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Full text of "Le Niger, voie ouverte à notre empire africain"

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LE NIGER 

VOIE OUVERTE A NOTRE EMPIRE AFRICAIN 



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LA MISSIOIV DU NIGER. 

LB LIEUTENANT ANTHOINE, LE CAPITAINE LBNFANT, LE LIEUTENANT DE PEYRONNET, 

LES SOUR-OFFIGIBR8 OROISNB, MESSKANT, BOURY. 



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CAPITAINE LENFANT 



LE NIGER 

VOIE OUVERTE A NOTRE EMPIRE AFRICAIN 

^ PREFACE PAR M. E. ETIENNE 

INTRODUCTION DU COLONEL PEROZ 



OUVKAGK CONTENANT 
CENT TREIZE ILLUSTRATIONS ET UNE CARTE llMi'M HORS TEXTE 

TROISIÈME ÉDITION 




« L'ceupre coloniale que noua av<ms entreprise est une œuvre 
d'iwenir. Noua ne travaillons pas seulement pour l'heure présente, 
mais nous travaillons surtout pour demain, » 

E. Étiknnk. 



PARIS 

LIBRAIRIE HACHETTE ET C*« 

79, Boulevard Saint-Germain, 79 
1905 

DroIU d« IradaeUoo «1 d« rcproduolioa 



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DEDIE A MON FILS LOUIS 



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PRÉFACE 



LB Capitaine d'Artillerie Coloniale Lenfant vient d'ajouter 
une page brillante et du plus haut intérêt à ces Annales 
de nos Colonies d'Afrique dont le Général Faidherbe, dans 
les dernières années de sa i^ie, sun^eillait avec amour la pu" 
blication. Immobilisé par l'âge et par les fatigues de sa 
glorieuse carrière y le Grand Africain ^ dans sa retraite de la 
Légion d'Honneur y suivait avec une paternelle et patriotique 
sollicitude les progrès de nos armes et de notre influence 
dans cette partie du Soudan qui lui doit de s^ appeler aujour- 
d'hui le Soudan français. Les Borgnis-Desbordes, les 
Archinardy les Galliéniy les Combes et les Bonnier s'étaient 
inspirés de ses conseils, de son expérience y de sa foi dans la 
valeur de nos colonies africaines. Binger avait été son offi" 
cier d'ordonnance. Monteil, Ménard, Marchand, Pérozj 
étaient ses admirateurs et ses élèves. 

Il ne fut pas donné à V illustre général de voir complète- 
ment accomplie l'œuvre d'expansion qu'il avait le premier 
conçue. Quand il mourut, Tombouctou, dont s'étaient appro-' 
chés seulement, dans leurs hardies explorations du Niger^ 
les Lieutenants de vaisseau Caron et Jayme, avait encore le 
prestige d'une cité mystérieuse et fermée. Ahmadou et 
Samory, héritiers de la puissance de cet El Hadj Omar 
qu'il avait vaincu, chaussés de leurs capitales^ avaient encore 



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PREFACE 

des forteresses et des territoires où ils espéraient échapper à 
notre poursuite, La navigation du Niger^ au delà de 
Koriuméy point extrême atteint par Jayme en 1881 y était 
pleine d'inconnues. 

La légende voulait que le cours inférieur du grand fleuve y 
par ces rapides où Mungo Park avait périy opposât des obs- 
tacles infranchissables aux téméraires qui se hasarderaient 
à renouveler cette audacieuse et lointaine expérience. Moins 
de dix ans ont suffi pour supprimer ces difficultés^ grâce à 
l'effort combiné de nos officiers^ de nos explorateurs et des 
obscurs et dévoués collaborateurs auxquels revient une 
bonne part du succès : sous-officiers et soldats blancs , aussi 
intrépides à braver la fièvre que les balles^ tirailleurs^ 
laptots indigènes^ fidèles à leurs chefs jusqu'à la morty 
capables d*affronter tous les dangers et de supporter toutes 
les fatiguesy quand une fois ils ont été conquis par Cintelli" 
gence supérieure^ la fermeté et la bienveillance de ceux qui 
les commandent. 

Je ne les citerai pas tous^ les héros de nos conquêtes afri- 
caines ^ car ils sont légion. Je ne citerai même pa^ ceux qui 
sont morts au champ d'honneur. Je craindrais d'être incom- 
plet. Je me bornerai à rappeler que c'est à l'exploration du 
Lieutenant de vaisseau Ilourst, qui, le premier j a descendu 
le Niger jusqu'à son embouchure, à la mission remplie à 
Boussa par le Gouverneur Ballot et aux deux voyages 
accomplis par le Commandant Toutée, qui remonta les 
rapides que Hourst avait franchis à la descente, qu'est due 
la conception de rentreprise, qua menée à bien le Capitaine 
Lenfanty et qui eût été écartée naguère comme une invrai- 
semblable folie. Il s'agissait d'utiliser le Niger comme voie 
de ravitaillement de nos postes entre Say et le Tchad, de 
V utiliser j non pas en descendant son cours, depuis le point 

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PRÉFACE 

ou il est nas^igable — ce que le Capitaine Lenfant avait fait 
précédemment, — mais de s'en servir comme du chemin le plus 
court en le remontant depuis son embouchure^ à travers les 
territoires anglais^ à travers les rochers et les cataractes. 

C'est le récit coloré y vivant^ instructif et amusant de cette 
périlleuse expédition qu'on va trouver dans ce beau livre. 

Débarqué le 21 février 1901 y à Forcados-Rivery à l'em- 
bouchure du Niger, avec 10000 caisses de vivres, 
2000 caisses d'outillage, 15 chalands en bois et 5 chalands 
en acier, le Capitaine Lenfant remonta le fleuve, franchit 
la série des rapides, arriva le 25 mai à Say et alla jusqu'à 
Sorbo-Haoussa pour débarquer 54 tonnes de ravitaillement 
destinées au troisième territoire militaire. 

Pour comprendre ce que cette expérience a coûté de peines, 
ce qu'elle comporte de difficultés vaincues et de périls 
affrontés, il faut lire le pittoresque Journal du chef de la 
mission. 

Grâce à ses observations, et aux travaux hydrogra- 
phiques qu'il a rapportés et qui complètent ceux de Hourst 
et de Toutée, ceux qui suivront après lui la même route 
auront moins à tâtonner. Cela ne veut pas dire qu'ils trou- 
veront dans cette partie du Niger un véhicule docile et com- 
plaisant. C'est une voie plus économique et, tout compte fait, 
plus commode que le portage à dos d'hommes, par terre, 
depuis la côte du Dahomey jusqu'à Say; mais, comme le 
dit le Capitaine Lenfant^ le problème des ravitaillements et 
des transports commerciaux ne sera résolu que par l'achè- 
vement de la voie ferrée qui doit aboutir à Say et dont le 
premier tronçon sera prochainement livré à l'exploitation. 

Dans le volume que publie le Capitaine Lenfant, on ne 
trouvera pas seulement un récit d'aventures, simplement 
mais vivement contées. Cet officier d'artillerie, improvisé 

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PREFACE 

commandant de flottille^ est doublé d*un observateur des plus 
sagaces^ d'un économiste qui sait la valeur des chiffres et 
des renseignements précis. 

Dans les longues heures passées en pirogue sur le Niger ^ 
il a étudié à fond le régime du fleuve^ son influence fécon- 
dante sur les terres qu'il couvre et découvre alternative- 
ment; il a noté avec soin les résultats que donnent les 
cultures faites par les indigènes et a déduit^ avec une rigueur 
scientifique^ le développement qu elles pourraient prendre si 
les méthodes perfectionnées de nos industries d'Europe y 
étaient adaptées. C'est ainsi que le Capitaine Lenfant s'est 
fait l'apôtre convaincu et écouté de la culture du coton au 
Soudan. Si les essais qui sont en cours réussissent^ une 
bonne part du succès lui sera due. 

Et ce nest pas une des moindres satisfactions de ceux qui 
ont cru à la valeur du Soudan^ alors quelle était presque 
universellement contestée^ de voir que c'est vers ces terres 
nouvelles que se tournent les regards, non des rêveurs et des 
théoriciens, mais des hommes pratiques qui comprennent 
que ces conquêtes, qu'on nous a reprochées comme coûteuses 
et inutiles, fourniront, dans un avenir peut-être prochain, des 
ressources inespérées à notre commerce et à notre industrie. 

EUGÈNB EtIBNNB. 



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INTRODUCTION 



Bien loin, dans le désert, perdus dnns les contrées 

maigres et arides qui s'étendent entre le Niger et le lac 
Tchad, nous avons appris un jour par un courrier rapide 
rincroyable événement : La flottille Lenfant est arrivée à 
Niamé ! Les dix-huit cents caisses de vivres dont elle s'était 
chargée pour nous à Forcados s'entassent intactes sur la 
berge ! 

Ces vivres tant désirés mais auxquels nous ne croyions 
pas et que remplaçait depuis de longs mois le petit mil 
pilé, cette blanche farine, ce bon vin de France, allaient 
être pour nous, bientôt, un réconfortant régal dans nos 
misères. 

Et d'abord en nous, seule à celte nouvelle étonnante la 
béte humaine qui avait tant souffert se réjouissait. Puis, 
calmés, nous nous pressions à réfléchir à l'invraisemblable 
tour de force qui nous valait cette future aubaine. 

Ce n'était autour de moi que vieux Soudanais, vieux non 
par rage mais par l'expérience, par les longs séjours et les 
interminables raids à travers l'Afrique occidentale. Nous 
avions vu Lenfant à l'œuvre, là-bas dans l'ouest, à deux 
mille kilomètres d'ici, lorsque après avoir amené à Tom- 



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INTRODUCTION 

bouctou la première flottille il continuait à descendre le 
fleuve et domptait les rapides de Labezenga. Mais Boussa! 
Les cent vingt kilomètres de sauts, de cascades, de chutes, 
de bouillonnements, de courants fous! 

Par quel miracle de volonté, de perspicacité, d'énergie, 
était-il arrivé à s'en rendre maître? 

Les caisses étaient à Niamé, au complet, sans un couvercle 
brisé; nous en avions l'inventaire dûment dressé par le ca- 
pitaine Salaman et certifié conforme par le commissaire. Le 
doute n'était pas possible. Et cependant? 

Cependant, nous arrivions tout doucement à n'y plus 
croire. Étendus dans le sable, autour d'un feu grêle d'ar- 
bustes épineux, au milieu de l'immense plateau aux pers- 
pectives sans fin argentées par les rayons glacés d'une lune 
fantasque, nous rabâchions dans une discussion animée les 
impossibilités de l'œuvre accomplie. Mungo Park, les frères 
Lander, Hourst, Toutée appuyaient tour à tour nos dires. 
Et pour qu'enfin on se tût et qu'on dormît, — car il était 
tard et le lever du camp prochain — je dus relire les docu- 
ments officiels que m'adressait le capitaine Gelly, notre 
résident sur le Niger; j'énumérai à nouveau le nombre et 
l'espèce des colis. 

Plusieurs, néanmoins, en regagnant leur tente, hochaient 
encore la tête 

Cette sorte de miracle par lequel Lenfant a brisé le cercle 
magique qui défendait ces passes de Boussa n'est pas toute 
son œuvre. Les moindres chenaux ou s'engouffrent, au milieu 
des roches abruptes, sur une longueur de plus de trente 
lieues, les vastes eaux du Niger, ont été relevés, photo- 
graphiés, scrutés, sondés ; le passage est exactement déter- 
miné, repéré. Tout le monde certes n'y passe pas; mais, 

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INTRODUCTION 

muni des renseignements qu'il a laissés, appuyé par les 
équipes merveilleuses qu'il a formées, qui veut passe. 

Le Niger, sur tout son parcours, du Foutah-Djallon au 
golfe de Guinée — un millier de lieues! — a été pros- 
pecté, scientifiquement étudié par ce magnifique Soudanais 
que double un savant. 

Le chemin de fer du Dahomey arrivera-t-il jamais sur le 
Niger? Nous l'espérons. Mais quand? Lenfant a montré au 
commerce par où et comment on pouvait, en l'attendant, 
commencer l'œuvre d'exploitation des richesses qu'il décrit 
et qui bordent le grand fleuve Africain. 

Ce beau livre pour lequel il a bien voulu me demander 
une introduction dont il n'avait guère besoin après la puis- 
sante préface de M. Etienne — notre maître à tous, Afri- 
cains et coloniaux de tout ordre — ce livre est non seule- 
ment le monument qui conservera le souvenir d'une des 
entreprises les plus hardies et les plus belles de notre géné- 
ration, il est encore le guide qui conduit à son heure notre 
Soudan émergeant des champs héroïques vers les étapes 
économiques fructueuses que nos camarades, le général de 
Trentinion à leur tête, ont préparé à nos commerçants et à 
nos colons. 

Lieutenant-Colonel Péroz. 
Ex- Commandant du Territoire Niger-Tchad, 



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LE NIGER 

VOIE OUVERTE A NOTRE EMPIRE AFRICAIN 



CHAPITRE PREMIER 

Préliminaires. — Historique. — Toutée. — Hourst. — L'Occupation française 
au Niger. — L'Acte de navigation du Niger du Traité de Berlin. — Voyage 
par mer. — Passage de la Barre de Forcados. — Nos Pilotes. 

LA France possède depuis peu en Afrique d'immenses terri- 
toires, un très vaste empire qu'elle a acquis au prix de 
sacrifices considérables et qu'elle cherche à mettre en valeur 
avec une louable persévérance. L'œuvre de conquête ou de 
diplomatie est accomplie aujourd'hui; nos couleurs flottent 
pacifiquement sur le sol qui fut arrosé du sang français; nos 
droits ont été défendus par une belle pléiade d'héroïques explo- 
rateurs.... Aujourd'hui, c'est une œuvre nouvelle et non moin» 
importante qui s'offre à notre activité. Nos fonctionnaires et 
nos ofliciers doivent consacrer leurs efforts à la pacification et 
à l'organisation de ces pays; les missions scientifiques et com- 
merciales vont y trouver un vaste champ d'études; il faudra 
bien aussi que nous décidions nos commerçants et nos colons à 
diriger de ce côté leur énergie et leurs capitaux. La France, du 
reste, multiplie ses efforts pour développer les contrées afri- 
caines soumises à son influence, et pour assurer leur progrès 
incessant. 

C'est ainsi qu'il y a deux ans, elle résolut de faire étudier par 
la Mission dont la direction me fut confiée, la question 

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LE MGER, 

importante de la navigabilité du Bas-Niger. Jusqu'alors, en 
effet, le ravitaillement des régions soudanaises se faisait 
exclusivement par le Sénégal, d'où Ton gagnait le cours du 
Haut-Niger que l'on descendait ensuite. Était-il possible de 
procéder à ce ravitaillement en opérant d'un autre côté, 
c'est-à-dire en .remontant le grand fleuve africain depuis son 
embouchure jusqu'au cœur de notre empire? Était-il possible 
de faire franchir à une flottille les fameux rapides de Boussa, 
qui passaient pour être un obstacle absolu à la navigation ? Tel 
est le problème que j'avais à résoudre et à la solution duquel 
je m'attachai avec la plus vive ardeur. 

C'est au xix« siècle que se sont révélés les premiers naviga- 
teurs du Niger. Je citerai pour mémoire avec le regret de ne 
pouvoir m'étendre davantage sur leurs missions : Mungo Parle 
(1806), Dcnham Oudney, Clapperton (1820 à 1824), Lander (1830), 
puis Mage et Quintin (1863), Caron (1887), Jaymc (1888). Tous 
nos glorieux devanciers, à qui revient l'honneur d'avoir décrit, 
étudié, suivi la route du Niger, n'ont pas sacrifié leurs exis- 
tences en infructueux efforts. Leurs travaux furent étudiés, 
leurs idées mises en pratique, leurs tentatives reprises avec 
ardeur; il serait injuste de ne pas reconnaître la part qui leur 
revient dans la connaissance du Niger. 

Parmi les explorations du fleuve, il en est deux qui nous 
intéressent plus directement : celle du capitaine d'artillerie 
Toutée et celle du lieutenant de vaisseau Hourst. 

Dès l'année 1895, diverses missions sillonnèrent l'Afrique 
occidentale : Dccœur partait de la côte dahoméenne et 
rejoignait le Niger à Say; pendant ce temps, M. Ballot, gou- 
verneur du Dahomey, s'installait et prenait position à Boussa. 
K la môme époque, le capitaine d'artillerie Toutco débarquait à 
Porto-Novo, se dirigeait sur Tchaki, puis, arrivé vers le neu- 
vième degré de latitude, se repliait sur l'Est pour atteindre le 
Niger. Les Anglais prétendaient à l'occupation effective du 
royaume de Boussa, et revendiquaient déjà pour leur compte 
lo titre de possession de ces territoires. Toutée arrivait en 

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HISTORIQUE. 

mars 1895, à Badjibo, exténué de fatigue; sur la route longue 
et pénible qu'il venait de suivre, il avait signé des traités avec 
les chefs des régions traversées. De prime abord, il se rendit 
compte de ce fait que les Anglais n'exerçaient aucune influence 
sur cette partie du fleuve, à telle enseigne qu'il signait, peu de 
temps après, un traité avec le roi de Boussa. 

Les ordres ministériels lui prescrivaient d'explorer le fleuve 
et de vérifier les assertions de la diplomatie britannique. 
Badjibo est le premier village que Ton rencontre au pied des 
rapides. Toutée s'installa sur la rive droite, en face du village. 
Il y construisit le fort d'Arenberg, y laissa garnison, y répara 
ses forces épuisées, puis organisa le convoi de pirogues avec 
lequel il devait s'engager sur le fleuve, et accomplir ainsi la 
première exploration réelle du Niger. A cette époque de 
Cannée, les eaux étaient fort basses, les rapides dangereux : 
Toutée ne s'arrêta pas devant ces obstacles; il franchit les 
rapides sans hésiter, arriva à Say miné par la fièvre et affaibli 
par la dysenterie; puis il continua sa route vers le Nord, passa 
les rapides de Tillaberi, jusqu'à ce que, arrivé à Tibi-Farca, il 
considérât sa tâche accomplie et fit demi-tour pour redescendre 
à Boussa. 

Le fleuve avait continuellement baissé, les chutes étaient au 
maximum de violence; le Niger, couvert de roches, ne pré- 
sentait partout que des écueils et des diiïicultés. La petite 
flottille s'engagea dans le couloir de Garafîri et passa la pre- 
mière chute. Surpris par ces obstacles, qu'il n'avait pu voir à la 
montée parce que l'eau les recouvrait, Toutée se lança résolu- 
ment à travers les deux grandes chutes, chavira et fut assez 
heureux pour regagner la berge. Quelques jours après, il 
rentrait à Fort-Arenberg, et revenait en France par le Niger et 
la rivière Forcados. Malgré les péripéties du voyage, Toutée 
aflirmait à son retour que la montée du Niger, avec un convoi 
de pirogues chargées, est une partie de plaisir à côté des 
tribulations Incessantes que cause une colonne de nègres por- 
tant, en nie Indienne, des caisses sur la tôte. 

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LE NIGER. 

En 1896, le lieutenant de vaisseau iiourst descendait le Niger 
et tentait rexpcrience en sens inverse. Cet ofTicier de marine 
montait trois mauvais bateaux, tout à fait impropres à la navi- 
gation des rapides. En avril, il arrivait à Say après avoir 
franchi les rapides de Labczenga; il hivernait à Fort-Archinard 
où il attendait la crue; puis il se lançait courageusement, en 
octobre, à Tépoque des hautes eaux, dans les rapides de Boussa. 
dont les roches étaient submergées. 

La mission hydrographique de M. Iiourst fut heureuse. Elle 
franchit tous les obstacles sans le moindre accident, et continua 
la descente du Niger pour rentrer en France par l'embouchure 
de la rivière Forcados. 

Contrairement à ce que Ton était en droit d'attendre, étant 
donnés les résultats satisfaisants de sa tentative, le lieutenant 
de vaisseau Hourst, se mettant en contradiction manifeste avec 
Toutée, prétendit que la voie du Niger était inaccessible à 
toute entreprise de navigation, tout au moins d'une façon 
pratique et continue. 

Ce conflit d'opinions entre les deux derniers explorateurs du 
Niger demandait à être éclairci. En tout cas, il y avait un réel 
intérêt à reprendre les efforts de Toutée et à créer une voie 
de ravitaillement par le fleuve; il y avait aussi une œuvre 
d'humanité à accomplir en suspendant les convois de porteurs 
qui transformaient les indigènes en bêtes de somme. Ces deux 
considérations réunies firent décider l'envoi de notre mission. 

