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Full text of "L'enfant de l'amour pièce en quatre actes: pièce en quatre actes"

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7° Année. — iKo. i3 Mai 191 1 

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Journal d'Actualités Dramatiques 

PUBLIANT LE TEXTE COMPLET DES PIÈCES NOUVELLE 
JOUÉES DANS LES PRINCIPAUX THÉÂTRES DE PARIS 



Tous clroils rfscrvfs jj 



mun chique Colf qu< l'fxigt l'ieiiulltt dninar 
niuncTD de LVInlralita poilani ]■ inLinc diti 
i VJIlKilraUn ThiUral,. 



Vtx du m<airo : UN FRANC. — Monneminl annuel .- F«*nce. 36 fra 



i3, rue SAINT-GEORGES, PARIS (9'). 



L'Enfant de V amour, à la Porte-Saint-Martin. 



LE soir de la réi>étitiQn générale, 
au milieu ides applaudissements 
répétés d'une salle remuée, sur- 
prise, troublée, exaltée, jamais indif- 
férente, on eut bien l'impression que 
ce titre : F Enfant de Vanumr, allait 
s'ajouter, dans l'histoire de l'art dra- 
matique moderne, comme un nom de 
victoire i ceux de la plupart des pièces 
précédentes de M. Henry Bataille : 
la Vierge folle, le Scandale, la Femme 
nue, la Marche nuptiale. Maman Co- 
libri.., 

Les qualités très françaises d'au- 
dace et de souplesse, de subtilité et de 
clarté qui sont particulièrement celles 
de M. Henry Bataille .y éclataient de 
toutes parts ; il n*ét«it p^s douteux 
que l'impression d'une telle œuvre 
sur le public serait forte, et la suite des 
représentations a justifié ce pronostic 
puisque V Enfant de Vammir est un des 
grands succès de la Porte-Saint-Martin. 

A la suite du triomphant accueil 
qui lui a été fait le soir de la répétition 
générale, le Matin demanda, comme 
de coutume, à M. Heniy Bataille de 
bien vouloir confier à ses lecteurs le 
sens profond de son œuvre, et voici 
la page qu'écrivit l'auteur de V Enfant 
de Vamour : 

« Ce n'est pas le fils naturel. Ce sont 
ces petites âmes non désirées que 
l'amour a fait éclore sur son triom- 
phant et fatal passage. Ce sont les fils 
du hasard, que le pollen de l'amour a 
semés par- ci par-là dans la grande 
forôt humaine, parmi la foule com- 
pacte de nos joies pressées, de nos 
douleurs comprimées. Ceux qui vou- 
dront bien écout-er ma pièce com- 
prendront que j'ai envisagé une de ces 
mille fatalités de. l'amour, de la nais- 
sance et de la mort. Ici c'est le cas 
fFun enfant de courtisane. J'ai essayé 
(le préciser et de généraliser aussi ce 
(ju'il y a de pitoyable,* d'inéluctable 
et de mélancolique infiniment dans 
ces naissances improvisées et dans ces 
destins derrière lesquels transparaît 
toujours le grand visage mystérieux 
de l'amour. 

» Ce n'est pas l'enfant martyr, ce 
neat pas du tout « Jack », comme on Ta 
insinué. Au contraire. Je n'ai pas pré- 
senté l'enfant abandonné, mais le bel 
enfant do l'amour qui s'auréole du 
luxe de sa mère et dont l'éclatante jeu- 
nesse saine et fraîche est simplement 
"aux yeux de la courtisane mère l'hor- 
loge terrible qui marque l'heure et la 
mort du désir. L'éloignement dont il 
est la victime proWent d'un déplace- 
ment de l'amour maternel chez une 
créature esclave des hommes et du 
Temps. C'est un type très répandu. 
Il existe à des milliers d'exemplaires 
dans la vie de Paris et d'ailleurs ; ce 
sont des obscurs, pei'dus dans la foule ; 
ils sont généralement intelligents et 
précocement sensibles. Ils possèdent 
une conscience parfaite de leur condi- 
tion sociale. Je les ai vus, je les ai ob- 
servés. Kh bien, quelle est l'idée hu- 



maine, philosophique, que j'ai retirée 
de cette observation et qui constitue 
le sujet même de F Enfant de Vamour f 
Celle-ci : chez un jeune homme, l'amo- 
ralité ingénue engendrée nécessaire- 
ment et logiquement par une éduca- 
tion faussée et par Ip déplacement des 
notions ordinaires de la vie ; mais cette 
amoralité se mélange» v *v®^ ^^^" 
deur et sans apprêt, au^ instincts les 
meilleurs, au grand rythme éternel 
du sentiment. L'équilibre habituel est 
rompu. Mais cherchez et vous retrou- 
verez vite toutes les noblesses et tou- 
tes les beautés de l'instinct pur qu'il 
y a dans l'homme : tendresse, abné- 
gation, courage. Et c'est un duel ef- 
frayant et charmant que ce pire au 
service du meilleur, que cet amal- 
game de beautés et de laideurs in- 
conscientes chez des êtres qui vivent 
en marge de la société, sans autre 
guide que leur falote conscience ingé- 
nue, et qui ne sont pas appelés aux 
festins de la tendresse et des joiec 
épurées. Pour moi, je trouve ce sujet 
émouvant ; c'est une belle lutte que 
celle où se précipite ce petit être têtu 
qui fonce au hasard de son âme, de la 
vie et des circonstances, pour défen- 
dre sa mère. Que de mélancolie dans 
ses tendresses ! Et moi, je vois au- 
dessus de ces deux êtres, mère et fils, 
je vois la nature, l'immense, terrible 
et belle nature, faisant à travers tou- 
tes les entraves des hommes son œu- 
vre éternelle, la nature que rien 
n'étouffe, que rien n'arrête, et dont 
on retrouve toujours la marche sou- 
veraine dans les cœurs les plus hum- 
bles, à travers les gestes les plus vains ! 
C'est une belle et injuste bataille que 
celle de la vie, nous le savons tous ; 
mais regardons-en les combattants 
du haut en bas de la citadelle hu- 
maine : quelle grande pitié se dégage 
d'eux ! J'aime cet enfant tel que je 
l'ai dépeint, tel qu'il existe, tel qu'il 
agit réellement dans la vie. 

* Certes, beaucoup vont me jeter la 
pierre. Je les connais, ces pharisiens 
hypocrites qui vont se boucher les 
oreilles et les yeux. Elles vont se mon- 
trer, ces nobles âm&s pourries des 
boulevards parisiens qui parleront 
dès demain au nom de l'idéal mé- 
connu ! Ceux-là qui vont invoquer le 
fameux cas pathologique, et aussi les 
autres, les impuissant* haineux qui 
affectent de prendre la sincérité pour 
la banalité, les termites sournois de 
l'esprit et de la rancune artistique ! 
Je les plains, mais je leur pardonne 
d'avance. Ce n'est pas pour eux que 
j'écris. Ils le savent. Mes œuvres le 
leur disent avec franchise. Rien ne 
m'empêchera d'écrire et de mettre au 
jour les sujets que je porte en moi. 
Faisons-le sans concession. Du fond 
de la solitude de l'écrivain, penchons- 
nous ardemment vers la vie. On a sou- 
vent cité la parole du naturaliste 
Fabre, qui a écrit de lui-même et de 
son œuvre : « J'observe sous le ciel 

* bleu. Vous soumettez au réactif la 
» cellule et le protoplasma. J'étudie 

* l'instinct dans ses manifestations 
» les plus élevées. Vous scrutez la 
» mort, je scrute la vie. * 



» A l'heure funèbre oti l'on juge les 
efforts d'ua homme qui disparaît, je 
iie souhaiterais pas de plus bel éloge. 
Mais comment le mériter ? Car c'est 
dans le domaine de l'âme humaine 
que je voudrais, si j'en avais la puis- 
sance, apporter le souci d'une pa- 
reille étude, ou du moins d'une étude 
plus présomptueuse et plus belle 
encore, celle des luttes et des amal- 
games que forment en nous ces deux 
forces : l'instinct et la volonté, les 
deux pôles de l'âme humaine. 

» Laissons les scalpels, la pédagogie, 
la pédanterie à ceux qui scrutent la 
mort, les livres, les mots. Buvons à 
même la vie. * 






Pour faire la part de l'anecdote 
dans cet article de documentation sur 
V Enfant de Vamour, rappelons qu'au 
moment des premières répétitions de 
la pièce de M. Henry Bataille deux 
confrères du célèbre écrivain, MM. Al- 
levy et Joullot, annoncèrent qu'ils 
avaient eux-mêmes en répétition un 
vaudeville portant le même titre ; avec 
bonne grâce du reste, ils intitulèrent 
alors leur pièce VEnfant du mifstère. 

Mais, il y a près d'un siècle — en 
1813 — deux auteurs maintenant bien 
oubliés, Caigniez et Lanusse, avaient 
déjà donné ce titre : VEnfant de 
Vam^yur, à une de leurs pièces qui eut 
un succès passager ; quelque trente 
ans plus t-ard, Bayard et Guinet, pour 
un de leurs vaudevilles, et, plus ré- 
cemment, MM. Henry Moreau et 
Chameroy, pour une comédie en deux 
actes, le choisirent de nouveau. Il 
est à peine besoin d'ajouter qu'aucim 
de ces ouvrages, quelle que soit leur 
valeur respective, n'a le moindre rap- 
port ni de fond ni de forme avec la 
pièce de M. Henry Bataille. 






Une œuvre aussi personnelle, aussi 
hardie, aussi brillante que VEnfant 
de Vamour, tant par son sujet que par 
sa facture offrait aux critiques ample 
matière à discussion; ils ont donc cher- 
ché et discuté, assez contradictoire- 
ment, la place qu'occuperait cette 
pièee dans l'évolution du théâtre 
contemporain ; mais, en tout état de 
cause, ils en ont tous reconnu Tim- 
portance, affirmé la valeur. Et ils en 
ont également tous proclamé le succès. 

Ainsi, M. Camille Le Senne après 
avoir exprimé, dans le Siècle, cette 
idée qu'une pièce nouvelle de M.Henry 
Bataille est toujours im événement 
dramatique dans toutes les acceptions 
du mot, ajoute qu'il ne lui était ce- 
pendant pas encore arrivé de drama- 
tiser à ce point : 

« C'est également la première fois 
qu'il débride, qu'il met à vif avec une 
telle sûreté d'anatomi«*te-psychologuc 



{Voir la suite à l'avnnl-demiive pmje de la rouverlure.) 



L'Enfant de TAmour 



PIÈCE EN QUATRE ACTES 



HENRY BATAILLE 



' RËIAHE ET M. André Brulë 
(Acte IV. - Sc^ne VI} 



L'Enfant de l'Amour a élé représenté pour la première fois le sy février içii 
au Théâtre de la Porte-Saint- Martin. 



Cupyriglil hy ll^i.ry Bataill 



PERSONNAGES 



Liane Orland M»« Réjane. 

Aline Sylvie. 

Nellie Rantz Frévalles. 

Gaby Fonteney. 

Myrtille Lavercne. 

Malouie .' Péri. 

Nathalie Frédérique. 

Marie Florent. 

Augustine Clasis. 

Joséphine Launier. 

Petit Raoul Petit Debray. 

Maurice Orland MM. André Brûlé. 

Rantz DuMÉNY. 

Raymond J. Coquelin. 

Lorédan A. Bour. 

Chef de cabinet Gouget. 

François Fabre. 

Bowling Barklett. 

Dédé J. Aymé. 

Le Prince Saint-Mars. 

Jean Person. 

\ Mernet. 

sténographe j Danequin. 

Déménageur Totah. 

Le Portier Rey. 




L'ENFANT DE L'AMOUR 



ACTE PREMIER 

La scène représente un salon de l'hôtel particulier de Liane. A la place de tentures murales deux grandes 



fresque», l'une de Cbêrel, l'autre de t' 
piano, une corbeille lumineuse. En somme, 
faïences de couleur, par-ci par-là, sur 
Au lever du rideau, un maître d'hôtel, 
Vn moment se posxe. Liane Orinnd en 



Scène première 



UANE. RAYMOND. 
iniîs LA FEMME DE CHAMBRE 

LIANE. — Oui, vous 
lampes, Raymond. On 
dis-huit bougies. 

Raymond. — C'est ce que je fnis, madame. Dw 
dix-huit houpes pnilout. Fnul-il en mettre au petil 
salon î 

LuKE. — Non, aussiiôl ariivées, ees ])er8onres 
vont partir |)our le (héâti'e avec moi. Mais demain. 
Quelle heure est -il? 

Raymond. — Il est huit heures el demie. Elle va 
juste. Mudame n'a pas d'ordi-es pour demain mutin? 

I.IANK. — Pourr|«oi f 

Raymond. — Je vais )iorter le roslunie ltir dr 
monsieur qu'il a laissi' il y a quinze jours. Il l'ii 
réclamé. 



ti. Buste de la maîtresse de maison. Beaucoup de meubles. Sur le 

pièce luxueuse, mi-masculine, mi-féminine. Des grenouilles en 

tables. Une plus grosse que les autres, sur un coussin d'or, par terre. 

habit, change les ampoules électriques des lampes et des appliquex. 

, en se frottant les ongle* arec un petit polissoir. 



LiANC. — Quinze jours!... dites un mois... au moins! 

Raymond. — Mon Dieu, madame, depuis seize ans 
que je porte les costumes de monsieur, je ne fais 
plus attention aux dates. J'ai tant de foia été cher- 
cher la valise jaune et la correspondance du matin. 

La Femme de chambre, enirc. — Madame, M. Mau- 
rice est là; il demande si ça ne dérange pas madame 
de le recevoir une seconde? 

LtANE. — Non... si. (So rcprniaiii.) Nou. qu'il entre. 
J'ai quelques minutes. Où est-ilî 

La Femme de chambre. — A In cuisine, madame. 
Il est monté par le service. 

LtAKB. — Voua m'apporterez de la veloutîne. Celte 
poudre nouvelle ne lient pas du tout. 

1^ Femme de chambre. — Bien, madame. 



LlANK, cniiliiuisTit S w parfairr \n inii.is. — Diles-moi, 

Ra>Tnond, vous snvie?: que M. Maurice étail lùî 
Ratsiond. — Du tout, madame, il doit venir d'ar- 



251159 



L'ILLUSTRATION THÉÂTRALE 



Scène II 

Les MÊitfES, MAURICE 

Maurice entre. 

Maurice. — Bonjour, maman, ça va bien? 

Liane. — Bonjour, mon petit. Qu'est-ce que tu 
es venu faire? 

Maurice. — Rien de particulier. Je passais, 
alors... Bonjour Raymond. 

Raymond. — Bonjour, monsieur Maurice, vous 
allez bien? 

Maurice. — Très bien. 11 y a longtemi)s que je 
n'avais eu de tes nouvelles, alors comme nous pas- 
sions devant tes fenêtres — je conduis /la gosse à 
la foire ide Montmartre — je me suis dit: « Tiens, 
je vais prendre des nouvelles de maman. » Si tu 
avais eu du monde, je ne semis même pas entre, na- 
turellement... Rassure-toi, d'ailleurs, je suis fiasse par 
l'escalier de service. 

Liane. — Tu es avec ta petite amie? Elle est là? 

Maurice. — Mais oui, elle est là. 

Liane. — Va la chercher. 

Maurice. — Oh! nous ne voulons pas te dé- 
ranger. 

Liane. — J'ai un quart d'heure. Je vais avec 
des gens au théâtre. Je ne demande pas mieux 
que de recevoir ton amie. J'ai quelques petites choses 

à lui donner. Va, (ll sort en appelant tout haut Aline.) 

Mon Dieu, comme il fait du bruit! (A Raymond, qui 

arrange toujours les lampes.) C'est CurieUX CC qUC VOUS 

me dites pour le costume. Quand mon.sieur vous 
a-t-il donné cet ordre? 

Raymond. — Mais la dernière fois qu'il est venu, 
madame, avant-hier en passant dans l'antichambre. 

Liane. — C'est curieux... Comme il savait déjà 
qu'il devait passer ici la soirée aujourd'hui, cela 
prouve qu'il n'a pas Tintention de rester; sans quoi 
il aurait eu tout le temps, demain matin, de vous 

donner cet ordre. (I^a femme de chambre rentre de droite 

avec la boite de poudre.) D'ailleurs, ça n'a qu'une im- 
portance relative. (A la femme de chambre.) Merci. 
Elle commence à se poudrer les bras nus. 



Scène III 

Les mêmes, ALINE 

Maurice rentre avec Aline. 

ALpE. — Oh! madame, vous êtes trop aimable. 
Je suis confuse de vous déranger. 

Liane, continuant de se passer la houppe. — Du tout, 

mon enfant. J'ai cinq minutes. Ce petit chapeau 
vous va à ravir. 

La femme de chambre est ressortie. 

Aline. — C'est moi qui l'ai fait, madame. 

Liane. — Je voudrais bien que vous en fassiez 
d'aussi jolis chez M"* Simone. Je ne suis pas du 
tout, oh! mais pas du tout, contente de mes cha- 
peaux. 

Aline. — C'est vrai? 

Liane. — J^ai lâché Reboux pour votre pa- 
tronne, sur la recommandation de Maurice, mais je 
crois que je reviendrai à Reboux. (Lui passant la 
houppe.) Tenez, voulez-vous avoir l'obligeance de m'en 
mettre ici. 

Aline, tout en poudrant les épaules de Liane. — Oh! 

ependant, madame, le dernier que je vous avais 



ossayé moi-même vous allait si bien: vous savez, avec 
les plumes blanches? 

Liane. — Oui, encore celui-là! (Reprenant la houppe.) 
Merci. Vous êtes bien aimable. 

Maurice, donnant une tape à la grenouille de faïence 

sur son coussin d'or. — Bonjour, Beiioît!... Il n'a pas 
changé, Benoît. (A Aline.) Je te pré.sente un vieil 
ami de la maison, le fétiche ! 

Il embrasse Benoit et le passe à Aline. 

Liane, riant. — Alors vous vous aimez toujours 
tous les deux? 

Maurice. — On s'adore. Elle est si gentille ! 

Liane, — Vous êtes deux vrais gosses, tenez ! 
C'a Tair de devenir tout à fait sérieux? 

Maurice. — J'en ai peur. Où vas-tu au théâtre 
ce soir ? Probablement à la répétition des FoL- 
Berges. 

Il abrévie l'expression en argot du boulevard. 

Liane. — Oui. 

Maurice. — Avec qui y vas-tu? 

Liane. — Rantz. 

Maurice. — Naturellement, ça ne se demande 
pas. 

Liane. — Mais si, ça se demande, maintenant. Et 
puis Lorédan. 

Maurice. — Il me semble que tu deviens de plus 
en plus intime avec ce sale journaliste. Il te cite 
tout le temps dans ses articles. 

Liane, — Je le reçois. Il est Tami intime d<» 
Myrtille Déneige. Mais pourquoi ces indiscrétions? 
Qu'est-ce que ça peut te faire tout cela? 

Maurice. — Rien. Simple curiosité. Tu sais 
/qu'elle a failli être lâchéeipar le petit prince. 

Liane. — Myrtille?... Comment sai.s-tu cela? 

!Mauri(?e. — Dame! aux courses. Au bar!... on 
parle... 

Liane, à Aline. — Mon Dion ! comme il est au cou- 
rant. Gomme tu sors! 

Maurice. — Oh! maman, très peu. Xous vivons 
au contraire retirés. Mais n'est-ce pas, tout de même, 
les bruits du dehors... Et puis, ce sont des choses 
de notoriété publique... Sans quoi, justement, nous 
avons plutôt le goût de l'intérieur. Ah ! s'il n'y avait 
pas sa mère! Il faut que je la raccompagne tous 
les soirs chez elle. 

Liane, avec un soupir. — Aimcz-vous ! aimez-vous 
pendant que vous êtes jeunes. Il n'y a que ça de 
vrai! et le reste n'a aucun intérêt dans la vie. Vous 
allez à Montmartre? 

Maurice. — A la foire, histoire de distraire la 
gosse qui est un peu souffrante. 

Liane, elle sort d'un petit sac, sur la table, deux billots. — 

Tiens, voilà deux cents francs pour vous amuser. 

Maurice. — Oh! merci, maman. Tu es mille fois 
trop bonne. Mais je ne venais pas pour te taper, 
tu sais?... Non, non, je te jure... Tu peux me croire... 
J'ai encore un peu d^argent de mon mois. Je te 
remercie tout de même. 

Liane. — Ça ne comptera pas sur le mois, (ii lui 

saute au cou. Liane, reculant un peu la tête.) Et Ça ne Vaut 

pas cette effusion. Mademoiselle Aline, voulez-vous 
que nous montions toutes les deux là-haut dans ma 
chambre? J'ai deux robes neuves de chez Callot. Je 
ne les ai jamais mises, et je ne les mettrai proba- 
blement jamais. Elles vous iront à merveille, bien 
mieux qu'à moi. Ce sont des robes droites, les retou- 
ches seront faciles. Tenez, montez. (Se retournant vers 
son nis.) Maurice, si on sonnait pendant ce temps, 
n'est-ce pas? 



L*ENFANT DE L'AMOUR 



Maurice. — Oui, n'aie pas peur!... Aline, tu me 
rejoindrais au fond, hein !... je t'attendmis. 

Elles sortent Raymond, qui continuait dans la galerio 
de mettre des ampoules, se rapproche et entre tout à 
fait dans le salon. 

Scène IV 

RAYMOND, MAURICE 

Raymond. — Qu'est-ce que tu as pris? 

Maurice. — Pour demain? Pour les Dragsî 

Raymond. — Oui. 

Maurice. — Protocole /", placé. 

Raymond. — Malgré ce que je t'ai dit, crétin! 
malgré les tuyaux de Smithsf Combien as-tu mis? 

Maurice. — Cinq louis. 

Raymond. — Bougre d'âne! J'avais le tuyau sûr. 
Smiths est de chez Ephrussi et puis j'ai entendu le 
patron à déjeuner, l'autre jour, qui parlait de Pro- 
tocole avec un clin d'œil ! 

Maurice, lui poussant ic coude. — Oh ! les tuyaux de 
Rantz ! tu sais, j'en suis revenu ; je me méfie. 

Raymnd. — Et moi? Est-ce que je suis une 
poire? Ce n'est pas moi qui t'ai fait gagner deux 
cents louis avec mon tuyau sur Radium, peut-être! 
Il fallait prendre Savonnette, (li sort de sa poche ic 
journal le Sport.) Le Sport donne Savonnette. 

Maurice. — J'aime mieux risquer le paquet. Je 
voudrais faire le gros coup, tu comprends. 

Raymond. — Pourquoi? T'as besoin d'argent? 

Maurice. — Bien sûr que^e ne cale pas le pied 
des chaises 'avec des billets de mille! Et d'abord ça 
m'embête de vivre toujours aux crochets de maman. 
Je voudrais vraiment commencer à gagner ma vie. 

Raymond. — C'est bien pensé. 

Maurice. — Et puis, je voudrais me meubler gen- 
timent. Mon petit cinquième n'est pas large; mais 
enfin j'ai envie d'un meuble de salle à manger que 
j'ai vu quelque part. Et si je peux un jour m'ins- 
taller avec, la gosse... 

Raymond. — La folie des grandeurs, quoi! (En 

disant cela, il ouvre sur la table une boite de cigares, prend 
quelques cigares dans la main et les offre à Maurice.) Ils 

sont bons. 

Maurice, rougissant. — Tu es fou! J'ai passé l'âge 
où l'on chipe des cigares à sa mère. 

Raymond lui en met plusieurs dans la poche du veston. 

Raymond. — Prends toujours, va. Elle croira que 
c'est moi. 

Un temps. 
Maurice, gêné, baissant un peu la voix. — Dis ?... 

Quelle est cette nouvelle figure que j'ai vue en pas- 
sant à la cuisine? 

Raymond. — Ah!... la nouvelle deuxième femme 
de chambre que j'ai engagée. 

Maurice. — C'est elle qui m'a ouvert. Est-ce 
qu'elle ne va pas trouver extraordinaire que je passe 
comme cela par l'escalier de sen'ice ? 

Raymond. — Ne te frappe pas ! Elle est très intel- 
ligente. EUle sait qu'il y a vingt ans que je dirige 
la maison, que nous sommes de vieux copains, toi et 
moi. On lui a tout ex]>]iqius que tu as phi tôt voeu 
ici de notre côté qu'au salon. Et c'est une femme 
qui a de l'existence!... Elle comprend très bien que 
tu ne peux pas arriver ici à l'improviste, chez *a 
mère, ni te montrer quand il y a du monde... A pro- 
pos, tu as eu du flair de venir aujourd'hui... J'allais 
passer chez toi demain î... 



Maurice. — Pourquoi? 

Raymond. — Quelijue chose encore à te remettre. 

Maurice. — A moi? 

Raymond. — Tu ne devines pas? Hier, madame 
m'a envoyé dé])oser une lettre chez le patron. Il 
n'était pas là... La fillette m'a encore passé un petit 
poulet pour toi. 

Maurice. — Encore! Zut! Non, non!... Assez!... 

Raymond. — Ben, quoi? Ce n'est pas de ma faute 
si tu as une jolie figure et des succès dans tous les 
mondes. 

Maurice. — Mais celui-là je m'en passerais... 
c'est très embêtant, très, horriblement!... .D'abord, 
cette histoire ne peut aboutir à rien... Je veux l'ar- 
rêter tout de suite... Une jeune fille de dix-huit ans 
qui est la fille de l'ami de ma mère!... Je sais bien 
que je suis très poli de ma nature, mais vraiment la 
politesse ne peut pas m'amener à des bêtises de 
^cet acabit! (ii sourit.) Par respect hiérarchique, j'ai 
été déférent et courtois, mais maintenant... Zut!... 
Tout le monde descend! Eh bien, je vois maman!... 

Raymond. — Moi je suis bien obligé de te remettre 
les petits poulets. Et puis c'est plutôt pour en ri- 
goler!... 

Maurice. — Mais qu'est-ce qui lui a pris de se 
fourrer ça dans la caboche?... Je ne l'ai pas rencon- 
trée plus de cinq ou six fois dans ma vie... Quand on 
était petit on s'était adressé quelques sourires, par 
la fenêtre... ou dans la rue. 

Raymond. — Ça lui a suffi... 

Maurice. — C'est la cinquième lettre, en six 
mois, plus deux coups de téléphone chez moi, cette 
semaine... J'ai été stupide à l'appareil! Je lui ai 
dit des choses vagues; nous avons parlé anglais!... 
Dieu, que c'était bête ! J'ai envie de refuser la lettre. 

Raymond. — Non. Tu aurais l'air d'attacher de 
l'importance à des gamineries... Tu es assez rou- 
blard pour t'en tirer sans rien casser. Si tu voyais 
comme elle rougissait encore en me donnant la let- 
tre : « Mon petit Raymond, voulez-vous bien de nou- 
veau vous charger... » Comment, tu la mets dans ta 
poche sans la lire? 

Maurice. — Curieux ! 

Raymond. — Oh! moi, ce que j'en dis... 

Maurice, décachetant la lettre. — I am ashamed, 

U s'interrompt. 

Raymond. — Qu'est-ce que c'est? 

Maurice. — Elle m'écrit en anglais... 

Raymond. — «Des sucreries ?i.. 

Maurice, lisant. — Boum! Boum!... Gnan-gnan !... 
Rêve de jeune fille. Elle dit qu'aloi-s elle va accepter 
le parti que lui propose son père. Eh bien, marie- 
toi, bonne affaire. « Je veux avant mon mariage 
vous parler. Rencontrons-nous où vous voudrez... 

J'irai chez vous si vous voulez. » (interrompant.) Ça y 

est, ça y est! j'en étais sûr. Jamais de la vie... Eh 
bien elle m'en procurerait des ennuis!... Je vois la 
tête de maman si elle savait ça... et de Rantz donc !... 
Quel chambard!... J'aime beaucoup mon petit chou 
d'Aline, et je me suis interdit tous ies flirts... Sans 
quoi, depuis deux ans, trois ans, tu n'as pas idée dès 
béguins que j'ai faits. Je dois être très en forme!... 

Il rit avec crâncric. 

Raymond. — Parbleu! Tu as vingt-deux ans et 
tu es blond... 

^FaURICE, baissant la voix. — Si j'avais VOUlu,... 

INFriiille Déneige qui vient oe ««oir. eh bien, si j'avais 
voulu, en cachette de maman, rien n'était plus facile. 
File m'a fait des avances trrs nettes, aux coui-ses... 



6 



L* I LLUSTRATI ON TH ÉATRALE 



Raymond. — Tu as rudement bien fait de ne pas 
marcher. Surtout celle-là!... Quelle bavarde!... Ta 
mère l'aurait toujours su... Alors, qu'est-ce que je 
vais répondre de ta part à la petite ? / 

La deuxième femme de chambre vient d'entrer. 

La Femme de chambre. — Madame nW. pas làî 
Elle m'a sonné mes trois coups. 

Raymond, impératif et hautain. — Voyez dans sa 
chambre, là-haut. Ce n'est pas la sonnette d'ici!... 
Vous devriez regarder le tableau!... 

La Femme de chambre. — Bien. 

Elle traverse la pièce et sort par l'autre porte. 

Maurice, avec humeur. — Vraiment, tu i)ourrais 
faire attention de ne pas me tutoyer devant les 
domestiques ! 

Raymond. — Je ne l'avais pas vue entrer. Autre- 
ment, je te prie de croire que j'aurais fait atten- 
tion... Est-ce que je t'ai jamais tutoyé devant ta 
mère ou devant des invités? 

Maurice, avec précaution. — Raymond, ne crois-tu 
pas qu'il vaudrait peut-être mieux, pour faciliter, 
que nous prenions l'habitude de ne plus nous tutoyer 
du tout? 

Raymond. — Quoi? Tu voudrais que je t'appelle 
(( monsieur », entre nous deux, quand nous sommes 
seuls? Ah! ça, je t'avertis que je ne pourrai ja- 
mais!... Je te vois venir, tu rougis de tutoyer le 
maître d'hôtel de ta mère!... 

Maurice, tout de suite. — Mais non, mon vieux, 
mais non. 

Raymond. — Allons donc, je vois bien. Il y a déjà 
plus d'un an que ça t'embête. D'abord je te ferai ob- 
server que je ne t'ai jamais manqué de resi)ect devant 
pei-sonne. Ou alors il ne fallait pas, oui, il ne fallait 
pas qu'on te garde pendant tant d'années avec nous, 
à l'office; c'est une affaire de cœur. Si tu ne le 
comprends pas, c'est malheureux pour toi! Est-ce 
que tout petit, quand on te cachait des journées 
entières, ce n'est pas moi qui te faisais ta vie, pas 
moi qui te promenais au Jardin d'Acclimatation, qui 
te réservais les meilleurs morceaux de la table? 

Maurice, battant en retraite. — Mais oui, bien sûr. 

Raymond. — C'est pas ta mère qui t'a soigné 
pendant ta typhoïde, n'est-ce pas? 

Maurice. — Mais, mon vieux Raymond... 

Raymond. — Et ce n'est pas moi, peut-être, moi 
et ma femme qui t'avons élevé à la campagne quand 
ta mère a filé avec le Tcherkoff à Pétersbourg, et 
'{uand... 

Maurice. — Mais ne t'emballe pas comme ça, 
mon vieux! ne t'emballe pas!... Je n'ai pas voulu te 
froisser. J'ai beaucoup d'affection pour toi. 

Raymond. — On ne le dirait pas. Tu me traites 
avec une hauteur! 

Maurice. — Je n'oublie pas, Raymond, que tu 
m'as aidé dans les grandes et les petites choses. 

Raymond. — Comment veux-tu que je t'appelle, 
iûors ?... Monsieur Maurice ?.,. eh bien, monsieur 
Afaurice, tu me fais de la peine! voilà! C'est tout 
re que je paie. 

Maurice, prenant le bras de Raymond. — Tu ne m'aS 

]:as compris. 

Raymond. — Dans ce cas, tais-toi... Et prends 
Ssavonnette, placée. 

Maurice. — Tu y tiens? Soit! Je perdrai dessus 
vingt-cinq louis dont j'ai un fichu besoin, mais je 
les perdrai jiour te prouver que j'ai du cœur. 

Raymond, faisant mine de lui allong^er une taloche. — 

Ah! si tu m'achètes, par-dessus le marché, mor- 



veux!... Bouchon!... voilà ta mère. (Revenant, bas.) 

Et vite donc! qu'est-ce qu'il faut répondre à la 
' petite? Je la vois demain. 

Maurice. — Tu lui diras... Rien... Qu'elle me télé- 
phone chez moi. 

Raymond, haut, pendant que Liane entre. — Oui, mon- 
sieur Maurice, madame a fait donner son congé à 
la deuxième femme de chambre et... 

Scène V 

Les mêmes, ALINE, LIANE 

Aline et Liane reviennent en causant. 

Aline. — ...Je ferai prendre ces robes demain, 
madame... 

Liane. — Inutile, ne vous en occupez pas...- C'est 
moi qui les ferai porter chez vous. 

]\lAURICE, puisant des bonbons dans une coupe sur la 

cheminée. — Fameux ! OÙ prends-tu cela ? 

Liane. — Chez Rump... (Klle s'arrête brusquement 
au milieu du nom du fournisseur.) Je ne sais pas. (Bas, à 

Aline en la tirant.) Ah! puisque VOUS allez à Mont- 
martre, une recommandation... Vous me compren- 
drez, parce que vous êtes très délicate. Faites en 
sorte que, dans les établissements, Mauiice ait un 
peu de discrétion,... enfin,... qu'il ne se nomme pas 
à tout bout de champ, comme il a l'habitude de le 
faire. Ça part d'un sentiment très gentil... mais quel- 
quefois il manque de tact!... 

Aline, souriant d'un petit air complice. — Oui, OUI, 

madame, je comprends ce que vous voulez dire... 
J'y veillerai, sans en avoir l'air. 

Liane. — C'est surtout... à cause de M. Rantz... Et 
puis... mon Dieu... 

Aline. — Enfin, madame, soyez sûre que je ferai 
de mon mieux pour comprendre la situation. 

Liane, lui donnant une chiquenaude amicale sur la joue. 

— Soyez pour lui une bonne petite femme rangée et 
je vous assure que je vous en aurai de la reconnais- 
sance. 

On entend sonner. Maurice, qui était resté, au fond gau- 
che, comme subitement mu par un ressort. 

Maurice. — Maman, on a sonné. 
Tjanb, vivement. — On a sonué?... Alors, vite, mes 
enfants, filez, filez... 

Maurice, se précipitant, culbutant tout. — Vicus, 

Aline. 

Aline, se bousculant au«=si. — Mais, ça y est ! Quoi... 
ça y est... 

Liane, frappant des mains et d'une voix autoritaire. — 

Dépêchez- VOUS, allons, ne lambinez pas... (A son fils.) 
A droite, hein? 

Klle montre du geste le couloir. 

Maurice. — Bien sûr. Au revoir, m'man !... 
Liane. — Au revoir, mon petit. A un de ces 
jours ! 

^L\URICE. — C'est ça, téléphone-moi. (Sur la porte.) 

Et merci pour nous deux. 
Liane. — Il n'y a pas de quoi... vite, vite ! 

I4s sortent. 

Scène VI 

LIANE, LOREDAN 

Liane reste seule, se met vivement au piano quelques 
secondes. Raymond introduit Lorédan. 

Liane. — Vous arrivez bon premier, Lorédan... 
Personne n'est là, vous voyez, et d'ailleurs la revue 
ne commencera pas avant dix heures. 



L'ENFANT DE L'AMOUR 



LORÉDAN, lui embrasse la main. — Tiens! VoUS aveZ* 

changé de coiffure! Ça n'est pas mal!... Vous l'es- 
semblez à une Porcia, un buste de romaine... Voyons 
sous la lumière. Toujoure belle! 

Liane. — Toujours est de trop... 

LoRÉDAN. — Oh ! chez moi, c'est une locution sans 
importance. Tous les matins je me réveille étonné 
de ne pas être beaucoup plus vieux que la veille. 

Liane. — On Test d*un jour. C'est suffisant. 
Mais, moi, je m'en fiche!... 

LoRÉDAN. — Liane!... il n'y a qu'un seul drame 
dans la vie qui compte, celui <lu temps. 

LiÂNE. — C'est pourquoi vous vous teignez et 
pourquoi vous vous mettez du bleu aux yeux. Vous 
en avez trop mis ce soir. Ça coule... Essuyez-vous, 
Lorédan. 

LORÉDAN, se regardant dans la glace. — Il faut bien 

nous truquer, ma chcre. 

Liane. — Parlez pour vous, vieille vipère chérie !... 

LoRÉDAN. — Au fait, une femme truque toute la vie. 

Liane. — Petite jalouse, va. 

Lorédan. — Lianon... je suis l'homme terrible à 
qai vous ne pouvez pas cacher votre âge. Je n'en 
abuserai pas. Rassurez-vous. Il n'est pas assez consi- 
dérable. J'attends. Pour le moment, vous ôtes une 
femme de trente-neuf ans quatre-vingt-quinze. Vous 
savez, comme dans les grands magasins, trente-neuf 
quatre-vingt-quinze, pour ne pas dire... 

Liane, l'interrompant. — Oui ! Vous avez, pour vous 
rappeler mon âge, en effet, un j^oint de rc]M»re que 
n'ont pas les autres; un souvenir de mufle qui vous 
est bien personnel, celui du premier article où vous 
m'avez éreintée, car vous oreintiez les femmes... et 
vous les éreintez encore. 

Lorédan. — Hum ! hum ! 

Liane, riant. — Enfin, on les éreinte comme on 

peut. (Elle oflFre les cigares.) VoUS JlOUVez fumer! 

Lorédan. — Vous m'en voulez à ]>lus de vingt 
ans de distance!... C'est flatteur! 

Liane. — Quand je pense que c'est dans le pro- 
I)re journal de Rantz que vous m'avez éreintée! 

Lorédan. — Il me l'a pardonné. Xons ne pou- 
vions pas de\âner votre liaison future... Vous étiez 
alors la courtisane somptueuse qui fait trembler les 
mtres de famille et soupirer les khédives en voyage!... 
Fleur de chic!... Du reste, il me l'a très bien par- 
donné, Rantz. Je crois même me souvenir qu'il m'a 
augmenté. 

Liane. — Soyez sûr que ce n'était pas pour cela. 

Lorédan. — Qui sait !... Il est si parisien ! (îi lui 
prend la taille en gloussant.) Ah! ma chère, ma chère!... 

Liane. — Eh bien, qu'est-ce qui vous prend!... 
Tenez, vous m'avez griffée avec une de vos cent 
bagues! 

Ix)RÉDAN. — Ça vous portera bonheur. Ma j)ierre 
de lune. 

Liane. — C'est vrai? Bon. J'ai besoin de fétiche 
en ce moment. Je vous l'achète cinquante louis. 

Lorédan, avec vivacité. — La voilà. Elle vaut la 
moitié moins. Pourquoi? Pas heureuse! 

Liane. — Peut-être! 

TiORÉDAN. — Il ne vous trompe j)as? 

Liane. — Il n'en a pas morne l'envie, c'est pire. 
Oh! je ne me plains de rien, ])ositivonicnt. Je ])ré- 
ciserais difficilement, pjifin, il vient moins, il ne 
reste plus. Depuis trois joui-s il n'a pas mis les 
pieds ici... il paraît qu'il ne quitte pas la Chambre. 

Lorédan. — Laquelle?... Ah!... l'autre! celle des 
députés. Oui, il y a les grèves des postiers. 



Liane. — Puis il marie sa fille. Il va la caser, à 
ce qu'il paraît. 

Lorédan. — Bon débarras ])our vous. Ça vous 
rapprochera peut-être... 

Liane. — Peut-être. 

Lorédan. — Et puis l'amour après tant de temps ! 
Pourvu qu'il vous reste 1 

Liane. — C'est ce qui vous trompe. Le roman 
n'est pas lu pour moi, Lorédan ! B est de ces hommes 
qui, dès le premier regard, vous jettent un voile sur 
le cœur pour le reste de vos jours. Est-ce que j'ai 
hésité à tout quitter pour lui? Il n'avait pourtant 
pas encore perdu sa femme à cette époque. Je ne 
I)ouvais même pas espérer une liaison durable, éh 
bien, je me suis retirée du jour au lendemain de la 
galanterie. J'ai vendu mon hôtel, j'ai vendu mes 
bijoux. 

Lorédan. — Il vous les a tellement rachetés 
depuis ! 

Liane, avec un grand soupir. — Ah ! il a racheté tous 
mes bijoux et tous mes péchés. 

Lorédan. — Tout de même, si vous n'aviez pas 
rencontré ce IVIessie galetteux, je songe à l'admi- 
rable courtisane que vous auriez faite... Quelle 
perte pour Cythère!... 

Liane. — Moi! Allons donc! j'étais bête comme 
les lapins que j'ai montrés au cirque! C'est lui seul 
qui m'a faite!... 

Lorédan. — Exigez qu'il vous épouse. 

Liane. — Je ne peux pas lui demander des choses 
irréalisables. 

Lorédan. — Tout homme qui n'a ])as donné son 
nom à une femme ne lui a rien donné. 

Liane. — Célibataire, va!... Alors, dites... votre 
pierre de lune va faire qu'on ne se disputera plus... 

Lorédan. — Que quand vous le voudrez! 

I^ANE. — Dieu vous entende!... 

Ix)RÉdan. — Je suis sûr que vous commencez sou- 
vent la première. 

Liane. — Quelquefois !... Il faut bien. 

Lorédan. — Et pourtant vous avez changé de 
coiffure cette semaine, pour lui plaire. 

Liane. — Ah! ça, c'est autre chose! On se défend 
comme on peut, mon petit! Vous vous mettez bien 
du bleu aux veux. 

LoRÉD.\N. — Moi, je n'ai i)lus la prétention d'être 
encore un article de trente-neuf quatre-vingt-quinze. 
Ah! dame, je ne pourrais pas être votre fils!... (Avec 

une roF^erie afTabIc et distraite.) Tiens, au fait, On n'v 

pense jamais h ça, mais qu'est donc devenu ce petit 
moutard qu'on vous voyait autrefois? 

Liane. — Mon fils? Il fait ses classes. 

LoRÉj)AN. — Il doit avoir déjà... 

Liane. — C'est ça... une quinzaine d'années. Je 
n'ai pas compté, 

Lorédan. — Il fait ses classes, où cela? 

Liane. — A Ménières, en Normandie. Très bon 
collège. 

Lorédan. — Mais attendez, attendez donc. Au 
journal... ne m'a-t-on pas dit qu'il avait gagné un 
match de billard. Attendez... un match de billard 
à un café de la porte Maillot... je ne sais pas quoi... 
devant mille personnes! 

Ltaxe, vivement. — Mille pcrsonucs! ce n'est pas 
lui! 

liORÉDAN. — Dame, s'il est à Ménières!... 

Ltane. — C'est-à-dire, il sort bien de temps en 
temps, il vient à Paris, mais ce n'est sûrement pas 
lui dont on vous a parlé. On le confond quelquefois 



8 



L'ILLUSTRATION THÉÂTRALE 



avec le fils de Liane de Rancy, nos deux prénoms 
de Liane, n'est-ce pas? 

LoRÉDAN, riant. — Ce doit être ça... Il y a Liane 
et Liane. 

Liane. — Elle a un grand fils qui va partir pour 
son service militaire, en Algérie, je crois, et... 

On entre. 

Scène VII 

Les mêmes, MYRTILLE DENEIGE, 
LE PRINCE CATARDI, puis GABY 

Myrtille. — Bonjour, chérie bleue... Pas en re- 
tard ? 

Liane. — Au contraire. 

Myrtille. — Le zouave n'est pas là? 

Liane. — Oh! le jour où il ne sera pas en retard 
d'une demi-heure, celui-là ! 

Le Prince. — Il y a peut-être eu une longue 
séance à la chambre. Bonjour ! 

Liane. — Oui!... C'est \Tai!... Des interpella- 
tions... aujourd'hui... Le gâchis !... 

Myrtille, tendant la main à Lorédan. — La main, 
mon maître! 

Lorédan, poussant de nouveaux gloussements. — Ho ! 

C'est inouï d'oser cela! Où allons-nous vraiment? 
les robes, cette année, sont folles! On se dirait rue 
du Caire! 

Myrtille. — On vient de me l'apporter cet 
après-midi,... n'est-ce pas, c'est assez violent?... 
une combinaison de tons à moi. Je trouve qu'on ne 
s'inspire jamais assez de la nature. En passant 
l'autre jour en auto devant Potin, j'ai vu à l'étalage 
des morues sèches. C'était délicieux !... J'en ai acheté 
une. Je l'ai portée de suite chez Dédé. Il a assorti ça 
avec un vert exquis. Voyez : morue et peau d'amande. 

Lorédan, évanescent. — Oh! morue et peau 
d'amande... On dirait un titre de conte de Grimm 
ou d'Andersen! J'adore ça! « La Princesse Morue 
et la Petite Peau d'amande! » 

Liane, montrant les boissons. — Voulez-vous boire? 

GaBY, entrant, la maîn tendue, gracieuse. — BonjOUr, 

cochon! Bonjour, salaud! Bonjour, mes chéris!... 

Lorédan, s'escIaflFant devant la robe. — De plus en 

plus fort !... Quelle entrée sensationnelle nous allons 
faire tout à l'heure. Si j'allais me coucher?... 

Liane. — Je paraîtrai une affreuse bouro^eoise, 
moi, à vos côtés ! 

Lorédan, entraînant Gaby sous une lampe. — Venez ! 

Permettez! Voyez- vous, il faut baisser un peu votre 
ferronnière... là... comme ça... et le turban... là... Et 
le sein gauche plus à droite, si vous pouvez... 

Gaby. — Essayez!... Non, mais, est-il bêteî... 

Liane. — Dédé va d'ailleurs pouvoir juerer sur 
place de ses créations... car il doit venir nous re- 
joindre. 

Myrtille, au prince, sur un canapé. — Ça va, Minon... 
Plus mal à la tête? 

Liane, considérant Myrtille qui tient la main du petit 
prince batave. VoUS VOUS promCUCZ à la ville, tou- 

jours la main dans la main ? 

Le Prince. — Toujours, on ne se quitte pas une 
seconde, Myrtille et moi. 

Ils s'embrassent simultanément la main. 

Myrtille, au prince. — Oh ! che\Teau, ramassez ces 
pétales de roses par terre! Si on piétinait dessus, 
ça me ferait gi'incer les dents !... 

