échelles  nordatlantiques  et  notamment  par  Thulé.  Eux-mêmes  et 
les  Indiens  de  leur  colonie  n'étaient  pas  plus  Grecs  que  les  sauvages  de 
la  Nouvelle-France  n'étaient  Français.  Il  faut  bien  se  garder  de  confondre 
les  noms  géographiques  avec  les  faits  ethnographiques. 

(1)  Il  est  en  effet  plus  facile  pour  des  kayaks  et  des  umiahs  que  pour 
des  navires  à  voiles,  de  se  glisser  entre  les  glaces  flottantes  qui  obstruent 
les  détroits  de  Davis  et  de  Danemark. 

(2)  Sur  le  littoral  du  Labrador  et  du  Grœnland  les  cours  d'eaux  sont 
en  effet  remplacés  par  des  cours  de  glace,  qui  en  vêlant  (selon  l'expression 
danoise)  projettent  en  mer  d'énormes  glaçons,  très  dangereux  pour  les 
navigateurs. 


50  LE    MUSÉON. 

dictateur  paraît  navoir  pas  toujours  bien  compris  et 
qu'il  écourta  malheureusement,  mais  dont  plusieurs  traits 
attestent  la  véi-acité  du  narrateur.  Les  notions  relatives  à 
l'étendue  et  à  la  situation  de  la  Nouvelle-Méotide,  aux 
glaces  flottantes,  à  la  diflîculté  de  la  navigation,  à  la 
longueur  du  jour  au  delà  du  cercle  polaire,  sont  conformes 
à  la  nature  des  terres  et  des  mers  septentiionales  et,  lors 
même  que  le  pèlerin  serait  un  personnage  fictif,  la  relation 
n'en  serait  pas  moins  le  plus  ancien  document  historique 
qui  nous  reste  sur  le  nord-est  de  l'Amérique  avant  notre 
ère.  Elle  atteste  que  les  anciens  étaient  mieux  informés, 
qu'on  ne  l'admet  généralement,  de  l'existence  d'un  conti- 
nent transatlantique  et  même  de  certaines  particularités 
de  sa  nature. 

Ce  que  cette  relation  nous  apprend  de  la  Nouvelle- 
Méotide  ne  peut  malheureusement  pas,  dans  l'état  actuel 
de  nos  connaissances,  être  complété  par  d'abondantes 
notions  archéologiques.  Il  doit  pourtant  n'en  pas  manquer 
sur  le  littoral  du  golfe  et  de  l'estuaire  du  Saint  Laurent  qui 
offrent  tant  d'avantages  pour  les  pêcheries.  Mais  le  sol 
y  est  sans  cesse  modifié  par  des  érosions  sur  les  rivages 
et,  parfois  à  l'intérieur,  par  de  terribles  tremblements 
de  terre  (i),  comme  celui  du  5  février  1(365,  qui  se  fit 
sentir,  pendant  plus  de  six  mois,  sur  une  superficie  de 
vingt  mille  lieues  et  qui  a  été  si  bien  décrit  par  le 
P.  Jérôme  Lalemant  (^2).  Dans  une  Puissance  qui   n'est 


(1)  Regio  [Nova  Francia]  subitis  terrae  raotibus  infamis.  [Cor- 
nélius Wytfliet,  Descripiionis  Ptolemaicae  augmentiim,  Louvain,  1597, 
in-4,  p.  186). 

(2)  Relations  des  Jésuites  Nouvelle  France.  T.  III.  Québec,  1858, 

gr.  in-8,  p.  ;i-5.  —  Cfr.  Ferland,  Cours  d^hisl.  du  Canada,  W  I.  Québec, 
1861,in-8,p.;48j-4^Kj  ;— [Paillon,]  Hist.  de  la jcolonte  française  en  Canada. 
T.  III,  p.  39-52,  Villemarie,  1866,  in-4. 


LE    PARADIS    DE    l'aTLANTIQUE.  51 

pas  dotée,  comme  les  Etats-Unis,  de  riches  et  actives 
institutions  chargées  d'étudier  le  passé  et  où  l'archéologie 
n'est  pas  sortie  de  l'état  denfance  (i),  il  doit  être  difficile, 
sinon  actuellement  impossible,  de  retrouver  les  vestiges 
d'un  lointain  passé,  quand  il  y  en  a  si  peu  pour  la  période 
de  la  domination  française.  Et  puis  les  objets  importés 
d'Europe,  avant  notre  ère,  ne  peuvent  avoir  été  fort  nom- 
breux, vu  l'exiguité  des  embarcations  primitives.  Quant 
aux  ustensiles  fabriqués  par  la  colonie  kronienne  et  aux 
bâtiments  eux-mêmes,  ils  devaient  être  d'une  nature  bien 
périssable  là  où  la  variété  et  la  qualité  des  essences 
forestières  invitent  l'industrie  à  employer  le  bois  de  préfé- 
rence aux  autres  matières  premières  (2). 

Il  n'y  aura  donc  pas  lieu  d'instituer  de  lumineuses 
comparaisons  entre  les  antiquités  de  l'Europe  et  celles 
du  Canada,  tant  que  celles-ci  ne  seront  pas  plus  nom- 
breuses et  mieux  étudiées.  Mais  on  peut  dès  maintenant 
tirer  parti  de  certaines  analogies  entre  les  mythes  de 
l'Ancien  et  du  Nouveau  Monde.  Déjà,  dans  un  mémoire 
sur  la  Fable  des  Amazones  chez  les  indigènes  de  l'Amérique 
précolombienne  (5),  nous  avons  essayé  de  démontrer  que, 


(1)  Même  chez  nous  où  la  culture  et  l'archéologie  sont  infiniment  plus 
développées  que  dans  la  Nouvelle  France,  on  a  été  des  siècles  sans  se 
douter  qu'il  existait  à  Alise-Sainte-Reine  d'imposants  vestiges  de  l'Alesia 
do  Vercingetorix.  Il  y  a  cinquante  ans  on  aurait  traité  de  visionnaire  le 
voyant  qui  eût  annoncé  qu'on  en  découvrirait  prochainement  de  fort 
nombreux. 

(2)  On  lit  dans  la  relation  d'un  naufragé  Frislandais,  insérée  dans  celle 
des  Zeno,  que  les  habitants  del'Estotilanda  [Nouveau  Brunswick],  vers 
la  fln  du  XIV^  siècle  «  avaient  des  bois  d'une  immense  étendue  et  en  fai- 
saient des  murailles,  n  {The  Voyages  of  Nicolù  and  Antonio  Zeno,  édit. 
par  H.  Major.  Londres  1875,  in-8.  p.  21.  —  Cfr.  E.  Beauvois,  Les  notions 
des  Zeno  sur  les  pays  transatlantiques,  dans./^evwe  des  questioy^s 
scientifiques,  .S*"  sér.  t.  VI.  Louvain  1?04,  in-8,  p.  136,  538-539). 

(3)  Dans  Le  Musëon,  nouv.  sér.,  vol.  V,  p.  287-326,  1904,  Louvain,  in-8. 


52  LK    MUSÉO.N. 

tout  en  ('tant  ré[)an(lue  au  loin  et  au  large  dans  les  deux 
Ariiori<|ues,  mais  restant  idcnticjue  avec  la  léûrende  gréco- 
latine,  elle  devait  en  être  un  éelio,  et  eoinnie  celle-ci 
n'avait  plus  cours  chez  les  Européens  modernes,  elle 
n'avait  pu  se  propager  chez  les  Américains  qu'antérieure- 
ment à  l'arrivée  des  Espagnols  ;  ceux-ci  la  trouvèrent  en 
effet  dans  diverses  contrées  sans  y  avoir  jamais  découvert 
de  véritables  Amazones  ;  ce  n'était  qu'une  fiction  com- 
posée de  traits  si  peu  naturels  (pi'ils  n'auraient  certes  pas 
été  imaginés  de  la  même  façon  en  plusieurs  pays.  Origi- 
naire des  contrées  où  s'étaient  formées  les  traditions  sur 
Hercule,  et  étant  en  connexion  avec  elles,  elle  avait  dû 
être  portée  dans  la  Nouvelle-Méotide  par  des  sectateurs 
d'Hercule  (|ui,  selon  le  prêtre  de  Saturne,  s'étaient  mêlés 
à  la  population  Kronienne  (i)  ;  or,  parmi  les  nombreux 
personnages  <{ui  ont  été  identifiés  avec  l'Héraklès  des 
Grecs,  était  l'Ogmios  des  Gaulois,  l'Ogma  des  Gaëls  (2), 
dont  les  sujets,  les  Tuatha  Dé  Danann  habitaient  les  sids 
ou  mounds  (tertres)  aussi  bien  en  Irlande  qu'au  delà  de 
l'Océan  Atlantique  (0),  de  sorte  (ju'en  ce  point  les  tradi- 
tions plus  récentes  des  Irlandais  sont  d'accord  avec  les 
légendes  que  Plutarque  et  Tzetzes  disaient  être  répandues 
chez  les  anciens  insulaires  des  Iles  Britanniques  (4). 

II.   Lk  Paiudis  Atlantique  des  Amionkins. 

Si  la  fable  des  Amazones  n'a  pas,  (|ue  nous  sachions, 
laissé  de  traces  chez  les  riverains  du  golfe  Saint-Laurent, 


(1)  N'oy.  L" Elysée  des  Mexicnins.  p.  5. 

(2)  Ibid.  p.  5,  10-11,  13,  l'.)-21. 

(3j  Ibid.  p.  13,  16,  19,  29,  38.  -  Ct'r.  L'El.i/sée  transatl.  p.  290,  296,  310. 
(4)  Voy.  supra,  p.  46. 


I 


» 


LE    PARADIS    DE    LATLANTIQUE.  55 

par  contre  la  croyance  au  séjour  des  immortels  dans  une 
île  de  l'Atlantique  a  été  et  est  encore  fort  répandue  chez 
les  tribus  Algonkines,  notamment  chez  celle  dont  le  nom 
générique  Wapanachkis  (d'où  la  forme  française  Abenaki) 
signifie  tout  à  la  fois  Oriental  (i)  et  peuple  blanc  (2).  Il 
s'applique  aussi  bien  aux  Lénapés  et  en  général  aux 
quarante  tribus  de  même  race  (5),  qu'en  particulier  aux 
Abenakis  du  Nouveau  Brunswick.  Le  pays  de  ces  derniers 
correspond  à  la  Grande  Irlande  (4)  et  au  Hvitramannaland 
(Pays  des  hommes  Blancs,  dans  les  Sagas  des  Scandi- 
naves) (0),  et  certaines  traditions  des  Algonkins  font  venir 
de  l'Est,  non  pas  les  ancêtres  de  leur  nation,  mais  ses  bien- 
faiteurs ou  civilisateurs  qu'elles  rattachent  aux  Blancs  (c). 


(1)  J.  Heckewelder,  Hist.,  mœurs  et  coutumes  des  nations  indiennes 
qui  habitaient  autrefois  la  Pensylvanie,  trad.  par  Du  Ponceau.  Paris, 
1822,  in-8,  p.  41-42  ;  —  Dan.  G.  Brinton,  The  Lenâpé  and  their  Legends, 
with  the  complète  Text  and  Symbols  of  ihe  Walam  Olum,  a  new 
Translation  etc.  Philadelphie,  1885,  in-8,  p.  19. 

(2)  Wabanaki,  a  word  derived  from  a  rtot  signifying,  white  or  light 
(Charles  G.  Leland,  The  Algonkin  Legends  of  New  England.  Boston, 
1884,  in-18,  p.  1  ;  Cfr.  p.  50,  n.  1  ;  ^Yabeya.  the  white,  p.  14ô,  n.  2;.  —  En 
algonkin,  loahish  olano  ;  loaban  est  et  aurore,  en  micmac  icobun  aurore, 
et  wobac  blanc  ;  en  lénapé  wab,  est  ;  en  menomini  wabiskiu  blanc  et 
waban  lumière  du  jour  ;  ivabenunaqsivok,  peuple  de  l'Est  ;  en  ojibwa 
wabish  blanc  et  loabish  keze  homme  blanc  ;  en  miami  icawpeke  blanc  ; 
en  openango,  idiome  du  Passamaquoddy,  wabate,  blanc. 

(3)  Heckewelder,  Op.  cit.,  p.  41-42  ;  —  Leland,  Op.  cit.  p.  1, 

(4)  E.  Beauvois,  La  Grande  Irlande  ou  Pays  des  Blancs  précolombiens 
du  Nouveau  Monde,  passim  (Extrait  du  Journal  des  Américanistes  de 
Paris,  1. 1,  n°  2.  Paris  1904,  gr.  in-8). 

(5)  Ibid.  et  La  Découverte  du  Nouveau  Monde  par  les  Irlandais 
{Congrès  international  des  Américanistes,  Nancy,  1875,  1. 1,  p.  82-87); 
—  Les  colonies  européennes  du  Markland  et  de  VEscocHand  (Congrès 
de  Luxembourg,  t.  I.  Extrait,  p.  10-15)  ;  —  L'Elysée  des  Mexicains, 
p.  271-273. 

((5)  Relations  des  Jésuites,  t.  III,  ann.  1667,  p.  12.  —  Voy.  plus  loin  (p.  65) 
les  traditions  des  Lénapés  et  celles  des  Mexicains. 


54  LE    MUSÉON. 

Les  légendes  algonkines  où  figurent  ces  diverses  croyan- 
ces sont  trop  touffues  pour  qu'on  les  reproduise  in-extcnso 
au  détriment  de  la  clarté  ;  il  faut,  pour  mettre  en  l'clief 
ce  qui  concerne  notre  sujet,  nous  borner  à  de  brèves 
analyses,  en  commençant  par  les  Abcnakh  proprement 
dits,  ou  tribus  du  Nouveau-Brunswick  et  des  bassins  du 
Passamaquoddy  et  du  Pcnobscot  dans  l'État  du  Maine. 
D'après  leurs  récits,  Glnsijalihé,  le  maître  des  hommes  et 
des  animaux,  lut  [comme  Kronos]  dieu  de  l'âge  d'or(i)  ; 
selon  les  uns  il  naquit  à  l'est  du  pays  des  Abenakis,  selon 
d'autres  il  y  vint  sur  un  grand  canot  de  granit  couvert 
d'arbres  [mâts]  (-2).  Pourvu  d'une  ceinture  qui  lui  donnait 
la  force  et  le  pouvoir  magique,  il  se  signala  par  de 
grands  exploits,  voyageant  au  loin  et  au  large  |comme 
Hercule]  laissant  partout  des  traces  de  son  passage  : 
rochers  qu'il  avait  bouleversés,  chaussées  gigantesques 
qu'il  avait  élevées,  lacs  qu'il  avait  creusés.  11  aimait  les 
Indiens  et  les  tira  des  ténèbres  où  ils  vivaient  ;  il  leur 
montra  la  manière  de  chasser,  de  faire  des  armes,  des 
filets  ;  il  leur  enseigna  les  vertus  cachées  des  simples, 
l'usage  que  l'on  pouvait  tirer  des  plantes,  de  la  chaii-  des 
animaux,  des  oiseaux,  des  poissons  ;  il  leur  apprit  les 
noms  de  toutes  les  étoiles.  N'étant  pas  marié,  il  vivait  à 
l'écart  avec  une  vieille  femme  et  un  jeune  homme,  (ju'il 
appelait  respectivement  sa  grand'  mère  et  son  frère  (3). 
Il  traversait  la  mer  sur  le  dos  des  baleines  (4).  11  purgea 
la  terre  des  démons,  des  géants,  des  monstres,  des  ser- 
pents, des  sorciers  qui  l'infestaient  (5),  mettant  à  mort 
ses  ennemis,  ressuscitant  ses  amis. 


(1)  Leland,  Op.  cit.,  p.  67. 

(2)  Id.  ibid.,  p.  28-29. 

(3)  Id.  ibid.,  p.  28-31,  62-07,  74-77. 

(4)  Id.  ibid.,  p.  31-35,  41-42,  127-12'.». 
{'))  Id.  ibid.,  p.  38-50,  104-105,  120. 


LE    PARADIS    DE    l'aTLANTIQUE.  55 

Ses  propres  métamorphoses,  celles  qu'il  opérait  (i)  et 
sa  puissance  surnaturelle,  le  mirent  à  même  de  mener  à 
bonne  fin  toutes  ses  entreprises.  Pourtant  lui  qui  avait 
triomphé  des  forts,  il  échoua  devant  l'indifférence  de 
Wasis,  le  Bébé,  qu'il  ne  put,  pas  plus  par  des  incantations 
que  par  des  menaces  et  de  douces  paroles,  faire  venir  à 
lui  (2).  Comme  l'immortel  Vseinaemœinen  du  Kalevala,  il 
ne  fut  vaincu  que  par  un  enfant  (5)  ;  comme  lui,  il  s'éloigna 
sur  sa  barque  et  disparut  non  pour  toujours,  mais  jusqu'à 
ce  que  son  peuple  eût  besoin  de  lui.  Dans  sa  retraite,  il 
fabrique  sans  cesse  des  flèches  pour  le  combat  qu'il  aura 
à  livrer  lors  de  son  retour  (4).  Ni  la  malice  des  hommes 
en  effet,  ni  l'ingratitude  de  ses  obligés,  ne  l'empêchèrent 
de  promettre  son  assistance  à  ceux  qui  l'imploreraient.  Il 
devait  reparaître  au  milieu  de  ceux  qui  l'appelleraient  et 
exaucer  les  vœux  des  hommes  intrépides  qui  braveraient 
tous  les  périls  pour  aller  le  visiter  fort  loin  dans  l'ile 
enchantée  de  l'Océan  de  TEst  où  il  s'était  retiré  (5).  Tous 
ceux  qui  firent  ce  long  et  pénible  voyage  obtinrent  ce 
qu'ils  désiraient,  les  uns  à  leur  avantage,  lorsque  leurs 
demandes  étaient  niisonnables  ;  les  autres  à  leur  détri- 
ment, comme  les  insensés  qui  aspiraient  à  l'immortalité 
et  qui  furent  métamorphosés  en  arbres  ou  en  pierres  (e). 
Il  fit  une  jouvencelle  de  son  aïeule  vieille  et  décrépite  (7). 
Il  tenait  tout  à  la  fois  d'Hercule  pour  ses  travaux,  son 


(1)  Id.  ibid.,  p.  51-58,  83-91,  100,  105,  108,  111,  117,  119,  124,  126. 

(2)  Id.  ibid.,  p.  120-122. 

(3)  Le  Kalevala,  trad.  par  Léouzon  Leduc,  ch.  50,  p.  492  de  la  2^  édit. 
Paris,  1868,  gr.  in  8. 

(4)  Leland,  Op.  cit.,  p.  130. 

(5)  Id.  ibid.,  p.  67,  82, 107,  130. 

(6)  Id.  ibid.,  p.  68-72. 

(7)  Id.  ibid.,  p.  100. 


56  I.R    MUSÉON. 

(l'iivic  civilisatiice,  et  do  Saturne  comme  roi  de  l'âge  d'or 
l'ctiir  dans  une  ilc  de  l'Océan. 

Ce  tliauinatin'iic  fiiiure,  presque  sous  le  même  nom 
{(Honshcij»,  dans  les  iétrendes  des  .Micmacs,  tribu  la  plus 
rajiproclH'c  des  Abonakis  et  établie  dans  le  Xouveau-Bi'uns- 
witk,  la  Nouvelle-Kcosse  et  l'île  de  Terre-Neuve.  Il  y  joue 
à  peu  [)i'ès  le  même  rùleii),  soit  en  enchantant  ses  adver- 
saires, soit  en  prêtant  sa  ceinture  à  ses  protégés  ou  en  les 
couvi-ant  de  ses  vêtements  (car  c'est  ici  le  cas  de  dire  ([ue 
l'habit  t'ait  le  moine).  Mais  (juant  à  la  localisation  de  sa 
retraite,  les  nairateui's  varient  :  «  Les  uns  disent  (pi'il 
s'en  alla  vers  l'Est,  au  delà  de  la  mer,  dans  une  barque 
de  pierre  avec  hujuelle  il  reviendra  un  jour  ;  d'autres 
ipi'il  partit  pour  l'Ouest  (-2)  ».  Cette  dernière  croyance, 
répandue  chez  les  Micmacs  (0),  nous  parait  cadrer  moins 
bien  (jue  la  [)récé(lente  avec  une  autre  tradition  du  même 
peuple,  dajjrès  laquelle  le  grand  Esprit,  identifié  avec 
l'Esprit  du  bien,  c'est-à-dire  avec  Glooskap,  «  résidait 
dans  une  île  du  grand  Océan  »  c»)  |  l'Atlantique].  Elle  ne 
s'accorde  guère  non  plus  avec  l'origine  attribuée  à  Gloos- 
kap, «  ((ui  vint  de  l'Est  au  pays  des  Micmacs  en  traversant 
le  trrand  Océan  »  Ci).  Par  là,  elle  est  en  contradiction  avec 


(1)  RaiiJ  (Silas  Tertius),  Leycnds  of  the  Micmacs.  New-York,  1804. 
in-8,  p.  23-21»,  228-229,  232-237,  253-257,  270-278.  339-340.  —  l.eland  (Op.  cit.) 
eiitromêle  plu.sieiirs  légendes  {\q^  Micmacs  avec  ceile.s  des  Abenakis.  mais 
il  a  soin  d'indiquer  la  provenance  de  chacune  d'elles  fp.  1.^3-13'.»). 

(2)  Leland,  p.  130. 

(3)  S.-T.  Raud,  1».  232-233. 

(4)  iMaui'a,  Hinl.  des  Ahenahis.  guébec,  ISdtî.  in-8,  p.  18. 

(."))  Il  ne  faut  pas  non  plus  conl'ondi'e  la  retraite  des  Immortels,  le  para- 
dis des  Héros  et  des  Bienfaiteurs  avec  le  séjour  des  âmes  vulgaires,  et 
encore  moins  avec  le  lieu  de  sépulture  ordinaire.  C'est  à  ce  dernier  que 
se  rapporte  ce  que  Lescarbot  dit  des  Soiifir/uois,  établis  de  son  temps 
dans  la  Nouvelle-Ecosse  et  ancêtres  des  Micmacs  :  Après  avoir  fait  les 


LE    PARADIS    DE    l'aTLANTIQUE.  Oi 

.les  légendes  analogues  (algonkines,  mexicaine,  quichée), 
qui  parlent  tout  à  la  fois  de  l'ariivée  et  du  départ  des 
Génies  civilisateurs,  car  elles  les  font  retourner  du  côté 
par  oli  ils  étaient  venus,  c'est-à-dire  vers  l'Est.  Il  nous 
semble  donc  que  les  récents  conteurs  Micmacs  ont  con- 
fondu le  séjour  des  bienfaiteurs  immortalisés  avec  celui 
des  ombres  vulgaii'es  qui,  s'il  n'est  pas  placé  dans  les 
airs  ou  sous  terre,  doit  l'être  logiquement  dans  la  direc- 
tion du  soleil  couchant  (i). 

On  va  voir  (|ue  ces  assertions  sont  confirmées  par  la 
légende  correspondante  des  Menominis  ou  Folles- Avoines, 
Malouminek,  Maroiunines,  comme  les  nommaient  nos 
missionnaires  d'après  le  seigle  (zizania  acjuatica)  qui  croît 
spontanément  dans  les  marais  et  qui  leur  servait  de  nour- 
riture (2).  Ils  n'occupent  plus  le  bassin  de  la  rivière  qui 
porte  leur  nom  et  qui  se  jette  dans  la  Gi'een  Bay  (autrefois 
Baie  des  Puants)  ;  leur  réserve  a  été  portée  plus  loin  vers 
l'ouest  dans  lÉtat  de  Wisconsin.  C'est  une  des  tribus 
algonkines  dont  les  croyances  ont  été  le  mieux  étudiées, 
et  grâce  à  cette  circonstance  (r>),  sans  doute,  nous  trouvons 
chez  eux  une  des  versions  les  plus  circonstanciées  de  la 
légende  de  Manaboncli  (0,  où  les  principaux  traits  de  celle 


funérailles  de  l'un  des  leurs,  ils  «  le  portèrent  (selon  leur  coutume)  en  une 
ile  écartée  vers  le  Cap  de  Sable  à  vingt  cinq  ou  trente  lieues  loin  du  Port 
Royal  [Annapolis].  Ces  iles  qui  leur  servent  de  cimetière  sont  entre  eux 
secrètes,  de  peur  que  quelque  ennemi  n'aille  tourmenter  les  os  de  leurs 
morts,  w  {Histoire  de  la  Nouvelle- France,  édit.  de  Paris  1612,  L.  VI, 
ch.  26,  p.  872  ;  reprod.  par  Kdwin  Tross.  Paris  1866,  in-8,  p.  845). 

(1)  Voy.  supra  p.  IG,  n.  5  ;  infra,  p.  (Jl. 

(2)  Relat.  des  Jésuites,  1640,  p.  35  ;  1<')58,  p.  21  ;  1671,  p.  25,  42. 

(3)  Hoffman  (Waltor  James),  The  Menomini  Indians  ddius  Fourleenih 
Annual  Report  of  tlte  Bureau  of  Ethnology,  part.  I.  Washington,  1896, 
in-4,  p.  3-328  avec  37  planches  et  55  tig.  dans  le  texte. 

(4)  Hoflfraan  (Op.  cit.  p.  87  n.  2  et  114  n.  2)  décompose  ce  nom  en  Micha 
grand  et  Wabus  lièvre.  Plus  rapprochée  de  cette  étymologie  est  la  forme 

5 


tîS  I'>^    MUSÉON. 

deGlooskap  sont  mêlés  à  beaucoup  d'autres  qui  en  diffèrent. 
Selon  les  uns,  le  Silex,  fils  de  Nokomis  (la  Terre,  Grand' 
Mère),  enfouit  dans  le  sol  un  vase  qui  se  remplit  de  sang  ; 
il  s'y  forma  un  lapin  qui  fut  lui-même  métamorphosé  en 
homme  appelé  Manabouch  (i).  Selon  d'autres,  la  fille 
non  mariée  de  Nokomis,  donnant  le  jour  à  deux  enfants, 
mourut  avec  l'un  d'eux  ;  l'autre,  placé  par  sa  grand'mère 
sous  un  vase  de  bois,  devint  un  lapin  blanc  qu'elle  éleva 
et  qui  fut  un  puissant  Maiiido  [Manitou],  doué  de  la 
faculté  de  se  transformer  en  femme,  loup,  ours  blanc, 
arbre  (2).  Participant  do  la  nature  de  ces  êtres,  il  n'était 
pas  plus  qu'eux  exempt  d'infirmités  et  dans  les  périls  il 
invoquait  le  ])on  Manido  qui  lui  avait  donné  mission  de 
combattre  les  mavais  génies  souterrains  et  de  protéger  les 
hommes  en  instituant  Y  Association  médicale  (Mitawit)  ou 
chamanique.  Celle-ci  fut  composée  de  manidos  qui  per- 
sonnifient les  forces  de  la  nature  :  le  soleil,  la  lumière 
du  jour,  le  vent  du  Nord,  les  quadrupèdes  (ours,  renards, 
loutres,  etc.),  les  oiseaux  (aigles,  hiboux,  coqs  d'Inde)  (5). 
Il  enseigna  aux  hommes  les  propriétés  des  plantes,  l'usage 
des  instruments  magiques  (le  tambour,  la  crécelle).  Outre 


Michabaus^  adoptée  par  le  P.  Allouez  {Relat.  des  Jésuites  1670,  p.  93)  qui 
la  rend  par  Grand  Lièvre.  —  Cfr.  Missaba,  dieu  de  la  chasse  chez  les 
Ojibwa  (H.-R.  Rchoolcrat't,  The  Indiayi  Tribes  of  the  United  States. 
Part.  V.  Philadelphia,  in-l,  IS.'JO,  p.  420,  436-437).  —  Il  serait  plus  naturel 
de  substituer  au  second  terme  de  ce  composé  l'algonkin  et  l'ojibwa  wnbish 
blanc  (Voy.  supra  p.  53,  n.  2),  et  l'on  traduirait  alors  le  tout  par  :  Grand 
Blanc,  ayant  pour  totem  ou  emblème  de  son  ^dma  protecteur,  le  Wabus 
lièvre  blanc.  A  l'appui  de  cette  interprétation  on  peut  citer  le  nom  de 
Wabcno  (oiiental)  venant  de  Wabish  blanc  et  donné,  chez  les  Menominis, 
à  une  classe  de  redoutables  Magiciens  (Hoffman,  p.  62,  68,  314),  (Voy. 
supra,  p.  53,  n.  G). 

(1)  Hoffman,  p.  87. 

(2)  Id.  p.  113,  114,  115,  132,  133,  135. 

(3)  M.  p.  43,  88,91,92,  1.34. 


LE    PARADIS    DE    LATLANTIQUE.  59 

le  mitawit  qui  sert  à  guérir  les  Indiens,  il  leur  donna  la 
chair  des  animaux  pour  vivre  et  les  plantes,  notamment 
le  tabac  (i). 

Lorsqu'il  eut  accompli  sa  mission,  il  s'établit  au  nord- 
est  d'un  grand  lac.  Comme  il  n'y  avait  pas  dans  la  maison 
d'autre  femme  que  sa  grand'mèi'e,  son  frère  jumeau,  que 
le  grand  Manido  avait  ressuscité,  lui  fut  donné  pour  com- 
pagnon (2),  mais  celui-ci,  entraîne  au  fond  de  l'eau  par 
les  mauvais  génies  souterrains,  fut  placé  dans  l'Ouest 
pour  attendre  les  âmes  des  morts.  Quant  aux  vivants, 
Manabouch  pi'omit  de  leur  donner  au  nord-ouest  un  foyer 
perpétuel  pour  leurs  enfants  et  leurs  successeurs,  mais 
lui,  il  devait  allei*  dans  l'Est  pour  vf^ller  à  la  pi'ospérité 
des  Indiens  (5).  Malgi'é  ses  ])ienfaits,  il  avait  des  ennemis 
qui  lui  rendirent  la  vie  dure  et  ([ui  se  jouèrent  do  lui. 
On  le  ridiculisa,  on  le  traita  de  fou,  on  lui  déroba  ses 
vivres  ;  il  eut  j)arfois  peine  à  se  soustraire  aux  embûches 
qu'on  lui  tendait  (i).  11  ju'it  le  parti  de  dis[)araiti'e  :  <c  Mes 
amis,  dit-il,  je  vais  vous  laisser,  ayant  été  mal  traité,  non 
par  vous,  mais  par  des  gens  ({ui  vivent  aux  alentours.  Je 
vais  du  côté  du  soleil  levant,  à  travers  le  grand  Océan, 
oîi  il  y  a  un  pays  de  i-ochers  ;  ce  sera  ma  demeure.  Lors- 
que vous  serez  rassemblés,  })ensez  à  moi  ;  (juand  vous 
prononcerez  mon  nom  je  vous  entendrai  ;  tout  ce  que 
vous  entreprendrez  sous  mes  auspices  réussira  et  je  ferai 
tout  ce  que  vous  demanderez  »  (.;).  Il  exauça  en  effet  les 
vœux  des  gens  raisonnables  qui  avaient  fait  un  long  et 


(1)  Id.  p.  92,  93,  114,  iO(S. 

(2)  Id.  p.  113-115. 

(3)  Id.  p.  73,  87,  88,  113,  115. 

(4)  Id.  p.  134,  163-165,  173,  204. 

(5)  1(1.  p.  199-201,  20(;. 


60  i^e:  muséon. 

pénible  voyage  pour  l'aller  trouver,  mais  il  changea  en 
pierres  les  insensés  qui  lui  avaient  demandé  l'immorta- 
lité (i). 

Suivons  la  même  légende  chez  une  autre  tribu  algonkine 
qui  était  au  Wll*  siècle  contiguë  aux  Menominis  et  qui, 
de  nos  jours,  refoulée  avec  eux  plus  loin  vers  l'Ouest,  est 
encore  leur  voisine.  Il  s'agit  des  Outchibouek  (2),  dont  le 
nom  a  été  corrompu  en  ceux  d'Odjihewais,  iVOjibwa  et  de 
Chippewa  (5),  qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec  les  Chippe- 
wvans  (4)  de  l'Athabasca.  Nous  emploierons  le  plus  court 
de  ces  synonymes.  Les  Ojibwas  se  disaient  originaires  de 
l'Est  :  leurs  ancêtres  avaient  habité  le  littoral  de  la  grande 
eau  salée  [Océan  Atlantique],  plus  tard  les  rives  d'un 
grand  fleuve  [le  Saint-Laurent],  ensuite  celles  d'un  grand 
lac  [Ontario  ou  Huron],  et  ils  avaient  fini  par  s'incorporer 
aux  Sauteurs,  Algonkins  du  Saut  de  Sainte-Marie,  par  où 
les  eaux  du  lac  Supérieur  se  déversent  dans  le  lac  Uuron. 
Ces  traditions,  recueillies  par  un  lettré  de  leur  race  (o), 
sont  confii'mées  par  les  multiples  analogies  de  leur 
langue   (e),  de  leurs   institutions  et   de   leurs  croyances 


(1)  Id.  p.  118-120,  20(î. 

(2)  Relat.  des  Jésuites,  1667,  p.  24  ;  1670,  p.  79. 

(3)  J.  Tailhan,  S.  J.  Notes  dans  son  édit.  du  Mem.  sur  les  mœurs,  cou- 
tumes et  religion  des  sauvages  de  VAmérique  septentrionale,  par 
Nicolas  Perrot,  Leipzig  et  Paris,  1864,  in-18.  p.  193-194,  295. 

(4)  Selon  Schoolcralt  {Op.  cit.,  t.  V,  p.  172),  ce  nom  leur  a  été  donné 
par  les  Chippewas  et  il  se  décompose  en  wyan  pelisse  et  ojeeg  pécheur  ; 
il  a  trait  à  leur  costume.  —  Le  vocabulaire  chippewyan  donné  par 
Mackenzie  (p.  304-310  du  1. 1,  de  ses  Voyages  dans  Vintcrieur  de  r Amé- 
rique septentrionale,  trad.  par  J.  Castéia,  Paiis,  1802,  in-S)  diffère  essen- 
tiellement de  ceux  des  quatre  dialectes  Ojibwas  publiés  par  Schoolcraft, 
Op.  cit.,  1.  V,  p.  172-179. 

(ô)  W.-W.  Warren,  Traditions  orales  des  Ojibxcas,  dans  le  t.  II  de 
Schoolcraft,  p.  136-137,  avec  une  carte  de  la  situation  de  la  tribu  en  1851. 
{<))  lielat.  des  Jésuites,  1007,  p.  24. 


LE    PARADIS    DE    LATLANTIQUE.  61 

avec  celles  des  Menoininis.  Chez  eux  Manabouch  est 
appelé  Menahozlwo  et  iScnabozIioo  dans  leui'  dialecte  oi'ieii- 
tal  (i).  C'était  un  des  jumeaux  nés  d'une  vierge  qui  était 
descendue  du  ciel  et  qui  y  remonta.  Il  créa  la  terre,  la 
peupla,  donna  des  noms  aux  êtres  et  aux  plantes,  notam- 
ment au  maïs  qu'il  lit  descendre  du  ciel  pour  la  nourri- 
ture des  hommes.  C'est  de  l'Est  où  il  réside  ([u'il  envoie 
le  vent  ;  c'est  vers  ce  côté  que  se  tourne  le  Jesukad,  otH- 
ciant  de  la  meda  (sacrilice  magique  ou  médical),  pour  lui 
offrir  le  calumet  (2).  Après  avoir  fait  beaucoup  de  choses 
merveilleuses,  il  disparut  du  côté  de  l'Est  où  il  est 
encore  (.">),  tandis  que  les  âmes  vulgaires  vont  à  l'Ouest 
dans  un  pays  de  cocagne  (4).  Telle  est  une  des  versions 
répandues  chez  les  Ojibwas  et  chez  plusieurs  des  tribus 
congénères.  Selon  une  autre,  les  âmes  vont  dans  une 
conti'ée  située  au  sud,  sur  le  littoral  du  grand  Océan  et 
où  les  bons  vivent  dans  l'abondance  et  les  plaisirs  (o). 

Les  Potawatomis,  congénères  des  Menominis  et  des 
Ojibwas,  étaient  devenus  leurs  voisins,  en  se  réfugiant 
dans  l'île  Hurone,  puis  sur  la  rive  occidentale  de  la  Baie 
des  Puants,  après  avoir  été  expulsés  par  les  Ii'0([uois,  avant 
1657,  d'un  territoire  situé  entre  les  lacs  Huron  et  Michi- 
gan  (g).  Chez  eux  Nenabozhoo  est  appelé  Nanahoiijou. 
C'était  l'aîné  de  quatre  jumeaux,  (ils  d'un  grand  mnito 


(1)  Schoolcraft,  Op.  cit.,  t.  V,  p.  418,  n.  1. 

(2)  Id.  ibid.,  t.  V,  p.  193,  418-421. 

(3)  Brinton,  The  Lenâpé,  p.  131. 

(4)  Schoolcraft,  Oj).  cit.,  t.  II,  p.  135.  —  Cfr.  Supra,  p.  56  n.  5,  et  57. 

(5)  Keating,  Longs  Expédition,  1824,  t.  II,  p.  158,  cité  par  Yarrow,  The 
mortiia7'i/  customs  of  the  north  American  Indians,  dans  First  A77.nual 
Report  ofthe  Bureau  of  Etlmology,  1879-1880,  Washington,  1881,  in-4, 

n     1  OQ-'Xin 


p.  199-200. 


(6)  Relat.  des  Jésuites,  1640,  p.  35  ;  1667,  p.  18  ;  1671,  p.  25  et  42  ;  —  Nie. 
Perrot,  Op.  cit.,  p.  215. 


62  LR    MtiSÉOX. 

[manitou]  et  d'une  mortelle.  Le  (fuatrième  d'entre  eux, 
Chakekenapok,  l'homme  de  silex,  ayant  en  naissant, 
causé  la  mort  de  sa  mère,  fut  plus  tard  poursuivi  avec 
acharnement  et  tué  par  Nanahoujou  (jiii,  au  contraire, 
s"effor(;a  vainement  de  soustraire  aux  embûches  des  mau- 
vais esprits  son  puîné,  Chipiapous.  Celui-ci  tinit  par  être 
entraîné  sous  la  glace  du  lac  Michigan,  mais  il  fut  alors 
chargé  de  régner  sur  les  âmes  et  de  pourvoir  à  leur  béati- 
tude. Nanaboujou,  initié  au  grand  mystère  de  la  mcda 
(médecine  magique),  prescrivit  aux  membres  de  sa  famille 
d'en  perpétuer  religieusement  les  céiémonies  et  leur 
donna  des  amulettes  pour  guérir  les  maladies  et  réussir 
à  la  guerre  et  à  la  chasse.  Il  fut  le  principal  intercesseur 
des  hommes  auprès  du  Grand  Esprit  qui  leur  donna  les 
animaux  pour  vivre  de  leur  chair  et  se  vêtir  de  leur  peau, 
les  racines  et  les  simples  pour  traiter  les  maladies.  Dans 
le  cours  de  ses  voyages  sur  terre,  il  détiuisit  les  bètes 
malfaisantes,  comme  les  mastodontes  et  les  mammouths  ; 
il  plaça  les  vents  aux  quatre  points  cardinaux  :  celui  du 
nord  qui  souille  la  neige  et  permet  de  poursuivre  le  gibier  ; 
celui  du  midi  qui  fait  croître  les  courges,  les  melons,  le 
maïs,  le  tabac  ;  celui  de  l'ouest  qui  amène  les  pluies, 
enfin  celui  de  l'est  qui  donne  la  lumière  et  met  le  soleil 
en  marche  pour  sa  course  quotidienne.  Ce  génie  vit  encore 
et  se  repose  sur  une  banquise  dans  le  grand  lac  [Océan]. 
Les  Indiens  appréhendent  que  les  Blancs  ne  découvrent 
sa  retraite  et  ne  l'en  fassent  sortir,  car  s'il  posait  le  pied 
sur  la  terre,  l'Univers  entier  s'enilammerait  et  tous  les 
êtres  seraient  consumés  (i). 


(1)  Récit  (le  Potogojees,  chef  Potawatomi,  recueilli  par  le  R.  P.  de  Sraet, 
Ch'egon  Missions  and  Travels  over  ihe  Rochy  Mountains,  in  1845-46, 
New-Yoïk,  1847,  p.  341-345;  reproduit  par  Schoolcraft.  Op.  cit.,  t.  I, 
p.  316-319,  et  par  Hoffman,  Op^  cit.,  p.  207  209. 


LE    PAKADIS    DE    LATLANTIQUE.  63 

C'est  évidemment  au  même  Manitou  que  s'applique  le 
passage  suivant  du  P.  Allouez  :  «  Les  lUinioûek,  les  Outa- 
gami  et  autres  sauvages  du  côté  du  Sud  croyent  qu'il  y  a 
un  grand  et  excellent  génie,  maistre  de  tous  les  autres, 
qui  a  fait  le  ciel  et  la  terre,  et  qui  est,  disent-ils,  du  costé 
du  Levant,  vers  le  pays  des  François  (i)  ».  Les  tribus  en 
question  sont  de  la  branche  algonkine  qui  s'étendait  au 
sud  du  lac  Michigan  et  du  territoire  des  Iroquois,  depuis 
le  Mississipi  jusqu'au  littoral  de  la  Nouvelle-Angleterre. 
Schoolcraft  (2)  qui  les  appelle  en  général  Michigamis,  à 
cause  du  voisinage  du  lac  autrefois  nommé  d'après  les 
Illinois,  compte  parmi  eux  les  Sfiawanoes  [ou  Chaou- 
anons],  les  Odaivas  [OttaouaisJ,  les  Pedadumics  [Potawa- 
tomis]  et  les  Obunegos  [Abenakis  de  la  Delaware  ou 
Léni-Lénapés].  Dans  une  assemblée  générale  des  Algon- 
kins méridionaux  qui  eut  lieu  sur  la  Wabash  vers  1816, 
ces  tribus  furent  ainsi  classées  selon  leur  ancienneté  ou 
leur  importance.  Les  Obunegos  (5)  ou  Lénapés  furent 
qualifiés  de  grands-pères  (4),  les  Chaouanons  de  frères  les 
plus  anciens,  les  Ottaouais  de  frères  aînés,  et  les  Potawa- 
tomis  de  frères  (5).  Nos  notions  sur  les  croyances  des 
Chaouanons,  Sliawnees  ou  Méridionaux  (e)   sont  insutfi- 


(1)  Relat.  des  Jésuites,  1667,  p.  12. 

(2)  Schoolcraft,  Op.  cit.,  t.  V,  p.  192-193,  196. 

(3)  Cfr.  le  terme  Openango  qui  désigne  l'idiome  des  Abenakis  du  Pas- 
samaquoddy  (Kidder,dans  le  t.  V  de  Schoolcraft,  p.  690)  ;  —et  Opuhnanke, 
nom  des  Abenakis  de  la  Delaware  (Brinton,  The  Lenâpé,  p.  19).  —  Cfr. 
Opeek  et  Oppâi,  blanc. 

(4)  Bien  que  Schoolcraft  T.  V,  p.  192,  n'ait  pas  reconnu  le  nom  des 
Abenakis  sous  la  forme  Obunegos,  il  est  certain  que  l'un  et  l'autre  dési- 
gnent les  Lénapés,  puisque  d'après  Heckewelder  {Op.  cit.,  p.  68,  113,  121, 
177,  180,  182),  les  Chaouanons  donnaient  aux  Lénapés  le  titre  de  grand- 
père. 

(5)  Schoolcraft,  Op.  cit.,  t.  V,  p.  196.  —Cfr.  Heckewelder,  p.  175-182. 

(6)  Dans  l'idiome  de  cette  tribu  shawanoong  signifie  le  Sud.  (School- 
craft, Op.  cit.,  t.  V,  p.  255). 


6i  Lii:    MISÉON. 

santés  ;  nous  savons  seulement  (jue,  sans  [)ai'ler  de  leurs 
incessantes  péi'égrinations  en  Amérique,  ils  avaient  une 
curieuse  tradition  sur  Toriiiine  de  ieuis  ancêtres,  (jui 
seraient  venus  de  Tb^st,  à  travers  l'Océan,  en  marchant 
sur  l'eau  (i). 

De  même  les  Lcni-fjénapés,  comme  on  le  verra  plus 
loin,  contaient  (|ue  leurs  ancêtres  avaient  traversé  l'Océan 
pour  venir  s'établir  en  Amérique.  On  n'a  pas  de  peine  à 
s'ex|)liquer  l'idcndité  de  celte  tradition  avec  celle  des 
Chaouanons,  (juand  on  sait  (|u'ils  se  rattachaient  comme 
eux  à  la  branche  méridionale  des  Algonkins.  De  même  que 
les  Illinois  (2),  (ioiil  ils  portaient  le  nom  (3),  ils  avaient 
habité  le  Far-West  (4),  quoiqu'ils  vinssent  de  l'Est, 
comme  l'indique  leur  nom  générique  :  ]Vai)onaclil{is, 
Ahcnahis   (;.),    OIntncf/o    ou     Opuhnankc.    ((0    (Orientaux). 


(1)  Id.  ibid.,  t.  I,  p.  19  et  IV,  p.  2.55. 

(2)  «  Qui  uiit  jiutrefois  habité  proche  de  la  mer  de  l'Ouest.  "  {Relat.  des 
Jésuites,  li>7l.  p.  1(1.  —  On  en  disait  autant  des  Miamis,  les  Indiens  de 
Chicago,  qui  avaient  d'ailleurs  d'intimes  affinités  avec  les  Illinois.  (De  Char- 
levoix,  Journal  d'ioi  voyage  dans  l'Atnérifjue  septentrionale,  t.  III  de 
son  Histoire  de  la  Nouvelle  France.  Paris,  1744,  in-4.  lettres  11  et  26, 
p.  188,  308). 

(3)  Linioueh  ou  Illiniouek  {Relat.  des  Jésuites,  1(>56,  p.  39  ;  1G67,  p.  12, 
21),  qui  signifie  hommes  et  correspond  à  leno  (au  pluriel  lenoioah)  en 
Lénapé  ;  à  ellcnu  en  Abenaki  ;  à  i(l7ioo  en  micmac  ;  à  lajiea  en  Miami  ; 
à  linni,  illenni  en  Chaouanon  :  à  inani  en  Menomini  ;  à  cnene  en  Ojibwa. 
—  Lénapé  a  le  même  radical  que  leno  (vir)  et  comme  on  le  traduit  par 
homo  (Du  Ponceau,  Mém.  sur  le  système  graynmatical  des  langues  de 
quelques  nations  indiennes  de  l'Amérique  du  Nord.  Paris,  1838,  in-8, 
p.  330),  le  nom  composé  doit  sif^niticr  homme  viril,  ce  qui  avait  dû  jus- 
tifier à  l'origine  le  titre  honorifique  de  yrand-prrc  (Voy.  supra  p.  ()3).  — 
«  Qui  dit  Illinois,  c'est  comme  qui  dirait  en  leur  langue  les  hommes.  » 
(Récit  des  vogages  et  décour crtes  du  P.  J.  Marquette,  dans  le  t.  II,  p.  2H5 
de  Mis.sion  du  Canada  ;  Relations  inédites  de  la  Nouvel  le- hYance, 
publiées  par  le  P.  Mai'tin,  Paris  ISiU,  in-8). 

(4)  Heckewelder.  Op.  cit.,  p.  40. 

(5)  Voy.  supra,  p.  53,  n.  2. 

(6)  Voy.  supra,  p.  ti3. 


LE    PARADIS    DE    LATLANTIQUE.  65 

Cette  longue  pérégrination,  du  littoral  de  l'Atlantique  à 
celui  du  Pacifique,  qu'ils  ont  presque  renouvelée  au 
XIX'  siècle  (i),  ne  leur  avait  pas  fait  perdre  le  souvenir 
de  leur  origine  transatlantique.  Il  était  encore  vivace  en 
1650,  d'après  le  récit  fait  à  lingénieur  suédois  Lind- 
strœm  par  un  indien  de  la  Delaware  :  «  Autrefois  une 
femme  de  votre  race  [c'est-à-dire  une  Européenne]  venue 
chez  nous,  devint  enceinte  après  avoir  bu  dans  une 
crique...  Elle  donna  le  jour  à  un  fils  qui,  parvenu  à  une 
certaine  taille,  était  si  sage  et  habile,  que  personne  ne  put 
jamais  lui  être  comparé,  tant  il  parlait  bien,  ce  qui  excitait 
l'admiration.  11  fit  aussi  beaucoup  de  miracles.  Lorsqu'il 
fut  grand,  il  nous  quitta  et  alla  au  ciel,  promettant  de 
revenir,  mais  on  ne  l'a  jamais  revu  (2)  ».  —  Au  XVIP  siè- 
cle, les  Eéni-Lénapés  rapportaient  en  outre  que,  dans  les 
anciens  temps,  la  chasse  et  l'industrie  leur  avaient  été 
enseignées  par  un  homme  vénérable  et  éloquent,  venu  de 
loin  et  qui  les  quitta,  non  en  mourant  ni  en  partant  pour 
une  autre  contrée,  mais  en  montant  dans  les  nuages.  Ils 
ajoutaient  que  ce  vieillard  portait  une  longue  barbe  (3). 
Aussi  leurs  ancêtres  croyaient-ils  qu'il  leur  viendrait  un 
bienfaiteur  de  la  direction  de  l'Est,  et  lorsqu'ils  virent 
les  premiers  Blancs,  ils  les  regardèrent  comme  divins  et 
les  adorèrent  (4). 


(1)  Réduits,  en  1890,  à  94  qui  avaient  conservé  leur  nationalité,  ils 
achèvent  de  la  perdre  dans  i'Oklaliaraa,  après  avoir  été  successivement 
refoulés  de  la  Delaware  au  Kansas,  puis  au  Texas.  (James  Mooney,  The 
Ghost  Dance  Religion  and  the  Sioux  Outbreak  of  1890,  dans  Four- 
teenth  annual  Report  of  the  Bureau  of  Ethtiology,  1892-93,  Part.  II. 
Washington  1896,  in-4,  p.  1095). 

(2)  Brinton.  The  Lenâpé,  p.  131. 

(3)  Th.  Canipanius  Holm.,  Kortbeskriftiing  om  provincien  Nya  sverige 
uti  America,  1702.  L.  III,  ch.  Il  ;  —  Brinton,  American  Hero-myths, 
Philadelphie,  1882,  in  8,  p.  53. 

(4)  Brinton,  The  Lenâpé,  p.  132. 


66  LE    MUSÉON. 

Jusqu'au  milieu  du  XIX*  siècle,  les  Léni-Lénapés  ont 
cru  que  les  âmes  des  sages,  des  braves,  des  chasseurs 
infatigables,  des  hommes  bons  et  hospitaliers  allaient  au 
Pays  de  la  vie  {Wal{-an-da),  dans  une  giande  et  belle  ile, 
au  centre  de  la(|uelle  dcnieurail  le  Grand  Espiit,  au 
sommet  d'une  haute  montagne.  Le  soleil  ne  cesse  jamais 
d'y  luire  ;  un  printemps  perpétuel  y  règne  ;  les  bienheu- 
reux n'y  vieillissent  pas  ;  la  chasse  ne  les  fJiUigue  pas  ; 
ils  ont  en  abondance  des  butïïes,  des  cerfs,  des  chevreuils, 
des  loutres,  des  castors,  des  poissons  ;  des  forêts  y  om- 
bragent les  campagnes  qui  sont  couvertes  de  fleurs  (i). 
C'est  à  cet  élysée  (|ue  faisait  allusion  le  prophète  Delaware 
innommé  de  1762.  Dans  le  cours  de  ses  prédications,  il 
montrait  sur  une  carte  en  peau  de  chevreuil  une  avenue 
placée  au  nord-nord-est  et  conduisant,  disait-iJ,  aux  déli- 
cieuses régions  célestes  situées  au-delà  du  grand  lac  salé 
[Atlantique]  et  réservées  par  le  Grand  Esprit  pour  la 
demeure  des  Indiens  dans  la  vie  future  ;  tandis  qu'un 
autre  passage  au  sud-sud-est,  conduisait,  à  travers  des 
précipices,  à  l'afFi-eux  séjour  du  Mauvais  Esprit  (2).  — 
Comme  l'Islande  est  à  peu  près  au  nord-nord-est  de  l'an- 
cien pays  des  Delawares,  cette  ultima  Thulé  correspond  à 
la  mystérieuse  Tula  dont  il  est  question  dans  un  docu- 
ment analogue  aux  peintures  de  ce  prophète  innommé.  Il 
s'agit  du  Walam-Olum  ou  Figures  peintes  exécutées  au 
XVin*  siècle  d'après  les  traditioris  des  Lénapés  et  accom- 
pagnées d'une  explication  en  leur  langue.  On  y  retrouve 


(1)  Cinquante  nouvelles  lettres  du  R.  P.  de  Smet,  publiées  par  Ed.  Ter- 
wecorcn,  Paris,  1858,  in-l8,  p.  219-220. 

(2)  Heckewelder,  Op.  cit.,  p.  471-474,  —  Cfr.  une  croyance  analogue 
des  Alibamons,  Indiens  de  l'Alabama,  qui  ne  sont  pas  de  la  famille  Algon- 
kine.  (Bossu,  Nouveaux  voyages  aux  Indes  occidentales.  Paris,  17G8, 
in-18,  t.  U,  p.  48-50). 


LF,    PARADIS    DP.    LATLANTIQUE.  67 

le  Grand-Lièvre  ou  Grand-Blanc  que  nous  connaissons 
déjà  par  les  légendes  des  Menoininis,  des  Chippewas  et 
des  Potawatomis  et  pai*  le  récit  fait  à  Lindstrœm  (i).  Mais 
là-même  où  le  fond  est  identicjuc,  les  conteurs  ditlerent 
tellement  par  l'exposition  qu  il  n'y  a  pas  lieu  de  croire 
qu'ils  se  soient  copiés.  Ils  ont  dû  puiser  à  une  même 
source  les  éléments  communs  qu'ils  ont  mêlés  à  d'autres, 
en  les  traitant  chacun  à  sa  manière.  Qu'on  en  juge  par 
l'exposé  suivant  : 

Un  puissant  serpent,  ennemi  des  hommes,  les  expulsa 
de  leurs  demeures,  en  soulevant  jusqu  aux  montagnes  les 
eaux  qui  détruisirent  tout.  JSanahoucfi  Maskaboucli  (2) 
était  à  Tula,  sur  l'île  des  premiers  ancêtres,  où  allèrent 
les  hommes  et  les  êtres  en  traversant  les  tlots.  Une  partie 
d'entre  eux  fui'ent  dévorés  par  des  serpents  monstrueux  ; 
mais  la  fille  du  manitou,  avec  son  emharcation,  aida  les 
autres  à  passer  vers  Nanabouch,  le  grand-père  des  hom- 
mes. Rassemblés  à  Tula  ils  demandèrent  que  ce  qui  leur 
avait  été  ravi  leur  fût  rendu.  L'eau  diminua,  la  terre 
sécha,  tout  devint  silencieux  et  le  puissant  serpent  dis- 
parut. Après  quoi  les  Lenàpés,  qui  s'étaient  ensemble 
réfugiés  dans  les  gi'ottes  de  Tula,  éprouvés  par  la  neige, 
les  tempêtes,  les  gelées,  parlèi'ent  dans  ce  pays  du  Nord 
de  climats  doux  et  froids,  où  il  y  avait  beaucoup  de  cerfs 
et  de  bisons.  Ils  partirent  :  les  uns  devinrent  constructeurs 
de  maisons  [les  Pueblos  ^J,  les  autres  chasseurs  ;  les  uns 
restèrent  sur  les  bords  de  la  mer,  les  autres  allèrent  dans 
l'Ile  des  serpents  [Amérique  méridionale?]  (3). 


(1)  Voy.  supra,  p.  58,  62,  63,  64,  65. 

(2)  Correspondant  aux  synonymes  employés  respectivement  et  isolé- 
ment par  les  Menominis,  les  Ojiliwas  et  les  Potowatomis,  mais  réunis  ici 
pour  désigner  le  même  personnage  bienfaisant. 

(3)  Dan.  G.  Brinton,  The  Lenâpé,  p.  177-184. 


68  LE    MLSÉON. 

III.  Le  Paradis  âtlamioie  des  .Mexicains 

ET    DES    MaYAS-QI'ICIIÉS. 

Quehjues-unes  des  obscurités  du  |>ai'aij;raphe  précédent 
seront  dissipées  par  la  conii)araison  avec  les  traditions 
des  peuples  de  la  région  isthmi([ue  :  Quiches  et  Cak- 
clîiqueis  du  Guatemala,  Mayas  du  Yucatan,  ïoltecs  du 
Mexique.  Commençons  par  celles  des  Quiches,  qui  nous 
paraissent  être  les  plus  archaï(fuos  :  si  des  conceptions 
chrétiennes  y  ont  été  intei'|)olécs  après  la  conquête  espa- 
gnole, il  est  facile  de  les  en  séparer.  Chez  les  Mexicains, 
au  contraire,  les  diverses  Tulas  et  les  Quetzalcoatl  (jui  en 
étaient  originaires,  ont  été  confondus  dès  les  temps 
païens,  et  il  est  d'autant  plus  dillicile  d'opérer  le  triage. 
Si  les  traditions  des  peuples  Quiches  se  sont  perpétuées 
avec  aussi  peu  de  changements  que  leurs  idiomes,  elles 
remontent  bien  à  deux  mille  ans  (i),  ce  qui  nous  rappro- 
cherait du  temps  où  les  croyances  en  l'Elysée  de  l'Atlan- 
tique ont  passé  de  l'Ancien  dans  le  Nouveau  Monde.  Elles 
ont  été  consignées,  vers  le  milieu  du  XVl^  siècle,  dans 
des  mémoriaux  dont  le  plus  étendu  est  le  Pojwl  Viilt 
(Livre  de  la  communauté)  (2j.  (^est  la  reproduction  plus 


(1)  Otto  StoU,  Zur  Ethnographie  der  Repiihlik  Guatemala.  Zurich, 
1884,  p.  157,  cité  par  D.  G.  Brinton  dans  The  Annals  ofthe  Cakchiquels, 
texte,  traduction,  notes.  Pliiladclphie,  1885,  in-8,  p.  10. 

(2)  Edité  par  l'Abbé  Brasseur  de  Rourbourj^-,  avec  traduct.  et  notes. 
Paris,  1861,  gr.  in  8  ;  traduction  espagnole  du  P.  Francisco  Ximénez, 
publiée  par  le  D''  C.  Scherzer,  sous  le  titre  de  Las  hi.ston'as  dcl  origcn 
de  los  Indios  de  esta  provincia  de  Guatemala^  Vienne,  1857,  inS.  —  Une 
version  espagnole  de  la  traduction  fiani^aise.  avec  des  notes  tirée  de 
celle  de  Ximénez,  et  due  probablement  à  .lusto  Gavairete.  a  paru  de  1894 
à  1896,  dans  El  educacionista  de  Guatemala.  C'est  elle  probablement 
qui  a  été  reproduite  sous  le  titre  de  El  Popol  Vuh,  avec  une  étude  préli- 
minaire de  Santiago  I.  Barberena  et  publiée  par  Arturo  Ambrogi  dans  sa 
Bibliolheca  centroamericana,  en  trois  lascic,  in-12,  San  Salvador,  1905. 


LE    PARADIS    DR    LATLANTIQUE.  69 

OU  moins  fidèle,  en  caractères  alphabétiques,  d'un  ancien 
recueil  de  peintures  ou  d'iconophones  (sons  représentés 
par  des  figures),  en  usage  à  Tula  (i). 

On  y  voyait  que  leurs  ancêtres  avaient  d'abord  habité  au- 
delà  de  la  mer,  dans  l'Est,  où  ils  connaissaient  des  hommes 
blancs  et  noirs,  des  hommes  qui  vivaient  sans  maisons  [des 
nomades].  Us  quittèrent  leur  pays  pour  aller  chercher  des 
dieux  à  Tulcm-Zuiva,  à  Vukuh-Pck  (aux  Sept  Grottes),  à 
Vukub-Civan  (aux  Sept  Ravins).  Ils  eurent  à  faire  un  long 
trajet  pour  s'y  rendre  (^2).  11  y  avait  là  nombre  de  tribus, 
entre  autres  des  Yarjuis,  Sacrificateurs,  qualifications  don- 
nées aux  marchands  et  pèlerins  Mexicains  (0),  dont  le  dieu 
portait  en  effet  des  noms  nahuas  :  Yolcuat-Quitzalciiat  (4) 


(1)  Popol  viih.  p.  295-6  ;  trad.  espagnole,  p.  117.  —  Voy.  infra,  p.  T2. 

(2)  Popol  vuh,  p.  206-217  ;  Cfr.  p.  22S-229,  240-241,  244-245,  290-291  ; 
trad.  esp.  p.  83-85,  92,  96,  116,  117. 

(3)  Popol  vuh,  p.  206-207,  212-213,  216-217,  246-247,  trad.  esp.,  p.  86,  87, 
98.  —  Leur  dieu  Quetzalcoatl  en  effet  était  patron  de  la  ville  de  Cliolula 
et  dieu  des  marchands  (D.  Duran,  Historia  de  las  Indias  de  Nueva 
Espana,  t.  II,  1880,  in  4,  p.  118),  et  les  Annales  des  CakcJaquels  (p.  165), 
parlent  de  Yaquis  de  Culuacan,  cest-à-dire  de  la  confédération  Culua 
du  haut  Anahuac,  envoyés  en  Guatemala  par  le  roi  Modeczumatzin  (Mon- 
tezuma  II).  —  Yaqui  est  un  terme  nahua  qui  signifie  :  marchant,  voyageur, 
par  extension  marchand  ;  il  a  le  même  radical  que  yani,  pèlerin  et  pouvait 
désigner  aussi  bien  les  pèlerins  allant  à  Tulan  que  les  voyageurs  de  com- 
mei'ce  ou.  pour  mieux  dire,  les  célèbres  colporteurs  de  l'Anahuac. 

(4)  Popol  vuh.  p.  246-247  ;  ti'ad.  esp.  p.  98.  —  Le  premier  de  ces  deux 
mots  parait  être  une  transcription  de  yollotl  cœur,  apocope  en  j/ol  pour 
entrer  en  composition  et  cuail.  chef  en  nahua.  Il  signifierait  :  chef  cou- 
rageux. Mais  comme  on  ne  connaît  pas  d'épithète  semblable  apposée  au 
nom  de  Quetzalcoatl,  il  est  à  croire  que  c'est  une  transcription  défec- 
tueuse de  yoalli  nuit,  apocope  et  ecatl  vent,  esprit,  le  tout  signifiant  : 
Esprit  nocturne,  une  des  qualitications  de  Quetzalcoatl  fQuizalcoatl,  por 
otro  nombre  Yagualliecatl,  selon  Historia  de  las  Mexicanos  por  sus 
pinturus,  p.  228  de  iSaeva  coleccion  de  docurnentos para  la  historia 
de  Mexico,  qCl\\.  par  J.  Garcia  Icazbalceta,  t.  III,  Mexico,  1891,  in-8).  Le 
P.  D.  Duran  {Op.  cit.,  t.  IL  p.  122)  l'appelle  aussi  Yecatl  (eau  pure). 


70  LE    MUSÉON. 

et  Nacxit  (i),  et  employa  un  composé  nahua  cinpuvnl-ta- 
xucfi  (2)  pour  donner  l'investiture  à  Oibaltzam  {7,).  Il 
correspondait  à  To/iil  (Tonnant)  (4).  Ses  adorateurs,  mou- 
rant de  l'aim  et  de  froid,  lui  demandèrent  du  feu,  il  leur 
en  donna,  mais  leur  défendit  d'en  faire  part  aux  autres 
tribus  ;  celles-ci  n'en  purent  obtenir  qu'en  lui  promettant 
ce  qu'il  y  avait  dans  leur  poitrine,  sous  leur  ceinture. 
C'étaient  leurs  enfants  qui  plus  tard  furent  enlevés  à  la 
dérobée  et  immolés  sur  l'autel  de  Tohil.  Ce  dieu  de 
Tulan,  comme  Kronos,  le  dieu  dOgy^ie,  exigeait  des 
victimes  humaines,  mais  les  Quiches  étaient  dispensés 
d'en  prendre  dans  leur  tribu  ;  ils  n  étaient  tenus  que  de 
se  tirer  du  sang  des  oreilles  et  des  bras,  de  brûler  de 
l'encens,  et  de  sacrifier  des  oiseaux  et  des  cerfs  {.-ij. 

A  Tulan  s'était  produite  la  confusion  des  langues  :  les 
peuples  ne  s'entendaient  plus  les  uns  les  autres  ;  ils  se 
séparèrent.  Les  uns  retournèrent  dans  l'Est.  Tohil  dit 
aux  Quiches  et  à  leurs  confédérés  :  «  Ce  n'est  pas  ici  notre 
demeure,  partons  pour  notre  destination  ».  Le  narrateur 
avoue  qu'il  ne  sait  pas  bien  comment  se  fit  la  tiaversée 
de  la  mer,  si  ce  fut  sur  des  pierres  éparses  [glaces  flot- 


(1)  Popol  vtih,  p.  294-295.  —  Cfr.  Ceacatl  y  Naxitli  y  Quetzalcoatl  ■ 
Quetzalcoatl  Ceacatl  y  Nacxitl,  chez  Tezozomoc  (Hernando  Alvarado), 
Cronica  Mexicana,  édit.  par  M.  Orozco  y  Bena.  Mexico,  1878,  in-4, 
oh.  101,  108,  p.  659,  694.  —  On  parlera  plus  loin  de  ce  titre  (p.  56,  n.  3). 

(2)  Le  premier  mot  est  une  transcription  de  cempualli  vingt  ;  le  second 
peut  être  une  forme  syncopée  et  apocopée  de  tlaxuchtli,  ceinture,  ou  un 
composé  do  tatli  père,  apocope  et  xochiil  fleur.  Le  tout  signifierait  :  Père 
ayant  vingt  fleurs  pour  armoiries. 

(3)  The  Annal  s  of  Ihe  Cakchiqiiels,  p.  91,  201. 

(4)  Popol  vuh,  CXXII,  214-215,  218-219;  —  Annals  ofthe  Cakchiquels, 
p.  89, 111, 147;  —  Brinton,  ibid.  199  et  The  Names  ofthe  Gods  in  the  Kiche 
Myihs,  Philadelphie,  1881,  in-8,  p.  23.  où  il  identifie  ce  nom  avec  le  maya 
tohil,  droit,  justice. 

(5)  Popol  vuh,  p.  216-217  ;  cfr.  p.  250-263  ;  trad.  esp.,  p.  87-91  ;  cfr.  p.  100- 
105. 


LE    PARADIS    DE    l' ATLANTIQUE.  71 

tantes  et  banquises]  ou  sur  le  sable,  les  eaux  entr'ouvertes. 
Ils  étaient  affligés  à  la  pensée  de  ne  plus  voir  le  lieu  oîi 
le  soleil  se  lève.  Il  ne  se  niontra  pas  (i).  N'ayant  pour 
nourriture  qu'un  peu  de  farine  et  de  l'eau  pour  boisson, 
ils  regrettaient  leur  patrie  et  les  compagnons  laissés  en 
arrière,  parmi  lesquels  étaient  les  Yaquis  ou  Pèlerins  et 
leur  dieu  Quetzalcoatl  (2),  qui  s'y  trouvait  encore  long- 
temps après  et  qui,  sous  le  nom  de  Nacxit,  y  donna 
l'investiture  à  des  princes  Quiches  et  à  Orbaltzam  (3). 
Grande  fut  leur  allégresse  lorsqu'ils  virent  l'étoile  qui 
précède  le  lever  du  soleil.  Ils  continuèrent  leur  marche, 
firent  beaucoup  de  stations,  qu'il  est  difficile  et  inutile 
d'identifier.  Ils  étaient  à  Hakavitz,  lorsque  les  quatre 
chefs  de  leur  migration  disparurent  d'une  façon  mysté- 
rieuse. Quoique  bien  âgés  et  venus  de  fort  loin  depuis 
bien  longtemps,  ceux-ci  n'étaient  pas  malades  lorsqu'ils 
prirent  congé  de  leurs  enfants,  disant  que  leur  mission 
était  accomplie  et  qu'ils  retournaient  dans  leur  patrie. 
Ils  recommandèrent  à  leurs  successeurs  d'aller  revoir  le 
pays  d'où  ils  étaient  venus,  leur  laissant  comme  souvenir 
un  paquet  enveloppé,  correspondant  au  qiiimilli  des 
peuples  de  langue  nahua  (4).  Longtemps  après,  trois  de 


(1)  Ce  qui  s'expliquerait  assez  naturellement,  si  la  traversée  sur  les 
glaces  avait  eu  lieu  au  cœur  de  l'hiver  et  à  une  latitude  plus  élevée  que 
le  cercle  polaire. 

(2)  Popol  vuh,  p.  246-247  ;  trad.  esp.  p.  98-99. 

(3)  Popol  vuh,  p.  294-295  ;  trad.  esp.  p.  117  ;  —  Ann.  des  Cakchiquels, 
p.  90-91,  qui  ne  disent  pas  où  l'investiture  eut  lieu. 

(4)  Sahagun,  Hist.  gén.  L.  X.  ch.  29,  p.  674  de  la  trad.  franc.  —Juan  de 
Torquemada,  Monarchia  indiana,  L.  II,  ch.  2,  p.  79  du  1. 1  de  l'édit.  de 
Madrid,  1723,  in-4  ;  —  Nunô  de  Guzman,  Relat.  de  Vexpédit.  chez  les 

Teules  Chichimecs,  1530,  dans  Coleccion  de  documentos  inéditos 

sacados  de  los  archivas de  Indias,  T.  III,  Madrid,  1870,  in-8,  p.  379  ; 

—  J.-B.  de  Pomar,  Relacion  de  Tezcuco,  p.  13-14  du  III  (Mexico,  1891,  in-8) 


72  I.K    MISÉON. 

leurs  fils  partirent  pour  l'Kst  à  travers  l'Océan,  afin  de  se 
f'aii'o  investir  par  le  iiraiid  seigneni'  des  Orientaux,  le 
juge  suprême  Nacxit,  (jui  leur  conféra  les  insignes  de  la 
royauté.  Ils  rapportèrent  de  Tulan  l'art  de  peindre  les 
histoires  (i).  C'est  là,  en  effet,  (jue  les  éniigrants  avaient 
laissé  Naexit  avec  ses  Ya([uis. 

Un  auti'e  doiMiiiuMit  (|iiiehé,  conservé  aux.  archives  de 
Totonicapaii  (-21.  et  dont  on  !»  des  traductions  (5),  fait 
pendant  au  livre  11!  ou  partie  histori([ue  du  Popol  Vuli  (i). 
Quoiqu'il  en  (litière  en  heaucoup  de  points,  il  s'accorde 
avec  elle  sur  la  situation  de  Tulan  Civan,  dans  l'Est, 
au-delà  de  la  nier  ^^,|,  et  sur  le  i'(')le  irn})ortant  (pi'y  jouait 
Naexit.  leur  gi'and-père  et  leur  dieu  (6I  ;  lors(|u'ils  par- 
tirent (le  Tulan  (t),  ils  r(^(^'urent  de  lui  l'enveloppe  niysté- 


de  Nueva  coleccinn  de  documentos  para  la  historia  de  Mc.rico,  publiée 
par  .1.  Gai-i-ia  lpazl)aloeta.  —  B.  de  las  Casas.  Apoloff('tic'(  h/s/oria,  ch.  IIS 
oxti'aii  tlaiis  le  1.  VU!  des  Antiq.  of  Mexico  de  Kingsboroufjh.  notes 
p.  io8-i:>'.K 

(1)  Popol  vuli.  p.  2'.'l-2!.>:>;  trad.  csp.  p.  117. 

(2)  C'était  la  tradition  des  Caveks.  issus  du  premier  des  quatre  cliofs  do 
la  migration  des  Quiches. 

(;!)  L'une  en  espagnol,  d'après  le  Quiche  faite  en  1834  par  le  P.  D.-J. 
Chunay.  curé  de  Zaoapulas  ;  l'autre  en  français,  faite  sur  cette  der- 
nière par  le  C*"^  de  Charencey,  qui  les  a  publiées  toutes  les  deux  dans  le 
Bulletin  des  actes  de  la  Société  philologique.  Tiré  à  part,  Paris.  1885, 
in-S.  sous  le  titre  de  :  Tilulo  de  las  SeTiores  de  TûtO)iicapan. 

(4)  Qui.  d'ajjrès  une  allusion  à  Santa-Cruz  (p.  34(i-;i47),  capitale  des  Qui- 
ches, appelée  anléi'ieuremcnt  Utlallan  et  Gumarcaah.  parait  avoir  été  la 
tradition  des  princes  de  cette  contrée. 

(5)  Titnlo,  ]).  12-1."),  28  21).  32-33,  44-4.J.  M-Chj. 

(6)  Tilulo,  |).  M-l.'ï.  28-2<.i.  30-37.  Il  ny  est  pas  identifié  avec  leur  naliual 
(ou  nianitouj.  connue  c'est  le  cas  dans  le  Popol  vuh  (Voy.  supra,  p.  7o), 

(7)  Ihid.,  p.  10-11,  12-13.  G4-67,  (cfr.  p.  14-15).  OÙ  cette  contrée  est  placée 
aux  contins  do  l'Assyrie  et  de  la  Babylonie.  Les  émigrants  y  sont  iden- 
tiliés  avec  les  dix  tribus  Israélites  subjuguées  par  Sahnanazar.  Ces  rémi- 
niscences bibliques,  que  l'on  ne  retruuvc  dans  aucune  des  autres  légendes 
sur  Tula,  ne  l'ais;dent  assui'émenl  j)as  partie  delà  tradition  (piicliée  pri- 


LE    PARADIS    DE    l'aTLANTIQUE.  75 

rieuse,  appelée  ici  Giron  Gagal,  qu'ils  développèrent  plus 
tard  et  qui  leur  servait  dans  les  opérations  magiques  (i). 
Comme  ils  employaient  pour  cet  usage  une  pierre  donnée 
par  Nacxit  (2),  on  a  supposé  que  celle-ci  était  tout  à  la  fois 
identique  avec  le  Giron  Gagal  et  avec  la  tablette  d'obsi- 
dienne que  les  Quiches  ont  conservée  d'abord  au  tribunal 
du  Tecpan  Guatemala  et  actuellement  dans  l'église  de 
cette  localité.  Après  avoir  servi  d'amulette  et  été  consultée 
comme  oracle,  cette  pierre  transparente  fait  maintenant 
partie  de  la  table  du  grand  autel  (3).  Ce  ne  fut  pas  le  seul 
don  que  les  Quiches  obtinrent  de  Nacxit  ;  ils  en  reçurent 
en  outre  des  loix,  des  institutions  et  des  insignes  de 
dignité  qu'ils  étaient  allé  lui  demander  à  deux  reprises  (4). 
Ce  législateur  divin  paraît  correspondre  aux  compagnons 
d'Hercule,  restaurateurs  de  la  civilisation  dans  la  colonie 
Kronienne  de  la  Aouvelle-Méotide  (o),  tandis  que  Tohil, 
exigeant  des  victimes  humaines  en  retour  du  feu  qu'il 
donnait  (0),  joue  plutôt  le  rôle  de  Kronos.  Quant  aux 
premiers  chefs  de  la  migration,  ils  disparurent  mysté- 
rieusement (7),  comme  il  est  dit  dans  le  Popol  Vuli. 

Les  Calicliiqucls,  possesseurs  du  Tecpan-Guatemala,  inti- 
mement apparentés  aux  Quiches,  avaient  comme  eux  une 


mitive,  quoiqu'elles  aient  été  souvent  associées  à  diverses  autres  théories 
sur  l'origine  des  Américains. 

(1)  Titiclo,  p.  14-15,  22-23,  40-41. 

(2)  Ibid.,  p.  40-41. 

(3)  Fr.-A.  de  Fuentes  y  Guzmau.  Historia  de  Guatemala  6  Recorda^ 
ciôn  florida^  édit.  par  J.  Zaragoza.  Madrid  in-8,  t.  II,  1883.  p.  135-136.  — 
Cfr.  Brinton,  dans  Ann.  des  Cakchiquels,  p.  23-27. 

(4)  TitulO,  p.  28-33,  44-45. 

(5)  Plutarque,  Mot^al/a.  éd.  Diibner.  t.  I,  p.  1152.  —  Cfr.  U Elysée  des 
Mexicains,  p.  5.  17-18. 

16)   Tihilo,  p.  16-17,  21-22. 
(7)  Ihid..  p.  36-37. 


7-4  lE    MUSÉON. 

sorte  d'histoire  génëalogi(|iie  ou  titre  de  famille  écrit  vers 
1559  pour  sei'vir  de  pièce  justificative  dans  un  procès. 
Le  zélé  reslauratoiir  des  études  relatives  à  l'Amérique 
centrale,  l'Abbé  Brasseur  de  Bourbourg,  qui  en  a  t'ait 
une  traduction  française  inédite,  lui  donna  le  titre  de 
Mémorial  du  Tecpan  Àlitlan,  parce  qu'il  fut  écrit  dans 
celle  localité  ;  l'archiviste  Gavarrete  en  publia  une  traduc- 
tion es[)ai'nole  (i),  et  le  D'  Dan.  G.  Brinton  a  édité  le  texte 
avec  traduction  anglaise,  notes  et  introduction,  sous  le 
titre  d'Annales  des  Cakcliiquels  (2),  pai'ce  (ju'elles  sont 
écrites  en  leur  idiome  par  des  membres  de  la  famille 
princière  de  Xahila  (3).  Quoiqu'elles  diffèrent  essentielle- 
ment des  mémoriaux  quiches,  elles  les  confirment  en  ce 
qui  concerne  Tullan  (i)  comme  source  de  lumière  et 
d'intelligence  (."i  ;  mais  elles  parlent  de  quatre  localités 
de  ce  nom  et  la  situation  de  celle  qui  nous  intéresse  a 
besoin  d'être  précisée  (6).  Nous  pouvons  laisser  de  côté, 


(1)  Dniis  le  Boletiii  de  la  Sociedad  economica  de  Guatemala,  ISlS. 

(2)  The  Annals  of  the  Cakc/iiquels  :  fheorigmal  Text,  loith  a  Trans- 
lation, notes  and  iniroduclion.  tonnant  le  t.  Vide  Brinton's  X/6ra?-f/ 
ûf  ahoriyinal  American  Literature.  Philadelphie.  1S85,  in-8. 

(3)  Brinton.  Ahoriginal  American  Authors,  Philadelphie,  18S3.  in-S, 
p.  31-32,  et  introd.  aux  Annales,  p.  53-59. 

(4)  Api)elée  Tollan.  dans  d'autres  sources.  Ce  sont  des  formes  de  Tonal- 
lan  [tonalli  apocopô  <à  cause  de  la  suffixe  tlan.  le  tout  sig-nitiant  :  au  lieu 
(lu  soleil),  qui.  on  i)erdant  sa  ti'oisièrne  et  sa  quatrième  lettre,  est  devenu 
Tollan,  TuUdi,  Tula.  Los  quatre  j)assages  reproduits  infra  (p.  96  n.  5) 
prouvent  bien  que  Tonallan  et  Tula  sont  synonymes. 

(5)  -  Vi-aiinent  gi-andes  étaient  les  connaissances  do  Qikab.  et  merveil- 
leuse la  i)iiissance  de  ce  chef.  Il  avait  non  seulement  la  majesté  d'un  roi, 
mais  il  imposait  par  la  science  et  la  profondeur  de  son  esprit,  dues  à 
Tulan.  r  {The  Ann.  of  the  Cahchique's,  p.  13S  I3t)). 

(6)  Bien  que  dans  son  vocabulaii'e  (p.  213;,  Brinton  ti-aduise  la  préposi- 
tion cho  par  to,  in,  (owards.  il  la  l'end  dans  plusieui-s  passages  par  from, 
(venant)  <'^r',  ce  qui  produit  une  cxtrônio  confusion,  qui  peut  être  évitée 
en  s'en  tenant  au  sons  do  0,  dans,  vers. 


LK    PARADIS    DE    L  ATLANTIQUE.  iO 

comme  mythique,  deux  de  ces  quatre  Tullan,  celle  du  ciel 
et  celle  de  l'enfer  ;  celle  de  l'Est  est  le  point  de  départ  des 
émigiants  ;  celle  de  l'Ouest,  une  de  leurs  stations  dans  le 
Nouveau  Monde,  soit  la  célèbre  T^la  de  l'Anahuac,  par 
laquelle  tous  les  émii>rants  tenaient  à  passer  h),  soit  une 
Tula  moins  connue  du  Nouveau  Mexique  (2).  La  qualifi- 
cation de  Tultecs  (3),  donnée  aux  premiers  rois  et  civili- 
sateurs du  Guatemala  (4)  dénote  leurs  relations  avec  une 
au  moins  des  Tulas  réelles.  Mais  avec  laquelle  ?  Les 
Quiches  de  Santa  Cruz  et  de  Totonicapan,  aussi  bien  que 
les  Mayas  (.i)  et  les  Mexicains  s'accordent  à  placer  dans  la 
Tulan  oi'ientale,  d'au  delà  de  l'Océan,  le  berceau  de  la 
civilisation  de  rAméri([uc  moyenne.  Est-il  vraisemblable 
que  les  Cakchiquels  le  b)calisent  ailleurs  ([uand  ils  ont  la 
môme  tradition  que  ces  peuples  relativement  à  l'origine 
toltèque  ?  Les  textes  ne  justilient  pas  une  telle  inconsé- 
quence, (juoiquelle  paraisses  i'('sulter  d'un  passage  de  la 
traduction  anghiise  ^i).  .Mais  il  est  facile  de  l'cctifier  celle-ci 


^1)  Domingo  .luuiTOS.  ^'omponiio  de  la  hlf^tovia  de  la  ciiulad  de  Gua* 
ternala.  Guatemala,  2  vol.  in-8.  t.  H,  p.  8. 
(2j  Fr.-A.  de  Fuentes  y  Guzinan,  Hist.  de  Guatemala,  t.  I,  p.  43. 

(3)  Ce  nom  ethnique  est  composé  de  Tullan.  Tula.  apocope  pour  entrer 
en  composition,  et  de  la  suffixe  tccatl.  au  pluriel  teca.  gens. 

(4)  De  Fuentes  y  Guzman,  Bist.  de  GuoJemala.  t.  I.  p.  5,  IT.  19-21. 
23-25.  29.  32,  4.3,  73.  lô. 

(5)  Voy.  iyifra,  p.  78-79.  82-84. 

(6)  «  From  the  sunsetting  we  came,  from  Tullan.  from  beyond  the  sea.  » 
(p.  69).  De  même  dans  son  résumé  des  Annales,  il  écrit  (p.  liO)  :  «  They  cross 
the  sea.  proceeding  toward  the  east  »,  ce  qui  est  en  contradiction  avec  le 
texte  qui  porte  :  cha  {^  to  et  non  from)  kahiljal  (sunsetting,  et  avec  trois 
passages  de  la  traduction,  où  les  cmigrants  disent  :  «  Did  we  not  corne 
from  the  sun  rising?  "  (p.  81).  —  -  We  came  from  tlie  east  «.  (p.  83).  — 
«  Thèse  names  [les  noms  des  tribus]  came  from  the  east.  »  (p.  85).  Par  là 
il  est  clair  que  les  émigrants  allaient  de  l'Est  à  l'Ouest  de  l'Atlantique 
vers  un  pays  qui  est  sur  la  rive  orientale  de  cet  océan. 


*76  IK    MLSÉON. 

en  ne  donnant  jamais  de  sens  contraires  aux  mêmes 
propositions  et  en  traduisant  toujours  chu  ou  clw  par  vers, 
à,  et  pu  par  dans,  venant  de.  En  nous  conformant  à  cette 
règle  nonsextrayons  ce  (jui  suh  des  Annales  des  (Mlicliujnels. 

D'api'ès  les  paroles  de  leurs  premiers  ancêtres,  Gagavitz 
et  Zactecahauh,  il  y  avait  quatre  ïullan  :  une  au  soleil 
levant,  une  en  Xibalbay,  une  au  soleil  couchant  où  ils 
allaient  ;  la  (juatrième  où  est  Dieu  [au  ciel]  (i).  Lorsqu'ils 
eurent  déposé  leur  offrandes  à  Tullan,  ne  gardant  que 
leurs  arcs  et  leurs  boucliers,  leurs  pères  et  leurs  mères 
leur  dirent  :  Votre  demeure  n'est  pas  ici  ;  c'est  au-delà 
de  la  mer  que  vous  trouverez  vos  montagnes  et  vos  plaines. 
Vous  serez  soutenus  par  Belche  (neuf)  ïoh,  et  Hun  (un) 
Tihax,  [les  dieux  en]  bois  et  pierre,  aux(piels  vous  avez 
payé  tribut.  Vous  aurez  besoin  de  vos  armes  ;  il  y  a  guerre 
vers  l'Est  [du  continent  américain).  Voilà  les  paroles  qui 
leur  furent  dites  à  leur  dé})art  de  Tullan  (^2). 

Sans  se  laisser  intimider  par  des  oiseaux  de  mauvais 
augure,  qui  leur  prédisaient  la  défaite  el  la  mort,  mai-- 
chanl  dans  la  boue,  les  ténèbres  et  les  brumes,  sous  la 
pluie,  ils  airivèrent  au  bord  de  la  mer,  où  d'autres  se 
lamentaient  de  ne  pouvoir  la  traverser.  Les  Cakchi<juels 
n'eurent  ((u'à  pousser  sur  le  sable  le  bâton  rouge  [cak  chee, 
l)ois  rouge,  qui  était  leur  totem],  pour  (jue  les  eaux,  s'écar- 
tant  en  haut  et  en  bas,  leur  livrassent  [)assage.  Ce  n'est 
que  dans  leur  cinquième  station  qu'ils  se  trouvèienl  en 
présence  de  guerriei's  Xonovalcat  (r>)  et  Xulpit.  Après  un 
terrible  combat  où  ils  les  mirent  en  déroute  et  sempa- 


(1)  The  Armais,  p.  6S-(îO. 

(2)  Ihid.,  p.  7vJ-77. 

(3)  Ce  nom  passe  pour  être  nahua  (Brinton,  ihid.  p.  44,  199)  et  il  dési- 
gnerait aloi's  une  trihu  des  Mexicains,  dans  les  traditions  desquels  il 
ligure  plusieurs  fois. 


LE    PARADIS    DE    l' ATLANTIQUE.  77 

rèrent  de  leurs  embarcations  pour  continuer  leur  voyage 
jusqu'à  Zuyva  où  ils  furent  eux-mêmes  défaits.  Les  bandes 
d'émigrants  cherchèrent  chacun  un  protecteur  et,  comme 
il  tonnait,  les  Cakchiquels  invoquèrent  Tolioliil  [peut-être 
identique  avec  Belelie  Toli  et  certainement  avec  Tolnl  (i)J. 
Ils  se  dispei'sèrent  et  les  quelques  survivants  qui  venaient 
de  l'Est  se  rendirent  séparément  à  leur  destination  (2). 
Nous  n'avons  pas  besoin  de  les  suivre  plus  loin  dans  leur 
pérégrination  qui  les  entraîne  hors  de  notre  sujet.  Leurs 
chroniques  ne  disent  pas  s'ils  retournèrent  à  Tullan, 
comme  avaient  fait  les  Quiches,  pour  rendre  un  culte  à 
Belehe  Toh. 

Leurs  congénères,  les  Mayas  du  Yiicatan,  avaient  aussi 
conservé  des  réminiscences  de  Tula,  de  Zuiva  et  de 
Nonoval  :  on  lit  dans  leurs  Annales  (3)  :  «  Partis  pour  le 
pays  de  leur  résidence  à  Nonoval,  les  quatre  ïutulxiu 
[arrivèrent]  dans  l'Ouest  à  Zuiva,  venant  ensemble  de 
Tiilapan  leur  patrie  »  (4).  [ci  encore  le  traducteur  anglais 
n'a  pas  manqué  d'embrouiller  la  géographie  en  donnant, 
dans  le  même  contexte,  deux  sens  opposés  à  ti  qu'il  traduit 
par  from  et  to,  quoique  dans  son  vocabulaire  il  rende 
cette  préposition  par  à,  vers,  pour,  et  non  par  [venant]  de. 
Avec  de  tels  procédés  on  rend  les  légendes  méconnais- 
sables. Heureusement  qu'il  est  possible  de  rectifier  celle-ci 
par  la  comparaison  avec  trois  autres  documents  d'origine 
yucatanaise,  pai'faitement  d'accord  sur  ce  point  entre  eux 
et  avec  le  sens  que  nous  attribuons  au  passage  des  Annales. 
En    1581     lors  de  l'encjuête  qui   fut  faite  par  ordre  de 


(1)  Popol  Vuh,  p.  24-6-7.  —  Voy.  supra,  p.  70.  Tohoh  en  cakchiquel 
signifie  tonner  d'où.  Tohohil.  (Brinton  The  Annals  p.  199). 

(2)  The  Annals,  p.  78-85. 

(3)  The  Maya  Chronicles,  texte,  avec  traduction,  commentaires  et 
notes  par  Dan.  G.  Brinton.  Philadelphie,  1882,  in-8. 

(4)  Ibid.,  p.  93,  100,  108. 


78  I.K    MlS^:ON. 

IMiilippo  11  dans  tous  les  districts  du  Yucatan,  les  indigènes 
déclarèrent  que  le  premier  seiîïneur  de  Miitul  nommé  Çak 
MuiuL  cesl-à-dire  Homme  liUmc  (zaki  était  venu  de 
l'Est,  sans  préciseï'  de  (juelle  contrée,  mais  (pie  c  était  un 
Indien  (i).  Malirré  cet  aveu  d'iiinorance,  l'épithète  de  lUnnc 
nous  semble  être  une  indication  plus  utile  (pie  la  conjec- 
ture du  I*.  Diciro  de  Landa  :  «  Quebpies  vieillai-ds  du 
Yucatan  disent  avoir  a|»piis  de  leurs  ancêtres  (pie  ce 
pays-ci  avait  été  peu|)lé  par  des  ijjens  venus  de  l'Est, 
(jue  Dieu  avait  délivrés  en  leur  ouvrant  douze  chemins 
à  travers  la  mer.  Si  c'était  viai,  ajoute-t-il,  tous  hîs 
habitants  des  Indes  devraient  nécessairement  être  issus 
des  Juifs  (-2)  ». 

Non  moins  hyi)()théti(|ue  est  l'oritïine  carthatîinoise 
attribuée  par  le  P.  Lizana  à  une  partie  des  colonisateurs 
du  Yucatan  :  «  La  population  d'ici,  dit-il  d'a[)rès  les  récits 
des  premiers  évaniiélisateurs  de  ce  pays,  venait  partie  de 
l'Ouest,  paitie  de  l'Est....  Anciennement  l'Orient  s'appe- 
lait i'.cn-'ial  (Petite  Descente)  et  l'Occident  Sohcn-ial 
((irande  Descente)  ».  (l'est  de  l'Est,  ajoutait  la  tradition, 
(pie  débar(pièrent  les  occupants  les  moins  nombreux,  et 
de  l'Ouest  les  plus  nombreux.  (5).  Du  commentaire  assez 
embiouillé  (jue  Lizana  t'ait  de  ce  récit,  il  semble  ressortir 
(ju'il    regardait    comme    Carthaginois    les   envahisseurs 


(1)  Relaciones  de  Yucatan.  t.  I.  p.  77.  formant  le  t.  XI  de  Coleccion  de 

documentos de  Ultramar,  2"  série  (dont  la  l"  est  citée  par  abréviation 

sous  le  titre  de  Documentas de  Indias).  Madrid.  189S,  in-8). 

(2)  Diego  de  Landa,  Relation  des  choses  du  Yucatan,  texte  et  traduc- 
tion par  Brasseur  de  Bourbourg,  Lyon,  I8(i4.  in-8,  p.  28-29.  —  Nouvelle 
édit.  augmentée,  quoique  incomplète,  dans  le  t.  II  des  Relaciones  de 
Yucatan.  Madrid,  1900,  p.  279-2S0. 

(3)  Lizana,  Historia  de  nuestra  SeTiOt-a  de  Itzmal,  extrait  dans  Touvr. 
précité  de  Brasseur  de  Bourbourg,  p.  354-355. 


LE    PARADIS    DE    l'aTLANTI(,>L  E.  70 

Orientaux  et  que,  selon  lui,  les  autres  étaient  venus  du 
Mexique.  11  se  réfère,  en  effet,  au  P.  J.  de  Torqueniada 
d'après  lequel  les  Teochichiniecs  de  Tlaxcala  auraient  mis 
(c  un  peu  moins  de  trois  cents  ans  pour  occuper  la  majeure 
partie  de  la  Nouvelle-Espagne,  s'étendant  d'une  mer  à 
l'autre,  du  littoral  de  la  mer  du  Xord  [Golfe  du  Mexicpie] 
à  celui  de  la  mer  du  Sud  [Océan  Pacifique],  envahissant 
les  contrées  moyennes  [Amérique  centrale]  situées  à  l'Est, 
dans  lesquelles  sont  comprises  les  provinces  de  Tabasco, 
de  Champoton,  de  Yucatan,  Campèche  et  l'ile  de  Cozumel, 
jusqu'aux  Hibueras  [Honduras]  »  (i).  Le  P.  Diego  Lopoz 
Cogolludo  qui  reproduit  ce  passage  adopte  l'opinion  de 
Torquemada,  mais  contrairement  à  celle  de  Lizana,  il 
aflirme  que  les  colonisateurs  orientaux  étaient  les  plus 
nombreux  et  les  plus  anciens,  puisque  Zamna  leur  prêtre 
passe  pour  l'auteur  des  innombrables  noms  de  localités  du 
Yucatan  :  ports,  côtes,  promontoires,  montagnes  (-2).  Or 
ces  dénominations  s'expliquent  par  le  maya  et  non  par 
le  nahua,  fait  positif  qui  justifie  la  théorie  de  Cogolludo, 
aussi  bien  au  point  de  vue  de  la  chronologie  que  de  la 
linguistique,  car  l'invasion  Teochichimèque  est  certaine- 
ment la  plus  récente  des  temps  païens,  la  dernière  qui 
ait  pi'écédé  l'arrivée  des  Espagnols. 

Conformément  à  une  tradition  recueillie  par  Torque- 
mada (3),  les  Naliuas  du  Nicaragua  affirmaient  que  leurs 
ancêtres   étaient   venus  du  couchant  (4),  ce  (jui   ne   les 


(1)  J.  de  Torquemada,  Mo7i.  ind.  L.  III,  ch.  13,  p.  269  du  1. 1. 

(2)  Diego  Lopez  de  Cogolludo,  Uistoria  de  Yucatan.  L.  IV,  ch.  2,  p.  285- 
287  du  t.  I,  de  la  3«  édit.  Merida,  18r)7-lS68,  2  vol.  pet.  in-4. 

(3)  Mon.  ind.,  L.  llli  ch.  40,  p.  .331-332  du  t.  I. 

(4)  Oviedo  y  Valdés  (Gonzalo  Fernandez),  Eistoria  gênerai  y  natural 
de  las  Indias,  édit.  par  José  Amador  de  los  Rios,  T.  IV,  Madrid,  1855, 
in-4,  p.  45. 


80  Lt    MUSÉUN. 

ein[U't'Iiaif  pas  de  placer  en  haut,  là  où  le  soleil  se  lève 
(arriha)  (i)  le  séjoui'  de  leurs  créateurs,  Tamagastad  et 
Cipattoiial.  (|iii  étaient  descendus  sur  terre,  avaient  vécu 
coimne  honiiiie  et  leininc  parmi  les  mortels  et  restaient 
toujours  jeunes.  C'est  [)i'ès  deux  (ju'allaient  les  âmes  des 
guerriers,  des  ijens  pieux,  des  bons  {'■2].  —  Comme  ils  se 
disaient  originaires  de  Cholula  dans  le  haut  Anahuac  et 
qu'ils  avaient  émitiré  du  Soconusco  |)Our  se  soustraire  à 
la  tyranie  des  Ohnecs  ou  llubnccs  (ô),  <|ui  avaient  égale- 
ment passé  par  le  Mexicpie  i4),  leurs  croyances  sont,  pour 
ce  qui  nous  en  est  connu,  et  devaient  être  [)our  le  reste, 
analogues  à  celles  de  leurs  congénères  les  peuples  Nahuas. 
Ceux-ci  savaient  que  la  i)lupart  des  tribus  colonisatrices 
du  Mexique  y  étaient  entrées  du  côté  de  l'Ouest,  mais  que 
leur  plus  célèbre  civilisateur,  le  Blanc  Quetzalcoatl  était 
venu  par  mer  de  la  direction  de  IKst.  La  différence 
d'origine  des  peuples  du  Mexicjue,  ainsi  (|ue  celles  de 
date  et  de  mode  d'immigration.  expli([uent  la  diversité  de 
leurs  conceptions  relativement  à  l'autre  vie,  non  pas  en 
ce  qui  concerne  les  morts  ordinaires,  car  tous,  eussent-ils 
été  des  grands  de  la  terre,  allaient  au  MictUni  (séjour 
des   morts),  souterrain,  septentrional,  et  ténébreux  (;i)  ; 


(1)  «  Ponde  el  sol  sale  llamanios  nosotros  arriba.  n  (Id.  ibid..  p.  4'A  du 
t.  IV.)  —  Cfr.  dans  L'Eli/séc  des  Mexicains,  (p.  24,  n.  5)  d'autres  textes 
où  ar7'iba  désigne  VEst. 

(2)  Oviedo,  Op.  cit.,  t.  IV,  p.  40-45. 

(3)  Torquemada,  L.  III,  cli.  40,  p.  332  du  t.  I. 

(4)  Bernardino  de  Saliagun,  Histoire  gcncrnle  des  choses  de  la  Notc- 
vclle  Espagne,  trad.  et  annotée  par  [>.  -lourdanet  et  Hémi  Siméon.  Paris, 
1880,  gv.  in-8.  !..  X,  ch.  29,  p.  672-()75  ;  —  Torquemada,  Mon.  ind.  L.  III, 
ch.  8,  11,  13,  p.  257,  262.  269;  —  Ixllllxociiitl  (Fernando  de  Alva),  Obras 
histôtv'cns,  édit.  par  Alfredo  Cliavero.  Mexico,  1S91,  1892,  2  vol.  in-8.  t.  I, 
p.  19-20  ;  '1'.  U,  p.  22. 

(5)  Sahagun,  Op.  cit.  Append.  du  L.  III,  cli.  I,  p.  221-222  ;  L.  VII,  ch.  8, 
p.  487. 


LE    i'AUADlS    DE    LMLWllOVE.  81 

mais  pour  lélite  il  y  avait  trois  paradis,  tous  dans  le 
voisinage  du  soleil  :  l'un  à  l'ouest  qui  était  appelé  ciliual- 
lampa  (côté  des  femmes),  pour  les  femmes  mortes  en 
couche  ou  à  la  guerre  (i)  ;  l'auti'e  à  l'est,  pour  les  guer- 
riers qui  avaient  péri  en  coml)attant,  soit  quils  aient  été 
victorieux,  soit  que  l'ennemi  les  eut  fait  prisonniers, 
torturés  ou  immolés  dans  le  combat  gladiatorial  (i)  ;  le 
troisième,  également  à  l'Est,  pour  les  gens  foudroyés, 
novés,  morts  d'une  maladie  contagieuse,  les  ualeux,  les 
varioloux,  les  goutteux,  les  hydropiques  ;  leur  demeure 
était  le  TIalocan  ou  séjour  des  Tlalocs,  dieux  du  tonnerre, 
des  nuages,  de  la  pluie  ;  ces  météores  étaient  la  source 
de  tous  les  biens  pour  les  pays  tropicaux  ;  aussi  le  TIalocan 
était-il  considéré  comme  un  vrai  pays  de  cocagne,  dont 
les  hôtes,  oubliant  leurs  infortunes  passées,  vivaient  dans 
les  plaisirs,  la  quiétude  et  l'abondance  (-2).  A  ce  titre,  ils 
pouvaient  être  confondus  avec  les  nis  de  Qiietzalcoall  qui, 
en  qualité  de  dieu  du  vent  précurseur  de  la  pluie  (5),  les 
établit  sur  teri-e  au  milieu  d'une  natuie  exubérante,  le 
Tamoanc/Kin,  sorte  de  paradis  terrestre,  où  ses  adorateurs 
devaient  trouver  toutes  sortes  de  richesses,  de  délices, 
jointes  aux  jouissances  de  lart  (4). 

Quant  à  lui,  après  avoir  été  avec  ses  trois  frères  (o)  un 
des  créateurs  de  l'univers  («),  après  avoir  joué  pendant 


(Il  Id.  ib/d.,  L.  VI,  ch.  29,  p.  435-43G  ;  L.  VII,  ch.  S,  p.  487. 

(2)  Id.  ibid.,  L.  I,  ch.  4,  11,  p.  l.o,  21  ;  !..  III,  append.  ch.  2,  p.  225  ;  L.  Ylb 
ch.  5,  6,  7,  p.  484,  48(5  ;  L.  X,  ch.  29,  p.  (i72  ;  L.  XI,  ch.  12,  p.  780. 

(3)  Id.  ibkl.,  L.  I,  ch.  5,  p.  15-16. 

(4)  Sahagun,  Hùt.  gén.,  L.  III,  cli.  3,  p.  205;  -  Torquemada,  L.  VI. 
ch.  24  ;  L.  X,  ch.  29  ;  p.  48,  G72,  (574  676. 

(ô)  Comme  dans  la  légende  des  Potawatomis  (supra,  p.  61-62). 

(6)  Historia  de  los  Mexicanos  por  sus  jyinluras  (Hist.  iconophonique 
des  Mexicains),  T.  III  de  la  Nueva  Coleccion  de  J.  Garcia  Icazbalceta, 
p.  229,  235-236. 


82  LbL    MUSÉON. 

676  ans  le  rôle  de  soleil  et  jeté  dans  les  flammes  son  tils 
ineonçu  (i),  afin  qu'il  éclairât  le  monde  comme  astre  du 
jour  (2),  il  s'incarna  dans  le  sein  de  Chimalma,  la  vierge 
de  Tulan  ou  Tula  (0),  devint  seii^neur  de  cette  ville  et 
grand  guerrier  (i),  à  tel  point  que  Sahagun  le  compare  à 
Hercule,  tout  en  le  donnant  comme  grand  magicien  (5). 
A  la  tète  des  Toltecs  ou  gens  de  Tula,  Quetzalcoatl  partit 
sur  mer  à  la  recherche  du  Paradis  terresti'e,  le  Tamoan- 
chan,  s'avança  du  nord  au  sud,  côtoyant  la  Florida, 
littoral  atlantique  des  États-Unis,  alla  déharcjucr  à  Panuco, 
dans  le  golfe  du  Mexi((ue  (e),  et  fonda  dans  le  haut 
Anahuac  une  ville  à  laquelle  il  donna  le  nom  du  pays 
d'où  il  venait  (7).  Mais  il  ne  s  y  fixa  pas,  il  continua  sa 
pérégrination  vers  le  sud  en  suivant  le  littoral  à  vue  des 
volcans  et  des  hautes  montagnes,  pai'ce  (jue  c'était  au 
sommet  de  Tune  d'elles  que  l'on  localisait  (s)  le  paradis 
terrestre  (9).  Il  prit  part  à  l'invention  du  calendrier  et 
des  vingt  signes  dont  chacun  désignait  un  jour  du  mois 
et  servait  aussi  de  lettre  ou  plutôt  d'iconophone,  image 
représentant  une  ou  plusieurs  syllahes  (10)  ;  il  enseigna 


(1)  Né  sans  mère  comme  Minerve. 

(2)  Hist.  iconoph.,  p.  235-236. 

(3)  Torquemada,  L.  VI,  ch.  45,  p.  80  du  t.  II.  —  Deux  sources  de  VHist. 
des  Quetzalcoatl,  par  E.  Beauvois,  dans  Le  Muscon,  T.  V,  1886,  p.  436,600. 

(4)  Hist.  iconoph.,  p.  237-238. 

(5)  Hist.  gén.  L.  III,  ch.  3  ;  prol.  du  L.  VIII  ;  p.  207-208,  495.  —  Cfr. 
Torquemada,  Mon.  ind.,  L.  VI,  ch.  7,  p.  20  du  t.  I. 

(6)  Sahagun,  Hist.  gén.  prol.  du  L.  I  ;  prol.  du  L.  VIII  ;  L.  X,  ch.  29, 
p.  9,  495,  673-675. 

(7)  Porque  venian  de  Tulla,  poblaron  luego  ;'i  Tullan  (Fi*.  I.opez  de 
Gomara,  Conquista  de  Méjico,  p.  431  du  t.  I  do  Historiadoresprimitivos 
de  Indias,  édit.  par  E.  de  Vcdia,  Madrid,  1863,  gr.  in  8). 

(8)  Cfr.  la  légende  des  Lénapés  {supra,  p.  65)  et  p.  59,  69. 

(9)  Sahagun,  prol.  du  L.  I  ;  prol.  du  L.  VIII  ;  L.  X,  p.  9,  495,  674. 

(10)  Sahagun,  inirod.  du  L.  IV,  p.  238  ;  —  Mendieta,  p.  97-98  ;  —  Torque- 


LE    PARADIS    l)li    l'atlantique.  85 

aux  indigènes  l'art  de  fondre  les  métaux,  de  travailler  la 
pierre  et  le  bois,  de  peindre,  et  d'autres  industries  (i). 
Les  Toltccs  et  les  Naliuas,  leurs  descendants,  étaient  si 
versés  dans  les  sciences  et  si  habiles  dans  les  arts  que 
leur  nom  est  devenu  synonyme  de  savant  et  d'artiste  (2), 
Irrité  de  l'ingratitude  et  de  l'hostilité  de  ceux  qu'il  avait 
civilisés  et  dont  il  îivait  voulu  adoucir  les  moeurs  en 
substituant  aux  sacrifices  humains  les  saignées  rituelles 
et  volontaires,  avec  l'offrande  d'oiseaux,  de  serpents,  de 
papillons  (5),  il  se  retira  du  coté  de  l'est  et  s'embarqua 
pour  retourner  au  lieu  d'où  il  était  venu  (i),  à  TiiUan- 
Tlapallan,  la  cité  du  soleil,  promettant  de  revenir  lorsqu'il 
en  serait  temps  (:;).  Aussi   les  Mexicains  attendaient-ils 


mada,  L.  VI,  cli.  24,  p.  52  du  t.  II  ;  —  Cfr.  D.  Duran,  Hist.  de  las  Indias, 
t.  II,  p.  257. 

(1)  Sahagun,  L.  III,  ch.  13,  p.  218. 

(2)  Sahagun,  L.  X,  ch.  29,  p.  656-6.59,  663,  672-676  ;  —  Torquemada,  L.  I, 
ch.  14,  48  ;  L.  III,  ch.  7,  p.  37,  73,  255. 

(3)  A.  de  Tapia,  Relacion,  p.  574  du  t.  II  de  la  1"  Coleccion  de  docu- 
mentos  para  la  historia  de  Mexico  \  édit.  par  J.  Garcia  Icazbalceta, 
Mexico,  1866,  in-4  ;  — Sahagun,  Hist.  gén.  L.  III,  ch.  3;  L.  X,  ch.  29, 
p.  208,  659  de  la  trad.  franc.  ;  —  Gomara,  Conquista  de  Méjico,  édit,  de 
Vedia,  p.  327  ;  —  B.  de  las  Casas,  Apologética  historia,  ch.  122,  extr.  à  la 
suite  de  son  Historia  de  las  Indias,  édit.  par  le  M''  de  la  Fuensanta  del 
Valle,  p.  449-450  du  t.  V,  Madrid,  1876,  in-8  ;  —  J.  de  Torquemada,  Mon. 
ind.,  L.  VI,  ch.  24,  p.  50  du  t.  Il;  —  Anales  de  Cuauhtitlan,  publ.  en 
append.  aux  Anales  del  Museo  Nacional  de  Mexico,  t.  Il,  1880,  in-4, 
p.  17. 

(4)  Sahagun,  Hist.  gén.  L.  X,  ch.  29,.  p.  674;  —  Ixtilxochitl,  Eist.  chi- 
chimeca,  ch.  I,  p.  206  du  t.  IX  des  Ant.  of  Mexico  de  Kingsborough.  Cfr. 
Torquemada,  L.  IV,  ch.  13,  14,  p.  379,  381  du  1. 1. 

(5)  B.  de  las  Casas,  Historia  gênerai  de  las  Indias,  L.  III,  ch.  122, 
p.  489  du  t.  IV  de  l'édit.  de  Madrid  ;  —  D.  Duran,  Hist.  de  las  Indias, 
t.  II,  1880,  p.  5,  9  ;  —  Sahagun,  Hist.  gén.,  L.  III,  ch.  14  ;  L.  VIII,  prol.  et 
ch.  7  ;  L.  X,  ch.  29  ;  L.  XII,  ch.  2,  3,  pp.  220,  495,  506,  674,  798,  799  ;  — 
Codex  Tellerianus,  p.  154  du  t.  V  de  Kingsborough  ;  —  Tezozomoc, 
Cron.  mexicana,  ch.  107,  p.  687  de  l'édit.  d'Orozco  y  Beira  ;  —  I.  Suarez 
de  Peralta,  Noticias  histôricas  de  la  Nueva  E.spaàa,  édit.  par  J.  Zara- 
goza,  Madrid,  1878,  in-4,  p.  79-80,  97;  —  Ixtlilxochitl,  Hist.  chichimeca, 
ch,  I,  p.  206  du  t.  IX  de  Kingsborough,  cl'r.  p.  459.  —  Voy.  infra,  p.  88, 94. 


84  LE    MlStON. 

son  retour  à  tiaveis  la  moi-  do  l'Est,  et  e'est  pourquoi  ils 
prirent  pour  lui  d'abord  Juan  de  Grijalva,  ensuite 
F.  (Portés  il),  d'autant  plus  (ju'il  était  l)lanc  et  harhu 
comme  eux  irj).  Il  devait  être  rajeuni  et  jouir  de  I  immor- 
talité à  Tullan-Tlapallan,  ainsi  ([ue  Ceteuctii  ([u'il  y  avait 
emmené  et  ({ue  de  grands  magiciens  comme  Matlacxochitl, 
Ozoniatli  et  Timal  (ô). 

IV.  Tlla  =  TniLi::. 

Voilà  le  lésunié  des  légendes  américaines  ipii  corres- 
pondent, au  moins  en  certains  points,  à  l'idée  i|ue  les 
documents  classicpies  nous  donnent  du  paradis  de  la  mer 
Kronienne.  Les  populations  du  Nouveau  Monde  chez  les- 
(juelles  ces  croyances  avaient  cours  habitaient  ou  avaient 
toutes  habité  ([uehjue  partie  du  littoral  de  rAtlanti(jue, 
mais  ce  ne  doit  pas  être  le  voisinage  de  cet  océan  (jui  les 
poi'ta  à  y  localiser  le  séjour  des  immortels  ou  des  héi'os  divi- 
nisés. On  s  en  convaincra  en  constatant  que  les  croyances 
en  un  })ai'adis  s|)écial  |>our  les  héros,  chez  d'autres  peuples 
placés  dans  des  situations  soit  analogues  soit  différentes, 
n'ont  pas  été  influencées  par  la  proximité  ou  l'éloigne- 
ment   de   la   mer  (i)  :  les  Estiuimniix  du  Grwnland  \)\\v 


(1)  Sahagun,  H/st.  gcu.  L.  XII,  ch.  2,  3.  6,  p.  792,  798.  801.  811-812;  — 
Ixtlilxochill.  Op.  cit..  cli.  69,  p.  276  du  t.  IX.  -  Cfr.  notre  mém.  sur  Les 
Deux  Quetzalcoatl  espar/no Ist  :  .T.  de  Grijalva  et  F.  Cortés,  (dans  Le 
Muséon,  t.  IV,  Louvain.  isx-l,  in-S,  p.  478-484.  57:^  .^i'^i-SSS). 

(2)  Voy.  les  textes  reproduits  dans  notre  raéni.  sur  Les  Blancs  préco- 
lombiens figurés  et  décrits  dans  les  plus  anciens  documents  du 
Me.rii/ue  et  de  IWmérirj ne  centrale  idâns  Revue  des  questions  scienti- 
fiques. 2"  scr.  t.  XVI,  Bruxelles,  1899.  in-8,  p.  85). 

(:?)  Siihagun,  Hist.  gén..  L.  III,  cli.  4.  p.  209-210;  —  Tezozomoo,  CVon. 
mexic,  cli.  105.  p.  nsi  de  Tédit.  d'Orozco  y  Berra;  —  Torquemada.  Mon. 
ind.,  L.  VI,  ch.  24,  p.  49  du  t.  II. 

(4)  Les  Norvépiens,  dont  le  littoral  est  baipno.  comme  les  pays  celtiques, 
par  la  mei-  du  Nord,  lOcéan  atlantique  et  l'Océan  glacial,  n'ont  localisé 


LE    PARADIS    DE    i/aTLANTIQUE.  85 

exemple,  qui  s'étendent  sur  le  littoral  de  plusieurs  mers, 
baies  ou  détroits,  ne  placent  ni  dans  les  eaux,  ni  sur  terre, 
ni  au  ciel,  le  séjour  des  immortalisés  :  ils  le  localisent 
dans  un  paradis  souterrain  ou  il  fait  chaud  et  où  les  vivres 
abondent  ;  tandis  que  leur  enfer  est  dans  le  monde  supé- 
rieur, où  les  mânes  souffrent  du  froid  et  de  la  disette  (i). 

—  Les  Iroquois,  qui  étaient  entourés  de  tribus  algonkines, 
ne  partageaient  pas  leurs  idées  sur  le  sujet  en  question  : 
ils  pensaient  que  Tarenyawago,  descendu  du  ciel  sur  un 
canot  magique  et  devenu,  sous  le  nom  de  Hiawatha,  le 
civilisateur  des  Onondagas,  disparut  dans  les  nuages  et 
alla  vivre  dans  la  céleste  région  exclusivement  habitée  par 
le  dieu  suprême  Owayneo  et  ses  élus  (2).  —  Leurs  con- 
génères les  Hiu'ons,  établis  au  milieu  des  Algonkins, 
paraissent  avoir  adopté  les  croyances  de  ceux-ci  en  plaçant 
au  bout  du  monde,  vers  l'Est,  la  demeure  de  Ataentsic 
et  de  son  petit-fils  louskeha,  leur  bienfaiteur,  mais  dans 
l'ouest  le  grand  village  où  allaient  les  âmes  des  morts  (3). 

—  Les  Montagnais  au  contraire,  qui  étaient  les  Algonkins 
inférieurs,  s'étendant  du  Saint  Laurent  au  territoiie  de  la 
baie  de  Hudson,  et  du  Saguenay  au  Labrador,  disaient 
que  les  âmes  des  morts  suivaient  la  voie  lactée  pour  se 
rendre  à  un  grand  village  situé  au  couchant  (4).  —  Les 


ni  dans  celle-là,  ni  dans  un  de  ceux-ci  leur  Uddinsahr  (champ  d'immor- 
talité), qu'ils  placent  au  contraire  dans  l'Est,  au-delà  de  VlnûeiFlatey- 
jarbôk,  t.  I,  p.  29-35,  Chiistiania.  1S60,  iii-8  ;  —  Fornaldar  sœgur  Nordr- 
landa.  édit.  par  \aldimar  Àsmuudarson,  t.  III,  Reykjavik.  1889,  in-12, 
p.  518-527). 

(1)  H.  Rink,  Eshimoiske  Eventyr  og  Sagn.  Supplément,  p.  1S2.  Copen- 
hague, 1S71,  gr.  in-8. 

(2)  Schoolcraft,  Op.  cit..  t.  III,  p.  314-317,  511  ;  t.  V,  p.  157-163,  636. 

(3)  Relut,  des  Jésuites,  ann.  163"^  p.  34  ;  1636,  p.  102-105. 

(4)  Ibid.,  ann.  ic,34.  p.  17-18. 


86  LE    MUSÊON. 

Indiens  de  la  JSouvelle- Angleterre,  quoique  riverains  de 
l'océan  Âtlanti(jue,  localisaient  dans  le  sud-ouest  la  con- 
trée où  les  àines  des  grands  et  des  bons  étaient  admises  à 
vivre  dans  la  société  de  leur  dieu  Kainantowit  (i).  —  Les 
Viryiniens,  dit  M.  Lescaibout,  «  ont  estimé  que  les  âmes 
des  bons  allaient  au  ciel  et  celles  des  méchants  en  une 
grande  fosse  ou  tiou  (juils  pensent  entre  bien  loin  au 
couchant,  (ju'ils  aj)[)ellent  Popogosso  pour  y  brûler  tou- 
jours »  (2).  —  Les  Creelis  ou  Mas/iolàs  (Muscogees)  du  sud 
des  Etats-Unis  croient  que  le  paradis  des  chasseurs  est  en 
haut,  mais  ils  n'en  ont  pas  une  idée  nette  (5).  —  Les 
Cheyennes  ou  Crées  j)lacent  leur  jjaradis  dans  les  Mon- 
tagnes Rocheuses  (4),  tandis  que  les  Arapaho,  leurs  voi- 
sins, croient  (|uc  le  monde  des  Esprits  est  à  l'ouest,  plus 
haut  que  la  terre  dont  il  est  séparé  par  la  mer  (o).  — 
D'après  les  Comanclies,  tous  les  morts  vont  en  haut  où  ils 
jouissent  de  la  félicité  ((i).  —  Les  Tewas  ou  Tuos  se 
disaient  originaires  de  la  lagune  de  Shipapu,  où  les  âmes 
retournaient  après  la  mort  (7).  —  Les  Moliaves  du  Colorado 
pensent  (jue  les  âmes  de  ceux  (jui  ont  été  incinérés 
montent   en    fumée   à  la  Montagne  Blanche,  comme   ils 


(1)  Rogei'  Williams,  Key  into  Ihe  lamjuayes  of  America.  1()43,  cité 
dans  Fourtcenth  Report  of  the  Bureau  of  Etlmology,  18!»218y3,  2»  part. 
Washington  1896,  in-4,  p.  982-983  ;  —  Cli'.  Schoolcraft.  Op.  cit.,  1. 1,  p.  286  ; 
t.  V,  p.  39. 

(2)  Hist.  de  la  Nouvelle-France.  L.  VI,  cli.  5.  p.  1)44  de  l'édit.  Tross. 
Paris,  l&diî,  in-S. 

(3)  Schoolci-aft,  Op.  cit..  t  I,  p.  273. 

(4j  Washington  Irving,  Astoria.  Voi/ages  au-delà  des  Montagnes 
Rocheuses,  trad.  par  P.-N.,  Grolier,  2'=  édit.  Paris,  1843,  in  8,  ch.  27,  t.  I, 
p.  362-3. 

Ç))  Fourleenlh  Report  ofthe  Bureau  of  Ethnology,  part.  II,  p.  983. 

(6)  Schoolcraft,  Op.  cit.,  t.  V,  p.  685. 

(7)  Fourleenth  Report  ofthe  Bureau  of  Ethnologi/,  t.  II,  p.  609. 


LE    PARADIS    DE    LATLANTIQUE.  87 

appellent  le  ciel  où  réside  Mas-zam-ho  (i).  —  C'est  dans 
leur  propre  pays,  au  pied  du  pic  de  Kok-kô,  que  les  Zunis 
localisent  le  lac  sacré  des  ancêtres,  où  les  esprits  jouissent 
de  la  félicité  éternelle,  ce  qui  ne  les  empêche  pas  de 
l'egarder  comme  sacrée  l'eau  du  soleil  levant  qu'ils  allèrent 
puiser,  en  i882,  sur  le  littoral  de  l'Atlantique  (2).  — 
D'après  les  Hopis,  les  âmes  vont  à  Wénima,  la  sainte 
résidence  de  Oilako,  où  elles  sont  changées  en  katcinas, 
génies  anthropomorphiques  (3).  —  Les  Sioux  donnent  le 
nom  de  Mdewaka  ioiva,  Lac  mystérieux,  à  la  première 
demeure  de  leurs  ancêtres  dans  le  Minnesota  et  le  regar- 
dent comme  le  séjour  des  Esprits  (4).  —  Leurs  congénères, 
les  Assi)iiboins ,  assignent  pour  séjour  aux  âmes  des  morts 
une  contrée  méridionale  où  ne  manquent  ni  le  gibier,  ni 
le  poisson,  ni  les  fruits  (5).  —  De  même,  les  Mandans 
croient  que  les  âmes  des  méchants  passent  par  une  sorte 
de  purgatoire  septentrional,  et  que  les  bons  vont  dans  un 
climat  plus  doux  (e).  —  Celles  des  tribus  de  la  Californie 
qui  ont  notion  d'un  pays  des  Bienheureux,  le  placent  les 
unes  dans  l'air  où  1  âme  est  emportée  par  un  petit 
oiseau  (-]  ;  la  plupart  des  autres  dans  l'Ouest  au  delà  de 
l'Océan  (s). 


(1)  Annual  Report  ofthe  Board  of  Régents  ofthe  Smithsonian  Insti- 
tution, 1890.  Washington,  1891,  in-8, 1. 1,  p.  312. 

(2)  Fifteenth  Report  of  the  Bureau  of  Ethyiology,  1893-1894.  Washing- 
ton, 1895,  p.  312. 

(3)  Ibid.,  p.  312. 

(4)  Ibid,,  p.  215. 

(5)  De  Smet,  Cinquante  nouv.  Lettres,  p.  131. 

(6)  Geo.  Gatlin,  Letters  and  notes  on  the  manners,  customs  and  condi- 
tion of  the  Northamerican  Indians,  4'-'  édit.  lett.  XXII,  New-York,  1842, 
p.  156-1.57. 

(7)  Steplien  Powers,  Tribes  of  California,  p.  e,Q,  91,  144,  161.  170,  (for- 
mant le  t.  m  de  Contributions  of  North  American  Ethnology ,  Washing- 
ton, 1877,  in-4). 

(8)  Id.  ibid.,  p.  34,  110,  154,  181-182,  200,  240. 


88  LE    MUSÉON. 

Quoi(jue  cette  éiminération  soit  loin  d'être  complète, 
piiice  (|iie  les  cioyaiiccs  de  beaucoup  de  tribus  éteintes  ou 
vivantes  nous  sont  inconnues,  on  bien  (|ue  la  situation  du 
paradis  ne  soit  pas  toujours  spécifiée,  il  y  a  là  assez  de 
superstitions  dis[>arales  pour  montrer  que  les  tribus 
indieimes  n  avaient  pas  toutes  les  mêmes  conceptions  de 
laiil  rc  vie  :  (|ue  celles-ci  ditVéraient  souvent  cbez  des  peu- 
plades voisines  ou  placées  dans  des  conditions  analogues. 
Il  est  d(mc  vraisemblable  (pie  les  ijroupes  de  tribus  chez 
lesipielles  on  a  constaté  un  ensemble  de  croyances  ana- 
logues ne  les  tiennent  pas  de  génération  spontanée  clie/ 
cbacune  d'elles,  mais  (pie  toutes  les  ont  puisées  à  une 
même  source.  (>"est  le  cas  pour  la  |)lu|)art  des  tribus 
Algonkines  et  pour  [)lusieui's  des  peuples  de  rAméri(pie 
moyenne  :  les  Mexicains,  les  Mayas,  les  Quiches  et  les 
(^ak(lii(|uels,  (jui  pourtant  ne  pailaient  pas  la  même 
langue,  mais  (jui  avaient  une  tradition  commune  sui' 
l'origine  orientale  soit  de  leurs  ancêtres,  soit  au  moins 
de  leur  civilisateur.  Tant(*)t  celui-ci,  tanttU  ceux-là  ])as- 
saient  pour  être  apparentés  avec  les  Blancs  ou  avoir  passé 
par  Tuld.  Quet/alcoatl  était  Ulanc  et  barbu,  il  venait  de 
Tula  et  il  y  retourna  (ii,  de  mémo  (pie  (ilusgabhé  dont 
les  prot(^gés  portaient  le  nom  caractéristi(iue  de  Blancs  ou 
Orientaux  (2)  ;  les  Chaouanons  disaient  que  leurs  ancêtres 


(1)  Voii'  les  textes  rcprod.  dans  nos  mém.  sur  VEIi/sée  des  Mexicains, 
p.  5;7:5,  n.  1  ;  ~  Les  migrations  d'Europe  en  Amérique  pendant  le  moyen 
ûfie  :  les  Gai'ls  (clans  Mém.  de  la  Société  bourguignonne  de  géogr.  et 
d'iiist.  t.  VII,  p.  14(1- I4ti.  Dijon,  1801,  in-S  ;  —  La  Tula  priinitivc,  berceau 
des  Papas  du  Nouveau  Monde  (dans  Le  Muséon.  Louvain  1891,  in-8, 
p.  21?.  n.  3  ;  21:î,  n.  2,  4  ;  215,  n.  1)  :  —  Les  Blancs  précolombiens  figzirés 
et  décrits  dans  les  plus  anciens  documents  du  Mexique  et  de  V Amé- 
rique centrale  (dans  Revue  des  questions  scientifiques,  2"  sér.  t.  XVI, 
Louvain,  180'.»,  in-S,  p.  85,  n.  1). 

(2)  Voy.  supra,  j).  53,  G3-G5. 


LE    PARADIS    DE    l'aTLANTIQUE.  89 

étaient  venus  de  VEst,  non  pas  seulement  de  l'Amérique, 
mais  d'au-delà  de  l'Océan  Atlantique  (i).  Le  Manitou  barbu 
des  Lénapés  était  fils  d'une  Blancfie  et,  à  l'arrivée  des 
Blancs,  on  crut  qu'il  était  avec  eux  (2).  L'un  des  antiques 
seigneurs  du  Yacatan  passait  pour  être  venu  de  l'Est  et 
se  nommait  X Homme  Blanc  (3).  Les  quatre  peuples  pré- 
cités du  grand  isthme  américain  étaient  venus  de  VEst  en 
passant  par  Tula  et  plusieurs  de  leurs  princes  y  retour- 
nèrent (4). 

Reportons-nous  aux  traits  les  plus  saillants  des  légendes 
communes  de  ces  populations  transatlantiques.  Glusgahhé 
ou  Glooskap,  le  civilisateur  des  Abenakis  et  des  Micmacs, 
qui  était  plus  puissant  par  ses  enchantements  que  par 
la  force  athlétique,  vivait  à  l'Est  dans  une  île  lointaine  de 
l'Océan  (5).  Il  en  était  de  même  de  Manabusli  qui  du  pays 
montagneux  de  l'Océan  oriental,  où  il  s'était  retiré  après 
avoir  civilisé  les  Menominis,  continuait  à  les  protéger  (n). 
Son  sosie,  Menahozlioo,  le  Manitou  des  Ojibwas,  disparut 
du  côté  de  l'Est  oii  il  est  encore  (7).  Nanaboujou,  le  bien- 
faiteur des  Potawatomis,  se  repose  de  ses  travaux  sur 
une  banquise  de  l'Océan,  située  du  côté  des  Blancs  puis- 
qu'on craint  qu'ils  ne  l'y  découvrent  (s).  Le  grand  génie 
des  Illinois  et  des  Algonkins  du  Sud  (y  compris  sans 
aucun  doute  les  Chaouanons  ou  Méridionaux)  était  égale- 


(1)  Voy.  supra,  p.  64. 

(2)  Voy.  supra,  p.  65. 

(3)  Voy.  supra,  p.  78. 

(4)  Voy.  la  Tula  primitive,  p.  212-215.  221-226.  —  Cfr.  supra,  p.  08-78, 
81-84. 

(5)  Voy.  supra,  p.  54-57. 

(6)  Voy.  supra,  p.  57-60. 

(7)  Voy,  sujira,  p.  61. 

(8)  Voy.  supra,  p.  61-62. 

7 


00  I.E    MISÉON. 

inoilt  (In  côté  des  Français  fi).  l.e  Manitou  barbu  des 
Lénaprs,  Manabouch  qui  leur  avait  enseigné  la  chasse  et 
jindustiie,  lésidait  au  nord-est  de  leur  pays,  à  Tula,  dans 
le  \V(il,-(iu-(l(i  ou  Pays  de  la  vie  (2).  I.es  Quiches,  les  Cakchi- 
(|ucls  cl  les  Mayas  avaient  aussi  quelques  réminiscences 
d'il  M  pays  situé  vei's  l'Est  et  qui,  chez  tous  ces  peuples, 
|i()it!iil  un  nom  presque  identique  Tollnn,  Tuinn,  Tula. 
l.à  trônait  leur  dieu  Toliil  on  Toli,  qu'ils  identifiaient  arbi- 
trairement avec  Quetzalcoatl  ou  Nacxit,  le  dieu  des  Yaquis 
;)ii  Mexicains  (3). 

Ce  dernier  et  cette  contrée  servent  de  trait  d'union 
entre  la  tradition  européenne  sur  le  i^aradis  Kronien  et 
les  légendes  américaines  sur  le  Paradis  Atlantique.  Quet- 
zalcoatl, i'e})résenté  comme  Blanc  et  barbu,  grand  enchan- 
teur, comme  l'appellent  Sahagun  (4),  Mendieta  (o),  Torque- 
mada  ((;)  ;  comme  l'inventeur  de  la  magie  (7)  et  des 
lettres  s)  ;  comme  j)r()pagateur  de  la  culture,  des  arts 
et  de  l'industrie  (!•),  s'en  fut  à  Tula  d'où  il  venait  dans 
rcs[)oir  do  rajeunir  (i(t)  et  de  devenir  immortel  avec  les 
magiciens  cpi'il  emmenait  (11).  Il  a  plusieurs  attributs  des 


(1)  Voy.  supra,  p.  ô.*^. 

(2)  Voy.  supra,  p.  6(i. 
(.'{)  Voy.  supra,  p.  68-79. 

(4)  Hist.  fjén.  L.  HT.  ch.  .3,  12  ;  prol.  du  L.  VIII,  p.  207,  217,  495. 
(.j)  Hist.  ecles.  indiana,  p.  92. 

(6)  .1/ow.  ind.,  L.  IV,  cil.  14.  p.  3S0  du  t.  I  ;  L.  VI.  ch.  7,  p.  20.  du  t.  IL 

(7)  Uiat.  icovophon.  des  Mexicains,  2«  édit.  p.  233,  234  ;  —  Sahagun. 
Hist.  {i(-)i.,  L.  III,  cJi.  12.  prol.  du  L.  VIII.  p.  217,  495  ;  —  Torquemada. 
L.  VI.  ch.  24,  p.  5(1  du  (.  II. 

(8)  Voy.  supra,  p.  82. 

(9)  SaiuiKun,  Hist.  f/cn.,  L.  HI.  rli.  .s.  13;  L.  X,  ch.  29.  p.  217,  219,  6,-)6- 
t)59  ;  —  Men(het;i,  p.  91-92  ;  —  Torqueniadn,  L.  VI,  ch.  24,  p.  48-50. 

(10)  Sahagun,  Hist.  fién.,  !..  III,  ch.  4,  p.  209-210  ;  —  Annales  de  Cuauh- 
titlun,  ]).  19  ;  —  Toniuomada,  L.  VI.  ch.  7,  p.  20  du  t.  I. 

(11)  Sahagun,  Hi.^t.  (jén..  L.  XII,  ch.  .{,  p.  799.  —  Torquemada,  L.  VI. 
ch.  24,  p.  49;  —  Tezo/.onioc,  Cronica  mc.ricana,  cli.  105,  p.  <i81. 


LE    PUIADIS    I)K    LATLAXTIi^HE.  î)l 

divers  Hercules,  qui  sont  tous  des  civilisateurs.  Il 
ressemble  plus  particulièrement  à  celui  des  Latins  qui 
abolit  les  sacrifices  humains  (i)  ;  à  l'Hercule  Egyptien 
qui  inventa  les  lettres  phryi^iennes  (-2)  ;  à  Oixmios, 
l'Hercule  Gaulois,  qui  enchantait  les  auditeurs  par  son 
éloquence  (ô)  ;  à  Ognia,  l'Hercule  des  Gaëls,  (|ui  leur 
enseigna  l'écriture  ogamique  et  qui  était  un  des  plus 
célèbres  chefs  des  Tuatha  De'  Daiiann,  les  Sids  de 
l'Irlande,  maîtres  des  sciences  et  de  la  magie  (i),  parfois 
métamorphosés  en  hommes  ou  en  femmes,  en  animaux, 
en  oiseaux  (.•>). 

(^est  à  Quetzalcoatl,  «.  ce!  mitre  Hercule  »,  solou 
l'expression  de  Sahagun  <;  .  (|u<'  devait  faire  alhisiou  le 
pèlerin  de  la  Méotide  Américaine  T)  pai'lant  du  rest;iuia- 
teur  de  la  civilisation  gi*ec(|ue  dans  ce  [t;ivs.  (ielje-ei  en 
effet  s'étendait  bien  au-delà  du  bassin  nK'dilerrani'en,  et 
les  barbares  qui  en  avaient  subi  l'inlluenee,  ('taient  impro- 
prement ap[)elés  Grecs,  comme  plus  tard  on  qualifia  de 
Romains  (Houmisi  et  de  Tianes  des  [)eii|des  (jui  n'étaient 
pas  de  leur  race  et  ne  [)ai'laient  pas  uK-nie  leui-  langue, 
mais  ({ui  pi-ofessaient  leur  religion  ou  avaient  ad()[)t(''  leurs 
m(eurs  et  leurs  institutions.  De  grands  savants  de  lanti- 
quité  auxquels  se  référait  Saint-.léi'ome  et  parmi  les([uels 


fl)  Denys  d'Halicarna.s.<e.  L.  I,  oh.  4,  d.rii^  le  l'cciieil  de  D,  Bouquet, 
t.  I.  p.  3t;8. 

{■2}  Natalis  Cornes.  M>/(hol.,  L.  VII. 

(•'5)  Lucien  de  Samosate,  Préface  ou  Ilerculr,  â  ]-'i. 

(4)  Nennius,  The  Irish  Version  ofthe  Historin  Britoiiniii.  édit.  avec 
notes  et  trad.  par  J.-H.  Todd.  Dublin,  1^4-^.  in-i.  p.  41):  —  D'Arbois  de 
Jubainville,  Le  Cycle  mijtholo[iique  Irlandais.  Paris,  1-^Sl.  in-8,  p.  2S.3- 
285.  —  Clr.  LElysi-e  des  Mexicains,  p.  l'>2iJ.  mhi'JX. 

{T})  D'Arbois  de  Jubainville.  Le  Qicle  rnylhol.  irl.,  p.  •20':.  288.  295,  297, 
321. 

(6)  Hist.  yen.,  L.  III.  ch.  :i.  p.  2i)7  df  la  (rad.  fram;. 

(7)  Voy,  supra,  [k  V.k 


S>2  LE    MUSÉON. 

il  citait  Phiégon,  Sisinias  Capiton,  Varron,  affirmaient 
que  les  Grecs  avaient  établi  des  colonies  jusque  sur  le 
littoral  Biitannique  ;  Solin  signale  en  Calédonie  un  autel 
qui  portait  une  inscription  grecque  ;  et  des  auteurs  sur 
lesquels  s'appuyait  Aniniien  iMarcellin  atïirinaient  que  des 
Doriens  sectateurs  dHercule  avaient  occupé  des  localités 
voisines  de  l'Océan,  qui,  selon  Pisander,  avait  été 
traversé  par  ce  demi-dieu.  D'après  des  anciens  dont 
s'autorise  Richard  de  Cirencester,  Hercule  avait  fondé  un 
royaume  en  Bretagne,  près  des  côtes  de  laquelle  il  y  avait 
une  ile  nommée  Herculea  ;  Ephore  de  Cumes,  contem- 
porain d'Aristote,  qualifiait  les  Celtes  de  Philhellènes,  et 
un  géographe,  qui  écrivait  une  centaine  d'années  avant 
notre  ère,  parle  de  Celtes  qui  avaient  adopté  les  mœurs 
des  Grecs  (i).  Ce  sont  ces  Celtes  hellénisés  qui  auraient 
porté  à  Ogygie  le  culte  de  Saturne  et  de  là  auraient  passé 
dans  la  Méotidc  Laurentienne,  doù  leurs  pèlerins  reve- 
naient à  date  fixe  et  régulièrement  à  l'île  sacrée  (Ogygie), 
selon  le  rapport  de  l'un  d'eux,  ce  que  le  dictateur  Sylla 
navait  pas  de  peine  à  croiie  et  Plutarque  à  répéter,  puis- 
que ce  récit  était  conforme  aux  notions  courantes  de  leur 
temps. 

Les  assertions  du  Pèlerin  relativement  à  la  nature  des 
lies  et  pays  transatlantiques  étant  confii-mées  [)ar  nos 
connaissances  actuelles  en  géographie  (3),  nous  n'avons 
pas  de  raison  de  mettre  en  doute  ce  qu'il  allirme  «  des 
compagnons   de    Héraklès,   mêlés    postérieurement   à    la 


(1)  Voy.  les  sources  citées  dans  V Elysée  des  Mexicains,  p.  'MO. 

(i)  Voy.  IJ Elysée  des  Mexicains,  p.  3-5.  —  Cfi*.  L'Elysée  tramail.^ 
p.  9-lU. 

(:3)  Vuy.  supi'a,  p.  10.  —  Cfr.  L'Elysée  transall.,  p.  721  et  L'Elysée  des 
Mexicains,  p.  î». 


LE    PAEUDIS    DE    LATL.VNTIOUE.  95 

population  Kronienne  [de  la  Méotide  américaine]  et  restés 
dans  ce  pays,  qui  y  avaient  comme  ressuscité  et  propagé 
la  civilisation  grecque  supplantée  par  la  langue,  les  lois 
et  les  mceurs  barbares.  Aussi  est-ce  à  Héraklès  cjuils 
rendaient  le  plus  d'honneur,  ensuite  à  Kronos  (i)  ».  Au 
nombre  des  croyances  qu'ils  avaient  imposées  aux  indi- 
gènes, était  l'existence  du  paradis  des  héros  situé  au  nord 
de  l'Océan  Atlantique.  Il  ne  peut  y  avoir  de  doute  à  cet 
égard,  puisque  malgré  les  ditïicultés  et  la  longueur  de  la 
navie:ation,  malijré  la  nature  sévère  et  le  climat  risoui'cux 
d'Ogygie,  la  population  Kronienne  continuait  d'envoyer 
en  Islande  des  théories  religieuses  avec  des  offrandes  ;  et 
qu'elle  localisa,  non  dans  l'ouest,  comme  elle  l'eût  fait  si 
elle  n'avait  pas  obéi  à  un  mot  d'ordi'C,  mais  dans  l'est 
pour  se  conformer  aux  enseignements  de  ses  civilisateurs. 
Cette  survivance  d'idées  invétérées,  qui  se  perjiétuent 
sans  raison  ou  contre  toute  raison,  a  son  pendant  bien 
topique  chez  les  Celtes  du  moyen  âge  :  après  leur  conver- 
sion au  christianisme  les  Gaëls,  les  Gallois,  les  Armori- 
cains, s'écartant  des  croyances  de  leurs  évangélisateurs, 
localisèrent  d'abord  au  milieu  de  l'Océan  Atlantique, 
ensuite  en  Amérique  {2),  l'Eden  que  les  traditions  bibliques 
plaçaient  en  Asie,  du  côté  de  l'Orient.  La  foi  catholique 
chez  les  Néo-Celtes  ne  triompha  pas  mieux  des  croyances 
erronées  de  leurs  ancêtres,  que  la  logique  (.")  ne  prévalut 
dans  la  Méotide  du  Saint-Laui*ent  sur  les  idées  préconçues 
des  colons  Celto-Grecs. 

Mais  quoique  la  population  Kronienne  eût  adopté  au 


(1)  Plutarque,  De  facie  in  orbe  lunae,  p.  752  du  t.  II  des  Moralia,  édit. 
Diibner. 

(2)  Voy.  L'Elysée  transatl.,  p.  G72-673,  682-683,  687,  702  (p.  322-324,  330- 
331,  335,  350  du  tirage  à  part.). 

(3)  Voy.  supra,  p.  41-42. 


Oi  l.i:    >HSÉO.>. 

moins  cil  partie  le  «ullt^  des  (^arthaiiinois  et  les  lïKeurs 
(les  Grecs,  la  lanitue  des  indij^èiies  avait  pendant  un 
certain  temps  repris  le  dessus,  suivant  le  témoi^naj^e 
]K)siti(du  IN'Ierin,  et  il  y  a  lieu  de  supposer  (|ue  Tliulé, 
I  un  des  noms  de  I  ile  de  Kronos  était  tiré  de  cet  idiome, 
comme  Of/Uffie  l'est  du  iraélique  (i)  et  Isinmfc  du  norrain. 
l'onr  contrôler  l'hypotlièsc  en  ([uestion,  il  iinj)()rte  de 
déterminer  la  nationalité  des  aljori^ènes  de  la  Méotide 
aiiM-riçainc.  l>es  documents  i{recs  et  celti(jues  étant  nmets 
à  cet  éiiard,  nous  ne  pouvons  avoir  recours  ([uaux 
antit|ucs  traditions  des  Mexicains,  les  seules  de  l'Amérique 
du  Nord  <jui  aient  été  consignées  dans  des  peintures 
iconophoniques  (sons  représentés  par  des  images)  remon- 
tant à  un  millier  d'années  avant  la  conquête  Espagnole. 
Oi'.  toutes  sont  d'accoi'd  pour  attester  que  les  civilisateurs 
du  Me\i(jue  étaient  originaii'cs  de  l'Amérique  septen- 
trionale, et  (jucl(|ues-unes,  précisant  mieux,  nous  les 
montrent  côtoyant  la  Florida  ou  littoral  Atlantique  des 
iJats-Unis  actuels  poui-  se  rendre  dans  l'Amérique 
moycimc.  C.ette  voie  maritime  fut  notamment  suivie  par 
Quetzalcoatl  et  ses  sujets  ou  disciples  les  Toltecs  (2).  Ils 
avaient  été  |»récé(lés  par  les  Xicalancs,  colonisateurs  des 
Kfals  (le  Vera-(]ru/.  Tal»asco,  Campèche,  Yucatan  (3)  et, 
piobahlemciil  par  des  Scandinaves  (i),  les  Holmecs  (3)  qui 

(1;  Vny.  supra,  j).  i".. 

(2)  Saiiaprun.  Bist.  pet/,  prol.  du   !..  I  et  du  L.  VIII  ;  L.  X,  ch.  -21»,  p.  9, 

■l'.C).  •;";;{-( '.7 4  do  la  ir.id.  frjiiK;.  ;  —  «  Quet/.alcoatI se  volviô  por  la 

iiiisnia  parte  de  dondo  liahia  veiiido  que  ïnc  por  la  de  Oiiente  <•.  (Ixtlilxo- 
chitl.  His/.  chichhncca.  v\^.  I.  j).  20r.  du  t.  IX  de  Piinf^sljorough  .  —  -  Quet- 

zalcdhu.itl vino  delà  parle  del  Oriente Se  volviô  por  la  parte  de 

donde  vino.  »  (Id.  Sumaria  rcloc/o»,  |).  -IS'.i  du  t.  IX  de  Kingsborough.)- 
—  Cfi'.  supra  les  textes  aux(|acls  renvoient  les  notes  \.  5  de  la  p.  83  et  1 
de  la  p.  88. 

(3)  Ixtlilxochitl,  p.  20.".  et  AW^  du  t.  IX  de  Kingsborougli. 
{A)  \o\.  La  Tnla  primitive,  p.  22(1-22'.'. 

^">)  Mot  li\  lii'idc  eoniposc  du  naliua  catl  au  pluriel  ca.  gens,  hommes, 


LE    PAUADIS    DE    r/ATLANTIQUË.  95 

s'étendirent    à    travers    la    région    isthmique    jusqu'au 
Nicaragua  (i). 

Notre  conjecture  sur  Tidionne  nahua,  qui  aurait  eu 
cours  avant  notre  ère  dans  la  Méotide  américaine,  est 
fondée  sur  des  faits  auxquels  on  n'a,  jus([u'ici,  pas  accordé 
d'attention  :  on  va  voir  qu'il  était  parlé  dans  le  Paradis 
Atlantique,  ou,  en  d'autres  termes,  dans  l'ile  d'Ogygie 
qui,  étant  à  cinq  journées  de  navigation  à  l'ouest  de  la 
Grande-Bretagne,  correspond  à  VUltima  Tliulé  (au  moins 
en  ce  cas  :  l'Islande)  (2).  Or,  selon  les  légendes  du  Nouveau 
Monde,  la  même  île  sacrée,  qualifiée  de  contrée  monta- 
gneuse (3),  était  à  l'Est  de  l'Amérique,  au-delà  de  la  mer  et 
au  milieu  des  glaces  (/s/o»jrf  =  Pays  de  glaces)  (4).  Il  y  avait 
là  des  Yaquis  ou  Pèlerins  Mexicains  (5).  Leur  pontife  Quet- 
zalcoatl  y  trônait  et  c'est  lui  qui  donna  l'investitui'e  aux 
princes  Quiches  (e).  Selon  les  Annales  des  Cakcliiquels  {-}, 
il  conféra  à  Orbaltzam  le  titre  de  Cempoalli  Tuxiiclilli  (h), 
qui  s'explique  par  le  nahua,  ainsi  que  ses  propres  noms 


et  du  norrain  holmr  ou  holmi  (ile),  qui  entre  en  composition  dans  beau- 
coup de  noms  géographiques  et  qui  pris  absolument  s'applique  à  Borgun- 
darholm  (Bornholm),  station  des  Rurgondes  dans  la  mer  Baltique,  et  à 
l'Islande.  Il  pouvait  parfaitement  désigner  les  insulaires  d'origine  Scan- 
dinave dont  les  expéditions  maritimes  ont  commencé,  selon  les  auteurs 
classiques,  bien  des  siècles  avant  les  dates  données  par  leur  propre  his- 
toire et  par  les  chroniques  gaéliques  et  anglo-saxonnes. 

(1)  J.  de  Torquemada,  Mon.  ind.,  L.  III,  ch.  40,  p.  331-333  du  1. 1. 

(2)  Voy.  supra,  p.  42-47. 

(3)  Voy.  supra,  p.  59,  66,  69.  Cfr.  p.  82. 

(4)  Appelée  Snœland  (pays  de  neige)  par  son  découvreur  norvégien,  et 
Gardarsholm  (Ile  de  Gardar)  par  un  autre  explorateur  dano-suédois. 
(Landndmabôk,  part.  I,  ch.  1,  p.  26-28  de  l'édit.  de  Copenhague,  1843, 
in -8). 

(5)  Voy.  supra,  p.  69,  71. 

(6)  Voy.  supra,  p.  71-73. 

(7)  P.  90-91.  —  Cfr.  supra,  p.  70-71. 

(8)  Voy.  supra,  p.  70,  n.  2. 


90  LE    MUSÉON. 

et  qualilicatioiis  :  QuetzalcoatI  (i),  Yulcoall  ('2)  et  Nacxitl  (ô). 
(^e  (|iii  est  eneoi'C  plus  roinaïupiable,  c'est  le  nom  de  ce 
Paradis  :  Tolhni,  Tuhin,  Tula  sYnc()[Ȏ  de  Tonullun  (i), 
IMace  du  soleil  |.)).  La  ressemblance  de  Tula  et  de   Thulc 


(1)  Qiietzalli.  plumet,  et  coati,  clief,  fligaitaire  à  panache.  —Ce  der- 
nier mot  qui,  dans  les  iconophones.  était  représenta  par  un  serpent,  ne 
dési;^ne  pas  seulement  ce  reptile,  mais  il  a  beaucouj)  d'autres  significations 
notamment  colles  do  gcnéral.  principal,  comme  on  peut  le  voir  par  les 
exemples  cités  dans  notre  mém.  intitulé  :  Echo  des  croyances  ch?'éù'ennes 
chez  les  Mexicains  du  moi/ev-àge  (apud  Le  Muséon,  t.  XVIII,  p.  374,  n. 
Louvain,  189'.»). 

(2)  Voy.  supra,  p.  H!»,  n.  4. 

(.3)  Dans  la  version  espagnole  publiée  en  190.3  (fasc.  III.  p.  27).  ce  nom 
est  rapproché  d"un  mot  signifiant  pierre  précieuse  en  pokoman,  idiome 
de  la  famille  maya-quichée.  Mais  comme  il  désigne  le  seigneur  de  l'Est, 
QuetzalcoatI.  qui  employa  la  nahua  en  investissant  Orbaltzam,  il  vaut 
mieux  nous  semble-t-il  exi)li(iuor  par  le  naliua  tous  ses  noms.  Nacxit  nous 
j)arait  ôti-e  composé  de  naui  apocope,  quatre  et  d'icrid  pied,  le  tout  rendu 
en  espagnol  \vdv  ca7ninador,  voyageui-,  titre  convenant  bien  au  patron  des 
Vaquis  (Voy.  supra.  ]i.  (39,  n.  3  ;  70.  n.  1).  —  Comme  dieu  des  vents.  Quet- 
zalcoatI avait  pour  atti'ibut  la  croix  gammée  ou  tétraskèle  (quatre  jam- 
bes', qui  symbolisait  le  mouvement  des  asti-es  et  dos  météores.  Elle  n'était 
pas  seulement  répandue  dans  l'ancien  monde  d'où  elle  parait  être  origi- 
naire. On  la  trouve  aussi  au  loin  et  au  large  dans  les  trois  Amériques. 
(Voy.  dans  The  Swasdlui,  par  Thomas  Wilson,  la  carte  placée  en  lace 
de  la  p.  904.  Exti'ait  du  Report  for  JS'J4  de  la  Smithsonian  Institution. 
Washington.  lS9fi.  in-8).  A  la  vérité  les  .jambes  ou  les  pieds  sont  jilus 
rarement  et  i)lus  mal  figurés  dans  les  tetraskèles  que  dans  les  triskèles, 
mais  on  en  peut  voir  des  exemples  dans  le  savant  mémoire  du  D""  L. 
Millier  {La  croix  dite  ansée,  sov  emploi  et  sa  signification  dans  Vanti' 
quité.  Copenhague  1^77,  in-4,  extr.  de  Mém.  hisfor. -philosophiques  de 
l'Académie  des  sciences  du  Danemark,  5«  sér.  t.  V,  i,  p.  12  fig.  7,  p.  38, 
lig.  27,28;  cfr.  p.  47).  —  Pour  les  tetraskèles  d'Amérique,  v.  l'ouvrage 
précité  de  Th.  Wilson  (p.  879-905).  Le  profond  archéologue  écrit  que  la 
swastika  n'a  pas  été  inventée  par  les  Américains,  mais  empruntée  par 
eux  à  r.incien  monde,  dans  les  temps  précolombiens  'p.  981-983).  C'est  un 
nouvel  indice  de  la  réalité  des  relations  dont  parle  le  Pèlerin. 

(4)  Voy.  supra,  p.  74,  n.  4. 

(5)  Uncerroqueestâantes  de  Tula,  ([uc  se  llama  Coatebeque{Hist.  ico- 
nojthonique,  2«  édit.  p.  2i\)  ;  —  H;'iciala  parte  de  Tula un  céiro  que 


LE    PAHADIS    DE    l'aTLANTIQUE.  97 

doit  déjà  nous  frapper,  puisque  ces  deux  noms  paraissent 
être  synonymes,  désignant  des  îles  situées  dans  les  mêmes 
parages  et  qui  doivent  n'en  faire  qu'une  ;  mais  l'analogie 
serait  loin  de  nous  autoriser  à  les  identifier,  si  nous  ne 
savions  que  leur  signification  est  exactement  la  même  : 
«  Le  nom  de  Thulé,  dit  Isidore  de  Séville,  vient  du  soleil, 
parce  qu'il  y  est  stationnaire  au  solstice  d'été  »  (i). 

Les  pèlerins,  dont  parle  Sylla,  qui  correspondent  aux 
Yaquis  (2)  et  qui  étaient  astreints  à  y  résider  trente  ans 
de  suite  avaient  apparemment  emprimté  à  leur  i)ropre 
langue  la  dénomination  de  la  Colonie  religieuse  et  les 
Gaëls,  qui  regai'daient  l'ile  de  Saturne  comme  la  demeure 
des  héros  et  des  génies,  ont  bien  pu,  tout  en  lui  donnant 
le  titre  d'ile  sainte  (insula  sacra,  og  sacré  et  iay  île  en 
gaélique,  d'où  la  forme  grecque  Ogygie),  transcrire  le 
nom  de  Tula  sous  la  forme  Thulé,  que  Pytliéas  de  Mar- 
seille propagea  et  qui  est  devenu  classique. 

Mais,  dira-t-on,  l'Islande  n'est  habitée  que  depuis  un 
millier  d'années  1  C'est  vrai  pour  la  colonisation  Scandi- 
nave ;  mais  la  géographie  de  Dicuil  prouve  ({ue,  pour  les 
Papas  Gaëls,  il  faut  remonter  plus  haut,  et  même  jus([u'au 
V®  siècle  de  notre  ère,  si  l'on   veut   s'en    rapi)orter  aux 


se  llama  Coatepec  (D.  Duran,  H/st.  de  las  Indtas.  t.  I.  p.  23)  ;  —  Coatcpec 

termines  de  Tonalan,  lugar  del  sol.  (Tezozomoc,  Cron.  me.cic, 

cil.  1,  p.  22  de  i'édit.  de  LS78;;—  Touala  quiere  decir  lugar  del  sol. 
(M.  de  la  Mota  Padlila,  Historia  de  la  conquista  de  laproi'incia  de  la 
Nueva-Galicia.  Mexico,  1870,  in-4,  p.  :3s.) 

(1)  Thule  a  .wlc  norneii  hahcns,  quia  in  ea  aestivum  solsticium  sol 
facit.  (Isidore  de  Séville.  Liber  etyrtiologiarurn,  L.  Xl\',  cli.  li.  —  Cfi'. 
Dicuil,  De  mensura  orbis  lerrae,  cli.  7,  §  2.  n"  3j. 

(2)  Voy.  Supra,  p.  60.  72.  C'étaient  des  sacrificateurs  représentés  dans 
les  Annales  des  Cakcliiquels  (p.  164-165)  comme  des  envoyés  mexicains. 
Leur  nom  nahua  correspond  exactement  à  viator  qui,  dans  la  latinité  du 
moyen-âge  (Voy.  Du  Cange),  désignait  des  missionnaires  ou  voyageurs. 


98  LE    MUSÉON. 

lia^Moloiîies  irlandaises  (i).  L'existence  bien  attestée  de 
moines  scoto-irlandais  à  Tlmlé  avant  l'établissement  des 
Norvégiens  rend  assez  vraisemblable  la  description  de  la 
colonie  philhellénique  d'Oifygie.  D'après  le  [)èlerin,  les 
membres  de  cette  société  religieuse  joignaient  aux  prati- 
ques du  culte  (2),  l'étude  des  lettres,  de  la  philosopbie, 
de  l'astrologie  et  des  sciences  naturelles.  11  n'en  fut  pas 
autrement  chez  les  Islandais  du  moyen  âge  ;  leurs  skalds 
étaient  les  poètes  attitrés  des  cours  du  Nord,  aussi  bien 
dans  les  iles  Britanniques  et  en  Russie  qu'en  Norvège, 
en  Danemark  et  en  Suède  ;  leurs  conteurs  de  sagas  se 
sont  distingués  à  une  épo((ue  où  les  peuples  de  l'Kurope 
n'avaient  en  fait  d'histoiie  que  des  annales  et  de  sèches 
chroniques.  La  nature  de  l'Islande  porte  ses  habitants  à 
se  replier  sur  eux-mêmes  au  lieu  de  vivi'e  au  dehors 
comme  le  permettent  les  climats  plus  tempérés.  Aussi 
l'Islande  a-t-elle  été  et  est-elle  encore  un  véritable  foyer 
intellectuel,  et  grâce  aux  documents  grecs,  concordant 
avec  les  traditions  des  Mexicains,  des  Quiches,  des  Cakchi- 
quels  et  des  Algonkins,  elle  peut  faire  remonter  son 
histoire  au  moins  jus(ju'au  siècle  qui  a  j)récédé  notre  ère. 
Ici,  comme  dans  une  cinquantaine  de  mémoires  précé- 
demment publiés  sur  les  îles  nordatlantiques  et  l'Améri- 
que précolombienne,  on  s'est  efforcé  de  justifier  certaines 
assertions  des  anciens  ;  de  montrer  par  des  exemples 
incontestables  que  des  faits  jugés  impossibles  ont  eu  des 
antécédents  avérés  ou   sont  conformes  à  la  réalité  ;  que 


(1)  Voy.  UElysce  iransatl.,  p.  <;97-6'.)8  (34."j-.3-16  du  tirage  à  pail).  —  Les 
premiers  chrétiens  des  iles  nordatlantiques  par  E.  Beauvois,  dans  Le 
Musëon,  t.  VIII,  1S8S,  p.  428-429,  n.  1. 

(2)  Pliitarqufi,  Mornlia,  t.  IL  p.  1152-1153.  —  Cfr.  L'Elysée  des  Me.vi- 
C'ins,  ]).  (i-8. 


LE    PARADIS    DE    L'ATrANTIQUE.  99 

sur  bien  des  points  obscurs  les  documents  ne  manquent 
pas  quand  on  sait  les  chercher  partout  où  il  peut  y  en 
avoir  ;  que  des  témoignages  suspects  ou  incompris,  quand 
on  s'obstine  à  les  considérer  isolément,  deviennent  con- 
cluants quand  on  les  confère  avec  d'autres  ;  que  l'antiquité 
n'a  pas  plus  ignoré  l'existence  d'un  monde  transatlantique 
que  les  sources  du  Nil,  et  que  sur  le  premier  point  comme 
sur  le  dernier,  elle  était  mieux  informée  que  des  géogra- 
phes plus  récents  ;  que  nombre  de  questions  regardées 
comme  insolubles  le  seraient  moins,  si  on  les  approfon- 
dissait au  lieu  de  répéter  à  satiété  ce  qui  a  été  dit,  et  si  l'on 
essayait  de  juger  en  connaissance  de  cause  au  lieu  de  s'en 
tenir  à  des  .à- peu-près  ou  à  des  truismes  ;  en  un  mot,  si 
l'on  daignait  appliquer  la  saine  méthode  de  l'érudition 
historique,  en  réunissant  le  plus  grand  nombre  possible  de 
documents,  en  les  élucidant  par  des  rapprochements,  des 
commentaires,  des  traductions,  atin  d'en  tirer  les  conclu- 
sions qu'ils  comportent.  Conduite  d'après  ces  principes, 
la  présente  étude  a  pour  but  de  provoquer  un  nouvel 
examen  d'une  question  qui  n'avait  pas  encore  été  traitée  à 
notre  point  de  vue.  Si  elle  ne  suffît  pas  à  porter  la  con- 
viction dans  l'esprit  de  chaque  lecteur,  elle  aura  du  moins 
pour  résultat  de  donner  à  réfléchir  à  ceux  qui  sont  capa- 
bles de  penser. 

Eue.  Beauvois. 


UN  COIN  DE  L'ASIE-MINEURE 

LE  DJANIK 


ÉTUDE  DE  GÉOGKAPHIE  ET  D HISTOIRE. 


SOMMAIRE 

Premièrk  Partji:  :  .Snni!«oiin-Villo. 

1°  Entrée  en  matière  et  Débarquciiifiii.  —  2°  Le  Djanik  et  les  Samii.  — 
3°  Le  Royaume  de  J).ianik.  —  4"  Etymolo^ic  de  Samsoun.  —  5"  Fondation 
d'Aniisus.  —  rt''  Amisus  sons  les  Romains.  —  7"  Samsoun  clu'élicîme.  — 
8"  Martyrs  et  Evoques.  —  9"  Samsoun  moderne. 

Seconde  Partie  :  Kamsonn-Torriloirc. 

lU"  Visite  aux  Ruines  d'Amisus.  —  11^  La  cote  juscju'à  Sinope  et  au-delà. 
—  12"  Gazélonitide,  Sai'amène.  Balia.  —  13"  l'iauie  de  l'Iris.  —  14°  Le 
Pays  des  Amazones  et  leur  em|)ii-e.  —  15"  Inia.  —  lii"  Kalè  keuï. — 
17»  Polémonium  et  Folémom  IL  —  ls°  Kavak  et  Tcliamourlou. 


PHEMIÊHE  PAHTIE  :  SA.MSOrN-MLLE. 

\°  l^^xritKh:  i:,N  .MArri;iu:  i:r  DfiuAUoi  kmkm. 

Oiix  (|ui  (h'sii'cnl  connMiti'c  IWsic-.MiiuMii'c,  surtout  si 
leurs  rct'heiclies  portent  spéeiiileinent  sur  les  anciennes 
pi'ovinces  situées  au  hord  de  IWichipel,  de  la  IN'Oj»ontidc 
et.  même  de  la  .Médilcrranc'c,  Irouvenl  sans  peine  les 
renseiiinernenis  «pTils  dc'sirenl.    Les  (Mivi'atics,    lécils   de 


L\    c;01>     DE    I.  ASIK    AIOEIIU:.  MU 

voyages  ou  travaux  de  eabinet,  ne  iiKUKjueut  pas  :  ils 
abondent  au  conti'aire  au  [toiut  ([u'il  devient  nécessaire 
de  faire  un  choix.  Mais  si  ((uel(|u  un  pousse  sa  cuiiosité 
vers  le  eenti-e  et  surtout  vers  Tl^^st  de  la  pres([u"ile,  ininié- 
diatenient  les  ouvrages  se  font  l'arcs  et  ceux  (pii  en 
traitent,  dissiuïulent  mal  ou  pas  du  tout  la  pénurie  des 
matériaux  mis  en  leuvre. 

C'est  là  un  fait  ([u'on  [)eut  déjà  constater  dans  Stra- 
bon  (i).  Il  provicMit  de  ce  ([ue  les  écrivains  grecs  et  latins, 
qui  sont  nos  guides  en  somme,  ont  cux-nuMues  peu  connu 
ces  régions  de  l'Asie-MiiuMire.  I.cs  auteurs  [dus  récents 
n'ont  guère  pour  com[)léter  les  dires  des  anciens  ([lu^  des 
relations  de  voyageurs  dont  la  [>lu[»art  n'ont  fait  (jue 
traverser  le  pays  le  j»lus  souvent  sans  en  coni[)rendre  ni 
les  UKCurs  ni  la  langue.  Ce  (jui  a  été  loin  de  faciliter  la 
tache  de  ceux  d'entre  eux  (pii  oui  voulu  |tultlier  leur 
voyage. 

il  est  vrai  (ju'ordinairenieni  ils  sont  accompagnes 
d'interprètes  ;  mais  il  arrive  (pie  ces  deiniers  lu'  com- 
prennent bien  ni  la  langue  (]o  Tt'l ranger  ([u'ils  accom- 
pagnent, ni  mènu'  souvent  celles  des  indigènes  1-2!.  Cette 
atïirmation  peut  étonner  celui  (pii  ne  fait  [tas  attention  à 
la  multiplicité  de  ces  langues  et  de  leurs  dialectes.  Il 
l'ésulte  naturellenient  de  là  ((ue  les  renseignements  des 


(1)  La  plus  grande  partie  de  ce  que  cet  auteur  a  consacré  à  la  Cilicie, 
est  remplie  par  une  digression  sur  les  Amazones  du  Pont,  qu'il  raccroche 
ici  à  propos  du  golfe  d'Issus  qu'on  plarait  sur  le  même  méridien  (|ue 
celui  d'Amisus.  Comme  ce  qui  est  dit  de  la  Cilicie  est  évidemment  tronqué 
et  que  cette  digression  n'ajoute  :  ien  à  ce  qui  avait  déjà  été  dit,  il  est 
difficile  d'y  voir  autre  chose  que  du  remplissage. 

(2)  Texier  qui  parait  avoir  eu  à  souffrir  de  cette  ignorance  des  inter- 
prètes a  contre  eux  une  phrase  cinglante  :  «  L'interprète  se  présente 
«  ordinairement  comme  parlant  indistinctement  toutes  les  langues  du 
«  pays.  Il  est  presque  toujours  dans  le  vrai  n.  (Asie  Mineure,  p.  3,  col.  2). 

8 


10:2  LE    MUSÉON. 

interprètes,  souvent  inexacts,  ne  peuvent  pas  même  être 
toujours  compris  ;  et  cette  cause  d'erreur  vient  s'ajouter  à 
beaucoup  d'autres. 

En  considérant  ces  ditïicullés  on  rêverait  volontiers 
d'un  idéal  (jui  serait  de  voir  un  tel  sujet  traité  par  un 
homme  du  pays,  instruit,  en  connaissant  parfaitement  les 
langues  et  les  usages,  l'ayant  parcouru  et  étudié  con 
amore.  Quoique  je  ne  sois  pas  du  pays,  j'ai  fait  le  présent 
travail  à  peu  près  dans  ces  conditions.  C'est  en  1884  que 
je  suis  arrivé  dans  l'Est  de  1  Asie-Mineure,  jy  ai  habité 
pendant  près  de  ;20  ans,  employant  mes  heures  de  loisir 
à  étudier  son  passé.  Depuis  trois  ans  que  je  suis  à 
Constantinople  j'ai  revu  mes  notes  et  les  ai  complétées 
grâce  à  une  bonne  bibliothèque  privée  et  à  celle  de 
l'Institut  Russe  si  riche  et  si  utile  aux  érudits  qui  sont 
surs  d"y  trouver  toujours  un  bienveillant  accueil. 

Je  suis  loin  toutefois  de  penser  avoir  dit  le  dernier  mot 
sur  toutes  les  questions  que  je  soulèverai  en  cours  de 
route.  J'ai  fait  lire  mon  travail  par  nombre  de  personnes 
ayant  habité  le  pays  et  j'ai  profité  de  toutes  les  remarques 
qu'elles  ont  bien  voulu  me  faire  ;  j'espère  donc  que  cet 
article,  au  moins  au  point  de  vue  de  l'exactitude,  satisfera 
les  lecteui's  les  plus  exigeants. 

A  notre  arrivée  dans  le  golfe  de  Samsoun  le  soleil  était 
l'adieux  et  la  mer  parfaitement  calme.  Notre  vapeur,  ancré 
à  une  assez  grande  distance  du  l'ivage,  était  entouré  de 
barques  et  de  chalands,  qui  semblaient  glisser  comme  sur 
un  miroir.  Il  n'en  est  pas  toujours  ainsi  :  la  mer  est  par- 
fois si  mauvaise  que  les  bateliers  ne  peuvent  aller  cher- 
cher à  bord  les  passagers  ni  même  les  valises  de  la  poste. 
Dans  ce  cas  ils  continuent  le  voyage  jusqu'à  Trébizonde 
et  Batoum   et  ce   n'est   qu'au   retour  à  Samsoun   qu'ils      | 


UN    COIN    DE    LASIE    MINEURE.  105 

débarquent.   Aujourdhui   aucune  difficulté  et  le   débar- 
quement s'effectue  le  plus  facilement  du  monde. 

Sur  la  jetée  qu'on  a  bien  améliorée,  mais  qui  naguère 
n'était  qu'un  reste  de  vieux  môle  en  ruine,  je  trouvais 
avec  bonheur  deux  amis  de  France,  dont  l'un  devait 
m'accompagner  en  voyage.  Ils  me  firent  le  i)lus  cordial 
accueil,  assurant  qu'ils  seraient  allés  me  prendre  à  bord 
si,  à  la  suite  d'un  arrêté  pris  contre  les  Arméniens,  la 
police  ne  le  leur  eut  interdit. 

Le  gouvernement  avait  pris  cette  mesure  pour  empêcher 
l'exode  en  masse  de  cette  population.  Son  application  à 
des  Européens  était  dans  le  cas  aussi  absurde  que  vexa- 
toire  ;  mais  que  faire  ?  Ici  on  ne  gagne  jamais  rien  à 
insister  auprès  des  subalternes.  Ils  s'en  tiennent  mordicus 
à  ce  qu'ils  ont  une  fois  déclaré,  quelque  déraisonnable 
que  ce  puisse  êti'e.  Il  eut  fallu  recourir  au  consul,  prendi'e 
son  cavas(i)  et  son  interprète,  insister  auprès  des  chefs 
pour  leur  faire  casser  la  décision  de  leurs  subordonnés. 
Autant  que  possible  on  évite  d'en  venir  à  cette  extrémité 
ennuyeuse  pour  tout  le  monde. 

D'ordinaire  on  préfère  recourir  au  grand  moyen....  la 
pièce  blanche  ;  mais  cela  ne  réussit  pas  toujours.  Lorsque 
ces  Messieurs  de  la  police  sont  de  méchante  humeur,  ils 
deviennent  incorruptibles.  S'ils  veulent  de  l'argent,  ils 
savent  bien  le  faire  entendre,  au  besoin  ils  le  disent 
ouvertement.  Mais  s'il  n'y  a  pas  d'inconvénient  à  ce  qu'un 
passant  emploie  ce  moyen  avec  des  subalternes  qui  lui 
sont  inconnus,  il  n'en  est  pas  toujoui's  de  même  pour  ceux 
qui  sont  fixés  dans  le  pays.  La   facilité  avec  laquelle  ils 


(1)  Gavas  (u-V)  ^°''^^  ^®  gardes  particuliers  reconnus  par  l'autorité 
en  faveur  de  certaines  personnes  et  de  leurs  demeures. 


loi  i.i:  MisroN. 

ouvriniicnt  la  main,  (h'voloppei'ail  jtar  trop  les  convoitises 
et  les  exigences,  (lest  tout  un  ai't  cjiie  de  savoii'  donner  un 
hakcliicli  (  j  ■. 

Cependant  les  ijai^ages  avaient  été  déhaivpjés  :  Ja  douane 
fut  assez  accommodante  et  cela,  joint  au  plaisir  de  retrou- 
ver des  amis,  lit  vite  oublier  la  police  et  son  humeur 
tracassière.  Ma  premièi-e  visite  à  Samsoun  fut  tout  natu- 
rellement pour  Monsieur  de  Cortanze,  notre  sym[)athi(|ue 
consul.  Mais  comme  rien  ne  me  pressait  de  hâter  mon 
départ  pour  «  l'Intérieur  »  (-2)  je  pris  le  parti  de  l'ester 
quelques  jours  à  Sanisoun. 

i"    Le    D.IANIK    ET    LES    Sv>M. 

La  partie  occidentale  de  la  pro\ince  de  Tréhizonde, 
ibi-me  le  sandjak  (5j  de  Samsoun,  ou  mieux  du  Djanik  ; 

(1)  Hakchich  (^i.a,>)  mot  persan  dont  le  sens  n'implique  pas  une  idée 
do  corruption,  comme  le  mot  arabe  correspondant  rèclivèt  (^^y^-i.. ).  Il 
signilic  don,  présent,  pourboiie,  etc.  tandis  que  l'autre  y  ajoute  l'idée 
qu'il  est  doinié  i)Our  faii'c  commetti'e  une  illégalité  ou  une  injustice  par 
celui  qui  le  reroit.  Aussi  n'olfre-t-ou  jamais  que  des  bakchich...  et  ne 
l)arle-t-on  de  rOchvèt  ([u'en  se  plaignant  de  ceux  dont  on  croit  avoir 
éprouvé  un  déni  de  justice. 

(2)  L'Intérieur,  cette  expres.sion  est  courante  à  Constantinople  et  dans 
les  provinces  de  l'Asie  Mineure.  Kilo  désigne  pi-écisément  cette  contrée 
et  semble  avoir  été  traduite  trop  littéralement  du  grec  :  car  èv-côc  toj 
Tajooj  parait  signifier  "  en  decja  du  Taurus  »,  encore  mieux  que  «  à  l'in- 
térieur du  Tauriis  v.  Cette  appellation  pourrait  l'emontcr  à  l'antiquité. 
Strabon  distingue  déjà,  en  dehors  de  la  province  romaine  d'Asie.  l'Asie 
située  à  ri)itcrieur  de  la  chaîne  du  Taurus.  appelée  Asie  Mineure,  par 
oiiposiiion  à  la  Haute  Asie,  située  à  l'e-îtérieur  de  cette  chaîne. 

(3)  Sandjak  (  j^jt.i-.)  signifie  au  propre  -  étendard,  drapeau,  n  C'est  un 
synonyme  de  hairah  i^jS)^  dont  le  correspondant  arabe  est  liva  (^y). 
Sous  les  trois  premiers  sultans  ottomans  leurs  possessions  étaient  divisées 
en  petits  gouvernements  administrés  par  des  chefs  militaires  dont  l'in- 
signe consistait  eu  un  touyfi  (pJj  ou  queue  de  cheval  attachée  au  sommet 
d'une  lance  ([u'on  portait  devant  eux.  Ces  gouverneurs  étaient  désignés 
sous  les  noms  de  Mir-liva  (\y  .^)  on  de  Sandjdh  bey  (^Vji  ^3?.^.^-),  chef 
décoré  d'iui  étendai'il,  et  les  noms  do  "  liva  «  ou  •*  sandjak  n  sont  peu  à 
peu  devenus  ceux  des  divisions  tei  ritoiiales  (lu'ils  admiuistraient. 


IN    COIN    DE    L  ASIE    MINEURE. 


105 


car  telle  est  sa  dénomination  officielle.  Je  remarquerai  ici 
que  les  Européens  ([ui  résident  en  Turquie,  sous  j)rétexte 
de  simplifier  les  choses,  donnent  volontiers  à  chacune  des 
divisions  administratives  de  l'empire  le  nom  de  son  chef- 
lieu  ;  tandis  que  les  gens  du  pays,  conservateurs  des  tra- 
ditions locales,  se  servent  presque  toujours  des  noms  que 
le  pays  portait  antérieurement  et  qui  lui  sont  spéciaux. 
Si  on  leur  parle  du  Sandjak  deSamsoun,  ils  comprennent 
ce  qu'on  leur  dit  ;  mais  eux  désignent  ce  pays  sous  le 
nom  de  Djanik. 

Ce  nom  se  trouve  sur  les  cartes  de  1" Asie-Mineure  et  les 
auteurs  le  mentionnent  ;  mais  sans  rien  dire  de  son  ori- 
gine, pas  plus  que  de  sa  signitication  ni  de  l'étendue' de 
pays  auquel  il  sappliquait  dans  le  passé.  Quant  à  son 
étymologie,  si  on  la  demande  à  un  lettré  du  i»ays,  il 
répond  —  ce  qui  se  dit  couramment,  —  que  donné  à  la 
région  à  cause  de  sa  ravissante  heauté,  ce  nom  diminutif 
du  mot  (c  djan  »  (jW)  qui  signifie  «  âme  »,  correspond  à 
l'expression  «  mon  petit  cœur  »  que  les  mères  donnent 
parfois  à  leurs  enfants.  Cette  explication  gracieuse  méri- 
terait d  avoir  une  légende  ;  mais  elle  ne  repose  sur  aucun 
fondement  scientifique. 

On  trouvera  peut-être  que  je  vais  trop  loin  en  affirmant 
que  les  auteurs  ne  disent  rien  sur  l'origine  du  nom 
«  Djanik  ».  En  effet  M.  Vivien  de  Saint-Martin  (Descrip- 
tion historique  et  géographi([ue  de  TAsie-Mineure,  t.  2, 
p.  4i:2)  a  écrit  :  u  Strahon  nous  apprend  que  le  nom  réel, 
«  le  nom  national  des  Macrônes  (têtes  longues)  de  Xéno- 
ce  phon  (Retraite  des  Dix-mille,  1.  4,  c.  7)  était  Sanni  ou 
«  Tzanni.  Ils  sont  très  fréquemment  cités  par  les  histo- 
cc  riens  de  la  période  byzantine  et  leur  nom  est  resté  à 
«  tout  le  pays  compris  entre  Tréhizonde  et  IHalys,  sous 


106  LE    MISÉO^. 

«  la  forme  altérée  de  Djanik  »,  Deux  lignes  plus  loin  le 
mémo  savant  ajoute  :  «  Les  Tzannes  sont  des  Lazes,  par 
«  conséquent  appartiennent  à  la  famille  géorgienne.  Les 
«  Souanes,  leurs  frères,  habitent,  au  pied  de  l'Klbrouz, 
«  les  hautes  vallées  de  la  Mingrélie.  »  11  cite  à  ce  propos 
le  «  Voyage  autour  du  Caucase  »  t.  3,  p.  H,  de  l'archéo- 
logue suisse  Frédéric  Dubois  de  Montpéreux. 

Je  ne  demanderais  pas  mieux  que  de  m'incliner  devant 
cette  autorité  ;  mais  dans  le  cas  présent,  et  cela  sans 
aucun  parti  pris,  son  assertion  me  parait  discutable. 
L'illustre  savant  qu'était  M.  Vivien  de  Saint-Martin,  a 
publié  tant  d'ouvrages  qu'il  serait  téméraire  d'accepter 
chacun  de  ses  dires  pour  le  seul  motif  quil  est  de  lui  ; 
alors  que  la  plupart  du  temps  il  ne  fait  que  citer  tel  quel, 
ce  qu'il  a  rencontré  dans  les  historiens  et  les  voyageurs. 
Ici  il  me  parait  faire  remonter  bien  haut  l'origine  du 
nom  «  Djanik  ». 

Strabon  ne  parle  qu'une  fois  des  Sanni  et  dit  sim- 
plement qu'ils  avaient  été  appelés  Macrôncs.  Xénopiion 
raconte  qu'après  avoir  traversé  le  pays  des  Macrônes,  les 
Dix  Mille  durent  franchir  les  montagnes  des  Colches  avant 
d'arriver  à  Trébizonde.  Il  semble  indubitable  que  ces 
Macrônes  sont  ceux  que  le  périple  de  Scylax  désigne  sous 
le  nom  de  Macrocépales.  Or  cet  ouvrage,  comme  Xéno- 
phon,  les  place  à  l'Est  de  Trébizonde.  Le  texte  de  Strabon 
(trad.  de  A.  Tardieu,  Paris,  1875)  1.  \2,  c.  ô  jii  18,  doit 
s'entendre  dans  le  même  sens  ;  le  voici  :  «  La  région  des 
«  Tibarani  ou  Tibarèni,  des  Chaldaei  et  des  Sanni  (autre- 
«  fois  Macrônes),  des  Arméniens  de  la  Petite  Arménie, 
«  occupe  la  région  au  Sud  de  ïiébizonde  et  de  la  Phar- 
«  nacie  ».  Il  faut  remarquer  ((u'après  avoii'  énuméi'é  les 
peuples  de  la  montagne  en  allant  de  l'Occident  à  l'Orient 
(sauf  pour  les  Arméniens  qui   occupent  une   troisième 


UN    COIN    DE    l'aSIE    MINEURE.  107 

ligne),  il  nomme  les  pays  du  bord  de  la  mer  en  réti'ogra- 
dant  de  l'Orient  à  l'Occident. 

Je  ne  contesterai  pas  que  les  écrivains  byzantins  ne 
fassent  très  frccfuemment  mention  des  Sanni  ;  mais,  ce 
qui  importerait  davantage,  ce  serait  de  savoir  s'ils  les  font 
émigrer  à  l'ouest  de  la  ville  de  Trébizonde  et  sur  toute  la 
côte  du  Pont  à  la(juelle  ils  auraient  donné  leur  nom.  Or 
il  ne  semble  pas  qu'aucun  le  fasse. 

La  géographie  de  Moïse  de  Chorène,  qui  serait  du 
V*  siècle,  si  elle  était  de  celui  à  qui  on  l'attribue,  parle 
des  «  Djaniv  »  qui  sont  «  Chaldek  ».  M.  Jean  Saint- 
Martin,  dans  ses  «  Mémoires  sur  l'histoire  et  la  géogra- 
phie de  l'Arménie  »  (t.  :2,  p.  588,)  afïirme  bien  lui  aussi 
que  «  c'est  la  région  montagneuse,  limitrophe  de  Trébi- 
«  zonde,  habitée  autrefois  par  les  Tzanni  ou  Sanni, 
«  dont  le  pays  est  appelé  «  Djanèt  »  par  les  Arméniens, 
«  Ichanèthi  »  ou  «  Zanèthi  »  par  les  Géorgiens  et 
«  Djanik  »  par  les  Turcs.  »  Je  ne  trouve  nulle  part 
ailleurs  mention  de  ces  Djaniv  ;  mais  il  suffît  pour 
montrer  toute  la  faiblesse  de  cette  opinion  de  constater 
que  M.  Jean  Saint-Martin  se  met  ici  en  conti'adiction  avec 
l'auteur  qu'il  commente.  Le  géographe  arménien  dit  en 
effet  que  les  «  Djaniv  »  habitent  dans  la  Colchide,  à 
l'Orient  du  Pont  iFAixin),  à  proximité  de  la  Sarmatie  et 
à  l'Occident  de  l'Ibérie.  »  Ce  qui  les  laisse  exactement 
dans  la  contrée  où  les  placent  Strabon,  Xénoi)hon  et  le 
périple  de  Scylax. 

Il  en  est  encore  ainsi  au  VI*  siècle,  époque  où  les  Sanni 
et  leur  roi  embrassent  le  Christianisme.  Les  auteurs 
byzantins  qui  en  parlent  à  ce  propos,  disent  ([u'ils  habi- 
taient sur   les   bords  du  Phase  ii).  L'on  jie  voit  donc  ni 


(1)  R.  P. .].  Pargoire.  A.  A.  —  Eglise  Byz;intine,  p.  17. 


108  Li:    MLSÉO>. 

quand,  ni  comment,  ce  petit  peuple  de  la  Colchide  a  |)u 
jnendie  assez  d'intluence  dans  le  pays  de  Samsoun  poui* 
lui  donner  son  nom.  D'ailleurs  en  devenant  chrétiens  les 
Sanni  n  ont-ils  pas  été,  comme  tant  d'autres,  amalgamés 
avec  toutes  les  populations  hétérogènes  dont  se  composa 
le  peuple  grec  ?  On  rencontre  encore,  au  XVP  siècle,  un 
prince  géorgien  du  nom  de  Djanik  ;  mais  il  semhle  n'avoir 
rien  de  commun  ni  avec  le  pays  de  Samsoun,  ni  avec  les 
Tzannes. 

Enfin  ce  qui  est  rapporté,  dans  l'ouvrage  de  M.  Vivien 
de  Saint-Martin,  sur  la  sauvagerie  des  hahitants  des  mon- 
tagnes du  Pont  me  parait  fort  exagéré  et  encore  plus  ten- 
dencieux.  On  semhle  vouloir  les  faire  |)asser  pour  la  race 
ahorigène,  qui  s'y  serait  maintenue  à  travers  les  siècles 
non  seulement  piesque  indépendante,  mais  encore  sans 
suhir  les  inlïuences  de  leur  voisin. 

Moi  aussi,  je  connais  ces  montagnes.  Je  les  ai  traver- 
sées et  par  la  chaussée  de  Samsoun  à  Amasia,  et  sur  la 
rive  gauche  de  l'Iris,  depuis  Sounissa  et  la  plaine  d'Lrèk 
juscju'à  celle  de  Tcharchamha,  j'y  ai  pénétré  au  nord  de 
Niksar  et  je  puis  atlirmer  que  les  gens  n'y  sont  pas  plus 
sauvagesquailleurs.  Partouton  trouvedes  ruines  grecques, 
les  villages  grecs  y  sont  nomhreux  et  paraissent  prospères. 
La  population  musulmane,  en  général  Kezelhach  (i)  les- 


(1)  Kezelbach  (  ji.  ^?  Jji)  tôle  rouge,  nom  ou  plutôt  sobriquet  par  lequel 
les  Sunnites  désignent  les  Chihites  qui  n'admettent  pas  comme  légitimes 
les  trois  premiers  successeurs  de  Mahomet  :  Abou  Bèkr,  Omar  et  Oth- 
man.  Ils  sont  restés  très  nombreux  dans  la  partie  orientale  de  l'Asie 
Minoui'o  qui  a  appartenu  «à  la  Perse.  Sami  bey,  dans  son  Dictionnaire 
turc-lrançais  (voir  :  bacli  ji,  U)  dit  que  ce  mot  désigne  les  memtires 
d'une  secte  musulmane  traitée  par  méi)i'is  de  «  Communauté  de  femmes  » 
—  dans  le  sens  de  -  secte  de  lâches  »,  (|ui  n'osent  pas  franciiement  con- 
fesser leur  foi.  Sous  ce  nom  se  dissimuleraieni,  dit-on,  de  nomlireusos 
sectes  dont  quelques-unes  seraient  chrétiennes  et  n'auraient  de  musul- 
man que  l'extérieur. 


ÉÉ 


UiN    COIN    DK    LASIE    MliNElIlE.  100 

semble  à  celle  des  montagnes  situées  ]j1us   au  centre  de 
l'Asie-Mineure. 

Les  habitations  de  ces  soi-disants  descendants  des  San  ni 
sont  analogues  aux  chalets  des  montagnards  des  Alpes. 
Elles  sont  construites  d'après  les  besoins  des  gens  et  les 
matériaux  dont  ils  disposent  beaucoup  plus  (|ue  d'après 
les  souvenirs  traditionnels  du  peuple  mossunèque.  D'ail- 
leurs M.  Vivien  de  Saint-Martin  (l.  c.  t.  1,  p.  5:27,  en 
note)  proteste  lui-même  contre  cette  affirmation. 

5"    ROVAIIMK    DU    DjA.MK. 

L'opinion  émise  par  M>I.  Vivien  de  Saint-Martin  et 
J.  Saint-Martin  ne  me  semble  pas  l'emonter  au  delà  de 
1818,  date  oii  John  Macdonald  Kinneir,  capitaine  au  scn- 
vice  de  la  compagnie  des  Indes,  publia  son  voyage  de 
1815-14  à  travers  l'Asie-Mineure,  lArménie  et  le  Kurdis- 
tan. C'est  lui  qui  le  premier  j)arait  avoir  pi'oposè  de  voir 
dans  Djanik  une  altéi-ation  de  T/.anni.  Mais  lui-même 
tbui'nit  les  éléments  dune  solution  toute  dilïérentc  ;  car 
(p.  282)  il  parle  dune  ville  appelée  «  Djanik  ^)  entourée 
de  montaunes  sauvaues  habitées  pardes  tribus  tui'comanes. 
Cette  ville,  à  n'en  pouvoir  douter,  est  celle  (jue  la  carte 
mise  en  tête  de  l'ouvraae  de  M.  Euuène  Bore,  intitule'' 
«  Correspondance  et  Mémoires  d'un  voyageur  en  Orient  » 
place  entre  Samsoun  et  l'Halys,  sur  le  versant  septentrio- 
nal du  jNébian  dagh  (Mont  aux  Pr()|>hètes). 

Elle  dut  avoir  une  grande  impoi'tance  au  XIV''  siècle, 
car  les  histoi'iens  la  citent  avec  Samsoun  et  Osmandjek, 
parmi  celles  ([ue  les  Ottomans  occui)èrent  au  siècle  sui- 
vant, ï^lle  servait  alors  de  capitale  à  Hucein  bey,  chef  de 
la  tribu  turcomane  des  fils  d  Al[)-Arslan.  Pour  sauver  sa 
vie,  le  bev  consentit  à  devenir  vassal  du  Sultan  et  à  livrer 


liO  LE    MLSÉON. 

sa  citadelle  à  Yourkedj  Pacha,  alors  gouverneur  de  la 
Petite  Arménie  (i). 

La  ville  de  Djanik  est  encore  mentionnée  au  commen- 
cement du  XVI^  siècle,  lorsque  le  Sultan  Sélim  en  contia 
le  gouvernement,  ainsi  que  celui  du  district  d'Eizindjan 
et  des  villes  de  Kara  hissar  et  de  Trébizonde,  à  son  écuyer 
Beyekle  Mohamed  (Mahomet  à  la  grande  moustache)  dont 
il  voulait  récompenser  les  services. 

Ce  tut  alors  que  les  trois  provinces  grecques  du  Lazi(|ue, 
du  Pont  Polémoniaque  et  de  l'IIélénopont  furent  dési- 
gnées par  un  nom  que  les  Occidentaux  transcrivaient 
«  Genesch  »  (d'autres  éciivaient  «  Gènes  »  et  môme 
«  Genne  »,)  on  trouve  ^<■  Gianisch  »  dans  Bratutti.  Ces 
mots  prononcés  à  l'italienne  devenaient  «  Djènèsk  »  et 
«  Djianisk  »,  on  peut  donc  avec  beaucoup  de  vraisem- 
blance les  identilier  avec  celui  de  «  Djanik  ». 

De  tout  cela  il  est  permis  de  conclure  que  la  princi- 
pauté turcomane  aurait  tout  naturellement  pris  le  nom 
de  sa  capitale,  et  ([ue  son  nom  se  serait  étendu  à  toute  la 
partie  du  littoi'al  située  à  l'Est  de  l'Halys,  lorsque,  au 
XVl^  siècle,  tout  ce  pays  fut  réuni  sous  un  même  gouver- 
neur. Si,  dans  la  suite,  le  nom  de  Djanik  s'est  trouvé  res- 
treint au  seul  Sandjak  de  Samsoun,  c'est  parce  que  cette 
région  est  celle  où  était  située  la  principauté  de  ce  nom. 

Quant  à  l'origine  elle-même  du  mot  «  Djanik,  »  on 
peut  croire  (juc  c'est  le  nom  du   premier  bey  musulman 


(1)  A  la  suite  de  la  conquête  musulmane,  on  a  désigné  sous  le  nom  de 
Petite  Arménie  une  vaste  légion  comprenant  les  provinces  orientales  de 
la  Cappadoce  ancienne  que  les  Romains  et  plus  tard  les  Byzantins  dési- 
gnaient sous  les  noms  d'Arménie  1"  et  d'Ai-inénie  2'"  ;  ainsi  que  les  [)ro- 
vinces  d'Hélénopont  et  du  Pont  l'olémoniaquc  dont,  au  VII'^  siùcle,  Héra- 
clius  avait  fait  le  thème  d'Arménie.  Ce  pays  n'a  que  le  nom  de  commun 
avec  la  Petite  Arménie  dont  parlent  Strabon  et  les  Anciens. 


LiN    COIN    ni:    LASIE    MINEIRE.  l  l  1 

qui,  en  se  fixant  dans  cette  localité,  le  lui  aui-ait  donné. 
Cela  expli(}uerait  comment  il  y  a  d'autres  localités  du 
même  nom,  entre  autres  celle  que  le  Djihan  Auma  (i) 
place  à  10  h.  de  marche  de  l'Kuphiate  sur  la  route  de 
Sivas  à  Erzeroum  ;  et  celle  que  la  carte  de  Kiepert  indique 
sur  la  côte  orientale  du  lac  de  Van. 

Pour  avoir  des  renseignements  complets  et  précis,  il 
faudrait  les  chei'chei"  dans  l'histoire  de  la  conquête  musul- 
mane de  r Asie-Mineure,  à  la  lin  du  Xlll*"  siècle  et  au  cours 
du  X(V®  ;  mais  cette  histoire  où  la  trouver  ? 

M.  le  Comte  de  Mas  Latrie,  dans  son  «  Trésor  de  la 
Chronologie  »  (col.  1797,  n"  VI)  parle  d'une  pi'incipaulé 
de  Kaouïa,  dans  le  Pont.  Sur  l'autorité  du  uéouianhe 
Chèhabeddin  (-2)  de  Marache,  mort  en  1549,  il  atïirme 
qu'elle  portait  le  nom  de  sa  capitale  et  se  trouvait  située 
sur  les  bords  de  la  mer  Xoire,  entre  Samsoun  et  Sinope. 
Il  ajoute  que  c'est  cette  principauté  que  Hammer  désigne 
sous  le  nom  de  Djanik.  M.  Vivien  de  Saint-Martin  (^Des- 
cription de  l'Asie-Mineure,  t.  I,  p.  iOO)  cite  également  le 
royaume  de  Caouïa  (mot  qu'il  fait  suivre  d'un  point 
d'interrogation),  et  son  l'oi  Mourad  eddin  que  nomme 
aussi  le  géographe  de  Marache  :  il  ajoute  que  cet  état  était 
voisin  de  celui  de  Castamouni. 


(1)  Djihan  Numa  (U»  <^\=s-)  ^  Miroir  »  ou  plutôt  "  Description  du 
Monde  «,  mot  à  mot  «  Montre  Monde  -,  ouvrage  de  géographie  écrit  en 
1648  par  Hadji  Khalfa,  flls  de  Kiatib  Tchélébi.  Le  vrai  nom  de  l'auteur 
était  «  Moustafa,  tils  d'Abdallah  „. 

(2)  Cet  auteur  n'est  pas  mentionné  par  M.  Vivien  de  Siiint-Martin,  dans 
sa  «  Description  de  l'Asie  Mineure  »  ;  mais  des  fragments  de  son  ouvrage 
traduits  par  M.  de  Quatremère,  ont  été  publiés  au  tome  XIII  des  •^  Notices 
et  Extraits  ».  Le  «  Trésor  de  la  Chronologie  »  cite  aussi  Abou  Abdallah 
ben  Batouta,  cependant  il  n'est  pas  question  de  Kaouïa  dans  tout  ce 
qu'en  donne  M.  Vivien  de  Saint-Mariin  (Description  de  l'Asie  Mineure, 
1. 1,  p.  513  et  sq.).  Hammer  ne  cite  aucun  de  ces  auteurs  dans  son  «  His- 
toii-e  de  l'Empire  Ottoman  ". 


112  l.E    MLSÉON. 

Haminei'  (Histoire  de  l'Empire  Ottoman,  Irad.  par  J.  J. 
Hellert,  t.  17,  p.  d'I  et  9U),  cite  les  princes  de  Djanik, 
pai-nii  les  dynasties  qui  sont  arrivées  au  pouvoir  pendant 
le  Vll^  siècle  de  l'hégire.  (]e  qu'il  en  dit  est  tiré  de  l'His- 
toire Universelle  de  l'astronome  arabe  Mohamed-efVendi, 
mort  en  KHO.  Cet  auteur  compte  la  dynastie  de  Djanik 
comme  la  onzième  des  douze  qui  setablii'cnl  sur  les  l'uines 
des  Seldjoucides.  Il  en  cite  i  princes  :  I"  Kaliad  oiihiou, 
:2"  Taschni  oijfhlou  (le  «  Trésor  »  écrit  Tasclisin),  5'  Djou- 
néid  bey  et  4"  Houcèin  bey. 

Ce  n'est  là  qu'une  liste  incomplète  de  noms  propres 
dont  le  dernier  seul  est  un  peu  connu.  C'est  donc  peu 
de  chose  ;  mais,  en  attendant  mieux,  sauvons-les  de 
l'oubli.  Un  jour,  (|ui  sait?  uik;  monnaie,  une  inscri[)tion, 
un  manuscrit  en  fera  connaître  plus  long. 

Il  semble  toutefois  que  cela  ne  fasse  que  complique)'  et 
embrouiller  la  question.  Car  enfin  où  trouver  cette  loca- 
lité de  Kaouïa  (Kavia)  citée  par  MM.  Vivien  de  Saint- 
Martin  et  le  Comte  de  Mas  Latrie  ?  Il  n'y  a  rien  de  sem- 
blable dans  l'onomastique  de  la  région.  Faute  de  mieux, 
on  pourrait  conjecturer  qu'un  copiste  a  écrit  Kaouïa 
(ijojlâ)  pour  Bâtira  (i^Jl).   Ces   mots  écrits  en   caractères 

arabes  se  ressemblent  assez  pour  ([u'on  ait  [)u  s'y  mépren- 
dre (i).  La  lecture  paraît  douteuse  au  consciencieux 
M.  Vivien  de  Saint-Martin,  de  plus,  outre  la  ressemblance 
des  mots,  la  situation  de  Bâfra  répond  à  celle  assignée  à 
Kaouïa  :  cela  su  (lit  à  fonder  une  conjecture. 

Dans  cette  hypothèse  il  n'est  point  nécessaire  de  suppri- 


(1)  On  me  dit  qu'en  arabe  le  mot  s'écrit  (iij^)  (Kaouia)  co  qui,  on  sup- 
primant les  deux  points  et  la  tête  du  (  j)  kaf,  ne  lait  que  rendie  plus 
facile  la  substitution  d'un  de  ces  mots  à  l'autre. 


UN    COl.N    F)E    l'aSIE    MINEURE.  115 

iner  la  ville  de  Djanik  dont  parlent  les  documents  histo- 
ri({ues,  comme  le  voyageur  anglais  John  Macdonald 
Kinneir.  Il  est  tout  à  fait  dans  les  mœurs  turcomanes 
d'habiter  durant  l'été  une  localité  située  dans  les  mon- 
tagnes comme  la  ville  forte  de  Djanik  dont  parle  Kinneir, 
et  de  descendre  pendant  l'hiver  dans  la  plaine.  Ces  mœurs 
sont  même  encore  aujourd'hui  celles  de  la  plus  grande 
partie  do  la  population  non  seulement  des  villes,  mais 
encore  des  campagnes  et  des  montagnes  dans  l'Est  de 
l'Asie-Mineure.  De  plus  la  tradition  locale  fait  remonter 
l'origine  de  Bâfra  à  une  population  de  pasteurs  et  le 
Djihan  Numa,  comme  nous  le  verrons,  parait  dire  qu'à 
l'époque  où  il  fut  rédigé.  Bâfra  était  une  localité  plus 
importante  que  Samsoun. 

Pour  conclure,  le  nom  de  Djanik  serait  celui  d'une  prin- 
cipauté turcomane,  constituée  vers  la  fin  du  moyen  âge 
dans  les  montagnes  au  Sud-Est  de  Samsoun.  Le  Djihan 
Numa  confirme  cette  opinion,  lorsque,  à  propos  du  liva 
de  Djanik,  qui  dépendait  alors  de  la  province  de  Sivas,  il 
écrit  :  «  Le  Djanik  proprement  dit  consiste  en  un  Cadi- 
«  lik  (ij  situé  dans  les  montagnes.  Il  renferme  des  vil- 
ce  lages  formés  de  hameaux  de  trois  ou  quatre  maisons 
«  fort  éloignées  les  unes  des  autres.  Ces  villages  ont  tous 
«  leur  nom  ;  mais  tout  le  pays  est  connu  sous  le  nom  de 
«  Djanik.  »  Il  ne  dit  pas  pourquoi  et  n'a  pas  l'air  de  le 
savoir,  mais  il  indique  sa  position  exactement  où  je  l'ai 
placée.  «  Ce  Cadilik,  dit-il,  proche  de  la  Mer  Noire,  est 
(c  borné  au  Nord  et  à  l'Est  par  celui  de  Samsoun,  au 
«  couchant   par  Kara   Yaylak   et  au   sud   par  le  village 


(1)  Cadilik,  territoire  administré  par  un  Cadi.  Cette  division  du  liva 
correspond  à  notre  Gaza  ou  Kaïmakamlek.  actuel.  C'est  le  nom  qu'on 
donnait  alors  aux  subdivisions  de  la  province. 


\\i  I.K    MLStON. 

<c  (rAhdal.  »  Mallieureuseinoiit  le  nom  de  ces  deux  der- 
nières localités  no  se  tronve  pas  sur  les  eai'tes.  Il  semble 
toiitelois  (ju'nn  doute  raisonnable  ne  soit  plus  permis  sur 
lexistaneeet  la  situation  de  la  prineipauté  du  Djanik. 

V(»ilà  doue  un  point  (jue  l'on  peut  regarder  comme 
éclairci  et  ac(|uis  à  hi  science. 

ï"  Etymologii:  de  Samsoun. 

Pour<|U()i,  a[)rès  le  Djanik,  ne  pas  s'occuper  de  sa  capi- 
tale actuelle  dont  le  nom  au  point  de  vue  étymologique 
n'oiVre  presque  aucune  difïiculté.  La  ville  a  conservé  son 
ancien  nom  grec  d  Amisos,  précédé  de  la  préposition  e-.';  : 
ce  (|ui  lui  a  valu  la  désinence  de  raceusatit'.  Comme  pro- 
nonciation cela  a  donné  d'abord  «  Isamison  »,  d'où 
«  Samison  «  et  enfin  «  Samsoun  ».  —  Il  n'est  pas  rare 
(renlcndre  les  gens  de  la  campagne  et  les  voituriers  pro- 
noncer ce  mot  à  la  grec(|ue  selon  la  forme  «  Isamison  ». 

J'avoue  que  ce  genre  de  formation  par  l'addition  d'une 
préfixe  prépositive  au  nom  antérieur  peut  paraître  dou- 
teux, vu  (jue  les  noms  propres  se  transforment  plutôt  j)ar 
abréviation.  En  dehors  de  la  langue  grecque  et  des  noms 
de  localités  qui  s'y  rencontrent,  on  ne  trouve  pi'obable- 
menl  rien  d'analogue.  En  grec  même,  cette  formation  n'a 
lieu  (|u'avec  la  préposition  e>lq  plus  ou  moins  défigurée  et 
souvent  l'éduite  à  une  simple  s  :  comme  Constantinople 
devemi  8tan)boul,  par  l'aggloméi'ation  des  trois  mots  : 
6'.';  TY.v  -ôÀ'v.  Cette  étymologie  est  aujourd'hui  contestée, 
sous  i)rétexte  que  le  nom  de  Stamboul  était  déjà  donné  à 
la  capitale  byzantine  longtemps  avant  sa  chute  au  pouvoir 
des  Ottomans.  On  préférerait  y  voir  une  abréviation  du 
nom  grec  Comlanlinoupolis,  mot  interniinable,  qui  aurait 
perdu  4  de  ses  ()  syllabes  pour  n'en  conserver  que  la 
seconde  «  Stan  »  et  l'avant-dernière  «  pol  ». 


UN    COI>     DE    LASIE    MINEURE.  115 

En  réalité,  si  l'explication  proposée  pour  Stamboul 
pouvait  se  donner  pour  toute  la  série  des  noms  modernes 
du  même  genre,  je  renoncerais  bien  volontiers  à  ma  thèse. 
Mais  cela  n'est  pas  possible  comme  le  montre  un  rapide 
examen.  L'ancienne  Cos  est  devenue  «  Stancô  »  que  les 
Turcs  prononcent  «  Stankeuï  »  (le  village  de  Stan).  Nicée 
en  turc  s'appelle  «  Isnik  »  et  Mcomédie,  «  Isnikmid  5). 
Lemnos  est  devenu  «  Stalimèna  ».  Les  anciennes  cartes, 
même  celles  de  «  l'Asie-Mineure  »  de  Texier,  au  lieu 
d'Adalia  pour  Attalia,  portent  ordinaii-ement  «  Sathalia  » 
ou  «  Sathalièh  »,  et  il  serait  facile  de  multiplier  ces 
exemples  et  d'en  trouver  jusque  sur  les  côtes  de  l'Adria- 
tique où  le  non)  de  Spalatro,  ou  mieux  Spalato,  se  dérive 
du  palais  que  Domitien  y  tit  bâtir. 

Ces  exemples  paraissent  surtout  frappants  pour  les  noms 
communs  transformés  en  noms  propres,  s-,';  tt,/  -oa-.v  (à  la 
ville)  devient  Stamboul  ;  £■.';  tô  -xÀàTov  (au  palais),  Spalato  ; 
mais  la  plus  remai-quable  de  ces  transformations  est  celle 
du  nom  de  Lemnos.  On  a  l'air  d'avoir  pris  ce  mot  pour 
le  génitif  de  6  A-.p.v,  d'où  £'!<;  tôv  A'.uéva  (au  port),  qui  est 
devenu  Stalimèna. 

Ce  genre  de  formation  semble  donc  bien  sérieusement 
établi,  et  Ion  ne  voit  pas  ce  qui  pourrait  empêcher  de 
l'admettre  pour  Samsoun. 

En  turc  ce  mot  pris  comme  nom  commun  signifie 
«  dogue  ».  C'est  peut-être  ce  qui  a  donné  lieu  à  l'étymo- 
logie  fantaisiste  qui  a  cours  dans  le  pays.  Pourquoi  ne 
pas  en  dire  un  mot,  puisqu'elle  est  consignée  dans  l'ou- 
vrage de  M.  Vital  Cuinet  (la  Turquie  d'Asie,  t.  1,  p.  102), 
où  il  est  dit  que  d'anciennes  chroniques  turques  font 
remonter  la  fondation  de  Samsoun  à  Sem,  fils  de  Noé, 
qui  lui  aurait  donné  son  nom,  et  que  la  seconde  syllabe 


\\i\  l.i:    MLSÉO.N. 

«  Soun  ))  aurait  ('te  ajoutée  à  l'épocjue  des  Turcs  Seldjou- 
cides,  j)arce  qu'il  y  avait  alors  dans  la  ville  un  énorme 
chien  (|ui  en  était  reifai-dé  comme  le  bon  génie.  On  est 
averti,  entre  parenthèses,  qu'en  arabe  «  soun  »  signifie 
chien. 

Cette  assei'tion  est  erronée  :  de  toutes  les  langues  parlées 
dans  le  pays,  l'arménien  est  la  seule  qui  ait  un  mot 
de  cette  assonance  avec  cette  signification  et  c'est  le 
mot  «  choun  ».  Les  gens  du  pays  qui  eux  n'ont  pas 
recours  «  aux  anciennes  chroniques  tui'(jues  »  simplifient 
beaucoup  ce  récit.  A  les  entendi'e  «  Samsoun  »  signifie 
«  chien  de  Sem  »,  parce  que  le  partriarche,  traversant  le 
pays  après  le  déluge,  y  aurait  enterré  son  chien. 

Ce  n'est  là  évidemment  qu'une  fable  populaire. 

Je  ne  pense  pas  que  la  ville  de  Samsoun  ait  jamais 
porté  d'autre  nom.  Cependant  la  «  Géogi-aphie  Sacrée  » 
de  Charles  de  Sainte-Croix  ([ui  lui  donne  celui  de  Hou- 
n)a  il)  transcrit  par  Ssamzsun,   le  mol  turc  (i.^_^lo)  qui 

représente  la  prononciation  actuelle  et,  comme  toutes  les 
autres  transcri[)ti()ns  dérive  du  grec.Texier  (Asie-Mineure, 
p.  620,  col.  2j  note  (ju'une  cai'te  catalane  la  nomme  Sinuso, 
ce  qui  n'est  [)eut-ètre  (ju'une  simple  faute  d'orthographe 
ou  de  lecture  pour  Simiso. 

5"    FOiNDATIO.N    d'AmISUS. 

Théopompe  de  Chio,  auteur  du  IV*"  siècle  avant  J.-C. 
affirme  quAmisus    est   une   colonie  de   Milet.    Quant   à 


(1)  Houma  [\*Jb)  est  un  mot  persan  qui  désigne  un  oiseau  fabuleux  dont 
l'ombre  était  de  bon  augure,  lorsqu'elle  passait  sur  quelqu'un.  Il  sert 
aussi  à  désigner  tout  oiseau  extraordinaire,  mémo  le  vautour  royal.  Far 
suite  d'un  rapprochement  llatteur  et  bien  oriental,  enti'c  l'ombre  du 
souverain  et  celle  de  l'oiseau,  son  dérivé  (^^^Ufe)  houmayoun,  qui  en 
serait  l'adjectif  ou  le  féminin,  correspondrait  à  Vaugiisùis  des  Romains 
et  à  notre  impérial  ou  royal. 


I 


UN    COIN    DE    l'aSIE    MINEURE.  117 

Strabon  (1.  l'2,  c.  5,  §  14)  il  parle  de  trois  fondations 
successives  :  d'abord  par  les  Milésiens,  puis  une  seconde 
fois  par  un  prince  Cappadocien  qu'il  ne  nomme  pas, 
enfin  une  troisième  fois  par  Athènoclès  (i)  qui  y  conduisit 
une  colonie  athénienne.  Plutarque,  Arrien,  etc.  parlent 
surtout  de  cette  dernière  colonie.  C'est  elle  qui  a  donné 
au  port  d'Arnisus  le  nom  de  Pirée  (Ilerpa)  qu'on  lit  sur  cer- 
taines monnaies  d'argent  de  cette  ville.  Elles  sont  toutes 
du  même  type  et  portent  au  revers  une  chouette  les  ailes 
étendues  pennes  en  bas  :  leur  seule  différence  est  dans  le 
nom  du  magistrat  (:>)  dont  on  voit  les  initiales  dans  le 
champ. 

Mais  Strabon  ne  s'est  pas  contenté  d'énumérer  les  trois 
fondations  successives  dont  il  vient  d'être  question,  (1.  12, 
c.  5,  §  25)  il  cite  Hécatée  de  Milet,  logographe  du  VP 
siècle  avant  J.-C.  qui  pense  qu'Homèi'C  (Iliade,  chant  2, 
V.  851),  parle  de  Samsoun.  Ce  serait  cette  ville  qu'il  dési- 
gnerait sous  le  nom  d'Hénétè  dont  un  corps  de  troupes 
«  sous  la  conduite  du  robuste  et  hardi  Pylaemène  » 
marcha  au  secours  de  Troie.  Sti'abon,  qui  adopte  cette 
opinion  et  la  défend  avec  chaleui*,  cite  encore  (1.  1:2,  c.  5, 
§  8),  en  sa  faveur  Zénodote,  grammairien  d'Eplièse,  qui 
fut  le  précepteur  des  enfants  de  Ptolémée  Soter  (117-81 
avant  J.-C).  11  semble  donc  que  si,  à  l'époque  d'Homère, 
Samsoun  s'appelait  llénétè  et  était  peuplée  de  Paphlago- 
niens,  sa  premièi'e  origine  ne  [Miissc  pas  être  grecque. 


(1)  strabon  écrit  ainsi  ;  mais  dans  -^  l'Asie  Mineure  »  de  Texier  une 
erreur  typographique  a  transforntié  ce  mot  en  celui  d'Athèclès,  et  c'est 
ainsi  que  les  copistes  ne  manquent  jamais  de  le  reproduire. 

(2)  L'une  porte  A0,  faudrait-il  y  voir  le  nom  d'Athénoclès  ?  Les  autres, 
que  je  connais,  portent  :  AIi')*-Hr  ;  AI-MIA  ;  AH-IA  ;  AP-lv  ;  APls-ir  ;  APls- 
TEO  ;  AP-TE  ;  AP-XE  ;  A*-P0  ;  BAAA  ;  Ml'-AA  et  ZHNO. 

9 


il8  IK    MUSÉON. 

Strabon  ne  dit  rien  pour  expliquer  cette  antilogie.  Une 
manière  de  le  faire,  qui  me  paraît  admissible,  consiste- 
rait à  dire  que  les  auteurs  jurées  n'ont  prétendu  pailer 
que  de  la  fondation  des  colonies  que  leurs  compatriotes 
établirent  dans  la  ville  cappadocienne. 

Cette  hypotbèse  a  au  moins  l'avantage  de  mettre  les 
auteurs  grecs  d'accord  entre  eux.  et  avec  les  plus  anciennes 
traditions  du  pays.  Car  enlin  la  tète  d'Ama/one  qui  figure 
sur  tant  de  monnaies  autonomes  de  Samsoun,  comme 
sur  celles  de  Sinope  et  de  Smyi'ne,  semble  indiquer  autre 
chose  qu'une  origine  grecque. 

Je  ne  veux  pas  chercher  un  argument  dans  le  silence 
de  Scylax.  Cet  auteur  du  IV"  siècle  avant  J.-C,  par  consé- 
quent contemporain  ou  à  peu  près  de  Théopompe,  ne 
parle  pas  de  Samsoun,  bien  que  dans  son  péi'iple  il 
énumère  avec  soin  les  cités  grecques  qu'il  i*encontre.  Il 
faut  remarquer  qu'il  donne  le  nom  d'Assyrie,  à  la  région 
qui  nous  occupe  et  (|ui  comprenait  le  littoral  des  sandjak 
actuels  de  Samsoun  et  de  Sinope.  Ce  nom  indique  sutïi- 
samment  que  le  pays  ap[»artcnait  alors  au  grand  roi.  Cela 
est  contirmé  par  le  témoignage  d'Hérodote  et  par  celui 
des  historiens  d'Alexandre.  Car  si  le  conquérant,  comme 
le  veulent  ces  derniers,  a  rendu  à  Samsoun  ses  droits  de 
ville  libre,  il  faut  bien  convenir  qu'elle  avait  été  soumise 
par  les  satrapes  persans. 

G"   AmISUS    sous    LES    KOMAINS. 

Avant  le  règne  de  Mithridale,  tout  ce  que  l'on  sait  de 
Samsoun  se  réduit  à  peii  |)rès  au  siège  qu'Asandros  en  lit 
sans  pouvoir  la  prendre,  en  ôl5  avant  Jésus-Christ. 

Près  de  deux  siècles  et  demi  plus  tard  Lucullus  s'en 
empai'a  et  ce  fut  là  le  grand  événement  qui  semble  avoir 


UN    COIN    DE    l'aSIE    MINEURE.  119 

tiré  Samsoun  de  l'obscurité.  Mithridate  Eupator  y  avait 
fait  construire  plusieurs  temples  et  l'avait  agrandie  de 
tout  un  quartier  qui  de  son  nom  fut  appelé  Eupatoria. 
Dès  son  arrivée  dans  le  pays,  en  75  avant  J.-C,  le  général 
romain  avait  bloqué  Samsoun  ;  mais,  selon  son  habitude, 
sans  presser  les  choses.  Aussi  Mithridate  eut-il  le  temps 
de  lever  une  armée  pour  venir  au  secours  de  la  ville. 
Alors,  hûssant  Muréna  continuer  le  blocus,  Lucullus,  avec 
le  gros  de  ses  troupes  maicha  à  l'ennemi  qu'il  rencontra, 
semble-t-il,  sur  les  confins  de  la  Phanarée. 

Les  circonstances,  plus  encore  que  le  succès  de  ses 
armes  l'ayant,  comme  devant  Cyzique,  délivré  de  son 
redoutable  adversaire,  Lucullus  ramena  son  armée  devant 
Samsoun.  Callimaque  (|ui  la  défendait,  était  un  général 
habile  :  il  ne  put  cependant  empêcher  le  faubourg  d'Eu- 
patoi'ia  d'être  pris  et  rasd  Quant  à  la  ville  proprement 
dite,  elle  offrit  une  bien  plus  longue  résistance  ;  mais  elle 
finit  pai'  être  enlevée  [)ar  sur[>rise. 

Tous  les  jours,  }»res({ue  à  la  même  heure,  le  général 
romain  faisait  atta([uer  la  i)hice,  j)uis  ses  troupes  se  reti- 
raient. Un  jour  supposant  que  l'ennemi,  habitué  à  ce 
manège,  ne  se  tenait  plus  sur  ses  gardes,  les  assiégeants 
reviennent  à  l'improvislc  et  donnent  un  furi(Mix  assaut. 
Personne  ne  h  s  attendait,  ils  forcent  les  remparts  et  le 
gouverneur,  ne  songeant  {)lus  qu'à  s'enfuir  par  mer,  fait 
mettre  le  feu  à  la  ville  pour  assurer  sa  retraite. 

Lucullus,  assure-t-on,  fit  son  possible  pour  sauver 
Samsoun.  La  crainte  d'une  mutinerie  de  la  part  de  ses 
troupes  l'aurait  seule  décidé  à  lui  en  permettre  le  pillage. 
Encore  ne  l'aurait-il  fait  que  dans  l'espérance  que  poussés 
par  la  convoitise  du  butin  qu'il  leur  abandonnait,  les 
soldats  chercheraient  à  éteindre  le  feu  allumé  par  l'enne- 


120  I.i:    MISKON. 

nii.  (><'t  psjtoir  fut  (lôcii  :  les  soldats  oux-incMnos  incen- 
dièrent un  iii'and  nonil)i('  d'éditiccs.  C('|K'ndant  la  pluie 
tomba  aloi's  en  telle  abondance  (|u'elle  liin'l  par  arrêter  le 
lléau  et  préserver  une  jiarlie  de  la  ville. 

Les  [(anéiryristes  du  vain(jueiir  le  représentent  pleurant 
sur  ces  ruines  et  disant  à  ses  amis  :  «  J'ai  toujours 
u  îidmiré  le  boidieni'de  Sylla  (pii  ;i  pu  sauver  Athènes  de 
«  la  destruction,  j'aurais  voulu  limiter  en  faveur  de 
«  Samsoun,  et  me  voilà  réduit  au  sort  de  Memmius,  qui 
«  a  pris  (lorintlie,  mais  en  la  détruisant  ».  Avant  de 
rentrer  dans  la  province  d'Asie.  Lucullus  donna  des  ordres 
]»otir  l'aire  i'eb;'ilir  ton!  ce  (pii  avait  été  brûlé,  repeupla 
Samsoun,  anumenta  son  territoire  d'une  étendue  de  15 
milles  plus  de  :22  kilomètresi,  et  lui  rendit  ses  droits  de 
ville  libre  m. 

(À'  ipii  étal)lit  avec  évidence  (|u'elle  ne  fut  pas  détruite, 
c'est  ({ue  huit  ans  après  (()i  avant  J.-C.l,  Pompée  y  donna 
rendez-vous  aux  rois  et  aux  députés  de  tous  les  peuples 
de  l'Asie.  A  cetle  réunion  se  renconti'èi-ent  douze  rois  et 
un  bien  plus  giand  nombre  de  pi'inces  et  d'ambassadeurs 
à  (|ui  le  iiénéral  romain  disti'ibua  les  états  de  Mithridate 
définitivement  vaincu.  Pompée  aurait  aloi-s  constitué  une 
provinee  du  Pool  (IIovt'./.V.  ivj'j.^/'.y.\  dont  Samsoun  aurait 
été  la  capilale. 

(yesl,  il  nie  semble,  la  seule  occasion  où  eette  ville  a 
pu  recevoir  le  nom  de  Pompeïopolis.  Va\  tout  cas  cette 
dénomination,  (]ui  aurait  été  fort  éphémère,  peut  paraître 


(1)  Iiic  villo  pillée  et  incondiée  dans  les  conditions  que  nous  venons  de 
voii-,  n'esl  piis  inie  ville  rasôo  et  dotruite  de  fond  en  comble.  Il  est  donc 
dilliciledaccepler  le  dire  <le  l'exier  (Asie  .Mineuiv,  p.  &2<),  col.  2}  :  «  D'après 
le  tableau  ipie  fait  l'hiiar.iuo  de  la  destruction  dWinisus,  on  conçoit  qu'on 
ne  pourrait  y  trouver  aucun  débris  de  la  ville  grecque. 


UN    COIN    DE    l'aSIE    MINEURE.  121 

d'autant  plus  douteuse  que  Ton  place,  dans  la  même  pro- 
vince, une  antre  ville  de  Pompeïopolis,  la  bourgade  actuelle 
de  Tache  Keupi'u  île  Pont  de  pierre)  (i). 

Après  son  expédition  en  Syrie,  Pompée,  traversant 
l'Asie-Mineure,  vint  de  nouveau  à  Sainsoun,  où  Pharnace, 
l'oi  du  Bosphore,  lui  fit  porter  avec  de  riches  présents  le 
cadavre  de  son  père  Milhridate.  C'était  en  05  av'ant  J.-C. 
Après  un  séjour  assez  bref  à  Samsoun,  le  général  romain 
alla  passer  l'hiver  à  Ephèse. 

Deux  monnaies  que  j'ai  eues  en  ma  possession  et  tpii 
doivent  se  rapporter  à  cette  époque,  portent  au  droit  le 
buste  de  Pallas  avec  la  légende  AMlïOV  et  au  revers 
«  Rome  »  divinisée  avec  le  mot  PQMIl,  à  l'exergue,  de 
façon  à  ne  laisser  aucun  doute  sur  le  sujet  représenté.  La 
légende  de  l'une  est  Elll  TAIOV  KAIKIAIOV  KoPNoVToV, 
«  Sous  Caïus  Caecilius  Cornutus  ».  Je  ne  pense  pas 
m'avancer  troj)  en  supposant  que  c'est  là  le  nom  du  gou- 
verneur placé  par  Pompée  à  la  tête  de  sa  province  de 
Pont  :  car  plusieurs  membres  de  la  famille  Caecilia  se 
fii'ent  remarquer  parmi  les  paitisans  de  ce  général.  La 
légende  de  l'autre  est  Elll  PAIOV  nAnElPlOï  KAPBQNOi:, 
(c  Sous  Caïus  Papirius  Carbo  ».  Cette  seconde  légende  se 
retrouve  —  absolument  identique,  —  sur  une  monnaie 
de  Nicée,  en  Bithynie,  que  j'ai  eue  également  en  ma  pos- 
session ;  mais  je  ne  sais  si  ce  gouverneur  a  passé  d'une 
province  à  l'autre,  ou  s'il  les  a  administrées  simultané- 
ment. 


(1)  Il  faut  toutefois  remarquer  que  la  position  de  Samsoun  et  de  Tache 
Keupi'u  dans  la  même  province  de  Pont  créée  par  Pompée,  n'est  pas  hors 
de  conteste.  On  peut  soutenir  avec  beaucoup  de  vraisemblance  que  la 
seconde  do  ces  localités  se  ti-ouvait  dans  la  partie  du  royaume  de  Mithri- 
date  attribuée  à  Déjotare  qui,  par  reconnaissance,  aurait  pu  lui  aussi 
donner  à  cette  ville  le  nom  de  Pompeïopolis. 


122  LE    MlSf.ON. 

Pondant  la  i^iierre  civile  (i9-i8  avant  J.-C.)  Pharnace 
reconquit  tout  l'ancien  royaume  du  Pont.  On  l'accuse 
d'avoir,  à  cotte  occasion,  fait  massacrer  toute  la  population 
de  Samsoun  pour  la  punir  de  sa  résistance.  Strahon  (1. 
12,  c.  5,  !^  I i)  nous  apprend  (pie  «  déclarée  libre  par  le 
«  divin  César,  Âinisus  n'en  vit  pas  moins  Antoine  la 
«  livrer  de  nouveau  à  dos  rois  ».  Il  ajoute  (ju'((  elle  eut 
«  ensuite  beaucoup  à  soulï'rir  du  fait  du  tyran  Straton  : 
«  mais  (pi'après  la  Itataillo  d'Actium  (en  ôl)  César  Au- 
«  iiuste  lui  restitua  son  autonomie,  et,  ui'àce  à  ce  bienfait, 
«  elle  est  aujourd'bui  heureuse  et  tranquille.  »  Presque 
toutes  ses  monnaies  im|)ériales,  d'Aui^usto  à  Salonine,  et 
quelques-unes  de  ses  monnaies  autonomes  portent  son 
titre  de  «  libre  »  (èXsjOspoO). 

7°  Samsoun  Cuuétienne. 

Nous  avons  vu  que  Pompée  avait  réduit  en  province 
romaine  une  grande  partie  des  régions  soumises  à  iMithri- 
date.  Bientôt  toutefois  cette  province  démembrée  en  faveur 
de  divers  personnages,  fut  tellement  réduite  que  la  partie 
restée  directement  soumise  à  l'ompiro,  fut  annexée  à  la 
province  de  Bithynie  et  regardée  par  Pline  l'Ancien  (1.  6, 
c.  2)  et  plus  tard  pai'  Ptolémée  comme  faisant  partie  de 
la  Paphlagonie. 

Au  commencement  du  IP  siècle  de  l'ère  chrétienne 
Pline  le  Jeune,  proconsul  de  Bithynie,  dans  son  épitre  86 
k  Trajan,  parle  do  Gabius  Bassus,  pi-éfot  des  «  Côtes  du 
Pont  »  Kuxin,  comme  d'un  magistrat  sous  ses  ordres. 
Toute  une  série  de  ses  lettres  à  l'empereur  paraît  avoir 
été  écrite  au  cours  d'un  voyage  cpi'il  aurait  fait  sur  les 
côtes  (le  la  mer  Noire.  Il  y  parle  de  ce  qu'il  a  fait  ou  exa- 
miné par  lui-mome  d'abord  à  Nicée,  sa  résidence,  puis  à 


UN    COIN    DE    L  ASIE    MINEURE. 


125 


Sinope,  à  Samsoun  et  enfin  à  Amastris,  sans  doute  en 
retournant  au  chef-lieu  de  sa  province.  Il  ne  semble  pas 
être  allé  plus  loin  que  Samsoun,  d'où  l'on  peut  conclure 
que  le  royaume  de  Polémon  ou  Pont  Polémoniaque  avait 
été  rattaché  à  la  Cappadoce. 

La  lettre  9:2  de  Pline  à  Trajan  est  particulièrement 
intéressante  pour  l'histoire  de  Samsoun  à  cette  époque. 
En  voici  la  traduction  :  «  Âmisus,  ville  libre  et  alliée, 
«  doit  à  votre  bienveillance  de  s'administrer  d'après  ses 
«  propres  lois.  On  m'y  a  remis  une  re([iiéte  concernant 
«  un  «  éranos  «.  ,1e  la  joins  à  cette  lettre  afin,  Seigneur, 
(c  que  vous  voyiez  vous-même  ce  qu'il  convient  de  per- 
ce mettre  ou  de  défendre.  » 

La  réponse  impériale  aide  à  mieux  com[)rendre  la 
situation  politique  de  la  ville  et  même  ce  ([u'il  y  a 
d'obscur  dans  la  lettre  du  gouverneur.  La  voici  :  «  Vous 
«  m'avez  envoyé  la  requête  des  habitants  d'Amisus.  Si 
«  les  lois  qui  les  régissent,  selon  les  stipulations  du 
«  traité  d'alliance,  leur  permettent  d'avoir  un  «  eranum  n, 
«  nous  pouvons  d'autant  plus  facilement  ne  pas  le  leur 
«  interdire  qu'ils  paraissent  se  servir  de  ces  contributions 
c<  volontaires  non  pour  fomenter  des  désordres  ou  des 
«  assemblées  illicites  ;  mais  pour  subvenir  à  l'indigence 
«  des  pauvres.  Toutefois  une  chose  semblable  doit  être 
«  interdite  dans  les  autres  villes  soumises  à  notre  domi- 
(c  nation.   » 

Que  signifie  ])roprement  le  mot  «  eranus  »  (è'pavo;)  ? 
Pline  emploie  le  nominatif  grec  comme  si  le  mot  était 
indéclinable,  tandis  que  l'empereur  le  transcrit  et  le 
décline  en   latin    (i).    Dans   la    langue   à   laquelle   il   est 


(1)  Il  ne  semble  pas  que  ce  mot  grec  soit  employé  en  latin  en  dehors  de 
ces  deux  lettres. 


124  LE    MLSÉON. 

emprunté,  il  signifie  «  cotisation,  festin  où  chacun  paye 
son  écot  ;  (juète,  aumône,  collecte.  »  Mais  s'il  n'eut  été 
question  (jue  dune  bonne  (euvie  transitoire  et  non  d'une 
institution  permanente  chargée  d'administrer  les  contri- 
butions volontaires  versées  par  les  particuliers  en  faveur 
des  pauvics,  il  seiait  im|)ossible  de  comprendre  pourquoi 
l'on  adressait  une  r('(|iicte  au  proconsul  et  encore  moins 
])Ourquoi  celui-ci  en  réféiait  à  rcmpereui'. 

On  peut  remarquer  en  outre  (juc  linslilution  dont  il 
s'agit  était  (pielqne  chose  d'inouï  parmi  les  païens.  Le 
latin  n'avait  |)as  de  mot  jtoiir  la  désigner,  et  le  mot  grec 
dont  on  se  servait,  devait  pour  y  parvenir  niodilier  sa 
signitication  ordinaire.  Il  seml)le  {[non  ne  puisse  donner 
une  explication  plus  vrai;-emblable  de  cette  innovation 
qu'en  l'attribuant  au\  chrétiens.  Car  il  est  tout  naturel 
de  la  i*a[q)i'ocher  des  «  Collectes  »  dont  S.  Paul  écrit  aux 
Corinthiens  :  «  Quant  anx  k  collectes  »  «jii  si:  iom  en 
«  laveur  des  saints,  faites,  vous  aussi,  ce  (|ue  j'ai  prescrit 
«  aux  Eglises  de  la  (ialatie.  Que  le  [)remier  jour  de  la 
«  semaine  chacun  de;  vous  mette  che/  soi  (|uelqu(»  chose 
((  de  côté,  réservant  ce  qu'il  jngera  convenable,  afin  ijue 
«  les  collectes  ne  se  fassc^nt  pas  lorsque  je  viendi'ai  (i  Cor. 
«  10,  \)  ».  i^e  mot  «  logie  »  ().oy'>/)  dont  se  sei't  l'apôtre  et 
((ui  a  été  tradnit  en  latin  parait  éti'C  r(''(jnivalent  exact  du 
mot  employé  par  Pline,  au  moins  dans  le  dialecte 
d'Alexandrie.  Cette  conjecture  sur  l'origine  chi'étienne  de 
l'éranos,  est  sérieusement  établie  par  la  UG*  lettre  de  Pline 
àTrajan  (i). 

Quoique  moins  tyrannique  (|ue   d'autres  cet  empereur, 


(1)  D'après  l'édition  d'Henri  Keil,  Loip/ig,  189().  —  Ailleurs  elle  est 
comptée  pour  la  97». 


UN    COIN    DE    LASIE    MINEUKE. 


125 


comme  tous  les  despotes,  redoute  par  dessus  tout  toutes 
les  initiatives  qui  se  pi'oduisent  en  dehors  de  celle  de 
l'état.  Sa  lettre  dit  assez  clairement  qu'il  désapprouve 
l'éranos  et  ne  se  résigne  à  le  tolérer  (jue  s'il  est  formelle- 
ment autorisé  par  les  lois  en  vigueur  à  Amisus  et  dans 
l'unique  but  de  ne  pas  créer  de  complications.  Pline  ne 
s'y  trompe  pas  et  dans  la  lettre  (9G)  (jui  suit  la  réception 
du  rescrit  impérial,  il  annonce  à  Trajan  que  «  selon  ses 
ordres  il  ;i  publié  un  édit  pour  défendre  les  «  liétairies  » 
(associations). 

Comme  il  expose  dans  cette  lettre  tout  ce  ([u'il  a  [»u 
savoir  de  l'état  du  chi'istianisme  à  Amisus,  elle  mérite  de 
nous  arrêter  plus  longtemps.  Le  ()rocorisul  entre  en 
matière  en  disant  ([ue  «  n'ayant  jamais  été  méh'  aux 
(c  enquêtes  faites  à  propos  des  Chrétiens,  il  ne  sait  ni  sur 
«  quel  sujet,  ni  juscpi'à  quel  point  on  a  coutume  de 
«  faire  des  recherches  et  d'infliger  des  châtiments.  —  Car 
«  en  définitive  il  ne  doute  pas  (ju'il  ne  faille  —  (|iielle 
«  (|ue  soit  la  nature  de  leurs  aveux,  —  cliàtier  leur  cntè- 
«  tement  et  leur  inflexible  o[)iniàtreté.    » 

Parmi  ceux  ([ui  étaient  atteints  d'une  telle  folie,  il  en 
a  trouvé  (juil  a  notés  pour  les  envoyer  à  Home  parce 
qu'ils  sont  citoyens  romains  iij  et  (|ue,  sans  doute,  ils 
ont,  comme  S.  Paul,  revendi(pié  le  droit  <]ue  ce  titre  leur 
donnait  d'être  jugé  [)ai'  César,  il  y  en  eut  d'auties  qui 
nièrent  être  chrétiens  et  fournirent  des  preuves  péreinp- 
toires  qu'ils  ne  l'étaient  pas.  Car  ils  ont  invoqué  les  dieux 


(1)  Ce  passage  est  à  rapprocher  de  ceux  des  actes  des  Apùtres  (di.  21 
et  25)  où  S.  Luc  raconte  comment  S.  Paul  se  prévalut  de  ce  titre  et  des 
droits  qu'il  lui  conférait.  Pline  ne  pai-ait  pas,  comme  le  gouverneur  de 
la  Judée  en  avoii-  conféré  avec  son  conseil,  c.:'la  nie  seml)le  un  indice  de 
plus  que  sa  lettre  fut  écrite,  non  de  Nicée,  mais  de  Samsoun,  où  il  se 
sei  ait  rendu  sans  se  faire  accompagner  de  ses  assesseui'S. 


126  LK    MUSÉON. 

dans  les  termes  que  je  leur  suggérais,  ils  ont  par  l'encens 
et  le  vin  rendu  un  culte  à  votre  image  (ju'à  cet  effet  j'avais 
ordonné  d'apporter  avec  les  simulacres  des  divinités,  de 
plus  ils  ont  maudit  le  Christ  :  toutes  choses  auxcpielles 
on  afïirme  qu'il  est  impossible  de  contraindre  ceux  qui 
sont  véritablement  chrétiens.  Ceux-là  j'ai  cru  qu'il  fallait 
les  relâcher. 

D'autres,  inscrits  sur  la  liste  des  chrétiens,  en  firent 
laveu,  mais  bientôt  se  dédirent  :  ils  expli(juaient  qu'ils 
l'avaient  effectivement  été,  mais  ne  l'étaient  plus  quehjues- 
uns  depuis  plusieurs  années,  et  l'un  ou  l'autre  (non 
nemo)  même  depuis  vingt  ans.  Ce  chiffre  est  fort  remar- 
quable. Pline  le  Jeune,  mort  en  115,  exerça  à  Home 
diverses  charges  après  son  proconsulat  qui  dut  prendre 
fin  au  plus  tard  en  113.  C'est  la  dernière  date  (jU(^  l'on 
puisse  assigner  à  la  lettre  (|ui  nous  occupe.  Les  20  ans 
dont  elle  parle,  font  donc  remonter  les  apostasies  men- 
tionnées comme  les  plus  anciennes,  à  l'année  93  qui  est 
précisément  celle  où  commença  la  |)ersécution  de  Domi- 
tien  (i),  qu'il  est  d'usage  de  compter  comme  la  seconde. 
La  lettre  de  Pline  établit  (ju'elh^  se  fit  sentir  sur  les  «  côtes 
du  Pont  »  Euxin  et  à  Samsoun  avec  assez,  de  violence 
pour  y  occasionner  des  apostasies. 


(1)  Suétone  (Domitien,  §  12)  parlant  des  excès  de  cruauté  de  cet  empe- 
reur, écrit  "  qu'il  poursuivit  avec  beaucoup  plus  de  rigueur  que  tous  les 
autres  trésors,  celui  du  lise  juif  auquel  contribuaient  et  ceux  qui  sans 
professer  le  judaïsme  en  pratiquaient  à  Rome  les  usages  et  ceux  qui 
dissimulaient  cette  origine  pour  ne  pas  payer  les  taxes  imposées  à 
cette  race  ».  Ce  texte  avec  la  contradiction  qu'il  renferme  ne  i)eut  s'expli- 
quer que  par  la  confusion  que  Suétone  a  dû  faire  entre  Clirétiens  et  Juifs. 
D'après  cet  auteur,  il  semble  que  la  persécution  de  Domitien  aurait  sur- 
tout été  fiscale  :  ce  qui  n'est  contredit  ni  par  l'historien  I']usèbe  (His- 
toire Ecclésiastique,  1.  3,  ch.  17,  18,  19  et  20),  ni  par  les  deux  auteurs 
qu'il  cite  à  son  sujet  :  S.  Irénée  et  Hégésippe. 


I 


LIS  coLN  DE  i/asie  minklhi:.  127 

Le  reste  de  la  lettre  n'est  \ms  inoins  intéressant  que 
son  commencenaent.  Pline  raconte  à  Ti'ajan  ((ue  les  apos- 
tats qu'il  a  pu  intenoiier  lui  «  alïirinaienl  ([u'en  somme 
a  leur  faute  ou  leur  erreur  avait  été  de  se  réunii'  à  jour 
(c  fixe,  avant  l'aube,  pour  réeiter  en  alternant  entre  eux 
«  des  hymnes  au  Christ,  comme  à  un  dieu,  et  de  s'être 
«  engagés  par  serment  non  à  des  crimes  (fuelcomjues, 
«  mais  à  ne  commettre  ni  vol,  ni  hriuandaiie,  ni  adul- 
«  tère,  à  ne  pas  maïKjuer  à  la  foi  jurée,  à  ne  i)as  nier  un 
«  dépôt  réclamé...  Cela  fait,  ajoutaient-ils,  ils  avaient 
«  l'habitude  de  se  retirer,  ])uis  de  se  réunir  de  nouveau 
«  pour  prendre  tous  ensemble  un  rej)as  (jui  n'avait  cepen- 
«  dant  rien  que  d'honnête  et  qu'ils  ont  même  lenoncé  à 
«  cela  après  la  publication  de  l'édit  [>ar  lequel,  sui-  vos 
«  ordres,  j'ai  interdit  les  associations. 

«  J'ai  ci'U  cette  mesure  d'autant  plus  nécessaii'e  cjue, 
«  pour  savoir  la  véiité,  j'ai  mis  à  la  ([uestion  deux  ser- 
«  vantes,  appelées  «  diaconesses  »  sans  d'ailleui's  ti'ouver 
«  rien  de  plus  qu'une  superstition  absurde  et  sans  frein. 
«  C'est  pourquoi  j'ai  sursis  à  l'enquête  afin  de  vous  con- 
«  sulter.  Certes  la  chose  me  parait  réclamer  la  plus 
(c  grande  attention  vu  le  nombre  des  suspects.  Car  ceux 
«  qui  sont  déjà  mis  en  cause  et  le  seront  })ar  la  suite, 
«  sont  toute  une  multitude  de  tous  les  âges,  de  toutes  les 
«  conditions  et  des  deux  sexes.  La  contatiion  de  cette 
«  superstition  s'est  répandue  non  seulement  dans  les 
(C  villes,  mais  même  dans  les  bourgades  et  dans  les  cam- 
u  pagnes. 

«  Il  semble  toutefois  qu'on  [leut  l'enrayer  cl  la  faire 
«  disparaître.  En  effet  on  voit  clairement  que  les  temples 
«  des  dieux  déjà  presque  déserts  ont  l'ecommencé  à  être 
«  fréquentés,  que  les  cérémonies  sacrées  longtemps  inter- 


128  LE    MLSÉON. 

«  rompues  sont  i'étal)lies  et  (|u'()ii  se  remet  à  manger  des 
«  victimes  (i)  dont  on  ne  tiouvail  même  plus  (pie  de  très 
«  rares  acquéreurs.  L'on  peut  donc  iacilement  conjectu- 
«  rer  de  ces  faits  (juc  ia  tourl>e  populaire  peut  revenir  à 
(c  des  idées  plus  sages,  si  on  loi  donne  le  temps  du 
«  re[)entir.  » 

Eusè])e  (Hist.  I'>cl.  1.  ."),  v.  50)  parle  de  cette  lettre  ; 
mais,  semble-t-il,  sur  ce  <ju'en  cite  Tertullien  ([ui  n'en 
donne  qu'un  fragment.  A  elle  seule,  elle  sullit  [)our  éta- 
blir combien,  dès  les  premières  années  du  second  siècle, 
le  Christianisme  était  sérieusement  implanté  à  Samsoun 
et  dans  toute  la  région.  Les  gages  de  retour  de  la  popula- 
tion aux  pi'atiques  païennes  dont  IMine  fait  l'étalage  avec 
tant  de  complaisance,  ne  sont  pas  capables  d'alVaiblir  (;ette 
impression. 

11  n'est  pas  douteux  que  la  province  du  Pont  ait  été 
évangélisée  dès  les  temps  apostoli([ues  [>uis([ue  S.  Piei're 
écrit  à  ses  habitants.  Sa  premièi'e  lettre  })rouve  même 
que,  comme  dans  la  Galatie,  la  C.appadoce,  etc.  les  Eglises 
vêtaient  hiérarchiquement  constituées.  Lu  etVet  (1  Petr. 
5,  1  à  4),  l'apôtre,  «  senior  »  et  témoin  des  souffrances 
de  Jésus-Christ,  s'adresse  aux  «  seniores  »  ([ui  sont  paiini 
les  fidèles  de  ces  contrées,  leur  recommande  de  se  con- 
duire en  bons  pasteurs  et  leur  trace  la  règle  à  suivre  vis- 
à-vis  du  clergé.  Cela  contirme  et  aide  à  comprendre  le 
récit  de  Pline  le  Jeune. 


(1)  On  trouve  la  variante  :  "  pasturaque  venire  victiraarum  cujus 
adhuc  rarissimus  emptor  inveniebatur  »  dont  le  sens  serait  "  et  qu'on 
apporte  la  nourriture  des  animaux  destines  aux  sacrifices,  (nouniture) 
dont  etc.  n  Cela  donnei-ait  à  supposer  que  les  gens  avaient  la  dévotion 
d'acheter  ou  du  moins  de  payer  la  nourriture  destinée  à  engraisser  les 
victimes.  C'est  fort  probablement  parce  que  cet  usage  ne  se  trouve  pas 
mentionné  ailleurs  qu'on  a  abandonné  cette  leçon. 


UN    COIN    DE    l'aSIE    MINEURE.  129 

Aucun  texte  de  ces  lettres  ne  dit  positivement  que 
S.  Pierre  ait  porté  la  foi  dans  ces  provinces  ;  mais  cette 
tradition  est  très  ancienne.  Eusèbe,  dont  M.  Harnack 
semble  priser  si  fort  l'autorité,  atïirme  ce  fait  par  deux 
fois  (Hist.  Eccl.  1.  5,  ch.  i  et  i,)  ajoutant  qu'Oi-igène  le 
mentionne  expressément  au  troisième  volume  de  ses 
commentaires  sur  la  Genèse.  Ce  dernier  témoignage  qui 
est  du  commencement  du  II!"  siècle,  est  d'autant  plus 
précieux  que  ce  docteur  a  eu  plusieurs  disciples  origi- 
naires du  Pont  et  qu'il  y  aurait  lui-même  fait  quelque 
séjour,  lorsqu'il  fut  obligé  de  se  réfugier  auprès  de 
S.  Firmilien,  évèque  de  Césarée  de  Cappadoce. 

Il  est  vi'ai  que  le  moine  grec  Xicéphore  Calliste,  dans 
la  première  moitié  du  XW"  siècle,  attribue  l'évangélisa- 
tion  du  Pont  à  S.  André  ;  mais  il  ne  semble  le  faire  que 
dans  le  but  d'opposer  entre  eux  les  deux  frères  André  et 
Pierre,  comme  les  deux  capitales  Constantinople  et  Rome. 
Quant  à  la  tradition  actuelle,  qui  montre  S.  Pierre 
préchant  à  Amasia  et  à  Sinope,  elle  reste  absolument 
muette  pour  Samsoun. 

H"  Mautyus  et  Evéques. 

D'après  ce  qui  vient  d'être  dit,  la  persécution  de  Néron 
et  celle  de  Domitien  se  seraient  fait  sentir  à  Samsoun 
ainsi  (jue  semblent  l'indiquer  la  première  lettre  de 
S.  Pierre  et  la  96"  (alias  97*^)  de  Pline  le  Jeune  à  Trajan. 
Ce  deiuier  y  aurait  fait  des  martyrs  ;  il  le  déclare  lui- 
même  :  «  En  attendant  (la  solution  des  difïicultés  qui  se 
(c  présentaient  à  mon  esprit),  voici  comment  je  me  suis 
«  comporté  envers  ceux  (jui  m'étaient  déférés  comme 
«  chrétiens  :  je  les  ai  intei'rogés  leur  demandant  s'ils 
«  l'étaient.  Puis  en  les  menaçant  du  supplice  j'ai  interrogé 


i30  I.E    MLSÉO.N. 

«  une  secorult'  et  une  troisième  fois  ceux  (jui  avaient 
«  avoué  IV'tic.  Kiiliii  j'ai  condaniné  à  mort  ceux  (]ui  s'y 
((   opiiiiàliaiciit    ". 

De  plus  il  elle  deux  diaconesses  (juil  a  fait  mettre  à  la 
question  e(  (|ui  ne  lui  l'évélèrenl  qu'une  superstition 
ertVénée.  (îe  lexle,  jappioehé  du  précédent,  amène  à  croire 
(|u'il  ieui*  a  lail  sulur  la  peine  capitale  et  que  si  aucun 
martyroloiic  n"indi(|ue  :  «  A  Samsoun,  le  martyre  de  deux 
«  diaconesses  (|ui  souffrirent  la  mort  sous  l'empereur 
«  Trajan  et  le  proconsul  Pline  le  Jeune  »,  c'est  unique- 
ment parce  (|ue  les  lettres  du  liouverneur  de  la  Bithynie 
sont  restées  trop  longtemps  ignorées.  Elles  n'avaient 
pas  encore  été  publiées  au  commencement  du  XVI°  s.  (i). 

11  semblerait  toutefois  ({ue  le  nom  de  Samsoun  dût  se 
trouvei*  souvent  dans  les  Martyrologes.  Il  ne  faudrait 
cepcndaiil  pas  conclure  du  contraire  qu'elle  n'a  pas  fourni 
un  nombreux  contiiiLcent  de  marlyi'S.  Nous  venons  de 
voir,  (jiie  conformément  aux  lois,  Pline  notait,  pour  les 
envoyer  à  liome,  les  chrétienscjui  étaient  citoyens  romains. 
Les  autres  étaient  ti'ès  liabituellement  conduits  aux  gou- 
verneurs soit  aux  chefs-lieux  [-2)  des  provinces,  soit  à  la 


(1)  Cf.  Puni  Allai'tl.  Histoire  des  Persécutions  pendant  les  deux  premiers 
siècles,  p.  124,  3--  édit.  Paris. 

(2)  C'est  ta  ce  poinl  que  la  situation  administi-ativedes  villes  de  l'empire 
à  l'époque  des  persécutions  pourrait  presque  se  calculer  d'api'ôs  le  nombre 
de  fois  qu'elles  sont  mentionnées  dans  le  Maityrologc  Romain.  Sans 
donner  à  cet  ouvrage  plus  d'autorité  qu'il  n'en  a,  il  est  pour  le  moins 
remarquable  que  la  capitale  de  l'Kmpire,  Rome  y  soit  citée  plus  de 
400  fois. 


Alexandrie, 

70  fois 

Nicée. 

10  fois, 

Antioche, 

00    V 

Sivas, 

10         V 

Nicomédie, 

60    „ 

Néocésarée, 

5    » 

Constantinople, 

GO    w 

Naziance, 

5      r, 

Césarée  du  Capi) 

adoce. 

20    » 

Amasia, 

4         T. 

Angora 

10      r 

Comane  du  Pont 

4      r, 

Sans  parler,  bien  entendu,  de  ceux  dont  le  lieu  du  martyre  n'est 
indiqué  que  par  le  nom  de  la  province  où  ils  l'ont  subi. 


UN    COIN    DE    LASIE    MINEURE.  131 

ville  OÙ  ils  se  trouvaient  lors  de  l'arrestation  des  confes- 
seurs. Au  commencement  de  notre  ère,  Amisus  n'était 
plus  chef  lieu  de  province  (i)  et,  par  conséquent  ne  doit 
pas  être  fréquemment  mentionnée  au  martyrologe.  On  l'y 
trouve  cependant  une  ou  deux  fois  :  le  20  mars,  et  peut- 
être  le  5  octobre. 

A  la  première  date  le  Martyrologe  romain  porte  :  «  A 
«  Amisus,  en  Paphlagonie,  les  sept  saintes  femmes 
«  Alexandra,  Claudia,  Euphrasie,  Matrona,  Julienne, 
«  Euphémie  et  Théodosie,  qui  furent  égorgées  pour  la 
«  confession  de  la  foi.  Derphuta  et  sa  sœur  les  suivirent.  » 
Le  Quien  pense  que  ces  saintes  souffrirent  la  mort  durant 
la  persécution  d'Antonin,  vers  165  ;  mais  il  ne  dit  pas 
sur  quoi  il  fonde  son  opinion. 

Les  Bollandistes  (mai,  t.  4,  pp.  147-164)  placent  leur 
martyre  en  504.  Il  est  vrai  qu'ils  le  font  à  propos  de 
l'éloge  qui  se  lit  le  18  mai,  tant  dans  les  Menées  grecques 
que  dans  le  xVlartyrologe  Romain.  Ce  dernier  le  formule 
ainsi  :  «  A  Ancyre,  en  Galatie,  S.  Théodote,  martyr,  et 
«  les  sept  saintes  vierges  Thécusa,  sa  tante  paternelle, 
«  Alexandra,  Claudia,  Faïna,  Euphrasie,  Matrona  et 
«  Julitte.  D'abord  condamnées  à  la  prostitution  par  le 
«  président  de  la  province,  ces  vierges  en  furent  défen- 
«  dues  par  la  puissance  divine  ;  puis  ayant  eu  des  pierres 
«  attachées  au  cou,  elles  furent  noyées  dans  un  marais. 
«  Leurs  reliques  ayant  été  recueillies,  Théodote  (les  Grecs 
«  qui  lui  donnent  le  titre  d'évêque  d' Ancyre  en  font 
«  de  nouveau  mémoire  le  7   Juin    (2),)  leur  donna  une 


U)  On  est  étonné  de  trouver  des  écrivains,  contrairement  à  l'histoire, 
donner  à  cette  ville  le  titre  de  capitale  du  royaume  du  Pont. 

(2)  Ruinart  bien  postérieur  à  Baronius,  donne  les  Actes  de  ces  martyrs 
tels  qu'ils  auraient  été  écrits  par  un  certain  Nil  qui  se  dit  contemporain 


152  LE    MLSÉON. 

«  sépulture  honorai)!*'.  Arivté  pour  ce  fait  par  le  prési- 
«  dent,  il  fut  cruelleiueiit  déchiré  à  coups  de  fouet,  puis, 
«  frappé  d'un  coup  d'cpée,  il  rcynt  la  couronne  du  niar- 
«  tyi'c.  » 

Ce  ([ui  conduirait  à  penser  que  ces  deux  éloges  se  rap- 
portent aux  mêmes  jïersonnes,  c'est  d'abord  que  toutes 
les  ditféi'cnccs  entre  leui's  noms  peuvent  facilement  s'ex- 
pliquer pai-  (le  sim[des  erreurs  de  copistes.  Sui*  huit  noms, 
il  y  en  a  (|uatre  qui  sont  absolument  identiques  dans 
les  deux  listes  et  s'y  ])rcsentent  dans  le  même  ordi'c  : 
Âlexandra,  Claudia,  Eu])hrasie  et  Matrona.  Le  suivant  n'a 
qu'une  variante  de  terminaison  :  Julienne  à  Samsoun, 
devient  Julitte  à  Anirora.  Eu{)hémie  semble  être  celle 
que  l'autj'e  liste  appelle  Faïna.  Quant  aux  noms  de  Théo- 
dosie  et  de  Dorphuta,  de  la  liste  de  Samsoun  sont-ils  autre 
chose  que  la  corruption  de  ceux  de  Théodote  et  de  Thé- 
cusa  ? 

Tout  cela  parait  encore  confirmé  par  ce  détail  caracté- 
risticjue  (jue,  d'un  coté  comme  de  l'autre,  ces  martyrs  ne 
subissent  pas  tous  la  mort  en  même  temps.  Le  texte  du 
:20  mars  devrait  donc  être  sinon  corrigé  du  moins  com- 
plété j)ar  celui  du  18  mai.  Le  premier  transforme  en  nom 
de  femme  celui  de  Théodote  ({u'il  ajoute  aux  autres, 
peut-être  pour  compléter  le  nombre  sept  qu'il  avait 
annoncé  :  puis  il  ajoute  Derplnitc  et  sa  sa'in\  comme  s'il 
s'agissait  de  deux  autres  femmes,  tandis  qu'il  devrait 
mentionner  Thécuse,  sœur  de  Théodote  ou  plutôt  sceur 
de  son  père,  comme  le  dit  le  texte  d'Angoi-a. 


et  ami  de  S.  Tliéod'jlo.  Us  sont  conformes  au  martyrolog-e  romain  et  font 
de  Théodote  un  cabai'etiei',  sans  rien  dire  qui  puisse  induire  à  soupronner 
qu'il  eut  été  en  même  temps  évoque.  Quant  au  président  de  la  province 
ils  disent  que  c'était  un  apostat  du  nom  de  Théotècne. 


UN    COIN    DE    LASIE    MINEURE.  455 

Cette  hypothèse  est  d'autant  plus  facile  à  admettre  que 
Baronius  lui-même  reconnaît  dans  ses  «  Annales  »  que 
son  «  Martyrologe  »  est  à  corriger.  Or,  sans  même  le  cor- 
riger, je  ne  fais  qu'interpréter  deux  passages  l'un  par 
l'autre  et  de  telle  façon  que  l'auteur  lui-même  pourrait 
adopter  mon  hypothèse,  au  moins  comme  probahle.  Elle 
revient,  en  effet,  à  dire  que  Baronius,  ou  antérieurement 
déjà  l'auteur  d'un  des  Martyrologes  qui  lui  ont  servi  à 
composer  le  sien,  trouvant  des  documents  différents  où  il 
était  question  de  ces  martyres  d'abord  à  propos  de  leur 
lieu  d'origine,  où  elles  étaient  probablement  honorées 
d'une  manière  spéciale  ;  puis  à  propos  du  lieu  où  elles 
avaient  souffert,  en  a  fait  lui  aussi  mention  à  deux  dates 
différentes  et  dans  chacune  de  ces  localités. 

Resterait-il  même  un  doute  sur  ce  point,  si  l'histoire 
indiquait  la  raison  pour  laquelle  ces  Saintes  ont  pu  être 
envoyées  d'Amisus  à  Angora  pour  y  souffrir  le  martyre  ? 
Si,  par  exemple,  on  venait  à  établir  que  la  Paphlagonie, 
qui  n'a  peut-être  été  érigée  en  province  romaine  distincte 
que  sous  Constantin,  faisait  ainsi  que  Samsoun  partie  de 
la  Galatie  à  l'époque  où  nous  reporte  le  Martyrologe  ? 

L'autre  martyre  que  l'on  cite  comme  étant  également 
de  Samsoun  est  celui  de  «  Sainte  Charitine,  vierge,  qui 
<(  sous  l'empire  de  Dioclétien,  tourmentée  par  le  feu,  fut 
«  ensuite  jetée  à  la  mer,  d'où  étant  sortie  saine  et  sauve, 
«  elle  eut  les  mains  et  les  pieds  coupés,  les  dents  arra- 
«  chées  et  rendit  enlin  son  dme  à  Dieu  tandis  qu'elle 
«  était  en  prière.  »  Ce  ne  furent  certainement  pas  là  les 
seuls  martyrs  d'Amisus  (i)  ;  mais  c'est  tout  ce  qu'on 
trouve  dans  le  martyrologe  romain. 


(1)  Outre  la  preuve  fournie  par  la  lettre  de  Pline,  EusèLe  (Hist.  EccI,, 
1.  8,  c.  12)  écrit  que  «  le  récit  de  ce  qui  se  passa  sur  les  côtes  du  Pont 
Euxin,  pendant  la  persécution  de  Dioclétien,  suffit  à  inspirer  l'horreur. 

10 


loi-  l-K    MLSÉON. 

Quant  aux  évéques,  Le  Quien  n'en  cite  qu'un  seul  avant 
le  concile  de  (llialcédoine,  mais  cela  tient  certainement 
moins  à  l'absence  d'évèques  antérieurs  qu'à  la  manièi-e 
dont  cet  auteur  a  exécuté  son  travail.  En  le  lisant  on  peut 
constater  (juil  a  pris  les  actes  des  grands  conciles  et 
qucl([ues  autres  documents  anciens  et  que  les  listes  de 
leurs  signataires  lui  ont  servi  à  dresser  ses  séries  épisco- 
pales.  Cependant  pour  les  [)rincipaux  sièges,  il  a  complété 
ce  piemier  travail  au  moyen  d'autres  noms  rencontrés, 
dirail-on,  au  hasard  de  ses  lectures,  ou  peut-être  dans  le 
Ménoioge  de  Basile. 

il  no  mentionne  ([ue  six  évèques  d'Amisus  : 

I'  Antoine,  dont  les  représentants,  le  diacre  Olympe  et 
le  piètre  llelpidius,  signèrent  les  actes  du  concile  de  Chal- 
cédoine  (i51). 

2'  Erythrée  (Erythrius),  signataire  de  la  lettre  que 
lepisc()[)at  oriental  pres([ue  entier  adi'cssa  à  l'empereur 
Léon,  à  l'occasion  de  l'assassinat  de  Protérius,  patriarche 
d'Alexandiie,  en  ïol . 

5'  Flore,  originaire  de  Constantinople,  qui  se  fit  moine 
après  avoir  été  engagé  dans  les  liens  du  mariage.  Sa 
notice  veut  même  qu'il  ait  été  secrétaire  impérial  et 
patrice,  avant  de  prendre  l'Iiahit  religieux  dans  un  monas- 
tère situé  sur  le  iios[)li()re.  il  lut  évèijue  d'Amisus  sous 
les  règnes  de  .(ustin,  de  Tihère  et  de  Maurice,  à  la  tin  du 
Vr  siècle,  (^e  prélat  a  le  litre  de  Saint  et  sa  fête  le  18'' 
joui-  de  Décemhie  ;  mais  je  ne  la  trouve  mentionnée  que 
dans  Le  (^)iiien. 

V  Tiheie,  (jui  signe  les  Actes  du  Concile  de  Constan- 
tinople, en  ()<S(). 

5"  Léon,  signataire  de  ceux  du  Concile  de  iNicée,  en 
787, 


L'iN    COIN    bK    L  ASIE    MINEUIIE.  135 

6°  Basile,  qui  assista  au  concile  que  Photius  réunit  à 
Constantinople,  après  la  mort  de  S.  Ignace,  879.  Cette 
liste  montre  combien  est  fondée  la  conjecture  émise  plus 
haut  sur  la  manière  dont  elle  a  été  dressée  par  son  auteur. 

A  partir  de  Constantin,  Amisus  lit  partie  de  la  pro- 
vince dite  de  l'Hélénoponl,  jusqu'à  ce  que  l'empereur 
Héraclius,  dans  la  première  moitié  du  VI 1°  siècle  divisa 
l'empii-e  en  «  thèmes  ».  Le  territoire  d'Amisus  fut  alors 
attribué  à  celui  qui  reçut  le  nom  d'Arméniaque,  parce 
que,  dit-on,  il  se  trouvait  sur  les  frontières  de  l'Arménie 
(Texier,  Asie-Mineure,  p.  12,  col.  1).  Quelques  écrivains 
arméniens  désignent  cette  province  sous  le  nom  d'Arménie 
Pontique  ;  mais,  sur  ce  point,  comme  sur  beaucoup 
d'autres,  ils  sont  loin  de  s'accorder  entre  eux  (i). 

9"  Samsoun  modeune. 

La  ville  actuelle  de  Samsoun  est  située  à  une  grosse 
demi-heure  de  l'ancienne  Amisus.  Ce  déplacement  n'a 
très  probablement  pas  eu  lieu  avant  l'époque  de  la  con- 
quête musulmane. 

L'assertion  de  Plutar([ue  atlirmant  que  Lucullus  fit 
reconstruire  les  quartiers  de  la  ville  que  l'incendie  avait 


(1)  Ce  thème  d'AimCMiic,  auquel  plus  tard  vinieiit  s'ajouter  la  province 
byzantine  de  Haute  Ai'ménie  ou  Arménie  Supérieure,  et  les  divers 
royaumes  entre  lesquels,  peu  avant  la  fin  du  moyen-àge,  le  pays  armé- 
nien fut  divisé,  sans  parler  des  cinq  anciennes  provinces  romaines  d'Ar- 
ménie, qui  se  distinguaient  les  unes  des  autres  par  leur  numéro  d'ordre  ; 
puis  la  division  consacrée  par  Strabon,  de  la  Granle  Arménie  et  de  la 
Petite,  tout  cela  a  causé  la  confusion  la  i)lus  complète.  Quelques  écrivains 
arméniens  semblent  avoir  pris  plaisir  à  embrouiller  cette  question  de 
géographie  administrative,  si  bien  qu'il  est  pi-esiiue  impossible  de  ne  pas 
commettre  quelque  erreur  en  parlant  de  ces  diverses  contrées  décorées 
du  nom  d'Arménie,  quoique  souvent  elles  n'aient  jamais  fait  partie  de  ce 
royaume. 


156  LE    MISÉON. 

dévastés,  établit  positivement  (|u'aIors  la  ville  ne  fut  })as 
(léplaeée.  Ce  sentiment  paraît  a[)puyé  par  le  lait  que  dans 
la  ville  actuelle  on  ne  trouve  absolument  aueun  vestige 
grec  ou  romain,  à  l'exception  de  ceux  qui  y  ont  été  trans- 
portés de  l'ancienne  Amisus. 

La  nouvelle  ville  était  terminée  à  l'Ouest  par  le  môle, 
à  l'Est  par  un  cbàteau  dit  «  génois  »,  comme  beaucoup 
d'auti'es  constructions  anciennes  que  l'on  rencontre  dans 
toute  l'Âsie-Mineure.  Entre  ces  deux  points  extrêmes, 
elle  s'élevait  des  deux  côlés  d  un  ravin  sur  les  flancs  de  la 
colline  qui  longe  la  côte.  Le  «  Djiban  Numa  »  dit  que 
«  Samsoun  est  bâtie  dans  un  creux,  La  montagne  contre 
«  laquelle  elle  s'adosse  au  Sud,  s'étend  à  l'Est  et  à  l'Ouest 
«  jusqu'à  la  mer  et  l'entoure  comme  une  enceinte,  ce  qui 
«  fait  (jue  l'air  y  est  malsain.  Il  y  a  à  Samsoun  un  ancien 
«  cbàteau  ruiné,  une  mosquée,  un  bain  et  un  petit 
«  marché.  Le  port  y  est  très  bon  ».  Le  même  ouvrage 
ajoute  :  «  Quelques-unes  des  maisons  de  Samsoun  sont 
(c  bâties  sur  le  bord  d'un  lac  qui  se  décharge  dans  la 
«  mer  ».  Ce  lac  a  complètement  disparu. 

M.  Bore  qui  l'a  visitée,  en  1857,  la  caractérisait  alors 
«  Une  ville  du  Bas-Empire,  restaurée  par  les  Turcs  et 
«  prisonnière  dans  l'enceinte  de  ses  murs  crénelés  à 
«  demi  ruinés.  »  Aujourd'hui  les  anciens  remparts  ont 
presque  complètement  disparu  et  la  ville,  que  le  com- 
merce de  transit  a  fort  enrichie,  s'est  considérablement 
développée  à  l'Est  le  long  de  la  mer  et  de  la  grande  route 
de  Bagdad.  La  municipalité  a  fait  construire  un  hôpital, 
établir  une  foire  et  même  un  champ  de  courses  avec 
tribunes.  Elle  a  également  doté  la  ville  de  fontaines 
publicpies  alimentées  par  l'eau  du  Merdermak,  à  laquelle 
les  gens  de  la  classe  aisée  préfèrent  celle  de  leurs  citernes. 


UN    COIN    DE    l'aSIE    MINEURE.  137 

La  majorité  de  la  population  est  chrétienne.  Les  Grecs 
possèdent  dans  les  nouveaux  quartiers  de  Samsoun  une 
église  de  belle  apparence.  Elle  sert  de  cathédrale  au  Mé- 
tropolite d'Ainasia  qui,  depuis  fort  longtemps,  réside 
dans  cette  ville.  Les  Européens  ont  une  petite  église,  sur 
la  route  de  Bagdad  et  deux  écoles  prospères.  Les  Armé- 
niens catholiques  viennent  de  faire  construire  une  nou- 
velle église  ;  les  autres  en  ont  jeté  les  fondements  et  en 
sont  restés-là  :  ils  continuent  à  se  servir  de  leur  ancienne 
église. 

En  somme  la  ville  n'offre  aucun  monument  qui 
demande  à  être  visité.  La  fabrique  de  tabac  pourrait 
cependant  intéresser,  ainsi  que  certaines  boutiques  du 
marché.  Il  y  aurait  encore  à  l'Ouest  de  la  ville  à  voir  par 
curiosité  le  «  Naustathme  »  (station  des  bateaux)  où 
suivant  l'antique  usage  les  marins  du  pays  continuent  à 
retirer  sur  la  rive  leurs  grandes  et  lourdes  barques. 

Au  delà  on  voit  la  côte  se  recourber  en  cercle  jusqu'au 
Kayale  bournou  (cap  Rocheux)  à  l'extrémité  duquel 
s'élève  un  phare.  Vers  le  sommet  de  la  colline  qui  forme 
le  cap,  on  voit  très  distinctement  un  grand  pan  de  mur 
avec  de  traces  de  pilastres  et  d'arceaux  :  c'est  un  vestige 
de  l'ancienne  ville. 


Fin    DE    LA    PREMIÈRE    PARTIE. 


158  IB    MLSi:ON. 


SECONDE  PARTIE. 


TERRITOIRE  DE  SAMSOUN. 


10      VlSITK    AL\    KUI.NES    d'AmISLS. 

Ce  n'est  vrjiiiiient  pas  In  peine  de  monter  jusqu'à  Kara 
Sainsoun  fi)  voii'  deux  exeavalions  dont  l'une  passe  |)oui' 
une  citerne,  l'autre  pour  les  restes  d'un  hain  ;  puis  d'iei 
de  là  (|iiel<{iies  fondations  au  i-as  du  sol.  Car  voilà  tout  ce 
(|u'y  ont  rencontré  ceux  (jui  ont  parcouru  ces  lieux  au 
XIV  siècle. 

La  ville  ancienne  a  eu  le  malheur  de  se  trouver  trop 
ju'ès  de  la  nouvelle.  Peu  à  peu  on  en  a  ti'ansporté  tout  ce 
(|ui  était  transportable  ;  puis  à  diverses  reprises  on  en  a 
entièrement  remué  le  sol  dans  l'espérance  d'y  découvrir 
des  trésoi's  enfouis.  A  Samsoun  encore  plus  (pi'ailleurs 
on  peut  répclcr  avec  le  poète  :  «  Etiam    periere  ruinae  ». 


(1)  Kara  Sarnsoim  (Samsoun  la  Noire,  ou  plutôt  la  Désolée),  tel  est  le 
nom  que  l'on  donne  aujourd'liui  à  remplacement  de  l'ancienne  Amisus. 
Quoi  qu'on  ait  p\i  en  dire  le  mot  ••  Kara  (i.ij  noir  ",  à  moins  que  la  cou- 
leur des  objets  qu'il  détermine,  n'oblige  à  le  prendre  au  propre,  signitie  : 
triste,  sinistre,  dangereux.  Son  opposé  "  ak  (  j\)  blanc  n  signifie  au  con- 
traire :  gai.  propice,  favorable.  11  faut  remarquer  que  ces  déterminatifs 
sont  pi'csquc  toujours  doimés  simultanément  comme  pour  opposer  deux 
objets.  L'usage  est  si  général  que  lorsipiOii  trouve  l'un  on  peut  cherciier 
l'autre. 


UN    COIN    DE    l'aSIE    MINEURE.  159 

M.  Vital  Cuinet  (La  Turquie  d'Asie,  t.  I,  p.  101),  faisait 
imprimer  en  1890  :  «  Une  compagnie  de  Persans  exploite 
«  ces  ruines,  pour  en  extraire  des  pierres  et  des  colonnes 
«  qui  sont  employées  aux  constructions  de  la  ville 
«  actuelle  ».  .l'ai  dernièrement  reçu  une  letti'e  où  l'on 
me  disait  :  «  Voilà  trois  mois  que  des  émigrés,  (jui 
«  habitent  ici,  s'abattent  cha(jiie  jour  par  bandes  sur 
«  Kara  Sainsoun  dont  ils  violent  les  tombes  dans  l'espoir 
«  d'y  trouver  de  l'argent.  Il  est  écœurant  de  voir  avec 
«  quelle  attention  ils  remuent  cendres  et  ossements  ; 
«  puis,  lorsqu'ils  n'ont  rien  trouvé,  ce  qui  est  le  cas 
«  ordinaii'c,  avec  (pielle  rage  ils  piétinent  ces  débris 
((  humains  ».  Le  peu  de  resjject  dont  on  témoigne  dans 
toutes  ces  contrées  poui'  les  cimetières  et  les  tombeaux, 
est  un  des  spectacles  (jui  surprennent  et  choquent  le  plus 
les  étrangers. 

Disons  cependant,  poui'  reprendi*e  mon  récit,  qu'une 
excursion  à  ces  ruines,  faite  par  une  belle  matinée,  jieut 
êti'c  agréable  et  procurer  une  vue  d'ensemble  sur  le  golfe 
de  Samsoun,  si  célèbre  chez  les  anciens  géographes.  Tous, 
Strabon  lui-même  en  exagèrent  la  profondeur.  Ils  l'ima- 
ginaient symétrique  à  celui  d'Alexandrette,  situé  sur  le 
même  méridien  et  séparé  de  lui  par  un  isthme  véritable, 
beaucoup  moins  large  que  le  reste  de  l'Asie-Mineure. 

A  Kara  Samsoun  aujourd'hui,  on  circule  au  milieu  de 
vastes  plantations  de  tabac,  coupées  de  petites  rigoles 
creusées  par  les  cultivateurs  pour  arroser  leurs  plants. 
Les  deux  principales  citei'nes  où  ils  l'ecueillent  avec  soin 
l'eau  de  pluie  qu'ils  emploient  à  cet  usage,  sont  précisé- 
ment les  deux  excavations  mentionnées  comme  des  restes 
de  l'ancienne  ville.  Llles  doivent  sans  doute  au  service 
qu'elles  rendent  ainsi  de  n'avoir  pas  entièrement  disparu. 


140  LE    MISÉON. 

Partout  dans  les  champs  cultivés  ou  non,  on  rencontre 
des  débris  de  poteries,  de  grandes  briques  cassées,  des 
fragments  de  i)ierres  taillées,  toutes  choses  communes 
sur  l'emplacement  des  villes  ruinées.  On  y  trouve  parfois 
encore,  mais  rarement,  des  pierres  tombales  avec  inscrip- 
tion grecque  ou  même  latine.  L'an  passé,  une  de  ces  der- 
nières [)Oi'tant  un  relief  assez  soigné,  a  été  déterrée.  On  y 
voit  un  personnage  couché  dans  un  lit,  devant  lui  est  un 
ti'é[)ied  élevé,  tout  semblable  aux  autels  sur  les(iuels  on 
brûlaitde  l'encens  aux  divinités  du  paganisme.  Au  premier 
])lan  se  tiennent  debout  deux  autres  peisonnages  et  un 
cheval  ;  mais  ils  sont  si  petits  qu'on  dirait  des  jouets 
d'enfant.  A  première  vue  toutefois  on  les  prendrait  plutôt 
pour  des  adorateurs  en  présence  d'une  divinité  dont  la 
puissance  serait  indiquée  par  sa  taille  de  géant  et  dont  la 
figure  toute  jeune  symboliserait  l'immortalité. 

L'inscription 

C.IVLIO.VLF. 

SEHC.  ALLl 

ANO 

ne  semble  pas  nous  apprendre  quoi  que  ce  soit  au  sujet 
du  relief. 

Après  avoir  considéré  l'ancien  port  abandonné  depuis 
longtemps  et  à  demi  comblé,  nous  i('mar([uons  sur  la 
falaise  un  sentier  fort  raide  et  parfois  taillé  dans  le  rocher. 
Il  conduit  à  une  excavation  connue  de  ceux  qui  frécjuen- 
tent  ces  parages  sous  le  nom  de  «  Chapelle  de  S.  Nicolas  ». 
Ne  leur  en  demandez  pas  davantage,  c'est  tout  ce  (ju'ils  en 
savent.  Cela,  peut-éti'c,  vaut  mieux,  car  chacun  peut  y 
voir  ce  (|u'il  désire  :  soit  les  restes  d'un  ei'mitagc,  soit 
ceux  d'un  jjélerinage,  où  les  navigateurs  de  l'ancienne 
Amisus  chrétienne  venaient  a('con)|)lir  les  vieux  (pi'au 
iiiomciil  (lu  [K'iil  ils  avaient  faits  à  leur   saint  |)rotecteur. 


UN    COIN    DE    LASIE    MINEURE.  i  il 

11°  La  Cote  jusqu'à  Sinope  et  au-delà. 

D'un  des  points  culminants  de  l'ancienne  ville  on  peut 
apercevoir  la  côte  jusqu'à  l'embouchure  de  l'Halys  (i)  et 
au-delà.  Entre  Amisus  et  le  fleuve,  Arrien  indique  les 
trois  stations  d'Eusène,  (^nopeïum  et  Naustathmus. 

La  première  de  ces  stations  est  certainement  l'Ezène 
que  la  «  Table  de  Peutinger  »  place  à  8  milles  à  l'Ouest 
d'Amisus.  Le  mille  valant  1482  mètres,  cela  donne  un 
peu  moins  de  12  kilomètres  que  l'on  doit  compter  à  partir 
de  l'ancienne  ville.  On  poui'rait  donc  facilement  retrouver 
l'emplacement  de  cette  localité,  si  l'Ai'rien  ne  la  [jlaçaiî 
4  kilomètres  plus  près  de  Samsoun. 

Le  nom  de  Kwvojtïc-.ov  (Mousticjuaire,  ou  mieux  peut-être 
«  hanté  par  les  moustiques  »)  est  laissé  en  ])lan('  sur  la 
«  Table  de  Peutinger  ».  (]ette  station,  à  22  kiloinèlres  au 
delà  d'Eusène,  n'avait  pas  de  port  et  se  ti'ouvait  située 
sur  le  bord  d'un  mai'ais.  A  cause  de  la  distance,  M.  Texier 
(Asie-Mineure,  p.  ()20)  a  cru  pouvoir  l'identifier  avec 
Koumdjoughaz  ;  mot  qu'il  a  tort  d'interpréter  «  |)e(,'  de 
sable    ».    Koum    ('^s)   signifie    effectivement  «   sable   »   ; 

mais  la  terminaison  «  djegbaz  i.k»^)  est,  d'après  les  dic- 
tionnaires, un  diminutif  caressant  qui  s  ajoute  aux  sub- 
stantifs. Peut-être  (|u'ici,  comme  aiileui's,  on  fait  un 
pareil  compliment  au  sable  de  la  rive  à  cause  des  avan- 


(1)  Le  nom  de  l'Halys  est  dérivé  de  «  âX?  =  sel,  eau  salée  >?  ce  qui  est 
une  des  caractéristiques  de  ce  fleuve,  dont  les  eaux,  après  avoir  traversé 
des  régions  remplies  de  carrières  de  sel  gomme,  ont  une  saveur  salée 
assez  prononcée.  Une  autre  caractéristique  encore  plus  apparente  lui  a  fait 
donner  en  turc  le  nom  de  «  Kezelermak  (^'•o  J>. )*)  cours  d'eau  rouge  « 
à  cause  de  la  teinte  que  prennent  ses  eaux  en  travei'sant  des  terrains 
ferrugineux. 


142  LE    MLSÉON. 

tages  qu'on  en  retire.  Koumdjoughaz  sert  actuellement  de 
port  h  Bâfra,  ville  bâtie  à  quel(}ue  distance  de  là  sur  les 
bords  de  THalys. 

Quant  à  Naustathmus  (station  de  bateaux)  qu'Arrien 
indique  à  90  stades,  soit  un  peu  plus  de  IG  kilomètres  et 
demi  avant  d'arriver  à  l'Halys,  c'était  un  poit  antique 
situé  près  d'une  lagune.  Klle  correspond  à  la  station  de 
Nautagino  de  la  «  Table  de  Peutinger  »,  qui  la  place  à 
près  de  18  kilomètres  à  l'Est  du  fleuve.  Il  convient  de 
remarquer  que  la  différence  d'un  peu  plus  d'un  kilomètre, 
entre  les  distances  données  par  les  deux  auteurs,  n'est 
pas  même  d'un  mille.  Il  semble  donc  que  cette  localité 
se  trouvait  au  delà  du  onzième  mille  entre  la  lagune  de 
Hammamle  (où  il  y  a  des  bains)  et  la  mer  :  sans  doute 
sur  le  canal  voisin  d'Indjir  bournou  (Cap  aux  ligues). 

Un  petit  château,  bâti  sur  un  rocher  de  la  rive  droite 
à  l'embouchure  de  l'Halys,  devait  à  celte  situation  son 
nom  de  «  Château  de  l'embouchui'e  ».  Le  Djihan  Xuma 
est,  je  crois,  seul  à  le  mentionner.  Xénophon,  dans  lAna- 
baze,  donnait  :2  stades  (570  mèties)  de  large  à  l'embou- 
chure de  l'Halys.  A  l'époque  où  existait  la  voie  romaine 
la  traversée  s'en  faisait  probablement  à  bac  ;  aujourd'hui 
la  route  fait  un  coude  assez  prononcé  pour  aller  chercher 
le  pont  de  Bâfra. 

A  partir  de  Nautagino  jusqu'à  Sii)o|)e  toutes  les  indica- 
tions de  la  «  Table  de  Peutingei'  »  sont  à  corriger  et  à 
compléter.  Non  seulement  l'orthographe  des  noms  est 
défectueuse,  —  ce  qui  ne  provient  ()eut-ètre  que  d'erreurs 
commises  par  les  copistes  ;  mais  en  outre  l'endroit  où 
elle  marque  le  passage  de  l'Halys  est  beaucoup  trop  à 
l'Occident.  A  ce  sujet  on  doit  legretter  que  l'Itiiu^raire 
d'Antonin  ne  mentionne  pas  cette  voie   qui   semlde  avoii' 


UN    COIN    DE    LASIE    MINEURE.  145 

suivi  tous  les  détails  de  la  côte,  comme  aurait  fait  un 
chemin  de  halage.  Cela  faciliterait  les  corrections  à  faire 
ou  du  moins  les  confirmerait. 

La  «  Table  de  Peutiuger  »  marque  la  station  de  Halega 
que  d'autres  appellent  Eleca,  à  12  milles  —  un  peu  moins 
de  18  kilomètres  de  Nautagino  (Naustathmus).  C'est  là 
une  erreur  ;  car  cette  localité  est  celle  qu'Arrien  appelle 
Zalecus  (on  ti'ouve  aussi  ce  nom  écrit  Zaliscus  et  même 
Zalichus).  Le  périple  de  Marcien  d'Héraclée  dit  que  c'est 
une  localité  située  sur  un  cours  d'eau,  mais  qui  n'a  pas 
de  port.  Elle  n'est  fort  probablement  pas  différente  de  la 
ville  nommée  Saltum-Zalichen  (ïaXxov  ZaÀ'//Yiv)  dans  le 
manuscrit  farnèse  du  catalogue  de  Hiéroclès.  Ce  nom  est 
dédoublé  dans  les  autres  copies,  ce  qui  fait  que  la  liste 
des  villes  de  l'Hélénopont  porte  8  noms,  alors  que  le  titre 
n'en  annonce  que  sept.  Au  IX^  siècle,  cette  ville  devint 
archiépiscopale  et  reçut,  probablement  de  Léon  le  Sage, 
le  nom  de  Léontopolis. 

Sa  situation  à  150  stades,  près  de  28  kilomètres  à 
l'Ouest  de  l'Halys,  est  sans  doute  ce  qui  a  décidé  Texier 
(Asie-Mineure,  p.  621,  col.  2)  à  l'identifier  avec  Alatcham 
(le  beau  pin)  ou  plutôt  avec  une  ruine  byzantine  qui  se 
trouve  aux  environs.  Alatcham  n'est  plus  aujourd'hui 
qu'un  mudiriet  (i)  dépendant  de  Bâfra. 

Zacoria  que  la  «  Table  de  Peutinger  )>  indique  à  25 
milles  (57  kilomètres)  au  delà  d'Alatcham,  est  appelée 
Zagora  par  Arrien,  qui,  lui,  ne  compte  que  110  stades 
(un  peu  moins  de  20  kilomètres  et  demi)  de  là  à  Alatcham, 
il  déclare  néanmoins  qu'elle  est  à  mi-chemin  entre  l'Halys 


(1)  Le  mudiriet  est  la  dernière  des  subdivisions  administratives.  On 
n'en  établit  que  dans  les  parties  des  caza  où  l'action  du  sous-gouverneur 
se  ferait  difficilement  sentir. 


144  LK    MLSÉON. 

et  Sinope.  Or,  c'est  encore  au  delà  de  cette  localité  que 
la  «  Table  de  Peutingcr  »  place  l'estuaire  de  l'Halys  : 
son  ei'i'cur  est  donc  manifeste. 

Plus  loin  Peutinijei'  cite  Oi'ifibate,  que  d'autres  appellent 
Gourzoîbanlhe,  à  IG  kilomèti'es  ;  puis,  à  11  kilomètres, 
Kai'ousa,  où  Miicl  aiiiait  envoyé  une  colonie.  Arrien 
rernar(jue  (|iie  le  port  de  celte  ville  n'était  })as  abrité  contre 
le  vent  d'Ouest.  C'est  peut-être  la  localité  appelée  aujour- 
d'iuii  Guerzè. 

Vient  ensuite,  à  !">  kilomètres,  Avarcha,  [)lus  tard 
appelée  Evècho,  sur  un  couis  d'eau  ;  enfin  Cléoptasia,  la 
Cloptasia  de  Peutinger,  a|)pelée  Coptasia  })ar  Ptoléniée, 
est  située  à  i  kiloinèti-es  et  demi  d'Avarcba  et  à  10  de 
Sinope. 

Je  viens  de  vous  taire  faii-e  un  voyage  pénible  tout  le 
long  de  la  côte.  Je  ne  vous  dirai  rien  de  Sinope  ;  mais 
permettez-moi  un  mot  sur  Arménè,  port  (|ui  en  dépen- 
dait, et  où  les  Dix  mille  de  Xénopbon  prii'ent  terre. 

Strabon  (1.  1:2,  c.  5,  !:$  10)  rajtporte  à  son  sujet  le 
dicton  :  «  Il  ne  savait  (jue  faire,  il  l'a  fortifiée.  »  Ce  mot 
pourrait  bien  tomber  à  faux  si,  comme  l'écrit  Scylax, 
cette  ville  était  sur  la  frontière  de  l'Assyrie  du  côté  de  la 
Paphlagonie. 

Kst-ce  que  je  veux  renverser  les  opinions  sérieusement 
établies  sur  les  textes  formels  de  Xénopbon,  d'Hérodote, 
de  Strabon,  etc.  ?  Tous  placent  à  l'Halys  la  limite  entre 
la  Paphlagonie  et  la  Cappadoce,  dont  les  babitants  étaient 
appelés  Syriens  blancs  ou,  si  l'on  veut.  Assyriens  :  ce  qui 
revient  au  même.  11  n'en  est  rien.  Je  remarcjue  seulement 
(jue  des  auteui-s  de  bien  moindre  icnom  ne  se  sont  pas 
crus  obligés  de  les  suivie. 

Je  viens  de  citer  Scylax,  contemporain  de  Xénopbon  et 


IN    COI.N    DE    l'aSIE    MI^iElRE.  445 

d'Hérodote,  il  n'en  connaissait  peut-êti'e  pas  les  ouvrages, 
ce  qui  l'aurait  dispensé  de  les  copier  ;  mais  voilà  Marcien 
d'Héraclée,  qui  dut  les  connaître  tous  et  (jui  néanmoins 
place  la  frontière  orientale  de  la  Paphiagonie  au  cours 
d'eau  d'Evarcha.  Quant  à  Apollonius  de  Rhodes,  auteur 
du  IIP  siècle  avant  Jésus-Christ,  il  place  cette  frontière  à 
l'Iris.  (Expédition  des  Argonautes,  II,  946). 

Toutes  ces  divergences  ne  montrent  pas  que  tous  ces 
auteurs  se  sont  trompés.  Elles  ne  le  montreraient  que 
s'ils  avaient  écrit  à  la  même  époque  ou  s'il  s'agissait 
d'autre  chose  que  de  frontières.  iMais  supposer  que  les 
frontières  sont  immuables,  cela  sonne  faux.  Il  ftmdrait 
dans  ce  cas  ne  pas  parler  d'une  frontière  réelle,  mais  de 
ce  qui  pourrait  l'être  ;  comme  Iors{(ue  parfois  on  assigne 
les  Alpes  pour  frontière  entre  la  Erancc  et  l'Italie.  Cette 
frontière  réelle  aujourd'hui  ne  l'est  devenue  qu'après  le 
milieu  du  XIX'^  siècle.  Cette  manière  de  s'exprimer  est 
aussi  commode  que  peu  exacte  et  n'est  employée  qu'à 
cause  de  sa  commodité. 

Il  pourrait  aussi  se  faire  que,  lors  d'une  antique  recen- 
sion,  on  eût  fait  parler  les  grands  auteurs  comme  ils 
l'auraient  fait  s'ils  avaient  écrit  alors  ;  tandis  que  per- 
sonne ne  s'est  occupé  de  corriger  les  autres. 

12"  Gazélonitide,  Saramène,  Bâfra. 

Il  est  grand  temps  de  revenir  à  l'Halys. 

Au  temps  de  Strabon  le  pays  qui  nous  en  sépare  et  qui 
a  un  peu  plus  de  40  kilomètres  de  développement  le  long 
de  la  côte,  était  partagé  en  i  territoires.  D'abord  l'Ami- 
sène,  qui  évidemment  ne  se  bornait  pas  à  la  ville  d'Ami- 
sus,  la  Saramène  venait  ensuite,  puis  la  Gazélonitide. 
Mais  écoutons  l'auteur   (1.  XII,  c.  5,  §   15),  il  décrit  la 


1  i()  l.K,    MISÈON. 

côte  en  allant  de  l'Ouest  à  l'Est,  en  montant,  comme  se 
seraient  exprimés  les  anciens  :  «  La  Gazélonitide  (i), 
«  éciit-il.  fait  suite  à  l'enihoucliure  de  l'Hahs  et  se  pro- 
«  lon^e  jus(|u'à  la  Sarainène.  (^'est  une  contrée  fertile, 
(c  composée  uniquement  de  plaines  ».  il  s'agit  donc 
évidemment  de  la  plaine  à  IKst  du  fleuve  et  sur  le  bord 
de  la  mer,  où  elle  est  coupée  j)ar  une  grande  lagune  : 
ce  qui  paraît  la  multiplier  et  justifie  le  pluriel  employé 
par  Strabon. 

11  nous  apprend  de  plus  que  ce  territoire  avait  été  divisé 
par  i^ompée.  Ce  général  en  avait  attribué  une  partie  à  la 
ville  d'Âmisus  et  l'autre  à  Déjotare,  tétrarque  des  Galates 
Tolistoboges.  11  ajoute,  il  est  vrai,  qu'«  à  la  mort  de  ce 
prince  ses  états  furent  démembrés  »  ;  mais  il  ne  s'en  suit 
pas  que  les  deux  parties  de  la  Gazélonitide  aient  alors  été 
réunies.  Le  contraire  parait  même  plus  probable  ;  car  au 
siècle  suivant  Arrien  place  à  la  lagune  de  Hammamle,  au 
milieu  de  la  Gazélonitide,  la  limite  entre  le  Pont  et  la 
Paplilagonie.  (Texier,  Asie-Mineure,  p.  6'21,  col.  1). 