Conventions internationales, — L'utilité du ravitaillement du 
Soudan par le Bas-Niger est évidente. Le Gouvernement fran- 
çais se devait à lui-môme de s'en occuper. L'envoi de notre 
mission cependant souleva la mauvaise humeur de quelques 
journaux britanniques et notamment de la Pall Mail GaztUe^ 
qui écrivit à propos du ravitaillement de nos possessions souda- 
naises par la voie du Niger : « Ce ravitaillement comporte 
l'envoi de munitions, chose qui ne peut être qu'une nouvelle 
et courtoise concession de notre part. Puisse cette courtoisie ne 
pas se retourner contre nous! » Mais cette mauvaise humeur 

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L'OCCUPATION FRANÇAISE. 

de quelques organes britanniques dura peu. 11 suQlra d'ailleurs 
de citer quelques articles des conventions internationales en 
vigueur pour établir combien était légitime notre droit de 
porter nos couleurs sur le Niger et sur ses affluents. C'est, 
on le sait, le Traité de Berlin, du 21 février 1885, qui a réglé 
la question de la navigation du Niger. Certains de ces articles 
sont donc intéressants à reproduire. 

Article 26. — La navigation du Niger, sans exception d'au- 
cun des embranchements ni issues de ce fleuve, est et demeu- 
rera entièrement libre pour les navires marchands, en charge 
ou sur lest, de toutes les nations, tant pour le transport des 
marchandises que pour celui des voyageurs. 

En conséquence, sur tout le parcours et aux embouchures 

du Niger, il ne sera fait aucune distinction entre les sujets des 
états riverains et ceux des non-riverains, et il ne sera concédé 
aucun privilège exclusif de navigation, soit à des sociétés ou 
corporations quelconques, soit à des particuliers.... 

Article 27. — La navigation du Niger ne pourra être assujettie 
à aucune entrave ni redevance basées uniquement sur le fait 
de la navigation. 

Elle ne subira aucune obligation d'échelle d'étape, de dépôt, 
de rompre-charge ou de relâche forcée. 

Dans toute l'étendue du Niger, les navires et les marchandises 
transitant sur le fleuve ne seront soumis à aucun droit de tran- 
sit, quelles que soient leur provenance ou leur destination.... 

Pourront seuls être perçus des taxes ou dfoits qui auront 
le caractère de rétribution pour services rendus à la navigation 
même. 

Article 28. — Les afHuents du Niger seront, à tous égards, 
soumis au même régime que le fleuve dont ils sont tributaires. 

Article 29. — Les routes, chemins de fer ou canaux latéraux 
qui pourront être établis dans le but de suppléer à l'innavi- 
gabilité ou aux imperfections de la route fluviale sur certaines 
sections de la voie du Niger, de ses affluents, embranchementd 
et issues, seront considérés en leur qualité de moyens de cora- 

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LE NIGER. 

munication, comme des dépendances de ce fleuve et seront 
également ouverts au trafic de toutes les nations.... 

Article 30. — La Grande-Bretagne s'engage à appliquer les 
principes de la liberté de navigation énoncés dans les articles 
26, 27, 28, 29 en tant que les eaux du Niger, de ses affluents, 
embranchements ou issues, sont et seront sous sa souveraineté 
ou sous son protectorat. , 

La Grande-Bretagne s'engage à protéger les négociants étran- 
gers de toutes les nations comme s'ils étaient ses propres sujets. 

Article 33. — Les dispositions du présent Acte de navigation 
demeureront en vigueur en temps de guerre. En conséquence, 
la navigation de toutes les nations neutres ou belligérantes 
sera libre en tout temps pour les usages du commerce sur le 
Niger, ses embranchements et affluents, ses embouchures et 
issues. 

Malgré les stipulations de cet Acte, une compagnie commer- 
ciale anglaise, qui avait reçu l'octroi d'une charte royale pour 
rexploitation des territoires du bassin du Niger et qui était 
devenue ainsi la Compagnie royale du Niger, ne tarda pas à 
s'arroger un monopole de fait, et, préoccupée d'acquérir à 
TAnglcterre la région haoussa autant que d'y faire du com- 
merce, elle opposa une résistance constante aux efforts de la 
France qui, s'appuyant sur les dispositions de l'Acte de Berlin, 
tentait de naviguer sur le Niger ou son affluent principal la 
Ccnoué et d'y établir des comptoirs. 

On n'a pas oublié les difficultés qu'éprouva M. le lieutenant 
de vaisseau Mizon dans l'accomplissement de ses deux missions 
de 1890 et de 1892 : les agents de la compagnie anglaise pré- 
tendirent l'empêcher de débarquer sur leurs territoires et 
allèrent jusqu'à saisir un de ses vapeurs. Ces dilTicultés 
reprirent en 1895, en môme temps que s'affirmait notre action 
dans le Bas-Niger, lorsque la Compagnie constata les résultats 
de la première mission Toutée, c'est-à-dire la fondation d'un 
poste à Badjibo-Arenberg et la signature d'un traité avec le 
roi de Boussa. La lutte ouverte ainsi engagée par la Compagnie 



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L'ACTE DE NAVIGATION. 

royale contre les efiorts de la France, appelait une discussion 
diplomatique propre à régler les points en litige. 
Les négociations furent donc reprises avec TAnglcterre à la 




L'B.XCLAVB rRANÇAWB DK rORCAOOS. 

fin d*octobrc 1897. Elles aboutirent à une convention franco* 
anglaise signée à Paris le 14 juin 1898. Poussa était rétrocédé 
aux Anglais, mais en vertu de Tart. 8, deux enclaves nous étaient 
concédées dans le Bas-Niger, Tune devant être située « en un 
endroit convenable sur la rive droite du Niger, entre Léaba et 
le confluent de la rivière Moussa (Mochi) avec le fleuve, et Tautre 
sur Tune des embouchures du Niger ». La concession de ces 
deux enclaves impliquait naturellement pour nous un droit de 
transit et de circulation et nous ouvrait la voie du Niger. De 
plus, il était dit, dans les annexes de la Convention, que la 
Grande-Bretagne examinait « de concert avec le Gouvernement 
français, \o< règlements de navigation du Niger et de ses tribu- 
taires existant actuellement, en vue de supprimer toute res- 
triction préjudiciable au commerce français qui serait reconnue 
par les deux pays comme étant en désaccord avec TActe de 
Berlin ». 

La lecture de ces textes prouve suiïisamment combien était 
fondé notre droit de navigation sur le Niger.... 

En 1900, M. le commandant Toutée, envoyé de nouveau en 



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LE N/GL'Ii. 

mission, délimitait les enclaves et en traçait les plans : l'une 
était située sur le rio Forcados près du village de Goula, l'autre 
sur la rive droite du fleuve en face et à 1 kilomètre en aval du 
village de Badjibo. C'est peu après que le Gouvernement fran- 
çais, ayant résolu de ravitailler ses troupes des territoires mili- 
taires de l'Afrique occidentale et du Haut-Dahomey, en 
s'appuyant sur ces enclaves comme bases d'opérations, forma 
la mission dont le voyage fait l'objet de ce récit. 

Organisation de la floltille du Bas-Niger, — En octobre 1900, 
je recevais les ordres et les attributions nécessaires pour l'orga- 
nisation de cette expérience de ravitaillement par la voie flu- 
viale du Bas-Niger. 

En raison de la réputation dont jouissaient les rapides de 
Boussa que l'on présentait, de plusieurs parts, comme infran- 
chissables, il fallait s'organiser de manière à n'éprouver aucun 
échec du fait môme de l'armement et de Toutillage de la flot- 
tille. Rien ne fut négligé Sur nos indications, le département 
des Colonies fît construire vingt bateaux: cinq en acier, longs 
de 17 mètres, larges de 2m30 et profonds de 1™20; quinze en 
pitchpin, solidement étayés par des membrures en chêne, 
mesurant 15 mètres de longueur, 2 mètres de largeur et li^SO 
de profondeur. Les chalands en bois pouvaient porter de six à 
douze tonnes et les chalands en acier de huit à vingt tonnes, 
selon l'encombrement du matériel pris en charge. 

A la montée, pour lutter contre les courants, nos moyens de 
propulsion devaient être de longs bambous armés de crochets, 
des gaffes et des avirons. A la descente, nous devions marcher 
à la rame pour gagner de vitesse sur les rapides et manœuvrer 
avec plus de facilité. Nos chalands portaient deux systèmes do 
direction : un gouvernail en tôle d'acier ou bien un a\iron 
barre, long de 6 mètres, placé dans un tolct et d'une force 
considérable. 

Le gouvernail est un engin en quelque sorte passif, qui 
transmet seulement une impulsion, bien différent en cela de 
l'aviron-barre qui donne, chaque fois qu'on le manie, une nou- 

— R — 



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ORGANISATION DE LA FLOTTILLE. 




LES B3JBARCAT10NS DB LA MISSION. 

vclle poussée. Lorsqu'il s*agit de contourner des roches et des 
troncs d'arbres, lorsqu'une embarcation doit exécuter une évo- 
lution brusque et se présenter constamment en pointe dans des 
courants tournants, il est facile de comprendre que l'aviron- 
barro, cnergiquement ramené plusieurs fois de suite trcs rapi- 
dement dans la direction voulue, replace l'étrave dans le 
courant et fait virer l'embarcation du côté de la rive. Aussi 
arrivâmes-nous à l'employer sans cesse, de préférence au gou- 
vernail. 

L'outillage de la flottille était des plus complets : il compor- 
tait tous les instruments des ouvriers en fer, des charpentiers, 
des menuisiers, des calfats, puis une provision sérieuse de 
pitchpin, des bordages, de l'étoupe, du brai, des cordes, des 
rechanges, des avirons et des câbles d'une force de deux tonnes 
et demie à la traction. 

— 9 — 



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LE NIGER, 

Mes compagnons de route étaient : le lieutenant do Peyronnet 
de Tartillerie coloniale, aujourd'hui capitaine, qui sert sous mes 
ordres depuis quatre années. Ce jeune et brillant oilicier 
m'accompagnait autant en qualité d'ami que de collaborateur. 
Le lieutenant Anthoine, oflicier de cavalerie, tout jeune et 
plein d'avenir; puis trois sous-oflîciers d'artillerie coloniale, 
Boury, Groisne et Messéant, sujets exceptionnels, véritables 
types du soldat modeste et résolu, que j'avais eus sous mes 
ordres au Soudan. 

Nous formions un ensemble très uni, véritable famille dont 
j'avais l'honneur d'être le chef. Notre bonne entente était une 
chance de plus pour le succès de la mission. Hélas! nous avons 
subi de rudes épreuves, supporté de terribles fatigues, et la 
mort a fauché parmi nous!... Lorsqu'au départ de France, ma 
pensée se portait vers l'avenir probable, c'est avec un serrement 
de cœur que je me demandais combien parmi nous revien- 
draient sains et saufs réparer leurs forces à l'air vivifiant de la 
Patrie. Nous n'avons pas eu le bonheur de nous retrouver au 
complet : à son retour en France, Anthoine tomba épuisé par 
les fatigues de la route et nous eûmes la douleur de le perdre. 

Affrètement (fun vapeur, — Par suite de l'encombrement 
énorme de notre cargaison, le ministre des Colonies fit affréter 
un vapeur suilisammcnt vaste pour embarquer nos chalands 
et nos approvisionnements. 

Des pourparlers, engagés avec diverses compagnies de navi- 
gation, échouèrent successivement. Les unes prétendaient avec 
raison que l'escale de Forcados retarderait leur service postal ; 
les autres refusaient, alléguant que l'exiguité du pont de leurs 
navires ne permettait pas d'y placer les quinze embarcations en 
bois que nous emportions toutes montées. 

Pendant ce temps, le Niger, qui baissait depuis le mois d'oc- 
tobre, mettait de jour en jour ses roches à nu. Tout retard 
rendait donc notre tâche plus difficile. 

Notre départ devait avoir lieu le 15 décembre, et j'appréhen- 
dais de le voir remis à une date indéterminée, lorsqu'un arran- 

— 10 — 



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rOYAGE PAU MER. 



goment survint entre le département des Colonies et l'arma- 
teur du vapeur Conseil^ cargo-boat de trois mille tonnes, qui 
vint au Havre pour nous embarquer. Nous partions avec dix 
mille caisses, dont environ neuf mille de ravitaillement qui 
remplissaient tout un hangar. 

Les quinze embarcations en bois qu'il ne fallait pas songer à 
mettre dans la cale formaient une pontée très volumineuse. Le 
département des Colonies exigeait que ces embarcations, 
placées sur le pont, fussent étayées par des poutres et mises à 
l'abri des coups de mer par de fortes saisines en cordes. Il 
fallut huit jours pour les arrimer. 

Voyage par mer, — Le 23 janvier 1901, nous étions prêts à 
gagner le large, lorsque survint une violente tempête qui causa 
de nombreux sinistres sur nos côtes; il nous fallut attendre 
qu'elle cessât, et c'est le 29 seulement, par un calme très relatif, 
que nous quittions le Havre pour la côte d'Afrique. Et déjà les 
sujets de préoccupations semblaient ne pas nous faire défaut : 

lo Le Conseil calait 6»85 et d'après les renseignements que 
nous possédions, il n'y avait que 6^90 (23 pieds) d'eau sur la 
bar/e de Forcados. 2» La tempête sévissait toujours dans l'Atlan- 
tique et pouvait arracher nos 
chalands sur le pont. 3» Nous 
avions un retard considérable. 
Allions-nous encore trouver de 
l'eau dans les rapides? 4» Le dé- 
barquement à Forcados, en 
pleine rade, serait-il possible? 
5<» Les Anglais feraient -ils un 
accueil sympathique à cette pre- 
mière tentative de convois en 
transit libre sur le Niger? etc. 

Mais à quoi bon s'inquiéter? 
Quel remède pouvions-nous ap- 
porter à la situation? Aucun. Pourquoi dès lors se tourmenter 
d'avance en face d'événements si lointains? 




M. LERICUB, CAPITAINB OU « CONSUL ». 



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L!-: NfGER. 

Le capitaine Lcrichc, commandant du Conseil^ nous avait 
offert, avant le départ du Havre, une hospitalité si parfaite que 
les soucis s'étaient envolés. M. Salles, armateur du navire, 
s'était ingénié à nous rendre la traversée agréable ; aussi 
l'avenir nous apparaissait-il plein d'heureuses promesses. 

Cependant, au large, les vagues faisaient rage et s'abattaient 
lourdement sur le pont; le vapeur était tellement chargé que 
nous étions constamment au niveau de l'eau; lorsque le mau- 
vais temps redoublait d'intensité, nous entendions distincte- 
ment le craquement des saisines qui retenaient nos chalands. 
Fort heureusement, nous doublâmes Ouessant entre deux tem- 
pêtes. Nous longeâmes ensuite les côtes de Portugal par un 
grand vent de nord-ouest ; la mer grossit de nouveau, et ne se 
r-ilma que deux jours après. 

Le 6 février, le Consedy faisant escale à Ténérifc, remplissait 
ses water-ballast et prenait des vivres frais pour continuer sa 
route. Nous étions enfin dans la région des eaux calmes. A 
partir de ce moment notre voyage devint plein de charme et 
d'agrément, sur un navire où nous étions tranquilles, où nous 
jouissions de toutes les commodités désirables. En raisun du 
beau temps, la table était dressée sur la dunette, à côté de la 
chambre de veille du capitaine. Parfois un coup de roulis 
renversait le potage sur nos effets; M. Leriche n'y comprenait 
rien, jamais son navire n'avait manifesté de pareils instincts 
d'indiscipline. Aussi l'invectivait-il sévèrement comme un 
vieux serviteur que l'on a depuis dix-huit ans sous ses ordres. 
Le maître d'hôtel était un brave matelot, gauche, honnête et 
complaisant ; il avait conservé pour nous nommer, ayant oublié 
les noms, les anciennes appellations de la nuiriiic; il appelait 
de Peyronnct le grand capitaine, puur le distinguer d'Anthoine 
qui devenait le petit capitaine, à cause de son apparence 
moins robuste. Ce brave homme avait des expressions typiques. 
Le soir, il s'empressait de « gréer » la lampe, et lorsque ses 
jambes se trouvaient prises dans les cordages du pont, il était 
« engage » avec le bitord. Il avait beaucoup d'admiration pour 

— 12 — 



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VOYAGH PAR MER. 

ces marins qui, aussitôt débarqués, se promènent avec une 
femme à chaque bras, « Tune à bâbord, l'autre à tribord.... » 

Le 10 février, nous étions en vue de Dakar; à deux heures 
de l'après-midi, le môme jour, le Co/i6tfi/ jetait l'ancre à l'entrée 
de la rade, et nos occupations coloniales commençaient aus- 
sitôt. 

Le ministre des Colonies avait demandé à son collègue de la 
Marine de vouloir bien recruter pour nous, à la station navale 
du Sénégal, trente-deux laptots, huit charpentiers, deux forge- 
rons, un infirmier. De mon côté, j'avais fait demander à un de 
mes camarades de Koulikoro, siège de mon ancien comman- 
dement, de rechercher les huit piroguiers bambaras du Nigor. 
qui, précédemment, avaient fait avec moi, en 1899, un raid de 
3 700 kilomètres sur le fleuve. Ces braves gens ne se firent pas 
prier, ils prirent immédiatement la route du Sénégal; de sorte 
que, le 10 février, tout le personnel indigène était au complet à 
Dakar, interné dans le sanatorium, à cause de l'épidémie de 
fièvre jaune que Ton disait terminée, mais que nous craignions 
d'apporter et de propager avec nous dans les colonies anglaises 
de l'Ouest africain. 

Il serait difficile de dépeindre Tétat d'esprit de ces braves 
gens que l'on tint enfermés durant dix jours. Seuls, les Bambaras 
conservèrent leur calme, grâce au caractère pacifique de leur 
race; mais les Sénégalais n'étaient plus tcnables, il était temps 
de les embarquer. Une fois à bord, nous payâmes à chacun son 
arriéré de solde, puis nous fîmes appel aux maisons de com- 
merce et tout notre monde se pourvut, sur le champ, des objets 
les plus variés : malles en fer, souliers jaunes, vestes rouges, 
ceintures multicolores, chapeaux marrons, ombrelles vertes, 
sucre, biscuits, etc. Le 12 février, à huit heures du soir, tout 
étant prêt, le Conseil continuait sa route vers F'orcados. 

La chaleur commençait à se faire sentir, car nous voguions 
vent arrière, et la brise, qui suivait la môme route, n'existait 
pas pour nous. Durant neuf jours, la côte d'Afrique se déroula 
BOUS nos yeux, quoique d'une façon très interrompue. Dès le 

— «3 — 



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LE MGEn 

matin, nous la suivions de trôs près, distinguant les factoreries 
et les villages nègres ; puis, le soir, nous reprenions le large 
pour éviter les récifs, car ces écueils ne sont signalés par 
aucun feu; aussi, à défaut de phares, cette côte est-elle balisée 
par les nombreux navires, dont les pilotes n'ont pas usé de la 
même précaution que le nôtre. Il est donc très regrettable que 
les nations européennes, qui possèdent des colonies tout le long 
de ce littoral inhospitalier, n'aient pas encore pris les mesures 
nécessaires pour y placer des feux capables d'indiquer la route 
aux navires; il en résulte que ceux-ci se trouvent parfois dans 
la nécessité de prolonger inutilement leurs escales pour arriver 
de jour au point de relâche le plus voisin : d'où pertes de temps 
et d'argent. 

Les passagers sont les seules personnes qui bénéficient de 
cette absence de phares, car il est fort intéressant de visiter sur 
la côte, au petit bonheur des points d'attcrrissement, des villes 
qui se créent, d'autres qui se développent, des colonies qui 
s'organisent. 

Un jour, le vapeur touche à Bérébi : à l'approche du navire, 
d'innombrables pirogues longues et légères sortent des rochers, 
lancées à toute vitesse par des kroumcn, ces hardis matelots 
noirs que Ton rencontre sur tout ce littoral. 