Gaby, bas, à Lorédan en buvant à la table préparée. — ■ 

A quelle heure qu'on la couche? Mon cher, votre 



littérature nous l'a gâtée complètement. A dîner on a 
mangé du kangourou à la sauce mauve! Elle doit 
avoir un nombril ciselé par Lalique, cette femme- 
là !... 

Myrtille. — Ah! tant pis, je n'y tiens plus, j'ai 
une soif! Je me décide à être rouge pour toute la 

soirée. (Elle se verse de l'eau dans un verre sur le plateau. 

A Gaby qui boit.) Tu n'as pas pcur de rougir, toi?... 

Gaby, cligne de l'œil à lorédan. — Moi ! Je ne rougis 
jamais!... Je n'ai jamais rougi que deux fois. 

Le Prince, avec une nuance. — Lesquelles? grand 
Dieuî... 

Gaby. — T^ première fois oii j'ai demandé de 
l'argent à un homme, et ensuite la première fois où 
je lui en ai donné! 

Et elle passe, triomphante, au piano. 

Liane. — Gaby! Gaby !... (A Lorédan.) Est-ce 
qu'elle va être comme ça toute la soirée? Rantz qui 
ne peut déjà pas la sentir! Elle n'est plus invitable! 
Votre élève, au moins, elle se raffine. 

Lorédan. — Myrtille?... Regardez-la, tenez. Elle 
boit dans n'importe quel verre, un verre où l'un 
de nous avait déjà bu. Je peux lui apprendre tous 
les raffinements, il restera toujours la prostitution 
des lèvres. 

Gaby, au piano, chantant une valse. — Je Suis lâche 
avec toi.,, 

Entre un monsieur très barbu et très élégant, M. Dédé, 
couturier. 

Scène VIII 

Les mêmes, M. DEDE 

Liane. — Ah! voilà Dédé! 

Lorédan. — M. Dédé ! comme il a une jolie barbe, 
M. Dédé!... 

DÉDÉ. — Je suis venu directement. Je n'ai pas 
voulu attendre le théâtre pour vous féliciter. 

G.'VBY', continue de chanter à tue-tête et d'une voix aiguë. 

— Mon amour est pour loi sans excuse.., 

Ltane. — Qui féliciter?... 

DÉDÉ. — Vous, chère madame. 

Ltane. — Pourquoi?... Tais-toi, Gaby... tu es as- 
sommante ! 

DÉiDÉ. — Allons, allons, est-ce un si gi'and mys- 
tère? 11 ne faut pas le dire? Je suis très heureux, 
très heureux pour M. Rantz. 

Gaby, chantant. — Tu m'avais juré que tes lèvres... 

Liane. — Mais qu'est-ce qu'il veut dire? (A Gaby.) 
Assez ! assez ! toi !... Qu'est-ce qu'il y a, Dédé ?... 
Voyons, voyons !... 

On conspue Gaby. Klle se tait. 

DÉDÉ. — C*est la femme du ministre de rA.srri- 
eulture elle-même, qui me Ta appris tout à l'heure, 
pendant qu'elle essayait un fond de jupe. 

Liane. — Mais allez, allez donc! vous me faites 
bouillir! quoi? 

DÉDÉ. — Que pour arrêter le scandale des Postes 
et Télégraphes, pour conjurer la gi'ève et l'interpel- 
lation qui devait avoir lieu aujourd'hui, le président 
du Conseil avait décidé de rétablir un sous-secréta- 
riat des Postes. On a offert le sous-secrétariat à 
deux ou trois présidents de .groupes différents, et 
finalement à M. Rantz... qui accepte. 

Le Prince. — Non !... 

Gaby. — Bing^ ! 

Myrtille. — Ah! par exemple! 

Liane. — Il a accepté, lui? Vous dites? Hein? 

DÉDÉ. — Enfin, il y a quelque chose de plus cer- 



L'ENFANT DE L'AMOUR 







tain encore, c'est Tarticle de V Intransi géant ce soir... 
si j'avais su que vous pouviez ignorer cette nouvelle, 
j'aurais apporté un numéro. 

Myrtille. — Envoyez-le chercher. Il faut savoir. 

Liane. — Mais enfin, qu'est-ce qu'on y dit? 

DÉDÉ. — Ça... avec des commentaires... que ce 
n'est pas encore officiel, mais que ce le sera demain. 
C'est M. Rantz qui a proposé une réorganisation 
des bureaux, je crois... un système... 

lilÂNE, haussant les épaules, nerveuse. — MaiS c'cst 

impossible, Dédé! Je le saurais, il m'aurait avertie... 
J'aurais reçu un télégramme ce matin... Je n'ap- 
prendrais pas ça par les journaux, ni par les amis... 

Myrtille. — Mais oui, Dédé, c'est un projet en 
air. 

Le Prince, parisien. — Une combinaise! 

DÉDÉ. — Enfin, la femme du ministre de l'Agri- 
culture ! 

Liane. — Il faut que j'envoie chercher le jouraal. 
Ah çà ! par exemple ! 

Elle va à la sonnette. 
LORÉDAN, l'arrêtant d'un geste doux. — EcouteZ, il n'y 

a rien d'étonnant qu'il ne vous ait pas encore pré- 
venue, ma chère Lianette... Songez, ces choses-là se 
font très rapidement. 

DÉDÉ. — Si le Conseil des ministres s'est réuni 
ce matin, madame, vous savez ce que c'est, il n'aura 
même peut-être pas pu venir chez vous. 

Liane. — J'aurais reçu au moins un coup de télé- 
phone! N'est-ce pas, Myrtille, c'est invraisemblable! 

Myrtille. — Mais épatant !... 

Liane. — Il ne va pas se présenter ici en habit, 
pour aller tranquillement aux Folies-Bergère, sans 
que j'aie été informée qu'on le flanque sous-secré- 
taire... de quoi? 

LoRÉDAN. — Des Postes et Télégraphes. 

Liane, pouffant. — Et puis des Postes! Qu'est-ce 
qu'il peut aller faire là dedans? lui!... 

Lorédan. — La réorganisation des bureaux, on 
vous dit. 

Liane. — Lui ! Lui ! il est aussi fait pour réorga- 
niser les bui'eaux... que moi pour... 

Lorédan. — Mais c'est ce qui vous trompe, Liane, 
c'est un organisateur admirable. Rappelez-vous dans 
quel état il a pris son journal. 

Liane. — Mais je le connais mieux que vous, 
Lorédan, il ne peut seulement pas régler le livre de 
son chauffeur! Et puis, lui qui se vantait d'être le 
député le plus inactif de France !... Je suis suffoquée, 
mes enfants... Mettez-vous à ma place. 

DeDE, embarrassé devant le tumulte de Liane. — Moil 

Dieu, madame!... Mon Dieu, madame... 

Un froid. 

Liane, enfilant son manteau. — Allons, nous n'avons 
l)lus qu'à filer aux Folies, mes enfants. 

Gaby. — Ah! oui... Aux Fol.-Berp:!... 

Liane. — Car, si c'est vrai, il ne viendra pas. Il 
ne peut pas, après une jouraée comme celle-ci, s'être 
mis en habit tranquillement... après dîner... 

On entend sonner trots coups. 

Gaby. — Bing... Hé!... Psstt!... 

Liane, radieuse. — Trois coups! c'est lui... Vous 
voyez bien que ce n'était pas vrai!... (A Dédé.) Elle a 
rêvé dans son fond de jupe, votre ministresse! 

Klle hausse les épaules. 

Myrtille. — Mais ne t'aîî^te pas ainsi, Liane, 
tu dois être contente. 

Liane. — Oui, oui, très contente, très satisfaite, 

je jubile... (Tout le monde se précipite vers la galerie. Liane. 



m} 

09 



tout à coup, fait un geste impérieux.) Non!... Chut!... Ne 

bougeons pas!... (On s'arrête. On attend.) Regardez, re- 
gardez... Il ne se presse pas,... il devrait déjà être 
ici... 

Myrtille. — Ecoute, il ne peut pas courir dans 
l'antichambre, mon bichon. 

Gaby. — Je le connais, nous allons voir ça à 
son entrée. S'il est en veston, c'est que c'est vrai. 

DÉDÉ. — S'il est en jaquette? 

Gaby. — C'est douteux. 

Lorédan. — Et en habit,... rien de fait!... 

La porte s'ouvre. Rantz entre. On crie: u II est en 
habit! » 



' Scène IX 

Les mêmes, RANTZ 

Rantz. — Non! en smoking!... Que de monde!... 

Gaby. — Il est en habit ! 

DÉDÉ. — Eh bien? 

Lorédan. — Homme du jour?... 

DÉDÉ. — Ça y est-il? 

Gaby. — Faut-il, faut-il pas? 
Liane. — Est-ce vrai, Paul? 
Rantz. — Ça se sait déjà ici?... Je regrette qu'un 
journal du soir ait divulgué!... 

Exclamations de tous. 

Lorédan. — Hein! Qui avait raison? 

Liane. — Aloi-s, c'est vrai, Paul! Non, ce n'est 
pas possible... Tu plaisantes... 

Rantz. — Je ne puis rien dire encore!... Secret... 
pressenti... réserve... Bonjour. 

Il s&rre les mains. On le félicite. On crie des a bravos ». 

Liane, émue. — Tu acceptes, tu vas accepter? 

Rantz, évasif et spirituel. — Résen'c... pressenti... 
secret... Bonsoir, prince... 

Liane. — Je parle sérieusement, Paul... Comment, 
j'apprends une pareille chose à la seconde, ça me 
sort sous les pieds comme une bombe et il paraît 
que tout Paris est au courant, ça se dit chez les cou- 
turiers, ça s'écrivait dans les journaux et, moi, moi, 
je suis là, comme une gourde, à ignorer ce dont tout 
le monde parle !... 

Rantz. — D'abord, rien n'est fait. Je dois donner 
demain ma réponse au président du Conseil... Je vais 
réfléchir... Et puis, ça n'a pas cette importance!... 

Liane. — Tu ne pouvais pas me téléphoner de la 
Chambre, en en sortant? 

Rantz. — J'en suis sorti à sept heures et demie. 
Bonjour, Gaby... Le temps de me laver un peu les 
mains et d'accourir... Alors, tout ce monde pour une 
loge?... Je croyais te trouver seule!... 

Lorédan. — Deux autos pleines... 

Liane, sans écouter. — C'est trop fort!... Il est vrai 
que je ne compte pour rien dans ton existence! Je 
ne suis pas même une camarade, tu as peut-être 
oublié que j'étais ta matresse... 

Rantz. — Allons, allons, du calme. 

Liane. — Toi qui t'étais soi-disant retiré, qui 
vivais dans la paix et la tranquillité! Tu vas t'em- 
barquer sur cette galère!... 

Myrtille. — Mais il a raison, notre zouave!... 
C'est très bien d'apporter un peu de beauté, mon 
cher, un peu de chic à un gouvernement qui en man- 
que totalement. 

Rantz. — C'est un point de vue: j'y réfléchirai. 

Liane, bas à Myrtille. — C'est intelligent ce que tu 
♦viens de dire! 



10 



L'ILLUSTRATION THÉÂTRALE 



Gaby. — Alors, vous allez devenir un membie im- 
portant? 

Rantz. — Comme vous dites : à perte de vue ! 

Gaby. — Vous voilà bon à peloter, alors f 

Rantz. — C'est bien notre tour, avouez, Gaby... 
Vous nous devez bien ça. 

DÊDÈy avec énergie. — Monsieur Rantz, penne ttez- 
moi de vous dire qu'après l'attitude des postiers, qui 
a été vraiment scandaleuse, après les paroles du pré- 
sident de la C. G. T.... 

Rantz, qui depuis quelques instants ne perd pas de vue 
lyiane, l'interrompant. — Oui, Oui, tout à l'heure. Pour 

l'instanty je m'en fous... (A i^orédan, bas.) Un mot, je 
voudrais dire un mot à part à Liane. 

LoRÉDAN. — Mais voulez-vous que nous passions 
dans le salon à côté... 

Rantz. — Pas le moins du monde, une seconde, 
une petite seconde, un mot. Occupez-les simplement. 

LOBÉDANy appelant Myrtille qui essaie dans un coin d'apai- 
ser lyîane. — Myrtille !... Venez... Gaby va nous faire 
des accords de septième-seconde pendant ce temps. 

GABYy saisissant la grenouille qui est sur le coussin. — - 

Emmenons Benoît. Viens, mon vieux Kroumir... 
Qu'est-ce que tu dis de ça, toi?... 

Rantz va à Liane pendant que Gaby, dans le fond, 
attaque une valse inexpérimentée : les autres sont 
groupés autour d'elle. 

Liane, voyant s'approcher Rantz. — Oui, parle-moi, 
enfin! Parle!... Je t'assure... J'en ai besoin. 

Rantz. — Tu ne m'avais pas dit que tu invitais 
ces deux volailles. Je croyais qu'il n'y avait que 
Lorédan. (Nettement.) Je ne peux pas aller avec ça 
au théâtre. 

Liane. — Tu ne peux pas y aller, pourquoi? 

Rantz. — D'abord, regarde leur tenue!... Si jus- 
tement, ce soir, on me voyait avec elles... Enfin, il 
faut éviter... C'est une affaire de tact... Et puis, ce 
couturier!... 

Liane, suffoquée. — Et c'est tout ce que tu trouves 
à me dire! C'est tout! J'attends un mot de toi, une 
explication de ton attitude à mon égard, au moment 
d'un événement aussi important, et tu me dis que 
tu ne peux pas aller au théâtre avec ces volailles 
et un couturier que tu as fait décorer!... 

Rantz. — Je comptais t'apporter ce soir cette sur- 
prise... Ayez donc des attentions!... J'arrivais tout 
flambant... Et, d'ailleurs, ma chère Liane, il suffit 
de t'entendre parler depuis deux minutes pour com- 
prendre les sentiments qui m'ont incité à te tenir à 
l'écart de ma décision. En fait de conseil, celui des 
ministres avait plus d'importance et plus de poids 
que le tien. D'autres seraient satisfaites, flattées de 
mon changement de situation, mais, toi... 

Liane. — Tu te trompes. Qu'en sais-tu? Je t'au- 
rais écouté. Je t'aurais approuvé peut-êti-e. Je com- 
prends, en tout cas, que les honneurs te tentent. 
Ce n'est pas la décision que tu prends qui me révolte, 
c'est que tu n'aies pas même daigné m'y mêler. Tu 
as voulu éviter notre tête-à-tête et tu arrives exprès... 
je te connais... à cette heure-ci... avec ton sourire dé- 
taché... 

Rantz. — !Mais, sapristi, ce matin encore, à dix 
heures, je ne savais rien moi-même! De toute façon, 
nous avons le temps d'en parler, n'est-ce pas, à 
satiété!... Ce (jue je voulais te dire, c'est que, si on 
me voyait ce soir avec cette exhibition charnue... 

Liane. — Pourtant, tu savais que nous n'allions 
pas seuls au théâtre, que j'avais lancé des invitations. 



Rantz. — J'ai eu bien d'autres choses à faire, je 
te prie de le croire, qu'à m'informer des pereonnes 
qui nous accompagnaient aux Folies-Bergère. 

Liane. — Tu ne pensais pourtant pas que j'avais 
invité le pape ! 

Rantz. — C'aurait été encore plus mal vu en 
haut lieu! 

Liane. — Oh! pas d'esprit, pas d'esprit, mon cher! 
Ce n'est vraiment pas l'heure; ne m'accable pas de 
ton petit sourire sardonique! Rachète, je t'en prie, 
ce que ton attitude a eu de blessant, en te montrant 
ce soir avec moi, comme tu en avais Tintention... 
Puisque tu as pris la peine de passer un habit... que 
je sois un peu à la gloire, à tant faire !... 

Rantz. — Oui, si tu étais seule!... J'avais bien, 
tu le vois, l'intention de t'accompagner cinq minutes, 
je me serais d'ailleui*s enfui pendant un acte, car 
j'ai de l'écriture pour jusqu'à trois heures du matin, 
tu t'en doutes... mon programme... nies chefs de ca- 
binet... mais il n'y a pas qu'une question officielle, 
il y a aussi le mariage de ma fille... Je t'ai déjà dit, 
des gens très bourgeois, des bijoutiers. Déjà mon 
ménage irrégulier les effare un peu, ces gens, et je 
dois éviter de m'af ficher, ce soir... (Mouvement de Liane.) 
pas avec toi, mais encadré comme nous allons l'être... 
de deux femmes aussi antiparlementaires. 

Liane. — Cela te va bien de me le reprocher! Ce 
n'est pas toi qui as toujours voulu, par fierté 
d'homme à femmes, que nous ayons l'air d'un mé- 
nage rigoureusement in-égulierî... que nous conser- 
vions cet aspect d'amant et maîtresse?... Tu as voulu 
que je fréquente des artistes et des cocottes, eh bien, 
je fréquente des artistes et des cocottes ! Si tu devais 
redevenir officiel, mon cher, il fallait... il fallait... 

Rantz, l'interrompant, catégoriqui. — Oh ! pas de 

scène de ménage! (il crie aux autres.) Fini l'aparté! Je 
suis à vous ! 

Lorédan. — Mon cher Rantz, quelqu'un d'épaté, 
littéralement épaté, c^est moi... 

Rantz. — 11 y a des gens qui vont être plus épatés 
que vous, Lorédan, je vous le promets! Ce sont mes 
électeurs. Vingt ans que je suis député de mon dé- 
partement !... un député honoraire. Mes électeurs 
n'avaient pas osé ne pas me renommer, cette fois-ci, 
de peur de me faire de la peine ; c'est le département 
le plus sentimental de France!... 

Le Prince, offrant son étui. — Cigarette? Quel dé- 
partement représentez-vous déjà? 

Rantz. — Un tout petit département, très peu 
connu. 

DÉDÉ. — Vous prépariez votre rentrée dans l'om- 
bre. 

Rantz. — Que vous êtes peu au courant, monsieur! 
Ça se fait automatiquement. L'autre jour, au groupe 
radical-socialiste, j'ai exi)osé l'idée que je me faisais 
de la réorganisation des bureaux et de l'unité admi- 
nistrative; ils ont eu l'air de trouver ça renversant!... 
Eh bien, je ne suis pas fâché qu'on m'essaie. Huit 
ans que je ne faisais plus rien! Ça ne pouvait pas 
continuer. J'avais la nostalgie de l'odeur d'encre 
d'imprimerie; si je n'avais pas eu celle des aisselles 
parlementaires pour me consoler, je ne sais pas ce 
que je serais devenu! 

Liane. — Allons donc! Tu avais la paix, la paix, 
enfin! Depuis ces années trop courtes, on vdvait 
tranquilles; je ne sais pas ce qui te manquait vrai- 
ment! Maintenant, je ne vais même plus te voir une 
minute. J'espère bien que tu ne vas pas déménager 
dans un ministère quelconque? 



L'ENFANT DE UAMOUR 



11 



Rantz. — Je n'y coucherai pas, c'est tout ce qu'il 
te faut, n'est-ce pas? (On rit.) 

LoR^AK, bas à Liane. — Et la vie officielle, ma 
chère amie, qu'est-ce que vous en faites? ' 

Liane. — Mais je n'en suis pas, moi, de la vie 
officielle, j'en suis bannie! (Kiic lui pousse le coude. Bas 
à Lorédan.) Dites comme moi, voyons, espèce d'idiot! 
Tenez, je vous la rends, votre bague! 

Rantz, entouré et gesticulant. — C'est vrai, c'est vrai, 
j'étouffais, je me rongeais!... Qu'est-ce que je suis, 
depuis quelques années? Plus lien, plus rien, moins 
qu'un ancien président de la République. 

Liane. — Comme c'est fin ! 

LoRÉDAN. — Vous étiez" resté une chose : l'homme 
le plus spirituel de Paris! 

Rantz. — C'est idiot!... Je ne suis pas spirituel. 

Gaby. — En ce moment! 

Rantz. — Ce sont des réputations toutes faites, 
comme Paris en consacre à la légère... Non, je suis 
un homme d'action, uniquement. Ah! ça va me faire 
du bien, je vais respirer! (il lève les bras.) 

Liane. — Tu vas être attaqué effroyablement! 
Oui, surtout toi! C'est-à-dire que nous n'allons plus 
vivre, voilà le mot. Alors, il va falloir recommencer à 
lire tous les matins, dans les journaux, des horreurs 
sur ton compte? il va falloir que je t'entende traî- 
ner dans le ruisseau, accuser de toutes les infamies? 
Moi, ça me boulevei'se, qu'est-ce que tu veux, je ne 
peux pas vivre dans cette vie-là! 

Rantz, qui a ponctué de « oui » énergiques. — AIoî, 

j'en ai besoin, j'en ai besoin! C'est ma santé. 

Liane. — Tu as besoin d'être injurié, tu as besoin 
d'être traité, quarante-cinq fois par semaine, de 
forban? RappeUe-toi la campagne qu'on a faite con- 
tre toi, il y a dix ans, dans ces sales journaux de 
chantage?... Tu en as besoin! 

Rantz. — Oui, oui. Il n'y a qu'une sorte d'homme 
qui peut vivre dans la solitude, loin du bruit de la 
mêlée et l'odeur de la boue, c'est l'artiste... Je ne 
suis pas un artiste, moi! 

LoRÉDAN. — Mais si ! Tout de même ! 

Rantz. — Vous savez bien que non, Lorédan! Ce 
bas journalisme, cette basse politique, mais ce n'est 
j)as un obstacle pour moi... c'est ma vie ! C'a été tou- 
jours ma vie ! 

Liane. — Sa vie? Sa santé! Vous l'entendez!... 

(Elle prend tous les autres à témoin.) Tenez, paSSeZ-moi 

mes gants. 

Rantz, qui a cassé une cigarette et (*n fait une, lui-même, 
d'un geste habituel de vieux fumeur. — Les ai- je assez 

tenus dans ma poigne, pendant dix ans et plus ! J'ai 
joué avec eux en riant... pas avec l'élite ou le flam- 
beau, grand Dieu! mais avec ce qu'il y a de plus 
amusant, de plus vivant, les vieilles fripouilles du 
journalisme parisien, ces vieux forbans de la i)oli- 
tique; tout ce que j'ai remué à la pelle, les bas in- 
sulteui's, les domestiques de la gloii-e. les plats pipe- 
lets du pouvoir, les vieux pamphlétaires livides qui 
ne sont plus que des cadavres prostitués, les beaux 
marchands de vertu, les aboyeurs, les chiens qui 
sifflent, tous! tous!... Qu'ils y viennent! Tout ça, 
mais ça se roule comme du scaferlati entre deux 
doigts, mon cher! Allez! j'ai de l'entraînement; je 
suis comme les chiens qui ont besoin de courir après 
le gibier de campagne, de mordre dans du la))in, 
dans du perdreau, dans de la bidoche faisandée!... 

(Montrant ses dents à Ix>rédan.) Regardez, mon \4eux, 

j'ai encore de belles dents. 

Gaby, se levant de son coussin. — Ah! le beau gai's!.. 



'Vive la République!... Allons aux FoL-Berg. ! Pas 
de politique! 

Liane, secouant, indignée, sa lorgnette de théâtre et son 

sac. — Oh!... oh!... Alors, tout ce que tu me disais, 
cet été encore, à la campagne, dans le repos, dans le 
calme... 

Rantz. — A la campagne! A la campagne! Tu 
ne sais pas ce que je m'y suis rasé, à la campagne!... 

Liane. — Quoi?... Hein?... 

Rantz. — 11 n'y avait qu'un moment de bon, tiens... 
et je ne te le disais pas!... C'est quand, au bout du 
jardin^ sortaient les moutons de la ferme,... ces 
troupeaux qui font un bruit d'assemblée politique, 
un bruit de 14 juillet lointain... Je dressais l'oreille, 
il me semblait que c'était l'émeute, une réunion d'ac- 
tionnaires, une journée d'élections, et j'entendais 
de là-bas, dans les vagissements des moutons: « A 
bas Rantz, crapule, renégat, vendu ! » C'était le seul 
bon moment de la journée! 

Lorédan. — Il s'entraîne, le patron, il fait des 
poids! Patron, allez, vous êtes trop intelligent pour 
faire un bon politicien... 

Rantz. — Erreur ! Ija politique, depuis des années, 
est, autant que l'art, l'expression d'un tempérament ; 
regardez Clemenceau, Briand... On me demande quel- 
ques mois de virtuosité, j'y cours ! 

Gaby. — S'il pouvait faire au moins marcher mon 
téléphone ! 

Liane, éclatant. — Dans les Postes et Télégraphes! 
quelle virtuosité!... 

Rantz, redescend vers elle. — C'est idiot, c'est idiot 
ce que tu dis là. Et tu te crois drôle !... Est-elle assez 
bornée! Est-elle assez stupidement femme?... 

Liane. — Va donc!... Accuse-moi, ça te complète! 

Myrtille et Lorédan. — Ne vous attrapez pas 
ainsf!... 

Rantz, se dégageant des bras qui essaient de le calmer. 

— C'est toi qui as toujours été l'ennemie de mon 
activité, c'est grâce à ton influence que j'ai balancé 
successivement mon journal, mon écurie et mes rela- 
tions. 

Liane. — C'était tout un!... Laisse-moi, Myrtille. 

Rantz. — Tu voulais m 'étouffer, oui, m'étouffer, 
pour m'avoir plus à toi. Tu as manœuvré pour me 
faire abdiquer, pour me chambrer... 

Liane. — Ce n'est pas vrai, mais, quand je t'au- 
rais voulu plus libre et plus à moi, le beau crime 
d'avoir placé notre amour dans une atmosphère plus 
saine en t'enlevaut à cette boue misérable... Toi qui, 
devenu riche, pouvais vivre indépendant ! Je pensais 
à ton bonheur, notre bonheur... Mais, va ! je n'ai pas 
eu l'influence que tu me reproches!... 

Gaby. — Oh ! Je vais dire un gros mot, si ça con- 
tinue!... 

Lorédan. — Allons, allons, mes amis, ne vous dis- 
l)utez pas, ce n'est pas le moment, que diable!... 

Myrtille. — Oui, vous devez, au contraire, tous 
deux, vous réjouir de ce qui vous arrive et vous rap- 
proche. 

Rantz. — Vous la vovez, vous la vovez, n'est-ce 
pas? Je ne trouve ici que l'ennemie de moi-même. 

Liane. — Il tient à ce titre!... 

Rantz. — Parfaitement. Tu viens de te plaindre 
que je ne te traite pas en associée. Tu n'as jamais 
été l'associée. Il est temps que je me retrouve, je 
fonds, je fonds littéralement, je fonds !... 

Il montre désespérément le parquet. 
Myrtille, clurchant avec Lorédan et le prince à entranut 

Rantz. — Rantz!... faites la paix! 



12 



L'ILLUSTRATION THÉÂTRALE 



S 

w 
'f. 

y: 



LiAXE. — Moi qui a été ta compagne dévouée, 
moi qui t'ai entouré de tous mes soins ! 

Rantz. — Oui, oui, je le sais ; tu Tas assez crié par- 
dessus les toits ! Ah ! comme dit l'autre : a Que Dieu 
ne te récompense jamais du bien que tu m'as fait ! » 

Gaby. — Oh I mais je vas m'asseoir sur le piano ! 

Et elle le fait comme elle le dit. Le piano retentit. 

Liane. — Dix-sept ans! tenez, dix-sept ans, je me 
suis employée au bonheur de cet homme! 

Rantz. — Oh! Assez, assez, pour Dieu! change 
de chiffre, pour l'amour de Dieu ; dix-sept ans !... je 
n'entends que ça! Pas besoin de le crier par-dessus 
les toits, ça ne te rajeunit pas ! 

Liane. — Mufle I 

Rantz. — Tu dis mufle, eh bien, toi, d'un mot, 
d'un seul!... caractéristique... 

On couvre obligeamment leurs voix. 
LORÉDAN, se met entre eux deux et les tire par le bras. 

— Mes enfants, c'est honteux, voyons, à la fin!... 
On ne peut pas entendre des choses pareilles, voyons, 
embrassez-vous. .. 

Liane. — Ah ! nous embrasser ! 

Rantz, criant. — Tout en elle a été une désillusion ! 

Liane. — Répète, l'épète-le; si tu ne veux pas 
que, devant ces gens, je dise ce que je sais de toi, 

ce que... 

LoBÉDAN. — Nous ne permettrons pas que 
vous vous déchiriez comme ça, nous ne le per- 
mettrons pas. 
Gaby. — Benoît! au secoui-s!... 
Myrtille. — N'employez pas les mots irré- 
parables. 

Loane. — Ah ! les mots irréparables ! nous en avons 
épuisé le vocabulaire! Nous en cherchons tous les 
jours de nouveaux et de plus forts, nous n'en trou- 
vons plus. 

Rantz. — Plains-toi, larmoie! Voilà ce que je 
trouve ici ! voilà, tenez ! 
Liane. — Sale être ! 
Rantz.« — Sale... 

Il s'arrête. Brouhaha. On s'interpose, sérieusement, cette 
fois. Gaby fait une gamme chromatique. 

LoRÉDAN, vivement. — Prenons nos chapeaux et 
pai-tons tous!... Rantz, vous allez trop loin. . 

Myrtille, de son côté. — Liane, tu n'es pas rai- 
sonnable !... 

On entend la voix de Rantz dominer. 

Rantz. — Non, non, j'en ai assez, oh!... 
Liane, qu'on entoure. — Lâche! C'est un lâche! 

LORÉDAN, à Rantz qui se dirige vers la porte. — VoyoUS... 

vous n'aUez pas nous plaquer ainsi... Oii allez-vous? 
Oii passerez-vous votre soirée... 

Rantz. — Ah! Je ne sais pas, chez le président 
du Sénat où chez Marguerite de Bourgogne, mais 
pas ici, n... de D..., pas ici! 

Il sort en claquant la porte. 

Liane, se retourne et se précipite. — Voilà! Voilà ce 
qu'il voulait !... Partir !... Le pleutre... Tenez, c'est ce 
qu'il voulait! Il l'a eue, sa scène!... il l'a eue. (Elle 
éclate en sanglots de rage.) Il ne cherchait qu'un pré- 
texte pour déguerpir!... 

Le Prince. — Comme tout cela est malheureux !... 
Calmez- vous, chère madame... 

Lorédan. — Liane... vous êtes vraiment peu habile. 

Myrtille. — Et dire qu'au fond ils s'adorent!... 

Liane, à Lorédan (jui lui prcnH la main. — AllcZ-VOUS- 

pii tous, ton.*?! Laissez-moi, je ne suis pas en état 
(Phller au théâtre! Je veux rester seule ici, je n'irai 

])as aux Folies-Bergère. (Elle parle bas à Myrtille.) Fais- 



, les tous partir,... qu'ils s'en aillent; dis-leur que je 
les rejoindrai tout à l'heure, quand je serai calmée... 

Elle se cache derrière le piano, de dos aux autres. Un 
silence respectueux et gêné s'établit. 

Myrtille, bas à chacun. — Elle va vous rejoindre. 
Devancez-nous au théâtre... Je vais rester cinq mi- 
nutes avec elle... Je l'amènerai... Mais partez, sans 
commentaires... L'avant-scène sept... 

Lorédan, au prince. — Ah! les ménages irrégu- 
liers, voilà où ça mène ! C'est affreux, mais, au fond, 
c'est très moral. 

Myrtille, au prince. — Pars, chevreau... (A m. Dédc 

iqui veut prendre congé âv Liane.) Je VOUS en SUpplie, 

laissez-la! Je crois que ce serait une torture pour 
elle de vous donner des explications. 

Gaby. — Mon écharpe, Lorédan!... Ils sont gais, 
nos amis! 

DÉDÉ, à Lorédan. — Pensez-vous que ce soit sérieux, 
monsieur? Je n'ai pas bien l'habitude du ton de la 
maison. 

Lorédan. — Mais non, mais non, ils sont « mithii- 
datés... », tout s'arrangera. Et ce n'est encore rien, 
maintenant. Si vous l'aviez connu avant Liane ! quand 
il était le femmier par excellence! au temps oii on 
l'appelait le « Rantz des vaches ! »... Oh ! ce n'est pas 
fort, mais on n'était pas aussi spirituel à Paris que 
maintenant !... 

Ils sortent discrètement, dans un sourire amorti. 
Gaby, bas à Myrtille, en s'habillant. — QuçUe barbe!... 

Tu viens de toutes façons, heinf Pas de blague!... 
Ne nous plaque pas! 

Myrtille. — Oui... Dès que je pourrai... 

Gaby, a Myrtille, de la porte. — Ce qu'il a uu air 
chameau, cet homme-là I Mais ce qu'il est bien, (|uand 
il est en colère!... Je vais en rêver toute la nuit!... 
Ah! nos amants, ma chère, nos amants!... 

Restent seules Myrtille et Liane. 

Scène X 

MYRTILLE, LIANE 

Myrtille s'approche. 

Liane, sursautant. — Non, non, va-t'en! va-t'en, toi 
aussi !... 

Myrtille. — A la minute, mais, écoute, tu as été 
particulièrement maladroite. Tu as accumulé gaffe 
sur gaffe... Dans une circonstance pareille! 

Liane. — Tu ne peux pas deviner. Je sais, moi, 
pourquoi il est venu exprès quand il y «avait du 
monde... Je sais pourquoi il a recherché cette nomi- 
nation... et pourquoi j'ai raison de tout craindre. 
C'est la débâcle qui- conmience pour moi!... 

Myrtille. — Âla grande bleue, peut-être aussi... 
n'y mets-tu pas assez du tien. Ça fend le cœur d'en- 
tendre des choses aussi affreuses, des choses dont 
vous ne pensez pas, tous les deux, le premier mot. 

Liane. — Oui, nous sommes humains dans la ten- 
dresse, grotesques dans la colère... Des caricatures! 
Ah ! quelle horreur, Myrtille, à l'heure où l'on réalise 
sa vie, ses rêves, ses aspirations, à l'heure où il ne 
devrait plus y avoir entre soi que la douce émotion 
d'en être arrivés là, cette levée de boue qu'on ne peut 
pas retenir... toute la vase accumulée en soi... on dé- 
gorge tout ça, et la vie devient un baquet ! Va, va 
aux Folies, explicjue-leur, n'est-ce pas, dis (jue ce 
n'était rien, que je vais mieux... .Te me fie à toi... 
Replâtre la façade, si pos.sible... 
' Myrtille. — Je vais surtout tâcher de museler les 
potins! Il n'y a que Lorédan... 



L'ENFANT DE L'AMOUR 



13 



Liane, agitée, pressée que Myrtille ait disparu. — J'ai 

besoin d'une solitude complète devant ce papier à 
lettres, car je vais lui écrire une lettre carabinée... 
Veux-tu dire, en sortant, à la femme de chambre 
qu'elle monte même se coucher. Je vais passer ma 
nuit ici. 

Myrtille. — Tu vas te faire du mal, encore, à 
remuer les souvenirs ! 

IjIANE. — Laisse, je n'en puis plus... 

Myrtille. — Et donne-moi un coup de téléphone, 
demain, chérie bleue... 

lîlANE. — Oui, oui, c'est ça. (Myrtille l'embrasse trois, 

quatre fois, abondamment.) Ne cherche pas un mot de 
la fin, tu n'en trouverais pas... Amusez-vous, vous 

qui le pouvez... (Myrtille sort. Liane, qui l'a poussée jus- 
qu'à la porte, éteint le lustre, tire les rideaux de la galerie 
puis va au secrétaire, allume une petite lampe et se précipite 
sur sa plume.) A nouS deUx!... (Elle s'installe. Elle écrit 
fiévreusement. On l'entend murmurer.) Ce n'est paS aSSez, 

ce n'est pas assez ! « Monsieur... » (Elle rejette la plume 

et mord son bracelet. Au bout de quelques secondes, la porte 
s'ouvre discrètement. Maurice entre sur la pointe des pieds. 
Elle sursaute. Elle a cru que c'était Rantz. Avec humeur.) 

Ah! ce n'est que toi! Qu'est-ce que tu fais ici... De 
quel droit? 

Scène XI 

LIANE, MAURICE 

Maurice, interloqué. — Je te demande pardon de 
te déranger. Ne fais pas attention. Raymond m'avait 
dit que tu étais partie au théâtre avec les autres... 
Figure-toi que la petite, dans sa précipitation, a 
laissé sa bourse, son sac... 

Liane, reprenant la plume et scellement. — - Eh bieil, 

l)rends, prends, dépêche-toi, et file vite... Tu es re- 
venu de Montmartre pour ça!... 

Maurice, il 'cherche en parlant autour de lui. — Aline 

a été un peu souffrante en route... toujoui-s son 
point de côté, je crois une menace d'appendicite, je 
l'ai ramenée chez sa mère, vite, en auto. Elle m'a 
dit de venir reprendre... son sac pour demain... Je 
te croyais partie, sans quoi, je ne me serais pai? 
permis de monter... Ahl voilà! (ii prend le sac sur le 
piano.) Ne te dérange pas. Adieu, maman... 

lilANEi. — Bonsoir... (Au moment où Maurice franchit 

la ix)rtc sur la pointe des pieds.) Ah! au fait! J'y pense... 
Toi aussi, tu es délicieux! 11 paraît,... c'est le com- 
ble!... il paraît, malgi'é mes recommandations, que 
lu t'es affiché dans un café, à un match de hillard, 
à la Porte-Maillot, est-ce que je sais!... de façon 
à ce que cent personnes t'aient vu !... 

Maurice. — Oh! maman, c'était une petite poule, 
je me suis laissé entraîner... 

Liane. — Voilà tes attentions, tes délicatesses, 
quand on te demande quelque chose, aussi, à toi!... 
Tous pareils, les hommes!... les hommes! du j)remier 
au dernier!... 

Et son poing généralise sur la table ce qu'elle pense du 
genre humain. 

Maurice. — Je te demande pardon... Je ne recom- 
mencerai ])lus... Qu'est-ce que tu as, maman, tu souf- 
fres?... Tu parais dans un état... 

TiiAXE. — Je me deman<le ce que ça peut bien te 
faire, grand Dieu!... 

Maurice. — Ça dépend comment tu l'entends... 

Liane. — Que j'aie du chagrin... que je crève! 
Ab bien, oui !... pouiTU que je sen-e à tout le 

lîiondo ! (VMc a dit cette phrase dernière do toute «;a fureur.) 



Maurice. — Tu es injuste, maman... Je ne sais 
ce qui peut te boulevereer ainsi, et je ne me pennet- 
trais pas de te le demander, mais sois sûre que cela 
me fait peut-être plus de peine que tu ne Timagines. 
Je ne te demande rien. Je ne me permets pas de te 
poser une question pas plus que je me suis permis 
jamais de t'en poser, mais sois sûre que si tu n'es pas 
aussi heureuse que je le croyais... 

Liane, l'interrompant en éclatant. — Hcureuse!... Na- 
turellement! Parce que je ris... J'ai toujours été 
comme ça: je ris... c'est de la façade... On ne peut 
pas savoir... J'ai toujours eu à défendre mon bon- 
heur, au contraire. Je l'ai toujours senti menacé, 
et avais- je raison!... Ah! ce qu'il faut se défendre, 
dans l'existence ! Il faut lutter contre tous ! personne 
ne vous aime! D'abord, je n'ai jamais eu de veine 
dans ma \de!... 

Maurice, avec un sourire. — Maman!... 

Liane, exaspérée, se lève. — Oui, toi aussi, bien 
sûr. Ils sont étonnants! Tu me crois une veinarde 
parce que j'ai eu du luxe, parce que je vivais avec 
l'homme que j'aime. On juge ça du dehors, en pas- 
sant, mais si on voyait l'intérieur, ce qui se passe. 
Mon Dieu! mon Dieu!... J'ai un chagrin... c'est in- 
juste, ce qui m'arrive, c'est injuste!... (Elle éclate 

cette fois en larmes sur le piano. Un temps. Puis durement.) 

Allons!... décampe... 

MauricEi, hésitant à s'en aller. — Je ne sais que te 
dire, maman !... Dans ton chagrin perce, à mon égard, 
je ne sais quel vague reproche!... 

Liane. — Penh! C'est dans le tas! Pas d'impor- 
tance! Bonsoir! 

Maurice, insistant avec une petite expression rancunière 

et têtue. — Si, un rcprochc d'exploitation un peu > 
aigre, contre lequel je suis complètement désarmé. 
Je ne sais que te dire, mais peut-être y a-t-il en 
moi des sentiments à ton égard qu'il m'est bien diffi- 
cile de te montrer. En tous cas, c'est la première fois 
que tu semblés,- oh! je ne dis pas les réclamer, mais 
même y faire allusion. Avoue que, si j'avais eu 
l'envie de te les montrer... Tu m'as tenu toute ta vie 
en dehors de tes plaisirs et de tes peines... 

Liane. — Parbleu !... Et comment voudrais-tu 
qu'il en soit autrement? 

Maurice. — Mais je ne réclame rien!... C'est toi 
qui, à la minute, me dis que ton chagrin m'est indif- 
férent... car tu ne me l'as pas envoyé dire. Je te ré- 
j)onds simplement, sans bien savoir ce qui t 'arrive en 
ce moment, que ce n'est pas vrai... voilà tout... bien 
moins vrai, bien moins que tu ne peux le croire... 

U lui prend la main qui traîne sur un coussin, hésite, 
et la lui embrasse. Elle le regarde, étonnée, comme si 
une goutte d'eau lui était tombée sur la main. 

Liane. — Pourquoi ra'embrasses-tu la main? Tu 
peux bien m'embrasser comme d'habitude! 

Maurice. — C'est vrai!... C'est maladroit. J'ai 
voulu te donner un baiser qui ne soit i)as comme les 
autres, et, alors, je t'ai pris la main... C'est idiot!... 

(Il reste ainsi gêné, rouge, souriant.) Voilà, je m'en Vais, 

maman. Ne te fais pas trop de misère, va... Je suis 
snr que ça passera... c'est rien! c'est rien! 

9 

Il va se retirer. Kllc l'appelle. 

Liane. — Maurice! 

Maurice, revenant gcnc. — Quoi? 

Liane, le regardant attentivement. — AlorS,... tu penses 

quelquefois à moi? Je ne te suis ]>as indifférente? 
Dis-le-moi... ça me fera peut-être du bien. 

Maurice, avec un geste, mais vite reprimé. — Ah ! ma- 
man, si je pouvais parler!... Mais il vaut mieux pas. 



14 



L'ILLUSTRATION THÉÂTRALE 



Liane. — Si, parle, au contraire, je Texige... Parle../ 

Maubice, secoue la tête. — Non. Il ne faut pas se 
laisser aller à dire des choses, nous le regretterions 
après... 

Liane. — Pourquoi! 

Maubice. — On est dans le vrai quand on ne 
parle pas, toujours. Ce soir, tu es malheureuse, 
crispée... mais... après, on se souvient, ça gêne, ça 
dérange l'existence. Non, il vaut mieux pas! Je sens 
déjà que j'en ai trop dit! 

Liane. — Mais tu te trompes, Maurice. Tu ne 
sais pas, au contraire, comme ça peut faire du bien 
d'entendre, à certaines heures, des paroles inatten- 
dues. Alors, tu as de l'affection pour moi?... Non, ce 
n'est pas ce que je veux te dire, je sais bien que tu 
as de l'affection, mais, enfin, n'est-ce pas? je te 
croyais plutôt... 

Maurice. — Plutôt sec, n'est-ce pas? 

Liane, gênée. — Pas absolument, mais... 

Mauricsl — Si, dis-le donc!... Enfin, je venais 
plutôt ici, comme ce soir, n'est-ce pas? où tu as cer- 
tainement pensé que c'était pour te taper... 

Liane. — Voyons, Maurice, ce n'est pas en ques- 
tion. 

MaUBIOE, avec une décision énergique, et, comme s'il 

prenait un parti. — Ça m'ennuie beaucoup, ces 
échéances, je suis enchanté, même, que tu m'en aies 
parlé sur ce ton... Que veux-tu, ce n'est pas' tout à 
fait de ma faute si je suis un cancre? je n'ai pas eu 
une éducation assez suivie... ça m'ennuie beaucoup de 
ne pas avoir une position, de rester un raté. Je n'y 
puis rienl Cependant... 

Liane. — Qu'est-ce que tu vas imaginer là ? 
C'est bien la moindre des choses. Je suis trop heu- 
reuse de subvenir à tous tes besoins. Ta vie me 
regarde. C'est moi, ta mère, qui dois me charger de 
(*e soin. Evidemment, nous devrions nous voir plus 
souvent, et pour d'autres occasions que ce côté ma- 
tériel, mais tu sais bien que la maison- t'est cependant 
ouverte, dans la mesure du possible. 

Mauricje. — Mais oui, mais oui ! 

Liane. — Evidenmient, je ne peux pas non plus 
t'associer, te mêler à une vie qui est plus dure que tu 
ne penses à organiser. Tu sais bien, toi-même, que les 
convenances s'y opposeraient. 

Maitrice. — Mais oui. Je sais qui je suis. 

Liane. — Je ne me dirige pas comme je veux. Ce 
n'est pas commode, va!... avec un homme comme 
Rantz... 

Maurice. — Mais oui, je sais bien que je ne peux 
agir qu^avec beaucoup de discrétion. Je t'ai montré 
que je comprenais. Je crois m'être toujours tenu à 
ma place. Pourtant, maman, entre nous deux, ne 
dis pas seulement les convenances... il y a autre 
chose qui nous a toujours séparés, et qui, depuis 
quelques années, a fait de moi presque ton ennemi. 

Liane. — Quoi donc? 

MaURICTEî, haussant les épaules et souriant. — Eh bien, 

voyons, maman, mon âge! 

Liane. — Voyons... Tu es fou!... Quelle idée!... 
C'est faux. 

Maurice. — Et puis, c'est forcé, c'est naturel et 
pas bien nouveau. D'ailleurs, maintenant, voilà une 
autre période qui s'ouvre pour moi... mais les quel- 
ques années qui viennent de s'écouler, c'a été quel- 
quefois un peu dur! 

Liane, sr retournant. — Oh! Tu es injuste, à ton 
tour... Est-ce que je ne t'ai pas crâté, quand tu étais 
tont petit? est-ce que... 