La  Saramène,  que  Strabon  ne  Ml  que  nommer,  s'est 
peut-être  étendue  jusqu'au  bord  de  la  mer  ;  mais  au  moins 
par  opi)osition  à  la  Gazélonitide  «  composée  uniquement 
de  plaines  »,  elle  a  dû  comprendre  en  partie  le  Nébian 
dagb,  de  telle  soi'te  ({u'on  puisse  donner  une  étendue  rai- 
sonnable aux  4  territoires  mentionnés 


Bafua 

caza  ( 
les  deux  rives  de  l'Halys  :  il  a  80  kilomètres  de  côtes  et  70 


Bâfra  est  le  nom  d'un  caza  de    1 15   villages.  Situé  sur 


(1)  Cette  leçon,  à  cause  de  la  forme  c-azélo  employée  par  Pline,  VI,  2, 
paraît  préférable  à  celle  de  Oadilonilide  que  donnent  les  manuscrits  de 
Strabon. 


UN    COIN    DE    l'aSIE    MINEURE.  447 

environ  de  profondeur.  Son  chef-lieu,  ville  du  même  nom, 
est  bâti  sur  la  rive  droite  du  fleuve,  à  20  kilomètres  de 
son  embouchure  et  à  45  de  Samsoun. 

Le  Djihan  Numa,  qui  ne  cite  que  trois  localités  dans  le 
Djanik,  place  Bâfra  ou  Baflra  (i)  comme  il  écrit,  avant 
Samsoun  et  Alatcham.  Il  lui  attribue  «  une  ou  deux  mos- 
quées et  deux  petits  bains  publics  ».  C'est  encore  aujour- 
d'hui une  ville  de  6.000  habitants.  Des  jardins  et  des 
bouquets  d'arbres  lui  donnent,  ainsi  qu'à  toute  la  plaine, 
un  aspect  frais  et  verdoyant  fort  rare  en  Asie-iVlineure. 

Son  territoire  a  toujours  été  extraordinairement  fertile. 
Lorsque  Lucullus  le  traversa  avant  le  siège  d'Âmisus,  ses 
soldats  s'y  trouvèrent  dans  une  telle  abondance  qu'ils  se 
vendaient  entre  eux  un  bœuf  pour  une  drachme  et  un 
esclave,  pour  quatre.  Aujourd'hui  encore  toutes  les  cul- 
tures y  prospèrent  ;  mais  la  principale,  qui  a  porté  bien 
loin  le  nom  de  Bâfra,  est  celle  du  tabac.  Bon  an  mal  an 
elle  rapporte  un  million  et  demi  à  ses  habitants. 

L'un  d'eux,  rencontré  à  Samsoun,  a  donné  les  rensei- 
gnements qui  suivent  sur  la  pèche  de  l'estui'geon  et  la 
fabrication  du  caviar,  qui  procure  aussi  à  Bâfra  des  res- 
sources considérables. 

Pour  la  pèche,  le  procédé  actuellement  en  usage  est, 
dit-on,  d'importation  russe.  D'une  rive  à  l'autre  de  l'Halys 
on  établit  au  moyen  de  pieux  des  cordes  solides  et  bien 
tendues  auxquelles  on  en  suspend  nombre  d'autres  moins 
fortes,  toutes  terminées  par  un  hameçon  très  acéré  et 
assez  lourd  pour  maintenir  ces  cordes,  malgré  le  courant 


(1)  En  turc,  à  moins  qu'elles  n'appartiennent  à  des  syllabes  différentes, 
les  consonnes  consécutives  sont  d'ordinaii'e  séparées  par  un  i  qu'on  pour- 
rait appeler  euphonique.  Crète  est  devenu  Kirid,  notre  mot  français 
«  plan  r>  se  transforme  en  "  pilan  »  et  «  frère  »  en  «  flrèr  »,  etc. 


1  iK  I  K   Mrsf:o.\. 

assez,  laililt'  (raillems,  dans  \v  sens  de  la  verticale.  Ces 
soitcs  (le  l)anaifes  se  i'é|i('t('nt  de  distance  en  distance  et 
l()rs(|ne  resturticfui,  en  mars  et  en  août,  entre  dans  le 
llciivc  |K»ur  cliciclicr  iiii  lien  lavoiahlc  à  la  [tonte,  il 
s  accioclic  (I  (iidiiiaire  à  (|ii('l(|iie  hameçon,  sinon  à  ceux 
de  la  premieic  corde  du  moins  à  ceux  des  suivantes,  et 
(dus  il  l'ait  d  elî'orts  pour  se  déi;ai:ei',  plus  le  crochet 
s'enlunee  dans  sa  chair. 

Le  poisson.  (|ui  peut  alleindre  ius(|u'à  ">  mètres  de  long, 
es|  porté  au  marché  ou  il  est  réparti  en  lots  de  »'>  à  10 
pièces  et  vendu  aux  enchères  sans  (|u'on  en  puisse  exami- 
ner le  contenu.  (Tesl  [»our({uoi  les  acheteurs  ont  recours 
à  (\i'S  experis  capahles  à  simple  vue  d'évaluer  la  tpiantité 
dM-ur-  (pie  peut  fournir  cha(|ue  hète  et  aussi  leur  (|ualité. 
i'/.w  il  V  a  deux  espèces  d'esturgeons  ;  avec  les  œufs  de 
l'une,  on  obtient  un  caviai'  iu)ii'  très  foncé,  c'est  le  plus 
eslime  :  avec  ceux  de  l'autre,  on  a  un  caviar  grisâtre, 
regarde  comme  de  <pialité  inférieure. 

La  préparation  du  caviar  est  tout  ce  (pi'il  y  a  de  plus 
sim|tle  et  de  [dus  sommaire.  Les  (eufs  retirés  du  poisson 
sont  mis  [»endanl  une  heuic  dans  la  saunuire,  on  les  lave 
ensuite  à  laide  d'un  tamis,  afin  de  les  séparer  de  tout 
cor[»s  étranger.  [»uis  on  les  fait  égouter  dans  un  sachet 
de  tulle  et,  au  bout  dune  demi-heui'c,  il  est  prêt  à  èti'e 
mangé.  L'ouvriei'  ([ui  le  [>ré|)are  a  le  di'oit  de  prendre 
|)oiir  lui  fout  ce  (pii  dans  le  [toisson  sei't  à  pré|)arer  la 
colle  l'orle.  OiianI  à  la  chair  de  l'esturgeon,  qui  est  très 
a[>[)réciée  dans  le  [tays,  (die  est  vendue,  [taifois  le  double 
de  la  viande  de  boucherie,  [»ar  celui  ([ui  la  acheté  des 
pécheurs. 

Nous  essayons  d'obtenir  de  cet  homme  ([uel([ues  ren- 
seignements sur  les  ruines  (pie  le   Djiban  Numa  signale  à 


tJN    COIN    DE    l'aSIE    MINEURE.  449 

l'embouchure  de  THalys  ;  mais  il  nous  avoue  en  ignorer 
jusqu'à  l'existence.  II  nous  dit  que  plusieurs  villages  du 
caza  ont  conservé  des  noms  grecs  et  il  nous  cite  «  Caballa  », 
à  une  journée  en  remontant  le  fleuve.  Ce  serait  plutôt  un 
nom  latin. 

Ce  qui  nous  intéresse  davantao:e,  c'est  le  village  très 
ancien,  à  ce  qu'il  prétend,  de  Madèni  Kalè.  Ce  nom 
annonce  en  même  temps  une  mine  et  une  forteresse.  11 
nous  dépeint  sa  position  sur  les  premiers  ressauts  des 
collines  qui  terminent  la  plaine  en  remontant  la  rive 
droite  de  l'Halys  ;  si  bien  (|ue  nous  nous  le  i-éprésentons 
comme  une  forteresse  construite  pour  barrer  ce  passage. 

15"  Plaine  de  l'Iris. 

Lors  de  mon  derniei'  voyage  à  Y  intérieur,  mon  compa- 
gnon de  route  avait  loué  un  splendide  araba  (i)  a  ressorts, 
flambant  neuf.  Nous  ne  pûmes  partir  qu'assez  tard,  si 
bien  que  le  premier  jour  nous  ne  fîmes  pas  un  long 
trajet.  Cette  route  que  je  faisais  pour  la  cinquième  fois 
ne  m'offrait  que  des  i)aysages  connus.  Ici,  le  gros  village 
de  Kadi  keuï  peuplé  de  Grecs.  Plus  loin  des  tumuli,  qui 
s'obstinent  à  garder  leurs  secrets.  11  y  en  a  d'abord  4  ou 
o  d'assez  chétive  apparence  au  dessus  des  collines  qui 
dominent  Samsoun,  puis  un  autre  qu'on  ne  voit,  au 
dessus  de  la  route,  qu'après  être  parvenu  bien  haut  sur  la 
pente  assez  raide  qui  domine  la  vallée  du  Lycastus.  Celui- 
là  est  grand,  complètement  boisé  et  comme  accroché  au 


(1)  L'araba  est  une  voiture  à  quatre  roues,  recouverte  en  guise  de 
capotte  par  une  toile  tendue  sur  des  arceaux  assez  peu  élevés.  L'arrière 
est  fermé  par  un  rideau  mobile.  Deux  ouvertui-es  incommodes  sont 
ménagées  sur  les  côtés  et  servent  à  s'introduire  dans  le  véliiciilo.  L'inté 
rieur  n'a  ni  banc,  ni  banquette  :  0}i  y  supplée  en  étendant  des  matelas 
sur  lesquels  on  se  tient  accroupi  ou  étendu. 

11 


^;;0  I.K    MLSÉON. 

liane  de  la  montagne,  sur  le  bord  de  l'ancien  chemin.  Je 
m'adressai  une  l'ois  à  mon  voiturier,  qui  avait  longte?nps 
séjoui'né  dans  le  pays,  pour  savoir  ce  qu'en  disent  les 
lial>ita[its.  Fout  ce  qu'il  put  me  répondre,  c'est  que  c'était 
un  '<  Kvlia  ».  Cela  ne  m'apprit  pas  grand  chose  ;  car,  en 
turc  viilgaii'c,  ce  mot  arabe  sert  à  désigner  un  tombeau 
ou  tout  autre  lieu  où  l'on  se  rend  pour  obtenir  quelque 
grâce  et  surtout  des  guérisons. 

Tout  en  giavissant,  au  pas  de  nos  chevaux,  les  hauteurs 
du  Mèdjnoun  dagh,  nous  prenons  le  temps  de  considérer  à 
loisir  et  la  mer  .Noire  et  la  mei'veilleuse  plaine  qu'arrose 
l'Iris.  Elle  constituait  autrefois  le  territoire  de  la  Thémis- 
cvre,  divise  aujourd'hui  entre  les  deux  caza  de  Tchar- 
chamba  et  de  Tiicrmè. 

Uclisons  ce  qu'en  dit  Slrabon  :  «  La  Thémiscyre  est  une 
a  [daine  (pii  n'est  guère  ([u'à  GO  stades  —  (un  peu  plus  de 
((  II  kilomètres)  d'Amisus.  Baignée  d'un  côté  parla  mer, 
))  elle  est  bordée  de  l'autre  par  la  chaîne  de  montagne 
»  (le  Paryadrès)  (i)  dont  nous  avons  déjà  parlé.  Cette 
«  chaîne  est  couverte  de  belles  forets  et  sillonnée  de 
«  n<>nd)reux  cours  d'eau  auxcjuels  elle  a  eltc-inême  donné 
«  naissance.  Tous  ces  cours  d'eau  (ceux  de  la  partie  Sud- 
«  Ouest  du  Paryadrès),  se  réunissent  pour  former  un 
u  même  lleuve  (jui,  sons  le  nom  de  Thermodoii,  traverse 
«   la  plaine  d'un  bout  à  l'autre. 

a   Lhis  est  un  autre  lleuve  de  même  importarice  ou  peu 
«  s'en  faut  (pu;  le  Thermodon  (2).  Grâce  à  la  présence 


(1)  Stnibon  donne  le  nom  de  F';iiyadirs  à  la  chainc  de  montagnes  qui 
commence  à  la  Th«'mi.scyrc  et  se  \»rol(Hi^'e  à  l'Est  jusqu'à  la  Petite  Armé- 
nie, c'est-à-dire  ju3(iue  vers  Gumuehe  Kliano,  au  Sud-Ouest  de  Trébizonde. 

(2)  L'examen  d'une  carte  rend  iieu  croyable  cette  aflirmation  du  {,féoffra- 
phcd'Amasia  etcei)endant  aujourd'hui  encoi'e,  au  dire  de  M.  Vitiil  Cuinet, 


UN    COIN    DE    LASfE    MFNEl  IIE.  loi 

«  de  ril'is,  cette  plaine  de  ïhéniiscyre  demeure  toujours 
«  humide  et  verdoyante  ;  aussi  peut-elle  nourrir  de  nom- 
ce  breux  troupeaux  de  bœul's  et  de  elievaux.  On  y  sème 
«  beaucoup  de  panis  et  de  mil,  ou,  pour  mieux  dire,  ces 
«  deux  plantes  n'y  man(|uent  jamais  ;  car  il  n'y  a  pas  de 
«  sécheresse  qui  tienne  contre  une  irrigation  aussi  abon- 
«  dante  et  je  ne  sache  pas  cpie  le  [»ays  ait  jamais  éprouvé 
«  une  seule  année  de  disette. 

«.  Ajoutons  que  la  ({uantité  d'arbi*es  fruitiers  qui  vien- 
«  nent  sans  culture  dans  tonte  la  partie  basse  de  la  mon- 
«  tagne,  est  si  grande  ({ue,  dans  toutes  les  saisons  de 
«  Tannée,  les  habitants  en  allant  faire  leur  provision  de 
«  bois  y  trouvent  à  discrétion  des  raisins,  des  [)oires,  des 
«  pommes,  des  noix,  ou  encore  [)endus  aux  branches  des 
«  arbres,  ou,  lorsque  la  chute  des  feuilles  a  eu  lieu,  tom- 
«  bés  à  terre  et  cachés  sous  d'énormes  tas  de  feuilles. 
K  Enfin,  dans  toute  la  }>laine  de  Thémiscyre,  la  chasse  est 
«  très  abondante  et  très  variée  par  suite  de  la  facilité  (|ue 
(c  le  gibier  y  ti'ouve  à  se  nourrir  ».  (Strabon,  1.  XII,  c. 
3  Mo). 

Telle  est  la  (lescri])tion  un  peu  longue  que  Strabon  fait 
de  la  merveilleuse  fécondité  de  ce  j)ays.  Ce  que  nous  pou- 
vons en  voir  des  hauteurs  où  nous  sommes,  pai'ait  confir- 
mer son  dire.  Les  voyageurs  anglais  «  ont  souvent  com- 
paré cette  région  aux  |)lus  beaux  districts  de  l'Angleterre  ». 
(Texier  p.  620).  Cette  fertilité  a  surtout  du  les  fi'ap[)er 


le  Thermodon  est  navigiible  par  des  bateaux  de  7  à  8  tonneaux,  tandis 
que  l'Iris,  qui  se  divise  en  plusieurs  branches  et  n'est  pas  canalisé,  n'est 
pas  navigable  par  des  bateaux  de  ce  tonnage.  Il  est  de  plus  parfaitoinont 
exact  que  le  Tiiermodon  recueille  toutes  les  eaux  du  versant  Sud-Ouest 
de  la  montagne  :  celles  du  versant  Nord  vont  directement  se  jeter  dans  la 
mer  Noire. 


152  I,K    MISÉON. 

après  un  séjoiii'  un  peu  prolongé  à  rinl(''ii('iir  où  il  va  si 
peu  de  bois  et  où  depuis  l'époque  de  la  moisson  jusqu'au 
pi'inleinps  les  endi'oits  eultivés  eux-mêmes  paraissent  si 
arides. 

La  ville  actuelle  de  Tcharchamba  est  située  sur  l'Iris, 
qui  la  traverse,  à  une  vingtaine  de  kilomètres  de  son 
embouebure.  Une  route  de  iO  kilomètres  la  relie  à  Sam- 
soun.  Elle  compte  environ  l.j.OIMI  babitanls  :  nnisulmans, 
grecs  et  arméniens.  Leur  grande  occupation  est  l'élevage 
des  troupeaux,  la  pèche  de  l'esturgeon  et  la  fabrication  du 
caviar,  comme  à  Bâfra.  Quant  à  la  culture  des  céréales, 
elle  est  presque  insignifiante.  La  population  vit  habituelle- 
ment de  pain  de  maïs  et  les  marchands  trouvent  avantage 
à  Y  faire  transporter  de  la  farine  par  des  bêtes  de  somme. 
11  en  vient  même  de  Tokat,  [)ar  Erbaa.  Les  muletiers  cou- 
pent à  tiavers  la  montagne,  et  leur  trajet  n'est  guère  que 
de  deux  jours. 

La  ville  tire  son  nom  de  Tcharchamba  du  mot  turc  qui 
signifie  Mercredi  (mot  à  mot  le  quatrième  de  la  semaine 
^1=^  _j-  A*;^  pour  A«^^).  Il  le  doit  au  grand  marché  qui  s'y 

tient  ce  jour-là.  Le  Djihan  Numa  en  parlant  de  l'Iris  dit 
que  dans  le  Djanik  ce  fleuve  passe  à  l'endroit  où  se  tient 
la  foire  du  Mercredi  au  canton  d'Erim  {^_j\)-  Cette  foire 

aujourd'hui  est  encore  si  considérable  qu'au  dire  de  Vital 
Cuinet  (La  Tui'quie  d'Asie,  t.  i,  p.  106)  «  ce  jour-là  il  faut 
abattre  de  150  à  :200  têtes  de  bétail  [)our  sutïii'c  à  la  nour- 
riture de  ceux  qui  s'y  rendent  de  toutes  parts  ».  Cette 
assertion  uw  parait  exagérée,  mais  n'en  montre  pas 
moins  l'importance  du  concours  attiré  par  ce  marché. 
En  dehors  du  chef-lieu,  le  caza  de  Tharchamba  compte 
environ  oOO  localités.   On  y  trouve  un   petit  lac  appelé 


UN    COIN    DE    l'aSIE    MINEURE.  155 

Tui'kmèng'eul  (lac  des  Turconians),   situé  à  une   petite 
distance  à  l'ouest  de  Tcharchaniba. 

L'iris,  aujourd'hui  Yèchilermak  (fleuve  vei't)  traverse 
tout  le  pays  sur  une  longueur  de  70  kilomètres.  En  aval 
du  chef-lieu,  il  se  divise  en  plusieurs  branches  dont  les 
trois  principales  sont  navigables.  Ce  delta  forme  une 
presqu'île  boisée  actuellement  appelée  «  Tchatle  »  qui 
semble  signifier  que  l'endroit  est  tout  «  crevassé  ».  On  a 
construit  un  phare  sur  le  cap  du  même  nom  à  l'extrémité 
de  cette  plaine. 

\¥  Le  pays  des  Amazones  et  leur  empire. 

Les  anciens  géographes  placent  la  ville  de  Lycastia  à 
l'embouchure  d'un  cours  d'eau  auquel  elle  donnait  son 
nom.  Comme  ils  la  disent  située  à  20  stades  (un  peu 
moins  de  i  kilomètres)  à  l'Est  (de  l'ancienne)  Amisus, 
il  faut  nécessairement  la  chercher  sur  le  Merdermak 
(fleuve  bouillant,  impétueux),  à  quelque  distance  de  la 
ville  actuelle  de  Samsoun.  C'était  une  des  trois  villes  des 
Amazones  dont  parle  Apollonius  de  Rhodes  (I.  II,  v.  999)  : 
elle  aurait  dans  la  suite  reçu  une  colonie  de  Milet,  puis 
aurait  été  rangée  parmi  les  villes  grecques  des  côtes  de  la 
mer  Noire. 

Une  autre  ville  des  Amazones,  Chadisium,  était  située 
sur  la  branche  occidentale  de  l'Iris  et  à  son  embouchure. 
Venait  ensuite,  sur  l'autre  branche  du  fleuve,  le  port 
d'Ancon.  Ârrien  l'assure  et  Tournefort  dans  son  Voyage 
dit  avoir  «  relâché,  le  II  mai  I70I,  à  l'île  formée  par  les 
«  branches  de  l'Iris  ;  puis  le  lendemain,  12,  au  port 
«  d'Ancon, à  une  des  embouchures  de  ce  fleuve».  Cela  doit 
faire  rectifier  l'assertion  de  Hamilton  qui  a  cru  pouvoir 
identifier  Ancon  avec  Derbend. 


I*»t  I.K    MISÈOIS. 

L;i  «  Table  de  Peiitinger  »  à  la  suite  d'Amisus,  indique 
la  Station  d'Aneon  (juVIle  dit  en  être  distante  de  24  milles, 
nn  peu  plus  de  55  kilomètres  et  demi  (i).  Nous  sommes 
done  surs  (pi" il  ne  faut  pas  chercher  Ancon  à  Tchar- 
chaml)a. 

On  i)lace  généralement,  avant  l'embouchure  du  Ther- 
modon,  le  Lrrand  j)ort,  la  forteresse  et  le  temple  du  cap 
Héracléum.  Arrien  l'en  dit  à  40  stades,  (environ  7  kilo- 
mètres et  demi).  I.a  «  Table  de  Peutingei'  »  qui  a  ajouté 
4  milles  à  la  distance  marc^uée  par  Arrien  entre  Amisus 
et  Ancon,  en  retranche  presque  5  à  celle  (5G0  stades) 
qu'Arrien  indi(|ue  d'Aneon  au  cap.  Héracléum.  Strabon 
doit  donc  parler  d'un  autre  cap  de  même  nom,  lorsque 
(1.  XII,  c.  5,  §  17),  il  semble  le  mettre  bien  plus  à  l'Est 
et  au  delà  de  la  Sidène. 

Arrien,  si  je  ne  me  trompe,  dit  textuellement  :  «  Pour 
«  ceux  qui  viennent  par  mer  d'Amisus,  le  cap  Héracléum 
«  est  le  premier  (qu'ils  rencontrent),  viennent  ensuite  le 
«  cap  Jasoniuin  et  le  Génêtés.  »  (Scylax  nous  apprend 
((ue  le  (îcnètés  était  un  [)ort  t'ei-mé,  probablement  situé 
dans  une  laiiune  ou  peut-être  simplement  protégé). 

Après  le  cap  Héracléum  vient  l'embouchure  du  Ther- 
modon,  avijoiird'lmi  Theiinètchaï (cours  d'eau  de  Thermè). 
Ce  petit  lleuve,  qui  a  un  parcours  de  I  iO  kilomètres  dont 
GO  sur  le  terriloire  de  Niksar  (Vital  Cuinet  :  La  Turcjuie 
dAsie,  t.  I,  p.  :20),  est  «  célèbre  par  la  tradition  des 
Amazones  (jui  s'y  rattache  ».  (Vivien  de  Saint-Martin  : 
Description  de  l'Asie-Mineure,  t.  :2,  p.  \ïï). 

Tout  le  pays  de  Cérasus  à  Sinope  est  plein  de  leur  sou- 


ci) Cette  (list.mce  est  de  4  milles  plus  considérable  que  celle  donnée  par 
Arrien  qui  ne  met  que  1()0  stades  entre  Amisus  et  Ancon. 


UN    COIN    DE    l'aSIE    MINEURE.  155 

venir  et  il  n'est  pas  jusqu'à  Amasia,  au  Sud,  et  Amisus, 
au  Nord,  dont  les  noms  ne  paraissent  rappelei'  le  leur. 
La  montagne  elle-même  que  nous  gravissons,  doit  être 
l'antique  Mont  des  Amazones  où  se  trouvait  une  localité 
fortifiée  (castellum)  du  même  nom.  C'est  aujourd'hui  le 
Mèdjnoun  dagh  (la  montagne  de  l'hébété  ou  [)luiôt  de 
Mèdjnoun).  Ce  mot  en  effet  s'emploie  comme  nom  [)ropi'e  : 
c'est  en  particulier  celui  du  héros  d'un  ancien  roman 
arabe  très  populaire.  Il  se  sera  peu  à  peu  substitué  à 
l'ancien  nom  grec  «  'Aua^ôvî-.ov  o.po;  »  qui  a  dû  se  transfor- 
mer successivement  en  «  Mazon,  Madjoun,  puis  Mèdj- 
noun. » 

Thermè,  chef  lieu  de  caza,  est  actuellement  un  petit 
port  de  600  habitants,  situé  à  2  heures  de  la  mei*  sur  la 
rive  gauche  du  cours  d'eau  (|ui  l'airose.  L'ancienne  TIk'- 
miscyre,  capitale  des  Amazones,  occupait,  pense-t-oii,  le 
même  emplacement,  mais  était  située  sur  les  deux  rives. 

C'est  le  cas  ou  jamais  de  parler  de  ces  héroïnes  et  de 
leur  empire  qu'a  tant  célébrés  rancienne  Grèce.  Je  me 
restreindrai  cependant  aux  notions  histori(jues  relatives  à 
celles  que  l'on  fait  habiter  sur  les  bords  de  la  mer  Xoire. 
Diodore  de  Sicile  (1.  5,  51,  5i-)  parle  des  Amazones  de 
l'Afrique  et  assure  qu'elles  resseml>laient  à  celles  (pii, 
dans  les  temps  anciens  (avant  la  guerre  de  Troie),  avaient 
élevé  un  empire  florissant  sur  les  boi'ds  du  Thermodon, 
en  Cappadoce.  Homère  (Iliade,  1.  5,  v.  LSDi,  rappelle  leurs 
guerres  contre  les  Phi'vgiens  nouvellement  établis  sur  les 
rives  du  Sangarius  et  les  fait  secourir  par  Priam,  roi  de 
Troie.  Cela  montre  que  leur  empire  n'était  pas  restreint 
au  petit  pays  où  d'ordinaire  les  auteurs  semblent  vouloir 
les  cantonner  et  laisse  même  soupçonner  ([u'à  travers 
l'Asie-Mineure  celles  du  Pont  doimaient  la  main  à  celles 
des  bords  de  la  Méditerranée. 


Io6  LE    MISÉON. 

Dans  ce  cas  Méduse  et  ses  sœurs  qui  sur  les  sommets 
du  Taurus  tentèrent  d'arrêter  une  invasion  des  Amazones 
africaines,  ne  seraient-elles  pas  des  Amazones  de  Tliémis- 
cyre  ?  La  numismatique  semble  appuyer  cette  hypothèse, 
car  la  légende  de  la  lutte  entre  Persée  et  iMéduse  se 
retrouve  fréquemment  sur  les  monnaies  autonomes  du 
Pont  et  tout  spécialement  sur  celles  d'Amisus,  de  Comane 
et  de  INéocésarée.  On  y  voit  Persée  debout  tenant  une  épée 
de  la  main  droite  et  de  l'autre  la  tète  de  Méduse  dont  le 
tronc  git  derrière  lui.  Sur  d'autres  monnaies  du  même 
genre,  on  voit  le  bouclier  orné  de  la  tête  de  Méduse, 
Pégase  (il  se  trouve  aussi  sur  les  tétradrachmes  de  Mithri- 
date  Eupator),  la  tête  laurée  d'Hercule,  celles  d'Ares  et 
autres  figures  rappelant  les  Amazones  et  leurs  légendes. 

C'est  à  Thémiscyre  qu'on  s'accorde  à  placer  l'un  des  12 
travaux  d'Hercule,  (son  expédition  contre  les  Amazones), 
à  qui  le  port  d'Héracléum  doit  son  nom.  Ces  guerrières, 
pensant  que  le  héros  thébain  venait  enlever  leur  reine 
Hip[)olyte,  l'attaquèrent  dans  la  plaine  sur  les  bords  du 
lleuve.  Klles  périrent  en  grand  nombre  dans  ce  combat 
meurtrier  et  leur  reine  captive  devint  l'épouse  de  Thésée, 
roi  d'Athènes,  et  l'un  des  plus  illustres  compagnons 
d'Hercule.  D'autres  cependant  veulent  que  ce  héros  ait 
fait  contre  les  Amazones  une  expédition  pai'ticulière  et 
quilereule  ait  tué  llippolyte  et  empoité  le  baudrier  de 
cette  reine  comme  trophée  de  sa  victoire. 

Lors  de  leur  expédition  à  la  conquête  de  la  h  Toison 
d'or  »  les  Ai'gonautes  signalent  dans  la  direction  opposée 
aux  Ours  du  Nord  —  la  grande  ourse  et  la  petite,  —  le 
lieu  011  reposent  les  l'estes  gigantes(|ues  de  Thémiscyre, 
lille  de  Doas,  et  dans  les  environs  les  villes  (maritimes) 
des  Amazones.  Apollonius  de  Hhodes  (I.  Il,  v.  ^Tô),  dit 


UN    COm    DE    LASIE    MINEUHE.  157 

qu'il  y  en  avait  trois,  ailleurs  il  les  nomme  Thémiscyre, 
Chadésia  et  Lycastia.  Ce  même  auteur  (Argonautes,  1.  2, 
V.  988),  désigne  la  plaine  de  Thémiscyre  sous  le  nom  de 
TÔ  TOoiov  DwàvT'.ov  la  plaine  de  Doas  ou  tô  aX^o;  Aàxjjlôv.ov,  le 
bois  d'Alcmon. 

On  parle  encore  des  Amazones  à  propos  de  la  guerre  de 
Troie,  où  elles  prirent  parti  contre  les  Gi'ecs.  Mais  après 
leur  expédition  désastreuse  contre  l'ile  de  Leucé  dans  la 
mer  IVoire,  elles  disj)araissent,  du  moins  celles  des  hords 
du  Thermodon,  sans  qu'on  en  sache  trop  la  cause.  Il  est 
toutefois  probable  que  tout  leur  pays  fut  soumis  par  les 
Assyriens,  puisque  le  périple  de  Scylax  désigne  toute 
cette  côte,  depuis  le  cap  Jason  jus(|u'au  delà  de  Sino[)c 
sous  le  nom  d'Assyi'ie.  Telle  qu'elle  nous  est  parvenue, 
l'histoire  de  ce  peuple  parait  être  un  mélange  de  vérité  et 
de  fiction  qu'il  est  l)ien  ditïicile  de  distinguer. 

Tout  en  achevant  cette  dissertation  sur  les  Amazones 
nous  avions  rejoint  notre  véhicule  qui  nous  attendait  au 
sommet  de  la  montaifue.  Le  vent  était  frais  et  le  voiturier 
de  mauvaise  humeui*.  Il  ne  comprenait  pas  quel  intéi'èt 
nous  avions  pu  avoir  à  considérer  si  longuement  l'im- 
mense plaine  verte  bornée  i)ar  l'indéfinie  plaine  griséttre 
que  paraissait  être  la  mer. 

\o"    TciFAKALLE. 

Cette  seconde  partie  de  la  route  fut  marcjuée  par  un 
petit  accident  qui  fort  heureusement  n'eût  aucune  suite 
fâcheuse.  Nous  avons  tourné  dans  un  si  beau  chcinin  (|ue 
nous  n'eussions  vraiment  pas  mieux  choisi  si  nous  avions 
eu  à  le  faire  :  le  voiturier  n'en  revenait  pas,  nous,  non 
plus.  Les  l'oues  d'un  même  côté  de  la  voiture  passent  sur 


158  •  t^    MLSÉOiN. 

trois  roches  en  saillie  qui  se  trouvaient  assez  rapprochées 
j)Our  (jue  les  élans  des  l'cssorts,  chaque  ibis  plus  grands, 
aient  fini  par  l'aire  passer  le  centre  de  gravité  en  dehors 
des  points  d'appui.  Alors,  vlan  !  tout  doucement  nous 
voilà  couchés  par  terre  ;  un  des  chevaux  en  fait  autant, 
l'autre  se  tient  coi. 

Le  premier  émoi  passé,  nous  relevons  la  voiture  : 
c'était  elle  (pii  avait  le  plus  soufl'ert.  l  ne  de  ses  lanternes 
était  en  miettes,  et  la  toile  qui  tapissait  1  intérieur  de  la 
tente  avait  été  défoncée  d'un  coup  de  tête.  Quant  au  voi- 
tui'iei',  il  était  j)rofondément  humilié  et  prenait  ensuite 
de  grandes  précautions  dans  tous  les  mauvais  pas  ([uon 
rencontrait. 

Nous  arrivons  à  Tchakalle,  modeste  village  dont  le 
nom  a  l'air  de  signifier  «  hanté  par  les  chacals  ».  11  est 
situé  sur  le  iMerdermak,  ([u'on  y  travei'se  sui'  un  beau 
pont  de  pierres,  dont  la  maçonnerie  seule  était  achevée 
en  188i.  Je  n'y  ai  remar(|ué  aucune  trace  d'antitpiité  et 
la  vallée  paraît  bien  resserrée  pour  y  chei'cliei'  môme  une 
de  ces  anciennes  villes  qui  tenaient  sur  un  rocher.  Cepen- 
dant M.  Bore  (Mém.  t.  I,  p.  298)  y  signale  une  vieille 
église  byzantine  probablement  cette  construction  en 
pierres  que  l'on  voit  encore  en  amont  du  |>ont  sur  la  rive 
gauche. 

Chaque  fois  que  je  traverse  cette  localité  je  l'cgarde  avec 
un  certain  intérêt  le  |)auvre  et  misérable  caravanséiail 
aujourd'hui  abandonné  où  j'ai  passé  une  si  mauvaise  nuit 
lors  de  mon  premier  voyage.  Actuellement  les  choses  sont 
bien  changées  :  on  construit  auprès  du  pont  un  caravan- 
sérail en  pien-es,  (|ui  s'annonce  foit  bier>.  Kn  attendant 
qu'il  soit  achevé,  il  y  en  a  trois  autres  (|ui  sont  passables. 
Notre    automédon     nous    conduit    dans    celui    d'ismaël 


UN    COIN    DE    LASIK    MINEURE.  159 

effendi  (i).  C'est  le  plus  grand  et  le  plus  convenable  ; 
mais  son  propi'iétaire,  qui  a  quitté  l'administration  pour 
se  faire  aubergiste,  n'a  perdu  ni  son  titre  d'efïendi,  ni 
son  habitude  d'écorcher  les  gens. 

En  notre  qualité  d'étrangers,  il  nous  octroie  la  plus 
belle  de  ses  petites  chambres.  Elle  était  meublée  avec  une 
profusion  encombrante  :  outi'e  le  sofa  gai'ni  occupant 
toute  la  façade  principale,  il  y  avait  un  vaste  lit  de  fer  à 
sommier,  une  commode  en  bois  blanc  fort  modeste,  mais 
surmontée  d'une  large  glace  tapageuse  avec  son  cadre  doré 
orné  d'une  guirlande  de  roses,  et  de  vases  en  porcelaine 
peinte  qui,  rangés  devant  elle,  s'y  miraient  avec  complai- 
sance. Un  tout  petit  guéridon,  assorti  à  la  commode,  des 


(1)  En  dehors  des  titres  officiels  et  protocolaires  ceux  que  l'on  emploie 
dans  les  rapports  quotidiens  sont  beaucoup  plus  variés  qu'en  France. 
Les  gens  de  la  classe  supérieure,  s'ils  sont  lettrés,  ont  le  droit  d'être 
appelés  «  eflfendi  »,  ou  même  "  bey-efîendi  r>  si  ce  sont  des  fonctionnaires. 
S'ils  sont  illettrés,  on  leur  dit  «  agha  «  ;  les  jeunes  gens  sont  facilement 
traités  de  «  bey  ».  Pour  la  classe  inférieure  on  dira  facilement  «  agha  » 
à  quelqu'un  qu'on  voudra  honorer,  mais  l'on  dit  «  ousta  =  maître  »  à  un 
homme  de  métier.  On  emploie  très  bien  aussi  le  nom  de  la  profession, 
quelquefois  suivi  du  mot  «  bâche  =  chef  ». 

On  honoreia  un  homme  de  la  campagne  surtout  s'il  est  âgé  en  lui 
disant  "  baba  =  père  »,  kardache  =  frère,  «  daye,  èmmi  =  oncle  ».  Avec 
les  jeunes  gens  il  y  a  diverses  séries  de  termes  d'amitié  et  de  familiarité 
depuis  «  oghloum  =  mon  flls  »,  «  dostoum  =  mon  ami  ",  jusqu'à  «  djanem 
=  mon  cœur  »  ;  et  depuis  "  Arslanem  =  mon  lion  »,  jusqu'à  "  kouzoum 
=  mon  agneau  ».  Les  hommes  de  condition  tout  à  fait  inférieure  :  voitu- 
riers,  chameliers,  muletiers,  àniers,  etc.  s'interpellent  ordinairement 
par  les  mots  :  «  bana  bak  =  regarde-moi  »  ou  bien  -  arkadache  =  com- 
pagnon ». 

Les  Musulmans  disent  à  un  chrétien  riche,  s'il  est  étranger  "  Tchè- 
lèbi  »,  s'il  est  sujet  ottoman  «  Tchorbadji  ».  Les  chrétiens  se  parlent 
entre  eux  comme  les  musulmans  dont  ils  parlent  la  langue  avec  cette 
différence  que,  dès  qu'ils  le  peuvent,  ils  traduisent  en  leur  langue  parti- 
culière, les  formules  de  la  politesse  turque  et  semblent  affectionner  sur- 
tout  les  termes  de  parenté. 


IGO  I.t:    MLSF,0.\. 

chaises  et  un  fauteuil  coinpiétaient  ce  nioliilier,  qui  nous 
iréna  fort,  surtout  lorsque  le  ifaryon,  avec  mille  précau- 
tions pour  ne  lien  renverser,  eut  entassé  là  dedans  notre 
literie  de  voyai!;e  et  nos  l»agaji:es.  Volontiers  nous  eussions 
prié  notre  hôte  de  mettre  ses  meuhles  dehors,  ou  de  nous 
donner  une  autre  chamitre  ;  mais  le  madré  avait  disparu 
et  nous  Unîmes  par  nous  ari'aniicr  de  notre  mieux. 

Le  lendemain  au  (lé|>art,  il  prétendit  nous  faire  payer 
la  itène.  aussi  l)ien  ([ue  la  cliaml)re.  Il  nous  fit  un  prix 
exorbitant  ;  car  il  savait  tiès  hieii  (jue  nous  étions  à  sa 
merci.  Le  personnaiie  semblait  même,  chose  inouïe  chez 
un  nmsulman,  chercher  à  nous  exasi)érer  par  la  manière 
dont  il  lépondait  à  nos  piotestations  :  «  Si  vous  avez  des 
plaintes  ou  des  réclamations  à  f'aiie,  adressez-vous  à  voti'e 
consul  011  à  votic  anibassadeur.  ^  Il  avait  l'air  de  s'en 
moquer  autant  (|ue  du  (irand  Turc,  sachant  ti'ès  bien 
qu  on  ne  pouvait  recourir  à  eux  tour  des  faits  de  si  maigre 
importance.  Il  ne  nous  restait  plus  (ju'à  nous  exécuter  et 
à  passer  par  ses  exiiiences. 

15"  Uma. 

Nous  aurions  encore  à  parler  du  caza  d  Tnia  et  de  celui 
de  Fatséa,  entre  lesquels  on  a  divisé  l'ancien  territoire  de 
la  Sidène. 

Strabon  n'en  dit  (jue  très  peu  de  chose.  Toutefois  son 
assertion  :  c<  Ce  canton  qui  fait  suite  à  celui  de  Thémis- 
cvre,  dépend  lui  aussi  d'Amisus,  »  me  paraît  très  impor- 
laiile.  Il  en  résulte  en  effet  que,  sauf  poui'  la  partie  située 
à  rOuest  de  l'Halys,  le  territoire  du  sandjak  de  Sainsoun 
correspond  assez  exactement  à  I  ancien  territoire  d'Ami- 
sus. 

L'auteur  (|ui  dit  la  Sideiic  fertile,  n'y  signale  pourtant 


L\>    COIN    DE    l'aSIE    MIINEIHE.  161 

que  trois  forteresses  bâties  au  bord  de  la  mer.  C'était 
Sidè,  qui  donnait  son  nom  au  pays,  Chabaca  et  Phauda. 
La  u  Table  de  Peutiniier  »  indique  quatre  stations,  elles 
aussi  sur  les  bords  de  la  mer  :  Caena,  Camila,  Pytane  et 
Polémonium.  Arrien,  dans  son  périple,  signale  un  cours 
deau  du  nom  de  Bèi'is,  qui  pourrait  être  le  Mélitch  actuel, 
et  au  delà  Thoaria  (Turè)  localité  à  150  stades  (près  de 
28  kilomètres),  de  l'embouchure  du  Thermodon.  11  semble 
que  ce  soit  la  ville  de  Tiria  qu  Hécatée  de  Milet  (500 
avant  J.-C.)  nomme  chez  les  Leucosyriens. 

L'auteur  du  périple  indi({ue  à  50  stades  (environ  5 
kilomètres  et  demi),  plus  à  l'Est  le  port  d'"0',voYi,  Oenoe, 
situé  à  l'embouchure  d'un  petit  cours  d'eau.  M.  Vivien  de 
Saint  Martin  (t.  2,  p.  i40),  écrit  «  Aenoe  »  et  la  «  Table 
de  Peutinger  »  Caena.  Quoi  qu'il  en  soit  de  l'orthographe, 
il  s'agit  certainement  ici  d'Unia  (Ounièh).  La  distance 
donnée  par  Arrien  est  à  peine  dépassée  de  5  kilomètres 
par  celle  que  donne  la  «  Table  )>. 

La  transformation  que  ce  mot  a  subie  dans  la  «  Table 
de  Peutinger  )>  qui  écrit  «  Caena  »,  serait  due  à  une 
erreur  de  copiste,  à  moins  que  ce  ne  soit  le  nom  primitif 
de  la  localité.  Lors  de  la  construction  de  la  voie  romaine, 
on  le  lui  aurait  donné  à  cause  de  ses  «  fanges  »  ;  car  «  les 
eaux  stagnantes  et  les  marais  entourent  la  ville  d'Unia  ». 
(Vital  Cuinet  :  la  Turquie  d'Asie,  t.  I,  p.  ILl).  Dans  ce  cas 
ce  seraient  les  Grecs  qui  aui'aient  transformé  le  mot  latin 
pour  lui  donner  une  tournure  grecque  tout  en  lui  conser- 
vant quelque  analogie  phonétique. 

Il  semble  aussi  que  le  nom  actuel,  (écrit  «  Inéa  »  dans 
les  dernières  listes  épiscopales),  ne  soit  qu'une  altération 
du  même  mot.  On  a  donc  tort  de  l'écrire  avec  une  li  à  la 
fin  :  beaucoup  de  personnes  en  adoptant  cette  transcrip- 


10:2  1,K    MISKON. 

tion  ont   mis  à   la   mode  cet  usatje  (léfocliioux,  puisiiu'il 
ne  sa^nt  pas  d  un  mol  arabe. 

La  ville  d'IInia  (10.0(10  habilants),  est  d'un  aspect  assez 
ajïréable.  Elle  se  présente  à  ceux  qui  y  arrivent  par  mer, 
sous  la  forme  d'un  croissant  coucbé  au  fond  d'une  petite 
baie.  Sa  population,  en  grande  majorité  chrétienne,  aurait 
foit  diminué  depuis  le  milieu  du  \1V  siècle.  On  attribue 
cet  état  de  décadence  à  la  navigation  à  vapeur  qui  a  tué 
le  petit  cabotage  dont  cette  ville  était  un  centre  impor- 
tant. 

Ce  (|ui  prouve  sa  splendeur  au  WIU"  siècle,  c'est 
(pi'alors  (i)  elle  est  devenue  conjointement  avec  Néocésa- 
rée,  le  titre  du  Métropolite  grec,  exarque  du  Pont  Polé- 
monia(iue.  La  juiidiction  de  ce  prélat  s'étend  aujourd'hui 
sur  les  4  caza  d'Ordou,  Fatséa,  Unia  et  Thermé,  dans 
le  vilayet  de  Trébizonde,  sur  la  sandjak  de  Tokat,  qui 
ajipartient  au  vilayet  de  Sivas,  et  sur  tout  le  vilayet  de 
(]astamouni.  (Vital  Cuinet  :  Turquie  d'Asie,  t.  i,  p.  405). 
Ce  diocèse  métropolitain  est  donc  séparé  en  deux  par 
celui  d'Amasia  et  le  prélat  qui  en  a  la  charge,  doit  rési- 
der alternativement  à  Ordou  et  à  Inéboli,  l'ancienne 
Junopolis  de  Paphlagonie. 

Le  caza  d'Unia  a  GO  kilomètres  de  côte  et  Vital  Cuinet 
(t.  I,  p.  108),  lui  en  donne  110  juscpi'à  la  limite  du 
vilayet  de  Sivas.  Ce  chiiï're  doit  éti'e  beaucoup  trop  foi't, 
puisque  la   route  qui   parcourt  toute  cette   distance  en 


(1)  Elle  n'a  pas  dû  le  devenir  plus  tôt,  puisqu'elle  ne  se  trouve  pas 
indiquée  dans  la  liste  des  villes  épisoopales  dépendant  du  patriarcat  gi'ec 
de  Constantinople,  publiée  quelques  années  avant  1697,  par  Thomas 
Smith,  ambassadeur  d'Angleterre  auprès  de  la  Porte,  ni  dans  aucune 
des  listes  antérieures.  La  t^éogi-aphie  sacrée  de  Charles  de  Saint-Paul  cite 
cependant  dans  cette  province  un  siège  6pisco])al  iXEunici  et  le  fait 
remonter  au  IX*  s.,  mais  Le  Quien  ne  le  mentionne  pas. 


UN    COIN    DE    l'aSIE    MINEURE.  165 

suivant  la  vallée  de  l'Elèkdjison  (l'eau  du  fabricant  de 
tamis)  qui  traverse  la  ville  d'Unia,  n'aurait  que  77  kilo- 
mètres. (Vital  Cuinet,  Turquie  d'Asie,  t.  I,  p.  2o). 

16"  Kalè  keuï. 

Sur  les  premiers  contreforts  de  la  montagne,  à  8  kilo- 
mètres de  la  ville,  on  rencontre  un  des  nombreux  Kalè 
keuï  .(Village  de  la  Forteresse),  qui  pullulent  dans  le  pays, 
presque  tout  autant  que  les  Monts  Blancs  et  les  Monts 
Noirs.  Celui-ci  doit  son  nom  à  d'anciennes  fortifications, 
qui  furent  jadis  construites  sur  une  roche  élevée  et  pres- 
que inaccessible,  dans  le  but  de  défendre  le  passage  con- 
duisant à  Niksar  (INéocésarée). 

Texier  (Asie  Mineure,  p.  019,  col.  2),  dit  qu'un  monu- 
ment sépulcral  a  été  creusé  dans  une  des  parois  à  pic  du 
rocher  et  que  son  ouverture,  où  l'on  ne  voit  pas  le  moyen 
de  parvenir,  est  entourée  par  la  représentation  d'une 
façade  de  temple  tétrastyle.  Le  correspondant  de  M.  Vital 
Cuinet  (Turquie  d'Asie,  t.  I,  p.  109),  ajoute  qu'un  souter- 
rain de  deux  mètres  de  large  conduit  par  des  centaines  de 
degrés  du  sommet  de  la  roche  jusqu'aux  abords  de  la 
chaussée.  Ces  deux  lenseignements  établissent  que  l'on  se 
trouve  en  présence  d'une  de  ces  nombreuses  forteresses 
attribuées  à  Mithridale  le  Grand  ;  mais  qui  selon  toute 
vi'aisemblance  sont  antérieures  à  Alexandre. 

Si  aujourd'hui  le  souterrain  n'est  plus  obstrué,  comme 
on  semble  le  dire,  c'est  qu'il  a  probablement  été  dégagé 
par  ceux  qui  ont  rétabli  la  forteresse,  Strabon  afïirme  en 
effet  que  Pompée  les  avait  tous  fait  combler,  et  ils  le  sont 
généralement  encore,  du  moins  tous  ceux  que  j'ai  visités, 
une  dizaine.  L'aigle  romaine  sculptée  au  dessus  de  la 
porte,  ainsi  que  les  peintures  à  fresque  qu'on  y  voit  prou- 


IGi  I-K    MISKO.N. 

vont  (juo  Iii  tbi'toirsso  a  été  rétablie  par  Jes  byzantins  et 
t'oit  j)i()bîjl)k'iiu'nt  à  ré|jo(|ue  de  l'empire  de  Trébizonde. 

La  route  ([iii  |)asse  au  pied  de  eette  forteresse  traverse 
kara  koiicli,  village  de  oOO  habitants  et  ehet'-lieu  d'un 
naliiyc  du  iiiènie  iioiii,  à  (>()  kilomètres  d'Unia.  Le  nom 
de  Kara  koueli  (oiseau  uoir,  qui  désigne  l'aigle  royal), 
pourrait  s'ètie  substitué  à  eelui  de  Kara  keeb  (biver  rude, 
rigoureux»,  (jui  semble  [)arraitement  convenir  à  ces  lieux 
situés  au  sommet  de  la  montagne.  On  compte  dans  ce 
naliiyc  Mil  localités  dont  les  plus  considérables  nont  pas 
KM)  maisons,  |)res(pi('  toutes  à  plusieurs  minutes  de  dis- 
tance les  unes  des  autres. 

LIisée  Heclus  (Asie  Antérieure,  p.  Ô5i),  pai'le  d'une 
épo(jue  déjà  éloignée  où  les  constructions  nuiritimes  et  les 
carrières  d'inia  lui  donnaient  une  certaine  importance, 
il  ajoute  (pic  les  gens  du  pays  «  fondent  et  forgent  en  de 
rusti(jues  usines  des  nodules  ferrugineuses  trouvées  dans 
l'ai'gile  jaunâtre  (pii  recouvre  les  collines,  (ju'ils  sont  à  la 
fois  mineurs,  forgerons  et  cbarbonniei-s,  et  mènent  une 
vie  errante,  déplaçant  leurs  cabanes  et  leurs  foi'ges  quand 
un  gisement  leur  parait  épuisé  ».  Tout  cela  a  l'air  de 
remonter  à  des  temps  fort  reculés.  M.  Vital  Cuinet  du 
moins  ne  fait  aucune  allusion  à  ce  genre  d'exploitation, 
et  ne  signale  (pie  des  carrières  de  plàti'c  aux  environs  de 
la  ville. 

Le  port  d  Tnia  auiait  jhi  j)rendre  avec  avantage  la  place 
occupée  aujourd'hui  par  celui  de  Samsoun.  Sa  rade  est 
[H)ui'  le  moins  aussi  coiiiiiiode,  et  le  trajet  jusqu'à  Sivas 
serait  abrégé  de  deux  jours.  Malheureusement  au  milieu 
du  XIX'  siècle,  Unia  n  avait  pas  de  chaussée  la  reliant 
avec  les  grandes  villes  d(^  llntéi-ieui'.  Samsoun  a  succédé 
à  Sinope  et  obtenu  la  préférence.  I^lle  a  aujourd'hui  trop 


UN    COIN    DE    LASIE    MINEURE.  165 

d'avance  pour  redouter  sa  rivale,  qui  n'a  point  cependant 
perdu  tout  espoir  de  la  supplanter  un  jour.  On  vient 
encore  de  m'affirmer  que  la  chose  ne  manquerait  pas 
d'arriver,  si  Rèchid  bey,  vali  actuel  de  Si  vas,  restait  assez 
longtemps  en  charge  pour  achever  la  route  de  Sivas  à 
Unia,  par  Niksar  dont  il  a  entrepris  la  construction. 

Arrien  indique  sur  la  côte  à  50  stades,  environ  o  kilo- 
mètres et  demi,  à  l'Est  d'Unia  la  station  de  Phigamon 
bâtie  à  l'embouchure  d'un  cours  d'eau,  le  Phigamus 
que  Texier  identifie  avec  le  moderne  Derviche  dèrè  sou 
(l'eau  du  val  aux  Derviches),  (pie  d'autres  appellent 
Djèviz  sou  (l'eau  à  la  voix).  Vient  ensuite  à  20  stades  (près 
de  4  kilomètres)  plus  loin,  Amélète  ;  c'est  la  Camila  que 
la  «  Table  de  Peutinger  »  place  à  10  kilomètres  d'Unia  ; 
elle  ferait  encore  partie  de  son  caza. 

17"    PoLft.MOMlM    ET    PoLÉMOX    II. 

Quant  à  Pytane  ({ue  la  même  «  Table  »  indique  à 
8  milles  (environ  1:2  kilomètres)  plus  à  l'Est,  il  est  diffi- 
cile de  l'identifier  avec  Fatséa.  En  effet  cette  localité,  chef* 
lieu  du  caza  le  plus  oriental  du  sandjak  de  Samsoun,  était 
tout  au  plus  à  10  kilomètres  de  l'embouchure  du  Polémon 
tchaï,  dont  Pytane  d'après  la  «  Talde  »  se  trouvait  à 
20  milles  (plus  de  29  kilomètres  et  demi). 

Fatséa,  d'après  Texier  (p.  619,  col.  2)  et  Vivien  de  Saint 
Martin  (t.  2,  p.  440)  serait  l'ancien  château  de  Phatisana  ; 
peut-être  la  Phauda  ou  Phabda,  place  forte  citée  par 
Strabon  (t.  XII,  c.  5  MO). 

Polémonium  n'est  plus  aujourd'hui  qu'une  ruine  à 
l'embouchure  d'un  cours  d'eau.  Son  nom  est  cependant 
conservé  et  par  le  gros  ruisseau  du  Boulémant  chai,  et  par 
une  localité  du  même  nom,  située  sur  sa  rive  droite  et 
chef-lieu  d'un  nahiyé  du  caza  voisin  d'Ordou. 

12 


1()0  IK    MISÉON. 

Otte  ville  s'il  faut  en  croire  Pline  (VI,  i)  juirait  rem- 
placé la  ville  <juc  Straboii  appelle  Sidè.  L'auteur  Latin  la 
place  à  1:20  milles  ipi'ès  de  178  kilomètres)  d'Amisus. 
La  somme  des  distances  données  par  la  «  Table  de  Peu- 
tinger  »  est  de  121)  milles.  Cette  différence  (près  de 
15  kilomètres),  pourrait  n'être  due  (ju'à  une  modification 
dans  le  tracé  de  la  route.  Otte  route,  telle  que  la  donne 
l^'utiniier,  suit  la  côte,  comme  nous  l'avons  remarqué. 
Elle  n'était  peut-être  pas  encore  construite  au  temps  de 
Pline  et  aurait  pu,  au  lieu  de  la  contourner,  couper  en 
diagonale  la  plaine  de  Tliémiscyre,  pour  aller  rejoindre  la 
côte  vers  l'embouchure  du  Thei-modon. 

Strabon,  qui  j)arle  longuement  de  Polémon,  de  Pytho- 
dôris  et  leur  royaume  (1.  XI,  c.  2  ,^  18  et  1.  Xll,  c.  5  §  :29, 
51,  57  —  c.  8  5^  16)  ne  dit  pas  un  mot  de  la  ville  de 
Polémonium.  En  rapprochant  ce  silence  de  ratïîrmation 
de  Pliru\  il  semble  naturel  de  conclure  que  c'est  Polé- 
mon il  ([ui  a  donné  son  nom  à  cette  ville  en  y  transportant 
sa  capitale. 

L'histoire  de  ce  roi  est  assez  peu  connue.  Strabon  nous 
apprend  que  Pythodôris,  veuve  de  Polémon  1",  gouverna 
le  royaume  après  la  mort  de  son  époux.  Elle  avait  cepen- 
dant deux  tîls  ;  mais  les  Komains  avaient  fait  de  l'aîné 
un  roi  d'Ai'ménie.  Quant  à  l'autre  Strabon  le  montre 
aidant  sa  mère  dans  l'administration  de  ses  états.  D'après 
les  monuments  numismatiques  de  la  Collection  NVadding- 
ton,  il  serait  monté  sur  le  trône  enti'e  l'année  29  et  52  de 
l'ère  chrétienne,  sa  femme  s'appelait  Tryphaine.  11  parait 
avoir  eu  une  série  de  monnaies  sur  lesquelles  sa  dépen- 
dance vis-à-vis  de  rem|)ii'e  romain  ne  se  trouve  pas  indi- 
quée, comme  elle  l'est  sur  les  monnaies  de  la  12,  15  et 
17'  année  de  son  règne  :  ce  sont  précisément  sur  celles-là 


UN    COIN    DE    LASIE    iMINEUHE.  167 

que  se  trouve  la  figure  ou  du  moins  le  nom  de  sa  femme. 

Enfin  il  aurait  abdiqué  la  couronne  en  faveur  de  Néron, 
l'an  65  de  l'ère  chrétienne  (i).  C'est  tout  ce  qu'en  disent  les 
monuments  historiques.  Les  légendes  chrétiennes  -  où 
il  y  a  au  moins  un  aussi  grand  nombre  de  vérités  (|ue 
dans  celles  que  les  Grecs  ont  racontées  à  propos  des 
Amazones,  —  montrent  l'apôtre  S.  Bai'thélemi  prêchant 
la  foi  dans  les  douze  villes  du  Pont  et  convertissant  le  roi 
avec  toute  sa  famille.  Polémon  ne  voyant  pas  comment 
concilier  l'humilité  chrétienne  avec  les  exigences  de  la 
dignité  royale,  et  voulant  à  tout  prix  s'assurer  la  posses- 
sion du  royaume  de  Dieu,  abdiqua  celui  qu'il  possédait 
sur  la  terre. 

L'apôtre  avant  de  quitter  le  pays  pour  aller  porter 
l'Evangile  à  d'autres  contrées,  confia  la  direction  de 
l'Eglise  qu'il  venait  de  fonder  dans  le  royaume  du  Pont 
à  celui  qui,  malgré  son  abdication,  y  conservait  naturel- 
lement une  si  grande  influence  et  qui  venait  de  donner 
un  si  grand  exemple.  Le  dernier  roi  du  Pont  en  devint  le 
premier  évêque. 

Son  frère,  en  montant  sur  le  trône  d'Arménie,  —  avait 
abandonné  son  nom  grec  de  Zenon  pour  prendre  celui 
d'Artaxias  (Ardachès),  —  la  légende  latine  dit  Astyage. 
Ce  roi  ayant  fait  mettre  à  mort  S.  Barthélemi  pendant  une 
expédition  qui  l'avait  conduit  en  Orient,  peut-éti'e  jusqu'à 
Derbent,  Polémon,  qui  était  lesté  attaché  à  l'apôtre, 
comme  le  fils  à  son  père,  alla  en  Arménie,  se  fit  recon- 
naître pai'  son  frère  et  obtint  de  lui  la  permission  d'em- 


(1)  Deux  historiens  du  IV»  siècle,  Aurélius  Victor  et  Eutrope,  dans 
leurs  vies  de  Néron,  mentionnent  cette  abdication  à  la  suite  de  laquelle 
le  Pont  Polémoniaque  fut  réduit  en  province  romaine  ou,  plus  exactement, 
annexé  à  celle  de  Cappadoce. 


168  I.K    MISiON, 

|>()i'ter  les  reliques  du  Saint.  11  les  fit  transporter  à 
Polénioniuni,  son  ancienne  cajutale,  où  il  continuait  à 
faire  son  séjour.  C'est  de  là  qu'environ  deux  siècles  plus 
tard,  la  persécution  sévissant  en  Asie-Mineure  alors  (jue 
l'Eglise  jouissait  de  la  paix  en  Occident,  le  corps  de 
S.  Barthélenii  y  fut  porté.  Il  séjourna  d'abord  à  Li[)ari 
d'où  il  fut,  dans  la  suite,  transféré  à  Hénévent  et  enfin 
à  Rome. 

Ce  récit,  trouvé  tout  entier  dans  les  légendaires  du 
Moyen-Age,  semble  assez  vraisemblable  ;  car  enfin  puis- 
que Pline,  dans  sa  fameuse  lettre  à  Trajan,  indique  que 
50  ans  plus  tard  il  y  avait  déjà  beaucoup  de  chrétiens  dans 
le  pays,  il  faut  bien  trouver  à  ce  fait  une  cause  propor- 
tionnée. 

A  propos  des  évéques  d'Amisus  j'avais  })arlé  de  ceux  de 
Polémonium.  Le  Quien  qui  nomme  six  évéques  de  la 
première  de  ces  villes  en  nomme  autant  pour  celle-ci  : 

\"  Hystricus,  qui  assiste  au  synode  de  Néocésarée  et 
signe,  évêque  de  Timoniacensis  (i),  —  dans  la  Cappadoce 
Polémoniaque. 

2"  Jean,  qui  signe  les  actes  du  concile  de  Chalcédoine, 
en  451,  et  la  lettre  de  l'épiscopat  à  l'empereur  Léon, 
en  457. 

5°  Anastasius,  qui  signe  les  actes  du  concile  de  Con- 
stantinople,  en  680. 

4"  Dornitius,  signataire  du  concile  Quinisexte,  en  00:2. 


(1)  Le  nom  de  la  ville  épiscopale  est  évidemment  défiguré  ;  mais  il 
s'agit  certainement  de  Polémonium,  qu'une  erreur  du  même  genre  a  fait 
nommer  Tolémonium  dans  la  liste  de  Hiéroclès.  Le  Quien  doute  de  plus, 
on  ne  voit  trop  pourquoi,  s'il  ne  s'agirait  pas  ici  d'un  piélat  nommé 
Erétius  ou  Arétius,  évêque  de  I.agania,  en  Gaiatie  r«,  qui  lui  aussi  aurait 
assisté  à  ce  synode. 


LN    COIN    OK    I,'aSIE    MINKl'KE.  IGO 

5°  Constantin  (ailleurs  Constant)  qui  assiste  au  concile 
de  Nicée,  en  787. 

6°  Jean,  signataiie  du  concile  de  869,  tenu  à  Constan- 
tinople  contre  Photius. 

Je  ne  trouve  aucune  mention  de  cette  ville  ni  dans  le 
Martyrologe  romain,  ni  dans  les  Menées  des  Grecs. 

18"    KWAK    KT    TCIIAMOUULOU. 

Tout  en  dissertant  nous  avions  franchi  la  montagne 
qui  sépai'e  ïchaivalle  de  Kavak.  Cela  se  t'ait  assez  rapide- 
ment aujourd'hui  que  les  ponts  sont  achevés,  et  que  la 
route  est  encore  praticahle  ;  mais  jadis  que  d'embarras, 
surtout  lorsqu'on  venait  à  se  croiser  avec  de  longues  files 
de  chameaux,  qui  s'effrayaient,  se  mettaient  en  travers  du 
chemin  et  faisaient  mine  de  se  précipiter  dans  les  ravins. 

Le  mot  Kavak  que  M.  Bore  écrit  Quarak,  signifie 
«  Peuplier  »  ;  chef-lieu  d'un  mahiyé  de  liO  villages,  qui 
dépend  du  Caza  de  Samsoun  ;  c'est  la  première  station 
sur  la  route  de  cette  ville  à  Bagdad.  Le  plâtre  ([u'on  y 
fabrique  est  estimé  et  s'exporte  au  loin. 

Ce  bourg  assez  animé,  est  parfaitement  exposé  au  midi, 
sur  le  flanc  d'un  coteau  où  la  route  fait  de  nombreux 
lacets.  Il  était  autrefois  dominé  par  une  petite  forteresse 
dont  il  ne  reste  plus  aujouid'hui  que  de  rares  vestiges. 
Bientôt  ils  auront  complètement  disparu  ;  car,  ici  comme 
ailleurs,  les  ruines  sont  exploitées  comme  des  carrières 
d'où  l'on  n'a  qu'à  emporter  des  moellons  tout  prêts. 

J'ai  visité  une  fois  son  emplacement  sans  y  trouver 
aucun  vestige  d'antiquité  et  n'aurais  fait  remonter  sa 
fondation  qu'à  quelques  siècles.  M.  Bore  (Correspondance 
et  Mémoires  d'un  voyageur  en  Orient,  t.  1,  p.  298),  la 
signale  en   ces  termes  :  «  Forteresse  turque  de  chétive 


170  I-E    MISKON. 

construction,  qui  remplace  un  château  de  l'époque 
gi'ec(|uc  ». 

Le  fond  de  la  vallée  est  occupé  pai'  un  petit  ruisseau  à 
propos  duquel  je  chercherais  volontiers  querelle  aux 
cartographes.  Le  ruisseau  de  Kavak  n'est  pas  le  même 
que  celui  de  Tchakalle  ;  car  on  ne  le  traverse  pas  entre  les 
deux  localités  et  dans  chacune  il  coule  de  l'Ouest  à  l'Est. 
Ces  deux  cours  d'eau  se  réunissent  ;  mais  celui  de  Tcha- 
kalle, étant  en  toutes  saisons  le  i)lus  considérahle,  doit 
être  considéré  comme  le  principal.  Or  c'est  précisément 
le  contraire  qui  se  fait  ;  c'est  au  plus  petit  qu'on  donne 
le  nom  de  Merd  ermak,  qui  devrait,  ce  semble,  appartenir 
au  plus  grand. 

Au  delà  du  bourg  de  Kavak,  la  route  monte  plusieurs 
heures,  toute  bordée  d'hellébores  noirs.  Je  n'ai  jamais 
rencontré  cette  plante  à  l'intérieur  de  l'Asie  Mineure  ; 
mais  elle  abonde  sui'  ce  versant  de  la  montagne.  Nous 
finies  un  arrêt  à  la  poi'le  d'un  caravansérail  à  Utch- 
khanlar  (i)  (les  trois  h/ian  ou  Caravansérails).  Le  tenancier 
de  l'établissement  nous  invita  à  monter  au  premier  et 
nous  offrit  le  café. 

Pendant  que  nous  causions  un  paysan  vint  nous  mon- 
trer (|uelques  vieilles  monnaies  très  communes  ;  puis 
nous  indiquant  de  la  main  les  sommets  que  nous  avions 
devant  nous,  il  nous  parla  d'un  village  de  Yaghmourlou 
(le  pluvieux)  où  il  y  avait,  atïirmait-il,  beaucoup  d'anti- 
quités. 

C'est  peut-être  la  station  que  le  (Corpus  Inscriptionum 
latinarum  (vol.  IH)  indique  sous  le  nom  de  Tschamourlou 


(1)  Dans  ce  nom  propre,  il  faut  remarquer  l'addition  de  l'afBxe  «  lar  » 
marque  du  pluriel  dans  la  langue  turque;  addition  tout  à  lait  hois 
d'usage,  lorsque  le  substantif  est  précédé  d'un  nom  de  nombre. 


tJN    COIN    DE    l'aSIE    mineure.  171 

(le  boueux)  à  2  h.  au  S.  E.  de  Kavak.  Elle  a  été  visitée 
par  M.  Bilïotti,  jadis  consul  d'Angleteri'e  à  Trébizonde, 
qui  y  a  reconnu  une  triple  enceinte,  et  trouvé  beaucoup 
d'antiquités  en  particulier  un  nombre  considérable  de 
statuettes  en  terre  cuite.  Tout  cela  semble  indiquer  quel- 
qu'un de  ces  très  anciens  sanctuaires  où  ces  sortes  de 
figurines  étaient  consacrées  à  la  Divinité.  Nous  n'avons 
pas  cru  pouvoir  nous  y  rendre  ;  mais  cela  a  été  un  regret. 

Un  peu  avant  d'atteindre  le  sommet  de  la  montagne, 
nous  rencontrons  un  hameau  groupé  autour  d'un  caravan- 
sérail :  c'est  le  Kara  dagh  keuï  (village  du  mont  Noir). 
L'administration  sanitaire  y  a  fait  construire  un  certain 
nombre  de  baraques  en  briques  où,  en  temps  d'épidémie, 
on  installe  la  quarantaine.  Il  y  a  quelques  années  ceux 
qui  étaient  chargés  de  sa  direction,  contraignaient  indis- 
tinctement tous  ceux  qui  passaient,  qu'ils  vinsent  de  pays 
indemnes  ou  non,  à  faire  le  temps  de  quarantaine  pres- 
crit. Généralement  on  en  était  quitte  pour  une  nuit  et  un 
bakhchiche  proportionné  au  luxe  des  habits  et  de  l'équi- 
page. Quant  aux  misérables,  s'ils  n'avaient  pas  assez 
d'esprit  pour  prendre  à  travers  bois  par  les  anciens 
chemins,  on  était  impitoyable  pour  eux. 

A  quelque  distance  de  là,  on  se  trouve  au  sommet  de 
la  montagne,  où  une  borne  marque  la  limite  entre  les 
vilaijct  de  Sivas  et  de  Trébizonde.  Ce  point  paraît  si 
naturellement  frontière  qu'il  me  semble  entrer  dans  la 
Phazémonitide  de  Strabon.  (1.  XII,  c.  5,  §  13  et  14). 

D.  iM.  Girard  S.  J. 


ANALYSE 

d'un 

ESSAI  DE  SVXTIIÈSE  PSYCHOLOGIQUE 

DE  LA  SCIENCE  DU  LANGAGE  ". 


L"uiivrage  de  M.  Vau  Giuuekea  est  im  essai  d'explication  psycho- 
logique de  la  nature  et  des  procédas  du  langage,  considéré  non 
seulemeut  dans  sa  coustitutiou  physique,  mais  aussi  dans  ses 
éléments  idéologiques.  Sa  méthode  consiste  à  étudier  le  langage  à 
la  lumière  de  la  psychologie  expérimentale  :  d'abord  le  mot, 
expr(S>ion  des  idées  et  des  sentiments  ;  puis  le  discours  suivi,  ou 
les  unités  secondaires  du  langage.  Armé  de  vastes  connaissances 
«lans  le  domaine  de  la  linguistique  indo-européenne,  ancienne  et 
mo  leruc,  il  uou^  offre  successivement  Texplication  des  faits  parti- 
culiers et  géui'raux  accumuh'S  par  les  travaux  d'un  siècle. 
L'ensemble  l'orme  une  histoire  psychologique  du  langage  en  géné- 
ral, mais  étudie  le  plus  souvent  dans  la  famille  indo-européenne. 
Cette  histoire  psychologique,  me  paraît,  dans  la  pensée  de  l'auteur 
—  (jii'il  n'exprime  qu'à  propos  de  certains  faits  particuliers  — 
répondre  à  Ihistoire  chrouologi(iue. 


(  1  )  .1.  \'an  Ginneken  s.  J.  Gi'ondheginselen  der  Paychologische  Taalioe- 
tvnsch<ip.  Eene  synthetische  ptoeve.  —  L'ouvi-aj^e  a  été  publié  dans 
Leiivcnsche  Bijdrapen.  opliet  gebied  der  Germaansche  Philologie  en  in 
M  tjyzondei' van  de  Nederl;uulsolio  Dialectkunde,  onder  de  icdactie  van 
Vn.  CoLiNET,  L.  (joEMANs  OU  L.  ScHARrÉ.  —  Vl'>e  jaargaug,  l^te  afleve- 
ring.  bl.  1-23'.»;  2'ie  aileveriiig  241-265  et  VIl'^p  jaargaug.  l^te  aflevering, 
bl.  l-2:v.». 


ANALYSK    d'i.N    KSSAt    DE    SVMIII.SIi    l'SVCFlOLOGIQlE.       i  75 

L'«  Essai  de  Synthèse  «  représente  une  somme  de  travail  consi- 
dérable et  suppose  un  talent  de  combinaison  extraordinaire.  Cette 
construction,  dans  son  ensemble,  répond-elle  à  la  réalité  et  dans 
quelle  mesure  ?  11  serait  téméraire  de  se  prononcer  à  cet  égard,  et 
de  montrer  ainsi  plus  d'assurance  que  l'auteur  lui-même.  Mais  on 
peut  dire  que  l'auteur,  original  dans  l'ensemble  de  sa  conception, 
offre  à  tout  moment  l'explication  de  faits  qu'on  avait  simplement 
constatés  jusqu'ici.  Ces  explications  sont  plus  ou  moins  plausibles, 
mais  toujours  suggestives.  11  n'est  pas  permis  d'ailleurs  de  les 
considérer  isolément  :  dans  la  pensée  de  l'auteur,  elles  empruntent 
toujours  une  partie  de  leur  force  à  l'ensemble  du  système.  Je 
dois  attirer  l'attention  sur  ce  point  en  vue  de  certaines  critiques 
que  je  ferai  au  courant  de  cette  analyse. 

Les  lecteurs  du  3Iusi'on,  même  les  spécialistes,  seront  heureux, 
sans  doute,  de  trouver  ici  une  analyse  détaillée  de  ce  remarquable 
Essai.  Parfois  cette  analyse  sera  critique,  et  je  protitorai  de  l'oc- 
casion pour  exposer  quelques  observations,  fruit  de  fues  études 
dialectologiques,  et  qui  me  paraissent  d'une  certaïuo  portée 
générale. 

PREMIÈRE  PARTIE. 

La  première  partie  est  essentiellement  un  essai  sur  l'origine 
des  parties  du  discours. 

Le  premier  et  le  second  chapitre  ne  sont  qu'une  introduction  :  le 
résumé,  ou  plutôt  la  synthèse  des  données  de  la  psychologie 
moderne  sur  les  images  des  mots,  les  images  des  choses  et  sur 
leurs  relations. 

Le  second  chapitre  traite  de  l'intelligence  et  de  1'  «  acte  d'ad- 
hésion ».  Par  ce  dernier  terme  l'auteur  entend  l'acte  par  lequel 
«  prenant  conscience  de  nos  perceptions  et  de  nos  représenta- 
tions, nous  nous  distinguons  du  monde  extérieur,  et  nous  le 
reconnaissons  comme  objectif  »  (p.  ô-i).  C'est  l'acte  conscient  de 
la  force  suprasensible  qui  se  manifeste  comme  le  moi  un  et 
toujours  identique  à  lui-même.  L'acte  d'adhésion  seul  parvient 
à  expliquer  les  faits  du  langage  :  l'existence  d'images  de  mots  ou 
de  choses  ne  suffit  pas  ;  il  est  l'élément  essentiel  du  langage,  même 

13 


174  LE    MUSÉOIS. 

le  plus  simple.  L'auteur  apporte  plusieurs  preuves  de  ce  qu'il 
avance.  La  dernière  consiste  en  ceci  que,  en  dehors  de  cet  acte,  il 
est  impossible  de  concevoir  l'existence  des  catégories  grammati- 
cales. Le  développement  de  cette  preuve  occupe  près  de  60  pages, 
et  consiste  à  expliquer  la  différenciation  de  ces  catégories  par  les 
variétés  de  l'acte  d'adhésion  considéré  dans  son  objet  ou  dans  son 
mode. 

Le  quatrième  chapitre  est  intitulé  «  sentiment  et  valuation  ». 
Le  sentiment,  tel  que  l'entend  l'auteur,  est  une  manière  d'être, 
une  affection  transitoire  du  moi  conscient,  accompagnant  l'acte 
d'adhésion  dont  il  reste  cependant  distinct  :  tels  sont  les  sentiments 
de  la  certitude,  du  désir  etc.  Le  moi  dont  il  s'agit  n'est  pas  le 
substratum  permanent  des  phénomènes  psychiques  ;  mais  le  moi, 
le  substratum  permanent  considéré  à  un  moment  particulier.  On 
pourrait  l'appeler  la  conscience  directe  subjective.  C'est  dans  l'un 
de  ces  sentiments,  ainsi  entendu,  à  savoir  le  sentiment  de  la  con- 
nexion que  l'auteur  trouve  la  signification  propre  de  toutes  les 
conjonctions,  de  toutes  les  prépositions,  de  toutes  les  particules  ; 
leur  sens  idéel  est  métaphoiique  et  accidentel. 

La  valuation  est  uu  autre  facteur  du  langage,  moins  important, 
et  qu'il  ne  faut  pas  ranger  parmi  les  sentiments,  mais  qui  occupe 
une  place  à  part,  parce  qu'ici  le  sentiment  est  nécessairement  uni 
avec  un  acte  d'adhésion. 

On  le  voit,  le  corps  du  travail  est  une  explication  de  l'origine 
des  catégories  grammaticales,  par  les  faits  psychologiques  qui  se 
trouvent  à  la  base  du  langage.  Ou  se  demande  pourquoi  toute  la 
première  partie  de  cette  démonstration,  celle  qui  traite  des  mots 
variables,  est  présentée  comme  une  simple  preuve  de  l'existence  de 
l'acte  d'adhésion.  11  en  résulte  que  logiquement  cette  partie  occupe 
une  toute  autre  place  dans  l'ensemble  que  ta  seconde  consacrée  aux 
mots  invariables.  Mais  ceci  est  une  simple  question  de  forme.  Il 
n'en  est  pas  moins  vrai  que  co  procédé  déroute  quelque  peu  le  lec- 
teur, qui  suit  l'auteur  à  travers  les  00  pages  que  comprend  cette 
partie,  et  qui  n'entend  plus  parler  ensuite  de  la  force  démonstrative 
des  faits  si  longuement  exposés. 

Le  travail  de  M.  Van  Ginnekcn,  dans  sa  partie  originale,  est  une 
application  toute  nouvelle  des  résultats  de  la  psychologie  moderne 


mots. 


ANALYSE    d'un    ESSAI    DE    SYNTHÈSE    PSYCHOLOGIQUE.       175 

à  la  grande  question,  toujours  irrésolue,  des  catégories  grammati- 
cales qui  se  retrouvent,  quant  aux  traits  essentiels,  dans  la  plupart 
des  langues  anciennes  et  modernes.  En  outre,  ses  recherches 
l'amènent  à  traiter  des  questions  fondamentales  dans  le  domaine 
de  la  sémantique.  Les  théories  de  l'auteur  sont  très  hardies,  et  on 
hésitera  souvent  à  se  prononcer  sur  la  valeur  de  ses  conclusions. 
Mais  à  tout  moment  il  ouvre  des  horizons  nouveaux,  où  le  lecteur 
ne  découvrira  pas  toujours,  il  est  vrai,  ce  que  l'auteur  veut  lui 
faire  voir. 

*      * 

Nous  voyons  ici  comme  quoi,  dans  les  conditions  normales  de  Premier  chapitre. 
notre  société  moderne  l'entité  psychologique  d'un  mot  se  compose  ^^^  images  des 
de  quatre  éléments  :  l'image  phonique,  l'image  visuelle,  l'image 
motrice  de  l'articulation  et  l'image  motrice  de  l'écriture.  Ces 
quatre  éléments,  bien  entendu,  ne  sont  pas  séparés,  mais  sont  reliés 
entre  eux  et  s'influencent  constamment  l'un  l'autre.  Cette  action 
réciproque  n'est  pas  la  même  chez  tout  le  monde,  ni  toujours  la 
même  chez  un  même  individu.  Ceci  dépend  naturellement  de  l'im- 
portance relative  des  quatre  images,  qui  varie  d'après  les  conditions 
physiologiques,  psychologiques  et  sociales  oii  se  trouvent  l'individu 
parlant.  —  Il  est  évident  que  la  représentation  est  anormale 
chez  les  sourds  muets  et,  à  notre  point  de  vue,  chez  les  peuples  non 
civilisés.  Même  chez  les  peuples  civilisés  —  au  point  de  vue  qui 
nous  occupe  —  il  est  probable  qu'il  existe  des  variétés  dans  la  repré- 
sentation verbale,  provenant  du  caractère  particulier  des  langues 
qu'ils  parlent.  Prenons  les  langues  indo- chinoises.  Dans  ces  langues, 
un  même  groupe  phonique,  une  même  syllabe  possède  les  sens 
les  plus  divers,  que  l'on  distingue  par  la  modulation,  par  l'accen- 
tuation musicale.  Or,  on  a  constaté  en  Europe  des  cas  d'aphasie 
où  l'image  motrice  de  l'articulation  avait  disparu.  Néanmoins  le 
malade  avait  conservé  la  faculté  de  reproduire  la  modulation  des 
mots  qu'il  ne  pouvait  plus  prononcer.  On  on  conclut  que  l'élément 
musical  du  langage  ne  se  confond  pas  entièrement  dans  les  organes 
avec  les  autres  éléments  acoustiques.  Il  semble  bien  probable  que 
dans  les  langues  monosyllabiques  où  le  caractère  musical  est  si 
prononcé,  la  représentation   verbale   diffère   de  ce   chef  de  nos 


\H]  LK    MISÉO.N. 

langues,  où  la  modulation  musicale  des  mots  ne  se  rencontre  que 
d'une  manière  sporadique. 

Il  résulte  de  l'ensemble  de  ces  faits  que  chez  un  individu  nor- 
mal vivant  dans  notre  société  civilisée,  les  mots  peuvent  constituer 
des  cUcgories  psychologiques  différentes.  L'étude  des  mathéma- 
tiques p.  e.,  commencée  à  un  certain  âge,  et  devenant  une  occu- 
pation absorbante,  aura  pour  effet  de  donner  la  prédominance  aux 
images  visuelles  en  ce  qui  regarde  les  mots  acquis  à  partir  de 
l'époque,  où  l'on  s'est  livré  entièrement  à  cette  étude.  Dans  les 
mots  des  langues  étrangères  que  l'on  apprend  surtout  dans  les 
livres,  c'est  l'image  visuelle  qui  a  le  plus  d'importance,  tandis 
que  dans  les  mots  du  patois  qu'on  a  entendus  et  répétés  sans  jamais 
les  écrire,  c'est  naturellement  l'image  phonique  et  l'image  motrice 
de  larticulation  qui  jouent  le  rôle  principal. 

En  outre  il  semble  que  chez  tout  le  monde  le  nom  que  l'on  porte 
et  les  chiffres  occupent  une  place  spéciale. 
Conclusions.  De  cette  diversité  daus  la  constitution  psychologique  des  repré- 

sentations verbales,  l'auteur  tire  certaines  conclusions  que  nous 
préiérous  traduire  littéralement  (p.  15)  : 

1°  «  Parmi  les  facteurs  de  l'évolution  historique  du  langage,  les 
quatre  images  verbales  occupent  la  premièreplace,  du  moins  de  nos 
jours  ;  les  deux  deruières  sont  moins  importantes  comme  quantité, 
mais  ont  au  fond  la  même  importance. 

2"  Dans  toutes  les  langues  où  la  lecture  et  l'écriture  sont  de 
quelque  importance  on  ne  peut  restreindre  les  questions  relatives 
au  changement  de  forme  des  mots  à  la  seule  phonétique,  à  l'étude 
exclusive  des  sons. 

o"  En  ce  qui  regarde  nos  langues  modernes.  II.  Paul  a  «  ferri- 
hlcnicnt  exagéré  »  lorsqu'il  a  dit  :  «  dass  das  geschriebeue  nicht 
die  Sprache  selbst  ist,  dass  die  in  Schrift  umgesetzte  Sprache 
immer  erst  eine  Riickumsetzung  bedarl',  ehe  man  mit  ihr  rechnen 
kann  ». 

1"  Dans  nos  langues  modernes,  les  lois  phonétiques  sans  excep- 
tion sont  au  nombre  des  choses  impossibles,  et,  pour  les  temps 
primitifs,  à  ce  point  de  vue  du  moins,  improbables  ;  car  h  même 
son  est  l'effet  de  représentations  verbales  d'une  composition  varia- 
b'es  :  un  mot  qui  extérieurement  est  identique  à  un  autre  peut 
cependant  appartenir  il  une  catégorie  psychologique  différente  ». 


ANALYSE    d'UiN    ESSAI    DE    SYNTHÈSE    PSYCHOLOGIQUE.       177 

Ces  conclusions  tirées  d'une  série  de  faits  psychologiques  dûment 
établis  sont  séduisantes  au  premier  abord.  A  la  réflexion,  elles 
paraissent  cependant  un  peu  hâtives.  On  se  demande  p.  e.  s'il  est 
juste  de  conclure  que  les  images  visuelles  et  motrices  de  l'écriture 
ont  la  même  importance  que  celles  du  son  (i).  C'est  une  affirmation 
qui  ne  découle  pas  nécessairement  des  faits  exposés,  et  qui  exige- 
rait une  démonstration  à  part  difficile  sans  doute  à  établir.  Il 
semble,  bien  plutôt,  que  les  faits  suggèrent  le  contraire.  Même 
dans  les  pays  les  plus  civilisés,  la  proportion  des  personnes  qui 
lisent  et  écrivent  plus  ou  autant  qu'elles  parlent  et  écoutent  est 
fort  petite.  Les  autres  forment  l'immense  majorité.  Or,  chez  eux,  les 
images  acoustiques  sans  cesse  renouvelées  acquièrent  une  intensité, 
une  force  psychique  beaucoup  plus  grande  que  les  images  de  l'écri- 
ture. Celles-ci  ne  peuvent  donc  exercer  une  influence  aussi  grande 
sur  le  langage  que  les  premières.  De  fait,  les  images  de  l'écriture 
doivent  être  extrêmement  faibles  chez  le  plus  grand  nombre,  pour 
qui  les  signes  écrits  restent  probablement  ce  qu'ils  sont  en  réalité, 
les  signes  des  sons,  sans  lien  direct  avec  les  objets  désignés.  — 
L'évolution  des  langues  littéraires,  des  Cultursprachen  a  été  fort 
peu  étudiée  au  point  de  vue  théorique,  alors  qu'on  s'est  occupé, 
non  sans  succès,  des  langues  naturelles,  des  patois.  Dès  lors  on 
peut  se  demander  si  les  paroles  de  Paul  sont  si  terriblement  exagé- 
rées. La  réponse  à  donner  sur  le  degré  d'exagération  dépend  de  la 
question  de  savoir  si  l'évolution  des  langues  littéraires  —  abstrac- 
tion faite  des  mots  savants  introduits  en  masse  dans  la  langue  du 
peuple  dans  certains  pays  —  dépend  de  la  très  faible  minorité 
chez  qui  les  images  de  l'écriture  ont  peut-être  une  importance 
égale  aux  images  acoustiques,  ou  bien  du  grand  nombre,  chez 
lequel  l'élément  acoustique  l'emporte  certainement  sur  l'élément 
visuel.  Les  deux  groupes  y  contribuent  sans  doute  chacun  de  son 
côté,  mais  dans  quelle  proportion  ?  Aucun  raisonnement  ne  pour- 
rait résoudre  la  question. 


(1)  L'auteur  dit  (Conclusions,  1^)  que  les  deux  dernières  représentations 
verbales  sont  moindres  quantitativement  que  les  deux  premières  —  pho- 
nique et  visuelle.  Celles  ci  paraissent  donc  se  trouver  sur  le  même  piedi 
comme  du  reste  tout  le  contexte  l'insinue. 


ITS  LE    iMLiSÉON. 

Reste  la  quatrième  conclusion,  la  critique  de  l'Ausnahmslo- 
sigheit  des  lois  phonétiques,  en  taut  (ju'elle  se  rapporte  aux 
langues  des  temps  primitifs,  harhares.  Ce  n'est  évidemment  pas  le 
lieu  d'ouvrir  une  discussion  sur  les  lois  phonétiques.  Je  voudrais 
cependant,  à  cette  occasion,  présenter  quelques  observations  faites 
sur  le  langage  naturel,  vivant  et  qui  pourront  servir  à  comprendre 
le  rôle  de  facteurs  psychologiques  distincts  de  l'analogie.  Notons 
que  les  Junggraramatiker  ont  restreint  leur  axiome  aux  sons 
pris  à  un  moment  donné  et  placés  dans  des  conditions  iden- 
tiques ;  qu'il  ne  s'agit  pas  non  plus  chez  eux  de  la  constacee  des 
effets,  puisqu'ils  admettent  que  l'action  des  lois  phonétiques  peut 
être  traversée  par  l'action  de  facteurs  d'un  autre  ordre.  Il  est  vrai 
que,  dans  la  pratique,  ce  facteur  se  réduit  à  un  seul,  l'analogie, 
notion  restée  passablement  vague  jusqu'ici.  L'étude  des  patois 
modernes  qui  représentent  approximativement  ces  «  langues  pri- 
mitives n  ne  paraît  pas  contredire  essentiellement  la  théorie  de  la 
constance  des  lois  phonétiques.  C'est  l'impression,  sinon  la  conclu- 
sion de  M.  l'abbé  Rousselot  à  la  fin  de  son  travail  magistral  sur 
le  patois  de  Cellefrouin.  L'étude  du  patois  d'Alost  —  dialecte 
bas-franc  —  m'a  laissé  la  môme  impression. 

Dans  la  très  grande  majorité  des  cas,  l'état  du  patois  s'explique 
par  l'action  des  lois  phonétiques  ou  de  l'analogie.  Il  reste  cepen- 
dant un  assez  grand  nombre  de  cas  difficiles,  un  résidu  irréduc- 
tible aux  lois  phonétiques  ou  à  des  analogies  plausibles.  Sans 
doute  une  connaissance  exacte  de  l'histoire  de  ces  mots  pourrait 
fournir  une  explication  par  les  moyens  ordinaires  ;  mais  il  me 
parait  probable  que  plus  d'une  fois,  les  irrégularités  proviennent 
de  causes  peu  ou  point  observées. 

Le  sentiment  agit  directement  dans  la  transformation  de  5  en  i 
dans  le  patois  de  Louvain.  Sous  Timpulsion  de  la  colère  sluker 
devient  îiluler^  smeerlap  devient  .hnachlap,  etc.  (i).  Il  est  vrai  que  la 
prononciation  normale  conserve  le  s.  Mais  le  S  n'aurait-il  pu  deve- 


(1)  Voir  GoEMANS,  Hct  dialect  van  Leuven,  p.  (■)4.  —  Pour  des  raisons 
d'ordre  typopraphique,  j'écris  les  mots  dialectaux  dans  l'ortiiographe 
néerlandaise;  sauf  u  (néerl.  oe  =  franc,  ou)  et  À-,  que  je  note  phonéti- 
quement. 


ANALYSE    d'un    ESSAI    DE    SYNTHÈSE    PSYCHOLOGIQUE.       179 

nir  normal  ?  Ne  trouverait-on  pas  ainsi  l'explication  de  certains  s 
inexpliqués  ?  —  Le  s,  pour  s,  est  devenu  plutôt  normal  pour  le 
patois  d'Alost  dans  le  mot  M'ngeren,  walgen  ;  't  Miigert  î)iè,  j'ai 
des  nausées,  littér.  il  (impersonnel)  me  fait  monter,  soulève  (le 
cœur.)  Il  est  vrai  que  la  transformation  de  s  en  .s^  est  plus  ou 
moins  phonétique  et  qu'on  entend  aussi  ka^tiïl  à  côté  de  Jcastiïl. 
Mais  au  commencement  du  mot,  cette  transformation  est  inconnue 
ailleurs  :  stùn  (steen),  't  sti'inen  hnis. 

Le  néerlandais  ja  (a  long)  existe  dans  le  patois  sous  les  formes 
jà,jà^  (avec  esprit  doux),  Jo,  d'après  les  dispositions  afifectives  de 
celui  qui  parle.  La  forme  jd  réclamée  par  les  lois  phonétiques 
n'existe  pas. 

La  position  particulière  des  interjections  à  l'égard  des  lois  pho- 
nétiques n'est  pas  un  fait  inconnu.  A  Alost  —  comme  à  Louvain  — 
il  existe  une  interjection  qui  continue  à  se  prononcer  régulière- 
ment avec  un  son  complètement  disparu  dans  l'un  et  l'autre  patois  : 
c'est  JH  /  fr.  hue  ! 

Voilà  un  certain  nombre  de  cas  oii  le  sentiment  influe  d'une 
manière  intermittente  ou  définitive  sur  la  forme  des  mots.  Ils 
sont  clairs,  mais  son  action  ne  s'est-elle  pas  exercée  parfois 
d'une  manière  cachée  dans  les  cas  que  nous  devons  laisser  sans 
explication.  Il  sera  peut-être  permis  de  tenter  par  ce  moyen 
l'explication  d'un  mot  obscur  jusqu'aujourd'hui,  à  savoir  le  mot 
bUr,  qui  devrait  se  dire  hlr,  comme  dans  gehîr.  Mon  point  de 
départ  est  l'interjection  n,  qui  exprime  le  mépris.  Autrefois,  plus 
qu'aujourd'hui,  le  paysan  était  un  objet  de  mépris  pour  l'habitant 
des  villes.  Le  mot  hûr  —  comme  ])mjsan  en  français  —  est 
souventune  injure.  Comme  tel,  il  appartient  à  la  langue  du  senti- 
ment. On  pourrait  conjecturer,  que  ce  mot  ait  continué  à  être  pro- 
noncé avec  U  précisément  pour  cette  raison  qu'on  l'employait  pour 
exprimer  ce  sentiment.  Ceci  suppose  naturellement  que,  sur  une 
grande  étendue  du  territoire  flamand,  le  son  U  sert  à  exprimer  le 
mépris,  chose  que  je  n'ai  pas  vérifiée  (i).  L'explication  donnée  par 


(1)  Pour  Louvain  voir  Goemans,  Het  Dialect  van  Leuven,  dans  Leu- 
oensche  fiijdrogen,  II,  p.  230  C'est  de  cette  manière,  comme  expression 
(lu  sentiment,  qu'on  pourrait  expliquer  la  conservation,  très  probable  du 
moins,  de  l'ancien  doe  dans  ce  patois,  Ibid.,  p.  150. 


18U  IK    MLSÉO>. 

Franck,  Fà.  Woord.  n'est  qu'une  conjecture  —  comme  la  nôtre, 
du  reste.  D'après  Fr.  (néerl.)  boer  serait  emprunté  à  Tallemand  ou 
aux  dialectes  intermédiaires  ;  le  mot  flamand  serait  dorper.  De 
fait  (lorper  est  un  synonyme  de  hocr  qui  oppose  l'habitant  des  vil- 
lages à  ceux  des  villes,  aux  poortcrs.  Les  deux  mots  ont  coexisté, 
mais  dorpcr  a  disparu.  Cet  emprunt  ne  s'expliquerait  pas  du  reste. 
L'influence  des  provinces  de  l'Est  sur  la  Flandre  et  le  Brabaut  est 
faible  ou  nulle  à  partir  d'une  certaine  époque.  Bien  mieux,  le 
mouvement  a  lieu  en  sens  inverse.  Aussi  la  Flandre  a-t-elle  donne 
à  l'Allemagne  son  mot  dorper  —  devenu  Tolpel  —  avec  bien 
d'autres  (i). 

Ces  observations  me  paraissent  suffire  pour  rendre  probable 
que  le  sentiment  peut  exercer  une  influence  directe  sur  le  déve- 
loppement des  sons.  Voici  maintenant  un  cas  où  la  même  action 
semble  pouvoir  être  attribuée  à  la  volonté  intelligente.  C'est  dans 
la  création  du  doublet  mujer  à  côté  de  mur,  la  femelle  des  ani- 
maux. 

En  Alostois  d,  placé  entre  voyelle  longue  ou  diphtongue  et  syllabe 
atone,  disparaît,  avec  ou  sans  modification  de  la  voyelle  ou  de  la 
diphtongue.  Mais  lorsque  la  longue  précédant  le  (i  est  /7,  représenté 
en  néerl.  par  oe  ou  o  (long,  zachtlang),  le  résultat  est  moins  uni- 
forme :  ^hudem  (hodem)  donne  huj/m  (2)  ;  *dHder,  fmoyen-néerl. 
ddder)  donne  dur  ;  d'un  autre  côté,  nous  avons  6i*y>n  (néerl.  hoden,  de 
hieden)  ;  huj^  muj,  ruj  (néerl.  hode,  moede,  roede)  ;  vujeren,  gujeren 
(néerl.  twederen,  f/oedercn)  ;  puis,  hlujcn,  brujen  (néerl.  blocdcn, 
broedcn),  et  ujen,  plur.  de  iid  (néerl.  hoed).  Les  deux  premières 
formes,  isolées  sous  tous  les  rapports,  représentent  le  pur  déve- 
loppement phonétique  :  dans  la  première,  la  longue  est  devenue 
diphtongue,  dans  la  seconde  elle  est  restée  intacte  devant  r 
final.  Ceci  rappelle  Vu  long  néerl.  devant  r  échappant  à  la  diph- 
tongaison, dans  uur  p.  e.  En  alostois  cet  u  était  devenu  i,  très 
probablement  avant  l'époque  de  la  diphtongaison,  et  aurait  donné 
oè  en  toute  autre  position.  Dans  la  diphtongue  de  buym,  le  2''  élé- 
ment n'est  guère  qu'au  2**  «  gipfel  n  de  la  voyelle,  plus  ou  moins 


(1)  Comparez  l'allemand  T(ilpel,  chez  Kluge,  Et.  W. 

(2)  l'y  représente  un  a  indistinct. 


ANALYSE    d'i>     KSSAI    DE    SVMliÈSE    PSYCHOLOGIQUE.       I8l 

dissimilé  en  il.  Le  développement  de  cet  élément  en  glide,  puis  en 
j  devant  la  terminaison  en,  tendant  à  s'introduire  à  nouveau  dans 
la  forme  régulière  *huyn  et  donnant  hujen  (boden)  est  très  natu- 
relle. Les  infinitifs  et  le  pluriel  de  àd  s'expliquent  de  même. 
Quant  à  ruj,  muj,  huj,  ils  sont  sortis  des  formes  allongées  par  en. 
Il  est  même  possible  que  la  diphtongue  de  bni/m  représente  le 
premier  stade,  dont  les  dissyllabes  avec  .  uje...  représentent  le 
plein  développement.  Cette  idée  est  suggérée  par  le  doublet  but/n, 
à  côté  de  hujen.  Les  doublets  gelécn  et  leti  (1)  ;  ce  dernier  étant  le 
même  participe,  consacré  à  un  usage  spécial  et  qui  n'est  plus 
senti  comme  tel  présentent  une  différence  analogue.  —  Nous  pou- 
vons maintenant  procéder  à  la  discussion  du  cas  qui  nous  intéresse  : 
c'est  le  doublet  mûr,  mujer,  mère,  que  nous  considérons  en  même 
temps  que  hrûr  et  brîlder,  frère.  Nous  passerons  à  côté  du  dou- 
blet ^?7r,  poudre  à  canon,  et  p'^jer,  poudre  de  médecine  :  c'est  un 
mot  étranger,  qui  peut  avoir  été  introduit  deux  fois  ;  dans  le  sens 
de  poudre  de  médecine,  il  tient  du  reste  de  la  nature  du  mot 
savant,  ayant  été  introduit  sans  aucun  doute  par  les  membres  de 
la  docte  Faculté.  Quant  à  brnr,  ce  n'est  pas  la  forme  organique  du 
dialecte.  Il  a  remplacé  un  plus  ancien  brlr,  qui  n'a  pas  encore 
entièrement  disparu.  Brader  est  simplement  le  néerl.  broeder,  et 
désigne  un  religieux.  Comment  expliquer  maintenant  le  doublet 
mûr,  mujer  ?  La  première  forme  désigne  la  femelle  des  animaux  ; 
la  seconde  signifie  mère.  La  forme  dur  de  *dàder  —  à  laquelle  on 
peut  ajouter  >'^7r  (néerl.  roer,  ail.  ntrfer)  gouvernail,  et  mévue  hrûr , 
emprunté  à  des  dialectes  contigus,  dont  les  tendances  sont  les 
mêmes,  me  paraissent  démontrer  que  mUr  est  la  forme  normale. 
On  ne  pourrait  objecter  mujer  de  *mnder,  comparatif  de  mw;",  las  : 
le  jeu  de  l'analogie  est  ici  trop  clair.  Comment  expliquer  alors  la 
forme  mujer '^  Certainement  pas  en  invoquant  purement  et  sim- 
plement ractiou  du  suffixe  -er  finissant  par  s'introduire  à  nouveau 
et  développant  mûr  en  *mû-  er  :  les  mots  voér  (néerl.  vader),  hrûr 
sont  parfaitement  restés  tels  quels,  et  on  ne  voit  pas  pourquoi  le 
dissyllabe  zister  (néerl.  zuster)  aurait  agi  plutôt  que  voér.  La  seule 
cause  qu'il  me  soit  possible  d'imaginer,  c'est  qu'on  aura  répugné 


(1)  L'un  et  l'autre  de  (ge)leden,  forme  néerl.  =  passé. 


18-2 


LE    MLSÉON. 


à  employer  le  même  mot  pour  désigner  la  mère  de  famille  et  la 
femelle  des  animaux.  Il  est  à  noter  1"  qu'il  y  a  lieu  de  dési- 
gner assez  souvent  la  femelle  des  animaux  ;  2"  que  la  langue  des 
gens  simples  a  conservé,  beaucoup  plus  que  la  langue  littéraire, 
l'emploi  de  mots  distincts  pour  désigner  les  actions  —  et  aussi  les 
membres  —  des  nommes  d'un  côté,  et  des  animaux  de  l'autre. 
Sous  l'impulsion  de  cette  volonté  consciente,  sinon  réfléchie,  niRr 
aura  pu  subir  une  modification  phonétique  déterminée  dans  sa 
forme  par  le  suffixe  -er  de  le  mot  littéraire  moeder,  coexistant 
avec  mûr  dans  l'usage  quotidien  —  dans  les  prières,  en  particulier. 
Le  suffixe  se  sera^  introduit  à  nouveau,  ou  aura  maintenu  son 
existence  dans  une  forme  en  diphtongue,  se  développant  ensuite 
en  forme  dissyllabique.  Il  n'en  resterait  pas  moins  vrai  que  le 
facteur  qui  aurait  créé  un  doublet,  à  côté  de  la  forme  organique, 
serait  d'abord  et  esssentiellement  la  volonté  intelligente. 


Second  chapitre.        Le  second  chapitre  est  consacré  aux  représentations  objectives 
Les  images  ob-  ^^g  choses.  Chez  l'en  faut,  à  chaque  représentation  verbale  corres- 

jectives   des   cho-  '  ^  ' 

ses.  pond  une  représentation  intuitive  de  l'objet  perçu.  Naturellement 

la  représentation  u'est  pas  toujours  une  image  visuelle  ;  elle  est 
souvent  la  reproduction  d'impressions  reçues  par  l'intermédiaire 
des  autres  sens.  Faute  de  mieux,  nous  emploierons  ici  le  mot 
intuitif  dans  le  sens  général  de  sensible.  —  De  plus,  chez  l'enfant 
la  représentation  intuitive  est  isolée.  Bientôt,  et  à  mesure  qu'il  se 
développe,  elle  cesse  d'être  intuitive  et  s'associe  d'autres  représen- 
tations reçues  par  les  sens. 

La  représentation  ne  reste  pas  intuitive.  Peu  à  peu,  elle  devient 
plus  vague,  les  détails  disparaissent,  même  les  plus  essentiels  ; 
à  la  fin,  il  ne  reste  plus  d'image  appréciable,  et  elle  devient 
complètement  inconsciente.  Les  mots  qui  expriment  des  actions 
sensibles  sont  plus  incolores  que  ceux  des  objets  sensibles  et  cela, 
parce  que  la  représentation  mentale  d'une  action,  comportant  une 
durée,  demande  plus  de  temps.  Le  caractère  intuitif  manque  tout 
à  fait  lorsque  le  sujet  n'a  jamais  perçu  l'objet  ou  l'action  par 
lui-même.  Il  en  est  de  même  des  mots  qui  expriment  des  sensa- 


ANALYSE    d'un    ESSAI    DE    SYNTHÈSE    PSYCHOLOGIQUE.       185 

tions  internes,  comme  la  douleur,  la  fatigue,  l'aversion,  la  colère. 
Une  fois  que  le  caractère  intuitif  a  complètement  disparu,  il  ne 
reste  naturellement  plus  de  représentation,  mais  seulement  Vana- 
logue  de  cette  représentation  dans  le  domaine  de  l'inconscience, 
que  l'auteur  appelle  représentation  in  potentia  En  langage  algé- 
brique nous  remplaçons  l'expression  arithmétique  d'une  quan- 
tité par  a,  et  nous  continuons  nos  opérations  mentales  au  moyen 
de  ce  symbole,  mais  en  gardant  la  faculté  de  le  remplacer,  à 
tout  moment,  par  sa  valeur.  Par  ce  procédé,  nous  allégeons  le 
travail  de  notre  cerveau,  mais  nous  courons  danger,  si  nous  le 
poussons  trop  loin,  de  tomber  dans  le  nominalisme  et  dans  le 
psittacisme. 

L'auteur  explique  au  moyen  de  ces  observations  la  confusion 
qu'on  remarque  souvent,  dans  l'histoire  des  langues,  des  noms  de 
choses  étrangères  :  plantes,  animaux,  etc.,  et  en  présente  un 
exemple  typique  dans  le  gothique  ulhandus,  chameau,  étymo- 
logiquement  éléphant  :  c'est  que  la  relation  de  la  chose  à  la 
représentation  verbale  était  devenue  si  faible  qu'à  un  moment 
donné  il  n'a  plus  été  possible  d'en  rappeler  les  éléments  concrets 
dans  la  conscience. 

La  représentation  objective  ne  reste  pas  isolée.  Il  ne  s'agit  pas  ici 
de  la  polysémie  des  mots,  mais  du  fait  qu'à  la  suite  d'expériences 
répétées,  la  représentation  mentale  devient  de  plus  en  plus  com- 
préhensive  et  finit  par  se  composer  de  diverses  images  sensibles, 
parfois  sans  lien  entre  elles,  de  telle  sorte  qu'il  s'agit  plutôt  de 
groupes  de  représentations  que  de  représentations  isolées.  Une 
série  de  ces  groupes  analysés  p.  34  et  35  montre,  par  des  exem- 
ples relativement  simples,  à  quel  point  ces  combinaisons  sont 
compliquées. 

11  résulte  de  cet  exposé,  que  d'après  le  degré  d'affaiblissement 
du  caractère  intuitif  des  représentations,  et  le  degré  de  complica- 
tion oii  elles  sont  arrivées,  les  mots  se  divisent  en  deux  nouvelles 
séries  psychologiques. 

Il  semblerait  au  premier  abord  que  l'évolution  de  la  représen- 
tation objective  soit  soumise  à  l'action  de  deux  forces  divergentes. 
XI  n'en  est  rien,  du  moins  si  l'on  a  égard  au  résultat.  L'une  et 


IS^  LE    MLSÉON. 

l'autre  concourent,  à  leur  façon,  à  faire  du  langage  le  moyen  de 
communication  entre  les  hommes. 

Pour  démontrer  ceci,  il  est  nécessaire  de  distinguer  le  processus 
psychologique  chez  celui  qui  écoute  et  chez  celui  qui  parle.  La 
personne  qui  entend  prononcer  un  mot  doit  passer  de  la  représen- 
tation mentale  du  mot  à  celle  de  l'idée  (i).  11  en  résulte  que  la 
représentation  provoquée  par  le  mot  diffère  selon  les  habitudes 
intellectuelles,  qui  différent  d'une  personne  à  l'autre.  L'effet  de  celte 
diversité  est  de  créer  des  représentations  in  poientia  dont  l'énergie 
psychique  latente  est  variable.  C'est  ainsi  qu'on  parvient  à  expliquer 
les  phénomènes  de  par  a  fantaisie.  Ces  phénomènes,  plus  fréquents 
dans  la  jeunesse  que  dans  l'âge  mûr,  consistent  en  ceci  que  l'audi- 
teur se  représente  spontanément  une  chose  toute  différente,  bien 
qu'il  saisisse  parfaitement  le  sens  réel  du  mot.  De  plus,  les  repré- 
sentations passées  forment  des  groupes  —  il  en  est  de  môme  des 
mots  —  et  il  se  fait  ainsi  que,  même  dans  le  cas  où  leur  énergie 
psychique  n'est  pas  plus  grande,  ce  sont  les  représentations  d'un 
certain  groupe  qui  se  présentent  devant  l'esprit  de  l'auditeur,  dès 
qu'il  les  entend  prononcer  en  connexion  avec  des  mots  apparte- 
nant au  même  groupe.  —  Quand  à  la  personne  qui  parle,  qui  veut 
exprimer  une  idée  par  la  parole,  elle  se  trouve  placée  devant  un 
certain  nombre  de  représentations  verbales  in  potentia  plus  ou 
moins  adéquates.  Le  choix  est  déterminé  par  la  plus  grande 
énergie  psychique  latente  de  Tune  d'entre  elles.  L'auteur  croit 
entrevoir  ici  l'origine  de  la  synecdoque  et  de  la  métonymie. 

De  ce  double  processus,  il  résulte  que,  psychologiquement,  cha- 
que mot  de  la  langue  appartient  à  une  double  catégorie,  selon 
qu'on  le  considère  dans  celui  qui  parle  ou  dans  celui  qui  écoute. 

Jusqu'ici  nous  n'avons  que  la  description  des  faits  psycholo- 
giques, en  général  déjà  connus,  mais  qu'il  était  indispensable 
d'exposer  avant  d'aborder  le  chapitre  relatif  à  rintelligencc  et  à 
l'adhésion  intellectuelle.  Désormais  l'auteur  devient  original  et  il 
nous  présente  une  série  d'applications  importantes  de  la  psycholo- 
gie à  l'histoire  des  langues. 


(1)  L'analyse  du  processus  psychologique  est  faite  d'aitrés  les  expé- 
riences d'Alfred  Binet,  de  Cordes  et  de  l'auteur  lui-même. 


ANALYSE    d'un    ESSAI    DE    SYNTHÈSE    PSYCHOLOGIQUE.       185 


* 
* 


L'ancien   ternae   idea  et  le    nom   moderne    d'aperception,  dit        Troisième 
l'auteur,  donnent  lieu  l'un  et  l'autre  à  une  foule  de  malentendus.     ,.  ^''■l"*'"®- 

L  adhésion  men- 

II  préfère  désigner  l'acte  fondamental,  primordial  de  l'intelligence  taie.  Le  principe 
par  le  terme  néerlandais  beaming.  Le  verbe  heamen,  étymologique-  ^"P"^^^^"^' 
ment,  signifie  dire  {oui)  amen.  C'est  reconnaître,  avouer  la  réalité 
d'une  chose.  Il  est  difficile  à  traduire  en  français.  Les  mots  qui 
s'en  rapprochent  le  plus  sont  le  verbe  adhérer,  et  surtout  le  sub- 
stantif adhésion,  qui  a  pris  un  sens  à  peu  près  identique  dans 
donner  son  adhésion  :  c'est  le  consentement  dans  l'ordre  intellec- 
tuel. Le  terme  de  heaming  résume  toute  la  théorie  de  l'auteur  sur 
l'intelligence.  Voici  comment  il  en  décrit  la  nature  (i). 

«  Beamen,  c'est  donner  son  adhésion  aux  paroles  d'autrui.  Il 
suffit  d'une  légère  extension  de  ce  sens  pour  dire  que,  par  l'action 
de  la  force  suprasensible  qui  est  en  nous,  nous  donnons  notre 
adhésion  à  nos  propres  perceptions  et  représentations  (2). 

L'existence  de  ce  principe  suprasensible  est  démontrée  par  des 
preuves  d'ordre  expérimental  ou  pathologique,  dont  plusieurs  sont 
entièrement  nouvelles,  et  d'où  il  ressort,  pour  employer  les  termes 
de  William  James  cités  par  l'auteur,  que  «  The  image  per  se,  the 
nucleus,  is  functionally  the  least  important  part  of  the  thought. 
The  added  consciousness  is  an  absolutely  positive  sort  of  feeling, 
transforming  the  mère  noise  or  vision  into  something  understood  ; 
and  deterraining  the  sequel  of  my  thinking,  the  later  words  and 
images,  in  a  perfectly  definite  way  r.  Remarquons  en  passant  que, 
dans  un  des  faits  apportés  comme  preuves  et  oii  l'on  voit  la  pensée 
se  produire  sans  le  secours  de  l'image  acoustique,  nous  avons  une 
réfutation  complète  du  paradoxe  défendu  si  brillamment  par  Max 
Millier  dans  son  ouvrage  The  Science  of  Thought. 


(1)  Leuvensche  Bijdragen  Vide  jaargang,  bl.  52-53. 

(2)  Le  substantif  heaming  est  difficile  à  traduire  ;  les  termes  adhésion 
et  assentiment.,  qui  s'en  rapprochent  le  plus,  ont  un  sens  plus  précis. 
Selon  les  besoins  de  la  phrase,  nous  emploierons  tantôt  l'un,  tantôt  l'autre, 
dans  le  sens  technique  attribué  ici  au  verbe  beamen. 


180  LK    MUSÉON. 

Pour  conclure  :  la  représentation  verbale  peut  faire  défaut,  la 
repri'sentution  des  choses  fait  souvent  défaut,  et  n'est  au  mieux 
qu'un  symbolisme  très  imparfait.  11  en  résulte  que  «  même  dans 
le  récit  le  i)lus  simple,  le  plus  concret,  l'essentiel  c'est  l'adhésion 
mentale,  tant  chez  celui  qui  parle  que  chez  l'auditeur  ».  —  Cette 
adhésion  mentale,  indépendante  de  tout  élément  d'origine  sensible, 
suppose  nécessairement  une  cause,  une  énergie  ayant  les  mêmes 
caractères.  L'existence  de  l'adhésion  mentale  comme  facteur  psy- 
chique, indépendant  dans  le  langage,  paraît  maintenant  bien 
établie,  même  pour  celui  qui  ne  voudrait  pas  suivre  l'auteur  dans 
sa  conclusion  métaphysique. 

La  plus  grande  partie  de  ce  Chapitre,  consacré  à  l'adhésion 
mentale,  est  occupée  par  un  dernier  argument,  qui  au  fond  est  une 
théorie  sur  l'origine  des  cat(''gorics  grammaticales,  basée  sur  les 
formes  diverses  que   prend  l'adhésion.  Cette   théorie   originale, 
reconnue  vraie,  serait  évidemment  une  preuve  iudirecte  de  l'exis- 
tence d'un  facteur  psychique  du  langage.  Voici  cette  théorie  : 
Les  diverse*  es-       «  Lorsque  »,  dit  l'auteur,  «  dans  les  circonstances  ordinaires, 
etjeur  expression  Dous  pci'cevons  quelque  chose,  nous  sommes  pousses  par  1  élément 
dans  le  iant.'at:e.     conscient   de  notre  nature,  à   donner  notre   adhésion   à  l'objet 
per<;u  :  oui,  je  perçois  cela.  Eu  analysant  ensuite  par  la  réflexion 
le  contenu  de  cet  acte  si  simple,  nous  remarquons  qu'il  se  com- 
pose des  éléments  suivants,  que  nous  pouvons  exprimer  en  termes 
abstraits,  en  disant  :  oui,  j'admets  l'existence  pure  et  simple  de 
l'objet  perçu  et  en  même  temps  telles  manières  d'être  de  cet  objet, 
c-à-d.  l'existence  pratique. 

Mais  ce  n'est  pas  tout  ;  car,  en  vertu  de  la  loi  d'association  des 
représentations  mentales,  il  se  présente  sans  cesse  devant  l'esprit, 
en  même  temps  que  les  objets  perçus,  d'autres  objets  perçus 
autrelbis  ;  il  arrive  même  parfois  que  nous  nous  int(''ressons  plus  à 
ces  derniers  qu'aux  objets  perçus  actuellement.  C'est  ainsi  que 
l'attention  est  attirée  sur  la  représentation  elle-même,  en  d'autres 
termes  nous  devenons  conscients  que  nous  avons  devant  Vcsprit 
telle  ou  Idle  représentation. 

Il  ressort  clairement  de  ces  derniers  mots  que  Vadhésion  donnée 
à  la  représentation  est  différente  de  Vadhésion  donnée  à  la  percep- 
tion^ quoiqu'elles  aient  pour  fondement,  l'une  et  l'autre,  le  même 


ANALYSE    d'un    ESSA!    DE    SYNTHÈSE    PSYCHOLOGIQUE.       187 

acte  de  conscience,  et  soient  à  bon  droit  désignées  par  le  même 
terme  générique.  Dans  la  dernière,  nous  n'adhérons  pas  à  ce  qui  est 
perçu  actuellement,  au  point  de  vue  métaphysique  :  à  ce  qui  existe 
hic  et  nunc,  mais  nous  reconnaissons  ce  qui  a  déjà  été  représenté, 
ce  qui  a  été  perçu  autrefois,  et  qui  pourra  être  perçu  de  nouveau  ; 
en  termes  métaphysiques,  nous  adhérons  au  possible ^  à  l'essence. 

Dans  la  suite  nous  appellerons  la  première,  adhésion  réelle  ;  la 
seconde,  adhésion  potentielle  :  les  deux  adjectifs  portant  non  sur 
l'adhésion  elle-même,  mais  sur  son  objet.  Notons  qu'il  y  a  des  cas 
où  la  réalité  de  la  perception  laisse  subsister  des  doutes  ;  dans  ce 
cas  nous  adhérons  à  une  chose  simplement  potentielle.  Inversement 
il  arrive  qu'une  simple  représentation,  évoquée  par  le  souvenir, 
hnit  par  nous  faire  sentir  sa  réalité,  et,  dans  ce  cas,  nous  adhérons 
à  la  réalité.  C'est  ce  qui  a  déterminé  le  choix  des  termes  qui 
désignent  les  deux  espèces  d'adhésion. 

Sous  un  autre  rapport,  l'adhésion  se  subdivise  en  adhésion 
absolue  et  adhésion  relative.  Lorsque  nous  percevons  un  objet  un 
certain  nombre  de  fois,  les  représentations  antérieures  s'associent 
chaque  fois  à  la  représentation  actuelle  et  se  fondent  avec  elles. 
Notre  adhésion  porte  alors  sur  la  dernière  en  relation  avec  tous  ses 
antécédents.  C'est  l'adhésion  relative  opposée  à  l'adhésion  abso- 
lue, qui  porte  sur  une  perception  simple. 

Cette  distinction  a  trouvé  son  expression  dans  la  structure  de  la    origine  psycho- 
1  ,    ,       ,  T  1  •      i     j     1  logique  du  nom  et 

plupart  des  langues.  Lorsque  nous  devenons  conscients  de  la  per-  du  verte. 

ception  d'un  fait,  notre  adhésion  est  une  adhésion  absolue.  Mais 
prendre  conscience  d'une  chose,  c'est  reconnaître  la  présence  d'une 
entité  qui  est  restée  plus  ou  moins  identique  à  elle-même  dans 
des  perceptions  antérieures  ;  dans  ce  cas,  notre  adhésion  porte 
sur  cette  entité  considérée  relativement  au  contenu  de  nos  per- 
ceptions antérieures.  L'adhésion  absolue,  portant  sur  un  fait, 
telle  est  la  base  psychologique  du  verbe.  L'adhésion  relative, 
portant  sur  uue  chose,  a  cr(;'é  la  catégorie  du  nom. 

L'auteur  cherche  à  expliquer  de  cette  manière  une  foule  de  faits 
grammaticaux  —  et  cette  explication,  à  son  tour,  est  une  confir- 
mation de  la  théorie. 

La  distinction  en  adhésion  réelle  et  potentielle  se  révèle  dans 
les  catégories  grammaticales  du  substantif  et  de  l'adjectif,  ce  qui 


188  I.K    Ml  SÉO.N. 

revient  à  dire  que  le  premier  exprime  la  perception  de  l'existence 
et  de  l'essence,  à  la  lois,  et  le  second,  de  l'essence  seulement.  Le 
premier  représente  une  chose  réelle  (ou  couçue  comme  telle)  ;  le 
second,  une  entité  simplement  possible.  Des  faits  empruntés  à  la 
grammaire  et  à  l'histoire  des  langues  viennent  confirmer  cette 
théorie.  La  même  distinction  se  trouve  originairement  à  la  baee 
d'une  part,  de  l'indicatif  présent  :  adhésion  réelle,  —  d'autre 
part,  du  prétérit,  du  futur,  du  subjouctif  et  de  l'optatif  :  adhésion 
potentielle.  Ceci  ne  nie  paraît  qu'une  hypothèse,  appuyée  sur 
d'autres  hypothèses  parfois  brillantes,  mais  qui  ne  créent  pas  la 
conviction.  Ce  n'est  pas  à  dire  que  nous  regrettons  que  l'auteur  les 
ait  exposées  ;  au  contraire.  L'origine  de  ces  formes  et  l'histoire  primi- 
tive des  procédés  syntactiijues  qui  s'y  rattachent  sont  si  incertaines, 
si  obscures  qu'on  doit  lui  savoir  gré  d'avoir  ouvert  de  nouveaux  hori- 
zons vers  lesquels  d'autr^  n*^  '.rronl  d-riger  leurs  recherches.  Du 
reste,  nous  avons  ici  un  ce  a  "  ^onibie  d'iudices  constituant  un 
commencement  de  curmlativi  eoidc7ice,  et  qu.  ne  permettent  pas 
de  regarder  cette  hypothèse  co;a-.;c  me  simple  conjecture. 

Résumons  mainteuanl,  en  employant  ses  propres  termes,  (Résu- 
mé de  la  l""  partie,  p.  24U,  250  et  251),  la  pensée  de  l'auteur 
sur  l'origine  psychologique  des  parties  du  discours  déjà  étudiées. 

«  La  cause  psychologique  de  la  différence  linguistique  (taalkun- 
dig)  entre  le  verbe  et  le  nom  se  trouve  dans  le  sentiment  de  la  dis- 
tinction existant  entre  l'assentiment  absolu  et  relatif,  n 

«  Le  sentiment  de  la  distinction  existant  entre  l'assentiment 
réel  et  potentiel  est  la  cause  effective  de  la  division  des  noms  en 
substantifs  et  adjectifs.  » 

«  La  cause  effective  des  catégories  verbales  en  indo-européen  est 
presque  toujours  la  distinction  que  l'on  sent  entre  les  assentiments 
réels  et  potentiels.  » 

Une  troisième  distinction,  qui  trouve  son  expression  dans  la 
langue,  est  celle  de  l'assentiment  indicatif  et  de  l'assentiment 
descriptif.  Le  premier  est  l'assentiment  qui  porte  sur  une  repré- 
sentation possible  d'une  chose  dont  les  détails  restent  complète- 
ment indéfinis,  mais  qu'un  ne  confond  cependaut  avec  aucune 
autre.  L'assentiment  descriptif  porte  sur  une  représentation  plus 
ou  moius    claire  et  détaillée.  Au  premier   de  ces    assentiments 


ANALYSE    d'un    ESSAI    DE    SYNTHÈSE    PSYCHOLOGIQUE.       189 

correspondent,  dans  la  catégorie  des  assentiments  absolus,  les 
pronoms  de  toute  espèce  ;  dans  la  catégorie  des  assentiments  poten- 
tiels, les  verbes  auxiliaires. 

Enfin  l'auteur,  pour  prévenir  des  malentendus,  fait  remarquer  : 
«  Je  ne  prétends  absolument  pas  que  tous  les  verbes  expriment 
toujours  un  assentiment  absolu,  ni  que  tous  les  noms  expriment 
toujours  un  assentiment  relatif.  Il  n'en  est  certainement  pas  ainsi. 

«  Je  n'affirme  pas  davantage  que  le  premier  Indo-Européen,  qui 
qui  employa  un  adjectif  ou  un  subjonctif,  ait  voulu  exprimer  un 
assentiment  potentiel  etc.  Cela  est  fort  possible^  mais  cela  n^est 
pas  en  question. 

«  La  seule  chose  que  je  pense  avoir  démontrée,  c'est  que,  dans 
les  catégories  grammaticales  que  j'ai  traitées,  les  diverses  sortes 
d'assentiment  constituent  la  signification  psychologique  fondamen- 
tale ;  en  d'autres  termes,  que  la  diff'érence  entre  ces  diverses  sortes 
d'assentiment,  en  se  faisaot  sentir  peu  à  peu,  a  été  la  cause  créa- 
trice de  la  différenciation  de  ces  catégories,  et  la  cause  de  leur 
maintien,  la  cause  de  leur  restauration  sous  des  aspects  variés, 
mais  équivalents  pour  le  sens,  dans  les  cas  où  elles  avaieat  péri 
par  suite  de  circonstances  quelconques,  n 


Le  4"°®  chapitre  traite  du  sentiment  et  de  la  valuation  comme        Qu 
facteurs  du  langage.  C'est  dans  ce  chapitre  que  l'auteur  explique         ^h 


Le  s 


bledu 


l'origine  des  parties  invariables,  dans  un  ordre  qui  n"est  pas  tou-  comme 
jours  très  visible.  Je  me  contente  de  le  suivre  pas  à  pas. 

Par  sentiment,  l'auteur  entend  les  manières  d'être,  les  affections  parties 
momentanées  du  moi,  qui  accompagnent  les  actes  d'adhésion,  mais 
qui  en  restent  cependant  indépendantes  :  tels  sont  les  sentiments  de 
la  certitude,  du  désir  etc.,  en  d'autres  termes  la  conscience  directe. 
Cette  notion  du  sentiment  est  une  abstraction,  de  même  que 
celle  de  l'adhésion.  Ce  qui  est  réel  dans  chaque  cas  donné  c'est  le 
tout  indivisible,  formé  par  l'adhésion  consciente  donnée  à  l'objet 
et  le  sentiment  s'arrétant  au  sujet.  Cela  n'empêche  qu'on  n'ait  le 
droit  de  parler  de  deux  ordres  d'activité.  La  première  aboutissant 

14 


190  I^E    MUSÉON. 

au  non-moi,  l'adbésion  ;  l'autre  tendant  vers  le  moi,  et  s'y  arrêtant. 
Bien  entendu,  le  moi  dont  il  s'agit  ici  n'est  pas  le  substratum  perma- 
nent des  opérations  conscientes,  mais  le  moi  conscient  considéré 
à  un  moment  donné.  Nous  pouvons,  aussitôt  que  nous  avons 
éprouvé  un  sentiment  donné,  réfléchir  sur  ce  sentiment,  qui  appar- 
tient alors  au  non-moi  actuel,  et  peut  comme  tel  devenir  l'objet  d'un 
acte  d'adhésion  objective.  Cette  distinction  entre  le  sentiment  actuel 
et  l'adhésion  réfléchie  portant  sur  ce  sentiment  est  d'une  haute 
importance. 

Le  sentiment  est  un  facteur  important  du  langage  des  enfants.  On 
a  fait  remarquer  plus  d'une  fois,  —  et  on  en  a  tiré  des  conclusions 
importantes  —  que  les  enfants  emploient  de  préférence  des  mots 
d'un  sens  très  général.  La  chose  a  paru  étonnante  ;  mais,  en  y  regar- 
dant de  plus  près,  on  a  vu  que  tous  ces  mots  ne  servaient  qu'à 
exprimer  un  sentiment  agréable  ou  désagréable.  Tout  ce  qu'ils  aiment 
s'appelle  de  tel  nom  ;  tout  ce  qu'ils  n'aiment  pas,  de  tel  autre. 
Et  c'est  là  le  premier  procédé  qu'ils  emploient  dans  leur  langage, 
sans  l'avoir  appris  des  persoones  qui  les  entourent.  Il  semble 
donc  bien  que  ce  procédé  soit  naturel  à  l'homme.  Peu  à  peu,  ces 
mots  purement  «  affectifs  »  deviennent  les  signes  des  représenta- 
tions idéelles.  Et  voilà  le  fait  que  l'on  observe  souvent  dans  le  lan- 
gage plus  développé  de  l'homme,  comme  l'auteur  l'expose  plus 
loin.  Réciproquement,  les  mots  qui  représentent  les  idées  deviennent 
des  moyens  d'expression  du  sentiment.  Deux  exemples.  On  dit 
fai  soif  etfai  soif  de  vengeance.  Pourquoi  le  désir  de  la  vengeance 
s'appelle- t-il  soif  7  C'est  que  ce  désir  provoque  un  besoin  d'apaise- 
ment analogue  à  celui  que  procure  la  boisson  à  l'homme  qui  éprouve 
la  soif.  —  La  tâche  accomplie,  l'ouvrage  fini  apporte  un  sentiment 
de  satisfaction  ;  ce  sens  s'est  communiqué  à  l'adverbe  enfin,  qui 
s'emploie  comme  une  espèce  d'interjection  pour  exprimer  diverses 
nuances  de  ce  sentiment. 

Les  sentiments  étudiés  par  l'auteur,  comme  facteurs  sémanti- 
ques du  langage  sont  : 

1"  Le  sentiment  de  l'association  ou  de  la  connexion,  toujours 
très  faible  et  de  peu  de  durée,  et  dont  la  nature  n'est  guère  per- 
ceptible qu'à  la  réflexion. 

2'  IjCs  sentiments  qualitatifs,  d'une  intensité  moyenne  et  dont  la 
qualité  distinctive  est  perçue  spontanément. 


ANALYSE    d'un    ESSAI    t)E    SYNTHÈSE    PSYCHOLOGIQUE.       191 

3°  Le  sentiment  de  l'intensité,  toujours  très  fort  et  de  longue 
durée  et  dans  lequel  les  qualités  distinctives  se  confondent,  domi- 
nées qu'elles  sont  par  le  sentiment  de  l'intensité. 

Le  sentiment  est  donc  un  facteur  du  langage,  et  c'est  par  ce 
facteur  que  V.  G.  explique  les  mots  invariables  et  les  particules. 
«  Toutes  les  conjonctions,  toutes  les  prépositions,  toutes  les  parti- 
cules sont,  dans  leur  signification  propre,  l'expression  du  sentiment 
de  l'association  ;  leur  signification  idéelle  est  métaphorique  et 
accidentelle  » .  —  C'est  par  le  premier  de  ces  sentiments  que  s'ex- 
plique l'origine  de  tous  les  indéclinables,  sauf  l'adverbe. 

Rien  de  plus  connu  que  le  fait  de  l'association  des  idées,  et  par  origine  psyciio- 
conséquent  des  actes  d'adhésion,  qu'il  faut  se  représenter  non  pas  joncu^on/ 
comme  des  perles  qui  se  suivent  sur  un  fil,  mais  comme  un  courant 
d'ondes  parallèles  qui  se  pressent,  et  se  succèdent  avant  que  les 
premières  aient  disparu.  Normalement,  elles  ne  sont  jamais  isolées, 
quoique,  presque  toujours,  il  y  en  ait  une  qui  l'emporte  sur  les 
autres.  Or  nous  sentons  l'action  que  les  actes  d'adhésion  donnée  à 
ces  idées  mouvantes  exercent  l'une  sur  l'autre.  Le  sentiment  de 
cette  association  se  compose  de  deux  éléments  étroitement  unis  : 
le  départ  de...  et  la  tendance  vers.  Et,  de  fait,  l'étymologie  des  mots 
qui  exprime  idéellement  l'association  se  ramèoe  étymologiquement 
au  sens  physique  de  départ  ou  de  tendance.  L'auteur  cite  :  Néerl. 
en,  m-néerl.  ende,  ail.  und,  angl.  and:  got.  anda-unpa,  «  de... 
vers  ». 

Grec.  Se,  identique  avec  -Se  et  av.  da  ==  vers. 

Lat.  et  ;  grec  sti,  etc. 

Celui  qui  d'abord  employait  ces  mots,  avec  leur  sens  primitif,  ne 
faisait  qu'exprimer  le  sentiment  du  passage  d'un  acte  d'adhésion 
à  un  autre  ;  c'est  l'auditeur  qui  transforma  le  sens  «  affectif  «  en 
sens  idéel,  exprimant  la  notion  de  l'association,  qui  devint  ensuite 
le  sens  conventionnel  du  mot,  et  pour  ceux  qui  les  employaient,  et 
pour  ceux  qui  les  entendaient. 

L'association  des  idées  est  de  deux  espèces  :  l'association  de 
similitude  et  l'association  d'expérience.  La  similitude  dont  nous 
parlons  n'est  pas  la  ressemblance  complète,  et  comporte  une  dissi- 
militude partielle.  C'est  ainsi  qu'on  explique  que  les  mots  qui  ont 
d'abord  exprimé  la  connexion  aient  passé  d'un  côté  au  sens  de  res- 


iD:2  l-E    MUSÉON. 

semblance,  de  l'autre,  à  celui  de  dissemblance,  d'opposition.  Il  en 
est  ainsi  du  lat.  ceu  =  *ce-ve,  ou  ceci.  Le  scr.  dpi,  signifie  à  la 
fois  aussi  et  mais  ;  le  got.  afar,  après  cela,  a  pris  le  sens  de  mais 
dans  Tall.  aber  ;  le  m-néerl.  echter,  après  cela,  signifie  aujourd'hui 
cependant. 

Les  termes  qui  expriment  le  sentiment  diffèrent  de  ceux  qui 
expriment  l'adhésion  intellectuelle  surtout  en  ceci  :  que  ces  derniers 
provoquent  d'ordinaire  chez  l'auditeur  la  même  action  psychique 
que  chez  celui  qui  parle  :  Tadhésion  traduite  en  paroles  fait  naître 
cbez  l'auditeur  la  même  adhésion.  Tandis  qu'un  sentiment  traduit 
en  paroles  ne  produit  pas  chez  l'auditeur  ce  même  sentiment,  mais 
une  adbésion  intellectuelle  à  ce  sentiment.  La  différence  entre  les 
deux  sens  accidentels  des  conjonctions  qui  viennent  d'être  traitées 
est  une  différence  d'adhésion  intellectuelle  ;  le  sentiment  lui- 
même  ne  la  connaît  pas  (Résumé  de  l'auteur  p.  255). 

Les  phénomènes  qui  résultent  de  l'association  d'expérience  sont 
tout  à  fait  parallèles.  Ici  encore  nous  constatons  que  les  mots,  qui, 
à  l'origine,  expriment  le  sentiment  de  l'association,  acquièrent  des 
sens  accidentels  divers  :  ils  expriment  le  motif,  la  cause,  la  raison, 
la  conséquence  ;  et  la  preuve  qu'il  ne  s'agit  pas  ici  d'un  développe- 
ment logique,  idéel,  c'est  que  les  mêmes  mots  sont  employés  indif- 
féremment pour  exprimer  la  concession,  qui  en  est  logiquement 
le  contraire.  L'auteur  traite  en  particulier  les  conjonctions  issues 
de  la  racine  du  pronom  relatif,  et  cherche  à  démontrer  que  leur 
sens  propre  et  originaire  n'est  autre  que  celui  de  l'association, 
de  la  connexion  qu'elles  expriment  comme  sentiment. 

Telle  est,  d'après  V.  G.,  l'origine  des  conjonctions.  Les  listes  de 
mots  qu'il  dresse  à  l'appui  de  sa  thèse  sont  frappantes.  Il  a  rappro- 
ché ici  un  grand  nombre  de  faits  étranges,  et  qui  du  coup  trouvent 
ainsi  une  solution  simple  et  profonde.  Mais  est-ce  la  seule  solution 
possible  V  La  Molutiou  est-elle  la  même  pour  tous  ?  Avant  de  m'atta- 
cher  à  montrer  qu'on  a  le  droit  d'hésiter  à  répondre  affirmative- 
ment à  ces  questions,  je  voudrais  signaler  une  difficulté  portant 
sur  la  théorie  elle-même.  J'avoue  que  je  ne  me  parviens  pas  à  me 
représenter  la  marche  des  choses  in  concreto.  En  quoi  le  mot  par 
lequel  s'exprime  le  sentiment  de  l'association  diffère-t-il  de  l'inter- 
jection ?  Le  mot  hélas  chez  celui  qui  parle  exprime  la  douleur  ou  la 


ANALYSE    d'un    ESSAI    DE    SYNTHÈSE    PSYCIIOLOGIQLE.       195 

compassion  ;  chez  l'auditeur  elles  éveillent  une  idée  :  c'est  la  diffé- 
rence du  sentiment  à  l'adhésion  intellectuelle,  à  la  perception  du 
sentiment.  On  voit  fort  bien  ici  que  l'interjection  est  entrée 
primitivement  dans  le  langage  à  titre  de  Naturlaut,  d'expression 
immédiate  du  sentiment  ;  elle  est  devenue  ensuite  une  des  formes 
conventionnelles  de  la  langue,  différant  essentiellement,  sous  cer- 
tains rapports,  de  tous  les  autres  mots.  Mais  elle  n'est  pas  allée 
plus  loin.  L'auteur  signale  lui-même  cette  analogie,  ou  plutôt  cette 
identité  fondamentale,  mais  sans  nous  rien  montrer  dans  l'histoire 
de  nos  langues  qui  la  rende  probable. 

Si  les  faits  allégués  par  M.  V.  G.  ne  pouvaient  s'expliquer  par 
aucune  autre  cause,  son  hypothèse  serait  singulièrement  séduisante. 
Mais  il  n'en  est  pas  ainsi  pour  plusieurs  des  exemples  choisis,  et 
qui  s'expliquent  de  diverses  manières.  Les  exemples  qui  vont  être 
discutés  sont  empruntés  aux  langues  modernes,  où  la  discussion 
n'est  pas  embarrassée  de  problèmes  historiques  ou  d'étymologies 
qui  ne  sont  pas  toujours  d'une  certitude  absolue. 

Le  néerl.  vandaar,  en  conséquence,  étym.  de  là,  montre  la  même 
dualité  de  sens  que  le  fr.  de  là,  et  l'angl.  hence.  Dans  les  trois 
langues  on  dit  :  là  se  trouve  la  raison,  daar  is  de  reden,  tliere  is 
the  reason,  et  dans  les  trois  cas  l'adverbe  de  lieu  est  l'équivalent 
du  démonstratif.  Peu  importe  la  raison  de  cette  substitution  :  il 
paraît  clair  que  les  expressions  de  là,  vandaar,  hence  sont  sorties 
de  ces  manières  de  parler  et  que  de  là  signifie  de  cela  découle  = 
en  cela,  en  ce  qui  précède  se  trouve  la  raison  de  ce  qui  suit.  Il  me 
paraît  qu'on  sous-entend  ici  un  verbe  comme  venir,  découler,  qui 
en  français  du  moins,  est  souvent  exprimé.  En  d'autres  termes  cette 
conjonction,  indiquant  la  conséquence,  est  une  proposition  abrégée. 
Telle  paraît  être  aussi  l'origine  de  bien  d'autres  conjontions  :  je 
citerai  le  grec  iXkx  que  l'on  est  parfois  tenté  de  traduire  :  voici 
autre  chose  ;  en  français  une  très  forte  opposition  se  marque  par 
mais  voici  autre  chose  ou  simplement  par  autre  chose,  qui  tend 
à  devenir  une  formule.  C'est  ainsi  qu'on  explique  sans  effort  le 
français  mais,  dans  plusieurs  de  ses  significations  (Voir  Littré,  Dict. 
de  la  langue  française). 

Une  autre  cause  qui  a  produit  l'évolution  du  sens  de  certains 
mots,  que  M.  V.  G.  allègue  à  l'appui  de  sa  thèse,  c'est  ce  qu'on 


10 i  LE    MISÉON. 

pourrait  appeler  l'irradiatioa  syntactique,  terme  employé  par 
M.  Bréal  pour  désigner  un  phénomène  analogue  dans  la  dérivation 
des  mots.  Il  y  a  d'abord  le  français  tout  de  même,  signifiant  à  la 
fois  de  la  même  manière  et  néanmoins,  comme  le  grec  Sj^-wç  et  le 
néerl.  (dial.  flara.)  al  gelijk.  Populairement,  dit  Littré  (Dict.),  tout 
de  même  se  prend  dans  le  sens  de  néanmoins  :  Je  n'y  vais  pas  de 
bon  gré,  mais  firai  tout  de  même.  Celui  qui  parle  ainsi  a  trois 
idées  dans  l'esprit  :  Je  n\j  vais  pas  de  bon  gré  — j'irai  —  de  la 
même  faron  que  si  j'y  allais  de  bon  gré.  «  Tout  de  même  »,  idéolo- 
giqucment,  est  une  proposition  abrégée,  et  par  lui-même  ne  marque 
nullement  l'opposition.  L'opposition  se  trouve  dans  les  deux  pre- 
mières idées  vis-à-vis  de  la  trosième,  et  elle  est  marquée  par  mais. 
C'est  l'habitude  d'employer  tout  de  même  dans  des  phrases  sembla- 
bles qui  a  fait  passer  le  sentiment  de  l'opposition  dans  cette 
expression,  tant  pour  celui  qui  parle  que  pour  celui  qui  écoute. 
Le  .sens  de  l'expression  est  si  clair,  en  effet,  qu'on  ne  se  figure 
pas  qu'il  ait  été  oublié.  Ce  que  l'on  comprend  facilement  au  con- 
traire, c'est  que  la  répulsion  à  aller  se  fasse  sentir  particulière- 
ment au  moment  où  l'idée  d'un  homme  qui  agit  de  bon  gré  se 
présente  à  l'esprit,  et  trouve  son  expression  dans  la  manière  de 
prononcer  le  mot  qui  l'exprime.  Ainsi  prononcé,  ce  mot  ne  fait 
évidemment  pas  passer  le  sentiment  dans  l'âme  de  l'auditeur, 
mais  elle  y  éveille  l'idée  d'opposition  ;  l'auditeur  sait  que  son 
interlocuteur  sent  une  opposition,  qu'il  exprime  par  tout  de  même, 
et  à  juste  titre  il  prend  ce  mot,  tel  qu'il  est  prononcé,  comme 
l'expression  de  cette  opposition.  C'est  ainsi  que  tout  de  même  finit 
par  avoir  le  sens  idéel  de  néanmoins,  et  par  être  employé  comme 
tel,  même  isolément.  Cette  analyse  ressemble  beaucoup  à  la  théorie 
de  M.  V.  G.  Il  y  a  cependant  une  différence.  Même  chez  celui  qui 
parle,  tout  de  même,  dans  la  phrase  ci-dessus,  n'est  pas  une  simple 
interjection  ;  il  conserve  au  contraire  tout  son  sens  :  c'est  justement 
l'idée  de  la  similitude  des  deux  positions  qui  provoque  l'explosion 
du  sentiment.  11  n'en  est  pas  moins  vrai  que  le  sentiment,  venant 
à  la  suite  d'une  idée,  a  affecté  l'expression  tout  de  même  chez 
celui  qui  parle,  et  que  c'est  l'auditeur  qui  y  a  attaché  Vidée  d'oppo- 
.sition.  Et  voilà  la  part  de  vérité  qui,  à  mon  avis,  se  trouve  dans 
la  théorie  de  V.  G. 


ANALYSE    d'un    ESSAI    DE    SYNTHÈSE    PSYCHOLOGIQUE.       195 

Voici  maintenant  des  cas  analogues,  mais  oii  je  suis  en  mesure 
d'analyser  des  faits  pris  au  langage  naturel,  vivant.  Ils  sont  de 
nature  d'abord  à  confirmer  ce  qu'il  y  a  de  conjectural  dans  ce  que 
précède,  et  en  même  temps  à  nous  laisser  entrevoir  quelque  chose 
de  ce  qui  a  pu  se  passer  aux  époques  primitives. 

Le  français  avec  signifiant  nonobstant  est  un  autre  phénomène 
allégué  par  notre  auteur  pour  démontrer  que  les  particules  expri- 
ment en  réalité  le  sentiment,  et  que  leur  sens  idéel  est  accidentel. 
Mais  dans  des  phrases  comme  celle-ci  (citée  dans  Littré,  Dict.)  : 
Ce  n'est  pas  qu'avec  tout  cela^  votre  fille  ne  puisse  mourir  (Molière), 
avec  n'a  le  sens  de  nonobstant  qu'en  vertu  du  contexte,  et  c'est 
encore  l'habitude  de  ce  sens  accidentel  qui  permet  de  employer 
le  mot  avec  isolément  dans  ce  même  sens,  de  préférence  cependant 
dans  des  tournures  ironiques.  Le  même  fait  se  présente  dans  mon 
patois  natal,  où  il  me  sera  plus  facile  de  l'étudier  à  la  lumière 
de  faits  positifs.  Met  (i)  s'emploie  ainsi  dans  deux  tournures  où 
l'ironie  est  évidente,  et  toujours  exprimée  par  des  inflexions  spé- 
ciales de  la  voix.  On  dira  p.  e.  Met  dat  hij  zoo  gevachtig  is  !  C'est- 
à-dire  avec  cela,  que  lui-même  aime  tant  à  donner  (est  si  donneur) 
en  parlant  d'un  homme  réputé  peu  généreux,  et  qui  se  serait  plaint 
d'avoir  été  traité  d'une  manière  peu  généreuse  lui-même.  Toute  la 
proposition  se  prononce  comme  une  exclamation  ;  la  voix  monte  et 
traîne  sur  hij  en  ge  .  —  On  dit  encore  (dans  un  air  populaire)  : 
Met  al  zijn  geld,  met  al  zijn  goed,  dat  hij  nog  sterven  moet  !  —  La 
phrase  est  exclamative,  et  le  chant  traîne  deux  fois  sur  al  (prononcé 
avec  un  a  long).  Mais  elle  pourrait  devenir  simplement  énonciative  : 
en  met  al  zijn  geld,  moet  hij  toch  nog  sterven.  On  remarquera  que 
dans  la  première  phrase,  exclamative,  aucun  mot  ne  marque 
l'opposition  :  la  voix  suffit.  Dans  la  seconde,  elle  est  indiquée  par 
nog,  qui  pourrait  être  omis.  Dans  la  troisième,  au  contraire,  un 
mot  qui  marque  l'opposition  est  de  rigueur  ;  de  fait,  on  en  mettrait 
toujours  deux  toch  nog  ou  dan  nog.  Met  n'est  donc  pas  arrivé  à 
signifier  malgré,  par  lui-même  ;  le  sens  ironique  est  parfaitement 
senti.  Mais  rien  n'empêcherait  qu'il  y  fût  arrivé  ou  qu'il  n'y  arrive 


(1)  Je  transcris  en  néerlandais  les  mots  du  dialecte. 


t9G  LE    MUSÉON. 

dans  l'avenir.  Il  est  superflu  de  poursuivre  cette  analyse  après  ce 
qui  a  été  dit  de  tout  de  même,  les  deux  cas  sont  analogues.  Mais, 
pour  le  second,  j'ai  pu  affirmer  positivement  ce  que  je  ne  pouvais 
que  supposer,  avec  grande  probabilité  du  reste,  pour  le  premier. 
Le  pronom  relatif  en  sanscrit,  en  grec,  en  latin  a  été  approprié 
à  divers  usages  ;  en  védique  le  même  pronom  neutre  yad  revêt  les 
sens  les  plus  divers.  Ici  encore,  il  est  probable  qu'il  y  a  eu  irra- 
diation syntactique,  et  que  le  sens  temporel,  causal,  explicatif, 
etc.,  résultent  du  rapport  idéologique  des  deux  propositions  unies 
par  le  relatif.  La  marche  de  la  pensée  est  sans  doute  la  même  que 
dans  une  phrase  française  comme  :  faites  attention  à  vos  paroles  : 
c'est  que  les  murs  ont  des  oreilles,  qui  s'analyse  idéologiquement  de 
cette  manière  :  un  avis  —  une  indication  :  c'est  (ceci)  —  la  raison 
de  l'avis.  Il  est  clair  que  l'indication  ne  fait  qu'appeler  l'attention 
sur  ce  qu'on  va  dire,  et  que  le  rapport  est  établi  par  l'auditeur. 
Ici  encore,  je  puis  heureusement  apporter  des  exemples  empruntés 
à  la  nature  même.  Dans  mon  patois  natal  on  répond  à  une  ques- 
tion :  Hoe  is  dat  gekomen  ?  «  Comment  cela  (cet  accident)  est-il 
arrivé?  n  par  une  phrase  comme  :  Ehivel,jongen,  donher  zijn,  en 

niet  goed  sien  en  op  ^nen  steen  schuppeti «  Eh  bien,  mon  cher, 

faire  obscur,  et  ne  pas  avoir  la  vue  bonne  et  heurter  contre  une 
pierre....  »  Toute  la  phrase  est  toujours  scandée  et  modulée  dune 
manière  spéciale,  et  caractérisée  par  l'emploi  de  l'infinitif  histo- 
rique. Si  ce  patois  était  devenu  langue  littéraire,  l'infinitif  aurait 
sans  doute  été  préservé  et  regardé  comme  le  moyen  de  présenter 
une  explication,  mais  les  mouvements  de  la  voix  se  seraient  cer- 
tainement perdus.  Voilà  donc  la  nature  explicative  des  propositions 
indiquée  par  une  modulation  de  la  voix  et  une  construction  spé- 
ciale (i).  Nous  allons  voir  le  même  sens  obtenu  par  la  modulation  et 


(1)  Psychologiquement  la  réponse  :  Ehioel  etc.  me  parait  consister  tout 
d'abord  dans  un  acte  d'indication,  de  "  démonstration  •,  à  savoir  l'inter- 
jection suivie  ou  non  d'un  vocatif  avec  la  modulation  qui  raccompagne, 
et  qui  se  prolonge  sur  le  reste  de  la  phrase  :  c'est  un  geste  vocal,  auquel 
si  joint  souvent  le  geste  de  la  main  et  la  mimique  du  visage.  La  suite  des 
infinitifs  représente  les  objets  qu'on  ferait  passer  devant  les  yeux  d'un 
spectateur.  —  En  langage  réfléchi  et  abstrait  ce  pi-ocessus  se  traduirait 
ainsi  :  Voici  les  causes  qui  ont  amené  l'accident  :  les  ténèbres,  la  cécité 


ANALYSE    d'un    ESSAr    DE    SYNTHÈSE    PSYCHOLOGIQUE.       197 

par  expression  démonstrative.  L'expression  française  c'est  que  se 
retrouve  dans  la  tournure  H  is  dat  hij  rijk  is,  zulle,  «  c'est  qu'il 
est  riche,  voyez-vous,  »  qui  sert  à  expliquer  un  fait  ou  des  paroles 
devant  lesquels  l'interlocuteur  s'est  montré  surpris.  Ici  encore 
nous  avons  une  modulation  spéciale.  Or  il  paraît  clair  que  nous 
devons  analyser  c'est  ceci  =  faites  attention Et  voilà  la  con- 
struction que  je  crois  voir  transportée  dans  une  phrase  simple- 
ment énonciative  comme,  aïs  hij  niet  Jcomt,  is  H  dat  hij  zieli  is. 
S'il  ne  vient  pas,  c'est  qu'il  est  malade. 

Nous  venons  de  voir  la  nuance  explicative  exprimée  par  une 
modulation  spéciale,  précélée  ou  non  d'une  expression  indicative, 
et  le  premier  procélé  reproduit  dans  de  simples  énonciations,  où 
la  modulation  peut  être  absente.  Quelque  chose  d'analogue  ne  se 
serait-il  pas  passé  aux  époques  anciennes  ?  Quelque  chose,  me 
paraît-il,  d'assez  différent  de  la  théorie  proposée  par  M.  V.  G. 

En  résumé,  il  me  semble  que  la  modulation  symbolique  de  la 
phrase  a  joué,  et  joue  encore  un  rôle  dans  l'expression  des 
relations  entre  les  parties  de  la  phrase  ;  que  les  conjonctions  qui 
les  expriment  aujourd'hui  n"ont  acquis  cette  fonction,  en  plus 
d'un  cas,  que  par  un  procédé  qu'on  pourrait  appeler  l'irradiation 
syntactique,  et  qui  peut-être  ne  diffère  pas  au  fond  de  la  théorie  de 
M.  V.  G.  D'autres  fois,  la  conjonction  ne  fut,  à  l'origine,  qu'une 
proposition  abrégée.  D'autres  conjonctions  peuvent  être  arrivées  à 
leur  fonction  par  d'autres  voies  que  je  n'ai  pas  lieu  de  rechercher. 
Ceci  me  paraît  suffire  pour  démontrer  que  la  théorie  qu'on  nous 
propose  est  trop  absolue. 

* 


(de  X.),  une  pierre,  un  achoppement.  —  En  somme  on  montre  les  causes 
de  l'accident  ;  on  n'en  fait  pas  le  récit.  —  Cette  analyse  fait  comprendre 
pourquoi,  au  lieu  d"un  temps  consacré  à  la  narration,  on  emploie  une 
forme  nominale,  abstraite. 

Evidemment  Tintinitif,  par  lui-même,  n'est  pas  plus  de  nature  qu'une 
autre  forme  verbale  à  exprimer  le  sens  qu'on  a  en  vue  dans  cette  phrase, 
lien  est  sans  doute  de  même  d'un  grand  nombre  des  procédés  syntac- 
tiques,  employés  dans  les  langues  anciennes  et  modernes. 


i98  LE    MUSÉON. 

L'origine    psy-       Avant  de  passer  à  la  démonstration  de  sa  thèse,  en  ce  qui  regarde 

chologlque  de  la  ^  ^  '  i  &        ^ 

préposiuon.  les  prépositions,  l'auteur  le  formule  à  nouveau  en  ces  termes  : 

«  Toutes  les  prépositions,  comme  telles,  sont  des  mots  exprimant 
le  sentiment,  en  particulier  le  sentiment  de  l'association.  Ce  n'est 
pas  à  dire  qu'elles  ne  puissent  avoir  un  sens  idéel,  surtout  dans  la 
langue  écrite  et  même  dans  la  conversation  des  gens  instruits  ;  mais 
ce  sens  doit  presque  toujours  son  origine  à  la  réflexion  se  portant 
sur  ce  sentiment.  En  tout  cas,  le  sentiment  pur  et  simple  se  sert 
de  ces  prépositions,  et  même  souvent,  sans  y  attacher  aucune 
idée  ».  —  Et  il  ajoute  en  note  :  «  Cette  restriction  vise  des  cas  où 
la  proposition  est  originairement  un  participe,  p.  e.  Souvent  alors 
le  participe  lui-même  est  un  mot  de  sentiment  ;  mais  souvent 
aussi  le  participe  maintient  son  sens  idéel  primitif  plus  longtemps 
qu'il  ne  le  faudrait  ;  de  fait,  ces  prépositions-là  ne  sont  jamais 
employées  comme  telles  par  le  peuple  «.  Il  s'agit  bien  entendu  du 
sens  de  la  préposition  chez  celui  qui  parle,  comme  il  le  rappelle 
dans  la  note,  p.  151. 

La  preuve  principale  de  cette  thèse  se  trouvent  dans  le  fait 
que  les  prépositions  ont  un  sens  très  variable  ;  que  plusieurs, 
même  dans  les  langues  anciennes,  peuvent  avoir  les  sens  les  plus 
divers.  Pour  lui,  toutes  ces  significations  dérivent  d'un  sens 
primitif,  ou  plutôt  de  la  fonction  primitive  de  la  préposition,  qui 
est  d'exprimer  le  sentiment  de  la  connexion.  C'est  le  sens  général 
de  la  phrase  qui  aurait  fait  naître  chez  l'auditeur  le  sens  idéel, 
ou  plutôt  les  nombreuses  significations  que  peuvent  prendre  en 
grec  homérique,  en  sanscrit  védique  et  en  latin  les  prépositions 
Trepî,  pari,  pro,  T^apà,  prâti,  Trpoç.  Il  peut  avoir  raison  en  tout  ou 
en  partie,  mais  pour  la  démonstration  de  sa  thèse  générale,  il 
faudrait  que  toute  autre  explication  fût  impossible.  Sans  doute  il 
apporte  d'autres  faits,  mais  je  dois  avouer  que,  même  pris  dans 
leur  ensemble,  ils  ne  me  paraissent  pas  de  nature  à  emporter 
la  conviction. 


choiogfqucdefad.  ^^^  adverbes,  à  l'origine,  sont  des  mots  qui  n'expriment  autre 

verbe.   Le   senti-  chose  que  Certains  sentiments  spécifiques.— Voici  commeut  l'autcur 

ment  de  la  certi-  i           .          v 

tude.  8  exprime  a  ce  sujet  au  n°  242  :  «  Nous  avons  vu  comme  quoi 


ANALYSE    d'i>     ESSAf    DE    SYMriÈSE    PSYCHOLOGIQUE.       199 

beaucoup  de  mots  déclinables  et  d'adverbes  sont  sortis  de  mots 
exprimant  le  sentiment,  ou  ont  dû  devenir  des  mots  exprimant  le 
sentiment,  soit  les  diverses  qualités  du  sentiment,  soit  simplement 
l'intensité  r>.  —  Il  semble  d'abord  qu'il  y  ait  ici  quelque  contra- 
diction, que  dans  le  texte  il  y  ait  une  restriction  :  «  beaucoup  d'ad- 
verbes n,  qui  ne  se  trouve  pas  dans  le  résumé.  Ce  serait,  ce  me 
semble,  trop  presser  le  sens  d'une  phrase  isolée,  alors  que  tout 
l'ensemble  du  travail,  et  l'affirmation  précise  du  résumé,  sont  abso- 
lument clairs.  —  Môme,  parmi  les  déclinables,  les  pronoms,  —  de 
même  que  les  adverbes  de  lieu  — ,  sont  des  mots  «  affectifs  »,  expri- 
mant le  sentiment  de  la  connexion  (Texte  n°  231  f  et  note,  Résumé 
n°  231  f).  Il  y  a  plus,  d'après  le  n°  241  (texte  et  résumé),  il  semble 
que  les  mots  déclinables,  substantifs,  adjectifs  et  verbes  soient,  à 
l'origine,  des  mots  «  affectifs  »,  exprimant  le  sentiment  de  la  percep- 
tion au  moyen  des  divers  organes  des  sens.  La  différence,  dans  la 
théorie  de  l'auteur,  si  je  la  comprends  bien,  est  celle-ci  :  les  pre- 
miers -—  les  indéclinables  —  sont  entrés  dans  les  langues  consti- 
tuées comme  elles  le  sont  aujourd'hui,  à  titre  de  mots  affectifs,  et 
n'y  ont  développé  —  pour  les  auditeurs  —  leur  sens  idéel  que  d'une 
manière  secondaire  ;  les  seconds,  au  contraire  y  sont  entrés,  à  titre 
de  mots  exprimant  l'adhésion  intellectuelle  à  l'objet  perçu. 

Pour  démontrer  sa  thèse  relativement  à  l'adverbe,  l'auteur  nous 
signale  plusieurs  séries  de  dérivation  de  sens  qui  restent  incom- 
préhensibles, croit-il,  si  l'on  n'a  égard  qu'au  sens  idéel,  mais  qui 
s'expliquent  aisément  et  exclusivement  par  la  fonction  fondamen- 
tale qui  reste  la  même,  à  savoir  l'expression  (affective)  de  certains 
sentiments  spécifiques.  D'abord  celui  de  la  certitude,  de  la  con- 
viction . 

On  pourrait  répéter  ici  la  remarque  générale  déjà  faite,  c'est 
qu'il  importerait  de  s'assurer  d'abord  de  l'histoire  des  mots,  qui 
pourrait  révéler  d'autres  causes.  Je  crois  la  chose  superflue  pour 
l'anglais  never  et  le  m.-néerl.  nooit,  qu'il  est  facile  de  concevoir 
comme  de  simples  moyens  de  renforcer  la  négation,  dans  ce 
sens  qu'il  est  plus  fort  de  dire  qu'une  chose  n'est  vraie  en  aucun 
temps  que  de  dire  simplement  qu'elle  n'est  pas  vraie.  L'usage  du 
reste  peut  être  né  dans  des  phrases  où  ces  mots  conservaient  leur 
sens  propre.  Cette  explication  m'est  suggérée  par  l'usage  de  mon 


200  lE    MLSÉON. 

patois  natal.  Je  ne  puis  pas  dire  (à  Alost)  :  dat  is  nooit  niet  waar, 
mais  je  puis  dire  :  da  'n  Jean  nooit  niet  ivaar  zijn^  et  cette  dernière 
manière  de  parler  peut  avoir  été  empruntée  à  d'autres  phrases  où 
le  mot  uaar  signifie  «  réel  r,  :  da'n  zal  nooit  niet  waar  eijn,  cela  ne 
se  fera  jamais.  Nous  aurons  alors  dans  da  'w  /.an,  etc.,  un  usage 
impropre  du  mot  nooit.  Sans  doute,  le  mot  a  été  emprunté  ici 
sous  l'impulsion  du  sentiment,  mais  cela  ne  veut  pas  dire  qu'il 
soit  devenu,  dans  la  bouche  de  celui  qui  parle,  un  mot  simple- 
ment affectif.  J'avoue  que  ce  n'est  pas  une  simple  catachrèse  — 
pour  parler  le  langage  des  vieux  rhéteurs  —  comme  feuille  dans 
l'expression  feuille  de  papier^  où  le  sentiment  ne  joue  aucun  rôle. 
Mais  cela  n'empêche  que  le  mot  ne  soit  destiné  par  celui  qui  parle 
à  renforcer  la  négation.  Je  sais  bien  que  l'auteur  cherche  à 
démontrer  (n"  216  et  svv.)  que  «  la  négation  dans  la  langue  natu- 
relle n'est  pas  la  négation  idéelle  (logique),  mais  l'expression 
(affective)  du  sentiment  de  l'opposition  ».  L'expression  «  négation 
renforcée  n,  dit-il  encore,  «  n'a  pas  de  sens.  Une  négation  idéelle 
ne  comporte  pas  de  renforcement,  pas  plus  que  le  signe  moins  en 
algèbre  ».  —  Sans  doute,  mais  l'évidence  —  positive  ou  Légative 
—  peut  être  plus  ou  moins  lumineuse  (et  ajoutons  :  le  sentiment 
concomitant  de  la  certitude  plus  ou  moins  intense)  ;  et  la  per- 
ception de  cette  évidence  est  d'ordre  idéel  ;  quant  aux  moyens 
employés  pour  exprimer  l'évidence  négative,  leur  provenance 
importe  peu.  Admettons  que  ces  moyens  d'expression  soient  en 
fin  de  compte  des  particules  n'exprimant  que  le  sentiment,  il 
paraît  clair  qu'ils  deviennent,  chez  celui  qui  parle,  le  moyen  d'ex- 
primer un  fait  d'ordre  idéel,  et,  dans  l'ordre  concret  des  choses, 
«  affectif  »  à  la  fois,  puisque  les  deux  phénomènes  psychologiques 
sont  toujours  étroitement  unis  (i).  Encore  une  fois,  la  provenance 


(1)  Une  autre  preuve  de  la  nature  «  affective  "  de  la  négation  serait 
l'accumulation  des  particules  négatives  dans  une  même  phrase,  où  ces 
particules  n'expriment  qu'une  négation  «  renforcée  ».  Mais  cette  répéti- 
tion est-elle  autre  chose  que  la  répétition  usitée  dans  la  conversation 
pour  exprimer  un  «  renforcement  n  de  l'idée  ?  Le  phénomène  est  surtout 
fréquent  en  anglais,  même  dans  la  langue  écrite  :  it  was  raining  rainitig 
raining.  —  I saw  him  running,  running,  running.  L'accumulation  de 
synonymes  est  du  même  ordre. 


ANALYSE    d'un    ESSAI    DE    SYNTHÈSE    PSYCHOLOGIQUE.      201 

des  moyens  d'expression  importe  peu  au  point  de  vue  de  la  ques- 
tion, à  savoir  à  quel  titre  les  expressions  de  la  négation  sont 
entrées  dans  la  langue  comme  telles.  Il  est  vrai  qu'on  pourrait 
pousser  l'investigation  plus  loin,  et  se  demander  d'où  proviennent 
ces  moyens  d'expression.  Mais  ceci  serait-il  autre  chose  que  poser 
la  question  de  l'origine  du  langage  ?  Et  dans  ce  cas  ne  vaudrait-il 
pas  mieux  la  poser  explicitement,  et  l'étendre  à  tout  le  matériel 
de  la  langue  (i)  ?  —  Je  crois  que  ces  raisonnements  s'appliquent 
mutatis  mutandis  à  la  plupart  des  exemples  donnés  par  l'auteur. 

Signalons  encore,  parmi  les  exemples,  qui  s'expliquent  aisément 
d'une  autre  façon  que  ne  le  voudrait  V.  G.  l'ital.  caldo  caldo,  aussi- 
tôt, en  flagrant  délit,  qui  exprime,  dit-il,  une  vive  sensation 
interne  et  qui  passe  de  ce  sens  à  celui  de  aussitôt.  Je  crois  qu'ici 
il  se  trompe.  Dans  l'exemple  cité  et  dans  les  autres  qu'il  donne, 
la  transition  de  sens  s'explique  plus  naturellement  d'une  autre 
manière  :  il  s'agit  d'une  qualité  conçue  comme  objective.  Il  en 
est  de  même  des  termes  qui,  signifiant  vif  ou  lent,  en  arrivent  à 
signifier  plus  tard  tôt  ou  tard. 

Le  second  sentiment  spécifique  étudié  par  l'auteur  est  celui  de     Le  sentiment  de 
la  satisfaction  résultant  de  l'identité  sentie  entre  l'objet  que  l'on 
perçoit  et  un  autre  déjà  perçu. 

Lorsque  l'esprit,  à  l'occasion  d'un  objet  qu'il  perçoit,  parvient  à 
se  rappeler  en  même  temps  une  perception  antérieure  semblable 


l'identité. 


(1)  Je  n'entends  pas  nier  que  l'auteur  ait  raison,  s'il  s'agit  de  l'origine 
dernière  de  ces  moyens  d'expression  —  pas  plus  du  reste  que  son  affirma- 
tion du  n°  241  (résumé)  où  il  regarde  comme  "  certain  n  que  (certaines 
catégories  de  mots)  ne  signifiaient  autre  chose  à  l'origine  que  le  sentiment 
de  la  perception  au  moyen  de  tel  ou  tel  organe  des  sens  ».  Je  suis  fort 
porté  plutôt  à  lui  donner  raison. 

Notons  que  pour  l'auteur  les  adverbes  de  temps  et  de  lieu  sont  origi- 
nairement des  mots  «  affectifs  »  (n°^  215  et  231,  f.,  texte  et  résumé).  — 
C'est  comme  tels  qu'ils  servent  à  exprimer  le  sentiment  de  la  certitude  ; 
c'est  là  le  tertium  commune  de  la  «  métaphore  ».  —  Admettons  que  ce 
tertium  commune  «  affectif  »  soit  le  véhicule  qui  transporte  le  mot 
d'une  sphère  dans  une  autre.  Mais  il  semble  clair  que  c'est  la  vue  intel- 
lectuelle qui  détermine  l'emploi  "  abusif  »,  la  catachrèse.  C'est  le  senti- 
ment qui  pousse,  mais  c'est  l'intelligence  qui  agit  après  avoir  vu. 


20^  LE    MUSÉON. 

à  la  première,  il  éprouve  un  sentiment  agréable.  Le  contraire 
arrive  lorsque  se  présente  à  l'esprit  un  objet,  qui  ne  cadre  avec 
aucune  des  impressions  antérieures,  ou  bien,  quand  l'esprit  ne 
réussit  pas  à  faire  revivre  l'impression  antérieure,  qui  fait  sentir 
vaguement  sa  présence.  C'est  par  là  qu'on  explique  que  toute  espèce 
de  mots  —  des  noms  et  des  verbes,  non  moins  que  des  adverbes  — 
passent  du  sens  de  semblable  ou  dissemblable  à  celui  d'agrcable 
ou  de  désagn'able.  Telle  est  la  théorie  exposée  par  l'auteur  dans 
les  n°«  191-203. 

Je  dois  avouer  que  les  exemples  apportés  à  l'appui  de  cette 
opinion  ne  me  satisfont  pas.  La  plupart  sont  des  mots  empruntés  à 
des  langues  anciennes  et  dont  l'histoire  est  peu  connue,  de  telle 
sorte  que  le  passage  du  premier  sens  au  second  peut  s'être  opéré 
d'une  autre  manière.  Sans  doute  l'accumulation  d'un  grand  nombre 
de  cas  peut  créer  une  accumidative  évidence,  mais  seulement  dans 
le  cas  où  une  autre  explication  générale  est  impossible.  Natu- 
rellement, et  tout  d'abord,  il  ne  faut  pas  que  l'histoire  du  mot 
contredise,  ou  rende  invraisemblable,  l'explication  donnée.  Tel  est 
cependant  le  cas  pour  l'exemple  le  plus  important,  à  savoir  l'an- 
glais io  Uhe.  Comment  ce  mot  est-il  arrivé  à  signifier  "  aimer, 
trouver  du  plaisir  dans?  »  En  anglo-saxon  lician  signifie  d'abord 
ressembUr,  puis^;?a/>-e,en  anglais  archaïque  il  signifie  encore  plaire 
(impers.)  ;  aujourd'hui  il  n'a  plus  que  le  sens  connu.  —  Nous  disons 
dans  le  Brabant  (belge)  :  dai  gelijkt  u  niet,  cela  n'est  pas  conve- 
nable, bon  pour  vous.  Nous  avons  ici  sim^  lement  le  passage  du  sens 
de  ressemblance  à  celui  de  convenance.  Bien  entendu  la  compa- 
raison ne  s'établit  pas  encore  vous  et  cela,  mais  entre  l'objet  et 
vos  besoins,  goûts,  position  etc.  Ceci  est  évident  dans  l'expression 
anglaise  :  that  is  just  like  you  :  ceci  est  tout  à  fait  conforme  à 
vous,  c'est  à  dire  k  votre  caractère,  à  ce  que  vous  faites  habituelle- 
ment. Le  pronom  renferme  implicitement  tout  le  sens  de  l'énoncé 
formel  nécessaire  en  français.  L'explication  la  plus  naturelle  de 
notre  expression  brabançonne  n'est-elle  pas  de  prendre  le  pronom 
u  dans  le  même  sens  prégnant  V  Et  voilà  comment  le  mot  signifiant 
ressembler  a  pu  passer  à  celui  de  être  convenable,  bon,  par  voie 
idéelle.  Le  passage  ultérieur,  par  voie  idéelle,  basée  sur  l'expé- 
rience, à  celui  d'agréable  est  si  naturel  qu'il  me  paraît  superflu 


ANALYSE    d'un    ESSAI    DE    SYNTHÈSE    PSYCHOLOGIQUE.       205 

d'en  chercher  un  autre  pour  l'anglais  archaïque  it  likes  me,  cela 
me  plaît  ?  (Voir  Griele-Schroer,  English-German  dictionary),  dont 
l'usage  moderne  du  mot  est  dérivé  (i). 

L'exemple  latin  aequus  ne  me  paraît  pas  choisi  plus  heureuse- 
ment. D'abord  le  sens  figuré  n'est  jamais  purement  et  simplement 
favorable,  bienveillant  ;  c'est  plutôt  la  disposition  d'un  juge,  d'une 
personne  équitable,  qui  considère  aussi  volontiers  les  circonstances 
qui  militent  en  faveur  d'une  personne  que  celles  qui  pourraient 
emporter  un  jugement  défavorable  ;  c'est  l'anglais  fair^  employé 
de  la  même  façon.  Or  ce  sens  est  si  visiblement  connexe  avec  celui 
de  juste,  qu'il  paraît  vraiment  superflu  de  lui  chercher  une  autre 
origine.  Il  me  paraît  évident  que  nous  avons  ici  un  passage  d'une 
idée  à  une  autre.  Il  suffisait  pour  cela  que  le  mot  fût  appliqué  avec 
son  sens  de  juste  par  ceux  qui  ne  voyaient  que  de  la  justice  dans 
une  manière  d'apprécier  qu'eu  général  on  regardait  comme  dépas- 
sant la  limite  requise  de  cette  vertu.  —  Parmi  les  autres  mots 
rapprochés,  ne  s'en  trouverait-il  pas  encore  dont  l'histoire,  si  elle 
était  mieux  connue,  nous  amènerait  à  des  conclusions  analogues  ? 
Je  ne  puis  pas  me  convaincre  que  la  connexion  de  satyds  vrai 
et  de  sdt  =  bon  vertueux  s'explique  comme  le  voudrait  l'auteur. 
Sans  doute,  le  premier  s'explique  par  le  fait  que  reconnaître 
une  chose  comme  vrai  n'est  autre  chose,  à  l'origine,  que  de  voir 
l'identité  d'une  perception  avec  une  représentation,  créée  par  une 
perception  antérieure  ;  le  sanscrit  satyds  et  le  français  c'est  cela 
expriment  la  même  opération  de  l'esprit.  Mais  est-il  vrai  qu'un 
homme  est  appelé  bon,  vertueux  parce  que  ces  qualités  font  naître 
en  nous  un  sentiment  analogue  à  celui  du  sentiment  agréable  que 
nous  éprouvons  en  reconnaissant  l'identité  d'une  idée  avec  une  idée 
précédente  ?  —  N'est-ce  pas  plutôt  l'assimilation  idéelle,  l'assimi- 
lation de  l'idée  actuellement  perçue,  identifiée,  au  point  de  vue 
moral,  avec  un  idéal  conçu  antérieurement. 


(1)  Littré,  sub  voce,  signale  un  sens  prégnant  de  ressembler  :  cela  ne 
vous  ressemble  pas,  cela  n'est  pas  conforme  à  tout  ce  que  l'on  connaît  de 
vous.  Bi'éal,  Poui^  mieux  connaître  Homère,  p.  208,  signale  ressembler 
avec  le  sens  de  convenir  dans,  "  c'est  une  action  qui  no  lui  ressemble 
pas  ». 


204-  LE    MLlSÉON. 

Les  mots  qui  signifient  deux  passent  à  divers  sens  péjoratifs.  Cela 
vient-il  de  ce  qu'on  assimile  un  sentiment  provoqué  par  une  chose 
désagréable  à  celui  qu'on  éprouve  lorsqu'une  idée  nouvelle  ne  par- 
vient pas  à  s'assimiler  aux  idées  déjà  existantes  dans  l'esprit  ?  Ne 
suffit-il  pas  d'admettre  que  ce  sens  est  né  par  le  fait  que  l'on  a 
appelé  double,  séparé,  divers,  des  hommes  ou  des  choses  qui  de  leur 
nature  devaient  être  uns,  réunis,  semblables.  Par  le  fait  même,  le 
mot  signifiait  indirectement  mauvais.  —  D'autres  fois,  il  suffit  d'ad- 
mettre une  manière  de  parler  abrégée,  comme  p.  e.  le  sanscrit 
anyathâ  faussement,  tout  simplement  autrement  (qu'il  ne  faudrait). 
Les  mots  comme  l'anglais  hardhj,  le  français  à  peine  ont-ils 
nécessairement  acquis  leur  sens  adverbial  abstrait  parce  qu'on 
éprouve  de  la  douleur,  de  la  difficulté  lorsqu'une  perception 
(waarneming)  est  sur  le  point  de  s'assimiler  à  une  représentation 
(voorstelling),  mais  n'arrive  pas  encore  à  ce  résultat?  La  cause  peut 
être  toute  différente.  Le  sens  :  dans  une  petite  mesure,  du  français 
à  peine,  peut  reposer  sur  une  observation  extérieure,  à  savoir  qu'une 
chose  faite  avec  peine,  avec  difficulté  ne  réussit  guère,  comme  dit 
Bilderdijk  :  't  Gedicht  —  Uit  plicht  —  Gelukt  niet  licht.  Les 
expressions  latines  facile  primus  etc.  pourraient  reposer  sur  l'obser- 
vation contraire.  —  L'origine  du  même  sens  dans  hardly  peut  être 
la  même. 
Le  sentiment  de  L'auteur  analyse  ensuite  le  sentiment  désigné  en  néerlandais  par 
la  tendance  vers  streven,  ail.  streben,  intraduisible  en  français.  Streven  a  un  sens 
très  général,  et  couvre  le  sens  des  termes  français  tendre,  aspirer 
vers,  s'efforcer  de,  lutter  (pour  arriver  à).  Suit  une  longue  liste  de 
mots  dans  laquelle  on  voit  une  même  racine  revêtir  les  sens  les  plus 
divers,  dont  l'élément  commun  est  le  sentiment  qu'on  éprouve 
lorsqu'après  avoir  conçu  une  idée,  on  cherche  à  la  réaliser  à  travers 
les  obstacles.  Un  grand  nombre  de  ces  rapprochements  sont  incon- 
testables ;  il  en  est  d'autres  qui  paraissent  douteux.  —  C'est  à  ce 
sentiment  que  l'auteur  rattache  l'origine  de  l'idée  de  temps  :  «  stre- 
ven »,  dit-il,  est  essentiellement  une  suite,  une  succession  de 
sentiments,  un  mouvement  continuel,  qui  n'existe  jamais  tout  entier 
à  la  fois,  mais  qui  possède  toujours  un  passé,  un  présent  et  un 
futur.  En  conséquence  il  cherche  à  rattacher  les  mots  qui  signifient 
temps  ou  durer  à  d'autres  qui  expriment  diverses  nuances  du  sen- 


ANALYSE    d'un    ESSAI    DE    SYNTHÈSE    PSYCHOLOGIQUE.       205 

timent  en  question.  Jusqu'ici  il  n'a  été  question  que  de  noms  et  de 
verbes;  l'auteur  revient  à  son  sujet  en  concluant  brièvement  que 
les  particules,  conjonctions  et  prépositions  dérivent  des  mêmes 
racines  que  les  mots  précédents,  démontrant  ainsi  qu'elles  procè- 
dent de  mots  exprimant  le  sentiment. 

Le  sentiment  opposé  «  tegenstreven  «  qui  se  traduirait  bien  par 
le  français  répugner^  pris  dans  son  sens,  étymologique  fournit 
l'explication  de  l'origine  de  la  négation  et  des  pronoms  démon- 
stratifs. Je  me  contente  de  résumer  cette  digression  dans  les 
termes  même  de  l'auteur  (Résumé  p.  261)  : 

«  L'article  personnel  de  l'arménien  montre  trois  Démonstrations- 
Arten,  avec  lesquels  concordent  les  trois  personnes  du  verbe.  La 
particule  de  la  T®  personne  exprime  originairement  le  sentiment 
de  la  connexion  avec  le  moi  immédiat  de  chaque  moment  :  nos 
sentiments.  La  particule  de  la  seconde  personne  exprime  le  senti- 
ment de  la  connexion  avec  nos  «  adhésions  »  à  la  réalité 
immédiate.  La  troisième  personne  exprime  le  sentiment  de  la 
connexion  avec  nos  souvenirs  («  adhésions  »  à  la  potentialité). 
La  parenté  de  la  2''  et  de  la  3"  personne  s'explique  par  la  parenté 
des  «  adhésions  »  réelles  et  potentielles.  La  parenté  de  la  2^  et  de 
la  3®  personne,  par  celle  des  «  adhésions  »  potentielles  et  réelles. 
Il  n'y  a  pas  de  parenté  entre  la  P  et  la  2^  personne.  Nous  avons 
ainsi  deux  séries  :  2*^  personne,  3'  personne  et  l''  personne  et 
3®  personne.  Il  eu  résulte  que  les  pronoms,  ainsi  que  les  adverbes 
de  lieu,  sont  des  mots  exprimant  le  sentiment.  Un  nouvel  argu- 
ment ;  beaucoup  de  particules  sont  en  rapport  étymologique  avec 
les  pronoms.  Conclusions  par  rapport  au  sens  primitif  des  sufiixes 
casuels  et  personnels.  Dans  les  cas  des  noms  nous  retrouvons  les 
trois  Demonstrations-Arten  : 

Accusatif  :    T®  personne. 

Vocatif  :       2^"°  personne. 

Nominatif  :  3"'®  personne. 

*      ♦ 

Le  sentiment  de  l'intensité  naît  dans  les  cas  suivants  : 

\°  lorsqu'un  objet    répond  à  notre  attente  dans  une  mesure     Le  se 

extrêmement  grande,  soit  par  sa  nature,  soit  par  suite  de  notre 

disposition  personnelle. 

15 


l'intens 


200  LE    MUSÉON. 

2"  lorsqu'un  événement  ne  répond  en  aucune  manière  à  notre 
attente  ; 

3°  lorsque  la  «  tendance  n  (streven)  va  jusqu'au  désir  violent, 
parfois  même  jusqu'au  délire  ; 

4°  lorsque  la  "  répugnance  »  (tegenstreven),  devient  du  dégoût, 
de  la  haine  ; 

Suit  une  longue  liste,  oii  l'on  voit  des  mots  sortis  de  la  même 
racine  et  dans  lesquels  l'un  ou  l'autre  de  ces  sentiments  se  trouve 
exprimé.  Je  ne  discuterai  aucun  de  ces  rapprochements,  mais  je  me 
contenterai  de  répéter  une  remarque  générale,  qui  s'applique  aussi 
à  la  liste  précédente.  Presque  tous  renferment  des  mots  empruntés 
à  des  langues  différentes  et  dont  l'histoire  est  difficile  à  suivre.  Il 
est  parfaitement  possible  que,  si  nous  pouvions  le  faire,  d'autres 
explications  se  présenteraient,  différentes  selon  les  cas.  Un  mot 
cependant  sur  le  rapprochement  des  sens  de  klein  dans  divers 
dialectes  germaniques.  La  coexistence  du  sens  de  petit  à  côté  de 
ceux  à'élégant,  joli,  pur,  me  paraît  reposer  sur  un  fait  psycholo- 
gique plus  compliqué.  Ces  divers  sens  se  retrouvent  uu  peu  par- 
tout et  sous  diverses  formes.  Les  diminutifs,  dans  les  langues  où 
cette  formation  est  vivante,  servent  très  souvent  à  exprimer  la  com- 
passion ;  il  en  est  ainsi  en  italien,  en  néerlandais  et  en  allemand. 
Les  augmentatifs  en  italien  sont  surtout  péjoratifs.  Dans  d'autres 
langues,  l'épithète  grand  sert  souvent  à  renforcer  les  expressions 
injurieuses  :^ra»d  diable,  grand  dadais.  En  français  Vépiihèie petit 
fait  souvent  le  même  effet  que  le  diminutif  dans  d'autres  langues, 
et  en  néerlandais  klein  est  parfois  ajouté  au  diminutif  pour  en 
renforcer  le  sens  spécial. 

La  vaiuatiott.  l^es  effets  de  la  valuation  sur  les  langues  est  parlée  assez  briève- 

ment, avec  des  exemples  très  intéressants  tirés  des  langues 
vivantes  et  des  conjectures  destinées  à  éclairer  les  origines  de  la 
déclinaison  indo-européenne . 


ANALYSE    d'un    ESSAI    DE    SYNTHÈSE    PSYCHOLOGIQUE.       207 


SECONDE  PARTIE. 

Dans  la  P®  partie,  l'auteur  a  étudié  l'origine  des  parties  varia^ 
blés  et  invariables  du  discours.  Dans  cette  2™*  partie,  il  étudie  le 
discours  suivi,  dans  sa  constitution  et  dans  son  évolution,  sous 
l'action  de  la  volonté  intelligente  et  délibérée,  et  surtout  de  l'auto- 
matisme psychologique. 

L'auteur  expose  le  fait  bien  connu  de  l'automatisme  psycholo-       L'automatisme 
gique   en    citant    des    exemples    empruntés    au   langage.   Voici  Psychologique, 
comment  il  formule  les  quatre  lois  fondamentales  qui  le  régissent, 
d'après  l'ouvrage  de  P.  Janet,  V Automatisme  psychologique. 

1°  Toute  représentation  mentale  d'un  mouvement  corporel 
quelconque  tend  à  la  réalisation  actuelle  de  ce  mouvement  :  c'est 
la  loi  idéodynamique.  —  C'est  par  elle  que  s'expliquent  les  faits 
décrits  par  Meringer-Mayer  dans  leur  ouvrage  «  Versprechen  und 
Verlesen  ». 

2"  Une  disposition  psychique  ne  peut  d'elle-même  changer  son 
état  cinétique  ;  si  elle  est  en  repos,  elle  reste  en  repos,  jusqu'à  ce 
qu'une  influence  extérieure  la  réveille  ;  si  elle  est  en  mouvement, 
elle  reste  en  mouvement  jusqu'à  ce  qu'elle  ait  cédé  son  énergie  à 
d'autres  dispositions  environnantes. 

3°  Lorsqu'un  certain  nombre  d'actes  psychiques  plus  ou  moins 
semblables  doivent  se  combiner  dans  une  unité  supérieure,  on 
remarque  une  tendance  à  différencier  ces  actes  multiples,  de  manière 
à  ce  qu'ils  forment  un  groupe  central  autour  d'un  des  termes, 
comme  centre  de  gravité. 

4°  La  loi  d'association  :  Lorsque  deux  dispositions  psychiques  se 
sont  trouvées  en  activité  simultanément,  à  une  ou  plusieurs  reprises, 
elles  ont  une  tendance  à  se  reproduire  l'une  l'autre.  Ceci  s'applique 
aux  associations  de  similitude,  et  aux  associations  d'expérience 
de  faits  simultanés  et  successifs.  En  ce  qui  regarde  les  faits  suc- 
cessifs, il  faut  remarquer  que  la  première  action  ne  cesse  pas  brus- 
quement, mais  continue  à  se  faire  sentir  au  moment  où  la  seconde 
entre  enjeu. 


:208  LE    MUSÉON. 

Application    de       Le  langage,  parlé  ou  écrit,  procède  tantôt  de  l'activité  automa- 

rauto  mutisme      .  ^      .«.i     n      i-*-  •       .       j-il'^ 

rsychoiofique  au  tique,  consciente  ou  non,  tantôt  de  1  activité  consciente,  délibérée, 
langage  :  gj.  pj^g  souvent  encore  de  ces  deux  activités  combinées. 

les  unités  secoii-         ' 

daires  du  langage  L'effet  Ic  plus  remarquable  de  l'automatisme  linguistique,  c'est 
de  créer  des  associations  d'idées  et  de  mots,  qui,  à  l'origine,  furent 
l'effet  d'une  action  délibérée  ;  associations  que  l'habitude  finit  par 
transformer  en  groupes  fixes,  qui  se  reproduisent  dans  les  cir- 
constances ordinaires  sans  nouvel  effort  psychique.  Ces  groupes, 
composés  de  plusieurs  mots,  sont  les  unités  secondaires  du  langage. 
Ces  unités  secondaires  sont  donc  à  l'origine  «  des  synthèses  con- 
scientes nouvelles  n,  et  le  redeviennent  très  souvent.  L'auteur 
attache  une  telle  importance  à  ces  unités  secondaires  qu'il  regarde 
comme  le  grand  desideratum  de  la  linguistique  :  la  recherche, 
pour  toutes  les  langues,  et  pour  chacune  de  leurs  périodes,  des 
«  adhésions  »  et  des  sentiments  qui,  isolés  à  l'origine,  se  sont 
fondus  en  un  groupe  unique  dans  la  conscience  d'un  individu  nor- 
mal, ayant  atteint  son  plein  développement. 

Dans  la  l""^  partie,  il  avait  étudié  les  phénomènes  primaires 
du  langage,  les  «  adhésions  »  et  les  sentiments  isolés.  Dans  la 
période  secondaire  de  la  langue,  ces  unités  primaires  continuent 
plus  ou  moins  à  exister,  mais  ce  sont  les  unités  secondaires  qui 
deviennent  les  causes  psychologiques  décisives.  On  ne  peut  plus  dire 
alors  que  ''  tous  les  mots  ont  une  signification  par  eux-mêmes,  ni 
que  tous  les  mots  sont  encore  voulus  et  sentis  dans  leur  fonction 
particulière.  On  s'exprime  et  on  s'entend  plutôt  au  moyen  de 
groupes  de  mots  («  woordcomplexen  »). 

De  fait,  que  sont  ces  groupes  dans  nos  langues  ?  L'auteur  y 
répond  par  un  exposé  critique  des  réponses  données  à  cette  ques- 
tion, ou  des  travaux  et  des  vues  qui  l'ont  aidé  à  trouver  la  solution 
qu'il  présente.  Ce  n'est  ni  la  proposition  telle  que  l'entendent  les 
grammairiens,  ni  le  «  stress-group  ou  Sprechtakt  »  même  tel  qu'il 
est  entendu  par  Hirt,  ni  la  phrase  telle  que  Wundt  l'entend  ;  — 
mais  bien  la  «  construction  «,  qu'il  définit  ainsi  provisoirement  : 
c'est  un  groupe  de  mots  qui  se  suivent  ou  qui  se  trouvent  à  distance, 
qui  sont  séparés  par  la  poncluation  ou  ne  le  sont  pas,  mais  qui 
sont  clairement  unis  par  une  influence  réciproque  de  forme  et  de 


ANALYSE    d'un    ESSAI    DE    SYNTHÈSE    PSYCHOLOGIQUE.      209 

sens.  La  construction  est  identique,  dit-il  (i)  avec  ce  que  W.  James 
décrit  à  un  autre  point  de  vue  : 

«  What  is  that  first  instantaneous  glimpse  of  some  one's  meaning 
which  we  hâve  when,  in  vulgar  phrase,  we  say  we  «  twig  »  it  ? 
Surely  an  altogether  spécifie  affection  of  our  mind.  And  has  the 
reader  never  asked  himself  what  kind  of  a  mental  fact  is  this  inten- 
tion of  saying  a  thing  before  he  has  said  it  ?  It  is  an  entirely  defi- 
nite  intention,  distinct  from  ail  other  intentions,  an  absolutely 
distinct  state  of  consciousness....  Linger,  and  the  words  and 
things  corne  into  the  mind  ;  the  anticipatory  intention  is  no  langer 
there.  But  as  the  words  that  replace  it  arrive,  it  welcomes  them 
successively  and  calls  them  right,  if  they  agrée  with  it,  it  rejects 
the  mand  calls  them  wrong,  if  they  do  not.  It  has  therefore  a  nature 
of  its  own,  and  yet  what  can  we  say  about  it  without  using  words 
that  belong  to  the  later  mental  facts  that  replace  it  ?  The  intention 
to-say-so-and'SO  is  the  only  name  it  can  reçoive  ».  —  En  d'autres 
termes,  ce  sont  des  propositions  très  simples,  représentant  un 
«  assentiment  »  unique,  mais  dont  l'expression  exige  d'ordinaire 
plus  d'un  mot  :  ce  sont  Tes  unités  secondaires  du  langage. 

Pour  compléter  la  définition  provisoire  de  l'unité  secondaire  du 
langage,  l'auteur  en  signale  les  quatre  caractères  suivants  :  elle 
est  le  résultat  d'un  acte  de  volonté  unique  ;  —  elle  est  unie  par 
l'accent  ;  —  les  parties  peuvent  se  trouver  en  contact  ou  à  dis- 
tance ;  —  elle  représente  un  «  assentiment  »  unique. 

«  C'est  exclusivement  dans  la  «  construction  »  ainsi  définie,  dit-     L-évoiution    du 

langage  sous  l'ac- 

il,  qu'ont  lieu   tous  les   changements   historiques  spontanés  des  tion  de  rautoma- 
langues,  tant  les  changements  de  son  que  les  changements  de  sens  ^^^^  psychoiogi- 
et  de  fonction  et  les  changements  dans  le  groupement  et  l'ordre 
des  mots,  —  le  tout  entendu  dans  le  sens  le  plus  large.  La  raison 
en  est  que  tous  ces  changements  ne  sont  que  des  conséquences  des 
quatre  lois  fondamentales  de  l'automatisme  psychologique  »  (2). 


(1)  P.  .36. 

(2)  A  comparer  avec  cette  théorie,  les  paroles  de  Brugraann,  Griin- 
driss^,  I,  pp.  44-45.  "  Durch  blosse  Aneinandersetzung  von  Wôrtern  in  der 
Form,  wo  jedes  fia-  sich  ausgesprochen  wird,  entsteht  noch  kein  unzwei- 
deutig  verstandlicher  Satz.  Die  Wortreihe  erhalt  erst  dadurcli  ihren 
Inhalt,  dass  sie  durch  eine  ganz  bestimmte  Abstufung  nach  Exspiration, 


210  LK    MISKON. 

Il  traitera  donc  successivement,  comme  étant  l'ordre  le  plus 
commode  : 

1°  les  changements  de  forme  des  parties  de  la  construction  ou  la 
jyhonéfique  historique  générale  ; 

2°  Les  changements  de  sens  et  de  fonction  des  parties  de  la 
construction,  ou  la  sémasiologie  générale  ; 

3"  Les  changements  dans  le  groupement  des  parties  de  la  con- 
struction ou  la  théorie  générale  de  la  syntaxe  (arrangement  des 
mots). 

Dans  chacune  de  ces  divisions,  il  envisage  les  effets  des  quatre 
lois  de  l'automatisme  psychologique.  L'unité  d'accent  est  traitée 
en  même  temps  que  la  phonétique  ;  l'unité  d'assentiment  est  traitée 
dans  la  sémasiologie.  Dans  le  chapitre  sur  l'ordre  des  mots,  on 
traite  la  possibilité  de  la  «  Kontakt-  und  Distanzstellung  ». 

La  phonétique    historique   générale    comprend    la  théorie  de 
l'accent  et  les  lois  phonétiques. 
Laccent.  Le  terme  accent  est  pris  dans  un  sens  fort  étendu  :  •'  c'est  la  plus 

grande  énergie  psychique  d'un  son  relativement  à  un  ou  plusieurs 
autres,  qui  se  manifeste  en  le  faisant  ressortir  davantage  sous  le 
rapport  de  l'intensité,  de  la  hauteur,  de  la  quantité,  du  timbre 
ou  de  l'articulation  ». 

C'est  la  première  fois,  je  crois,  que  l'on  envisage  ces  deux  der- 
nières espèces  d'accent.  «  Les  voyelles,  dit  l'auteur,  dont  les  har- 
moniques caractéristiques  sont  plus  élevées  ont  plus  d'énergie 
psychique  »  (i).  —  «  Les  sons  buccaux,  les  sourdes  et  les  sons  avec 
occlusion  complète  et  énergique  ont  plus  d'énergie  psychique  ; 
ils  ont  lacoent  d'articulation  par  rapport  aux  nasales,  aux  sonores 
et  aux  sons  à  occlusion  faible  et  incomplète  » . 

Ces  cinq  accents  sont  distincts.  Cependant  ils  ne  sont  pas 
toujours  indépendants  l'un  de  l'autre.  C'est  ainsi  que  l'accent 
d'intensité  s'accompagne  souvent  d'un  accent  de  hauteur  et  de 


Starke,  Tonhdlie,  Daner,  Stimmqualitat  u.  s.  \v.  zu  einer  plionetischen 

Einheit  zusamniengegliedeit  wird In   dieser  phonetische  Satzein- 

lieit  gescliieht  aucli  iin  Wesentlichen  die  lautliche  Fortentwickelung 

der  Spiachen 

(1)  D'après  Helrnholtz-Koenig  les  voyelles,  sous  ce  rapport,  présentent 
l'ordre  suivant  :  u,  o,  a,  e,  i. 


ANALYSE    d'un    ESSAI    DE    SYNTHÈSE    PSYCHOLOGIQUE.       211 

quantité.  L'auteur  s'attachera  à  ne  considérer  que  les  cas  d'accen- 
tuation primaire,  spontanée,  en  éliminant  ceux  qui  sont  dus  à 
l'action  mécanique  d'un  accent  d'une  autre  espèce.  Dans  tout  ce 
volume,  et  particulièrement  dans  ce  chapitre,  l'auteur  met  en 
œuvre  des  travaux  nombreux  et  variés,  11  lui  était  naturellement 
impossible  de  vérifier  la  valeur  de  tous  ses  matériaux.  C'était  là 
un  inconvénient  inévitable  dans  cette  vaste  synthèse.  Une  erreur 
qu'il  aurait  pu  éviter,  c'est  d'affirmer  avec  E.  0.  Meyer  (Englische 
Lautdauer,  p.  47),  que  les  voyelles  avec  articulation  linguale 
supérieure,  c.-à-d.  i  et  ii,  sont  toujours  plus  brèves,  ceteris  parihus, 
que  les  voyelles  avec  articulation  linguale  inférieure.  Des  expé- 
riences de  Meyer,  il  ne  ressort  rigoureusement  qu'une  chose  : 
c'est  que  ce  phénomène  existe  dans  sa  manière  de  prononcer  l'an- 
glais. Il  faudrait  des  expériences  bien  plus  variées  pour  affirmer 
que  c'est  un  caractère  général  de  la  prononciation  anglaise.  Cela 
fût-il  démontré,  il  n'en  résulterait  pas  qu'il  en  est  ainsi  partout, 
et  que  la  chose  résulte  de  la  nature  même  des  sons.  De  fait,  rien  de 
pareil  ne  se  présente  p.  e.  dans  le  patois  de  Louvain,  ni  dans  celui 
d'Alost  (1). 

L'accent  d'intensité  est  plus  facile  à  étudier  et  est  mieux  connu.  _i^'accentd'inten- 
11  résulte,  d'après  Rousselot  et  beaucoup  d'autres,  d'une  expi- 
ration plus  énergique  d'un  plus  grand  volume  d'air  ;  d'après 
Forchhammer,  au  contraire,  il  résulte  d'un  rétrécissement  du 
larynx.  L'auteur  admet  la  première  opinion  pour  le  cas  oii  l'inten- 
sité porte  surtout  sur  les  consonnes  ;  et  la  seconde,  pour  le  cas 
où  elle  porte  davantage  sur  les  voyelles.  —  Il  montre  ensuite 
l'application  des  lois  de  l'automatisme  à  l'accent  d'intensité,  et 
s'occupe  des  caractères  de  cet  accent,  considéré  en  lui-même, 
mettant  à  profit  les  ouvrages  de  Jespersen-Davidsen  et  de  Lipps, 
Die  Aesthetik.  Les  exemples  sont  tirés  des  langues  anciennes  et 
modernes,  et,  plus  d'une  fois,  les  explications  et  les  observations 
sont  originales. 


site. 


(1)  Pour  Alost,  mon  affirmation  n'est  que  provisoire  ;  elle  repose  sur  des 
expérimentations  incomplètes.  Pour  Louvain,  le  fait  est  certain,  d'après 
les  expérimentations  de  M.  L.  Goemans,  dont  les  résultats  paraîtront 
prochainement  dans  les  Leuvensche  Bijdragen. 


il\'l  i.f:  mlséo>. 

^^L'accent  musi-  L'auteur  montre  ensuite  Taction  de  l'automatisme  sur  l'accent 
musical,  en  interprétant  ou  en  discutant,  comme  d'habitude, 
nombre  de  phénomènes  linguistiques.  Il  s'occupe  plus  longuement 
des  caractères  propres  à  l'accent  musical,  considéré  en  lui-même, 
en  s'aidant  des  analogies  fournies  par  la  musique  et  de  divers 
travaux  relatifs  à  la  matière,  qu'il  résume  quelquefois.  Les  don- 
nées ainsi  recueillies  servent  ensuite  à  expliquer,  dans  les  langues 
anciennes,  plusieurs  faits  d'accentuation  ou  des  faits  connexes  : 
le  caractère  atone  du  verbe  védique  dans  lu  proposition  principale  ; 
des  particularités  de  l'accentuation  nominale  en  indo-européen  et 
qui  se  retrouvent  en  sanscrit  et  en  grec,  et,  dans  leurs  résultats, 
en  gothique  ;  l'alternance  d'accent  dans  le  verbe.  Cette  dernière 
question  est  traitée  longuement  et  conduit  l'auteur  à  formuler  une 
théorie  sur  l'origine  du  verbe  (postérieur  au  nom).  «  Les  mots 
primitifs  (abstraction  faite  du  sentiment)  étaient  des  «  assenti- 
ments »  absolus,  bientôt  différenciés  en  assentiments  réels  et 
potentiels.  Ceux-ci  donnèrent  naissance  aux  assentiments  relatifs, 
à  côté  desquels  la  catégorie  primitive  continue  son  existence  — 
et  c'est  ainsi  que  se  développèrent  le  nom  et  le  verbe  comme 
nous  l'avons  montré  au  Ch.  III  ».  Dans  ce  qui  précède  l'auteur  a 
trouvé  une  confirmation  de  cette  théorie  psychologique.  Voici 
comment.  Les  verbes  qui,  aujourd'hui,  sont  formés  d'adjectifs  et  de 
noms  abstraits  —  assentiments  potentiels  —  sont  perfectifs  ;  les 
verbes  formés  de  noms  concrets  —  assentiments  réels  —  sont 
presque  tous  duratifs.  Or  le  sens  perfectif  se  ramène  au  sens 
potentiel.  D'un  autre  côté,  il  se  trouve  qu'en  règle  générale.  Tas- 
sentiment  potentiel  est  caractérisé  dans  les  noms  par  l'accentua- 
tion finale,  l'assentiment  réel  par  la  barytonaison.  D'autre  part, 
il  est  certain,  d'après  V.  G.,  que  l'indo-européen  possédait  deux 
formations  verbales,  l'une  toujours  accentuée  sur  la  1"  syllabe  de 
la  base,  l'autre  sur  la  dernière  :  ce  sont  le  présent  et  l'aoriste.  II 
rejette  l'opinion  de  ceux  qui  attribuent  à  la  première  un  sens 
essentiellement  duratif,  à  la  seconde  un  sens  perfectif.  Pour  lui,  le 
sens  est  celui  de  l'assentiment  réel  dans  le  premier  cas,  de  l'assen- 
timent potentiel  dans  le  second.  Naturellement,  la  première  forma- 
tion verbale  est  sortie  des  formes  nominales  barytonées,  à  sens 
«  réel  »  ;  l'autre,  des  formes  nominales  à  sens  «  potentiel  ». 


ANALYSE    d'un    ESSAI    DE    SYNTHÈSE    PSYCHOLOGIQUE.       Hiù 

Deux  remarques  générales  sur  ces  pages  extrêmement  intéres- 
santes. 

D'abord,  le  mot  isolé  ne  semble  posséder  aucune  existence 
autonome,  ou,  du  moins,  son  rôle,  dans  le  langage  actuel,  n'est 
nulle  part  défini  d'une  manière  claire  (i).  A  la  page  24,  V.  G.  nous 
dit  que  ces  unités  primaires  continuent  «  plus  ou  moins  à  exister  «, 
mais  dans  la  vie  et  l'évolution  du  langage  ils  ne  jouent  plus  aucun 
rôle  autonome.  Cette  assertion  me  paraît  fort  douteuse,  et  mes 
doutes  proviennent  de  l'étude  minutieuse  de  mon  dialecte  natal. 
Dans  ce  dialecte,  le  sandhi,  au  sens  le  plus  large  —  comprenant  les 
sons  isolés,  l'enclise  et  la  proclise  des  mots  —  est  extrêmement 
développé.  Or,  je  remarque  que  les  mots  accentués  conservent  très 
fidèlement  leur  forme  normale  «  abstraite  « .  La  consonne  initiale 
et  finale  sont  presque  toujours  modifiées  dans  la  phrase  ;  un  mot 
commençant  par  d,  ,?,  v,  est  constamment  prononcé  par  /,  5,  v,  et 
malgré  cela,  je  ne  connais  aucun  cas  où  une  confusion  se  serait 
faite  entre  les  deux  sons.  Il  n'en  est  guère  autrement  de  l'Auslaut, 
où  il  y  a  cependant  quelques  rares  cas  où  la  sourde  est  devenue  le 
son  normal.  Ce  fait  devient  plus  frappant,  si  on  considère  en 
même  temps  le  cas  des  proclitiques,  où  très  souvent  la  forme  acci- 
dentelle est  devenue  normale.  Je  sais  que,  dans  quelques  mots,  le 
n  final  du  proclitique  s'est  attaché  au  mot  accentué  suivant  com- 
mençant par  voyelle  —  comme  en  français  VI  de  l'article.  Mais 
ce  phénomène  est  d'autre  nature,  et,  en  outre,  ces  cas  sont 
si  rares  qu'ils  perdent  toute  signification  à  fcôté  de  la  masse  des 
cas  où  l'Auslaut  reste  intact.  Qu'en  conclure,  sinon  que  tout  en 
réunissant  plusieurs  mots  sous  un  accent,  tout  en  étendant  l'ac- 
tion du  sandhi  proprement  dit  sur  toute  la  «  construction  », 
l'on  garde  bel  et  bien  conscience  de  l'individualité  du  mot  accen- 
tué ?  Je  ne  voudrais  pas  dire  du  reste  qu'il  en  est  autrement,  en 
général,  des  mots  atones.  Mais,  pour  le  mot  accentué,  je  crois  qu'il 
est  nécessaire  d'aller  plus  loin  et  que  —  malgré  quelques  cas 
d'altération  phonétique  à  la  finale  dans  les  langues  anciennes  et 
modernes,  on  doit  maintenir  que  le  mot  accentué  —  dans  le  stress- 
group  —  est  indépendant  de  la  proposition  ou  construction  où  il 


(1)  Chez  Brugmann,  il  paraît  ne  plus  exister  comme  réalité  concrète. 


214  LE    MUSÉON. 

se  trouve,  et  même  des  mots  rju'il  se  subordonne  ;  et  cela  tant  au 
point  de  vue  de  l'accent  qu'au  point  de  vue  des  sons  dont  il  se 
compose. 

Ici,  comme  ailleurs,  on  a  l'impression  que  l'auteur  mène  de 
front  doux  ordres  d'idées.  On  voit  bien  qu'il  a  voulu  nous  donner 
une  histoire  psychologique  de  l'origine  et  du  développement  du 
langage.  Mais  qu'il  le  veuille  ou  non,  la  question  de  l'histoire 
concrète,  chronologique,  se  pose  sans  cesse  sous  mille  formes. 
De  temps  en  temps  il  nous  donne  quelques  indications  à  cet 
égard,  mais  elles  sont  isolées  et  incomplètes.  Ses  idées  et  ses 
théories  deviendraient  beaucoup  plus  claires  s'il  nous  exposait  la 
manière  dont  il  conçoit  les  étapes  successives  du  langage  dans 
l'histoire.  C'est  évidemment  demander  beaucoup,  trop  même. 
Peut-être  cet  essai  de  synthèse  est-il  destiné  à  faciliter  la  solution 
future  de  la  question.  En  tout  cas,  la  présente  remarque,  qui 
s'applique  à  toute  cette  seconde  partie,  aura  l'avantage  d'appeler 
l'attention  sur  un  grave  desideratum  du  lecteur. 

Ma  seconde  remarque  porte  sur  le  rôle  que  l'auteur  assigne  à 
l'accent  en  indo-européen,  et,  implicitement,  en  sanscrit  et  en 
grec.  On  admet  généralement  que  l'accent  musical  prédominait 
dans  ces  deux  langues.  Mais  dans  quelle  mesure  ?  Et  même,  le 
fait  est-il  absolument  incontestable  V  II  est  vrai  que  les  grammai- 
riens indigènes  ne  parlent  que  de  l'accent  musical.  Mais  ceci  pour- 
rait tenir  au  fait  qu'ils  ont  eu  surtout  en  vue  la  parole  modulée 
dans  des  hymnes  ou  des  lais  primitifs.  Il  est  vrai  que,  si  le  langage 
n'avait  modulé  les  mots  dans  un  grand  nombre  de  cas,  ils  n'au- 
raient pu  parler  comme  ils  l'ont  fait.  L'inverse  se  passe  sous  nos 
yeux  aujourd'hui.  Nos  langues  germaniques  ont  l'accent  d'inten- 
sité, exclusivement^  ajoute  tel  grammairien  de  renom.  Ce  n'est 
guère  que  dans  une  œuvre  de  premier  ordre,  comme  le  Grundriss 
de  Brugmann,  qu'on  s'exprime  d'une  manière  plus  exacte  :  «  vor- 
wiegend  expiratorisch  n. 

Nos  connaissances  sur  l'accentuation  des  langues  même  modernes 
sont  encore  vagues  et  incomplètes  ;  l'étude  expérimentale  en  est 
à  peine  commencée.  Ce  sera  là  mon  excuse  pour  hasarder  une 
conjecture  sur  le  rôle  comparé  de  l'accent  d'intensité  et  de  l'accent 
musical  dans  le  mot  :  on  peut  croire  que  l'accent  musical  n'est  dans 


ANALYSE    d'un    ESSAI    DE    SYiNTIIÈSE    PSYCHOLOGIQUE.       215 

le  mot,  comme  expression  de  l'idée,  qu'un  accompagnement  de 
l'accent  d'intensité,  et  que,  là  oiiiljoue  le  rôle  principal,  c'est- 
à-dire  là  oii  il  apparaît  comme  le  moyen  principal  de  ramener  à 
l'unité  les  parties  du  mot,  il  n'est  que  le  «  suppléant  »  de  l'accent 
d'intensité. 

Cette  conjecture  m'est  suggérée  par  l'évolution  du  mot  vergeten 
dans  un  patois  voisin  d'Alost,  celui  de  Nieuwerkerke.  La  pronon- 
ciation des  dialectes  environnants  est  vrgétn  (avec  e  fermé  long). 
A  Nieuwerkerke,  le  mot  se  prononce  de  deux  façons  normales.  La 
l""^  est  vrgétn,  quand  on  parle  vite  ;  la  2'^^  est  employée  lorsqu'on 
parle  plus  lentement.  Alors  le  Schwa  de  la  première  syllabe,  au 
lieu  de  disparaître,  se  développe,  et  devient  e  (e  long  ouvert^.  Il  en 
est  résulté  une  forte  dépense  d'air  sur  ver  ;  le  reste  ne  suffisant 
pas  pour  produire  l'intensité  sur  ge,  on  y  supplée  par  une  tension 
plus  forte  des  cordes  vocales  et  une  élévation  considérable  du  ton. 
Détail  à  noter  :  Ve  est  devenu  plus  fermé  et  tend  vers  Vi.  Quant  à 
l'intensité,  elle  est  plus  grande  sur  ver  que  sur  ge.  —  Je  n'oserais 
affirmer  qu'il  en  est  de  même  pour  la  première  syllabe  des  compo- 
sés polysyllabiques.  Toujours  est- il.  que  l'accent  musical  est  très 
fort  sur  une  initiale  comme  uitgeven.  Il  y  a  entre  uit  et  ge\=  ge) 
un  intervalle  de  trois  tons  et  demi.  L'intensité  des  deux  premières 
syllabes  ne  diffère  guère  (I). 

Dans  ce  second  cas,  il  y  aurait  économie  d'air  sur  uit  en  vue  de  la 
seconde  syllabe  longue  et  pourvue  d'un  accent  secondaire.  Si  ces 
procédés  sont  ceux  de  la  nature,  si  l'on  pouvait  admettre  que  ces 
dispositions  étaient  les  mêmes  chez  les  peuples  anciens,  ils  suffi- 
raient pour  expliquer  la  grande  importance  de  l'accent  musical  en 
sanscrit,  en  grec,  voire  même  en  latin.  Je  crois  qu'il  me  serait 
impossible,  à  moi  et  à  tous  ceux  do  la  communauté  linguistique  à 
laquelle  j'appartiens,  de  prononcer  avec  l'accent  d'intensité,  des 
mots  comme  jâouXojxévwv,  [xéXXouctv,  y^y^'op-s^otÇ»  ôp.o>.oyô,  cpépvjTS, 
en  maintenant  la  quantité  propre  des  voyelles.  Mais  dans  des  mots 
comme  ïdoç,  xarà,  Trepi,  Xoyoç  ,  il  n'en  est  pas  de  même,  et  rien 
n'empêche  de  croire  que  l'accent  d'intensité  n'ait  prédominé  chez 


(1)  L'intensité  relative  des  syllabes  de  vergeten  et  de  uitgeven  a  été 
étudiée  expérimentalement. 


210  LE    MISÉO^. 

les  anciens  dans  des  mots  de  ce  genre.  On  s'expliquera  le  fait  que 
leurs  grammairiens  n'en  ont  pas  parlé,  en  remarquant  d'abord  que 
l'accent  musical  accompagne  l'accent  d'intensité,  et,  en  outre,  que 
cet  accent  d'intensité  ne  doit  pas  être  confondu  arec  celui  des 
langues  germanii]ues,  fort  différent  encore  aujourd'hui  de  l'accent 
d'intensité  de  l'italien  et  du  néo-grec. 

Parmi  toutes  les  considérations  de  notre  auteur  sur  l'accent  musi- 
cal, il  n'est  aucunement  question  de  l'accent  d'intensité.  De  plus, 
il  ne  considère  les  mots  que  dans  les  «  constructions  r .  Ces  mots 
avaient-ils  déjà  un  accent  avant  d'entrer  en  combinaison  avec 
d'autres,  ou  bien  étaient-ils  amorphes  sous  ce  rapport  ?  J'avoue 
que  je  ne  saurais  guère  me  représenter  cette  situation  d'une  manière 
même  vaguement  concrète. 
L'accent  tempo-       A  propos  de  l'accent  temporel,   l'auteur    montre  de  nouveau 

rel. 

l'application  des  lois  de  l'automatisme,  et  s'en  sert  pour  discuter, 
ou  expliquer,  par  des  conjectures  d'ordinaire  très  plausibles,  les 
travaux  récents  portant  sur  des  questions  relatives  à  la  quantité  : 
p.  e.  la  loi  rythmique  de  Blass,  la  théorie  de  Streitberg  sur  l'origine 
de  la  Dohnstufe  etc. 

Quant  aux  détails  caractéristiques  et  à  la  signification  originaire 
de  l'accent  temporel,  il  se  borne  à  faire  remarquer  :  que  l'allonge- 
ment d'une  voyelle  est  une  espèce  de  redoublement  ;  que  le 
redoublement  a  parfois  le  sens  énoncé  par  Pott  dans  ces  termes  :  le 
sens  «  des  Schillerns,  Aehuelns,  gis.  nur  hin  uud  her  Schwankenden 
Herumspielens  «  ;  un  sens  affaibli  :  «  wie  das  deutsche-lich, 
etwas  «.  Or  un  «  assentiment  potentiel  n'est  autre  chose  que  l'assen- 
timent à  «  quelque  cho.se  de  ce  genre,  qui  y  ressemble,  qui  s'en 
rapproche  «.  —  Et  voilà  enfin  l'explication,  pour  M.  V.  G.,  de  la 
Vrddhi ,  qui  caractérise  les  formes  exprimant  l'assentiment  potentiel. 

L'accent  "  chro-       L'accent  que  l'auteur  appelle  «  kleuraccent  n  ce  qu'on  pourrait 
matique  ••.  *  '  '  ^  ' 

peut-être  traduire  par  "  accent  chromatique  »,  s'applique  non-seu- 
lement aux  voyelles,  mais  aussi  aux  consonnes  :  le  mouillement 
leur  communique  le  timbre  de  1'/  (kleur,  Farbe),  l'action  des  lèvres 
donne  le  timbre  de  V/i.  11  fait  remarquer  que  la  manière  dont  les 
sons  se  subordonnent  sous  ce  rapport  diffère  souvent,  et  cela  par 
suite  de  l'action  des  autres  accents. 

L'auteur   montre   ensuite   comment  les  lois  de   l'automatisme 


ANALYSE    d'un    ESSAr    DE    SYNTHÈSE    PSYCHOLOGIQUE.       217 

produisent  différentes  modifications  de  voyelles  dans  la  syllabe  ou 
dans  le  mot.  Il  explique  ainsi  la  diphtongaison  des  longues  dans  les 
langues  germaniques  et  romanes,  l'Umlaut  et  la  Brechung  germa- 
niques, l'harmonie  vocalique  etc. 

Ici  l'auteur  ne  nous  laisse  aucun  doute  sur  les  questions  d'ori- 
gine, sur  le  substratum  qui  se  modifie  sous  l'action  des  lois  de 
l'automatisme.  Il  est  vrai  qu'il  ne  parle  directement  que  des 
langues  indo-européennes  et  sémitiques,  mais  je  ne  crois  guère 
me  tromper  en  admettant,  que  dans  sa  pensée,  la  théorie  s'étende 
aux  langues  en  général.  Il  admet  donc  qu'à  l'origine  les  langues 
indo-européennes  et  sémitiques  n'avaient  d'autre  voyelle  que  le 
Schwa,  voyelle  amorphe  dont  seraient  sorties  les  voyelles  exis- 
tantes. Les  raisons  qu'il  apporte  en  faveur  de  cette  opinion  sont 
extrêmement  intéressantes,  mais  ne  me  paraissent  pas  convain- 
cantes. L'auteur  lui-même  nous  avertit  de  ne  pas  attacher  une 
valeur  absolue  à  cette  théorie  qui  «  n'est  qu'une  idée  » .  Quoiqu'il  en 
soit,  cette  idée  a  l'avantage  de  rendre  claire  sa  pensée  générale  — 
ce  qui  n'est  pas  le  cas  quand  il  parle  de  l'accent  d'intensité  ou  de 
l'accent  musical. 

L'accent  d'articulation  des  consonnes  est  l'énergie  relative  avec     L'accent  d'arti- 
laquelle  elles  sont  prononcées.  L'ordre  décroissant  des  sons  sous  ^"^^'^'°"' 
ce  rapport  est  le  suivant  :  tenues  —  mediae,  lenes  —  aspirata  — 
spirantes,  nasales,  liquidae  —  i,  u  —  a,  e,  o.  Par  l'application  des 
lois  de  l'automatisme,  on  explique  une  grande  quantité  de  change- 
ments de  consonnes  voisines,  ainsi  que  la  dissimilation  à  distance. 

C'est  par  la  subordination  et  la  différenciation  que  s'expliquent 
éran.  haft,  vis-à-vis  du  sanscrit  sapta  ;  AejApwpa  de  l'hébreu  deb- 
hora,  Marseille  de  Massilia  ;  l'inertie  et  parfois  l'anticipation 
amènent  le  changement  des  sourdes  en  sonores. 

Un  mot  sur  le  sens  attribué  au  terme  accent,  sens  qui  s'applique 
réellement  aux  cinq  phénomènes  décrits.  L'usage  général,  à  part 
celui  des  rares  linguistes  qui  parlent  d'accent  temporel,  a  jusqu'ici 
réservé  ce  mot  pour  l'accent  d'intensité  et  l'accent  musical.  Ces 
deux  accents  ont  ceci  de  spécial  qu'ils  constituent  le  principe  de 
l'unité  du  mot,  avec  ou  sans  enclitiques,  et  de  la  phrase  (j'entends 
par  là  les  groupes  secondaires  de  l'auteur).  Les  autres  «  accents  n 


218  LE    ML'SÉON. 

ne  jouent  pas  ce  rôle,  et  je  me  demande  si  Ton  a  raison  de  modifier 
ainsi  l'usage  établi,  en  employant  le  même  terme  pour  désigner  des 
faits  différant  d'une  manière  aussi  considérable. 
Les  lois  <iu  lan-       Pour  l'auteur,  les  lois  du  langage  sont  des  lois  psychologiques. 
Les .. lois phoné-  p.  e.  Ics  quatre  lois  de  l'automatisme.  "  Une  loi  psychologique  du 
^"ï"*^^"  langage,  dit-il,  est  une  tendance  d'une  ou  de  plusieurs  forces  psy- 

chiques, pour  changer  un  fait  ou  un  groupe  de  faits  de  la  langue 
dans  un  sens  déterminé.  Cette  tendance  a  son  effet  en  tout  temps, 
en  tout  lieu  et  à  toute  occasion,  pourvu  que  les  circonstances 
voulues  existent  ». 

Mais  les  «  Lautgesetze  »,  les  lois  historiques  du  langage  sont 
tout  autre  chose.  «  C'est  un  groupe  de  changements  phonétiques 
opérés  pendant  une  période  déterminée,  dans  un  milieu  déterminé, 
et  opérés  une  fois  pour  toutes  »  — ou,  eu  termes  plus  psycholo- 
giques, «  la  réalisation  d'une  tendance,  d'une  force  psychique,  ou 
de  plusieurs  forces  psychiques  combinées,  pour  changer  un  fait  ou 
un  groupe  de  faits  parallèles,  dans  une  direction  déterminée,  dans 
un  temps  et  un  milieu  déterminé,  et  une  fois  pour  toutes  ». 

On  peut  les  appeler  lois,  mais  ce  ne  sont  pas  des  lois  naturelles. 
Pour  l'auteur  les  «  unbedingte  Lautgesetze  n  sont  impossibles,  et 
il  formule  sa  propre  opinion  dans  les  termes  suivants  : 

«  Toutes  les  lois  phonétiques  trouvent  leur  explication  dernière 
et  complète  dans  l'action  combinée  de  nos  principes  d'automa- 
tisme psychologique  sur  toutes  les  qualités  du  son  articulé  par 
l'homme  :  en  d'autres  termes,  sur  nos  cinq  sortes  d'accents  ». 

Comme  application  il  nous  offre  une  explication  complète  de  la 
LautsverschiebuDg,  explication  brillante  et  suggestive. 

Le  mouvement  est  parti  des  Celtes.  «  La  plupart  des  Germains, 
d'après  d'Arbois  de  Jubainville,  ont  vécu  d'environ  800-400  sur 

les  côtes  de  la  Baltique  sous  la  domination  des  Celtes Ce  sont 

ces  Germains  du  nord  de  l'Allemagne  qui  ont  pris  de  leurs  maîtres 

cet  affaiblissement  des  tenues  et  des  mediae  aspiratae Et  c'est 

d'eux  que  ce  changement  phonétique  a  passé  aux  Scandinaves  ». 
Seulement  ce  changement  conditionné  chez  les  Celtes,  est  devenu 
absolu  chez  les  Germains,  mais  très  lentement,  sous  l'action  de 
l'analogie,  de  manière  que  la  Lautverschiebung  n'est  accomplie 
que  vers  300  av.  J.  C.  —  Ceci  explique  le  changement  des  tenues 


ANALYSE   d'un    ESSAI    t)E    SYNTHÈSE    PSYCHOLOGIQUE.      219 

en  spiraates  sourdes  et  des  mediae  aspiratae  en  spiraates  sonores. 
Reste  le  changement  de  certaines  catégories  de  spirantes  sonores 
en  mediae  et  des  mediae  en  tenues.  Ces  deux  changements  repré- 
sentent une  tendance  toute  différente  de  la  première.  L'auteur 
l'explique  par  un  caractère  différent  de  l'articulation  générale. 
Pendant  la  période  des  premiers  changements  l'accent  d'articula- 
tion se  portait  sur  les  voyelles  :  d'où  vibration  des  cordes  vocales, 
et  une  plus  grande  ouverture  de  la  bouche.  Pendant  la  période 
suivante,  c'est  l'articulation  des  consonnes  qui  prédomine,  en  pro- 
duisant des  effets  contraires. 

La  manière  ingénieuse  dont  la  théorie  est  combinée,  les  faits 
exposés  en  vue  de  produire  une  «  cumulative  évidence  »  rendent 
la  lecture  de  ces  pages  attrayante  et  la  théorie  séduisante.  Mais 
les  objections  ?  Il  est  vrai  que  l'auteur  les  réfute.  —  Mais  il  en  est 
une  tirée  de  la  seconde  Lautverschiebung,  qu'il  explique  sans 
présenter  le  fait  comme  une  objection.  «  L'affaiblissement  des 
tenues  en  spirantes  après  voyelle,  est  dans  le  cadre  de  l'évolution 
celtique.  »  Je  ne  vois  pas  d'abord  pourquoi  l'affrication  ne  rentre- 
rait pas  dans  le  même  cadre  :  au  point  de  vue  de  l'auteur  :  ts,  pf 
non  moins  que  th,  pli  me  paraissent  articulés  moins  éoergiquement 
que  t,  p,  si  j'accepte  la  graduation  donnée  par  l'auteur,  n"  489. 
Mais  peu  importe  :  retenons  le  changement  des  tenues  en  spirantes, 
qui  s'expliquerait  par  le  fait  que  l'Allemagne  du  Sud  est  habitée 
par  une  race  mêlée  de  Germains  et  de  Celtes.  Ce  serait  donc  un 
fait  d'atavisme  linguistique.  Mais  cet  atavisme  devait  d'abord  pro- 
duire un  n  accent  d'intensité  vocalique  ».  Comment  expliquer  alors 
les  faits  donnés  comme  se  rattachant  à  l'évolution  germanique  et 
qui  supposent  «  accent  d'intensité  consonantique  ».  Cette  expli- 
cation ne  me  paraît  pas  solide,  et  si  la  2*^^  Lautverschiebung 
s'explique  sans  les  Celtes,  pourquoi  pas  la  première  ? 

Dans  les  deux  dernières  sections,  l'auteur  traite  rapidement  la 
«  sémasiologie  générale  »  et  la  théorie  générale  de  l'ordre  des 
mots.  Il  fait  remarquer  lui-même  (p.  274),  qu'en  cherchant  à 
appliquer  les  lois  de  l'automatisme  à  ces  matières,  il  se  hasarde 
dans  une  région  à  demi  obscure.  Il  traite  ces  sujets  d'une  manière 
fort  succincte,  mais  il  a  voulu  néanmoins  présenter  ses  conclu- 
sions, parce  qu'elles  lui  paraissent  de  nature  à  confirmer  les 
théories  qu'il  a  exposées  dans  le  corps  de  son  essai. 


220  LE    MLSÉON. 


*        * 


Je  traJuis  la  conclusion  où  l'auteur  expose  brièvement  son 
but,  sa  méthode,  et  le  degré  d'importance  qu'il  attache  à  son 
essai.  «  Lorsque  je  commençai  mes  études,  dit-il,  je  me  suis 
trouvé  en  face  de  beaucoup  d'opinions  et  de  théories,  de  séries  de 
fliits  et  de  collections  de  matériaux.  J'ai  voulu  les  réunir  dans 
une  synthèse. 

"  Cette  synthèse  était  impossible,  si  je  devais  travailler  d'après 
la  méthode  reconnue  sûre  par  la  Science  expérimentale  des  langues 
indo-européennes  (positivisistische  ludogermanistiek)  ;  cette  syn- 
thèse m'eût  été  très  facile,  si  j'avais  pu  me  lancer  au  hasard  dans 
une  théorie  simplement  idéalistique,  comme  l'ont  fait  autrefois 
Bopp  et  Pott,  et  comme  le  voudraient  de  nouveau  aujourd'hui 
K.  Vossler  et  B.  Croce. 

«  Cette  synthèse  n'aurait  pas  été  une  synthèse,  si  je  m'étais  rallié 
soit  à  ceux  qui,  comme  H.  Paul,  ne  voient  dans  la  langue  que  de 
l'histoire,  ou  à  ceux  qui,  à  l'exemple  des  phonétistes  et  des  dialec- 
tologues,  ne  s'occupent  que  des  données  actuelles  :  les  uns  et  les 
autres  sont  également  exclusifs. 

"  Et  cependant  j'ai  voulu  emprunter  quelque  chose  de  chacun 
d'eux. 

«  Aux  positivistes,  leur  méthode  sûre  ;  aux  idéalistes,  leur  vue  de 
l'ensemble  ;  aux  «  historiques  »  comment  la  langue  naît  et  change  ; 
aux  phonétistes  et  aux  dialectologues  :  comment  la  langue  est 
faite  dans  les  menus  détails. 

«  Mais  j'aurais  eu  beau  vouloir,  si  je  n'avais  disposé  de  ressources 
antérieures  :  observations  personnelles,  étude  de  mon  entourage, 
expérimentation  sur  les  hommes  et  les  animaux,  connaissance  de 
la  vieille  psychologie  rationnelle  et  de  la  psychologie  nouvelle, 
expérimentale,  qui  en  est  encore  à  ses  débuts. 

«  La  psychologie  était  ici  la  virtus  in  medio  :  elle  garantit  plus  de 
sécurité  aux  positivistes  ;  elle  donne  une  base  aux  châteaux  en 
l'air  des  idéalistes  ;  elle  explique  et  donne  des  raisons  exactes  de 
ce  que  les  langues  sont,  de  la  manière  dont  elles  naissent  et 
changent. 

«  Voilà  ce  que  j'ai  cherché  à  réaliser  ;  mais,  —  naturellement  ! 
—  le  résultat  présente  des  couleurs  moins  brillantes. 


ANALYSE    d'un    ESSAI    DE    SYNTHÈSE     PSYCHOLOGIQUE.       2^21 

«  Plus  d'une  fois  je  me  suis  écarté  du  juste  milieu,  plus  souvent 

sans  doute  que  je  n'en  ai  conscience Néanmoins  j'espère  que 

la  science  linguistique  du  siècle  prochain  conservera  plus  d'une 
trace  de  mon  essai  synthétique  » . 

Notre  analyse,  si  longue  qu'elle  soit,  n'a  pu  donner  qu'une  idée 
très  imparfaite  de  l'Essai  de  M.  V.  G.  Elle  est  forcément  sèche, 
abstraite,  alors  que  l'ouvrage  lui-même  est  rendu  vivant  et 
attrayant  par  des  exemples,  des  discussions,  ou  par  l'exposé, 
parfois  éloquent,  des  théories  de  l'auteur  ;  telle,  avant  tout, 
r  «  histoire  »  de  la  première  Lautverscbiebung.  Je  dis  «  éloquent  », 
et  ce  n'est  pas  une  ironie.  L'auteur  est  enthousiaste  de  son  sujet, 
d'une  conception  qui  dans  son  ensemble  est  bien  à  lui,  et  il  cherche 
à  communiquer  son  enthousiasme  au  lecteur.  Aussi  le  style  no 
ressemble-t-il  guère  au  style  des  ouvrages  didactiques.  La  lecture 
en  devient  plus  agréable,  mais  [)as  toujours  plus  facile.  La  pensée 
de  Fauteur  ne  se  dégage  pas  toujours  d'une  manière  nette,  daiuaut 
plus  que  la  conception  générale  suppose  à  tout  moment  la  con- 
naissance des  points  de  départ  historiques.  Il  est  presque  impos- 
sible que  M.  V.  G.  n'ait  pas  là-dessus  de<  idées  plus  ou  moins 
arrêtées  dans  leur  ensemble,  puisquà  certains  endroits  il  en  [iarle 
explicitement.  Ce  n'est  pas  le  cas  des  lecteurs,  qui,  je  le  craius, 
resteront  souvent  dans  un  certain  vague,  même  sur  les  tiieories 
psychologiques  de  l'auteur. 

Nous  ne  terminerons  pas  cette  analyse  sans  féliciter  .M.  Van  Gin» 
neken  de  sa  courageuse  initiative.  S'il  n'a  pas  ouvert  de  voie  entiè- 
rement nouvelle,  il  a  été  le  premier  à  élaborer  une  thf'-orie  générale 
du  langage  basée  à  la  fois  sur  une  connaissance  approfondie  de  la 
psychologie  moderne  et  de  la  grammaire  comparée. 

Ph.  Colinet, 


m 


COMPTES  RENDUS. 


RiCHAED  PisCHEL.  Leboi  und  Lehre  des  Buddha.  —  Leipsick- 
Berlia,  Teubner,  1900,  in-8°.  Vll-127  (Fait  partie  de  la  collection 
Aus  Natur  und  Geisteswelt).  —  Prix  :  un  mark. 

Je  ne  pense  pas  que  ce  petit  livre  soit  sans  défaut  du  point  de 
vue  où  l'auteur  s'est  placé.  Écrivant  non  seulement  pour  le  public 
non  spécialiste,  mais  encore  pour  le  grand  public,  l'historien  du 
Bouddhisme  est  tenu  à  certaines  précautions  que  le  savant  profes- 
seur de  Berlin  me  paraît  avoir  négligées.  Le  lecteur  n'y  est  pas 
suffisamment  averti  des  doutes  graves  que  soulève  la  vieille  histoire 
du  Bouddhisme,  des  contradictions  que  présentent  les  plus  anciens 
documents,  de  l'insécurité  inhérente  à  toutes  les  hypothèses  sur  le 
Bouddhisme  du  Bouddha.  Je  crois,  pour  ma  part,  qu'à  examiner 
avec  une  critique  un  peu  acérée  les  traditions  et  les  textes  on 
arrive  aisément  à  des  résultats  absolument  négatifs.  Si  complexe 
qu'ait  été  la  psychologie  du  Bouddha,  il  est  difficile  de  considérer 
comme  authentiques  tous  les  discours  que  la  tradition  lui  attribue. 
Mais  cette  tradition  est  néanmoins  respectable.  Nous  savons 
aujourd'hui,  tant  par  l'étude  des  livres  et  des  commentaires  sans- 
crits, que  par  la  comparaison  des  canons  chinois  et  par  des  docu- 
ments de  l'Asie  centrale,  traduits  par  M.  Pischel  lui-même,  qu'à 
une  époque  fort  ancienne  plusieurs  sectes  du  Petit-Véhicule,  tant 
l'école  pâlie  que  des  écoles  prâcrites  ou  sanscrites,  ont  possédé 
des  Écritures  étroitement  apparentées.  D'autre  part,  moins  que 
jadis  je  suis  porté  à  croire  que  ces  Écritures  se  sont  constituées 
spontanément  ;  et  l'hyper-critique,  généralement  condamnable  en 
soi,  est  dangereu.se  même  quand  il  s'agit  du  Bouddhisme.  Ce  n'est 
pas  en  passant  au  crible  les  détails  philologiques  qu'on  a  le  plus 


COMPTES    U  EN  DUS.  225 

de  chance  d'arriver  à  des  conclusions  satisfaisantes.  Il  faut  voir 
les  choses  dans  l'ensemble  ;  et  il  y  a  quelques  raisons  de  supposer 
que  les  générations  bouddhiques  contemporaines  de  la  rédaction 
des  Corbeilles,  ont  eu  de  Toeuvre  du  Maître  une  idée  assez  juste. 
Mais  de  là  à  affirmer,  avec  M.  Pischel,  que  le  Bouddha  se  taisait 
du  nirvana  l'idée  précise  d'anéantissement,  de  «  mort  éternelle  », 
ainsi  que  le  comporte  (à  l'avis  des  Occidentaux)  la  théorie  des 
skandhas,  il  y  a  très  loin.  Et  je  pourrais  indiquer  d'autres  et  de 
nombreux  exemples  des  difficultés  que  comporte  la  sélection,  parmi 
tant  de  documents  hétérogènes,  de  ceux  qu'on  regardera  comme 
représentatifs  du  Bouddhisme  du  Bouddha.  En  un  mot,  le  grand 
public,  qui  en  somme  est  notre  maître,  a  droit  à  une  entière 
franchise.  Il  ne  faut  pas  lui  dissimuler  ses  doutes,  quand  on  en  a  ; 
et  si  on  a  le  bonheur  de  se  reposer  avec  confiance  daus  les  résultats 
obtenus  par  notre  philologie  bouddhique  en  cette  année  1906,  si 
on  se  croit  suffisammeat  éclairé  pour  prendre  parti,  il  faut  néan- 
moins dire,  et  répéter,  que  des  savants  non  chimériques,  s'ils  ne 
récusent  pas  le  problème,  le  consiilèrent  comme  plein  d'embûches. 

Mais,  visiblement,  M.  II.  Pischel  a  pensé  à  ses  collègues  tout 
autant  qu'au  lecteur  ordinaire  ;  il  dit,  avec  raison,  que  le  spécialiste 
trouvera  beaucoup  de  choses  nouvelles  dans  son  livre.  Si  on  doit 
faire  part  au  public  des  opinions  reçues  et  des  résultats  acquis,  il 
y  a  tout  avantage  au  contraire  à  exprimer,  quand  ou  s'adresse  aux 
gens  du  métier,  srs  opinions  et  ses  impressions  personnelles.  On 
n'a  pas,  comme  M.  Pischel,  acquis  une  longue  familiarité  avec  les 
textes  bouddhiques  et  avec  l'ensemble  des  litt('ratures  hindoues 
sans  avoir  relevé  une  foule  de  détails  qui  ont  échappé  aux  autres  ; 
et  si  ces  détails  se  groupent  daus  une  conception  originale,  fût-elle 
contestable,  c'est  un  grand  gain  pour  tout  le  monde. 

Notre  auteur  insiste  sur  ce  point  que  ses  devanciers,  et  notam- 
ment M.  Oldenberg,  n'ont  pas  suffisamment  caractérisé  le  Boud- 
dhisme en  tant  que  système  religieux.  Telle  quelle,  cette  remarque 
capitale  me  paraît  entièrement  juste.  Reste  à  savoir  si  des  Pita- 
kas  (i)  se  dégage  nettement  ce  système  religieux  :  on  peut  croire 


(1)  Les  «  Corbeilles  «,  c'est-à-dire  les  trois  recueils  canoniques  de  langue 
pâlie. 


224  IvE    MUSÉON. 

que  cette  littérature,  étninemmeut  monastique,  a   surtout  pour 
centre  l'idée  de  VArhat,  c'est-à-dire  du  saint  qui,  par  l'extinction 
des  passions,  obtient  le  calme  parfait  durant  cette  vie,  et,  à  la 
mort,  le  nirvana,  «  mort  éternelle  »  dit  M.  Pischel,  «  vie  éternelle  » 
comprennent  souvent  les  bouddhistes,  «  ni  Tun  ni  l'autre  »  pensent 
quelques-uns.  —  Ceci  posé,  comme  le  Bouddha,  dans  tous  les 
cas,  est  en  possession  du  repos  définitif  ;  comme,  d'ailleurs,  aucun 
être  ne  peut  rien  pour  autrui,  à  raison  du  dogme  de  l'acte  conçu 
comme  strictement  personnel  et  irréversible,  on  ne  voit  pas  très 
bien  comment  le  Bouddhisme,  admirable  méthode  d'ascèse  en  vue 
du  nirvana,  peut  être  à  proprement  parler  une  religion.  Aussi  les 
exégètes  ont-ils  avisé.  Tels  savants,  qui  sont  traditionalistes,  ont 
expliqué  la  psychologie  spéciale  qui  permet  au  moine  bouddhiste 
de  rendre  un  culte  au  Bouddha  éteint,  et  d'éprouver  pour  le  repos 
du  nirvana,  pour  la  vie  calme  du  saint  et  la  non-renaissance,  un 
enthousiasme   vraiment  dévotieux.    D'autres,    plutôt    historiens, 
auxquels  la  tradition  apparaît  comme  plus  ou  moins  suspecte  et 
incohérente,  et  qui  sont  portés  à  tenir  compte  de  la  littérature 
postérieure  et   des  monuments  figurés,    M.   Senart  et  M.   Kern 
notamment,  ont  fixé  l'attention  sur  la  personnalité  du  Bouddha, 
être  mythologique  et  merveilleux,  sur  le  caractère  mystique  que 
le  Bouddhisme  officiel  affecte  dès  l'origine,  sur  le  rôle  qu'a  joué  le 
Bouddhisme  populaire,  aussi  préoccupé  des  reliques,  des  icônes, 
des  paradis,  qu'il  l'était  peu  du  nirvana  béat  des  Arhats.  Et  il  est 
bien  certain  que  les  spéculations  du  Mahâvastu  et  des  Sukhâva- 
tïvyûhas  ont  eu  des  antécédents  dans  les  temps  les  plus  anciens. 

M.  Pischel,  à  son  tour,  indique  une  direction  nouvelle,  et  il  la 
trouve  dans  des  textes  canoniques.  11  a  raison  de  dire  que  le 
Bouddhisme  a  été  pénétré,  non  seulement  par  la  <•  saveur  »  de  la 
délivrance  de  la  douleur,  par  la  «  saveur  »  de  la  qualité  d'Arhat, 
mais  encore  par  un  singulier  esprit  d'affection  pour  le  Bouddha  et 
pour  toute  créature.  Nous  avions  pris  l'habitude  de  caractériser 
l'ancienne  moralité  bouddhique  comme  purement  négative  :  «  ne 
pas  tuer,  ne  pas  voler...  »,  comme  hostile  à  tout  sentiment,  bon 
ou  mauvais,  car  le  désir  est  passionnel,  et,  par  conséquent,  quel 
que  soit  son  ol)jet,  contraire  au  but  poursuivi  qui  est  l'extinction 
de  la  pensée  dans  le  nirvana.  Et  nous  n'avions  pas  tort.  Mais,  à 


COMPTES    RKNDUS.  225 

lire  les  textes  avec  M.  Pischel,  on  s'aperçoit  que  l'affection  (maitrï) 
est  hautement  prisée,  non  seulement  comme  moyen  de  «  purga- 
tion  »  morale,  mais  encore  pour  elle-même  et  en  elle-même  (i). 
On  savait  que  le  Bouddha  fait  de  la  concorde  {avivcida)  le  premier 
devoir  du  moine  ;  M.  Pischel  nous  fait  constater  que  la  vie  du 
moine  comporte  une  bienveillance,  une  abnégation,  qui  ont  quelque 
chose  d'actif  et  de  vraiment  religieux.  Par  là,  et  à  ma  très  grande 
satisfaction  personnelle,  il  établit  un  lien  nouveau  entre  le  Petit 
Véhicule  (ancien  Bouddhisme)  et  le  Grand  Véhicule  (nouveau 
Bouddhisme),  et  il  jette  une  lumière  très  vive  sur  l'état  d'esprit 
qui  a  amené  la  substitution,  comme  axe  de  la  vie  religieuse,  du 
Bodhisattva,  saint  altruiste  qui  travaille  au  salut  et  au  bonheur 
des  êtres,  à  l'Arhat,  saint  égoïste  qui  ne  vise  qu'à  son  propre 
nirvana.  Mais,  si  précieuse  que  soit  cette  constatation,  je  crains 
que  M.  Pischel  n'en  ait  tiré  des  conséquences  trop  larges.  Que  la 
pensée  fondamentale  du  Bouddhisme  soit  l'amour  ou  la  charité 
{die  Liebe),}e  ne  le  nierai  pas,  si  on  prétend  parler  du  Grand  Véhi- 
cule, que  nous  connaissons,  et  du  Bouddhisme  du  Bouddha,  que  je 
ne  connais  pas,  pour  ma  part.  Mais  que  ce  soit  la  pensée  fondamen- 
tale du  Bouddhisme  monastique  et  scolastique  des  Pitakas,  le  seul, 
en  somme,  dont  M. Pischel  s'occupe  ici  et  qu'il  paraît  peu  porté 
à  regarder  en  quelque  mesure  comme  ésotérique,  c'est  extrême- 
ment contestable,  ou,  pour  parler  franc,  c'est  inexact.  —  Les  effu- 
sions du  Suttanipâta  :  «  Il  faut  aimer  sans  mesure  tous  les  êtres, 
comme  une  mère  protège  au  prix  de  sa  vie  un  enfant  unique  «, 
appartiennent  avant  la  lettre  au  Grand  Véhicule  ;  elles  manifestent 
une  contradiction  nouvelle  dans  la  littérature  pâlie  ;  mais  elles 
n'infirment  pas  les  conséquences  logiques  de  la  définition  de  l'Ar- 
hat (2).  La  pensée  fondamentale  du  Bouddhisme  pâli  est  la  pensée 
de  la  déUvrance  :  les  Pirakas,  dans  l'ensemble,  reconnaissent  le 
moyen  de  la  délivrance  dans  la  pratique  des  quatre  extases,  précé- 
dée de  certaines  conditions  morales  parmi  lesquelles  la  bienveil- 


(1)  Ne  pas  perdre  de  vue  des  textes  comme  Therïgrithâ,  383,  signalé  par 
Oldenberg,  Bouddha^,  p.  150. 

(2)  Sur  le  sens  de  aupadhika  pui.iyakriyâvastu,  voir  Miiuiyeff,  p.  172.  — 
La  traduction  de  M.  Pischel,  p.  16,  me  parait  contestable. 


226  LE    MUSÉO.N. 

lance  pour  déraciner  la  haine,  et  le  détachement  pour  déraciner 
rattachement  (comparer  le  Yoga)  ;  le  Grand  Véhicule,  au  contraire, 
trouve  le  chemin  de  la  délivrance  dans  la  carrière  du  futur  Boud- 
dha, dans  la  pratique  de  la  charité.  Les  docteurs  du  Grand  Véhi- 
cule ne  s'y  sont  pas  trompés,  et  ils  marquent  nettement  que  leur 
doctrine  se  distingue  de  la  doctrine  dite  «  inférieure  »  par  cette 
manière  de  comprendre  le  Chemin,  bien  plus  que  par  les  concep- 
tions métaphysiques  (i). 

Aussi  bien  M.  R.  Pischel  n'a  t-il  pas  entièrement  raison  de  tra- 
duire maitri  par  '  amour  '  '  charité  '  (die  Liebe)  (2)  :  «  La  maitrl, 
«  nous  dit-il,  n'est  ni  la  pitié,  ni  la  bienveillance,  mais  l'amour 
«  chrétien  (die  christliche  Liebe)  ;  ...  c'est  l'amour  du  prochain, 
«  c'est-à-dire  de  tous  les  êtres  :  on  ne  l'acquiert  qu'en  se  débarras- 
«  sant  de  l'affection  et  de  la  haine.  L'affection  est  l'amour  sensuel, 
«  l'attachement  aux  choses  de  ce  monde,  à  sa  femme  et  à  ses 
«  enfants,  à  la  richesse,  aux  joies  de  la  vie  [et  aussi  au  bonheur 
«  du  paradis,  etc.]...  On  ne  se  débarrasse  de  l'affection  et  de  la 
«  haine  qu'en  acquérant  l'indifférence,  c'est-à-dire  :  «  Je  suis  le 
«  même  pour  ceux  qui  me  font  du  mal  et  du  bien  ;  je  n'ai  ni  bien- 
«  veillance  (=^  partialité,  antheilnahme),  ni  malveillance  ». 

Il  serait  plus  exact  de  dire  que  la  maitrl  est  la  charité  bouddhi- 
que ;  cette  charité,  si  elle  conduit  à  la  qualité  d'Arhat,  doit,  sem- 
ble-t-il,  par  définition,  être  dégagée  de  tout  élément  passionnel. 
Le  bouddhiste,  j'entends  le  candidat  à  la  qualité  d'Arhat,  n'aime 
pas  le  prochain  comme  soi-même,  puisque  le  premier  principe  du 
Bouddhisme  est  la  négation  du  «  moi  »,  puisque  l'Arhat  ne  travaille 
pas  à  r  «  arhatship  »  de  ses  frères  !  Bien  plus,  les  sectes  ont  discuté 
sur  la  question  de  savoir  si  le  Bouddha  était  susceptible  de  pitié 
(karimâ)  et  l'orthodoxie  pâlie  affirme  que  «  oui  »  ;  mais  cette 
discussion  en  dit  long  sur  la  manière  dont  se  posait  le  problème  de 
la  sainteté.  Quand  le  Grand  Véhicule  enseigne  qu'il  faut  aimer  en 
toute  créature  la  fraction  qui  s'y  trouve,  si  minime  soit-elle,  des 
(jualités  du  Bouddha  ;  quand  il  prêche  l'amour  des  créatures,  car 


(1)  Voir  le  Madhyamakâvatâra(Bibl.  Buddhica),  chapitre  ï,  dont  j'espère 
publiei-  prochainement  la  traduction. 
('^)  Le  mot  allemand  court  après  lobha,  attachement,  affection, 


COMPTES    RENDUS.  227 

«  nous  ne  pouvons  montrer  notre  affection  aux  Bouddhas  qu'eu 
aimant  les  créatures  »  ;  quand  il  décrit  la  charité  des  Bodhisattvas 
qui  veulent  se  revêtir  du  péché  d'autrui,  assumer  les  souffrances 
des  damnés,  il  n'emploie  pas  pour  caractériser  cette  charité  le 
terme  maitrî.  En  fait,  c'est  du  râga,  de  l'affection,  de  l'attache- 
ment ;  ces  héroïsmes  généreux  sont  des  actions  d'ordre  inférieur, 
contraires  à  la  destinée  d'Arhat,  saturées  de  la  croyance  à  l'exis- 
tence des  êtres  individuels.  —  Le  Grand  Véhicule,  encore  un  coup, 
déclare  que  la  vertu  parfaite  du  don  est  la  plus  médiocre  des  vertus, 
—  quoique  la  plus  nécessaire,  —  comment  admettre  que  la  maitrî^ 
avec  le  sens  que  lui  attribue  M.  Pischel,  soit  le  «  leit-motif  n  du 
Bouddhisme  des  Pitakas  ?  —  Il  faut  traduire  «  bienveillance  », 
«  amitié  »,  «  good-will  »,  comme  M.  Fausboll  (i)  ;  et  considérer 
comme  aventureuse  telle  ou  telle  expression  du  Suttanipàta  ;  — 
ou  bien,  et  j'y  incline,  et  je  remercie  M.  Pischel  d'avoir  frayé  le 
chemin  à  cette  hypothèse,  reconnaître  que  les  théories  de  l'Arhat 
et  des  extases,  qui  sans  doute  ont  leur  place  dans  l'économie  du 
Bouddhisme  le  plus  archaïque  comme  la  méditation  du  Brahman 
innomable  dans  l'ancien  Brahmanisme,  ont  pris  cependant  dans  la 
littérature  monastique  du  Canon  une  place  disproportionnée  avec 
leur  importance  historique  réelle  dans  le  Bouddhisme  primitif. 
Mais  on  aperçoit  toutes  les  conséquences  de  ce  mouvement  tour- 
nant, et  combien  vont-elles  troubler  l'orthodoxie  de  plusieurs  de 
nos  confrères,  celle  de  M.  Pischel  lui-même  !  Ou  frémit  en  y 
pensant  ! 

Il  y  a  beaucoup  d'autres  points,  très  importants,  sur  lesquels 
M.  Pischel  prend  nettement  position  contre  M.  Oldenberg.  Celui-ci 
avait  rencontré  une  adhésion  presque  unanime  quand  il  affirma  que 
la  doctrine  officielle  sur  la  survivance  du  Bouddha  est  strictement 
agnostique  :  «  Le  Bienheureux  a  refusé  de  s'expliquer  sur  ce 
point  ».  Ce  n'est  pas  exact,  dit  notre  auteur.  Le  Bouddha  a  récusé 
cette  question,  parce  qu'elle  est  inutile  pour  la  délivrance  ;  mais 
il  n'a  pas  laissé  le  moindre  doute  sur  ceci  que  le  but  de  sa  doctrine 

est la  cessation  des  slandhas,  c'est-à-dire  la  mort  éternelle  » 

(p.  76).  —  Il  tombe  sous  le  sens  que,  à  notre  point  de  vue,  la  théo- 


(1)  Comparer  Oldenberg  «,  p.  288,  Buddha  ^  343. 


228  LE    MISÉON. 

rie  des  sJcandlias  comporte  cette  solution,  car  elle  réduit  le  moi  à 
UQ  complexe  d'éléments  impermanents  ;  mais  il  semble  que  la 
question  se  puisse  poser  si  le  Bouddha  a  prêché  la  théorie  des 
sJcandhas  et  en  a  conçu  toutes  les  conséquences  logiques  :  je  ne  suis 
pas  sûr  que,  incontestablement,  pour  le  Bouddha  lui-même,  son 
nirvana  ait  été  l'extinction  complète. 

Sans  doute,  il  a  dit  que  ni  les  hommes  ni  les  dieux  ne  le  verront 
plus  ;  et  il  est  certain  qu'il  ne  renaîtra  plus.  Mais  n'a-t-il  pas  parlé 
d'un  pudgala  {=purusa  des  Sûmkhyas)  qui  dépose  les  skandhas  ? 
C'est  une  très  grosse  question  que  celle  du  nirvana,  et  qu'il  serait 
malséant  d'étudier  ici  en  quelques  lignes.  Mais  on  peut  dire  qu'il 
n'y  a  rien  de  certain  sur  ce  point,  sinon  que  la  théorie  des  skan- 
dhas paraît  comporter  le  nirvana  =  anéantissement  ;  que,  d'autre 
part,  l'anéantissement  est  une  doctrine  hérétique  ;  sinon,  enfin, 
que  les  textes,  relevés  par  M.  Oldenberg,  témoignent  de  l'incerti- 
tude de  la  Communauté,  présentée  par  cet  habile  écrivain  avec 
une  délicatesse  dans  les  nuances  qui  ne  me  rassure  pas  complète- 
ment ;  tandis  que  d'autres  textes,  hérétiques,  adoptés  par  des  sectes 
qui  adhèrent  à  la  doctrine  des  skandhas,  concluent  à  la  survi- 
vance :  «  L'exemple  de  la  lampe  qui  s'éteint  n'est  qu'un  exemple, 
et  n'a  pas  la  force  d'une  définition.  Le  nirvana  est  quelque  chose 
{hhàva),  c'est  la  condition  dans  laquelle  le  désir  est  éteint,  et  non 
pas  l'extinction  du  désir  ;  c'est  la  condition  dans  laquelle  la  pensée 
est  délivrée  (i)  ».  —  Il  est  nécessaire  de  verser  dans  nos  catégories 
occidentales  les  philosophoumènes  des  Brahmanes  et  des  Bouddhis- 
tes ;  mais  il  est  dangereux  de  croire  que  nous  les  comprenons. 

Quoi  qu'il  eu  soit  des  doctrines  contradictoires  relatives  au  nir- 
vana, toutes  au  même  degré  authentiques,  la  traduction  «  mort 
éternelle  »  est  inadmissible.  «  Mort  éternelle  »  ne  sonne  pas  à  nos 
oreilles  comme  nirvana  sonnait  aux  oreilles  des  délicieuses  Therïs, 
Le  nirvana  est  la,  délivrance  de  la  vie  et  de  la  mort,  le  nirvana 
est  l'immortalité  {awata).  Nous  avons  afi'aire  à  une  donnée  trans- 
cendante :  le  Bouddhiste  désire  le  nirvana  (?)  ;  il  lui  est  interdit 


(1)  Madhyamakavftti.  chap.  XXVI. 

(2)  Du  moins  dans  le:^  livres  pfilis  ;  les  docteurs  de  langue  sanscrite, 
plus  logiques,  condamnent  tout  dC'sir. 


COMPTES    RENDUS.  229 

de  désirer  l'existence  ou  le  néant  (vihhava,  voir  Pischel,  p.  28, 
64)  (i). 

Le  Bouddhisme,  et  M.  Pischel  le  conteste  à  tort  (p.  52),  est 
religieux  en  ceci  qu'il  est  une  foi.  Il  est  vrai  que  le  Bouddha  ruine 
l'argument  d'autorité,  qu'il  se  vante  d'enseigner  avec  des  preuves 
à  l'appui.  Mais  il  me  parait  presque  certain  Ique,  historiquement, 
les  bouddhistes  se  sont  attachés  à  la  parole  du  maître,  à  la  loi 
infaillible  :  «  Le  Tathâgata  sait,  et  je  ne  sais  pas  »,  disent  les  tex- 
tes (2).  La  méditation  correcte  ne  doit  pas  porter  sur  les  mystères 
(acintya)  ;  il  faut  y  croire,  et  se  dire  :  «  Ceci  est  à  la  portée  du 
Bouddha,  non  à  la  mienne  »  (3).  Ailleurs  «  le  Bouddha  a  défendu 
d'examiner  la  doctrine  de  l'acte,  parce  que  l'on  ne  peut  se  livrer  à 
cet  examen  sans  tomber  dans  Thérésie  »  (4).  En  principe  aussi,  le 
recours  (pratisarana)  n'est  pas  la  raison  raisonnante  (vijhcina), 
mais  l'intuition  (jùâna,  hhàvanâ).  Le  Bouddhisme,  non  seulement 
est  couronné  de  mysticisme,  mais  a  ses  fondements  dans  une  certi- 
tude mystique,  expérimentée  par  ses  saints,  recherchée  pieusement 
et  avec  foi  par  tous  ses  adeptes  (5). 


(1)  Dans  un  instructif  compte  rendu  du  livre  de  M.  Pischel  {Deutsche 
Literatur  Zeitung,  15  décembre  1906),  M.  R.  Garbe  conteste  la  traduction 
vibhavatanhà  =  «  soif  de  la  mort  [éternelle]  ».  Cette  traduction,  dit-il, 
est  possible  au  point  de  vue  linguistique,  mais,  encore  qu'elle  soit  admise 
par  la  tradition  bouddhique,  elle  ne  peut  être  correcte  en  raison  de  la 
doctrine  bouddhique.  La  soif  de  la  mort  éternelle  est  la  même  chose  que 
le  désir  du  Pariuirvâna  ;  le  Bouddha  ne  peut  l'avoir  condamnée  comme 
blâmable  et  nocive.  Aussi,  d'accord  avec  une  vue  ancienne  de  M.  Olden- 
berg,  je  crois  qu'il  faut  traduire  :  soif  du  pouvoir.  —  A  notre  avis  la 
gradation  des  trois  soifs,  soif  du  plaisir,  soif  de  l'existence,  soif  de 
vibhava,  suffit  à  écarter  l'opinion  de  M.  R.  Garbe  ;  voir  aussi  vibhava- 
drsti.  Il  faut  en  retenir  ce  point,  important,  que  la  logique  occidentale 
acculée  à  la  traduction  :  nirvana  =  mort  éternelle,  par  la  théorie  des 
skcmdhas,  est  démentie  par  les  textes  canoniques.  Les  bouddhistes  se 
sont  peut-être  doutés  de  cette  contradiction  et  c'est  pour  cela  qu'ils  ont 
fait  du  nirvcma  une  question  «  réservée  ».  —  Je  commence  à  croire  que 
M.  Oldenberg  a  vu  juste  sur  ce  point,  encore  qu'il  y  ait,  dans  les  Pita- 
kas,  tous  les  germes  du  Madhyamaka  (Voir  Bouddha-,  21-.?,  note.) 

(2)  Voir,  p.  ex.,  Majjh.  I.  480  ad  finem. 

(3)  Bodhisattvabhûmi. 

(4)  Madhyamakavftti. 

(5)  Je  ne  pai-le  pas  des  vertus  magiques  que  possède  tout  Arhat  comme 
tout  Jîvanmuhfa  du  Brahmanisme  —  ceci  m'entraînerait  vers  des  consi- 


250  lj:  mlséo.n. 

Faut- il  admettre,  avec  M.  Max  Walleser  loué  par  M.  Pischel 
(p.  51),  que  le  Bouddhisme  primitif  professait  une  indifférence 
absolue  pour  toutes  les  questions  théoriques  ?  En  d'autres  termes, 
—  je  crois  que  c'est  la  pensée  de  l'auteur,  —  faut-il  admettre  que, 
fors  deux  points  :  trausmij^ration  dos  uon-Arhats,  nirvana  des 
Arhats,  il  n'y  a  rien  dans  le  Bouddhisme  du  Bouddha  que  des  pré- 
occupations d'ordre  pratique  :  comment  les  simples  obtiendront-ils 
les  paradis,  comment  les  moines  deviendront-ils  Arhats? 

Il  y  a  certainement  dans  cette  manière  de  voir  une  grande  part 
de  vérité  :  "  le  Bouddha  enseigne  à  ses  auditeurs  ce  qui  leur  est 
utile  n.  C'est  la  doctrine,  célèbre  dans  le  Bouddhisme,  des  divers 
enseignements.  Il  semble  que  les  Pûrvaçailas,  parmi  les  sectes  du 
Petit  Véhicule,  ont  été  des  premiers  à  relever  cette  tendance  du 
Maître  à  accommoder  sa  prédication  aux  besoins  des  fidèles  et  à 
en  tirer  parti  pour  admettre  les  théories  les  plus  avancées,  canoni- 
ques ou  non.  Mais  si  nous  faisons  nôtre  cette  conception,  —  et  les 
Pitakas,  eu  somme,  quelque  «  travaillés  «  qu'ils  aient  été  par  les 
diverses  sectes,  ne  sont  pas  sans  nous  y  inviter,  —  combien  il  sera 
difficile  de  reconstituer  le  vieux  Bouddhisme  doctrinal  ! 

Aussi  bien  M.  R.  Pischel  est-il  de  ceux  qui  considèrent  comme 
médiocre  l'originalité  bouddhique  au  point  de  vue  de  la  théorie 
pure.  Avec  MM.  (larbe,  .lacobi,  et  plusieurs  autres,  il  trouve  dans 
le  Sâihkhya-Yoga  les  sources  voisines  de  la  doctrine  bouddhique  : 
«  Le  Bouddhisme  doctrinal  a  presque  tout  emprunté  au  Sâmkhya  n 
(p.  70).  —  Je  ne  puis  attacher  une  grande  importance  aux  relations 
du  Bouddha  avec  ses  maîtres,  ArHda,  etc.  (voir  p.  22)  et  je  partage 
les  scrupules  de  M.  Oldenberg  ().  En  tout  cas,  si  le  Bouddhisme 
dérive  du  Sâriikhya,  il  faut  reconnaître  qu'en  substituant  au  j^uriisa 
la  série  ou  le  complexe  des  slrnidhas,  les  bouddhistes  n'ont  pas 
fait  preuve  d'une  médiocre  originalité.  Pour  ma  part,  je  croirais 
volontiers  qu'ils  réagissent  contre  des  philosophoumènes  védan- 
tiques  et  que  le  Bouddhisme,  d'après  uoe  pensée  de  M.  Barth,  a 


dérations  d'une  autre  n.iUire,  quelque  indispensables  qu'elles  soient  dans 
un  exposù  complet  du  Bouddhisme. 

(1)  Appendice  à  lii  troisième  édition  du  Bouddha,  et  Buddhisticlio  Stu- 
dien.  Voir  aussi  Buddlia,  cinquième  édition  allemande,  p.  06  et  SI. 


COMPTES    RENDUS.  251 

été  créé  par  des  gens  qui  avaient  cru  au  Brahraan,  «  car  il  faut 
avoir  cru  à  l'absolu  pour  sentir  si  profondément  la  vanité  des 
choses  passagères  et  pour  l'ignorer  avec  une  résolution  aussi 
calme  »  (i).  Mais,  aussi  bien,  le  nirvSna  n'est-il  pas  l'absolu  ?  Non 
pas  l'absolu  ontologique  et  cosmologique,  mais  le  Mivalyam, 
l'absolu  dans  lequel  s'enferme  le  saint  délivré  prolongeant  une 
extase  sans  limite  ?  —  Et  si  les  bouddhistes  étaient  partis  du  point 
de  vue  Sâmkhya,  pourquoi  l'auraient-ils  abandonné  ?  Ce  point  de 
vue,  avec  l'isolement  définitif  du  purusa  inconscient,  correspond  si 
étroitement  à  leur  idéal  de  la  délivrance  !  Nous  savons  que  les 
systèmes  hindous  convergent  tous  vers  le  même  but  ;  ils  présentent 
un  air  de  famille  qui  rend  plausibles,  dans  une  certaine  mesure, 
toutes  les  hypothèses,  mais  qui,  par  contre,  justifie  pleinement  la 
prudence  de  M.  Oldenberg. 

Ce  que  dit  notre  auteur  sur  l'attitude  du  Bouddha  à  l'égard  des 
dieux  (p.  53)  est  fort  exact  ;  mais  pourquoi  dire  que  cette  attitude 
est  «  caractéristique  »  (eigenartig)  ?  C'est  l'attitude  de  tous  les 
ascètes  qui  prêchent  ou  cherchent  la  délivrance.  On  aurait  aussi 
pu  remarquer  que  le  Bouddhisme  a  respecté  le  paganisme  contem- 
porain en  attendant  qu'il  engendrât  un  paganisme  bouddhisant. 
L'attitude  d'une  élite  intellectuelle,  comme  les  Bouddhistes,  à 
l'égard  du  surnaturel  grossier  et  fantaisiste,  est  à  signaler. 

Je  n'ai  relevé  dans  les  pages  qui  précèdent  que  les  points  sur 
lesquels  je  croyais  utile  de  contredire  M.  R.  Pischel  ;  ce  n'est  pas 
le  lieu  de  constater  sur  plusieurs  autres  détails  des  divergences 
d'opinion  de  moindre  portée.  Mais  ce  n'est  que  justice  de  louer  sa 
très  riche  information,  la  clarté  de  sa  langue  exempte  de  préten- 
tion stylistique  comme  de  négligence,  et  le  bonheur  avec  lequel  il 
a  traité  des  questions  fort  abstruses  ou  rebelles  comme  le  Pratïty- 
samutpâda  (2},  le  nirvana  dans  cette  vie  (sj,  la  plus  ancienne 


(1)  Religions  of  India,  p.  116. 

(2)  M.  R.  Pischel  est  trop  sâ//ihhyavâdùi  !  Que  les  sarhskâras  aient 
été,  à  l'origine,  entendus  comme  identiques  aux  vàsanâs  (traces  des  actes 
anciens),  c'est  très  possible.  Mais  la  tratlition  des  pitakus  attribue  au 
mot  une  signirtoation  et  beaucoup  plus  flottante  et  beaucoup  plus  large. 

(3)  Voir  Kern,  Lotus,  p.  138,  n.  3,  Senart,  Album  Kern,  102,  pour  l'équi- 
valence arhattva  =  jlvanmukti. 


252  LE    MLSÉON. 

histoire  ecclésiastique,  etc.  (i).  Nous  souhaitons  qu'il  développe 
daus  un  cadre  plus  large,  avec  d'amples  développements  et  des 
références  nombreuses,  la  somme  vraiment  considérable  de  ren- 
seignements et  d'appréciations  qu'il  a  concentrés  dans  ce  petit 
volume,  clair,  concis,  bien  écrit  et  bien  composé  (2). 

L.  DE  LA  Vallée  Poussin. 

(1)  Des  remarques  très  fines  sur  les  conciles. 

(2)  M.  R.  Pischel  croit,  ou  est  porté  à  croire,  à  l'influence  du  Bouddhisme 
sur  le  Christianisme.  Je  me  suis  récemment  expliqué  sur  cette  question 
dans  la  Revue  Biblique.  Parmi  les  arguments  présentés  en  faveur  de 
l'influence,  il  en  est  qui  sont,  à  mon  avis,  ruineux,  à  savoir  les  analogies 
ou  ressemblances  verbales  entre  les  Suttas  et  le  Nouveau  Testament. 
Que  Siméon  se  soit  rendu  au  temple  sv  xù»  TrveûjjLa-cl,  et  que  Asita  soit  venu 
saluer  le  Bouddha  nouveau-né  en  traversant  Vespace,  du  sommet  de 
l'Himalaya  ou  du  Vindhya  jusqu'à  Kapilavastu.  cela  ne  constitue  pas  une 
preuve  d'appoint  en  faveur  de  l'hypothèse  de  l'emprunt.  —  La  lecture  du 
mémoire  de  M.  Pischel  sur  l'origine  du  symbole  chrétien  du  poisson 
(S,  B.  K.  P.  A.,  1905,  11  mai)  m'a  singulièrement  intéressé.  On  est  émer- 
veillé par  l'abondance  et  la  précision  des  renseignements  -,  mais,  oserai-je 
le  dire,  cet  article  qui  est  très  précieux  pour  nos  études,  qui  contribue 
notamment  à  expliquer  le  mystérieux  .Matsyendra  des  Népalais,  ne  me 
parait  pas  rendre  probable  la  thèse  soutenue  par  son  auteur.  —  Par 
contre,  dans  le  présent  volume,  M.  R.  Pischel  adopte  une  attitude  très 
prudente  en  ce  qui  concerne  l'épisode  de  la  tentation  ;  il  considère  comme 
plus  vraisemblable  l'opinion  que  les  récits  bouddhiques  et  évangéliques 
sont  indépendants.  M.  Van  den  Berg  croit  à  l'influence  bouddhique  en 
raison  de  l'offre  faite  par  Satan  de  la  souveraineté  du  monde,  ce  qui  ne 
pouvait  être  une  tentation  pour  Jésus.  L'argument  est  puéril  ;  voir,  sur 
le  caractère  des  tentations,  "  tentations  messianiques,  qui  tendent  moins 
à  solliciter  Jésus  au  péché  qu'à  le  faire  dévier  de  son  but  i>.  V.  Rose,  Ev. 
selon  S.  Mathieu,  6«  édit.,  p.  22.  —  Quant  à  la  tentation  du  Bouddha,  je 
ne  doute  pas  que  le  récit  le  plus  ancien  soit  conservé  dans  les  sources, 
fussent-elles  tardives,  qui  font  intervenir  les  rtlles  de  Mfira  :  il  n'y  a  pas, 
comme  on  sait,  d'ascète  indien  \\\\  peu  éminent  dont  l'austérité  n'inquiète 
les  dieux  ;  ceux-ci  lui  députent  des  tentatrices,  tandis  qu'Indra  se  trans- 
forme en  coucou  et  vient  chanter  sur  un  arbre  voisin  du  lieu  de  péni- 
tence. Les  bouddhistes  ont  arrangé  cette  histoire  ;  quelques-uns  ont  été 
jusqu'à  supprimer  les  déesses,  mais  où  en  serait  la  critique  si  elle  était 
incapable,  dans  un  cas  aussi  simple,  de  dégager  l'élément  ancien  ?  Cpci 
soit  dit  sans  contester  le  rare  mérite  du  travail  de  M.  \\in(lisch  sur  la 
chronologie  des  versions  pâlies  et  sanscrites.  C'est  encore  luie  question  à 
reprendre,  pour  la  faire  avancei* ....  ou  reculer. 


COMPTES-RENDUS.  235 


Atharva-Veda  Sanihitâ.  Translated  with  a  critical  anJ  exegetical 
Commentary  by  William  Dwight  Whitney.  Deux  volumes 
gr.  ia-8°,  formant  les  vol.  VII  et  VIII  de  «  Harvard  Oriental 
Séries  ».  Prix  :  5  dollars. 

Cette  magnifique  publication  est  à  la  fois  une  œuvre  scientifique 
de  première  importance  et  un  monument  dressé  à  la  mémoire  d'un 
grand  savant  par  son  élève  et  digne  émule.  Cette  traduction  est  le 
fruit  d'études  et  de  travaux  qui  commencent  au  début  même  de  la 
carrière  de  W.  D.  Whitney  et  qui  s'étendent  sur  toute  sa  vie 
jusqu'au  moment  où  la  mort  vint  interrompre  une  œuvre  encore 
imparfaite  dans  plusieurs  de  ses  parties.  C'est  dans  cet  état  qu'elle 
a  été  reprise  par  M.  Lanman  qui  a  soin  de  déterminer  dans  son 
introduction  les  parties  dont  il  est  responsable. 

Whitney  a  voulu  donner  une  traduction  littérale  ;  son  but  était 
de  «  réunir  autant  que  possible  les  matériaux  qui  devront  contri- 
buer à  l'étude  et  à  l'intelligence  définitive  du  Véda  ».  Dans  le 
commentaire,  il  nous  donne  tous  les  renseignements  critiques  qui 
se  rapportent  à  chaque  vers  traduit.  Les  variantes,  les  commen- 
taires, les  traductions  proposées  ;  en  un  mot  toutes  les  données 
qui  aideront  le  lecteur  à  se  former  une  idée  personnelle  du  sens 
de  chaque  vers. 

L'œuvre  tel  que  l'a  conçue  l'auteur  et  que  l'éditeur  a  complétée 
est  exécutée  avec  un  soin  qui  la  rend  parfaite  dans  son  genre. 

Une  introduction  générale  —  dont  la  P^  partie  est  due  à  l'éditeur 
et  la  seconde  rédigée  par  le  même  en  grande  partie  sur  les  notes 
laissées  par  Whitney  —  contient  les  renseignements  généraux  sur 
les  mss.,  les  divisions  du  texte,  etc. 

Quelques  notes  de  Whitney  lui-même  servent  de  «  préface  de 
l'auteur  ».  La  préface  de  l'éditeur  contient  l'histoire  des  travaux 
de  Whitney  sur  l'Atharva-Véda. 

La  courte  notice  bibliographique,  et  le  beau  discours  sur  la  vie 
et  les  œuvres  de  Whitney,  prononcé  par  l'éditeur  en  1894,  seront 
lus  avec  intérêt  et  sympathie  par  tous  les  admirateurs  de  l'illustre 
savant. 


254  LE    MUSÉON. 

La  disposition  des  matières  est  des  plus  heureuse  et  l'exécution 
typographique  digne  eu  tous  points  de  Tœuvre  elle-même. 
Louvain,  5  novembre  1906.  Ph.  Colinet. 


Proverbes  arabes  de  V Algérie  et  du  Maghreb,  recueillis,  traduits 
et  commentés  par  Mohammed  Ben  CnENEB,  professeur  à  la 
médersa  d'Alger.  (Publications  de  l'Ecole  des  lettres  d'Alger.) 
Tome  second.  In-S"  de  olO  pages.  Paris,  Ernest  Leroux,  1906. 

Au  cours  de  l'année  dernière,  j'ai  eu  l'heureuse  fortune  de 
signaler  (Mtiséon,  1905,  vol.  VI,  n"'  •j-i)  le  premier  volume  des 
Proverbes  arabes  de  M.  Mohammed  Bon  Cheneb.  Je  souhaitais 
alors  de  ne  pas  devoir  attendre  trop  longtemps  l'achèvement  d'un 
recueil  remarquable  par  sa  richesse  et  sa  variété,  et  aussi  recom- 
mandable  par  le  soin  généralement  apporté  à  la  mise  en  œuvre 
des  matériaux  qui  le  composent.  Mon  souhait  est  en  bonne  voie 
de  réalisation.  Ce  «  tome  second  »  embrasse  treize  lettres  de 
l'alphabet  et  va  du  sîn  au  mîm  inclusivement.  Le  diligent  collec- 
tionneur n'a  donc  plus,  pour  être  au  bout  de  sa  tâche,  qu'à  réunir 
et  publier  les  proverbes  où  les  quatre  dernièreV  lettres  se  pré- 
sentent comme  initiales. 

Le  nouvel  apport  est  digne  du  précédent  ;  il  me  semble  même 
l'emporter  un  peu  au  point  de  vue  de  l'impression  du  texte  arabe. 
On  dirait  que  l'auteur  et  son  prote,  avertis,  ont  été  davantage  sur 
leurs  gardes.  La  plupart  des  petites  fautes  qui  avaient  encore, 
malgré  tout,  échappé  d'abord  à  leur  attention,  ont  été  relevées 
et  redressées  dans  une  liste  finale  d'Additions  et  corrections  qui 
ne  comprend  pas  moins  de  sept  pages.  Il  en  est  pourtant  resté 
d'inaperçues,  et  voici  quelques  échantillons. 

On  lit,  pag.  19,  lign.  23  :  ^j-^^,  pour  ^-*i3is  ;  pag.  25,  l.  8  :  c-îj, 
pour  LT-îJj  ;  pag.  38,  1.  11  :  s--£  ytt,  ^,  pour  s--c  y^  u  ;  pag.  108, 
1.  3  :  ewLjj,  pour  cwLij  ;  pag.  211,  1.  1  :  5^^,  pour  ^_s**^^  ; 
pag.  221,  1.  20  :  <5-JU  (sic),  pour  <JJJ^?  ;  pag.  263,  1.  20  :  ï;V.)i^j,  pour 
^>>î^  ;  pag.  276,  1.  15  :  ;jUJ\  ^,  pour  jJuJ\  ^  ;  pag.  276,  1.  24  ; 
^o-Jb,  pour  jAjJ^  ^  ;  pag.  291,  1.  19  :  19  :  à^yj>,  pour  ^jj>. 


COMPTES-RENDUS.  23o 

Les  erreurs  ou  négligeuces  de  ce  genre  sont  surtout  regrettables 
dans  les  expressions  et  formes  du  langage  populaire,  pour  les- 
quelles les  dictionnaires  les  plus  étendus  n'offrent  pas  toujours 
aux  spécialistes  des  éléments  suffisants  de  contrôle,  mais  attendent 
eux-mêmes  de  livres  comme  celui-ci  les  moyens  de  se  compléter. 
Aussi  bien,  dans  la  courte  énumération  ci-dessus,  ai-je  omis  à 
dessein  plusieurs  détails  qui  me  paraissent  très  probablement 
fautifs,  mais  qui  pourraient  à  la  rigueur  n'être  que  des  anomalies 
réelles  de  la  langue  parlée.  En  revanche,  le  lecteur  attentif  sus- 
pectera parfois  à  tort  des  vocables  et  des  locutions  reproduisant 
fidèlement  la  réalité,  et  en  cela  il  obéira  à  une  disposition  très 
compréhensible  et  devenue  proverbiale  en  Orient  comme  en  Occi- 
dent :  dans  le  même  sens  oii  nous  disons  :  ■*  Chat  échaudé  craint 
l'eau  froide  »,  les  Arabes  disent  :  «  Celui  qui  a  été  piqué  par  un 
serpent  tremble  à  la  vue  d'une  corde.  » 

Dans  la  multitude  de  menus  renseignements  et  de  rapproche- 
ments de  toutes  sortes  que  l'auteur  a  groupés  autour  d'un  millier 
d'adages  familiers  aux  Algériens  et  aux  Maugrabins,  rien  d'éton- 
nant qu'il  se  soit  glissé,  par-ci  par-là,  quelques  expressions 
obscures,  quelques  assertions  plus  ou  moins  contestables.  Elles 
sont  relativement  assez  clairsemées,  et  je  me  reprocherais  de 
paraître  y  attacher  trop  d'importance.  Mais  il  me  sera  bien  permis 
de  constater  qu'on  ne  saisit  guère,  tout  d'abord,  la  signification  ou 
la  justesse  de  ces  traductions  :  «  L'approbation  (6jii\y^\)  est  la 
condition  de  l'amitié  ;  —  souffre  ta  patience  pour  toi-même,  plutôt 
que  de  la  faire  souffrir  par  autrui  ;  -  la  piété  est  entre  les  boucles 
d'oreilles  et  la  joue  (  J^-^^;  u^f^^  e^O?  ^^'^  n'est  pas  sur  les  som- 
mets des  montagnes  ;  —  on  ne  peut  en  faire  ni  tambour  de  basque 
ni  violeur  (^j^  ^;j  ;  —  la  nue  des  fenêtres  (3^^  "i^V^)  a  au  doigt 
une  bague  ;  —  au  moment  de  l'évacuer,  tu  entendras  ses  cris 
(6\jj  ^...-.j.  M^  •^^)',  —  celui-là  seul  connaît  la  passion  qui  l'éprouve, 
et  l'amour  qui  le  redoute  (K-^^?.  er(.  n  Dans  ces  cas  et  autres  sem- 
blables, le  français  ne  devient  clair  que  par  la  confrontation  avec 
l'arabe,  et  plus  d'une  fois  il  faut  reconnaître  que  l'interprétation 
s'écarte  légèrement  de  l'original.  De  même,  la  maxime  :  ^y  6\,-*J\ 
J^j^\  est-elle  bien  rendue  ainsi  :  «  La  femme  est  l'égale  de 
l'homme  «  ?  Et  le  sens  de  cette  proposition  :  ^-^^  ^^  ^^rrf  ^  se 


256  LE    MISÉON. 

retrouve-t-il  clairement  dans  celle-ci  :  «  Cent  Juifs  valent  mieux 
qu'un  seul  Blidéen  (musulman)  »  ? 

Parfois,  de  la  négligence  du  style  résultent  des  dires  étranges 
ou  inintelligibles.  Je  serais,  quant  à  moi,  reconnaissant  à  qui 
m'expliquerait  cette  phrase  :  '^  De  la  prière  ovine  (on  caprine)  il 
n'a  pris  que  l'oreille  »,  et  qui  me  la  montrerait  contenue  dans  le 
texte  :  W>-i^  ^^^^  ^'^^  ^.  Voici  un  dernier  exemple  d'où  ressortent 
plus  nettement  encore  les  inconvénients  du  manque  de  correction 
ou  de  clarté  dans  l'interprétation  française  ;  je  le  cite  sans  com- 
mentaire, en  respectant  le  réalisme  et  la  réticence  de  l'auteur  : 

«  Ayant  loué  le  chat,  il  a  uriné  dans  la  pâte  ;  ayant  loué  le 

chat,  il  a  ch.  dans  la  chambre  à  farine.  »  L'arabe  porte,  là  : 
^;^,^\  ^  J^>  \cïi\  U^,  et  ici  :  ^-j»a5\  c:^>  ^  ^^  i=5î\  u^ 

J'ajoute  enfin  que  je  cherche  vainement  un  rapprochement 
d'analogie  entre  le  proverbe  arabe  :  «  Le  prêt  est  une  perte  «  et 
le  proverbe  français  :  «  On  ne  prête  qu'aux  riches  ».  D'autre  part, 
je  ne  vois  nulle  «  opposition  »  entre  ces  deux  affirmations  :  «  Sans 
les  larmes  les  côtes  auraient  bnllé,  —  les  grandes  douleurs  sont 
muettes  »,  dont  la  première  s'entend  du  soulagement  naturel  que 
les  pleurs  peuvent  apporter  à  une  grande  tristesse. 

J.  FORGET. 


Etienne  de  Flacourt.  —  Dictionnaire  de  la  langue  de  Mada- 
gascar, d'après  l'édition  de  16.58  et  ['Histoire  de  la  grande  isle 
Madagascar,  de  1661,  par  Gabriel  Ferrand,  consul  de  France. 
Vol.  in-8°  de  XL-2'.)8  pages.  Paris,  Ernest  Leroux,  r.»05. 

L'objet  propre  de  ce  volume  n'est  point  la  langue  actuelle  de 
Madagascar.  Son  but  est  scientifique,  non  immédiatement  pratique. 
A  ceux  donc  qui  s'intéresseraient  plutôt  à  la  connaissance  de  la 
langue  parlée  de  nos  jours  dans  la  grande  île,  ce  n'est  pas  ceci 
que  je  conseillerais,  mais  plutôt  un  autre  travail  que  M.  Gabriel 
Ferrand  a  fait  paraître  il  y  a  quelque  quinze  ans  et  qui  est  intitulé  : 
Les  Musidmans  à  Madagascar  et  aux  îles  Comores.  H  porte  le 
numéro  IX  dans  la  série  des  Publications  de  V Ecole  des  lettres 
d'Alger.  Les  Appendices  qui  terminent  le  3*  fascicule  expliquent 


COMPTES-RENDUS.  257 

nettement  comment,  parmi  les  dialectes  malgaches,  c'est  le  merina 
qui  domine  aujourd'iiui  et  qui,  enseigné  dans  toutes  les  écoles 
indigènes,  est  devenu  la  langue  officielle,  la  seule  qu'on  écrive. 

Dans  les  pages  que  voici,  c'est  de  la  langue  du  XVIP  siècle  qu'il 
est  directement  question,  et  c'est  spécialement  de  sa  forme  sud- 
orientale,  assez  différente  du  merina.  Comme  source  principale 
M.  P'errand  a  utilisé  un  livre  publié  en  1658  par  Etienne  de 
Flacourt,  avec  ce  même  titre,  qu'il  a  repris  :  Dictionnaire  de  la 
langue  de  Madagascar.  E.  Jacquet  et  d'autres  érudits  ont  établi 
que  Flacourt  méritait  à  peine  le  nom  d'auteur,  et  qu'il  n'avait 
guère  fait  que  copier  et  compiler  les  travaux  antérieurs  de  plu- 
sieurs missionnaires.  Mais  d'où  que  vienne  l'œuvre,  elle  n'a  jamais 
pu  prétendre  à  la  perfection  du  genre.  Et  je  ne  parle  pas  seule- 
ment des  idées  de  linguistique  générale,  semées  de  ça  de  là,  qui 
portent  naturellement  la  marque  de  l'époque,  à  tel  point  qu'on 
nous  affirme,  par  exemple,  que  l'idiome  malgache  «  a  beaucoup 
d'affinité  avec  l'arabesque  »  ;  j'ai  aussi  en  vue  la  quantité  et  la 
qualité  des  matériaux  rassemblés.  Il  faut  remarquer  que  l'enquête 
à  poursuivre  parmi  les  indigènes  n'était  alors  qu'à  ses  débuts  ;  et, 
de  plus,  Flacourt  ignorait  même  qu'il  eût  eu  un  devancier  dans  la 
personne  de  Frédéric  de  Houtmau,  dont  le  Spraecli  ende  Word- 
boecJi  inde  Maleysche  ende  Madagaslxarsche  Talen  avait  paru  à 
Amsterdam  en  1603. 

Tel  qu'il  était,  le  Dictionnaire  de  Flacourt  comprenait  trois 
sections  biens  distinctes  :  1°  un  dictionnaire  proprement  dit,  ou 
vocabulaire  français-malgache  rangé  par  ordre  alphabétique  ;  2°  un 
Vêtit  recueil,  dans  lequel  les  termes  et  les  expressions  étaient 
groupés  par  catégories  de  choses  ou  d'idées,  dans  le  genre  de  nos 
modernes  manuels  de  conversation  ;  3°  un  Petit  catéchisme  avec  les 
prières  du  matin  et  du  soir. 

M.  Ferrand  a  jugé  avec  raison  qu'il  y  aurait  profit  à  réunir  en 
une  seule  liste  tous  les  mots  de  la  première  et  de  la  deuxième 
partie  ;  et,  en  y  adjoignant  les  éléments  nouveaux  recueillis  soit 
dans  la  troisième,  soit  dans  VHistoire  de  la  grande  isle  Mada- 
gascar, en  rectifiant  ensuite  certaines  erreurs  par  la  comparaison 
avec  deux  anciens  mss.  du  fonds  arabico-malgache  de  la  Biblio- 
thèque Nationale,  il  a  pu  arriver  à  une  œuvre  lexicographique  rela- 

17 


^38  LE   MUSÉON. 

tiveraent  sûre  et  plus  complète  ou,  si  l'on  veut,  moins  incomplète. 

Là  ne  s'est  pas  borné  son  apport  personnel.  Aux  deux  colonnes 
du  vocabulaire  primitif,  qui  donnaient,  l'une  le  français,  et  l'autre 
le  «  malgache  sud-oriental  ancien  »,  il  en  a  ajouté  deux  autres. 
Dans  la  troisième,  en  regard  des  précédentes,  il  a  placé  les  vocables 
correspondants  du  «  malgache  sud-oriental  moderne  »,  et  il  l'a 
fait  avec  la  compétence  exceptionnelle  qu'il  doit  à  un  séjour  de 
près  de  quatre  ans  dans  la  région  qui  s'étend  de  Mananjary  au 
cap  Sainte- Marie.  La  quatrième  colonne  présente,  là  où  il  y  a 
lieu,  les  formes  «  du  merina,  de  l'arabe  et  du  souahili  »  plus  ou 
moins  voisines  des  formes  malgaches. 

Enhn,  je  me  reprocherais  de  ne  pas  signaler  à  l'attention  des 
spécialistes  la  savante  préface,  rédigée  en  collaboration  avec 
M.  l'aobé  Rousselot  et  où  sont  analysés  et  décrits  avec  une  préci- 
sion scientifique  remarquable  les  phonèmes  du  malgache,  y  compris 
et  surtout  ceux  pour  la  transcription  desquels  nos  moyens  ordi- 
naires sont  absolument  insutiisants. 

Refondu  et  enrichi  comme  il  l'a  été  par  son  nouvel  éditeur,  le 
Dictionnaire  de  la  langue  de  Madagascar  constitue  une  contribu- 
tion précieuse  à  l'étude  historique  et  comparative  d'un  des  idiomes 
les  plus  importants  du  groupe  agglutinatif  malayo-polynésien. 

J.  FOEGET. 

■le  * 

Noies  de  mythologie  syrienne,  par  René  Dussaud  ;  II-IX  et  index. 
In-S"  de  124  pages.  Paris,  Ernest  Leroux,  1905. 

Ce  second  fascicule  des  Notes  de  mythologie  syrienne  de  M.  Dus- 
saud est  suivi  d'un  index  détaillé  qui  facilitera  aux  chercheurs 
l'utilisation  de  tout  le  petit  recueil.  Il  se  compose  de  huit  études 
détachées,  qui,  sauf  une,  avaient  déjà  paru  dans  des  revues  spé- 
ciales. A  cause  de  sa  variété,  il  se  prêterait  difficilement  à  une 
analyse.  Je  me  contenterai  d'y  relever  quelques  vues  et  indica- 
tions qui  me  paraissent  intéressantes. 

Les  premières  pages  nous  signalent  une  curieuse  réplique  de 
Jupiter  Héliopolitain  dans  une  statue  de  la  collection  Garimberto, 
que  Cavalleriis  avait  prise  pour  une  Diane  d'Ephèse.  De  là  nous 


COMPTES-RENDUS. 