Ou bien encore le navire fait escale à Sekondi : c'est une 
cité neuve, géométriquement tracée, d'où la voie ferrée s'élance 
vers les placers et les filons, vers ce pays où la terrible fièvre 
de l'or tue presque aussi sûrement (et sans recours possible à la 
quinine) que la fièvre des bois ou des marais; les voitures et les 
pousse-pousse aux vives allures s'y croisent au milieu d'un en- 
combrement d'indigènes, terrassiers Yorubas, venus du Lagos. 

Un autre jour, c'est le warf de Grand-Bassam qui est choisi. 
Ici règne une activité surprenante, le pays s'ouvre à la coloni- 
sation; c'est encore la fièvre de l'or qui crée ce mouvement de 
baleinières débarquant ou ramenant des prospecteurs sous les 
ondées violentes d'un ciel inclcment. Les uns s'embarquent 
satisfaits ou tout au moins confiants en la réussite, les autres 

— M - 



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BARRE DE FORCADOS. 

rentrent en France, le visage ravagé par la fièvre, les décep- 
tions et les soucis. 

Le 20 février, le Conseil voguait dans le golfe du Bénin, le 
point nous portait en bonne direction, mais sur ces immenses 
étendues de l'Océan, les erreurs sont possibles, et quoique 
souvent très faibles, elles peuvent donner lieu à des hésitations. 
Vers cinq heures du soir, balancés par une forte houle, nous 
aperçûmes un point noir qui émergeait des vagues. 

« C'est une embarcation », dit Tun de nous. Aussitôt, les 
lunettes de se braquer vers l'objet signalé pour distinguer sa 
nature. « C'est un rocher » dit un autre. Mais cette terre no 
figurait sur aucun document; nos cartes, nos iudcx de naviga- 
tion n'en faisaient pas mention. Nous étions tout simplement 
en présence d'une balise, en forme d'un énorme tonneau ovoïde, 
ce qui nous mettait à deux milles à peine de la bouée extérieure 
de la barre de Forcados. Nous n'avions pas de pilote et notre 
tirant d'eau étant, d'après les renseignements, égal ou supérieur 
à celui de la barre, le plus prudent était de stopper et d'attendre. 
C'est ce que nous fîmes. 

Nous voici donc à la nuit tombante mouillés par trente pieds 
d'eau, presque à destination. Aussitôt, les conjectures repren- 
nent leur cours parmi mes compagnons de route. 

a Lu mer est bien trouble, le Niger est tout près, nous 
sommes au large de la barre et nous avons à peine 10 mètres 
de fond, nous ne passerons pas, dit l'un. 

— Ce serait fâcheux, répond un homme d'équipage, car le 
Cijiiseil a des formes anciennes et s'il touche il va se renverser 
de côté. 

— Laissez donc, reprit M. Leriche, ce bon vieux navire a 
talonné sur toutes les barres, sur bien des cailloux, mais il est 
solide et ce n'est pas cette fois qu'il y restera. » 

Pendant ce temps, je restais silencieux et méditatif ù l'écart, 
cachant à tous mes préoccupations. 

Le lendemain matin, M. Leriche envoyait son second à terre 
avec une baleinière pour chercher un pilote en rivière. 

— 15 — 



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LE NIGFAl. 

Cette embarcation était partie depuis deux heures à peino, 
lorsqu'un vapeur de 4 000 tonnes, le Jcbba de la Compagnie 
anglaise Elder Dempster, venait mouiller à côté de nous. Noire 
pavillon de pilote était hissé. Aussitôt un surf-boat du JibUa 
amenait à bord un officier de service qui prit arrangement pour 
nous diriger sur la barre. 

Ces surf-boat (bateaux de surface) sont des baleinières desti- 
nées à passer sur la crête des lames et des volutes que forment 
les barres si dangereuses du littoral africain; ce sont des 
embarcations très solides, relevées aux deux extrémités et 
manœuviccs par des kroumen, armés de pagaies dentées, qui 
ressemblent à des mains démoniaques. 

Voici comment les surf-boat passent les barres : les pagayeurs 
se présentent devant la première volute et retiennent l'embar- 
cation; ils attendent qu'une grosse lame très dangereuse forme 
le premier rouleau, puis dès qu'elle est passée, jugeant que la 
lame suivante doit être moins forte, ils se lancent sur la barre 
en poussant des cris stridents. S'ils ont mal choisi leur vague, 
ils se précipitent sur les passagers qu'ils tirent comme ih 
peuvent par un bras ou par une jambe en dehors de l'embarca- 
tion et se mettent à nager dans les volutes jusqu'à terre. Mal- 
heur à celui qui ne saute pas à l'eau : la baleinière l'écrase en 
se retournant sur lui. Les débarquements sur ces côtes, d'ail- 
leurs infestées de requins, sont très difficiles. Les transborde- 
ments s'effectuent le plus souvent en pleine mer, d'un navire à 
l'autre, par surf-boat. Les mouvements de roulis et de tangage 
de ces maudites embarcations sont des plus violents : une forte 
dose d'ipéca rend moins malade que le plus court trajet dans ces 
bateaux. 

Donc, le 21 février, à quatre heures du soir, le pilote montait 
à bord. A toute vitesse, les chaudières à plein tirage, le Conseil 
se mettait en route. Les pompes aspiraient un mélange d'eau et 
de vase, indiquant nettement que nous avions peu d'eau sous la 
quille ; mais cependant, à la faveur de la marée, nous passions 
sans incident sur la barre et nous pénétrions dans la rivière. 

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LA BARRE DE PORCADOS. 



r 



I 




EN RADE DE PORCADOS. 
UN NAVIRE DÉBARQUANT SON CHARGEMENT SUR DEUX BRANGH-BOATS. 



Je ne saurais dire quel soulagement ce fut pour nous. Com- 
bien nous eussions éprouvé d'ennuis et de difïicultés s'il nous 
avait fallu opérer au large, sur cet océan houleux et tourmenté, 
le déchargement de nos 10000 colis et de nos 20 chalands! Nous 
voici donc en rade, la nuit tombe, mais nous apercevons la côte. 
Devant nous est le village de Goula avec le pavillon français 
qui flotte au-dessus de l'enclave et qui s'abaisse pour nous 
saluer. 

Nous répondons à son salut, pensant à la joie que doivent 
éprouver les douze laptots, qu'en juin 1900, le colonel Toutée a 
débarqués sur ce coin de terre française et qui sont toujours là 
pour le garder et le défricher. 

A six heures, le Conseil jette l'ancre au fond de la rade, à 
proximité du ponton de la douane. Une baleinière nous aborde 
immédiatement et ses passagers montent à bord C'était le 

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LE NIGER. 

second maître Suleyman, puis Master Davis, un noir de Sierra- 
Leone, directeur des douanes, qui nous amenait un de ses 
officiers, noir également, pour vérifier nos connaissements. 
Une fois les premiers saluts échangés, M. Davis nous exposa le 
but de sa visite, ce qu'il fit d'ailleurs avec beaucoup de cour- 
toisie. Nous n'avons eu qu'à nous louer de ses bons procédés 
à notre égard.... 

Cette fois, le sort en est jeté ! Nous sommes définitivement 
arrivés à destination. Nous nous trouvions sur notre champ 
d'action, sur le théâtre même de notre mission. 

Avant d'entreprendre le récit détaillé de notre navigation du 
Niger, je voudrais exposer rapidement la besogne qui nous 
incombait. Nous devions débarquer du Conseil et transborder 
sur l'enclave de Forcados un grand nombre de caisses, 7 000 
environ; régler les affaires de douane en nous conformant à la 
convention de 1898 ; monter à Badjibo ; y construire sur l'enclave 
d'Arenberg les bâtiments nécessaires, y déposer une garnison 
et des ouvriers; puis remonter le fleuve et franchir ses rapides, 
afin de porter aux troupes du troisième territoire militaire les 
caisses d'approvisionnements dont elles avaient besoin. 

A cette fin, la flottille entreprit trois convois qui s'organi- 
sèrent à Badjibo : le premier convoi passait les rapides de 
Boussa le 15 avril 1901, séjournait à Say et redescendait en août 
à Badjibo, effectuant un trajet de 1 700 kilomètres avec 60 tonnes 
de matériel; le second convoi montait les rapides en octobre à 
la saison des hautes eaux, atteignait Say le 3 décembre, 
Ansongo le !•' janvier 1902, puis redescendait à Badjibo le 
4 février après une marche ininterrompue de 119 jours sur le 
fleuve, effectuant un parcours de 2 500 kilomètres avec 97 tonnes 
de chargement; le troisième convoi remontait les rapides en 
mars 1902 à l'époque des eaux moyennes, avec 83 tonnes de ravi- 
taillement. 

Ces voyages successifs souvent périlleux, toujours fatigants, 
nous les avons entrepris avec une ardeur qui confinait à l'en- 
thousiasme. Nous avions tous la volonté de réussir, et c'est sans 

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A'O.y PI LOT lis. 




LES PILUlk.8 UAUUAKAS DR LA MlttttlUM. 

aucun doute la raison qui nous a permis de mener à bien notre 
entreprise. 

iVofi piroguiers, — Ce résumé de nos travaux établi, il me reste 
encore à faire connaître au lecteur les braves gens qui allaient 
sans mesure et sans hésitation partager nos peines et nos dan- 
gers, et qui devaient ainsi contribuer dans une large mesure à 
notre succès. 

Ce sont, je l'ai dit, les mêmes piroguiers, des Somonos- 
Bambaras de Koulikoro, qui firent avec moi le raid de 1899 et la 
mission du Bas-Niger. Serviteurs exceptionnels, navigateurs 
incomparables, rien n'est plus simple que de se les attacher et 
de s'en faire aimer; aes iors leur dévouement ne connaît plus 
de limites et Ton peut tout attendre de leur zèle. 

Voici d'abord Tonié Taraoré, le chef de tous les laptots, un 
jeune homme de vingt-cinq à vingt-six ans, froid, résolu. C'est 
lui qui conduisait mon embarcation et qui nous dirigeait dans 

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LE iMGER. 




^08 pinoouiBRs tomâ et LA^'Cl^K avbc leurs femmes. 

les rapides à la recherche des passages. Dans les cônes de 
Garafiri, un tourbillon a réagi sur sa barre et l'a jeté dans le 
fleuve, la poignée de l'aviron Ta frappé en pleine poitrine et Ta 
grièvement blessé. Nous avons passé des jours ot des heures 
côte à côte à l'arrière du chaland, luttant contre le fleuve, 
causant rarement, mais nous comprenant à souhait. Lanciné 
Guiré, le plus fort, le plus gai, le plus habile de tous, d'une 
bravoure admirable, d'un dévouement de toutes les minutes; 
Baniessé Couloubaly, un brave cœur, une nature énergique; 
Sibry Couloubaly et Oumarou Kané, deux amis inséparables; 
Koloba Samaké, Amadi Diara, Ousman Sangaré, tous serviteurs 
d'élite, qui supportaient les privai ions, les fatigues et les 
intempéries, sans jamais se plaindre, sans en paraître affectés. 
Quel éloge ne pourrais-je pas faire de ces braves gens, hon- 
nêtes et laborieux, qui plaçaient en nous toute leur confiance! 
Dans les passages dangereux, ils se jetaient à l'eau résolument 

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NOS PILOTES, 

pour sauver les embarcations, et si nous nous trouvions en 
péril, tous venaient à notre aide. Ces hommes modèles ne 
méritèrent jamais la moindre observation, le moindre reproche. 

J'éprouvai un serrement de cœur en les quittant. Nous leur 
devions notre existence. Ils étaient venus à nous, désintéressés : 
en gens simples ne connaissant pas les satisfactions qui, chez 
nous, exaltent l'amour-propre et servent de récompense morale 
à nos actions. 

Durant le cours de cette campagne toute pacifique, j'ai com- 
paré leur bravoure avec celle de nos tirailleurs qui se distin- 
guent au feu, et j'ai dû convenir qu'il y avait autant de courage 
chez les uns que chez les autres. Il faut de la crànerie pour 
affronter les balles ennemies; mais il faut aussi du calme et du 
sang-froid pour diriger une pirogue au milieu des eaux tumul- 
tueuses prêtes à vous engloutir. 

Les indigènes qui prennent part à des missions comme la 
nôtre n'ont pas leurs noms inscrits à côté de ceux qu'exaltent 
les combats, aucun Livre d'Or n'existe pour eux. C'est pourquoi 
je suis heureux de pouvoir les citer ici et d'exprimer l'affec- 
tueuse sympathie que je leur ai gardée. 



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CHAPITRE II 

Uébarr|uemeDt en rade de Forcados. — Voyage à Litgos et au Dahomey. — A 
la recherche d'un remorqueur. — Le porl de la Niger Company à Bouroutou. 
— La rivière Forcados et ses méandres. — En route. — Nous arrivons sur 
le NMger. — Les trois bassins du Niger : le Konarra, l'Issa, le Djoliba. 

LE 22 février de bon matin, sur la rade de Forcados, le travail 
de débarquement de tout notre matériel commençait à bord 
du Conseil, et nous procédions à la mise à l'eau de nos cha- 
lands en bois, qui étaient solidement arrimés sur le pont. 

Dès l'aube, je partis en canot pour Bouroutou, le port que 
la Niger Company possède et qui est construit au fond de la 
rade. L*une de nos plus importantes préoccupations était de 
chercher un vapeur dont le tirant d'eau ne dépassât pas 1"»50 
et qui fût capable de nous remorquer jusqu'à Jebba. Nous 
étions très vaguement fixés à ce sujet, je ne savais où m'adres- 
scr. La Niger Company en possédait plusieurs, mais ses prix 
et ses tarifs ne seraient-ils pas excessifs? D'autre part, le dépar- 
tement des Colonies devait faire à Lagos les recherches néces- 
saires; mais nous étions sans communications et sans courrier 
depuis notre départ de France, nous ne pouvions posséder 
aucun renseignement précis, à moins d'aller à Lagos. 

M. Watts, agent général de la Niger Company, se trouvait 
alors en tournée sur le fleuve, ce qui ne simplifiait pas notre 
besogne, puisque, seul, il pouvait traiter avec nous. Je résolus 
donc d'aller à Lagos par le premier navire en partance, à la 
recherche de nouvelles. De Peyronnet m'accompagna. Pendant 
ce temps, suivant les ordres immédiatement donnés, le débar- 

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PONT SUR LA LAOUNB. A LAOUS. 



DEBARQUEMENT EN RADE 

quement continuait sous la direction du lieutenant Anthoine. 

Voyage à Lagos. — Les navires qui font le service entre For- 
cados et Lagos s'appellent des braiich-boats autrement dit : ba- 
teaux de pe- 
tite ligne. Ils 
calent envi- 
ron 3n»50, 
portent 1 000 
à 1200 ton- 
nes et pren- 
nent des pas- 
sagers. 

Les cour- 
riers, les na- 
vires de fort 
tonnage ca- 
lant plus de 
douze pieds, 

ne peuvent franchir la barre de Lagos, de sorte que toutes 
les marchandises à destination de cette colonie sont déchar- 
gées en rade de Forcados, sur des branch-boats, qui viennent 
eu eau calme s'accoler aux flancs du paquebot. Forcados est 
donc en réalité le port commercial de Lagos, capitale du Yoruba. 

Nous voici embarqués, le 25 février, sur le Dodo^ l'un des sept 
ou huit branch-boats qui font le service Forcados-Lagos, irrégu- 
lièrement, mais fréquemment. Le Dodo nous porta au large de 
la barre de Forcados et vint mouiller à 200 mètres de VOroriy un 
courrier de la compagnie Elder Dempster, qui rentrait en Eu- 
rope en faisant escale à Lagos. Nous débarquons en surf-boat 
et grimpons sur YOvon. La baleinière qui nous portait avait 
servi au transit de l'huile de palme ; les ponchons (énormes bar- 
riques d'huile), s'étaient probablement ouverts, en sorte que le 
roulis, jetant les passagers les uns sur les autres, à la façon 
dont on triture une salade, nos vêtements et nos bagages n'at- 
tendaient plus que le vinaigre pour être tout à fait assaisonnés. 

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LE NIGER. 

Le lendemain de très bonne heure, nous étions en vue de 
Lagos : un branch-boat, VEko, sortit du port, franchit la barre 
et vint mouiller à faible distance du grand navire, puis nous 

dûmes subir un 
nouveau trans- 
bordement aussi 
peu agréable que 
le premier. 

La barre de 
Lagos est un ca- 
nal peu profond, 
très variable, qui 
se déplace et se 
modifie tous les 
jours et qui for- 
me un Z entre 
de longs bancs de 
sable; elle est 
une des plus dan- 
gereuses de la 
côte. Autrefois, 
on la franchissait 
en surf-boat, mais les sinistres furent tellement nombreux, que 
c'est un sport maintenant interdit. Le moindre coup de vent, la 
grosse houle de l'hivernage et les tornades empochent le fran- 
chissement de la barre, retardent les courriers et déterminent 
ceux-ci à débarquer leur matériel en rade de Forcados. 

Le 26 lévrier, vers midi, nous entrions en rivière de Lagos. 
Le coup d'œil est joli. La ville, qui compte près de cent mille 
habitants, s'étend en longueur sur la rive gauche de l'estuaire 
de la rivière Ogoun, masquée très légèrement par la végéta- 
tion dont se parent les quais de cette colonie. Flamboyants, 
cocotiers, palmiers, bananiers, laissent apparaître à travers leur 
feuillage des maisons assez coquettes, aux couleurs orientales, 
du sein desquelles émergent les tours des églises protestantes 

— 24 — 




LAGOS. LA MOSQUUK. 



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VOYAGE A LAGOS. 

et les clochers de la cathédrale. Les quais sont bien cons- 
truits, entretenus d'une façon régulière. Une multitude d'in- 
digènes y circulent, charerés de colis, des marchands dormenî 




LUS QUA16 ET L Uof ITAU Olil LAUUS. 

à proximité de leurs éventaires, tandis que les kroumen^ dé- 
chargent les nombreux vapeurs accostés aux appontements des 
maisons de commerce. 

Nous cherchons un logis : le capitaine de YEko nous en- 
seigne l'hôtel Williams comme étant le seul asile des passagers. 
Deux porteurs saisissent nos cantines et nous conduisent à 
travers des rues sablonneuses, vers la demeure de notre hôte. 
Nous nous trouvons en présence d'un nègre plantureux, orné 
des étoffes les plus bizarres et flanqué de trois ou quatre venus 
yorubas qui nous dévisagent avec complaisance. Pendant que 
notre hôte nous sert un « two o'clock tea » des moins appétis- 

i. L'expression anglaise kroumen, qui a été plusieurs fois omployce, signifie 
littéralement n hommes de Krou ». Elle désigne des noirs haliitanl la côte do 
Krou, qui s'étend des deux côtés du cap des Palmes depuis le terriloue de Libéria 
jusqu'à la ri>iëre de Lahou. Les Krous, probablement de race mandingue, sont 
de haute taille et d'une grande vigueur. Ils fournissent dans ces régions, aux 
équipages des navires de guerre et de commerce, des matelots d'une valeur 
exceptionnelle et d'une fidélité rare. 

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LE NIGER. 

sants, des gémissements s élèvent d'une pièce voisine. Je vais 
voir ce qui se passe, croyant que l'on étrangle une des jeunes 
femmes qui nous étaient apparues, et quelle n'est pas ma stupé- 
faction de voir, dans une chambre voisine de la nôtre, un cadavre 
de nègre auprès duquel se lamentait une vieille femme éplorée! 

Nous changeons de vêtements, et dix minutes plus tard nous 
franchissons le perron de Government House. Un milicien fort 
bien équipé, tout de blanc vêtu, nous introduit. Le gouver- 
neur est en plein Conseil, mais le capitaine Elgee, son officier 
d'ordonnance, vient nous tenir compagnie. C'est un homme 
très jeune qui s'exprime d'une façon fort agréable et nous 
expose en français, le sourire aux lèvres, l'excellente série de 
souvenirs qu'il a conservés d'un séjour à Paris; notre impres- 
sion est même qu'il ne s'y est pas ennuyé du tout. Il nous fait 
visiter les jardins et en particulier son colombier où l'on dresse 
des pigeons voyageurs, destinés au service télégraphique For- 
cados-Lagos, en attendant que l'on ait installé, dans ces régions 
de vase et de palétuviers, un fil aérien. 