Maurice. — Jusqu'à huit ans, parbleu, oui I... 
Mais, même dès cet âge-là, je n'avais pas été long, va, 
à deviner l'ennemi que j'avais en moi-même, avec ma 
taille qui poussait trop vite... Les enfants sentent 
très bien ces choses-là. Ils prennent aussi très bien 
l'habitude de n'en pas parler... Tiens! La première 
fois que tu m'as fait couper mes cheveux longs, 
j'avais déjà compris, rien qu'à la façon dont tu re- 
gardais ma coiffure en brosse. Tu m'as mesuré, de la 
tête aux pieds, d'un seul regard, mais d'un regard !... 

Liane. — Quoi ? Qu'est-ce que tu vas chercher 
là, maintenant?... Si tu as éprouvé cette appréhen- 
sion, enfant, tu t'es trompé, voilà tout... 

Maurice. — Oui? Et la dernière fois oii tu m'as 
pris au théâtre, car c'a été la dernière fois... j'avais 
douze ans... c'est beaucoup!... Je te tenais le bras, 
dans un couloir de l'Opéra-Comique... il y avait 
une glace au fond, et tu nous regardais avancer 
tous les deux dans la glace, en marchant. Je t'ar- 
rivais à la taille, et toi, tu levais la tête. Tu jugeais 
la situation. Alors, instinctivement, moi, je me bais- 
sais un petit peu pour me rapetisser. On sent très 
bien le danger quand on est gosse! Tu m'as lâché 
le bras, tu t'es recoiffée un peu, mais je n'ai pas 
oublié ton regard posé sur moi... dur, sec, presque 
méchant... 

Liane. — Je ne sais vraiment pas ce que tu vas 
imaginer et rechercher, Maurice. Il faut tenir compte 
qu'à ce moment-là j'étais une femme extrêmement 
libre, ayant besoin de sa liberté, de sa jeunesse, 
aussi, de sa coquetterie... 

Maurice. — Voyons, maman, c'est trop naturel, 
c'est tout simple. Mais, tu me demandes de parler! 
alors je te dis qu'il y a dix ans que je comprends 
la situation à fond... mais que mon silence n'est 
pas aussi... borné que tu crois!... Je ne suis pas un 
échantillon bien rare, va!... Nous sommes beaucoup, 
dans la vie de Paris, comme ça. Dans les bars, dans 
les endroits où l'on traînasse, nous sommes beaucoup 
qui avons une mère dont il ne fallait troubler ni 
la vie, ni le luxe, ni la beauté, à aucun prix... Nous 
avons vécu loin d'elle parce que c'était forcé, et ça 
ne demande même pas d'explication... On monte 
chez elle, le dimanche matin... ou. par-ci par-là, 
à minuit, entre deux portes... Nous devons %4vre dans 
votre ombre... nous devons respecter cette beauté et 
cette vie qui nous est fermée. Ah! oui, nous sommes 
plus d'un, et nous nous connaissons... nous nous ren- 
controns dans les mêmes endroits. Il y a le fils de 
Liane de Rancy, il y a le fils d'Odette de Vanvres; 
il y a... à quoi bon les énuraérer, hein? Tout ce que 
nous pouvons faire, c'est d'échanger avec vous, quand 
vous passez en voiture, un petit sourire, de vous 
envoyer, de loin, un petit salut discret. Oh! je ne 
voudrais pas même que tu croies à des reproches... 
Seulement, tu demandes pourquoi on ne se parle 
pas, alors qu'on a dans le cœur des tas de choses 
(jui voudraient peut-être bien en sortir... L'habitude 
du silence... une pudeur... on voudrait... et puis im- 
possible... c'est plus fort que moi ! 

LiANR. — Eh bien, mais, il fallait, il fallait,... 
Par moments, au contraire, je te croyais un enfant 
renfermé, gi'ocmon, même, car tu étais maussade... 

Maurice. — Ah ! c'est que, enfant, si on ne com- 
prend pas bien tout, en revanche» on voit... Je suis 
entré, un jour, quand tu as eu une rupture, je crois, 
avec un jeune homme que tu aimais beaucoup, celui 
qui ('tait aloi*s le petit Bechetal... 

[jANE. — C'est exact... 



L'ENFANT DE L'AMOUR 



16 



Maurice. — Tu devais souffrir, parce que, quand 
je suis entré, ce jour-là, tu étais près de lui, à 
genoux, et tu pleurais, et tu lui tenais les mains, et 
tu l'embrassais... tu pleurais tellement que ça t'était 
bien égal que je sois là ou que je n'y sois pas! Tu 
ne faisais pas plus attention à moi, que si je n'exis- 
tais pas. Je suis resté contre la porte, et j'entendais 
les mêmes mots que ceux que tu me disais: « Mon 
petit, mon chéri, mon amour adoré... » Et ces mots, 
qui étaient dits à un autre que moi, et ces baisers 
pour un grand, qui étaient les mêmes, avec des 
pleurs en plus , tout ça, ce sont des coups immenses, 
des bouleversements dans les petites têtes... Le lende- 
main, je n'ai plus jamais osé t'embrasser de la même 
façon ! 

Un grand silence. 

Liane. — Mais c'est triste, ce que tu me dis là, 
Maurice, c'est triste comme tout!... Evidemment, 
des femmes dans ma situation devraient faire plus 
attention qu'elles sont mères, mais c'est incompatible 
avec l'exigence de la vie qui vous entraîne! Si j'ai 
eu peut-être des torts irréfléchis, ils sont lointains 
maintenant ; je n'ai plus ni les mêmes raisons de me 
cacher, ni toi les mêmes raisons d'avoir honte ! 

MaXTRICE, fièrement et gaiement. — Oh! mais, je n'ai 

pas honte de toi, maman, ne le crois pas! Ce n'est 
pas ça... C'est des questions personnelles de toi à 
moi, sans quoi, je ne me pose pas en fils honteux, 
ou en fils martyr!... Je suis très fier de toi!... Les 
amants de ma mère!... Eh bien, quoi... quoi?... Après 
tout!... Hein? Et d'abord je n'y pense plus! Ta 
vie avec Rantz m'a mis à l'abri de tous les ennuis 
que je pourrais éprouver dans cet ordre d'idées. 
Et puis, même, ça m'est bien égal! Quand j'en ren- 
contre un, de tes anciens amis, je m'en tire très 
bien. Tiens, il y a ce Smiloff, qui m'a connu petit, 
ici, qui a toujours été trts gentil avec moi; ma foi, 
je suis resté en très bonnes relations avec lui. Il 
n'y a que ce prince d'Erimberg qui m'insupporte. Il 
a un petit ton odieux, quand il me rencontre; il 
nie tape sur l'épaule, avec une familiarité un peu 
méprisante, aux courses ou ailleurs, et puis, il 
affecte tout haut de me dire, en faisant sonner Vr: 
« Et votre mère, elle est toujours avec la RRKt' pu- 
blique?... » 

Liane. — Maurice!... 

Maurice. — Eh bien, tout ça m'est égal... Je suis 
fier de toi... parfaitement. Si j'ai souffert, peut-être, 
parce que la vie t'avait faite jolie, j'en étais, aussi, 
très fier. Je suis heureux encore, quand on parle de 
toi, même dans les journaux... Ça me fait plaisir, 
je suis joyeux de voir ton nom cité par Lorédan, 
dans les comptes rendus de première .. Je suis heu- 
reux de tout, parce que c'est toL 

ToIANB. — Maurice, comme c'est gentil, ce que tu 
me dis là! 

Mauricr — Et ce qui nie prive, ce qui me prive 
réellement, c'est de ne pas être un peu de ta vie. Tu 
comprends, j'ai eu une demi-enfance; mon enfance 
s'est arrêtée net. Alors il y a un arriéré. 

Ltanu — Mais, Maurice, mon enfant, as-tu vrai- 
ment été privé? Ecoute, tu me troubles, infiniment, 
tu m'ouvres des aperçus... qui me jettent tout à coup 
dans une perplexité infinie... Je me demande... 

Maurice, s'exaltant. — Si je n'avais pas été choyé 
du tout, je n'y penserais pas, tandis qu'encore main- 
tenant, maintenant que je suis grand, un homme, je 
sens en moi comme une enfance ratée, un besoin de 
tendresse qui n'est pas de mon âge. Il me semble que 



je n'ai pas eu mon compte. On m'a fait passer du 
salon à la cuisine, ce salon oii je rentre en étranger 
maintenant, sur la pointe des pieds, et où je me vois 
encore, en robe, là, courir, avec des nœuds bleus 
dans les cheveux, entre les meubles... Tiens, ce fau- 
teuil, où je me suis cogné, enfant... 

Liane, vivement. — Mais non, mais non, Maurice, 
ces privations, tu crois les avoir eues... ces choses-là, 
tu ne les sentais pas, enfant, c'est maintenant, avec 
ton intelligence que tu les crées... 

Maurice. — Je ne les sentais pas ! Ah ! par exem- 
ple! J'ai tout senti, va! Je sentais que tout allait 
m'échapper ! Mon cœur ne battait pas, non !... Quand 
je me couchais, le soir, j'avais le pressentiment qu'on 
ne voulait pas de moi et que j'allais démarrer. Et je 
voulais me raccrocher... Ainsi, un matin que tu m'ap- 
pelais, en haut de l'escalier, j'avais douze ans,... que 
je me suis blessé dans l'escalier, tu te rappelles? 

Liane. — Mais oui, je me rappelle, tu avais un 
trou au front, tu saignais !... 

Maurice. — Eh bien, c'est parce que j'avais en- 
tendu ta voix, et j'avais trop couru pour être plus 
vite près de toi. 

Liane. — Maurice !... mon petit !... (Elle lui prend la 

tête. Klle l'embrasse avec émotion. Ils s'étreigncnt.) Mais 

je t'aime bien, tu sais, je t'aime! Tu as eu raison 
de parler. Embrasse-moi... 

Maurice. — Comme un gosse! Que c'est bon! 
Que c'est bon! Comme un gosse, la tête sur ton 
épaule, maman!... 

Liane. — C'est bien mieux d'avoir parlé, nous 
allons nous comprendre, maintenant, nous serons 
des amis... nous en avons besoin. Moi aussi, va, j'ai 
des chagrins, je souffre d'inquiétude, j'ai toujours 
été inquiète; tu comprends, nous autres, nous ne 
dépendons que de la valeur de notre beauté, de ce 
qui en reste, même. Aloi-s, bien sûr, on lutte avec 
ses armes. Puis Rantz ne t'aime pas, naturellement! 
C'est compréhensible, mais tout cela peut s'arranger. 
Je serai très différente, maintenant. Ainsi, cette mai- 
son dont tu parles, «ce salon, ta chambre, là-haut, eh 
bien, puisque tu dis que tu souffres de n'y être ja- 
mais revenu autrement qu'en visite, eh bien, ça te 
ferait-il plaisir d'y rester, ce soir, de coucher ici ? 

Maurice. — Coucher ici?... Moi?... 

Liane, gaiement. — Mais oui, chez moi! dans ta 
cliambre blanche d'enfant, comme autrefois, là-haut! 
A moi, ça me ferait un grand plaisir, parc^ que, jus- 
tement, ce soir, tu ne peux pas savoir, j'ai une 
impression de solitude, d'abandon, glaciale ! La pensée 
qu'après avoir bavardé je ne serai pas toute seule, 
que tu respireras dans ta chambre, comme autrefois, 
eh bien, tout à coup, ça me fera une douceur, ça me 
calmera, il me semble que je dormirai mieux !... Oui, 
reste, reste!... 

Maurice. — Tu veux bien !... Tu veux bien !... Ah ! 
Tu ne peux pas savoir la joie que ça va me faire! 
Si j'accepte?... Je crois bien! Que tu es gentille! 
Tiens, je suis presque ravi de t'avoir trouvée ce 
soir, en larmes, et que tu m'aies attrapé, parce que ça 
a permis des mots qui ne seraient jamais sortis au- 
trement!... Dans mon propre lit! Ah! Quelle bonne 
idée!... Tiens, c'est peu, c'est bête, mais tu ne sais 
pas la joie que tu vas me faire!... Dix ans que je 
n'ai pas couché ici !... 

Liane, le regardant s'exalter avec un sourire joyeux et 

encore étonné. — Mou Dieu ! ce n'est pourtant pas 
grand'chose ! La femme de chambre n'est pas montée 
i;ans doute. On va te faire ton lit... 



16 



L'ILLUSTRATION THÉÂTRALE 



Maurice. — Ah ! non, je te jure bien que je n'en 
fédérai la joie à personne! Je veux le faire moi- 
même... Ça, c'est comme à la chambrée!... Je te jure 
(^ue je saurai retourner le matelas, je n'ai besoin 
que d'une paire de draps et d'un travei-sin. (ii ouvre la 

porte et appelle de toutes ses forces:) Raymond! Etes- VOUS 
là ?... (Il se retourne vers sa mère.) Tu vas Voir ça !... 
Il sort en appelant: Raymond! Elle rit, se lève et dit. 

•Liane. — Ah ! C'est bon... c'est bon !... (Elle va au 

bureau où elle écrivait la lettre. Elle murmure:) Bah! de- 
main !... J'ai bien le temps !... (Elle hésite encore, jette la 
plume, et prend la lettre à la main comme pour la plier. La 
porte de la galerie s'ouvre, Kantz entre. Elle sursaute:) Toi!... 

Scène XII 

LIANE, RANTZ, puis RAYMOND 



Rantz. — Oui, moi. Qu'est-ce que c'est que ce 
bruit dans la maison? 

Liane, vivement. — Rien, rien. 

Rantz. — Je pensais bien que tu ne serais pas 
allée au théâtre. Je me suis dit que nous ne pouvions 
pas rester sur une impression aussi fâcheuse... et je 

suis revenu. (Liane alors va précipitamment à la sonnette 
près de la cheminée, et sonne.) 11 m'a semblé (jue les 

mots de tout à l'heure n'étaient pas ceux qui devaient 
clôturer cette soirée... 

Elle déchire définitivement les derniers morceaux de la 
lettre qu'elle tenait dans la main. Raymond entre. 
Elle va précipitamment à lui. 

Liane. — Ah! tant mieux si tu t'en es aperçu. 

Rantz. — Qu'est-ce que tu fais? 

Liane. — Rien, un ordre que je finis de donner. 
Rajrmond... 

Rantz. — D*ailleui-s, tu m'écrivais? 

Liane. — Oui, oui... je t'écrivais. (.\vec volubilité, et 
bas, à Raymond.) Raymond, vite, prévenez M. Maurice 
à qui j'ai dit de rester, qu'il s'en aille, qu'il s'en 
aille tout de suite. Ce n'est pas possible, aujour- 
d'hui. Monsieur reste, monsieur va rester... Expli- 
quez-lui, n'est-ce pas? Ce sera pour une autre fois. 
Dé péchez- vous I Passez par là!... 

Elle montre l'autre porte par où est sorti Maurice. 

Raymond. — Bien, madame! (il sort.) 
Rantz. — Dis que j'ai été dehors, dans la rue, 
j'ai eu nettement l'impression que nous venions de 
commettre, vis-à-vis de nous-mêmes, en public, une 
espèce d'attentat moral, très déplaisant, vilain, à un 
moment important de notre existence, un jour juste- 
ment sérieux, où je n'ai aerité que des choses rai- 
sonnables, des idées d'équilibre. Il me serait pénible 
de penser que nous allons nous coucher sur une 
situation aussi fausse... Ce n*est pas ton avis? 

I^ANB, métamorphosée déjà. — i\lais si. Paul, je ne 

demande pas mieux, Paul, que de réparer... 

Rantz. — Tu as en tort, tu as eu tort... d'abord 
('PS invitations, et puis, ensuite, d'attaquer très mal 
noire colloque... Enfin, ne revenons pas là-dessus, 
c'est fait... 

Liane, les maîns presque jointe*:, htimblc — Je Crois 

que c'est réparable, de mon ooiô, ]e suis prôte à... 

Rantz. — Oh! réparable!... Il y a entre nous. 
Liane, des dissentiments profonds, il y a ]i1ms que 
dos dissentiments, il v a des abîmes \ons n'avons 
])lus la même conception de la vie. On dirait que 
nous sommes deux rails qui ont côtoyé le mrMne clic- 
njin, et puis (|ui, tout à coup... rSiiiiui.) 

LiAXK. — Je me disais bien que ton calme faisait 

FIN DU PRKMIEK ACTE 



présager des paroles peut-être plus terribles que 
celles de tout à l'heure... 

Rantz. — Non, Liane, je t'assure, n'interprète pas 
mon mouvement, qui m'a fait revenir ici, dans un 
sens qui n'est pas celui qui me l'a dicté. Je suis venu 
tout simplement te tendre la main, pour <jue notre 
séparation de ce soir soit plus digne de nous... 

Lianes, se lève en sursaut, comme si elle revenait à la 

réalité. — Tu ne restes pas, alors? 

Rantz. — Non... J'ai d'abord mille choses à faire... 
De la correspondance jusqu'à trois heures du matin... 
Demain matin, je te l'ai dit, il faut que je sois chez 
le président du Conseil, et puis à l'Elysée... 

Liane, les yeux implorant. — Cependant, maintenant 
que nous sommes seuls, Paul, tu ne juges pas qu'il 
serait bon d'essayer de dissiper, peut-être, ce malen- 
tendu? Et puisque tu vas accepter ce poste... 

Rantz. — Oh! non... plus tard... Surtout, pas 
de paroles... Comprends-moi, nous abîmerions, au 
contraire, par de vaines et désagréables réflexions, 
ce que notre geste aura de bien et de réparateur. 
Ne parlons ni affaires, ni sentiments. Plus tard, 
nous nous inteiTogerons et j'espère, pas sur le mode 
injurieux, mais sur le mode gi*ave que comportent les 
circonstances. Pour l'instant, laissons, au contraire, 
toute sa concision à ce retour réciproque; disons- 
•nous bonsoir en amis et d'une façon enfin digne de 
nous. 

Liane, suppliante. — Mais, Paul, peut-être... au con- 
traire... 

Rantz, l'interrompant. — Je t'en prie, nous ne som- 
mes pas en état de nous dire autre chose. N'abîmons 
pas par une maladresse la signification de cette 
simple poignée de mains que je suis venu te donner... 
qui est bien, très bien, je t'assure... (il lui prend la 
main, la lui serre.) Allons! au revoir. 

II va lentement à la cheminée, secoue son cigare. Klle 
est assise sur le canai)é. Elle fait un geste vague: 
« Au revoir! » Il sort. A peine est-il sorti qu'elle se 
lèvi , légère, hâtive, et se précipite sur la porte opposée. 

Liane, appelle à voix basse. — Raymond!... Ray- 
mond!... Raymond!... 

Elle revient dans le salon, épie la porte opposée comme 
si elle craignait maintenant que Rantz revienne. Une 
seconde. Raymond arrive précipitamment. 



Scène XIII 

LIANE, RAYMOND 

Liane. — Ecoutez, non, je me suis trompée. Rien 
de changé, monsieur ne reste pas. Dites vite à 
M. Maurice que rien n'est changé... qu'il ne s'en aille 
pas surtout... Faites-lui sa chambre comme il Ta dit. 

Raymond, interloqué. — Mais, madame... 

Liane. — Eh bienf 

Raymond, avec hésitation. — Mais, madame, 
M. Maurice est parti... (Sîiencc.) 

Liane. — Ah !... Tl est... 

Raymond. — Oui, madame m'avait donné l'or- 
dre... alors... 

Liane, détourne la tête. — Kt... Qu'est-ce qu'il a 
dit quand vous lui avez annoncé... 

Raymond. — Rien... II a dit : « Ah!... C'est bien! » 
Il a pris son cha]ieau. 

Liane. — Et c'est tout? Il n'a rien dit d'autre? 

Raymond. — Non, madame... Il est parti... 

LiAXK. — ("est bien... Allez. 

Raymond ?ort. Ucslôc seule, clic regarde les deux portes, 
elle baiîisc la tûe. Klle pleure. 



L'ENFANT DE L'AMOUR 



ACTE II 

Le décor représente tin appartement mansardé sur le jardin du Palais-Royal. Plafond bas. Deux portes- 
fenêtres donnant sur ta balustrade du Palais-Royal. Au lever du rideau, à une table, buvant des cocktails avec 
de grandes pailles, et fumant, Maurice^ Raymond et le jockey Bowling jouent auj: cartes. Au premier plan, 
Aline et Matoule causent à voix basse, près de la salamandre allumée. La pièce, toute rose, a un air de 
garçonnière. Mélange de meubles dépareillés, les uns chics, cadeauJ: sans doute de Liane Orland, les autres 
tx'térocUtes. Tabourets de bar; au mur, gravures de sports, têtes de biches. Du dr'sordre. Fournitures d'Aline, 
cartons, les chapeaux traînent un peu partout. 



Scène première 

jrAURirE. RAYMOND, LE JOCKEY BOWLING, 
ALINE. MALOUTK 



- Shut up! Shut upf 



Lk JoCKET, sutant a 

Aline. — Flûte! 

Ratuosd ahai une cart*. — J'ai Mmpiis. Ça veut 
tliie : [( Ta boite ! » en espagnol... Du manillan, pan ! 

Ai.ise w lève. — lia ne vont pas avoir bientôt fini 
leur partie! C'est assommant. Maurice n'a pas l'air 
lie s'amuser plus que cela. Il est joli, heinf 

Maloute. — Il est épatant! 

Aline. — Rt gentil, si tu savais! Tu ne le con- 
naissais pas? 

Maloute. — Je l'avais vu t'aceompagner une ou 
deux fois à la porte du magasin. 

Aline. — Alors, tu me eomprendsî 

Maloute. — Si je te eomprends! On ne fait pas 

Alin'i;. — Seulement, je ne via pas, non, je ne 
\is pas. On se rarrache de tous côtés. Tu ne lui 
feras pas la courï 

Maloute. — Oh! moi, les nmia des autres, c'est 
comme l'argent des pauvres: e'est sacré. 

Raymond, lout i coup. — Ah! bougre de n. de D. ! 



Mes enfanta! Quelle ebaleur il fait chez vous. Vous 
chauffez à blanc! Une seconde. Permettez que j'en- 
lève ma vestef (tl k ni.-t m m>ni:hcs dr chcmisf.) 

MALOUTii. — Il est plutôt mal embouché, voli-e 
M. Eaj'mond. Qu'eat-ce que c'est exactement f 

Aline. — C'est... (Rlic hésite.) Il n'a pas de situa- 
tion sociale bien définie. Enfin, c'est un ami de In 
i.ière de Maurice. 

Malodtb. — Ali! bien, pourquoi se fait-il une 
tète de larbin f 

Aline. — Pour ressembler il un magislrat! On ne 
le voit pas souvent, mais il est utile à Maurice parce 
qu'il connaît un tas de bookmakers... C'est lui qui a 
invité Bowling afin d'avoir des tuyaux Burs... pour 
demain, au pnx du Conseil municipal. 

On frappe d la porte. 

Maurice. — Qu'est-ce qu'il y a? Ne nous dérangez 
pas. La paix! 

On entend h voix cIl- la bonne ikrriére la porte. 

Nathalie. — Monsieur, c'est un bouquet. 
Maurice. — Un bouqiietf Kh bien, enli-e?., eiili-ez! 
Aline. — Qu'est-ce que c'est que ça? 

La bonne cnlre. 

ÏLtiTBiCE. — Vous permettez, mes enfauls, une 
seconde, (il ^e lève.) Il n'y a pas do réponseî... Tiens. 



18 



L'ILLUSTRATION THEATRALE 



Nathalie. — On est reparti. 

Aune défait renveloppe du bouquet. — Il y a une 
carte... (Elle lit.) Myrtille Déneige, Ah ! ça c'est 
trop fort, par exemple!... Non, c'est trop fort!... 
On t'envoie des bouquets, maintenant... Comme à une 
femme, comme à ime grue... Et c'est cette esthète de 
beuglant ! 

KUe lance 1c bouquet dans les bras de la molle petite 
blonde. 

Maurice. — Allons, allons, du calme. Est-ce que 
j'y peux quelque chose, moi ? 

Aline. — Tu vois, tu vois que tu me trompes!... 

Maloute. — Aline... 

Maurice. — Mais, mon chéri, je te jure que je 
tombe des nues. Ça n'a aucun sens. Je ne sais pas! 
Elle m'envoie ce bouquet parce que c'est une tourte... 
et sur réputation... Je ne la connais pas. Je lui ai 
parlé deux fois au pesage, n'est-ce pas, Raymond? 

Aline. — Tu la vois chez ta mère! 

Raymond. — Ah ! la, la ! chez sa mère ! 

Maurice. — Je te jure bien que non, par exemple ; 
ce serait le dernier endroit du monde. 

Raymond. — Je la connais, moi. Déneige. C'est 
une femme qui s'excite sur photogi'aphie ! 

Maloute, riant. — Ah ! Monsieur Orland ! Si vos 
photos étaient aux étalages... 

On rit. 

Aline. — Oui, vous pouvez tous regarder! Le 
voilà, c'est bien lui! Je vous dis qu'on lui fait la 
cour comme à une femme! Tiens, tu m'écœures! Et 
puis demain, ce sera un autre bouquet, et puis ce 
sera encore un autre... Et je trouverai encore des 
lettres dans tes poches... et dans tes paquets de 
tabac... Ah ! ce n'est pas une ne ! 

Maurice, la cajolant avec un gcst«. tendre. — Mais 

je suis désolé, mon chouchou adoré, je suis désolé. 
C'est de la folie de se mettre dans des états pareils... 
Ne pleure pas, voyons ! Je te jure que je ne répondrai 
pas à l'envoi romanesque de ce bouquet. Je te jure 
que je me moque de Myrtille Déneige comme de n'im- 
porte quelle autre femme. Je n'aime que toi. Em- 
brasse-moi, embrasse-moi Wte... 

Aline. — Il ne peut pas sortir sans récolter le 
suffrage de toutes les femmes!... S'il ne vivait pas 
retiré, ah! tu as raison, Loute, quelle célébrité il 
deviendi'ait ! 

Raymond. — Vous n'avez qu'un moyen, mademoi- 
selle Aline, c'est de lui flanquer une bouteille de vi- 
triol par la figure... si le cœur vous en dit ! 

Dans le Palais-Royal, on entend les cris des vendeurs 
d" journaux. 
Le Jockey, lâchant Maloute, avec laquelle il flirtait de 

près. — Hé là!... Hé là!... Vous entendez!.. Jour- 
naux du soir!... Envoyez la bonne chercher un nu- 
méro; il faut absolument voir le discours de papa 
Rantz! 

Il imite un bruit de bouteille débouchée en signe d'Evohé. 

Maurice. — Nathalie ! Descendez acheter les jour- 
naux du soir tout de suite! Vite!... Petite gourde, 
va! Regarde-moi. C'est fini, tu me crois? 

Aline, — Si tu m'aimes! 

Maurice. — Et tu m'aimes? 

Aline. — Si tu m'aimes! 

Maloute. — Sont-ils mignons!... 

Maurice. — Aloj*s, qu'est-ce qu'on va faire de ce 
bouquet ? 

Aline, u prenant sur le canapé. — Il faut le flanquer 
par la fenêtre. 

Klle se précipite vers la fenêtre. 



Maurice. — Hé là! 11 tomberait dans le Palais- 
Royal. Contravention! 

Ils ont couru après elle. 

Aline. — Tu ne vas pas le consen'er! D'abord, 
il n'y a pas de porte-bouquet assez grand ici. 

Maurice. — Non! Et ça? (Il montre le grramophone.) 

Dans la gueule du gramo. Attends!... (ii le plante dans 
la bouche du gramophone.) Le gramo que m'a donné 
maman pour mes étrennes!... 

Aline. — Passe ton mouchoir, Maloute. Regardez- 
moi, maintenant, je suis jolie? Ça me retourne le 

sang, des choses pareilles ! (Elle empoigne Maurice par les 

cheveux et l'embrasse.) Ah! ta sale petite figure! Ta 
sale petite figure !... 

Nathalie^ rentrant et apportant le journal. — Voilà, 

monsieur. 

On se précipite. 

• Raymond. — Discours de M, Rantz à la Chambre.,. 
Le Jockey, mâchonnant son cigare. — Vicux rosse ! 
Vieux rosse ! 

Maurice empoigne le journal et s'assied sur un tabouret 

haut, les autres écoutent. — Le titre, voyons: L'apaise- 
ment. Les postiers ont capitulé. Discours de M, Rantz, 
là, dans le bas de la page: Messieurs, je sui^ heu- 
reux d'apporter à la Chambre la certitude de V apai- 
sement, A la demande d'arbitrage que les délégués 
des postiers avaient proposée au gouvernement, celui- 
ci a cru devoir répondre en faisant valoir les garan- 
ties que leur donnerait la création d'un sous-secréta- 
riat d'Etat. Le programme de réorganisation, que 
j'ai moi-même eu l'honneur d'exposer,.. 

Raymond. — Et voilà pourquoi je suis orléa- 
niste ! 

Maurice. — ...Les agents des postes, grâce à la 
sagacité et à la modération dont noits avons fait 
preuve,,. (Une voix, à l'extrême droite.) 

Le Jockey. — Vieux rosse! 

Raymond. — Allez! Allez! C'est rasant! Nous 
n'en finissons plus. Lisons ensemble. 

Pendant que les hommes lisent, appuyés sur la table, 
Maloute et Aline rangent une corbeille â ouvrage. 

Maloute. — Mais qu'est-ce qu'il a à en vouloir 
comme ça à ce M. Rantz? Il le boufferait! 

Aline;. — Tu n'as pas entendu, tout à l'heure, tout 
ce qu'il a dit? 

Maloute. — Si tu crois que j'ai écouté!... Je n'y 
comprends rien ! 

'Aune. — Tu n'as pas vu comme.il s'emballait? 

Maloute. — Ah! si, j'ai bien vu, parce que c'est 
le seul moment où il m'a lâché le pied sous la table. 

Aline. — Il paraît qu'il a aidé Rantz dans un 
coup douteux, autrefois. Rantz a failli être disqua- 
lifié, mais il a échappé, parce qu'il est très puis- 
sant. Mais c'est un des premiers qui a fait du dop- 
ping. On a fermé les yeux, mais le jockey, depuis 
lors, n'a pas pu courir en France. Maintenant, il est 
entraîneur seulement, et gi*ainetier... Mets le paletot 
du chien... 

Elles prennent le chien hull qui passe sur le balcon. 

Maurice. — Ça y est!... C'est le triomphe, après 



ça 



Raymond. 
Maurice. 



Combien de majorité? 
Ecrasante... quatre cent cinquante 



voix ! 

Le Jockey. — Il y a pas un qui s'est levé pour 
crier: « A Auteuil! » 

Maurice. — Bah ! On a oublié tout cela. A Paris, 
on n'est jamais déshonoré. Et puis, il n'y a pas eu 
de preuve certaine, n'est-ce pas? 



••• 



••• -•. 



• • 



• '•' 



• • 



L'ENFANT DE UAMOUR 



19 



Batmokd. — Il n'y en a pas eu, mais il n'a tenu 
qu'à Bowling... 

Le Jockey. — Si Bibi avait voulu : couic ! 

Il sape quelque chose dans l'air. 

Maurice, remèiant les cartes. — Reprenons notre 
jeu et la conversation de tout à Pheure,.. Alors... 
Quelles preuves? 

Le Jockey, s'asseyant sur le coin de la table. — C'est 

Bibi qui a été chercher à Liverpool le cheval qui 
a été substitut! 

Raymond. — Ah! non, non! Un cheval magis- 
trat, pas possible ! Il n'a pas été substitut !... Subs... 
titué... tué! 

Le Jockey. — Oh! tué!... Oui... Ça ne fait rien! 
Rantz a prétendu que moi seul ai fait le coup... Il 
m'a laissé disqualifier. 

Maurice. — Mais vous avez quelque chose en 
votre possession f Quoif La preuve de la vente du 
cheval abattu... Des lettres... 

Le Jockey. — J'ai mieux que ça! 

Raymond, appelant Maurice. — Dis donc! Dis donc! 
Ferme. J'espère que ce n'est pas pour avoir des 
tuyaux sur le singe que tu m'as prié d'amener 
Bowling ! 

Maurice. — Je complète mon histoire de France, 
quoi! Le règne de mon beau-père! 

Raymond tire Maurice par la manche. — Blague à 

part, tu raconteras tes machines une autre fois. Re- 
garde l'heure: cinq heures! Si tu veux avoir le 
temps de faire un courant d'air pour chasser l'odeur 
du tabac, il n'y a que le temps de dévisser tout le 
monde ! 

Maurice. — Sois tranquille, je ne pense qu'à ça! 
Mais, tu m'as dit qu'elle ne serait en bas qu'à cinq 
heures et demie f 

Raymond. — Oui. 

Maurice. — Eh bien, il reste une demi-heure. 

Raymond. — Ah! si tu étais amoureux, tu serais 
plus pressé. 

Maurice. — Voyons... Qu'est-ce qu'il est convenu 
entre vous deux? Répète voir!... 

Raymond. — A cinq heures et demie tapant, elle 
doit traverser le jardin du Palais-Royal. Elle portera 
un corsage rouge; si la voie est libre et si elle peut 
monter sans crainte, je ne ferai que la saluer avec 
le charmant sourire que tu ne me connais pas, quand 
je passe les poires crassanes, (il fait le geste.) Sinon, 
abordage, et je lui fournis des explications. 

Maurice. — Tu es le protocole lui-même. Reste 
avec moi, bien entendu. Je vais faire déguerpir les 
autres, tu as raison. 

Raymond. — Mais ça ne va pas paraître bizarre 
à Aline? 

Maurice. — Du tout. J'ai dit à Aline que nous 
avions à parler de maman tous les deux... et du 
Zouave, donc!... 

Il se retourne. Le jockey est en train de faire, près du 
balcon, des démonstrations mimées aux deux femmes. 
Il montre en riant Maloute, il témoigne par le geste 
qu'elle a une belle performance. 

Le Jockey. — Solide! Beaux nichons! 

Maurice. — Mes enfants, je vous demande par- 
don, mais les affaires sont les affaires. Nous avons 
à parler et à arranger quelque chose, cet homme et 
moi. 

Le jockey se verse à boire et trinque avec Maloute. 

Aline. — Je ne partirai que si tu me jures, mais 
jurer, ce qui s'appelle jurer, que tu ne me trompes 
pas. Donne une preuve ! 



Maurice, l'embrassant. — Tu ne crois pas toi-même 
à ce que tu dis! 

Aline. — C'est vrai, j'ai confiance, mais ça n'em- 
pêche pas d'avoir peur !... 

Maurice. — Non, tu n'as pas peur, non, tu es 
sûre de moi, parce que j'ai pour toi une affection 
profonde, oui, profonde! Je n'ai aucun mérite à te 
rester fidèle, mou petit chouchou! Embrasse-moi 
encore ! 

Aline. — Je veux bien, à condition que, quand 
j'aurai mis mon chapeau et ma voilette, on relèvera 
la voilette. 

Maurice. — Oui, mais vite... Car j'ai à causer très 
sérieusement de maman avec Raymond; ça ne va 
pas du tout, du tout, les affaires, là-bas! 

Alink — Ne te fais pas de mauvais sang pour 
ta mère. Alors... à lundi, puisque tu vas demain à 
Longchamp. 

Maurice. — Entendu, à lundi. 

Aline, se retournant vers Maloute. — Prends nos cha- 
peaux sur la table de la salle à manger. 

Raymond et Maloute se précipitent sur le chapeau. 
Maurice, au jockey. — Psstt !... (ils parlent bas.) EcOU- 

tez bien... parlez bas... Est-ce que je peux vous voir 
demain matin, neuf heures, chez vous? 

Le Jockey. — Neuf heures, oui. 

Maurice. — Nous finirons la conversation. Ici, 
pas commode!... Vous me montrerez ce qui concerne 
le maquillage du canasson... Ça m'intéresse... Et on 
parlera sérieusement. * 

Le Jockey. — Je parle toujours sérieusement. 

Maurice, voyant Raymond qui les regarde. — NouS 

verrons, chut!... 

Le Jockey. — Oui, shut up! 

Maurice. — Surtout, pas un mot à Raymond. 
(Haut.) En route, mauvaise troupe. Monsieur Bow- 
ling, on vous confie les deux dames. 

Le Jockey. — A moi? Bon! 

Il prend le bull-dog sous son bras et boit encore quel- 
ques gorgées, puis il prend de l'autre main Maloute 
à la taille et esquisse un pas de danse. 

Maloute, se débattant. — Mais qu'est-ce qu'il a? 
Mais qu'est-ce qu'il aî II est complètement dring!... 
Il me secoue comme un caillou dans une brouette! 
(Elle se dégage.) Au revoir, monsieur Orland. 

Maurice. — Au revoir! 

Aline. — A lundi. 

Maurice serre la main au jockey d'une façon appuyée et 
le jockey répond. 

Le Jockey. — Certainly! 

Aline et Maurice se bécottcnt encore en riant. Bowling 
prend les deux femmes par le bras et se dirige vers 
la porte de droite. 
Raymond donne un coup de pied au chien. — Dé- 

grouille, cabot d'écurie! 

La voix de Maurice, qui les accompagne dans l'anti- 
chambre. — Au revoir, petite arpette de mon cœur. 

Bruits de voix, claquement de porte. 



Scène II 

MAURICE, RAYMOND, puis NATHALIE 
Raymond, seul. — De l'air! Ça pue le tabac! 

Il ouvre grandes les fenêtres. 

Maurice, rentrant. — Tu n'as pas idée comme je 
l'aime, la gosse ! Chaque jour, je lui suis plus attaché. 
Je lui découvre toutes les qualités que j'aime chez 
une femme! 



■* f * 



20 



L'ILLUSTRATION THEATRALt 



Raymond, se rapproche de Maurice. — Voyons ! 

Depuis une minute que j'y réfléchis, ça me paraît 
louchardl Pourquoi cette précipitation à me faire 
inviter chez toi le même jour, et à la suite l'un de 
l'autre, Bowling et la petite Rantz ? 

Maurice^ rangeant la table. — Aucun rapproche- 
ment, mon vieux... Et puis, c'est le comble! Quand 
ce n'a été qu'à ta prière et à contre-cœur que je me 
suis décidé à accorder cette entrevue!... La petite 
Rantz et toi l'avez fixée vous-mêmes!... Par consé- 
quent, ne perds pas ton temps en salive et va me 
chercher dans ma garde-robe mon smoking d 'in te- 
neur, tu sais, mon smoking havane? Bien que je me 
fiche de cette petite comme de Colin-Tampon... 

Raymond. — Tu as raison. Fais-toi beau pour 
le principe! 

Il entre par la gauche. Resté seul, quelques fiecondes» 
Maurice se regarde dans la glace, ajuste sa cravate 
et cric. 

Mauricb. — Thalie! Thalieî (U bonne entre.) Vou- 
lez-vous ranger? Enlevez-moi ces verres! Fourrez- 
les dans la salle à manger. Au trot ! 

Nathalie. — Bien, monsieur. 

Elle prend les verres. Raymond cntri avec trois ou 
quatre vestons sur le bras. 

Maurice. — Oh! pas tout ça! Pas tout ça! 

Raymond. — J'ai pris le stock. (D'un geste sacra- 
mentel de domestique, il lui retire son veston et lui passe un 

des smokings.) Tout de même, ça me. trotte!... Si ça 
t'embête tant, pourquoi as-tu accepté de la faire 
venir?... Par politesse? 

Maurice. — Ce sera la première et la dernière 
fois... Elle se marie et je ne pouvais vraiment lui 
refuser une explication qui sera en même temps un 
adieu très net. J'aurais eu l'air d'un imbécile, à la 
fin! Puis, elle l'a demandé si délicatement, dans une 
dernière lettre... 

Raymond. — Oui, demain, officiellement, com- 
mencent ses fiançailles LbCs parents viennent. Petite 

cérémonie... Ton pli, ton pli... (Il donne un coup de main 
net au pli du pantalon à Maurice.) C'est mal rangé, mal 

brossé!... Ahl là! là!... 

Maurice, continuant. — De plus, j'ai mes raisons... 
Celles-ci, mon vieux: je tiens absolument à lui re- 
mettre et sans la froisser les lettres qu'elle m'a 
écrites... C'est avant tout pour ça que je l'ai fait 
venir!... Passe-moi l'épingle. Quelquefois, les lettres 
sont de vieux remords... C'est jeune, ça ne sait pas 
encore... Plus tard, elle pourrait s'inquiéter... Nous 
serons, peut-être, par la suite, dans des termes suf- 
fisamment hostiles... 

Raymond. — Pourquoi, hostiles? 

Maurice. — Eh bien, si tu trouves que la situa- 
tion est belle! Ça va assez mal à la maison, et je 
crois que s'il arrivait ce grand malheur que Rantz 
rompe avec maman, nos deux familles ne seraient 
pas dans des termes à s'inviter à leurs fêtes... Alors, 
je voudrais que cette petite, qui a été très gentille 
après tout, si délicate... et avec laquelle j'ai été tenu 
de rester plus qu'évasif... ne garde pas un souvenir 
équivoque de moi. C'est ma cequetterie! J'ai eu si 
peu l'occasion, hélas! de me présenter à mon avan- 
tage, dans la vie... 

Raymond. — Eh bien, dans ce cas, astiquons ta 
paire de souliers !... Parce que, \Tai !... (A u bonne qui 
range les verres.) Nathalie, uu linge, s'il te plaît, ma 

grosse... (Il est à genoux par terre, prend un bout de la 
serviette que lui passe Nathalie et le passe sur les souliers 
vernis de Maurice qui se laisse faire.) D'abord, ne te fais 



I 



pas de mousse pour ta mère!... Je connais le patron, 
c'est la deuxième fois qu'il joue le grand jeu à Ma- 
dame. Elncore quelques jours de chichi, tout s'ar- 
rangera. 

Maurice^ entr'ouvrant son veston. — Je ne sais pas. 

Raymond. — Tout de même, comme je t'ai dit, il 
y a eu une de ces scènes, depuis le soir que tu es 
venu!.. Oh! mais, terrible!... La pauvre femme était 
à ramasser à la cuiller... 

Maurice. — Je sais!... J'ai mes renseignements 
personnels... Passe-moi l'autre, tiens, je le remets, 
décidément. 

Raymond lui remet le premier veston en lui enfilant les 
manches. 

Raymond, lui passant le veston. — Mais un coup que 
le ministère sera consolidé, un coup qu'il se sera 
embêté quinze jours rue de Grenelle... et un couj) 
que... 

Maurice, l'interrompant. — Dans quel état était 
maman, ce matin f 

Raymond. — Elle n'a rien mangé. Une pomme 
de Canada, une tasse de café... 

Maurice. — Elle était déjà partie quand tu es 
venu ici? 

Raymond. — Oui, oui! Elle a pris l'auto. Peut- 
être qu'elle a été à la séance de la Chambre? 

Maurice, songeur. — Je ne crois pas. Ça ne res- 
semblerait pas à maman!... Enfin, on verra... Ça va 
mal, en tout cas!... 

Raymond, prenant les vestons. — Je range? 

Maurice. — Donne à Nathalie. 

Raymond. — Nathalie!... J'ai toujoui-s envie de 
l'appeler Naphtaline, ta bonne... (il lui remet les ves- 
tons. Il regarde sa montre, il renifle.) L'heure approche. 

Maurice. — C'est risqué de l'avoir fait venir ici, 
hein ? 

Raymond. — Oh! avec 'elle î... Elle est sage, mais 
c'est la fille de Rantz, tout de même... On la laisse 
plutôt libre... Bride sur le cou... 

Maurice. — Nous avons commencé par fixer le 
rendez-vous à la Pâtisserie royale... puis dans une 
allée du Bois... et, en fin de compte, ça nous a pani 
plus simple et plus secret, ici même... 

Raymond. — Et c'est ce qu'elle préférait !... Elle 
me l'avait dit. (il rit.) Ah! la graine d'aujourd'hui!... 
(Il est allé sur le balcon.) Oh ! Ce point rouge, là-bas, 
près des arcades !... Ce doit être elle, avec un renard 
autour du cou. Elle est en avance d'un quart d'heure ! 
Ah! la mâtine! Ce que c'est roublard, ces petites 
filles !... 

Maurice, se rapprochant vivement. — C'est elle? 

Raymond. — Je ne crois pas me tromper!... Re- 
garde. 

Ils .se penchent tous les deux sur la baIustrafU\ 

Maurice. — Bien. Alors, va, descend. Inutile de 
la faire poser jusqu'à l'ouverture du guichet... 
Raymond. — Ousque j'ai mis mon galurin? (ii it- 

prtnd sur le buste de la cheminée.) J'ai tout à COUp Ull 

vague sentiment de ma responsabilité, dans toute 
cette histoire... 

Maurice, ironique. — Ah! bah! 

Raymond. — Dis donc, pas de blague, avec la 
petite? 

Maurice. — Et toi, pas de plaisanterie de ce 
genre! Ça suffirait à me faire regretter... 

Raymond. — Ce que j'en dis, ce n'est pas pour 
Rantz, qui n'est pas mon patron... c'est pour ta mère 

et toi... Sans quoi !... (Avec un mauvais sourire.) s'il lui 



•* .• 






• ••• 



• • 



UENFANT DE L'AMOUR 



21 



arrivait un embêtement de ce genre... eh bien, je 
connais quelqu'un qui serait enchanté. 

lkL\URiCE. — Tu lui en veux donc? 

Raymond. — Peut-être... 

Maurice. — Qu'est-ce qu'il t'a fait? 

Raymond, metUnt son chapeau sur Torcillc. — Ce qu'il 

m'a fait ?... Un jour, à dîner, il a dit tout haut devant 
moi: H Un tel... il a une âme de domestique! » 

Maurice, riant. — Ça ne rate jamais! 

Raymond. — Tu comprends, hein? 

Maurice. — Je comprends ! 

Raymond, sur le pas de la porte. — C'est tout de 
même rigolo de penser que, pendant ce temps, il tire 
la République du pétrin... 

AL\URiCE. — Parbleu! 

Raymond sort, puis passe la tête. — Mais, pense à 
ce que ce serait encore plus rigolo, si c'avait été 
sa femme!... 

Maurice, pousse la porte. — Va donc, bavard ! (Mau- 
rice, resté seul, réfléchit quelques instants.) Oui, Ça sent 
encore le tabac, (il prend sur un petit meuble un flacon de 
lait d'iris et asperge légèrement le tapis. Il regarde à la fenêtre 
en sifflotant. Il murmure:) Bon. (Il revient devant la glace, 
tire de sa poche un petit peigne dans un étui, arrange une 
mèche de cheveux sur le front en chantonnant machinalement:) 

Il va pleu-pleul II va voi-voir! 
Il va pleu-pleu! Il va voi-voir! 