259 


passons  à  un  ensemble  de  considérations  qui  aboutissent  à  iden- 
tifier le  dieu  Bel  de  Syrie  et  Dagon,  de  sorte  que  celui-ci  ne  serait 
que  la  divinité  solaire  phénicienne  connue  sous  le  nom  de  Melqart 
à  Tyr  et  d'El-Kronos  à  Byblos.  Un  troisième  chapitre,  consacré 
aux  Syvnboles  et  simulacres  de  la  déesse  parèdre,  examine  succes- 
sivement les  figures  du  lion  et  du  taureau,  le  préfendu  symholisme 
du  cyprès,  les  représentations  figurées  d'Atargatis  et  des  déesses 
assimilées,  les  dieux  si/mbéff/les  Simios  et  Simia  ;  la  conclusion  est 
en  faveur  d'une  famille  divine,  composée  de  Kadad,  d'Atargatis  et 
d'un  ou  deux  enfants.  Cette  famille,  venue  de  Babylonie,  prit  pied 
à  Hiérapolis,  pour  rayonner  de  là  sur  la  Syrie,  la  Palestine  et  la 
Phénicie.  Voici  ensuite  une  série  de  remarques,  minutieusement 
précises,  d'où  il  résulte  que  la  main  de  bronze  du  Louvre  au  type 
de  Jupiter  Héliopolitain  confirme  la  valeur  «  main  de  Dieu  «  des 
objets  votifs  similaires.  Le  chapitre  intitulé  :  Le  Panthéon  pliéni- 
cien,  sans  étudier  dans  le  détail  les  diverses  divinités  phéniciennes, 
souligne  leur  nature  et  leurs  caractéristiques  communes,  en  ce 
sens  qu'on  retrouve  à  Tyr,  à  Sidon  et  à  Byblos  les  mêmes  divinités 
principales,  dont  la  classification  s'oppose  naturellement  à  celle 
des  divinités  syriennes  proprement  dites.  A  remarquer  encore  les 
arguments,  de  valeur  du  reste  inégale,  développés  pour  prouver 
que  l'existence  d'un  dieu  phénicien  Milk  ou  Mélelc  n'est  qu'une 
pure  hypothèse.  Plus  sûrs  et  plus  uniformément  concluants  me 
paraissent  ceux  que  l'auteur  oppose  à  Baudissin  recourant,  pour 
expliquer  l'origine  des  sacrifices  humains,  à  une  époque  de  canni- 
balisme et  supposant  qu'anciennement  le  sacrifice  consistait  dans 
une  offrande  d'aliments.  «  Le  sacrifice  expliqué  comme  une  simple 
préparation  culinaire  à  l'usage  des  dieux  est  une  théorie  dont  l'in- 
suffisance a  été  nettement  mise  en  lumière.  » 

Une  note,  que  je  lis  dans  les  Additions  et  corrections  de  la  fin, 
se  rapporte  à  une  assertion  du  premier  fascicule  et  tendrait  à 
faire  croire  que  M.  Dussaud  est  moins  familier  avec  les  textes  du 
Nouveau  Testament  qu'avec  les  monuments  profanes.  Aux  objec- 
tions produites  contre  sa  conception  du  Bon  Pasteur  dans  l'icono- 
graphie chrétienne  et  contre  son  affirmation  d'un  «  lien  indiscutable 
entre  Hermès  Criophore  »  et  ce  symbole,  il  répond  :  «  La  parabole 
de  Jean  chap.  X  n'a  pu  à  elle  seule  fixer  le  type  plastique  du  Bon 


240  LE    MISÉON. 

Pasteur,  puisqu'il  n'y  est  dit  en  aucune  façon  que  le  Bon  Pasteur 
portait  une  brebis  sur  les  épaules.  »  Je  me  permets  de  faire 
observer  à  M.  Dussaud  que  la  «  parabole  »,  c'est-à-dire  la  com- 
paraison ou  figure  en  question  se  rencontre  aussi  en  un  autre 
endroit  des  Evangiles,  à  savoir  en  Luc  XV,  4-7  ;  or,  au  verset  5, 
le  texte  porte,  en  termes  propres,  que  le  pasteur,  «  ayant  retrouvé 
sa  brebis  égarée,  la  charge,  tout  joyeux,  sur  ses  épaules,  pour  la 
reporter  chez  lui  n.  J.  Foeget. 


Il 


CHRONIQUE. 


Dans  la  Zeitschrift  der  Deutschen  Morgenl.  GeseUsch.,  tom.  LX, 
3®  livr.  (1906),  M.  Ed.  Kooig  consacre  un  article  très  documenté 
aux  Questions  du  calendrier,  c'est-à-dire  au  jour,  au  mois  et  à 
l'année,  chez  les  anciens  Hébreux,  Il  remarque  avec  raison  que, 
sur  ces  trois  points,  en  dépit  de  la  belle  assurance  des  manuels 
classiques,  nous  sommes  encore  loin  de  la  lumière  complète  et 
définitive.  Il  est  le  premier  qui  les  traite  en  joignant  à  un  examen 
suffisamment  compréhensif  des  textes  bibliques  les  données'four- 
nies  par  l'assyriologie.  Ses  conclusions  sont  à  noter. 

La  Bible,  dit-il,  connaît  deux  jours  civils,  dont  l'un  commence 
au  lever  du  soleil  et  l'autre  à  son  coucher.  La  seconde  manière  de 
compter  ne  se  rencontre  que  dans  les  livres  ou  les  parties  de  livres 
d'une  époque  plus  récente.  Son  introduction  doit  avoir  été  favorisée 
par  la  coutume  de  régler  la  date  des  fêtes  d'après  la  nouvelle  lune, 
qui  n'est  visible  que  le  soir. 

Quant  aux  mois,  leurs  noms  primitifs,  voisins  des  noms  fournis 
par  l'épigraphie  cananéo-phénicienne,  ne  nous  sont  connus  qu'en 
partie,  et  ils  ont  été,  lors  de  l'exil,  remplacés  par  d'autres, 
empruntés  à  la  langue  babylonienne.  Mais  avant  comme  après  la 
captivité,  les  mois  n'étaient  souvent  distingués  que  par  les  nombres 
ordinaux  :  l*"",  2®,  etc.  Du  reste,  aussi  haut  que  nous  pouvons 
remonter,  nous  rencontrons  des  mois  lunaires,  jamais  des  mois 
solaires.  De  là  la  substitution,  comme  appellation  ordinaire  et 
presque  exclusive,  du  mot  ^7/^)  1^^  étymologiquement  et  propre- 
ment signifie  nouvelle  lune,  au  mot  Î1^^,  seul  employé  chez  les 
Phéniciens, 


2'r2  LE    MUSÉON. 

Toutefois,  de  ce  qui  précède  ou  a  eu  tort  d'inférer  que  l'année 
des  Hébreux  fut  elle  aussi,  de  tout  temps,  une  année  lunaire.  Il 
ne  manque  pas,  dans  les  plus  vieux  monuments,  d'indices  en 
faveur  de  l'année  solaire.  Mais  —  question  plus  importante,  — 
quand  commençait  l'année  ?  en  automne  ou  au  printemps  ?  La  loi 
qui  fixait  la  fête  des  récoltes  à  la  fin  de  l'année  est,  quoi  qu'en 
dise  Dillmann,  un  argument  sérieux  pour  la  première  hypothèse. 
D'autre  part,  les  textes  sont  nombreux  qui  disent  clairement  que 
la  pâque  se  célébrait  au  premier  mois,  ce  qui  suppose  une  année 
commençant  après  l'hiver.  Que  pouvons-nous  légitimement  en 
conclure  ?  que  les  deux  usages  sont  parfaitement  contemporains 
et  datent  l'un  et  l'autre  de  l'époque  mosaïque  ?  Non  pas  ;  car  des 
documents  d'une  antiquité  et  d'une  autorité  indiscutables  sont 
muets  sur  le  second.  Celui-ci  n'est  pas,  semble-t-il,  antérieur  au 
Vil®  siècle  ;  il  serait  donc  né  peu  avant  l'exil  ou  durant  l'exil.  Tel 
est  du  moins  le  résultat  où  aboutit  un  ensemble  imposant  d'indices, 
que  M.  Konig  a  réunis  et  qu'il  analyse  avec  son  ordinaiie  sagacité. 
Dans  ces  conditions,  il  n'est  pas  douteux  que  nous  retrouvions 
ici  encore  l'influence  des  coutumes  babyloniennes.  D'ailleurs  la 
nouvelle  computation  ne  parvint  jamais  à  supplanter  l'ancienne, 
qui  non  seulement  se  maintint,  mais  reprit  vite  le  dessus,  par 
suite  notamment  des  contacts  avec  les  peuplades  araméennes  et 
surtout  avec  la  Syrie  antiochienne.  J.  F. 

* 
*      * 

—  Dans  le  Corpus  Scriptorum  cimstianorum  Orientalium,  de 
M.  Chabot,  à  signaler  le  deuxième  fascicule  du  texte  arabe  du 
Synaxarimn  Ahxandrlnum  (Paris,  Poussielgue,  1906).  Ce  volume 
comprend  les  vies  de  saints  du  second  tiers  de  l'année  copte,  soit 
des  mois  de  Kîhak,  Tobe  et  Amchîr.  Nous  attendrons,  pour  appré- 
cier cet  important  travail,  la  publication  de  la  traduction  latine 
que  l'éditeur,  M.  J.  Forgot,  nous  annonce  comme  prochaine,  et 
de  l'introduction  oîi  il  doit  nous  faire  connaître  les  six  ou  sept 
manuscrits  dont  les  sigles  figurent  dans  ses  annotations  critiques. 

* 


CHROMQUE.  245 

Rencontré  dans  une  revue  qui  n'a  rien  de  spécial,  la  Scuola 
cattoUca,  (septembre,  1906),  un  article  qui  peut,  par  un  certain 
côté,  intéresser  les  orientalistes  et  les  ethnographes.  11  est  inlitulé  : 
Gli  Ebrei  a  Cremona.  L'auteur  essaie  de  remonter  jusqu'aux 
origines  de  la  colonie  juive  de  cette  ville.  S'il  constc  que  la  Lom- 
bardie  a  recueilli  successivement  des  groupes  expulsés  de  France 
par  Dagobert  I,  en  630,  par  Philippe  le  Bel,  en  1181,  et  par 
Philippe  le  Long,  en  1316,  ce  n'est  qu'en  1278  que  nous  constatons 
avec  certitude  qu'ils  ont  essaimé  jusqu'à  Crémone.  Alors  un  décret 
de  la  cité  leur  défend  d'exiger  des  emprunteurs  plus  de  six  deniers 
par  franc  et  par  mois.  Après  cette  date,  les  monuments,  quoique 
rares,  permettent  de  les  suivre  assez  bien  dans  les  manifestations 
de  leur  activité  multiforme,  au  milieu  de  leurs  métiers  et  négoces 
très  divers,  de  leurs  pratiques  usuraires,  et  aussi  des  mesures 
restrictives  et  vexatoires  dont  ils  sont  l'objet.  Souhaitons  de  voir 
bientôt  la  suite  de  cette  étude,  commencée  avec  un  grand  souci 
d'exactitude  et  de  documentation.  Peut-être  M.  D.  Bergamaschi 
trouvera-t-il  dans  ses  sources  quelques  indications  sur  les  préoccu- 
pations scientifiques  de  cette  race  aussi  intelligente  qu'active  et  en 
particulier  sur  la  manière  dont  elle  se  comportait  à  l'égard  du  texte 
et  de  l'exégèse  bibliques. 

*      * 

Je  viens  de  passer  en  revue  les  vingt-quatre  dernières  livraisons 
à'Al-Machriq  de  Beyrouth,  soit  toute  la  collection  de  1906.  J'y 
trouve  quantité  d'articles  d'un  cachet  hautement  scientifique.  Je 
me  borne  à  signaler  quelques-uns  des  principaux. 

Voici  d'abord,  du  P.  H.  Lammens,  dans  les  quatre  premières 
livraisons  (janvier  et  février),  une  étude  très  fouillée  sur  L'ono- 
mastique du  Liban.  Le  P.  Lammens  s'est  fait  une  spécialité  des 
recherches  géographiques  et  toponymiques  relatives  à  la  Syrie  et 
au  Liban  en  particulier.  On  s'en  aperçoit  à  l'aisance  avec  laquelle 
il  se  meut  sur  ce  terrain  et  au  flair  exercé  que  révèlent  des 
réflexions  et  des  rapprochements  parfois  inattendus. 

Dans  les  n°'  2,  6,  7  et  9,  sous  le  titre  de  Philologie  arabe, 
M.  Marta  a  réuni,  d'après   les   grammairiens   et   lexicographes 


'244  LE    MLSÉOiN. 

indigènes,  et  groupé  méthodiquemeut  une  série  instructive  de 
remarques  sur  certaines  singularités  morphologiques  et  syntaxi- 
ques. Du  même  auteur  et  du  même  genre  sont  les  Notes  de  lin- 
guistique insérées  dans  le  n°  12  (15  juin). 

Très  intéressants  Les  proverbes  populaires  de  V'Irâq,  rassemblés 
par  M.  Gbanimé  (n°  7),  et  Les  proverbes  du  'Aîckar,  par  le 
P.  Ghanera  (n°  12).  M.  Ghanimé  a  ajouté  à  son  texte  de  petites 
gloses  marginales  fort  utiles  ;  mais  on  pourra  regretter  qu'il  n'ait 
pas,  comme  le  P.  Ghanem,  respecté  et  reproduit  avec  une  entière 
fidélité  toutes  les  formes  et  expressions  du  langage  vulgaire. 

La  collection  nous  fournit  un  nombre  relativement  considérable 
d'anciens  documents  ou  écrits  inédits  Le  savant  et  infatigable 
P.  L.  Cheïkho,  dont  la  signature  reparaît  au  moins  une  fois  dans 
chaque  livraison  de  la  revue,  a,  pour  sa  part  et  sans  compter  ses 
autres  apports,  publié,  dans  le  n°  1,  le  Texte  arabe  de  trois  traités 
grecs  ji^rdus  sur  les  orgues  ;  dans  le  n"  10,  Un  traité  inédit  sur 
Vorgue  à  flûtes  par  les  Bani  Mousa  (IX^  siècle)  ;  dans  le  n°  15,  le 
Traité  sur  Véducation  de  la  jeunesse  attribué  à  Platon,  traduction 
de  Ishaq  Ibn  Honein  ;  dans  les  n""  16  et  il,  La  description  du 
mont  Sinai  par  le  diacre  Ephrem.  De  son  côté,  M.  l'abbé  Charon 
nous  donne,  dans  le  n°  3,  les  Actes  des  trois  conciles  melchites 
tenus  en  1731,  1736,  1751,  et  dans  les  n°*^  20-23,  les  Actes  du 
concile  melchite  de  Daïr  al  Mokhallès  {1790).  De  même,  dans  le 
n<*  8,  le  P.  Rabbath  donne  la  Lettre  des  Grecs  de  Tripoli  à  Gré- 
goire XIII  (1584).  Enfin,  du  P.  Malouf,  dans  le  n°  21  et  les  deux 
suivants,  la  publication  d'f/»  traité  inédit  d' Avicenne  sur  la  bonne 
conduite,  c'est-à-dire  sur  la  manière  dont  l'homme  doit  se  traiter 
lui-même,  régler  son  intérieur  et  ses  démarches  extérieures,  gou- 
verner sa  famille,  ses  enfants  et  ses  serviteurs.  J.  F. 

* 
*       * 

Les  deux  derniers  fascicules  des  Proceedings  of  the  Society  of 
biblical  Archœology  (novembre  et  décembre,  1906  ;  vol.  XXVIII, 
part  6,  7)  sont  consacrés  presque  exclusivement  à  l'assyriologie. 
A  y  signaler  notamment  une  étude  du  prof.  A.  II.  Sayce  sur  «  The 
Chedor-laomer  Tablets  »,  qui  n'est  que  commencée.  L'auteur  y 


CHUOMyLE.  245 

reprend  sur  nouveaux  frais  l'examen  et  Tinterprétatiou  des  textes, 
et  il  confirme  la  lecture  du  nom  Kudur-laghgumar,  proposée, 
mais  non  démontrée  par  Pinches,  il  y  a  onze  ans,  et  depuis  lors 
contestée.  —  Pour  les  curieux  d'hiérologie,  une  étude  de  M.  Th. 
G.  Pinches,  intitulée  :  The  BahyJonian  Gods  of  War  and  their 
Legends,  présente  des  interprétations  en  partie  conjecturales  et 
provisoires,  mais  toujours  savamment  motivées.  —  Dans  la  livrai- 
son de  décembre,  M.  F.  Legge,  par  son  article  sur  «  The  tahïcts  of 
Negadah  and  Ahydos  ii^,  nous  fait  passer  au  domaine  de  l'égypto- 
logie.  Illustré  de  belles  planches,  ce  travail  n'est  pas  encore  com- 
plet ;  mais  dès  maintenant  il  y  a  intérêt  à  rapprocher  plusieurs 
vues  de  M.  Legge  de  celles  qu'avaient  émises  sur  le  même  sujet 
Maspéro,  Naville,  Griffith,  Petrée  et  quelques  autres. 

A.  WiEDEMANN  :  Âgyptische  Religion  (1904-1905)  ;  tiré  à  part  de 
VArchiv  fur  Religionsivissenschaft,  IX,  pp.  481-499. 

Dans  cette  très  intéressante  esquisse,  le  savant  professeur  de 
Bonn  énumère  les  publications  philologiques  relatives  à  la  religion 
égyptienne  parues  depuis  1904. 

Les  progrès  faits  dans  le  domaine  de  la  religion  égyptienne 
pendant  les  dernières  années  ne  correspondent  pas  à  la  somme  de 
travail  dépensé  à  l'étude  des  diverses  questions  qui  constituent  ce 
domaine  :  telle  est  l'impression  d'ensemble  qu'a  laissée  à  M.  Wiede- 
mann  l'examen  des  dernières  publications  égyptologiques.  La 
peine  n'a  pas  été  cependant  dépensée  en  pure  perte  ;  car  l'analyse 
minutieuse  des  documents  et  les  découvertes  nouvelles  montrent 
qu'il  en  est  de  la  religion  et  de  la  langue  de  l'Egypte  comme  de  sa 
population  :  le  peuple  égyptien,  loin  de  former  une  race  homogène, 
est  au  contraire  un  agglomérat  assez  varié  ;  sa  langue  est  saturée 
d'éléments  hétérogènes  ;  rien  d'étonnant  après  cela  que  sa  religion 
présente  un  phénomène  analogue. 


The  Kashmirian  Atharva-Veda.  Book  one.  Edited   by   Leeot 
Cahr  Babret,  m.  a.,  Ph.  D.,  of  Johns  Hopkins  University 


246  LE    MUSÉON. 

(From  the  Journal  of  the  American  Oriental  Society.  Vol.  XXVI, 
Second  Half,  1906). 

Prefatori/  note.  —  This  élaboration  of  the  first  book  of  tbe  Paip- 
paliida  is  in  the  nature  of  the  case  an  cxperiraent  and  only  that  : 
nothing  absolutely  definite  can  be  attained  untill  the  whole  shall 
hâve  been  worked  ovor  in  a  manner  somewhat  sirailar  to  this.  The 
form  in  which  the  material  is  presented  is  the  resuit  of  some 
experimenting  on  my  part  and  advice  from  Professors  Bloomfield 
and  Lanman. 

*      * 

Université  Saint-Joseph  de  Beyrouth  (Syrie).  —  Mélanges  de  la 
Faculté  Orientale.  Vol.  in  8°  de  VIII-378  pages.  Beyrouth, 
Imprimerie  Catholique,  1906. 

La  Faculté  Orientale  de  l'Université  de  Beyrouth  vient  de 
publier,  en  un  grand  volume  in-S"  de  près  de  400  pages,  les  pré- 
mices d'une  série  de  Mélanges.  A  en  juger  par  ce  début,  la  col- 
lection sera  de  tout  point  digne  des  savants  maîtres  qui  la  dirigent 
ou  y  collaborent.  On  pourra  peut-être  s'en  faire  une  idée  d'après 
l'indication  sommaire  des  sujets  traités  dans  les  neuf  mémoires 
qui  composent  ce  tome  initial. 

Les  Etudes  sur  le  règne  du  calife  Mo'âwia  P' ,  du  P.  Lammens, 
occupent  plus  de  cent  pages.  C'est  une  suite  de  recherches  érudites 
et  sagaces,  de  travaux  d'approche  méthodiquement  conduits,  qui 
aboutiront  bientôt,  tout  nous  permet  de  l'espérer,  à  une  histoire 
largement  renouvelée  et  richement  documentée  de  la  dynastie  des 
Omaiyades  et  de  son  fondateur. 

Infatigable  et  se  multipliant  avec  une  aisance  étonnante,  le  même 
orientaliste,  nous  donne,  un  peu  plus  loin,  des  notes  diverses,  mais 
toutes  intéressantes,  sur  la  Géographie  syrienne^  et  en  particulier 
sur  les  Nosairis  et  les  «  Galiléens  »  de  Sozomène, 

Une  Ecole  de  savants  égyptiens  au  moyen  âge,  tel  est  le  titre 
d'un  travail  consacré  par  le  P.  Mallon  aux  ouvrages  philologiques 
coptes  qui  ont  vu  le  jour  du  XP  au  XIV"  siècle.  On  y  trouvera 


CHRONIQUE.  247 

nombre  de  données  nouvelles  sur  une  demi-douzaine  de  grammai- 
riens ou  lexicographes  les  plus  illustres  de  cette  époque. 

L'épigraphie  et  rarchéologie  ont  leur  bonne  part  dans  le  volume. 
Elles  y  sont  représentées  par  les  Inscriptions  grecques  et  latines 
de  Syrie  et  par  les  Bas-reliefs  rupestres  des  environs  de  Qahéliâs. 
Sous  la  première  de  ces  deux  étiquettes,  le  P.  Jalabert  reproduit 
en  fac-similé  et  commente  une  soixantaine  d'inscriptions  inédites, 
parmi  lesquelles  trois  groupes  notables  de  monuments  relatifs  au 
culte  d'Esculape  et  à  la  triade  héliopolitaine  ou  découverts  dans 
les  ruines  des  sanctuaires  de  Deir  el-Qal'a.  Des  deux  bas-reliefs 
relevés  près  de  Qabéliâs  et  étudiés  par  le  P.  Ronzevalle,  l'un 
surtout  est  remarquable.  Là  figurent,  à  côté  d'un  taureau  de 
grandeur  naturelle,  trois  petites  niches,  au  fond  desquelles  on 
reconnaît  distinctement  un  dieu  dans  la  pose  classique  de  Jupiter 
héliopolitain,  la  déesse  parèdre  et  un  dieu-enfant.  Ces  trois  per- 
sonnages représentent  peut-être,  au  jugement  du  R.  P.,  une 
triade  locale,  dont  le  taureau  exprimerait  la  puissance  et  la  fécon- 
dité divines. 

Le  Cycle  de  la  Vierge  dans  les  apocryphes  éthiopiens^  du 
P.  Chaîne,  nous  offre,  comme  échantillons  d'une  publication  plus 
étendue  en  préparation,  quelques  extraits  des  Mss.  de  la  Biblio- 
thèque Nationale  de  Paris. 

Ensuite,  deux  jeunes  docteurs  de  la  Faculté  Orientale,  les 
RR.  PP.  E.  Power  et  A.  Hartigan,  qui  avaient  pris  pour  sujet  de 
leur  thèse  inaugurale  les  poètes  préislamiques  :  Oumayya  ibn 
Abf§-Salt  et  BiÉr  ihn  AU  Hazini,  résument  ici  leurs  principales 
conclusions,  en  ayant  soin  de  marquer  sur  quels  points  ils  se 
séparent  des  érudits  qui  les  ont  devancés.  Rédigés  en  anglais,  les 
deux  résumés  nous  présentent  ainsi  les  Mélanges  sous  un  certain 
aspect  international  qui  n'est  pas  fait  pour  nous  déplaire. 

Pour  clore  le  volume,  voici  un  assez  long  mémoire  du  P.  Cheikho. 
11  est  intitulé  :  Un  dernier  écho  des  croisades,  et  contient  plusieurs 
documents  inédits,  publiés  en  arabe  avec  traduction  et  notes 
explicatives.  L'ensemble  jette  un  jour  très  appréciable  sur  l'his- 
toire, mal  connue  jusqu'ici,  des  expéditions  égyptiennes  en  Chypre 


"lïX  I.K    MISKON. 

SOUS  le  roi  Jaou^.  Ce  sera,  pour  le  savant  arabisant,  un  titre  de 
plus  à  la  reconnaissance  de  tous  ceux  qui  ont  à  cœur  la  connais- 
sance de  rOrii-nt  médiéval. 

J.  F. 


MADHYAMAKAVATARA 


INTRODUCTION  Al    TRAITE  DU  MILIEU 

DE 

L'ÂCXRVA  CANDRAKTRTI 

AVEC  LE  COMMENTAIRE  DE  LALTEIR 

traduit  d'après  la  version   tibétaine 

P  AE 

Louis  de  la  Vallée  Poussin 


AVANT-PROPOS. 

Le  Madhyamakâvatâra  est  une  iatroductiou  au  traité  de  Nâgâr- 
juna,  «  le  traité  du  milieu  »  eutre  l'affirmation  et  la  négation, 
livre  fondamental  de  l'école  Mâdhyamika  (ij,  et  que  les  sources 
désignent  sous  différents  noms  :  Madhyamaka,  Madhyamakaçâstra, 
Prajùâ  nâma  mûlamadhyamakakârikâ. 


(1)  De  la  littérature  soolastique  de  cette  école  existent  dans  l'original  : 
1.  Mûlamadhyamaka  et  commentaire  de  Candrakïrti  i  Bibliotheca  Buddhi- 
ca,  IV;  cinq  fascicules  parus,  1907),  2.  Çiksâsamuccaya  iBibl.  Buddhica  I), 
3.  Bodhicaryâvatâra  et  Panjikâ  (Bibl.  Indica,  cinq  fascicules  parus, 
1907),  et  quelques  fragments  épars  (i'Àryadeva(Çataka),  de  Buddhapâlita, 
de  Bhâvaviveka. 

La  littérature  canonique  est  notamment  représentée  par  les  Prajnâ- 
pâramitâs,  le  Daçabhûmaka  (dont  le  Bhûmïçvara  est  une  recension)  et 
par  les  citations  du  Çiksâsamuccaya  et  des  commentaires. 

18 


250  LK    MISKON. 

Il  nous  a  été  conservé  dans  le  Taudjour  avec  un  grand  nombre 
de  commentaires  et,  au  premier  rang,  le  hltâsi/a  ou  commentaire 
de  Tauteur.  On  y  trouve  un  exposé,  suffisamment  limpide  et  mé- 
thodhique,  de  tous  les  principes  philosophiques  et  religieux  qui 
caractérisent  l'école.  Ce  n'est  pas,  essentiellement,  une  œuvre 
de  polémique,  mais  vraiment  une  introduction,  et  qui  initie  le 
lecteur,  non  seulement  aux  thèses  dialectiques  et  métaphysiques 
des  Mâihyamikas,  mais  encore,  dans  le  sens  le  plus  large,  au  Grand 
Véhicule  et  à  la  doctrine  du  Bodhisattva. 

Nous  avons  cru  que  l'édition  de  ce  texte,  —  eu  cours  d'impression 
dans  la  Bibliotheca  Buddhica  — ,  et  sa  traduction,  tout  au  moins 
partielle,  contribueraient  utilement  aux  études  tibétaines  et  à  la 
connaissance  du  Bouddhisme  indien. 

Les  renseignements  relatifs  à  Candrakïrti,  comme  le  sommaire 
du  présent  ouvrage,  trouveront  leur  place  dans  une  étude  que  nous 
préparons  sur  l'école  de  Nâgârjuna.  Il  suffira  de  noter  ici  que 
Candrakïrti  semble  avoir  fleuri  vers  la  tin  du  vi®  ou  le  commence- 
ment du  vu"  siècle.  Postérieur  à  Bluivaviveka,  qu'il  combat,  et 
qu'on  nous  donne  pour  un  contemporain  de  Dharmapâla,  il  a  été, 
à  son  tour,  critiqué  par  Devaçarman,  élève  de  ce  même  Dharmapâla. 

Quant  aux  traducteurs  tibétains  du  Madhyamakûvaiâra  et  du 
bhâsya,  et  à  la  littérature  exégétique  assez  Taste  dont  ce  bhûsija 
est,  à  son  tour,  le  point  de  départ,  nous  aurons  l'occasion  d'en 
parler  dans  la  préface  de  l'édition  du  texte  tibétain. 

Il  nous  reste  à  dire  un  mot  de  la  traduction  que  nous  présentons 
aux  indianistes  et  aux  tibétanisants.  Nous  ne  sommes,  à  vrai  dire, 
certain  d'avoir  approximativement  compris  notre  auteur  que  dans 
les  cas,  d'ailleurs  assez  nombreux,  oîi  nous  étions  guidé,  soit  par 
l'original,  —  grâce  à  des  citations  éparses  dans  divers  ouvrages 
sanscrits  et  qui  seront  soigneusement  relevées,  —  soit  par  la  doc- 
trine expliquée  dans  ces  ouvrages.  Nous  avons  indiqué,  à  l'occasion, 
les  phrases  dont  la  syntaxe  et  le  vocabulaire  nous  demeurent  mys- 
térieux. 

M.  le  D""  P.  Cordier  a  relu,  à  notre  grand  profit,  les  premières 
pages  de  notre  travail  ;  nous  devons  à  M.  F.  W.  Thomas,  pres- 
que toute  entière,  l'explication  que  nous  avons  proposée  des  éty- 
mologies  du  mot  paramlta  (i)age  278)  ;  .M.  Max  Walleser  nous  a 


MADIIYAMAKÂVATÂRA    CHAPITRE    PREMIER.  251 

fourni  plus  d'une  remarque  précieuse  ;  M.  E.  J.  Rapson  a  identifié, 
dans  la  Sârdhadvisâhasrikâ,  une  citation  importante  (page  263)  ; 
M.  A.  Cabaton  nous  a  rendu  le  même  service  pour  divers  passages 
du  Daçabhûmaka. 

C'est,  enfin,  notre  devoir  de  nommer  avec  reconnaissance 
M.  Th.  de  Stcherbatskoi  :  c'est  grâce  à  son  intervention  et  à  celle 
de  M,  S,  d'Oldenbourg  que  l'Académie  de  S' Pétersbourg  a 
entrepris  l'édition  du  Madhyamakâvatâra  tibétain,  et  ce  sont  ses 
encouragements  amicaux  qui  me  décident  à  mettre  du  tibétain  en 
français,  ce  qui  est  une  besogne  peut-être  indispensable  mais 
certainement  délicate. 


HOMMAGE  AU  PRINCE  ROYAL  (i)  MANJUÇRÏ 

[Chapitre  premier 

La  terre  Pramiiditâ  ou  première  production  de  la  pensée 
d'illumination] 

L'auteur,  dont  le  but  est  d'initier  au  Traité  du  Milieu  (2),  tient  à 
commencer  l'Introduction  au  Madhyamaka  (3)  en  établissant  que  la 
«  grande  compassion  »  du  Bienheureux  mérite  d'être  exaltée  avant 
les  parfaits  Bouddhas  et  les  Bodhisattvas  même,  cette  compassion 
qui  est  la  première  et  essentielle  cause  (4)  de  l'état  de  Bouddha  et 
dont  la  caractéristique  réside  dans  la  protection  des  êtres  sans 


(1)  Kumârabhûta.  La  neuvième  terre  des  Bodhisattvas  est  celle  des 
«  princes  royaux  n  ;  la  dixième,  celle  des  princes  associés  au  pouvoir 
royal  [yuvardja].  Le  Bouddiia  est  le  roi  de  la  loi.  —  C'est  dans  ce  sens, 
croyons-nous,  qu'il  i'aut  comprendre  Mahâvyutpatti,  §  30.  79  :  te  ca  hodhi- 
sattvamahàsattvà  bhûyastvena  sarve  kumàrabhiUâli.  —  M.  Kern  (Sad- 
dharmapundarîka,  p.  4)  traduit  «  prince  royal  «  ou  «  still  a  youth  »,  et 
cette  dernière  explication  eist  celle  de  Çarad  Candra  Das  (.1.  B.  T.  S.  L  39, 
n.  2)  :  ManjuçrL  patron  de  la  doctrine  et  des  lettres,  est  considéré  comme 
un  étudiant. 

(2)  Madhyamaka çâstra,  le  castra  fondamental  de  l'école  mâdhyamika, 
œuvre  de  iNâgârjuna. 

(3)  Madhyamakâvatâra. 

(4)  hetusampad. 


252  LE    MISÉON. 

nombre,  dépourvus  de  refuge  et  rivés  à  la  prison  des  renaissances. 
11  rétablit  dans  les  deux  premières  stauces.  [Voici  la  prcmièrej  : 

1.  «  Des  rois  des  Munis  naissent  les  Çrâvakas  et  les  Bouddhas 
«  intermédiaires,  et  du  Bodhisattva  naît  le  Bouddha.  C'est  la 
«  pensée  de  compassion,  la  connaissance  (ij  exempte  de  dualité  et 
«  la  pensée  d'illumination  qui  engendrent  les  [Bodhisattvas  ou] 
«  Fils  du  Victorieux  ». 

/2.i)  l'ar  TexpressioQ  «  roi  des  Munis  »  (-2)  sont  désignés  les  Bienheu- 

reux Bouddhas,  parce  qu'ils  possèdent  la  majesté  de  souverain  de 
la  loi  suprême,  parce  que  leur  perfection  est  d'une  supériorité 
souveraine  par  rapport  aux  Çrâvakas,  aux  Pratyekabuddhas  et  aux 
Bodhisattvas  même,  parce  que  c'est  leur  enseignement  qui  déve- 
loppe les  Çrâvakas  et  les  autres  [saints]. 

Les  Çrâvakas  etc.  naissent  d'eux,  c'est-à-dire  qu'ils  sont  engen- 
drés par  eux.  Comment  ?  dira-t-on.  Lorsque  les  Bouddhas  apparais- 
sent, étant  donné  qu'ils  procèdent  à  l'enseignement  exact  de  la 
production  en  raison  des  causes  (3j,  en  l'entendaut,  eu  y  réfléchis- 
sant, en  le  méditant  (4j,  les  Çiâvakas  et  les  autres  [saints],  chacun 
suivant  ses  aspiiations  (5j,  atteignent  leur  condition  parfaite.  Si 
quelques-uns  toutefois,  par  l'audition  seule  de  l'enseignement  de 
la  production  en  raison  des  causes,  et  quoique  devenus  habiles 
dans  l'intelligence  de  la  vérité  absolue  (c),  n'arrivent  pas  au  nirva- 
na dans  leur  existence  présente,  en  revanche  et  sans  aucun  doute, 
possesseurs  de  cet  enseignement  (7),  ils  obtiendront  dans  une  autre 
existence  la  maturation  parfaite  du  fruit  souhaité,  comme  on 
obtient  le  fruit  d'un  acte  dont  la  maturation  est  fatale  (s). 


(1)  ou  «  rintelligence  »  [blo==mati,  buddhij,  mais  ci-dessous  (p.  25(i)  le 
mot  est  i-emplacé  pdivprajnâ  (science;  etjncma  (savoir). 

(2)  munîndra. 

(3)  pratKi/asconutpcida.  —  Voir  la  stanoe  d'introduction  du  Mudliya* 
maliaçâstra  (Madhyanial'iavj'LLi,  11.  13). 

(4)  La  prajTtà  est  çnitamayl,  cintâmayl,  bhàoandmayl  ^Mahâvyut- 
patti,  75; 

i5)  adldmuhti  (ou  adhiniohça). 

(6)  paramârlhapicUilikuçala.  —  rloys  =  adliigania,  avabodha,  pratl- 
li,  prativedha  ;  je  traduis  :  «  inlelligenco  n. 

(7)  Traduction  conjecturale.  —  iq)adc<,as!/((  sddhuka  (M 

(8)  niyatavipaha.  —  Comp.  M.  Vyut.  1-21. 4  niyutavedaniya. 


MADHYAMAKÂVATÂUA    CHAPITRE    PREMIER. 


255 


Aryadeva  le  dit  : 

«  Si  celui  qui  connaît  la  vérité  n'arrive  pas  actuellement  au 
Nirvana,  dans  une  autre  vie,  et  sans  effort,  il  l'obtiendra  certaine- 
DQent  :  il  en  est  ici  comme  de  l'acte,  n  (i) 

Le  Madhyamaka  s'exprime  aussi  dans  le  même  sens  : 

«  Lorsqu'il  n'apparaît  point  de  Bouddha  Parfait,  quand  il  y  a 
pénurie  de  Çrâvakas,  la  connaissance  surgit  chez  les  Pratyeka- 
buddhas  solitaires.  »  (2). 

Les  Çrâvakas  portent  ce  nom  parce  qu'ils  font  atteindre  (3)  le  (3.3) 
fruit  de  l'enseignement  parfait,  à  savoir  de  dire  :  «  J'ai  fait  ce  que 
j'avais  à  faire  ;  après  cette  existence,  je  n'en  connais  plus  d'autre, 
etc.  n  (4).  Ou  bien,  parce  que,  après  avoir  entendu  des  Tathâgatas 
le  fruit  suprême  ou  la  voie  de  Bouddha  incomparable  et  accompli, 
ils  les  prêchent  (5)  à  ceux  qui  le  demandent. 

C'est  ce  que  dit  le  Saddharmapundarïka  (e)  : 

«  En  ce  jour,  ô  Protecteur,  nous  sommes  devenus  des  Çrâvakas 
et  nous  allons  prêcher  la  suprême  illumination  et  proclamer  la 
parole  d'illumination  ;  aussi  serons-nous  comme  d'irrésistibles 
Çrâvakas  ». 

Il  en  est  certes  de  même  des  Bodhisattvas  [qui  sont  essentielle- 
ment prédicateurs]  ;  mais,  tout  en  étant  des  prédicateurs,  ceux  qui 
n'ont  pas  même  rempli  les  devoirs  qui  incombent  [à  cette  profes- 


(1,1  Cette  stance  est  extraite  du  Cataka.  viii,  22  ;  elle  est  citée  Madhya- 
makavrtti,  p.  378.  4  : 

ilia  yady  api  tattvajno  iiirvânarii  nndhigacchati  / 
prâpnoty  ayatnato  'var-yam  punarjanmani  karmavat  // 
(2)  Madhyamakaçâstra  xviii,  12,  Madhyamakavrtti,  378.  7  : 
sambuddlirinâm  anutpâde  çrâvakanâni  punah  ksaye  / 
jnânaih  pratyekabuddhânâni  asaiiisargât  pravartate  // 
Compai-er  Abhidharmakoçavyrikhyâ,  Soe.  As.  264  a  3  :  khadgavisâna- 
kalpâ  iti  yathâ  khadgavisânâ  advitïyâ,  bliavanti,  evaih  te  giiiasthapra- 
vrajitair  anyaiç  ca  pi'atyekabuddhaii'  asaiiisr^taviliâi-ina  iti. 

Mais  il  y  a  aussi  des  Pratyekabuddhas  \-cmjacnriiias.  d'où  l'explication 
de  la  Madhyamakavrtti  :  osrf,iisai-(/(f  —  kâyai-ofasoh  pravivpkah  kalyil- 
naniitiâpaiyesanaiii  va. 
i3)  prâpayanti.  rrâyayanti  ? 

(4)  krtaiii  karanîyam,  nâparam  asiuâd  biiavaiii  prajâiifuiûti. 

(5)  rt'dvayavti 

(fi)  Lotus  de  la  bonne  loi.  iv.  53 


254  LE    MUSÉON. 

sion],  ceux-là,  étant  des  Çrâvakas,  ne  s'élèvent  point  au-dessus  des 
Bodhisattvas. 
(3.18)  Cette  qualification  de  Bouddha,  la  nature  (i)  de  Bouddha,  appar- 

tient à  trois  classes  de  personnes,  les  Çrâvakas,  les  Pratyekabud- 
dhas  et  les  incomparables  parfaits  Bouddhas  (2).  Par  conséquent 
l'expression  de  Bouddha  s'applique  aux  Pratyekabuddhas.  Ceux- 
ci,  par  le  fait  de  la  prééminence  de  leurs  mérites  et  de  leur 
savoir  (3),  l'emportent  nettement  en  grandeur  sur  les  Çrâvakas  ; 
mais  l'absence  de  l'équipement  de  mérite  et  de  savoir  (-i),  de  la 
grande  compassion  (5),  de  la  science  universelle  (e),  les  rend  infé- 
rieurs aux  parfaits  Bouddhas  :  ils  sont  «  intermédiaires  »  (7).  Et 
comme  le  savoir  naît  en  eux  sans  enseignement,  comme  ils  sont 
d'eux-mêmes  Bouddhas,  isolément  et  pour  eux-mêmes,  ils  sont 
Pratyekabuddhas. 

lia  été  exposé,  au  sujet  des  Çrâvakas  et  des  Pratyekabuddhas, 
comment,  tirant  leur  origine  de  l'enseignement  de  la  loi  par  les 
Tathâgatas,  ils  naissent  des  rois  des  Munis.  Or  de  qui,  dira-t-on, 
naissent  les  rois  des  Munis  ?  L'auteur  déclare  que  : 
«  Le  Bouddha  est  issu  du  Bodhisattva  ». 
N'est-ce  donc  point  parce  que  les  Bodhisattvas  sont  engendrés 
par  l'enseignement  du  Tathâgata  qu'on  les  appelle  «  Fils  du  Victo- 
rieux »?  En  ce  cas,  dira-t-on,  comment  les  bienheureux  Bouddhas 
sont-ils  issus  des  Bodhisattvas  ?  —  Ceci  est   certes  vrai  ;  mais. 


(1)  buddhasya  tattvam. 

(2)  «  On  peut  dire,  en  un  certain  sens,  que  tout  disciple  qui  va  dioit  à 
la  sainteté  est  un  Bouddha  aussi  bien  que  le  Maitre  »  (Oldenberg,  Bouddha, 
trad.  Foucher,  2«  éd.  p.  320-1). 

{'i)jnâna. 

(4)  punya°  jnânasambhâtri.  —  Le  premier  comprend  les  vertus  de 
dàna,  çïla  et  kmnti  \  le  second  la  projTiâ.  —  Voir  iii.  12. 

(.■5)  La  compassion  [kariom)  ne  considère  que  les  ôtres  de  la  sphère  de 
la  convoitise  (hâmadhâtu)  et  que  la  souffrance  dite  de  la  souffrance 
{duhkhaduhkhatâ);  la  grande  compassion  ^mahâkaruvâ)  porte  sur  les 
trois  espèces  de  souffrance  (voir  fi-dossous,  p.  2ti0  n.  2)  et  sur  les  ôtres 
des  trois  sphères.  La  première  est  ndvemsrnhhâ al ,  la  seconde  awolui- 
svabhâvâ.  (Abliidliarmakoravyâkhyâ,  Ms.  Burn.  44^^  a-b). 

(6)  sarva^jùatâ. 

(7)  iitadhyu. 


MADHYAMAKÂVATÂUA    CHAPITRE    PREMIEU.  255 

cependant,  il  y  a  deux  facteurs  qui  font  des  Bodhisattvas  la  cause 
essentielle  des  bienheureux  Bouddhas  :  le  caractère  particulier  de 
leur  condition,  l'induction  à  prendre  [la  pensée  d'illumination].  En 
effet,  d'une  part,  la  condition  de  Tathâgata  a  pour  antécédent  la 
condition  de  Bodhisattva  ;  et,  de  l'autre,  l'Écriture  rapporte  que  le 
bienheureux  Çâkyamuni  et  d'autres  Tathâgatas,  au  premier  début 
[de  leur  carrière],  ont  été  induits  à  prendre  (i)  la  pensée  d'illumina- 
tion par  Arya  Manjuçrï  le  Bodhisattva.  Par  conséquent,  puisque  la 
réalisation  complète  de  l'effet  dépend  de  ce  qui  eu  est  la  cause 
principale,  il  est  établi  que  les  Tathâgatas  sont  issus  du  Bodhi- 
sattva. 

C'est  pour  cette  raison  que,  indiquant  le  culte  de  la  cause  en  (5.7) 
vue  d'affermir  les  causes  essentielles  [de  rillumination],  mais  en 
visant  implicitement  le  culte  de  l'effet,  voulant  enseigner  qu'il  faut 
sauvegarder  avec  zèle  la  pousse  et  [les  premiers  rameaux]  qui 
donneront  les  fruits  immenses  et  certains  du  grand  arbre  de  guéri- 
son  (2),  —  comme  on  fait  pour  les  feuilles  qui  se  lèvent  et  sont 
encore  fragiles,  —  voulant  appliquer  au  seul  Grand  Véhicule  la 
masse  des  créatures  qui  se  fixent  indistinctement  dans  les  trois 
Véhicules,  —  c'est  pour  cette  raison,  disons-nous,  que  les  bienheu- 
reux Bouddhas  ont  fait  l'éloge  des  Bodhisattvas. 

L'Aryaratnakïïta  (3)  s'exprime  dans  ce  sens  :  «  Oui,  Kâçyapa, 
de  même  qu'on  vénère  la  nouvelle  lune  et  non  pas  la  pleine  lune, 
de  même  ceux  qui  ont  foi  en  moi  doivent  vénérer  les  Bodhisattvas 
et  non  pas  les  Tathâgatas.  Et  pour  quelle  raison  ?  Parce  que  les 
Tathâgatas  tirent  leur  origine  des  Bodhisattvas.  Eu  revanche,  des 
Tathâgatas  procèdent  tous  les  Çrâvakas  et  Pratyekabuddlias  ». 

Il  est  donc  établi,  tant  par  le  raisonnement  que  par  l'Écriture, 
que  les  Tathâgatas  naissent  du  Bodhisattva. 

Mais,  dira-t-ou,  quelle  est  l'origine  de  ces  Bodhisattvas  ?  L'auteur        (6.6) 
a  répondu  à  cette  question  (4)  : 


(H  HCimàdrina  ;  Sûfrni.  15.  1  ;  Mahrivyut.  245.  1,,^  :  samâdâpayati. 
ri)  bhai.sojijataru.  —   Les   BodhisaUvas    sont  fréquemment  appelés 
hudflhniiliara. 

(3)  Sur  ce  texte,  voir  Çiksâsamuccaya,  p.  wi,  noie. 

(4)  Vnir  ci-ile^sus  p.  25:^. 


256  LE    MLSÉON. 

«  C'est  la  pensée  de  compassion,  la  connaissance  exempte  de 
dualité  et  la  pensée  d'illuminatiou  qui  sont  la  cause  des  Fils  du 
Victorieux  » . 

La  compassion  ou  pitié,  dont  on  expliquera  ici-même  les  diverses 
espèces  et  la  nature  propre.  La  connaissance  exempte  de  dualité, 
c'est  à  dire  la  science  (i)  exempte  des  couples  d'extrêmes,  être  et 
non-être,  etc.  La  pensée  d'illumination,  telle  qu'elle  est  enseignée 
dansrAryadharmasaihgîtisritra(-2)  :  «  Par  la  pensée  d'illumination  le 
Bodhisattva  pénètre  tous  les  principes.  Tous  les  principes  sont 
identiques  au  dharmadhrdti.  Après  avoir  connu  tous  les  principes 
comme  adventices  et  instables,  après  les  avoir  connus  parfaitement 
en  tant  que  vides  de  tout  sujet  connaissant,  la  pensée  qui  naît  dans 
le  Bodhisattva,  à  savoir  qu'il  faut  faire  comprendre  cette  nature 
[de  tous  les  principes]  aux  créatures,  c'est  ce  qu'on  appelle  la  pensée 
d'illumination  du  Bodhisattva.  C'est  la  pensée  d'utilité  et  de  bon- 
heur pour  toutes  les  créatures,  la  pensée  humide  d'affection,  la 
pensée  qui  ne  retourne  pas  en  arrière  par  la  compassion,  la  pensée 
exempte  de  regret  par  la  joie,  la  pensée  exempte  de  souillure 
par  l'indifférence,  la  pensée  immodifiable  fs)  par  la  vacuité,  la 
pensée  exempte  d'obscurcissement  par  l'ignorance  du  particulier, 
la  pensée  non  localisée  par  l'absence  de  but  »  (4). 
(7.7)  Les  trois  facteurs  essentiels  des  Bodhisattvas  sont  la  compassion, 

la  science  (5)  exempte  de  dualité  et  la  pensée  d'illumination.  La 
Ratnûvalï  (e)  dit  en  effet  : 

«  Sa  racine,  c'est  la  pensée  d'illumination  ferme  comme  le  roi 
des  montagnes,  la  compassion  s'étendant  sur  tout  l'univers  et  le 
savoir  (7)  qui  ne  s'appuie  pas  sur  la  dualité.  » 


(1)  prajùà  =jTiâna,  voir  ci-dessus  p.  252.  note  1. 

(2)  Cette  restitution  est  conjecturale.—  hun-hgro-ba  correspond  quel- 
quefois •d.sai'nglli,  mais  le  titre  tibotain  Kandjoui-,  iMdo,  XIX  (Feer  iûiî) 
^ovie  yaii-dag-pai'  sdiul-pa.  —  Voir  çilcsâsamuccaya,  passiin. 

(3)  ahmra  (Çaradcancira  294  b). 

(4)  çûnyatà,  ânimittam,  apravihitayn.  —  Voir  riksâsamuccaya  6.  15. 

(5)  prajnâ. 

(6)  Texte  attribué  à  Nâgârjuna  dans  la  Nrunasaiiisîtitikâ  (Gûdhârtha 
55,  9(i)  et  fréquemment  cité  dans  la  Madhyamakavrtti,  L^ô.;,  1^8.13, 27.5.7, 
.346.5,  3.59.1,  xxiii,  9,  xxiv,  11.  xxv.  'A. 

(7)  ye-çes  =jnâna. 


MADIIVAMAKÀYAT.VllA    CIIAPITUE    PUEMIEU.  ^257 

Or,  comme  la  compassion  est  la  racine  à  la  fois  et  de  la  pensée 
d'illumination  et  du  savoir  exempt  de  dualité,  Tauteur,  pour 
établir  l'importance  primordiale  de  la  compassion,  s'exprime  ainsi  : 

2.  «  Puisque,  de  cette  bénie  moisson  que  sont  les  Victorieux,  la 
compassion  est  regardée  comme  la  semence,  comme  l'eau  qui  déve- 
loppe, comme  la  maturité  par  laquelle  est  lentement  obtenu  l'état 
comestible,  pour  cette  raison  j  "exalterai  tout  d'abord  la  compassion .  » 

De  même  que  cette  bénédiction  des  fruits  matériels,  riz,  etc.,  a  (S-Ù 
pour  indispensables  conditions  au  début,  au  milieu  et  à  la  tin,  la 
semence,  l'eau  et  la  matuiitô  (jui  en  sont  le  Ibndcment,  de  même 
on  nous  enseigne  ici  que  c"c.st  la  compassion  qui,  au  cours  des  trois 
périodes,  est  la  condition  indispensable  de  cette  moisson  bénie  que 
sont  les  Victorieux.  Le  compatissant,  en  efïet,  souffrant  par  la 
souffrance  d'autrui  et  voulant  protéger  l'universalité  des  créatures 
qui  souffrent,  produira  certainement  cette  pensée  :  «  11  faut  absolu- 
ment que  je  m'applique  à  la  conquête  de  la  condition  de  Bouddha 
en  retirant  tout  cet  univers  de  la  souffrance  ».  Or  cette  résolution 
ne  peut  être  réalisée  en  dehors  du  savoir  exempt  de  dualité  :  le 
compatissant  s'établira  donc  dans  le  savoir  exempt  de  dualité. 
Par  conséquent,  c'est  bien  la  compassion  qui  est  la  semence  de  tous 
les  principes  d'un  Bouddha.  La  Ratuâvalï  s'exprime  dans  ce  sens  : 

«  Honneur  à  ce  Grand  Véhicule  dans  lequel  toute  la  conduite 
procède  de  la  compassion,  oii  réside  le  savoir  immaculé,  oii  la  pensée 
obtient  l'extinction  complète  ». 

Mais,  quand  bien  même  la  pensée  d'illumination  a  éti'^  produite 
[à  l'état  de  semence],  si  elle  n'est  pas  dans  la  suite  continuellement 
arrosée  par  l'eau  de  la  compassion,  manquant  à  accumuler  une 
grande  quantité  de  fruits,  on  obtiendra  certainement  le  nirvana 
par  le  nirvana  des  Trâvakas  et  des  Pratyekabuddhas  [:  on  n'ob- 
tiendra pas  rilluraination  des  Bonldhas].  Et  eût-on  obtenu  un  stade 
de  fruit  infini,  si  la  maturiti'  complote  de  la  compassion  fait 
défaut,  pour  un  temps  très  long,  on  ne  jouira  i)as  du  fruit  :  non  pas 
qu'il  y  ait  iuterru[)tiùn  do  la  >érie  graduelle  de  la  grande  accumu- 
lation du  noble  fruit,  mais  p^-ur  un  tomps  très  long  le  dt'veloppe- 
meut  comjjlet  fait  délaui. 

Maintenant,   voulant  rendre  homuiago  à  la  compassion  tout  en 


258  LE    MUSÉON. 

éclairant  les  caractères  de  sa  nature  propre  par  l'examen  de  ses 
divers  objets  (i),  l'auteur  s'exprime  ainsi  : 

3.  «  Hommage  à  la  compassion  qui  naît  ayant  pour  objet  les 
créatures  qui  adhèrent  d'abord  au  moi  en  disant  "  moi  »,  attachées 
aux  objets  en  disant  :  «  ceci  est  à  moi  »,  non  maîtresses  d'elles- 
mêmes  et  semblables  aux  godets  du  moulin  à  eau  !  »  (2) 

(9. 11)  Les  créatures,  avant  d'adhérer  au  «  mien  »,  en  vertu  de  l'idée 

de  moi  imaginent  qu'il  y  a  un  «  moi  »  —  lequel  n'existe  pas  —  et 
y  adhèrent  comme  à  une  réalité  vraie  ;  pensant  :  «  ceci  est  à  moi  », 
elles  adhèrent  à  toutes  les  choses,  de  quelque  nature  que  ce  soit, 
qui  sont  différentes  de  l'objet  de  l'idée  de  moi  (s).  Adhérant  au 
«  moi  »  et  an  «  mien  »,  elles  sont  enveloppées  dans  les  liens  de 
l'acte  et  de  la  passion.  Elles  se  meuvent  soumises  aux  mouvements 
de  ce  saltimbanque  qu'est  l'intelligence  (1)  et  circulent  sans  répit 
dans  le  grand  et  profond  puits  de  l'existence,  du  paradis  suprême  (5) 
au  dernier  enfer  (g).  De  leur  nature,  elles  vont  en  bas  ;  si,  par 
miracle,  l'effort  les  tire  vers  le  haut,  comme  elles  sont  marquées  de 
la  triple  souillure  de  l'ignorance  et  des  autres  passions,  de  l'acte  et 
de  la  naissance  (7),  sans  qu'il  y  ait  dans  leur  évolution  commence- 
ment, fin  ou  milieu,  brisées  à  chaque  instant  par  la  souffrance  dite 


(1)  La.  kariouc,  comme  la  w?r/?YrI,  est  triple  sattvàlamband ,  dharmâ- 
lambanà,  anâlambann;  voir  Çiksâsamuccaya  212. 12,  259. 10,  Bodhica- 
ryâvatâraparijikà,  ix.  76,  Dharmasariifïralia  cxxx  et  cxxxi  (mauvaises 
lectures).  Aussi  longtemps  qu'on  croit  au  "  moi  »  et  à  l'existence  indi- 
viduelle des  créatures,  la  compassion  a  pour  objet  les  créatures  (sattvd- 
lambanâ)  \  qn^nà.  on  reconnaît  que  les  individus  iâtmcui,  pudgala)  ne 
sont  que  des  groupes  de  skandhas,  la  compassion  a  pour  objet  les  prin- 
cipes {dharma)  ou  éléments  ;  quand  on  reconnaît  le  néant  des  shandhas, 
elle  n'a  plus  d'ol)jet  (anâlambanâ). 

(2J  Comparer  le  kïipauanirafihalihânyâya.  Col.  A.  .Jacob,  A  liandful 
of  popular  maxims,  I,  p.  14  ;  Dict.  de  St  Péfersbourg,  s.  voc.  ghainjantra. 

(3)  ahatUprai]ia\iavisaya.  U)  vijTiâna. 

(5)  hhavnçjra,  le  sommet  de  l'existence,  (il)  avlci. 

(7)  Cette  triple  souillure  (.wy/V/.7e(?(7)  est  délinie  dans  le  comment.iirc 
de  la  Nâmasailigïti  ad  84  :  kleçasai'nkleça  =  avidjâtrsnopâdnnruii  :  kar- 
ma.saihkleça  --=  saniskârâ  bliavaç  ca  ;  janmasaiiiklcça  =-  «.csâny  angâni. 


MADFIYAMAKÂVATAUA    CHAPITRE    PHEMIEH.  259 

de  la  souffrance  et  la  souffrance  dite  du  changement  (i),  elles 
persistent  à  ne  pas  dépasser  la  condition  des  godets  du  moulin.  Et 
comme  le  Bodhisattva,  souffrant  de  la  souffrance  de  cet  univers  des 
vivants,  ému  d'une  extrême  compassion  à  son  égard,  s'efforce  de 
le  sauvegarder,  pour  cette  raison,  dès  le  début,  l'auteur  rend  hom- 
mage à  la  grande  compassion  du  Bienheureux. 

Cette  compassion  des  Bodhisattvas  a  pour  objet  les  créatures. 
L'auteur,  en  vue  d'expliquer,  d'après  leur  objet,la  compassion  qui  a 
pour  objet  les  clharmas  et  celle  qui  n'a  pas  d'objet,  s'exprime 
ainsi  : 

4  a.  "  Dans  celui  qui  voit  que  les  créatures,  semblables  à  la  lune 
reflétée  dans  une  eau  agitée,  sont  mobiles  et  dépourvues  de  nature 
propre.  » 

Il  faut  construire  avec  [la  stance  précédente]  :  «  Hommage  à  la 
compassion  qui  naît  [dans  celui  qui  voit....]  n. 

De  même  que,  dans  une  eau  très  pure  et  secouée  de  légères  (10. 15) 
vagues  en  raison  d'un  veut  peu  violent,  le  reflet  de  la  lune  est 
d'abord  aperçu  et  disparaît  [aussitôt],  en  même  temps  que  [la  ride] 
qui  lui  sert  de  point  d'appui  ;  leur  production,  pourrait-on  dire,  est 
l'objet  d'une  perception  immédiate,  et  les  savants  voient  que  l'un 
et  l'autre  [ride  de  l'eau  et  reflet]  révèlent  pour  ainsi  dire  leur  propre 
nature  (2),  à  savoir  la  qualité  de  périr  d'instant  en  instant  (3)  et 
l'absence  de  substance  (4)  ;  —  de  même  les  Bodhisattvas,  bien  que 
soumis  à  la  direction  de  la  compassion,  voient  que  les  créatures, 
placées  devant  eux,  s>nt  comme  le  reflet  de  leurs  actes  projeté  sur 
l'océan  de  l'hérésie  du  moi  (r,),  océau  qui  est  la  cause  de  la  sur- 
abondance de  la  saveur  de  l'ambroisie  du  principe  d'ignorance  (e), 


(1)  Voii-  ci-dessuus  p.  2iiO.  n.  2. 

(2)  Traductioa  conjecinrale.  Voici  un  essjii  de  version  sanscrite:  tayor 
(â-i'ayapratiljimbalvayoi')  Ijhâvah  sâRsâd  upalabdlia  ivodeti  :  sadbiiir  dvâv 
etau  svâtinatriprakncakâv  iva  stliitau  d.rçyeto,  ladyathâ 

(:>)  pra('//,'.sy(//a//?  aniliialii . 

(1)  sriihlKirdçnnfjatj'i,  la  11011  siilistaiitialiti'. 

(5)   sallinijadr-sli. 

(il)  avul!iiJdhar)iW)nit(i.rasa.prak(i.i's(ihcti'h  (?). 


260  LE    MUSÉON. 

qui  est  caractérisé  par  une  infinité  de  conceptions  fausses,  et 
dont  l'eau  d'ignorance  épandue  sur  l'univers,  bleue,  large,  est 
agitée  par  le  vent  des  imaginations  (i)  incorrectes  ;  ils  voient  ces 
créatures  comme  foudroyées  d'instant  en  instant  par  la  souffrance 
de  l'impermanence  (2)  et  comme  vides  de  substance  ;  en  eux  existe 
le  désir  d'obtenir  parfaitement  l'état  de  Bouddha  qui  est  comme  le 
triomphe  sur  la  souffrance  de  l'impermanence,  qui  est  la  cause  de 
la  surabondance  de  la  saveur  de  l'ambroisie  de  la  loi  suprême,  qui 
a  pour  caractère  la  suppression  de  toutes  les  imaginations  erronées 
et  pour  essence  (3)  d'être  le  parent  de  toutes  les  créatures. 
(11.13)  Ayant  rendu  hommage  aux  [trois]  compassions  des  Bodhisattvas, 

compassions  à  l'égard  des  créatures,  compassion  à  l'égard  des 
dharmas  et  compassion  sans  objet,  désirant  exposer  les  dix  aspects 
distincts  de  la  pensée  d'illumination  dos  Bodhisattvas,  l'auteur 
s'occupe  d'abord  de  la  première  pensée  et  s'exprime  ainsi  : 

4b-5a.  «  La  pensée  [d'illumination]  de  ce  fils  du  Victorieux, 
pensée  qui,  en  vue  de  la  délivrance  des  créatures,  est  soumise  à  la 
direction  de  la  compassion  qui  est  infléchie  (4)  par  la  résolution 
«  universellement  propice  »,  qui  est  fixée  dans  la  joie,  c'est  la  pre- 
mière [terre]  « . 

(12. 1)  Le  savoir  immaculé  (5)  des  Bodhisattvas,  subdivisé  suivant  qu'il 

est  [particulièrement]  uni  (e)  à  la  compassion,  etc.,  prend  le  nom 
de  terre  (hhUmi)  parce  qu'il  est  le  support  des  qualités.  Eu  raison 
de  la  différence  dans  le  nombre  des  qualités,  dans  l'acquisition  de 
forces  surabondantes,  dans  l'entrée  en  possession  des  vertus  trans- 
cendantes du  don,  etc.,  dans  le  développement  de  la  maturité,  ce 


(1)  vikalpa. 

(2)  anityatnduhhhatâ,  ex\^\'\quée  dm}s  Abhidharmakoravyrikhyri,  Soc. 
As.  389  b  :  anityaih  tu  drçyamânaili  2>f'(ifihUlam  ity  anityâhâro 
duhhhàhctram  àharsati.  —  On  distinfïue  communément  trois  diili/ihoiâ, 
savoir  duhkha",  sa)iiskfira°,  v/parfnâma'^,  voir  Maliâvyut[)atti,  m, 
Madliyamakavrtti,  xxiv,  au  dobnt. 

(3)  svabhàva. 

(4)  parivâmita,  appliquée  au  sahit  des  ciéa turcs. 

(5)  anàsravamjnànam. 

(6)  parigrhïta. 


MADHYAMAKAVATÀKA    CHAPITRE    PREMlEft.  261 

[savoir]  prend  dix  aspects  distincts  de  plus  en  plus  élevés,  se  sub- 
divisant en  «  Joyeuse  Terre  »,  etc.  (i)  Mais,  en  cela,  ce  [savoir]  ne 
supporte  pas  de  division  résultant  de  différences  dans  sa  nature. 
Un  texte  établit  cette  doctrine  (2)  : 

«  De  même  que  la  trace  de  l'oiseau  dans  le  ciel  ne  peut  être  ni 
nommée  par  les  babiles,  ni  vue  ;  de  même  toutes  les  terres  du  fils 
du  Victorieux  ne  peuvent  être  nommées.  Comment  pourraient-elles 
être  entendues  ?  » 

La  terre  des  Bodhisattvas  [nommée]  «  Joyeuse  »  (3)  est  la  première 
production  de  pensée  [d'illumination]  des  Bodhisattvas  ;  la  dernière 
[terre]  «  Nuage  de  la  loi  n  (4)  est  la  dixième  production  de  pensée. 

[Expliquons  la  stance.]  Donc  la  pensée  du  Bodhisattva  qui  voit, 
de  la  manière  qui  a  été  dite,  que  les  créatures  sont  dépourvues  de 
substance  (5),  pensée  [par  conséquent]  unie  à  une  certaine  forme 
de  compassion  (e),  soumise  à  la  direction  de  la  compassion,  appli- 
quée [au  salut  des  créatures]  par  la  résolution  «  universellement 
propice  »  du  Bodhisattva,  dénommée  «  Joyeuse  »,  étant  le  savoir 
exempt  de  dualité  désigné  par  l'effet  dont  il  est  la  cause  (7),  cette 
pensée  est  la  première  [terre  ou  production  de  pensée]. 

Les  dix  «  nombres  incalculables  »  (sj  de  100000  résolutions,  à 
commencer  par  les  dix  grandes  résolutions  (9)  que  projette  le  Bodhi- 
sattva en  produisant  la  première  pensée  [d'illumination],  sont  toutes 
comprises  dans  la  résolution  «  universellement  propice  »  (10)  du 


(1)  Sûtrâlaihkâra,  iii,  2  ;  Bodhicaryâvatârapanjikâ  ad  ix,  4  (p.  370.13). 
(2J  Voir  Daçabhûmaka  (Mss.  Bendall,  XVIII,  5,  3). 

yathântarikse  çakunet  padam  budhair 

vakturii  na  çakyaiii  na  ca  darçanopagam  / 

tathaiva  sarvâ  jinaputrabhûmayo 

vaktmh  na  çakyâ 

(3)  pramuditâ. 

(4)  dharmamegha. 

(5)  svabhâva. 

(6)  A  cette  iorme  de  compassion  qui  vise,  non  pas  les  créatures,  mais 
les  dharmas  ;  ou  bien  qui  n'a  pas  d'objet. 

(7)  La  syntaxe  de  cette  dernière  partie  de  la  phrase  est  obscure. 

(8)  asarhkhyeya. 

(9)  daça  mahâpraf^idhândni,  expliquées  dans  le  Daçabhûmaka  (Daça- 
bhûmïçvara). 

(10)  samantabhadraprai^idhdna.W  s'agit  sans  doute  du  vœu  de  Saman- 
tabhadra  (Lotus  de  la  bonne  loi,  chap,  xxvi)  fort  analogue  au  Bhadra- 
carlpranidhâna  ;  voir  Çiksâsamuccaya,  p.  297. 


262  LE    MISÉON. 

BodLisattva.  La  résolution  «  universellement  propice  «  a  été  con- 
stituée en  vue  de  concentrer  toutes  les  résolutions  sans  exception. 
(13,6)  De  même  que,  dans  le  Véhicule  des  Çrâvakas,  sont  établies  huit 

terres  de  Çrâvaka,  d'après  la  distinction  [pour  chacun  des  quatre 
fruits]  de  «  candidat  »  (i)  et  de  «  placé  dans  le  chemin  du  fruit  »,  (2), 
de  même  aussi,  dans  le  grand  Véhicule,  il  y  a  dix  terres  de  Bodhi- 
sattva  pour  les  Bodhisattvas. 

Et  aussi,  de  même  que  le  Çrâvaka  eu  qui  est  produite  la  condi- 
tion nirvcdhahJiây'iija  (aj  n'est  pas  considéré  comme  se  trouvant  dans 
la  condition  de  «  candidat  «  au  premier  fruit,  de  même  il  en  est 
pour  le  futur  Bodhisattva  (4). 

C'est  dans  ce  sens  que  s'exprime  le  llatnameghasûtra  (5)  :  «  Cette 
terre,  placée  immédiatement  avant  la  première,  et  consistant 
essentiellement  dans  la  pratique  excessivement  excessive  (e)  de 
l'aspiration  (7j,  est  la  terre  du  Bodhisattva  qui  n'a  pas  produit  la 
pensée  d'illumination  »  (s),  et  encore  :  «  11  en  est,  6  fils  de  famille, 
de  celui  qui  est  placé  dans  ce  moment  de  la  pratique  de  l'aspira- 
tion comme,  par  exemple,  d'un  monarque  souverain  ;  celui-ci 
dépasse  la  nature  humaine,  mais  n'atteint  pas  la  nature  divine. 


(1)  pratipannaka. 

(2)  phalamârgasiha.  —  Cette  expression  est  étrange  :  on  a  d'habitude 
1.  srataccpattiphalapratipannaka,  srotaâpaltlphdlastha,  sahrddgâmi- 
phalapratipannaka,  °stha,  et  ainsi  de  suite.  Voir  Cliilders  et  Madtiya- 
makavi'tti,  xxiv,  initio. 

(3)  nirvedhabhaglyâvasthà  (Abhidharmakoçavyâkliyâ,  Soc.  As.  ;{S7  a 
3j.  Il  s'agit  d'états  spirituels  "  mondains  »  ou  «  naturels  >»  (laukikci)  qui, 
chez  les  Bouddliistes,  ne  sont  que  préparatoires  aux  extases  {dhyâna)  et 
à  la  «  candidature  aux  fruits  ».  Voir  Mahâvjutpatti,  §  55,  §  48. 32;  Netti- 
pakarana,  157  au  bas  (interprétation  différente)  ;  Sûtrâlaiiikâra  vi,  7, 
xiv.  27  ;  Wassiiictr,  24(>  ;  Çarad  Candra  Dâs.  p.  355. 

(4)  bti  a  V  i.syadbûdh  isa  IL  va . 

(5)  Voir  Çiksrisainuccaya,  7.13. 

(6)  adhiniâlrâdhimâtru,  la  neuvième  itaiini  les  combinaisons  des 
ternies  mrdu,  niadhya,  adhimâtra. 

(7)  Il  s'agit  de  V adhimuhlicarynhhâmi .  période  jiendant  laquelle  on 
«  aspire  "  :  la  pensée  d  illumiiuition  n'a  pas  encore  été  produite  dans  les 
conditions  nécessaires  pour  ci-éer  une  terre  proprement  dite.  Le  lidèle 
n'est  encore  qu'un  futurBodhisattva.—  Sûtrrdaihkarax  1,75,  xiv,  19,  xx,  41. 

(8)  anutpâditàbodhicUia. 


iMADIIYAMAKÂVATÂRA    CIlAPfTRE    1>REMIKI\.  205 

De  même  le  Bodhisattva,  [daûs  ce  stade  de  la  pratique  de  l'aspira- 
tioQj,  dépasse  beaucoup  toutes  les  terres  des  [saiuts]  mondains,  des 
Çrâvakas  et  des  Pratyekabuddhas,  mais  il  n'atteint  pas  la  terre  du 
vrai  Bodhisattva  » . 

Mais  lorsqu'il  est  entré  dans  la  première  terre  qu'on  appelle 
Pramuditâ, 

5  b.  «  A  partir  de  ce  [moment],  ayant  acquis  cette  [pensée],  il 
n'est  plus  désigné  que  par  le  nom  de  Bodhisattva  ». 

Ayant  acquis  cette  pensée,  placé  dans  une  condition  de  toute 
manière  supérieure  à  la  terre  des  hommes  ordinaires  (prthagjana), 
il  ne  peut  être  désigné  que  du  nom  de  Bodhisattva  et  non  autre- 
ment, car  il  est  maintenant  un  Arya. 

Comme  il  est  dit  dans  la  Sârdhadvisâhasrikâ  Bhâgavatî  (i)  :  (14.9) 
«  Le  terme  Bodhisattva  signifie  un  être  comprenant,  par  lequel 
sont  compris,  connus  tous  les  principes.  Connus  de  quelle  façon  ? 
[Comme]  non-nés,  non  produits,  faux  ;  non  comme  ils  sont  conçus 
par  les  ignorants  hommes  ordinaires  ;  non  comme  ils  sont  perçus 
par  les  ignorants  hommes  ordinaires.  C'est  pour  cette  [connais- 
sance] qu'on  l'appelle  Bodhisattva.  Et  pourquoi  cela  ?  Parce  que 
la  Bodhi  n'est  pas  l'objet  de  conception,  la  Bodhi  n'est  pas  con- 
struite, la  Bodhi  n'est  pas  perçue.  Car,  ô  Suvikiântavikrâmin,  la 
Bodhi  n'est  pas  obtenue  par  le  Tathâgata  ;  eu  raison  de  la  non 
obtention  d'aucun  principe,  en  raison  de  la  non  perception  d'aucun 


(1)  Correspond  à  Camb.  Add.  1543,  fol.  1(3  b  :  bodhisattva  ity  anubuddha- 
sattvasyaitad  adliivacanam,  yeua  sarvadliarmâ  buddhâ  jnâtâl.i.  kathaiii 
jùâtâh  i  abhûtâ,  [alsaiiibhûtâ  vitathâ  naite  tathâ  yatlui  brUaprthagjanaih 
kalpitâh,  naite  tathâ  yatbâ  bâlaprtliagjanai[r]  labdhâs  tenocyate  bodhi- 
sattva iti .  tat  kasya  hetor  ?  avikalpitâ  hi  bodhir,  avithapitâ  hi  bodhir, 
anupalambhâ  lii  bodhih  .  na  hi  Suvikrântavikrâmim  tuthâgatena  bodhir 
labdhâ,  alambhât  sai-vadharniânâm  anupalambluit  sarvadharmânâm 
bodhir  ity  ucyate,  evaih  buddhabodliir  ity  uoyate,  na  punar  yatho- 
cyate  .  yena  i?)  Suviki'ântavikrâmiih  bodhàya  cittam  utpâdayanti  :  idaiii 
cittaiii  bodhâyotpâdayisyâma  iti,  bodhiili  nianyante  :  asty  asau  bodhir 
yasyâih  vayaih  cittam  utpâdayisyâma  iti,  na  te  bodhisattva  ity  ucyante, 
utpannasattvâs  ta  ucyante  .  tat  kasmâd  dlietos?  tathâ  hi,  utpâdâbhini- 
vistâç  cittâbliinivistâ  bodhim  abhiniviçante. 

Suit  la  définition  de  ces  faux  Bodhisattvas  comme  «  abhisamskâra- 
sattvas  ». 


âOi  i.i:  MisKON. 

principe,  on  dit  ''  Bodbi  »,  de  même  «  Bodlii  de  Bouddha»  ;  et 
non  pas  comme  [les  ignorants]  disent.  0  Suvikrriutavikrânïiu,  ceux 
qui  produisent  une  pensée  pour  l'illumination  en  disant  :  «  Nous 
produisons  cette  pensée  pour  Tillumination  »,  et  se  l'ont  une  idée 
de  la  Bodhi  en  pensant  :  «  Il  y  a  une  Bodhi  pour  laquelle  nous 
produisons  la  pensée  »,  ceux-là  ne  sont  pas  appelés  Bodhisattvas  ; 
ils  sont  appelés  UipannasaUvas.  ¥A  pourquoi  cola  V  Parce  qu'ils 
adhèrent  à  l'idée  de  production,  de  pensée  et  du  Bodhi.  » 

Et  encore  :  "  La  Bodhi  est  non  caractérisée,  étant  exempte  de 
la  nature  de  caractère.  Ce  qui  comprend  ainsi  on  l'appelle  Bodhi 
et  non  pas  comme  [les  ignorants]  disent.  0  SuviUrriutavikiâmin, 
on  dit  «  Bodhisattva  »  en  raison  de  Tintelligence  de  ces  principes. 
Quiconque,  ô  Suvikrântavikrâmin,  ne  connaissant  pas,  ne  compre- 
nant pas  ce  principe,  pense  de  lui-même  :  «  Bodhisattva,  Bodhi- 
sattva, »  celui-là  est  loin  de  la  terre  du  Bodhisattva,  loin  des 
principes  du  Bodhisattva.  Et,  par  le  nom  de  Bodhisattva,  il  trompe 
les  mondes  des  dieux,  des  hommes  et  des  Asuras.  0  Suvikrântavi- 
krâmin, s'il  devient  Bodhisattva  par  la  seule  prononciation  de  ce 
[mot],  si  par  suite  toutes  les  créatures  même  deviennent  Bodhisat- 
tvas, cela,  ô  Suvikrântavikrâmin,  n'est  pas  même  i)ur  acte  de 
parole,  de  même  que  «  terre  de  Bodhisattva  »  [n'est  pas  même  un 
motj  B  (i). 
(16. i)  Ayant  acquis  la  pensée  d'illumination  définie  ci-dessus,  [le  saint], 

dans  cette  [terre],  non  seulement  ne  peut  être  désigné  que  du  nom 
de  Bodhisattva,  mais  en  outre  : 

6.  «  Il  est  né  dans  la  famille  des  Tathâgatas  et  le  triple  lien  est 
totalement  brisé  pour  lui  ;  étant  Bodhisattva,  il  manifeste  une  joie 
extrême  ;  il  serait  capable  d'ébranler  cent  univers  »  (-2). 


(1)  Traduction  conjecturale.  Voici  la  traduction  littérale  du  tibétain  : 
tadvacanamctlrena  bodhisatlvo  bhavet.  iatak  sarvasatlvà  api  bodhi- 
satlvâ  bhaveyur,  etad  vâkkarmamcitraiii  )idsii  tudyallid  bodhisat- 
tvabhûmir  ity  âdi. 

(2)  L'original  sanscrit  nous  est  connu  par  une  citation  d'un  commen- 
taire de  la  Nâmasaihgïti  (ad  127)  :  tatlià  coktaih  Candrakirtinâ  : 

jâtalj  kule  bhavati  caisa  tathâgiitânâiii 
saïuyojanatrayam  api  ksatam  asya  sai'vain  / 
modaih  bibharti  ca  paraih  sa  lii  bodhisattva^ 
syâl  lokadhâtuçatake  parijâtaçaktiti  // 
Ms.  moham  ....  °çatakarh  parajûta». 


MADIIYAMAKAVATÂRA    CIIAPITIIK    PIIEMIEU.  2(}0 

Comme  il  dépasse  toutes  les  terres  des  hommes  ordinaires,  des 
Çrâvakas  et  des  Pratyekabuddhas,  et  qu'il  est  né  dans  le  chemin 
qui  conduit  à  la  Samantaprabhà  ou  terre  des  Tathâgatas  (i),  le 
Bodhisattva  est  né  dans  la  famille  des  Tathâgatas  (2). 

Comme  il  voit  alors,  d'ime  façon  immédiate,  le  néant  de  l'indi- 
vidu (3),  il  est  délivré  des  trois  liens,  à  savoir  de  l'hérésie  du  moi, 
du  doute  et  de  la  confiance  dans  les  pratiques  ;  ces  liens,  en  effet, 
ne  se  reproduiront  plus  [pour  lui].  C'est  l'intuition  de  la  réalité  (5), 
et  non  point  un  autre  principe,  qui  détruit  l'hérésie  du  moi  issue 
de  la  supposition  du  moi  (e),  et  aussi  la  possibilité  de  marcher 
dans  un  mauvais  chemin  en  raison  du  doute  (7), 

Comme  il  est  entré  dans  la  prédestination  (s),  il  acquiert  les 
qualités  qui  ont  cette  transformation  pour  cause,  et,  délivré  des 
défauts  incompatibles  avec  la  terre  [d'un  Bodhisattva],  il  naît  dans 
une  excellence  de  joie  extraordinaire.  Par  la  surabondance  de  la 
joie,  ce  Bodhisattva  manifeste  une  prééminence  de  joie. 

Parce  que  la  joie  est  excellemment  noble  (a),  cette  terre  reçoit 
le  nom  de  Joyeuse. 

Et  [le  Bodhisattva  qui  l'occupe]  est  capable  d'ébranler  cent 
univers  (10). 


(1)  Mahâvyutpatti,  3. 

(2)  Comparer  Bodhicaryâvatâra,  iii,  25. 

(3)  pudgalanairàtmya,  voir  p.  268,  n.  1.  —  «  d'une  façon  immédiate  » 
pratyahsa. 

(4)  satkâyadrsti,  vicikiisà,  çîlavrataparâmarça. 

(5)  tattvadarçana. 

(6)  àtmasamàropa. 

(7)  Traduction  conjecturale. 

(8)  niyâmâvahrànti,  c'est-à-dire,  dans  le  langage  du  Petit  Véhicule, 
âryamârgâvatârana  (Abhidliarraakoçavyâkhyâ,  Soc.  As.  290  b  3).  —  Il 
s'agit  ici  de  l'entrée  dans  une  niyatabhûmi,  dans  une  terre  à  proprement 
parler,  où  l'on  est  sûr  du  salut  et  du  progrès,  par  opposition  aux  stades 
préliminaires  comme  sont  la  gotrabhùmi  et  Vadhimoksacaryâbhûmi 
(Voir  ci-dessus  p.  262,  n.  7  et  Sûtralaiiikâra  iii,  6,  xii,  19,  xix,  38). 

(9)  dry  a. 

(10)  Ceci  indique  la  possession  des  pouvoirs  surnaturels,  contempler  les 
Bouddhas,  etc.  Le  nombre  des  univers  ébranlés  va  croissant  dans  les 
terres  supérieures,  100,  100,000  etc. 

19 


2(i()  i-i:   MLNtoN. 

7.  "  Piissaut  Je  terre  ca  terre  (i),  il  ira  en  moutaut  ;  en  ce 
moiueut,  pour  lui,  les  cheiuius  des  mauvaises  destinées  sont  tous 
détruits  ;  en  ce  moment,  pour  lui,  les  terres  des  hommes  ordi- 
naires sont  toutes  détruites  ;  comme  sur  i'Arya  du  huitième  rang  (2), 
ainsi  est-il  enseigné  sur  sou  compte  ». 

En  raison  de  la  méditation  des  principes  tels  qu'il  les  a  péné- 
trés (3),  eu  raison  du  grand  effort  pour  passer  dans  la  deuxième 
terre  et  les  suivantes,  passant  de  terre  en  terre,  il  ira  eu  montant. 
En  résumé,  de  même  que  le  noble  Srotar4)auna  (^J,  par  l'intelli- 
gence des  nobles  priuci[>es  qui  lui  sont  appropriés,  est  délivré  de 
déiauts  et  acquiert  des  qualités,  de  même  [l'auteur]  explique  clai- 
rement, par  l'exemple  du  tSrolaâpanna,  que  ce  liodhisattva,  par 
rintelligeuce  de  [saj  terre  (5),  ac(juiert  les  (qualités  appropriées  et 
détruit  les  délauls. 
(17.16)  -^^  Bûdhisattva, 

8.  "  bien  que  placé  seulement  dans  la  première  vision  de  la 
pensée  de  la  pariaite  illumiuation,  domine  dans  sa  grandeur,  par 
son  mérite,  les  Pratyekabuddhas  et  aussi  les  [saintsj  nés  de  la 
parole  du  roi  des  Munis.  » 

Ceci  est  une  nouvelle  excellence  [de  la  première  terre]. 

LÂryamaitreyavimok.sa  (oj  s'exprime  dans  ce  sens  :  «  De 
même,  ô  hls  de  famille,  le  tils  d'un  roi,  peu  de  temps  après  sa 
naissance,  étant  revêtu  des  marques  d'un  roi,  surpasse  toute  la 
troupe  des  ministres,  malgré  leur  âge,  en  vertu  de  la  majesté  de  sa 
race  ;  de  même  le  Bodhisattva  débutant  {-.),  peu  de  temps  après 


(1)  Comparer  Mah'ivyutpatti  245, 4oJ-G,  bhûmyâkramayam,  bhûmer  bhû- 
myantarasaiiiki-anianam. 

i<;,i  hpliays-pa  0)gyad-pa  ^  a^tamaka  Cirya.  c'est-à-dire,  croyons- 
nous,  le  (jifivaka  de  Va^lamakabliânii  (Mahàvyuipatti  50^),  de  la  hui- 
tième terre  en  connnciigaut  par  le  haut  ;  le  plus  humble  des  Aryapudgalas 
ou  srolaOpattt  phalapratipannaka  (Comp.  Dharmasaiiigraha  CU). 

la)  yalliânubuddhadliarniabliâvaiiri. 

(4)  L'édiiion  noire  ajoute  -  et  les  suivants  r.  —  On  ne  voit  pas  comment 
le  Srotaâjiaïuia  peut  êtie  le  huitième  Ârya. 

(ô)  Chacune  des  «  terres  »  est  un  aspect  du  «  savoii'  «. 

(Gj  Voir  un  autre  e.vtrait  du  même  Sûtra  traitant  du  même  point  de 
doctrine,  çik.^âsainuccaya,  V.a  l^  Bodhicai-yrivatâiaparijikâ  -JS.u)- 

(7)  ôdikannika. 


.MADIIVAMAKAVATÂr.A    (.IIAPITIU:    l'Ul^.MEEU.  :2(j7 

avoir  produit  la  pensée  d'illumination,  comme  il  est  né  dans  la 
famille  de  ce  roi  de  la  Loi  qu'est  le  Tathâgata,  surpasse,  en  vertu 
de  la  pensée  d'illumination  et  de  la  compassion,  tous  les  Çrâvakas 
et  Pratyekabuddhas  qui  pratiquent  la  vie  religieuse  depuis  long- 
temps. De  même,  ô  lils  de  famille,  que  chez  le  petit  du  grand 
roi  des  Garudas,  peu  de  temps  après  sa  naissance,  existent  des 
qualités,  force  du  vent  des  ailes,  pureté  parfaite  de  Toeil,  qui  ne  se 
rencontrent  chez  aucun  autre  oiseau  même  adulte  ;  de  même  chez 
le  Bodhisattva  qui  a  produit  la  première  pensée  d'illumination, 
qui,  petit  du  grand  roi  des  Garudas,  est  né  dans  la  lignée  de  la 
race  de  ce  grand  roi  des  Garudas  qu'est  le  Tathâgata,  existent  des 
qualités,  héroïsme  par  la  force  des  ailes  qui  produisent  la  pensée 
de  rOmniscience,  et,  pour  l'œil,  pureté  parfaite  d'intention  ;  qua- 
lités qui  ne  se  reucontreut  chez  aucun  Çiâvaka  ayant  renoncé  au 
monde  depuis  cent  mille  millénaires,  ni  chez  aucun  Pratyeka- 
buddha  »,  et  le  reste  (ij. 

8d.  «  Mais,  dans  la  [terre  nommée]  Dûraiiigamâ,  il  les  domine        (19. i) 
aussi  par  rintelligeuce  »  (-2). 

C'est  ce  qu'enseigne  aussi  l'Aryadaçabhûmika  (3)  :  «  De  même, 


I 


11)  Voir  Çiksâsamuccaya,  6.,o,  la  comparaison  du  Bodhisattva  encore 
ignorant  et  du  kalavùlha  encore  dans  l'œuf. 

(2)  dîiramgamdyâiii  tu  dhiyddhika. 

Cette  ligne  est  citée  dans  la  Madhyamakavj'tti,  p.  353.i. 

(3)  Ce  passage  correspond  au  Daçabhûmîçvara,  Ms.  Burn.  fol.  82  a  et  au 
fragment  Bendall  viii  a  i>  : 

tadyutliâpi  nania  bliavanto  1  jinaputi'â  râjakulaprasûto  râjaputro 
râjalaksanasainanvrigato  jâtamâtra  eva  sarvam  runâtyaganam  ^  abhi- 
bhavati  râjâdhipalyena,  na  punah  svabuddhivicârena  .  yadâ  punah  sa 
sariivrddiio  bliavati,  tailâ  svabuddliibalâdhânatal.!  sarvâmâtyakrlyâm 
atikrâuto  '^  bliavati  .  evain  eva  blio  jinaputi'â  bodhisattvah  saha 
cittotpâdena  sarvaçrâvakapratyekabuddliân  abhibhavaty  ^  adhyâçaya- 
mâhâtmyena,  na  punah  svabuddhivicru-ena  .  asyârii  ^  tu  saptamyâih 
bodhisattvabbûmau  stliito  bodhisattvah  ^  svavisayajùânaviçesamâhâ- 
tmyâvasthitatvât  sarvayrâvakapratyekabuddhakriyâm  atikrânto  bha- 
vati. 

1  Bendall  :  bho.  —  ^  Paris  :  sarvâmâtya». 

3  Bendall  :  sarvam  (?)  amâtyakriyâm  atp  ;  Paris  :  sarvâmâtyakriyâ- 
samati°.  —  *  Bendall  °ti  a".  —  ^  Paris  :  asyâm  s°. 
^  Paris  :  svavisayajnânâvasthitatvât. 


208  I.K    MtSÉON. 

ô  fils  (lu  Victorieux,  le  fils  d'un  roi,  né  dans  une  famille  royale  et 
revêtu  des  marques  royales,  surpasse  dès  sa  naissance,  par  la  sou- 
veraineté royale,  toute  la  troupe  des  ministres,  mais  non  pas  par 
l'exercice  de  son  intelligence  propre  ;  mais,  lorsqu'il  est  adulte, 
ayant  réalisé  la  force  de  sou  intelligence  propre,  il  dépasse  intiui- 
ment  toute  l'activité  des  ministres.  De  même,  ô  fils  du  Victorieux, 
le  Bodhisattva,  aussitôt  produit-il  la  pensée  [d'illuminatiouj,  sur- 
passe, par  la  grandeur  de  sou  intention,  tous  les  Çrâvakas  et  les 
Pratyekabuddhas,  mais  non  pas  par  l'exercice  de  son  intelligence 
propre  ;  mais,  quand  il  est  placé  dans  cette  septième  terre  du 
Bodhisattva,  le  Bodhisattva,  résidant  dans  la  grandeur  de  la  con- 
naissance de  son  domaine  propre,  surpasse  infiniment  toute  l'acti- 
vité des  Çrâvakas  et  des  Pratyekabuddhas  ». 

C'est  donc  seulement  à  partir  de  la  [tcrrej  Dûraïugamâ  que  le 
Bodhisattva,  réalisant  la  force  de  son  intelligence  propre,  surpasse 
les  Çrâvakas  et  les  Pratyekabuddhas  ;  il  n'eu  est  pas  de  même 
dans  les  terres  inférieures.  Telle  est  la  doctrine, 
f  19.n)  (0  ^^  texte  sacré  qui  précède  établit  clairement  que  les  Çrâvakas 

et  les  Pratyekabuddhas  possèdent,  eux  aussi,  la  connaissance  de 
la  nou  réalité  substantielle  de  tous  les  principes  (-2)  ;  s'il  en  était 
autrement,  par  le  fait  qu'ils  seraient  dépourvus  de  l'intelligence  (3) 
de  la  non  réalité  substantielle  de  toutes  choses,  ils  seraient,  comme 
les  saints  mondains  (4),  surpassés  par  le  Bodhisattva  même  qui 
n'a  produit  que  la  première  pensée  [d'illumination],  et  cela  même 
au  point  de  vue  de  l'exercice  de  son  intelligence  propre  ;  semblables 
au  non-bouddhistes  (5),  ils  n'auraient  rejeté  aucun  des  attache- 


Il)  L'auteur  profite  de  ce  parallèle  entre  les  Bodhisattvas  et  les  saints 
du  Petit  Véliicule  pour  montrer  que,  quoi  qu'eu  disent  les  théoriciens  du 
Hinayûna  et  Bhâvaviveka,  les  anciens  Sûtras  enseignent,  tout  comme 
les  livres  du  Mahâyâna,  le  double  néant  :  pudgalanairàtynya  (°rûnyntâ)y 
inexistence  d'une  àme  ou  d'un  moi  ;  dhanna°,  skundhanairâlmya 
{°çânyatà),  inexistence  en  soi  des  prétendus  éléments  du  ptcdgala.  — 
Voir  le  système  de  Bhâvaviveka,  Madhyaiuakavi'tti,  351.15. 

(2)  sarvudltanna-svabhdca-abhdva. 

(3)  parijndna. 

(4)  lauhikavltaràga  (Abhidharmakoçavyrdthyâ,  Soc.  As.  -Ka  a). 

(5)  bâh y avat.  —  C'est  seulement  par  le  Nol»le  Cliemiii  qu'on  abandonne 
délinitivement  la  souillure  des  passions,  et  non  pas  par  les  méditations 
mondaines  ou  naturelles  [laukika).  —  Voir  ci-dessus  p.  262,  n.  3. 


MADIIYAMÂKAVÂTÂRA    CHAPITRE    PREMIER.  269 

ments  des  trois  sphères  du  monde  (i).  Plongés  dans  l'erreur  par 
l'adhésion  à  l'essence  réelle  de  la  matière  et  des  autres  [élé- 
ments] (2)  ils  ne  réaliseraient  même  pas  le  néant  de  l'individu  (3), 
et  cela,  par  le  fait  même  qu'ils  admettent  les  éléments  (4)  qui  sont 
la  cause  de  [l'idée  et  dej  la  dénomination  de  «  moi  »  (5). 

C'est  ce  qui  est  expliqué  dans  la  Ratnâvalî  :  (20.8) 

«  Aussi  longtemps  qu'on  croit  aux  éléments,  aussi  longtemps  on 
croit  à  son  «  moi  n  ;  aussi  longtemps  qu'on  croit  à  son  «  moi  »,  on 
agit,  et  de  l'acte  s'ensuit  la  renaissance  ». 

«  Ne  présentant,  au  cours  des  temps,  ni  commencement,  ni  fin, 
ni  milieu  (e),  le  cercle  des  existences,  semblable  au  cercle  formé 
par  un  tison,  tourne  par  la  causalité  mutuelle  ». 

«  Quand  on  reconnaît  qu'à  aucun  moment  de  la  durée  il  n'existe 
par  soi,  par  autrui,  par  soi  et  autrui,  l'idée  de  «  mon  moi  »  dispa- 
raît ;  par  suite  aussi  l'acte  et  la  naissance  ». 

Et  encore  : 

«  De  même  que  l'œil,  par  illusion,  perçoit  le  cercle  formé  par  le 
tison,  de  même  les  sens  perçoivent  les  objets  actuels  ». 

«  On  définit  les  sens  et  les  objets  des  sens  comme  ayant  pour 
substance  (7)  les  [grands]  éléments  (s)  ;  mais  ceux-ci,  pris  sépa- 
rément, n'existent  pas  (9)  ;  donc  les  [sens  et  les  objets]  n'existent 
pas  en  réalité  ». 

«  Si  les  [grands]  éléments,  pris  séparément,  isolément,  [exis- 
taient], il  y  aurait  du  feu  sans  combustible  ;  mêlés,  ils  seront  sans 
caractères.  Et  la  même  conclusion  vaut  pour  le  reste  »  (10). 


(1)  tri-dhâtv-avacara-anuçaya. 

(2)  rûpâdaynh  shandhâh. 

(3)  piidgalanairâtmya. 

(4)  skandha. 

(5)  dtmaprajnapti. 

(6)  Traduction  conjecturale. 

(7)  svabhcwa. 

(8)  mahàbhûta,  eau,  feu,  etc. 

(9)  ou  «  ne  sont  pas  objets  »  idon-med)  ;  mais  voir  la  stance  suivante. 
Dans  l'Alambanapaiîksri,  Dignâ;^a  démontre  parla  même  méthode  l'inexis- 
tenoe  des  atomes  et  des  composés  d'atomes. 

(10)  C'est  à  dire,  croyons-nous,  pour  les  autres  éléments  (skandha)  ;  les 
«  f,n'ands  éléments  »,  eau,  feu.  etc.,  constituent  l'élément  matière  (rûpa). 


270  LE    MLSÉON. 

«  De  la  sorte,  les  [grands]  éléments,  même  considérés  sous  deux 
aspects,  [isolés  ou  mêlés],  n'existent  pas  ;  donc  leur  mélange 
n'existe  pas,  par  suite  de  l'inexistence  des  composants  ;  donc, 
en  réalité,  la  matière  (i)  n'existe  pas  ». 

«  La  connaissance,  la  sensation  émotive,  la  faculté  de  dénomi- 
nation, les  dispositions  morales  (2),  prises  isolément  en  elles-mêmes, 
n'existent  pas  ;  donc  elles  n'existent  pas  en  réalité  vraie  ». 

«  De  même  qu'on  attache  l'idée  positive  de  bonheur  à  la  guéri- 
son  (3)  de  la  souffrance  ;  de  même  on  attache  l'idée  de  souffrance 
à  la  destruction  du  bonheur  ». 

"  De  la  sorte,  en  raison  de  la  non-substantialité  [du  bonheur  et 
de  la  souffrance],  sont  abandonnées  la  soif  de  l'acquisition  du  bon- 
heur, la  soif  de  l'exemption  de  la  souffrance  :  par  conséquent, 
celui  qui  voit  ainsi  est  délivré  ». 

«  Mais,  dira-t-on,  quel  est  le  principe  qui  voit  [ainsi]  ?  —  Du 
point  de  vue  des  apparences,  on  l'appelle  "  pensée  »  ;  mais  il 
n'existe  pas  de  pensée  sans  les  «  succédanés  de  la  pensée  »  (4)  ; 
[ceux-ci]  n'existent  pas,  donc  nous  tenons  la  pensée  pour  inexis- 
tante ». 

«  Quand  donc  elle  connaît  ainsi  le  monde  tel  qu'il  est,  c'est-à- 
dire  dépourvu  de  réalité,  ne  se  fixant,  ne  s'appuyant  sur  rien,  elle 
s'éteint  comme  un  feu  non  entretenu  ». 
(21.14)  Mais,  dira-t-on,  une  semblable  intuition  (5)  de  la  non-réalité 

substantielle  n'appartient  qu'aux  seuls  Bodhisattvas  ?  —  C'est  une 
erreur,  car  c'est  au  sujet  des  Çrâvakas  et  des  Pratyekabuddhas 
que  sont  dites  les  stances  ci-dessus.  —  Comment  le  savez-vous  ? 
dira-t-on.  —  Parce  que,  aussitôt  après,  il  est  dit  au  sujet  des 
Bodhisattvas  : 

«  Mais  quand  le  Bodhisattva  voit  ainsi,  il  désire  fermement 
l'illumination  ;  bien  plus,  par  compassion,  il  continue  à  renaître 
jusqu'à  l'obtention  de  l'illumination  ». 


(1)  rûpa. 

(2)  vijTiânam^  vedanâ,  saêiijTià,  sai'askCirdh. 

(3)  pratividhâna  ;  voir  ci -dessous  p.  273,  notes  4  et  S. 

(4)  scms-libyuù  =  caitta  ;  ces  ••  produits  de  la  pensôe  n  sont  notamment 
lu  sensation  agréable,  désagréable,  etc.,  dont  l'auteur  a  établi  la  non- 
existcncc. 

(5)  darçana. 


MADIIYAMAKAVATARA    CHAPITRE    PUEMlEIl. 


271 


D'ailleurs,  dans  les  Sûtras  même  qui  enseignent  le  chemin  des 
Çrâvakas,  on  trouve  des  passages  comme  celui-ci  : 

«  La  matière  est  semblable  à  un  flocon  d'écume  ;  la  sensation 
émotive  à  une  bulle  dans  l'eau  ;  la  dénomination  à  un  mirage,  les 
dispositions  morales  au  bananier  ;  la  connaissance  à  une  magie  : 
ainsi  l'a  déclaré  le  neveu  du  soleil  ».  (i) 

Les  termes  de  comparaison,  flocon  d'écume,  bulle,  mirage, 
bananier,  magie, etc.,  constituent  l'examen  critique  des  samsMras, 
exposé  en  vue  de  l'abandon,  par  les  Çrâvakas,  de  l'obscurcisse- 
ment passionnel. 

Ce  point  est  enseigné  par  [Nâgârjuna,]  notre  maître,  quand  il  dit  :        ('22.8) 

«  Le  Grand  Véhicule  enseigne  la  non-naissance,  l'autre  [Véhicule] 
la  destruction  ;  c'est  la  même  vacuité  dans  le  sens  de  destruction 
et  de  non-naissance  ;  il  faut  la  supporter  » .  (2) 

Et  encore  : 

«  Dans  le  Kâtyâyanâvavâda,  le  Bienheureux,  qui  sait  ce  que 
c'est  que  l'existence  et  la  non-existence,  a  défendu  d'affirmer  et 
de  nier  l'existence  « .  (3) 

Mais,  pensera-t-on,  si  le  Véhicule  des  Çrâvakas  enseigne  le  (22.15) 
néant  des  éléments  (4),  la  doctrine  du  Grand  Véhicule  devient 
inutile  ?  —  Semblable  opinion  est  contredite  par  le  raisonnement  et 
par  l'Écriture.  En  effet,  la  doctrine  du  Grand  Véhicule  n'enseigne 
pas  seulement  le  néant  des  éléments,  mais  encore  les  terres  des 
Bodhisattvas,  les  vertus  transcendantes  (pàraniitcls),  les  résolu- 
tions (5),  la  grande  compassion,  etc.  ;  mais  encore  l'application  (e) 
[du  mérite  à  l'illumination],  les  deux  équipements  [de  mérite  et 
de  savoir]  (7)  et  la  nature  incompréhensible  du  clharma  (s). 


(1)  Voir  Sailiyuttanikâya  III,  p.  142.  Ces  lignes  sont  citées  Madhyama- 
kavrtti,  p.  41. 

(2)  Traduction  conjecturale.  —  La  «  patience  »  se  dit  de  l'adhésion  à 
une  vérité  dure  à  supporter  {dharmanidhijânaksànti). 

(3)  Madhyamakaçâstra  xv.  7,  Madliyamakavrtti,  269.5. 

Kâtyâyanâvavâde  oâstïti  nâstïti  cobliayam  / 
pratiçiddhaiii  bhagavatâ  bhâvribhâvavibliâvinâ  / 
Comparer  Samyuttanikâya  II,  p.  17. 

(4)  dharmanairàlmya. 

{'))  ■pranidhàna,  voir  p.  261  ad  tinem. 

(6)  pcaHnàmanâ,  voir  p.  278,  n.  3. 

(7)  Voir  ci-dessous,  chap.  iii,  12. 

(8)  acintyadharmatâ. 


272  LE    AILSÉON. 

C'est  dans  ce  sens  que  s'exprime  la  Ratnâvalî  : 

«  Le  Véhicule  des  Çrâvaiias  ne  parle  ni  des  résolutions  du 
Bodbisattva,  ni  de  la  carrière  [de  l'illumination],  ni  de  l'application 
[du  mérite],  —  ni,  à  plus  forte  raison,  du  Bodhisattva  n  (i). 

«  [Le  Bienheureux]  n'a  pas  enseigné  dans  les  Sûtras  l'utilité 
qui  réside  dans  la  carrière  de  l'illumination  (2)  ;  il  l'a  enseignée 
dans  le  Grand  Véhicule  :  c'est  pourquoi  les  sages  s'attachent  à  ce 
[Véhicule]  ». 
(23.8)  D'ailleurs,  l'enseignement  du  Grand  Véhicule  est  justifié  en  vue 

d'une  claire  explication  du  néant  des  éléments  dont  un  exposé 
étendu  était  nécessaire  ;  tandis  que,  dans  le  Véhicule  des  Çrâvakas, 
le  néant  des  éléments  n'est  traité  qu'eu  résumé  et  indirectement. 

C'est  ce  que  dit  notre  Maître  : 

«  Vous  avez  dit  qu'il  n'y  a  pas  de  délivrance  sans  l'intelligence 
de  l'absence  de  marques  (s),  et  c'est  pourquoi  vous  avez  enseigné 
cette  doctrine  au  complet  dans  le  Grand  Véhicule  (4)  ». 
(23.15)  Mais  c'en  est  assez,  car  ceux  dont  l'esprit  n'est  pas  troublé, 

1  ourront,  d'après  ce  qui  précède,  saisir  d'eux-mêmes  la  vérité  sur 
ce  point.  Revenons  à  notre  sujet. 

9  a.  «  Pendant  cette  période  (5)  ce  qui  prédomine  dans  ce 
[Bodhisattva],  c'est  la  charité  (e),  cause  première  de  l'illumination 
des  parfaits  Bouddhas  ». 

Dans  le  Bodhisattva  qui  est  parvenu  à  la  terre  Pramuditâ,  parmi 
les  dix  [vertus  tranccndantes],  charité  (e),  moralité,  patience, 
énergie,  recueillement,  science,  moyen,  résolution,  force,  savoir, 
c'est  la  vertu  transcendante  de  charité  qui  prédomine  ;  mais  les 
autres  ne  sont  pas  absentes.  Et  cette  charité  est  la  cause  première 
de  l'omniscience. 


(1)  ou  bien  :  "  ....  comment  y  aurait-il  un  Bodhisattva  ?  «,  bodhisattvah 
kuto  hhavet.  —  (2)  hodhicaryâ. 

(Z)  ânimitlam;  suppléez  çûnyatâ  et  apranihitam,  les  deux  autres 
vimok.sas.  ci-dessus,  p.  256,  n.  4. 

(4)  Nrif,^rirjun;i  s'adresse  à.  Bliaf?avat.  —  Plusieurs  stances  empruutoes 
au  même  ouvrage,  non  identifié,  sont  citées  ci-dessous  et  dans  la  Madliya- 
makavftti. 

(5)  (adô,  dans  la  première  terre.  (())  dnna,  don,  aumône,  charité. 


MADHYAMAKAVATÂllA    CHAPITRE    PUEMIEll.  l273 

9  b.  «  [La  charité,]  qui,  par  le  zèle  (i)  [du  Bodhisattva]  pour  le 
don  même  de  sa  propre  chair,  est  l'indice  des  [qualités]  qui  ne 
sont  pas  qualifiées  à  se  manifester  [dans  la  première    terre]  ». 

Pendant  cette  période,  les  qualités  du  Bodhisattva,  intelligence  (2) 
etc,  qui  ne  sont  pas  qualifiées  à  se  manifester,  sont  clairement 
induites  [de  la  charité]  au  moyen  du  raisonnement  inductif  qui  a 
pour  caractère  de  faire  voir  (3)  les  choses  [cachées]  internes  ou 
externes  ;  de  même  que  de  la  fumée,  etc.,  on  connaît  l'existence 
du  feu,  etc. 

De  même  que  la  charité  est,  pour  les  Bodhisattvas,  la  cause  (24.12) 
première  de  la  condition  de  Bouddha  et  l'indice  de  leurs  qualités 
non  évidentes,  de  même  pour  les  hommes  ordinaires,  pour  les 
Çrâvakas  et  les  Pratyekabuddhas,  elle  est  la  cause  de  la  suppres- 
sion (4)  de  la  souffrance  et  de  l'acquisition  de  la  béatitude  défini- 
tive (5).  L'auteur  s'exprime  ainsi  : 

10.  «  Tous  les  hommes  désirent  le  bonheur,  et,  pour  les  hommes, 
il  n'est  pas  de  bonheur  sans  la  jouissance.  Sachant  que  la  jouis- 
sance est  produite  par  le  don,  le  Muni  prêche  d'abord  le  don  ». 

Les  créatures,  (e)  attribuant  par  erreur  une  continuité  substan- 
tielle à  la  réunion  des  causes  dont  procède  le  «  bonheur  de 
l'existence  »  (7)  qui  n'est  que  le  palliatif  (s)  de  la  souffrance,  l'anti- 
dote (9)  de  la  faim,  de  la  soif,  de  la  maladie,  du  froid,  etc.,  — 
s'attachent  à  l'extrême  à  la  suppression  des  misères  (10)  [de  l'exis- 
tence] laquelle  n'est  pas  un  bonheur  positif.  Le  bonheur  des  [créa- 
tures] éprises  d'un  semblable  bonheur,  consistant  seulement  dans  le 


(1)  àdara. 

(2)  rtogs-pa  ;  voir  ci-dessus  p.  252,  n.  6. 

(3)  Traduction  conjecturale  et  reposant  sur  la  correction  de  ston  en 
ston. 

(4)  pratividhàna. 

(5)  âtyantika  sukha. 

(6)  Traduction  conjecturale  ;  la  syntaxe  est  obscure. 

(7)  hhavasuhha. 

(8)  pratividhàna. 

(9)  pi'atipaksa. 

(10)  upadrava. 


27 i  lf:  muséon. 

palliatif  de  la  souffrance,  réside  dans  la  jouissance  des  objets 
désirés,  antidote  de  la  souffrance,  et  ou  constate  qu'il  ne  peut  se 
produire  sans  la  jouissance,  laquelle  est  faite  de  confusion  (i).  Or 
ces  objets,  causes  du  palliatif  de  la  souffrance,  Bhagavatsait  qu'ils 
manquent  à  ceux  qui  n'ont  pas  accumulé  les  bonnes  actions  maté- 
rielles qui  découlent  de  la  charité  ;  c'est  pourquoi,  connaissant 
les  dispositions  de  toute  créature  sans  exception,  il  prêche  d'abord 
la  charité  avant  de  prêcher  la  moralité  et  les  autres  [vertus]. 
(25. u)  L'auteur  montre  maintenant  la  grandeur  de  la  charité,  en  con- 

formité avec  ses  actes,  même  quand  la  créature  qui  donne  n'y  est 
pas  conforme  : 

11.  «  Même  pour  les  créatures  dépourvues  de  compassion, 
brutales,  appliquées  à  leur  intérêt  propre,  découlent  du  don  les 
jouissances  désirées,  causes  de  l'apaisement  de  la  souffrance  ». 

Ceux  qui,  semblables  à  des  trafiquants,  désirant  une  très  grande 
fortune  comme  fruit  de  l'abandon  d'une  très  petite  somme, 
réclamant  beaucoup  plus  qu'on  ne  réclame  d'eux  (2),  vénèrent  le 
désir  du  don  (2)  ;  ceux-là  ne  développent  pas,  comme  les  fils  du 
Sugata,  l'allcgrcsse  (H  du  désir  du  don  exempt  de  l'attente  du 
fruit  de  la  charité  et  entièrement  dirigé  par  la  compassion,  —  mais 
cependant,  obtenant  cette  lumière  de  ne  plus  critiquer  [le  don] 
mais  d'en  apprécier  seulement  les  qualités  ("O,  le  don  est  pour  eux 
cause  de  rapaisemeut  de  la  souffrance,  car  il  triomphe  des  souf- 
frances corporelles  et  mentales,  faim,  soif,  etc.,  au  moyen  de  la 
surabondance  des  jouissances. 
(26. 11)  Quand  des   créatures,  quelles  qu'elles   soient,  dépourvues  de 

compassion,   et  en   vue   seulement   de   combattre   la   souffrance 
personnelle,  vénèrent  le  désir  de  la  charité, 

12.  «  en  outre,  elles  obtiendront  bientôt  de  rencontrer  quelque 


(1)  vipnryâsâlmaha.  —  La  jouissance  (bhoga,  tipabhoga)  a  pour  prin- 
cipe la  conliision  entre  dichkha  et  suhha^  nouci  et  çuci,  anitya  et  nitya. 

Ci)  Us  attendent  plus  de  ranmône  que  lo  mendiant  n'attend  d'eux. 

(:{)  Traduction  conjccturalo.  —  Celte  "  vénération  n  (mlnra)  comporte 
le  désir  du  don,  voir  p.  27;î,  n.  1. 

(4)  utsava.  (5)  [junamntraf/rahana. 


MADIIYAMAKÀVATÂUA    CHAPITRE    PI'.EMIEl\. 


275 


jour,  à  l'occasion  de  l'aumône,  un  saint  bouddhiste  (i)  ;  par  suite, 
rompant  la  série  des  existences,  elles  arriveront  à  la  paix,  qui, 
[comme  on  voit] ,  a  le  [don]  pour  cause  » . 

En  effet,  «  les  bons  vont  au  devant  du  donneur  vraiment 
charitable  (2)  »,  aussi  celui  qui  aspire  à  donner  entrera  en  contact 
avec  un  saint  bouddhiste  à  l'occasion  de  l'aumône  ;  par  ses  instruc- 
tions, il  comprendra  que  l'existence  est  dépourvue  de  qualités  ; 
il  réalisera  le  Noble  Chemin  immaculé;  parl'abandon  de  l'ignorance, 
apaisement  de  la  souffrance,  il  abandonnera  la  série  des  existences, 
cette  succession  de  naissances  et  de  morts  oii  il  gravite  depuis 
l'éternité  ;  il  s'éteindra  dans  le  complet  nirvana  par  le  Véhicule 
des  Çrâvakas  et  des  Pratyekabuddhas. 

C'est  ainsi  que,  pour  ceux  qui  ne  sont  pas  des  Bodhisattvas,  la 
charité  est  la  cause  de  l'obtention  du  bonheur  temporel  (3)  et  du 
bonheur  du  nirvana. 

13  a.  «  Ceux  qui  portent  dans  leur  âme  la  promesse  du  salut 
de  l'univers,  obtiennent  par  la  charité  une  félicité  immédiate  (5)  ». 

Ceux  qui  ne  sont  pas  des  Bodhisattvas  ne  jouissent  pas,  au  (27.6) 
moment  de  l'aumône,  des  fruits  que  nous  avons  dits  ;  aussi,  les 
fruits  de  l'aumône  n'étant  pas  immédiatement  perceptibles,  il 
arrive  qu'ils  n'entrent  pas  dans  la  charité  ;  mais  les  Bodhisattvas, 
au  moment  même  de  l'aumône,  par  le  seul  fait  de  satisfaire  (e)  les 
besoigneux  (7),  revêtent  une  allégresse  supérieure  à  tous  les  fruits 
qu'on  peut  souhaiter  de  la  charité  :  dans  l'aumône  même,  ils 
jouissent  du  fruit  de  l'aumône.  Par  conséquent,  c'est  en  tout  temps 
qu'ils  se  réjouissent  dans  la  charité. 

Donc,  d'après  la  démonstration  qui  précède, 

13  c.  «  puisque  compatissants  et  non-compatissants,  » 


(1)  âryapurusa,  sat  [purusa],  un  Ârj^a,  un  Bodhisattva,  et,  dans  le  Petit 
Véhicule,  les  possesseurs  des  Fruits  et  les  candidats  aux  Fruits. 

(2)  dànâtmaha.  —  (3»  sariisârnsuhha. 
(4)  yratijnà.  —  (.j)  npi^atiliata. 

(6)  paritosa. 

(7)  arthin. 


27()  Ll.    MISI^ON. 

tous  trouvent  dans  la  charité  la  cause  du  bonheur  temporel  et  de 
1.1  félicité  suprême  (i), 

13  d.  «  par  conséquent  le  sermon  sur  la  charité  f 2) forme  la  base  ». 

(28. 1)  Mais  dites-nous  donc  par  une  comparaison  quelle  est  cette  joie 

excellente  que  ressentent  les  Bodhisattvas  en  satisfaisant  les  besoi- 
gneux  par  la  distribution  des  objets  de  jouissance,  et  en  vertu  de 
laquelle  ils  honorent  toujours  la  charité  ? 

14.  «  Tel  est  le  bonheur  quo  ressent  le  fils  du  Victorieux  à  la 
pensée  d'entendre  ce  mot  :  «  donne  »,  telle  n'est  pas  la  félicité  que 
cause  aux  Bouddhas  l'entrée  dans  la  paix  [du  nirvana].  Que  dire 
[de  la  joie  qu'il  ressent]  de  l'abandon  de  tous  les  biens  ?  n 

Quand  seulement  leur  pensée  s'arrête  sur  l'audition  de  ce  mot 
"  donne  «,  prononcé  par  les  besoigneux,lcs  Bodhisattvas  se  figurent 
qu'on  leur  demande,  et  ressentent  un  bonheur  toujours  nouveau  et 
qui  l'emporte  sur  le  bonheur  même  du  nirvana.  Que  dire  [du  bon- 
heur] des  [Bodhisattvas]  quand  ils  satisfont  la  foule  des  besoigneux 
par  l'abandon  de  tous  leurs  biens  internes  ou  externes,  [de  leur 
corps  et  de  leurs  richesses]  ? 

Mais,  dira-t-on,  qu'est-ce  qui  peut  empêcher  que  les  Bodhisatt- 
vas, en  abandonnant,  comme  vous  dites,  tout  bien  interne  et 
externe,  ne  ressentent  une  souffrance  corporelle  V  —  Il  est  impos- 
sible, répondrons-nous,  qu'une  souffrance  corporelle  se  produise 
chez  les  magnanimes  [Bodhisattvas],  de  même  que  quand  on  brise 
une  chose  inanimée. 

Telle  est,  en  effet,  la  doctrine  de  rÂryagaganaganjasa- 
mâdhi  (;^)  :  "  Supposez  par  exemple  une  grande  forêt  de  râlas  et 
que  quelqu'un  y  vienne  couper  un  râla.  Les  çàhs  qui  restent  ne 
pensent  pas  :  "  il  est  coupé,  et  nous  ne  sommes  pas  coupés  »  ;  il 
il  n'y  a  chez  eux  ni  attachement,  ni  répulsion  ;  ni  imaginations, 
ni  idées.  Une  .«cmblablc  patience,  c'est  la  patience  épurée, 
suprême,  semblable  à  Tcspace,  du  Bodhisattva.  » 


(1)  nhhyudayn,  naihrrc'i/asa.  —  (2)  iJimahathn. 

(U)  Même  lexlo,  extrait  du  (Jjiffaiiagafi.iasrilra  dans  (.  ik.'fâsaimiccaya. 
p.  272,  s-H.  —  Notre  veision  supprime  le  luolparikalpa,  ajoute  lépithète 
-  epnréP  r  [parii-udilhn]  (.'l  (tniisli'uit  :  i/diram  bod/iisatfrasi/n  hmiitir 
iyarn 


MADIIVAMAKÂVATÂr.A    (IIAI'I  I  lU:    l'UEMI  Kl',.  ^77 

Et  OU  lit  aussi  dans  la  Ratnâvalï  : 

'•'  Il  u'y  a  pas  chez  lui  do  souffrance  corporelle  ;  et  comment 
y  aurait-il  souffrance  morale  V  En  vertu  de  la  compassion,  il  est 
cher  aux  créatures  ;  en  vertu  de  la  compassion,  il  demeure  long- 
temps [dans  les  existences]  «  (i). 

Il  n'est  pas  douteux,  toutefois,  que,  chez  le  [Bodhisattva]  qui  (29. lo) 
n'a  pas  atteint  le  stade  de  non-attachement  (2),  la  rencontre 
d'objets  eu  contradiction  avec  la  persistance  du  corps  ne  produise 
la  souffrance  corporelle  ;  mais  cette  Fdouleur]  est  pour  lui  une 
raison  de  s'adonner  davantage  à  Tactivilé  utile  aux  créatures. 
L'auteur  expose  ce  point  eu  disant  : 

15.  «  Celui  qui  abandonne  son  corps  aux  mutilations,  quand  il 
apprécie  d'expérience  personnelle,  par  sa  propre  souffrance,  les 
souffrances  infernales  et  autres  du  prochain,  s'applique  aussitôt, 
avec  un  zèle  accru,  à  supprimer  ces  souffrances.  » 

Quand,  éprouvant  sa  propre  souffrance,  le  Bodhisattva  reconnaît 
que  les  créatures  douloureuses,  accablées  dans  leur  corps  des 
souffrances  intolérables,  ininterrompues,  terribles  de  l'enfer,  des 
matrices  animales,  du  monde  de  Yama,  sont  revêtues  d'une  souf- 
france mille  fois  plus  grande  que  la  souffrance  des  mutilations  de 
son  corps,  sans  tenir  compte  de  la  souffrance  des  mutilations  de 
son  corps,  il  s'efforce  aussitôt  et  davantage  pour  mettre  un  terme 
aux  souffrances  infernales  et  autres  des  créatures. 

Nous  avons  vu  ce  que  c'est  que  la  charité  ;  l'auteur  nous  dit        (30. 7) 
[maintenant]  ses  subdivisions  en  tant  que  «  vertu  transcendante  (3)  » . 

16  a.  «  La  charité  vide  d'aumône,  de  receveur  et  de  donneur, 
s'appelle  vertu  trauscendante  surnaturelle  (4)  ». 

Dans  le  [mot  paramlta],  param  siguiûe  l'autre  bord  de  l'océan 
des  existences,  la  qualité  de  Bouddha  qui  consiste  dans  l'abandon 
complet  des  obscurcissements  de  la  passion  et  du  connaissable  (5). 


(1)  Comparer  Bodhicaryâvatrira,  vii,  21. 

na  duhkhï  tyaktapâpatvât  panditatvân  na  durmanâh  / 
tisthan  parârthaih  saiiisâre  kfprUuh  kena  khidyate  // 

(2)  vltaràgdvasthâ  (?).  dans  la  huitième  tarife  (?). 

(3)  'pâramiiâ.  —  (4)  lokottara. 
(5)  hleçâvarana  Qijneyâvarar^a. 


278  LK    MISKON. 

Le  mot  pUramità,  c'est-à-dire  «  parvenu  à  l'autre  bord  «  (pûra- 
gata),  est  formé  par  la  non-suppression  de  la  désinence  casuelle, 
d'après  la  règle  :  «  Il  n'y  a  pas  élision  devant  le  second  terme  du 
composé  »  (i),  ou  bien,  appartenant  au  groupe  du  type  iJrsotZam, 
il  présente  la  lin  du  second  [ter me J  (2). 

[Ce  motj  se  dit  au  propre  au  sujet  de  la  science  (praJHà)  ;  la 
charité,  etc.,  sont  des  pdramitàs  par  leur  ressemblance  avec  la 
pâramità. 

La  charité,  quand,  par  une  application  excellente  (3j,  elle  est 
conditionnée  de  manière  à  parvenir  à  l'autre  bord,  obtient  le  nom 
de  pâramitd.  Et  il  en  est  de  même  pour  la  moralité  et  les  autres 
[vertus]  qui  seront  définies  au  cours  de  cet  ouvrage. 
(31.2)  Cette  charité  qui  est  pciramita,  lorsqu'elle  est  exempte  de  la 

notion  de  l'aumône,  du  receveur  et  du  donneur,  est  une  ^Jàram/Yà 
surnaturelle.  C'est  là  l'enseignement  de  la  JLJhâgavatï  Prajùâpâra- 
mitâ,  la  non- notion  (4)  étant  surnaturelle,  la  notion  étant  natu- 
relle (5)  parce  qu'elle  est  constituée  par  la  vérité  pratique.  Cette 
[pâramitâ  surnaturelle]  ne  peut  être  connue  par  ceux  qui  n'ont  pas 
obtenu  la  qualité  de  Bodhisattva. 

L'auteur  poursuit  : 

16  b.  «  Quand  il  y  a  attachement  à  cette  triade,  la  [charité]  est 
dite  "  pâramitâ  naturelle  "  ». 


(1)  alug  uitarapade  (Pân.  vi.  3.  1).  —  On  di  pâramitâ  au  lieu  depâreiâ. 

(2)  prsodarâdini  (Pân.  vi.  3.  109j.  —  L'interprétation  de  ce  passage  est 
conjecturale,  pour  ne  pas  dire  hasardée.  Le  tibétain  semble  correspondre 
à  un  original  :  uttarasya  antavattvena  [vyava]sthupyate.  Je  com- 
prends :  «  le  moi  pâramitâ  ne  présente  que  la  tinaie  du  second  terme  -, 
soit,  \}Q\xX-êivQ,  pâramitâ  =  paru- <gâ;>mitâ. 

(3)  ou  «  par  une  certaine  appUcation  n,  parinâmanâciçemt,  c'est-à- 
dire,  la  charité  est  pâramitâ  quand  on  appUque  son  mérite  à  la  conquête 
de  l'illumination  pour  le  salut  des  êtres,  en  d'autres  termes  quand  elle 
est  précédée  de  la  pensée  d'illumination  et  parfumée  de  compassion.  — 
C'est  à  ce  passage  du  Madliyamakâvatâra  que  fait  allusion  un  des  com- 
mentaires de  la  Nâmasariigiti  :  ete  dânâdayab  sambodliicittapûrvakâl.i 
sarvasattvesu  maitrâgayaparibhâvitâl.i  pâramitânâma  labhante  .  tâb 
punar  laukikâ  lokottaràç  ca  :  tatrânivâritâtmâdyupalambhâ  laukikâ, 
lokottarâç  ca  skandhâdisv  anâtmâdyadliimoksapravrttâs  tattvâdhigama- 
paribhâvitâç  ca  .  etac  câha  Madhyaraakâvatâre  Candrakïrtib. 

(4)  dmigs-pa  =  âlambana,  upalambha. 

(5)  laukikâ,  mondaine. 


iMADIIYAMAKÂVATÂUA    CHAPITRE    PUEMIEll.  279 

Cette  même  charité,  quand  il  y  a  notion  de  la  triade,  est  appelée 
pàramitâ  naturelle. 

Maintenant,  pour  montrer  par  répétition  la  surabondance  des 
qualités  de  cette  espèce  de  savoir  qui  constitue  la  terre  ci-dessus 
décrite,  l'auteur  dit  : 

17.  «  Telle,  installée  dans  l'esprit  du  fils  du  Victorieux,  revê- 
tant dans  ce  bon  réceptacle  un  éclat  aimable,  triomphe  cette  3îu- 
dità  (ij,  chassant  toutes  les  ténèbres  épaisses,  comme  fait  la  pierre 
de  lune  »  (2). 

Le  mot  «  telle  »  indique  les  caractères  exposés  ci-dessus.  Muditâ 
fait  résonner  le  nom  de  la  terre.  «  triomphe  »  c'est-à-dire  défait 
définitivement  tous  les  [éléments]  contraires.  Cette  [muditâ],  rési- 
dant dans  l'esprit  du  fils  du  Victorieux  qui  a  pour  nature  le  savoir, 
entre  en  activité  (3)  :  la  terre  Pramuditâ  écarte,  de  la  façon  qui  a 
été  expliquée,  tjutes  les  obscurités  épaisses  et  triomphe.  Et  pour 
illustrer  ceci  par  un  exemple,  l'auteur  ajoute  :  «  comme  la  pierre 
de  lune  » . 

Fin  de  la  peemièee 
production  de  pensée  appelee  joyeuse. 


(1)  muditâ  =  joie  =  pramuditâ  «  joyeuse  »,  première  terre  du  Bodhi- 
sattva. 

(2)  candrakântâ. 

(3)  uttisthate  0) 


280  I.K    MISKON. 


[Cll\PITI\K    H 

La  terre  Vhnalû  ou  deuxième  production  de  la  pensée 
d'illumination.] 

(32.13)  L'auteur  a  exposé  la  première  production  de  pensée  du  Bodhi- 

sattva  ;  maintenant,  il  traite  de  la  seconde  et  s'exprime  ainsi  : 

1  a.  «  Possédant  les  pures  qualités  de  la  plénitude  de  la  mora- 
lité, le  [Bodhisattva],  même  en  rêve,  abandonne  la  souillure  de 
l'immoralité  ». 

Les  diverses  espèces  du  savoir  qui  porte  (i)  le  nom  de  «  terre  n 
ont  toutes  la  même  nature  ;  aussi  l'auteur  explique-t-il  le  caractère 
propre  de  la  deuxième  production  de  pensée  et  des  suivantes,  par 
l'éminence  des  qualités,  vertu  transcendante  de  moralité  et  les 
suivantes,  qui  en  sont  inséparables  (2). 

Moralité,  ou  çila,  soit  parce  qu'elle  est  froide  (3),  apaisant  le  feu 
du  remords  de  la  pensée  par  la  résistance  aux  passions  et  la  non- 
production  du  péché  (4),  soit  parce  que,  étant  cause  de  bonheur, 
elle  est  prise  comme  point  d'appui  (s)  par  les  bons. 


(1)  ou  «  qui  portent « 

(2)  Littéralement  :  tadavhidbhûtaçîlapâi'amitâdigiojaprakat'sâd  eva 

Le  sens  parait  être  :  les  diverses  terres  ou  "  productions  de  pensée 

d'illumination  »  comportent  les  mêmes  éléments  ;  elles  sont  diversifiées 
par  la  prééminence  que  chacune  des  vertus  acquiert  dans  chacune  d'elles, 
la  charité  dans  la  piemipre,  la  moralité  dans  la  seconde,  etc.  Mais  toutes 
les  vert\is  existent,  au  moins  en  germe,  dans  la  "  terre  n  du  Bodhisattva, 
dans  la  production  de  pensée  d'illumination,  quelle  qu'elle  soit. 

(3)  citai  a. 

(4)  Traduction  conjecturale,  dandu  len-pa,  d'après  les  lexiques,  signi- 
fie «  to  comply  with  [passions],  to  yield  to  [passions]  »  ;  mais  aussi 
(Schmidt  critiqué  par  Jaschke)  «  sich  anheischig  machen  ».  Il  semble  qu'on 
puisse  comprendre  ni-grah.  —  Les  lexiques  donnent  l'équivalence  yid 
bcags  pa  —  vipraitsâra,  hauk)\ya,  vilehha. 

(5)  àçri  ou  àçl. 


MADHYAMAKAVATARA    CHAPlTKE    II.  281 

La  moralité  a  pour  caractère  les  sept  abandons  (i).  (33.4) 

Il  y  a  trois  choses  :  l'absence  de  concupiscence,  l'absence  de 
haine,  la  vue  correcte,  qui  sont  «  productrices  »  (2)  [de  moralité]. 
C'est  pourquoi,  pour  rendre  compte  de  la  moralité  accompagnée 
de  [ses]  «  producteurs  »,  on  expose  les  dix  chemins  de  l'action. 

Par  plénitude  de  la  moralité  (3)  on  entend  «  excellence  de  la 
moralité  (4)  ».  Pures  qualités  (s),  c'est-à-dire  «  très  pures  quali- 
tés (ô)  ».  En  d'autres  termes,  «  plénitude  de  moralité  parfaitement 
pure  n.  En  raison  de  la  parfaite  pureté  (:)  de  ses  qualités,  la  mora- 
lité est  excessivement  noble  (s). 

Etant  en  possession  de  cette  [moralité],  le  Bodhisattva,  même  en 
rêve,  n'est  pas  souillé  par  les  souillures  de  l'immoralité  (v). 

Mais,  dira-t-on,  comment  deviennent  parfaitement   pures   les       (33. 14) 
qualités  de  la  plénitude  de  la  moralité  'i  —  Le  Bodhisattva,  entrant 
dans  la  deuxième  terre  du  Bodhisattva, 

1  c-d.  «  par  la  pureté  des  démarches  du  corps,  de  la  voix  et  de 
l'esprit,  accumule  en  même  temps  les  dix  bons  chemins  de  l'action.  » 

Ainsi  qu'il  est  dit  dans  la  «  Deuxième  terre  du  Bodhisattva  »  (10)  : 
«  0  fils  du  Victorieux,  le  Bodhisattva  placé  dans  la  terre  du 
Bodhisattva  [nommée]  la  Pure,  est  naturellement  revêtu  des  dix 
bons  chemins  de  l'action.  Quels  sont  ces  dix  chemins?  il  s'abstient 


(1)  'prahcina  ou  virati.  —  S'agit-il  de  l'abandon  de  sept  sarhyojanas  ou 
de  sept  anuçayas,  comme  Anguttaranikâya,  IV,  p.  7,  p.  24?  Il  y  a  huit 
prahânas,  Majjhima  I,  360. 

(2j  samutthàpaka  (voir  Madhyamakavptti,  p,  308,  pour  réquivalence). 
—  Il  s'agit  des  trois  huçalamîlla. 

(3)  çîlasa/hpad. 

(4)  çîlaprabhûtatd  (?) 

(5)  çuddhagu\ia. 

(6)  viçuddhagwia, 

(7)  pariçuddha. 

(8)  ou  «  prend  une  grande  élévation  r<. 
(9j  danhçilya. 

(10)  J'ai  sous  les  yeux  les  fragments,  sou\-ent  peu  lisibles,  du  Daçabhû- 
maka  (Fragments  Bendail)  et  le  Daçablmmîçvara,  Ms.  Dev.  126,  fol.  23  b 
et  suivants.  —  Comparer  Brahmajâlasutta,  1.  1.  S  ;  Sumangalavil.  p.  69. 

2u 


28â  i'E    MLSÉON. 

du  meurtre  ;  il  a  déposé  bâton,  épée,  hostilité  ;  il  a  honte  [du 
meurtre]  ;  affectionné,  il  est  compatissant  pour  le  bien  et  le  bonheur 
de  tous  les  êtres  vivants  ;  sa  pensée  est  tendre  ;  même  en  imagina- 
tion, il  ne  lait  pas  de  mal  aux  vivants  :  à  plus  forte  raison  n'intlige- 
t-il  pas  des  injures  corporelles  (i),  avec  préméditation  (?),  aux 
autres  créatures  qu'il  sait  être  des  créatures. 

Il  s'abstient  de  prendre  ce  qui  n'est  pas  donné,  satisfait  de  ce 
qu'il  a,  compassionné  (sj,  ne  désirant  pas  ce  que  les  autres  ont  ; 
considérant  comme  biens  d'autrui  les  bieus  qui  sont  eu  possession 
d'autrui,  il  ne  prend  pas,  avec  une  pensée  de  vol  (4),  même  une 
feuille  ou  un  brin  d'herbe  qu'on  ne  lui  donne  pas,  à  plus  forte 
raison  d'autres  choses  nécessaires  à  l'existence. 

Il  s'abstient  de  l'amour  défendu,  satisfait  de  son  épouse,  ne 
désirant  pas  les  épouses  des  autres.  Pour  les  épouses  d'autrui, 
femmes  en  la  possession  d'autrui,  pour  celles  qui  sont  sous  la 
tutelle  d'un  clan,  de  l'étendard  ou  de  la  religion  (5),  il  ne  forme 
pas  de  convoitise.  Que  dire  de  l'union  charnelle  ou  d'une  décla- 
ration d'amour  ?  (e) 

Il  s'abstient  du  mensonge  (7),  véridique,  disant  ce  qui  est,  disant 
au  moment  voulu,  faisant  comme  il  dit  [qu'il  fera]  ;  enfin,  même 
en  rêve,  s'arrêtant  à  vue,  inclination,  opinion,  avis  (s),  il  ne  dit  pas 


(1)  audarikakàyavihethayâ. 

(2)  scahcintya. 

(3)  compassionné  manque  dans  le  sanscrit. 

(4)  steyacittam  iipasthâpya. 

(5)  gotradhvojadharmaraksitâ  ;  voir  l'énumération  de  Mahâvyutpatti, 
281, 251  et  suiv.  :  pitrraksitri,  nifitro,  bhrâtr",  bhaginî»,  rvaçurao,  rvaçrû", 
jfuiti",  gotra°  et  217  dhvajahûtâ  (0  —  M.  Kd.  Miiller  me  signale  les  dasa 
iithio  et  les  dasa  bliariyâyo  de  Vinaya,  III,  13i*-140  (Oldenberg)  ;  il  ajoute 
gottarakhhiià  =  protégée  par  le  yotra,  la  famille  ;  dhnmmat'akkhitâ 
—  protégée  par  ceux  qui  appartiennent  à  la  môme  religion  ;  dhajàhatà 
{dhvajahrtcl)  =  karamarânltâ  =  faite  prisonnière  en  guerre  (Trik.  2. 
8.  63.  Hem.  Dec.  ii,  15,  Hâr.  209,  Pâiyal.  106). 

(6)  dv'indriyasamâpatti,  anangavijnapti^  même  formule  Çiksâsa- 
muccaya  78,  13. 

(7)  anrtavacuna. 

(8)  Passage  obscur  :  vinidhâya  dj'stiih  ksântim  rucarn  niatiiii  preksâm 

[Dev.  126  prajùâm]  visamvadanâbhiprâyo —  Le  tibétain  semble  omettre 

mati,  traduit  prajùâ  par  rnh-ia  rlogs-pa  et  vinidhâya  par  bsgyur-te, 
=  altérer,  traduire.  —  Comparer  majjh.  II.  p.  43, 1.  11. 


MADHYAMAKÂVATÂUA    CHAPITRE    M.  285 

une  parole  fausse  avec  l'intention  de  tromper  ;  à  plus  forte  raison 
un  Dflensonge  prémédité  (i). 

Il  s'abstient  de  la  parole  de  scandale  ;  attaché  à  ne  pas  diviser, 
à  ne  pas  blesser  les  créatures,  il  ne  répète  pas  aux  uns  ce  qu'il  a 
entendu  des  autres  pour  irriter  les  uns,  il  ne  répète  pas  aux  autres 
ce  qu'il  a  entendu  des  uns  pour  irriter  les  autres  ;  il  ne  divise  pas 
ceux  qui  sont  unis  ;  il  n'excite  pas  ceux  qui  sont  divisés  (2)  ;  il 
ne  dit  pas,  se  plaisant  dans  la  discorde,  visant  la  discorde,  une 
parole  vraie  ou  fausse  qui  cause  la  discorde  (3). 

Il  s'abstient  de  la  parole  injurieuse  (4)  ;  il  ne  dit  pas  une  parole 
de  blâme  (5),  rude  (g),  amère  pour  autrui  (7),  critiquant  autrui  (s), 
grossière,  impolie  (9),  [parole]  d'invective  ou  tendant  à  l'invec- 
tive (10),  non  exempte  de  défauts  (11),  déplaisante  à  l'oreille, 
prononcée  par  colère  et  mécontentement,  non  mélodieuse  (12), 
antipathique  (13),  brûlant  le  cœur  (14),  affligeant  l'esprit  (15),  menant 
à  la  perte  l'âme  d'autrui  et  la  sienne  (le).  vS'abstenant  de  semblable 
parole,  il  prononce  une  parole  tendre,  douce,  plaisante  à  l'esprit, 
exempte  de  défauts  (n),  agréable  à  l'oreille,  allant  au  cœur,  cour- 


(1)  samanvàhrtya. 

(2)  na  hhinnânâm  anupradànayk  karoti.  —  sahitànâm  va  anuppà- 
cîdiâ  :  «  he  lives  as  au  encourager  of  those  who  are  friends  ». 

(3)  vyagrakaranï.  —  Voir  p.  317, 1.  11. 

(4)  Voir  Mahâvyutpatti,  20. 

(5)  garhana. 

(6)  karkaça. 

(7)  paràkatuka  (?) 

(8)  parcibhisarhjananl  (?) 

(9)  grâmyà  pârthagjanahï  ;  le  Ms.  Dev.  a  grâmyâ  apâryâ. 

(10)  anvaksâ,  anvaksapragbhàrà,  «  paroles  dites  à  la  tigure  ». 

(11)  Le  tibétain  porte  rdzun  =  «  fausse  »  ;  le  sanscrit  anelà  =  dés- 
agréable. —  Voir  ci-dessous  note  17. 

(12)  manque  ici  dans  le  sanscrit,  (mi  snan-pa). 

(13)  amanaâpà. 

(14)  hrdayaparidahanï. 

(15)  manahsamtàpakarl.  —  Le  sanscrit  ajoute  apriyâ  amanojnâ. 

(16)  svapat^asanitânavinàçinî. 

(17)  nelâ  (rdzun-du  ma  yin-pa).  Le  sens  me  paraît  fixé  par  la  position  de 
ce  mot  avant  karnasuhha.  —  L'explication  de  Buddhaghosa,  Suman- 
galavil.  p.  75,  Dialogues,  p.  5,  «  blameless  n,  et  de  M.  E.  Senart,  Mahâ- 
vastu,  I,  p.  605,  ad  314,  14  (nela  =  neja  -=na  -\-  ela  pour  enas).  Il  faut 
noter  que  Mahâvyutpatti,  20,  10,  anelà  (mi  tshugs-pa),  «  not  doing 
harm  »,  est  une  des  caractéristiques  de  la  parole  de  Bouddha. 


284  LL    MUSÉON. 

toise  (i),  agréable  au  cœur  de  la  foule  (2),  sympathique  à  la  foule, 
réjouissant  Tesprit  (a),  récoufonaat  l'esprit  (4),  réjouissaut  Tàme 
d'autrui  et  la  sienne  :  telle  est  sa  parole. 

Il  s'abstient  des  discours  inutiles  (5)  ;  sa  parole  est  ad  hoc  (ti)  ; 
il  parle  au  moment  voulu,  dit  les  choses  comme  elles  sont,  dit 
des  choses  utiles,  parle  de  la  Loi,  dit  des  choses  logiques  (7),  parle 
d'après  la  rè^le  de  conduite  ;  son  discours  comporte  une  prudente 
habileté  et  des  demandes  faites  à  propos  (s).  Enlia,  il  s'abstient 
et  persiste  à  s'abstenir  (9)  même  de  tout  récit  historique  (loj,  à 
plus  forte  raison  de  la  dissipation  en  parole  (11). 

Il  est  sans  pensée  de  convoitise  (1-2).  Pour  les  biens  d'autrui,  les 
plaisirs  d'autrui,  les  jouissances  d'autrui  (laj,  les  objets  (u)  en  pos- 
session d'autrui,  il  n'engendre  pas  de  pensée  de  désir,  il  ne  forme 
pas  d'attachement,  il  n'a  pas  d'intention,  il  n'engendre  pas  de 
pensée  d'attachement. 

Il  est  sans  pensée  de  malveillance  ;  pour  toute  créature,  il  a  une 
pensée  d'amitié,  d'utilité  (15),  de  compassion,  de  bonheur,  de  ten- 
dresse ;  il  a  la  pensée  de  rendre  service  à  tous  les  hommes  :  donc 


(1)  Le  sanscrit  ajoute  :  varnavispasLâ  vijneyâ  çravar},iyâ  aniçritâ. 

(2)  bahujana". 

(3)  manahprahlàdanakarl. 

(4)  manaaudbilyaharl 

(5)  saynbhinnapt^alàpa  —  Dev.  126  :  iidndpraîâpa. 

(6)  Littéralement  :  "  parole  de  bonne  réponse  n  (supratikdravacana  ?)  ; 
Dev.  126  porte  :  parsatpratihâryavacana  ;  lacune  dans  le  Ms.  Beudall. 
Cette  formule  manque  au  pâli. 

(7)  nydyavddin.  —  Manque  au  pâli. 

(8|  vinayavddin,  sanidhdtiavatuh  vâcaiii  bhdsatc  kdlena  sdvadd- 
ndm  (Dev.  sâpadânâm),  —  Pâli  :  nidhânavatiih  vâcam  bhâ^itâ  kâlena 

sâpadesam  pariyantavatim :  «  he  speaks,  and  at  tlie  right  time,  words 

worthy  to  be  laid  up  in  one's  heart,  titly  illustrated,  clearly  divided  ». 

(9j  parihdrya  pariharati.  —  La  version  tibétaine  est  peu  claire  comme 
syntaxe. 

(10)  itihdsa.  —  Voir  Çiksâmuccaya,  52,  ig. 

(11)  vàgvikfepa. 

(12)  anabhidhyûhi, 

(13)  parabhoya, 

(14)  vitlopakararjia, 

(15)  hitacitta. 


MADHYAMAKAVATÂUA    CHAPITRE    II.  285 

toutes  les  pensées  de  colère,  d'inimitié,  de  rancune,  de  dénigrement, 
de  malveillance,  d'hostilité  (i),  etc.,  il  les  abandonne,  et  il  nourrit 
les  pensées  pénétrées  d'amitié. 

Il  s'abstient  de  la  vue  fausse  ;  étant  de  vue  correcte  et  placé 
dans  le  chemin  correct  (s),  il  est  exempt  des  opinions  erronées  sur 
les  pratiques  religieuses  et  des  diverses  superstitions  (?)  ;  il  est  de 
vue  droite  (4),  sans  ruse  et  artifice  (5)  ;  son  intention  est  fixée  (e) 
sur  le  Bouddha,  la  loi  et  la  congrégation.  » 

Les  trois  premiers  bons  chemins  de  l'acte  sont  accomplis  par  le 
corps  ;  les  quatre  suivants  par  la  voix  ;  les  trois  derniers  par 
l'esprit.  —  C'est  ainsi  que  le  [Bodhisattva]  accumule  en  même 
temps  les  dix  bons  chemins  de  l'acte. 

Mais,  dira-t-on,  le  Bodhisattva  qui  a  produit  la  première  pensée       (37.6) 
n'accumule-t-il  pas  ces  dix  chemins  de  l'acte  ?  —  Il  les  accumule 
sans  doute,  mais,  toutefois 

2  a-b.  «  quand  il  est  entré  dans  cette  [deuxième  terre],  tous  les 
dix  bons  chemins  de  l'acte  deviennent  extrêmement  purs  ;  » 

et  il  n'en  est  pas  de  même  pour  le  Bodhisattva  qui  a  produit  la 
première  pensée. 

2  c-d.  Semblable  à  la  lune  d'automne,  toujours  parfaitement 
pur,  il  rayonne,  éclatant  de  paix,  par  ces  [chemins  de  l'acte]. 

Par  «  paix  n  on  entend  la  contrainte  des  sens  (7)  ;  par  «  éclatant  », 
possédant  un  corps  d'apparence  lumineuse. 

Mais  la  moralité  fut-elle,  de  la  sorte,  parfaitement  pure,  /^j  ^^\ 


(1)  krodha-upanàha-khila-mala-vyâpàda-pi'citigha. 

(2)  samyakpatha. 

(3)  Kautuhamangalannnàpraliâ.rahuçl.laârsfivigata.  —  Comparer 
Abhidhannakoi'avyâkhyfi,  324  a  :  kautukamai'igalatitliimuhûrtanaksa- 
ti'âdidfsti. 

(4)  rjudrsti. 

(5)  açatho  'màyàvi.  —  Voh'  Çiksâs,  53,  1. 

(6)  °niyaicirayah . 

(7)  indriyasamvara. 


3  a-b.  «  Si  le  [Bodhisattva]  voit  dans  la  pureté  de  la  moralité 
quelque  chose  de  réel,  par  le  fait  même,  il  n'est  pas  de  pure 
moralité.  » 

C'est  ce  qu'enseigne  l'Aryarainakûta  (i)  :  «  0  Kâçyapa,  si  quelque 
religieux  est  doué  de  moralité,  est  lié  de  la  contrainte  de  la  règle 
disciplinaire,  possède  la  plénitude  de  la  bonne  conduite,  voit  un 
danger  dans  les  plus  petites  fautes,  pratique  les  points  de  précepte 
desquels  il  a  fait  vœu  (2),  devient  participant  à  la  pureté  parfaite 
des  actes  corporels,  vocaux  et  intellectuels,  et  qu'il  soit  partisan 
du  «  moi  »  :  c'est  là,  ô  Kâçyapa,  le  premier  manquement  à  la 
moralité  de  celui  qui  possède  la  moralité  (3)  »,  et  le  reste,  jusque  : 
"  En  outre,  ô  Kâçyapa,  si  même  quelque  religieux  a  fait  vœu  des 
douze  qualités  ascétiques,  et  qu'il  croie  à  un  support  (4)  [des  che- 
mins de  l'acte],  qu'il  réside  dans  la  croyance  au  «  moi  »  et  au 
«  mien  «  :  c'est  là,  ô  Kâçyapa,  le  quatrième  manquement  à  la 
moralité.  » 

3  e-d.  «  Par  conséquent  il  est  toujours  complètement  exempt 
des  démarches  de  l'idée  de  dualité  relativement  aux  trois  [supports 
de  l'acte]  ». 

Il  est  exempt  de  l'idée  de  dualité,  c'est-à-dire  des  idées  d'exis- 
tence et  de  non-existence,  etc.,  relativement  à  ces  trois  [données]  à 
la  fois  :  les  créatures  à  l'égard  desquelles  il  y  a  abstention  [du 
meurtre,  etc.],  l'abstention  elle-même,  l'être  qui  s'abstient. 
(38.16)  Ayant  de  la  sorte  et  jusqu'ici  parlé  des  Bodhisattvas  qui  sont 

revêtus  de  la  moralité  (5),  voulant  en  outre  montrer  que,  d'une 

(1)  Voir  dans  Çiksâsamuccaya  (52.  10,  54.  n,  146. 4,  148.  s)  des  extraits 
de  ce  sQtra  traitant  de  points  de  doctrine  analogues. 

(2)  Même  phraséologie  dans  les  soui'cos  pâlies,  par  exemple  Majjhima, 
I.  p.  30  :  sampannasïlâ  sampannapatimokkhri  pâtiraokkhasamvarasam- 
vutâ  âcâragocarasampannâ  anumattesu  vajjesu  bhayadassâvï  samâdâya 
sikkhatha  eikkhâpadesu. 

Ci)  prathamani  (;îlavatprativarnikam  dauljçilyam  (?)  —  prntivarnika 
(entsprecliend),  dans  les  Lexx. 

{\)  dlambayiadrstika  (?)  —  croyant  à  la  réalité  du  meurtrier,  du 
meurtre,  du  tué,  etc. 

(5)  çîlasampad. 


MADIIVAMAKÂVATAU.V    CHAPITRE    II.  287 

manière  générale,  pour  les  non-Bodhisattvas  (i),  la  moralité  est 
chose  beaucoup  plus  importante  que  la  charité,  etc.,  et  qu'elle  est 
le  fondement  de  toutes  les  qualités  (2),  l'auteur  s'exprime  en  ces 
termes  : 

4a-b.  «  Les  jouissances,  qui  procèdent  de  la  charité,  se  produi- 
sent, fut-ce  dans  les  mauvaises  destinées,  pour  les  hommes  privés 
des  pieds  de  la  moralité  (3)  ». 

C'est  de  la  charité  seule  que  naissent,  pour  les  charitables  (4)  (39.4) 
doués  de  moralité,  des  jouissances  extrêmement  élevées  (5)  dans 
les  destinées  humaines  et  divines.  Mais  les  mêmes,  manquant  des 
pieds  de  la  moralité,  tombent  dans  les  mauvaises  destinées,  renais- 
sant parmi  les  damnés  à  court  terme  (e),  les  taureaux,  les  chevaux, 
les  grands  éléphants,  les  singes,  les  nàgas,  etc.,  \qs prêtas  à  pouvoir 
magique  (-),  etc.,  et  c'est  là  qu'ils  obtiennent  les  diverses  sortes  de 
jouissances  (s).  —  Par  conséquent, 

4  c-d.  «  la  masse  des  biens  périssant  en  même  temps  que  ce  qui 
la  produit,  il  n'y  aura  plus  de  jouissances  dans  l'avenir  ». 

Si  quelqu'un,  ayant  semé  une  très  petite  quantité  de  semence,  (39.14) 
obtient  une  grande  quantité  de  fruits,  et,  à  nouveau,  pour  obtenir 
des  fruits,  sème  une  quantité  de  semence  beaucoup  plus  grande 
[que  la  première  fois]  ;  au  temps  convenable  se  produira  pour  lui, 
par  une  série  ininterrompue  d'accroissement,  une  grande  quantité 
de  fruits.  Mais  si  quelqu'un,  par  stupidité,  dilapidateur  de  ce  qu'il 


(1)  tadanya. 

(2)  gunasampacl. 

(3)  çllapàdavipanna  (?).  Sur  la  valeur  de  pâda,  voir  ci-dessous  310,  n.  1. 

(4)  dàncUmaka. 

(5)  ou  "  très  nobles  »  :  khyad-par-du  hphyags-pa. 

(G)  prâdeçika.  —  L'équivalence  parait  certaine  ;  voir  ci-dessous  43,  n.  1. 
—  On  voit  que,  dans  le  Grand  Véhicule,  des  enfers  particuliers  sont  réser- 
vés, non  seulement  aux  Bodhisattvas,  mais  encore  aux  «  charitables  » 
en  général. 

(7)  maharddhika.  —  Les  animaux  énumérés  s'opposent  aux  «  petits 
animaux  ». 

(8J  nànâbhogasampad  (?) 


288  LE    MISÉON. 

a  fait,  consomme  les  premières  semences  telles  quelles,  la  masse 
des  fruits  étant  perdue  du  même  coup  que  ce  qui  les  produit,  d'où 
se  produirait  pour  lui  une  récolte  de  fruits  à  venir  V  De  même, 
celui  qui,  par  manque  de  moralité,  consomme  des  jouissances  hors 
de  place  fi),  il  ne  fait  pas,  par  stupidité,  de  nouvelles  semailles  ;  il 
consomme  entièrement  ce  qu'il  avait  semé  auparavant  ;  donc,  pour 
lui,  la  production  de  jouissances  dans  l'avenir  est  impossible. 
(40.5)  jj'on  seulement  la  production  dos  jouissances  est  presque  impos- 

sible (2)  pour  celui  auquel  manquent  les  pieds  de  la  mora- 
lité, mais  encore,  tombé  dans  les  mauvaises  destinées,  il  lui 
est  presque  impossible  d'eu  sortir.  C'est  ce  que  l'auteur  expose 
dans  ces  termes  : 

5.  «  Si,  alors  qu'il  est  son  propre  maître  et  placé  dans  une 
situation  favorable,  il  ne  se  dompte  pas  lui-même,  plus  tard,  tombé 
dans  l'abîme  infernal,  livré  au  pouvoir  d'autrui,  comment  pourra- 
t-il  en  sortir  ?  » 

Si,  alors  qu'il  n'est  pas  au  pouvoir  d'autrui,  alors  qu'il  se  trouve 
dans  les  destinées  humaine,  divine,  etc.,  semblable  à  un  héros  libre 
d'entraves  et  placé  dans  des  conditions  d'égalité  (3),  volontairement 
il  ne  se  dompte  pas  lui-même  ;  plus  tard,  semblable  au  héros  chargé 
d'entraves  qu'on  précipite  dans  un  abîme  profond,  tombé  dans  les 
mauvaises  destinées,  comment  en  sortira-t-il  ?  Donc,  frappé  [à  mort 
par  l'immoralité],  il  est  voué  aux  mauvaises  destinées.  Et  si,  dans 
la  suite,  il  lui  arrive  de  naître  parmi  les  hommes,  il  subira  la  dou- 
ble fructification  [du  péché]  (4), 
(41. 1)  Puisque,  comme  on  vient  de  le  voir,  l'immoralité  comporte  une 

très  grande  masse  d'inconvénients  (5), 

6  a-b.  «  Pour  cette  raison,  le  Victorieux,  après  avoir  prêché  la 
charité,  a  prêché  la  moralité  (e)  ». 


(1)  asthâna. 
(2)atidurlabha. 

(3)  Allusion  à  un  combat  judiciaire  (?) 

(4)  Voir  p.  290,  n.  1  et  suiv. 

(5)  atibahudosasthônam. 

(6)  çîlâyiugahathà. 


MADIIYAMAKÂVATAHA    CIIAPIJUE    H.  289 

Pour  cette  raison,  le  [Bouddha  qu'on  appelle  le]  Victorieux  par- 
ce qu'il  a  triomphé  d'innombrables  principes  de  péché,  pour  la 
sauvegarde  (i)  des  qualités,  charité,  etc.,  a  prêché  la  moralité 
immédiatement  après  avoir  prêché  la  charité. 

Parce  que  (41  .s) 

6  c-d,  «  les  qualités  se  développant  dans  le  champ  de  la  mora- 
lité, la  jouissance  ne  sera  pas  interrompue  n. 

La  moralité  est  un  champ  parce  qu'elle  est  le  point  d'appui  de 
toutes  les  qualités.  Dans  ce  [champ]  se  développent  les  qualités, 
charité,  etc.  ;  se  développe,  par  la  succession  ininterrompue  et 
ascendante  des  causes  et  des  effets,  la  moisson  des  fruits  qui  seront 
comestibles  dans  un  temps  éloigné.  Il  n'en  est  pas  de  même  dans 
le  cas  contraire,  [lorsque  le  champ  de  la  moralité  fait  défaut]. 

Par  conséquent  et  comme  nous  l'avons  vu  : 

7.  «  Pour  les  hommes  ordinaires,  pour  les  [Çrâvakas]  nés  de  la 
parole  [du  Bouddha],  pour  les  prédestinés  à  l'illumination  des 
Pratyekabuddhas,  pour  les  fils  du  Bouddha,  il  n'y  a  pas,  fors  la 
moralité,  d'autre  cause  de  la  félicité  suprême  et  du  bonheur 
temporel  ». 

A  ce  sujet  on  lit  [dans  un  Sûtra]  (2)  :  «  Les  dix  mauvais  chemins 
de  l'acte,  quand  on  les  pratique  et  affectionne  extrêmement,  sont 
causes  d'enfer  ;  médiocrement,  cause  de  matrice  animale  ;  faible- 
ment, du  monde  de  Yama  (3).  Le  meurtre,  d'abord,  conduit  en 


(1)  avipranâça. 

(2)  Dans  le  Daçabhûmaka  (obhûmîçvara),  chapitre  ii.  —  Comparer 
Anguttaranikâya,  IV,  p.  247,  dont  la  phraséologie  est  très  voisine  :  pânâ- 
tipâto  bhikkhave  âsevito  bhâvito  bahulïkato  nirayasaihvattaniko  tirac- 
chânayonisamvattaniko  pittivisayasamvattaniko.  yo  sabbalahuso  pânâ- 
tipâtassa  vipâko  manussabhûtassa  appâyukasamvattaniko  hoti.  —  Les 
vipâkas  sont,  dans  l'ordre,  bhogavyasana,  sapatnavera,  abhiitabbhak- 
khâna,  bhedana,  amanaâpasabda,  anâdeyavâcâ  ;  les  péchés  de  l'esprit 
sont  remplacés  par  le  surâpàna. 

(3)  ime  khalu  punar  daçâkuçalâh  karmapathâ  adhiraâtratvâd  âsevitâ 
bhâvitâ  bahulikrtâ  nirayahetur,  madhyatvât  tiryagyonihetur,  mpdutvâd 
yamalokahetu^i. 


290  LK    MUSÉON. 

enfer,  dans  la  matrice  animale,  dans  le  monde  de  Yama  ;  et  si,  par 
la  suite,  on  vient  à  naître  parmi  les  hommes,  il  produit  une  double 
fructification  :  vie  courte,  nombreuses  maladies  (i).  Le  vol  conduit 
en  enfer....  ;  jusque  :  peu  de  jouissances,  jouissances  communes  (2). 
L'amour  défendu  conduit  en  enfer...  ;  jusque  :  entourage  n'inspi- 
rant pas  la  confiance,  épouse  infidèle  (3).  Le  mensonge  conduit 
en  enfer  ....  ;  jusque  :  nombreuses  calomnies,  contradiction  d'au- 
trui  (4).  La  parole  de  scandale  conduit  en  enfer...  ;  jusque  :  discorde 
avec  sou  entourage,  mauvais  entourage  (5).  La  parole  injurieuse 
conduit  en  enfer....  ;  jusque  :  entendre  des  [paroles]  désagréables, 
être  querellé  (e).  La  parole  inconsidérée  conduit  en  enfer....  ;  jus- 
que :  ne  pas  être  cru,  s'exprimer  mal  (7).  La  pensée  de  convoitise 
conduit  en  enfer....  ;  jusque  :  dissatisfaction,  grands  désirs  (s).  La 

pensée  de  malveillance  conduit  en  enfer ;  jusque  :  désir  du 

nuisible,  mauvais  traitements  d'autrui  (9).  La  vue  fausse  conduit 
en  enfer,  dans  la  matrice  animale,  dans  le  monde  de  Yama  ;  et  si, 
par  la  suite,  on  vient  à  renaître  parmi  les  hommes,  elle  produit 
une  double  fructification  :  mauvaises  doctrines,  artifice  (10).  —  C'est 
ainsi  que  les  dix  mauvais  chemins  de  l'acte  accumulent  une  incal- 
culable masse  de  souffrance  ». 
(11)  «  Au  contraire  la  pratique  des  dix  bons  chemins  de  l'acte 


(1)  prânâtipâto  nirayam  upanayati,  tiryagyonim  upanayati,  yamalokam 
upanayati.  atha  cet  punar  manusyesûpapadyate  dvau  vipâkâv  abhinir- 
vartayaty  alpâyuskataih  ca  bahumlânatâih  (?)  ca. 

(2)  parïttabhogatâ,  sàdhdranabhogatà. 

(3)  anàjâneyaparivdratâ,  sasapatnakalatratâ  (°dâratâ,  Dev.  126). 

(4)  abhyàhhyànabahidatâ,  parair  visamvâdanatâ. 

(5)  bhinnaparivàratà,  hlnaparivàratâ. 

(6)  amanàpaçravcmatà,  kalahavacanatd .  (Dev.  126  :  kalahatâ). 

(7)  anâdeyavacanaià  ,  aniyatapratibhânatâ. 

(8)  asamtusiîtâ,  mahecchatâ. 

(9)  [ana}'theccha]tà,  parotpidanatâ  (manque  dans  Dev.  126). 

(10)  hudrstipatitaç  ca  bhavati  çafhaç  ca  màyàvi. 

(11)  punaU  kuçalânârn  karinapathânruii  sainrulânahctor  manuijyopapat- 
tim  âdiih  kftvâ  yâvad  bbavâgritiii  ity  upapattayati  prajùâyanle  —  [tata] 
uttaram  ta  eva  daça  kuçalâ^i  kaimapathâl.i  prajûâkârena  paribhâvya- 
mânâU  prâdeçikacittatayâ  traidliâtukotti'astamânasatayri  nialiâkarunâ- 
vikalatayâ  paratab  çravanânugamena  gliosânugamena  ca  çrâvakayânaih 


MADHYAMAKÂVATÂRA    CHAPITIIE    11.  291 

produit  la  renaissance  [dans  les  mondes  supérieurs]  depuis  les 
dieux  et  les  hommes  jusqu'au  sommet  des  existences.  Mieux 
encore,  cultivés  par  la  pensée  de  l'impermanence  (i),  l'esprit  de 
crainte  à  l'égard  des  trois  sphères  [de  l'existence],  l'absence  de  la 
grande  pitié,  l'espèce  de  science  qui  suit  la  parole  et  vient  à  la 
suite  de  l'audition  d'autrui,  les  dix  bons  chemins  de  l'acte  pro- 
duisent le  Véhicule  des  Çrâvakas.  Mieux  encore,  parfaitement 
purifiés  par  la  non-conduite  par  autrui,  par  l'illumination  person- 
nelle, par  l'absence  de  la  grande  pitié,  par  l'absence  d'habileté 
dans  les  moyens,  par  l'intelligence  du  profond  système  de  la 
production  par  les  causes,  ils  produisent  le  Véhicule  des  Pratye- 
kabuddhas.  Mieux  encore,  parfaitement  purifiés  par  la  possession 
d'une  très  étendue  et  incommensurable  pitié  et  compassion,  l'habi- 
leté dans  les  moj'^ens,  les  grandes  résolutions  parfaitement  liées,  le 
non-abandon  de  toutes  les  créatures,  la  prise  comme  objectif  du 
savoir  très  étendu  du  Bouddha,  ils  produisent  la  parfaite  pureté 
de  la  terre  du  Bodhisattva,  la  parfaite  pureté  de  la  vertu  transcen- 
dante, le  grand  développement  de  la  pratique  ». 

Et  le  reste. 

Par  conséquent,  en  dehors  de  ces  dix  bons  chemins  de  l'acte, 
pour  les  hommes  ordinaires,  les  Çrâvakas,  les  Pratyekabuddhas  et 
les  Bodhisattvas,  il  n'y  a  pas  d'autre  moyen  d'obtenir,  suivant  leur 
capacité  (2),  le  bonheur  temporel  des  bonnes  destinées  (3)  et  la 


saihvartayanti.  —  tata  uttarataram  paricodhitâ  [a]parapraneyatayâ 
svayambhûtvânukûlatayâ  svayam  abhisambodhanatayâ  parato  'parimâr- 
ganatayâ  mahâkarunopâyavikalatayâ  gambhïredampi'atyayânubodha- 
nena  pratyekabuddhayânarh  sarhvartayanti.  —  tata  uttaratararîi  pari- 
codhitâ vipulâpramânatayâ  mahâkarunopetatayâ  upâyakauçalasariigrhï- 
tatayâ  sambaddhamahâpranidhânatayâ  sarvasattvâparityâgatayâ  bud- 
dhajfiânavipulâdhyâlambanatayâ  bodhisattvabhûraipariçuddhyai  pâra- 
mitâpariçuddhyai  caryâvipulatvâya  sarâvartante.  —  tata  uttarataram 
pariçodhitâti  sarvâkârapariçodhitatvâd  yâvad  daçabalabalatvâya  sarva- 
buddhadharmasamudâgamâyasamvartante  tasmât  tarhy  asmâbhih 

(1)  prâdeçikacitta.  Le  sens  est  fixé  par  le  tibétain  :  «  éphémère  n.  — 
Le  même  terme  (ni-tshe-ba)  désigne  les  damnés  à  court  terme  ~  On  a 
prâdeçikaydna,  Çiksâsamuccaya  183.io,  Mahâvyutpatti,  59.5. 

(2)  yathâyogam. 

(3)  àbhyudaya-sarhsàrasuhha. 


292  LE    MLSÉO.N. 

félicité  suprême  (i),  laquelle  a  pour  caractère  la  délivrance,  qui, 
de  sa  nature,  n'est  ni  bonheur  ni  souffrance.   Ceci  est   exposé 
claireoaent. 
(44.18)  Le  Bodhisattva  qui  possède  la  deuxième  production  de  pensée, 

8.  «  de  même  qu'il  y  a  incompatibilité  entre  l'océan  et  la  saveur 
douce,  entre  la  prospérité  et  la  calamité,  de  même  entre  ce 
magnanime,  soumis  à  la  moralité  (2),  et  Timmoralité  «. 

«  calamité  n,  c'est-à-dire  «  non-prospérité  «. 
(45.4)  L'auteur  expose   les  subdivisions  de  la  vertu  transcendante, 

relativement  à  la  moralité  qu'il  a  décrite  : 

9  a-c.  «  Quand  il  y  a  idée  de  la  triade,  celui  qui  s'abstient,  l'ab- 
stention, l'objet  de  l'abstention,  la  moralité  est  nommée  vertu 
transcendante  naturelle  (3)  d  . 

L'auteur  montre  que  la  moralité,  quand  il  y  a  idée  de  la  triade, 
est  une  vertu  transcendante  naturelle. 

9  d.  «  Vide  d'attachement  à  cette  triade,  elle  est  surnatu- 
relle (4)  «. 

L'auteur  dit  que  cette  même  moralité,  en  l'absence  de  l'idée  de 
cette  triade,  est  une  vertu  transcendante  surnaturelle. 

(45.13)  L'auteur,  en  rappelant  les  qualités  de  cette  [deuxième]  terre  (5), 

précise  la  manière  d'être  de  la  vertu  transcendante  de  moralité  : 

10.  «  Issue  de  cette  lune  qu'est  le  fils  du  Victorieux,  non  du 
monde,  gloire  du  monde,  cette  [terre]  Immaculée,  vierge  de 
souillures,  comme  la  lumière  (e)  de  la  lune  d'automne,  chasse 
la  chaleur  qui  tourmente  l'âme  des  créatures  « . 


(1)  naihçreyasasukha. 

(2)  çllavaçihrta. 

(3j  laukika  ;  voir  ci-dessus  I.  10. 

(4)  lohottara. 

(5)  yathoktàyâ  bhûmer  gtcnànuvàdadvàreno . 

(6)  prabhà. 


MADHYAMAKÀVATÀRA    CHAPITRE    II.  293 

«  Immaculée  «  (i),  parce  que,  en  vertu  des  dix  bons  chemins  de 
l'acte,  elle  est  vierge  de  souillures  :  c'est  le  nom,  conforme  à  la 
chose,  de  la  deuxième  terre  (2).  De  même  que  l'immaculée  lumière 
de  la  lune  chasse  les  tourments  (3)  des  hommes,  de  même  cette 
Immaculée,  issue  de  la  lune  qu'est  le  fils  du  Victorieux,  chasse 
les  brûlures  (3)  de  l'âme  faites  par  l'immoralité.  Comme  elle  n'est 
pas  contenue  dans  le  cercle  des  transmigrations,  elle  n'est  pas  du 
monde  (4)  ;  mais  elle  est  la  gloire  (sj  du  monde,  parce  que  toutes 
les  qualités  en  foule  la  suivent,  parce  qu'elle  engendre  la  majesté 
de  «  souverain  des  quatre  continents  »  (ô). 


Fin  de 

la  deuxième  production  de  pensee. 


I 


(1)  vimalci. 

(2)  Comparer  SQtrâlarhkâra,  XX,  32, 

(3)  âtâpa. 

(4)  bhava. 

(5)  çrî. 

(fi)  càturdvïpaha-îçvara-sampad.  —  Le  Bodhisattva  qui  possède  cette 
terre  renaît  en  qualité  de  Grand  Cakravartin. 


■201  FF,    MISl'.ON. 


[Chapitre  III. 

La  terre  Prahliâliarl  on  Iroisicme  production  de  la  pensée 
d'illumination]. 

(46.11')  Maintenant  l'auteur  traite  de  la  troisième  production  de  pensée, 

et  dit  : 

1  a-b.  «  Comme  [dans  cette  terre]  apparaît  la  lumière  du  feu  qui 
consume  entièrement  le  combustible  [appelé]  «  connaissable  n, 
cette  troisième  terre  est  la  Lumineuse  (i)  r . 

«  Lumineuse  »,  tel  est  le  nom  de  la  troisième  terre  du  Bodhi- 
sattva.  —  «  Pourquoi  est-elle  lumineuse  ?  »  dira-t-on.  —  L'auteur 
montre  la  conformité  [du  nom]  avec  la  chose  :  on  nomme  cette 
terre  la  Lumineuse,  parce  que,  en  ce  moment,  apparaît  la 
lumière  (2)  du  feu,  fait  de  paix  (3),  du  savoir  qui  consume  entière- 
ment le  combustible  [appelé]  connaissable  (4).  Quand  lia  produit 
la  troisième  pensée  : 

1  c-d.  «  dans  le  fils  du  Victorieux,  en  ce  moment,  apparaît  une 
splendeur  (5)  couleur  de  cuivre,  comme  [celle]  du  soleil  n. 

De  même  que,  avant  le  lever  du  soleil  (g),  apparaît  une  splendeur 
couleur  de  cuivre  (7),  de  même  aussi  dans  le  Bodhisattva  apparaît 
alors  la  splendeur  du  savoir. 


(1)  Comparer  Sûtrâlamkâra,  XX.  33  : 

mahâ  dharmâvabhâsasya  karanâc  ca  prabhâkarï. 

(2)  prahhà. 

(3)  çântimaya  (?),  upaçania°  (f) 

(4)  jneyendhana  =jTieycivarana. 

(5)  snan-ba.  —  ((i)  sûryodaycivasthâyâh  purvam  (t) 

(7)  Comparer  tâmrâruna,  Mahâvyutpatti,  281.  99,  "  eine  kupferrothe 
Morgenrôthe  »  (Dict.  de  St  Petersbourg). 


MADIIYAMAKAVATARA    CHAPITUE    III. 


^95 


Dans  ce  Bodhisattva  qui  a  obtenu  une  telle  splendeur  du  savoir,        (47.7) 
la  vertu  transcendante  de   patience  est  extrême  ;  c'est  ce  que 
l'auteur  montre  en  disant  : 

2.  «  Si  quelqu'un,  irrité  sans  motif,  lui  arrache  du  corps  la 
chair  avec  les  os,  longtemps  et  fréquemment,  sa  patience  naît 
extrême  pour  celui  qui  le  mutile  ». 

Le  Bodhisattva  garde  la  pensée  d'autrui  et  possède  le  savoir 
que  nous  avons  dit  :  par  conséquent,  il  est  naturellement  exempt 
de  tout  mouvement  du  corps,  de  la  voix  ou  de  la  pensée  tel  qu'on 
puisse  jamais  en  redouter  (i)  quelque  dommage  qui  serait,  pour 
autrui,  un  motif  de  la  pensée  de  [le]  faire  souffrir.  C'est  pourquoi 
l'auteur  précise  en  disant  : 

«  Si  quelqu'un,  irrité  sans  motif,  lui ». 

Si  une  créature  de  cette  espèce  [c'est-à-dire  irritée  sans  motif] 
arrache  du  corps  de  ce  Bodhisattva  la  chair  avec  les  os,  à  fréquen- 
tes reprises,  de  moment  en  moment,  et  pendant  longtemps,  non 
seulement  sa  pensée  ne  s'irrite  pas  contre  un  tel  tourmenteur  ; 
mais  encore,  considérant  (2j  les  souffrances  infernales  et  autres 
qui  seront  la  conséquence  de  cette  action  pécheresse,  dans  le 
Bodhisattva  naît  une  extrêmement  grande  patience. 

Autre  point  :  (48.6) 

3.  «  Ce  Bodhisattva  qui  voit  le  néant  (s),  —  quels  que  soient 
la  mutilation,  son  auteur,  son  moment,  son  mode  (4),  —  comme  il 
voit  que  les  choses  (5)  elles  mêmes  sont  comme  un  reflet,  pour 
cette  raison  il  est  patient  » . 

Non  seulement  il  est  extrêmement  patient  parce  qu'il  considère 
les  souffrances  infernales  et  autres  qui  seront  la  conséquence  de 
cette  action  pécheresse,  mais  encore,  voyant  les  choses  elles  mêmes 


(1)  çarhk. 

(2)  adhyàlambya. 
(r<)  nairdtmya. 

(4)  yad  yena  yadâ  yathct  chidyate  (?) 

(5)  dharma.  —  Voir  ci-dessus  la  note  sur  les  deux  nairâtmya.  — 
D'après  la  petite  édition  :  «  comme  il  voit  que  toutes  choses  sont...  » 


^96  LE    MUSÉON. 

comme  semblables  à  un  reflet,  exempt  de  la  notion  (i)  de  «  moi  » 
et  de  «  mien  »,  pour  cette  raison  encore  il  est  extrêmement  patient. 
—  Le  mot  yasya  est  employé  pour  grouper  les  raisons  de  la 
patience  (2). 
(48  16)  Noïï  seulement  cette  patience  est  une  vertu  qui  convient  (3)  aux 

Bodhisattvas  ;  mais  encore  elle  est,  pour  les  non-Bodliisattvas,  la 
cause  de  la  sauvegarde  de  toutes  (4)  les  qualités.  Aussi  est-il  raison- 
nable que  ceux  qui  sont  impatients  (5)  s'abstiennent  de  la  colère. 
L'auteur  le  démontre  en  disant  : 

4.  «  Si  l'offensé  a  du  ressentiment  (e)  à  ce  [sujet],  la  colère  (e)  à 
ce  [sujet]  fait-elle  que  ce  qui  est  fait  soit  défait  ?  Par  conséquent 
sa  colère  est  certainement  sans  utilité  dans  ce  monde,  et,  en 
outre,  elle  est  en  désaccord  avec  l'autre  ». 

Si,  en  effet,  donnant  occasion  à  la  colère  (7),  celui  qui  est  offensé 
a  du  ressentiment  contre  autrui,  alors,  comme  l'offense,  une  fois 
faite,  ne  peut  être  défaite,  le  désir  ardent  (s)  à  ce  sujet  est  sans 
utilité,  puisqu'il  n'y  a  rien  à  faire.  Non  seulement  son  ressentiment 
est  sans  profit,  mais  en  outre  il  est  en  désaccord  avec  l'autre 
monde,  parce  qu'il  est  issu  de  la  haine  (9)  et  projette  une  fructifi- 
cation douloureuse  (10). 
(■49.11)  Alors  qu'on  ne  fait  que  manger  les  fruits  déterminés  des  offenses 

qu'on  a  soi-même  commises,  on  s'imagine  par  ignorance  :  «  cette 
offense  m'est  faite  par  autrui  »  ;  d'oii  naît  la  colère  contre  l'offen- 
seur et  le  désir  de  vaincre  ses  offenses  par  des  représailles.  Pour 
réprimer  cette  [colère  et  ce  désir],  l'auteur  dit  : 

5.  «  De  ce  fruit  d'actes  mauvais  accomplis  auparavant  et  qu'il 


(l)samjnâ. 

(2)  Obscur, 

(3)  hodhisattvocitadharrna. 

(4)  ananta. 

(5)  «  doués  de  non-patience  «. 

(6)  upanâha,  vaira. 

(7)  krodha  {?) 

(8)  zhe-hrham-pa. 

(9)  khoii-khro-ha  =  dvesa. 

(10)  amanaàpavipâka. 


MADIIYAMAKÂYATÂIIA    CIIAPM  IIE    III.  "297 

faut    nommer   destructeur    [du    péché],    comment    fait-on,  par 
l'offense  d'autrui  et  la  colère,  une  semence  de  souffrance  ?  »  (i) 

La  souffrance  que  des  ennemis  acharnés  infligent  à  son  corps 
sous  le  tranchant  aiguisé  des  couteaux  est  la  dernière  production 
du  fruit  [du  meurtre]  :  celui  qui  a  commis  le  meurtre  endurant 
[d'abord]  le  terrible  «  fruit  de  rétribution  »  [de  l'acte]  dans  les 
enfers,  la  matrice  animale  et  le  royaume  de  Yama.  Elle  est 
cause  de  la  suppression  de  l'entièreté  des  fruits  désagréables 
pour  les  êtres  corporels  en  qui  reste  le  «  fruit  d'écoulement  », 
[c'est-à-dire]  les  passions  {2).  Comment,  à  nouveau,  comme  [un 
malade]  altérerait  la  dernière  potion  qui  est  la  cause  de  la  guéri- 
son  d'une  maladie  interne,  en  fait-on  la  cause  productrice  d'un 
fruit  beaucoup  plus  nocif  que  le  fruit  désagréable  antérieur  ? 

Il  est  donc  raisonnable  de  supporter  avec  une  extrême  patience 
[l'offense]  cause  d'une  souffrance  momentanée,  comme  on  doit 
supporter  le  remède  qui  fait  un  mal  cause  de  la  guérison  de  la 
maladie  (sj. 

Non  seulement,  comme  nous  l'avons  vu,  la  non-patience  est  une       (50.15) 
cause  qui  projette  une  rétribution  désagréable  et  étendue  ;  elle  est 
encore  la  cause  de  la  destruction  de  l'ensemble  des  mérites  accu- 
mulés depuis  longtemps. 

6.  «  Comme  la  colère  contre  les  fils  du  Victorieux  détruit  en  un 
moment   les  mérites   de  la  charité  et  de  la  moralité  accumulés 


(1)  L'acte  produit  notamment  deux  fruits,  le  vipàkaphala,  à  savoir  la 
soutIVance  dans  les  mauvaises  destinées  et  dans  les  naissances  tiumaines, 
et  le  nùyandcqjhala,  à  savoir  des  dispositions  passionnelles  semblables  à 
celles  qui  ont  provoqué  le  susdit  acte.  En  supportant  patiemment  la 
souffrance,  qui  est  la  dernière  manifestation  et  la  plus  bénigne  du  vipà- 
kaphala, riiomme  détruit  le  nisyandaphala. 

(2)  avaçista-nisya)idaphala-hleçànâm(i)  dehindm  açescinistaphala- 
sya  nlvartanahetuh. 

(3)  Traduction   approximative  :  bhaisajye    vyddhicikitsàhelvi)hûta- 

-tiksnaharmakareharanlyaihyuthd.  —  L'équivalence  ùagcags-cha 

m'est  inconnue,  tihsnakarmahrt,  d'après  les  Lexx.  européens,  "  habile  «  ; 
peut-être  «  faisant  une  opération  chirurgicale  »  {dyahçdlika  =  tlksna- 
harman).  Mais  il  semble  bien  que  ce  soit  un  qualificatif  de  bhaisajye. 

21 


298  LE    MUSÉON. 

au  cours  de  cent  millénaires,  il  n'y  a  pas  d'autre  péché  que  la 
non-patience  ». 

Si  ce  magnanime  Bodhisattva,  —  soit  parce  que  lui  fait  défaut 
un  rang  marqué  dans  la  sainteté  (i),  soit  parce  que,  possédant  ce 
rang,  il  agit  sous  l'influence  de  l'impression  des  passions  (2),  — 
attribuant,  à  tort  ou  à  raison,  une  faute  à  des  personnes  qui  ont 
produit  la  pensée  d'illumination,  produit,  ne  fut-ce  qu'un  moment, 
une  pensée  de  haine  :  cette  seule  pensée  détruit  les  mérites  engen- 
drés par  la  culture  (3)  des  vertus  transcendantes  ci-dessus  décrites 
de  charité  et  de  moralité,  fussent-ils  accumulés  au  cours  de  cent 
millénaires.  A  plus  forte  raison  si  un  non-Bodhisattva  produit  [une 
pensée  de  haioe]  contre  des  Bodhisattvas. 

Donc,  de  même  qu'il  est  impossible  de  déterminer  en  nombre  de 
palas  (4)  la  mesure  de  l'eau  de  l'océan,  de  même  ici  est-il  impossi- 
ble de  déterminer  la  limite  de  la  rétribution.  Par  conséquent  il  n'y 
a  pas  un  autre  plus  grand  péché  que  la  non-patience,  projetant 
une  semblable  fructification  désagréable,  destructeur  du  mérite. 

Comme  il  est  dit  :  «  U  Maùjuçrï,  la  haine  détruit  les  bonnes 
œuvres  accumulées   pendant   cent  millénaires  ;    c'est  pour  cela 
qu'on  l'appelle  haine  »  (5). 
(51  .jo)  Autre  point.  Les  non-patients,  qui  ne  font  du  mal  qu'à  eux-mêmes 


(1)  Littéralement  pudgalena  viçe^ef^a  niyâma-rahitatvât.  On  com- 
prend bien  niyâmarahiia  «  qui  n'a  pas  encore  obtenu  le  niyâma  ».  Il 
s'agit  ici  d'un  Bodhisattva,  à  qui  manque  la  niyâmàvakrànti  (voir  ci- 
dessus),  qui  n'est  pas  niyatabhûmisthiia  (Mahâvyutpatti  123.  2),  qui 
réside  dans  les  terres  préliminaires  qui  ne  sont  pas  des  »  terres  de 
niyama  »,  car  on  peut  en  déchoir,  par  opposition  à  la  Joyeuse,  à  l'Imma- 
culée, etc.  —  Je  ne  sais  que  faire  de  pudgalena.  En  corrigeant  gan  zag 
gi,  on  a  pudgalaviçis^aiilyâma»  =■  privé  de  la  prédestination  propre  aux 
Aryapudgalas. 

(2)  hleçavâsanàdhlnavrtti. 

(3)  bhâvanà. 

(4)  Mesure  de  capacité. 

(5)  pratighah  pratigha  iti  Manjuçrîh  kalpaçatopacitam  kuçalaih  prati- 
hanti,  tenocyate  pratigha  iti.  —  Manjuçrivikrîditasûtra,  cité  Çiksâsa- 
muccaya,  149. 5  et  Bodhicaryâvatârapanjikâ,  168.  1.  —  Pour  toute  cette 
théorie,  voir  ce  dernier  texte  167. 7  et  Çïksâs.  124.  lo- 


MADHYAMAKÀVATÀRA    CHAPITRE    III. 


299 


lorsqu'ils  sont  incapables  de  nuire  à  autrui  ;  qui,  puissants  et 
dépourvus  de  compassion,  font  du  mal  à  eux-mêmes  et  à  autrui  (i), 
dès  leur  naissance 

7  a-b  «  ont  une  forme  repoussante,  ont  commerce  avec  les  mé- 
chants, sont  privés  de  la  distinction  du  bien  et  du  mal  ». 

Et,  dans  la  suite,  ayant  abandonné  [les  actes]  qui  produiraient 
la  renaissance  dans  le  même  état  [d'homme  où  ils  se  trouvent 
maintenant]  (2), 

7  c.  «  par  la  non-patience,  bientôt  il  sont  précipités  dans  les 
mauvaises  destinées  » . 

Si  tels  sont  les  défauts  de  la  non-patience,  quelles  sont,  deman-       (52.8) 
dera-t-ou,  les  qualités  de  la  patience  qui  lui  est  opposée  ? 

7  d.  «  La  patience  produit  des  qualités  opposées  aux  [défauts] 
susdits,  n 

8.  «  Par  la  patience  on  est  beau,  on  a  relation  avec  les  bons  (3), 
on  est  expert  dans  la  connaissance  du  bien  et  du  mal,  et,  en 
outre,  on  obtient  la  renaissance  divine  et  humaine  et  la  destruction 
du  péché  ». 

Il  faut  donc  savoir  que  la  patience  possède  les  qualités  contraires 
aux  défauts  que  nous  avons  dit  être  ceux  de  la  non-patience.  Par 
conséquent  : 


(1)  Traduction  conjecturale  ;  la  syntaxe  de  la  phrase  ne  m'est  pas 
claire, 

(2)  Littéralement  :  sabhàgam  tyahtvâ. 

L'acte  est  sabhâgahetu  (ou  nikâyasabhâgahetu)  quand  il  produit  la 
renaissance  dans  le  même  nikâya,  c'est-à-dire,  dans  la  même  destinée 
(jâti,  gati)  ;  visabhùgahetu,  dans  le  cas  contraire.  —  Voir  Mahâvyut- 
patti,  104.  70, 114. 6,  245.  598  :  Madhyamakavrtti,  321,  g.  —  Toutefois,  dans 
le  texte  cité  Çiksâsamuccaya,  252. 16  ^sabhàgasya  harmanah  hninaivât)^ 
il  s'agit  de  l'acte  qui  doit  être  rétribue  dans  la  vie  présente  et  qui,  par 
conséquent,  l'entretient.  Quand  il  est  épuisé,  c'est  la  mort;  il  faudrait 
donc  traduire  :  "  et  après,  à  la  mort  ». 

(3)  satpurusa. 


500  LE    MUSÉON. 

9.  "  Hommes  ordinaires  et  fils  du  Victorieux,  connaissant  les 
défauts  et  qualités  de  la  colère  et  patience,  abandonnant  la  non- 
patience,  doivent  aussitôt  et  toujours  pratiquer  la  patience  vantée 
par  les  Saints  (i)  ». 

Comprenant  les  qualités  de  la  patience  par  opposition  aux  défauts 
de  la  colère,  ci-dessus  décrits,  abandonnant  la  non-patience,  ils 
doivent  en  toute  occasion  pratiquer  la  patience  (2). 
(53.6)  L'auteur  enseigne  maintenant  les  diverses  espèces  de  la  vertu 

transcendante  de  patience  : 

10  a-b.  «  Même  appliquée  à  l'illumination  des  parfaits  Boud- 
dhas (3),  la  patience  appuyée  sur  la  triade  n'est  que  [vertu  trans- 
cendante] naturelle  ». 

Même  appliquée  à  l'acquisition  de  la  qualité  de  Bouddha,  quand 
elle  prend  point  d'appui  sur  ces  trois  [données],  la  patience,  celui 
qui  supporte,  les  êtres  qui  sont  supportés,  la  patience  est  désignée 
comme  vertu  transcendante  naturelle  de  patience. 

10  c-d.  «  Mais,  quand  elle  n'a  pas  de  point  d'appui,  le  Bouddha 
enseigne  qu'elle  est  vertu  transcendante  surnaturelle  n  (4). 

(53.15)  ^^  même  que,  dans  cette  terre,  la  vertu  transcendante  de  patien- 

ce devient  très  pure,  de  même, 

11.  «  Dans  cette  terre  le  tils  du  Victorieux,  en  même  temps  que 
les  dhyanas  et  les  pouvoirs  miraculeux  (5),  obtient  la  destruction 
complète  de  la  convoitise,  de  la  haine  ;  et  il  est  aussi  toujours 
capable  de  vaincre  la  convoitise  charnelle  du  monde  ». 


(1)  aryapuru§a. 

(2)  Le  commentaire  (53. 1-3]  explique  le  composé  krodhaksântyor  dosa- 
guuun, 

(J)  Comme  nous  l'avons  vu  (I.  16),  c'est  par  l'application  [parb^âmanû) 
à  l'acquisition  de  la  Bodhi  que  les  vertus  acquièrent  le  pouvoir  de  mener 
à  la  Bodhi  et  méritent  le  nom  de  Pciramitâs. 

(4)  Voir  ci-dessus  I.  16,  II.  9. 

(5)  abhijnâs. 


madhyamakAvatâra  chapitre  m.  501 

Par  le  terme  «  dhjânas  »  sont  implicitement  indiqués  les  samâ- 
pattis  et  les  apraniânas. 

Comme  l'enseigne  la  Troisième  terre  du  Bodhisattva  (i),  où  il  est 
dit  :  «  Le  Bodhisattva  placé  dans  la  Lumineuse,  troisième  terre  du 
Bodhisattva,  entre  et  persiste  dans  le  premier  dhyana  isolé  des 
désirs,  isolé  des  principes  de  péché  et  de  démérite,  où  la  réflexion 
s'exerce  [encore],  où  le  raisonnement  s'exerce    [encore],  né  de 

l'isolement,  accompagné  du  plaisir  de  la  joie »  Tels  sont 

les  quatre  dhyànas  (2). 

«  Les  quatre  ârîlpyasamàpattis ,  à  savoir  :  «  Les  notions  relati- 
ves au  monde  matériel  étant  toutes  dépassées,  les  notions  d'antipa- 
thie (?)  étant  congédiées,  les  notions  de  variété  n'étant  pas  prises 

en  considération «Telles  sont  les  quatre  â;v7p^a5amà- 

paitis  (3). 

«  Les  quatre  apramâms,  à  savoir  l'amitié,  la  complaisance,  la       (55.14) 
compassion  et  l'impartialité  (4). 

"  Les  cinq  pouvoirs  miraculeux,  à  savoir  :  la  faculté  magique,        (56.2) 
l'ouïe  divine,  la  connaissance  de  la  pensée  d'autrui,  le  souvenir 
des  existences  antérieures,  la  vue  divine  (5). 


(1)  Titre  du  troisième  chapitre  du  DaeabliQmaka  <  Daçabhûmïçvara). 

(2)  Je  crois  inutile  de  traduire  in  e.rtenso  la  description  des  quatre 
dhuânos  {54.4-54.1;,).  Le  texte  est  classique,  Lalitavistara,  p.  127  (voir 
Mahâvyutpatti  (M.  Burnouf,  Lotus,  800  et  comparer  Dîgha  II,  .313,  Warren, 
p.  288)  ;  le  pâli,  comme  on  sait,  porte  vivicc  'eva  hàmehi  vivicca  akusa- 
lehi  dhammehi  au  lieu  de  vivihtatit  kàmair  viviktarii  pâpakair  aku- 
çnlair  dhormair.... 

(3)  54.;.o-5.5.i:j.  Même  texte  que  Mahâvyutpatti  OS,  Samyutta  IV,  llOsuiv. 

(4)  55.11-56.1.  Sa  maitrisahagatena  cittena  vipulena  mahadgatenâdvaye- 
nâpramânenâvairenâsampannenânâ[va]ranenâv3'âvâdhena  sarvatrânu- 
gatena  dharmadhâtuparame  loke  âlcàçadliâtuparyavasâne  sarvâvantarii 
lokaiii  spharitvopasampadya  viharati;  evaiii  karunâsahagatena  muditâ- 

sahagatena  upek.^âsahagatena  cittena  vipulena —  Les  quatre  apra- 

riuoidni  ou  niiramdmjâni  (Dharmaçai'iraJ  sont  énumérés  dans  le  même 
ordre  Mahâvyutpatti  69  ;  diredvitlyâm,  cathurthïm  ;  ^  Abhidharmakoça- 
vyâkhyâ,  Soc.  As.  336  a)  ;  mais  la  phi'asêologie  est  légèrement  moditiêe. 
Pour  le  pâli,  voir  par  exemple  Anguttara  II,  128. 

(5)  L'ordre  n'est  pas  le  même  dans  Mahàvyut.  14  ;  voir  pour  la 
rddhijabhijTin,  Mahàvyut.  15,  Majjhima  I.  34  ;  pour  la  pUrvcciiivâsânu- 
smrti,  Visuddliimagga  apud  Warren  315.  Je  crois  devoir  reproduire  le 


502  LE    MUSÉON. 

(60. 3)  «  Il  entre  dans  ces  dhyànas  et  samàpattis  et  il  en  sort  :  mais 

il  aspire  [seulement]  dans  la  direction  où  il  voit  le  perfectionne- 
ment des  «  membres  de  la  Bodhi  »,  et  il  n'y  a  pas  de  naissance 
pour  lui  par  l'efficace  de  ces  [dhyànas],  mais  seulement  des 
naissances  par  l'efficace  de  la  projection  de  ses  résolutions.  Et 
pourquoi  ?  parce  que  ce  Bodhisattva  est  en  possession  d'une  «  série 
de  pensée  »  nourrie  par  l'habileté  dans  les  moyens  »  (1). 

C'est  de  la  sorte  que,  dans  cette  [terre],  se  produisent  pour  le 
Bodhisattva  les  dhyànas  et  les  ahhijnàs. 

(60. 11)  Et,  demandera-t-on,  comment  sont  diminuées  la  concupiscence, 

la  haine  ?  —  [Dans  la  stance]  le  mot  «  et  »  [la  concupiscence  et 
la  haine]  est  omis  pour  que  l'expression  soit  compréhensive  :  pour 
ce  [Bodhisattva]  l'erreur  aussi  est  diminuée. 

Comment  [a  lieu  cette  diminution]  ?  Comme  il  est  dit  dans  le 
Sûtra  : 

«  Il  voit  que  tous  les  'dharmas'  sont  exempts  de  transmigration 
et  d'annihilation,  en  raison  de  leur  production  par  des  causes  con- 
ditionnées ;  par  conséquence,  dans  une  large  mesure,  tous  les 
liens  de  la  concupiscence,  de  la  forme,  de  l'existence  et  de  l'igno- 
rance deviennent  faibles.  Quant  aux  liens  de  la  «  vue  fausse  «,  ils 
sont  déjà  abandonnés.  Pour  le  Bodhisattva  placé  dans  cette  terre 
de  Bodhisattva,  la  Prabhâkarï,  pendant  de  nombreuses  centaines 
de  millénaires,  de  nombreux  milliers,  centaines  de  milliers,  dizaines 
de  millions,  jusque  de  nombreuses  centaines  de  millions  de  millé- 
naires, le  «  faux  désir  »  va  à  la  disparition,  à  l'abandon  ;  de 
même  la  «  fausse  haine  «,  la  «  fausse  erreur  »  (2). 


texte  du  Daçabhûmi  (Dev.  126)  en  l'amendant  d'après  le  tibétain  :  on  le 
trouvera  dans  la  note  p.  305  ;  mais  une  traduction  française  me  paraît 
superflue. 

(1)  sa  imâni  dhyânâni  vimoksân  samâdhîn  samâpattïç  ca  samâpadyate 
vyuttisthate  na  ca  tesârîi  vaçenopapadyate,  anyatra  yatra  bodhyanga- 
paripûi-im  paçyati  tatra  saiiicintya  pranidliâna[va]çenopapadyate.  tat 
kasya  hetos.  tathâ  hi  tasya  bodhisattvasyopâyakauçalâbhinirhrtâ  citta- 
samtatil.1. 

Si  cette  habileté  fait  défaut,  on  obtient,  en  sortant  de  la  méditation,  telle 
ou  telle  renaissance  (monde  des  Asarnjnas,  etc.)  peu  favorable  à  la  car- 
rière de  futur  Bouddha  —  Voir  Sûtrâlamkâra  XX,  8. 

(2)  sa  sarvadharmânâm  asamkrântitâiii  câvinâçitârii  ca  pratîtyapra- 


I 


MADIIYAMAKÂVAÏÂRA    CHAPITRE    II[.  305 

C'est  ainsi  que,  pour  ce  [Bodhisattva]  diminuent  le  désir,  la 
haine  et  l'erreur. 

Et  comment,  demandera-t-ou,  devient-  il  constamment  capable  de  (61.8) 
vaincre  la  concupiscence  (i)  du  monde  ?  Ainsi  qu'il  est  dit  :  0  fils 
dn  Victorieux,  cette  troisième  terre  du  Bodhisattva,  est  enseignée 
en  résumé  :  FrahhaJiarï.  Le  Bodhisattva  qui  y  est  installé  renaît 
généralement  roi  des  dieux,  maître  souverain  des  dieux  (2)  ;  il  est 
habile  dans  la  confection  du  moyen  pour  réprimer  la  concupiscence 
des  créatures.  Etant  le  maître,  il  est  habile  à  retirer  les  créa- 
tures de  la  boue  du  désir  (3)  ». 

De  la  sorte,  ce  fils  du  Victorieux  est  capable  de  vaincre  la  con- 
cupiscence des  créatures. 

De  la  sorte,  ce  Bodhisattva,  dans  la  troisième  terre  du  Bodhi-       (61. n) 
sattva,  obtiendra  sans  doute  aucun  la  pureté  de  la  vertu  transcen- 
dante de  patience,  les  dhpclnas,  les  apramânas,  les  samàpattis, 
les  abhiJHàs  et  la  diminution  du  désir,  etc. 

Ceci  établi,  maintenant,  pour  mettre  en  lumière  P  les  différents       (62. 1) 
réceptacles  des  trois  vertus  transcendantes  dont  la  vertu  parfaite 
de  patience  est  la  plus  haute,  et  2®  la  nature  du  sambhàra  et  la 
spécification  du  fruit  complet  du  samhhàra,  l'auteur  dit  : 

12.  «  Ces  trois  principes,  charité,  etc.,  les  Sugatas  les  vantent 
d'habitude  chez  les  laïcs  :  ces  mêmes  [principes],  qui  constituent 
l'équipement  dit  du  mérite,  sont  la  cause  du  corps  matériel  du 
Bouddha,  n 

Certes,  seuls  les  Bodhisattvas  sont  les  récipients  de  la  charité  et 


tyayatayâ  vyavalokayati.  tasya  bhûyasyâ  mâtrayâ  sarvâni  kâmaban- 
dhanâni  tanûni  bhavanti  ;  sarvâni  rûpabandhanâni,  sarvâni  bhavaban- 
dhanâni,  sai'vâny  avidyâbandhanâni  tanûni  bhavanti.  drstikptabandha- 
nâni  ca  pûrvam  eva  praliînâni  bhavanti.  tasyâsyârii  prabhâkaryâiii  bodhi- 
sattvabhQmau  sthitasya  bodhisattvasyânekân  kalpân  anekâni  kalpaça- 
tàny  anekâni  kalpasahasrâni....  anekâni  kalpakotiniyutaça[ta]sahasrâny 
anupacayaih  mithyâiâgo  prahânaiii  gacchali,  anupacayarh  mithyâdosal?, 
anupacayam  mithyâmohah  prahânam  gacchati. 

(1)  kâmarâga. 

(2)  devapati,  dcvâdhipati  (?).  —  Comparer  ci  dessus  293,  n.  6. 
(.3)  kâma. 


504  LE    MUSÉON. 

des  autres  [vertus]  telles  qu'elles  ont  été  décrites  :  toutefois  en 
raison  de  ce  qu'il  y  a  dualité  parmi  les  Bodhisattvas  par  la  dis- 
tinction des  laïcs  et  des  religieux,  l'auteur  s'exprime  ainsi. 

Or,  c'est  surtout  aux  laïcs,  d'une  manière  générale,  que  les  trois 
principes  dont  la  charité  est  le  premier,  sont  faciles  à  réaliser  ; 
aux  religieux,  c'est  [surtout]  l'énergie,  la  méditation  et  la  science  : 
bien  qu'aucune  [de  ces  vertus]  ne  manque  [complètement]  à 
aucune  des  deux  catégories. 
(62.15)  Il  y  a  deux  'équipements'  (i),  cause  de  la  qualité  de  Bouddha  : 

à  savoir  l'équipement  de  mérite  et  l'équipement  de  savoir. 

Les  trois  vertus  transcendantes  dont  il  a  été  question  constituent 
l'équipement  de  mérite  :  le  recueillement  et  la  science  constituent 
l'équipement  de  savoir  ;  l'énergie  est  un  facteur  des  deux  [équipe- 
ments]. Telle  est  la  distribution  [des  vertus].  (2) 

Or  l'équipement  de  mérite  est  la  cause  du  corps  matériel  (3)  des 
parfaits  Bouddhas,  caractérisé  par  des  centaines  de  mérites,  revê- 
tu de  diverses  formes  merveilleuses,  incompréhensibles  ;  et  l'équi- 
pement de  savoir  est  la  cause  du  corps  de  la  Loi  caractérisé  par 
la  non-naissance  (4). 
(63.5)  Maintenant,   ayant  dit  sa  grandeur  par  la  grandeur  de   son 

réceptacle,  etc.,  l'auteur  achève  de  décrire  la  troisième  terre  du 
Bodhisattva  : 

13  a-c.  «  Résidant  dans  ce  soleil  qu'est  le  fils  du  Victorieux  ; 
ayant,  d'abord,  parfaitement  illuminé  les  ténèbres  qui  lui  étaient 
adhérentes,  on  espère  que  cette  Prabhâkarl  triomphera  des  ténè- 
bres du  monde.  » 


(1)  sarhbhâra  :  «  cellection  of  things  required  for  any  purpose  »  (Monier 
Williams).  —  Voir  Journal  Asiatique,  1903,  II,  p.  395. 

(2)  Çântideva,  dans  le  Bodhicaryâvatâra,  explique  très  judicieusement 
que  le  recueillement  (samcidhi)  est,  comme  l'énergie  {vïrya),  une  vertu 
auxiliaire  des  deux  équipements. 

(3)  rûpakâya  —  Il  s'agit  soit  du  sambhogakâya,  soit  du  nirmmiakàya. 
Aux  explications  que  j'ai  données  dans  J.  R.  A.  S.  1906,  p.  943,  il  convient 
d'ajouter  les  éclaircissements  qu'apporte  le  Sûtrâlamkâra,  ix,  26,  xi,  43, 
57-59,  75. 

(4)  On  peut  comprendre  anutpâdajnâna. 


MAimVAMAKÂVATÂKA    CHAPITKE    III.  505 

Cette  terre  Prabhâkarï  résidant  dans  le  soleil  qu'est  le  fils  du 
Sugata,  ayant,  à  l'état  naissant  (i),  chassé  l'ignorance  qui  se  trouvait 
daos  son  propre  réceptacle  et  faisait  obstacle  à  son  apparition  ; 
on  espère  qu'elle  vaincra,  grâce  à  un  enseignement  de  cette 
sorte  (-2),  l'obscurité  qui  fait,  chez  les  autres,  obstacle  à  l'appari- 
tion de  la  troisième  terre. 

Le  Bodhisattva,  (63.15) 

13  d.  «  dans  cette  terre,  bien  qu'il  soit  extrêmement  ardent, 
ne  s'irrite  pas  ». 

Chassant  l'obscurité  du  mal  fa),  bien  que  sa  victoire  lui  donne 
une  extrême  ardeur,  tel  le  soleil,  il  ne  querelle  pas  un  homme 
vicieux  :  en  raison  de  son  extrême  application  à  la  patience  et  de 
la  compassion  qui  attendrit  son  âme. 

Fjn  de  la  teoisième  peoduction  de  pensée. 


Note. 

Les  pouvoirs  miraculeux  (voir  p.  301,  n.  5) 

so  'nekavidhâm  rddhividhim  pratyanubhavati,  prthivïm  api 
kampayati.  eko'  pi  bhûtvâ  bahudhâ  bhavati  ;  bahudhâpi  bhïîtvai- 
ko  bhavati.  âvirbhâvam  tirobhâvam  api  pratyanubhavati  (4)  ; 
tirah  kurlyaiii  tirah  prâkâraih  parvatam  apy  asajjan  (5)  gacchati, 
tadyathâpi  nâmâkâçe.  âkâçe  'pi  paryankena  krâmati,  tadyathâpi 
nâma  paksiçakunili.  prthivyâm  apy  uumajjananimajjanam  karoti, 
tadyathâpi  nâmodake.  udake  'py  amajjan  (e)  gacchati,  tadyathâpi 
prthivyâm.  dhûmayati,  prajvalati,  tadyathâpi  nâma  mahân  agni- 
skandhah.  svakâyâd  api  mahâvâridhârâ  utsrjati  (7)  tadyathâpi  nâma 


(1)  jâyamânâvasthâ. 

(2)  evaihvidha  iipacleça. 

(3)  Littéralement  dosa-tamo-guna  {?) 

(4)  D'après  le  tibétain  âvirbhavati  tirobhavati. 

(5)  Mahâvyut.  asajjamrmo. 

(6)  Mahâvyut.  abhidyaraâna  ;  Dev.  126  asajjan. 

(7)  Sic  Mahâvyut.  —  Dev.  126  udakam  api  kâyât  pramuiîcatl  yena 
vârinâ 


506  LE    MUSÉON. 

mahâmeghah,  yâbhir  vâridhârâbhir  ayam  trisâhasramahâsâhasro 
lokadhâtur  âdïptah  pradîptah  samprajvalito'  gninâ  ekajvalïbhîito(i) 
nirvâpyate.imâv  api  candrasûryàv  evammaharddhikâv  evaiii  mahâ- 
nubhâvau  (2)  paninâ  parâmrçati  parimârsti  (3)  yâvad  brahmalo- 
kam  (4)  api  kâyena  vaçam  vartayati. 

sa  divyena  çrotradhâtunâ  [viçuddhenâ]tikrântamâausyakeno- 
bhayâD  çabdâa  çrnoti,  divyân  mâansyakào,  sûksmâii  audârikâmç 
ca,  ye  dure  'ntike  va  antaço  damçamaçakakltamaksikânâm  api 
çabdân  çrnoti,  [esâ  divyaçrotrâbhijùâ]. 

sa  parasattvâDâm  parapudgalâoâm  cetasaiva  cittam  yatbâbhû- 
tam  prajânâti,  sarâgam  cittam  sarâgacittam  iti  yathâbhûtam 
prajânâti  ;  virâgam.  .  .  .  prajânâti  ;  sadosam,  vigatauosam, 
samoham,  vigatamoham,  sakleçam,  nihkleçam,  parîttam,  vipulam, 
mahadgatam,  apramânam,  samksiptara,  [vistîrnam],  samâbitam, 
asaraâbitam,  vimuktam,  avimuktam,  sâùganara,  anaiiganam  ; 
audârikam   cittam   audârikacittam   iti    yathâbbûtam    prajânâti  ; 

anaudârikam prajânâti,   iti  parasattvânâm   parapudgalânâm 

cetasaiva  cittam  yathâbhntaih  prajâûâlï[ty  esâ  paracittajùânâ- 
bbijnâ],  (5) 

so  'nekavidham  pûrvanivâsam  anusraarati  ;  ekâm  api  jâtiin 
anusmarati  ;  dve,  tisraç,  catasrah,  panca,  daça,  vimçati,  trimçatam, 
catvârimçatam,  pancaçatam,  jâtiçatam  anusmarati  ;  anekâny  api 
jâtiçatâny,  anekâny  api  jâtiçatasabasrâni,  samvartakalpam  api, 
vivartakalpam  api,  anekân  api  samvartavivartakalpân  apy  anu- 
smarati ;  kalpaçatam  api,  kalpasahasram  api,  kalpaçatasabasram 
api,  kaipakotïm  api,  kalpakotïçatam  api,  kalpakotïsahasram  api, 
kalpakotïçatasahasram  api,  yâvad  anekâny  api  kalpakotïniyuta- 
çatasahasrâny  anusmaraty  :  amutrâham  âsam  evamnâmâ,  evaiii- 
gotra,  evamjâtir,  evamâhâra,  evamâyuhpramâna,  evamcirastbitika, 
evamsukhaduhkbapratisamvedï.  so'  bam  tataç  cyuto  'tropapannah. 


(1)  Dev.  126  :  âdïpto  nirvâpyate. 

(2)  Mahâvyut.  ajoute  evam  mahaujaskau  ;  Dev.  126  °maharddhikâu, 
°maheçâk.hyau. 

(3)  Mahâvyut.  parimârjayati. 

(4)  Mahâvyut.  brahmalokâd  api  sattvân.... 

(5)  Comparer  le  ceiopariyanàna  dans  Majjhima,  I.  p.  34. 


MADHYAMAKÂVAÏÀRA    CIIAPITKE    III.  307 

tatah  cyuta  ihopapanna.  iti  sâkâram  soddeçarii  sanimittam  aneka- 
vidham  pûrvaaivâsam  anusmarati.  [esâ  pûrvanivâsâausmrtya- 
bhijnâ.] 

sa  divyena  caksusà  viçuddheaâtikrâQtamâQusyakeua  sattvâa 
paçyati,  cyavamânâQ  upapadyamâDâQ  suvarnâa  durvarnâa  sugatan 
durgatâa  pranîtâû  hlnâu  yathâkarmopagâû  sattvâa  yathâbhûtaih 
prajânâti  .  irae  bhavantah  sattvâh  kâyaduçcaritcna  samanvagatâ, 
■vâgduçcaritena  samanvagatâ,  [manoduçcaritena  samanvagatâ], 
âryânâm  apavâdakâ  mithyâdrstayah,  mithyâdrstikarmasamâdâoa- 
hetos  taddhetu  (i)  tatpratyayam  (i)  kâyasya  bhedât  param  maranâd 
apâyadurgativinipâtanirayesûpapadyante  ;  ime  punar  bhavantah 
sattvâh  kâyasucaritena  samanvagatâ,  [vâksucaritena  samanvagatâ. 
manahsucaritena  samanvagatâ],  âryânâm  anapavâdakâh,  samyag- 
drstikarmasamâdânahetos  (2)  taddhetu  (1)  tatpratyayam  fi)  kâyasya 
bhedât  param  maranât  sugatau  svarge  devalokesûpapadyanta  (3) 
ity  [prajânâti,  evam]  divyena  caksusâ  viçuddhenâtikrântamanu- 
syeua  sâkâram  soddeçam  sanimittam  (4)  sattvân  paçyati,  cyavamâ- 
nân  upapadyamânân yathâbhûtam  paçyati  (5). 


(1)  Manque  dans  le  tibétain. 

(2)  Dev.  126  :  "harmadharmasamâdâna'' . 

(3)  Tibétain  :  svargalohe  devesu. 

(4)  L'aspect  ou  la  nature  des  êti-es,  le  lieu  et  la  cause  de  leur  renais- 
sance. —  M.  Vyut.  15.19  rnam-pa  dan  bcas  yul  phyogs  daii  bcas  gzlii  ci 
las  gyu)^  pu  dan  hcas  (P.  Cordier). 

(5j  C'est  le  sattànarh  cuiûpapàie  nàna. 


508  LE    MUSÉON. 


[Chapitre  IV 

La  terre  Arcismatî  ou  quatrième  production  de  la  pensée 
d'illumination]. 

(64.4)  Maintenant,  en  montrant  la  supériorité  de  la  vertu  transcen- 

dante d'énergie  sur  les  vertus  transcendantes  de  charité,  de  mora- 
lité et  de  patience,  l'auteur  traite  de  la  quatrième  production  de 
pensée  en  disant  : 

1.  «  Toutes  les  qualités  vont  à  la  suite  de  l'énergie  ;  l'énergie 
est  cause  des  deux  équipements  de  mérite  et  d'intelligence  (i)  : 
la  terre  oii  elle  s'enflamme  est  la  quatrième,  l'Arcismati  [ou  la 
Rayonnante]  (2)  ». 

Celui  qui  manque  d'effort  pour  la  bonne  action,  il  ne  peut  en 
aucune  façon  entrer  dans  la  charité,  etc.  ;  et  par  conséquent 
aucune  qualité  ne  peut  naître.  Dans  celui  qui  s'efforce  pour  accu- 
muler les  qualités  ci-dessus  étudiées,  par  l'accroissement  de 
l'acquis  et  l'acquisition  du  non-acquis,  les  qualités  existent  :  l'éner- 
gie est  la  cause  de  tout.  Qu'elle  est  la  cause  des  deux  équipements, 
ou  l'a  dit  plus  haut.  —  La  terre  où  c<?tte  éucrgie,  par  la  pureté  de 
ses  qualités  propres,  revêt  une  intensité  extrême,  c'est  la  quatrième 
terre  du  Bodhisattva,  nommée  Arcismatî. 
(64.19)  Mais  pourquoi  ce  nom  d'Arci.sraatï  ?  Pour  en  montrer  la  raison 

d'être,  l'auteur  dit  : 

2  a-c.  «  Alors,  dans  le  fils  du  Sugata,  par  la  culture  extrême  (2) 
des  auxiliaires  d(3  la  parftiite  illumination  (4),  naît  un  éclat  qui 
est  supérieur  au  resplendissement  de  cuivre  «. 


(1)  matismhhhâra  ou  dhl". 

(2)  Comparer  Sûtrâlamkâra  XX,  34. 

(3)  bhàvanâ. 

(4)  samyahscDiibodhipahsa. 


MADHYAMAKÀVATÂRÂ    CHAPITRE    IV.  509 

De  la  sorte,  dans  cette  terre,  le  Bodhisattva,  par  la  culture  des 
trente-sept  principes  d'illumination  (i),  voit  se  produire  en  lui  un 
éclat  supérieur  à  l'éclat  cuivré  dont  il  a  été  parlé  plus  haut  (2)  ; 
par  conséquent,  produisant  le  rayon  du  feu  du  savoir  parfait, 
cette  terre  du  Bodhisattva  est  appelée  ArcismaU. 

Les  trente-sept  bodhipaksikadharmas  sont  les  suivants  :  quatre 
smrtyupasthànas,  quatre  samyakprahânas,  quatre  rddhlpàdas, 
cinq  indriyas,  cinq  balas,  sept  bodhyahgas,  et  huit  âryamâr- 
gàhgas. 

D'abord  quatre  «  applications  de  la  mémoire  »  :  (3)  0  fils  du  (65.1») 
Victorieux,  le  Bodhisattva  placé  dans  cette  terre  du  Bodhisattva 
Arcismaiï,  s'efforçant,  conscient,  doué  de  mémoire,  ayant  écarté 
convoitise  ou  mécontentement  à  l'égard  du  monde,  se  tient  en 
considérant  dans  le  corps  interne  ce  que  c'est  que  le  corps.  De 
même  pour  le  corps  extérieur,  pour  le  corps  intérieur- extérieur  ; 
pour  les  sensations  intérieures,  extérieures,  intérieures-extérieures  ; 
pour  la  pensée  intérieure,  extérieure,  intérieure-extérieure  ;  pour 
les  dharmas  intérieurs,  extérieurs,  intérieurs-extérieurs  (4). 

Les  quatre  «  parfaits  abandons  »  (5)  :  pour  que  les  principes  mau-  (66.8) 
vais  et  malfaisants,  non  produits,  ne  se  produisent  pas,  il  forme 
un  souhait,  il  s'efforce,  il  déploie  l'énergie,  il  se  rend  maître  de  la 
pensée,  il  forme  une  parfaite  résolution  ;  de  même  pour  abandonner 
les  principes  mauvais  et  malfaisants  qui  sont  déjà  produits  ;  de 
même  pour  engendrer  les  bons  principes  non  produits  ;  de  même 
pour  que  les  bons  principes  déjà  produits  demeurent  en  l'état,  ne 
diminuent  pas,  se  développent,  naissent  déplus  en  plus  et  devien- 
nent accomplis....  (e) 

Les  quatre  «  pieds  de  la  puissance  magique  b  :  il  cultive  le       (66.10) 


(1)  bodhipaksikadharma. 

(2)  Voir  chap.  III  stance  1. 

(3)  D'après  le  Daçabhûmaka. 

(4)  Voii-  Dîgha  II,  290  ;  Majjhima  I,  55  ;  Samyutta,  V,  141  ;  Warren,  353  ; 
Pischel,  Neue  Bruchstucke  aus  Idykutsari,  6,  Çiksiisamuccaya,  chap.  xiii- 
xiv  ;  Bodhicaryâvatâra,  ix. 

(5)  Voir  Kern,  Geschiedenis,  I,  p.  301. 

(6)  Le  même  texte  que  Mahâvyutpatti  39  et  que  Abhidharmakoçavyâ- 
khyâ  386  b.  —  Comparer  Çiksàs.  356.io. 


5i0  LE    MUSÉON. 

rddhipâda  du  souhait  (i)  entouré  des  dispositifs  de  l'effort  vers  le 
recueillement,  reposant  sur  le  discernement  [ou  l'isolement  du 
corps  et  de  la  pensée],  sur  la  non- convoitise,  sur  la  destruction, 
tourné  vers  le  complet  abandon  [des  passions  et  du  connaissable]  (2). 
De  même  pour  le  rddhipâda  de  l'énergie,  de  la  pensée  et  de  l'exa- 
men (3). 

(67.4)  Les  cinq  «  pouvoirs  »  :  le  pouvoir  de  la  foi  reposant  sur  le  discer- 

nement [ou  l'isolement],  reposant  sur  la  non  convoitise,  etc.  ;  de 
même  le  pouvoir  de  l'énergie,  de  la  mémoire,  du  recueillement  et 
de  la  science  (4). 

Les  cinq  «  forces  »  sont  les  mêmes  [que  les  pouvoirs]  en  tant 
qu'elles  triomphent  du  contraire  :  donc  comme  ci-dessus. 

(67  11)  ^®^  ^^P^  "  membres  de  l'illumination  »  :  la  mémoire  reposant  sur 

le  discernement,  etc.,  membre  de  l'illumination  ;  de  même  la  déter- 
mination des  principes,  l'énergie,  la  joie,  la  satisfaction  (5),  le 
recueillement,  l'impartialité. 

(67  19)  ^^^  ^^^^  "  membres  du  Noble  Chemin  « ,  vue  correcte  reposant  sur 

le  discernement,  sur  la  non-convoitise,  sur  la  destruction,  tournée 
vers  le  complet  abandon  ;  conception  correcte,  voix  correcte, 
action  correcte,  vie  correcte,  effort  correct,  mémoire  correcte, 
recueillement  correct. 


(1)  C'est-à-dire  :  il  cultive  cette  cause  de  pouvoir  magique  qu'est  le 
souhait;  il  cultive  le  souhait,  l'énergie,  etc.,  qui  sont  des  facteurs  de 
l'illumination,  et  qui,  pn.r  surcroît,  confèrent  le  pouvoir  magique.  Le 
tibétain  parait  justitler  cette  exégèse  et  d'après  Abhidharmakoyav. 
Burn.  41b,  rddhipàdâh  =  rddhihetavah.  —  Voir  Dharmasaiiigraha  (46) 
dont  la  tj'aduction  (p.  45)  :  «  the  will  to  acquire  magie  power  »  est  inad- 
missible. Le  désir  du  pouvoir  magique  ne  peut  être  un  élément  de  la 
Bodhi. 

(2)  chandasamâdhiprahânasariiskârasamanvâgatani  rddhipâdam  bhâ- 
vayati  vivekauiyritam  virâganiçritaih  nirodbaniçritarîi  vyavasargapari- 
natam.  —  Maliâvyutpatti  40  et  Trigiotte  p.  17  b  ont  anupalcunbhayogena 
bhavati{\  bsgom-mo).  Le  Pâli  (apud  Childers)  omet  anupakonbhayogena 
et  porte  bhciveti. 

(3)  vïrya,  citta,  mïmâriisâ. 

(4)  Mabâvyutpatti  41,  Dharmasamgraha  47.  —  Les  qualificatifs  viveha- 
niçrita,  virâganiçriia,  etc.,  sont,  ce  me  semble,  propres  à  notre  texte. 

[h)  praçi^abdlii.  L'équivalent  tibétain  signifie  «  pureté  r,  ;  noter  l'expU- 
cation  de  Çarad  Candra  (p.  939)  «  practised,  disciphned  ». 


MADIIYAMAKÂVATÂUA    CHAPITRE    V.  3H 

Dans  cette  terre,  non  seulement  se  produit  la  culture  des  hodhi- 
paksas,  mais  encore  : 

2  d.  «  est  détruite  toute  relation  avec  l'idée  de  soi.  » 

Dans  cette  terre,  l'idée  de  soi  du  [Bodhisattva]  est  détruite. 
Comme  il  est  dit  [dans  la  Quatrième  terre  du  Bodhisattva]  (i)  : 
«  0  fils  du  Victorieux,  placé  daus  cette  Arcismatî,  quatrième  terre 
du  Bodhisattva,  le  Bodhisattva  est  débarassé  de  toutes  les  spécula- 
tions ascendantes  ou  descendantes  (2),  conceptions,  réflexions, 
idées  de  durée  (3),  idées  de  mien,  idées  de  richesse,  de  tous  les 
lieux  mondains  quels  qu'ils  soient  qui  vont  à  la  suite  de  la 
safkàyadrsti  et  qui  sont  édifiés  par  l'adhésion  au  moi,  à  l'être,  au 
principe  vital,  au  principe  nourricier,  au  mâle  (4),  à  l'individu, 
aux  slîandhas,  dhâhis  et  àyatanas.  » 

Fin  de  la  quatrième 

PRODUCTION   DE   PENSEE  NOMMEE  AeCISMATÎ. 


(1)  Daçabhûmaka  :  tasya  khalu  punar  bhavanto  jinaputrà  bodhisattva- 
syâsyâm  arcisraatyârii  bodhisattvabhûmau  sthitasya  yânimâni  satkâya- 
drstipûrvaihgamâni  âtmasattvajïvaposapudgalaskandhadhâtvâyatanâ- 
bhiniveçasamucchiitâny  unminjitâni  niminjitani  vicintitâni  vitarkitâni 
kelâyitâni  raamâyitâni  dhanâyitâni  niketasthânâni  tâni  sarvâni  vigatâni 
bhavanti  sma. 

(2)  Je  pense  que  unminjita,  niminjita  sont  de  simples  variantes  de 
samâropa,  apavâda  ou  àvj/ûha,  nirvyilJt,a,  et  signifient  :  affirmation, 
négation.  —  Voii'  Mahâvyutpatti  133,  23-04,  Çiksfts.  215,  le,  Leumann, 
Album  Kern,  p.  293,  Sukhâvatïvyûha,  traduction,  p.  4. 

(3)  Sens  fourni  par  le  tibétain,  brtan-pa  ==  sthira,  drdha,  nitya  ;  mais 
voir  Mahâvastu  III,  484,  (Majjhima  I,  2G0,  Milinda  73,  20))  kelâyati  = 
nourrir. 

(4)  purusa  manque  dans  le  sanscrit. 


r>i:2  lE    MISÉON. 


[Chapitre  V 

La  terre  Sudiirjaijâ  ou  cinquième  production  de  la  pensée 
d'illumination.] 

(Qg  ^\  Maintenant,  traitant  de  la   cinquième  production  de  pensée, 

l'auteur  dit  : 

1  a-b.  «  Dans  la  terre  Siidurjayâ,  ce  magnanime  ne  peut  être 
vaincu  même  par  tous  les  Mâras  (i).  » 

Le  Bodhisattva,  fixé  dans  la  cinquième  terre  du  Bodhisattva,  ne 
peut  être  vaincu  par  les  «  Devaputra  Mâras  »  qui  se  trouvent  dans 
tous  les  univers  {i)  ;  à  plus  forte  raison  par  d'autres,  serviteurs  de 
Mâra,  etc.  C'est  pourquoi  le  nom  de  cette  terre  est  Sudurjaya  ou 
Invincible. 

Ce  Bodhisattva  : 

1  c-d.  «  par  la  prédominance  de  la  méditation  (3)  obtient  une 
extrême  habileté  même  dans  l'intelligence  de  la  profonde  nature 
des  vérités  des  «  bien  pensants.  » 

Ici,  parmi  les  dix  vertus  transcendantes,  c'est  la  vertu  de 
méditation  qui  a  la  prédominance.  «  Bien  pensant  n  (4),  c'est-à- 
dire  les  Aryas  ;  leurs  vérités  sont  les  vérités  des  bien  pensants  ; 
c'est-à-dire  les  nobles  vérités.  La  nature  propre,  c'est-à-dire 
l'essence.  La  profonde  nature,  c'est-à-dire  la  nature  qui  ne  peut 
être  comprise   que   par  une  profonde  science.  Ce  [Bodhisattva] 


(1)  Comparer  Sûtrâlaiiikara  XX.  35. 

(2)  lokadhâtu. 

(3)  dhyâna. 

(4)  sudhîh,  dhimân  {?). 


MADHYAMAKÂVATÂUA    CIIAPITUE   V.  515 

devient  très  habile  dans  l'intelligence   de   la   subtile  nature  des 
vérités  des  «  bien  pensants  ». 

Les  quatre  nobles  vérités  sont  la  douleur,  la  production,  la 
destruction  et  le  chemin. 

Mais,  dira-t-on,  Bhagavat  n'a  enseigné  que  deux  vérités,  à  savoir       (70.8) 
la  vérité  relative  et  la  vérité  absolue  (i).  Comme  il  est  dit  dans  le 
Pitâputrasamâgama  : 

«  Le  connaisseur  du  monde  (2)  a  enseigné  d'après  deux  vérités, 
inouies  chez  les  autres  :  la  vérité  de  la  sanivrtl  et  du  paramartha; 
il  n'y  en  a  pas  de  troisième  »  ; 

et  dans  le  Madhyamaka  (3)  : 

«  Les  Bouddhas  enseignent  la  loi  en  s'appuyant  sur  deux  vérités  : 
la  vérité  de  samvrti  du  monde  et  la  vérité  du  paramàrtha  » . 

Par  conséquent,  où  y  aurait-il  quatre  nobles  vérités  distinctes 
de  ces  deux  vérités  ?  (4) 

Sans  doute,  il  en  est  ainsi,  [il  n'y  a  que  deux  vérités]  ;  cependant,  (70. le) 
en  vue  de  montrer  la  nature  de  cause  et  de  fruit  de  ce  qui  doit 
être  pris  et  abandonné,  on  énumère  les  quatre  vérités.  D'abord, 
côté  de  ce  qui  doit  être  abandonné,  c'est-à-dire  l'obscurcissement 
(saihlileça)  :  son  fruit,  c'est  la  vérité  de  la  douleur  ;  sa  cause, 
c'est  la  vérité  de  la  production  ;  ensuite,  côté  de  ce  qui  doit  être 
pris,  c'est-à-dire  la  purification  (yyavadâna)  :  son  fruit,  c'est  la 
vérité  de  la  destruction  ;  la  cause  qui  fait  qu'on  l'atteint  (5),  c'est 
la  vérité  du  chemin. 

La  vérité  de  la  douleur,  de  la  production,  du  chemin  rentrent 
dans  la  vérité  de  samvrti  ;  la  vérité  de  destruction  a  pour  nature 
la  vérité  de  paramàrtha  (e).  De  même,  il  est  établi  que  toute  autre 
vérité,  quelle  qu'elle  soit,  rentre,  comme  il  convient,  dans  [l'une 
ou  l'autre  de]  ces  deux  vérités. 


(1)  samvrii"  et  paramàrthasatya. 

(2)  lokavid.  —  La  lokajTiatci  est  exposée  dans  la  Bodhisattvabhûmi. 

(3)  Mûlamadhyamakavftti,  xxiv.  8. 

dve  satye  samupâçritya  buddhânâih  dharmadeçanâ/ 
lokasamvftisatyam  ca  satyaiii  ca  parainârthatati  // 

(4)  Ces  deux  vérités  seront  longuement  expliquées  dans  le  chapitre  VI. 
'5)  Le  mârga  est  pràpanaheiu  du  nirvana,  mais  non  pas  hetu  tout 

court  ;  le  nirvana  n'a  pas  de  cause. 
(6)  Même  doctrine  Bodhicaryâvatârapanjikâ,  ix,  2. 

22 


314  \E    MUSÉON. 

(71  8)  Est-ce   donc  qu'il  y  a  d'autres   vérités  distinctes  des  quatre 

vérités  ?  Oui,  répondons-nous  ;  ainsi  qu'il  est  dit  dans  la  Cinquième 
terre  du  Bodhisattva  (i)  :  «  'Ceci  est  vraiment,  pour  les  nobles,  la 
douleur',  connaît-il  en  vérité  ;  'ceci  est  la  production  de  la  douleur', 
'ceci  est  la  destruction  de  la  douleur',  'ceci  est  vraiment,  pour  les 
nobles,  le  chemin  qui  va  à  la  destruction  de  la  douleur',  connaît-il 
en  vérité.  Et  il  est  habile  dans  la  vérité  de  la  smhvrti,  dans  la  vérité 
du  paramârtha,  dans  la  vérité  des  caractères,  dans  la  vérité  de  la 
distinction,  dans  la  vérité  de  «  discursion  »  (-2),  dans  la  vérité  des 
choses,  dans  la  vérité  des  origines,  dans  la  vérité  de  destruction  et 
non-naissance,  dans  la  vérité  d'introduction  à  la  connaissance  du 
chemin  ;  habile,  entin,  dans  la  vérité  de  la  production  de  la  connais- 
sance des  Tatbâgatas  grâce  à  la  réalisation  de  la  naissance  suc- 
cessive dans  les  terres  des  Bodhisattvas.  Il  connaît  la  vérité  de  la 
samvrti  en  tant  qu'il  satisfait  les  autres  créatures  conformément 


(4|  L'original  dans  Daçabhûmaka  (V,  initio). 

idaih  dul.ikliam  âryasatyam  iii  yatluibhûtam  prajânfiti,  ayaih  dub- 
khasainudayal.i,  ayaih  du^khaniiodhati,  iyaih  dutikhanirodhagâminï 
pratipad  riryasatyain  iiiyalhûbhùtaiu  prajânâti.  sa  saihvrtisatyakuçalaç 
ca  bhavati,  paranuirthasatyakuçalaç  ca,  laksanasatyakuçalaç  ca,  vibhâ- 
gasaiyakuçalaç  ca,  nisllianasatyakuçalaç  ca,  vastusatyakuçalaç  ca, 
prabliavasatyakuçalaç  ca,  ksayâimlpâdasaLyakuçalaç  ca,  mârgajùrinâ- 
vaiârasaiyaku(;alaç  ca,  sarvabodhisattvabliûinikramânusamdhinispâda- 
natayâ  yâvat  tailiûgatajùrmasamudayasatyakugalai,'  ca  bhavati.  sa 
pai-asaltvânâih  yathâçayasaiiitosanât  saihvf  tisatyaih  prajânâti  ;  ekanaya- 
samavasjranât  paramârthasatyaih  prajânâti  ;  svasâmânyalaksanânu- 
bodhâl  lak§anasatyaih  prajânâti  ;  dhannavibliâgavyavasthânânubodhâd 
vibhâgasatyaiii  prajânâti  ;  skandhadhâtvâyatanavyavasthânânubodliân 
nislïrana;atyaih  prajânâti  ;  cittagariraprapîdanopanipâtatvâd  vastusa- 
tyaih  prajânâti  ;  galisaiiidiiisambandhanatvât  prabliavasatyaih  prajâ- 
nâti ;  sarvajva[i'apratâpopaçaaiâtJ  ksayânutpâdasatyaih  prajânâti; 
advayâbbiniiliârân  niârgajùânâvatârasatyam  prajânâti  ;  sarvâkârâbhi- 
saihbodhât  sarvabodliisattvabhûmikramânusaradhinispâdanatayâ  yâvat 
tailiâgatajùânasamudayasatyaih  prajânâti,  adhimuktijnânabalàdhânân 
na  khalu  punar  niravaçe§ajnânât. 

(5j  nistirana  =  i^hye  sie  rtogs  pa,  «  comprendre  en  distingant  »  ;  com- 
parer saiiulrcoia,  °nd,  iNettipakarana,  82,  191.  12  ;  Visuddhimagga, 
J.  P.  T.  S.  1893,  p.  145  ;  Bodhisattvabbûmi,  1,  vi  :  dharmesu  sarayaksaih- 
lîranâksânti  ;  Abhidharmakoçav.  Burn.  95a  samtïrikâ  yâ  prajnâ  sa 
dpstib.  sa  cebâRuçalâ  gfhyate. 


MADHYAMAKÀVATÀRA    CHAPITRE    V.  315 

à  leurs  dispositions  ;  la  vérité  du  paramârtha  parce  qu'il  a  recours 
au  seul  Véhicule  ;  la  vérité  des  caractères,  parce  qu'il  pénètre  les 
caractères  généraux  et  individuels  ;  la  vérité  de  distinction,  parce 
qu'il  pénètre  la  manière  d'être  de  la  distinction  des  principes  ;  la 
vérité  de  «  discursion  » ,  parce  qu'il  pénètre  la  manière  d'être  des 
sJcandhas,  dhâtus  et  àyatanas  ;  la  vérité  des  choses,  en  raison  [de 
la  connaissance]  des  tourments  qui  tombent  sur  la  pensée  et  le 
corps  ;  la  vérité  des  origines,  par  l'intelligence  des  relations  qui 
déterminent  les  renaissances  ;  la  vérité  de  destruction  et  non- 
naissance,  par  l'apaisement  de  toutes  les  brûlures  de  toute  fièvre  ; 
la  vérité  d'introduction  dans  la  connaissance  du  chemin,  par  la  pro- 
duction de  la  non-dualité  (i)  ;  et,  par  la  compréhension  de  tous  les 
aspects  [des  choses],  la  vérité  de  la  production  du  savoir  des 
Tathâgatas,  grâce  à  la  réalisation  de  la  naissance  successive  dans 
toutes  les  terres  des  Bodhisattvas  (2).  » 

Fin  de  la  cinquième 

PEODUCTION   DE  PENSEE,    NOMMEE  STJDUEJATI. 


(La  suite  dans  un  prochain  cahier.) 


(1)  àbhinirlmra.  —  nirJirta  =  utpcuUta.  —  Je  comprends  :  parce  qu'il 
pénètre  les  diverses  vertus  de  l'idée  de  non-dualité  (voir  ci-dessus,  la 
distinction  des  lauhika  et  des  lokottara  Tpàramitâs)  et,  par  là,  s'intro- 
duit et  introduit  dans  le  chemin  du  nirvana  et  de  la  Bodhi. 

(2)  Le  tibétain  omet  la  dernière  phrase  de  l'original:  "  en  tant  que  le 
Bodhisattva  prend  possession  de  (ou  assume)  la  force  du  savoir  par 
adhimuhti,  par  aspiration,  car  il  ne  possède  pas  le  savoir  au  complet  ». 


510  LE    MUSÉON. 


Notes  et  corrections  au  texte  tibétain. 


Page    1     1.    2    au  lieu  de  Ihiigs  lire  hzhugs. 

inverser  le  caractère  çya  et  supprimer  l'anusvâra. 
au  lieu  de  shije  ho  lire  shye  ha. 
édition  noire  :  gsum  chah, 
les  deux  éditions  sans  rgyas  hyis. 
au  lieu  de  hcom  Itan  Mas  lire  hcom  Idan  hdas. 
les  deux  éditions  :  btan  snoms  kyi. 
les  deux  éditions  me  dun  ;  lire  mdun. 
au  lieu  de  nas,  lire  na  sa. 
les  deux  éditions  2)hid  du. 
au  lieu  de  mde  lire  med. 
lire  y  in. 

effacer  la  finale  ro  (d'après  l'original  sanscrit), 
au  lieu  de  hdir  lire  hdis. 

d'après  l'édition  noire,  lire  zhugs  pa  la  sogs  pa 
la  ran.... 
19     les  deux  éditions  dhah  gas. 
lire  rnani  par  hphel. 
19        10    effacer  les  mots  s^o?;5  liyis  d'après  l'original  san- 
scrit. 

les  deux  éditions  de  la  gzhan. 
les  deux  éditions  dhos  po  stoh  ;  lire  ston. 
les  deux  éditions  hrtags  pas  ;  lire  htags. 
les  deux  éditions  da  ni  stoh  pa  poi. 
les  deux  éditions  de  yi  rgyu. 
ks  deux  éditions  hes  par  lohs  spyod  ;  lire  ne  har. 
édition  noire  rnams  par  hgyed. 
au  lieu  de  go  lire  ko. 


1 

1.  2 

4 

2 

13 

3 

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4 

16 

7 

3 

11 

7 

12 

3 

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2 

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4 

10 

25 

4 

14 

26 

16 

27 

10 

28 

2 

4 

MADIIYAMAKÂVATÀRA.    NOTES    ET    CORRECTIONS.  517 

Page  29      1.  3     les  deux  éditions  rtogs-pa. 
9     édition  noire  shin  rjei. 

17  lire  mthoh. 

30         6  lire  bya  bai  phyir. 

16  les  deux  éditions  pre  ço  da  ra. 

32        16  noir  et  rouge  htshal. 

1 8  rouge  de  med  ni. 

34  5    lire  snin  brise. 

10  lire,  contre  les  xyll.,  bag  ma  byed. 

11  lire,  contre  les  xyll.,  gshan gyis. 

35  8    lire,  contre  les  xyll.,  mi  dga,  ma  yin  te  =  il  ne 

se  plait  pas  dans  la  discorde,  il  ne  vise  pas.... 
12  et  17    rd2un,  n'est  pas  donné,  semble-t-il,  par  les  Lexx. 
avec  un  sens  satisfaisant, 
lire,  serable-t-il,  riih  bar  byed. 
lire,  contre  les  xyll.,  rgyud  dga  bar. 
lia  ba  can  dan...     ;  can  est  difficile  à  expliquer, 
lire,  contre  les  xyll  ,  glags  te. 
lire,  contre  les  xyll.,  hdag  hdzin. 
Xyll.  gah  gis. 

Lire,  contre  les  xyll.,  mi  hdum. 
marquer  un  double  çad. 
effacer  le  çad  à  la  fin  de  la  ligne, 
lire  dmigs. 
lire  chos  kun  de  yis. 
lire  contre  les  xyll.  gah  zag  gi. 
lire  byed  de  sa. 

lire,  contre  les  xyll.,  lus  Jcyis. 
lire  ces  so. 
J 9  et  59.  20  la  lecture  dan  rtags  est  suspecte,  voir  307, 
n.  4. 

lire  peut-être  de  lia  bur. 
lire  rnams  pas  contre  les  xyll. 
lire  bral  bar  ^rjô  ba  rnams 


15 

36 

1 

20 

37 

9 

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1 

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3 

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20 

58 

J9 

60 

18 

64 

5 

68 

14 

ETUDES 


SUR 


L'ÉSOTÊRISMË  MUSULMAN 

(Suite.) 


IV. 

Les  Soufis,  même  ceux  qui  vivent  en  communauté,  ont 
des  retraites  pendant  lesquelles  ils  se  séparent  complète- 
ment des  gens  avec  lesquels  ils  vivent  d'habitude,  pour 
se  livrer  aux  méditations  les  plus  austères  et  à  la  prière. 
Ces  retraites  portent  le  nom  de  iji^  et  leur  durée  dépend 

du  degré  d'exaltation  de  ceux  qui  s'y  livrent.  Les  docteurs 
mystiques  attribuent  à  ces  retraites  une  importance  con- 
sidérable et  ils  les  considèrent,  si  on  s'y  livre  avec  ardeur, 
comme  l'un  des  moyens  les  plus  etïicaces  pour  avancer 
rapidement  dans  la  Voie  mystique  jJ^U  et  pour  arriver 

au  Nirvana  (i).  Celui  qui  aime  à  faire  la  retraite,  a  dit  le 
célèbre  hermétique  Zoul-Noun  Misri,  tient  dans  ses  mains 
les  colonnes  de  la  vertu  et  les  piliers  de  la  sincérité  (2). 

Un  autre  auteur  mystique,  Yahya  ibn  Miad,  a  dit  que 
la  solitude  est  la  citadelle  des  grands  Saints  (3)  en  même 


(1)      \\    cllaSi\.    c> — J\£  j  ^4=>  »?  i:^th    /*^^?    Jy°)  3   C:?^'*    '^J    »£)»L.     Ui    (iXj\^> 
i*$uJ\   àfi^  d^\h£~  ,3e.   >0  JoS   ^^  o-~>Uj  ^J;!^  (A*  )  ^3J-C  (SJJ^  t3*=;   "i-io^   àSoUa- 

Man.  supp.  persan  1082,  folio  54  verso. 

Avan'f  eI-Mca)vy\  man.  ar.  1332,  folio  77  verso.    jjuJ\  ^^\^j\  ^^ 
(3)    fj^_x^\  L^j.^  ÏA=.y\  oljw  ^vj  ^__<ajj  JU    Ms.  ar.  1332,  folio  78  recto. 


ÉTUDES    SUR    l'ÉSOTÉRISME    MUSULMAN.  319 

temps  que  l'une  des  œuvres  les  plus  méritoires  qu'il  soit 
donné  au  Mysti({ue  d'accomplir.  L'auteur  du  Mersad  el- 
ibad,  Abou-Bekr  Abd  Allah  ibn  Mohammed  el-Razi,  est 
d'avis  que  la  Voie  mystique  est  basée  sur  la  Loi  religieuse 
et  que  le  vrai  moyen  d'arriver  au  monde  de  la  science 

absolue    -^Ju  Jls^  consiste  dans  les    retraites  et   dans   la 

a„  -  f 

réclusion  volontaire  jJ^c,  ainsi  que  dans  le  renoncement 
au  monde. 

«  Tout  être,  dit  Shems  ed-Din  d'Eberkouh  dans  son 
Medjnm  ci-bahrcin  (i)  (jui  choisit  la  réclusion  volontaii'e 
JUl^c  de  préférence  à  la  vie  en  communauté,  et  qui  vit 

dans  la  retraite  au  lieu  de  fréquenter  la  société  des  hom- 
mes, est  à  jamais  délivré  de  toutes  les  existences,  sauf  de 
l'Existence  absolue,  de  toutes  les  volontés,  sauf  de  la 
volonté  d'arriver  à  l'Être  Unique,  de  toutes  les  pensées, 
sauf  de  celle  de  Dieu  ;  il  est  complètement  purifié  et  sanc- 
tifié ». 

Ce  passage  du  Medjma  el-bahrcin  n'est  d'ailleurs  que 
l'adaptation  d'un  passage  de  V Àvarif  el-Méarif  de  Sohraver- 
di  :  cet  auteur  rapporte  une  sentence  d'un  célèbre  docteur 
souti,  nommé  Abou  Témim  el-Maghrébi  (2),  qui  disait  que 


Man.  persan  122,  page  462. 

(2)     Jk^   j>\    V>\    JU    SjW\    <_ûk.    i^i  ^i    ^^.    t^   J-inî^    ^^y    y.?  ^^    ^M^ 

Man.  arabe  1332,  fol.  78  verso  et  ssq.    lA»  ^\  Ejj^i  ^  &siy 

C'est  avec  intention  que  Sohraverdi  emploie  en  même  temps  les  mots 

de  ï^U  et  de  ^W..  Shems  ed-Din  Ibrahim  dit  en  effet  dans  le  Medjma  el- 

bahreïn     ^a  &iysji^  ^'i}M,\^  ui-w,\  ^^^ÀSCij  ^ja  4_5ÎW.  3^  uljjLc  c>^  jJ  cyJs» 

Man,  persan  122,  page  461.       ci-w.\  ^^â.  ^_^l=.  j\  vs»jW*^ 


5:20  LE    MUSÉON. 

la  retraite  claustrale  est  préférable  à  la  vie  en  commu- 
nauté, parce  que,  dans  la  retraite,  le  Soufî  ne  se  souvient 
que  d'un  Être  et  ne  profère  que  le  nom  d'un  seul  Être, 
l'Être  Unique  ;  parce  que  s'il  la  fait  bien,  il  est  délivi'é  de 
toutes  les  passions,  sauf  de  la  passion  de  la  Divinité  et 
que,  dans  la  retraite,  l'âme  ^^i^  n'est  pas  constamment 

occupée  à  solliciter  l'esprit  -..^j  et  à  le  tourmenter  de  ses 

demandes.  Celui  qui  ne  fait  pas  la  retraite  de  cette  ma- 
nière attire  sur  lui  les  plus  grands  malheurs. 

Ce  qui  démontre  mieux  que  tout  argument  l'extrême 
importance  de  la  retraite,  c'est  que  les  Prophètes  et  les 
Saints  LU  ont  presque  tous  commencé  leur  vie  mystique 

jj^  en  quittant  le  monde  et  en  vivant  durant  un  temps 

plus  ou  moins  long  dans  la  solitude  (i).  C'est  au  cours  de 
leurs  retraites  qu'Allah  se  manifesta  pour  la  première  fois 
à  Moïse  et  à  Mahomet  (-2).  Le  célèbre  Souti  Abou  Bekr  el- 
Varrak  disait,  à  ce  que  rapporte  Sohraverdi  (3)  :  «  J'ai 
trouvé  ce  qu'il  y  a  de  meilleur  dans  ce  monde  et  dans  le 
monde  futur  en  fuyant  les  hommes  et  en  me  renfermant 
dans  la  retraite,  tandis  que  j'ai  trouvé  tous  leurs  défauts 
dans  la  société  des  humains.  Quant  à  celui  qui  entre  en 
retraite  sans  y  avoir  l'esprit  complètement  disposé  et 
sans  conviction  absolue,  le  démon  y  entre  en  même  temps 


(1)  Man.  supp.  persan  1082,  fol.  54  verso. 

(2)  Avarif  el  méarif,  ms.  arabe  1:^32,  folio  78  recto. 

o^}^  <U  JU  j  ^\^\  />  J\  S^^3  J\  J^j  »W  J^i  J^W  ^^>  A*^^  ui..*^  J^ 

^j^s*^^  ^^\  àl  J^j  (^^W^^  "i^c  J^i-J  àJ^io  (_^  Su«^  SyiôJ^  J^J  ^^ 

Man.  arabe  1332,  fol.  79  recto.  Cette  tradition  est  rapportée  par  Mohammed 
ibn  Hamid,  Mansour.  Abou  Abd  er-Rahman.  Abou  Bekr  et  Abou-Zoraa. 


ÉTUDES  sun  l'ésotéeusme  musulman.  5:21 

que  lui  dans  sa  cellule  et  l'incite  à  toutes  les  impiétés 
et  à  toutes  les  révoltes  contre  la  Divinité  ».  Il  en  est  de 
même  de  celui  qui  la  commence  sans  en  connaître  les 
règles  et  les   prescriptions  ^1^^.   D'api'ès  les  principaux 

docteurs  mystiques,  les  Soufis  qui  se  livrent  avec  ardeur 
à  la  pratique  de  la  retraite  arrivent  à  des  révélations  mi- 
raculeuses extraordinaires,  car  l'Être  Unique  leur  montre 
clairement  les  divers  stades  du  xôa-ao;  pour  qu'ils  leur 
soient  soumis  et,  en  fin  de  compte,  il  les  fait  arriver  au 
dévoilement  ^iC  complet  (i). 

Dans  un  passage  de  son  traité  de  Soufisme,  Shems  ed- 
Din  d'Eberkouh  dit  que  chaque  Mystique  doit  posséder, 
dans  le  monastère  où  il  réside,  un  endroit  qui  lui  soit 
spécialement  réservé  pour  faire  ses  retraites  (2)  de  façon 
à  ne  pas  être  troublé  par  ses  frères,  ni  par  aucun  bruit, 
dans  l'exercice  de  ses  devoirs  religieux  ;  cette  prescription 
ne  vise  évidemment  (jue  le  Soufi  oi'dinaire,  celui  qui  n'a 
pas  atteint  un  stade  assez  élevé  pour  échapper  aux  distrac- 
tions de  la  vie  du  monde.  Dans  un  autre  endroit,  le  même 
auteur  dit  en  effet,  qu'une  chambre  spéciale  n'est  pas 
absolument  nécessaire  à  celui  qui  veut  faire  cette  retraite, 
car,  le  Mystique  qui  dans  toutes  les  situations,  aussi  bien 
dans  le  domaine  ésotérique  que  dans  le  monde  extérieur 
garde  le  silence  complet  du  cœur  et  de  la  langue,  observe 


(1)  Shems  ed-Din  Ibrahim,  Medjma  el-bahrein,  man.  persan  122,  pages 

498  et  ssq.  et  Mohyi  ed-Din  Mohammed  ibn  Ali  ibn  el-Arabi  ^juj»  U*»  j\ji"i\ 

Man.  arabe  1337,  folios  29  et  sqq.   j\j^'i]  ^^  ï>^\  >— ^U 

Man.  persan  122,  page  470. 


522  LF,    MUSÉON. 

la  retraite  la  plus  sévère  et  acquiert  des  mérites  considé- 
rables puisqu'il  ne  communique  qu'avec  l'Être  Unique  (»). 
Dans  l'immense  majorité  des  cas,  c'est  bien  d'une  claustra- 
tion et  d'une  claustration  fort  sévère  qu'il  s'agit. 

Le  Mystique  qui  veut  entrer  en  retraite  doit  renoncer 
complètement  à  toute  idée  relative  au  monde,  abandonner 
tout  ce  qu'il  possède,  faire  une  ablution  générale,  revêtir 
des  habits  d'une  propreté  immaculée,  réciter  une  prière 
de  deux  rikaa  et  faire  une  coufession  générale  de  ses 
péchés  (2).  La  prière  et  la  méditation  sont  la  principale 
occupation,  on  peut  même  dire  la  seule,  du  Mystique  en 
retraite  (3),  et  il  doit  réciter  continuellement  la  formule  : 
«  J'atteste  qu'il  n'y  a  pas  d'autre  divinité  qu'Allah  »  qui 
a,  comme  on  sait,  une  valeur  infinie. 

Le  Soufi  qui  s'est  ainsi  volontairement  retiré,  pour 
un  temps  plus  ou  moins  long,  de  la  communauté  doit 
réciter  cette  formule,  faire  le  ^,  jusqu'à  ce  qu'il  meure  à 
ce  monde  imaginaire  pour  se  réveiller  dans  le  monde  réel. 


\jiSf\^j:^y»      ^U>      J^V}     ^j^\i      c>^s>     (jV}j>    j\     j     ^\i      (^Wj    5     '^^»     «JI^-'lo     J.i 

JAU  ^\aS^    ^_jJ  J^    Ja>\  ^_/-o  Jkâ,b  jVi5L»  Jo  j  (^Uj   \j^jJi>   j    o^?    ^^i^y*  ;    ij»^ 

Man.  persan  122,  page  477. 

(2)  j^*^.  ^\  ^S  ^  y.3\  ^\i  i^\  >J^?.  (^\  ^V  U\  ^U\  j^.y^\  U\, 

àjyj  y^  ^_5ÎU>  <sI5\  ^î\  sJ^'^.j  ch:^  o^i^  iij^vîaJ^)  ïilkJW 

Man.  arabe  1332,  folio  82  recto. 

(3)  ^Uj  ^  o^>  JUi.  ^Ui  j\  \ï  jj^  Jj*'^^  /-^î...  th:-^  ^^  «^^  '^  "^A* 

Man.  persan  122,  page  497.    ju»^  tj^^Uu/»  \y^j  .\i\j^  (^^  /-^ 

Il  serait  facile  de  multiplier  les  passages  des  livres  canoniques  qui 
recommandent  la  récitation  de  la  formule  ôll\  i3\  ô.l\  3  comme  étant  l'acte 
le  plus  méritoire  que  l'on  puisse  effectuer  au  cours  de  la  retraite. 


ÉTUDES    SUR    LÉSOTÉRISME    MUSULMAN.  525 

c'est-à-dire  dans  le  monde  des  vérités  transcendantales,  et 
jusqu'à  ce  qu'il  arrive  ainsi  à  la  «  Révélation  »,  c'est  à 
dire  au  Nirvana  ésotérique.  Il  ne  doit  demander  à  la  Divi- 
nité qu'elle  seule  et  ne  laisser  aucune  autre  idée  hanter 
son  esprit  (i).  D'après  Sohraverdi,  le  Mystique  ne  doit  sor- 
tir du  lieu  oii  il  fait  sa  retraite  que  pour  se  rendre  à  la 
prière  du  Vendredi  et  à  la  prière  en  commun.  C'est  une  très 
grande  faute  pour  un  Soufi  qui  vit  dans  la  retraite,  même 
la  plus  sévère,  que  de  ne  pas  venir  faire  la  prière  avec  le 
reste  de  la  communauté.  S'il  ne  veut  sortir  de  sa  cellule, 
sous  aucun  prétexte,  il  doit  tout  au  moins  y  faire  entrer 
quelqu'un  qui  prie  avec  lui  ;  on  sait  en  effet  que  la  prière 
isolée  n'est  pas  ai^réée,  ou  qu'elle  l'est  beaucoup  moins 
que  la  prière  récitée  en  commun  (-2),  Le  kadi  Béha  ed-Din 
ibn   Sheddad,   l'auteur  des    Â>^w^Jl    ^--iJ^j  ÂAJllalJl  jù\y^\ 

raconte  que  le  sultan  Salah  ed-Din  ne  faisait  jamais  la 
prière  seul  et  que,  lorsqu'il  était  indisposé,  il  faisait  venir 
un  imam  pour  la  réciter  avec  lui. 

En  récompense   de  ces  austérités,  les  Mystiques  sont 
favorisés  de  miracles  oUI^,  obj[j,  p-^  extraordinaires, 

ils  éprouvent   des   extases    Jl^=>-1,    ols^jl    d'une    intensité 

particulière,  ils  arrivent  à  la  Certitude  absolue  dans  toute 
sa  pureté  et  les  voiles  derrière  lesquels  est  caché  le  monde 
métaphysique  s'écartent  devant  leur  vue  ésotérique,  sui- 


u:^.vc  )»J  ij^t^5  t-s-^-"'  <.=JV£  «— -oVc  . J  >w>y.<3^  àç>  (^j.^  {jf^  JjL»    J»È>    u^t^    Ifcj—U 

Man.  persan  122,  page  494    ^^-.o. 

dit*  <4'*?.  (_/**•■*•  ^  O^^'    ^^y^    (-S*    à-ifS    >i^^    o\\i    a  liai,  j    Sale    ÀcWaJ^    iXo  jjtc 

Ms.  ar.  1332,  fol.  82  recto  .,_,  \j^  ï^uJU  ^f_  ^\  ^^.  Sj  iiyicsJ\  ^  Ï^W 


524  LE    MUSÉON. 

vant  la  sentence  :  «  Mon  cœur  a  vu  mon  Seigneur  »  (i)  ; 
ils  parviennent  même  à  s'extérioriser,  au  moins  à  ce  qu'ils 
prétendent  ;  Sohraverdi  cite  notamment  le  cas  d'un  sheïkh 
qui  vivait  à  Hamadan  et  qui  racontait  que  se  trouvant  un 
jour  dans  les  environs  de  cette  ville,  il  vit  son  fils  qui  était 
alors  dans  la  Transoxiane  sur  le  point  de  tomber  du  pont 
d'un  bateau  qui  naviguait  sur  l'Oxus.  Cette  vision  lui  arra- 
cha un  cri  et  l'enfant  ne  tomba  point  ;  quand  ce  dernier 
s'en  revint  à  Hamadan,  il  raconta  qu'effectivement  il  avait 
failli  tomber  à  l'eau,  mais  qu'il  avait  tout  à  coup  entendu 
la  voix  de  son  père  et  que,  par  un  hasard  étrange,  il 
n'était  point  tombé  (2).  Quoique  ce  fait  paraisse  tenir  du 
miracle,  il  est  de  ceux  que  la  science  moderne  admet  sans 
pouvoir  encore  les  expliquer  et  il  y  en  a  de  bien  plus 
extraordinaires.  Dans  son  Avarif,  Sohraverdi  en  rapporte 
d'autres  qui  sont  de  pures  inventions  et  qui  ressemblent 
à  ceux  que  Férid  ed-Din  Attar  raconte  dans  le  Tezkéret-d- 
evlia,  au  cours  des  histoires  de  Malik-Dinar,  de  Rabiyya 
et  de  l'hermétique  Zoul-Noun. 

Quoique  le  mot  de  Cy^  «  retraite  »  soit  de  beaucoup 

celui  que  l'on  trouve  le  plus  souvent  chez  les  Esotéristes, 
il  leur  arrive  d'employer  quelquefois  le  terme  de  jj;c 


i^S  v_iy  Syi^\  \»l=>Jki  v__JUrC^ 

Avarif  el-méarif,  man.  arabe  1332,  folio  78  verso. 

Ibid.,  fol.  79  verso,  ^t^  ^Aï  ^\j  ^glfU 

^\JU-fe  ^^AtJ^  ^Jas^.iJ\  \JJfc  M^  j  '=•0 }  /♦'^i  <*'*Wji  J^  àj;.->iu.s3\  ^^  s\.*i\     _»  i=ii~~?.  -J^ 

^^   SJkJ^j   «l>»x3    ^.♦■•—i   sU.3\   ^  ^^*~-T>.   "^^  ^^   J-t^^    «^î^^     f*"^     ^♦^   0}^::^   ^^    '"^JJ 

Avarif  el-^méarif,  man.  arabe  1332,  folio  81  recto     ._,  La-?. 


ÉTUDES    SUR    l'éSOTÉUISME    MUSULMAN.  525 

que  je  traduirai  par  «  réclusion  volontaire  ».  En  réalité, 
ces  deux  mots  ne  sont  point  synonymes,  comme  l'indique 
suffisamment  la  différence  du  sens  initial  des  racines  dont 
ils  sont  dérivés,  mais  ils  désignent  les  deux  aspects  du 
même  acte  :  j:J;c  «   réclusion  volontaire  »  est  l'acte  qui 

consiste  à  se  séparer  moralement  du  monde  en  renonçant 
à  prendre  sa  part  des  charges  de  la  vie  sociale,  tandis  que 
Ojici-  «  retraite  »  désigne  spécialement  l'acte  matériel  de 

s'enfermer  dans  une  cellule  ;  la  o^W  «  retraite  »  ne  pou- 
vant aller  sans  la  jJ^p  ou  renoncement  aux  contingences 

de  la  vie,  on  comprend  comment  ces  deux  termes  ont  fini 
dans  le  langage  des  Mystiques  par  devenir,  à  peu  de  chose 
près,  des  synonymes.  Voici  comment  le  mohtésib  Shems 
ed-Din  d'Éberkouh  s'exprime  à  ce  sujet  dans  le  Medjma  el- 
hahreïn  (i)  :   «  La  «  retraite  »  C;^lcL  peut  également  être 

nommée  «  réclusion  volontaire  »  jJ;p,  en  effet,  la  «  re- 
traite »  est  l'une  des  habitudes  louables  des  Soufis  et  la 
«  réclusion  volontaire  »  est  le  critérium  absolu  que  le 
iMystique  est  arrivé  au  Nirvana.  Au  commencement  de  la 
vie  mystique    ^jLj,  celui  qui   a   l'intention   de  faire  la 


^3^^  y  cSJy.-.    c:^\Aj    >J    \> Jyx*/*    ovîj-ij    cwjli.    (j~^.    o-J-oj    c:,%>»ac   lï^vc    •    e:-~>-\ 

»\  &i  JkJkài  (j-^A  A  jiê  ■,\  ^3^  ^  "^  O W"  ""^^C*  "-ï-^V^  jW*=-^  î"^  )  ^y**  (3*^^  (3^  • 
ki->~.\  &.«_^j  J^^ï^  j^  J^y*^^  c:^;Ji=-  j«J  iJifiï'i.  ij~-o>  jtf»  ,..„...  J»A»  ^j-».>\  ,31^.  v6«  ;i 
^-/•llawi  J^ni  »>\  (Js^i^  .  JûUj  o-^»-.»  J^a:-*  \)  ô}^*^  ©i*  <i>Ss»^-l*r  (3^^?  <.:i>»i=^  O^^  . 
ci>«Ui\  J^*î  «  ciL.-flj   cJ  <^*^f^  (•♦*»  (J-o^J  t*}  ^♦^  (♦■^5  f*'^"'^    S-'Uîi?   W^>^^  ci->ni 

Man.  persan  122,  pages  461-462    c^yi^j  ^û>  j  u:.~-.\  c>J)*j  ^ô 

Cf.  Kosheïri,  Risalah,  man.  arabe  1330,  folio  16  recto,  qui  dit  que  le 
novice  doit  d'abord  fuir  la  société  des  hommes,  puis  à  la  fin  s'enfermer 
dans  une  cellule  pour  rester  en  tête  à  tête  avec  lui-même. 


5â6  LE    MUSÉON. 

l'etraite  ^j.',  o^i»-  doit,  de  toute  nécessité,  se  détourner 

complètement  du  monde  de  façon  à  ce  que  la  haine  de  la 
société  soit  fermement  établie  dans  son  âme  ;  c'est  seule- 
ment à  la  fin  de  la  vie  mystique  qu'il  fera  matériellement 
la  «  retraite  »  o^ic^  (0  ft  qu'il  arrivera  à  la  commu- 
nion ^Jl  absolue  avec  l'Être  Unique.  Dans  le  choix  de  la 
réclusion  volontaire  sjui^c,  l'intention  doit  être  telle  que  le 

monde  soit  complètement  garanti  du  mal  qui  peut  prove- 
nir du  Mystique,  tandis  que  le  Mystique  ne  sera  nullement 
protégé  contre  le  mal  qui  peut  lui  être  causé  par  autrui.  En 
réalité,  la  «  retraite  »  o^l»-  <?st  l'action  de  renoncer  com- 
plètement aux  vices  auxquels  on  a  coutume  de  s'adon- 
ner (2)  et  la  «  réclusion   »  jj^c  est  la  «  retraite  »  faite 

avec  l'Être  Unique  en  dehors  absolument  de  toute  créa- 
ture. 

C'est  en  ce  sens  qu'Abou  Yézid  el-Bistami  a  dit  :  «  Je 
vis  Dieu  dans  un  rêve  et  je  lui  dis  :  Comment  ferai-je  pour 
arriver  jusqu'à  toi  ?  il  me  répondit  :  Renonces  à  ton  Moi 
et  élèves-toi  !  )>.  Cette  sentence  s'applique  aussi  bien  à  la 


(1)  En  d'autres  termes,  et  d'une  façon  plus  intelligible,  la  personne  qui 
veut  faire  la  "  retraite  v  ci>»U.  doit  tout  d'abord  faire  la  e^-J^c,  c'est  à  dire 
la  retraite  morale  ;  il  est  clair  que  celui  qui  s'enfermerait  dans  une  cellule 
en  ayant  conservé  le  goût  du  monde  et  en  ayant  gardé  toutes  ses  passions, 
c'est  à  dire  sans  avoir  fait  la  u^Jy:,  ne  ferait  que  se  ronger  l'esprit  de 
dépit  et  ne  tirerait  aucun  profit  de  ces  pratiques  ascétiques.  Dans  tout  le 
Soufisme,  l'acte  moral  doit  toujours  précéder  l'acte  matériel  et  les  Ésoté- 
ristes  considèrent  avec  raison  que  la  formule,  la  mantra,  n'a  aucune 
valeur  intrinsèque  et  qu'elle  n'est  rien  sans  l'intention. 

(2)  Litt.  de  faire  la  <^-^  (  jy^^)  des  vices ;  cette  définition  est, 

comme  on  le  voit,  beaucoup  trop  étroite  ;  car  il  suffirait,  si  elle  était 
exacte,  de  renoncer  aux  pratiques  blâmables  de  la  vie  ordinaire  pour  se 
trouver  dans  l'état  du  Mystique  qui  fait  la  retraite  parfaite. 


ÉTUDES    SUR    l'éSOTÉRISME    MUSULMAN.  527 

«  retraite  "  C>ji»^  qu'à  la  «  réclusion  volontaire  »  jul^c 

La  «  réclusion  volontaire  »  JUl;c,  dit  Hoseïn  ibn  Ali  el- 

Vaïz  el-Kashifi  dans  le  Lcbb-i  lobab-i  Mesnévi,  signifie 
l'action  de  s'abstenir  de  tout  péché,  de  se  garder  de  toute 
affection  pour  les  créatures  et  de  cesser  toute  relation  avec 
son  prochain(i).La  condition  primordiale  et  le  connnience- 
mcnt  de  la  réclusion  volontaire  est  de  s'afl'ranchir  complè- 
tement des  sens,  car  toutes  les  calamités  qui  assaillent 
l'esprit  p.jj  proviennent  de  ce  fait  qu'elles   l'atteignent 

par  l'intermédiaire  des  attributs  de  l'âme  ^^k^  oUo,  car 

elles  pénètrent  par  la  fenêtre  des  sens  ;  c'est  de  cette  façon 
qu'elles  ternissent  la  pureté  de  l'esprit  et  qu'elles  font 
tomber  l'homme  du  stade  suprême  ^yAs-  Js.]  delà  Proxi- 
mité d'Allah  au   stade   infime  ^jLlI  Ji^l  de  la  nature 

physique  ;  si  le  Mystique  ne  se  délivre  pas  du  joug  des 
sens,  il  lui  sera  toujours  impossible  de  se  livrer  à  la 
réclusion  volontaire  et  à  la  retraite  (2). 

L'une  des  retraites  les  plus  méritoires  auxquelles  les 
Soufis  puissent  se  livrer  est  la  retraite  de  quarante  jours 


(1)  La  réclusion  volontaire,  dit  Mohyi  ed-Din  Ibn  el-Arabi  dans  le 
Haliyet  el-abdal,  man  ar.  1338,  folio  3  verso,  se  présente  sous  deux 
aspects  :  celle  des  novices  qui  consiste  à  s'éloigner  simplement  du  monde, 
et  celle  des  Soufis  parfaits  qui  consiste  à  chasser  du  cœur  toute  idée  de 
contingence,  pour  n'y  plus  concevoir  que  celle  d'Allah  ;  cette  dernière 
forme  de  la  réclusion  volontaire  conduit  à  la  révélation  des  secrets  de 
l'Unité  divine. 

LT-î  '^j^'^^  i^  «.ï-^*?^  yJiLJ\  Ji-U  ij^^ji   (^>-Jlc    ^Jlc\  ^\  \j^^\^    <J3^~-<y»    6;-> 

Man.  supp.  persan  1141,  folio  79  verso.    j^aU  6jW  cy^i^.  ^  c>Jkc  \\  UaUL 


528  LE    MUSÉON. 

que  les  auteurs  arabes  nomment  L:.^:^j^\  et  les  persans 
AI40.  (1).  Le  nombre  40  chez  les  Esotéristes,  et  même  chez 

les  Musulmans,  a  une  valeur  mystique  qu'il  est  difii- 
cile  d'expliquer  d'une  façon  satisfaisante.  On  sait  que 
dans  le  très  grand  nombre  des  traditions  musulmanes, 
on  en  a  choisi  40,  qui  sous  le  titre  de  j^j\  ont  été  tra- 
duites dans  toutes  les  langues  de  l'Islam  ["i).  Sohraverdi 
dans  son  A  varif  cl-Mcarif  pvélcnd  que  la  vertu  extraordi- 
naire de  ce  nombre  provient  de  ce  que  le  prophète-roi 
David  a  prié  Allah  durant  40  jours  pour  obtenir  de  lui 
son  pardon  (5).  Ce  qui,  mieux  que  tout  argument,  montre 
la  valeur  de  la  retraite  de  quarante  jours,  dit  l'auteur  du 
jiLJl  ^loj-«,  Abou  BekrAbd  Allah  ibn  Mohammed  el-Râzî, 

c'est  que  l'Être  Unique  l'a  imposée  à  Moïse  avant  de  lui 
remettre  les  tables  de  la  loi  sur  le  mont  Sinaï  ;  Abou  Bekr 
Abd  Allah  ajoute,  ce  qui  ne  lui  pai'ait  pas  moins  concluant, 
que  le  corps  d'Adam  fut  formé  par  Allah  de  l'eau  et  du 
limon  de  la  terre  également  en  quarante  jours  et  chacun 
des  jours  de  la  retraite  quarantenaire  correspond  à  l'une 
de  ces  journées  (4). 


(1)  C'est  même  la  seule  dont  Sohraverdi  parle  aux  chapitres  XXVI- 
XX  VIII  de  son  Avarif  el-méarif  qui  sont  intitulés  ainsi  qu'il  suit  : 

(2)  Le  plus  célèbre  de  ces  traités  de  quarante  traditions  est  sans  contre- 
dit celui  qui  fut  compilé  par  l'imâm  shafeïte  Mohyi  ed-Din  Yahya  ibn 
Shéref  el-Névavi  qui  mourut  en  676  de  Thégire  ;  ce  traité  a  servi  de  base 
à  un  grand  nombre  de  travaux  sur  les  traditions,  parmi  lesquels  l'un  des 
plus  importants  est  le  ^;>^?;ï^  cH!jU.iJ\  c^à  ^  y.-<>Èy^  c^*^;  t:>c-<^^^  2;^* 
d'un  nommé  Abou  Abd  Allah  Mohammed  el-Hoseïni  el-Shafeï  el-Idji,  qui 
se  trouve  conservé  sous  le  n°  27  de  l'ancien  fonds  persan. 

(3)  Man.  arabe  1332,  folio  81  verso. 

(4)  o»^^    <^    Ai;i^>   jj/^-fi.    J6*^>    j^    «^si^j    (^j;  ;»  \    f»->^    J^  J   V^  <»-^ 


ÉTUDES    SUR    l'éSOTÉRISME    MUSULMAiN.  529 

La  vie  que  menaient  les  Soufis  durant  ces  retraites  de 
quarante  jours  n'était  pas  précisément  confortable  et  rien 
ne  leur  était  épargné  pour  leur  permettre  de  s'infliger  les 
macérations  qui  devaient  les  conduire  à  la  Connaissance 
Sui)rème  li,»^  et  à  1" Unification  avec  1  Etre  Uni(jue  j^-^s^y. 

Le  confortable  est  une  chose  dont  on  se  passe  facilement 
en  Orient  et  un  [)aillasson  sous  un  appentis  constitue  un 
coucher  très  suffisant,  aussi  les  iMystiques  se  livi'aient-ils 
à  des  jeûnes  extraoï-dinairos  qui  étaient  pour  eux  le  seul 
moyen  de  se  causer  une  souffrance  réelle.  Sohraverdi  cite 
duns  VAvarif  cl-Méarif  des  gens  qui  durant  une  retraite 
de  40  jours  ne  prirent  de  nourriture  que  (juatre  fois  :  le 
septième,  dix-septième,  trente-deuxième  et  ([uarantième 
jour  (i).  11  parle  même  d'un  Soufi  qui  dans  sa  journée  ne 
mangeait  que  le  quart  d'un  septième,  soit  la  vingt-huitième 
partie  d'un  pain  plat,  de  telle  sorte  qu'un  de  ces  pains  lui 
durait  tout  près  d'un  mois.  Telle  n'était  pas  évidemment 
la  règle  générale,  car  tout  le  monde  n'aurait  pu  résister  à 
un  pareil  régime.  Le  jeûne  rigoureux  durant  la  retraite 
de  quarante  jours  était  le  symbole  du  jeûne  que  l'Etre 
Unique  imposa  au  Prophète  Moïse  avant  la  sortie  d'Egypte 
et  avant  de  lui  remettre  les  tables  de  la  Loi  sur  le  Sinaï  (2). 
En  fait,  la  seule  nourriture  qui  soit  permise  dans  la 
retraite  est  du  pain  et  du  sel  {3).  Chaque  soir,  le  Soufi 


Man.  supp.  persan  1082,  folio  55  recto.  Cf.  Avarif  el-7néarïf,  man.  arabe 
1332,  folio  76  verso  et  ssq. 

(1)  j^c  <L«»..«.i.«  f»\i\  i-iuc.  ^b\    ii*.<,^  ^]\  ^2^0  c^î-^^  L.S^'^  ^JVL  uù>]S  A*i  AÏ. 

^uar^/e^w^car^/,  man.  arabe  1332,  folio  83  recto.    y~>*3j3^    ^\  Uo 

(2)  Avarif  el-méarif\  man.  arabe  1332,  folio  7(5  verso. 

(3)  Jj^J^j^    e^-^^;  jfs^^i    C-^.!   (J^    1^;^^  ïy>^^  )  à^JL^*j^S\  ^  ^j^  ei>ys   l»\j 

23 


57)0  LE    MUSÉON. 

reçoit  une  seule  livre  de  pain,  dont  il  fait  deux  parts  : 
l'une  qu'il  mange  au  commencement  de  la  nuit  et  la 
seconde  vers  sa  fin.  Sohraverdi  trouve  que  c'est  là  une 
nourriture  légère  qui  ne  fatigue  pas  l'estomac,  et  qu'elle 
permet  à  ceux  qui  s'en  contentent  de  garder  leurs  idées 
nettes  pour  faire  les  invocations  et  la  prière.  Autant  que 
possible,  le  Soufi  doit  se  contenter  de  cette  maigre  pitance; 
toutefois  il  ne  lui  est  pas  absolument  interdit  de  manger 
quelque  autre  chose,  à  la  condition  de  diminuer  d'une 
quantité  équivalente  le  poids  du  pain  qui  lui  est  donné. 
11  doit  même,  pour  bien  faire,  arriver  à  diminuer  progres- 
sivement cette  quantité  de  nourriture  de  façon  à  arriver 
dans  la  dernière  décade  de  la  quarantaine  à  une  demi-livre 
de  pain  par  jour  ;  il  s'est  même  trouvé  des  Mystiques  qui 
commençaient  la  quarantaine  avec  une  demi-livre  de  pain 
et  qui  la  terminaient  avec  un  quart. 

D'autres  mangeaient  pour  la  première  fois  vingt-quatre 
heures  après  leur  entrée  en  cellule,  puis  ils  ne  prenaient 
plus  rien  jusqu'à  la  soixante-douzième  heure  ;  leur  pitance 
pour  la  journée  se  réduisait  à  un  tiers  de  livre,  celle  de 
chaque  heure  prise  isolément  revenant  à  un  sixième 
d'ocque  (i).  On  ne  s'étonne  plus  après  cela  de  la  maigreur 


J^lUi     ^bï^     ^y     J^    ;^.    ^    ^\j  j^l\     J\     6;^^   j^\     ^\)\     (j^;    "^^h    /-^^ 

j.i^\  ^  <iU5ï  ^xii  cu^js.?  ï.^\  ^^)'i  ÏU  Ji"  ^jssjj,  \^\  jjkfl3^  Uô  ^  J-1^^ 
Jj^  e^*  J^J  '-^^?  (^,~jlJ\  ç.xi  ^fi  ^J|^  ^  Jlj  <_A-Ù  ^\  ^^i»ij^\  ij^  j^'i\ 
^ï^  ^«J\  ^  JL,j  gjj  ^\  i^^si  ^>y*i  ^^  j-ï;-^^  ï^  J^  ^j<r-i  u^«^;  O^iji^^ 
Avarif  el-méarif,  man.  arabe  1332,  folio  82  verso. 

(.ï^»^\j  \ij^j>  Ui  e)^^^   ^a-*— '«ï  j^  ï;=-S\  lijJ^  Jk«}  ^ai*».?.  ï^:J\^  ïiS\>  LSj\  ^ju. 

Qj^^  ïiiVi3\  ïiJJ\  ^  j^3\j  (i^c^  ^^  (J>^  ^^  (i^cV-i  (:>:^^  lt*!)  o'^/^'^^ 

Avarif  el-méarif,  ms.  ar.  1332,  folio  82  verso.  JI=y\  eJi>  ïy^  ^^  Jî3 


ÉTUDES    SUIl    l'ÉSOTÉRISME    MUSULMAN.  551 

cadavérique  des  derviches  qui  sont  représentés  dans  les 
peintures  persanes. 

Si  le  Mystique  en  retraite  demande  à  boire  et  qu'on  lui 
offre  de  l'eau  pure,  il  doit  l'accepter  ;  il  doit  accepter  le 
lait,  même  s'il  est  coupé  avec  de  leau  ainsi  que  du  miel  ; 
il  doit  refuser  le  vin  à  moins  qu'il  ne  soit  coupé  par 
moitié  avec  de  l'eau  de  pluie,  mais  il  ne  doit  pas  le  boire 
s'il  est  coupé  avec  de  l'eau  de  rivière  ou  de  fontaine  (i). 
Cela  explique  d'une  façon  assez  inattendue  un  passage  du 
Miradj-ISâmèli.  Après  avoir  dépassé  le  Sidret  el-Mounté/ia, 
la  réplique  du  Haoma  blanc,  du  Gaokerena  de  la  théologie 
mazdéenne,  Mahomet  raconte  ce  qui  suit  :  «  Les  anges 
vinrent  au  devant  de  moi  et  me  donnèrent  le  salut.  Us 
apportaient  trois  coupes  et  me  les  présentèrent  ;  dans 
l'une  était  du  lait,  dans  l'autre  du  vin,  et  dans  la  troisième 
du  miel.  Je  pris  celle  qui  contenait  du  lait  et  j'en  bus. 
Voyant  que  je  ne  touchais  pas  aux  deux  autres,  les  anges 
me  dirent  :  Tu  as  bien  fait  de  choisir  le  lait  et  de  le  boire, 
car  tous  ceux  qui  suivent  ta  voie  sortiront  de  ce  monde 
avec  la  foi  (2)  ». 

Malgré  son  exceptionnelle  rigueur,  le  mohtésib  d'Eber- 
kouh  n'a  pas  hésité  à  faire  de  cette  retraite  de  40  jours, 
l'une  des  prescriptions  essentielles  de  la  Voie  mystique  en 
s'appuyant  sur  la  tradition.  «  Celui  qui  offrira  à  Dieu  un 
culte  rigoureux  pendant  40  jours,  les  sources  de  la  sa^cesse 


Mecljma  el-bahreïn,  man.  persan  122,  page  497.  Cf.  Miradj-Namèh  en 
ouigliour,  Supplément  turc  190,  folio  35  verso. 
(2)  Medjnia  el-hahreïn,  man.  persan  122,  page  463. 


352  LE    MUSÉON, 

passeront  de  son  cœur  sur  sa  langue  »  (i).  Les  termes 
mêmes  de  cette  tradition  semblent  indiquer  qu'il  n'était 
pas  besoin  de  se  livrer  à  cette  retraite  quarantenaire  plu- 
sieurs fois  de  suite,  mais  c'est  là  un  point  sur  lequel  ni 
le  mohtésib  d'Eberkouh,  ni  les  autres  auteurs  mystiques 
ne  s'expliquent  clairement.  Un  fait  certain,  c'est  qu'il  a 
toujours  été  recommandé  aux  Soufis  de  ne  pas  s'y  livrer 
à  l'aveuglette  et  de  leur  propre  autorité,  sans  savoir  s'ils 
y  sont  ou  non  préparés. 

«  Le  Mystique  doit  se  scruter,  dit  Shems  ed-Din  (2),  pour 
connaître  le  stade  auquel  il  est  parvenu  et  pour  savoir 
quelle  importance  la  faculté  Imaginative  jb^  (5)  possède 

dans  son  âme  ;  si  elle  y  occupe  une  place  prépondérante, 
il  doit  se  garder  de  faire  la  retraite,  à  moins  cependant 
qu'un  skeïkb  ne  le  lui  ordonne  ;  si  au  contraire,  c'est 
l'intellect  J.i£^  qui  domine  en  lui,  il  ne  peut  que  tirer  des 

avantages  de  la  pratique  de  la  retraite  ». 


(1)     àj\^  ^_J\  à.Ai  ^J'^  à^S^J\  ^t:?^}  >^j\^  WL-s  ijt*ij^  "^^  1^=-^  e^" 

ji\  .  \i\ui  (J^yài  ï^  Jj?  JS>A?  3>-^'*  ei^J^  j^  \j>~t\.à.*^  .  Ail»  Ijl-à*  y^  jJ  J^  («V^^ 
ci>J.i.  jJ    \ji^\    s-Jlc   ^ji    J,ac    ijVJu  ^  ei.~-.\    c;^îl\i.    j^_y.>,<J    f*^^'*    ^    *.=-~~~sfiy-^ 

c:,^\  ,^^ïu  j  -j\  Medjma  el-bahreïn,  man.  persan  122,  page  492.  On 
remarquera  dans  ce  passage  l'emploi  du  mot  v>U,  litt.  :  «  savant,  sage  » 
dans  le  sens  du  mot  arabe  ^^  ;  en  réalité  li\j  est  ici,  comme  dans  tous 
les  passages  similaires  du  Medjma  el-hahreïn  dans  lesquels  on  le  rencon- 
tre, la  traduction  de  l'arabe  ^«Ic,  «  celui  qui  est  arrivé  au  stade  ^Ul.  de 
de  la  Connaissance  ei-i^  w,  stade  qui  est  celui  du  sheïlvh,  supérieur  et 
directeur  de  conscience  de  toute  la  communauté. 

(3)  Dans  la  terminologie  des  Esotéi'istes,  le  mot  i^-^ô^  désigne  la  faculté 
par  laquelle  on  saisit  la  qualité  des  objets  et  grâce  à  laquelle  on  se  forme 
des  opinions. 


ÉTUDES    SUR    l'ÉSOTÉRISME    MUSULMAN.  555 

Se  livrer  à  ces  austérités  sans  l'avis  et  sans  la  surveil- 
lance immédiate  d'un  directeur  de  conscience  est  aussi 
funeste  que  de  se  cloîtrer  hors  de  propos  et  sans  avoir  pris 
conseil  d  un  des  supérieurs  de  l'ordre,  car,  toujours 
d'après  le  mohtésib  d'Eberkouh  «  la  première  condition 
pour  faire  cette  quarantaine  avec  profit  est  de  chercher, 
soit  en  dehors  du  couvent,  soit  même  parmi  les  Soufis  qui 
y  vivent,  un  homme  sage  et  aussi  parfîiit  que  possible  (|ui 
serve  de  guide  et  de  directeur  (i)  ».  Une  fois  par  semaine, 
le  sheïkh  doit  se  rendre  dans  l'endroit  où  le  novice  fait  sa 
retraite,  d'abord  pour  voir  comment  il  se  comporte  et  pour 
lui  apporter  par  sa  présence  des  encouragements  à  suppoi- 
ter  le  poids  de  la  lutte  contre  les  tentations  et  ses  mauvais 
instincts,  ainsi  que  pour  lui  donner  toutes  les  directions 
spirituelles  dont  il  peut  avoir  besoin  (2). 

Toutes  ces  précautions  minutieuses  pour  empêcher  les 
Soufis  de  se  livrer  aux  quarantaines  à  contre-temps  por- 
tent à  croire  qu'elles  étaient  l'un  des  actes  les  plus  impor- 
tants de  la  vie  mystiijue,  i)eut-être  isolé,  ou  tout  au  moins 
qu'on  ne  répétait  pas  souvent. 

Les  conditions  de  la  valabilité  de  la  retraite  sont  à  peu 
près  les  mêmes  chez  tous  les  auteurs  mystiques  ;  Sohra- 
verdi  se  borne  à  dire  dans  V Avarif  el-Méarif  q^ae  le  Soufi 


IbicL,  page  463.    d— -i  yX«-- 

(2)    e>s-^  ^3^  j"^  )^  «yjM  ^  ^_5Û>^.>  <J^-^V>  ^^>^  (jL.j\  j_yjt>  J^\^  ^fc*  (jjc^ 

s- =-   J   ^.ï,^a^i-a^   *3*J  7-    "    ij^  f^i^"''    Ç:^  JS?«^"  ^  *-*jaï     C>^-.^>      (ji.»  »i.|  ^^     ^^3   î 

Aà.U    iAèi    ^ï\j    o'»-^  ^-^   l5^  r'^  î  '^'^Z    iJkô^Sï^    J^\    J-*5>.^  j  ^yà,  JW  ^J» 

Ibid.,  page  470.    Jk>\j^ 


334  LE    MUSÉON. 

qui  s'y  livre  doit  passer  la  plus  grande  partie  de  son  temps 
en  prières  et  en  méditations.  Plus  explicite  que  Sohraver- 
di,  Abou  Bekr  Abd  Allah  ibn  Mohammed  el-Razi  affirme 
que  les  conditions  qui  assurent  au  Souti  tous  les  avantages 
qu'il  peut  tirer  de  la  retraite  sont  innombrables,  mais 
qu'il  y  en  a  huit  qui  sont  plus  importantes  que  toutes  les 
autres,  au  point  que  l'inobservation  d'une  seule  d'entre 
elles  entraîne  fatalement  la  nullité  de  la  retraite. 

Le  Soufi  doit  se  tenir  rigoureusement  seul  dans  sa  cel- 
Iule  (i),  les  yeux  constamment  tournés  vers  la  kibla  et 
n'en  sortir  (jue  pour  aller  faire  ses  ablutions  légales  ;  la 
cellule  doit  être  aussi  inconfortable  que  possible,  toute 
petite,  obscure,  avec  une  porte  bien  fermée  et  recouverte 
d'un  tapis,  pour  empêcher  le  son  et  toute  lumière  d'y  péné- 
trer, de  façon  à  ce  que  le  Mystique  ne  soit  troublé  par 
aucune  contina:ence. 


•jt).  \asj\  -^  ^  SJj4.â.  J^.f^  -J^?  \)  <SJ^^  «i>^&->  û»y»  J-~£  y^iJ   i'J;^  J-— c  fi^^e»   ^\) 

^j  (^U>  li^jb.^  r*9->-^  o'''^  î  ^"^y"  5  ^^  ''^^  Uî/"^  e^?.-^^  «iXiUj^  tï— \  <iiJ\  S^ 

fi;..  ^\.0  .j  «Ji"  Jol>  o^_^    *»-o    |«\jJ    ^*^.    ''^ry»  ^'  ^^  ^?    «iUjs.  Jk>  ^  od-o  j^ 

AjlJS.  i__ttJi.i  '■^îjr^  J"^?  è^'  "^^  A't^  (JK&—  (jr~^  g^  ^?  «^  -V.^?  e:^~>-i»^   ^\ja  ^-^^ 

.  j,--j£  «jyW»;;*  di^  J^Jit  j_y»  «JA^  •  Jj^o  (^j/*  ç-ji»  Jo  W  Jj  (3Ju.fc*j  ^  tj:,N^\  (ji^*^ 

(ji\y;c\  eJy  ^;Ji>ii Ju-^  Jo^  Jjk>  ^-^  Jj  Soj^j  j\  \jcii\  ^^\  s^M\  ct>\^i  ^»,jw 

(j-vSkV  •  gjj  «  ic-~.?  «  (_^s^  3*  a;^-.»»  .a?  >■■.  ■■;f  j\  d<>-  .fc  ai  j_5-~*^  c:)'"^?  ts       -7'  i-ï--— <\ 

jaU  ^jki  c:->>^'.    Mersad  cl-ibad,  man.  supp.  persan  1082,  folio  55  et  55 
verso. 


ÉTUDES  SIR   l'ésotérisme  musulmain.  355 

2°  Il  doit  répéter  aussi  souvent  que  possible  les  ablutions 

j-^j  et  5°  réciter  sans  discontinuer  la  formule  «  Il  n'existe 
pas  d'autre  divinité  qu'Allah  ».  Il  doit  être  tellement  sub- 
mergé dans  cette  occupation  que  si  quel({u'un  vient  à 
entrer  dans  sa  cellule,  non  seulement  il  ne  doit  pas  le 
reconnaître,  mais  il  ne  doit  même  pas  s'apercevoir  de  sa 
présence  (i). 

4**  Il  doit  s'appliquer  à  refréner  constamment  les  mou- 
vements et  les  inclinations  de  son  cœur  et  ne  plus  s'occu- 
per que  d'Allah. 

5°  Il  doit  se  livrer  à  un  jeûne  rigoureux,  6"  garder  le 
silence  le  plus  absolu,  et  n'élever  la  voix  que  pour  réciter 
la  formule  de  l'Unité  et  pour  s'adresser  au  supérieur  du 
monastère  quand  celui-ci  vient  lui  rendre  visite. 

7°  Il  doit  observer  dune  foçon  constante  les  mouve- 
ments de  son  cœur  de  façon  à  être  toujours  en  commu- 
nion spirituelle  avec  le  sheïkh  et  à  recevoir  ainsi  les 
grc4ces  de  l'Être  Unique  dont  le  sheïkh  est  l'intermédiaire, 

8°  ne  jamais  se  révolter  contre  la  Divinité  et  considé- 
rer tout  ce  qu'elle  lui  envoie,  bonheur  ou  malheur,  comme 
une  grâce. 

Le  silence  que  le  Mystique  doit  garder  dans  la  retraite 
a  deux  aspects  :  le  premier  est  le  silence  de  la  langue,  le 
silence  matériel  ;  le  second,  le  silence  du  cœur  qui,  au 
figuré,  signifie  que  le  Mystique  doit  arracher  de  son  cœur 
les  passions  qui  y  sont  causées  par  l'âme  concupiscente 
et  qui  y  apportent  une  perturbation  funeste  ;  il  doit  au 


Solii'a verdi,  Avarif  el-méarif,  man.  arabe  1332,  folio  80  verso. 