Quelques instants après. Sir William Mao Gregor, gouver- 
neur de Lagos, vient à nous. Docteur en médecine, botaniste, 
géologue, astronome des plus distingués, économiste et prati- 
cien, dispensateur prudent, paraît-il, d'un budget mobile des 
plus délicats à manier. Sir William est une des physionomies 
les plus fines et les plus sympathiques que nous ayons obser- 
vées, durant notre séjour en territoire anglais; c'est un homme 
simple, qui place toute sa coquetterie dans l'ameublement de 
son cerveau. Chaque jour de la semaine, il écrit son journal 
dans une langue différente ; le russe, l'allemand, l'italien, le 
français, l'espagnol, le latin et le grec étalent leurs fleurs de 
rhétorique sur les pages de son album, à tour de rôle, sans 
oubli, sans lacune. Entre ses occupations officielles. Sir Wil- 
liam lit attentivement, en les annotant, toutes les revues étran- 
gères, et c'est principalement à nos journaux, à nos bulletins, 
à nos revues, à nos publications africaines, qu'il consacre ses 
loisirs. Une fois les paroles de bienvenue échangées de part 

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VOYAGE A LA G OS. 




ASPKCT DBS RIVBS DB LA LAOtNB ALLANT DB LAQOtl AU UAUQ^BY. 

et d'autre, le gouverneur nous fait préparer de superbes appar- 
tements, puis nous causons de la France et de ses colonies. 
Notre empire africain le fait rêver, il le trouve immense et 
superbe. Sir William s'intéresse à notre tentative à travers les 
rapides de Boussa; elle nous attire sa sympathie et, tout de 
suite, il nous offre son appui pour trouver un remorqueur, si 
nos recherches n'aboutissent pas. Nous voici donc pour quel- 
ques jours à Lagos, nous goûtons à Government Housc la 
plus cordiale hospitalité. Ce palais est confortable. C'est une 
vaste construction rectangulaire, entourée à tous les étages 
d'une véranda spacieuse et close de volets mobiles. Un hall 
immense sert aux réceptions; les appartements sont spacieux, 
bien aérés, ventilés, éclairés à l'électricité, meublés d'une façon 
très simple, mais très riche en même temps. 

Nous eussions passé là six journées délicieuses, si l'inanité 
de nos recherches, au sujet du remorqueur, n'avait jeté l'inquié- 
tude dans nos esprits. 

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Lt: NIGER, 

Le jour môme de notre débarquement à Lagos, je rencontrai 
le gérant d'une factorerie de Porto-Novo qui, sur la demande 
du département des Colonies, venait de louer un remorqueur 
pour la mission. Ce vapeur, le Pu/fin, ne remplissait pas les 
conditions, à cause de son fort tirant d'eau; il eut d'ailleurs 
toutes les difTicultés possibles pour nous conduire à Porto-Novo, 
bien qu'il y ait presque toujours six pieds d'eau dans la lagune. 
Le bail de location étant signé pour un mois, je l'utilisai de 
mon mieux et me rendis sur lui au Dahomey pour y régler 
quelques affaires. Le Puffin avait pour propriétaire un parfait 
ivrogne, anglais de modeste condition, dont nous dûmes subir 
plusieurs fois la présence et dont les titubements étaient fort 
gênants pour ses voisins. Il n'avait retenu, de la langue fran- 
çaise, que ces deux expressions : « à votre bon santé » et « il 
est temps d'aller déjeuner », probablement apprises dans une 
société d'intempérance. 

Voyaije au Dahomey. — Le voyage est des plus faciles et des 
plus calmes; il suiïlt de suivre la lagune à l'intérieur des terres 
et parallèlement à la mer. Ce canal irrégulier longe la côte, 
depuis le Togo jusqu'à la rivière Forcados et môme jusqu'à la 
rivière de Brass; malheureusement, il présente des solutions 
de continuité. Entre Lagos et Forcados, les herbes et les bancs 
de sable le rendent presque impraticable sur de longues 
étendues. 

Toute la richesse du Dahomey se trouve à proximité de la 
lagune. La forêt impénétrable et touffue de la rivière Forcados 
et des criques du Lagos fait place aux vastes futaies de pal- 
miers, et des villages nombreux apparaissent çà et là cachés 
dans la verdure. L'indigène, le Nagot comme on l'appelle, 
habite des cases rectangulaires, cloisonnées et murées par des 
lattes de bambous ; il élève des poulets, des porcs, des bœufs 
lilliputiens; mais sa principale, ou pour mieux dire, son unique 
richesse est le palmier. 

Le commerce des amandes de palme est très fructueux ; ces 
fruits produisent un corps gras avec lequel sont fabriqués les 

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"- - """U 



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VOYAGE AU DAHOMEY, 

savons de Marseille et des bougies; ils donnent en outre des 
tourteaux, que les éleveurs destinent à leur bétail. La colonie 
du Dahomey est la plus riche et la plus prospère de la côte; 
son gouverneur, M. Liotard, en a constamment accru les béné- 
fices, de sorte que, non seulement les frais d'organisation et 
d'occupation se trouvent couverts, mais encore la caisse du 
Trésor amasse des économies respectables, qui augmentent de 
jour en jour. 

La capitale est Porto-Novo, ville de quarante mille âmes, 
grand village indigène, pourvu de factoreries très vastes, qui 
constituent, avec le clocher, le seul luxe architectural de la 
ville. Trois ou quatre rues sont assez bien tracées, mais les 
autres voies de communication sont des ruelles ravinées et 
tortueuses. 

Le gouverneur est logé dans une véritable roulotte h deux 
étages, très confortable et bien distribuée, mais dont l'aspect 
contraste d'une façon singulière avec le somptueux palais de 
Lagos. 

La ville est entourée de marécages qui s'étendent à perte de 
vue de tous côtés. Toute cette partie de la côte est mal- 
saine ; seul le village de Kotonou, construit sur le sable à proxi- 
mité de la mer. présente quelques garanties de salubrité. C'est 
là que se trouve le terminus du chemin de fer. 

Ce railway dessert la côte vers Touest jusqu'à Ouidah, puis 
remonte au nord, se dirigeant sur Abomey. Les études du tracé 
de la voie s'étendent fort loin dans l'intérieur, il est môme 
question de pousser le rail jusqu'au Niger vers Say ou vers 
Gaya. Ce projet sera de longue haleine et nécessitera des capi- 
taux considérables; mais il est raisonnable, car la vallée du 
Niger est digne d'intérêt, remplie de richesses à exploiter et 
capable de donner à la France, dans un avenir prochain, les 
récoltes de coton qui lui deviendront nécessaires pour lutter 
contre les produits étrangers. En attendant que le rail atteigne 
le Niger, c'est notre flottille qui doit être chargée des transports 
à travers les rapides de Boussa. 

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LE M G Eli. 

Nous voici donc au Dahomey, réglant quelques affaires 
urgentes, grâce à l'accueil bienveillant et sympathique du gou- 
verneur. Nous avons toujours trouvé chez lui un appui sûr, 
une aide efïîcace. Cet homme actif, qui sut se prodiguer et se 
dévouer en Afrique sur les territoires de l'Oubanghi et du 
Congo, explorant des routes, franchissant des rapides, savait 
d'avance combien il nous faudrait vaincre de difficultés pour 
mener à bien la tâche qui nous était confiée; sa sollicitude ne 
s'est jamais lassée. Chaque fois qu'il en a trouvé l'occasion, 
M. Liotard encouragea nos travaux par d'affectueux conseils, 
par son appui généreux : nous lui en sommes restés tous infi- 
niment reconnaissants. 

Nous étions de retour à Lagos le 1" mars. J'avais en vain 
porté mes recherches dans toutes les maisons de cette capitale, 
sans obtenir le moindre navire. Nous n'avions plus qu'à re- 
joindre Forcados pour louer un remorqueur à la Niger Company. 
Nous nous y rendîmes aussitôt. 

Anthoinc avait fort bien exécuté mes ordres; le débarque- 
ment était très avancé; tous les chalands, abrités dans une 
crique du Delta nigérien, attendaient le jour du départ. Nos 
laptots commençaient à se connaître, l'activité régnait parmi 
notre personnel, qui luttait d'ardeur et d'entrain. 

Mes braves Bambaras, qui n'avaient jamais vu de navires à 
vapeur, étaient stupéfaits du roulement des treuils servant au 
déchargement. Tonié, si alerte et si débrouillard d'ordinaire, n'y 
comprenait plus rien et restait ébahi devant ces machines et ces 
appareils dont le bruit l'étonnait. J'avais trouvé sur l'enclave, 
parmi les douze laptots qu'y laissa Toutée, son brave Sulcynian, 
second maître de la marine, un vieux serviteur, âgé de qua- 
rante-deux ans, qui s'était distingué tout aussi bien dans les 
combats du Dahomey que sur les petits croiseurs de notre 
station navale du Sénégal. Suleyman était un enthousiaste : il 
voyait tout en rose, et il avait le don de communiquer son 
ardeur aux noirs qui l'entouraient. Nous le trouvâmes déjà 
fatigué par son séjour à Forcados, par le climat pernicieux, par 

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K LA RECHERCHE D'UN REMORQUEUR, 

la mauvaise nourriture et les privations. Tous les matins, en 
qualité de chef piroguier, il venait rendre l'appel, puis con- 
duisait ses hommes au travail dans la cale du Conseil. Il signa- 
lait les mauvaises tôtes et me disait : « Vois-tu, mon Supérior, 
dans tous ces hommcs-Ià qui viennent du Sénégal, il y en a qui 
beaucoup bon, mais il y en a aussi qui bon un peu ». Ce « bon 
un peu » était une appréciation très sévère de la part de 
Suleyman. 

Le débarquement continue. — Aussitôt de retour à Forcados, 
je me rendis à Bouroutou et trouvai M. Watts récemment 
arrivé. L'agent général de la Niger Company était autrefois 
second officier sur un des premiers voiliers qui vinrent au 
Niger. Sa haute intelligence et ses aptitudes commerciales 
l'ont élevé au rang qu'il occupe, et c'est, ma foi, une fort jolie 
situation. Nous n'avons qu'à nous louer de sa droiture en 
affaires et de sa complaisance à notre égard. Il fut convenu 
que les transports du Gouvernement français seraient effectués 
au môme tarif que ceux du Gouvernement britannique. 
M. Watts s'engageait à nous louer un grand stern-wheeler 
(bateau plat à roues-arrière indépendantes), le Liberty, sur lequel 
nous devions être à l'aise et nous loger commodément. De plus, 
la Niger Company prenait à sa charge l'assurance de notre 
matériel, condition des plus rassurantes, car il faut tout prévoir 
et les accidents sont toujours à redouter. 

Le Liberty remorquait en lège sur ses flancs les huit premiers 
chalands; les autres devaient suivre à quelques jours d'inter- 
valle, remorqués par des vapeurs en partance de Bouroutou 
pour Jebba. Le pont inférieur était réservé aux indigènes. Le 
spardeck, divisé très commodément, formait des logements 
aérés très confortables, abrités du soleil par une toiture double 
et par des rideaux latéraux. Je dus payer les frais de transport. 
Le versement de cette somme, 17500 francs, n'avait pas été 
prévu dans les fonds qui me furent confiés au dépait de France : 
cela faisait donc une grosse brèche dans notre capital. 

No8 transactions avec la douane. — D'un autre côté, nos 

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LE MG/:n, 

affaires de douane restaient en litige. Master Davis, directeur 
des douanes de Forcados, venait fréquemment sur le Conseil 
pour nous rendre visite. Il nous apprit que Sir Ralph Moore, 
gouverneur de la « Nigeria Sud », avait reçu de son Gouverne- 
ment, non pas la copie même de la convention de 1898, mais un 
projet de convention entre les deux nations, qui permettait de 
discuter notre liberté de passage et notre exonération des 
tarifs douaniers. Il exigeait de prime abord le paiement des 
frais de douane qui s'élevaient à 45000 francs; en outre, il vou- 
lait confisquer les armes et les munitions qui m'avaient été con- 
fiées pour la défense des convois en cas d'attaque. Il y avait 
certainement un malentendu regrettable. 

M. Davis se montrait courtois et serviable; de mon côté, 
j'évitais de brusquer les événements. Je lui fis lire, avant toute 
chose, l'annexe du Livre Jaune, relative à l'Acte de navigation, 
et lui représentai que nous étions décidés à conserver les armes 
avec nous dans des caisses plombées jusqu'à notre arrivée en 
territoire français. Les pourparlers durèrent plusieurs jours, 
sir Moore tenait bon, et moi de même. Son yacht vint plusieurs 
fois de Old Calabar' porter des ordres à M. Davis, profitant de 
Toccasion pour tourner autour du Conseil et voir où nous en 
étions. Heureusement, les relations ne cessèrent pas d'être 
courtoises. Je proposai un arrangement qui conservait nos droits 
intacts sans créer de précédents vis-à-vis des tarifs douaniers. 

Je déclarai : 1« que le matériel du Gouvernement français* 
étant en transit libre sur le Niger, ne pouvait être soumis au 
tarif douanier de Forcados; 2© que je faisais part immédiatement 
au ministre des Colonies des revendications de sir Ralph Moore, 
ajoutant que notre ravitaillement produirait 45000 francs de 
redevances si les taxes lui pouvaient être appliquées, mais 
que mes attributions ne m'autorisaient à prendre aucun enga* 
gement ni à faire aucun versement à ce sujet; 3o quant aux 
armes et munitions, je consentais à les conduire à bord du pon* 

1. Capitale du Soulbern-Mgeria. 

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TRA.^SACTIONS AVEC LA DOUANE. 




RÉPARATION DES CHALANDS SUR L'ENCLAVE Dh F0RCAD08. 

ton (le la douane pour les y déposer jusqu'à la veille de notre 
départ pour Jebba, mais, à cette date, ce matériel devait nous 
être restitué. 

Cet arrangement convint de part et d'autre; sir Ralph Moore 
devint plus accommodant et M. Davis nous aida de toute son 
-amabilité, en sorte que le 9 mars nous étions prêts à quitter 
Forcados. 

Il y avait exactement dix-sept jours que nous étions sur rade 
au grand désespoir du commandant du Conseil, M. Leriche, qui 
n'avait pas prévu un arrêt aussi long, et qui voyait ses vivres 
diminuer et ses réservoirs d'eau douce se vider. Plusieurs 
chefs de village, sortis des marécages environnants, vinrent 
nous faire des démonstrations de sympathie et des offres de 
service, se disant amis de la France et des Français. Le seul 
moyen de nous en débarrasser fut de leur offrir une rasade 
d'alcool, qui ne faisait, d'ailleurs, que s'ajouter à celles qu'ils 

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LE NIGER. 

avaient bues avant de monter à bord. Ces gens nous déplai- 
saient beaucoup : ce sont de véritables brutes, incapables de 
fournir un travail assidu et de tenir une promesse. 

Organisation de Venclave de Forcados. — On a vu que Tune 
des tâches assignées à notre mission était d'organiser les deux 
enclaves que nous avait concédées sur le Niger la Convention 
franco-anglaise de 1898. Nous n'avions pas négligé ce devoir et, 
depuis plusieurs jours, nous procédions à l'organisation de 
l'enclave de Forcados. Au moment de partir pour l'intérieur, je 
confiai le soin de terminer cette installation au sous- officier 
Boury, consciencieux, honnête et d'une énergie à toute épreuve. 
Je lui laissai huit laptots, quatre charpentiers, des outils, des 
vivres, tout le matériel nécessaire, ainsi que des caisses de 
médicaments et enfin une somme de 4000 francs déposée à la 
lîanque de la Niger Company pour subvenir à ses besoins. 
Toutée-Ville, l'enclave de Forcados, est le seul terrain à peu 
près habitable de toute cette région. Elle mesure en littoral sur 
la rivière 400 mètres de longueur et 800 mètres de profondeur. 
Un terrain d*un hectare est réservé au transit; une palissade de 
troncs d'arbre de 3 mètres de hauteur l'entoure complètement. 
Je fis les dessins des cases et des magasins ; je donnai égale- 
ment à Boury le plan d'un appontement et le tracé des chemins 
qu'on pouvait utiliser pour les transports de bois. L'enclave 
est coupée par des criques vaseuses, elle est recouverte d'une 
forêt enchevêtrée de palétuviers et d*arbustes grimpants. Ce 
coin de terre doit devenir un jour le relai commercial de la 
France à l'entrée des territoires britanniques. Si Ton y monte 
une scierie, si l'on y fait les travaux de comblement nécessaires, 
une petite ville s'élèvera bientôt sur pilotis, comme le port de 
Bouroutou que les Anglais ont gagné sur la vase du Delta. Le 
système d'habitation le plus pratique en ces régions est la case 
démontable qui vient directement d'Europe. Le port de la Niger 
Company comprend ainsi plusieurs grandes maisons spacieuses, 
entourées de larges vérandas, couvertes en tôle, organisées, 
montées, construites et distribuées d'une façon très ingénieuse. 

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ENCLAVE DE FORÇA DOS, 




LES MAliAbl.NS un. l'kNCLAVE UE F0RCAD08 CuNSTRUIlS Slili PILOUS 
AVIÎC DES PALKTUVIliRS. 



Notre rôle étant surtout de faire acte d'occupation, de créer un 
transit à Forcados, nous n'avions pas à élever des bâtiments 
coûteux, d'autant que nos ressources budgétaires ne nous l'au- 
raient pas permis; aussi fîmes-nous là le strict nécessaire. Mais 
si, comme il faut l'espérer, nos efforts tendent plus tard vers 
le Niger, le commerce français utilisera cette route et les 
enclaves deviendront ainsi de petites villes où nos compatriotes 
pourront s'installer et se développer à l'aise. 

Les ressources de la rivière Forcados ne sont pas abondantes 
à Theurc actuelle; le pays est à peine organisé; de plus, l'éle- 
vage des animaux de boucherie ou de basse-cour est à peu près 
impossible dans le Delta : les serpents y pullulent et détruisent 
poulets et canards; l'humidité tue les chèvres; c*est en semant 
dans des caisses qu'on tire quelque chose des jardins. Mais il 
passe tous les jours deux, trois et môme quatre navires venant 



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LE NIGER. 

d'Europe, qui cèdent des vivres à qui prend arrangement avec 
eux; de plus, il est toujours possible de charger les branch- 
boats de commissions pour Lagos. Et c'est ainsi qu'on arrive à 
subvenir à la vie matérielle. 

Le 9 mars, à quatre heures du soir, nous quittions le Conseil 
et faisions nos adieux au commandant, M. Lerichc, sans nous 
douter de tous les malheurs qui l'attendaient au cours de son 
voyage de retour; il avait épuisé ses ressources pendant ce 
pénible séjour à Forcados, il s'était sacrifié pour nous donner 
tout ce qui devait nous manquer pendant de longs mois. Ce 
brave marin, qui commande depuis trente-quatre ans, devait 
s'échouer sur le Congo quelques jours plus tard. Son équipage, 
soumis aux plus dures épreuves, fut décimé par la maladie; 
enfin, en rade de Lisbonne, un croiseur portugais éperonna lo 
Conseil, qui n'est plus aujourd'hui qu'une sinistre épave. 

En route pour Le Niger. — Le capitaine du Liberty s'appelait 
Master Price. C'était un vieux jamaïcais, souvent ivre la nuit, 
toujours solide à la besogne le jour et qui connaissait admira- 
blement le Niger et la manœuvre de son bateau. 

Suleyman, en marabout fervent, se serait bien gardé de boire 
une goutte d'alcool ; aussi professait-il un profond mépris pour 
le personnel indigène des Anglais que la boisson rendait sou- 
vent impropre à tout service. « Tous les hommes des Anguelés, 
disait-il, mon Supérior, y dépenser son du l'argent pour boisson 
et quand y trop vieux y gagner grand serpent qui mange le 
ventre. » M. Priée souffrait déjà de son serpent, surtout la nuit; 
mais le matin, de très bonne heure, il était à son poste et nous 
donnait sur les villages, sur les factoreries, sur les races et le 
fleuve des indications intéressantes et précises. 

Le Delta nigérien, La rivière Forcados. — C'est en amont 
d'Abo que le Niger se divise en plusieurs bras pour former son 
delta. L'une des branches, celle de gauche, se déverse au sud 
vers la rivière de Brass; l'autre, celle de droite, forme la rivière 
Forcados dont la direction générale court de l'est à l'ouest, en 
dessinant toutefois de nombreuses sinuosités. 

— 40 — 



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ENCLAVE DE FORCADOS. 