(Ctla fait, il appelle Nathalie. Nathalie entre.) Nathalie, 

voulez- vous ouvrir la porte de l'escalier? 

Nathalie, montrant du doigt la porte à droite et la porte 

à gauche. — Duqucl? Celui-là OU celui-là? 

Maurice. — Du grand, naturellement !... Et laissez 
la porte ouverte, de façon que la perconne qui va 
monter n'ait pas à sonner. Vous avez compris?... 

Nathalie, d'un air entendu. — Oh! très bien! 

Maurice. — Attendez, attendez!... Ce n'est pas 
tout. Vous aurez soin de vous tenir dans votre cui- 
sine et de n'entrer ici sous aucun prétexte. 

Nathalie. — Oui, monsieur. 

Ils échangent un sourire. 

Mauricb. — Voilà, Thalie... Maintenant, allez 
ouvrir et... nik!... disparaissez! 

Nathalie sort en laissant la porte de droite ouverte. On 
Tentend ouvrir la porte d'entrée. Maurice, sans bouger, 
lui fait signe de la main d'entrer dans sa cuisine. 
Ensuite, il va à nouveau sur le balcon, jette un coup 
d'œil, et se poste, attentif, écoutant les pas nui montent 
dans l'escalier. Il demeure un temps dans cette atti- 
tude, puis on le voit sourire à quelqu'un, tendre les 
deux mains en avant pour signifier: « Entrez! » Il va 
au-devant de Nellie et revient la précédant... hâtif, 
empressé. Nellie entre sans précipitation, elle baisse la 
tête. Elle a un grand chapeau, une voilette hermétique 
de dentelle. On ne distingue d'elle aucun trait, aucune 
forme. 

Scène III 

MAURICE, NELLIP] 

Maurice. — Soyez sans crainte aucune^ made- 
moiselle, personne ici... Et personne ne peut vous 

avoir vue monter... (Tl désigne un fauteuil. Elle refuse du 

geste.) Je VOUS attendais. Je suis très, très... très heu- 
reux de vous recevoir... (Il sourit gauchement. Silence.) 

C'est un peu haut, n'est-ce pas? Voulez- vous que je 
ferme la fenêtre?... Oui, oui, ne dites rien, nous 

avons tout le temps, (il ferme la fenêtre et revient.) 
Peut-être boire quelque chose?... (Sans mot dire, elle fait 



•îignc que non.) Au moins votre mauteau... Votre voi- 
lette! (Il fait glisser le manteau noir.) Ah! si, j'y tiens. 

Il lui enlève doucement la voilette. Elle se laisse faire. 
Elle apparaît blonde, puérile. 

Nellie. — Je suis... un peu suffoquée... I^s 
étages... J'ai monté vite! 

Maurice. — Ah! votre voix!... Comme au télé- 
phone... pareille... Oui, c'est vrai, il n'y a pas d'as- 
censeur... J'habite une vieille maison, ainsi que toutes 
les maisons d'ailleurs sur le Palais-Royal. Je vous 
voyais très bien de là, du balcon, avec le sigriialement 
que m'avait donné Raymond. 

Nellie. — C'est triste. 

Maurice. — Oui, c'est triste un petit peu chez 
moi. Seulement, au printemps, c'est plus gai. On 
a les enfants qui crient: « Pouce! », les calicots 
à midi dans le jardin, le kiosque avec son citron sur 
la bouteille de coco, et puis il y a les moineaux... 

Nellie. — Ce n'est pas ce que je voulais dire. Ce 
n'est pas votre appartement qui est triste, c'est ce 
qui se passe ici en ce moment... 

Maurice. — Ah! bon, je ne comprenais pas. 
Pourquoi? Mais, au contraire, quoi de plus simple, 
de plus naturel... 

Nellie, nettement. — Ne riez pas, je vous prie. 

Maurice. — Ah! il ne faut pas?... Ecoutez! vous 
me déconcertez!... Moi qui m'imaginais qu'on allait 
se parler à la bonne franquette, en vieux amis, déjà. 
Vous m'avez dit: « Un conseil, j'ai un conseil à vous 
demander avant mon mariage. » Aloi's, je pensais 
qu'on allait se débonder un peu... Et j'avais droit 
de compter sur cette intimité que nous créent quatre 
ou cinq lettres, quelques communications télépho- 
niques... et les souvenirs de nos rencontres d'en- 
fants, autrefois, dans la rue Margueritte, aux chèvres 
des Champs-Elysées... Vous vous rappelez?... 

Nellie. — Vous n'êtes pas ému. Vous avez de la 
chance!... Ça se voit suffisamment et c'est uçi peu 
cruel pour moi! 

Maurice. — Mais... 

Nellie. — Vous n'êtes même pas intimidé!... Si 
vous me trouviez jolie, vous le seriez... Vous n'auriez 
pas ce petit ton dégagé. 

Maurice. — Vous croyez ça, vous?... 

Nellie. — J'en suis sûre! Devant les êtres beaux, 

on est toujours sans courage. (Un temps. Pour la pre- 
mière fois elle le regarde et bais.se vivement les yeux.) Je 

le certifie. 

On la dirait à bout de souffle. 

Maurice — Eh bien, c'est ce qui vous trompe 
justement. Je vous regarde attentivement ; vous 
m'aviez dit: « Vous verrez, de loin vous m'avez crue 
passable, de près je ne suis pas bien du tout, j'ai 
une petite moustache sur la lèvre. » Or, j'ai beau 
regarder, il n'y a pas du tout de petite moustache. 

Nellie. — Oh! surtout, par grâce, ne parlez pas 
de moi. Vous me feriez des compliments et ce serait 

encore plus affreux que tout... (Elle se dégage et, regar- 
dant au mur.) Tiens, vous avez aussi cet Helleu? 
Maurice. — On a toujoura un Helleu! 

Nellie marche lentement, jette un coup d'oeil circulaire. 
Elle va à la cheminée, caresse de la main les mon- 
naies du pape dans un vase, puis s'accoude et regarde 
de près une photographie. 

Nellie. — Elle est jolie, 

Maurice. — C'est une humble!... Une petite mo- 
diste... Vous ne l'avez jamais vue, pourtant. 

Nellie. — Mais je n'ai pas hésité à la recon- 
naître. 



22 



L'ILLUSTRATION THEATRALE 



Maurice, lui désignant un fauteuil, gêné. — VoyonS... 

Nellie. — Le dernier numéro de Femina! Vous 
m'avez vue là-dedans? 

Maurice. — Non, mais je sais que vous êtes très 
sport !... que vous avez gagné toutes sortes de 
coupes... 

Nellie, froissant le journal. — Mais oui. Je suis, 
vous le voyez, une jeune fille très libre... J'ai reçu 
une éducation moderne... Vous pouvez croire des tas 
de choses sur moi... Et pourtant, s'il en est ainsi, 
vous vous trompez du tout au tout... Je peins, je 
golfe, je suis les cours de la Sorbonne, j'ai tous les 
brevets, même celui de chauffeur; mais, à dix-huit 
ans, je suis pourtant plus sentimentale qu'on ne l'est 
à douze!... Et la preuve, c'est que je suis ici... J'ai 
vu qu'il y avait de l'eau dans la pièce à côté. Voulez- 
vous m'en chercher un verre? Ça n'a d'ailleurs aucun 
rapport... 

Elle fait de la main un geste vague dVxcuse. 

Maurice. — Mais comment donc! 

Maurice passe dans la salle à manger dont la porte reste 
ouverte. Elle va vivement contre un des battants de 
la porte et se tasse derrière le rideau de cretonne, dont 
elle s'enveloppe presque. 

Nellie, la main froissant le rideau. — Ne rentrez pas ! 
Je vais vous dire quelque chose à travers la porte, 
et puis nous n'en reparlerons jamais plus. Seule- 
ment, j'ai très bien senti que je n'aurais pas le cou- 
rage de vous le dire face à face... Oh! ce n'est pas 
nouveau, allez! C'est ce que je vous ai dit par let- 
tres. Seulement, je voulais que vous l'entendiez... 
ici... de ma propre voix, près de vous... dans la soli- 
tude... Je voulais vous dire cela, qu'il y a plus de 
trois ans que je pense à vous... que je ne pense qu'à 
vous!... que je vous ai aimé infiniment. J'ai com- 
mencé petite... peu à peu... vous avez eu toutes mes 
pensées de jeune fille... de vraie jeune fille... Et 
c'est pour ça que je suis venue vous donner un 
grand adieu... de tout mon cœur. Voilà. Oh ! ce n'était 
pas grand'chose !... Je vous remercie tout de même 
d'avoir accepté une entrevue qui m'aura permis 
cette audace... A présent, vous allez rentrer; nous 
parlerons de tout ce que vous voudrez, mais vous ne 
me ferez pas une allusion, pas une, n'est-ce pas? à 
ce que je viens d'avoir le courage de vous dire, car 
je vous jure qu'il faut pas mal de courage ! (Elle s'ar- 
rête comme exténuée et soulagée.) Maintenant, VOUS 

pouvez rentrer. 

Et, de dos à la porte, elle se dirige à pas lents vers la 
table. Un temps. 
Maurice entre, apportant sur un plateau un verre et des 

lïouteilies. — Je n'ai pas voulu vous apporter de l'eau 
pure à boire. Tenez, essayez ce petit mélange. Un 
peu de ce sirop avec une goutte de ça. 

Nellie, faiblement. — Merci. 

Maurice. — Et puis de l'eau. Âh ! il en faut plus, 
jusqu'au bord... Là! Buvez, vous verrez, ce n'est pas 
très bon, ce n'est pas très mauvais... c'est une re- 
cette... J'adore les mélanges. 

Nellie. — Oui, ce n'est pas mauvais. 

Maurice. — Vous auriez peut-être préféré du thé? 

Nellie. — Non. 

Un temps. 

Maurice. — Aloi-s, vous avez gagné beaucoup de 
coupes ? 

Nellie. — Mais oui. 

Maurice. — Eh bien, si, si, parlons-en, parce que- 
rien n'est plus admissible... 

Nellie. recule .^-vec effroi. — Ail! je vous en prie... 



Maurice, la rattrapant. — Si, je vous assure. Rien 
n'est plus simple ni plus plaisant... Ne croyez pas 
que je sois indifférent... que je ne sois pas même 
touché, mais mon devoir est de ne vous dire que 
des paroles raisonnables. Tout nous interdit d'être 
.plus que des camarades d'un jour. Vous vous en 
rendez compte, n'est-ce pas? 

Nellie. — Je suis absolument de votre avis... Par- 
lons d'autre chose, vite... vite... 

Maurice. — Pourquoi? Parlons-en au moins natu- 
rellement, très posément, comme s'il s'agissait d'un 
autre que moi et d'une autre que vous, (ii s'assied sur 

le canapé, à côté d'elle qui demeure debout.) Alors, il y a 

réellement tant de temps que vous pensez à moi? 
Nous nous sonmties si peu vus, pourtant... 

Elle se décide à sourire, un peu rassurée, et découvre 
la pointe de son regard. 

Nellie. — Et encore, vous savez, je mens pour 
ne pas avoir l'air d'être trop bête, car c'est encore 
plus ancien! Je n'ai même jamais osé vous l'avouer 
dans les lettres... Oui... vous habitiez avec votre 
mère rue Margueritte, tout près de chez nous, après 
la mort de ma mère à moi. Vous aviez, je crois, une 
quinzaine d'années, vous portiez encore des petits 
cols rabattus; vous voyez l'âge que je pouvais avoir, 
n'est-ce pas? Je vous voyais passer, sortir avec un 
stick à la main. Je savais que vous étiez le fils... le 
fils, songez donc! Car déjà si jeune, sans bien com- 
prendre, j'avais deviné tant de choses!... Ma bonne 
m'avait déjà laissé entendre oii mon père se rendait 
quand il sortait de chez nous. On est précoce quand 
on est triste!... Je me souviens qu'à l'heure oii vous 
passiez sur le trottoir, je jetais un coup d'œil... Je 
voulais aller vous rejoindi^e, vous regarder jouer 
aux Champs-Elysées... Je devais déjà vous aimer I... 
Comme c'est bête, n'est-ce pas ? Vous -n'avez pas eu 
de premier amour, vous? 

Maurice. — Ah ! si je vous disais lesquels ?... 
J'aime mieux ne pas y repenser ! 

Nellie, simplement. — Pas ça... Je veux dire une 
toute petite première affection... comme quand on 
est enfant, vous savez!... Vous n'avez jamais écrit 
de vers pour pei*sonne? 

Maurice. — Volontairement, jamais!... Un joli 
premier amour, ce doit être en effet agréable à se 
rappeler. Affaire de veine... hélas! 

Nellie. — J'aurai cette supériorité sur vous. 

Maurice. — C'est justement pour que vous puis- 
siez plus tard vous reporter .sans déplaisir à ce sou- 
venir insignifiant qu'il ne faut i)as l'entacher le 
moins du monde. C'est pour ça qu'il importe que ce 
début d'aventure n'ait aucune suite. Mon Dieu, que 
je m'exprime bêtement, grossièrement, mademoiselle! 
Je^n'ai pas l'habitude de parlei* à une jeune fille du 
monde... du vrai monde! 

Nellie, avec une moue sceptique. — Oh! du monde!... 
Celui qui nous entoure et qui nous a faits. 

Maurice, continuant avec véhémence. — Et pourtant 

je sais très bien ce que je veux dire. Ma réserve n'est 
pas, comme vous pouvez le croire, du dédain ou de 
la prudence, mais, au contraire, de la sympathie, 
parce que vous valez d'être inspectée... Oui, vous 
avez beau être une jeune fille très libre, qui dîne 
seule chez ses amis et prend des autos sans ca femme 
de chambre, on sent fort bien que c'est la première 
fois que vous osez ce que vous venez d'oser aujour- 
d'hui, avec plus de timidité que d'aplomb. 

Nellie. — C'est vrai. 

Maurice. — J'en étais sur. 



L'ENFANT DE L'AMOUR 



23 



NeLiLIE, le regardant. — Ça me fait beaucoup de 
plaisir que vous le croyiez. Merci. 

Maurice. — Mais oui, votre démarche, ou la sent 
franche et saine. Votre mari sera enviable et très 
heureux ! 

Nellie. — Hum! Je n'en mettrais pas ma main 
au feu! 

Maubige, se lève. — Si, quand cette folle et absurde 
idée vous sera passée... Car qu'est-ce qui vous a prisf 
Qu'est-ce qui vous a pris, grand Dieu!... Pourquoi 
moi?... si loin de vous, un être si vague! 

Nellie. — Vous trouvez ça absurde f 

Maurice. — Absurde, sans raison, fou!... 

Nellie. — Eh bien, moi, je trouve ça, au con- 
traire, très logique. 

Maurice. — Je voudrais bien savoir en quoi! 

Nellie. — D'abord, il y a peut-être une raison 
primordiale ! 

Maurice. — Laquelle? 

Nellie, balance son sac à main. — Interrogez votre 
glace... elle vous répondra... 

Maurice. — Oh! non, non!... Ne parlons pas de 
cette raison-là, je vous prie! C'est gênant, vous 
n'avez pas idée comme c'est gênant! 

Nellie. — Ce n'est pas un compliment, d'ailleurs, 
que je veux vous faire. J'ai rencontré des gens qui 
vous valaient 

Maurice. — Bien sûr!... La, la!... 

Nellie. — Mais il y a sur votre figure, dans 
toute votre physionomie, un pouvoir incontestable... 
(Siie sourit, gamine.) M. FouiUée, à SOU cours de la 
Sorbonne, dirait: une fatalité. 

Maurice, levant les bras, — Ça y est... Je suis 
fatal!... Ce sont des mots à la mode qui ne veulent 
rien dire... 

Nellie. — Pas sûr. Raymond m'a beaucoup parlé 
de vous, vous savez! 

Maurice. — Raymond!... Quelle autorité!... Et 
quel coupable, celui-là!... 

Nellie. — Je sais pas mal de choses de votre exis- 
tence. Puis, j'ai entendu aussi les femmes parler 
de vous... 

Maurice, tout de même flatté. — Ah ! 

Nellie. — Eh bien, que vous vous en rendiez 
compte ou non, il y a, il y aura r;ir vous, cette 
espèce de... prestige! 

Maurice, comîquement. — La fatalité, quoi!... 

NeLUB, sans k regarder, très douce, et le corps légèrement 
incliné vers hn, comme vers une attraction. — M[aiS OUI... 

de l'amour... Si vous ne vous en rendez pas compte 
clairement aujourd'hui, vous vous en rendrez compte 
plus tard, et alors vous serez... (Elle s'arrête.) Vous 
avez deux voies... Ou vous serez un garçon très 
bien... ou vous serez... 

Et elle lève les yeux, les épaules, de l'air de dire!... 
Maurice, l'interrompant en riant. — AllcZ-y... ne VOUS 

gênez pas!... Une crapule! C'est possible! J'en ai 
peur!... J'ai même idée que je serai une crapule 
lamentable... Mais, vrai, s'il n'y a que cette fatalité 
qui vous a poussée vers moi !... 

NeLUE, d'un ton sérieux et plus agité. — Il y en a 

d'autres!... Ne sommes-nous pas leurs en£ants!... 
Leurs enfants! 

Maurice, grave à son tour. — Ah! oui, leurs en- 
fants... Cosnme c'est vrai! 

Il soupire. 

Nellie, — Ne pas penser à vous! Mais j'avais 
toutes les raisons! Mais votre mère n'a-t-elle pas 
été tout de suite l'ennemie? Celle qui prenait la 



place de ma mère à moi... l'étrangère... là-bas, de 
l'autre côté de la rue... Est-ce que je n'avais pas les 
yeux toujours fixés sur cet intérieur? C'est à votre 
mère que j'ai dû peu à peu l'abandon de papa... 
toutes mes solitudes d'enfant... avec mes bonnes... 

Maurice. — Et moi, c'est à votre père que j'ai 
dû les miennes! 

Nellie. — Avec ça que la première fois que nous 
nous sommes vraiment rencontrés... avant que je vous 
écrive... un jour, sur le trottoir où Raymond, qui 
vous accompagnait, a abordé ma femme de chambre... 
avec ça que nous ne sommes pas restés rougissants, 
émus, et que nous ne nous sommes pas dit: « C'est 
nous, nous v'ià! » 

Maurice. — Bah! Croyez-vous !.. 

Nelue. — Mais oui... Et la meilleure preuve c'est 
que vous avez baissé les yeux pour que je vous re- 
garde et qu'immédiatement après j'ai baissé les 
miens, pour que vous puissiez me regarder... (Et elle 

baisse encore les yeux et il la regarde.) Et au fond, c'cst 

très naturel que nous soyons là à nous parler ainsi, 
à nous raconter un peu notre vie derrière nos pa- 
rents, sans qu'ils le sachent, parce que songez comme 
ils seraient furieux s'ils pouvaient deviner !... J'en ris 
de plaisir! 

Maurice. — Et moi donc! (ils rient aux éclats comme 
des enfants en escapade. Puis, plus sérieux.) Nos enfances 

ont pensé l'une à l'autre!... Nous avons eu les mêmes 
chambres solitaires, les mêmes confidents... et, vrai- 
ment, cette petite intimité soudaine en cachette, 
c'est assez drôle et pas aans charme! Nous nous 
serons connus, un peu interrogés, plus et mieux 
que par des lettres ou des sourires... une minute et, 
pfuttl fini... envolés!... Vous mariée et moi casé. 

(I«es mains dans l'entournure du gilet, fièrement.) Oui... 

je vais entrer dans une maison d'automobiles!... Je 
garderai, en tout cas, mademoiselle, un souvenir 
•xquis de cette journée qui ne se renouvellera pas, 
où nous aurons pu nous apprécier avant de devenir 
les ennemis que nous deviendrons sans doute un 
jour... un jour très proche... 

Nelli^ étonnée. — Pourquoi, Ics ennemis? 

Maurice. — J'en ai le pressentiment, j'en ai 
même comme qui dirait la certitude!... Ce n'est pas 
nous qui l'aurons désiré... mais cette haine de mai- 
son viendra peut-être de quelqu'un qui vous est 
proche... 

Nellie, hochant la tête. — Mon père? 

Maurice, vivement. — Oh! ne parlons pas d'eux, 
surtout! Peut-être n'êtes-vous pas bien au courant 
de ce qui se passe? Mais je me suis juré de ne parler 
que de nous, uniquement. Si nous ne devenons pas 
des ennemis — souhaitons-le! — nous serons en 
tout cas séparés, nous devons l'être, et vous verrez 
que par la suite la vie gâchera le joli souvenir de 
cette journée. Je le sens si bien, je suis si sûr que 
c'est une question de jours... d'heures comptées... 
que je vous ai laissée venir aujourd'hui... afin que 
vous ne conceviez pas de doute plus tard sur mes 
sentiments... Quoi qu'il arrive, je veux que vous 
puissiez penser: « Il était gentil malgré tout, ce 
garçon! » C'est pourquoi aussi j'ai tenu absolument 
à vous rendre vos charmantes lettres... 

Il se lève et va ouvrir un petit meuble. 

Nellie, à voix basse. — Gardez-les. Vous me ferez 
plaisir. 
Maurice, prenant les lettres. — C'est impossible. 
Nellie. — Vous ne voulez pas me faire ce plaisir? 
Maurice. — Je vous répète que c'est impossible. 



24 



L' I LLUSTRATI ON TH EATRALE 



Je ne peux pas les conserver... J'ai mes raisons pour 
cela, des raisons... très sérieuses... Vous verrez, plus 
tard... vous comprendrez... et vous m'approuverez... 
Nellie. — C'est plus cruel que tout, tenez, ce que 
vous faites là. C'est bon, donnez... 

Elle les prend. Pendant qu'elle les met dans son sac à 
main, il est passé derrière elle. 

Maurice. — 11 ne faut pas être triste, (ii pose la 

main sur son épaule, alors elle incline la tête du côté de la main 
et avec un soupir y laisse reposer sa joue d'abord, puis le 
coin de ses lèvres. Il lui relève la tète, et, sans se hâter, l'em- 
brasse sur le front. Changeant subitement de ton.) VoUS ver- 
rez, tout cela s'arrangera très bien, très bien! Il 
faut vous marier sans regret... 

Nellie. — Il faut?... Alors, c'est bien sûr?... 

Maurice. — Mais oui... Vous allez me raconter 
tout... Votre fiancé... comment il est... Vos projets... 
(Il s'interrompt.) Vous avez votre soirée libre, n'est-ce 
pas? Vous vous êtes arrangée pour vous rendre 
libre? 

Nellie, pudiquement. — C'est-à-dire... ça s'est ar- 
rangé tout seul. Mon père ne rentrera pas avant 
minuit, une heure du matin... Alore, je dîne chez* 
une amie intime à moi. 

Maurice, riant. — Parfait. Eh bien ! Savez-vous ce 
<iue nous allons faire? Moi aussi, je suis libre. Vou- 
lez-vous que nous allions, le soir tombé, en bons amis, 
en bons petits camarades, dîner dans un endroit où 
on ne pourra pas vous rencontrer... dans la banlieue? 
A cette époque, il n'y a personne. Un petit restau- 
rant pas connu et un peu purée... Vous me racon- 
terez... je vous raconterai... Puis, bras dessus, bras 
dessous, je vous accompagnerai à onze heures, jus- 
([u'à votre porte... Et on se dira adieu... et bonne 
chance!... Ça ne vous effraie pas?... Ça ne vous 
paraît pas trop vulgaire?... 

Nellie. — Je ferai ce que vous voudrez. 

Maurice. — Descendons-nous tout de suite? 

Nellie, se levant. — Pourquoi pas? 

Maurice. — Vous n'avez pas à prévenir l'amie 
chez laquelle vous dînez? M"*" Machin? 

Nellie, souriant. — Non. 

Maurice. — Nous sommes lestés. Ma canne, un 
chapeau mou... Mou? faut-il? (ii le pose sur roreillc.> 
Non, melon... c'est moins crapule, (ii rit et prend l'autre 

c'iiapeau. On frappe à la porte.) Qui est la? 

La voix de Nathalie. — Moi, monsieur. 
Maurice. — Je vous ai dit que je n'y étais pas! 
Nathalie. — Quelque chose de pressé, monsieur. 
Maurice. — Et elle insiste, encore!... Entrez, en- 
trez, allez!... Oh! les bonnes!... 

Nathalie entre et fait signe qu'elle voudrait parler bas 
à monsieur. 

Nathalie, bas à Maurice. — Monsieur, je crois que 
c*est grave... c'est M"* votre mère. 

Maurice. — Maman! 

Nathalie. — Je lui ai dit que monsieur semblait 
très occupé. Elle a répondu qu'elle ne s'en irait pas, 
(ju'il fallait prévenir monsieur coûte que conte. Elle 
m'a paru dans un état !... 

Maurice. — Où est-elle? 

Nathalie. — Là, monsieur, dans l'antichambre. 

Maurice. — Un instant. (A NeiHc.) Voulez- vous 
me donner quelques minutes? 

Nellie. — Je vous en prie. 

Maurice. — Ce n'est autre chose qu'une visite 
urgente, je ne vous demande que cinq minutes, (il 

lui montre la salle à manger. Il se ravise.) Non, plutôt, 

n'entrez pas là. 



Nellie, avec intention» en désignant la photographie 

d'Aline. — Je pourrais entendre, n'est-ce pas? 

Maurice. — Ce n'est pas du tout qui vous croyez. 
Voulez-vous me devancer un peu de la façon sui- 
vante, si vous ne trouvez pas que c'est agir avec vous 
trop librement... (il s'approche de la fenêtre.) Regardez. 
Voyez-vous, en bas, ce petit café, tout en verre, au 
milieu du Palais-Royal? c'est le café de la Rotonde. 

Nellie. — Oui, j'ai vu tout à l'heure. 

Maurice. — C'est la solitude la plus complète à 
cette époque. Baissez votre voilette, demandez U Illus- 
tration, je vous rejoins tout de suite et en avant, 
bras dessus, bras dessous... pour les cab<)ulots loin- 
tains! D'ailleurs, le café est tout à claire-voie et du 
petit coin, là, à droite, vous voyez, nous pouvons 
même nous faire signe. 

Nellie, gênée. — Je vous assure que je sens que je 
vous gêne. Je peux très bien m'en aller. 

Maurice. — Pas de plaisanterie et ne vous moquez 
pas. Je tiens absolument et autant que vous à cette 
soirée. Venez vite avec moi par ici... vous allez des- 
cendre par Pautre escalier. 

Nellie, ironique. — Ah! bon... 11 ne faut pas 
croiser la personne qui est dans l'antichambre! 

Maurice. — Pas le moins du monde. Seulement, le 
petit escalier donne sui- le Palais-Royal et l'autre 

donne sur la rue de Valois, (il se tourne vers Nathalie.) 

Vous pouvez faire entrer la visite. (Mais il fait un signe 

qui a l'air de dire: « Sans vous presser. » Il prend les main> 

de Nellie.) Venez, que je vous passe en contrebande. 

Nellie. — C'est UlUustration qu'il faudra de- 
mander ? 

Maurice, souriant. — Voyez-vous, ma petite enfant, 
les garçonnières, c'est toujours petit et encombré... 
je ne vous souhaite pas .d'en faire plus tard l'expé- 
rience... mais, malgré ses inconvénients, la vie de 
garçon a son charme. On y est très vite camarades... 

et... (La voix se pcfd, la scène reste vide quelques secondes. 
Par la porte opposée, Nathalie fait entrer Liane.) 

Nathalie. — Monsieur arrive tout de suite. 

Nathalie se retire. Liane reste debout, le visage boule- 
versé. Elle finit par s*accouder à la table, les mains 
au menton. RI le a lancé fébrilement un manchon an 
hasard sur un meuble. Elle porte une robe d'intérieur 
éclatante et froufroutante sur laquelle on devine qu'elle 
a jeté hâtivement un manteau de fourrure. Elle a 
même des mules aux pieds. Maurice entre. 

Scène IV 

MAURICE, LIANE 

Maurice. — Qu*est-ce que tu as? Que signifie 
cette figure f 

Liane. — Ça y est î 

Maurice. — Quoi? Que veux-tu dire? , 

Liane. — Ça y est... Je suis venue te Fannoncer... 
La rupture! 

Maurice. — Allons donc!... Je m'y attendais, mais 
pas si tôt ! Ah ! non, pas si tôt !... Je ne pensais pas 
f|ue ce fût une affaire d'heures. Mais, maman, une 
rupture simulée comme il y a deux ans! 

Liane. — Non, non. Ça y est, cette fois, en plein î 
J'ai reçu ce matin par la poste une lettre... ah! 
quelle lettre!... prenant prétexte, tu vois ça d'ici, do 
nos huit jours de scènes... dissentiments, situation 
nouvelle, nécessité, etc., tout !... Une demi-heure 
après, j'ai reçu — c'est le houquet ! — j'ai reçu, une 
x'isite... son notaire! 



L'ENFANT DE L'AMOUR 



25 



Maurice. — Non! 

Liane. — Porteur d'un chèque de cinq cent mille 
francs. Tu vois, il est généreux!... Il fait bien les 
choses... Comme à une grue!... Comme si c'était au- 
trefois! C'est beau, hein, c'est beauf 

Elle pleure. 

Maurice. — Voyons, ne te laisse pas aller, ne te 
laisse pas aller, surtout. Il faut lutter... 

Liane. — Contre quoif II faut se flanquer dans 
la Seine, oui! 

Maurice. — Une autre. Pas toi, maman. Ah ! que 
non ! Il ne faut pas abandonner la partie... 

IjIane. — Jamais je n'aurais cru... jamais! Pla- 
quée comme une fille... Ah! il a tenu à me le faire 
bien comprendre!... Dix-sept ans, mon petit, dix- 
sept ans... Tu ne sais pas ce que c'est, toi, que dix- 
sept ans d'amour! Je te souhaite de ne jamais le 
savoir. ' 

Maurice. — Mais la raison foncière, fondamen- 
tale*? Est-ce bien votre dissentiment? Ne peut-il plus 
te sentir?... Ou bien donne-t-il des raisons officielles 
et officieuses... 

Liane. — Le paquet! Il a été heureux de se jeter 
à corps perdu dans la politique, comme un prétexte 
pour poser une barrière. Chez lui, rien n'est coui- 
biné; il a un instinct de femme! Il ne se demande 
pas ce qu'il fait... il le fait et ça lui réussit!... Il 
paraît que je ne peux plus être sa maîtresse, tant 
du moins qu'il aura son portefeuille. Alore, n'est-ce 
pas, il espère que nous resterons en bons termes, 
excellents amis... l'avenir décidera... Tu vois... Toute 
la lyre! Tout ce qu'on se dit! Tout ce qu'on écrit 
quand on n'en pense pas un mot!... Il va s'installer 
rue de Grenelle, naturellement. 

Maurice. — Ça, tu le prévoyais! 

Liane. — Déménagement complet... Changement 
de situation... maison nette! Il case sa fille en même 
temps!... Ah! £^t-ce assez beau!... 

Maurice. — Vois-tu. maman, tu as mal conduit 
ta barque! Tu aurais dû te faire épouser quand tu 
le pouvais... il y a plusieurs années déjà! 

LixVNE. — Oui... bien sûr... On me l'a assez répété !... 
J'aurais dû!... Mais j'étais si confiante... Ce qu'on 
est crédule!... Comment veux-tuf... Je considérais 
que ne pas lui demander le mariage c'était une déli- 
catesse, de ma part, dont il serait reconnaissant. Et 
puis, tu n'as pas idée... Je l'aimais trop pour ne pas 
avoir en moi cette chose folle, la confiance!... Au 
fond, je ne sais pas calculer!... Et comme on a tort 
de ne pas savoir!... Ah! le plus mauvais des calculs, 
c'est d'aimer!... Parce qu'au bout du bonheur on est 
toujours roulée! D'abord, nous sommes toujours 
toutes roulées!... 

Maurice. — Qu'est-ce que tu as fait depuis tout 
à l'heure?... 

Liane. — J*ai sauté dans l'auto... Je n'ai même 
plus idée... J'ai été à la Chambre des députés... Je 
suis montée comme une brute là-haut... J'ai écouté 
dans le brouhaha... Je suis redescendue... J'ai été 
chez Myrtille; elle n'y était pas... et puis, enfin, je 
me suis postée à attendre au tournant de chez lui... 

Maurice. — Ah! 

Liane. — Dans un taxi, pour voir s'il allait ren- 
trer après la Chambre... J'ai entendu crier les jour- 
naux... J'ai vu son nom sur la manchette du jour- 
nal: Discours de M, Rantz. C'était pour moi comme 
le nom d'un étranger, déjà!... Rantz! Il me semblait 
que c'était déjà loin, loin!... 

Maurktl — Après, après. 



Liane, — Il est arrivé, il est descendu... Il fumait 
tranquillement un cigare... Il est monté... 

Maurice. — Eh bien, tu es montée derrière lui, je 
pense f 

Liane. — Naturellement... cinq minutes après. J'ai 
sonné... « Monsieur n'y est pas. » 

Maurice. — Tu as bien le droit d'entrer chez lui, 
pourtant ! 

Liane. — Alors j'ai donné des ordres vagues au 
cocher... Je suis passée devant la Seine... J'ai regardé 
l'Arc de Triomphe avec envie... 

Maurice, se levant, stupéfait. — Maman !... Mais je 
ne te reconnais pas là! Toi, si forte! 

Liane. — Oui... c'est moi... ça... c'est moi! (Obser- 
vant un mouvement de Maurice vers la fenêtre.) Je te geilC, 

n'est-ce pasf 

Maurice. — Mais non... tu n'y penses pas!... 

Liane, debout. — Je te gêne... Mais je n'en ai pas 
pour longtemps à te gêner, sois tranquille... 

Maurice. — Allons donc!... Assieds-toi là... au 
contraire... sur le canapé. 

Liane. — Seulement je n'ai pas d'amis!... Aucune 
espèce d'amis!... C'est lui qui les a tous pris, les 
amis... Il a cette force-là... Il attire... Alors, je suis 
venue à toi qui m'as ouvert ton cœur l'autre jour. 

Maurice. — C'est la première fois! Je suis très 
heureux que tu aies senti le b(^oin de venir ici... me 
dire ton chagrin! 

Liane. — Dix-sept ans!... Je répète tout le t«mps 
qo, en marchant... Dix-sept ans! C'est effrayant! 
Comment est-ce possible, ces choses-là!... On ne veut 
pas les croire, évidemment, parce que sans quoi il y 
a longtemps que j'aurais dû avoir la certitude du 
lâchage... Seulement, on a beau se jeter à la tête les 
pires injures, remuer toute la vase... on se regarde 
dans les yeux, et il semble que les yeux s'aiment en- 
core... Comme quand on bat son chien, et qu'on lui 
dit: « Va-t'en, va-t'en, je ne t'aime plus! » le chien 
vous regarde et, lui, il ne vous croit pas!... Et puis 
aussi, on est si bête dans ces scènes! Tout ce qu'on 
dit sonne faux... Il y a quelque chose de si lamen- 
tablement puéril, alors il semble que c'est d'autres 
personnes qui parlent... pas vous ! Et surtout, je l'ai- 
mais tant, cet homme-là! Je l'aimais à pouvoir en 
être heureuse cent ans!... Je n'osais même pas le lui 
avouer. Aussitôt qu'il avait passé la porte, j'avais 
envie tout de suite de courir après lui, de lui jeter 
les bras autour du cou... de ne plus rien lui dire 
qu'éternellement: « Mon chéri... mon chéri! » Oh! 
j'ai dû être maladroite!... J'ai dû ne pas savoir lui 
faire comprendre mon amour! Autrement, ce ne 
serait pas possible... Il n'oserait pas... 

Maurice. — Allons donc, ma pauvre maman! Tu 
te casses la tête contre des chimères! Ne refais donc 
pas ta vie: tu as tout exprimé, tu as tout dit et il 
a tout compris... C'est un foimidable égoïste, voilà 
tout... Il y a longtemps qu'il devait chercher tous 
les moyens de te plaquer... 

Liane. — Ah! oui, c'est vrai! Tu as raison. Main- 
tenant, tout me revient... Tant qu'on n'a pas trouvé 
la clef de l'individu, n'est-ce pas, on interprète très 
mal... Oui, oui, oui, oui... Mardi dernier... ce qu'il 
m'a dit, là-bas, sur le pont d'Auteuil... (Nouveau sur- 
saut.) Et l'autre soir, donc! Oh!... Et puis, tiens... 
quelque chose encore qui me revient, à propos de 
Qaby... Figure-toi, déjà, il y a un an, un jour où 
nous déjeunions chez I^doyen, tout à coup... sans 
raison... il m'a dit cette phrase... 

lîllc agite ses mains fiévreuses avec volubilité. 



26 



L'ILLUSTRATION THEATRALE 



Maurice, rînterrompant avec force. — Ne te torture 
donc pas!... C'est fait!... Et puis c'est fait! 

Liane, la voix plus basse, les yeux fixes, roulée dans son 

manteau. — Il v a certains détails qui ne devraient 
pas permettre qu'on se trompe, pourtant... des dioses 
abominables... Il n'y a pas quinze jours, il est entré 
dans ma chambre à une heure du matin... il croyait 
que je dormais... je n'ai pas bougé:., exprès... je fai- 
sais semblant. Alors, il s'est assis, il m'a regardée... 
il m'a regardée dormir... A travers les cils, je voyais 
son expression de regard... C'était terrible... Je le lui 
ai dit plus tard. Sais-tu ce qu'il a répondu, ce qu'il 
a osé me répondre et que j'ai pris pour une plaisan- 
terie f Il m'a dit: « Eh bien, c'est peut-être le mo- 
ment où je t'aimais le plus! » 
Maurice. — Ah ! le voyou !... 

LiANB, progressivement, des hoquets lui montent à la gorg^, 
d'abord doux, puis rauqucs, plaintifs. — Non... non... c'est 

trop! On m'en a trop fait! J'en ai assez! Je n'en 

peux plus... (Elle égratigne le cuir du canapé, elle tape avec 

rage.) Ah! tous... tous... ce qu'ils m'ont fait avec leur 
muflerie, leur cynisme! Je les vomis... Je les hais, 
tous ces hommes!... Du premier au dernier! (Dans un 
cri de désespoir.) Mais celui-là, en qui j'avais tellement 
foi, une confiance aveugle, folle f... Comme les 
antres!... Ah! ahl... Ce que je les aurai entendus, 
leurs supplications, leurs ricanements, leurs injures 
et leurs tendresses... leurs sales baisers et leurs pleur- 
nicheries: « Console-moi, j'ai de la peine! » (Subi- 
tement, elle hurle.) Tas de salaudsl... Tas de salauds!... 

Kt, sans plus s'inquiéter de son fils, toute sa rancoeur 

s'exhale en une longue plainte haineuse de bête forcée. 

MaURI(?B^ effaré, ne sachant plus où donner de la tète. — 

Je t'en supplie, maman, je t'en supplie! Ne te laisse 
pas aller!... 

Liane, le rcpouasant. — Laisse-moi... Ça me fait 
du bien... Je voudrais crier, je voudrais crier plus 
fort... Je voudrais qu'ils soient tous là... Ah! si 
j'avais au moins une fille, belle comme toi, une fîUe 
à laquée j'aurais pu léguer mon expérience et à 
qui j'aurais dit: « Fais-les souffrir... Sois rosse... 
"Pas de pitîéu Ne te laisse pas prendre comme ta 
mère... Venge-nous... Prends leur aigent, laisse leur 
eœnr, et tâofae de OMNirir jeune pour qu'ils n'aient 
même pas la joie de te voir crever (... n 

Et sa nn^uc de jolie fHIe rofile sur le canapé... et des 
bijoux UfJ i kfit en scfaiCilUnt sur cette douleur écrasée. 

Mauriob. — ïl n'y a pas que lui sur la terre... Tu 
peux encore aimer I Tu dois être encore heureuse!... 

U parle, au liaBard, la voix mal assurée. 

Liane. — Ah! non! Bien fini? Ma vie s'arrête 
là. Non, je ne suis pas de cieUes qui recommencent 
ce voyage-là, pas de celles qui traînent les petits 
jeunes gens à leur suite jusqu'à l'âge de la dernière 
ride... Et puis recommencer... souffrir tout cela, 
et pour qudle fin!... Non, non!... Je ne t'imposerai 
pas cette mère-là! 

Maurice. — Mais si. Il faut vivre. La vie est 
belle. Ah! que de fois je te l'ai entendu dire... (ii 

serre dans ses mains un peu épaisses les petites mains fardées 
de sa mère. On voit qu'il cherche, qu'il construit des hypo- 
thèses.) Je ne t'ai jamais demandé ce que tu avais 
comme fortune? 

Liane. — D'autres se seraient mis une belle petite 
fortune de côté; moi, rien. J'ai mon hôtel, j'ai mes 
bijoux... Il a connu mon désintéressement. La meil- 
leure preuve, c'est ce chèque de ce matin... Ce chè- 
que... une heure après sa lettre!... 

Nouveaux cris. Nouveaux sursauts. 



Maurice. — Ne retire pas ta main, maman... Rai- 
sonne. La muflerie avec laquelle il a agi doit te 
donner justement le courage... 

Liane. — Non, Maurice! Tu ne peux pas com- 
prendre... Tu ne sais pas, toi. Tu n'es qu'un enfant... 
Tu ne connais pas ma vie... elle était là, et pas ail- 
leurs... 

Maurice, avec une irritation jalouse dans la voix. — 

Ceitainement, toi seule peut évaluer ta vie!... Mais, 
sans bien *:' avoir, il me semble, sapristi, maman, que 
son prestige ne s'est pas, tout de même, étendu sur 
ton existence entière!... Il n'en est pas moins vrai 
qu'avant de le connaître tu as profondément aimé, 
rappelle-toi, c'est sûr; mais oui, tu as profondément 
aimé... Jacques Béchetal. 

Liane, reniant son passé d'une dénégation violente. — 

Non, ne le crois pas. Ce n'est pas vrai. On te l'a 
dit. Je l'ai peut-être cru, parce que je ne savais pas 
ce que c'était qu'aimer ! Jamais... Personne... que lui ! 
lui!... lui!... 

Maurice. — Tu crois ça! Tu as eu des heures 
heureuses... Tu m'as dit qu'autrefois tu avais aimé... 

Liane. — Quif 

Silence. Maurice hésite tout à coup^ 

Maurice, timidement. — Mon père. 

Il a prononcé le mot inusité presque bêtement, comme 
étonné de sa sonorité. Un temps. 

Liane. — Ah! ça, mon petit... ça, c'était à dix- 
huit ans! Redonne-moi cet âge-là! Redonne-moi ces 
printemps! Redonne-moi ces étés de banlieue! Re- 
donne-moi l'automne à Thomery!... Je n'étais rien, 
je débutais, je venais de quitter mon magasin... je 
n'avais pas de parents! Rien sur la terre... Ah! 

Et le geste envoie promener là-bas Tautomne, le prin- 
temps, la banlieue, la jeunesse. 
MaURICES, avec une hésitation nouvelle, mais se décidant 

à parler. — Maman... Ce n'est pas le moment de te 
poser une question pareille, évidemment... mais en- 
fin, nous avons si peu parlé intimement dans notre 
existence!... Une question... peux-tu y répondre?... 
(Tout bas.) Mon père? Je sais bien... qui c'était... mais 
que faisait-il?... 

LiANE!, arrêtée net dans sa douleur, a, à son tour, une 

hésitation, puis brusquement. — Que t'importe, Maurice! 
Puisque tu parles d'amour, contente-toi de savoir 
que tu es né d'un beau moment d'amour! Contente- 
toi d'être beau, sain et robuste. Dis-toi que tu portes 
mes vingt ans sur ton front et laisse-moi pleurer, 
laisse-moi pleurer toute ma vie ratée... tous les men- 
songes de la vie... toute la boue dont on m'a cou- 
verte... (Elle se rejette la face dans les coussins.) 

Maurice passe la main sur son front et avec résolution. 

— Oui... plus de passé ! Il ne faut plus réfléchir au 
passé! Mais, par exemple, accroche-toi au présent 
et de toute ta force! Ne te laisse pas faire... Lutte! 
Il ne faut pas qu'il te sente découragée tout de 
suite, du premier coup. Tu aurais dû monter! tu 
aurais dû faire du bruit chez lui. Lui as-tu télé- 
phoné? 

Liane, -t- Non. A quoi bon? 

Maurice. — C'est inouï d'entendre ça: à quoi 
bon!... C'est inouï!... 

Liane. — Il ne répondra pas ! 

Maurice, dans un tohu-bohu. — N'importe! Est-ce 
qu'on sait! Téléphone sous un autre nom. Il faut 
que tu le voies aujourd'hui même... 

Il prend nerveusement l'appareil et sonne. 

Liane. — Tout est vain !... Je connais cet homme- 
là... Plus tard!... 



L'ENFANT DE L'AMOUR 



27 



Maurice^ haussant les épaules. — Allô !... 649-36. 

LiÂNE. — Tu sais le numéro f 

Mâuricb. — Oui. Je l'ai retenu. ADô, allô... (ii tend 
l'appareil portatif à sa mère.) Tiens, prends. II ne faut 
pas que ce soit une voix d'homme... en tout cas... 

Liane. — Inutile !... II ne viendra pas, je te dis !... 
C'est absurde, ce que tu me fais faire... (ils sont de- 
bout, lui soutient l'appareil , elle est aux récepteurs.) Allô, 

allô, 649-36?... M. Rantz... (Changeant sa voix.) Voulez- 
vous lui dire de venir à Tappareil, tout de suite, pour 
une chose pressée... C'est vous, François? Oui, c'est 
madame... Non, non... ijuitile de menlir... je sais 
qu'il est là. François, voulez-vous aller dire tout de 
suite à monsieur qu'il \-ienne à l'appareil... c'est pour 
le notaire... il comprendra. Dites-lui que s'il ne vient 
pas, ce sera très grave pour lui. Faites. (Bas, à Mau- 
rice.) Il ne viendra pas! C'est sûr... 
Maurice. — Chut !... Ne parle pas. Attendons... 

Un temps. Ils ont chacun un récepteur. Ils attendent. 