556  LIi    31USÉ0N. 

contraire  s'efforcer  de  faire  pénétrer  dans  son  cœur  des 
pensées  rahmaniennes  ^Uo-j,  c'est-à-dire,  en  d'autres  ter- 
mes, des  pensées  qui  aient  Filtre  Unique  jUc^j  pour  seul 

but. 

L'homme  qui  impose  silence  à  la  fois  à  sa  langue  et  à 
son  cœur  est  plus  favorisé  de  révélations  que  s'il  se  livrait 
à  n'importe  quel  exercice  de  mortification. 

Le  premier  aspect  du  silence  est  celui  de  la  grande 
majorité  des  Soufis,  tandis  ([ue  le  second  n'est  l'apanage 
que  d'une  minorité,  celle  qui  comprend  les  êtres  qui  sont 
arrivés  à  la  Contemplation  et  au  Nirvana  Uiblt^  ^cwlo. 

Le  silence,  ajoute  Shems  ed-Din  Ibrahim,  est  la  préface 
de  la  connaissance  de  la  Divinité,  il  a  pour  but  de  délivrer 
celui  qui  arrive  à  cette  connaissance,  le  ei;l£^, des  entraves 

de  la  matérialité  ^1^*.^.  (grec  jÀt,),  comme  a  dit  Mahomet  : 

(c  Celui  qui  se  tait  est  un  homme  sauvé  »  (i). 

Dans  un  autre  passage  du  Medjma  el-bahrein  (2),  Shems 


(1)  Medjma  el-bahrein,  man,  persan  122,  pages  476  et  478. 

2^?  J**  cii^  ^  (j-Aaï  j  ^\x)  ui— .\  ,3=-  J*i  iiAç.  i^  c:^3^     Medjma  el- 

bahrein,  man.  persan  122,  pages  463  et  sqq.     «si"  e — >)  f»jO  v"^^  ^  M*  ^  — - 

*^"-.'-^  i^\}i  (^J"**^  j  -^«i^  S-*^?  jîr"  <^  ^♦^  (_5^^  (i)^  i*^  )  >^^!   <*5^  ij-»vii>^  c>v»«>\y»  j 


ÉTUDES    SLU    L  ÉSOIÉUISME    MUSULMAN.  OO  i 

ed  Din  donne  neuf  autres  conditions  de  la  retraite  qui  dif- 
fèrent sensiblement  de  celles  (jui  viennent  d'être  exposées 
et  dont  voici  le  résumé  : 

La  première  condition  al)solue  de  validité  de  la  retraite 
est  que  le  Souti  doit  chercher  soit  dans  l'intérieur,  soit 
môme  à  l'extérieur  du  couvent,  un  homme  savant  qui  lui 
serve  de  directeur  de  conscience  et  qui  peut  même  être 
une  personne  appartenant  au  siècle.  La  science  ne  peut 


Jkj\»j  M5j-^^  J^;^"^  ■'^'••^'*  ^'"^  "^  c""^  iS^   {ibicL,  p.  470)  JuS  \\c\  j^ji  .  J»i.  i)i<i 
I«UL»    .Ac>   ct>l^'^   .   ^^j    ,J   ^_— iiij   lii    ^::^,v.^!=,5.    JJ    .»-ic^    .Sj     oï«     «J    • u:-^~<../** 

jl;;^^   «j>v-.\   f»\ytt   s^t^J   iS  àiW  ^^    (J,î\  s  \ybj>;;..^  j^o\  j\  ^  u:-->.\  tj?^..  jl?  ^c  j 

^^»à.    Jk.-ïa^jï    àS^   jÔ    \yL?Xi/»  >   e:^-.\    ^^♦^^    •^:^y'   ^  ♦**  ^^   ♦*>   -^   \y\^a^%X^  •  AàiU 

g^,  j^  ^j^  --^'Ay  Jkj^yï!  <5i'.^>y  ^i5  ^3^^'»  u\ («è/fZ.,  p.  472)  Ci— .\  ^^^>s^^^ 

e:-^i^,=-   j\    Sbi\i    («jW   .   ^^à>   .)   |j\    Ll~Jo^\   .   JkOjLj     c:^.j,^à    i^^^^^   (J^   l"^  cîXjUç^    «JjL» 

Ly»  j  [ibid..  page  473)  ci^\  ^«jy.  j  ç_sà  ;>  cU^:^  ^,l.j  ij.^  Jgi^  jk>  S  U  cdj^ 

S->Vîa-^    ^-i    ^^7^ ^5    '''^)    i_5^^'^    ^*^^^^   JiiJy*J 
i.ï-~~>;;jj l.»£   ^^   (Sç^   JkA»l>   ^sLs   <îJ^3'^   («^.'.^  j>J   «J^ 

^;;à&  v»'^^  ;  ^j^    {ibid.,  page  474) j>jk  cd^y  ^Ic-a.    -jW-*  \ï  ^J^)  ^^ya^'j^ 

o^r^  Jj^  er  -"^^  *^V  gy  î''  J"^  ;  o^?3  ^? 

*■=-*— ::'j^-î^  (:y^y  )  '■^:— ^  J^  ^r*^  r^^  ^^  ^  "^=-^^  '3=-  r^  •^.'^jJ  é;^  j  '■^^-^  (:)^>3 

^^Llfe.»  ^  JuS"  ^^/ï^  Ail»  ^jIjU^  (J^^^  3^   O^^-   ^    ^i^ài    slô^U.  j^   Jj  u£\i\  j\ 
„  iJufcUU/»    w_>l^^\  .  ^lîJi/»  tjijiio    v\    Jo    j-àfc^W.  •  JiAil»    cJ»!-»    ij.jfc\     (•*<^ 

^9-  y^j  juS"  ^  >-j^^i.  (Si'  u:,w.sj\  ^v^uijfc  s-*->^  )  i^y»  (^^«V^,  pages  476  et  477) 
^\â=.  iS  ei.v--^\  ^e^  sJ->^  j  ^j^  }  (^■6^■rf.,  page  478)  m,\>  c^=.  àa.^;;»  ^~.  j  Jaj\ji- 

^_5jUjs.-j  JtâiU  ^v-J»  .ly>-  (jj>^  .  J^  o.\.  i»j^~.  ?V^  3^  c^L.  J-J  »>  <!s&J^3^  ci-~»>^i^^-rC 
«juUy*^  ,♦?&£  0^  .  St,\y  ^,»S\£  (ja?\^i.  »__^^i  V«^.  yfc  «  o'^^'*'  î  tS*^~*^  5  1-5^^^ 

(?62d.,  page  480)  jui.1}  ^Uys. 


338  LE    MUSÉON. 

en  effet  s'acquérir  que  de  deux  manières  :  par  l'effort  et 
sans  efl'brt.  Effort  signifie  action,  c'est  ce  qu'on  nomme 
la  vie  de  macérations  jJ^L  ;  sans  effort,  signifie  passivité, 

c'est  ce  qu'on  appelle  la  grâce  révélatrice  aj^o-  (i);  cette 

grâce  est  l'acte  de  l'Être  Unique,  tandis  que  la  vie  ascétique 
^jl.^  est  un  acte  qui  dépend  uniquement  de  la  volonté  de 

l'être  créé  ;  la  seconde  condition  est  que  le  Mystique  qui 
veut  faire  la  retraite,  soit  simple,  soit  de  quarante  jours, 
doit  faire  tous  ses  efforts  pour  choisir  avec  précision  le 
moment  où  il  la  commencera,  de  façon  à  bien  la  faire  en 
temps  opportun  ;  en  effet,  il  ne  convient  point  de  se 
mettre  en  retraite  au  moment  où  le  froid  est  le  plus 
rigoureux  ou  quand  la  chaleur  est  écrasante,  ni  dans  l'ex- 
trême vieillesse  ni  dans  la  trop  grande  jeunesse  ;  il  faut 
pour  cela  un  âge  convenable  et  des  circonstances  extérieu- 
res moyennes,  sans  quoi  on  risque  fort  de  n'en  tirer  aucun 
avantage.  On  reconnait  dans  ces  recommandations  qui 
étonnent  à  première  vue  de  la  part  de  gens  pour  lesquels 
la  vie  ascétique  est  le  moyen  suprême  d'arriver  au  Nirva- 
na, le  juste  milieu  de  la  philosophie  hellénique.  La  troisiè- 
me condition  est  que  le  Soufi  doit  posséder  un  endroitdans 
lequel  il  ne  soit  pas  exposé  à  être  troublé  par  les  allées  et 
venues  de  tous  les  gens  de  façon  à  pouvoir  s'isoler  complè- 
tement et  n'être  dérangé  par  aucune  des  contingences  de 
la  vie.  Le  Soufi  ne  doit  se  laisser  distraire  ni  par  le  bruit 
de  sa  porte  quand  elle  s'ouvre,  ni  par  le  bourdonnement 
des  mouches,  ni  par  n'importe  quel  bruit  de  la  vie  ;  c'est 
là  une  condition  essentielle  pour  qu'il  oublie  son  ipséïté  ; 


(1)  Ce  terme  de  àjjuj.  qui  signifie  une  grâce  spéciale  par  laquelle  Allah 
attire  à  lui  .-jj^.  le  Soufi  sera  étudie  au  cours  de  l'article  suivant. 


ÉTUDES    SUR    l'ÉSOTÉRISME    MUSULMAN.  539 

le  Soufi  dans  sa  cellule,  doit  se  tourner  vers  la  Icibla  et 
réciter  l'Invocation  ^  (i)  mais  d'une  voix  si  faible  que 

personne  ne  l'entende  ;  durant  un  long  temps  cette  réci- 
tation peut  n'être  qu'une  opération  toute  machinale,  mais 
il  arrive  un  moment  où  l'Invocation  entre  dans  le  cœur 
du  Mystique  et  le  remplit  entièrement  ;  cela  se  produit 
seulement  quand  le  Soufi,  grâce  à  sa  vie  claustrale,  a 
perdu  toutes  les  habitudes  et  toutes  les  conventions  de  la 
vie  contingente,  ce  qui,  comme  le  dit  le  mohtésib  Shems 
ed  Din  d'Éberkouh  est  le  but  suprême  que  l'on  doit  cher- 
cher à  atteindre.  La  condition  expresse  pour  la  validité 
de  la  récitation  de  la  formule  de  l'Invocation  est  que  le 
cœur  du  Souli  ne  soit  distrait  par  aucune  contingence  ; 
poui'  ceux  {[ui  sont  seulement  au  commencement  de  la 
vie  ascétique,  l'Invocation  est  la  formule  bien  connue  dans 
l'Islamisme  :  «  Il  n'y  a  pas  d'autre  divinité  qu'Allah  », 
c'est  l'Invocation  de  la  communauté  musulmane.  Il  est 
intéressant  de  remarquer  à  ce  propos  que  les  Soufis  n'ajou- 
tent pas  comme  les  Musulmans  ordinaires  «  et  Maho- 
met est  son  Prophète  ».  Ceux  qui  sont  arrivés  au  milieu 
de  la  «  Voie  »  disent  :  «  Il  n'y  a  pas  d'autre  Ipseïté  que 
Lui  »  ;  c'est  la  formule  de  l'Unité  _x^=»jj  des  élus;  ceux  enfin 

qui  sont  parvenus  aux  limites  extrêmes  de  la  Voie  mysti- 
que se  bornent  à  dire  «  Lui  !  »  C'est  la  formule  des  Élus 
par  excellence.  Chaque  fois  que  le  Soufi  qui  est  parvenu 
au  point  le  plus  lointain  de  la  «  Voie  »  mystique  dit 
«  Lui  !  »,  il  disperse  dans  les  six  directions  de  l'Espace  les 
cinq  stades  de  l'Existence  (2)  parce  qu'aucune  existence  ne 


(1)  ou  plus  exactement  la  formule  :  «  Il  n'y  a  pas  d'autre  divinité  qu'Al- 
lah „. 

(2)  En  disant  houa,  qui  est  composé  de  h  qui  vaut  5  et  de  v  qui  vaut  6. 


540  LE    MUSÉON. 

peut  conserver  son  ipseïté  en  présence  de  Tlpseïté  de 
l'Être  Unique. 

La  quatrième  condition  de  la  validité  parfaite  de  la 
retraite  est  de  n'user  rigoureusement  que  des  aliments 
licites. 

La  cinquième  est  de  répéter  le  plus  souvent  possible  les 

ablutions  "^-^3  (jui,  de  l'avis  de  tous  les  théologiens  et 
traditionnistes  musulmans,  est  l'arme  la  plus  etlicace  du 
croyant  contre  les  attaques  du  démon  ;  elle  consiste  aussi 
à  s'acquitter  avec  la  plus  grande  régularité  des  prières 
canoniijues  ;  une  tradition  attribuée  à  Mahomet  dit  à  ce 
sujet  :  ce  Celui  qui  prie  converse  avec  son  Maître  et  Dieu 
est  matériellement  dans  le  milirah  de  celui  qui  lui  adresse 
une  oraison  ». 

La  sixième  est  d'observer  un  jeune  rigoureux  pendant 
la  retraite  de  40  jours  ;  en  effet,  le  jeune  émacie  le  corps 
et  le  garde  des  attaques  du  démon. 

La  septième  consiste  dans  le  silence  ;  le  silence,  dit  le 
mohtésib  d'Eberkouh,  dans  le  Mcdjma  el-baliréin,  a  deux 
aspects  :  l'un  concerne  la  langue,  c'est  le  silence  matériel  ; 
l'autre  regarde  le  cœur,  c'est  le  silence  sjdrituel.  Le 
silence  spirituel  consiste  dans  ce  t'ait  que  le  co'ui'  du  dévot 
n'écoute  plus  les  sentiments  qui  émanent  de  son  àme  ^«ii 

et  qui  ne  peuvent  se  rapporter  qu'aux  contingences,  pour 
n'écouter  que  les  sentiments  (jui  lui  sont  inspirés  par  le 
Rahman,  c"est-à-dire  par  r£tre  Unique.  Le  silence  maté- 
riel est  celui  que  peuvent  garder  tous  les  adeptes  du  Sou- 
fisme .Lp  ;  quant  au  silence  spirituel,  il  n'y  a  ({ue  les  «  Par- 
venus )),  ceux  qui  sont  airivés  aux  dernières  limites  delà 
c(  Voie  »,  iLjh,  à  la  Connaissance  j)l<.1,  ((ui  peuvent  l'ob- 
server ;  ce  sont  les  ^a\j^\  ^o\^^ 


ÉTUDES    SUR    LÉSOTÉRISME    MUSULMAN.  341 

La  huitième  consiste  à  peu  dormir,  la  veille  est  d'ail- 
leurs le  résultat  fatalement  amené  par  le  jeûne. 

La  neuvième  et  dernière  condition  indiquée  par  le 
mohtésib  d'Éberkouh  est  que  le  Soufi  doit  bien  connaître 
la  véritable  nature  des  inclinations  de  son  cœur  Ul  c^  de 
façon  à  savoir  dans  quel  sens  il  est  bon  qu'il  agisse  et  dans 
quelle  mesurCjljJL,.  Ces  inclinations,  qui  portent  l'esprit 

et  le  cœur  du  Mystique  à  faire  telle  ou  telle  chose  suivant 
leur  nature,  peuvent  se  rapporter  à  quatre  genres  tout  à 
fait  différents  :  celles  qui  sont  produites  par  l'Être  Unique 
agissant  avec  les  attributs  qui  sont  attachés  à  l'épithète 
de  c(  Miséricordieux  »  jUo-j  et  à  celle  de  «  Souverain  » 

^^,  celles  qui  sont  produites  par  l'àme  ^JlI  du  Mystique, 

celles  enfin  qui  sont  causées  par  le  démon  ;  chacune  de  ces 
inclinations,  de  ces  impulsions  données  au  cœur  du  Soufi 
ont  des  propriétés  particulières  et  elles  se  révèlent  par 
des  signes  spéciaux  et  qui  varient  des  unes  aux  autres  ;  ce 
sont  ces  signes  que  les  Mystiques  nomment  dans  leur  ter- 
minologie ^lyL  oli;«*. 

Un  passage  de  VAvarif  el-Méarif  montre  l'importance 
que  les  Soufis,  et  en  général  les  personnes  qui  voulaient 
parvenir  à  la  béatitude  dans  l'autre  monde,  attribuaient 
à  la  pratique  de  la  retraite.  Il  y  est  dit  que  des  gens  ayant 
été  témoins  des  avantages  extraordinaii-es  que  les  Mys- 
tiques retiraient  de  leurs  retraites  et  de  leurs  macérations 
voulurent  les  imiter  sans  rien  avoir  du  Soufi  et  ([ue,  loin 
d'arriver  à  la  quiétude,  ils  ne  cessèrent  d'être  tourmentés 
par  le  démon.  Cela  prouve  surabondamment  que  ces  qua- 


34^  LE    MUSÉON. 

rantaines  n'ont  d'utilité  que  si  l'on  est  Soufi  et  que  si 
l'on  connait  la  Règle  (i). 

{A  continuer.)  E.  Blochet. 


(1)  ^gJuc  J'=""^)  à*^\^  (^  iJ^\  ^y/>-j  («y»  ^t^^i)^^)  ï^^\  (3^;^  o*  ^  "^i 
d>ijW   (^    A^aj; — j»    |J-o\    w^c      _Ic   Ï*1&J\    ^î^'*)  Jjy*^^    *^^-    »»0c^^    C^)    (jWa*Ju3\ 

J^\  (j=«s?^}  JU;^Ï\  ^  ^Aa^  liJGJ  v-i^  ^yai.n  \yuùJk»  S->^^i^j  S-^»\;Aj  \jà&>jij 
^..àiî  J^^  (_/5^^^  (_r«iJ\  J^^^  ''^*;  CiH*^^  iUïuJ  BJia.^^^  ïy^\  hj^^  <*f^^  ^^> 
Avarif  el-Méarif,  ms.  ar.  1332,  folio  78  verso.... 

C'est  dans  le  même  sens  qu'un  Mystique  a  dit  :  Ceux  qui  entrent  en 
retraite  sans  en  remplir  intégralement  toutes  les  conditions,  la  calamité 
tombe  sur  eux.  »  ^gtj^  ^>  ï^^\  \^>i  f»y»  ^Ic  ï.jj^\  ctJi<i.o  jJ>j  ;  ms.  arabe 
1332,  fol.  79  recto. 


LES 

IDÉES  RELIGIEUSES  ET  SOCIALES 
DU  MAHÂBHÂMTA 


ADIPARVAN 

PAR 

A.  ROUSSEL 

Professeur  de  sanscrit  a  l'Université  de  Fribourg  (Suisse). 


IX.  Mort. 


Le  poète  commence  par  établir  que  tous  les  hommes 
doivent  nécessairement  mourir  (i).  Ce  que  nous  avons  de 
mieux  à  faire,  en  face  de  cette  fatalité  inéluctable,  c'est 
de  nous  rési2;ner  et  d'en  prendre  courageusement  notre 
parti. 

Jaritâri,  l'aîné  des  fils  de  Mandapâla  et  de  Jaritâ,  disait  : 

«  Le  sage  demeure  vigilant  en  face  de  la  mort,  et  quand 
la  mort  se  présente,  il  n'en  ressent  pas  les  affres.  L'im- 
prévoyant, au  contraire,  qui  ne  veille  pas,  quand  l'heure 
critique  approche,  en  ressent  les  angoisses  et  n'atteint  pas 
le  salut  »  (2). 

Pour  les  Hindous,  le  dieu  de  la  Mort,  c'est  Yama  qui 
envoie  ses  serviteurs,  munis  d'un  filet,  lui  chercher,  chaque 
jour,  sa  provision  de  victimes.  Une  fois,  cependant,  il 


(1)  CLVIII,  2.  —  S.  Paul  a  dit  :  Statutum  est  hominibus  semel  mori. 
Heb.  IX,  27. 

(2)  CLXXXII,  1  et  2.  —  Cf.  Matt.  XXV,  13.  Marc,  XIII,  33. 


54-4  LE    MLSI^:ON. 

iiéii'liii'ea,  volontaiicnient  du  reste,  de  l'aire  mourii'  les 
hommes.  Voici  eoinment  Vyàsa  raconta  révènement  à 
Di'iipada. 

<(  Autrefois  les  Dieux  étahlii'cnt  un  salira  (i)  dans  la 
t'orèl  de  Nainiisha  (-2).  Varna,  lils  de  Vivasvat,  remplit 
rofïice  de  sacrificateur  (.-).  Pendant  qu'il  était  ainsi  occu- 
pé, il  s'abstint  de  taire  périr  les  êtres  (humains)  qui, 
é})argnés  [)ar  le  temps  et  ne  mourant  plus,  devinrent  très 
nond)i'eux.  Soma,  Çakra,  Varuna,  Kubera,  les  Sâdhyas  (4), 
les  Rudras,  les  Vasus  (.•>),  les  deux  Âevins,  Prajàpati, 
le  guide  de  l'univers,  el  d  autres  dieux  accoururent  ]jrès 
du  gourou  des  mondes  ((>),  et  lui  dirent  :  «  Nous  voici 
saisis  d'etlVoi  en  voyant  les  hommes  se  multiplier  (ainsi). 
Treml)lants  d'épouvante,  et  désirant  (recouvrer  notre) 
félicité,  nous  nous  l'éfugions  tous  près  de  toi  ». 

L'aïeul  leur  répondit  :  «  Poui'quoi  donc  cette  frayeur 
ins[»irée  par  les  hommes  ?  Puis({ue  vous  êtes  immortels, 
vous  n'avez  rien  à  redouter  des  mortels.  » 

Les  Dieux  reprirent  :  a  Les  mortels  étant  devenus 
immortels,  il  n'y  a  plus  de  ditférence  (entre  eux  et  nous). 
Cette  parité  nous  fait  peur  et  nous  sommes  venus  pour 
que  (tu  rétablisses)  la  distinction  (entre  les  Dieux  et  les 
hommes)  ». 


(1)  On  appelle  ainsi  un  sacrifice  spécial  où  le  soma  coule  à  flots  ainsi 
que  le  sang  des  victimes. 

(2)  Forêt  illustrée  par  les  solitaires  qui  y  fixèrent  leur  demeure. 

(3j  II  lit  le  çàmitra,  c'est-à  dire  qu'il  fut  chargé  de  découper  les  chairs 
des  victimes  et  de  les  jeter  dans  le  feu  sacré. 

(4)  Dieux  secondaires,  nés  de  Dharma  et  de  Sâdhj'â,  ou  encore  flls  du 
Manu  Càkshusha  et  frères  des  Viçvas.  Cf.  Bhàg.  Pur.  2,  III,  4  ;  6,  VI,  15. 

(û)  Les  Vasus  sont  au  nombre  de  huit  ;  ils  sont  issus  de  Dharma  et  de 
Vasu,  tille  do  Daksha.  Bhàg.  P.  6,  VI,  10. 

(6j  Brahmà. 


IDÉES    RRIJGIKLSKS    ET    SOCIALES    DU    MAIIÂBIIARATA.       545 

Le  vénérable  et  bienheureux  (Brahmà)  dit  :  «  Le  fils  de 
Vivasvat  étant  oceupé  au  sattni,  voilà  pourquoi  les  hommes 
ne  meurent  point.  Lorsqu'il  aura  terminé  son  otïice,  le 
trépas  les  (visitera)  de  nouveau  (i)  ». 

Un  Rsi  avait  prédit  à  Pàndu  qu'il  mourrait  le  jour 
où  il  se  laisserait  entraîner  à  1  ivresse  des  sens.  Il  dépen- 
dait de  lui,  par  conséquent,  d'échapper  au  tombeau.  Dans 
ce  but,  il  s'abstint  longtemps  de  toute  volupté.  Malheu- 
reusement, il  s'oublia  un  jour  avec  Màdri  et  il  paya  de  sa 
vie  son  imprudence  (2). 

Cependant  l'infortuné  Pàndu  fut  enseveli  suivant  les 
rites  ;  et  lorsque,  le  temps  venu,  on  célébra  en  son  hon- 
neur le  çrâdda,  il  prit  rang  définitivement  parmi  les 
Pitrs  (5). 

Les  Dieux  de  l'Inde,  à  rencontre  de  ceux  de  la  Grèce, 
j'entends  de  la  Grèce  homérique,  pouvaient  être  tués, 
du  moins,  en  principe  ;  à  plus  forte  raison  pouvaient- 
ils  être  blessés,  à  leur  exemple.  Dans  l'Iliade,  en  effet, 
nous  voyons  Diomède  blesser  Vénus  à  la  main  (4),  et 
Dionée,  sa  mère,  que  la  déesse  va  trouver  en  pleurant,  lui 
raconte  comment  autrefois,  pour  îivoir  également  voulu 
se  mêler  aux  querelles  des  hommes,  le  dieu  Mars,  lui- 
même,  faillit  périr  dans  un  cachot  où  il  demeura  enfermé 
durant  treize  mois  (5). 

Ici,  ce  sont  tous  les  Immortels,  Çakra  en  tête,  qui 
luttent,   armés  chacun   dune  façon   spéciale,  contre  les 


(1)  CXCVII.  1-7. 

(2)  CXXV.  C'est  un  peu  la  légende  de  Laïus. 

(3)  CXXVI,  33. 

(4)  lUiade  H,  336. 

(5)  Ibid.  385  et  seq.  Cf.  les  chants  XX  et  XXI  où  les  Dieux  se  battent  et 
se  blessent  mutuellement. 

24 


546  LE    Ml'SÉON. 

seuls  Ai'juna  et  Krsna.  Le  roi  des  Dieux,  le  tonnerre  à  la 
main,  était  monté  sur  son  éléphant  blanc.  Telle  la  Mort 
sur  son  cheval  pâle,  dans  l'Apocalypse  (i).  Ai'juna  et 
Krsna  demeurent  invincibles.  Ils  font  un  horrible  mas- 
saci'C  de  Daityas  et  de  Danavas  (2).  Mais,  prenons  garde. 
Ces  divinités,  bien  (jue  massacrées,  continuent  souvent 
à  se  porter  assez  bien.  C'est  ainsi  (|ue  la  tête  coupée  de 
Râhu  roule  vivante  dans  l'espace,  au  grand  effroi  du 
soleil  et  de  la  lune  qu'elle  avale  provisoirement  de  temps 
à  autre,  ce  (|ui  nous  vaut  les  éclipses  solaii'es  et  lunaires(5). 
Cependant  Arjuna  et  Krsna  restèrent  maîtres  du  champ 
de  bataille  (}ue  les  Dieux  vaincus  abandonnèrent,  pleins 
d'épouvante,  et  s'abritant  derrière  Indra  lequel  s'émerveil- 
lait de  l'héroïsme  prodigieux  des  deux  guerriers  (ju'il  ne 
reconnaissait  pas^i).Une  voix  immatéiieUe  lui  apprit(ju'Ar- 
juna  et  Krsna  ét.aient  la  double  incarnation  de  Nara  et  de 
Nàrâyana  c"est-à-diie  de  Visiiu  (.;),  et  dès  lors  il  ne  devait 
plus  s'étonner  de  les  voir  invincibles.  Il  put  même  se 
rappeler,  et  nous  avons  quebpie  di'oit  d'être  surpris  qu'il 
ne  l'ait  point  fait  tout  d'abord,  quAi-juna  était  son  propre 
fils,  et  qu'il  l'avait  eu  de  Kuntî  (e).  Nous  savons  que  cette 
princesse  était  l'une  des  deux  épouses  de  Pându,  con- 
damné à  n'avoir  d'enfants  que  pai-  le  moyen  de  l'adop- 
tion. Anila,  le  dieu  du  vent,  s'unit  aussi  à  Kuntî  qu'il 
rendit  mère  de  Bhîma.  Lorsque  le  chef  des  Asuras,  le 
Rakças  Baka,  engagea  plus  tard  une  lutte  terrible  avec  le 


(1)  VI.  s. 

(2)  CCXXVII,  27. 

(3)  Cf.  Bhâf,'.  Pur.  .5,  XXIV,  2;  6,  XVIII,  12,  13  ;  8,  IX,  24  et  seq. 

(4)  CCXXVII,  43  et  seq. 
(.5)  CCXXVIII,  15  et  seq. 

(Gj  Cf.  Bhâg.  Pur.  9,  XXII,  2(5. 


IDÉES    RELIGIEUSES    ET    SOCIALES    DU    MAIIÂBIIÂRATA.       5i7 

jeune  Pândava,  Kuntî  ne  douta  pas  un  instant  que  Bhîma 
n'en  sortît  vainqueur. 

«  Non,  ce  Râksasa  ne  saurait  tuer  mon  fils  qui  est 
vaillant,  instruit  à  fond  dans  la  science  des  mantras  et 
plein  d'héroïsme  »  (i). 

Savoir  les  formules  d'incantation  désignées  sous  le 
nom  de  mantras,  c'était  l'un  des  moyens  les  plus  puis- 
sants contre  la  mort.  Chez  les  Hindous  ces  sortes  de  prières 
s'appelaient  cuirasses  ;  elles  rendaient  invincihle,  c'était 
une  armure  impénétrahle  aux  traits  de  l'ennemi. 

Plus  haut  l'on  a  vu  l'histoire  du  roi  Kalmasapàda  mau- 
dit pas  l'ascète  Çakti,  le  fils  de  Vasistha,  qu'il  avait 
insulté  et  condamné  à  vivre  de  chaii'  humaine,  comme 
un  Râksasa  (2).  Le  lecteur  se  souvient  <{ue  Viçvâmitra, 
Vennemi  de  tout  le  monde,  en  général,  et  tout  spécialement 
de  Vasistha  (0),  saisit  l'occasion  et  ordonna  au  Râksasa 
Kinikara  de  s'emparer  de  Kalmasapàda  qui  dès  lors  fut 
possédé  de  ce  démon  (4).  Çakti  et  ses  frères  furent  préci- 
sément les  pi'emières  victimes  de  la  faim  homicide  du 
monarque. Vasistha  reconnut  l'œuvre  de  son  l'ival  ;  il  sup- 
porta son  chagrin,  pareil  à  un  grand  mont,  chargé  du 
fardeau  de  la  terre  {:■>).  Plutôt  (pie  de  se  laisser  emporter 
par  la  colère  et  <pie  de  maudire  la  race  de  Kuçika,  à 
laquelle  appartenait  son  ennemi,  il  résolut  de  se  donner 
lui-même  la  mort.  Il  fit,  à  ce  sujet,  })Iusieurs  tentatives 
qui  restèrent  vaines.  Tout  d'ahord,  il  se  pj'écii)ita  du  haut 
du  Méru  ;  il  se  jeta  ensuite  au  milieu  d'un  hrasier,  puis 


(1)  CLXI,  14. 

(2)  Cf.  tiré  à  part  p.  Tf.  et  88. 

(3)  Tous  deux  s'étaient  disputé  la  tutelle  de  ce  pi'inco. 

(4)  CLXXVI,  21  et  seq 

(5)  Id.  43. 


548  LE    MUSÉON. 

au  fond  de  la  mer,  une  jjieri'e  au  eou.  Tout  fut  inutile. 
Le  grand  Muni  ne  parvint  nieine  pas  à  se  faire  le  moindre 
mal.  Désolé,  il  regagna  son  ermitage.  Bientôt  il  recom- 
mença ses  tentatives,  sans  plus  de  succès.  Il  se  lia  de 
fortes  cordes  et  se  lança  ainsi  garrotté  dans  une  rivière 
qui  rompit  ses  liens  et  le  déposa  sain  et  sauf  sur  la  rive. 
En  conséquence,  il  la  noiximaVipâçâ  (i).  Il  courut  alors  se 
plonger  dans  une  autre  appelée  Haimavatî  parce  qu'elle 
sortait  de  l'Himavat  ;  mais,  au  contact  du  corps  de  l'ascète, 
comme  si  c'eût  été  un  feu  irrésistible,  cette  rivière  se  par- 
tagea aussitôt  en  cent  courants  et  s'échappa  dans  cent 
directions  diverses,  en  laissant  Vasistha  sur  le  sable  ;  ce 
qui  lui  valut  le  suinom  de  Çatadru  (2).  Bientôt  après,  le 
solitaire  ayant  reconnu  que  la  veuve  de  Çakti,  Adrçyantî, 
était  enceinte,  renonça  à  ses  idées  de  suicide,  puisque  sa 
race  allait  se  perpétuer,  contre  son  attente. 

Lorsqu'il  cherchait  à  se  tuer,  Vasistha  oubliait  la 
parole  qu'il  mettait  un  jour  dans  la  bouche  des  Pitrs,  en 
racontant  l'histoire  des  Blirgus  :  «  Celui  cpii  se  détruit 
lui-même  n'atteint  pas  le  séjour  du  bonheur  «  (sj.  Cette 
histoire  est  assez  curieuse  pour  être  narrée  au  moins 
sommairement.  Les  Ksatriyas  avaient  exterminé  la  race 
des  Bhrgus.  Une  femme  Bhrgu  qui  était  enceinte  voulut 
sauver  son  fruit  en  l'enfermant  dans  sa  cuisse.  Elle 
fut  dénoncée  par  une  Brahmine  aux  Ksatriyas,  mais 
lorsqu'ils  vinrent  pour  lui  airacher  son  enfant,  celui-ci, 
sortant  de  la  jambe  où  il  était  enfermé  projeta  une 
lumière  si  éclatante  qu'ils  en  furent  aveuglés  (4).  Ils  con- 


(1)  Celle  qui  n'a  iioint  de  liens,  ou  celle  qui  brise  ses  liens.  CLXXVII,  6. 
(<i)  Celle  qui  fuit  de  cent  côtés,  kl.  9. 
(;i)  CLXXIX,  20 
(4j  CLXXVIII,  25. 


IDÉES    RELIGIEUSES    ET    SOCIALES    DU    MAHÀBHÂUATA.      349 

jurèrent  cet  enfant  à  qui  sa  naissance  merveilleuse  mérita 
le  nom  d'Aurva  (i)  de  leur  rendre  la  vue,  ce  qu'il  fit  ;  mais 
en  même  temps  il  fut  si  irrité  de  l'anéantissement  de  sa 
tribu  qu'il  se  résolut  d'exterminer  les  Ksatriyas  à  leur 
tour,  avec  les  sept  mondes.  Ses  Pitrs  le  détournèrent  de 
ce  dessein  en  lui  apprenant  que  dans  leur  race,  lorsque 
l'âge  se  fait  sentir  et  qu'ils  deviennent  décrépits,  les 
Bhrgus,  pour  se  voir  débarrassés  du  fardeau  de  l'existence, 
tout  en  évitant  le  suicide  qui  est  défendu,  recourent  à  un 
stratagème  ([ui  leur  réussit  toujours.  Ils  cachent  en  terre 
des  trésors  afin  d'exciter  la  cupidité  des  Ksatriyas  qui, 
pour  s'en  emparer,  les  massacrent  alors  jusqu'au  dernier, 
sans  même  respecter,  on  vient  de  le  voir,  les  enfants  au 
sein  de  leur  mère,  pour  Ies(|uels  cependant  la  vie  qu'ils 
ne  sentent  pas  encore  ne  saurait  être  un  faix  bien  acca- 
blant. Sur  le  conseil  de  ses  Pitrs,  Aurva  laii^a  le  feu  de 
sa  colère  dans  l'Océan.  Ce  feu  se  changea  en  une  tête  de 
cheval  qui  but  toute  l'eau  de  la  mer  (2). 

Yasistha  racontait  ces  merveilleuses  histoires  à  son  petit- 
fils  Paràçara,  pour  le  détourner  de  détruire  les  mondes, 
ainsi  qu'il  en  avait  l'intention  (3).  Du  moins  Parâçara 
voulut-il  venger  sur  tous  les  Râkshasas,  la  mort  de  son 
père  Çakti,  dévoré,  on  l'a  dit  plus  haut,  par  l'un  d'eux, 
Kiiîikara,  dont  était  possédé  le  roi  Kalmâsapada.  11  pro- 
céda, dans  ce  but,  à  un  sacrifice  de  Ràksasas,  comme 
autrefois  Janamejaya  au  sacrifice  des  serpents,  afin  de 
punir,  par  l'extinction  de  sa  race,  ïaksaka,  le  meurtrier 
de  Parîksit,  son  père.  Cédant  à  l'irrésistible  impulsion 


(!)  N(f  de  la  cuisse.  CF.XXIX,  S. 

(2)  CLXXX,  22.  Hayaçiras  :  Celui  qui  a  icne  tète  de  cheval,  désigne 
l'un  des  avatars  de  Vishnu.  Cl'.  Bluig.  I-*ur.  7,  IX,  ;J7. 

(3)  CLXXX,  23. 


5o0  LE    MUSÉON. 

des  mantras  évocateuis,  les  Râksasas  tombaient  par 
bataillons  dans  le  feu  du  sacrifice.  Ils  allaient  tous  périr, 
loi'sque  Pulastya  et  Vasistha  décidèrent  le  fils  de  Çakti  à 
mettre  fin  au  sacrifice  (i). 

«  Alors  Paràçara  jeta  le  feu  qu'il  avait  allumé  pour 
l'immolation  de  tous  les  Râksasas  sur  le  versant  nord, 
couvert  de  forêts,  de  l'Himavat  »  (-2). 

Ruru,  le  fils  de  Pramati,  venait  de  perdre  sa  jeune 
femme,  Pramadvarà,  dont  il  avait  un  tils,  Çunaka.  11  se 
désolait  près  du  cadavre,  et  conjurait  le  ciel  de  lui  rendre 
sa  bien  aimée.  Les  dieux  lui  députèrent  un  messager  qui 
lui  dit  :  «  Tes  plaintes  sont  inutiles,  ô  Ruru,  homme  de 
devoir,  le  mortel  ne  peut  revenir  à  la  vie  »  (3). 

Après  avoir  établi  ce  principe,  le  messager  ajoute  aussi- 
tôt que  s'il  consent  à  donner  la  moitié  de  sa  vie,  son 
épouse  revivra.  La  condition  est  acceptée  ;  aussitôt  le  roi 
des  Gandharvas,  dont  Pramadvarà  était  la  lille,  et  le  mes- 
sager céleste  s'en  vont  trouver  Dharmaràja,  le  dieu  des 
Morts,  qui  consent  à  relâcher  sa  victime  (4). 

Paràçara  dont  nous  parlions  tout  à  l'heure  fut  ainsi 
nommé  (o)  parce  (|ue  Vasistha,  son  aïeul  paternel,  cessa, 
nous  l'avons  vu,  ses  tentatives  de  suicide,  lorsqu'il  eût 
reconnu  que  sa  belle-fille  Adrçyantî,  la  veuve  de  Çakti, 
était  enceinte.  C'est  comme  s'il  eût  ramené  son  grand- 
père  à  la  vie  (o). 

Les  exemples  de  morts  revenus  à  l'existence  sont  assez 


(1)  CLXXXI. 

(2)  Id.  22. 

(3)  IX,  7. 

(4)  14  et  seq. 

(5)  De  Paràsuli  :  qui  a  ou  qui  donne  une  autre  vie.  C'est  une  étymo- 
logie  par  à  peu  près. 

(6)  CLXXVIII,  3. 


IDÉES    RELIGIEUSES    ET    SOCIALES    DU    MAIIÂBHÂKÂTA.       551 

peu  rares,  dans  ces  vieilles  légendes  ;  et  le  plus  souvent 
il  s'agit  de  morts  véritables  ;  le  cas  de  Vasistha  est  spécial  ; 
il  ne  saurait  entrer  en  ligne  de  compte  parmi  les  résur- 
rections. 

Çântanu,  l'époux  de  la  divine  Gangâ,  dut  son  nom  à  la 
vertu  qu'il  avait  de  rajeunir  les  vieillards  en  les  touchant 
des  deux  mains  (i).  Ramener  un  vieillard  en  arrière,  le 
faire  rétrograder  jusqu'à  la  jeunesse,  cela  pouvait  bien 
passer  pour  une  résurrection.  Le  poète  observe  que  ce 
qui  caractérisait  ce  rajeunissement,  c'était  le  réveil  des 
sens  émoussés  par  le  grand  âge. 

Puisque  nous  sommes  au  chapitre  des  résurrections 
ou  des  rajeunissements,  nous  signalerons  un  fait  assez 
curieux,  très  curieux  même,  qui  se  passa  lors  de  la  guerre 
des  Suras  et  des  Asuras.  Les  Suras  constatèrent  que  les 
ennemis  qu'ils  tuaient  étaient  aussitôt  ramenés  à  la  vie 
par  Uçanas  (2),  tandis  que  Brhaspati  ne  parvenait  pas  à 
ressusciter  leurs  morts,  parce  qu'il  ignorait  la  science 
de  la  Samjîvani,  de  la  résurrection  (3).  Ils  décidèrent  alors 
Kaca,  le  fils  de  Brhaspati  à  se  rendre  près  d'Uçanas  pour 
se  constituer  son  disciple  et  essayer  de  lui  dérober  son 
secret.  11  y  avait  cinq  cents  ans  que  Kaca  vivait  près 
d'Uçanas,  lorsque  les  Dànavas  devinèrent  son  dessein.  Ils 
résolurent  d'en  empéchei*  l'accomplissement.  Ils  le  tuèrent 
une  première  fois,  dépecèrent  le  cadavre  et  le  donnèrent 
à  manger  aux  chacals  et  aux  loups  de  la  forêt.  Sur  la 
prière  de  sa  fille  Devayânî  qui  était  éprise  du  jeune  homme 


(1)  XCV,  46.  Çântanu,  celui  dont  le  corps  est  sain,  ou  rend  sain. 

(2)  Cf.  Bhâg.  Pur.  8,  XI,  47.  Çuka,  le  narrateur,  observe  cependant 
qu' Uçanas  ne  ranimait  que  ceux  des  Asuras  qui  avaient  encore  leurs 
membres  et  dont  la  tête  n'était  point  tranchée. 

(3)  LXXVI,  7  et  seq. 


5o2  LE    iMUSÉON. 

—  car  en  dépit  des  cinq  cents  ans  écoulés  Kaca  était  tou- 
jours demeuré  jeune,  comme  aussi  Devayànî,  du  reste,  — 
Liçanas  ressuscita  son  disciple  que  les  démons  mirent 
à  mort  une  seconde  fois  et  qu'ils  jetèrent  à  la  mer,  après 
avoir  réduit  son  corps  en  bouillie.  Une  seconde  fois,  sur 
les  instances  de  Devayàni,  l'ascète  rendit  la  vie  à  Kaca. 
Les  ennemis  des  Suras  qui  voulaient  à  tout  prix  se  défaire 
de  Kaca  imaginèrent  ce  dernier  moyen.  Ils  le  tuèrent  à 
nouveau,  l'incinérèrent  et  mêlèrent  la  cendre  au  vin 
d'Uçanas  qui  l'avala,  sous  cette  forme.  Devayànî  conjura, 
une  fois  de  plus,  son  père  de  lui  rendre  son  bien  aimé. 
Uçanas,  employant  sa  formule  magique  ordinaire,  somma 
le  jeune  homme  de  répondre  à  son  appel.  (]e  fut  alors, 
comme  nous  l'avons  vu  ailleurs,  que  Kaca  lui  paila  du 
fond  de  son  estomac.  Le  solitaire  se  trouva  bien  embar- 
rassé, car  il  ne  |>ouvait  le  faire  sortir  de  là  qu'au  dépens 
de  sa  propre  vie.  Les  Dànavas  s'applaudissaient  déjà  du 
succès  de  leur  stratagème,  lorscju'Uçanas  s'avisa  d'ap- 
prendre à  Kaca  sa  formule  évocatrice,  afin  ([ue  ressuscité 
et  sorti  de  son  corps,  il  pût  le  ressusciter  à  son  tour,  ce 
qui  fut  fait. 

Plus  tard,  nous  l'avons  vu,  Devayànî  maudit  Kaca  qui 
refusait  de  lépouser,  et  lui  dit  que  sa  science  ne  lui  ser- 
virait pas.  «  Si  elle  ne  me  sert  pas,  lui  répondit  Kaca, 
elle  servira  du  moins  à  qui  je  la  transmettrai  »  (i).  Et  il 
la  transmit  aux  Dieux  qu'il  alla  retrouver  (2).  C'est  ce  ([ui 
assura  la  supériorité  de  ceux-ci  sur  leurs  adversaires  avec 
([ui  d'ailleurs  Uçanas  s'était  bi'ouillé,  au  sujet  de  Kaca  (5) 

Cependant  Uçanas  que  l'on  nomme  encoi'e  Çukra  voulut 


(1)  LXXVII,  20. 

(2)  LXXVIII,  1. 

(3)  LXXVI.  (iU  et  seq. 


IDÉES    IIELIGIELSES    ET    SOCIALES    DU    MAUÂBIIAHATA.       553 

tirer  lui-même  la  moralité  de  son  histoire.  C'était  sa 
passion  pour  le  vin  qui  lui  avait  fait  avaler  Kaca.  Il  notifia, 
en  conséquence,  défense  aux  Brahmanes,  à  l'avenir,  de 
boire  du  vin.  Quiconque  enfreindrait  cette  loi  serait  con- 
sidéré comme  déchu  de  sa  dignité,  coupable  de  brahma- 
nicide  et  réprouvé  en  ce  monde  et  dans  l'auti'e  (i). 

X.  Destin. 

Saiîijaya  disait  à  Dhrtaràstra,  pour  le  consoler  d'avance 
de  la  mort  des  Kurus,  ses  fils  : 

«  Â  quoi  te  servirait-il  de  déplorer  ce  qui  est  inévitable  ? 
Qui  saurait  à  force  de  sagesse  écarter  le  Destin  i  Nul  ne 
peut  se  détourner  de  la  voie  que  lui  traça  le  Régulateur  (2). 
Tout  a  sa  racine  dans  le  Temps  (5)  :  l'être  et  le  non-être, 
le  bonheur  et  l'infortune.  Le  Temps  émet  les  êtres,  et  c'est 
lui  qui  les  détruit.  Lorsque  le  Temps  détruit  les  êtres, 
il  ne  peut  être  apaisé  que  pai'  le  Temps.  C'est  le  Temps 
qui,  dans  tous  les  mondes,  rend  les  êtres  heureux  ou  mal- 
heureux. Après  avoir  anéanti  toutes  les  créatures,  le 
Temps  les  émet  de  nouveau.  Le  Temps  veille,  quand  (tout) 
dort  ;  il  est  irrésistible.  Le  Temps  foule  aux  pieds  tous  les 
êtres  indifféremment,  sans  qu'on  puisse  l'arrêter.  Puis- 
que tu  sais  que  tous  les  êtres  passés,  futurs  et  présents 
dépendent  du  Temps,  tu  ne  dois  pas  te  laisser  troubler»  (4). 

Kàla  ou  le  Temps  n'est  autre  que  la  Divinité,  daivam  (s). 


(1)  I.XXVI,  67. 

(2)  Brahmà  dont  le  rôle  consiste  à  émettre  les  mondes  et  à  régler  leur 
disposition. 

(3)  Kàla,  identitié  ici  avec  la  destinée. 

(4)  I,  246  et  seq. 

[ô)  Cf.  Cosmologie  hindoue  173  et  seq. 


554  LE    MUSÉON. 

Il  joue  à  la  fois  les  rôles  de  Brahmâ,  de  Vishnu  et  de  Çiva, 
puisqu'il  crée,  conserve  et  détruit  les  êtres.  C'est  Brahme 
lui-même  qui  agit,  non  pas  aveuglément,  comme  la 
Fatalité  antique,  la  Tû-^ri  des  Grecs,  mais  irrésistiblement, 
comme  elle,  bien  qu'avec  intelligence  et  préméditation. 
C'est  plutôt  la  Providence,  comme  l'a  compris  l'Hindou 
Pratâp  (i). 

Nous  avons  vu  précédemment  que  les  serpents  avaient 
été  maudits  par  Kadrù,  leur  mère,  pour  désobéissance. 
Vâsuki,  l'aîné  d'entre  eux,  après  avoir  établi  en  principe 
que  l'on  pouvait  échapper  à  toutes  les  malédictions, 
excepté  à  la  malédiction  maternelle,  ajoutait,  en  parlant 
à  ses  frères  : 

«  En  entendant  (notre  mère)  prononcer  cette  malédic- 
tion, à  la  face  de  1  Immuable,  de  l'Incommensurable  et 
du  Vrai  (2),  j'ai  senti  mon  cœur  palpiter.  Désormais  notre 
extermination  complète  est  imminente,  puisque  le  Dieu 
qui  n'éprouve  aucun  changement  ne  l'a  pas  arrêtée,  lors- 
qu'elle nous  maudissait  «  (3). 

Nous  savons  toutefois  qu'une  partie  des  reptiles  furent 
épargnés  par  le  feu  destructeur.  Quoi  qu'il  en  soit,  toute 
parole  de  malédiction  ou  autre  produisait  nécessairement 
son  effet,  lorsqu'elle  était  ratitiée  par  le  Destin,  c'est-à- 
dire  la  Divinité.  Dieu  seul  pouvait  exempter  de  cette  loi 
qui  venait  de  lui. 

Elâpatra,  prenant  la  parole  après  Yàsuki,  s'exprima  en 
ces  termes  : 

«  Celui  qui  est  frappé  par  le  Destin,  doit  recourir  au 


(1)  Traduction  anglaise  du  Mahàbiiârata,  1"  fascicule,  p.  19. 

(2)  C'est-à-dire  en  face  de  Bralimà,  explique  la  glose. 

(3)  XXXVIl,  5  et  6. 


IDÉES    RELIGIEUSES    ET    SOCIALES    DU    MAIIÂBUÂKATA.      555 

Destin  ;  il  n'y  a  point  d'autre  asile.  0  serpents,  notre 
effroi,  c'est  le  Destin,  refugions-noas  donc  vers  le 
Destin  »  (i). 

11  leur  raconta  qu'il  se  tenait  par  frayeur  caché  dans  la 
giron  de  leur  mère,  lorsque  celle-ci  proféra  la  redoutable 
malédiction.  De  là  il  entendit  les  Dieux  reprocher  à 
Brahmà  d'avoir  ratifié  les  paroles  de  cette  mère  barbare 
et  d'avoir  dit  :  «  //  en  sera  ainsi  ». 

«  Nous  désirons  savoir,  lui  avaient-ils  demandé,  pour- 
quoi tu  n'as  pas  arrêté  (Kadrù)  ? 

«  Brahmâ  répondit:  Les  reptiles  sont  nombreux,  cruels, 
horribles,  pleins  de  venin.  C'est  parce  que  je  veux  le 
bien  des  êtres  que  je  n'ai  point  arrêté  (Kadrù).  Ceux 
d'entre  les  serpents  qui  aiment  à  mordre,  qui  sont 
farouches,  pervers,  venimeux,  périront,  mais  non  les 
bons.  »  (2) 

C'est  ce  qui  eut  lieu,  le  lecteur  doit  s'en  souvenir.  La 
malédiction  de  Kadi'ù  eut  donc  toute  l'extension,  tout 
l'effet  que  le  Destin  voulut,  et  dans  la  mesure  exacte  qu'il 
voulut. 

Vaiçampàyana,  l'un  des  narrateurs  du  iVIahàbhârata, 
observe  quelque  part  que  si  Duryodhana,  par  des  moyens 
cachés  ou  manifestes,  ne  put  venir  à  bout  de  perdre  les 
Pàndâvas,  c'est  parce  que  ceux-ci  étaient  protégés  par  le 
Destin  et  leur  avenir  (3).  De  peur  que  l'on  ne  s'y  trompe, 
Nîlakantha  explique  ces  deux  termes,  le  premier  daivam, 
par  VInvisible,  ce  que  l'on  ne  peut  ni  voir,  ni  prévoir,  le 
second  Bhâvi,  en  rappelant  que  les  Kurus  devaient  périr  et 


(1)  XXXVIII,  3  et  4.  Cf.  Cosmologie  hindoue  139. 

(2)  Id.  7-10. 

(3)  LXI,  16.  Cf.  ci-dessous. 


556  LE    MUSÉON. 

les  Pândavas  reprendre  leur  royaume.  En  réalité,  il  ne 
s'agit  que  du  Sort  ou  de  la  Destinée  des  cinq  frères. 
L'Avenir  ici  n'est  uni  au  Destin  que  par  pléonasme  ;  les 
deux  n'en  font  qu'un. 

Devayânî  répondait  à  Yayàti  qui  lui  demandait  avec 
étonnement  comment  il  se  faisait  que  Çarmisthâ,  la  fille 
du  roi  des  Dânavas,  Vrsaparvan,  fût  son  esclave  : 

(c  Tout  dépend  de  la  Règle  ;  si  tu  viens  à  réfléchir  que 
cela  est  prescrit  par  la  Règle,  ton  étonnement  cessera.  «  (i) 

Ici  encore  le  glossateur  tient  à  éviter  toute  méprise. 
Le  mot  vidluhiam  que  nous  traduisons  par  i^'gle,  il  a  soin 
de  le  rendre  par  daivam,  le  divin,  la  destinée. 

Yayâti,  après  avoir  j)ris  rang  parmi  les  Siddlias  et  les 
Rsis,  tomba  pour  avoir  cédé  à  l'oi'gueil  et  méprisé  tous 
les  êtres  (2).  Voici  comment  il  expliquait  sa  déchéance  au 
Rsi  royal  (3)  Astaka  : 

«  Il  ne  faut  pas  se  réjouir  de  ses  trésors,  ni  s'enor- 
gueillir pour  la  connaissance  (([ue  l'on  peut  avoir)  des 
Védas.  Nombreuses  sont  les  conditions  des  hommes,  dans 
le  monde  des  vivants.  Ils  dépendent  de  la  Destinée,  contre 
laquelle  ils  ne  peuvent  rien,  quels  que  soient  leurs  eflForts. 
Quoiqu'il  arrive,  le  sage  ne  se  laisse  point  abattre  :  «  Le 
Sort  est  tout  puissant  »  se  dit-il,  dans  la  science  qu'il  a 
de  lui-même.  Puiscjue  l'homme  reconnaît  que  le  bonheui' 
et  le  malheur  dépendent  de  la  Destinée  et  non  de  son 
propre  pouvoir,  s'il  vient  à  réfléchir  sur  cette  influence 
du  Sort,  il  ne  s'attristera  ni  ne  se  félicitera  de  rien.  Le 
malheur  n'abat  point  le  sage,  la  piospérité  ne  renfle 
point  ;  il  reste  toujours  égal.  )>  (i) 


ri)  Lxxxi,  12. 

(2)  LXXXIX,  1. 

(3)  LXXXVIII,  6. 

(4)  LXXXIX,  6  et  seq. 


IDÉES    UELIGIEUSES    ET    SOCIALES    DU    MAHÂBIIÂIIATA.       557 

Yayâti  raconte  ensuite  comment  il  entendit,  un  jour, 
pendant  qu'il  prenait  ses  ébats,  en  compagnie  des  Âpsaras, 
dans  le  JNandana  (i)  qu'il  habitait  depuis  un  millier  d'an- 
nées, un  messager  divin,  d'aspect  terrible,  lui  crier  par 
trois  fois  :  «  Sois  déchu  »!  11  tomba  aussitôt  du  iNandana, 
dépouillé  de  tous  ses  mérites  (2). 

Cette  voix  redoutable,  c'était  celle  du  Destin,  c'est-à- 
dire,  ne  l'oublions  pas,  celle  de  la  Divinité,  dont  les 
arrêts  sont  inéluctables. 

Tout  dépend  de  la  Destinée  et  d'elle  seule,  l'homme  ne 
saurait  par  ses  actes  y  a})})ortei'  la  moindre  moditication  ; 
voilà  ce  qui  ressort  de  cette  doctiine.  Plus  loin,  l'auteur 
semble  revenir  sur  cette  atlii-mation  et  faii(3  sa  part  à 
l'activité  humaine. 

«  Le  monde,  nous  dit-il,  i'e[)()se  sur  le  Destin  et  sur 
l'action  de  l'homme  »  10).  .Mais  il  ajoute  immédiatenient  : 

«  La  Destinée  s'accomplit  avec  le  temps  ». 

De  sorte  que  le  dernier  mot  reste  au  Destin,  non  à 
l'homme  et  qu'au  demeurant  celui-ci  ne  fait  que  ce  que 
veut  celui-là. 

C'est,  du  reste,  ce  ({ue  le  poète  pi'oclame  formellement, 
lorsqu'il  place  dans  la  bouche  de  Drupada,  les  paroles 
suivantes  : 

«  Le  nœud  de  la  Destinée  ne  ])eut  être  défait  ;  rien, 
dans  ce  monde,  n'est  le  résultat  de  nos  actes.  »  (i) 

Et  encore,  lorsqu'il  prête  ce  langage  à  Duhyàsana  qui 


(Ij  L'un  des  quatre  jardins  célestes  ou  paradis.  Les  trois  autres  sont  le 
Caitraratha,  le  Vaibhràjaka  et  le  Sarvatobliadra.  Cfr.  Bliag.  Pur.  5.  XVI, 
15. 

{2)  LXXXIX,  19  et  seq. 

(3)  CXXIII,  21. 

(41  CXCVIII,  2. 


558  LE    MUSÉON. 

constate  l'insuccès  des  tentatives  multiples  faites  par  lui 
et  ses  frères  contre  les  fils  de  Pându  : 

«  La  Destinée,  je  le  reconnais,  est  au-dessus  (de  tout)  ; 
l'action  de  l'homme  est  stérile.  Que  (nous)  a  servi  d'agir, 
puisque  les  Panda  vas  survivent  ?  »  (i) 

Protégés  par  la  divinité,  Yudhisthira  et  ses  frères  échap- 
paient, comme  par  miracle,  à  toutes  les  embûches,  à  tous 
les  périls  :  témoin,  entre  cent  autres,  l'histoire  de  la 
fameuse  maison  de  laque. 

Purocana  s'était  engagé  près  de  Duryodhana,  l'aîné  des 
Kurus,  à  faire  périr  les  Pândavas  avec  Kuniî  leur  mère. 
Il  construisit  à  cet  effet  une  maison  de  laque,  rendue, 
par  conséquent,  très  combustible  par  cette  substance 
résineuse.  11  y  avait  un  an  qu'ils  l'habitaient  avec  lui, 
lorsqu'il  projeta  d'y  mettre  le  feu  durant  leur  sommeil. 
iMais  son  dessein  fut  découvert,  et  les  Pândavas  résolurent 
de  le  prévenir  en  incendiant  eux-mêmes  leur  logis, 
pendant  que  leur  hôte  perfide  était  endormi.  C'est  ce 
qu'ils  firent.  Aussitôt  l'incendie  allumé,  ils  se  hâtèrent 
de  disparaître  avec  leur  mère  par  des  souterrains.  Or,  une 
femme  de  la  caste  des  Nisâdas,  poussée  par  le  Destin, 
s'était  réfugiée,  cette  nuit-là  même,  avec  ses  cinq  fils  dans 
la  maison  de  laque,  oîi  elle  périt  avec  sa  famille  et  le 
perfide  Purocana  (2).  Lorsque  l'on  découvrit,  dans  les 
décombres,  les  restes  calcinés  des  victimes,  on  crut  les 
Pândavas  morts  ainsi  que  leur  mère  Kuntî. 

Voilà  comment  le  Destin  sauve,  contre  toute  attente,  et 
perd  de  même  ceux  qu'il  veut  sauver  ou  perdre. 

On  citait  encore,  comme  preuve  de  cette  toute-puis- 
sance de  la  Destinée,  l'histoire  d'Ambuvîca  (3).  C'était  un 


(1)  ce,  12. 

(2)  CXLVIII. 

(3)  CCIV,  17  et  seq. 


IDÉES    RELIGIEUSES    ET    SOCIALES    DU    MAIIÀBHÀKATA.       559 

prince  indolent  qui,  renfermé  dans  Ràjagrha,  la  capitale 
de  son  royaume,  celui  du  Mag:adha,  ne  s'occupait  que  de 
respirer,  c'est-à-dire  de  vivre,  abandonnant  le  soin  du 
gouvernement  à  Mahàkarnih,  son  ministre.  Mahàkarnih 
était  ambitieux.  Il  s'empara  du  harem  de  son  prince,  de 
ses  trésors,  de  son  autorité,  sans  que  d'ailleurs  celui-ci  fît 
le  moindre  effort  pour  l'arrêter.  Il  essaya  alors  de  lui 
ôter  sa  couronne  pour  la  mettre  sur  sa  tête  propre,  mais 
il  échoua,  bien  que  le  prince  restât  plongé  dans  son 
indolence.  C'est  que  le  Destin  voulait  qu'Ambuvica  fût 
roi  (i).  Dès  lors  toutes  les  tentatives  de  Mahàkarnih 
devenaient  inutiles. 

Les  Dieux  eux-mêmes  ne  pouvaient  rien  contre  le 
Destin  ;  ils  le  savaient  bien.  Indra,  le  lecteur  s'en  sou- 
vient, peut-être,  avait  pris  sous  sa  protection  la  forêt 
de  Khândava.  Il  voulut  la  défendre  contre  les  entre- 
prises d'Arjuna  et  d'Agni,  lorsqu'une  voix  incorporelle  se 
fit  entendre  :  «  0  Vâsava  (2)  la  destruction  de  K/iândava 
est  ordonnée  par  le  Destin.  »  —  Ayant  ouï  cette  parole  : 
C'est  vrai,  dit  le  chef  des  Immortels  et,  renonçant  à  sa 
colère,  et  à  sa  jalousie,  il  s'en  retourna  au  ciel.  »  (3) 

Telles  sont  les  idées  maîtresses  qui  se  dégagent  de 
l'Adi  Parvan,  de  ce  premier  livre  ou  chant,  comme  l'on 
voudra,  de  la  plus  gigantesque  épopée  du  monde,  le 
Mahàbhàrata.  Le  lecteur  aura  pu  s'apercevoir  qu'elles  ne 
sont  pas  toujours  méprisables,  et  que  Vyâsa,  ou  le  com- 
pilateur quelconque  de  ces  rapsodies  gangétiques,  ne  perd 
jamais  de  vue,  au  milieu  même  de  ce  qui  nous  semble  le 


(1)  Id.  23. 

(2)  Surnom  d'Indra. 

(3)  CCXXVIIf,  15  et  seq. 


5G0  LE    MISKON. 

plus  extra  valsant,  les  lois  morales  qui  se  retrouvent  au 
fond  de  toute  (îonseienee  humaine.  Ce  poème,  nous  ne 
sommes  plus  à  ra[)pren(lre,  est  une  eneyclopédie  théolo- 
gi(jue  et  [)hilosophique  où  l'on  remue  les  plus  importants 
problèmes  de  la  destinée  humaine.  Encore  une  fois,  c'est 
ce  qui  le  sauve  du  ridicule.  Le  génie  intempérant  de 
rinde  se  plaît  aux  divagations  les  plus  antipathiques  à 
nos  natures  occidentales  que  nous  voulons  croire  plus 
sensées  et  qui  certainement  sont  plus  froides  et  moins 
emportées  :  prenons-en  noti'e  )»arti.  Les  traditions,  les 
légendes,  les  doctrines  de  l'Adi  se  retrouvent  souvent 
dans  les  autres  Parvans  du  Mahàbhàrata  ;  car  les  répéti- 
tions furent  assez  du  goût  des  anciens  poètes,  et  sans 
doute  aussi  de  leurs  lecteurs  ;  mais  ils  renferment  autre 
chose  et  en  les  dépouillant  on  remarque  vite  que  l'on 
n'y  'à  pas  seuhïment  à  glanci',  mais  à  moissonner.  Les 
idées  de  Vyâsa  et  ses  enseignements  s'étendent,  se  pré- 
cisent, avec  une  indiscutable  unité  de  vue  qu'on  lui  a 
pourtant  longtemps  déniée,  en  affectant  de  ne  voir  dans 
son  œuvre  colossale  qu'un  monstrueux  chaos.  Le  lecteur 
du  Miiséon,  si  toutefois  cette  ([uestion  l'intéresse,  pourra 
s'en  convaincre  par  le  dépouillement  rapide  du  Sabhâ 
Parvan  que  je  me  propose  de  faire  sous  ses  yeux,  quelque 
jour. 


COMPTES  RENDUS. 


Catalogue  des  manuscrits  persans  de  la  Bibliothèque  Nationale  par 
E.  Blochet,  sous-bibliothécaire  à  la  Bibliothèque  Nationale. 
Tome  premier,  n°^  1-720.  Paris,  Imprimerie  Nationale.  Ernest 
Leroux,  éditeur,  rue  Bonaparte,  28,  1905.  In-8"  de  VIII  et  411 
pp. 

Voici  enfin  le  catalogue  des  manuscrits  persans  de  la  Biblio- 
thèque nationale,  dont  on  se  préoccupait  déjà  vers  1870  et  dont  le 
monde  savant  saluera  avec  joie  la  publication.  Ce  premier  volume 
comprend  deux  matières,  la  théologie  d'abord  (théologie  chré- 
tienne et  théologie  musulmane  orthodoxe  ou  hérétique,  parsisme, 
hindouisme,  n""  1  à  237)  et  l'histoire,  avec  ses  sciences  auxiliaires 
(biographie,  mémoires,  voyages,  géographie,  lettres  et  documents 
officiels,  n°^  238  à  720.)  Le  plus  richement  représentées  sont  l'his- 
toire générale  (n°^  238  à  2.54)  et  celle  de  l'Inde  (n"^  530  à  632).  Un 
second  volume,  dont  nous  souhaitons  la  rapide  publication,  nous 
fera  connaître  le  reste.  Ce  nouveau  volume  nous  apportera  aussi 
une  introduction  générale,  qui  nous  donnera  sans  doute  l'histoire 
du  dépôt  :  elle  ne  jjeut  manquer  d'être  intéressante  à  en  juger 
d'après  les  noms  des  anciens  propriétaires  des  collections  (Gaulmin, 
David  d'Ispahan,  Vansleb,  Anquetil,  Galland,  Gentil,  Thévenot, 
Brueys,  Polier,  Schefer,  etc.). 

On  ne  saurait  trop  remercier  M.  Blochet  de  sou  remarquable 
travail.  S'il  n'est  pas  d'œuvres  plus  utiles  pour  le  progrès  de  la 
science  que  les  catalogues  des  manuscrits,  il  n'en  est  pas  non 
plus  de  plus  difficiles  ni  de  plus  ingrates  ;  car  le  succès  n'en  peut 
jamais  être  assez  grand  pour  récompenser  un  auteur  du  travail 
ardu  que  lui  impose  l'étude  de  manuscrits  orientaux,  et  surtout  de 

25 


562  LE    MUSÉON. 

manuscrits  persans,  moins  faciles  encore  à  déchiffrer  que  beaucoup 
d'autres.  On  ne  saurait  non  plus  trop  louer  notre  auteur,  car  il  a 
rempli  sa  tâche  avec  un  soin,  une  exactitude  et  une  érudition 
remarquables. 

Rien  de  plus  instructif  que  la  lecture  d'un  catalogue  de  manu- 
scrits décrits  en  détail  par  un  savant  compétent.  Ainsi,  en  beaucoup 
d'endroits,  M.  Blochet  complète  ou  rectifie  Hadji  Khalfa  (pp.  63, 
69,  76,  86,  89,  99,  100,  110,  114).  Ainsi  encore,  il  nous  dit  dans 
quels  autres  dépôts  se  trouvent  les  œuvres  dont  il  y  a  des  manus- 
crits à  la  Bibliothèque  Nationale,  ou  il  nous  fait  connaître  les  édi- 
tions qu'on  en  a  données.  Ici  peut-être  pourrait-on  compléter 
parfois.  Le  Moufarrih  al  Qouloûb  (p.  188)  a  été  édité  à  Lucknow 
en  1869  et  il  y  en  a  un  manuscrit  à  Berlin  (IV,  p.  1033).  Le 
Goudjastak  Abalish  (pp.  147  et  164)  a  été  publié  et  traduit  par 
Barthélémy  en  1887  ;  cette  édition  a  fait  l'objet  de  plusieurs 
comptes  rendus,  notamment  par  Darmesteter,  Rev.  critique,  1887, 
I,  pp.  482  483.  Le  Zafarnâaièh  a  été  traduit  par  Diez,  DenkwUr- 
digkeiten,  2,  pp.  39  et  suiv.  et  il  y  aurait  encore  à  ajouter  à  ce  que 
nous  en  avons  dit  dans  la  Bibliog.  arabe,  1,  p.  60.  Pour  les  paroles 
d'Ali,  voir  Bibliog.,  I,  pp.  7  et  suiv.  Pour  Mirkhond,  il  n'eût  pas 
été  inutile  de  citer  la  Bibliographie  de  la  Perse  de  Schwab,  pp.  51- 
52,  ou,  tout  au  moins,  de  mentionner  la  traduction  de  Rehatsek 
et  Arbuthnot  (nouvelle  série  de  l'Oriental  translation  Fund.)  A  la 
page  122,  n°  159,  2  il  s'agit  évidemment  de  Wahb  ibn  Mounabbih. 
(Récension  égyptienne  des  Mille  et  une  nuits,  pp.  51  et  suiv.). 

Victor  Chauvin. 

* 
♦      * 

Catatogus  codieum  manuscriptorum  hibliothecae  universitatis  Lip- 
siensis  II....  Katalog  der  islamtschen,  christUch-  orientalischen, 
jûdischen  und  samaritanischen  Handschriften  der  Universiidts- 
Bihliothek  su  Leipzig  von  K.  Volleks  mit  einem  Beitrag  von 
J.  Leipoldt.  Leipzig  Otto  Harrassowitz  1906.  Gr.  in-8  de  XIV 
et  509  pages. 

La  belle  collection  dont  le  savant  professeur  d'Iéna  nous  donne 
le  catalogue  est  surtout  riche  en  manuscrits  arabes  de  valeur,  dont 


COMPTES    RENDUS.  5G5 

la  grande  majorité,  formant  jadis  à  Damas  la  bibliothèque  connue 
sous  le  nom  de  Rifâ'iyya,  a  été  acquise  en  1853  par  le  D'  Wetzstein 
pour  l'université  de  Leipzig.  Cette  collection  comprend  aussi  des 
manuscrits  persans,  turcs,  hindoustanis,  malais,  syriaques,  coptes, 
éthiopiens,  arméniens  et  géorgiens,  en  moins  grand  nombre.  Il  y 
a,  en  tout,  1120  numéros.  Sauf  les  manuscrits  coptes,  qui  figurent 
sous  les  n*^^  1080  à  1090  H.  et  qui  ont  été  catalogués  par  M.  Leipoldt, 
tous  les  numéros  ont  été  décrits  en  détail  par  M.  VoUers,  qui  a 
aussi  ajouté  des  tables,  très  soigneusement  rédigées,  pour  les  titres 
des  livres  et  pour  les  noms  de  personnes. 

Après  l'éloge  sans  réserve  qu'un  maître  tel  que  M.  Goldziher  a 
fait  du  travail  de  M.  Vollers  dans  la  Wiener  Zeitschrift  fur  die 
Kunde  des  Morgenlandes  (XX,  pp.  391-395),  il  ne  reste  plus  rien  à 
dire.  Répétons,  avec  ce  savant  éminent,  que  M.  Vollers,  grâce  à  la 
profonde  connaissance  qu'il  a  acquise  de  la  littérature  arabe 
pendant  qu'il  remplissait  les  fonctions  de  bibliothécaire  du  Khédive 
au  Caire,  a  fait  une  œuvre  de  premier  ordre,  qui,  comme  les 
catalogues  d'Ahlwardt  pour  Berlin  et  de  Pertsch  pour  Gotha, 
servira  de  modèle  et  de  guide  à  tous  ceux  qui  auront  à  déchiffrer 
et  à  classer  des  manuscrits  arabes.  C'est  surtout  aux  très  nom- 
breux numéros  contenant  des  collections  d'écrits  que  l'auteur  a 
consacré  tous  ses  soins,  décrivant  chaque  pièce  en  détail  et  don- 
nant, chaque  fois,  toutes  les  indications  bibliographiques  ou  bio- 
graphiques désirables.  Le  monde  savant,  qui  doit  déjà  tant  à 
M.  Vollers,  lui  saura  un  gré  infini  de  ce  nouveau  et  considérable 
travail. 

A  une  œuvre  aussi  vaste  et  embrassant  tant  de  détails,  il  est 
toujours  possible  de  faire  quelques  additions.  M.  Vollers  qui  veut 
bien  renvoyer  souvent  à  notre  bibliographie  arabe  n'a  pas  eu  à  sa 
disposition  notre  neuvième  volume,  non  encore  publié  quand  il 
rédigeait  son  catalogue.  Il  ne  sera  peut-être  pas  inutile  de  faire  les 
renvois  à  ce  volume.  Page  122,  n°  396  =  Bibl.  ar.,  IX,  p.  68.  — 
181,  n°  589  =  IX,  p.  61.  -  181,  n°  590  =  IX.  p.  64.  —  185, 
n°  601  =  IX,  p.  67  ;  British  muséum,  p.  513  ;  supplément,  p.  714  ; 
trad.  persane,  manuscrits  de  Sacy,  n"  316.  —  186,  n**  603  =  IX, 
p.  67  ;  Bibliographe  moderne,  X,  p.  233.  —  193,  n°  618  =  IX, 
p.  69  ;  Brit.   mus.,  p.  346.  —  195,  n°  622  =  IX,  p.  60.  —  184, 


T>C)i  LE    MUSI^:0N. 

n°  597  =  IX,  p.  99  et  suiv.  —  180,  n°  587  =  I,  pp.  7  et  suiv.  —  184, 
n»  598  =  I,  pp.  12  et  suiv.  —  842,  n»  954  =  II,  pp.  44  et  suiv.  — 
343,  n°  960  =  III,  p.  IIG.  -  198,  n°  629.  Paris,  pp.  632-636  ; 
Brit.  mus.  suppl.,  pp.  741-743.  —  198,  n°  630,  Brit.  mus.  p.  698  ; 
suppl.,  pp.  740-741.  —  111,  û°  366.  On  pourrait  citer  d'Ohsson, 
Tableau  général  do  l'empire  othoman.  —  343,  n°  959.  Cette  histoire 
a  été  traduite  de  l'iiindoustani  par  Garcin  de  Tassy  (Allégories, 
récits  poétiques  et  chants  populaires,  1876,  pp.  307  et  suiv.)  et 
insérée  par  Mardrus  dans  sa  traduction  des  Mille  et  une  nuits, 
XVI,  pp.  7  et  suiv. 

Dadichi,  dont  il  est  question  p.  130,  est  né  à  Antioche  et  profes- 
sait la  religion  grecque.  Attiré  en  Europe  avec  Salomon  Negri  par 
Heinrich  W'ilhelm  Ludolf  (cousin  de  Job  L.),  il  a  enseigné,  dès 
1701,  à  Leipzig  et  à  Gotha.  (A.  Th.  Hartmann,  Oluf  Gerhard 
Tychsen,  I,  p.  26  et  Memoria  negriana  hoc  est  Salomonis  Negri 
damasceni  vita,  p.  8).  Il  a  fait  ensuite  des  voyages  dont  il  rend 
compte  dans  une  lettre  à  La  Croze  (Jordan,  Histoire  de  la  vie  et 
des  ouvrages  de  M''  La  Croze.  Amsterdam,  1741,  pp.  192-197).  II 
huit  par  remplacer  Negri  à  Londres  comme  interprète  de  Sa 
Majesté  pour  les  langues  orientales.  (Ibidem.)  Il  a  rédigé  le  petit 
catalogue  des  manuscrits  orientaux  de  la  Bibliotheca  Uffenbachia- 
na.  (I,  pp.  609-700  ;  cfr.  Préface,  h  et  Acta  eruditorum,  1721, 
p.  235)  et  celui  de  la  bibliothèque  du  sénat  de  Leipzig  (Thés,  epist. 
Lacrozianus,  I,  p.  80.)  Il  a  eu  pour  élèves  Barthius,  Lakemacher 
et  Lederlin  et  a  écrit  sur  Avicenne.  (Journal  des  Sçavans,  1766, 
XXI,  p.  124  et  Muséon,  N.  Sér.,  IV,  p.  77.)  Il  est  parlé  de  lui  peu 
favorablement  dans  les  Gott.  gel.  Anzeigen  de  1758,  p.  872.  On 
trouvera  encore  des  renseignements  dans  les  ouvrages  suivants  : 
Acta  erudit.,  J739,  431-432.  —  Mursinna,  Biographia  selecta, 
Halae  1782,  I,  p.  204.  —  Miscell.  groning.,  II,  p.  339.  —  Allg. 
Literaturzeit.,  1796,  I,  p.  683.  —  Thés,  epist.  Lacroz.  I,  pp.  43  et 
82.  —  Pertsch,  die  arab.  Haadschriften...  Gotha,  V,  p.  53.  — 
Academy,  XXI,  p.  364,  col  1.  Voir  surtout  les  lettres  de  Barthius 
et  la  biographie  de  Dadichi  par  le  consciencieux  Schelhorn  dans  le 
Com.  epist.  Uffenbachianum,  I,  pp.  421-437. 

ViCTOE  Chauvin. 
* 


COMPTES    RENDUS.  365 

Xoros  Kardasch  (Bruder  Hdhn.)  Ein  orientalisches  Marchen- 
und  Novellenhuch,  mis  dem  Turkischen  siim  ersten  Mal  ins 
Deutsche  ûhertragen  von  D^  Geoeg  Jacob,  ao.  Professor  an  der 
Universitât  Erlangen.  Berlin,  Mayer  u.  Millier,  1906.  Pet,  in-S" 
de  XIV  et  122  pp.  (Tiirkische  Bibliothek,  5*"  Band.) 

M.  le  Professeur  Jacob,  qui,  par  de  nombreuses  et  importantes 
publications  a  fait  faire  de  grands  progrès  aux  études  turques  trop 
négligées,  nous  donne,  dans  le  cinquième  volume  de  sa  Tiirkische 
Bibliothek,  d'un  recueil  de  contes  extrêmement  intéressant,  une 
traduction  élégante,  très  agréable  à  lire  et  accompagnée  de 
savantes  explications.  Les  personnes  qui  étudient  le  turc  trouve- 
ront ici  beaucoup  à  apprendre.  Quant  aux  folkloristes,  ils  se 
réjouiront  de  voir  s'enrichir  la  littérature  des  contes  d'une  collec- 
tion inconnue  jusqu'à  ce  jour  et  présentant  un  très  grand  intérêt, 

La  collection  se  compose  de  dix  contes,  qui  se  retrouvent  déjà 
ailleurs,  mais  qui  ont  subi,  chez  les  Turcs,  certaines  modifications. 

L  Le  premier  est  celui  d'un  enfant  qui  est  victime  d'un  acte  de 
violence  et  qui  se  venge  cruellement,  (Jacob,  1-20  et  VIIL)  Voir 
notre  compte-rendu  des  Tiirkische  Volksmurchen  de  Kùoos,  Zeit. 
des  Vereins  fiir  Volkskunde,  1906,  p.  241.  —  IL  (Jacob,  21  et 
VlII-IX).  Une  des  formes  du  conte  de  la  réunion  ;  voir  Mille  et 
une  nuits,  n°  322  C.  —  III.  (J.  24-2.5  et  X.J  Le  dépositaire  infidèle, 
dont  on  obtient  restitution  par  ruse.  (Pierre  Alphonse,  n°  13.)  — 
IV.  (J.  69).  Un  jeune  homme  pauvre  demande  la  main  d'une  jeune 
fille  riche.  Il  l'obtiendra  s'il  prouve  qu'il  a  les  qualités  d'initiative 
et  de  courage  dont  il  se  vante  ;  dans  ce  but  on  l'envoie  s'enquérir 
de  la  cause  de  certaines  actions  étranges.  Ce  récit  forme  ainsi  le 
cadre  des  n°  V,  VI  et  VIL  — -  V,  (J.  80  et  99-101. j  L'homme  qui 
se  fait  souffleter  ;  c'est  le  baba  Abdallah  des  Mille  et  une  nuits, 
n°  72,  —  VI  (J.  84,  94-98  et  XLXII.)  L'homme  triste  parce  qu'il 
s'est  enquis  malgré  les  avertissements  qu'il  a  reçus.  C'est  le  n°  15 
de  Syntipas  et  le  n"  50  de  Kunôs.  —  VII  (J.  80  et  X-XI).  L'homme 
qui  se  blesse  contre  des  piliers  parce  qu'il  a  tué  sa  femme  et  son 
fils,  qu'il  ne  connaît  pas  et  qu'il  soupçonne  à  tort,  Lucanor,  n"  36; 
Syntipas,  n°  136  ;  Gonzeubach,  Siciliauische  Marchen,  n°  81.  — 
VIII  (J.  102  et  XII. j  Le  juif  et  l'oiseau.  Bibliographie  arabe,  VI, 


566  LE    MLSÉON. 

p.  160.  —  IX  (J.  104  et  IX-X.)  Le  roi  orgueillleux.  Lucanor, 
n°  51.  —  X.  (113.)  Daos  une  dispute  entre  marchands,  l'un  d'eux 
ne  blâme  pas  Satan  ;  celui-ci,  pour  le  récompenser,  se  change  en 
une  mule,  que  l'autre  vend.  La  mule  s'amincit  un  jour  et  disparaît 
dans  un  puits.  Quand  le  marchand  raconte  sa  mésaventure,  on  le 
croit  fou  et  on  l'enferme  ;  il  n'obtient  sa  liberté  que  quand  il  déclare 
impossible  ce  qu'il  a  raconté,  encore  qu'il  continue  à  croire. 

ViCTOE  Chauvin. 

* 
*      * 

Resuereccion  Maeia  de  Azkue,  Diccionario  Vasco-Espaîlol- 
Francés  (Dictionnaire  Basque-Espagnol-Français).  Bilbao.  Chez 
l'auteur.  En  dépôt  à  Paris  chez  Paul  Geuthner.  Tom.  I  (A-L) 

1905.  Tom.  II  (M-Z)  1906. 

Espanan  cla  guizon  bat 
beardeguna  maita... 

J.  M.  DE  Iparraguirre. 

Seit  Vator  und  Wilhelm  von  Humboldt  das  Intéresse  der  Sprach- 
forscher  Europas  auf  die  wuudervoUe  Baskensprache  hinlenkten, 
hat  ihr  Studium  fiir  romantische  Seelen  immer  einen  besondern 
Reiz  gehabt.  Durch  den  starken  Agglutinationstrieb,  durch  den 
angehàngten  Artikel  und  die  zahlreichen  Casus-Postpositionen, 
durch  den  scharfen,  den  ganzen  Satzbau  beherrschenden  Gegensatz 
von  Transitiv  und  Intransitiv,  der  nicht  nur  in  der  Verbalflexion, 
sondern  auch  in  der  Casuslehre  eine  Hauptrolle  spielt,  durch  die 
Einverleibung  des  leidenden  Objects,  des  Dativus  commodi  und  des 
Dativus  ethicus  in  das  Verbum  finitum,  durch  aile  dièse  und  noch 
durch  andere  Eigentiimlichkeiten,  macht  das  Baskische,  in  neola- 
tinischer  Umgebung,  auf  wenige  Gebirgs-  und  Kiistenlandschaften 
beschrânkt,  einen  iiberaus  fremdartigen  Eindruck.  Diirfen  wir  uns 
dariiber  verwundern,  dass  man  in  den  hoffnungsvoUen  Anfangsta- 
gen  der  Sprachwissenschaft  an  amerikanische  Zusammenhânge 
gedacht  hat  ?  Denn  auch  viele  Sprachen  des  neuen  Continents 
haben  eine  grosse  Anreihungsfahigkeit  und  incorporieren  Pronomi- 
nalstâmme  mit  Objectsbedeutung  in  die  Verbalform,  ja,  manche 
unter  ihnen  ist  in  der  Zusammenkittung  viel  weiter  gegangen  als 
das  Baskische  und  hat  durch  Einverleibung  von  Nomina  in  das 


COMPTES    RENDUS.  367 

Prâdicat,  durch  Hiiufung  grammatisch-bedeutuugsvoUer  Suffixe 
uadandere  Vorgânge  solche  Wortiingeheuer  geschaffen,  mit  denen 
sich  der  Baske  nicht  elier  aïs  unser  einer  befreunuen  koonte. 
Aber  es  giebt  auch  tiefere  Ubereinstimmungen  zwischen  dem  Bas- 
kischen  und  gewissen  Sprachen  Amerikas,  wie  z.  B.  die  transitive 
und  iatrausitive  Conjugatioa  des  Eskimo  und  des  Dakota.  Dennoch 
bat  schon  Humboldt  gesehen,  dass  derartige  Ahnlicbkeiten  sich 
nicht  fiir  die  Annahme  eines  gemeiusamen  Ursprungs  verwerten 
lassen,  denn  sie  sind  in  der  gleichen  Beanlagung  des  menschlichen 
Geistes  begriindet  und  vieimehr  als  Zeichen  bes/immter  Bildungs- 
stufen  zu  betrachten.  Einverleibung  findet  man  ja  nicht  nur  im 
Baskischen  und  in  Amerika,  sondern  auch  im  Kaukasus,  in  gewis- 
sen Idiomen  der  ugro-finnischen  Gruppe  und  sonst  an  verschiede- 
nen  Stellen  der  Erde  (vgl.  meine  Kar aliter istielc  der  Bashische 
grammatica  in  den  Verslagen  der  Amsterdamer  Académie  von 
1906).  Aucb  der  Gegensatz  transitiver  und  intransitiver  Conjuga- 
tion  ist  weit  iiber  die  Welt  verbreitet  und  der  damit  enge  zusam- 
menhangende  Unterschied  eines  transitiven  und  intransitiven  Casus 
kehrt  z.  B.  in  Sprachen  des  Kaukasus  und  Australiens  wieder  (vgl. 
ZeHschrift  fur  vergleichende  Spracliforschung  XXXIX,  600  ff.  und 
meine  oben  gemannte  KaraMeristieh).  Die  genaueste  Parallèle 
zu  den  baskischen  Verhaltnissen  liefert  weder  das  Gronlândische, 
wo  der  Casus  transitivus  zugleich  als  Genitivus  fungiert,  noch  das 
Dakota,  demjede  Bezeichnung  grammatischer  Casus  am  Nomen 
abgeht,  sondern  das  Tschuktschische,  dessen  Casus  instrumenti 
vel  auctoris  in  seiner  Gebrauchsweise  ganz  dem  baskischen  Tran- 
sitivus entspricht  und  mit  der  Verteilung  transitiï'er  und  intransi- 
tiver Pronominalelemeute  iu  der  Verbalflexion,  gerade  so  wie  im 
Baskischen,  Hand  in  Iland  geht  (vgl.  Bogoraz,  Izvestija  Impera- 
torsJ:oj  Akademii  nmiJc  X,  289.  ol5),  wâhrend  das  Jukagirische 
zwar  den  Unterschied  transitiver  und  intransitiver  Conjugation, 
nicht  aber  einen  Casus  transitivus  besitzt  (vgl.  Jochelson,  Annals 
oftlie  New  York  Academy  XVI,  N°  5,  Part  II,  139  und  Izvestija 
ImpcratoisJcoj  Akademii  nauk  IX,  170).  Nein,  solche  Dinge  konnen 
ohno  eine  gauze  Reibe  stofflicher  Ubereinstimmungen  keine  Ver- 
wandtschaft  beweisen.  Nun  ist  es  nicht  zu  leugnen,  dass  Àhnlich- 
keilcn  in  den  grammatischen  Eleraeuten  und  im  Wortschatze  mit 


568  LE    MUSÉON. 

kaukasischen  und  semitisch-chamitischen  Sprachen  tatsâchlich 
vorhauden  siad  und  es  bat  dann  auch  nicht  an  Sprachforschern 
gefehlt,  welche  eine  Beziehung  entweder  zum  Georgischen  und 
andern  Kaukasus-Sprachen  oder  zum  Chamitischen  vermutet 
haben,  aber  ein  eudgûltiges  Urteil  ist  auch  durcb  die  neuesten 
Untersucbungen  —  ich  denke  an  Giacomino,  Georg  von  der  Gabe- 
lentz,  Trombetti  —  noch  nicbt  ermoglicht  worden."I(j{jt,ev  yàp  oûSèv 
TpavÉç,  àXX'  àX(op,£9-a. 

Gramniatiscb  ist  scbon  viel  flir  das  Baskiscbe  geleistet.  Hatte 
Larramendi  den  Gruud  gelegt  fiir  die  beschreibende  Grammatik 
der  guipuzcoaniscben  Muudart,  im  neunzehnten  Jahrhundert  wurde 
der  eine  Dialect  uach  dem  andern  in  mebr  oder  weuiger  tiichtigen 
Einzeldarstelluugen  niedergelegt  und  begriindeten  van  Eys  und 
Bonaparte  die  historiscb-vergleichende  Grammatik  des  Baskischen, 
der  Prinz  durcb  seine  auf  genauer  Beobacbtung  beruhenden  Mate- 
rialsammlungen,  mein  verehrter  Landsmann  durch  die  Sicbtung 
und  Anordnung  der  ihm  bekannten  grammatiscben  Tatsachen. 
Auch  andere  —  ich  nenne  insbesondere  Julien  Vinson  —  haben 
die  grammatische  Erforschung  des  Baskischen  gefordert,  aber  in 
den  letzten  Jahrzehnten  ist  nichts  so  wichtiges  auf  diesem  Gebiete 
erschienen  als  Schuchardts  Abbandlung  iiber  die  Bezugsformen. 

Ebenso  wichtig  wie  die  Morphologie  ist  die  Kenntnis  des  Wort- 
schatzes.  Auch  in  dieser  Hinsicht  ist  der  alte  Larramendi  ein 
Babnbrccher  gewesen,  aber  sein  Diccionario  trilingue  liess  an 
Vollstândigkeit  und  Zuverlàssigkeit  leider  noch  viel  zu  wiinschen 
ûbrig  und  seitdem  ist  kein  Lexicon  erschienen,  das  den  praktischen 
und  wissenschaftlichen  Bediirfnissen  der  Neuzeit  gerecht  wiirde. 
Aizquibels  Diccionario  bilingue  ist  zu  sehr  von  Larramendi  abhàn- 
gig  und  ist  auch  sonst  nicht  frei  von  Màngeln.  Van  Eys'  Diction- 
naire basque- français  ist  zwar  eine  ausgezeichnete  Vorarbeit  zu 
einem  baskischen  Worterbuch,  aber  lâsst  uns  doch  zu  oft  im  Stich. 
Es  giebt  auch  noch  andere  Worterbiicher  und  Glossare,  aber  sie 
stehen  den  bis  jetzt  genannten  an  Wichtigkeit  nach.  Nun  ist  uns 
aber  in  Herrn  de  Azkue,  R.  C.  Priester  und  Professer  der  baski- 
schen Sprache  am  Instituto  de  Bilbao,  ein  neuer  Lexicologe  erstan- 
den,  der  —  die  Liicken  in  unserer  Kenntnis  des  baskischen  Wort- 
schatzes  ausiiillend  —  uns  mit  eiuera  Worterbuch  beschenkt,  das 
den  meisten  gerechten  Anforderungen  entspricht. 


COMITES    KENDUS. 


569 


Der  Name  des  Verfassers  ist  den  Bascologen  schon  seit  vielen 
Jahren  bekannt.  In  1891  veroffentliclite  er  eine  zweisprachige 
Grammatik  der  bizcaischen  Mundart  uoter  dem  Titel  Euskal-Iz- 
Undea  {Gramatica  eusMra),  eine  sehr  urspriinglicbe,  aber  zugleich 
etwas  eigensiunige  Arbeit,  welche  der  Verfasser  selbst  jetzt  als 
«  une  œuvre  prématurée  »  bezeichnet.  Seiu  Hauptfehler  war 
damais,  dass  er  die  verschiedenen  Dialecte  vereinigea  zu  kôonen 
glaubte  «  aussi  facilement  que  des  substances  que  l'on  mélange 
dans  une  iiole  »  und  aus  der  Dialectvergleichung  abstrabierte 
hypothetische  Urformen  in  seine  Paradigraeu  aufnabm.  Das  war 
gewiss  ein  grosser  Irrtum  und  wir  diirfen  uns  nur  freuen,  dass  der 
geistreiche  und  gelebrte  Verfasser  davon  zurlickgekommen  ist, 
denn  sonst  wâre  das  vorliegende  Worterbuch  nicbt  der  viel  ersehnte 
Thésaurus  zuverlassiger  Sprachfacta  geworden,  als  den  wir  es  jetzt 
begriissen  konnen.  Immerhin  bleibt  sein  Euskal-IzMndea  ein 
niitzliches  Buch,  das  der  Bascologe  nur  zu  seioem  eigenen  Schaden 
ungelescn  lassen  kann.  Dass  de  Azkue  auch  seitdem  seine  Mutter- 
sprache  unablàssig  studiert  und  cultiviert  hat,  kann  man  aus  dem 
Verzeichnis  seiner  Worke  auf  dem  Umschlag  des  Wortorbuches 
ersehen,  aber  dies  ailes  betrachtet  er  selbst  nur  als  angeuehme 
Zerstreuungen  wàhrend  seiner  einzigen,  ernsthaftcn  Arbeit,  der 
Sammlung  und  AnordnuDg  der  Baustoffe  seines  Lexicons.  Jetzt 
liegt  das  grosse  Wcrk  in  der  Hauptsache  vollendet  vor  und  kann 
der  Verfasser  sich  mit  Horaz  l'iihmen  :  Exegi  monumentum  aère 
peremiius. 

Das  Buch  beruht  nicht  so  sehr  auf  der  umfassenden  Lectiire  des 
Verfassers,  obwohl  dièse  in  zahlreichen  Citaten  aus  âltern  und 
neuern  Schriftstellern  klar  zu  Tage  tritt,  und  auf  den  von  ihm  sys- 
tematisch  durchgearbeiteten  gedruckten  und  handschriftlichen 
Worterbiichern,  als  auf  seiner  eigenen  Beobachtung  der  Volks- 
sprache.  Im  voUen  Leben  seines  Volkes  stehend,  hat  er  reichlich 
aus  der  immer  sprudelnden  Quelle  der  lebendigen  Rede  geschopft. 
Jeden  Sonntag  versammelte  er  eine  ganze  Schar  von  Handwerkern, 
mehrenteils  Vizcayern  und  Guipuzcoaoern,  mit  einigen  Navarresen, 
um  sich  von  ihnen  sprachlich-technisch  belehren  zu  lassen.  Schon 
bald  wurden  dicse  Versammlungen  im  Asilo  de  las  Hermanitas  de 
los  Fohres  in  Bilbao  gehaltuu  :  «  là  j'eus  sous  la  main  —  sagt  der 


570  LE    MUSÉON. 

Verfasser  —  aveugles,  paralytiques  en  fauteuils  à  roulettes,  éclop- 
pés  de  toute  nature,  sauf,  naturellement,  les  sourds  et  les  muets, 
et  quelles  nobles  âmes  !  »  Spater  verbrachte  er  langere  Zeit  in  San 
Sébastian  und  machte  er  eine  kurze  Reise  in  das  Tal  von  Salazar. 
Schliesslich  organisierte  er  neue  Zusammenkiinfte  von  Leuten  aus 
verscbiedenen  Gegenden  des  Baskenlandes,  welche  in  Bilbao  und 
in  der  Nâhe  von  Tardets  gehalten  wurden,stets  mit  unermiidlichem 
Eifer  sein  Material  vermehrend  und  vervollstàndigend.  De  Azkue 
hat  etwas  in  sich,  das  an  den  russischen  Lexicografen  Dal  erin- 
nert.  Wie  dieser  hat  er  es  verstanden  in  die  durch  die  verscbiede- 
nen Handwerke  und  Fertigkeiten  bedingten  technischen  Ausdrucks- 
sphàren  einzudringen,  wie  dieser  ist  er  ein  begeisterter  Vorfechter 
eines  die  Schàtze  der  eigenen  Sprache  zu  Tage  furdernden  Puris- 
mus.  Aber  de  Azkues  Vorliebe  fiir  einheimisches  Sprachgut  ist  im 
Lauf  der  Jahre  durch  ruhige  Besonnenheit  gemiissigt  worden  und 
verfâllt  nicht  in  die  fanatische  Ubertreibung,  die  so  oft  dem  Puris- 
mus  den  Stempel  des  Làcherlichen  aufdriickt.  «  L'arrogance  con- 
vient mal  à  chacun  —  sagt  er  ganz  richtig  — ,  mais  elle  choque 
plus  dans  le  gueux  que  dans  le  riche  ;  c'est  pourquoi  il  est  peu 
conforme  au  sens  commun  de  montrer  dans  notre  pénurie  littéraire 
des  délicatesses  de  hidalgo,  en  l'appauvrissant  quotidiennement 
par  le  désir  de  ne  pas  frayer  avec  le  vulgaire,  quand  des  langues 
comme  l'allemand,  qui  unissent  à  leur  haut  lignage  une  vie  exubé- 
rante et  une  féconde  littérature,  possèdent  dans  leur  dictionnaire 
des  vocables  d'origine  étrangère  ».  Der  Verfasser  scheint  sich  aber 
wohl  nicht  geniigeud  bewusst  zu  sein,  wie  sehr  der  baskische  Wort- 
schatz  mit  fremden  Elementen  durchsetzt  ist,  sodass  man  mit 
gutem  Grund  behaupten  diirfte,  dass  ohne  die  Mithilfe  romauischer 
Lehnworter  ein  baskisches  Gesprâcli  einfach  unmuglich  ware.  Er 
hat  gewiss  Unrecht,  wenn  er  in  Bezug  auf  die  Fremdworter  sagt  : 
«  J'ignore  s'il  y  a  dans  le  monde  des  oreilles  aussi  délicates  que 
les  nôtres  pour  cette  espèce  de  vocables  n.  Mit  diesem  Irrtum 
hangt  es  zusammcn,  wenn  er  in  scinem  Worterbuch  nur  zu  oft 
unterlàsst  offenkundige  Fremdworter  als  solche  zu  bezeicbnen. 
Wann  wird  ein  Kenner  des  Romanischen,  der  zugleich  mit  dem 
Baskischen  vertraut  ist,  dasjenige  fiir  die  ueolatinischen  Elemente 
der  Eskuara  leisten,  was  Briickuer  fiir  das  slavischo  Sprachgut  im 


COMPTES    IIKNDUS.  371 

Baltischen,  Hûbschmann  fur  die  iranischen  Fremdworter  im  Arme- 
nischen  geleistet  bat  ?  Eine  Menge  voa  VorarbeiteQ  bat  Scbucbardt 
geliefert  und  keiner  wâre  befahigt  wie  er,  die  so  iiberaus  schwie- 
rige  Aufgabe  zu  losen.  Diirfen  wir  vielleicbt  in  seiner  durch  de 
Azkues  Worterbucb  hervorgerafene  Abbandlung  Baskiscli  und 
Romanisch  einen  defioitiveu  Anlauf  dazu  erblicken  ?  Geroko  gero. 
Was  iramer  die  Zukunft  uns  bringen  wird,  schon  jetzt  gebiibrt 
uns  dankbare  Anerkennung  des  vielen  —  aber  leider  zerstreuten  — , 
was  Schuchardt  uns  bisber  geboten  bat,  nicbt  weniger  aber  sind 
wir  dem  Lexicografen  zum  Dank  verpflicbtet,  der  durcb  genaues 
Registrieren  des  Wortschatzes  etymologische  Untersuchungeu  erst 
recht  ermoglicht.  Schade,  dass  de  Azkue  nicbt  immer  an  die 
Bediirfnisse  des  Spracbforscbers  gedacbt  bat  !  Vor  ailem  vermissen 
wir  bei  Wortern,  die  nur  lautlicbe  Varianten  anderer  Worter  sind, 
gar  zu  oft  die  so  erwiinscbten  Hinweise  auf  die  betreffenden  Arti- 
kel.  Auch  ist  es  unbequem,  dass  etymologiscb  ganz  verscbiedene, 
aber  zufallig  gleicblautende  Worter  nicbt  getrennt  aufgefiibrt  sind. 
Aber  wer  kann  es  allen  recbt  macben  ?  So  wie  es  vorliegt,  ist  der 
Diccionario  Vasco  EspaTiol-Francés  ein  Werk  von  bervorragender 
Bedeutung.  Indem  icb  dem  Verfasser  meinen  berzlicben  Dank 
abstatte  fiir  den  entsagungsvoUen  Fleiss,  mit  welchem  er  der  bas- 
kiscben  Wortforscbung  eine  feste  Grundiage  gescbaffen  bat,  erlaube 
ich  mir  zum  Schlusse  die  Bemerkaog.  dass  er  im  Irrtum  ist,  wenn 
er  mich  «  linguiste  bavarois  «  und  «  professeur  à  l'Université 
d'Amsterdam  »  nennt.  Seit  Ende  1899  gehore  icb  der  Leidener 
Universitat  an.  Wie  van  Eys  bin  icb  IlolUinder  und  nicbt  gern 
mochte  icb  meine  Nationalitât  preisgeben.  Der  patriotiscbe  Baske 
wird  es  mir  nacbseben  woilen,  wenn  aucb  icb  patriotiscbe  Gefiible 
hege  ! 

Leiden.  C.  C.  Uhlenbeck. 

*      * 
Paul  Olteamake,  Professeur  à  l'Université  de  Genève,  Histoire 
des  idées  théosophiques  dans  Vlnde,  tome  premier,  La  théosophie 
brahmanique,  pp.  xii-382.  —  Forme  le  vol.  xxiii  de  la  Biblio- 
thèque d'Etudes  du  Musée  Guimet,  Leroux,  1907. 

Dans  ce  premier  volume,  M.  Paul  Oltramare  définit  les  divers 
systèmes  «  théosophiques  »  qui  appartiennent  en  propre,  du  moins 


37:2  LE    MUSÉON. 

SOUS  leur  forme  historique,  aux  brahmanes  ;  le  second  volume, 
que  nous  n'attendrons  pas  très  longtemps,  sera  consacré  à  la  plus 
notable  des  disciplines  non-brahmaniques,  au  Bouddhisme  ;  le 
troisième  à  l'Hindouisme,  aux  multiples  formes  du  Visnouisme  et 
du  Çivaïsme  qui  ne  sont  qu'une  brahmanisation,  souvent  super- 
ficielle, des  spéculations,  des  représentations  mythiques  et  des 
émotions  «  hindoues  »  ou  populaires.  Quand  sa  tâche  sera  arrivée 
à  bonne  fin,  M.  Oltramare  aura  parcouru  le  cycle  entier  des 
conceptions  indiennes  du  salut  ou  de  la  délivrance. 

Le  titre  qu'il  a  choisi,  à  bon  escient,  marque  nettement  à  quel 
point  de  vue  il  se  place,  et  fait  saisir  la  différence  qu'il  y  a  entre 
son  œuvre  et  les  diverses  histoires  des  religions  indiennes,  celles 
de  M.  Barth  ou  de  M.  Hopkins,  pour  ne  nommer  que  les  plus 
célèbres.  C'est  une  histoire,  une  description  des  «  idées  ».  Le  per- 
sonnel mythologique  et  divin  reste  au  second  plan,  de  même  que 
le  culte,  sacrifices  savants  ou  pUjàs  populaires.  L'auteur  ne  s'y 
intéresse  que  dans  la  mesure  où  s'y  manifestent  les  conceptions  mi- 
religieuses,  mi-philosophiques,  appelées  de  leur  vrai  nom  «  théoso- 
phiques  »,  qui  font  que  les  choses  indiennes  sont  bien  hindoues. 
La  désignation  «  théosophique  »  est  fort  heureuse,  bien  qu'elle  ait 
le  défaut  d'évoquer  les  théories  niaises  et  malfaisantes  des  Bla- 
vatsky  et  des  Olcott.  Mais  ces  frivoles  imaginations  méritent  si 
peu  d'estime  que  M.  P.  Oltramare  a  eu  grandement  raison  de  ne  pas 
renoncer  à  un  terme  qui  correspond  bien  à  l'objet.  Les  Hindous, 
chose  miraculeuse,  aussi  bien  au  temps  des  Upanisads  qu'à  celui 
du  Hathayoga,  ont  combiné  des  mentalités  à  la  Spinoza,  ou  à  la 
Malebranche,  avec  des  dispositions  critiques  dignes  de  l'Académie, 
avec  des  aspirations  morales  et  ascétiques  de  Thébaide,  avec 
r  «  animisme  »  et  l'enfantillage  dont  les  sociétés  «  rudimentaires  » 
fournissent,  hélas,  tant  de  curieuses  manifestations.  De  telle  sorte 
que  ce  n'est  pas  de  la  religion,  car  il  s'y  trouve  beaucoup  trop 
d'orgueil  d'esprit  ;  ni  de  la  philosophie,  car  la  raison  y  est  beaucoup 
trop  obscurcie  par  la  dévotion  mystique  et  la  fantasmagorie 
payenne.  C'est  de  la  théosophie,  le  mélange,  eu  quantités  variables 
et  souvent  difficiles  à  apprécier,  de  toutes  les  spéculations,  de 
toutes  les  méthodes  intellectuelles,  dévotes  ou  théurgiques  imagi- 
nables, mises  au  service  de  la  «  divinisation  »,  de  la  «  sublimisa- 


COMPTES    RENDUS.  375 

tion  n  ou  de  l'anéantissement  du  «  moi  ».  Si,  quelque  part  dans  ce 
monde,  on  rencontre  une  image  voisine  de  ce  que  l'Inde  nous  offre, 
c'est  sans  doute  à  Alexandrie  et  dans  les  mystérieuses  sectes  des 
Gnostiques.  La  vérité  de  salut,  chez  les  Hindous,  et  sauf  de 
rares  ou  contestables  exceptions,  ne  rentre  jamais  dans  les  cadres 
de  la  pensée  raisonnante,  c'est  toujours  une  «  gnose  »,  une  con- 
naissance supérieure  à  l'entendement  discursif,  toujours  conçue 
comme  révélée,  obtenue  sous  sa  forme  complète  et  réalisée  dans 
l'extase.  C'est  bien  de  la  théosophie. 

Non  pas  que  l'Inde  n'ait  pas  eu  des  religions  à  proprement 
parler,  comme  celle  des  dieux  védiques,  celles  du  Bouddha  Amitâ- 
bha,  celle  de  Krsna  ou  de  Râma  ;  mais  ces  religions,  à  l'état  pur, 
ne  sont  pas  livresques,  si  on  excepte  le  SukhâvaLlvyUha  ou  les 
poèmes  hindis  dont  M.  Grierson  s'est  fait  l'éloquent  interprète.  La 
hhakti  ou  dévotion  s'encombre  régulièrement  de  gnose  ;  et  l'on 
peut  dire  que  la  religion  à  proprement  parler  reste  en  dehors  des 
lois  générales  de  la  pensée  indienne.  Ces  gens-là,  de  même  que 
les  Gnostiques,  ne  se  contentent  jamais  d'une  théodicée,  d'une 
théologie.  Les  appeler  des  «  mystiques  »,  c'est  encore  ne  pas  les 
appeler  de  leur  vrai  nom,  car  ils  raisonnent  dans  le  supra-ration- 
nel avec  une  sécurité  de  dialecticiens.  Ce  sont  des  théosophes. 

J'approuve  donc,  et  très  vivement,  la  conception  qui  a  présidé  à 
la  définition  du  sujet,  et  je  suis  tout  aussi  satisfait  de  la  méthode 
de  recherche  et  d'exposition.  Il  y  a  un  joli  çloha^  —  tous  les  çlokas 
sont  jolis  — ,  que  M.  L.  D.  Barnett  cite  spirituellement  à  la  fin  de 
sa  préface  à  la  traduction  de  l'Antagada-dasâo  : 

na  M  vandyà  vijânâti  garhhaprasavavedanâm. 

M.  P.  Oltramare  seul  sait  combien  de  travail  et  de  réflexion 
représente  ce  livre  irréprochable  au  point  de  vue  de  la  compo- 
sition et  de  la  clarté,  —  que  tout  le  monde  peut  comprendre  et 
goûter,  —  irréprochable  au  point  de  vue  de  la  précision  et  de  la 
critique.  Une  histoire  des  idées  indiennes  ne  doit  pas  prétendre  à 
l'infaillibilité  et  à  la  pénétration  de  la  théologie  positive  :  étant 
donné  l'état  actuel  de  l'enquête  indianiste,  ce  qu'il  faut,  c'est 
étudier  et  décrire  les  systèmes  dans  leur  état  parfait  d'organismes 
vivants.  La  chose  est  suffisamment  difficile  pour  qu'il  ne  soit  pas 
oiseux,  dangereux  et  même  un  peu  pédant  de  sacrifier  la  besogne 


57 i  LE    MUSÉON. 

descriptive  à  des  vues  profondes  sur  les  genèses  et  les  évolutions. 
Et  la  description  réclame  des  précautions  infinies  :  mettre  en 
lumière  les  diverses  idées  directrices,  déterminer  leur  hiérarchie 
dans  rharmonie  d'un  système  et  dans  la  conscience  du  lidèle, 
choisir  les  textes  capitaux,  représentatifs,  et  les  traduire  au  mieux. 
Non  seulement  l'auteur  doit  avoir  des  littératures,  si  vastes  et  si 
embrouillées,  une  connaissance  approfondie  ;  mais  encore  il  doit 
suivre  la  méthode  que  les  Yogâcâras  prêtent  au  Bouddha  :  «  De 
même  que  les  parents  expliquent  d'abord  à  leurs  enfants  ce  que 
c'est  que  des  chevaux  ;  leur  donnent  ensuite  des  chevaux  en  bois  ; 
leur  montrent  enfin  de  vrais  chevaux  :  et  cette  connaissance  seule 
est  vraie...»,  de  même,  pour  aboutir  à  la  vraie  leçon  de  choses  qui 
est  la  lecture  de  l'original  dans  une  traduction  adéquate,  il  faut 
que  l'historien  des  théosophies  de  l'Inde  achemine  son  lecteur  par 
d'ingénieux  sentiers,  des  résumés  et  des  analyses  claires  et  simples, 
vers  le  sentiment  de  la  réalité  complexe  et  trop  souvent  inintelli- 
gible. A  ne  donner  que  des  textes,  comme  Warren  l'a  fait  admira- 
blement pour  le  Bouddhisme  pâli,  je  crains  qu'on  n'éblouisse  ou 
ne  stupéfie  le  lecteur  ;  à  se  borner  aux  analyses  et  aux  définitions, 
je  crains  qu'on  ne  substitue  à  la  conscience  des  choses  hindoues, 
toujours  assez  vague  quand  elle  est  exacte,  un  schéma  européen. 
Le  vrai  procédé  pour  rendre  les  «  idées  théosophiques  «  est  bien 
celui  que  M.  P.  Oltramare  a  adopté  et  auquel  il  fait  porter  des 
fruits  savoureux  :  ne  pas  abandonner  le  terrain  solide  des  docu- 
ments explicites,  expliquer  autant  qu'il  est  nécessaire,  laisser 
parler  les  textes  en  montrant,  avec  une  grande  probité,  toute  la 
marge  qu'ils  laissent  à  l'interprétation  occidentale  et  indienne. 

Le  présent  volume  est  divisé  en  trois  parties  inégales.  La  pre- 
mière est  intitulée  «  Les  germes  de  la  pensée  théosophique  n. 
C'est,  à  proprement  parler,  une  introduction  historique  :  la  spécu- 
lation brahmanique  a  eu  pour  centre  et  point  de  départ  la  religion 
et  le  sacrifice  védique,  une  religion  dite  «  naturaliste  »  et  dont 
beaucoup  de  choses  pouvaient  sortir,  sur  laquelle,  plus  exacte- 
ment, bien  des  systèmes  pouvaient  être  greffés.  L'auteur  examine 
les  éléments  qu'elle  fournissait  à  la  spéculation  qui,  de  fait,  s'y 
est  superposée.  La  deuxième  partie  "  La  formation  des  idées 
théosophiques  n  (p.  63-141)  examine  sous  trois  chefs  la  doctrine 


COMPTRS    UENDUS.  575 

des  Upanisads  :  le  monisme,  la  transmigration,  la  délivrance.  La 
troisième  partie  (14:1-374)  traite  du  Vedânta,  du  Sâmkhya  et  du 
Yoga. 

Il  serait  très  long  d'énumérer  les  points,  de  détail  ou  de  grande 
portée,  sur  lesquels  M.  P.  Oltramare  diffère  d'opinion  avec  ses 
devanciers.  Je  regrette,  pour  le  dire  en  passant,  qu'il  ait,  de  parti 
pris,  écarté  toute  référence  de  détail  aux  ouvrages  contemporains. 
J'aurais  aimé  pouvoir  me  reporter  plus  commodément  à  tel  ou  tel 
endroit  oii  MM.  Barth,  Deussen,  Max  Millier,  Oldenberg,  Garbe, 
expriment  sur  tel  ou  tel  point  des  vues  divergentes.  Il  me  paraît 
certain  que  l'auteur  a  lu  tous  les  ouvrages  de  "  référence  »,  mais 
plus  certain  encore  qu'il  s'est  d'abord  formé  une  opinion  d'après 
la  lecture  des  originaux  :  son  information  est  très  ample,  sans 
viser  à  une  documentation  ambitieuse  ;  il  ne  dépend  ni  de  Deussen, 
ni  de  Thibaut  pour  le  Vedâuta,  ni  de  Garbe  pour  le  Sâmkhya.  Pour 
le  Yoga  comment  dépendrait-il  de  quelqu'un,  sinon  des  commenta- 
teurs indigènes  ?  Il  n'y  a  pas  jusqu'au  Hathayoga,  si  intéressant 
quoi  qu'on  puisse  dire,  qui  n'ait  été  l'objet  d'une  analyse  extrême- 
ment méritoire.  —  Aussi,  tout  le  long  de  l'ouvrage,  se  pressent  des 
observations  et  des  remarques  inédites. 

Si  j'avais  quelque  autorité  dans  des  matières  que  j'ai  seulement 
étudiées  sommairement  et  au  point  de  vue  des  recherches  bouddhi- 
ques, j'aimerais  à  présenter  quelques  observations  sur  des  points 
non  dépourvus  d'intérêt,  mais  peu  susceptibles  d'être  tranchés  par 
la  «  déduction  positive  ».  Je  crois  pouvoir,  sans  présomption,  en 
signaler  deux. 

Notre  auteur  s'arrête  à  la  définition  fameuse  «  yog<xé  cittavrtti- 
ntrodhah.  »  :  «  Le  yoga,  d'après  Patanjali,  c'est  la  suppression  de 
l'activité  de  l'organe  pensant  ».  «  Cette  définition  toute  négative, 
—  ajoute-t-il,  —  doit  s'entendre,  cela  va  sans  dire,  comme  mar- 
quant, non  pas  le  but  à  atteindre,  mais  la  méthode  pour  atteindre 
ce  but,  qui  est  ici,  comme  dans  tous  les  systèmes  orthodoxes,  le 
salut  »  (p.  301-2).  Plus  loin,  M.  P.  Oltramare  traduit  «  Le  yoga 
est  la  suppression  des  modifications  du  principe  pensant  ».  —  Mon 
impression  est  que  le  salut  et  la  méthode  sont,  ici,  identiques,  que 
la  suppression  définitive  du  processus  intellectuel  et  conscient  est 
bien  la  même  chose  que  la  délivrance,  la  suppression  momentanée 


576  LE    MUSÉON. 

et  provisoire  de  la  pensée  dans  Textase  n'étant  qu'un  avant- goût 
et  un  gage  de  la  suppression  définitive.  En  un  mot,  je  comprends 
la  formule  à  la  bouddhique  !  Le  yoga  admet  un  «  organe  pen- 
sant n,  —  c'est  une  des  boîtes  dans  lesquelles  s'enferme  le  principe 
éclairant,  en  soi-même  inconscient  —  et  on  peut  l'appeler  un  «  prin- 
cipe pensant  »  sans  grand  dommage,  tandis  que  le  Bouddhisme 
n'admet,  dit-on,  que  des  pensées  évoluant  suivant  une  chaîne 
autonome.  Et  de  même  que  cette  théorie  bouddhique  n'entraîne 
pas  l'équivalence,  parmiVi'àwa  =  néant,  de  même  je  ne  dis  pas 
que  le  «  salut  «  ne  soit  pas  autre  chose  que  «  la  suppression  de 
l'activité  de  la  pensée  »  :  il  doit  être  autre  chose,  puisqu'il  est 
l'au-delà,  l'ineffable  ;  mais  il  ne  peut  être  conçu  que  négative- 
ment, et  précisément  comme  "  suppression  r>,saniji  àveditanirodha, 
comme  disent  les  Bouddhistes.  Toute  définition  positive,  ou  bien 
est  métaphorique,  ou  bien  décrit  le  yoga  comme  moyen,  non  dans 
son  résultat  dernier  :  «  Le  yoga  est  l'application  de  la  pensée  à 
l'essence  unique  ». 

Je  crois  —  et  je  ne  demande  pas  mieux  que  de  me  tromper  — 
que  les  ihéosophes  hindous,  quelle  que  soit  leur  école,  Vedan- 
tistes  ou  Bouddhistes,  sont  d'accord  pour  affirmer  la  non-existence 
réelle,  métaphysique,  du  «  moi  »  au  sens  occidental  du  mot.  Le 
«  cogito,  ergo  sum  »  est  au  nadir  de  leur  horizon  spéculatif.  Ils 
croient  précisément  que  ce  qui  «  est  »  ne  saurait  penser.  La  pen- 
sée est  pure  mâyà  chez  Çaiiikara,  elle  est  prakrti  chez  Vijùâna- 
bhiksu  :  chez  tous,  elle  est  duhkha,  anitya,  anàtmaka  ;  arrêter  ses 
manifestations,  c'est  bien  le  but  du  yoga. 

J'ai  lu,  avec  un  très  vif  intérêt,  les  pages  où  M.  P.  Oltramare 
explique  le  dogme  de  la  transmigration  et  la  place  logique  de  ce 
dogme  dans  le  développement  de  la  pensée  védique  et  brahma- 
nique. Je  n'ai  pas  vu  ce  que  dit  M.  Deussen  sur  le  même  sujet, 
mais  je  crois  qu'il  cherche  à  marquer  l'évolution  de  l'idée  de 
remort  et  de  revie  dans  la  sphère  brahmanique.  M.  A. -M.  Boyer, 
il  y  a  quelques  années,  a  publié  un  fort  beau  mémoire  dans  le 
même  sens  ;  et  j'avais  été,  en  le  lisant,  séduit  par  la  simplicité  des 
lignes  et  la  solidité  des  résultats.  Mais  des  doutes  me  sont  venus, 
et  j'en  veux  à  M,  P.  Oltramare  de  ne  pas  les  avoir  dissipés.  «  Il 
n'y  a  rien,  dit-il,  dans  le  principe  même  de  la  métempsychose  qui 


COMPTKS    IIENDIS.  .)/  / 

ne  puisse  s'expliquer  par  révolution  naturelle  d'idées  spécifique- 
ment hindoues  et  brahmaniques.  En  outre,  dans  la  manière  dont 
les  anciennes  Upanisads  se  sont  représenté  le  processus  des  revi- 
viscences, il  y  a  eu  trop  d'hésitations,  de  divergences,  d'ébauches 
suivies  de  dessins  plus  complètement  poussés,  pour  que  cette 
élaboration  ne  soit  pas  tout  entière  le  fait  des  penseurs  brahma- 
niques eux-mêmes.  «  —  Notre  auteur  examine  ensuite  les  élé- 
ments de  la  doctrine  du  samsara,  les  croyances  animistes,  la  con- 
ception brahmanique  du  sacrifice,  l'idée  que  les  principes  vivants 
descendent  du  ciel  par  la  pluie,  le  besoin  d'une  sanction  morale  et 
d'une  justice  rétributive,  le  dogme  enfin  du  Brahman  :  puisque 
toutes  les  âmes  sont  Brahman,  si  elles  sont  diverses,  c'est  en  vertu 
des  actes  d'une  vie  antérieure. 

Pour  le  dernier  point,  il  m'accordera,  j'ose  l'espérer,  que  le 
dogme  du  Brahman  peut  conduire  à  une  conclusion  toute  diffé- 
rente :  «  L'atman  (ou  Brahman)  est  semblable  à  l'espace  infini  ; 
\ejlva  (ou  atman  individualisé,  conscient),  semblable  à  l'espace 
contenu  dans  un  pot  ;  ce  pot,  c'est  le  corps.  Cette  comparaison 
montre  ce  qu'il  faut  entendre  par  naître.  Quand  les  pots  sont 
détruits,  que  devient  l'espace  contenu  dans  un  pot  V  II  disparaît 
dans  l'espace.  Ainsi  fait  lejlva  dans  Vatman  »  (i)  (Mând.  K.  3.  3.  4, 
cité  p.  91).  Aussi  bien  Yâjnavalkya  dit-il  :  «  Il  n'y  a  pas  de 
conscience  après  la  mort  ».  —  Et  M.  Kern  (trad.  Huet,  I.  p.  11) 
reconnaît  une  antinomie  profonde  entre  le  dogme  du  samsara  et 
la  spéculation  ancienne  de  l'Inde  :  «  Il  peut  sembler  étonnant 
qu'un  dogme,  si  peu  d'accord  avec  les  principes  fondamentaux  de 

la  métaphysique  indienne,  ait  pu  se  faire  adopter  à  demeure 

L'étonnement  augmente  quand  nous  voyons  que  le  dogme  de  la 
renaissance  et  du  Jcarma  n'a  nullement  été  adopté  sur  l'autorité 
des  anciens  textes  sacrés.  Au  contraire,  on  n'en  trouve  aucune  trace 
dans  les  Mantras  ». 


(1)  Je  crois  bien  que  les  «  pots  «  ne  sont  pas  nécessairement  les  «  çarî- 
ras  »  faits  de  chair  et  d'os,  mais  des  «  lingaçarïras  ».  Mais  quelle  fut  la 
pensée  de  l'auteur  ?  —  Cet  excellent  Naeiketas  ne  sait  pas  du  tout  si  on 
existe  après  la  mort  :  «  les  uns  disent  oui,  les  autres  disent  non  ».  — Dans 
le  texte  bien  connu,  c'est  en  secret  que  deux  sages  s'entretiennent  du 
karman. 

2G 


378  LE    MLSÉON. 

La  trausmigration  me  paraît,  logiquement,  aussi  incompatible 
avec  la  métaphysique  mouiste  qu'avec  le  nihilisme  bouddhique  ; 
elle  dérange  les  grandes  lignes  nettes  de  la  spéculation  savante  : 
celle-ci  s'en  accommode  à  la  longue  —  de  quoi  ne  s'accommode-t- 
elle  pas  ?  —  et  les  hésitations,  les  divergences,  les  ébauches  que 
signale  M.  P.  Oltramare  peuvent  être  les  indices,  non  d'une  pensée 
qui  cherche  ses  voies,  mais  d'une  adaptation  progressive  ou  sacca- 
dée. Le  samsara  suppose  la  notion  d'un  purusa^  d'un  pudgala, 
comme  disent  les  Bouddhistes,  d'une  monade  indestructible  et 
permanente  :  c'est  tout  le  contraire  des  aspirations  de  la  pensée 
brahmanique,  au  moins  sous  le  plus  notable  de  ses  aspects. 

A  bon  droit,  M.  Oltramare  parle  des  croyances  animistes,  et 
M.  Boyer  des  vieilles  croyances  aux  incorporations  et  aux  méta- 
morphoses ;  en  d'autres  termes  de  la  croyance  à  une  âme  dont  le 
destin  n'est  pas  éternellement  iixé  à  la  mort.  C'est  la  vieille  foi  hin- 
doue. Les  brahmanes  avaient  renoncé,  en  faveur  du  grand  être 
immanent,  à  leur  royaume  des  Pères  et  à  l'idée  même  du  «  moi  ». 
Cependant,  en  bons  payens  qu'ils  sont,  ils  crurent  dès  lors  aux 
métamorphoses  et  à  la  survie,  comme  les  Çûdras,  et  parce  que  les 
Çûdras  y  croyaient.  —  Mon  impression  actuelle  est  que  le  brahma- 
nisme n'est  pour  rien  dans  l'idée  de  transmigration,  qui  n'est  au 
fond  pas  plus  «  aupanishadique  n  que  védique,  et  que,  la  loi  du 
karman,  on  peut  en  faire  honneur  à  quelque  préhistorique  Tathâ- 
gata  plutôt  qu'à  des  yâjhihas  professionnels  ou  à  des  brahmavàdins  ! 

Louis  DE  LA  Vallée  Poussin. 


REVUE  DES  PERIODIOUKS. 


American  Journal  of  Pliiloloyij, 
XXVII.  4.  Whole  108. 

1°  Boot  Reducihility  in  Folynesian  by  VV.  Chuechill,  L'auteur 
a  consacré  de  longues  années  à  l'étude  des  idiomes  de  l'Océanie, 
principalement  ceux  de  l'archipel  Samoa  qui,  d'après  lui  se  trouve 
placé  au  centre  des  migrations  des  tribus  malayopolynésiennes. 
Le  dialecte  y  représenterait,  de  même,  assez  bien  l'état  moyen 
entre  les  divers  types  extrêmes  d'évolution  tels  que  ceux  d'Hawaï 
et  de  la  Nouvelle-Zélande.  Les  mots  de  ces  dialectes  se  répar- 
tissent en  trois  classes  :  les  attributifs  jouant,  suivant  le  cas,  le 
rôle  de  prédicats  nominaux  ou  verbaux  ou  même  de  substantifs, 
les  démonstratifs  et  les  «  paradeictic  »  ou  particules  de  relations. 
Les  racines  sont  généralement  dissyllabiques.  M.  Churchill  montre 
le  développement  que  subit  le  sens  primordial  d'une  racine  lors- 
qu'elle entre  en  composition  avec  d'autres  racines  ou  particules. 
Il  tente  de  réduire  les  racines  polynésiennes  à  leur  plus  simple 
expression  et  cherche  même  à  en  faire  des  entités  algébriques. 
Cet  article  n'est  que  la  préface  à  un  grand  travail  sur  les  idiomes 
polynésiens,  qui  apportera  une  ample  collection  de  faits  aux  études 
de  linguistique  générale. 

2"  Corrections  and  Conjectural  Eniendaiions  of  Vcdic  Texts  by 
M.  Bloomfield. 

Le  nombre  des  corrections  proposées  est  d'environ  quatre-vingts. 

3°  Tlie  prosody  of  ille.  A  study  of  the  anomalies  of  Roman 
quantity,  by  R.  S.  Radfoed,  V  article. 

Cet  article  est  le  premier  d'une  série  d'études  qui  ont  pour  but 


380  LE    MUSÉON. 

d'apporter  une  solution  au  vieux  problème  quantitatif  de  ïîle-ïll(e)f 
nëmpë-nëmp(e)  discuté  notamment  par  Skutsch.  La  solution  de 
M.  Radford  coïncidera  en  partie  avec  celle  proposée  par  Birt. 
(Rh.  Mus.  L.  I.  p.  240  sqq.)- 

4°  Notes  on  tlie  Fseudo-Vergilian  Ciris  by  J.  Moetimee  Lin- 
FOKTH.  Remarques  diverses  d'ordre  critique  sur  ce  petit  poème. 

5°  New  Inscriptions  from  Sinope,  by  D.  M.  Robinson. 

Idem.  XXVIII.  4.  (Whole  109). 
1°  The  Unreal  Conditional  Sentence  in  Cicero  First  Paper,  by 

H.  C.  NUTTING. 

2°  The  Prosody  of  Ille.  A  study  of  the  Anomalies  of  Roman 
quantlty.  by  R.  S.  Radfoed. 

Suite  de  l'article  du  numéro  précédent.  La  finale  des  mots 
iambiques  dissyllabiques  tels  que  homo^  ego,  etc.  devient  souvent 
brève  et  cette  valeur  est  acceptée  dans  la  métrique  latine  chaque 
fois  qu'elle  ne  met  pas  en  question  des  principes  trop  essentiels  de 
la  prosodie.  L'abréviation  des  monosyllabes  n'était  pas  admise. 
Les  langues  romanes  ne  permettent  point  d'accepter  la  théorie 
qui  prétend  que  la  finale  de  ille,  illa,  etc.,  s'élidait  dans  la  pro- 
nonciation courante. 

3°  Notes  on  the  SchmaU-Krebs  Antibarbarus  by  E.  B.  Lease. 

Corrections  et  remarques  sur  divers  articles  du  premier  volume 
de  la  nouvelle  édition  de  cet  important  ouvrage  de  référence. 

4°  Cicero.  De  Ofticiisl  §§  7.  8.  by  Ch.  Knapp. 

5°  Lucretius.  5.  1006.  by  W.  A.  Meeeil. 

Le  vers  doit  être  conservé  sous  la  forme  qu'il  a  dans  les  mss. 

6°  Notes  on  Philolaus  by  W.  A.  Heidel. 

Meineke  corrige  dans  fr.  6  la  leçon  insoutenable  iaorxyT^  en 
i(îo>^ay^.  M.  Heidel  préférerait  tcroTay^  avec  le  sens  de  l'adjectif 

Transactions  and  Proceedings  of  the  American  Philological 
Association  XXXVI  (1905). 

1°  The  Oxyrhynchus  Epitome  of  Livy  and  Reinhold's  Lost 
Chronicon  by  Prof.  H.  A.  Sandee. 


REVUE    DES    PÉUIODIQUES.  381 

2"  Type  of  Sentence  Structure  in  Latin  Prose  Writers  by  Prof. 
Claeence  Linton  Meadee. 

L'auteur  applique  à  l'étude  de  la  prose  latine  les  théories  da 
Prof.  Wundt  de  Leipzig.  Il  montre  que  ce  système  permet  une 
analyse  plus  rationnelle  du  style  des  auteurs  qui  ont  une  person- 
nalité accusée,  tels  que  Tacite  et  Sénèque. 

3°  The  Reported  Influence  of  tlie  Dies  Natalis  in  determining 
the  Inscription  ofBestored  Temples  by  Prof.  Duane  Reed  Stuart. 

4"  The  Ablative  of  Association  by  Prof.  C.  E.  Bennett. 

M.  Bennett  est  de  l'avis  des  linguistes  qui  pensent  que  le  sens 
primitif  et  fondamental  de  l'instrumental  indo-européen  était  le 
sens  sociatif.  Il  montre  par  un  nombre  imposant  d'exemples  que 
l'ablatif  latin  a  plus  souvent  ce  sens  qu'on  ne  le  pense  d'ordinaire. 

5°  The  Relation  of  Accent  to  Elinain  in  Latin  Verse,  not  inclu- 
ding  the  Prama  by  Prof.  A.  Granger  Harkness. 

On  tend  dans  la  prosodie  latine  à  éviter  de  mettre  l'accent  sur 
la  syllabe  qui  suit  une  élision  «  in  pausâ  «. 

6°  Notes  on  the  Bucolic  Diaeresis  by  Prof.  S.  Eliot  Basset. 

7°  Donatus  Version  of  the  Terence  Didescalive  by  D""  J.  C. 
Watson. 

8°  Plantine  Synisesis,  by  Prof.  Robeet.  Etude  sur  les  phéno- 
mènes de  la  «  brevis  coalescens  » . 

9°  The  Title  of  Caesar's  Worh,  on  the  Gallic  and  Civil  Wars 
by  Prof.  F.  W.  Kelsey. 

Les  mss.  anciens  varient  beaucoup  sur  le  titre  de  ce  que  nous 
sommes  habitués  à  nommer  le  «  de  Belle  Gallico  »,  et  le  «  De 
belle  civili  ».  M.  Kelsey  pense  que  l'appellation  originale  était  : 
C.  Juli  Caesaris  Commentarii  Rerum  Gestarum. 

Revue  de  CHistoire  des  Religions.  LIV.  N°^  2  et  3. 

1°  M.  Revon  :  Le  Shinntoïsme. 

Suite  des  articles  publiés  dans  la  même  revue  depuis  deux  ans. 
Les  présents  chapitres  traitent  a)  de  la  synthèse  mythique,  c'est- 
à-dire  de  la  fusion  en  un  vaste  corps  hiérarchisé  par  l'alliance 
ancestrale  de  deux  grandes  masses  de  divinités  étudiées  jusqu'ici  : 
dieux  de  la  nature  et  dieux-esprits  ;  h)  de  la  nature  des  dieux  en 


582  LE  MusÉo^. 

général  (ils  nous  apparaissent  comme  la  nature  humaine  élevée  à 
une  puissance  supérieure)  et  de  leur  séjour  qui  ressemble  fort  au 
milieu  où  vivaient  les  Japonais  primitifs. 

2°  A  LoDS.  Le  Panbalnjlonisme  de  M.  Jeremias.  Analyse  de 
l'ouvrage  de  M.  A.  Jeremias  :  Bas  Alte  Testament  im  Lichte  des 
Alten  Orients. 

«  Comme  manuel,  il  rendra  de  très  réels  services.  Comme  mani- 
feste, il  appelle  sur  bien  des  points  des  réserves  importantes  ». 

3°  J.  Ebeesolt.  Un  nouveau  manuscrit  du  rituel  d'abjuration 
des  musulmans  dans  VEglise  grecque. 

Formule  d'anathème  extraite  du  ms.  364  de  la  Bibliothèque 
Nationale  de  Paris  et  en  usage  dans  la  cérémonie  préalable  au 
baptême  des  convertis  d'origine  musulmane. 

4°  A.  Cabaton.  Raden  Faku,  sunan  de  Giri,  légende  musul- 
mane javanaise  :  Texte  et  traduction  d'une  légende  tendant  à 
expliquer  la  domination  musulmane  qui  existe  encore  aujourd'hui 
dans  la  partie  orientale  de  Java. 

P.  Alphandéry.  Notice  biographique  sur  M.  Albert  Réville, 
décédé  le  25  octobre  1906. 

Skrifter  uigifha  af  Kuntjl.  fmmanistike  Vetenslmps- 
Samfiindet  i  Uppsala.  Bd.  IX. 

Ce  volume  contient  : 

1°  Kalender  auf  das  jahr  1492,  gedruckt  von  Ghotan  (Beitrag 
zur  Geschichte  des  Liibecker  Buchdrucks).  von  Isak  Collijn. 
'    2°  BesTiattnig  och  Statsreglering  i  England  of  Otto  Vaeenius. 

3°  Var  Alsta  Handschrift  pà  Fornsvànska  af  Otto  von 
Feiesen. 

On  regarde  généralement  le  codex  princeps  de  la  loi  de  West- 
gota  (B.  59)  comme  le  plus  ancien  manuscrit  en  langue  suédoise. 
M.  A.  Munch  croit  que  quelques  fragments  de  cette  même  loi  qui 
se  trouvent  aujourd'hui  aux  archives  nationales  de  Norwège  sont 
d'une  date  plus  ancienne.  M.  0.  van  Friesen  apporte  des  argu- 
ments paléographiques  et  linguistiques  en  faveur  de  cette  thèse. 

4°  A'onst  och  Jconstndrcr  vid  Mogrus  Gabriel  de  la  Gardies  Hof. 
af  A.  Hahe. 


I 


♦ 


REVUE    DES    PÉRIODIQUES.  383 

5°  Ziim  Gehrauch  des  Futurums  ini  Altlateinischen  von  H.  Sjô- 

GREN. 

Le  futur  grec  en  -so  (proprement  conjonctif  aoriste)  n'a  subsisté 
en  latin  que  clans  quelques  archaïsmes  :  faxo,  deixo,  capso.  Le 
futur  en  eso,  iso  (ancien  conjonctif  d'un  aoriste  en  is)  qui  était  un 
futur  de  l'action  ponctuelle  s'est  spécialisé  comme  futurum  exac- 
tum  (fecero,  etc.).  Il  reste  pour  exprimer  l'action  future  en  latin  : 

1°  Des  tournures  périphrastiques  en  -bo,  -bis,  -bit. 

2°  Des  potentiels  en  iâ  et  en  ïf  employés  dans  le  sens  du  futur. 

L'auteur  étudie  notamment  les  nombreux  cas  où  le  présent  est 
usité  en  latin  avec  la  signification  du  futur,  tout  en  remarquant 
que  cet  usage  est  moins  fréquent  en  latin  que  dans  plusieurs 
langues  modernes.  Il  s'attache  aussi  à  vérifier  l'opinion  générale- 
ment admise  qui  veut  que  le  futur  en  iam  ait  eu  encore  chez 
Plaute  la  valeur  d'un  conjonctif.  Le  futur  et  le  conjonctif,  d'après 
lui,  auraient  déjà  été  nettement  différenciés  à  cette  époque. 

6°  Nordiska  Bidrag  II  af  Otto  von  Friesen.  L'article  traite 
des  doublets  nordiques  saér,  sior,  sidr  (mer),  oe,  ey  (toujours)  et 
d'autres  questions  connexes. 


CHRONIQUE. 


Sous  le  titre  de  «  Documents  pour  V Etude  de  la  Bible  », 
M.  l'abbé  F.  Martin,  Professeur  de  langues  sémitiques  à  l'Insti- 
tut Catholique  de  Paris  avec  la  collaboration  de  MM.  L.  Delaporte, 
J.  Françon,  B.  Legris  et  J.  Pressoir,  membres  de  la  Confé- 
rence d'Ethiopien  du  même  Institut,  a  entrepris  une  série  de 
traductions  qui  comprendront  les  Apocryphes  de  l'Ancien  Testa- 
ment, les  textes  religieux  de  l'Assyrie  et  de  la  Babylonie,  les 
inscriptions  phéniciennes  et  les  Targums.  M.  Martin  dans  son 
introduction  au  premier  volume  paru  de  la  collection  :  «  Le  Livre 
d'Hénoch,  traduit  sur  le  texte  éthiopien  »  explique  que,  tandis 
qu'un  réel  progrès  se  dessine  dans  l'interprétation  rigoureuse  des 
textes  de  la  Bible  proprement  dite,  les  autres  documents  qui  sont 
d'importance  pour  la  compréhension  de  la  Bible,  ont  été  malheu- 
reusement négligés.  C'est  cette  lacune  que  la  présente  collection 
est  destinée  à  combler  en  rendant  ces  documents  accessibles  à  un 
plus  grand  nombre  de  personnes.  Il  ne  se  dissimule  pas  que  les 
traductions  ne  remplacent  pas  les  originaux  et  il  espère  que  le 
nombre  croîtra  de  ceux  qui  se  familiariseront  avec  les  langues  de 
l'Orient  et  les  saines  méthodes  critiques  ;  mais  comme  le  nombre 
de  ceux-ci  sera  nécessairement  petit,  il  est  hautement  désirable 
que  d'autres,  grâce  à  une  traduction  fidèle,  disposent  des  moyens 
suffisants  pour  contrôler  des  assertions  et  exercer  avec  plus  d'in- 
dépendance leur  jugement  sur  les  questions  du  jour. 

Le  Livre  d'Henoch,  qui  est  traduit  de  la  version  faite  en  éthio- 
pien sur  un  texte  grec  perdu,  est  un  apocryphe  de  sérieuse  impor- 
tance puisqu'il  a  joui  d'une  assez  grande  autorité  dans  les  premiers 
siècles  chrétiens.  L'abbé  Martin  analyse  les  doctrines  renfermées 


ciiKoiNiQUb:.  585 

dans  cet  écrit  par  rapport  à  Dieu,  au  monde,  aux  anges,  aux 
démons,  à  l'homme  et  au  péché,  à  l'eschatologie  et  au  Messie. 

L'ouvrage  est  de  nature  composite  et  renferme  des  morceaux  de 
date  assez  différente.  Ses  auteurs  sont  des  juifs  de  Palestine, 
probablement  des  Pharisiens. 


* 


Les  fouilles  dirigées  par  M.  Gerstang,  professeur  à  l'Université 
de  Liverpool  aidé  de  MM.  E.  Harold  Jones  et  R.  H.  Trefusis, 
sur  le  site  d'Abydos  ont  donné  des  résultats  importants.  Les 
scarabées,  les  ornements,  les  inscriptions  sont  en  très  grand  nombre 
et  datent  de  2000  à  1200  avant  J.-C.  Il  y  a  aussi  des  stèles  de  la 
période  ptolémaïque  et  des  objets  antérieurs  au  2**  siècle  de  notre 
ère.  Les  restes  les  plus  intéressants  sont  de  la  IT  et  de  la  13®  dyna- 
sties et  beaucoup  d'entre  eux  sont  d'une  beauté  particulière.  Il  s'y 
trouve  deux  ou  trois  représentations  en  bronze  d'Osiris.  Un  hippo- 
potame en  faïence  est  d'un  type  assez  rare,  comme  aussi  une 
statuette  en  bois  représentant  une  femme  et  un  enfant.  Le  corps 
est  long  et  les  membres  courts  bien  que  la  longueur  des  jambes  et 
des  bras  soit  une  caractéristique  de  ces  populations.  Les  traits 
rappellent,  du  reste,  plutôt  les  races  nègres  que  le  type  égyptien 
pur. 

D'autres  objets,  très  bien  conservés,  sont  un  singe  en  cage,  des 
chats,  des  babouins  et  un  beau  vase  sacrificatoire  orné  de  deux 
oies.  L'habileté  de  l'artisan  ainsi  que  la  grâce  des  formes  font 
songer  à  l'art  grec. 

Un  des  spécimens  les  plus  exquis  est  un  sceau  en  ivoire  repré- 
sentant un  enfant  très  soigneusement  dessiné.  Une  hache  de  combat 
en  bronze  d'une  forme  unique  et  un  rasoir  en  bronze  montrent  les 
progrès  atteints  dans  le  travail  des  métaux,  il  y  a  4000  ans. 

Une  palette  et  de  la  gomme  pour  la  fabrication  des  cosmétiques, 
des  peignes,  des  pots  à  parfum  et  d'autres  articles  montrent  que 
les  ornements  et  la  vanité  féminine  avaient  atteint  un  haut  degré 
durant  la  13^  dynastie. 


580  LE    MUSÉON. 

Le  Bureau  of  American  Ethnology  de  la  Smithsonian  Institu- 
tion publie  à  part  en  un  petit  volume  (Bul.  32)  une  étude  de  M. 
Edgar  L.  Hewett  sur  les  Antiquities  ofthe  Jemez  Plateau,  Neiv 
3Iexico.  Ce  volume  est,  paraît-il,  le  premier  d'une  série  qui  trai- 
tera des  antiquités  du  domaine  public  des  Etats-Unis.  M.  E.  He- 
wett, en  s'occupant  des  débris  de  l'ancienne  civilisation  qui  avait 
pour  centre  le  plateau  de  Jemez,  a  choisi  une  des  portions  les  plus 
intéressantes  de  ces  restes  d'un  passé  obscur.  Il  décrit  et  reproduit 
en  phototypie  les  curieuses  habitations  souterraines  de  Tshirege, 
du  Parc  Pajarito  et  de  Puye,  les  sculptures  et  les  peintures  sur 
roc  de  Las  Vacas  et  de  la  Cueva  Pintada,  les  poteries  et  objets 
cultuels  de  ces  anciens  aborigènes. 

Dans  le  Journal  de  la  Société  des  Américanistes  de  Paris,  IIL  2, 
M.  E.  DE  JoNGHE,  publie  une  intéressante  étude  sur  le  calendrier 
mexicain.  Les  documents  espagnols  renferment  d'assez  nombreux 
renseignements  sur  ce  calendrier.  M.  de  Jonghe  s'est  efforcé  de 
mettre  un  peu  d'ordre  dans  ces  notions  souvent  assez  divergentes. 
On  peut  constater  que  ce  calendrier  des  aztèques,  en  grande  partie 
l'œuvre  des  prêtres  était  basé  sur  de  sérieuses  observations  astro- 
nomiques. Il  reposait  à  la  fois  sur  une  période  de  260  jours,  subdi- 
visée en  20  treizaines  (tonalamatl)  et  sur  une  période  de  365  jours 
se  décomposant  en  dix-huit  vingtaines  et  cinq  jours  supplémentai- 
res (tonalpoualli).  L'origine  du  tonalmatl  est  discutée.  M.  de  Jonghe 
avec  M"®  Zelia  Nuttall  croit  qu'elle  représente  primitivement  la 
durée  d'une  gestation  ou  neuf  lunaisons.  Ce  tonalamatl  offrait  une 
base  commode  pour  combiner  dans  la  chronologie  les  mouvements 
de  la  planète  Vénus  avec  ceux  du  soleil. 

—  M.  Beatjrepaire-Fboment,  l'écrivain  français  bien  connu 
est  également  un  érudit.  C'est  ainsi  qu'il  vient  de  rendre  service  à 
tous  ceux  qui  s'occupent  de  Folk-Lore  et  de  poésie  populaire  en 
publiant  une  Bibliographie  des  Chants  Populaires  Français  (Paris. 
Edit.  de  la  Revue  du  Traditionnisme  1906).  Cet  ouvrage  répond  à 
un  besoin  réel  et  offre  une  liste  très  complète  d'ouvrages. 

—  L'importance  que  joua  pendant  une  période  assez  courte  mais 
de  grande  conséquence  dans  l'histoire  de  l'humanité,  le  petit  peuple 
macédonien  donne  de  l'intérêt  aux  recherches  concernant  son 
origine.  On  sait  que  Kretschmer  y  voit  une  peuplade  ethniquement 


CHRONIQUE.  587 

assez  parente  des  Grecs  mais  n'appartenant  pourtant  pas  à  la  race 
hellénique.  Hatzidakis,  au  contraire,  on  fait  une  tribu  grecque 
et  son  opinion  vient  de  trouver  un  sérieux  défenseur  dans  la  per- 
sonne de  M.  0.  HoFFMAN  (Die  Makedonen.  Gôttingen  1906).  Celui- 
ci,  qui  est  fort  au  courant  des  questions  de  dialectologie  grecque,  a 
rassemblé  tous  les  noms  de  personnes  désignant  des  Macédoniens, 
ainsi  que  les  mots  cités  par  les  écrivains  et  les  lexicographes.  Une 
étude  soigneuse  de  leurs  éléments  l'amène  presque  toujours  à  y 
retrouver  des  radicaux  nettement  helléniques.  Bien  que  plusieurs 
des  rapprochements  soient  un  peu  forcés,  il  en  est  un  si  grand 
nombre  de  convaincants  que  M.  H.  paraît  avoir  obtenu  gain  de 
cause  dans  une  grande  partie  du  monde  des  philologues,  comme  en 
témoignent  les  nombreux  comptes -rendus  approbateurs  dont  son 
livre  a  été  l'objet. 

* 
*      * 

M.  GusT.  Rtdbeeg,  de  l'Université  d'Upsala  continue  la  série 
déjà  si  importante  de  ses  études  sur  V Histoire  de  Vd  français. 

Le  fascicule  II.  5  est  consacré  aux  monosyllabes  comme  les  deux 
précédents.  L'étude  porte  cette  fois  sur  les  démonstratifs  composés, 
les  relatifs,  les  conjonctions  et  les  adverbes. 

M.  Rydberg  recueille  soigneusement  toutes  les  formes  dérivées 
de  eccioc.  Il  constate  le  parallélisme  dans  tous  les  dialectes  entre 
ces  formes  et  celles  dérivées  de  ego. 

Les  opinions  varient  au  sujet  de  la  date  où  cest  devint  ce.  M.  R. 
ne  croit  pas  qu'il  faille  la  reculer  trop  haut.  Il  pense  que  beaucoup 
d'exemples  anciens  de  ce  remontent  à  cel,  non  à  cest. 

L'étude  de  si(c)  atone  aboutit  à  la  conclusion  que  la  forme  se 
était  répandue  au  13^  siècle  dans  les  régions  picardes,  wallones  et 
lorraines. 

Quant  aux  négations,  on  voit  devant  voyelle,  triompher  nen  dans 
l'ouest  et  le  centre,  non  dans  le  nord  et  le  sud-est,  né  dans  le  fran- 
çais du  sud-est  à  une  époque  postérieure. 

Le  reste  du  volume  est  consacré  à  l'histoire  très  compliquée  de 
la  conjonction  si  et  des  relatifs.  On  peut  y  relever  maints  détails 
intéressants.   Le  fuit  est  que  la  minutieuse  étude  de  M.  R.  sur 


588  LE    MUSÉON. 

l'histoire  des  monosyllabes  est  devenue  un  véritable  exposé  de 
l'évolution  des  pronoms  français  accompagné  d'une  histoire  des 
conjonctions  et  des  adverbes  les  plus  usités  dans  le  langage.  Il  est 
fâcheux  que  M.  R.  n'ait  pas  cru  devoir  terminer  son  immense 
enquête  sur  les  monosyllabes  par  un  exposé  de  ses  conclusions.  La 
raison  qu'il  en  donne  est  que  cet  exposé  sera  mieux  à  sa  place  en 
tète  de  l'étude  qu'il  projette  sur  les  vollworter.  C'est  d'autant  plus 
regrettable  qu'il  nous  avertit  que  diverses  circonstances  le  forcent 
à  un  arrêt  momentané  dans  la  série  de  ses  publications. 

* 
*      * 

La  rédaction  du  Muséon  a  reçu  l'étude  de  M.  F.  Van  Kalken 
sur  la  Fin  du  régime  espagnol  aux  Pays-has,  Etude  d'histoire 
politique,  économique  et  sociale  (thèse  présentée  à  la  Faculté  de 
Philosophie  et  Lettres  de  l'Université  libre  de  Bruxelles).  L'auteur 
s'attache  à  éclairer  la  période  assez  obscure  qui  s'étend  de  1692  à 
1715. 


AÎVIVÉE   1907. 


EuG.  Beauvois.  Le  Paradis  de  l'Atlantique  d'après  les  traditions 

concordantes  de  l'ancien  et  du  nouveau  monde.  41 

E.  Blochet.  Etude  sur  l'ésotérisme  musulman       ....         318 

A.  Carnoy.  Eléments  celtiques  dans  les  noms  de  personnes  des 

Inscriptions  d'P>spagne    ......  1 

Ph.  Colinet.  Analyse  d'un  Essai  de  synthèse  psychologique  de  la 

science  du  langage 172 

Louis  de  la  Vallée  Poussin.  Madhyamakâvatâra,  introduction 
au  Traité  du  milieu  de  l'Acârya  Candrakîrti  avec 
le  commentaire  de  l'auteur,  traduit  d'après  la 
version  tibétaine 249 

D.  M.  Girard  S.  J.  Un  coin  de  l'Asie  Mineure,  le  Djanik       .        .         100 
A.  Roussel.  Les  idées  religieuses  et  sociales  du  Mahâbhârata. 

Adiparvan  {suite) 343 

Comptes-rendus 

Mohammed  Ben  Cheneb.  Proverbes  arabes  de  l'Algérie  et  du 

Maghreb.  —  J.  Forget  ......         234 

E.  Blochet.  Catalogue  des  manuscrits  persans  de  la  Bibliothèque 

Nationale.  —  Victor  Chauvin       ....         361 
Resurreccion  Maria   de   Azkue.   Diccionario   Vasco-Espanol- 

Francés.  —  C.  C.  Uhlenbeck 366 

Etienne  de  Flacourt.  Dictionnaire  de  la  langue  de  Madagascas. 

—  J.  FORGET 236 

René  Dussaud.  Notes  de  mythologie  syrienne.  —  J.  Forget       .         238 
William  Dwight  Whitney.  Atharva-Veda  Saihhitâ.  —  Ph.  Co- 
linet         233 


590  LE    MUSÉON. 

D»-  Georg.  Jacob.  Xoros  Kardasch  (Bruder  Hahn)  Ein  orientali- 
sclier  Marchen-und  Novellenbuch,  aus  dem  Tur- 
kischen  zum  ersten  Mal  ins  Deutsche  iibertrâgen. 

—  Victor  Chauvin.        .......         365 

Paul  Oltramare.  Histoire  des  idées  philosophiques  dans  l'Inde. 

—  Louis  de  la  Vallée  Poussin    ....         371 
Richard  Pischel.  Leben  und  Lehre  des  Buddha.  —  Louis  de  la 

Vallée  Poussin 222 

K.  Vollers    Catalogus  codicum  raanuscriptorum  bibliothecae 

universitatis  Lipsiensis  IL  —  Victor  Chauvin.  302 

Revue  des  Péuiodiqles      ...        379 
Chronique 211, 3S4 


LE  MUSÉON 


REVUE     D'ÉTUDES     ORIENTALES 


FONDÉ  EN  1881  PAE  CH.  DE  HAELEZ 


STJBVENTIONNi;     PAB      LE     GOTIVEBKEMENT     ET     PAR     LA     FOITDATION     X7KIVBBSITAIBB 


XXVII 


LOUVAIN 
1908 


LE    MUSEON 


LE  MUSÉON 

ÉTUDES 
PHILOLOGIOUES,  HISTORIOUES  ET  RELIGIEUSES 

publié  par  PH    COLINET  et  L.  DE  LA  VALLÉE  POUSSIN 


Fondé  en  ISSl  par  Cli.  de  HA.RLK:Z. 


NOUVELLE    SÉRIE 
VOL.  IX. 


LOUVAIN 

J.-B.      ISTAS,      IMPRIMEUR-ÉDITEUR 

86,  rue  de  Bruxelles,  86 

1908 


ÉTUDES  SUR  LES  SOURCES 

DE  L'ETHl\OGRAPHlE  CONGOLAISE 

PAU  Ed.  De  Jonghe, 

Docteur  en  philosophie  et  lettres. 


LES  BANGALÂ, 


C'est  en  1877,  le  i4  février,  que  les  Bangala  virent 
la  première  fois  des  hommes  blancs.  Qu'on  juge  de 
l'impression  que  dut  produire  sur  leurs  imaginations 
d'enfants  l'apparition  soudaine  d'êtres  bizarres,  de  cou- 
leur blanche,  tout  couverts  d'étoffes,  voyageant  sur  des 
bateaux  de  formes  et  de  dimensions  inconnues  !  Ce  ne 
pouvaient  être  là  que  des  envoyés  du  grand  esprit  Ibanza. 

L'étonnement  ne  les  empêcha  pas  d'attaquer  la  tlotille 
de  Stanley  avec  une  énergie  et  une  violence  sans  pareilles. 
Le  combat  des  Bangala  fut  le  trente-et-unième  et  der- 
nier que  le  grand  explorateur  eut  à  livrer  pendant  sa 
périlleuse  traversée  ;  ce  ne  fut,  certes,  pas  le  moins  redou- 
table. 

Pour  Stanley,  les  Bangala  étaient  de  tous  les  Congolais 
les  plus  «  terribles  ».  Rien,  à  ce  moment,  ne  pouvait  lui 
faire  prévoir  qu'en  1884  déjà  un  poste  permanent  serait 
établi  paisiblement  au  milieu  de  ces  sauvages  et  que,  le 
14  juillet  1885,  le  premier  chef  de  poste  de  Nouvelle- 
Anvers  parviendrait  à  les  enrôler  au  service  de  l'Etat. 

Depuis  cette  dernière  date,  les  Bangala  sont  devenus 

l 


2  LE    MUSÉON. 

les  adjuvants  indispensables  des  Européens  au  Congo.  Ils 
s'engagent  comme  soldats  au  service  de  l'Etat  ;  on  les 
rencontre  sur  les  bateaux  comme  pilotes,  comme  ouvriers 
sur  les  chantiers.  Ils  ont  accompagné  l'Européen  dans 
toutes  ses  pérégrinations  à  travers  le  continent  noir  et 
c'est  à  juste  titre  qu'on  a  pu  dire  d'eux  :  «  partout  où  il 
y  a  au  Congo  un  blanc  enterré,  il  y  a  au  moins  un  Bangala 
qui  repose  à  côté  de  lui.  » 

Aussi  devient-il  chaque  jour  plus  difficile  de  rencontrer 
un  de  ces  indigènes  qui  n'ait  pas  subi  de  quelque  manière 
l'influence  européenne.  La  civilisation  naissante  crée  des 
besoins  nouveaux.  Le  costume  primitif  fait  place  au 
pantalon  et  à  la  jaquette  ;  la  misérable  hutte  est  aban- 
donnée pour  des  habitations  plus  confortables  ;  des  cou- 
tumes séculaires  disparaissent  ;  les  croyances  s'en  vont  ; 
la  langue  elle-même  s'altère  au  contact  des  langues  euro- 
péennes ou  d'une  sorte  de  volapuk,  d'une  langue  com- 
merciale congolaise  commune. 

Quel  beau  sujet  d'études  cependant  que  ces  coutumes, 
ces  pratiques,  ces  croyances,  ces  traditions  naïves  !  Quel 
précieux  aliment  pour  la  psychologie  et  la  sociologie  ! 
Les  générations  futures  ne  manqueraient  pas  d'accuser 
notre  époque  d'insouciance,  si  nous  ne  nous  attachions 
pas  à  leur  transmettre  des  documents  authentiques  aussi 
complets  que  possible  sur  les  civilisations  que  nous 
voyons  disparaître.  C'est  suffisamment  dire  que  la  publi- 
cation de  monographies  ethnographiques  répondait  à  un 
besoin  réel  de  la  science  (i). 

Mais  tous  les  renseignements  ne  sont  pas  d'égale  impor- 


(1)  Van  Overbergh  et  De  Jonghe.  Les  Bangala  (Etat  Indépendant  du 
Congo).  Bruxelles,  De  Wit,  1907. 


i:ti  Di-s  (lUTini  lis  I)  i:rii.N(>(.r,\i'iiiE  cogolaise.  ô 

tance.  Lear  valeiu'  est  siil)()i'clonnéc  non  seulement  à  la 
qualité  mais  aussi  à  res[»rit  d'observation,  à  l'expéi-ience 
de  eeliii  (|ui  les  a  recueillis.  De  plus,  les  lémoii;nages  ne 
sont  pas  toujours  coucoidauts  ;  la  cause  en  est  souvent 
(piils  se  rapportent  à  des  localités  ditïerentes,  à  des 
épo(pies  ditïerentes. 

Pour  ([ue  la  publication  des  sources  rende  à  la  science 
tous  les  services  cpie  celle-ci  est  en  droit  d  eu  attendre,  il 
est  nécessaire  de  fournir  à  celui  cpii  veut  se  servir  du 
document  autant  crélémcnts  d  a[)préciation  que  possible  ; 
il  faut  montrer  la  valeur  relative  des  différents  témoi- 
enases. 

C'est  ce  que  nous  essaierons  de  faire  dans  les  pages  qui 
suivent. 

Nous  les  répartissons  en  trois  catégories  : 

l.  Fonctionnaires, 

:2.  Missionnaires. 

5.  Vovaueurs. 

Avant  de  passer  en  revue  ces  différents  informateurs,  il 
ne  sera  peut-être  pas  superllu  d'indiquer  rapidement 
quelles  sont  les  conditions  d'une  bonne  observation  ethno- 
graphique. 

Beaucoup  de  personnes  pensent  qu'il  sutïit  d'aller  dans 
un  pays  neuf  pour  ètie  ethnographe.  C'est  une  erreur.  On 
ne  s'improvise  pas  ethnographe.  Les  observations  ethno- 
graphiques sérieuses  supposent  des  qualités  naturelles  de 
l'esprit  :  un  esprit  ouvert,  curieux,  soucieux  du  détail 
—  et  du  caractère  :  un  caractère  patient,  plutôt  froid.  Il 
ne  faut  pas  que  le  voyageur  ethnographe  s'étonne  ou  s'in- 
digne inutilement.  Sa  froideur  ne  doit  pas  l'empêcher 
d'être  sympathique  aux  populations  qu'il  étudie  et  dont 
il  possédera  toute  la  confiance. 


4  LK    MUSÉON. 

Le  développement  de  ces  qualités  naturelles  forme  l'ob- 
jet de  la  formation  ethnographique,  qui  comporte  en  outre 
l'acquisition  d'un  certain  bagage  de  connaissances  utiles. 

Le  voyageur  se  propose-t-il  d'observer  les  phénomènes 
de  la  vie  matéi'ielle,  d'examiner  comment  les  hommes  se 
nourrissent,  s'habillent,  construisent  leurs  huttes,  pour- 
voient à  leurs  besoins  ;  ses  connaissances  ne  devront  pas 
être  aussi  étendues  que  s'il  veut  s'attacher  à  l'étude  de  la 
vie  psychique  et  de  ses  manifestations. 

Dans  le  premier  cas,  il  lui  sutïira  de  feuilleter  un  bon 
manuel  d'instructions  aux  voyageurs  et  géographes,  ou  de 
se  munii'  d'un  questionnaire  ethnographique  qui  lui  indi- 
quera les  points  sur  lesquels  son  attention  doit  se  porter. 

Puis,  il  s'exercera  à  voir,  à  observer  méthodiquement 
de  façon  à  ce  qu'aucun  détail  important  ne  lui  échappe. 
Il  s'aidera  du  dessin,  de  la  photographie  ;  il  collectionnera 
des  objets  dont  il  s'appliquera  à  connaître  tous  les  modes 
d'emploi. 

Dans  le  deuxième  cas,  des  études  préalables  de  psycho- 
logie, d'histoire  et  de  philologie  sont  très  utiles  pour  ne 
pas  dire  indispensables.  Certaines  universités  étrangères, 
notamment  celle  d'Oxford,  ont  inauguré  dans  ces  derniers 
temps  un  enseignement  ethnographique  ou  anthropolo- 
gique complet  qui  constitue  une  préparation  immédiate 
aux  observations  ethnogi'aphiques  (i).  Il  est  à  souhaiter 
que  la  Belgique  puisse  s'engager  dans  une  voie  semblable. 

L'observation  des  phénomènes  sociaux  des  soi-disant 
primitifs  est  d'autant  plus  difficile  que  ces  phénomènes 


(1)  Voir  Read  :  Anthropology  at  the  universities  ;  dans  «  Man  n  1906, 
Mars-Avril  ;  et  Manouvrier  :  Le  classement  universitaire  de  l'anthropo- 
logie ;  dans  «Revue  de  l'Ecole  d'Anthropologie  de  Paris».  XIII (1907)  75-96. 


ÉTUDES    CRITIQUES    d'eTHNOGRAPHIE    CONGOLAISE.  5 

sont  inconscients.  Il  ne  suffît  pas  de  regarder,  d'observer 
les  manifestations  de  la  vie  psycliique  ;  il  faudra  souvent 
recourir  aux  questions.  Et  l'art  de  bien  interroger  est 
incontestablement  plus  délicat  que  celui  de  bien  voir. 

L'art  de  bien  questionner  présu[)pose  entre  autres 
choses  qu'on  connaisse  la  langue  des  indigènes,  qu'on 
vive  de  leur  vie  de  façon  à  jouir  de  leur  entière  confiance. 
Un  individu  ne  reflète  pas  nécessairement  la  mentalité  de 
toute  une  peuplade  :  on  interrogera  [)liisieurs  individus 
et  éventuellement  on  dressera  des  statistiques.  Il  faut 
éviter  d'éveiller  par  la  forme  ou  la  fréquence  des  (jues- 
tions  les  soupçons  de  ceux  qu'on  interroge  ;  on  question- 
nera sans  en  avoir  l'air,  en  s'efTaçant  et  en  laissant  le 
plus  longtemps  possible  la  parole  à  l'indigène  ;  surtout, 
on  ne  l'interrompra  pas  pour  inscrire  ses  réponses.  On 
évitera  tout  ce  qui  serait  susceptible  d'influencer  en  ([uoi 
que  ce  soit  la  nature  de  la  réponse. 

Pour  ({u'une  enquête  soit  vraiment  fructueuse,  il  ne 
suffit  pas  du  zèle  du  voyageur  :  il  lui  faudi-a  souvent  user 
de  patience  et  attendre  ([u'un  heureux  hasard  se  présente. 

lue  fois  les  éléments  recueillis,  il  reste  à  les  exposer. 
Ce  travail  exige  la  plus  grande  précision  :  dire  tout  ce 
qu'on  a  vu,  tout  ce  qu'on  a  ap|)ris,  et  rien  (jue  ce  qu'on  a 
vu  ou  aj)pi-is  ;  indicjuer  le  tem{)s  et  l'endroit  exacts  des 
observations  ainsi  (pie  toutes  les  circonstances  susceptibles 
d'en  inoditier  le  sens  ou  la  valeur. 

L'ex[)osé  doit  être  précis  et  complet  ;  il  doit  aussi  être 
méthodi([ue.  il  faut  distinguer  entre  les  faits  qu'on  a 
pu  constater  de  ses  yeux  et  ceux  (pii  sont  le  fruit  d'une 
en({uête.  Pour  ceux-ci,  les  sources  d'erreur  sont  plus 
nombreuses  (jiie  poui-  c«'iix-l;i.  Mais  la  faute  la  plus 
grave  qu'on  puisse  eomnieltre  contre  la  métbode  consiste 


6  LE    MUSÉON. 

à  mêler  d'interprétations  personnelles  l'exposé  des  faits 
observés. 

Quant  au  style,  il  sera  simple  et  même  sévère,  mais 
surtout  concis  et  clair.  Les  phrases  creuses  et  banales,  les 
généi'alités  qui  sont  toujours  des  interprétations  de  foits, 
des  hypothèses  ou  opinions,  seront  évitées  :  elles  ne 
peuvent  que  diminuer  la  favenr  objective  des  faits. 

Telles  sont,  rapidement  esquissées,  les  principales  con- 
ditions d'une  bonne  information  ethnographique. 

Examinons  dans  quelle  mesure  ceux  qui  ont  observé 
la  vie  ou  quelques  détails  de  la  vie  des  Bangala  se  rap- 
prochent de  cet  idéal. 

I.  Fonctionnaires. 

Coquilhat  fut  le  véritable  fondateur  du  poste  de  Nou- 
velle-Anvers. C'est  notre  première  source  en  date  et  en 
importance. 

Il  est  né  à  Liège  en  1855  et  mort  à  Boma  le  :2i  mars 
1891.  Lieutenant  au  2^  Régiment  de  Ligne,  il  prit  service 
à  l'association  internationale  du  Congo  en  1882  et  séjour- 
na quelque  temps  dans  la  région  des  chutes.  Stanley  le 
désigna  avec  son  camarade  Van  Gèle  pour  le  poste  de 
l'Equateur  dont  ils  firent  une  station  modèle.  On  était  à 
la  veille  de  la  conférence  de  Bei'lin.  11  y  avait  urgence  à 
établir  un  poste  chez  les  Bangala.  Stanley  s'y  rendit  avec 
Coquilhat  le  5  janvier  1884,  mais  il  échoua  à  Lulanga 
comme  à  Iboko.  Trois  mois  plus  tard,  c'est  Hannsens  qui 
tenta  avec  Coquilhat  un  nouvel  effort  couronné  de  succès. 
Coquilhat  s'établit  à  Nouvelle-Anvers  et  y  resta  abandonné 
à  lui-même  pendant  plus  d'un  an.  Â  force  d'adresse  et 
d'énergie  il  parvint  à  s'y  maintenir  :  il  a  su  gagner  la 
confiance  des  indigènes. 

Au  mois  d'août  1885,  il  fut  remplacé  par  le  capitaine 


ÉTUDES    CRITIQUES    DETHNOGRAPHIE   CONGOLAISE.  7 

Van  Kei'ckhoven  et  rentra  le  21  octobre  suivant  à  Anvers. 
A  peine  reposé,  nous  le  voyons  reprendre  la  route  du 
Conû;o  avec  le  titre  de  chef  du  territoire  des  Bant^ala.  Au 
cours  d'une  expédition  aux  Stanley-Falls,  il  contracta  la 
maladie  d'intestins  qui  devait  finir  par  l'emporter. 

Retourné  en  Europe  au  mois  de  décembre  188G,  il  y 
resta  cette  fois  jusqu'en  1890,  remplissant  ad  intérim  les 
fonctions  d'administrateur  général  du  département  de 
l'Intérieur  de  l'État  Indépendant  du  Congo.  Il  fut  nommé 
inspecteur  d'Etat  et  i*epartit,  le  25  mars  1890,  pour  rem- 
placer le  major  Cambier.  Un  décret  du  9  novembre  de  la 
même  année  le  désigna  comme  Vice-gouverneur  Général. 
C'est  en  cette  qualité  qu'il  résidait  à  Boma  lorsqu'une 
attaque  de  dysenterie  l'enleva,  le  24  mars  1891  (i). 

Coquilhat  était  un  enthousiaste.  H  appartenait  à  ce 
groupe  de  vaillants  officiers,  travailleurs  de  la  première 
heure,  qui  allèrent  réaliser  des  merveilles  en  créant  au 
cœur  de  l'Afrique  un  immense  Etat.  Esprit  ouvert  et  cu- 
rieux (2),  caractère  loyal  et  sympathique  (3). 


(1)  Voir  Mouvement  Géographique  VIII  (1891)  31. 

(2)  «  J'ai  profondément  regretté,  dit-il,  de  n'avoir  pas  pu  mieux  utiliser 
le  séjour  que  j'ai  fait  dans  le  Haut  Congo  pour  recueillir  des  données 
scientifiques.  Mes  loisirs  étaient,  certes,  minimes  ;  mais  il  eût  été  possible 
de  les  utiliser  pour  la  botanique,  la  zoologie,  la  météorologie,  la  minéra- 
logie, si  je  n'avais  pas,  comme  la  plupart  de  mes  camarades  Belges,  été 
dépourvu  des  moyens  nécessaires.  Ni  instruments,  soit  de  précision,  soit 
de  dissection,  ni  camphre,  ni  savon  arsenical,  ni  alcool,  ni  sel  —  ni  même 
caisses  pour  emporter  des  collections  sérieuses.  Des  livres  scientifiques, 
à  moi  adressés  d'Europe,  avaient  été  dérobés  dans  le  bas  fleuve. 

«  Si  j'insiste  sur  ce  point,  c'est  que  l'on  s'est  étonné,  surtout  en  Alle- 
magne, que  les  voyageurs  belges  n'aient  pas  apporté  toutes  les  contribu- 
tions attendues  aux  connaissances  scientifiques  relatives  au  Congo. 
Tandis  que  toutes  les  expéditions  étrangères,  allemandes  et  autres, 
étaient  parfaitement  outillées  scientifiquement,  nous  ne  l'étions  même 
pas  complètement  au  point  de  vue  matériel  de  nos  conditions  d'existence 
et  d'installation.  Les  offlciers  belges  furent  presque  toujours  réservés 
pour  la  politique  indigène  et  pour  les  travaux  matériels  des  transports  et 
des  établissements.  r>  (Sur  le  Haut-Congo,  375-376.) 

(3j  A  preuve  les  manifestations  qui  se  sont  produites  à  son  départ  de 
Nouvelle- Anvers,  le  9  août  1885  :  «  Les  Monanga,  guidés  par  le  vieux  roi, 


8  LE    MUSÉON. 

iMalheui'cuseinontaucuiio formation  immédiate  ne  l'avait 
préparé  à  l'étude  des  civilisations  congolaises.  Homme 
d'action,  il  a  surtout  observé  les  traits  de  n^eurs  dont  la 
connaissance  pouvait  lui  être  d'une  utilité  pratique  imnné- 
diate  à  lui  et  à  ses  successeurs  dans  leurs  rapports  avec 
les  indii^ènes. 

Il  est  i)ermis  de  se  demander  si  l'atmosphère  de  lutte 
diplomati(pie  de  c}ia(jue  jour  n'a  pas  imprimé  à  quelques- 
unes  de  ses  o])servations  une  note  trop  pessimiste.  Il 
généralise  ti-o[),  semble-t-il,  lorsqu'il  avance  ([ue  les 
femmes  esclaves  restent  peu  dans  la  tribu,  que  le  couteau 
du  sacriticateur  les  attend  (i).  Le  fait  est  formellement 
contesté  par  M.  Lothaire.  Coquilhat  avait  le  caractère  trop 
loyal  pour  qu'on  puisse  le  soupçonner  d'avoir  voulu  déni- 
grer les  noiis  auxquels  il  s'est  imposé  par  la  persuasion. 


m'attendent  au  bord  de  l'eau.  Tous  me  donnent  l'amicale  poignée  de  mains 
du  départ  et  Mata  Buiki,  m'embrassant  en  pleurant,  me  dit  :  «  Revenez 
bientôt,  car  je  suis  vieux  et  je  veux  vous  revoir  avant  de  mourir  n.  Je 
m'arrache  à  son  étreinte  et  je  monte  à  bord.  Au  bruit  du  canon  et  des 
acclamations  de  nos  braves  serviteurs  et  des  Bangala,  nous  nous  éloignons 
rapidement  vers  l'aval,  .le  suis  profondément  remué  et  récompensé.  Nous 
avons  conquis  le  cœur  des  sauvages  Bangala.  Maintenant  que  ce  rivage 
fuit  à  notre  horizon,  la  tristesse  s'empare  de  moi  ;  dans  une  de  ces 
visions  ine.tplicables  qui  concentrent  en  un  instant  les  événements  et 
les  impressions  de  toute  une  période  de  temps,  je  repasse  les  jours  écoulés 
de  ma  vie  agitée  chez  les  Bangala  et  mon  jugement  final  me  dit  que  ces 
enfants  primitifs  de  la  nature  ne  sont  pas  aussi  mauvais  que  nous  le 
croyions.  En  donnant  au  mots  la  valeur  toute  relative  que  l'insuffisance 
d'éducation  de  ces  sauvages  comporte,  je  vois  en  Mata  Buike  un  sage, 
un  homme  bienveillant  et  supérieur,  qui  a  vaguement  pressenti  le  pro- 
grès que  les  hommes  blancs  pourront  assurer  à  son  pays.  En  tant  que 
Bangala,  c'était  un  ami  fidèle  et  il  fut,  par  le  rôle  du  conciliateur  qu'il 
avait  assumé,  le  co-fondateur  de  notre  établissement,  n  (Sur  le  Haut 
Congo,  358-359.) 

(1)  Van   Overbergh   et  De   Jonghe.   Les    Bangala,  n"  93  (p.  239).  — 
Coquilhat,  Pur  le  Haut  Congo,  365. 


ÉTUDES    CIUTIQUES    DETUNOGUAPHIE    CONGOLAISE.  9 

D'autre  part,  des  cas  de  cannibalisme  et  de  sacrifices 
humains  se  produisaient  à  l'époque  de  la  première  occu- 
pation du  pays.  Le  P.  Cambier  l'assure  également.  Nous 
admettons  donc  que  Coijuilhat  a  forcé  un  peu  la  note  :  ce 
qu'il  avance  n'est  pas  un  fait  observé,  mais  une  opinion, 
fruit  d'une  certaine  expérience. 

N'a-t-il  pas  aussi  trop  généralisé  en  affirmant  que  le 
cannibalisme  n'existait  pas  à  l'Equateui'?  «Je  sais,  dit- 
il,  que  cette  pratique  n'existe  pas  à  l'Equateur  »  (i).  Or, 
le  majoi'  Fiévez  dit  que  le  cannibalisme  y  est  pratiqué.  La 
phrase  citée  de  Coquilhat  est  malheureuse  :  il  oublie  de 
dire  d'où  et  comment  il  sait  ;  détail  non  moins  impor- 
tant, il  n'indi{jue  pas  ce  qu'il  entend  par  l'Equateur  : 
Est-ce  la  localité  de  (^oquilhatville,  ou  une  autre  localité 
sur  le  fleuve  ?  Est-ce  aussi  l'intérieur  des  terres  ? 

Très  réussie,  celte  peinture  du  caractère  des  principaux 
Bangala  avec  lesquels  il  était  le  plus  en  contact.  Coquilhat 
les  connaissait  bien  pour  les  avoir  longuement  étudiés. 
Sous  sa  plume,  ils  prennent  des  traits  connus  en  Europe(2). 
Une  comparaison  d'idées,  de  mœurs  Bangala  avec  des 
idées  et  des  mœurs  européennes  peut  contribuer  à  nous 
faire  comprendre  celles-là  ;  il  ne  faut  pas  qu'elle  empêche 
l'ethnographe  de  saisir  le  fond  de  la  pensée  Bangala. 
N'est-ce  peut-être  pas  une  idée  européenne  qui  a  induit 
Coquilhat  en  erreur  dans  l'intei'prétation  du  nom  de  Mata 
Buike?  Stanley  avait  eri'onément  traduit  ce  nom  par 
«  beaucoup  de  fusils  ».  (C'est,  parait-il,  le  sens  du  mot  en 
Kibangi).  Notre  observateur  le  traduit  par  le  «  fils  de 
Buike  »  (3).  Ce  «  Mata  »  qu'on  trouve  dans  beaucoup  de 


(1)  0.  C  n»  28  (p.  118). 

(2)  0.  C.  11°  8  (p.  75). 

(3)  Sur  le  Haut  Congo,  248. 


40  LE    MUSÉON. 

noms  Bangala  est  à  ses  yeux  une  particule  d'origine, 
quel(jue  chose  comme  une  particule  de  noblesse.  Or,  Mata 
Buike  ne  veut  pas  dire  «  le  fils  de  Buike  »  mais  bien  «  le 
père  de  Buike  »  (i).  Chez  les  Banijrala,  c'est  le  père  qui 
prend  le  nom  de  son  enfant  poui*  toute  la  famille  de  la 
mère  de  l'enfant  et,  dans  certaines  circonstances,  [)our 
tout  le  monde. 

Ce  point  très  important  de  la  vie  familiale  des  Bangala 
avait  complètement  échappé  à  Coquilhat.  C'est  au  com- 
mandant Lothaire  qui  a  observé  le  môme  phénomène, 
notamment  à  Basankusu,  que  nous  devons  ce  renseigne- 
ment précieux. 

Coquilhat  a  consigné  ses  observations  dans  son  livre 
«  Sur  le  Haut-Congo  »  (2).  Au  point  de  vue  critique  qui 
nous  préoccupe  ici,  il  convient  d'y  distinguer  deux  par- 
ties : 

i.  Des  notes  éparses,  prises  au  jour  le  jour,  et  publiées 
sous  la  forme  du  journal  ;  elles  se  rapportent  surtout  à 
l'organisation  juridique  et  politique  de  la  peuplade,  aux 
rites  funéraires,  au  cannibalisme,  bref  aux  faits  que  le 
chef  de  poste  avait  jugés  les  plus  dignes  d'intérêt. 

'2.  Des  renseignements  complémentaires,  relatifs  à  la 
préparation  des  aliments,  aux  tatouages  et  mutilations. 


(1)  0.  C.  n°  90  (p.  233). 

(2)  Bruxelles.  Lebègiie,  1888.  Des  articles  de  Coquilhat  ont  paru  dans 
le  Bulletin  de  la  Société  de  Géographie  de  Bruxelles,  dans  la  Revue 
de  Belgique,  dans  le  Bulletin  de  la  Société  de  Géographie  d'Anvers, 
dans  \&  Journal  ofthe  Manchester  Geographical  Society,  dans  le  Bollet- 
tino  délia  sezione  Fiorentina  délia  Società  Africana  d'Jtalia,  dans  le 
Mouveynent  Géographique, duns  le  Bulletin  de  la  Société  des  ingénieurs 
et  industriels.  Ajoutons  que  des  extraits  de  Coquilhat  ont  été  reproduits 
par  le  Congo  Illustré,  comme  par  le  Congo  Belge,  malheureusement 
sans  indication  de  nom  d'auteur. 


ÉTUDES   CKITIQLES    d'eTHNOGRAPIIIE    CONGOLAISE.  11 

aux  vêtements,  coiffure,  danses,  chants,  musique,  condi- 
tion des  femmes  et  enfants,  armes,  industries,  médecine, 
pêche,  pii'Oiiues,  agriculture,  habitation,  etc.  Ils  occupent 
les  pages  501-57"?  de  son  volume.  Ils  se  distinguent  des 
renseignements  précédents  par  le  fait  qu'ils  ont  été  rédi- 
gés de  mémoire  en  Europe.  Au  moment  de  publier 
son  livre,  Co({uilhat  s'est  aperçu  que  les  détails  contenus 
dans  son  journal  donnaient  une  idée  trop  imparfaite  de 
la  vie  des  Bangala.  11  a  soigneusement  étudié  les  «  Notes 
sur  r Etimofjraphie  de  la  partie  orientale  de  l'A  [ruine  Eqiia- 
toriale  «  rédigées  d'api'ès  le  questionnaire  de  la  Société 
d'Anthropologie  de  Paris  (i)  et  c'est  d'après  le  schéma  de 
cette  étude  qu'il  s'est  efforcé  de  combler,  dans  la  mesure 
de  ses  moyens,  les  lacunes  de  son  «  journal  ». 

Coquilhat  n"a  i)as  réussi  à  pénétrer  le  secret  des  croyan- 
ces religieuses  des  Bangala.  Il  lui  est  arrivé  cependant  de 
leur  poser  sur  ce  point  des  questions  (i>).  Le  sujet  auquel 
il  s'est  adressé  ne  convenait-il  [)as  ?  A-t-il  posé  ses  ([ucs- 
tions  trop  directement,  trop  vite  ?  Toujours  est-il  que  le 
résultat  en  fut  nul.  Il  est  permis  de  supposeï'  ([u'cn  choi- 
sissant bien  un  sujet  et  en  piocédant  ha])ileinent,  patiem- 
ment, par  séances  répétées,  il  eût  réussi  à  obtenir  des 
renseisinements  très  importants  sur  la  vie  reliiïieuse  des 
Bangala. 

Ces  quelques  considérations  n'enlèvent  pas  sa  valeur  à 
l'ceuvi'e  de  Coquilhat  (|ui  restera  la  base  de  toute  étude 
ultérieure  sur  les  Bangala  (ô).  Ses  renseignements  témoi- 


(1)  Jacques  et  Stoi-ms,  dans  le  Bulletin  de  la  Société  d'Anthropologie 
de  Bruxelles.  V  (1886-1887)  01<^24. 

(2)  Sur  le  Haut  Congo,  289. 

(.3)  Il  a  été  beaucoup  utilisé  pai-  ceux  qui  se  sont  essayés  aux  études 
d'ethiioft-raphie  conn-olaise  comparée  :  Barthel,  C.  Millier,  Thonnar,  etc. 
Lamotte  aussi  s'en  est  beaucoup  servi  dans  son  livre  :  Chez  les  Congolais. 
Bruxelles.  Callewaert  1895. 


12  LE    MUSÉON. 

gnent  d'un  grand  esprit  d'observation  et  d'une  absence 
complète  de  parti  pris  ;  ils  sont  abondants  et  variés  ;  ils 
portent  sur  des  gens  qui  n'avaient  pas  encore  subi  l'in- 
fluence européenne. 

Les  successeurs  de  Coquilhat  furent  Van  Kerckhoven  et 
Baert  qui  n'ont  rien  publié  que  nous  sachions  sur  l'ethno- 
graphie de  cette  région.  Après  eux,  c'est  le  commandant 
Lothaire  que  nous  trouvons  comme  chef  de  poste  à  Nou- 
velle-Anvers vers  1891.  Ses  observations  ethnographiques 
ne  furent  publiées  qu'en  1907,  à  la  suite  de  quelques  inter- 
views. Les  enquêtes  orales  auprès  d'anciens  fonctionnaires 
coloniaux  figurent  |)armi  les  sources  les  moins  sûres  de 
l'ethnographie. 

M.  Lothaire  a  fait  au  Congo  plusieurs  séjours  dont  la 
somme  s'élève  à  sept  ans  et  quatre  mois.  Il  résida  à 
Nouvelle-Anvers,  à  Basankusu,  dans  l'Ubangi,  à  Léopold- 
ville.  Il  s'appliqua  à  apprendre  la  langue  des  Bangala 
qu'il  parvint  à  parler  couramment  :  condition  requise 
pour  pénétrer  dans  la  psychologie  des  indigènes. 

Autant  Coquilhat  nous  a  paru  pessimiste  au  sujet  de  la 
condition  sociale  de  la  femme,  autant  M.  Lothaiie  est 
optimiste.  Pour  lui,  la  femme  libi-e  jouit  d'une  indépen- 
dance assez  grande  :  «  on  ne  disposei-a  jamais  de  la  femme 
libre,  jeune  fille  ou  veuve,  sans  son  consentement  ))(i).  La 
proposition  eut  gagné  à  êtie  foi'mulée  avec  quebjue 
réserve.  Car,  il  faut  certainement  faire  une  excej)ti()n  pour 
celles,  filles  de  pères  influents,  qui  sont  mariées  à  trois 
ou  quati'e  ans  (2).  Quant  à  celles  qui  sont  mariées  plus 
tard,  la  règle  n'est-elle  pas  plutôt  que  les  parents  arrangent 
le  mariage  (3)  ?  Dans  ces  conditions,  on  conviendra  (jiie  le 
consentement  de  la  jeune  fille  n'est  pas  toujours  sjiontané. 


(1)  0.  C.  no  100  (p.  251).  —  (2)  0.  C.  n°  78  (p.  215).  —  (3)  0.  C.  n»  77  (p.  21.3). 


ÉTUDES   ClUTiyiES    DliTIINOGIlAPHrE    CONGOLAISE.  15 

L'observateur,  disions-nous,  doit  autant  que  possible 
s'attacher  à  enregistier  les  faits  sans  les  interpréter  ;  il 
doit,  en  tous  cas,  éviter  d'entremêler  ses  obsei'vations  et 
ses  interprétations.  M.  Lothaire  n'a  pas  toujours  su  se 
défendre  d'interpréter  les  faits.  A  certains  endroits,  on 
éprouve  1  impression  ([u  il  plaide  en  faveur  d'une  thèse 
plutôt  qu'il  ne  constate  des  faits. 

«  Les  Bangala  nont  pas  la  propriété  foncière.  »  Cette 
proposition  est  formulée  une  première  fois  comme  expli- 
cation du  cai'actère  économiciue  du  mariage  :  le  Bans;ala 

1  ce 

ne  connaît  pas  d'autre  placement  de  fonds  que  l'achat 
d'une  nouvelle  épouse  (i).  Il  est  donc  établi  que  pour  les 
capitalistes  Bangala  il  n'existe  pas  de  spéculations  sur  les 
terrains.  Est-ce  à  dire  qu'il  n'y  a  pas  une  cei'taine  pro- 
priété foncière  ?  Non  ;  tout  Bangala  libre  est  propriétaire, 
au  sens  Bangala  bien  entendu,  du  terrain  qu'il  occupe  et 
aussi  longtemps  (ju'il  l'occupe.  La  propriété  foncière 
existe  pour  l'individu,  conmie  pour  la  famille,  comme 
pour  le  village  et  la  tribu  ;  elle  n'est  pas  assurée  par  des 
actes  notariés  mais  réglée  par  des  conventions  admises  (2). 
Les  négociations  qui  eurent  lieu  lors  du  premier  établis- 
sement des  Européens  subiraient  d'ailleurs  à  prouver 
qu'une  certaine  propriété  foncière  existait  chez  les  Ban- 
gala (3). 

Autre  thèse  :  «  les  Bangala  ne  possèdent  pas  de  castes». 
Elle  est  vraie  dans  une  certaine  mesure.  En  effet,  les 
hommes  libres,  les  notables  ne  forment  pas  une  classe 
fermée  par  la  naissance.  Mais  pour  les  esclaves  la  question 


(1)  0.  C.  noSOCpp.  217,218). 

(2)  0.  C.  n"  153  (p.  347). 

(3)  Coquilhat.  Sur  le  Haut  Congo,  192,  198  etc. 


a  LE    MUSÉON. 

est  un  jjeu  plus  compliquée.  Les  esclaves  ne  peuvent-ils 
engendrer  que  des  esclaves?  Les  enfants  d'une  esclave  et 
d'un  homme  libre  sont  libres,  dajtvès  le  témoignage  de 
M.  Lothaii'C.  Mais  les  enfants  de  pèi'C  et  mère  esclaves, 
d'après  le  P.  Cambier  (i),  viennent  grossir  la  fortune  du 
maitre.  Encore  conviendrait-il  de  savoir  si  l'esclave  peut 
se  marier.  S'il  faut  en  croire  le  major  Hanolet,  l'esclave 
devient  botela,  affranchi,  en  prenant  femme  ;  les  enfants 
sont  affranchis  eux  aussi  (:2). 

Les  considérations  émises  sur  l'aire  d'extension  des 
Bangala  (0),  sur  leur  origine  (i),  sur  l'identiiication  des 
Bangala  et  des  Gombe  n'appartiennent  pas  à  l'ordre  des 
faits  observés  ;  ce  sont  des  opinions  personnelles  à 
M.  Lothaire,  des  interprétations  de  faits. 

Jusqu'ici  lesGombe,  populations  de  l'intérieur,  n'ont  pas 
été  sufïisamment  étudiés  pour  qu'on  i)uisse  les  confondre 
avec  les  Bangala.  On  peut  même  assurer  quil  existe  entre 
Gombe  et  Bangala  desdifférences  très  nettes  (o)  :  différences 
de  type  physique,  de  langue,  de  geni-e  de  vie,  de  tatouage, 
de  mœui's  etc.  Ces  différences  sont-elles  ethni(iues  ou 
purement  accidentelles  ?  Des  enquêtes  complémentaires 
fourniront  bientôt,  nous  osons  lespérer,  la  réponse  à 
cette  question  complexe  qui  n'est  nullement  résolue. 


(1)  Missions  en  Chine  et  an  Congo.  I  (1890)  363  a. 

(2)  Belgique  Coloniale  III  (1897)  244a. 

(3)  Les  Bangala  s'étendent  de  Bongata  à  Mobeka  ;  il  n'est  pas  démontré 
que  les  populations  en  aval  de  Bongata  jusqu'à  l'Equateur  et  celles  en 
amont  de  Mobeka  jusqu'à  Upoto  soient  Bangala.  Sur  la  carte,  M.  Lothaire 
ne  fait  pas  non  plus  remonter  les  Bangala  jusqu'à  Upoto.  Cette  inconsé- 
quence diminue  singulièrement  la  valeur  de  son  opinion. 

(4)  Le  chef  Mata  Buike  étant  né  dans  le  pays  même,  il  serait  difficile 
d'admettre  que  les  Bangala  aient  été  poussés  par  des  peuplades  chassées 
elles-mêmes  par  les  Egyptiens  vers  1869  ou  1870.  (0.  C.  n°  6). 

(5)  Pour  ces  différences,  voir  Coquilhat,  Sur  le  Haut  Congo,  3G0,  210  etc. 


ÉTUDES    CIUTIolKS    DF.TlINOdHAPriIE    CONGOLAISE.  15 

Les  renseignements  de  M,  Lotliaire  se  raijportent  aux 
difféi'ents  aspects  de  la  vie  des  Bangala,  et  quelques  uns 
sont  d'un  intérêt  très  grand  au  point  de  vue  de  la  coloni- 
sation. Mous  taisons  allusion  surtout  aux  détails  l'elatifs 
à  l'introduction  de  la  monnaie,  à  l'organisation  de  la 
justice,  etc. 

Le  major  Hanolet  ne  fut  pas  chef  de  poste  mais  com- 
mandant de  district  de  reclasse  des  Banij;ala.  Comme  tel, 
il  ne  fit  que  des  séjours  intermittents  à  Nouvelle-Anvers. 

Ses  observations  se  distinguent  par  leur  objectivité  : 
l'observateur  s'efface  et  n'a  qu'une  préoccupation  :  rendre 
le  plus  exactement  possible  ce  ({u'il  a  vu. 

Il  passa  au  Congo  onze  ans  et  sept  mois.  C'est  à  son 
quatrième  départ  qu'il  prit  le  commandement  du  district 
des  Bangala.  Parmi  les  régions  ([u  il  parcourut  en  divers 
sens,  signalons  surtout  l'ibangi,  l'Ccle,  le  Nil  (i). 

A  l'époque  où  il  commandait  le  district  des  Bangala,  le 
Gouvernement  de  1  Etat  du  Congo  envoya  des  instructions 
à  ses  fonctionnaires  pour  leur  demander  d'envoyer  des 
collections  en  Belgique  en  vue  de  l'Exposition  de  Tervue- 
ren.  Les  collections  ainsi  réunies  devaient  former  le 
noyau  du  musée  du  Congo.  Les  notes  du  major  Hanolet 
étaient  destinées  à  expliquer  les  collections  ethnogra- 
phiques du  pays  des  Bangala  et  furent  publiées  en  bonne 
partie  dans  la  Belgique  Coloniale. 

On  sait  que  les  collections  ethnographiques  du  Musée 
Congolais  sont  groupées  idéologiquement  sous  douze 
rubriques  :  1.  aliments  et  boissons  ;  2.  habillement  ; 
3.  habitation  ;  4.  chasse  et  pèche  ;  5.  agriculture  ;  6.  navi- 


(1)  Voir  sa  Biographie  dans  le  Mouvement  Géographique,  XIII  (1896) 
341. 


^6  LE    MUSÊON. 

gation  ;  7.  commerce  ;  8.  industrie  ;  9.  guerre  ;  10.  état 
de  société  ;  11.  arts;  12.  religion.  C'est  dans  cet  ordre 
aussi  que  sont  gi'oupées  les  notes  du  n)ajor  Hanolet. 

Ce  qu'on  y  trouve  ce  sont  surtout  des  descriptions  d'ob- 
jets, d'instruments,  dont  l'auteur  prend  soin  de  donner 
le  nom  indigène.  Il  a  plus  observé  qu'il  n'a  interrogé. 

Au  lieu  de  demander  aux  indigènes  des  explications 
sur  leurs  croyances  (i),  il  a  dirigé  toute  son  attention  sur 
les  pratiques  et  les  coutumes.  C'est  ainsi  qu'il  décrit  en 
détail  les  cérémonies  funéraires.  Dans  cet  ordre  d'idées, 
nous  lui  devons  la  constatation  d'un  fait  qui  n'est  pas 
sans  importance  au  point  de  vue  sociologique  :  «  en  signe 
de  deuil,  les  amis  du  décédé  ne  mangent  plus  des  aliments 
que  celui-ci  a  pris  en  dernier  lieu.  Cette  abstention  dure 
quelques  mois,  une 'année  et  quelquefois  toute  la  vie.  Il 
n'est  pas  rare  de  voir  tel  Bangala  refuser  la  poule,  tel  autre 
le  poisson.  »  Les  tabous  Bangala  seraient  donc  en  rapport 
avec  certaines  croyances  relatives  à  la  mort  et  il  n'est-^pas 
impossible  qu'ils  doivent  leur  origine  à  ces  croyances  (2). 

II.  Les  MissioNiNAiRES. 

En  1890,  l'évangélisation  des  Bangala  fut  entreprise 
par  les  Pères  de  Scheut  qui  se  fixèrent  à  Nouvelle-Anvers 
au  mois  de  janvier.  Au  mois  d'août  de  la  même  année  les 
missionnaires  baptistes  anglais  s'établirent  à  Monsembe, 
en  aval  de  Nouvelle-Anvers. 

Parmi  les  missionnaires  catholiques  qui  contribuèrent 
à  l'étude  des  populations  Bangala,  citons  les  Pères  Cam- 


(1)  L'affirmation  qu'  «  ils  n'ont  pas  de  vie  future  »  est  trop  générale.  Il 
faut  y  faire  des  réserves. 

(2)  Belgique  Coloniale  III  (1897)  231-232  ;  243-245. 


ÉTUDES    CUITFQUES    I)'i:T[liNOGl\APIIlE    CONGOLAISE.  17 

biei',  Van  Ronslé,  Gannyii,  De  Wilde,  Geeiis  et  De  Boeck. 
La  plupart  de  leurs  iniorinalions  ont  paru  sous  forme  de 
lettres  dans  l'organe  de  la  Congrégation  :  [.es  Missions  en 
Chine  el  au  Congo  (i).  Cette  revue  s'adresse  aux  bienfai- 
teurs de  l'œuvre  et  au  grand  public.  11  en  résulte  que  le 
choix  du  sujet  est  limité  :  le  missionnaire  ne  peut  pas 
traiter  tous  les  détails  de  la  vie  des  indigènes  ;  il  doit 
comptei'  avec  la  masse  des  lecteurs,  rendre  son  exposé 
agréable  et  attrayant. 

Cette  remarque  générale  faite,  passons  rapidement  en 
revue  les  différents  auteurs. 

Le  Père  Cambier  est  un  travailleur  de  la  [)i'emière 
heure.  Il  partit  au  Congo  en  octobre  1(S8(S.  .\[)rès  avoir 
séjourné  (pielque  temps  à  Bei'ghe-S"-Marir,  il  alla  sinslai- 
1er  à  Nouvelle-Anvers,  le  i  janvier  1,S!)0.  Vax  1S!)I,  il 
partit  pour  Luluabourg  et,  (le[)uis  loi's,  c'est  le  Rasai  ({ui 
est  le  théâtre  de  son  activité. 

Ses  lettres  de  181)0  ne  touchent  (pi'aux  ijhénomèncs  les 
plus  apparents  de  la  vie  des  indigènes  :  alimentation, 
re[>as,  cannibalisme,  esclav;ige.  Ln  1«SÎ)I  seulement,  il 
aborda  des  sujets  plus  dillieiles  el  ([ui  exigent  une  con- 
naissance plus  ap[)rofondie  de  la  langue  et  des  nKcurs. 
Ses  informations  sur  les  idées  i-cliiiieuses  sont  le  fruit 
d'une  en(|ucte  très  curieuse  faite  à  .Mpombu.  Il  étudia  aussi 
la  médecine  des  Bangala. 

Le  i*ère  Cambier  est  l'auteur  dune  grammaire  de  la 
langue  Bangala  (dialecte  d'IbolvOi  (|ui  a  îciidu  de  grands 
services  au  point  de  vue  colonial.  L'etlmogiMphe  y  trouve 
certaines  données  très  [)récises  :  noms  d'instruments, 
nomenclature  des  [larentés,  numéi-ation,  danses,  etc.  (-i). 


(1)  Imprimerie  de  Sclieut-lez-Bruxcllcs. 

(i)  Essai  sur  la  langue  congolaise.  Bruxelles,  PoUeunis  et  Ceuterick 
1891. 

2 


18  LE    MUSÉON. 

Le  Père  Van  Ronslé,  actuellement  Mgr  Van  Ronslé,  par- 
tit au  Congo  en  1889.  Il  fonda  avec  le  Père  Cambier  la 
mission  de  Nouvelle-Anvers.  Dans  le  récit  du  voyage  qu'il 
lit  aux  Stanley-Falls  se  rencontrent  quelques  détails  ethno- 
graphiques intéressant  surtout  les  Bayanzi,  les  Bangala  de 
Mobeka  et  les  Bapoto.  La  question  de  la  dépopulation  l'a 
beaucoup  préoccupé.  Les  principales  causes  en  sont, 
d'après  lui,  la  maladie  du  sommeil,  la  diminution  de  la 
natalité,  l'abolition  de  l'esclavage  (i). 

C'est  en  1889  aussi  que  le  Père  Garmyn  s'embarqua 
pour  l'Afrique  équatoriale.  Après  un  séjour  d'un  an  à 
Bcrghe-S''-Marie,  il  demeura  de  1890  à  189^  à  Nouvelle- 
Anvers  et  de  1895  à  1905  (année  de  son  retour  en  Bel- 
gique) au  Kasai.  Son  dernier  séjour  fut  le  plus  fécond  en 
résultats  ethnographiques,  témoin  l'étude  détaillée  sur  les 
Baluba  qui  parut  dans  le  Bulletin  de  la  Société  de  Géogra- 
phie de  Bruxelles  (2).  Pour  les  Bangala,  le  Père  Garmyn 
n'a  malheureusement  pas  publié  tout  ce  qu'il  sait.  Il  s'est 
borné  à  un  propos  assez  vague  sur  leurs  conceptions  reli- 
gieuses, propos  qu'il  avait  surpris  dans  la  bouche  d'un 
enfant  (3). 

Le  Père  De  Wilde  vécut  à  Nouvelle-Anvers  de  1890  à 
1896.  L'excursion  qu'il  lit  dans  la  Mongala  est  reproduite 
dans  le  Congo  Illustré  (4).  Ses  informations  sur  les  Ban- 
gala sont  variées  :  il  décrit  leurs  procédés  de  chasse,  dis- 
sèque la  mentalité  des  enfants.  Il  rapporte  aussi  une 
légende  sur  l'origine  de  la  mort,  légende  qu'il  s'est  fait 
raconter  par  un  enfant. 


(1)  Recueil  usuel  de  la  Législation  Congolaise,  31«  Livraison  (1907)  35-38. 

(2)  XXIX  (1905)  127-135. 

(3)  Missions  en  Chine  ei  au  Congo,  I  (1890)  332. 

(4)  IV  (1895)  186-187.  —  Voir  Missions  en  Chine  et  au  Congo,  III  (1895) 
157-160. 


ÉTUDES   CUITIQUES    D'ETII.MXiUAPIIIt:    CO.NT.Or. VISE.  19 

Parti  en  I8ÎI7,  le  Pèi-e  Geens  résida  deux  ans  à  T^eriilie- 
S**-Mai'ie  qu'il  ([iiitta  pour  iXouvelle-Anvers.  Vin  lî)()i, 
l'Annuaire  de  l'Etat  Indépendant  du  Coniio  le  renseiiiiie  à 
Bokuml)i,  sur  la  rive  gauehe  du  lleuve  ;  depuis  (|uel({iies 
mois,  il  s'est  rendu  au  Lac  Léopold  II  jiour  y  étalilir  une 
nouvelle  mission.  Son  énuméralion  des  ietiehes  et  des 
poisons  d'é[)reuves  est  du  plus  haut  intérêt  ;  il  en  donne 
les  noms  indigènes  avec  une  descrii>ti()n  courte  et  objec- 
tive (i). 

I^e  Père  De  Boeck  est  l'auteur  d'un  voealuilaire  Bangala. 
C'est  moins  la  lannue  des  Banuala,  (lue  le  Linirala  ou  lan- 
gue  commerciale  (f>).  Ce  missionnaire  est  au  Congo  (le[)uis 
1900,  et  lAnnuaire  le  i-enseimie  en  1901  comme  dii'ec- 
leur  de  la  colonie  scolaire.  A  re\ce[)ti()n  de  ce  vocabulaire 
et  de  la  grammaire  du  Père  Camliier,  toutes  les  informa- 
tions  des  Pères  de  Scheut  relativement  aux  mceurs  des 
Bangala  ont  paru  dans  les  Missions  en  Chine  et  au  Congo. 
C'est  dire  (jue  ces  missionnaires  n'ont  pas  publié  tous  les 
renseignements  (ju'ils  possèdent  et  qu'ils  constituent  une 
puissante  réserve  pour  les  enquêtes  futures  (.-,). 

Avant  de  passer  aux  missionnaires  Baptistes  de  Mon- 
sembe,  il  convient  de  dire  un  mot  d'un  missionnaire  Bap- 
tiste qui  n'a  pas  résidé  à  Monsembe  et  (jui  a  visité  les 
Bangala  antérieurement  à  l'établissement  de  ce  poste  de 
mission.  Nous  voulons  parler  du  Bév.  T.  J.  Comber. 


(1)  Missions  en  Chine  et  an  Congo,\.Vl  (19U4)  2;}6-240  ;  article  reproduit 
par  la  Belgique  Coloniale,  X  (1904)  55C)-.j57  et  par  LeCongo,  I  (iy04j  n°  46, 
2-4. 

(2)  Grammaire  et  vocabulaire  du  Lingala  ou  langue  du  Congo.  Bru- 
xelles. Polleunis,  19U4. 

(3)  Les  renseignements  biographiques  relatifs  aux  missionnaires  de 
Scheut  sont  dus  à  la  bienveillance  du  R.  P.  De  Ciercq,  auquel  nous  sommes 
heureux  de  présenter  ici  l'expression  de  notre  reconnaissance. 


20  LE    MUSÉOiN. 

Né  à  Londres  en  1852,  le  Rév.  Comber  fut  au  Camoi'on 
de  1875  à  1878,  puis  à  San  Salvador,  au  Congo  portugais. 
En  1885,  il  poussa  jusqu'au  Stanley-Pool  et, en  juillet  1884, 
il  accompagna  Mr  Grenfell  dans  sa  fameuse  exploration. 
Sur  le  steamer  «  Peace  »,  ils  remontèrent  le  Congo  jusqu'à 
Bangala  (où  Coquilhat  venait  de  s'établir)  et  le  Kasai 
jusqu'au  confluent  du  Kwango.  Plus  tard  nous  le  trouvons 
à  Lutete  (Wathen).  Il  mourut  en  mer  au  mois  de  juin  1887 
et  fut  enterré  à  Mayomba  (i). 

Ses  informations  sur  les  Bangala  sont  peu  nombreuses 
et  assez  vagues.  Elles  sont  dues  aux  propos  d'un  indigène 
de  Lukolela,  Mangaba,  qui  l'accompagnait,  beaucoup  plus 
qu'à  l'observation  directe. 

C'est  le  Rév.  Weeks  qui  fonda,  en  août  1890,  le  poste  de 
mission  de  Monsembe.  Il  a  eu  le  temps  d'observer  de  près 
les  Bangala  et  |)ublia  dans  le  Missionary  Herald  (2)  des 
détails  sur  leur  métempsycose,  sur  leurs  divinités,  etc. 
Mais  sa  principale  œuvre  au  point  de  vue  ethnographique 
est  le  recueil  de  soixante  à  soixante-dix  légendes  indigènes. 

En  1892,  un  soir,  le  Rév.  Weeks  était  en  train  d'écrire, 
lorsqu'il  remarqua  par  hasard  qu'un  des  enfants  racontait 
une  historiette.  Les  autres  enfants  écoutaient  attentive- 
ment. Il  s  efforça  de  comprendre  et  de  retenir  et,  le  len- 
demain, il  pria  l'enfant  d'écrire  ce  qu'il  avait  raconté  la 
veille.  C'était  bien  une  légende  indigène.  A  l'aide  de  petits 
cadeaux,  le  missionnaire  encouragea  l'enfant  à  raconter 
d'autres  légendes  ;  d'autres  enfants  suivirent  et  mirent  sur 
papier  des  historiettes  indigènes  ou  les  dictèrent  quand  ils 
étaient  incapables  d'écrire  eux-mêmes. 


(1)  Voir  Proceedings  of  the  R.  Geographical  Society,  London.  IX 
(1887)  583-584. 

(2)  Londoi),  1890,  443-445  ;  1892,  398-399  ;  1899,  259-262. 


ÉTUDES   CRITIQUES    d'eTHNOGRAPHIE    CONGOLAISE.  21 

La  plupart  de  ces  lég:endes  ont  été  publiées  à  Mon- 
sembe.  Elles  servent  de  livre  de  lectui-e  à  l'école  ;  le  mis- 
sionnaire s'en  sert  pour  étudier  plus  facilement  la  langue  ; 
l'ethnographe  y  recourra  utilement  à  l'effet  de  découvrir 
la  pensée  intime  des  indigènes.  Nous  ne  connaissons  ce 
livre  que  par  les  extraits  qui  en  ont  paru  dans  la  revue 
anglaise  «  Folklore  »  (i).  En  même  temps  que  quelques 
légendes  (cinq),  le  Rév.  Weeks  y  publia  des  notes  sur  la 
magie,  le  likundu,  les  poisons  d'épreuve,  les  boissons, 
les  noms  donnés  aux  enfants,  les  croyances  relatives  à  la 
réincarnation. 

Des  missionnaires  Baptistes  c'est  certainement  le  Rév. 
Weeks  qui  a  le  plus  contribué  à  l'étude  de  l'ethnographie 
et  du  folklore  des  Bangala.  Après  lui  vient  le  Rév.  Staple- 
ton  ({ui  résida  successivement  à  Bolobo,  à  Monsembe  et  à 
Yakusu  aux  Stanley-Falls.  C'est  dans  ce  dernier  poste 
qu'il  a  fait  paraître  ses  contributions  à  la  grammaire 
Bangala  (langue  commerciale)  avec  un  petit  vocabulaire  (2) 
et  son  manuel  comparé  des  langues  congolaises  (5). 

Il  rapporte  un  fait  qui  prouve  l'existence  d'une  certaine 
métempsycose  :  l'homme  qui  meurt  laisse  sur  terre  un 
animal  pour  le  représenter  et  la  famille  du  défunt  est  res- 
ponsable des  dégâts  que  peut  causer  cet  animal  (4).  Signa- 
lons aussi  la  légende  de  Nkengo  ;  les  hommes  ne  sont  pas 
immortels  parce  que  Nkengo,  soulevé  au  ciel,  n'a  pas  su 
veiller  sept  jours  consécutifs.  Cette  légende  est-elle  em- 


(1)  XII  (1901)  180-189  ;  458-464. 

(2)  Suggestions  for  a  grammar  of  Bangala  with  2,000  words  and  many 
useful  phrases.  Yakusu.  Stanley-Falls. 

(3)  Comparative  Handbook  of  Congo  languages.  Yakusu.  Stanley-Falls. 
190.3. 

(4)  Mis^ionary  Herald,  1895,  302. 


22  Ll.    AllSKON. 

pruntée  au  répertoire  du  n('>v.  Weeks  ?  Le  Rév.  Sta[)leton 
se  contente  de  dire  (pie  tous  les  indigènes  la  connaissent  (i). 

III.   VovAf.i:ius. 

Le  ('haj)itre  des  fonctionnaires  coloniaux  a  été  exclusi- 
vement réservé  à  (^(xpiilhat,  Lotliaire  et  llanolet,  (|ui  ont 
étudié  la  vie  des  Bangala  sous  ses  divers  aspects.  Les  mis- 
sionnaires se  sont  surtout  attachés  à  dépeindre  les  phéno- 
mènes de  la  vie  psychi(jue,  et  se  sont  appli(jués  aux  travaux 
de  liniruisti({ue.  Il  reste  ceux  (pii  ont  ohseivé  pres(ju"uni- 
quement  les  phénomènes  de  la  vie  matérielle,  phénomènes 
plus  apparents,  qu'un  court  passatïe  dans  le  pays  permet 
de  constater.  Le  litre  «  Voyaiçeurs  »  n'est  pas  j)ris  dans 
un  sens  restrictif  et  comjjrend  également  des  otïiciers  et 
agents  coloniaux. 

Nous  passerons  en  revue  d'ahoi'd  les  Belges  :  .M>L  Gus- 
tin,  VVilverth,  Bi'iart  et  Deliene  ;  en  suite  les  ('tianueis  : 
Baumann,  Ward,  Gleerup  et  Westmarck. 

M.  Gustin  est  actuellement  encore  au  (]ongo,  en  (jualité 
de  commissaire  de  district  de  i)iemière  classe.  Pendant 
son  séjour  de  huit  ans  et  dix  mois,  il  ap[)rit  à  connaître 
surtout  rilele  et  le  district  des  Bangala.  Il  a  fait  une  étude 
sur  l'apiculture  chez  les  indigènes  congolais  (2).  Sa  note 
sur  la  langue  Bangala  (langue  commerciale)  })résente  plus 
d'intérêt  au  point  de  vue  colonial  cpi'au  point  de  vue 
ethnographi(|ue  proi)rement  dit  (5)  M.  Gustin  s'est  montré 
ethnographe   et   ohsei'vateur   minutieux   en   décrivant    la 


(1)  Missionary  Herald.  18%,  135. 

(2)  Congo  lUiistrc,  IV  (1895)  K)  ;  'M  ;  :39-40  ;  55-50. 

(3)  Mouvement  (iéogruphique,  XV  (1898)  295. 


ÉTUDES    CRITIQUES    D*ETHNOGRAPHIE    CONGOLAISE.  23 

fabrication  des  cordes  et  des  nattes  chez  les  Bangala.  Cette 
description  est  précise  et  soignée  (i). 

Nous  pouvons  en  dire  autant  des  descriptions  du  com- 
mandant Wilverth.  Elles  portent  sur  la  construction  des 
huttes,  la  fabrication  des  pirogues,  les  procédés  de  chasse 
et  de  pèche,  et  permettent  de  conclure  que  la  plupart  de 
ces  procédés  ne  diffèrent  pas  sensiblement  de  ceux  des 
Bapoto  (2).  Le  commandant  Wilverth  les  a  bien  observés 
et  les  a  décrits  avec  méthode.  11  passa  trois  ans  et  dix 
mois  au  Congo  et  résida  surtout  à  Boma,  au  Lomami, 
chez  les  Mogwandi,  à  Nouvelle-Anvers,  et  à   Cmangi  (2). 

Le  D'  Briart  n'a  fait  que  passer  chez  les  Bangala.  11  n'a 
pas  fait  d  observations  proprement  dites  et  s'est  borné  à 
expliquer  pourquoi  les  villages  des  Bangala  ne  sont  pas 
fortifiés.  Né  en  18(>0,  il  partit  au  Congo,  le  7  juin  181)0, 
comme  médecin  de  l'expédition  Delcommune  qui  pénétra 
dans  le  Katanga  par  le  Lomani.  11  rentra  en  Europe  au 
mois  d'avril  1895  (4).  Son  étude  sur  les  fortifications 
indigènes  (3)  est  le  fi'uit  de  ce  voyage. 

M.  Ernest  Deligne  était  agent  de  la  société  du  Haut- 
Congo.  Il  publia  dans  le  Comjo  Illustré  (e)  quelques 
légendes  et  proverbes  Bangala.  L'atïirmation  que  les  Ban- 
gala auraient  «  des  coutumes  extra-conjugales  qui  chez  eux 
sont  toutes  natui'elles  «  (t),  est  contestée  par  M.  Lothaire. 


(1)  Belgique  Coloniale,  IX  (1903,  535. 

(2)  Congo  Illustré,  III  (1894)  181. 

(3)  Le  Département  de  l'Intérieur  de  l'Rtat  Indépendant  du  Congo  a  eu 
l'extrême  obligeance  de  nous  communiquer  des  notices  biographiques 
sur  MM.  Lothaire,  Hanolet,  Gustin.  Wilverth.  Ward  et  Westmarck. 

(4)  Congo  Illustré,  III  (1894)  9. 

(5)  Congo  Illustré,  IV  (1895)  12-14  ;  22-24  ;  28-30. 

(6)  Congo  Illustré,  II  (1893)  82-83. 

(7)  Congo  Illustré,  II  (1893)  123. 


24  LE    MUSÉON. 

Ajoutons  qu'elle  manque  de  précision.  L'auteur  entend-il 
par  là  des  pratiques  honteuses,  ou  bien  l'adultère  du 
niaii  ?  L'adultère  du  mari,  dans  une  société  polygame, 
peut  paraître  chose  assez  naturelle  et  l'on  se  demande 
bien  laquelle  des  femmes  lésées  pourrait  l'empêcher. 

Quant  aux  légendes  et  proverbes,  M.  Deligne  ne  donne 
malheureusement  aucun  détail  sur  la  façon  dont  il  les  a 
recueillis,  ni  sur  l'endroil  où  il  les  a  recueillis.  Nous 
regrettons  aussi  qu'il  n'ait  pas  publié  à  côté  de  la  traduc- 
tion française  le  texte  en  langue  indigène. 

Parmi  les  voyageurs  étrangers,  citons  d'abord  l'autri- 
chien 0.  Baumann,  docteur  en  philosophie.  11  naquit  à 
Vienne  en  1864  et  fut  adjoint  à  lexpédition  Lenz  (1885- 
1880)  qui  remonta  le  Congo  jusqu'aux  Falls.  Nous  lui 
devons  le  premier  levé  du  tleuve  entre  le  Stanley-Pool 
et  les  Slanley-Falls.  En  1888,  il  lit  partie  de  l'expédition 
du  D'  Meyer  au  Kilimandjaro  et  explora  l'Usambara  en 
1890.  De  1801  à  1893,  il  dirigea  une  expédition  impor- 
tante au  pays  des  Masai  (i). 

C'est  le  premier  de  ces  voyages  qui  nous  intéresse  ici. 
11  fournit  au  D'  Baumann  la  matière  d'un  intéressant  arti- 
cle dans  les  Mittcilungeii  de  la  Société  d'Anthropologie  de 
Vienne  (2).  11  y  dépeint  les  populations  qu'il  a  pu  entrevoir 
en  remontant  le  lleuve.  Ses  renseignements  sur  les  Ban- 
gala  se  rapportent  à  l'aspect  des  habitants,  tatouages, 
pagnes,  huttes,  occupations  principales,  etc.  Ce  sont  des 
notes  plutôt  que  de  véritables  descriptions. 

M.  Ward  s'est  occu})é  sans  s'y  arrêter  longuement  de  la 


(1)  Congo  Illustré,  II  (1893)  89. 

(2)  XVII  (1887J 160-180.  Voir  aussi  Lenz:  Mitteihmgen cler  Geographi- 
schen  Gcsellschaft  za  ^Yien,  XXIX  (1886)  passim. 


ftTLDES    ClUTlolLS    d'eTIINOGUAPHIE    C0XJ0LAI8K.  25 

vie  matérielle  des  Bangala,  de  leur  cannibalisme,  de  leur 
histoii'e.  11  n'a  pas  négligé  de  raconter  certains  faits  rela- 
tifs, par  exemple,  à  la  propriété  des  canots,  à  la  fraternité 
du  sang,  etc.  iM.  \Vard  fut  au  service  de  l'État  pendant  un 
an  et  dix  mois  en  qualité  d'adjoint.  Après  quoi  il  passa  à 
la  «  Sanford  ex[)loring  Exjjedition.  »  Il  publia  un  livre 
intitulé  «  Five  yeai's  amonii'  the  (^on^o  Cannibals  »  (i). 

Le  suédois  Glcerup  fut  attaché  à  M.  Van  Gelé.  Il  passa 
au  Coniio  deux  ans  et  neuf  mois  et  fit  la  traversée  de 
l'Afrique  de  Boma  à  Bagamoyo.  Les  observations  qu'il  fit 
à  Vivi,  Manyanga,  Kimpoko  et  aux  Stanley-Falls  sont  con- 
signées dans  son  récit  de  voyage  (2).  Il  ne  parle  des  Ban- 
gala  que  très  accessoirement  ;  comme  son  compatriote 
Pagels,  il  ne  connaissait  surtout  que  ceux  qui  s'étaient 
engagés  au  service  de  l'Etat  (5). 

11  reste  à  parler  d'un  autre  suédois,  M.Westmarck,  qui 
fut  au  service  de  l'Etat  Indépendant,  en  (jualité  d'adjoint, 
pendant  trois  ans.  Il  séjourna  successivement  à  Manyanga, 
à  Lutete,  à  Léopoldville,  à  Msuata,  à  Nouvelle-Anvers 
(avec  Coquilhat).  A  son  retour  en  Europe,  il  fit  des  confé- 
rences à  la  Société  de  Géographie  commerciale  de  Paris, 
aux  Sociétés  de  Géographie  de  Lille,  de  Bordeaux,  de  Tou- 
louse et  de  Marseille. 

Ses  affirmations  sont  sujettes  à  caution.  M.  Lothaire  en 
conteste  un  certain  nombre.  M.Westmarck  a  chei'ché  avant 
tout,  semble-t-il,  le  détail  curieux,  et  il  ne  manque  pas 
de  l'exagérer  à  l'occasion.    Il   faut  accepter  ses  dires  avec 


(1)  London.  Chatto  et  Windus.  1891.  Voir  aussi  Journal  of  the  Anthro- 
pological  Institute,  XXIV  (1895)  285-299. 

(2)  Môller,  Pagels,  Gleerup  :  Tre  âr  i  Kongo.  Stockliolm,  1887.  III  151- 
502.  Gleerup  :  Tuârs  genom  Afrika.  (2.50-251). 

(3)  Ibid.  II,  1-150  ;  Pagels  :  vid  ôfvre  Kongo  (117,  119,  14G). 

2a 


âG  LE    MUSÉON. 

une  g;i'ande  réserve,  d'autant  plus  que  ses  conférences  ne 
sont  connues  que  par  des  analyses  et  des  résumés  rapide- 
ment l'édigés. 

Nous  ne  pouvons  terminer  cette  étude  critique  sans 
signaler  l'importance  des  études  anthropologiques  dont 
les  Bangala  ont  fait  l'objet.  Aux  expositions  d'Anvers  et 
de  Bruxelles,  les  Bangala  étaient  représentés.  Le  docteur 
V.  Jacques,  secrétaire  de  la  Société  d'Anthropologie  de 
Bruxelles,  en  a  profité  pour  les  étudier  aux  points  de  vue 
somatique  et  physiologique  (i).  Sans  doute  le  nombre  des 
sujets  n'était  pas  assez  élevé  pour  permettre  des  conclu- 
sions définitives.  Mais  les  mensurations  du  D'  Jacques  ont 
été  faites  suivant  une  méthode  rigoureuse  et  il  faut  recon- 
naître que  ces  études,  comme  les  travaux  antérieurs  du 
môme  auteur,  (voir  plus  haut  p.  11)  ont  beaucoup  con- 
ti'ibué  au  développement  de  l'ethnographie  congolaise. 


(1)  Bulletins  de  la  Société  d'Anthropologie  de  Britxelles.  XIII  (1894) 
284-331  et  XVI  a897;  1^3-244. 


LA 

mmïïm  iiïïÉiiÂiiiE  des  mmm  ntmi 


Les  portraits  du  Roi  Messie  que  l'on  a  con.teinplës  jus- 
qu'ici (i),  et  que  les  meilleurs  ei'iticjiies  atlinnent  avoir 
été  crayonnés,  soit  un  peu  avant,  soit  dans  le  temps  même 
où  l'on  composait  les  Paraboles  d'Hénoch,  sont  de  nature 
à  faire  ressoitir  tout  ce  qu'il  y  a  d'original  dans  la  phy- 
sionomie du  héros  messiani(|ue  (ju'elles  nous  révèlent. 
Cependant  une  question  préalable,  de  la  plus  grande 
importance,  nous  retient  encore.  Le  Messie  des  I*araboles 
est-il  un  personnage  unique  ?  N'apparait-il  pas  plutôt  avec 
des  traits  disparates,  et  n'est-on  pas  amené  à  cette  idée 
d'une  reproduction,  en  surchai'ge  sur  l'original,  d'une  ou 
de  plusieurs  autres  ligures  (|ui  concorderaient  plus  ou 
moins  entre  elles  ?  Sans  doute,  un  seul  et  même  écrit  a 
pu  relater  ou  mettre  à  [)rolit  des  traditions  fort  diver- 
gentes ;  évidemment  un  auteur  d'apocaly[>se,  écrivant  à 
l'époque  de  syncrétisme  que  l'on  sait,  était  tout  disposé, 
comme  le  dit  fort  bien  Clemen  (2),  à  apposer  l'une  à 
l'autre  ou  à  mélanger  des  conceptions  aussi  diverses  que 


(1)  Cf.  Muséon  N.  S.  1905,  pp.  129- 139,  19Uiî  pp.  231-24S. 

(2)  Die  Zusammensetzung  des  Bûches  Henoch.  TlieoL...  —  Stud.  u  Kiit. 
1898,  p.  211. 


â8  LK    MUSÉON. 

les  motifs  qui  les  inspirent.  Mais  il  n'en  faut  point  rester 
là,  et,  dans  l'espèce,  notre  premier  souci  doit  être  de 
savoir  si  les  Paraboles  sont  un  ouvrage  un  ou  composite  ? 
La  réponse  à  cette  question  n'étant  point  douteuse  (i), 
nous  avons  à  chercher,  pour  autant  que  cette  recherche 
est  possible,  quelles  ont  été  les  sources  de  l'écrit  qui 
nous  occupe,  ou  plutôt  quels  sont  les  documents  reflé- 
tant peut-être  des  traditions  divergentes,  dont  les  restes 
peuvent  encore  se  découvrir  en  Hen.  XXXVII-LXXI. 

Ce  travail  essentiel  étant  des  plus  délicats,  et  laissant 
trop  souvent  à  celui  qui  s'y  livre  avec  le  plus  de  soin 
l'illusion  de  ramasser,  au  lieu  des  documents  brisés  qu'il 
croit,  quelque  sable  de  nulle  importance  dont  le  reflet 


(1)  En  effet,  ceux-là  même  qui  comme  Martin  (Le  livre  d'Hénoch,  Paris 
1906)  déclarent  que  -  dans  son  ensemble,  le  Livre  des  Paraboles  parait 
d'une  rédaction  homogène  "  (p.  LXXXII),  sont  les  premiers  à  relever  les 
interpolations  qui  sont  venues  rompre  cette  soit-disant  unité  ;  et  ces  inter- 
polations sont  en  noml^re  si  considérable,  et  se  groupent  parfois  de  telle 
manière,  qu'il  vaudrait  mieux  tout  simplement  parler  du  caractère  com- 
posite de  récrit  Hen.  XXXVII-LXXL  Le  temps  n'est  plus  où  l'on  discutait 
sur  l'unité  de  plan  du  livre  d'Hénoch  tout  entier,  et  où,  critiquant  l'œuvre 
d'Ewald  qui  avait  inauguré  les  recherches  de  critique  littéraire  en  cette 
matière,  Phihppi  écri"ait  très  ônergiquement  :  "  Dièse  Zergliederung  des 
Bûches  ruht  auf  willkùilichen  unbegrùndeten  Hypothesen,  sic  ignorirt 
die  kunstvolle  Anlage  des  ganzes  Werkes  und  wurdige  den  geistreichen 
Verfasser  zu  einem  geistlosen  Compilator  herab...  »  (D.  Buch  Henoch, 
p.  14).  Chose  intéressante  à  noter  !  Ceux-là  même  qui  parlent  assez  légè- 
rement du  travail  consistant  «  diejenigen  Stellen  einer  Apokalypse,  die 
der  Hauptmasse  widersprechen,  auszuscheiden  und  mehr  oder  minder 
willkurlich  einer  oder  mehreren  Quellen  oder  Ueberarbeitungen  zuzu- 
schreiben  «,  supposent  très  fermement  acquise,  p.  ex.  la  distinction  du 
livie  des  Paraboles,  qu'après  Krieger  et  Lùcke,  Ewald,  que  l'on  condam- 
nait alors  pour  cette  même  raison  de  «  Willkùrlichkeit  »,  avait  bien  mise 
en  lumière.  Aujourd'hui,  l'on  pourra  admettre  que,  non-seulement  le  livre 
d'Hénoch  dans  son  ensemble,  mais  encore  la  section  des  Paraboles,  est 
l'œuvre  d'un  compilateur,  qu'il  sera  toujours  loisible  de  qualifier  à  volonté 
«  geistreicher  »  ou  geistloser  ». 


LA  COMPOSITION  LITTÉllAIIŒ  DES  PAUABOLES  DIIÉNOCII.      29 

brillant  a  trop  inipressioniio  sa  vue,  il  convient  d'ores  et 
déjà  d'énoncer  ({uehpies  principes  qui  pouri'ont  diriiici-  le 
jugement  dans  l'appréciation  des  textes,  le  discernement 
de  leur  parenté  ou  de  leur  opposition  récipro(|ue,  et  assu- 
reront, du  moins  en  (piel([ue  manière,  l'objecliviti'  des 
pages  suivantes. 

11  me  parait  d'abord  (jue,  i-ègle  générale,  la  présence 
en  divers  passages  de  mots  ou  de  locutions  ayant  un  sens 
plus  spécial  en  ces  [)assages  ne  permet  j»ms  de  conclure 
fermement  à  la  [)arent(''  j)rimitive  de  ces  textes  :  ce  pro- 
cédé qui  serait  assez  sûr,  si  nous  j)ossédions  l'original 
d'un  ouvraue,  le  devient  moins,  s'il  ne  nous  en  reste 
qu'une  version,  et  l'est  bien  [»cu,  si  nous  en  sommes 
réduits  —  et  c'est  malbeureusement  le  cas  —  à  une  ver- 
sion de  version.  Entre  des  mots  paraissant  synonymes, 
un  li'aducteur  peut  bésiter,  et  un  second,  accentuer  davan- 
tai;e  encore  les  nuances  éloignant  le  mot  ti-aduil  du  sens 
[)récis  ([u'il  avait  dans  l'original.  Dans  tel  passage  du 
livre  des  Paraboles,  le  terme  (jcj/iisini  est  l'ései-vé  aux 
anges  (v.  g.  LXl  <S,  et  10  on  il  devient  ré([uivalent  de 
liajjela  sawàjât),  et  l'on  peut  avoir  ([ucbjue  tendance  à 
croire  (}u'il  en  allait  toujours  de  la  sorte  dans  l'original  ; 
mais  aujourd  bui,  nous  le  lisons  à  coté  ou  à  la  place  de 
sediujfiH  et  /icrujdn,  comme  désignation  des  bommes 
justes,  soit  encore  [jrésents,  soit  dispai'us  de  ce  monde 
(v.  g.  L  I,  Ll  2).  —  (Cependant  rinbabilet(''  ou  l'inatten- 
tion des  traducteurs  ne  l'ont  pas  tout  :  et  il  y  ;i  l)ien 
plusieurs  cas,  où  l'on  ne  saui'ait  certes  les  mettre  en 
cause,  et  où  le  sens  spécial  (ju'il  convient  d'atti-ibuer  à 
un  terme  a  été  certainement  voulu  de  l't'crivain  original. 
C'est  alors  avec  justice  (|ue  de  la  diversité  des  sens  on 
pourra  conclure  à  la  diversité  des  auteurs. 


50  LE    MUSÉON. 

Une  rupture  dans  les  textes  et  l'apparition  d'un  frag- 
ment hétérogène  seraient  à  constater  chaque  fois  que,  dans 
un  même  morceau,  l'on  passe  du  style  indirect  au  direct  ; 
voilà,  du  moins,  ce  que  suppose  Appel  qui  en  vient  là  à 
un  principe  assez  hardi  de  critique  (i).  Et,  de  fait,  non- 
seulement  les  Sémites,  mais  encore  les  peuples  simples 
de  l'Orient  et  d'ailleurs,  ne  trouvent-ils  pas  naturel  qu'un 
récit,  une  phrase  même,  commencée  en  style  indirect  se 
continue  dans  le  direct,  ou  inversement  ?  La  transition, 
si  elle  ne  va  pas  de  soi,  se  fera  par  une  incise  introdui- 
sant les  paroles  ou  en  marquant  la  fin,  et  cette  variété 
donnera  plus  de  vie  à  l'ensemble.  Mais  conclure  de  ce 
rapprochement  à  un  recollage  de  morceaux  serait  assez 
aventuré,  et  plus  d'un  pensera,  sans  doute,  qu'un  œil 
bien  pénétrant  pouvait  seul  deviner  une  fêlure,  p.  ex. 
entre  Hen.  LXIII  1-11,  et  LXIll  1:2  (2)  où  la  conclusion  de 
tout  le  passage  est  mise,  assez  maladroitement,  du  reste, 
dans  la  bouche  de  Dieu. 

De  ce  qu'une  vision  suit  une  apocalypse,  et  (ju'au  tout 
succèdent  quelques  pieuses  exhortations,  il  n'y  a  de  soi 
rien  à  conclure.  Mais  il  faudrait  conclure  à  l'unité  de  ces 
pièces,  si,  comme  l'assurait  Philippi  (3),  entre  autres,  celle 
qui  suit  expliquait  la  précédente,  en  déterminait  le  sens 
et  la  portée  d'une  manière  plus  explicite.  Au  contraii'e,  il 


I 


(1)  Die  Komposition  des  aethiop.  Henochbuches,  dans  Beitrâge  z.  FOrder. 
christl.  Theol.  1906,  III.  L'auteur  de  ce  travail,  que  l'on  a  été  tieureux 
de  pouvoir  utiliser,  ne  s'est  malheureusement  pas  astreint  à  toute  la 
rigueur  de  méthode  désirable,  et  il  a  trop  oublié  qu'à  une  époque  de 
remue-ménage  d'idées,  certaines  conceptions  peu  cohérentes  ont  pu 
voisiner  dans  les  mêmes  cerveaux  avant  de  voisiner  dans  les  mêmes 
livres  (cf.  Schûrer,  dans  Theol.  Literaturzeit.  1907,  9,  265).  Ceci  rend,  du 
reste,  délicate  toute  recherche  en  la  matière. 

(2)  Appel  40  (252). 

(3)  1.  c.  14,  pass. 


LA  COMPOSITION  LIÏTÉKAIRE  DES  PABABOLES  d'iIÉNOCH.      51 

serait  juste  d'estimer  garantie  leur  diversité  d'origine,  si 
ces  pièces  dénotaient  des  préoccupations  par  trop  diverses 
et  qu'il  résultât  de  leur  rapprochement  immédiat  quelque 
incohérence  qui  n'est  point  dans  la  nature  ;  à  plus  forte 
raison,  si  elles  venaient  à  se  heurter,  en  amenant  côte  à 
côte  deux  idées  opposées  et  contradictoires.  11  n'y  a  pas 
de  logique  dans  les  Apocalypses,  dira-t-on,  et  elles  i-ecueil- 
lent  au  hasard  les  traditions  les  plus  diverses.  J'en  con- 
viens :  mais  avant  d'être  cristallisées  dans  une  commune 
agglomération,  ces  traditions  se  sont  flottées,  ont  perdu 
de  leur  état  brut,  se  sont  habituées  à  aller  ensemble.  Une 
fois  tout  ce  tassement  accon)[)li,  idées,  traditions,  espé- 
rances, auront  encore  quelque  chose  de  disparate  —  il 
n'en  peut  être  autrement  — ,  mais  ce  disparate  chei'chera 
à  se  dissimuler,  et  Ion  peut  tenir  assui'é  (ju'un  auteur, 
même  d'Apocalypse,  prendra  soin  de  ne  point  mettre  en 
évidence  un  défaut  qui  montrci'ait  trop  le  factice  de  son 
œuvre. 

Ce  sont  là  (juelques  réflexions  générales  qu'il  était,  me 
semble-t-il,  utile  de  faire  tout  d'abord,  avant  d'en  venir 
à  scruter  notre  terrain  et  à  chercher  les  sources  des  Para- 
boles d'Hénoch. 

Un  texte  de  nature  à  projeter  un  assez  gi-and  jour  sur 
la  composition  de  notre  écrit  est  celui  que  nous  lisons  en 
LXVm  1,  et  qu'il  convi(;nt  d'examiner  avec  soin.  «  Mon 
grand-père  Ucnoc/i  me  donna  dans  un  livre  les  signes 
[te'  mcrta)  de  tous  les  secrets,  et  les  paraboles  {mesâljâta) 
qui  avaient  été  données  à  lui-même,  et  il  les  réunit  pour  moi 
dans  le  texte  du  livre  de  la  Parabole  (niasliaf  za-mesâlê).  » 
Celui  qui  parle  est  le  [)etit-fils  d'Hénoch,  Noé  :  la  réflexion 
se  lisait  donc  en  dehors  du  recueil  concernant  Hénoch, 
dans  des  textes  racontant  quelques  légendes  noachiques. 


32  LE    MUSÉON. 

Rappelons  simplement  que  Dillmann  (i),  Ewald,  Witti- 
chen  (2),  Tidemann  (5),  Lipsius  (4),  Thomson  (5),  Charles, 
Clemen,  Schûrer,  Béer,  Baldenspert;er,  Martin,  Appel 
sont  d'accord  pour  reconnaître  empruntés  à  ce  cycle  noa- 
chique  divers  passages  de  notre  livre  des  Paraboles,  parmi 
lesquels  ils  rangent  d'oi'dinaire  les  suivants,  XXXIX  1-2^, 
LIV  7-LV  2,  LX  au  moins  partiellement,  LXV-LXIX  25  ; 
que  ces  textes  qui  tranchent  sur  le  reste  du  livre,  comme 
Charles  entre  autres,  l'a  fort  bien  montré  (p.  145  sq.),  ne 
sont  point  à  considérer  comme  des  fragments  détachés 
d'un  même  ouvrage,  et  qu'il  y  aurait  lieu  de  suivre 
l'exemple  d'Appel  (pp.  71-76)  et  de  distinguer  plusieurs 
légendes,  probablement  d'époques  diverses,  ici  embrouil- 
lées. Ce  travail  n'a  point  à  nous  retenir.  11  nous  sutïit 
simplement  de  constater  que  l'un  des  rédacteurs  des  écrits 
noachiques  a  connu  comme  indépendant  ce  qu'il  appelle 
le  Livre  de  la  Parabole,  et  qu'il  sait  que  les  soins  pré- 
voyants d'Hénoch  ont  réuni  deux  écrits  dans  ce  même 
Livre.  Ces  deux  écrits,  il  nous  les  nomme,  et  nous  laisse 
le  soin  de  découvrir  ce  qui,  dans  les  chapitres  XXXVII- 
LXXI,  peut  bien  correspondre  à  leur  signalement. 

Le  premier,  qui  était  contenu  dans  un  livre,  ou  qui  à 
lui  seul  formait  ce  livre  (e),  traitait  «  des  signes  de  tous 


(1)  Das  Buch  Henooh. 

(2)  Die  Idée  des  Reiches  Gottes. 

(3)  Th.  Tyd.  1875.  De  Apokalypse  van  Henocli  et  het  Essenisme. 

(4)  ap.  Smith.  Diction,  of  Christian  biography  II  124. 

(5)  Books  that  influenced  our  Lord  and  his  Apostles. 

(6)  Je  crois  pouvoir  conclure  que  la  locution  ba-mashaf  se  rapportait 
seulement  à  ce  qui  précède,  non  aux  deux  termes  de  l'énumération.  Sa 
place  dans  la  phrase  est  suffisamment  caractéristique,  et  si  déjà  l'on  eût 
voulu  nous  apprendre  que  dans  un  livre,  dans  un  même  livre,  se  ti'ou- 
vaient  à  la  fois  le  premier  et  le  second  écrit,  toute  autre  addition  sur  le 
mélange  de  ces  deux  écrits  dans  un  même  livre,  à  savoir,  celui  de  la 
Parabole,  eût  été  une  redondance  parfaitement  inutile. 


LA  COMPOSITIOX  LITTÉRAIRE  DES  PARAROLES  d'hÉNOCH.      55 

les  secrets  ».  Ce  n'est  pas  bien  clair,  et  Ton  comprend 
sans  peine  que  de  bonne  heure  on  ait  cherché,  au  prix 
même  d'un  remaniement,  à  obtenir  un  texte  moins 
ambigu  et  plus  explicite.  Le  ms.  M  (XVIIP  s.)  nous  donne 
la  lectui'C  :  ce  //  me  donna  tous  les  secrets  des  signes  et  les 
secrets  ».  Les  «  secrets  des  signes  »  se  comprennent  mieux 
que  «  les  signes  des  secrets  »,  et  peuvent  s'entendre 
notamment  du  caractère  mystérieux  des  constellations 
zodiacales  (cf.  XLVIII  5,  où  ta  amer  a  ce  sens).  Mais  ms. 
M  ne  peut  prévaloir  contre  la  leçon  commune,  et  la  seule 
répétition  du  mot  «  secret  »  montre  suffisamment  qu'on 
a  retouché  le  texte  —  Béer  suppose  une  confusion  entre 
temkert,  doctrine,  et  temert.  L'on  obtiendrait  dès  lors 
un  sens  tout-à-fait  satisfaisant  :  Hénoch  a  donné  à  son 
petit-fils  dans  un  livre  la  doctrine  ou  les  enseignements 
concernant  tous  les  secrets.  Il  faut  avouer  que  cette  lec- 
ture est  bien  attrayante  :  mais  alors,  s'il  y  a  eu  bévue  des 
copistes  reproduisant  la  version  éthiopienne,  la  leçon 
fautive  a  seule  pi'évalu  dans  tous  les  mss.  que  nous  con- 
naissons pour  l'instant.  —  Martin,  et,  avec  quelque  hési- 
tation. Appel,  essayant  de  s'accommoder,  vaille  que  vaille, 
de  notre  texte  actuel,  nous  renvoient  au  Lexicon  de  Dill- 
mann  (col.  755),  et  traduisent,  explication.  C'est  là  une 
traduction  qui  n'est  pas  «  autorisée  par  d'autres  passages 
semblables  »,  mais  seulement  par  l'analogie  du  seul  texte 
Levit.  Vili  8  :  encore  faut-il  reconnaître  qu'elle  ne  rend 
parfaitement  le  grec  des  Sept.  o/iXwcyi.ç,  qu'en  se  référant 
au  sens  original  de  l'hébreu  traduit  D"il5<.  Peut-être  y 
aurait-il  lieu  de  serrer  davantage  le  mot  grec  et  de  tra- 
duire, manifestation  ;  ou  bien,  d'entendre  au  sens  concret, 
la  chose  même  qui  est  manifestée  (grec  :  ôT,Xw[ji.a).  L'on 
arriverait  ainsi  tout  près  du  sens  exact  de  ce  mode  inten- 


Oi  LE    MLSÉON. 

sif  11!  ^  (se  cognosfendum  praobere),  dont  le  substantif 
étliiopien  (quod  eognoseenduni  se  [)i'ael)et  aut  praebuit) 
dérive  direetenient  (i).  Notre  texte  se  traduirait  donc  litté- 
ralement :  Hénoeh  me  donna  dans  un  livre  ce  qui  s  était 
montre  {à  lui)  de  tous  les  secrets  ;  e'est-à-dire,  il  me  fit 
part  des  seei'ets  dans  la  mesure  méine  où  ils  lui  avaient 
été  eondés. 

Quel  (ju'ait  été  le  sens  préeis  de  roriii:inal,  une  chose 
ressort  avec  clarté  de  notre  texte,  et  c'est  qu'un  premier 
éci'it  inséré  plus  tard  au  «  livre  de  la  Parabole  ?)  apportait 
divei's  renseignements  sur  les  secrets.  Qu'est  devenu  cet 
écrit?  Ap[)el  (p.  il)  suppose  cpae  les  parties  qu'on  en 
pourrait  découvrir  sont  à  chercbei-  dans  le  voisinage  immé- 
diat de  la  notice  (jui  en  fait  mention.  Mais  XXXVII  1  sqq. 
est  égalenu^nt  une  notice  (jui  introduit  une  (euvre  litté- 
raire, et,  de  l'aveu  du  même  ci'itique,  les  fragments  qui 
l'csleraienl  d(>  cette  (cnvre  sont  dispersés  de  droite  et  de 
gauche  dans  notre  livre  des  Paraboles  :  pourquoi  en  irait- 
il  d'autre  sorte  dans  le  cas  pi'ésent  ?  C'est,  répondra-t-on, 
qu'ici  la  petite  notice  se  préoccupe  d'acci'éditer  le  livre 
des  Secrets,  et  (pi'il  est  nécessaire,  pai'  eonsécpient,  que 
l'écrit  recommandé  soit  là  présent  j)()ur  recevoir  le  bon 
témoignage  «iiTon  porte  sur  son  coinjite.  Si  l'on  observe, 
d'autre  part,  (|ue  les  fiagments  (pii  précèdent  cette  notice 
api>articnnent  connue  celle-ci  au  cycle  de  Noé,  il  en  résul- 
tera (pic  le  livre  des  Seci'cts  n'est  j»oint  à  chercher  ailleuj's 
qu'en  LWHI  l-JAIX  '25  (ii).  A  dire  viai,  tout  ce  raisonne- 


(1)  Cf.  li-irtli,  l)io  .Noiiiiiialbildiiiip;-  iii  dcn  scniit   SiH'aclien,  p  .'S04. 

(2)  Mit  (loin  Hucli  tler  /oiclu'ii  dei-  (iclieiniiiit;se  wird  ein  (u-tlicli  dieser 
No'iz  iialioslehendcs  SUick  ^^omoiiit  sein,  das  hier  bogijuibi^t  werden 
soi!.  Nun  bieibt  liieil'iir  uber  dor  voiaiisehende  iioanliisnlie  Theil,  kap. 
c.ô  ff.,  aiisier  Botiaflilung,  denn  diet-cr  staiumt  ja  obcn  von  Noali  von 
dem,  wclcher  die  Notiz  es,  1  bringt.  So  kann  es  sich  nur  um  das  l'olgende 
Stiick  bis  (l'J,  2ô  iiandeln.  —  1.  c. 


LA  COMPOSITION  LITTÉIUIUE  DES  PAIUBOLES  DIIÉNOCH.      55 

ment  repose  sur  une  mauvaise  compréhension  des  rensei- 
gnements que  LXVIII  l  nous  apporte.  L'auteur  de  cette 
note  avait  apparemment  un  doul)Ie  but  en  l'écrivant  : 
justifier  tout  d'abord  la  fusion  de  deux  écrits  qui  se  pré- 
sentent sous  le  nom  d'Hénoch  ;  introduire  enfin  le  per- 
sonnage de  Noé,  et,  en  le  légitimant  comme  héritier  des 
livres  de  son  grand'père,  donner  à  lui-même,  et,  dès  lors, 
aussi  à  ses  compositions  littéraires,  quelque  chose  de 
l'autorité  qui  s'attachait  au  nom  et  à  l'œuvre  de  son  pré- 
décesseur. Pourquoi  conclut-on  plutôt  que  c'est  le  Livre 
des  Secrets  qui  a  besoin  d'une  garantie?  Il  n'y  parait 
guère  vraiment.  Les  deux  écrits  fondamentaux  sont  placés 
sur  le  môme  pied  :  tous  les  deux  contiennent  le  récit  de 
choses  que  vit  Hénoch  ou  d'enseignements  qu'il  reçut  ; 
l'un  et  l'autre  nous  ont  été  transmis  par  le  Patriarche  ; 
ils  ont  donc  la  même  valeur,  et  on  n'a  pas  idée  qu'il  en 
puisse  être  autrement  (i).  Mais  la  réunion  des  deux  écrits 
ne  doit  point  être  sujette  à  des  critiques  prématurées  : 
c'est  Hénoch  en  personne  qui  l'a  faite,  et  cela,  le  lecteur 
l'apprend  de  Noé  lui-même  qui  en  avait  bien  connaissance. 
Au  fond,  les  renseignements  de  la  notice  ne  nous  appren- 
nent directement  (|u'une  chose  :  le  Livi'e  des  Secrets,  tout 
comme  les  Paraboles,  est  à  chercher  en  dehors  des  frag- 
ments noachiques.  Sans  doute  LXVIII  2-LXIX  :25  a  bien 
des  chances  d'être  étranger  à  ces  fragments,  ne  fût-ce  que 
pour  cette  seule  raison,  que  le  personnage  de  Noé   n'y 


(1)  L'on  pourrait  même  aller  plus  loin,  et  affirmer  que,  si  cette  première 
partie  de  la  notice  vise  à  garantir  l'un  j)lu.s  que  l'autre  des  deux  écrits 
mentionnés,  cette  garantie  va  moins  au  Livre  des  Secrets  qu'aux  Para- 
boles. Le  rédacteur,  en  eflet,  a  pris  soin  d'ajouter  très-explicitement  en 
ce  qui  concerne  ces  dernières,  -  qu'elles  avaient  été  données  à  lui-même  », 
à  Hénoch,  et  donc  elles  ont  une  autorité  plus  grande  encore  que  la  sienne 
propre. 


56  LE    MLSÉON. 

paraît  plus  en  scène  :  mais  alors,  je  ne  vois  pas  ce  qui 
désigne  spécialement  ce  passage,  comme  étant  un  reste  de 
l'écrit  fondamental  en  question.  On  nous  dit  bien  «  qu'en 
réalité,  là  plus  qu'en  tout  autre  endroit  du  livre  entiei' 
d'Hénoch,  c'est  de  secrets  qu'il  est  question  «,  et  il  y  faut 
souscrii'e.  Mais,  si  l'on  met  à  part  les  (juelques  vers  con- 
cernant le  nom  caché  et  le  serment  de  Kâsbe'êl,  lesquels 
provietment  vraisemblablement  d'un  autre  milieu,  on 
n'apprendra  pas  grand  nouveau  dans  le  passage  signalé, 
et  on  se  rappellera  trop  les  détails  du  même  genre 
qu'avaient  donnés  chap.  Ylll  et  la  tradition  (juil  repré- 
sente. Le  pis  est  que  les  données  du  prétendu  Livre  des 
Secrets  coi'respondent  assez  mal  au  signalement  fourni  par 
la  notice  :  d'abord  elles  proviennent  on  ne  sait  de  (jui,  et 
cette  façon  impersonnelle  de  nous  l'enseigner  laisse  peu 
de  (chances  qu'Hénoch  ait  jamais  été  présenté  comme  l'au- 
teur du  morceau  ;  la  plupart  des  seci'cts  dont  il  est  (|ues- 
tion  sont  des  secrets  mauvais,  et  je  ne  vois  pas  (ju'une 
note  de  ce  genre  soit  à  supposer  le  moins  du  monde  en 
ce  que  dit  le  petit  texte  LXVIll  I  qui  guide  nos  recher- 
ches ;  enfin  et  surtout,  on  nous  appoite  ici,  non  point  les 
renseignements  annoncés  sur  les  secrets,  mais  bien  [)lutôt 
des  renseienemeuts  sur  l'origine  de  la  connaissance, 
aujourd'hui  devenue  générale,  de  certains  se(;i'ets,  ce  (jui 
n'est  pas  du  tout  la  même  chose.  J'en  conclus  (ju'il  faut 
cherchei'  ailleurs,  et  avec  plus  de  méthode. 

Jusqu'ici  nous  avons  parlé  «  des  secrets  »,  en  nous  con- 
formant à  la  teneur  même  du  texte  LXVIII  1,  mais  il  serait 
bon  que  Ion  pût  j)réciser  davantage  une  dénomination 
trop  vague,  que  le  rédacteur  su[)pose,  du  reste,  parfaite- 
ment compréhensible  pour  nous,  et  que  nous  ne  compre- 
nons point  pourtant  si  facilement.  En  dehors  des  fragments 


LA  COMPOSITION  LITTÉUAIllli  DES  PAUABOLES  DIIÉNOCII.      57 

noachiquos,  lo  terme  liebuât  pai-aît,  soit  coinine  substantif, 
soit  comme  adjectif,  dans  les  passages  des  Paraboles  dont 
nomenclature  :  XXXVIII  5,  XL  -2,  8,  XLl  I,  5,  XLIII  5, 
XLVI  -2,  5,  XLVIII  0,  XLIX  2,  i,  LI  5,  LU  1,2,  5,  5,  LVIII 
5,  L(X  1,  2,  5,  LX  ll,LXI5,  LXII  7,  LXIII  5,  LXIV  1  —, 
passages  qui  peuvent  se  classitiei*  ainsi  qu'il  suit. 

1"  Cboses  cachées,  a)  Astronomie.  XLI  ô'\  7)^,  LU  1, 
?  LIX  1,  2,  5. 

b)  En  dehors  d'astronomie.  Communauté  des  justes 
XXX\  III  5.  —  Fils  de  1  homme  XLVIII  6,  LXII  7. 

2"  Choses  qui  doivent  arriver  dans  l'avenir.  XLl  1, 
?  LU  2^ 

ô"  Locutions  stéréotypées  :  secrets  de  justice,  de  sagesse. 
?  XLVI  5,  XLIX  2,  LVIII  5. 

4°  Enfin  ce  terme  est  reproduit  régulièrement  toutes  les 
fois  qu'il  est  fait  mention  de  «  l'Ange  qui  était  avec  moi 
et  me  révélait  tous  les  secrets  »  (i)  ;  hormis  en  XL  8,  il  ne 
l'est  jamais,  au  contraii'e,  alors  qu'apparaît  «  l'Ange  de 
paix  qui  allait  avec  moi.  » 

De  cette  vue  d'ensemble,  il  résulte  que,  dans  les  Para- 
boles, le  terme  liebuCU  est  employé  de  préférence  pour 
désigner  les  choses  de  l'astronomie,  c.-à.-d.  les  secrets  des 
deux  qui  sont  ces  astres  se  mouvant  suivant  certaines  lois 
cachées,  ou  ces  phénomènes  de  la  nature  inexplicables 
pour  l'homme  qui  na  point  reçu  une  connaissance  nou- 
velle par  une  révélation  d"En-Haut.  Chaque  section  astro- 


(1)  Abstraction  faite  toutefois  de  LU  3  et  de  LXl  3.  De  LXI 3,  nous  aurons 
à  parler  plus  loin.  En  LU  3,  «  l'ange  qui  était...  «  est  amené  en  scène, 
alors  que  le  mot  "  secret  r>  venait  d'être  coup  sur  coup  prononcé  deux 
fois  :  une  troisième  mention  survenant  encore  eut  été  inutile  pour  dési- 
gner l'ange  parfaitement  annoncé  par  ce  qui  précède,  et  fût  devenue 
décidément  fastidieuse. 


58  LK    MUSÉO.N. 

nomique  des  Paraboles  d'Hénoch  est  annoncée  tout  d'abord 
comme  concernant  «  les  secrets  des  éclairs  et  du  tonnerre, 
les  secrets  des  vents....  »  —  Mais  il  n'en  faut  point  rester 
à  une  constatation  aussi  générale.  11  y  a  lieu  de  remar- 
quer, et  ceci  apportera  à  notre  sujet  un  éclaircissement 
notable,  que  l'emploi  du  mot  liebuCit  dans  une  liaison  de 
ce  genre  est  particulier  aux  Paraboles  :  on  n'en  trouve 
point  trace  dans  les  récits  d'exploration  (chap.  XVII- 
XXXVll);  et,  dans  cette  partie  d'Hen.  qui  s'intitule  «  Livre 
du  changement  des  Luminaires  célestes  »  et  qui  pourtant 
traite  de  l'astronomie  ex  professo,  il  est  question,  non 
plus  de  liebuài,  mais  de  serût  ou  de  te'zzOz.  Les  phéno- 
mènes de  la  nature  sont  envisagés  à  un  autre  point  de  vue  : 
ce  ne  sont  plus  des  secrets  dont  l'explication  et  la  connais- 
sance dernière  dépassent  les  forces  humaines  ;  ce  sont  des 
manifestations  réglées  par  les  ordonnances  et  les  comman- 
dements divins.  Ceci  se  comprend  mieux  dans  une  disser- 
tation scientitîque-théologique  ;  cela  est  tout  juste  approprié 
à  un  journal  de  voyage  merveilleux.  Le  livre  où  Hénoch 
contait  «  ce  qui  s'était  montré  (à  lui)  de  tous  les  secrets  » 
a  toutes  chances  de  nous  avoir  entretenu  des  mystères 
astronomiques,  et  il  parait  bien  que  les  révélations  pré- 
cieuses qu'il  avait  reçues  lui-même,  et  s'était  empressé  de 
nous  transmettre,  ont  été  conservées  —  hélas  !  en  partie 
seulement  —  dans  les  fragments  épars,  XLI  3-9,  XLIII 
1-3,  XLIV,  LIX. 

En  même  temps  que  le  Livre  des  Secrets,  Noé  avait 
connu  «  les  mesâljât  qui  furent  données  à  Hénoch  »  : 
qu'étaient  ces  écrits  et  que  sont-ils  devenus  ? 

Dans  notre  livre  d'Hen.,  le  mot  mesâlë  se  trouve  employé, 
1,  2  (du  moins,  d'après  grec),  3,  XXXYH  5,  XXXVHI  1, 
XLV  1,  LVII  5,  LVHI  1,  LXIX  29.  H  faut  ajouter  encore 


LA  COMPOSITION  LITTÉlUlIlE  DES  PARABOLES  DU  ENOCH.      59 

XLIII  4,  qui  survient  à  la  tin  d'un  chapitre  probablement 
modifié  (i),  et  où  il  conviendrait  de  traduire  mesâlë, 
«  sinnbildliche  Bedeutung  »,  suivant  Iheureuse  formule 
de  Béer,  si  l'on  se  tenait  pour  obligé  à  tenir  compte  néan- 
moins de  tout  le  contexte.  Dans  le  fragment  noachique 
LX  i,  le  même  terme  se  présente  encore:  mais  là,  son 
sens  est  tout  différent,  et  il  faut  entendre,  vision.  Selon  la 
remarque  de  Charles  (p.  155),  l'interpolateur  a  voulu 
jouer  à  l'auteur  des  Paraboles,  et  dans  son  style  il  enchâsse 
telles  expressions  se  faisant  assez  remarquer  dans  le  texte 
original,  mais  (jui  deviennent  de  faux  brillants  entre  ses 
doigts,  et  dénoncent  assez  le  faussaire  dont  la  maladresse 
les  a  employées  comme  il  ne  convient  pas.  Dans  le  cas 
présent,  l'auteur  des  Paraboles  ignore  ce  sens  nouveau  de 
bwû,  et  traduit  toujours  vision,  raei  (XXX Vil  i^'',  XXXIX 
4,  LU  1)  (2). 

Si  l'on  en  vient  maintenant  à  reprendre  les  passages 
signalés  et  à  considérer  tout  d'abord  Hen.  I,  l'on  pourra 
reconnaître  que  le  terme  mesâlë  vise  directement,  non 
point  le  contenu  de  ce  même  chapitre,  mais  le  contenu 
de  ceux  qui  suivent,  c'est-à-dire  II-V.  Les  phénomènes  de 
la  nature  s'accomplissent  régulièrement  les  uns  après  les 
autres,  et  les  astres  suivent  sans  aucune  transgression  la 
voie  que  Dieu  leur  a  tracée  :  c'est  avec  une  discipline 
analogue  que  les  hommes  devraient  agir,  eux  qui,  en 
péchant,  refusent  de  se  soumettre  aux  ordres  de  Dieu.  Il 


(1)  L'unité  primitive  du  chapitre  est  des  plus  douteuses,  et  l'on  ne 
saurait  que  souscrire  au  jugement  très  sage  de  Dillmann  (p.  153)  et  de 
Martin  (p.  91).  Le  groupe  XLIII  1-3  se  range  plutôt  parmi  les  fragments 
astronomiques,  et  je  l'ai  envisagé  comme  faisant  vi'aisemblablement 
partie  du  Livi'e  des  Secrets. 

(2)  En  dehors  des  Paraboles,  voir  Hen.  I  2,  XIII  8, 10,  XIV  1,  4,  8, 14. 


40  LE    MISÉON. 

y  a  comparaison  et  masal  au  sens  habituel  du  mot.  Je  ne 
vois  pas  qu'il  en  aille  de  même  en  quelque  endroit  des 
Paraboles,  si  l'on  excepte  toutefois  XLI  5  (Livre  des 
Secrets),  où  la  même  comparaison  est  plutôt  sous-enten- 
due que  nettement  exprimée.  Supposer  donc  qu'un  même 
sens  doive  s'attacher  au  mot  mesùlc,  qu'on  rencontre 
celui-ci  en  Hen.  I  ou  au  livre  des  Paraboles  (i),  n'est  peut- 
être  i)as  absolument  exact.  11  vaudrait  mieux  dire  que, 
dans  ces  chapitres  XXWIl-LXXI,  le  terme  en  question 
exprime  une  idée  qui  convient  à  tout  cet  écrit  fonda- 
mental dont  parlait  le  Pseudo-i\oé,  (jui  convient  même, 
dune  cei'taine  manière,  à  la  compilation  des  deux  écrits 
fondamentaux  signalés,  puisque  l'un  d'eux  est  appelé 
mcsfiljût  et  (pi'à  lensemble  on  donne  le  nom  de  mashaf 
za-niesâlP.  Or,  s'il  faut  eu  croire  Kœnig,  le  sens  habituel 
de  c(  Parabole  »  est  justement  celui  qui  convient  dans  l'es- 
pèce :  et  la  raison  en  est,  que  dans  ces  chapitres  XXXVII- 
LXXI  c(  des  phénomènes  et  opérations  de  la  sphère  supra- 
terrestre  sont  employées  pour  décrire  la  fortune  terrestre 
du  royaume  de  Dieu  »  (2).  Cela  n'est  pas  juste.  Si  on  met 
de  côté  chap.  XLIll  pour  le  motif  que  j'indiquais  plus 
haut,  il  serait  dilHcile  de  trouver  quelque  texte  des  Para- 
boles qui  opposât  l'une  à  l'autre  une  scène  du  monde 
céleste  en  qualité  de  prototype  ou  de  double  et  une  scène 
analogue  du  monde  terrestre,  selon  qu'il  en  va,  par  exem- 
ple, dans  les  conceptions  religieuses  babyloniennes  ;  de 
plus,  le  royaume  messianique  des  Paraboles  n'est  point 
si  décidément  un  royaume  terrestre,  et  il  y  a  bien  quelque 


(1)  Appel  p.  79  (291). 

(2)  Phenomena  and  pi'ocess  of  the  superraundane  sphère  are  employed 
to  illustrate  the  earthly  fortune  of  the  kingdom  of  God  —  ap.  Hastings, 
Dict.  of  the  Bible  III  661. 


LA  COMPOSITIOIN   L[ Tl  i:ilAlUI':  hi:s  l>AUABOLES  d'iIÉNOCII.      41 

pai't  un  texte  qui  atïii-me  des  citoyens  de  ce  royaume  à 
venir  «  qu'ils  deviendront  tous  anges  dans  le  ciel  »  (Ll  5). 
H  vaut  mieux  reconnaître  au  mot  mesâlë,  pour  autant 
qu'il  se  présente  en  Hen.  XXXVll-LKXI,  une  signification 
plus  générale,  et,  d'ailleurs,  assez  imprécise  :  selon  le 
terme  allemand,  UUdcrrcde,  on  pourrait  traduire  avec 
assez  d'exactitude,  discours  figuré.  De  même  qu'on  appe- 
lait masal  la  parabole  proprement  dite  qui  soutient  la 
comparaison  entre  deux  ordres  de  faits,  de  même  il  se 
peut  que,  par  dérivation,  l'on  ait  attribué  ce  nom  aux 
productions  poétiques,  dont  la  comparaison  était  l'orne- 
ment habituel  :  et  l'esprit  se  reportera  tout  naturellement 
à  Job  XXVII  1,  aussi  peut-être  XXXIX  1  (i). 

LXVIII  1  (suite).  «  Mon  grand-père  Hénoch  me  donna... 
les  discours  figurés  qui  avaient  été  donnés  à  lui-même  ». 
La  phrase  est  incorrecte,  et  de  nature  à  éveiller  peut-être 
quelques  soupçons  :  passe  que  l'on  donne  en  héritage  un 
recueil  de  discours,  mais  l'o'-i  aurait  quelque  embarras  à 
léguer  ces  discours  eux-mêmes.  Une  première  interpréta- 
tion se  présente  à  l'esprit  tout  natui'ellement,  et  c'est  qu'il 
faudrait  renoncer  à  ce  que  je  disais  tout-à-l'heurc,  puis 
entendre  le  mot  mesâlë  dans  le  sens  tout  spécial  qu'il  a  en 
LX  1,  puisqu'aussi  bien  le  rédacteur  noachique  a  rédigé 


(1)  C'est  là,  ou  peu  s'en  faut,  l'avis  de  Charles.  «  bUJ/J  is  uscd  pretty 
much  in  the  same  sensé  liere  as  in  Num.  XXXII  7,  18,  oi'  Job.  XXVII  1, 
and  means  merely  an  elaborate  discourse,  wiiether  in  the  ibrm  of  a 
vision,  a  prophecy,  or  a  poem  Its  objcct  is  generally  parenet'c  n  (p.  111). 
Néanmoins,  étant  donnée  la  diversité  de  formes  sous  lesquelles  savent 
se  présenter  les  enseignements  ou  les  exhortations  données  en  XXXVII- 
LXXI,  on  peut  trouver  trop  exclusive  la  traduction  MaJiwcde  de  Flem- 
ming-Kadermacher.  Bien  qu'il  soit  critiquable,  gardons  encore  le  teime, 
Parabole  :  depuis  Dillmann,  il  a  bien  acquis  droit  de  cilo,  et  on  doit  lui 
reconnaître,  au  moiTis,  cet  avantage,  de  rappeler  le  sens  original  du 
mot  mesâlc. 

3 


4^  LE    MUSÉON. 

l'un  et  l'autre  de  ces  textes.  A  dire  vrai,  nous  n'en  serions 
pas  beaucoup  plus  avancés  :  on  ne  donne  pas  plus  en  héri- 
tage des  visions  que  des  discours,  mais  seulement  des 
récits  de  visions  comme  des  recueils  de  discours.  Il  faut 
reconnaître  simplement  que  notre  auteur  n'a  point  souci  de 
châtier  son  style,  et  qu'il  renouvelle  une  incorrection  qu'on 
eût  pu  signaler  déjà  plus  haut  :  «  Hénoch  me  donna  ce 
qui  (lui)  avait  été  montré  des  secrets  (célestes)  ».  Cette 
manière  de  parler  assez  étrange  rappelle  une  autre  formule 
tout  aussi  gênée,  et  qui,  sans  le  moindre  doute,  devait 
iniluencei'  lauleur  de  la  notice  :  «  Et  il  y  eut  pour  moi 
(Hénoch)  trois  paraboles  »  (XXXVII  5).  La  pluralité  des 
récits  qu'on  annonce  en  ce  texte  est  indiquée  une  fois 
encore  par  le  })luriel  mesâljât  de  la  notice,  pluriel  que  le 
ti'aducteur  éthiopien  oppose  au  singulier  mesûlê  réservé 
pour  désigner  tout  le  livre  :  entre  LXVIII  I  et  XXXVIl  5 
il  y  a  entente  complète.  Si  l'on  peut  donc  utiliser  les  ren- 
seignements appoi'tés  par  ce  dernier  chapitre,  l'on  recon- 
naîtra que  l'écrit  fondamental  mesûljât  comprenait  :  1"  une 
vision  (XXXVIl  1),  ce  qui  suppose  évidemment  les  explica- 
tions les  plus  strictement  nécessaires  pour  qu'on  y  entende 
quelque  chose,  et  ce  qui  n'exclut  point,  du  reste,  les 
exhortations  mojales  qu'à  cette  occasion  on  peut  juger 
pi'olitable  de  faire  ;  —  2°  un  discours  de  sagesse  (XXXVIl 
2).  De  l'une  des  parties  il  est  donné  connaissance  en  même 
temps  que  de  l'autre,  ou  plutôt  la  venue  d'un  discours  de 
sagesse  est  annoncée  entre  temps,  alors  qu'auparavant  et 
qu'ensuite  on  disait  assez  haut  qu'une  vision  nous  serait 
contée.  Ceci  rappelle  assez  le  début  d'Hen.  :  là  aussi  il 
était  question  pour  commencer  d'une  parabole  que  dirait 
le  Patriarche  (vers.  2,  grec)  ;  puis  l'on  s'oubliait  à  parler 
de  vision  céleste,  à  noter  avec  soin  quels  étaient  les  desti- 


LA  COiMPOSITION   LlTTÉIlAlUi:   DES   1>AUAB0LES  D  IlÉNOCIf.       *0 

nataires  de  l'éci'it,  ceux  (jui  devaient  prétei'  une  oreille 
docile  à  la  leçon  sainte  (^'',  comparer  avec  XXXVIl  :2''-i)  ; 
enfin,  et  seulement  après  toute  cette  parenlhèse,  on  son- 
geait à  faire  le  récit  de  la  parabole  annoncée. 

Il  convient  d'établir  une  autre  comparaison  entre  Hen.  l 
qui  introduit  au  moins  les  premiers  chapitres  de  notre 
Apocalypse,  et  Hen.  WXVII  qui.  Ton  [)eut  en  croire  JNoé, 
sert  de  préfaceà  l'écrit  fondamentab/je.sr///r/^  Hen.  I  indique 
tout  de  suite  le  sujet  qu'il  aborde,  et  cela  pour  la  plus 
grande  commodité  du  lecteur  :  «  sur  les  élus,  je  parlerai,  et 
je  prononcerai  un  masal  sur  eux.  »  Cette  bonne  habitude  est 
aussi  en  partagea  l'auteur  d'Hen.  XXWII-LXXl  :  la  seconde 
parabole  concernera  «  ceux  qui  ont  renié  le  nom  de  l'ha- 
bitation des  saints  et  le  Seigneur  des  Esprits  »  (XLV  1)  ;  la 
troisième  est  annoncée  comme  «  touchant  les  justes  et  les 
pécheurs  »  (i).  P;ir  un  scrupule  d'exactitude,  ce  même 
auteur  prend  soin,  après  ses  second  et  troisième  mesalim, 
de  prévenir  le  lecteur  qu'il  a  fini  et  que  l'on  ne  doit  pas 
en  attendre  davantage  :  «  Ceci  est  la  fin  de  la....  para- 
bole »  (LVH  7),  LXIX  '20).  Quant  au  premier  masal,  il 
n'a  dans  notre  texte  ni  formule  introductoire  (-2)  ni  for- 
mule conclusive  :  étant   donné  le   soin   de   fauteur   d'en 


(1)  Pourquoi  Charles  ccrit-il  :  «  It  is  idie  to  cxpeot  an  accurato  descrip- 
tion of  tlie  contexts  of  tlie  Similitudes  from  tlie  openiny  verses  of  supe.-- 
scription.  We  lind  none  suoli  in  XXXVIII  I,  2  nor  yet  in  LVllI  1,  2  «  ? 
(p.  125).  Ce  dernier  point  n'est  pas  exact  :  qu'est-ce  donc  que  LVIII 1  sinon 
une  formule  introductoire  ? 

(2)  On  ne  saurait  considérer  comme  formule  d'introduction  les  deux 
mots  secs  qui  se  trouvent  en  tête  de  XXXVIII  1.  "  Parobole  première  »  : 
ceci  est  un  numéro  d'ordre  tout  simplement.  De  plus,  l'opinion  d'Ewald 
n'a  rien  de  vraisemblable,  que  cette  première  Parabole  •'  sfinor  Ueber- 
schrift  nach  (il  vise  XXXVII  2,  wieder  insbesondere  uber  die  Gcheimiiisse 
der  Weisheit  handeln  soUte  ».  Cliap.  XXXVIl  est  une  introduction  géné- 
rale au  livre,  et  ne  fait  pas  réellement  partie  de  la  première  Parabole. 


44  LE    MUSÉON. 

pourvoir  toujours  ses  pièces,  on  peut  conclure  avec  la 
plus  grande  probabilité  qu'il  ne  les  a  plus.  Or,  disons-le, 
on  conçoit  sans  peine  qu'un  rédacteur  ajoute  début  ou 
conclusion  habituelle  à  une  pièce  rapportée,  et,  s'il  faut 
en  croire  Appel  (p.  57),  ce  serait  peut-être  le  cas  de  LVII 
5*^  ;  mais  l'on  ne  conçoit  point  que  conclusion  ou  début 
aient  été  biffés  de  gaité  de  cœur  en  queue  ou  en  tête  de 
pièces  authentiques  qui  les  possédaient.  Dès  lors,  chap. 
XXXVII  et  XLÏV  tiennent  indûment  la  place  des  notices 
introductoires  et  conclusives  aujourd'hui  absentes,  et  aux 
deux  bouts  de  la  Parabole  on  a  mutilé  en  quelque  manière 
le  texte  original. 

Puisque  les  introductions  aux  deux  dernières  paraboles 
sont  heureusement  restées  en  place,  il  nous  est  loisible 
de  rapprocher  des  sujets  annoncés  ceux  qui  sont  traités 
réellement  dans  le  corps  de  chaque  section.  Or,  si  nous 
en  venons  à  ce  travail,  nous  constaterons,  après  tant 
d'autres,  que  le  contenu  de  la  deuxième  parabole  ne  con- 
corde point  avec  ce  que  l'on  pouvait  attendre  trouver. 
Pour  éviter  sans  doute  de  faire  une  constatation  aussi  fâ- 
cheuse, Dillmann  a  compris  dans  le  titre  de  cette  parabole 
tout  le  chapitre  XLV  :  mais  ce  procédé  est  manifestement 
abusif,  et  ch.  XLV  manque  même  d'unité.  Le  changement 
de  style  au  vers  3  s'y  fait  sans  transition  ni  avertissement 
d'aucune  sorte  :  Hénoch  ou  le  rédacteur  nous  parlaient, 
et  voici  que  nous  entendons  maintenant  la  voix  de  Dieu  ; 
on  nous  entretenait  du  sort  futur  des  pécheurs,  et  main- 
tenant, quelle  que  soit  d'ailleurs  l'obscurité  du  vers.  3 
que  son  contexte  naturel  n'est  plus  là  (i)  pour  éclairer,  il 


(1)  Ce  vers.  3,  dans  un  tel  milieu,  est  assurément  énigmatique.  Quels  sont 
ces  personnages  que  l'on  a  en  vue,  dont  les  actions  sont  "  choisies  >?  par 
lElu  ?  Cette  expression  a  de  quoi  surprendre,  mais  elle  a  chance  cependant 


LA  COMPOSITION  LITTÉRAIRE  DES  PARABOLES  d'iIÉNOCII.      45 

paraît  bien  qu'il  s'agisse  d'un  tri  parmi  les  justes  vivants 
et  des  récompenses  qui  doivent  leur  revenii'.  —  A  ren- 
contre de  Dillmann,  Drummond,  je  n'en  nomme  pas 
d'autres,  estime  que  l'on  doit  maintenir  fermement  le  titre 
donné  en  XLV  \,  mais  qu'il  faut  lâcher  les  parties  même 
de  la  Parabole  qui  n'y  correspondent  point,  c'est-à-dire 
tous  les  fragments  messianiques  (i).  Pour  être  logique,  il 
eût  fallu  rejeter  encore  bien  d'autres  choses  :  chap.  Ll  qui 
décrit  la  résurrection  des  morts,  LU  (passages  de  «  l'Ange 
qui  était  avec  moi  »),  LIV  qui  s'intéresse  trop  à  Azazel  et 
à  ses  troupes  impies,  LVII  qui  conte  vraisemblablement 
le  retour  de  la  Diaspora  dont  on  n'a  cure,  etc.  —  Du 
reste,  cette  œuvre  d'épuration  doit  s'étendre  à  la  troisième 
Parabole.  En  dehors  des  fragments  noachiques,  et  des  sec- 
tions astronomiques,  que  de  textes  étrangers  au  sujet 
annoncé,  et  qui  ne  parlent  point  «  des  justes  et  des  élus  !  » 
Une  partie  du  chap.  LXI  s'intéresse  aux  qcdusân  et' au 
Messie  leur  juge  ;  si  l'on  excepte  LXIIl   15-16,  le  grand 


d'être  originale,  et  le  traducteur  étliiopien  qui  a  disposé  sa  plirase  de 
manière  à  rapprocher  les  deux  mots,  herui-jajahari,  avait  sans  doute 
trouvé  dans  son  texte  un  jeu  de  mots  analogue.  Les  habitations  [me'rd- 
fommu,  comme  en  XXXVIII  2,  malgré  le  sens  initial  de  'arafa)  des 
pécheurs  ne  seront  pas  sans  nombre,  puisque  ceux-ci  ne  doivent  se  trouver 
ni  au  ciel  ni  sur  terré  (vers.  2)  :  une  réflexion  do  ce  genre  se  comprend, 
au  contraire,  s'il  est  question  des  justes  du  temps  messianique  (comp. 
Evang.  Johan.  XIV  2).  Enfin  l'apparition  du  Messie  triomphant  n'aura 
point  pour  résultat  -  d'affermir  «  les  pécheurs,  mais  tout  à  l'opposé,  de  les 
rendre  faibles  et  chancelants  :  comme  une  traduction  de  san'a  (n!23) , 
endurcir^  ne  donnerait  point  un  sens  plus  satisfaisant,  il  reste  que  le 
texte  n'est  pas  à  entendre  des  pécheurs,  mais  plutôt  des  justes  demeurés 
sur  terre,  lesquels  ont  été,  sans  doute,  éprouvés  et  aflfaiblis  par  les  vexa- 
tions antérieures  des  méchants.  De  tout  cela,  il  ressort  manifestement 
que  le  voisinage  de  ce  verset  a  subi  des  altérations  quelconques. 

(1)  «  The  very  tille  appears  to  me  to  excite  a  just  preliminary  doubt 
against  the  messianic  passages,  and  to  offer  us  a  key  by  which  to  discover 
the  original  contexts  ».  The  Jewish  Messlah,  p.  63. 


46  LK    MUSÉON. 

fragment  LXII-LXIV  auquel  il  faut  reconuaîti'e  une  certaine 
un  lié  (i)  vise  tout  juste  le  jugement  final  des  pécheurs,  et 
c'est  lui  qui  le  dit  dans  sa  formule  conclusive  (LXIII  12)  ; 
enfin  au  petit  cha[)itre  LXIV,  les  anges  qui  jadis  perver- 
tirent le  monde  reviennent  égarés  sur  la  scène  que  depuis 
longtemps  déjà  ils  avaient  quittée.  —  Ainsi  donc,  les 
introductions  qu'on  a  mises  en  tête  des  Paraboles  ne  con- 
viennent point  à  leur  contenu,  et  vice-versa.  Jusqu'à  pré- 
sent, on  a  moins  remai'qué,  —  et  la  constatation  mérite 
pourtant  d'être  faite  —  qu'il  en  va  tout  de  môme  au  début 
du  livre  d'Hen.  Les  premiers  versets  du  chap.  I,  déjà  com- 
parés plus  haut  à  l'introduction  générale  chap.  XXXVII, 
annonçaient  un  masal  sur  les  élus  :  à  supposer  que  l'on 
désignât  par  là  le  jugement  décrit  en  I  7>^'  sqq.,  il  fau- 
di'ait  reconnaître,  du  moins,  que  toute  la  section  suivante 
II-V  7  procède  d'autres  soucis,  qu'elle  s'intéresse  en  appa- 
rence à  l'ordre  et  à  la  régularité  des  phénomènes  de  la 
nature,  et  en  réalité,  aux  fautes  présentes  et  au  châtiment 
futur  des  pécheurs  qui  troublent  l'ordre  divin,  n'observant 
point  la  régularité  morale  prescrite  aux  hommes.  On  nous 
donne  là,  en  toute  vérité  (cf.  supra  p.  59),  un  masal  sur  les 
pécheurs. 

Toutes  ces  constatations  montrent  assez  quel  dédale 
forment  les  Pai'aboles  d'Hénoch,  et  quelle  peine  éprouve 
celui  qui  doit  s'y  reconnaître  :  jusqu'ici,  nous  nous  sommes 
heurtés  de  toutes  parts  à  des  difïicultés  qui  ferment  l'issue 
vers  une  solution  du  problème.  Avant  de  nous  engager 
dans  une  autre  voie,  il  convient  de  mesurer  le  chemin 
déjà  parcouru,  ou  plutôt  de  noter  les  acquisitions  diverses 
que  nous  avons  pu  faire  en  cours  de  route.  A  côté  des 


(1)  Cf.  Appel,  p.  40  (252),  et  infra. 


LA  COMPOSITION  LITTÉUAIRE  DES  PAUABOLES  DlIÉNOCII.      47 

fragments  noachiqvies  que  les  exé^rètes  ont  indiqués,  se 
trouve  dispersé  dans  les  chapitres XXX VI [-LWI  un  certain 
Livre  des  Secrets  célestes,  ou  plutôt  quelques  fragments 
de  ce  Livre,  et  ceux-ci  sont  vraisemblablement  les  sections 
astronomiques  XLI  5-9,  XLIII  1-5,XLIV,  LIX.  Ln  discours 
de  sagesse  nous  a  été  signalé  en  même  temps  qu'un  récit 
de  vision,  et  il  se  peut  ({ue  l'on  doive  distinguer  l'un  de 
l'autre.  Le  cadre  dans  lequel  nous  ont  été  gardées  les  Para- 
boles n'est  point  solidement  uni  à  ces  Paraboles  mêmes, 
et  celui  qui  a  joint  avec  si  peu  de  solidité  ces  pièces  dis- 
parates avait,  en  quelque  manière,  pris  modèle  sur  l'as- 
semblage des  chap.  I-YI  d'Hénocb. 

Les  Paraboles  d'Hénocb  sont  une  réunion  de  textes  ou 
de  documents  séparés,  et,  dans  une  trame  aussi  fortement 
serrée,  on  peut  se  demander  quel  fil  saisir  qui  soit  solide 
et  permette,  en  écartant  les  mailles,  d'entrevoir  par  quels 
entremêlements  cette  pièce  fut  faite  aussi  diversement 
coloriée  que  nous  la  voyons.  Ce  fil.  Appel,  sur  une  indi- 
cation de  Béer  (p. '227),  déclare  l'avoir  trouvé  sutïisamment 
distinct  et  en  tenir  le  bout  au  chap.  LIL  De  fait,  la  men- 
tion de«  l'Ange  de  paix»  jointe  à  celle  de  «  l'Ange  qui  était 
avec  moi  »,  la  réponse  du  premier  interrompant  brusque- 
ment celle  du  second,  sont  assurément  choses  qui  doivent 
surprendre,  et  l'on  avouera  qu'il  serait  impossible  d'expli- 
quer raisonnablement  ce  passage  sans  recourir  à  l'une  des 
deux  hypothèses  que  voici.  Le  vers.  4,  qui  nous  apporte 
une  réponse  trop  courte,  apparemment  tronquée,  de 
«  l'Ange  qui  était  avec  moi  »,  est  un  verset  interpolé  ;  ou 
bien,  les  deux  anges  et  les  deux  réponses  supposent  deux 
documents  qui  furent  distincts  jadis  l'un  de  l'autre.  Or, 
s'il  en  faut  croire  Appel  (p.  50  sqq.),  la  première  hypo- 
thèse n'a  point  à  nous  retenir,  car  les  deux  fragments 


48  LE    MISÉON. 

ce  stehen  in  dii'ektem  Widerspruch  miteinander  »  (i),  et 
rinterpolatcur  le  plus  maladroit  n'en  viendra  pas,  sans 
doute,  à  glisser  sa  rétlexion  tout  juste  là  où  elle  contredit 
directement  le  contexte.  Le  Messie  du  vers.  4  est  un  héros 
qui  pour  mener  à  bien  son  œuvre  utilise  les  métaux  cachés 
qu'Hénoch  avait  aperçus,  et  assure  ainsi  sa  puissance  et  sa 
force  sur  cette  terre  (^2).  Le  Messie  de  vei-s.  5-9  est  un  per- 


(1)  Appel  note  ailleurs  (p.  48),  et  il  convient  de  noter,  ainsi  que  nous 
le  verrons,  la  constance  de  cette  opposition  entre  les  fragments  divers 
où  paraissent,  d'un  côté  "  l'Ange  qui  était...  »>,  de  l'autre"  l'Ange  de 
paix.  » 

(2)  Il  faut  convenir  que  ce  chap.  LU  est  bien  obscur,  et  qu'un  littéra- 
lisme  absolu  ne  suffit  point  à  l'expliquer.  Il  y  a  là  du  symbolisme,  c'est 
sûr  ;  mais  tout  est-il  symbole,  et  quelles  sont  les  réalités  que  l'on  nous 
découvre  ainsi  dans  le  mystère  ?  Question  difficile  !  S'il  faut  en  croire  la 
plupart  des  critiques,  les  montagnes  du  vers.  2  sont  les  empires  qui  se 
succéderont  ici-bas,  empires  incai'nant  à  des  époques  diverses  les  puissan- 
ces du  mal,  et  qui  disparaîtront  miraculeusement  un  jour,  alors  que  sera 
venu  le  Messie,  ou  qu'apparaîtra  le  royaume  nouveau,  caché  pour  l'heure, 
mais  néanmoins  planté  ptw  le  Seigneur  des  Esprits  (vers  5),  et  qu'il 
révélera  en  son  temps,  le  royaume  de  Dieu.  Ne  lit-on  pas,  en  effet,  que 
ces  montagnes  sont  les  choses  cachées  qui  doivent  être  [jekaun  halo) 
sur  terre  (vers.  2)?  elles  représentent  donc  les  groupements  politiques 
importants  de  l'avenir.  Tout  ce  développement  aurait  son  parallèle  en 
Daniel  II 37-46,  avec  cette  différence  pourtant  que  la  personne  du  Messie 
est  mise  ici  en  pleine  lumière,  avec  cette  dilî'érence  encore  qu'il  est 
question  maintenant,  non  plus  de  quatre,  mais  de  six  montagnes.  Ce 
dernier  changement  peut  trouver  d'ailleurs  son  explication,  et  il  con- 
vient de  rappeler  les  six  autres  montagnes  qu'Hénoch  aperçut  jadis 
(chap.  XXIV),  et  qui  entouraient  une  septième,  laquelle  était  le  ti  ône  de 
Dieu  (en  tout,  sept,  nombre  sacré).  Peut-être  trouverait  on  dans  ce  der- 
nier rapprochement  quelque  motif  de  suspecter  l'explication  entièrement 
symboliste  du  chap.  LU  :  Hénoch,  en  XXIV  voyait  d'un  coup  d'œil  toutes 
les  montagnes,  parce  que  toutes  choses  étaient  constituées  dans  leur 
état  définitif  ;  mais,  au  chap.  LU,  les  choses  sont  dans  leur  état  transi- 
toire, puisque  les  royaumes  terrestres  ne  sont  pas  encore  venus  (2,  5)  ;  ils 
viendront  probablement  les  uns  après  les  autres,  et  pourtant,  malgré 
tout,  le  voyant  les  aperçoit  tous  qui  sont  encore  groupés  ensemble.  Il  y 
a  réponse  à  cela  ;  et  l'on  peut  invoquer  l'habitude  des  écrivains  apoca- 
lyptiques de  confondre  l'avenir  et  le  présent  dans  une  perspective  indé- 


LA  COMPOSITION  LITTÉIIAIUE  DES  PARABOLES  d'hÉNOCH.      49 

sonnagc  doué  de  qualités  siirnaturolles,  dont  la  présence 
mystérieuse  fait  fondre  et  réduit  à  néant  ces  mêmes  métaux 


finie  ;  l'on  peut  rappeler  surtout  la  .statue  symbolique  de  Nabucliodonosor 
dont  les  quatre  parties,  actuellement  et  simultanément  existantes,  repré- 
sentaient quatre  l'oyaumes  qui  devaient  se  former  les  uns  après  les 
autres  dans  l'avenir.  Toutes  ces  raisons  sont  sérieuses,  et  je  ne  discon- 
viens point  qu'il  y  ait  quelque  rapport  entre  Hen.  LU  et  Dan.  II  37  sqq.  ; 
mais  il  faut  voir  si  ce  rapport  n'est  pas  plutôt  apparent,  de  surface,  et 
s'il  atteint  vraiment  le  fonds  même  des  choses.  On  remarquera  tout 
d'abord  que  la  septième  montag-ne,  celle  qui  serait  la  montagne  de  Dieu, 
ne  parait  pas,  et,  à  s'en  tenir  à  l'explioation  donnée,  il  faudra  faire  l'aveu 
que  le  développement  est  incomplet  et  que  l'auteur  s'arrête  justement 
avant  l'essentiel.  De  plus,  ces  montagnes  sont  "  les  choses  cachées  du 
ciel  »,  et  l'on  peut  être  surpris  qu'à  côté  du  Fils  de  l'homme,  l'être  bon 
éternellement  préexistant,  se  trouvent  au  ciel  les  puissances  du  mal 
qui  lui  sont  radicalement  opposées  et  contre  lesquelles  c'est  sa  mission 
de  réagir  sur  la  terre  :  Daniel  nous  avait  habitués  à  un  ordi'e  moins 
étonnant,  et  si  le  Fils  de  l'homme  dans  sa  vision  (VII 13)  venait  avec  les 
nuées  du  ciel,  les  royaumes  teiTestres  sortaient  en  leur  temps  des  élé- 
ments intimes  du  monde  (VII  3).  L'explication  par  Dan.  II  de  tout  ce 
chapitre  d'Hén.  se  heurte  de  plus  à  notre  vers.  4.  L'on  ne  voit  guère 
comment  les  puissances  du  mal  serviront  un  jour  à  la  gloire  du  Messie, 
puisqu'elles  ne  se  soumettent  point  à  lui,  et  qu'il  doit  les  faire  disparaître 
de  cette  terre.  Ce  n'est  point,  d'ailleurs,  cette  disparition  qui  prouve  la 
force  du  Messie,  car,  à  s'en  tenir  au  texte,  la  force  et  le  pouvoir  messia- 
nique sont  dépendants  du  service  prêté  par  les  éléments  symboliques  en 
question  («  tout  cela  sert  à  la  gloire  du  Messie  a/în  qu'il  soit  fort  »),  non 
pas  existant  entièrement  de  soi  et  prouvés  seulement  par  l'évanouisse- 
ment mystérieux  des  montagnes.  Ce  n'est  pas  tout.  Ces  mêmes  montagnes 
du  vers.  2  sont  à  nouveau  mentionnées  au  vers.  6,  et  il  y  a  là  un  contexte 
qui  s'impose  à  l'attention  :  avec  les  métaux  qu'on  trouve  dans  les  mines, 
les  pécheurs  auraient  pu  payer  une  rançon,  faire  des  cuirasses  ou  des 
armes  de  guerre,  etc.  Ces  métaux  sont  donc  bien  des  réalités,  et  un 
symbolisme  absolu  n'est  point  ici  de  mise.  Somme  toute,  l'auteur  ou  les 
auteurs  de  ce  chap.  LU  s'arrêtent  donc  à  cette  idée,  que  des  métaux  — 
un  symbolisme  modéré  entendra  des  ressources  matérielles  de  natures 
diverses  —  sont  cachés  pour  l'instant,  qui  tout  en  une  fois  seront  un 
jour  révélés  à  la  terre  :  ils  serviront  à  la  gloire  du  Messie  et  lui  permet- 
tront de  manifester  sa  force  et  sa  puissance  ici-bas  ;  ou  bien,  ils  s'éva- 
nouiront mystérieusement  à  son  approche,  et  il  n'en  restera  rien  qui 
puisse  être  de  quelque  utilité  aux  pécheurs.  A  propos  du  chapitre  LU 
Dillmann  et  les  critiques  anciens,  rappelaient  le  souvenir  des  mines  de 
métaux  que  les  Phéniciens  avaient  en  Espagne,  et  de  la  richesse,  par  le 
fait  même,  de  la  puissance,  que  pouvait  procurer  leur  exploitation  :  le  rap- 
prochement était  heureux,  et  le  lecteur  comprenait  que  l'on  symbolisât 
sous  la  figure  de  montagnes  cachées  pleines  de  métaux  la  richesse  et  la 


50  LE    MUSÉON. 

dont  les  pécheurs  comptaient  l)ien  se  servir.  Reconnais- 
sons-le, ces  deux  conceptions  sont  assez  divergentes;  mais, 
à  dire  vrai,  elles  ne  sont  pas  manifestement  contradictoires, 
et  une  conciliation  est  possible  qui  interprète  le  premier 
texte  en  fonction  du  second.  Les  métaux  que  les  pécheurs 
croyaient  pouvoir  employer  se  trouvent  mystérieusement 
anéantis,  alors  que  le  Messie  entre  dans  son  rôle  effectif  ; 
les  pécheurs  eux-mêmes  sont  mis  dans  limpossibilité  de 
se  sauver  ou  de  s'enfuir  :  dès  lors  la  partie  est  gagnée  ; 
rien  n'empêche  plus  le  Messie  de  devenir  fort  et  puissant 
sur  cette  terre,  et  tout  cela,  fusion  des  métaux,  désarroi 
des  pécheurs,  «  a  servi  (à  la  manifestation)  du  [)ouvoir  de 
son  Oint  »,  (traduction  de  Béer).  Si  donc  les  deux  frag- 
ments du  chapitre  LU  correspondaient  primitivement  à 
deux  traditions  distinctes,  ces  deux  traditions  pouvaient 
n'être  pas  en  opposition  réelle. 