Le Delta nigérien est un pays récent, c*est un amas de vase et 
de boue liquide sillonné de rigoles. Tous les bras du Niger, 
rivières de Brass, de Forcados, d'Escravos, etc., peuvent être 
considérés comme les rayons d'un secteur, et les criques comme 




LhS MAGASINS DE L ENCLAVE DE l'OltCADOS CONSTKUITS »UR PILOTIS 
AVEC DES PALÉTUVIERS. 



des cercles concentriques, faisant communiquer les rayons 
entre eux. L'une de ces rigoles longe la côte d'une manière 
continue, les navires à vapeur la suivent à partir d'Akassa jus- 
qu'à la rivière Bénin. 

La rade de Forcados est bordée d'une verdure épaisse, rideau 
impénétrable d'arbres qui poussent dans la vase. Ce sont des 
palétuviers d'une essence spéciale, qui portent le nom de 
« mangroves ». De leurs hautes branches tombent des lianes 
droites et verticales qui peu à peu descendent dans l'eau, 
prennent racine et donnent alors naissance à un ^nouveau 
mangrove; celui-ci s'élève et croît sur un échafaudage de 
racines tordues, mais sa tige monte verticalement cylindrique et 
régulière, des lianes tombent encore de son feuillage et repro- 
duisent un autre spécimen, de sorte qu'en raison de cette 
reproduction incessante les cimes de ces arbres se trouvent sur 

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LE NIGER 

un- plan incliné. Chaque année, le Niger vient déposer des 
terres sur ce delta, parmi les racines des mangroves qui les 
retiennent pour s'y développer. Il est probable que dans plu- 
sieurs siècles, le fleuve aura comblé ces vastes territoires pour 
les transformer en terrain résistant. La crue du Niger se fait 
sentir dans le rio Forcados; mais à proximité de la rade, elle 
surélève à peine le niveau de 50 centimètres. 

La vase du Delta dégage une odeur particulière qu'on perçoit 
à 4 ou 5 milles au large; les caïmans, les serpents d'eau, des 
êtres immondes, des myriades de moustiques, des nuages de 
« sand-flies », petites mouches qui pénètrent les moustiquaires 
les plus serrées, grouillent et volent à proximité de nous. 

Le 10 mars, le Liberty portant et remorquant la mission 
appareille définitivement, tout en circulant d'abord dans un 
dédale d'îlots et de criques. A mesure que nous avançons, la 
rive se relève, la terre habitable se dessine. Voici les premiers 
villages absolument semblables à ceux du bas Dahomey, cases 
rectangulaires et magasins où l'indigène travaille les amandes 
de palme pour en extraire l'huile. 

M. Price nous apprend que sur la rive droite les indigènes 
sont de race Sobo, tandis que sur la rive gauche ce sont des 
Idjos, lisez idios, ce nom est sans doute une onomatopée. Ces 
naturels portent sur le corps des incisions nombreuses, qui 
simulent des dessins complets, colliers, ceintures, parfois même 
des animaux ou des fleurs. Ces incisions sont faites à coups de 
canif, assez profonds pour atteindre le derme et pour provoquer 
de véritables larmes de chair. Les Anglais détestent les Sobos 
qu'ils considèrent comme paresseux, ivrognes, voleurs, men- 
teurs et vindicatifs. Toutes les qualités, toute la lyre des vertus! 

Voici les premières factoreries, Bagamba, Gana-Gana, Opo- 
cola, Egibiri, Patani, Abo. Toutes sont des comptoirs de la 
Niger Company, à l'exception de Gana-Oana qui comporte 
également une maison allemande en pleine prospérité. La 
rivière Forcados est très pittoresque, une végétation superbe 
l'enserre de tous côtés et lui donne un aspect uniforme et triste 

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EN ROUTE, 

parfois. La forôt vierge, impénétrable, laisse émerger la cime 
d'arbres gigantesques hauts de 25 à 30 mètres, et de superbes 
palmiers. Si l'on sait qu'un palmier peut rapporter 2 fr. 50 par 




UN VILLAGE DE LA RIVIERE FORCADOH. 



an, il est facile de se rendre compte de la richesse immense de 
ces régions équatoriales dont les produits sont exploites sur le 
tiers à peine de leur superficie. 

Ce n'est qu'après deux jours de navigation que nous attei- 
gnons le Niger proprement dit. De grandes pirogues à quille 
arrondie longent la rive, chargées d'un personnel nombreux. 
L'armateur de ces embarcations arbore à l'arrière son pavillon 
commercial, qui se compose tout simplement d'un morceau de 
toile à matelas fixé sur une tige de bambou. Tous les passagers 
nègres de ces embarcations sont vêtus d'étoffes bigarrées aux 
couleurs les plus variées. A mesure que nous avançons sur le 
fleuve, les palmiers se font de plus en plus rares, les berges de 
plus en plus hautes, les bancs de sable de plus en plus nom- 
breux. Le baobab et le fromager font leur apparition. On voit 
de suite qu'en ces régions la crue se manifeste avec intensité. 

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LE NIGER. 

Nous quittons la zone équatoriale du delta pour naviguer 
sur le Niger tropical, et nous retrouvons le paysage du Sou- 
dan. 

L^ Niger et ses trois sections, — Ce fleuve immense, qui s'écoule 
sur 4500 kilomètres de parcours, prend sa source aux confins 
de la Guinée française, se dirige vers le nord-est sur 1 600 kilo- 
mètres, coule ensuite de l'ouest à l'est depuis Kabara jusqu'à 
Bamba, puis enfin redescend vers le sud avec diverses inclinai- 
sons pour atteindre son delta. Nous étudierons ultérieurement 
sa crue, son débit, sa vallée, sa navigabilité, ses rapides et ses 
biefs calmes, mais pour plus de clarté, nous le partagerons en 
trois sections distinctes, conformément à son régime, à sa na- 
ture, à son aspect. 

Le Niger se divise, en efl'et, en trois fleuves ayant chacun un 
régime, un aspect, une vallée caractéristiques : 

Le premier fleuve s'étend depuis Kouroussa jusqu'à Diafarabé, 
c'est le Djoliba. 

Le second fleuve s'écoule depuis Diafarabé jusqu'à Ilo en aval 
de Say, les Sonraïs l'appelaient : Issa. 

Le troisième fleuve traverse le territoire anglais depuis Ilo 
jusqu'au Delta, les indigènes riverains le nomment : Kouarra. 

L'ensemble de ces trois tronçons forme une vaste courbe, qui 
franchit à deux reprises différentes les mêmes latitudes. Sui- 
vant l'expression consacrée, le Niger est un grand serpent qui 
se mord la queue. 

Djoliba. — Les Mandés qui vivent sur le bord du fleuve à par- 
tir de Kouroussa jusqu'à Ségou, désignent le Niger sous le nom 
de Dioliba « la rivière des chansonniers ». A part quelques ra- 
pides en aval de Bamako, les eaux sont calmes, l'artère fluviale 
est large et spacieuse. 

Des montagnes lointaines, couvertes d'arbustes, enserrent la 
vallée, le soleil ardent les dore de ses rayons. Des villages nom- 
breux et peuplés, des cultures, des bois et des futaies s'offrent à 
la vue du voyageur. Des pirogues circulent en tous sens, char- 
gées de marchandises que les commerçants portent sur les 

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LES TROIS BASSIISS DU NIGER. 

grands marchés ; elles descendent au fil de l'eau, ou remontent 
à la perche de village en village. 

Là, baigné de soleil et de lumière, le piroguier progresse en 
cadence ; d'un mouvement leste et vigoureux il prend appui sur 
le fond, et réagit de tout son être pour lancer le frêle esquif, 
tandis que sa voix sonore s'élève et retentit. Combien de fois, 
pendant les nuits étoilées de la saison sèche, n'ai-je pas dormi 
bercé par le chant de mes laptots! Couché sur des nattes au 
fond de ma pirogue, j'entendais leurs mélopées langoureuses. 
C'était presque toujours un piroguier de l'avant, qui, d'une voix 
claire et vibrante, exaltait de ses chants les vertus guerrières 
et la valeur des Bambaras; puis l'équipage tout entier reprenait 
en chœur, accordant le mouvement des perches avec le rythme 
des chansons. Voilà le Niger pacifique, voilà le fleuve calme qui 
s'écoule tranquille et silencieux sous la voûte embrasée. Là les 
eaux se taisent, l'homme seul élève la voix sans s'inquiéter des 
dangers de la route. Il sait où reposer, les rives lui sont hospita- 
lières, les courants sont faibles, il n'épuise pas ses forces à lutter 
contre des rapides. C'est le Djoliba, la rivière des chansonniers. 

Issa-Ber. — La partie du fleuve qui s'étend depuis Diafarabé 
iusqu'en aval de Say, traverse la région des lacs Débo, Télé, 
Fati, Faguibine, puis, après un trajet de 200 kilomètres vers 
Test, s'infléchit au sud en contournant des terrains désertiques 
habituellement connus sous le nom de « territoires de la 
Boucle ». 

Il y a trois siècles environ, la vallée du Niger fut conquise par 
les Sonraïs qui,venant de la haute Egypte, firent invasion vers 
l'occident, et imposèrent leur domination sur le fleuve. Cette 
race, dont on retrouve encore le type assez pur chez quelques 
individus, jouissait d'une organisation complète et d'une civili- 
sation réelle. Les premiers sultans de l'empire sonraï fondèrent 
à Gogo ou Gao-Gao la capitale du royaume. Des marabouts 
illustres, des historiens éclairés, vinrent apporter leurs lumières 
dans ces régions de l'Afrique. L'islam fit des progrès rapides, 
l'influence du dominateur se fortifia, pour s'étendre, et quelques 

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LE NIGER. 

années plus tard, depuis Djenné^ jusqu'à Bourra, le fleuve 
devint une route exclusivement soumise aux intérêts de l'enva- 
hisseur. Les Sonraïs n'ont pas su, comme les Mandes, donner 
au Niger un nom approprié à sa nature ; dans leur langage l'eau 
se dit : issa, de sorte que chez eux, le fleuve s'appelle Issa-Dcr 
ou bien Barra-Issa, selon que ses bras sont plus ou moins 
larges. 

Les Sonraïs n'ont pas reconnu le bief inférieur; ces indi- 
gènes n'étaient pas des navigateurs et, de nos jours, il est 
encore très difficile de rencontrer des piroguiers sur l'Issa-Ber 
parmi les descendants des Sonraïs. 

Les peuplades qu'on trouve sur le Niger à Dounzou, à Sinder, 
à Sorbo, à Say et même à Gaya, sont, pour la plupart, des croi- 
sements de Sonraïs et de Mandés; c'est pourquoi l'on trouve, 
grâce à elles, plus d'activité sur le fleuve que dans le bief 
supérieur. Leur idiome est très voisin de la langue sonraï, si 
bien que le Niger, depuis Diafarabé jusque vers Gaya, porte uni- 
formément le même nom et s'appelle l'Issa-Ber. 

Kouarra, — En aval d'Ilo et de la frontière anglaise, cette 
dénomination cesse. Les races changent brusquement. Toutes 
dérivent des Aoussas, des Noupés ou des Yorubas. Ces naturels 
sont d'excellents piroguiers, mais ils se confinent presque exclu- 
sivement sur les biefs calmes ou rapides du Niger. Ceux qui 
pratiquent la navigation, depuis Ilo jusqu'à Boussa et Jebba 
sont des exceptions. Ils sont presque tous groupés à Guiris, le 
port d'Ilo sur le fleuve; mais depuis Guiris et jusqu'à Sakassi, 
point où des rochers commencent à barrer la route, les piro- 
guiers se contentent de circuler en eau calme, d'une rive à 
l'autre, pour se rendre à leurs champs de culture, ou bien de 
village en village, pour trafiquer. 

A partir de Yelloua, le Niger change d'aspect : les cou- 
rants sont rapides et variables, une épaisse végétation s'étend 
le long des rives et plonge dans les ondes à plusieurs mètres de 

i. Ck>nsulter les récits et les ouvrages de René Caillé, Monteil, BÎDgcr, Dubob, 
€tc., etc. 

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LES TROIS BASSINS DU NIGER. 

la berge, l'atmosphère est plus étouffante, les collines se rap- 
prochent du fleuve et Tenserrent, projetant dans son lit les 
roches de leur infrastructure, les rapides se dessinent. Â mesure 
qu'on descend vers Boussa, les écueils deviennent plus mena- 
çants, les cascades plus nombreuses, les tourbillons plus dange- 
reux. L'homme qui franchit ces obstacles s'inquiète et se défend. 
Ses regards, sans cesse tendus comme sa pensée vers les diffi- 
cultés qui le menacent, cherchent à distinguer les passes. D'une 
main vigoureuse il réagit de la pagaie ou de la perche pour 
éviter les roches, sa marche n'est plus rythmée parce que les 
fonds changent et que les courants varient ; il ne chante plus 
comme sur le Dioliba, sa chanson meurt, sa gorge s'étreint : le 
Niger seul élève la voix et remplit ces solitudes de ses mugis- 
sements et de son vacarme. 

Voilà le Niger difficile : la rude vallée du Kouarra des Aous- 
sas forme ainsi un contraste saisissant avec la paisible vallée 
du Djoliba. Là-bas du soleil, de la lumière, une onde limpide et 
calme, des campagnes larges à perte de vue ; ici des horizons 
bornés par une verdure épaisse qui rend la berge inaccessible, 
des courants violents, des ondes agitées, des cascades qui 
bruissent, des trombes qui rugissent, et partout des rochers et 
des collines qui surplombent. 

Sur le Djoliba, c'est le travail facile avec un fleuve sans 
embûches ; sur le Kouarra jusqu'à Jcbba, c'est la lutte opiniâtre 
contre les rapides. 

Mais plus bas, à faible distance de ces passages si difficiles et 
si rudes, le Niger s'étale et s'élargit. Ce beau fleuve redevient 
calme pendant 1200 kilomètres jusqu'à la mer, la navigation 
reprend avec intensité, des vapeurs grands et petits circulent à 
toute vitesse. La civilisation européenne a pénétré ces rivages, 
son activité se manifeste avec énergie : des factoreries, des 
camps et des cités embryonnaires s'élèvent en maints endroits. 
L'indigène stupéfait et rebelle à tout travail se voit entraîné 
dans cette lutte pour la vie. Il a compris enfin le lien intime qui 
relie les produits du sol à son bicn-étre personnel, et lui-même, 

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LE NIGER. 

il cullive et récolte pour déverser ses produits dans les maisons 
de commerce. 

Tel est le Niger, tels sont les trois fleuves qui le composent. 
. Le lecteur nous a suivis jusqu'à notre sortie de la rivière 
Forcados, il a pu se rendre compte de la route qu'il nous reste 
à faire ; nou£^ allons maintenant étudier avec lui cette belle 
artère fluviale, en lui faisant part de toutes nos difficultés, de 
toutes nos péripéties, en lui montrant sous tous leurs aspects» 
ces trois fragments de Timmense vallée qui s'appellent : Kouar- 
ra, Issa, Djoliba. 



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CHAPITRE III 

yontée du Niger. — Les factoreries anglaises. — Onîtcha. — Lokodja. — Le 
confluent du Niger et de la Bénoué. — Eggan. — Rabba. — Le plateau nigé- 
rian. — Arrivée à Jebba. — Sir Frédérik Lugard. — Le camp des Anglais à 
Jebba. — Débarquement. — Le Djou-Djou. — Le Niger en amont de Jebba. — 
Nous arrivons à Tenclaye de Badjibo-Arenberg. — Le roi Madibo. — Organi- 
sation de renclave. — Départ pour les rapides. — Maladie de Suleyman. — 
Rapide de Léaba. — La mission arrive à Ouron. 

LE Liberty ayant à bord la mission et traînant nos bateaux en 
remorque, quittait la rivière Forcados le 11 mars, à deux 
heures de l'après-midi. Nous commencions la montée du Niger. 
A peine sortis du delta, nous pénétrons dans le Kouarra; les 
rives sont bordées de grandes forêts touffues, enchevêtrées de 
lianes, qui leur donnent Taspect d'une coiffure mal soignée. 
Nous rencontrons au débouché des clairières cinq grandes fac- 
toreries anglaises, allemandes et hollandaises; celle d'Akra sur- 
tout est merveilleusement tracée, on a planté là près de deux 
cent mille palmiers en quinconce qui ont un rendement consi- 
dérable. 

Le Niger est large. A chaque inflexion du fleuve, nous retrou- 
vons des bancs de sable très fin qui se déplacent, s'allongent ou 
s'élargissent chaque année sous l'influence de la crue et de ses 
apports. Nous défilons devant des villages aux cases rectangu- 
laires, entourées de murs en paille tressée recouverte de quel- 
ques poignées de boue, habitations misérables qui contrastent 
avec les cases si propres et si bien faites des Peuls du Moyen 
Niger que j'ai vues dans mes précédents voyages. 

Le 14 mars, le caoitaine du Liberty, Master Price, nous signal^ 

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LE NIGER. 

Âboutchi, factorerie de la Niger Company; mais les bancs de 
sable nous gênent à tel point que nous mcUons plus d'une heure 
pour trouver le chenal et pour accoster. Les pavillons sont en 
berne : l'un des employés de la Niger Company vient de mourir 
d'une crise bilieuse hématurique; il est passé de vie à trépas 
seul, et sans secours, sur la pirogue avec laquelle il descendait 
de Lokodja. Nous descendons à terre pour porter notre courrier 
à la poste et pour visiter rétablissement. 

Toutes les maisons sont, ainsi que les magasins, d'un type 
uniforme. Construction démontable en bois et fer recouverte 
en tôle zinguée ; au rez-de-chaussée un hall très aéré qui sert 
au transit; à l'étage un appartement confortable entouré de 
larges vérandas complètement abritées du soleil : c'est évidem- 
ment ce qu'on peut faire de mieux comme installations provi- 
soires ; d'ailleurs les habitations du Gouvernement anglais sont 
en tous points semblables à celles des factoreries. 

 quelques kilomètres en amont, nous stoppons à la factore- 
rie d'Onitcha. Les rives sont à pic, une chaîne de petites col- 
lines que nous apercevons depuis l'aube se rapproche brusque- 
ment du Kouarra; des roches énormes, hautes de 30 à 40 mètres, 
surplombent le fleuve qui coule vite à leur pied. Nous embar- 
quons un pilote qui doit nous conduire à Lokodja; les indigènes, 
de son métier, connaissent la route à merveille et savent diriger 
les bateaux dans un dédale d'îlots et de bancs de sable en lut- 
tant contre un fort courant. 

La mission arrive à Lokodja, — Sur environ 100 kilomètres de 
son parcours en aval de Lokodja, le Niger circule entre des col- 
lines rocheuses qui s'élèvent graduellement; des blocs de gra- 
nitoïde rose commencent à saillir de tous côtés, leurs pointen 
émergent, la navigation devient difficile. L'aspect de toute la 
région est celui de la tristesse et de l'aridité. Les villages sont 
rares, les cultures nulles. 

Le 16 mars nous arrivons à Lokodja. Le Liberty vient accoster 
en face des docks de la Niger Company, qui possède en ce point 
une installation confortable et prospère. Lokodja est un grand 

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MONTEE DU NIGER. 

village de 15 à 18 000 habitants, qui se compose de deux villages 
différents : l'un yoruba, l'autre nupé. Nous sommes dans un 
pays où l'Européen exerce son influence depuis fort peu de 




LB « LIBBRTY », REMORQUANT LA PLOTTILLB, SB DIRIOB VBRS JBBBA. 

temps, où le Peul ne fait qu'arriver, où l'on rencontre quelques 
Arabes venus du Kanem par la Bénoué, où les marabouts sont 
presque inconnus. L'islam a donc fait peu d'adeptes dans ces 
pays où l'alcoolisme tend à lui faire une concurrence acharnée. 
Le Yoruba et le Nupé se distinguent l'un de l'autre par les ta- 
touages et les cicatrices qu'ils portent sur la face et sur le corps ; 
leurs langages sont analogues, mais diffèrent par des consonan- 
ces qui nécessitent une étude particulière pour chacun d'eux. 