LiANB. — Allô... C'est toi, Paulî... C'est toi. (Elle 

chancelle presque sous l'émotion. Maurice la fait asseoir et 
lui passe le second récepteur. Il s'assied sur un siège à côté 

d'elle.) Voyons, voyons, ce n'est pas possible!... Dis- 
moi que ce n'est pas vrai, que je n'ai pas reçu cet 
affreux papier ce matin...' Non, non, je ne crierai 
pas... Ecoute, ne raccroche pas, je te promets que 
je ne crierai pas... Voyons, on ne peut pas se séparer 
comme ça... c'est impossible. Reçois-moi, je ne te 
dirai que des choses sensées, plausibles, tu verras... 
il y a sûrement moyen de s'arranger, j'en suis per- 
suadée... Seulement, que je ne trouve pas ta porte 

fermée... (Elle tient l'appareil sur les genoux.) AUÔ ! tu as 

quelqu'un dans la pièce à côté?... Qu'est-ce que ça 
taitf II n'entend pas ma voix, n'est-ce pasf... Eh 
bien, parle, parle, j'écoute, oui... (Long silence.) Ah! 
par exemple, ah! non, ne me dis pas ça... (Elle pousse 

des exclamations indignées et, ne voyant plus en son fils que 
le confident, le mâle protecteur, elle lui fait signe de prendre 

le récepteur.) Elntendre une pareille chose, et l'en- 
tendre de si loin! Ah! si tu voyais mes yeux, tu 
n'aurais pas le cœur de me dire ces choses-là! (Elle 

a le visage tuméfié de larmes. Maurice dépose le récepteur et 
du revers de la main lui caresse tristement le visage. Nouveau 

silence.) Ah! c'est trop fort!... Tu crois ça, toit... Ca- 
naille, va!... Ah! ça ne te portera pas bonheur! Tu 
verras ce qu'on dira dans tout Paris !... On te jugera, 
tu verras, quand on apprendra ma fin... Oh! oui, 
pense tout ce que tu voudras 1... Pense que ce sont des 
menaces... canaille!... Avec un cœur pareil tu iras 
loin, c'est moi qui te le dis... Bandit!... (Elle s'inter- 
rompt, avec eflfroi, tout à coup.) Non ! Non ! Ne t'en va 
pas encore, je t'en supplie! Tout, mais ne t'en va 

pas ! (Elle prend le téléphone à deux mains comme si elle 
retenait quelqu'un par le cou, et elle le serre presque contre 

sa poitrine.) J'ai tort, là, Paul, mou petit Paul... ce 
n'est pas vrai qu'on ne se verra plusf... Comment 
veux-tu que je vive maintenant? Je t'en supplie, je 
t'en supplie! Tu ne sais pas ce que je souffre! Tu 
ne sais pas! Je croyais que nous étions ensemble 

pour la vie! (Le visage contre la plaque, elle susurre.) 

Mon petit gars! Mon petit gars! H faut avoir pitié 
d'une femme comme moi. Je sens que, si je pouvais 
seulement t'embrasser, tu ne me laisserais pas ainsi... 
Tu as peur de moi et de mes larmes... Ecx)ute, écoute ! 
parle-moi, parlé !... Je vais me taire, mais parle donc ! 
AUÔ... allô... allô... Parle donc! Tu es toujours là, 
voyons?... Allô! Rien! (Elle se redresse.) Il a raccroché 
le récepteur! 
Maurice, bas. — On a peut-être coupé! 



Liane. — Non, non, je le connais... Tout est inu- 
tile. 

Elle laisse retomber l'appareil comme une chose morte 
sur les genoux de son fils. Maurice le prend, se lève 
et va le poser sur une console. 
MaUBICTE, avec force. — Inutile t.. . Pas tout!... (Chan- 
geant de ton.) Et puis, d'abord, il faudrait être bien 
naïf pour ne pas voir que c'est une manoeuvre. Il 
veut mettre quelques jours, quelques heures de répit, 
entre votre dernière explication et celle qui va suivre. 
Peut-être vaut-il mieux accepter ce silence... Tout 
honune qui rompt emploie de ces moyens-là. Voyons, 
maman, tu le sais bien. Rappelle-toi, il y a deux ans, 
il avait essayé. C'est de la façade, c'est du chiqué. 
Dans quelques jours, passées les craintes du bruit 
que tu pourrais faire et qui le gênerait dans ses 
affaires officielles ou autres... Voyons, maman, ré- 
ponds. Oh! il n'y a pas à répondre, je sais bien. 
Enfin, ne fais pas ces yeux-là! Dis quelque chose. 
Ah! c'est désolant, c'est affreux de te voir ainsi! Je 
te croyais plus de résistance. Entends-tu seulement 
ce que je te dis? Je t'assure que je le pense, je 
t'assure que j'en suis très convaincu. Pour moi, c'est 

du bluff; regarde-moi. (Il lui tourne la tête vers lui.) Ah î 

je n'aime pas ces yeux fixes! Je préfère cent fois 
quand tu pleures, maman! Ah! je ne peux pas te 
laisser seule dans cet état. Tu ne rentreras pas chez 
toi ainsi... J'ai en bas un camarade qui m'attend, 
à qui j'avais donné rendez-vous. Je l'ai prié de 
patienter. Je vais le faire prévenir par la bonne 
que nous nous reverrons plus tard, ou qu'il s'en 
aille, à sa guise... Je ne veux pas te laisser ainsi... 
Une minute. 

Il sort, après lui avoir de la main caressé les cheveux, 
lyiane est restée les yeux fixes, immobile, atone. Dès 
qu*il est passé dans l'antichambre, elle se lève, fur- 
tive, prend son sac d'or, et rapidement, dans un élan, 
elle va vers la porte de la salle à manger. Elle y 
entre et on l'entend refermer la porte à clef. C'est 
une porte à petits carreaux, avec des brise-bise. 

Mauricb, rentrant. — Voilà! C'est fait! Je suis 
maintenant tout à toi!... Où es-tu? (Il regarde sur le 

balcon, vivement il va à la porte, et, dressé sur la pointe des 
pieds, regarde par les carreaux.) Qu'est-Ce que tu fais là? 
(Il comprend, crie, essaie d'ouvrir la porte, n'arrive pas à la 
faire céder; alors, avec le poing, il brise un carreau, passe la 
main à travers, ouvre intérieurement la porte fermée et se 
précipite dans la pièce. On entend un bruit de verres heurtés. 
Il a empoigné solidement sa mère par les deux bras et, dans 
une lutte à la fois terrible et légère, il l'a poussée et la jette 
violemment sur un fauteuil, près de la porte.) Tu eS folle!... 

Tu es folle!... Où as-tu mis le flacon? Donne-moi 

ça!... (Il lui arrache de la main droite le flacon qu'elle veut, 
d'un geste vain, retenir encore. Il le jette au loin. De la main, 
il constate que les lèvres de sa mère ne sont pas mouillées.) 

Tu en étais là!... Tu en étais là!... C'est horrible!... 
Tu n'as rien bu, au moins?... Rien. Non, le flacon 
était plein... Dire que si j'étais arrivé une minute plus 
tard... Oh! maman! Comment oses-tu une pareille 
chose?... Tu étais venue te tuer chez moi !... (Elle a une 

crise de sanglots éperdue, une crise de réaction. Il est à genoux 
près d'elle, épouvanté, bouleversé, devant ce drame si nouveau 
pour lui, si inattendu. Il la couvre de caresses.) Ma pauvre 

maman, tu verras !... Tu verras, on te sauvera !... Non 
seulement on te sauvera, mais tu seras heureuse. 
C'est moi qui te le promets, ma prande chérie! Re- 
garde-moi, dis! Regrarde-moi ! Reg:arde ton bébé. 
Puisque c'est à ce point-là, eh bien, aux autres à te 
rendre ce que tu n'as pas la force toi-même de dé- 



2S 



L'ILLUSTRATION THÉÂTRALE 



fendre!... Maman!... Quelle peine pour moi, quelle 

)>eine horrible!... (il est assis à terre et comprime son 
coeur de la main. Ils demeurent un long temps silencieux, 
suffocants, sans se regarder. La mère, abattue, continuant 
(le sangloter, et lui, tout pâle de Témotion ressentie. Il met la 
tête dans ses mains comme pour reprendre haleine. Après ce 
long silence, il se lève lentement.) Tout n'est paS perdu... 

Ou va s'y employer, bien que tu viennes de me don- 
ner la preuve la plus épouvantable que je ne suis 
rien dans ta vie et que tu ne m'aimes pas!... 

Liane se redresse faiblement. — Maurice, ne dis 
pas ça! 

Maurice, fermement. — Je le dis et je ne pourrais 
pas dire autre chose. Si tu m'aimais, jamais tu n'au- 
rais pu penser à disparaître! 

Alors elle a une exclamation immense, un cri maternel 
s'échappe de ses lèvres, elle ouvre les bras. 

Liane. — Bébé! Mon petit! (ii accourt à elle, et 

quand il est sur sa poitrine, elle le serre éperdument.) Mon 

pauvre petit! Pardon! Pardon!... Oui, je voulais 
mourir, mais je t'aime... C'est parce que je souffre 
trop!... Ton reproche me fend le cœur... Cher petit!... 
Si je dois vivre, c'est à toi que je me racoi'ocherai... à 
toi seul! Seulement, en aurai-je la force f Deux joui*s 
que je me promène avec cette fiole!... Je n'étais pas 
venue en finir chez tof... c'est subitement... ce coup 
de téléphone... ce néant... Une fois déjà, il y a 
quelques années, j'avais tenté de me tuer... à cause 
de lui... Mais maintenant... maintenant... 

MAxmiCE. — Maman! Ne fais plus jamais ce que 
tu viens de faire! 

Liane.. — J'essayerai, au moins. Je te le promets. 
Je te le dois... Peut-être que, si je sens ta tendresse 
nouvelle, j'en aurai l'énerpfie... J'étais née plus 
amante que mère, mais il suffit d'une chose comme 
celle qui vient de se produire pour nous rappro- 
cher. Déjà, l'autre soir, je l'avais senti. (Elle parle à 

mots entrecoupés en ne lâchant pas son fils de ses bras) Ah ! 

dans notre terrible et incertaine vie, l'enfant, tu le 
sais, tu me l'as dit tendrement, c'est l'horloge qui 
marque le temps, l'heure qui avance... c'est celui qui, 
aux yeux de l'homme qu'on aime et qui vous fuit, 
marque plus que tout le reste la mort de notre 
beauté. Mais voilà, tout à coup, quand la vie fait 
table rase de l'amour, en une seconde, alors l'enfant, 
c'est tout autre chose!... Je viens de le sentir... oui... 
oui... je le sens tout à coup à ton cri de reproche... 
Oui, c'est l'appui! Je suis déjà ta vieille maman à 
laquelle tu vas prêter ton bras... Embrasse-moi bien ! 
Que veux-tuf On se cherche dans le bonheur! On se 
trouve dans la souffrance. 

Maurice. — Ah! que c'est bon d'entendre ces 
paroles-là, après l'horrible chose de tout à l'heure! 
Tiens! mets la main sur ma poitrine et sens! Mais 
c'est fini! Voilà, tout de suite, tu viens de trouver 
les mots qu'il fallait dire! Ma petite maman!... Je 
t'aime, va, sans te le dire! Tu as tant souffert que 
çaf... Est-ce possible?... Je ne pouvais pas deviner 
que c'était à ce point... Ah! mais maintenant, c'est 
fini. Tu vas voir... Oui, tu ne pouvais pas, bien 
sûr, te servir de moi, t'appuyer sur moi, mais main- 
tenant, je te jure que tu seras heureuse, je te le jure, 
tu entends! Traite-moi en homme et en ami. tu ver- 
ras!... Mais le vilain geste que tu viens de faire, 
jure-moi, par exemple, que tn ne le feras plus, jure- 
le-moi... 

Liane. — Je te jure d'essayer! Je souffrirai s'il 
le faut la torture la plus effroyable, mais j'essaierai 
de la souffrir pour toi!... 



Maurice. — Aie bon espoir!... Tout n'est pas 
perdu!... Je le sais!... J'en suis sûr. Tu seras peut- 
être un jour heui^use. 

Liane. — Qu'est-ce que tu veux dire par là? Plus 
d'espoir, plus!... 

Maurice, rîntcrrompant du geste, on voit qu'il réfléchit, 
qu'il s*t fforcc de rassembler ses idées. — Chut ! ne parle 

pas. Je réfléchis... Je viens, il me semble, de juger 
la situation d'un coup d'oeil, avec une clairvoyance, 
une logique... Je ne sais pas si je me trompe, mais 
elle m'apparaît claire, toute tracée... 

Liane. — Toute tracée, que dis- tuf 

Maurice. — Nous sommes en plein désarroi, mais, 
avant tout, il ne faut pas perdre de temps... C'est à 
ceux qui t'aiment à s'intéresser à toi puisque tu as 
mis toute ta vie dans cet homme et que tu viens d'en 
donner cette preuve affreuse ! 

Il ouvre les bras comme devant une constatation .défi 
nitive, irrémédiable. 

Liane. — Qu'y pourrez- vous les uns et les autres? 
Où je me suis brisée... 

Elle murmure en gémissant des paroles confuses de dé- 
sespoir. 

\IaTTRICE, interrompt sa méditation et prend une résolu- 
tion violente. — Ecoutc. Je vaLs te demander une 
chose colossale qui va t'étonner par sa brusquerie. 
Mais ne me pose aucune question !... Malgré l'envie 
que nous avons l'un et l'autre de demeurer ensemble 
dans cet instant, je vais te demander de rentrer 
chez toi, immédiatement, sans tarder, de me laisser 
seul ici. II ne faut pas que je laisse passer cette 
minute, je dis cette minute et pas une autre. Qui 
sait même s'il n'est pas trop tard ! 

Liane. — Quelle idée t'a traversé l'esprit ?... Nous 
sommes de grands naïfs, va, toi et moi ! 

Maurice. — Pas un mot là-dessus, maman... plus 
tard, plus tard. Sois sûre en tout C4is que je ne vais 
plus avoir qu'une pensée fixe: toi, toi seule. Mais, 
dans ton intérêt même, il faut que tu me laisses 
immédiatement. Je vois que ma décision, mon ton 
d'autorité subite te suffoquent... Mais accepte-le tel 
quel... Compte sur moi, désormais. Tu vas te calfeu- 
trer dans ta chambre, tu vas pleurer tout ton saoul, 
tu vas remuer tous les mauvais souvenirs que tu vou- 
dras, mais tu ne bougeras pas de chez toi, et demain, 
demain, aussitôt aprts le déjeuner, je viendrai, et 
alors nous causerons utilement... 

Il prend le manteau de fourrure. 

Ijane. — A ton tour, tu radotes Maurice!... Je 
n'interroge pas ta folie... Mais rien que de t'en tendre 
parler, avec tes yeux clairs et ta voix sérieuse, tu 
me donnes un peu d'apaisement. Ah! il n'y a que la 
jeunesse ou l'enfance pour vous communiquer un 

pouvoir d'illusion pareil ! (Elle se laisse aller contre 

son épaule, suppliante.) Tout, mais qu'il ne s'cu aille 
pas... qu'il ne s'en aille pas de moi !... 

Klle frissonne encore, secouée, apeurée. 

Maurice. — Du courage, maman. 

TjIANE, avec tendresse. — Tu viens de m'en donner. 

Maurice. — Je peux avoir une confiance abso- 
lue?... Tu ne recommenceras plus cette infamie?... 
Attends demain! Vite, maintenant... Vite!... Le 
temps presse... Tu ne te sens pas faible? 

Liane. — Du tout. Physiquement, pourquoi ? 
Tiens, rien que pour lui avoir téléphoné tout à 
l'heure, il me semble que j'ai de la peine un peu à 
(|uittcr cette chambre, comme s'il restait de sa voix 



L'ENFANT DE L'AMO^K 



29 



dans eet appareil ! Comme si l'espoir pouvait encore 
venir de là! On est fou!... On est fou!... 

Docile, maintenant, avec des poses ployées de courtisane 
soumise aux désespérances comme aux consolations 
des hommes, elle se laisse entraîner par son fils. 

Maurice. — Que l'espoir te \ienne d'un côté ou 
de l'autre, qu'importe, s'il vient... Tu ne sors pas de 
chez toi, n'est-ce pasf... Espère, ma petite maman. 

Liane, en sortant et s'appuyant à son fils dans un élan 
de tout l'être qui signifie (qu'elle acceiïte tous les secours. — 

Oui... oui... une illusion! une illusion pour \'ivi'e!... 
Ah! je senùs si peu exigeante maintenant, je ne de- 
manderais plus le bonheur. (Elle sort accompagnée de 
Maurice qui la tient par la taille, et répète comme machinale- 
ment.) ...seulement un petit peu! un petit peu!... 

La scène reste vide quelques instants, on entend cla- 
quer la porte d'entrée. Maurice rentre hâtivement. 

Maurice. — Eh bien, Nathalie !... 

Il prend sa canne et son chapeau et allume une lampe 
à pied, la nuit était presque venue. 

Scène V 

MAURICE, NATHALIE 

NaTHALJE, entrant. — Moiisieurf 

Maurice. — Répondez... Qu'est-ce que vous a dit 
la pei*sonne? 

Nathalie. — Quand je suis descendue, elle m'a dit 
qu'elle attendrait le temps qu'il faudrait, mais qu'elle 
ne voulait pas partir sans avoir vu monsieur, qu'elle 
n'était nullement pressée. 

Maurice. — Parfait! Aloi-s, elle est toujoui*s en 
bas au café de la Rotonde? 

Nathalie. — Je pense, monsieur. 

Maurice, il s'approche do la fenêtre, l'ouvre et va au 
lialcon. Les lumières du Palais-Royal sont allumées. — Ail î 

on a éclairé. Oui, elle est en bas. Je la vois derrière 
la vitre.. Elle regarde par ici, mais elle ne peut pro- 
bableiaent pas me voir, parce que la nuit est presque 

('Omi)lètement tombée. (La bonne allume l'électricité.) 

Passez-moi la boug-ie électrique, là. (Rlle tire le fil 

lâche d'un candélabre. Il prend la lumière, s'approche de la 
fenêtre et s'éclaire le visage... puis on le voit faire des signes. 
ce même il «ouligne d'un murmure de paroles machinal, malgré 
la distance: a Montez, oui. », puis il pose la bougie.) Natha- 
lie, puis- je avoir une confiance absolue en vous f 
Vous m'avez déjà d'ailleurs rendu quelques petits 
sei-vices discrets et vous êtes une brave fille! 

Nathalie. — Oh ! monsieur peut me demander 
n'importe (juoi. Monsieur est si bon ! 

Maurice, cherchant, lentement, ses idées, Voici, 

écoutez bien... Tout à l'heure, à l'instant, je vais 
ou vous remettre un télégramme, ou bien je ne vous 
remettrai rien du tout. 

Nathalie. — Bien, monsieur. 

Maurice. — Si je vous remets un télégramme, 
vous aurez soin de nVn pas souffler mot à qui qxte 
ce soit. 

Nathalie. — Bien, monsieur. 

Maurice. — (.e téléjri*amme, vous le copierez de 
votre propre écriture sur un papier quelconque... un 
])apier de télé^mmme à la poste, par exemple. 

Nathalie. — J'ai compris. 

Maurice. — Vous mettrez cette copie de télé- 
gramme dans une envelopi)e pneumatique. Ensuite, 
vous mettrez sur l'enveloppe l'adresse que je vous 
aurai donn('»e... et vous la jetterez à partir de neuf 
heures ot «leniio, ce soir... })as avant, n'est-ce pas? 



Nathalie. — C'est entendu. 

Maurice. — Comprenez bien pourquoi. Il faut 
que ce télégramme soit remis demain matin seule- 
ment^ mais à la première heure. 

Nathalie. — Parfaitement. 

Maurice. — On n'a pas sonné à cet escalier? 

Nathalie. — Je ne crois pas, monsieur. 

Il s'éloigne. Silence. 

Maurice, reprenant. — Ah! vous ne la jetteriez 
pas dans le quartier. C'est important. Vous la jet- 
teriez dans une poste de votre côté, à Montrouge ou 
ailleurs. 

Nathalie. — Ce soir même. 

Maurice. — Maintenant, comme je vous dis, il est 
possible que je ne vous remette rien du tout. (On 
sonne.) Enfin, plus un mot là-dessus, n'est-ce pas? 
Et ouvrez, voulez-vous?... 

Elle va ouvrir à l'escalier de service à gauche. Maurice 
a posé prestement son chapeau et sa canne. 11 va au- 
devant de Nellic. 

Scène VI 

MAURICE, NELLIE, puis NATHALIE 

Maurice. — Oh! comme je vous demande pardon, 
je suis absolument désolé de ce contretemps!... 

Nellie, froide. — Vous m'aviez bien fait signe de 
monter, n'est-ce pas? J'ai cru comprendre. 

Maurice. — Oui... figurez-vous... mais je m'excu- 
serai tout à l'heure de mon retard impardonnable... 
Un rendez-vous d'affaire... Pour l'instant, répondez- 
moi très franchement. Il est tard... il pleut à verse... 
écoutez... Qu'est-ce que nous irons faire dans cette 
banlieue, bien inutilement? On peut toujours nous 
rencontrer... Ça vous serait-il égal de passer, en bons 
camarades, la soirée ici?... Voulez- vous prendre chez 
moi un verre de porto et quelques sandwichs? On 
lunchera,... on aura du feu... (il sourit.) 

NEJiHE. — Mais je ferai ce que vous voudrez. 

Maurice. — Répondez-moi encore plus franche- 
ment... Vous n'êtes pas pressée?... Rien ne vous 
appelle chez vous? 

Nellie, un peu ironique. — Je vous ai déjà dit, je. 
crois, que j'avais arrangé toute ma soirée... 

Maurice. — Nous la passerons très gentiment à 
bavarder ici... Vous voulez bien?... vraiment? 

Nellie. — Mais... 

Leurs yeux se fixent. Nellie, immobile, soutient lon- 
guement le regard. 

Maurice. — Réfléchissez ! 

Elle hésite, puis ferme les yeux, attend une seconde et 
répond à voix étouffée, en baisLant la tète. 

Nellie. — Je ferai comme vous voudrez. 

Elle se tient, confuse, contre la table. 
Maurice. — Bien. (Comme Nathalie passe pour fermer 
les rideaux des fenêtres, il dit à voix basse à la petite.) Je 

vais donner l'ordre à la femme de ménage de dis- 
paraître... S'il vous plaît de jiasser dans cette pièce... 
(Il montre la salle à manger.) Enlevez votre chapeau, 
votre voilette... vous voyez, c'est très en désordre... 
il y a même des vendes cassés, je crois, mais le verre 

blanc, ça porte bonheur! (Elle entre dans la pièce. II 
pousse la porte et fait un signe à Nathalie qui a fermé le« 
rideaux. Précipitamment il écrit sur la table... Nathalie a po.sé 
une lampe près de lui, elle attend; quand il a fini, il déchirt- la 
page du bloc-note sur lequel il vient d'écrire it lui donne K- 

télégramme.) Voilà, ucuf heures et demie, n'est-ce jîas? 
De votre écriture. 



30 



L'ILLUSTRATION THEATRALE 



Nathalie. — Neuf heures et demie, monsieur... 
Maubice. — A une autre poste!... Copiez sans 
faute... 

Nathalie^ en s*en allant, s'arrête sous la lampe à pied, 
et lit, à mi-voix, les mots écrits au crayon. — « R.A.N.T.Z, 

avenue des Champs-Elysées, 70. » 

Maurice. — Oui... 

Nathaue. — « A l'heure où vous recevrez ce télé- 
gramme entrez dans la chambre de votre fille... la... » 

E)Ile s'arrête, lisant mal. 

Maurice, vivement, se rapproche. — « ...Constatation 
que vous y ferez ne sera pas sans vous causer une 
douce surprise!... » Allez!... Et pas de signature, 
n'est-ce pas? 

Nathalie. — Naturellement. 

Elle sort. Alors Maurice va à la cheminée, allume deux 
lanternes japonaises suspendues qui achèvent d'éclairer 
la pièce. Nellie, gamine, a passé la tète, puis sur la 
pointe des pieds s'est glissée, et elle attend contre le 
rideau. 

Scène VH 

NELLIE, MAURICE 

Maurice se retourne. Elle est sans chapeau, toute blonde, 
et prend, gênée, mais coquette, une pose un peu pho- 
tographique. Il l'aperçoit. 

Maurice. — Oh! c'est joli!... avec votre chapeau, 
je vous imaginais bien moins blonde... Comme vous 
avez raison d'être blonde! Tenez, asseyez-vous là!... 
Regardez-moi bien encore, sans rien dire, que je lise 
ce qui se passe dans votre petite tête! (il a poussé le 

fauteuil contre la salamandre, elle s'est assise, il lui lève le men- 
ton avec un doigt et la considère.) C'est bien !... 

Nellie, troublée de ce regard plus scrutateur. — VouS 

ne me regardez plus de la même façon que tout à 
l'heure!... On dirait qu'il y a quelque chose de 
changé. 

Maurice, tristement. — Il y a quelque chose de 
changé, en effet... Tout va si vite dans la vie... beau- 
coup plus vite qu'on ne croit !... (il s'assied familièrement 
à côté d'elle à califourchon sur une chaise.) Oui, nouS allons 

passer la soirée ici, ensemble, et ce sera très gentil, 
très calme... Ecoutez la pluie au dehors!... 

Nellie. — J'adore ce bruit-là!... 

Maurice. — Je souhaite qu'il pleuve longtemps 
ainsi... Nous resterons près du feu... nous cause- 
rons, nous fumerons... Et puis, si vous vous sentez 
fatiguée, ma petite amie, alors vous fermerez les 
yeux, et tWs fraternellement, mais oui, très chaste- 
ment, je vous porterai sur mon petit lit de garçon, 
vous dormi i*ez, et moi, pendant ce temps, je bouqui- 
nerai, je rêvasserai... je... (ii s'arrête.) Oui, je sens 
que vous ne comprenez pas très bien. Je vous devine 
à la fois étonnée... confiante... et un peu craintive... 

Nellie. — Je ne cherche pas à comprendre. Je 
vous ai dit tout à l'heure que je vous obéirais ! 

Elle a détourné encore la tête, honteuse de .sa phrase 
répétée, avec un tremblement dans la voix. Et elle a 
un geste confus et pudique. 

Maurice, se lève brusquement. — Je VOUS assurc que 
c'est émouvant. Maintenant, pour la première fois, 
je comprends que vous êtes venue à moi sans restric- 
tion... vous laissant aller au hasard des choses, des 
événements... et vous êtes à la merci de ma volonté, 
avec, seulement, le cœur un peu battant... 

Nellie, fondant en larmes. — Je VOUS aime! voilà 

tout! je VOUS aime!... (Elle s'est complètement caché le 
visage contre le bois de la bergère.) 



Mauricjb, ému. — Elh bien, non! vous serez ma 
petite sœur... Ce sera très chaste, et nous dirons des 
choses amicales et peut-être aussi des choses graves... 

(11 est accoudé contre le dossier du fauteuil de Nellie.) Car la 

vie, vraiment, ce n'est pas toujours très joli! et pas 
à la hauteur de ce qu'on voudrait... (Avec une grande 
amertume.) Ah! oui, parfois, dans cette sale vie, on 
voudrait faire des choses bien, des choses chic !... au- 
dessus de nous!... Et puis, va te faire fiche!... pas 
moyen !... 

Il brise la cigarette qu'il triturait dans ses doigts. 

Nellie, relève la tête. — Comme votre voix est 
devenue grave... c'est curieux... Vous avez vraiment 
changé depuis tout à l'heure... 

MaURICTE, et sa voix a un accent sincère, désolé. — Mon 

enfant, il suffit de cinq minutes, quelquefois, poui- 
changer, non seulement les voix, mais toutes les pen- 
sées, mais toutes les résolutions... Bah!... qu'im- 
porte!... (Il fait un geste de rage et de regret, puis il essaie 
de rire vite et de recréer l'atmosphère.) On est Ce qu'on 

est et ne nous frappons pas!... Soyons résolus, mais 
gais!... Ce petit dîner sera décidément très gentil... 
£t vous ne mourrez pas autant de faim que vous le 
croyez!... Venez voir mes provisions de célibataire... 

I«e plus gaiement possible, il va à l'armoire du fond et 
l'ouvre. 

Nellie, qui l'a suivi. — Oh! mais, c'est très bien. 
Voulez-vous que je mette le couvert tout de suite f... 

Maurice. — A nous deux, si vous voulez !... Tenez, 
nous allons manger là, près de la cheminée, c'est là 
où je mange quand je suis tout seul... 

Il revient près de la cheminée et déplie une petite table. 

Nellie. — Alors, je prends les assiettes... les 
couverts. 

Maurice. — Attendez, je vais vous aider... 

Nellie. — Du tout! Du tout... Ça, c'est la cor- 
beille... et là... c'est... 

Il l'aide, il s'empresse. 

Maurice. — Mais auparavant, une seconde en- 
core... il faut que je donne un coup de téléphone. 

Nellie. — Faites comme chez vous... Pendant ce 
temps je mettrai le couvert!... Il me semble que je 
fais du camping dans les Alpes !... 

Maurkîe. — N'est-ce pasf... Tout à fait!... Allô! 
allô!... 530-24. Vous trouvez tout ce qu'il vous faut?... 

Nellie, amusée. — Tout!... Vous allez voir... en 
deux minutes, ce sera dressé... Je ne m'occupe pas 
des vins! Vous avez l'air muni!... (Elle déplie une 
nappe.) Oh! la petite nappe à thé. En revanche, 
comme vous avez de grandes assiettes!... 

Maurice. — C'est pour mieux manger, mon en- 
fant ! (Il regarde mélancoliquement cette enfant qui va et vient 
dans la chambre. Vivement.) Allô! qui est là? Ah! c'est 

toi, maman... (Il parait soulagé.) Tu rentres à la mi- 
nute, et tu vas te mettre au lit tout de suite?... C'est 
bien... Tu as raison... Non... je voulais seulement 
avoir de tes nouvelles... (-\vec intention.) Je sais que tu 
as été souffrante, ces temps-ci... Oui, j'ai quelqu'un, 
une visite, dans la pièce à côté. 

Nellie, riant, tout en mettant le couvert, près du feu, 
légère et sans bruit. — Oh ! à CÔte ! 

Maurice, avec tendresse. — Comment te sens-tu?... 
Ah! voilà de bonnes paroles... C'est tout, je voulais 
être rassuré, ce soir, avant la nuit. Est-ce que tu 
crois que tu vas un peu dormir?... Mais oui, évi- 
demment... tu vas passer une nuit blanche... Et moi 
aussi... Ce sera même tout à fait ce qu'on appelle une 
nuit blanche. Parle-moi, dis-moi quelque chose qui 
me rassure... Là, c'est très bien. Partons tous deux 



L'ENFANT DE L'AMOUR 



31 



pour notre insomnie!... Si tu souffres, pense à moi! 
Ma pensée n'est pas loin de toi. C'est tout... Allons, 
un baiser... Que je l'entende. A mon tour, (il donne un 
baiser dans l'appareil. ) Au revoir, m'man. Tâche de dor- 
mir! A bientôt!... 

II ferme Tapparcil. 
NeLLIE, s'exclame, moqueuse, étonnée, tn s'in ter rompant 

d'achever le couvert. — C'est attendrissant ! J'avoue que 
je ne vous voyais pas sous oe jour-là! 

Maurice. — Et moi donc! 

Nellie. — Alors, vous aimez tant que ça votre 
mère t.. . 

Maurice. — A un point que vous ne soupçonnez 
pas! 

Nellie, le menaçant du bout du doigt, mutine, coquette. 

— Qu'est-ce que je disais... pas bien terrible... Vous 
êtes un bon petit boy... un agneau... 

Maurice, lui, la considère fixement, les bras croisés. — 

Hem! Heml... ou le loup! 

Nellie. — Ce coup de téléphone ne trompe pas. 
Quand je vous le disais, tout à l'heure, que vous 
otiez un bon garçon, très gentil... très... 

Maurice, l'interrompant. — Ou une crapule, une ter- 
rible crapule!... Vous m'avez donné le choix... Serai- 
je une crapule? Qui saitf Peut-être... Je n'en sais 
rien ! Qui peut savoir?... Personne... C'est la vie qui 

nous l'apprendra!... (il pousse encore un soupir, puis, d'un 
mouvement rageur, autoritaire et sec, il avance les deux chaises 
contre la table maintenant apprêtée.) En attendant, 

allons-v! On verra après! Plus de préoccupations, 



envoyons promener tous les Bmb ct c tc Bte! En avant! 
Beaucoup de lumières! 
Nellie. — Beaucoup!... 

Elle pose un candélabre sur la table. 

Maurice. — Asseyez-vous là,... parfait! Qu'est-ce 
qui manque f... Est-ce qu'on n'est pas cent fois 
mieux que dans un infect caboulot quelconque?... 
On se dirait en plein été... Qu'est-ce qui manque?... 
Des fleurs?... Allons donc!... en voici!... Des fleurs. 

comme s'il en pleuvait!... (il saisit dans le gramophone 
le bouquet de roses de tout à l'heure; il les éparpille facétieu- 

sèment, sur la table.) Yoilà,... sur la table, sur vous! 

(Il en jette un peu partout.) par terre!... (Il en écrase dans 
les cheveux blonds de la petite, il en éparpille sur sa jupe, 
sur les assiettes. Gagnée, elle se risque à rire.) Quoi en- 
core?... les tziganes?... Oh! nous avons mieux que 
ça!... A nous, l'Italie!... A nous, Caruso!... (il va au 

gramophone et le déclanche. Le gramophone se met à hurler.) 

Ça y est ! En avant la musique !... Piango, Paillacci !... 

(Il appelle, en tapant dans ses mains.) Garçon, servez! (Il 
prend un plat et le passant au bout du poing.) Tenez, piquez- 

moi d'abord une tranche de ce jambon de Yorkshire. 
C'est une recette du duc de Bragance donnée en 
1868 au cuisinier de la Païva, lequel l'a transmise au 
cuisinier de ma mère, lequel... 

La petite rit d'un rire jeune, oublieux, mais toujours un 
peu timide cependant; elle secoue les pétales de fleurs 
agrippées à ses cheveux, sa tête sensuellemcnt rejetée 
en arrière. Le gramophone dévide ses nasillements 
bêtes de guinguette printanière. 



PIN DU DEUXIÈME ACTE 



ACTE 111 

Le grand cabinet de travail dans Vhôtel de Rantz, Vastes boiseries. Escalier intérieur en bois, accédant 
à un palier. Verrière au plafond, mais voilée par une grande étoffe des Indes à ramages, qui forme plafond. 
Au fond, à côté de Vescalier, une petite fenêtre à larges caissons donnant sur un balcon qui domine la cour 
intérieure de Vhotrl, Grande porte d'entrée, ancienne, A droite et à gauche, les portes de deux petits salons, 

ce que c'est? (La porte s'cntr'ouvre. Entre un domestique 
affaire.) Ah ! VOUS, FranÇois !... (Aux sténos.) Une 

seconde, messieurs. Passez dans la pièce à côté. 
Tout à l'heure, je vous rappellerai. Nous en restons 

à quoi? 

1" Sténographe. — Illumination gouvernemen- 
tale, monsieur. 

' Les sténographes se retirent par une porte à droite. 



Scène première 

RANTZ, DEUX STENOGRAPHES, 
puis FRANÇOIS 

Rantz, debout, dicte à deux sténographes, hommes. 

Rantz. — Non, messieure, le progrès n'est plus 
conforme à l'idée que les encyclopédistes et Con- 
dorcet s'en faisaient autrefois. Nous devons bannir 
ridée du réirent laïque et géométrique. 

l*"" STÉNCXiRAPHE. — Pardou... géo... 

Rantz. — Géométrique... organisant un mécanisme 
sjiécial. Nous retrouvei-ons aux suggestions de la 
majorité une illumination gouvei'uementale. (Il s'in- 
terrompt.) Dites-moi quelle est l'expression que je vous 
ait dit tout à l'heure de mettre en provision. 

2*" Stéxographe, lit. — Benvoi I, Conceptions con- 
fessionnales.., 

Rantz. — Non, ça ne peut pas servir là... Ce sera 
pour plus loin... Et l'autre renvoi f... 

Le Stéxograpre. Usant. — Lcs volonics indivi- 
duelles, familiales, municipales, sont les témoins 
énergiques de la vie qui,.. 

Tî fait signe qu'il n'y a plus rien. 

Rantz. — Oui... de la vie... qui... s'efforce... d'em- 
bellir la face de l'Etat!... (On frappe à la porte.) Qu'est- 



Scène II 

RANTZ, FRANÇOIS, AUGUSTINE, 
puis UNE DEUXIÈME FEMME DE CHAMBRE 

Rantz — Et alors? 

François. — Rien, monsieur... aucunes nouvelles. 
J'ai été cbez M"*" de Vernioles d'abord et puis en- 
suite chez M"* Durieux, comme monsieur m'avait 
dit. On n'a eu aucunes nouvelles de mademoiselle, 

Rantz. — Et Augustine, où est-elle f Oîi est-elle î... 

François, montrant la porte ouverte. — Elle CSt là, 

monsieur, elle arrive. 

Rantz, criant. — Allons donc!... Augustine, en- 
trez... Eh bien? 

Augustine. — Monsieur, j'ai vu M"* Sorbier. 



32 



L'ILLUSTRATION THEATRALE 



Elle n'a même pas entendu parler de mademoiselle... 
Elle devait pourtant bien venir hier soir... M"' Sor- 
bier avait reçu un télégramme le matin, l'avertis- 
sant que mademoiselle dînerait chez eux. On l'a 
attendue jusqu'à huit heures et demie. M"* Sorbier 
avait pensé à un contretemps possible, surtout à 
cause des affaires de monsieur en ce moment, au 
ministère. 

Rantz. — Enfin! rien, rien, voilà le résultat! 

AuGUSTiNE. — Si, pourtant... la marchande de 
journaux du coin prétend avoir aperçu mademoiselle 
prendre un fiacre en face de chez elle. 

Rantz. — Ah! C'est déjà quelque chose! Pour- 
quoi un fiacre?... 

AuGUSTiNE. — Elle a reconnu le corsage rose et 
un chapeau noir... une toque... 

Rantz. — C'est énorme, ça, c'est énorme! 

L'autre femme de chambre entre, un corsage rose à la 



main. 



2' Femme de chambre. — Hélas! non, monsieur... 
La marchande de journaux s'est trompée. Voilà le 
corsage rose et le chapeau que je viens de trouver. 

Rantz. — C'est épouvantable!... Et puis la mar- 
chande de journaux ne devrait pas être au cou- 
rant. François, souvenez-vous que je vous recom- 
mande à tous la discrétion la plus absolue dans le 
quartier. 

François. — Ah ! oui, monsieur... autant que pos- 
sible... 

Rantz. — A tous. (Bas, à François.) J'ai fait venir 
aussi Raymond, pas à cette occasion, d'ailleurs... 
Mais je vous prie, quand il \âeudra, de ne pas faire 
la moindre allusion à la disparition de made- 
moiselle f 

François. — C'est entendu, monsieur... Cepen- 
dant, Raymond a parlé hier, comme je l'ai dit, une 
demi-heure avec mademoiselle... Evidemment il ne 
pourrait pas en savoir plus long que nous, mais on 
pourrait lui poser quelques questions sans avoir l'air. 

Rantz. — Et alors, exactement, qu'est-ce que 
M. Boucard a dit ce matin, quand vous avez apporté 
le mot de contre-ordre f 

François. — Oh! je répète à monsieur qu'ils 
ont paru plutôt embêtés! 

Rantz. — Je ne vous demande pas d'apprécia- 
tions... Les faits. 

François. — M. Boucard a dit: « Comme c'est 
contrariant ! Madame s'habillait, mon fils devait 
venir nous prendre à une heure pour aller chez 
M. Rantz... Nous allons lui transmettre le contre- 
ordre... » Alors, il s'est enquis de la santé de made- 
moiselle. 

Rantz. — Et vous n'avez pas fait de gaffe. 
Qu'avez- vous dit? 

François. — Que mademoiselle avait 30* de tem- 
pérature... Qu'on redoutait un commencement de 
fièvre typhoïde. 

Rantz. — C'est suffisant. Voyons, il faut penser 
à tout... Avez-vous téléphoné au château... à Marly... 

François. — Dès ce matin, monsieur. Le jardinier 
n'a vu personne... Nous avons tout visité, monsieur 
le pense bien. Les greniers de l'hôtel... la cave. 

Rantz, impatienté. — I^ cavc ! Ça n'a pas le sens 
commun! Qu'est-ce que vous me chantez avec votre 
cave!... Enfin, bref, vous n'avez aucune idée? 

François. — Ah! pour une idée, si, monsieur! 

Rantz. — Laquelle? 

François. — C'est un coup des grévistes, ça... 
C'est du sabotage... 



Rantz. — Oui, eh bien, ces idées-là, gardez-les 

pour vous! (A la femme de chambre.) Restez, VOUS, j'ai 

à vous parler. (A François.) Les personnes qui vien- 
'' dront, envoyez-les toutes au ministère, où je serai 
à quatre heures... Du reste, non... annoncez, c'est 
préférable... je verrai si je peux recevoir ou non; 
et préparez ma valise. Ah! n'oubliez pas les bre- 
telles de l'habit... vous entendez? 

François. — Monsieur part tout de même 1 
Rantz. — Je n'en suis pas encore sûr, mais j^ré- 
])arez la valise. 

François sort. 11 reste seul avec Augustine. 

Scène III 

RANTZ, AUGUSTINE 

Rantz. — Allons, vous savez quelque chose. 

Augustine, avec dénégation. — Moi, monsieur!... 
Oh! je jure bien que non! 

Rantz. — Voyons, voyons, ce n'est pas pos- 
sible!... Je ne vais pas vous cuisiner, mais enfin, de- 
puis trois ans, vous êtes dans les confidences et 
les petits papiers de mademoiselle... 

Augustine. — Mais, monsieur^ je n'ai reçu aucune 
confidence... aucune... Je ne sais ])as ce que monsieur 
veut dire. 

Rantz. — Elle ne connaissait personnel... Elle 
ne s'est jamais rendue à aucun rendez- vous... 

Augustine. — Oh! monsieur aurait tort de cher- 
cher de ce côté-là. Ça, jamais! Mademoiselle!... 

Rantz. — Cependant, elle sortait... Elle avait 
toute sa liberté!... Je l'ai laissée toujours sans sur- 
veillance... 

Augustine. — On voit bien que monsieur ne 

connaît pas sa fille. fElle se reprend vivement devant un 

mouvement de Kantz.) Je veux dire quc, si monsieur 
supposait une pareille chose, il se tromperait du 
tout au tout. Mademoiselle me parlait encore hier 
avec plaisir de son raariai^e!... 

Rantz. — Evidemment! évidemment!... Je ]>ense 
comme vous... Seulement, il faut bien que j'envi- 
sage toutes les éventualités!... Je m'y perds. Je finis 
par conclure à un enlèvement de force!... une séques- 
tration !... d'abord cette dépêche très explicite... D'un 
autre côté c'est elle-même qui avait choisi ce jour 
officiel de fiançailles... Si ce mariage 'ne lui avait 
pas convenu, elle n'avait qu'à me le dire!... Je ne 
l'ai pas forcée à le conclure. Je l'ai toujours laissée 
maîtresse de ses actes... Je n'aurais pas fait une 
objection, au cas où elle m'eut dit: « Non. » Elle 
le savait... Alors? Alors?... 

Il se promène, agité. 

Augustine. — Mademoiselle paraissait si contente, 
si heureuse de ce mariage... 

Rantz. — Jamais ma fille n'a quitté la maison 
la nuit, n'est-ce pas?... Et puis, c'est folie!... En 
admettant les pires aberrations, elle serait revenue... 
elle ne me laisserait pas sans nouvelles, en proie à 
toutes les inquiétudes... Et enfin il n'y aurait pas 
ces menaces... cette dépêche haineuse. 

Augustine. — Mon Dieu!... pourvu qu'il ne soit 
pas arrivé un malheur à mademoiselle! 

Rantz. — Nous sommes en droit de nous livrer 
à toutes les inquiétudes, toutes... Ah ! «,*a tombe bien, 
d'ailleurs!... Ça tombe bien!... 

Augustine. — Mais que va faire monsieur?... 

Rantz. — Tout, vous pensez bien ! A quatre 
heures ou à cinq, si je n'ai pas de nouvelles, je mobi- 



L'ENFANT DE L'AMOUR 



33 



lise le préfet de police. J*ai heureusement, sous mes 

ordres, tous les Sei-vices... (il prend la dépêch? sur la 

table.) Trois liypothèses, pas une de plus... Fuite, 
séquestration, enlèvement... Je m'adresserai au ser- 
vice des ports en cas de fuite... au service des garnis 
en cas de... 

François, frappant à la porte et paraissant. — Mon- 
sieur le chef de cabinet. 



Scène IV 

RANTZ, LE CHEF DE CABINET 

Rantz. — Entrez, entrez, entrez, mon cher! Au- 
gustine, faites-moi apporter un sandwich, je meurs 
de faim. Avec tout ça, je n'ai pas déjeuné! N*im- 
porte quoi, un sandwich, du pain. 

Augustinc sort. 

Le Chef de cabinet. — Monsieur le ministre, 
j'arrive de Tin té rieur. 

Rantz. — Eh bien?... 

Le Chef de cabinet. — Comme vous me l'avez 
recommandé. Je suis également passé chez M. Pau- 
lin Delval. 

Le chef de cabinet jiii passe des pièces qu'il signe tout 
en parlant. 

Rantz. — Qu'a dit le président du Conseil?... 

Le Chef de cabinet. — M. le président du Con- 
seil vous supplie de partir ce soir par le train 
de huit heures quinze. La désillusion à Grenoble 
serait effroyable. Il vous le dira lui-même, dans son 
cabinet, tout à l'heure. Il va même vous le télé- 
phoner. 

Rantz. — Et si je ne peux pas! Et si je ne peux 
pas ! 

Le Chef de cabinet. -- Tout est préi)aré à la 
salle du Skating, à Grenoble. Tous les maires du 
département sont venus, ils n'y seront plus le soir. 
Vous n'aurez personne à votre banquet: ce serait un 
désastre... Et votre discours, sans les délé^rations 
ouvrières, sans... 

Rantz. — Si je mY»tais cassé la jambe, pour- 
tant!... Ce que je demande n'est pas colossal! la 
transformation du déjeuner de demain matin en 
dîner. Les fleurs des arcs de triomphe se faneront, 
voilà tout! 