Et  pourtant  Appel  a  raison,  d'une  manière  générale, 
tout  au  moins,  mais  il  convient  d'amener  en  ligne  de 
compte  un  argument  qu'il  n'a  pas  utilisé.  11  est  assez 
remarquabje,  que  la  désignation  des  angcii  interprètes 
soit   particulière  à  chaque  section  du  livre  d'Hén.  Chap. 

XVIl-XXXVIl  emploient  la  formule  :  'Urêl  (ou  Uufâ  'c/ ) 

'a/iadu  'em-qedusân  mala  'ket  za-meslc-ja  Cf.  XXI  5,  9, 
(pas  en  XIX  I  qui  est  la  suite  manifeste  du  discours), 
XXII  5,  6,  XXIII  5,  XXIV  0,  XXVII  2.  Une  autre  formule, 
mafak    qedûs    Rufâ   'ël    za-mcslê-ja  halo,    est   usitée  en 


puissance  mystérieuses  qui  viendraient  au  Messie,  sur  lesquelles  comp- 
taient les  pécheurs.  Tout  cela  valait,  sans  doute,  beaucoup  mieux  que 
l'explication  par  Daniel.  —  L'on  ajoutera  encore  que  des  traditions  ou  des 
conceptions  théologiques  qui  semblent  avoir  été  plus  ou  moins  répandues 
peuvent  avoir  exercé,  elles  aussi,  quelque  influence  sur  cette  représenta- 
tion symbolique  des  six  (sept)  montagnes  de  métal  (Cf.  Zimmern,  Keil- 
inschr.  u.  AT^  p.  618  note  4  ;  Gressniann,  Ursprung  der  isr.-jiid.  Eschato- 
logie p.  107,  etc.)  :  à  elles  seules,  elles  seraient  cependant  incapables  d'ex- 
pliquer notre  mystérieux  chapitre  LU. 


LA  COMPOSITION  LITTÉUAIUE  DES  PAIUBOLES  d'iIÉNOCH.      51 

XXXII  6,  et  c'est  là  un  chapitre  où  l'on  ajoute  aux  inter- 
prétations successives  des  quatre  archanges  une  interpré- 
tation après  coup  de  Raphaël,  et  où  l'on  se  reprend  à 
donner  quelques  détails  sur  l'arbre  de  la  science  du  bien 
et  du  mal,  dont  l'oubli  à  côté  de  l'arbre  de  vie  (XXV) 
devait  bien  être  réparé  par  qui  se  souciait  d'être  exact. 
Aussi,  chap.  XVIfl  14  mentionne  seulement  mal'ak  qui 
prend  la  parole,  et  le  lecteur  reste  à  se  demander  quel 
personnage  est  en  jeu,  puisqu'on  ne  lui  a  point  encore 
présenté  quel  ange  que  ce  soit  :  ces  versets  sont,  d'ailleurs, 
un  doublet  de  XXI  l-G,  où  parait,  cette  fois,  à  sa  vraie 
place,  et  après  qu'on  nous  l'a  bien  lait  connaître,  l'ano- 
nyme désigné  maintenant  «  Uriel,  l'un  des  saints  anges 
qui  (était)  avec  moi  »  —  Dans  la  section  LXXII-LXXX, 
la  formule  devient  :  'Ur  'ël  maCak  qedûs  [za-lialo  meslê- 
ja)  marâ/ii-liommu  za-ve'etu.  Cf.  LXXII  1,  LXXIV  2, 
LXXIX.  —  Les  Paraboles  ont  aussi  leurs  formules  spé- 
ciales de  désignation  :  l'on  sait  déjà  (i)  que  la  mention  des 
deux  anges  s'y  présente  avec  une  différence  assez  caracté- 
ristique, et  qu'on  lit  régulièrement  (2),  «  l'Ange  qui  était 
avec  moi  et  me  montrait  tous  les  secrets,  l'Ange  de  paix 
qui  allait  avec  moi  ».  Il  convient  donc  de  distinguer  les 
textes  suivant  ces  données,  et  tout  d'abord,  pour  ce  qui  a 
trait  au  chap.  LU,  d'interpréter  la  première  moitié  indé- 
pendamment de  la  seconde:  dès  lors  sera  garantie  la  vérité 
qu'a  exprimée  Appel,  qu'elles  sont  en  opposition  directe 
l'une  à  l'autre. 

Cependant  tout  ne  va  point  sans  difficultés.  «  Dans  XL 
8,  et  LUI  4,  LVl  2,  écrit  Martin  (p.  106),  les  deux  locu- 
tions (Ange  qui...,  Ange  de  paix)  sont  réunies,  et  nous 


(1)  Cf.  supra  p.  37. 

(2)  Quelques  lignes  plus  bas,  les  exceptions  ou  prétendues  exceptions. 


52  LE    MUSÉON. 

lisons  ((  l'ange  de  paix  qui  marchait  avec  moi.  »  C'est  très 
exact  ;  mais  l'éminent  professeur  n'a  pas  remarqué  qu'à 
côté  du  nom  des  anges,  à  côté  de  cette  incise,  «  qui  mar- 
chait avec  moi  »,  laquelle  s'attache  régulièrement  à  la 
mention  de  l'ange  de  paix  (i)  comme  à  celle  de  l'anonyme, 
il  y  en  avait  une  autre,  «  qui  me  révélait  tous  les  secrets  », 
laquelle  convient  seulement  à  l'interprète  anonyme  (cf. 
XL  2,  XLIll  3,  XLVI  2  (2).  L'on  aurait  tort  de  se  rabattre 
sur  les  deux  textes  LU  5  et  LXI  5,  qui,  dans  les  mêmes 
conditions  ne  la  témoignent  pas  :  ce  ne  sont  là  que  des 
exceptions  apparentes.  De  LU  5,  il  a  été  question  ail- 
leurs (5).  En  LXI  5,  l'ange  qui  a  été  interrogé,  qui  donne 
tout  d'abord  sa  l'éponse,  n'est  point  désigné  autrement  : 
c'est  «  l'ange  »,  ainsi  qu'il  en  va  en  LXIY  2.  Tout  à  coup 
survient  «  l'ange  qui  était  avec  moi  »,  qui  interrompt  la 
réponse  (ju'on  écoutait  et  nous  ftiit  part  lui-même  de 
l'explication  désirée.  Le  même  phénomène  d'accumula- 
tion de  textes  se  produit  ici  ([ue  nous  avions  remarqué 
déjà  au  chapitre  LU,  avec  cette  différence  pourtant,  qu'au 
chapitre  LU  ce  phénouiène  était  d'observation  plus  facile, 
puisque  les  textes  s'opposaient  réellement  l'un  à  l'autre  (4). 
Je  ne  vois,  somme  toute,  qu'une  seule  raison  vraiment 
sérieuse  qui  puisse  infirmer  ou  réduire  à  néant  les  remar- 


(1)  Exactement,  XL  8,  LUI  4,  LIV  4,  LVI  2.  Elle  manque  en  LU,  à 
cause  du  voisinage  immédiat  de  l'anonyme  "  qui  marchait  avec  moi  >»,  et 
de  l'identification  proposée  des  deux  anges  [ve'elu  mal'ak  saldm). 

(2)  Cf.  note  à  texte  éthiopien  de  Flemming. 

(3)  Cf.  supra  p.  37,  note. 

(4)  Si  l'on  tient  à  porter  un  jugement  sur  le  début  de  ce  chap.  LXI  qui 
a  occasionné  la  modification  indiquée,  puis  sur  le  texte  LXIV  2,  il  con- 
viendra de  se  rappeler  le  précédent  de  XVIII  14,  et  l'on  saura  s'il  faut 
aveuglement  se  fier  à  l'originalité  des  visions  qu'interprète  uu  mal'ak 
d'ailleurs  inconnu. 


LA  COMPOSITION  LITTÉllAmE  DES  PARABOLES  d'hÉNOCH.      55 

ques  faites  ci-dessus  et  tout  essai  de  distinction  de  docu- 
ments sur  les  bases  proposées  :  en  XL,  le  premier  ange 
et  l'ange  de  paix  sont  introduits  absolument  dans  les 
mêmes  termes,  et  XL  est  assurément  «  un  chapitre  dont 
on  ne  peut  pas  contester  l'unité  »  (Martin,  p.  LXXXII). 
C'est  à  cette  extrémité  pourtant,  qu'Appel  en  est  venu, 
lequel  écrit  sans  hésitation  :  «  In  Kap.  40  steht  der  Bericht 
des  Engels  des  Friedens  zu  dem  des  Engels  der  mit  mir 
ging  in  keiner  Beziehung  ».  Le  jugement  est,  certes, 
on  ne  peut  plus  radical,  et  il  faut  le  dire,  inexact.  Dans 
la  seconde  partie  du  chapitre,  en  effet,  les  anges  portent 
des  noms  assez  en  rapport  avec  le  rôle  qui  leur  est  assigné 
dans  la  première  :  la  chose  est  manifeste  pour  Michaël 
dont  la  louange  s'adresse  à  Dieu,  pour  Gabriel  qui  est 
établi  «  sur  toutes  les  forces  »  et  s'intéresse  donc  en 
premier  lieu  à  l'homme  ("^i:»)  habitant  de  l'aride,  pour 
Phanuel  qui, en  écartant  les  Satans  du  trône  céleste, permet 
aux  pécheurs  d'espérer  et  de  faire  pénitence.  La  difficulté 
serait  donc  pour  Raphaël.  De  ce  que  l'ange  qui  guérit 
les  maladies  et  les  blessures  des  hommes  ait  été  préposé 
au  soin  des  élus  du  ciel  (i),  je  ne  vois  qu'une  explication 
raisonnable,  et  c'est  que  les  élus  ont  souffert  de  maladies 
et  de  blessures,  de  celles-là,  sans  doute,  qui  résultèrent 
des  mauvais  traitements  des  pécheurs,  qu'en  conséquence 
les  élus  du  ciel  dont  il  est  question  sont  principalement 
des  Martyrs  (compar.   Dan.  XI  35)  (2).  Ghap.  XL  est  d'un 


(Ij  II  s'agit  sûrement  des  justes  qui  sont  morts,  puisqu'on  les  distingue 
soigneusement  des  «  habitants  de  l'aride  n. 

(2)  Alors,  il  est  vrai,  on  se  demandera  ce  qui  nous  vaut  en  ce  contexte 
une  mention  de  «  l'Elu  ».  Peut-être  faut-il  dire,  qu'entre  les  quatre 
archanges  on  a  partagé  le  souci  de  tous  ces  êtres  qui  "  héritent  de  la  vie 
éternelle  »  ;  dès  lors,  que  l'un  d'entre  eux  était  obligé  de  prendre  un  inté- 
riel  plus  spécial  à  la  personne  du  Messie,  et  qu'enfin  on  ne  crut  pas  pou- 


54-  LE    MUSÉON. 

seul  jet,  et  donc  l'ange  interprète  du  vers.  8  est  identique 
à  celui  du  vers.  4.  Serait-ce  donc  qu'ainsi  a  l'Ange  de 
paix  ))  et  ce  l'Ange  qui  était  avec  moi  et  me  montrait  tous 
les  secrets  »  faisaient  corps,  et  que  l'on  aurait  par  quel- 
que illusion  dédoublé  une  même  personne  ?  Ou  bien, 
doit-on  en  venir  à  penser  que  celui  qui  compila  les  frag- 
ments divers  de  notre  livre  des  Paraboles,  le  rédacteur 
même  qui,  par  l'addition  en  LH  5  du  seul  mot  ve  'etii, 
correspondant,  sans  doute,  à  un  léger  changement  dans 
le  texte  original,  sut  identifier  les  angeli  interprètes  et 
essaya  de  fondre  deux  traditions  en  une  seule,  eût  l'habi- 
leté d'introduire  ici  encore  ce  seul  mot  salàm  (jui  consa- 
crait déjà,  par  avance,  l'identité  prétendue  des  deux  anges 
et  l'unité  parfaite  de  la  tradition  qu'il  rapportait  (i)  ? 

Pour  élargir  le  débat,  si  l'on  en  vient  à  rassembler 
d'un  côté  tous  les  fragments  qui  mentionnent  «  l'Ange  de 
paix  »,  de  l'autre,  ceux  où  paraît  «  l'Ange  (jui  marchait 


voir  attribuer  ce  soin  au  premier  mentionné,  Michaël,  dont  le  nom  seul 
rappelait  trop  la  gloire  unique,  à  nulle  autre  comparable,  de  Dieu.  Néan- 
moins, et  malgré  cette  explication,  il  reste  étrange  que  ce  soit  Tange 
guérivSseur  auquel  incombe  cet  office,  et  que  le  Messie  ait  sa  place  à  côté 
et  au  premier  rang  des  élus,  sans  doute,  martyrs.  L'on  pense,  malgré 
soi,  à  une  glose  chrétienne.  «  Such  expressions  might  easily  be  inserted, 
if  it  were  only  by  a  translator  or  a  copyist  »  Drummond  p.  62. 

(1)  Il  est  intéressant  de  noter  qu'au  chap.  XL  des  anges  accompagnent 
Hénoch,  qu'on  ne  nous  a  point  fait  connaître  au  préalable  (à  la  ditîérence 
de  XVII-XXXVIL  Cf.  supra.)  Cette  particularité  avait  déjà  frappé  Ewald, 
lequel  en  concluait  que  la  première  vision  des  Paraboles  avait  dû  pré- 
senter à  Hénoch  l'ange  qui  serait  son  compagnon  de  voyage,  et  que  le 
sens  de  la  dénomination,  ange  de  paix,  avait  dû  être  expliqué  tout  au 
début  dans  un  fragment  que  nous  n'avons  plus  (1.  c.  p.  18  et  note  1).  Ce 
dernier  point  a  ses  probabilités.  L'on  peut  se  demander  vraiment  pour- 
quoi le  début  de  la  première  parabole  a  été  mutilé  (cf.  supra  p.  43),  et 
pourquoi  nous  n'avons  point  les  renseignements  désirables  sur  la  venue 
et  la  personnalité  des  cicérones  célestes  (comparer,  au  contraire,  Dan.  VU 
16,  VIII  15,  IX  21). 


LA  COMPOSITION  LITTÉRAIllE  DES  PARABOLES  d'hÉNOCH.      55 

avec  moi  »,  l'accord  entre  eux  des  fragments  d'un  même 
groupe,  plus  la  diversité  de  conceptions  d'un  groupe  à 
l'autre,  indiqueront,  je  crois,  que  nous  ne  nous  étions 
pas  illusionnés,  et  qu'il  y  a  bien  lieu  de  distinguer  deux 
documents  distincts,  I  et  II,  pour  leur  conserver  les 
numéros  d'ordre  dont  se  sert  Appel.  En  I,  le  Messie,  qui 
est,  du  reste,  préexistant,  agit  à  la  place  de  Dieu,  et 
emploie  les  moyens  naturels  d'action.  C'est  lui  qui  jette  à 
bas  le  trône  des  rois  (XLVJ  4  ,,)  :  il  se  sert  des  métaux 
cachés  que  connaît  Hénoch,  et  il  devient  puissant  sur 
terre  (LU  1-3).  En  un  mot,  il  reste  roi  vainqueur.  En  II, 
le  Messie  est,  avant  tout,  un  juge,  doué,  il  faut  le  dire, 
de  qualités  sui'uaturelles,  puisque  les  métaux  qui  sont  la 
ressource  des  pécheurs  fondentàson  approche (LII 5,,).  S'il 
est  juge,  il  n'est  point  cependant  justicier,  et  cette  fonction, 
trop  indigne  de  lui,  sans  doute,  revient  aux  Anges  du  châti- 
ment, lesquels  ont  commission  d'anéantir  par  le  feu  Azazel 
et  ses  troupes  d'abord,  les  pécheurs  ensuite  (LUI,  LIV  — 
aussi  LXll,  LXIII,  cf.  infia).  Nous  aurons  à  reprendre  ces 
sujets  en  leur  donnant,  d'ailleurs,  le  développement  qu'ils 
méritent  :  pour  l'instant,  il  suffit  de  dire  que,  nonobstant 
cette  diversité  de  conception,  les  noms  du  Messie  ne  sont 
point  absolument  différents  en  Tune  et  l'autre  source.  Enl, 
nous  trouvons,  l'Elu,  XL  o,  LXI  4  ;  —  le  Fils  de  l'homme, 
XLVI  -2,  4  ;  —  jonction  des  deux,  XLVI  5  ;  —  l'Oint,  LU  4. 
En  II,  le  Juste  et  l'Elu,  LUI  6  ;  —  l'Elu,  LU  9,  LV  4. 
Autant  que  l'on  en  peut  juger,  l'hypothèse  de  Béer  (p. 227), 
sans  être  exacte,  n'est  donc  pas  absolument  erronée,  et 
«  l'Ange  de  paix  qui  allait  avec  moi  est  (disons  ;  de  pré- 
férence à  son  confrère)  chargé  des  explications  sur  la 
nature  de  l'Elu.  »  —  Somme  toute,  la  source  II  contient 
d'abord   une  vision   prophétique  ;  la  source  I  est  avant 


56  l'E    MISÉON. 

tout  un  récit  de  voyage,  voyage  au  cours  duquel  le  Pa- 
triarche a  reçu  de  son  cicérone  de  précieux  renseigne- 
ments concernant  l'avenir  (i).  — Appel  note  encore  une 
autre  divergence  entre  les  fragments  1  et  H  (p.  50),  et 
c'est  le  sens  divers  qui  s'attacherait  au  mot,  Satan.  Dans 
les  fragments  I,  les  Satans  (ils  sont  plusieurs)  s'en 
viennent,  comme  leur  prototype  du  livre  de  Job,  accuser 
les  hommes  près  du  trône  de  Dieu  (XL  7)  ;  dans  les  frag- 
ments 11,  Satan,  personnage  unique,  serait  présenté 
comme  le  chef  des  anges  du  châtiment  (2).  Mais, à  dire  vrai, 
fussent-elles  absolument  garanties  d'accord  avec  les  textes, 
les  deux  conceptions  signalées  n'ont  rien  d'inconciliable, 
et  le  rédacteur  du  livre  de  Job  savait,  lui  aussi,  que  Satan 
peut  faire  venir  divers  malheurs  sur  les  hommes,  et  qu'il 
porte  plainte  contre  eux  auprès  du  Très-Haut.  Du  reste, 
il  ne  parait  guère  que  les  fragments  II  aient  placé  Satan 
chef  des  Anges  de  peine.  La  locution  «  instruments  de 
Satan  »  pouvait  èti'c  dans  le  vocabulaire  courant  syno- 
nyme de  ce  insti'uments  de  tortures  »,  puisque  le  peuple 
savait  bien  d'où  venaient  maladies  et  tortures  [)hysiques 
quelconques  (LUI  ^,  sq.).  Quant  à  LIV  0,  son  sens  est 
précis  :  Satan  y  est  désigné  comme  le  chef  des  esprits 
célestes  qui  jadis  pervertirent  la  terre  ;  il  est  la  puissance 


(1)  Au  point  de  vue  de  la  forme  extérieure,  il  y  aurait  donc  une  véri- 
table ressemblance  entre  la  source  I  et  le  Livre  des  Secrets,  et  l'on  .com- 
prend assez  qu'Appel  ait  uni  sans  plus  de  distinction  l'une  à  l'autre.  Il 
avait,  du  l'este,  pour  l'amener  plus  facilement  à  ce  résultat  l'unité  appa- 
rente du  chap.  XLIII  (cf.  supra,  p.  39,  note  1),  où  je  crois  les  deux  groupes 
préseniement  réunis.  —  Au  point  de  vue  du  fond,  il  semble  que  les 
données  pro[)hétiques  sur  l'avenir  aient  eu  droit  de  cité  dans  les  frag- 
ments I,  mais  point,  ou  du  moins  rarement,  dans  les  fragments  du  Livre 
des  Secrets,  car  ceux-ci  s'intéressent  directemeht,  ])eut-ètre  exclusive- 
ment, aux  phénomènes  habituels  de  la  nature  et  à  leur  explication  cachée. 

(2)  Cheyne  est  d'un  autre  avis,  qui  identilie  sans  plus  les  anges  du  châ- 
timent avec  Satan  (Origin  ot  the  Psalter,  p.  413). 


LA  COMPOSITION  LITTÉUAIRE  DES  PARABOLES  d'iIÉNOCH.      57 

du  mal  à  laquelle  se  soumirent  Azazel  et  ses  troupes,  s'il 
n'est  pas  plutôt  Azazel  lui-même.  Et  de  cette  idée  est  née 
en  LUI  3  la  leçon  singulière  des  mss.  T^  et  groupe  II  : 
puisque  Azazel  est  condamné  en  même  temps  que  ses 
troupes,  c'est  donc  pour  lui,  «  pour  Satan  »,  que  les 
anges  du  châtiment  préparaient  les  instruments  du  sup- 
plice. 

Entre  les  fragments  I  et  H  des  Paraboles,  il  convient  de 
noter,  à  côté  des  divergences  signalées,  plusieurs  points 
de  contact.  L'on  serait  tenté  de  rapprocher  tout  d'abord 
chap.  LIV  de  chap.  XL,  puisqu'ils  nous  apportent  l'un  et 
l'autre  les  mêmes  noms  d'archanges  :  pourtant,  ce  serait 
un  tort.  L'ordre  donné  par  le  Seigneur  des  Esprits  de 
s'emparer  des  troupes  d'Azazel,  de  les  précipiter  dans  un 
abîme,  de  les  recouvrir  de  pierres  pointues  (LIV  o),  nous 
renvoie  manifestement  à  X  4  sqq  :  de  même,  cette  tradi- 
tion qu'au  jour  du  grand  jugement  les  anges  mauvais 
seraient  jetés  dans  un  brasier  de  feu.  Or,  ce  chapitre  X 
suppose  que  Raphaël  seul  a  reçu  du  Seigneur  l'ordre  en 
question  ;  de  plus  ces  mêmes  archanges,  que  les  Paraboles 
rangent  dans  l'ordre,  Michaël,  Gabriel,  Raphaël  (i),  Pha- 
nuel,  s'appellent  ici  Uriel,  Raphaël,  Gabriel  et  Michaël  (2). 
Si  chap.  LIV  se  réfère  directement  à  chap.  X,  mais  si, 
d'un  autre  côté,  il  en  modifie  les  données  dans  le  sens  de 
chap.  XL,  la  composition  dernière  doit  en  être  attribuée 
à  quelqu'un  qui  avait  intérêt  à  égaliser  les  traditions 
arrivant  jusqu'à  lui.  Après  le  fragment  noachique  que  la 
mention  préalable  des  anges  corrupteurs  a  permis  d'intro- 

(1)  En  XL,  Michaël,  Raphaël,  Gabriel... 

(?)  Peut-être  en  venait-on  à  identifier  plus  ou  moins  Uriel  et  Phanuel, 
puisque  la  face  de  Dieu  était  essentiellement  lumineuse.  Alors,  entre 
l'énumération  des  Pai-aboles  et  celle  du  chap.  X,  il  n'y  aurait  d'autre 
didércnce  qu'une  interversion  complète  des  termes. 


58  LR    MUSÉON. 

duire  en  LIV  7,  quelques  versets  nous  apprennent  qu'au 
moment  fixé  par  Dieu,  «  ceux-ci  »,  et  il  s'agit  des  troupes 
d'Azazel,  seront  «  saisis  par  la  main  des  anges  »  :  la 
donnée  paraît  originale,  et  on  peut  croire  que  les  anges 
qui  viennent  en  cause  ne  sont  point  les  quatre  présentés 
dans  le  passage  rédactionnel,  mais  ces  mêmes  anges  du 
châtiment  mentionnés  en  LUI  5,  et  plus  loin  en  LVI  1, 
qui  avaient  été  chargés  déjà  de  saisir  de  la  même  manière 
rois  et  puissants  (LIV  2j  (i).  —  Les  ressemblances  des 
documents  l  et  JI  des  Paraboles  sont  donc  à  chercher  ail- 
leurs, qu'en  une  nomenclature  identique  des  archanges. 
Il  faut  parler  plutôt  de  cette  idée  commune  d'une  église 
de  justes  cachée  (2)  avec  le  Messie  auprès  de  Dieu,  et  qui 
doit  apparaître  aux  temps  de  la  fin  (cf.  XLVI  8  et  XL  5, 
LUI  G)  (3).  Il  faut  mentionner  encore  ces  pécheurs,  les 
mêmes,  que  visent  à  la  fois  les  deux  documents,  et  qui 
sont  «  les  rois  et  puissants  de  cette  terre  »  (cf.  XLVI  4 
sqq.  ;  LUI  5  et  LV  4). 

C'est  donc  avec  une  certaine  probabilité,  je  le  crois,  du 
moins,  que  l'on  peut  distinguer  deux  traditions  diverses 
qui  s'incorporèrent  dans  les mesâ/jât connues,  elles-mêmes, 


(1)  La  source  II  qui  nous  a  donné  ce  chap.  LIV,  et  qui  se  réfère  ainsi 
au  cliap.  X,  rappelle  encore  d'un  mot  (LIV,  6)  la  faute  d'Azazel,  et  évoque 
le  souvenir  de  sa  punition  future  ;  ces  détails  paraissaient  donc  suffisam- 
ment connus  du  lecteur  pour  qu'on  jugeât  inutile  d'insister  plus  long- 
temps. Dès  lors  il  faut  que  cette  source  ait  été  reliée,  en  quelque  manière, 
à  l'un  des  groupes  de  traditions  relevés  en  chap.  VI-XI  par  Ose.  Holtz- 
mann  (ap.  Stade,  Gesch.  d.  Volkes  Israël),  p.  418,  Béer,  p  225,  Appel, 
p.  15  sqq.,  Martin,  p.  LXXIX  sqq. 

(2)  Cette  expression  cachée,  est  rendue  dans  les  fragments  apparte- 
nant à  la  source  I  (XL  5  et  XLVI  8),  par  le  terme  assez  étrange,  seqûl^ 
suspendu.  Les  justes  morts  sont  «  suspendus  devant  le  Seigneur  des 
Esprits.  » 

(3)  A  noter  encore  dans  les  deux  passages  la  formule  mystérieuse,  "  la 
miison  (les  maisons)  de  leur  rassemblement. 


LA  COMPOSITION    LITTÉUAIIlli  DES  PARABOLES  DIIÉNOCFI.      59 

comme  indépendantes  [)ar  le  Pseudo-Noé.  Il  faut  mainte- 
nant se  demander  quels  fragments  de  notre  livre  des  Para- 
boles paraissent  devoir  être  attribués  à  l'une  et  à  l'autre 
tradition,  et  si  ce  tri,  nous  forçant  d'examiner  avec  quelque 
désordre,  on  n'en  saurait  disconvenir,  les  passages  les 
plus  intéressants  de  notre  livre,  ne  nous  amènera  point  à 
collationner  quelques  morceaux  d'aspect  étranger,  que 
l'on  serait  tenté  de  mettre  encore  à  part,  comme  les  débris 
de  certains  documents  quil  est  aujourd'hui  impossible 
d'identifier,  ou  l'expression  écrite  et,  du  reste,  incomplète, 
d'une  nouvelle  tradition  distincte.  Si  la  première  partie  de 
cette  j'ccherche  était  naturellement  un  travail  délicat,  que 
ne  sera  pas  la  seconde  ;  et  si  les  conclusions  que  nous 
avons  déjà  exposées  concernant  le  double  élément  des 
mesùljàt  n'ont  pour  elles  (ju'un  degré  plus  ou  moins  grand 
de  probabilité,  celles  que  nous  pourrons  risquer  encore 
devront  être  acceptées,  ainsi  qu'on  les  présente,  avec  toute 
la  réserve  nécessaire. 

Chap.  XLVfl  (au  moins  depuis  vers.  3),  Ll  nonobstant 
l'addition  ou  le  déplacement  assurés  de  certaines  phrases, 
LXIX  20  sqq.  décrivent  les  événements,  non  plus  comme 
à  venir,  mais  comme  déjà  présents,  et  Appel  croit  qu'ils 
ont  fait  partie  jadis  d'une  petite  apocalypse.  Mais  cette 
apocalypse  exista-t-elle  jamais  à  l'état  isolé,  comme  le 
veut  ce  critique,  ou  bien  n'était-ce  pas  plutôt  une  partie 
spéciale  des  documents  I  et  II,  il  serait  certes  bien  ditlicile 
de  le  dire.  —  Les  chapitres  LXII  et  LXIII  décrivent  aussi 
comme  présents  les  événements  de  la  fin  :  néanmoins  ce 
n'est  pas  sans  quelque  probabilité  qu'on  peut  augurer 
de  leur  origine.  Tout  d'abord,  ils  font  corjjs  l'un  avec 
l'autre.  Qu'on  rapproche  les  formules  qui  nous  désignent 
les  pécheurs,  elles  sont  identiques  :   kiielommu   nagaset 


60  LE    MLSÉOX. 

va-azizân  va-le  ulân  va-  'ella  je  liezeva  la-meder  (cf.  LXII 
5,  6,  9,  LXIII  1,  12j.  LXII  10  se  trouve  à  peu  près  repro- 
duit en  LXIII  10,  et  l'épée  de  Dieu  vient  deux  fois  {LXIII 
11  et  LXII  1^)  séjourner  parmi  les  pécheurs  et  s'enivrer  de 
leur  sang.  Enfin  les  malheureux  aujourd'hui  châtiés  adres- 
sent leurs  supplications  aux  anges  exécuteurs  de  la  sen- 
tence suprême  (LXlil), comme  ils  l'avaient  fait  auparavant, 
mais  hélas  !  en  vain,  au  Messie  qui  présidait  le  jugement 
(LXII).  Déjà,  l'on  voit  toutes  les  ressemblances  entre  ces 
deux  chapitres  et  les  fragments  de  la  source  IL  Ici  et  là, 
le  Messie  l'cmplit  le  même  rôle,  et  les  mêmes  Anges 
reçoivent  également  commission  de  torturer  les  condam- 
nés :  en  un  mot,  LXII  et  LXIII  ont  toutes  les  apparences 
de  décrire  la  scène  terrible  que  LUI  annonçait  déjà  par 
avance  (i).  Mais,  il  faut  le  dire  aussi,  un  certain  nombre 
d'allusions  au  document  I  se  remarquent  depuis  LXIII  2 
et  jusqu'au  vers.  1 1.  L'obscurité  se  répandait  sur  le  visage 
des  pécheurs  (LXII  10'',  LXIII  II)  :  elle  couvre  maintenant 
leur  couche  et  le  lieu  où  ils  habitent  (LXIII  0,  comme 
LXVI  &^).  Le  sceptre  des  rois,  la  richesse  des  puissants, 
qui  sont  le  soutien  et  la  confiance  des  uns  et  des  autres 
(LXIII  7  et  10),  nous  étaient  connus  déjà  par  XLVI  7.  Dans 
ce  dernier  passage,  les  impies  étaient  accusés  d'avoir  eu 
foi  dans  les  dieux  et  d'avoir  renié  le  nom  du  Seigneur  des 
Espi'its  (XLVI  6^,  7^)  :  et  voici  que  l'on  reproche  encoi'e 


(1)  De  même  qu'après  ch.  LUI,  cli.  LIV,  LV  3  sqq.  mentionnaient  le 
châtiment  futur  d'Azazel  et  de  ses  troupes  impies,  de  même,  après  LXII- 
LXIII,  cil.  LXIV  en  vient  à  parler  des  anges  déchus  qui  enseignèrent  jadis 
les  secrets  du  mal  aux  habitants  de  la  terre.  Mais  il  faut  dire  qu'ici 
ch.  LXIV  ne  fait  point  corps  avec  ce  qui  précède.  Comme  si  Hénoch  ne 
savait  point  déjà  qui  sont  ces  anges  déchus,  on  veut  lui  fournir  un  ren- 
seignement là-dessus,  et  c'est  l'anonyme  mal'ak  qui  se  présente  pour 
l'apporter  (cf.  supra  p.  52).  Du  reste,  pas  un  mot  n'est  prononcé  sur  la 
punition  à  venir  de  ces  ciiminels,  et  le  chapitre  huit  ex  abrupto. 


LA  COMPOSITION  LITTÉRAIRE  DES  PARABOLES  d'iIÉIVOCH.      61 

aux  mômes  personnages  de  n'avoir  point  confessé  leur  foi, 
non  plus  que  glorifié  le  nom  du  Seigneur  (lAIH  7)  (t). 
Entre  les  fragments  de  la  source  l  et  le  triple  discours  des 
pécheurs  en  LXIII,  il  y  a  donc  bien  ([uelque  parenté,  et 
l'on  comprendrait  assez  qu'un  rédacteur  y  eût  mis  la  main 
qui  connaissait  cette  source  et  s'y  reportait  volontiers. 

Au  chap.  LXIII,  les  pécheurs  puraissent  convaincus 
qu'ils  seraient  sauvés  s'ils  pouvaient  obtenir  le  répit  su tfi- 
sant  pour  confesser  leurs  fautes  ;  mais  ce  répit  ne  leur  est 
point  accordé,  il  est  trop  tard  et  le  Seigneur  ne  les  sauve 
pas  (vers.  8).  L'auteur  du  chap.  L  croit  tout  de  même  à 
l'influence  salutaire  pour  les  impics  d'une  conversion  et 
d'une  confession  sincère,  mais  il  estime  qu'en  réalité  la 
possibilité  en  sera  laissée  aux  pécheurs,  pendant  quelque 
temps,  du  moins.  Peut-être  conviendrait-t-il  de  rappro- 
cher ces  données  de  celles  du  chap.  XL  :  l'archange 
Phanuel  y  paraissait,  qui  écartait  les  Satans  du  trône  de 
Dieu,  et,  dès  lors,  permettait  à  «  ceux  qui  héritent  de  la  vie 
éternelle  »  de  faire  pénitence  et  d'espérer.  Le  chapitre  L 
nous  donnerait  donc,  dans  une  tradition  spéciale,  des  con- 
ceptions communes  aux  sources  I  et  Il.Cependant  les  anges 
du  châtiment  n'y  figurent  plus  en  tant  qu'exécuteurs  de  la 


(1)  En  LXIII  It»,  les  pécheurs  désirent  quelque  répit  clans  leurs  souf- 
frances, afin  de  pouvoir  «  confesser  leurs  péchés  n  ;  au  vers.  5,  ils 
demandent  ce  même  repos,  pour  «  louer  et  glorifier  (le  Seigneur^,  et 
pour  confesser  leur  /be  devant  sa  majestés.  Les  deux  choses  ne  sont  pas 
contradictoires,  pour  peu  qu'on  rapproche  à  la  fois  ces  deux  textes  de 
XLVI  6,  7,  et  que  l'on  sache  bien  que  rois  et  puissants  se  sont  rendus 
coupables  de  péchés  contre  la  foi  (vers.  7).  —  La  lecture  du  chap.  LXIII 
donne  cependant  une  sensation  étrange,  et  il  est  facile  d'en  trouver  la 
cause  en  ceci,  que  le  répit  nécessaire  aux  pécheurs  pour  confesser  leurs 
crimes  et  louer  Dieu,  ne  leur  est  point  accordé,  bien  qu'ils  le  demandent, 
mais  que  néanmoins  ils  trouvent  le  moyen  de  louer  le  Seigneur  par  la 
doxologie  du  vers.  2. 


G:2  Li>:  miséon. 

justice  divine  :  mais  il  nous  est  dit  que  «  les  justes  vain- 
cront au  noîn  du  Seigneur  des  Esprits  »,  et  ceci  doit 
s'entendre  d'autre  chose  peut-être  que  d'une  victoire  sym- 
bolique, à  savoir,  d'un  ti'iomphe  réel  des  justes,  lequel 
suppose  un  combat  ayant  touiné  définitivement  à  leur 
avantage.  La  représentation,  dès  loi's,  aurait  bien  quelque 
conformité  avec  ce  que  nous  apprenons  du  document  T, 
puis(|ue  le  Messie  en  personne  y  paraît  en  scène  pour 
prendre  les  armes  et  qu'il  se  montre  à  nous  sous  l'aspect 
d'un  vainqueur. 

Au  chap.  L,  les  justes  remportent  la  victoire  sur  les 
pécheurs;  en  XXXVIII  5  et  XLVIII  9,  les  pécheurs  sont  mis 
à  la  discrétion  des  justes  (i).  —  Le  chap.  XXXVIII  dont 
nous  parlons  est  assez  clairement  apparenté  avec  les 
autres  qui  ouvi-ent  les  Paraboles,  si  toutefois  on  laisse  de 
côté  les  formules  i(énérales  d'introduction  dont  il  a  été 
question  ailleurs.  Les  idées  qui  s'y  expriment  sont  les 
mêmes  :  la  lumière  va  briller  pour  les  justes  (XXXVIII  2 
et  LVIII  5),  etc.  Les  secrets  des  justes  (XXXVIII  3)  et  les 
secrets  de  justice  (LVIH  5)  se  ressemblent  d'assez  près  ; 
enfin  XLV  "2  est  si  manifestement  uni  à  XXXVIII  1-2  que 
l'on  y  croirait  trouver  une  réponse  à  la  question  posée. 
D'Anges  du  châtiment,  il  n'est  plus  question,  et  XXXVIII 
5  nous  laisse  entendre  que  ce  sont  les  justes  et  les  saints 
qui  doivent  anéantir  rois  et  puissants  d'ici-bas.  Tout  cela 
nous  amène  à  la  source  L  Du  reste,  Appel  (p.  58)  a  remar- 
qué que  la  locution,  renie?'  le  Seigneur  des  Esprits,  était 


(1)  Il  va  de  soi  que  le  rapport  relevé  entre  ces  chapitres  est  purement 
extérieur  :  un  combat,  de  fait,  n'est  pas  nécessaire  pour  qu'un  auteur 
d'Apocalypse  amène  les  pécheurs  aux  mains  des  justes,  et  le  dénouement 
du  grand  drame  eschatologique  peut  se  produire  de  multiples  façons. 
Du  reste,  l'opposition  d'idées  est  manifeste  entre  XLVIII  8  sqq.  et  L. 


LA  COMPOSITION  LITTÉRAIUE  DES  PAIIABOLES  DIIÉNOCH.      65 

particulière  à  cette  môme  source  :  or  elle  se  retrouve  deux 
fois  dans  ces  passages  (XXXVIil  2  et  XLV  1).  J'ajoute  que 
XXXVIII  ^  emploie  à  nouveau  l'expression  sequlân  avec 
le  sens  signalé  plus  haut,  et  que  l'on  avait  noté  déjà  en 
XL  5  et  XLVI  8.  —  Pour  les  mêmes  raisons  (cf.  9%  10'^), 
on  conclui'a  aussi  avec  ({uelques  chances  de  vérité  que 
XLVIII  8  S({q.  appartint  jadis  au  même  groupe. 

L'origine  des  deux  gi'ands  fragments  messianiques  (i) 


(1)  Il  conviendrait  aussi  d'envisager  le  récit  fort  étrange  de  LXXI  sur 
la  vocation  mes^'ianique  d'Hénoch.  Mais  ici,  je  renvoie  sans  plus  à  Appel 
(p.  43)  pour  la  structure  littéraire  du  morceau.  Si  l'on  en  vient  à  examiner 
la  composition  du  fragment,  vers.  5- tin,  on  peut  y  noter  des  références 
assez  nombreuses  à  la  soui'ce  I.  Les  milliers  de  milliers  et  myriades  de 
myriades  (8,  12;,  Ceux  qui  ne  dorment  pas  (7),  les  Seraphim,  Cherubim  et 
Ophanim(7),  les  archanges  MicJiaël,  Gabriel,  Raphaël  et  Phanuel  (8,9, 
13',  l'Ancien  et  le  Fils  de  l'homme  (10,  i4b),  sont  des  parallèles  à  LX  ], 
XXXIX  12  et  XL  2,  LXI 10,  LX  9,  XLVI  2.  Le  Rédacteur  cherche  à  donner 
des  explications  qu'on  n'a  point  eues  et  qui  pourtant  eussent  été  utiles  ; 
il  identifie  les  Seraphim,  Cherubim  et  Ophanim  de  LXI  10  avec  «  ceux 
qui  ne  dorment  pas  "  de  XXXIX  ;  il  se  croit  obligé  de  nous  donner  d'après 
Daniel  une  description  de  l'Ancien  mentionne  en  XLVI.  Enfin  —  Kôstlin 
l'avait  (léjîl  recoimu  (Theol.  .Tahi-b.  1856,  p.  3789)  —  il  a  calqué  sur  chap. 
XIV  le  récit  qu'il  nous  fait;  et  les  derniers  vei'sets  présentent  des  inco- 
hérences nombreuses,  signes  manifestes  de  retouches  qu'on  ne  saurait 
mieux  pi'éciscr.  Tout  cola  donne  assez  raison  à  Charles  qui  écrit  très 
bien  :  "  This  chapter  is  most  certainly  a  later  addition.  It  is  aiien  ali'Ke 
in  thought  and  phraseology  to  Similitudes.  Outwardly  indeed  there  is  a 
resemblance  in  phraseology,  but  it  is  not  real,  for  the  technical  terms  of 
the  Similitudes  which  are  incorporated  in  this  chapter  are  wrongly  used 
in  almost  every  instance.  This  chapter  was  probably  added  by  the  same 
hand  Ihatinterpolated  the  Noachic  fragments  «.  (p.  183).  Nous  ne  revien- 
drons donc  pas  sur  ce  chap.  qui,  s'il  no  provient  pas  d'un  cycle  noachique, 
est  assurément  étranger  aux  Paraboles  ;  mais,  puisque  nous  y  sommes 
pour  l'instant,  ajoutons  un  mot  encore  à  propos  du  vers.  14  et  de  la  voca- 
tion messianique  d'Hénoch.  —  Quel  qu'ait  pu  être  l'original  (cf.  Appel). 
Hénoch  dans  le  contexte  actuel,  reçoit  le  titre  de  Fils  d'homme.  Cette 
dénomination  est  imposée  trop  solennellement,  le  contexte,  d'ailleurs, 
est  trop  sembable  à  XLVI  3,  pour  qu'on  puisse  attribuer  à  cette  locution 
«  exactly  indeed  «  le  même  sens  qu'elle  a  dans  le  fragment  noachique  LX 
10  (cf.  supra).  Il  y  aurait  là  plutôt  un  sens  nouveau,  et  il  me  semble  que 


64  LE    MISÉON. 

XLVIII  "2-8  et  XXXIX  5-12  est  de  nature  à  nous  intéresser 
davantage  :  pourquoi  faut-il  qu'un  [)()int  d'a})pui  solide 
fasse  défaut,  et  que  l'on  en  soit  réduit  à  relever  quelques 
notes  sans  grande  importance  ?  Chap.  XLVIIl  nous  dépeint 
l'Eternel  sous  les  traits  d'un  vieillard,  et  ceci  nous  reporte 
à  XLVl  2,  comme  aussi  à  LXXI  10,  mais  bien  mieux 
encore  àDaniel  Vil  9.  Le  Messie  porte  les  nobles  dénomina- 
tions de  «  bâton  des  justes  »  et  de  «  lumière  des  peuples  »  ; 
il  est  le  «  vengeur  de  leur  vie  »,  de  la  vie  de  ceux-là  qui 
ont  souffert  pour  la  justice.  Cela  rappelle  assez  le  rôle 
que  les  usages  juifs  ou  plutôt  sémitiques,  légitimés,  du 
reste,  en  quelque  sorte,  par  la  loi  mosaïque  (Num.  XXXIX 
19  sqq.,  Deut.  XIX  6  sqq.,  etc.),  attribuaient  au  D^n  b^ç:s 
et  nous  approchons  dès  lors  des  conceptions  messianiques 
de  la  source  I.  Mais  le  Roi  à  venir  se  trouve  présentement 
caché  devant  Dieu,  et  la  sagesse  du  Très-Haut  l'a  mani- 
festé aux  saints  et  aux  justes  :  toutes  expressions  qui  se 


l'on  doive  parler  de  la  prédestination,  non  point  de  la  vocation  messia- 
nique d'Hénoch.  Béer  (p.  277)  a  raison,  me  seinble-t-il,  de  rappeler  Hen. 
slave  XXII 8,  et  ce  texte  montre  assez  la  relation  qui  existe  entre  l'onction 
céleste  mystérieuse  et  la  transformation  d'un  élu  au  séjour  de  gloire. 
«  Et  le  Seigneur  dit  à  Michaël  :  Va,  et  prends  à  Hénoch  sa  robe  tei-restre, 
et  oins-le  (m'JJ'J,  m^^'O)  de  mon  huile  sainte,  et  revéts-le  du  vêtement  de 
ma  gloire  (cf.  Parab.  :  source  I,  XXXVIII  4,  L  1,  L VIII 3;  surtout  source  II, 
LXII 16).  Et  Michaël  agit  ainsi  que  le  Seigneur  lui  avait  dit.  Il  me  oignit 
et  me  revêtit..  ..  Et  je  me  regardai  moi-même,  et  j'étais  comme  l'un  de 
ces  êtres  glorieux,  et  il  n'y  avait  pas  de  différence  (cf.  Parab.  l.I  4b).  » 
Pour  le  rédacteur  ou  l'interpolateur  de  Hen.  eth.  LXXI  14,  le  "  Fils  de 
l'homme  »  serait  donc,  non  point  le  Roi-Messie  qui  est  ainsi  désigné  dans 
le  document  I,  non  point  l'homme  même  que  l'on  apostrophe  comme  il  en 
va  dans  le  fragment  noachique  indiqué,  mais  celui-là  spécialement  qui 
est  prédestiné  à  la  gloire  et  sait  qu'il  l'est.  L'idée  qui  s'exprime  en  ce 
texte  serait  donc  analogue  à  celle  de  XXXVII  4,  peut-être  aussi  de 
XXXIX  9.  (Autrement,  Gressmann,  p.  360.)  Tout  ce  que  nous  venons  de 
dire,  ne  convient,  bien  entendu,  qu'au  seul  vers.  14,  l'expression  «  Fils  de 
l'homme  »  gardant  par  ailleurs  son  sens  habituel. 


LA  COMPOSITION  LITTÉIlAIRi:  DES  PABABOLES  d'hÉNOCH.      65 

retrouvent  en  LXII  7,  où  elles  sont  noyées  dans  les  déve- 
loppements de  la  source  II.  —  Chap.  XXXIX  révèle  assez 
clairement  le  dessein  de  son  auteur,  de  relier  son  œuvre 
littéraire  aux  parties  déjà  préexistantes  de  la  littérature 
d'Hénoch.  Le  vers,  i  annonce  «  une  autre  vision  »  :  et 
c'est  celle-là  môme,  cette  «  seconde  vision  de  sagesse  que 
vit  Hénoch  »,  dont  il  était  question  en  XXXVII  1,  dans 
une  petite  incise  que  Clemen  (p.  :2'20),  Béer  (pp.  '2'27  et 
258),  et  Appel  afïirment  inauthentique  (i).  D'ailleurs, 
personne  ne  paitage  plus  l'opinion  d'EAvald,  que  la  pre- 
mière vision  supposée  par  cette  «  seconde  »  se  trouvait  au 
début  même  de  la  pi'cmière  Parabole  :  il  convient  de  la 
chercher  plutôt  dans  les  chapitres  qui  précèdent,  et,  d'une 
manière  plus  précise,  au  dé])ut  même  de  notre  livre  d'Hé- 
noch, ainsi  que  je  lai  proposé  (cf.  supra,  p.  42).  L'auteur 
du  chap.  XXXIX  écrit,  plus  loin,  que  «  là  (c.-à.-d.  avec 
les  saints  et  les  élus  (ju'il  aperçoit  près  du  Seigneur  des 
Esprits)  avait  été  sa  part  jadis  »  (9),  et  l'on  pourrait  hasar- 
der que  le  Patriarche  veut  ainsi  rappeler  un  épisode  de 
sa  vie  antérieure,  quelque  séjour  momentané  auprès  des 
esprits  célestes,  comme  celui  dont  il  est  question  en  XII  1 
(cf.,  pour  ce  dernier  texte,  contre  Dillmann,  Lods  p.  128, 
Charles  et  Béer  ad  h.  1.).  Cependant  les  exégètes  convien- 
nent qu'il  doit  s'agir  plutôt  de  la  prédestination  du  voyant 
(cf.  Dan.  XII  15),  et  ce  texte  mérite,  dès  lors,  qu'on  le  rap- 
proche de  XXXVll  4.  C'est  là  qu'on  apprend  tout  d'abord 
qu'un  sort  de  vie  éternelle  fut  fixé  à  l'avance  pour  Hénoch, 


(1)  Il  faut  avouer  que  l'incise  en  question  unit  deux  données  qui  parais- 
sent d'ailleurs  distinctes  (cf.  supra  p.  42).  L'on  n'y  parle  plus  simplement 
d'une  vision  (vers,  la),  ni  simplement  d'un  discours  de  sagesse  (vers. 
2  sqq.)  :  mais  l'on  annonce  l'un  et  l'autre  à  la  fois,  ou  plutôt  le  mélange 
de  l'un  et  de  l'autre,  «  une  vision  de  sagesse  ». 


66  LE    MUSÉON. 

et  que  la  béatitude  lui  fut  promise  autrefois  «selon  le  bon 
plaisir  du  Seigneur  des  Esprits.  »  A  propos  de  la  vocation 
messianique,  la  même  formule  revient  à  jour,  ba-kama 
faqadû  la-'egzia  manCifest  (XLIX  4)  :  Dieu  a  prédestiné  son 
Messie  comme  il  l'a  voulu.  Peut-être  n'est-ce  pas  tout-à-fait 
la  même  idée  qui  s'exprime  en  XLVI  5,  où  l'on  apprend 
qu'auprès  de  Dieu  le  sort  du  Messie  l'a  emporté  ba-retea 
sur  celui  de  tous  les  êtres.  En  tout  cas,  chap.  XXXIX 
parait  bien  n'appartenir  point  au  même  groupe  que  ce 
chap.  XLVI,  c'est-à-dire  au  groupe  I  ;  la  rupture  qui  se 
fait  dans  le  récit  après  ch.  XXXIX  qu'on  croit  être  de  cette 
source,  le  changement  subit  qui  se  produit  on  ne  sait 
quand,  «  en  ce  temps-là  »,  dans  la  situation  extérieure  du 
Patriarche,  nous  font  ensemble  incliner  vers  cette  conclu- 
sion, et  ce  ne  serait  point  l'infirmer  que  d'arguer  avec 
Philippi  de  la  prétendue  habitude  de  l'écrivain,  de  fiiiie 
suivre  vision  et  apocalypse  pour  que  l'une  expliquât 
l'autre,  puisqu'aussi  bien  chap.  XXXIX  n'explique  pas  ce 
que  doivent  devenir  pécheurs  et  impies  à  l'époque  du 
jugement,  que  le  jugement  dernier  reste  même  en  dehors 
de  l'horizon  actuel  du  voyant  (i),  et  qu'enfin  les  yeux  de 
celui-ci  s'arrêtent  tout  le  temps  avec  complaisance  sur  le 
séjour  des  élus  auprès  du  Messie,  «  sous  les  ailes  du  Sei- 
gneur des  Esprits.  «  Rien  n'indique  que  ce  même  chapitre 
ait  appartenu  à  la  source  II,  et,  pour  lui  trouver  une  ori- 
gine, Appel  (p.  65)  introduit  un  nouveau  document  qu'il 
chiffre  III.  Mais  qu'est-ce  donc  vraiment  que  la  source  III  ? 
La  source  III  se  distinguerait  par  la  place  prépondé- 


(1)  Le  voyant  se  trouve  ici  dans  les  mêmes  conditions  qu'en  XIV  8,  qui 
est  bien  un  texte  parallèle  :  référence  est  donnée  à  l'événement  qu'on 
décrit  ici,  par  la  note  qui  parait  additionnelle  au  début  du  chap.  LU. 


LA  COMPOSITION  LITTÉUVIUK  DES  PARABOLES  d'iIÉNOCH.      67 

rante  (i)  qu'elle  réserve  à  la  Sagesse,  et  par  le  rapproche- 
ment qu'elle  aime  à  établir  entre  la  Sagesse  et  la  Justice 
qui  en  serait  la  dérivation  (2).  Ainsi,  au  chap.  XXXIX,  la 
Justice  parait  à  l'occasion  des  élus  et  du  iMessie  (vers.  6), 
chap.  XXXIX  serait  donc  de  cette  même  source  :  l'on 
pensera  plus  justement  que  pareille  mention  de  la  Justice 
se  retrouve  aussi  en  XLVI  5,  et  que  néanmoins  notre 
chapitre  XXXIX  est  assez  étrangerà  la  source  I  qui  entre 
ici  en  considération.  Appel  nous  dit  encore  que  XXXIX  5^^, 
XL VIII  i,  et  XLIX  \  s'inspirent  des  mêmes  idées  et  déve- 
loppent une  même  image  :  on  n'en  disconviendra  point, 
mais  encore  faudrait-il  montrer  qu'une  source  III  a  pu 
seule  utiliser  idées  et  images  en  question.  Accumuler  les 
citations  où  se  trouve  mentionnée  la  Sagesse  est  chose 
facile  :  mais  conclure  à  une  source  III  qui  aurait  produit 
ces  textes  divers,  suppose  que  l'on  a  prouvé  au  préalable 
que  les  rédacteurs  I  et  II  qui  nous  sont  connus  n'auraient 
pu  en  être  les  auteurs.  Kst-il  bien  vrai  que  chap.  LI  5  et 
LXI  6  sqq.  donnent  à  la  Sagesse  une  place  si  prééminente  ? 
L'on  a  intérêt,  certes,  à  rapprocher  «  les  Secrets  de 
sagesse  »  (LI  5)  des  «  Secrets  de  justice  »  (XLIX  2)  :  mais 
ces  mêmes  «  Secrets  de  justice  «  paraissent  bien  iden- 
tiques «  aux  trésors  de  ce  qui  est  caché  »,  que  révélera  le 
Messie  au  temps  voulu  (XLVI  5)  ;  mais  ces  mêmes  «  Secrets 
de  justice  »  reviennent  explicitement  nommés  en  LVIII  5, 
et  le  malheur  veut  qu'Appel  attribue  lui-même  ces  pas- 
sages à  la  source  î  (cf.  pp.  49,  59).  De  plus  XLIX  5,  qui 
serait  aussi  de  cette  nouvelle  source,  est  une  citation  assez 


(1)  «  in  auflfallender  Weise  »  Appel,  p.  52  (264). 

(2)  Die  Weisheit  erscheint  ôfters  als  Quelle  der  Gerechtigkeit  und  als 
Gegensatz  zur  Ungerechtigkeit  —  ibid. 


68  LE    MUSÉON. 

légèrement  modifiée  d'isaïe  XI  2  :  or  on  sait  déjà  (i)  que 
l'auteur  de  Ps.  Salom.  XVII  avait  utilisé  ce  même  texte 
au  profit  de  son  Messie,  et  le  Messie  des  Psaumes  de 
Salomon  est  un  personnage  qui  ressemble  fort  à  celui  des 
Paraboles  source  I. 

Restent,  il  est  vi-ai,  pour  garantir  une  source  III,  chap. 
XLYIII  1  avec  XLI\  1  (cf.  XXXIX  6),  et  chap.  XLII.  Les 
deux  premiers  textes  sont  rapprochés,  eu  égard  à  l'image 
qu'ils  développent,  «  la  Sagesse  est  comme  l'eau  »  ;  cepen- 
dant la  comparaison  se  continue  en  deux  directions  paral- 
lèles :  tantôt  la  Sagesse  est  l'eau  de  ces  nombreuses  fon- 
taines du  ciel,  où  viennent  se  désaltérer  ceux  qui  ont  soif, 
et  ceci  convient  assez  à  un  récit  de  voyage  merveilleux; 
—  tantôt  elle  s'écoule  de  soi-même,  tombant  en  une  pluie 
bienfaisante  sur  le  Messie  ou  sur  les  élus  des  temps  messia- 
niques, et  ceci  pourrait,  à  la  rigueur,  n'être  qu'une  méta- 
phore (2).  En  dehors  de  ces  textes,  nous  connaissons  bien 
d'autres  récits  de  voyage  du  Patriarche,  et  jamais  on  n'y 
trouve  symbolisme  de  ce  genre  :  tous  les  détails  y  sont  à 
entendre  au  sens  réel,  les  pierres  précieuses  qui  ont  sei'vi 
à  la  construction  du  palais  céleste,  le  feu  qui  l'entoure, 
et  tout  le  reste.  Dans  la  circonstance,  un  rédacteur  aurait-il 
donc  voulu  tirer  parti  d'Is.  LV  1,  et,  sur  ce  thème,  com- 
poser quelques  variations,  assez  harmonieuses,  du  reste, 
mais  d'un  style  à  part,  qui  tranche  sur  le  mode  de  tous 
les  morceaux  semblables  ?  L'on  ne  saurait  affirmer  qu'une 
chose,  c'est  que  l'auteur  s'intéressait  moins  au  concept 
abstrait  de  Sagesse,  qu'à  cette  question  essentiellement 
pratique,  du  soulagement  et  du  bonheur  qui  seront  donnés 
aux  hommes  par  la  venue  des  temps  messianiques  ou  par 


(1)  Cf.  Muséon,  N.  S.  VII  3,  p.  24G. 

(2)  Cf.  Sir.  1 19,  aussi  plus  tard  Philon,  De  prof.  25. 


LA  COMPOSITION  LITTÉRAIRE  DES  PARABOLES  d'hÉNOCH.      69 

la  personne  du  Messie  ;  dès  lors,  que  la  Sagesse  n'est  point 
directement,  et  pour  soi-tnème,  l'objet  de  ses  développe- 
ments littéraires.  —  Il  en  va  d'autre  sorte  au  chap.  LU  : 
la  Sagesse,  avec  l'Injustice,  sont  toutes  les  deux  en  scène, 
et,  personnifiées,  cette  fois,  elles  jouent  le  premier  rôle. 
Que  le  petit  chapitre  en  question  n'ait  rien  de  commun 
avec  son  conlexte,  que  le  personnage  symbolique  appa- 
raisse inopinément  et  s'en  aille  tout  de  même,  les  critiques 
en  conviennent.  Ces  développements-là  se  comprendraient 
au  sein  de  la  littérature  connue  sur  la  Hokmah,  et  plus 
d'un  croira  (ju'ils  trouveraient  leur  contexte  naturel  dans 
les  exhortations  morales  qui  abondent  par  là.  Mais  il  n'en 
manque  point  non  plus  dans  notre  Apocalypse,  et  il  est 
telle  section  d'Hen.  qui  s'annonce  comme  devant  traiter 
kùclo  tcmlicita  tchab.  Dans  cette  section,  l'on  apprend 
une  fois  encore  que  la  Sagesse  n'a  pu  trouver  de  place  sur 
terre  (XCIV  5),  qu'elle  doit  se  lever  et  éti-e  donnée  aux 
ressuscites  de  la  fin  des  temps  fXCI  10)  (ij.  Peut-être  ne 
serait-il  pas  impossible  qu'une  parenté  d'origine  existât 
entre  ces  textes  et  notre  mystérieux  chap.  XLII  :  en  tous 
cas,  ils  s'inspirent  tous  des  mêmes  traditions. 

Notre  enquête  sur  la  composition  des  Paraboles  d'Hé- 
noch  est  à  son  terme.  On  regrettera,  sans  doute,  qu'elle 
ne  soit  pas  plus  concluante  :  l'on  eût  aimé  reconnaître 
en  toute  sûreté  la  diversité  des  terrains  qui  laissent  croître 
à  la  fois  des  conceptions  si  diverses  sur  tous  sujets  de 
théologie,  et  spécialement  sur  le  messianisme.  Mais  nos 
moyens  d'information  sont  trop  réduits  (2)  pour  que  nous 


(1)  Cf.  Charles,  p.  123,  les  rapports  entre  la  Sagesse  personnifiée  et 
l'humanité,  d'après  les  produits  de  la  littérature  juive  antérieure  ou  con- 
temporaine. 

i2)  Et  c'est  là  ce  qui  doit  rendre  le  critique  modeste,  le  retenir  loin  de 


70  Le  muséon. 

puissions  en  arriver  là,  et  il  faut  se  contenter  des  proba- 
bilités plus  ou  moins  grandes,  quelquefois  bien  légères, 
auxquelles  un  renseignement  très  court  d'un  rédacteur 
noachique,  et  l'examen  minutieux  du  texte  actuel,  per- 
mettent d'atteindre.  —  Une  source  I  parait  avoir  fourni 
à  notre  livre  les  chap. XXXIX  1:2-XL1,  XLIII  5  sqq.,  XIAI, 
LU  1-5,  LXI  1-5  ;  peut-être  aussi  XXXVllI,  XLV  1-5, 
LVIII,  XLYIII  8-XLlX.  11  conviendrait  d'attribuer  k  une 
source  11  les  chap.  LU  o-LlV  7,  LV  5-LVI  5,  LXII  5-LXlIl 
2...,  11  et  1:2.  Peut-être  faut-il  parler  encore  d'une 
source  111  (source  de  Sagesse),  qui  correspondrait  assez  au 
nagara  tebab  annoncé  en  XXXVll  2-o,  et  nous  aurait  donné 
XXXIX  5-1:2,  XLVIIl  1,  aussi  ce  fameux  chap.  XLll,  si  ce 
n'est  pas  plutôt  une  interpolation  ou  une  transposition. 
Tout  cela  était  désigné  sous  le  nom  généi'ique  de  «  Para- 
boles qui  furent  données  à  Hénoch  »,  et  était  envisagé 
comme  une  œuvre  distincte  par  le  Pseudo-Noé  auteur  de 
la  notice.  A  côté  de  cette  compilation  principale,  se  trou- 
vait un  livre  d'astronomie,  taillé  sur  un  patron  assez  sem- 
blable à  celui  que  notre  Apocalypse  s'incorpora  plus  loin  : 
les  chapitres  XLI  5-9,  XLIII  1-5,  XLIV,  LIX  en  seraient  les 
fragments  épars  aujourd'hui  subsistants.  En  tout  cas,  un 
rédacteur  réunit  plus  tard  «  les  Paraboles  »  avec  «  le  livre 
des  signes  des  secrets  »,  et  crut  prudent  de  justifier  sa 
témérité  en  la  mettant  au  compte  du  Patriarche  lui-même  : 
tous  les  fragments  qu'il  unissait  ainsi  plus  ou  moins  au 
hasard  se  donnaient  donc  comme  la  composition  même 


cette  confiante  assurance  qui  veut  s'en  imposer  à  elle-même,  et  lui  faire 
relire,  une  fois  de  plus,  ces  deux  lignes  très  exactes  de  Béer,  qu'Appel, 
dont  il  serait  injuste  de  rabaisser  le  mérite,  n'avait  dû  pourtant  pas  trop 
méditer  :  «  eine  Textscheidung  im  Einzelnen  durchzufûhren,  Solange  nur 
der  âthiopisclie  Text  zur  Hand  ist,  ist  gewagt  »  (p.  227). 


LA  COMPOSITION   LIÏTÉKAIKE  DES  PARABOLES  d'hÉNOCH.      7l 

d'Hénoch.  Les  fragments  noachiques  qui,  de  ci  de  là,  s'y 
collèrent,  et  que  les  exégètes  ont  distingué  depuis  long- 
temps comme  pièces  rapportées,  obtinrent  garantie,  par 
ce  fait  même  que  Noé  leur  auteur  était  l'héritier  des  livres, 
et,  en  quelque  sorte  de  la  sagesse  de  son  grand'père  ;  et 
peut-être  d'autres  petits  fragments  qu'il  serait  impossible 
et  superflu  de  chercher  à  identifier,  réussirent-ils  à  s'intro- 
duire dans  le  tout,  grâce  à  l'analogie  qu'ils  présentaient 
avec  les  pièces  déjà  en  place. 

Fribourg  (Suisse).  Léon  Gry. 


ÉTAT  DE  MES  TRAVAUX  M  ÉTRUSQUE 


PAR 

LE  B""  C.  DE  Vaux. 


Le  premier  article  que  nous  avons  publié  sur  l'étrusque 
dans  le  Miiséon,  en  190i,  a  un  peu  vieilli  ;  il  n'est  plus 
au  point  des  connaissances  que  nous  croyons  avoir  acqui- 
ses sur  ce  sujet.  Nous  voudrions  aujourd'hui  corriger 
plusieurs  des  étymologies  que  nous  avons  proposées  alors, 
en  confirmer  d'autres,  en  ajouter  de  nouvelles,  et  montrer 
au  lecteur  quel  est  l'état  d'avancement  de  nos  recherches, 
en  interprétant  quelques  inscriptions. 

PREMIÈRE  SECTION. 

Les  mots. 

Nous  rapportons  en  principe  les  mots  étrusques,  ou 
ceux  que  l'on  peut  croire  étrusques,  (et  nous  ferions  de 
même  pour  les  mots  pélagiques),  aux  racines  altaïques  (i). 
Souvent  nous  constatons  que  ces  vocables  peuvent  conve- 
nir aussi  à  des  racines  aryennes  qui  se  trouvent  être  ana- 


(1)  En  pratique,  nous  nous  servons  surtout  de  V Etymologisches  ^yor^ 
terbitch  der  Tarho-Tatarischen  Sprachen,  d'Hermann  Vambéry,  (Leip- 
zig-, 1878),  que  nous  désignons  dans  cet  article  par  la  lettre  V. 


ÉTAT  DE  MES  TRAVAUX  EN  ÉTRUSQUE.         73 

logues  aux  racines  altaïques  pour  le  sens  et  pour  le  son. 
Dans  quelques  cas  exceptionnels,  le  rapport  des  nfiots 
étudiés  avec  l'aryen  est  même  plus  proche  qu'avec  l'altai- 
que.  Ces  constatations  sont  faites  sans  qu'aucune  théorie 
préalable  soit  émise  sur  les  relations  possibles  de  l'altaïque 
et  de  l'aryen.  Nous  prenons  pour  critérium  de  nos  étymo- 
logies,  leur  clarté,  leur  simplicité  et  l'harmonie  qu'elles 
ont  entre  elles. 

I.  Les  mots  dont  nous  avons  à  corriger  l'étymologie 
sont  :  Lucinno,  Solemnis,  Idus,  Drouna,  Histrio,  Lanista, 
Ataison,  Agalletora. 

Lucumo.  Nous  avions  été  séduit,  comme  Taylor,  par  le 
rapprochement  avec  le  turc  oiiloug,  grand  (i).  Depuis,  nous 
avons  constaté  qu'il  n'y  a  pas  lieu  ici  de  recourir  à  aucune 
métathèse  ;  il  faut  laisser  Lucumo,  selon  la  règle  la  plus 
constante,  à  la  racine  luc  qui,  en  altaïque,  sera  représen- 
tée par  une  racine  Tog  ou  Juk  (V.  §  194  et  §  7)  ;  ces  racines 
très  claires  indiquent  l'idée  d'élévation,  de  hauteur  ;  le 
Lucumon  est  le  haut  personnage.  Ex.  :  T.  cagataï  :  toka, 
chef;  et  avec  Vm  de  la  désinence  o^Hm,  gigantesque. 

Le  parallélisme  aryen  se  manifeste  dans  les  mots  diix, 
doctor. 

Nous  ne  pouvons  pas  admettre  que  le  mot  lauchumncû , 
du  manuscrit  d'Agram,  représente,  comme  l'ont  cru  divers 
étruscologues,  le  mot  lucumo  ;  il  doit  appartenir  à  la  racine 
lag.  Le  rapport  avec  le  mot  tfiucu  du  même  manuscrit, 
aurait  plus  de  chance  d'être  exact. 

Solemnis.  Cet  important  vocable  rentre  dans  la  racine 
TOL,  signifiant  ce  qui  meut  en  cercle,  ce  qui  revient.  Ex. 


(1)  Nous  avons  besoin  de  la  raeine  ul  pour  des  mots  en  Vol,  bol  ;  ainsi 
la  forme  ulug,  grand,  correspond  au  nom  Volucenas. 

5 


74  LE    MUSÉON. 

T.  cagataï,  tolan-mak,  se  mouvoir  en  cercle  (V.  §  195). 
L'idée  que  la  solennité  est  ce  qui  revient  périodiquement, 
se  rencontre  dans  d'autres  langues  ;  ainsi  le  mot  fête  en 
arabe,  îd,  signifie  chose  qui  revient,  et  appartient  à  une 
racine  âd  signifiant  être  de  retour. 

Mus.  Nous  avons  eu  à  ce  mot  une  véritable  distraction, 
que  nous  avons  déjà  signalée  dans  nos  Etrusca  n"  III. 
Aucune  étymologie  n'est  plus  facile.  L'altaïque  possède 
une  racine  ut,  ùd  (V.  §  69)  qui  signifie  temps,  section  de 
temps.  Ex.  T.  uig.  ût,  ûd,  temps  ;  altaïque  ûdelCy  le  midi, 
et  en  allant  jusqu'au  magyar  ido,  temps. 

Le  mot  paraît  se  retrouver  dans  l'allemand  heiite,  et 
peut-être  bien  dans  le  latin  hodie,  qui,  vu  la  forme  adjec- 
live  liodiernus,  ne  doit  pas  être  une  contraction  de  hoc  die. 

Drounu.  II  faut  rattacher  drouna,  initium,  à  la  racine 
TL'iA,  donnant  l'idée  d'antériorité  (V.  §  197)  ;  ex.  :  T.  jak. 
tui\  se  lever,  s'élever.  Cette  racine  est  très  nette.  Nous  en 
avons  parlé  à  propos  des  mots  turuce  et  xupawoç  (i). 
Remarquer  le  déplacement  de  l'accent   :    drou  pour  dour. 

Histrio.  Nous  avons  indiqué,  dans  une  communication 
à  la  Société  des  études  grecques,  l'étymologie  de  ce  mot 
que  nous  croyons  être  la  véritable  :  Histrio  appartient  à  la 
racine  is,  us  désignant  l'art,  l'intelligence,  le  talent  (V. 
§  67).  Ex.  :  T.  jakout  iistuk,  art  ;  T.  cuvash,  usta,  maître. 
Le  mot  turc  a  passé  anciennement  dans  le  persan  ustad, 
maître. 

Le  parallélisme  aryen  se  manifeste  sans  doute  dans  des 
mots  tels  que  maestro  (ital.),  meister  (ail.),  oii  l'm  doit 
être  préfixe. 

Lanista,  gladiateur,  mot  étrusque  d'après  Isidore.  Le 


(1)  Voyez  nos  Etrusca  V,  pages  10  et  20. 


ÉTAT    DE    MES    TRAVAUX    EN    ÉTRUSQUE.  75 

plus  simple  est  de  laisser  ce  mot  près  de  lanio,  boucher. 
La  racine  doit  donner  l'idée  d'écorcher.  Elle  paraît  en 
altaïque  sous  la  forme  jan  et  plus  souvent  jon  (V.  §  144). 
Ex.  :  T.  cagataïjonwaA:,  tailler,  découper  ;  T.  cuvasch  jan, 
couteau. 

Ataison  et  Agalletora.  Pour  ces  deux  mots,  nous  nous 
sommes  trompé,  à  la  suite  de  Taylor,  en  les  croyant  com- 
posés. Ils  ne  le  sont  pas  ;  l'a  est  prétixe  dans  les  deux  ;  on 
et  tora  sont  désinence.  La  racine  du  premier  est  tas,  don- 
nant l'idée  de  passer  au  delà,  de  s'étendre  (V.  §  24).  Ex.  : 
T.  cagataï  tasik,  qui  enjambe,  qui  passe  au-dessus.  Le 
lecteur  se  souvient  que  ataison,  d'après  Hésychius,  désigne 
la  plante  grimpante.  La  môme  racine  appai-ait  très  nette 
en  aryen  dans  -ziTiq,  extension. 

Quant  à  agalleiora,  la  racine  en  est  gal,  lait,  et  cette 
fois  l'explication  est  notablement  plus  claire  en  aryen 
qu'en  altaïque  ;  ayallelora,  d'après  Hésychius,  désigne  les 
jeunes  enfants.  Le  grec  a  des  mots  voisins,  comme  ya/a- 
ô/ivôç,  qui  tête  encore,  tendre.  L'altaïque  a  bien  la  racine 
c'al,  jal  indiquant  l'idée  de  chose  lisse,  qui  convient  au 
lait  (V.  §§  120,  127)  ;  mais  l'application  de  cette  idée  à 
notre  vocable  n'est  pas  immédiate. 

IL  Nous  avons  des  corrections  partielles  et  des  additions 
à  faire  aux  articles  augur,  arakos  et  capra. 

Augurium,  désignant  le  présage  ne  nous  parait  pas 
pouvoir  être  mieux  expliqué  que  comme  nous  l'avons  fait, 
par  le  Turc  oriental  augour,  bénédiction,  bonheur.  Mais 
nous  pensons  (pi'il  convient  de  distinguei'  l'étymologie  de 
ce  mot  de  celle  d  augur,  l'homme  augure  ;  nous  rappro- 
chons ce  dernier  mot  du  qualificatif  aî<<y»s?Ms,  et  nous  les 
rapportons  ensemble  à  la  racine  ak,  og,  signifiant  la  hau- 


76  LE    MUSÉON. 

teur  (V.  §  7).  Ex.  :  T.  c'agataï  okar,  haut  ;  T.  uig.  okis, 
haut,  élevé  ;  ogmek,  louer,  priser,  glorifier.  Cette  racine 
est  voisine,  mais  suffisamment  distincte  de  celle  qui  nous 
a  servi  à  expliquer  Lucumo. 

Le  parallélisme  aryen  se  poursuit  par  des  mots  tels  que 
augere,  augmentum,  etc. 

Arakos  et  Capra,  Dans  des  recherches  indépendantes  de 
nos  travaux  sur  l'étrusque,  nous  avons  remarqué  que  les 
animaux  étaient  souvent  dénommés  d'après  leur  habitat. 
Ceci  nous  permet  de  préciser  l'explication  de  ces  deux 
noms  de  l'épervier  et  de  la  chèvre.  Le  premier  est  compa- 
rable à  des  noms  de  pics  et  de  montagnes  en  ark,  ou  carg 
ou  crag  (V.  §  20);  le  second  convient  avec  des  noms  de 
pays  rocheux  tels  que  Capri  (cf.  V.  §  155),  racine  tchap. 

in.  Ya\  publiant  nos  Etrusca,  III  à  V,  nous  avons  déve- 
lo|)pé  et  confirmé  plusieurs  des  étymologies  données  dans 
notre  premier  article,  à  savoir  celles  de  :  Sinistei\  Scclum, 
Cassis,  linia,  Tagès,Avil  et  Hit,  Fan.  Nous  voudrions  main- 
tenant confirmer  celles  de  deux  vocables  particulièrement 
intéressants  Ccremonia  et  Italia. 

Ccrcmonia.  Il  n'y  a  évidemment  pas  de  raison  de  consi- 
dérer mania  autrement  que  comme  une  désinence,  ainsi 
qu'il  est  naturel  de  le  faire  dans  les  mots  querimonia, 
acrimonia,  trislimoiiium,  etc.  La  racine  kour  à  laquelle 
nous  avons  rattaché  le  mot  cerimonia  est  une  importante 
racine  altaïque,  qui  parait  aussi  sous  la  forme  kar  ;  elle 
indique  l'idée  de  regarder  de  surveiller,  de  prendre  soin, 
et  au  passif  celle  de  quelque  chose  que  l'on  regarde,  de 
quelque  chose  d'orné  et  de  beau  (V.  §  85).  A  ce  dernier 
sens  appartiennent  les  mots  de  turc  oriental  que  nous 
avions  cités,   dont  le    plus   remarquable  est  kourmîche. 


I 


ÉTAT    DE    MES    TRAVAUX    EN    ÉTIILSQI  E.  77 

action  d'orner,  de  disposer  une  chose  ;  on  a  de  même  en 
mongol  korim,  la  fête,  le  festin.  N'est-ce  pas  là  notre 
mot  (c  kermesse  »  ? 

Le  parallélisme  aryen  se  manifeste  pour  cette  racine 
dans  Carus,  cher,  ce  dont  on  a  soin.  Et  il  paraît  bien  clair 
que  c'est  à  ce  premier  sens  de  la  l'acine  qu'il  faut  rappor- 
ter le  nom  de  Cérès  ;  ce  serait  la  divinité  qui  veille  sur  le 
monde,  qui  en  prend  soin.  Ce  sens  s'applique  non  moins 
aisément  à  Ccrus. 

Italia.  Nous  avons  interprété  ce  mot  par  pâturage, 
racine  altaïque  ot,  bois  ou  plante  (V.  §  56)  ;  T.  oriental 
otun,  bois  ;  oiitlâg,  pâturage.  Le  nom  d' Italia  reparait 
sans  sa  désinence  dans  les  noms  des  deux  monts  Ida  de 
Crête  et  de  Phrygic  ;  souvent  les  noms  de  montagnes 
signifient  le  pâturage  ou  le  bois  ;  on  le  reti'ouve  encore 
dans  le  nom  d'Etolie  ;  le  charpentier  qui  lit  le  cheval  de 
bois  était  un  étolien,  appelé  etule  sur  un  miroir  étrusque  ; 
on  doit  croire  que  cette  appellation  se  rapportait  moins  à 
son  pays  d'origine  qu'à  son  métier.  La  racine  a  une  forme 
vot.  Cela  montre  que  le  nom  de  l'Italie  est  le  même  que 
celui  de  la  ville  de  Vétulonie.  C'est  justement  à  Vétulonie 
que  l'on  a  retrouvé  une  tasse  sur  le  pied  de  laquelle  on 
lit  ces  mots  ithalthilen  itlialiclicm.  Malgré  l'obscurité  des 
désinences,  on  ne  peut  que  se  joindre  aux  étruscologues 
qui  ont  voulu  reconnaître  dans  ces  mots  une  mention  des 
premiers  Italiens. 

IV.  Nous  n'avons  qu'à  maintenir  ce  que  nous  avons  dit 
sur  Putcal,  Saamm,  Calendae,  Vates,  Dcxter,  Summanus, 
Uégoé,  Aiser,  JE  fia,  Damnos,  Ovis,  Capys,  Gnis,  Ariini^ 
Balteus,  Sagitta,  Gapos,  Tliensœ,  Atrium,  Burrus,  Clan, 
Kiartlii,  Tliapiri.  —  Pour  puteal,  on  peut  noter  la  présence 


78  LF,    MUSÉON. 

de  la  racine  à  palatale  initiale  kiU,  analogue  de  la  racine 
put{\.  §98). 

V.  Pour  finir  cette  étude  lexicologique,  donnons  l'expli- 
cation encore  inédite  de  deux  autres  mots,  ausil  ou  usel 
et  lautn. 

Usil  est  le  soleil  levant  d'api'ès  un  miroir  ;  Hésychius 
donne  pour  le  même  sens  la  forme  ausel.  Ces  mots  appar- 
tiennent à  la  racine  ish,  idée  de  lumière  (V.  §  155);  Ex.  : 
T.  cagataï  ishlamak,  luire,  paraître. 

L'aryen  offre  des  cas  de  parallélisme  :  Ausonia,  et  par 
rotacisme  aurclitis,  aurora.  On  a  en  outre  un  cas  très  net 
de  prélixation  de  l'm,  dans  le  nom  de  Mausolus.  Il  faut 
remarquer  que  Mausole  a  pour  femme,  d'après  Hérodote, 
une  Artémis,  dont  le  nom  aussi  signifie  le  matin  (i). 

Laiitn  est  un  mot  étrusque  donné  par  un  bilingue  :  il  a 
le  sens  de  libertus,  affranchi.  L'orthographe  étrusque 
étant  quelquefois  surabondante  pour  les  voyelles,  il  con- 
vient de  considérer  ce  mot  comme  appartenant  à  une 
racine  lat  qui  doit  se  présenter  en  altaïque  sous  la  forme 
JAT.  Cette  racine  indique  la  pauvreté,  la  situation  d'un 
homme  étranger  ou  peu  notable  (V.  §  137).  Ex.  T.  uigour, 
jatik,  étranger,  pauvre  ;  jatin,  faible. 

C'est  apparemment  ce  mot  qui  dans  le  haut  moyen-âge 
désigna  les  leudes. 


(1)  Voyez  nos  Etriaca  V,  page  19. 


ÉTAT    DE    MES    TRAVAUX    EN    ÉTULSQUE.  79 

DEUXIÈME  SECTIOX. 

Les  Insciuptions. 

L'étude  des  inscriptions  n'est  qu'une  application  de 
l'étude  des  mots  ;  si  les  racines  sont  bien  connues  et  si 
leur  sémantique  est  bien  comprise,  il  doit  être  possible 
d'interpréter  les  textes.  Nous  avons  donné  la  traduction 
d'un  certain  nombre  d'inscriptions  dans  nos  Etnisca  (i); 
la  plus  caractéristique  est  celle  de  la  statue  de  l'orateur  de 
Florence.  Nous  possédons  des  traductions  approchées  de 
la  plupart  des  autres  textes  ;  à  mesure  que  nous  acquérons 
un  sens  plus  fin  de  toute  cette  linguistique,  nous  les 
retouchons  et  nous  les  précisons. 

Voici  quelques  exemples  inédits. 

L  Une  inscription  dédicatoire  dialectale. 

Sur  la  statuette  en  bronze  d'un  jeune  homtne  couronné 
de  lauriers  et  drapé  dans  une  toge  (Fabretti,  n°  :2680), 
se  trouve  cette  inscription  : 

Caispaiz  variens 
Juve  zal  sesiire. 

Pour  quiconque  a  l'habitude  des  textes  étrusques,  ces 
mots  ont  au  premier  abord  une  physionomie  un  peu  anor- 
male, et  paraissant  appartenir  à  un  dialecte  C'est  ce  que 
confirme  l'explication  suivante. 

Les  deux  premiers  mots  sont  un  nom  propre  ;  l'inscrip- 
tion est  donc  dédicatoire  :  «  A  Caispaiz  Variens  ».  Sur  les 
trois  premiers  mots  de  la  seconde  ligne,  on  en  connaît 


(l;  Paris,  Klincsieck,  1904-1906. 


80  LE    MUSÉON. 

un,  zal.  C'est  un  nom  de  nombre  que  nous  rendrons  par 
six  (i). 

Que  peut  désigner  ce  nom  de  nombre  dans  une  dédi- 
cace très  brève  ?  L'hypothèse  la  plus  simple  qui  se  présente 
est  qu'il  s'agit  d'une  offrande  à  un  défunt  dont  ce  nombre 
indique  l'âge.  Le  mot  qui  précède  zat  doit  donc  être  celui 
qui  signifie  année,  et  qui  a  d'ordinaire  la  forme  avil  ;  en 
d'autres  ternies  jiive  serait  une  forme  dialectale  de  avil 
ou  aivit.  L'examen  des  racines  est  tout-à-fait  favorable  à 
cette  hypothèse. 

Nous  avons  en  effet  expliqué  avil  par  une  racine  qui 
signifie  tourner  ;  un  an,  c'est  un  tour.  Or  cette  racine 
(V.  §  31)  a  les  formes  aj,  ej,  ev,  ôv  ;  et  encore  ov,  juv 
(V.  §  49).  Les  formes  aj,  ej  sont  un  peu  écourtées  ;  les 
autres  rendent  très  bien  compte  de  la  double  écriture 
aivil  etjuve.  Ex.  T.  cagataï,  ovalamak,  faire  tourner. 

Le  parallélisme  existe  en  aryen  dans  les  mots  a-'wv, 
aevum.  Il  peut  être  suggestif  aussi  de  comparer  à  ces  formes 
le  nom  de  l'œuf,  ovum,  le  rond  ;  ce  n'est  sans  doute  pas 
par  un  simple  hasard  que  les  Romains  se  servaient 
anciennement  d'un  œuf  en  bois  pour  compter  les  tours 
des  chars  dans  l'arène.  Le  sémantique  que  nous  indiquons 
devait  leur  être  alors  présente  à  l'esprit. 

Le  mot  sesure  se  rattache  aisément  à  la  racine  os,  ms, 
juz,  suz,  (V.  §  64),  indiquant  l'idée  de  ce  qui  s'élève,  de 
ce  qui  croit.  (Cf.  aussi  §  55  où  l'idée  d'âge  est  plus  expli- 
cite.) Ex.  T.  cagataï  :  ôzenmek,  s'élever  ;  T.  jakout  tsûsun, 
l'aspect,  la  forme,  la  figure  ;  T.  altaïque,  ozogi,  âgé.  La 
désinence  r  paraît  en  altaïque  dans  des  formes  qui  signi- 
fient en  haut.  Sesure  peut  donc  se  traduire  par  «  âgé  de  ». 


(1)  Nous  avons  traité  des  noms  de  nombres  dans  une  communication  à 
l'Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres,  encore  inédit^. 


ÉTAT  DE  MES  TRAVAUX  EN  ÉTRUSQUE.         8i 

Le  texte  se  lit  : 

«  à  N... 
âgé  de  six  ans.  » 

II.  L'inscription  du  lampadaire  de  Gortone,  corrigée 
et  complétée. 

Nous  avons  déjà  étudié  les  trois  premiers  mots  de 
l'inscription  gravée  sur  le  beau  lampadaire  étrusque  de 
Cortcne,  laquelle  est  ainsi  conçue  : 

Thapna  lusni 

Tlnskvil 
Athlik  Salthn. 

Nous  avons,  après  Taylor,  rapproché  lusni  de  mots 
signifiant  lampe,  tels  que  XuyveîTov,  —  et  on  ne  peut  trouver 
un  rapprochement  plus  naturel  ;  —  puis,  pensant  que 
cette  belle  œuvre  d'art  pouvait  être  une  de  ces  lampes  à 
niveau  constant  dont  il  est  question  dans  la  mécanique 
antique,  nous  avions  apporté  thapna  à  la  racine  tam  don- 
nant l'idée  de  goutte,  et  nous  avions  proposé  le  sens  de 
lampe  égoutteuse.  Aujourd'hui,  il  nous  paraît  meilleur 
de  laisser  thapna  à  sa  racine  naturelle  qui  est  tap.  Cette 
racine  exprime  l'idée  d'impression  au  physique,  et  au 
moral  d'honneur  et  d'admiration  (V.  §  172). 

Mais  il  se  peutque  thapna  et  lusni  ne  soient  pas  des  noms 
communs,  que  lusni  soit  le  nom  de  Lucina  qui  signifie 
en  somme  lampe,  et  thapna  le  nom  Daphné,  qui  s'applique 
au  soleil  et  à  la  lune,  et  signifie  admirable.  On  aurait 
donc  une  dédicace  à  Daphné  Lucine.  C'est  le  sens  qui 
nous  paraît  maintenant  le  plus  probable. 

Nous  n'avons  qu'à  maintenir  pour  tinskvil  le  sens  de 
merveille.  Quant  aux  deux  autres  mots,  ils  s'expliquent 
bien  comme  des  épithètes  laudatives  renforçant  tinskvil. 


82  LE    MUSÉON. 

Athlik  va  avec  la  racine  Atii  (V.  !^  26)  donnant  l'idée  de 
noblesse  ;  le  parallèle  de  ce  mot  existe  dans  l'allemand 
edel-stein,  la  pierre  noble,  la  pierre  précieuse.  Sattlin  va 
avec  la  racine  sal,  tal  (V.  §  i5'2)  qui  fournit  l'idée  de 
suspension,  de  balancement.  Le  développement  de  cette 
idée  est  manifesté  par  le  parallèle  aryen  Tâ).avTov,  balance, 
talent.  Le  mot  sert  évidemment  à  désigner  un  objet  de 
prix.  La  traduction  s'établit  donc  ainsi  :  «  A  Daphné 
Lucine,  —  merveille  —  noble,  de  grand  prix.  » 

III.  Insci'iption  du  tombeau  des  Volumni,  et  autres 
textes  où  se  trouve  le  mot  akil. 

Le  mot  akil  est  écrit  sur  une  lampe  d'argile  (Fabretti, 
supplément  III,  n"  552)  : 

Uiivfies  akil 

sur  un  tombeau  à  Arezzo  (Ga.  n"  lOi)  : 

Tluikcr  akil  tlius  thuves, 

et  dans  Finscription  gravée  à  l'entrée  du  célèbre  tombeau 
des  Volumni  à  Pérouse  : 

Arnt/i  Lartli  Velimnas 
Arzneal  Thusiur 
Sutlii  akil  t/ieke. 

Ruvfies  est  nom  propre  dans  le  premier  de  ces  textes  ; 
Thuker  l'est  dans  le  second  ;  et  les  quatre  premiers  mots 
le  sont  dans  le  troisième. 

Les  hypothèses  possibles  pour  le  sens  sont  assez  limi- 
tées. La  mention  placée  sur  la  lampe  ne  peut  guère 
indiquer  qu'une  œuvre  ou  un  don  de  Ruvfies.  Il  n'est 
même  pas  vraisemblable  que  akil  exprime  l'idée  de  pro- 
priété ;  celle-ci  serait  sutïisamment  exprimée  par  le  nom 
seul  du  propriétaire  de  l'objet. 


ÉTAT  DE  MES  TRAVAUX  EN  ÉTRUSQUE.         83 

Au  point  de  vue  lexicographique  le  mot  akil  doit  être 
rattaché  à  la  racine  ak.  On  pourrait  penser  que  l'a  est 
préfixe  et  que  la  racine  du  mot  est  kil  ;  mais  ce  serait  le 
premier  exemple  d'un  a  préfixe  que  nous  aurions  dans  les 
textes  ;  jusqu'à  présent  nous  ne  connaissons  d'à  préfixe 
que  dans  les  transcriptions  d'Hésychius.  D'ailleurs  il  a 
bien  l'aspect  d'une  désinence. 

La  racine  ak  (V.  §§  8  et  150)  donne  l'idée  de  valeur,  de 
dépense  :  T.  uig  :  akitmak,  dépenser  ;  aki,  libéral  ;  akilik, 
générosité  ;  T.  jakout  agilin  compté,  estimé.  D'oii  il  suit 
que  akil  doit  signifier  payé,  ou  celui  qui  paye,  libéral. 

La  chose  payée  n'est  pas  exprimée  dans  le  premier  de 
nos  trois  textes  ;  elle  l'est  certainement  dans  les  deux 
autres  par  les  termes  tus  tliuves  et  tliusiur  suthi,  entre 
lesquels  existe  en  conséquence  un  parallélisme.  Or  on 
connaît  suthi  qui  est  tombeau  ;  thuves  doit  rendre  une 
idée  voisine  de  celle  de  tombeau.  On  trouve  justement  à 
la  racine  tôb,  tiïb,  (V.  §  172)  l'idée  de  partie  inférieure, 
de  fond,  de  sous-sol.  Ex.  :  T.  cagataï  et  ouigour  tûb,  tôb, 
le  fond,  le  sol.  Ces  mots  ont  des  analogues  en  grec  dans 

TOTio;  et  TÛfi-Poç. 

Entre  l'idée  de  payer  et  celle  de  tombeau,  s'intercale  le 
terme  tus  ou  tliusiur  ;  il  se  rapporte  à  la  racine  tôs,  tûz, 
jos  (V.  §§  134  et  202)  donnant  l'idée  d'ordre,  de  règle  et 
de  droit.  Ex.  :  T.  uigour  et  cagataï  tiiz,  tûzuk,  règle,  loi. 
Il  existe  un  parallélisme  aryen  manifesté  par  des  mots 
tels  que  So-wç,  juste,  sacré.  Il  s'agirait  donc  dans  ces  textes 
de  l'usage  du  tombeau  acquis  régulièrement  pour  une 
durée  illimitée  (i). 


(1)  L'idée  d'extension  et  de  prolongation  se  trouve  aussi  dans  la  racine. 
Elle  est  explite  au  §  64  de  Vambéry. 


84  LE    MUSÉON. 

L'examen  que  nous  venons  de  faire  nous  fournit  en 
définitive  ces  traductions  : 

«  Libéralité  de  Ruvfies.  » 

«  N...  a  acquis  l'usage  perpétuel  du  tombeau.  » 

Appendice.  On  rencontre  sur  deux  sarcophages  le  mot 
isolé  tiisurthi,  tusurtlûr.  (Fabretti  n"'  1:247  et  1246).  tlii 
doit  indiquer  une  forme  relative,  une  forme  d'adjectif. 
Ce  mot,  d'après  l'explication  précédente,  doit  signifier 
«  régulier  »,  «  sacré  »,  légitimement  acquis  pour  toujours. 

B""  Carra  de  Vaux. 


ÉTUDES 


SUR 


I 


L'ÉSOTÉRISME   MUSULMAN 

(Suite.) 


Qu'ils  soient  ou  non  en  retraite,  le  jeûne  est  l'une 
des  prescriptions  les  plus  rigoureusement  observées  par 
les  Soulis  et  l'une  de  celles  auxquelles  ils  attribuent  le 
plus  d'importance.  Sohraverdi  qui  consacre  aux  forma- 
lités du  jeune  les  chapitres  XXXIX-XLI  de  son  Avarif 
el-méai-if  dit  ({lie  la  grande  porte  qui  mène  à  Dieu  est  la 
privation  de  nourriture  (i).  Mahomet  a  dit  que  la  patience 
est  la  moitié  de  la  foi  et  que  le  jeune  est  la  moitié  de  la 
patience  (2)  ;  les  sheïkhs  soufis  ont  coutume  de  dire 
que  les  règles  de  leur  ordre  reposent  sur  4  bases  : 
peu  manger,  peu  dormi i',  peu  parler,  peu  fréquenter  le 
monde  (3). 


(1)  b\à*J\  j!ai  6ii\  ^J\  <u,»  Ji.jo  ^ji\  ^Jîi»5\  v*LJ\  ^3-i«>  J^^  man.  arabe 
1332,  folio  117  recto. 

arabe  1332,  folio  177  recto. 

(3)  ÏL»^  ^Uy\  àiï  Li.\  l»ij\  ^Jic  i*^x*^  ^i  O^  o^  ï-ij-oJ\  j;i^.i-»  ^yû\  Jkij 
(j-U^  ^^c  jyc^5  |«^\  Ai*;  (»^^\  Avarif  el-méarif,  man.  arabe  1332, 
folio  82  verso. 


86  LE    MUSÉON. 

Les  Mystiques  sont  d'avis  que  la  quantité  de  nourriture 
qui  est  nécessaire  pour  un  homme  tue  son  intelligence  et 
que  cet  état,  dans  lequel  il  se  met  volontairement,  fait 
pleurer  les  anges  qui  implorent  pour  lui  la  miséricorde 
de  Dieu.  Quant  à  celui  qui  mange  trop,  il  se  consume 
dans  le  désir  et  dans  la  passion.  Le  jeûne,  comme  le 
croyait  le  Prophète,  est  en  effet  pour  les  Soufîs  le  princi- 
pal moyen  de  venir  à  bout  de  la  concupiscence  et  d'écar- 
ter les  tentations  causées  par  le  démon  :  la  faim  de 
l'estomac,  dit  le  mohtésib  d'Éberkouh,  dégoûte  des  pas- 
sions, tandis  que  la  satiété  de  l'estomac  est  la  cause  de  la 
faim  dévorante  des  passions  (i).  Dans  ce  même  passage, 
il  est  d'avis  que  l'excès  de  nourriture  cause  un  sommeil 
invincible  tandis  que  la  faim  est  la  préface  de  la  veille  ; 
on  verra  plus  loin  l'importance  que  les  Soufîs  attachent 
au  fait  de  rester  éveillé  durant  toute  la  nuit,  ou  au  moins 
durant  une  grande  partie  de  la  nuit.  Parmi  les  innom- 
brables propriétés  qu'il  attribue  au  jeûne,  Shems  ed-Din 
cite  les  suivantes  (2)  :  Il  met  de  la  douceur  dans  Tàme 


vjt^  is^'^   ^^   -^  „_  g^aJ^?    \tt!,^^ï    ^^\    f^ylis^  (•'i^   ij>\   i^    <^}^   ij\\\.-i')\   (j\ 
àS    >,_j\»^>    *»/àj/»    «jy.iS    i—  ">■■<•.>    vJjà»    /j\    f^!&    6,^^^    c:,^*;;^b  ^l-X*^   a^^  ]^\    ^ 

^JW     *^*L  j\    iJk*/*  ^\     C»=.     <^'S:^£^     tS-"    }    vi~->^      >g~»     (i^Aft»»      C»=.     (J)*^     *^^     T^'^i 

el-hahreïn,  ms.  persan  122,  pages  474-5.      ^^  ^^^  s-~-  i-;^*-  ^s^^/ 
c»^  v_s^-^/^  '^^  '•^^*^  t^^^-  j  "^^    2&t£^.,  page  442. 

j*^J'  j  ^jL~:^\  ^-i.à>  c;^*w«i  ^^  ^^»^.  (:>^^?  17*^  ci>jU^  f*;^^^  cJir;*  '^i'j^ai»  f»^-» 
ibid.,  page  443. 


ÉTUDES    SUR    l'éSOTÉRISME    MUSULMAN.  87 

^j^,  cause  la  pureté  extérieure  et  intérieure  du  corps, 
ainsi  que  la  santé  de  l'esprit  et  du  corps.  11  permet, 
grâce  à  la  lucidité  qu'il  donne  à  l'intelligence,  de  rendre 
grâce  à  Dieu  pour  ses  bienfaits,  de  faire  les  bonnes 
œuvres,  d'arriver  facilement  à  la  Connaissance,  au  con- 
tentement de  ce  que  l'on  a  V^j  et  à  la  résignation  à  la 
volonté  divine  jSy  et  enfin,  ce  qui  a  son  prix  pour  les 
Soufis  qui  passent  leur  vie  à  courir  les  grandes  routes,  il 
permet  de  ne  pas  s'encombier  de  quantités  de  provisions. 
Les  Soufis,  jugeant  que  le  jeûne  du  mois  de  Ramadhan 
n'était  suffisant  que  pour  les  gens  qui  ne  marchent  pas 
comme  eux  dans  la  Voie  mystique,  ont  la  coutume  de  le 
commencer  pendant  la  première  quinzaine  de  Shaaban  ; 
certains  d'entre  eux  jeûnent  même  durant  tout  Shaaban 
et  Ramadhan,  rompant  le  jeûne  durant  la  moitié  des  deux 
derniers  jours  entre  ces  deux  mois  (i),  puis  le  10  de  chaque 
mois.  11  n'y  a  pas  sur  ce  point  d'usage  universellement 
reçu  et  chacun  est  à  peu  près  libre  de  s'infliger  à  sa  guise 
des  jeûnes  supplémentaires,  en  plus  des  jeûnes  canoniques 
qui  sont  d'observation  stricte.  Le  jeûne  du  Ramadhan  est 
d'ailleurs  très  strictement  observé  par  les  Soufis  ;  Sohra- 
verdi  cite  le  cas  d'un  Mystique  nommé  Sahl  ibn  Abd 
Allah  (2)  qui  ne  mangeait  qu'une  seule  fois  dans  tout  le 
mois  de  Ramadhan  :  il  est  vrai  qu'en  temps  ordinaire,  ce 
phénomène  ne  mangeait  que  tous  les  quinze  jours,  et  on 
voit  que  cela  ne  changeait  guère  son  régime  ;  d'autres 
moins  extravagants  jeûnaient  un  jour  et  mangeaient  le 
lendemain,  d'autres  deux  jours  sur  trois  (sj. 

o^j;  t)W*A    Avarif  el-méarif,  ms.  arabe  1332,  folio  119  recto. 

(2)    J^U  (jU-^  ^i^  Uy_  ^  î-.«^  ^  ^  ^\y  iii\  s^  i^  Je-  (^^  J^, 
ÏA=.\^  &i^\    Avarif  el-méarif ,  ms.  arabe  1332,  folio  118  recto. 

(8)  ibid  ,  fol.  118  recto. 


88  LE    MUSÉON. 

Certains  Soufis  de  Wasith  jeûnèrent  durant  deux  années 
consécutives,  se  bornant  à  ne  prendre  de  nourriture 
qu'après  le  coucher  du  soleil,  sauf  pendant  le  mois  de 
Ramadhan  où  ils  ne  mangèrent  absolument  rien  (i). 

Les  Soufis,  au  dire  de  Sohraverdi,  affectaient  tout  pai'ti- 
culièrement  de  jeûner  pendant  les  jours  blancs,  soit  le 
13,  14  et  15  de  chaque  mois  (2).  On  sait,  qu'après  le  péché, 
le  corps  d'Adam  était  devenu  tout  noir  et  qu'il  ne  retrouva 
sa  couleur  primitive  que  lorsque  l'Être  Unique  lui  eût 
pardonné;  il  ordonna  alors  à  Adam  déjeuner  pendant  trois 
journées  consécutives  durant  chacune  desquelles  un  tiers 
de  son  corps  redevint  blanc.  Ce  sont  ces  trois  jours  que 
les  théologiens  musulmans  nomment  «  les  jours  blancs  » 
^_^;^Jl  «M.  Dans  son  traité  de  Soufisme  intitulé  Medjma  el 
bahréin,  le  mohtésib  d'Éberkouh  nous  apprend  qu'en  plus 
du  mois  de  Ramadhan  et  des  jeûnes  canoniques,  les 
Mystiques  observaient  le  jeûne  le  plus  strict  durant  les 
six  premiers  jours  du  mois  de  Shavval,  les  dix  premiers 
de  Dhoulhidjdja  et  de  Moharrem,  les  jours  blancs,  et  le 
premier  et  le  dernier  jour  de  chaque  mois. 

D'autres  jeûnaient  encore  le  lundi  et  le  jeudi  de 
chaque  serar^ine  (5).  C'est  à  peu  de  chose  près  ce  que  dit 


(1)  ibid.,  fol.  118  verso. 

^J>^■^\  f>\\  ^L-a?  6jk^>  C^"^  u^-?^      Avarif  el-méarif,  man.  arabe  1332, 
folio  119  recto. 

(3)     A«)  ts^\  i.^Jii  =^3.;^)  ;  cy,.»;v»   cite-.,,    .0  tiS  e:,— .1    5;.j    ^ifcij;\.J  ^—jJI  ^'•\  • 

Medjma  el-bahreïn,  man.  pers.  122,  page  402. 


ÉTUDES    SUIl    l'ÉSOTÉIUSME    MUSULMAN.  89 

Sohraverdi  dans  VAvdrif  :  d'après  lui,  certains  Mysti({ues 
n'aimaient  pas  jeûner  tout  Kedjeb  pour  ne  pas  imiter  le 
jeûne  de  Ramadhan  et  ils  jeûnaient  pendant  une  décade  de 
Dhoulhidjdja  et  de  Moharrem,  le  jeudi,  le  vendredi  et  le 
samedi  des  quatre  mois  sacrés.  Une  tradition  dont  l'auteur 
de  VAvarif  el-méaî'if  nimVique  \n\s  la  source  atïirme  que 
celui  qui  jeûne  le  jeudi,  le  vendredi  et  le  samedi  de  cha- 
que semaine  des  quatre  mois  sacrés  sera  éloigné  du  feu 
de  l'enfer  durant  700  ans  (i). 

Les  Mystiques  qui  vivent  en  communauté  dans  un 
couvent  doivent  naturellement,  avant  toute  chose,  se  con- 
former aux  règles  qui  y  sont  observées  ;  quant  à  ceux  qui 
ont  l'habitude  de  vivre  seuls,  s'il  leur  arrive  par  hasard 
de  se  trouver  dans  la  société  d'autres  personnes  du  siècle 
ou  de  l'Ordre,  ils  doivent  conformer  leur  conduite  à  la 
leur,  ou  tout  au  moins,  ne  jeûner,  s'ils  y  tiennent,  qu'avec 
leur  assentiînent  de  façon  à  ne  provoquer  aucun  scan- 
dale (2). 

On  se  tronquerait  en  croyant  que  ce  jeûne  maléiiel 
constitue  par  lui-même  un  ascétisme  sufïisant.  Moham- 
med ii)n  Xasii-  cd-Din  Djaafer  el-Hoseïni  dit  dans  le 
Balir  d-maani  (pi'il  y  a  deux  aspects  du  jeûne  ;  le  jeûne 
exotéri({ue  (jui  consiste  à  ne  pas  manger,  tout  en  laissant 
leur  liberté  aux  passions,  et  le  jeûne  ésotérique  par  lequel 
le  Soufi  doit  avant  tout  réfréner  ses  passions.  Il  ne  faut  pas 


(j««*^ai.î\   i»^»^^  v^à  (.!/•  f»\y  <iiii'  /»U>  <.v»  y^'&J^     -»  «Jj)  («^va^î^  ;C'*'-^^  (/>'•    f^"    (O^ 

^W  ijU*^  jU\  ^^^  juij  o----J\j  3Jt«.aJ^^     Avarif  el-méarif,  man.  arabe 
1332,  folio  119  recto. 
(2)     ^y3i  3  ïtU-v  ^<cï-<»  ^  ^  ô'*'~='   c^"-   c)^  ''*^'   "^^ V^   (j^  >ï=^^'^  <->S\  ^^  j 
f^*^  j-^  ^lû  ^'^5  ûj^ai)  ^\xXi  £-*-^^^  "^^  O"^  *^''*  O^  ^^;  f'J^'^i  ^* 
Avarif  el-méarif\  man.  arabe  1332,  folio  120  recto. 

6 


90  LE    MUSÉON. 

se  contenter  du  jeûne  exotérique  qui  consiste  seulement 
à  ne  pas  manger  et  le  jeûne  ésotérique  a  une  tout  autre 
importance  ;  en  d'autres  termes,  le  Mystique  doit  faire 
tous  ses  efforts  pour  arracher  de  son  âme  ses  passions 
mondaines  et  tout  ce  qui  n'est  pas  l'amour  exclusif  de 
l'Être  Unique  (i).  Comme  toutes  les  pratiques  de  l'Islam 
appliquées  au  Soufisme,  et  comme  celles  qui  sont  propres 
au  Mysticisme,  sans  que  les  Musulmans  ordinaires  aient  à 
s'en  occuper,  le  jeûne,  ou  ce  qui  revient  au  même,  la 
faim  causée  par  le  jeûne  a  un  double  sens  :  exotérique  et 
ésotérique  ;  considéré  sous  le  second  de  ces  aspects,  elle 
signifie,  comme  le  dit  Sohraverdi  dans  VAvarif,  que  l'on 
doit  retirer  complètement  son  àmedu  mouvement  de  la  vie. 
D'après  Shems  ed  Din  d'Éberkouh,  la  faim  ou  l'état  de 
jeûne  Çj».  a  à  la  fois  deux  aspects  et  deux  stades  (2). 

(1)  \^\  c:^^\  v_JU^>   6jj)j   ^^}\  ^   s-'^jâ>  }  («Vais  c^Lw»\  j\   kj>M~.>jV*£   c^âi  jO  f»ya  ^ 

y>-  ^jy  (à^)'^  ^  Vj  ^^'^  (^^"^  hcf^  L>î^  "^^J  i:)^^  fy  (^-^  î  •i'^\)=^  ^r*'* 

t>\xi.>\  iS  S'.i  ^\^i;j^.J    ;^^-i->  )  ^}^  j>    f»)"    i^r^  j'i^^?   ^^   -^^-fi    ij"-^ 

Man.  supp.  persan  966,  folio  16  verso  et  17  recto.     j^àI?  \ji=.  j\  ^^^  ^-y 

(2)  y^  ;  (^;^;^^^  ti^  j  •^*'^?  ^JlS3L.  g^=.  y\  ^  c=;^^^  tS"^  '^^-  r*^*  î"^  ti"^  î 

^Jit^^i.  u£)Jii\  (^^  •  JyiiJ  6~i^S   i^^^a^^    ^J~>o*  <-^^  *.=-^3=-  3^    «^j?    Jo\»j'  (jlflàs-*   Ç»î- 

.L.M^    çj»0   J^àW   u>..»tJ^   («VS/»  jJ   J'\    Aà.l>    ijii;»i.    Arï-»>>   )    >^^;    (./-^^    f»VjL»  jvi    »5^    Aài^J 

^^jl^t^v*  c;--.*^  \ii>^^i  (j^^^  ^3^*^  »^  cs*c^=^  jV^  "^^  ^^  "^^^  ^3^'*^  (jVflàay»  0jj^ 
t£X»\  ^J  aêil>  J-;5j  (j^-io\  (jJj^  vjjJJki^j  Jkj^  Jy^"^^  J^^?  ^^?;^  j^  (J^î^  )  6J^ 
^JuS)\.j^  ^,j  ;\  (0^^^  )  6Jk^\  kioJki»  jO  M^»i^^  ^>  u>— >\»^  '^Jî*'-  <J^"^"^  »i»y.i>^ 
S-»j    c^Wài    <JÊ^j\    y>    SJ^\)    (Uij    (jVS3L.    M'ijy^    c2Jjk>\  j  Jk>;\jj    ^^^^i    ^^i  i,/"-*^  ^ 

A6.U  ^>/  (j<M  ^  ^kc  J-i  ^■♦-i^  j  jV^  "^^y*  ;  J  V^  *^>*  "^-^  ^^  Medjma  el- 
bahrein,  man.  persan  122,  page  475. 


ÉTUDES    SUll    l'ÉSOTÊIUSME    MUSULMAN.  91 

Ces  deux  aspects  sont  : 

La  faim  volontaii-e  qui  est  celle  des  Mystiques  qui  ne 
sont  pas  encore  arrivés  à  la  limite  suprême  de  la  Voie 
ésotérique,  mais  qui  marchent  dans  le  chemin  de  la  véri- 
té, les  saliks  jAlL  et  la  faim  forcée  qui  est  celle  des 
Soufis  parvenus  au  Nirvana  jis?  ;  en  effet,  dit  le  mohtésib 
d'Éberkouh,  l'âme  ^-ii  du  Mystique  parvenu  à  la  vérité 

absolue  et  non  contingente  ne  peut  connaître  les  appétits, 
mais  il  mangera  peu  s'il  se  trouve  au  stade  de  la  familia- 
rité ^^i\  et  beaucoup  s'il  se  trouve  à  celui  de  la  terreur 

Jn«->.  L'acte  de  beaucoup  manger  des  Soufis  parvenus  à  la 
Connaissance  indique  que  les  lumières  de  la  vérité  absolue 
illuminent  leur  cœur  sous  la  forme  de  la  Majesté  de  Dieu  et 
que  c'est  par  suite  de  la  crainte  religieuse  qu'ils  s'occupent 
à  manger.  Quand  ils  mangent  peu,  c'est  un  signe  que  ce  qui 
leur  est  révélé  leur  vient  sous  forme  de  la  familiarité  avec 
l'Etre  Unique  ^Jl  et  que  par  suite  de  cette  révélation 

ïj^ibll,  et  de  l'état  de  relativité  dans  lequel  ils  se  trouvent 
vis  à  vis  de  Lui  ^1,  ils  ne  peuvent  s'occuper  à  un  acte 

aussi  matériel  que  celui  de  manger.  Quand  les  simples 
saliks  mangent  peu,  cela  montre  que  les  émanations  de 
l'Être  Unique  remplissent  leurs  cœurs  et  que,  dans  de 
telles  circonstances,  les  contingences  du  monde  matériel 
n'ont  aucune  valeur  pour  eux,  tandis  que  ceux  qui  man- 
gent beaucoup  montrent  suffisamment  par  là  combien  ils 
sont  éloignés  de  l'Être  divin  et  à  quel  point  les  basses 
passions  de  l'âme  ^Jù  l'emportent  en  eux  sur  l'esprit.  En 
tous  cas,  sous  quelque  aspect  qu'on  la  veuille  considérer, 
la  faim  a  toujours  pour  but  dernier  d'augmenter  les  états 


92  LE    MUSÉON. 

extatiques  Jlj=>-I  et  les  stades  pli.  des  Soutis  et  de   les 

faire  pénétrer  plus  avant  dans  les  secrets,  intangibles  pour 
le  reste  des  hommes,  de  l'Occultisme. 

VI 

Les  repas  des  Soufis  sont  soumis  à  des  règles  invaria- 
bles qui  se  rapprochent  beaucoup  de  celles  qui  sont  obser- 
vées par  les  Musulmans  ordinaires  de  telle  sorte  qu'il  n'est 
pas  besoin  d'insister  longuement  sur  ce  point.  Le  vrai 
Souti,  absorbé  dans  sa  contemplation,  ne  doit  prendre 
aucun  souci  des  détails  de  la  vie  matérielle  et  il  ne  doit 
même  pas  s'inquiéter  de  savoir  comment  il  se  procurera 
de  quoi  manger.  Sohraverdi  dit  dans  V Avarif  el-méarif  {i) 
que  celui  qui  agit  ainsi  a  bien  plus  de  mérite  que  celui 
qui  s'en  préoccupe  et  il  cite  le  nom  de  plusieurs  Mysti- 
ques (2)  qui  ne  rompaient  le  jeûne  que  lorsqu'Allah  leur 
avait  envoyé  de  la  nourriture  par  un  miracle  ^.^As-  ^ . 

Malgré  la  rigueur  de  ces  formules,  il  est  bien  certain 
que  la  vie  contemplative  absolue  n'était  que  l'exception 
et  que  la  plupart  des  Mystiques  étaient  bien  obligés  de  se 
préoccuper  en  quelque  façon  de  la  vie  matérielle.  L'exis- 
tence n'est  certainement  pas  dure  en  Orient,  même  pour 
un  homme  qui  entend  ne  rien  faire,  mais  les  miracles  ne 
sont  pas  journaliers  et  encore  faut-il  se  donner  la  peine 
de  tendre  la  main  si  l'on  veut  qu'il  y  tombe  quelque  chose. 

Sohraverdi  reconnaît  lui-même  dans  V Avarif  (5)  que  les 
Soufis  étaient  atteints  comme  tout  le  monde  par  les  néces- 
sités de  la  vie,  et  qu'ils  devaient  sacrifier  comme  les  autres 


U)  Mail,  arabe  1332.  folio  120  recto. 

(2)  ibid.,  folio  119  recto. 

[•ô)  ibid.,  folio  120  veiso-121  recto. 


ÉTUDES    SUR    l'ÉSOïÉRISME    MUSULMAN.  95 

aux  faiblesses  de  la  nature  humaine.  Sans  doute,  il  est 
regrettable  que  l'âme  ne  puisse  se  libérer  autrement  que 
par  la  mort  des  entraves  de  la  matière  inerte,  et  que  son 
action  soit  étroitement  limitée  par  les  besoins  du  corps 
qui  la  revêt,  mais  comme  l'a  dit  Mahomet  «  la  matière 
est  le  véhicule  de  l'esprit,  c'est  sur  eux  deux  que  repose 
l'édifice  de  ce  monde  et  de  l'autre  (i)  ».  Si  l'on  ne  nourrit 
pas  le  corps  et  si  on  le  laisse  s'anéantir,  l'àme  immortelle 
n'aura  plus  le  moyen  d'exercer  son  action  dans  le 
monde  (2).  «  L'action  de  gagner  sa  vie,  a  dit  Sohraverdi,  est 
une  affaire  essentielle  et  grave  qui  requiert  de  nombreuses 
sciences  parce  qu'elle  s'étend  à  toutes  les  questions  qui 
se  posent  dans  le  monde  spirituel  et  temporel  »  (3).  Les 
Soufis  doivent  commencer  leur  repas  dès  qu'ils  ont  du 
pain  et  ne  pas  attendre  que  leur  table  soit  mieux  servie, 
car  le  pain  remplace  à  lui  seul  tous  les  autres  mets  ;  et 
encore  ils  ne  le  doivent  faire  que  lorsqu'ils  ressentent  les 
morsures  de  la  faim  ;  dès  qu'ils  sont  rassasiés,  ils  doivent 
cesser  de  mangei'  et  bien  se  garder  d'aller  au  delà.  En 
tout  cas,  il  est  absolument  défendu  à  ceux  qui  vivent  en 
communauté  de  commencer  leur  repas  avant  le  sheïkh. 
Hodhaïfa  rapporte  à  ce  propos  que  lorsque  les  compa- 
gnons de  xMahomet  se  mettaient  à  table  en  même  temps 
que  lui,  personne  ne  se  serait  permis  d'étendre  la  main 
vers  le  plat  avant  que  le  Prophète  n'ait  commencé  à 
manger  (4).  Sohraverdi  et  les  autres  auteurs  mystiques 


(1)  ï^)J\^  UaH  Ï)Uc  U:>  }  ^-J^]\  s-^-»  ^^flî^    Avarif  el-méarif,  man. 
arabe  1332,  folio  121  recto. 

(2)  ibid. 

îîjljiJkS^     kvarif  el-méarif\  man.  arabe  1332,  ibid. 
ibid.^  fol.  123  recto.    àU\  J^^  U-k  ^_2-^^  ^^.  ^-^^^  C-^-  f^  ^^*°  ^^  J^-;  t" 


94  LE    MUSÉON. 

indiquent  une  foule  de  prescriptions  sans  importance 
auxquelles  sont  soumis  les  repas  des  Soufis.  Chacune 
d'elles,  suivant  l'habitude,  est  basée  sur  une  ou  même 
sur  plusieurs  traditions  plus  ou  moins  authentiques. 

La  plupart  de  ces  prescriptions  sont  des  minuties  dont 
le  sens  nous  échappe  complètement  ;  par  exemple,  il  doit 
toujours  y  avoir  du  vinaigre  et  des  légumes  dans  le  menu 
des  Soufis.  D'autres  paraissent  plus  importantes  ;  il  leur 
est  en  effet  recommandé  de  diner  sur  des  nattes  et  non 
sur  des  tables  pour  se  conformer  à  une  coutume  de  Maho- 
met et  de  se  servir  de  la  main  droite  ;  de  plus,  il  leur  est 
recommandé  de  ne  pas  manger  seuls  quand  ils  peuvent 
faire  autrement  et  de  se  réunir,  autant  qu'il  leur  est  possi- 
ble, pour  prendre  leurs  repas  en  commun  ;  les  Soufis  qui 
vivent  en  communauté  ne  mangent  pas  dans  leurs  cellu- 
les, mais  dans  des  réfectoires,  à  moins  cependant  qu'ils 
ne  soient  en  retraite  (i). 

C'est  une  bonne  œuvre  de  commencer  et  de  terminer 
son  repas  par  du  sel  (2)  ;  le  Prophète  l'avait  recommandé 
à  Ali  et  Sohraverdi  nous  apprend  que  le  sel  n'a  pas  moins 
de  70  vertus.  Il  est  d'usage  que  les  Soufis  se  lavent  les 
mains  avant  et  après  le  repas  (3).  Sohraverdi  rapporte  que 
Soleïman  el-Farisi  avait  lu  dans  la  Bible  que  la  bénédic- 
tion du  repas  consistait  dans  une  ablution  soigneusement 
faite  quand  il  est  terminé  et  qu'il  demanda  au  Prophète 
quel  était  son   avis  sur  ce  point.  Mahomet  lui  répondit 


(1)  Avarif  el-ménrif,  man.  arabe  1332,  folio  122  verso  et  123  recto. 

(2)  V.  <J^  J^*  ài^  àï!>\  ^j^^  ^  ^jj  ^U>  ^;;_i.j  ^Uîl?  ^Ju^^  ^^\  cd5i  ^v*j 
çi*.U>  ^i.\  j  çJu.U>  cd^UL.  U>\  ^Ic  Avarif  el-méarif,  man.  arabe  1332, 
folio  122  verso. 

(3)  ihid.,  fol.  123  verso. 


ÉTUDES    SUR    l'ÉSOTÉIUSME    MUSULMAN.  95 

que  c'est  là  une  coutume  que  Ton  ne  saurait  trop  louer. 
Avant  de  commencer  leur  repas,  les  Soufis  ont  l'habitude 
de  réciter  une  sourate  ou  un  fragment  de  sourate  et  cela 
est  un  usage  presque  universellement  adopté.  A  la  première 
bouchée,  on  doit  dire  :  Au  nom  d'Allah  ;  à  la  seconde  :  Au 
nom  d'Allah,  le  Clément  ;  à  la  troisième  :  Au  nom  d'Al- 
lah, le  Clément,  le  Miséricordieux.  On  doit  également 
boire  en  trois  coups  et  dire  au  premier  :  Louange  à  Al- 
lah ;  au  second  :  Louange  à  Allah,  le  maître  des  mondes  ; 
au  troisième  :  Louange  à  Allah,  le  maître  des  mondes,  le 
Clément,  le  Miséricordieux  (i). 

11  serait  trop  long  et  parfaitement  inutile  d'indiquer 
toutes  les  prières  et  toutes  les  formules  que  les  Soufis 
récitent  au  cours  de  leurs  repas  ;  elles  ont,  dans  l'es- 
prit de  ceux  qui  s'obligent  à  les  réciter,  des  valeurs 
mystiques  qui  nous  semblent  puériles,  parce  que  les  au- 
teurs qui  ont  traité  de  l'Ésotérisme  musulman  n'ont  pas 
pris  la  peine  de  nous  dire  comment  ils  étaient  arrivés  à 
cette  interprétation  ;  peut-être  était-ce  un  des  grands 
secrets  j\^\  des  maîtres  du  Soufisme,  mais  il  se  peut  au  con- 
traire que  ces  interprétations  paraissaient  sutïisamment 
claires  aux  adeptes  les  moins  avancés  des  doctrines  ésoté- 
riques  pour  que  les  docteurs  qui,  du  fond  de  leurs  retrai- 
tes studieuses,  écrivirent  les  traités  dogmatiques  que  nous 
possédons,  aient  jugé  inutile  d'y  insister.  Jusqu'à  preuve 
du  contraire,  la  première  hypothèse  me  semble  la  plus 
vraisemblable. 


diî  Ju^îi  ^_;~.ji  J^\  ^i  Jyj;  ^JM\à}\  ïJ'Àij  un  v;-i^.';  r^-'^r^^  (j-*^;^^  ^^  r*"*-  ^^^^ 
^s=..j)\    Avarif  el-mêarif,  man.  arabe  1332,  folio  121  verso. 


96  LE   MUSÉON. 

VII 

Les  vêtements  des  Mystiques  doivent  être  conformes  aux 
prescriptions  ordinaires  de  l'Islamisme  poussées  à  l'extrê- 
me rigueur,  avec  cette  condition  absolue  qu'ils  doivent 
n'avoir  aucune  valeur  intrinsèque  comme  tout  ce  qu'ils 
possèdent  (i)  ;  on  ne  peut  évidemment  s'en  passer,  mais 
il  faut  réduire  leur  valeur  au  strict  minimum  (2).  Dans 
son  c^i-^i^^  <~>^->\  Sohraverdi  nous  apprend  que  les  Soufis 

doivent  s'habiller  de  ce  qu'ils  trouvent,  sans  choisir  et 
sans  avoir  honte  de  ce  que  le  hasard  leur  envoie  pour  se 
vêtir  (5).  Ali  auquel  les  Soufis  font  remonter  l'origine 
première  de  leur  secte  avait  une  veste  ^-a-^*?  dont  la  valeur 

ne  dépassait  pas  5dirhems  (4).  C'était  dans  leur  rage  d'imi- 
tation de  celui  qu'ils  considèrent  comme  le  plus  grand 
Saint  de  l'Ésotérisme,  le  prix  maximum  que  les  vrais 
Soufis  consentaient  à  mettre  à  leurs  vêtements.  Sohraverdi 
raconte  en  effet  dans  VAvarif  cl-méarif,  d'après  un  docteur 
nommé  Abou   Soleïman   el-Darani,   qu'un   certain  Soufi 


(1)  Man.  arabe  1337,  folio  107  reoto. 

(2)  Avarif  el-méarif,  man.  arabe  1332,  folio  124  verso  et  125  recto. 

(3)  ^^  f«UU\  ^^\  \^  "^j-^^^^  ^^^  C*''^  ^3*\)5/^  5  (j~aiî^  ci^UU.  1^  ^j-^-^H 
ctsJ^  ^joî  ,_^à;J\  uyUU  «  Les  vêtements  sont  un  des  besoins  de  l'àme 
animale  et  une  exigence  dont  elle  ne  se  peut  passer  pour  se  défendre  du 
froid  et  de  la  chaleur;  de  même,  les  aliments  sont  un  besoin  imprescrip- 
tible de  l'àme  animale  pour  repousser  les  attaques  de  la  faim  n  Avarif 
el-méarif,  man.  arabe  1332,  folio  124  verso.  On  remarquera  ici  le  sens 
bien  net  du  mot  ^j.^  «  âme  animale  »,  opposé  à  ç.,^  «  âme  intellectuelle, 
esprit  T>  ;  dans  la  théorie  des  Ésotéristes,  et  d'ailleurs  des  philosophes 
musulmans,  l'âme  animale  est  naturellement  l'origine  des  passions  maté- 
rielles qui  agitent  et  déséquilibrent  l'être  humain. 

(4)  ibid.,  fol.,  125  verso  :  U.^^  ,^,-.J  àj^  iiJ^  ^j>^  Ub  ^^y.^^\  j^\  ç^\  ^j^^ 


ÉTUDES    SUR    l'ÉSOTÉRISME    MUSULMAN.  97 

portait  une  tunique  en  poil  de  chèvre  qui  ne  valait  pas 
plus  de  5  dirhems  ;  il  eut  pendant  longtemps  fort  envie 
d'un  manteau  de  5  dirhems,  mais  il  ne  l'acheta  pas  parce 
qu'il  considérait  cette  envie  comme  un  désir  coupable  et 
presque  sacrilège  {i).  On  voit  par  plus  d'un  passage  du 
chapitre  XLIV  de  VAvarif  cl-méarif  que  les  Soufis,  sans 
être  tous  des  kalenders,  avaient  le  plus  profond  mépris 
qui  se  puisse  imaginer  pour  les  recherches  les  plus  élé- 
mentaires de  la  toilette. 

Suivant  des  traditions  musulmanes  certaines,  Jésus- 
Christ,  qui  fut  l'un  des  modèles  des  Mystiques,  se  revêtait 
d'un  habit  de  laine  tout  déchiré  avec  lequel  il  monta  au 
ciel  ;  un  sheïkh  raconta  qu'il  le  vit  en  songe  vêtu  de  cette 
loque  et  de  chacun  de  ses  lambeaux  émanait  une  lumière 
éclatante  (2).  Le  sheïkh  s'écria  :  «  0  Maître  !  quelles  sont 
ces  lumières  qui  resplendissent  sur  tes  vêtements  ?  —  Ce 
sont  les  lumières  de  ma  passion,  lui  répondit  le  Christ, 
j'ai  cousu  chacun  de  ces  haillons  au  prix  d'une  souffrance. 
C'est  des  angoisses  que  Dieu  a  envoyées  à  mon  cœur  qu'il 
a  rendu  lumineux  chacun  de  ces  lambeaux  ». 

Ali  ibn  Osman  el-Djoullabi,  dans  son  Keslif  el-mahdjoûb^ 
dit  qu'il  est  d'observance  stricte  pour  les  Soufis  de  ne 
porter  que  des  habits  déchirés  et  en  lambeaux.  Le  Pro- 
phète, d'après  une  tradition  l'apportée  par  le  même  auteur, 


(1)      àjJa)   ^S    <S0'°k^â>>    f>^^'^    ÏJùj    ïcLc    (•ÔJk:i\    (./~A*.     i5'\)'^^    (;)^-*>*'^    ^y    J^ 

ï^-L^n  ^1*5  vù,]^  j^\  ^fej^j  à-<.*.^>    ihid.,  folio  125  recto. 
(3)    i.s,^W  &j>lys  iJic  diî\  ïJi^   (*?.)'•  c:>?  ls^-!^  ^  c>>~.\  ûA/»^  rr^^^  j^^  j*'^^  î 

c:-^-.^  6A^b^  ^^^y  \ji\  j^  u>.~.\  6x0  Uj  ^^w  Jj*j  àS  Keshf  el-mahdjoub,  maii# 
supp.  persan  1086,  folio  27  recto. 


98  LE    MUSÉON. 

avait  donné  l'exemple  aux  premiers  musulmans  de  porter 
des  vêtements  de  laine  (souf)  (i)  et  de  ne  monter  que  des 
ânes.  Ce  serait  même  de  cette  circonstance  que  les  Soutis 
tireraient  leur  nom.  Une  tradition  rapportée  par  cet  auteur 
dit  :  «  Les  vêtements  en  loques  sont  une  robe  d'innocence 
pour  les  sectateurs  de  l'Ésotérisme  et  une  capucinade 
pour  les  gens  du  siècle  »  (2).  Comme  on  ne  peut  pas  avoir 
d'emblée  un  vêtement  en  lo(|ues,  il  est  évident  qu'on  doit 
se  résigner  à  en  porter  un  entier,  mais  son  étoffe  doit  être 
de  très  faible  valeur  et,  quand  le  vêtement  est  déchiré,  on 
doit  le  i'a|)iécer  avec  des  haillons.  Telle  fut  toujours,  au 
cours  des  âges  et  dans  toutes  les  parties  du  monde  de 
l'Islam,  la  règle  constante  et  invariable  des  ordres  de 
Soufis  et  des  confi'éries  du  Maii;hrel)  ;  le  luxe  est  l'ennemi 
de  l'homme  parce  qu'il  l'entraine  à  sacrifier  son  existence 
spirituelle  aux  contingences  de  la  vie.  A  cet  égard,  les 
prescriptions  édictées  par  le  Miihdi  de  Khartoum  furent 
aussi  sévères  que  celles  de  Mahomet  ;  il  n'y  a  qu'un  légis- 


(1)  <li  Vas>'  \\  ki^w^  <Jc;-i   ci>V*ï.-»  (_;~.^5  •  e>^-.\  à*i./»  (r>■^î    «-ij-a'^'*    v^âi    i^^Jkj 
r»^J^*  ^  yW^^  ï;^^  (J)-^^'>  ^j^)\  ^^J^■i  f^i^M  i*^-,  à.-)^  àii\  ^  c:-.2^  J^-; 

Keshf  el-mahdjoub,  man.  supp.  persan  1086,  folio  24  reoto. 

(2)  j^jx]\  J*:^  jjj^W  Jlj^^  j  \i^]\  jt'J  Viy]\  ^^_fi  ô.»ij^\  ce  qui  est  traduit 
en  persan  par  Djoullabi  dans  le  Keshf  el-niahdjoub  de  la  façon  suivante  : 

Aij'^  j\i  çiU  ...  parce  que  :  «  en  les  revêtant,  les  adeptes  de  l'Ésotérisme 

se  dépouillent  des  deux  existences  et  se  libèrent  des  ohaines  de  la  vie 
contingente  et  que  les  êtres  qui  vivent  dans  le  siècle,  en  les  mettant,  se 
voilent  (par  orgueil  de  vouloir  imiter  les  Soutis)  la  vue  d'Allah  et  perdent 
le  salut  n.  Il  faut  reconnaître  que  l'explication  de  Djoullabi  et  la  tradition 
attribuée  à  Mahomet  sont  assez  obscures,  {ibid.,  folio  26  recto  et  verso)  ; 
on  trouve  dans  le  Keshf  el-mahdjoub  d'Ali  ibn  Osman  el-rijouUabi  un 
hombre  très  considérable  de  ces  sentences  qu'il  serait  trop  long  de 
rapporter  toutes  ici  et  qui  d'ailleurs  se  répètent  très  souvent. 


ÉTUDES  sua  l'ésotérisme  musulman.  99 

lateur  musulman  qui  s'écarta  sur  ce  point  du  dogme 
koranique,  le  Bab  Ali-Mohammed  ;  mais  c'est  que  le  Bab 
qui  recommandait  à  ses  fidèles  de  se  couvrir  de  vêtements 
luxueux  dans  les  moments  les  plus  heureux  de  leur  vie 
était  l'adversaire  juré  des  Soufis  et  qu'il  est  complètement 
sorti  de  la  tradition  islamique  ;  d'ailleurs,  il  faut  bien 
reconnaître  que  les  Mystiques  et  les  Esotéristes  de  Perse, 
tout  en  respectant  les  traditions  attribuées  au  fils  d'Abd 
Allah,  n'ont  jamais  apprécié  les  loques  et  les  haillons 
autant  que  les  gens  de  Syrie,  d'Egypte  et  du  Maghreb.  Les 
miniatures  persanes,  dans  lesquelles  on  voit  figurer  des 
sheïkhs  soufis  et  des  docteurs  mystiques,  nous  les  mon- 
trent en  général  fort  proprement  vêtus,  et  il  est  certain 
que  les  peintres  du  XV^  et  du  XVI^  siècles  n'auraient 
pas  habillé  leurs  personnages  de  vêtements  décents  s'ils 
s'étaient  promenés  en  loques  et  en  guenilles  sous  le  soleil 
de  Shiraz  ou  d'Isfahan. 

VIII. 

Le  sommeil  du  Soufi  est  réglé  aussi  sévèrement  que  ses 
repas  ;  d'après  Sohraverdi,  il  convient  de  ne  pas  passer  à 
dormir  plus  d'un  tiers  de  la  journée,  soit  huit  heures,  six 
heures  durant  la  nuit  et  deux  heures  pendant  le  jour.  On 
peut  dormir  plus  longtemps  dans  la  journée,  si  l'on  y  tient, 
à  la  condition  de  défalquer  le  temps  qu'on  aura  ajouté  aux 
deux  heures  de  la  sieste  du  sommeil  de  la  nuit  (i).  Tout 
comme  les  Mazdéens,  les  Musulmans  ont  la  conviction 
que  le  sommeil  prolongé  expose  aux  tentations  des  sens. 


(1)   (^f^ti  •x^sj\  s-'/a-'i  ^  ^=-  ^y  j^^h  J^^  ^^  09^  o^  (_s*-!^  v3^  "^ 
méarif,  man,  arabe  1332,  folio  127  verso. 


100  LE    MUSÉON. 

Les  docteurs  soufis  croient,  et  non  sans  raison,  que  c'est 
durant  la  nuit  que  l'on  est  le  plus  exposé  aux  pires 
appels  des  sens  (i). 

Avant  de  s'endormir,  le  Soufi  doit  l'éciter  plusieurs 
prières,  cinq  versets  de  la  seconde  sourate  du  Coran, 
quatre  de  la  Fatiha,  le  verset  Joj^\^  oi^^Jl  jl=^  j  j^l,  les 

versets  du  Trône  et  aUI  C,  jl^  J^-^i  ^*\,  aIH  \^^:>\  ^_^  le 
commencement  de  la  sourate  Jo>sll  l^^-^M  fin  de  la  sourate 
,th  ijj^,  le  jjylOl  l^jl^  Ji  et  le  J^^\  aDI  _^i^  JS,  les  dix 
premiers    et    les    dix    derniers    versets    de    la   sourate 

,Sfi\  Ij^^  (2). 

A  son  réveil,  le  Soufi  doit  rendre  des  actions  de  g;râces 
à  l'Être  Unique  ;  avant  le  levei-  de  l'aube,  il  doit  faire  une 
purification  complète  et  la  leconunencer  dès  que  l'aube 
apparaît,  faire  une  prière  de  deux  rikaa,  réciter  la  Fatiha, 
puis  le  05/*^-^  ^i\i  J}i,  le  j^=>-^\  <)lil  _jib  J.9,  le  aI^Ij  \^^  y^s, 

le  —  <S^j'>\  Uj  U-ol  \'^j,  \etesbili  etc.,  une  prière  dont  l'efii- 

cacité  passe  pour  miraculeuse  chez  les  Soufis  :  «  Allah  !  pi'ie 
sur  Mohammed  et  sur  la  famille  de  Mohammed.  0  Allah  ! 
je  te  demande  ta  miséricorde  pour  ton  serviteur,  de  diri- 
ger mon  cœur  dans  la  vraie  voie,  etc.  »  (5),  et  d'autres  for- 


(1)  C'est  de  même  que  les  Soufis  qui  passent  leur  nuit  à  veiller  et  à  se 
livrer  aux  exercices  spirituels  éprouvent  un  plaisir  intellectuel  bien 
supérieur  à  celui  des  gens  qui  s'amusent,  a  dit  Abou-Soleïman  el-Darani 

r*^  o*  )^^^  J**^  e^  '"^  -^^  r»sy  o^  J.4î^  Ja>^  o^V-^^^  U^^  ^^^  J^*5 
Avarif  el-méarif,  raan.  arabe  1332,  folio  127  verso 

(2)  ibid.,  fol.  130  recto. 

..^  ^4X  Vj}  ^y^  v^*^^  W  ^Vj  *_s^^  ^3-  ^^***J    26ïrf.,  fol.  134  verso. 


ÉTUDES    SUR    l'ÉSOTÉRISME    MUSULMAN.  101 

mules  sur  lesquelles  Sohraverdi  insiste  très  longuement 
dans  les  chapitres  46  à  oO  de  VAvarif  d-méarif  parce 
qu'elles  forment,  en  définitive,  la  liturgie  de  l'Islamisme 
mais  qui  n'ont  que  très  peu  d'intérêt  pour  nous. 

Le  mérite  du  Soufi  croît  en  proportion  directe  de  la 
privation  de  sommeil  qu'il  s'impose  (i).  Le  mohtésib 
d'Eberkouh  dit  dans  le  Medjma  d-ba/ircïn  que  l'état  de 
veille  est  préférable  au  sommeil  et  surtout  au  sommeil 
troublé  par  des  rêves.  Les  Sou  fis  cherchent  à  dormir  le 
moins  possible,  non  pour  se  livrer  à  des  oraisons  ou  à  des 
pratiques  extérieures  du  culte,  mais  parce  que  le  sommeil 
est  un  triomphe  du  corps,  c'est-à-dire  de  l'élément  maté- 
riel de  l'homme  sur  son  élément  spirituel  et  que  c'est 
durant  le  sommeil,  ou  tout  au  moins  durant  le  sommeil 
prolongé  que  les  attaques  du  démon  sont  le  plus  à  crain- 
dre. 11  y  avait  même  des  Soufis  qui  passaient  des  nuits  et 
des  jours  entiers  sans  fermer  l'œil.  Tels  furent  quarante 
des  tabis  parmi  lesquels  Sohraverdi  cite,  d'après  l'autorité 
du  ^^ii)\  Oj9  du  sheïkh  Abou  Taleb  el-Mekki,  Said  ibn 

Mousayyab,  Fadil  ibn  lyadh,  Abou  Soleïman  el-Darani, 
Ali  ibn  Nakkar,  et  Hébib  el-Adjémi  qui  faisaient  la  prière 
du  matin  avec  la  purification  de  la  veille  au  soir.  Tout  le 
monde  n'ayant  pas  la  force  de  se  condamner  impunément 
à  de  pareilles  insomnies,  on  admet  que  l'on  peut  rester 
éveillé  les  deux  tiers  de  la  nuit  et  dormir  le  dernier  tiers, 
ou  un  tiers,  toutefois  le  minimum  extrême  est  le  sixième 


(l)  La  recommandation  de  prendre  le  moins  de  sommeil  qu'il  est  pos- 
sible forme  le  huitième  adab  de  la  vie  des  Soufis  dans  le  Medjma  el-bah- 
reïn  du  mohtésib  d'Èbericouh.  ^  0^  ^i  s^^^  «5^  •-^ — '^  ff^^-^^^  s^-^^  5  ^j'** 
jaV}  g^  d.,^  ^--j  Aii^^i.  ^e-  \y\  man.  persan  122,  page  478. 


10*2  LE    MUSÉON. 

de  la  nuit.  Il  y  avait  des  Mystiques  qui  dormaient  durant 
le  premier  tiers  de  la  nuit,  qui  veillaient  pendant  la 
moitié  et  qui  ensuite  se  rendormaient  pendant  le  dernier 
sixième  de  la  nuit  ;  d'autres  veillaient  durant  la  première 
moitié,  restaient  debout  pendant  un  tiers  et  s'allaient 
recoucher  pendant  le  dernier  sixième  de  la  nuit  (i). 

(A  continue?'),  E.  Blochet. 


u**c^  iji  J^*5  '-^t^"  i^i  «^î*-  ,*9-^  oLijiî\  >t^y  ï^JkAJ\  (j^^  ^y^  (:hi*?^^ 

(•W.J  'S'il'    (•^5)^  JP^  <-À<jJ^   ^Ui  j\^i5^  4_ju.  ^L>^  <Sac*  i»jsi^  ^.'H]  JJJ\  eJi>' 
^_;-A--î\    Alvarif  el-méarif.  man.  arabe  1332,  folio  132  verso. 


COMPTE  RENDU. 


E.  De  Jonghe.  Les  Sociétés  secrètes  au  Bas-Congo.  Extrait  de 
la  Revue  des  questions  historiques.  Octobre  1907.  Bruxelles 
PoUeunis. 

Il  existe,  au  Bas.-Congo,  des  usages  curieux  consacrant  Pépoque 
de  la  puberté.  Des  jeunes  gens  se  retirent  dans  les  bois,  sous  la 
conduite  d'un  vieillard  ou  d'un  féticheur,  dont  ils  reçoivent  un 
enseignement  assez  mystérieux. 

Ces  rites  de  la  pubefté,  exercés  en  sociétés  secrètes,  ont  déjà 
attiré  l'attention  des  ethnographes,  des  voyageurs  et  des  mis- 
sionnaires. Mais  il  semble  que  les  idées  émises  sont  encore  fort 
discutables  et  que  les  observations  faites  à  ce  sujet  ont  besoin 
d'être  passées  au  crible  d'une  rigoureuse  critique. 

L'entreprise  a  tenté  un  jeune  ethnographe,  et  je  me  hâte  de 
dire  que  l'essai  de  M.  De  Jonghe  est  plein  de  promesses  pour 
l'avenir.  Aussi  bien,  il  a  eu  l'honneur  d'être  associé  à  la  collabo- 
ration de  l'ouvrage  de  M.  C.  Van  Overbergh  sur  les  Bangalas. 

Dans  son  travail,  l'auteur  examine  les  idées  de  MM.  Schurtz 
et  Frobenius,  deux  ethnologues  allemands  qui  ont  surtout  appro- 
fondi la  matière.  Sans  se  livrer  à  la  critique  complète  de  leurs 
interprétations,  M.  De  Jonghe  énonce,  chemin  faisant,  assez  de 
réserves,  pour  montrer  que  la  question  des  sociétés  secrètes  au 
Bas-Congo  est  encore  susceptible  de  nouvelles  recherches. 

Il  ramène  à  onze  chefs  principaux  la  coordination  de  celles 
qu'il  vient  d'entreprendre  lui-même. 

Et  d'abord  quels  noms  portent  ces  sociétés  secrètes  ?  En  ne 
tenant  pas  compte  de  formes  dérivées  ou  altérées,  on  distingue 


104  LE    MUSÉON. 

surtout  le  nkimba  et  le  ndemho.  L'âge  d'admission  des  adeptes 
est,  par  les  auteurs,  donné  de  façon  assez  variable,  et  les  chiffres 
vont  de  dix  à  quarante. 

M.  De  Jonghe  étudie  ensuite  successivement  le  choix  des 
adeptes,  la  durée  et  le  lieu  des  épreuves,  les  cérémonies  d'entrée, 
les  déformations  artificielles,  surtout  la  circoncision,  le  costume, 
l'éducation  et  l'instruction.  Pour  ce  dernier  point,  signalons  la 
langue  secrète  dont  se  servent  les  initiés  du  ukimba.  Ils  sont  de 
plus  formés  aux  arts  et  métiers  et  instruits  des  croyances  reli- 
gieuses et  des  règles  de  la  morale. 

Enfin,  l'auteur  s'occupe  des  prescriptions  et  défenses  des 
cérémonies  de  sortie,  et  du  caractère  spécial  qui  s'attache  à  ceux 
qui  ont  subi  les  épreuves  du  nkimba. 

La  conclusion  de  M.  De  Jonghe  est,  que  si  l'on  connaît  assez  bien 
les  cérémonies  du  nkimba  et  ndembo,  on  est  encore  peu  fixé  sur 
la  véritable  signification  de  cette  institution.  Provisoirement,  ou 
peut  la  considérer  comme  «  un  organisme  d'institution  religieuse 
et  de  formation  civique.  Les  jeunes  gens  reçoivent  une  préparation 
à  la  vie  réelle,  au  sens  le  plus  large  du  mot,  c'est-à-dire  à  la  vie 
familiale,  à  la  vie  religieuse,  à  la  vie  politique,  etc....  „ 

L'article  de  M.  Ed.  De  Jonghe  se  termine  par  une  bibliographie 
critique  de  la  littérature  déjà  étudiée  du  sujet  qu'il  a  traité.  Il 
a  réparti  en  quatre  catégories,  celles  des  missionnaires,  des 
fonctionnaires  coloniaux,  des  explorateurs,  ou  des  auteurs  de 
seconde  main,  la  liste  des  ouvrages  et  des  articles  de  revues 
auxquels  il  a  eu  recours.  A  l'indication  bibliographique  très  soi- 
gneuse est  jointe  en  note  une  courte  notice  sur  l'auteur  et  une 
appréciation  motivée  sur  la  valeur  de  ses  recherches.  Cette  partie 
du  travail  de  M.  De  Jonghe  n'est  certes  pas  la  moins  importante. 
Elle  constitue  une  heureuse  innovation.  Trop  souvent,  certains 
bibliographes  se  contentent  de  citer  pêle-mêle  une  foule  d'ouvra- 
ges, et  le  lecteur  ne  sait  ce  que  valent  ces  informations.  S'il  est 
du  métier,  la  plupart  de  ces  renseignements  sont  pour  lui  sans 
valem'.  S'il  est  un  profane,  cette  prétendue  abondance  de  biens 
n'est  souvent  faite  que  pour  l'induire  en  erreur. 

Nous  ne  prendrons  pas  congé  de  M.  De  Jonghe,  sans  insister 
sur  la  haute  valeur  de  son  travail.  Conduit  avec  beaucoup  de  clarté 


COMPTE    RENDU.  105 

et  de  méthode,  il  se  distingue  avant  tout  par  une  logique  rigou- 
reuse qui  ne  dépasse  jamais  dans  ses  conclusions  la  portée  des 
faits.  L'ethnographie  nous  a  trop  fréquemment  offert  le  spectacle 
d'esprits  aventureux,  à  l'imagination  féconde,  brodant  sur  les 
données  recueillies,  parfois  très  minces,  des  systèmes  aussi 
fantaisistes  que  peu  durables,  pour  que  nous  saluions  pas  avec 
bonheur  l'entrée  dans  la  carrière  d'un  vaillant  collaborateur 
formé  aux  vrais  principes  et  qui  en  fait  la  plus  heureuse  appli- 
cation. 

J.  VAN  DEN  GhEYN. 


REVUE  DES  PERIODIQUES. 


Tlie  American  Journal  of  Philelogy, 
Whole  110.  (XXVIII,  2). 

1°  Transposition  Variants  in  Cicero''s  Verrines,  byW.PETEEsoN. 
Il  existe  450  passages  dans  les  Verrines  où  les  mss.  sont  en  dés- 
accord par  rapport  à  l'ordre  des  mots.  Ce  ne  peut  être  l'effet  d'un 
hasard.  La  raison  en  est,  sans  doute,  que  ce  texte  a  servi  à 
illustrer  les  règles  énoncées  par  divers  rhéteurs  sur  le  rythme 
de  la  prose  cicérouienne  et  que,  de  la  sorte,  souvent  on  am'a  été 
amené  à  modifier  Tordre  primitif  des  mots  pour  le  rendre  plus 
conforme  aux  théories.  M.  Peterson  constate  que  le  ms.  0,  qui 
jouit  d'une  grande  autorité  pour  la  constitution  du  texte  des 
Verrines  n'est  pas  un  guide  sûr  dans  la  question  présente. 

2"  The  nnreal  Conditional  Sentence  in  Cicero,  by  H.  C.  Ntjtting 
—  2"  article  —  L'étude  porte  sur  la  construction  si  essef-fuisset, 
l'emploi  du  futur,  la  concessive  irréelle. 

3°  Epigraphical  Prohlcms  in  the  history  of  Aitic  Comedy,  by 
E.  Capps.  Les  documents  épigraphiques  concernant  les  concours 
de  comédie  à  Athènes  sont  dans  un  état  si  fragmentaire  qu'ils  ne 
fournissent  que  des  renseignements  insignifiants  au  sujet  de  la 
chronologie  de  la  comédie  attique.  M.  C.  cherche  à  rassembler 
les  données  qu'on  peut  y  recueillir  sur  la  dm'ée  de  la  synchorégie 
(elle  s'étendrait  jusqu'au  milieu  du  quatrième  siècle),  l'en-tète  des 

fastes  (il  suggère  :  ol'Se  vôvcx-v^xaTiv àcc'  où  -pôJTov  xûj^oi  ^crav 

Ttoi  AiovuGcùi  'EXsuGîpeî),  l'établissement  des  coucom's  comiques 
aux  jeux  lénéens,  la  question  de  savoir  si  c'était  le  poète  ou  son 
SiSxcxxXoç  qui  était  vaiuquem'  (les  listes  de  vainqueurs  n'auraient 


HEVUR    DES    PÉllIODIQUES.  107 

contenu  que  les  -of/jTaî  proprement  dits),  la  chronologie  de  la 
liste  dionysienne,  etc. 

4°  Boccacio  and  Scneca,  by  A.  S.  Cook.  Boccace  intercale 
plusieurs  fois  dans  sou  décaméron  des  passages  de  THippolyte  de 
Senèque. 

Vol.  XXVIII,  3.  (Wholen"  IH). 

1°  MiNTON  Warren.  The  Stèle  Inscription  in  thc  Homan  Forum, 
P'  part.  Il  s'agit  de  Tiuscription  sur  une  stèle  funéraire  du  forum 
romain  et  publiée  dans  les  Not.  Scav.  1890.  Depuis  lors  des  flots 
d'encre  ont  été  versés  à  propos  de  ce  texte  fort  maltraité.  M.  W. 
pense  que  Ton  ne  pourra  arriver  à  des  conjectures  sérieuses  p(jur 
combler  les  lacunes  que  par  des  comijaraisous  avec  les  inscriptions 
relatives  aux  sacritic(_\s  dans  les  taides  cuguluncs.  M.  W.  restaure 
le  texte  comme  suit  :  -^  j)oplifugAO(/  Zuvei  îi.nncnta  Inpia  dota 
vitulationej»  /ovei  te.  ri.  forei  viskesa  kajjitirl  keivro?u  quoi 
havelod  neque  stelos  estod  sakrutikiof/  luvesfod  loiqniod  n  II  prend 
kapla  comme  un  a<lj(K'tif  v(n'bal  de  capio,  analogue  à  ecimius  et 
effugia,  uxmentfi  signifierait  "  des  Ixt'ufs  ,•  étant  de  la  même 
racine  que  le  skr.  uJcsan,  havelod  serait  une  méprisi^  jxjur  liacc 
volet.  Le  sens  sei'ait  :  •'  que  tout  citoyen  qui  le  désire,  })reiine  les 
viscères  et  que  ce  ne  soit  pas  un  })éclié,  jjourvu  qu'un  sacrifice 
convenable  soit  laissé.  » 

2'  Tenney  Frank.  Latin  and  Germanie  Modal  Conreptions. 
Comparaison  entre  l'importance  et  la  nature  de^s  (Miiplois  du  sidi- 
jonctif  dans  le  syntaxe  latine  et  dans  (■elle  di^s  langues  germani- 
ques. 

3°  E.  K.  Rani).  The  Chronoloyy  of  Ooid  Early  U'orhs. 

4°  K.  Allen.  The  date  of  Ciecro's  Cato  major  De  Senectnte. 
L'évidence  interne  et  externe  indiipie  (pie  ce  trait(''  c(UTesp(»ud  à 
l'état  d'esprit  de  C'ic(''ron  peu  a\ant  les  Lies  dt^  .Mar.>  dui"ant 
lesquelles  César  fut  assassiné. 

5°  G.  DwiGHT  Kellogg.  Study  of  a  Proverh  Atlrihuted  to  te 
Rhetor  Apollonius.  Il  s'agit  de  cidui  cité  ])ar  Cicéron  (Invent.  1, 
56,  109)  :  ''  lacrima  niliil  eitiiis  arescit.  » 

6"  \Y.  H.  KiRK.  Studies  in  the  First  Uooh  of  the  Aeiidd, 


408  LE    MUSÉON. 

Le  vol.  XI  des  Stiidies  and  Notes  in  Pliilology  and  Literature 

est  consacré  à  une  importante  étude  de  M.  W,  Marris  Hart  sur 
«  Ballad  and  Epie  —  A  Study  in  the  Development  of  the  Narrative 
Art  ,5.  L'auteur  s'est  donné  la  tâche  de  faire  une  étude  compara- 
tive sur  la  ballade  et  l'épopée  comme  G.  Paris  et  Ten  Brink  l'ont 
suggérée  sans  la  tenter.  Il  s'attache  à  définir  la  simple  ballade,  à 
en  suivre  les  diverses  phases  à  travers  le  Cycle  et  la  Geste  et 
finalement  à  caractériser  l'Epopée  comme  point  d'aboutissement 
de  cette  évolution  lequel  se  trouve  être  en  même  temps  le  point 
initial  de  la  poésie  d'art.  Il  s'efforce,  documents  en  main,  de 
justifier  par  une  analyse  sérieuse  des  vieilles  ballades  germaniques 
et  ensuite  des  deux  grands  poèmes  :  la  Chanson  de  Roland  et  le 
Beow^ulf,  la  justesse  des  affirmations  courantes  un  peu  à-prioris- 
tiques  sur  la  filiation  des  poèmes  narratifs  et  le  développement 
continu  qu'on  peut  y  suivre  de  la  simple  ballade  à  l'épopée. 

La  Revue  de  l'Histoire  des  Religions  LV,  1,  2,  5  et  LVI,  i. 

1"  Jean  Réville.  Les  origines  de  VEucharistie  {V^  article). 

En  publiant  une  série  d'articles  sur  cette  question  qui  a  déjà 
fait  l'objet  d'études  sans  nombre,  M.  R.  a  l'intention  de  faire  un 
exposé  aussi  clair  que  possible  de  l'état  des  sources  dont  on 
dispose  pour  faire  l'historique  des  idées  régnant  dans  les  premiers 
temps  de  l'église  par  rapport  au  sacrifice  du  pain  et  du  vin. 

2"  S.  Reinach.  Mercure  tricéphale. 

Un  bas-relief  de  l'ancienne  Lutèce  conservé  au  Musée  municipal 
de  Paris  représente  un  personnage  à  trois  têtes.  Des  figures 
analogues  apparaissent  sur  d'autres  pierres  d'origine  gallo-romaine. 
M.  R.  croit  pouvoir  identifier  cette  divinité  jusqu'ici  sans  déno- 
mination avec  le  Mercure  gaulois,  à  cause  des  attributs  dont  elle 
est  accompagnée.  Il  s'agirait  d'une  ancienne  divinité  celtique  que 
César  déjà  identifiait  avec  Mercure  et  qui,  à  ce  qu'il  rapporte, 
était  l'objet  en  Gaule  d'un  culte  tout  particulier.  Les  trois  têtes  de 
ce  dieu  voyageur  symboliseraient  les  carrefours.  Le  type  des 
bas-reliefs  aurait  été  influencé  par  des  représentations  archaïques 
d'Hermès,  du  VI®  siècle. 


REVUE    DES    PÉRIODIQUES.  109 

3"  R.  Basset.  La  Connaissance  de  V Islam  au  Moyen-Age. 
(!«■•  article). 

L'Islam  était  en  général  mal  connu  et  défiguré  au  moyen-âge. 
Toutefois  certains  ouvrages  paraissent  avoir  puisé  à  des  docu- 
ments authentiques  et  donner  sur  la  religion  de  Mahomet  des 
renseignements  assez  sérieux.  Ce  sont  ces  documents  que  M.  B. 
a  l'intention  de  faire  connaître.  Il  commence  par  un  soit-disant 
«  rapport  des  frères  prêcheurs  d'Orient  intercalé  dans  VHistoria 
Anglorum  major  de  Matthieu  Paris, 

4°  E.  Been.  Leeoy.  Interprétation  iisychologique  des  visions 
intellectuelles  chez  les  mystiques. 

Il  s'agit  parmi  les  formes  revêtues  par  la  connaissance  mystique, 
de  celles  appelées  :  «  visions  et  paroles  intellectuelles,  d  M.  L.  les 
définit  comme  étant  «  des  états  survenant  indépendamment  de  la 
volonté  du  sujet,  cessant  de  même,  et  pendant  lesquels,  il  semble 
être  de  son  propre  aveu,  passif  et  soumis  à  l'influence  directe  de 
forces  supérieures  « .  Il  en  distingue  trois  espèces  :  Les  phéno- 
mènes de  la  première  catégorie  semblent  consister  en  une  sorte 
•d'interprétation  qui  se  présente  à  l'esprit  du  sujet.  La  seconde 
catégorie  comprend  des  faits  de  compréhension  avec  des  idées 
plus  ou  moins  abstraites  :  En  troisième  lieu,  il  arrive  que  l'on  se 
croit  accompagné  d'une  personne  qui  se  tient  à  nos  côtés  à  droite 
ou  à  gauche  et  dont  la  présence  nous  impressionne  agréablement 
ou  désagréablement. 
5°  M.  Revon.  —  Le  Shinntoïsme. 

C'est  le  dernier  d'une  série  d'articles  parus  dans  les  tomes 
XLIX  à  LIV.  Celui-ci  est  consacré  à  l'histoire  des  dieux  japonais, 
à  des  détails  sur  leur  vie  et  aux  mythes  auxquels  ils  sont  mêlés. 
6°  G.  Paeis.  Le  Conte  du  trésor  du  roi  Rhampsinife.  Etude  de 
mythographie  comparée,  publiée  d'après  un  manuscrit  inédit,  avec 
préface  de  M.  G.  Iluet. 

Il  s'agit  d'un  travail,  resté  inédit,  lu  par  l'auteur  à  l'Académie 
des  Inscriptions  en  1874.  Depuis  lors,  M.  Kohler  a  publié  une 
variante  bouddhique  du  récit  d'Hérodote  qui  paraît  effectivement 
fort  ancienne.  L'historiette  figure  dans  le  livre  de  Sindibâd,  le 
Dolopathos,  le  roman  de  Berinus  et  Aigres,  le  Pecorome  du 
P'iorentin  Ser  Giovanni,  les  récits  des  Highlanders  d'Ecosse 
récoltés  par  M.  Campbell,  etc. 


110  LE    MUSÉON. 

G.  Paris  s'attache  à  démontrer  que  loin  (rètre  la  soiu'ce  des 
autres  versious  du  conte,  le  récit  d'Hérodote  n'eu  est  pas  même 
la  forme  la  i)lus  ancienne  ni  la  })lus  pui'e.  Il  ne  croit  pas  non  plus 
que  rinde  soit  sa  patrie.  Sans  vouloir  tranclier  la  question  d'ori- 
gine, il  penche  })our  Babvlone. 

T''  J.  ItÉviLLE.  Lerons  d' ouverture  du  Cours  d'Histoire  des 
Bel /y  ions  au  Collège  de  France. 

8"  Noie  de  M.  Nicolas  sur  V  Essence  divine  et  la  Volonté  primilive 
selon  le  Bàb. 

9°  A.  J.  Rr;iNACH.  l^ila  Horatia  et  Piluninoe  Foplae. 

M.  11.  s'ap[)lique  à  démontrer  que,  contrairement  aux  explica- 
tions des  Romains,  ni  le  soi-disant  trophée  d'Horace,  les  Fila  Ho- 
ratia, ni  les  mots  ;  pilumnae  poplae  du  Carmen  saliare,  ne  tendent 
à  démontrer  que  le  piluni  ait  été  l'arme  caractéristique  des 
Romains  primitifs.  Celle-ci  était  la  quiris.  F ilumnus  était  un  nom 
de  divinité  d<'  foj'uiation  analogue  à  celle  de  Alemona  de  alo, 
Vitumnus  de  vito,  Volumnus  de  volo.  Ce  dieu  formait  un  couple 
avec  Ficuninus  (le  dieu  àw  picnum  :  outil  tranchant)  et  son  nom 
est  tin''  du  pilum,  conçu  non  comme  une  arme,  mais  comme  un 
mortier. 

10"  R.  1)fss.\ud.  Canaan  d'après  l'exploration  récente. 

Analyse  du  livre  du  R.  P.  Hugues  Vincent.  —  Les  découvertes 
récentes  les  plus  importantes  eurent  lieu  à  Gézer  où  l'on  a  trouvé 
des  cavernes  avec  des  os  de  porc,  restes  de  sacrifices  pré-israélites, 
et  un  bel  exemple  de  haut  lieu  cananéen  antérieur  à  l'an  2000, 
avec  des  pieri-es  dressées.  A  Tanmak,  on  a  exhumé  une  nécropole 
d'enfants,  un  "  autel  des  parfums  «  du  IX*  siècle.  Le  P.  Vincent 
s'est  attaché  à  l'interprétation  et  à  la  description  de  ces  diverses 
découvertes. 

Transactions  ofthe  American  Philological  Association  1906. 

1°  E.  W.  Fay.  Latin  Word  Studios  :  arcessit,  (kv<x.jy.-fi  •  ^^(^^^^^ 
(base  (e)nek),  vicissim  ("cf.  germ.  Wechsel),  severus,  amarus, 
amoenus,  amat  (base  amê(y)  =  premit),  frangit:  frëgit. 

2°  B.  Perein.  The  Death  of  Alcihiades. 

3"  R.  Grubb  Kent.  The  Time  Elément  in  the  GreeJc  Brama. 


REVUE    DES    PÉRIODIQUES.  111 

4"  J.  E.  Hakry.  The  Perfect  Forms  in  Later  Greek  from 
Aristotle  to  Jiistinian. 

b°  A.  R.  Anderson^.  Ei-Iieadings  in  the  31  ss  of  Plautus. 

6"  E.  Washburn  Hopkins.  The  Fcdic  Dative  Reconsidered. 

7°  Walton  Bhooks  Me.  Daniel.  Sonic  passages  concerning 
Ball-Games. 

8°  A.  T.  :\IuEEAY.  The  BhcoUc  Idylls  of  Theocritus. 

9"  A.  Granger  Harkness.  The  Relation  of  Accent  to  Pause- 
elision  and  to  Hiatus  in  Plautus  and  Terence. 

10"  E.  Cary.  Victorius  and  Codex  I  of  Aristophanes. 


CHRONIQUE. 


M,  Ehelich  dans  la  Zeltschrift  fur  verglcichende  Sprachfor- 
schung  41.  3.  p.  285  sqq.  s'occupe  de  Pétymologie  de  quelques 
divinités  gréco-romaines  fort  importantes.  Il  s'élève  contre  le 
rapprochement,  souvent  fait  entre  Juno  et  Aicovv).  Aiwvt;  est  un 
simple  féminin  de  Zsuç.  Il  ne  peut  en  être  de  même  pour  Juno, 
car  dans  ce  cas  il  faudrait  que  son  u  remontât  à  une  diphtongue, 
ce  qui  est  contredit  par  les  inscriptions  les  plus  anciennes.  Juno 
serait  plutôt  l'équivalent  du  védique  yôsâ,.  gén.  yosnds  (jeune 
femme,  épouse),  mais  avec  une  racine  faible,  s  est  tombée  devant 
n  comme  danspeswis  <^2)ennis,  Losna  <Lîina,  etc.  Le  nom  propre- 
Junius  est  de  même  pour  iusnios.  Il  est  à  remarquer  que  Junon 
est  la  déesse  du  mariage.  Toutes  les  particularités  de  son  culte 
s'expliquent  par  cette  nature  fondamentale  de  la  grande  déesse 
romaine. 

M.  Brugmann  (Ind.  Forsch.  III,  253)  tente  de  rapporter  fjt.oû<ya 
à  la  racine  mcn  (penser).  Ehrlich  tout  en  ne  pouvant  accepter 
cette  étymologie  pour  des  raisons  phonétiques,  admet  qu'au  point 
de  vue  sémantique,  elle  est  préférable  à  la  conjecture  de  Wacker- 
nagel  (IMoûffa  =  (xovxta  =  nymphe  des  montagnes)  parce  que  le 
caractère  primitif  des  muses  ou  plutôt  de  la  muse  n'est  pas  celui 
d'une  nymphe  mais  uniquement  d'une  excitation  intellectuelle. 

M.  Ehrlich  propose  donc  au  lieu  de  *{jt,ovTta  un  primitif  {xovQta, 
provenant  d'une  racine  menth  (exciter,  agiter)  (skr.  manthati, 
a.  si.  mçtq  =  xapaTTsiv).  [;.6v9ta  de  p,ev9  est  une  fornuition  tout 
à  fait  analogue  à  {Aotpa  de  (jLsp.  Les  mots  grecs  [xovOuXeusiv,  {^.dcGuiai, 
[xdôoç,  |7.àffTa^,  (x£<tt6(;  se  rapporteraient  à  la  même  racine  que 
ftoOca,  mot  qui  aurait  donc  un  sens  voisin  de  xapa/^. 


I 


CHRONIQUE.  il5 

Le  rapprochement  :  Vesta  :  'EaTÎa,  une  des  rares  identifications 
mythologiques  qui  ait  conservé  quelques  partisans,  ne  trouve  pas 
non  plus  grâce  devant  M.  Ehrlich.  11  remarque  que  écxia  n'est 
qu'une  hypostase  du  foyer  dont  la  personnification  est  postérieure 
aux  temps  homériques.  En  outre  la  forme  saTia  ne  se  rencontre 
qu'en  attique  oii  elle  a  subi  une  contamination  avec  éa/àpa.  Par- 
tout ailleurs  on  a  Igtitj  ou  larix  dont  la  forme  primitive  paraît 
avoir  été  (jFtaTia  qui  se  rapporte  à  un  ind.-eur.  stieitô  (brûler)  cf. 
a.  h.  a.  swîdan  (brûler),  lat.  sitls  ])OVlV  stàtis,  etc. 

Le  nom  des  dieux  Mânes,  se  rapporterait  bien  à  l'ancien 
adjectif  manus  comme  le  veut  Vanicek  mais  cet  adjectif  signi- 
fierait non  pas  "  bon  »,  sens  qui  reposerait  sur  une  mauvaise  inter- 
prétation donnée  par  les  anciens  au  Carmen  Soliare,  mais 
«  furieux  n.  Le  singulier  de  Mânes  :  mânis  serait  identique  à  [;-^vtç 
et  se  retrouverait  dans  mwftw/5  (farouche)  =  qui  est  in  mâm.Cerus 
manus  serait  le  pendant  masculin  de  Demeter  Erinys.  La  Genita 
Mana  de  Pline  n.  h.  XXIX.  58  serait  aussi  une  déesse  de  la  terre 
et  de  la  mort.  Les  mânes  seraient  donc  les  âmes  irritées  des 
défunts,  conception  analogue  à  celle  des  Erinyes. 

Enfin,  l'on  aurait  eu  tort  de  faire  des  du  Lares  des  divinités 
du  sol.  Les  anciens  les  identifiaient  aux  âmes  des  morts  et 
M.  Ehrlich  leur  donne  raison.  Diverses  particularités  de  leur 
culte  le  prouveraient  :  la  part  réservée  dans  les  repas  au  Lar 
famlliaris  comme  en  Grèce  à  l'àyaOôç  Saîfxwv  ou  aux  vjpweç,  le  cuite 
des  Lares  compctales  qui  correspond  à  Hécate  vénérée  dans  les 
carrefours,  endroits  choisis  pour  placer  les  tombes,  les  Lares 
reçoivent  des  sacrifices  propitiatoires  et  ont  pour  mère  Mania 
(cf.  dii  mânes),  Les  représentations  les  plus  anciennes  des  Lares 
indiquent  qu'ils  furent  considérés  jadis  comme  des  chiens  ou  des 
oiseaux,  de  même  que  les  Erinyes,  les  Keres  et  les  Harpyies.  Le 
nom  Lares  (anc.  Lases)  ne  peut  être  séparé  de  celui  des  larvae 
(esprits  des  défunts)  ou  de  la  déesse  de  la  mort  chez  les  Sabins 
Larunda  (lat.  *Larenia).  Tous  ces  mots  se  rattacheraient  au  skr. 
lasati  «  er  ist  lebhaft  n,  gr.  XtXatofy-at  "  heftig  verlangen  «  lat. 
lascivus  «  lebhaft  r,  goth.  lustus  cret.  Xstw  (vouloir),  etc.  prove- 
nant d'une  racine  ind.  eur.  Us  qu'on  ne  peut  séparer  de  celle  qui 
a  donné  naissance  à  got.  lascios  (faible),  ags.  lysu  «  méchant  n, 


114  LE    MUSÉON. 

lat.  suhlestus  (fsiihle),  gr.  àXao;  "  versehrt,  blind  «,  àXà(jTcop  (esprit 
vengeur).  Les  Lares  seraient  donc  les  esprits  des  morts,  remuants, 
tourmentants  et  vengeurs. 

Adonis  est  peut-être  la  divinité  antique  qui  aura  le  plus  pré- 
occupé les  historiens  des  religions  à  notre  époque. 

M.  J.  Frazer  dans  son  ouvrage  :  Adonis,  Attis,  Osiris.  Londres 
1906,  l'assimile  à  Melqart  et  rapproche  les  pratiques  des  Adonies 
des  cérémonies  qui  se  passaient  autour  du  l)ûclier  de  Melqart. 
La  résurrection  d'Adonis  est  aussi  comparée  par  lui  au  réveil 
de  l'Hercule  de  Tyr.  Par  là,  M.  F.  s'efforce  de  rattacher  la  mort 
d'Adonis  et  celle  de  Melqart  à  la  notion  fondamentale  du  Golden 
Bough  :  «  des  représentants  humains  des  divinités  mis  à  mort  à 
des  époques  fixes  ». 

M,  R.  DussATJD  (Rev.  Relig.  LV.  p.  115)  objecte  à  ces  construc- 
tions que  Adonis  est  un  appellatif  tandis  que  Tamuiouz  est  un 
nom  propre  qui  n'avait  pas  cours  chez  les  vrais  Phéniciens.  M.  F. 
aurait  dû  identifier,  d'après  lui,  Adonis  non  pas  à  Melqart  mais  à 
Esmun,  lequel  est  un  esprit  de  la  végétation  que  des  rites  appro- 
priés servent  à  récupérer  au  temps  de  la  moisson. 

C'est  par  un  développement  ultérieur  qu'Adouis-Echmoun 
aurait  fini  par  s'élever  à  la  représentation  de  l'Esprit  vital  par 
excellence,  ce  qui  amena  son  identification  avec  Asklepios. 
M.  D.  a  exposé  ces  idées  dans  une  étude  publiée  dans  le  Journal 
des  Savants  (janv.  1907)  à  propos  des  travaux  récents  de 
M.  von  Baudissin  consacrés  au  dieu  Esmun. 

* 
*       * 

RoTH  avait  signalé  dès  1875  l'existence  au  Cachemire  d'une 
recension  originale  de  l'Atharva  Veda,  celle  des  «  Paippalâdas  ». 
Bien  que  le  savant  sanscritiste  eût  montré  l'importance  de  ce 
texte  qui  est,  à  ce  que  pense  M.  Caland,  plus  ancien  que  la  vulgate, 
il  n'avait  encore  fait  l'objet  d'aucune  édition  critique.  Voici  que 
M.  Le  Roy  Carr  Barret  vient  d'en  tenter  une  pour  le  premier 
livre  dans  le  Journal  of  the  American  Oriental  Society  XX VL  2^. 
half.  p.  197  sqq.  Le  texte  est  dans  un  assez  triste  état  mais  le 
travail  de  l'éditeur  n'en  est  que  plus  méritoire  et  plus  utile  :  la 
version  des  Paippalâdas  fournit  des  matériaux  nouveaux  et  pour 


CHRONIQUE.  H5 

les  parties  commîmes,  donne  des  variantes  intéressantes.  De  plus, 
le  classement  des  textes  est  nettement  différent  de  celui  de  la 
vulgate. 
—  A  propos  de  la  transcription  pâzende  Jjco^ciji^ii^  du  mot 

\  ' 

pehlevi   ^)^01?-^"*(yd'  ^-  Bartholomae  établit  dans  la   Wiener 

Zeitschrift  f.  s.  Kunde  des  Morgenlandes  XXI  p.  1.  une  particu- 
larité intéressant(?  de  l'écriture  pehlevie,  c'est  que  devant  3  ou  j 
Va  bref  s'(''crit  a).  Il  transcrit  donc  le  mot  ci-dessus  par  ^)a/«rëa:'^a)i 
et  non  par  pâlir l'xtaii.  Une  nombreuse  série  d'exemples  viennent 
à  l'appui  de  cette  règle  jusqu'ici  généralement  méconnue. 

* 
*       * 

Il  y  a  quelque  temps,  parut  la  nouvelle  de  la  découverte  de 
deux  textes  grecs  fort  intéressants.  L'un  était  un  palimpseste 
contenant  un  écrit  perdu  d'Archimède,  l'autre  était  une  collection 
de  papyrus  exhumés  à  Kôm  Ishkaou,  l'ancienne  Aphroditopolis 
et  contenant  des  fragments  importants  de  Ménandre.  Le  texte 
d'Archimède  est  maintenant  traduit  et  les  spécialistes  n'ont  pas 
été  peu  surpris  d'y  trouver  la  démonstration  très  ingénieuse  de 
diverses  propriétés  du  cylindre  et  des  sections  coniques,  démon- 
stration que  les  mathématiciens  modernes  n'avaient  pu  produire 
que  grâce  aux  méthodes  des  mathématiques  supérieures.  Les  frag- 
ments de  Ménandre  viennent  eux  aussi  d'être  rendus  accessibles 
au  public  par  l'édition  qu'en  donne  l'heureux  inventeur,  M.  Gus- 
tave Lefebvre  avec  le  concours  de  M.  Maurice  Croiset,  dans  les 
«  Publications  du  Service  des  Antiquités  d'Egypte  «.  Le  Caire 
1907. 

Les  feuillets  découverts  à  Kôm  Ishkaou  sont  des  lambeaux  d'un 
codex  de  la  fin  du  second  siècle  de  notre  ère.  Malgré  l'état  frag- 
mentaire de  ces  textes,  on  a  pu  reconstituer  le  développement 
des  quatre  comédies. 

L'une  surtout  est  assez  bien  connue  :  Les  Epitrepontes  ».  Le 
jeune  Charisios  lors  de  la  fête  de  nuit  de  Tauropolies  a  eu  des 
relations  avec  une  jeune  fille  qu'il  ne  connaît  pas  et  entre  les 
mains  de  laquelle  il  a  laissé  son  anneau.  Peu  après,  il  épouse 


116  LE    MUSÉON. 

cette  jeune  fille  sans  la  reconnaître.  Celle-ci  après  cinq  mois  de 
mariage  a  un  enfant,  celui  de  Charisios,  qu'elle  fait  exposer  en 
cachette.  Le  mari  l'apprend  et  veut  la  répudier  mais  l'anneau  fait 
reconnaître  que  l'enfant  est  celui  de  son  mari  et  les  époux  se 
réconcilient  ».  Le  nom  vient  d'une  scène  d'arbitrage  qui  n'a  qu'un 
rôle  secondaire  dans  la  pièce. 

Une  autre  pièce  a  été  identifiée  avec  la  Samia.  Le  rôle  le  plus 
important  y  est  joué  par  une  Samienne,  concubine  d'un  certain 
Meschion  avec  lequel,  elle  a  diverses  scènes  de  ménage. 

Une  troisième  comédie  est  la  Férikeiroméné  dont  MM.  Grenfell 
et  Hunt  avaient  déjà  retrouvé  un  important  fragment. 

Le  passage  de  M.  Lefebvre  met  en  scène  "Ayvota  ou  la  Méprise 
personnifiée  qui  renseigne  les  spectateurs  sur  les  antécédents  de 
l'action.  Il  s'agit  de  deux  enfants  trouvés  :  Glykera  et  son  frère. 
Séparés  dans  leur  jeune  âge,  ils  se  rencontrent  ensuite  sans  que 
le  jeune  homme  reconnaisse  sa  sœur  et  il  s'amourache  d'elle.  Il 
s'en  suit  des  aventures  fort  compliquées  et  difiiciles  à  restituer.  La 
quatrième  pièce  n'est  connue  que  par  un  fragment  d'une  cinquan- 
taine de  vers.  On  pense  qu'il  s'agit  de  la  pièce  connue  sous  le  titre 
de  Héros.  Le  passage  retrouvé  est  un  dialogue  entre  deux  esclaves. 

Dans  la  séance  du  14  décembre  1906  de  l'Académie  des  Inscrip- 
tions et  Belles-Lettres,  M.  S.  RErNACH  a  fait  une  curieuse  com- 
munication sur  le  mot  "  sycophante  » .  Ce  terme  doit  être  rappro- 
ché de  «hiérophante»  qui  signifie  "révélateurd'objets  sacrés  «dans 
les  mystères.  A  Eleusis,  il  révélait  un  épi  de  blé.  Or,  en  Attique, 
le  culte  de  la  figue  existait  concurremment  au  culte  du  blé.  M.  R. 
pense  donc  que  les  «  sycophantes  »  étaient  aussi  primitivement  des 
fonctionnaires  des  mystères.  Hiérophantes  et  Sycophantes  exclu- 
rent des  cérémonies  ceux  dont  les  pensées  ou  les  actes  étaient 
jugés  impurs.  Tandis  que  les  hiérophantes  étaient  respectés 
comme  attachés  aux  grands  mystères  d'Eleusis,  leurs  collègues 
des  cultes  campagnards  de  l'Attique  :  les  sycophantes  ne  jouirent 
pas  d'autant  de  considération  et  leur  nom  fut  appliqué  à  tous  ceux 
qui  accusaient  à  la  légère  leurs  concitoyens. 

* 


CHRONIQUE, 


117 


Les  résultats  des  fouilles  opérées  l'an  passé  en  vue  d'éclairer  la 
préhistoire  de  l'Europe  en  général  et  de  la  Grèce  en  particulier 
peuvent  se  résumer  comme  suit  :  Dans  le  bassin  de  la  mer  Egée, 
plusieurs  petites  découvertes  ont  ajouté  de  détails  intéressants  à 
ce  que  nous  savions  de  la  civilisation  Cretoise.  Plus  au  nord,  dans 
le  bassin  du  Danube,  on  a  mis  à  jour  des  tombes  qui  oii'rent  de 
nombreux  points  d'analogie  avec  les  types  anciens  de  civilisation 
en  Thessalie  et  en  Troade.  En  outre,  vers  l'ouest,  on  a  pu  consta- 
ter l'existence  d'influences  Cretoises  peut-être  même  de  colonisa- 
tion Cretoise  dans  tout  le  bassin  occidental  de  la  Méditerranée. 

Une  découverte  assez  curieuse  est  celle  opérée  à  Sparte  par 
l'Ecole  Anglaise  d'Athènes.  Dans  le  terrain  sur  lequel  reposait  le 
temple  de  Artemis  Orthia,  on  a  trouvé  des  fibules  analogues  à 
celles  du  Nord  de  l'Italie  et  de  Halstatt  et  une  grande  quantité 
d'ambre.  Ces  objets  étaient  mêlés  à  des  potteries  du  type  géomé- 
trique et  tout  indique  que  le  dépôt  est  du  neuvième  ou  dixième 
siècle.  La  présence  de  l'ambre  et  des  fibules  de  ce  type  à  Sparte 
indique  nettement  l'origine  septentrionale  des  Doriens. 

On  a  pu  reconstituer  le  tracé  des  murs  de  la  ville  de  Sparte. 
Le  nom  du  tyran  Nabis  se  trouvant  sur  beaucoup  de  tuiles  permet 
de  dater  la  construction  de  ces  remparts. 

En  Crète,  les  fouilles  de  M.  Seager  à  Pseira  ont  fourni  des 
reliefs  peints  en  gesso-duro,  comme  à  Cnossos,  notamment  la 
représentation  d'une  femme  à  la  robe  richement  brodée.  Les  murs 
étaient  bâtis  solidement  en  pierre  sans  l'usage  de  briques. 

A  Prinia,  les  archéologues  italiens  ont  trouvé  les  restes  d'un 
temple  grec  archaïque.  On  en  a  découvert  le  sima  qui  avait  un 
mètre  de  haut.  Il  était  orné  de  files  de  guerriers  armés  de  bou- 
cliers ronds  et  de  lances,  le  tout  en  bas-relief.  Comme  dans  le 
sima  semblable  du  temple  de  Zeus  à  Palai-Koitro,  le  coloris  a  été 
partiellement  conservé. 

—  Les  historiens  des  origines  de  l'Europe  liront  avec  intérêt  les 
deux  volumes  de  M.  C.  Julliax  :  Histoire  de  la  Gaule.  I.  Les 
invasions  gauloises  et  la  Colonisation  grecque.  II.  La  Gaule  indé- 
pendante. L'intention  de  l'auteur  est  de  poursuivre  ultérieurement 
son  ouvrage  jusqu'à  l'invasion  des  barbares.  Dans  les  présents 
volumes,  il  parle  des  peuples  qui  ont  précédé  les  Celtes  en  Gaule 


H8  LE    MUSÉON. 

et  s'occupe  ensuite  des  migrations  de  ces  derniers  en  Europe  et 
en  Gaule.  Il  consacre  un  chapitre  aux  voyages  de  Pythéos  et  un 
autre  au  passage  d'Hannibal.  Il  termine  son  exposé  historique 
par  un  tableau  de  l'état  de  la  Gaule  au  moment  où  César  vint  en 
faire  la  conquête,  tant  aux  points  de  vue  géographique  et  poli- 
tique qu'économique  et  moral,  M.  J.  s'applique  à  montrer  que  la 
Gaule  était  plus  qu'une  entité  géographique  :  un  état  suffisamment 
constitué,  une  nation  dans  le  sens  large  du  mot. 


La  faculté  de  théologie  protestante  à  Paris  avait  en  1904-1905 
posé  comme  question  de  concours  «  Les  rapports  entre  le  Code 
de  Hammourabi  et  le  Livre  de  l'Alliance  ».  M.  A.  Boscheron  a 
entrepris  ce  travail.  Ses  conclusions  sont  que  le  code  de  Hiimmou- 
rabi  «  est  l'œuvre  d'un  juriste  très  instruit  et  qui  a  tenté  d'une 
façon  heureuse  pour  son  temps,  de  constituer  un  code  au  sens 
exact  du  mot,  t?ndis  que  le  Livre  de  l'Alliance  n'est  qu'un  recueil 
de  sentences,  un  embryon  de  code,  destiné  à  fixer  par  écrit  un 
droit  coutumier  plutôt  pauvre  et  cela  sans  souci  d'y  apporter  un 
peu  d'ordre  ». 

Frappé  par  les  lacunes  nombreuses  du  code  Israélite, 
M.  Boscheron  conclut  que  son  auteur  u'a  pas  utilisé  le  code  d'H. 
Il  codifie  simplement  un  droit  coutumier  dout  ou  trouve  des  traces 
déjà  dans  les  récits  des  patriarches.  Les  deux  codes  remontent 
pourtant  à  un  prototype.  M.  B.  tend  à  croire  que  ce  prototype 
est  purement  «  le  droit  naturel  qui  se  retrouve  à  la  base  de  toute 
société  en  formation,  persistant  souvent  longtemps  après  que  la 
société  s'est  organisée...  «.  M.  Schorr  (W.  Z.  K.  M.  XXI  p.  70) 
s'élève  conti'e  cette  explication  à  laquelle  il  préfère  celle  de 
M.  Millier  qui  croit  à  l'existence  d'un  code  concret  et  fixé  par 
écrit  ou  par  la  tradition  orale,  et  qui  se  retrouverait  visiblement 
dans  ces  deux  monuments  antiques. 

* 

Le  24*  rapport  annuel  du  Bureau  of  American  Ethnology  con- 
tient comme  travail  original  une  étude  très  considérable  de 
M.  Stewart  Culin  sur  les  Jeux  des  Indiens  de  V Amérique  du  Nord. 


I 


CHRONIQUE.  119 

L'auteur  a  rassemblé  une  quantité  étonnante  de  matériaux  parmi 
les  tribus  les  plus  diverses.  Ses  descriptions  sont  accompagnées 
de  1112  gravures  et  photo typies.  Son  enquête  si  complète  l'amène 
à  constater  que  les  jeux  des  Indiens  se  laissent  ranger  en  un 
nombre  assez  restreint  de  catégories,  qui  se  retrouvent  dans  leurs 
formes  essentielles  dans  presque  toutes  les  tribus.  Ou  bien  ils 
sont  encore  aujourd'hui  des  rites  d'un  caractère  religieux,  ou  bien, 
à  tout  le  moins,  il  remontent  à  des  pratiques  de  cet  ordre.  Ils 
sont  associés  avec  des  mythes,  partout  semblables.  Bien  qu'ils 
paraissent  n'avoir  d'autre  objet  que  le  divertissement  ou  le  gain, 
ils  sont  considérés  en  même  temps  comme  agréables  aux  dieux 
et  comme  pouvant  par  leur  puissance  magique  éloigner  des  mala- 
dies, faire  tomber  la  pluie,  favoriser  la  reproduction  des  plan- 
tes et  des  animaux.  Il  en  est  parmi  eux  qui  correspondent  en 
gros  et  en  détail  avec  certaines  cérémonies  fort  répandues,  qu'on 
trouve  dans  les  régions  les  plus  diverses  et  qui,  dans  leurs  formes 
les  plus  anciennes,  paraissent  avoir  eu  un  caractère  divinatoire. 
Le  25^  rapport  annuel  du  Bureau  of  American  Ethnology  (1903- 
1904),  paru  récemment  contient  une  très  importante  étude  de 
M.  Jesse  Walter Fewkes  sur  The  Aborigènes  of  Porto-Rico  and 
neighbouring  Islands.  Ce  travail  a  une  partie  historique  qui 
remonte  jusqu'aux  temps  précolombiens  et  tâche  d'établir  à 
quelle  race  appartenaient  les  Indiens  de  l'île.  Il  s'occupe  ensuite 
des  usages  politiques,  sociaux  et  religieux  de  ces  peuplades. 
Cette  partie  descriptive  est  suivie  d'une  sérieuse  étude  archéolo- 
gique sur  les  objets  divers  rencontrés  dans  ce  pays.  Ceux-ci  sont 
plus  nombreux  qu'on  ne  pourrait  le  croire.  L'île  renferme  même 
des  ruines  de  constructions  anciennes.  L'auteur  a  joint  à  son 
mémoire  cent  vingt-neuf  planches  donnant  des  reproductions 
phototypi<pies  très  soignées  des  ustensiles,  bijoux,  amulettes,  et 
monuments  décrits,  ainsi  que  de  spécimens  de  huttes  et  des  scènes 
caractéristiques. 


La  quinzième  session  du  Congrès  international  des  Orientalistes 
se  tiendra  à  Copenhague  du  14  au  20  août  1908  sous  le  patronage 
du  roi  Frederick  VIII.  Le  montant  de  la  cotisation  a  été  fixé  à 


42Ô  LE    MUSÉON. 

18  couronnes  (25  frs.).  Les  adhésions,  accompagnées  du  montant 
de  la  cotisation,  peuvent  être  adressées  au  Trésorier  du  Congrès, 
M.  le  Conseiller  intime  J.  Gliickstadt,  Landmandsbanken,  Hol- 
mens  Kanal  12,  Copenhague.  Les  membres  sont  priés  d'indiquer 
les  titres  des  communications  scientifiques  qu'ils  se  proposent  de 
faire  au  congrès.  Le  comité  d'organisation  a  pour  président 
M.  V.  Thomsen,  et  pour  secrétaire  général,  M.  Ch.  Sarauw,  tous 
deux  professeurs  à  l'Université  de  Copenhague.  Le  Congrès  com- 
prendra sept  sections  :  a)  Linguistique  indo-européenne,  h)  Lan- 
gues et  Archéologie  des  Pays  Aryens,  c)  Langues  et  Archéologie 
de  l'Extrême-Orient,  d)  Langues  et  Archéologie  sémitiques, 
e)  Egypte  et  Langues  africaines,  f)  Grèce  et  Orient,  g)  Ethnogra- 
phie et  Folk-Lore  de  l'Orient. 


LE  NOM  DES  MAGES 


♦ 


Le  lien  entre  la  religion  de  Zoroastre  et  la  corporation 
des  Mages  est,  comme  on  le  sait,  très  intime. 

Comme  le  dit  M.  Jackson  (Zoroaster,  p.  6)  «  pour  les 
écrivains  de  la  Gi'èce  et  de  Rome,  Zoroastre  était  le  repré- 
sentant par  excellence  des  Mages  et  il  est  plus  célèbre 
par  les  artifices  magiques  attribués  à  son  pouvoir  que 
par  les  vues  larges  et  profondes  de  sa  philosophie  et 
de  sa  religion....  Il  était  regardé  comme  le  fondateur  de 
la  corporation  sacerdotale  des  Mages,  lesquels  passent 
souvent  pour  ses  élèves  et  ses  disciples.  « 

Dans  ces  conditions,  tout  ce  qui  touche  à  l'histoire  des 
mages  ne  peut  manquer  d'avoir  son  importance  pour 
éclairer  les  origines  du  zoroastrisme.  S'il  est  vrai  que 
l'on  ne  reconstruit  pas  le  passé  à  coup  d'étymologies,  il 
reste  évident  pourtant  que  connaître  l'origine  d'un  nom 
peut  parfois  jeter  un  trait  de  lumière  sur  l'institution  ou 
la  tribu  qui  le  porte. 

S'il  était  prouvé,  comme  on  a  tenté  récemment  de  le 
faire,  que  le  mot  «  mage  »  est  d'origine  assyrienne  (i),  ne 
serait-ce  pas  là  un  fort  argument  en  faveur  de  ceux 
qui  admettent  l'influence  considérable  et  même  presque 
exclusive  des  idées  assyro-babyloniennes  sur  la  formation 


(1)  Cf.  Bartholoinae.  Alt.  W.  s.  v.  magav.  et  les  références. 


122  LE    MUSÉON. 

de  ce  système  religieux  du  mazdéisme,  si  admirablement 
construit  que  beaucoup  hésitent  à  y  voir  le  produit  d'une 
civilisal,ion  encore  aussi  peu  compliquée  que  celle  des 
Aryas  de  l'Iran  ? 

Cette  étymologie,  il  est  vrai,  a  été  combattue  par 
MM.  Nôldeke  et  Bezold  dans  deux  lettres  adressées  à 
M.  Bartholomae.  D'autre  part  aucun  essai  d'interprétation 
du  mot  persan  magav,  au  moyen  des  langues  indo-euro- 
péennes, n'a  donné  satisfaction  et  on  en  reste  à  l'opinion 
de  M.  Geldner  (KZ.  XXVIII,  p.  200).  Celui-ci  se  refuse 
à  expliquer  le  mot  en  question,  pour  la  raison  que 
Hérodote  présente  les  Mâyoi  comme  une  tribu  médique, 
dont  le  nom,  par  conséquent,  a  priori,  ne  doit  guère  avoir 
de  rapport  avec  les  fonctions  dont  nous  voyons  investis 
ses  membres  à  une  époque  postérieure.  11  ne  me  paraît 
pas  que  la  question  soit  définitivement  tranchée  de  la 
sorte.  Le  texte  d'Hérodote  auquel  on  s'en  rapporte  est 

formulé  comme  suit  :  èo-xt  Se  MtiOwv  Toa-â5e  ysvea,  BoO^a'., 
Ila5T,-axr,vo([,  S-rpoû-^axeç,  'AptJ^avTO'!,  Boûowi,,  Mâyo'.  (Her.  1.  lOI). 
Le  caractère  aryen  de  ces  dénominations,  au  moins  de  la 
plupart  d'entre  elles,  apparaît  clairement  et  c'est  même 
un  des  plus  puissants  arguments  invoqués  pour  démontrer 
que  les  Mèdes  parlaient  un  dialecte  aryaque,  fuit  qui  a  été 
mis  en  doute  notamment  par  M.  Oppert  dans  son  ouvrage 
sur  Le  peuple  et  la  langue  des  Mèdes. 

Mais  il  me  semble  qu'on  est  loin  d'avoir  tiré  de  ces 
noms  propres  tout  le  parti  possible.  Aucun  d'entre  eux 
ne  figure  même  dans  V Iranisclies  JSamenbucli  de  M.  Justi 
et  ils  n'ont  point  été  encore  expliqués  d'une  manière  bien 
satisfaisante. 

On  se  trouve,  il  est  vrai,  dans  un  domaine  où  l'on  doit 
se  contenter  d'hypothèses  plus  ou  moins  plausibles.  Cette 


LE    NOM    DES    MAGES.  125 

réserve  faite,  voici  un  essai  d'interprétation  de  ces  noms. 

Le  plus  visiblement  aryaque  d'entre  eux  est  Ap'.^avto'l 
qui  est,  sans  doute,  un  équivalent  d'eùycverç,  formé  de 
zanta  (natus)  et  du  préfixe  ari  (cf.  siir.  ari-gûrta,  aristuta, 
etc,  gr.  âp'.-,  épr,-,  âpeiwv,  apt.(7To<;).  01  'Ap'-î^avTot,  dans  ce  cas, 
seraient-ils  donc  ol  ap'.TTo-,  ?  (i) 

Le  nom  des  IlapY.TaxTivot  paraît  se  rapporter  à  un  autre 
ordre  d'idée.  Il  désigne  une  tribu  asssez  importante  qui 
est  signalée  plusieurs  fois  dans  les  auteurs  anciens,  notam- 
ment dans  Strabon  80,  52-2,  524,  725,  72G,  739,  744, 
chaque  fois  comme  habitant  la  iMédie.  Le  souverain 
assyrien  Sargon  parle  des  Partalcanu  comme  d'une  tribu 
lointaine  (Gr.  Ir.  Ph.  II  p.  405).  Le  notn  est  certainement 
indo-européen  et  parait  avoir  désigné  un  héros  légendaire, 
un  éponymc  cf.  skr.  parâita  «  celui  qui  est  parti  (dans 
l'autre  monde)  »  doù  parûitabliartr,  parCiitarûja,  épithètes 
de  Yama,  parâitabliûnii  (cimetière).  Le  mot  serait  en 
iranien  paracLu.  De  fait,  M.  Justi  (Ir.  Nam.  242)  signale 
d'après  des  auteurs  arméniens  que  l^arétéiaxi  le  nom  d'un 
roi  légendaire  d'Arménie,  successeur  (ï Anmavan  (cf.  av. 
anaoki  «immortel»)  qui  introduisit  la  dynastie  ôes  Ilayk. 
Quant  au  second  élément  du  nom,  il  serait  assez  naturel 
d'y  voir  l'av.  kaênan  «  vengeur  »,  kacna  «  punition  ».  Il 
est  à  noter,  en  otfet,  (jue  le  terme  kaênan  est  usité  surtout 
pour  désigner  les  parents  chargés  de  venger  un  des  leurs, 


(1)  On  pourrait  toutefois  aussi  admettre  que  'Api^avxof  est  pour 'Apta- 
Çav-oî  et  signifierait  "  de  naissance  aryenne  »  (cf.  'ApiapâOr,;  «  der  Arier 
Fieund  «,  'Apiay.£VTj;  "  arischen  Sinns  n,  etc.)  mais  on  peut  se  demander  si 
dans  les  noms  de  ce  genre  énumérés  par  M.  Justi,  arya-  n'a  pas  souvent 
le  sens  de  *<  noble,  fort  «.  Cela  parait  s'imposer  notamment  pour  les  noms 
'Ap'.âj-T,;  >.  aux  forts  chevaux  r,  'Xry/iaÇ^o;  "  aux  bras  forts  n,  etc.  Du  reste, 
arya-  parait  bien  signifier  primitivement  «  noble,  seigneur  •>  comme  dans 
le  gaul.  ario-,  ir.  aire,  (cf.  Uhlenbeck  s.  v.). 


124  LE    MUSÉON. 

cf.  Yt.  15,  28,  yat  kaêna  ...  brâxirô  «  comme  vengeur  de 
son  frère  »,  Yt.  15,  28,  haosrava  ...  pn^rO  kaêna  syâvar- 
sânâi  naralie  «  Haosrava,  le  fils  vengeur  du  héros  Syâvar- 
sâna  )). 

Le  composé  paraëlakaëna  signifierait  donc  en  fin  de 
compte  simplement  «  le  clan  de  Paraêta  ».  On  arriverait 
au  même  sens  en  voyant  dans  -xrivoî  une  forme  plus  ou 
moins  altérée  d'un  mot  parent  du  gr.  xaivo;,  skr.  kanyâ 
(puella),  kanlyûn  (junior)  kanhia  (juvenis),  osset.  kanag 
«  petit  ».  On  traduirait  alors  «  les  fils  de  Paraêta  ». 
Evidemment  la  première  étymologie  est  plus  satisfaisante 
au  point  de  vue  phonétique. 

Les  autres  noms  n'ont  pas  une  physionomie  aryenne 
aussi  accusée.  Il  parait  pourtant  difticile  de  ne  pas  rap- 
procher Boùùioi  de  la  racine  du  skr.  bodhati,  av.  baodaiti, 
d'où  skr.  budfiâ  «  le  sage  »,  av.  baodali  «  1.  wahrnemung 
2.  wahrnemend  ».  Bûdh  est  le  nom  du  traducteur  du  livre 
de  Kalilag  et  Damnag  du  pehlevi  en  syriaque.  La  même 
racine  se  retrouverait-elle  dans  Bûdâsp,  le  nom  du  fonda- 
teur du  snhéismc. 'f  Baudliâyana  est  le  nom  d'un  ancien 
sage  hindou,  Bojowr.  transcrivait  donc  apparemment  une 
forme  baodlya  ou  baodya  «  le  sage  »  (?). 

Boùaa'.  n'est  pas  clair.  On  pense  naturellement  à  av. 
baosa,  any.^  )^eyô[jievov  que  M.  Bartholomae  traduit  par  : 
«  Lôsung,  Rettung,  Busse  ».  Le  mot  serait  pour  baox- 
sdm,  tiré  de  baog  «  retten  »  au  moyen  du  suffixe  sa 
qui  se  trouve  dans  sraosa  de  si^av,  vaxsa  de  vac,  etc.  Ce 
mot  se  retrouve  dans  les  noms  iraniens  :  Bo^o;,  Bûxs, 
Bagabuxm,  Meyâ.<^'j^oç,  etc.  (cf.  Justi,  Ir.  N.  s.  v.  Bu/ha, 
Bagabuysa  «  Erlosung  durcli  Gott  habend  »).  Le  sens  de 
«  amende  »,  «  acquittement  »,  etc.  est  bien  voisin  de  celui 
de  «  tribut  »  et  Boùo-ai  signifierait-il  «  tributaires  »  ? 


LE    NOM    DES    MAGES.  125 

STpoûyareç  est  le  nom  le  plus  étrange  de  la  série,  à 
première  vue.  M.  Oppert  l'interprète  par  «  vivant  dans  les 
tentes  ».  Nous  ne  le  suivrons  pas.  Toutefois  le  vocabulaire 
iranien  ne  fournit  aucune  racine  strav  et  l'on  ne  voit  pas 
non  plus  clairement  quel  mot  peut  bien  se  cacher  sous  la 
li'anscription  yy.-e<;.  En  ce  qui  concerne  le  premier  élément, 
on  peut,  je  crois,  raisonnablement  suspecter  que  dans  la 
transcription,  le  t  peut  s'être  laissé  glisser  entre  la  sifïïante 
et  1'?%  phénomène  d'autant  moins  étonnant  que  le  groupe 
<7p  répugne  aux  Grecs  et  qu'il  répond  à  une  tendance 
phonétique  bien  connue  cf.  lat.  vulg.  essere  :  fr.  estre,  être, 
lat.  pascere  :  fr.  paître,  etc.  On  se  trouve  alors  en  face  de 
(jpou  qui  rappelle  fort  le  préfixe  iranien  si^ao-,  srava- 
(=  skr.  çrava-),  lequel  se  trouve  e.  g.  dans  srava-somna, 
srao-gonâ  «  von  tûchtigen  Frauen  bewohnt  ».  Quant  au 
second  élément,  le  '/  peut  y  représenter  un  h  ou  une 
spirante  gutturale  :  a;  ou  y.  On  pourrait  donc  songer  au 
mot  sanscrit  :  Idiadâ  «  hutte,  étable  ».  *srava  xadâ  signi- 
fierait donc  ((  aux  belles  huttes  »,  sens  qui  se  rapprocherait 
de  celui  de  M.  Oppert.  Toutefois,  non  seulement  le  mot 
*xadà  n'est  pas  connu  en  iranien,  mais  le  xpour  o  fait  un 
peu  difficulté.  Je  proposerais  plutôt,  parce  qu'on  entrerait 
ainsi  dans  un  ordre  d'idées  fréquent  dans  les  noms  propres 
indo-européens,  de  partir  d'un  type  iranien  correspondant 
au  skr.  *çrava-/tati  «  brave,  fameux  au  combat  ».  Toutefois 
lian  est  généralement  ;aw  en  iranien,  sauf  devant  n  où  l'on 
a  yn,  ydn.  Mais  il  ne  faut  pas  oublier  que  l'on  part  d'un 
i.  e.  g"hen,  g"lion,  g"lin  où  en  sanscrit  g"h  devient  h  devant 
e,  i,  seulement,  tandis  que  devant  a,  o,  îi,  on  a  gh,  et 
même  devant  o  (cf.  Brugman,  Kzg.  Gr.  Idg.  Sp.  §  251  : 
skr.  tigiia  et  non  tijita,  de  ligota).  De  même  en  avestique, 
on  a  le  contraste   :    dardga    :    drâjista.    A  gli  sanscrit, 


126  LE    MUSÉON. 

correspond  donc  un  g  iranien,  mais  ce  g  devient  la 
spirante  y,  entre  voyelles,  sauf  dans  les  2:àthas  et  bien 
que  tous  les  dérivés  avestiques  de  jan  aient  loj,  l'exis- 
tence en  iranien  de  dérivés  en  g,  y  est  rendue  très 
probable  par  l'existence  en  sanscrit  des  formes  gliana 
«  coup,  meui'tre  »,  (cf.  t>r.  '■!fôvo(C\,  gliâta  «  massacre  », 
gliûtin  «  meurtrier  »,  etc.  En  somme,  au  lieu  de  liati,  on 
attendait  en  sanscrit  *ghati  deg"/inti.  L7«  y  est  analogique, 
d'après  lian  (cf.  Brugman  op.  cit.  §  252,  2  Anm.).  On  a, 
en  efTet,  affaire  à  un  dérivé  en  ti,  avec  racine  faible  comme 
dans  skr.  mati,  gr.  (pâT-,;.  g"hntï  «  combat  »  de  g"lien  est 
analogue  à  l'ail,  sclilacht  de  sclilagen  et  identique  à  ag.  sax. 
gundlî,  «  combat  »  qui  survit  dans  Frédégondc,  Ciinégonde, 
Gonthier,  etc.  g"hnti  donne  régulièrement  av.  *gfiti,  d'oîi 
le  composé  sraoyati,  transcrit  par  Hérodote  :  SxpoJ/aTsc;. 

Ce  nom  est  tout  à  fait  semblable  pour  le  sens  aux 
noms  germaniques  Ltidwig  et  Cimcgund,   aux  noms  grecs 

KÀsôu-ayo;,  R'Ae^vôuiayo;,  KXt'.'SVxy.yo^,  K).£'.-wô|j.ayo;,  etc. 

Si  l'on  admet  les  étymologies  ainsi  proposées  pour  les 
noms  des  tribus  médiques  mentionnées  par  Hérodote,  et 
je  suis  le  premier  à  reconnaître  le  caractère  hypothétique 
de  telle  ou  telle  d'entre  elles,  on  sera  frappé  du  fait  qu'à 
côté  de  véritables  noms  de  clans  ou  de  tribus  comme 
ncxpY,Taxr,vo{,  OU  trouve  une  série  de  dénominations,  «  les 
nobles  »,  «  les  sages  »,  «  les  bons  guerriers  »,  «  les 
tributaires  »  qui  semblent  désigner  plutôt  des  castes,  ou 
du  moins  des  classes  d'un  même  peuple.  N'est-il  donc  pas 
probable  que  le  bonhomme  aura  dans  sa  liste  de  tribus 
enclavé  des  noms  se  rapportant  plutôt  à  des  groupes 
sociaux  du  peuple  mède,  groupes  rappelant,  somme  toute, 
assez  bien  ceux  des  Aryas  de  l'Inde. 

Ceci  constaté,  on  peut  se  demander  s'il  n'en  serait  pas 


LE    NOM    DES    MAGES.  127 

de  même  pour  le  dernier  nom  cité,  celui  des  Mâyot..  Voyons 
donc  quelle  en  peut-être  l'étymologie.  Le  mot  est  en  persan 
magav-,  nom.  magus.  Dans  l'Avesta,  il  n'apparaît  que  dans 
le  composé  ïnoyutbis  «  ennemi  des  mages  ».  M.  Bartho- 
lomae  s'abstient  de  lui  assigner  aucun  eiymon.  Toutefois, 
l'explication  qui  se  présente  le  plus  naturellement  et  celle 
que  l'on  a  plus  d'une  fois  proposée  consiste  à  rapprocher 
magav-  du  gâthique  maga,  terme  obscur  du  langage 
mystique  mazdéen  que  M.  Bartholomae  rend  par  «  Bund, 
Geheimbund,  spez.  von  der  zara5ustrischen  Religions- 
gemeinschaft  ».  Il  ajoute,  il  est  vrai,  en  note  que  «  das 
Wort  ist  ein  Term.  techn.,  dessen  eigentliche  Bedeutung 
nicht  zu  ermitteln  ».  Le  sens  donné  dans  V Altiranisclics 
Wôrterbnch  a  été  défendu  par  M.  Geldner  (KZ.  XXVIII, 
p.  200)  :  maga  n'a  pas  selon  lui  le  sens  du  skr.  magha.  Il 
désigne  une  association,  en  particulier  celle  des  fidèles 
sous  la  direction  spirituelle  de  Zoroastre  et  le  protectorat 
temporel  de  Vïstfispa  ou  encore  l'union  religieuse  avec 
Mazdâh.  Un  mogu  serait  donc  «  ein  Mitglied  einer  maga, 
irgend  eines  Verbandes  oder  einer  Genossenschaft  ». 

Depuis  lors,  dans  les  Sitz.  ber.  Preuss.  A.  W.  1904, 
p.  1091,  sans  indiquer  aucune  raison  à  ce  changement, 
M.  Geldner  a  traduit  maga  par  «  Belohnung  »,  sens  contre 
lequel  s'élève  M,  Bartholomae  (Zum  Altir.  Wôrt.  p.  205), 
surtout  à  cause  de  Y.  53,  7  où  on  lit  :  mîzdom  (Lolin)... 
magaliyâ,  ce  qui  deviendrait  dès  lors  une  tautologie.  Le 
dictionnaire  de  M.  Justi  donnait  comme  traduction  de 
maga  :  «  Grosse,  grosse  That,  dat.  magâi,  zur  Verherr- 
lichung  ».  Ce  sens  est  surtout  basé,  je  pense,  sur  Y.  55,  7 
où  de  Harlcz  (Av.  trad.  p.  568)  donne  aussi  «  ce  grand 
œuvre  »,  tandis  que  M.  Mills  (Gâthâs,  p.  387)  a  «  this 
Greatness  »  et  Dai'mesteter  :  (Zend-Avesta,  p.  546)  :  «  votre 


128  LE    MUSÉON. 

perversité  »  !  ce  dernier  d'après  la  traduction  pehlevie  : 
makîli,  comnnentée  par  avèzliak  sarllarlh  «  méchanceté 
sans  mélange  »  (cf.  infra). 

On  voit  donc  que  les  traducteurs  ne  sont  pas  précisément 
d'accord  sur  le  sens  du  mot  maga,  de  sorte  qu'avant 
d'examiner  s'il  existe  quelque  rapport  entre  magav  et 
maga,  il  convient  d'essayer  de  fixer  mieux  qu'on  ne  l'a 
fait  jusqu'ici  le  sens  de  maga,  en  examinant  à  nouveau 
les  cinq  ou  six  passages  des  gâthas  où  l'on  rencontre  ce 
mot. 

Le  mot  maga  ne  se  trouve  que  dans  les  gàthas.  Il 
apparaît  d'abord  deux  fois  dans  la  gCiM  voliûxm^)ra  (Y.  51. 
16  et  Y.  51.  11). 

L'objet  de  cet  hymne,  comme  l'indique  le  premier 
verset,  est  de  célébrer  le  voluixèa^ra  vairya  «  le  bon 
royaume  souhaitable  ^)  ou  plutôt  «  la  bonne  possession 
souhaitable  ».  Celui-ci  est  accordé  à  ceux  qui  s'appli- 
quent à  produire  le  plus  de  bien  dans  leurs  œuvres. 

Aussi  (v.  2),  le  fidèle  demande-t-il  à  Mazdâh  de  lui 
accorder  ce  xsa^ra  désigné  ici  sous  le  nom  de  oùsa^rom 
ûlôis,  ce  qui  se  traduit  le  plus  naturellement,  non  pas  par 
«  kingdom  of  désire  »  comme  dit  M.  Jackson  (i),  mais 
par  «  possession  de  la  richesse  »,  puisque  le  sens  de 
«  Vermogen,  Besitz,  Reichtum  »,  est  attesté  pour  istay  par 
de  nombreux  exemples.  Ce  terme  xsa^rom  istôis  est,  du 
reste,  immédiatement  précisé  dans  le  texte  par  l'expression 
{xsa^rdm)  savanliô,  c'est  à  dire  :  «  Reich  des  Nutzens  ». 
Barth.  (Harlez  :  «  utilité  »,  Darm.  «  bienfaits  »)  cf.  le  n. 
pers.  sud  (utilité)  de  la  même  racine  sav. 


(1)  Kshathra  Vairya,  dans  «  Avesta,  Pahlavi  and  ancient  Persian  Stu- 
dies  in  honour  of  the  late  Shams-Ul-Ulama  Sanjana.  M.  A.  » 


LE    NOM    DES    MAGES.  129 

Ce  xhaHra  est  dit  ensuite  (v.  i)  être  accordé  conime 
fsdmtû  «  l'étribution  »  des  peines  [Cirôis).  «  Où  est  le 
pardon,  où  aura-t-on  part  à  Asa,  où  est  la  sainte 
Ârniatay,  où  est  Vahista  Manah,  où  sont  tes  royaumes 
—  c.  à  d.  tes  biens  —  [Hwâ  xsa^ira),  o  Mazdrdi  ?  »  Les 
ternies  As<i,  Ânnalaij,  Valiista  Mami/i,  conuTie  souvent 
dans  les  gàthas,  sont  des  abstractions,  non  des  personnes 
proprement  dites.  Ce  qui  le  prouve  clairement  c'est  que 
le  nom  qu'on  attendrait  après  ceux-là  :  Xm^ira  vainja  se 
trouve  remplacé  par  le  pluriel  ^wâ  xsa^râ.  L'emploi  du 
pluriel  })récise,  en  outre,  xmhra  dans  le  sens  de  biens, 
richesses,  possessions  (non  [)as  «  règne,  royaume  «),  sens 
qui  ressortait  déjà  des  expressions  :  xkârdm  istoifi,  ou  x. 
sa  van  lui. 

Le  v.  5  précise  encore  le  concept  de  «  richesse  »  .  vispâ 
ta  pDi'Dsas,  ijatliâ  asâd  liacCi  gam  vidât  vâstryO  skuao^anàis 
dVDsvô  :  (c  En  te  demandant  tout  ceci  :  est-ce  que  le  labou- 
reui',  juste  dans  ses  leuvres,  obtiendra  d'Asa  le  biruf  ».  Il 
faut  remarquer,  en  effet,  que  la  richesse,  tant  spirituelle 
que  temporelle,  est  couramment  symbolisée  dans  l'Avesta 
par  le  bétail.  Il  n'y  a  là  rien  de  (juoi  surprendre  de  la  part 
d'un  peuple  pasteur.  Les  Romains  ne  désignent-ils  pas 
eux  aussi  l'argent  par  pecunia  ?  Quant  à  la  hardiesse  des 
métaphores  (jui  s'en  suivent,  elle  ne  dépasse  nullement 
celle  de  leurs  analogues  dans  le  Véda.  gao  désigne  claire- 
ment la  richesse,  par  exemple,  dans  Y.  50.  2  :  A«0«, 
Mazdâ,  rânyO-sIcdrdtîm  gam  isasôit  ij0  hlm  ahmai  vâstra- 
vaitlmstâi  usyâtf  «  Est-ce  que,  o  iMazdfdi,  celui-là  obtien- 
dra le  bœuf  qui  souhaite  lavoir  avec  la  piairie  ?»  —  A 
(juoi  Mazdrdi  ré[)ond  que  ceux-là  l'auront,  qui  respectent  la 
justice.  De  même  dans  Y.  44*  6  :  taibyO  xsa^rdm  Vohû 
cinas  Mananliû  ?  kaëibyo  azlm  rânyô-skdrdtîm  gam  lasô  ? 


130  LE    MUSÉON. 

«  Est-ce  par  toi  que  le  xsa^ra  sera  octroyé  ?  o  V.  M.,  pour 
qui  as-tu  créé  le  bétail  bienfaisant  ?  »  Ici  donc  le  xsa^ra,  la 
récompense  céleste  est  aussi  identifiée  avec  le  bétail.  Il  en 
est  de  même  dans  Y.  46.  19  :  a/imâi  mlzddm  handntë  para- 
liûm  mand-vlstùis  mat  vîspâis  gava  azî.  «  A  celui  qui  mérite 
la  récompense  de  la  vie  future,  qu'il  soit  accordé  avec  tout 
ce  qu'il  désire,  la  vache  AzI  ».  Darmesteter  signale  (Avesta 
I,  p.  326,  N.  9)  des  passages  du  Dînkart  où  le  guerrier 
qui  suit  la  bonne  loi  est  dit  «  mériter  le  troupeau.  » 

Continuant  notre  paraphrase  de  l'hymne,  nous  voyons 
qu'on  demande  à  Mazdîlh,  «  qui  a  créé  le  bétail  »,  les  deux 
grands  bienfaits  souvent  divinisés  de  l'immortalité 
(amdrdtât)  et  de  la  prospérité  (ou  santé)  [haurvatât) .  C'est 
grâce  à  l'épreuve  du  plomb  fondu  (v.  9),  qui  distinguera 
les  bons  des  mauvais,  que  chacun  recevra  sa  rétribution 
(xsnûtdm  «  Belohnung  im  guten  und  schlimmen  Sinn.  » 
Barlh.), c'est-à-dire  les  méchants, ce  qui  fait  tort  {râsayavhê 
drdgvantdm),  les  bons,  ce  qui  est  utile  (savayô  asavaiidin). 
Ce  savayô  est  appelé  au  v.  40  vanliuyâ  asl  (la  récompense, 
le  bon  sort  ».  Puis  (v.  il)  on  reprend  les  questions  du 
v.  4  :  «  où  est  Asa,  Àrmatay,  etc.,  avec  cette  variante 
qu'ici  Zoroastre  est  mentionné  :  «  Qui  est  l'ami  de  Zoro- 
astre ?»  titre  qui,  aussi  bien  que  l'attachement  à  Asa, 
Àrmatay,  etc.,  donne  droit  aux  bienfaits  de  la  xha^i'a 
i'slôis.  Au  V.  16,  on  signale  parmi  ceux  à  qui  revient  cette 
récompense  le  kavay  Vistâspa,  Frasaostra  Hvogva,  Jâmâspa 
Hvogva.  Ces  fidèles  ont  foi  dans  ce  royaume  [tat  xsa^rjm) , 
c'est-à-dire  celui  dont  il  est  question  dans  tout  l'hymne. 

Cet  hymne  où  les  idées  sont,  somme  toute,  mieux 
ordonnées  qu'on  ne  pourrait  le  supposer  à  première  vue, 
se  termine  par  deux  versets  qui  le  résument  en  reprenant 
l'idée  dominante  indiquée  au  début  :  «  Mazdâh  Ahura 


I 


LE    NOM    DES   MAGES.  151 

accordera  le  xsa^ira  par  Vohumanah.  C'est  vers  cette  bonne 
récompense  {vanuhlm  aslm),  que  vont  mes  désirs  ».  Mais, 
idée  subordonnée  développée  dans  v.  11,  sqq.,  ce  n'est  pas 
seulement  par  les  Amesbas  Spentas  que  s'obtient  la 
récompense  du  xsa^ira,  mais  aussi  par  l'amitié,  la  média- 
tion de  Zara^Justra  (v.  :22).  Le  propbète  loue  in  globo  tous 
ceux  qui  ont  foi  daus  le  xsa^ra,  fidèles  dont  quelques-uns 
ont  été,  on  l'a  vu,  désignés  nommément  dans  l'hymne. 

L'analyse  de  l'hymne  fait  donc  clairement  ressortir  son 
objet.  Ceci  étant,  voyons  quel  est  le  sens  qui  en  ressort 
naturellement  pour  le  mot  maga  dans  le  contexte  des 
versets  11  et  16. 

Et  d'abord,  dans  le  verset  15  formulé  comme  suit  : 
îam  KavCi  vîsldspô  magaliijfi  xha^rà  nqsat,  vanlmis  paddhls 
mananliô,  yam  cislîm  aM  mantil  spdiliO  mazdao  aliurô 
a^mid  scizdijài  ustCi.  «  Puisse  le  kavay  Vistaspa  obtenir  (i) 
avec  (2)  le  xsa^ira  magaliyâ,  par  les  voies  (3)  du  bon 
esprit,  cette  science  que  le  saint  Ahura  Mazdâh  a  conçue 
avec  Asâ.  Que  s'accomplissent  nos  souhaits  !  ».  N'est-il 
pas  évident  que  le  xsa^ra  magaliyâ  mentionné  ici  est 
celui  dont  il  est  question  dans  tout  l'hymne  ?  C'est-à- 
dire,  celui  que  l'on  définit  en  tête  de  l'hymne  d'une 
manière  suffisamment  précise  comme  xèa^ra  istôis  «royau- 
me de  la  richesse,  possession  des  biens  »  ou  xsaha  savan- 


(1)  nasat  3  p.  sg.  du  parfait  valant  un  prétérit  injonctif. 

(2)  datif  sociatif  très  fréquent  dans  l'Avesta  par  exemple  v.  43,  2  : 
Vanhdus  mdyâ  Mananhô,  vïspâ  ayàrd  daragqjyâtôis  urvàdanhâ  «  les 
bienfaits  du  bon  esprit  1.,  tous  les  jours  avec  l'avantage  de  la  longévité  » 
—  V.  44.  7.  kà  bdrdxdam  tâèl  xsa^râ  mat  drmaitim  «  qui  a  créé  avec 
(=  en  même  temps  que)  le  xsadra  l'estimable  Armatay  ?  »,  etc. 

(3)  Les  voies  du  bon  esprit  sont  signalées  dans  divers  passages  notam- 
ment dans  Y.  34, 12,  13.  Elles  mènent  à  la  «  longue  vie  »  (V.  33.  5,6). 


152  LE    MUSÉON. 

hô  «  X.  de  l'utilité  ».  expression  analogue,  que  nous  avons 
vue  être  synonyme  de  «  bon  sort  ». 

Ces  textes  doivent  être  rapprochés,  en  outre,  de  beau- 
coup d'autres  disséminés  dans  les  gàthas,  où,  quand  le 
xsa^ra  est  déterminé  par  des  mots  au  génitif,  ceux-ci 
toujours  signilient  «  richesses  »  ou  ont  des  sens  analo- 
gues. 

Qu'on  considère  Y.  34.  1.  xsa^h^dm  liaurvalâtô  «  x.  de  la 
prospérité  »,  Y.  28.  9.  xsaHrdm  savanliâm  «  x.  des  biens 
utiles  »  —  Dans  Y.  54.  5,  xsa^ra  est  synonyme  de  istay 
(richesse)  et  nombreux  sont  les  passages  des  gâthas,  où, 
à  propos  de  la  récompense  céleste,  du  xmh-a,  on  use  de 
termes  de  sens  analogue.  Dans  ces  conditions,  je  n'hésite 
pas  à  dire  que  dans  le  texte  présent  xsa^ra  magafiyâ  = 
xm^ra  iètôis  du  v.  2.  Donc  maga  a  le  sens  de  «  richesse  ». 

Le  mot  se  trouve  encore  une  fois  dans  le  môme  hymne 
au  verset  77  :  kd  iirva^ô  spilamâi  zarahuUrâi  nù  mazdâ'i  kd 
va  asâ  âfrastâ,  kCi  spdùtâ  ânnaitis,  kj  va  vanliJus  mananliô 
acistû  (i)  magâi  dvdsvO.  «  Qui  est  l'ami  du  Spitama  Zara- 
Oustra  ?  0  Mazdâh,  qui  suit  les  conseils  de  l'Asâ  (rectitude, 
justice)  ?  Avec  qui  (2)  est  la  sainte  Armatay,  qui  donc, 
vivant  selon  la  justice  songera  à  la  maga  de  Vohu  Manah 
(le  bon  esprit)  ?  » 

Peut-on  traduire  ici  encore  «  la  richesse  c.-à-d.  les  biens 
célestes  que  confère  le  bon  esprit  »  ou  «  qui  reviennent  à 
celui  qui  a  le  bon  esprit  »,  comme  dit  M.  Bartholomae 
(Gâthas  p.  150)  ?  On  ne  peut  guère  en  douter,  il  me  sem- 
ble, tant  sont  nombreux  les  passages  de  l'Avesta  où  il  est 


(1)  Injonctif  de  a  -|-  hacl,  avec  sens  du  futur,  comme  c'est  assez  fréquent 
dans  l'Avesta. 

(2)  datif-sociatif ,  cf.  supra  la  note  sur  xsa^i  à. 


LE    NOM    DES   MAGES.  135 

question  des  biens  et  des  récompenses  du  bon  esprit.  Tout 
d'abord,  dans  deux  passages,  on  les  trouve  exprimées  par 
ce  même  mot  qui,  on  Ta  vu,  semble  être  presque  un 
synonyme  de  maga  :  Vanliâus  iUlm  mananlw,  «  les  riches- 
ses de  Vohu  Manah  »  (Y.  46.  2  et  Y.  32.  9.)  Dans  Y.  47.  3, 
il  est  dit  que  Vohu  Manah,  en  tant  qu'opposé  à  Aka  Ma- 
nah, l'esprit  mauvais,  a  créé  pour  nous  le  bétail  bienfai- 
sant, ce  qui  est  encore  une  façon  de  désigner  la  richesse. 
Dans  Y'.  33.  3,  on  parle,  de  même,  de  la  prairie  de  V,  M. 
Dans  Y.  43,  1,  râyO  asîs  «  la  récompense  de  la  richesse  » 
est  présentée  comme  signifiant  la  même  chose  que  van- 
fidus  gaëm  mananliô  «  la  vie  de  V.  M.  »  On  trouve,  en 
outre,  des  expressions  presque  synonymes  :  v.  53.  4  m. 
V.  x^ônvat  hanlius  «  des  Guten  Sinnes  herrlichen  Gewinn  » 
Barth.,  Y.  33.  13,  v.  m.  aWa  «  la  récompense  de  V.  M.  », 
\.  48.  7  V.  m.  vyqm  «  la  part  de  V.  M.  »  Y,  28.  7  v.  m 
âyaplâ  «  les  délices  de  V.  M.  »,  Y.  45.  2.  v.  m.  maya  «  les 
bénédictions  (ou  joies)  de  V.  M.  ». 

En  outre,  ce  xha^ra,  que,  dans  le  verset  précédemment 
expliqué,  on  a  vu  être  constitué  par  les  richesses  célestes 
est  aussi  rapporté  à  Vohu  Manah  comme  synonyme  des 
termes  istay,  asay,  liaiihav,  etc.,  puisque  lui-même  signi- 
fie xsa^ra  istois  :  Y.  34.  11.  vanhduh  xsa^râ  mananliô, 
Y.  46.  80,  aUm  asùi  voliû  xsa^rdm  mananlui  «  en  récom- 
pense de  sa  justice,  \QxUi^ra  par  V.  M.  »  Dans  Y.  33.  13., 
dâhl  moi  y  à  vd  abifrâ  là  xsa^raliyâ,  ahurâ^  yâ  vanhôus  asis 
mananliô  «  Puisses-tu  m'accorder,  o  Ahura,  comme  la 
récompense  de  V.  M.,  les  (biens)  incomparables  de  ton 
xsahra  ».  Pour  toutes  ces  raisons,  dans  le  texte  qui  nous 
occupe,  nous  traduirons  donc  mananliô  acistâ  magâi  par 
«  qui  songera  aux  richesses  (c.-à-d.  aux  biens  spirituels 
et  matériels)  de  Vohu  Manah  ? 


154  LE   MUSÉON. 

Le  texte  pehievi,  dans  la  leçon  adoptée  par  M.  Mills, 
traduit  dans  ce  passage,  comme  dans  le  précédent,  inaga 
par  maglli  «  magianship  «.  Darmesteter  appuie  sa  traduc- 
tion sur  la  leçon  pun  maklh  râst  =  mngâi  drdsvO  et  écrit 
donc  «  qui  est  droit  en  toute  pureté  ».  magili  et  maklh 
semblent  bien  n'avoir  d'autre  rapport  avec  le  mot  maga^ 
incompris  des  traducteurs  mazdéens,  qu'une  ressemblance 
externe  (3).  M.  Mills,  moins  respectueux  que  Darmesteter 
du  texte  peblevi,  n'en  tient  pas  compte  dans  le  verset  1  i  et 
traduit  maga  par  «  great  cause  »,  tandis  que  pour  le  v.  16, 
il  dit  «  in  the  great  realm  »,  ce  qui  suppose  une  relation 
erronée  entre  maga  et  lat.  tnagmis.  Spiegel,  semble-t-il, 
sous  la  même  influence,  dit  :  «  Zur  Verherrlichung  des 
V.  M.  »  et  «  als  mâchtiges  Reich  ».  Cette  dernière  version 
a,  au  moins,  l'avantage  de  donner  un  sens  assez  convena- 
ble, mais  il  faut  préférer  «  possession  de  la  richesse  » 
car,  sans  compter  que  les  motifs  sérieux  de  rendre  maga 
par  «  puissance  »  manquent,  il  est  à  remarquer  qu'il 
n'est  point  question  de  puissance  dans  cet  hymne  et  fort 
peu  dans  les  autres,  alors  que  le  sens  de  «  richesse,  biens, 
récompenses,  délices,  est,  a-t-on  vu,  des  plus  fréquents. 
De  Harlez  suit  Spiegel  en  l'améliorant.  11  dit  :  «  le  déve- 
loppement de  V.  M.  »  et  «  la  possession  de  la  puissance  ». 

Nous  tenons  donc  que  le  meilleur  sens  à  donner  à  maga 
dans  ces  deux  versets  de  Y.  51  est  «  richesse  ».  11  nous 
reste  à  voir  si  ce  sens  peut  se  maintenir  dans  les  autres 
passages  des  gâthas  où  l'on  rencontre  ce  terme. 


(1)  Faut-il  rapprocher  ces  traductions  par  semi-homonymie  de  la  pro- 
pension des  Mazdéens  aux  jeux  de  mots,  laquelle  les  amenaient  par 
exemple,  à  couper  leurs  ongles  en  récitant  Y.  33.  7  parce  qu'on  y  trouve 
le  mot  sruyë  ^  «ad  audiendum»,  qui  ressemble  à  srva  -ongle»,  (cf. 
Darmesteter.  Av.  I,  p.  246). 


LE    NOM    DES   MAGES.  155 

On  le  trouve  encore  dans  deux  textes  où  il  est  déterminé 
par  l'adjectif  maz-  «  grand  ».  Cet  adjectif  est  d'un  emploi 
fort  restreint  dans  l'Avesta.  Il  paraît  avoir  un  sens  archaï- 
que et  solennel.  On  ne  le  trouve  que  dans  des  expressions 
apparemment  anciennes  et  stéréotypées,  par  exemple  dans 
l'instrumental  adverbial  mazibls  «  magnopere  »  Y.  32.  11, 
dans  le  terme  technique  religieux  :  mazd  yânliô  Y.  30.  2 
«  le  grand  jugement  c.-à-d.  le  jugement  dernier,  et  enfin 
deux  fois  dans  le  datif  ^nazôi  magâi,  doublement  archaïque 
puisque  le  mot  maga  qui  nous  occupe,  non  seulement 
n'apparaît  pas  dans  le  «  jungawestisch  »  mais  ne  semble 
pas  avoir  subsisté  dans  les  dialectes  iraniens.  Ce  mazôi 
magâi  paraît  donc  bien  comme  le  mazd  yânkô,  être  un 
terme  de  la  langue  religieuse  ancienne,  se  rapportant  à 
un  élément  important  de  l'eschatologie.  Or,  en  lui  donnant 
la  signification  de  «  la  grande  richesse  »  c'est-à-dire  celle 
de  l'autre  monde  qui  donne  des  jouissances  bien  plus 
grandes  que  les  biens  de  ce  monde,  on  satisfait  d'autant 
mieux  à  ces  exigences  sémantiques,  que  l'on  obtient  de 
cette  façon  une  expression  visiblement  pré-zoroastrienne 
se  rapportant  à  une  époque  où  les  conceptions  eschalolo- 
giques  étaient  plus  matérielles  que  dans  la  religion  du 
prophète. 

Et  ce  sens  convient  très  bien  aux  deux  passages:  Y.  46.14: 
Zara^ustrâ  kastê  asavà  urva^O  mazôi  magai,  kd  va  fdrasrûi- 
dyâi  vastî  ;  at  hvO  kavâ  v'ûtâspO  yâhl.  Jmg  tû,  mazdâ  haddmûi 
minas,  ahurà,  tàng  zbayâ  vanlmis  uxdâis  mananhô. 

«  0  ZaraOustra,  quel  homme  juste  est  ton  ami  pour 
(recevoir)  le  grand  maga'i  Qui  désire  s'entendre  procla- 
mer (i)  (comme  un  élu)?  C'est  le  roi  Vistâspa,  au  jugement 


(1)  fdrasrui^yai.  "  audiri  »  M.  Bartholomae  traduit  «  dass  man  von 
ihm  hore  »,  c'est-à-dire  «  dass  er  gerùhmt  werde  ».  Ce  sens  est  peu  satis- 


136  LE    MUSÉON. 

dernier.  0,  Ahura  Mazdâh,  reçois  {litt.  môle)  les  (élus)  dans 
la  même  demeure  (que  toi).  Je  les  proclamerais  avec  les 
paroles  de  l'esprit  de  sainteté  ». 

Inutile  d'insister  sur  le  fait  qu'il  s'agit  de  la  récompense 
du  paradis.  Notons  toutefois  que  cette  dernière,  ici  comme 
dans  le  passage  précédemment  étudié  (Y.  51.  11),  est 
représentée  comme  dépendant  de  l'amitié  de  Zara^ustra, 
exactement  par  la  même  expression  :  ks  urvéUl  spitamâi 
ZarahihtrCi  kastd  asava  iirvahô  (Y.  46.  14).  Il  s'agit  bien 
clairement  de  la  même  récompense  que  l'on  se  représente 
si  explicitement  dans  cet  hymne  sous  forme  de  «richesses». 

Ici  encore  Spiegel  traduit  «  Grosse  »,  par  fausse  étymo- 
logie.  Le  qualificatif  maz-  deviendrait  par  là  pléonastique. 
Spiegel  le  rend  par  «  hehr  ».  De  Harlez,  d'après  Justi 
substitue  «  Grosse  Tat  —  grande  œuvre  »  à  «c  Grosse  », 
simplement,  sans  doute,  à  cause  de  l'insufïisance  du 
sens  de  «  grandeur  ».  La  «  grande  œuvre  »  c'est  de 
«  prêcher  la  doctrine  »  car  tel  est  le  sens  que  H.  donne 
à  frasrfndiui.  Outre  les  motifs  invoqués  ci-dessus  pour  les 
sens  de  «  richesse  »  et  «  proclamer  »,  il  faut  noter  (|ue 
tout  le  contexte  de  cette  partie  de  l'hymne  porte  non  sur 
la  prédication,  laquelle  n'est  pas,  du  reste,  désignée  dans 
les  gâthas  comme  une  «  grande  œuvre  »,  mais  sur  la 
récompense  future  (cf.  v.  10,  12,  15,  14,  16,  18,  19).  Le 


faisant  car  il  n'est  pas  question,  ni  dans  ce  texte,  ni  dans  V.  4G.  12  de  célé- 
brité, mais  de  la  récompense  de  l'autre  vie.  (cf.  les  v.  2.,  10,  13,  14,  IG,  18, 
19  du  même  hymne).  Il  est,  de  plus,  bien  pâle.  L'expi'ession  sricioyâi  on 
fdrasrïiioyrii,  rare,  du  reste,  est  encore  clairement  usitée  pour  la  parole 
qui  désigne  les  élus  dans  V.  45.  vâcd  srûirjydi  hyat  mardtaêibyo  vahis- 
tdm  :  yôi  moi  ahmâi  soraosam  dan  cayascâ  upâjimdn  haut'vàtà 
amdrdtàtd  vanhdm  mainyëus  syao^kcndis  mazdà  ahiirô.  "  La  parole  la 
meilleure  à  entendre  aux  hommes  :  «  Ceux  qui  m'accordent  leur  obéis- 
sance et  leur  bonne  intention,  qu'ils  arrivent  à  la  prospérité  et  à  l'im- 
mortalité par  les  oeuvres  du  bon  esprit  ». 


LE    NOM    DES    MAGES.  137 

«  fiii'  den  grossen  Bund  j^  de  M.  Bartholomae  tombe  pour 
des  raisons  analogues,  M.  Mills  dit  «  holy  toils  »  (Gàth. 
^'^  éd.),  ce  qui  est  un  pas  de  plus  dans  la  dérivation  de 
sens  suggérée  par  Jusli.  On  s'éloigne  de  plus  en  plus  du 
sens,  du  reste,  indéfendable  de  «  Grosse  «.  Darmesteter 
dit  :  «  quel  est  celui  qui  veut  la  réputation  de  vertu 
suprême  ?  »  d'après  le  pehlevi  mas  makîli.  Inutile  de 
montrer  combien  ce  sens  cadre  mal  avec  le  contexte  où  il 
est  question  de  jugement  et  de  récompense  céleste.  Ici 
encore,  maklh  n'a  qu'une  ressemblance  phonétique  avec 
mcKja,  terme  archaïque  visiblement  incompris  à  l'époque 
sassanide. 

Le  second  passage  où  on  lit  mazoi  mngâi  est  un  peu 
moins  significatif  que  le  premier  mais  ici  encore  le  sens 
de  «  la  Grande  Richesse  c'est-à-dire  les  biens  du  paradis  » 
convient  admirablement  :  Y.  29.  II.  laidâ  asom  vohucà 
manO  xsaHrdmcâ.  At  ma  masâ  yuzdm  mazdCi  frâxhidiië 
mazôi  magâi  â  paitlzânatâ .  «  Où  sont  Asa,  Vohu  Manah  et 
XsaOra  ?  o  vous,  hommes,  o  Mazdâh,  accueillez-moi  avec 
sollicitude  (i)  pour  le  grand  maga. 

C'est  l'âme  du   bœuf,   le  gdus  iirvan  qui   demande  à 


(1)  frclxsnonê.  «  utn  unterwiesen  zu  werden  »  dit  M.  Bartholomae  tirant 
cet  intinitif  vare  de  fraœsnà  (Yrp(L7-/.w).  Mais  deux  versets  plus  loin,  on 
lit  rafdnô  frcixsndndm  «  fursorgliche  Unterstiitzung  ».  Est-il  raisonnable 
de  séparer  ces  deux  mots  et  d'inventer  un  sens  pour  frâxmdnë  alors  que 
celui  de  jraxmin,  frâxsnan  est  assez  bien  établi  comme  «  ftirsorglich  n  ? 
Il  y  a,  il  est  vrai  V.  43.  12  :  hyatcà  moi  mraos  asam  jasd  fraxsndnè 
«  uud  als  du  mir  sagtest,  zum  Asa  soUst  du  kommen  um  Unterweisung 
zu  erhalten  »,  mais  ici  encore  le  sens  parait  être  plutôt  «  pour  la  généro- 
sité, pour  être  généreusement  récompensé  »;  car  deux  lignes  plus  loin,  il 
est  question  d'Asay  aux  grands  ù^ésoi^s  qui  distribuera  aux  deux  camps 
leur  rétribution.  Je  ne  vois  pas  de  raison  de  rejeter  ici  comme  dans  Y.  29 
la  traduction  pehlevie  kahed  «  beaucoup  -,  sens  qui  parait  être  dérivé  de 
celui  de  «  avec  générosité  ». 

9 


158  LE    MUSÉON. 

avoir  sa  part  non  seulement  de  leurs  traitements  ici  bas 
mais  aussi  des  avantages  du  paradis,  ce  qui  est  bien 
conforme  à  la  coutume  gàthique  d'associer  toujours  les 
biens  de  ce  monde  et  ceux  de  l'autre,  (cf.  Y.  55.  10, 
Y.  28.  2  («  les  délices  des  deux  mondes  ))),  Y'.  45  u  les 
avantages  de  la  vie  corporelle  ici-bas  et  de  la  vie  de 
l'esprit  »,  etc.). 

Ici  encore  Spicgel  donne  avec  moins  de  convenance  que 
jamais  le  sens  de  «  Grosse  »  :  «  Ihr,  o  iMazdâ,  gewahret 
Grosse  um  Grosse  )>.  De  Harlez  dit,  par  une  fausse  analyse 
de  framonc  :  «  pour  le  développement  du  grand  œuvre  ». 
JN 'est-il  pas  plus  naturel,  en  dehors  de  toute  autre  consi- 
dération, de  voir  l'âme  du  bœuf  demander  à  être  associée 
à  la  récompense  du  paradis,  (ju'à  l'œuvre  de  la  conversion 
des  hommes  ?  Le  «  fur  der  grossen  Bund  Unterweisung  zu 
erhalten  »  de  M.  Bartholomae  fait  du  bœuf  un  espèce  de 
catéchumène.  Mgr  Casartelli  suit  De  Harlez  :  This  the 
Great-\Vork  may  prosper  »  (i).  Darmesteter  traduit  : 
«  Donnez  pleine  récompense  à  ma  haute  vertu  »,  d'après 
le  pehlevi  mairt/i  (cf.  supra),  alors  que  pourtant  il  n'est 
pas  autrement  fait  mention  dans  le  morceau  de  la  vertu 
du  bœuf.  Le  sens  «  ma  haute  vertu  »  n'est,  du  reste,  pas 
naturel. 

Enfin,  mciga  se  rencontre  deux  fois  dans  Y.  o5.  7,  un 
verset  fort  obscur  qui  a  bien  tourmenté  les  traducteurs. 

Ici,  encore,  comme  dans  Y.  51,  le  contexte  servira  à 
établir  la  signification  du  mot.  Le  morceau  débute  par 
valiihtâ  istis  si^ûvl  zara^Histraliê  spitfunahyâ.  «  La  meilleure 
richesse  connue  est  celle  de  ZaraBuîtra  Spitama  »,  c'est  à 
dire  «  les  délices  que  Mazdâh  accordera  grâce  à  A.sa  », 


(1)  Leave?  from  my  Ras'ern  Ganlen  p.  31.  Mai'ket  W'eighton,  1908. 


LK    ^OM    DES    MAGES.  139 

«  Ja  vie  heureuse  pour  toujours  »,  C'est  celle  que  le 
prophète  souhaite  à  sa  fille  Porucistâ  et  à  son  beau-fils 
Jâiiiâspa,  en  retour  de  la  fidélité  du  jeune  couple  à  la  foi 
mazdéenne.  11  la  nomme  luiuluis  vanlijus  iiiananlul,  «  le 
noble  gain  de  Y.  M.  »,  expression  ({ue  nous  avons  déjà 
vue  être  synonyme  de  uuuja  V.  M.  ou  islaij  V.  M.  Les  deux 
époux  doivent  être  l'un  [)Our  l'autre  paitijusUm  saroin 
c.  à  d.  comj)ai'non  et  soutien  (non  pas  «  Linseharfer  des 
Bunds  ))  Barth.)  pour  le  bon  esprit,  la  vertu  et  le  (service) 
de  Ma/drdi.  Ils  doivent  rivaliser  en  justice  pour  obtenir 
le  bon  <j(tui  (huhJndm).  Au  contraire,  s'ils  agissent  mal, 
s'ils  abusent  de  leui's  coi'Ijs,  ils  auront  le  sort  des  com- 
pagnons de  la  Druje  dans  le  lieu  de  la  damnation.  Enfin 
la  dernière  [)brase  de  l'Iiynine  est  :  «  C'est  toi,  o  Mazdâli, 
(jui  possèdes  le  xsii'h-a  (les  biens  de  rau-delà,  cf.  su[)ra), 
grâce  auquel  tu  peux  accoi'dcr  à  I  indigent  vertueux 
[drdiDJijôi  driguovc)  un  meilleur  sort  )).  Ce  dernier  verset 
qui  résume  plus  ou  moins  Ihymne  est  aussi  clair  ([ue 
possible  :  la  récompense  du  paradis  ([ue  les  deux  époux 
doivent  mériter  est  représentée  connue  une  richesse  su[)é- 
rieure,  c'est  le  fiuizni  )ii(i</âi,  des  textes  [)i'écédents. 

Or,  voici  le  texte  de  cet  hynmc  où  apparaît  le  mot  maga: 
Y.  5.").  7  :  A{C(l  l'à  )nlt(ld)n  animt  alnja  mafidlijjû  ffaidi  âziis 
zrazdistô  bûnôi  liaxtdfja,  puracd  iiu-dovas  aorâcd  ija'fi'Ci 
maiuijiis  drDijvdtO  diuistd  purCi  ivlKnjd'ia  nmijôni  Uni.  A(  vJ 
vdijôi  dnlidilt  d]}jdiD)n  vdcô  :  «  Et  vous  aui'ez  la  récom- 
pense de  ce  mdfja,  pour  autant  (pie  le  zèle  le  plus 
fidèle  (I)  se  trouve  dans  vos  entrailles  et  dans  vos  reins 


(1)  zrazdLsto.  «  qui  ré.'-ide  dans  le  cn:-ui' .,  Harlez  et  divers.  —  Ce  sens 
est  inii'ossible  car  zraul  n'est  pas  zdrdd  et  ([ue  le  superlatif  zrazdofornô 
lorme  un  évident  parallèle  de  zrazdiMlô.  Donc,  zra:distô  a  évidemment 
un  sens  l'avorablc.  Par  là, échouent  les  oll'erls  de  quelques  con)inontatcur.-^, 


140  LE    MUSÉON. 

(littér.  cuisses).  (Mais),  en  vous  accroupissant  en  avant  et 
en  arrière,  là  oii  l'esprit  du  méchant  est  allé  à  sa  perdition, 
vous  vous  éloignerez  de  ce  maga  et  votre  dernier  cri  sera 
«  hélas  !  (i)  » 

La  traduction  est  en  partie  hypothétique,  le  texte  étant 
obscur  et  peut-être  corrompu  comme  celui  du  verset  qui 
le  précède  dans  l'hymne  (Y.  55.  6).  Les  traductions  ne 
sont  pas  toujours  beaucoup  plus  claires  que  le  texte.  Ainsi, 
celle  de  Spiegel  :  Das  wird  euer  Lohn  fur  die  grosse 
Tat  (cf.  supra)  :  dass  der  im  Herzen  liegende  Àzu  (ein 
dtimon)  von  den  besessenem  Innern  sich  hinwegstehlend 
dahin  gelangt,  wo  der  Geist  des  Bosen  (weilt).  Strebet 
nach  diesen  Grossen  (!),  er  wird  euch  freundlich  sein  bis 
zum  letzten  Worte  ».  L'auteur  ajoute  que  la  dernière 
phrase  est  purement  conjecturale.  Il  est  évident  que  tra- 
duire une  fois  maga  par  «  Grosse  Tat  »  et  une  fois  par 
(c  der  Grosse  »  (quel  grand  ?)  n'est  pas  soutenable. 

De  Harlez  est  plus  clair  :  «  Que  la  récompense  de  ce 
grand  œuvre  (cf.  supra)  vous  soit  (donnée)  ;  aussi  longtemps 
que  Azhus  qui  réside  dans  le  cœur  s'agitera  en  avant,  en 
arrière,  du  fonds  du  corps  là  où  l'esprit  atteignit  d'abord 
les  méchants.  Vous  abstenez-vous  de  cet  œuvre,  qu'alors 
votre  dernière  parole  soit  un  cri  de  détresse  ». 

Il  ajoute  en  note  que  bùiia  désigne  le  membre  viril  et 
que  maga  est  ici  le  mariage.  Tout  le  verset  se  rapporterait 
aux  rapports  sexuels. 

En   cela,   le  traducteur  a,   sans   doute,    vu   juste    car 


qui  rapportent  tout  le  morceau  à  la  conduite  et  font  de  aztiS,  un  démon 
comme  azay. 

(1)  vayôi.  "  wehe  »  Barth.  C'est  la  leçon  de  M.  Geldner.  Quelques  mss. 
ont  vayô  :  «  0  Vayav  »  qui  donne  un  sens  convenable,  ce  dieu  étant  invo- 
qué dans  l'angoisse  (cf.  Harlez.  Avesta.  Introd,  p.  eu). 


LE    i\OM    DES    MAGES.  141 

l'emploi  des  mots  si  précis  et  pittoresques  paracâ  mraocqs 
aorâcâ  convient  à  une  description  réaliste  dont  les  mots 
bunoi  liaxtaijâ  font  deviner  la  nature,  ainsi,  du  reste,  que 
le  contexte  général.  Cela  ne  justifie  pas  naturellement  le 
sens  de  «  mariage  »  donné  ici  à  mago,  en  tirant  sur  celui 
déjà  injustifiable  de  «  grand  œuvre  ».  Le  sens  de  «  très 
fidèle  »  qui  s'impose  pour  zrazdiW)  défend  aussi  de  faire 
d'azM,  le  démon  de  la  concupiscence. 

Les  traducteurs  pehlevis  rapportent  avec  plus  de  réalisme 
encore  le  texte  aux  relations  sexuelles.  Darmesteter  et 
M.  Mills  les  ont  en  grande  partie  suivis.  Ils  pensent  qu'il 
s'agit  de  la  femme  qui  n'accomplit  pas  ses  devoirs.  Elle 
se  rend  coupable  de  maklli  (=maga),  mot  qui,  par  ailleurs, 
avons-nous  vu  signifie  «  pureté  »  mais  qui  est  ici  glosé 
par  avêzak  saritarili  «  méchanceté  sans  mélange,  Darm,  ». 
ûzirfi  devient  dans  le  pehlevi  «  un  hérisson  »  qui  pénètre 
dans  le  fond  des  cuisses  (!)  ce  qui  serait,  d'après  Darme- 
steter, un  allusion  au  supplice  des  femmes  mordues  par 
les  serpents  tel  qu'il  est  décrit  dans  XArdâ  Virâf.  Du  reste, 
non  seulement  le  texte  pehlevi  est  plus  incohérent  que  le 
texte  avestique,  mais  il  est  encore  plus  obscur  que  lui  et 
Darmesteter  doit  recourir  à  des  conjectures. 

Quant  à  maga,  il  est  un  des  mots  les  plus  maltraités 
dans  ces  traductions  :  Darmesteter  dit  «  perversion  ». 
M.  Mills  (Gâthas,  :2  éd.  p.  19G)  donne  une  fois  :  «  the  Holy 
Cause  »  et  la  seconde  fois  :  «  the  maga-  [child,  i.  e. 
A  legitimate-ofï'spring-and-princely-child-of-the-Faith,  the 
Holy  Cause]  ».  Inutile  de  montrer  combien  ces  sens  créés 
pour  la  circonstance  seraient  insoutenables  dans  les  autres 
passages  oii  nous  avons  rencontré  le  mot  maga.  M.  Bar- 
tholomae,  conséquent  avec  lui-même  rend  ici  encore  ce 
mot  par  «  Bund  ».  Mais  peut-il  encore  s'agir  de  la  confé- 


142  LE    MLSÉON. 

dératioii  des  fidèles  de  ZaraOustra  comme  il  l'admet  dans 
les  autres  passages.  Cela  parait  ditlicile  à  emire.  Du  reste, 
une  «  récompense  pour  une  alliance  »  est  quelque  chose 
d'assez  étonnant. 

Ici  encore,  aucune  de  ces  ti-aductions  ne  vaut  celle  de 
«  richesse  ».  Il  est  vrai  qu'à  première  vue  «  récompense 
de  la  richesse  »  donne  un  sens  qui  surprend,  mais  est-il 
bien  nécessaire  de  donner  au  génitif  cette  valeur?  Il  vaut 
mieux,  je  crois,  faire  de  «  richesse  )>  un  simple  détermi- 
nant précisant  l'idée  contenue  dans  mlzdjm  et  traduire  : 
«  la  récompense  en  richesses,  celle  qui  consiste  en  riches- 
ses ».  On  y  est,  du  reste,  pleinement  autorisé  par  ce 
passage  parallèle  :  Y.  45.  I.  a.sjm  dordidijin  râijO  asis  «  la 
récompense  en  richesse  qu'on  doit  obtenir  ».  On  voit  que 
rûyô  asis  est  mot  pour  mot  un  synonyme  parfait  de 
mlzdjm  maf/ahiiû.  Cette  expression  pourrait,  du  reste, 
être  traduite  presque  littéralement  en  gi-ec  par  -lo'j-ïo'j 
lio~.poL<.  (ixoîpy.  =  asis  «  sort,  récompense  »),  d'après  le 
{jLOÎpav  è'ys'.v  àyOswv  Esch.  Theb.  947,  iJ.O'^pyy  ■f.rioyr,^  -ops^v 
id.  Pr.  651,  ;jLo^pa  .rav-;-oj  îd.  Pers.  1)17,  Âg.  146:2.  Ne 
dit-on  pas  en  franc^'ais  aussi  bien  «  la  récompense  du 
paradis  »  que  «  la  récompense  de  la  vertu  »  ? 

Or,  il  est  à  noter  qu'en  faisant  de  magalnjâ  un  génitif 
subjectif,  on  échappe  à  la  difticulté  qui  a  égaré  les  traduc- 
teurs. Il  ne  s'agit  pas  de  trouver  dans  maga  un  acte 
méi'itoire.  Il  est  déjà  une  récompense  et,  comme  on  voit,  ce 
n'est  qu'en  une  certaine  mesure  que  M.  Bartholomae  peut 
s'autoriser  de  ce  passage  pour  contredire  la  dernière 
traduction  donnée  par  M.  Geldner  au  mot  maga,  qui  serait 
«  la  récompense  ».  mîiddm  est  simplement  le  terme 
général,  magaliyâ  ne  fait  que  le  préciser  en  disant  de  quel 
genre  de  récompense  il  s'agit.  Ce  ne  sont  donc  pas  des 


Lt    KOM    DES    MAGES.  1  15 

terrnrs  corrélatifs  et  opposés  tels  que  «  mérite  »  et 
«  récoin[)ense  ».  mlzcbm  magalujâ  est  en  fin  de  compte, 
une  expi'ession  presque  synonyme  de  xW>rjm  magaliyCi 
(cf.  suprji)  et  le  j;.vrt'i?'rt  est  précisément  le  tnlzda  promis. 

La  présen(;e  des  démonstratifs  ainjil  et  tom  devant  maga 
dans  le  présent  verset  montre  que  le  prophète  parle  d'un 
maga  déterminé,  bien  connu,  ce  maga,  (jui  est  célébré 
dans  tout  le  morceau.  Dès  lors,  pour  celte  raison  seule, 
on  peut  dire  (|ue  maga  désigne  les  biens  célestes  puisque 
c'est  là  l'objet  essentiel  du  morceau,  le  seul  qui  soit  assez 
présent  aux  auditeurs  pour  qu'on  le  leur  désigne  avec  des 
démonstratifs.  Dans  l'hymne  pi'écédent,  consacré,  avons- 
nous  vu,  au  xsa^ira  céleste,  le  xsahra  magalujâ,  on  trouve 
de  même  le  démonstratif  devant  le  mot  xsa^iva  Y.  ol.  18  : 
tat  y;sa^U-jm. 

Dès  lors  le  verset  obscur  devient  plus  ou  moins  clair  : 
Si  les  époux  vivent  en  bons  zoroastriens,  ils  auront  la 
récompense  céleste  :  le  mazOi  magâi,  si,  au  contraire,  ils 
abusent  de  leurs  corps  et  contractent  les  souillures  (jui  les 
met  au  pouvoir  de  la  Druje,  ils  s'éloigneront  du  mazôi 
magâi  et  exhalei'ont  les  plaintes  des  damnés.  Comme  le 
verset  précédent  et  le  verset  suivant  déci'ivent  les  peines 
des  suppôts  de  la  Druje,  de  ceux  qui  détruisent  en  eux  le 
manalnm  aliûm  (vita  spiritualis),  le  sens  donné  ainsi  au 
verset  7  est  précisément  celui  qu'on  doit  attendre. 

Notre  enquête  sur  le  mot  maga  aboutit  donc  à  donner 
à  ce  mot  le  sens  de  «  richesses  ».  Or,  il  est  intéressant  de 
constater  que  c'est  là  le  sens  dans  le  Véda  du  mot  maglia, 
qui  lui  correspond  absolument  quant  à  la  forme  (i).  Il  est 

(1)  magha  sigiiitie  à  la  fois  «richesse»  et  «cadeau,  gi'atilication.  On 
peut  se  demander  lequel  de  deux  est  primitif.  Si  magha  est  parent  du 
verbe  mailihale  "il  donne»,  le  second  sens  parait  être  le  plus  ancien. 
Mais  le  rapprochement  est  sujet  à  caution. 


144  LE    MUSÉON. 

donc  assez  naturel  de  se  demander  si  l'on  ne  pourrait 
arriver  à  une  constatation  similaire  au  sujet  du  dérivé 
magavan  qui  apparaît  deux  fois  dans  les  gàtlias.  Son 
correspondant  indien  magliavan  signifie,  comme  on  sait, 
«  l'homme  riche  et  généreux,  qui  a  du  maghà  et  qui  en 
donne  »  mais  spécialement,  il  a  acquis  le  sons  techni([ue 
bien  établi  de  «  donateur  des  sacrilices  ». 

Voici  les  passages  où  ce  mot  apparaît  dans  lAvesta  : 
\.  53.  7.  à  mû  âidûni,  vahistâ,  à  x' a'éiâca,  niazdâ  dcuDsatcâ 
asâ  volul  mancuiliû,  yâ  srmjê  pnrJ  magâunô.  avis  un  aùtaro 
lidùtû  nDmax'aitls  ci^rti  râtaijô.  «  Venez  à  moi,  o  vous 
(êtres)  si  excellents,  venez  en  personne  et  sous  une  forme 
visible,  o  Mazdâh,  avec  Asa  et  Vohu  Manah,  afin  que  Ion 
m'entende  même  en  dehoi's  des  magavans  (ou  (f  en  présence 
des  magavans  »)  (i).  Que  les  obligations  de  respect  devien- 
nent parmi  nous  claires  et  évidentes. 

M.  Bartholomae,  naturellement,  traduit  ici  magavan  pai' 
«  Biindler  ».  Comme  cette  traduction  ne  peut  se  soutenir 
qu'en  admettant  que  maga  signifie  «  Bund  »,  nous  n'avons 
plus  à  la  discuter.  De  Harlez  dit  «  pour  être  entendu  du 
Très  Grand  »,  toujours  en  supposant  que  »iayrt  signifie 
«  grandeur  ». 

Darmestetei'   qui    traduit,    avons-nous   vu,    maga   par 


(1)  Le  texte  est  assez  obscur.  Je  suis  ici  sans  enthousiasme  la  traduction 
de  M.  Partholomae,  tout  en  faisant  remarquer  que  le  sens  de  "  en  deliors 
de  »  n'est  attesté  pour  pard,  parô  que  par  deux  exemples  discutables. 
Partout  ailleurs parô  =  "  corani  ». 

Pourquoi  au  lieu  de  faire  de  magâunô  un  accusatif  pluriel,  dépendant 
de  para  =  skr.  parah  =  «  praetcr  »,  ne  pas  le  prendre,  comme  un  génitif 
singulier  dépendant  de  para  =  para  =  «  coram,  Trapoc  »  et  traduire  «  être 
entendu  du  magavan  r,%  En  réalité  les  deux  sens  peuvent  se  soutenir 
mais  cette  divergence  n'influe  guère  sur  le  sens  de  magavan  qui  dans  les 
deux  cas  peut  s'interpréter  par  «  l'homme  riche,  protecteur  du  zoroas- 
trisme». 


LE    NOM    DES    MAGES.  145 

(c  pureté  »,  d'après  le  pehlevi  maLîli,  dit  «  les  très  purs  ». 
Loixi([ue  avec  nous  nièuies,  nous  devons  donc  traduire  ici 
matjaviui  par  «  i-iclie  »,  ce  qui  est  uu  de  ses  sens  en  sans- 
crit. Or,  le  contexte,  ici  encore,  plaide  assez  nettement  pour 
cette  façon  de  ti'aduire.  L'hymne,  comme  on  le  voit  dans 
les  deux  premiers  versets  dit  (jue,  pour  être  jugé  digne  de 
récomi)ense  future,  il  faut  ùti-e  attaché  à  Yam.  Tous  les 
tenants  de  IV/.sïy,  dit  le  v.  5,  qu'ils  soient  nobles,  prêtres, 
artisans  ou  laboureurs,  seront  admis  dans  les  prés  d'Asa  et 
de  Vohu  Manalî.  Le  prophète  continue  dans  le  v.  4  à 
distingue)'  les  classes  sociales  :  Mazdâh  doit  préserver  les 
nobles  de  l'arrogance,  le  i)euple  du  voisinage  des  infidèles 
et  les  prêtres  du  contact  avec  les  blasphémateurs. 

Cest  cette  division  des  fidèles  en  diverses  catégories  qui 
caractérise  l'hymne  55,  le([uel  à  pai't  cela  traite  de  l'inva- 
riable motif  de  la  rétril)ution  future.  Dans  ces  conditions 
la  mention  des  magaians  dans  le  sens  des  «  riches  »  n'a 
évidemment  rien  ([ue  de  bien  naturel.  Cette  traduction 
s'impose  même  si  l'on  donne  à  pard  le  sens  que  revendique 
M.  Bartholomae.  Le  prophète  désire  que  sa  voix  soit 
entendue  de  toute  la  population  et  non  seulement  de 
quelques  riches,  qui  apparemment  fui'ent  ses  protecteurs 
du  début,  car  tout  porte  à  croire  que  magavan  a  ici,  pour 
le  prophète,  quelque  chose  du  sens  favorable  qu'il  a  si 
nettement  en  sanscrit.  Les  magavans  ce  sont  «  les  riches  » 
comme  tels,  sans  doute,  mais  spécialement  en  tant  que 
soutiens  des  prêtres  et  du  culte. 

Cette  nuance  de  sens  me  paraît  encore  mieux  accusée 
dans  l'autre  passage  où  parait  le  mot  magavan  :  Y.  51.  15. 
Iivat  mîzchm  Zara^Uistro  magavabyO  coist  para,  garô  ddmûnë 
ahurô  mazdâ  jasat  pouruyô.  mû  va  volai  manaiihâ  asâicâ 
savais  civîsî. 


146  LE    MUSÉON. 

«  La  récompense  que  ZaraOustra  promet  (  i)  aux  mcuja- 
vans,  celle  que  dans  la  maison  de  louange  Ahura  Mazdâh 
a  obtenue  le  premier,  je  l'espère  (2)  pour  moi  gi'àee  aux 
avantages  de  Voliu  Manah  et  d'Asa.  (c.  à  d.  en  quelque 
sorte  :  «  par  la  vertu  efficace  du  bon  esprit  et  de  la 
justice)  ». 

Il  ne  serait  pas  admissible  qu'on  parlât  d'une  récom- 
pense à  donner  aux  riches  comme  tels.  Il  s'agit  donc  bien 
visiblement  des  riches  en  tant  que  protecteurs  de  la 
religion.  Le  prophète  pi'omet  la  récompense  céleste  (dési- 
gnée, on  se  le  rappelle  dans  cet  hymne  par  xm^ra  istois 
ou  xsa^ra  marjalujâ)  aux  fidèles  et,  en  particulier,  aux 
fidèles  de  marque  qui  sont  ses  principaux  soutiens.  Ce 
qui  est  convaincant,  c'est  qu'à  la  suite  de  ce  verset,  le 
prophète  énumère  quelques-uns  de  ces  magiivans.  C'est  le 
Kavay  Vistâspa,  c'est  Frasaostra  Hvogva,  le  beau-père  de 
ZaraOustra,  c'est  Jâmâspa  Hvogva,  ce  dernier  qualifié  de 
x^aronanh  istôis  «  brillant  par  ses  richesses  »,  épithète 
assez  caractéristique  ;  c'est  encore  Madyôimânha  Spitama, 
un  membre  de  la  famille  même  du  prophète. 

La  présente  enquête  aboutit  donc  à  l'identification  à  la 
fois  formelle  et  sémanti([ue  de  av.  maga,  magavan  avec 
skr.  magluï,  magliâvan,  identité  qui  était  contestée  à  ce 
double  point  de  vue. 

Mais  si  maga  signifie  «  richesse  »,  est-il  possible  de  faire 
dériver  de  ce  mot  le  nom  des  mages  :  magavi  II  faudrait 
alors  que  les  ;/ia{/cs  soient  la  classe  riche,  celle  demagavans, 
mais  une  pareille  dénomination  est  au  moins  étonnnule 
pour  une  caste  sacerdotale.  La  différence  est  bien  nette 


(1)  littér.  «  enseigne,  annonce  ». 

(2)  litter.  «  je  me  l'accorde  «. 


LE    NOM    DES    MAGES.  147 

entre  le  ministre  du  culte  et  le  magavan  qui  le  soutient. 
Si  l'on  veut  donner  au  mot  magav  une  étymologie  accep- 
table, il  faut  donc,  je  pense,  détînitivement  renoncer  à  le 
faire  dériver  directement  de  mcuja  ? 

Il  reste  à  voir  si  les  mots  ne  peuvent,  au  moins,  se 
rattacher  à  une  même  racine  ? 

Parmi  les  nombreux  mots  sanscrits,  désignant  la 
(c  richesse  »,  une  nuance  particulière  de  sens  s'attache  à 
magha.  Il  désigne  la  richesse  bienfaisante,  qui  soutient, 
qui  aide,  maylia  est  un  cadeau,  une  gratification,  de  même 
que  magliavan  est  le  riche,  en  tant  que  généreux  donateur. 
C'est  là  un  détail  à  ne  pas  perdre  de  vue  en  cherchant  à 
établir  la  parenté  de  ce  mot  avec  d'autres  vocables,  tant 
européens  qu'aryaques. 

M.  Uhlenbeck  (Et.  W.  p.  209)  rapproche  magliâm  du 
skr.  mamliate  «  il  donne  »  et  de  l'av.  maga,  qu'il  traduit 
par  «  Macht  ».  Il  ajoute  «  man  vermutet  Zusammenhang 
mit  phryg.  [joypo-  machtig  (?),  a.  k.  s.  1.  mogq  vermag, 
kann,  mostî  Macht,  gr.  [j-V'^?,  i^T/^cp  Hilfsmittel,  [xyiyavr,, 
dor.  [-•ayavâ  Wcrkzeug,  List,  ir.  do-for-magaim,  vermehre, 
gall.  Magonius,  cymr.  Mann,  nom.  pr.,  br.  mog,  mug, 
Sklave,  Diener,  macdacht,  Magd,  got.  magan  vermogen, 
mafits,  Macht,  magus,  Knabe,  Knecht,  magatlis  Jungfrau, 
und  andern  Wortern  ». 

Toute  question  de  forme  mise  à  part,  plusieurs  de  ces 
rapprochements,  présentés  comme  hypothétiques,  peuvent 
se  défendre  au  point  de  vue  sémantique.  En  partant  d'un 
sens  primitif  de  c(  aider  eflicacement  »,  on  arrive  aisément 
à  celui  d'  «  aide,  moyens  pécuniaires  »  (maglia),  moyen 
d'action,  de  travail,  instrument  (i^o/avTi),  moyen  d'agir, 
capacité,  pouvoir  {magan,  malits)  moyen  de  conjurer, 
remède  (fJ-ô/oO»  personne  qui  aide,  qui  travaille  (got.. 
magus,  ir.  mog,  mug),  etc. 


148  LE    MUSÉON. 

Des  dérivations  de  sens  analogue  se  remarquent  dans 
les  autres  racines  signifiant  «  aider  ».  Qu'on  compare, 
angl.  to  lielp  (t),  lith.  szelpti  au  skr.  kalpa  (capable,  pos- 
sible), kalpate  «  se  prête  à,  convient  ».  àpxioj  signifie  à  la 
fois  <c  aider,  repousser  »  et  «  avoir  la  force  de,  sufïir». 
Qu'on  songe  aussi  aux  divers  sens  du  gr.  à>>x/,. 

En  revanche,  on  se  heurte  à  des  ditïicultés  phonétiques 
si  l'on  veut  reconstituer  la  forme  primitive  de  la  racine. 
M.  Uhlenbeck  s'en  abstient.  Les  étymologistes  admettent 
généralement  pou  I'  ;^'V.^?,  l-^'^'/a?.  ^•'^{/^'^■'"'h  une  racine //Jrt(;/î  (2). 
Dans  ces  conditions  magan,  maclil  seraient  des  formes 
faibles  pour  mogh,  mais  que  penser  de  maglu'un  au  lieu 
de  migliàm  ? 

Levocalisrnegermani({ue  lui-même  est  assez  surprenant, 
M.  Streitberg  (Urgem.  Gr.  p.  92)  doit  pour  expliquer  la 
conjugaison  gothique  sg.  mag,  pi.  magum  recourir  à 
«  Eine  Umbildung  eines  Prasens  nach  Art  von  abg. 
moga  «  Kann  »,  zii  der  Vollstufe  gr.  i^'^i'/pi,  etc.  ». 
M.  OsthofF,  P.  Br.  B;  XV.  2ll  prétend  que  mag  est  un 
«  praeteritum  praesens  »,  ce  qui  est  contredit  par  M.  Brug- 
mann.  Gr.  II.  887,  anm.  1255.  On  peut  aussi  s'étonner  de 
l'o  du  celt.  *mogu  «  esclave  »,  correspondant  au  goth. 
tnagu  «  Knabe,  Knecht  »  et  du  phrygien  [^oypo,  s'il  se 
rapporte  à  cette  même  racine. 

La  raison  pour  laquelle,  on  n'ari'ive  pas  à  retrouver  la 
forme  primitive  de  la  racine  se  trouve,  me  semble-t-il, 
dans  une  façon   ei'ronée  d'expliquer  Va  de  |^T/oç,  etc.  Au 


(1)  1,0  p  germanique  parait  s'expliquer  par  l'existonne  d'uu  doublet 
indo-européen  kelb  à  côté  de  help.  Cf.  Kluge.  FA.  W.  p.  171. 

(2)  Cf.  Hirt.  Ind.  Abl.,  Ualde.  Et.  W.  Lat.  p.  ;^61,  Pi'cllwitz.  E.  W.  Gr. 
p.  294,  etc. 


LE    NOM    DES    MAGES.  i49 

lieu  d'y  voir  une  «  VoUstuffe  »,  je  serais  assez  disposé  à 
le  considérer  comme  une  «  Dehnstufe  ». 

Dès  lors,  on  peut  rendre  compte  de  tout.  Je  pars  d'une 
base  magli,  mogfi,  rn^gli  avec  1'  «  Ablaut  »  en  a  (type  ayw  : 
oV>"-oç,  scabo  :  scohis,  etc.). 

Le  skr.  magliâm,  pourrait  alors  remonter  à  niayli  (i)  ; 
lo  got.  mng  magum  représente,  sans  doute,  mogli  : 
m''gli{itm)  ou  magli  :  m''gli[um). 

Le  celtique  mogu  :  magu  présente  les  deux  états  forts. 
magli  se  retrouve  dans  goth.  magu,  magaps  [magliu-olis. 
Streitberg,  Urg.  gr.  p.  l:23j.  mogli  se  retrouverait-il  dans 
phryg.  [^ovpo-v  (2). 

(^est  en  grec  que  la  situation  est  la  plus  compliquée. 
\^~f;/p^  est  une  forme  refaite  au  lieu  de  la  forme  normale 
|j.Y,y;,  \j.~r,yy.^  (=  mâglids  ou  màglts  venant  de  mdgiies)  où  le 


(1)  Le  rapprochement  de  magha  avec  mamhâée,  «  pourrait  faire  songer 
à  un  i-eur.  mngho  Toutefois  il  faut  noter  que  maiiihate  ainsi  que  maiii- 
hc'oia  •  don  »  maihhUta  «  très  bienfaisant  «  semblent  intimement  liés  à 
une  racine  sanscrite  mah  «  j'éjouir  »  (cf.  mahas,  mahayati,  mâhina, 
etc.),  racine  qui  offre  aussi  des  formes  nasalisées  :  maiiihanâ  «  volon- 
tiers n.  Or  \'h  (le  ces  mots  remonte  apparemment  à  gh  tandis  que  magha 
ne  se  conçoit  que  comme  dérivé  de  magh.  Du  reste,  s'il  fallait  séparer 
magha  de  la  racine  magh,  cela  n'ébranlerait  nullement  les  conclusions 
de  cet  article.  Il  en  suivrait  seulement  que  magav  et  maga  seraient 
encore  plus  étran^^ers  l'un  à  l'autre  que  cela  ne  ressort  de  la  présente 
étude  En  outre,  lien  de  plus  compliqué  que  de  séparer  les  dérivés  dans 
les  langues  indo-européennes  de  toute  une  série  de  racines  de  forme  et, 
pour  quelques  unes  même,  de  signification  fort  semblables,  telles  que 
magh  Cm-^/o;)  mcgh  Hitt.  mcgmi,  -i;Ar,iJ.zy,-.i(M},  mang  (ixâyyavov,  lat. 
mango\  mag  (néerl.  makher,  gcmak),  makh  (skr.  mahhas),  mak  (jxâajw, 
lat.  maceriae),  mank  (?)  (litt.  minkyii,  skr.  macate),  mag  (?)  (.aâystpo;, 
a.  11.  mazati),  mank  (lat  ^nanc.as),  mak  (y.a/-po';,  lat,  macer),  megâ 
(jj-Éya;.  lat.  magnus),  meghct  (skr.  mahanl),  etc.  La  mise  en  ordre  de  ce 
matériel  compliqué  pourra  faii-e  l'objet  un  article  ultérieur. 

(2)  Ce  nom  est  assez  fréquent  dans  les  inscriptions  latines,  notamment 
en  Espagne,  cf.  Carnoy.  Klem.  Celt.  Inscr.  Esp.  Muséon,  'VIII,  2. 


150  LE    MUSÉON. 

sutïixe  sigmatiqiie  en  position  atone  est  sous  sa  forme 
faible,  tandis  que,  par  compensation,  l'a  du  radical 
s'allonge,  comme  par  exemple,  dans  y^ipaç  :  yspwv.  M.  Hirt 
(Âblîiut,  p.  200)  voit  aussi  une  trace  de  cet  état  de  chose 
ancien  dans  Vë  de  sêdes,  forme  refaite  poui'  sëds,  comme 
[^'ô'/oç  est  pour  pi/ç. 

{jLÔyap  est  une  formation  tout  a  fait  analogue,  i.e  sullixc 
atone  s'est  réduit  à  /•  tandis  que  la  voyelle  radicale  a  été 
soumise  à  la  «  Dehnung  )),  comme  dans  -^-y;-  remontant 
à  un  ind.  eur.  *icq'rt,  et  le  lat.  vPr  =  *uêsr  à  coté  du  skr. 
vasar-  «  in  der  Friihe  ». 

Qui  plus  est,  on  peut  admettre  que  |j.Y,'/ap  et  p;/av7i  ne 
sont  que  deux  formes  d'un  seul  et  même  mot  indo-euro- 
péen, un  thème  en  rjn  comme  l'étaient,  du  reste,  aussi 
*icq"rt  et  uesr.  On  a,  en  effet,  pour  ces  mots  des  dérivés 
en  n  à  côté  de  ceux  en  r. 

D'une  part  gr.  i'ap,  èap-.vo;,  lilt.  vasam  «  Sommer  »,  skr 
vâsaras  «  hell  »  ;  de  l'autre  skr.  vasantâ-  «  Friihling  » 
si.  vesna,   «  Friihjahr  »,  cymr.  gwannwijn  «  Friihling  » 
etc.  (Walde  Et.  W.  p.  658).  Plusieurs  langues  ont  conservé 
la   déclinaison    polythématique    de    ie(f"r{t)  :  lat.  jecur 
jecin-or-is,  skr.  yàirri,  yolnuis,  gr.  y-y.z  :  y-aro;,  etc. 

Ce  type  de  déclinaison,  aujourd'hui  bien  connu  a  lait 
l'objet  d'un  important  article  de  M.  Pedcrsen  (KZ.  52. 
p.  241,  sqq.)  qui  a  recueilli  dans  les  différentes  langues; 
et  spécialement  en  grec,  une  longue  série  de  doublets  (|ui 
en  sont  résultés.  Qu'on  compare  notamment  à  ;j.?;/ap  : 
pi/avY,,  exemple  qui  lui  a  échappé,  les  cas  suivants  : 

TriTap,  Tiieipa  :  T'.aîvw,  -iwv  ;  a.  h.  ail.  zcbar  :  oa-àv/j,  ski'. 
udhar,   gr.    o'jOap  :    gén.    skr.    Cid/inns,    gr.    o'jOaTO;;    pour 

OÙhu-T-oq  ;  gr.  xxiap  :  y.-ziyyo'/  ;  gr,  y{y.a'.p7.,  y'.L/.apo;  :  yf.'j.biy, 
a.  h.  ail.    hël'(e)rO  :  L-r.  xoizyyo;,  ;  i-r.  ■hj.iy.zy.'.zy.,    ocOo/.oavoàwv 


LE    NOM    DES    MAGES.  151 

^owv  :  xçiOL'^0^  ;  gr.  5à{jiap  :  lat.  dominus.  L'alternance  ûSwp  : 
uoa-roç  est-  analogue. 

Il  faut  donc  admettre  une  déclinaison  en  grec  primitif  : 
nom.  ace.  \t-iyv.o,  gén.  [jiayavôç,  etc.  Entre  ces  deux  sortes 
de  formes  se  sont  naturellement  produits  deux  phéno- 
mènes d'analogie  distincts.  D'une  part  les  suffixes  se 
sont  répandus  dans  toute  la  déclinaison,  ce  qui  a  créé  le 
doublet  pir;/ap  :  ijLYi'^avri.  D'autre  part,  la  longue  a  été  intro- 
duite dans  les  cas  en  a,  ce  qui  explique  sa  présence  dans 

Mais  les  dérivés  de  magli  se  réduisent-ils  en  grec  à 
pYfy^o;,  [j^rr/ao,  Y-n'/j'-'^'K,  comme  on  l'admet  généralement? 

Je  ne  le  crois  pas.  M.  Brugmann  (Gr.  Gr.  p.  415), 
parlant  d'un  mot  de  formation  analogue  à  {^ô'/ap,  l'adjectif 
{jiâxap  admet  que  ce  dernier  soit  un  substantif  neutre 
signifiant  «Glûckseligkeit»  qui,  faisant  fonction  d'adjectif, 
a  reçu  un  nominatif  masculin  piaxapç  et  un  féminin  {jiâxaipa, 
lequel  est  une  épithète  de  Persephoné,  ce  qui  prouve  son 
ancienneté. 

N'en  aurait-il  pas  été  de  même  pour  {^n^ap  (expédient) 
qui  comme  adjectif  aurait  signifié  «  utile  »  et  qui  aurait 
eu  pour  féminin  sans  «  Dehnung  >>  iKÔLyaipy.  «  celle  qui 
aide  ou  qui  débarasse  »,  donc  «  l'instrument  de  travail, 
l'instrument  de  défense  ». 

D'une  manière  assez  imprévue,  nous  en  arrivons  donc 
à  proposer  une  étymologie  plausible  de  ce  mot  grec  qui  a 
déjà  bien  intrigué  les  linguistes  «  Etymologia  vocabuli 
perobscura  est  »,  écrivait  encore  naguère  M.  Van  Herw^er- 
den  (Append.  Lexic.  Gr.  suppl.  et  dial.  p.  139,  1904).  Il 
faut  bien  noter,  en  effet,  que  le  mot  ne  désigne  pas  primi- 
tivement une  épée  mais  un  couteau,  dont  on  se  servait 
notamment  pour  couper  la  viande  des  sacrifices  et  que  les 


45â  LE    MUSÉON. 

guerriers  de  l'Iliade  portaient  au  côté  comme  arme  auxi- 
liaire. On  trouve  le  mot  dans  Hérod.  6.  75,  Pind.  0.  1.  79 
avec  le  sens  de  «  couteau  ».  ^^y:/%<.zy.  xojpôî;  est  un  «  rasoir  », 
(jiàya'-pa  oitO^t^  désigne  des  «  ciseaux  ».  11  n'y  a  rien  d'éton- 
nant à  ce  qu'un  mot  désignant  un  instrument  de  travail 
en  vienne  à  être  employé  poui  une  arme  de  guei*re.  Ce 
paraît  avoir  été  le  cas  notamment  pour  le  lat.  pilum  (cf. 
S.  Reinach,  Rev.  Rel.  LV,  p.  546)  (i). 

En  outre,  il  est  intéressant  de  notei*  que  ii.y:/y.iz.y.  était  le 
nom  de  l'instrument  dont  se  servait  Mayâwv,  le  grand 
chirurgien  mythique.  Quoiqu'en  pense  M.  Usener  (Got- 
tern.  p.  170),  ce  nom  propre  ne  doit  pas  s'interpréter, 
comme  «  der  Kneter  »  d'après  aâa-G-o)  (2)  mais  il  est 
simplement  une  expression  analogue  au  ys-.pojpyô;  des 
époques  postérieures.  Mayàwv  c'est  celui  qui  travaille  dans 
le  hut  de  porter  remède,  conformément  au  sens  de  p;/o;, 
ij.Y,/ap.  Mayào)v  venant  de  magli  est  donc  une  formation 
pai'allèle  à  'lâjwv  de  <Ào\xy.<..  Le  radical  [j.ay  se  trouve  peut- 
être  encore  avec  le  sens  de  «  guérir  »  dans  o-l'/^ôuayo;  (cf. 
Van  Herwerdcn,  Lex.  Sup.  Dial.  s.  v.,  où  on  donne  du 
mot  une  autre  interprétation),  mot  qui  paraîtrait  donc 
signifier  «  qui  guérit  pai'  le  silphion  (laserpitium)  »  ou 
«  remède  au  silphion  »  (2). 


(1)  M.  Prellwitz  Et.  W.  Gr.  p.  284  réunit  [xdf/a-.pa,  [xi/ï),  p-îj/o;  mais 
sans  montrer  le  l'apport  qui  unit  ces  mots  au  points  de  vue  de  lu  forme  et 
du  sens. 

(2)  On  trouve  le  ra  lieal  m-^/o  dans  divers  noms  de  médecins,  ainsi  le  tiis 
de  Machaon  s'appelait  Nikomachos.  Il  y  avait  à  Marathon  la  tombe  du 
médecin  Aristomachos  (Usener  Gôttern.  p.  150),  mots  auxquels  il  faut 
donc  joindre  aXt^dji-a/o;.  M.  Usener,  traduit  ces  derniers  noms  par  "  best- 
kneter,  ein  héros  der  massage  n  (!)  et  «  silphionkneter.  «  Il  pai'ait  préfé- 
rable de  les  rapprocher  de  Ma/âojv,  d'abord,  et  ensuite  de  X£ic.o|j.â/a'.,  le 
nom  du  parti  des  artisans  à  Milet  (Prellwitz.  Kt.  \V.  (Jr.  p.  284).  Donc  si 
—  \>.'x/oc,  ici  ne  signifie  pas  simplement  "  qui  combat  r>,  il  se  rapportei'ait 


LE    INOM    DES    MAGES.  153 

L'idée  contenue  à  la  fois  dans  ii-r\yyyr^,  \t.~r{/oc„  F^'^i'/*p. 
fjiâ'/aipa,  Ma^âwv  est  celle  d'aide  etficace  et  active  pour  se 
tirer  d'affaire,  repousseï*  ou  guérir  un  mal.  Ce  sens  d'où 
peuvent  dériver  ceux  des  dérivés  éventuels  de  moifli  on 
germanique,  celtique,  etc.  (cf.  supra)  est,  donc  probable- 
ment le  sens  primitif  de  la  racine  maçjli.  C'est  à  lui  donc 
que  nous  proposons  de  l'attacber  le  nom  magav  qui  fait 
l'objet  de  cette  élude.  On  obtient  de  la  sorte  une  étymologie 
satisfaisante  du  mot.  Il  s'agirait  d'une  formation  ancienne 
en  u  du  type  de  skr.  ripû  «  trompeur  »  vâyâ  «  dieu  du 
vent  »,  manu  «  homme,  pâyii  «  protecteur  ^i,j(iyii  «  victo- 


encore  au  travail,  et  en  particulier  à  l'action  guérisseuse  de  ces  hommes. 
Je  dirais  donc  plutôt  "  celui  qui  opère  bien  »,  «  celui  qui  guérit  par  le  sil- 
pliium (laserpitium)  »,  etc.  —M.  Prellwitz  (loc.  cit  )  note  que  le  composé 
àfjLaxo?  a  parfois  le  sens  de  à[j.rj/avo;. 

On  en  arriverait  de  cette  façon  à  ,aâ/o;j.ai,  iJ.i/r],  termes  dont  la  parenté 
proposée  soit  avec  le  skr  makhasyati,  soit  avec  Tall.  mengen  est  au 
moins  douteuse.  Les  mots  cités  ci-dessus  ont  montré  que  le  radical  — 
|j.a/o  —  des  composés  a  souvent  un  sens  qui  le  rapproche  de  y-rj/o;,  urj/avrî. 
Il  se  rapporte  à  un  travail  et  surtout  à  un  travail  qui  porte  remède,  qui 
conjure  quelque  chose.  Dès  lors  on  en  arrive  aisément  à  l'idée  de  "  com- 
battre contre  un  ennemi.  «  Il  y  a  une  bien  faible  distance  entre  y.v.o; 
•/.axdiv,  (X.  vo'awv  «  moyen  d'éloigner  les  maux,  les  maladies  »  et  i^â/Ti 
AïavToç  11.  11.  542,  «  lutte  contre  Ajax  »  c'est-à-dire  en  tin  de  compte,  pour 
se  débarasser  d'Ajax. 

Le  mot  âXy.TÎ  a  suivi  une  évolution  de  sens  analogue  :  à'ÀaÀ/.E;j.i-/oc.  «  tenir 
éloigné,  protéger  de  -  i/./.ô  <■■  force  pour  repousser  un  danger,  défense, 
aide  efficace  (aX-/.T)v  TïoicKtiOat.  Soph.  0.  G.  459,  1524  ;  i-i  oT;  èjtiv  àX/cr,.  Arist. 
Eth.  N.  3.  5.  12  «où  il  y  a  de  la  ressource »),  enfin  chez  les  tragiques 
"  combat  «.  On  a  àXxap  «  défense,  sauvegarde  «  à  côté  d'àX/.i^  comme  on  a 
(jLTi)(ap  à  côté  de  [J-â/r|. 

Les  Grecs  aimaient  à  considérer  le  combat  sous  l'aspect  d'une  «  défense  »? 
d'un  «moyen  de  se  préserver  de  l'ennemi  ».  Fréquents  sont  les  passages 
où  ils  emploient  âX£;£y.Eva'.  ou  àajvs'.v.  alors  que  nous  dirions  simplement 
«combattre  pour  quelqu'un»  et  ces  mots  s'emploient  aussi  bien  delà 
préservation  des  maladies,  des  malédictions,  etc.  (^»Vf,;  àX£;r/'.a/.oç,  épith. 
d'Hercule,  àXEv.âoT,  pâ;j.vo;  «  amulette  »  etc  )  que  de  la  défense  contre  im 
ennemi,  les  armes  à  la  m.ain. 