Ces nègres sont paresseux, menteurs, voleurs et vindicatifs. 
Bien musclés, mais de taille moyenne, quelques-uns sont assez 
gracieux. Le front est bas, le nez écrasé, les maxillaires épais, 
la bouche lippue. Les cheveux crépus, rarement coupés, recou- 
vrent un crâne pointu, la physionomie est bestiale et se com- 
plique d'un prognathisme très accentué. A tous leurs défauts, 
ces nègres joignent la lâcheté. Lorsque je redescendis le Niger, 
le 6 mars 1902, avec YEmpire, un grand vapeur anglais, nous 

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LE Niger. 

touchâmes sur une roche qui produisit sous la coque une déchi- 
rure de deux mètres et demi. Le navire s'enfonça rapidement, 
et comme nous étions au milieu du fleuve, ce fut parmi les 
matelots yorubas du Gouvernement britannique un sauve-qui^ 
peut général. Ils sautèrent tous dans Tunique embarcation du 
bord et se disposèrent à gagner la rive; ce fut un spectacle 
écœurant. Pendant ce temps, YEm'pire virait de bord et venait 
couler sur la berge, grâce à la vitesse acquise. 

Les Anglais ont une préférence pour les Peuls qu'ils placent 
à la tête de la plupart de leurs villages nupés et yorubas. Le 
Peul, que nous connaissons en Afrique sous diverses dénomina- 
tiens, Poul, Poulo, Foula, Foulani, Foutah, Foutanké, Foulbé, 
n'est autre que le Fellah de la Haute-Egypte. Le véritable Peul, 
c'est le nomade qui vit dans les marécages du Niger au milieu 
de ses troupeaux; s'il se fixe, c'est pour dominer le noir ou 
l'exploiter. Il est d'un type aryen très pur; sa figure est d'une 
finesse extrême : nez aquîlin, front élevé, bouche fine, dents 
superbes; il est fortement bronzé, bien qu'il dissimule son vi- 
sage sous un épais turban qu'il rabat fréquemment sur ses yeux 
noirs. Son regard oblique lui donne un air tortueux et rusé. Le 
Peul est l'ennemi du blanc; mais s'il nous déteste, il sait exploi- 
ter nos bons offices, user de notre force, abuser de notre pro- 
tection. Un soir que je longeais la rive du fleuve, nous passâmes 
en bateau devant un campement de Peuls qui paissaient des 
troupeaux; je leur fis signe de s'approcher, et pendant que nous 
achetions du laitage, Anatole, le domestique de Peyronnet, pro- 
fita de l'occasion pour converser avec eux et pour leur annoncer 
qu'il était lui-même Peul du Foutah. « Ce n'est pas vrai, répon- 
dit le chef de tribu, car si tu étais un vrai Peul, tu ne serais pas 
au service des blancs. » 

Cette réponse est des plus caractéristiques. Quoi qu'il en 
soit, les Anglais ne se sont pas arrêtés à ces considérations. Le 
général Lugard, gouverneur de la Nigeria, dont nous reconnais- 
sons tous l'habile politique, donne le commandement de tous 
les centres récemment conquis à des Peuls, parce que le Peul 

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FACTORERIES ANGLAISES. 




LOKODJA BT Ll PLATEAU KIObRIBN. 

est l'homme qu'on tient facilement sous la main, qu*il est cu« 
pide, autoritaire avec les noirs et docile avec nous. 

La ville de Lokodja est au confluent du Niger et de la Dé- 
noué. Sur chaque rive s'élèvent de véritables montagnes, hautes 
de 4 à 500 mètres ; la vallée du fleuve est très large, elle a 18 ki- 
lomètres d'ouverture d'une crête à l'autre. Le spectacle est 
grandiose et saisissant, rien n'est plus beau que la jonction de 
ces deux rivières qui confondent leurs ondes si différentes d'as- 
pect : la Bénoué venant mélanger son eau limpide et diaprée 
comme celle de nos lacs du Bourget et d'Annecy avec les eaux 
noires, sales et boueuses du Niger. La ville anglaise commence 
à se dessiner et à se peupler. 

Nous avons rencontré plusieurs centres de missionnaires ca- 
tholiques et protestants, à Aboutchi, Onitcha, Lokodja, etc. Les 
convertis sont peu nombreux; les dogmes du christianisme pré- 
sentent trop d'idéalisme pour des races qui placent au-dessus de 

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LE NIGER. 

tout le matérialisme et la sensualité. Le missionnaire chrétien 
offre au noir des consolations ultérieures et mystérieuses, il 
s'adresse à l'âme, et le noir, ce grand enfant, ne le comprend 
pas toujours; le missionnaire l'emporte difficilement sur le ma- 
rabout qui vit parmi ces peuplades à demi sauvages, parce que 
celui-ci sait accommoder au profit de l'islam les tendances 
matérielles et les croyances ataviques des noirs en les accom- 
pagnant d'amulettes ou de légendes terre à terre. 

Les missionnaires du Bas Niger, quel que soit leur zèle apos- 
tolique, ne sont donc pas plus heureux que ceux du Soudan au 
point de vue de l'évangélisation. Malgré cela, c'est avec une 
admirable patience et une non moins belle résignation qu'ils 
passent de longues années sous ce ciel inclément. Beaucoup 
d'entre eux meurent victimes du climat et de la maladie, après 
de vains efforts pour grouper autour de leur église des brebis 
qui ne tarderont pas à rejoindre le troupeau de l'islam. 

Le 17 mars, de bon matin, nous quittons Lokodja. La ma- 
nœuvre est difficile en raison de l'encombrement rocheux qui 
barre le lit du fleuve. Nous croisons deux grands vapeurs, 
sinistres épaves qui sont venues se jeter sur les cailloux; pui* 
à deux kilomètres en amont, le Liberty décrit des courbes et 
des sinuosités nombreuses pour franchir des bancs de sable et 
des hauts-fonds. 

Le plateau nigérien. — Les rives sont très cultivées, très boi- 
sées. Au milieu des clairières, nous apercevons des bananiers 
superbes, des palmiers de toute beauté, des rizières, des champs 
de mil et d'arachides. En réalité, les montagnes qui bordent 
le fleuve ne constituent pas, dans leur ensemble, une chaîne 
de collines. Elles font partie d'un plateau ininterrompu qui longe 
et surplombe la vallée du fleuve jusqu'à Timbouctou. La ligne 
de faîte s'allonge sur un immense plan horizontal, coupé et cre- 
vassé par les agents atmosphériques, vent et pluies torren- 
tielles, mais qui possède une altitude constante et régulière. Ce 
plateau, qui longe le Niger, se trouve à 4 ou 500 mètres au- 
dessus du thalweg à Lokodja, tandis qu'il surplombe le fleuve 

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ARRIVEE A JEBBA. 

de 200 mètres à peine à Kendadji. Nous pouvons aisément 
déduire de ce fait que le Niger a progressivement foré sa vallée 
en donnant Tassaut à ce plateau, et la difîérence d*altitude entre 
son point d'entrée et sa porte de sortie se trouve démontrée 
visiblement par les rapides que nous franchirons depuis Labe- 
zcnga jusqu'à Badjibo et Boussa. 

Nous voici en route pour Jebba; le fleuve devient extrême- 
ment triste, ses rives sont des marécages recouverts d'une 
forêt impénétrable, ses îles nombreuses sont ombragées de 
hauts arbres. Voici quelques rares villages, groupes de cases 
sales et misérables où vivent des pêcheurs. On se demande 
quelles sont les ressources de ces indigènes au milieu de cette 
nature rebelle à toute production. Puis, plus loin, la vallée 
s'élargit, les bords du plateau s'écrasent, les marécages herbeux 
s'étendent à 15 et 30 kilomètres sur chaque rive, la forêt s'éloigne 
et disparaît. Au milieu de ces plaines, nous apercevons des vil- 
lages perchés sur des éminences de terre, des factoreries, Eggan, 
Rabba, Sounga. C'est à Mouredji que le commerce de l'huile 
de palme cesse complètement, la région produit du caoutchouc, 
de la gomme, du cubèbe, du karité ; c'est également à Mouredji 
que la Kadouna se jette dans le Niger, mais à l'époque actuelle 
son lit est presque complètement desséché. 

Le 21 mars, vers huit heures du matin, nous dépassons la 
canonnière anglaise Héron, Une longue théorie de porteurs suit 
la berge avec, sur la tête ou sur le dos, les bagages du général 
Lugard, qui rentre à Jebba. Le Héron est un bateau plat, mû 
par une hélice sous voûte; l'installation en est rudimentaire. 
Il doit faire une chaleur atroce derrière les tôles qui masquent 
ses canons-revolvers et ses maxims. 

Le 22, vers midi, nous franchissons un seuil rocheux : Jebba 
est devant nous, à 3 kilomètres à peine. Le Niger semble sortir 
d'un gouffre, des hauteurs escarpées l'enserrant sur ses rives. 
Un rocher de 80 mètres s'élève au milieu de la vallée, en amoiit 
d'un groupe d'îles et de sinuosités. C'est le Djou-Djou. 

Nous accostons sur la rive droite devant les docks de la Niger 

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LE NIGER, 

Company. Le village, qui compte environ dix mille habitants, 
est fractionné en deux parties : l'une sur la rive droite, Tautre 
dans une île, ce qui crée un mouvement ininterrompu de pi- 
rogues d'un bord à l'autre. Les installations anglaises sont 
également partagées en deux centres distincts. Le gouverneur 
et ses fonctionnaires habitent sur un éperon qui surplombe le 
fleuve de 60 mètres environ ; le camp est situé dans l'île, sur 
une éminence dénudée, véritable champ de roches brûlantes 
que le soleil chauffe de toute son énergie. Je ne crois pas qu'il 
existe en Afrique un pays plus chaud que Jebba. La température 
y est intolérable. Les gorges rocheuses développent un courant 
d'air chaud, les montagnes arrêtent la brise. De plus, le Niger 
qui récolte et roule des immondices depuis les confins de la 
Guinée, dégage une odeur pestilentielle et très caractéristique, 
en sorte que l'hôpital anglais qui s'élève sur un rocher est 
fort mal placé pour les dysentériques et les blessés. 

Aussitôt à quai, nous commençons le déchargement du 
Liberty, que nous devions abandonner ici pour continuer désor- 
mais la montée du Niger avec nos chalands et les embarcations 
de notre flottille. J'indique à chacun sa besogne, et de mon 
côté je vais rendre visite au général Lugard qui nous a envoyé, 
pour nous souhaiter la bienvenue, son secrétaire particulier, 
M. Mark Karr, un gentleman fort aimable. 

Nos relations avec le général Lugard commencent à l'anglaise, 
c'est-à-dire que nous élucidons de suite les questions do service; 
nous mettons tout en ordre, et complètement d'accord au sujet 
de notre matériel et de nos armes en transit, nous faisons con- 
naissance l'un de l'autre. Mon interlocuteur est un homme de 
taille moyenne, sec, et qui paraît absolument grillé par le soleil; 
il compte actuellement dix-neuf années de séjour au Soudan. 
Le général Lugard parle fort peu; c'est un homme instruit, 
très perspicace et très aimable, doublé d'un administrateur 
énergique et judicieux. J'ajouterai que pour nous, il s'est montré 
d'une complaisance et d'une urbanité parfaites, encourageant 
nos efforts et s'intéressant à la santé de notre personnel. Le 

— CG — 



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LES AhGLAIS A JEBBA. 

soir, il y eut grand dîner à Gouvernement House. J*y fîs connais- 
sance de M. Wallace, ancien agent de la Niger Company, gou- 
verneur intérimaire, qui comptait vingt-trois années de services 
au Niger, et que d'une frontière à l'autre ainsi que tout le long 
du Kouarra, les indigènes connaissent universellement sous le 
nom de « Wallaci ». Il fut de même en très bons termes avec 
nous, car les questions de territoires étant réglées, les dissenti- 
ments d'autrefois semblent s'être évanouis. A côté de moi se 
trouvait le major Andersen, chef de bataillon « local », qui 
p irle couramment le français, ainsi que presque tous ses col- 
lègues. 

Les forces du West-Afrik « West-African-Frontiere-Force ou 
\V. A. F. F. », se composent de cinq bataillons, répartis comme 
il suit, et concourant à la défense de tous ces territoires : 
1» bataillon à Sierra Leone; — 2» à Lagos; — 3» à Old Calabar; 
— 4o à Lokodja; — S® à Jebba. Ces unités ont des effectifs variant 
de 500 à 1 500 hommes, de sorte que la force militaire du West- 
Afrik est d'environ 5 000 à 6 000 hommes. 

Les officiers proviennent de régiments métropolitains, dont la 
portion principale réside en Angleterre, tout aussi bien que de 
régiments des troupes coloniales de l'Inde, du Transvaal, de 
la Jamaïque, etc. De plus, comme il n'y a sur le Niger que 
des emplois d'officiers d'infanterie et d'artillerie, il n'est pas 
rare de voir un officier de la cavalerie des Indes commander 
une compagnie, un lieutenant d'artillerie de forteresse comman- 
der une section de tirailleurs, un capitaine d'infanterie anglaise 
diriger le service des constructions s'il en a les aptitudes. 
Mais ce n'est pas tout, il y a mieux encore : un lieutenant d'in- 
fanterie anglaise métropolitaine vient commander un centre; 
eh bien ! le gouverneur peut le nommer d'office capitaine dès 
son arrivée dans les Nigcrias; mais ce grade « local » n'a de 
valeur que dans la colonie et, lorsque l'officier retourne en 
Europe, il reprend son grade réel. De même un capitaine peut 
être momentanément « major local » jusqu'à la fin de son séjour 
dans les Nigerias. Nous avons connu à Jebba un officier dont 

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LE MGLR. 

la situation était encore plus singulière : capitaine dans un 
régiment métropolitain, chef de bataillon breveté dans un état- 
major, il remplissait en Angleterre les fonctions de lieutenant- 
colonel ; arrivé à Jebba, il était colonel local faisant fonctions de 
général de brigade. 

Tous CCS bataillons sont encadrés de sergents européens. 
L'effectif est indigène et porte improprement le nom de « tirail- 
leurs aoussas », car il est composé en grande partie de Nupés, 
de Yorubas et môme de Sénégalais déserteurs. Les Anglais 
considèrent d'ailleurs ceux-ci comme des soldats d'un entrain 
exceptionnel. Les officiers de l'armée britannique reçoivent 
des indemnités et des soldes fort élevées : les lieutenants 
15000 francs, les capitaines 18000 francs; c'est presque deux fois 
et demi ce que touchent les officiers des mêmes grades de nos 
troupes coloniales. Les installations du camp de Jebba sont 
très confortables; le mess est surtout le grand luxe de la 
garnison, c'est une case démontable qui renferme deux pièces, 
dont l'une immense, large et bien aérée, sert de salle à manger, 
l'autre de salle de lecture et de salon. 

Le déchargement du matériel renfermé dans les cales du 

Liberty était une besogne des plus pénibles. Tandis que nous 
entassions près du fleuve les mille huit cents caisses du premier 
convoi, je faisais empiler dans un hangar que la Niger Company 
mit à notre disposition, les colis et l'outillage qui devaient 
rester à Badjibo jusqu'à ce que la possibilité d'une seconde 
expédition eût été fermement démontrée. Bref, j'organisais tout 
en vue de la nouvelle phase de notre navigation, où nous no 
devions plus compter que sur nos propres moyens. 

Je fis armer les chalands, préparer les avirons et le matériel 
de rechange dont nous pouvions avoir besoin par suite d'acci- 
dents ou d'avaries dans les rapides ; les laptots, exténués par ce 
travail en plein soleil, commençaient à souffrir et la maladie fit 
l)lusieurs victimes; mais les plus courageux se rétablirent en 
cours de route. Seul Suleyman s'affaiblissait de plus en plus et 
ses forces diminuaient; la dysenterie se déclara, mais il se 

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DEBAliQULMENl. 

garda bien de me le dire. Nous vivions campés sous la tente, 
nous prenions nos repas dans un magasin recouvert de tôle où 
régnait une chaleur accablante. Il est probable que nous gar- 




LCS CAISSES SONT BMPII KRS Br CI.ASSKIÎS SUK L'B.NCLAVB 
AVANT LB CIlAMOKMKxr DU CONVOI 



derons toujours le souvenir du travail incessant et des chaleurs 
atroces de Jebba. J'allai prendre congé du général Lugard qui 
rentrait en Europe pour demander les crédits nécessaires au 
transfert de la capitale dans des régions plus favorables. La 
nouvelle position choisie est Zouguérou ; on y accède en des- 
cendant le Niger jusqu'à Mouredji, puis en remontant la Kadouna 
pendant une journée; le nouveau poste est à 20 kilomètres 
environ au nord de cette rivière. Au mois d'octobre suivant 
(six mois après), les Anglais avaient déjà construit un railway 
reliant le fleuve à la nouvelle capitale; le comptoir de la Niger 
Company était installé, les constructions s'élevaient de toutes 
parts. La nouvelle capitale est maintenant occupée, Jebba n'est 
plus qu'un poste secondaire. 

Nos débuts sur les chalands. — Le 26 mars, à cinq heures du 
soir, nous levons l'ancre, et les chalands s'engagent dans les 

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LE NIGER. 




LB ROCUBH « DJOU-DJOU • VU D'AMONT. 

gorges rocheuses de Jebba; le Djou-Djou se dresse devant nous : 
c*est un rocher fétiche que les Nupés vénèrent et respectent, 
une épaisse végétation s'enchevêtre dans les coupures de ses 
blocs de granitoïde et de grès rose, qui se profilent en longs plis 
verticaux comme les tuyaux d'un orgue gigantesque. Le fleuve 
circule dans un d<^dale d'îles grandes et petites, entre lesquelles 
règne un courant très vif qui gène beaucoup notre manœuvre. A 
200 mMres en amont du Djou-Djou, s'étend en travers du fleuve 
une barrière de rochers dont le plus élevé dépasse de 30 à 
35 mètres le niveau des plus hautes eaux; le fleuve s'engage 
dans cette claie sans bruit et sans écume; seuls de grands 
tourbillons donnent idée de la profondeur du Niger entre ces 
rochers. 

Les marabouts du pays nous ont appris qu'autrefois, du 
temps de leurs arrière-grands-pères, il y avait, dans le Djou- 
Djou, un démon très méchant qui renversait et brisait toutes 
les pirogues; de mémoire d'homme il n'est pas une embarcation 
qui, descendant du haut fleuve, ait pu arriver à Jebba; le diable 
s'acharnait à les perdre avec ceux qui les montaient. 

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LE DJOU'DJOU. 




LB ROCHBR « DJOU-DJOU « VU D AVAL. 



Un jour, des hommes résolus à chasser le démon osèrent 
affronter le Djou-Djou ; le diable effrayé s'enfuit avec son butin 
et disparut pour se réfugier en amont, vers Boussa, dans les 
rapides de Garafiri. 

Voilà comment les noirs entendent la géologie ; l'explication 
est des plus faciles. Il y a deux cents ans environ, le Niger 
rencontrait en amont de Jcbba une barrière de rochers (celle 
dont nous venons de parler) d'où il sautait à 30 ou 40 mètres de 
profondeur. Progressivement cette barrière s'est brisée, les 
rochers sont tombés dans une faille, la cataracte a disparu, il 
s'est produit une dénivellation, un formidable appel d'eau, les 
rapides de Boussa se sont formés ce jour-là. 

A partir de Jebba le courant est vif, la navigation devient 
particulièrement difficile pour diverses raisons : d'abord nos 
chalands sont très chargés; mes laptots sont encore pour la 
plupart inexpérimentés et maladroits ; nous sommes repousses 

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LE NIGLR. 

par de petites cascades qui débouclient entre les roches; nous 
partons à la dérive ; de plus la végétation serrée qui croit sur 
les bords du Niger et qui plonge à plusieurs mètres des rives, 
nous empêche de prendre appui sur la terre ferme avec les 
bambous qui servent de moyen de propulsion. Je fais armer les 
avirons sur bâbord, puisque nous avançons en suivant la rive 
gauche, de la sorte les chalands sont appuyés vers la berge; 
je fais couper des fourches et des crochets de bois que l'on 
attache à l'extrémité des bambous, les hommes agrippent ainsi 
les branches et font effort pour tirer les embarcations. En cette 
saison des basses eaux, le lit du Niger est facile à étudier, les 
roches qui l'encombrent, émergent et décèlent leur présence ; 
nous en faisons le relevé précis, car à peine arrivé, je songeais 
déjà au cas probable où les vapeurs pourraient et voudraient 
un jour se hasarder dans cette partie du Niger. Cette abondante 
végétation, cette épaisse forêt, nous étouffe et nous oppresse; 
on se sent clos et muré sur le fleuve entre des collines au 
sommet brûlé, au pied desquelles la forêt devient impénétrable. 
Le général Lugard a donné des ordres pour que tout ce qui 
pouvait nous être utile nous fût procuré, pirogues, bambous 
de rechange, porteurs, etc.; les officiers des postes espacés 
du Niger : Fort Goldie, Yelloua, Ilo, devaient user de leur auto- 
rité, pour éviter que j'eusse à requérir moi-même sur des terri- 
toires où s'exerce l'influence britannique. Malgré cela, deux 
précautions valant mieux qu'une, nous trouvâmes préférable 
de nous faire des amis et de nous créer de bonnes relations tout 
le long du fleuve ; aussi lorsque le convoi passait devant un 
village, nous faisions au chef, ainsi qu'aux notables, de petits 
cadeaux puisés dans nos caisses de pacotille, qui ne man- 
quèrent pas d'entretenir autour de nous des amitiés intéressées. 
Nous côtoyons des îlots rocheux couverts d'arbres superbes; 
il n'y a pas de rapides, mais des filets d'eau qui bruissent de 
tous côtés. Sur les bancs de sable, des vols d'oiseaux picorent 
en s'ébattant; toutes les espèces de volatiles de l'Afrique occi- 
dentale sont groupées là, depuis la cigogne, la grue rose, le 

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LE LIT DU NIGER. 