Le Chef de cabinet. — Et les concours que vous 
devez présider! Et les récompenses que vous devez 
distribuer et dont les titulaires ne seront plus là! 
M. le président du Conseil affirme que ce serait 
très grave, ce banquet républicain du Commerce et 
de l'Industrie étant surtout le prétexte de votre 
discours sur la grève, et sur la nouvelle politique 
d'apaisement. 

Rantz. — Ah! Ah! mon discoure! mon dis- 
cours!... Je n'arrive même pas à le finir... II sera 
propre, mon discoure!... 

Le Chef de cabinet. — Je n'irai pas, monsieur le 
ministre, jusqu'à vous offrir mes services... 

Rantz, haussant les épaules. — Ah! mon cher! J'ai 
là deux sténographes. Ils me suivent partout, du 
cabinet de toilette dans l'escalier, de l'escalier dans... 
Ce ne sont plus des sténograi)hes, ce sont des cou- 
reure!... (Se reprenant.) Du rcstc, ça n'a aucune es- 
pèce d'importance. Je le finirai dans le train !... Seu- 
lement il faudrait pouvoir le prendre, ce train!... 
Et s'il n'y avait que ça. Dieu de Dieu!... Vous ne 
pouvez pas imaginer la série de tracas qui m'arrivent 



en ce moment, mon cher... C'est comme un fait 
exprès ! Enfin je m'en sortirai... La fatalité est 
réactionnaire !... 

Le Chef de cabinet. — Rappelez- vous, monsieur 
le ministre, qu'à quatre heures, au ministère, vous 
recevrez la délégation de l'Amicale des téléphones. 

François est entré. 

Rantz. — Et puis quoi? Qu'est-ce que c'est que 
çaf Du bouillon froid?... Oui, oui, ça va. Et un 
sandwich... Bien... Délégation des téléphones? 

Le Chef de cabinet. — A cinq heures, vous 
recevi'ez M. Paulin Delval, que vous avez convoqué... 
Puis les signatures... 

Rantz. — Et si je demandais un train spécial, 
la nuit... si j'ai besoin de ma soirée? 

Le Chef de cabinet. — Oh! ce serait... ce se- 
rait... 

Rantz. — Népotique!... vous avez raison... Pom^ 
quelqu'un qui réorganise les bureaux! (il mastique et 
boit.) Ça me rappelle le collège, tenez! deux sous 
de crottes de chocolat et une saucisse froide! Enfin, 
je mangerai aussi dans le train. Partez, mon cher^ 
et recevez... 

Le Chef de cabinet, ahuri. — Quoi! Monsieur le 
ministre. Moi? 

Rantz. — Oui. 

Le Chef de cabinet. — Mais... je ne peux pas !... 
C'est vous, monsieur le ministre... 

Rantz. — Si, vous pouvez très bien... 

Le Chef de cabinet. — Mais, qu'est-ce qu'il 
faudra dire à ces gens-là?... à la délégation... 

Rantz. — Allez donc! J'arriverai, mais je ne 
sais pas quand. Qu'ils attendent... Taillez une ba- 
vette !... 

Le Chef de cabinet. — Mon.sieur le ministre! 
Mais qu'est-ce que vous avez? 

Rantz. — Ce que j'ai?... Ah! (Il referme violemment 
la porte sur le chef de cabinet. Dans les dents il grommelK- 

en traversant la pièce.) Rompre avec sa maîtrcsse! Per- 
dre sa fille le jour où on la marie!... Ecrire un dis- 
cours... prendre le train... qu'est-ce qu'il manque 
encore? 

Il ouvre brusquement la porte aux sténographes. 

Scène V* 

RANTZ, LES STENOGRAPHES, puis FRANÇOIS 

Rantz. — Allez ! Oust, vous autres. Allons-y. 
Qu'est-ce que je disais? Quoi? Quoi?... Eh bien, 
quoi?... 

Un Sténographe. — Monsieur le ministre, vous 
en étiez resté à: embellir la face de l'Etat. 

Rantz, s^apaîsant. — Ah! oui. (ii reprend.) C'est en 
légiférant pour des qualités, et non pour des quan- 
tités seulement, que nous arriverons... à organiser 
avec sagesse les... forces du syndicalisme social. (On 

entend un bruit dans Tappartement. Rantz ouvre la porte, 

furieux.) Qu'est-ce quc c'est encore? Qu'est-ce que 
c'est? 

On entrevoit François et un déménageur qui porte une 
caisse dans le couloir. 

François. — Mais, monsieur, je commence à faii'e 
enlever les premières caisses pour l'emménagement, 
rue de Grenelle, comme monsieur l'a dit... 

Rantz. — Il s'agit bien de déménager!... Est-ce 
que je vais déménager? Renvoyez-moi tout ça, ren- 
voyez... On a bien le temps!... crénom! 

Un autre domestique accourt. 



34 



L'ILLUSTRATION THEATRALE 



Le DoMîasTiQUE. — Monsieur, il y a Raymond 
que j'ai fait attendre comme monsieur m'avait re- 
commandé. 

RaNTZ. — Bien !... (Le domestique sort. Aux sténos.) 

Messieurs, décidément, pas de chance. Je ne peux 
pourtant vous faire courir comme ça indéfiniment... 
Finissons-en. Montez dans mon fumoir... par là... 

oui... (Il montre l'escalier du fond.) Copiez... amuseZ- 

vous pendant ce temps... J'arriverai bien un jour 
ou Fautre. 

Ils montent TescaUcr et s'en vont au trot. 

Scène VI 

RAJSTTZ, RAYMOND, puis FRANÇOIS 

RaNTZ, ouvre la porte du salon d'attente, et changeant de 
ton, très maître de lui. — Entrez, Raymond. (Raymond 

entre.) Ce sont des adieux, Raymond. 

Raymond, en spicndide veston havane. — Ah! mon- 
sieur ne peut pas se douter du chagrin que ça me 
fait! Je ne puis pas mliabituer à l'idée que mon- 
sieur va quitter madame. • 

Rantz. — C'est pourtant ainsi. Je vous ai fait 
venir, car, bien que vous n'ayez jamais été attaché 
à mon service, j'estime que vous m'avez été toute- 
fois très fidèle et je ne veux pas me séparer de vous 
sans vous donner une gratification. 

Raymond. — Oh! monsieur est trop bon! Je ne 

sais si je dois accepter... (Rantz va à la table, sort d'un 
tiroir un portefeuille et met sous enveloppe quelques billets; 
il tend l'enveloppe. Raymond s'avance, puis hésite.) Tout 

réfléchi, je ne crois pas devoir accepter. 

Rantz. — Prenez donc... c'est la moindre des 

choses. (Il jette l'enveloppe sur la table.) 

Raymond, la prend, la glisse dans sa poche avec un geste 
de désespoir, puis il cherche une larme. — Monsieur ne 

peut pas se douter, non, monsieur ne peut pas se 
douter de la peine que cela me fait... 

Rantz. — Quoi, Raymond t.. . cette gratification? 

Raymond. — Non, pas la gratification, je ne vais 
pas jusque-là!... Mais je n'aurais pas pensé, vérita- 
blement, qu'un jour on en arriverait là, et encore 
maintenant, je me permets d'espérer que monsieur 
reviendra, que monsieur... 

Rantz. — Non, Raymond, c'est irrémédiable. Vous 
avez trop assisté au spectacle de notre intimité, de- 
puis quelques mois, pour n'être pas fixé... 

Raymond. — Monsieur ne se figure pas le chagrin 
qu'a madame. Si monsieur l'avait vue encore ce 
matin!... Nous étions tous auprès d'elle: on Ten- 
tendait crier jusque... 

Rantz, l'interrompant. — Je VOUS en prie, Raymond, 
assez!... Je me rends compte de tout, et c'est pour 
moi une peine immense. Il me faut une énergie ex- 
trême pour supporter, moi aussi, les circonstances 
actuelles... Cette séparation est particulièrement dou- 
loureuse, mais madame rendait toute vie impossible 
depuis plusieurs années!... C'est aussi bien pour elle 
(jue pour moi que j'ai dû en arriver à cette extré- 
mité. Toutes les séparations sont pénibles, et ceux 
qui y assistent, comme vous, ceux qui en sont les 
témoins journaliers, peuvent seuls se rendre compte 
de ce que les étrangers ne soupçonnent même pas !... 
Il était temps, il était nécessaire, pour le bonheur 
de madame elle-même, que nous en arrivions là. 
Enfin... nous voilà au bout du chemin... Adieu, Ray- 
mond. 

Raymond. — Mais, monsieur, si je compte bien, 



ça fait la troisième fois que monsieur quitte la mai- 
son, et... 

Rantz. — Cette fois, c'est la bonne! Non, Ray- 
mond, pas un mot de plus. Je vous donne les explica- 
tions que je crois devoir vous donner, mais n'abusons 
pas. (Avec intention.) Toute insistance de madame serait 
vaine!... Cette brusque séparation est terrible, mais 
nécessaire pour l'instant... Plus tard, dans quelques 
mois, nous nous reverrons; il n'est pas impossible 
que vous m'ouvriez la porte d'entrée et que je re- 
vienne même de temps à autre passer la soirée, en 
ami, avenue de Wagram. Bonne chance, Raymond! 
J'ai été très satisfait de vous et soyez sûi* que je 
vous garderai de la reconnaissance, si vous veillez 
sur madame avec le plus grand soin. 

Raymond. — Oh! monsieur n'a pas besoin de me 
le recommander!... (Au moment de sortir.) Est-ce que 
je puis dire adieu à mademoiselle? Elle a été si gen- 
tille à mon égard que ça me ferait un chagrin de 
m'en aller sans... 

Rantz. — Elle n'est pas là. 

Raymond. — Je le i-egi'ette. (ii va sortir.) 

Rantz, après avoir réfléchi. — Raymond f 

Raymond. — Monsieur? 

Rantz. — Peut-être, après tout, pourriez-vous 
m'apporter un renseignement, un indice... Vous avez 
vu hier, ici, mademoiselle? 

Raymond. — Oui, monsieur, hier matin, quand 
je suis venu remettre à monsieur la lettre de ma- 
dame ! 

Rantz. Voyons!... (Après une dernière hésitation, il 

se décide.) Pouvez-vous garder strictement pour vous 
ce que je vais vous dire, sans en parler, même à ma- 
dame ? 

Raymond. — Certainement... Il suffit que mon- 
sieur me le demande. 

Rantz. — Je suis très inquiet... Mademoiselle n'est 
pas rentrée depuis hier soir. 

Raymond, avec un haut-iccorps. — Qu'est-ce que 
monsieur me dit là? 

Rantz. — Et je ne sais pas ce qu'elle est devenue. 

Raymond. — Ah! bougi'e!... Ah! l'aiiim... Eh 
bien... 

Rantz. — Quoi? Quoi?... 

Raymond, bafouillant. — Je dis... Ah! quelle his- 
toire !... 

Rantz. — Je sais que ma fille vous traitait avec 
sympathie... On m'a infonné que vous aviez passé 
une demi-heure ici. 

Raymond. — Oui, monsieur... Mademoiselle m'a 
fait arranger des fleurs dans sa chambre... Je lui 
ai montré une recette pour les conserver. 

Rantz. — Aucun mot ne vous a frappé, dans 
votre conversation d'hier, qui pourrait me servir 
actuellement d'indice ? 

Raymond, reprenant son sang-froid. — Aucuu, mon- 
sieur. 

Rantz. — Elle ne vous a pas dit par hasard où 
elle devait aller hier soir? 

Raymond. — Non, monsieur... non. 

Rantz, alors, aflfcctc la plus grande insouciance. — 

D'ailleurs, je vous demande cela par acquit de con- 
science, car, au fond, je me doute très bien de l'en- 
droit où se trouve ma fille en ce moment. 

Raymond, ironique. — Ah! Monsieur sait... 

Rantz. — Oui, oui, oui... 

Raymond, souriant. — Alors, si monsieur sait... 

Il balance son chapeau melon, et jette sur Rantz un 
regard jovial et sournois. 



L'ENFANT DE L'AMOUR 



30 



Raxtz. — Oui, elle doit être chez la supérieure 
du couvent où elle a été élevée. Elle avait manifesté 
plusieurs fois cette intention d'aller passer là-bas 
un jour ou deux. 

Raymond. — Evidemment, monsieur. Elle ne peut 
être que dans un endroit de ce grenre!... Evidem- 
ment... 

Lra porte s'ouvre. 

François, se rapprochant, bas, à Rantz. — Monsieur, 
c'est madame. 

Rantz, bas, — Madame? Ici! Vous avez laissé... 
(Se retournant.) Attendez, Raymond. 

Raymond s*écartc. 

François, bas. — Madame est entrée brusque- 
ment... elle a refermé la porte, j'ai eu beau dire que 
monsieur n'était pas là, elle a répondu: a Ça m'est 
égal, j'attendrai indéfiniment, je ne sortirai pas 
d'ici... » Que faire f J'ai peur d'un esclandre. 

Rantz. -- Sapristi! C'est le comble!... Vous de- 
viez l'empêcher d'entrer. 

François. — Comment l'aurais-je puî... Je l'ai 
laissée avec Adiien dans l'antichambre... et je suis 
vite venu demander, à monsieur, ce qu'il fallait faire. 
ESle veut écrire, dit-elle, un mot à monsieur... sur 
son bureau... Si monsieur donne des ordres con- 
traires... 

Rantz. — Non... maintenant que la bourde est 
faite!... Que c'est contrariant!... Je vous avais assez 
prévenu, pourtant... (il prend un parti.) Tant pis!... je 
vais monter au fumoir et voilà tout... I^aissez-lui le 
champ libre ici, qu'elle fasse ce qu'elle voudra, et 
tant qu'elle le voudra... Seulement je ne veux pas 
la voir, sous aucun prétexte, vous entendez, aucun I... 
Surveillez-la discrètement, avec la plus frrande cor- 
rection... Moi, je m'enferme là-haut... J'emmène 
Raymond, car je ne veux à aucun prix qu'il la croise 
dans l'antichambre ou la galerie. 

François. — Alors, si elle veut entrer dans le 
cabinet de monsieur? 

Rantz. — Laissez... (Avec intention et fermeté.) Mais 
restez. Ordre de ne pas vous éloigner. (Le domestique 
sort.) Venez, Raymond... J'ai encore quelque chose 
à vous dire et une lettre à vous faire porter... 

Il monte l'escalier. 
Raymond, grimpant derrière lui et répétant. — Mon- 
sieur ne peut pas se douter de la peine que... 

Rantz referme la porte du haut à double tour. Quelques 
instants après, le domestique rentre, constate que la 
pièce est vide, et introduit Liane. 

Scène VII 

LIANE, FRANÇOIS 

' François. — Si madame veut se donner la peine 
d'entrer, (ii va au bureau.) Il y a des plumes et du 
papier à lettre. Madame peut écrire. 

Liane, jetant à terre la plume que lui tt-nd François. 

— Avec votre permission, François!... J'en suis là! 
Il faut que je subisse Thumiliation de la domesti- 
cité!... Si vous l'aviez osé tout à Theure, vous aunez 
repoussé la porte du penou pour m'empêcher de 
passer. J'ai vu le mouvement. 
François. — Oh! madame s'abuse... 

Elle n'est plus semblable à ce qu'elle était à l'acte pré- 
cédent. C'est une femme d'aspect résolu maintenant. 
Elle a un grand manteau drapé, de couleur vive et 
riche. La fiRiiri- r^t très faite, le fard a effacé \<n\v 
trace des ravages de la veille. 



Liane. — La maison m'est fermée comme à une 
quémandeuse, maintenant! Il faut que je subisse 
l'insulte et la gouaillerie de l'office!... Ah! ah! nous 
verrons bien, par exemple! Dites à monsieur que je 
veux le voir, et que je le verrai coûte que coûte... 

François. — Je réptte à madame que monsieur 
est sorti; il est au ministère. 

Liane. — Ce n'est pas vrai. 

François. — Si, madame. 

Liane. — Parfait! je vais donc voir l'apparte- 
ment. 

Elle se dirige vers l'escalier. 

François. — Je ne crois pas pouvoir autoriser 
madame... 

Liane. — Vous avez des ordres ?... 

François. — Nullement... Madame doit bien voir 
qu'elle peut entrer, aller et venir, comme il lui plaît, 
au rez-de-ehaussée. Je ne pense pas que madame ait 
à faire dans les pièces du haut. 

Liane. — Quelle joie vous mettez à dire ça!... 
Quelle joie à humilier celle que vous avez enfin 
le droit de toiser... celle qui n'est plus la patronne... 
Ce que j'ai dû vous faire souffrir sans le savoir!... 
Eh bien, non, ce sera comme d'habitude, François... 
vous faites erreur... Je vais m'installer là... Oh! 
j'attendrai tout le temps nécessaire, comme autre- 
fois, comme toujours, je patienterai, je lirai les 
journaux... Je fumerai... Allez-vous-en ! (Elle sVst 

assise sur le grand canapé, face au bureau, déplie des journaux, 
ouvre négligemment une boîte à cigarettes. I^e domestique ne 
bouge pas. Ccst un grand larbin en livrée, aux gestes sobres, 
la boucbe terminée en rictus, aux regards de côté. Il demeure 
avec une correction froide, pire que- l'insolence.) Je VOUS ai 

dit de vous en aller!... Vous avez peurf... De quoi 
avez-vous peurf... Que je force les tiroii-s? Que je 
casse les meubles? C'est possible, d'ailleurs^ je ne 
réponds pas de moi!... Mais vous sortirez tout de 
même. Nonf... Je vous chasse, entendez-vous?... J'ai 
à écrii-e et je ne veux pas de ce îçardien qu'on a 

chargé de me surveiller. (Elle rejette k-s journaux et va au 

bureau. Avec hauteur.) Eh bien, VOUS n'êtes pas encore 

sorti?... (Avec une grande dignité, sans fausse attitude, elle 
attend, droite. Intimidé, le domestique liésite, puis sort len- 
tement... Restée seule, elle a une détente de tout le corps. 
Elle a l'air de s'installer, comme si vraiment elle allait écrire, 
puis ses yeux se perdent au loin.) Le lâche!... IcS lâchcS ! 
(Elle ouvre le salon de droite, s'assure qu'il n'y a personne, 
monte ensuite l'escalier, essaie d'ouvrir la porte, constate que 
le double tour est donné.) Naturellement!... (D'abord dou- 
cement, puis plus fort.) Paul! Paul!... Ah! Je te con- 
nais pourtant. Tu es là quelque part, tu me vois 
peut-être!... Je connais ta manière! Dire qu'il est 
là, peut-être, den-ière un trou de serrure. (Elle se 

baisse et insi)eete la serrure.) Derrière UUe vitrC, en 

face... comme nous faisions... pour surveiller... (Elle 

ouvre la fenêtre qui i st près de IVsealiir au fond. Elle va 
sur le balcon. On voit la cour intérieure de l'hôtel. Elle s'ap- 
puie de dos à la grille du balcon, regarde à l'étage supérieur, 
inspecte les fenêtres du regard et crie.) Paul ! Pîl CS-tu? 

OÙ es-tu? Je te dis qu'il faut que tu descendes... 
Tu vas venir, ou prends garde!... (Probablement des 

domestiques sont accourus dans la cour, car on la voit baisser 
ses regards et faire des gestes en parlant dans la direction du 

nz-dc-thaussée.) Oui, regardcz-moi, vous autres, les 
larbins!... Parfaitement, j'appellerai, parfaitement !... 
Je vais faire du vacarme!... Pourquoi pas?... Ah? 
rh! ça commence. Voilà les fenêtres qui s'ouvrent 
là-liaut !... Toute la meute sur pieds!... Je veux voir 
votre maître et je le verrai... (Elle lapc du poing sur 



36 



L'ILLUSTRATION THÉÂTRALE 



le fer du balcon, elle les apostrophe. La porte s'ouvre. Le 
domestique de tout à l'heure accourt et se précipite au balcon.) 

Ohî ne me touchez pas, vous... je suis encore votre 

maîtresse! (Le domestique referme la fenêtre derrière elle.) 

Et vous n'êtes que des larbins!... Vous ne m'empê- 
cherez pas!... Vous n'empêcherez rien!... Je ferai 
chez moi ce que je voudrai!... (Elle prend un va^c sur 

la table, le jette à terre. Il se brise. Puis devant Tinanité du 
geste et devant l'impassibilité absolue du domestrque, elle se 

ressaisit.) Je suis ridicule, c'est vrai!... Vous avez 
raison de sourire avec mépris... L^ne femme comme 
moi ne sait même pas souffrir... C'est misérable!... 
(Elle hausse les épaules.) D'ailleui-s... j'ai compris... Il 
suffit de jeter un coup d'œil sur vous... d'écouter 
le silence de l'hôtel... Tout est concerté... Bien... (Le 
domestique ne répond pas.) Je ne le verrai pas, je ne 
le verrai plus!... Restez, François, *çardez-moi à 
vue... Vous allez donc me voir écrire... Vous n'aurez 
même plus le mal de me surveiller... (Elle s'assied au 
bureau.) Rama^^ez la plume. 

François, se baisse, prend la plume qu'elle a jetée tout à 

l'heure et la lui tend. Voità, madame. 

Elle écrit. De temps en temps, elle s'arrête pour réflé- 
chir, comme si elle regardait quelque chose devant 
elle. Gêné de ce regard, le domestique s'écarte un 
moment. Elle s'en aperçoit. 

Liane. — Oh! ce n'est pas vous que je regardais... 

c'était derrière! derrière!... (Elle se remet à écrire. Le 
domestique plie les journaux, puis astique machinalement un 
bouton de son costume. Quand elle a fini, elle parle en cache- 
tant la lettre.) Vous serez témoin que j'ai écrit cette 
lettre sans une larme... N'oubliez pas de le lui dire!... 
Maintenant, écoutez. Voici ce sac. Je le pose là. Je 
mets la .lettre dessus. Vous direz vous-même à mon- 
sieur ce que je ne lui dis pas dans la lettre. Ceci: 
que j*espérais pouvoir lui remettre moi-même ce que 
contient ce sac, ce que j'y ai mis et que je ne pou- 
vais confier à personne. Ce sont des choses de la 
plus haute importance pour monsieur; il y en a de 
moins importantes, mais qu'il cherche dans le pa- 
quet... D trouvera. 

François. — Bien, madame. 

Liane. — Mon ambition était de les lui remettre 
moi-même... j'étais venue dans cet espoir... C'était 
trop demander! U faudrait pour cela attendre bien 
long^temps !... trois, quatre, cinq jours peut-être avant 

qu'il me reçoive... C'est trop!... (Puis elle se redresse, 
comme si ille pensait tout à coup à la personnalité de l'inter- 
locuteur.) N'oubliez pas, François, de dire cela... Sans 
une larme! 

Elle a prononcé encore cette phrase en fixant le domes- 
tique avec orgueil. 

François. — Je n'oublierai pas, madame. 
Liane. — iVest tout, je n'ai plus rien à rendre... 
Ah! si... 

Elle défait son collier de perles; elle le met sur le sac 
et la lettre. Elle enlève ensuite un bijou du corsage 
et ses deux pendants d'oreilles. Dans ce geste de la 
courtisane qui se dépouille, qui rend le prix de son 
souvenir, la parure de son corps, il y a quelque chose 
de rituel et de naïf à la fois. Une à une elle enlève 
KS bagues de la main gauche. Elle s'attarde spéciale- 
rijcnt à en regarder une; elle hésite à l'enlever... Puis 
elle se décide; elle la place sur la table avec un cer- 
tain rispcct et de l'émotion évidente. Puis, satisfaite, 
L-lle st- dirige vers la porte. 
FRAN<'niS, qui pendant ce temps tenait le bouton de la 

porte. — Si madame veut bien... 

LtANK. — Chut!... Taisez-vous! (Elle écoute, elle 



. éclate.) Ah! je le savais bien! je le savais bien qu'il 
était là à me guetter. J'ai entendu sa voix, 

François. — Mais non, madame, mais non. 

Liane. — J'ai entendu sa voix, je vous dis!... Je 
le verrai! Je le verrai!... Je ne veux pas mourir 
sans le voir, sans lever cette interdiction abomi- 
nable! (Elle se précipite à l'escalier, monte et s'acharne à la 
porte par où est sorti Rantz.) Paul, OUVre-moi ! Je le 

veux! 

François, du bas de l'cscaiier. — Je vous en prie, 
madame. Que madame se calme! (il a ouvert la porte 

d'entrée et il appelle à son tour à voix basse.) Adrien !... 

Augustine. 

Liane, de là-haut. — Vous ne vous sentez pas de 
taille! Vous avez besoin de secours! Il vous faut 
du renfort... 

Scène VIII 

Les mêmes, AUGUSTINE, ADRIEN 

Adrien et Augustine entrent précipitamment et s'arrêtent 
sur le seuil. 

François, bas, à Augustine. — Allez demander à 
monsieur ce qu'il faut faire. Je ne sais plus, moi!... 

Augustine sort. L'autre domestique demeure. 

Liane. — Appelez donc tout le bataillon de l'of- 
fice pendant que vous y êtes! Contre une fenMne!... 

Lâches!... (Elle descend. Elle veut aller à la fenêtre encore 
une fois, mais immédiatement un des deux domestiques se met 

devant elle.) Chiens!... (Elle recule.) Oh! mais je deviens 
folle! Je ne sais plus ce que je vais faire, s'il ne 
descend pas, s'il n'arrive pas! Qu'est-ce que j'ai? 

Oh! qu'est-ce que j'aif (Elle se retient cramponnée au 

canapé.) Il faut qu'il vienne!... Dieu, que je suis 
malheureuse!... Mon Dieu, comme on peut être mal- 
heureuse ! 

Elle glisse à terre, les bras serrant le bois du canapé. 

Augustine, revenant, bas, à François. — Monsieur 
fait dire qu'il est essentiel que ce bruit cesse, à cause 
des gens du ministère qui peuvent aller et venir. II 
dit qu'il faut tâcher de la reconduire avec une très 
grande politesse, mais arriver tout de même à la 
faire partir de son cabinet de travail. 

François, fait signe aux domestiques. — Mettez- VOUS 
la... ICI... (Il leur indique leur place, puis, s'approchant de 

Liane.) Madame... Je suis désolé d'insister!... Mais 
madame ne peut pas rester ici... Je vais la reeon- ' 
duire à sa voiture... Que madame prenne mon bras... 
Liane. — C'est une manière de prendre le mien !... 

Ne me touchez pas ! (Elle se relève avec horreur tout seule 
et d'un trait. Elle regarde les trois domestiques postés.) Ah ! 

j'ai compris ! C'est lui qui vient de vous faire donner 
Tordre. La femme de chambre est sortie et rentrée... 
C'est lui qui veut qu'on me chasse! Je ne veux pas 
m'en aller!... Je m'accrocherai. 

François. — Madame, plus bas. plus bas... On 
peut venir... Il y a des gens... 

Liane. — Je ne veux pas!... N'approchez pas!... 
Xe me touchez pas de vos mains!... 

Deux domestiques, sans en avoir l'air, la font reculer 
vers la porte du fond. François seul ose lui toucher 
légèrement l'épaule. Elle recule avec horreur. 

François. — Je vous en prie, madame, tout le 
monde peut entrer ici... 

Liane. — Paul! Paul! C'est toi qui me fais chas- 
ser... Paul!... Et tu m'entends peut-être!... Paul!... 

Quand elle ga^ne le seuil en reculant pour se garer du 
contact des valets, François passe devant elle. ?'t, brus- 



L'ENFANT DE L'AMOUR 



II la porte ^nr evx. On c 
a galfrie. Un dernier c Pa 



Scène IX 

BANTZ «»i. pui, FRANÇOIS 



Rantz. — pjh bien t Kli bien ? 

François. — Elle arrive h (-(Hiipreiuli-e, moiiHieur. 
Oh! je ne me suis pas iiermJK ile lu brutaliser. 

Haxtz. — .Te i'es|ière bien! 

François. — Monsieur, elle vient âc (jc calmer. 
Je suis sfir qu'elle est «ilnii'-i-... F.lle s'en va. 

Rantz. — Est-ee qu'elle n son nutoT 

François. — Oui, monsieur, elle a sou auto. Il 
m'a semblt?, en tout cas... une auto les stores baissés. 

Rantz. — Vue auto vprteî 

François. — Il m'a semblé. 

Raktz. — C'est la sieuue. 

François, — Monsieur, elle a ilit... 

Rantz, m proù' h la p1u< ijTinilc înl.-iisilc conlenur. — 

liaissez-moi !... Qu'est-ce qne ça peut me faii'e, ce 
qu'elle H dit î 
Fbanç-uici. — Ce)>eniiaiil, numsieur... 



Rantz. rimerrampt. — .le m'en vais au ministère, 
La valise est faite} 

François. — Je n'ai pas encore eu le temps. 

Rantz. — Aucune nouvelle... de mademoiselle... 
naturellement? Le petit est-il l'entré dn collèt;e? 

François. — Non, mousieui-, M. Raoul n'est pas 
rentré. Il n'est pas quatre heures, sa classe ne doit 
pas être eiicoi-e terminée... mais que monsieur me 
permette de dire |iourtant, cela parait important, que 
madame a écnt... 

Rantz. — Où est sa lettre* 

I'RANÇOIS. — Lu! (Ranu prunrt ta knn. et aperçoit Iv 

sac.) Madame a dit que dans ce sac il y avait des 
choses importantes pour monsieur, des choses qu'ellr 
rendait. Je n'ai pas très bien compris. 

Rantz. — Je n'ai pas besoin d'ex pi icut ions, Ecou- 
tez... (Ils i^ouii-m tcut les dtax.) Non! Plus lien! Finil 
Assui'ez-vous que l'auto est partie. Fermes; l'hôtel... 
Descendçz ît l'office distribuer les ordres que je vous 
ai donnés tout à l'Iieure. Qu'on me laisse tout ii fait 
seul ici. ApiwrteK-miii mon pardessus tout de suite. 
mon chapeau... Je sortirai quanti je voudrai. Qu'on 
ne me parle plus!... Alleïl {Lcdomt.iti'iur «<n. .\ii hout 

d'un instant Ranli dccacbette la lettre et se met û la lire jmmo- 



1 Nellie... Du courafte. Repreni 



38 



L'ILLUSTRATION THEATRALE 



non psur des quantités seulement que nous arrive- 
rons à organiser avec sagesse les forces du... 

Il est à la table, les deux poings sur les tempes, attentif, 
prostré et perdu dans une réflexion. Au bout de quel- 
ques instants, la porte s'entr'ouvre légèrement. Quel- 
qu'un entre presque de dos, le chapeau baissé sur les 
yeux, et referme la porte immédiatement derrière lui. 

Scène X 

RANTZ, MAURICE 

BaKtz. — Qui est-ce qui se permet?... 
Maurice. — Moi, monsieur. 
Rantz. — Qui êtes-vousf 

Maurice se retourne, retire son chapeau et se montre 

de face. — Ce qui serait drôle, c*est que vous ne me 
reconnaissiez pas!... 

Rantz. — Qu'est-ce que vous venez faire chez 
moiT 

Maurice. — J'étais dans Tauto, en bas. J'avais 
accompagné ma mère. Je l'attendais. Pendant qu'on 
la ramenait à moitié évanouie et comme folle, j'ai pu 
me dissimuler et, au milieu de la surexcitation de 
votre maison, je me suis glissé... J'ai jeté un nom 
ministériel au concierge, dans la cour... je suis 
monté... Personne... J'entre... Pardon. 

Rantz. — Que venez-vous faire f Du scandale? 
Du bruit, conmie votre mèref Je vous en avertis, 
vous comme elle, je suis décidé à ne pas le subir. 

Maurice. — Non, monsieur, non, c'est très simple. 
Ma mère vous a remis dans un sac à main, je crois 
bleu, tous les souvenirs qui vous sont personnels et 
qu'elle tenait à vous rendre, plus, m'a-t-elle dit, des 
récépissés de titres... Vous avez dû regarder? 

Rantz. — Non, monsieur, je n'ai pas regardé. 

Maurice, d'un air détaché et très courtois. — Or, elle 

a complètement oublié, en vous laissant ce sac, qu'il 
V avait dedans deux ou trois lettres à moi... Oh! des 
papiers sans importance... mais que je ne me soucie 
pas de vous laisser. Elle aurait dû les retirer. Elle 
îi oublié. Je vous demande la permission de re- 
prendre ce qui m'appartient. Soyez sûr que je ne 
l>rendrai pas autre chose. 

Rantz. — Reprenez, monsieur, reprenez tout ce 
(jne vous voudrez. 

II pousse le sac au coin de la table et se lève. 

Maurice. — Ce ne sera pas long. (Pendant que Mau- 

I icc ouvre le sac, Rantz affecte de s'éloigner. Il va à un petit 
pupitre et, debout, annote et pagine. Maurice, lui, inspecte le 
;ac, sort des papiers, en choisit plusieurs sans se presser, puis 
referme le sac et le repose sur la table. Maurice glisse dans la 
poche de son veston les papiers qu'il. vient de prendre.) Enfin . 

Ah! j'ai eu peur. Maintenant, j'ai mon lest. Ça y est ! 
Mais je Tai échappé belle. (H boutonne son veston.) Savez- 
vous, monsieur, ce que cette femme que vous accusez 
de scandale et de coup monte venait de faire sans 
mon assentiment? Je vais vous le dire. Depuis dix 
heures, ce matin même, j'avais acquis — vous voyez 
que c'est récent — deux ou trois petits documents 
relatifs à votre personne. 

Rantz. — Plaît-il? 

Maurice. — Et je ne m'en serais pas dessaisi 
désormais pour un empire!... Il y a une heure en- 
viron, je me suis rendu chez ma mère et je lui ai 
montré ces papiers. Elle m'avait supplié de les lui 
remettre, elle avait exigé de moi que je ne m'en 
serve pas, au moins momentanément, et de peur que 
je ne puisse résister à une impulsion, il avait été con- 



venu qu'elle les mettait dans un tiroir... comme un 
dépôt. Or, en venant ici, en voiture, elle m'a avoué 
qu'elle les avait glissés dans ce sac au moment où 
nous étions partis de chez elle... A son tour, elle vou- 
lait vous les montrer, oh ! de loin, disait-elle, histoire 
de vous les mettre sous le nez... Après quoi, elle 
devait me les rapporter... J'étais si sûr qu'elle ne 
vous verrait pas ici que je l'ai laissée faire sans 
crainte; je ne me suis pas trompé, vous le voyez!... 
Mais l'idée, par exemple, ne m'était pas venue que 
ma mère allait, malgi'é cela, vous laisser tout son 
reliquaire!... Voyez!... Vous êtes justement en train 
de l'accuser, monsieur, alors, qu'envers vous qui la 
chassez d'ici — et comment! — elle vient de se 
conduire d'une manière généreuse, admirable même, 
à mon avis. Elle se dépossédait de bien des choses, 
vous le verrez, et elle me dépossédait aussi de 
papiers graves dont je vais vous rafraîchir la mé- 
moire... Maintenant, ma mère est loin, jetée à la 
porte honteusement... honîblement... Où? Je n'en 
sais rien, je ne veux pas le savoir!... Je ne veux 
pas penser à ce qu'elle peut faire en ce moment, 
dans son désespoir!... Moi, je suis monté en proie 
à la plus vive émotion, je suis venu reprendre ces 
papiers... Maintenant que je les ai (il respire forte 
ment.) ça va bien!... 

Durant ce temps, Rantz s'est maîtrisé, a haussé les 
épaules, a continué de crayonner. Quand Maurice a 
terminé, Rantz relève la tête négligemment. 

Rantz, glacial. — Je vous ai laissé parler. Puisque 
aussi bien vous aviez pris la peine de vous introduire 
ici subrepticement. Mais cette petite et trop longue 
histoire, monsieur, est pour moi dénuée de toute 
espèce d'intérêt... 

Maurice. — Croyez-vous? 

Rantz. — J'en suis sûr! 

Maurice a une hésitation, puis. — Non... J'ai quelque 
chose de plus important encore à vous dire avant 
tout. 

Rantz. — Et c'est?.. 

Maurice. — Monsieur, vous ne pouvez pas aban- 
donner ainsi ma mère... Il faut que vous l'épousiez... 

Rantz, les épaules secouées d'un rire. — Ah ! ah ! Cette 
injonction est admirable!... (Changeant de ton subite- 
ment) Je ne veux pas m'indigner, mon petit bon- 
homme. Sachez que je n'ai pas de comptes à vous 
rendre. Votre irruption spontanée dans ces règle- 
ments de cœur est, je l'avoue, inattendue. (Cassant.) 
En voilà assez, hein !... Si c'est pour ça que vous 
vous êtes faufilé dans mes escaliers (il montre la porte.) 
don nez- vous donc la peine de redescendre. 

Maurice, hochant la tête tranquillement. — Mais si, 

monsieur, mais si, vous l'épouserez. Vous allez l'épou- 
ser!... Ce n'est pas possible que vous agissiez autre- 
ment. Vous auriez dû le faire depuis très longtemps 
déjà. C'était votre vraie compagne. Et sans qu'on 
vous y force, sans... 

Rantz. — Ah! pas de plaisanterie, mon garçon... 
Un conseil: ne vous mêlez pas plus longtemps de 
l'existence de votre mère. Restez à votre plan et à 
votre place. (i.e doigt menaçant.) Et ne vous le faites 
pas dire deux fois. 

Maurice. — Vous ne l'épouserez pas? Vous en 
êtes sûr?... Vous avez tout pesé., tout prévu? 

Rantz a un mouvement de colère, puis il s'avance vers 

lui et, posément. — Je ne puis pas épouser votre mère 
et je répète que je n'ai pas à vous rendre compte 
de mes actions... Je vous ai peu parlé, quoique 
raY»tant intéressé à votre éducation, et vous ne m'avez 



L'ENFANT DE L'AMOUR 



39 



) 
s 



pas assez approché pour me connaître... Aujourd'hui, 
si vous n'étiez pas entré sur ce ton impératif et 
douteux, à la fois, j'aurais peut-être consenti à 
causer avec vous de cette séparation cruelle, dou- 
loureuse, qui a Pair de vous affecter si considéra- 
blement... Vous avez rendu la chose impossible. 

Cette fois, il brise définitivement et montre encore la 
porte. Un temps. 

Maurice. — Aloi's, je suis au regret... mais... je 
n'ai pas d'autre moyen, (il ouvre son veston, sort les 

papiers de tout à l'heure, et les montre de loin à Rantz.) 

Voyez-vous çà? C'est: 1** le reçu fait par l'éleveur 
au jockey Bowling du cheval substitué à Orthez pour 
le Derby de 1900 ; 2* une dépêche de vous assez dan- 
gereuse; 3**... 

Rantz, ne le laissant pas achever. — Ah! les ma- 
nœuvres de chantage! Il fallait s'y attendre. Vous 
êtes un joli coco! 

Matjricb. — Evidemment, il y a mieux, mais c'est 
plus cher!... Je poursuis. Ce n'est pas du chantage, 
ce sera, si vous m'y forcez, une vengeance! Demain, 
ce soir même, peut-être, ça dépend de vous, ces docu- 
ments seront livrés à un important journal. Je suis 
tranquille, une interpellation iâendra, et vous serez 
déboulonné. 

Râktz, dans un rire sonore. — Ah ! ah ! votre naïveté 
juvénile l'emporte encore sur votre malpropreté! 
Ces documents ne signifient rien! Us ne peuvent 
entacher ni ma conduite ni ma vie, et aux mains 
des misérables qui s'en servent et qui s'en serviront, 
ils ne peuvent prouver qu'une chose... 

Maurice, l'interrompant. — C'est que, légèrement, 
vous avez extorqué au public gogo de trois à quatre 
cent mille francs. Votre puissance a amorti jadis le 
coup. Vous êtes sorti blanc, mais cette petite tache 
dans votre passé devait vous inquiéter quelquefois. 
On ne prend pas le pouvoir dans ces conditions. Ce 
n'est pas criminel, soit! Mais c'est suffisant pour 
qu'un cabinet, qui a fait appel imprudemment peut- 
être à vous, vous débarque (ri fait le Reste.) et vous... 

Rantz. — Essayez, jeune fripouille... et vous en 
serez pour votre fripouillerie! En deux mots, je 
ferai justice de ce bas chantage . 

Maurice. — Non! Vous ne le pourrez pas. Oh! 
je connais le turf! On ne me la fait pas, à moi! 
Uitt... Je m'y connais en matière de courses!... Ceci 
paru dans un journal, vous êtes touché ! 

Rantz court à la sonnette de son bureau. — AUcZ-y, 

mais pour le moment je vais sonner mes gens pour 
qu'on vous foute à la porte. 

JVIaURICE, croisant les bras et le regardant dans une pro- 
vocation de gosse faubourien. — ^ Comme la mère !... 
N'êtes- VOUS pas assez fort pour le faire vous-même? 

Rantz. — Mais vous n'êtes pas à toucher avec 
des pincettes, mon bonhomme!.. Ah! ah! c'était 
prévu et c'est vraiment admirable! Le petit coup 
des documents! Si vous épousez, je déchire! Pour 
qui me prenez-vous, imbécile! Pour un des vôtres? 
(Tout à coup.) Vous vous êtcs mis à deux pour cette 
belle manœuvre! 

Maurice, sans comprendre. — A deux? 

Rantz. — Vous voulez recommencer le coup de 
la publication de « Son Excellence M. Merlou ». 
Votre mère était complice!... C'est affreux, c'est 
affreux à penser. 

Maurice. — Ma mère? 

Rantz. — Victime, croit-elle, de ma montée sociale, 
elle veut l'attaquer do ])lein-f)ied, elle veut... 



Maurice, criant. — Non, monsieur, ma mère, je 
vous le jure, n'y est pour rien !... Pour rien ! 

Rantz. — Ce n'est pas possible! 

Maurice, ii montre le sac. — Vous en avez la preuve ! 
Grénéreusement, cette femme, qui est peut-être en, 
train de se casser la tête contre un mur, vous appor- 
tait, et malgré moi, la preuve la plus éclatante du 
contraire. 

Rantz, tapant du poing sur un fauteuil. — Non, non I 

Ceci ne peut pas se faire pourtant sans la compli- 
cité ou l'assentiment de votre mère. Vous êtes de 
connivence ! 

Maurice. — Et c'est lorsqu'elle vient de ^aire 
cette* chose pitoyable... 

Rantz. — Alors, vous prenez le coup à votre 
compte? Vous endossez? 

Maurice. — Et de bon cœur encore! 

Rantz. — Et vous avez la naïveté de croire, de 
penser que vous allez m'extorquer un contrat de 
mariage par cette scélératesse!... Vous m'avez l'air 
doué, jeune gouape, d'un petit sens moral plutôt 
falot... mais qui se porte bien tout de même! (Brus- 
quement.) Filez vite à votre besogne, et plus vite que 
ça. Allez, allez^ allez! 

Il va à la porte. On voit qu'il va le jeter dehors. 

Maurice. — Je reconnais que ce n'est pas très 
glorieux ; mais ce que vous avez fait autrefois était-il 
beaucoup plus beau? 

Il montre la poche où il a mis les papiers. 

Rantz. — Ah ça ! voulez-vous déguerpir ! Allez 
rejoindre votre clique et vos pareils. Cette histoire 
a assez duré! Hop!... Dehors! 

Ils parlent et gesticulent ensemble. Rantz a ouvert la 
porte. 

Maurice. — Attendez, attendez. Minute!... Ce 
n'est pas fini, alors!... Oh! c'est encore beaucoup 

plus drôle! (Il s*appuie au bureau de Rantz, et, tranquil- 
lement, mais blême affreusement, sûr de son effet, sans même 
regarder son interlocuteur.) ËCOUtez bien ça... Votre 
fille... (Il s'arrête.) 

Rantz referme la porte. — Ma fille? 

Alors, Maurice retourne la tête ver- lui, ricane et fait 
un geste gamin de la main. 

Maurice. — Attendez!... Attendez!... Pas si \'ite! 

J'suis pas pressé, moi! (Il se campe bien d'aplomb, dévisage 
Rantz, muet, terrible, prêt à fondre, la respiration retenue.) 

Votre fille que vous cherchez probablement depuis ce 
matin... (Il prend encore un temps.) Eh bien, elle est 
chez moi et je la garde! 

Rantz se précipite sur lui, l'empoigne sous le menton et 

l'accule contre son bureau. — Saleté!... Abominable co- 
quin !... 

Maurice, hoquetant sous l'emprise, avec des exclamations 

de triomphe. — Hein!... C'est drôle... et ça... ca vous 

porte un coup... (Rantz le secoue par la gorge.) Ce n'est 

pas tout... attendez... votre fille m'aime... 
Rantz. — Taisez- vous! 
Maurice, suffoquant. — Elle m'aime ! 

Rantz le lâche tout à coup, mais il reste sur lui, les mains 
levées, prêt à le happer de nouveau. — Xon, parlez, parlez, 

petit misérable! L'avez- vous souillée? 
Maurice. — Oh! rassurez- vous ! .. Elle est intacte, 

ça je vous le jure! Intacte! (Rantz recule. Un silence. On 
les entend respirer fortement tous deux. Maurice, redressé.) 

Jusqu'à présent du moins. 

Il a dit cela d*un air fanfaron encore, mais maladroit, 
en rattachant son col défait. 
Rantz a de nouveau ]c mouvement de ^c prcrîp'tor sur 
iui, il se ravi^f» et. avrc une moue écœurée. — Ah ! VOUS 



40 



L'ILLUSTRATION THEATRALE 



êtes comi)Iet... (Silence d'angoisse.) N'importe! Si ce 
que vous dites est vrai, si ma j^auvre enfant est 
encore sauve, le reste ne sera rien, rien, plus rien ! 
Maubice, — Attendez! Attendez... 

• Rantz, debout, la voix blanche d'émotion, regarde droit 

devant lui. On voit qu'il essaie de comprendre ce qui 
s'est passé... de reconstituer 

< Rantz. — J'ignore dans quelle aventure s'est gal- 
vi^udée ma pauvre petite Nellie, j'ignore (Avec force.) 
mi^is je réponds bien d'une chose sans le savoir, c'est 
qir'à l'heure actuelle, même si elle a été folle ou im- 
prudente, elle ignore quel instrument de vengeance 
elle est dans vos mains. De ça je suis sûr! (il redresse 

la tê&e avec un orgueil paternel.) Et lorsqu'elle va le sa- 
voir..- car elle sera ici dans une heure, maintenant 
j'en ivponds... ah! quel dégoût de vous elle éprou- 
vera, monsieur, quel dégoût ! (Maintenant il éclate, ras- 
suré.) Non, c'était trop bête, vraiment! Qu'espériez- 
vousf... C'est ingénu! Vous aviez peut-être la pos- 
sibilité de vous venger hideusement... ignoblement... 
Mais si vous avez différé cette lâcheté, dans l'espoir 
de me faire chanter en i>renant ma fille pour otage, 
ah î mon bonhomme ! il faut être fou, vraiment î 
Qu'espériez-vous?... Un tour de clef à votre porte, 
maintenant, et tout est dit !... Allons ! Allons !... 
Négociez vos petits papiei-s à votre aise. Vous êtes 
libre... Mais, pour le reste, vous avez parlé tro]» 
tôt, mon garçon ! Coup paré !... Vous ne savez pas 
encore votre métier!... 