9a 


i54  LE    ML'SÉON. 

rieux  »,  etc.,  et  qui  signifierait  donc  «  celui  qui  aide,  ([ui 
travaille  à  guérir  et  à  repousser  les  maux  ». 

Ce  sens  se  rapprocherait  assez  bien  de  celui  que  M.  01- 
denberg  (Vedaforschung  p,  8:2)  revendique  connme  sens 
primitif  du  nom  des  brahnianes  :  «  celui  qui  emploie  des 
charmes  pour  conjurer,  etc.  »  On  sait  que  MM.  Uhlenbeck 
et  Walde  d'après  M.  Osthoft".  BB.  XXIV,  p.  14^2  rattachent 
le  mot  brahinan  «  Zauborspruch,  Andacht  »  à  Tir.  bricht 
«  Zauber,  Zauberspruch  »,  anc.  isl.  bragr  «  Dichtkunst  », 
Brcifjc  a  Gott  der  Dichtkunst  ». 

Si  l'on  admet  cette  dernière  étymologie  —  il  est  évident 
qu'elle  n'est  pas  à  l'abri  de  tout  doute  —  on  peut  notei- 
une  cei'taine  similitude  entre  l'Iran  et  l'Inde,  quant  aux 
origines  ou,  du  moins,  quant  aux  caractères  de  la  caste 
sacerdotale  à  une  époque  ancienne.  C'est  à  dire  que  les 
fonctions  des  Brahmes  et  des  Mages  ne  se  réduisaient  pas 
au  culte  et  à  l'enseignement  religieux.  On  faisait  appel  à 
eux  dans  les  embarras  les  plus  divers  pour  conjurer  des 
fléaux  ou  pour  guérir  des  maladies. 

L'étymologie  qui  par  elle-même  n'a  évidemment  jamais 
qu'une  valeur  plutôt  relative,  vient  ici  confirmer  au  moins 
en  ce  qui  concerne  les  mages,  les  données  historicpies. 

Ammien  Marcellin  allirme  que  les  Mages  formaient  à 
son  époque  une  «  gens  solida  »  (|ui  occupait  en  Médie 
K  villas  nulla  murorum  formitudine  communitas  »  (Am. 
M.  XXIÏI,  ().,  of  Spiegel  Av.  Il,  p.  VI).  Toutefois  si  cette 
((  gens  »  avait  certains  centres  d'habitation  qui  lui  don- 
naient l'aspect  d'une  véritable  tiibu,  elle  avait,  d'autre 
part,  le  caractère  d'une  caste,  en  ce  ([ue,  déjà  au  temps 
d'Hérodote,  elle  était  disséminée  par  l'Iran  où  elle  exerçait 
une  fonction  bien  déterminée:  elle  était  préposée  aux  céré- 
monies du  culte  :  à'vsj  Mà-oj  oj  T-i-,  vo;/o;  h-':  OjTÎa;  -oUz-rHy.:, 


LE    NOM    i)i:s    M.V(ii:S.  1»)0 

dit  l'historien  i>i*ec  (I.  152).  Mais  elle  avait  encore  d'autres 
fonctions.  Hérodote  lui-inènie  mentionne  leur  l'ôle  de 
divinateur  des  songes,  i)ar  exemple  à  la  cour  d'Astyage 
(I.  107,  sqq.)  Lucien  (Macrob.  4)  alHime  aussi  leur  double 
caractère  :  «  Les  mages  sont  une  classe  de  pro[)hètes  et 
d'hommes  dévoués  aux  dieux  ».  Cicéron  (Divin.  I.  2ô) 
dit  que  ce  sont  des  sages,  des  augures  et  des  devins. 

Du  reste,  ils  ne  sont  pas  seulement  devins,  ils  sont  aussi 
et  surtout  médecins.  Cojnme  dit  Pline  l'ancien  ce  sont 
eux  qui  ont  enseigné  l'ai't  d'user  des  herbes  magiques 
(H.  N.  24.  156).  Ils  ont  des  ])rocé(lés  pour  apaiser  la 
fureur  des  boucs  (ib.  ^«S.  198)  et  pour  chasser  les  scorpions 
(52.  55).  Ils  produisent  la  fécondité  (28.  249)  et  savent  le 
moyen  d'embellir  le  corps  (24.  K)5).  Ils  ont  des  formules 
pour  les  migraines  (28.  49),  les  fièvres  (28.  228),  l'hydro- 
pisie  (28.  252),  les  maladies  de  la  rate,  des  reins,  des 
nerfs,  des  yeux,  etc.  etc.  Leur  pharmacopée  renfermait 
tout  l'arsenal  de  la  médecine  magique  :  l)asilic,  dragons, 
hérissons,  caillous  trouvés  dans  l'estomac  des  hirondelles 
(M.  205)  chair  de  rossignol  (,52.  IIG)  de  lézard  (50.  lil) 
ou  de  salamandre  (29.  7(3),  urine  de  tortue  (52.  54),  etc. 
De  plus,  ils  connaissaient  le  pouvoir  de  la  lune  (57.  124) 
et  le  moyen  d'évoquer  les  esprits  (24.  100).  Ils  avaient 
des  règles  à  observer  en  urinant  (28.  ()9),  en  crachant 
(50.  17).  etc.  On  sait  que  des  observances  de  ce  dernier 
genre  se  retrouvent  dans  l'Avesta. 

Ce  coté  de  l'activité  des  mages  est  si  important  qu'on 
peut  se  demander  si  ce  n'est  pas  à  lui  sui'tout  qu'ils  doivent 
leur  nom,  puisqu'il  parait  bien  qu'en  grec  la  nmne  Duigli 
ait  servi  à  dénommer  des  médecins  (cf.  Mayàwv,  etc.  supra). 

A  ces  connaissances  spéciales  de  mantique  et  de  méde- 
cine, ils  ne  doivent  pas  seulement  leur  nom  mais  proba- 


15G  LE    MUSÉON. 

biement  aussi  leur  constitution  en  caste  car  il  s'agissait 
évidemment  d'une  sorte  de  savoir  secret  qui  se  transmet 
de  génération  en  génération.  Ici  encore  le  témoignage 
des  anciens  vient  à  l'appui  de  ces  inductions.  Clément 
d'Alexandrie  (Strom.  I,  357)  dit  que  les  mages  possé- 
daient une  science  secrète.  M.  Jackson  (Zor.  p.  8)  signale 
d'autres  passages  où  l'on  mentionne  les  '^^'ffk'.o\  à-ôxpjcpot. 
Zupoào-Toou  (c.  à  d.  Twv  [jLâYo)v).  On  ne  doutait  pas  que  cette 
science  ne  fût  d'ordre  élevée.  Aussi  prétendait-on  que 
Pythagore  et  Démocrite  avaient  été  à  leur  école  (PI. 
H.  N.  25.  15,  50.  20,  etc.)  et  que  le  mage  Gobryas  avait 
donné  des  leçons  à  Socrate  (Darmesteter,  Z.  A.  lïl.  7). 
Cette  science  était  d'ordre  essentiellement  pratique.  Elle 
consistait  à  connaître  les  vertus  des  objets  de  la  nature 
comme  le  montrent  les  titres  des  ouvrages  qu'on  leur 
attribuait  :  T:epî.  X(8wv  -'.[Jiiwv,  Tiepl  çuo-ew;,  ào-Tepoa-xoTC'.xà  Zcopo- 
â(7Tpou,    [j(.aYt,xà  Xôyta  ToJv  ô.tzo  toO   Zwpoao-Tpo'j   {j^àytov.    On    Voit 

donc  que,  conformément  à  l'étymologie  proposée,  les  mages 
s'intéressaient  à  la  nature  dans  le  but  d'y  trouver  Y-'h/-f\ 

Conclusion.  En  résumé,  en  tenant  compte  des  réserves 
exprimées  au  cours  de  cette  étude  qui  porte  sur  un 
domaine  oii  il  est  souvent  difficile  de  faire  plus  que  des 
conjectures  plausibles,  on  pourrait  retenir  de  l'article  : 
1°  que  les  Mèdes  semblent  avoir  été  divisés  en  classes  d'une 
manière  qui  rappelle  un  peu  les  castes  de  l'Inde  et  la 
division  des  fidèles  de  Zoroastre  en  trois  catégories:  prêtres 
(karpan),  nobles  (kavay)  et  paysans  [vardzana).  Ces  classes 
portaient  des  noms  nettement  aryaques.  2°  Les  mages 
formaient  une  de  ces  sections  de  la  population  médique. 
Ils  constituaient  bien  en  une  certaine  mesure  une  tribu, 
ayant  ses  habitats  mais  ils  étaient  attachés  à  une  fonction 


LE    ÎNOM    DES    MAGES.  157 

particulière  pour  l'exercice  de  laquelle,  ils  étaient  répandus 
dans  tout  l'Iran.  5"  Cette  fonction  comprenait  bien  la 
direction  du  culte  mais  aussi  divers  arts  tels  que  la 
médecine  et  la  divination.  4"  Leur  nom,  comme  celui  des 
brahmes  paraît  se  rapporter  à  ce  côté  de  leur  activité 
bienfaisante.  Il  serait  dérivé  de  la  racine  magli.  Cette 
racine  est,  à  tort,  consignée  sous  la  forme  màgh  par 
M.  Hirt  et  les  divers  étymologistes.  En  admettant  le 
vocalisme  a,  on  expliquerait  à  la  fois  le  skr.  maylia,  la 
conjugaison  obscure  jusqu'ici  du  goth.  tnag-magiim,  et  les 
doublets  celti(|ues:  mayu  :  mogu.  L'rt  des  mois  grecs  iji-â/o;, 
[jLf.yap,  \):t;/ri.Yr^  ne  fait  pas  ditïiculté  car  il  n'est  pas  une 
Vollstufe  nuiis  bien  une  Dehnstiife.  p^y;/^?  ^t  [j^viyavTi  forment 
un  doublet  et,  de  plus,  ,u.â'/a!,pa,  mot  jusqu'ici  inexpliqué 
est  proprement  le  féminin  de  [^nyap  et  signifie  «  instrument 
utile  au  travail  et  à  la  défense  »  donc  «  couteau  »,  enfin 
«  épée  )).  Le  sens  premier  de  cette  racine  aurait  été  «  aider 
efficacement,  surtout  pour  préserver  ou  guérir  ».  Elle 
s'employait  avec  prédilection  pour  l'action  médicale  et 
c'est  elle  et  non,  comme  le  croit  M.  LIsener,  la  racine  de 
[xâ^Tw  «  broyer  »  qu'on  trouve  dans  les  noms  de  médecins 
mythiques  tels  que  Mayâwv.  Ce  serait  ce  sens  primitif  de 
magli  qui  se  trouverait  à  la  base  du  dérivé  magav  «  le 
mage  ».  Il  se  rapporte  au  savoir  supéi'ieur  et  à  l'activité 
bienfaisante  de  cette  caste  et  il  correspond  absolument  à 
ce  que  l'antiquité  nous  apprend  des  mages.  5"  Le  mot 
aveslique  maga,  dont  on  faisait  parfois  dériver  le  mot 
magav,  est  tout  au  plus  issu  de  la  même  racine  que  celui-ci 
et  n'a  avec  lui  aucun  autre  rapport.  Les  traducteurs  se 
sont  jusqu'à  présent  trompés  sur  le  sens  de  ce  mot  maga, 
qu'ils  rendaient  par  «  grandeur  »  (Justi,  Spiegel)  «  grande 
œuvre  »  (De  Harlez)  «  cause  sainte  »  (Mills)  «  alliance  des 


158  LE    MUSÉON. 

tîdèles  »  (Bartholoinae,  Geklner)  «  pureté  »  (Darinestetei*). 
Ces  sens  si  divergents  sont  basés  sur  une  fausse  étyniologie 
ou  ne  résistent  pas  à  une  sérieuse  analyse  du  contexte. 
Le  sens  qui  convient  le  mieux  à  maga  dans  tous  les 
passages  assez  divers  où  on  le  rencontre  est  celui  de 
«  richesse  »  et  en  particulici*  «  les  biens  célestes  »  {mazôi 
încigâi,  expression  archaïque),  magavan  signifie  «  le  riche)» 
spécialement  en  tant  que  «  protecteur  du  culte  ».  Cette 
traduction  a  l'avantage  d'identifier  av.  magn,  magavan 
avec  skr.  maglin,  magliavan. 

A.   Carnov. 


I 


VOCABULAIRE 

DE   LA 

LANGUE  DE  L'ILE-DE-PAOUES 
ou  RAPANllI 

PAR  LE  R.    F.    HiPPOLYTE  ROUSSEL, 

de  la  congrégation  des  Sacrés-Cœurs  de  Picpus,  missionnaire 
à  rile-de-Pâques. 


LMRODUCTION. 

Lu  petite  tei-rc  océanienne  que  Roggewein  baptisa  du 
nom  d'  «  lle-de-Pàques  »  en  mémoire  du  jour  où  il  la 
découvrit  (1722),  était  appelée  par  ses  habitants  Te  pito  o 
te  henua,  «  le  nombril  de  la  terre  »,  et  un  indigène  venu 
de  Râpa  lavait  surnommée  Hapa-nui,  «  la  grande  Râpa  », 
en  souvenir  de  sa  terre  natale.  Ce  nom  de  Uapanui  a 
prévalu  chez  les  Océaniens  comme  celui  d'Ile-de- Pâques 
parmi  les  navigateurs  et  les  géographes. 

L'île  est  assez  élevée,  elle  a  la  forme  d'un  triangle  et 
mesure  de  10  à  lo.OOO  hectares  ;  elle  ne  renferme  aujour- 
d'hui que  250  habitants.  Autrefois  elle  en  eut  plus  de 
5.000.  Quand  les  missionnaires  y  abordèrent  en  I86i,  il 
y  en  avait  encore  1200.  Un  millier  venaient  d'être  enlevés 
par  des  navires  péruviens  :  ceux  qui  revinrent  du  Callao 

10 


1()0  Li:    .MLSI^UiN. 

rapportèrent  avec  eux  la  petite  véi'ole  et  probableiiieiit  la 
phtisie.  Il  ne  fut  pas  possible  aux.  missionnaires  d'arrêter 
les  ravages  de  ces  deux  fléaux,  et  ils  virent  la  population 
descendre  promplenient  du  chitïVe  1200  à  celui  de  900. 
Toutefois  les  améliorations  physiques  et  morales  inti'O- 
duites  par  eux  dans  hi  vie  des  naturels  laissaient  entrevoir 
l'aurore  de  jours  meilleurs,  quand  l'arrivée  d  un  homme 
vint  tout  l'uiner.  C'était  un  capitaine  criblé  de  dettes  qui 
voulait  faire  fortune  à  tout  prix.  Sans  aucun  respect  pour 
la  propriété,  pour  la  vie  des  insulaires,  pour  aucun 
pi'incipe  de  la  religion  et  de  la  morale,  il  manœuvra  si 
bien  qu'il  se  j'endit  maître  de  l'île,  et,  après  avoir  terrorisé 
et  affamé  la  majeure  partie  de  la  population,  il  enibarqua 
ce  qu'il  voulut  de  naturels  pour  Tahiti  où  un  planteur, 
qui  avait  traité  avec  lui,  les  employa  au  défrichement  de 
ses  terres.  !2ôl  partirent  ainsi  :  pas  un  ne  revint. 

Ce  système  d  "exploitation  et,  disons  le  mot,  cette 
«  traite  «  des  pauvres  Kapaimi,  provoquèrent  naturelle- 
ment les  réclamations  du  missionnaire,  défenseur  né  de 
ses  néophytes  et  aussi  des  éternelles  lois  de  la  justice  et 
de  l'humanité.  Pour  toute  réponse,  le  capitaine  donna 
des  coups  de  fusil  et  des  coups  de  canon.  L'éloignement 
extrême,  l'isolement  complet  de  la  petite  île,  rendant 
inutile  toute  protestation,  Mgr  Jaussen,  vicaire  apostolique 
de  Tahiti,  enjoignit  au  missionnaire,  qui  était  le  R.  P.  Hip- 
polyte  Roussel,  d'abandonner  Rapanui  et  de  se  réfugier 
aux  îles  Gambier  en  emmenant  avec  lui  tous  les  néophytes 
qui  voudraient  le  suivre.  Malgré  les  efforts  de  l'aventurier 
pour  retenir  le  gros  de  la  population  dont  il  avait  besoin, 
presque  tous  les  naturels  montèrent  à  bord  de  la  goélette 
qui  devait  les  porter  aux  Gambier.  Le  commandant  du 
navire  prétexta  que  son  bateau  ne  pouvait  embarquer  tant 


VOCABULAtUE  DE  LA  LANGUE  DE  L*ILE-DE-PAQUES.    161 

de  monde,  et  175  indigènes  furent  brutalement  ramenés 
à  terre  où  ils  restèrent  à  la  merci  d'un  maître  qui  les 
traita  en  conséquence.  Impossible  de  dépeindre  la  douleur 
du  missionnaire  en  se  voyant  ainsi  violemment  séparé  de 
ses  ouailles  pour  les(juelles  il  eût  donné  jusqu'à  la  der- 
nière goutte  de  son  sang. 

475  habitants,  voilà  donc  tout  ce  qui  restait  à  Hapanui 
en  1871.  Sous  la  dure  domination  du  maître  qui  les 
exploitait,  ce  nombre  alla  encore  en  diminuant.  Lorsque 
le  Seignclay  visita  l'île  en  1877,  il  n'y  en  avait  plus  que 
m.  Mais  l'aventurier  était  mort,  et  bientôt  on  constata 
un  relèvement  pi-ogressil'de  la  petite  population  indigène  : 
en  1900,  le  R.  P.  Isidore  Butaye  fut  heureux  de  constater 
qu'elle  était  montée  au  chiffre  de  :213,  ce  qui,  avec  une 
vingtaine  d'étrangers,  faisait  en  tout  250  habitants. 

L'île  est  aujourd'hui  annexée  au  Chili.  Comme  juridic- 
tion ecclésiastique,  elle  devrait  dépendre  en  tout  de  l'Ar- 
chevêque de  Santiago-du-Chili,  mais  celui-ci  a  préféré 
laisser  au  Vicaire  Apostolique  de  Tahiti  le  soin  d'évangé- 
liser  cette  île  lointaine  ;  malheureusement  les  occasions 
sont  rares  pour  aller  de  Tahiti  à  l'Ile-de-Pàques,  plus  de 
800  lieues  séparent  ces  deux  points  extrêmes,  et  Rapanui 
reste  plus  quejamais  en  dehors  de  toute  ligne  de  navigation. 


Malgré  son  peu  d'importance  territoriale,  le  chiffre 
minime  de  ses  habitants  et  son  isolement  complet  du 
reste  du  monde,  cette  île  a  justement  éveillé  la  curiosité 
des  ethnographes  et  les  sympathies  des  âmes  religieuses. 
Sa  conversion  au  catholicisme  forme  une  des  pages  les 
plus  intéressantes  des  Annales  de  la  Propagation  de  la  Foi. 
Elle  fut  commencée  en  1804   par  un  frère  convers  de  la 


\&1  LE    MUSÉON. 

Congrégation  des  Sacrés-Cœurs  de  Picpus,  le  Fr.  Eugène 
Eyraud.  L'intrépide  religieux  y  vécut  neuf  mois  d'une  vie 
toute  d'aventures,  de  périls  et  de  privations.  En  1866  il  y 
revint  accompagné  du  R.  P.  Hippolyle  Roussel,  qui  dut 
d'abord  défendre  sa  vie  avant  de  songer  à  évangéliser  les 
sauvages.  En  moins  d'un  an,  tout  fut  changé.  «  J'ai  été 
émerveillé,  écrivait  le  capitaine  du  Tampico  qui  visita  l'île 
le  6  novembre  1866,  en  voyant  ce  que  la  patience  et  le 
travail  de  deux  hommes  seuls  avaient  pu  faire  en  si  peu 
de  mois....  J'ai  vu  la  petite  église  pleine  ;  j'ai  vu  ces 
mômes  sauvages,  qui  avaient  reçu  les  étrangers  à  coups 
de  pierre,  réciter  à  genoux  nos  plus  belles  prières  en 
langue  canaque,  en  langue  française  et  en  latin  ».  Aidé  du 
R.  P.  Gaspard  Zumbohn  et  du  Frère  Théodule  Escolan, 
arrivés  à  cette  époque,  le  R.  P.  Roussel  eut  bientôt 
converti  l'île  tout  entière.  Lorsque,  le  19  août  1868,  le 
Fr.  Eugène,  sur  le  point  de  mourir,  demanda  ce  qu'il 
restait  de  païens,  le  missionnaire  lui  répondit  :  plus  un 
seul  !  Les  sept  derniers  avaient  été  baptisés  en  la  fête  de 
l'Assomption. 


Au  point  de  vue  ethnographique,  l'Ile-de-Pàques  est 
une  terre  de  prédilection  pour  les  amateurs  du  Folk-lore 
océanien.  Deux  choses  surtout  attirent  l'attention  des 
savants  :  les  colossales  statues  de  pieri'e  dressées  sur  tous 
les  points  de  l'île,  et  les  tablettes  écrites  que  les  indigènes 
appelaient  «  bois  parlants  »,  «  bois  d'hibiscus  intelli- 
gents ».  On  s'est  demandé  et  on  se  demande  toujours 
comment  les  naturels  ont  pu  transporter  à  de  grandes 
distances  et  dresser  debout  les  gigantesques  statues.  Le 
Commodore  anglais,  commandant  la  Topaze,  ayant  voulu 


VOCABULAFIIE  DE  LA  LANGUE  UE  l'iLE-DE-PAOI  I  S.  165 

emporter  un  des  plus  petits  échantillons  de  ces  géants  de 
pierre,  un  simple  buste,  fut  obligé  de  recourir  aux  efforts 
combinés  de  500  marins  et  de  "200  canaques,  encore  ne 
fit-il  que  traîner  le  colosse  jusqu'à  la  mei*. 

Toutefois  le  problème  qui  se  pose  au  sujet  des  tablettes 
écrites  est  certainement  d'un  plus  grand  intérêt.  L'exis- 
tence de  ces  tablettes  fut  révélée,  sans  qu'on  y  prit  garde, 
par  cinq  ou  six  lignes  d'une  lettre  du  Fr.  Eugène  du  mois 
de  décembre  1864  :  «  Dans  toutes  les  cases,  écrivait-il,  on 
trouve  des  tablettes  de  bois  ou  des  bâtons  couverts  de 
plusieurs  espèces  de  caractères  hiéroglyphiques  :  ce  sont 
des  tiguresd'animauxinconnusdansl'ile,  que  les  indigènes 
tracent  au  moyen  de  pierres  tranchantes.  Chaque  figure  a 
son  nom  ;  mais  le  peu  de  cas  qu'ils  font  de  ces  tablettes 
m'incline  à  penser  que  ces  caractères,  restes  d'une  écriture 
primitive,  sont  pour  eux  maintenant  un  usage  qu'ils 
conservent  sans  en  rechercher  le  sens  ».  [Annales  de  la 
Prop.  de  la  Foi,  t.  58,  p.  71). 

A  leur  tour,  les  missionnaires  découvrii-ent  ces  siujies 
graphiques.  «  11  nous  est  arrivé  quelquefois,  écrit  le 
R.  P.  Gaspard,  de  trouver  sur  le  bord  de  la  mer  certaines 
pierres  poi'tant  des  traces  de  ciselures  ;  mais,  voyant  (|uc 
les  gens  du  pays  n'en  faisaient  aucun  cas,  nous  pensâmes 
qu'il  n'y  avait  pas  lieu  de  nous  en  occuper.  Or  voici  qu'un 
jour,  faisant  une  excursion  avec  des  enfants  de  l'école,  je 
vis  entre  les  mains  d'un  jeune  garçon  un  objet  assez 
cui'ieux  qu'il  venait  de  trouver  sur  un  rocher  :  c'était  un 
morceau  de  bois,  long  de  55  centimètres  environ  sur  50 
de  large,  mais  un  peu  ari-ondi  sur  l'un  de  ses  côtés  ;  on 
y  remai-quait  des  caractères  en  lignes  régulières  que  le 
temps  avait  malheureusement  altéiés.  Voyant  que  je 
considérais    attentivement   sa  trouvaille,   l'enfant   me  la 


164  LE    MUSÉON. 

donna,  et  je  la  conservai  avec  soin.  Le  lendemain,  un 
indien,  ayant  appiis  l'importance  que  j'attachais  à  cette 
découverte,  m'apporta  un  objet  semblable,  mais  d'une  plus 
grande  dimension  et  très  bien  conservé,  qu'il  me  céda 
pour  un  peu  d'étoffe.  On  y  avait  ciselé,  en  miniature,  des 
poissons,  des  oiseaux  et  autres  choses  connues  dans  le 
pays,  ainsi  que  des  figures  de  fantaisie.  Je  réunis  les  plus 
savants  de  nos  indiens,  pour  les  interroger  sur  le  sens  de 
ces  caractères,  qui  avaient  toute  l'apparence  d'une  écriture 
hiéroglyphique.  Tous  me  parurent  contents  de  voir  cet 
objet  ;  ils  m'en  dirent  le  nom,  que  je  n'ai  point  retenu, 
puis  quelques-uns  se  mirent  à  lire  cette  page  en  chantant  ; 
mais  d'autres  s'écriaient  :  «  Non,  ce  n'est  pas  comme 
cela  !  »  Le  désaccord  de  mes  maîtres  était  si  grand  que, 
malgi'é  mon  application,  je  n'étais  pas  beaucoup  plus 
instruit  après  leur  leçon  qu'auparavant.  Plus  tard  (1809), 
dans  un  voyage,  je  montrai  cette  curiosité  à  Monseigneur 
d'Axiéri  qui  la  considéra  avec  un  très  vif  intérêt,  l'Cgrettant 
bien  que  je  ne  fusse  pas  en  mesure  de  lui  expliquer  la 
signification  de  toutes  ces  figures  énigmatiques.  «  C'est, 
me  disait-il,  la  première  trace  d'écriture  que  l'on  rencontre 
dans  toutes  les  iles  de  l'Océanie  ».  Voyant  combien  cet 
objet  était  précieux  aux  yeux  de  notre  bien  aimé  prélat, 
je  m'empressai  de  le  lui  ofïj'ir.  Sa  Grandeur  me  recom- 
manda instamment  de  m'entendre  avec  le  R.  P.  Hippolyte 
(Roussel)  pour  faire  déchiffrer,  s'il  était  possible,  l'autre 
écrit  que  j'avais  laissé  à  l'Ile-de-Pâques...  Je  ne  doute 
point  que  cette  écriture  indienne  n'offre  u'>  véritable 
intérêt  pour  la  science  ».  [Annales  des  Sacrés-Cœvrs  lc80, 
p.  -252). 

Les  missionnaires  recueillirent  encore  trois  tablettes, 
dont  une  a  été  offerte  à  l'Université  catholique  de  Louvain, 


VOCABL'LAIUH  DE  LA   LANC.l  K   DE  I/lLE-l)E-PA<jri:s.  165 

les  autres  sont  au  Musée  de  la  Congrégation  des  Saci'és- 
Cœurs  de  Picpus,actuellennent  à  Couitrai.  Le  Père  Roussel 
essaya  bien  de  faire  déchiffrer  ces  documents  primitifs  ; 
pas  un  Canaque  ne  lui  donna  une  explication  satisfaisante. 
Les  savants,  les  écrivains,  les  bardes,  avaient  tous  disparu 
eu  1862,  enlevés  par  les  pirates  péruviens.  Seuls,  (|uel- 
ques-uns  de  leurs  plus  jeunes  élèves  avaient  échappé  à  la 
razzia  qui  avait  dépeuplé  l'île.  La  plupai't  avaient  oublié, 
ou  bien  ils  étaient  trop  peu  avancés,  pour  «  chanter  »  la 
mélopée  écrite  sur  les  bois  parlants.  Voilà  pourquoi,  leurs 
maîtres  disparus,  ils  ne  faisaient  prestjue  plus  aucun  cas 
de  ces  précieuses  tablettes  et  s'en  servaient  pour  alimenter 
le  feu.  La  trouvaille  du  R.  P.  Gaspard  arriva  juste  à  point 
pour  sauver  les  derniers  spécimens. 

iMgr  Jaussen,  évêque  d'Axiéri  et  vicaire  apostolique  de 
Tahiti,  entreprit  cependant  de  déchiffrer  les  mystérieuses 
figures.  11  s'aida  de  la  science  d'un  naturel  de  l'Ilc-de-Pâ- 
ques  déporté,  comme  nous  l'avons  dit,  à  Tahiti.  Cet 
insulaire,  Métoro,  avait  été  disciple  des  savants.  11  chanta 
plus  ou  moins  bien  les  tablettes,  et  Monseigneur  écrivit 
au  fur  et  à  mesure  les  paroles  chantées.  En  fait  de  littéra- 
ture et  d'histoire,  c'est  d'une  pauvreté  remarquable.  En 
veut-on  une  idée  ?  Voici  le  chant  de  la  première  ligne 
de  la  tablette  dite,  du  nom  de  l'artiste,  Aroukou-Kou- 
reiKja  (i),  mesurant  42  centimètres  sur  16  et  contenant 
22  lignes  ;  la  première  ligne  compte  51  caractères  : 

«  Qu'il  pleuve  du  ciel  sur  les  deux  terres  de  Hoatuma- 
tua  !  Que  lui  siège  au  haut  du  ciel  et  sur  la  terre  !  Le  fils 
aîné  est  sur  la  terre,  sur  sa  propre  terre  :  sa  pirogue  a 
vogué  vers  son  cadet,  jusqu'à  l'enfant.   Pour   lui,    qu'il 


(1)  D'après  le  R.  P.  Vinccnt-Ferrier  Jaueau,  ce  titre  voudrait  dire  : 
La  grande  affaire  de  la  disparition,  ou  peut-être  môme  :  la  grande 
affaire  des  sacrifices. 


100  LE    MUSÉON. 

aille  au  ciel,  (ju'il  soit  sur  terre,  (ju'ii  arrive  sur  terie, 
lui  qui  s'est  réjoui  au  eiel  !  Il  tient  en  main  la  terre. 
Honfiine,  partez.  Je  reste  sur  ma  terre.  Père,  qui  êtes  sur 
votre  siège,  arrivez  jusqu'à  son  eufont.  Il  s'est  réjoui  au 
ciel.  L'oiseau  s'est  envolé  sur  la  terre,  arrivant  à  l'homme 
qui  mange  à  terre.  L'homme  donne  à  la  poule,  il  a  inondé 
la  poule,  il  lui  a  pris  des  plumes.  Poule,  gare  à  la  lance, 
arrive  à  la  honne  place,  arrive  jusqu'au  roi,  à  son  logis, 
vole  :  elle  a  volé  à  la  bonne  place,  loin  de  la  lance  :  volant, 
vers  les  entants  de  la  terre  elle  s  est  réfugiée  ». 

Malgré  la  pauvreté  de  ce  chant,  Mgr  Jaussen  aurait 
volontiers  publié  la  traduction  interlinéaire  de  toutes  ses 
tablettes,  si  les  frais  n'avaient  pas  été  si  considérables.  Il 
dut  y  renoncer,  et  il  se  contenta  de  rédiger  une  courte 
notice  avec  un  l'épertoire  d'environ  500  signes  hiérogly- 
phiques, qui  parurent  un  an  après  sa  mort  dans  le  Bulletin 
Géographique  de  1895.  Mgr  de  Harlez,  l'éminent  et  regretté 
professeur  de  l'université  catholique  de  Louvain,  examina 
à  son  tour  les  curieuses  tablettes  et  l'explication  donnée 
par  le  Rapanui  de  Tahiti.  «  Ces  signes  formeraient-ils 
bien  une  écriture  quelconque  ?  se  demanda-t-il  dans  le 
Muséon  de  novembre  1895.  Ne  serait-ce  pas  plutôt  une 
collection  de  vignettes,  digne  de  l'imagerie  d'Epinal  ?  » 
Passant  du  doute  à  l'afiirmation  :  «  Oui,  conclut-il,  (;'est 
bien  cela,  une  suite  d'images  indépendantes  l'une  de 
l'autre  ». 

La  réponse  du  savant  linguiste  doit-elle  être  acceptée 
sans  réserve  ?  Faut-il  perdre  l'espoir  d'ai-river  à  une  solu- 
tion plus  adéquate  et  plus  à  même  de  satisfaire  la  légitime 
curiosité  des  ethnologues  ?  Quand  on  présente  à  un  savant, 
disait  Mgr  Jaussen,  une  tablette  couverte  de  caractères  si 
bien  dessinés  et  si  méthodiquement  alignés,  il  est  difficile 
de  lui  faire  admettre  qu'il  n'y  a  rien  ou  presque  rien  sous 


VOCABULAIUK  DE  LA  LAM;Lt:  DE  l'iI.E-DE-1>A(jUES.  167 

ces  signes  idéographiques.  C'est  pourquoi  on  cherchera 
encore  sans  doute  à  pénétrer  le  mystère  de  ces  «  bois 
parlants  ».  11  nous  semble  que  notre  devoir  est  de  fournir 
tous  les  documents  capables  de  seconder  la  sagacité  des 
chercheurs. 

De  ce  nombre  est  certainement  le  vocabulaire  de  la 
langue  de  l'Ile-de-Pâques,  tel  que  nous  l'a  laissé  le 
R.  P.  Hippolyte  Roussel.  Ce  modeste  et  intrépide  religieux 
était  né  à  La  Ferté-Macé,  dans  l'Orne,  le  22  mars  1824. 
Il  entra  dans  la  Congrégation  des  Sacrés-Cœurs  de  Picpus 
en  1842  et  lit  une  partie  de  ses  études  à  Louvain,  où,  selon 
toute  apparence,  il  dut  suivre  les  cours  de  l'Université 
catholique  vers  1846.  Envoyé  en  Océanie  en  1854,  il 
évangélisa  d'abord  les  Marquises,  puis  en  1866  l'Jle-de- 
Pâques  jusqu'en  1871,  heure  de  l'abandon  de  l'Ile  par  la 
mission.  Il  se  réfugia  aux  Gambier  avec  une  colonie  de 
ses  néophytes,  dont  il  continua  à  être  le  pasteur  bien 
aimé  jusqu'à  sa  mort  arrivée  le  25  janvier  1898.  C'est  le 
seul  homme,  pensons-nous,  qui  ait  pu  composer  et  qui 
ait  effectivement  composé  un  vocabulaire  Rapanui.  Ce 
travail  extrêmement  précieux  n'existe  qu'en  deux  exem- 
plaires manuscrits  qui  peuvent  malheureusement  dispa- 
raître d'un  jour  à  l'autre.  En  le  livrant  à  l'impression,  on 
assurera  à  la  science  la  possession  d'un  document  qu'elle 
regretterait  plus  tard. 

La  langue  de  l'Ile-de-Pâques  appartient  à  la  même 
famille  que  tous  les  dialectes  parlés  dans  la  Polynésie. 
Elle  a  une  très  grande  similitude  avec  le  Mangarévien  et 
le  Néo-Zélandais. 

P.  Ildefonse  Alazaud,  des  SS.  CC.  (Picpus). 


168  LE    MUSÉON. 


LANGUE  DE  L  ILE  DE  PAQUES. 


Remar^jues  phonétiques. 


Pour  exprimer  les  sons  de  la  laiiiçue  de  l'ile  de  Pâques, 
il  est  fait  usaiçe,  dans  cette  étude,  des  sicnes  suivants  : 

Pour  les  voyelles  :  a,  c,  i,  o,  u  (=  franc,  on). 

Pour  les  consonnes  :  p,  t,  k,  li,  g,  n,  m,  r. 

Comme  dans  l'idiome  des  Gambier,  g  représente  un 
son  nasal  guttural  qui  nasalise  la  voyelle  précédente. 

On  constate  assez  fréquemment  le  passage  de  rt  à  o. 
C'est  ainsi  que  ralîdii  «  bois  »  se  prononce  souvent  rokaii. 

Il  n'y  a  ni  groupes  de  consonnes  ni  consonnes  doubles. 

L'Ii  est  plus  aspirée  (ju'à  Mangaréva,  mais  sensiblement 
moins  qu'à  Tahiti. 

L'avant  dernière  syllabe  est  généralement  accentuée. 

La  finale  -aa  se  rencontre  parfois,  mais  moins  souvent 
qu'à  Tahiti.  Elle  correspond  à  -afjn  du  dialecte  des 
Gambier. 

Vu  la  grande  similitude  des  deux  dialectes  Mangarévien 
et  Rapanui,  on  pourra  consulter  avec  fruit  la  Grammaire 
et  le  dictionnaii'e  de  la  laïujuc  des  îles  Gambier  ou  Manga- 
réva, publiés  en  1908  par  les  Pères  de  la  mission  des 
Gambier.  (Imprimerie  Zech,  Braine-le-Comte.) 


VOCABULAIRE  DE  LA  LANGUE  DE  l'iLE-DE-PAQUES.    i69 

1"  LIGNE  DE  LA  TABLETTE  Aroukou-lcouvega  (...  réllQÙ 
à  l'européenne.) 


Ka  tuu  i  te  ragi  ki  te  henua  e 
rua  no  Hoatumatua. 

Ka  hakanohua  ki  te  hi-to  o  te 
ragi  ki  te  henua  te  atariki, 

ki  te  henua  ki  tona  henua-kua 
tere  te  vaka  ki  tona  tahina  mai 
tae  atu  ki  te  tamaiti.  Koia  e  biri 
ki  te  ragi-kite  henua-mai  tae  atu 
ïa  ki  te  henua-koia  kua  koakoa 
ki  te  ragi.  Kua  ohoïaki  te  henua. 
E  tagata  era  e.  Ka  oho  koe,  ka 
noho  au.  Ko  te  matua  i  ruga  o  to 
pepe,  mai  tae  tu  ki  tona  tamaiti. 


Qu'il  pleuve  du  ciel  sur  les 
deux  terres  de  Hoatumatua. 

Quil  siège  au  haut  du  ciel  et 
sur  la  terre  le  fils  aîné, 

sur  la  terre,  sur  sa  propre  terre, 
sa  pirogue  a  vogué  vers  son  cadet, 
jusqu'à  Venfant.  Pour  lui,  qu'il 
aille  au  ciel,  qu'il  soit  sur  la  terre  ; 
qu'il  arrive  sur  terre  lui  qui  s''cst 
réjoui  au  ciel.  Il  tient  en  main 
la  terre.  Homme,  partez  ;je  reste 
sur  ma  terre.  Père  qui  êtes  sur 
votre  siège,  arrivez  jusqu'à  son 
enfant. 


{Texte  et  traduction  de  Mgr  Janssen). 


170  LK    MUSÉON. 


PATER.  AVE.  CREDO 

en  dialecte  de  l'île  de  Pâques,  presque  le  même  que  le  Mangarévien 
traduction  mot  à  mot. 

Pater. 

To  matou  Matua      noho  Ragi  e,      ka        tapu      to  koe 

7)g      nous    le  Père,   à  demeure  an  Ciel,    que  soit  sanctifié  de  toi 

igoa  ;    ka        tu      to    koe  aho  ;         ka  mau  to  koe 

le  nom  ;  qu'il  ndcicnne  de  toi  le  i^ègne  ;  qu'il  ait  le  dessus  le  de  toi 

haga  ki  te  kaiga     pc    ki  te  Ragi        era.         A     kai    no 

vouloir  à    la    terre  comme     au      Ciel   situé  ailleurs.  Le  manger  de 

ilia      raa     ihaïaa    ka     avai        mai      koe    kia    matou    a 

ce       jour         i/j/S'       que     faire    paroenir     toi       à         nous       le 

laa  iiei     a.     To  matou  mau  rakeiakega  ka  hakahoki  mai 

iour  Cl    mnne.    De    nous       les  offenses      que       tu  remettes 

kia  matou,     pe      matou  e  liakahokiatu  ana  ki  te  tagata 

a        nous.      comme    nous  remettons  aux    hommes 

rakerake    mai  ;    ekore    koe    e    hoatu    kia    matou     ki     te 

offensant    nous;     ne  pas     lot  livrer  nous         à       la 

tukiga    kinoga  ;   ka   hakaora    maira    kia    matou    mei   te 

rencontre  du  péché  ;  sauce        au  contraire      nous       de      les 

mau    rakerakega.  Amené  (Amen). 

mauvaises  choses.  Air,si-soitil. 

Mam.ai'.évikn. 

(le  n'écris  que  les  mots  qui  dilîèrent  ilu  Rapanuij. 

Motua 

De  nous  le  Père        a  demeure  au  Ciel,  que  soit  sanctifié  de  toi  le 

tiaga 

noyn;  qu'il  advienne  le  de  toi  règne  ;  qu'il  ait  le  dessus  le  de  toi  vouloir 
à  la  terre  comtne  au  Ciel  situe  ailleurs.  Le  manger  de  ce  jour  que 
ho-mai  noti  rii-iaraga 

faire  don  toi  à  nous  le  jour-ci  inème.  De  nous  les  offenses        que  tu 

hu     ri  ri  a 

remettes  a.  nous  comme  nous  /■émettons  aux  hommes  offensant  nous. 


VOCAliLLAIKE  DE  LA  LANCJUE  DK  l'iLE-DE-PAQUES.         i7l 

titiri  tatakegakinoga 

Ne  pas  toi  livrer  nous  à  la  tentation  du  péché  ;  sauve-nous  au  con- 

atogariria 

traire  des  mauvaises  choses.  Ainsi-soit-il. 

On  le  voit,  8  ou  9  mots  ne  sont  pas  les  mêmes  en  la  traduction  Manga- 
révienne  qu'en  celle  de  Rapanui.  Et  même,  je  pense  que  ces  mots  y 
seraient  compris. 


Ave. 

Koô  mai  koe  Maria  titi  ki  te  karatia  e  ;  mee  koe  ana  te 
Salut    à      toi    Marie      remplie  de  grâce  ;        avec   toi  le 

Ariki  ;    ku  togi  hia  koe  kivaega  o  te  mau  tama  ahine 

Seigneur  i  as  été   bénie        toi       entre       les  enfants  femmes  comme 

annanake,  e  ku  togi  hia    hoki  mei  te  huaahaga  o 

l)as  une,        et  a  été  béni       aussi  le  provenant  de  la  fécondité  de 

to  koe  kopu  ko  Jetu.  —  E  Maria  Peata  e,  te  Matua  tama 

ton       sein    c'est  Jésus.  —         Marie     Sainte,        la    Mère    enfant 

ahine  no  te  Etua,  ka  pure  koe  no  matou  tagata        rake- 

femme   de    le   Dieu,    que  pries  toi  pour    nous    hommes    mauvais 

rake  ra    igeneira,  e  ki  te  (hora)  o  ta  matou  (matega). 

néanmoins    d  présent,  et  à       l'heure  de  notre  mort. 

Amen. 

[Ainsi-soit-il). 

Mangauévien. 

Ena  koe  e  pi  marie  ia  koe  te 

Te  voici  (je  te  salue),  Marie,  bien     remplie     de  grâce  d     toi     le 

Akariki  ;  ko  te  toa  ite  arake 

Seigneur  ;       c'est  la     femme  bénie  toi  par  dessus  toutes  et  a  été  béni 

huaraga  te  kui 

aussi  le     fruit      de  ton  sein,  c'est  Jésus.  S'e  Marie,  la  Mère  de  Dieu, 

te   hu     riria     a  koroio  nei  noti 
que  pries  toi  pour  nous  les  gens  mauvais        d  cette  heure       même 

i  te  koroio  ka  mate  ai  matou. 

et  à     l'heure    que  mourrons    nous.    Ainsi-soit-il. 

On  a  employé  souvent  une  tournure  diiïérente  à  Mangaréva  ;  mais  si  le 
traducteur  avait  pris  la  même,  le  tout  eût  été  presque  identique. 


172  LE    MllSÉON. 

Credo. 

E  (kereto)  ana  au  ki  te  Etua  te  Matua    mananui        tei 

Je    crois  moi       à    le   Dieu    le    Père    ^9z«'5sance  grande  qui 

haga  ki  te  Ragi  ki  te  kaiga.   E  kia  Jetu-Kirito  tooiia  hua 

a  fait  le  Ciel         la     terre.    Et    en     Jésus-Christ       son      fils 

atahi     lo   tatou     Ariki  :  te  i  hakatupu  hia  e  le  Kuhane- 

tinique  le  de    nous   Seigneur  :  qui  a  clé  produit  par         l'Esprit 

Rivai'ii'iva,  tei  poreko  mei  roto  mai  o  Maria  Virigine  no  ; 

Saint  qui  est  né      du     sein  de  M,arie  Vierge  ; 

tei  mamae  ki  te  aho  a  Poiiotio-Pirato  ;  tei  titi  hia  ki  ruga 

qui  a  souffert  à  le  régne  à       Ponce-Pilate  ;     qui  a  été  cloué  sur 

ruga  o  te  peka,  tei  amte  hia  ;   e  te  i  tanuhia  i  turu  iho 

la         croix    qui      est     mort  ;     a  été  enseveli    est  descendu 

no   ki   raro  o       te   pokoga  ma  te   po  etoru     i  ora 

dessous       le  trou  profond  (en/erj,    avec  la  nuit  troisième  vécut  de 

hakahou  mai  mei  te  papaku  ;  i  piki  ki  te  Ragi,  et  noho 

nouveau         du         tombeau;  estrnonlé     au  Cief       et      est 

ana  ki  te  rima  matau  o  te  Etua  te  Matua       mana  nui, 

assis  à    la  main     di^oite  de  le  Dieu  le     Père     la  puissance  grande 

mei    ira  e    hoki      hakahou    mai         mo  hagakavaga   ki 

de     là  être  revenir  de  nouveau  vers  nous    pour  juger  à 

te   mau   tagata    ora     e  ki  te  mau  tagata  mamate  atu.  E 

les  hommes  vivants  et  aux  hommes  morts.  Je 

(kereto)  atu  ana  au  ki  te  Kuhane  Rivariva,  ki  te  (Ekeretia 

crois  "    le  Esprit-Saint,  à   la       Eglise 

Peata  Katorika)  ki  te  (komunio)  o  te  mau  Peata  ananake, 

Sainte  Catholique,    d    la  communion  de  les  Saints, 

ki  te  vevetei'aga  kinoga,  ki  te  oraga  hakahou  mai  o  te 

à    la      i^émission    des  péchés,  à    la       vie  de  nouveau       de  la 

kiko,  ki  te  oraga        inakai      mou  Amené  (Amen). 

chair,   d  la    vie     non  susceptible  d'être  détruite.        Ainsi-soit-il. 

Mangarévien. 
Motua 

Je  (crois)  en  Dieu  le     Père     puissance  grande  qui  a  fait  le  Ciel  et 

Motire  tei  hakakunahia 

la  terre.  Et  en  J.-C.  son  Fils  unique  notre  Seigneur     qui  a  été  conçu 

ete  K-Poi'otu  i  hanau  mei  a        M.  V.  o 

par  le  St  Esprit    est  né       de    la  Vierge  Marie,  a  souffert  à  le  règne  de 


VOCAliULAlRE  DE  LA  LAN(iUK  DE  LILE-DE-PAQUES.  173 

Ponce-Pilate\  qui  a  été  cloué  sur  la  croix,  est  mort  a  été  enseveli  ;  est 

descendu  dessous  aux  enfers;  la  3«  nuit  (c.  à  d.jour  ;  jyarce  quHts  comp- 
taient les  jours  par  les  nuits,  à  cause  de  la  lune)  vécut  de  nouveau 
mei  0  te  hu  to  te  rua 
de  parmi  les  gens  dans  le  tombeau,  est  monté  au  Ciel,  est  assis  à  la 

maori 

main  droite  de  le  Dieu  le  Père,  la  grande  puissa7ice,  de  là  être  revenir 
vers  nous  pour  juger  à  les  hommes  vivants  et  aux  hommes  morts.  Je 

K.  Porotu 

crois  à  le  Esprit  St  ;  à  la  Eglise  Sainte,  Catholique,  à  la  Communion 
des  Saints,  à  la  rémission  des  péchés,  à  la  vie  de  nouveau  de  la  chair  ; 
à  la  vie  non  susceptible  d'être  détruite.  Ainsi  soit-il. 

Dans  ces  trois  prières,  une  trentaine  de  mots  seulement  diffèrent  dans 
le  Mangarévien.  Les  légendes  païennes  des  Gambier  parlent  de  l'île  de 
Pâques  (Matakiteragi,  comme  elles  disent)  ayant  une  population  de  Man- 
garéva  qui  en  aurait  détruit  la  population  plus  ancienne.  La  prononcia- 
tion du  g  avec  le  son  nasal  donné  par.  la  vojelle  précédente,  est  la 
même  à  Rapanui  qu'à  Mangaréva,  où  on  écrit  en  indigène  :  Mag'areva, 
avec  la  prononciation  française. 


74 


LE    ]MUSr^:O.N. 


DICTIONNAIRE 

Français- Rapanui 

(ILE  DE  PAQUES) 


J  ,  —  kii,  kia. 

Abaissement.   —   kii'jîroiti,  ka- 

liaka,  topa  ki  l'arn,  liaka  turu 

ki  laro. 
Abandonner,  —  liaka  rerc,  lioa 

alu.  patii  atu.  titiri. 
Abaiire,  —  liitia.  kokojx',  kaka 

vii'i,  hakâ  Topa. 
Ahcl'S.   —  tan,   arakca,    inai,a'0 

[nbccs  au  genou),  tiiri  vai'(\,  — 

(gros)  manu  iiave. 
Abdiquer, —  avai,avai  atu.  topa. 
Abhorrer.  —  kokonia  ôéte,  ko- 

koina  rita  rita,  kokonia  hauo 

lumo  nmuava  polii. 
Abîme,  —  auoano,  ki  raro  nui. 

ata  Iiaka  hulionu. 
Abjurer,  —  titiri.  liaka  rere. 
Aboyer,  —  iiaugaii. 
Abolir,  -  liaka  mou,  liaka  uolio. 
Abominable,  —  veiiveri.  rake- 

rak(>. 
Abondance.,  abonder,  —  niauke 

avai.  tae  lie  luau  ku  lioa  o,  kai 

taria  te  kai,  liakapeô  no  kai 

lioao. 
Abord  {d'),  —  o  mua,  komua. 
Aborder,  —  kake  a.  tomo  a,  tau 

a,  tutuki  a. 
Aboutir,  —  ikapotu  bakarere, 


=  ti)[)a  le  ika  potu,  tt'ho  olio 

te  ika  potu. 
Abréger,  —  liorc,  liaka  poto  po- 

to,  neginejjfi. 
Abreuver,  —  liaka  unu  ora,  ora 

(kua  ora  te  kevare). 
Abri,  abriter,  —  kooua   maru 

mani,  kooua  ua  kore,  koona 

maliana. 
Abroger,  — liakamoii,  liakakore. 
Absence,  s'absenter,  —  garo  a, 

ina  0  nei,  ku  olio  a. 
Absorber,  —  niiti,   paka,   mou, 

garo  a. 
Absoudre,   —   vevete,    patara, 

ma  tara. 
Abstenir  (s'),  —  kai  rogo,   kai 

liaga,  kai  olio. 
Abstinence,  — poremo,  marua- 

ki,  ina  kaikai. 
Absurde,  —  heheva,  niva  niva, 

oôliia. 
Abus,  —  kori  ke  avai,  tae  kori 

iti,  ika  ke  avai  mo. 
Accabler,  —  haka  pagalia,  liaka 

gogoroaâ,mate  maiamamae. 
Accepter,  —  toô,   m  au,  hapai, 

liakatitika. 
Accès,  —  maliani  mai  a. 
Accident,  —  gogoroaà,  tuu  mai 


VOCABULAIHK  DE  LA  LANGUE  DE  L  ILE-DE-PAQUES. 


ilo 


te  horiliori. 
Accommoder,  —  lioiiuliouo,   li;i- 

karivariva. 
Accompagner ,  —  haatigo,  liaraî 

(ka   liavai  kia  iiiea),  =  nio 

okoriia,  i  mûri  oo  na. 
Accomplir,  —  kakapae,  haka- 

mou,  liaka  luoko. 
Accorder,  —  aval,  niau,  tuku. 
Accoster,  —  liakatata  mai,  ha- 

katupuaki  mai,  tiiii  mai.  tiui 

mai  te  vaka. 
Accoucher,   —  poreko,  to[)a,  te 

poki. 
Accourir,  —  toliuti,  tahnti,  lio- 

rau  mai,  pakakiiia  mai,  iiaka 

uni  uru  uiai  te  vae. 
Accoutumer.  —  uuihani.  })eva. 
Accréditer,  —  hakatitikaga. 
Accroc,  —  lufjtu,  i)aiiii,   uujre, 

paliao. 
Accroître,  —  hakanui.  uui  uuia. 

meuege  a,  teitei,  teitei  a,  Id- 

ruga  uui,  roaroa. 
Accroupir,  — hakaiti  iti,  liaka- 

pakiroki,  hakaviuviu. 
Accueillir,  —  ragi,  hakaaiMjha, 

ragihakariva. 
Accumuler,    —    hue,    liakatiti, 

liakauegouego,  liakaruga  uui, 

hakajjuke. 
Accuser,  —  tuiii  reoreo,  haka- 

k('uu).  tulii  uouiai,  tulii  talia- 

ga,  —  accuser  à  faux  (-.MyVx. 

fuhi). 
Acheter,  —  hakalu-re  =  ncliet' r 

une  terre  :  lioù  (lioùa  te  kaiga). 
Achever,  —  liakapai'.  iiakauiou. 

mou,  mouga. 
Acide,  —  kavakava,  uiagci^,  uu; 

acidifier  :  kakakavakava. 
Acier.  —  ohio,  liioliio. 
Acquérir,  — toù  luai,  uiau  luai. 
Acquiescer,  —  higa  luai. 
Acquitter,  —  hakapae,  liakako- 

re. 
Acre,   —  kavakava,   uiageo,    o 

liUÙ. 


Acte,  —  liaga,  taga. 

Actif,  —  hora  horau,  i)akapa- 

kiua. 
Actuel,  —  igeueira,  aueira,  oa- 

ha. 
Additionner,  —  tataku,  tapa. 
Adhérer,  — \ng'à,  liaka  rogo  mai. 
Adieu,  —  kaolio. 
Adjoindre,   —    Iiakapiri,    luoô 

okorua,  uioô  arai. 
Admettre.  —  too.  hak.-iuru,  uga 

uiai. 
Administrer.  —  haka  rivariva, 

iiakatitika,  rakei. 
Admirer,  —  maharo,  titiro,  va- 

rikapau. 
Adejlescent,  —  tiign  tugu. 
Adonner  {s').  —  uiakaui,  piri 

ilio. 
Adopter.  —  ton,  uiau. 
Adorer,  —  uoi.  hakaaroha. 
Adoucir,  —  hakakouakoua.  iia- 

kauiagaro.  hakahekalieka. 
Adroit.  — uiaori,  luaoïike  avai, 
Adresser,  —  uga,  haka  mau. 
Aduler,  —  haka  aroiia  reoreo, 

vauaga  reore(j. 
Adultère,  —  ai,  houilioui,  roka- 

reka,  meiiia. 
Advenir,  —  tui'u. 
Adversaire.    —   cucuii,    tng.ita 

kokoiua  eèt(,\ 
Adversité,  — gogor.ià.  lioi'iliori. 
Aéré.    —   kooua    haliaii,    koona 

kolink(jiiu,   koona  oi'a,  kuona 

liauhau. 
Affeihle,    —    niagan».    rivariva, 

hakaaroha. 
A /faiblir,  hakaiti,  i-auliiva.  pa- 

paku,  uiaia. 
Affaire,  —  hakaln'U,  haga,  keu- 

keu,  rapu,  taga. 
Affamer,  —  liakauiaruaki.   ha- 
ka per<jpero,  agoago. 
Affecter    [affecté),    —    pagaha, 

mauava  pagaha,  =  hakaaro- 
ha,  akakïï,  mauava  tagi,  = 

peupeu,  tatagi. 

11 


176 


LE    MUSÉON. 


Affectionner,  — liakaaroha,  ragi. 
Affermer,  —  hakanoho,  tiaki. 
Affermir,  —  liakahiohio,  haka- 

AffirJier,  —  e  tau,  e  titi,  e  Imki. 
Affiler,   —   horo,    akui,   rakei, 

hakarivariva. 
Affinité,  —  pirihaga. 
Affirmer,  —  aaki,  hakaraau. 
Affliger,  —  pagalia,  gogoroaâ. 
Affluer,  —  uegonego  mai,  titi 

mai,  piri  mai,  maigo,  maigo! 
Affranchir,  —  hakatere. 
Affreux,  —  veriveri,  rakerake. 
Affronter,  —  liiohio,  mataû. 
Afin,  —  ia,  kia,  ki,  ana,  raea, 

moo. 
Age,  —  tau. 

Agenouiller,  —  uolio  turi. 
Agglomérer,  —  hue,  negonego, 

titi,  pupu,  pupupu. 
Aggraver,  —  rakerake  liakauui. 
Agile,  —  neku  ravatotouti,  rava 

ahere,  liorohorau  kina,  paka- 

paka. 
Agir^  —  haga. 
Agiter,  —  elmhu,'Iiakaliului,  ue- 

ue,   hakatipatipa,  pakupaku, 

haka  revareva,  tipatipa,  mira 

mira. 
Agneau,  —  auio. 
Agonie,  aguagu,  kevakeva,  ga- 

ga,  tata. 
Agrandir,  — liakanui,  hakanie- 

nege,  hakanego,  hakarava. 
Agréable,  —  rivariva,  ueneue- 

ue,  meitaki. 
Agréer,  —  hakatitika,  liaga,  lia- 

ga  mai. 
Agrégation,  agréger,  — hakapa, 

liakapiri,  hakatupuaki. 
Agrément,  —  higahaga,  haga. 
Agriculteur,  —  kerihaga  aone. 
Aguerrir,  —  haka  mataû,  haka 

matatoa. 
Ah  !  —  aue  !  aueue  ! 
Aider,  — tarupu,  okorua,  moahu. 
Aïeux,  -  -  tupuna,  tapuua. 


Aigrette,  —  hauvaero,  hauvari- 
kapau. 

Aigrir,  —  akavakava,  mageo, 
meniri.  uû. 

Aigu,  —  kaikai,  panepane,  ari- 
ari,  moko  moko. 

Aiguille,  uira,  ivi  ohio,  ivi. 

Aiguillomier,  —  okaoka. 

Aiguiser,  —  orooro,  akui,  horoi. 

Aile,  —  kara. 

Ailleurs,  —  koouake, 

Aimable,  —  ariga  ekaeka,  ariga 
reherehe,  ariga  magarc,  ari- 
ga meitaki. 

Aimer,  —  hakaaroha,  ragi. 

Aine,  —  tapa,  tatapa. 

Aîné,  —  tuakana,  atariki. 

Ainsi,  —  peira,  oira,  etahi  ha- 
karite. 

Air,  —  tokerau,  raatagi,  —  air 
de  chant,  reo;  — air  de  visage, 
mata,  ariga  ;  —  de  bon  air, 
ariga  meitaki  ;  —  de  mauvais 
air,  ariga  topa. 

Aise,  —  ora  mai  ;  —  mal  à  l'ai- 
se, mate  mai  te  tuaivi. 

Aisément,  —  maamaa. 

Aisselle,  —  haîga. 

Ajourner,  —  moe  atu  ra,  anei- 
ra,  liakarere. 

Ajouter,  —  haka  nego,  haka  titi, 
haka  rava,  haka  nui  atu. 

Ajuster,  —  liakapiri,  honohono, 
hakariva  riva,  titi. 

Alarme,  alarmer,  —  mataku, 
hopo,  hakamataku,  hakaho- 
l)oîiopo,  mauava  ruru. 

Algue,  —  ri  mu. 

Aliéner,  —  hakahere,  tuhi,  avai, 
vaai. 

Aligner,  —  hakakauga,  kakari- 
te,  tama. 

Alimenter,  —  hagai  ;  aliment, 
kai,  namunamu. 

Alinéa,  —  teki  tekike. 

Allaiter,  —  haka  omoomo,  ha- 
gai ei  u. 

Alléger,  —  haka  maamaa. 


VOCABULAIUK  DE  LA  LANGUE  DE  L  ILE-DE-PAQUES. 


177 


Allégé,  etc.,  —  koakod,  ateate. 

Aller,  —  ulio  ;  —  diversement, 
oliotitika,  =  rà  et  là,  talia. 
tapoke,  tariu'iniri  ;  —  lente- 
ment, koroiti  ;  —  par  marches 
soudaines,  liiviga  kokekoke, 
=  sans  bruit,    liiri   tè  reka, 

liiri  koro  iti  ;  =  continu 

olio,  liiri  talia^ira  uo  mai  ;  = 
hardiment,  liiriga  tô  matakii, 
liiriga  veve  vevp,  hora  lioraii, 
ati  ati,  pakapakakiua,  =  de- 
vant, ka  pu  aimia  :  =  de  tra- 
vers, —  hiriga  tahataha,  ==  en 
rond,  —  hiriga  vari  ka])au,  = 
à  quatre  pieds,  liii'iga  totoro  ; 

—  à  cloche  pied,  liiriga  teki- 
teki,  =  ohlique,  hiriga  hipa  ; 
=  avec  soin,  koroiti  ;  —  un  à 
un,  avai  varavara,  =  à  deux, 
hiriga  okorua,  hiriga  hakapa  ; 

—  s'en  aller,  teretere  ;  =  pour 
toujours,  garo  uoa  ;  —  allons, 
a  mua. 

Allier,  —  pirihaga. 

Allonger,  haka  roa,  hakaroaroa. 

haka  kumi. 
Allouer,  —  haka  uoho. 
Allumer,    —    liakapura,    =   le 

jour,  ka. 
Allumette,  —  ahi  hakapiira. 
Alors,  —  ira,  reka,  ra. 
Altérer,  — hakarij^oi,  hakarakc 

rake. 
Altier,  —  teatea. 
Amaigri,  —  pakiroki,   uunupa- 

ka,  huga  moa,  moe  a  ivi, 
Amarrer,  —  kere,  hère,  takai. 
Amasser,  amas,  —  hue,  huega. 
Ame,  —  kuhane. 
Ambitionner,  —  hegu  hegu. 
Ambition,  -  atc  hopo,  makota. 

akuaku. 
Améliorer,  —  hakanieitaki,  ha- 

karitorito,  hakauaponapo. 
Amender,  —  hakamoitaki,   ha- 

karitorito,  haka  uapouapo. 
Amener,  —  hari  mai,  patu  mai, 


huga  mai. 
Amer,  —  kavakava,  takeo. 
cimenter,  —  hakakoui. 
Ami,    —   repa    hoa,    garu   hoa 

(pour  les  liommes)  —  pour  les 

femmes,  uka  hoa,  garu  hoa  ; 

=  fidèle,  repa  hoa  titika. 
Amitié,  hakaarohahaga,  tatagi- 

haga,  peupeiihaga. 
Amincir,  —  iiakaiti  ;  —  amoin- 
drir, hakaiti. 
Amollir,  —  iiakaekaeka,  haka- 

vai. 
Amonceler,    —   hue,    hakahue, 

hakauego. 
Amorce,  appât,  —  mouuu,  uia- 

haga. 
Amour,  haka  arohaga. 
Ampleur,   —    ahuahu    pui)uiii, 

tuuragauui. 
Ampdifier,  — hakanui,  hakauui- 

Dui. 
Ampoule,  —  pati,  patiga. 
Amputer,  —  kokoti,  hore,  pao. 
Amulette,  —  mohai  riki  riki. 
Amuser,  —  hakareka,haka!i(^tu. 
An,  Année,  —  tau. 
Ancêtre,  —  tupuna. 
Ancien,   —  tuhai,   hinihini   ke 

avai. 
Ancre,  —  âka. 
Anéantir,     —   hakakore,    haka 

mou. 
Anecdote,  —  taga,  =  taga  poki. 
Ange,  —  augera. 
Angle,  —  avaava,  atiga. 
Angoisse,  —  aguagu,  tâta,  paku- 

paku. 
Anguille,  —  koreha. 
Animal,  —  puaka,  ika. 
Animer,  —  haka  ora,  haka  ara. 
Animosité,  —  riri,  ririhaga,  = 

kokoma  huri  huri. 
Annihiler,  annuler,   hakakore, 

hakamou. 
Annoncer,  —  hakatikea,  =  inu- 

ko,  =  tara,  hapai  rogo. 
Antécédent,  —  omua  amua. 


178 


I,i:    MUSÉON. 


Antennes,  —  liihi. 

Antérieur,  —  oiiiiia. 

AnihropopluKje,  —  paoa  kai  ta- 
gata, 

Antique,  —  tuliai. 

Antre,  —  aua,  karava. 

Anus,  —  mogugii,  kaiilia. 

Apaiser,  —  haka  mou. 

Apathie^  —  vaiapuga,  uolio  uo, 
uolio  liakahaga. 

Apercevoir,  —  tikoa,  tikea  ui,  ui. 

Appl finir,  —  hakakiva,  liakaki- 
vakiva. 

Apologie,  —  gu. 

Apparaître,  —  tikea  mai,  [jukou 
mai,  tata  mai,  lioraii  mai. 

Apparence,  —  tikea  hua  liaga  ; 
=  trompeuse,  tikea  liualiaga 
reoreo  ;  =  bonne,  hakatu  ri- 
va riva  ;  ^^  mauvaise,  hakatu 
rakerake  ;  =  revêtir  V  — ,  a- 
karipahe. 

Appartement,  —  paiga  hare. 

Appartenir,  —  na  mea. 

Appât,  —  uiouuu,  uiahaga. 

Appauvrir,  —  haka  iti,  haka 
mou,  liaka  kauiikami  ki  te 
rakau. 

Appel,  —  ragi,  tara,  ohu  ;  — 
appeler^  id. 

Appendre,  —  hakatautau,  haka- 
reva,  hakarereva. 

Appesantir,  —  liakapagaha. 

Appétit,  —  vavakai,  maruaki, 
varahorohoro,  uuiuava  uuinui. 

Applaudir,  —  reka,  ohuohu. 

Appliquer,  —  hakapiri;  — s'ap- 
pliquer, rava  keukeu,  =  ha- 
kahuhu. 

Appointer,  hakatitika,  haka  ti- 
tika  ;  haka  auhi  augi. 

Apporter,  =  hapai  mai,  amo 
mai,  hari  mai,  oho  mai,  horau 
mai. 

Apprécier,  —  maà,  tikea. 

Appjréhender,  —  mataku,  ruru, 

veveri. 
Apprendre,  —  hakakai,  akoako, 


haka  maà,  maâ. 
Ajjprêter,  —  hakarivariva,  ha- 

kaiuee,  liakamea,  rakei  ;    = 

mal  ((pp.,  iua  kai  rakei. 
Apprivoiser,  —  mahaui,  haka- 

maiiaui,  =  i-ata. 
Approcher,  —  tata,  tupuaki,  oi. 
Approfondir,   hakahohouu,   ha- 

kapokopoko,  haka  raro  nui. 
Approuver,  —  meitaki,   titika, 

liakatitika,  liaga,  mau. 
Approvisionner,  — hakahue,  hue 

ki  te  kai. 
Appui,  appuyer,  —  tarupu,  = 

tnru  ;  —  s\ip...,  hakanuitau. 
Après,  —  i  uuu'i,    ki   nun-i,    ki 

tua. 
Araignée,  —  nauai. 
Araser,  liakavarevare. 
Arbitre.  —  tiigata  hakarivariva, 

—  tagata  hakakio. 
Arbre,  —  miro. 
Arc-en-ciel,  —  lianuanua  mea- 

mea. 
Archipel,  —  motupiri,  motupu- 

tuputu,  =  uu)tu  haua. 
Ardent,  —   uuitaû,    uuita   toa, 

iliaiho  ;  —  ardeur,  —  ihoiho, 

tagi. 
Ardoise,  —  tuki,  hatipu. 
Arête,  —  ivi  ika,  ivi  tika. 
Argent,  —  moui. 
Argile,  —  ooue,  lu'iieljehe. 
Arguniod,  —  ki,  kiluiga,  —  va- 

uaga. 
Aride,  aridité,  —  pakapaka,  gi- 

higihi,  kehokeho,  mahiahia. 
Arme,  —  mata. 
Armoire,  —  pahu  kumi. 
Arpenter,  —  titaha,  uuiroa  ha- 

haga. 
Arracher,  —  oi,  kume,  hakapi- 

ti,  hoa. 
Arranger,  —  haka  riva  riva, 

rakei,  liakamee. 
Arrêter,  aruaru,   nu\u,  tarupu, 

mamau,   kia  hio  ;  —  s'ar... 

noho. 


VOCABULAIKE  DE  L\   L\N(;l:E  Di:  L  IF^E-DE-PAOUES. 


no 


An'icre,  —  inun'.  faix,  —  evo. 
Arriver,  —  aln^'e.  hiri  mai,  tu- 

l)a  mai,  paka  mai,  i"(ji'i  mai, 

j)iikou    mai,    tfhe    mai,    rcre 

mai. 
Arrogant,  —  tca  t(^a. 
Arroger,  s'ar  ..,  —  iUo. 
Arrondir,  —  hakaregoreiio.  lia- 

katakataka,  haka  virivii'i. 
Arroser,  —  Iniri,  liakaiiiiiiuiui. 
Art.  —  ma\,  lava. 
Artère.  —  liualiua. 
Article,  —  P'iig'i- 
Articulation,  —  tmi  tiiri  rima 

(main),  tui'ituri   vae  ((jciion), 

ivi  tika  (du  dos). 
Artifice,  —  reareo,  reo. 
Arnm,  —  kape. 
Ascension.  —  pikiga,  Iiiri.ua. 
Asile,  —  pikoiia,  iiarepiko. 
Aspect,  —  mata,  =  ariiia,  akai'i. 
Assaisonner,  —  liiru  liiro. 
Assassiner,  halca  mate,  kokoti, 

oka. 
A>isemUer,  —  hue  mai,  piri  mai, 

uego  mai,liakaliue,  liakaiiego. 
Asseoir,   —  s' — ,  noho,   —  les 

jamhes  croisées,  noho  hahatu. 
Asservir,  —  haka  noho,  haka- 

kio. 
Assez,  —  niouga,  mou,  moua, 

pae,  paea. 
Assiduité,  assidu,  —  })utuputu. 
Assiéger,   —  vari  takataka,  = 

vari  ]<apau. 
Assiette,  —  tukuga. 
Assigner,  —  tuki,  hakarivariva, 

hakatitika. 
Assimiler,  hakarite. 
Assister,  —  roau,  rava,  manau, 

tahu. 
Associer,  —  oko  rua,  hakapiri. 
Assommer,  tigotigi,  puoj)iiQ, 
Assomption,  —  liiriga,    hapai- 

haga. 
Assoupir,  assoupissement,  —  ma- 
ta neranera,  mata  kevakeva, 

=  mata  mamae. 


Assouvir,  —  liakanego,hakiititi. 
.Issujettir,  —  hakamau,  haka- 

higa,  hakatalia. 
fissurer,  —  aaki,  mauteki. 
Asthme.  —  kokugo,   tugutugu  ; 

==  hi.  —  hupeè  i)eè. 
Astre,  —  heet'.ui,  huero,  pupura. 
^Istucc,  —  haavai'e,  =  reoreo. 
Attacher,  —  hak.imau,  =  hère, 

=  kakahiohio  =  attacher  par 

la  patte,  —  vae  hère  hère,  — 

(affection),  hakaaroha. 
Atome,  —  huhu. 
Attaquer,  —  hakakai  =  raè  = 

riiti  raè. 
^Ittarder.  haka  hiui  hini. 
Atteindre.  —  rava,  aati  =:  rere  ; 

difficile  à  at...,  hihiri. 
Attendre,  attente,  —  aati,  tatari 

=  aiaha  hanha,  ati  ati. 
Attendrir,  —  tagi,  tatagi,  eki- 

eki,  peupeu. 
Attentat, —  haga  rakerake,  mea 

rakerake. 
Attention,    —   mou,   hakarogo  ; 

—  attentivement,  gutupîri,  gu- 

tii  tae,  makenu. 
Atténuer,  —  liakaiti,  —  haka- 

goigoi. 
Attester.  —  hakatitika,  aaki  ki- 

te  mea  titika,  hakatikea. 
Attirer,  —  kume,  haro  mai,  ke- 

riti  —  pokoomai. 
Attraper,  —  mau,  rava,  morava. 
Attrister,  —  s\  —  pagaha,  — 

gogoroaa. 
Attrifion,  —  mauava  pohi. 
jI  ubier,  —  hului. 
Aucun,  —  iua  e  mea  etahi. 
Audace,  matatoa,  matau. 
Auge,  —  i)ahu. 
Aiujmenter,  —  liakanui,  haka- 

mencge,  hakanego,  hakatiti, 

haka  rava. 
Aujourd'hui,  — (passé),  oganei- 

ra  ;  —  (présent)  igencira  =  a 

raa  noi  a  —  (futur)  aueira. 
Auparavant^  —  i  nma,  o  mua. 


i80 


LE    MUSEON. 


Auprès,  —  tiipuaki,  haka  oi 
mai,  ata  hakaneke  mai. 

Aurore,  —  ata  tehe,  ata  tea, 
ata  mea. 

Aussi,  —  hoki. 

Aussitôt,  —  hora  hoi'au. 

Autant,  —  etahi  hakarite. 

Auteur,  —  tumu,  ruti  rae. 

Autoriser,  hakatitika.  —  auto- 
rité, ao, 

Autour,  —  vari,  vari  vari. 

Autre,  —  ke,  keke,  =  tetalii. 

Autrefois,  —  omua,  komua,  ga- 
ro  atu  ana,  —  tuhai. 

Autre  part,  —  koona  ke,  =  ki 
tetahi  koona  ke. 

Autrui,  —  tagata  ke. 

Avaler, —  horohoro,=  akii,  (gou- 
lûment) hakaputaputa,  maga 
nuinui.  (mâcher),  namumimu. 

Avancer,  —  bakatata,  =  haka- 
tupuaki,  tata  mai,  tupuaki 
mai,  ao  mai. 

Avant,  —  imua,  =  (cCun  canot 
de  navire),  po  iliuihu. 

Avantage,  —  rakau. 

Avant-garde,  —  tagata  raè. 


Avant-hier,  —  agatahi  ahi  atu. 
Avare,  —  kaikino,  =  magugu- 

puru . 
Avec,  —  mee,  piri. 
Avenir,  —  ki  mûri,  a  mûri,  mea 

tehe  mai. 
Averse,  —  ua  ke  avai,  ua  tcirai. 
Avertir,  aaki,  averi;  =  avis,  ici. 

aaki  liaga,  ki  haga. 
Aveugle, —  mata  keva,  mata  ra- 

parapa. 
Avide,  atehopo,  manava  tagi. 
Avilir,  liaka  rakerake  =  liaka- 

topa. 
Aviron,  —  matakao. 
Avisé,  —  maà,  rogo. 
Avocat,  —  tarupu. 
Avoir,  —  rava,  morava,  too  ku, 

to  ku,  taaka. 
Arortement,  —  topa,  topa  tini. 
Avorton,  —  poki  puepue,  poki 

tuahuri,  poki  gaàpu. 
Avouer,   —  aaki,    haka  rivari- 

va  ;  =  s'avouer,  hakaaaki. 
Avril,  —  hora, 
Azur,  —  ragi. 


Babiller,  babillard,  —  rava  va- 

naga,  vanaga  roroa. 
Badiner,  —  hoko. 
Bafouer,  —  aanu. 
Bagage,  —  rakau. 
Bagatelle,^  —  taga  poki. 
Bague,  —  hakauru. 
Baguette,  —  miro  vavau,  =^  (à 

tatouer),  hui  ;  (l'os  de  poisson), 

mata. 
Baie,  —  haga. 
Baigner,  —  hoopu,  hopu,  kau, 

ruku. 
Bailler,  haka  marna,  =  ha. 
Bâillonner,  —  hakagau. 
Baiser,  —  hogi. 
Baisser,  —  hakaturu  ki  raro,  = 

haka  rere  ki  raro  ;  —  (l'aile), 


hakamoe. 
Balancer,  —  hakarereva  =  ha- 

katono  ;  —    contre-balancer, 

hakaihoiho. 
Balancier,  —  hamae. 
Balayer,  —  tutu.  =  (balai),  tntu. 
Balbutier,  —  reouù,  reohirehire. 
Baleine,  ivi  heheu,  —  baleinier, 

vakapoepoe. 
Balle,  mamara  hago,  —  aku,  — 

(ballot),  pahu. 
Ballotter,  —  haka  oi. 
Banane,  —  meika  ;   bananier, 

tuuui  meika. 
Banc,  —  pepe,  noho. 
Bannir,  —  tute,  =  haka  raga, 

—  raga,  —  tui. 
Baptême,  —  papatema. 


VOCABULAIRE  DE  LA  LANGUE  DE  L  ILE-DE-PAQUES. 


i81 


Barbare^  —  paoa  kai  tagata, 

Barhe,  —  vere. 

Barbouiller,  —  puô,  puô  ei  oone, 

=  akui,  rero. 
Baril,  —  pahu. 
Barioler,  —  hirohiro. 
Barrière,  —  papae. 
Barque,  —  vaka. 
Bas,  —  tokini  (chaussure). 
Bas,  —  rakerake, 
Base,  —  tumu. 
Bas-fond,  —  parera. 
Bastonnade,  —  punpuô. 
Bas-ventre,  —  puku  =  komari. 
Bataille,  —  toua,  taua. 
Bateau,  —  vaka. 
Bâti?nent,  —  hare,  =  niiro. 
Bâtir,  —  âto. 
Bâton,  —  tokotoko,  =  (à  croc), 

rou  ;  —  (à  creuser),  uki,  oka  ; 

—  à  amasser,  kio. 
Battre,  —  piièpuô,   r=  Vétoffe, 

tutu  ;  —  (pouls),  pakapakina  ; 

(battre  en  retraite),  tetere. 
Bavard,  bavarder,  rava  ki,  — 

pogeha,  —  ravapeto,  —  rava- 
ge!. 
Baveux,  vare,  vare  roroa. 
Bayonnetie,  —  uki. 
Beau,  —  rivariva,  meitaki,  rito- 

rito,  naponapo. 
Beaucoup,  —  meanui,  =  raea 

negonego. 
Beau-fils,  —  hunoga. 
Beau- frère,  —  taukete. 
Beau-père,  —  hugavai. 
Beaupré,  —  poihuihu. 
Bec.  -   gutu. 
Bêche,  bêcher,  —  paopao,  haka 

heu,  tonotono. 
Bégayer,  —  reo  hirehire. 
Belle-fille,  —  hunoga. 
Belle-mère,  —  huga  vai. 
Belle-sœur,  taukete. 
Belliqueux,  —  mataû,  —  mata 

toa. 
Bénir,  —  haka  meitaki. 
Béquilles,  —  toko  toko. 


Bercail,  —  huega. 

Berge,  —  tiaki  puaka. 

Besoin,  —  tagi  a, 

Bête,  —  puaka. 

Bêtise,  —  nivauiva. 

Bien,  —  meitaki,  rivariva  ;  — 
(inespéré),  m  au  topa  pu,  topa 
tahaga,  topa  tahaga  no  mai  ; 

—  (faire  du  bien),  atakai. 
Bienfaisant,    bienfaisance,    — 

haka  meitaki,  rima  atakai. 

Bientôt,  —  aneira. 

Bigame,  —  tagata  vie  erua. 

Bigarré,  —  purepure,  —  gure- 
gure,  —  horehore. 

Bile,  —  nuu. 

Bis,  —  ki  hua  —  ki  hua. 

Bizarre,  —  haka  uiva  niva. 

Blâmer,  blâme,  —  kakai,  —  to-u. 

Blanc,  —  teatea,  ritorito. 

Blanchir,  —  hakateatea,  —  {h. 
à  la  rosée),  hakaritarito  ki  te 
hau,  — (b.  lelinge),  tope. 

Blasphémer,  —  haka  mee  meè. 

Blé,  —  mokohi,  mokohi  haaroa. 

Blesser,  —  pahure,  =  pahure- 
hure,  hahoa. 

Bleu,  —  hurihuri,  —  kerekere. 

Blond,  —  teatea,  —  kunekune, 
kurakura. 

Bobo,  —  mamae,  mate  mate. 

Bœuf,  —  puaka  toro. 

Boire,  —  unu,  —  (boisson),  unu- 
ga,  —  rakau  ;  —  (pour  ava- 
ler), horo. 

Bois,  —  miro,  —  (b.  à  brûler), 
ukauka,  hahie,  —  [b.  de  lit), 
pepepepe,  —  (b.  où  se  bat  Vé- 
corce),  tutua  ;  —  (b.  circulai- 
re), takataka  ;  —  (arrondi), 
poripori  ;  —  {b.  flexible),  gaie, 
=  geigei,  =  (à  tirer  du  feu), 
hauhau. 

Boîte,  —  pahu-pahu. 

Boiter,-  tekiteki,  =  kokekoke, 

—  haroharo  ;  =  oeoe. 
Bon,  —  meitaki,  rivariva. 
Bonde,  —  kokomo,  —  api,  — 


182 


LE    ML'SÉON, 


purnga. 
IJondir,  —  pimeue,  =■  nianaiia. 
Ihnheur,  —  koakoa. 
Bonjour,  —  kooiuai,  —  bonsoir, 

id.,  —  pu  mai  puiiui. 
Bonté,  —  meitakihaga,  —  liva- 

ga. 
Bord,  —  tapa,  titi. 
Borgne,  —  keva,  matakeva,  ma- 
ta étahi,  ==  matapo. 
Borner,  -   titàa  =  titaà  =  liore. 
Bossu,  bosse,  —  tuaivi  niliinibi, 

=  tuaivi  viriviii. 
Bosseler,  —  avaava  =  tigi  tigi, 

=  puopuo. 
Bouc,  —  apailioru  taiiia  roa. 
Bouche,  —  halia,  —  (2)eiife  b.), 

lialiai)ipi,  ^  gututae  mekenu 

=  tae  uiakenu. 
Boucher,  —  kokomo,  =  puru  ; 

—  (bouchon),  kokomo,  —  pu- 

tuga,  —  puruga. 
Boucle,   —  tekai,  takai,  :=  {b. 

d'oreille),  epe  veo  ;  —  (6.  de 

cheveux),  rauoho  mirimiri,  ivau- 

oho  liiriliiri,  rauoho  maliatu. 
Bouder,  —  tuuaviki,  =  haka- 

viku. 
Boue,  —  egu  ooue  vekuveku,  — 

ooue  veriveri. 
Bouffi,  —  aliu,  =  pupubi. 
Bouillir,  —  paueue,  puuekineki 

=  gaelie  =  pipi  ;   =  (avec 

pierres),  id. 
Bouillonner,  —  id. 

Bouillon 

Boule,  —  viriviri,  —  takataka. 
Bouler,  —  mamara  uui,  luama- 

ra  uui. 
Bouleverser,  —  pokupoku,   = 

hoaboa. 
Bourbeux,  ■=■■  vekuveku,  rarira- 

ri,  =L  bebebebe. 
Bourdonnement,  —  bubu. 
Bourgeon,  bourgeonner,  —  pipi. 
Bourrasque,  —  matagi,  —  ke- 

keri,  —  taiparipari. 
Bourrer,  —  bakapubapuba,  ba- 


kaucgonego. 

Beurre,  —  id. 

Bourru,  —  tarotaro,  =  baka- 
luigomigo,  =  uibo. 

Bourse,  —  kote. 

Boussole,  —  uiiuiiro,  =  varika- 
pau. 

Bout,  —  potu,  (potu  pour  toutes 
les  choses). 

Boideille,  —   bipubiva. 

Bouton,  —  veo. 

Boutonner,  —  veo  ;  —  (bouton- 
nière), pu  veo. 

Bouture,  —  babati. 

Boyau,  —  kokonui. 

Boxer,  —  tigitigi. 

Braie,  —  piere,  piere  biva. 

Braise,  —  tutuma. 

Branche,  —  uiaganuiga  miro, 
(b.  jeunes),  pipi  ;  —  (sans  b.), 
boro  varevare. 

Branchies,  —  kauaba,  =  reru- 
reru. 

Branler,  —  gaeiei,  eueue. 

Braquer,  —  baro,  barobaro. 

Bras,  —  rima  =  aaru  ki  te  ri- 
ma (élever  le  bras),  baro. 

Brasse,  —  niaroa,  —  dix  bras- 
ses, kumi. 

Brave,  —  mataiï,  nuita  toa,  — 
bravoure,  id. 

Brebis,  ^-  uuitoue. 

Brèche,  ava. 

Bredouiller,  —  arero  oeoe, 

Bref,  —  horau  borau,  —  borau 
borau. 

Bretelle,  —  pena. 

Breuvage,  —  unu, 

Bricli,  —  miro  tuû  erua. 

Bride,  —  pana,  pena  hakamau, 
bakaiboiho. 

Briller,  —  brillant,  —  pupura, 
meitaki,  maeba,  naponapo,  — 
tea. 

Briquet,  —  ta. 

Brisants,  —  tai  poko,  =  paka- 
kioa,  lai  hati. 

Brise,  —  matagi,  — tokerau;  — 


VOCABULAIRE  DE  LA  LANGUE  DE  L  ILE-DE-PAQUES. 


d83 


(h.  agréable),  ahau  ora  ;  {don- 
ner la  hrise),  bakaahau,  haka 
ora. 

Briser,  brisé,  —  hati,  =  gaa  = 
marero,  =  parehe,  |iarehe. 

Broder,  —  pu  pu. 

Broncher,  —  tapoke. 

Bronze,  —  kiukiu,  —  ih  àbo. 

Brosse,  brosser,  —  horohcro,  a- 
kui. 

Brouillard,  —  puga  ehu,  —  lai- 
ko,  ~  {b.  déterre),  motibo;  — 
{b.  et  pluie),  puga  ehu. 

Brouillon,  —  oiva  niva,  =  tae 
ripoi,  —  baka  ripoi. 

Broussailles,  —  kobu  kobu,  = 
maru  maru. 

Broyer,  —  ava  a  va,  =  ligi  tigi, 
=  tuki  tuki. 

Bru,  —  huDOga. 

Bruire,  —  pogeba,  —  bruit  = 
ravaki,  =  tariga  kikiu.  —  (b. 
lointain),  obu  obu,  —  (b.  d'en- 
fant), —  tagi,  oôa,  cki  eki.  — 


{quel  bruit  !),  —  pogeba  ke. — 
(grand  bruit),  pogeba  ke  ;  — 
(faire  du  b.  ),  hakapogeba  mai, 

—  {en  avalant),  aku  aku. 
Brûlant,  —   mahana,   —   vera 

vera,  —  vera  paka,  giigii  ;  — 
{b.  du  ciel),  giigii,  pakapaka, 

—  (brûler),  id. 
Brume,  —  kobu. 

Brunâtre,  —  ebuebu,  ehuebu. 
(brun),  id. 

Brusque,  —  gu,  guba,  keriti. 

Bruyant,  —  pogeba,  pogeba. 

Bubon,  —  arakea,  manu  nave, 
tao. 

Buisson,  —  miro  kobu  kobu. 

Bidle  d'eau,  —  kuto  kuto  ;  pupa 
pupa. 

Bureau,  —  bâta. 

Bid,  —  bakaatu,  bakatu  ;  —  (6. 
de  voyage),  ika  potu  ;  —  (s'ef- 
forcer d'atteindre  le  but),  ka 
rava. 


G 


Cabane,  —  bare  ;  —  {cabine), 
bare  iti  iti  no. 

Cabestan,  —  bivo,  ruruku. 

Cacatois,  —  kabu  oruga,  kabu 
oruga  0  le  veuveu. 

Cacher,  uaâ,  =  baka  uoku,  ba- 
kakebu  ;  —  {se  caclier),  piko  ; 
(jeu  à  cache-cache),  bikobiko 
keke. 

Cachet,  cacheter,  —  bakapipiri  ; 
baka  ibo  iho. 

Cachette,  —  pu  moo  naâ. 

Cadavre,  —  papaku  ;  —  {corps 
à  enterrer),  ru  maki  ;  —  {entiè- 
rement consumé),  tataga,  — 
perigi. 

Cadeau,  —  akatatiga,—  akatari. 

Cadenas.  —  pikopiko. 

Cadet,  —  toina,  —  otua,  o  vaega. 

Cage,  —  pabu. 

Cailler,  caillé,  —  kekebo,  paka- 


bia,  iboibo. 
Caillou,  —  kirikiri  =  kikiri. 
Caisse,  pabu. 
Cajoler,  cajoleur,  —  akurakura, 

kenkeu,  haka  makeuu  kenu. 
Calamité,  —  gogoroaà,  — gran- 
de c,  gogoroaà  duquI. 
Calcul,  calcider,  —  tataku,  — 

tapa,  tapa. 
Calebasse,  —  bipu,  huo,  paka- 

bera. 
Caleçon,  —  vae  no  roto. 
Calfat,     calfater,    —    herurii, 

akauru,  betiibetu. 
Calice,  —  hipubiva. 
Calicot,  —  tapa  guregure,  tapa 

tukituki. 
Calme,  —  marie,  })aka,  bataba- 

ta,  gaogao,  kotaki,  mau,  boii, 

hopcbope,  riva  {pour  la  mer)  ; 

—  magaro,  riva,  atakai,  {^our 


184 


LE    MUSÉON. 


les  hommes). 
Calmer,  —  marie. 
Calomnie,  calomnier,  —  tuhi  ta- 

haga  nomai. 
Camarade,  —  repa  hoa. 
Camisole,  —  ropa  o  raro. 
Camp,  camper,  —  huega,  hue. 
Canapé,  —  rago,  pepc. 
Cancan,  —  rcoreo. 
Cancer,  —  paka  rerere,  mahiti. 
Cancrelas,  potupotii. 
Canne,—  tokotoko,  —  c.  à  sucre, 

loa. 
Cannibale,  —  tagata  paoa. 
Canon,  —  pupuhi  uunui. 
Canot,    —   paepae,    vaka  ;    — 

éloigner  le  c,  ea  ki  aho  ;  — 

rejoindre  le  c,  titi,  tuku. 
Cap,  —  ikapotu,  moko  moko. 
Capable,  —  rava,  maà,  moraoa, 

maâmaâ. 
Cap  (mettre  le  cap),   —  viri, 

huhii  huhu. 
Capitale,  —  hetu. 
Captif,  captiver,  raga. 
Caquet,  —  pogeha,  reokumi. 
Caractère,  —  manava  ;  —  mau- 
vais, manava  rakerake. 
Caresse,  —  baka    reka,    haka 

aaroa. 
Cargaison,  — nego  ncgo,  titi. 
Carguer,  —  viri. 
Carnage,  —  tigai  nunui  ke. 
Carré,  —  hakavari. 
Carreau,  —  {vitre),  uira,  rakei. 
Carte,  —  parapara,   (à  jouer, 

inconnu). 
Cartilage,  —  poga. 
Casanier,  —  noho  no. 
Cascade,  —  aâ,  aâ. 
Case,  —  hare. 
Casquette,  —  bàû. 
Casser,  —  cassé,  —  hati,  gaaha, 

motu. 
Cataplasme,  —  hakapiri. 
Cauchemar,  —  gogoro,  pagaha. 
Cause,  —  tuniu  ;  —  (sans  c). 

tumu  kore  ;  —  à  cause  que, 


no  te  mea. 

Causer,  —  vanaga,  ki  ;  —  cau- 
seur, pogeha. 

Cave,  —  aua,  rua,  pokoga. 

Ceci.  —  ko  ia,  a  mea  nei,  tenei. 

Cécité,  —  mata  keva,  —  mata  po. 

Céder,  —  bakarcre,  avai  atu,  tu- 
ku atu,  mae  atu'ra. 

Ceindre,  —  aratua. 

Cela,  —  a  mea  era,  tena  ;  —  c'est 
cela,  ko  ia. 

Célèbre,  —  mataïl  ;  —  célébrer, 
roau. 

Celer,  —  naâ,  baka  naà,  —  pu- 
ru,  tanu. 

Céleste,  —  no  te  ragi  —  ruga  ibo. 

Célibataire,  —  noho  tahaga,  — 
tae  moe. 

Celliih,  —  bare  no  iti. 

Celui-ci,  etc.,  —  te,  ko  te,  ta,  to, 
komeatera,  tena,  tenei,  a  mea 
nei. 

Cendre,  —  eo  eo,  ehu  ehu. 

Censurer,  —  tubi  =  taro  tare. 

Cent,  —  rau. 

Centre,  —  vaega,  ki  vaoga. 

Cependant,  mea  ra. 

Cercle,  —  takataka  ;  —  tourner 
en  cercle,  viri,  vari. 

Cercueil.  —  pabu  papaku. 

Cerf-volant,    —  manu   uru  ;  — 
queue  de  c,  vacro. 

Certain,  —  m  au,  ua,  ga  ;  —  cer- 
tainement, baki. 

Cerveau,  cervelle,  —  roro  ;  — 
homme,  m  an  a  vai  ;  —  mal  de 
tête,  garuru. 

Cesser,  —  mou,  bakarere  ;  — 
faire  c,  tigai,  baka  mou. 

C'est  pourquoi,  —  oira,  no  ira. 

Chacun,  —  tera,  tera. 

Chagriner,  chagrin,  —  haka  pa- 
gaha, pagaha  ;  —  se  ch.,  id., 
gogoraa. 

Chaîne,  —  tarigariga,  =  obio, 
tutui  obo. 

Chair,  —  kiko. 

Chaire,  —  rago. 


VOCABULAIRE  DE  LA  LA>GLE  DE  L  ILE-DE-PAQUES. 


185 


Chaise,  —  rago,  pepo. 

Châle,  tutui  kura. 

Chaleur,  mabana,  haca,  piima- 
hana,  veravera,  —  être  en  cha- 
leur, bai. 

Chaloupe,  —  vaka. 

Chambre,  —  borega,  râpe. 

Champ,  —  kaiga. 

Chanceler,  —  rori  rori,  —  pato- 
ke  toke,  =  kuikui. 

Chancre,  —  mata. 

Chandelier,    —    tuu    ràma  ; 
chandelle,  ahi. 

Changer,  —  buri  ke,  =  baka 
hariu  ;  —  ch.  comme  le  vent, 
buri  ke  tabaga  no  mai  ;  —  ch. 
déplace,  nobo  ke  nobo  ko,  = 
baka  kabuga 

Chanter,  chant,  —  hiraene,  — 
ch.  de  guerre.^  baka  mee. 

Chapeau,  —  baù. 

Chapelle,  —  hare  pure. 

Chapitre,  —  paiga. 

Chaque,  —  tera  tera,  tetahi. 

Charbon,  —  garabu,  —  mama- 
ra,  eoeo  ;  —  ch.  de  terre,  ma- 
ramara,  mamara. 

Charger,  —  hapai  ki  ruga,  — 
tari,  —  hue,  haka  rere. 

Charge,  —  hakavega,  —  uraga, 
amoga  ;  —  mettre  en  ch.,  bue. 

Charité,  —  hakaaroha. 

Charmant,  —  riva  riva,rito  rito. 

Charnière,  —  obgio  taga  taga. 

Charpentier ,  —  tagata  maori. 

Charrette,  —  potaka. 

Chasse,  —  tute. 

Chassie,  -  haka  rava. 

Châtier,  —  tigi  tigi,  puo  puo. 

Chatouiller,  —  haka  reka  reka. 

Châtrer,  —  bore. 

Chaud,  -  vera  vera,  vera  ma- 
bana, hana,  pahia. 

Chaudière,  —  pahu  oui. 

Chauffer,  —  haka  mabana,  — 
rara  rara,  ha. 

Chaume,  —  mouku. 

Chausser,  —  uru,  haka  uru,  vo- 


ka  ;  —  une  plante,  puke,  ata 

puo. 

Chauve,  —  marego,  marego  pa- 
ka. 

Chaux,  —  puga. 

Chef,  —  ariki. 

Chemin,  —  ara. 

Chemise,  —  kakava. 

Chenal,  —  ava. 

Chenille,  —  eanuhe. 

Cher,  chéri,  —  ate  ate,  koa  koa, 
baka  aroha. 

Chercher,  —  kimi  kimi,  —  ma- 
nau  ;  —  ch.  à  tâtons,  ata  ui. 

Chétif,  —  pepeke,  rehe  rehe, 
raubiva,pakiroki;  —  pakiroki. 

Cheveu,  —  rauoho,  =  en  tresses, 
rauoho  hiri,  —  noirs  et  frisés, 
rauoho  pikipiki,  —  rouge,  rau- 
oho teatea,  —  bourrus,  rauoho 
mika  mika,  —  bouclés,  virivi- 
ri  ;  —  épais,  matoru. 

Chèvre,  —  apaihoru. 

Chevron,  —  kaukau. 

Che^,  —  ki  te  hare. 

Chien,  —  hauhau. 

Chiendent,  —  moukuhiva,  mou- 
ku. 

Chiffon,  —  gio  gio. 

Chiffre,  —  ta,  baite. 

Choc,  —  poa,  tutuki,  piri. 

Choisir,  —  vae,  hue  ke. 

Choquant,  —  choquer,  —  veri 
veri,  rakerake,  pogeba,  paga- 
ha  haka  riri. 

Chose,  —  mea,  mee. 

Chronique,  —  matua. 

Chuchoter,  —  hahumuhumu, 
heguigui. 

Chut,  —  mou,  kamou. 

Ci,  —  nei. 

Cicatrice,  —  pahuro,  kokoti, 
perebe,  a  hau  buri  buri. 

Ciel,  —  ragi,  —  c.  sombre,  ragi 
kohu  kohu  ;  —  c.  avec  nuages 
blancs, ragi  puga; — c. bariolé, 
ragi  motio  tio  ;  —  c.  pomelé, 
ragi  kiri  kiri  mire,  ragi  raohai, 


186 


LE    MUSÉON. 


ragi  purepure,  ragi  ehu  cLu. 

Cil,  —  veke  veke. 

Cime,  —  ttketcke. 

Cinq,  —  rima. 

Cinquante,  —  e  rima  te  baga  uru . 

Cintre.  —  taka. 

Circonférence,  —  vari,  vari  ka- 
pau. 

Circonspect,  —  titika. 

Circonstance,  —  e  mca. 

Circulaire,  —  taka  taka. 

Ciseau,  —  tapani. 

Ciseler,  —  kokoti,  hore  bore,  bo- 
ni boni. 

Citrouille,  —  mautiiii. 

Clair,  —  rabi  rabi,  maeba  ma- 
eha,  maramarama,  —  c  de  lu- 
ne, maeba  mabina,  —  c.  semé 
varavara,  baka  vara  vara. 

Clandestin,  —  bakanaa,  baka 
naa,  a  bere  po. 

Clapotis,  —  konakona,  tai  vana- 
ga,  tai  0. 

Claquer,  —  bakapakakiua,  ro 
tu  rotu  ;  —  langue,  korokoro, 
miti  miti,  kurii  kurii  ;  —  lè- 
vres, omoomo. 

Clarifier,  —  haka  meitaki. 

Clarté^  —  marama,  maeba. 

Classe,  —  borega,  tika;  --  école, 
hare  haka  atuga,  baka  mara- 
ma. 

Clef,  —  taviri. 

Cligner,  —  rotu  rotu  ;  —  cligner 
d'un  œil,  bakakeva, 

Cloche,  —  kiu  kiu. 

Cloclie  pied,  —  ibi  ihi. 

Clore,  clôture,  —  titi  titi,  pavari 
kapau. 

Clou,  —  veo  ;  — clouer,  veo,  titi. 

—  arakea,  tao. 
Coaguler,  —  pakabia,  biobio. 
Coche,  —  tebetehe,  kokoti, 
Cochon,  —  lioru  ;  —  c.  de  lait, 

punua  horu. 
Coco,  —  uiu  ;  —  germe,  tupu  ; 

—  cocotier,  id. 

Cœur,  —  haipo  ;  —  c.  animal, 


ici.  :  —  kopu  ;  —    à  contre 

cœur,  tae  baga  =  tae  baga. 
Coi,  se  tenir  coi,  — mou,  mou  uo. 
Coiffer,  puô. 
Coin,  —  avabi,  —  coin  à  fendre, 

id. 
Colère,  —  riri,  mauava  riri,  ko- 

koma,  huri  buri,  kakai,  ma- 

nava  eete,  toua,  eete. 
Colique,  —  manava  uiiiibi,  buki 

Imki,  mauava  karava  rava. 
Colle,  coller,   bakapipiri   baga, 

baka  pipiri  ;    -  se  coller,  pi- 

piri,  piri. 
Collection,  collectionner,  —  bue- 

ga,  bue,  pupu,  puke. 
Collier,  —  bakatau,  bebere, 
Colline,  —  takere. 
Colombe,  —  kiakia. 
Colon,  noho  no. 
Colonne,  —  toga,  pou. 
Colorer,  —  akui,  ta. 
Combat,  —  toua,  taua,  —  com- 
battre, id. 
Combien,  —  e  bia. 
Combiné,  —  bakatitika. 
Combler,  —  titi. 
Combustion,  —  veraga,  uraga, 

tutuga. 
Comète,  uero. 
Commandeur,  —  ragi, 
Comme,  —  pe,  i)abe. 
Comme  cela,  —  peina,  peira. 
Commémorer ,  —  baka  nianau- 

baga. 
Commenconenf ,  —  raega,  rae. 
Comment,  —  peliea,  eaha. 
Commerçant ,  —  commercer,  ba- 

kabere,  lioô  ;  —  homme  c,  ta- 

gata  haka  bere  hoo. 
Commission,  —  commissionnaire, 

—  rogo. 
Commotion,  —  veveri,  ruru. 
Communicatif,  —  magaro. 
Commun,  —  uoa,  ananake. 
Compacte,  —  putuputu  ;  —  non 

comp.,    varavara,     ma     toru 

toru,  pego  pego. 


VOCABULAIRE  DE  LA  LANGUE  DE  L  ILE- DE-PAQUES. 


187 


Compagne,  compagnon.  —  n/pa 

hoa  ;  —  compagne,  la  femme, 

uka  hoa. 
Compagnie,  —  liiiega  ;   —  une 

compagnie,  piri  mai,  auanake. 
Comparaison,  —  comparer,  — 

liakaritega,  hakarite. 
Compas,  —  hakataviri. 
Compassion^  —  liaka  arolia  ga  ; 

compatir,  id.,  —  vaine,   lia- 

kaarohareo. 
Compenser,  liakahere. 
ConipJd,   coinpléter,   —  liakari- 

variva,  liakatitika. 
Composer,  —  liaka  riva  riva. 
Comprendre,  —  rogu,  liaka  rogo; 

—  compris,  —  rogo  a. 
Comprimer,  —  liaka  ueiiiu,  ha- 

kalioki. 
Compromis,  compromettre,  —  lia- 

ka))agaha,  liakagogoroaa,  Iio- 

rihori  mai  a  i  te  reoreo,  Laka- 

liorihori  mai  a. 
Compte,  compter,  tapa  —  tatapa. 
Concave,  —  pokupoko,  pokopo- 

ko  taheta,  —  iioki  uoki. 
Concentration,  concentrer,  —  lia- 
ka taka  taka,  —  api. 
Concepition,  concevoir,  —  tu[)u. 
Concile,  —  liuega. 
Conciliation,  conciliateur,  conci- 
lier,  —  hakatuu,   riri,    kaka 

mou,  liakarivariva. 
Concis,  —  poto,  potouoa. 
Conclure,  — liaka[)ae,  liakamou, 

mou. 
Concordance,  —  liakaritega. 
Concourir,  concours,  —  tarupu. 
Concubinage,  —  moe  iio. 
Concupiscence,  -  bai. 
Condamnation,    condamner,   — 

rarara ,  liaka l'ivari va . 
Condisciple,  —  repa  lioa. 
Condition,  —  hakarite. 
Condoléance,  —  tagi,  tatagiragi. 
Conduire,  conducteur,  —  haka 

tari,  —  a,  haka  uga. 
Conduite,  —  haga. 


Confédcrer,  —  hakapa,  api. 
Conférence,  conférer,  —  vauaga. 
Confesser,  confession,  —  aaki  ; 

aaki. 
Confier,  uiau,  tiaki. 
Confondre,  —  liara  ;  —  mêler, 

tu,  =  haka  eka  eka. 
Conforme,  —  pe,  pahe. 
Confort,    confortable^    —  haka 

uuikoua,  kavahia,  haka  kava- 

laa. 
Confier,  —  râpa  hoa. 
Confus,  confusion,  —  haka  ma. 
Congé,  congédier,  —  tute,  haka- 

hoki  ;  — prendre  c,  tere. 
Conjecture,  —  iiiaiiau. 
Conjurer,  —  iiouoi. 
Connaître,  —  maà,  rava  ;  — faire 

c.  haka  tikea. 
Conquérir,  —  rava,  morava. 
Consacrer,  —  haka  viku,  liaka- 

ta})u. 
Conscience,  —  uiauau,  maiiau. 
Conseil,  conseiller,  —  haka  maà. 
Consentir,  —  liiga,   biga   mai, 

haga,  haga  mai,  rogo  mai. 
Conséquence,  —  ai  ;  —  sans  c, 

oaha  mai. 
Conserve,  aller.,,  oho  a  rurua. 
Conserver,  —  tiaki. 
Considérable,  —  uunui,  okoke. 
Considérer ^  —  miue  mine,  mata 

miue,  mata  haka  taha,  mata 

pupura,  mata  haka  hire. 
Consoler, —  kamïora,  kaka  ma- 

amaa,  —  sans  c.  pagaha  mou- 

ga  kore. 
Consolider,  —  haka  iUo,  haka 

iho  ilio,  haka  raau. 
Consommer^  —  haka  mou,  haka 

pae. 
Conspirer,  —  rakei,  =  rakei. 
Constant,  —  mau,  iho  iho. 
Consternation,  consterner,  —  ma- 

taku,   maiiava  eete,   maiiava 

ruru. 
Constipation^  —  mogugu  kore, 

tutae  hihi. 


J88 


LE    MUSEON, 


Construction,  construire,  —  ka- 

to,  titi. 
Consumer,  —  haka  mou,  haka- 

pae  ;  —  se  consumer,  pae  a. 
Contact,  —  tupuaki. 
Contagion,  —  poa. 
Conte,  faire  un  conte,  —  reo, 

reo  reo,  haka  reoreo,  liaka- 

kemo. 
Contenir,  —  lioo,  tomo. 
Content,  —  koa  koa,  reka. 
Contestation,   contester,   —  ilio 

ilio. 
Continuer,  —  ki  hua,  horau  ho- 

rau. 
Contorsion,  —  tipa  tipa. 
Contracter,  —  pipiri. 
Contradiction,    contredire,   con- 
trarier, —  haka  hori  hori. 
Contraire,  —  mea  ke  ;  —  faire 

le  c,  haga  ke. 
Contrarié,  —  pagaha. 
Contrat,  —  haka  titikaga. 
Contre,  —  kia. 
Contre-cœur  (à)  —  tae  haga,  tae 

haga  mai. 
Contrée,  —  heenua,  kaiga. 
Contre-poids,  —  haka  iho  iho. 
Contribuer,  —  piri,  tarupu,  hau 

mai. 
Contrition,  —  niauava  pohi. 
Contusion,  —  pahure,  eperehe, 

tutuki. 
Convaincre,  —  higa  atu,  higâ 

mai;  —  convaincu,  ku  higa  a. 
Convalescence,  —  riva  no  iti. 
Convenable,  —  mea  riva. 
Convention,  —  haka  titikaga  ; 
c.  peu  solide,  hakatitikaga  reo 

reo. 
Conversation  —  vanaga,  —  ki  ; 

—  c.  plaisante,  haka  reka,  ha- 

kareka  no. 
Convertir,  —  riva  ;  —  se  c,  ri- 
va, hariua. 
Convier,  —  ragi  ;  —  convié,  ra- 

gia. 
Convoiter,  —  tagitagi,    —  ate 


hopo. 
Convulsif,  convulsion^  —  taora, 

=  hagu  hagu. 
Copie,  copier,  —  ta. 
Copieux,  —  nui  ;  —  vivres,  mau 

nui. 
Coq,  —  moa  toa  ;  —  c.  lâche, 

pepeka  ;  —  courageux,  mata 

toa,  mataû  ;  c.  à  long  éperon, 

moa  tara  piko,  moa  tara  kai- 

kai  ;   —  chant   du  coq,   moa 

ohoa. 
Coque, — pakahera  ;  — coquille, 

pakahera,  —  hipu. 
Corail,  —  puga  ;  —  à  branche, 

puga  pupu. 
Corbeille,  —  kete. 
Corde,  —  taura  ;  —  faire  une  c, 

taura  hiri  ;  —  nouer  le  bout 

d'une  c,  hère. 
Cordon,  —  liara  tua. 
Coriace,  —  uka  uka,  iho  iho. 
Corne,  —  tara. 
Corps,  —  tino,  —  c.  fluet,  tino 

vare   vare  ;    —  corporation, 

huega. 
Corriger,  —  haka  rivariva,  = 

tigi  tigi,  avaava. 
Corrompre,  —  tuki,  tagata  tuki 

(homme  corrompu). 
Côté,  —  kao  kao  ;  —  se  tourner 

de  côté,  hariu  ;  —  d\in  côté  sur 

Vautre,  hariu  ke,  hariu  ke. 
Coteau,  —  mouga  iti,  hiriga. 
Côtelette,  —  kava  kava. 
Cotre,  —  miro  iti. 
Cou,  —  gao. 

Couchant,  —  raà,  rem  rem. 
Couche,  —  rago,  pepe. 
Couché,  —  moe  ;  —  horikou,  moo 

haka  taha  ;   —  à  plat,   moe 

—  moe  araruga;  ;à^prre,ariga 

moe  ki  raro  ;  jambes  étendues, 

moe  vae  haka  roroa  ;  moe  vae 

a  hatu. 
Coude,  —  turi  rima. 
Couder,  —  rima  tuku. 
Coudre,  —  tia,  tia. 


VOCABULAIRE  DE  LA.  LANGUE  DE  L  ILE-DE-PAQUES. 


189 


Couler,  —  talie,  iiini  nini,  turii, 
inaina,  tomo  ;  canot  qui  coule, 
emu,  kuto,  punene. 

Couleur,  —  hakarite. 

Coulisse,  —  huhii. 

Coup,  —  tigi,  tigiga  ;  —  c.  de 
poing,  rima  haka  viri  viri,  ri- 
ma hakaviriviri  ;  —  donner 
des  c.  de  poings,  tigi  tigi. 

Coupable,  —  tagata  rakerake. 

Coupe,  —  hipu. 

Couper,  —  kokoti  ;  —  aux  Ci- 
seaux,ta,\)Sim  ;  — en  morceaux, 
hore  liore  iti  iti  ;  —  avec  cou- 
teau, liore,  motu  ;  court,  hore 
poto,  motu  poto. 

Couperet,  —  tapani. 

Couple,  —  piri  okorua. 

Coupure,  —  kokotiliaga,  petelie. 

Cour,  —  koona  vare  vare. 

Courage,  courageux,  —  mata 
toa,  mataû. 

Courber,  —  uoi  ;  —  pagaha,  ta- 
ha,  amo. 

Courir,  —  toliuti,  talniti,  tere, 
liorarau,  vae  rere,  ka  rere, 
toù  vae,  pakapaka  kina,  liaka 
uru  uni  toù  vae. 

Courge,  —  liue,  mautiui. 

Couronne,  —  pukao,  uru  ;  — 
couronner,  Iiakauru. 

Courrier,  —  rogo. 

Courroux,  —  kokoma  huriliuri, 
mauava  pohi,  kokoma  eete, 
courroucer,  id. 

Court,  —  poto,  potopoto  ;  — 
courte  haleine, —  aguagu,  gae- 
gae,  manava  tiha,  liaipo  ralii 
rahi. 

Courtisan,  —  liaka  kouakoua. 

Cousin,  —  teiua  tama  roa. 

Coûter,  —  liaka  hère,  tuhi. 

Couteau,  —  hoe  ;  — c.  se  fermant, 
hoe  hahatu,  lioe  haka  nemu  ; 
user  du  couteau,  kokoti. 

Coutume,  —  maliaiii. 

Couture,  —  kauihaga. 

Couver,  —  moe,  uha  mau,  = 


faire  c,  haka  moe. 
Couvercle,  —  puru  ;  —  mettre  le 

c,  id. 
Couvert,  —  puru  a. 
Couverture,  de  case,  puru  ;  —  de 

lit,  gio  gio. 
Couvrir,  —  puru  ;  —  d'ombre, 

haka  maru  ;  —  d'eau,   haka- 

ruku,  haka  garo,  titivai. 
Crabe,  —  pikea. 
Crachat,  —  cracher,  —  aauu. 
Craindre,  —  mataku,  =  liopo  ; 

—  cramfe,  id.  ;  —  qui  ne  craint 
ni  vent  ni  mer,  mataû. 

Crampe,  —  ua  piki. 
Cramponner,   —  aaru,  tarupu, 

haka  iho  iho. 
Cran,  —  titaa,  hore. 
Crâne,  —  roro,  puoko. 
Crapuleux,  —  rakei'ake  mako- 

ua. 
Craquement,  craquer,  —  keke- 

keke. 
Crasse,  —  oone. 
Cravate,  —  heregao,  heregao. 
Crayon,  crayonner ^  —  ta 
Création,  —  haga,  kaga  rae. 
Crèche,  —  pahu. 
Crépir,  —  haka  vare,  —  haka 

kiva,  =  ta. 
Crépuscule,  —  huero  ;  —  c.  du 

matin,  huga  raa. 
Crète,  —  rerepe. 
Crevasse,  —  crever,  —  gaa. 
Creuser,  —  keri,  are,  —  creux, 

rua,  raro  nui. 
Crevette,  —  viti  viti  ;  —  c.de  mer, 

ura . 
Cri,  —  tagi,  tatagi,  ooa,  ragi, 

oiiu,  —  c.  des  rats,  kikiu,  vou, 

—  cricur,  tagata  ohu. 
Criailler,  —  pogeha,  —  criard, 

id. 
Crime,  —  rakerake. 
Crin,  —  huhuru,  rauoho. 
Cristallin,  —  pupura. 
Critiquer,  —  haka   hori   hori, 

haka  horiga. 


i90 


LE    MUSÉON. 


Croc,  —  rou. 

Croire,  croyance,   —  l'ogo,  ro- 

goa  ;  —  ne  pas  croire,  ho  ai  a 

inoo  hakarogo  atu. 
Croiser,  —  haka  peka  ;  —  les 

jambes,  haka  hihi. 
Croissant,  croître,  —  tupu,  — 

mauege,  menege  ;  —  vite,  ho- 

rahorau  ;  —  être  arrête  dans 

son  croit,  tae  hora  horau  ;  — 

pour  lliomme,  ivi  uha. 
Croix,  —  peka. 
Crotter,  —  oone  no,  oone. 
Crouler,  —  toparia,  perigi,  po- 

rohata,  marere,  iiierere. 
Croupion,  —  pigei,   piheigi,  pi- 

haigi  ;  cette  partie  du  dos  de 

Vliomme,  pi])i. 
Croûte,  — paka,  pakapaka. 
Cru,  —  mata. 
Cruche,  hipu,  —  calebasse,  pa- 

kahera. 


Crucifier,  —  titi. 

Cruel,  —  tigi  tigi.  gagau. 

Cwillir,  —  ruuu,  taii,  tapa, 
hakapiti. 

Cuiller,  —  tukuga,  ao. 

Cuir,  —  kiri. 

Cuire,  —  timii  ;  —  dans  le  four, 
tao,  haka  ootu,  haka[)akiu, 
haka  p.'.iku.  —  mal  cuit,  iiiae 
mae  uo,  tae  ootu,  mata  no  ; 
trop  cuiïjhope  liope,  rihariha, 
veravera,  pakapaka,  kore  te 
ivi. 

Cuisine,  —  hare  tuiiu  kai,  — 
hiiiuu  hal•(^ 

Cuisse,  —  papa  kona. 

Cuivre,  —  veo. 

Cultivateur,  —  tagata  tanu  kai. 

Cupide,  —  ate  hopo,  ate  hopo. 

Curieux,  curiosité,  —  rivariva 

Cutané  —  kiriputi,  kiri})utiti. 


Vabord^  —  komua,   onuia,   ki- 

miia. 
Danic-jeanne,  —  hipn  liiva. 
Damnation,  damner,  —  topa  ki 

te  pokoga. 
Dandiner  {se),  —  hakagaei. 
Danger,  —  viriga,   viritopa,  — 

higa,  mataku. 
Dangereux,  —  matalcu  ke.  = 

matakn. 
Dans,  —  ki  roto. 
Danse^  danser,  —  ate. 
Dard,  darder,  —  veo. 
Dartre,  —  kiuo. 
Date,  —  raà. 

Davantage,  —  nui  atu,  —  kihua. 
De,  —  no,  ua,  o,  a,  to,  ta. 
Débarqu(r,  —  hoa. 
Débarrasser,  —  haka  riva  liva, 

=  rakei. 
Débat,   débattre,   —  kakai,  — 

toua. 
Débauché,  —  rakerake  ;  —  dé- 


baucher, tiiki. 
Débile,  —  pepeke,  tekeo,  rehe- 

relie,  uenere. 
Débit,  débiter,  —  liakahere. 
Déblayer,  —  (voir  débarrasser). 
Débordement,  déborder,  —  taie 

ku  taie  tetai. 
Déboucher,  débourrer,  —  matak  i . 

euai. 
Débourser,  —  avai,  haka  liei'o. 
Debout,  —  maroa. 
Déboutonner ,  —  vête  vête,  — 

débrider,  id.  kume. 
Débris  —  horega,  hugahuga  = 

huga  huga. 
Débrouiller,  —  vête  vête,  =  ve- 

tevet(\ 
Début,  débuter,  —  rae,  raega. 
Deea,  —  mei  a. 

Décapiter,  —  hore,  hore  te  gao. 
Déceler,  —  aaki. 
Décembre,  —  ora. 
Décent,  —  riva  riva. 


VOCABULAIKF,  DE  LA  LANGUE  DE  l'iLE-DE-PAQUES.    191 


Déchaîner,  —  vevete,  patara. 
Décharger,  —  haka  maà,   haka 

ora . 
Décharner ,  —  toù  ate  kiko  e  ivi 

i  hakarere. 
Déchirer,  —  horeliore,  —  liihi, 

kotikoti,  kokoti  =  d.  arec  les 

dents,  uanagi,  iianagi,  —  rao- 

tii,  niomotu. 
Décider,  —  kia,  luikafitika  a. 
Déclarer,  —  aaki,  hakakite,  lia- 

kakite. 
Déclin,  —  ataata,  ata  ;  —  d.  du 

jour,  i(l. 
Déclinrr,  —  karo,  hakataha. 
Décoiffer, — patu.   hakarere  ki 

te  ])au. 
Décoloré,  —  luarii'i,  lueriri. 
Décomhrcs,    —   tiaki,    i)aopao, 

keri. 
Découper, — liore  lior*',  kokoti, 

liore,  liugahuga. 
Décourager,  Découragé, —  kioa, 

kio. 
Découvrir,  —  mataki,  =  le  jour, 

inaoa,  mataki,  i)atu. 
Décrassser,  —  lio])u,  lioroi.akui; 

=  les  mains,  ko[)ikûpi. 
Décrépit,  — kuroua,  migoiuigo; 

—  décrépitude,  id. 
Décret,  décréter,  —  liakatitika, 

hakatitika. 
Décrier,  —  hakakemo,  pogelia, 

tuhi  tahaga,  tulii  taliaga  iio- 

mai. 
Décrire,  —  ta. 
Dédaigner,  —  liakanieèiueè,  ha- 

kamigoiuigo,  taehaga,  liaka- 

uukamika. 
Dedans,  —  ki  roto. 
Dédicace,  dédier,  —  tuku,  îiiku- 

ga,  avai. 
Dédommager,  —  liakalierc. 
Déduire,  —  liakaiti. 
Défaillance,  défaillir,  —  rAm. 
Défaire,  défait,  défaite,  —  higa. 
Défendre,   —   tanij)!!,    dans   le 

sens  de  protéger  ;  =  tapii,  lia- 


katapu,  rahui,  —  dans  le  sens 

de  interdit,  prohibé. 
Défenseur,  —  tarupu. 
Défi,  défier,  —  hakatatau. 
Défiguré,  —  pohutu,  poliutu  a. 
Défilé,  —  liakakauga. 
Déflorer,  —  luoremorepua. 
Déformer,  —  hakarakerake,  lia- 

tuliatii. 
Défricher,  —    hakaheu,    rapu, 

keri. 
Défunt,  —  mate,  papaku. 
Dégagé,  —  liakarivariva. 
Dégainer,  —  pokoo. 
Dégoût,  dégoûtant,  dégoûter,  — 

taehaga,  =  megeo. 
Dégouttant,  dégoutter,  —  topa, 

turii,  perigui,  pakakina  ki  ra- 
re. 
Déguisé,  déguiser,  —  hakakehu, 

hakaiiehii. 
JJehors,  —  ki  aho. 
J)éifier,  hakaetua. 
Déjà,  —  kireira. 
Déjeter,  (se),  —  makemakeiui. 
Déjeûner,  —  kai. 
J)elà,  —  raei  a. 
Délaisser, —  hakarere,  luoeatu, 

moe  atii,  avai  atii. 
Délayé,  —  hakaeuru. 
Délecter,  —  mea  rivariva,  luea 

ruhiruhi,  mea  nomanoma. 
Déléguer,  —  e  oho,  e  uga,  uga, 

rogo. 
Délibération,  délibérer,  —  haka- 

rivariva . 
Délicfd,  —  ruhiruhi,   livariva, 

uomauoma. 
Délice,  —  nomanoma. 
Délier,  —  vevete,  liakapatara. 
Délire,  —  nivaniva,  =  délirer, 

uivaniva,  eeva. 
Délit,  —  hara  rakerake,  rake- 

rakega. 
Délivrance,  délivrer,  —  vevete, 

hakaora. 
iJéluge,  —  tarai. 
Demain,  —  apo,  =  après  d.  — 

12 


192 


LE    MUSÉON. 


apo  era. 

Demande,  —  ui,  =  demander, 
id.  ;  =  de  case  en  case,  uonoi  ; 
=  avec  empire,  nonoi  pogelia. 

Démangeaison,  démanger,  —  au- 
au,  mageo,  rekareka. 

Démarcation,  —  titaa,  horoga, 
hakatuutiiu,  hakatuutuu. 

Démence,  — nivaniva. 

Démentir^  —  hakarivariva  ki- 
toona  reoreo,  rara. 

Demeure,  demeurer,  —  nolio  ;  = 
sans  d.  fixe,  rava  ahere,  rava 
ahcre. 

Demi,  —  vaoga,  horega. 

Démolir,  —  hakaheke,  haka- 
inarere,  hakauioumou,  haka- 
perigi,  hakatoparia  hakatopa- 
ria. 

Démon,  —  tiaporo. 

Démonstration,  —  hakakite,  lia- 
kakitega. 

Dénaturer,  — hakareoreo,  haka- 
ketuo. 

Dénier,  —  ihoilio. 

Dénombrement,  —  tapa,  tatapa, 
tataku. 

Dénouer,  —  vevete,  vetevete, 
matara. 

Dent,  —  iiilio  ;  =  mal  de  d. ,  po- 
koo,  nilio  gaa,  =  d.  longues, 
uilio  keekee,  =  cassées,  uiho- 
hati,  —  niho  gaa,  =  noires, 
nilio  reeree,  niho  kerekere, 
=  Manches,  niho  ritorito  ;  = 
gâtées,  niho  monio  momo,  ni- 
ho para  ;  =  bien  rangées,  ni- 
ho liakarite,  =  dents  avancées, 
niho  hakakikaa,  niho  keekee, 
=  (niho  iineki,  nihourei,  faire 
voir  les  dents)  ;  —  serrer  les  d. , 
niho  gau. 

Dénûment,  dénuer,  —  rakaii  ko- 
re. 

Départ,  —  terega,  tere,  tohuti. 

Dépêcher,  —  uga,  hakatere. 

Dépenser,  —  hakamou,  haka- 
moumou. 


Dépérir,  —  maruaki,  opeope. 

Dépit,  —  kokoraa  hurihuri,  ko- 
konia  hanohano. 

Déplaire,  —  koona  ke. 

Déplaisir,  pagaha,  —  uhatu, 
uhatu. 

Déplier,  déployer^  —  vevete,  ha- 
kapatara. 

Déposer,  —  hakarere. 

Déposséder,  —  iko,  iko  a. 

Dépouillé,  —  too,  ikoiko,  huhu, 
—  se  d.,  patu.  ' 

Déprécier,  —  hakameemee,  ha- 
kamigoniigo. 

Depuis,  —  mei  a,  =t?.  longtemps, 
tuhai  tuhai. 

Député,  —  rogo. 

Déraciner,  —  oi,  uhuti,  keri, 
aliu. 

Dérangé  {estomac),  —  mate  keo, 
te  keo. 

Dérision,  —  hakameemee,  haka- 
migomigo. 

Dérider,  —  tahe,  tehe  mai. 

Dernier,  —  omuri. 

Dérober,  — toketoke. 

Dérouler,  —  vevete. 

Déroulé,  —  tere  a. 

Derrière,  —  eeve,  taki  eeve, 
pipi,  niogugu  ;  =  montrer  le 
d.,  hakahiti  ki  te  eeve  ;  = 
der.  de  la  maison,  tua  o  te  hare. 

Dés,  —  me  mai  ;  =  des  que, 
mau,  na,  ga. 

Désagréable,  —  kavakava,  ma- 
geo. 

Désappointer ,  —  vaiapuga. 

Désapprouver, —  hakatun,  riri. 

Désavantageux,  —  rakerake. 

Descendant,  —  makupuna. 

Descendre,  —  turu  ;  =  faire  d., 
hakaturu,  topa. 

Description,  —  ta,  ki. 

Désembarquer,  —  hoa. 

Désert,  —  koona,  pakapaka  ; 
=  déserter,  raga,  =  déser- 
teur, tere. 

Déses]}érer,  —  tae   tatari,  tae 


VOCABULAIRE  DE  LA  LANGUE  DE  l'iLE-DE-PAQUES.  J  95 


manau. 
DéshahiUer,  —  pata  ki  te  kahn. 
Déshonnête,  —  tae  rivariva,  ra- 

kerake. 
Désigner,  —  tuhi. 
Désir,  —  haga,  =  vif,  nui  ;  = 

fixe,  haga  ihoilio,  =  qui  ne 

peut ...,  mate,  mate  manava  ; 

=  désir  de  manger,  mariiaki. 
Désister,  — ^hakarere,  moe  atu. 
Dès  lors,  —  0  ira. 
Désobéissance,  désobéir,  —  tari- 

ga  pogeha,  tae  hakarego,  ta- 

riga  pmm,  kikiu. 
Désœuvré,  —  nohono,  vaiapuga. 
Désoler,  —  manava  hopohopo, 

manava  more  ;  =  sans  habi- 
tants, pakapaka. 
Désordre,  —  hakaripai. 
Désormais,  —  i  mûri,  ki  mun. 
Dessécher,  —  pakapaka,  liaka- 

pakapaka. 
Dessein,  —  haga,  manau. 
Desserrer,  —  vevete,  hatahata, 

hakahatahata. 
Dessin,  dessiner,  —  ata,  ta. 
Dessous,  —  ki  raro. 
Dessus,  —  ki  ruga,  =  mettre 

sens  dessus  dessous,  hakari- 

poi. 
Destiner,  —  vavae.  hue,  haka- 

rere. 
Destituer,  —  hakaniou. 
Destruction,  —  moumou. 
Désunir,  —  vavae,  —  haga  ta- 

kataka. 
Détachement,  —  topahaga,  vara- 

vara. 
Détacher,  —  vevete. 
Détendu,  —  haka  ekaeka,  haka 

ugauga,  hakareherehe,  haka- 

otaota. 
Détention,  —  mau,  haka  mau, 

=  détenir,  id . 
Détériorer,  —  ii ,  popopopo ,  para . 
Déterminer,  —  titaà  —  titaà. 
Détestable,    —    veriverike,    = 

eete,  —  hanohano. 


Détester,  —  kokoma,  eete,  — 
kokoma  hanohano,  mana  po- 
pi. 
Détourner,  —  haka  hariu  —  ha- 
ka taha  ;  =  se  détourner,  ha- 
ka taha,  =  . . .  pour  voir,    — 
arui,  ariu,  ira,  hakaira. 
Détresse,  —  mama  ki. 
Détroit,  —  ava,  haga. 
Détruire,  —   haka  marere  — 

hoahoa,  haka  mou. 
Dette,  —  mau. 
Deuil,  —  tatagi,  timo,  —  ga- 

rahu. 
Deux,  —  e  rua,  =  deux  à  deux, 
kauga,  hakakauga  ;  =  deux 
ensemble,  piri  mai. 
Devancer,  —  kimua,  a  mua  ;  = 

devant,  id. 
Dévastation,  dévaster, —  oi,  mou 

mou. 
Développer,    —    hakarivariva  ; 

haka  roroa. 
Deviner,  —  hihoi  ;  =  faire  de- 
viner, hakahihoi,  hakahurike. 
Déverser,  —  huri  ;  —  nininini, 

hakaparigi. 
Déviation,  dévier,  —  rere,  hipa, 

topa  ke. 
Devin,  deviner,  —  mamahi. 
Dévoiler,  —  aaki,  hakakite. 
Devoir,  —  e  mea  ta  koe. 
Dévorer,  —  namu  namu. 
Dévot,  —  tagata  rivariva. 
Dévoué,  —  hakarogo. 
Dextérité,  —  maori,  maori  ke. 
Diable,  —  tiaporo. 
Diamant,  —  mapahiva. 
Diarrhée,  —  nininini. 
Dieu,  —  Atu  a. 
Diffamer,  diffamation,  —  rava- 

ki  ravaki. 
Différence,  —  hakarite  ke  ;  = 

différent,  id.,  meake. 
Différer,  —  hakahinihini,  haka- 

tuhai,  hakaroa. 
Difficile,  —  mea  oko,  mea  oko 
ke  ;  =:  rendre  difficile,  haka- 


194 


LE    MUSÉON. 


niiui. 
Difficulté,  —  haga  nui  ;  =  être 

en  difficulté,  hakai,  toua. 
Difforme,   —    rakerake,    ariga 

rakerake. 
Diffiœ,  —  tau,  titika. 
Dignité,  —  ao  ;  =  la  conférer, 

haka  topakite  ao. 
Diligence,  diligent,  —  horaho- 

i"au,  —  veve  veve,  —  paka- 

kiiia. 
Dimanche,  —  Tomiuika. 
Diminuer,  —   haka   iti,  =  se 

diminuer,  haka  poto. 
Dîner,  —  kai. 
J)ire,  —  ki,  vanaga  ;  —  hahiiaïu- 

humu. 
Direct,  —  titika. 
Diriger,  —  hakatitika,  hakatari. 
Discerner ,  —  lava  ui,  ui  hagi- 

hagi . 
Disciple,  —  Atioo. 
Discourir,  discours,  —  vauaga  ; 

=    emhiouillé,    vanaga,    tae 

riva  ;    =    agréable,    vauaga 

nuiitaki  ;  =  mauvais,  vauaga 

rakerake  ;  =  rot,  vauaga  ui- 

vauiva. 
Discret,  —  tao  aaki,  tae  vauaga. 
Discussion,  —  hakai,  —  toua, 

=  cl.  sans  connaître  Vohjct, 

toua  hara  toua  reo. 
Disette,  —  maruaki. 
Disgracieux,  —  pagaha. 
Disjoindre,  —  haka  hâta,  haka- 

haata. 
Disparaître,  —  garo  ;  =  chms 

V obscurité,  garo  ki  te  po. 
Disperser,  —  tu  te,  tohuti. 
Disposer,  —  too,  m  au. 
Dispute,  —  kakai,  toua,  titigi, 

tigitigi. 
J)isscmhlal)lc,  —  hakarite  ke. 
Dissension,  —  toua,  kakai  ;  — 

les  exciter,  tuki  toua. 
I)issoudre,  —  hakavai  ;  =  se 

dissoudre,  hirohiro,  hakaeuru. 
Dissuader,  —  hakauoho,  tarupu, 


Distance,  —  ava,  roaga  ;  =  lé- 
gère, avapoto  ;  ^=  distant,  ici. 

Distinct,  —  ke,  niea  ke,  keke. 

Distribuer,  district,  —  tauga, 
avai,  tuha. 

Divaguer,  —  uivauiva,  —  eheva, 
eheva. 

Divers,  —  ka,  keke. 

Diversité,  —  hakarite  ke. 

Dévaster,  —  reka,  hakareka. 

Divinité,  —  Etua  haga. 

Diviser,  —  hore,  tuha  ;  =  divi- 
siofi  d'un  sujet,  pae,  paiga  ; 
=  en  parcelles,  hugahuga. 

Divorcer,  —  hakarere  ki  te  vie. 

Divulguer,  —  aaki,  vanaga. 

Dix,  agahuru. 

Doctrine,  —  ki,  kihaga. 

Dodu,  —  puti,  —  ruru,  —  ahu- 
ahu,  nuuui. 

Dogue,  —  kihaga,  tokoma. 

Doigt,  —  magauiaga  rima  ;  = 
index,  nuiga,  maga  tuhi  ;  = 
petit,  nieniri  ko  manava  ;  = 
pouce,  rima  matua  neanea;  = 
médium,  roaroa  tahaga,  tuhi 
auha  tuhi  auha,  =  du  bout 
des  doigts,  tuki  ;  =  même 
chose  pour  les  doigts  des  pieds. 

Domaine,  —  kaiga. 

Domestique,  —  kia. 

Domicile,  —  noho. 

Dominer,  —  mataû. 

Dommage,  —  hakaripoihaga  ;  = 
souffrir  le  d.,  mou  no. 

Dompter,  —  tiite,  —  hakariga. 

Don,  —  rima  atakai. 

Donner,  —  avai,  mau.  tuku. 

Donc,  —  reka,  ai. 

Dorade,  —  aku. 

Dorloter,  —  koakoa,  okooko. 

Dormeur,  —  auru,  moe  no,  moe 
tahaga. 

Dormir,  —  moe,  aiiru,  horuhoru, 
goruru  ;  =  sans  mesure,  moe 
no,  auru  no  ;  =  pro fondement , 
rava  a  uru  ;  =  agréable,  riva- 
riva  ;  =  avec  peine,  taea  uru, 


VOCAIJULAIKE  DE  LA  LANGUE  DE  L  ILE-DE- PARLES. 


195 


inoe  tahae  ;  =  et  parler^  iiioe 
hakakepo,  =  les  yeux  ouverts, 
inoe  mata,  kekeva  ;  =  eau 
dormante,  marie  ;  =  envie  de 
dormir,  ahiiru,  mata  uevaue 
va,  mata  éé. 

Dos,  —  tiiavi  ;  =  tourner  le  dos. 
liariii. 

Dot,  —  rakau. 

Double,  doubler,  —  liakapa,  ha- 
ll at  a. 

Doublure,  —  roto. 

Douceâtre,  —  l'uliii'uhi,  noma- 
uoma. 

Doucement,  —  koroiti. 

Douceur, —  riihiriihi,  uaueiiaue, 
iiomauoma. 

Douleur,  —  tatagi,pauaha  mate. 

Douter,  —  kai  maà. 

Douteux,  —  pealia,  pealia. 

Doux, caractère,  —  mai^^aio,  mea 
marie  ;  =  Ut  doux,  ekaeka  ; 
=  mets,  ruhirulii  ;  =  au  tou- 


cher, ekaeka. 
Douze,  —  haga  Imrii  mania. 
Draguer,  —  taka. 
Draj  eau,  —  rêva. 
Dresser.  —  liakatuû  ■,=en  ligne, 

hakatitika. 
Droit,  —  titika  ;  =  se  tenir  droit, 

maroa,  tiui, 
Droite,  —  mataû. 
Droiture,  —  titika. 
Du,  —  110,  to. 
Ductilité,  —  ekaeka. 
Dupe,  —  toke  a. 
Duper,  —  toke. 
Duplicité,  —  reoreo,  maà  reo- 

reo. 
Dur,  —  ilioilio,  —  oko  ;  =  tête 

dure,  pogelia,  =  à  entendre, 

=  à  faire,  okoke. 
Durable,  —  ihoilio,  =^  durer,  id. 
Duvet,  —  liuliuru. 
Dysenterie,  —  uini,  uini  toto. 


E 


Eau,  —  vai  ;  —  salée,  tai,  mo- 
aua  ;  =  de  source,  vai  puga  ; 
=  qui  jaillit,  vai  pupuhi  ;  = 
puante,  vai  pipiro  ;  trouble, 
vai  Goue,  =  saumâfre,  vai 
kava  ;  =  ambre,  id.  ;  =  dou- 
ceâtre, magaro  ;  =tranquille, 
marie  ;  =  calme,  id.  ;  =  en 
mouvement ,  vave  ;  =  qui  sape, 
qui  mine  la  terre,  vai  iho  ;  = 
faisant  irruption,  vai  pari  ; 
=  profonde,  vai  liohouu  ;  = 
marais,  roto  ;  =  eau  bénite, 
vai  tapu  ;  ^=  sur  la  tête,  vai 
liaka  perigi  ;  =  faire  eau,  pu- 
iieue,  —  turu,  mama. 

Eau-de-vie,  —  vai  megeo. 

Eblouir,  ébloui ssement,  —  reme- 
reme,  mata  kekeva. 

Ebranler,  —  Lakagerei,  haka 
makenukeuu. 


maniga. 

=  écaille  (le 

varuvaru, 


Ebrécher,  —  poro 
Ecaille,  —  uuahi,  = 

tortue,  pahera. 
Ecailler,    —    unahi 

imahi  hakaha. 
Ecatlate,  —  meamea,  uraura, 

heroliero. 
Ecarter,  -  tono, — tiite,  hava  ; 

=  s'ec.  du  sujet,  hakaripoi. 
Echafaud,  échafaudcr.  —  rago. 
Echanger,  échange,  —  hakahere 

rua  mai. 
Echapper,  (s'),  —  tere,   horo, 

tohuti. 
Echasse,  —  eke, 
Echauder,  —  hakamaaiia,  haka- 

pu  maaua. 
Echauffer,  —  id.  —  bakavera- 

paka. 
Echelle,  —  rago. 
A'chcvelé, — karaerae,  miramira. 


196 


LE    MUSEON. 


Echine,  —  lioi)e,  tuà. 

Echo,  —  vavovavo  ;  —  vauaga- 

rua. 
Echouer,  —  màrere,  —  paepae 

ki  uta. 
Eclabousser,  —  rerere. 
Eclair,  —  uira 
Eclaircir,  —  hoiolioru,  hakara- 

paiapa. 
Eclairer,   —    Iiahapura,    luika- 

maeha,   tuurania  ;  =  éclairé 

(homme),  inaoïi. 
Eclatj  —  du  soleil,  gii  ;  ^=  delà 

lune,  maelia,  —  kii  ;  =  des 

flammes,  ura  herohero  ;  =  ren- 

dre  éclatant,  liaka])upura. 
Eclater,  —  })akakiiia,  —   gaà, 

—  mamara. 
Eclipse,  —  kohuraà. 
Eclore,  hakaragutu. 
Ecole,  —  hakaiiiarama. 
Econome^    économiser,    —    tito 

koro  iti  ;  —  liorauho})ae,  lio- 

rohopae. 
Ecorce,  —  kiri,  =  écorcer,  liilii, 

varuvaru,  aati. 
Ecorcher,  —  hakaha,  huhure. 
Ecosser,  —  hureliure. 
Ecouter,  —  liakarogo,  rogo. 
Ecraser,  —  i)ii  ;  —  liakapiipii, 

rerorero. 
Ecrevisse,  —  ura. 
Ecrire,  —  ta,  =  écriture,  id., 

=  écrivain,  tagata  ta. 
Ecrouelle,  —  tao,  —  pukupuku, 

arakea, 
Ecueil,  —  inotu  ;  =  sans  eau, 

inotukivakiva. 
Ecuelle,  —  tiikuga,  tukaga. 
Ecume,  —  kutokiito,  —  kukiito. 
Ecurie,  —  liarepuaka. 
Edifice,  — liare,  ^  édifier,  kato, 

titi. 
Effacer,  —  horoi,  —  haka})aka- 

paka,  hakapeapea,   hakapea- 

pea . 
Effaroucher,  —  rava   tcro,  — 

tae  ripoi. 


Efféminé,  —  pepeke,  reherehe. 
Effet,  efficace,  —  rivariva,  — 

lueitaki,  ineitaki. 
Effigie,  —  ariga. 
Effleurer,  —  liiilui. 
Efforcer,  s'eff.,  —  ki  Jiua,  haka- 

ihoilio,  liakamatatoa,  —  nia- 

taù,  Iiaka  uiataù,  iboilio. 
Effraction.  —  avahi,  —  haliati, 

nioinurc. 
Effrayant,  —  niataku,  eheeiiio- 

roa,  iiiiiaa. 
Effrayer,  hakamataku,  liakajja- 

rera. 
Effroi,  —  mataku. 
Effronté,  effronterie,  —  pakeke. 
Effusion,  —  })erigi. 
Egal,  égalité,  —  hakaiite. 
Egalement,  —  e  talii  hakarite. 
Egaliser,  —  hakarite,  Lakai^iri. 
Egard,  — 
Egarer,  —  garo,  parei'a,  kiito- 

kuto  ;  =  s^égarer,  hara. 
Egayer,  —  reka,  liakareka. 
Eglise.  —  liarepure. 
Egoïsme,    égoïste,    —    kaikino, 

kaikino. 
Egorger,  —  liiiki,  tigai,  oka. 
Egratigner,    —    liaubau.    kati- 

kati.  paliurehure. 
Elionté,  —  tae  hakama. 
Elaguer,  —  liahalioki. 
Elancer,   s^élancer,    —    keetu, 

liuri. 
Elargir,  —  liakanii  =  (kokoro, 

uni    uru,    amoanio   pour   les 

keete,  panniers  de  joncs). 
Election,  électeur,  —  vae. 
Elégance,  —  rivariva,  meitaki. 
Eléments,  —  tumu,  tumu,  niea, 

mea. 
Eléphant  iasis,  —  ahuaUu. 
Elévation,  élever,  —  liiri,  liiri- 

ga,    hapai,    hapaiaga,   teitei, 

kii'uga  nui,  haka  kiruga  nui  ; 

=  s'élever,  teatea,  hakateatea. 
Elève,  —  atu,  vae,  vae  a. 
Elle,  —  ia  ;  =  elles  y  raua  ;  = 


VOCABULAIIU,  DE  LA  LANGUE  DE  LILE- DE-PAQUES.         i97 


eux  d'eux,  i(l. 
Eloge,  dire  Fcloge,  —  nuiliaro, 

niaharo. 
Eloigné,  —  koroa,  roroa. 
Eloigner,  s'éloigner,  —  liakalio- 

ki.  tt'terp,  tere. 
Eloquent,  —  lavaki. 
Email  des  dents,  —  tra  iiilio. 
Emballer .  —  popo,   liahao.  ai. 
Knibarcadère,  —  kato.  —  titi. 
Embarcation, —  poti,  vaka  ;  = 

des  indiens,  i)oei)oe. 
Embarquer,  —  luan.  niau  atu, 

hapai  ;  =  s'embarquer,  piki- 

piki. 
Embarras,  —  iiogoroaa. 
Embaumer,  —  hakakava. 
Embellir,  —  rakei,  — liakarilo- 

rito,  liakaiiapoiia])u. 
Embraser,  —  tutu,  —  v(M-a,  lia- 

kavera,  liakaura. 
Embrasser,  — hoiii  ;  ^  avec  les 

bras,  liai. 
Embrouiller,  —   uiiminira,  ha- 

kainiraïuira,  liakahoriliori. 
Embûche,  —  pikoi)iko,  —  liaka- 

piko  ;  =  embusquer,  id. 
Emerveiller,   —  inaharo,   mate 

mauava. 
Emettre,  —  hakatikca. 
Emeute,  —  toua. 
Emietter,  —  hakahugahuga,  ha- 

kaniarererere,  hakâotaota. 
Eminent,  —  teitei,  ki  ruga  nui. 
Emmancher,  —  liakauru,  Iiaka- 

uiu. 
Emmener,  —  hakatari,  —  })atu, 

—  hakauga. 
Emonder,  —  horehore,  kokoti. 
Emotion,  —  inaiiava  ruru,  eete 

eete. 
Emo2isser,  —  inaniga,  nuiiiiga, 

punipuui. 
Empaqueter,  —  ai,  popo. 
Emp((rcr,  {s).  —  toô,  iko,  iko- 

iko. 
Empêcher,  —  tute,  tarupu,  tiaki. 
Empeser,  —  hakakivakiva,  horo, 


—  Iiakaihoilio. 

Empiéter,    —    hakatega,    liaka 

ariga. 
Emplâtres,  —  iiakapiri,   liaka- 

piri. 
Emplir,  —  uutu.  liakanegonego, 

inirihuri  titi. 
Emploi,  —  liaga  ;  =  donner  un 

emploi,  tuhi  ki  te  haga. 
Emplogrr,  —  toô,  haga. 
Empois,  —  pii-i. 
Empoisonnement,    empoisonner, 

—  liakauiageo. 
Emporter^ —  hapai  atu,  tao  atu; 

=  emporter  un  mort  on  blessé, 

tupatupa  ;   =  par  les  vents, 

pupuhihiîi. 
Empresser  (s'),   —   horaliorau, 

vevevp,  i)aka,  i)akapakakinia. 
Emprisonner,  —  pum  ki  te  hare 

[)o  hurihuri. 
Emprunt,  emprunter,    —    avai 

hakahou. 
Emu,  —  ruru,  eete  nianava. 
En,  —  ki,  ki  roto. 
Encaisser,  —  hahao. 
Enceinte,  —  pa. 
Enceinte,  —  tupu. 
Encens,  —  cm),  h^rr  ci  hoiho. 
EneJuDiter,  —  inahiii'o. 
Enclaver,  —  hakauru. 
Enclore,  —  [)a,  titi  ki  te  i)a. 
Encombrer,  —  hue,  puka. 
Euconrayer  —  tuki. 
Encore,  —  ki  hua. 
Encre,  —  garau. 
Endommager,  —  hakaripoi,  uio- 

niore  hihi. 
Endormir,  —  auru,  uioe,  niata- 

uevaiieva. 
Endosser,  —  hakapegopego. 
Endroit,  —  kooua  ;  =  éloigné, 

kooua  koroa. 
Enduire,  —  hakapipiri,  haka- 

ihoiho. 
Endurcir,  —  ihoiho,  pogeha  — 

mahaori  (ou  mahani). 
Endurer,  —  mou  noa. 


198 


LE    MUSÉOiN. 


Energie,  —  ihoiho,  inataii,  peu  ; 

=  sans  énergie^  pepeke,  mata- 

ku,  reherehe. 
Enfant^  —  poki  ;  =  enfance,  \)0- 

kihaga  ;  =  sans  enf.,  \)aa. 
Enfantement,  enfanter,  —  pore- 

ko,  topa,  topa. 
Enfer,  —  })okoga. 
Enfermer,  —  pin-ii,  ])iiru. 
Enfler,  —  liakauru. 
Enfin,  —  inaua,  mouga. 
Enflammer,  —  vera,  nra,  tutu. 
Enfler,  —  ahuahu  ;  =  âe  colère, 

luanava  eete. 
Enfoncer,  —  liukihuki,  oka.  lia- 

katoino,  hakaui'u. 
Enfouir,  —  tanu. 
Enfreindre,  —  pogeha,  pogolia, 

tariga  pogeha. 
Enfuir,  (s.),  —  tere,  lioro. 
Engager,  —  tuki. 
Engainer,  —  lialiao. 
Engendrer,  —  poreko. 
Engloutir,  —  emu,  garo  vuku  a. 
Engrais,  —  oone  ;  =  engraisser, 

hakatautau. 
Enhardir,  —  tae  matakù.  ilio- 

iho,  nuitatoa. 
Enivrer,  —  haka  makoua.  — 

niakona. 
Enjoué,  —  hakareka,  —  reka, 

koakoa. 
Enlacer,  —  hère,  hihihihi,  ta- 

kaikai,  migorigori. 
Enlaidir,  —  rakerake. 
Enlever,  —  too,  iko,  iiiau,  ha- 

pai  ;    =   tout,   paero,    peau, 

pahure. 
Ennemi,  —  enenii  ;  =  figure  en- 
nemie, mata  toua. 
Ennui,  ennuyer,  —  eve  ragara- 

ga,  ^=  pagaha  gogoroaa. 
Enorgueillir,  s\   —  teatea  — 

hakariva. 
Enorme,  —  uunui,  nui. 
Enquérir,  —  kimikirai,  —  ata 

kimikimi,  —  haka  rivariva. 
Enraciner,  —  rava  oho,  aka  to- 


toro. 
Enrager,  —  kokouiahurihiu'ike, 

kokouuT  hauohanoke,  =  faire 

cnragir,  hakapog(4ia,  hakaga- 

gau. 
Enrayer,  —  hakat<M-e,  liakaolio. 
Enregistrer ,  —  ta. 
Enrhunur,  —  kokogo.  —  tugu- 

tugn,  —  nuire,  hilii,  —  hupe- 

lnii)e. 
Enrichir,   —  hakaneyoneiio   la- 

kau. 
Enrouement,  enrouer,  —  gnrua- 

ra})uru.  —  i-eoi)uru. 
Ensanglanter,  -  tot<»,  kiUoto. 
Enseigner ,  —  akoako.  —  liaka- 

nuva. 
Ensemble,  —  i)iri  mai,  —  pnpn 

mai,  —  ananake. 
Ensemencer,  —  tanu,  keri. 
Ensorceler,  —  hakanivaniva. 
Ensuite,  —  ki  mûri,  i  mûri. 
Entaille,   —   kokoti  haga  ;  = 

faire  une  ent.,  kokoti. 
Entasser,  —  hue,  puke,  nego- 

nego. 
Entendrnient,  —  rogo  ;  =  ent<n- 

dre,  i(l.,  haka  rogo  ;  =  non- 
entendu,  garoa. 
Ente,  enter,  —  hakapa.  haka- 

piri. 
Enterrement,  —  tanu,  tanuaga, 

=  enterrer,  tanu. 
Entêté,  —  pogeha,  ihoiho. 
Entier,  entièrement,  —  ananake. 

ananake. 
Entonner,  —  rae,  —  tahito,  ta- 

hito. 
Entonnoir,  —  liatahata,  =  en 

user,  i(l. 
Entorse,  —  tarnri,  tumoku. 
Entortiller,  —  takaitakai,  hihi- 
hihi. 
Entour,  (à  V),  —  taka  taka,  vi- 

riviri,  varivari. 
Entourage,  clôture,  —  pa. 
Entourer,  —  varivari. 
Entrailles,  —  kokoma,  kopu, 


VOCAlJLLAir.E  DE  LA   LAXnii   DE  E  ILE-DE-P.VQUES. 


191) 


iii;iii;i\.i  ;  =-  les  (irrdchor,  lia- 
Iwitac  ;  iiiaiiiac  ]\(i|)ii.  (  don- 
Irnrs  d' entra Ulrs). 

l-'.niraiiwr,  —  totni.  kiiiiif. 

I-'ilfrcro-,  —  taiii|)ii.  Iiakaimui. 

loutre,  —  \,i('i;a.  ki\a(';;a. 

KnfnhdiJIcr,  —   W.A.x  inaiiia. 

Enflée.  —  iiiii^a,  =--  d  un  porf, 
liai^a  a\a . 

J\jifrel((cer,  —  liaka  iiniiirii.  lia- 
l^apckaix'ka. 

Entroncttre.  (s  ].  —  laiiipii. 

Entreprendre,  (ntrejn-ise.  entre- 
preneur, —  akuakii.  liaLia  rar. 

l'jitrer,  — uni,  mu  mai.  -^  pro- 
fondément, uru  noa. 

Entretenir,  entn  tien.  —  va  iiaua, 
(vaiiaiLia  likiriki,  enf.  léf/er). 

Entrevue,  —  tu[)uaki.  piri. 

Ivnuinérer,    -   tap.i.  kalapa. 

Enveloppe,    oirelu/'per,  ai, 

kaviii. 

Enverguer,  —  iiakaiiiu. 

Envers.,  —  i,  ki.  ia.  kia  ;  =^ 
V envers,  iakai>au. 

Envie,  envier,  —  a  te  hopu. 

Environ,  —  |i(  alia. 

Envoler,  (s'env.),  —  vevr. 

Envoi,  envoyer,  —  u,L;a.  Iiaka 
olio. 

Epais,  épaisseur,  éjiaissir,  — 
liakaiiiatoi'utoru.  liakaix'iiDpc- 
go  ;  ^^  épais,  ])eg()peu(),  uiato- 
rutoru. 

Epanchemcnt .,  épanch  r ,  —  uiiii 
iiiui,  liakci  i)orijii. 

Epanouir,  —  palioni,  uialaki. 

Epargner,  (homme), —  luikaaio- 
lia,  ]-ayi  ;  =  chose,  liakai'crc 

Kpars.  —  varavai'a. 

Epaule.  —  kapuivi,  —  liolu  — 
kapuivi. 

Epée,  —  îiô. 

Eperon,  —  ix'kc 

Epervicr,  —  kupc^a. 

Epier, —  ui,  luinc,  niatapupui-a. 

Epilé,  — 

Epilepsie,  —  gita. 


Epmc,  épineux.  —  tara,  pipi  ; 
=  ép.  dorsale,  tua  i\  i  ;  =  de 
poisson,  ivi  x\\<:\  :  ^=  d'arbre, 
tara. 

l'pingle,  —  uialalit'tuki'. 

i'.pissnrc.   épisser.   —  liakania- 

Eponge,  —  uiiiuapi'a  ;  ^=  prend, 

niili  l'i  iiiriiiapi'a. 
Ep(j(jue,  —  tau. 
Kpouse,  —  \  ic  ;  =  épouser,  uo- 

jiu  vie  ;  =  époux,  kt  nu. 
Epouvantable,     —     vcriverikt', 

('(_'!('.  rakorakckc. 
Epouiruifer,  —  lutc  liakain.ila- 

ku,  liakapai'ciM. 
Epreuve,  —  luki,  luki,i^a. 
I\!puiser.  — mou.  Iiakaniouniuu. 

pa<',   liakaj)a('  ;    =  de  fièvre, 

rauliiva. 
Ijjuarrir,  —  tarai  ;  ^=  éaaarri, 

tarai  a. 
Equipfige. 
Equitable.  —  lilika.  tau,  lucita- 

ki. 
Eipiiv<dent,  —  ctalii,  liakarite. 
Ergot,  —  uiaikuku. 
Eriger,  —  liakatuu,  liakaniau. 
Errer,  errant,  —  uivauha  ;   =- 

erreur,   errata,    liara  ;  ^  in- 
duire en  erreur,  luikareorco. 
Erudit,  érudition,  —  maori. 
Escabeau,  — -  rai^o  rago,  ahealie. 
Escalader,  —  rerc,   kctu,  topa 

kiraro. 
Escarpé,  —  varc  \-avv. 
Escarpolette,  —  liiriliiri. 
Esclave,  —  kio,    raga  ;  =  faire 
esclave,  lia/v  a  kio,  haka  rai^a. 
Escorter,  —   luirai,  liakatari. 
Escrimer,  —  oliu. 
EJspace,  —  ava  ;  =  espacer,  \a- 

ravara,  hakavaravara. 
Espèce,  —  liakarite. 
Espérer,   —   tatari,    atiati  ;   = 

espoir,   tatarihaga  ;  =   sans 

esp.,  meu  a. 
Espion,  —  inata  pupura. 


200 


LE    MUSÉON. 


Esprit,   —   kuliaue  ;    =    âme, 

akuaku,  =  [Dieu)  esprit  vrai 

Etua. 
Esquisse,  —  pepe. 
Esquiver,  —  talia,  —  liipa. 
Essaim,  —  takaure  uiarere  ke. 
Essai,  —  essayer,  akoako,  ako- 

akoga,  rae. 
Essence,  —  eo  ;  =  essence  d'. 

Dieu,  natura. 
Essoufflé,  —  i^aegae,  hagu. 
Essuyer,   —   lioroi,   =  es.    les 

mains,  rima  kopiko])i, 
Est,  vent  d'est,  —  puku  liaga 

oao,  haga  oao. 
Est-ce-que,  —  hoki,  =  ro  {après 

un  mot). 
Estimahle,  estime,   estimer,    — 

hakaaroha.. 
Estomac,  —  keo  ;  =  mal  (V esto- 
mac, mate  keo  ;  ==  soulever 

l'est.,  liakahia,   =  kerereki, 

kerereki. 
Et,  —  e,  —  mee  ;  =  signifiant 

avec,  niee,  ma,  piri.  i 

Etabli  —  rago. 
Etablir,    —    hakatuu  ;   =  être 

bien  établi,  mau  noa. 
Etage,   —  horega  ;  =  de   bas 

étage,  kio,  tagata  rakau  kore. 
Etain,  —  mamara  ;  =  étauier, 

hakaraparapa. 
Etaler,  —  horahora,  —  tamaki  ; 

=  étaler  les  pierres  du  four, 

uru  ;  ketuketu,  puopiio. 
Etancher,  —  hakaïuiu,  ora,  ma- 

kona  ;  =  étanche,  puni,  ko- 

mokomo. 
Etat,  —  haga. 
Etau,  —  hakapiri. 


Etayer,  —  toga,  togatoga  ;  = 
étai,  id. 

Eté,  —  h  ora. 

Eteindre,  —  tigai  ;  =  s'ét.,  mou, 
mate,  hakamate. 

Etendre,  —  liorahora,  tauaki, 
hakararoa. 

Etendu,  —  la  main,  haro,  ou  le 
pied,  hakaroroa  ;  =  le  linge, 
tauaki  ;  =  de  son  long,  moe. 

Etendue,  —  roa,  roaga. 

Eternel,  —  etereno,  —  ina  kai 
mou. 

Eternuer,  —  telii  ;  =  éternue- 
ment,  id. 

Etincelcr,  étincelle,  —  pipi,  ahi- 
pipi. 

Etiolé,  —  i)ipi. 

Etoffe,  —  kahu,  kao,  tapa. 

Etoile,  —  heetuu,  heetuu  rere, 
^ét.  brillante,  heetuu pupura; 
=  du  matin,  heetuu  tauhoru. 

Etonner,  —  matakuke,  eete, 
inaharo,  manava  eete. 

Etouffant,  —  mahana  nui,  hero- 
hero,  giigii. 

Etouffer,  —  aguagu. 

Etoiipe,  —  verevere. 

Etourderie,  —  uivaniva  ;  = 
étourdi,  étourdissenient,  étour- 
dir, —  moko,  pour  toute  accep- 
tion. 

Etrange,  —  mataku  ke. 

Etranger,  —  tagata  hiva,  etua. 

Etrangler,  —  hère,  hita,  =  par 
Veau,  kutokuto  ;  =  avec  l. 
mains,  gatu;  =par  une  arête, 
gao  pu,  oroiua,  pukuhina. 

Etre,  —  comme  le  dict. . .  (  i)  Dieu 
est  :  aiua  ra  te  Etua. 


(1)  Le  R.  P.  Roussel  fait  sans  doufe  allusion  au  Dictionnaire  de  la  Langue 
Tahitienne  de  Mgr.  Jaussen,  qu'il  avait  en  mains.  Voici  ce  que  nous  y  trouvons 
au  mot  Etre  :  v.  subst.  présent  et  futur  :  e  ;  —  passé,  i  Ùa  ;  —  impératif,  a,  e  ; 
—  subjonctif,  la  ;  —  présent  de  Vindicatif,  te...  ia  ;  —  imparfait,  te...  ra.  — 
«  A  été  «,  sera  en  conséquence  :  e...  ai,  i...  ai.  Devant  les  noms  et  les  pronoms, 
aux  trois  temps,  à,  6...  la.  Ce  n'est  pas,  e  éne,  e  ère.  (Exister)  vrai,  n.  Dieu  est, 
te  vai  nei  te  Atua.  Je  suis  celui  qui  suis,  o  au  te  vai  nei  au.  (Dictionnaire  de  la 
Langue  Tahitienne,  par  Mgr.  Jaussen,  V^  édition,  p.  30). 


VOCABULAIRE  DE  LA  LANGUE  DE  L  ILE-DE-PAQUES. 


-201 


Etrier,  —  pu. 

Etroit,  —  rikiriki. 

Etudier,  —  akoako.  haka  luaa. 

Etui,  —  pahu  rikiriki. 

Eucharistie,  —  Eukaritia. 

Eux,  —  raua. 

Evacuer,  —  tetere. 

Evader,  (s'),  —  ora  ;  =  faire 

év.,  liaka  ora. 
Evaluer,  —  luauau,  —  hakari- 

variva. 
Evanç/éliser,  —  akoako,  —  haka 

maà  kite  evagerio. 
Evanouir,  —  gaga. 
Eveiller,  —  ora,  haka  ora  ;  ^= 

en  sursaut,  veveri. 
Evénement,  —  atoga. 
Eventail,  —  pu])Lihi. 
Eventrer,  —  hakatee. 
Evêque,  —  epikopo. 
Evident,  —  luaâ,  niaà  maaki. 
Evider,  —  huri. 
Eviter,  —  hipa. 
Exact,  —  titika. 
Exagération,  exagérer,  —  haka- 

ripoi,  hakauui,  hakaimnui. 
Exalter,  —  paru  ;  ^  soi-même, 

paru  kiaia. 
Examen,  examiner,  —  kiaiiki- 

mi.  —  ata  ui  ;  —  mata  mata- 

ki. 
Exaucer,  —  liaga  mai,  haga  uo 

mai. 
Excavation,  —  keri,  keriga. 
Excellence,  excellent,  —  rivari- 

va,  meitaki  ;  =  exceller,  riva- 

riva  atu. 
Excepté,  —  mea  ke. 
Excitation,  exciter,  —  uga  mai  ; 

=  ex.  au  mal,  id. 
Exclure,  —  haka  noho,   haka- 

hori. 
Excrément,  —  tutae. 
Excuse,   excuser,  s'excuser,  — 

tae  hakaripoi. 
Exécrable,  —  vaveri,  veverike, 

—  rakerake  uunuike. 


Exécuter,  —  hakapae. 
Exemplaire,  exemple,  —  haka- 

tuu,  hakatuu. 
Exempter.  —  liakaiioho. 
Exercer,  —  akoako,  hakamaà. 
Exhausser,   —    hakaruga    nui, 

hapaikiruga. 
Exhortation,  exliorter,  —  uga. 
Exigence,  exiger,  — hiohio, — 

uaua. 
Exigu,  —  rikiriki,  itiiti,  moko- 

moko,  kaikai. 
Exil,  exiler,  —  raga. 
Exister,  —  ora,  tuu. 
Exorciser,  —  tute  tiaporo. 
Expédient,  —  uga,  hakauga. 
Expérience,    expérimenter,    — 

maà,  maori. 
Expiation,  expier,  —  hakahere, 

hakakore,  hakaritoiito. 
Expirer,  —  mate,  agu  mou. 
Explication,  expliquer,  —  haka- 

rivariva  mai,  rakei. 
Exposer,  —  hakarere,  --=  à  Vair, 

hakahahau,  haka  mahia,  tau- 

aki. 
Exprès,  —  luaà. 
Expression,  —  ki,  kihaga,  vana- 

ga. 
Expulser,  —  tute,  uga,  kakai, 

hakatere. 
Exquis.  —  rivariva  ke. 
Extasier,  —  mahara,   manava 
mate. 
Extérieur,  —  no  aho  ;  =   bel 

extérieur,  akari  riva  riva. 
Exterminer,  —  tigai,  —  haka- 

mate,  —  avaava,  haka  mou. 
Extinction  —  mouga. 
Extirper,  —  kume,  haro,  totoi, 

toô. 
Extorquer,  —  toko,  toketoke. 
Extraction,  extraire,  —  kume, 

hapaikiruga. 
Extraordinaire,  —  hakarite  ke. 
Extrême,  —  nunui. 
Extrémité,  —  agu  potu. 


202 


LE    MUSÉON. 


Fahie,  —  rt^ji-eo,  —  tapapoki. 

taga[)oki. 
Fabricant,  fabriquer,  —  haj^a. 
Face,  —  arijïa,  mata. 
Fâcher,   —  kokoina,    hni'iliuri. 

kokoma  eete. 
Facile,  —  inaâmaâ,  inea  no  iti  ; 
Façon,  façonner,  facteur,  —  La- 

ga. 
Factieux,  —  tagata  ki  toiia. 
Faculté,  —  huega. 
Fade,  — vaivai,  migoiiiigo,  ojx - 

ope. 
Faible,  —   l'elieit^lio,  riliai'iha, 

pepeke,    rauhiva  ;   =  par  la 

faim,  nianiaki. 
Faillir,  —  mai  ;  =  il  faillit  pé- 
rir, mai  mate  ia. 
Faim,  —  maruaki.  —  ogc,  — 

agôâgo. 
Fainéant,  —  vaia})Uga,  —  iiolio 

no. 
Faire,  —  haga,  =  à  la  légère, 

hagahorahoran  ;    =    inutile- 
ment,  hagatopa  ;   =  ne  rien 

faire,  vai  apnga  ;  =  ne  savoir 

que  faire,  id. 
Faisceau,  —  iiraga. 
Fait,  accord  fait,  —  titika,  lia- 

katitika. 
Faîtage,   faîte,  —   iialiaga  ;  ^ 

d'une  colline,  mouga. 
Faix,  —  uraga,  —  amaga,  — 

liapaihaga,  lunu. 
Falloir,  nécessité  de,  —  mec  ka, 

—  e  mea  ka  ;  —  falloir,  v.  n., 

titika  a,  titika  liia. 
Falsification,  falsifier,  —  haka- 

euru,  hakahiiioi,  hakari])oi. 
Famé,  fameux,  —  nui, —  nimiii, 

menege  ;  =  rendre  fameux, 

hakariva,  riva  ke. 
Familiarité,   familier,   —    ma- 

hani. 
Famille,  —  ivi  ;  =  /'.  désunie, 

ivi  kakaimai  liakaiatii. 


Famine,  —  maniaki. 

Fanal,  —  paliualii. 

Faner,  (se),  —  ])akapaka,  — 
mae,  giigii. 

Fanfaronnade,  —  teatea,  ma- 
iiaro. 

Fange,  —  oone  ;  =  fangeux, 
ooue  uo. 

Fantasque,  fantaisie,  —  haka- 
riteke. 

Fantôme,  —  kuhaue,  mea  moe 
mata. 

Faquin,  —  teatea. 

Farce,  —  reka  ;  =  farce  d'her- 
bes, tao. 

Fardeau,  —  uraga,  amoga. 

Farine,  —  haraoa. 

Farouche,  —  manua. 

Fasliionable,  —  teatea. 

Faste,  fastueux,  —  id. 

Fastidieux,  —  pogeha,  liikapa- 
gaha. 

Fatigant,  fatiguer,  —  pagaha, 
haganui,  =  gogoroaa,  —  pa- 
liiake. 

Faucher,  —  kokoti. 

Fausser,  —  haka  kemo,  —  lia- 
ka)-eoreo  ;  =  faux,  reoreo. 

Faute,  —  rakerake,  rakerakega. 

Fautif,  —  hara  ;  =  faux,  reo- 
reo ;  =  faux  témoin,  mata 
tikea  reoreo,  tagata  reoreo. 

Faveur,  favoriser,  —  tarupu, 
hakahiohio. 

Favori,  —  hakakonakona. 

Fécond,  —  horahorau  ;  =  ani- 
mal, porekoreko. 

Feinte,  feindre,  —  liakake,  lia- 
kakehu. 

Fêler,  —  gaâ . 

Féliciter,  félicitât  ion,  —  ragi, 
hakauga. 

Femelle,  —  uha. 

Femme,  —  vie  ;  =  /'.  âgée,  nue- 
hine  ;  =  /'.  criarde,  vie  poge- 
ha,   pogelia  ;   =  brune,   vie 


VOCABULAIRE  DE  LA  LANGUE  DE  L  ILE-DE-PAQUES. 


205 


huriburi. 

Fendre^  —  avahi,  kokoti,  tehe. 

Fente,  —  avaava,  —  parehe. 

Fenêtre,  —  haha. 

Fer,  —  ohio. 

Fer-blanc^  —  oliioraparapa,  ra- 
parapa. 

Ferme,  —  hakarava. 

Ferment,  fermenter,  —  pupuhi. 

Fermer,  —  puni,  papae. 

Fermier,  —  kio. 

Féroce,  —  gagau. 

Ferrer,  —  hakaraau  ei  ohio  ;  — 
ferrure,  taviri. 

Fertile,  —  toutou,  =  fertiliser, 
hakatoutou,  taiko,  hakataiko. 

Fervent,  ferveur,  —  ravapure. 

Fesse,  —  takieve. 

Festin,  festoyer,  —  kai,  ragikai. 

Fête,  —  uru,  topa  ;  =  fêter,  id. 

Fétide,  —  pipiro. 

Feu,  —  vahi  ;  =  mettre  le  feu, 
tutu. 

Feuille,  —  rau,  tuke  ;  =  gran- 
des feuilles,  raupa  ;  =  f.  flé- 
tries, raupakapaka  ;  =  /".  de 
bananier,  hoke  ;  =  f.  de  dra- 
cena,  rauti  ;  =  f.  d^ariim, 
raukape  ;  =  sans  f.,  tuke  pa- 
ka. 

Feuiller,  —  patu,  holiora. 

Fibre,  —  uaua. 

Ficelle,  —  taura  ;  =  ficeler, 
hère . 

Ficher,  fiche,  —  titi,  titi. 

Fidèle,  —  ragi  nui,  —  tariga 
hakarogo. 

Fiel,  —  au. 

Fiente,  —  tutae. 

Fier,  fierté,  —  hakariva,  haka- 
rivaga. 

Fier,  —  se  fier. 

Fièvre,  —  ruru,  tetetete  ;  = 
frisson,  ruru. 

Fifre,  —  hura,  pu  hura. 

Figure,  —  mata,  ariga,  karoga  ; 
=  f.  blême,  ariga  rauhiva  ; 
=  /'.  belle,  mata  hurihuri,  ma- 


ta ritorito  ;  =  /.  tâchée,  kino. 
Figurer,  —  noho  ;  =  se  figurer, 

manau. 
Fil,  —  taura  ;  =  fil  de  Vépée, 

panepane,  kaikai,  ariari,  ka- 

higa. 
File,  —  hakarauga. 
Filer,  —  hiro. 
Filet,  —  kupega  ;  =le  faire,  ha- 

k  a  mata. 
Fille,  —  tamaahine  ;  =  adop- 

tive,  too. 
Filou,  —  toketoke. 
Fils,  poki  ;  ==  fils  unique,  hua- 

atalii  ;  =  dernier,  hagupotu  ; 

^^  fils  aîné,  atariki. 
Fin,  —  gorigori,   rikiriki  ;  — 

finesse,  maori. 
Fin,  —  niau,  mouga,  =  potu. 
Finir,  —  mou,  pae,  liakapae. 
Fiole,  —  hipu  hiva. 
Firmament,  —  ragi. 
Fissure,  —  gaà. 
Fixer,  —  haka  nui.u,  hakahio- 

hio,  —  titi  ;  =  n'être  pas  fixé, 

tae  m  au. 
Flageller,  —  puopuo,  tigitigi. 
Flageolet,  —  pu  hm'a. 
Flairer,  — 
Flambeau,  flamber,  —  hakapu- 

ra,  vera,  ura  ;  =  flamme,  ura. 
Flanc,  —  tipi,  —  kaokao  ;  = 

être  sur  le  flanc,  hakataha. 
Flâneur,  flâner,  —  vaiapuga. 
Flatter,   flatterie,   —    maharo, 

maharohaga. 
Flatulent,  flatuosité. 
Fléau,  —  gagoroaa,  —  pagaha 

ke. 
Flèche,  —   veo  ;  =  /'.  qui  vole 

mal,  veo  piko  piko. 
Fléchir,  —  hakapava,  tarupu. 
Flegme,    —    kukumukivakiva, 

kukumu,  tae  kakata. 
Flétrir,  —  mae,  pakapaka. 
Fleur,  —  pua  ;  de  bananier,  ve- 

keveke. 
Fleurer,  —  paha. 


204 


LE    MUSÉON. 


Fleurir,  —  buaa. 
Flexibilité,  flexible,  rendre  flexi- 
ble, —  gaiei,  tae  hiohio. 
Florissant,  —  l'ivariva. 
Flot,  — ehu  tai,  pipi  -^^  flots  qui 

se  choquent,  popo,  papakina. 
Flotter,  —  raga,  ragaraga. 
Fluet,  —  roroa. 
Fluide,  — vai. 
Flûte,  —  pu  hura. 
Flux,  —  hati. 
Foc,  —  kahutova,  —  kahu  lia- 

katepetepe. 
Foi,  —  keretohaga  (moderne). 
Foie,  —  ate  ;  =  douleurs  de  foie, 

mate  ate. 
Foin,  —  moukii  pakapaka. 
Fois,  —  kuj)!!,  kupii  ;  =  combien 

de  fois,  eliia  kii])u  ;   =  à  la 

fois,  ananake. 
l'oison,  qui  foisonne,  —  mau  nui. 
Folie,  —  nivauiva. 
Fomenter,  —  hakatotopa. 
Foncé, —  huri  huri,  —  kerekere. 
Fond,  —  parera,  parera  tai  ;  = 

fond  de  la  mer,  eeve  ;  =  fond 

de  chapeau,  puoko. 
Fondation,  fondement,  —  paega ; 

=  sans  fond,  tuniu  kore. 
Fonder,  —  liaka  meitaki,  liaga. 
Fondre,  —  toto,  kutoto  =  telie. 
Fontaine,  —  puua,  taheta,  ta- 

lieta  pu. 
Force,  —  matau  ;  =  f.  d''affec- 

iion,  mauava  mate,  mate  ;  = 

égale  force,  etahi,  hakarito  te 

matau  ;  =  par  force,  hiohio  ; 

^=  forcer,  hakahiohio. 
Forfait,  —  rakerake. 
Forger,  —  tigitigi. 
Formaliser,  se  f.,  —  kokomahu- 
.  rihuri,  —  haiiohano. 
Formalité,  —  hakatitikaga. 
Forme,  —  hakatuu. 
Formel,  —  titika. 
Former,  —  haga,  hakatuu. 
Formidable,  —  mataku  ke. 
Formule,  formuler,  —  ragi,  va- 


naga. 
Fornication,  forniquer,  —  hai. 
Fort,  —  mataù,  hiohio. 
Fortification,   fortifier,    —   pa, 

haka  ihoiho. 
Fortuit,  —  iua  e  tumu,  tumu 

kore. 
Fosse,  fossé,  —  rua,  pokopoko  ; 

—  fosse,  rua  papaka. 

Fou,  —  nivaniva, —  eheva,  ehe- 

va. 
Foudre,  —  Atutiri,  —  homo  ;  — 
Foudroyer ,  mate  atutiri. 
Fouet,  fouetter,  —  pupu  taura, 

—  tata  ei  taura. 
Fougère,  —  nehenehe. 
Fougueux,  —  manava  hanoha- 

no,  kokoma  huriluiri. 

Fouiller,  —  keri,  are,  okaoka, 
matamataki,  =  uiui,  fuir. 

Foule,  —  gagata,  huega  ;  =  en 
foule,  piri  mai. 

Fouler,  —  reirei,  gatugatu. 

Four,  —  umu. 

Fourbe,  fourberie,  —  reoreo 

Fourbir,  —  hiirihuri,  horohoro. 

Fourche,  —  magaga  ;  =  four- 
chette, okaoka. 

Fourmi,  —  roe. 

Fournaise,  —  ahi. 

Fournir,  —  avai,  mau  ;  =  être 
fourni,  uego,  titi. 

Fourré,  —  pegopego,  maruma- 
ru,  pouri. 

Fourreau,  fourrer,  —  takapau  ; 
=  fourreau,  kete,  hahao. 

Fracas,  —  papakiua. 

Fracasser,  fracture,  —  gaà,  ati, 
aati,  more. 

Fraction,  —  morega,  horega. 

Fragment,  —  huga  huga,  ho- 
rega. 

Frai,  —  koura. 

Fraîcheur,  fraîchir,  —  hahau, 
pupuhi  ;  =  frais,  hou. 

Franc,  français,  —  harani  (mo- 
derne). 

Franchir,  —  keetu. 


VOCABULAIRE  DE  LA  LANGUE  DE  L  ILE-I)E-PAOUES. 


205 


Frange,  —  tapa,  tapatapa. 
Frapper,  —  puopiio  ;  =  f.  Veati, 

lietu  hetii,  pokopoko,  ruru,  = 

/'.  main  contre  main,  rotu  rotu  ; 

=  f.  du  maillet,  tigi  tigi,  tigi- 

tigi. 
Fratricide,  — 
Fraude,  frauder,  —  reoreo,  to- 

ketoke. 
Frayer  un  chemin,  —  aino. 
Frayeur,  —  mataku,   nianava 

hopohopo. 
Frein,  —  pe>na  liakagan. 
Frêle,  —  rikiriki. 
Frémir,  frémissement,  —  mana- 

va  oetc. 
Frénésie,  être  en,  —  uivaiiiva, 

rupou. 
Fréquent,  —  putui)utu. 
Fréquenter,  —  piri,  pirii)utupu- 

tu. 
Frère,  —  teina  ;  =  f.  aine,  tn- 

akaua  ;  =  cadet,  teina  ;  ==  ses 

frères,  teiua. 
Frictionner,  —  akui  ;  =  bois, 

liorolioro. 
Fripon,  —  toketoke. 
Frire,  —  tuiiu. 
Frisé,    —     miiiiiiiri,    liiiihiri, 

inikaniika,  pHkajjeka. 
Frisson,  frissonner,  —  ru,  luru, 

papapapa. 
Frivole,  —  vevega  kore. 
Froid,  froideur,  —  tekoo,  inaui- 

ri,  papapa})a,  liaiimani. 
Froisser,  —  liorolioro. 
Frôlement,  — 
Froment,  —  liaraoa. 
Froncer, —  hilii  ketuketu,gaeiei. 
Fronde,  —  liiii'a. 


Front,  —  korae  ;  =  large,  korae 
pai-aralia  ;  =  découvert,  korae 
marego  ;  =  ridé,  korae  mimi- 
go  ;  =  presque  chauve,  iiiara- 
go. 

Frontière,  taha  talia. 

Frontispice,  —  aro. 

Frottement,  frotter,  —  lianliau, 
akui. 

Fructifier,  faire  f.,  —  liakatiti, 
liakanegouego. 

Frugal,  —  tae  rave  kai,  inana- 
va  iti  iti. 

Fruit,  —  kai,  niokai,  liuaà  ;  = 
jeune,  liuaa  valiio,  huaa  tae 
oko  ;  =  sec,  pakapaka,  [lara- 
ruga  ;  =  ahortif,  mac  ;  = 
chargé  de  fr. ,  uegoncgo. 

Frustrer,  —  iko,  toô,  vaiapuiia. 

Fugitif,  —  tore,  uiauua. 

Fuir,  —  tere  ;  =  faire  fuir, 
liakatoi'e,  tuto. 

Fumée,  —  aualii.  tuu  alii  ;  =  à 
mauvaise  odeur,  kiokio,  liae, 
inamio  au. 

Fumer,  —  puhipulii  ;  ^  le  ta- 
bac, oiuoomo,  puhi[)ulii. 

Fumier,  —  tutae. 

Funérailles,  —  taiiuaga  papaku. 

Fureur,  furie,  —  kokoina  liuri- 
Iniri  ;  =  avec  fureur,  luataù. 

Furibond,  —  tarotaro,  mauava 
tona. 

Furoncle, —  arakoa,  tao,  luaki. 

Fusil,  —  liago,  liago  ;  =  fusil- 
ler, liago  mai. 

Fîi  faille,  —  pahu. 

Futile,  —  \evegakore, 

Futur,  —  karorimai. 

Fuyard,  —  tetei'e. 


Gage,  —  akatari. 

Gager,  gageure,  —  mamalii. 

Gagner,  —  rava,   rava  a  mai, 

raorava. 
Gai,  —  reka,  hakareka. 


G 


Gain,  —  akatarika. 
Gaine,  —  hahao. 
Gale,  —  mageo. 
Galet,  —  tokotoko. 
Galop,  galopper,  —  tohuti. 


^206 


Le  musèon. 


Gangrène,  —  pipiro,  tao. 
Gant,  —  tokiai  rima. 
Garantie,  —  iiiamahi. 
Garçon,  —  taniaroa. 
Garde,  —  ara,  tiaki. 
Garde-manger,  —  pahupopokai. 
Garder,  gardien,  —  tiaki. 
Garer,   se  garer,   —  hoi   atu, 

maeha  atii. 
Gargariser,  se  g.,  —  haka  riito- 

riito. 
Garnir,  —  haka  matoru,  haka- 

piri. 
Garroter,  —  hère. 
Gâteau,  —  pakapaka. 
Gâter,  gâté,  —  pipiro. 
Gauche,  —  matau,  rima  matau  ; 

=  côté  g.,  kao  kao  matau. 
Gauchir,  —  hakataha,  huri,  pa- 

tu. 
Gaze,  —  haku  rahi  rahi. 
Gazon,  —  niouku,  mouku. 
Gazouillement,    gazouiller,    — 

reo  hire  hire. 
Géant,  —  tagata  roroa. 
Gémir,  gémissement.  —  tatagi, 

peupeu,  =  eki  eki,  hakaku. 
Gênant,  —  hakapagaha. 
Gencive,  —  hakau. 
Gendre,  —  hunoga. 
Généalogie,  faire  la  g.,  —  tata- 

ra,  hakatotopa. 
Gêne,  gêner,  —  pagaha,  haka- 
pagaha. 
Général,  —  ananake,  arurua. 
Généreux,  —  atakai,  rima  ata- 

kai,  rekireki,  horahorau. 
Genou,  —  turi  ;  =  tomber  à  g., 

turi  tiiku. 
Genre,  —  hakarite. 
Gens,  tagata  ;  =  jeunes  gens, 

tugutugu,  2jOur  les  deux  sexes. 
Gentil,    —    mata   ritorito  ;   = 

gentils,  eteni. 
Génuflexion,  —  uoho  turi. 
Gercer,  —  gaà. 
Gérer,  —  hakarivariva. 
Germe,  — tupu,  puneki,  pukou; 


=  germer,  id.  ;  —  faire  ger- 
mer, hakatupu. 

Giberne,  —  keete. 

Gingembre,  —  pua,  kiata, 

Giraumont,  —  mautiui. 

Glace.,  miroir,  —  huira. 

Glaire,  glaireux,  —  varevare. 

Glaive,  —  kanamunamu,  eka- 
eka,  kouakona,  one. 

Gland,  —  aratua. 

Glande,  —  gamamari. 

Glaner,  —  tuatua. 

Glisser,  —  poroieko  ;  =  faire 
gl.,  hakaura. 

Glorifier,  .se  glorifier,  —  tea, 
ritorito,  maharo,  naponapo. 

Glouton  — ravakai,  namuuamu. 

Gluant,  glu,  —  pipiri,  pipiri. 

Gobelet,  —  hipu. 

Goélette,  —  miro  tuu  e  rua. 

Gomme,  gommer,  —  pipiri,  ha- 
kapipiri. 

Gond,  — 

Gonflement,  gunfler,  —  ahu,  pu- 
puhi,  takapau,  garepe,  karu- 
karu. 

Gorge,  —  gao. 

Gorger,  —  mahaga  puku. 

Gosier,  —  guru  liara,  tuke  gao 
uoku  uoku. 

Goudron,  —  piere  hiva  ;  =  gou- 
dronner, hakapiere  hiva,  pua, 
akui  ei  piere  liiva. 

Gouffre,  —  parera. 

Goulu,  —  veve  veve,  horolioro. 

Gourde,  —  hue. 

Gourmander,  —  tarotaro,  haka 
rivariva. 

Goût,  goûter,  —  omoomo,  miti, 
hakatu. 

Goutte,  —  mata,  turu. 

Gouvernail,  —  uira.  liakateka- 
teka. 

Gouvernement,  —  ao  ;  =  gou- 
verner, hakariva. 

Gracieux,  —  ritorito,  uiagaro. 

Grâce,  —  karatia  (moderne). 

Gradin,  —  pikiga. 


VOCABULAlKF,  DE  LA  LAN(ilE  DE  l'iLE-DE-PAQUES.         207 


Graduellement,  —  koroiti. 
Grain,  graine,   —   mokoi  ;   = 

grosses  (jrainrs,  karu. 
Graisse,  —  iiako  ;  =  graisser, 

akiii,  i)ua. 
Grand,  —  nui,  imimi,  nienege, 

roa . 
Grandeur,  —  uui^a,  roaga. 
Grandir,  —  teitoi.  rori^a,  niene- 
ge. 
Grand' mer c,  grand'père,  —  tu- 

l)una  taina  aliinc,  tupuna  ta- 

nia  roa. 
Grappe,  —  kalnii. 
Gras,  —  tunraga,   liotonuiniii, 

liotupararalia 
Gratifier,  —  akatari. 
Gratis,  —  avai  nomai,  —  avai 

taliaga  nomai. 
Gratter,  —   liaulian.    koiikcii, 

n<'knn('kn  ;  =  I/i  terre,  liaka 

lien.  rapn.  k^'iikcu. 


Griffe,  —  maikuku,  magamaga. 

Griller,  —  hakapakapaka,  ha- 
kaveravera. 

Grimace,  grimacer,  —  hakami- 
gomigo,  hakapaupau. 

Grimper,  —  piki  ;  ==  faire  grim- 
per, liakapiki. 

Grincer , grincement,  —  uihototp. 

Gris,  grisâtre,  —  liuriliuri, 

(hogner,  —  gorogoro,  kogoko- 
go  ;  —  faire  g.,  liakagorogo- 
,  l'Ogo. 

Groin,  —  guta  gutugutu. 

(Grommeler,   —    haliumnlmniu. 

Gronder,  gronderie.  —  kakai, 
toua. 

Gros,  —  nui,  meuege.  —  gros- 
seur, grossir,  id. 

Grossier,  —  tae  riva. 

(}roupe,  —  liuega. 

(rruger,  —  liakakorc,  liakaniou, 
liakapagalia. 

Gué,  — koakoa.  liaLirrka. 


Grave,  —  liaka  iiiolii,  ariga  to 

pakiraro,  —  liakakiva,  liaka  ,    Guérir,  —  hakaora,  liakariva. 

kivakiva  —  g(Mi.  ;    (riierre,  —  toua. 

Gravier,  —  oone.  i    Guerrier,  —  niatatoa  ;  =  liardi. 

Grés  —  tagi,  liaga.  !        niataù  ;  =  intrépide,  actif,  id. 

Greffe,  —  liakapiri  ;  =  greffer,  Guerroyer,  —  hakatoua.  toua. 

id    liakaiiru.  Guetter,  —  pik*;,  liakakehu. 

Grelotter,  —  l'u.  ruru,   pajj.iiia-  Gueule,  —  liaka. 

pa  —  iiicniri.  Gueux,  —  kaikinu,  rakaukore. 

Grésiller,  —  pugalicu,  iniliimilii.  !    Gui,  —  jiohiuliiu. 

Grève,  —  liaga.  '■    Guide,  —  liakatari. 

Grief,  fsidjst  ),  —  liakapagalia.  1    Guirlande,  —  lioi,  niuiko,  iiini- 

Grief,   (adject.),  —  a  nui,  oko,  '       ro,  vavari. 

okokc.  1 


H 


Hahile,  habileté,  —  inai>ri,  iiiaa, 

niaaki. 
Habiller,  —  puo,  ui'u. 
Habit,  habillement,  —  tapa,  kao, 

kahu  ;  ^=  h.  nouveau,  hou. 


Habitude,  —  nialiani  ;  ==  habi- 
tué, habituer,  id. 

Hache,  —  i)eu  ;  =  de  pierre, 
toki,  =  mal  emmanchée,  peu 
pakoa. 


Habitant,    —    nolinno.    tagata      Hacher,  —  kokoti. 
noliono.  I    Haie,  —  pa. 


Habitation,  —  liiirc 
Hahiter,  —  uoIk». 


Haillon,  —  giogio. 

Haine,  —  k(dcoina  liui'iliuri. 


â08 


LE    MUSÉON. 


Hair,  —  id.  kokoina  hanohano. 

Haleine,  —  agu  ;  =  hors  d'h. , 
gaegae,  agu  agu  ,  =^  h.  mau- 
vaise, bahapipiro  ;  =  prendre 
h.,  hakaora,  ora. 

Haler,  —  aguagu. 

Haleter,  —  hakaomoomo. 

Halte,  —  noho,  hue  no. 

Hameçon,  —  rou. 

Hanche,  —  tuaapapa. 

Hangar,  —  harepnpo. 

Haranguer,  harangue,  —  vana- 
ga. 

Harasser,  —  pagalia,  mou. 

Hardi,  hardiesse,  —  mataù,  tao 
mataku. 

Haricot,  —  pipi. 

Èarpon,  —  veo. 

Hasard,  —  peaha. 

Hâte,  —  àla  h.,\e\e,  })apakuia, 
liora,  horau,  =  se  hâter,  id. 
tohuti . 

Hausser,  —  hapai  kiruga. 

Haut,  —  kiruga,  —  kiruga  nui. 

Hautain,  —  tea,  id. 

Hauteur,  —  kirugaliaga. 

Hélas  !  —  aue,  ue. 

Hémorragie,  —  tahe  toto,  telip 
toto,  niui  uiui,  koto  koto. 

Héraut,  —  mataù. 

Herhe,  —  mouku,  pua  muuku, 
mouku  tai,  mouku  uta. 

Hérissé,  —  tutuu,  maraka. 

Hérisson,  —  lietuke. 

Héritage,  —  rakau,  tagata  titi- 
ka. 

Herminette,  —  peu. 

Hernie,  héros,  —  matatoa,  ma- 
taù. 

Hésitation,  hésiter,  —  hagahaga. 

Heure,  —  liora. 

Heureux,  —  koakoa,  maitaki. 

Heurter,  —  tutuki,  tonokio,  poa. 

Hibiscus,  —  bau. 

Hideux,  —  eete,  rakerake,  ète, 
rakerake  banoliauo,  veriveri. 
Hier,  —  bagatabiabi  ;  =  avant- 
hier,  hagatabiabi  atu. 


Hilarité,  —  reka,  koakoa. 

Hisser,  —  baro,  kume. 

Histoire,  —  taga  poki,  =  faire 
Vhistoire,  vauaga  ;  baka  l'iva 
—  riva. 

Hiver,  —  toga  —  bo  !  bo. 

Holocauste,  —  ika,  beaga. 

Homard,  —  ura. 

Homicide,  —  tigai  ro. 

Hommage,  —  bakaaroba,  ragi. 

Homme,  —  tagata,  =  mari, 
kemu  ;  =  petit,  tagata  poto  ; 
=^  bel,  ritorito,  =  coupé,  ta- 
gata kokoti,  borebore  ;  ^^  pr. 
homme,  tagata  omua  roa. 

Hotineur,  honorer, — bakaaroba. 

Honte,  honteux,  —  bakama. 

Hoquet,  —  korereki. 

Horizon,  —  tabataha. 

Horloge,  —  motare,  bora  (mo- 
derne). 

Hormis,  —  mea  ke. 

Horreur,  horrible,  —  eete,  veri- 
veri. 

Hors,  —  kiabo. 

Hospitalier,  —  atakai. 

Hostilité,  —  kakai,  totoua  ;  = 
commencer,  ouvrir  Vh.,  rae 
toua. 

Hôte,  —  uobo. 

Houille,  —  eoeo. 

Houle,  —  uiuibi. 

Houra,  —  teretere. 

Huile,  —  mori  (moderne)  ;  = 
huileux,  akui. 

Huit,  —  e  varu. 

Humanité,  humain,  —  tagata 
baga. 

Humble,  —  mauavatopa  kiraro, 
taetea. 

Humecter,  —  bakaruku,  baka 
vekuveku. 

Humeur,  —  ariga  ;  =  mauvaise 
h.,  ariga  topa,  =  bonne  h., 
ariga  koakoa. 
Humilier,  —  mauava  topa  kira- 
ro. 
Humus,  —  veku. 


VOCABULATRE  DE  LA  LANGUE  DE  l'iLE-DE-PAQUES.         209 


Hurler^  —  tapri,  haka  oki. 
Hutte,  —  luire  iti. 
Hydropique,  hi/dropisic,  —  taka- 
pan,    garepe,     ahiikarukaiu, 


pati,  puti. 
Hypocrite,  —  hipokerita. 
Hypostase,  hipotati. 


Ici,  —  kiuei,  iuei.  konanei. 

Idée,  —  mauau. 

Identique,  —  etalii  liakarito  im. 

Idiome,  —  reo,  vaiiaga. 

Idiot,  —  gita. 

Idolâtre,  —  vtoiù. 

Idole,  —  inoliai. 

Igname,  —  ulii. 

Ignohlc,  — rakêiake. 

Ignominie,  —  iga  rakerako. 

Ignorance,  ignorant   ignorer, — 

taeiuaà  —  kai  iiiaà,  oa  atikea. 
H,  —  ia,  kia  ;  —  ils,  vaua,  raiia. 
Ile,  —  1110  tu. 
Illégal,  —  tae  titika,  tao  riva  — 

l'iva. 
Illimité,  —  roroake,  roroake. 
Illicite,  —  rakerake,  veriveri, 

bauoliano. 
Illuminer,  —  turania. 
Illusion,  —  luaiiau  luira. 
Illustre,  —  rivarivake. 
Ilot,  —  niotu  rikiriki. 
Image,  —  ata,  =  sculptée,  luo- 

hai. 
Imagination,   imaginer,  —  ina- 

nau . 
Imbécile,  —  uivauiva,  —  gita. 
Imbiber,  —  liakaruku. 
Imiter,  —  aati,  bakatau,  liaka- 

rite. 
Immaculé,  —  rakeraice  kore. 
Immatériel,  —  kuliaue,  kuiiaue 

uo,  knhaiie  tahaga,  akuaku. 
Immédiat,  —  tupviaki. 
Immense,  —  uiinui  ke,  roroa  ke. 
Immerger,  immersion,  —  riikii, 

haka  ruku. 
Immobile,  —  liokatuù,  iiolio  iio. 
Immodestie,  immodcf'te,  — liaka- 

tikea,  ki  toona  rakerake  — 


patu  toona  rake. 
Immoler,  —  tao,  tao  ki  te  Etua. 
Immonde, —  rakerake,  veriveri, 

haiiohauo. 
Immoral,  —  rakerake,  veriveri, 

hauoliaoo. 
Immortalité,   —  oraga   roaroa, 

oraga  iiiakai  mou,  oraga  roa- 
roa ke. 
Immortaliser, —  haka  mau  iho- 

iho,  haka  ora  iuakai  mou. 
Immuable,  —  tae  hakataha,  tae 

luu'i . 
Impalpable,  —  mauga  kore. 
Imparfait,  —  tae  riva,  toe  uego, 

tie  titi  maaki. 
Impartial,  —  titika  uoa  ki  te 

mau,  mea  anaiiake. 
Impassible, imjyassibiliié,  —  ma- 

garo  ke  kokoina  hurihuri  ko- 
re. 
Impatience,  impatienter,  —  ta- 

rotaro,  tarotaro  no. 
Imperceptible,  —  eliuehu. 
Impérial,  impérieux,  —  ragitea, 

ragitea. 
Impertinent,  —  pogeha. 
Impétueux ,  impétuosité,  —  (hu- 

hu  pour  le  vent),  =  mataù. 
Impie,  —  rakerake,  =  impiété, 

rakerakega. 
Impitoyable,  —  haka  aroha  kore, 

ragi  kore. 
Implacable,  —  manava  pohi  uu- 

nui  ke. 
ImpÂanter,  —   tauu,  amomota- 

nu,  mo  oka. 
Implorer,  —  nonoi. 
Impoli,  —  tae  tau,   tae  titika. 
Important,  importance,  —  oko, 

okooko  ke. 


210 


LE    MUSÉON. 


Importer,  —  hapai  tari,  uta  mai. 
Importun^  —  pogeha  ;  =  impor- 
tuner, importunuité,  id. 
Imposer,  imposition,  —  ragi  no. 
Impossible,  impossibilité,  —  tae 

lava,  e  ko  rava. 
Imposteur,  —  reoreo,  reoreo,  = 

imp)0sim'e. 
Impôt,  —  ragiga. 
Impression,  —  ta. 
Imprimer,  impression,  {typogr.), 

—  ruru,  maïuiva  eete. 
Improuver,  —  kakai,  totona. 
Imprudent,  —  tae  laauau,   tae 

tiaki. 
Impudent,  —  pogeha. 
Impur,  impureté,  —  liai. 
Imputer,  —  hakakemo. 
Inabordable,  —  vave  kai  kolie. 
Inactif,  inactivité,  —  nolio  no, 

vaiapuga. 
Inanimé,  —  aguagii,   mate   a  ; 

oraga  kore. 
Inaperçu,  —  iiia  kai  tikea,  ina 

kotikea. 
Inattendu,  — topa  no  mai.  topa 

hakauaà. 
Inattentif,  —  liaka  horilioi-i. 
Incop>able,  — tae  rava  ;  =  faible, 

])e2)eke. 
Incarner,  —  tagata  a. 
Incendiaire ,  —  tutn,  vera,  ura  ; 

=  incendie,  id. 
Incertain,  —  ina  kai  riva,  tae 

riva . 
Incessant,  —  ina  e  komon. 
Incision,  —  kokoti,    liore  ;  = 

inciser. 
Incliner,  —  liipa,  hipahipa,  = 

sous  le  vent,  hihiga. 
Incolore,  —  teatea. 
Incommode,  —  tae  riva. 
Incomparable,  —  haliarite  kore. 
Incomplet,  —  tae  nego. 
Incompréhensible,  —  tae  maà, 

kai  maà. 
Inconnu,  —  tae  tikea. 
Inconséquent,  —  nivaniva,  tae 


riva. 
Inconsidéré,  —  tae  manau. 
Inconsolcdile,  —  tatahi  taliaga. 
Inconvenant,  —  tae  tan,  tae  riva, 

tae  meitaki. 
Inconvénient,  —  niatakn. 
Inconstance,  —  manan  hurike. 
Incorporel,  —  tino  kore. 
Incorrect,  —  tae  titika,  ina  kai 

titika. 
Incorrigible,  —  pogeha,  hiohio. 
Incurruptible,  —  tae  pi])iro. 
Incrédule,    incrédulité,    —   tae 

mau  teki,  ina  kai. 
Incriminer,  inculper,   —  haka 

kenio. 
Incurable,  —  e  ko  riva,  e  ko 

or  a. 
Indécent,  indécence,  —  noho  tae 

riva. 
Indécis,  —  horihori. 
Indéfini,  —  tini,  =nombre  ind., 

migoigoi. 
Indemniser,  indemnité,  —  haka 

hère,  —  haka  hoki. 
Indépendance,  indépendant,  — 

nemouemo,  nivaniva. 
Indéterminé,  —  titaha  kore. 
Indice,  —  hakatnu. 
Indifférent,  indifférence,  —  tagi 

kore,  iiorihori,  gogoraà. 
Indigent,   indigence,    —    rakau 

kore. 
Indigène,  —  nolio  kaiga. 
Indigeste,  indigestion,  —  haka 

manava  ninihi,  mauava  ahn- 

ahu. 
Indignation,  —  manava  pohi. 
Indigne,  indignité,  —  tae  riva- 

riva. 
Indigner,  —  manava  pohi. 
Indiquer,  indication,  —  tuhi. 
Indirect,  —  titika  kore,  tae  titi- 
ka niaaki. 
Indissoluble,  —  tae  momotn,  e 

ko  monmon,  e  ko  momotn. 
Indistinctement,    —    piri   mai, 

ananake,    iore,    makona   = 


VOCABULAIRE  DE  LA  LANGUE  DE  L  ILE-DE-PAQUES. 


2H 


voix,  hegLiigiii,  liahuinuhurau. 
Individu,  —  tagata,  inea,  niee. 
Indivisible,  —  kokotiga  kore. 
Indocile,  —  pogelia. 
Indolence,  indolent, — vai  apuga. 
Indomptable,  —  kokonia  e  été, 

manava  polii,  nui  nui  ke. 
Indubitable,  —  mau  roa,  titika 

noa. 
Induire  en  erreur,  —  haka  ke- 

mo,  —  rima. 
Indulgent,  indulgence,  —  inaga- 

ro  ;  =  indulgence,  ata  kai. 
Industrie,  industrieux,  —  mao- 
ri. 
Inébranlable,  —  mau  uko,  tae 

gei  mai. 
Inefficacité,    inefficace,   —    tae 

riva,  vai  apuga. 
Inégal,  inégalité,  —  hakarite  ke, 

hakarite  koe. 
Inépuisable,   —  tae   miti,    tae 

euiu. 
Inerme,  —  huna. 
Inerte,   inertie,   —  vai   apuga, 

uoho  uo. 
Inexpérimenté,  —  kai  maà,  e 

maà  a. 
Inexpugnable,  —  e  ko  higa,   e 

ko  mou  mou,  e  ko  pae. 
Infaillibilité,  —  e  ko  liuri  ke  = 

infaillible,  id. 
Infamant,  infâme,  infamie,  — 

veriverike. 
Infanticide,  —  tigai  poki. 
Infection,  —  hakapipiro. 
Infécond,  — paà,  paà  migomigo. 
Inférieur,  infériorité,  —  kiraro 

roa,  kio. 
Infernal,  —  poko,  pokoga. 
Infester,  —  liakarakerake,   — 

hakanego. 
Infidélité,  infidèle,  —  kaikiuo, 

(païen,  eteni  ),  —  mogugupuru 

=  rima  omo 
Infinité,    infini,    —   roaroake, 

pour  le  temps, =  pour  Vespace, 

id.  =  pour  le  nombre  :  migoi- 


goi,  tiui. 
Infirme,  —  pepeke  ;  —  mamae, 

mate. 
Inflammation,  —  tac,  aliuahu. 
Ivflc.iible,    —    ilioiho   ke  ;    = 

infliger,  tigitigi. 
Influent,  influence,  influer,   — 

taki,  maua. 
Informe,  —  veriveri  ke. 
Information,  —  kimikimi. 
Infortune,  infortimé,  —  gogoro- 

aa. 
Infraction,  —  rakerakega. 
Infructueux,  —  vai  apuga,  vere- 

ga  kore. 
Infuser,  infusion,  —  hirohiro, 

iiaka  e  uru,  haka  hihoi. 
Ingénieux,  —  maori. 
Ingénu,  —  aaki,  rava  vanaga, 

tae  uaà. 
Ingérer  (s'),  —  l'ara,  rara  haka- 

riva. 
Ingouvernable,  —  pogeha. 
Ingrat,    —    kaikiuo,    mogugu 

puru  ;  —  mogugu  kiukiu. 
Inhabile,  inhabileté,  —  tae  maa, 

tae  maori. 
Inhabité,  —  vihaviha. 
Inhumain,  —  tae  tagi,  hakaaro- 

ha  kore. 
Inhumation,  —  tanu. 
Inimitié,  —  kokoma  hurihuri, 

maiiao  a  polii. 
Inintelligible, —  garo  a,  rehu  a. 
Inique,  —  rakerake  ;  =  iniquité, 

rakerakega. 
Initier,   —  hakakite,    akoako, 

liakamaà. 
Injecter,  —  haka  e  uru  ;  —  hiro- 
hiro. 
Injure,  —  haka  meemeega  ;  = 

injurier  :  hakameemee. 
Injuste,  injustice,  —  tae  titika. 
Innocent,  —  rakerake  kore,  iua 

e  rakerakega. 
Innombrable,  —  tini,  migoigoi. 
Innovation,  innover,  —  rae  ki  te 

mea  hou. 


212 


LE    MUSÉON. 


Inodore^  eoeo  kore. 
Inondafion,  inonder  —  aâ. 
Inopiné,  lioi'cihorau. 
Inopportun^  —  tae  riva,  luoo  a 

neira. 
Inouï,  —  tae  rogo,  —  tae  tikea 

a  mai. 
Inquiet,  —  pagalia,  hakapagalia; 

=  inquiétude,  id. 
Insatiable^  —  rava  kai,  —  liuro- 

horo. 
Inscrire,  —  ta. 
Insecte,  —  maau  rikiiiki. 
Insensé,  —  nivaniva. 
Insensible,  —  tae  tagi. 
Insépjarahle,  —  avaliiga  kore. 
Insérer,  —  ta. 
Insidieux,  —  i-eoreo. 
Insigne,   -   hakatini  ;  =  insigne, 

iiuiiui. 
Insignifiant,   —  tae   riva,    tae 

verega. 
Insinuer,  —   haka    liahuiiiuliii- 

iiui,  — s'insinuer,  rara. 
Insister,  —  hiohiu. 
Insolence,  —  pogeha. 
Insomnie,  —  ara  no. 
Insondable,  —  ki  raro  nui.  poko 

poko  ke,  holionu  parera. 
Insouciance,  insouciant,  —  tae 

niauaii. 
Insoumis,  —  pogeha. 
Inspecter, —  rarania,  ui. 
Inspirer^  —  hahiiniuhumu. 
Instable,  instabilité,  —  aliere- 

liere. 
Installer,  —  haka  noho. 
Instance,  instamment,  hiohio. 
Instant,  ige  neira,  a  neira,  oga- 

neira. 
Instigation,  —  ki,   tuki,    haka 

iiga. 
Instinct,   mauau. 
Instituer,  institution,  —  haka- 

tuù. 
Instruire,  instruction,  —  haka 

niaà,   akoako,  akoakoga  ;  ^= 

instruit j  maà. 


Instrument,  —  mea,  niee. 
Insuffisant,  —  tae  nego,  tae  ti- 

tia. 
Insulte,  insulter,  —  haka  mee 

—  mee. 

Insupportable,  —  pogeha. 

Insurgé,  pogelia,  toua  ;  =  in- 
surrection, id. 

Intact,  —  nego  ;  —  kai  too  a, 

nego. 
Intègre,   intégrité,   —   id.,    kai 

hore  a. 
Intellectuel,  —  mea,  mânau. 
Intelligent,  —  maori. 
Intelligible,  —  rogo  a. 
Intempérant ,  —  kai  nui. 
Intendance,  —  titikaga. 
Intense,  intensité — nunuiga,  = 

d'affection,  manava  mate. 
Intenter,  —  hakatupu. 
Intention,  —  liaga. 
Intercaler,  —  haka])iri. 
Intercéder .  —  uonoi. 
Intercepter ,  —  iko,  toô. 
Interdire,  interdiction  — rahui, 

haka  tapu,  haka  viku. 
Intéresser,  —  tarupu  ;  =^  intérêt, 

—  tooku  mea,  mee  ;  =  intérêt, 

—  riva  kia  ku. 

Intérieur,  —  manava.  o  roto,  = 
int.  des  terres,  uta. 

Intérim,  — 

Intermédiaire,  —  ki  vaega. 

Interposer,  (s'),  —  tarupu. 

Interprète,  interpréter,  interpré- 
tation, —  rara,  tagata  rara, 
tagata  hakarivariva. 

Interroger,  —  ui. 

Interrompre,  interruption, —  ha- 
kaniou,  mouga. 

Intervalle,  —  ava. 

Intervenir,  —  tarupu,  haka  ri- 
variva. 

Intestin,  —  kokoma. 

Intime,  —  repa  hoa. 

Intimer,  —  uga,  ragi. 

Intimider,  —  haka  mataku,  ma- 
taku. 


VOCABULAmE  DE   LA  LANGUE   DE  L  ILE-DE-PAQUES. 


21; 


Intitulé.  — 

Intonation^  —  tahito  l'ae. 

Intrépide,  intrépidité,  —  inata- 

toa,  niataù. 
Intriguer,  —  liaka  uga. 
Introduire,  —  hakauru,   liaka- 

tonio. 
Intrus,  —  toke  nolio. 
Inusité,  —  kai  rogo  a. 
Imdile,  inutilité,  —  vai  apiiga. 
Invalide,    —    pepeke,    teatea, 

rauliiva. 
Invariable,  —  tae  liinike,  iiolio 

iiua. 
Invasion,  —  rava. 
Invective,  invectiver,  —  tuliitaga. 
Inventeur,  —  rava,  ^=  invention, 

—  ravarae. 
Investir,  —  aval  titikaga. 
Invétéré,  —  tuliai. 
Invincihle,  —  tac  liiga. 
Invisible,  —  tae  tikea  mai. 
Inviter,  —  ragi  ;  =  invitation, 

ragiga. 
Invoccdion,  —  ragi,  pure,  uouoi 


Invraisemblable,  —  reoreo  pea- 

ha. 
Irascible,  —  tarotaro,  tahaga. 
Ironie,  —  hakamee,  Iiaka  mi  go 

—  migo,  haka  uiikouuko.haka 

paupau. 
Irrégularité,  irrégulicr,  — .ke- 

kee.  tac  liakarite. 
Irréligieux,  irréligion,  —  liaka 

ripui   liaga,   liakaai])oi,  rake- 

rake,  tagata  rakerake. 
Irrésolu,  —  liakatapona,  —  ha- 

katotopa. 
Irrévérence,   —  tae    rntu,    tae 

1)11  re. 
Irritable,  irriter,  irrité,  —  ko- 

koma  Imriliuri. 
Irruption,  —  taliuti  noa. 
Isolé,  —  uolio  okotalii  ;  =  isoler, 

liaka  nolio  okotaiii. 
Issu,  —  mei  a  mea,  niei  roto  0 

mea,  0  roto. 
Issue,  —  kuapu,  kaipurii  a. 
Ivre,  —  makona,  tipatipa. 


Jadis,  —  0111  lia,  komiia. 
Jaillir,  —  pupuhi,  hakapupuhi. 
Jalousie,    —    makota  ;    [iiour 

toîde  acception). 
Jamais,  —  kore  noa,  è  kore  iioa 

a  mûri  noa  atu. 
Jambe,  —  vae. 
Janvier,  —  ora. 
Japper,  —  namunamu,  —  gao 

aku,  gao  etu. 
Jardin,  —  pa. 
Jarret,  —  paoga. 
Jaser,  —  haka  reka. 
Jatte,  —  pi  pu. 
Jaunâtre,  —  meamea;  ^jaune, 

1(1. 
Jaunir,  —  haka  meamea,  pua 

ei  meamea. 
Je,  —  au. 


Jésus-Christ,  —  letu-Kirito. 

Jet,  jeter.  —  hoa,  hoa  atu,  patu, 
patu  atu,  huri.  =  Jeter  une 
pierre  :  pureva,  =  lance,  pao. 

Jeu,  —  reka,  —  hakareka. 

Jeudi,  —  guti. 

Jeûne,  —  maruaki,  oge,  —  ope- 
ope  ;  =  jeûner,  id. 

Jeune,  jeunesse,   -  hou. 

Joie,  —  koakoa,  —  hogihogi, 
ateate. 

Joindre,  jonction,  —  honohono, 
hakapiri,  hakatupuaki. 

Jointure,  — id.  ==  ép)roiiver  d... 
maraae  turi. 

Joli,  —  ritorito,  rivariva. 

Jonc,  —  gaatu. 

Joue,  —  kukumu,  makuo. 

Jouer,  —  hakareka,  hura. 


214 


LE    MLSÉON. 


Jouet,  —  tumu  o  te  hakareka. 

Joueur,  —  tagata  hakareka  no. 

Joug,  —  amo. 

Jouir,  —  koakoa. 

Jour,  —  raà,  luarama,  po  l'aà  ; 

=  hrnlant,  mahaûa  ke. 
Joute,  jouter,  —  liaka  talniti. 
Judicieux,  — maori  ke. 
Juge,  —  hakava,  hakarivariva. 

=  Jugement,  id. 
Juif,  —  iuteo. 
Juillet,  —  anakena. 
Juin,  —  maro. 


Jumeau,  —  hauva,  hauva. 

Jument,  —  paaka  tama  aliiiie. 

Jupon,  —  ropa  kakari  kore. 

Jus,  —  vai. 

Jusque,  —  teke  ki  nei,  —  mei 
nei  tehe  i  oho  mai  ai  iuei  te 
ika  potu. 

Justaucorps,  —  pi  ri  aro. 

Justesse,  —  titika. 

Justice,  —  hakatitikaga. 

Justifier,  justification,  —  haka- 
rivariva. 


Képi,  —  haû. 


K 


La,  (article),  —  te. 
Là,  —  adverbe  :  ko,  ua,  ra,  kira. 
Laborieux,  —  rava  hakaheu. 
Labourer,  laboureur,  —  haka- 
heu. 
Lac,  —  roto  uui. 
Lacer,  lacet,  —  ueue. 
Lacérer,  —  vero,  pahure,  pao- 

pao. 
Lâche,  lâcheté,  —  pepeke,  ma- 

taku. 
Lâcher,  —  hakatere,  —  vevete. 
Laconique,  —  poto,  popoto,  = 

parler  d'une  façon  lac.  :  mou 

noa. 
Ladre,  —  (avare)  ;  —  kaikino. 
Lagon,  —  roto  iti. 
Laid,  —  veriveri,  —  rakerake, 

—  laideur,  id. 
Laine,  —  huhuru  mutone  ;  = 

laineux,  huhuru  mu. 
Laisser,  —  hakarere,  ==  aller, 

tuku,  hakatere. 
Lait,  —  vaihu  ;  =  coupé  d'eau  : 

hirohiroa  ei  vai. 
Laiton,  —  uki,  uki. 
Lambeau,  —  horega. 
Lambin,  lambiner,  —  vai  apuga, 


UOilO  110. 

Lambourde,  —  pae. 

Lame,  —  hoe  ;  =  d'aviron,  ma- 

takao. 
Lamentation,   —    tagi,    tatagi, 

iiiatavai. 
Lampe,  —  tuù  rama. 
Lancer,  —  hoa,  vero,  —  lance, 

vero. 
Langage,  —  reo. 
Langue,  —  arero,  =  mauvaise 

langue  :  rava  ki.  rava  peto. 
Langueur,  languir,  languissant, 

—  aguagu  ;  —  ekieki,  —  ho- 

pohopo  ;  hopohopo  teni. 
Lanière,  —  pena. 
Lanterne,  —  hakapura. 
Laper,  —  miti,  namunamu. 
Lapider,  —  pureva. 
Lapin,  —  rapino,  —  kiore  hiva. 
Larcin.  —  toketoke. 
Lard,  —  uako. 
Largeur,  large,  —  hakarava. 
Largesse,  —  atakai,  rima  atakai . 
Larguer,  —  vevete. 
Larme,  —  matavai. 
Larron,  —  toketoke. 
Las,   lassitude,  —  pagaha,  — 


VOCABULAIRE  DE  LA  LANGUE  DE  LILE-DE-PAQUES.         215 


fjogoroaa,    lioriliori,    =    aux 

jambes  :  —  tuiim  kore,   vae 

kore,  —  vae  relierelie,  —  tu- 

luu  hatiliati. 
Lascif,  —  Lai,  rakeiake. 
Latéral,  —  kaokao,  —  tatapa, 

atatapa. 
Latrines.  —  hare  aeiaei. 
Lavage,  laver,  —  tata,  liakani- 

ku. 
Le,  la,  (article),  —  te,  te  mau, 

lia,  ga. 
Lécher,  —  miti. 
Leron,  —  akoakoga. 
Lecture,  —  heguigui,  —  ha  liu- 

iiiulmiiiii. 
Légal,   —   titika,    =  légaliser, 

liakatitika. 
Légèreté,  léger,  —  maainaa,  = 

course,  koi'oiti,  aliere  koroiti. 
Légitime,  —  poki  titika,    poki 

aaua. 
Legs,  —  tiikuga,  availiaga. 
Légume,  —  tuoukii. 
Lendemain,  —  apoliera,  apo  era 

(»  te  pi)  nei. 
Lénitif,  —  inokimoki. 
Lent,  lenteur,  —  koro  iti,  koro 

iti  koro  iti. 
Lente,  —  riha. 
Lèpre,  —  kivi  ekaeka. 
Lequel,  laquelle,  —  ko  ai,  te. 
Les,  —  te,  t(^  iiiau,  ua,  ga. 
Léser,  lésion,  —  liaka  paliure, 

pahure. 
Lest.  —  rakau  o  te  miro. 
Léthargie,  —  nivaniva  o  te  ma- 
te. 
Lettre,  —  ta. 
Leur,  —  raua. 

Levain,  —  pupulii,  hakapupulii. 
Levant,  —  liiti  haga  raà. 
Lever,  —  hapai  ;  =  l.  du  soleil, 

raà  ea  mai,  raà  puiieki,  he- 

liega  raà,  maeharaà  maliiiia, 

hetuù. 
Lèvre,  —  gutu,  gutu  ruga,  gutu 

raro  ;  =  enflure,  gutu  aliu,  = 


croates,  gutu  pakapaka  ;  = 
grosses,  gutu  liiti  ;  =  en  pointe 
gutu  mokoiuoko. 

Lézard,  —  moko. 

Liaison,  —  liaka  liouoliouo. 

Littérale,  libéralité,  —  atakai, 
rima  atakai. 

Libérer,  —  vevete,  hakatere. 

Libertinage,  —  rakerakega. 

Licencier,  —  liakaliuki,  haka- 
tere. 

Licite,  —  titika. 

Lien,  —  herega,  =  lier,  hère 
—  mau  ;  =  lier  les  cannes  à 
sucre,  kuku,  kukukuku. 

Lieu,  -  kooua. 

Ligament,  —  herega  ;  =  de  l'œil, 
tutu  mata. 

Lignage,  —  ivi. 

Ligne,  —  titaà,  (pour  démarca- 
tion) ;  ligne  de  pêche,  gohau. 

Ligue,  liguer,  —  huega,  piriha- 
ga,  hakapiri,  hakapa. 

Limaçon,  —  kiikuo. 

Lime,  —  mataariki. 

Limite,  limiter,  —  titalia,  titaà, 
haka  titaà. 

Limitrophe,  —  tupuaki,  })iri. 

Limon,  —  rimu,  rimu. 

Limpide,  —  vai  ritorito  ;  = 
limpidité,  id. 

Linceul,  —  kahuhakaviri. 

Linge,  —  tapa,  kahu  ;  =  l'éten- 
dre, tauaki. 

Lion,  —  reone, 

Liquéfier,  —  hakavai,  hakatehe. 

Liqueur,  liquide,  —  vai. 

Lire,  —  heguigui. 

Lisière,  —  horega,  tapa,  —  ta- 
patapa. 

Lisser,  —  hakarivariva.  —  ha- 
karapa  ;  =  les  cheveux,  id. 

Liste,  —  igoa  tapaa,  =  tapa 
igoa. 

Lit,  —  rago,  —  ragorago. 

Littoral,  —  opata  tai,  —  taha 
tai. 

Livre,  —  puka. 


216 


LE    MUSÉON. 


Livrer^  —  avai,  mau  atu,  tukii. 

Local,  localité,  —  koua. 

Locataire,  —  noho  no. 

Locution,  —  vanaga. 

Lofer,  —  rorirori. 

Loge,  logis,  logement,  —  h  are. 

Loiiî,  —  koroa,  roroa,  kouiia 
koroa. 

Loisir,  —  vai  apuga,  haka  reka. 

Long,  longuement, —  roa,  roaga. 

Longévité,  —  tuhai. 

Longtemps,  —  niea  roaroa  ;  = 
depuis  longtemps  :  mea  tuhai 
tuhai  ke. 

Loquace,  loquacité,  —  rava  va- 
naga, ravaki. 

Lorgnette,  —  toa  uira. 

Lors,  —  ira. 

Lorsque,  —  a  niea. 

Lot,  —  paiga. 

Louable,  —  rivariva. 

Louage,  loger,  louer,  —  haka- 
here. 

Louange,  louanger,  louer,  —  ha- 
kahonui. 


Louche,  —  mata  hakahira. 
Loupe,  —  pukupuku. 
Lourd,  —  pagaha,  pagaha  noa. 
Louvoyer,  —  haka  roriroi-i. 
Loyal,  loyauté,  —  rivariva,  riva- 
riva noa. 
Lucide,  lucidité,  —   nuvori. 
Lucre,    lucratif,   —    akatariga, 

akatari. 
Lueur,  —  niarania,  maeha. 
Lugubre,  —  père,  ge. 
Lui,  —  ia,  ko  ia,  oo  ua,  taa  na, 

noo  na. 
Luire,  —  purapura,  —  hakama- 

rama. 
Lumière,  —  niarania. 
Lumineux,  —  pupura. 
Lunaire,  —  ote  niahina,  =  lune, 

id. 
Lunette,  —  uira  puru  mata. 
Lustre,  lustrer,  —  pupura,  ha- 

kapujjura. 
Lutte,  lutter,  —  hakahiga,  ha- 

kamoe. 


M 


3Ia,  —  a,  inoo  ku,  no  ku,  too 
ku,  taà  ku. 

Macération,  macérer.  —  tigitigi, 
ava  ava,  puopuo. 

Mâcher,  —  mama. 

Machiner,  —  nieaniee. 

Mâchoire,  —  kauae,  kauae,  ^ 
de  poisson,  kauaha. 

Maçon,  —  tagata  titi,  titipa  ;  = 
maçonner  :  titi. 

Maculer,  —  poa. 

Magasin,  —  hare  popokai,  po- 
po  rakau. 

Magistrat,  —  ariki. 

Magnificence,  magnifique,  —  ri- 
variva. 

Mai, 

Maigre,  —  pakiroki  ;  =  mai- 
greur, maigrir,  —  uga  moa. 


Maillet,  —  titi  miro. 

Maille,  —  faire  des  mailles,  pi- 
niku,  raraga  piniku. 

Main,  —  rima,  =  droite,  matau  ; 
=  gauche,  maori  ;  =  joindre 
les  mains,  hakauru  rima  ;  in- 
troduire les,  id.,  =  se  toucher, 
rima  ruru  ;  =^élever, étendre  la 
main,  haro  ki  te  rima  ;  = 
marcher  les  mains  derrière  le 
dos,  rima  titiri. 

Maintenant,  —  igeneira. 

Maintenir,  —  haka  mau. 

Maïs,  ~  tarake. 

Mais,  —  meara,  =  reka,  reka. 

Maison,  —  hare. 

Maître,  —  ariki,  —  maître  es 
arts  :  maori,  maori  ke. 

Maîtriser,  —  hakatere,  haka- 


VOCABULAIRE  DE  LA  LANGUE  DE  L  ILE-DE-PAQUES. 


2i7 


higa, 
Majesté,  majestueux,  —  rivariva 

ke,  —  ritoritoke. 
Majorité,  —  horegn  nui,  — pai- 

ga  Dui. 
Majuscule,  —  retera  uni,  retei'a 

raè. 
Mal,  —  rakerake,  rakerakega  ; 

=  mal  de  mer  :  rua  ;  —  de  tête  : 

garuru,  —  e  alie,   uiho  gaa, 

inamae  keo  ;  =  faire  du  mal  : 

liaka  pagalia. 
Malade,  —  mamae,  mate,  mai, 

tiki  ;  =  air  malade  :  ariga 

mamae  ;  =  rendre  malade  : 

liaka  mamae,  hakamate. 
Maladie,   —   id.   =  mortelle  : 

aguagii,  mate  nui. 
Maladie,  —  rau  hiva. 
Maladresse, maladroit, — koueè, 

tagata  rehe  relie. 
Malsain,  mate. 
Maie,  (substantif),  —  tamaroa, 

=  parole  dure  :  tarotaro. 
Malédiction,  —  tarotaro. 
Maléfice,  — 

Malentendu,  —  rogohara. 
Mal  faire,  malfaisant,  —  haka- 

pagaha. 
31  al  famé,  — 

Malgracieux,  —  tae  magaro. 
Malgré,  malgré  soi,  —  tae  haga. 
Malheur,  —  mate,  gogoroaà  = 

qui  va  souvent  faire  des  m.  : 

hakagogoroaà. 
Malheureux,  —  id. 
M<d  honnête,    malhonnêteté,    — 

tae  tau,  tae  rioa  {ou  riva). 
Malice,    malignité,    malicieux, 

m^alin,  —  rakerake,  rakerake- 
ga. 
Malle,  —  pahu. 
M<dléable,  —  gaatu  mai,  gaatu 

mai. 
Malpropre,  malpropreté,  —  veri- 

veri. 
Malsain,    —    haka    mate  ;  = 

endroit  m.,  koouapipiro. 


Maltraiter,  —  puopuo,   tigitigi, 

—  avaaYa. 

Maman,  —  matua  tamaaiiiiie. 

Mamelle,  —  u. 

Manche,  —  rima  o  te  kahu,  — 
m.  de  lance,  kohau  ;  —  m.  de 
hache  :  tokotoko. 

Manchot,  —  rima  hati. 

Mandement  —  ragiga,  =  man- 
der, ragi. 

Manducation,  —  kai  —  kaikai. 

Mânes,  —  akuaku, 

Manger,  —  kai  ;  =  ensemble  : 
kai  piri  mai  ;  =  peu  :  kai  no 
iti,  =  des  restes  :  kai  ivi,  kai 
toega  ;  =  en  secret  :  kai  naà- 
naà,  kai  liakanaà,  =  avide- 
ment, kai  horohoro;  —  gaoku  ; 
=  défendre  de  m.  :  kai  rahui  ; 

—  kaipera  a  mai  ;  =  qui  n'a 
rien  à  manger^  kai  gorigori, 
maruaki  •,z=qui  ne  laisse  rien  : 
ravakai  tae  haka  rere  ;  = 
goulu  ment  :  horohoro  ;  =  en 
faisant  dti  bruit  :  rava^namu- 
uarau  ;  =  sans  attendre  :  — 
kai  okotahi  ;  ^  demander  à 
m.  :  nouoi  ;  =  mangé  :  kai  a, 
=  des  vers  :  piro  eka  pua. 

Maniable,  —  gaatu  a  ;  — manier, 

gaatu. 
Manière,  —  hakarite. 
Manifestation,    manifester,   — 

aaki  ;  —  manifeste,  maà,   ti- 

kea. 
Manivelle,  —  haka  viri. 
Manœuvre,  —  haga. 
Manquement,  —  topa  haga  topa. 
Mansuétude,  —  magaro. 
Manteau,  —  kahu  nui. 
Marauder, maraudeur, — ahere, 

ahere  no. 
Marchand,  —  tagata  hakahere. 
Marchander,  —  hakarivariva. 
Marchandise,  —  rakau. 
Marche,  —  oho. 
Marché,  —  koona  varevare. 
Marchepied^  —  pikiga. 


I 


218 


LE    MUSÉON. 


Marcher^  marcheur,  —  oho, 
aliere,  hiri,  =  en  tête  :  oho 
rae,  oho  aniiia,  =  jambes  et 
genoux  serrés  :  ahere  ;  z=jani- 
hes  écartées  :  hahae  ;  =  lente- 
ment :  olio  koro  iti  ;  =  en 
corps  :  oho  piri  mai,  pupu. 
mai  ;  =  sur  la  pointe  de  :  teki- 
teki  ;  =  sur  ce  qui  ne  doit  pas 
être  foulé. 

Mardi,  —  po  e  rua. 

Mare^  roto. 

Marécage,  marécageux,  —  teo 
oone  rari. 

Marée,  —  tai  iia,  tai  parera,  tai 
titi,  tai  iiegouego,  tai  kaukan. 

Mari,  —  kenu. 

Mariage,  —  noho,  huuoga. 

Marié,  —  noho  kenu,  noho  vie  ; 
^  non  m.  :  noho  no,  noho 
tahaga. 

Marin,  —  tere  tai,  tagata  piki 
kiruga  o  te  niiro. 

Marque,  marquer,  —  hakatu, 
hakatuhaga . 

Mars,  hora  nui. 

Marteau,  marteler,  —  titi. 

Martial,  —  niataù. 

Masque,  —  puruga,  —  masquer  : 
pu  ru. 

Massacre,  —  titigi,  hakaniate. 

Masser,  —  hue,  puke. 

Massif,  —  rairo  niatoru. 

Massue,  —  titi  nui. 

Mât,  —  tuu  ;  —  mater,  hakatu 
tuù. 

Matériel,  —  niea  tino. 

Maternel,  maternité,  —  no  roto 
mai  0  mea  ;  —  no  te  matua 
tama  ahine. 

Matière,  —  tino,  akari. 

Matin,  matinée,  —  poi)o  hagi 
atatehe. 

Matrice,  —  pokopoko  ;  —  ce  qui 
entoure  Venfant  :  kaliu  viri. 

Mâture,  —  te  nuiu  tuù. 

Maudire,  —  niho,  tarotaro. 

Maussade,  maussaderie,  —  po- 


geha. 

Mauvais,  —  rakerake,  veriveri. 

Me,  (pronom),  —  au,  kia  ku. 

Méchanceté,  méchant,  —  rake- 
rake. 

Mèche,  —  hau. 

Méconnaître,  —  tae  tikea  mai. 

Mécontent,  mécontentement,  mé- 
contenter, —  pagaha,  haka- 
pagaha. 

Mécréant,  —  tae  hakarogo. 

Médecin,  —  tagata  haka  neè- 
neè. 

Médecine,  rakau. 

Médiateur,  —  tarupu. 

Médiocre,  médiocrité,,  —  itiiti- 
noa,  goigoi. 

Médire,  médisant,  —  haka  hae, 
tara. 

Méditation,  méditer,  —  manau 
no. 

Méfait,  —  rakerake. 

Méfiance,  méfiant,  méfier,  —  ra- 
rau. 

Meilleur,  —  rivariva  ke,  — 
maitaki  ke. 

Mélange,  mélanger,  —  hirohiro, 
haka  e  uru,  hakahilioi. 

Méltr,  —  vog.  mélanger. 

Mélodieux,  —  reka. 

JMelon,  —  hipu  hiva,  merone. 

Membre,  —  akari  tino  ;  =  éten- 
dre les  m.,  haro. 

Membrure,  —  vae. 

Même,  —  a  ;  =  de  même  :  peira. 

Mémoire,  —  maori,  —  rappeler 
la  mém.,  manau  iho. 

Menaçant,  —  rtigi  tarotaro,  ha- 
ka meémeé. 

Menace,  menacer,  —  id. 

Ménage,  —  noho  e  rua. 

Ménager,  —  tito. 

Mendiant,  —  nouoi  ;  =  mendier, 
—  id.  ;  =  des  yeux  :  e  ue  ;  = 
sans  honte,  nonoi  tae  hakama. 

Mener,  —  hakatari. 

Meneur  de  troubles,  —  tagata 
tuki  pogeha. 


VOCABULAIRE  DE  LA  LANGUE  DE  l'iLE-DE-PAQUES.         219 


Mensonge,  —  reoreo,  —  mente- 
rle,  mentir,  id. 

3Ienstniation,menstrne,  —  tiko. 

Mensuel,  —  uo  tera  marama. 

Mental,  —  inanaii  o  roto,  no  te 
manau. 

Mention,  mentionner,  —  tapa, 
tapatapa. 

Menton,  —  kauvae. 

Menu,  {^adjectif),  —  gorigori, 
bugahiiga. 

Menuisier ,  —  tagata  haga  miro. 

Méprendre,  —  {se  m.),  harn  ;  — 
méprise,  id. 

31éprisable,  — veregakore,  veri- 
veri,  rakerake,  raeèmeè  a. 

Mépris,  mépriser,  —  baka  nieè 
lueè,  haka  raigomigo. 

Mer,  —  tai  ;  =  haute  mer  :  id., 
=  profonde  :  moaiia  ;  =  cal- 
me, marie  ;  =  lagon  :  roto  ; 
=  agitée  :  taivave  ;  =  le  pro- 
fond de  la  :  tai  lioliouu  ;  =  à 
gouffres,  hati. 

Mercenaire,  —  tagata  haga  ei 
niea,  ei  mee. 

Mercredi,  —  niereti  (moderne). 

Mère,  —  matua  tama  ahiiie  ;  = 
p.  les  animaux,  id. 

Mérite,  —  mérita  (moderne)  ;  — 
tnériter,  mca  rivariva,  inea 
meitaki  ka  rava. 

Merveille,  merveilleux, —  rivaga 
ke,  meitaki  ke. 

Mes,  —  moo  ku,  too  ku. 

Message,  messager,  —  rogo  ;  =^ 
envoyer  un  m.  :  uga  ki  te  rogo. 

Messe,  —  pure  meta  ;  =  Messie, 
metia,  haka  ora  tagata. 

Mesure,  mesurer,  —  hahao,  ha- 
ka tuù. 

Métal,  —  veo. 

Météore,  —  hetun  rere. 

Méthode,  —  hakatuu. 

Mets,  —  kai,  mau,  —  liés  en 
paquets,  hai. 

Mettre,  —  hoa,  =  dedans,  ha- 
hao hahao  ;  =  mis  en  pièce  : 


hore  a,  hore  a. 

Meuble,  —  rakau  ;  =  hien  meu- 
ble, id. 

Meule,  —  maea  viriviri. 

Meurtre,  —  tigitigi,  haka  mate, 

—  meurtrier,  id. 
Meurtrir,  meurtrissure,  —  toto 

pine. 
Miauler,  —  tagi. 
Midi,  —  ootea,  raà  tini,  raà  too, 

—  Vaprès-m.,  ahiahi. 

Miel,  —  pivari  (ou  pirari). 

Mien,  —  too  ku,  ua  ku,  uaku. 

Mieux,  —  rivariva  ke  ;  —  mei- 
taki ke  ;  =  être  mieux,  oraora 
no  iti. 

Migraine, — puoko  garuru,  ahe. 

Milieu,  —  vaega. 

Mille,  —  piere,  mano. 

Mille-pieds,  —  veri. 

Million,  milliard,  —  tinitini, 
(migoigoi,  nombre  indéfini). 

Mince,  —  rahirahi  maeha. 

3finr,  (carrière),  —  keri  ;  = 
miner,  id.  =  (air)  :  mata, 
ariga  ;  =  vilaine  :  ariga  rake- 
rake ;  =  de  bonne  mine  :  ariga 
ritorito. 

Ministre,  —  haka  kouakona. 

Mimiit,  —  ao  nui. 

Minute,  —  minuta. 

M imitieusement.  —  koro  iti. 

Miracle,  —  hakamaua. 

Mirer,  —  ui,  mata  ui. 

Miroir,  —  uira. 

Misaine,  —  kahu  nui. 

Misérable,  —  rakau  kore. 

Misère,  —  gogoro  aà. 

Miséricorde,  miséricordieux,  — 
haka  aroha  mai. 

Mission,  missionnaire,  —  pa 
mitinare,  mitinare. 

Mdiger,  —  haka  iti,  hakariva- 
riva. 

Mitoyen,  —  paiga  no  tera  tagata, 
paiga  no  te  tagata  era. 

Mixture,  mixte,  —  hakae  uruga, 
hirohiro,  tupa,  gaiei. 


^220 


LE    MUSl^:ON. 


Mohilc,  —  tumu. 

Mode,  —  hakatuu,  —  liakarite  ; 

=  la  mode,  hakatuu  rae. 
Modèle,  —  hakatuu. 
Modération,  —  koi'o  iti. 
Modérer,  —  haka  koro  iti. 
Moderne,  —  iho,  hou. 
Modeste,  modestie,  —  uiata  ui  a 

raro  ;  —  mata  toi)a. 
Modicité,  modique,  —  iti,  ^yoii- 

gori. 
Modification,  modifier,  —  haka 

rivariva  iho. 
MocUe,  —  nako. 
Moelleux,  —  ekacka. 
Mœurs,  —  moa. 
Moi,  —  au. 

Moins,  moindre,  —  iti  atu. 
Mois,  —  maraina. 
Moisissure,    moisir,   moisi,   — 

ekai)ua  (pour  tout). 
Moisson, abondance,  —  uiau  nui. 
Moite,  —  vekuveku,  rari,  helic- 

hehe. 
Moitié,  —  vaeiia,  horej^a  vaeiia  ; 

—  quand  il  sera  minuit  :  ki 

te  ao  nui,  ao  uui,  fini  po. 
Molécule,  —  huliu. 
Molester,  —  hakaj)agaha,  haka- 

gogoroaà. 
Molasse,  —  ekaeka.  —  Molessr, 

Jiai. 
Mollir,  —  ekaeka,  para. 
Moment,  —  })oto  no. 
3Ion,  —  00  ku,  naa  ku.  luoo  ku. 
Monarque,  —  ariki  nui. 
Monde,  —  arova  nei. 
Monder.  — 
Moniteur,  monitivn,  —  hakari- 

variva. 
Monnaie,  —  inoni. 
Monstre,  monstrueux,  —  veii  — 

verike. 
Mont,  montagne,  —  luouga. 
Monter,  —  liiri.    —  piki  ;  = 

montée,  liiriga  ;  =  astre  qui 

monte,  hiti  ;  =  sur  un  cheval  : 

piki,  eke  ;  =  sur  un  navire  : 


id.  =  faire  monter  :  hakaeke. 
Montrer,  —  hakatikea,  hakati- 

kea  ;  =  du  doigt  :  tuhi. 
Moquer,  moquerie,  —  hakaïuee- 

uiee,  haka  migo. 
Morale,  —  titika,  l'ivariva  noa. 
Jloraliser,  —  hakarivariva. 
Morceau,  —  hoivga. 
Morceler,   —   horehore,    niore- 

niore. 
Mordre^  morsure,  —  g;igau  ;  = 

à  riiamcçon,  akaraù. 
Moribond,   —   papaku,    tagata 

agnagu. 
Morne,  —  mou  no,  mou  noa. 
Mors,  —  ohio  haha,  ohio  gagau. 
Mort,  —  matega  ;  =  m.  de  faim, 

maruaki  ;   =   à    Vart.    de   la 

mort,  aguagu,  =  mort  suinte  : 

mate  horahorau  ;=  apparente, 

agu  kore,  tata. 
Mortaise, —  pu, —  faire  des  ))i... 

hakai)u. 
Mortifiant,  mortifié,  —  haka})a- 

gaha . 
Morve,  —  huiicè,  —  morveux, 

—  id. 
Mot,  —  reo. 
Motif,  —  tumu. 
Mou,  —  ekaeka  ;  —  para  ;  = 

débile  :  pepeke  ;  =  frop  mûr  : 

para  rakerake. 
Mouche,  —  ta  kaure. 
Moucher,  —  hi,  horoi. 
Moucheté,  —  huruke. 
Mouchoir,  —  horoi  mata. 
Mouillage,  —  liaga. 
Mouiller,  —  (hoa,  — jeter  V an- 
cre), =  mouiller  :  \\;\k'à  rari, 

haka  vekuveku. 
Moule,   mouler,  —  mea  popo, 

pahupojjo. 
Mourir,  —  mate  ;  =  subitement, 

mate  horahoi'au. 
Mousse,  —   de  mer,   —    rimu, 

neheuehe. 
Mousseline,  —  kahu  rahirahi. 
Moustache,  —  vere. 


VOCABULAiUK  DE  LA   t.A.M'.ll-:  DE  L  ILE-l)E-l>AoUES. 


-2^21 


Moustique,  —  takaure  iti. 
Moutarde,  —  iiiogeo. 
Mouton,  —  imitone. 
Mouvement,  mouvoir,  —  krukcu, 

gaieiei  ;  =  toujours  :  keiikeu 

taliagaa  ;  =  se  mouvoir  sans 

cesse,  id.,  =  incapable  de  se 

m.  :  nolio  no. 
Moyen,  —  rava  ;  =  il  ny  a  pas 

moyen  :  e  ko  i\-na. 
Muet,  —  luoii  uo,  mou  uoa. 
Multiplication,    multiplier,    — 

liaka  nui.  haka  uegoiiego,  lia- 

katiti. 
Multitude,    —    gagata,    gagaia 

uni. 
Munificence,  —  i-akau  nui. 


Urunissions,  —  rava,  inorava, 
hue  mai. 

Mur,  muraille,  —  pa. 

Mûr,  —  para,  —  ekaeka,  = 
non  mûr,  tae  i)ara.  i)uku  uo. 

^[àrier,  —  mante. 

Mûrir,  —  para,  liakai)ara. 

Murmurer,  murmure,  —  hegu 
hegu,  haka  kani^ka  ;  =  quand 
il  s'agit  d'une  femme  ou  d'un 
homme  qui  ahandonne  le  con- 
joint :  —  geu. 

]\Iuscle,  —  vaha,  vahavaha. 

Museau,  —  goutu. 

Mystère,  mystnieux, —  miterio, 
pi)ko[)<»ko. 


N 


Nacre,  —  rei. 

Nageoire,  —  rei  kauaha  ;  =  sur 

le  dos,  oe  ;  =  du  ventre  :  tuu- 

tuu  —  du  rcf[uin,  id. 
Nager,  —  kau  ;  =sur  la  lame  : 

garu  ;  =  face  en  bas.,  l'uku  ; 

=  faire  nager  :  hakakaii. 
Nain,  —  tagala  p<jt(j. 
Naissance,  naître,  —  poi'eko. 
Nappe,  —  kaliu  kai. 
Narguer,  —  haka  meèmoe,  ha- 
ka migouugo. 
Narine,   —   poga.   —  naseau  : 

ihu. 
Narrer,  narrateur,  —  ra\a  ki. 

rava  vauaga. 
Nasarder,  nasillard,  —  ihu  piro 

ihu  })agaha. 
Natal,  —  ote  [)orcko  haga. 
Natation,  —  kau  liaga. 
Nation,  —  tagata  no. 
Nativité,  —  poreko  haga. 
Natte,  —  raoega. 
Natter,  —  raraga. 
Nature,  —  uatura. 
Naufrage  ,nauf rager ,  —  niarcr»'. 

gaa  miro. 


Nausée,  —  kereki,  kerereki. 
Navigable,  —  tai  riva  uio  terc. 
Navigateur,  navigation,  —  terc, 

t(^rt'ga  ;  —  naviguer,  id. 
Navire,  —  miro  ;  =:  de  guerre  : 

uiiro  manua  ;  =  trois  tnâts  : 

luù  toru,  =  deux  mâts  :  tuù 

l'iia. 
Ne, —  ina,  kakoi'c,  c  ko,  e  kore  ; 

=  ne  faites  pas  :  eko,  ekore  ; 

—  n  est -ce-pas  :  ro,  ra. 
Né,  —  porekoa  ;  ^^^  premier  né  : 

atariki. 
Néanmoins,  —  uiea  ra. 
Néant,  —  korega. 
Nécessaire,  nécessité,  —  <•  mea 

ka. 
Négligent, —  vai  ai)Uga,  nohouo. 
Négoce,  négociant,  —  haka  hère 

mai.  haka  hère  alii. 
Nègre,  —  kiii  hurihiiri  pdiijjoi'i, 

kcrckci'c. 
Nrige,  —  nieve,  matamata  ika. 
Nerf,  —  valia,  vaha. 
Netteté,  net,  —  ritorito,    riva- 

riva. 
Nettoiement,  nettoyer,  —  tutu. 


222 


LE   MUSÉON, 


Neuf,  —  hou,  —  neuf,  (nomdre), 

iva,  —  tiaki. 
Neveu,  —  poki. 
Névralgie,  —  ekaeka. 
Nez,  —  ihu. 
Ni,  —  ina,  kakore. 
Niais,  —  tae  maori. 
Nicher,  nid,  —  ogaa  ;  =  de  rat  : 

pupa. 
Nielle,  —  tutae. 
Nier,  —  tae   aaki,  haka  naà, 

naà  no. 
Niveau,  niveler,  nivellement,  — 

liaka  kivakiva,  — mohimolii. 
Noce,  —  liuuoga. 
Nocturne,  —  o  te  po. 
Nœud,  —  haka  piikou,  hère  ;  = 

nouer  :  id.  ;  =  nœud  coulant  : 

gita. 
Noir,  —  hurihui'i,  kerekere  ;  — 

noirâtre,  id. 
Noircir,  —  haka  Inirihiiri,  haka 

kerekere. 
Noix,  —  rama. 
Nom,  —  igoa. 
Nombre,  nomhrer,  —  tapa,  = 

grand,  tini,  piere;  =  indéfini, 

migoigoi. 
Nombreux,  —  nui,  nuiaui  ke. 
Nombril,  —  veo. 
Nomination,  —  uai)e  haga  ;  — 

nommer,  nape. 
Non,  —  ina,  kakore. 
Nonchalant,  nonchalance,  non- 
chalamment, —  koro  iti  no, 

koro  iti  no. 
Nord.  — 
Nord-est.  — 
Nord- ouest.  — 
Nos,  —  to  tatou,  to  matou,  no 

tatou,  no  motou,  to  maua,  no 

maua. 
Notable,  —  nui,  menege. 
Note,  noter,  notice^  —  hakakite, 


ta,  ta  mau  ihoiho,  —  notifier, 

id. 
Notion,  —  kite  a  haga. 
Notre,  —  voyez  nos. 
Nouer,  —  hakamau,   mau,  — 

hère. 
Noueux,  —  pukupuku. 
Nourrice,  —  matua  tama  ahine 

hagai. 
Nourricier,  —  hagai  ;  =  nour- 
rir, hagai. 
Nourrisson,  —  kai  ii. 
Nourriture,  —  kai,  mau. 
Nous,  —  tatou,   taua,    matou, 

maua. 
Nouveau,  —  hou,  iho,  iho. 
Nouveauté,  —  id. 
Nouvelle,  —  rogo. 
Novembre,  —  ora  nui. 
Noyau,  —  mokoi. 
Noyer,  se  noyer,  —  emu,  garo. 
Noyer,  (arbre),  —  rama. 
Nu,  —  giogio  kore. 
Nuage,  —  kohu,  kohu,  =  blanc, 

ragi  puga  ;  =  noirs,  ragi  hu- 

rilinri  ;  =  rouge,   e  ata  ;  == 

annonçant  le  vent  :  ragi  toke- 

rau,  — matagi  ;  =  sans  nuage, 

ragi  amo  ;  =  nuageux  :  kohu- 

kohu. 
Nuisible,  nuire,  —  hakapagaha, 

haka  gogoro  àa. 
Nuit,  —  po  ;  =  obscure,  po  ha- 

ha,  =  la  nuit  dernière  :  o'^dito  ; 

=  la  nuit  prochaine  :  a  po,  a 

po  nei. 
Nul,  —  kore  no,  kore  noa  ;  = 

nullilté,  id. 
Numéro,  numéroter,   —  ta.  — 

hakatuu. 
Nuptial,  —  moomoe. 
Nuque,  —  tuke. 
Nutritif,  nutrition,  —  hakama- 

kona. 


VOCABULAIRE  DE  LA  LANGUE  DE  L  ILE-DE-PAQUES. 


223 


0, -e. 

Obéissant,  obéir,  —  tarigà  haka- 

rogo,  hakarogo. 
Objec/ion,  —  ihoiho. 
Objet,  —  mea,  mee  ;  =  précieux, 

rakau. 
Obligation,  —  haka  hokibaga. 
Obligeant,  obligeance,  obliger,  — 

atakai,  rima  atakai. 
Oblique,  obliquité, — hipa,  baka- 

tahà,  hipabaga. 
Obscène,  —  rakerake. 
Obscur,  obscurité,  —  po  baba, 

kobu  no,  kerekere,  baka  buri- 

bari  ;  =  brume,  mihi  mibi  ; 

=  brume  des  vagues  qui  se 

subdivisent,  puga  ebu. 
Obsèques,  —  tanu,  tanubaga. 
Observance,  —  ragiga. 
Observateur,  observer,  —  tariga 

bakarogo. 
Obstacle,  —  tarupu,  tarupu  ba- 

ga  ;  =  mettre  06.,  bakatarupu. 
Obstination,  obstiné,  —  iboibo, 

pogeba  ;  =  s'obstiner  :  ici. 
Obstruction,  —  puru,  pa. 
Obtempérer,  —  biga,  baga,  baga 

mai. 
Obtenir,  —  rava,   morava  ;  = 

qui  n'a  rien  obtenu  :  vaiîipuga. 
Obtus,  —  nibiuibi. 
Occasion,  occasionner ,  —  tumu, 

raè,  raèga. 
Occident,  —  garoaga  raà. 
Occijntt,  —  tupuraki. 
Occulte,  occulter,  —  naà,  baka- 

naà. 
Occupation,  occuper,  —  baga. 
Océan,  —  tai,  moana. 
Ocre,  —  kiè. 
Octobre,  —  ora  nui. 
Odeur,  —  eo,  nehe  ;  =  putride  : 

pipiro  ;  —  bogeboge  ;  =  dé- 
goûtante :  pipiro  ke  avai  ;  = 

pour  tout  :  bonne  odeur  :  eo  ; 

=  mauvaise  odeur  :  pipiro. 


Odieux,  —  rakerake,  ta  a  mei- 
taki. 

Odorifiant,  odorant,  —  eo  mei- 
taki. 

Odorat,  —  bogi. 

Œil,  —  mata  ;  =  fatigué  :  mata 
pagaba  ;  =  détourner  les  : 
Lira  ;  =  faire  signe  des  yeux  : 
mine,  =  œillade,  id.,  pupura 
mai. 

Œuf,  —  mamari  ;  =  de  poisson, 
maraari,  kopu. 

Œuvre,  —  baga,  bagabaga. 

Offensant,  offense,  offenser,  — 
bakapagaba,  bakameémeé, 
vare  gao. 

Office,  —  baga. 

Offrande,  —  bapaibaga,  avai. 

Offrir,  —  avai,  bapai. 

Ognon,  oignon,  —  aniani. 

Oh  !  —  bo. 

Oindre,  —  akui  akui. 

Oiseau,  —  manu  ;  =  sans  plu- 
mes, punua. 

Oisif,  —  nobo  no,  vaiapuga  ;  = 
oisiveté,  id. 

Ombilic,  —  pito. 

Ombrage,  —  kobu,  marumaru  ; 
=  ombrager,  bakakobu,  baka 
marumaru. 

Ombre,  —  kobu  ;  =  d'un  mort  : 
akuaku. 

Omettre,  omission,  —  rebu,  — 
reburebu,  garo. 

Omoplate,  —  papa. 

On,  —  te  tagata. 

Onction,  —  akui. 

Onde,  ondée,  —  ua,  ua  ke  avai. 

Ondoyant,  ondoyer,  onduler,  on- 
dulation, —  pipine,  aruaru. 

Onéreux,  —  pagaba. 

Ongle,  —  mai  kuku,  maikuku. 

Onguent,       rakau. 

Onze,  —  etabi  baga  buru  ma 
tabi  ;  —  onzième,  id. 

Opaque,  —  peugo  peuga,  mato- 

14 


224 


LE    MUSÉON. 


rutoru. 
Opération,  opérer,  —  hakariva, 

hakaora. 
Opiner,  opinion,  —  manau. 
Opiniâtre,   —   pogeha,    ihoiho, 

tariga  puru  a. 
Opportun,  opportunité,  —  riva- 

riva,  tau. 
Opposant,    opposer,    —    ihoiho 

mai  ;  =  s'op.,  id.,  =  tarupu 
mai. 
Oppresser,  oppression,  —  paga- 

ha,  hakapagaha  ;  =  oppressé, 

id. 
Opter,  —  tagi. 

Opulent,  —  rakau  mii,  ke  avai. 
Or.  (métal).  —  moui  ineamea. 
Or,  (conjonct.J,  —  reka. 
Orage,  orageux,  —  atutiri,  — 

kohukohu. 
Oraison,  —  pure. 
Orange,  oranger,  —  anaui. 
Orateur,  —  rava  ki. 
Oratoire,  —  aretare  niotu. 
Orbite,  —  tutu  mata. 
Ordinaire,  —  uo,  moo  iha  raa, 

iha  raa. 
Ordonner,  —  hakarivariva. 
Ordure,  —  tutae.  oone. 
Oreille,  —  tariga  ;  —  qui  entend 

bien,  tariga  uieitaki  ;  =  qui 

entend  mal  :  tariga  pogeha. 
Oreiller,  —  ragua. 
Organisation,  organiser,  —  haka 

rivariva. 
Orgueil,  —  tea. 
Orient,  —  hitihaga  raà. 


Orifice,  —  niogugu,  mogugu. 
Original,  originalité,  —  nivani- 

va,  —  haka  l'eka. 
Origine,  —  tumu  ;  =  originel, 

rakerake  tumu. 
Ornement,  orner,   —  rakei,  = 

or.  du  prêtre  :  kahu  mitiuare. 
Ornière,  —  poko,  rua. 
Orphelin,  —  mutua  kore. 
Orteil,  —  magamaga  tumu. 
Os,  —  ivi. 

Otage,  —  hakanoho. 
Oter,  —  iko,  too,  —  mau. 
Ou,  (conj.),  —  kakore  ra,  kako- 

re  ro. 
Où,  (adv.), —  hea,  kihea,  uohea, 

ahea,  ou  no  hea,  a,  hea. 
Oubli,  oublier,  —  rehu. 
Ouest,  —  tokerau  aho. 
Oui,  —  e,  ko  ia. 
Ouies,  —  taki  turi. 
Ouir,  —  rogo,  hakarogo. 
Ouragan,  —  vai  nui,  ua  nui  ke 

avai. 
Ourdir,  —  haka  mee,  hakariva- 
riva. 
Ourlet,  —  aamoni. 
Outrage,  —  hakameèmeè. 
Outré,  —  uuinui  ke,  =  à  V excès  : 

manava  pohi. 
Ouvert,  —  mataki  ;  =  ouverture 

petite  :  pu,  pu  no  rikiriki. 
Ouvrage,  —  haga,  =  grand,  ro- 

roa  ke,  =  fâcheux  :  haga  pa- 

gaha. 
Ovale,  —  takataka,  viriviri. 


Pacificateur,  pacifier,  —  haka 
magaro,  magaro. 

Pacte,  —  haka  titikaga,  haka- 
rivariva. 

Pagaie,  —  hoe,  hoe. 

Pagp,  —  patupatu. 

Pagne,  —  pareu. 


Paie,  paiement,  —  hakatari,  ha- 

katariga. 
Païen,  —  eteui,  etenihaga. 
Paille,  —  mouku. 
Paiji,  —  haraoa. 
Paire,  —  tahuga,  ^  mettre  par 

paires  :  hakatahuga. 


VOCABULAIUF  DE  LA  LANGUE  DE  l'iLE-DE-PAQUES. 


Paisihle,  —  magaro. 

Paître,  — kai, — naginagi,  aino- 

amo. 
Paix,  —  pava,  pava  noa. 
Palais,  —  liare  nunui. 
Pâle,  —  rauhiva,  teatea,  mata 

teatea. 
Palissade,  —  pa. 
Palme,  —  niu,  =  palmier,  id 
Palpable,  palper,  —  gatu,  gatu 

mai. 
Palpitation, palpiter,  —  aguagu. 
Pan,  —  liorega  kahu. 
Pandanus,  —  hara. 
Panier,  —  keete,  keete. 
Panne,  mdtre  en  panne,  —  hora- 

hora. 
Panse,  —  kopu. 
Panser,  —  viri,  hakaviri. 
Pant(don,  —  piripou,  vae  liau. 
Papa,  —  matua  taïuaroa. 
Pai^e,  —  papa. 
Paquet,  —  liahi. 
Par,  —  e. 
Paradis,  —  ragi. 
Paraye,  —  lieemia,  kaiga. 
Paragraphe,  —  paiga,  iti. 
Papier,  —  paiapara. 
Paraître,   —  pukou   mai,    liiri 

mai,  il  iti  mai  ;  =  soudain  : 

horalioraii. 
Parallèle,  —  liakaritega. 
Paralyser,  —  liakaripoi,  =  pa- 
ralysie :  aliu,  takapau. 
Parapet,  —  pa. 
Paraphrase,    —    liakarivariva 

mai. 
Parapluie.  —  marumaru. 
Parasite,  —  manu  iti  iti. 
Parc,  —  pa. 
Parcelle,  —  horega  no  iti,  = 

diviser  m  p.,  —  liorehore. 
Parce  que,  —  no  te  mea. 
Parcimonie,  —  kaikino.  — 
Parcourir,  —  tikea  liorahorau, 

tofiuti. 
Pardessus,  —  a  ruga,  ma  ruga. 
Pardon,  pardonner,  —  haka  ho- 


ki  mai,  haka  garo  te  rake- 
rakega. 

Paré,  —  rakei  a,  parei,  rakei, 
hakariva. 

Pareil,  —  etalii  hakarite. 

Parent,  —  ivi. 

Paresse,  —  vaiapuga. 

Parfait,  —  rivariva  noa  ;  = 
pas  parfait,  tae  riva. 

Parfum,  —  eo. 

Parfumer,  —  haka  eo. 

Pari,  parier,  —  mamahi. 

Parlant,  jiarhr,  —  ki,  vanaga  ; 
=  à  voix  basse  :  hahumuhn- 
mu  ;  =  haut,  ohu  ;  =  en  dor- 
mant, haka  hepo  ;  =  à  soi- 
même  :  haka  tapona  ;  =  avec 
volubilité  :  ki  veveveve  ;  = 
indiscrètement  :  varegao  ;  = 
beaucoup  pour  ne  rien  dire  : 
ki  vaiapuga  ;  =  avec  énergie  : 
ki  ihoiho  ;  =  beau,  aki,  ou 
ravaki. 

Parmi,  —  ki  vaega,  ki  roto. 

Parole,  —  ki,  vanaga. 

Parricide,  —  tigitigi  matua. 

Part,  —  horega,  tuha  ;  =-  faire 
sa  part  :  too  tahi  ;  =  secrète- 
ment: maà  too  tahi  ;  hakakopi  ; 
=  de  part  en  part,  tehe  e  turu. 

Partager, —  tuha,  tahuga,  hore- 
hore  ;  =  en  deux  :  tuha  e  rua. 

Parti,  —  maigo,  kio,  horega 
tagata  ;  =  homme  des  deux 
partis  :  mata  e  rua. 

Partial,  partialité,  —  avai  tahi  ; 
haka  noku. 

Participation,  participer,  —  mo- 
rara,  rava. 

Particulièrement,  —  ko  ia  à. 

Partie,  partiel,  —  liorega,  ava- 
liiga. 

Partir,  —  oho,  tere  ;  =  par- 
tons :  a  nma,  mata. 

Partisan,  —  maigo. 

Partition,  —  horega. 

Partout,  —  kooua  ananake. 

Parure,  —  mahaua. 


226 


LE    MUSÉON. 


Parvenir,  —  tehe. 

Pas,  (adv.),  —  iua,  kakore  tae. 

Pas,  (suhst.),  —  raaumau. 

Passage,  —  ava,  =  donner 
pass.  :  liaka  uta. 

Passager,  —  tagata  hiri,  ahere, 
tere. 

Passe,  —  ava. 

Passé,  (fini)  :  —  pae,  pae  a, 
mou,  mou  a. 

Passer,  —  garo,  tere  ;  =  passer 
à  :  liihoi  ;  =  aborder  :  teki  ; 
=])asser  un  liquide  :  hakauini- 
niui,  hakaperigi. 

Passion,  passionné,  —  mato  a, 
iiianava  mate. 

Pastcque.  — 

Pastoral,  pasteur,  —  tiaki  mu- 
tone. 

Patate,  —  kuiiiara. 

Pâte,  —  liaraoa. 

Paternel,  —  o  te  matua. 

Pathétique,  —  haka  manau. 

Patience,  —  reo  kore  ;  =  pa- 
tienter :  id.,  mou  no. 

Pâtir,  —  matemate. 

Pâtre,  —  tiaki  nuitoue. 

Patriarche,  —  pateriareka,  (mo- 
derne). 

Patrie,  —  lieenua  tuinu,  o  te 
pore  kohaga,  o  te  tupuna. 

Patte,  —  vae,  =  aller  à  4  pattes: 
totoro. 

Paume,  —  pararaha  rima. 

Paupière,  —  liihi  mata  ;  =  les 
retourner  :  liilii  ketuketu. 

Pause^  pauser,  —  ora,  liaka  ora. 

Pauvre,  —  rakau,  kore. 

Pavaner,  —  rakei. 

Pavé,  —  paepae. 

Pavillon.  —  rêva. 

Payer,  —  liakatari. 

Pays,  —  kaiga,  heenua. 

Paysage,  —  ata  iieeuua. 

Paysan,  —  uolio  lieeuua. 

Peau,  —  kiri  ;  =  irritée,  dessé- 
chée :  pakapaka  ;  =  noire  : 
kiri  huriliuri. 


Pêche,  pêcher,  pêcheur,  —  rava 

ika  ;  =  au  flambeau,  ika  pubi  ; 

=  à  la  ligne,  ika  lii,  ika  ko- 

hau  ;  ==  habile  pêcheur  :  rava 

ika  maà,  maori. 
Péché,  pécheur,  pécher,  —  rake- 

rakega,  rakerake. 
Pédoncule.  — 
Peigne,  peigner,  —  tapani,  {ou 

tapauij,  =  peigner  :  hahari. 
Peindre,  —  ta,  ata  ;  =  peinture 

2)0ur  peindre  :  peui  akui  ;  = 

peindre,  akui. 
Peine,  peiné,  peiner,  —  pagaiia, 

gogoroaà  ;   ==  subite  :   gogo- 

roaà  liorahorau. 
Pelé,  peler ^  —   varu  varu,  — 

varuvaru. 
Pelle,  —  ao  oone,  moo  te  ooue. 
Peloton,  —  tekai,  tekai. 
Pelouse,  —  koona  mouku. 
Pelu.  — 

Pelure, — \dn,=debananier,\{\.. 
Penchant,  —  hiriga  mouga. 
Penché,  pencher,  —  taha,  liipa  ; 

^l^ewcAer  la  tête  :  liakatalia. 
Pendant,  (prép.),  —  a  mea  ka  ; 

=  pendant  que  :  mai. 
Pendant,  (subst.),  —  karokaro 

tariga. 
Pendre,  —  rêva. 
Pénétration,  —  manau  liohonu. 
Pénétrer,  —  tomo,   haka   uru, 

uru. 
Pénible,  —  pagalia,  gogoroaà. 
Pénitent,  —  manava  poki. 
Pensée,  penser,  —  manau  ;  = 

pensif,  nuanau  no. 
Pente,  —  turuga. 
Pépin,    —   karu  ;  =   mokolii, 

quand  c'est  gros. 
Percale,  —  kaliu. 
Perception,  —  manau. 
Percé,  percer,  —  pu,  hakapau  ; 

=  percer  un  abcès,  maki  gaà. 
Percevoir,  —  tikea. 
Perchoir,  percher,  se  percher,  — 

tau  ;  kua  tau  te  moa,  en  par- 


VOCABULAIRE  DE  LA  LANGUE  DE  L  ILE-DE-PAQUES. 


-2-27 


lant  de  la  poule. 
Perclus,  —  tuimi  kore. 
Perdant,  perdition,  perdre,   — 

l)erigui,  garo,  =  de  vue,  relui 

rehu,  =  se  perdre  :  garo. 
Père,  —  inatua  taiiia  roa  ;  = 

nourricier  :  niatiia  liagai  ;  = 

adoptif  :  matua  toù. 
Perfection,  perfectionnement,  — 

rivarivaga,  liakarivariva. 
Perfide,  —  rakerake  uni  ke,  = 

perfidie,  rakerakega. 
Perforer,  —  hou,  pu,  haka[)u. 
Péril,  périlleux, —  uuitaku,  ma- 

taku  ke. 
Période,  (longue),    —  raarama 

roa . 
Périr,  —  mate. 
Perle,  —  mata  ika. 
Permanence,  permanent,  —  tae 

mou. 
Permettre,  permis,  permission, 

—  liaga  uiai. 
Permutation, 2}ermuter,  —  liaka- 

liere. 
Pernicieux, — haka pagalia  mai. 
Pérorer.  — vanaga,  pogeba  mai. 
Perpendiculaire,  —  tuù  uoa. 
Perpétuel,  —  tae  mou,  iua  kai 

mou. 
Perplexité,  —  mataku,  pepeke, 

reherehe. 
Perruquier,  —  tagata  varu  puo- 

ko.^ 
Persécuter ,  persécution, —  liaka- 

pagaha. 
Persévérance,  persévérer,  —  tae 

liaka  rere,  ihoilio. 
Personnage,  —  tagata  lioo  uui. 
Persohne,  personmdité,  —  taga- 
ta ;  =  belle p  ,  tagata  ritorito. 
Perspicace, perspicacité,  —  mao- 
ri. 
Persuader,  persuasion,  —  halca 

liiga  mai,  haka  hati  mai. 
Perte,  —  garo  a. 
Perturbateur,  —  pogeha,  tagata 

pogeha. 


Pervers,  —  rakerake,  =  perver- 
sité :  rakega. 
Pervertir,  perversion,  —  liakari- 

poi  ;  hakaripoi  haga. 
Pesant,  pesanteur,  —  pagaha  ; 

=  peser,  nmuau. 
Pester,   —   mauava   hanohano, 

kokoma  purihuri. 
Pet.  —  hu. 
Pétale.  — 
Petit,  (adj.),  —  iti,  gorigori  ;  = 

très-petit  :  potopoto. 
Petit,  (subst.),  —  puuua. 
Petit-fils,  —  nuikupuua,  poki. 
Pétition,  pétitionner,  —  nonoi, 

uouoihaga. 
Pétrir,  —  reirei. 
Pétulant,  pétiller,  —  rava  tohuti. 
Peu.  —  iti,  gorigori,  horega  no 

iti  ;  =  un  peu  plus,  ki  hua. 
Peuplade,  peuple,  —  gagata. 
I^eupler,  peuplé,  —  uuiga  tagata, 

hakanego. 
Peur,  peureux,  —  mataku,  ho- 

pohopo  ;  =  de  peur  que,  ho. 
Peut-être,  —  peaha. 
Phospjhoresceuce,  —  haka  pura- 

pura  mai. 
Phrase,  —  paiga,  horega  ki. 
Phtisie,  —  keo,  mate  keo,  kite 

ke. 
Physionomie,  —  ariga,  akari. 
Piailler,  piauler,  —  tagi. 
Piastre,  —  moni  tara. 
Pic  à  pic,  —  opata. 
Picotlement,   —  hukihuki   mai 

hukihuki. 
Pièce,  — horega  ;  =^.  d'étoffe  : 

])iia  pua  ;  =  mettre  en  piréces  : 

lioreîiore,  roturotu. 
Pied,  —  vae  ;  =  pied  bot,  ko- 

kope,  =  cent  pieds,  viri. 
Piège,  —  pikoga  ;  ^  user  d'un 

piège,  piko. 
Pierre,  —  maea,  =  très-dure  : 

îhoiho  ;  =   ronde  :   viriviri  ; 

=  plate  :  paparaha  ;  =  polie  : 

kirikiri  ;  =  de  fronde  :  kiriki- 


2-28 


LE    MISÉON. 


ri  ueue  ;  =  neigeuse,  iiiaea  lio- 

rohoro  ;  ^  ponce,  rapo  ;  = 

lancée,  pureva  ;  =  ias  de  p., 

[)uke  niaea  ;  =i)Jein  dcpierres, 

talairua  ;    =    sans    pierre  : 

maea  kore,  varevare. 
Vierrerie. 

Fierrler,  —  pu})ulii  nui. 
Fléfc,  pieux,  —  livariva,  niolta- 

ki. 
Piétiner,  —  hakalietu. 
Pieu,  —  tuù,  oka. 
Pile,  —  hue,  tuke. 
Piler,  —  leivei. 
Pilier,  —  pou,  tuù. 
Piller,  —  koii. 
Pilon,  —  ti^itiyi. 
Pilote,  —  liakatai'i  niiro. 
Pinceau,  —  akui. 
Pincer,  —  liakura,  gatu. 
Pioche.  —  i)eu. 
Pipe,  —  i)uhii)ulii. 
Piquant,  —  taratara  ;  =  ffoi'tf, 

karakara,    ou   kavakava  ;   — 

niageo  ;  =  blessant,  tarutaru. 
Piquer,  —  pu,  oka,  okahia. 
Pire,  —  l'akurake  atu  ;  =  gâté, 

])i})ii'o. 
Pirogue,  —  vaka,  —  i)oei)oe. 
Pirouetter,  —  tahuri,  liariu  ;  =: 

faire  p.,  haka  tahuri. 
PiSf(adv.), —  rakerake  ke,  veri- 

veri  ke. 
Pistolet,  —  liago  poto. 
Pitance,  —   iuaki. 
Piteux,  pitié,  —  hakaaroha  ;  =^ 

piteux,  vaiapuga. 
Pitoyable,  —  hakaai'oha. 
Place,  —  kooua  ;  =  lieu  ouvert, 

kooue    varevare   ;    =    faire 

place,  ci  atu. 
Placenta,  —  pu  heenua. 
Placer,  —  hakarere,  avai,  uioe 

atu  ;  =  être  mal  placé  :  uoho 

pagaha. 
Plage,  —  haga. 
Plaider,    —    liakarivariva  ;    = 

plaideur,   tagata  hakarivari- 


va  ;  =  qui  plaide  éloquenuiicnt, 
hakarivariva  meitaki . 

Plaie,  —  uiaki,  taô,  paliure. 

Plain,  —  nego,  titi. 

Plaindre,  —  hakaaroha. 

Plainte,  — geu,  nuuiavaru,  lua- 
uava  pagaha. 

Plaire,  —  rivariva,  meitaki. 

Plaisant,  plaisanter,  plaisante- 
rie, —  tagata  hakareka,  ha- 
kareka,  reka. 

Plaisir,  —  koakoa,  reka. 

Planche,  —  miro  ;  ==  circulaire, 
niiro  takataka  ;  =  flottée, 
niiro  raga. 

Plancher,  —  paepae,  =  plan- 
chéier,  hakapaepae. 

Planète,  — hetuù  pupura. 

Plant,  —  tauuga,  niiro. 

Plante,  —  miro,  =  des  pi(ds, 
reke  vae,  aro  vae. 

Plat,  (ustensile),  —  hi])u. 

Plat,  (adj.),  —  pararaha. 

Plateau,  —  kooua  varevare. 

Platine,  —  moni. 

Plébéien,  —  kio. 

Plein,  plénitude,  —  titi,  nego. 

Pleurer,  —  niatavai,  tatagi,  ta- 
gi  ;  =  faire  pleurer,  hakatagi. 

Pleuvoir,  — ua,  lioa  nuii  te  ua  ; 
=  cesser  de  pi.  :  uiou  te  ua. 

Pli,  —  hahatu,  takapau  ;  = 
effacer  les  plis,  hakauiou. 

Pliant,  (adj.),  —  hakapiko,  ha- 
kavari. 

Plier,  —  haatu  ;  =  plisser,  id. 

Plomb,  —  uuimara. 

Plonger,  —  ruku  ;  =  d''une  hau- 
teur, virî  ;  =  la  tête  la  pre- 
mière, ruku. 

Ployer,  —  hakapiko,  hakavari. 

Pluie,  —  ua  ;  =  fine,  niihimi- 
hi,  ehuehu,  puga  ehu  ;  = 
longue,  forte,  ua  ke  avai  ;  = 
près  de  tomber,  kohu  ;  =  optpa- 
rence  de  p.,  ragi  puga. 

Plume,  —  huhuru,  rou  uieamea. 

Plumer,  =  hutihuti. 


VOCARLLAIUi:  DE   LA   LANGLE  DE   L  ILE-DE-l»AOUES. 


^2-29 


Plupart.  — te  iiiiiga. 

Plusieurs,  —  niau. 

Plus,  —  atu,  —  ake  ne  se  dit 

pas  ;  =  plus  que,  uni  atii. 
Plus  tôt,  —  i  mua  atu. 
Plutôt,  —  boraliorau. 
Pluvieux,  —  ua  ke  aval. 
Poche,  —  ketc 
Poids,  —  })agaha. 
Poil,   —   liuliuru  ;   =    harhes, 

vcre  ;  =  enlever  le  :  —  va  ru. 
Poinçon,  —  ulvi. 
Poindre,  —  liiti.  pukou  mai. 
Poing,  —  liuia  hakavu'iviri  ;  = 

fermer  le  p .  :  id  \  =  frapper 

du  poing  :  tigitiiii. 
Point,  {adv.  nég.),  —  ina.  ka- 

kore,  tae  ;  =  point  du  jour  : 

liorau,  hitihiti,  liorau,   mara- 

ma  uo  iti  ;  =  sur  le  point  de  : 

ho. 
Pointe,  —  de  terre  :  l^uona  uoi- 

g'ôi  ;    =^   de    luncc  :    uaiuai. 

kaikai  ;  =  se  tenir  sur  une  p.  : 

nolio  oj)ata. 
Pointeur,  pointage,  pointer,  — 

haka  keva,  hakakeva  mai. 
l^ointu,  —  voyez  pointe. 
Pois,  —  pipi. 
Poison,  —  megeo. 
Poisson,  —  ika  ;  :=  volant,  ika 

rere  ;  =  hanc,  lieu  de  p.  :  koo- 

ua  ika  nui. 
Poitrail,  poitrine,  —  huma. 
Poivre,  —  megeu. 
Poix,  —  garau,  hiva. 
Poli,  —  râpa  ;  =  polir,  id. 
Polluer,  pollution,  pollué,  —  ha- 

kaooiie,  oone. 
Pommade,  —  mori  eo  eo. 
Pompe,  pomper,  —  pagupagu. 
Pompe . pompeux ,      riva,  rivaga 

ke. 
Pondre,  neiuei. 
Pont,  —  viriviri. 
Pontife,  —  ivi  etua  ;  ==  pontifi- 
cat, ivi  etua  haga. 
Populace,  —  gagata. 


Popularité,  populaire,  —  tagata 

magaro. 
Population,  populeux,  —  nuiga 

tagata. 
Porc,  —  horu  ;  =  de  lait,  [lunua 

horu. 
Port,  —  koua  tau,  kooua  moo 

tuuio  ;  =  entrer  au  p.,  uru  ; 

==  entrée  d'un  port  :  ava. 
l'ortahle,  —  uiaamaa. 
Portail, porte,  —  hahauui,  haha. 
Portée,  — ])()re!<u  haga,  =  n'être 

pas  à.,    ko  roa. 
Porter,  —  hai)ai,anio.  hai,  tu})a. 
Portier,  —  tiaki  haha. 
Portion,  —  horega. 
Portrait,  —  ata. 
Poser,  —  hakarere,  =  Vun  sur 

Vautre  :  hue  kiruga. 
Position,  —  uolio. 
Posséder,  —  \V^)w,  =  possesseur, 

possession  :  id. 
Possibilité,  possiUe,  —  pea  ha, 

pcaha. 
Poste,  —  piko. 
Postérité,  —  poki. 
Posture,  —  uoho  ;  =  indécente  : 

noho  rakerake. 
Pot,  —  hipu,  hue. 
Poteau,  —  tuù  ;  =  placer  un  p.  : 

tanu  ki  te  tuù. 
Potelé,  —  purepure  a. 
Potence,  —  tuù  haka  mate  taga- 
ta. 
Potion,  —  rakau. 
Pou,  —  kutu. 

Fouce,  —  rima  matua  neanea. 
Poudre,  —  ooue,  =  de  tatouage  : 

garahu  ;  =  à  canon  :  paura. 
Poulain,  —  kevare  puiiua. 
Poule,  —  moa,  ulia  ;  =  sauvage  : 

mua  mauua  ;  =  attachée  :  moa 

hère  a  ;  =  sans  queue  :  huahua . 
Poumon,  —  ate. 
Poupe,  —  po  ihuihu  miro. 
Pour,  —  ei,  raea,  moo,  ki,  kia. 
Pourceau,  —  horu. 
Pour  parler,  —  vanaga  rikiriki. 


^250 


LE    MLSÉON. 


Pourpre,  —  kahu  meaniea. 
Pourquoi,  —  ma  alia,  no  te  alui, 

ei  aha. 
Pourri,  pourrir,  —  pipiro  ;  = 

œuf,  id.  ;  =  pourriture  :  id. 
Poursuivre,  —  aru  arn,  tiite. 
Pousser, (dans  le  sens  de  germer), 

—  tupu,  pipi  ;  =  poulet  dans 
Vœuf  :  niainari  puima  ;  ^= 
fleur  :  hiiaà. 

Pousse,  —  id.  =  jeune  :  i)ipi. 
Poussière,   —  ooue,    relui  ;   = 

réduire  en  p.  :  ooiie  no. 
Poutre.  —  tuu. 
Pouvoir,  —  man,  rava,  niorava  ; 

=  autorité  :  titikaga  ;  =P-  de 

Dieu  :  manaliaga. 
Prairie,  —  koona  niouku,  mou- 

ku  no. 
Pratique,  pratiquer,  —  niahani. 

mahaui  ki  te  liaga  era. 
Précaution,  précautionner,  {se), 

—  koro  iti,  tiaki. 
Précédent,  —  raè,  oniua,  iuiiia. 
Précéder, — olio  a  mua,  —  amua, 

=  papakiua. 
Précepte,  —  ragi,  ragiga. 
Précepteur,  —  tagata  haka  maà. 
Précieux,  —  [riche),  rivarivake, 

rivariva  noa. 
Précipitation,  —  horahorau,  ve- 

veveve,  —  tohuti  liaga. 
Précipité,  précipiter,.  —  id.  to- 
huti. 
Précisément,  —  ko  ia  a  ;  =  là  : 

kira  lioki. 
Précoce,  —  tupu  Jioraliorau. 
Prédécesseur^  —  rae. 
Prédestiné,  —  vae  a. 
Prédicateur, —  haka  maa,  tagata 

haka  maà. 
Prédiction,  prédire,  —  taku. 
Prééminence,    —  titikaga  ;   = 

prééminent  :  kiruga  nui. 
Préexister,  —  ora  tuhai. 
Préférable,  préférence,  préférer, 

—  vae,  va  vae  ;  —  rivariva- 
ke kia  ku. 


Préjudice,  préjudiciahJe,  —  ha- 
kapagaha, — hakapagahauiai. 

Préméditation,  —  manau  onma  ; 
=  sans  pr.  :  tae  numau,  tae 
manau  omua  ;  —  préméditer  : 
manau  omua. 

Prémices,  —  rae,  raega. 

Premier  :  rae  ;  =  à  l'action  :  ko 
te  mea  rae  ki  te. 

Prémunir,  —  mata  ara. 

Prendre,  —  too  ;  =  au  nœud  : 
hère  ;  =  au  pnnirr  :  ka  too 
mau  ei  keete  ;  =^  aux  traces  : 
rava  hakatika,  rara  ;  =  pr.  et 
s'enfuir  :  ka  too  e  ka  iiakuki  ; 
=  se  pr.  bec  à  bec  :  paôpaù, 
kakai  ;  =  à  P improviste  :  a 
aru  ;  =  prends  :  ka  ton. 

Préoccupé,  —  gogoi'oaa,  niauau 
no. 

Préparatif,  préparation,  prépa- 
rer, —  rakei,  rakoi,  hakari- 
variva. 

Près,  —  ki  taha  ;  —  tupuaki. 
koona  tupuaki. 

Présage,  — hakatuù,  haka  atu  ; 

—  présager,  id. 
Prescription,  prescrire,  —  ragi. 
Présence,  —  aro,  mata,  ariga, 

—  ki  te  ariga  o. 

Présent, {offrande), — akatariga, 

akatatariga  ;  =  présent,  {in- 

terject.)  :  o  ! 
Présentation,  présenter,  —  tata, 

tupuaki  ;  =  se...,  id. 
Présentement,    —   igeneira,   — 

ogaueira. 
Préserva  tien ,  préserver ,  —  1 1  a  1<  a  - 

rere,  popo. 
Président,  présidence,  présider, 

—  pa,  noho  vaega. 
Presque,  —  nuii. 
Pressant,  —  horahorau. 
Presse,  presser,  —  gaatu,  gaatu- 

a,  ka  kikiu  ro  ;  =  hâter  : 
veve,  —  horahorau  ;  =  se 
presser,  id.  ;  pression:  gaatu- 
ga. 


VOCAMlLAIKt;  DE  I.A   LANCLH  DE  l/ir,K-DE-l>AQl'ES.         '251 


Pressurer,  —  neiuci. 
Frcsumrr,  présupposer,  —  ma- 

iiaii. 
Prêta,  —  ai  naia,  aiuai'a. 
Prétention^  prétendre,   —    vaic 

l*rcter,  —  m. m  r  huki  mai. 
J'rctre,  —  pcrcpitcro.  {moderne). 
Preuve,  —  liakatuù.  liaka  atii. 
J'révfiricntcur,   —   po^elia  ;  =^ 
prév(iriratio77,  préi  ar/qu(r:U\. 
Prévenir,  —  aaki  ;  — liakatikca  ; 

—  liaka  rava  uiuna. 
Prévoir,  prévoijance,  —  luaiiaii 

oiniia,  niauau  raè.  luaàuiuiia. 
l*ricr.  prière.  —  i)nr(',  })ii]Viia  ; 

=  fréquente  :  puri'  purtqxitn. 
]'ri)nauié,  —  titikaga. 
Primitif,  —  oiuua.  raè. 
Pri)ice,  —  aiiki. 
J'rineififd,  —  iiira  iiuLini. 
]'rinri/e,   —    tuiiiii   ;    ==    d'un 

déhid  :  i(l. 
Prise,  —  rava,  i-avaliaga. 
Prison,  —  liarc  i^u  hurilmri. 
Prisonnier,  —  tagata   duIio  ki 

roto  0  te  liare  pu  hurihuri. 
Privation,  privé,  priver,  —  iku, 

kore,  pae  a  too  a. 
Prix,  —  rakau. 
Prohe,  pro})ité,  —  titika. 
Procédfr,  —  ran. 
Procès,  —  liakarivariva. 
Prochain,  (suhst  ),  —  itorokiiuo 

(moderne)  ;  =  (adjectif)  :  tutu, 

tn])uaki. 
Proclamation,  proclamer,  —  ta- 
ra, raiii. 
Procurer,    —   avai   noa,    rava, 

inorava. 
Prodifialité,  —  atakai,  atakai. 
Prodige,  —  liaga  niana. 
Prodigue,  prodiçiucr.,  — atakai, 

—  rima  atakai. 
Production,  }iroduire,  —  tiipu  ; 

liakatupu, 
J'rofancdion,    profancdiur,    — 
hakaripoi,  haka  oriori. 


Proférer,  —  ki.  vanaga. 

Professer,  —  aaki  ;  =  profes- 
seur, akoako. 

Profession.  —  liaga. 

Profit,  profiter,  —  morava,  rava. 

Profond,  profondeur,  —  lioliouii, 
pariM'a  ;  =  à  pic  :  u])ata  ;  = 
dormir,  gugoro.  l'ava  moe, 
ravahaka  ulin. 

J^rof/éniture,  -  [)oki.  makupuiia. 

J'rofirès,  —  riva  atu. 

l'roliiher,  —  pera,  rahui. 

]*roie,  —  ika,  heaga. 

Projet,  —  iiiauau  no  l'oto  ;  = 
projeter  :  id. 

Prolixe,  —  marcrc.  varavara, 
liatahata. 

]^rolon(/(dion. prolongement,  pro- 
longer, —  iiakaroroa,  liaka 
liiiiihini. 

Promenade  — aliei'e;  =  se  pro- 
mener :  id. 

Promesse,  promettre,  —  liakaru- 
riiga.  liakarui-u  ;  =  ijui  ne 
tient  pas  sa  pr.   reoreo. 

Promontoire,  —  0])ata. 

]'romotion,  —  vae. 

Prompt,  —  V(-veveve,  lioralio- 
rau. 

IWomulgation,  promulguer,  — 
tara,  oliu. 

Prône,  —  rara.  vauaga,  maà  ki, 
inaà  vanaga. 

Prononcer ,  —  ki,  vanaga  liaka 
rivariva. 

Pronostic,  —  taku,  liakatnù. 

Propagation,  propager,  —  rara. 

Prophétie,  —  takii. 

Proportion,  —  hakai'ite. 

Projios,  —  titika. 

Proposer,  —  hakatata,  hakati- 
kea. 

Propre,  —  ritorito  ;  ^  tenir  p., 
id. 

Propriétaire,  —  mau  kaiga. 

Proroger,  —  haka  liiuihiui,  lia- 
ka l'oroa. 

Proscrire,  —  lioa. 


232 


LE    MUSEOIN. 


Prospère^  prospérer^  —  uui,  uni 

a. 
Prosterner^  (se),  —  uoi,  uoi. 
Prostitution,  prostituer,  —  rake- 

rake,  veriveri. 
Protecteur,  pjrotéger,  protection, 

—  tariipu,  tarupuhaga. 
Protestant,  —  porotetani,  (mo- 
derne). 
Protester,  —  ihoiho. 
Protubérance,  —  aliii. 
Proue,  —  poihnihu. 
Prouver,  —  liakatikea  atu. 
Provenir,  —  mei  a,  —  tupu  ;  — 

rori  mai. 
Proverbe,  —  peira  ta  matou. 
Provision,  —  mau  nui,  kai  nui. 
Provisoire,  —  poto  no. 
Provocation,  provoquer,  —  rae, 

toua  rae,  kakai  rae,  tuki. 
Proximité,  —  tata,  tupuaki. 
Prwience,  prudent,  —  koro  iti, 

koro  iti  no  ;  =  agir  avec  p.  : 

haga  koro  iti  no. 
Prunelle,  —  hurihuri. 
Puant,  puer,  —  pipiro,  liano- 

hano. 
Publie,  —  piri  mai  te  tagata 

ananake,  ki  te  aro  o  te  mau 

tagata  ananake. 


Publication,  publier,   —  tara, 

oliu. 
Puce,  —  koura. 
Pudeur,  —  riva. 
Puéril,  —  taga  poki,  tagapoki. 
Puis,  —  ki  mûri. 
Puiser,  —  ootu. 
Puisque,  —  ua  (ou  no)  te  mea. 
Puissance,  —  mana,  manahaga. 
Puits,  —  puna. 
Pulmonaire,  —  mate  keo,  mate 

ki  te  keo. 
Pulsation,  —  ua  uene,  nene,  = 

ua  gaei. 
Pulvériser,  —  haka  liuu,  liaka 

eof'O. 
Punir,    punition,    —    tigitigi, 

tigitigiga. 
Pupitre,  —  raga  rago. 
Pur,  pureté,  —  ritorito  ke. 
Purgatif,  purger,  —  rakau  lialca 

neiuei. 
Purgatoire,  —  })urukat()rio. 
Purification,  purifier,  —  tata, 

haka  litorito. 
Purulent,  —  megeo,  mageo. 
Pustule,  —  ifl. 
Putréfaction,  —  pipiro. 
Putréfier,  putride,  —  id. 


Quadr angulaire,  —  haka  rava 
haka  turu. 

Quai,  —  kato. 

Qualité,  —  rivaga. 

Quand,  —  ahea  ;  -=  quand  (adv.), 
ogahea. 

Quanta,  —  ro,  kia  ku  a. 

Quantité,  —  nuiga,  nego  ;  = 
petite  :  iti  no  ;  =  petite,  insuf- 
fisante :  gorigori. 

Quarantaine,  quarante,  —  eha 
te  haga  uru,  eha  te  hagahuru. 

Quarré, —  voijes  quadr  angulaire. 

Quart,  —  horega. 