CHUTES DU DOKO. 

pélican, jusqu'au « chass d'At »^ et Toiseau-mouche, tandis qu'à 
proximité, à quelques mètres à peine, des caïmans semblent 
dormir au soleil. 

Arrivée sur V enclave de Badjibo, — Le 29 de bon matin, nous 
apercevons le village de Badjibo, sur la rive gauche ; en face on 
distingue les limites de l'enclave. Les laptots sont prévenus de 
notre arrivée; je les vois aller et venir sur la berge ; ces braves 
gens, à qui Toutée confia la garde du poste, ont été, comme 
tous les noirs, imprévoyants et dépensiers : ils ont consommé 
leurs vivres sans souci du lendemain, de sorte que nous 
arrivons juste à. temps pour les empêcher de mourir de faim. 
Nous voici devant l'enclave; les hommes du poste viennent à ma 
rencontre, ils ont la physionomie de gens inquiets et affamés. 

i. Surnom donné en Afri.^ue par nos trouf icrs à cet oiseau à cause des couleurs 
de son plumage. 



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LE NIGER. 




OnOANISATION DB L'ENCLAVB DB BADJIBO-ARENBERO. 

Le convoi se range contre la berge, les chalands sont solide- 
ment amarrés, nous débarquons et nous procédons immédiate- 
ment à la reconnaissance et à l'organisalion de l'enclave. 

Ce territoire est un parallélogramme, dont la petite base a 
400 mètres de longueur, sur la rive droite du fleuve, et la 
grande base 1 200 mètres en profondeur. Un marigot, le Doko, 
que remplit le Niger à la saison sèche et qui débite une véri- 
table trombe d'eau pendant la saison des pluies, enveloppe do 
ses circuits et de ses zigzags la diagonale principale de ce 
quadrilatère; c'est un port très sûr et très calme, un excellent 
abri pour les bateaux. Un tirailleur anglais m'apporte une 
lettre très aimable du lieutenant Cokercll, qui nous invite à 
déjeuner, à loger et à prendre nos repas à Fort Goldie. Je vais 
immédiatement à sa rencontre et le ramène avec moi pour 
déjeuner à l'enclave. C'est un grand enfant, très gai, très 
loquace, qui nous égaie de ses reparties amusantes. C'est un 
type de gentleman récemment arraché aux joyeuses parties de 
Picadilly, de l'Alhambra et des boulevards; voilà trois mois 

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L'ENCLAVR DE BADJIBO 




CASCADES DU DOKO. 



qu'il vit seul à Fort Goldie, à 1500 mètres au nord de Tenclave, 
et Tarrivée subite d'Européens, de Français surtout, excite son 
intérêt ou sa curiosité, le ravit. Le chef indigène de Badjibo 
vient nous saluer, escorté par des hommes qui déposent à nos 
pieds des ignames et quelques bananes. C'est « Madibo p, un 
grand diable admirablement musclé, qui rit bêtement mais 
n'agit pas de môme. Les Anglais l'ont mis à ce poste à côté 
d'Azouma, vieux roi débonnaire, dont l'autorité vacillante de- 
venait une gêne pour l'occupant. Chaque fois que Cokerell lui 
dit « Mèdibcu, vous êtes bête », le grand diable sourit en 
opinant du bonnet crasseux qui recouvre son chef; mais 
Madibo n'est pas bête du tout, et chaque fois qu'il a pu nous 
rendre service en favorisant ses intérêts et surtout son pen- 
chant pour le Champagne et le whisky, il s'en est fort bien 
acq litté. 

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LE MGHR. 

Nous parcourons l'enclave en tous sens : elle présente plu- 
sieurs éminences où l'on pourrait installer des cases; la 
première, celle qui se trouve près du port, est la plus com- 
mode parce qu'elle est à proximité du fleuve. Elle est située 
sur la rive gauche du Doko à 200 mètres du Niger; un bloc 
d'énormes rochers la borne vers l'ouest; le terrain est résistant 
et perméable, c'est là que nous installons le poste. Le pays est 
habité. Des trous d'hyènes, des herbes foulées, des traces de 
singes et de chacals montrent que nous ne sommes pas les 
premiers occupants; mais c'est nous qui devenons dès main- 
tenant les maîtres de la place. Nous procédons ensuite au nou- 
veau tracé des cases, des ateliers, des magasins et des hangars; 
le plan d'ensemble est remis au lieutenant Anlhoine qui, se- 
condé par Groisne et Messéant, doit entreprendre et poursuivre 
les travaux. 

Nos cases d'habitation sont rondes; une véranda large de 
deux mètres les entoure et les protège complètement contre 
les ardeurs du soleil. Le mur circulaire est construit en briques 
sèches, cimentées avec de la terre battue; la couverture est un 
cône dont les génératrices sont de grands bambous sur lesquels 
on dispose des lils de paillette constituant ainsi une toiture 
excellente. Nous traçons également les rampes d'accès au port, 
les ateliers et les abris des laptots et des ouvriers. Le Icnde- 
main, 31 mars, j'accorde aux équipages un jour de repos pen- 
dant lequel ils se livrent à des tam-tams bruyants, à des danses 
effrénées. 

Départ pour les rapides, — Le !•' avril, à 6 heures du matin, 
le convoi s'ébranlait de nouveau, et, cette fois, s'engageait 
dans la route des rapides. Les difficultés commencent à 
2 kilomètres en amont de Badjibo; les cascades se font plus 
pénibles et plus rapprochées; le courant s'accentue, le fleuvo 
est vraiment rapide et difficile; nous n'avançons pas d'un 
demi-kilomètre par heure en dépit de notre travail et de nos 
eflorts. A Jckédé nous contournons une grande île, à la pointe 
nord de laquelle nous trouvons un rapide assez mauvais qui 

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PREMIERS EFFORTS. 

nous retient cinq heures dans ses rochers et ses remous; il 
en est ainsi jusqu'à Léaba; fausses manœuvres, départs en 
dérive, reculs, arbres gênants, petits rapides, rochers et 
cascades, tourbillons, courants 
violents, tout cela nous retarde 
beaucoup. 

Le 4 avril, nous arrivons enfin 
à Léaba, dont le vieux roi Giri, 
qui s'est montré toujours ac- 
cueillant à notre égard, vient 
au-devant de nous avec deux 
poulets et des présents. La 
volaille est très rare en ce 
pays; nous n'avions pour toute 
nourriture que de la viande 
salée puisée dans une barri- 
que; ce cadeau nous fit grand 
plaisir et valut au donateur 
une bonne récompense. C'est 
seulement le soir, vers minuit, 
que les derniers chalands, ar- 
rêtés par les obstacles, vinrent se joindre à nous. Mon brave 
Tonié, qui restait constamment en arrière avec son embarca- 
tion, portait secours aux pilotes malheureux encore inexpéri- 
mentés. Suleyman vint me confier qu'il souffrait beaucoup; c'est 
alors que je constatai la terrible maladie qui devait le terrasser 
quelques jours plus tard; elle n'était qu'à son début, mais elle 
devint foudroyante; je l'embarquai aussitôt à son grand regret 
sur une pirogue, pourvu de médicaments et de recommanda- 
tions relatives à sa maladie; lui-même éprouvait une angoisse 
indicible à quitter son poste ; mais dès qu'il fut arrivé à Badjibo, 
la dysenterie devint gangreneuse et l'emporta. La tombe de ce 
vieux serviteur est la première sépulture de l'enclave. 

Je suis en pays connu; Toutée a séjourné à Léaba, il y a 
laissé un bon souvenir; de sorte que son successeur est bien 

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MBSSKANT, PROVIDENCB DBS P0ULB8. 



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LE NIGER. 

accueilli. Girl me donne également des guides ; il y a parmi ses 
gens de tout jeunes hommes solidement musclés, dont le coup 
de perche est d'un sérieux secours. Nous essuyons une tornade 
assez violente; mais aussitôt que mon personnel est séché, je 
donne l'ordre du départ. Le vieux roi m'assure qu'il n'y a pas 
de rapide avant le village d'Ourou. Le Niger conserve sa direc- 
tion nord-sud jusqu'en amont du village de Tiégou; ses eaux 
circulent dans une faille rocheuse, bordée d'aiguilles de 
granit, dont les blocs forment des canaux parallèles à la rive ; 
des cascades bruissent entre les rochers, et les couloirs sont 
parfois tellement exigus qu'il est impossible d'y faire passer 
nos chalands. C'est alors que nous prenons le large et que des 
Incidents fâcheux se produisent à tout instant. A Léaba, le 
courant ne dépasse pas 8 à 10 kilomètres de vitesse ; la rive est 
accessible, nous avançons lentement et sans à-coup sur envi- 
ron 1 800 mètres de route, puis nous trouvons devant nous un 
étranglement sur la rive droite; un véritable rapide nous 
arrête. 

A côté de nous, le fleuve se referme ; de gros rochers 
émergent de toutes parts ; la surface de l'eau parait très sensi- 
blement bombée à cause des remous et des tourbillons qui 
donnent au Niger l'aspect d'une marmite en ébullition. Nous 
ne pouvons pas longer la berge; je fais prendre le large, 
espérant que mon équipage aura la vigueur nécessaire pour 
lutter de vitesse sans autre moyen de propulsion que la perche 
de bambou. 

Tout à coup les laptots poussent des cris de détresse; nous 
partons à la dérive; le chaland G 15^ s'engage au milieu du 
rapide et s'accroche bout par bout entre deux rochers; le 
courant le fait basculer, nous sommes renversés; les laptots 
qui se tenaient debout sur le pontage sont précipités dans le 
fleuve; l'eau pénètre par bâbord; nous allons couler. Mais 
l'embarcation déchargée de son équipage se relève, le courant 

1. Mon chaland portait le numéro 15, nous rappelions le C 15. 
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L'ACCIDENT DE LEABA. 











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LB VIKUX ROI OB L^ABA PORTB LB NOM ORACIBUX DB « TÉNIA •. 

Tcntraîne; nous nous précipitons sur le grappin que je fais 
jeter dans le fleuve à proximité de la rive; la corde de Tancre 
se tend avec une telle violence que le chaland plonge, puis 
se relève et replonge de nouveau; enfin, après plusieurs 
oscillations il reste en équilibre. Je suis des yeux avec anxiété 
le laptot Malal-Ba qui nage vigoureusement pour échapper à la 
poursuite d'un crocodile sorti brusquement des ondes agitées 
du Niger; c'est un moment d'angoisse et d'effroi. Nous 
envoyons de suite une amarre sur les rochers, les gens de 
Tiégou accourus pour nous aider la saisissent et nous accos- 
tons la rive. Tout cela s'est passé en un clin d'œil, mais a suffi 
pour que nous ayons déjà perdu une partie importante de nos 
objets personnels. Cet accident me détermine à procéder autre- 
ment et à reconnaître les rapides avant d'y engager le convoi ; 
dorénavant, de Peyronnet et moi, nous explorerons personnelle- 
ment les chenaux en tous sens, à la recherche des routes les plus 

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LE NIGER. 

sûres et les plus praticables. Il nous fallut quarante-huit heures 
pour franchir les 7 kilomètres qui séparent Léaba d'Ourou. 
Hapide d'Ourou. — Depuis le sommet du rapide d'Ourou 




LES RAI'IDBS d'oUROU. 

jusqu'à Tiégou et Léaba, le fleuve décrit un S à larges cour- 
bures. La pente de ce grand obstacle est perceptible à l'œil 
nu, et donne l'impression d'une route qui monte. Tout à fait 
en haut du rapide, le Niger longe une montagne de 100 mètres 
d'altitude qui se trouve sur la rive gauche et se divise en deux 
bras. 

Le spectacle de ce rapide est saisissant : l'eau, projetée par 
les aiguilles, forme des volutes d'écume qui jaillissent à 1 ou 
2 mètres de hauteur; il est impossible de se faire entendre, 
tellement le vacarme est assourdissant. Le petit bras part 
également du sommet du rapide, mais il est en ligne droite et 
circule entre des masses granitiques complètement submergées 
à l'époque des hautes eaux. Si l'on songe que la différence 
d'altitude entre le sommet et le pied de ce rapide est de 
12 mètres, si l'on sait que le grand bras a 1 800 mètres de déve- 
loppement et le petit 1 100 mètres en ligne droite, il est facile 
de se rcLdrc compte de la pente du fleuve et de la vitesse du 

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RAPIDE D'OUROU. 




LA PBNTB OBS RAPI0B8. 



courant. Un fleuve calme a une pente de 5 à 6 centimètres 
par kilomètre, soit 1/20000, et lorsqu'on arrive à 10 ou 15 centi- 
mètres par kilomètre, soit 1/6000, la navigation devient difficile. 
A Ourou, l'inclinaison moyenne est de 1/100 environ. Le petit 
bras du rapide est le seul réellement praticable, il ne présente 
pas de trombes qui se précipitent sur la rive pour se replier 
ensuite sur elles-mêmes, comme cela se produit dans le grand 
bras; mais la vitesse du courant y est au moins de 25 à 30 kilo- 
mètres. 

Nous voici donc, non sans peine, au pied du village d'Ourou- 
inférieur; il existe un autre village du môme nom, dans l'île 
comprise entre les deux bras du rapide ; puis un troisième sur 
la rive gauche, au pied du grand obstacle. Les indigènes, 
poussés par la curiosité, traversent le fleuve en pirogue et 
viennent de toutes parts se ranger autour de nous; mes bateaux 
attirent leur attention; ils vont par petits groupes s'asseoir au 

— 85 — 



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LE NIGER. 



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MAUA, CHBF O'OUROU BT SORGIliR DU RAl'IOlJ. 

bord du fleuve devant notre mouillage, et restent là des 
heures entières à disserter sur nos embarcations. 

Les notables se présentent avec des cadeaux : moutons, 
ignames, quelques mesures de riz, du poisson, etc. Voici 
d*abord Mama, le chef d'Ourou-inférieur, un grand et fort 
garçon d'une trentaine d'années, d'un beau type et d'une 
intelligence qui peut étonner chez ces noirs ; puis vient Gossi, 
chef d'Ourou dans l'Ile; tous deux s'en retournent avec des 
couvertures, des pipes, des étoffes, des jouets pour leurs 
enfants. Le forgeron vient également à ma case, c'est un ami 
personnel de Toutée ; il a d'ailleurs une bonne figure joviale, 
encadrée d*un collier de barbe grisonnante, qui lui donne 
l'aspect d'un bon paysan de France. Il vient également nous 
apporter des vivres, et je me réjouis de la satisfaction qu'en 
éprouvent nos laptots qui font des repas solides et copieux, 
avant d'affronter un nouveau danger. 

- 8G — 



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AVANT L'EPREUVE. 

Nous logeons dans une case très propre. La campagne envi- 
ronnante est enveloppée du murmure des cascades et des 
chutes; le fleuve coule à 12 mètres en-dessous de nous, de 
l'est à l'ouest, dans une faille rocheuse qui s'est ouverte sur sa 
route; sans quoi, il est permis de supposer qu'en raidon de sa 
puissance vive, le Niger eût rejoint sa direction générale nord- 
sud par une oblique. Rien n'est plus imposant que le spectacle 
dont nous jouissons : la forêt, d'une part, s'étend sous nos yeux; 
à l'est, l'ile, son village et ses grands arbres se projettent et se 
détachent sur la montagne; au nord, les roches du petit bras 
recouvertes d'écume, et sur la rive droite, des cultures en 
pleine prospérité : tout cela forme un tableau splendide. Il fait 
une chaleur torride qui soulève une buée d'azur dont la teinte 
adoucit les tons rouges et verts de ces paysages africains 
incendiés par le soleil ; nous fuyons nos cases brûlantes pour 
goûter un repos bien mérité à l'ombre d'un grand arbre qu'ha- 
bitent une multitude d'oiseaux dont les chants nous égaient. 
Demain, qui sait ce qu'il adviendra de nous!... Mais pourquoi 
s'en tourmenter d'avance? Nous déjeunons gaiement, puis noe^ 
rêveries s'envolent avec la fumée de nos cigarettes. ••• 



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CHAPITRE IV 

Passage du ropido d'Ouroii. — Garba, roi de Oua-Oua. — Légende des rapides. 
— Le Rite indigène. — Patassi. — Garafiri. — Incidents de route. — 
Peuplades riveraines. — Le roi de Boussa. — Fatigues et privations. — 
Séjour à Boussa. 

LE^ avril au soir, je fais appeler Tonié qui, depuis le départ 
de Suleyman, est devenu chef piroguier de la flottille. Nous 
allons voir le rapide d'Ourou : je considère longtemps l'ob- 
stacle qu'il dresse devant nous. Et certes, ce n'est pas un 
spectacle rassurant. Tonié ne s'étonne de rien et surtout ne 
parle pas à la légère : « Y en a beaucoup mauvais, dit-il, mais 
moi y a connaisse » ; puis il redevient silencieux. Il est con- 
venu avec lui que notre chaland passera seul d'abord et que, 
de l'expérience, nous tirerons la meilleure manière de procéder 
à la montée du convoi jusqu'au sommet du rapide. 

Le 7 avril, de bon matin, nous nous embarquons pour tenter 
le passage : notre chaland est amené au pied du petit bras à 
Tabri des remous et des contre-courants qui favorisent notre 
marche. Les rochers sont découverts, le lit du fleuve est hérissé 
d'aiguilles sur lesquelles l'eau bondit avec violence ; de chaque 
côté du rapide, d'énormes lignes de granit longent les rives. 
En raison de la baisse des eaux, les indigènes peuvent s'y 
glisser et grimper sur ces appuis pour saisir les cordelles et 
tirer l'embarcation. L'obstacle paraît plus impressionnant en- 
core, lorsqu'en plein fleuve, on le contemple debout sur le 
pont d'un bateau ; on a devant soi une grande route mouvante, 
dont la pente est aussi prononcée que celle du boulevard S^'nt- 

— 88 — 



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NOUS FRANCHISSONS OUROU. 




LB PETIT BRAS D OUROU A SEC, 



Michel. De grands pieux inclinés que les riverains enfoncent 
entre les rochers tous les ans au mois de juin, lorsque le petit 
bras est à sec, servent à tendre des cordes et des filets d'une 
rive à l'autre. Il nous faut quatre heures pour franchir le rapide, 
les vagues sautent par-dessus le chaland que garantit son pon- 
tage; quelquefois la cordelle dérape et nous partons en dérive 
au risque de nous briser sur quelque tête de granit; mais les 
Bambaras se jettent à l'eau avec un entrain admirable pour 
nous remettre en route, et Tonié, qui tient la barre, nous dirige 
avec une adresse surprenante. Soudain, nous passons dans une 
dernière trombe entre deux roches, la vitesse de l'eau qui 
déferle nous étourdit et nous fascine. Enfin, nous voilà tirés 
d'affaire. 

L'expérience que nous venons de faire avec notre chaland 
nous apprend qu'il faut alléger les autres embarcations de la 
moitié de leurs caisses, si nous voulons que tout puisse passera 

i. Cclto première tentative avait lieu presque aux plus basses eaux. 
— 89 — 



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LE NIGER. 