Maurice, essoufflé encore, tapi dans un coin, l'a laissé 
parler, en ponctuant de sarcasmes. Il se relève. — Ah ! C'est 

là que je vous attendais! Vous vous croyez malin, 
n'est-ce pas? Non, non... Ça n'a pas été un guet- 
apens comme vous le supposez... Au contraire!.... 
C'est votre fille qui est venue à moi !... 

Rantz, révolté. — Ce n'est pas vrai! 

M.\irRiCE. — Je ne vous raconterai pas comment ! 
!Mais, loi-squ'elle est venue hier chez moi, oh! je 
l'affirme, j'étais décidé... c'était ma fierté... à me 
conduire de la façon la plus chevaleresque, la plus 
correcte... 

R.VNTZ. — Chevaleresque!... 

I^rAURiCE. — Bnisquement, une circonstance ter- 
rible, la détresse de ma mère, eu une minute, a fait 
chavirer les meilleures intentions du monde!... 

Rantz. — C'est beau!... J'admire!... 

Maurice. — Ah ! on ramasse les armes qu'on peut ! 
Quand on est ce que je suis, faut pas être difficile! 
11 n'y a pas de crève-cœur qui tienne!... N'importe, 
nous avons pu causer^ votre fille et moi. de longues 
heures, très simplement, dans une intimité et un 
accord parfait... Elle ignore ce qui se passe, c'est 
vrai... 

IvANTZ. avec un cri de joie. — Parblcu ! J'en étais 
sûr !... 

Maurick. — Mais elle me connaît aussi, mainte- 
nant, elle connaît un tout autre homme que celui qui 
vous parle et qui n'est pas, comme celui-ci, un 
homme de fortune, né de l'occasion et de la haine. 
Ah ! vous triomphiez!... Vous croyiez que j'avais 
abattu le jeu pour rien. Eh bien... regardez votre 
pendule... Il est quatre heures... et votre fille n'est 
pas encore là. Elle sait pourtant que vous l'attendez 
ici dans l'anxiété ! Comprenez-vous ce que ça prouve? 
Qu'elle est consciente de ses actes, que ce n'est pas 
un capiice d'enfant, mais que le choix de sa vie est 
fait à l'heure actuelle, qu'elle ne reculera devant 
aucun scandale si je le veux!... Elle accepte ma vie 
et court ma chance!... A l'heure actuelle, elle est 



(même en train de vous l'écrire... Allez, faites ce que 
vous voudrez, je suis tranquille! Et voyez jusqu'où 
va ma confiance ! Je relève le défi !... Ramenez votre 
fille, racontez-lui le boniment... Empêchez-la de par- 
tir avec moi... Je suis sûr que ce ne sera pas pour 
longtemps î... 

Et les mains dans les entournures du gilet, il attend. 

Rantz. — Je vous regarde parler. Vous êtes un 
beau spectacle, vraiment! 
Maurice. — N'est-ce pas? 

Rantz marche sur lui, les mains dans les poches, et le 
regarde de la tête aux pieds, avec dégoût. — VouS aveZ la 

tête de l'emploi, d'ailleurs! Celle d'un petit mec dou- 
teux, aux mœui-s inavouables. Vous passez du ruis- 
seau au trottoir! C'est logique et c'est moral! Ah! 
vous tenez bien ce que vous promettiez; je vous 
avais deviné tout petit... J'avais prévu votre menta- 
lité depuis longtemps, noble rejeton d'une illustre 
famille ! 
Maurice. — Pour vous servir, monsieur! 

Rantz, laissant tomber de toute sa hauteur le mot qui 

cingle et cravache. — A vingt ans, VOUS séduiscz déjà 
les jeunes filles! Vous les chambrez pour faire cas- 
quer les parents... C'est savoir vous servir tôt d'un 
visage d'Adonis pour cocottes! 

Maurice, les dents serrées. — Causcz toujoui*s !... Ça 
vous va bien, vous, l'enflé d'orgueil, le parv-enu! 
Allons, allons!... finie, cette morgue! Ça va être la 
panne maintenant. Ah ! le beau-père du petit Orland, 
c'est embêtant! Hein? Bien plus embêtant encore 
(ju'un barbottage de trois cent mille francs! 

Rantz. — Insultez! Bayez! Vous êtes hideux!... 
Vos ricanements de basse pègre cjui se retrouve!... 
(^'est le souteneur qui fait ses première pas... 

Maurice. — J'encai.sse! J'encaisse! Vous ne mv, 
ferez pas sortir de mes gonds. Je me le suis promis. 
Vous ne me faites pas peur, allez! 

Rantz. — Et vous donc! Si vous vous voyiez!... 
Vous êtes blême... mais blême de sérénité candide, 
gamin vicieux, campé dans un veston du bon fai- 
seur, payé par papa Rantz, car je ne vous fournis 
pas seulement vos cravates mauves et vos souliers 
vernis avec quoi on séduit les dames! Si je ne 
m'abuse, c'est moi qui vous nourns et vous entretiens 
depuis votre si tendre enfance? Je n'ai pas fait 
votre compte, mais vous devez émarger pas mal au 
gouvernement ! 

Maurice. — Eh bien, après? C'était bien le moins! 
C'était votre devoir. Que l'argent vienne de ma mère 
ou de vous, qu'est-ce que ça fait ? Est-ce que j'ai 
à le savoir? Olorifiez-vous donc, je vous le conseille, 
de ne pas m'a voir laissé crever dans un trou de cam- 
pagne! Vous avez payé mon collège et mes culottes? 
Comme c'est beau!... Quelle reconnaissance je dois 
au Méc^ène qui m'a fait une si belle éducation, qui 
a encouragé ma paresse, mon obscurité, mes mauvais 
instincts, moyennant un peu de galette !... Je vis aux 
frais du prince?... Allons donc! Je vis surtout de 
jeux, de courses, de tapages par-ci par-là, et j'en 
ai souffert assez cruellement, allez! 

Rantz. — Blagueur! 

Maurice, sVxaitant de plus en plus. — Glorifiez-vous 
de mes ja<|uettes et de mes cravates! Et appelez ma 
mince reconnaissance pour vous sauver, car vous 
allez sauter! 

Rantz, haussant les épaules et riant aux éclats. — Ail î 

ah ! • 

IVIaurice. — Car demain vous serez un ministre 
démissionnaire... le moment est venu... et c'est jus- 



U ENFANT DE L'AMOUR 



U 



tice ! Si vous plaquez comme une fille... la compagne 
dévouée de votre vie, la... 

Râktz. — Et en avant les «jands sentiments ! Tré- 
molo! Que c'est beau, la piété filiale! C'est grand 
comme un monde! Le fils s'instituant vengeur, se 
faisant forban, maître-chanteur et détourneur de 
mineures par amour pour sa mère! 

Maurice. — Parfaitement, je suis ignoble! Par- 
faitement, j'emploie les moyens les plus vils! Je le 
sais bien! Je n'ai pas le luxe de me dégoûter moi- 
même! 

Rantz. — Et allez donc! 

Maurice. — Quels moyens voulez- vous que j'em- 
ploie, moi, le raté, fils de cocotte, l'enfant inavoué, 
le déclassé, cancre ou raclure, comme vous voudrez! 

Rantz. — On se connaît ! 

Maurice. — Les beaux sentiments, c'est pour vous, 
l'honneur, le rachat et tout le tralala pour les ri- 
chards, les heureux de la vie! 

Rantz. — Je l'attendais!... Nous y sommes! Com- 
plet partout! 

Maurice. — Ceux qui ont eu comme vous les hon- 
neurs, les richesses et aussi toutes les tendresses! 
Veinards que vous êtes, car vous pouvez faire les 
plus sales actions sous le couvert de l'honneur, de 
la puissance et de Targent!... Moi, pas mèche!... J'au- 
rais pu valoir quelque chose, qui sait? Maintenant 
je suis de ceux qui ne peuvent même pas faire leurs 
bonnes actions avec les moyens de tout le monde. 
Ce qu'il y a de meilleur est encore taré! Quand je 
sens en moi quelque chose de propre, de bien... 

Rantz. — De propre, en effet! 

Maurice. — Oui, de bien... Ce qui m'agite depuis 
huit jours, une grande douleur, des impulsions, des 
tendresses de toute espèce, ce qui bouillonne là, en 
moi, eh bien, je n'ai pas la possibilité de le sortir!... 
Alors, comme il faut bien agir tout de même, se 
porter au secours de ceux qu'on aime, je me sers des 
armes que la vie me donne... Bast! faut pas être 
fier!... Et tant pis si la cause est bonne! Parce qu'il 
me semble tout de même qu'il y a une chose qui 
m'absout, c'est que ce n'est pas pour moi, ce que je 
fais là... Vous comprenez?... Pour moi, je n'oserais 
pas ! Je sens qu'il y a là des élans qui veulent sortir, 
qui me poussent... Aloi's, je vais, je vais... j'avance, 
je fonce dans le tas... .Je saisis l'occasion qui passe. 
Je voudrais faire pailer ma voix, me faire com- 
prendre... je voudrais... 

Rantz. — Et pour cela vous criez, au besoin vous 
hurlez, vous forcez les portes et les tiroirs... Vous 
tirez de vous la bassesse innée de l'homme qui se 
dégrade!... Allons donc! Bas le masque! Si vous étiez 
sincère, et si vous aviez une onoe d'ardeur morale, 
vos actes seraient plus désespérés encore, peut-être, 
mais ils seraient plus nobles et plus crânes... A toutes 
les faiblesses il y a des excuses, il n'y en a pas à 
Pinfamie!... 

Maurice. — Infamie! Quel beau mot! Ah! 

A cet instant, la porte s'est ouverte, le petit Raoul, avec 
>oii cartable sur le dos, vient d'tntrcr. 

Rantz. — Taisez- vous donc! Pas devant mon 
fils !... 

Le petit reste interdit sur le seuil. 

Maurice, récume aux lèvres, forc.né — Votve fils! 
Eîn voilà un qui ne sera pas infâme, lui! 

Rantz. — Je vous défends d'insulter celui-là! 

Maurice. — Ecarquillez vos yeux, petit bourgeois 
cossu, fils de bourgeois! 

Rantz. — Va-t'en! Va-t'en! C'est lui fou! Tu 



vois bien que j'ai affaire à un fou ! (Il repousse son fils. 

ferme la. porte, et vient, menaçant, sur Maurice.) Avez-VOUS 

fini, cette fois, ou je vous clos le bec d'un coup de 
poing. Dans votre rage maintenant vous vous en 
prenez jusqu'aux miens. 

Maurice. — Parfaitement, au fils ! Un fils comme 
moi, qui ne vaut pas mieux! 

Rantz. — Ah! maintenant, petite crapule, vous 
jouez à jeu complètement découvert! L'anarchiste 
se découvre... Vous irez jusqu'au bout... jusqu'au 
bout !... 

Maurice. — Oui, jus<|u'au bout!... 

Rantz. — Vous avez de qui tenir, d'ailleurs... 
Vous êtes bien le fils d^m garçon de café de Tho- 

mer}'!... (Maurice a un bondissement de tout l'être. Blême, 
il se retourne vers Rants^ et, dans un tremblement éperdu, il 
tend les poings comme s'il allait se jeter sur lui.) AUez-y 

donc ! Ne vous gênez pas !... Retroussez vos manches, 
conune monsieur votre père, pendant que vous y êtes î 
Vos biceps blancs ne sont pas à la hauteur, mon 
garçon!... Vous ne voyez pas que je vous écraserais 
d'une chiquenaude! 

Maurice, les larmes aux yeux. — Ali! c'est vous le 
misérable et le coquin... 

Il s'élance. 
Rantz. — Allez-y donc!... (Les poings sur les hanche». 

calme et dédaigneux.) Frappez 1... J'attends! 

Maurice a le bras levé sur Rantz, mais maintenant sans 
vigueur. La parole de Rantz Ta subitement dégrisé, et le mot 
qui lui a révélé sa naissance résonne encore sans doute à son 
oreille... Il mollit... L'œil perd son assurance... Il regarde autour 
de lui, comme s'il se sentait tout à coup gêné, petit, sans auto- 
rité... II est là, hésitant, se raidissant de toute sa volonté pour 
reprendre pied, devant un abîme. — Je ne Sais pluS ce 

j que je fais !... Je suis fou !... La colère m'a emporté... 
J'ai voulu tout sauver et je sens que je viens de tout 

perdre! (Il essuie son front du revers de la main.) Voyons, 

voyons... oii en suis- je, mon Dieuî... C'est que j'ai 
été tellement secoué ces jours-ci... Voyons, voyons, 
je n'y suis plus, moi ! Je vais a tort et à travers... je 
bats de l'aile! 
Rantz. — De l'aile!... 

Maurice a encore un dernier sursaut, maiA il se laisse 
aller, lamentable, tassé contre le coin de la table. — Je n'ai 

pas dit un mot de ce que je voulais vous dire !... Pas 
un î... Les phrases me sont venues malgré moi... et 
m'ont emporté... Ah ! mon Dieu ! mon Dieu !... Je sens 
bien que j'aurais beau aller jusqu'au boiit de mon 
courage, ce sera pour rien !... Je n'arriverai pas à la 
sauver!... Je viens peut-être de la perdre à tout 
jamais!... Ah! j'aurais tant voulu pourtant!... C'est 
que j'ai trop éprouvé de chocs ces jours-ci, je me 
suis trop débattu dans des agitations de toutes sor- 
tes... si nouvelles pour moi!... Alors, je ne sais plus! 
J'ai vu tellement se débattre la pauvre femme... souf- 
frir!... Et c'est si affreux!... Je l'ai eue entre mes 
bras prête à se tuer!... Et ses pauvres larmes, le 
timbre de sa voix que je ne connaissais pas!... di 

pleure comme un enfant, maintenant, avec rage.) Je ne veuX 

pas qu'elle meure, cette femme- là!... Je ne veux pas 
qu'elle soit si désespérée... C'est maman, n'est-ce pas? 
Malgré tout, c'est maman à moi... Et je l'aime beau- 
coup î... Elle est si seule maintenant !... Ekîoutez... je 
ne demande plus rien!... J'ai cru bien faire... je iip 
suis pas de taille... Tout de suite, je m'étais dit que 
je n'arriverais à rien; seulement j'avais commencé, 
n'est-ce pasf... je me suis raidi et maintenant je 
suis désespéré!... Oh! je ne demande plus qu'une 
chose, alors, qu'une pitié., mais je la demande do 



42 



L'ILLUSTRATION THEATRALE 



toutes ines forces, c'est que vous alliez la voir... 
simplement ça!... C'est pas beaucoup!... Parlez-lui. 
Je suis sûr que cela seulement Tempêchera do se 
faire du mal !... J'en suis sûr !... Vous lui direz n'im- 
porte quoi... ce que vous voudrez... mais vous lui 
mettrez la main sur le front... et alors, je la con- 
nais, ça suffira sûrement... Vous pouvez bien, dites? 
Je Fai entendue ces joure-ci, monsieur, parler de 
vous, malgré tout, d'une façon si tendre, si délicate... 
si jolie!... Elle vous aimait tellement, vous, mon- 
sieur!... (II pleure.) Faites ça, dites! Moi, ne vous 
occupez pas de moi, ça ne compte pas! Vous avez 
raison... je suis un misérable. J'ai tenté une résis- 
tance acharnée... absurde d'ailleurs... folle!... Oui, 
vous avez raison... un sale bonhomme!... Tenez, je 
ne ferai plus rien! Voici la clef de chez moi. Voici 



les lettres... (il jette tout sur la table et désespérément) 

Mais allez trouver maman, dites?... Allez vite!... Ein- 
pêchez-la de se tuer. Et pour vous, monsieur, pardon 

Il est presque à genoux, la voix étranglée. Depuis un 
moment, on lit sur le visage de Rantz une transfor- 
mation d'attitude et d'anxiété intérieure. II a même 
dû lutter contre une émotion instinctive, qui lui vient 
de cette clameur désespérée, car il se mord les lèvres, 
fait quelques pas, silencieusement, lourdement, sans 
regarder Maurice. Puis tout à coup il a un hoquet 
brusque, une sorte de sanglot, on ne sais pas au juste, 
et il empoigne son chapeau et son pardessus qu'a rap- 
portés le domestique tout à l'heure. 
Rantz. — Venez! (Maurice a un cri de joie. Rantz, ou- 
vrant la porte et bourrumcnt, à Maurice.) PaSSez devant, 

^monsieur, passez, passez! 



PIN DU THOISrèMB ACTE 



ACTE IV 

Le boudoir blanc de Liane, au deuxième étage de son hôtel; la pièce où la maturité de Liane se complaît, 
Atix murs des portraits, pastels et autres, à des âges divers, de la maîtresse de la maison. Une psyché, autour 
de la psyché un onglier, des meubles à fards ; la chaise longue ornée de dentelles, Rotoride très intime. 
FourrureSf divans surchargés de coussins brillants, tentures blanches, hermétiques. Portes à gaitche. Porte à 
droite. Au lever du rideau, on entend des éclats de rire, Bantz est assis sur la chaise longue, Liane, en un 
déshabillé très souple et savant, est couchée sur des coussins, ù ses pieds. 



Scène première 

LIANE, RANTZ 

LiANB, riant à tue-tête. — Dicu que c'est drôlc ! Dieu 
que c'est drôle!... 

Rantz. — Et alors, le préfet s'est levé; seulement 
il était tellement myope qu'il ne voyait même pas 
la carafe, et, comme on lui avait dit que j'étais très 
grand, ses yeux se portaient inlassablement sur les 
corniches de la salle des fêtes. C'était une chose 
horrible! Pour lui faciliter sa tâche et ne pas le 
rendre ridicule, je me haussais sur la pointe des pieds. 
Pendant vingt-cinq minutes qu'il a parlé, j'avais la 
sensation que la République était à un mètre cin- 
quante au-dessus de ma tête... 

Liane. — Dieu que c'est drôle, ce que tu dis là !... 
Tl n'y a que toi pour avoir des idées pareilles! 
Comme je voudrais te voir dans ces fonctions! Les 
femmes des ministres ne les accompagnent jamais 
dans ces petites fêtes? 

Rantz. — Ça dépend. Aux funérailles des fonc- 
tionnaires morts pour la patrie tu pourras venir. * 

Liane, avec tendresse. — Tu n'as pas froid? 

Rantz. — Ni froid ni chaud. Bon. 

Liane. — Ça veut dire que tu as froid, je te 

connais. Attends. (Elle se lève avec précipitation.) Oh î 

ces domestiques qui ne viennent jamais. 

Rantz. — Par délicatesse. 

Liane va à la porte. — Joséphine! Voyons, je vous 
sonne depuis une heure... Monsieur meurt de froid. 

Rantz. — Tu exagères. Ce n'est pas encore la 
retraite de Russie. 

Ltane. . — Oh! puis le thé! J'oubliais complète- 
ment. Suis- je bête! Il va être trop fort, mainte- 
nant. (Joséphine entre.) Josophilie, à qUoi peUSeZ-VOUS? 

11 n'y a plus de bûches. 
Rantz, souriant aimablement. — Bonjour, Joséphine. 



JosÉPmNE. — Bonjour, monsieur. Monsieur va 
bien? Monsieur a fait un bon voyage? J'ai lu dans 
les journaux... 

Rantz. — Je vous remercie. (Joséphine sort.) Tu 
vois, tout le monde a le sourire. 

Liane, se biotissant contre lui. — Ah! Paul ! Ce que 
j'aurais donné pour une heure comme celle-ci, il y a 
quelques jours! Est-ce vrai, mon amour chéri, que 
tu es là, après toutes ces horreurs? Il me semble que 
j'ai été folle, que j'ai été internée quelque part. J'ai 
dû avoir la camisole de force, la camisole de force 
du malheur. Ça sen-ait de tous les côtés, la tête, la 
poitrine! Et, maintenant, maintenant, tout est si 
doux! Je suis là... je peux regarder par en dessous 
ton regard clair, trop bleu... Et le contact de ta 
peau! Je peux glisser ma main dans ta manchette 
comme autrefois... Non, non, c'est trop de bonheur!... 
Il va m'arriver encore quelque tuile! Le bonheur et 
moi nous nous accordons si i^eu! Je ne peux pas 
croire à tout ce que tu m'as dit. 

Rantz. — Il faut le croire. 

Liane. — Encore, il y a quatre jours, quand 
j'allais me jeter par la fenêtre et que Maurice t'a 
ramené ici, tout à coup, ça tenait du prodige... mais 
c'était encore dans le domaine des choses possibles! 
Je pensais : « Il n'exécutera pas la moitié de ses pro- 
messes, c'est une réconciliation de principe, il part 
tout à l'heure... et, quand il reviendra, va te faire 
fiche I... » Pas du tout. Tu es revenu et à l'heure où 
je m'attendais de nouveau à toutes les catastrophes... 
ranothéose!... 

Rantz. — Voilà comme je suis. Les femmes ont 
toujours eu raison de ma raison. 

Liane. — Ah! va, je ne serai pas une maîtresse 
bien encombrante, mais ce que je serai, par exemple, 
de tout mon cœui*, de toutes mes forces, c'est ta 
femme! Ta femme!... En voilà un bon mot! Ah! 
celui qui Ta fabrirpu'! 



L'ENFANT DE L'AMOUR 



43 



Rantz. — Femme, maîtresse! Il n'y a qu'an seui 
mot qui compte en amour : chérie î... Tant qu'on peut 
encore le prononcer! 

Liane. — Tiens, ce que tu dis là, avec ton sourire 
de turco au bivouac, comment veux-tu que je ne 
pense pas que ce soit à la blague? C'est du roman, 
tu dictes un roman ! Quand les bouches se sont pro- 
fanées d'une façon aussi honible, entendre tout à 
coup : chérie !... C'a l'air d'une fleur sur du fumier. 

Joséphine rentre avec un panier de bois, recouvert 
d'étoffe bleu ciel. Elle met les bûches dans la che- 



minée. 



Rantz. — Et Raymond? Je n'ai pas dit bonjour à 
Raymond. 

Liane, bas à Rantz, gênée. — Comment! Tu veux 
voir aussi Raymond, après ce qu'il a fait? 

Rantz. — Mais pourquoi pas? Il faut être géné- 
reux!... C'est une bonne grosse canaille^ ce qui vaut 
encore mieux qu'une canaille tout coui't... Je serais 
enchanté de le revoir ! Dites-moi, Joséphine, n'oubliez 
pas de dire à Raymond de monter dans un quart 
d'heure, n'est-ce pas? 

Joséphine. — Certainement, monsieur. 

Elle sort 

Liane, lui apportant le thé. — Ah! les domestiques! 
Quelle plaie! Ils en auront joué un rôle dans notre 
existence! Tantôt ils sont nos confidents, tantôt nos 
ennemis... 

Rantz. — Et à cinq minutes de différence. 

Liane. — Si tu avais vu l'autre jour leurs sales 
têtes, leur joie, quand il m'ont flanquée dehors!... 
Ce François! Moi qui ne lui ai fait que du bien. 

Rantz. — Est-ce qu'ils t'ont brutalisée, par ha- 
sard? En tous cas, ils t'ont laissée bien libre, car 
j'ai trouvé par terre des débris incontestables de ta 
liberté! 

Liane, riant, en prenant sa tasse de thé. — Le pot 

blanc ! 

Rantz. — Pourquoi ris-tu? 

Liane. — Je ris maintenant, tu ne sais pas pour- 
quoi? Figure-toi que sur la tablette, dans ma colère, 
j'avais pris un grès noir, ton Delaherche... 

Rantz. — Il y est encore. 

Liane. — Figure-toi, j'ai eu la présence d'esprit 
de le remettre sur la table et de prendre un pot 
blanc pour le casser. 

Rantz. — Pourquoi? 

Liane. — Parce que le blanc ça porte bonheur. 

Rantz. — Ça, par exemple, est-ce assez femme ! 

Ils rient tous deux bruyamment. 

Liane. — Ah ! Quelle misère, Paul ! Quelle misère 
que l'on puisse rire après de ces choses qui vous ont 
conduit presque jusqu'à la mort !... que Ton puisse 
prendre à la légère ce qui a été toutes vos larmes, 
toute rénormité de votre douleur! Et c'est l'amour 
qui peut produire de pareilles métamorphoses! 

Rantz. — Mais oui, c'est sa puissance! 

Liane. — C'est son horreur aussi... sa puissance 
et son infirmité ! 

Rantz. — Et puis, nous éprouvons la réaction, la 
réaction nécessaire de tant de drames. Nous rions 
un peu bêtement, nous rions trop,^ c'est vrai! Moi 
aussi, moi comme toi. On a besoin de ne plus penser! 
Nous venons de prendre un immense parti, parti 
dangereux, fonnidable de conséquences, mais salu- 
taire et salubre. Alors nous détendons nos nerfs, 
nous étirons nos bras, devant ton feu de bois, nous 
nous reprenons. Mais ne soyons pas dupes même de 
notre rire, de notre joie, de nous retrouver intacts 



l'un devant l'autre. Il faut que nous refassions notre 
vie, Liane, et sur des bases complètement nouvelles, 
tu entends, complètement nouvelles! Il faut que tu 
te fies à l'intelligence du pilote. Obéis, non en es- 
clave, mais en femme aimante. 

Liane. — Ordonne, puisque je suis persuadée que' 
ce que tu dis est vrai, que tu reviens un peu par un 
reste d'affection (Avec crainte.) car... me permets-tu, 
non d'en douter... mais de te poser cette question 
avec encore un peu d'angoisse. La raison de ton 
retour à moi? Est-elle dans une vieille réserve d'af- 
fection que tu ignorais toi-même, dans de la pitié... 
je m'en contenterais,... dans... 

Rantz. — Tout, sauf dans l'intimidation, voilà ce 
que je veux que tu saches bien... Ton fils a d'ailleurs 
abandonné sa sotte et lamentable manœuvre de chan- 
tage : donc tu aurais, s'il le fallait, la preuve que mon 
retour est délibéré, sans contrainte aucune... du moins 
sans autre contrainte que celle de mes propres senti- 
ments. Nous étions arrivés à un point de discorde 
tel qu'il n'y avait plus qu'à nous séparer à tout ja- 
mais, ou à recomuiencer littéralement notre vie, re- 
venir au point de départ. Nous nous sommes arrêtés, 
stupéfaits, à deux pas de la mort... Devant le terrible 
choix que tu me donnais, j'ai cédé, mais à une con- 
dition seule, par exemple, aine qua non, c'est que 
notre vie sera modifiée de fond en comble. Plus 
d'irrégularité, plus de cette pourriture de parisia- 
nisme... Un ménage nouveau, rigoureusement social, 
retrempé dans de nouveaux devoir. Ces êtres veules 
et tragi-comiques que nous avons été, à la face de 
Paris, vont devenir des pei^sonnages normaux, 
gi-aves... ce n'est pas assez... officiels!... Tant pis 
pour les gouailleries ! Je tiendrai tête, puisqu'il en 
est ainsi. J'accepte cette tentative sur des fondements 
nouveaux. De toi dépend, de toi seule, le miracle de 
notre régénéresceuce... 

Liane. — Mais c'est l'idéal ! Le ciel ! Le paradis !... 
La réalisation de mon plus grand rêve!... Ah! tu 
vas voir, par exemple!... Dieu que je suis contente! 
Je me renouvellerai toute... Tu verras... Je serai ta 
femme aimante, obéissante... Tu n'auras plus à me 
reprocher une discussion, une aigreur... 

Rantz. — Le pourras-tu?... Tu te reformeras?... 
Tu te soumettras?... Tu ne referas plus ta vie tous 
les matins! 

•[Liane. — Puisque tu l'auras comblée!... Mais... 
dis, dis, rassure-moi encore... les deux sous d'amour, 
est-ce qu'ils sont dans la balance? 

Rantz. — Liane, soyons francs, nous avons perdu 
l'habitude de Tamour! Je ne demande pas mieux que 
de la reprendre, mais il y aura du travail! Nous 
avons contracté une auti'e habitude, celle de nous 
haïr pendant des années, ou d'arriver presque à le 
croire, à nous le dire et à nous juger avec une 
cruauté et une sévérité sans pareilles. C'est d'ailleurs 
absurde. Quand on est ensemble depuis dix-sept ans, 
il ne faut plus se juger, il ne faut pas se dire tous 
les malins: est-elle satisfaisante, ou est-il toléràble?... 
11 faut savoir se lais.ser métamorphoser par l'exis- 
tence, sans protester. Du reste, c'est facile... Prenons 
enfin l'habitude d'être polis,... d'être unis, et, par le 
fait seul du mariage, lions serons forcés de vivre 
complètement tous les instants ensemble. C'est là 
le meilleur du mariage... Depuis quelques années, 
nous vivions trop séparés... Les gens qu'on voit tons 

(•) Le texte placé entre deux astérisques est supprimé à la 

Tii>rO*>intatîoii. 



44 



L'ILLUSTRATION THEATRALE 



les jours de très près, même une maîtresse, même 
un amant; on perd Phabitude de les juger; on man- 
que de recul pour le faire; mais, si Ton s'éloigne, 
c'est absolument comme lorsqu'on voit apparaître sa 
maîtresse au détour d'une rue et qu'on la regarde 
avancer... tout à coup l'œil acquiert une nouveauté 
et une sévérité qu'on n'avait pas tout à l'heure quand 
on lui donnait le bras. 

Liane. — Ce qui revient à dire?... 

Rantz, — Ce qui revient à dire, mon petit, que 
l'amour n'est pas aveugle comme on le prétend, il 
est presbyte; il voit mal ce qui est près, il voit ter- 
riblement ce qui est loin. Eh bien, recourons vite 
l'un à l'autre; seiTons-nous d'encore plus près; re- 
trouvons-nous dans ce champ visuel rapproché où 
les défaites s'atténuent, s'effacent presque, mais 
faisons-le d'une façon définitive, au moyen de ces 
chaînes que les hommes ont appelées le mariage. 

Liane. — Ah! Je te retrouve là avec ton terrible 
scepticisme I Ça vous donne des frissons, ces paroles- 
là! Crois-tu, Paul, que le blé puisse repousser dans 
un terrain aussi ingrat, aussi desséché? 

Rantz. — Pour me servir de ta comparaison, le 
blé ne repousse pas des années de suite impunément 
dans le même champ. Tout amour qui dure finit par 
être un affadissement de la personnalité. De la terre 
dégénérée dans laquelle il vivait, transplantons-le 
dans de la bonne terre de bruyère et nous verrons 
bien. 

Liane. — Mais, Paul, la récolte peut-elle être aussi 
belle qu'autrefois? 

Rantz. — Ce sont aussi les paysans qui disent en 
vieillissant, avec mélancolie: « La terre ne produit 
plus comme autrefois. » Si les printemps de main- 
tenant ne rendent plus ce que rendaient les autres, 
contentons-nous-en tout de même. Liane, et à l'ou- 
vrage. Cultivons notre jardin... comme dit Tautre!... 

Liane. — Je te comprends. Tu ne jettes pas en 
vain tes feux de brillant causeur. Tu vois que j'ai 
trop de joie et tu veux sur ma joie jeter la cendre de 
tou ironie... me faire sentir ce qu'il y a de sacrifice 
dans ta générosité... Eh bien, non, ton scepticisme 
ne peut même pas me gâter ma joie... Je t'ai... Je 
t'adore... Je te garde pour la vie!... Alors, flûte, 
chenapan, chenapan adoré !... Je dis flûte à ton 
énigme... Je n'ai jamais i)u te comprendre à fond... 
loi et ton maudit sourire... mais tant pis!... Prends- 
nous tout entières! 

Rantz. — Que signifie ce pluriel? 

Liane. — Oui... toutes, nous avons un homme 
comme toi, un mâle, qui nous domine, que nous expli- 
(juons difficilement, mais auquel nous faisons le 
sacrifice de notre vie!... Prends-moi... Rends-moi 
heureuse. Je te jure que je ferai le miracle, tous les 
miracles, en riant, de bon cœur. Je me sens capable 
(l'avoir vingt ans... si tu le souhaites!... Ordonne! 
Commence. J'obéirai.]* 

ICI le l'embrasse avec passion. 

Rantz. — Et d'abord, il faut que notre mariage 
se fasse immédiatement, ne tardons pas à régula- 
riser. Faisons-en une (jucstion de joui's et d'heures. 

Liane, riant. — Veine!... Mais est-ce qu'il y a déjà 
ou des ministresses dans mon genre? J'ai la frousse! 

Rantz. — Je ne suis que sous-secrétaire d'Etat... 
Et d'ailleurs, ça s'est vxi plus d'une fois... même dans 
ce ministère-ci... Il y a un précédent à la Marine... 
Dès maintenant, dès aujourd'hui, je veux te pié- 
senter comme ma femme. Je veux te traiter comme 
telle. Commençons des aujourd'hui. J'ai donc tenu 



à te présenter officiellement à mes deux enfants, 
comme leur belle-mère. 

Liane. — A Raoul et à Nellieî 

Rantz. — A Raoul et à Nellie. Je les en ai avertis 
ce matin à déjeuner. Je leur ai annoncé mon mariage 
et que dans un mois nous vivrions sous le même toit. 

Liane. — Diable! Comment ont-ils supporté la 
nouvelle? 

Rantz. — Mon Dieu!... Le petit Raoul n'est pas 
encore en âge de bien se rendre compte... 

Liane. — Et elle? Elle a accepté?... 

Rantz. — Ah! elle!... Quoique nous ayons évité 
de traiter ce sujet. Liane, inutile de te cacher que 
la malheureuse enfant est dans un état effroyable 
et que nos rapports à tous les deux ont une appa- 
rence plus que froide... Elle a repris sa place à la 
maison... avec une dignité froissée... Elle ne desserre 
pas les dents, que pour en laisser échapper certaines 
paroles. (Il s'interrompt.) Enfin, nous causerons de 
Nellie, si tu veux, mais pour l'instant c'est secon- 
daire... Je yeux, dis- je, te présenter mes enfants. 

Liane, étonnée. — Ici?... Tu aurais pu ne pas les 
obliger à se rendre chez moi, surtout après ce qui 
s'est passé!... Qu'est-ce qu'elle a dit, Nellie, quand 
tu lui as annoncé ce projet de visite? 

Rantz. — Rien. Motus. Deux minutes après elle 
s'est levée de table. Elle est montée dans sa chambre... 
Mais n'importe... n'importe... Liane, je suis sûr, je 
suis sûr que tu aimeras mes enfants comme si tu 
étais leur propre mère. 

Liane. — Tu verras! Je ne te promets pas seu- 
lement de les aimer, de les chérir... je te promets de 
me faire peu à peu aimer d'eux. Quand les as-tu 
convoqués? Car, enfin, c'est pour moi une grosse 
émotion ! 

Rantz. — Aujourd'hui. Tout à l'heure. Cela ne 
te va pas? 

Liane, troublée. — Si, si... A quelle heure?... 

Rantz. — Mais avant le ministère, tout à l'heure. 
J'ai tenu à ce qu'ils te fassent une visite, je le répète, 
en quelque sorte officielle. 

Liane, Ic fixant avec une inquiétude. — Tu n'aS paS 

une pensée de derrière la tête? 

Rantz. — Aucune! Pourquoi? Cette présentation 
n'aura rien de guindé. Mais je ne tolérerai pas d'am- 
biguïté. Je t'épouse! Que ce soit alors une régula- 
risation complète, un mariage d'étroite union... Il 
faut sortir de ces situations équivoques. Je veux que 
Nellie oublie le fils pour ne plus songer qu'à ses 
devoirs vis-à-vis de celle qui va être ma femme... 
Nellie est aussi coupable dans cette mésaventure... 
Que son imprudence, sa légèreté fassent amende 
honorable en t 'apportant d'abord l'hommage d'un 
respect qu'elle te doit. Voilà ce que j'ai voulu lui 
imposer... Mais inutile, n'est-ce pas, de te dire qu'elle 
ne se résoudra pas à cette risite? Donc, seul, le petit 
Raoul viendra me chercher, c'est plus que probable. 
Je ressortira! ai)rès que tu l'auras embrassé. Et voilà. 
Raoul sera amené ici à la sortie du collège, à cinq 
heures... 

Liane. — Comme ça... tout de suite... si vite... 
C'est que... 

Rantz. — Enfin, qu'y a-t-il qui te gêne là dedans? 

Liane. — Je ne prévoyais pas ta visite d'aussi 
l)onne heure... à cause du ministère. 

Rantz. — Alors? 

Liane, avec hésitation. — Alors, j'avais donné ren- 
dez-vous... 

Rantz. — A qui? 



L'ENFANT DE L'AMOUR 



4.1 



Liane. — A Maurice. 
Rantz. — Ah! Ah! Ton fils doit venir?... 
Liane. — Mais je le renverrai. 
Rantz. — Non, non, au contraire, ne le renvoie 
pas. C^est parfait. C'est parfait! 

Un long silence. Il arpente la chambre, les mains der- 
rière le dos. 

Liane, angoissée, déjà heureuse. — Que veux-tu dire, 
par ces paroles : « C'est parfait! » Je n'ose leur 
donner un sens. J'ai peur de me tromper. 

Rantz. — Liquidons toute la situation d'un seul 
coup; nous avons évito de toucher ii ce sujet sca- 
breux, solutionnons-le. 

Liane, avec espoir. — C'est-à-dire... 

Rantz se retourne et, sur un ton sévère. — Ton fils 

s'est conduit vis-à-vis de moi de la plus abominable 
façon. Il a été abject, il a été impardonnable! 

Liane. — Eh oui... mais, Paul, ce qu'il a fait... 
c'était... 

Rantz, sur le même diapason. — Et je le répète, il 
n'est pour rien dans cette réconciliation ! Pour rien ! 
S'il y a été pour quelque chose, c'est bien dans le 
sens inverse! Il a failli rendre tout irréparable... en 
me prenant ma fille... en osant... (il s'arrête.) Enfin, 
je me tais... Eh bien. Liane, je fléchis... Je me maî- 

tnS6. (Il s*assîed à califourchon et, sur un ton, tout à coup, 

bonhomme.) Il faut faire à ce garçon si étrang:ement 
moral, une situation... une très belle situation, qui 
l'empêchera de tomber dans d'autres égarements. 

Liane, avec joie. — Ah! voilà ce que j'attendais 
de toi! 

Rantz, soufflant sur le verre de son monocle. — Il n a 

aucune aptitude. Je reconnais qu'il n'a d'ailleurs 
pas reçu d'éducation suffisante pour les développer. 
Il n'est pas employable; mais peut-être pourra-t-il 
se perfectionner tout de même. Eh bien, puisque 
nous sommes dans un jour heureux, un jour de les- 
sive blanche, lavons, effaçons... de belle humeur... 
Je lui fais une position du jour au lendemain. . 
écoute... de vin^t-huit mille francs. 

U tapote la chaise en souriant. 

Liane. — De vingt-huit mille francs?... De ca- 
pital?... 

Rantz. — De rente. 

Liane, avec élan. — Oh! c'est trop beau! Que tu 
es bon ! C'est bien trop ! 

Rantz. — Je souhaite qu'il comprenne la valeur 
de mon geste, (ii répète.) Vingt-huit mille francs de 
rente!... J'espère qu'il travaillera! 

Liane. — Mais quelle position peut valoir une 
pareille rémunération? 

Rantz. — Tu connais mes mines d'anthracite aux 
environs de Chicago? Je t'en ai parlé... elles consti- 
tuent une jolie source de revenus d'ailleure pour moi. 

Liane. — Oîi sont-elles? 

Rantz allume une cigarette. — En Amérique. 

Liane. — En... Amérlc|ue? 

Rantz. — Tout marche par soi-même avec un rou- 
lement d'inj^énieui's étranircrs très convenable. Mais 
une surveillance française ne messiérait pas... Je 
t'expliquerai pourquoi... En tous cas. si, dans les 
premières années, ton fils ne peut pas être d'un 
apport bien considérable, je le reconnais, il ne nuira 
pas à une exploitation dont il ignore le premier mot, 
et c'est déjà quelque chose! Il aura tout le temps 
désirable, ensuite, pour apprendre son métier... 
Hein?... C'est féerique!... C'est féerique!... Ah! il a 
de la veine d'être tombé sur moi... à bras raccourcis, 
mais enfin... 



Liane, timide. — Et il faudra qu'il y vive tout le 
temps, en Amérique? 

Rantz, riant. — Ecoute, mon chou, tu ne voudrais 
tout de même pas qu'il touche de pareils émoluments 
et qu'il continue à faire la noce à Paris! 

Liane. — Ce n'est pas ce que je veux dire, Paul. 
Mais enfin, dans la circonstance présente, peut-être 
y a-t-il de ma part — oh ! pas de la tienne ! — quel- 
que chose d'un peu... 

Rantz. — D'un peu... Achève? 

Liane. — Je ne sais pas comment dire... D'un 
peu... 

Rantz, vivement. — Je voudrais bien voir qu'il ne 
soit pas ravi... Mais, ma Lianon, je le tire du pé- 
trin !... Je fais à ce garçon dévoyé une situation 
superbe, inespérée. Je lui mets un métier dans les 
mains... J'en fais un homme, un homme actif... Je 
l'arrache à la gabegie de Paris qui a été sa perte... 
Je l'arrache, enfin, à lui-même... Eh bien, merci!... 
Remarque que je ne parle là, avec délicatesse, que 
des intérêts de ton fils, car, enfin, si tu veux en- 
tendre dire que cet éloignement est indispensable 
pour ma fille, je vais te le dire, et sans gêne encore ! 
Je redoute tout... tout, s'il reste 1 Je ne réponds plus 
de rien !... J'ai le droit d'arracher ma fille à l'épou- 
vantable fiasco auquel elle s'est réservée si elle no 
réagit pas, si nous ne réagissons pas pour elle... Ln 
voilà maintenant qui refuse obstinément le mariage 
qu'elle avait accepté... un très beau mariage!... 
Après cette terrible leçon, j'espérais qu'elle aurait 
les yeux ouverts sur la valeur morale du garçon... 
Eh bien, j'ai peur... d'elle... maintenant que nous 
nous rapprochons par la vie commune.... et de lui, 
s'il reste à Paris... Elle a été littéralement fascinée. 
Ah! c'est joyeux! Note que si j'envoyais t6n fils par 
représaille, en expédition lointaine, je comprendrais 
ta résistance... Mais je te répète que c'est de la féerie ! 
Je lui crée, et de bon cœur, une situation insensée, 
je le tire de tous les embarras, d'un état social pçir 
trop imprécis. 

Liane. — Oui, mais il ne me verra plus... II... 

Rantz. — Ah ça! mais avais-tu la prétention... 
ceci aurait été inconcevable... avais-tu la prétention 
d'introduire ici, au milieu de nous, au milieu de 
mes enfants, au même foyer, rue de Grenelle, en 
plein ministère, ton enfant illégitime et- qui s'est 
permis... (Sèchement.) Dans ce cas, ma chère, il fallait 
me prévenir! Je ne serais pas ici! Ah! non! 

Liane, timide. — Je n'allais pas... jusque-là, ce 
serait inadmissible... en effet... 

Rantz. — Eh bien, alors, quoi. Liane?... Cet en- 
fant que tu as tenu éloigné de toi pendant une 
vingtaine d'années, dont tu te souciais comme d'une 
pomme... voilà que maintenant, à l'âge où il se fait 
homme, oii il n'a justement plus besoin des siens, 
tu réclamerais sa présence? Ce serait plutôt para- 
doxal !... 

TiiANR. — C'est que tant de choses se sont pas- 
sées!... Oh! je ne réclame pas sa présence... Je songe 
à lui... 

Rantz. — Ce n'est plus un bébé, ton fils... C'est 
un bonhomme qui ne vit plus dans les jupes de sa 
mère, j'en sais quelque chose. S'il vit dans des jupes, 
ce n'est certainement pas dans celles-là! Non, non, 
après les basses canailleries qu'il a commises, je crois 
que peu d'hommes feraient ce que je fais aujour- 
d'hui. C'est à prendre ou à laisser. D'ailleurs, ceci 
dit, tu te leurres complètement, mais complèteraenf. 
Dès qu'il va apprendre cette générosité, à laquelk» 



46 



L'ILLUSTRATION THÉÂTRALE 



il n'est fichtre pas en train de s'attendre, tu ne te 
doutes pas de l'accueil qu'il lui réservera... 

Liane. — Tu crois? 

Rantz. — J'en suis certain... Sacristi, mais je 
ne ferai pas cette situation à mon fils!... Mais il 
n'aura pas ça... Il n'en aura pas la moitié... en tur- 
binant, et dur!... Je te le garantis!... Il n'y a pas 
de fils de famille qui débute dans la vie avec une 
situation assurée de vingt -huit mille francs. Répète 
en toi-même le chiffre... Et à ton fils tu n'auras pas 
besoin de le répéter. Tu verras son sourire. 

LiANK. — C'est i)eut-être possible!... C'est pro- 
bable, même!... Oh! je ne demande pas mieux, tu 
penses bien... Et, en effet, c'est moi qui dois me 
forger des idées... des appréhensions qui ne tieinienl 
peut-être pas debout... 

Rantz. — Mais absolument. 

Liane. — C'est, comme tu le dis, peut-être une 
admirable can'ière qui s'ouvre pour lui... Ri elle lui 
sourit... 

Rantz. — Allons, cesse un peu, même dans le 
bonheur, de rester les deux sourcils froncés! Tu as 
toujours l'air d'un lapin dressé qui attend le coup 
de fusil ! 

Liane. — Dame! 

Rantz. — Embrasse-moi, tiens! 

Liane. — Ah! de tout mon cœur, de toutes mes 
forces ! 

Rantz. — Où nous marions-nous? 

Liane. — Ça m'est égal ! Même à l'église, si tu veux ! 