Quasi,  —  mai. 

Quatorze,  —  etahi  te  hagahuru 
maha. 

Quatre,  —  eha. 

Quatre-vingt,  —  evaru  te  liaga- 
huru. 

Que,  iconj.),  —  kia. 

Que,  [pron.),  —  to,  ta,  =  qu'est- 
ce  que,  e  aha. 

Quel,  —  ko  ai,  aha. 

Quelque,  —  na  ga,  u;i,  ga. 

Quelquefois,  —  varavara  nu. 

Quelqu'un,  —  tetahi. 

Querelle,    —  toua,    kakai  ;  = 


VOCABLLAIUE  DE  LA    LANGUE   DE  L  ILE-DE-PAQUES. 


-255 


provocateur  de  quer.  :tukitoua. 

Querelleur,  —  tarotaro,  kakai, 
ma:i  ton  a. 

Quérir,  —  kimikimi. 

Qmstion,  —  ni  ui  ;  =  question- 
ner :  i(l. 

Queue,  —  d'animal,  —  iku  ;  = 
(le  2wisson,  id.  ;  =  de  fruit, 
kavei  ;  =  d'oiseau  :  vaero  ;  == 
de  cerf-volant  :  niaim  liakare- 
re  ;  =  remuer  lu,  :  garei  ki  te 
vaero. 


Qui,  —  koai. 

Quille,  —  iniro  raro. 

Quinze,  —  etalii  te  haiia  liuru 

ma  rima, 
Quiproquo,  —  liara. 
Quittance.  — 
Quitter,  —  liakarere,  lioa,  patu 

atii  ;  =  en  colère  :  niagaro  ; 

pava. 
Quoi,  —  alia. 
Quoique,  —  uoa. 


Rabais,  —  haka  iti. 

liahattre,  —  turaki,  haka  toi)a 

kiraro, 
Bahoter, —  varuvanu  varuvani. 
Ilahoteux,  —  pipi- 
liabouf/ri,  —  goriguri. 
Raccommodage,  raccommoder ,  — 

liouoliouo,  =  kaiiiui. 
Raccorder,  —  liakarivariva. 
Raccourccir,  —  Iiakapoto. 
Race,  —  poki . 
Racheter,  —  hakaliere,  lioô. 
Racine.  —  aka  ;  =^  les  couper  : 

kokoti. 
Racler,  —  varuvaru. 
Racloir,  —  hakaraliiralii. 
Raclure,  —  hakarahiraliiliaga. 
Raconter,  — vanaga  rikiriki,  = 

vauaga. 
Radeau,  —  rago,  =  faire  un  : 

liaga  ki  te  rago. 
Radieux,  —  pupiira. 
Radoucir,  —  liaka  magaro. 
Rafale,  —  tokerau  nui. 
Raffermir,  — hakaman,  —  haka 

ihoilio. 
Rafraîchir,  rafraîchissant,  ra- 
fraîchissement, —  ora. 
Raye,  —  toua  ke,  =  rager,  id.  ; 

—  kakai  nuiuni  ke. 
Raide,  raideur,  raidir,  —  haro, 

haka  ihoiho,  ihoiho  ;  kume. 


Raie,  —  kokotihaga,  —  nana. 
Raillerie,  railler,  —  hakareka, 

reka  uo 
Raisin,  —  nva  (moderne). 
Raison,  raisonnable,  —  rivari- 

va,  titika,  titikaga. 
Raisonner,  —  mauan,  hakariva- 

riva. 
Rai.<;onnfur,  —  jiogeha. 
Rajeunir,  —  hakameitaki  iho, 

hakarivariva  iho. 
Râle,  râler,  —  agnagn. 
Ralentir,  —  koro  iti,  hakakoro 

iti. 
Ralinguer.  — 
Ralliement,  rallier,  —  hakapiri, 

hakahne. 
Rallonge,  rallonger,  —  hakaro- 

roa . 
Rallumer,  (se),  —  vera. 
Ramage,  —  tagi. 
Ramasser,  ramassis,  —   puke, 

Ime,  hakapuke,  liakahne,  tari, 

toô. 
Rame,  ramer,  rameur,  —  mata- 

kao. 
Rameau,  —  maga  maga  miro. 
Ramener,  —  harimai,  haka  hoki 

mai. 
Ramollir,  —  haka  ekaeka. 
Rampant,  ramper,  —  totoi'o. 
Rançon,  —  hakaherega,  hoko. 


254 


LE    MUSÉON. 


Banronner^  —  akatari. 
Rancune,  —  tona,  kokoma  liuri- 

liiiri. 
Rang,  rangée,  ranger,  rangé,  — 

taliu^^a,  hakutaliuga. 
Ranimer,  —  liakamataù,  haka- 

inata  toà. 
Rapace,  —  tok(^toke,    =   rima 

niaà  toù. 
Râpe,  —  varu  ;  —  rctper,  id. 
Rapetisser,  —  hakaiti. 
Rapide,  rapidité,  —  horalioraii, 

veveveve. 
Rapiécer,  —  liakapiri. 
Rapine,  —  toketoke. 
Rappeler,  (se),  —  iiiauau  iho. 
Rapport,  rapporter,  rapporteur , 

—  rava,  arero  kounii,  arcro 

roroa. 
Rapprocher,  —  liakapiri,  liaka- 

tupuaki,  hakatata. 
Rareté,  —  varavara;  —  rare,  iti 

110  ;  =  ah  !  que  vous  êtes  rare! : 

garo  uoa  koe  ;  =  rarement  : 

varavara. 
Raser,  —  varu. 

Rassasier,  —  makoiia  ;  =  dé- 
goûté, kavaliia. 
Rassemblement,   —  liuega  ;  = 

rassembler  :  hue,  hue  iio. 
Rassurant ,  rassurer,  —  haka- 

iiiau,  hakaora. 
Rat,  —  kioè,  =  rate,  id. 
Râteau,  —  heruheru  ;  =  ratis- 
ser, id. 
Ratifier,  —  hakatitika. 
Ration,  —  horega,  horegakai. 
Rattacher,    —    hère    Jiakahou, 

hakamau  hakahou. 
Rature,  raturer,  —  peapea,  ha- 

kapeapea. 
Rauque,  —  liaua. 
Ravage,  ravager,  —  hakamou- 

mou. 
Ravaler, —  hakaiiieeniee,  haka- 

inigomigu. 
Ravet.  — 
Ravin,  —  nianavai. 


Ravir,  —  iko  (voler),  haruharu, 

=  charmer  :  liakamate  mai, 

maharo. 
Raviver,  —  liakaora. 
Rayer,  rayé,  —  haka  uaua. 
Rayon,  —  huero,  hueroero  ;  = 

brûlant  :  huero  veravera  ;  = 

rayonner,  —  huero  mai. 
Réalité,  réaliser,  —  rava,  mora- 

va  ei  mea  mau. 
Rebelle,    rébellion,    —    ihoiho, 

pogeha. 
Rebondir, —  rere  haka  liou  mai, 

—  rere  a  ruga. 
Rebord,  —  tatapu. 
Rebrousser,  —  hoki. 
Rebut,  —  toega. 
Rebutant,  rebuter,  —  pipiro  ke 

avai,  veriveri  ke. 
Récapituler,  —  tapa,   hakahou 

mai. 
Recel»)-,  —  po])o  ;  =  receleur, 

id.  =  hue,  hakahue. 
Recensement,  recenser,  —  tapa 

ki  te  igoa. 
Récent,  —  hou,  iho. 
Récejitacle,  —  popo,  —  pikoga. 
Réception,  recevoir,  —  ragi,  rata. 
Recette,  —  hakarivariva. 
Rechange,  —  e  rua. 
Réchauffer,  —  hakaora,   liaka- 

mahaua. 
Rechercher,  recherche,  —  kiuii- 

kiuii,  kiniikiuiiga  ;  ^  être  à 

la  r.  :  id. 
Récif,  —  parera. 
Récipient,  -  hipu. 
Récit,  —  ki,  vaiiaga,  =:  conte  : 

taga  poki. 
Récitation,  réciter,  —  rutu. 
Réclamation,  réclamer,  —  nonoi. 
Reclus,  réclusion,  —  paru,  puru 

a. 
Récolte,  récolter,  —  tari. 
Recomynandation,  recommander, 

hatu. 
Recommencer,  —  hakahou  iho. 
Récompense,    récompenser,    — 


VOCABULAIRK  DE  LA  LANGUE  DE  l'iLË-DE-PA<JUES.         235 


akatari . 
Réconciliation,    réconcilier,    — 

mou  a  te  toua,  ku  magaro. 
Ileconcluire,  —  liaka  tari. 
Béconforter,  —  hakamakona. 
lieconnaissant,   reconnaissance, 

—  atakai. 
Reconnaiire,    —    tikea,     tikea 

hakahou,  maà  ;  =  se  rec,  id. 
liecourher,   —  liakapiko,    uoi, 

hakauoi  ;  (pour  les  cannes  à 

sucre)  :  papau. 
Jlecourir,  —  tuhuti,  horo. 
liecours  en  grâce,  —  liaka  riva- 

riva. 
liecouvrement,  recouvrer,  —  ra- 

va,  morava. 
liecouvrir,  —  piu'u,  hakaliou. 
Itécréation,    récréer,    —    liaka 

rek;i,  hakareka. 
liecruter,  —  liakatonio,    haka- 

uni. 
Iledifié,  rectifier,  —  haka  riva- 

riva  ilio. 
liectnm,  —  kokoma. 
Recueil,  —  pupii. 
Recueillir,    —   tari   râpa,    (des 

bruits)^  liaka  rogo. 
Recuire,  —  tunu  ilio,  timu  haka- 
hou niai. 
Reculer,  —  hoki. 
Rédempteur,  rédemption,  —  ha- 

kahere,  hakaherega. 
Redoidjler,  —  hakapiri. 
Redoutable,  —  matakuke,  liO])o, 

niataku. 
Redouter,  —  id. 
Jtedresscr,  —  hakatitika,  haka- 

tuù. 
Réduire,  —  haka  iti. 
Réel,  —  titika. 
Refaire,  —  haga  hakahou. 
Réféchir,   —   manau   noa  ;   = 

sans  refleiion  :  tae  nianau. 
Réfléchi,  —  manau,  vauaga  titi- 
ka. 
J  te  flux,  —  tai  ua,  =  refluer,  id. 
Réformer,  —  hakarivariva  iho, 


—  hakatitika. 
Refouler,  —  totono,  totono. 
Refroidir,    refroidissement,    — 

teo,  tekeo  meniri,  takapau. 
Refuge,  réfugier,  —  pikoga  ;  = 

se  réf.  :  piko  ;  =  à  la  mer  : 

turu  ki  tai  ;  =  près  d'un  autre: 

tere  ;  =  réfugié,  id. 
Refus,  refuser,  —  tae  haga,  tae 

tagi. 
Réfuter,  —  hakarivariva. 
Régal,  —  kai,  =  régaler,  ma- 

koua,  kavahia. 
Regard,  regarder,  —  mata  ui  ; 

^=^  constamment  :  mata  pupii- 

ra  ;  =  de  côté  :  mata  haka  ke 

keva  ;  =  derrière  :  mata  haka 

hiva  ;  =  de  travers  :  mata  ke 

keva  ;  ==^  fixement  :  mata  po- 

reko  ;  =  ses  habits  par  vanité: 

mata  tea. 
Regimber,  —  pogeha. 
Régime,  —  kahui. 
Riégion,  —  kaiga,  heeiiua. 
Régir,  —  hakarivariva. 
Registre,  —  pu[)a  ta. 
Règle,  règlement,  —  liakatitika- 

ga  ;  =  règles  :  mamae  toto  ; 

régler  :  hakatitika,  hakariva. 
Régner,  règne,  —  ao,  titikaga, 

kia  ia  te  ao,  topa  kia  ia  te  ao. 
Regret,  regretter,  —  tagi. 
Régulariser,    —    hakarivariva, 

hakatitika. 
Régulier,  —  titika. 
Rehausser,  haka  ruga  nui. 
Reine,  —  tamaahine  ariki. 
Reiii,  tua  ivi  ;  =  mal  de  reins  : 

mamae  tuaivi. 
Reintégrer,  —  hakahoki 
Réitérer,    —   kihua,    hakahou, 

haka  iho. 
Rejeter,  —  hoa,  hoa  atu. 
Rejeton,  —  puk(ju,  pukou. 
Rejoindre,  —  })iri,   tuù,  tuîi  a  ; 

être  r.  :  tuù  à,  —  tupuaki. 
Réjoui,  —  ravakata,  ravakaka- 

ta. 


236 


LE    MUSÈON. 


Réjouir j  —  hakareka,  haka  koa- 

koa. 
Réjouissance^  —  hakarokareka. 
Relâche,  relâchement,  relâcher, 
hakatere,  haka  tere,  haka  ère. 
Rélâché,  —  tere  à,  vevete  a. 
Relation,  (récit),  —  vanaga,  ki, 

ta. 
Réléguer,  —  raga,  raga. 
Relever,  —  liakapiti  ;  =  relevé  : 
id.  ;  —  hakatuù  iho,  hakatuù, 
hakahou. 
Relief,  —  mohai. 
Relique,  —  ivi. 
Reluire,  —  piipura. 
Remarquable,  —  rivarivake. 
Remarque,  remarquer,  —  haka- 
tuù. 
Remède,  —  rakau,  =  remédier  : 

hakarivariva. 
Remercier,  —  maoa,  maoa. 
Remettre,  —  aval,  mau,  hoki. 
Rémission,  —  vevetehaga  rake- 

rakega. 
Remords,  —  gogoroaa,  pagaha 

ki  te  rakerake. 
Rempart,  —  pa. 
Remplaçant ,  remplacer,  —  hauù . 
Rempli,  remplir,  —  titi,  uego  ; 

=  un  vase,  id. 
Remporter,  —  hapai,  hoki  haka- 
hou. 
Remuement,  remuer,  se  remuer, 
gaiei,  pakuku,   makenukenu. 
Rémunération,    rémunérer,    — 

akatariga,  akatari. 
Renaître,   —  poreko  hakahou, 

poreko  iho. 
Rencontre,  rencontrer,  —  tupu- 
aki,    piri,   tutuki  ;   =   faire 
rencontrer  :  hakapiri. 
Rendez-vous,  —  koonà  hakatiti- 

ka. 
Rendre,  —  haka  hoki  ;  =  rendu: 

hakahoki  a. 
Renfermer,  —  puru  ;  =  renfer- 
mé :  puru  a. 
Rengainer  j  —  hahao. 


Rengorger,  se  rengorger, —  miui. 
Reniement,   renier,   — '   reoreo, 

hakareoreo. 
Renom,  renommée,  —  maori. 
Renoncer,  —  tae  toô,  tae  tagi, 

tae  haga. 
Renouveler,  —  hakahou,  haga- 

iho,  haga  hakahou. 
Renseignement,     —    hakatikea 

haga  ;  —  hakatitikaga  mai. 
Rentrer,  —  uru   hakahou,  uni 

iho. 
Renversement,  renverser,  —  hu- 
ri,  hakahuri  ;  =  renversement 
de  gouvernement  :  tute,  tutega 
ote  ao  ;  =  sur  la  face  :  vero. 
Renvoi,  renvoyer,  —  hakahaki, 

tute. 
Repaire,  —  pigoa. 
Répandre,  —  hakaperigi,  haka- 
uiarere  ;  =  un  bruit  :  rara, 
vauaga. 
Reparaître,  —  pukou  uiai,  tikea 

hakahou  uiai  (iho). 
Réparateur , réparation ,  —  haka- 
rivariva, —  hakarivariva  iho, 
hakaliou. 
Répartir,  répartition, —  tahuga, 

tuha. 
Repas,  —  kai. 
Repasser,  —  horo. 
Repentant,  repentir,  —  uiauava 

pohi  ;  =  se  rep.,  id. 
Répercuter,  —  morava. 
Répéter,  —  ki  iho,  ki  hakahou, 

ki  hua. 
Replanter,  —  tanu  iho,  tanu  ha- 
kahou. 
Repli,  replier,  —  haatu,  hamoui, 

Ivero. 
Réplique,  répliquer,  réponse,  — 
ki,  vanaga  mai  ;  =  répondre, 
id. 
Reporter,   —   hakahoki,    hapai 

hakahou  a. 
Repos,   reposer,  se  reposer,  — 

ora,  hakaora. 
Repoussant,  —  \Apiro,=(mets), 


VOCABULAIRE  DE  LA  LANGUE  DE  l'iLE-DE-PAQUES.         237 


kava  bia  ;  =  repousser  :  haka- 

tono. 
Bépréhension,  reprendre,  —  ka- 

kai,  toua  kakai,  =  haleine  : 

ora. 
BeprésaiUe,  —  hakahere. 
Représentant^  —  riinu,  runu. 
Représentation,  représenter,  — 

haga,  aite. 
Répression,  réprimer,  —  tigai, 

titigi,  tigi. 
Réprimander,    réprimande,    — 

kakai,  tigi. 
Reprise,  —  haga  liakahou,  haga 

iho. 
Réprobation,  réprouver,  —  tute, 

hoa. 
Reproche,    reprocher,    —    taro 

taro,  kakai. 
Repu,  —  makona. 
Répudier,  —  hoa,  hakarere. 
Répugnaïice,  répugner,  — paga- 

ha,  eete. 
Répulsion,  —  haka  kavahia,  rua. 
Réputation,  —  maori. 
Requérir,  —  ragi. 
Requin,  —  mogo. 
Réserver^    —  hakarere,    haka- 

moe. 
Résider,  —  uoho. 
Résidu,  —  toega. 
Résigné,  —  reo  kore. 
Résignation,  —  mou  te  reo. 
Résine,  — ■  pau. 
Résistance,  résister,  —  ihoilio, 

pogeha  mai. 
Résolu,  —  haga,  mauau  ihoiho, 

mau. 
Résolution,  résoudre,  —  haka- 

rivariva. 
Résonnant,  résonnement,  réson- 
ner, —  kiiikiu,    kiukiumai  ; 

=  faire  r.  :  hakatagi,  tagi. 
Respect,  respecter,  —  roau. 
Respectable,  —  hakaaroha. 
Respiration, respirer, — aguagu  ; 

==  courte  :  aguagu  poto  ;  = 

essoufflée  :  gaegae  ;  =  d'un 


moribond  :  aguagu. 

Resplendissant,  resplendir,  — 
raparapa,  pupura,  maoha. 

Responsable,  responsabilité,  — 
tiaki. 

Ressemblance,  ressemblant,  res- 
sembler, —  etalii  hakarite, 
ariga  hakarite. 

Ressentiment,  ressentir,  —  ko- 
koma  hurihuri. 

Resserré,  resserrer,  —  hakapoto- 
poto. 

Ressort,  —  tutu. 

Ressource,  —  rakau  ;  =  sans  r. , 
rakau  kore. 

Ressusciter,  —  ora  iho,  ora  ha- 
kahou. 

Restauration,  —  hakarivariva, 
haka  mau  iho  ,  =  santé  :  riva, 
riva  no  ;  =  restaurer  :  id, 
riva  a. 

Reste,  —  toega,  =  pourrissant  : 
para  ;  ^=  de  provisions  :  toega. 

Rester, —  tae,  =  rester,  habiter: 
noho  ;  ==  attendre  :  tatari  ;  = 
être  de  reste  :  nui  ;  =  fixé, 
titi  ;  =  en  arrière  :  noho  no, 
noho  niui'i. 

Restituer,  —  hakahoki. 

Restreindre,  —  hakaiti. 

Résulter,  —  mei  ra,  rori  mai, 
topa  mai. 

Résurrection,  —  ora  hakahou. 

Rétablir,  rétablissement,  —  ha- 
katuù  iho,  hakatuù  hakahou. 

Retard,  —  haka  hinihiui  ;  = 
retarder,  id. 

Retenir,  retenue,  —  mau,  haka- 
mau,  =  retenu,  mau  a. 

Rétention,  —  tae  mimi. 

Retentir,  retentissant,  retenti,  — 
kikiù,  kiukiu. 

Retirer,  —  kumu,  toô,  =  se 
retirer,  —  oho,  tere  ;  =  s'' exu- 
ser :  piko,  piko  ;  les  uns  après 
les  autres  :  piko  etahi,  piko 
e  tahi  ;  =  vers  la  terre  :  noi. 

Retomber,  —  topa  iho,  higa  iho. 


-258 


LE    MUSEON, 


Rétorquer.  — 

Hetour,  retourner,  —  hoki,  = 

s'en  rat.,  id.  ;  =  5e  ret. ,  hariii, 

hiiri,  huri. 
Retracer,  —  ta,  hakarivariva. 
Retraite,  —  pikoga  ;  =  hattre  en 

r.  :  tere,  piko  ;  =  changer  de 

r.  :  noho  ke. 
Retrancher,  —  iko,  hakaiti. 
Rétrécir,  —  hakaiti  ;  =  rétréci, 

iti  a. 
Rétribuer,  rétribution,  —  aka- 

tari,  akatariga. 
Rétrograder ,  —  hoki  a  niuri. 
Jietrousser,  —  hakapiti. 
Retrouver,  —  rava,  inorava  ilio  ; 

=  se  retr.,  piri. 
Réunion,  réunir,  —  hue,  i)iri, 

puke,  =  pupu  puke,  pour  les 

ignames  à  butter. 
Réussir,  —  rava,  niaà. 
Revanche,  —  hakaliere. 
Rêve,  —  moemoea  ;  =  donne 

des  r.  i(l,  rêver,  id. 
Revêche,  —  pogeha. 
Réveil,  réveiller,   —   ara,    veve 

ara. 
Révélation,     —     hahuinuhumu 

Etua  ;  =  révéler,  aaki. 
Revenant,  —  akiiaku. 
Revenir,  —  hoki  m  ai  ;  faire  rev., 

hakahoki, 
Révérer,  —  hakaaroha. 
Revêtir,  —  puô,  uru. 
Rêveur,  rêverie,  —  vanaga  riki- 

riki. 
Revivre,  —  ora  hakahoii,  ora  iho. 
Révolte,  révolter,  (se),  —  tona, 

ihoiho  ke. 
Révolution,  —  toua. 
Révoquer,  révocation,  —  haka- 
hoki. 
Revue,  —  rarama. 
Rhumatisme,  —  reherehe. 
Rhume,  —  tugu,  kokogo. 
Riche,  —  rakau  nui  =  richesse, 

rakau. 
Jî'tde^  —  migomigo,  =  rider  : 


haka  migomigo. 
Rideau,  —  kahu. 
Ridicule,  ridiculiser,  —  haka- 

meeniee,  hakamigomigo. 
Rien,  —  ina,  kore  no. 
Rigide,    rigidité,    —    tarotaro, 

ihoiho. 
Rigoureux,  rigueur,  — id.,  ma- 

tau. 
Rincer^  —  tata. 
Rire,  ris,  riant,  rieur,  —  kata, 

hiihii,  ==  mépris  :  hakamee- 

niee,  -=  bruyant  :  pogeha  no. 
Ris,  (marine),  —  prendre  un  r., 

huliu. 
Rivage,  —  taliataha  tai,  tahatai. 
Rival,  rivaliser,  —  haka  tautau. 
Rive,  —  tatapa. 
River  —  haka  ihoiho. 
Rivière,  —  manavai,  manavai. 
Piixe,  —  kakai. 
Ris,  —  ri. 
Robe,  —  ropa. 
Robuste,  —  puti,  ihoiho. 
jRoc,  —  niotu. 
Rocailleux,  —  takarua. 
Roche,  rocher,  —  maea,  motu  ; 

=  à  pic:  opata ;  =  sous  Veau: 

toka  ;  =  très  escarpé  :  opata  ; 

=  creux  :  motu  ava  ;  =  plein 

de  rochers  :  taratara. 
Rôder,  —  ahere  no. 
Rognon,  —  mokoi  mokoi. 
Roi,  —  ariki  ;  =  faire  roi  :  ha- 
ka ariki, 
Roideur,  roidir,  roide,  —  haro, 

haka  ihoiho. 
Romain,  Rome,  —  roma. 
Rompre,  —  motu,  more. 
Rond,    —    viriviri,    takataka  ; 

rendre  rond  :  haka  viriviri. 
Rondement,  —  horahorau. 
Ronfler,  —  gogoro. 
Ronger,  —  naginagi. 
Rosée,  —  hau, 
Piot,  roter,  —  kerereki. 
Rôti,  rôtir,  —  pakapaka,  haka- 

pakapaka. 


VOCABULAIRE  DE  LA  LANGUE  DE  l'iLE-DE-PAQUES.         239 


Rotule,  —  turi. 
Roucouler,  —  kuku. 
Roue,  —  taka,  takataka. 
Rouge,  rougeâtre,  —  meamea, 

uuii,  egaega. 
Rougir,  —  liakama,  =  faire  r., 

liakakurakura. 
Rouiller,  —  toto  ;  =  rouille, 

toto. 
Rouleau,  —  viriviri. 
Rouler,  —  hakaviriviri,  —  ha- 

kateitei  ;  =  Vun  sur  Vautre  : 

mimiro  ;  =  en  cercle  :  takata- 

ka. 
Roulis,  —  huliuri. 
Route,  —  ara  ;  =  directe  :  ara- 

titika. 
Rouvrir,  —  mataki  iho,  mataki 

hakaliou. 
Roux,  —  taka. 
Royaume,  —  kaiga,  ao  ariki. 


Ruban,  —  kaliu. 

Rubicond,  —  meamea. 

Rudesse,  rude,  —  taratara,  ke- 
keè,  —  tarotaro  ;  =  en  par- 
lant des  saisons  :  tekeo. 

Rudiments,  —  tumu. 

Rîie,  —  arahare. 

Ruer,  —  avava  ;  =  se  ruer  :  to- 
uotouo,  hakatono. 

Rugosité,  —  pukui)uku. 

Ruine,  —  toparia,  toparia  ;  = 
ruiné  :  mou  no. 

Ruisseaîi,  —  mauavai. 

Ruml),  —  matagi. 

Rumeur,  —  vanaga. 

Ruminer,  —  namunamu,  uamu 
uamu. 

Rupture,  —  liati,  motu. 

Ruse,  rusé,  —  maori  ke,  maori- 
ke. 

Rusticité  rustique,  —  mataù. 


Sa,  —  to,  etc.  (voir  diction,  ta- 

hitien). 
Sabbat,  —  tameti. 
Sable,  —  oone. 
Sablière,  —  liahaga. 
Sablonneux,  —  ooue  oone. 
Sac,  —  keete  ;  =  faire  un  sac, 

raraga,  liiri. 
Saccager,  —  moumoii,  hakamou, 

hakaripoi. 
Sacerdoce,  —  ivi  Etua. 
Sachet,  —  keete  iti. 
Sacré,  —  tapii  ;  =  sacrer  :  ba- 

katapu,  =  sacré  :  tapu  a. 
Sacrement,  —  takarameta, 
/Sacrificateur,  —  ivi  etua. 
Sacrifice, —  tahaga,  tahaga,  ta. 
Sacrifier,  —  ta,  tigai. 
Sacrilège,  —  hieroturia. 
Sagace,  sagacité,  —  maori. 
Sage,  sagesse,  —  maori. 
Sage-femme,  —  vie  hanau. 
Saignée,  saigner,  —  toto,  haka- 


tehe  ki  te  toto. 
/Saillant,   —  tikea  a   mai  ;  = 

saillie  :  nivaniva. 
Saillir,  jaillir,  —  tehe,  pupulii. 
Sain,  —  ora. 
/Saint,  sainteté,  —  peata. 
Saint-Esprit,  -  kuliane  Iiiva. 
Saisi,  —  gita. 
Saisir,  —  aruaru  ;  =  des  vivres  : 

iko,  kori. 
Saison,  —  tau. 
Salaire,  salarier,  —  akatariga, 

akatari. 
Sale,  saleté,  —  oone  ;  ^  sale- 
ment :  tae  riva. 
Salé,  —  paatai  ;  =  saumàtre  : 

kavakava  ;  =  saler  :  liirohi- 

ro  ei  paatai. 
Salir,  —  hakaooue,  oone. 
Salive,  —  aauu  ;  =  saliver,  id. 
Salle,  salon,  —  râpe  luire,  ho- 

rega  hare. 
Salubre,  salubrité,  —  baliau,  lia- 

15 


240 


LE    Ml'SÉON. 


kaora. 

Saluer^  salut,  —  hakaaroha. 

Salutaire,  —  hakaora. 

Salve,  —  pupuhi  heeuua. 

Samedi,  —  tameti. 

Sanctifiant,  sanctifier,  —  haka- 
tapu,  hakaora. 

Sanctionner,  —  hakatitika. 

/Sanctuaire,  —  koonatapu  ;  koo- 
na  viku. 

Sang,  —  toto,  =  coagulé  :  toto 
kekeho,  toto  pakapaka  ;  = 
sanglant  :  toto. 

Sangle,  —  pena  ;  =  sangler  : 
haka  ihoiho  ki  te  pena. 

Sanglot,  sangloter,  —  ekieki. 

Sanguin,  —  toto,  ariga  toto, 
ariga  nieaniea  ;  =  sangui- 
naire :  bakatehe  toto. 

Sans,  —  kore,  tae. 

Santé,  —  ora. 

Sapeur,  saper,  —  haka  toparia. 

Sarcasme,  —  haka  inee,  haka 
migomigo. 

Sarcler,  —  verevere,  oi,  huhuti. 

Satan,  —  tatane. 

Satiété,  —  makona. 

Satisfaction,  satisfaire,  —  iiiau, 
riva,  =  joie  :  koakoa. 

Saturer,  —  hirohiro. 

Sauce,  —  vai. 

Sauf,  (adj.)  —  ora  ;  =  sauf, 
(prép.)  inea  ke. 

Saumâtre,  —  taitai,  kavakava, 
niegeo. 

Saut,  sauter,  —  keetu  ;  —  huri  ; 
=  de  joie  :  hakareka  ;  =  sur 
un  pied  :  tekiteki  ;  =  de  haut 
dans  Veau  :  ruku. 

Sauter,  {omettre),  —  hakarere. 

Sautiller,  —  tekiteki. 

Sauvage,  —  niauua. 

Sauvegarder,  —  tarupu. 

Sauver,  —  haka  ora  ;  =  se  sau- 
ver :  tere. 

Sauveur,  —  hakaora. 

Savoir,  —  maà,  tikea. 

Savon ^  —  pua,  tope,  =  savon- 


ner :  tata. 

Scabreux,  —  mataku  ke. 

Scandale,  scandaleux,  scandali- 
ser, —  hakarakerake. 

Sceau,  sceller,  —  hakatuù. 

Scélérat,  —  tagata  l'akerake  nu- 
nui  ke. 

Sceptre,  —  eua. 

Schisme,  —  kimatiko,  (moderne). 

Sciage,  scie,  scier,  —  kokoti, 
hiahia. 

Science,  —  tikeahaga,  maori. 

Scintillement,  scintiller,  —  nini- 
nini  ;  =  des  yeux  :  parei. 

Sciure,  —  huhumiro,  —  hiihu 
miro. 

Scribe,  —  tagata  maà  ta. 

Scrofule,  scrofuleux,  —  arakea 
gao,  =  gao  pukupiiku. 

Scrupule, —  mataku  no,  mataku 
verega  kore. 

Sculpter,  sculpteur,  —  tarai, 
tagata  tarai. 

Se,  —  kia  ia. 

Séance,  —  noho. 

Seau,  —  pakete. 

Sec,  —  pakapaka  ;  =  sécheresse, 
id.  ;  =  sécher  :  haka  pakapa- 
ka. 

Second,  —  karua,  e  rua,  =  5e- 
condement...,  ka  rua. 

Secouer,  secousse,  —  ruru,  tutu. 

Secourir,  secours,  —  tarupu,  ta- 
rupu haga. 

Secret,  —  ki  haka  naà.  —  vana- 
ga  haka  naà  ;  =  qui  le  trahit  : 
aaki,  aaki  no  mai  ;  =:  en  se- 
cret :  naà,  koro  iti. 

Secrétaire,  —  ta  ki,  ta  vanaga. 

Secte,  —  horega  ;  =  section,  id. 

Sécurité,  —  e  ko  mataku,  mei- 
taki,  piko  ;  =  fausse  s.,  piko 
i^eoreo. 

Sédentaire,  —  noho  no. 

Séditieux,  sédition,  —  tuki  rake- 
rake,  tuki  toua  ;  =  exciter,  id. 

Séduction,  séduire,  —  id. 

Séduisant^  —  rivariva  uoa. 


VOCABULAIRE  DE  L\  LANGUE  DE  L  ILE-DE-PAQUES. 


241 


Seigneur,  —  ariki  nui, 

Sein,  —  uma. 

Seing,  —  hakatuù  ta. 

Seize,  —  etahi  haga  iiru  ma  ono. 

Séjour,  —  noho,  =  séjourner, 
id. 

Sel,  —  paatai. 

Selle,  —  pepe  ;  =  aller  à  la  s., 
neinei. 

Seller,  —  luaii  pepe,  hère  pepe. 

Selon,  —  kia. 

Semaine,  —  Toiniuika. 

Semblable,  —  etahi  hakarite  ; 
=  sembler,  id. 

Semence,  semer,  —  tanu,  tauu- 
haga,  tanuga  ;  =  semeur  :  ta- 
gata  tauu  kai. 

Semonce,  semoncer,  —  kakai, 
toua  kakai. 

Sempiternel,  —  etereno. 

Sens,  —  nioo  ki  (signification) , 
=  faculté  de  perception  :  lua- 
nau  ;  =  avoir  les  sens  obscur- 
cis :  mauava  vai  ;  =  mettre 
sens  dessus  dessous  :  rori  ;  lia- 
kataha. 

Sensation,  —  veveri,  veveri  ;  = 
agréable  :  veveri  meitaki  ;  = 
désagréable  :  veveri  rakerake. 

Sensé,  —  maori,  marama,  ma- 
uava maramarama. 

Sensibilité,  sensible,  —  mataku  ; 
=  au  froid  :  mataku  ki  te  te- 
keo. 

Sensualité,  sensuel,  —  kai  nui. 

Sentence,  —  rara. 

Senteur,  —  eo. 

Sentier,  —  ara  ;  =  parmi  les 
rocs  :  takurua,  opata. 

Sentiment,  —  manau. 

Sentine,  —  koona  neinei. 

Sentinelle,  —  tagata  tiaki,  taga- 
ta  ara. 

»         Sentir,  {exhaler  une  odeur)  — 
hogi  ;  =  mauvais  :  pipiro. 
Sentir,  {percevoir)  —  tikea,  ti- 

kea. 
Séparation,  séparer^  —  vavae  ; 


=  se  s.  :  taha  ke. 
Sept,  —  ehitu. 
Sépulcre,  sépulture,  —  tanuha- 

ga,  rua. 
Serein,  sérénité,  —  marie,  marie. 
Série,  —  avai  varavara. 
Sérieux,  —  haka  nenehu. 
Seringue,  —  pupulii  vai,  pupuhi 

eve. 
Sermonner,  sermon,  —  hakari- 

variva,  haka  maà. 
Serpent,  —  teperanate. 
Serpette,  —  hoe  pikopiko. 
Serre,  —  akikuhu. 
Serrer,   —   mau,    mau    ihoiho, 

hère,  haro. 
Serrure,  —  taviri. 
Serviable,  —  apitahi. 
Serviette,  —  kahukai. 
Servile,  —  kio. 
Servir,  —  kio,  tariga  hakarogo, 

apitahi  ;  =  sp  s.,  toô.  =  se 

servir  le  premier  :  toô  raè  ;  = 

qui   reste   à  servir   après   les 

autres  :  tuha  mûri  ;  ==  service, 

bon  office  :  tarupu. 
Serviteur,  —  kio,  =  servitude, 

id. 
Session,  —  iiakarere. 
Seuil,  —  pae. 
Seul,  —  okotalii,  e  talii  ;  =  être 

seul  :  okotahi  no  ;  =  c'est  tout  : 

mouga. 
Sève,  —  vai. 

Sévérité,  sévère,  —  taro  taro. 
Sévir,  —  tigitigi. 
Sexe,  —  hakarite  ta  m  a  roa,  ha- 
karite tama  ahine,  tamaroa, 

iiha. 
Si,  (conj.)  —  ana,  koro. 
Siège,  siéger,  —  nohoga,  noho. 
Sien,  —  no  ia,  na  ana,  —  taua. 
Sifflement,  siffler,  —  hia  ;  =  de 

fcdigue,  hoe  ;  =  siffl.  de  l'air, 

lui,  tokerau. 
Sifflet,  —  hurahura,  hura. 
Signal,   —   hakatuu  ;  =  faire 

signe,  tuhi  ;  =  de  la  main  : 


24-2 


LE    iMLSÉON. 


tuhi  ;  =  des  yeux  :  iiiineniine  ; 

=  en  secret  :  tuhi  hakanaà. 
Signature,  signer^  —  ta  igoa. 
Signification^  signifier,  —  mo  Ici. 
Silence,  —  mou,  mou  noa  ;  = 

réduit  au  s.,  mou  uo. 
Silex,  —  mata. 

Sillage,  sillonner,  —  keri,  tiaki. 
Similitude,  —  liakaritega,  peira 

hoki. 
Simple   (plante    niéd.),    reoreo 

mai. 
Simple,  simplicité,  —   mauava 

vai,  =  adj.,  tahi  ;  =  dupe  : 

nivaniva. 
Simplifier,  —  liakarivariva. 
Simulacre,  —  hakatuu  reoreo. 
Simuler,  —  kakarite. 
Simultané,  —  etahi  etahi. 
Sincère,  sincérité,  —  titika,  titi- 

ka  uoa. 
Singe,  singer,  singerie,  —  liaka- 

ponoko. 
Singularité,  singulier,  —  haka- 

rite  ke. 
Sinistre,  —  mataku  ke. 
Sinon,  —  e  ko. 

Sinuosité,  — piko  mai  piko  atu. 
Situation,  —  nolio  ;  ^=  situé,  id.  ; 

=  situer  :  aiua  ra. 
Six,  —  6  ono. 
Sobre,  —  kai  no  iti. 
Sobriquet,  —  igoa  tae  ri  va  ri  va. 
Sociable,  —  magaro. 
Société,  —  huega. 
Sodomie,  —  piri,  piri  mai  piri 

atu,  —  gatu  mai  gatu  atu. 
Sœur,  —  teina,  tuakaua  tama 

aliine. 
Soi,  —  ko  ia  a. 
Soif,  —  mate  vai. 
Soigner,  —  hakarivariva. 
Soin,  soigneux,  —  tiaki  rivariva, 

liakariva  ;  =  avec  soin  :  koro 

iti. 
Soir,  —  ahiahi. 
Soit,  —  mao,  maomao. 
Soixante,  —  e  ono  te  hagaburu. 


Sol,  —  hunua,  kaiga. 

Solaire,  —  raà. 

Soldat,  —  mata  toa, 

Solde,  —  àkatariga. 

Soleil,   —  raà,  =  coup  de  s., 

mate  raà  ;  =  moitié  couché  : 

garo  raà. 
Solennel,  solenniser,    solennité, 

—  gogoro. 
Solide,  solidité,  solidifier,  —  iho 

iho,  haka  ihoiho,  =peu  solide: 

gaiei. 
Solitaire,  solitude,  —  topa  oko- 

taiii,  topa  tahi. 
Solive,  soliveau,  —  oka  ;  =  les 

placer  :  hakatutu. 
Sollicitation,  solliciter,  —  tuki. 
Sollicitude,  —  gogoroaà. 
Solo,  —  reo  tahi. 
Solution,  —  mouga. 
Sombre,  —  marumaru,  kohuko- 

hu. 
Sombrer,  —  emu,  garo. 
Sommaire,  —  poto,  hakapoto. 
Sommation,  —  ragi  ;  =  sommer, 

id. 
Somme,  (subst.  fém.),  —  nego. 
Somme,  sommeil,  sommeiller,  — 

nioe,  auru,  (mata  uera,  mata 

neranera,  =  sommeil  léger); 

=  profond  :  gogoro,  =  plein 

d'anxiété  :  moe  gogoroaà  ;  = 

surpris  par  le  s.  :  auru. 
Sommet,  —  viriviri,  =  sommet 

de  la  tête  :  tupuraki,  tua  mou- 
ga ;  =  pousse  :  pipi- 
Somnambule,  —  moe  ahere  po. 
Somptuosité,  —  nuiga. 
Son,  (subst.),  —  kiri  haraoa  ; 

=  son  de  cloche  :  tagi  kiukiu, 

=  de  la  mer  :  poko  ;  =  de  Veau  : 

mata  mata,  ika,  tarai. 
Son, (adj.),  —  tona,  etc.  (V.  dict. 

tahitien). 
Sonder,  — un  terrain  :  keri  ;  = 

quelqu'un  :  tulci  ;  =  la  mer  : 

haka  turu. 
Songe,  —  moe  moea  ;  =  songer, 


VOCABULAIRK  DE  LA  LANGUE  DE  L*ILE-DE-PAQUES.         243 


id.  manau. 
Sonner,  —  haka  kiukiu,  haka- 

tagi. 
Sonnette,  —  kiukiu  rikiriki. 
Sonore,  —  kiukiu. 
Sorcellerie,  sorcier,  —  haka  ni- 

vaniva,  tagata  haka  nivauiva  ; 

=  être  s.,  —  tagata  maà,  ta- 
gata taku. 
Sordide,  —  rakerake,  veriveri. 
Sort,  —  tirer  au  sort  :  =  ma- 

mahi. 
Sorte,  —  hakarite. 
Sortir,  —  ea,  tere. 
Sot,  sottise,  —  nivaniva. 
Souche,  —  tumu. 
Soucier  (se),  —  nianau  ;  =  souci, 

gogoroaà, 
Soudain,  —  horahorau  ;  =  jjour 

tout. 
Souder,  soudure,  —  hakapiri. 
Souffle,  —  aguagu. 
Souffler,  —  puhi,  pupuhi  ;  =  le 

vent  :  hu. 
Soufflet,  —  ava  ava. 
Souffrance,    —    mamae,    mate 

mate,  gogoroaà  ;  =  supporter 

les  s.  :  reo  kore. 
Soufre. 
Souhait,  souhaiter.  —  tagi  ;  = 

du  mal,  tagi  rakerake. 
Souillé,  souiller,  —  ooue,  haka 

oone,  =  de  crimes,  rakerake 

ke,  rakerake  ke  avai. 
Souillure,  —  oone,  oone  rake- 
rake. 
Soûl,  soûler,  —  rnakona. 
Soulagement,  soulager,  —  liaka- 

ora,  hakamaàniaà. 
Soulever,  —  keetu,  hapai  ;  = 

ses.,  uiaroa. 
Soulier,  —  kiri  vae. 
Soumettre,  —  hakahiga,  haka- 

toi)a  ki  raro. 
Soumis,  —  tariga,  hakarogo. 
Soupçon,  soupçonner,  soupron- 

neur,  —  tuhi,  tuhi  tahaga  no 

mai. 


Souper,  —  kai  ahiahi. 
Soupir,  soupirer,  —  aguagu. 
Souple,  souplesse,  —  tohuti  no. 
Source,  —  tumu,  puna. 
Sourcil,  —  hihi,  hihi. 
Sourd,   —   tariga  pogeha  ;   = 

faire  le...,  id. 
Sourd,  (sorte  de  lézard).  —  moko. 
Sourire,   —  kakata,   kata  ;  = 

trompeur  :  kakata  reoreo. 
Souris,  —  kioe. 
Sournois,  —  ariga  topa,  =  aller 

en...  id. 
Sous,  —  ki  raro  ;  =-  sous  le  vent, 

raro. 
Souscrire,    —    hakatitika,    = 

soussigner,  taki  te  igoa  a  raro. 
Soustraction,  soustraire,  —  iko. 
Soutenir,  soutien,  —  tarupu,  ta- 

rupu  haga. 
Souvenir,  —  te  manau  noa  ;  = 

raiipeler  le  s.  :  manau  iho. 
Souvent,  —  putuputu  ;  =  faire 

s.,  hakaputuputu. 
Souverain,  —  ariki. 
Spacieux,  —  hatahata. 
Spasme,  ahuahu. 
Spécial,  —  ke,  keke. 
Spécieux,  —  hakareoreo. 
Spéculer,  —  kiraikimi  ei  moni 
Sphère,  sphérique.  —  takataka. 
Spirale,  en  spirale,  —  ure  ure. 
Spiritualité,  spirituel,  —  kuha- 

ne,  akuaku. 
Spiritueux, —  megeo,  kavakava. 
Splendeur,  splendide,  —  pupura 

haga,  pupura. 
Spoliation,  spolier,  —  iko,  toke- 

toke,  toketoke. 
Spongieux,  —  iriga  pea, 
Spontanément,  —  no  mai. 
Squameux,  —  nako. 
Squelette,  —  ivi  tupapaku. 
Stabilité,   stable,    —  noho   no, 

mau  no  ;  =  rendre  st.,  haka 

nuiu. 
Station,  —  hakaora. 
Statue,  —  mohai. 


244 


LE    MUSÉON. 


Statuer,  —  hakatitika,  ragi. 
Stature,  —  ariga. 
Stérile,  stérilité,  —  paà. 
Stimuler,  —  tuki. 
Stipulrr,  —  hakarivariva. 
Stratagème,  —  haka  ke. 
Strict,  —  nego,  titi. 
Studieux,  —  luanava  tagi  ki  te 

lieguigui. 
Stupéfait,  —   111011   no,    veveri, 

hakanivauiva. 
Stupide,  stupidité,  —  nivaniva. 
Suaire,  —  viriviri. 
Suave,  suavité,  —  inagaro,  rulii- 

rulii,  iieiienene. 
Subdivision,  —  horega  no  iti. 
Subir,  —  kai. 
Subit,  —  horalioi'au. 
Subjuguer,  —  liakahiga. 
Sublime,  —  rivariva  ke. 
Suhmerger,  —  garo,  bakaenm, 

hakaruku. 
Subordination,  —  hakarogo. 
Suborner,  —  liakaliere. 
Subsistance,  subsister,  —  oraga, 

ora. 
Substantiel ,  —  liakamakona. 
Substantif,  —  igoa. 
Substituer,  substitut,  —   haka- 

noho,  runii. 
Subtif,  —  ravatere. 
Subvenir,  —  tariipu. 
Succéder,  —  peke  mai. 
Succulent,  —  nilii,  noma,  noma 

ke. 
Sucer,  —  miti. 
Sucre,  —  vai  toa  ;  =  sucrer, 

hiro  ei  vai  toa. 
Sud,  —  tokerau,  iita,   tokerau 

tai. 
Suer,  sueur,  —  pahia. 
Suffire,  suffisant,  —  nego,  titi. 
Suffocation,  suffocant,  —  liana, 

niahana  ke. 
Suicider  (se),  suicide,  —  liaka- 

mate,  tigai. 
Si.iie,  —  pupugarau  alii. 
Suif,  —  nako. 


Suintement,  suinter,  —  niaà- 
inaà,  nininini. 

Suite.  —  maigo,  ma,  a  ;  =  £?e 
suite  :  igeneira,  liorahorau. 

Suivre,  —  roritekoa,  aliere,  no- 
muri  ;  =  à  /a  trace  :  rorite- 
koa hogihogi. 

Sujet,  —  tuuiu. 

Superbe,  —  tea. 

Supercherie,  —  reoreo. 

Superficie,  —  ariga,  kiri. 

Superficiel,  —  no  iti,  tae  mau  ; 
=  paroles  sup.,  gutu  no. 

Superflu,  super fluité,  —  toega, 
topa  tahaga. 

Supérieur,  supériorité,  —  kiru- 
ga,  kiruga  nui. 

Superstition. 

Supplanter,  —  tute,  hoa. 

Suppléer,  —  haka  nego,  haka 
titi. 

Supplément,  —  toega,  horega 
no  iti  hakapiri. 

Suppliant,  supplier,  supplica- 
tion, —  ragi,  pm-e. 

Supplice,  supplicier,  —  tigitigi- 
ga,  tigitigi. 

Support,  supporter,  —  tarii]ni, 
hakamau,  haka  ihoiho,  = 
patiemment  :  mou  no,  reo  kore, 
mou  no. 

Supposition,  sujjposer,  —  manau 
no,  manau  tahaga. 

Suppression,  supprimer,  —  hoa, 
haka  kore,  moumou  no,  ha- 
ka moumou. 

Suppuration,  suppurer, —  gatu. 

Supputation,  supputer,  —  ta]i)a, 
ta  tapa. 

Suprématie,  —  titikaga. 

Suprême,  —  kiruga  nui. 

Sur,  (prép.),  —  ki  ruga. 

Sûr,  (adj.),  —  mau  noa,  ihoiho. 

Surabonder,  —  nui  tahaga. 

Surcharger,  —  hakapagaha  ;  = 
d'ouvrage,  haga  nuiuui  ke. 

Surcroît,  —  toega. 

Surdité,  —  tariga  pogeha. 


VOCABULAIRE  DE  LA   LANGUE  DE  L  ILE-DE-PAQUES. 


245 


Sûrement,  —  inau  ;  =  sûreté, 
id.,  =  mettre  en  sûreté,  popo. 

Surface,  —  koruga  ;  ^^  de  la 
mer,  rerarera. 

Surgir,  —  niûinini  mai,  puhi 
mai. 

Surhumain,  surnaturel,  —  ku- 
hane,  rima  etua. 

Surnager,  —  raga. 

Surnom,  —  igoa  topa  ;  ==  sur- 
nommer, nape  iho. 

Surpasser,  surpassé,  —  piki  a 
ruga,  haka  li;ika  liiga  —  toi)a 
ki  raro,  =  surpassé  :  higa. 

Surplomber.  — 

Surprendre,  surpris,  —  haka- 
rehu. 

Surtout,  —  omua. 

Surveillance,  surveiller,  —  tiaki, 
mata  ui. 


Survenir,  —  topa  iho,  turu  iho. 

Survivre,  —  ora. 

Sus,  (interj.). 

Sus,  fprép.),  —  ma  ;  =  en  sus, 
ki  hua. 

Susceptibilité,  susceptible,  — 
mauava  eete  ki  te  mau  mea 
ananake,  =  la  soulever  :  ko- 
koma  haka  hanoiiano  mai. 

Susciter,  —  hakatupu. 

Suspect,  suspecter, —  manau  uo. 

Suspendre,  —  rêva,  tau. 

Sustenter,  —  agai. 

Svelte,  —  iti  iti,  -^^  et  (jrand, 
reherehe. 

Symbole,  —  hakatuu. 

Sympathie,  —  ragi,  mahani. 

Symptôme,  —  akatuu. 

Synonyme,  —  etahi  hakarere. 

Système,  —  peira  ta  ii. 


Tabac,  —  avaava. 

Tabernacle,  —  taperenakuro. 

Table,  —  hâta. 

Tableau,  —  ata. 

Tabouret,  —  rago,  uoho  pepe. 

Tacher,  tache,  —  oone,  guregu- 
re,  =  marque  :  hakatuu  a. 

Tâche,  tâcher,  —  haga  ;  =  tâ- 
cher :  e  ihoilio. 

Tacheter,  —  horehore,  purepure. 

Taciturne,  —  mou,  mou  uoa,  — 
mou  no. 

Tact,  —  maà. 

Taillant,  —  kaikai. 

Taille,  —  akari,  roaroa,  teitei. 

Tailler,  —  iiore,  horehore,  ko- 
koti  ;  =  tailleur  :  tagata  maà 
kokoti. 

Taillis,  —  kooua  manimai'u. 

Taire,  —  mou,  =  faire  taire, 
haka  mou. 

Talent,  —  maori,  rakau. 

Taletiére  (!  !)  —  toga. 

Jalon,  —  reke. 


Tambour,   —   pahu,    hura  ;  = 

tambouriner  :  puopuo,  e  ruru- 

ruru. 
Tamiser,  —  ruru,  ruru. 
Tampon,  tamponner,  —  oka. 
Tandis  que,  —  mai. 
Tangage,  tanguer,  —  hakaturu- 

turu. 
Tanguin,  —  rêva. 
Tanière,  —  pigoa. 
Tant,  tant  que,  —  mai. 
Tante,  —  matua  tamaahine  ke- 

ke. 
Tantôt,  (bientôt),  —  aneira  ;  = 

tantôt  (passé)  :  oga  neira. 
Tapage,  tapager,  —  pogeha. 
Taper,  —  avaava. 
Tapis,  —  kahuvae,  =  eei'iki. 
Taquiner,  taquin,  —  liakamee- 

mee. 
Tard,  —  po,  =  plus  tard,  aaei- 

ra. 
Tarder,  —  haka  hinihini  ;   = 

tardif,  id. 


246 


LE    MUSÉON. 


Tarière^  —  hou, 

Tarir,  —  miti,  mama. 

Tartre.  — 

Tas,  — 1  liLiega  ;  =   de  terre  : 

puke. 
Tasse,  —  hipuhiva. 
Tâter,  tâtonner,  —  haha. 
Tatouage,  tatouer,  —  ta  ;  =  « 

la  figure  :  mata  pea  ;  =  aux 

pieds  :  humu  ;  =  aujp  mains  : 

rima,  piriu  koua  ;  =  au  dos  : 

purariki ;  tuaha  igoigo ;  =  àla 

tête  :  retu  ;  =  aux  lèvres  :  gutu 

tika  ;  =  aux  oreilles  :  pagaha  ; 

=  au  menton  :  umiumi,  umi 

iimi. 
Taureau,  —  toro. 
Taxe,  taxer,  taux,  —  hakatiti- 

kaga. 
Technique,  —  vanaga,  titika. 
Teigne,  —  megeo. 
Teindre,  teinture,  teinturier,  — 

pua,  horeliore,  tagata  pua. 
Tel,  —  peira  ;  =  un  tel,  ko  mea, 

ko  mee. 
Téméraire,  témérité,  —  mataù, 

mataîi  nivaniva. 
Témoignage,  témoigner,  —  mata 

tikea. 
Tempe,  —  hagu. 
Tempérance,  tempérant,  —  kai 

no  iti. 
Tempérer,  —  haka  magaro,  ha- 

ka  iti. 
Tempête,    —    inatagi,    =    bu, 

kokoma  hanohano. 
Temple,  —  liare  pure. 
Temporaire,  —  arovanei. 
Temps,   —  tokerau,   =  temps 

paisible,  marie. 
Tenace,  —  ihoiho. 
Tenaille,  —  niho. 
Tenailler,  —  horehore. 
Tendon,  —  ua. 
Tetidre,  (verbe),  —  haro,  haka 

ihoiho,  haka  hatahata. 
Tendresse,  tendre,  —  ekaeka. 
lénèbres,  ténébreux,  —  po  haha. 


po  hurihuri. 

Tenir,  —  mau,  maoa. 

Tenon,  —  hore,  =  le  mettre  en  sa 
mortaise  :  hakahuru. 

Tentacule. 

Tentateur,  tentation,  tenter,  — 
tuki. 

Tentative,  —  akoako. 

Tente,  —  hare  kahu. 

Tenue,  —  de  bonne  t.  —  tuu  titi- 
ka. 

Tergiverser,  —  liakanivaniva. 

Terme,  —  mouga. 

Terminaison,  terminer,  —  liaka- 
pae,  haka  moumouga  ]  =  àla 
hâte,  —  hakapae  horahorau. 

Terrain,  —  kaiga,  heeuua  ;  = 
Terre,  id.,  =  ctdtivée  :  kaiga 
rapurapu  a. 

Terreur,  terrible,  —  mataku, 
mataku  ke. 

Terrifier,  terrifié,  —  haka  mata- 
ku, mataku  a. 

Territoire,  —  heeuua  kaiga. 

Testament,  —  hakarivariva  pa- 
paku. 

Tête,  —  puoko,  roho  ;  =  couvrir 
la  t.,  puru  ki  te  puoko  ;  = 
baisser  la  tête  :  ariga  topa  ;  = 
secouer  la  t.  :  nene  ki  te  puoko  ; 
=  en  signe  d'opposition  :  tae 
haga  ;  =  mal  de  t.,  puoko  ga- 
ruru  ;  =  tête  ornée  de...,  haû- 
vaero. 

Téter,  —  omoomo  ;  =  tétln, 
téton  :  mata  u. 

Têtu,  —  pogeha. 

Thé,  —  ti. 

Théâtre,  —  rago. 

Tiède,  tiédeur,  —  vera  iti  iti  no, 
mabaua  uo  iti. 

Tien,  —  to  koe,  ta  koe,  ma;iua. 

Tige,  —  huri  ;  =  t.  de  canne  à 
sucre  :  pipi  ;  =  dti  bols  :  pipi. 

Timide,  timidité,  —  uuvtaku, 
hakauui. 

Timonier,  —  hakatere. 

Tintement,  tinter,  —  huhu. 


VOCABULAIRE  DE  LA  LANGUE  DE  L  ILE-DE-PAQUES. 


247 


Tirailler,  {se),  —  totoi,  ono  ;  = 
se  t.  :  tono  mai  tono  atii. 

Tirer,  —  kuine  ;  =  arracher  : 
oi  ;  =  retrancher  :  hoa  ;  =  en 
haut  :  kume  a  ruga,  kiruga  ;  = 
peu  à  peu  :  kuiiie  koro  iti. 

Tiroir,  —  paliu  oka. 

Tison,  —  miro  ahi,  ehu  ;  = 
agité  la  nuit  en  signal  :  ahi 
iiakagaiei. 

Tisser,  tisserand,  —  liagakahu, 
tagata  hagakahu. 

Titre,  —  hakatitikaira. 

Toi,  —  koe. 

Toile,  —  kahii  ;  =  d'araignée  : 
kiipega  uanai. 

Toilette,  —  liakarivariva  ki  te 
kahu,  rakai  ki  te  kalm. 

2oit,  toiture,  —  liakamaga  ;  = 
sa  pente  :  liaku  magaturu. 

Tolérer,  —  liaga. 

Tomhf,  tombeau,  —  rua  papaku, 
—  tauuga  i)apaa. 

Tomber,  —  topa,  higa,  viri  ;  = 
la  tête  la  première  :  topa  nilii  ; 
=  sous  la  charge  :  higa  ki  te 
uraga,  amoga  ;  =  en  défail- 
lance :  gaga  ;  =  d'une  hauteur, 
de  la  mer  :  viri  ;  =  du  mal 
caduc  :  gita  ;  =  L  goûte  à 
goûte  :  iiiiiiiiini  ;  =  menu  : 
niihiniihi  ;  =  dru  •  topa,  higa 
oko  ;  =  faire  t^  :  hakatopa, 
etc.  etc. 

Tombereau,  —  })otaka. 

Ton,  —  ton,  to  koe,  ctc.,(v. dict. 
tahit.). 

Tondre,  —  varu,  varuvaru. 

Tonneau,  —  paliii  viriviri. 

Tonner,  tonnerre,  — atutive. 

Torche,  —  tuù  ahi. 

Torchoir,  —  horoi,  pua. 

Tordre,  —  liiro,  =  se  t.,  viri, 
viriviri. 

Toron,  —  taiira,  taiii'a. 

Torréfier.  — 

Torrent,  —  niaiiavai. 

Tort,  —  rakerake,  liara. 


Tortue,  —  honu. 

Tortueux,  —  piko,  hipa,  niko- 
uiko. 

Torturer,  —  hakapagaha,  tigi- 
tigi. 

Totalité,  total,  —  pae  ro. 

Touchant,  —  no. 

Toucher,  —  toù,  gaatu  ;  =  légè- 
rement: toô  koro  iti. 

Touffu,  —  niatoru,  pegopego. 

Toujours  —  e  ko  mou,  —  ina 
kai  mou. 

Toupie,  —  niu. 

Tour,  —  viri,  liakaviri  ;  =f.le 
tour  :  viri  takapau. 

Tourbillon,  tourbillonner,  —  ohi- 
ohio. 

Tourlourou,  —  tupa. 

Tourmente,  —  gogoroaà. 

Tourmenter ,  tourment,  —  haka- 
pagaha. 

Tournant,  —  viriga  ;  =  tourner: 
viri  ;  =  tordre  :  hiro  ;  =  une 
manivelle  :  taviri  ;  =  sur  un 
autre  côté  :  hakataha  ;  =  une 
roue  :  hakaviri  ;  =  convertir  : 
hakarivariva  ;  =  faire  face  : 
hariu  ;  =  en  cercle  :  niimiro  ; 
=  être  tourné  sur  un  autre 
côté:  huri  •,  =  t.le  canoi  :  hariu. 
tahuri  ;  =  se  tourner  :  hariu. 

Tournoyer,  —  viriviri. 

Tournure,  —  liakarite  ;  =  mau- 
vaise :  ariga  rakerake. 

Tourterelle,  —  kuku,  kuku. 

Tout.  —  pae  ro,  anauake  ;  = 
c'est  tout  :  luouga. 

Tout  à  coup,  —  iiorahorau. 

Tout  à  llieure,  —  poto  no,  anei- 
ra. 

Toutefois,  —  ro. 

Tout-puissant ,  —  mauanoa  ;  = 
toute  puissance  :  numaliaga. 

Toux,  tousser,  —  kokogo,  tugu. 

Tracas,  tracasser,  tracasserie, — 
pogeha  ;  =  fracassier  :  tagata 
pogeha. 

Trace  des  pieds,  —   pokopoko 


248 


LE    MUSÉON. 


vae. 

Tracer,  —  hakatuù. 

Tradition,  —  haka  aara. 

Traducteur,  —  tagata  hakariva- 
riva,  =  traduction,  traduire, 
hakarivariva. 

Trafic,  trafiquer,  —  liakahere 
hoko. 

Trahir,  trahison,  traître,  —  ha- 
ka reoreo,  hakareoreo,  mata 
e  rua,  tagata  piri  a,  tagata 
hakaaroha  reoreo. 

Traîner,  —  totoi,  kume,  =  se 
t.  :  totoro. 

Traire,  —  tatau. 

Trait,  —  rona  ;  ==  flèche  :  veo, 
uki. 

Traité,  —  ta  bakatitika. 

Traitement,  traiter  ;  =  Ion  trai- 
tement :  ragi  ;  =  mauvais  tr.  : 
hakapagalia. 

Trajet,  —  hiriga. 

Trame,  tramer,  —  vauaga  haka 
naà. 

Tranchant,  —  mata,  kai. 

Trancher,  —  kokoti,  hore,  houi- 
honi. 

Tranquille, —  reo  kore,  mou  uo. 

Tranquilliser,  —  haka  magaro  ; 
=  paix,  pava  ;  =^  faire  la 
paix  :  hakapava. 

Transcrire,  —  ta  e  rua. 

Transe,  —  gogoroaa,  manava 
ruru,  mauava  eete. 

Transférer ,  —  ahu,  hapai  ko- 
oua  ke. 

Transfigurer ,  —  huri  ke  a,  = 
transformer,  ici.,  —  hihoi. 

Transfuge,  —  tagata  tere. 

Transgresser,  transgression,  — 
pogeha,  =^  transgresseur  :  ta- 
gata pogeha. 

Transi,  —  tekeo-tekeo. 

Transmettre,  —  hapai  atu. 

Transparence,  —  ata,  ku  ata. 

Transpercer,  —  veo,  huki,  kuki, 
oka. 

Transpirer,  —  pahia. 


Transplanter,  —  ahu. 

Transporter,  —  hari,  tupo,  ha- 
pai, :=  sur  un  navire  :  haka- 
eke. 

Transvaser,  —  huri  ke,  haka- 
perigi  ke. 

Travail,  travailler,  —  haga,  ra- 
pu,  =  abandonner  le  t.  :  vai 
apuga. 

Travailleur,  —  tagata  haga, 
maahaga. 

Travers,  —  piko  ;  =  largeur  : 
hakarava  ;  =  caprice  :  pogeha 
no,  =  mis  en  travers  :  haka- 
rava ;  =  de  travers  :  higahiga. 

Traverser,  —  teki,  tekiteki. 

Traversin,  —  ega  rua. 

Trébucher,  —  higa. 

Treillage,  treillis,  —  hihi,  haka- 
pekapeka. 

Treize,  —  hagahuru  niatoru. 

Tremblant,  trembler,  tremble- 
ment, —  ruru,  tetetete,  papa- 
papa,  mataku  ;  :^  trembloter  : 
id. 

Trémousser,  trémoussement ,  — 

Trempé,  tremper,  —  rari,  liaka- 
rari. 

Trente,  —  e  toru  te  hagahuru. 

Trépas,  trépasser,  —  mate, 
aguagu. 

Très,  —  nui,  etc.,{v.  dict.  tahit  ). 

Trésor,  —  rakau. 

Tressaillir,  —  koakoa,  haka 
koakoa. 

Tresse,  tresser,  —  raraga. 

Triangle,  —  toru. 

Tribu,  —  etu. 

Tribunal,  —  rago. 

Tribut  —  hakatitikaga. 

Tricher,  tricherie,  —  reoreo,  = 
tricheur,  tagata  reoreo. 

Trier,  —  runu. 

Trinité,  —  Toru-tahi. 

Trio,  —  reo  toru. 

Triomphe,  triompher,  —  ihoiho, 
mataù. 

Tripaille,  —  kokoma,  nirouiro, 


VOCABULAIRK  DE  LA  LAISCUE  DE  l'iLE-DE-PAQUES.         249 


maga. 

Triple,  tripler,  —  liakatorii. 

Tripotier,  tripoter,  —  haga  no 
iti. 

Trique,  —  rakau  ta. 

Triste,  tristesse,  —  gogoroaà. 

Trituration,  triturer,  — 

Trois,  —  e  toru. 

Trois-mâts,  —  iiiiro  tuù  e  toru. 

Tromhe,  —  ohiohio  \=::tro7nhlon, 
id. 

Tromper,  tromperie,  —  reoreo, 
=  se  tr.  :  hara  ;  =  être  trom- 
pé :  bakarogo  ;  =  trompeur  : 
tagata  reoreo. 

Trompette,  —  liura.  pu. 

Tronc,  —  tuniu  ;  =  creusé  en 
pirogue  :  vaka,  poepoe  ;  =  en 
caisse  :  paliu,  pahu. 

Trône,  —  rago. 

Tronquer,  —  hakaiii)oi. 

Trop,  —  nui,  noa. 

Troquer,  —  hakahere. 

Trot,  —  tohuti,  horo. 

Trou,  —  rua  ;  =  grand  :  rua 
nui  ;  =  dans  le  roc  :  ana  ;  = 
de  mailles  :  mata  ;  ^^pirofond  : 
rua  holionu,  pokopoko  ;  = 
instrument  pour  trouer  :  uki, 
hou. 

Trouble,  troubler,  —  pogelia  ;  = 
Veau  :  =  oone  ;  =  la  puix  : 
toua,   kakai   no  ;  =   l'esprit 


d'autrui  :    hakapogeha  ;    = 

exciter  du  tr.  :  id.  =^  fauteur 

de  tr.  :  id.  =  par  le  bruit  :  id. 

pogeha  mai. 
Trouer,  —  hou. 
Troupeau,  —  huega  puaka  ;  = 

troupe  :  gagata  (pour  Vhomme 

seulement). 
Troupier,  —  matatoa. 
Trouver,  —  rava,  uiorava. 
Truie,  —  tamaahine  horu. 
Tu,  —  oe.  oou. 
Tube,  —  hatahata. 
Tubercule,  —  kuniara,   —  uhi 

(igname)  ;  =  vilains  sur  la 

peau  :  kino. 
Tuer,   —  tigai,   hakamate  ;  = 

se  tuer,  id.  ;  =  tué,  mate  a, 

tigai  a. 
Tuile,  —  maeapuru  hare. 
Tuméfier,  tuméfaction,  tumeur, 

—  arakea. 
Tumulte,  tunmltueux, — pogeha. 
Turban,  —  viri. 
Turbulent,  —  kori. 
Turpitude,    —    hagarakerake, 

veriverike. 
Tutélaire,  —  tarupu  ;  =  tutelle, 

tuteur  :  tiaki. 
Tuyau,  —  hatahata. 
Type,  —  ariga. 
Typographe,  — 
Tyran,  —  mataù  rakerake. 


U 


Ulcère,    —    arakea,    tao  ;   = 

hydropisie,  ahuahu,  takai)au  ; 

=  ulcérer  :  hakauieemee. 
Ultérieur,  —  kimuri,  a  ti  ave. 
Un,  —  etahi  ;  =  un  à  un  :  e- 

tahi  etahi. 
Unanime,  unanimité,  —  anaua- 

ke. 
Uni,  — raparapa,  ekaeka,  vare- 

vare,  kivakiva. 
Uniformité,  uniforme,  —  etahi 


hakarite . 

Unique,  —  etahi  no,  =  per- 
sonne :  huaàtahi  ;  =  chose  : 
anake,  —  tahaga,  no. 

Union, unir,  —  honohono,f^'om- 
dre)  hakapiri,  =  s'unir  :  pi  ri  ; 
=  imi,  poli,  voyez  uni. 

Unisson,  —  ananake,  reo  laiii. 

Unité,  —  etahi  no. 

Univers,  —  arova  nei. 

Universel,  —  ananake. 


250 


LE    MUSÉON. 


Urgent,  urgence,  —  e  mea,  e 

niee  ka. 
Urine,  uriner,  —  mirai. 
Usage,  —  peira  hokita  matou. 
User,  use,  —  para  ;  =  par  Vâge  : 

koroua. 


Usité,  usuel,  —  voyez  usage  ;  — 
usuel  :  kotiru  no  ilia  raà  no 
iha  raà. 

Usurpateur,  —  toke,  iko. 

Utile,  utilité,  —  meitaki  ;  = 
rendre  utile  :  haka  meitaki. 


Fa-t-en^  —  ka  oho,  —  ka  tere, 

ka  ea,  oi  atu. 
Vacance,  vacation,  —  haka  re- 

ka,  hakarere. 
Vacarme,  —  iDogeha. 
Vacciner,  (inconnu)  haka  uru. 
Vache,  —  puaka  toro  tamaahi- 

ne. 
Vaciller,  —  tumû  kore,  taruri- 

ruri,  pakuku,  higahiga,  tapo- 

ke. 
Vacuité,  —  puhare. 
Vagahonâ,  —  ta  gâta  ahere  no. 
Vagir,  vagiftsemeni,  —  tagi. 
Vague,  —  hati  ;  =  longue  :  va- 

ve  ;  =  se  brisant  :  pakakina  ; 

=  brisant  a  terre  :  pari  ;  = 

creux  de  la  vague  :  pokopoko 

vave. 
Vaillant,    vaillance,    =  voyez 

valeur. 
Vain,  —  verega  kore,  haga  to- 
pa ;  =  être  vain  :  id. 
Vaincre,  —  haka  higa,  tiite  ;  = 

les  difficultés  :  ihoiho  ;  =^  vain- 
cu :  higa  à,  raga. 
Vainqueur,  —  mata  toa. 
Vaisseau,  —  miro  uimiii,  miro 

kumi  ;  :^  vase:  hipu,  hue. 
Vaisselle.  —  hipu  taka  tore. 
Valet,  —  kio. 
Valétudinaire,  —  rauhiva,  nia- 

mae. 
Valeur,  —   mata   toa,   mataku 

kore  ;  =  sans  valeur  :  verega 

kore,  tae  verega. 
Valeureux,   —    tagata    mataù, 

mata  toa. 


'    Valide,  —  meitaki,  =  validité  : 

id. 
Vallée,  —  manavai,  =  vallon, 

id. 
Valve,  — 
Vanner,  —  tutu. 
Vanité,  —  tea,  =  vaniteux  :  ta- 
gata tea. 
Vantard,  —  rava  ki. 
Vanter,  vanterie,  —  maharo  kia 

ia  a,  paru  ;  =  se  v.,  paru. 
Vapeur,  —  au  ;  ^=  navire  :  mi- 

l'o  auahi. 
Variable,  —  tahuti,  =  varié, ià. 
Variété,  —  hakarite  ke,  haka- 

rite  ke. 
Varlope,  —  varu,  horo. 
Vase,  —  hipu. 
Vassal,  —  kio, 
Vaste,  —  hâta  hâta,  kumi. 
Vaurien,  —  tagata  rakerake  ke. 
Vautrer,  —  viriviri,  pakuku. 
Veau,  —  punua  puakatoro. 
Végétal,  végétation,  —  tupu,  ha- 

katupu. 
Végéter,  —  tae  tupu,  =  exciter 

la  V.,  haka  tupu. 
Veille,  —  raà  i  mua,  vigiria,  = 

veiller,  faire  v.,  haka  ara. 
Veine,  —  ua  ua. 
Véloce,  vélocité,  —  horaliorau, 

veve  veve,  pakapakakina. 
Velu,  —  verevere. 
Vendeur,  vendre,  —  tagata  ha- 

kahere,  hakahere. 
Vendredi,  —  veneri. 
Vénéneux,  venimeux,  —  raegeo, 

kavakava. 


VOCABULAIRE  DE  LA  LANGUE  DE  l'iLE-DE-MQUES.         251 


Vénérer,  —  roau,  roau  ;  =  véné- 
rable, tagata  ariga  eulieu,  ari- 
ga  euIieu,  ariga  meitaki. 

Vénérien,  —  liai. 

Vengeance,  venger,  —  liakalie- 
re  ki  te  ika,  hakaliere  rua, 
ati  kopeka. 

Venin,  —  piro. 

Venir,  —  paka  mai,  turu  mai, 
rori  mai,  biho  mai,  oho  mai, 
piri  mai. 

Vent,  —  tokerau  ;  =  gros  vent  : 
hu  ;  —  pupnhi,  matagi  ;  = 
froid,  tokerau  tekeo  ;  =  agré- 
able :  tokerau  mataki,  liaka- 
kiva  tae  makeuu,  tae  gei  ;  = 
souffler  :  hu,  pupulii  ;  =  vent 
du  ventre:  peti,  puti,  putiputi. 

Vente,  —  liakahere. 

Venter,  —  hu,  peti. 

Ventre,  —  kopu,  manava  ;  = 
gros,  kopu  takapau  nui  ;  = 
avide,  maruaki,  agu  korc, 
peropero,  opeo])e,  rihariha  ; 
=  qui  se  relâche  :  kopu  ueiiicn 
lia  te  mataku. 

Venu,  nouveau  y.,  —  topa  rae  ; 
=  soyez  le  b.  venu  :  koomai. 

Venue,  —  ah  ère  ;  =  de  rapide 
venue,  tupu  k<^  avai. 

Ver,  =  koreha  licemia. 

Verbe,  —  vauaga,  ki. 

Verge,  —  magamaga. 

Verger,  —  mauavai  miro. 

Vergogne,  —  hakama. 

Vergue,  hakaiava  ;  =  mettre  les 
V.,  liaro. 

Véridique,  —  titika,  titika  noa, 
=  véraciM,  id. 

Vérification,  vérifier,  —  liaka- 
rivariva. 

Véritable,  vérité,  —  titika,  mau. 

Vermeil,  —  ura  ura,  mea  luca. 

Vermillon,  —  kie. 

Vermoulu,  —  huhu,  para. 

Vérole,  —  mageo. 

Verrat,  —  paha. 

Verre,  —  à  boire  :  hipu,  hipu 


uuu  vai  ;  =  verre  à  vitre  :  uira. 
Verrue,  —  pati. 
Vers,  —  mai. 
Verser,    —    huri,    liakai)erigi, 

hakataha. 
Verset,  —  varavara. 
Version,  —  taga  poki. 
V^ert,  (couleur),  —  luuihuri  ;  = 

non  màr  :  puku|)uku,  mata. 
Vertèbre,  —  tuaivi. 
Vertical.  — 
Vertige,  —  garuru. 
Vertueux,  —  tagata  rivariva  ; 

=  vertu,  virctute  (moderne). 
Vessie,  tau  a  mi  mi. 
l'esté,  —  kahu. 

Vestige,  —  hakatuîi,  hakauiii. 
Vêtement,  —  kahu,  tapa. 
Vêtir,  —  puô  ;  =  toujours  vctu  : 

puô  a  tahaga. 
Vétusté,  —  pai'a. 
Veuf,  veuve,  —  hove. 
Vexant,  vexer, —  [)og('lia,  haka- 

pagaha. 
Viande,  —  kiko. 
Viatique,  —  Viatil 
Vibration,  vibrer, 

des  tons,  kiukiu. 
Vicaire,  vicario  {modirm-). 
Vice,  vicieux,  —  rakerakega,  ra- 

kerake. 
Vicier,  —  hakaiipoi,  liabirakc- 

rake. 
Victime,  heaga,  ika. 
Victoire,  victorieux,  —  mata  toa, 

liaka  higa,  tutc 
Vide, vider,  —  hakaperigi,  huri; 

=  la  terre  d'un  trou  :  tiâki, 

tiâki. 
Vie,  —  oraga  ;  =  la  rendre  : 

hakaora. 
Vieillesse,  vieillard,  —  koroua. 
Vierge,  —  virigiue  (moderne). 
Vieux,  —  tuhai. 
Vif,  —  veveveve. 
Vigilance,  vigilant,  —  tiaki. 
Vigne,  —  viuea  {moderne). 
Vigoureux^  —  ora  uui. 


co  (moderne] 
—  ruru  :  = 


^52 


LE    MLSÉON. 


Vil,  —  rakerake,  veriveri. 

Vilain,  —  arij^a,  rakerake- 

Vin,  —  topa,  topa  taliaga. 

Vinaigre,  —  kavakava. 

Vindicatif,  —  tarotaro. 

Vingt,  —  e  rua  te  hagahuru. 

Vingt-quatre,  —  e  rua  te  liaga- 
huru  peaha. 

Violence,  violent,  —  hakapaga- 
lia  ;  =  en  paroles,  id. 

Violenter,  —  id. 

Violer,  —  viol. 

Violet,  —  huriliuri. 

Virer,  —  hoki,  hakahoki  ;  = 
virer  de  bord,  id. 

Viril,  tugutugu. 

Vis-à-vis,  —  ki  te  aro,  tupuaki. 

Visage,  —  mata,  ariga  ;  ==  ron- 
deur du  V.  :  mata  puti  ;  =qui 
n'a  qu'un  heau  visage  :  mata 
ritorito  ;  =  petit,  étroit  :  mata 
iti,  mata  gorigori. 

Viser,  —  hakakeva  ;  =  viser 
un  seul  but  :  id. 

Visibilité,  visible,—  tikea  a  mai. 

Visière,  —  liaka  kohu. 

Vision,  —  tikea  haga  ;  =  noc- 
turne :  tikea  haga  moemoe  a, 
tikea  haga  a  uru. 

Visite,  visiter,  —  hakaaroha,  = 
rara. 

Visiteur,  —  tagata  ragi,  tagata 
ui. 

Visqueux.  — 

Visser,  —  hakaviri. 

Vite,  vitesse,  —  horahorau,  ve- 
veveve. 

Vitre,  —  uira  ;  =  vitrer  :  haka 
m  au  ki  te  uira. 

Vivace,  —  oraga  mau,  oraga 
ihoiho. 

Vivacité,  —  horahorau. 

Vivifiant,  vivifier,  —  liaka  ora. 

Vivre,  vivant,  ora. 

Vivres,  —  kai,  mau  ;  =  amas  de 
vivres,  kai  hue  ;  =  retenir  les 
vivres  :  mau  ki  te  kai  o  te 
tagata  ke. 


Vocal,  —  reo. 

Vocation,  —  ragi  a  mai. 

Vœu,  —  liakaruru. 

Voguer,  —  aère,  tere,  raga  ;  = 

faire  v.  :  hakaraga. 
Voici,  —  ai  ua  ra. 
Voie,  —  ara,  =  d'eaii,  turu  vai, 

vai   turu  ;    =   aller    en   voie 

directe  :  hiri  a  te  ara  titika. 
Voilà,  —  ira,  ena. 
Voile,  —  kahu  ;  =  mettre  à  la 

voile  :  haka  topa  ki  te  kahu  ; 

=  voile  (subst.  masc.  ),  pu- 

ruga. 
Voir,  —  tikea. 
Voisin,  —  tagata  tupuaki. 
Voiture,    voiturer,    —    potaka, 

potaka,  hakapotaka. 
Voix,  —  reo  ;  =  bruit  de  la  mer  : 

vavovavo  ;  =  effrayante  :  ha- 

karuru  ;  =  changeante  :   reo 

ke  ;  =  basse  :  reo  nui. 
Vul,  (larcin)  =  toketoke  ;   = 

voler,  id.  iko. 
Volage,  —  uivauiva. 
Volaille,  —  moa,  manu. 
Volatiliser,  —  hakapupuhi. 
Volcan,  —  rano,  rano. 
Voler  (prendre),  —  voyez  vol. 
Voler,   (s'élever  dans   l'air)  — 

rare,  =  faire  voler,  paoa. 
Volonté,  volontaire,  —  haga. 
Voltiger,  —  rere 
Volubilité  en  parlant,  —  hora- 
horau. 
Volume,  volumineux,  —  pupu  ta. 
Volupté,  —  hai,  =  voluptueux  : 

tagata  rakerake,  tagata  hai. 
Vomir,  vomissement,  —  haka- 

rua,  rua. 
Vorace,  —  kai  nui,  horohoro. 
Voter,  —  vae. 
Votre,  —  na  au,  to  koe,  na  ko- 

rua,  ta  korua. 
Vouloir,  —  haga,  =  en  vouloir 

à  autrui  :  kokoma  lianohano 

ki.   Qui  ne  veut  pas,  —  tae 

haga  mai. 


VOCABULAIRE  DE  LA  LANGUE  DE  l'iLE-DE-PAQUES.         255 


Vous,  —  korua,  koe,  ooù. 

Voyage,  voyager,  —  hiriga,  hiri  ; 
=  hut  de  voyage,  tunm  o  te 
hiriga,  =  hui,  fin,  te  mouga, 
te  ika  potu  o  te  hiriga  ;  = 
être  prêt  à  voyager,  inatu  ;  = 
voyageur  :  tagata  aère  ;  = 
voyageurs  nombreux,  gagata. 

Voyons,  —  hage,  hage  mai,  = 
demandant  à  voir  :   voyons  ! 


aia  ! 
Vrai,  —  titika,  titika  noa. 
Vraisemblance,  —  hakarite. 
Vrille,  —  hou. 
Vu,  —  tikea  a  mai  ;  =  vu,  uo 

te  mea. 
Vue,  —  mata  ;  =  être  en  vue  : 

tupuaki   kaiga,    :=    obscurcir 

la  vue  :  hakamata  keva. 
Vulgaire,  —  no  iha  raà  iha  raà. 


Y,  —  ira. 

Yeux,  —  mata,  =  saillants  : 
pupura  mata   ara  ;  =  yeux 


scintillants  :  mata  pupura  ;  = 
clignotants,  mata  keva,  haka 
mata  keva. 


Zélé,  zèle,  —  tarupu. 
Zéphyr,  —  hahau,  ora. 
Zénith,  —  ki  te  tiui  te  raà. 
Zéro,  —  kore  no. 


Zigzag,  —  aller  enZ...,  ahere 
atu  ahere  mai,  =  oriare  miro 
oriare. 

Zinc,  —  raparapa. 


254  LE    MUSÉON, 

Note  du  Correcteur. 


Obligé  de  succéder  au  R.  P.  Vinceut-Fei-rier  Jaueau  dans  la  cor- 
rection des  épreuves  de  ce  Vocabulaire  Jiaponiii,  nous  lujus  sommes 
vite  convaincu  que  ce  lexique  a  été  composé  d'après  le  Dictionnaire 
de  la  Langue  Maorie,  dialecte  ïaliitien,  j)ublié  vers  18G0  par 
Mgr  Jaussen,  évêque  titulaire  d'Axiéri  et  vicaire  apostolique  de 
Taliiti.  Non  seulement  le  manuscrit  du  R.  P.  Roussel  suit  mot  à  mot 
le  Dictionnaire  Tahitien,  mais  il  en  marque  même  la  pagination  de 
la  façon  la  plus  précise.  Cela  nous  a  permis  de  décliifl'rer  quelques 
abréviations  dithciles  à  comprendre,  et  de  renvoyer  au  Dictionnaire 
Tahitien  cliaque  fois  que  le  missionnaire  Tindique. 

Comme  il  est  facile  de  le  voir,  ce  Vocabulaire  n'est  pas  complète- 
ment terminé.  Il  y  a  ici  et  là  des  mots  français  qui  attendent  encore 
leur  traduction  rapanui.  Nous  avons  été  sur  le  point  de  supprimer 
tous  ces  mots  en  un  sens  inutiles  ;  réflexion  faite,  nous  avons  cru 
intéressant  d'en  gard(M' au  moins  quebjues-uns  ;  ils  nous  montrent, 
pris  sur  le  iait,  le  ti'avail  patient  et  consciencieux  du  linguiste 
océanien,  qui  ne  se  presse  pas  d'assigner  des  équivalents  indigènes, 
tant  qu'il  ne  se  sent  pas  absolument  sûr  de  la  traduction.  Cette  sage 
réscM've  nous  est  une  garantie  ])our  le  reste. 

V.  Ildefonse  Alazard,  SS.  CC. 


ÉTUDES 


SUR 


L'ÉSOTÉRISME   MUSULMAN 

(Suile) . 


IX. 


Les  rapports  des  novices  et  des  Soufis  avec  le  sheïkh, 
général  de  la  communauté,  constituent  l'une  des  parties 
les  plus  importantes  de  la  Règle  exotérique. 

Le  sheïkh  (i)  étant  la  clef  de  voûte  de  toute  la  hiérar- 


(1)  Les  auteurs  mystiques,  principalement  ceux  d'une  basse  époque, 
donnent  au  sheïkh  le  nom  de^-e  «  vieux  «.  Ce  terme  fut  surtout  employé 
à  l'époque  timouride,  en  Perse,  d'où  il  est  passé  dans  l'Hindoustan.  L'au- 
teur du  Lebb-i  lohûh-i  maanévî,  Hosein  ibn  Ali  el-Vaïz  el-Kasliifi,  dit  qu'il 
faut  comprendre  ce  nom  de  «  vieillard  »  dans  un  sens  mystique  ^^^'•^s* 
et  non  dans  son  sens  exotérique  ^))^j^, ,  autrement  dit,  il  peut  y  avoir  des 
shéikhs  relativement  très  jeunes.  Un  âge  très  avancé  n'est  pas  une  con- 
dition absolument  nécessaire  de  la  perfection  mystique,  elle  dépend 
beaucoup  plus  de  la  prédisposition  et  de  la  rapidité  avec  laquelle  on  a 
parcouru  les  stades  intermédiaires  de  la  Voie.  C'est  dans  ce  même  ordre 
d'idées  qu'en  Perse  ou  donne  souvent  le  titre  de  J-t- ji.>j  et  dans  le 
Turkestan  chinois  celui  de  ak-sakal  J^j^  «  barbe  blanche  r>  à  des 
chefs  qui  sont  encore  tout  jeunes.  Si  l'on  dit  en  arabe  «  la  bénédiction  est 
avec  les  gens  âgés  «,  dit  el-Kashifi,  il  faut  comprendre  les  grands  Soufls 

16 


256  LE    MUSÉON. 

chie  mystique,  il  n'y  a  que  les  Soufis,  au  sens  absolu  du 
mot,  qui  puissent  prétendre  à  cette  dignité  ;  elle  est  for- 
mellement interdite  aux  saliks  et  aux  moiitésevvifs  qui, 
n'étant  pas  arrivés  à  la  Connaissance  et  ayant  encore 
besoin  d'être  dirigés  dans  la  Voie  mystique,  ne  peuvent 
réellement  pas  guider  leur  prochain  vers  une  vérité  qu'ils 
n'ont  pas  encore  atteinte. 

La  fonction  essentielle  du  sheïkh,  qui  est  le  père  spiri- 
tuel (i),  est  d'apprendre  l'amour  de  l'Être  Unique  aux 
hommes  dont  il  a  la  direction  morale,  de  faire  parcourir 
aux  novices  tous  les  degrés  de  la  Voie  Mystique,  et  surtout 
de  les  amener  à  être  favorisés  d'extases  (2). 

Suivant  une  tradition  attribuée  au  prophète  Moham- 
med (5),  le  plus  haut  stade  de  la  hiérarchie  souHe  est 
celui  du  sheïkh  que  les  docteurs  mystiques  considèrent 
comme  le  vicariat  de  la  Prophétie  ï^*^l  ÂjIJ,  ou,  en  d'autres 
termes,  comme  le  Khalifat  potentiel  et  ésotérique.  Le 
sheïkh  dans  ses  fonctions  est  comme  le  Prophète  au 
milieu  de  son  peuple  et  comme  les  grands  khalifes  ortho- 
doxes, les  ji->'^\;^\,  au  milieu  de  la  communauté  musul- 


qui  sont  favorisés  d'extases  et  non  ceux  qui  sont  âgés  au  point  de  vue  des 
années.  ^_5;j-  ^^  àic^^?^  ^y*^  j^,  ^^  ^\  ^/  ^;  jrt?.  ^^^-*^  j-*  6^  î 
JU  j  sU  ^.  <5j  JkjJW  u-^U.  y^S;^>  ^y.  f^ji^^  5'»  ^yt^^  man.  supp.  persan 
1141,  folio  51  verso. 

(1)  Jij  ^^^:^\  ^>>  ^  ^•>^-^  o/j  ^  JV^^^  -^.i;'"»  ^^^■'-  ^"^^  é"-^^ 
^^^».jas^\  ^x^  ^  U^U  y^^.  Avarif  el-méarif,  man.  arabe  1332,  folio 
35  recto. 

(2)  ^i»^  s-'^^  jjfc  ç^\  ^\  (^-^  Avarif  el-méarif,  man.  arabe  1332, 
folio  36  recto. 

(3)  ^^^  i&-;<iu^\  Â-jj  jô  ^j  àAc.  <si5\  ^J^  <iii\  J^j  s^J  ^JJ^  ^^}..~ 
4l5\  ^\  VcjJ\  ^  ij^\  àjU^  iLijJ\  ^_jl  ^  s-^^\  ^J.e\  Sohraverdi,  Avarif 
elrméarif  man.  arabe  1332,  folio  33  recto. 


KTinKs  SUR  l'ésotérisme  musulman.  257 

inane  (i).  Xedjin  ed-Din  el-Razi  dit  tbrmellenient  que  le 
sheïkiî  est  le  vicaire  v--*^^"  de  Mahomet,  c'est-à-dire  le 
khalife  ésotérique  (-2).  Le  stade  de  la  mission  du  sheïkh, 
dit  Mohyi  ed-Din  Mohammed  ibn  Ali  ibn  el-Arabi  dans 
son  el-umr  el-tnohkcm  (r.)  est  identique,  et  rigoureuse- 
ment, au  stade  de  la  Prophétie  ;  l'homme  qui  l'atteint 
est  nommé  nébi  «  prophète  »  durant  tout  le  temps  qu'Al- 
lah l'investit  de  la  mission  prophétique  et  tout  le  reste 
du  temps,  il  est  nommé  sliéikli  ;  dans  la  théorie  de  cet 
ésotériste,  sheïkh  et  Prophète  sont  donc  les  deux  aspects 
d'une  même  entité  investie  par  Dieu  de  la  mission  de 
gouverner  les  hommes  et  c'est  là  une  terrible  démoli- 
tion de  l'Islamisme,  car  elle  revient,  en  somme,  à  faire 
de  chaque  sheïkh  un  prophète  potentiel.  Le  célèbre  Ha- 
madhani  va  même  jusqu'à  dire  que  le  sheïkh  est  le 
miroir  dans  lequel  se  reflète  et  se  réfléchit  l'àme  du 
Souti  qui  étudie  et  que  ce  dernier  n'aperçoit  l'ipséïté 
de  l'Etre  Unique  (|ue  dans  le  sheïkh  et  par  lui  (4).  Les 
Soufîs  se  font  une  idée  tellement  élevée  du  sheïkh  et 
de  sa  mission  ({u'ils  regardent  Jésus-Christ  {r>)  comme  le 
modèle  du  sheïkh,  tout  en  se  refusant  à  lui  accorder  d'au- 
tres attributs,  et  (|ue  Mohyi  ed-Din  Ibn  ei-Arabi  dit  dans 


(1)  (j;;-.^  ^s  ^-.il^S"  ^Vo-  ^  t^-^\  Djoullabi,  Keshf  el-mahdjoub, 
man.  supp.  persan  1086,  folio  30  recto  ;  Abou-Bekr  Abd  Allah  ibn  Moham- 
med el-Razi,  Mersad  el-ibad,  man.  supp.  persan  1082,  folio  44  recto  et 
verso.  —  Shems-ed-Din  Mohammed,  mohtésib  d'Éberkouh,  Medjma  el- 
bahreùi,  man.  jiersan  122,  page  470  ;  Mohyi  ed-Din  Ibn  el-Arabi,  el-amr 
el-moJikem,  man.  arabe  1337,  folio  4  verso. 

(2)  Mersad  el  ihad,  man/ supp.  persan  1082,  folio  44  verso. 

(3)  Man.  arabe  1337,  folio  4  recto. 

jiA^j  \j  j^£.  j\    Zoubdet  el-hakaik,  man.  supp.  persan  135G,  folio  10  verso. 
(5)  Hoseïn  ibn  Ali  el-Vaïz  el-KashiH,  ^^'-^-^^  s->^-J  s-J,  man.  supp.  persan 
1141,  folio  58  veiso. 


:2o8  LE    MUSKON. 

son  el-amr  el-mohkem  que  l'ange  Gabriel  est  le  sheïkh  des 
prophètes  (i).  Pour  montrer  l'importance  du  sheïkh,  Abou 
Bekr  el-Razi  dit  que  iMoïse,  bien  qu'il  fût  l'un  des  plus 
grands  prophètes  de  l'Islamisme  et  qu'il  ait  gouverné  les 
douze  tribus  d'Israël  durant  de  longues  années,  vécut 
pendant  dix  ans,  comme  un  disciple,  auprès  de  Shoaïb 
(Jéthro)  jusqu'à  ce  qu'il  fût  devenu  digne  d'entendre  la 
parole  de  Dieu  et,  après  avoir  reçu  la  Bible,  après  avoir 
été  investi  du  gouvernement  des  1:2  tribus  (2)  d'Israël  et 
les  avoir  fait  sortir  d'Egypte,  il  lui  fallut  encore  suivre  les 
enseignements  du  sheïkh  par  excellence,  du  théosophe 
hermétique  du  Gnosticisme  musulman,  le  prophète  Khidr, 
le  type  parfait  du  skeïkh  (3). 

Il  ne  faudrait  pas  croire  que  tous  les  sheïkhs  sont  égaux 
et  que  tous  sont  arrivés  au  même  aspect  du  stade  de  la 
Connaissance  ;  ce  qui  produit,  dit  Ziya  ed-Din  el-Sohra- 
verdi,  les  ditférences  que  l'on  remarque  chez  les  sheïkhs 
soufis,  c'est  qu'aucun  d'eux  n'arrive  rigoureusement  à 
un  même  stade  et  que  chacun  parle  d'après  le  degré  de 
science  qu'il  a  acquise  et  le  stade  auquel  il  s'est  élevé  (4)  ; 


(1)  Man.  arabe  1337,  folio  4  verso. 

j\5aJU.\  \S  es >^j    ^    s--**»    ^.ï'-'Ai-    c:^j5U    JL,    sa    JU  o^^Aj  jJ    o^>«i^ 

^^    CV^^    O*  ^^t^   cwjU-,  ^  ^li\  ,^2^  c>Jj^}  à.S^\  j\  A«i  J  ^A>  ,3:^  <u3^^ 

fj«j;  (jU-,^j  jj  6jU  ^o  6jjS  j_5fllï  cw^^=.  i;}^»  j^  «!-^jy  i_^^-*'^  J  <^^^  Jî'V*^ 
el-ibad,  man.  supp.  persan  1082,  folio  44  recto. 

(3)       Jj^  j^^J^^^a*   <M/»   )   ,.5^^   («^   WS>U>\    ^5LJ\     (jJkC  V|;.&î.   ,^Wï    ^_^   i^^.X} 

V»)f    UjJ    (^    jL^lc.    ^Juc  ^^    ï.4.=»j  t\^\  \i>i\^  1^  \iX^  i^  -iJbJ  1^  j^  ^\ 

»Wd.,  foUo  46  recto. 
(4)  Adab  el-mouridin,  man.  arabe  1337,  folio  96  verso. 


ÉTUDES    SUR    l'ÉSOTÉUISME    MUSULMAN.  259 

l'auteur  du  Mersad  el-ibad,  Abou  Bekr  el-Razi,  raconte 
que  l'Être  Unique  a  fait  passer  le  prophète  Khidr  par 
cinq  stades  successifs  avant  de  le  faire  parvenir  à  la  per- 
fection du  stade  du  sheïkh.  Pour  les  Musulnrians,  Khidr, 
le  personnage  le  plus  étrange  de  toutes  les  mythologies, 
en  qui  sont  venus  se  fondre  le  chaldéen  Hasis  Hadra, 
l'amshaspend  Haurvatat  et  Saint  Georges,  Khidr  est  le 
sheïkh  par  excellence  ;  de  curieuses  anecdotes,  l'apportées 
par  les  éci'ivains  arabes  et  persans,  lui  attribuent  un 
pouvoir  magique  bien  supérieur  à  celui  de  tous  les  envoyés 
célestes. 

Ces  cinq  stades  successifs  par  lesquels  a  passé  le  pro- 
phète Khidr,  et  qui  sont  en  définitive  ceux  de  tous  les 
sheïkhs,  constituent  les  cinq  piliers  sur  lesquels  repose 
la  dignité  de  sheïkh  (i). 

Dans  le  premier,  le  Mystique  doit  s'appliquer  à  une 
seule  chose,  rechercher  la  vicinité  de  Dieu  par  l'obé- 
dience, comme  l'indiquent  les  mots  «  et  parmi  nos  servi- 
teurs »  \^ùLs-j^. 

Dans  le  second,  il  reçoit  de  l'Être  Unique  la  révélation 


(1)      iS  i^j.à^  e:^iJii£   ^joUaii.^   Jj^   'M^'*/*  (^  «i>Li"\   |«!iLJ\  «iJLc  ^\j-à^  ^y*  g-i» 

^>\  j  l^ic  \iji  ^v»  àS  <iÎQ-,L  ^i  (^"^  t^  ^^=-^*^  ki-J.O  ^^B^  6U.«.liC  .  6^  «-u-às.  \\ 
^i^--'\^  ^_j>\a;w^  jU«;ai^j  (..jai^*'  u>-c^\  ^J,'^  à^  •^ — '-^j  g-i>  man.  SUpp. 
persan  1082,  folio  46  recto. 

La  formule  arabe  dont  l'interprétation  cabalistique  sert  de  base  aux 
explications  données  par  Abou  Bekr  el-Razi  est  la  suivante,  que  l'on  a  vue 
un  peu  plus  haut  :  Uic  ^jJ  ^^^  sIjuIc^  Ujuc  ^J^  L^&.j  jL^ï^  \joLc  ^J^  \-uc 

C'est  sur  de  pareilles  interprétations  ésotériques  que  reposent  en  défi- 
nitive toutes  les  prescriptions  du  Soufisme  ;  leur  sens  exact  nous  échappe 
quelquefois,  et  même  souvent,  mais  il  n'y  faut  pas  voir  de  simples  fan- 
taisies. 


260  LE    MUSÉON. 

des  valeurs  mystiques  et  cabbalistiques  des  choses  et  des 
faits  réels  qui  sont  toujours  très  différentes  des  inter- 
prétations habituelles. 

Le  Mystique  parvenu  au  troisième  stade  y  acquiert  la 
participation  à  la  miséricorde  particulière  qui  dérive  du 
stade  de  la  vicinité  {'indiijel)  d'Allah. 

Dans  le  quatrième,  le  sheïkh  reçoit  la  science  d'Allah. 

Dans  le  cinquième  et  dernier,  il  reçoit  enfin,  directe- 
ment et  sans  intermédiaire,  la  science  infuse.  Ce  cinquième 
stade  de  la  dignité  de  sheïkh  n'est  autre,  comme  on  le 
voit,  que  l'union  parfaite  avec  l'Être  Unique  ou  la  Con- 
naissance suprême,  le  Nirvana  ^j>^,  qui  est  le  dernier 
stade  de  la  Vie  mystique.  Ces  cinq  degrés  représen- 
tent les  stades  pU^  que  doivent  parcourir  tous  ceux  qui, 
partant  du  noviciat,  sont  destinés  par  la  volonté  divine  à 
diriger  les  Mystiques  dans  la  voie  de  la  Vérité. 

La  perfection  de  l'être  moral  est  le  but  supiême  de 
l'Islamisme,  et  tous  les  docteurs  musulmans  s'accordent 
pour  penser  qu'il  est  impossible  de  l'atteindre  sans  la 
science.  Aussi  la  recherche  de  la  science  est-elle  une  pres- 
cription d'ordre  rigoureusement  canonique  pour  tous  les 
sectateurs  du  Prophète,  qu'ils  appartiennent  à  l'ortho- 
doxie sunnite  ou  à  l'hérésie  schiite,  et  la  première  obliga- 
tion de  la  Voie  mystique,  de  même  que  le  premier  stade 
de  la  Voie  est  l'Islamisme  :  «  Recherchez  la  science,  a  dit 
Mahomet,  quand  bien  même  elle  se  trouverait  à  la  Chine, 
car  la  recherche  de  la  science  est  d'observance  stricte  pour 
tout  Musulman  »  (i). 


(1)      ^«i-.^   J^  j^Jlc  ï-3>^  f^\    >~r^   ôS  vj>~.\    ^  <-rJJ=  ^^  U^^-V  3^  ^J*    Jî^ 

e:-- \  çiU    Medjma  el-bahreïn,  man.  persan  122,  page  486. 
La  tradition  en  question  ^J^£^  &^?.ji  ,Ji*î\  h-J^  y^  i,:^^  ^^  («^'^  ^_>^^ 


ÉTUDES    SUR    l'ÉSOTÉRISME    MUSULMAN.  261 

La  science  pure,  dans  son  sens  général,  ne  peut  mener 
ni  à  la  Connaissance,  ni  même  à  la  vérité,  et  l'étude,  pour- 
suivie durant  toute  une  vie,  du  droit  ou  de  la  syntaxe  arabe 
pourra  enrichir  l'esprit  et  la  mémoire  de  celui  qui  s'y  livi'e 
sans  améliorer  son  être  moral.  Tous  les  auteurs  qui  ont 
écrit  sur  l'Esotérisme  musulman  s'entendent  pour  affir- 
mer que  si  la  science  externe,  exotérique,  est  une  condition 
de  stricte  observance  imposée  à  tous  les  fidèles,  celle  de  la 
science  ésotérique  est  une  œuvre  surérogatoire,  mais 
qu'elle  seule  peut  conduire  à  la  Connaissance  ti-anscen- 
dantale  (i). 

La  science  exotérique,  celle  à  laquelle  tout  le  monde  peut 
prétendre,  ne  peut  guère  s'acquérir  que  sous  la  direction 
d'un  maître  ;  quant  à  la  science  ésotérique  qui  est  faite  tout 
entière  d'interprétations  et  de  révélations  mystiques,  elle 
sera  toujours  interdite  à  celui  qui  ne  voudra  pas  se  soumet- 
tre à  l'autorité  d'un  maitre  spirituel.  La  science  exotérique 
est  faite  de  définitions  que  l'élève  doit  apprendre  et  d'ex- 
emples matériels  qu'il  doit  s'efforcer  d'imiter,  aussi  la 
lecture  des  œuvres  scientifiques  peut-elle,  dans  une  cer- 
taine mesure,  remplacer  l'enseignement  doctrinal,  mais  la 


J^  est  transmise  par  les  autorités  suivantes  :  Anes  ibn  Malik,  Abou 
'Ataka,  el-Hasan  ibn  *Atia,  Djaafer  ibn  'Amir  el-Askéri,  Abou  Saïd  Ibn 
el-Arabi,  Abou  Mohammed  Abd  Allah  ibn  Yousouf  ei-Isfahani,  le  sheïkh 
Aboul-Kasem  Abd  el-Kérim  ibn  Havazin  el-Kosheïri,  le  tiafiz  Aboul- 
Kasem  el-Moustelémmi,  et  Sohraverdi,  Avarif  el-méarif ,  man.  arabe  1332, 
folio  14  verso.  Cette  célèbre  tradition  est  traduite  ainsi  qu'il  suit  par  le 
molitésib  d'Éberkouh  dans  son  Medjma  elbahreïn  e^-jl,^  \}  j\  v_ii,  ^>i  S\ 
,ji  cs^j  ^i\^}  j,j-i^  u^jUc  «  Si  dans  la  recherche  de  la  science,  il  te  faut 
aller  jusqu'aux  frontières  des  empires  d'Orient,  vas-y  »,  man.  persan  122, 
page  748.  Cette  tradition  est  également  rapportée  dans  le  man.  supp. 
persan  1356,  folio  21  verso  et  dans  bien  d'autres  ouvrages. 
(1)  Sohraverdi,  Avarif  el-méarif ,  man.  arabe  1332,  folio  15  recto. 


262  LE    MUSÉON. 

science  mystique  est  une  science  de  vie  que  l'on  ne  peut 
aller  chercher  dans  les  feuillets  morts  des  livres.  Ce 
n'est  pas  dans  des  lignes  immuablement  tracées  que  l'on 
apprend  l'amour  de  l'Etre  Unique,  et  le  sheïkh  doit  le 
faire  passer  tout  entier,  par  une  transfusion  directe,  de 
son  cœur  dans  celui  du  novice  qui  s'est  soumis  à  sa 
discipline. 

Les  Ésotéristes  sont  d'avis  qu'aucun  homme  ne  peut 
franchir  les  stades  de  la  Voie  et  arriver  au  Nirvana  par 
ses  seules  forces  et  qu'il  lui  faut  un  guide  spirituel  qui  lui 
enseigne  les  uns  après  les  autres  les  mystères  de  la  Voie 
ésotérique  ih^)n\\J\j^\,  car  «  pour  provoquer  les  extases  qui 
déterminent  l'avancement  à  travers  les  stades,  il  faut  une 
longue  étude  qui  ne  peut  être  menée  à  bien  autrement 
que  sous  l'influence  dune  direction  constante  et  de  tous 
les  instants  »  (i).  L'auteur  du  Mersad  el-ibad  va  môme 
jusqu'à  comparer  le  novice  à  un  œuf  qui  contient  en 
puissance  un  être  futur  et  qu'il  faut  couver  durant  long- 
temps si  l'on  en  veut  faire  sortir  l'homme  transformé 
par  la  Connaissance  (2).  «  Celui  qui  n'a  point  de  maître. 


(1)  Abou  Hafs  el-Sohraverdi,  Avarif  el-méarif,  man.  arabe  1332,  folio 
38  recto.  —  Aboul-Nedjib  Ziya  ed-Din  Abd  el-Kadir  el-Sohraverdi,  Adab 
el-mouridin,  man.  arabe  1337,  folio  100  recto.  —  Abou  Bekr  Abd  Allah 
ibn  Mohammed  el-Razi,  Mersad  el-ibad,  man.  supp.  persan  1082,  folio  44 
recto  et  ssq.  —  Shems  ed-Din  Ibrahim  d'Éberkouh,  Medjma  el-bahrein, 
man.  persan  122,  pages  359,  436,  485,  748. 

(2)  jJ    ts-sic  6^>  \^^\    ^-»à    c>v»V>  ^-i.  «_i^*3Ï  J^-f*  ^.5^^^-—.?^  "^-f  (Jv'ï'  J^  >à^)'^ 

(jiJyi.    i^\c    o-«JS>  ^  JkjvJ^  ij>-^\j^    jji^s^ii    «:-~>.ï^    *-ij^  (*C^  (3^^*   <J)^    6M\^ 

^L.».^  »_i^ï  Aii^  j^  ^>i^.f  i^f»  ^}>}i  )  "^^"^  (^  _;«*»  (j)"VA;j  ^f^)  y  \)   <^?    ) 
{■yi^   *  1^'^  <^^>^^  LS^f*   '^i^ii  "^^  i^S^   tj*^4^    j*^^   ij^Aie   d<àg>  '^f^i  ft^  ^s-'^to 


ÉTUDES    SUR    l'ÉSOTÉRISME    MUSULMAN.  265 

a  dit  le  célèbre Bayézid  el-Bistami,  a  le  diable  pour  maître; 
celai  qui  n'a  point  de  directeur  de  conscience  n'a  point 
de  loi  religieuse  »  (i). 

Le  choix  de  ce  directeur,  qui  constitue  l'acte  capital  de 
la  vie  du  Soufi,  est  entouré  de  périls  sans  nombre  et  plus 
d'un  Mystique  a  du  hésiter  en  pensant  qu'il  y  allait  non 
pas  du  bonheur  de  sa  vie  terrestre,  mais  de  son  salut 
pour  l'éternité.  Il  est  évident  que  le  novice,  le  -^j^-,  doit 
choisir  un  sheïkh  éprouvé  qui  soit  capable  par  sa  vue  éso- 
térique  *^--^j  de  juger  parfaitement  ses  actes  et  de  peser 
ses  pensées  ;  il  ne  doit  sous  aucun  prétexte  contier  le  soin 
de  son  instruction  mystique  à  un  homme  qui  n'est  pas 
encore  parvenu  à  ce  stade  et  qui  est  encore  un  étudiant 
plutôt  qu'un  docteur  (2).  «  C'est  pour  cela,  dit  l'auteur  de 
V Avarif  el-méarif,  que  l'on  doit  choisir  le  sheïkh  dans  les 
deux  classes  les  plus  élevés  des  Sou  fis,  ceux  qui  aiment 
Allah  d'un  amour  actif,  mais  auxquels  Allah  peut  ne  pas 
rendre  leur  amour,  et  ceux  qui  sont  aimés  d'Allah  passi- 
vement, pour  eux  mêmes,  ce  qui  est  un  stade  très  supé- 


.„._..,  «^^  ^  o'^;-?  V-»'>  ^\=  ^^«>  i-=-»  y^  5^j  3^  <^^)y°  ty  Abou  Bekr  Abd 
Allah  ibn  Mohammed  el-Razi,  Me7'sad  el-ibad,  man.  sui)p.  persan  1082, 
folio  47  recto. 

(1)  &i  (^>j  :J  &]  ^,>  :i!  ^-j  iJb;-.\  yVL.iJ\  (jU  &i  j^x-.^  ^J  ^^  Abou-Hafs 
el-Sohraverdi,  Avarif  el-méarif ,  folio  38  recto.  —  Mohyi  ed-Din  Moham- 
med ibn  Ali  Ibn  el-Arabi,  y^  ^J>^>  à^^  v3>y=  J*»^  f>j^.  U-^*  ^^.y*.)\  f,<^'*^\ y^\ 
t^jiJ^  man.  arabe  1337,  folio  4  verso.  -  Abou  Bekr  Abd  Allah  ibn  Moham- 
med el-Razi,  Mersad  el-ihad,  man.  supp.  pers.  1082,  folio  44  l'ecto.  — 
Shems  ed-Din  Ibrahim  d'Éberkouh,  Medjma  el-bahreïn,  man.  pers  122 
pages  450  et  478  ;  oustâd  est  l'équivalent  persan  de  sheïkh. 

*iî^i-i  ^_5;;^>  «i*^?  s-5^'»  ;  •^y*3^^>*  j^  "^^^  s^i^^y  Hamadani,  Zoubdet  el- 
hahaïk,  man.  supp.  persan  1356,  folio  10  verso. 


264  LE    MUSÉON. 

rieur  au  précédent  (i).  Même  parmi  les  sheïkhs  arrivés 
à  la  dernière  limite  de  la  Connaissance,  il  y  en  a  plus  d'un 
dont  l'enseignement  est  dangereux  et  dont  le  novice  doit 
s'écarter.  Si  le  sheïkh  est  un  orgueilleux  et  un  homme 
entiché  de  sa  science,  si  réelle  soit-elle,  le  novice  sera 
entraîné  dans  une  voie  d'eri'cur  au  bout  de  laquelle  il  trou- 
vera la  perdition.  Si  même  le  sheïkh  est  un  homme  de 
bien,  connaissant  à  fond  la  vraie  doctrine,  s'il  dévie  tant 
soit  peu  de  la  voie  droite,  et  qu'il  professe,  soit  la  théorie 

de  Thypostase  Jj^=^,  soit  des  idées  fausses  sur  le  dogme  de 

l'Unité  de  Dieu,  le  novice  aboutit  à  l'hétérodoxie  et  devient 
un  vrai  zendik,  comme  cela  est  arrivé  à  beaucoup  »  (2). 

Malgré  toutes  les  bonnes  dispositions  du  novice,  il  ne 
pourra  qu'aboutir  à  l'hérésie  s  il  suit  les  conseils  d'un 
tel  sheïkh  car,  comme  l'a  ti'ès  bien  dit  el-Hamadhani  dans 
sa  Zouhdet  eL-hakaik  (3),  si  le  directeur  de  conscience  est 
le  miroir  du  disciple  dans  lequel  le  disciple  voit  la  Divi- 
nité, le  disciple  est  le  miroir  du  sheïkh  dans  lequel  il  voit 
la  réflexion  de  son  âme.  Les  Mystiques  admettaient  d'ail- 
leurs que  Ion  peut  avoir  comme  maître  spirituel  un 
homme  moi-t  depuis  très  longtemps.  C'est  ainsi  que  le 
célèbre  Aboul-Hasan  el-Kharrakani  (t  4-25),  que  Nour 
ed-Din  Abd  el-Rahman  el-Djami  nomme  le  Pôle  de  son 
siècle,  eut  pour  maître  de  la  doctrine  ésotérique,  par 
communication  spirituelle,  le  grand  Souti  Bayézid  el- 
Bistami  qui  était  mort  bien  avant  sa  naissance.  C'était  là 


(1)  Avarif  el-méarif,  man.  arabe  1332,  folio  35  recto. 

(2)  Medjma  el-hahreïn,  man.  persan  122,  page  748. 

Si— .^  ^iy  «yj\j\  ^j>.U-».î  \;^\;:o.  <u.Ê  ^i-*  \;J^  ^\    man.  supp.  persan  1356, 
folio  10  verso. 


ÉTLDES    SLl\    LÉSOTÉRISME    MUSULMAN,  265 

un  moyen  commode  d'avoir  un  maître  tout  en  n'en  ayant 
pas  et  d  agir  comme  on  le  voulait  en  se  réclamant  de  la 
volonté  dune  personne  morte  depuis  des  années. 

Cette  préoccupation,  l'une  des  plus  c:randes,  et  à  juste 
titre,  des  docteurs  mysticpies  rappelle  celle  qui  tit  pro- 
noncer aux  Mazdéens  des  couvents  arsacides  les  sentences 
que  l'on  retrouve  dans  le  Mininyistân  et  dans  les  frag- 
ments de  l'Avesta  (i)  : 

«  0  Spitàma  Zarathushtra  !  proclame  connme  la  plus 
excellente  des  choses  d'avoir  un  Ahu  et  un  Ratu. 

Pour  tout  homme  de  ce  monde  des  corps 

qui  étudie  et  qui  juatique,  qui  apprend  et  qui  ensei- 
gne, 

qui  aime  d'un  amour  toujours  nouveau  dans  le  monde 
matériel  de  la  Sainteté, 

proclame  comme  la  pire  des  choses  de  n'avoir  ni  Ahu 
ni  Ratu 

ou  d'avoir  un  mauvais  Ahu, 

car  l'àme  de  ceux  ([ui  vivent  sans  direction  ne  peut 
racheter  par  un  mérite  un  péché  à  expier  !  » 

Le  sheïkh  est  investi  d'une  puissance  absolue  et  sans 
bornes  sur  tous  les  Soufis,  il  est  le  maître  absolu  de 
leur  volonté  (2)  et  il  est  considéré  comme  leur  père  spiri- 
tuel, car  la  parenté  matérielle  n'est  aux  yeux  des  Mys- 
tiques qu'un  accident  fortuit  et  sans  aucune  importance 
qui  ne  compte  en  rien  pour  la  transmission  du  pouvoir spi- 


(1)  ahumat  ratumal  vahishtem  vaocatà  Spetama  Zarathushtra 
kemcit  anhcush  astvatd  aôi  mareTitcm  verezantem  sihhshentem  saca- 
yantem  paiteshentem  gaêthâbyô  astvaêitibyd  ashahè  anaônhô  aratud 
aeishtem  duzhanhavô  nôif  zi  asraôahyanàm  tanunàm  ashahè  urva 
cithidi  vitâiti.  Fragments  Tahmuras  dans  James  Darraesteter,  Zend- 
Avesta,  tome  III,  XIII-XV,  page  56. 

(2)  Zoubdet  el-hakaïk,  folio  10  verso. 


266  LE    MUSÉON. 

rituel.  Aboul-Nedjib  el-Sohraverdi  disait,  à  ce  que  raconte 
Abou  Hafs  el-Sohraverdi  dans  V Avarif  el-méarif:  «  Mon  fils 
est  celui  qui  a  marché  dans  ma  voie  et  qui  s'est  laissé 
diriger  dans  mon  chemin  (i)  ».  L'auteur  du  Mersad  el- 
ibad,  Abou  Bekr  Abd  Allah  ibn  Mohammed  el-Razi  dit 
dans  le  même  sens  que  l'on  doit  honorer  son  sheïkh 
beaucoup  plus  que  son  père  (2). 

Cette  puissance  illimitée  du  sheïkh  sur  tous  les  êtres  de 
la  hiérarchie  mystique  lui  impose  les  devoirs  les  plus 
rigoureux  envers  eux  et  envers  l'Être  Unique;  du  moment 
où  ils  ont  renoncé  à  se  diriger  eux-mêmes  et  où  ils 
s'en  sont  remis  à  lui  du  soin  de  les  mener  à  la  Connais- 
sance, le  sheïkh  est  entièrement  responsable  de  leur  vie 
morale  et  il  est  juste,  le  cas  échéant,  qu'il  porte  la  peine  de 
l'égarement  de  toute  la  communauté  puisqu'il  en  est  le 
principal  auteur.  D'après  Abou  Bekr  Abd  Allah  ibn 
Mohammed  el-Râzî,  le  sheïkh,  pour  remplir  les  hautes 
fonctions  (jui  lui  incombent,  doit  réunir  20  conditions 
essentielles  coinprenant  toutes  les  prescriptions  des  règles 
matérielle  et  morale  dont  voici  le  détail  : 

Tout  d'abord  le  sheïkh  doit  posséder  la  science,  con- 
naître parfaitement  la  loi  religieuse  et  toutes  les  applica- 
tions qu'elle  peut  recevoir  dans  les  différents  cas  de 
conscience  qui  peuvent  se  présenter,  de  telle  façon  qu'il 
lui  soit  possible  de  renseigner  immédiatement  son  élève 
quand  celui-ci  lui  pose  une  question  concernant  la  religion 
et  ce  qu'il  doit  faire.  -  En  second  lieu,  il  doit  avoir  une 
foi  pure  et  conforme  au  dogme  islamique  de  façon  à  ne 


.xis^i  ^■i^\    man.  arabe  1332,  folio  35  recto 
(2)  Man.  supp.  persan  1082,  folio  48  recto. 


ÉTUDES    SUR    l'éSOTÉU[SME    MUSULMAN.  ^()7 

pas  donner  au  novice  qui  suit  son  enseignement  de  mau- 
vais exemples,  ce  qui  Tentrainerait  dans  l'iiérésie.  —  En 
troisième  lieu,  il  doit  jouir  de  ses  facultés  et  de  sa  raison  ; 
mais  cette  intelligence  ne  doit  pas  être  uniquement  bornée 
aux.  choses  de  la  religion,  et  elle  doit  également  s'étendre 
aux  choses  de  la  vie  du  monde  ;  quoique  mort  au  siècle  et 
revenu  de  ses  pompes,  le  sheïkh  doit  avoir  une  notion 
extrêmement  précise  de  ce  qui  se  passe  dans  le  monde,  de 
fîiçon  à  être  en  état  de  pourvoir  à  tout  ce  qui  peut  se  pré- 
senter dans  l'éducation  du  novice.  —  La  quatrième  con- 
dition de  la  perfection  du  sheïkh  est  la  générosité  ;  il  faut 
qu'il  pourvoie  largement  aux  besoins  matériels  du  novice 
et  qu'il  se  garde  de  le  laisser  manquer,  soit  de  nourri- 
ture, soit  de  vêtements,  car  l'exercice  des  devoirs  religieux 
demande  un  minimum  de  besoins  matériels  auxquels  le 
sheïkh  est  tenu  de  pourvoir  ;  il  serait  d'ailleurs  dangereux 
pour  le  novice  de  tomber  entre  les  mains  d'un  directeur  de 
conscience  qui  lui  fournirait  beaucoup  trop  largement  les 
choses  nécessaires  à  la  vie,  car  cela  risquerait  de  faire  tom- 
ber l'élève  dans  la  fainéantise  ou,  tout  au  moins,  de  le 
détourner  en  partie  de  ses  devoirs  religieux.  —  En  cin- 
quième lieu,  il  doit  avoir  un  courage  à  toute  épreuve  de 
façon  à  ne  pas  s'inquiéter  de  l'opinion  des  ignorants  et 
des  envieux  et  à  mépriser  tout  ce  qu'ils  peuvent  dire  con- 
tre lui  quand  il  est  bien  persuadé  d'avoir  rempli  tout  son 
devoir,  et  à  ne  pas  chercher  à  répondre  à  son  disciple 
sur  toutes  les  objections  et  les  commérages  des  gens.  — 
Il  faut,  en  sixième  lieu,  qu'il  soit  parfaitement  chaste 
et  que,  ni  sérieusement,  ni  par  plaisanterie,  il  ne  prête 
aucune  attention  aux  femmes,  de  façon  que  son  disciple 
se  garde  des  passions  sensuelles  et  qu'il  ne  tombe  pas 
dans  la  débauche,  car  celui  qui  débute  dans  la  Voie  est 


268  LE    MUSÉON. 

exposé  à  bien  des  faiblesses.  —  En  septième  lieu,  il  faut 
que  ce  soit  un  homme  à  grandes  idées  et  qu'il  n'ait  aucune 
sorte  d'attachement  pour  le  monde  et  pour  les  pei'sonnes 
qui  vivent  de  la  vie  mondaine,  sauf  cependant  dans  la 
mesure  de  ce  qui  est  rigoureusement  indispensable,  ce 
qui,  même  quand  on  en  use  largement,  ne  peut  avoir 
d'influence  nuisible  ;  il  ne  doit  naturellement  pas  avoir 
la  moindre  envie  de  ce  que  possède  le  disciple  et  il  doit 
bannir  de  son  esprit  toute  idée  d'acquérir  des  propriétés 
quelconques  et  même  si  Dieu  lui  en  donne,  il  doit  les 
vendre  pour  les  consacrer  à  ses  œuvres,  car  comme  le 
dit  le  proverbe  arabe,  l'amour  du  monde  est  la  source  de 
tous  les  péchés.  —  En  huitième  lieu,  il  doit  être  bon  :  il 
faut  qu'il  agisse  envers  son  disciple  avec  une  grande  dou- 
ceur et  qu'il  l'amène  par  degrés  à  se  prendre  de  l'amour 
le  plus  vif  pour  la  vie  mystique  ;  il  doit  écarter  de  sa  route 
tout  fardeau  qui  serait  trop  pesant  pour  lui  et  ne  jamais 
lui  imposer  de  charge  qu'il  ne  l'ait  supportée  avant  lui  ; 
quand  le  novice  se  trouve  dans  l'état  de  l'angoisse  mystique 

J<a^  (i),  le  she'ikh  doit  user  de  toute  l'autorité  que  lui 


(1)  Dans  ses  Taarifât,  Notices  et  Extraits  des  Manuscrits,  1818,  p.  78, 
Djordjani  explique  ainsi  qu'il  suit  le  sens  des  mots  ^^ï  et  de  L-.*  : 
fc_jjl*U  ijà^l»  ^^v^^î  »— j.^^  wl=.  (^c  s^\  i_j*;ï  A*}  (^U3W  Ujij  L— ^U  (jà*sJ\ 
^  '_y^  J■•^^■^^~^  ^^.>  ^^^«i^^  ''^^^J  «wi»*rJ^  (^^  ^3-^?  ô/^^J  i:)^"^ — ■♦^  ^»si>ÎVS^ 
J)^j  1^    »_jjljj\   «__-li  ^Ic  s  ■Ikib   e:^yJ\  ^-i  ,^W»   ./»l>  k~-.JL  (jà^JL   >»j».»«v^ 


i^ 


.»-J^ 


et  (jà^s  litt.  «  conti'action  »  et  L—j  litt.  "  expansion  »  sont  deux  Etats  qui  se 
produisent  après  que  le  Mystique  s'est  élevé  au  dessus  de  l'État  de  la  crainte 
et  de  l'espérance.  L'  «  angoisse  mystique  "  est  à  "  celui  qui  est  parvenu  à 
la  Connaissance  n,  comme  la  crainte  "  au  simple  musulman.  La  différence 
entre  ces  deux  modalités  de  l'âme  est  que  la  crainte  et  l'espérance  sont 
en  relation  avec  un  événement  futur  que  l'on  redoute  ou  que  l'on  aime, 
tandis  que  1'  «  angoisse  mystique  »  et  la  «  délivrance  mystique  «  ont  pour 
objet  une  cause  présente  dans  le  temps  qui  affecte  le  cœur  du  Souti  arrivé 
à  la  Connaissance  par  l'effet  d'une  grâce  efficiente  provenant  du  monde 


ÉTUDES    SUR    LÉSOTÉUISME    MUSULMAN.  269 

confèrent  ses  fonctions  ^t^j,  «-^-^j  pour  l'en  délivrer  et 
pour  lui  donner  la  «  délivrance  mystique  »  ;  si  au  con- 
traire, le  Soufî  se  trouvait  trop  engagé  dans  l'état  d'indé- 
pendance et  de  délivrance  ésotérique  i3~>,  le  sheïkh  devrait 
agir  sur  son  esprit  de  façon  à  provoquer  dans  son  âme,  mais 
jusqu'à  un  certain  point,  l'angoisse  mystique  ^^t^-  "  ^^^ 
de  la  plus  haute  importance,  que  le  sheïkh  ait,  à  tous  les 
moments,  une  connaissance  absolument  parfaite  de  tous 
les  états  d'àme  de  son  disciple,  aussi  bien  en  ce  qui  con- 
cerne le  temporel  que  le  spirituel.  C'est  dans  le  même 
sens  que  Sohraverdi  a  dit  dans  son  Avarif  el-)néarif  que  le 
sheïkh,  dii'ccteur  de  conscience,  doit  s'enquérir  constam- 


de  l'Invisibilité  «.  Hoseïn  ibn  Ali  el-Vaiz  el-Kashifi  en  donne  dans  son 
Commentaire   du  Mesnévi,    ^j-^^    v>M    s-J,  une    autre    définition. 

...  __s^s?  ._j^-=^'»  liXSl-,^  ».i^$^:^  jj  <5-=^^,  e:-à-o  5^7*  (j-.>.^  ;  ^^-i-.^^  ;  man.  supp. 
persan  1141,  folio  140  verso. 

L'  »  angoisse  v  et  1'  c<  expansion  v  sont,  dit-il,  deux  aspects  de  la  crainte 
et  de  l'espérance  :  en  réalité  ils  ne  font  qu'un  ;  mais  l'aspect  de  ce 
sentiment  lorsqu'il  se  manifeste  dans  le  stade  de  lame  {c'est-à-dire 
quand  le  Souri  en  est  encore  à  suivre  les  impulsions  de  son  ilme  t^ài),  reçoit 
le  nom  de  crainte  «wi^^-  et  d'espérance  ^>-  ,  tandis  que  ce  même  sentiment 
se  manifestant  dans  le  stade  du  cœur  (c'est-à-dire  quand  le  Mystique 
a  fermé  la  porte  aux  conseils  de  son  âme  pour  ne  plus  suivre  que  ceux 
de  son  esprit  -j^)  se  nomment  «  contraction  »  ^js  et  "  expansion  »  k-«| . 
L'  «  expansion  »  est  une  grâce  efficiente  qui  provient  de  la  Divinité  dans 
laquelle  elle  manifeste  son  approbation  de  la  conduite  du  Mystique,  sa 
miséricorde  et  son  intimité  avec  lui  ;  la  contraction  est  un  état,  une 
extase,  qui  provient  d'une  grâce  par  laquelle  l'Être  Unique  reproche  à 
l'homme  sa  conduite,  lui  indique  la  voie  à  suivre  et  lui  inspire  la  crainte 
de  sa  puissance.  Ces  deux  aspects  de  la  crainte  et  de  l'espérance  sont  tou- 
jours en  mouvement  et  le  Soufi  se  trouve  constamment  dans  l'un  d'eux  «. 


270  LE    MllSÉON. 

ment  de  l'état  d'esprit  des  Mystiques  qui  vivent  sous  sa 
direction  morale  et  scruter  les  recoins  les  plus  secrets  de 
leur  cœur  pour  être  toujours  prêt  à  agir  sur  eux  de  la 
façon  la  plus  etïicace  pour  les  maintenir  ou  les  rame- 
ner, suivant  le  cas,  dans  la  voie  droite. 

La  neuvième  perfection  (i)  à  laquelle  doit  arriver  le 
sheïkh  est  la  mansuétude  et  la  patience,  le  directeur  de 
conscience  ne  devant  jamais  brusquer  ses  disciples,  on 
conçoit  qu'il  ne  doit  les  malmener  que  très  l'arement  et 
seulement  dans  les  cas  de  nécessité  absolue,  pour  leur 
éviter  un  faux  pas  qui  aurait  pour  eux  des  conséquences 
autrement  graves  que  la  blessure  d'amour  propre  qui 
résulte  d'une  juste  remontrance. 

La  dixième  est  le  pardon  des  injures  et  des  fautes  ;  il  faut 
que  si  le  Mystique  commet  un  acte  répréhensible  au  point 


^,Jk)w^  \j  Jki»l^  iJj\  ,j>>cJkj  à.i  ^  ^j\j>    c:-^cU=.  ^  c>.i-.  Jô\  jULïc\    à^  A>1}  ci-~5^=» 

c>-^k&^r>    Sa?^;-^-?    •^]^''    ■'^^^f   )^    ^   ■^)^'^  J^^?  (^J^^^  ij^^*'*  J»*  («r^'*  J^   ^• 
Jkj\y)'  ^\.^  Jo,*»   ?r^'^<^.   ^?  ^'  "^^^  o*"^  ^  "^^^  e:-^-\  iiy^l&,-.   f»j^3^  -i^  -^>^f  («V-* 

Jk^  JkàiW  (j~>à-J\  (^àjàc  ai  Jk  W    c:,^ — ïàc    ^•i^'S»    >jJ<^  jW   jL-.^  jL-jij  ^  Jo^Jt^    ,li 

Aà.\^V   w*.*  \kj\   ^^\j   (j\   cy»i  <S<^  y^^  j  ç.^yi-«^}   ci>lfl^î\    (JJ*-*-*    "^J'J'^  J"^-   ^^  "^^ 
g^ô    \)"'')'*    ^    '^'    "^^^^  cyJ^,\  j  -^V   o^^;-^^  j'^  '^J^'*  '*^^?   "^'T*  J^  j^  C"*"^  } 

^JM^J  LiJj\   s-e-  <S^  J'î^  ■^•^>  j^   J-J  ;J  EÎ;*^J    O^    i-y""}"^  3^'  ''^  J^^^  jUic  ^   c^;^  j 


ÉTUDES   SUR    L*ÉSOTÉRISME    MUSULMAN.  271 

de  vue  de  la  loi  religieuse  exotérique  v^^i  ou  à  celui  |de 

i.:.«A>.Jk>  V'J'jy*  ^'  '^^^  i^V^  \J^i^  ^  ^^'  e: ««..fllo  /^«.g»  ^«jfeJjl)  JuS  ij:^^\  «.-ojl? 
^  JUi\  j  J^^s-^  <S«^^  J^^  'JW  <^  '^T*^  V  S-'y^  (J^^  ,^)  3^  •**/•  5  JS»^/»  j_5^ 
^_5^  6Atoli^  yW/»  J^^^  '''^^  ;**  O^J^i  ct^iiij  JU^  A^  J^^   «i^j  J^^  è**  »3^^ 

•>s^>^«  (j^^>  \}'^J'*  ^  'l^^  i-^^^    f*;^  (_e)  jj    <5^   Jk>U    i^>.^>»^    ^«AJw.    ui^...>\jU>\ 

c:<...»^l..i.j  ^jy  Ij  Jkô.^  8X*\  vX-t^i  V>  S^\  j\  (_;«o  .\  ^\.j  Jo\  4i  u£JLi  yfc  <Ji'  M\j  ^\j/t> 

d*s»^  j  jaU  ^L.,.,;..,.^  J^»^'^  C*"*^  J*^  •'^î  "^7*^  6jU^  &^  Jjfc\»i  >  ^,>  (_2^  i<i^t^.  gjj 

w:^l»  \i  •  c:^iU  j\  M^>ijy»  >>  J>iW  t-î^  (3=^  <S.sj\  o  lS*^  ''SÎ^  (•W*  ij*^'*'  'O'^r^J 
i^/!^>  u:^^»  j\  OX*  Jbii\>  fiJ^j  >^y*  J*^  1*^  )^   £')    )    ^-â^    ^>lif    J^yfc    JjL*    i».^^,<« 

tï.»-.*    «>■--&    Ai:;.».*^   JkiJkge  ^Co   •  j^«^^^  «Mr*  ^  i  »-=-^*^3^  c:-*-.jO  .  JaU  ^Ji 

(^*^  ç-jA  y»^  ;j««>   JciLi   Jow»   .0  t_ivâ>    j^^i^?    j^»*»  '.s-S!'^)  <.s-~<ni-fe  )  «^St^  3^  \j\Io-A 

Mersad  el-ibad.  man,  supp.  persan  1082,  folio  47  verso  —  48  verso. 

17 


272  LE   MtJSÉON. 

la  loi  religieuse  ésotérique  ^^i^Lje  sheïkh  le  lui  pardonne, 
qu'il  oublie  en  quelque  sorte  qu'il  l'a  commis  et  qu'il 
l'aide  par  ses  conseils  de  façon  à  ce  que,  le  cas  échéant,  il 
ne  retombe  pas  dans  ses  errements.  11  va  de  soi  que, 
malgré  cette  sage  recommandation,  le  sheïkh  ne  doit  pas 
avoir  le  pardon  tellement  facile  que  les  novices  qui  se 
sont  exposés  à  ses  reproches  soient  sûrs  de  n'avoir  pas  à 
les  craindre  ;  une  telle  conduite  de  la  part  du  supérieur 
du  phalanstère  souti  aboutirait  rapidement  à  la  destruc- 
tion complète  de  la  Règle  et  de  l'ordre  moral  ;  si  ses  bons 
conseils  ne  réussissent  pas,  le  sheïkh  ne  doit  pas  hésiter 
à  châtier  le  délinquant. 

En  onzième  lieu,  le  sheïkh  doit  jouir  d'un  bon  naturel, 
de  façon  à  ne  pas  commander  durement  son  disciple  et  de 
sorte  que  le  novice  qui  suit  son  enseignement  et  qui  est  sous 
sa  direction  prenne  de  lui  ce  bon  caractère  et  des  mœurs 
excellentes  :  la  nature  du  novice  est  en   effet  le   miroir 

dans  lequel  viennent  se  réfléchir  les  États  J^^^^l,  les  actes 

et  les  qualités  d'esprit  du  sheïkh  ;  c'est  dans  ce  sens  que 
quelques  auteurs  mystiques  ont  dit  :  «  La  perfection  de  la 

mission    J^X  des  sheïkhs  jUj  se  retrouve  dans  le  miroir 

des  États  (i)  des  novices  ». 

La  douzième  qualité  requise  du  sheïkh  qui  veut  diriger 
ses  ouailles  avec  fruit  est  le  désintéressement  et  le  détache- 
ment j^A  ;  il  faut,  de  toute  nécessité,  que  le  sheïkh  fasse 
passer  toutes  les  affaires  de  ses  disciples,  tant  au  point  de 


(1)  Le  mot  État  a  ici  un  sens  tout  spécial,  celui  de  quantité  de  grâce 
que  le  Mystique  peut  recevoir  et  qui  se  manifeste  par  les  extases  ;  on 
trouvera  des  explications  sur  ce  terme  dans  l'article  III. 


ÉTUDES    SUR    l'ÉSOTÉRISME    MUSULMAN.  275 

vue  temporel  que  spirituel,  avant  les  siennes  propres  et 
leurs  plaisirs  avant  les  siens. 

La  treizième  est  la  générosité,  qui  découle  tout  naturel- 
lement du  désintéressement  et  de  la  bonté  que  le  sheïkh 
doit  témoigner  à  tous  ceux  qui  viennent  lui  demander  à 
profiter  de  sa  science  pour  que  le  disciple  acquière  cette 
générosité. 

La  quatorzième  est  la  résignation  la  plus  absolue  aux 
volontés  de  l'Être  Unique  et  la  confiance  dans  la  Provi- 
dence, de  façon  qu'il  ne  s'inquiète  jamais  des  moyens 
grâce  auxquels  il  lui  sera  possible  de  subvenir  aux  besoins 
matériels  de  ses  disciples,  et  qu'il  n'en  refuse  jamais  pour 
ce  motif  ;  il  doit  être  persuadé,  qu'il  ait  un  seul  disciple, 
ou  qu'il  en  ait  un  millier,  qu'Allah  leur  enverra  immé- 
diatement leur  subsistance,  et  même  plus,  et  qu'il  ne 
permettra  jamais  que  l'un  d'eux  vienne  à  manquer  du 
pain  quotidien,  ni  des  choses  qui  s(Hît  d'une  utilité  immé- 
diate pour  la  vie. 

La  quinzième  est  l'abandon  à  la  volonté  de  l'Être 
Unique  ;  cette  condition  paraît  faire  double  emploi  avec 
celle  dont  il  vient  d'être  parlé  immédiatement,  mais  il 
n'en  est  rien  :  la  résignation  aux  décisions  de  la  Divinité 

J^y  ne  regarde  que  les  besoins  matériels,  tandis  que 
l'abandon  --i-j  concerne  les  faits  moraux  et  spirituels  ;  c'est 
dans  ce  sens  que  l'auteur  du  Mersad  el-ibad  dit  qu'il  doit 
pratiquer  cet  abandon  en  ce  qui  regarde  les  choses  cachées 
ou,  pour  plus  d'exactitude,  en  ce  qui  concerne  les  choses 
qui  appartiennent  au  monde  transcendantal,  au  monde 
qui  est  caché  à  la  vue  exolérique  des  hommes  ;  le  sheïkh 
doit  accepter  comme  élève  qui  Dieu  lui  envoie,  il  ne 
doit  pas  rechercher  un  grand  va  et  vient  de  disciples,  ni 


274  LE    MUSÉON. 

se  montrer  désespéré  quand  ils  le  quittent  ;  il  doit  pren- 
dre le  lennps  comme  il  vient  et  considérer  que  tout  ce 
qu'il  fait  pour  eux,  c'est  comme  s'il  le  faisait  à  l'égard  de 
Dieu. 

La  seizième  est  de  se  contenter  de  ce  que  l'Être  Unique 
lui  donne  sans  jamais  estimer  que  cela  est  trop  peu  de 
chose  et  de  s'arranger  de  façon  à  instruire  convenable- 
ment les  élèves  dont  il  a  la  charge.  Cette  qualité  du  sheïkh 
dérive  naturellement  des  deux  précédentes. 

En  dix-septième  lieu,  le  chef  du  phalanstère  soufi  doit 
être  un  homme  à  l'aspect  grave  et  que  sa  tenue  fasse  res- 
pecter ;  il  faut  qu'il  se  conduise  avec  ses  disciples  sans 
morgue  ni  hauteur,  mais  il  est  de  toute  nécessité  qu'il 
vive  avec  eux  de  façon  à  ce  qu'ils  aient  la  plus  grande 
considération  pour  lui  et  qu'ils  ne  soient  jamais  tentés  de 
le  traitei*  comme  un  égal,  car  cela  lui  ferait  perdre  toute 
autorité  sur  eux  et  ils  perdraient  le  profit  de  la  mis- 
sion du  sheïkh.  Tous  les  auteurs  mystiques,  à  quelque 
nuance  de  l'Esotérisme  qu'ils  appartiennent,  sont  d'avis 
que  l'un  des  points  essentiels  et  primordiaux  de  la  doc- 
trine soufie  est  le  respect  absolu,  de  l'élève  pour  son 
maître  spirituel  :  c'est  en  ce  sens  que  plusieurs  d'entre  eux 
ont  dit  que  le  disciple  doit  avoir  beaucoup  plus  de  respect 
pour  son  sheïkh  que  poui'  son  père. 

La  dix-huitième  condition  que  doit  remplir  le  sheïkh 
est  la  placidité  ;  il  ne  doit  jamais  agir  avec  précipitation 
et  il  faut  qu'il  traite  doucement  son  disciple,  sans  s'empor- 
ter contre  lui,  ce  qui,  dans  certains  cas,  risquerait  de  lui 
faire  perdre  la  trace  du  droit  chemin. 

La  dix-neuvième  qualité  doit  être  la  plus  grande  fermeté 
d'esprit  et  une  décision  absolue  ;  il  faut,  quand  le  sheïkh 
a  entrepris  une  affaire,  qu'il  aille  jusqu'au  bout  et  qu'il  se 


ÉTUDES    SUR    l'ÉSOTÉUISME    MUSULMAN.  275 

garde  bien  de  s'arrêter  en  chenniin,  aussi  bien  dans  les 
affaires  qui  ne  regardent  que  lui  que  dans  colles  qui 
conceinent  ses  disciples.  Ceux-ci,  en  effet,  s'ils  le  voyaient 
changer  constamment  d'idées  et  renoncer  à  ses  projets, 
finiraient  par  penser  qu'il  ne  sait  pas  ce  qu'il  veut  et  par 
conséquent  que  son  enseignement  n'est  d'aucune  utilité  ; 
il  doit  de  plus  tenir  rigoureusement  les  promesses  qu'il 
fait  à  ses  disciples. 

Enfin,  en  vingtième  lieu,  il  doit  avoir  une  grande  res- 
pectabilité, de  telle  sorte  que  le  disciple  garde  toujours 
pour  lui  un  sentiment  de  crainte  et  qu'il  reste  constamment 
sous  l'influence  morale  et  spirituelle  de  son  directeur  de 
conscience,  que  celui-ci  soit  présent  ou  absent  ;  dans  ces 
conditions,  l'âme  du  disciple  sera  toujours  occupée  par 
l'idée  du  maître  et  les  tentations  infinies  du  démon  ne 
pourront  avoir  de  prise  sur  son  esprit. 

Mohyi  ed-Din  Mohammed  Ibn  el-Arabi  trace  dans  son 
el-amr  el-molikem  un  tableau  à  peu  près  identique  des 
devoirs  du  sheïkh  (i),  mais  il  ajoute  quelques  détails  qui 
sont  intéressants,  en  ce  sens  qu'ils  montrent  la  surveillance 
extrêmement  étroite  et  de  tous  les  instants  que  le  direc- 
teur de  conscience  était  tenu  d'exercer  sur  ses  disciples  ; 
d'après  Ibn  el-Arabi,  le  sheïkh  ne  doit  pas  laisser  un 
novice  sortir  de  sa  cellule  sans  lui  demander  pour  quoi  il 
sort,  pour  combien  de  temps  et  où  il  va  (2).  Cette  pres- 
cription rappelle  les  coutumes  des  ordres  monastiques 
chrétiens,  de  même  que  celle  qui  obligeait  le  sheïkh  à 
donner  à  chacun  de  ses  disciples  une  cellule  séparée  (3) 


(1)  Man.  arabe  1337,  folio  4  verso. 

(2)  ibid.,  folio  7  recto. 

(3)  ibid.,  folio  6  verso. 


276  LE    MUSÉON. 

de  façon  à  ce  qu'il  puisse  travailler  et  méditer  tranquille- 
ment sans  être  dérangé  par  le  bruit  et  les  conversations 
des  importuns.  Enfin  le  sheïkh  ne  devait  pas  surmener 
ses  élèves  et  il  était  tenu  de  ne  pas  leur  ûiire  plus  d'un 
cours  pour  une  journée  de  24  heures  (i). 

(A  continuer).  E.  B  loch  et. 


(1)  ibid.,  folio  6  verso. 


MATERIAUX 

P  O  U  H     S  E  U  V  I  R    A     L  '  II I S  T  0  1  11  E     DU 

MATÉRIALISME    INDIEN 

PAK    LE    D'    L.     SlALI. 


Je  crois  impossible,  dans  l'état  actuel  de  nos  connaissances, 
d'écrire  une  étude  d'ensemble  sur  le  matérialisme  indien.  Il  faut 
d'abord  rechercher  patiemment  dans  les  textes  des  autres  sys- 
tèmes toutes  les  données  indirectes  qu'ils  fournissent,  surtout 
dans  leurs  parties  polémiques,  et  exploiter  systénuitiquement 
un  genre  de  littérature  qui  est  restée  jusqu'à  présent  presque 
oubliée,  c'est-à-dire  les  ouvrages  qui  ont  la  prétention  d'être 
des  encyclopédies  philosophiques  et  qui,  en  tout  cas,  nous  réser- 
vent une  riche  moisson  de  matériaux  toujours  intéressants,  et, 
souvent  aussi,  nouveaux.  Parmi  ces  ouvrages,  le  mieux  connu  et 
le  plus  célèbre  est  le  Sarvadarçanasamgraha  de  Mâdhavâcârya  ; 
mais  il  y  en  a  d'autres,  plus  anciens  ou  plus  importants,  qui 
réclament  notre  attention.  Je  me  propose  donc  de  donner  ici,  au 
fur  et  à  mesure  que  je  les  rencontrerai,  les  informations  qui  me 
paraîtront  dignes  d'être  relevées,  et  la  traduction  intégrale  de 
tous  les  morceaux  qui  se  réfèrent  au  matérialisme  indien.  C'est 
donc  un  recueil  de  matériaux  que  j'ai  intention  d'inaugurer  par 
le  présent  travail  qui  apporte  déjà  quelque  chose  de  nouveau,  les 
extraits  d'un  texte  dont  je  donne  la  première  édition  complète. 

Je  crois  cette  méthode  de  recherche  nécessaire  ;  il  est  vrai  que 
les  idées  fondamentales  des  Cârvâkas  nous  sont,  dans  certaine 
mesure,  connues  par  l'exposé  du  Sarvadarçanasamgraha  ;  mais  il 


278 


LE    MUSÉON. 


y  a  toujours  à  apprendre,  surtout  pour  ce  qui  a  rapport  à  la 
manière  d'envisager  certaines  questions  ou  d'interpréter,  du  point 
de  vue  matérialiste,  les  faits  de  la  conscience.  Je  publierai  donc 
et  traduirai  tous  les  documents  qui  me  seront  abordaliles  :  et  si 
même,  à  la  fin  de  mes  recherches,  je  n'étais  parvenu  qu'à 
retrouver  quelques  morceaux  inédits  de  Brhaspati  ou  à  relever 
quelques  traces  d'influence  matérialiste  dans  les  idées  des  autres 
systèmes,  il  me  semblerait  n'avoir  perdu  ni  mon  temps  ni  mou 
travail. 

1. 

{Safldarçanasamticcaija  (i),  chapitre  VI). 

Avant  tout,  on  dit  ce  que  c'est  que  les  Nâstikas.  Il  y  a 
certains  Nâstikas  qui  ne  reconnaissent  pas  les  Brahmanes 
et  les  autres  castes  ;  ils  sont  des  ascètes  qui  portent  des 
couronnes  de  crânes  et  sont  adonnés  à  la  pratique  de  se 
couvrir  de  cendre.  Ils  n'admettent  ni  l'âme  ni  [l'état  de] 
pureté  ni  le  péché,  et  soutiennent  que  l'univers  résulte 
des  quatre  éléments.  D'autres  [Nâstikas]  au  contraire,  qui 
forment  une  partie  des  Cârvâkas,  admettent  un  cinquième 
élément  —  l'éther  (âkâça)  —  et  affirment  [par  conséquent] 
que  l'univers  résulte  de  cinq  éléments.  Dans  leur  théorie 
le  principe  intelligent  (caitanya)  se  produit  des  éléments, 
comme  le  pouvoir  enivrant  d'une  boisson  spiritueuse;  les 
âmes  [individuelles]  sont  semblables  à  des  bulles  d'eau  ; 
et  l'âme  (purusa)  n'est  autre  chose  que  le  corps  pourvu 
d'intelligence.  Ils  se  nourissent  de  viande  et  de  boissons 
alcooliques   [madya]  et  ont  commerce  avec  leur  mère  et 


(1)  The  Saddarçanasamuccaya  of  Haribhadra,  with  Guriaratna's  com- 
mentary,  edited  by  L.  Suali,  Ph.  D.,  Calcutta,  Bibliotheca  Indica.  La 
première  livraison  a  paru  en  1905  ;  la  deuxième  est  déjà  imprimée  ;  et 
j'espère,  pour  autant  qu'il  soit  permis  d'espérer  lorsqu'il  s'agit  des  impri- 
meries indiennes,  que  tout  le  texte  paraîtra  dans  d'assez  brefs  délais. 


niSTOlUb:    DU    matérialisme    IINDIEIN.  271) 

d'autres  gens  avec  lesquels  ils  n'est  pas  permis  [aux  autres 
hommes]  d'avoir  commerce.  Tous  les  ans,  à  certain  joui', 
ils  se  trouvent  tous  ensemble  ;  et  selon  l'ordre  dans  lequel 
sortent  leurs  noms,  ils  s'amusent  avec  les  femmes  (i).  Ils 
n'admettent  d'autre  loi  (dliarma)  que  le  plaisir  {hâma). 
Leurs  noms  sont  :  Cârvâkas,  Lokâyitas  etc.  Le  nom  de 
Cârvfika  [s'explique  étymologiquement  de  la  manière  sui- 
vante :  ]  les  racines  yal  et  carv  sont  employées  dans  le 
sens  de  «  manger  ».  [Donc,  Cârvâka  signifie]  ceux  qui 
mangent  {carvanti=^blial{sayanti),c  est-à-dive,  dans  le  fait, 
ceux  qui  n'admettent  aucun  objet  ultrasensible,  p.  ex.  le 
péché  et  les  bonnes  actions.  Le  mot  [Cârvâka]  est  men- 
tionné dans  la  série  [des  mots  qui  ont  le  suffixe  fikci] 
indiquée  par  le  mot  âdi  du  sûtra  de  la  grammaire  de 
Hemacandra  qui  dit  mûvdka-çyâmâka  etc  (2).  Le  nom  de 
Lokâyitas  signifie  qu'ils  se  conduisent  comme  des  hommes 
communs,  en  donnant  au  mot  «  hommes  »  {loka)  le  sens 
de  gens  sans  réflexion.  Il  y  a  aussi  la  forme  Lokâyatika. 
Ils  s'appellent  aussi  Bârhaspatyâs  parce  que  leur  système 
émane  de  Brhaspati. 

Or  [Haribhadra]  expose  le  système  de  ces  [Cârvâkas]  : 

80.  Les  Lokâyatas  disent  ainsi  :  il  n'y  a  ni  âme  ni  béatitude 
finale  ;  il  n'existe  ni  mérite  ni  démérite,  ni  fruit  d'actions  bonnes 
ou  mauvaises. 

Les  Lokâyatas,  ou  Nâstikas,  disent  ainsi  [evam),  c'est-à- 


(1)  Texte  :  varse  varse  kasminn  api  divase  sarve  sarpbhûya  yathâ 
nâmanirgamam  strïbhir  abhiramante. 

(2)  Hemacandra,  Unâdiganasûtra,  37  :  mavâka-çyâmâka-vârtâka-vrii- 
tâka-jyontâka-guvâka-bhadrâkâdayati  (Quellenwerke  der  Altindischen 
Lexicographie,  vol.  II,  Wien-Bombay  1895).  La  vivpti  ajoute  :  eta  âka- 
pratyayântâ  iiipâtyante  ...  âdigrahanât  syonâka-cârvâka-.parâ,kâdayo 
bhavanti. 


280  LE    MUSÉON. 

diredecette  manière  {ittliam)  Comment?  Il [=  Haribhadra] 
dit  :  —  ïl  n'y  a  pas  d'âme  pourvue  d'intelligence  et  desti- 
née à  aller  au  monde  d'au  delà,  parce  que  l'intelligence, 
qui  est  le  résultat  des  cinq  grands  éléments,  périt  dans 
ce  monde,  aussitôt  que  périssent  les  éléments  ;  [d'où  il 
s'ensuit]  qu'il  lui  est  impossible  de  parvenir  à  l'autre 
monde.  U  y  a  aussi  la  variante  deva  au  lieu  dejlva  (i)  : 
[et  alors,  le  sens  serait  :]  il  n'y  pas  de  Dieu  omniscient 
etc.  —  Aussi,  il  n'y  pas  de  béatitude  ou  libération  finale 
[nirvrli  =  moksa).  Ainsi  est  le  sens  —  Encore  :  il  n'y  a  ni 
mérite  ni  démérite,  c'est-à-dire  qu'il  n'y  a  ni  bonnes  ni 
mauvaises  actions  :  tel  est  le  sens.  Et  [par  conséquent]  il 
n'y  a  non  plus  de  fruit  de  [ces]  actions  bonnes  ou  mau- 
vaises, qui  consiste  [selon  les  autres  systèmes]  dans  le 
paradis,  l'enfer  etc.  :  car,  d'oii  viendrait  le  fruit  de  ces 
actions,  puisqu'il  n'y  a  ni  mérite  ni  démérite  ? 

[Haribhadra],  pour  montrer  leur  cynisme,  comme  ils 
l'étaient  dans  leurs  textes,  dit  : 

Et  leur  système  est  comme  suit  : 

81.  Ce  monde  est  justement  tel  qu'il  se  présente  aux  sens. 
«  Regarde,  mon  amie,  ce  que  les  gens  sans  expérience  appellent 
des  pieds  de  loup  ». 

Tathâ  ca  a  valeur  démonstrative.  Tanmata  signifie, 
selon  l'ordre  [où  sont  exposés  les  systèmes  dans  ce  texte], 
liithéov'iede&NsLSliksLS.Ayam=pratyaksa;loka=-manusyalo- 


(l)  C'est  la  lectio  de  la  reoension  adoptée  par  Manibhadra.  Le  texte  des 
sûtras  de  Haribhadra  nous  est  parvenu  en  deux  recensions  :  l'une  suivie 
par  Manibhadra,  dans  son  petit  commentaire  (publié  dans  les  Chowk- 
hambâ  S.  S.,  N°  95),  qui  est  un  abrégé  de  celui  de  Gunaratna  ;  l'autre, 
adçptée  par  Gunaratna  dans  son  magnifique  commentaire  perpétuel. 
Gunaratna,  qui  les  a  connues  toutes  les  deux,  rapporte  aussi  les  variantes 
de  la  première. 


HISTOIKE    DU    MATÉRIALISME    INDIEN.  28! 

ha;  etâvat  =  màira  eva;  yâvat  =  yâvan  mâtra.  [Le  composé] 
indnya(joccira  signifie  domaine  (gocara)  c'est-à-dire  ol)jet 
(visaya)  des  sens,  qui  sont  le  tact,  le  goût,  l'odorat,  la  vue 
et  l'ouïe.  [En  d'autres  mots],  il  n'existe  pas  d'autre  chose 
que  ce  qui  est  objet  des  cinq  sens.  Il  faut  ajouter  que  par 
le  mot  «  monde  »  (loka)  on  veut  exprimer  l'ensemble  des 
objets  qui  existent  dans  le  monde.  Par  conséquent,  il 
n'existe  rien  de  ce  qu'admettent  les  autres  [systèmes], 
savoir  l'âme,  les  actions  bonnes  ou  mauvaises,  le  paradis, 
l'enfer  etc.  qui  en  seraient  le  fruit,  parce  que  [toutes  ces 
choses]  ne  peuvent  pas  être  perçues  par  les  sens.  Et,  si 
l'on  opposait  :  «  Mais  ce  qui  ne  peut  pas  être  perçu  par 
les  sens,  existe  aussi  w,  nous  répondrions  :  «  Alors,  il 
faudrait  aussi  admettre  comme  possible  qu'un  lièvre  ait 
des  cornes,  et  une  mère  stérile,  un  fils  ».  Car  on  ne  per- 
çoit jamais  rien  en  dehors  de  ce  qui  peut  être  connu  au 
moyen  de  la  perception  directe  des  sens  {pratyaksa),  de  ce 
qui  est  de  cinq  espèces  :  [i]  objets  solides  ou  mous,  [2] 
substances  [de  goût]  amer,  acre  ou  astringent,  [5]  objets 
qui  ont  une  odeur  agréable  ou  désagréable,  [4]  la  foule 
variée  des  objets  immobiles  ou  mobiles,  savoir  les  mon- 
tagnes, les  mondes  {bliuvana),  les  arbres,  les  colomnes, 
les  cruches,  les  lotus,  les  hommes,  les  quadrupèdes,  les 
insectes,  [5]  les  sons  des  divers  [instruments  de  musique], 
la  flûte,  la  lyre,  etc.  Et,  comme  il  est  impossible  de  con- 
naître au  moyen  de  la  perception  directe  des  sens  une 
âme  qui  ne  soit  pas,  [comme  nous  soutenons,  nous  autres 
Nâstikas],  l'intelligence  produite  des  éléments,  mais  soit 
imaginée,  [comme  dans  les  autres  systèmes],  comme 
cause  de  l'intelligence  et  douée  de  la  faculté  d'aller  au 
monde  de  l'au-delà,  de  la  même  manière  qui  pourrait  ne 
pas  trouver  ridicules,  comme  un  tableau  peint  dans  l'air, 


:282  LE    MLSÉON. 

les  choses  qu'affirment  les  autres  philosophes,  c'est-à-dire 
le  lïiëi'ite  et  le  démérite  [qui  seraient]  la  cause  du  bonheur 
et  du  malheur  de  l'âme,  le  paradis  et  l'enfer,  [qui  seraient] 
le  lieu  où  l'âme  en  savoure  le  fruit,  et  la  béatitude  de  la 
libération,  qui  devrait  se  produire  de  la  destruction  des 
œuvres  bonnes  et  mauvaises  ?  Par  conséquent  le  fait  qu'il 
y  a  des  gens  qui,  l'esprit  trompé  par  le  désir  des  bonheurs 
du  paradis  ou  de  la  libération  finale,  s'en  vont  en  quête 
de  l'âme  etc.,  [toutes]  choses  qui  ne  sont  ni  touchées,  ni 
goûtées,  ni  senties,  ni  vues,  ni  ouies(i),  et  toui'mentent 
leur  existence  pai'  des  peines  (kleça)  comme  de  se  raser  la 
tête  et  le  visage  ou  de  pratiquer  d'autres  pénitences  bien 
plus  dures,  p.  ex.  en  supportant  l'ardeur  intolérable 
du  soleil,  [ce  fait]  est  l'effet  de  l'excès  de  leur  grande 
sottise.  Car  l'on  dit  : 

Les  pénitences,  les  tourments  variés  de  l'enfer,  Tabstinence, 
le  renoncement  aux  plaisirs,  la  cérémonie  de  Vagnihotra  etc., 
sont  (les  jouets  d'enfants. 

Tant  (pron  vit,  ou  doit  vivre  joyeusement,  en  jouissant  des 
plaisirs  des  sens  :  comment  pourrait  revenir  le  corps,  après  qu'il  a 
été  réduit  en  cendres  ? 

Donc,  il  est  démontré  qu'il  n'y  a  de  réel  que  ce  qui  est 
l'objet  des  sens. 

Mais,  puisque  ceux  qui  soutiennent  l'existence  de  l'âme, 
de  la  vertu  [punya)  et  du  péché  [en  employant  dans  cette 
démonstration  ces  mêmes]  moyens  de  preuve  [qu'ils 
appliquent  à  la  démonstration  d'un]  objet  ultra-sensible, 
savoir  l'illation  et  l'Écriture,  ne  cessent  jamais  [d'y  avoir 
recours],  notre  auteur  se  sert  d'un  exemple  pratique  pour 
les  illuminer,  [et  il  y  fait  allusion]  avec  les  mots  :  «Regarde, 


(1)  C'est-à-dire,  qui  ne  sont  nullement  perçues  par  les  sens. 


I 


HISTOIRE    DU    MATÉlUALISftiE    INDIEN.  283 

mon  amie,  ce  que  les  gens  sans  expérience  appellent  des 
pieds  de  loup  ».  La  légende  à  laquelle  se  rapportent  ces 
mots  est  la  suivante. 

Un  homme,  dont  l'esprit  est  absorbé  dans  la  fausse 
doctrine  du  système  des  Nâstikas,  cherche  chaque  jour  à 
convertir  sa  femme,  —  qui  [au  contraire]  a  dévoué  son 
esprit  aux  théories  des  Àstikas,  —  au  moyen  des  argu- 
ments contenus  dans  les  traités  de  son  système,  et  dans 
lesquels  il  est  versé.  Mais,  comme  sa  femme  ne  veut  pas 
se  convertir,  [il  pense]  :  «  Elle  parviendra  à  se  convertir 
par  ce  moyen  [que  j'ai  imaginé]  ».  Ayant  ainsi  pensé  dans 
son  esprit,  à  la  dernière  veille  de  la  nuit,  après  être  sorti 
de  la  ville  avec  sa  femme,  il  lui  dit  :  «  Ma  bien-aimée, 
regarde  comme  ils  sont  habiles  à  réfléchir  les  hommes 
qui  habitent  cette  ville,  qui  soutiennent  que  Filiation  etc. 
ont  une  valeur  démonstrative  pour  les  objets  ultra-sensi- 
bles, et  à  qui  les  autres  hommes  ont  recours  à  cause  de 
leur  expérience  »  (i).  Après  ces  mots,  ayant  uni  ensemble 
les  trois  doigts  :  pouce,  index  et  médius  de  ses  deux  mains 
et  les  ayant  couchés  dans  la  poussière,  en  partant  de  la 
porte  de  la  ville  jusqu'au  carrefour,  il  fit  [en  y  imprimant 
ses  doigts]  les  pieds  d'un  loup  sur  la  route  royale,  où  il  y 
avait  une  grande  quantité  de  poussière  étendue  régulière- 
ment {samlbhùta)  par  le  vent  qui  soufflait  plus  doucement. 
Le  matin  après,  quelques  personnes,  ayant  aperçu  ces 
empreintes  de  pieds  [de  loup],  s'assemblèrent  sur  la  route 
royale.  Les  hommes  d'expérience  {bafiuçrutâh)  y  allèrent 
aussi,  et  dirent  à  ces  gens  :  «  Oh  !  oh  !  sans  doute  un  loup 
—  car  autrement  ce  serait  impossible  qu'il  y  eût  ici  des 
empreintes  de  pieds  [de  loup]  —  est  venu  cette  nuit  de  la 


(1)  Texte  :  lokena  ca  bahuçrutatayâ  vyavahriyamânâh. 


284  LE    MUSÉON. 

forêt  jusqu'ici  ».  Alors,  regardant  ces  hommes  qui  par- 
laient de  telle  manière,  [le  Nâstika]  dit  à  sa  femme  :  «Oh  ! 
ma  bien-aimée,  [vois  donc  ce  que  ces  hommes  sans  expé- 
rience appellent  des  pieds  de  loup]  ». 

[En  commentant  ces  mots  du  texte  de  Haribhadra,  il 
faut  observer  que]  :  bhadre  ==  priye;  le  singulier  vrkapadam 
est  employé  en  sens  collectif;  paçya  =  nirlksasva;  yadvrka- 
padâni  vadanti  est  objet  de  paçya,  et  vadanti  =  jalpanti. 
Abaliuçmlâk  indique  des  hommes  qui,  bien  qu'ils  soient 
estimés  généralement  par  le  monde  comme  pourvus  d'ex- 
périence, dans  le  fait  en  sont  dépourvus,  parce  qu'ils 
parlent  sans  connaître  la  vérité.  Tel  est  le  sens  mot  à  mot. 
—  Si  l'on  admet  la  variante  yad  vadanti  baliuçrutâh  (t),  il 
faut  commenter  dans  ce  sens,  que  haliuçrutali  équivaut  à 
lokaprasiddliâli. 

En  effet,  ces  gens  qui,  ne  connaissant  nullement  la 
vérité  en  ce  qui  a  rapport  aux  pieds  de  loup  et  en  parlant 
comme  un  seul  homme  quoiqu'ils  soient  nombreux, 
aveuglent  l'esprit  de  beaucoup  de  sots,  ne  sont  pas  dignes 
que  ceux  qui  connaissent  la  vérité  acceptent  leurs  dis- 
cours. De  la  même  manière  sont  dignes  du  mépris  des 
hommes  de  bien,  les  discours  de  ces  philosophes,  nom- 
breux à  vrai  dire,  charlatans  du  truc  du  dliarma  {dluirmi' 
kaccliadmadluirtâli) ,  occupés  seulement  à  tromper  les 
autres,  qui,  ayant  démontré  au  moyen  de  l'illation  et  de 
l'Écriture  la  stabilité  d'une  chose  quelconque,  prétendent 
affirmer  que  de  la  même  manière  existent  l'âme  etc.,  et 
font  ainsi  faussement  tomber  les  sots  dans  une  confusion 
de  choses  qu'on  peut  ou  qu'on  ne  peut  pas  manger,  de 
[personnes]  qu'on  peut  ou  qu'on  ne  peut  pas  posséder,  de 


(1)  Donnée  par  Manibhadra. 


HISTOIUE    DU    MATKIUALISME    INDIEN.  285 

choses  qu'on  doit  prendre  ou  quitter,  etc.,  [en  exploitant] 
l'avidité  qu'ils  ont  de  cette  série  ininterioinpue  de  bon- 
heurs qu'on  peut  acquérir  en  atteignant  au  paradis  etc.  ; 
ou  bien  encore,  les  troublent  par  des  prescriptions  reli- 
gieuses nombreuses  et  dépourvues  de  sens. 

Après  cela,  la  femme  du  Nâstika  approuva  en  tout  le 
discours  de  son  mari. 

[A  présent,  Haribhadra],  pour  exposer  ce  que  l'époux 
de  cette  femme  lui  dit  après  ce  [discours],  dit  : 

82.  Bois  et  mauge,  [et  jouis  selon  ton  bon  plaisir],  ô  toi  aux 
beaux  yeux  !  Cette  [jeunesse  et  cette  beauté  que  tu  as  à  présent], 
ô  femme  dont  les  membres  sont  parfaits,  [tu]  ne  [les  aiua  plus], 
une  fois  [qu'elles  seront  passées].  Car,  ô  craintive,  ce  qui  s'en  est 
allé,  ne  revient  jamais  plus.  Ce  corps  n'est  pas  autre  cliosf^  (ju'uu 
aggrégat  des  éléments. 

Cârulocane  est  un  vocatif  =  çobhanâhsi.  «  Bois  )>  {piha) 
signifie  :  adonne-toi  à  boire  des  boissons  alcooliques  etc., 
sans  tenir  compte  si  elles  sont  dans  les  conditions  de 
pouvoir  ou  de  ne  pouvoir  pas  être  bues.  Et  non  seulement 
bois,  mais  aussi  mange  {kitàda),  c'est-à-dire  nourris-toi 
de  viande  etc.,  sans  regarder  si  [ce  que  tu  manges]  peut 
ou  ne  peut  pas  être  mangé.  Les  verbes  «bois))  et  «mange» 
expriment  la  partie  pour  le  tout  :  il  faut  donc  entendre 
que  par  ces  deux  mots  l'on  exprime  aussi  cette  phrase  : 
«  Cueille  le  fruit  de  ta  jeunesse,  sans  faire  ditférence  entre 
gens  avec  qui  il  soit  pei*mis  d'avoir  commerce  et  gens 
avec  qui  ce  n'est  pas  permis,  et  en  jouissant  de  [tous  les] 
plaisirs  ».  Tat  cest-à-dire  jeunesse  etc.  ;  atita=^  atilirânta  ; 
le  wocAiif  vanKjâtri  =  yotutiï pnidliCniângi  ;  te=^  tava  ;  et  il 
faut  sous-cntendre  hhïujas  bliavisijati  [en  l'unissant  avec  la 
négation]  na.  Quoique  les  deux  \oc'àiih  cûrnlocane  et  vdra- 
(jiitri  aient  le  même  sens,  cependant  il  n'y  a  pas  faute  de 


286  LE    MUSÉON. 

tautologie,  parce  qu'[ils  ont  le  but  d'exprimer]  un  très 
grand  désir  de  rappeler  l'attention.  Car  l'on  dit  : 

Il  n'y  a  pas  de  tautologie  [lorsqu'on  veut]  récapituler  ou 
rappeler  l'attention,  [dans  le  cas  d'J  itération  (vlpsâ),  lorsqu'on 
veut  décider  quelqu'un  à  faire  quelque  chose,  [lorsqu'on  veut 
indiquer]  le  terme  moyen  d'un  syllogisme  (hetu),  [ou  bien  expri- 
mer] méconteutenient,  trouble  léger,  merveille,  ou  mettre  en 
évidence  quelque  chose  (ganana),  ou  exprimer  qu'on  se  rappelle 
de  quelque  chose. 

Mais  [la  femme  du  Nâstika  pourrait  lui  opposer  :]  «  En 
buvant,  en  mangeant,  en  jouissant  des  voluptés  selon  son 
bon  plaisir,  il  est  très  facile  d'obtenir  dans  l'autre  vie 
toute  une  série  de  peines  ;  tandis  que,  si  l'on  a  accumulé 
ici-bas  des  bonnes  actions,  on  peut  aisément  obtenir  dans 
une  autre  existence,  voluptés,  bonheur,  jeunesse,  etc.  » 
[C'est]  pour  répondre  à  cette  [possible]  objection  de  sa 
femme,  que  le  Nâstika  dit  :  [«  ô  craintive,  ce  qui  est  passé 
ne  revient  jamais  plus  ;  et  ce  corps  n'est  autre  chose  qu'un 
aggrégat  ■>■>].  Na  lii  =  naiva.  Le  vocatif  blilru  signifie  :  ô  toi, 
qui,  à  cause  de  ce  que  disent  les  autres,  es  toute  troublée 
par  la  peur  des  malheurs  qu'on  a  en  part  dans  l'enfer  etc.  » 
Gâta  signifie  sortie  de  cette  vie  [et  le  sujet  sous-entendu 
est]  bonheur,  jeunesse  etc.  «  Ne  revient  jamais  plus  »  (na 
nivarlate)  signifie  qu'on  ne  peut  pas  l'obtenir  dans  le 
monde  d'au-delà.  Le  sens  est  qu'il  est  inutile  de  mépriser 
les  bonheurs  de  cette  vie  par  désir  des  bonheurs  de  l'autre, 
en  ayant  recours  à  des  pratiques  pénibles  comme  les 
pénitences,  etc. 

Mais  [l'on  pourrait  opposer]  :  l'âme,  qui  dépend  de  son 
karman  bon  ou  mauvais,  après  être  restée  pendant  le 
temps  de  cette  vie  (adhimâ)  dans  le  corps  qu'elle  a  occupé, 
doit  nécessairement  jouir  dans  l'autre  vie  aussi  d'un  bon- 


HISTOIRE    DU    MATÉRIALISME    INDIEN.  287 

heur  ou  d'un  malheur  etc.  qui  ont  pour  cause  son  kar- 
man. [C'est  pour  répondre  à  cette  objection  que  le  Nfisti- 
ka]  dit  :  [«  Ce  corps  n'est  qu'un  aggrégat.  Dans  le  composé] 
satnudayamâtra,  samudaija  (aggrégat)  signifie  :  l'union 
des  quatre  éléments  ;  le  mot  mâtra  a  un  sens  limitatif. 
Idam  =  pralijalisa  ;  Icatevara  =  çarlra.  Il  faut  supplir 
evâsti.  Le  sens  est  le  suivant.  Dans  chaque  corps,  en  dehors 
du  seul  aggrégat  des  quatre  éléments,  il  n'y  a  aucune  àme 
qui  puisse  aller  au  monde  d'au-delà,  ou  jouir  des  effets 
d'un  karman  bon  ou  mauvais.  Et,  puisque  cette  union 
des  quatre  éléments  se  voit  et  ne  se  voit  plus  dans  un 
moment,  comme  la  lueur  de  l'éclair,  bois  et  mange 
comme  il  te  jilait,  sans  avoir  aucun  souci  de  l'autre  vie. 

[Or  Haribhadra  dit  quels  sont]  l'objet  et  le  moyen  de 
connaissance  admis  [par  ce  système]  : 

Et  encore  : 

83.  Les  quatre  élémeuts  sout  la  terre,  l'eau,  le  feu  et  le  vent  : 
la  terre  eu  est  le  substratuni.  Dans  le  système  de  ces  [matéria- 
listes] Ton  n'admet  d'autre  preuvi'  que  la  perception. 

Kim  ca  est  employé  en  sens  adjonctif.  Prllivl  =  bliûmili  ; 
jalam  =  fipali  ;  tejali  =  vahnili;  vayuli  =  pavanali.  Le  com- 
posé bliûlacdtusUnjdm  signitie  eUlni  bliûtûïii  catvCiri.  Àdliûro 
bliûmir  etesfun  signide  (|ue  la  tQvvefbfiûmi  =  prthvl)  est  le 
soutien  {àdliûra),  c'est-à-dire  le  substratum  [adldkarana) 
de  ceux-ci,  c'est-à-dire  des  éléments.  En  admettant  la 
leçon  caitanijabluimir  etesûm  (i),  par  quoi  serait  déterminé 
le  suhsVdnùï cadislayam!  [Par  le  composé]  caitanyabhûmi 
[qui]  signifie  :  le  lieu  où  a  naissance  l'intelligence.  Le 
sens  serait  :  les  éléments,  s'étant  réunis,  produisent  l'in- 


(1)  C'est  la  variante  de  Manibhadra. 

18 


288  Li:  MusÉON. 

telligence.  Etesâm  signifierait:  dans  le  système  des  Cârvâ- 
kas.  Selon  une  autre  leçon,  [qui  est]  pramûnabliûmir  etesâm 
[l'on  aurait  ce  sens,  que]  dans  le  système  des  Cârvâkas 
[etesâm  =  Cârvâliânâm],  les  quatre  éléments  sont  pramâna- 
bliûmi,  c'est-à-dire  l'objet  réel  du  pramâna  [ou  moyen  de 
connaissance]. 

Mânam  tu  =  pramânam  punali  ;  aksam  eva  =  pratyaksam, 
eva,  [et  eva  signifie  que  dans  le  système  des  Cârvâkas  il  y  a] 
un  seul  [pramâna,  c'est-à-dire  la  perception  directe  des 
sens],  et  qu'on  n'y  admet  pas  les  autres  pramânas,  illation, 
etc.  Le  mot  hi  a  ici  valeur  spécilicative.  Le  sens  qu'on 
veut  spécifier  {viçesali  punali)  est  le  suivant  :  les  Cârvâkas 
admettent  l'illation  de  la  fumée  etc.,  qui  a  pour  but 
d'établir  la  réalité  [d'un  objet  qui  appartient  à]  l'ordre 
des  choses  communes  de  cette  vie,  mais  dénient  une 
illation  ultra-sensible  {alauldka)  qui  a  pour  but  de  démon- 
trer l'existence  du  paradis,  de  la  destinée,  etc. 

Mais  comment  peut-on  parvenir  à  se  faire  une  idée  de 
la  manière  dont  se  produit  l'àmc  par  la  force  des 
éléments?  Pour  répondre  à   ce  doute,  [HaribhadraJ  dit  : 

84.  Du  corps,  dont  révolutiou  est  produite  par  Funioii  des 
quatre  éléments,  se  développe  l'esprit,  à  peu  près  de  la  même 
manière  dont  le  pouvoir  enivrant  d'une  boisson  se  produit  des 
ingrédients  alcooliques  [qui  la  composent]. 

Le  composé  prl/ivijâdisamhatyâ  doit  s'expliquer  comme 
suit  :  prtlivyâdi  indique  [les  éléments],  terre,  eau,  feu  et 
vent,  et  doit  être  pris  comme  correspondant  à  un  génitif; 
samliatyâ  est  un  instrumental,  qui  exprime  la  cause,  et 
le  mot  samliati  équivaut  à  peu  près  à  samyoya,  ou  sama- 
vâya.  Tathâ  =  tena  prakârena.  Le  composé  dehaparlnateli 
doit  s'expliquer  ainsi  :  délia  correspond  à  un  génitif; 
parînateli  est  un  ablatif,  et  le  mot  parlnati   équivaut   à 


HISTOIRE    DU    MATÉRIALISME    INDIEN.  289 

parhmma.  Cit  doit  être  uni  avec  cet  ablatif.  Comme 
{yadvut  =  ijatliâ)  [de  l'union]  d'ingrédients  spiritueux  {su- 
rânga),  c'est-à-dire  d'ingrédients  alcooliques  {madyânga) 
seproduitle  pouvoir  enivrant  {madaçakti  =7nodaknlva),  de 
la  même  manière  {tadvat  =  iatlia)  se  produit  l'âme  (cit  = 
caitanya)  dans  le  corps.  Il  faut  remarquer  que  le  mot 
âtman,  qui  peut  avoir  beaucoup  d'acceptions,  doit  être 
ici  entendu  dans  le  sens  de  «  corps  »,  et  non  dans  celui 
d'  «  âme  ».  [Le  sens  est  :]  de  l'union  des  quatre  éléments 
se  développe  le  corps,  et  ensuite  l'âme  qui  y  réside.  Dans 
le  mot  parlnati,  le  préfixe  pari  peut  avoir  la  dernière 
voyelle  longue,  quoiqu'il  n'y  ait  pas  le  sufïixe  a  (glian), 
parce  que  la  règle  est  passible  d'applications  variées. 
Il  y  a  aussi  [de  ce  vers]  la  variante  suivante  : 

prtlwyàdibliûtasamhatyilm  tatlià  dehâdisambhavali 
madaçalitih  suràngebliyo  yadvat  tadvat  stliitâtmatâ.  (i) 

Dans  cette  leçon,  [il  faut  sous-entendre]  satyCim  [après 
le  composé  prthvyâdibhûtasamltatyâm].  Le  mot  tatlnï  doit 
être  pris  dans  le  sens  copulatif,  en  rapport  avec  ce  qui 
est  dit  dans  le  vers  qui  précède.  [Dans  le  composé]  deliâ- 
disamb/iavali,  par  le  mot  ûdi  l'on  entend  la  terre,  les 
montagnes,  etc.,  qui  sont,  [eux  aussi],  produits  par  les 
éléments.  De  la  même  manière  que  de  [différents]  ingré- 
dients alcooliques  se  produit  le  pouvoir  enivrant,  ainsi 
prend  place  {stliitâ  =  vyavastliita)  dans  le  corps  la  qualité 
d'être  animé  [ûtmata).  En  effet,  Vâcaspati  dit  : 

"  Les  substances  sont  la  terre,  Feau,  le  feu  et  le  vent  ;  de  leur 
union  se  produisent  le  corps,  les  organes  des  sens  et  leurs  objets, 
et  la  conscience  ;  de  ceux-ci,  l'âme  «. 


(1)  Variante  donnée  par  Manibhadra. 


290  LE    MtJSÊON. 

Ayant  ainsi  établi  [ce  qui  précède,  Haribhadra]  dit, 
pour  exposer  [les  principes  des  Cârvâkas],  comme  ils 
les  enseignent  : 

85.  Les  Cârvâkas  soutiennent  que  c'est  par  conséquent  une 
sottise  que  Je  s'occuper,  comme  le  font  les  hommes,  des  choses 
ultra-sensibles,  sans  se  soucier  des  choses  sensibles. 

Yasmât  est  un  ablatif  de  cause,  et  veut  dire  :  puisque 
l'âme  est  produite  par  les  éléments.  [Le  composé]  drsta- 
pajityûgâl  doit  être  expliqué  :  paritijâgât  régit  drsta,  qui 
correspond  à  un  génitif,  et  drsta  indique  le  plaisir,  pro- 
duit par  les  objets  matériels  et  perçus  directement  par 
les  sens,  qu'on  peut  avoir  dans  ce  monde.  Les  Cârvâkas 
soutiennent  {pratipedire  =  pratïpannûli)  que  c'est  la  faute 
de  la  sottise, c'est-à-dire  de  l'ignorance  des  hommes, que  de 
s'occuper  {pvavarlanâ  =  pravrtti)  des  choses  ultra-sensi- 
bles, du  bonheur  de  l'autre  vie  qu'on  doit  atteindre  au 
moyen  de  pénibles  pratiques  d'ascétisme,  en  négligeant  les 
choses  sensibles  [drstapantyâgât.  Ce  composé  doit  être 
expliqué  de  la  manière  suivante  :]  parityâgât  régit  drsla, 
qui  cori'espond  à  un  génétif,  et  indique  le  plaisir  produit 
par  les  objets  matéi'iels  et  perçus  directement  par  les  sens, 
qu'on  peut  avoir  dans  ce  monde.  Car  c'est  justement  leur 
ignorance  la  cause  par  laquelle  les  hommes,  troublés 
dans  leur  bon  sens  par  l'exposition  de  discours  trompeurs, 
quittent  le  plaisir  de  ce  monde  qu'ils  ont  sous  la  main, 
et,  par  désir  d'atteindre  au  bonheur  du  paradis  ou  de  la 
délivrance,  s'adonnent  à  la  pénitence,  aux  prières,  à  la 
méditation  ou  aux  sacrifices.  Voilà  ce  qu'enseigne  ce 
système. 

A  présent,  après  avoir  montré  ces  [philosophes]  qui, 
ayant  l'esprit  satisfait   par  l'apaisement   du   quiétisme, 


I 


lUSTOIKE    DU    MATÉKIALISME    INDIEN.  291 

décrivent  le  bonheur  du  calme  [qui  provient  de  ce  quié- 
tisme],  [HaribhadraJ  expose  ce  que  disent  les  Cârvâkas. 

86,  Dans  le  système  de  ces  [matérialistes]  cette  joie  qu' éprou- 
vent les  hommes  en  s'appliquaut  à  ce  qui  est  permis  ou  en 
s'abstenaut  de  ce  qui  est  défendu,  est  inutile,  car  il  n'y  a  pas  de 
devoir  autre  (^ue  le  plaisir. 

Sâdfiija  signifie  méditation  (dliijâna),  et  peut  être  de 
deux  sortes  :  qu'on  doit  admettre  {upâdeya)  ou  qu'on 
doit  éviter  (heya).  De  la  première  est  le  couple  du  clharma- 
çukla-dliyCma ,  de  la  deuxième,  le  couple  de  V ârta-raudra- 
dhifCma  (i).  Ou  bien,  sâdliya  signifie  ce  qu'on  doit  exécuter 
{sûdhamya)  ou  faire  {kârya)  et  indique  alors  ce  qu'on 
doit  admettre,  c'est-à-dire  les  actions  pures,  comme 
l'ascèse,  les  vœux,  etc., et  ce  qu'on  doit  éviter,  c'est-à-dire 
le  péché,  comme  les  plaisirs  des  sens,  etc.  ;  et  les  mots 
vrtti  (s'occuper,  s'adonner  à  quelque  chose)  et  nivrtti 
(s'abstenir  de  quelque  chose)  [se  réfèrent  respectivement 
à  ces  deux  séries  d'actions.  Dans  le  composé  sâdhyavrlti- 
nivrttibliyâm  le  mot  sâdliya  est  régi  par  les  deux  termes] 
vrtti  et  nivrtti,  qui  correspondent  à  pravartnna  et  nivartana. 
Cette  joie  [prlti)  ou  bonheur  de  l'âme  [manalmiklm)  qui 
en  naît  fjûyale)  c'est-à-dire  en  dérive  [sarmitpadyate)  soit 
aux  hommes  (jane),  soit  au  monde  (loke),  dans  leur 
système,  c'est-à-dire  [dans  le  système]  des  Cârvâkas,  est 
inutile  {nirartha)  c'est-à-dire  n'a  pas  de  but  {niliprayojana), 
n'a  pas  d'effet  (iiispliala),  ne  correspond  pas  à  la  réalité 
{atâttvika) .CsiV  [lii=^yasm(lt)  il  n'y  a  pas  d'autre  devoir  que 
le  plaisir  {kâma),  c'est-à-dire  le  bonheur  sensuel.  Le  sens 
est  ceci  :  que  le  plaisir  est  l'unique  devoir  et  le  bonheur 
qui  en  dérive  le  bonheur  suprême. 


(1)  C'est  une  interprétation  donnée  d'un  point  de  vue  trop  étroitement 
jaïnique  —  Sur  ces  termes,  voir  Biiandarkar,  Report  1883/84  pag.  110. 


292  LE    MUSÉON. 

Ou  bien  encore,  les  mots  sâdliyavrttinivrttibhynm  etc. 
sont  employés  par  Haribhadra  pour  montrer  ce  que  les 
Cârvâkas  disent  contre  ceux  qui  soutiennent  que  dans  ce 
monde  l'exécution  on  non  d'un  effet  désiré  ou  non  dépend 
de  la  puissance  du  dluirma.  Alors  le  sens  du  composé 
sàdliijavrttimvrltil'hijûm  serait  à  peu  près  ceci  :  vrtti  signi- 
fierait l'accomplissement  {sidd/ii),  au  moyen  d'exercices 
ascétiques,  de  piières  et  de  sacrifices,  de  ce  qu'on  veut 
exécuter  [sâdliya),  c'est-cà-dire  de  l'effet  qu'on  veut  obtenir 
(prepsitakârya)  ;  nivrtti,  le  non-accomplissement  (asiddlil) 
ou  l'absence,  [provenant  des  mêmes  moyens]  des  exei*- 
cices  ascéti(|ues,  des  pi-ières  etc.,  d'une  conséquence  qu'on 
ne  désire  pas.  Les  mots  yâ  jane  prltir  jûynte  sa  nirarlliakù 
[restent  les  mêmes  :  seulement,  le  mot]  nircirlliakd  signifie 
(c  sans  raison  »  {nirheluka),  a  sans  fondement  »  [ninnùla), 
pai'ce  que  artha  peut  aussi  signifier  «  raison  »  {lietii). 
Jli  =  yasmût  ;  et  les  autres  mots  dliannah  kfnnân  na  paruh 
ont  le  sens  expliqué  plus  baut. 

II. 

(Ibid.  chap.  IV  ;  p.  159-112  dans  mon  édition  de  Calcutta, 
Bibliotheca  Indica). 

REFLTATIO.N   MATÉRIALISTE  DE  l'eXISTENCE  DE  l'aME. 

Ici,  (i)  les  matérialistes  font  les  objections  suivantes. 
Dans  l'expérience  de  tous  les  jours,  l'on  ne  perçoit  que 
les  éléments  comme  causant  l'intelligence  et  dével()i)pés 
dans  la  forme  du  corps,  mais  non  aucune  [entité  nommée] 
àme,  pouivue  des  caractères  dits  i)lus  haut,  prédestinée  à 


(1)  C'est-à-dire,  à  propos  de  la  théorie  jaïna  de  l'éternité  de  l'ùine. 


IIISTOIUE    DU    MATÉIWALISME    INDIEN.  295 

renaître  dans  une  autre  existence  et  distincte  des  éléments, 
parce  qu'il  n'y  a  pas  de  preuve  de  son  existence  réelle. 
En  effet,  quelle  preuve  pourrjiitdémontrer  l'existence  réelle 
d'une  àme  distincte  des  éléments,  la  perception  ou  l'illa- 
tion  ? 

I)  Non  pas  la  perception,  parce  que  celle-ci,  ayant  pour 
objets  la  couleur,  etc.,  qui  sont  connexes  à  un  sens  déter- 
miné, ne  peut  pas  s'appli({uer  à  l'àme,  qui  en  diffère.  Et 
il  ne  faut  pas  afïirmer  cpie  «  fTexistence  d'june  àme 
distincte  des  éléments  est  évidente  par  sa  propriété  de 
produire  la  connaissance,  dans  des  expressions  comme 
«  .le  connais  la]  cruche  »,  dans  lesquelles  entre  la  notion 
du  moi,  —  parce  ([u'il  s'ensuivrait  que  cette  notion  serait 
aussi  objet  du  corps,  comme  cette  autre:  «Jesuis  gras»,  «Je 
suis  maigre  ».  Or,  cette  [dernière]  notion  ne  peut  absolu- 
ment pas  avoir  son  fondement  dans  l'àme,  parce  (jue 
celle-ci  est  dépourvue  de  qualités  telles  que  détre  gras  ou 
maigre,  etc.  De  la  même  niimière,  nous  ne  [louvons  pas 
même  en  rêve  reconnaître  comme  fondement  de  la  notion 
«  Je  connais  la  cruche  »,  une  àme  telle  ([ue  vous  l'admet- 
tez, différente  du  corps.  Et  même  en  supposant  (ju  on 
puisse  l'admettre,  il  y  [a  ditïiculté  à  reconnaître  une  telle] 
hypothèse,  et  il  sensuiviait  qu'aucun  objet  déterminé 
ne  sauiait  être  fixe  et  immuable.  Et  il  ne  faut  pas  non 
plus  atïirmer  cpie  «  ([ue  la  notion  du  moi  ne  convient  pas 
au  corps,  qui  est  brute,  comme  une  cruche,  etc.  »,  parce 
que  le  corps  est  {xjiuvu  d  intelligence,  par  effet  de  son 
union  avec  r|intelligence|.  Aussi,  il  ne  faut  [>as  soutenir 
(pje  «  cette  intelligence  a  pour  facteur  l'àme  »,  parce  (jue, 
comme  l'àme  n'est  [)as  connue,  cette  (jualité  d'être  facteur 
|(le  rintelligen(re|  ik;  lui  sied  pas  ;  [autrement;,  il  s'en- 
suiviait  qu'un  lotus  céleste  etc.  [pourrait  posséder]  cette 


294  LE    MUSÉON. 

[même  qualité].  De  cette  démonstration  il  s'ensuit  que  la 
qualité  d'être  facteur  de  rintelligence  convient  seulement 
au  corps,  parce  qu'il  se  trouve  aussi  [avec  elle]  dans  une 
relation  de  concomitance  positive  et  négative.  En  forme 
de  syllogisme  on  dirait  :  Tout  ce  qui  est  avec  quelque 
chose  dans  une  relation  de  concomitance  positive  et  néga- 
tive, en  est  l'effet,  par  exemple  une  cruche  qui  est  l'effet 
d'une  boule  d'argile.  L'intelligence  se  trouve  en  relation 
de  concomitance  positive  et  négative  avec  le  corps  : 
donc,  le  corps  en  est  le  facteur.  Car  le  rapport  de 
cause  à  effet  se  démontre  en  tout  cas  au  moyen  de 
cette  concomitance  positive  et  négative.  Or,  cette  double 
concomitance  se  rencontre  dans  notre  cas,  parce  que, 
s'il  y  a  corps,  nous  percevons  aussi  l'âme,  et,  si  le 
corps  n'existe  pas,  nous  ne  pouvons  non  plus  percevoir 
l'âme.  Et  il  faut  se  garder  d'atïîrmer  que  «  puisque, 
le  corps  une  fois  mort,  il  est  impossible  d'apercevoir 
l'âme,  il  est  faux  (ju'ils  soient  en  relation  de  concomi- 
tance positive  et  négative  »,  —  car,  dans  l'état  de  mort,  il 
n'y  a  plus  de  corps,  par  effet  de  l'absence  [des  deux 
éléments]  du  vent  et  du  feu,  parce  que  le  corps  est  tel 
seulement  lorsqu'il  y  a  l'union  de  certains  éléments  déter- 
minés. Aussi,  il  serait  faux  d'affirmer  que  la  seule  forme 
du  corps  suffit  pour  produire  l'intelligence,  parce  qu'alors 
il  s'ensuivrait  aussi  que  dans  un  cheval  peint  sur  un 
tableau  se  produirait  l'intelligence.  Donc,  il  est  démontré 
que  la  notion  du  moi  se  produit  en  fait  du  corps  uni  avec 
l'intelligence.  [En  résumé,  il  résulte  de  tout  ceci]  (jue 
l'âme  ne  peut  pas  être  connue  au  moyen  de  la  perception, 
et  que,  par  conséquent,  elle  n'existe  pas.  En  forme 
logique  :  il  n'y  a  pas  d'âme,  parce  qu'elle  n'est  nullement 
objet  de  la  perception.  Ce  qui  n'est  nullement  objet  de  la 


IIISTOIllt:    DU    MATÉIUALISME    INDIEN.  295 

perception,  n'existe  pas,  par  exemple,  un  lotus  céleste. 
Au  contraire,  ce  qui  existe  peut  être  connu  au  moyen  de 
la  perception,  par  exemple unecrùche.  II  est  bien  vrai  que 
les  atomes  ne  sont  pas  perçus  par  les  sens  ;  mais  ils 
deviennent  perceptibles,  lorsqu'ils  se  sont  développés  en 
forme  d'effets  sensibles,  par  exemple  une  cruche  etc. 
L'àme  au  contraire  ne  devient  jamais  perceptible.  Par 
conséquent,  en  employant  l'adjectif  «fj/anirt  [dans  l'expres- 
sion atijantâpratijaksam]  nous  n'avons  pas  commis  une 
faute  d'exclusion  par  rapport  aux  atomes. 

2).  En  outre,  l'illation  ne  peut  pas  non  plus  s'appli({uer 
à  démontrer  l'existence  réelle  d'une  âme  distincte  des 
élénients,  parce  qu'elle  n'est  pas,  pour  nous,  une  preuve; 
et,  même  si  nous  l'admettions,  la  raison  {helu)  serait, 
dans  ce  cas,  kâlâtyaffâpadisla,  parce  qu'elle  serait  em- 
ployée après  un  développement  logique  contredit  par  la 
perception.  En  effet,  la  thèse  d'une  àmc  séparée  du  corps 
est  contredite  parla  perception.  Et  encore  :  l'illation  est 
précédée  du  souvenir  du  rapport  entre  le  signe  caractéri- 
stique et  la  chose  qui  en  est  poui-vue.  Ainsi,  quelqu'un 
qui,  dans  une  cuisine,  etc.,  a  connu,  par  perception 
directe,  le  rapport  de  concomitance  invariable,  positive  et 
négative,  (jui  existe  entre  le  signe  caractéristique  et  la 
chose  (jui  en  est  pourvue  —  [en  ce  cas|,  le  feu  et  la  fumée  — 
en  voyantaprès  un  certain  temps  sui-  le  dos  d'une  montagne 
ou  dans  une  foi'ct  de  la  fumée  qui  semble  être  suspendue 
au  ciel,  se  rappelle  le  l'apport  qu'il  a  perçu  auparavant, 
[et  qu'il  exprime]  de  cette  manière  :  Partout  où  il  y  avait 
de  la  fumée,  jai  vu  du  feu,  par  exemple  dans  une  cuisine 
etc.  :  et  l'on  voit  ici  de  la  fumée  ;  par  conséquent  ici  aussi 
il  doit  y  avoir  du  feu.  De  cette  manière,  celui  qui  raisonne, 
parvient  à  la  conclusion  [de  la  présence]  du  feu  au  moyen 


296  LE    MUSÉON. 

de  la  perception  [antérieure]  du  signe  caractéristique,  et 
du  souvenir  [conséquent]  du  rapport  [enti*e  ce  signe  et 
l'objet  qui  en  est  pourvu].  Mais  il  est  impossible  de  démon- 
trer au  moyen  de  la  perception  le  rapport  d'un  signe 
caractéristique  quelconque  avec  l'àme,  qui  devrait  en  être 
pourvue,  au  moyen  duquel  un  homme,  en  voyant  de 
nouveau  ce  signe  et  en  se  rappelant  ce  rapport,  puisse 
avoir  une  notion  du  genre  de  celle  mentionnée  plus  haut. 
Si,  au  contraire,  il  était  possible  de  démontrer  au  moyen 
de  la  perception  ce  l'appoit  entre  l'éime  et  un  signe  [qui 
devraiten  être]  caractéristique,  alors,  puisque  l'âme  serait 
de  cette  manière  perceptible  aux  sens.  Filiation  deviendrait 
inutile,  et  l'àme  serait  de  cette  manière  [préalablement[ 
démontrée.  Encore,  il  ne  faut  pas  dire  que  «  l'àme  est 
démontrée,  comme  la  marche  du  soleil,  par  une  illation 
sâmânijatodrsta  :  le  soleil  se  meut,  parce  que  nous  voyons 
qu'il  parvient  à  un  autre  point  de  l'espace,  comme  Deva- 
datta  ))  —  parce  que,  ma  foi  !  dans  le  cas  de  Devadatta, 
qui  est  le  sujet  de  l'exemple,  quatrième  membre  de  syllo- 
gisme, on  peut  au  moyen  de  la  perception  établir  d'une 
manièi'e  générale  {sâmânyena)  que  le  fait  qu'il  se  trouve 
dans  un  autre  point  de  l'espace,  est  précédé  d'un  mouve- 
ment ;  et  aussi  en  rapport  au  soleil  celui  qui  raisonne 
peut  de  la  même  manière  établir  la  même  chose  —  et 
c'est  juste  ;  —  mais,  dans  le  cas  de  l'âme,  l'évidence  des 
sens  ne  nous  montre  pas  de  la  même  manière  dans  aucun 
exemple  aucune  raison  [lietu,  deuxième  terme  du  syllo- 
gisme] qui  soit  invariablement  concomitante  avec  l'existence 
réelle  de  l'âme.  Donc,  l'on  ne  peut  pas,  même  au  moyen 
d'une  illation  sùmânijatodrstn,  démontrer  [l'existence  de 
l'âme]. 

3).  L'âme  ne  peut  non  plus  être  démontrée  au   moyen 


HISTOIRE    DU    MATÉRIALISiME    INDIEN.  ^91 

de  rÉci'iture.  L'autorité  probante  de  l'Éci-iture  repose  sur 
le  fait  qu'elle  émane  d'un  Cipia,  dont  la  parole  a  le  carac- 
tère d'une  certitude  absolue.  Mais  nous  ne  connaissons 
aucun  (ipta  dont  la  parole  ait  ce  caractère  de  certitude 
absolue,  pour  qui  l'àme  soit  perceptible  directement.  Et 
alors,  ne  percevant  pas  [un  tel  homme],  comment  pour- 
rions-nous connaître  l'àme?  Et  encore:  toutes  les  Écritures 
sont  en  contradiction  entre  elles  :  donc,  quelle  d'entre 
elles  a  valeur  de  preuve,  et  quelle  ne  l'a  pas  ?  De  telle 
manière,  l'autorité  probative  de  l'Ecriture  se  trouve  en- 
tourée par  les  flammes  d'un  immense  incendie  (i)  de 
doutes.  Par  conséquent,  l'àme  ne  peut  pas  être  démonti'ée 
au  moyen  de  l'Ecriture, 

4).  Elle  ne  peut  pas  non  plus  être  démontrée  par  le 
moyen  de  preuve  dit  d'analogie.  En  effet,  dans  des 
expressions  telles  que  :  «  Comme  est  la  vache,  tel  est  le 
(javaya  »  etc.,  la  ressemblance,  [exprimée  au  moyen  du 
mot]  (c  comme  »  (iva)  sert  à  faire  naître  de  nouveau  l'idée 
d'un  objet  éloigné.  Mais,  dans  notre  cas,  il  n'existe  pas, 
même  dans  les  trois  mondes,  d'objet  semblable  à  l'àme, 
en  voyant  lequel  nous  puissions  reconnaître  l'àme.  Si  l'on 
voulait  opposer  «  Mais  il  y  a  des  objets  qui  ressemblent  à 
l'àme,  par  ex.  le  temps,  l'éther,  l'espace,  etc.  »,  nous 
répondrions  :  «Non,  parce  que,  comme  ceux-ci  sont,  eux 
aussi,  sujet  de  discussion,  votre  argument  aurait  les  pieds 
liés  ))  (2). 

5).  [Enfin],  l'àme  ne  peut  pas  même  être  démontrée  au 
moyen   de   Vartliâpulli.  En   effet,  en   dehors  de   l'àme  il 


(1)  Le  texte  a  vraiment  dâvânala. 

(2)  Texte  :  ...  tadainlii'ibudilliHtvât  :  c'est-à-dire,  si  je  ne  nie  tromne 
pas,  que  J'argument  de  l'analogie  de  l'àme  avec  le  temps  etc.,  n'aui'ait 
aucune  force  probative. 


298  LE    MUSÉON. 

n'existe  aucun  objet  visible  ou  ouïble,  au  moyen  duquel 
il  nous  soit  possible  de  la  démontrer. 

Par  conséquent  il  reste  démontré  que  l'âme,  ne  pouvant 
pas  être  objet  des  preuves  qui  ont  une  valeur  de  démon- 
stration positive  (i),  devient  l'objet  de  la  preuve  appelée 
négation,  qui  sert  à  démontrer  l'inexistence  de  l'objet. 

L.    SlALI. 


U)  samupalambaha.  Le  mot  manque  aux  lexiques;  mais  covdT^.samupa 
i/"labh  dans  PW. 


THE  VIRUPAKSA-PANCASIKÂ 

By  L.  D.  Barnett. 


The  Vii'ûpâksa-pancâsikâ  is  a  curious  little  tract,  pro- 
bably  of  comparatively  modem  date,  which  repiesents  a 
development  of  the  S'aiva  idealistic  Systems,  —  schools 
which,  apart  from  their  inlrinsic  importance,  hâve  a 
further  significance  from  their  relation  on  the  one  hand 
to  the  Mahâ-yâna  and  on  the  other  to  the  classical 
Vedânta.  It  is  extremely  rare  ;  probably  the  only  copy  in 
Europe  is  that  possessed  by  the  British  Muséum,  Oi'. 
6761  E,  a  Saradâ  manuscript  containing  tho  text  with 
scholia  considerably  defaced  at  the  edges  by  damp  and 
wear.  I  give  hère  the  former  with  excerpts  from  the  hitter. 
The  text  is  sometimes  obscure,  and  even,  as  it  would 
seem,  barbarous  in  style  ;  but  ksamantu  sâdfiava/t. 


500  LE    MUSÉON. 


Viriipâksa-paricOsikû . 


Svasti  om  namah  sivâya. 

1 .  Gajagandhasamararasikriyendrâya  prakatitânghriyuga- 

samarah  / 
nijasiddhil)ljam  asmai  kathayati  prsto  virûpâksah  // 

2.  vimatipadam    anga    sarvam    marna    caitanyâtiiianali 

saiïram  idam  / 

sfinyapadân  nîlfivadhi  drsyatvât  pindavat  siddliam  // 

o.  sanipanno  'smi  krso  "siiii   snîhatkarano   'snii  moda- 

mâno  'smi  / 
pi'ânimi  sQnyo   smïli  satsu  padesv  asmitâ  di'stâ  // 
i.  visayasani'cndi'iyadhîpiânanirodliaprasiddhyadai'si  t- 

vât  / 

ittham  citim  akhile  'dhvani  dhârayato  visvadehatvam// 

5.  utkiamya  visvato   'l'igât  tadbhâgaikataniinistliitâhan- 

tah  / 
kanthaluthatprâna  iva  vyaktam  jïvanmrto  lokah  // 
G.  délie  'smitayâ  yadvaj  jadayor  âsphâlariam  mitho  brdi- 

voh  / 
iechâmâtrenettham  giryor  api  tadvasâj  jagati  // 

7.  bindum  prânani  saktim  mana  indriyamandalam  sarl- 

rani  ca  / 
âvisya  cestayaritïm  dhâraya  sarvatra  câhantâm  // 

8.  ïsvaratâ  kartrtvam  svatantratâ  citsvarûpatâ  ceti  / 


The  Viriipâlmi-Pancàsikâ.  50i 

ete  'hantâyâ  iha  pai'yâyâs  sadbhii'  ucyante  // 
virQpâksapancâsikâyâm    visvasai'lratvavivekaskandah 
prathaniah. 

om  namah  sivâya. 
i.  pratyavamarsâtmâ  'sau  citih  svarasavâhinï  para  vâa; 

yfi  / 
atyantapratyâhrtavarnaganâ  saty  ahaiitâ  sa  // 
2.  svaparâvabhâsanaksama   âtniâ  visvasya   yah   prakâso 

'sau  / 
aham  iti  sa  eka  ukto  'hanlâsthitir  ïdrsï  tasya  // 
5.  vicchinnâvicchinnc    idain   ity  aham  ity  ubhe  pratlie 

tasya  / 
âbhrisyâbhrisakatâm  prathayete  cetyacitpadayoh  // 

4.  ekah  sa  âtmano  'sau  na  hi  kramo  'sty  atia  desakâlâ- 

bhyam  / 
bhedini  niithas  samyuktas  cetye  bhedâsrayah  khalu 

sah  // 

5.  svâiifff!  cidiia£;anâtiHani  duudhodanibhe  svasaktilaha- 

rlnâin  / 
sambhedavibhedâbhyâin  srjati  dhvamsayati  caisa  ja- 

gat  // 
0.  i'ûpridipancavisayâtmakabhoi^yahrsîkal)hoktvrnpe 

'smin  / 
jagati  [)i'a8aradanantasvasakticaki'â  citlr  bhâvyâ  / 

7 .  somai'avi vahn ilaksanabhog:yendriyabhokt  1- 1) h â n a p i  n - 

dâtmâ  / 
biiidur  viniarsadharmâ   sannâiii  cko  '(Ihvanrun    prâ- 

ni»li  // 

8.  vyaktaip   bi   padâithritinakaiii  idani  \\vj,',m   iiityam  eva 

laHaiinain  / 
saktyâtmakam  avyaktam  tatraiva  punar  nimajjati  ca  // 


502  LE    MUSÉON. 

9.  sodasadhainam  navadhâ  sodhâ  bhindanty  atha  tridhâ 

vibudliâh  / 
âdhâi'abhedalaksyam  bahusiddhikaiam  ca setsyantah // 

10.  yasya  vimarsasya  kano  mantraitadâi'iiâtmakas  tiiclhâ 

sal)dab  / 
purutattvakalâtmri  'rthodharmina  itlham  prakâsasya// 

1 1 .  svena  vinâ  mrtam  andam  svâvesabalena  jïvayann  ekah  / 
mâi'tândah   païamo   'sau   paranabbasi   na   kim  tvayâ 

drstah  // 
i2.  cidgaganaksïrodam  svayam   icchâinandaiena   saiikso- 

bbya  / 

tacchaktivîcibhir  asâv  utthâpayatîndiim  andâkhyam  // 

15.  saktir  mâyâ  prakitih  pithivîti  caturvibhâgam  andam 

yat  / 
yasya  vibhâgo   'sti   punar  babudhâ   sarvam    stbitain 

mayi  tat  // 
pi-akâsaikâtmyaviveko  dvitïyab  skandah. 

om  namab  sivâya. 

1.  aham  eko  'nastamitah  prakâsarQpo  'sini  tejasâm  tama- 

sâm  / 
antah  sthito  niamântas  tejâmsi  tarnâipsi  caikasya  // 

2.  prathamo    madhyama    uttama    iti    purusâ    bbedinas 

trayo  \n  mitbah  / 

mattas  tu  mahâpurusât  pratyavamai'sâtmano  na  babib// 

5.  yusmaccbesâpobavad  aham  iti  yad  bhâti  bbinnam  iva 

rûpam  / 
tad   idam   bbâgavibbedo   na  tv  aham   eko   'smi   yan 

nityam  // 

4.  dyâvâprtbivî  desah  krdo  'horâtram  iti  yayob  prasarab  / 
te  bhânatirodhikrte  saktl  me  bbâvavrndasya  / 

5.  dhûmâvatî   tirodhe   bhâsvaty    avabhâsane    'dhvanâin 

saktib  / 


Tlie  Virûpûksa-Paùcùsikâ .  503 

ksobhe  spandâ  vyâptau  vibhvî  hlâdâ  ca  pustau  me  // 
0.  dhûmâvatï  prtliivyânri  hlTidâ  'psu  sucau   ca  bhâsvatî 

prathate  / 
vâyau  spandâ  vibhvî  nabhasi  vyâptam  jagat  tâbhih  // 

7.  nijadharminam  prakâsam  sarQpayantl  prakâsavarga- 

sya/ 
saktir  vimarsarûpâ  sarQpayaty  akhilam  asya  marna  // 

8.  jnânajnâtrjneyâtmakam    akhilam    madvimarsavahni- 

sikhâ  / 
dagdhvâ  prakâsarùpam  subhram  bhasmâvasesayali  // 

9.  akathoramadvimarsajvâhlgi'astam     tiiodhimad     bhâ- 

nam  / 
angâravad  iva  bhasma  prathate  tatrândavargasya  // 

10.  kâi'tsnyenâvistam    ivâranyapurâdy    agninâ   maya   'pi 

jagat / 
citrabhavadhûyabhedam  nanu  grhnâty  ekartipatvam  // 

11.  antarmukhasvai'Qpam  jfieyasya  jnânam  asya  ca  jnûtâ  / 
jnânasya  jnâtrtanos  citir  ekâ  syât  tv  aham  nânyah  // 

12.  akramatâ  me  kiamikam  jnâtrâdyam   sakramâkramâ 

tu  citih  / 
madvaj  jnâtâ  jnânam  saktir  iva  tritayavaj  jneyam  // 

15.  pïtâdivsu   na  hi  nîlam  tesv  atra  ca  bhâti  câksusam 

jnânam  / 
na  sroti'âdisu  tad  api  jnâtâ  tesv  atra  cânugatah  // 
14.  jnâtâram  mâip  jnânam  saktir  iva  tritayavaj  jneyam  / 
avibhaktam  bhâvayatah  so  ham  sa  tat  trayam  tac  ca  // 
lo.  vedyam  svakramasiddhâm  vittim  anupravisad  anga 

viçayâdyam  / 
veditari  vicitimukhato  llnam  tallak§anam  bhavati// 

16.  santânântaravâde  jîîâtâ  vyâvrttabhâsanah  kramikah/ 
jlvàkhyo  madyogân  madvat  syâd  akramâbhâsah  // 

17.  smrtyanubhavânusamhativasatas  taj  jagad  idam  tathâ 

tad  idam 

19 


304  LE    MLSÉO>. 

svaii'y  aham  âbhâsayitâ  bhiniiani  câpoliaiiena  mithah/ 

18.  smrtir  anubhavasya  bhânani  so  ithasya  dvau  saliânu- 

sandliânam  / 
tritayam  api  mâm  vinaikam  kramaïahitam  na  ghatate 

vidusâm  // 

19.  astamitam  arthajâtam  bhâtvâ  bhinnam  iva  kramâdi 

majjiiânam  / 
majjnânenaikyena  srota  ivâmbudhau  sthitam  hiniayi// 
ti'tîyah  skandah. 

om  namah  sivâya. 

1.  matstham   api   bhuvanavrndam   bahir  iva  yad  bhâti 

mâyayâ  bhavinâin  / 
atha  vidyayâ  bhaved  bhavapadinâm  antaibahistvena  // 

2.  grâhakani   ekam   tv    ajadam  jadam  anyad  giâhyaiii 

asya  yo  manute  / 
mâyâvimohitâtmâ  bodhyah  so  'nur  bhavï  sadbhih  // 
5.  jadatâtniikâm  idantâm  athâjadatâtmikâm  ahantâm  ca' 
sâmânyâdhikaranyâd  idam  ahamitibudhyatedvipadî  // 

4.  tad  bhavinâni  kevalayâ   nimagnaiii  antah  pade  drsâ 

bhâti  / 
magnonmagnobhayavidham   anmanayâ   mayi  manah 

pûrne  // 

5.  ravisomatadidvajrâmbudavâdavajaladhigii'iguhârany- 

aih  / 
drdhabhâvitritiiiabbâvair  yogï  tat  karma  nirvahati// 

6.  yâ  devatâ  yam    artham  kurute   tenârthino   drdham 

tasyâm  / 
vidhrtâhamkârasya  ksanena  so  'rthah  saniâyâti  // 

7.  dhâranasamgrahapâkavyûhâpratighâtalaksanaii'  mûr- 

Itaih  / 
svasvaiiivistâhantair  yogina  istà  kriyâ  bhavati  // 


77/  c  VirûpûLsa  -  Pa  ùcCisiLd .  505 

8.  ih'  tîHiniâti'rikai'majriânoïKlriyamânnsâsmifrulhlsu  / 

âvrktc  puinsi  drdhani  (llirtacitisaktis  ca  tat  karma/' 
1).  râganiyalyoli  kâler  vidyâkalayoi-  guhâsarasvatyoh  / 

Isasadâsivasaktisa  sive  ca  tadvat  ki'tâ  'hantah    ' 
10.  sukavâniadevayoi'  iha  krsnadadhîcyos  talhâ  ca  vainya- 

sya/ 
bhrilâtniayoiiajain  khalv  ârse  vaisvâtmyain  âkhyâtam  // 
li.  knlâgnikolidîptrim  dâhe  i)âsoccayasya  patu  trptyai  / 
aiiii'tauiiliavrstiinûrttini   smara  saktim   bhava   eurur 

c_  •  •  •  •  O 

jagatah  // 
1"2.  kliyâtini     apûinâm    pfu'nakhyâtisamfivesadâi'dhyatah 

ksapaya  / 
sija  hlmvanâni  yatheccliani  sthâpaya  liara  tiraya  bhâ- 

saya  ca  // 
13.  vibûdhitas  sa   indio  devesv  adhikâraui   ahun   apâsya 

s  va  m  / 
âvistasaktitattvah  sivavad  apasyat  svam  âtmânani  // 
vibhûtiskandas  caluitliah.  samâpteyam  virûpâksapan- 

câéikâ.  iti  sivam. 


Notes. 


I.  3.  SacLah  caksurâder  iiidriyasya,  moda  ahainkaranasya, 
prânaûam  vâyoh,  sFiayaiâ  susuptasya,  mahâmâyâparyâyasya,a?mi- 
1â  drstâ  aliamabhimâDah  tavâpi  svâQubhavasiddhah,  itthaiu  sati 
yadâ  dehabâhyadrstâQtah  tenâbbimate  visaye  'hamabhimânah 
tadâ  drsyatvavisaye  sarîratve,  yadâ  tu  Dâhamabhiniânah  tadâ 
dehendriyânâm  api  na  sarîratvam  yatah  atah  pinde  'smiiâ  (Schol.). 
On  rUpa  cf.  Dbarmasangraha  xxxiv,  The  séries  denoted  by  sam- 
panno  ....  .iûnyo  'smi  is  identical  with  that  of  visaya  ....  nirodha 
in  verse  4. 

I.  6.  The  intense  intuition  of  the  identity  of  thc  macrocosniic 


506  LE    MUSftON. 

with  the  microcosmic  Self  effaces  the  world  created  ia  the  Ego 
by  meaos  of  Will  (II.  12)  :  cf.  Spanda-kSrikSs,  22  foll. 

I.  7.  Binduh  grâhakagrahanâdipralïtivisesodayâd  arvâktani  sva- 
ram  avâdiuï  sâmâQyabhûtâ  sûksnQâliampratîtih  ....  ISaktipade  bud- 
dhyahainkârau  gihïtau  (Scbol.). 

Cf.  generally  the  définition  of  the  commentary  on  Spauda-kâri- 
kâs,  p.  3  :  spaadanam  [ca]  nistaraiigasyâsya  tâvat  paramâtmanah  | 
yugapan  nirvikalpâ  yâ  sarvatraunmukhyavrttitâ  |  ....  sântasâd- 
gunyarûpasya  yat  sphuran  pratibhodayah  |  sa  câtmabalasaktîsas 
cidrûpah  spandasamjnakab. 

II.  1.  Cf.  the  Spanda-kârikâs,  28-9.  The  Soûl  is  the  imiversal 
thought  and  thinker  ;  objects  become  existent  by  ascending  into 
consciousness,  samvid,  m  the  form  of  the  higher  or  lower  Vàk. 
Objects  are  to  their  subject  in  the  relation  of  tadâtmya.  The 
consciousness  takes  the  form  of  speech  by  means  of  breath.  FrZ/.', 
the  éaUl  of  the  universal  consciousness,  objectifies  itself  as  letters 
and  syllables.  Thus  everything  is  real,  citsvarûpa,  Siva.  Mantras 
should  be  applied  to  control  this  saJdi  of  Speech  (26). 

II.  2.  Svain  prakâsâtmakam  param  ca  pratyavamarsâdinïlântam 
(the  pratyavamaria  corresponds  to  the  state  of  sUnjjatà,  I.  2). 
Nanv  ahaniâ  nâma  ahamo  dharmah,  sa  ko  nâmânya  upalabhyate 
dharmï  y  ah  pratyavamarsarûpah  citivyatirikto  'hamvyapadesam 
arhatïty  ata  âha  svaparetyâdi  (Schol.).  ïdrsï  =  prakâsâtmikâ. 

II.  3.  Idara  iti  vedyarn  aham  ity  ahampratyavamarsâtmako  grâ- 
hakah  prakâsas  ceti  trayam  upalabhâmahe,  iti  kathara  uktàrtha- 
siddhir  ity  ata  âha  vicchianetyâdi.  Idam  ity  evamâtmikâ  prathâ 
vicchinnâ  idamprathâpeksayâvicchinnâ  ahainprathâ  tu  nïlâdâv 
anuvrttâ  (Schol.).  Prathe,  glossed  as  dharmabhîite  prakâsasya. 

II.  4.  Nîlam  pïtam  ca  vedmïti  samyuktah  (Schol.).  The  line  is 
unmetrical . 

II.  6.  Yadi  grâbâdi  na  kiincit  prthag  asti  vastu,  sarvâtmakatayâ 
prakâàa  eka  evâsti,  ato  grâhâdibhedabhramasamskâronmûlanâya 
citir  evettham  bhâvanïyety  âha  rûpetyâdi  (Schol.). 

II.  7.  Paravâgrûpatvâd  bhogyam  somalaksanam,  indriyâni  ravi- 
laksanâoi,  bhoktâ  vahnilaksanah,  cidekasvarûpatvâd  bhânapindah, 
bhogyatvâdivisesavigalanena  sâmânyâtmakara  bhânam  tadvimar- 
èamayam  sa  bindur  ucyate.  Bhogyâdiviéesarûpena  pratïyamânasya 
nirviéesapratïtyâtmako  binduh  (Schol.). 


The  Virûpclksa-Paiîcâsikci .  307 

II.  8.  Tallagnam,  scil.  in  the  hindu, 

II.  10.  Ittham  prakâsasya  dharmino  dharmitvenaivam  upapâdi- 
tasya  dharmabhûto  yo  vimarsah  tasya  kanah  (Schol.). 

II.  11.  Yo  hy  asau  prakâsarûpah  rartasyânuprânanât  paramo 
mârtandah  laukikamârtandasyâpi  prakâsakatvât  paramah  sa  .... 
caitanyâbhivyaktisthâaahrdaye  tvayâ  drsyata  eva  ....  tato  hrdayâ- 
vacchianatayaiva  pratîyamâQO  yo  'yam  anavacchinnali  prakâsah 
sa  eva  tvam  iti  pratyabhij  îiâtah  (Schol.). 

II.  12  b.  Khecaryâdisvasaktirïipair  ûrmibhih  (Schol.). 

II.  13  a.  Saktih  biaduh,  tena  kâranena  .suddhâdhvalaksanam 
kâryam  upalaksyate,  mâyayâ  tu  misrâdhvâtmakara,  prakrtyâ 
suddhatarâdhvarûpam,  prthivyâ  sthûlam  (Schol.). 

13  b.  Svâtmabhittilagnatâm  svâaubhavasâksitayâ  darsayati  ba- 
hudheti  (Schol.). 

III.  3.  Eko  'smi  yan  nityara  anavacchinnaprakâsaikaghana  eko 
'smïti  prathamamadhyamapuru.sârthâd  vyâvrttam  (Schol.). 

III.  4.  Grâhako  visesato  vivicyamâno  'pi  mamaivâinsah  tathâ 
grâhyam  visesato  vivicyamânam  mamaiva  Aaktiprasara  ity  âha 
dyâvetyâdi  (Schol.). 

III.  5.  Is  tirodhe  a  mistake  for  tirodhaii  ? 

III.  9.  Bhânam=  aham  iti  pratïtih.  Tatra  =  jùâtrjùânâtmani. 

III.  12  a.  Catustayânuvrttir  mamâkramatvam  (Schol.).  Puac- 
tuate  after  me  3i.ndjnâtrâdyam. 

12  b.  Jnâtâham  ceti  jiiânam  saktis  ceti  jneyântaram  ceti  tritayam 
jùeyam  eva  (Schol.).  Punctuate  after  opi. 

III.  14.  Jnâtâram  mâm  prakâsarûpam  bhâvayata  ity  anena 
bhedabhramâpagamalaksanâ  siddhir  bhavati,  saktijùânayor  abhe- 
dabhâvanâdârdhye  tadabhedajùânarûpâ  siddhih,  atah  sarvatrâau- 
vrttatvâa  madvaj  jùâtety  (v.  12)  api  siddham.  Tritayâtraakain 
punàh  jùeyam  tathâ  bhâvayatah  tat  trayam  tac  ca  vedyasya 
prakâsajiàâtrbhyâm  saktijùâuâbhyâin  vedyâûtarena  ca  sahasthityâ 
yo  'yam  mûrataro  bhedabhramo  bhavati  tasya  samûlonmûlanarûpâ 
siddhih  (Schol.).  The  second  half-verse  is  unmetrical  and  appa- 
rently  corrupt, 

III.  15.  Bhogâyatanabhogyâdyritmakam  vedyam  svakramasid- 
dbâin  vittim  anupravisat,  ato  naiva  viseso  hi,  nirâkâratayâ  dhiyâm 
iti  nayenokta  upâdhitâdrûpyam  âpadyamânam  vedanam  anupra- 


308  LE    MUSÉON. 

visati,    grahanakautukakoparasâd    indriyavyâpâranivittau     pïtam 
jùânam  marna  jnâtam  iti  vedacàtmakam  âpadyate  (Schol.). 

III.  16.  °hhàsaka}h  in  ms.,  corrected  °hhàsanah.  The  Scholiast 
evideatly  read  santànàntaravahe,  probably  rightly  :  he  remarks  : 
DÏlasaùkalpavikalpasantâQasamaaaataram  pïtasaiikalpavikalpâ  lau 
santâae  vahati  sati  vyâvrttabhâsanah  jnâtâ,  kramikali  DÏlâvabLâ- 
sakah,  pïtâvabhâsako  'smîti  parampara  ....  rïipenâvasthit(o  ?j 
grahanatvàd  grâhakakramavân  :  yadâ  cettham  kramavattâ  tadâ 
câsau  jïvâkhyah  vastutah  si(ve?)  sato  'svajïva  iti  samjnâ  :  atah 
paraprakâsasya  yogât  madvat  syâd  akramâbhâsah. 

III.  17.  Anusamhati  =  pratyabhijnâ.  The  first  tad  =  smrti,  the 
jagad  idam  =  anubhava,  and  the  tad  idam  is  pratyabhijnâ. 
Apohanena  mithah  =  mitho  vyâvartanena. 

III.  18.  Yady  akramikas  ca  sarvâQusandhâtâ  prakâso  nâbhyu- 
pagamyate  tadâ  kramikâbhimatam  tat  etad  ityâdi,  apabhittikam 
citram  âpadyetety  atah  (Schol.).  Punctuate  after  hhânam  and 
arthasya  :  so  =  annhhava,  and  supply  hhânam  with  arthasya. 
The  dvau  =  sahitau  smrtyanubhavau. 

III.  19.  Prabuddhasya  pratïtiprakâro  'y^ni  (Schol.). 

IV.  1.  Prabuddhakalpasya  pratïtiprakârah,  says  the  Schol., 
who  aiso  gives  the  glosses  hhavinàm  =  hhedaprafUis  tadvatCim, 
bhavapadinâm  =  yesàm  bhavo  nâsti  tatsamsTiârarûpani  rartate, 
and  vidyâ  =  pramâtâ. 

IV.  2.  Anuh  =  aprajnâtasvasvarïipah. 

IV.  3  b.  Bhavâbhavasamskâravân  svasarïrakalanayâ  dvairûpyena 
pasyati  (Schol.).  3.  a.  is  unmetrical. 

IV.  4.  The  Scholiast  glosses  pade  by  ahamâtmake  svarupe^ 
and  dréâ  by  vimaréayuldya.  Unmanâ  seems  a  new  word  ;  the 
Scholiast  remarks  :  —  svasvarûpâvasthitir  eva  unmanâ  ;  unmanâ 
sa  tu  vijneyâ  mano  yatra  vilïyate  (a  quotation). 

IV.  5.  On  drdha"  the  Scholiast  remarks  :  —  bhedabhramasaras- 
kârâpagame. 

IV.  6.  Devatâ  hariharasvarûpâ  (Schol.). 

IV.  7.  The  Scholiast  reraarks  :  —  dhâranam  prthivyâh,  sam- 
grahanam  apûm,  vâyor  vyûhah,  tejasah  pâkah,  apratighâtah  âkâ- 
sasya  ;  vyfihah  avayavasannahanam. 

IV.  8.  Asmilâ  =  ahamkârah.  Âvrkte  is  written  with  a  short  a. 
Over  dhrta"  is  written  dhrtâhamkàrah. 


The  Virûpàksa-PancâsikCi .  309 

IV.  9.  Kaler  is  barbarous.  Gulm  =  maya.  The  last  words  seem 
corrupt  ;  the  scholion  is  tadvad  ihj  anena  tat  harmety  anuhrsyate. 

IV.  10.  Bhûfàtmayogajam  is  glossed  by  pahcabhùtadhàmno- 
dbhavam,  ârse  by  itihàsâdau  MstroJctaii,  vaiévàtmyam  by  bhùta- 
pancakàtmakaprapancarûpani. 

IV.  11.  Construe  édktim  paiu  sniara  (cf.  Isa  Upanishad  17). 
Faéoccayasya  is  glossed  by  sadadhvalaksanasya. 

IV.  13.  AdhiMram  is  explained  as  svargasyàham  adhlpatir  iti 
ptaAusvarûpagopàlalaksanam  ;  see  the  Spanda-kârikâs  45.  The 
verse  is  unmetrical. 


ADDITIONAL  CLASSICAL  PASSAGES 


MEiNTfONING 


ZOROASTER'S    NAME 


In  fhe  collection  of  passages  from  the  Greek  and  Latin 
autliors  who  allude  to  Zoroaster,  prepared  by  me  in  181)1) 
as  the  fifth  appendix  to  Jackson's  Zoroaster  :  The  Prophcl 
of  Ancient  Iran,  pp.  ^226-275,  l  naturally  cndeavoui'od  to 
make  niy  list  as  complète  as  possible.  Slnce  that  timc, 
howcver,  a  number  of  i-efeiences  then  unknovvn  to  me 
bave  eitber  been  found  by  me  or  bave  been  brought  to  my 
attention  by  othei'S.  I  propose,  therefore,  to  jtresent  this 
additional  material  as  a  supplément  to  my  woi'k  in  tiu; 
volume  already  mentioned,  following  tbe  airangement 
whicb  I  there  adopted.  It  cannot  be  pretended  that  the 
allusions  hère  cited  give  any  additional  information  con- 
cerning  Zoroaster,  for  they  are  merely  répétitions  and 
amplitications  of  the  statements  of  the  carlie)*  classical 
writers.  They  are  not  altogether  devoid  of  intcrest, 
howevei',  since  they  show  the  continuance  and  accretion 
of  legends  in  the  Graeco-Roman  world  regard ing  the 
Iranian  prophet. 


512  LE    MUSÉON. 

Dioskorides 
(A.  D.  Second  Century) 

Materia  Medica  II.  144  :  MaXà^Tj  xt,to!jt/i,  ['PwfjLawt,  ii.yl[ioL 
ôpTSvaiç,  IIu.Sayôpaç  àv3ep.a,  Zwpoâo-xprii;  BiâSeo-pia,  X'IyÙTz-cio'.  ^wxop- 
T'/iv,  Ttpo<p7(Tat.  aîybq  <jTzkr\y,  o'i  ùï  oûpà  p.uo;j  è5(0ûi|Jict)Tépa  {jiàXXov 
TY^ç  yspaataç. 

V,  17d  :  Ko)^ox'Jv5iç,  oL  oe  xoXôxuv^a  atlyoç,  ol  ok  o-ixûav  Tiupâv, 
ol  ok  xo)vôxuv3a  àXe^avopiv/^  |  Zojpoâo-Tp'ri;  3'û[j.|3pr|,  'OT^àvr,c;  aÛTO- 
ysviç,  'Poifjiarof,  xo'Jxo'Jp[jf,Ta  o-'Aj^àTua,  Aaxol  TOUTao-xpa],  x).T|[j.àT',a 
xal  (^'JWt.  éa-xpto}ji.éva  £7tl  tyJç  yT,ç  àviyiTt.v. 

Greek  Papyrus 
(Pi'obably  between  Third  and  Fourth  Century  A.  D.) 

(Leemans,  Papyri  Graeci  Miisei  Antiquarii  Publici  Lug- 
diini  Batavorum,  Leiden,  1885-1885,  vol.  ii.  pp.  154- lo5) 

9     wç  o'ev  rri  izpoç  ^Qyov  [iccuôdy.  Tipô; 
cpwvoûfjievov  "Ay.ov  ïl,  Ûtio  Sf-r\ 
Upoypa[jij;LeT£(i)<;  •  Ne^pioiJLafo, 
Map'j^a-^5a,  y^apiap,  Za^5,  ©apvtji, 

O'JTio-taXwp,  TÎTTj,  ea-^,  lawTjÇ, 
15     Zea^e,  aaa,  -/^eou,  0w(3appa[jOL». 

év  ok  Tor?  Eùt.vou  'ATTop-vripiov- 

eîiij.ao-!,v,  è  Aéye!,<;  Tiapà  toCç  Xiyon-:ioiq 

Hûpo'.ç  cpwveÙ7,S-at  •  y5e5wv'.. 

wç  Zwpoào-TpTjÇ  6  IIÉpTri;  •  E 
20     pv!.(70'apt{;u'^t,(7(7ap.  w;  ok  ev  xo~.q 

[lu^pou'Ç^ix,  aaaa,  eee,  B[i[7.w£a, 

Av(jt.ii)w(i),  wç  ok  Mwuaïi(;  ev  vt] 

Ap^^eyyeXu"^  AXoai^aw, 


ZOUOASTEll's    NAME.  513 

25     PtJ^iar,,  Qxewv,  Ilveo,  Mewu({j, 

wç  Se  év  Tw  Nôpitj)  SiaXeûerai.  'A[3- 
pa'.TT'/  'APpaâfi.,  'lo-àx,  'laxwjS,  xriw, 
•^(oa,  wari,  t.eou,  (.e-^,  leo,  law, 
30     l'y.,  'f\'^,  OLO,  eri,  oe,  ew. 

Greek  inscription  at  Cyrene 

(Gesenius,   De  Inscriptione   Phoenicio-Graeca  in   Cyrc- 
naica,  Halle,  1825,  pp.  13-14) 

c7'jvY,s,   zi<^''rc>'fi  Te  TsAsia  toTç    toO   tu'^)vOÙ   o'fkou   èx)vexTori;    âyaSo^ç 
àvôpâfnv,   oO;  ZapâoY,;  te  xxl  IIuÔaYÔpa;,   twv  lepocpavtwv  àpt-TTOt, 

XO'.V^  UU[J.j3l.WT£!rv  o-'jvîevTO. 


6(00,  Kpôvoç,  ZwpoaTTpYiç,  IluÇlayôpai;,  'ETiîxoupo;,  MaaoâxT,?, 
'Iwâvvrji;,  Xpiaxôç  xe  xal  oL  Tiji-érepo!.  Koupavauot,  xa6Y|y^Tal  a-'jiji.Œ)w- 
voiÇ  êvT£XX(i)3-t,v  TiptïTv,  jJLYiôsv  o''xs',o-o(,erT9a!,,  Toîi;  û£  vô|jio'.;  àppT,ye'.v, 
xa',  T7,v  7rapavoja.{av  xaTa7roXeiJ.£rv.  to'jto  yàp  •Ài  ttiç  o'.xa'.OT'JVY,;  "YiyY',, 
toÙto  tÔ  [Jiaxapîwç  £v  xo'.vy,  (:^r,v, 

Proklos 

(About  A.  D.  450) 

Proclus  in  Rempublicam  Platonis  (éd.  Rudolf  us  Schooll, 
in  Anecdota  Varia  Graeca  et  Latina,  éd.  Rud.  Sciioell  et 
Guil.  Studemund,  Berlin,    1880,  vol.  H.  pp.  29,  14-16; 

éd.  Kroll,  vol.  ii.  p.  59)  :  ol  o£  -£pl  nerôaeipw  AiyÛTiT'.o'.  xal 


314  LE    MUSÉON. 

Zwpoào-TpTiÇ  S'.aTeivov-at.,  xal  nToX£[ji.at;oç  àpÉTxeTa'.,  rViV  [jiev  TTropiar^v 
wpav  yiveo-^at  eîç  <Te)vTiVTiÇ  tÔttov  tov  êv  xar?  à7ToxuT,Tea-L,  ty,v  oè 
(y7rop({j.-^v  <TeX-/ivY,v  e''(;  tTjV  woav  rTiç  exTsçewç. 

Ibid.,   pp.   59,    28-60,  22  (éd.   Kroll,   pp.    109-HO)  : 

àXX'  où  ijcévro'.  to»,,  'f,v  oè  évo'),  'AXxivou  ye  à-ôXoyov  ipw,  âA)/ 
â).x'![xo'j  uev  âvopôç,  'Hpô;  toO  'Ap|j.£v{ou,  tÔ  yévo;  IlajJicp'JAo'J  (l). 

Ta;  -£pl  tÔv  tottov  to'jtov  twv  -pô  y,[ji.wv  O'.a'iopà;  xal  ypa'^'.xàç 
O'.a(77pocpàç  5aujJiâ(Te!.ev  av  t',;.  ol  piev  vàp  où  tÔv  ^Hpà  '^a7i>  civa'.  tÔv 
TtaTÉpa  TO'j  [i.û5o'j  TOjSe  Tiavrôç,  àXXà  Zojpoâ.TTpriV,  xai.  w;  xoOSe  toO 
o'vôpiaTo;  £yx£!.|jL£V0'J  TY,v  ypacpYiV  £X0£0wxaa-'.v,wa-7î£p  xal  à  'Eîcuo'jpE'.oç 
KcoXwTY.ç,  o\)  xal  TTpôxEpov  £|jLVT|a5r,(jL£v.  xal  aÙTo;  £V£T'jyov  Zwpoâ.T- 
Tpo'j  |j'.|j),'!o'.ç  TETpaT'.  Il£pl  o^ûa-Eco;,  tov  tÔ  TTpooiu'.ôv  £77'/  Zwpoà^rp-^ç 
ô  'ApijLEvio'j  nâ[JL'^'jÀo;  xâoE  )v£y£'.,  ôs-a  t£  ev  ttoXejjlci)  TEÀ£'JTr,a-a;  Tzapà 
5EWV  Eoâr,  xal  oVa  éx  xfjç  oXXt];  lorxopiaç.  £v  ô£  [aetoi;  aùxor;  Ttpôç 
Kùpov  Tcpoo-'iwvwv  Sv^Xô;  éo-x'.  xôv  ^y.n^Xiy.'  x'!va  ok  xov  Kjpov  où 
o'.y.'jy.'zzl.  Twv  Oc  Èvxaù.S'a  Aevousvwv  oùoEvô;  ett'  o'vô'j.aTo;  |j.£av7,xat,, 
tîXy.v  xy.ç  AvâvxY.c"  -'y.'jTrcj  o£  s'-va'.  xôv  àioa  'j;y,7'!v.  àTXEOoXovtxwv 
5e  £7X',  .S-£a'j.âxwv  xà  3'-3À'.a  véuovxa"  xaî  tto'j  xal  àvxOiyE'.v  oox£r 
-pô;  XY,v  £v  HoX'.x'.xw  [p.  269  e]  àvaxùxXY.T'.v.  wtx'  aOY.lov  £•'  aTiô 
xouxoiv  o'jxo;  6  M-ù.S'o;  ïi'/t  xy,v  y.(Sopu.ry,  xal  £>'  Ztoooa.TxpY,;  àvxl 
xo'j  'Hpô;  ÈyÉypa-xo  £v  xo-Tç  àvx'.ypâ'^o'.i;'  -Xy.v  ox'.  xôv  y.aiov  ÈxE^va 
ti.£(70V  O'.OE  xwv  — XavY,X(i)v,  ô  0£  xôv  [j.'j.S'ov  xoùxov  aocov  'JTTcC  itKryr^^ 
EÙ5Ù;,  oY.AÔv  io-xiv  xor?  i'/.i\yy.  xe  e''oÔt!,v  xal  xoùxwv  àxcoaTa^jLEvo',;' 
(b-Tx'  oùx  av  h  riAâxwv  àr:'  exe'Ivwv  e'Iyi  xÔvOe  xôv  [j.0.rov  o-jvi-Ei;.  ol 
Oc  xôv  ^Hpa  UEV  h'^rt^/,'jyo'j7<.  yEypàcp.Sa'.  xal  Zwpoâ7xpY|V  xoùxo'j 
yEVET.Sra'.  o'.oà'jxaAov,  wo-TZEp  KpôvLo;,  xôv  ïlâui'^'jAov  xô  ysvo;  x'.và 
xpoTTOv  xw  ZwpoaTxpr,  o-jvE'lpovxEç  (eÎ  UYi  àpa  où  xw  HÉpTY,  oalev  av, 
aAAà  xw  HajxcpùXw,  xoùxo)  oy,  sxsivw  où  xor?  Tzspl  cpù^Ew;  E'I'Trop.EV 
Q'.p'kioïc,  h-uytv*y  ol  os  'Hpô;  jlôv  E 'j|ji.al(ova  xôv  o'.Y,yoù(j.cvov  ypâ- 
cpovTEç  xal  ô'-w;  xô  'e;y,ç  àvs'j  ap.rpo'j  l'jvxâçwT'.v  xwoe  xw  o'vô|j.ax!, 
XÉyE'.v  oùx  È'yovxEç,   oùx  e''w.S'ôxwv  xwv 


(1)  Plato,  Resp.  614  B  ;  comp.  Bergk,  Griechische  Literaturgeschichte, 
iv.  429,  note  52  :  «  In  der  Erzahlunff  vom  Er  Pampliylus  zeig^t  sich  doch 
woJil  eine  gewisse  Bekanntschaft  mit  der  Lehre  des  Zoroaster  ». 


I 


zouoaster's  name.  515 

Y£V',xV,v  -T(JT',v  Toù;  —aTspa;  T'jvâ-TS'.v  O'.  ok  oùx  'Âsv.îv',ov  tov  -y.-zéoy. 

'iâa-xovTc;,  ctAAà  o'.à  .by-ioo'j  twv  uDy/ibr^  'Ao'jlÔv.ov.  T^'.y.oov  T',  -sol 
I  '  >  1  r   /,  Il  'il  1 

70    ovoua    — Ar,a'j.îA0'Jv7£;    (xy.l    s'jioaôv    xal    o'jto);    èv    toC;    ;x£'!vo'j 

l  Ml  V  II  ^  ^ 

Zwooâ-jTpo'j  S',,3''^',ci!.;  ApuciV'.ov  Tov  -aTJoa  v£voau'jt.ivov)'  o'iox  ok  i*'w 
I  I        I    I         ^11  I      i    i I    I  I  '  I 

T'.vaç  xal  'Apti.£V'.ov  tov  ^Hoa  o£yo|j.£vo'jç,   oO;  ÈocoTàv   Zzî,   -w;  tov 

'ApjjLÉv'.ov  llàfJi'^uAov  E'Ivai  cpï.g-'.v  to  yÉvoç'  £>'  xai.  r,|jLrv  àv£0£;  a'-ooiTo', 

toOto  6— £Aa|3ov,  0£Ôowpov  ÀÉyw  tov  'A^'.varov. 

Ibid.,    éd.    Kroll,    p.    54  :    ot-.   xài.  ZwpoàTTpT.;   ;j.apTjp£'7  7r, 

yavÉo-e'.  Twv  £— Taui.r,vwv  —po A^yE'-v  zot£  i— Tâp.Y,vov  Èa-Tat,  0!.ôâçaç,  AÉyîi 

yàp  O'JTw;'  al  xarà   7Û'/oooy   'r^io'j  xal   t£)vY,vy.;  v£vÔ!i.£va'.  T'j)>A/|'ii£'.; 

£V  -avTEXy'iVO'.;  -owjvTa'.  rà;  à7cox'jY|'j£',;"  al  ok  xa^à  TcavréXrjVOv  £v 

a-Jvôoo',i; •  xal  o'.yo[j.7,v'!a',;  ok  yiyvovTX'.  à-ox'jA,7£',;,  à-o  TJvoo'.x/p  'j.kv 

auAÀritJ^EWç  a'J;avo;j.£VY,;   a-£),r,VY|;   £v   tw   avTw  i;^o)0'!(o,  -ava-£).Y,v'.ax-7p 

ok  [ji£',o'j|j.£vri;  (o',yo[j./,v{a;  ok  A£y£'.  ràç  o'.yoTO'jiO'j;).  al  ok  iv  o'/you/,- 

V'!a',(;  a-'jAAy, '!/£'.;  ayo'jT'.  Ta;  àT:ox'JT,7£'.;  a'j;ôa£va'.  jo-kv  £'';  7Tav7£AY,vov, 

[j.£',0'jy.£va'.  ok  £'.';  7'jvooov  al   ok  'j-iny.'.  twv  '7'jv[ôowv  xal]  ov!>0'ji.Y|V(ov 

xal  7:av7£).Yv[wv xa]TaAa|J.|jâv£'.   rôv  Yj1'.[ovJ   tÔtî    ulev    [kv    tw 

à'jTw]  ^(oolw,  [tÔJt£  ok  £v  TÔi  k^Yi?,  £v xa-r'  y-oyy.^  to'j  Î^ioo{[oj. 

0T£]  ok  fi  y£vop.£VY,  xaTa)a[j.,3âv£'.  aÔTOv  £v  -w  xkXe'.,  yyr^  to'jto  tyi^eCv, 

— ô-£  Yj  7tkryr\  ojo  — o'.EÏra'.  TyY.iJLaT'.TjjLO'j;,   olov  O'jo  t-jvooo'j;  kv  kvl 

u.Y,vl  £v  Toj   a'JTfo   !^o)o{oj'  ~6~ô  vào   'z7z~y.'j.ryoy  ~'o  y',"'vÔ'ji.£vov.    kv  (o 
I    '  1  I     -  É      1  11  i    '  i    I      I  . 

yàp  TcpwTw;  kcpâv/^  teXe'.oI  tÔ  Sok'io;*  o  ok  -ûOT£Aâu,jav£v  tw  ooo'jko 
lit         ^     i       '  iii^  I  il  itii 

TOO  YiAIo'J,   ToOtO   Û— £T£|JLV£T0  TO'J   £V  TYj  "aTTol   ypôvOJ. 

Zosimos. 
(A.  D.  Fifth  Century) 

7:£pl  o'pyâvojv  xal   xa;ji(vu)v   yvY.T'.a  •j-Oji.v/.jj.aTa'  -Epi  toO  Q  ttO'.- 

y£'!o'j  (Bertholet  and  Ruelle,  Collection  des  anciens  alclic- 
mistes  grecs,  Paris,  1887,  vol.  ii.  p.  229)  :  ô  o£  'Ep'^/j;  xal 
0  Zwpoâ'3TpY,ç  tÔ  cp'.Aoaôcpwv  ykvo;  àvo!)T£pov  tvj;  el|j.aptji.£VYi;  e'I-ov, 
Tw  [J-Y,T£  TY,  E'joa'.uovla  aÛTYj?  yaipE'-v,  y,oovwv  yàp  xpaTOÙTt,,  |jiy,t£ 
Tor?  xaxov;  aÛTYp  |jâA).£a-.Sa',,  TcâvTOXE  ÉvauXiav  àyovTEç,  jjiYiTE  ta 
xa).à  Swpa  -ap'  a'JTY^ç  xaTaoe'^ôjjiEvot,,  eteÎtcep  £(!;  Ttkpaç  xaxwv  j5i)i- 
TTOuaiv 


516  LR    MISI^ON. 

èvo-ojaou   '-ppxTeo);   '.pâTxsi,    à-oa-Tp£Çi£a-.Sa!.  Trâvxa  xv];   £l[j.apij.ivT,;    Ta 
xaxà  xal  jjisp'.xà  xai  xa,^oXuâ. 

Ecloge  Historiarum 

(A.  D.  Ninth  Gentury  ;  see  Rrumbacher,  Gescli.  der 
byzant.  Lit},  p.  595) 

[Anecdota  Graeca  Parisiemia,  éd.  Cramer,  vol.  ii,  p.  175, 

4-11) 

tÔt£  xal  Nîvo;  jSaaOvEÙç  'Aa-Tup{wv  xt(J^£'.  t:Ô).!.v  NiTvov,  xal  àcp' 
Éa'JTOÙ  Tr,v  ~poa-r,vop(av  È'Beto,  tt.v  TcâXa»,  x)vT,0£ra-av  N'.vs'jI,  y,v  to 
TcâXa',  wxoÔô[Ji.T,a-£v  ô  'ÀTO'jp'  xw  os  ypôvw  cpOapEiTa  o''x!!i;^£Ta',  £v  To;,; 
7ïpox£'.pL£vo(.;  ypôvot.;,  xaO'  oOç  ZwpoàT-rpo;  6  [i-âyoç  BaxxY.pûov  [^aTt.- 
Xeùç  ÈYvwpi^ETO,  £'^'  ov  êTTpàT£ua-£  NITvo:,  O'j  p.£T'  oAiyov  i!£[j.(pa[^!,(; 
N{vo)  (Tijvot.xTiTaTX,  Ta  T£'//Yi  [J.£ya)v0'-p'j{ô;  £TX£'jâ7aTCi,  TÔT£  xal  Kp-V.c; 
aÛTÔyOwv  (3aTi,X£Û£i,  irpwTOç  tvjç  KpYiTTjÇ,  à/f   où  xal  -Âi  -poa-Y,yop{a. 

Rabanus  Maurus  (  0 

(Died  856) 

(Ed.  Migne,  col.  422) 

Magoi'um  piimus  Zoroaslres,  rex  Bactrianoruin,  quetn 
nimis  [Ninus]  rex  Assyriorum  praelio  interficit.  De  quo 
Aristoteles  scribit  quod  uicies  eentum  millia  uersimm  ab 
ipsocondita  iudiciis  uoluminum  eius  declarentur. 

Hincmarus  Rhemensis 

(Died  882) 
(Ed.  Migne,  col.  718) 
Haec  autem  uanitas  magicarum  artium  ex  traditione 


a)  Tliis  référence,  like  the  one  foUowing,  was  called  to  my  attention 
by  Dr.  Justin  H.  Moore,  of  the  Collège  of  the  City  of  New  York. 


zoroasteh's  name.  517 

aiigelorum  inaloruin  in  toto  tei'i'aniin  orbe,  auctore  Zoro- 
astre  lege  Bactrianoruin,  quein  Ninus  rex  Âssyriorurii 
praelio  interficit,  et  propagatore  Democrito,  plurimis 
saeculis  ualuit. 

Petrus  Gomestor 

(Died  1178) 

Hist.  Schol.  Lib.  Genesis  XLVH.  (col.  4095,  éd.  Migne)  : 

Abram  peritus  astrorum,  in  quibus  etiani  secunduni 
quosdam  Zoroastren  niagicae  artis  inuentoreniinstituit  (i), 
nouerat  quod  intempéries  aeris,  quae  fit  ex  eleuatis  uel 
depressis  planetis,  semper  usque  ad  quinquaginta  annos 
ad  temperiem  redeunt,  et  quod  uidit  fieri  in  astris  uidit 
inriitari  in  terris. 

A  référence  to  Zoroaster  may  alsô  be  contained,  as 
Mr.  George  Haniilton,  of  Ann  Arbor,  Mich.,  writes  me, 
in  the  commentary  on  the  Tliebaid  of  Statius,  vi.  558, 
attributed  to  Lactantius  Placidus  :  Sed  huius  tractatus 
secretae  philosophiae  magna  laus  Persis  debetur,  quod 
apud  eam  gentem  horum  secretorum  primum  ratio  habita 
est  [uel  Perses  scilicet  ille  magnus  praeceptor  huius 
philosophiaej.Finally,  it  may  be  noted  that  in  the  inters- 
cenium  of  the  Comocdia  Josephi  by  Aegidius  Hunnius 
(first  édition  at  Strassburg,  1597  ;  reprinted  by  Eduard 
Schroeder,  Marburg,  1898)  Zoroaster  appears  as  one  of 
the  «  magi  septem  »  attendant  on  Pharaoh,  the  others  being 


(1)  This  tradition,  as  weli  as  tlie  le^end  whicli  connects  Zoroaster  with 
Ninus,  four.d  its  way  into  late  Hebrew  literature  (see  Gaster,  ChronicJes 
of  Jerahmeel  ;  xxxii.  4  [p.  TO]»  xxxv.  4  [p.  78],  a  work  of  the  fourteenth 
century). 


518  LE    MllSÉOK. 

Hermès,  Budda  (sic  !),  Zamolxis,  Dainigei'on,  Thespion, 
and  ni[p|)|ai'('liiis.  When  ealled  in  hy  Phai'aoh  lo  inlerpiol 
lo  liini  liis  })ei'plexini;  dreani  (conip.  Gen.  XLI,  8),  Zoro- 
aslei',  the  firsl  of  the  niagicians  to  speak,  asks  i'ov  two 
nionths  in  which  to  considei*  the  meaning  of  the  vision, 
this  space  of  time  being  longer  than  that  requested  by  any 
of  the  otber  «  niagi  ».  The  metamorphosis  ofthe  [irophet 
ofiran  into  an  Egyptian  magician  shows  strikingly  how 
completely  ail  real  knowledge  of  him  was  lost  in  Europe 
durinii'  the  Middle  Aiies. 

Louis  H.  Ghay. 
Newai'k,  New  Jersey,  Sept.  1907. 


LE  MESSIANISME 

DES 

PARABOLES    D'HÊNOCH. 


I 


Les  Paraboles  d'Hénoch  ne  forment  pas  un  ouvrage 
homogène  et  qu'il  faille  attribuer,  en  dernière  analyse,  à 
un  seul  auteur  (i)  :  elles  sont  plutôt  un  groupement  d'écrits 
s'inspirant  tantôt  des  mêmes  traditions,  tantôt  de  tradi- 
tions diverses,  œuvre  de  plusieurs  mains  —  et  nous 
avons  cru  pouvoir  distinguer  au  moins  deux  d'entre  elles, 
—  qui  s'est  ainsi  constitué,  et  auquel  on  reconnaît  une 
unité  relative,  si  on  le  compare  seulement  à  l'ensemble 
du  livre,  à  cause  des  préoccupations  eschatologiques  et 
messianiques  qui  sont  les  siennes.  Cette  composition  par 
morceaux  de  notre  Apocalypse,  les  idées  qui  inspirent  ses 
différents  auteurs  et  ont  pu  se  développer  sous  des  influen- 
ces étrangères  diverses,  font  penser  déjà  qu'il  y  aura  plus 
d'une  divergente  à  noter  dans  les  détails  qui  seront  donnés 
sur  le  Messie.  Comme  il  en  faut  venir  maintenant  à  juger 
du  portrait  de  ce  grand  personnage,  nous  ne  nous  attache- 
rons pas  à  distinguer  —  et,  du  reste,  pourrait-on  le  faire, 
puisqu'ils  sont  tous  confondus?  —  les  traits  qu'ont  esquis- 
sés ceux  qui  .se  sont  mis  à  cette  œuvre,  si  ces  traits 
concordent  entre  eux,  mais  nous  relèverons  les  coups  de 
crayon  donnés  en  sens  divers  par  les  auteurs  de  nos  docu- 


(1)  Cf.  Muséon,  N.  S.  1905,  pp.  129-139  ;  1906,  pp.  231-248  ;  1908,  pp.  27-71. 

20 


320  LE    MLSÉON. 

ments  I  et  II.  Enfin  on  pourra  juger  de  l'ensemble  en 
comparant  ce  portrait  du  Messie  à  ceux  que  nous  avons 
envisagés  déjà,  qui  se  trouvent  dans  les  parties  anciennes 
d'Hénoch  et  dans  les  Psaumes  de  Salomon. 

Le  chapitre  XXXIX  nous  montre  le  voyant  enlevé  d'ici- 
bas,  transporté  au  bout  du  ciel,  et  contemplant  dans  son 
ravissement  les  élus  qui  séjournent  avec  les  anges,  et  le 
Messie  qui  habite  avec  les  élus.  On  aimerait  avoir  des  ren- 
seignements sur  le  temps  auquel  cette  vision  se  réfère, 
puisque  un  homme  gratifié  d'extases  célestes  comme  le 
Patriarche  ne  connaît  plus  aucune  limite  d'espace  ni  de 
temps  qui  arrête  sa  vue,  que  le  spectacle  dont  on  fait  la 
description  peut  cori'espondi'e  dès  lors  à  une  réalité  cachée 
déjà  existante  ou  devant  exister  seulement  plus  tard.  C'est 
l'avis  de  Charles  que  notre  chapitre  XXXIX  raconte  une 
vision  du  royaume  messianique  à  venir  (t)  ;  mais  l'autorité 
du  savant  auteur  n'a  pas  rallié  beaucoup  d'adhérents  à  sa 
manière  de  voir,  et  cela  se  comprend  assez  (2).  Si  les  anges 
et  les  élus  qui  sont  en  leur  compagnie  prient  encore  pour 
les  fils  des  hommes  (v.  5),  c'est  donc  que  pour  l'instant 
il  y  a  des  hommes  qui  ont  besoin  que  l'on  prie  pour  eux, 
et  l'on  nest  point  encore  venu  au  siècle  nouveau.  Sans 
doute,  le  Messie  se  trouve  entouré  de  «  tous  ses  justes 
et  ses  élus  »  ;  mais  cette  locution  du  vers.  7  n'est  point  à 
considérer  isolément,  et  il  faut  tenir  compte  du  contexte. 
Or  il  ne  parait  point  qu'il  y  soit  question  de  tous  ceux-là 


(1)  The  vision  liere  set  fortli  is  prophétie,  but  there  are  many  difFicul- 
lies  in  Ihe  interprétation  wliich  we  can  surmount  only  by  bearing  in 
minii  that  what  we  hâve  hère  to  deal  with  is  a  vision  of  the  future  Mes- 
sianic  Icingdom,  and  that  we  must  not  press  the  détails  ;  for  in  this,  as  in 
visions  frequcntly,  there  is  no  exact  observance  of  the  unities  of  tinie  and 
place.  P.  115  sq. 

(2)  Cf.  Baldenspergcr  144,  Dahiian  107,  Béer  259,  Volz  15,  Martin  83,  etc. 


LE    MESSIANISME    DES    PAUAIJOLES    d'iIÉNOCII.  521 

qui  seront  sauvés,  mais  plutôt  de  «ces  innombrables  justes 
élus  qui  brilleront  à  jamais  devant  le  Messie  »  (6),  et  ceci 
encore  est  une  mention  plus  fortement  accentuée  des 
«  justes  »  inti'oduits  au  vers.  4.  Depuis  le  début  du  chapitre 
et  jusque  là,  il  y  a  donc  une  gradation  de  termes  qui  laisse 
supposer  plutôt  un  procédé  littéraire  :  «  tous  les  justes  et 
élus  ))  du  vers.  7  sont  les  membres  de  «  cette  comnmnauté 
mystérieuse  »  mentionnée  au  chapitre  XXXVIIl,  et  qui, 
pour  l'instant,  était  bien  cachée  au  ciel,  puisqu'elle  devait 
apparaître  déjà  constituée  avant  le  jugement,  c'est-à-dire 
avant  le  début  du  siècle  nouveau. 

Des  renseignements  précieux  que  fournit  le  voyant,  il 
résulte  donc,  qu'au  bout  du  ciel  (i),  se  trouvent  présente- 
ment cachés  une  église  déjà  constituée,  le  Messie  et  le 
Seigneur  des  Esprits  :  il  est  évident  que  c'est  au  ciel 
encore  (2)  qu'Hénoch  put  considérer  les  deux  personna- 
ges majestueux  dont  description  nous  est  faite  en  XLVl. 
Par  Daniel  VU  9'^  nous  connaissons  parfaitement  l'un 
d'eux  :  «  Celui  qui  (avait)  une  tête  de  jouis  et  dont  la  tète 
{était)  comme  laine  blanche  »,  est  Dieu  même,  le  ".""JV  p'":? 
du  Prophète.  «  Avec  lui,  (se  trouvait)  un  autre,  à  la  figure 
comme  vision  dlwmme,  et  pleine  de  grâce  {était)  sa  figure 
comme  l'un  des  anges  saints  ».  Si  l'on  rapproche  tout  de 
suite  ce  personnage  du  mystérieux  Fils  de  l'homme  de 
Dan.  VII  15,  il  convient  de  remarquer  cependant  que  la 
formule  de  précaution  Kama  reejât  correspond  plutôt  à 


(1)  Hilgeufeld  (Jûd.  Ap.  165)  me  semble  avoir  assez  bien  entendu  la 
localisation  ici  pioposée.  C'est,  nous  dit-il,  un  lieu  «  der  zwar  nocli  niclit 
zum  Himmel  selbst  geliôrt,  aber  doch  schon  in  die  Grenzen  des  Himmels 
und  der  Krde,  oder  in  die  Mitte  zwischen  ihnen  fàllt  ». 

(2)  Eth.  :  ba-heja  —  ce  qui  reporte  à  un  texte  antérieur  que  nous  pour- 
rions bien  ne  plus  posséder. 


522  LE    MUSÉON. 

Daniel  X  16,  18  D'ï^  "  ^DH  nrjis  (vers.  i8  n&^^^JS),  et 
qu'enfin  le  terme  «  homme  »  est  traduit  simplement  sab'e. 
Or  ce  dernier  mot  s'entend  de  l'universalité  ou  de  la  col- 
lectivité des  hommes,  et  il  rend  bien  l'hébreu  "jiî^— :n  ;  son 
emploi  pour  désigner  un  individu  en  particulier  est  plus 
rare,  et  il  se  rapproche  moins  de  l'araméen  irDX""H  (i).  Si 
l'on  pouvait  s'appuyer  sur  ces  bases,  et  avoir  confiance 
dans  l'exactitude  de  la  traduction  que  seule  nous  avons 
entre  les  mains,  l'on  croirait  volontiers  que  l'original  se 
rappi'ochait  plutôt  de  Daniel  X  que  de  Dan.  VII.  Une 
chose  est  certaine  :  l'auteur  voulait  faire  remarquer 
que  le  personnage  de  la  vision  était  homme  extérieure- 
ment, par  son  apparence.  Il  y  avait  donc  quelque  motif 
de  le  distinguer  de  ceux  qui  sont  hommes  en  réalité  : 
peut-être  l'auteur  suppose-t-il  que  cet  être  mystérieux  a 
plus  de  rapport  avec  les  anges  qu'avec  les  hommes,  puis- 
que, dans  la  suite,  il  ne  juge  pas  nécessaire  de  reproduire 
à  nouveau  le  mot  reejat.  La  formule,  «  plein  de  grâce 
comme  un  ange  »,  rappelle  I  Sam.  XXIX  7  :  cette  grâce  se 
manifeste  sans  doute  au  voyant  par  la  forme  lumineuse 
sous  laquelle  les  êtres  se  présentent,  c'est  une  participation 
à  la  oô;a  divine,  et  il  convient  de  rappeler  les  allusions 
qui  sont  faites  par  ailleurs  dans  les  Apocryphes  à  cette 
lumière  surnaturelle  donnant  tout  son  cachet  aux  visages 
des  esprits  célestes,  (cf.  Hen.  LXXf  1,  CVl  5,  Bar.  s.  Ll 
5,,  etc.) 

Hénoch  considère  le  second  personnage  de  la  vision,  et 
il  n'hésite  pas  à  lui  donner  une  dénomination,  «  ce  fils 


(1)  La  locution  1û"i^'°"!3  dans  un  sens  correspondant  à  l'hébreu  Dlî<"*5S 
collectif  ne  se  trouve,  du  reste,  qu'assez  tardivement,  dans  le  Targum 
aux  Prophètes.  —  Cf.  Dalman,  p.  193. 


LK    MESSIANISME    DES    PAUAUOLES    d'hÉ.NOCII.  523 

d'hoinnie  ».  Poui't;mt  il  le  connaît  si  pou  ([u'il  demande 
divers  l'enseigneinents  sur  son  compte,  et  tout  d'al)ord  (jui 
il  est  :  cette  dénomination  qu'il  lui  im[)ose  ne  préjuge  donc 
en  rien  de  la  ré[)onse  (jui  sera  faite  par  l'ange  et  appor- 
tera les  explications  demandées,  elle  ne  peut  donc  avoii' 
qu'un  sens  très  liénéral.  Le  l\jtriarcl)e  voulant  désiuner 
un  inconnu  ({u'il  voit  ne  peut  le  faire  qu'en  signalant  la 
forme  extérieure  sous  laquelle  cet  individu  se  manifeste  à 
ses  yeux  :  on  ne  comprendrait  pas  cpiil  en  allât  d'autre 
sorte.  Au  point  de  vue  de  la  locution  originale  qui  fut  ici 
employée,  nous  rejoignons  vraisemblablement  Dan.  Vil  ; 
mais  le  D°ï<"3S  ou  u;:ï<°n3  qui  se  trouvait  ici  était,  ne 
pouvait  être  qu'une  amplilication  du  pi'onom  démonstra- 
tif, et  référence  est  pi'ise  encore  à  Celui  dont  la  fujure  est 
comme  vision  dliominc,  c'est-à-dire  vi'aisemblablement 
à  Dan.  X  (i).  —  L'ange  interrogé  répond  et  donne  les 
renseignements  demandés  sur  ce  personnage  mystérieux  : 
(c  Ce  (fils  d'homme,  vers.  '2)  est  le  Fils  d'homme  auquel 
est  en  partage  la  justice  »  (grec  :  o\)-o:,  h-<.y  b  b'M  ~o-j  i^/hù- 
7I0J  o;...).  Puisqu'on  demandait  tout  d'abord  à  l'ange  qui 
était  celui  qu'on  avait  vu,  il  est  à  supposer  (jue  l'ange 
aura  répondu  à  la  question  et  donné  en  premier  lieu  le 
nom  ignoré  du  personnage,  avant  de  s'exprimer  sur  la 
mission  future  que  celui-ci  devra  remplir  :  «  le  Fils  de 
l'homme  »  serait  donc  un  nom  du  Messie  dans  les  Para- 
boles. Mais  cette  locution,  s'il  en  faut  juger  par  notre 
texte,  est  identique  à  celle  que  nous  avons  trouvée  deux 


(1)  Contre  Béer  qui  conclut  déjà  :  «  jenor  Menscliensohn,  d.  i.  der  Mes- 
sias  n.  L'expression  "  rtls  d  homme  n  en  ce  contexte  a  tout  juste  le  sens  de 
la  locution  qu'elle  i-emplace  :  il  n'y  a  donc  pas  lieu  de  ti'aduire,  en  y  met- 
tant un  sens  spécial,  cet  «  Homme  »  (Fiebig,  Der  Menschensohn,  p.  87), 
mais  plutôt  de  sous-entendre  ce  qui  était  dit  plus  haut,  ce  personnage, 
à  la  figure.... 


324  LE    MUSÉON. 

lignes  plus  haut  et  qui  est  rappelée  eneore  par  le  démon- 
stratif o'jTo;,  premier  mot  de  la  phrase  ;  or,  dans  son 
premier  contexte,  la  locution  avait  un  sens  général  et 
indéfini  :  s'il  en  va  de  même  en  la  circonstance  et  ])ar 
ailleui's,  «  Fils  de  l'homme  »  sera  donc  tout  juste  une 
amplification  du  démonstratif,  et  l'on  aurait  toi't,  par 
conséquent,  de  considérer  cette  désignation  comme  une 
dénomination  spéciale  au  Messie  dans  les  Pai'aholes,  Ainsi 
l'on  se  trouve  pris  entre  des  arguments  opposés,  et  la 
solution  à  donner  à  un  prohlème  récemment  si  discuté 
oblige  de  s'arrêter  ici  et  d'examiner  de  plus  près,  non  pas 
un  seul,  mais  l'ensemble  des  éléments  qui  viennent  en 
question. 

En  XLVl  5  et  en  LXXI  \ï,  la  locution  «  Fils  d'hom- 
me  »  (i)  se  présente  liée  au  contexte  par  le  pronom  de 
jonction  vectu,et  précédant  une  phrase  relative  qui  ])récise 
le  rôle  de  celui  dont  on  parle.  La  première  idée  qui  vient  à 
l'esprit  est  que  le  pronom  relatif  commandant  cette  phrase 
se  rapporte  directement  à  la  locution  «  Fils  d'homme  » 
et  en  détermine  le  sens  :  «  Celui-ci  est  le  Fils  d'homme,  à 
savoir,  ce  Fils  d'homme  qui  a  en  partage  la  justice  »  (^2). 
Mais  ce  pronom  initial  peut  se  rapporter  aussi  au  premier 
sujet  introduisant  tout  le  développement,  et  la  phrase 
relative  se  comporterait  dès  lors  comme  une  apposition  à 
la  locution  «  Fils  de  l'homme  »,  apposition  pouvant 
énoncer  dès  lors  une  idée  étrangère  à  la  compréhension 
primitive  de  cette  locution  :  «  Celui-ci  est  le  Fils  de  l'hom- 
me, c'est  encore  celui-là  qui  a  en  partage  la  justice  ».  Ce 
dernier  sens  est-il  bien  satisfaisant  ?  Il  n'y  paraît  guère. 


(1)  Je  fais  abstraction  pour  l'instant  des  formules  éthiopiennes  diverses 
qui  traduisent  cette  locution  (cf.  infra.) 

(2)  Avec  Lietzraann,  Der  Menschensohn  p.  45. 


LE    MESSIAÎNISME    DES    l'AKABOLES    d'iIÉ.NOCH.  325 

et  l'on  se  souvient  trop  que  le  relatif  se  rapporte  de  préfé- 
rence au  nom  le  plus  voisin,  pour  admettre  qu'une  phrase 
soit  ainsi  en  apposition  là  où  elle  n'est  point  nécessaire  :  je 
me  refuse  à  croire  que  le  za  ait  pour  rôle  de  joindre  ce  qui 
suit  à  un  sujet  éloigné,  parce  que  l'autre  explication  est 
beaucoup  plus  naturelle  et  ({u'il  y  a  un  sujet  tout  proche. 
Objecter  qu'il  n'en  saurait  aller  de  la  sorte,  du  moins  en 
XLVI  5,  parce  que  le  jugement  analytique  qui  trouverait 
dès  lors  son  expression  manquerait  d'objet  formulé  au 
préalable,  que  l'on  n'a  point  parlé  d'hommes  auparavant, 
pour  qu'on  puisse  dire  «  Celui-ci  est  de  tous  les  hommes, 
celui  qui  a  la  justice  »  (i),  est  oublier  que  nous  avons  déjà 
rencontré  deux  fois  l'expression  générale  sab'e,  et  vouloir 
donner  une  précision  trop  grande  à  une  locution  qui  avait 
une  ligne  au-dessus  un  sens  indéfini.  Je  ne  vois  pas  que 
rien  nous  force  à  rejeter  de  notre  contexte  ce  même  sens 
indéfini  :  «  Ce  (personnage,  vers.  2)  est  le  (=-  ce)  pei'son- 
nage,  celui-là  auquel  est  en  partage  la  justice  »  (2). 

Le  pronom  déterminatif  affecte  la  locution  en  litige 
dans  les  textes,  XLYl  4,  XLVIH  2,  LXIÏ  5,  9,  14,  LXIIl 
11.  La  détermination  est  faite  par  le  pronom  personnel 
de  référence  veelu  en  LXIX  26,  29^ \  LXX  \,  LXXl  17. 
Enfin  LXIX  27  nous  présente  cette  même  locution  reliée 
d'une  part  au  verbe  et  de  l'autre  au  complément  par  la 
particule  habituelle  In  (3).  Dans  tous  ces  cas,  la  locution 


(1)  Fiebig,  p.  88.  Mais  ce  critique  a  parfaitement  raison  de  conclure  : 
"  Dann  wûrde  aber  auch  hier  auf  jeden  Fallein  Uebergang  zu  der  Anwen- 
dung  als  Titel  vorhanden  sein  ;  denn  der  Mensch,  der  die  Gerechtigkeit 
hat,  ist  liein  anderer  als  dieser  eine,  der  vorher  lilar  genug  als  Messias 
bezeichnet  ist  ». 

(2)  Cette  remarque  s'applique  à  XLVI.  Quant  au  texte  LXXI 14,  son 
sens  peut  être  différent,  car  le  cas  n'est  pas  tout-à-fait  le  même.  Cf. 
Muséon  N,  S.  1908,  p.  63,  note. 

(3)  Il  n'y  a  pas  lieu,  me  semble-t-il,  de  discuter  l'authenticité  ou  la  non- 


526  LE    MLSÉON. 

est  nettement  déterminée,  et  l'on  peut  ti-aduire  toujours 
((  ce  Fils  d'homme  »  (0.  —  Un  exemple  se  présente  où, 
sans  discussion    possible,    «   Fils   de  l'homme   »   paraît 
comme  une  expression  d'ailleurs  connue,  et  c'est  LXH  7 
où  la  locution  se  trouve  seule.  Dalman,  sans  auti'e  expli- 
cation,  déclare  «  ce  passage    critiquement    douteux  »  ; 
Liet/.mann  le  note  comme  «  tout-à-foit  suspect  d'interjio- 
lation  ))  (p.  46)  ;  tandis  que  Fiebig,  qui  en  appelle  à  Béer, 
trouve  ([ue  tout  est  pour  le  mieux  dans  le  contexte  (p.  87). 
La  question  d'authenticité  n'a  point  à  entier  en  jeu.  Que 
le  texte  soit  authentique  ou  qu'il  ne  le  soit  pas,  l'écrivain 
qui  l'a  confectionné  empruntait  ses  idées  et  ses  formules 
à  XLVIÏl  6,   7,  qui  suppose  la  lecture  «  ce  Fils  d'hom- 
me »  (2)  ;  et  celui  qui  l'a  mis  en  cet  endroit  le  voyait 
précédé  d'une  locution  identique  précisant  le  sens  de  tout 
le  passage,  «  ce  Fils  d'honnme  (de  femme)  »  (5).  Il  n'y  a 
pas  de  déterminatif  exprimé,  j'en  conviens  :   mais  nous 
n'en   avons   que   faire,  et,    le   texte   ayant  toute  hi  clarté 
désii'able,  le  déterminatif  est  sous-entendu  (cf.  Dillmann, 
iEth.  Gram.  p.  555).  Somme  toute,  la  présence  où  l'ab- 
sence d'une  particule  de  détermination  importe  peu  (2), 
et  la  locution  toujours  déterminée  en  fait  suppose  un 
personnage  connu   d'ailleurs  auquel  on  se  réfère  (ojto;, 

Les  textes  qu'on  vient  de  signaler  ne  se  trouvent  point 


authenticité  de  la  locution  en  ce  contexte  :  la  chose  n'est  pas  de  telle 
importance. 

(1)  Dalman  (p.  199)  traduit  "  le  Fils  d'homme  ",  là-même  où  la  détermi- 
nation se  fait  par  le  pronom  personnel.  Cependant  c'est  bien  un  démon  - 
stratif  dans  l'espèce,  que  ce  -  zuriickweisende  Pronomen  »,  comme 
l'appelle  Dillmann  (Aeth.  Gramm.  p.  333). 

(2)  Cf.  Schmidt,  Was  ïi'O]"*!^  a  messianic  title?  dans  Journal  of  bibli- 
cal  Literature  XV,  48. 


LE    MESSIANISMK    DES    PAHABOLES    d'iIÉNOCII.  5^27 

accumulés  en  un  même  passage  des  Paraboles,  et  la  locu- 
tion «  Fils  de  nwnnne  »  se  rencontre  à  travers  ces  5i 
chapitres  dans  les  documents  I  et  11  qui  nous  sont  connus, 
comme  en  d'autres  fraiçments  d'une  orii>ine  incertaine. 
Parfois  même,  des  développements  dautre  nature  avaient 
distrait  notie  attention,  et  nous  ne  pensions  plus  à  la 
scène  décrite  au  chap.  XLVI,  (juand  la  mention  subite  de 
«  ce  Fils  d'homme  »  vient  à  nouveau  se  présenter  à  nos 
yeux  (cf.  LXIX  :20j  :  le  rédacteur  dernier  de  notre  Apoca- 
lypse ne  trouvait  pas  qu'il  fût  nécessaire  d'insister  davan- 
tage, ou  d'atïirmer  |)lus  explicitement  l'identité  du  per- 
sonnage qui  paraît  en  scène  ;  tous  les  lecteuis  devaient 
comprendre  à  demi-mot.  Mais  si  une  dénomination 
l'épétée  fréquemment  suffit,  sans  plus  d'explication,  à 
éveiller  dans  l'esprit  l'idée  d'un  seul  et  même  individu, 
cette  dénomination  est  bien  près  d'être  un  qualificatif  qui 
convient  en  propre  et  exclusivement  à  ce  même  indivi- 
du (i)  :  dans  l'espèce,  et  s'il  faut  tenir  compte  de  la  pré- 
sence actuelle  ou  tout  au  moins  j)otentielle  du  démonstra- 
tif devant  l'expression  si  souvent  relevée,  on  trouvera 
peut-être  excessif  d'atïirmer,  avec  Volz  (p.  214j  que  «  les 
Paraboles  font  de  cette  expression,  Fils  de  l'homme,  un 
titre  messianique  formel  »,  mais,  du  moins,  pourra-t-on 
dire  très  légitimement  avec  Baldensperger  (p.  128)  qu'elles 
forment  «  comme  une  étape  (je  dirai  même  la  dernière 
étape)  avant  la  formation  du  titre  »  (wie  eine  Vorstufe  der 
Titelbildung). 


(1)  Cf.  Bousset,  qui  écrit  très-judieusement  :  «  Wenn  in  einer  Schrift 
etwa  zwanzigmal  mit  dem  Ausdruclc  "  jener  Mensch  «  auf  .jemand  liinge- 
wiesen  wird,  dessen  Charaktedstikum  die  Menschengestait  ist,  wie  sollte 
da  niclit  schliesslich  der  einfache  Titel  «  der  Mensch  »  (xat  'éÇoxTiv)  ent- 
stehen  !  Die  Bilderreden  selbst  zeigen  dann  dieser  Uebergang  ».  Fieligion 
des  Judentliums*,  p.  305,  note.  Cf.  aussi  Gunkel,  dans  la  Zeitsclir.  fur 
wissent.  Théologie  1900,  p.  588  sqq. 


5:28  LE    MLSÉON. 

L'on  aurait  tort  de  baser  toutes  conclusions  contraires 
sur  la  diversité  des  formules  éthiopiennes  que  nous  tra- 
duisons sans  plus  «  Fils  d'homme  ».   Il  est  vrai  que  nos 
mss.   nous  donnent  les  lectures,  valda  sab'e,  valda  he'esi, 
valda  ^egiulla   emmû  hejâv  ;  et  que  cette  dernière  formule 
doit  être  envisagée  comme  technique,  puisqu'elle  traduit 
les  mi<''p  d'Ezéchiel  ou  le  irrjjî-^j  de  Daniel  ;  mais  les 
traducteurs  de  la  Bible  éthiopienne  n'ont  pas  toujours  été 
dune  suprême  exactitude,  et  il  y  a  maintes  confusions 
dans  les  textes  (cf.  Charles  I28j.  La  version  grecque  lisait 
donc  ô  jIô;  toj  àvf)p(ô-o'j.  Que  cette  locution  qui  devient 
maintenant  un  dénominatif  de  personne  ait  eu  pour  sens 
primitif,  «  l'Homme  »  ou  «  le  Fils  de  l'homme  »,  il  n'im- 
porte :  une  chose  est  essentielle,  c'est  que,  malgré  l'appli- 
cation (jui  en  est  faite  au  Patriarche  Hénoch  (LXXl  L4), 
cette   expression    n'indi({ue    nullement   une    identité   de 
nature  entre  le  personnage  ainsi  désigné  et  les  enfants  des 
hommes.  —  «  Cet  autre  dont  la  figure  est  comme  vision 
d'homme  »,  a  bien  quelque  chose  de  Ihomme  assuré- 
ment, tout  au  moins  son  extérieur  ;  mais  il  se  distingue 
des  autres  hommes  en  ([uelque  façon,  et  tout  d'abord,  en 
ce  qu'il  n'est  pas  le  fils  de. l'un  d'eux,  et  qu'il  n'est  i)oint 
venu  à  l'existence  par  voie  de  génération.  —  On  pourrait 
être  sui'pris  de  la  chose,  si  l'on  entendait  dans  un  sens 
analytique  (|u'elle  n'a  pas  l'expression  u  fils  d'homme  », 
et  aussi  s'il  fallait  faire  entrer  en  ligne  de  compte  les  mss. 
M  et  groupe  il  à  LXII  5,  G  à  LXIX  ^iV\  qui  lisent  en  ces 
deux  passages,  valda  hccsit.   Dalman  trouve  la  variante 
sans  importance  (i)  :  on  peut  être  d'un  autre  avis.  Etant 


(1)  Ebenso  ist  es  bedeatungslos,  dass  die  aethiopische  Uebersetzung  in 
dei*  Wahl  des  Ausdriickes  fur  «  Menschensohn  »  schwankt  und  zuweilen 
auch  "  Manuessohn  »  «  und  Weibessohn  n  dafiir  setzt.  —  P.  199. 


LE    MESSIAMSMi:    DES    l'AI'.AHOI.ES    I)  HE>0(;H. 


5-29 


donné  l'ordi'e  de  la  nature,  il  est  assez  indi lièrent  pour 
l'ordinaire  (|ue  quelqu'un  soit  a|)[telé  «  tils  d Un  homme  » 
ou  «  fils  d'une  femme  »,  |)uis(|u'il  est  né  des  deux  :  mais  il 
en  va  autrement  iei,  et  les  deux  termes  de  soi  ne  sont  pas 
absolument  synonymes.  Le  second  plus  que  le  [)remier 
indi([ue  une  référence  à  la  loi  de  chair,  aussi  à  la  faiblesse 
inhérente  à  la  nature  humaine,  et  il  est  léquivalent 
strict  du  r:i^':^  ""b'  de  Job  XIV  {.  L'idée  de  génération  se 
trouve  bien  encore  dans  la  locution  valda  heesi,  comme 
une  conséquence  du  sens  propre  au  second  mot,  et  il  fau- 
drait, du  moins,  valda  sah'e,  pour  que  le  texte  fût  tout-à- 
fait  coi'rect  :  la  lecture  hc'csit  aurait  accentué  la  faute 
davantage.  Alors,  l'expression  eût  été  bien  voisine  du 
v2vo;j.£vo;  êxyjva'.xô;  de  lApôti'e  Paul,  et  l'allusion  manifeste 
au  Messie  chrétien  qui  revient,  triomphant  cette  fois, 
juger  la  terre.  Mais  le  texte  n'est  pas  absolument  sur. 
Quant  au  second  passage  signalé,  hi  présence  de  cette 
lecture  dans  G  le  plus  vieux  des  mss.  fait  hésiter  Charles 
(p.  164)  ;  au  premier  passage,  G.  apporte  une  autre  leçon, 
mais  le  I!^  groupe  de  mss.  ([ui  appartient  à  une  |)ériodc 
plus  récente  témoigne  de  la  lecture  heesil,,  et  il  en  va  de 
même  du  mss.  M  que  Flemming  considère  comme  le 
second  en  valeur  (lien,  aeth.,  p.  X).  Ce  sont  là,  en  tous 
cas,  des  exemples  isolés  et  qui  n'ont  pas  à  nous  retenir. 

Le  personnage  mystérieux  désigné  comme  étant  «  ce 
Fils  d'homme  »  est  ap[)elé  «  Messie  »  en  deux  textes  des 
Paraboles,  XL\  111  10  et  LU  i  :  Ion  fait  donc  allusion  à 
quelque  cérémonie  sacrée,  qui  se  serait  accomplie,  soit 
récemment,  pour  que  le  personnage  consacré  devint  apte 
à  remplir  son  nMe  olïiciel,  soit  plutôt  dans  le  passé,  puis- 
qu'on suppose  que  les  puissances  de  la  terre  ont  eu  le 
temps  déjà  de  lui  contester  ce  titre.  Les  deux  textes  en 


350  LE    MLSÉON. 

question  n'ont  pas  trouvé  grâce  devant  Dalnian  (p.  221). 
Le  second  d  entre  eux  serait  «  une  insertion  évidente  »  : 
c'est  aussi  Topinion  de  la  plupart  des  critiques,  mais  j'ai 
dit  avec  assez  de  longueur  qu'il  ne  m'était  pas  possible  de 
souscrire  à  cet  avis,  et  pourquoi  le  verset  signalé  me 
paraissait  plutôt  faire  corps  avec  ce  qui  précède  et  demeu- 
rer là  comme  l'un  des  fragments  d'une  source  documen- 
taire spéciale.  L'influence  du  Psaume  II  sur  Henoch  LU  4 
ne  sei'ait,  d'ailleurs,  manifeste  que  si  les  montagnes  dont 
il  est  question  en  ce  dernier  passage  symbolisaient  uni- 
quement les  puissances  impies  (Ps.  II  2)  :  or  l'interpré- 
tation ne  me  satisfait  pas,  et  je  me  suis  sutïisamment 
expliqué  sur  ce  point  pour  qu'il  soit  inutile  d'y  revenir  (i). 
—  L'autre  texte,  Henoch  XL\  III  10,  nous  apprend  que 
les  rois  et  les  puissants  «  ont  renié  le  Seigneur  des  Esprits 
et  son  Oint  ».  Il  y  aurait  lieu  de  supprime!'  ces  derniers 
mots,  nous  dit-on,  parce  (juailleurs  l'on  parle  bien  de 
gens  qui  ont  renié  le  Seigneur  des  Esprits  (cf.  XLI  2, 
XLY  2,  XLVI  7),  mais  jamais  le  Messie  n'est  mentionné 
en  pareille  occasion.  La  raison  est  sérieuse,  et  ce  ne  serait 
pas  l'infirmer  beaucoup  que  de  remarquer  l'addition 
présentée  en  XLV  4,  «  ils  ont  renié  le  nom  de  l'habitation 
des  Saints  et  le  Seigneur  des  Esprits  »,  puis  de  noter  ([ue 
cette  même  habitation  des  Saints  suppose  déjà  la  présence 
du  Messie  (XXXIX).  Si  l'on  admet  donc  la  possibilité 
d'une  retouche  en  cet  endroit,  il  n'en  reste  pas  moins  que 
LU  4  est  assez  garanti,  et  nous  témoigne  de  la  dénomina- 
tion technique.  Messie.  Charles  estime  que  nous  avons  là 
le  pi'emier  exemple  dans  toute  la  littérature  juive  où 
«  Messie  »  soit  ainsi  pourvu  d'un  sens  bien  déterminé  (â)  : 


(1)  Cf.  Muséon  N.  S.  1908,  p.  48,  note  2. 

(2)  In  this  technical  sensé,  it  is  tirst  found  in  the  Similitudes  (ad  h.  1 


LE    MESSIANISME    DES    l'AIlABOLES    d'iIÉNOCII.  551 

ce  jugement  est  assez  aftirmatit',  et  suppose  que  nous 
avons  des  renseignements  garantis  sur  le  sens  de  ce  mot 
en  d'autres  passages  ou  sur  la  date  des  pièces  qui  les 
contiennent.  Est-ce  que  le  Psaume  H  est  décidément  pos- 
térieui'  aux  Paraboles  d'Hénocli  (i),  et  peut-on  se  poi-ter 
garant  que  Ps.  Sal.  Wll  50,  XVIll  (i  et  8  aient  été  écrits 
quelques  dizaines  d'années  plus  tard  ?  En  tout  cas,  nous 
pouvons  dire,  sans  crainte  d'erreur,  que  le  terme  «  Mes- 
sie »,  prend  d'une  manière  générale  en  cette  période  un 
sens  plus  précis  qu'il  n'avait  auparavant.  L'on  remarquera, 
du  reste,  que  les  Paraboles,  comme  les  Psaumes  de  Salo- 
mon,  ne  nous  apportent  point  la  dénomination  isolée, 
comme  elle  le  serait  si  elle  était  devenue  sans  conteste 
nom  personnel,  mais  un  possessif  est  encore  là  (|ui  la 
détermine,  «  son  Messie,  le  Messie  du  Seigneur  »,  — 
ceci  à  la  difféi'cnce  de  Daniel  1\  :25  où  le  sens  peut  être 
tout  autre  (n),  et  des  écrits  rabbiniques  postérieurs  dont 
Dalman  fait  mention  à  la  page  :258. 

Un  autre  nom  messianique,  et  je  veux  parler  de  celui 
«  d'Elu  »,  si  fréquent  dans  les  Paraboles  (cf.  XL  o,  LI  5, 
o,  LU  6,  9,  LXI  5,  8,  10,  LXII  11),  est  emprunté  à  l'An- 
cien Testament  (cf.  Is.  XLH  l,  Ps.  LXXXÏX  4,  etc.),  mais 
a  vu  disparaître  le  déterminatif  qui  s'accolait  à  lui.  On 
parle  de  «  l'Elu  »  sans  plus  s'expliquer,  de  même  qu'on 
mentionnait  «  les  Elus  »,  et  c'était  tout  :  les  questions 
eschatologiques  priment  tellement  toutes  les  autres  dans 
les  Paraboles  que  l'on  sait  tout  de  suite  qui  vient  en  cause, 
et  que  toute  précision  est  superllue.  Du  reste,  le  person- 
nage en  question  n'est-il  pas  «  l'Elu  »  par  excellence,  ce 


(1)  Cf.  Muséon  N.  S.  1005,  page  131. 

(2)  Cf.  Muséon  N.  S.  1906,  page  242. 


552  LE    MISÉON. 

Fils  de  l'homine  que  nous  avons  nppris  à  connaître,  que 
le  Seigneur  avait  choisi  (XLVI  5)  ?  S'appuyant  sur  ce  texte 
et  le  rapprochement  qu'il  suggère  entre  les  deux  dénomi- 
nations messianiques,  Dalman  note  que  la  locution,  «  Elu 
de  justice  »  (XXXIX  G,  cf.  aussi  LUI  6),  «  ne  j)eut  s'enten- 
dre autrement  que  comme  un  écho  du  'p'i:^  T^ryi  de  Jerem. 
25,  5,  T^pT^  v'2:i  Jerem.  XXXlll  15,  expressions  qui 
deviennent  dans  le  Targum  iip-::i*  ""0-  >'  (p.  200).  Le 
texte  du  Targum  à  Jérémie  laisse,  en  effet,  place  à  l'hypo- 
thèse. Si  l'on  se  reporte  à  l'original  du  Prophète,  il  paraî- 
tra que  le  "li  ':î  porte  ce  titre,  parce  que  lui-même  doit 
être  juste  et  qu'il  fera  régner  la  justice  en  Israël  :  ceci 
correspond  peut-être  à  l'idée  du  Messie  «  qui  a  la  justice, 
en  qui  la  justice  hahite  »  (XLVI  5'^)  ;  je  conviens,  du  reste, 
très  volontiers  que  l'expression  signalée  s'identifie  avec 
celle  de  XXXIX  6,  heriija  la-sedcq,  qui  est  composée  de 
deux  mots  réunis  sans  conteste  par  le  b  attributionis.  Mais 
le  Messie  des  Paraboles  est  plus  qu'un  personnage  «  choisi 
pour  faire  régner  la  justice  »,  et  j'en  appelle  à  XLVI  5^. 

Le  texte  est  curieux,  et  mérite  qu'on  l'observe  :  «  Le 
Seigneur  des  Espiits  l'a  choisi  (le  Messie),  ci  son  sort  a  vaincu 
(mss.  ï^,  II  excl.  E,  toutes  choses)  devant  le  Seigneur  des 
Esprits  ba-reVe  à  jamais  ».  Quel  est  le  sens  précis  du  terme 
que  j'ai  gardé  sans  le  traduire  ?  On  pourrait  croire  d'abord 
que  la  préposition  ïi  indique  l'état  et  que  le  terme 
est  à  entendre  adverbialement  :  Dillmann  (Dict.  aeth.) 
a  relevé  quelque  exemple  de  ce  genre  dans  le  Synaxaire 
éthiopien.  Nous  traduirions  donc  :  «  le  sort  du  Messie  l'a 
justement  emporté  auprès  de  Dieu  »  ;  ce  serait  la  justice 
divine  qui  serait  mise  en  lumière,  en  même  temps  que  la 
prééminence  du  sort  du  Messie.  Mais  l'adverbe  aurait  été 
bien  écarté  du  verbe  sur  le  sens  duquel  il  doit  influer,  et 


LE    MESSIANISME    DES    1»ABAB0LES    D  HÉNOCII.  OÔ^) 

cout  le  contexte  rend  évident  que  la  justice  de  Dieu  nest 
point  en  cause,  mais  bien  celle  du  Messie.  Enfin  une 
ditliculté  subsisterait  toujours,  et  l'on  pourrait  se  deman- 
der comment  en  toute  justice  Dieu  a  pu  constater  la  pré- 
éminence du  sort  du  Fils  de  l'homme.  Car  c'est  bien  de 
constatation  qu'il  s'agit,  du  moins  apparemment  (i),  et 
toute  la  difficulté  réside  dans  le  verbe,  dans  cette  formule 
mystérieuse,  «  a  vaincu  toutes  choses  ».  Nous  avons  donc 
à  traduire  d'une  autre  manière  :  «  devant  le  Seigneur  des 
Esprits  le  sort  du  Messie  l'a  emporté  sur  toutes  choses  en 
justice  »  ;  c'est  parce  qu'il  a  été  juste,  plus  que  tous  les 
êtres,  que  le  Messie  a  été  choisi  de  Dieu.  Mais  à  quel 
moment  la  chose  s'est-elle  donc  passée  ?  A  quelle  heure  les 
êtres  ont-ils  comparu  devant  Dieu  et  fait  montre  de  leur 
justice  qui  ne  se  trouva  point  égale  à  celle  du  Fils  de 
l'homme  ?  Ce  n'est  pas  à  la  fin  des  temps,  puisque  le 
Messie,  ainsi  que  nous  le  verrons,  a  été  choisi  dès  leur 
début.  Serait-ce  à  ce  début  même  ?  mais  les  Paraboles 
n'enseignent  jamais  la  préexistence  de  tous  les  êtres 
auprès  de  Dieu  (2),  et  c'est  là  une  doctrine  juive  que  l'on 
dit  ne  pas  se  manifester  avant  le  Pesikta  labbati  du  IX^ 
siècle  (3).  Dieu  a  donc  prévu  les  actes  de  justice  d'un  indi- 


(1)  Le  sort  du  Messie  l'emporte  pour  quelque  motif  sur  celui  des  autres 
êtres  :  ceci  se  passe  «  devant  le  Seigneur  des  Esprits  n,  et,  pour  peu  que 
l'on  fasse  abstraction  des  mots  qui  précèdent,  Dieu  est  là  présent  pour 
constater  les  choses.  Il  en  va  de  même  ici  et  là  dans  la  description  du 
drame  eschatologique  :  parfois  les  êtres  ont  l'air  de  tendre  à  leur  fin  tout 
naturellement,  le  châtiment  attend  les  pécheurs,  la  récompense,  les  justes, 
et  tout  se  fait  en  la  présence  de  Dieu. 

',2)  En  ce  qui  concerne  le  texte  XXXIX  8,  cf.  Muséon  N.  S.  1908,  p.  r)5. 
—  «  Le  sort  de  vie  éternelle  n  qui  a  été  fixé  par  le  Seigneur  des  Esprits 
pour  Hénoch  (XXXVII  4),  doit  s'entendre  non  d'une  préexistence,  mais  de 
la  prédestination  providentielle  du  Patriarche. 

(3)  Pes.  Kab.  152b .  _  cf.  Dalman,  Der  leidende  u.  sterbende  Messias, 
p.  58.  —  Il  peut  y  avoir  quelque  exagération  dans  ce  sentiment  de  Dalman. 
Avant  les  Pesikta,  les  midrasim  Beresit  rab.  et  Ruth  rab.  enseignaient 


554  LK    MLSÉON. 

vidu,  de  même  aussi  les  actes  de  justice  des  autres  êtres  ; 
il  a  fait  la  comparaison  et  constaté  que  cet  individu 
«  l'emportait  en  justice  sur  tous  »  :  c'est  pourquoi  il  l'a 
choisi  pour  Messie.  11  s'agit  donc  d'un  rapprochement  de 
prévisions  (i),  et  il  est  intéressant  de  noter  déjà  quelque 
apparence  d'une  doctrine  de  prédestination  post  praevisa 
mérita  sur  un  terrain  juif  et  de  si  bonne  heure.  La  chose 
est  d'autant  plus  piquante,  que  le  Messie  est  dit  aussi  en 
quelque  endroit  avoir  été  élu  «  devant  le  Seigneur  des 
Esprits,  suivant  son  bon  plaisir  )>  (XLIX  4)  (2).  Les  deux 
textes  ne  sont  pas  à  opposer  l'un  à  l'autre,  et  l'on  aurait 
tort  de  se  demander  comment  «  le  bon  plaisir  »  de  Dieu 
peut  s'exercer  en  la  circonstance,  si  la  justice  prévue 
dans  le  Messie  futur  «  l'emporte  sur  tous  aux  yeux  du 


déjà  qu'ail  temps  où  il  créa  le  inonde,  Dieu  s'occupait  de  l'âme  des  justes. 
Ces  âmes  se  ti-ouvent  maintenant  au  septième  ciel  (Arabôt),  et  c'est  là  que 

sont  les  nV-UJDrî  PIJ  d'où  elles  seront  tirées  en  leur  temps  pour  être 
unies  aux  corps  qui  leur  conviennent  (Aboda  sara  .5^.  Cf.  Weber  212  et 
205).  —  Kn  tout  cas.  cette  idée  de  la  Mischna  n'est  pas  exprimée  explicite- 
ment en  nos  Paraboles  ;  et  il  est  inexact  de  dire  qu'elle  doive  y  êti'e  néces- 
sairement supposée  (note  suivante). 

(1)  Avec  Volz  qui  dit  très  bien  :  «Wenn  der  pràexistente  Messias  infolge 
seiner  Rechtschaffenheit  aus  allen  ausgewâhlt  wird,  se  wird  er  ausge- 
wiihlt  wegen  der  Rechtschaffenheit,  die  Gott  vorausschaut  »  (p.  117),  et 
Charles,  "  On  the  ground  of  his  essential  righteousness  has  lie  (the  Mes- 
siah)  becnchosed  no  less  than  according  to  God's  good  pleasure  «  (p.  Ii9). 
—  L'on  voit  ainsi  ce  qu'il  convient  de  répondre  à  l'argument  apporté  jadis 
par  Sieffert,  et  qui,  à  première  vue,  pouvait  faire  quelque  impression. 
«  Si  ex  una  parte  Deus  Messiam  elegit  et  coram  se  abscondit  priusquam 
mundus  creatus  est  (48,  6),  et  ex  altéra  parte  ille  ceteris  excellit  nonnisi 
per  justitiam  seterno  tempore  (46,  3),  id  est  si,  quia  justitia  ceteros  omnes 
superaverat,  a  Domino  divinis  laudibus  ornatus  est  (51,  3)  :  num  Messias 
ceteros  justitia  superare  potest,  priusquam  mundus  creatus  est,  nisi 
horum  quoque  animae  ex  seterno  vivunt,  nisi  haud  secus  ac  Messiae 
majestas  etiam  electorum  grex  coram  Deo  est  ex  seterno  in  seternum 
(39,  3)?  »  (NonnuUa  ....  ,  p.  23). 

(2)  Cf.  Muséon  N.  S.  1908,  p.  m. 


LE    MESSIANISME    DES    PARABOLES    d'hÉNOCH.  555 

Seigneur  ».  Notre  auteur  n'a  rien  d'un  Scholastique,  et 
il  n'a  certainement  point  pensé  à  donner  des  détails  sur 
l'oi'igine  du  iMessie.  Ce  qu'il  en  dit  —  et  il  faut  hien  qu'il 
en  dise  quelque  chose,  puisqu'on  a  demandé  très  explici- 
tement à  l'ange  interprète  d'où  venait  le  Fils  d'homme 
(vers.  2)  — ,  il  l'emprunte  à  la  littérature  sacrée,  et  je 
crois  qu'en  écrivant  son  fameux  mo'a  kuclo,  il  ne  songeait 
pas  à  autre  chose  qu'à  appliquer  à  son  personnage,  en  les 
modifiant  comme  de  juste,  les  pai'oles  du  Psalmiste  XLV 
S  :  ?j-2n-^  ....  D-nbïï  Ty'^'2  -ç^rr:  ....  piï  rnnï^ 

Le  Messie  a  été  prédestiné  de  Dieu  :  à  quel  moment, 
cette  prédestination  fût-elle  réalisée,  ou,  ce  (|ui  i-evient  au 
même,  à  quel  moment  le  Messie  fùt-il  consacré  comme 
tel,  et  commenca-t-il  d'exister  ?  Les  textes  sont  assez 
clairs.  Hénoch  XLVllI  5  nous  apprend  «  qu'avant  la  crt-a- 
tion  du  soleil  et  des  signes  du  zodia({ue,  avant  que  sc'ient 
faites  les  étoiles  du  ciel,  son  nom  fut  nommé  devant  le 
Seigneur  des  Esprits  ».  Charles  i\s.  l.")i)  et  Martin  (p.  99) 
notent  tout  de  suite  que  le  nom  est  identi({ue  à  la  per- 
sonne du  Messie,  et  que  le  texte  enseigne  la  préexistence 
ah  aeterno.  Que  le  nom  chez  les  Si'mites  en  général,  et 
dans  tel  passage  du  livre  d'Hénoch,  puisse  avoir  le  sens 
qu'on  lui  attiihue  ici,  je  l'ai  dit  moi-même  (i)  :  mais,  dans 
la  circonstance,  il  ne  faut  point  se  hâter  de  la  sorte.  Le  nom 
du  Messie,  c'est  ce  <[iie  l'on  nous  aj)pren(l,fut  nommé  avant 
toute  création  ;  mais  le  nom  du  Messie  est  nommé  une  fois 
de  plus,  «  à  cette  heure  »  (vers.  :2),  à  un  moment  précis 
du  temps  :  le  .Messie  aurait-il  donc  été  créé  deux  fois  ?  La 
pensée  du  Messie  plutôt  fût  présente  devant  Dieu  avant 
que  ne  fussent  formés  les  astres,  et  il  convient  de  rappeler 

'1)  Cf.  Revue  des  sciences  phil.  et  tli-'Ol.  I,  1,  ."8. 

21 


356  LE    MUSÉON. 

les  doctrines  sui*  la  préexistence  idéale  des  êtres  qui  se 
font  jour  dans  les  midrasim  et  la  littérature  rabbinique(i). 
Mais,  ce  qui  nous  intéresse,  c'est  la  personne  vivante  du 
Messie,  et  non  l'idée  même  de  cette  personne.  0.  Holtz- 
mann  ne  voit  pas  le  bien-fondé  de  cette  distinction  entre 
l'une  et  l'autre  :  «  l'auteur  de  notre  livre  l'eût  difficilement 
comprise.  Ce  qui  vivait  dans  la  pensée  de  Dieu  possédait, 
d'après  les  conceptions  philosophiques  du  platonisme 
grec  de  ce  temps,  la  plus  grande  réalité  »  (2).  Il  n'est  pas 
besoin  d'en  appeler  avec  plus  ou  moins  de  justesse  au 
platonisme  :  il  suffît  de  lire  encore  quelques  lignes  de 
notre  texte,  et  l'existence  réelle  du  Messie  ab  aeterno  y 
sera  clairement  enseignée.  «  Il  fut  élu  et  caché  devant 
Dieu,  avant  que  le  monde  ne  fût  fait  »  (vers.  6)  :  il  exis- 
tait donc  en  réalité,  et  non-seulement  dans  la  pensée 
divine.  Dalman  se  dit  convaincu  que  ce  texte  est  in- 
authentique, et  croit  seulement  à  l'affirmation  d'une  exis- 
tence antérieure  du  Messie  dans  le  temps  (p.  107).  La 
chose  n'est  pourtant  pas  si  assurée.  Sans  doute,  le  Messie 
des  Paraboles  n'est  pas  identifié  à  la  Sagesse  (5),  puisque  la 
sagesse  parait  en  la  possession  du  Seigneur  (XLVIII  7),  que 
lui-même,  l'Elu,  doit  recevoir  l'esprit  de  sagesse,  etc.  ; 
mais,  puisqu'on  lui  reconnaissait  une  vraie  préexistence, 
puisqu'il  devait  être  en  possession  de  la  sagesse,  je  ne  vois 
pas  pourquoi  on  ne  lui  aurait  point  appliqué  le  texte  des 
Proverbes  IX  22,  et  il  me  semble  même  que  les  formules 
ici  employées  pointent  dans  cette  direction.  En  tout  cas, 


(1)  Cf.  Webcr,  Jiid.  Theol.^p.  355;  Edersheim,  Life  and  Times  of  Jésus 
1 174,  etc. 

(2)  Dam  Stade,  Gesch.  d.  Volk.  Israël  II,  486. 

(3)  C'est  l'avis  de  tous  ceux  qui  contestent  aux  Paraboles  une  origine 
juive,  et  j'y  reviendrai  en  son  temps. 


I 


LE    MESSIANISME    DES    PABABOLES    d'hÉNOCH.  357 

l'authenticité  de  Henoch  XL VIII  6  n'est  pas  absolument 
improbable,  et,  pour  isolé  qu'il  soit,  le  texte  affirme  net- 
tement une  existence  éternelle  du  Messie. 

C'est  ainsi  qu'avant  tous  les  temps,  le  Fils  d'homme  se 
trouvait  devant  le  Seigneur  des  Esprits  (XLVIII  6,  ?  XLIX 
2''),  devant  la  puissance  du  Très-Haut  (LXII  7),  avec  lui 
(XLVI  I).  Le  voyant,  du  reste,  l'avait  aperçu,  et  il  se 
trouvait  sous  les  ailes  du  Seigneur  :  c'est  là  qu'est  son 
habitation  (XXXIX  7).  Le  second  ange  de  Face,  à  savoir 
Raphaël,  a  reçu  mission  de  célébrer  ses  louanges,  en  même 
temps  que  celles  des  Justes  (XL  5).  Du  reste,  les  Elus  sont 
devant  lui  (XXXIX  6),  comme  lui,  l'Elu,  est  devant  Dieu  : 
en  face  du  Seigneur,  il  se  présente  déjà  comme  le  chef  de 
la  communauté  de  ces  Justes  innombrables  (ibid.).  Si  les 
chapitres  XXXIX  et  XL  pouvaient  être  expliqués  l'un  par 
l'autre,  il  y  aurait  quelque  garantie  que  ces  justes  fussent 
des  martyrs  ;  et  la  chose  a  bien,  d'ailleurs  (i),  ses  proba- 
bilités. De  ce  que  le  Messie  est  le  chef  de  la  bnp  céleste, 
et  de  ce  que  les  justes  qui  en  font  partie  s'occupent,  ainsi 
que  les  anges  et  avec  eux,  de  prier  pour  les  enfants  des 
hommes,  on  n'en  saurait  conclure  que  l'Elu  agit  de  même 
et  remplit  déjà  l'office  d'intercesseur  (2)  :  plus  loin,  anges 
et  saints  chantent  aussi  les  louanges  de  Dieu  (vers.  7), 
mais  l'on  ne  parle  pas  davantage  du  Fils  de  l'homme. 
C'est  donc  à  tort  que  l'on  suppose  enseignée  dans  notre 
livre,  «  la  foi  à  une  action  du  xMessic  pendant  la  période 
pré-messianique  »  :  le  Messie,  plutôt,  n'agit  pas,  il  n'a  pas 
à  agir,  il  n'a  qu'à  exister.  On  nous  dit  bien  qu'  «  il  est  le 


(1)  Cf.  Muséon  N.  S.  1908,  p.  53. 

(2)  Dass  der  Messias  ein  Fûrprecher  fur  die  Gerechten  bel  Gott  sei,  ist 
also  ein  Gedaiike,  den  schon  das  vorehristliche  Judenthum  gezeltigt  hat 
—  0.  Holtzmann,  p.  487. 


538  LE    MUSÉON. 

vengeur  de  la  vie  des  justes  »,  (XLVIII  7)  mais  ceci  n'est 
point  lui  attribuer  quelque  intervention  actuelle  en  ce 
monde:  qu'on  lui  fasse  honneur  de  ce  titre, dès  maintenant 
si  l'on  veut,  puisqu'il  existe  déjà,  puisqu'il  n'existe  que 
pour  jouer  ce  rôle  ;  mais  ce  rôle,  il  ne  le  jouera  qu'à  la  fin 
des  temps  (ij.  Pour  l'instant,  il  garde  le  sort  des  justes 
(vers.  7^),  et  ce  sort  demeure  en  sécurité,  immuable, 
parce  que  lui-même,  immuable,  demeure  en  sécurité. 
Nous  touchons  ici  à  l'un  des  motifs  qui  ont  favorisé,  sans 
doute,  la  ditfusion  de  cette  croyance  à  l'existence  anté- 
rieure du  Messie  :  le  grand  personnage  représente  les 
biens  messianiques  que  l'on  attend,  qui  tardent  à  venir, 
que  l'on  a  peur  de  ne  point  posséder  ;  et  la  sécurité  de 
l'un,  sa  présence  au  ciel  qui  lui  permet  d'apparaître  subi- 
tement, tout  de  suite,  sur  cette  terre,  garantit  la  sécurité, 
la  venue  des  autres.  Selon  Iheureuse  expression  d'Har- 
nack  (2!,  la  préexistence  du  iMessie  a  dû  être  acceptée  et 
gardée  précieusement  comme  «  une  police  d'assurance 
contre  les  pertes  ». 

Puisque  le  Messie  existe  déjà,  mais  que  toute  son  activité 
se  manifestera  seulement  dans  l'avenir,  les  qualités  qu'on 
lui  reconnaît  pour  l'instant  sont  précisément  celles-là  dont 
il  devra  faire  preuve  plus  tard,  lorsqu'il  en  sera  venn  à 
remplir  son  rôle  sacré.  Ce  rôle  consistant  principalement 
à  inaugurer  sur  teri'e  le  règne  de  la  justice,  la  première 
qualité  du  Messie  sera  d'être  juste  :  la  justice  habite  en 
lui  (XLVI  5),  elle  va  dominer  dans  les  jours  de  son  exis- 
tence (XXXIX  6).  Ainsi  le  présent  et  l'avenir  se  rappro- 
chent de  plus  en  plus  ;  les  qualités  du  Messie  qu'il  possède 


(1)  Il  le  jouera,  quand  il  sauvera  les  justes  par  son  nom,  c.-à-d.  dans 
l'avenir  (futur). 

(2)  Dogmengescli.3 1,  75"). 


LE    MESSIANISME    DES    PAnABOI.ES    d'iIÉNOCII.  359 

maintenant,  qu'il  manifestera  dans  l'avenir,  se  confon- 
dent. Tout  paraît  sur  le  même  plan  :  il  n'y  a  plus  de 
perspective.  Où  est  l'illusion,  et  peut-on  affirmer  que 
l'écrivain  pensait  au  Messie  caché  ou  au  Messie  futur, 
lorsqu'il  écrit,  «  il  est  puissant  sur  tous  les  secrets  de 
justice  »  (XLIX  '2),  lorsqu'il  lui  i-econnait  en  partage  les 
dons  mystérieux  d'Isaïe  (XLIX  5)  ?  L'horizon  n'est  pas  là 
qui  circonscrive  le  terrain  sur  lequel  nous  nous  trouvons, 
et,  de  là,  cette  sensation  étrange  d'être  plongé  dans  l'irréel, 
dans  un  monde  illusoire  où  tout  se  confond  en  formes 
indécises,  qui  ne  sait  plus  reconnaître  ni  temps  ni  lieux. 
Comme  tout  Messie  authentique,  l'Elu  des  Paraboles  a 
reçu  l'Esprit  du  Seigneur  dont  Isaïo  avait  relevé  les  diver- 
ses formes  ,  «.  eu  lui  hahite  Cespvit  de  sagesse,  et  f  esprit 
(mss.  M,  Il  excl.  W,  de  celui)  qui  fait  compreudre,  et  l'es- 
prit de  doclriue  et  de  force,  et  l'esprit  de  ceux  qui  se  sont 
endormis  en  justice  ».  Ces  derniers  mots  sont  assez  am- 
bigus, et  il  convient  de  les  examiner  avec  quelque  soin. 
De  l'avis  de  Béer  {ad  h.  1.)  on  veut  rappeler  par  là  que 
(c  le  Messie  réalise  l'espérance  eschatologique  des  justes 
défunts  »  :  mais  il  n'est  point  question  d'espérance  escha- 
tologique, et  l'on  ne  pense  pas  à  préciser  le  rôle  futur  du 
Messie,  mais  plutôt  les  qualités  supérieures  dont  il  est  ou 
sera  pourvu.  —  Volz  (p.  17)  montre  que  cette  qualité 
dont  il  est  fait  mention  d'une  manière  si  mystérieuse  doit 
avoir  une  importance  spéciale  pour  les  Justes  qui  sont 
morts,  et  il  en  conclut  qu'il  s'agit  de  «  l'esprit  de  vie  », 
c'est-à-dire  de  la  faculté  de  ramener  à  la  vie  et  de  conser- 
ver en  vie.  L'interprétation  serait-elle  assurée,  que  nous 
pourrions  faire  ici  des  constatations  de  première  impor- 
tance. Le  Messie  des  Psaumes  de  Salomon  avait  aussi  reçu 
en  partage  l'esprit  de  l'Eternel  sous  ses  sept  formes  :  il 


340  LE    MLSÉON. 

devenait,  et  il  restait  néanmoins  «  l'Oint  de  Jalivé  ». 
D'après  la  doctrine  de  tout  l'Ancien  Testament,  la  D""  "I" 
est  seulement  en  la  puissance  de  l'Eternel,  et  dans  la  célè- 
bre vision  de  la  vallée  des  ossements,  Ezéchiel  appelait  du 
dehors  l'esprit  vivificateur.  Le  Messie  des  Paraboles  aurait 
donc  cet  esprit  en  lui  :  non-seulement  l'Esprit  de  Jahvé 
avec  ses  formes  traditionnelles  diverses  reposerait  sur  sa 
personne,  mais,  de  plus,  cette  force  suprême  que  la  tradi- 
tion reconnaissait  à  Jahvé  seul  créateur.  11  serait  donc  plus 
que  le  Messie,  et  nous  aurions  là  une  première  manilèsla- 
tion  de  la  doctrine  chrétienne  du  Fils  de  Dieu  vivificateur, 
un  parallèle  assez  nettement  accusé  en  quelques  mots  aux 
développements  de  Jean  V  20.  Mais,  remarquons-le  tout 
d'abord,  les  Paraboles  parlent  bien  ailleurs  de  la  résurrec- 
tion des  morts  (Ll  I,  LXl  5),  et  il  ne  paraît  j>as  du  tout 
qu'elle  se  fasse  par  l'entremise  du  Messie.  La  conclusion 
du  savant  allemand  dépasse  d'ailleurs  ses  prémisses  :  ce 
qui  importe  aux  Justes  morts,  ce  n'est  pas  seulement  le 
retour  à  la  vie.  La  vie,  ne  l'ont-ils  pas  déjà  sous  une  forme 
nouvelle,  avec  les  anges,  au  bout  du  ciel  (\XXIX)  ?  Ce  qui 
leur  importe  avant  tout,  c'est  la  possession  de  la  récom- 
pense à  laquelle  ils  ont  droit,  la  punition  rigoureuse  de 
leurs  ennemis,  en  un  mot,  le  jugement  qui  apporte  la 
rétribution.  Aussi  les  diverses  formes  de  l'Esprit  sont-elles 
présentées  en  fonction  du  jugement,  et  c'est  de  jugement 
qu'il  est  question  dans  tout  le  contexte.  On  ne  saurait  ba- 
ser quelque  autre  conclusion  sur  la  lecture  plus  ou  moins 
garantie,  «  l'Esprit  de  celui  qui  fait  comprendre  »  (i)  : 
Celui  qui  fait  comprendre,  c'est  Dieu,  et  le  Messie  reçoit 


(1)  «  Wie  der  Messias  aus  seinem  Einsichtsgeist  heraus  Einsicht  verlei- 
het,  giebt  er  aus  seinem  (Lebens-)  Geist  heraus  das,  was  dieentschlafenen 
Frommen  brauchen  :  Daseinskraft.  —  Ibid. 


LE    MESSIANISME    DES    PARABOLES    d'hÉNOCH.  341 

rintelligence  ;  mais  il  ne  la  reçoit  point  pour  la  trans- 
mettre aux  hommes,  bien  plutôt  pour  s'en  servir  lui-même 
à  l'heure  du  jugement.  —  Gressmann  (i)  rapproche  très 
judicieusement  notre  texte  de  II  Macc.  XII  45,  ol  [jLex'  sjte- 
[ieiy.q  xo!.fxw[^£voi  (Is.  XI,  ap.  Sept,,  eûcrepe-ia) ,  et  en  conclut  à 
la  sûreté  de  notre  lecture.  Puis  il  propose,  sans  y  attacher, 
du  reste,  plus  d'importance,  de  s'appuyer  sur  ce  rappro- 
chement de  textes  pour  expliquer  les  termes  obscurs,  et 
met  en  avant  la  traduction,  «  l'Esprit  qui  rend  capable  du 
martyre  ».  J'ai  relevé  ailleurs  que  le  Messie  était  rapproché 
assez  singulièrement  des  Justes,  sans  doute,  des  Justes 
martyrs,  et  il  m'a  semblé  que  le  passage  en  question  pou- 
vait être  une  glose  chrétienne  (2).  Mais  ici,  il  n'est  point 
question,  que  je  sache,  de  gens  qui  souffrirent  une  mort 
violente,  et  l'on  cherchera  longtemps  en  quoi  «  l'Esprit 
qui  rend  capable  du  martyre  »  pourrait  aider  le  Messie 
dans  son  rôle  de  juge  supi'ême.  Si  l'on  s'en  rapporte  au 
texte,  il  parait  plutôt  que  le  Messie  reçoit  en  lui  «  l'esprit 
des  justes  morts  »  comme  il  reçoit  «  l'esprit  de  sagesse  » 
etc.  :  l'on  en  vient  à  penser  à  une  absorption  en  lui-même 
de  l'existence  supérieure  des  défunts.  Mais  ceci  même  est 
assez  étrange,  et  l'on  eût  parlé  au  pluriel  «  des  esprits  des 
justes  qui  sont  morts  ».  Au  chapitre  XXXIX,  ces  justes 
sont  devant  le  Messie,  comme  le  Messie  est  devant  Dieu  : 
un  évanouissement  des  premiers  dans  l'Elu  me  semble, 
dès  lors,  exclu  dans  la  mesure  même  où  l'on  croit  devoir 
abandonner  l'idée  de  quelque  résolution  panthéiste  des 
êtres.  Gunkel,  qui  s'est  entretenu  de  notre  texte  avec  Gress- 
mann, propose  d'interï)réter  les  mots  obscurs  dans  le  sens 
«  d'une  conception  animiste  :  en  lui  s'incorpore  l'esprit  de 


(1)  Der  Ursprung  des  israël.-jûd.  Eschatologie,  p.  359,  note. 

(2)  Cf.  Micséon  N.  S.,  1908,  p.  53,  note  2. 


54-2 


LE    MLiSEON. 


ceux  qui  sont  endormis  ».  Mais  cette  conception  animiste 
venait-elle  à  la  pensée  des  rédacteurs  des  Paraboles  ?  Pour 
eux,  l'esprit  de  Jahvé  n'était  pas  évidemment  Jahvé  lui- 
même  ;  mais  était-il  quelque  chose  de  vivant,  participant 
en  ((uelque  manière  à  la  vie  de  Jahvé  ou  même  la  soute- 
nant, qui  soit  extérieur  à  lui-même  et  communicable  ?  Si 
on  croit  pouvoir  raflirmer  (i),  je  ne  vois  pas  qu'on  puisse 
nier  la  possibilité  d'une  créance  à  quelque  chose  d'animé, 
et  ([ui  soit  de  même  dans  les  Justes,  participant  à  leur  vie 
ou  la  soutenant,  communicable  au  Messie  après  leui-  mort. 
Mais  il  me  semble  qu'il  en  va  d'autre  sorte  ici  :  l'esprit  de 
Jahvé  est  esprit  de  sagesse,  etc.  ;  l'esprit  de  ceux  qui  se 
sont  endoimis  en  justice,  ne  serait-il  pas  simplement  esprit 
de  justice  ?  Charles  (p.  157)  note  très-bien  que  «  la  justice, 
qui,  en  quel({uc  mesure,  appartenait  à  tous  les  fidèles  du 
passé,  atteindra  en  lui,  Messie,  sa  parfaite  réalisation  ». 


(1)  Hilgenfeld,  convaincu  de  la  composition  chrétienne  de  nos  Paraboles, 
ralTirmait  tout  à-fait,  et  en  appelait  pour  garantir  son  sentiment  à  Justin 
et  aux  Montanistes.  «  Das  —  d.  h.  XLIX  3  —  erklart  sicli  aus  der  altchrist- 
lichen  Vorstellung,  dass  die  ganze  Fiille  des  heiligen  Geistes  aus  seinen 
vorchristlichen  Triigern  auf  Christum  tiberging,  wie  der  Màrtyrer  Justin 
und  die  Montanisten  lehrten  «  P.  178,  note  1,  et  son  écrit  sur  la  Glossolalie 
p.  101  et  118.  —  Kn  réalité,  ni  Justin,  ni  Tertullien  n'enseignent  ce  qu'on 
leur  t'ait  dire.  Le  texte  d'Isaïe  XI 1,  qui  est  à  la  base  de  ce  passage  des 
Paraboles  est  discuté  par  Justin  en  Dial.  ST.  A  partir  du  Christ,  l'Esprit  a 
cessé  (c'est  sa  traduction  du  requiescat  d'Isaïe)  de  descendre  sur  les  Juifs; 
les  sept  dons  reposent  cependant  dans  l'âme  du  Christ,  mais  pour  se 
répandre  de  là  sur  les  chrétiens  II  n'est  donc  point  dit  que  l'Esprit  soit 
passé  des  Juifs  morts  dans  le  Messie,  et  il  n'est  question  que  des  Juifs 
vivants  qui  ne  le  reçoivent  plus  et  du  Messie  qui  le  possède.  —  Pour  Ter- 
tullien (Adv.  Marc.  V,  PL.  II 489),  les  dons  de  l'Esprit  ou  plutôt  la  sub- 
stance de  l'Esprit  a  habité  dans  le  Christ,  non  qu'elle  y  soit  venue  après 
coup,  puisque  avant  de  s'incarner  il  était  l'Esprit  lui-même,  mais  elle  a 
habité  en  lui  en  ce  sens,  que  l'Esprit  a  cessé  dès  lors  de  descendre  sur  les 
Juifs  (Cf.  aussi  De  Baptismo  10,  PL.  1, 1211  ;  Adv.  Marc.  III,  PL  II,  314,  315  ; 
Adv.  Juda^os,  IX). 


LE    MESSIANISME    DES    PAUABOLES    d'hÉ?jOCH.  545 

On  doutera  cependant  (jue  ceci  sufïise  à  expli([uei'  la 
mention  «  des  fidèles  endormis  »  ;  et  je  crois  qu'il  est  bon 
d'ajouter  quelque  autre  remarque  qui  peut  avoir  son  im- 
portance. Il  y  a  dans  notre  texte  référence  à  l'esprit  de 
Jahvé,  par  l'allusion  évidente  à  Isaïe  ;  l'on  y  trouve  encore 
mention  explicite  de  l'esprit  des  justes  morts  :  c'est  que 
le  Messie,  dans  sa  fonction  de  juge,  participera  à  la 
justice  et  de  l'un  et  des  autres.  Or,  la  mention  de  ceux- 
ci  survient  en  dernier  lieu,  et  l'emplace  l'expression  du 
Prophète,  riin'  ns*",  cù^t'^zU.  IN'y  a-t-il  pas,  dès  lors, 
quelque  motif  qui  ait  poussé  à  la  suppression  de  ces 
mots,  et  ait  creusé,  par  conséquent,  dans  la  citation 
accommodée  d'isaïe  une  lacune  qu'il  fallait  combler  pour 
le  mieux  ?  L'esprit  de  crainte  de  Dieu  apporte  avec 
lui  le  respect  du  Seigneur  et  de  sa  Loi,  c'est  l'esprit  qui 
inspire  la  piété  juive  traditionnelle.  Mais  l'on  sait  que' 
pendant  sa  vie  cachée,  le  Messie  demeure  dans  son  immo- 
bilité. Dans  sa  vie  publique,  il  agira,  sans  doute,  et  ce 
sei'a  à  l'égard  des  justes  et  en  leur  faveur  ;  si  l'on  fait 
abstraction  du  seul  texte  LXl  10  l'on  ne  trouvera  point 
qu'il  manifeste  quel  sentiment  que  ce  soit  en  présence  du 
Dieu  :  le  Seigneur  des  Esprits  agit  par  le  Messie  et  dans 
le  Messie  ;  le  Messie  agit  sur  les  justes,  mais  son  action 
ne  se  manifeste  que  du  côté  des  créatures.  Le  Pharisien 
qui  éci'ivit  Ps.  Sal.  XVII  notait  avec  soin  que  le  Messie  de 
son  idéal  serait  xpaTawç  èv  <pô|3o)  ffeoO  :  l'Rlu  des  Paraboles 
n'est  plus  le  roi  pieux  et  lidèle  que  nous  avons  appris  à 
connaître  ;  la  situation  est  toute  autre  et  l'on  doit  en 
tenir  compte  d'après  le  détail  :  il  sied  moins  d'aflirmer 
la  crainte  de  Dieu  de  quelqu'un  qui  se  trouve  justement 
tout  rapproché  de  lui,  qui  le  représente  dans  le  jugement 
même  et  intervient  en  sa  place  auprès  des  justes. 


344  LE    MUSÉON. 

Le  Messie  des  Paraboles  d'Hénoeh  existe  déjà  :  mais, 
pour  l'heure,  il  reste  caché  au  monde.  Sou  existence  de 
l'au-delà  n'est  point  cependant  si  dérobée  aux  regards  que, 
par  une  permission  spéciale  de  Dieu,  des  yeux  humains 
n'aient  pu  percevoir  sa  réalité  mystérieuse  :  avant  la 
révélation  suprême  qui  manifestera  le  Messie  aux  pécheurs 
comme  aux  justes  d'ici-bas,  il  y  aura,  et  il  y  a  eu,  des 
révélations  spéciales  qui  l'ont  fait  connaître  déjà  aux 
Saints  et  aux  hommes  de  bien  (XLVIII  7,  LXH  7).  Que 
l'on  entende  parler  tout  d'abord  des  défunts  qui  mainte- 
nant habitent  près  de  l'Elu  (XXXIX),  est  chose  naturelle  : 
ce  sont  ceux-là  qui,  plus  ([ue  tous  les  autres,  haïrent  ce 
monde  d'iniquité,  qui  ont  besoin  aujourd'hui  d'un  ven- 
geur de  leur  vie,  puisque  la  vie  même  leur  a  été  enlevée. 
Mais  il  s'agit  bien  aussi  des  Mystiques  élevés  par  l'extase 
au-dessus  de  la  terre,  emportés  mêuie  en  réalité  loin  des 
choses  d'ici-bas  ;  hommes  pieux  qui,  comme  Hénoch,  ont 
joui  des  faveurs  divines,  et  peuvent  conter  à  ceux  qui 
savent  entendre,  les  secrets  des  apocalypses  qu'ils  ont 
appris  en  l'autre  monde.  II  ne  paraît  pas,  d'ailleurs,  qu'il 
soit  question  des  Prophètes,  et  que  Dieu  ait  révélé  ce 
mystère  de  l'Elu  aux  saints  et  aux  justes  dans  les  livres 
de  l'Ancien  Testament  (i). 

Mais  les  temps  s'écoulent,  et  voici  que  vont  luire  «  ces 
jours-là,  ce  jour  »  ;  tout  le  monde  s'entend,  car  l'on  y 
pense  assez,  aux  espérances  dernières  et  au  jour  qui  les 
réalisera.   Faut-il  préciser  davantage,  l'on  parlera  «  du 


(1)  Ce  dernier  point,  contre  Charles  et  Martin.  J'embrasse  complètement 
l'opinion  de  Volz,  qui  dit  très  bien  :  «  Die  Weisheit  des  Herrn  offenbarte 
den  Messias  den  Heiligen....  :  hiebei  ist  wohl  nicht  an  die  alttestaraent- 
lichen  Propheten  und  ihre  Orakel,  sondern  an  die  apokalyptischen  Mysti- 
ker  und  ihre  ekstatischen  Visionen,  sowie  an  die  abgeschiedenen  Seiigen 
gedacht».  P.  219. 


LE    MESSIAMS.ME    DES    l'AUAHOLES    DllÉ.NOClI.  345 

joui'  de  souffrance  et  de  ti'ibulation  ».  Ce  sont  les  pécheurs, 
en  etfet,  qui  verront  alors  le  chaniiement  le  plus  extra- 
ordinaire se  produire  dans  leur  sort,  et  il  est  juste  que 
par  avance  on  désigne  l'heure  suprême  d'après  l'événe- 
ment le  plus  notable  dont  elle  sera  l'échéance  (cf.  XLV  :2, 
LV  5,  XLVIIl  10,  L  2).  Ce  moment  solennel  provoque 
aussi  un  changement  considérable  dans  les  destinées  du 
Messie,  puisqu'il  était  caché  jusque  là  et  qu'il  commen- 
cera maintenant  sa  vie  publique  :  on  parlera  donc  du 
«  jour  du  Messie  »  (LXI  5),  et  je  ne  sais  pas  si  cette 
explication  n'est  point  sutlisante,  sans  qu'il  soit  besoin 
d'entendre  «  le  iour  où  le  Messie  aspira  en  maître  )>, 
et  d'opposer,  par  suite,  cette  manièi-e  de  dire  à  celle  (jui 
était  accoutumée  en  l'Ancien  Testament,  «  le  jour  de 
Jahvé  »  (i).  Alors,  le  chitfre  de  justice  sera  atteint,  et 
la  prière  des  justes  exaucée  (XLVII  4).  C'est  en  prévision 
de  ce  moment  suprême,  que  les  anges  et  les  puissances 
n'empêchent  point  ce  ({ui  se  passe  en  ce  monde  :  car  Dieu 
a  fixé  un  juge  pour  tous  (XLI  D)  (2).  «  A  cette  heure,  ce 
Fils  d'homme  fut  api)elé  auprès  du  Seigneur  des  Esprits, 
et  son  nom  (fut  piononcé)  devant  la  Tête  des  jours  » 
(XLVIIl  '2)  :  c'est  la  seconde  vocation  messianicjue,  (jui 
plus  que  la  première  importe  à  la  terre.  Autrefois,  avant 
la  création,  le  Messie  avait  été  nommé  devant  Dieu,  et  ce 
fut  le  premier  instant  de  son  existence  ;  «  à  cette  heure  », 
son  nom  est  encore  prononcé  devant  le  Très-Haut,  et  c'est 
le  premier  instant  de  son  existence  visible,  de  sa  vie 
d'activité.  Dès  le  premier  moment  qu'il  fut  élu,  le  Fils 
d'homme  était  devant  Dieu  et  il  y  reste  à  jamais  (XLVHl 


(1)  Nur  in  Hen  B.  ist  der  Tag  des  Messias  =  der  Tag  GoUes.  Volz  ISS. 

(2)  Le  passage  a  ses  difficultés  :  le  texte  n'y  est  point  garanti  et  le  sens 
reste  douteux. 


546  LE    MLSÉON. 

6)  ;  «  à  cette  heure  »,  il  paraît  devant  la  face  du  Seigneur 
des  Esprits  (LU  9).  Du  reste,  rien  ne  change  dans  sa 
nature  :  il  ne  se  revêt  point  de  chair,  et  c'est  peut-être 
qu'il  en  était  déjà  revêtu  ;  il  n'acquiert  point  de  qualités 
nouvelles  ;  il  reste  ce  qu'il  était.  La  seule  différence  qu'on 
doive  noter  et  qui  se  produise  en  cet  instant  est  purement 
extérieure  :  jusque  là  il  était  caché,  maintenant  il  est 
révélé  au  monde.  L'idée  reste  juive,  sans  le  plus  léger 
mélange  de  la  pensée  grecque  (i)  :  nous  n'avons  à  relever 
ici  qu'une  révélation  complète  du  nom  du  Messie  (LXIX 
26), une  extériorisation  de  sa  personne,  £-f.oâv£!.a(LXIX29). 
Et  la  situation  même  ne  change  pas  en  tout,  il  y  a  sur 
terre  prolongement  de  l'état  de  choses  céleste  :  le  Juste 
devient  visihle  aux  hommes,  la  communauté  des  justes 
devient  visihle  ici-has  (XXXVIil  1  et  2)  ;  les  justes  et  élus 
brillaient  au  ciel  devant  le  Messie,  étaient  et  devaient  être 
pour  toujours  devant  lui  (XXXIX  6,  7),  devant  lui,  au 
dernier  jour,  ils  se  tiendront  sur  terre  (LXII  8). 

Jusqu'ici,  et  puisqu'il  était  toujours  question  de  la  vie 
cachée  du  Fils  de  l'homme,  nos  sources  diverses  ont  ap- 
porté chacune  leurs  renseignements,  renseignements  plus 
ou  moins  importants,  mais  qui  concordaient,  et  devaient 
concorder  entre  eux  :  s'agit-il  de  s'exprimer  maintenant 
sur  l'œuvre  terrestre  qu'accomplira  le  Messie,  sur  les 
moyens  qu'il  emploiera  pour  atteindre  son  but,  dès  lors, 
sur  le  caractère  même  qu'il  convient  de  lui  reconnaître 
au  temps  de  son  apparition  ici-bas,  l'accord  cesse  entie 
nos  documents  I  et  II,  ainsi  que  nous  l'avons  dit,  et  les 
textes  divergents  doivent  être  envisagés  à  part. 

Le  Fils  d'homme,  de  la  source  I,  s'en  prend  aux  rois  et 


(1)  Cf.  Harnack,  Fur  Vorstellung  der  Pràexistenz,  l.  c. 


Le  messianisme  des  paiwroles  d'hénocii.  547 

aux  puissants  de  la  terre.  Il  semble  que  ceux-ci,  pour 
l'instant,  soient  en  toute  tranquillité,  les  rois  reposant 
sur  leurs  couches,  les  hommes  forts  sur  leurs  sièges  : 
mais  ce  n'est  peut-être  qu'une  mise  en  scène.  Le  Messie 
les  fait  lever  :  «  il  relâche  les  rênes  des  hommes  forts  et 
brise  les  dents  des  pécheurs  »  (XLVI  4).  L'on  aurait  plutôt 
pensé  qu'il  eût  tiré  à  lui  les  rênes  symboliques,  relevé 
brusquement  ceux  qu'on  nous  disait  tout-à-l'heure  au 
repos,  et  dans  ce  coup  inattendu,  brisé  violemment  les 
dents  des  pécheurs.  Mais  le  terme  jefateh  n'autorise  pas 
ce  sens,  les  deux  parties  de  la  phrase  sont  indépendantes, 
et  les  images  se  choquent  sans  recevoir  leur  développe- 
ment. Cependant  il  doit  y  avoir  parallélisme,  et  si  la 
seconde  moitié  de  la  phrase  décrit  une  punition  des 
pécheurs,  on  ne  comprendrait  pas  qu'il  en  allât  tout  à 
l'opposé  dans  la  première  :  «  les  rênes  des  hommes  forts 
qui  se  relâchent  »  ne  peuvent  donc  s'entendre  des  restric- 
tions subitement  enlevées  qu'on  avait  apposées  jadis  à 
l'exercice  de  leur  liberté  ;  et  ces  hommes  forts  sont  des 
pécheurs  qui  doivent  être  punis.  Ces  rênes  sont  donc 
celles-là  que  les  puissants  tiennent  en  main,  et  je  suppose 
que  leur  rupture  symbolise  la  liberté  subitement  rendue 
à  des  feudataires  ou  à  des  sujets  indisciplinés.  En  tous 
cas,  les  dents  brisées  indiquent  assez  que  la  force  dont  ils 
disposaient  jusque-là  est  venue  à  son  terme  (cf.  Thren. 
m  i(),  Ps.  m  8,  LYIll  7)  (i).  —  Tout  cela,  est  l'œuvre  du 
Messie.  Pour  en  arriver  à  ses  fins,  il  a  pu  se  servir  des 
métaux  amoncelés  et  formant  montagnes,  quHénoch 
avait  vu  jadis  cachés  dans  les  cieux  :  et  Ton  entend  bien 
qu'il  ne  s'agit  pas  de  matériaux  à  l'état  brut  dont  le  Fils 


(1)  L'image  se  retrouve  peut-être  dans  les  Midrasim  :  au  Messie  ap- 
partient la  Q'-'û'J  nnp^  (Beresit  rab.  99,  etc.  Cf.  Weber  p.  382). 


348  LE    MUSÉON. 

d'homme  n'a  que  faire,  mais  des  ressources  mystérieuses 
qu'ils  symbolisent  (i).  Ces  ressources  de  toutes  sortes  qui 
furent  gardées  pour  ce  moment  suprême  servii'ontà  établir 
aujourd'hui  la  puissance  du  iMessie  :  qu'il  en  use,  et  il  de- 
viendra sur  terre  puissant  et  fort  (LU  1-5).  Déjà  la  vigueur 
des  grands  est  abattue,  le  rouge  de  la  honte  se  répand  sur 
leurs  visages.  L'humiliation  qui  leur  est  réservée,  chacun 
pourra  la  voir  :  ils  auront  pour  demeure  l'obscurité,  et, 
ceux  qui  reposaient  sur  des  trônes,  resteront  étendus  sur 
une  couche  de  vers  (Isaïe  XIV  1 1)  ;  cette  misère  épouvan- 
table n'aura  point  de  fin,  et  elle  n'est  que  l'image,  avant 
de  devenir  la  réalité  même,  de  l'horreur  du  tombeau 
(Job  XV1[  15).  Comment  on  les  a  réduits  à  un  état  aussi 
lamentable,  les  textes  le  laissent  entendre  assez  claire- 
ment :  leur  force  résidait  dans  leur  richesse,  et  cette 
richesse  leur  a  été  enlevée  ;  ils  avaient  mis  leur  confiance 
dans  les  dieux  que  leurs  mains  avaient  faits,  et  l'inanité 
des  idoles  a  consacré  la  déchéance  de  leurs  fidèles.  Le 
Messie  avait  chassé  les  rois  de  leur  royaume  ;  les  puis- 
sants seront  expulsés  des  maisons  où  s'assemblaient  les 
croyants  (-2)  (XLVJ  6-8).  Du  reste,  il  leur  est  impossible  de 
fixer  le  visage  des  justes,  car  déjà  ce  visage  reflète  quelque 
chose  de  la  lumière  et  de  la  gloire  du  Seigneur  des  Esprits: 
pour  eux  qui  tout-à-l'heure  possédaient  la  terre,  il  n'y  a 
plus  maintenant  de  puissance,  la  vie  va  leur  être  enlevée, 
ils  sont  remis  aux  mains  des  justes  et  des  saints  qu'ils 
avaient  opprimés  (XXXVIII  4-6). 

Voilà  ce  qu'avait  appris  à  Hénoch  l'Ange  qui  marchait 
avec  lui  et  lui  montrait  tous  les  secrets  ;  il  nous  faut 
recueillir  maintenant  des  renseignements  d'autre  nature, 

(1)  Cf.  Muscon  N.  S.  1908,  p.  48,  note  2. 
(2j  Cf.  infra. 


LE    MESSIANISME    DES    PARABOLES    d'hÉNOCH.  549 

et  l'Ange  de  paix  est  là  qui  vient  nous  les  apporter.  Dans 
le  désarroi  qui  se  manifeste  parmi  les  pécheurs  au  temps 
de  l'apparition  du  Messie,  ceux-ci  songent  à  utiliser, 
contre  lui,  peut-être,  les  ressources  qu'ils  ont  à  leur  dis- 
position. i\Iais,  chose  extraordinaire  !  le  fer  a  disparu  qui 
leur  eût  permis  de  fondre  des  cuirasses  et  des  armes  ;  il 
ne  leur  est  plus  possible  de  faire  la  gueri*e.  Le  bronze  et 
l'étain  perdent  toute  leur  valeur,  et  l'on  en  fait  ti  :  ils  ne 
trouvent  plus  ni  lOr  ni  l'argent  qui  leur  eussent,  sans 
doute,  permis  de  solder  une  rançon  ou  d'acheter  la  paix, 
et  aucun  deux  ne  peut  se  sauver  par  ce  moyen.  Toutes 
leurs  ressources  ont  disparu  d'un  coup  :  les  montagnes 
de  métaux, 

(c  Elles  toutes,  en  face  de  l'Elu,  deviennent  comme  de 

la  cire  en  face  du  feu, 
comme  de  l'eau  ({ui  descend  d'en-haut  par-dessus 

ces  montagnes, 
et  elles  deviennent  molles  en  avant  de  ses  pieds  » 

(LU  ()). 

La  comparaison  de  la  cire  fondante  est  fréquente  dans 
IWncien  Testament,  et  l'on  adapte  ici  à  la  venue  du  Mes- 
sie, ce  qu'avait  dit  le  Psaume  \X11  15,  surtout  Michée  I  5, 
de  la  venue  de  Jahvé.  Toutes  ces  richesses  des  pé(;heurs 
ont  disparu  subitement,  au  moment  où  s'est  manifesté  le 
Eils  de  l'homme  :  en  cette  occasion,  celui-ci  ne  parait  pas 
avoir  agi  directement,  mais  la  simultanéité  des  deux 
événements  est  assurée.  Les  montagnes  s'évanouissent 
d'elles-mêmes,  comme  la  cire  fond  tout  naturellement 
quand  le  feu  chauffe  à  côté  d'elle  ;  «  toutes  ces  choses  sont 
anéanties,  sont  fait  disparaître  de  la  face  de  la  terre  » 
(on  remarquera  la  tournuie  passive),  (juand  le  Messie  se 


550  LE    MUSÊON. 

présente.  Les  pécheurs,  du  reste,  ne  peuvent  s'enfuir  :  on 
ne  nous  dit  pas  pourquoi.  Ils  essaient  cependant  de  se 
tirer  d'affaire,  et  —  l'incohérence  règne  toujours  plus  ou 
moins  dans  les  développements  apocalyptiques  —  appor- 
tent des  cadeaux  et  des  offrandes,  bien  qu'on  se  fût  imaginé 
facilement  qu'ils  n'en  avaient  plus  à  leur  disposition  (i). 
Le  texte  LUI  I  qui  nous  donne  ces  détails,  est  assez  am- 
bigu :  il  est  question  de  présents  jetés  dans  une  vallée 
qu'on  ne  saurait  combler,  et  Vol/  conjecture  qu'il  y  a  là 
deux  idées  tout-à-fait  distinctes,  aujoui'd'hui  malheui'cu- 
sement  em])rouillées. 

Le  Messie  est  juste,  nous  le  savons  ;  cependant  l'esprit 
de  justice  est  encore  versé  en  lui  (LXII  2  ;  cf.  Is.  XI  avec 
XLV  8)  :  c'est  qu'il  va  entrer,  de  fait,  en  son  rôle  de 
justiciei'.  Aussi  Dieu  le  fait-il  asseoir  sur  le  trône  de  sa 
majesté  (LXH  "2,  LV  4),  et  c'est  la  chaise  d'honneur  qui 
est  attribuée  au  juge  suprême.  «  Le  trône  de  sa  majesté  » 
est-il  de  soi  le  trône  de  Dieu,  est-il  le  trône  du  Messie  ? 
La  dernière  hypothèse  parait  plus  probable  :  en  tous  cas, 
on  n'hésite  point  à  appeler  l'Elu  «  Celui  ({ui  règne  sur 
tout  ))  (LXH  6),  et  ceci  semble  bien  avoir  été  jusqu'alors 
une  dénomination  divine.  Comme  il  s'aîïit  dans  le  même 
texte  des  rois  qui  s'humilient,  la  locution  correspond  à 
celle  de  «  Roi  des  rois  »  que  d'autres  passages  d'Hénoch 
réservaient  à  Dieu  (IX  4),  et  elle  a  même  une  portée  plus 
considérable.  On  peut  supposer,  du  reste,  que  l'écrivain 
qui  s'est  permis  de  l'employer  d'une  manière  aussi  nou- 
velle songeait  à  Daniel  VII  li.  —  Décidément,  les  pécheurs 
ne  pourront  sortir  de  l'impasse  où  ils  ont  été  poussés  : 


(1)  Charles  écrit  :  «  AU  those  who  dwell  upon  eartli  will  bring  gifts  and 
présents  to  the  Messiah  to  win  a  favourable  judgment  «  ;  mais  Martin  a 
raison,  qui  ne  sait  trop  si  pour  l'neure  il  s'agit  du  jugement. 


LE    MESSIANISME    DES    PARABOLES    d'hÉNOCH.  551 

inutile  de  songer  au  mensonge,  ou  plutôt  à  ces  paroles 
vaines  et  oiseuses  qui  essaient  d'égarer  le  juge  (i);  de 
pareils  subterfuges  seraient  sans  résultat.  Ils  se  regardent 
les  uns  les  autres,  épouvantés,  déjà  tout  secoués  de  spas- 
mes, telle  une  femme  qui  ne  peut  accoucher  (Is.  XIII  8). 
Pour  eux,  plus  d'espoir  donc,  si  ce  n'est  dans  la  misé- 
ricorde du  Messie-juge  :  ils  louent  le  Fils  de  l'homme 
(LXII  5),  ils  demandent  grâce  (ib.  9).  iMais  c'est  en  viiin, 
et  déjà,  dans  une  vallée,  Hénoch  a  vu  les  anges  du  cliàti- 
ment  préparant  pour  eux  dos  instruments  de  torture 
(LUI  5).  Quelle  est  cette  vallée  ?  La  plupart  des  exégètes 
pensent  à  celle  de  Josaphat,  dont  parlait  Joël,  et  dont  il 
sera  fait  mention  dans  le  Talmud  :  la  localisation  convien- 
drait assez,  remarque  très  judicieusement  Martin,  étant 
donné  la  situation  qu'on  lui  assigne  ici  par  rapport  à  une 
autre  vallée  qui  est  sûrement  la  Géhenne.  Mais  la  sage 
réserve  de  Volz  parait  encore  plus  justifiée  :  le  lieu  est 
incertain,  et  Ion  veut  désigner  la  vallée  de  la  condamna- 
tion dernière  (2).  Qui  peut  donc  dire  où  se  dressera  le 
trône  du  Messie  ? 

Les  circonstances  de  temps  ne  sont  pas  autrement 
précises  que  celles  de  lieu  :  les  événements  se  juxtaposent, 
et  on  ne  songe  point  à  les  ranger  dans  un  ordre  tant  soit 
peu  rigoui'eux.  Qui  nous  dira  à  quel  moment  «  la  com- 
munauté des  justes  fut  semée  »,  et  à  quelle  heui'c  de  «  ce 
jour,  les  justes  se  tiendront  »  plus  spécialement  «  devant 


(1)  The  woi'd  translating  «lyingr  dénotes  «emptinessn;  thereisno 
reality  coiTesponding  to  it.  —  Charles  137. 

(2)  Geheimnisvoll  bleibt  die  Situation  dos  Gerichtsvorganges  in  Hen  B.; 
nur  soviei  merken  wir,  dass  die  Gerichtsscene  auf  transcendentem  Boden 
spielen  soll,  und  zwar  ist...  in  Hen  B  mehr  bloss(als  in  Dan  7)  eine  begrin- 
liche  Transcendenz.  ûas  Thaï  in  Hen  LUI  1  ist  wohl  urspriinglich  Ver- 
dammnisthal.  —  P.  259. 

22 


552  LE    MUSÉON. 

le  Messie  »  ?  Le  texte  LXII  8  apporte  avec  lui  un  jeu  de 
mots  par  contraste  :  la  communauté  des  saints,  maliehar, 
supposait  la  cohésion,  le  groupement  de  ses  membres  ; 
la  semence  indique  nettement  leur  dispersion.  Les  justes 
et  saints  ont  donc  été  dispersés  de  ci  de  là  ;  mais  le  jour 
suprême  les  verra  se  lever  ensemble  {jeqaûm)  devant  le 
Messie,  donc  dans  un  seul  lieu,  donc  constitués  dans  un 
groupement  nouveau.  Martin  (p.  13:2)  rapproche  LXII  8 
de  X  16,  et  conclut  :  «  La  race  des  élus  est  comparée  à 
une  semence  qui  se  développera  au  dernier  jour  ».  Il  me 
semble  que  l'idée  de  développement  est  accidentelle  et 
inhérente  à  la  comparaison  employée,  mais  l'auteur  a 
voulu  symboliser  l'éparpillement  momentané  des  justes. 
En  tous  cas,  l'allusion  est  directe  à  la  communauté  cachée 
(XXXVIII  1  —  Source  I),  plus  encoi'e  à  la  maison  de 
rassemblement  dont  il  est  question  en  LUI  6.  —  On  s'est 
demandé  ce  que  pouvait  être  cette  «  maison  du  rassemble- 
ment de  lui  (Messie)  »,  et  s'il  fol  lait  ridentifîer  avec  «  les 
maisons  du  rassemblement  de  lui  (Seigneur  des  Esprits) 
et  des  fidèles  »  (XLVI  8-source  I).  Le  premier  texte  semble 
supposer  une  action  du  Messie  qui  réunit  un  groupe, 
sans  doute  autour  de  lui.  Dès  lors,  a-t-on  dit,  il  se  pourrait 
qu'il  fût  question  des  synagogues:  le  même  Psaume  LXXIV 
ne  les  mentionne-t-il  pas  à  la  fois,  en  employant  le 
pluriel  D"">T-:  (vers.  8),  ce  qui  ressemble  à  XLVI  8,  et  en 
se  servant  du  singulier  (vers.  5),  ce  qui  se  rapproche 
précisément  de  LUI  6  ?  Notre  texte  pourrait  donc  laisser 
entendre  que  le  Messie  triomphant  rétablira  les  synago- 
gues, et  il  est  piquant  de  rappeler  à  ce  propos  quelque 
analogie  des  livres  rabbiniques  (Weber  577).  On  eût  pu 
ajouter  encore  que  le  Messie  parait  devoir  enseigner  lui- 
même   dans   ces  réunions   religieuses,   puisqu'il   a   reçu 


LE    MESSIANISME    DES    PARABOLES    d'hÉNOCH.  555 

l'esprit  de  doctrine  (XLIX5),  qu'on  l'appelle  «  la  lumière 
des  peuples  )>  (XLVIIl  4),  et  qu'il  doit  révéler  les  secrets 
de  ce  qui  est  caché  (XLVI  5).  Pour  le  coup,  on  eût  cité 
sans  faute  Jalkut  Schimeoni  (Is.  XXVI  2)  :  «  Le  Saint 
s'assiéra  et  il  expliquera  une  nouvelle  Loi  qui  sera  donnée 
par  le  Messie  ».  Au  fond,  tout  ceci  n'a  rien  à  voir  avec 
nos  textes.  «  Les  secrets  de  ce  qui  est  caché  »  sont,  d'après 
ce  qui  précède,  les  secrets  de  justice  ;  le  Messie  «  lumière 
des  peuples  »  est  un  emprunt  à  Isaïe  XLII  6,  et  il  faut 
rappeler  le  rapprochement  qu'Hénoch  institue  ailleurs 
entre  la  lumière  et  la  justice  (LVIII  4)  ;  l'esprit  de  doc- 
trine vient  aussi  d'Isaïe  XL  En  ce  qui  concerne  nos  textes 
LUI  6  et  XLVI  8,  il  convient  de  remarquer,  et  ceci  est 
essentiel,  qu'il  n'est  point  question  de  quelque  fondation 
nouvelle  faite  par  le  Messie,  mais  bien  d'une  révélation 
de  chose  cachée  {jàstarei,  le  mot  même  qui  désignait 
l'apparition  du  Messie).  De  plus,  cette  chose  cachée  n'est 
pas  simplement  une  assemblée,  une  église  invisible 
(XXXVII l  I)  :  je  ne  vois  pas  de  motif,  du  moins,  qui  nous 
oblige  à  donner  au  mot  bêt  un  sens  autre  que  celui  qu'il 
possède  en  premier  lieu.  Ce  qui  se  manifestera  alors  sera, 
sinon  précisément  la  Jérusalem  nouvelle  dont  les  Parabo- 
les d'ailleurs  ne  parlent  point,  du  moins  quelque  chose 
d'analogue,  la  maison  ou  l'endroit  où  se  rassembleront 
les  élus.  L'on  admet,  du  reste,  que  l'emploi  du  singulier 
ou  du  pluriel  a  peu  d'importance  dans  le  cas  présent  : 
peut-être  le  singulier  rappelle-t-il  davantage  l'idée  de 
communauté,  d'union  des  membres  (malichar),  tandis 
que  le  pluriel  correspond  très  exactement  avec  ce  qu'on 
nous  avait  appris  ailleurs,  que  «  leurs  lieux  de  repos 
devaient  être  innombrables  »  (XLV  5). 

Les  justes  et  les  élus  sont  là,  comme  à  un  spectacle, 


554  LE    MUSÉON. 

pour  contempler  le  châtiment  des  pécheurs  (LXII  l'a),  et 
les  pécheurs,  qui  semblent  avoir  été  au  préalable  chargés 
de  loui'des  chaînes  (LIV  5),  sont  là,  eux  aussi,  pour  regar- 
der le  châtiment  d'autres  êtres  (LV  4).  De  fait,  Hénoch 
aperçut  jadis  les  anges  du  châtiment  qui,  une  fois  encore, 
préparaient  des  instruments  de  torture,  et  ceux-ci  étaient 
pour  Azazel,  et  ses  troupes  d'anges  mauvais  (LIV  4-0). 
L'Elu  les  jugera  au  nom  du  Seigneur  (LV  4),  et  le  châti- 
ment leur  viendra  sui'  Tordre  de  Dieu,  au  moment  qu'il 
le  voudra  (5),  Il  tirei-a  vengeance  de  ces  esprits  injustes 
qui  séduisirent  la  terre  (LIV  Oj,  et  les  anges  sont  chargés 
de  cette  œuvre  de  haute  justice  (cf.  LXIV,  et  Miiséon,  N.  S. 
1908,   p.  60,  note).  Le  second   acte  du  jugement  équi- 
vaudra au  premier,  avec  cette  différence  que,  cette  fois, 
les  pécheurs  sont  en  scène.  Le  Seigneur  des  Esprits,  ou, 
plus  probablement  le  Messie  (i),  les  oblige  à  disparaître  au 
plus  vite  loin  de  sa  face  (lAH  10)  ;  la  colère  de  Dieu  repose 
sur  eux,  et  son  épée  s'enivre  de  leur  sang  (1^).  Les  anges 
du  cbàtiment  reçoivent  leurs  nouvelles  victimes  (11),  et, 
quelles  que  soient  les  suppli(!ations  qu'ils  entendent,  ne 
consentent  point  à  leur  donner  quelque  répit  (LXIII  1), 
et  à  se  relâcher  eux-mêmes  en  quehpie  chose  du  rôle  de 
vengeurs   qui    leur   a    été  conlié   (LXll    11).    Une  autre 
tradition  empruntée  à  Isaïe  XI  nous  représente  le  Messie 
exterminant    d'abord    et    dès    son    apparition    tous    les 
pécheurs  et  tous  les  impies  par  la  parole  de  sa  bouche 
(LXII  2)  :  on  n'insiste  pas,  du  reste,  et  ceci  n'est  quun 
détail  (pi'on  a  gardé,  bien  qu'il   fût  assez  incohérent  à 
côté  des  autres  développements  sur  les  assises  dernières 


(1)  Bousset  a  remarqué  très  justement  toute  l'invraisemblance  de  la 
locution,  «  ce  Seigneur  des  Esprits  v  :  le  démonstratif  est  seulement  expli- 
cable, s'il  s'agit  du  Fils  de  l'homme. 


LE    MESSIAMSME    DES    P.VKAUOLES    d'iIÉ.XOCII.  555 

et  la  condainiiatioii  des  péelieiirs  après  le  juirement. 
Somme  toute,  ces  descriptions  du  judiciuui  foreuse  ont 
elles-mêmes  leui'  incohérence,  et  celle-ci  provient  du 
mélange  qui  se  fait  de  deux  conceptions,  lune  plus 
ancienne,  d'après  laquelle  la  punition  des  pécheurs  s'ac- 
complit tout  naturellement,  parce  que,  ayant  offensé  Dieu, 
ils  restent  sous  le  coup  de  sa  colère,  et  l'autre  qui  suppose 
des  intermédiaires  entre  Dieu  et  les  criminels,  le  Messie 
([ui  remplace  le  Seigneur  dans  son  exercice  de  juge,  les 
anges  du  châtiment  qui  deviennent  les  justiciers  divins. 

Maintenant  les  justes  goûteront  tout  leur  honheui-.  Ils 
ont  pu  tressaillir  d'allégresse  en  voyant  les  tortui*es  de 
ceux  qui  les  opprimèrent  jadis  (lAIl  1:2)  :  désormais,  ils 
seront  déharrassés  d'eux  (15).  La  vie  nouvelle  commence  : 
(c  sur  eux  habitera  le  Seigneur  des  Esprits  »,  et  c'est  là 
peut-être,  étant  donné  la  singularité  de  la  i)réposition, 
une  réminiscence  d'isaïe  LX  18  (i).  En  tous  cas,  les  justes 
sont  éclairés  :  bien  plus,  ils  ont  revêtu  ce  vêtement  huni- 
neux  qui  est  aussi  un  vêtement  de  vie  ;  leur  vêtement  ne 
s'usera  point,  ils  vivront  donc  sans  lin,  toujours  glorieux. 
Le  Fils  de  l'homme  sera  en  leur  société  :  et  ces  justes 
transfigurés  mangeront,  se  coucheront  et  se  lèveront  avec 
lui  pendant  toute  l'éternité.  Représentation  naïve,  non 
point  tant  des  jouissances  grossières,  mais  de  la  paix,  du 
bonheui*  et  de  la  gloire  qu'on  attend,  qu'on  espère,  dont 
on  a  besoin  ! 

La  source  I  nous  avait  montré  le  Messie  Roi  vainqueur, 
et  la  source  II,  le  Messie  juge  :  cette  dernière  conception 
prédomine,   du   reste,   dans  les  Paraboles,  et,  dans   ces 


(1)  Comparer  Apoc.  Jolin.  Vil  15,  6  xaôiîfjievo;  èttI  toO  6pdvou  <JXT)vtjj(T£i  in 


356  LE    MUSÉON. 

textes  divers  qu'il  est  impossible  de  classer,  nous  retrou- 
vons tout   ou   partie  des  détails  connus,  avec  quelques 
autres   nouveaux    qu'il    convient   de   mentionner.    A    un 
moment  donné,  se  produit  la  résurrection  des  morts  (LI  1, 
LXI  o),  et  il  paraît  bien  qu'il  s'agit  de  tous  les  morts,  et 
non-seulement  des  Israélites.  Déjà  le  xMessie  a  paru,  puis- 
sant sur  tous  les  secrets  de  justice  (XLIX  "2)  :  il  sassied  sur 
son  trône  ou  y  est  établi  par  Dieu,  pour  la  plus  iïrande  joie 
des  justes  (XLV  3'').  La  somme  du  jugement  lui  est  remise 
(LXIX  27),  et,  de  fait,  il  doit  juger  les  anges  même  du 
ciel.   Martin,   après   Dillmann,    fait  cette   remarque  que 
«  ceux  qui  sont  en   haut  du  ciel,  c'est-à-dire  les  anges, 
ont  reçu  l'ordre  de  louer  l'Elu,   une  voix  pour  le  faire, 
une  lumière  pour  voir  ses  grandeurs  »  :  à  la  vérité,  LXI  G 
parait  viser  le  Seigneur  des  Esprits,  non  point  le  Messie. 
Celui-ci  donc,  établi   sur  son   trône,  juge  les  <euvres  des 
saints  du   ciel   et  pèse  leurs  actions  à  la  balance.  On  ne 
voit  pas  bien  de  quels  principes  il  s'inspire  [)Our  juger, 
et  ce  qu'il  faut  entendre  par  les  mots,  «  suivant  la  parole 
du  nom  du  Seigneur  des  Esprits   «.  Charles  ([).   IGl)  en 
appelle  au  membi-e  parallèle  dans  la  phrase,  «  suivant  la 
voie  du  juste  jugement  du  Seigneur  des  Esprits  »  :  mais 
il  faut  aussi  tenir  compte  du  sens  de  chaque  mot.  Or  l'on 
comprendrait  que  le  Messie  fût  présenté  comme  agissant 
«  au   nom  du  Seigneur  »,   ou  «  suivant  les  ordres   du 
Seigneur  »  ;   mais   à   quel   sens   arrivons-nous,    s'il   faut 
traduire,  «  suivant  le  commandement  du  nom  du  Seig- 
neur »  ?  Volz  (p.  253)  explique  ainsi  le  passage,  «  nach 
dem  ihm  geoflfenbarten  geheimen  Wort  desselben  (des  H. 
der  G.)  »,  et  il  a  raison  :  on  ne  voit  guère  autre  sens  à 
donner  que  celui-ci,    «  suivant   la   formule  du   nom  du 
Seigneur  des  Esprits  ».  Il  y  a  donc  une  formule  qui  doit 


LE    MESSIAMSME    DES    PAl'.AUOI.ES     d'iIÉNOCII.  557 

servir  au  Messie  lors  du  jugement,  et  c'est  le  nom  divin. 
Ceci  rappelle  «  le  serment  Aqae  »  dont  la  puissance  occulte 
produisit  de  si  merveilleux  etfets  à  l'heure  de  la  création 
(1A1\  15-:2i',  et  on  pense  d'ailleurs  à  l'emploi  connu  du 
nom  sacré  dans  les  formules  magiques.  Le  Messie  se 
servirait-il  ainsi  de  l'une  d'elles  pour  juger,  et  donc  tout 
d'abord  pour  connaître  «  les  voies  cachées  »  des  Anges 
(lAI  9)  ?  Quoi  ({u'il  en  soit,  à  l'occasion  de  ce  jugement, 
les  esprits  célestes  louent  le  nom  du  Seigneur  des  Esprits, 
[)uis  lui-même  parait  avec  eux,  d'une  manière  fort  étrange 
et  qui  éveille  les  soupçons  les  plus  sérieux  quant  à  la 
teneur  primitive  du  texte  (i),  louant  et  célébrant  la  gloire 
de  Dieu  (9,  opposition  de  10). 

Le  jugement  des  anges  s'était  fait  au  ciel  (LXl  8)  :  le 
Messie  remplira  maintenant  vis-à-vis  des  élus  ce  même 
otïice  de  juge.  11  va  devenir  effectivement  le  bâton  des 
justes,  la  lumière  des  peuples,  le  vengeur  de  leur  vie 
(XLYIII  5).  Les  secrets  des  pécheurs  lui  sont  connus,  et  il 
n'y  a  point  de  ])arole  creuse  qui  se  puisse  prononcer  devant 
lui  (XLIX  i)  :  c'est  qu'il  a  reçu  de  Dieu  la  puissance  d'agir 
avec  autorité.  Les  secrets  de  sagesse  procéderont  de  sa 
bouche  (Ll  5)  :  aussi  peut-il  faire  un  choix  parmi  les  actions 
des  élus  (XLV  5,  cf.  .)/M6eo?i  N.  S.,  1908,  p.  44,  note), 
et  parmi  les  élus  eux-mêmes  (LI  2).  Le  jour  de  leur 
délivrance  est  proche,  et  sa  parole  est  puissante  devant  le 
Seigneur  des  Esprits  (LXIX  "29)  :  les  pécheurs  et  ceux  qui 
ont  fait  errer  le  siècle  (?  anges  coupables)  disparaissent  de 
ce  monde  (LXIX  29,  XLV  6),  enchaînés  quelque  part  en 
une  prison  commune  (LXIX  27).  L'injustice  s'en  est  allée 
comme  l'ombre  qui  ne  dure  pas  en   ces  pays  d'Oj-ient 

(1)  Cf.  infra. 


558  lE    iMLSÉON. 

(XLIX  2)  ;  rien  de  corrompu  n'existera  plus  désormais 
(LXIX  '20) .  Il  n'y  a  plus  que  le  soleil  dont  les  rayons 
éclaireront  les  élus,  la  lumière  de  vie  éternelle  qui  brillera 
en  eux  (LVIll  2).  Le  ciel  a  été  changé,  et  la  terre  aussi  : 
c'est  sur  elle  que  demeurent  les  élus  (XLV  5),  dont  les 
habitations  sont  innombrables  (XI.V  5).  Les  anges  sont 
allés  au  ciel  chercher  «  les  secrets  de  justice,  le  sort  de 
foi  »,  et  c'est  la  récompense  des  saints.  L'Elu  se  trouve 
au  milieu  d'eux  (XLV  i),  devant  Dieu  ils  sont  rassasiés 
de  salut  (ib.  6),  et  cela  dure  à  jamais  (LVIII  6).  On  ne  dit 
pas  qu'anges  et  hommes  constituent  à  la  fois  cette  com- 
munauté éternellement  heureuse  de  saints  (i),  mais  tous 
ceux-ci  deviennent  des  anges  au  ciel  (Ll  4).  Les  limites 
s'effacent,  qui  sépai-aient  les  éléments,  le  surnatnrel  et 
le  naturel  ;  le  ciel  et  la  terre  nouvelle  ne  se  distinguent 
pas  très-fermement  l'un  de  l'autre,  et  il  n'est  pas  trop 
surprenant  que  l'on  oublie  ainsi  les  distinctions  de  natures  : 
les  hommes  glorifiés  habitent  la  terre  renouvelée  (XLV  5), 
et  ce  sont  en  même  temps  des  anges  au  ciel  (Ll  4)  (2). 

Tout  cela  n'est  guère  précis,  sans  doute,  mais  on  peut 
craindre  que,   nonobstant  toute  précaution,  la  précision 


(1)  On  connaît  déjà  les  conclusions  de  Charles  en  ce  qui  concerne  le 
chapitre  XXXIX.  «  The  chief  inference  that  \ve  can  legitimately  draw  is 
that  the  Messianic  community  will  one  day  be  composed  of  both  angels 
and  men,  under  the  rule  of  the  Messiah  and  the  immédiate  protection  of 
the  Lord  of  Spirits  «  (p.  llti). 

(2)  Il  ne  semble  pas  qu'il  y  ait  dans  les  Paraboles  la  moindre  conception 
chiliaste.  Quoi  qu'en  dise  Hilgenfeld  (p.  17S  et  note  2),  la  terre  nouvelle 
n'est  pas  pour  les  élus  «  un  simple  lieu  de  passage  avant  leur  élévation 
au  ciel,  élévation  qui  doit  vraisemblablement  se  faire  après  un  règne  de 
mille  ans  du  Christ  sur  la  terre  v.  On  ne  suppose  pas  que  l'état  de  béati- 
tude des  justes  soit  un  état  transitoire  ;  on  ne  pense  pas  qu'à  un  moment 
précis  ils  doivent  se  trouver  sur  la  terre  seulement,  puis,  plus  tard,  seule- 
ment au  ciel,  mais,  comme  l'avait  déjà  vu  Sieflfert  (p.  24),  "  omnes  simul 
in  terra  et  in  cœlo  erunt,  quia  tune  terra  et  cœlum  unitae  erunt  », 


LE    MESSIANISMK    DES    PARABOLES    d'hÉNOCU.  55D 

soit  encore  plus  grande  ici  qu'elle  ne  l'est  dans  les  textes  : 
ceux-ci  sont  dispersés  à  droite  et  à  gauche,  les  traits  sont 
épars  qui  constituent  cette  curieuse  figure  de  Messie  ;  en 
rassemblant  les  textes,  en  coordonnant  ces  traits,  le 
rapprochement  des  uns  et  des  autres  grossira  peut-être 
celui-ci,  atténuera  cet  autre,  et  ne  conservera  peut-être 
pas  entièrement,  quoi  que  Ton  fasse  et  que  l'on  puisse 
faire,  l'indécision  et  le  flou  du  portrait  messianique  que 
s'étaient  faits  les  auteurs  de  nos  Paraboles.  Passe  encore 
pour  le  roi  vainqueur  de  la  source  1,  mais  l'être  étrange 
que  nous  avons  appris  à  connaître  dans  la  source  H  et  dans 
le  reste  même  des  Paraboles,  nous  surprend  tellement  que 
nous  ne  pouvons  nous  empêcher  de  pénétrer  au  ti*avers 
de  cette  buée,  de  percer,  s'il  est  possible,  jusqu'à  ce 
personnage  mystérieux  pour  nous  convaincre  enfin  quel 
il  peut  être.  Dieu,  ange  ou  homme  :  tant  il  est  vrai  que 
l'état  d'esprit  contemporain  qui  n'admet  que  les  situations 
claires  et  les  êtres  nettement  définis  est  étranger  à  celui 
des  écrivains  apocalypti(jues  qui  se  complaît  dans  le  vague 
et  le  charme  même  du  mystère  ! 

Le  Messie  des  Paraboles  n'est  point  identique  à  Dieu  : 
mais  il  est  toujours  à  côté  de  lui  ;  il  ne  parait  sur  terre 
qu'au  moment  fixé  par  lui,  et  son  jugement  même  est 
ratifié  par  lui,  puisqu'auprès  de  lui  sa  parole  décisive  est 
puissante.  C'est  au  début  des  temps  et  à  la  fin  de  ce  monde 
que  la  distinction  entre  l'un  et  l'autre  est  le  plus  nettement 
marquée.  Avant  la  création,  le  Messie  était  «  sous  les  ailes 
du  Seigneur  des  Esprits  »,  donc  protégé  par  lui,  donc 
distinct  de  lui  et  de  nature  inférieure  :  du  reste,  dans  cette 
l'égion  élevée  qu'habitent  les  anges,  Raphaël  est  chargé  de 
célébrer  les  louanges  de  l'Elu,  et  Dieu  seul  reçoit  les 
adorations   de   cet   autre  «  Visage  »  dont   le   nom   est 


560  Li:    MLSÉON. 

«  Michai'l,  qui   ressemble  à  Dieu  ?  »  Après  le  jugement, 
Dieu  habitera  «  sur  »  les  justes,  mais  le  Fils  de  l'homme 
sera  avec  eux  à  vivre  et  à  se  réjouir  sur  terre.  Dans  l'entre- 
deux,  pendant  sa  vie  active,  le  Messie  se  confond  davantage 
avec  Dieu.   11  est  juste,    sans   ([ue   mensonges,    cadeaux, 
prières  puissent  avoir  quelque  influence  sur   lui,   et   la 
justice  de  Dieu  est  sans  mesure  ([All[  5*')  ;  devant  Dieu 
tous  les  secrets  sont  manifestes  (LXlll  :2"),  et  lui  est  fort 
sui*  tous  les  secrets  de  justice  (XLIX  ^).  Il  faut  dire  cepen- 
dant que  justice  et  sagesse  ne  sont  dans  le  Messie  que  par 
participation,  puisqu'il  a  reçu  l'espi'it  de  Dieu  sous  ses  sept 
formes  traditionnelles.  Néanmoins  sa  ligure  demeure  bien 
étrange,   et,  quoiqu'on  puisse  les   expliquer  en   quelque 
manière,  certaines  formules  restent  assez  suggestives.  Je 
note,  le  jour  de  l'Elu  qui  remplace  le  jour  de  Jahvé,  le 
lieu  de  rassemblée  du  Messie   qui  se  compare  aux  lieux 
de  rasseml)Iée  de  Dieu  et  des  fidèles,  avant  tout  la  déno- 
mination messianique  «  Celui  qui  règne  surtout».  Peut- 
être  l'idée  du  Messie  chef  de  l'église  des  élus  explique-l-elle 
que  les  justes  soient  sauvés  par  son  nom  (XLVID  7),  alors 
que  le  nom  de  Dieu  seul,  on  nous  l'a  dit,  peut  sauver  les 
pécheurs  (L  5).  Du  reste,  au  dernier  jour,  ceux-ci   dispa- 
raîtront loin  de  la  face  du  Messie   (LUI  7),  et  loin  de  la 
face  de  Dieu  (LUI  2).   Il  est  une  comparaison  qu'il  me 
parait  intéressant  d'établir  et   que  je  crois  de   nature  à 
monti'er  comment  les  personnages  de  Dieu  et  du  Messie 
se  cachent  l'un  l'autre,  se  substituent  l'un  à  l'autre.  On 
parle  des  pécheurs. 

LXII  iO'\  Leur  visage  se         LXIII  11.  Leur  visage  se 
remplira    de    confusion    et     remplira   d'obscurité  et   de 
l'obscurité  s'accumulera  en     confusion 
leur  visage.  devant  ce  Fils  de  lliomme, 


LE    MESSlAMSMi:    DliS    PAUAItOLtS    DIIÉ.NOCIl.  501 

1 0'^  Co  Sei(jneur  des  Esprits     et 
les   poussera   afin   quils  se         ils  seroiil  t'hassés 
pressent    et  sortent  loin    de         loin  de  son  lisaijc  idti  Mcs- 
son  visage,  sic, 

lit  et  son  iilaive  {du   Soi-     et  le  lilaive 
(jneur     des     /:,)     s'enivrera 

d'eux.  liaJ)itera    devant    sa    t'aee 

(du  .Messie)  parmi  eux. 

Auti'e  reniar(|ue.  Les  eriti(|ues  parlent  volontiers  du 
Messie  tjvOsovo;,  et  l'expression  serait  exaete,  si  elle  eorres- 
pondait  à  la  réalité  de  tous  les  faits  ;  mais  ces  laits  ne  sont 
[)as  identiaues.  En  \LVI[  5,  c'est  Dieu  ([ni  |>rend  place 
sur  le  trône  de  uloire.  Un  1A[  8,  lAll  '2.  5,  Dieu  t'ait 
asseoir  le  Messie  sur  le  trône  de  sa  iiloire,  et  nous 
rejoignons  Ps.  CA  :2.  Le  Messie  s'assied  lui-uRMue  sur  le 
trône  de  iiloire  \L\T),  de  sa  uloire  LXiX  "27.  2t).  En  LV  i-, 
les  niss.  hésitent  :  le  Messie  s'assied  sui'  le  tr<Mie  de  i;loire, 
—  Q,  l,  Il  de  mo  liloire.  On  [(ourrait  croire  ici  à  une 
leçon  tardive  malheureuse,  mais  en  Id  5  les  meilleurs 
mss.  a[)[)uient  la  lecture  :  «  L'Elu  prendi'a  place  sur  mon 
trcHie  ».  Si  le  Messie,  à  l'heure  du  juiicment,  occu[te  le 
siège  même  de  Dieu,  et  Ton  voit  (pi'aucun  scru[)ule 
théologique  n'a  gène  les  écrivains  (|ui  s'expriment  de  la 
sorte,  on  comprendi-a  qu  il  reçoive  sur  terre  les  lonangcs 
et  les  uîarques  de  respect  qu'il  est  accoutumé  de  réserver 
à  Dieu  (LXll  G,  ?  XLVI  o,  ?  LX[  7).  Dieu  n'en  est  point 
frustré  par  ce  fait  même,  et  il  semble  qu'il  soit  honoré 
plutôt  dans  la  même  mesure  :  on  se  prosterne  devant  le 
Messie,  et  c'est  le  Seigneur  des  Espi'its  qu'on  loue(XLVIUo). 
Ce  dernier  texte  est  de  nature  à  jeter  quelque  jour  sur  le 
caractère  de  l'Elu,  et  il  foit  revenir  à  l'esprit  les  anecdotes 
sacrées  de  l'ancienne  littérature,  l'ange  de  Jahvé  qui  paraît 


362  LE    MUSÉON. 

et  c'est  Jahvé  qu'on  adore,  l'ange  de  Jahvé  qui  parle  et 
c'est  Jahvé  qu'on  entend.  Entre  l'ange  du  Seigneur  et  le 
Fils  de  rhoinme  des  Paraboles,  il  y  a  sûrement  parenté 
étroite,  mais  l'un  ne  saurait  être  confondu  avec  l'autre, 
car  tous  les  traits  ne  concordent  pas.  Le  Fils  de  l'homme 
est  soumis  à  Dieu,  il  lui  est  inférieur,  et,  en  quelque 
texte,  très  suspect,  sans  doute  (i),  il  parait  à  l'heure  du 
Jugement  s'unir  aux  esprits  célestes  pour  lui  offrir  ses 
louanges  et  ses  adorations.  On  le  mentionne  après  l'armée 
de  Dieu,  les  Cheruhim,  Seraphim  et  Ophanim,  les  anges 
de  puissance  et  les  anges  de  majesté,  non  ])as  qu'il  soit 
d'une  dignité  moindre  que  la  leur,  puisqu'il  a  exercé  le 
jugement  à  leur  égard,  mais  bien  au  contraire,  parce  qu'il 
est  plus  grand  qu'eux  tous.  «  L'Elu  est  nommé  à  la  fin, 
comme  le  dernier  terme  et  le  couronnement  de  la  hiérar- 


(1)  Il  faut  le  dire,  le  texte  est  tout-à-tait  suspect.  Le  sujet  de  cette 
phrase,  comme  celui  de  la  précédente,  parait  bien  être  le  Messie.  Le  Messie 
appelle  les  esprits  célestes  et  les  invite  à  louer  Dieu,  comme  lui-même  a 
prononcé  la  sentence  en  ce  qui  les  concernait  et  pesé  leurs  actions  à  la 
balance.  Le  vers.  10  semble  l'explication  ou  plutôt  le  développement  de  ce 
qui  précède  :  tous  les  Esprits  célestes  vont  d'une  seule  voix  chanter  les 
louanges  du  Seigneur  des  Esprits  ;  l'Elu  convie  donc  chacune  de  leurs 
compagnies  à  remplir  ce  devoir  (10),  et  elles  le  remplissent  (11  sqq.).  Il  est 
très  étrange  de  voir  le  Messie  établi  juge  des  Esprits  célestes  se  mêler  à 
ces  mêmes  Esprits  et  chanter  les  louanges  de  Dieu  :  ceci  est  tout-à-fait 
contraire  à  l'idée  que  nous  sommes  obligés  de  nous  faire  de  sa  personne 
(cf.  supra  p.  357).  Puis,  pourquoi  l'ordre  de  développement  ne  serait-il  pas 
gardé  d'un  bout  à  l'autre,  et  comment  se  fait-il  qu'on  n'ait  point  nommé 
dès  le  début,  avant  tous  les  autres,  les  puissances  de  la  terre  et  de  l'eau, 
puisque  Tordre  va  du  moins  au  plus  digne?  Le  texte  parait  retouché,  et 
il  y  a  beaucoup  de  probabilités  qu'au  lieu  de  l'Elu  il  y  ait  eu  là  un  nom 
pluriel.  C'était  peut-être  un  nom  d'ange,  ainsi  que  le  suppose  Bousset 
p.  375,  et  il  peut  se  faire  que  nous  ayions  eu  ici  l'énumcration  des  sept 
groupes  hiérarchiques  :  Cherubim,  Seraphim,  Ophanim,  àf^/at,  xuptdxTjxsç, 
âxXEXToi,  £;o'jTt'ai.  L'hypothèse  est,  sans  doute,  alléchante,  mais  elle  se 
heurte  à  cette  diïBculté,  que,  d'un  bout  à  l'autre  des  Paraboles,  le  nom 
d'Elus  s'entend  des  hommes  justes  membres  de  la  communauté  invisible, 
et  que  ce  sens  revient  même,  autant  qu'il  semble,  dès  le  verset  qui  suit, 
12  (cf.  LXX;4). 


LE    MESSIANISME    DES    PARABOLES    d'iIÉNOCH.  563 

chie  des  cieux  »  (Martin,  p.  128).  On  ne  laisse,  après  lui, 
que  «  les  autres  puissances  qui  sont  sur  la  terre  et  sur 
l'eau  »,  peut-être  ces  djinns  d'espèce  inférieure  qu'on  n'a 
point  voulu  mettre  au  rang  des  Esprits  célestes,  puis- 
qu'aussi  bien  ils  ne  sont  pas  au  ciel,  et  qu'on  a  laissés  de 
côté,  hors  cadre. 

Le  Fils  de  l'homme  a  donc  beaucoup  de  traits  communs 
avec  l'Ange  du  Seigneur,  et  Ton  se  rappelle  qu'Hénoch, 
quand  il  le  vit,  lui  reconnut  un  visage  semblable  à  celui 
des  anges  saints.  Mais  ce  visage  était  aussi  «  comme  vision 
d'homme  »  ;  d'autre  part,  il  est  question,  en  quelque 
endroit,  «  des  pieds  »  du  Messie  (LU  0).  Celui-ci  a  donc 
l'extérieur  d'un  honmie,  et  l'on  doit  dire  que,  dans  une 
certaine  mesure,  il  en  a  aussi  la  réalité.  Lorsque  les  temps 
seront  accomplis,  il  habitera  avec  eux  sur  la  terre  renou- 
velée (XL  4),  et  ceux-ci  mangeront,  se  coucheront  et  se 
lèveront  avec  lui  (LXII  14).  Il  est  vrai  qu'alors  l'humanité 
ne  sera  plus  tout  à  ftiit  telle  que  nous  la  connaissons  ;  les 
élus,  parce  qu'ils  seront  glorifiés,  seront  hommes  et 
«  anges  dans  les  cieux  »,  et  on  comprend  assez  que  «  Celui 
dont  le  visage  est  comme  vision  d'homme  et  comme  l'un 
des  saints  anges  »  puisse  alors  frayer  avec  eux.  En  dernière 
analyse,  le  Messie  des  Paraboles,  qui  semble  un  ange  et 
même,  à  un  certain  degré,  l'Ange  du  Seigneur,  qui  a 
pourtant  l'extérieur  d'un  homme,  et  déjà  celui  du  juste 
glorifié,  personnage  surnaturel  au-dessus  des  êtres  sur- 
naturels et  existant  avant  même  la  création,  pourrait  bien 
être,  dans  l'esprit  des  écrivains  apocalyptiques,  une  sorte 
de  preinier  homme,   «  l'homme  céleste  »   (i),  qui  a  pu 

(1)  Le  Fils  d'homme  des  Paraboles  a  quelques  traits  qui  rappellent  plus 
ou  moins  certaines  ligures  héroïques  des  littératures  sacrées  do  l'Oi'ient. 
On  pense  d'abord  aux  légendes  iraniennes  plus  ou  moins  effacées  (cf. 
Geldner,  Zeitsch.  f.  vergleich.  Sprachforschung,  XXV  179)  sur  Yima  flls 


SO^  LE    MUSÉON. 

jouer  quelque  rôle  au  premier  jour  du  monde  —  de  cela, 
nos  textes  ne  disent  rien,  —  mais  qui  jouera  le  plus  grand 
quand  arrivera  la  (in  des  choses. 

L'on  voit,  dès  lors,  toute  la  différence  qui  existe  entre 
ce  personnage  et  ceux  que  nous  avons  appris  à  connaîti-e 
dans  les  parties  anciennes  du  livied'Hénoch  et  les  Psaumes 


de  Vivanhant  (Inde  :  Yama  fils  de  Vivasvant).  Autrefois  Ahuramazda  lui 
donna  commission  dentretenir,  de  protéger  et  de  gouverner  ses  créatures 
(Vendid.  II)  ;  c'est  peut-être  avant  la  rin  du  monde  qu'il  habite  le  Vara, 
gardien  des  êtres  qui  seront  l'humanité  future.  Comme  le  Fils  d'homme  se 
trouve  auprès  de  la  Tête  des  jours,  ainsi  Yima  demeure  près  de  Vivanhant. 
Il  semble  que  le  Paradis  où  il  réside  soit  "  dans  l'Airyana-Vaéjah.  Tlranvej, 
le  pays  d"origine  des  Iraniens  ^  :  le  séjour  des  élus  (Hen.  XXXIX)  parait 
être,  nous  l'avons  dit  (cf.  Muséon,  N.  S.  supra  p.  321  et  note  1)  au  bout 
même  des  cieux,  à  la  limite  de  ce  monde.  Yima  se  trouvait  en  son  Vara 
avec  les  hommes  et  les  femmes  qui  sont  les  plus  grands,  les  meilleurs  et 
les  plus  beaux  sur  cette  terre  :  Hénoch  —  et  c'était  pourtant  le  septième 
homme  —  aperçut,  quand  il  fut  enlevé  au  séjour  de  béatitude,  des  justes 
innombrables  qui  s'y  trouvaient  réunis,  les  Patriarches  et  les  saints  qui 
depuis  un  temps  incalculable  habitaient  ce  lieu  (LXX  4).  Du  reste,  si,  avec 
Volz,  Gressmann  et  Bousset,  il  semble  que  l'on  puisse,  à  propos  du  Messie 
des  Paraboles,  songer  à  quelque  mystérieuse  figure  de  premier  homme, 
dans  le  fargard  11  cité,  il  parait  demeurer  comme  un  arrière-souvenir  que, 
avant  Gayômart,  Yima  ait  été  premier  homme  (cf.  Blochet,  Rev.  del'hist. 
des  rel.  XXXVIII  55  ;  Sôderblom,  Vie  future...  17(3  v).  Ajoutons,  cependant, 
que  le  Fils  d'homme  des  Paraboles  n'est  point,  ainsi  que  le  héros  du  Ven- 
didâd,  gouvernant  bien  son  troupeau  et  chef  suprême  d'empire,  mais  plu- 
tôt chef  délégué  d'une  église  de  saints  ;  enfin  et  surtout  —  ceci  est  tout 
différent  —,  il  est  le  juge,  le  commis  de  Dieu  pour  la  liquidation  des  choses 
d'ici-bas.  Si  l'influence  de  l'Iran  pouvait  à  cette  époque  se  faire  sentir  en 
Palestine,  avec  elle  et  par  elle  se  faisait  sentir  l'influence  de  Babylone. 
Comme  le  Fils  d'homme,  Marduk  fils  d'Ea,  «  Seigneur  des  Seigneurs  et 
Roi  des  Hois  m  (Hen.  LXII  6\  participe  à  la  sagesse  de  son  père  (de  même, 
Adapa),  et  celui-ci  ne  connaît  plus  rien  qu'il  puisse  encore  lui  dire.  Il  se 
manifeste  comme  le  vengeur  des  dieux  outragés  et  anéantit  la  puissance 
de  Tiamât  :  ainsi,  à  la  fin  des  temps,  le  Fils  d'homme  punira  ceux  qui  ont 
outragé  le  Seigneur  des  Esprits,  et  consacrera  le  triomphe  de  la  lumière 
sur  les  ténèbres. 

Ces  rapprochements,  on  le  voit,  sont  fort  légers,  et  il  importe  qu'ils  ne 
soient  point  grossis. 


LE    MESSIANISME    DES    PARABOLES    d'hÉNOCH.  365 

de  Salomon,  et  l'on  peut  mesurer  maintenant  le  dévelop- 
pement extraordinaire  qui  s'est  fait  dans  les  doctrines 
messialogiques.  Le  Messie  d'Hénoch  était  né  au  sein  de  la 
communauté  ;  le  Fils  de  l'homme  des  Paraboles,  bien 
qu'il  soit  appelé  l'Elu  et  paraisse  déjà  au  bout  du  ciel  à 
côté  des  Elus,  n'est  point  par  droit  de  naissance  chef  de 
l'église  aujourd'hui  invisible,;!  la  fin  des  temps,  glorieuse; 
son  origine  est  différente  de  celle  des  justes  et  antérieure 
à  la  leur.  Le  Messie  d'Hénoch  était  un  héros  aux  traits 
indécis,  qu'on  faisait  apparaître  après  le  jugement  et  dont 
on  avait  peine  à  définir  le  rôle  :  celui  des  Paraboles  est 
un  être  surnaturel,  dont  l'activité  se  manifeste  dans  le 
jugement  même,  bien  plus,  (|ui  a  été  choisi,  puis  gardé 
auprès  de  Dieu,  pour  être,  à  l'heure  fixée,  le  juge  de  tous 
et  le  vengeur  des  justes.  Aussi  i)ieii,  la  situation  est-elle 
tout  autre  :  il  n'est  [dus  question  de  la  crainte  des  peuples; 
le  Messie  a  paru,  a  agi,  et  voilà  tous  les  impies  qui  dispa- 
raissent de  ce  monde,  il  ne  reste  avec  lui  que  les  justes 
qui  n'ont  plus  à  lutter  ni  à  agir,  mais  à  vivre  éternelle- 
ment dans  le  bonheur  et  la  joie. 

Avant  son  àvâ^Ta-T',;,  le  Messie  des  Psaumes  de  Salomon 
était  déjà  connu  de  Dieu,  et,  comme  l'on  ne  précise  pas 
davantage,  il  est  évident  (jue  l'on  veut  enseigner  par  là  sa 
préexistence  idéale  dans  les  desseins  de  la  divinité.  Dans 
le  texte  Ps.  Sal.  XVllI  (>,  Charles  a  pensé  trouver  une 
préexistence  d'autre  sorte  (i),  mais  c'est  amener  dans  le 
texte,  des  idées  qui  n'y  sont  point,  et  je  n'ai  pas  cru  devoir 
mentionner  cette  hypothèse  en  son  lieu.  Quelle  différence 


(1)  «  Thèse  woi'ds  (il  s'agit  de  Bar.  s.  XXX  li  imply  that  tlie  Messiali 
preexisted  in  lieaven  bel'ore  His  advent.  He  return  wliitlier  He  liad  corne... 
This  seem  also  to  be  tiie  legitimate  interprétation  of  Pss.  Sol.  XVIII  c. 
eU  T,pÉpav  £/.XoY'i;  iv  ava;£t  /p'.trto^i  au-o'j  n.  The  Apocalypse  of  Baruch,  p  56. 


566  LE    MUSÉON. 

dans  les  Paraboles  !  Le  nom  du  Messie  est  appelé  devant 
le  Seigneur  des  Esprits  avant  la  ci'éation,  et  l'on  y  revient 
encore  ;  sa  personne  même  a  été  élue,  puis  cachée,  avant 
que  le  monde  ne  fût  créé.  Une  existence  personnelle  du 
Messie  avant  son  i-ioâvz^^  est  enseignée  aussi  dans  cette 
source  1,  qui  exprime  des  conceptions  analogues  à  celles 
des  Psaumes.  11  y  a  des  rapports  entre  le  Fils  de  l'homme 
de  ce  document  et  le  héros  du  Psaume  XVII  :  leur  otïice 
est  le  même,  débarrasser  le  pays  des  rois  et  des  pécheurs  ; 
leurs  moyens  sont  les  mêmes,  et  ce  sont  les  ressources 
naturelles  qui  sont  à  leur  disposition  ;  le  résultat  auquel 
ils  parviennent  est  le  même,  les  rois  sont  chassés  de  leur 
trône  et  du  royaume,  ils  deviennent  forts  et  puissants  sur 
la  terre.  Mais  ces  similitudes  qui  viennent  d'être  relevées 
sont  plutôt  extérieures  et  cachent  des  divergences  profon- 
des :  le  roi-vainqueur  de  la  source  I  n'est  plus  le  fils  de 
David,  la  terre  opprimée  paraît  avoir  une  étendue  plus 
grande  que  le  territoire  d'Israël,  les  rois  et  les  puissants 
sont  moins  des  chefs  politiques  que  des  pécheurs.  Les 
ressources  naturelles  qui  feront  la  puissance  du  Fils  de 
l'homme  étaient  jusqu'à  sa  venue  mystérieusement  cachées 
à  la  terre,  et  il  semble  que  ce  soit  par  miracle  qu'elles 
apparaissent  à  la  disposition  de  celui  qui  vient,  lui  aussi, 
d'être  révélé  au  monde.  —  Le  Messie  des  Psaumes  de  Salo- 
mon  est  juge,  et  c'est  là  l'office  propre  au  Fils  de  l'homme 
de  la  source  11,  et,  en  général,  des  Paraboles  d'Hénoch. 
Mais  n'en  restons  pas  à  une  équivoque.  Le  Messie  des  Psau- 
mes, après  avoir  purgé  le  pays  de  ses  oppresseurs,  juge  de 
la  nationalité  des  colons  qui  rentrent  dans  la  patrie,  et  se 
préoccupe  d'assurer  l'exercice  de  la  justice  au  sein  du 
peuple  reconstitué  :  l'on  connaît,  dans  les  Paraboles,  le 
juge  suprême  choisi  de  Dieu  pour  prononcer  la  sentence 


LE    MESSIANISME    DES    PARABOLES    d'hÉNOCH.  567 

sur  les  esprits  du  ciel,  les  hommes,  et  les  anges  coupables. 
Le  Messie  des  Psaumes,  une  fois  le  royaume  reconstitué, 
manifestait  son  action  à  l'intérieur,  et  c'était  pour  se 
préoccuper  de  la  fidélité  du  peuple  à  la  Loi,  à  l'extérieur, 
et  c'était  pour  veiller  sur  l'attitude  des  ennemis  qui  lui 
sont  soumis  et  lui  présentent  leurs  hommages  :  le  Fils  de 
l'homme,  dans  le  monde  nouveau,  n'agit  plus,  parce  qu'il 
n'y  a  plus  à  agir  ;  il  ne  veille  pas,  parce  qu'il  n'y  a  rien  à 
craindre  et  que  l'injustice  a  disparu  comme  une  ombre 
qui  ne  revient  pas  ;  même  il  ne  règne  point,  à  proprement 
parlei-,  mais  il  demeure  au  milieu  des  élus,  vivant  comme 
eux  et  jouissant  du  bonheur  et  de  la  gloire.  Dans  les  Psau- 
mes, la  scène  se  passe  sur  tei're,  en  la  terre  dlsraël  qui  a 
été  partagée,  une  fois  encore,  entre  les  arrivants:  les  Para- 
boles mentionnent  bien  quelque  part,  et  sans  plus  d'expli- 
cation, le  partage  du  royaume  à  venii*  (\LÏ  I)  ;  mais  c'est 
là  un  texte  oi)scur  et  isolé,  qui  ne  saurtiit  nous  faire 
oublier  ([ue  les  justes  habiteront  la  terre  renouvelée,  que 
leurs  demeuies  y  seront  sans  nombre,  qu'ils  deviendront 
anges  au  ciel.  Pourquoi  continuer  encore?  Les  personna- 
ges des  Psaumes  et  ceux  des  Paraboles,  tout  d'abord  le 
Messie  et  le  Fils  de  lliomme,  ne  se  meuvent  pas  sur  le 
même  terrain  ;  ils  ne  sont  pas  en  tout  différents,  c'est 
entendu,  mais  ils  restent  ditïicilement  comparables. 

Fribouru'  (Suisse).  Léon  Gnv. 


?3 


LETTRES  MÉDITES  D'ANDRE  SCHOTT 

publiées  et  annotées  par 

Léon  MAES 

Docteur  en  philosophie  et  lettres. 


Lettres  de  Levinus  Torrentius  (i)  a  A.  Schott. 
[Bibl.  royale  de  Bruxelles,  ms.  15704.  Copies.) 

43 

Levinus  Torbentius  Ande.  Schotto  suo,  s. 

(Fol.  185''^^  ^•)  Non  meae  mentis  sed  sola  benovolentia  erga  me 
tua  factum  est,  rai  Schotte,  ut  cum  Damantio  (g)  istac  iter  habente 
tam  prolixe  atque  honeste  de  me  coUocutus,  literas  quoque  aman- 
tissime  scriptas  ipsi  tradercs  ;  quas  quam  avide  atque  attente 


(1)  Sur  Laevinus  Torrentius  (Liévin  Van  der  Beke),  cfr.  Paquot,  Mém. 
litt.,  t.  II,  p.  92-98,  et  un  art.  de  Van  Hulst  dans  la  Revue  de  Liège,  t.  I, 
p.  434  et  t.  II,  p.  217. 

Le  P.  Vanden  Gheyn,  conservateur  à  la  section  des  manuscrits  de  la 
Bibliothèque  royale  de  Belgique,  a  eu  l'amabilité  de  nous  prêter  sa  pré- 
cieuse collaboration  pour  nous  aider  à  découvrir  et  à  déchiffrer  les  manus- 
crits des  lettres  de  Schott  existant  à  Bruxelles.  No\is  sommes  heureux  de 
lui  témoigner  ici  nos  plus  vifs  sentiments  de  gratitude. 

(2)  Nicolas  Damant,  président  du  Conseil  de  Flandre,  puis  chancelier  de 
Brabant,  fut  appelé  par  Philippe  II  à  Madrid,  d'où  il  revint  en  1596  avec 
l'archiduc  k\heTi.{Biogr.  nat.,  t.  IV,  col.  647-49.) 


Lettres  inédites  d'anoré  schott.  569 

perlegerim  sciunt  qui  tune  aderant  sodales  quidam  tui,  viri  cum 
pietate,  tum  doctrina  praestantes,  quorum  familiaritate  et  utor 
plurimum  et  eximie  delector.  Atque  equidem  verum  est  quod 
audisse  eoque  nomiue  gavisum  te  fuisse  scribis,  ecclesiae  huius 
Antverpiensis  in  qua  Christo  nomea  te  dédisse  addis,  curam  atque 
soilicitudinem  me  suscepisse  (i),  sed  nimis  profecto  imprudeuter, 
ne  dicam  temere,  nec  animo  nec  viribus  administrandae  tam  diffi- 
cili  provinciae  parem,  ut  taceam  inclinatam  atque  affectam  iam 
aetatem  quae  magis  otium  ac  quietem  flagitat,  nec  alium  admittit 
Jaborem.  Christi  tamen  hic  labor  est  non  voluptas  summa  quam 
<  capit  >  qui  diviuae  contemplandae  maiestati,  quavis  alia  post- 
posita  actione,  impenditur.  Satis  iam  mundo  ac  pernicioso  huic 
saeculo  a  me  datum,  qui  ab  ipsa  paene  adolesceutia  ad  annum 
sexagesimum,  quamquam  sacris  adscriptus  ordinibus,  totum  me 
undis  civilibus,  ut  Horatii  verbis  utar,  mersari  pcrmiserim.  Reli- 
quam  certe  vitam  quae  non  poterit  non  esse  exigua,  cum  ne  tota 
quidem  aliud  quam  vapor  ac  fumus  sit,  piis  meditationibus  desti- 
naveram,  scripturus  fortassis  aliquid  adversus  huius  temporis 
perturbatores,  quod  Gregoiio  XIII,  cum  postremum  essem  Romae, 
pollicitus  fui,  aut  magnum  Deo  cantatum  hymnum,  impleturusque 
quod  olim  professus  sum  de  apostolorum  rébus  gestis  scriptum  car- 
miné volumen  (2),  Atque  looge  aliter  evenit,  nimia  mea,  ut  verum 
fatear,  facilitatc,  qui  non  obniti  tantum  ac  reluctari,  quod  aliquan- 
tisper  feci,  debuerim,  sed  quidvis  ferre  ac  pati  potius  aut  etiam 
ire  in  exitium  ;  quam  onus  subire  tam  imbecillis  impar  huraeris  ! 
cui  si  succumbam  et  illis  obsim  quibus  prodesse  debeo  et  Deum 
mihi  iratum  reddam,  cuius  ira  morte  gravier  est,  assiduis  lacrymis 
ac  suspiriis  expianda.  Sed  quod  factum  est,  infectum  fieri  nequit. 
Spartam  itaque  quam  nactus  sum  exornare  conabor,  Deum  speraos 
propitium  ut  ille,  in  cuius  nostra  omnia  sunt  potestate,  tôt  piorum 
hominum  quotidianis  pro  me  precibus  sacriticiisque  exoratus,  quod 


(1)  Torrentius  fut  sacré  évêque  d'Anvers  le  10  septembre  1587. 

(2)  Au  nombre  des  poésies  de  Torrentius,  on  trouve  un  long  poème  sur 
Saint  Paul,  et  un  autre  moins  long  sur  Saint  Etienne.  Ces  pièces  étaient 
destinées  à  faire  partie  d'une  espèce  d'épopée  religieuse  racontant  les  actes 
des  apôtres. 


570  LE    MUSÉON. 

meae  deest  imbecillitati  sua  ipse  potentia  suppléât,  labentera 
erigat,  aegrotantem  sauet,  intirmum  roboret  atque  confirmet. 
Utinam  ea  nobis  redeant  tempora,  quibus,  non  omnino  pessime, 
(ut  nunc  est),  constituta  respublica,  mediocritati  seu  tetneritati 
potius  nostrae  aliquis  esse  locus  possit  ;  nunc  vero  tam  deplorata 
sunt  omnia,  ut,  nisi  Deus  e  machina,  quod  aiunt,  atque  ex  impro- 
viso  appareat,  humana  nihil  possint  consilia.  Neque  haec  tamen 
prorsus  abiicienda  :  ultimum  malorum  desperatio  est  ;  neque  qui 
sibi  ipse  desit  alienum  débet  implorare  auxilium  ne,  praeter  malum 
quod  patitur,  repulsae  quoque  ignorainiam  ferat  :  propter  frigus 
piger  arare  noluit,  mendicabit  ergo  aestate  nec  dabitur  ei.  Cuius 
divinae  sententiae  memor,  dabo  operam  ut  si  pereundum  sit,  nulla 
mea  singulari  culpa  id  accidisse  dicatur  ;  quin  et  si  forte  impru- 
dens  peccavero,  agnoscam  crimen  :  pium  ac  misericordem  habemus 
Dominum,  qui  humanae  conditionis  iure  dignatus  est  particeps,  ut 
huraane  peccantibus  succurrat  nec  perire  sinat  quos  condidit.  Haec 
itaque  instituti  nostri  ratio  est,  atque  liac  fretus  fiducia,  rem 
aggressus  sum  omnium  difficillimara,  in  qua  si  quid  civibus  tuis 
atque  ecclesiae  Antverpiensi  commodum,  praestitero.  Tune  mihi 
gratulare,  cum  obiero,  usque  adeo  sera  non  est,  quod  times,  ea 
qua  nunc  uteris  gratulatio. 

Quoniam  vero  de  studiis  tuis  ac  lucubrationibus  tam  diserte  ad 
me  scribis,  unde  magno  ob  rem  literariam,  quam  amavi  semper, 
perfusus  sum  gaudio,  reddam  nostri  studii  rationem  aliquam,  si 
tamen  ante  precatus  te  fuero  ut  ad  me  deferri  ea  omnia  cures  quae 
vel  peues  te  servas  vel  aliis  commisisti  :  faciès  enim  rem  mihi 
longe  gratissimam  ;  raaiorem  etiam  initurus  gratiam  si  quid  a  viro 
summo  Antonio  Augustino,  cuius  sancta  mihi  memoria  est,  addi- 
deris  ;  cum  ante  annos  XXXV  adolesceus  primum  venissem  Ro- 
mam,  per  Octavium  Pantagathum,  Basilium  Zanchum,  Gabrielem 
Faeruura  (i)  quique  solus  adhuc  superest,  Joannem  Metellum  (2) 


(1)  La  plupart  des  poésies  ad  amicos  de  Torrentius  sont  adressées  à 
ces  trois  amis  de  jeunesse.  ZiUichius  de  Bergaïue  est  mort  en  lôGO  ;  Gabriel 
Faërne,  illustre  poète  latin  de  Crémone,  mourut  en  15(31  et  Ottavio  Bacato, 
dit  Pantagatlius,  décéda  en  15G7. 

(2)  Jo.  Matalius  Metellus  Sequanus,  jurisconsulte  de  renom.  Cfr.  Jôcher, 
Gel.  Lex.,  t.  III,  col.  47<t,  et  Suppl.,  t.  IV,  col.  1550. 


LCITUKS    IMiDITtS    1)'aM)UÉ    SCIIOIT.  371 

in  amicitiam  eius  admissus  sum,  quam  quod  extrema  quoque 
aetate  apud  te  saepius  testatus  fuerit  gaudco  sane  plurimum,  et  ut 
manibus  eius  bene  sit  precari  non  desinam.  Non  deerunt  mercato- 
res  qui,  si  quid  dederis,  bona  fide  ad  me  mittaot,  ueque  praeses 
Damantius  suam  Liic  operam  denegabit  aut  cornes  eius,  Scbetus  (ij, 
cui  magis  vacat  et  nostri  amantissimus  est.  Nam  praeter  antiqua 
illa  quae  Romae  scripsit,  uihil  indico,  excepte  coramentario  quem 
de  familiis  romanorum  suo  antiquorum  numismatum  libre  Fulvius 
Ursinus  adiuuxit  (2).  Kgo  opprcssus  nescio  quibus,  non  admodum 
certe  gratis  atque  iucundis  Leodientium  negotiis  (3)  ac  plurimis 
functus  legationibus,  nibil  magnum  praestiti.  Suetonius  (4)  prodiret 
iterum  auctior  simul  ac  melior  si,  quae  in  schedis  habeo,  coUigere 
daretur.  Horatius  totis  iam  annis  VII  latere  in  scriniis  cogitur  quia 
deest  aliquid  quod  epistolae  ad  Pisoucs  de  Arte  poetica  adiunctum 
velim  (5).  Idem  de  plerisque  aliis  ac  maxime  de  nostris  in  Cicero- 
nem  annotationibus  dicerem,  si  esset  aliqua  edendi  spes  ;  nunc 
perierit  nobis  iste  labor.  Recte  enim  facere  quam  multa  in  hoc 
génère  scribere  est  satins,  et  maior  eorum  quae  ante  dixi  iactura 
est,  Uuicum  superest  opus  :  de  Belgii  nerape  nostri  motibus  et 
perducto  ad  captum  usque  Traiectum  belle  volumen  tune  proditu- 
rum  cum  sine  odio  atque  invidia  prodire  poterit  (g).  At  illa  quae 


(1)  Jean  Charles  Schets,  chanoine  de  S'  Lambert  à  Liège,  conseiller  au 
parlement  de  Malines,  fut  appelé  en  15S0  en  Espagne  et  mourut  en  1595. 
(Van  der  Aa,  Biogr.  Woord.,  t.  XVH,  1,  p.  318-321). 

(2)  Familiae romanae quae repeiniintur  in  antiqids  numismatibus... 
ex  hibl.  F.  Ursini,  adiimctis  familiis  XXX  ex  lihro  A.  Augustini,  epis- 
copi  Ilerdensis.  Romae,  1577. 

(3)  Avant  d'être  pi'omu  au  siège  d'Anvers,  Torrentius  avait  été  vicaire 
général  de  l'évoque  de  Liège. 

(4)  C,  Saetonii  Tranquilli  Xll  Caesares  cum  Laevini  Torrentii  Com- 
mentario.  —  Antv.  Plantin,  1578,  réédité  en  1592  par  les  soins  de  son 
neveu,  Jean  Lievens.  V.  ci-dessous  la  quatrième  lettre  de  Torrentius  (n»  46). 

(5)  Horatii  opéra  cum  erudito  L.  Torrentii  commentano,  nunc 
primum  in  lacem  edito.  —  Antv.  Plant.  1608,  4°.  «  Ce  commentaire 
comprend  toutes  les  œuvres  d'Horace  à  r exception  de  l'art  poétique 
que  notre  auteur  avait  aussi  dessein  de  commenter  ;  mais  ses  occupa- 
tions l'en  détournèrent.  »  Paquot,  1.  c. 

(6)  Cette  œuvre,  ainsi  que  celles  dont  Torrentius  va  parler  dans  la  suite 
de  sa  lettre,  n'ont  pas  vu  le  jour. 


372  LE    31USÉ0N. 

iuvenis  ad  ius  civile  conscripsi  a  blattis  tineisque  corroduntur. 
Atque,  ut  verum  fatear,  tota  illa  scribeadi  ratio  mihi  vehementer 
displicet,  nec,  si  quaestus  absit,  placere  potest  cuiquam  bono.  Iq 
poesi  paulo  pertinacius  haesi  ut  e  postrema  carminura  tam  sacro- 
rum  quam  aliorum  editione,  quae  Plantini  est,  an.  LXXIX  vidisse 
te  existimo  (i).  Sed  et  alia  accessere  quoruua  pauca  huic  epistolae 
inclusi,  praecipue  autem  in  Gulielmum  Nassaum,  Orangiae  prin- 
cipem  ludus  sive  epigrammatum  libelli  duo,  quod  ubi  in  lucem 
venerit,  si  minus  arte  et  inventione  mea,  argumenti  certe  novitate 
ac  gratia,  lectorem  puto  inveniet.  Superest  Andreae  Papii  ac  loan- 
nis  Livineii  (2),  quos  carrissimos  tibi  esse  perspicio,  in  hisce  studiis 
labor.  Utinam  illum  haberemus  incolumem  !  Quid  enim  a  tara 
praestanti  ingenio  non  exspectes  V  Deo  aliter  visum  cui  soli  vitae 
ac  mortis  nostrae  ratio  constat.  Livineius  vero  hue  venturus,  uti 
spero,  mansurus  est,  qui  fianainum  collegio  asscriptus  sit.  Tum 
otii  tum  negotii  sui,  ipse  tibi  rationem  per  litteras  reddet.  Vale  et 
Deum  pro  me  ora. 
Antv(erpia),  Nonis  Decembris  an.  MDLXXXVII. 

44. 

Andreae  Scotto. 

{Fol.  240  et  2éT)  Recte  abs  te  factura,  mi  Schotte,  quod  tua- 
rum  ad  amicos  hic  tuos  literarum  fasciculum  loanni  Carolo  Scheto 
commendaveris,  cuius  opéra,  quas  ad  me  pridie  kalendas  lunii 


(1)  L.  Torrentii,  Y.  C.  poemata.  —  Antv.  Plantin,  1579,  8°.  En  1575 
avait  paru  une  première  édition  des  poèmes  de  Torrentius. 

(2)  André  De  Paep  et  Jean  Lievens  sont  tous  deux  neveux  de  Torrentius 
par  leurs  mères,  Clara  et  Cornélie  Van  der  Beke,  sœurs  de  Liévin. 
De  Paep  s'était  noyé  dans  la  Meuse  le  15  juillet  1581.  Lievens  devint  un  des 
premiers  savants  de  son  temps  et  un  des  amis  les  plus  intimes  d'André 
Schott.  Né  àTermonde  de  fa«iille  gantoise,  vers  1546,  il  devint  en  1573  cha- 
noine de  Saint-Pieire  à  Liège.  "  Il  venait  Wêtre  fait  diacre  au  commen- 
cement de  Î588  lorsque  Torrentius,  devenu  évêque  d'Anvers,  Vappela 
près  de  lui  et  lui  procura  une  place  de  chanoine  de  la  cathédrale,  r, 
Biog.  nai. 


LETTRES    INÉDITES    d'aNDUÉ    SCHOTT.  375 

dederas,  XI  kal.  Septembris  redditae  fuere  ;  quas  vero  ipse  Madrito 
ad  me  hac  occasione  scripsit,  non  toto  mense  in  itiaere  haesere, 
meliore  fato  quam  uostrae  quas  sexto  demum  mense  Valentiam  (1) 
pervenisse  narras  ;  idque  non  aliam  magis  ob  causam  doleo  quam 
quod  tam  sera  voluptas  illa  accesserit  quam  ex  responso  tuo  per- 
cepi,  ea  maxima  parte  quae  Antonii  Augustini  viri  summi  laudes 
et  scripta  continet  ;  quem  ego  virum  cum  eximiae  bonitatis,  tum 
doctrinae  causa  Romae  olim  magno  studio  colui  aotequam  in 
Britanniam  legatus  Pontificis  maximi  proficisceretur  (2)  ;  nam  et 
in  Varronis  iibrum  de  Lingua  latina  emendatione  nonnihil  eum 
adiuvi  (3)  et  ex  omnibus  quos  tune  Romae  novi,  ipsum  praecipue 
mihi  imitandum  proposui,  tanquam  unum  exemplar  omnium  vir- 
tutum.  lure  igitur  te  felicem  existimas  qui  in  eius  contubernio 
vixeris,  sed  et  ipse  non  infelix  qui  talem  invenerit  suarum  laudum 
virtutumque  praeconem  (4),  uti  et  ex  epitaphio  quo  sanctam  eius 
memoriam  celebrasli  constat,  quod  non  in  schedis  tantum  tuis 
reperiri,  sed  et  sepulchro  insculpi  oportuit  ad  nominis  aeternita- 
tem,  quaraquam  hue  quoque  spectant  praeclara  ingenii  eius  monu- 
menta,  quibus  edendis,  si  Antverpiam  aliquando  veneris,  una  cum 
Plantino,  quam  poterimus  operam  lubentissime  ipsi  quoque  prae- 
stabimus  ;   idem  de   tuis  pollicemur.    Invenies  spero   nostra  in 


(1)  Schott,  entré  dans  la  compagnie  de  Jésus,  étudia  la  théologie  à 
Valence.  Ce  passage  de  cette  lettre  est  le  premier  témoignage  en  date  de 
son  séjour  en  cette  ville.  Un  second  témoignage  est  une  inscription  de 
Schott  sur  le  ms.  4555-58  de  la  Bibl.  l'oyale  de  Bruxelles  contenant  des 
commentaires  de  .1.  Borrasanus  S.  .1.  sur  certains  traités  d'Aristote  ;  la 
voici  ;  In  usuni  And.  Sckotii  Societatis  Jesu,  et  à  la  Hn  :  Valentiae,  iô88. 
Un  dernier  témoignage  est  donné  par  Baguet,  p.  26,  n.  2;  d'après  celui-ci, 
Schott  était  encore  à  Valence  en  1502. 

(2)  Antoine  Augustin  fut  envoyé  en  1558  en  Angleterre  par  Jules  III 
pour  négocier  le  mariage  de  Marie  Stuart  avec  Philippe  II.  (Nie.  Anton., 
Bibl.  Hisp.  nova,  1. 1,  p.  98). 

(3)  Pars  libroram  quatuor  et  vAyinti  T.  Varronis  de  lingua  latina, 
ex  bibl.  Ant.  Augustini.  —  Komae,  1557,  8^ 

(4)  Schott  composa  en  effet  un  éloge  funèbre  d'Ant.  Augustin,  publié  à 
Leyde,  en  1580  ;  la  dédicace  est  adressée  à  L.  Torrentius.  —  Cfr.  Sommer- 
voGEL,  n°  4,  et  Baguet,  p.  25. 


374  LE    MCSÉON. 

bibliotheca  quae  aaxilio  esse  possint.  Gravi  enim  et  affecta  iara 
aetate,  nallum  suppetit  otium  quod  istius  modi  lucubratioaibus 
impartiar,  eaque  de  causa,  Livineium  ad  me  vocavi  ut  ipse  bis 
studiis  superesse  possit  ;  quem  a  te  amari  et  collaudari  sane  gaudeo. 
Utinam  superstes  esset  et  Papius,  alterius  sororis  meae  olim  filius, 
ingens  Belgii  decus,  nisi  Deo  aliter  iussum  fuisset,  cuius  divinae 
voluntati  acquiescendum  est  ;  illi  enim  vitae  mortisque  nostrae 
ratio  multo  melius  quam  nobis  ipsis  constat,  qui  in  his  mundi 
tenebris  vix  quod  ante  pedes  est  cernimus.  Salutat  autem  te  Livi- 
neius  amantissime  qui  biduo  post  acceptas  tuas  a  me  litteras,  Gan- 
davum  abiit  brevi  rediturus,  nec  omissurus  quia  ad  te  scribat  ; 
habet  et  ipse  pênes  se  nonnulla  veterum  fragmenta  quibus  te 
oblectet  (1).  Neque  haec  una  ratio  est  quae  ex  Hispania  te  eliciat  : 
gaudebunt  in  primis  fratres  tui,  viri  honestissimi,  gaudebunt  et 
alii,  et  tu  quoque  ante  alios  omnes  pro  insigni  tua  pietate,  cum 
aliam  videbis  patriae  tuae  faciem  quam  reliqueris  (2)  ;  quanquam 
enim  adhuc  tolerare  cogimur  baereticos  et  fervet  bellum,  quo  a 
praedonibus  simul  ac  militibus  misère  diripimur,  sic,  quod  unice 
optandum  nobis  erat,  in  melius  commutata  religio  sit,  ut  neque 
ante  res  novas  unquam  floruerit  magis  :  testes  esse  poterunt  fratres 
sanctae  Societatis  vestrae  qui  banc  nobis  operam  praestant  et, 
quamvis  pauci,  adversus  publicos  Christianae  pietatis  et  communis 
boni  hostes  plus  sine  armis  efficiunt  quam  Germanorum  instructae 
legiones  decem  qui,  cum  ingentes  régis  tbesauros  exbauserint, 
nulli  bonae  rei  utiles,  cum  ignominia  plerumque  discedunt  ac  plu- 
res  relinquunt  impios  vitae  suae  morumque  exemple,  quam  invene- 
rint.  Nulla  itaque  belle  salus,  pacem  iam  poscimus  omnes.  Verum 
haec  régis  cura  este  cuius  summa  pietas  et  in  Christi  nomen  amor 
talis  est  ut,  vel  sine  belle,  vincere  debeat.  Quid  ergo  non  speremus 
ubi  iustitiae  tanta  coniuncta  etiam  potentia  est  ?  Hac  igitur  offir- 
mati  spe  perdurabimus  quaeque  eveniunt  mala,  nostris  asscribendo 
sceleribus,  precati  veniam,  exspectabimus  meliora,  non  nostro,  sed 
Dei  circumagendi  arbitrio,  in  quo  speramus  ac  vivimus. 


(1)  Jean  Lievens  avait,  en  effet,  rassemblé  une  belle  collection  de  manus- 
crits qui  vint  plus  tard  enrichir  la  bibliothèque  des  Jésuites  d'Anvers. 

(2)  Ce  sont  peut-être  les  désastres  de  la  guerre  civile  qui  engagèrent 
Schott  à  quitter  son  pays.  V.  Baguet,  p.  10. 


LETTIIES    LNÉDITES    DA.NDHÉ    SCIIOTT.  575 

Sed  ad  Aotonium  Augustinum  redeamus.  Ex  cuius  operum  indice 
nihil  nunc  aeque  desidero  ac  Dialogos  illos  Hispana  lingua  scriptos 
cura  iconibus  (1),  Nam  et  ego  antiquis  nuraismatibus  ceterisque 
antiquitatibus  abuodo,  ut  coram,  spero,  aspicies  (2).  Haec  enim 
raea  in  raaiore  otio  voluptas,  puto  non  inhonesta,  esse  solet.  Utar 
ergo  Ortelii  nostri,  ut  suades,  opéra  cui  epistolam  tuam  de  manu 
tradidi.  Utinam  idem  cura  Pamelio  ('6)  facere  licuisset  !  Verum  vir 
ille  doctissiraus  ac  de  sacra  Tiaeologia  optime  meritus,  cura  iam 
designatus  Odomarensium  episcopus,  ut  régis  diploraa  acciperet, 
Bruxellam  properarit,  in  itinere  maguo  omnium  dolore  occubuit. 
Juverat  eum  in  TertuUiani  editione  noster  I.ivincius,  cui  tuas  in 
Cyprianum  notas  traJidi.  Tuum  erit  signiticare  an  illustri  D.  prae- 
sidi  defuncti  fratri  (4)  dari  malis.  Tanti  viri  exemplo,  nos  quoque 
sarcinulas  colligemus  qui  muito  seoiores  sumus.  Tu  vero  vita  fruere 
et  ecclesiam  iuva,  ac  vale  féliciter.  Antverpiae,  II!  kal.  sept, 
an.  MDLXXXVllI. 

45. 

L.  ToREENTius  Andreae  Scotto. 

(Fol.  272").  Novissimas  tuas  literas  datas  Valentiae  IIIl  Xonas 
Octobris  una  cum  duobus  Antonii  Augustini  libellis,  eius  scilicet 
Bibliotheca  (5)  et  in  Decretura  Gratiani  dialogis  fG),  opéra  ac  bcne- 


(1)  Dialogos  de  medallas,  inscriciones  y  otros  antignedades  E:c.  hibl. 
Ant.  Augustini.  EnTarragona,  Mey,  1587,  A". 

(2)  Torrentius  avait  recueilli  une  belle  et  riche  collection  de  médailles 
antiques  et  de  pierres  gravées  qu'il  laissa  api'ès  sa  mort,  avec  sa  biblio- 
thèque, au  collège  des  .Jésuites  de  Louvain.  La  Bibliothèque  royale  de 
Bruxelles  possède  le  catalogue  de  ce  cabinet  (n^  c,2i'/J)  ;  en  voici  le  titre  : 
Séries  arcaram  et  numismatum  totivsque  rei  antiqnariae  hoc  libvo 
contentcœ,  collegio  Lovaniensi  Societatis  Jesu  olim  relictae  a  rererew- 
dissimo  episcopo  Antverpiensi,  D.  Laevino  Torrcntio. 

(3)  Sur  .1.  de  Pamele,  (15:jG-1587)  l'éditeur  bien  coinui  des  œuvres  de 
TertuUien  et  de  S'  Gyprien.  ctr.  Biogr.  nat.,  t.  XVI,  col.  .J2S-542. 

(4)  Guillaume  de  Pamele  (152S-].jî)l),  i>résident  du  conseil  de  Flandre  et 
plus  tard  président  du  conseil  privé  iBiogr.  nat.,  t.  XVI,  col.  52G-528). 

(.5)  Il  s'agit  probablement  du  r-atalogue  delà  bibliothèque  d'Ant.  Augus 
tin,  publié  à  Tarragone  en  l.',S(i. 

(<)j  Ant.  Augustini,  Arcliiepiscopi  Tanne,  de  emcndatione  Gratiani 
dialogorum  lib.  IL  —  Tarraconae,  1587,  4". 


576  LE    MUSÉON. 

ficio  loannis  Caroli  Scheti  duabus  vicibus  ad  me  missis,  accepi  ;  et 
propter  tanti  viri  memoriam  animo  excitatam  meo  magnas  habeo 
gratias.  Délectant  me  praeterea  quod  de  numismatura  Hispaniae 
libello  scribis,  tanto  equidem  magis  quod  quae  vir  ille  maximus 
Romae  me  adolescente  habebat,  omnia  viderim,  imo  et  ipsius 
exemple  antiquarius  esse  coeperim,  ac  tandem  eo  in  studio  sic 
profecerim  ut  nummorum  veterum  aliorumque  antiquitatum  cum 
multitudine  tum  excellentia  ac  raritate  in  bac  tota  provincia  cedam 
nemini  ne  Laurinis  quidem  fratribus  quos  patronos  habebat  Golt- 
zius  (1)  cessurus  si,  quod  optarem,  adhuc  viverent.  Verum  tota 
illorum  supellex  misère  direpta  periit  hostium  barbarorum  iniu- 
ria  (2).  Quid  vero  de  mea  futurura  sit  nescio  :  si  emptorem  inve- 
nero,  vendam  non  invitus,  neque  enim  haec  studia  aetati  ac  pro- 
fessioni  conveniunt  meae,  uti  neque  paene  oblita  mihi  nunccarmina, 
quorum  tamen  maior  ac  constantior  haeret  amor.  Mitto  itaque 
quam  vides  elegiam  in  Caesaris  Baronii  presbyteri  Romani  Annales 
ecclesiasticos  bis  proximis  diebus  magnis  ab  ipso  precibus  obten- 
tam  ut  Plantini  nostri  editio  (3)  illam  praeferat  brevi  in  lucem 
proditura,  uti  et  eiusdem  auctoris  martyrologium  opus  peregre- 
gium  (4).  Coegit  me  materia  apta  senibus  ut  aliquid  molirer.  Quod 
si  tibi  forte  non  placuerit,  non  equidem  mirabor,  nam  ne  mihi 
quidem  satis  placet,  sed  obtrudendum  erat  aliquid  quod  pro  munus- 
culis  tuis  reponi  sinas.  Agam  vero  cum  Ortelio  ut  ex  Rovillii  typo- 
graphi  manibus  quod  habere  eum  scribis  (5)  extorqueamus  ac 
tradamus  Plantiuo,  ut  si  qua  fieri  poterit,  ipse  suis  typis  imprimat  ; 
animosus  est  uec  a  fortuna  se  vinci  patitur,  quae  tamen  si  esset 
aequior,  raulto  maiorem  ferremus  singularis  ipsius  industriae  fruc- 


(1)  Sur  Guide  et  Marc  Laurin  de  Bruges,  cfr.  Biogr.  nat.^  t.  XI,  col.  457- 
469,  et  sur  leurs  rolations  avec  Goltzius,  cfr.  spécialement  la  col.  462. 

(2)  Ibid.,  col.  467. 

(3)  Caesaris  Baronii  Sorani,  Annales  Ecclesiastici.  Antv.  Plantin, 
1589.  —  Le  texte  est  en  effet  précédé  d'une  poésie  de  Torrentius. 

(4)  Martyrologium  romanum  ciim  notis  Caes.  Baronii.  Rome,  ISS*; 
et  suiv. 

(5)  A  savoir  le  codex  Covarruvianus  des  œuvres  de  M.  Sénèque  et  le 
manuscrit  de  l'édition  de  l'Itinéraire  d'Antonin  préparée  par  Jérôme 
Çurita.  Voir  ci-dessus,  les  lettres  de  J.  Dalecliamps. 


LEllKES    INÉblTES    1)  .V.NDIIÉ    SCIIOTT.  577 

tum.  Livineius  noster  amantissime  te  resalutat,  versât  uunc  in 
manibus  Liturgiam  sive  missam  Sancti  Pétri,  apostolorum  principis, 
a  R.  P.  Gulielmo  Lindano  Gandaveusium  episcopo,  cum  atiiicta 
esset  valet udine,  sibi  traditam  ut  editioni  pararetur  (1).  Graece 
enim  scripta  est  et  manca  ac  mutila  ;  prodibit  tamen,  quamquam 
non  multo  post  tempore  Lindanus  ipse  mense  novi  episcopatus  sui 
tertio,  non  levi  rerum  theologicarum  dispendiopostridiekal.  Novem- 
bris  exstinctus  est.  Secutusque  non  longo  post  tempore  loannes 
Hauchinus,  Arcbiepiscopus  Mecbliniensis,  vir  et  ipse  magnus  (2). 
Nunc  ego  resto,  aequo  quidquid  evenerit,  uti  spero,  laturus  animo  : 
nihil  enim  me  nolentem  admodum  in  vita  retinet,  eo  maxime  loco 
ubi  plena  sunt  omnia  meseriarum  ob  tam  diuturnum  ac  pervicax 
bellum,  quod  tandem  ipsam  etiam  religiouem,  nisi  Deus  iuverit, 
subvertet.  Nos  hac  intérim  in  civitate,  freti  Sanctae  Societatis 
vestrae  auxilio,  obnitimur  quantum  possumus,  nec  laboris  poenitet, 
verum  intra  muros  urbis  tantum.  Pagi  atque  vici  misère  desolan- 
tur.  Orandus  Deus  ut  beuigno  nos  vultu  respiciat  in  tantis  malis. 
Vale  et  me  amare  perge.  Antverpiae,IIIkal.  Febr.  an.  MDLXXXIX. 

46. 

S.  P.  Andeeae  Scotto. 

{Fol.  398"^-).  Salutatum  me  venit,  vir  doctissime,  tuo  uomine 
frater  tuus  (3),  quaestor  nunc  huius  civitatis,  mihi  amicissimus  ; 
atque  soUicitum  te  esse  ait  de  mea  valetudine,  ideo  maxime  quod 
longo  iam  tempore  nullas  a  me  literas  habueris,  cum  ipse  non  una 
vice  ad  me  scripseris.  Fateor  sane  fuisse  me  in  hoc  neglegentiorera, 
ut  tamen  nolim  existimes  amori  quicquam  detractum  meo  ;  ncanebit 


(1)  Guillaume  Lindanus,  né  à  Dordrecht  en  1525,  promu  en  15S8  au  siège 
épiscopal  de  Gand  et  mort  la  même  année,  le  2  novembre.  Ce  n'est  qu'en 

1589  que  parut  sa  Missa  apostolica  sive clivinum  sacrificium  Sancti 

apostoli  Pétri.  V.  Biogr.  nat.,  t.  XII,  col.  212-216. 

(2)  Jean  Hauchain,  deuxième  archevêque  de  Malines,  sacré  le  30  cet. 
1583,  mort  le  5  janvier  1589. 

(3)  François  Schott. 


578  LE    MUSÉON. 

ille  quamdiu  et  ego  in  hac  vita  mansurus  sum  ;  idque  ita  esse, 
quaecumque  sese  offeret  occasio,  omnibus  hic  in  fratres  tuos  officiis 
demonstrabo.  Utinam  tandem  meliora  contingant  tempera,  ut  hoc 
praestem  commodius  ;  verum  ne  sic  quidem  mutabitur  animus  ; 
intérim  doleo  hisce  in  turbis  atque  tumultibus  tam  vane  me  affici 
atque  distrahi  ut  saepe  ignorem  quo  me  vertara  ;  unde  et  vita  ipsa 
quo  inutilior  eo  et  ingratior  est,  quia  nec  terapus  ullum  literis,  quas 
una  tecum  semper  amavi,  impartiri  ipse  possum,  nec  aliorum  frui 
laboribus.  Mens  et  cogitatio  omnis  in  miserrima  hac  nostra  repu- 
blica  est.  Scito  tamcn  Livineii  nostri  opéra  prodire  iterum  his 
nundinis  Suetoniura,  ut  auctiorem,  sic  et  eraendatiorem  (1),  et 
apparari  novam  Sacrorum  poematum  editionem  (2),  adiectis  priori 
libris  tribus,  quorum  primus  missionem  Sancti  Spiritus  et  Pétri 
apostolorum  principis  res  gestas  continet,  alii  duo  Doctori  gentium 
Paulo  inscribuntur  ;  erunt  et  alia  non  visa,  nec  ut  spero  tibi  iniu- 
cunda  ;  quem  rogatum  velim  ut  si  quid  in  his  quae  exstant  legendis 
animadverteris  ipse  vel  ab  aliis  animadversum  intellexeris  quod 
vel  lenissime  dispiicere  possit,  eius  me  facias  certiorem.  Justus 
Lipsius,  postquam  a  Batavis  discessit,  nuuc  totus  noster,  Leodii 
agens  et  omnium  etiam  Patrum  Societatis  vestrae  notis  egregie 
satisfaciens,  mea  potissimum  cum  apud  ipsum  persuasione,  tum 
apud  ordines  Brabantiae  favore  et  gratia,  nunc  Lovanium  venit, 
summa  populi  illius  laetitia,  ornatus  etiara  honorario  extra  ordinem 
sexceatorum  fiorenorum  annuorum.  Quod  rei  litterariae  vehemen- 
ter  profuturum  nb  ipsius  nunc  tranquillitatem  et  opto  et  spero 
ut  qui  maxime  (3).  Vale  et  me  Deo  tuis  precibus  commenda.  XIII 
cal.  Octobris,  anno  MDXCII. 


(1)  Cfr.  p.  371,  note  4. 

(2)  L.  Torrentii  poemata  sacra.  Antv.  Plantin,  1594.  Cette  nouvelle 
édition  des  poèmes  de  Torrentius  contient  en  deux  livres  la  vie  de 
Saint  Paul,  mais  on  n'y  inséra  pas  le  poème  sur  la  mission  du  Saint-Esprit. 

(3)  V.  Biogr.  nat.,  t.  XII,  col.  266. 


LETTRES    INÉDITES    d'aNDRÉ    SCHOTT.  379 

Lettres  du  Cardinal  Frédéric  Borromée  a  à.  Schott. 
{Bibl.  royale  de  Bruxelles,  ms.  8932  (i).  Originaux.) 

47. 
Admodum  Reveeende  Patee. 

{Fol.  107).  Accepi  duodecim  Cardinalium  icônes  atque  elogia  (2), 
gratissimum  mihi  abs  te  munus  atque  argumentum  minime  obscu- 
rum  tuae  erga  me  benevolae  voluntatis.  Ego  vero,  quanJo,  praeter 
luculentam  gratiarum  actionem,  quid  tibi  rependam  non  habeo, 
memor  tamen  officii  mei  neque  tuae  pietatis  ignarus,  milto  ad  te 
vicissim  thecas  argenteas  duas,  in  quas  Caroli  Cardinalis  Sanctae 
Praxedis  vestium  particulae  sunt  inclusae,  quae  meum  in  te  amo- 
rem  quoquo  modo  testari  posseut.  Vitas  illas  Cardinalium  in  duos 
tomos  congestas  de  quibus  scribis,  a  Vivario  primo  quoque  tempore 
exigam  ;  agoque  tibi  hoc  etiam  nomine  gratias.  Quoniam  vero  de 
Ambrosiano  Collegio  probari  tibi  consilium  video  meum,  eiusque 
Coliegii  doctores  iustis  de  caussis  nota  aliqua  visum  est  a  ceteris 
oportere  distingui  idque  aureo  numismate  potissimum  fieri,  quod 
singuli  collo  appensum  gestent,  ecce  habes  etiam  rudem  iliius 
informationem  (3).  Qua  de  re,  si  quid  sentias,  ingénue  significare 
grave  non  fuerit,  sane  mihi  gratissimum  feceris  ;  tribuo  enim  plu- 
rimum  iudicio  tuo,  resque  adhuc  est  intégra.  Vale,  et  si  qua  re 


(1)  J.  Van  den  Gheyn,  Catalogue  des  mss.  de  la  Bibliothèque  royale 
de  Belgique,  t.  V,  p.  528  n»  3495. 

(2)  Anvers,  1d98.  Cette  lettre  de  l'illustre  cardinal  fournit  une  nouvelle 
preuve  en  faveur  de  la  thèse  de  Sommervogel,  (n»  13)  attribuant  à  Schott 
une  coopération  à  cet  ouvrage. 

(3)  La  reproduction  des  deux  côtés  de  la  médaille  est  collée  en  marge 
de  la  lettre.  Rappelons  ici  que  l'avers  portait  les  têtes  de  S.  Ambroise  et 
de  S.  Charles,  avec  la  devise  :  Singuli  singula  ;  au  revers  se  trouvait 
l'image  de  la  Vierge  Marie  portant  l'enfant  Jésus  avec  cette  inscription  : 

MONSTRA   TE   ESSE   MATREM. 


580  Le  muséon. 

potes,  meum  hoc  consilium  iuva.  Mediolani,  IIII  Non.  Januarias 
MDCVIII. 

Admodum  R.  P.  T. 

studiosissimus 

Fredericus  Gard.  Borromaeus 

Andreae  Schotto  Ant.  Olgiatus 

(Adressé)  Admodum  R.  Patri,  il  P. 

Andreae  Scotto 

délia  Compagnia  di  Gesu 
Anversa. 

48. 

Admodum  Révérende  Pater, 

(Fol.  98).  Gratum  est,  quod  scribis,  non  ingratum  fuisse  tibi 

argumentum  meae  erga  te  benevolentiae  levi  illo  munusculo  decla- 

ratae  ;  sed  illud  gratius  quod  ad  ornandum  augendumque  Collegium 

Ambrosianum  tara  amanter  tuum  studium  atque  operam  non  poUi- 

ceris  modo,  sed  etiara  confers.  Devincis  me  tibi  quotidie  magis 

facisque  iudicio  tuo  bene  ut  de  meo  consilio  sperare  non  dubitem. 

Quod  attinet  ad  eas  voces  Singuli  shigula,  rem  tetigisti  :  cautum 

est  enim  ipsius  collegii  iegibus  praescriptionique  doctoris  ut  in 

qua  quisque  scientia  plurimum  valere  se  sentit  eam  potissimum 

colat  in  eaque  versetur  assidue,  ne,  dum  varia  doctrinarum  atque 

artium  geuera  consectatur,  ingenii  iures  frangat  et  quasi  nervos 

incendat.  Placuit  igitur  hoc  esse  peculiare  et  praecipuum  Collegii 

institutum,   ne  unus  plura,  sed  singula  singuli  tractent.  Habes 

ratiouem  consilii  mei,  quod  ego  non  ante  probabo  quam  tibi  non 

plane  displicuisse  cognovero.   Vale.    Mediolani,  IIII  Non.   Mart. 

MDCVIII. 

Admodum  Reverendae  P.  T. 

studiosissimus 

Fredericus  Card.  Borromaeus 

P.  Andreae  Schotto.  Ant.  Olgiatus. 

(Adresse  :)  Admodum  R"*"  Patri  Andreae  Schotto 
e  Societate  Jesu. 

Antverpiam. 
Anversa. 


LETTRES    INÉDITES    d'aNDRÉ    SCIIOTT.  581 

49. 

Lettre  de  Michel  Vosmeer(i)  a  André  Schott, 
[Bruxelles,  Bibl.  royale,  ms.  8^48.  Autographe)  (2). 

M.    VOSMERDS   VENERANDO    P.    AnDREAE   SchOTTO    S.    D. 

lam  bis  ad  te  satis  longas  dedi  litteras,  amicorum  optitne,  XVI 
calendas  Maii  et  Nonis  Sextilis  iabentis  anai  ;  nec  compertum 
habeo  an  tibi  redditae.  Perierint  in  via  timeo,  nam  intervallum 
locorum  licet  non  ita  grande,  minus  tutum  esse  suspicor  ob  pago- 
rum  infrequentiam.  Repeto  igitur  pauca  quae  nescire  te  nolim, 
Joannem  a  Leydis  MS.  dico  librum,  quem  Opmerus  noster  (3)  tibi 
olim  commodavit,  mancupio  nunc  a  me  habe  ;  et  animum  meum  a 
se,  non  a  muniisculo  hoc  aestima  aeternum  tuum.  Veuerandus 
frater  (4j  sedulius  nuper  ad  me  visit  et  dolere  se  dixit,  quod  assi- 
duis  peregrinationibus  distento,  corrigendis  Adami  (5j  operibus 


(1)  La  biographie  de  Michel  Vosmeer  (né  à  Delft,  mort  en  liibii  se  trouve 
dans  Van  der  Aa,  Biographisch  Woordenboek,  t.  XIX,  p.  403. 

(2)  Le  ms.  8343  de  la  Bibliothèque  royale  de  Bruxelles  contient  les  chro- 
niques des  comtes  de  Hollande  et  des  évêques  d'Utrecht  rédigées  par  Jean 
Gerbrand  de  Leyde.  Il  porte  au  fol.  1,  cette  note  de  Schott  :  Ej:  dono 
P.  Vosrneri  Michaelis,  sum  V.  P.  And.  Schotli.  Anno  i610.  Fr.  Sweertius 
a  publié  ce  ms.  dans  son  ouvrage  Rerum  Belgicaram  annales,  chronici 
et  historici,  publié  à  Francfort  en  1620  ;  pourtant  les  premiers  chapitres 
de  la  chronique  ne  s'y  trouvent  pas,  comme  le  remarque  Schott  au  fol.  1 
du  ms.  :  Tredecim  prima  capita  hnii'.s  ms.  désuni  in  imprcsso  cudice 
an.  i620  ;  forte praelermissa  ah  editoribus,  qaia  ad  historiam  Hollan- 
diae  vix  spectant. 

(3j  11  semble  que  ce  soit  Pierre  Opmeer  le  Jeune  (mort  en  l^il^j  que  Vos- 
meer  désigne  ici  :  il  vécut  en  eflfet  à  Delft  et  à  Anvers  (d'où  noster},  et  on 
sait  qu'il  possédait  des  manuscrits  que  lui  avait  légués  son  père.  Voir  les 
biographies  des  deux  Pierre  Opmeer  dans  Van  der  Aa,  Biogr.  Woorden- 
boek,  t.  XIV,  p.  182-186. 

(4)  Sasbout  Vosmeer,  archevêque  de  Philippi  et  vicaire  apostolique  dans 
les  provinces  belges  fédérées.  Cfr.  Van  der  Aa,  Biographisch  W'oorden- 
boek,  t.  XIX,  p.  404-405. 

(ô)  Adam  Sasbout,  religieux  de  l'ordre  des  Frères-Mineurs,  né  à  Delft  en 
1516,  mort  en  1553,  grand  oncle  de  Michel  et  de  Sasbout  Vosmeer.  Voir 
Dirks,  Histoire  littéraire  et  bibliographique  des  Frères- Mine nrs, 
p.  87-8y. 


382  LE    MUSÉON. 

tempus  et  mens  defuerint.  Sed  ante  hoc  factura,  Revereadus  frater 
noster  coram  obtinuit  ab  vigilautissimo  Praeside,  Gulielmo  Fabri- 
tio  (1)  discipulls  et  convictoribus  suis  id  negotii  ut  daret,  quod 
etiam  pensum  gnaviter  coufecisse  existimo.  Unum  nobis  maie  est  : 
fâctio  ûimirum  typographorum  (ut  ego  autumo)  ;  duo  namque 
optimi  collegiorum  praesides,  Pontilicii  dico  et  Theologici,  Reve- 
rendissimo  fratri  nostro  spem  dederant  accenderantque  Masii  (2) 
inducendi  ad  hoc  munus,  sed  longe  aliter  credidit.  Alii  item  qui 
Antverpiae  iuter  celeberrimos  censentur,  primo  congressu  optima 
spondere  nobis  visi  sunt  ;  verum  ubi  serio  agendum  est,  remos 
inhibent  et  cessim  eunt.  Nec  aliam  ob  causam  (dictis  si  habenda 
fides  est)  quam  quod  officinae  librariae  compluribus  exemplaribus 
(Coloniae  in-fol.  pressis)  (3)  abundent  :  quae  nullo  illis  futura  numéro 
praevident,  (ut  prae  caeteris  ad  suum  quaestum  callent),  si  emenda- 
tior  nunc  Adamus  et  excellentioribus  typis  ornatior,  vita  praeterea, 
argumentis  et  detractionis  (4)  depulsioue  auctior  integriorque  pro- 
dierit  (5).  Quamobrem  spcm  abiicio,  me  vivo,  opus  videndi,  nisi 
ut  Poenus  ille  Alpes  aceto,  ita  nos  aureo  imbre  aggerem  illum 
dissolvamus.  Quod  si  brevi  contigerit,  videbis  inter  primos  ;  utinam 
et  probes  !  eo  affectu  et  iudicio  quo  nos  tuum  Laynum,  Borgiam  et 
Sâlmerouem  (6)  suspicimus  et  adrairamur  ;  atque  ita  nobiscum,  si 
tara  felix  et  laetus  noster  Scholtus  in  vertendis  alienis,  quid  in  aper- 
tis  campis  ?  Sed  quo  feror?  Strepens  anser  inter  olores.  Quara 


(1)  Au  sujet  de  Guillaume  Fabritius,  né  à  Nimègue,  président  du  Grand 
Collège  des  Théologiens  depuis  1605,  voir  Paquot,  Mém.  litt.  t.  IV,  p.  30. 

(2)  Peut-être  Bernard  Maes  qui  imprima  à  Louvain  vers  cette  époque. 

(3)  Les  œuvres  complètes  d'Adam  Sasbout  ont  paru  à  Cologne,  chez 
Arnold  Birckmaun,  en  1568  et  eu  1575. 

(4)  Plusieurs  savants  prétendaient  que  certaines  œuvres  imprimées 
dans  les  éditions  de  Cologne  étaient  attribuées  à  tort  à  Sasbout  :  elles 
appartenaient,  disaient-ils,  à  son  maitre,  Jean  de  Hasselt.  Michel  Vosmeer 
soutint  le  contraire  dans  un  écrit  publié  à  Cologne  en  1613  et  intitulé  : 
Responsio  adversus  calumniam  cciusdam  de  Sasboldi  scriptis. 

(5)  La  nouvelle  édition  des  œuvres  d'Adam  Sasbout  ne  vit  jamais  le 
jour  ;  la  vita,  les  argumenta  et  la  detractionis  depulsio  parurent  plus 
tard  en  volumes  séparés.  Voir  Dirks,  1.  c. 

(6)  Cfr.  SoMMERVOGEL,  u^^  23,  10  et  15.  Les  biographies  de  Borgia  et  de 
Salméron  turent  composées  par  le  P.  Ribadeneira  et  traduites  par  Schott. 


LKÏTUES    FNÉDITES    d'aNDRÉ    SCHOTT.  583 

solabor  me  imagine  tui  quae  assiduo  mihi  aate  oculos  est.  Meam 
fàciem  typis  non  commisi  :  nec  enim  tanti  est.  Adami  effigies  ope- 
ribus  eius  accedctur.  Haec  quam  mitto  Reverendissimi  fratris  est, 
duobus  aanis  mensibus  quinque  me  iuaioris.  Vale,  vir  clarissiine, 
ab  eo  cui  tu  iam  olim  carus  et  magnus.  Quin,  vicissim  quid  valeas 
vel  uoico  verbo  signitica,  tantillum  si  otii  suppetit.  Salutem  V.  D. 
Corneliû,  cognato  nostro,  cui  dici  voluisti,  dixi  ;  idem  te  resalutat 
et  bas  quas  vides  literas  recipere  iubet.  Iterum  vale.  Delfi,  VI  idus 
novemb.  1610. 

Adresse  :  Venerando  Patri 
Patri  Andreae  Schotto,  Societatis  lesu 
sacerdoti  conspicuo 
Antverpiam  an  vero  Tornacum  Nerviorum  incertum. 

50. 

Lettre  du  P.  Fronton  Le  Duc  au  P.  Am>ré  Schott. 

(Bruxelles,  Bibl.  royale,  ms.  2102-3,  fol.  211  (i). 
Autographe). 

Reveeende  in  Cheisto  featee. 

Miratus  sum  nuper  ad  nos  venisse  R.  P.  Scribanium  (2j,  etsi 
tamen  scribere  ad  nos  minime  dignatus  esset,  cum  tamen  non 
modo  mirari  sed  indignari  etiam  se  scripserit  non  ita  pridem 
dominas  Miraeus  (3)  quod  ad  tuam  reverentiam  bis  scripsissom 
nec  ad  iilum  quidquam  misissem.  Existimo  autem  iam  literas  eum 
meas  accepisse  quibus  inserueram  varias  lectiones  ex  manusciiptis 


(1)  Cfr.  Van  den  Gheyn,  Catalogue  de  la  Bibliothèque  royale  de  Bel- 
gique, t.  II,  p.  203,  n"  1193. 

(2)  Charles  Scribani  (1561-1629),  recteur  des  collèges  d'Anvers  et  de 
Bruxelles  et  provincial  de  la  Flandre.  Voir  Sommervogel,  Bibliothèque 
des  pères  de  la  Compagnie  de  Jésus,  t.  VII,  col.  982-990. 

(3)  Voir  la  bonne  étude  sur  Aubert  le  Mire  publiée  par  de  Ridder  dans 
les  Mémoires  couronnés  et  mémoires  des  savants  étrangers  publiés  par 
V Académie  royale  des  sciences,  des  lettres  et  des  beaicx-arts  de  Bel- 
gique, t.  XXXI  (1862-1863). 

24 


384  LE    MUSÉON. 

collectas  ia  Marianum  Scotum  (1),  monueramque  statuisse  Cra- 
moisiutn  ipsius  Notitiae  folia  ultima  praelo  committere  (2).  Coepit 
etiam  Latinam  editionem  Epiphaaii  (3)  bibliopolus  idem  ciii  non- 
nullas  correctioaes  Billii  (4j  suppeditavimus.  Morellus  etiam  cum 
aliis  tribus  Augustiai  opéra  ïn  lucem  edit  (5),  annotatioûibus  illus- 
trata  Theologi  cuiusdam  nomine  Coquaei  qui  Magao  Hetruriae 
Duci  est  a  confessionibus  (6).  Narn  quiutum  tomum,  qui  est  de 
Civitate  Dei,  post  Ludovicum  Vivem  (7)  exponere  aggressus  est. 
Inchoavit  idem  typographus  editionem  Graeco-latinam  Synesii  (8), 
cum  quidem  gratiticare  placuisset  hac  iter  habenti  P.  Dionysio 
Petavio,  cum  Rhemis  Fixam  Andegavorum  proficisceretur  (9)  ut  in 
illo  regio  collegio  Rhemi  (10)  non  profitentur.  Praelum  enim  Cbry- 
sostomo(lljaddictum  illi  commodavimus  ut  ad  aliquot  hebdomadas 


(1)  Aubert  le  Mire  avait  eu  l'intention  de  publier  la  chronique  de  Maria- 
nus  Scotus.  Ctr.  ibid.  p.  103. 

(2)  JSoticia  Episcopatucm  Orbis  Christiani,  sive  codex provincialis 
Romcoius...  Parisiis,  ex  officina  NiveU/ana,  apud  Sebastianum  Cra- 
moisy,  MDCX,  loi.  Sur  l'incertitude  de  la  date  de  la  publication  de  ce 
vokane,  consulter  le  mémoire  cité  ci-dessus,  p.  63. 

(3)  Paris,  1()12,  in-fol. 

(4)  Les  corrections  de  Jacques  de  Billy  au  texte  et  à  la  version  latine 
des  œuvres  de  S.  Epiphane  se  trouvent  dans  les  Sacrarwn  ohservationum 
libri  duo,  R.  P.  J.  Billio  Prunaeo...  auctore.  Parisiis,  MDLXXXV. 

(5)  iS.  Aicrelii  Augiistini  opéra,  tomis  decem  comprehensa,  per  theo- 
logos  Lovanienses...  emendata  ...  una  cum  Leonardi  Coquaei...  in 
libi'os  XXll  de  Civitate  Dei  commentariis.  Paris,  1613-1614. 

((i)  Léonard  Coquaeus  était  le  confesseur  de  Christine  de  Lorraine, 
épouse  de  Ferdinand  I  de  Médicis,  grand-duc  de  Toscane.  Cfr.  A.  Miraeus, 
Bibliotheca  ecclesiastica,  Antv.  1649,  p.  214  et  Ossinger,  Bibliotheca 
Augustana,  Ingolst.,  1768,  p.  259. 

(7)  Bàle,  J.  Froben,  1522. 

(8;  Les  œuvres  de  Synesius  avec  la  traduction  de  D.  Petau  parurent  en 
1G12,  à  Paris,  chez  S.  Cramoisy. 

(9)  Au  sujet  de  Denis  Pétau,  cfr.  C.  Sommervogel,  Bibliothèque  des 
Pères  de  la  Compagnie  de  Jésus,  t.  VI,  col.  588-616.  On  y  dit  qu'il 
professa  la  i-hétorique  à  Reims  (1609),  à  la  Flèche  (1613)  et  à  Paris  (1618). 

(10)  Ms.  Rheari? 

ill)  Cfr.  la  bibliographie  des  éditions  des  œuvres  de  S.  Jean  Chrysostome 
publiées  par  Fronton  Le  Duc  dans  Sommervogel,  1.  c.  t.  III,  col.  238-241, 
n"  21. 


LETTRES    INÉDITES    d'aNDRÉ    SCHOTT.  58^ 

illi  rei  vacaret  ;  et  cum  epistolae  Chrysostomi,  quae  solae  restant 
ex  altéra  parte  quinti  tomi  excudendae,  fuerint  absolutae,  per- 
texatur  editio  Synesiana.  Prius  tamen  subsidio  mihi  tuo  est  opus 
ut  nimirum  cataloguai  huuc  epistularum  illarum  conferri  cures 
cum  iis  manuscriptis  exemplaribus  quae  Autverpiae  servantur. 
Sicut  admonuit  me  Dominus  Dausqueius  (1)  et  alii  externi,  praeter 
Sambuci  (2)  et  Livineii  (3)  apographum,  quod  vobis  acceptum 
feram,  cupio  et  stari  varias  lectiones  ex  aliis  codicibus  collectas 
deberi  vobis  ;  ne  minus  instructus  a  libris  rarioribus  videar  quam 
Savilius  qui  in  eo  nunc  est  ut  suara  Graecam  editionem  absolvat  (4). 
Facile  igitur  fuerit,  adhibito  in  consilium  hoc  catalogo  (5),  percur- 
rere  oranes  epistolas  et  ex  ipsis  initiorum  verbis  coguoscere  num 
sint  aliquae  àvsx.Soroi  quae  non  extent  in  Sambuci  apographo. 
Qiias  enim  reperit  Billius  in  Cuiaciano  codice  (6)  qui  et  ipse  pênes 
nos  est,  ab  illustrissimo  Cardinale  Perronio  (7)  coramodatus,  eas 
indicant  numérales  illae  notae  :  reliquae  vero  quae  appictos 
numéros  non  habent,  exhibentur  ab  apographo  Sambuci  et  vestro 
in  ea  pagina  quam  subiectus  numerus  indicat.  Exempli  causa, 
prima  â.AXà  x.al  to'jto  incipit  et  est  décima  inter  Billianas,  reperitur 
autera  in  apographo  Sambuci  folio  octavo,  pagina  a.  Quae  vero 
incipit  âvsTTvsuaau.ev  est  àvÉx.SoTo;  et  occurrit  in  Sambuci  apographo 
folio  62  a.  Si  qua  crgo  rcperiatur  in  aliis  codicibus  vcstris,  cuius 
initium  non  occurrat  in  hoc  catalogo,  poterit  describi  et  ad  nos 
mitti,  non  deerit  merces  amanuensi.  Pollicitus  est  etiam  R.  P.  Fon- 

(1)  Claude  D'Ausque,  humaniste  distingué  de  Saint-Omer  (1566-1644), 
entra  d'abord  dans  la  Compagnie  de  Jésus  et  devint  en  1612  chanoine  de 
Tournai.  —  Cfr.  Biographie  nationale,  t.  IV,  col.  698-701. 

(2)  La  biographie  de  ce  savant  hongrois  (1531-1584)  se  trouve  dans 
A.  HoRANTi,  Memoria  Hungarorum,  t.  III,  p.  196-209. 

(3)  Voir  ci-dessus  p.  372,  note  2. 

(4)  Sur  l'helléniste  anglais  Henry  Savfle,  cfr.  L.  Stephen,  Dictionnary 
of  national  hiograpliy,  t.  L,  p.  367-369.  Sa  remarquable  édition  des 
œuvres  de  S.  Jean  Chrysostome  fut  publiée  à  Eton,  1610  1613. 

(5)  Les  deux  feuilles  formant  cette  table  se  trouvent,  dans  le  manuscrit, 
à  la  suite  de  la  lettre. 

(6)  J  de  Billy  publia  ces  lettres  dans  l'édition  des  œuvres  de  S.  Jeau 
Chrysostome  imprimée  à  Paris  en  1581. 

(7)  L'illustre  cardinal  Duperron. 


586  LE   MUSÉON. 

denius  (?)  et  nobis  auxilio  fore,  si  ipsius  opéra  indigeatur,  vel  eorum 
qui  ab  eo  reguntur.  Misit  ad  nos  Homilias  in  Psalmos  et  in  Genesim 
Dominus  Savilius  excusas,  ut  iterum  conferri  eas  cum  manuscriptis 
nostris  curemus,  cum  experientia  didicisset  longe  emendatiores 
aliorum  nos  esse,  nactos  non  ex  bibliotlieca  solum  regia,  sed  ex 
aliis  cum  Gallicis,  tum  exoticis.  At  Casaubonus  noster  illic  iiaeret 
et  diutius  quam  vellem  haerebit  ;  partem  enim  librorum  ipsius 
sérum  illuc  advexit  uxor  eius  (Ij,  née  uUis  promissis  abduci  potuit, 
licet  stipendium  duum  raillium  aureorum  non  deesset  qui  marito 
poliiceretur.  Significavit  et  mihi  vix  quidam  fide  dignus,  iurasse 
Casaubonum  se  nunquam  Hugonotorum  Galliae  templum  ingressu- 
rum,  sed  dictis. alias  ;  filius  quidem  certe  ipsius  catholicus  apud 
nos  degit  et  ducentorum  aureorum  honoraiio  fruitur  quod  illi  Gal- 
liae clerus  assignavit  (2).  Vale,  et  nos  literis  iuvare  non  cesses. 
Lutetiae  Parisiorum,  III  nonas  Octobris  CIOIOCXI. 

Tuus  in  Cbristo  frater  et  servus, 
Fronto  Ducaeus. 

Liber  epistolarum  queni  a  vobis  babeo  est  ex  apographo  Sambuci, 
habet  autem  in  margine  varias  lectiones  ex  altero  Sambuci  manus- 
cripto  a  Livineio  collectas,  sed  praeter  hos  duos,  tertium  habetis 
antiquissimum  (3). 

{Adresse  :)  Reverendo  Patri  in  Cbristo  P.  Andreae 

Schotto  Societatis  Jesu 

Presbytero. 

Antverpiam. 


(1)  Casaubon  était  passé  en  Angleterre  au  mois  d'octobre  IGIO.  Sa  femme 
revint  en  France  le  2'J  avril  1611,  avec  la  mission  d'expédier  sa  bibliothèque 
à  Londres,  où  elle  rejoignit  son  mari  à  la  tin  du  mois  de  septembre.  V.  M. 
Pattisson,  J.  Casaubon,  ^'^  éd.  p.  301  et  410. 

(2)  "  Durant  ces  négociations,  Jean  Casaubon,  son  tils  aine,  persuadé 
moins  par  l'éloquence  des  convei'tisseurs  que  par  l'appât  d'une  pension 
de  deux  cents  écus  d'or  qu'on  lui  avait  promise,  s'était  fait  catholique  n 
N'iZARD,  Triumvirat  littéraire,  p.  419. 

(3)  Il  ne  m'a  pas  été  possible  d'identitter  ces  manuscrits  ni  avec  les 
n»*  2102-3,  76S.3-86  et  11.728  de  la  Bibliothèque  royale  de  Bruxelles,  ni  avec 
les  n»"*  201  et  203  du  Supplément  grec  de  la  Bibliothèque  nationale  de 
Paris,  (ces  deux  derniers  manuscrits  provenant  également  de  la  maison 


LETTRES    INÉDITES    d'aNDIIÉ    SCIIOTT.  587 

51. 

Lettre  de  Pierre  Kyuit  a  André  Sciiott. 
(Bi'Hxclles,  Bibl.  roij.,  ms.  7978-79,  f"  4{\).  Àutogroplie), 

Reveeende  in  Cheisto  Patee. 

Visae  mihi  sunt  literae  vestrae  ad  avunculum  lacobum  Brassi- 
cam  (2)  datae  in  quibus  Chronicorum  Dunensium  (3)  fit  mentio. 
Verum  enimvero  cum  Chronica  haec  olim  a  quodam  monacho 
Dunensi  Brando  lohanni,  tribus  voluminibus  non  exiguis  copiose 
a  mundi  exordio  usque  ad  annum  1414  siut  conscripta  ;  postea 
vero  a  quodam  Egidio  de  Roya  eiusdem  monasterii  professo  com- 
pendiose,  non  de  verbo  ad  verbum,  sed  in  substantia,  ut  ipso  in 
proœmio  fatetur  descripta,  et  ad  annum  1476  protracta,  quod  pos- 
tremum  pênes  me  est  ;  dubius  sum  num  proposito  Reverentiae 
vestrae  servient,  quae,  ut  ex  eius  literis  potui  colligere,  Belgica- 
rum  rerum  scriptores  solos  videtur  expetere  (4).  Profusius  quidem 


professe  des  Jésuites  d'Anvers).  D'ailleurs  le  texte  delà  lettre  ne  distingue 
pas  clairement  les  manuscrits.  Je  pense  que  duo  codices  désignent  1°  un 
cod.  Sambuci,  et  2°  une  copie  de  ce  codex  avec  des  variantes  puisées  par 
J.  Lievens  dans  un  autre  ms.  de  Sambucus. 

(1)  J.  Van  den  Gheyn,  Catalogue  etc.,  t.  V,  p.  35-36,  no  3107.  —  Ce 
manuscrit,  provenant  de  l'abbaye  des  Dunes,  a  appartenu  aux  Jésuites 
d'Anvers.  Il  contient  un  abrégé  de  la  chronique  de  Jean  Brandon  et  une 
continuation  de  celle-ci  jusqu'en  1478.  Dans  les  marges  se  trouvent  le 
Rapiarium  d'Adrien  de  Budt.  Schott  a  publié  ces  annales  (peut-être 
d'après  ce  manuscrit)  dans  le  recueil  de  Sweertius,  Rerum  Belgicarum 
annales,  chronici  et  historici,  sous  le  nom  d'Annales  Belg ici  Aeffidii 
de  Roya. 

(2)  Jacob  Cools,  de  Rotterdam,  mort  en  1637.  Voir  Van  der  Aa,  Biogra- 
phisch  Woordenboek,  t.  III,  p.  680. 

(3)  Sur  les  chroniques  de  l'abbaye  des  Dunes  en  Flandre,  voir  Kervyn 
DE  Lettenhove  :  Chroniques  relatives  à  Vhistoire  de  Belgique  sous  la 
domination  des  ducs  de  Bourgogne,  textes  latins,  1870,  préface. 

(4)  Schott  avait  projeté  de  publier  toute  une  collection  de  chroniques 
belges  inédites.  (Cfr.  une  lettre  à  P.  Scriverius,  datée  du  27  mai  1619  dans 
BuRMANN,  Sylloge  epistolaram,  t.  II,  ep.  CXXXII).  Les  Rerum  Belgica- 
rum annales,  etc.  qui  portent  le  nom  de  Sweertius,  peuvent  èti-e  consi- 
dérées comme  un  premier  volume  de  cette  collection  ;  il  n'en  parut  pas 
d'autre. 


588  LE    ML'SÉON. 

post  aanum  millesimum  treceatesitnutn  res  Burgimdicas,  Gallicas, 
Brabanticas  ac  Flandricas  prosequitur,  satisque  exacte,  meo  qui- 
dem  iudicio,  annorum  numerum  videtur  computasse  ;  attamea 
sicuti  captum  meum  superare  haec  iogenia  fateor,  ita  doctiorum 
iudicio  trutinaeque  aequo  gratoque  animo  subiicio.  Quicquid  sit, 
lubenter,  si  aut  rei  litterariae,  aut  vigiiiis  suis  R(everentia)  V(estra) 
prodesse  iudicet,  ad  tempus  commodabo  ;  tôt  enim  ac  tantis  Socie- 
tas  DOS  devinxit  beneficiis  ut  merito  ingratus  dicar  si  in  re  tam 
exigua  difficilis  inveniar.  Domiaus  Deus  intérim  R(evereDtiam) 
V(estram)  diu  ecclesiae  suae  iacolumem  servet,  sanctosque  labores 
gratia  sua  prosequatur  ad  suam  gloriam,  haereticorum  confusio- 
nem  et  catholicorum  provectum.  Vale  vir  ornatissime,  meique 
memor  in  precibus  vestris  esto.  Goudae,  3  septembris  1616. 

R(everentiae)  V(estrae)  servus  et  amicus 
integerrimus. 
Petrus  Ysbrandi  Kijuit. 

{Adresse  :)  Reverendo  in  Christo  Patri 
P.  Andreae  Scotto  Societatis 
Jesu  presbytero. 

Antverpiam. 
Pétri  Ysbrandi  Kijuit. 

D'autre  main  (Schott  ?)  :  Ex  bis  videtur  prosecutio  Aegidii  de 
Roya,  vel  Chronodronaon  Brandonis  Joannis  nionachi  Dunensis  seor- 
sum  exstitisse  Goudae.  Anno  1616. 

52. 

Lettre  d'André  Schott  a  Hugo  Grotius. 
[Bibl.  royale  de  Bruxelles,  ms.  II  428.  Autographe). 

On  sait  que  Théodore  Ganter,  exilé  de  sa  patrie,  s'arrêta  quelque 
temps  à  Anvers  avant  d'aller  se  fixer  à  Leeuwarden.  Il  ne  manqua 
pas  d'aller  visiter  le  P.  Schott,  son  ancien  ami  ;  il  lui  confia  un 
manuscrit  dans  lequel  il  avait  recueilli  les  fragments  qui  nous 
restent  d'œuvres  dramatiques  ou  lyriques,  aujourd'hui  perdues. 
Schott  les  traduisit,  puis  les  donna  à  un  imprimeur  de  Genève, 


LETTRES    INÉDITES    d'aNDRÉ    SCIIOTT.  589 

Pierre  La  Rovière,  qui  avait  projeté  d'éditer  les  œuvres  d'Eschyle, 
de  Sophocle,  d'Euripide  et  d'Aristophane  (1).  Ces  œuvres  parurent 
en  effet  (2),  mais  sans  les  fragments  de  Ganter.  Le  savant  jésuite 
anversois  insista  encore  auprès  de  l'imprimeur  pour  qu'il  mît  au 
jour  le  précieux  travail  de  son  ami  :  ce  fut  en  vain.  Aussi  Schott 
résolut-il  de  retirer  son  manuscrit.  Dans  une  lettre  du  29  juillet 
1623  adressée  à  Hugo  Grotius  (3),  alors  à  Paris,  il  demanda  au 
célèbre  jurisconsulte  de  réclamer  aux  héritiers  de  P.  La  Ptovière 
le  dépôt  qui  lui  avait  été  confié,  et  il  lui  recommanda  de  s'en  servir 
pour  son  travail  sur  les  tragiques  grecs.  Schott  lui-même  fit  paraî- 
tre, en  1624,  à  Francfort,  les  fragments  d'Aristophane  recueillis  par 
Ganter  (4).  G'est  en  1626  que  parut  l'œuvre  de  Hugo  Grotius  sous 
ce  titre  ;  Excerpta  ex  tragoediis  et  comoediis  Graecis  emendata  et 
Latinis  versihus  reddita  ah  Har/one  Grotio.  L'auteur  en  envoya  un 
exemplaire  à  Schott  avec  une  lettre  que  reproduit  Baguet,  p.  16  ; 
il  y  dit  qu'il  a  reçu  des  imprimeurs  de  Genève  les  fragments  des 
tragiques  et  des  lyriques  et  qu'il  en  a  tiré  profit  :  «  Non  tam 
mumis  tibi  mitto  quam  tuuui  tihi  r-eddo  ». 

Andeeas  Schottus  h.  Grotio  J.  G.  yxiozvK 

Opportune  mihi  redditae  tuae,  doctissime  Groti,  mirificeque 
recrearant,  laeto  nuutio.  Tam  enim  gratum  mihi  accidit  redhibitos 
tandem  esse  labores  Th.  Ganteri  quam  si  meus  ille  partus  esset, 
TzxvTx  yàp  Ta  x.o-.và  '^D.ojv,  aiunt.  Meae  fidei  et  candori  optirnus  ille 
vir  patrie  et  ipse  exsulans  solo  illa  credidit.  Aniavit  me  ille  nondum 
visum,nullo  meo  merito,  ego  vicissim  mutuum  praestiti  rodamando, 


(1)  Cfr.  la  lettre  de  Schott  à  D.  Hocschel  datée  de  ir,iO(?;  dans  Heumanni 
Prœeile,  1. 1,  p.  5(i4-5Gô. 

(2)  Poetae  Graeci  veteres  tragici,  comici,  Ij/i'ici,  epigrammatarii... 
Coloniae  Allolroginn,  Pet.  de  la  Rovière,  UiU. 

(3)  Epistolae  celeberrisnorum  virorura  ex  scn'niis  literariis  J.  Bran- 
tii,  Amsterdam,  1715,  p.  32  et  suiv. 

(4)  Aristophanis  comœdiae  undecim  (rraece  et  Latine...  Accesserunt 
praeterea  fragmenta  eiusdeni  ineditarum  comœdiarum  Ariatophanis. 
Lugd.  Bat.  I(i2i.  Au  sujet  du  maiiuscrii  de  Ganter,  on  i)OuiTa  consulter 
Fabiuïius-Harles,  Bibliotheca  Graeca,  1. 1,  p.  747,  note  yy,  et  t.  II, 
p.  245,  note  0, 


590  LE    MUSÉON. 

ac  teneris  visceribus  calamitati  senis  compatiendo.  Doleo  vero  non 
esse  vobis  omnia  restituta  quae  fasciculo  satis  magno  iuclusa  Rove- 
rio  in  nundinas  per  bibliopolas  nostros  miseram,  saasu  Danielis 
H(eiasii)  vestri.  Erant  in  eo  fasciculo  et  très  tomuli  Latino  carminé 
rodditorum,  tragoediae  aliquot  Euripidis,  ab  Erasmo,  Buchanano, 
et  Petreio  Tiara  Frisio  Medaea  (1).  Item  Homeri  Ilias  Latino  car- 
mine  per  Eobanum  Hessum  (2)  cum  numeris  ad  oram,  et  Odyssea 
per  Simonem  Lemnium  (3),  opinor.  Verum  quae  déesse  scribis,  si 
Nemauso  haberi  non  poterunt,  recuperari  fragmenta  Aeschyli  et 
Sophoclis  possunt  describenda  ex  tribus  tragicis  a  Joanne  Meursio 
an.  1619  Lugduni  editis  (4).  Pauca  sane  desiderabuntur  praeter 
laborem  describendi,  Nam  Euripidis  pleraque  nisi  apud  illum  verti 
soient  medicum,  sunt  in  Stobaei  yvtop-aiç  quas  tute  féliciter  reddi- 
disti  carminé  (5)  quod  suo  quoque  addi  loco  ut  iubeas  per  ego  te 
hanc  dexterara  rogo  atque  obtestor.  Obstetricari  itaque  ne  graveris  si 
typograpbum  isthic  commodum  reperies  in  tam  opulenta  et  augusta 
Republica  urbeque  Lutetiae.  Hic  enim  a  Graecis  typographi  nostri 
nimium  quantum  abhorrent.  Menandri,  Diphili  et  Philemonis,  si 
amissa  eriut  >.£i(j/ava  poterunt  veluti  naufragii  tabulae  colligi,  si  erit 
usus,  e  Gulielmi  Morelii  comicorum  collectione  fragmentorum 
Parisiis  édita  (6)  :   quae   ad  quinquaginta   comicorum   reliquias 


(1)  Dans  la  lettre  à  Grotius  citée  ci-dessus,  Schott  disait  :  «  Miseram  et 
Euripidis...  tragœclias  Vil  aut  VU!,  Latinis  versibus  redactas  a  doc- 
tis,  ut  simul  extruderet  (La  Rovière)  Erasmo  interprète  duas,  totidem 
G.  Buchanano.,  et  una  Fetro  Tiara  Medea,  item  una  Q.  Florente,  nisi 
fallit  memoria  senilis  ;  cas  quoque  répète,  n  Voici  les  ouvrages  dont  il 
s'agit.  1°  La  traduction  d'Hécube  et  d'Iphigénie  en  Aulide,  par  Erasme, 
(Bâle,  1524).  —  20  La  traduction  de  Médée  et  d'Alceste  par  Georges  Bucha- 
nan,  (Bâle,  1568).  —  3°  La  traduction  de  Médée  par  Petreius  Tiara, 
(Utrecht,  1543). 

(2)  Bâle,  1540. 

(3)  Bâle,  1549. 

(4)  Janms  Meursii  Aeschi/les,  Sophocles,  Euripides  sive  de  tragoediis 
eorum  libri  JII.  —  Lugd.  Bat.  16i9. 

(5)  Dicta  poetarum  quae  apud  Joannem  Stobaeum  exstant,  emendata 
et  latino  carminé  reddita  ab  Bug.  &rotio...  Paris  1623. 

(6)  Ex  veterum  comicorum  fabulis,  quae  integrae  non  extant  sen- 
tentiae,  nunc  primum  in  sermonem  latinum  conversae.  —  Parisiis, 
1553.  Apud  Guil.  Morelium. 


LETTRES    INÉDITES    d'aNDRÉ    SCIIOTT.  7)91 

Jacob,  Hertelius  (1)  coUegit  an.  1560  ediditque  Basileae  (2).  Hic 
per  sententias  digessit  ;  ille  ut  quidque  in  manus  venerat,  ita 
digesserat  :  neuter  tamen  auctores  de  more  adiecit.  Ganteras  vero 
per  comœlias  et  tragœdias  singula  â-oGxâcp.aTa  bene  digesserat, 
brevibus  adiectis  post  singula  scholiis,  uade  desumpta  fragmenta 
essent,  vel  qui  eadem,  ut  fit  saepius,  laudassent.  Ego  vero  de  meo 
nihil  addendum  duxi,  cum  quod  ad  AUobroges  irent,  quo  nomea 
non  mitto  meum,  tu  m  quia  iusserat  6  aa/capî-r-/];  in  limine  tant  uni 
affigi  EX  BIBLIOTHECA  THEO.  CANTERI.  Quod  vero  disirahi 
posse  negarent,  ut  est  ignavum  hoc  saeculum,  nisi  Latina  appone- 
rentur,curaviLatinaappendi;sed  nunc  malim  tuam  adjici  metricam 
interpretationem.  Acceduut  et  ex  animadversis  Casauboni  summi 
viri  in  Athaenaeum  quaedam  (3j.  Putabam  equidem  fidi  me  amici 
fuDctum  officie,  quod  mihi  iam  cito  praestari  exoptem.  Quare, 
magne  Groti,  per  ego  te  hanc  dexteram  iterum  rogo  obtestorque, 
obstetricari  ne  una  gravere  si,  ut  spero,  typographum  isthic  reperies 
in  augusta  illa  foetaque  viris  doctis  urbe  Lutetia,  allaborante  et 
doctissimo  Salmasio  quem  saluto.  Tribuite  hoc  boni  viri  manibus, 
patria  exsulantis  et  iu  exsilio  mortui  Leouardio  (4).  Vale  in  Domino 
nosque  amare  ne  desine.  Salutem  tibi  nunciari  iusseram  per  Jus- 
tum  Rycquium  Canonicum  Gandavensem  et  poetam,  Parisiis 
Romam  cogitante  m  (5).  Dionysio  Petavio  et  Jac.  Sirmondo  doctis- 

(1)  Le  ms.  semble  donner  :  Hertelio  ou  Hertelis.  Voici  le  titre  de  Tuu- 
vrage  dont  il  est  question  :  Vetustissimorum  sapientissimoriim  comi- 
corum  qiiinquaginta  (ji'.orum  opéra  intégra  non  exstant,  sententiae 
quae  supersunt  Graece  et  Latine  collectae  et  secundum  litteras  in  cer- 
tes locos  dispositae...  Per  J.  Hertelium,  Has.  1560. 

(2)  Rntre  les  lignes  du  manuscrit,  on  lit  :  Et  H.  Steph.  comic.  Henri 
Estienne,  en  effet,  publia,  lui  aussi,  un  recueil  de  fragments  des  poètes 
comiques  sous  le  titre  de  :  Comicorum  Graecorum  sententiae,  id  est 
gnomae  latinis  versibus  ah  H.  Stepha?io  redditae  et  annotationibus 
illustratae...  Excudebat  H.  Stephanus,  1569. 

(3)  Ces  animadversiones  in  Athaenaeum  de  Casaubon  parurent  pour 
la  première  fois  à  Lyon,  en  lOuO. 

(4)  En  1617. 

(5)  J.  Kyckius,  né  à  Gand  en  1581,  devint  chanoine  de  Saint  Bavon  ;  en 
1624  il  partit  pour  Rome  et  de  là  pour  Bologne  où  il  reçut  une  chaire  de 
professeur.  Il  y  mourut  en  1627.  Cfr.  Foppens,  t.  II,  p.  788,  et  Paquot, 
t.  III,  p.  188. 


392  LE    MUSÉON. 

simis  sociis  isthic,  defuncto  iam  Frontone  Ducaeo,  utero,  si  allô- 
quium  in  malis  est  opus.  Antverpiae,  X VIII  Novembris  CIOIOXXIII. 
(Adresse  ;)  Doctissimo  viro  Hugoni  Grotio  Jurisconsulte. 
En  la  rue  de  S.  Jacques, 
Buon  (1),  son  logis. 

53. 

Lettre  d'André  Schott  a  Olivier  d^^"  Wree. 
(Bibl.  royale  de  Bruxelles,  ms.  II  3012.  Autographe). 

Les  lettres  de  Saint  Lsidore  de  Peluse  forment  cinq  livres  ;  les 
trois  premiers  furent  traduits  et  édités  par  J.  de  Billy,  à  Paris  en 
1585.  Un  quatrième  livre  y  fut  ajouté  par  Rittershusius  en  1605. 
En  1625,  le  P.  Schott  publia  le  cinquième  livre  (2j  contenant  près 
de  six  cents  lettres  copiées  d'un  manuscrit  du  Vatican  (3).  Mais  il 
n'y  ajouta  pas  la  version  latine  qu'il  en  avait  faite  (4)  :  celle-ci  ne 
parut  qu'en  1629.  Dans  l'épitre  dédicatoire  de  l'édition  du  texte 
grec,  il  s'excuse  de  ne  pas  donner  sa  traduction  en  disant  qu'il  est 
préférable  de  lire  les  ouvrages  dans  la  langue  originale,  parce  que 
les  traductions  ne  sont  jamais  parfaites  (5).  Dans  une  lettre  à 
Grotius,  il  dit  qu'il  a  ajourné  la  publication  de  sa  version  parce 
qu'il  se  pourrait  qu'il  trouve  encore  des  lettres  inédites  dans  la 
Bibliothèque  du  Roi  (6).  Mais  en  réalité,  il  souhaitait  qu'un  autre 
se  chargeât  de  la  traduction,  comme  le  dit  l'éditeur  du  texte 


(1)  Imprimeur  et  libraire  de  Paris. 

(2)  SoMMERVOGEL,  n°  58,  et  Baguet,  p.  31,  note  2. 

(3)  Dédicace  au  cardinal  de  la  Cueva  :  B.  Isidori  Pelusiotae  epistolas 
sacras  prope  sexcentas,  hactenus  iypis  Graece  non  éditas,  erutas  a 
me,  Romae  cion  degerem,  e  Yaticana  Pont.  Max.  Bihliotheca. 

(4)  Dédicace  :  ...ex  nostra  interpretatione quant  ipse  nuper  {sed  mihi 
ac  Musisquod  aiunt)  feceram.  Comme  le  remarque  Baguet,  il  travaillait 
déjà  à  cette  version  en  1620. 

(5)  Cfr.  le  passage  de  la  dédicace  cité  par  Baguet,  1.  c.  et  en  outre  deux 
lettres  adressées  à  Meursius,  l'une  le  24  août  1620  (Meursii  opéra,  t.  XI, 
col.  361),  l'autre  le  V  octobre  1623  (ibid,  col.  391), 

(6)  Le  passage  de  cette  lettre,  datée  du  29  juillet  1623,  est  cité  par 
Baguet,  1.  c. 


LETTRES    INÉDITES    1)'aM)UÉ    SCllOTT.  593 

gréco-latin  paru  à  Francfort  :  «  Graece  quidem  dumtaxat  hae  sex- 
centae  lucem  priinuui  aspe.verunt  cuiii  spe  hona  ScJiofti  fore  ut 
existeret  aliquis  qui  latine  iaterpretando  pracvorteret  illoque  fasce 
levaret,  ut  vel  iis  gratificari  voluissc  videretur  qui  sua  quemque 
scriptorem  loquentem  lingua  cum  légère  tuni  intcUigere  satagunt, 
sed  saecuU  itifelicitate,  ne  dicam  socordia,  nimis  rari  eodem  lucu- 
brando  aspirant.  » 

Il  semble  avoir  demandé  au  savant  espagnol,  Vincent  Mariner, 
de  se  charger  de  la  traduction  ;  mais  jugeant  que  celui-ci  n'était 
pas  à  la  hauteur  de  la  tâche,  il  lui  conseilla  de  ne  pas  continuer 
et  il  s'adressa  à  Olivier  de  Wree  ;  cette  demande  est  le  fond  de  la 
présente  lettre.  Celui-ci  très  vraisemblablement  ne  voulut  pas  s'atte- 
ler à  une  besogne  vraiment  trop  lourde  pour  ses  jeunes  épaules  ; 
cette  occupation  au  reste  devait  plaire  médiocrement  à  un  homme 
qui  se  sentait  attiré  vers  la  poésie  et  vers  l'histoire.  Ainsi  Schott 
pouvait  écrire  encore  en  1G27  à  Elias  Ehiuger  (1  )  :  (Epistolis  Is. 
Pel.).  Graece  tantum  editis,  quae  Laiinum  interpretem  cditio  exspec- 
taf  aliunde. 

Il  se  décida  enfin  à  publier  sa  propre  traduction  revisée.  Il  en 
envoya  une  copie  à  Jean  Gruter  en  le  priant  de  la  communiquer 
à  qui  voudrait  la  revoir.  Une  autre  copie  en  fut  remise  à  David 
Haex  qui  avait  épousé  une  nièce  de  Schott  et  qui,  à  cette  époque, 
vivait  à  Rome  ;  celui-ci  également  s'était  chargé  de  faire  revoir  la 
traduction  par  des  savants  de  son  entourage.  Dans  une  lettre  de 
Lucas  Holsteinius  du  12  janvier  1629  que  nous  publions  plus  loin, 
l'on  voit  que  cette  version  passa  de  fait  en  différentes  mains  sans 
avoir  été  corrigée.  Ce  fut  enfin  Holsteinius  lui-même  qui  se  chargea 
de  la  revision  ;  mais  la  revit-il  tout  entière  ?  On  n'en  sait  rien. 
Voici  en  effet  ce  que  Haex  écrivit  à  ce  sujet  à  Gevartius  en  date  du 
VI  des  calendes  de  mars  1629  (2).  «  Nempe  Holsteinius  exami- 
nando  corrigendoque  fessus  est,  et  quem  prius  lahorem  susceperat 
libens,  nunc  récusât,  cumque  ad  trecentcsimam  epistolam  pervene- 
rit,   quod  propediem   fore  arbiiror,  operam  denegat  idteriorem, 


(1)  Cette  lettre  se  trouve  dans  les  Amoenitates  litterariae  de  Schel- 
HORN,  t.  IIII,  p.  258. 

(2)  Ms.  de  la  Bibl.  roy.  de  Bruxelles,  n»  5p88,  fol.  84. 


594  LE    MUSÉON. 

dicens  multis  se  àliis  distineri  negotiis,  et  reliquum  àb  alio  qiiopiam 
praestari  posse.  Perquisivi  quotqiiof  intellexi  Graece  peritos,  sed 
quisque  se  excusât  modo.  Pergam  quaerere  qui  lahorem  hune  suheat; 
an  sim  inventurus  nescio.  «  L'édition  entièrement  revisée  parut 
néanmoins  à  Rome  en  1629.  La  même  année,  on  imprima  à  Franc- 
fort une  autre  édition  gréco-latine  de  ces  lettres  d'Isidore  d'après 
la  version  que  Schott  avait  envoyée  à  Gruter  et  qui  était  parvenue 
aux  mains  de  Suffridus  Sixtinus.  Ces  deux  versions  sont  très  diffé- 
rentes, mais  on  voit  clairement  qu'elles  ont  un  fonds  commun  ;  il 
est  probable  que  la  version  de  Francfort  présente  le  travail  original 
de  Schott. 

Domine  Oliveri  (1)  salve.  Legi,  ut  iusseras,  vel  delibavi  potius 
quae  de  Carmclitano  ordine  et  scapulare  Brugis  in  sodalitatis 
Beatae  Virginis  gratiam  effudisti  (2),  rythmis  Belgicis,  Latinis 
mallem,  quae  lingua  vagatur  longius  ;  angustis  haec  nostra  finibus 
coartatur,  et  Batavi,  ut  scis,  qui  plus  hic  operam  in  excolenda 
lingua  ad  haeresim  protelandam  ponunt,  Beatae  Virginis  hostes 
sunt  iuratissimi. 

Vocat  itaque  licentiati  titulus  ad  maiora  maiore  tuba  scribenda 
te  iureconsultum.  Cœperas  bene  in  Graeca  perdiscenda  dum  doces 
linguam,  elymis  excutiendis  nimis  fortassis  intentus.  Si  quantum 
posses,  libct  in  praesens  periclitari  in  stylo  VLrtendo,  mitto  Graece 
a  me  nupcr  hic  éditas  àvexSoTouç  epistolas  S.  Isidori  Pelusiotae  ex 
Vaticana  bibliuthcca  hausias.  Meam  iuterpretatiouem  non  edam 
cerlis  de  causis,  ncc  communico,  scd  alienam  exspecto  ;  nam  in 


(1)  Olivier  de  Wree,  né  à  Bruges  en  1596,  conquit  son  grade  de  licencié 
en  droit  à  Douai.  Dans  sa  jeunesse,  il  cultiva  la  poésie  flamande;  plus  tard 
il  fit  partie  du  magistrat  de  Bruges  et  écrivit  plusieurs  travaux  impor- 
tants sur  l'histoire  des  Flandres.  Il  est  mort  en  1652.  Cfr.  Vie  des  hommes 
remarquables  de  la  Flandre  occidentale,  t  II,  p.  283-289,  et  Biographie 
Nationale,  t.  VI,  col.  22-24. 

(2)  Ce  poème  fut  publié  à  Gand,  en  1624  sous  ce  titre  :  Den  oorspronck 
ende  voort  ganck  der  Carmeliten  ofte  Onze  L.-Vrouwe-Broeders,  ende 
des  H.  Scapuliers.  in  rijme  gestelt  door  Olivier  de  ^Yree,  (Frederiks 
et  Vanden  Branden,  Biographisch  Woordenhoek  der  Noord-  en  Zuid- 
nederlandsche  Letterkunde^  2«  druk,  p.  904.) 


LETTRES    INÉDITES    d'aNDRÉ    SCHOTT.  395 

Hispania  Vincentius  Mariaerius  (l)  susceperat,  sed  suasi  desisteret 
quia  Dirais  extemporaneus  est.  Si  tibi  commodum  est  Latine  eas 
vertere  et  Brugis  Latine  tautum  edere  forma  oadem  ut  subiungi 
queat  Graccis  exemplaribus  omnibus  raeo  aère  hic  excusis,  incipies 
prodire  in  scenam  cum  inonore.  Nam  in  iure  vestro  nimis  exierant 
multa  et  exibunt  plura  quam  hominis  aetas  légère  vcl  titulos  queat. 
Habuistis  Brugis  excellentes,  sed  in  Religione  év  ôpvj^xeia  alieDiores 
et  aberrantes  :  Meckerchum  (2j  qui  Moschi  et  Biouis  dcdit  z'.^ûXXia. 
pauca  et  de  pronunciatione  Graeco-Latina  post  Erasmum  (3)  et 
Joan.  Chekum  (4).  Franc.  Nansius  (5)  Nonnum  S.  Joannis  para- 
phrastem  laboriose  sane  illustravit  ;  criticum  in  Graecis  quem 
Paulo  Leopardo  Furnio  (6j  anteponam  in  Flandris  non  reperio.  Sed 
haec  nota  vobis,  nulli  nota  magis,  ut  sit  domus  sua,  ait  ille  (7). 
Venio  ad  Isidorum  meum.  Si  habes  vel  habere  potes  epistolarum 
S.  Isidori  Jac.  Billii  libris  tribus  Parisiis  editis  vel  cum  quarto 


(Ij  Vincent  Mariner  de  Valence  était  préfet  de  la  bibliothèque  de  l'Escu- 
rial  ;  il  est  l'auteur  de  nombreuses  traductions  d'auteurs  grecs.  Cfr.  Nie. 
Antonio,  Bibliotheca  Hispana  nova,  Madrid,  t.  II,  p.  326-328. 

(2j  Adolphe  Vaii  Meetkercke,  né  à  Bruges  en  1528,  mort  à  Londres  en 
15'J1.  Engagé  dans  la  vie  politique,  il  se  mit  du  côté  des  Etats  révoltés.  Il 
publia  à  Bruges  en  1.565  :  De  veteri  et  recta  pronunciatione  linguae 
Graecae  commenta?'ius.  La  même  année  parut  de  lui  :  Mo'a/ou  tou  Si/.eXou 
xal  Bî(Dvo<;  vjjfjpvaiou  ElôjXXia.  Cfr.  Biographie  7iationale,  t.  XIV,  col  277- 
284. 

(3)  D.  Erasme  publia  en  1528  à  Bâle  son  fameux  traité  sur  la  pronon- 
ciation du  grec  et  du  latin  :  De  recta  Latini  Graeciqxe  sermonis  ■pro- 
nunciatione dialogiis. 

(4)  John  Cheke  est  l'auteur  d'un  traité  De  pronunciatione  Graecae 
potissimum  linguae  disputationes,  paru  à  Bàle  en  1555.  Cfr.  L.  Stephen, 
Dictionary  of  national  biographe,  t.  X,  p.  178-183. 

(5)  François  Nans  (1525-1595),  né  à  Isenberghe  près  de  Furnes,  passa  en 
Hollande  lors  des  troubles  des  Pays-Bas  et  devint  professeur  à  l'école 
latine  de  Dordreclit.  Son  édition  de  la  Paraphrase  de  l'Evangile  de  St  Jean 
de  Nonnus  Panopolitanus  parut  à  Leyde  en  158*.)  ;  un  complément  à  cette 
édition  parut  en  1093.  —  Cfr.  Biographie  nationale^  t.  XV,  col.  425-427. 

(6)  Paul  Léopard,  né  en  1510  à  Isenberghe,  dans  le  territoii-e  de  Furnes, 
mort  en  1567.  Tous  les  savants  de  son  temps  s'accordent  à  louer  ses 
talents  d'helléniste  ;  aussi  le  Collège  royal  de  France  lui  offrit-il  une  chaire 
de  grec.  Voir  Biographie  nationale,  t.  XI,  col.  829-832. 

^7)  Juvénal,  sat.  I,  7. 


59f)  LE    MUSÉON. 

libro  Heidelb.  Conradi  Rittershusii  iurisconsulti  sane  eruditissimi, 
vide  an  paria  facere  studio  queas.  Bonas  bas  horas  bene  colloca- 
veris.  Deiode  bas  prope  sexcentas  quas  mitto  accurate  prius  ter 
miaimum  evolvas  ut  stylum  coguoscas  ;  deinde,  stylo  arrepto, 
aggredere  ^ùv  Geo"  iuterpretr^tionem,  Ecclesiae  bono  ;  tamen  epis- 
tolas  similes  inviccm  comparato  ut  lux  clarior  affulgeat.  Age,  mibi 
crede,  Joannis  ypuffoop-j^fv-ovoi;  discipulum,  qua  valet  eloquentia  et 
perspicuitate  etiara  in  epistolis.  Sed  quia  tk^.oi'^^xixi  aliorum  ad  illum 
litterae  exstant,  facessunt  interpreti  negotium,  ut  in  Tullii  ad 
T.  Atticum  epistolas  sex  ego  aut  X  desudasse  observavi  et  spicas 
adliuc  reliqui.  Tuam  versionem  iam  maturam  cum  P.  Gratio 
Z'ikiXkr'vi  communica,  si  eius  modo  fert  valetudo  tantam  contentio- 
nera  auimi  ac  iudicii.  Avec  scire  an  Caroli  comitis  Flaudriae  vita 
quam  beres  Jani  Lernutii  babet  prodibit  in  lucem,  quia  Parisiis 
iam  exiisse  puto  (l)  ;  vellem  primam  pagellam  ad  me  mitti  ut 
comparem  an  eadem  sit,  ne  frustra  ille  laboret. 

Hanc  epistolam  cum  libelle  epistolarum  credidi  ad  te  perferen- 
dum  amico  militi  Ocbaves  siguifero  Ostendam  Brugis  iter  habenti  : 
utioam  responsum  tuum  rediens  référât  mibi  ;  cui  si  alias  vis  res- 
pondere,  mitte  tuas  Francisco  Sweertio  (2j  bic  mercatori  qui  mibi 
tradet.  Vale  in  Domino  et  rera  cura  publicam.  Antverpiae,  kal. 
Febr.  CIOIOCXXV  anno  saeculari  sacro.  Salutat  te  officiose. 

And.  Scbottus. 

(Adresse  :)  Cl.  Domino  Oliverio  Vredio 
Brugensi,  iuris  utriusque 
Licentiato 
Brugis. 

cum  libro 

arnica  manu. 


(1)  Janus  Lernutius  (Bruges  1545-1019)  cultiva  beaucoup  la  poésie  latine. 
Sa  biographie  de  Charles  le  Bon  fut  publiée  par  son  fils  à  Bruges,  en  1621. 
—  On  ne  saurait  préciser  de  quelle  vie  de  Charles  le  Bon  il  s'agit  ici.  Nous 
savons  qu'à  Bruges,  il  y  avait  des  manuscrits  de  la  vie  de  ce  saint  compo- 
sée i)ar  Galbert  de  Bruges  (Aci.  SS.  Mari  1 153,  édition  de  1(3(')8).  On  a  dit 
en  outre  que  de  Wree  avait  eu  un  de  ces  manuscrits  en  main,  mais 
M.  Pirenne  doute  de  la  vérité  de  cette  assertion  (ci'r.  son  éd.  de  Galbert  de 
Bruges.  Paris  1892).  —  A  Paris  fut  publiée  une  vie  de  S.  Charles  composée 
par  Gauthier  de  Thérouanne. 

(2)  François  Sweerts  (1567-1()29)  était  commerçant  de  profession. 


LETTRES    INÉDITES    DANDRÉ    SCIIOTT.  597 

54. 

Lettre  de  Jacques  Sirmond  a  André  Scriorr. 

[Bibliothèque  des   Uollandistes,  correspondance  manuscrite, 

t.  /,  f.  i7(i). 

Reveeende  in  Cheisto  Patee, 
Pax  Cheisti. 

Serius  aliquanto  quam  R(everentia)  V(estra)  cupiebat  et  quam 
eius  erga  nos  studium  vel  caritas  postulabat,  rescribo  de  Catena  in 
loaunem.  Nam  cum  Holsteinium  rogassem  ut  suam  in  bac  re 
operam  comnaodaret  Regiamque  Bibliothecam  scrutaretur,  recepit 
ille  quidem  perlubenter  se  facturum,  ut  est  humano  prorsus  ingénie 
et  R(evereutiae)  V(estrae)  studiossimus  (2).  Sed  variis  ex  eo  tena- 
pore  difetractus  negotiis,  quod  spoponderat,  praestare  non  potuit. 
Adii  ergo  ipse  Bibliothecam  atque  ex  duplici  catena,  quam  ibi  esse 
meraineram,  descripsi  nomina  autorum,  eo  nimirum  ordine,  quo 
eorum  in  bis  auctoritates  proferuntur.  Horum  altéra,  ut  ex  indice 
a  R(everentia)  V(estra)  misso  coniectura  est,  a  Cusana  vestra  (3) 


(1)  C'est  encore  à  l'obligeance  du  P,  Vanden  Gheyn  que  nous  devons  la 
découverte  de  cette  letti-e. 

(2)  La  correspondance  de  Schott  nous  révèle  plus  d'un  témoignage  de 
l'amitié  profonde  qui  existait  entre  Lucas  Hoiste  et  le  savant  jésuite 
anversois.  V.  Petavii  epistolae,  lib.  III,  ep.  XII  ;  Meursii  opei-a,  t.  XI, 
ep.  404  et  438,  et  plusieurs  passages  des  lettres  inédites  que  nous  publions 
ci-dessous. 

(3)  Sur  ce  ms.,  voir  Fr.  Xav.  Kraus,  Bie  Handschriften  Sammlung 
des  Cardinals  Nicolaus  von  Cusa  {Serapeum,  1865,  p.  98,  cod.  Gr.  3.) 
Les  Pères  P.  Lanssel  et  Bal  th.  Cordier  transportèrent  ce  manuscrit  à 
Anvers.  Schott  collationna  les  textes  de  S.  Jean  Chrysostome  contenus 
dans  cette  chaîne  sur  l'édition  de  Savile  ;  l'exemplaire  dont  il  s'est  servi 
est  actuellement  à  la  bibliothèque  de  l'Université  de  Louvain.  Il  fit,  en 
outre,  copier  les  textes  de  S.  Cyrille  d'Alexandrie  (cette  copie  se  trouve  à 
la  Bibliothèque  royale  de  Bruxelles,  ms.  11.259),  ainsi  que  ceux  de  Sévère, 
évèque  d'Antioche,  de  Théodore,  évêque  de  Mopsuhestia  et  d"Origène. 
(Cette  copie  existe  également  à  la  Bibliothèque  royale,  ms.  4232-34).  En 
1630,  le  P.  Cordier  publia  le  manuscrit  tout  entier.  Cfr.  la  lettre  de  Schott 
publiée  par  Baguet,  p.  31  (ou  il  faut  lire  Lanssel.  et  non  Sausset),  et  Van 
DEN  Gheyn,  Catalogue  etc.  t.  II,  n°^  917  et  1183. 


598  LE    MISÉON. 

parum  differt.  Quare,  si  qnid  iu  vestro  exemplari  vacui  erit  aut 
corriipti,  nostrum  consulere  licebit.  BoQum  certe  factum,  quod  ad 
Latinam  eius  versionem  animum  adiecistis.  Erit  enim  operae  pre- 
tium,  cum  auctores  in  his  multi  sint  non  editi.  Nec  movere  débet 
quod  nonnuUi  eorum  haeretici,  quia  verisimile  est  ea  tantum 
excerpta  fuisse  a  Catenae  opifice,  quae  culpa  et  labe  carebant  ; 
constatque  hos  ipsos  vel  plerosque  illorum  citari  passim  ac  laudari, 
non  modo  aliis  in  Catenis,  quae  in  diversas  Sacrae  Scripturae 
partes  plurimae  visuntur,  verum  etiam  ab  antiqiiis  orthodoxis 
scriptoribus.  In  altéra  XXYI  auctorum,  nuUus  quidem  sequioris 
notae  citari  auctor  videtur,  et  multo  est  recentior  altéra  superiore, 
in  qua  nullus  auctor  memoratur  qui  non  vixerit  antc  anno  MC. 
Fronto  noster  o  L;.ax.apÎT-/;ç  utrumque  codicem  diligenter  pervolita- 
rat,  ex  iisque  excerpserat  omnia  Cyrilli  àvéx-SoTa,  quae  a  me  nunc 
inter  eius  schedas  servantur  ad  Cyrilli  Graeco-Latiuam  editionem 
quam  meditabatur  (1).  Habeo  et  alia  eiusdem  Sancti  Patris  non 
pauca,  atque  in  liis  libros  contra  Iulianura  7:apa^3CT-/]v  (2),  quos  qui 
veitere  coeperat  edilionisque  spécimen  iara  dederat  (3),  facile 
opinor  non  adducatur  ut  opus  absolvat,  nec  deerunt  tamen,  ut 
spero,  qui  lampada  excipiant.  Holsteinius  hodierua  die  migrât  in 
aedes  praesidis  Memmii,  vivitque  ex  animo  catholicus  (4).  Utinam 
eius  exemplum  imitetur  aliquando  Grotius,  favente  coelesti  gratia, 


(1)  V.  SoMMERVOGEL,  Bibliothèque  etc.,  art.  Duoaeus,  t.  III,  col.  248- 
249,  litt.  D. 

(2)  Probablement  le  ms.  424  du  supplément  grec  de  la  Bibliothèque 
nationale  de  Paris. 

(3)  Nicolas  Bourbon  le  Jeune  avait  préparé  en  1619  une  édition  gréco- 
latine  du  premier  livre  de  ce  traité  de  S.  Cyrille,  mais  elle  ne  vit  le  jour 
qu'en  1630.  Le  texte  grec  ne  fut  publié  intégralement  que  dans  l'édition 
d'Aubert,  Paris,  1638.  V.  Fabuitius-Harless,  Bibliotheca  Graeca,  t.  IX, 
p.  471 

(4)  Il  se  rendit  d'abord  en  Angleterre  (1622),  où  il  passa  deux  ans,  puis 
en  France,  où  la  protection  des  frères  Dupuy  lui  procura  la  place  de 
bibliothécaii'e  du  président  de  Mesmes.  Pendant  son  séjour  à  Paris, 
Holstenius,  qui  avait  été  élevé  dans  la  foi  protestante,  se  convertit  au 
catholicisme.  On  a  fait  honneur  aux  jésuites,  et  particulièrement  au 
P.  Sirmond,  de  ce  changement  de  religion.  «  Hoefer,  Biographie  géné- 
rale, t.  XXV,  col.  5. 


LETTRES    INÉDITES    d'aNDRÉ    SCHOTT.  599 

quam  R(everentiae)  V(estrae)  precor  uberrimam,  ac  me  panter 
eius  saactis  sacrificiis  commendo.  Parisiis,  8  Augusti,  1625. 

R(everentiae)  V(estrae) 

Servus  in  Christo 

Jacobus  Sirmondus. 

Habebam  et  R(everendi  P(atns)  Heribeiti  (1)  litteras,  sed  eius- 
dem  argumenti.  Qaare  bas  utrique  communes  esse  cupio  cum 
sainte  simillima.  Exciderat  monere  in  exemplari  regio,  quod  Cusani 
simile  videri  dixi,  non  esse  admonitiunculam  illam  de  haereticis 
scriptoribus  qui  in  ea  citantur. 

(Adresse  :)  Reverendo  Patri  in  Christo 

P.  Andreae  Schotto  Societatis  Jesu 
sacerdoti 

Antverpiam. 

55. 

Lettre  d'André  Schott  a  Denys  Pétau  (2]. 
{^ibl.  l'oyale  de  Bruxelles,  ms.  Il,  428.  Autographe). 

Révérende  Pater  Petavi, 
Pax  Cheisti. 

Exspectabam  equidem  adventum  Lucae  Hoisteni  qui  per  litteras 
hac  se  Romam  cogitare  cura  amplissimo  cardinale  Spada  (3),  sed 
clam  ignotoque  significarat  ;  sed  frustra  bactenus  exspectavi  veritus 


(1)  Le  P.  Héribert  Rosweyd. 

(2)  Cette  lettre  est  la  réponse  à  la  15^  du  livre  III  du  recueil  des  lettres 
do  D.  Petau  ;  celle-ci  porte  la  date  fautive  de  MDCXXVIII  (du  moins  dans 
la  réimpression  du  recueil  jointe  au  t.  III  de  la  Doctrina  Temporum,  éd. 
d'Anvers,  1705  )  En  voici  deux  passages  auxquels  la  présente  lettre  fait 
allusion  :  ^  Nimc  Romam,  ut  audio,  profecturus  est  (Holsteinius)  cum 
Cardinale  Spadano  ..  Opeîns  nostri  de  Doctrina  Temporvjn  editionem 
tandem  superiori  mense  ad  exitum  perduximus.  Huius  exemplar 
unum  mitto,  quod  tihi  et  Heriberto  Rosweydo  commune  esse  cupio. 

(3)  Bernardine  Spada  (1594-1661),  nommé  cardinal  en  1626,  fut  envoyé 
en  1627  à  Bologne  comme  légat  du  pape. 

25 


4-00  LE    MUSÉON. 

ne  consilium  illud  res  alia  turbarit.  Praestolor  tamen  ut  hominem 
in  Domino  complectar,  Romam  ad  alium  Cardinalem  Barberi- 
num  (1)  teudentetn  cum  omine  bono  ut  emergat,  Graecisquc  eruen- 
dis  e  Vaticana  posteritati  prosit,  ut  vestri  utiliter  multa  e  Régis 
ChristiaDissimi  Bibliotheca  in  dies  eruunt  in  lucemque  producunt 
vcteruin  scripta  non  poenitenda.  In  bis  bonam  sane  navat  operam 
Fredericus  Morellus  régi  us  interpres  (2),  qui  fratrem  Ciaudium 
morte  nuper  amisit  (3)  ;  et  promitti  in  indice  Germanico  video 
alterum  Libanii  sopbistae  tomum  (4),  quem  libenter  coemissem  si 
hue  allatum  exemplar  fuisset.  Nam  de  sua  vita  û-6p.v/][xa  spero  istic 
fore  ex  Ferrariensi  codice  typis  olim  edito  (5)  quia  Basilio  Magno 
familiaris  fuit  et  Chrysostomo,  ut  te  omnium  minime  fugit,  opta- 
remque  voluraen  Epistolarum  Libanii  eidem  Morello  ut  bene  merito 
do  Graecis  scriptoribus  acccptum  liceat  relerre  (6).  Salutem  nun- 
ciabis  seni  a  sene,  nosque  amabis,  qui  cum  P.  Heriberto  pro 
duplici  opère  Doctrinae  Temporum  (7)  gratias  agimus,  quantas 
complecti  animo  possumus  et  criticum  illum  egregie  perstrictum 
non  invideo,  sed  Societati  âdgratulor,  pluresque  R(everentiae  V(es- 
trae)  de  meis  annis  apprecor  ut  similes  labores  posteritati  trans- 
cnbere  et  imputare  queat.  Cuius  et  sacrificiis  ac  precibus  adiuvari 


(1)  Le  cardinal  François  Barberini  fit  d'Holstenius  son  bibliothécaire. 

(2)  Frédéric  Morel  (1558-16.32),  impi'imeur  du  roi  depuis  1581  ;  il  céda  la 
direction  de  rimprimei'ie  à  son  frère  Claude  vers  1617. 

(3)  Claude  Morel  mourut  le  IG  nov.  1626. 

(4)  Morel  avait  publié  en  1606  un  vol.  d'œuvrcs  de  Libanius  :  il  ne  porte 
pas  d'indication  de  tomaison.  En  1627  parut  un  autre  volume  (tome  II)  de 
ses  œuvres  ;  il  commence  par  l'autobiogi'apliie  de  1  ibanius 

(5)  Libanii  !J.£Xïxai,  Xdyoi,  èxcppâaEi?,  cura  Soteriani  Capsalis.  —  Fer- 
rare,  1517. 

(6)  Parlant  des  lettres  de  Libanius,  Schott  s'exprime  ainsi  dans  une 
lettre  à  Meursius  du  !<"■  oct.  1623  :  «  (Freder.  Morellus)  qui  et  ipse  Epis- 
tolas  eius  pi'omisit  et  parturit perpetuo,  lente parit.  »  Schott  avait  lui- 
même  un  manuscrit  de  ces  lettres  et  il  le  tenait  à  la  disposition  de  Morel 
en  cas,  où  il  en  aurait  eu  besoin.  Voir  dans  Meursii  opéra,  t.  XI,  col.  285, 
une  lettre  de  Schott  datée,  III  kaL  Sept.  1617.  —  Plus  tard  il  trouva  dans 
le  legs  de  Pantin  un  second  manuscrit  des  lettres  de  Libanius. 

(7)  Dion.  Petavii,  Opus  de  doctrina  temporum  divisum  in  partes 
duas.  —  Paris.  MDCXXVIi.  —  On  sait  que  cette  œuvre  est  une  critique 
amère  des  travaux  de  Scaliger  sur  la  chronologie. 


LEttRES    INÉDITES    d'aNDRÉ    SCHOTT.  401 

vehementer  exopto,  salve[que]  degere  cum  R(evereûdo)  P(atre) 
Sirmondo  nostro.  Aûtverpiae,  III  Pentecostis  festo  CIOIOCXXVII. 
R(everentiae)  V(estrae)  in  Christo  servus 
Andréas  Schottus. 
(Adresse  :)  Reverendo  in  Christo  Patri 

Dionysio  Petavio  Societatis  Jesu 
sacerdoti. 

Parisiis. 

56. 

Lettre  de  Lucas  Holsteinius  a  André  Schott. 
{Bibl.  royale  de  Bruxelles,  ms.  5088,  fol.  75.  Autographe). 

Reveeendo  et  Cl.  Andeeae  Schotto,  S.  J.  Theologo 
Lucas  Holsteinius  S.  P.  D. 

Gaudeo  emendationes  meas  in  Isidori  vitam  tibi  placuisse,  quas 
in  tui  gratiara  intcr  legendum  conscripseram,  ut  iterata  editione 
hac  parte  meliorem  nobis  Photium  dares  (1).  Nunc  cognatus  tuus  (2) 
epistolas  Pelusiotae  ex  censorum  manibus  iterum  extorsit,  sed  ne 
uno  quidem  apice  emendatiores  ;  quocirca  cum  homines  adeo  ad 
rem  Christianam  iuvandam  segnes  videam,  ipse  iterum  me  recen- 
sioni  absolvendae  accingi  quam  in  Galliis  incboaram  ;  iamque 
unum  aut  alterum  quaternionem  absolvi  cum  D.  Haxio,  qui  haud 
dubie  eadem  de  re  perscribet.  Pergam  quantum  potero  ubi  aliquid 
otii  erit  quod  hisce  curis  impendam  (3).  Adeo  enim  alienis  nunc 
distringor  ut  de  meis  studiis  vix  cogitare  liceat.  Magnum  opus  prae 
manibus  habeo  a  Graecis  Schismaticis  editum  quod  iussu  Cardina- 
lis  (4)  in  Latinum  sermonem  converto  ;  eo  mihi  iam  mensis  integer 
periit  atque  amplius  et  vix  ad  tertiam  partem  perduxi.  Quae  in 
Gallias  mittere  statueram  Arriani  et  Oppiani  (5)  scripta,  affecta 


(1)  On  sait  que  la  traduction  de  la  Bibliothèque  de  Photius  a  été  jugée 
sévèrement  Cfr.  Baguet,  p.  45-47. 

(2)  David  Haex. 

(3)  Voir  ci-dessus,  p.  393. 

(4)  François  Barberini. 

(5)  Cette  édition  dArrien  parut  à  Paris,  en  1644.  L'Oppiend'Holsteinius 
ne  fut  jamais  imprimé. 


402  LE    MUSÉON. 

pênes  me  servo,  iatercluso  nunc  commercio  ob  grassantem  luem. 
Araplissimo  Gevartio  (1)  proxime  respondebo  de  R(everendi) 
P(atris)  Lansselii  (2)  negotio  et  Antonii  fragmeutis  quae  necdum 
inspicere  licuit. 

Vale,  Cl.  Schotte  et  me  amare  perge. 
Romae  CIOIOCXXIX. 
Pridie  idus  Januarii. 

L.  Holsteinius. 
(Adresse  :)  Reverendo  et  Cl.  Andreae  Schotto 
S.  J.  Theologo 
Antverpiam. 


CORRESPODANCE    D'AiNDRÉ    ScIIOTT    AVEC    GeVARTIUS  (s).  | 

[Bibtioth.   royale  de  Bruxelles,   ms.  5988.  Autographes). 

En  dehors  des  textes  que  nous  reproduisons  ci-dessous,  il  ne 
reste  plus  rien,  à  notre  connaissance,  de  la  correspondance  d'André 
Schott  avec  Gaspar  Gevartius  :  celle-ci  devait  au  reste  être  très 
restreinte  :  Gevartius  en  effet  est  né  41  ans  après  Schott,  et  dès 
1621 ,  à  l'âge  de  28  ans,  c'est-à-dire  à  l'âge  oii  ses  études  sur  Stace 
lui  avaient  fait  un  certain  renom  et  le  recommandaient  au  monde 
savant,  il  se  fixa  définitivement  à  Anvers,  où  il  vécut  pour  ainsi 
dire  côte  à  côte  avec  Schott,  alors  septuagénaire.  Dans  ces  circon- 
stances, on  comprend  que  les  communications  se  faisaient  surtout 
verbalement,  parfois  au  moyen  de  billets  écrits  à  la  hâte  et  com- 
posés de  quelques  phrases  détachées  :  les  textes  qui  suivent  sont 
pour  la  plupart  de  ce  genre.  Ils  sont  presque  tous  postérieurs  à 
1625,  année  du  mariage  de  Gevartius,  comme  l'attestent  les  for- 
mules finales  :  vale  cum  uxore^  A.  Scliottus  aff}nis,  proavuncu- 
lus,  etc. 


(1)  Voir  plus  loin  les  lettres  de  Schott  à  Gevartius.  Son  édition  de 
l'œuvre  philosophique  de  Marc  Aurèlc  ne  vit  jamais  le  jour. 

(2)  Le  P.  Pierre  Lanssel  enseignait  le  hébreu  à  Madrid  où  il  mourut  en 
1632. 

(3)  Au  sujet  de  Gevartius,  on  peut  consulter  la  Biographie  nationale, 
t.  VII,  col.  694-700. 


LETTRES    INÉDITES    d'aNDRÉ    SCIIOTT.  405 

Une  grande  amitié  unissait  ces  deux  savants  anversois.  Gaspard 
fit  ses  études  au  Collège  des  Jésuites  d'Anvers,  et  il  est  très  pro- 
bable que  le  P.  Schott  fut  un  de  ses  professeurs.  Celui-ci  aura 
remarqué  dans  son  élève  un  esprit  d'élite  et  plein  de  promesses 
pour  l'avenir,  et  c'est  sans  doute  lui  qui  l'engagea  à  étudier  ces 
monuments  de  l'antiquité  que  lui-même  aima  toute  sâ  vie  avec 
tant  d'enthousiasme.  Quand  Govartius  partit  pour  la  Hollande  en 
1614,  Schott  le  recommanda  vivement  à  son  ami  Jean  Meursius  : 
Qui  has  (Homilias)  tibi  reddidit,  écrit-il  dans  une  lettre  à  c^lui- 
ci  (1),  Gasp.  Gevnrtiiis  'iiXîaTpo;,  auditor  ctiam  tuus  in  Graecis 
futurus  est,  a  quihns  non  abhorret,  imrente  dodo  doctior  futurus, 
si  maturabit  ingenium  fllius.  Eum  mca  commendfdione  velim  ita 
complectare  ut  momenti  quid  obiinuisse  sentiat.  »  Et  dans  une  autre 
lettre  :  «  Adolescenfem  illum  ad  grandia  exsurgentem  tibi  iterum, 
Meursi  si pateris,  de  meliore  commendo  nota  ^2).  «  En  1G1.5,  il  lui 
écrit  encore  :  «  Grains  niihi  adventus  Gevarlii,  qui  has  tibi  red- 
det,  fuit,  doctiss.  Meursi,  coque  gratior,  quod  familiarem  vobis,  a 
quorum  latcre  non  nisi  doetior  discederet,  cognoscerem.  Eum  ut 
amahiJem  diligere,  imo  amare  ne  desinas  rogo,  in  me  collatum 
beneficium  interpretabor  et  apud  me  positum  offîcium  (3).  b 

Plus  tard,  ces  liens  d'amitié  furent  consolidés  par  des  liens  de 
parenté  :  en  effet,  en  1625  Gevartius  épousa  Marie  Haex,  tide  de 
David  Haex  et  d'Isabelle  de  Schott  ;  cette  dernière  était  la  fille  de 
Jacques  Schott,  frère  du  savant  André  (4). 

57. 

(Fol.  22).  D.  Gevarti,  si  habes  in  bibliotbeca  Virgilium  poeta- 
rum  Latinorum  /copuçaïov  eum  indice  Nicolai  Erythraei  iurecon- 
sulti,  non  indigebis  hoc  indice  Veronensis  qui  singulis  editionibus 


(1)  Meursii  opéra,  t.  XI,  col.  245,  lettre  du  31  août  1614. 

(2)  Ibid.  col.  250,  lettre  du  12  novembre  1614. 

(3)  Ibid.  col.  253,  lettre  du  18  mars  1615. 

(4)  Cf.  Biographie  nationale,  t.  VIII,  col.  597,  art.  D.  Haex.  —  Dans  la 
lettre  d'Aléandre  à  André  Sctiott,  publiée  dans  les  Mélanges  d'Archéo- 
logie et  d'Histoire  U888,  p.  396),  on  s'est  trompé  en  lisant  Haux  ;  l'éditeur 
déclare  au  reste  ne  pas  connaître  ce  neveu  de  Schott  ;  c'est  Haex  qu'il 
fallait  lire. 


-404  LE    MUSÉON. 

aptavit  sine  contextu  (1).  Repperi  exemplaria  duo,  si  forte  indige- 
res.  Praetium  stuf.  5. 

Vale  cum  uxore 
et  liberis 

And.  Schottus 
(Adresse  :)  Domino  Gaspari  Gevartio,  ab  actis. 


Le  second  billet  du  manuscrit  a  été  publié  par  Mgr  de  Ram 
dans  :  Chronica  ducuni  Lotharingiae  et  Brahantiae  ac  liegum 
Francorum,  aiictore  M.  Emundo  de  Dynter.  Bruxelles  1854-60, 
t.  I,  p.  XCII,  Mais  il  a  cru  devoir  corriger  cette  phrase  que  nous 
reproduisons  d'après  le  manuscrit  :  «  ad  haec  valde  miror  iihi 
DiNTHERUS  vestev,  nunc  procul  dubio  absolutus  maneat.  n 

(Adresse  :)  D.  Gasp.  Gevartio. 

58. 

Domine  Gevarti  S. 

(Fol.  23).  1.  Domine  Gevarti,  si  est  in  tua  bibliotheca  Sextus 
Empiricus  (fol.),  sive  tuus  sive,  ut  opinatur  P.  Heribertus  (2), 
suus,  liceat  mihi  ad  unum  diem  inspicere  :  nec  enim  in  nostra 
comparet  bibliotheca. 

2.  Si  quoque  lulii  Pollucis  remittes  onomasticon,  quo  opus  nunc 
mihi,  habebo  gratiam. 

3.  Dominum  Wendelinum  (3)  binis  non  respondere  meis,  quas 


(1)  Nie.  Erythrée  de  Venise  publia  en  1539  une  édition  de  Virgile  avec  un 
index  qui  était  très  estimé,  mais  qui  était  inséparable  du  texte,  car  il 
renvoyait  aux  pages  de  cette  édition.  Antoine  Bassa  de  Crémone  publia  à 
Venise  en  1586  le  même  index  remanié,  mais  renvoyant  aux  livres  et  aux 
vers  de  façon  à  pouvoir  s'adapter  à  toutes  les  éditions.  Cfr  Fabritius, 
Bibliotheca  Latina  1721,  t.  II,  p.  288.  Il  faudrait  donc  lire  ici  Cremonensis. 

(2)  Le  P.  Heribert  Rosweyd. 

(3)  Godefroid  Wendelin,  mathématicien  célèbre  (1580-1660).  Il  publia  en 
1626,  à  Anvers,  un  traité  qu'il  intitula  :  Loxias  seii  de  obUqnitate  solis 
diatriba.  Cfr.  la  notice  de  Le  Paige  dans  les  Bulletins  de  V Académie 
royale  de  Belgique,  3«  série,  t.  XX,  p.  709-727. 


LETTRES    INÉDITES    d'aNDRÉ    SCHOTT.  405 

per  te  misi,  valde  equidem  aaimi  pendeo  cum  non  efflagitarem 
Xo^iav  dono  ipsius  sublimis  meditationis,  sed  très  libelios  meos 
repeterem  depositos.  Suspicor  non  vacare  illi,  litibus  forensibus 
irretito,  ut  et  me  praesente  Balthasar  Moretus  nuper  repetere  se 
velle  ab  illo  Thesaurum  Geograpbicum  (1),  dixerit  quod  nihilque 
responderet.  Vale  in  Domino. 

Andréas  Schottus 
Affinis. 
(Adresse  :)  D.  Gaspari  Gevartio 
ab  actis. 

59. 

Domine  claeissime  Gevaeti, 

Quod  catarrhus  in  oculum  fluxerit,  aliéna  utor  manu  (2).  Mitto 
Constantini  Porphyrogennetae  Imperatoris  quae  habeo  opuscula 
ut  utaris.  Item  Himerii  duas  declamationes  ab  Elia  (3)  ad  te 
missas  ;  comperi  ab  Henrico  Stephano  iam  esse  éditas  (4)  pag-.  50, 
et  alterum  (sic)  èx.Toû  Xlokz[j.y.^yy/M'j ,  pag.  43.  Miror  equidem  Eliam 
describendi  laborem  sumpsisse  cum  typis  iam  exstarent  venuste 
excusa,  et  pro  Severo,  Veri  esse  epitbalamium  crediderit.  Peto 
itaque  utcumque  descripta  ista  Eliae  folia  mihi  relinquas,  quia 
Photius  noster  (5)  in  Bibliotheca  legisse  se  affirmât  et  tibi  usui 
non  erunt. 

Remitto  quoque  parentis  vestri  Thucydidem  et  epistolas  Michae- 


(1)  Le  Thésaurus  geographicus  d'Abraham  Ortelius. 

(2)  Le  P.  Schott  s'est  souvent  plaint  de  la  faiblesse  de  sa  vue.  Voir  les 
citations  chez  Baguet,  p.  28. 

(3)  Elias  Ehinger  (1573-1653)  devint  en  1617  préfet  de  la  bibliothèque 
d'Augsbourg.  Dans  le  même  manuscrit  5988  de  la  Bibliothèque  royale  de 
Bruxelles,  nous  trouvons  (fol.  43)  la  lettre  d'Elias  Ehinger  qui  informe 
Gevartius  de  l'envoi  de  ces  déclamations  d'Himère  le  Sophiste.  Elle  est 
datée  du  3  mars  1627. 

(4)  Polemonis,  Himerii  et  aliorum  quorumdam  declamationes,  nunc 
primum  éditas  Graece.  Excudehat,  Henr.  Stephanus,  1567. 

(5)  Le  P.  Schott  a  publié  en  1606  la  traduction  de  la  bibliothèque  de 
Photius.  —  Cfr.  Baguet,  p.  45  et  Sommervogel,  n°  24. 


406  LE    MUSÉON. 

lis  Bruti  quae  duo  putabam  nostrae  bibliothecae  fuisse  condonata. 
Redeant  itaque  ad  te,  nosque  amabis. 

Vester  pro-avunculus 
And.  Schottus. 

60. 

Claeissime  Domine  Gevaeti. 

(Fol.  24).  Triduum  factum  est,  cum  te  domi  a  meridie  quaesivi, 
et  absente  te  apud  Religiosos,  puerperam  invisi,  felicia  cum  proie 
apprecatus.  Restitui  tempestive  tuum  Traianum  Augusti  Conradi 
I.  C.  ;  addidi  utendum  losephi  Castaiionis  in  Romanum  Obeliscum 
Commentaria  (1).  Cumque  Ta  i\)A  libens  tibi  permittam,  rogas- 
sem  equidem  nunc  et  nunc  rogo  ut  liceat  mihi  Emanuelem  Chry- 
soloram  de  Urbe  Roma  (2)  ad  describendum  haberc,  nisi  aut 
premere  perpétue  decrevisti,  aut  intra  annum  vertere  latine  atque 
edere  decrevisti,  ut  spem  nuper  feceras  anno  saeculari  sacro. 
Negasti  nuper  quod  e  tua  bibliotheca,  ut  aequum  est,  prodire 
velles  ;  id  amicus  (3)  Lutetiae  suis  litteris  promittit,  et  quidem 
uncialibus  cbaracteribus,  si  iubes,  et  fronte  addita,  ut  seorsum 
queat  exire.  Sin  secus,  quamdiu  Lucam  amicurn  bene  doctum 
exspectare  vis  ?  an  dum  M.  Antoninus  exeat  et  Austriacos  Princi- 
pes promisses  et  Manilium  poetam  foras  des  (4)  ?  In  hoc  Manlio 


(1)  Josephi  Castaiionis  J urisconsulti  explicatio  ad  inscriptionem 
Augusti,  quae  in  basi  Obelisci...  Romae  ex  typographia  heredum  Jo. 
Liliotti,  MDXXXIX.  —  La  Bibliothèque  de  Bruxelles  possède  un  exem- 
plaire (ms.  8468)  de  cet  ouvrage  couvert  de  notes  de  la  main  de  Schott  et 
d'une  autre  main. 

(2)  Dans  une  lettre  à  Meursius  de  1618  (Meursii  opéra,  t.  XI,  col.  315), 
on  voit  que  Gevartius  avait  projeté  depuis  longtemps  d'éditer  cet  opuscule 
de  Chrysoloras  avec  la  traduction  latine. 

(3)  L  Holsteinius  avait  l'intention  de  publier  cet  opuscule  de  Chrysolo- 
ras  dans  sa  collection  de  géographes  grecs  ;  il  le  cite  parmi  les  auteurs 
quos  probe  ah  innurneris  mendis  expurgavi  atque  in  latinam  linguam 
converti.  Cfr,  Molleri  Cimbria  litterata,  t.  III,  p.  343. 

(4)  M.  Roersch  dans  sa  biographie  de  O^vd^vim^i  (Biographie  nationale, 
t.  VIT,  col.  699)  cite  de  lui  ces  deux  ouvrages  inédits  :  Vindiciae  Manlia- 
nae  et  Commentarius  in  M.  Aurelii  Antonini  Twv  et;  èauxàv  libros  Xll, 


LETTRES    INÉDITES    d'aNDRÉ    SCIIOTT.  407 

etiam  codicem  scriptum  iam  suppeditavi,  si  meministi.  Quare  si 
iniquum  non  mihi,  sed  amico  Lucae  postulo,  qui  te  honorare  optât, 
saltem  mihi  negare  noli  subitam  Ohrysolorae  epistolae  versionera 
a  cognato  mec  loanne  Boschardo  (1)  me  boitante  factam.  Sic  nos 
ad  officia  mutua  extimulabis.  P.  Lansselius  cum  Corderio  nostro 
in  viam  se  dédit  nudius-tertius  venaturi  per  Germaniam  (2),  Uti- 
nam  quod  optant  capiant.  Vale  in  Domino.  Salva  puerpera  et  filia. 

And.  Sebottus,  affinis 
(Adresse  :)  Clarissimo  Domino  G.  Gevartio 

ab  actis  Reipublicae 
Antw. 

61. 

(Fol.  25).  Si  quid  litterarum  dare  libet  ad  Eliam  Bibliotbecae 
Augustanae  Praefectum  super  M.  Antonino  M.  S.  tuo,  en  bic  co- 
gnatus  lo.  Boscbardus  Francofurto  et  Augusta  cogitât  Venetias  ; 
festo  die  S.  losepbi,  19  Martii  in  viam  se  dabit  cum  bibliopolis 
nostris. 

Fronte  capillata  utere,  quia  Marcus  Velserus  (3)  et  Hoesche- 
lius  (4)  iam  fuerunt  nec  possuot  opitulari.  Scripta  illa  mibi  com- 
mendata  a  Josepho  Castelione  (sic)  in  columnam  Aotonianam,  fac 
recipiam,  quae  vel  uno  describi  queant  die. 

Salve  et  vale 
And.  Schottus. 

Quant  aux  Austriaci  principes,  il  s'agit  probablement  des  éloges  des 
empereurs  sortis  de  la  maison  d'Autriche,  édités  en  1645  à  la  suite  de 
son  édition  des  Imperatorum  romanorwn  icônes  de  Goltzius.  L'œuvre 
de  Chrysoloras  dont  il  est  question  ici  ne  fut  publiée  ni  par  Gevartius, 
ni  par  Holsteinius. 

(1)  Jean  Boschard  devait  être  parent  de  Schott  du  côté  maternel  ;  la 
mère  d'André  s'appelait  en  effet  Anne  Boschard. 

(2)  Voir  ci-dessus,  p.  397,  n.  3. 

(3)  M.  Velser,  duumvir  d'Augsbourg,  mort  en  1614,  était  pour  A.  Schott 
un  ami  précieux  qui  surveillait  l'impression  de  ses  travaux  pubUés  à 
Augsbourg  et  qui  le  renseignait  sur  tout  ce  qui  pouvait  l'intéresser  dans 
la  bibliothèque. 

(4)  David  Hoeschel  était  préfet  de  la  bibliothèque  d'Augsbourg  depuis 
1593.  Il  est  mort  en  1617  et  eut  Elias  Ehinger  comme  successeur. 


408  LE    MLSÉON. 

62. 

Claeissime  cognate  Domine  Gevaeti. 

Puto  Eliae  Ehiagero  a  me  satisfactum  iri  pro  describendi  labore. 
Si  e  Francisco  Balduino  (1)  quae  volebas  sumpsisti  de  M.  Aurelio 
Antonino  ia  Christianos  utcumque  animato,  quia  eo  in  opère  ver- 
ser, quaeso  ad  me  redeat. 

Amicus  noster  Santvliet  a  parente  numismata  romana  habet, 
selegimus  ad  videndum  Antonini  philosophi.  Si  lubet  contemplari, 
faxo  videas.  Vale  cum  uxore. 

And.  Schottus 
pro-avunculus. 

Forte  brevi  D.  Kinschotium  (2)  visurus  scripsi  ;  sponsus  vester 
P.  Mommerency  (3)  Provincialis  e  vinculis  rediit  hodie  ;  gaudemus 
socii.  29  septemb.,  festo  S.  Michaelis  CIOIOCXXVl. 

63. 

Domine  Grevarti,  jtXçz.  lube  a  tuo  vicissim  adscribi  loca  tria 
de  Chrysolora  tuo,  si  forte  epistola  Graeca  iucem  nondum  aspiciet. 

Cuperem  etiam  uti  ad  triduum  tribus  tomulis  Italicorum  poe- 
tarum  quos  memini  Lutetiae  edidisse  loannem  Matthaeum  Tos- 
canum  (4).  Vale  in  Domino. 

P.  Heribertus  et  Lansselius  una  profecti  hodie  Treviros  usque. 
Longum  iter  ;  ad  doctas  proficisci  malles  Athenas. 

And.  Schottus. 

(1)  Voir  la  lettre  de  Schott  à  P.  Dupuy  (40). 

(2)  Il  s'agit  probablement  de  Fr.  de  Kinschot,  avocat  illustre,  flls  de 
Henri  de  Kinechot  qui  épousa  Marguerite  Schott,  sœur  d'André. 

(3)  Florent  de  Montmorency,  né  à  Douai  en  1580,  mort  à  Lille  en  1659, 
provincial  de  la  Flandro-Belgique  de  1623  à  1627.  Ayant  fait  une  inspection 
dans  le  collège  de  Maestricht,  il  descendit  la  Meuse  en  bateau  ;  arrivé 
près  de  Venloo,  il  fut  arrêté  et  incarcéré  par  des  soldats  protestants.  Cfr. 
Necrologium  Societatis  Jesu  Provinciae  FlandroBelgicae,  (Ms.  de  la 
Bibl.  royale  de  Bruxelles,  no6485),  t.  IV,  fol.  392. 

(4)  Carmina  illustrium  poetarum  italorum,  Jos.  Matthaeus  Tosca- 
nus  conquisioU  recensuit  et  publicavit.  —  Lutetiae,  1576,  2  vol.  in-16. 


LETTRES    INÉDITES    d'a^SDUÉ    SCHOTT.  409 

64. 

Domine  Gbvarti. 

(Fol.  26).  1.  Redeat  noster  Polyaenus  domum  rogo  quaesoque  ; 
quia  Provincialis  Praepositus  decrevit  ut  posthac  nemo  nostrum 
ne  in  cubiculum  suum,  nedum  foras  ferri  permittat,  librum  magnae 
bibliothecae  publicae,  sed  iaibi  describat,  légat  quae  volet  :  ne 
posthac  amittantur  libri  ut  multi  amissi  sane  sunt  ;  qui  idcirco  in 
aliis  Religiosorum  familiis  cathenati  asservari  recte  soient.  Socii, 
ut  viri  boni,  cito  a  saecularibus  falluntur,  et  senibus  verba  dantur. 
Emes  tibi  e  Gallia  Polyaenum  ut  alias, 

2.  Si  in  tua  sunt  bibliotheca  quae  olim  concesseram  (cum  te  ob 
oculorum  morbum  ad  medicam  invitarem  meo  consilio  artem) 
PEOBLEMATA  Alcxaudri  Aphrodisii,  Plutarchi,  Cassii  latrosophistae 
cum  notis  H.  lunii  (1),  amabo  te,  mihi  restitue,  ut  tuos  restitui 
libros,  ut  cognatum  Boschardum  iuvem  Patavio  ubi  redierit,  ad 
Licentiam  medicae  artis  brevi  rediturum. 

3.  Rogo  te  si  memoria  repetens  meministi  ubi  illud  est  vêtus  in 
Agricultura  Octonarium,  quod  in  Plutarcbo  alibi  :  Triticum  in 
coeno  serito,  hordeuraque  in  pulvere  (2). 

Alium  si  suggères  auctorem  illius  dicti,  eris  mihi  magnus  Apollo. 
Vale. 

Memini  illius  Maronis  1  Georg.  v.  210  serite  ordea  campis,  Dum 
sicca  tellure  licet. 

Sed  nihil  ibi  Servius  Pétri  Danielis  (3).  Alla  itaque  quercus 
excutienda. 

And.  Schottus 
tuus. 


(1)  H.  Junius  publia  à  Paris  en  1541  :  Cassii  Jatrosophistae  medicae 
quaestiones.  et  à  Leyde  en  1547  :  Plutarchi  Symposiaca  Problemata. 

(2)  En  marge,  de  la  main  de  Gevartius  :  Plidarchus,  Quaestiones 
naturales,  i8. 

(3)  Paris,  1600. 


410  LE    MUSÉON. 

65. 

Le  P.  Schott  avait  plusieurs  manuscrits  d'œuvres  inédites  de 
Muret.  Il  les  confia  à  Marc  Velser  qui  se  chargea  de  les  publier. 
Voici  ce  que  dit  Ruhnken  à  ce  propos  dans  sa  belle  édition  des 
ouvrages  de  ce  savant  (Tome  IV,  p.  X)  :  «  Andréas  Schottus,  vir 
non  ille  quidem  exquisitissima  dodrina  praeditus,  sed  llterarum 
iuvandarum  studio  nemini  secundus,  cum  post  Mureti  niortem 
Romam  venisset,  Muretina  Anecdota^  in  his  quatuor  lihros  Varia- 
rum  Lectionum,  dequihus  mox  dicemus,  sibi  vindicavit...  Reversus 
in patriam,  Schottus  haec  anecdota  M.  Velsero...  edenda  commen- 
davit.    Qui  exquisitiorem  eorum  partent,    Variarum  Lectionum 
lihros  IV  et  Ohservationes  luris  ipse  in  lucem  emisit  Augustae 
Vindelicorum   a.    1600,   8°,  reliquam  partent  Ingolstadiensibus 
edendam  concessit.  Quihus  ita  licuit  omnium  pJenissimam  Oratio- 
num,  Epistolarum  et  Hymnorum  editionem  prodere  ex  officina  D. 
Sartorii  an.  1592,  quamvis  homo  ohscurus  lohannes  Cresselius, 
qui  huic  editioni  praefatus  est,  nec  Schotti  nec  Velseri,  per  quos 
editio  sic  locupletata  videtur,  ullam  feccrit  mentionem.  Hinc  Ingol- 
stadienses  curam  suam  ad  opuscula  edenda  converterunt.  »  Il  faut 
pourtant  remarquer  que  l'édition  de  David  Sartorius  de  1592  est 
aussi  incomplète  que  celles  qui   l'ont  précédée  :   dès   lors  rien 
d'étonnant  qu'on  ne  fasse  pas  mention  de  Schott  et  de  Velser.  Ce 
n'est  que  dans  l'édition  d'Adam  Sartorius  de  1600-1604  que  furent 
publiées  pour  la  première  fois  plusieurs  œuvres  inédites  dont  Schott 
avait  les  manuscrits,  et  les  éditeurs  ont  eu  soin  d'en  rendre  hom- 
mage aux  deux  savants  qui  ont  sauvé  de  l'oubli  ces  œuvres  de  l'illus- 
tre Muret.  La  dédicace  de  Velser,  insérée  dans  l'édition  des  Variae 
Lectiones,  et  adressée  au  jésuite  anversois  est  au  reste  assez  claire  : 
«  Quod  itaque  volehas,  feci  omnino  luhens,  ut  acceptos  a  te  poste- 
riores  quatuor  Variarum  lihros  et  Ohservationum  luris  singularem 
typographo  vulgandos  traderem.    Unaque  publiée  attestarer  cui 
beneficium  hoc  deheremus  :  sine  enim  tua  pietate  fuisset,  perierant 
profecto  haec  planissime.  De  reliquis  ne  desperes.  Enitemur  qua- 
cumque  ne  semper  omnia  lateant,  nam  praeclara  sunt  haud  dubie 
pleraque.  »  Rappelons  encore  que  l'édition  d'Augsbourg  est  précédée 
d'une  vie  de  Muret  rédigée  par  le  P.  Schott  (Sommebvogel,  n°  17). 


LETTRES   INÉDITES    d'aNDRÉ   SCHOTT.  4H 

Accipe  saliitem  a  D.  Rigaltio. 

Mureti  hymnas  non  habet  Fraûc.  Servet('!*)  vénales.  Si  habes 
editionem  Ingolstadiensem  ubi  aiunt  appositas,  fac  videam  ad 
unum  diem,  nam  in  Coloniae  poematum  editione  (1)  non  reperio, 
etsi  maie  oculatus.  Vale  cum  coniuge. 

a  Schotto. 

66. 
Claeissime  Domine  Gevarti. 

(Fol.  27).  Tomus  Observationum  Sacrarum  (2)  velim  ad  me 
redeat  per  meum  Antonium  qui  a  meridie  accedet  ut  mihi  adferat. 

Et  Maximi  Tyrii  sermones  diu  quaesiti  recurrant. 

Heri  incidi  in  Aurelii  Victoris  nostri  (3)  Marcum  Antonium  ves- 
trum.  Qui  sint  populi  Lorios  frustra  ibi  quaero  ;  rem  fortasse 
excussisti  et  nodum  expédies,  nosque  amabis  salvebisque  a  tuo. 

Schotto. 


(1)  Mureti  epistolae,  hymni  sacri  et  poemata,  Cologne  1600,  in-8°. 

(2)  Ces  Ohservationes  sacrae  n'ont  jamais  vu  le  jour.  —  Cfr.  la  dédicace 
des  Observationcs  humanae  et  une  lettre  de  Schott  adressée  à  Hugo 
Grotius,  dans  les  Epistolae  celeberrimorum  virorum...  Jani  Brantii, 
1715.  p.  32. 

•    (3)  Schott  avait  publié  en  1579  les  quatre  opuscules  historiques  attri- 
bués à  Aurelius  Victor.  Cfr.  Baguet,  p.  11. 


CHRONIQUE. 


Université  Saint-Joseph,  Beyrouth  (Syrie).  —  Mélanges  de  la 
Faculté  Orientale,  Il  ;  graud  in-8-  de  424  pages.  Paris, 
(Teutliner  ;  Londres,  Luzac  and  C"  ;  Leipsig,  Harrassowitz  ; 
1907. 

Les  orientalistes  qui  ont  parcouru  le  premier  volume  paru  sous 
ce  titre  ouvriront  celui-ci  avec  une  curiosité  pleine  d'intérêt.  Leur 
attente  ne  sera  pas  déçue.  Le  nouveau  venu  est,  par  la  riche 
variété  et  le  caractère  hautement  scientifique  de  son  contenu, 
digne  de  son  aîné.  LTne  sim]de  indication  des  neuf  travaux  qui  y 
ont  trouvé  place  pourra  peut-être  en  donner  quelque  idée. 

Une  honne  moitié  de  ce  splendide  in-8°  est  due  à  la  plume 
érudite  et  féconde  du  P.  Lammens.  Elle  comjîrend  deux,  voire 
trois  sujets.  Dans  un  premier  article,  l'auteur  poursuit,  avec  ce 
souci  de  l'information  exacte  et  cette  sagace  critique  qu'on  lui 
connaît,  ses  Etudes  sur  Je  règne  du  Calife  Omaiyade  Mo'âwia  1^^. 
Comme  précédemment,  il  s'attache  moins  à  refaire  toute  l'histoire 
de  ce  prince  qu'à  éclairer  davantage  certaines  questions,  négli- 
gées ou  trop  sommairement  traitées  jusqu'ici.  C'est  dans  cet  esprit 
que,  sans  s'asti'eindre  à  un  ordre  rigoureusement  chronologique, 
il  retrace  le  rôle  du  parti  des  «  ^Otmâniya  »  et  des  "  Mo'tazila  v, 
la  conférence  de  Adroh,  l'assassinat  de  ^Ali,  le  ralliement  de  la 
famille  du  Prophète  aux  Omaiyades,  et  nous  présente  enfin 
Mo'âwia,  avec  sa  finesse  polit ic^ue,  sa  politique  agraire^  son  talent 
d'organisateur  militaire,  et  son  action  intéressée  sur  les  poètes, 
comme  le  type  du  souverain  arabe. 

Sous  cette  étiquette  un  peu  large  :  Etudes  de  géographie  et 
d'ethnographie  orientales,  le  mêuie  arabisant  a  réuni  deux  petites 


CHRONIQUE.  415 

monographies  iudépendautes.  L'une  d'elles  concerne  Le  massif 
du  Gobai  Sim^an  et  les  Yésidis  de  Syrie.  Le  R.  P.  y  a  recueilli 
diverses  particularités  distinctives  des  Yésidis  de  la  Syrie  septen- 
trionale, en  s'efforçant  de  fixer  l'époque  de  leur  émigration  en 
deçà  de  l'Euphrate  et  l'étendue  de  leurs  anciennes  possessoius 
syriennes.  Dans  la  seconde,  à  rencontre  d'une  théorie  récente,  il 
combat  avec  vigueur  l'identification  des  Maronites,  des  Macjov'ïTat 
de  Ptolémée  et  des  Mazoàn  du  '■Oman. 

C'est  encore  l'histoire,  appuyée  sur  l'archéologie,  l'épigraphie 
et  la  philologie,  qui  a  bénéficié  de  plusieurs  autres  collaborations. 
Le  P.  Cheikho  enrichit  considérablement,  d'après  un  manuscrit 
arabe  inédit,  la  liste  des  Arclievêques  du  Sinaï  :  il  porte  à  cin- 
quante, au  lieu  de  treize,  qui  figuraient  chez  Lequien,  le  nombre 
des  titulaires  connus.  Le  P.  Mouterde  publie  un  milliaire,  récem- 
ment découvert  près  de  Beyrouth,  dont  les  deux  inscriptions  per- 
mettent d'établir  qu'il  a  existé  dès  le  début  de  l'Empire  une  Voie 
romaine  d'Antioche  à  Ptolémaïs.  Dans  une  étude  antérieure  sur 
Une  école  de  savants  égyptiens  au  moyen  âge,  le  P.  Mallon  avait 
arrêté  au  XIIP  siècle  son  esquisse  historique.  Il  l'achève  ici,  par 
une  revue  des  grammairiens  coptes  du  XIV®  siècle  ;  et  de  copieux 
extraits  de  l'œuvre  philologique  encore  inédite  d'Aboû  Sâker 
ajoutent  à  l'intérêt  de  ce  tableau.  Un  nouvel  apport  pour  le  futur 
Corpus  épigraphique  de  Syrie  est  fourni  par  le  P.  Jalabert.  11  ne 
comprend  pas  moins  d'une  cinquantaine  d'inscriptions  grecques 
ou  latines,  parmi  lesquelles  les  spécialistes  apprécieront  particu- 
lièrement une  dédicace  à  l'empereur  Julien,  d'une  rédaction 
sans  précédent,  une  revision  des  textes  de  l'Hermon  relatifs  à  la 
déesse  Leucothea,  plusieurs  inscriptions  de  Ba'albeck,  Damas, 
Homs,  etc. 

La  critique  et  l'exégèse  bibliques  sont  aussi  représentées  dans 
ce  volume  par  trois  articles  remarquables.  L'authenticité  de  la 
II"  Pe^n  est  de  la  part  du  P.  Dillenseger  l'objet  d'une  enquête 
approfondie.  La  conclusion,  formulée  du  seul  point  de  vue  de  la 
critique  et  de  l'histoire,  est  que,  de  toutes  les  objections  accumu- 
lées contre  la  thèse  traditionnelle,  aucune  n'est  décisive.  Dans 
une  Note  sur  V expression  '^  pliS  en  hébreu  biblique^  le  P. 
Neyrand  montre  qu'on  doit  conserver  à  "02  sa  signification  con>- 


4.14  LE    MUSÉON. 

parativo  et  traduire  ainsi  la  locution  ;  «  avoir  droit  plus  que  quel- 
qu'un «  ;  ce  (pli  donne  pour  le  cas  particulier  de  Job  IV,  17  : 
«  avoir  raison  contre  (pielqu'un  «.  Entin,  (jue  les  psaumes  40,  50 
et  51  ne  condamnent  ni  ne  l)lâment  les  rites  sacrificatoires  comme 
tels,  mais  insistent  simplement  sur  Tesjji-it  de  religion,  qui  doit 
toujoui-s  les  vivitier  et  <jui  peut,  au  besoin,  les  suppléer,  c'est  ce 
que  le  P.  Wi(^smanu  étal^lit  dans  un  travail  fortement  documenté, 
d(;nt  le  titre  Die  «  opferfeindlichen  «  Psalmen  nous  rappelle  heu- 
reusement le  caractèi-e  eu  quelque  soile  international  de  ces 
Mélanges.  J.  Foeget. 

*   '   * 

René  Dussaud.  Les  Arabes  en  Si/rie  avant  V Islam.   Avec  32 
ii.uures.  Iu-8°  de  178  pages,  l'aiis,  E.  Leroux  ;  1907. 

M.  René  Dussaud  s"est  fait  une  spécialité  de  l'épigrapliie  safaï- 
tiquc  C"est  en  s'appuyant  i)rinci])alement  sur  les  résultats  acquis 
ou  se  continuant  de  jour  eu  jour  dans  ce  domaine,  qu'il  étudie 
riiistoire  de  la  pénétration  des  Arabes  en  Syrie  avant  l'Islam. 

Sous  le  nom  d" Arabes,  l'auteur,  on  le  devine,  n'entend  ni  uni- 
quement ni  indistinctement  tous  les  habitants  de  l'Arabie,  mais 
les  nomades  (jui  parcourent  le  centre  et  le  nord  de  cette  contrée 
et  le  désert  de  Syrie.  Des  inscriptions  (juïl  reproduit  eu  fac-simi- 
lés et  (pril  inter])rète  aucune  n'est  inédite  ;  la  plupart  sont  reprises 
du  volume  (pi'il  a  jinblié  avec  M.  Macler  sous  le  titre  de  Mission 
dans  les  régions  désertiques  de  la  Syrie  moyenne  ;  mais  il  a  fait  un 
heureux  choix  de  celles  qui,  spécialement  instructives  eu  elles- 
mêmes,  prêtaient  de  plus  à  une  lecture  nouvelle  ou  à  des  obser- 
vations complémentaires.  On  est  frappé  de  la  richesse  des  con- 
clusions certaines  ou  probables  qu'il  a  tirées  de  l'onomastique 
propre  à  ses  sources.  Grâce  aux  textes  safaïtiques,  il  a  réussi  à 
nous  remettre  sous  les  yeux  un  groujx'  nonuxde  n'ayant  pas  encore 
abandonné  ses  dieux,  sa  langue  et  son  écriture  ;  un  groupe,  par 
conséquent,  dont  nous  pouvons  suivre  l'acheminement  à  la  vie 
sédentaire.  Les  témoignages  qu'il  étudie  révèlent  une  diffusion 
insoupçonnée  des  dialectes  arabes  antéislamiques,  qui  permet  de 
mieux  comprendre  l'extension  si  rapide  des  doctrines  prêchées 
par  Mahomet. 


CHRONIQUE.  415 

Eû  dehors  de  ce  qui,  dans  ces  pages,  va  directement  à  éclairer 
l'évolution  linguistique,  religieuse  et  artistique  des  Safaïtes  et  des 
anciens  Arabes,  on  remarquera  un  ensemble  d'indications  assez 
neuves  que  M.  Dussaud  a  cru  pouvoir  rattacher  à  une  comparaison 
minutieuse  du  dialecte  et  de  l'écriture  du  Çafâ  avec  les  autres 
dialectes  et  écritures  sud-sémitiques.  Non  seulement  il  tient  pour 
insuffisamment  démontrée  l'opinion  commune  sur  le  prototype 
phénicien  de  tous  les  alphabets  et  sur  la  provenance  égyptienne 
du  prototype,  mais  il  établit  sur  de  fortes  raisons  que  les  lettres 
«  sabéeunes  n  sont  dérivées  immédiatement  des  lettres  grecques 
archaïques,  ce  qui,  ajoute-t-il,  «  constitue  une  présomption 
sérieuse  en  faveur  de  l'origine  égéenne  de  l'alphabet  ».  Je  me 
borne  à  signaler  aux  spécialistes  ces  vues  aussi  intéressantes  que 
peu  banales,  eu  notant  toutefois  que,  relativement  à  «  l'himya- 
rite  «,  M.  Pilcher  a  naguère  défendu  la  même  thèse  (Proceedings 
ofthe  Soc.  of  Bibl.  Archœol.,  1907,  part.  3).  J.  Foeget. 

L'Eglise  chrétienne  au  temps  de  saint  Ignace  d'-4w<wc^e,  par  Henri 
DE  Genoulllac.  Iu-8°  de  XII-268  pages  ;  Paris,  Beauchesne  ; 
1907. 

Les  sept  épîtres  de  saint  Ignace  étant  admises  comme  certai- 
nement authentiques  par  la  généralité  des  critiques,  en  dégager 
avec  précaution  ce  qu'elles  nous  apprennent  sur  la  situation  de 
l'Eglise  au  début  du  second  siècle,  voilà  ce  que  M.  de  Genouillac 
a  voulu.  Sou  étude  est  essentiellement  dominée  par  le  point  de 
vue  historique.  C'est  pourquoi,  après  avoir  soigneusement  décrit 
le  milieu  civil,  religieux  et  politique,  il  envisage  successivement 
le  christianisme  comme  vie  morale  et  cultuelle,  comme  société 
et  hiérarchie  ecclésiastiques,  comme  pensée  mystique,  comme 
hommes  et  comme  peuples  divers,  comme  dogme  s'affirmant  et  se 
défendant  contre  les  premières  attaques  de  l'hérésie.  p]n  utilisant 
principalement  les  témoignages  si  précieux  d'Ignace,  il  n'a  point 
négligé  d'autres  témoignages  remarquables  qui  appartiennent  à  la 
même  époque  ;  tels  ceux  de  saint  Clément,  de  saint  Polycarpe, 
des  derniers  écrits  du  Nouveau  Testament,  surtout  des  Pastorales, 
et  de  Pline  le  jeune.  De  tous  ces  documents  réunis  il  a  fornié  un 

2(i 


416  LE   MUSÈON. 

tableau  d'ensemble  sobre  d'affirmations  catégoriques,  mais  qui 
présente  les  meilleures  garanties  de  fidélité.  J.  F. 

Z  D  M  G. ,  LX  Band,  IV  Heft.  —  Le  genre  des  infinitifs  en  arabe 
a  fourni  à  M.  A.  Fischer  la  matière  d'une  petite  étude  très  fouillée. 
M.  De  Goeje  avait  pensé  que  les  noms  d'action  de  forme  mascu- 
line 2)euvent  être  traités  indifféremment  comme  masculins  ou 
féminins.  M.  Fischer  conteste  la  seconde  partie  de  cette  assertion. 
Un  examen  attentif  des  exemples  sur  lesquels  elle  s'appuie  lui  a 
persuadé  et  persuadera  sans  doute  au  lecteur  que  chacun  de  ces 
cas  se  justifie  par  des  raisons  particulières,  et  que,  par  conséquent, 
tout  fondement  sérieux  manque  à  l'affirmation  générale  de 
M.  De  Goeje. 

LXI  Band,  I  Heft.  —  C'est  encore  M.  Fischer  qui,  lors 

d'un  récent  voyage  au  Maroc,  a  relevé  dans  toute  la  partie  occi- 
dentale de  cette  contrée  une  fort  curieuse  particularité  gramma- 
ticale :  il  s'agit  d'une  construction  pléonastique  fréquente  avec  les 
noms  de  parenté  ;  et  elle  consiste  à  donner  au  premier  nom  le  pro- 
nom affixe  de  la  3"  personne,  puis  à  ajouter  le  mot  complément  au 
génitif,  celui-ci  étant  mar(|ué  par  un  préfixe.  Une  tournure  sembla- 
ble existe,  on  le  sait,  en  araméen,  mais  non  restreinte  aux  termes 
de  parenté.  M.  Fischer  soutient  que  le  fait,  dans  le  marocain,  ne 
se  peut  expliquer  par  des  affinités  sémitiques  et  qu'il  constitue  un 
simple  emprunt  au  berbère.  Trois  considérations  confirment  ce 
sentiment  :  des  nombreuses  régions  où  l'arabe  domine,  deux  seu- 
lement, l'Algérie  et  le  Maroc,  c'est-à-dire  celles  qui  sont  origi- 
nairement berljères,  présentent  le  phénomène  en  question  ;  là 
même,  il  apparaît  d'autant  plus  rare  que  rinfiuence  l)erl)ère  s'est 
fait  moins  sentir  ;  enfin,  en  marocain  comme  en  lierbère,  cette 
construction  ne  se  rencontre  qu'après  les  noms  de  parenté. 

La  même  livraison  contient  un  intéressant  article  sur  le 

castel  ou  caravansérail  de  Kuseyr  'Amra,  découvert  par  M.  Mousil 
en  1897  et  décoré  à  l'intérieur  de  peintures  et  d'images  magni- 
fiques. M.  C.  Snouck  Hurgronje  y  établit,  contre  le  professeur 
J.  Karabacek,  (pie  ces  décorations  constituent  une  violation 
fiagrante  de  la  loi  nuisulmane,  et  cela  d'après  l'interprétation 
unanime  des  ulémas.  Le  fait  de  peindre  ou  de  sculpter  des  repré- 


CHRONIQUE.  417 

sentations  d'êtres  vivants  est  toujours  défendu.  Mais  la  possession 
et  l'emploi  d'objets  couverts  d'images  sont  licites,  suivant  beau- 
coup d'autorités,  pourvu  que  le  mode  d'emploi  ou  de  possession 
exclue  toute  vénération  et  toute  estime  des  images.  Ainsi  est-il 
permis  d'entrer  dans  une  maison,  dans  un  établissement  de  bains 
dont  le  vestibule  ou  le  corridor  est  orné  d'images  ;  il  en  serait 
autrement,  si  les  représentations  prohibées  se  trouvaient  à  l'inté- 
rieur d'un  édifice,  dans  le  salon  d'une  habitation.  Les  peintures 
de  Kuseyr  'Amra  appartenaient  précisément  à  la  grande  salle. 


Proceedings  of  the  Society  of  Biblical  Archœology,  vol.  XXIX, 
1907.  —  Dans  le  P'"  fascicule,  M.  A.  H.  Sayce,  en  achevant  son 
étude  sur  trois  tablettes  de  Koudour-Lagamer,  souligne  notam- 
ment de  curieuses  ressemblances  avec  des  passages  de  l'A.  T.  et 
surtout  d'Isaïe. 

—  Dans  le  fascicule  3,  il  donne  la  lecture  et  l'interprétation, 
nécessairement  provisoires,  d'une  tablette  cunéiforme  d'origine 
hittite,  que  M.  Raudolph  Berens  vient  de  découvrir  à  Alep  et  qu'il 
se  i^ropose  de  publier  prochainement  de  façon  plus  complète. 

—  Du  même  orientaliste,  dans  le  fascicule  5,  le  début  d'un 
exposé  qui  ne  peut  manquer  d'intéresser  vivement  :  c'est  le  résumé 
de  la  méthode  qu'il  a  adoptée  pour  le  déchiffrement  des  inscrip- 
tions hittites,  des  bases  de  cette  méthode,  de  ses  étapes  progres- 
sives et  de  ses  résultats. 

—  De  son  côté,  M.  F.  Legge  poursuit,  dans  cinq  livraisons  suc- 
cessives (1-5),  et  complète  ses  recherches  sur  les  tablettes  de 
Neggadeh  et  Abydos.  La  tâche  du  lecteur  est  singulièrement  faci- 
litée par  l'adjonction  de  fac-similés  photographiques.  L'auteur, 
qui  n'est  pas  toujours  d'accord  avec  d'autres  spécialistes,  ne  dis- 
simule point  ce  que  plusieurs  de  ses  vues  ont  de  conjectural.  Mais 
il  paraît  bien  en  droit  de  proposer  comme  probable  cette  conclu- 
sion, que  les  dix-sept  inscriptions  tombales  examinées  par  lui  ont 
un  caractère  commun  :  celui  d'être  commémoratives  et  destinées 
à  rappeler  soit  l'objet  et  la  célébration  de  certaines  fêtes,  soit  des 
dons  royaux  faits  aux  temples  ou  à  d'autres  institutions  reli- 
gieuses. 


418  LE    MUSÉON. 

—  A  remarquer  (livr.  1-3),  de  Miss  A.  Murray,  une  intéressante 
étude  sur  saint  Menas  d'Alexandrie,  distingué  avec  i-aisou  de 
saint  Menas  d'Athènes,  sur  son  culte,  sur  son  iconographie  et  sur 
les  ressemblances  «  plus  apparentes  que  réelles  >?  entre  ses 
représentations  traditionnelles  et  celles  du  dieu  égyptien  Horus. 
Les  nombreuses  petites  poteries  sur  lesquelles  on  retrouve  l'image 
du  saint  ont  été  utilisées  comme  il  convenait. 

—  A  rencontre  d'une  théorie  naguère  généralement  admise, 
M.  E.  J.  Pilcher  soutient  (fasc.  3)  que  l'alphabet  himyarite  n'est 
pas  directement  apparenté  au  phénicien,  mais  qu'il  dérive  de 
l'ancienne  écriture  grecque  S'il  avait  été  emprunté  aux  Phéni- 
ciens, on  ne  s'expliquerait  pas  ses  formes  projjres  pour  rendre 
une  série  de  sons  spécifiquement  sémitiques  ;  ceux-ci  auraient 
naturellement  trouvé  leur  expression  à  la  même  source  que  les 
autres.  En  outre,  des  dix-huit  caractères  qui  y  paraissent  primi- 
tifs, dix-sept  ont  une  ressemblance  visible  avec  les  caractères 
doriens  ;  et,  enfin,  on  retrouve  dans  l'écriture  himyarite  deux  par- 
ticularités notables  de  l'ancienne  écriture  grecque  :  la  séparation 
des  mots  par  des  traits  verticaux  et  le  procédé  du  boustrophédon. 

—  M.  J.  Lieblein  place  l'exode  des  Hébreux  sous  le  règne 
d'  "  Amenhetep  III  „,  et  non  sous  «  Merenptah,  comme  on  le  fait 
généralement.  Une  note  insérée  dans  la  5°  livraison  défend  cette 
opinion  contre  Pétrie  et  Spiegelberg. 

—  Dans  les  fasc,  4  et  5,  le  Rév.  W.  T.  Pilter  publie  et  com- 
mente un  texte  d'Hammourabi  qui  nous  vient  de  la  bibliothèque 
d'Assourbanipal.  Cette  tablette  coïncide  en  partie,  par  son  con- 
tenu, avec  la  fameuse  stèle  connue  sous  le  même  nom  et  projette 
sur  elle  une  précieuse  lumière.  M.  Pilter  en  tire  cette  conclusion, 
entre  autres,  que  "  c'est  une  erreur  de  considérer  une  partie  de 
la  législation  civile  du  Pentateuque  comme  fournie  par  des  sources 
babyloniennes  ». 

—  A  noter  encore,  dans  les  deux  mêmes  fascicules,  la  publica- 
tion, par  E.  Crum,  en  texte  arabe  et  copte  et  en  traduction 
anglaise,  de  la  légende  de  Barsaumâ  le  Nu,  ainsi  qu'une  analyse 
de  quarante-cinq  miracles  qui  lui  sont  attribués  par  deux  manus- 
crits. 

* 


CIIRONlgUE.  419 

—  La  Seuoïa  Cattolica,  de  Milan,  que  sa  direction  veut  bien 
nous  adresser  régulièrement,  u'aborde  que  rarement  des  sujets 
qui  intéressent  directement  les  lecteurs  du  Muséon.  Mais  il  nous 
est  agréable  de  signaler  dans  la  collection  de  1907  deux  longues 
séries  d'articles  d'un  caractère  plus  spécialement  sciontiiique.  La 
première,  de  M.  Celliui,  consacrée  à  la  Question  de  la  parousie, 
constitue  un  véritable  traité  exégétique  sur  la  matière  ;  l'autre, 
due  à  la  plume  de  M.  Bicci  et  intitulée  :  Jupiter^  Jalivé  et  le 
Christ,  est  eu  réalité  une  étude  historique  et  comparative,  basée 
sur  une  très  ample  information,  des  religions  païennes,  anciennes 
et  modernes,  de  la  religion  juive  et  de  la  religion  chrétienne. 

*  * 
A  relire  la  collection  du  Machriq  de  Tannée  1907  les  oiieu- 
talistes  ne  perdront  ni  leur  temps  ni  leur  peine.  Les  arabisants 
peuvent  faire  leur  profit  des  nombreux  articles  du  P.  Cheikho 
sur  la  Littérature  arabe  au  XIX^  siècle  ;  d"un  Traité  sur  les  noms 
féminins  irréguliers  par  Nour  ed-Dîn  al-Hoseini  (n"  4)  ;  d"uue 
Epître  poétique  d'' Ibrahim  Halàm  sur  son  voyage  d'Alep  au  Caire 
(n"®  12,  13,  15)  ;  d'une  F oésie  perdue  de  Ghazzali,  retrouvée  par 
le  P.  Cheikho  (n°  13)  ;  d'une  Critique  des  NaJcaid  de  Jarir  et  de 
Farazdaq,  par  le  P.  Sahani  (n"  14)  ;  d'un  Choix  de  proverbes 
usités  à  Alep,  par  l'abbé  T.  Ayoub  (n''^  18,  19,  20)  ;  enfin,  des 
Poésies  choisies  d'Ibrahim  Ilaldm,  éditées  par  M.  Issa  Malouf 
(n"  18).  Aux  assyriologues  M.  J.  Ofibrd  parie  des  Découvertes  baby- 
loniennes et  de  V Ancien  Testament  (n"^  3,  8)  ;  et,  pour  les  curieux 
d'antiquités  juives,  le  P.  Iionzevalle  analyse  les  précieux  Papyrus 
araméens  d'Egypte,  découverts  depuis  1904  (n"  15).  Concernant 
l'histoire  et  la  topographie  historique  de  la  Syrie,  à  noter  plu- 
sieurs Causeries  géographiques  du  P.  Lammens  (n"*  3,  4,  0),  puis 
ses  études  sur  Les  écrivains  arabes  et  la  géograpthie  de  la  Syrie 
(u"  12),  sur  Maqdesî  et  la  Syrie  au  X^  siècle  {u°  15),  sur  Ibn  Jiibair 
et  la  Syrie  au  XII''  siècle  (u°  17),  et  une  Monographie  du  Liban, 
par  M.  Em.  Khacho  (n''^  5-9).  Touchant  l'histoire  des  religions, 
le  travail  de  M.  M.  Alouf  sur  la  Triade  de  Ba'albek  (n°  4)  et 
celui  de  M.  J.  Offord  sur  l'Identité  d'Àstaroth  ou  Ichtar  et  Vénus 
méritent  d'être  signalés  spécialement.  L'excellente  contribution 
hagiographique  contenue  dans  Une  rccension  arabe  du  martyre  de 
$aint  Georges  (n°  9),  est  encore  du  P.  Cheikho.  J.  F. 


420  LE    MUSÉON. 


Feédéeic  Maclee.  Mosaïque  orientale  :  Epigraphica  ;  Hlstorica. 
Iu-8°  de  lV-94  pages  ;  Paris,  Geutlmer,  1907, 

M.  F.  Macler,  bien  connu  comme  sémitisant  et  comme  épigra- 
phiste,  trouve  que  toute  parcelle  de  vérité  est  bonne  à  recueillir. 
Voilà  pourquoi,  apparemment,  il  a  élargi  le  cadre  de  cette 
«  Mosaïque  orientale  »,  au  point  d'y  faire  figurer  tout  d'abord  une 
«  Note  sur  quelques  écussons  relevés  à  Munster  dans  le  Haut- 
Yalais  ».  Viennent  ensuite  une  étude  sur  une  inscription  punique 
du  Musée  archéologique  de  Genève,  une  autre  sur  une  inscription 
syriaque  de  Sainte-Anne  à  Jérusalem,  une  troisième  sur  une 
inscription  arabe  de  Sahwet  el-Khidr,  une  quatrième  sur  une 
inscription  arménienne  de  la  cathédrale  de  Bourges.  Après  cela, 
une  «  Notice  syriaque  d'un  manuscrit  arménien  u.  Une  série  de 
documents  relatifs  à  l'imprimerie  arménienne  établie  à  Marseille 
sous  Louis  XIV  termine  le  petit  volume.  On  voit,  par  cette  simple 
nomenclature,  que  le  titre  de  Mosaïque  est  amplement  justifié. 

J.  F. 


* 


Altsemitische  Texte,  herausgegeben  und  erkliirt  von  Maek  Lidz- 
BAESKi.  Erstes  Heft.  Kanaanàische  Inscltriften,  mit  8  Abbil- 
dungen.  In-8°  v.  64  S.  ;  Giessen,  Alfred  Topelmann,  1907. 

Les  Altsemitische  Texte  dont  M.  Lidzbarski  a  entrepris  la 
publication,  ce  sont  les  monuments  écrits  les  plus  importants 
de  l'antiquité  sémitique,  à  l'exception  de  la  Bible  et  des  tablettes 
cunéiformes.  A  la  reproduction  des  textes  le  recueil  joindra, 
pour  les  éclairer,  un  bref  commentaire.  Ainsi  conçu,  il  est  assuré 
de  trouver  bon  accueil  auprès  des  spécialistes,  et  il  rendra  de 
précieux  services.  Le  nom  même  de  l'auteur  du  Handbuch  dcr 
nordsemiiischen  Epigraphik,  du  directeur  de  VEphcmeris  fur 
semitische  Epigraphik,  lui  est  à  priori  une  excellente  recomman- 
dation ;  et  le  premier  fascicule,  celui  que  j'ai  sous  les  yeux, 
confirmera  pleinement  cette  prévention  favorable. 

Parmi  les  Kanaanàische  Inschriften  de  ce  petit  volume  figu- 
rent :  l'inscription  moabite  de  Mésa  ;  une  inscription  (celle  de 


CHRONIQUE.  42i 

Siloah)  et  des  cachets  en  hébreu  primitif  ;  de  nombreuses  inscrip- 
tions jJ^éniciennes,  non  seulement  de  Phénicie,  mais  de  Cliypre, 
d'Egypte,  d'Attique  et  de  Malte  ;  enfin,  des  inscriptions  puniques 
de  Malte,  de  Sardaigne,  d'Espagne,  de  Carthage  et  du  nord  de 
l'Afrique  en  général.  Le  commentaire  comprend  ordinairement 
deux  parties  :  une  introduction  historique,  simple  indication  de 
la  provenance  et  de  l'objet  de  l'inscription  ;  quelques  notes, 
courtes,  mais  substantielles  et  relatives  aux  particularités  lin- 
guistiques les  plus  saillantes,  avec  de  fréquents  renvois  aux 
ouvrages  susceptibles  de  fournir  des  éclaircissements  plus  com- 
plets. Tout  en  recommandant,  au  point  de  vue  de  l'initiation 
à  l'épigraphie,  le  recours  aux  fac-similés  des  grandes  collections, 
telles  que  le  Corpus  inscriptionum  Semiticarum,  M.  Lidzbarski 
n'a  pas  laissé  d'insérer  lui-même  ici  une  bonne  demi-douzaine 
de  ces  fac-similés.  Son  volume  est  essentiellement  destiné  à 
devenir,  entre  les  mains  des  professeurs  d'hébreu,  un  manuel 
pour  mettre  les  élèves  au  courant  des  idiomes  apparentés  à  la 
langue  de  l'Ancien  Testament.  L'auteur  souhaite  qu'il  puisse 
servir  aussi  aux  jeunes  hébraïsants  travaillant  par  eux-mêmes  ; 
mais  je  crains  bien  que,  pour  la  généralité  des  cas,  ce  vœu  ne 
soit  irréalisable,  soit  à  cause  des  difficultés  inhérentes  à  cet 
apprentissage,  soit  surtout  parce  que  les  étudiants  ne  disposent 
pas  d'une  bibliothèque  assez  vaste.  A  ce  dernier  inconvénient 
M.  Lidzbarski  n'aurait  pu  parer  qu'en  multipliant  et  en  allongeant 
considérablement  ses  notes,  en  changeant  donc  le  caractère  de 
son  œuvre.  J.  Foeget. 

*      * 

Die  Poésie  des  AUen  Testaments^  von  Edtjaed  KoNia,  Dr  phil, 
uud  theol.,  ordentlicher  Professer  an  der  Universitat  Bonn. 
(Wissenschaft  und  Bildung^  Einzeldarstellungen  aus  allen 
Gebieten  des  Wissens,  herausgegeben  von  Privatdozent  Dr 
Paul  Heeee).  In-8",  160  S.  ;  Verlag  von  Quelle  und  Meyer  in 
Leipzig,  1907. 

C'est  aux  travaux  des  linguistes  et  des  exégètes  modernes  que 
nous  devons  de  connaître  le  mécanisme  de  la  poésie  hébraïque. 
De  nos  jours,  les  timides  essais  de  Robert  Lowth  sur  ce  sujet  ont 


422  LE    MUSÉON. 

été  bien  dépassés.  Cela  ne  veut  pas  dire  assurément  que  toutes 
les  questions  de  détail  soient  résolues.  Du  moins,  il  est  acquis 
que  la  versification  de  l'Ancien  Testament,  envisagée  quant  à  sa 
forme,  consiste  essentiellement  dans  le  rythme  résultant  non  de 
la  mesure,  du  mélange  des  longues  et  des  brèves,  mais  de 
l'accentuation.  Encore  faut-il,  comme  le  montre  M.  Konig,  y 
admettre  une  combinaison  très  variable  et  très  libre  des  syllabes 
accentuées  et  des  syllabes  non  accentuées.  Si  Bickell  exigeait 
leur  alternance  régulière,  cette  théorie  n'est  plus  soutenable  ;  et 
Bickell  lui-même,  pour  l'appliquer  au  seul  recueil  des  Psaumes, 
avait  dû  «  sacrifier  environ  2600  syllabes  et  introduire  4811 
changements  de  voyelles  ». 

Après  un  aperçu  sur  «  le  caractère  formel  «  des  parties  poéti- 
ques de  la  Bible,  M.  Kônig  en  examine  le  fond.  A  ce  nouveau 
point  de  vue,  il  y  distingue  et  analyse  successivement  cinq  genres 
principaux  :  le  genre  de  l'épopée  lyrique  ;  le  genre  de  l'épopée 
didactique  ;  le  genre  didactique  pur  ;  le  genre  lyrique  pur  ;  le 
genre  dramatique.  Toutes  ses  observations  sont  appuyées  et 
éclairées  de  nombreux  exemples.  Ses  vues  sur  le  Cantique  des 
cantiques,  à  propos  du  genre  dramatique,  méritent  de  retenir 
spécialement  l'attention.  11  en  est  de  même  de  Tétude  qu'il  con- 
sacre au  livre  de  Joh  comme  modèle  de  l'épopée  didactique.  A 
ses  yeux,  ce  poème  n'a  nullement  la  tendance  pes.'^imiste  que 
plusieurs  ont  prétendu  y  voir  ;  il  est  bien  plutôt  une  invitation 
à  admirer  dans  la  marche  de  l'univers  l'expression  d'une  sagesse 
surhumaine,  qu'il  faut  supposer  et  respecter  dans  les  phénomènes 
particuliers  dont  les  raisons  nous  échappent. 

En  somme,  on  reconnaît  dans  ces  pages  l'hébraïsant  consommé 
et  l'exégète  relativement  conservateur  qu'est  M.  Konig.  Il  n'y  a 
pas  que  les  lecteurs  ordinaires  de  la  collection  Wissenschaft  und 
Bildung  qui  y  pourront  trouver  agrément  et  profit. 

J.  FOKGET. 

* 

Talmud  und  Ncues  Testament,  von  Eduaed  Kônig.  (III.  Série, 
8.  Heft  der  Biblischen  Zeit-  und  Sireitfragen  znr  Aujhlarung 
der  Gebildeten^  herausgegeben  von  D.  Feiedrich  Keopatscheck, 


CHRONIQUE.  423 

Professer  in  Breslau).  ln-8°,  56  S.,  Verlag  von  Edwin  Runge 
in  Gr.  Lichterfelde.  —  Berlin,  1907. 

Comme  toute  la  collection  dans  laquelle  il  vient  prendre  place, 
ce  petit  volume  est  destiné  «  à  l'instruction  des  esprits  cultivés  r . 
C'est  dire  qu'il  ne  s'adresse  pas  qu'aux  spécialistes.  Il  était  donc 
naturel  que  l'auteur  commençât  par  y  résumer  les  notions  les  plus 
indispensables  sur  l'origine  et  les  éléments  constitutifs  du  Talmud. 
Cela  posé,  il  aborde  la  question  de  l'influence  de  la  littérature 
talmudique  sur  le  Nouveau  Testament.  L.  Stein  et,  à  sa  suite, 
Wiinsche  ont  dit  de  la  doctrine  du  Christ  qu'elle  «  est  l'esprit 
du  judaïsme  «,  que  «  c'est  du  vin  vieux  dans  des  outres  nouvel- 
les V.  M.  Konig  s'inscrit  en  faux  contre  cette  assimilation.  Inutile 
d'insister  sur  le  procédé  de  Wiiusche  et  de  quelques  autres,  qui 
ont  voulu  rattacher  bien  des  maximes  évangéliques  à  des  dires 
rabbiniques  dont  l'antériorité  n'est  nullement  établie.  Même 
abstraction  faite  de  ces  cas  particuliers,  grande  est  la  ditierence 
du  talmudisme  et  du  christianisme  dans  leur  façon  d'envisager 
l'Ancien  Testament,  dans  leurs  principes  directeurs  de  l'ordre 
religieux  et  de  l'ordre  moral  et  jusque  dans  lem*  manière  et  leurs 
moyens  d'exposition. 

Ce  que  les  rabbins  prisent  dans  les  livres  saints  des  Juifs,  ce 
qu'ils  en  ont  retenu,  c'est  la  loi  ;  de  la  partie  prophétique  ils 
n'ont  cure.  Surtout,  ils  ne  conçoivent  le  royaume  de  Dieu  que 
comme  un  royaume  terrestre,  national  et  politique.  Sur  ces  deux 
points  déjà,  tout  autre  est  l'attitude  du  Nouveau  Testament. 
Celui-ci  se  caractérise  en  outre  par  l'idée  d'un  Dieu  mieux  défini, 
d'un  Dieu  plus  accessible  à  l'homme,  d'un  Dieu  qui  est  Père  ;  et, 
à  l'encontre  du  cérémonialisme  et  du  formalisme  rabbiniques, 
il  insiste  énergiquement  sur  la  pratique  des  vertus  fondamentales  ; 
témoin  le  chapitre  des  béafifudes,  dont  on  chercherait  vainement 
l'équivalent  dans  tout  le  Talmud.  Enfin,  tandis  que  les  docteurs 
talmudistes  noient  leur  exposé  doctrinal  dans  d'interminables 
discussions,  le  procédé  d'enseignement  par  demandes  et  réponses 
ne  se  rencontre  qu'exceptionnellement  dans  les  Evangiles.  Ici 
d'ailleurs,  comme  là,  il  est  fait  usage  de  similitudes,  de  paraboles  ; 
mais  les  paraboles  évangéliques  se  distinguent  encore  par  leur 
tendance  uniforme  à  appuyer  la  croyance  à  un  messianisme  plus 


424  LE    MUSÉON. 

relevé  et  avant  tout  spirituel.  A  ce  propos,  M.  Konig  développe 
des  considérations  qui  ne  plairont  guère  aux  défenseurs  modernes 
de  la  conception  eschatologique  du  royaume  de  Dieu,  mais  qui  n'en 
sont  pas  moins  dignes  de  la  plus  sérieuse  attention, 

J.    FOEGET. 


E  Destaing  :  Etude  sur  le  dialecte  berbère  des  Béni  Snous.  T.  I, 
(Publications  de  l'Ecole  des  Lettres  d'Alger,  Bulletin  de  Corres- 
pondance africaine.  T.  XXXIV).  Paris,  Leroux,  1907,  XXXI- 
377  pp. 

Après  avoir  situé  géographiquement  et  historiquement  la  tribu 
des  Béni  Snous,  l'auteur  aborde  dans  une  T®  section  l'étude  de 
la  phonétique  (1-58)  et  de  la  morphologie  (61-236)  du  dialecte 
de  cette  tribu.  La  deuxième  section  constitue  un  recueil  de  textes 
avec  traduction.  Les  sept  premiers  morceaux  de  ce  recueil  sont 
des  contes  populaires  ;  les  vingt-six  suivants  nous  donnent  un 
aperçu  des  occupations,  des  us  et  coutumes  des  Béni  Snous  ;  les 
huit  derniers  nous  racontent  quelques  traditions  populaires. 

Les  éléments  de  ce  travail  ont  été  recueillis  sur  place  par 
l'auteur  ;  c'est  ainsi  que  les  morceaux  du  recueil  ont  été  transcrits 
sous  la  dictée  des  principaux  personnages  de  la  tribu. 


AXiVEE  1908. 


L.  D.  Barnett.  The  Virûpâksa-pancâ«ikâ       .... 
E.  Blochet.  Etude  sur  l'ésotérisme  musulman 

A.  Carnoy.  Le  nom  des  mages 

Ed.  De  Jonghe.  Etudes  sur  les  sources  de  l'ethnographie  congo 

laise  

B""  C.  DE  Vaux.  Etat  de  mes  travaux  en  étrusque . 

Louis  H.  Gray.  Additionnai  classical  passages  mentioning  Zoro 

aster's  name 

Léon  Gry.  La  composition  littéraire  des  paraboles  d'Henocli 

—     —     Le  messianisme  des  paraboles  d'Henoch 
Léon  Maes.  Lettres  inédites  d'André  Schott  .... 
Hippolyte  Roussel.  Vocabulaire  de  la  langue  de  l'Ile  de  Pâques 

ou  Rapanui 

D""  L.  SuALi.  Matériaux  pour  servir  à  Thistoire  du  matérialisme 

indien 


299 

85,  255 

121 


311 

27 

;ji'..' 

.■JG8 


159 
277 


Compte  rendu 


E.  De  Jonghe.  Les  Sociétés  secrètes  au  Bas-Congo.  —  J.  van  den 
Gheyn      


Revue  des  Périodiques 

CnKOMQUE 


103 
100 
.  112,  412 


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