Rantz. — N'exagérons pas. Voilà ce que je pro- 
pose. Si le ministère tient, nous le saurons dans 
huit jours. Nous nous marierons réglementairement 
à la mairie du seizième; si nous tombons avant la 
publication des bans, eh bien, nous irons nous marier 
chez moi, à Marly-le-Roi. 

TjA Femme de chambre entre et apporte une lettre h 

la main. — Madame, une lettre qu'un domestique a 
apportée. 

Liane. — Il n'y a pas de réponse? 

La Femme de chambre. — Je ne sais pas, ma- 
dame. 

LijiNE. — Tu permets? 

* Elle s'avance près de la coiffeuse. 

Ija Femme de chambre, bas, à Liane. — Je suis 
entrée, surtout pour avertir madame que M. Maurice 
était là. 

Liane, bas. — H y a longtemps? 

La Femme de chambre, bas. — Non, il arrive seu- 
lement. Que faut-il lui dire? 

Liane. — Qu'il repasse dans une heure; je serai 
seule. 

Rantz, du fond de la pièce. — Du tout, inutile. 
Qu'il entre. 

Liane. — Que veux-tu dire? 

Rantz. — J'ai une très bonne oreille! J'eirtends 
de loin. C'est ton fils! Qu'il entre! Mais si, je t'as- 
sure!... Il vaut bien mieux que tu lui parles tout de 
suite. Joséphine, allez... Ou plutôt, quand madame 
sonnera, vous ferez entrer M. Orland directement ici. 

La Femme de chambre. - Bien, monsieur, (iciie sort.) 

Rantz. — Ne te contracte pas ainsi, allons... 
C'est simple comme bonjour. Je vais te laisser avec 
lui... Pose-lui la question en toute simplicité, mais, 
par exemple, sans aucune littérature, sans aucune' 
question préalable. Dis-lui. voilà ce qu'on t'offre... et 
tu verras. Je tiens le pari. 

Liane. — Ah! dans ces conditions, si cet avenir 
lui sourit... J'offre de ta part, n'est-ce pas? 



Rantz. — Parbleu ! Je ne m'en vais pas d'ailleurs 
de chez toi. Je descends simplement au rez-de-chaus- 
sée, je vais en profiter pour faire comparoir mon 
vieil ami Raymond, pendant ce temps. Il s'attend à 
une bûche terrible! 

Liane. — Quelles sont tes intentions ? Tu sais 
qu'il m'est très utile... 

Rantz. — Ce que je vais faire? Je vais l'aug- 
menter ! 

Liane. — Quel homme! 

Rantz. — N'est-ce pas? 

I^ANEL — ïu as bien le sourire le plus commu- 
nicatif, le plus entraînant que je connaisse. Quel 
admirable général tu aurais fait ! 

Rantz. — Allons, bon ! Ministre ne lui suffit plus, 
je passe à Tannée! Hélas! je ne suis pas plus né 
pour être général que ministre! Je suis né amant 
et je mourrai sans doute amant! Pas même Napo- 
léon... Boulanger!... Donne-moi tes mains!... Amis! 
Amants! Amis?... 

Liane. — Les deux! Je veux tout... et encore 
plus!... 

Il lui embrasse la main. 

Rantz. — A tout à l'heure! Si tu as besoin de 
ma présence, n'hésite pas à m'appeler. (ii montre le 
bouton.) Ma sonnerie habituelle... ma fanfare de 
zouave, ou viens me rejoindre en bas. (il se retourne.) 
Et tu vas voir le sourire épanoui de ton fils! Pré- 

l)are-toi. (il sonne ix)ur appeler la femme de chambre.) Il V 

avait long-temps que je n'avais parlé à ce bon Ray- 
mond! Ça me manquait!... J'ai même rapporté de 
Grenoble une montre en or ém aillée ancienne... que 
je destinais à mon secrétaire... Je vais la coller à 

Raymond. (II sort. Liane reste seule.) 

Scène II 

LIANE, puis AUGFvSTINE 

Au bout de quelques instants, la femme de chambre 
entre par l'autre porte. 

Liane. — Oui, oui, faites entrer. 

La femme de chambre ressort. Liane s'installe à la 
coiffeuse, se met activement du rouge, de la poudre, 
s'avive les ongles, pour que son fils la trouve dans 
une occupation naturelle. 

Scène III 

MAURICE, LIANE 

Maurice, entrant, gaiement. - - Bon jour, maman ! Eli 
bien, comment va? 

Liane. — Très bien. (Il l'embrasse sur le front, durant 

qu'elle se poudre.) Rautz est là, tu le saisî 

Maurice. — Je sais... Eh bien, vite ! dis-moi, vite... 
C'est décidé? Il ne revient pas sur sa décision? 

Liane. — Non, Maurice. Il est sincère. Nous nous 
marions. 

Maurice. — Ah! que je suis content, que je suis 
content! Tu n'as pas idée de la joie que j'éprouve! 
(Il lui saute au cou.) Enfin! Voilà le rêve réalisé, ma 
chère petite maman ! Tu vois bien qu'on y est arrivé 
tout de même, et c'est fini des mauvais jours, et 
c'est fini de la tristesse!... Tu vas avoir de beaux 
yeux clairs, reluisants ! Des yeux bien astiqués. 

comme autrefois, (il lui parle en la regardant dans la glaco 

«le la coiffeuse.) Mais tu cs sûrp qu'il n'y a pas mal- 
donne? 

Liane. — Certaine, Maurice! Il est sincère, ^fais 
oui, mais oui, il est sincère... Ah ! Je comprends que 



L'ENFANT DE L'AMOUR 



47 



tu en doutes un peu! 

Maurice. — Et pour cause! Ou est toujours in- 
quiet avec lui! 11 n'essaie pas de gagner du temps? 

Liane. — Oh! non, Maurice. Ce que je garantis, 
c'est que son parti est pris!... Dieu sait, je ne veux 
pas Texcuser, bien au contraire! Il a eu les torts 
les plus graves... Seulement, au fond, ce n'est pas 
un mauvais homme. Sa nature l'en traîne sans que 
sa volonté le conduise. Je le connais j il fait des 
détours, et puis il revient au point de départ. 

Maurice, la regardant avec surprise. — Le détour CSt 

quelquefois un peu long:! Enfin, je comprends que 
maintenant tu ne veuilles pas le juger. 

Liane. — Je ne juge pas. Je constate, voilà tout. 
C'est que je le connais tant! Oh! je pensais tout ce 
que je te disais de lui ces jours-ci... tout et encore 
pis... Mais, depuis... je Fai entendu. Je t'affirme 
qu'il y a des choses très excellentes en lui... 11 ne 
sait pas se faire valoir... Il a des mouvements plus 
irréfléchis qu'on ne le pense... Ainsi, une chose 
certaine, et qui fait d'ailleurs que je peux lui par- 
donner bien des erreurs, c'est que, s'il revient à 
moi, c'est spontanément... Oui... Je ne crois pas qu'il 
y ait eu chez lui la moindre peur, qu'une crainte 
quelconque l'ait déterminé à capituler... Dieu sait 
que c'est grâce à toi, mon cher petit, et à ton secours 
ijue je dois que les événements se soient ainsi pré- 
cipités... 

Maurice^, regardant la poignée de sa canne. — ■ Pour- 
quoi? Oh! ce n'est pas sûr, ce n'est pas sûr du tout! 

Liane. — Si... Bien que nous ayons eu, l'un et 
l'autre, certaines maladresses qui auraient pu com- 
pliquer les événements, au lieu de les arranger ! Mais 
regarde, justement, ces maladresses (Mêuvement de 
Maurice.) OU du moins, je m'exprime mal, cette ten- 
tative un peu... hardie, n'a rien gktél.. Et, tiens, il 
vient, figure-toi, de s'exprimer tout à l'heure sur ton 
compte d'une façon qui n'aurait pas fait changer 
tes sentiments à son égard, bien entendu, mais enfin, 
qui aurait atténué tes raisons de rancune et de dé- 
fiance. 

Maurice. — Ah !... Je suis trts heureux, je 
suis très heureux qu'il en soit ainsi... (Brusquement.) 
De toutes façons, l'essentiel n'est-il pas que tu aies 
réalisé ton rêve, et je crois que cette fois le voilà 
bien réalisé, n'est-ce pas? 

Liane. — Oui, oui, je le crois fermement... Il s'est 
fait une idée équitable de la situation. Cette crise 
a déterminé en lui des notions de justice... oui... 
Il désire un apaisement général... Et même je suis 
chargée de te demander quelque chose à ce sujet. 
Je vais te le demander sans préliminaire aucun. Tu 
jugeras toi-même. Je ne suis chargée, bien entendu, 
que de te soumettre l'idée, le principe. Je t'assure 
que je n'ai vu dans sa proposition qu'un effort sin- 
cère pour tout arranger... 

Maurice, fronçant les sourcils. — Quoi î J'attends... 

Liane. — Tu es entièrement libre d'accepter ou 
de ne pas accepter. Tu penses, mon cher petit, que 
ce que tu décideras sera toujours excellent à mes 
yeux... et je respecterai ta volonté... 

Maurice. — Ne tergiverse pas!... Qu'est-ce que 
f'estf... Il s'agit de moi? 

Liane, posant ses accessoires de toilette et le regardant. 

— Que penserais-tu si tu te trouvais du jour au 
lendemain à la tête d'une situation de vingt-huit 
mille francs de renie? 

Maurice. — De vingt-huit mille francs de renie! 
Qu'est-ce que tu dis, maman?... Tu te moques de 



moi... Voyons, voyons! Tu veux me faire une fausse 
joie... 

Liane. — Je ne dis que la vérité... Vingt-huit mille 
francs de rente assurée... Une situation inespérée! 

M.\uRiCE. — Incroyable! 

Liane. — Il t'offre de te mettre à la tête de la 
surveillance de ses mines d'anthracite aux environs 
de Chicago... Te souviens-tu? Je t'en ai parlé, je 
crois... 

Maurice. — Ah! bien... Très bien!... Oui... oui... 

Liane. — Réponds sincèrement!... Maurice, ré- 
ponds!... Dis-moi toute ta pensée, comme tu l'éprou- 
ves. Je me baserai sur elle. Quel premier effet ça te 
fait-il... De but en blanc? 

Un long silence. La figure de Maurice s'est détournée. 
Il balance sa canne un grand moment... puis il regarde 
Iviane avec un hochement de tête et un sourire. 

Maurice. — Eh bien, mais ça me paraît admi- 
rable... admirable !... 

Liane. — Ah!... Vraiment? 

Maurice. — Tiens, parbleu! Vingt-huit mille 
francs! Bougre! Ça n'est pas à dédaigner!... C'est 
une superbe position! 

Liane. — X'est-ce pas?... C'est ce qu'il me sem- 
blait aussi... Mais comme je n'y connais rien... 

Maurice. — A mon âge. Songe donc!... Et puis, 
l'Amérique, c'est très bien, l'Amérique! (Un temps.) 
Je vivrai, naturellement, les douze mois de l'année 
là-bas ? 

Liane. — Ça, je ne sais pas... J'ignore!... Mais tu 
voyagerais évidenmaent !... Tu irais et tu viendrais... 

Maurice. — Oui, oui, bien sur, j'irai... je vien- 
drai... (Il balance toujours méditativemcnt sa canne.) Eh 

bien, mais ça ne me paraît pas mal du tout! 

Lune» — Tu dis ça d'un air bizarre. 

Maurice. — Moi?... Pas le moins du monde! Je 
t'affirme le contraire! Pourquoi donc? Je réfléchis 
seulement à cette situation... inattendue... J'essaie, 
d'un coup d'œil, d'envisager... (Un temps.) Après ce 
qui s'est passé et ce que j'ai fait, il se conduit admi- 
rablement... 

Liane. — Il me semble, n'est-ce pas? 

Maurice. — En somme, il pourrait s'en tirer avec 
beaucoup moins de générosité... (Changeant de ton, tout 
à coup, rapide, bref.) Il n'y a qu'une seule chose, une 
seule... Voilà le point... mais je peux en avoir le 
cœur net, tout de suite, d'ailleurs... car j'en fais pour 
moi une condition sans réplique. 

Liane. — Laquelle? 

Maurice. — Je veux savoir si ma petite amie con- 
sent à aller vivre avec moi, là-bas... Si Aline m'ac- 
compagne, oh! alors, je pars tout de suite, je pars 
quand on voudra... Autrement, n'est-ce pas, si bril- 
lante que soit l'affaire, ce serait tout de même un 
peu dur... Mais je répète que je peux en avoir le 
cœur net, de suite. La petite est très franche, très 
rapide dans ses décisions... 

Liane. — Mais tu as tout ie temps, mon enfant, 
tu as tout le temps ! 

Maurice. — A quoi bon?... Il faut régler ça tout 
de suite: c'est si facile!... Elle est là, elle est restée 
à... enfin... à la cuisine... Je descends la trouver, et 
je lui pose la question. Selon ce qu'elle répondra, 
je te dirai oui ou non... 

Liane. — Mais veux-tu bien! Reste là!... Je veux- 
nue tu la fasses monter... Si, si... Par exemple!... 
Ça ne se traite pas entre deux portes, ces choses 
intimes. Je vais la faire venir, vous laisser ensemble, 
vous causerez, tout à l'aise... (Elle sonne.) 



48 



L'ILLUSTRATION THÉÂTRALE 



Maurice. — 11 est préférable, en effet, que tu 
ne sois pas mêlée à cette conversation. Laisse-moi 
deux minutes. - 

La femme de chambre entre. 

Maurice et Liane, ensemble. — Voulez-vous dire à 
M"* Aline...' 

Maurice, ù sa mère, en souriant. ■ — Fais. 

LiANÉ, continuant. — ...qu'elle Vienne ici... que 
^t. Maurice l'attend. 

La femme de chambre sort. 

Maurice. — Elle m'aime, mais sais-je jusqu'à 
quel point?... Elle peut très bien ne pas se soucier 
de quittèi» la France. Elle a encore sa mère. Alors... 

(Il s'interrompt, gêne de sa phrase.) Enfin, je vais nie 

rendre compte... Je te rappellerai sitôt après. Je 
vais avoir au moins une impression très nette... Va, 
maman, qu'elle ne te trouve pas là. C'est inutile. 

Liane. — : Je ne vais rien dire à Paul; c'est entre 
nous... Ce sont des affaires de sentiment... 

Maurice. — Commie tu le dis... A tout à l'heure. 

Liane. — A tout à l'heure, mon petit. (De la porte.) 
Prends tout ton temps. Vous avez du thé, des gâ- 
teaux... Veux-tu que je lui fasse monter autre chose? 

Maxjrice. — Non, merci, maman, ça va très bien. 
(Il sourit.) A tout à l'heure. 

Elle s'en va. Maurice reste seul. La porte de l'autre côte 
s'ouvre. Aline entre. 

Scène IV 

ALINE, MAURICE 

ALiNEy étonnée. — C'est toi qui me fais demander? 

Maurice. — Oui. , 

Aline. — Qu'est-ce qu'il y a donc? Tu es seul? 

Mauric?e. -r- Oui. 

Aline. — Pourquoi? Que se passe-t-il? 

Maurick '■ — Aline, viens ici. Donne-moi ta main. 
Tu vas répondre à la question que je vais te poser, 
mais immédiatement, sans réfléchir. 

Aline. — Vas-y!... Quoi?... 

Maurice. — C'est pour avoir ta première impres- 
.sion, mais en toute sincérité, comme nous avons l'ha- 
bitude de le faire, d'ailleurs, tous les deux, dans les 
gi'andes occasions. 

Aline. — Parle... 

Maurice, d'une traite. — Si nous a\dons vingt-huit 
mille francs de rente, consentirais-tu à venir vivre 
tout de suite et pour de longues années avec moi 
en Amérique... Vite, réponds! Vite, vite, sans réflé- 
chir... 

Aline. — Mon petit Maurice, écoute bien ça... 
Avec deux francs cinquante par jour, où tu vou- 
dras... quand tu voudras. 

Maurice, lui empoignant la main et en fermant les yeux. 

— Merci. Tu ne sais pas le bien que peut faire une 
bonne parole comme celle-là. 

Aline. — Mais, maintenant que je t'ai répondu, 
veux-tu m'expliquer, parce que je n'y comprends 
goutte!... Ou plutôt il me semble que je comprends 
trop bien... Maintenant qu'on n'a plus besoin de toi, 
maintenant que tu es parvenu à faire le bonheur 
de ta mère, ça y est, on te congédie. Et c'est ta 
mère qui consent à ça? 

Maurice. — L'idée vient de lui. 

Alinfî. — Mais cVst elle qui accepte! Tu veux 
mon impression?... Je trouve ça infect, je ne peux 
pas te dire comme je trouve ça infect !... Je suis 
révoltée!... 

Maurick, insistant, tn la ••> rd-int hit n. — Mou Dicu, 



ma chérie, il y a vingt-huit mille franc dé rente à 
la clef... C'est un chiffre... * 

Aline. — Oui, Rantz poun-ait plus mal faire... 
Et puis il a ses raisons et ses motifs. (Avec éclat.) Mais 
ta mère! 

Maurice. — Chut!... Tais-toi, je t'en prie, tais- 
toi!... Tout ce que tu pourrais me dire, je le sais... 
Ne l'accuse pas ; cherche-lui des excuses, au con- 
traire, si tu veux me faire plaisir. Elle en a... Elle 
a tellement souffert! Elle l'aime tant! Et puis, mon 
dieu... elle croit peut-être que c'est pour mon bon- 
heur! 

Aline. — Non, non! Ce n'est pas là son mobile. 

Maurice. — Tais-toi, aloi*s... si tu le penses... Je 
viens d'avoir un très grand serrement de cœur. Il 
ne faut pas que j'entende tout haut ce que je n'ose 
pas encore me dire tout bas... En tout cas, si j'ai 
éprouvé une forte peine, par contre je viens de rece- 
voir la plus grande compensation que je ])ouvais 
espérer!... Car non seulement toi, avec ton petit 
cœur, tu as trouvé le premier élan, mais tu viens de 
faire encore mieux: tu n'as pas pense à toi une 
seconde, tu n'as pas pensé à cet argent inespéré qui 
nous tombe du plafond, à ton changement de situa- 
tion... Non, tu as pensé à moi, dans ton premier 
mouvement! Tu as deviné ma peine de cœur... Tu 
n'as vu que ça, toi I... Eh bien, c'^st très beau, Aline, 
et tu ne sais pas tout ce que ça peut effacer!... 

Il lui prend les deux mains. Elle se jette à son cou et 
lui relève, la tête. 
' AUNB, avec une grande tendresse. — Pleure donC 

pas, voyons, mon gosse adoré! Pleure pas! 

Maurice. — Ah! oui, gosse!... Hein, crois-tu?... 
A mon â«e, attacher de l'importance à des sentimen- 
talités de ce genre! Suis-je assez godiche?... 

Aline. — Sans compter que c'était sûr! Je le 
savais tellement, qu'une fois qu'elle n'aurait plus 
besoin de toi... 

Maurice. — Ne crois pas à un calcul de sa part, 
ne le crois pas! C'est la force des choses!... Si j'avais 
senti que je pouvais être quelque chose pour elle, est- 
ce que je n'aurais pas cherché à l'amener un peu à 
moi ? Je ne Tai même pas tenté... Seulement, tous ces 
événements nous avaient malgré tout rapprochés, 
quand je Tavais vue souffrir ainsi! C'avait été pour 
moi une si grande révolution ! Je m'étais mis à 
Taimer tellement de toute cette tendresse refoulée 
qu'il me semblait qu'en se raccrochant à moi, 
d'une façon si désespérée et parfois si tendre, elle 
trouvait en même temps son amour!... Et m'aper- 
cevoir par trois mots, là, que c'était tout de même 
du néant... c'est très cruel, va!... Voilà... maintenant 
c'est comme avant... La vie nous avait serrés l'un 
contre l'autre, une seconde... Il en était sorti des 
choses admirables... mais condamnées à l'avance, 
parbleu ! Je la perds comme autrefois, plus peut-être, 
car il y aura entre nous le souvenir de trop de pa- 
roles dites! Et demain, quand elle sera heureuse avec 
lui, elle me portera peut-être de la rancune au fond 
de son cœur, pour avoir osé toucher à son idole!... 
Ah ! la machine humaine ! Il faut la prendre comme 
elle est, et se dire que, ce coup de cœur... c'était une 
chose puérile... puérile... à (|uel point!... Et il n'y 
a rien de plus gi'otesque au monde qu'un homme 
qui i)leure parce qu'il a encore besom de sa maman. 

Aline, le tirant à elle sur la chaise lonRue. — Com- 
ment peux-tu dire une chose pareille! C'est tellement 
toi, ce cri-là... et c'est tellement pour ça que io 

t'aime! (îClle lui prend la tète et l'appuie à son épaule.) NoUS 



LENFANT DE L AMOUR 



i: IV. 



AIllK 



ne nous Bommes jamais dil de rlioses bien graves... 
On bêtifie tant dans la viel Mais, an fond, nons nons 
comprenons tellement!,.. Noua savons poui-quoi nous 
nous aimons, n'est-ee pas, mon petit Manriee? Tn 
as toujours eu besoin d'être dorloté... Tn as toii- 
joui-a en dn reîrret.,. Eh bien, tonte ta vie, main- 
tenant, tonte la vie. Manrice, c'est moi qui serai 
ta maman, va!... moi qui te donnerai le courage... 
et tn verras (jn'on iionrra êtiT très benreux. dis wni 

1;-., sur le bout Je la cliaiw longue, loul pftilfi ri srrrés Tui. 
contri- l-aulrc. MaUrnïllïnu.ul clic le cajole et le berce pres- 
que.) Et puis, c'est pent-êli-e une affah-e de temps! 
Quand sa colère à lui sera calmée... C'est sans doute 
surtout à cause de sa fille qu'il t'éloigne; il a penr! 
(Souriant «ïïc fierté.) Il ne te connaît pas. il a tout 
cru, lui!... 

Matthtce. — Non, non, e'esl un bulletin d'exil que 
je vais signer, d'exil doré et voilft loul! Il le dissi- 
mulera il ma mère, mais il me hait, il me liaïra ton- 
jours d'une haine atroce, définitive... Quand deux 
hommes se sont colletés, comme nous, se sont vomi 
ce qu'ils avaient sur le cœur, c'est fini. On nefi'ace 
pas ces paroles-UI. ni les paroles ni les actes ! 71 
dissimulera certainement, sous ses delioi-s élégants, 
mais jamais il ne pai-donnei-a l'humiliation ù laquelle 
je l'ai contraint, jamais!.., Ci-oîs-tu que je ne vois 
pas son jeuî II se venge d'avoir été contraint on 



amené à ce mariage, en le faisant immédiat, et en 
formant tout de suite un nouveau foyer, pour rendre 
ma situation ici impossible! 

Aline. — Car c'est bien ton impi-ession, n'est-ce 
pas. il est revenn et il l'épouse contraint et forcé? 

MAURirK. — Ma mère prélend le contraire! Elle 
préfère le ci'oire... Klle a peut-être i-aison. qui le 
saitT... Qui peut savoir au juste ce qui se sera passé 
dans cet hommeî... J'ignoi'e ce qu€ j'y ai détenniné: 
la pitiéî Peut être' On n'est pas d'une seule pièce' 
Mais en toul cas une (ho'je « 
revient pas la lage au inin 
même paice que j ai <ti là 
«erait moi-te îi Iheuie actuelle 
bcrail plus jamai'. ie\enn' Ja 
ce que j m fait' Tout' 

Ai.iNh. — Oui. Maunce... tout, même ce qui n est 
pas bien. 

Maurick. — Ef c'est loul de même chic de i>enser 
(|ue son effort n'a pa,4 été vain... qu'on a bien fait 
de s'alteler ii la charrue et de pousser de lonles ses 
forees! Ce sera nne ficbue consolation pour moi, 
Aline, de pouvoir me dire de loin que tout le bon- 
heur qu'elle aura, elle me le doit!... Ça, vois-tu. c'est 

Alixb. — Ah! oui... Kt nnlement encore!... Et 
elle peut se vanter d'avoir en de la veine de trouver 



il icMent toul de 

''ans moi maman 

tu tout cas il ne 

L bien fail de fane 



50 



L' I LLUSTRATI ON TH E ATRALE 



un fils comme toi... C'est égal, ils n'auront pas été 
longs à te débai'quer, mon gros! 

Maurice. — Débarquer!..» Peuh! Pas même! Je 
reprends mon rang, voilà tout! Je rentre dans Tali- 
gnement. C'est le reste (jui n'était pas normal. Je 
suis Tenfant pas désiré, je suis celui qui est venu 
en trop! Suis-je même un enfant f... Je suis le sou- 
venir d'un baiser... On m'a acheté, toujours, plus ou 
mi>ins cher, le renoncement à ce titre d'enfant... Et 
ça continue, regarde... Seulement, ce que j'ai aug- 
menté!... Vingt-huit mille francs!... î^chtre!... Au 
prix où est le beurre, ce n'est pas donné!... 

Aline. — Mais tu vivras, au contraire, Maurice! 
Tu peux devenir quelqu'un! 

Maurice. — Quelqu'un?... Ah! ma pauvi*e Liline! 
Il faudrait avoir sur soi une éducation, une con- 
duite et autre chose avec... 

Aline. — Te voilà malgré tout à la tête d'une 
situation, et, là-bas, tu te feras une autorité, un 
nom! 

Maurice. — T'es pas folle! Je me ferai entre- 
tenir encore, un point c'est tout! Comment veux-tu? 
Est-C€ que je comprendrai un mot à l'emploi auquel 
on me destine? Je suis envoyé là-bas pour ne lien 
faire. Pense à la tête de ces gens, qui vont me voir 
tomber comme un bolide au milieu d'eux! Je vais 
n'inspirer que du dégoût! 

Aline, indignée. — Du dégoût! Par exemple! Je 
voudrais bien voir... 

Maurice. — Mais naturellement! De bonne foi, 
qu'est-ce que tu veux qu'ils disent devant ce fils à 
maman qui s'aboule avec sa maîtresse... En anglais 
ou en français, ce sera toujoui-s cette phrase: « Vrai, 
il a bien une tête de maquereau, ce type-là! » 

Aline. — Maurice, veux-tu ne pas parler ainsi! 

Maurice, se levant avec rage. — Et ils auront rai- 
son, ils auront raison! C'est injuste, mais il faut 
avouer qu'ils auront raison ! 

Aline. — Ah! par exemple! Quand on te connaît 
comme je te connais, toi qui es si fin, si sensible... toi 
qui viens encore d'en donner cette preuve... IMon 
ori-os, ne pleure pas? 

Maurice. — Non... je pense à (.-a... à l'avenir... et 
puis au passé! A tout! Comme c'est drôle, hein? Je 
revois toute ma vie, là, sur le tapis !... depuis le 
début... maman... mes seize ans... ma typhoïde... le 
collège Gerson, et puis... et puis!... Et tout ça parce 
(|ue le baiser de ma mère et d'un amoureux de vingt 
ans n'a pas été stérile!... Comme c'est bête! L'amour 
m'a pris en passant... alors, il faut se laisser aller 
comme au hasard... comme le vent! Ah! heureuse- 
ment il y a le remède à côté du mal, car il existe 
de petits êtres exquis comme toi... 

Ils S€ serrent encore plus l'un contre l'autre. 

Aline. — Et qui se comprennent comme nous 

deux. 

Maurice. — Car toi aussi, au fait, mon bichon, 
tu es une enfant de Tamour! Pas de père, à peine 
une mère qui te laissera partir sans dire ouf, pourvu 
qu'on lui envoie de l'argent. 

Aline. — Ne pleure pas! Ne pleure pas, coco 
adoré, puisque je suis là! 

Maurice. — Oh! ce n'est pas sur moi que je 
pleure, c'est à cause de celle-là... qui a eu tout mon 

cœur... (Il montre la i)orte. puis il relève la tète avec énergie.) 

Demain, ce sera fini. J'aurai du courage. Demain 
je serai un homme. Ne fais pas attention, c'est un 

])eu de jeunesse qui s'en va ! (il l'embrasse brusquement.) 

Ah! puis qu'importe, après tout? Il faut être au- 



dessus de toutes ces i>auvretés... nom d'un chien! 
, Nous ne sommes pas cîes enfants désirés, c'est vrai, 
mais regarde-toi voir dans la glace, regarde!... (il 
l'appelle devant le psyché de Liane.) Nous avons une Con- 
solation, tu ne trouves pas? S'ils nous ont fait sans 
penser à nous, nous avons tout de même la conso- 
lation de nous dire que nous sommes beaux. C'est le 
proverbe qui a raison! Regarde le couple! 

Aline, «'appuyant à lui. — C'cst vrai ! Nous faisons 
bien. 
Maurice. — Il n'y a pas à dire, nous sommes 

signes I... (Il fait claquer sa langue et en riant il lui prend 

les mains.) Maintenant, fini! On va partir, mon petit, 
et puis on va tâcher d'être heureux tout de même ! 

Aline. — Pour les embêter! 

Maurice. — Même pas!... Ça leur est si égal! 
Tâchons d'être heureux pour nous-mêmes, pour nous 
faire plaisir, et je vais le leur annoncer, ça ne va pas 
être long! File, ne reste pas une seconde de plus 
ici. 

Aline. — Mon manchon. 

Maurice, le lui jetant au visage. — Voilà ton man- 
chon, fous le camp! Et en bas sur le trottoir, dans 
dix minutes je suis à toi, et je t'embrasse! 

Aline. — Mais tu viens de le faire, et très bien. 

Maurice. — Pas du tout. Je ne t'ai pas encore 
embrassée. Ici, c'est pas possible... Dehors, je t'em- 
brasserai pour la première fois! 

Aline. — Je suis fière de toi! Tu es épatant! 

Maurice. — Je te l'ai dit, nous sommes des beaux ! 

Aline. — Et ne te bile pas!... 

Maurice, avec un geste crâne. — On va essayer... 

Elle sort. Quand elle a di&paru, il se dirige avec pré- 
cipitation à la porte par où est sortie sa mère. Il 
va appeler: « Maman! » 

* Scène V 

MAURICE. RAYMOND 

A ce moment il se retourne, c'est Raymond qui lui fait 
signe de la porte par où est sortie Aline. 

Raymond, dans l'cntre-bâiUement. — Hé! Pstt ! Une 
seconde! Je guettais la sortie de la petite... Quelque 
chose à te remettre... très important. Empoche! 

Maurice, la main sur le bouton de la porte. — Fais 

vite... Il n'y a rien d'important maintenant ! 

Raymond. — Une auto vient de s'arrêter devant 
la porte. On m'a fait appeler discrètement; c'était 
la petite Rantz... Elle m'a remis une lettre pour 
son père qui, paraît-il, l'avait convoquée ici... 

^L\URiCE. — Déjà ! 

Raymond. — Et comme j'ai ajouté que tu étais 
là... elle est devenue toute blanche... elle m'a dit 
ainsi cjue toi: « Déjà! » 

Maurice. — Comme elle se trompe!... 

Raymond. — Dans l'auto, sans se presser, elle a 
griffonné cette autre lettre. Elle a éciit : « Urgent. » 
Il est peut-être indispensable pour toi que tu saches 
tout de suite de quoi il s'agit... Avant de remettre 
l'autre lettre au père, j'ai pensé... 

Maurice décachette la lettre vivement. Il lit tout haut. 

— Adieu, monsieur. Mon père m'a fait part de la 
nouvelle maison qu^il allait fonder, et de la nouvelle 



(*) Cette scène doit être supprimée à la représentation. La 
scène JV îs'enchaîne à la scène VI, Maurice appelant de suite 
sa mère dans l'escalier, et revenant en scène, quelques secondes, 
seul, avant l'entrée de Liane. 



1 



L'ENFANT DE L'AMOUR 



51 



famille qu^il notts donnait. Je ne sais quelle place 
vous comptez y prendre, mais je sais une chose, 
c^est que ni de près, ni de loin, je ne veux, moi, en 
faire partie. C'est ce que je viens d'écrire à mon 
père et à votre mère elle-même. Quant à vous, mon- 
sieur, je vous dois la plus grande désillusion de ma 
vie. Je ne vous en veux que de vous être cruellement 
servi de mon amour et de Vavoir mortifié d'une façon 
si affreuse! Je ne vous en veux que de cela!,,. Le 
reste m'est égal! Je vous aimais vous savez com- 
ment! Je sors de là blessée, humiliée, mais fière en- 
core! Soyez heureux, monsieur. La seule façon de 
vous prouver que je vous pardonne peut-être, c'est 
de vous annoncer que je vais désormais rester fidèle 
à la peine immense que vous m'avez faite, en refu- 
sant toute espèce de mariage. Je perds une illusion, 
en même temps que je perds une famille. Je voya- 
gerai, je tâcherai de m'armer pour la vie, et j'aurai, 
pour m'y fortifier, toute l'amertume de votre sou- 
venir! Soyez heureux de votre côté, c'est tout le mal 
que mon cœur vous souhaite. — Nellie. (Avec émo- 
tion.) Pauvre fille!... Bah! Elle aussi supportera le 
contre-coup! II. en faut pour tout le monde! Tirons 
chacun de notre côté. Bonne chance, Nellie ! (il froisse 

rageusement la lettre, la mM dans sa poche et court à la porte. 

Il crie.) Maman! Maman! 

Raymond, gagnant rautrc porte. — Et moi, mon 
vieux, je viens d'en avoir une avec le zouave! Ah! 
là, là! Je te le donne en mille! Tu ne sais pas ce 
qu'il a fait?... Il m'a flanqué une gratification de 
cinq cents francs. J'en suis bleu! Et ce n'est pas 
tout! Il m*a augmenté! 

Maurice. — Toi aussi! 

Raymond, sans comprendre. — Hein?... (Tirant une 
montre de sa poche.) Et pige-moi CC chrono... 

Mauricîe. — Le père prodigue! 

Raymond, remettant la lettre dans sa poche. — Du 

coup, je consens à l'appeler : « M. le ministre! » 

Maurice, à la porte. On entend une voix. — La Voilà! 
(Il se retourne. A Raymond.) Va-t'en ! Va-t'en vitC ! (Ray- 
mond sort. Maurice, à la porte.) VienS-tu, maman? 

Scène VI 

MAURICE, LIANE 

Liane entre. 

^LiURiCE. — C'est fait, maman. Elle sort d'ici. Je 
viens de lui parler. Tout lui va, admirablement ! Elle 
est dans le ravissement. 

Liane. — C'est \Tai? 

Maurice, prenant sa canne et son chapeau. — On ne 

peut plus contente! Dès lors, tu vois que, moi aussi, 
je n'ai plus d'obstacle! Je serai très heureux de l'an- 
noncer moi-même à RantZ... (il rît d'un rire forcé.) 

Ecco!,.. Comme on dit en Italie! 

Liane, surprise. — Alors, je suis, moi aussi, de 
mon côté, bien contente. Si tu envisages les choses 
<le cette façon-là! Mais vraiment?... Tu as bien ré- 
fléchi? Il est vrai que tu as tout le temps de revenir 
sur ta décision. 

Maurice. — Inutile... C'est résolu... 

Liane. — Cependant, Maurice, tu ne me regardes 
pas d'une façon très franche. 

Maurice, détournant la tête. Moi? Quelle idée!... 

Il cherche ses gants. 

Liane. — Pourquoi évites-tu de me regarder? 

Maurice. — Tu plaisantes, je crois. 

I IANE. — On dirait que tu as les yeux rouges f 



Maurice. — Je n'ai pas les yeux rouges du tout. 
J'ai les yeux comme d'habitude. 

Liane \\\i prend tout a coup la tète à deux mains. Il bal- 
butie, il se trouble. — Ah! mauvaise que tu es! Mau- 
vaise! Tu ne vois donc pas que ton fils souffre de 
ce départ! Qu'attends-tu pour dire : « Non, non, 
il ne partira pas! » 

Maurice. — Qu'est-ce que tu dis? Quoi? Quelle 
nouvelle folie? 

Liane. — Maurice! Je suis une mauvaise mère! 

Maurice. — Mais ce n'est pas vrai! Je proteste 
de toutes mes forces! Tu te trompes! Je ne souffre 
pas! 

Liane. — Et le pire, dans ma lâcheté, c'est que 
je me mentais à moi-même... Je suis lucide, parfai- 
tement lucide... Je me révolte, à la fin, je vais refuser 
tout !... Je vais le lui dire. Tu ne quitteras pas Paris, 
Maurice. Tant pis si mon mariage casse, tant pis 
si tout s'écroule! Il faut que tu restes! 

Mauriot. — Et que je sois de la maison, n'est-ce 
pas?... De la famille! Et puis quoi encore? Extrava- 
gance! Extravagance! 

Liane. — Ah! cet amour! Enlève-le-moi donc du 
cœur une bonne fois, cet amour qui a été la plaie 
de ma vie, cet amour qui a tout étouffé, tout ce 
qui n'était pas lui! J'aurais pu être une mère!... 
11 a tout pris ! Il a tout aspiré !... Maurice ! Maurice ! 
Je t'en conjure, il faut m'empêcher de continuer! 
Voici le moment venu! Il faut m'arracher à cette 
servitude. Tu me rendras un service inouï en me 
contraignant... Je suis ensorcelée par lui ! Tu l'as 
vu, n'est-ce pas, tu l'as vu, c'est la mort quand il 
n'est plus là ! Je l'ai dans la peau et dans l'âme ! S'il 
fallait me mutiler pour lui, je me mutilerais... pour 
un peu j'abandonnerais jusqu'à mon fils!... Il n'y 
a plus de place pour rien... pour personne... Délivre- 
moi, Maurice!! 

Maurice. — Tâche au contraire de te raccrocher 
de toutes forces à cet amour, puisque tu l'as obtenu, 
puisqu'on te l'a rendu, enfin ! 

Liane. — Mais ce n'est pas cela qu'il faut me 
dire, Maurice !... Dis-moi que c'est pour mon malheur 
et pour le tien! On ne me l'a jamais assez dit! 
On ne m'a pas éclairée... Dis-le-moi parce que tout 
à l'heure il va parler... Il va parler encore, et je 
vais être crédule, éblouie, et je ne saurai même plus 
ce que je pense! Tu vois, je m'avoue dans toute 
ma laideur devant toi... Je suis une courtisane, je 
n'ai eu que l'amour autour de moi... l'amour tou- 
jours! L'amour! (Elle a un cri de tout l'être.) Oh! 

donne-moi de l'air!... Force-moi, par pitié... Em- 
pêche! Empêche! 

Elle est criante, aux srenoux de Maurice. 

Maurice. — Allons!... Cette fois, nous sommes- 
en plein délire I A toutes ces paroles de femme, j'op- 
poserai au contraire un sens pratique, sain et robuste. 
Tu me dis : « Empêche ! » Et moi, ton fils, je te dis : 
(( Laisse! Laisse! » 

Il veut s'arracher à cette étreinte. 

Liane. — Ah! ne dégage pas tes mains de mes 
mains. Serre-moi... Laisse-moi te les serrer... Je t'aime 
bien, toi aussi, mon enfant... mon petit chéri... Depuis 
trois jours nous étions si unis, nous avons palpiti 
ensemble... (Elle se dresse tout à coup.) Allons, du cou- 
rage ! Fais ton devoir... C'est ton enfant, ça, c'est 
ton petit... c'est... 

Maurice, l'interrompant, avec force. — Pour l'âmoui 

de Dieu, ne te donne pas du cœur à l'ouvrage ! Trop 
/tard! Trop tard, maman... II y a dix, quinze ans. 



62 



L'ILLUSTRATION THÉÂTRALE 



peut-être ! Maintenant, je ne suis plus le reste d^un 
enfant, je vsnis un homme, et toi, maman, tu n'es 
plus que le reste d'un amour! (Durement.) Et puis, 
tais-toi, tu ne prononces que des paroles qui brû- 
lent... Quand on a ce foyer-là dans le cœur, il ne faut 
pas lutter contre lui!... Je te jure que je parle clair, 
que je sais ce que je dis, et que je vais le redire à 
voix haute, tout de suite, devant lui. 

Il va à la sonnette et appuie plusieurs fois sur le 
timbre. 

Liane. — Non, tu ne feras pas ça... C'est moi qui 
vais lui crier le contraire. C'est moi qui \'ais lui dire 
que je n'accepte pas ce marché. Maurice !... Réfléchis. 
Laisse-moi seule avec lui. 

Maurice. — Tout retard serait une erreur. Comme 
tu l'as dit: de l'air, de l'air! J'en ai soif! Je veux 
sortir moi aussi de cette atmosphère où j'étouffe! 

Liane. — Je t'empêcherai de parler! C'est moi 
qui vais parler!... (Avec emphase.) Tu n'arrêteras pas 
le cri de mon cœur! 

Maurice. — Nous verrons bien!... (Liane s'accroche 
à lui.) Laisse-moi, maman, voyons. Le voilà. Laisse^ 
moi, que nous ne nous querellions^ pas devant lui. 

La porte s'ouvre. 

Scène VII 

Les mêmes, RANTZ 

Maurice, tout de suite. — Monsieur, ma mère vient 
de me mettre au courant de vos propositions. Je ne 
puis vous dire qu'une chose, c'est que je vous remer- 
cie, que j'accepte avec reconnaissance! la proposition 
que vous me faites. 

Liane. — Mais... Maurice... 

Maurice, vivement. — C'est de votre part très g:é- 
néreux. Je l'accepte sans anière-penôée, et je tâche- 
rai de me rendre digne de la situation qui m'est faite. 

Liane, d'une voix mal assurée. ^- Maurice... c'est à 
moi, ta mère... 

Maurice, doucement. — Tais-toi, maman, n'inter- 
romps pas! Laisse monsieur Rantz me répondre. 

RaNTZ va à lui la main tendue. — Je SOUhaite qUe 

l'avenir efface toutes les causes et tous les ressenti- 
ments. Tâchez de trouver dans la nouvelle voie que 
je vous ouvre, et que je maintiendrai, des raisons 
nouvelles pour devenir un homme, dans toute l'ac- 
ception du terme. Je le souhaite. 

Liane, n'essayant déjà plus que vaguement d'intervenir. 

— J'ai droit à donner mon sentiment. Je suis la 
première à devoir... 

Maurice, l'interrompant. — Mais oui. maman, mais 
oui. Nous sommes tous d'accord, et nous devons éga- 
lement nous féliciter de ce qui arrive et de ce que 
nous devons à M. Rantz. J'ai deux mots à vous dire 
en particulier, permettez-vous, monsieur? Deux mots 
au point de vue technique seulement. Ne te retire 

pas, maman, reste là... (Rantz et Maurice s'approchent 
sur le devant de la scène. Liane reste accalcc, à demi pleu- 
rante, inquiète, timide et honteuse, près de la coiffeuse. Mau- 
rice, bas A Rantz, à l'écart.) C'est donc entendu, mon- 
sieur, je disparaîtrai. Vous voudrez bien me donner 
un rendez-vous. Vous m'expliquerez aloi-s ce que je 
dois faire, (quelle est ma participation dans le travail 
de vos usines, car je compte prendre mon rôle au 
si'^rieux. 



Rantz. — C'est ainsi que je le conçois, monsieur. 
Je vous donne les moyens de vous trouver vous^ 
même. J'ouvre la ca^e ! L'avenir ne dépend plus que, 
de vous. 

Mauricje. — Je partirai donc tranquille et résolu. 
Je serai sage, monsieur, si ce que je laisse derrière 

moi... (Il désigne sa mère du regard.) 

Rantz. — Ce que vous laissez derrière vous est 
en de bonnes mains... Allez, jeune homme ! Apprenez 
la vie. Apprenez aussi à être heureux, en apprenant 
à faire votre devoir. 

Maurice. — C'est déjà fait. 

Rantz. — Eh bien, vous apprendrez à le mieux 
faire encore... 

Maurice, levant la tête avec un peu de fierté. — Ce 

n'est pas sûr! 
Rantz. — Si, car vous voj'^ez qu'à tout âge, même 

à un âge avancé, on progl'esse (Avec une voix contenue 
plus humble et une pointe d'émotion.) et OU s'améliore. La 

plus belle vertu, c'est de faire son devoir et... 

Maurice. — Non, monsieur. La plus belle vertu, 
c'est le courage. (Tout haut, brusquement.) Adicu, ma- 



man 



f 



Liane. — Mais ne t'en va pas encore! Tu as le 
temps. Qu'est-ce qui te presse? 

Maurice. — Tout de suite, au contraire... J'ai à 
faire... 

LiÀNE. — Mais tu vas revenir, ce soir... demain, 
sûrement... Tu viens demain, n'est-ce pas?... Je t'at- 
tends... 

Maurice. — Sûrement. 

Liane. — Je veux que tu sois là aussitôt après 
le déjeuner! Nous sortirons ensemble... N'y manque 
pas? Paul? N'est-ce pas... Il faut qu'il vienne... dis- 
lui qu'il le faut... 

Rantz. — Mais tant qu'il voudra!... Parbleu! 

Liane. — Tu vois bien, Maurice. 

Maurice. — Oui, maman, c'est entendu. Adieu! 
Au revoir! 

Liane. — Maurice, écoute... 

Maurice, tournant le dos brusquement. — Trop prCSSé ! 

(A Rantz.) A quelle heure et oii puis- je vous voir 
demain pour les renseignements? 

Rantz. — A mon cabinet, rue de Grenelle. 

Maurice. — Convenu. 

Rantz. — Mais, encore une fois, votre mère vient 
de vous dire que vous pouvez... 

Maurice, l'interrompant. — Et je suis bien content 
d'être venu constater, maman, que tu avais bonne 
mine... excellente... c'est vrai... (Avec tristesse.) Tu 
verras dans quelques jours, maman, il n'y paraîtra 
plus... plus rien... Au revoir, maman... A demain, 

monsieur... (Pendant cet instant il ouvre la porte de droite 
pour sortir, il recule en disant:) Ah! quelqu'un!... 

Rantz, s'avançant. — Qui? 

Maurice, regardant. — Je ne sais pas. (Dans rentre- 
bâillement de la porte apparaît le petit Raoul.) Ah ! 

Rantz, vivement. — Pas maintenant! pas mainte- 
nant! Voyons! J'avais complètement oublié de pré- 
venir en bas... Non... Tout à l'heure, faites redes- 
cendre, voyons. 

Il fait des signes dans la direction du couloir. I<iane 
s'est levée, anxieuse. 

Maurice. — Mais pourquoi donc? (Sur le seuil, il 

laisse passage au petit Raoul et. montrant la chambre.) En- 
trez, monsieur! 



FIN