Nous rentrons au village. Tonié reçoit l'ordre de faire avancer 
les chalands par groupes de trois. Les riverains nous aident à 
débarquer et à transborder neuf cents colis par voie de terr<» 

jusqu'à hauteur du sommet 
de lobslaclL*. 
C'cfït alors seulomoTitqua 




RAPIDSS D'oUROU. LES CUALANOS SONT HISSÉS PAR LKS LAPTOTS, QUI SB JETTBXT 
A LA NAQB AU MILIEU DBS R0CUBR8. 



mes inquiétudes s'évanouirent, car, bien que je n*en aie rien 
laissé apercevoir, je craignais l'échec que l'on m'avait prédit 
avant mon départ. Je le redoutais d*autant plus que la nécessité 
de notre passage des rapides s'imposait impérieusement, vu la 
disette de vivres où se trouvait le colonel Péroz. Il comptait ab- 
solument sur nous pour le ravitailler. 11 fallait passer à tout prix! 
Les impressions que l'on éprouve dans les rapides sont 
variées. Outre celle du « vertige de la vitesse », il y a l'appré- 
hension constante de prendre un bain. Or le fleuve est infesté 
de caïmans et, chaque fois qu'un homme tombe à l'eau, on voit 
surgir un de ces horribles habitants du Niger, prêt à le saisir. 
Mais en admettant que l'on ne se noie pas ou qu'on échappe à 
la gueule d'un ca'iman, on doit être fort endommagé par les 

— 90 — 



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Ze bras de drotbt rtioUvi 
Uc poùvbt Nord deitle d 
Z kiloto^-R débuttnar un. 
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Marigot dé 
Oua-Oua 

Chutas é/evées 



Ma9néti<fue 



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LE RAPiDK DE PATASSi. (Voir page 102.1 



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LE ROI GARBA. 




CONFLUENT DES DUUX BRAS DU NIGER, A OUROU. 

rochers lorsqu'on quitte le rapide pour entrer dans la partie 
calme et par suite médiocrement en mesure de regagner la 
rive en nageant. 

Le 8 avril, de bon matin, pendant que nous réglons notre 
comptabilité ainsi que nos opérations de transport, des trom- 
pettes retentissent au loin; une troupe nombreuse qui marche 
en file indienne, s'approche du village et vient camper devant 
nous. Elle est précédée d'un superbe cavalier que des serviteurs 
entourent en l'éventant avec des feuilles de palmier. Les tam- 
tams redoublent de vacarme, étouffant le son des (lûtes. Le 
nouveau venu s'avance à cheval devant la table sur laquelle nous 
travaillons, à Tombre d'un grand arbre ; puis, lorsque cette mu- 
sique sauvage interrompt sa cacophonie, Garba, roi de Oua-Oua, 
vient se présenter à nous avec des cadeaux : chèvres, peaux de 
panthères, poulets, etc. Nous échangeons quelques paroles de 

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LE NIGER. 

bienvenue ; puis deux minutes après, exténué de chaleur et de 
fatigue, il se retire dans une case sous la garde de ses fiancées, 
deux fillettes de six à huit ans qui 1 éventent sans répit. 

Le soir, après déjeuner, nous allons rendre visite à Garba, 
en lui portant des cadeaux et des souvenirs. Nous sommes 
accompagnés d'un phonographe, instrument que sa majesté 
noire ne connaît guère. Aussi, rien n'est-il plus divertissant 
que le spectacle du roi, assis devant le cornet acoustique, s'es- 
claffant aux notes graves et s'efforçant de me persuader qu'il y 
a tout un orchestre entassé dans le coffre de Tappareil. Tout 
en causant, il nous demanda de l'alcool pour se rafraîchir. 
Nous savions que les Anglais désirent éviter la propagation de 
ce poison, en sorte que nous offrîmes une petite bouteille de 
Champagne à notre visiteur. L'explosion du gaz et le départ 
du bouchon lui firent peur, mais il eut vite fait de se rassurer, 
et, après chaque gorgée, il nous exprimait sa satisfaction en 
nous gratifiant de certaine politesse prétendue espagnole, qui 
nous procurait la plus douce hilarité. 

Nous profitons de nos moments de liberté pour étudier les 
gens qui nous entourent. La race a sensiblement changé, nous 
retrouvons le type Nupé dans la plupart des individus de ces 
parages; mais les habitants de l'île, qui sont des Kambaris, 
attirent surtout notre attention. Leur physionomie diffère de 
celle des précédents indigènes : c'est une figure large, aux 
pommettes saillantes, encadrée d'une assez forte barbe en 
collier; le front très étroit, bombé, présente des cavités à hau- 
teur des tempes; la bouche est épaisse, large, aplatie; les 
maxillaires n'ont pas de saillies remarquables; le nez est droit, 
légèrement écrasé, les narines ouvertes; les yeux sont petits 
et bridés ; le corps est sec, nerveux et musclé. 

Il est fort probable que ces indigènes ne vivent sur les 
bords du Niger que depuis deux ou trois siècles. Ils ont quitté 
le Kanem pour venir se fixer dans ces régions. Pillards et vaga- 
bonds, ils s'installèrent provisoirement en face des rapides; ils 
dévalisaient les malheureux voyageurs qui tentaient de les fran- 

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LA CRINIÈRE DU CHEVAL BLANC, 



diable du 
écumeurs 
acte d'oc- 




chir, recueillaient les épaves, et secondaient le a 
rapide » pour accentuer les dangers du passage. Ces 
du Kouarra, trouvant la position avantageuse, firent 
cupation et bâti- 
rent les villages 
dont nous venons 
de parler. Aujour- 
d'hui, ce sont les 
plus audacieux pi- 
roguiers du fleuve, 
dont ils connais- 
sent à merveille 
les sinuosités et 
les passes. Ils na- 
viguent, en se 
jouant des remous 
et des rapides, sur 
de petites pirogues 
très relevées de 
l'avant, qu'ils ma- 
nœuvrent avec un 
calme surprenant. 
Légende d' Ou- 
rou. — Mama, en nous contant l'histoire du pays, nous fît le récit 
de la légende du rapide d'Ourou, qui vaut d'être rapportée. Le 
premier chef du village d'Ourou étant mort, son fils lui succéda. 
Un soir, vers minuit, tandis que les feux étaient éteints et que 
tout le village dormait, le jeune homme vit soudain se dresser 
devant lui le spectre de son père, qui lui fit signe de le suivre. 
Arrivé au bord du fleuve, le père expliqua le but de sa visite 
et dit que « le Dieu des noirs » l'avait livré aux démons. 
Ceux-ci, s'emparant de son corps, l'avaient conduit au tournant 
du grand bras et attaché sur un cheval blanc qui se précipita 
dans les chutes. Depuis ce jour fatal, il était ainsi condamné 
à vivre éternellement au fond de Tabirae, captif dans les ro- 

— 97 — 



ALASSAN, TYPE NUPi« 



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LE NIGER. 

chers. « Vois ma détresse, dit-il à son fils, je suis seul, sans 
ressources; le cheval blanc et moi, nous n'avons plus do 
nourriture, vous paraissez me méconnaître et m'oublier, maia 
cela ne peut durer ainsi, et si vous persistez, j'irai dans le petit 
bras et vous serez tous entraînés dans le fleuve. Je vous dé- 
fends, en outre, d'allumer des feux le soir sur la rive, de 
danser et de donner des fêtes, car tout cela trouble mon éter- 
nel sommeil. » 

Depuis ce moment, les gens d'Ourou se gardent bien d'éclai- 
rer le bord du fleuve et d'allumer des feux de nuit. De plus, tous 
les mercredis, au lever du soleil, les Kambaris vont jeter du 
mil et des ignames dans le fleuve afin d'apaiser le grand chef. 
Jamais un indigène n'oserait s'aventurer en pirogue avant la 
fin de cette cérémonie. Chaque habitant du village a, d'ailleurs, 
dans le rapide, son rocher fétiche, auquel il subordonne tous 
les actes de sa vie. Il se garderait bien d'entreprendre quoi 
que ce soit avant d'avoir consulté son étoile de granit, de 
plus il a bien soin de ne pas aller près des chutes sans se 
coiffer et sans se vêtir d'un costume blanc... 

La région des rapides est fort pauvre; les cultures y sont 
espacées à cause des affleurements de granit; ce sol rocailleux 
nourrit à grand'peine les rares villages que nous trouvons sur 
notre route. Le langage est uniformément le môme jusqu'à 
Boussa, c'est le nupé; seuls les notables et les individus mar- 
quants parlent le aoussa; mais un interprète qui connaît ce 
dialecte peut se tirer d'affaire tout le long du fleuve. 

Le costume des riverains se compose d'un pantalon très large 
serré à la taille et d'un « boubou », pièce d'étoffe rectangulaire 
que l'on plie en quatre et dans laquelle on pratique un grand 
trou pour le passage de la tête; ils portent de superbes cha- 
peaux ornés de cuirs multicolores, que les traitants aoussas 
viennent échanger et vendre en ce pays. Leur nourriture se 
compose de mil, d'ignames, de maïs, de manioc et de poisson; 
les moutons et les bœufs ne vivent pas dans le pays à cause 
de la mouche « tsé-tsé » qui fait périr tout le bétail ; les poulets 

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D'OUROU A PAT AS ST. 




PA8SA0B DAMOBHBUX PRODUIT PAR UNB ARTKRB LATBRALB QUI VIBNT s'bNFOUIR 
SOUS LB FLBUVB. 



sont tellement rares qu'il faut faire des prodiges pour s'en pro- 
curer. Les cases sont toutes semblables : mur cylindrique coiffé 
d'un champignon conique recouvert de paillottes. 

Le franchissement du rapide dura trois jours et demi. Les 
équipages étaient à bout de forces, je leur donnai une journée 
de répit; ces braves gens l'avaient bien méritée. De Peyron- 
net supporta les fatigues du passage sans en éprouver le 
moindre malaise. Nous étions soutenus par un appétit féroce qui 
nous protégeait contre la fièvre et l'anémie; de plus, chaque 
matin, nous prenions 25 centigrammes de quinine, précaution 
Indispensable et qui nous a toujours fort bien réussi. 

D'Ourou à Patassi. — Le 10 avril, à cinq heures du matin, 
nous quittons le sommet du rapide d'Ourou, poursuivant notre 
route vers le nord. Le courant est tellement vif que nous 
sommes obligés de remonter le long de la rive droite pendant 

— 101 — 



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LE MGRR. 

un kilomètre de route, pour traverser de manière à n'être pas 
entraînés dans le grand bras. Tonic indique le chenal à tous les 
pilotes. Nous prenons le large; puis, au milieu du fleuve, notre 
chaland vient s'abriter dans le contre-courant que produit un 
îlot rocheux, et cette perte de vitesse nous permet de rejoindre 
la rive gauche sans accident. Le Niger est toujours bordé 
d'une épaisse végétation plongeante, remplie de nids d'abeilles. 
Les rochers menacent la navigation de tous côtés. 

Cette partie du bief, comprise entre Ourou et Fala, est par- 
tagée suivant sa ligne médiane, en deux rivières parallèles, 
par une digue de granit percée de plusieurs brèches et longue 
de 2 kilomètres; il arrive même parfois que les rochers trop 
élevés et trop serrés empêchent les deux sections de commu- 
niquer entre elles; en sorte qu'à la première échancrure que 
rencontrent les eaux de la partie droite, plus haute que la 
partie gauche, il se produit une chute et des courants violents, 
comme si l'un des côtés du fleuve s'écoulait dans l'autre. Vers 
huit heures du matin, nous croisons cinq grandes pirogues qui 
nous font des signes et viennent à notre rencontre. Dans l'une 
est un médecin anglais; dans la seconde un Belge, agent 
d'une société coloniale du Lagos, qui descend d'Ilo et dont le 
nom a été souvent prononcé à propos de l'affaire d'Argoungou 
et de la mort du capitaine Keyes ; dans les trois autres, des 
sous-officiers anglais qui rentrent en Europe. Nous causons 
quelques instants en buvant un verre de Champagne, puis les 
chalands retardataires se rapprochent, et nous avançons avec 
la certitude qu'avant peu, Anthoine et ses compagnons de 
l'enclave seront informés de notre (Irpart d'Ourou. Cela fera 
diversion aux fausses nouvelles qui leur annonçaient notre 
échec et la perdition du convoi dans les rapides. 

Patassi. — En amont de Fala, le courant redevient dangereux. 
Le Niger, qui se divise en plusieurs bras entrecoupés de roches 
et de cascades, s'écoule sur dos escaliers très longs qui con- 
duisent au rapide de Patassi. Nous suivons un petit marigot 
fortucux dans lequel le courant est très vif; le G. 15 s'engage 

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NOUS PERDONS NOS BAGAGES. 

entre deux ilôts, et c'est en vain que nous essayons de franchir 
la passe; chaque fois que nous atteignons le sommet de la cas- 
cade, il faut redescendre plus vite que nous ne le voulons; je 
donne donc Tordre de stopper. La méthode qui consiste à mar- 
cher sans trêve de six heures du matin à six heures du soir et 
à ne prendre de nourriture qu'à ces heures extrêmes, ne donne 
pas les excellents résultats d'une forte étape avec repos de 
trois heures, et repas bien préparé et pris à Tombre. Mes 
hommes débarquent donc les marmites sur le sable ; mais aus- 
sitôt restaurés, ils demandent à partir, afin d'arriver de bonne 
heure au campement de Patassi. Avec le repas, les forces leur 
sont revenues. En un clin d'oeil, nous franchissons Tobstacle 
devant lequel nous avons échoué cinq ou six fois de suite. Ce 
petit marigot que l'on trouve sur la rive gauche, en aval de 
Patassi, n'étant pas très praticable pour de grosses embarca- 
tions comme les nôtres, nous dûmes chercher la route en nous 
aidant du câble. Malheureusement, celui-ci, coupé par les 
rochers, se rompit, et notre chaland partit à la renverse. Nous 
perdîmes là, non seulement une partie de nos effets, ce qui 
n'est pas extrêmement regrettable, mais aussi une ample quan- 
tité de vivres et de provisions qui nous firent défaut quelques 
jours plus tard. De Peyronnet, remis de son émotion, regarda 
de Fœil marri d'un chef de popote accompli la cage en vannerie 
qui roulait dans les flots, avec les misérables poulets que nous 
avions eu tant de mal à nous procurer. 

A trois heures de l'après-midi, nous quittons ce petit marigot, 
pour déboucher dans le grand bras. Devant nous se dessine une 
ile longue de 3 kilomètres, séparée de Tile de Patassi par un 
rapide extrêmement étroit et tourmenté ; de l'autre côté, tout 
à fait sur la rive droite, le Niger franchit une série de bar- 
rières et de chutes. Nous atterrissons au débarcadère sud. Les 
chalands viennent accoster la rive, puis nous les déchargeons 
à nouveau de moitié parce qu'il est impossible de leur faire 
escalader tous ces obstacles à pleine charge. Pendant ce temps, 
nous allons au village prendre contact avec les indigènes qui 

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LE NIGER. 

se montrent d'une complaisance relative. Le vieux roi de Pa- 
tassi, qui possède le nom gracieux de « Ténia », n'a plus sur 
eux la moindre influence, et, malgré son désir de nous être 
agréable, nous trouvons difficilement des guides, des porteurs 
et surtout des vivres; les indigènes prétendent qu'ils n'en ont 
pas, et cependant nous entendons très distinctement le bêle- 
ment des chèvres et des moutons que l'on vient d'enfermer dans 
les cases. Il nous faut beaucoup d'astuce pour nous procurer 
ce qui nous est nécessaire. Le noir est ami de la patience, mais 
il ne connaît pas la ténacité; de sorte qu'en s'armant de l'une 
et de l'autre, on obtient presque toujours de lui ce que l'on 
désire. Malheureusement, nous arrivons au milieu d'une af- 
freuse disette qui règne tout le long du fleuve ; la crue de l'an- 
née précédente (1900) ayant surpassé de 2 mètres l'étiage maxi- 
mum annuel, le fleuve a tout arraché sur son passage, les 
récoltes ont été perdues, plusieurs villages ont été noyés et 
emportés; aussi éprouvons-nous des difficultés énormes pour 
le ravitaillement journalier de nos laptots ; nous payons tout 
à des prix excessifs. 

Le 10 avril, à six heures du matin, de Peyronnet et moi, nous 
nous embarquons pour aller à la découverte et chercher la 
route la moins difficile. Le rapide de Patassi difîère totalement 
de celui d'Ourou. Ici le Niger se divise en trois bras dont le 
plus grand a 200 mètres de largeur et n'est mauvais que sur 
environ 400 mètres de son parcours. A la descente, suivre le 
grand bras équivaudrait à un suicide ; mais, à la montée, c'est 
encore celui qui nous parait le meilleur. 

Nous partons donc avec le G 15, à l'assaut du grand bras. La 
rive gauche est dénudée, ce qui pourrait permettre aux hom- 
mes de grimper sur la berge, pour haler les chalands à l'épo- 
que des hautes eaux. Nous longeons l'île qui nous sépare du 
bras central en la conservant toujours à notre gauche. Le 
fleuve ne paraît pas très mauvais; nous avançons donc rapide- 
ment et tournons sans difficulté, mais bientôt de vrais escaliers 
se dressent devant nous. C'est une série de grandes marches 

— 100 — 



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LES ESCALIERS DE PATASSI. 

tranchantes hérissées de pointes au milieu desquelles le Niger 
rugit dans un couloir granitique. Attirés par le bruit de nos avi- 
rons, deux caïmans croisent au pied de la trombe. Un piroguier 
de Patassi nous ap- 
prend que, la veille, 
ils ont happé deux 
indigènes dont la pi- 
rogue avait chaviré. 

Le spectacle du 
rapide est saisissant, 
ce ne sont que des 
chutes et des cas- 
cades magnifiques. 
Le milieu du fleuve 
est bombé, ce serait 
folie de s'y aventu- 
rer; il nous faut 
donc passer de mar- 
che en marche, mon- 
ter de cascade en 
cascade ; mais l'opé- 
ration ne va pas sans 
incidents fâcheux. 

Les hommes se jettent dans les rochers portant sur l'épaule 
une cordelle qu'ils vont attacher aux arbustes, aux touffes 
d'herbe, aux aiguilles de granit qui çà et là émergent du ra- 
pide, puis tous redescendent vers nous et d'un commun effort, 
nous halons sur le câble. Gela va bien si la cordelle est amarrée 
dans le sens du courant ; mais lorsqu'il est impossible de trou- 
ver un point d'attache dans le prolongement des cascades et des 
trombes d'eau, l'embarcation, prise d'un mouvement pendulaire, 
oscille Ou risque de se renverser. Cet accident prévu ne tarda 
pas à se produire. D'ailleurs, nous ne pensions guère à l'éviter, 
ne fût-ce que pour goûter tour à tour chacun des agréments de 
la route; mais heureusement le rocher de salut était à notre 

— i09 — 




MAHMADOU-SI, INTBRPR&TB TOUCOULBUR-BAMBARA. 



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LE NIGER. 

portée, et nous avons trouvé toute l'énergie nécessaire pour le 
saisir et nous y accrocher. Le chaland restant suspendu par le 
câble, il nous fallut une heure de travail pour le dégager et le 
remeitre à flot. 

Le grand escalier de Patassi se compose de deux étages de 
4 à 5 mètres d'altitude chacun, que sépare un palier de 250 mètres 
environ, d'où le coup d'œil est féerique. Le soleil, qui darde 
ses rayons de feu, donne aux cascades des teintes rutilantes; 
le torrent, qui s'écoule au milieu, reflète des tons nacrés qui 
varient et se déplacent avec les tourbillons ; les parcelles de 
mica donnent aux rochers des reflets vernissés. La verdure s'é- 
tage, depuis le vert sombre jusqu'aux teintes les plus douces, 
tandis que le ciel bleu recouvre cet ensemble de sa nappe d'azur. 

Le franchissement de ce rapide nous demande sept heures 
avec le G 15 seulement; il est vrai que nous avions perdu beau- 
coup de temps à chercher la route, mais cette besogne faite, 
Tonié dirigea le reste du convoi sans accident. 

Je n'ai pas eu connaissance de légendes relatives au rapide 
de Patassi; cependant tous les ans, au mois de juin, le roi, suivi 
de ses sujets, descend au bord de la chute du bras central et 
jette dans le fleuve maints objets destinés à l'apaiser; cela fait, 
le cortège se rend dans les clairières de la rive où sont nom- 
breuses les termitières; sur celles-ci on pique de petits cierges 
en cire du pays, des queues de mouton, des débris de cale- 
basses et des poteries remplies d'huile de palme. Pourquoi? 
Mystère. 

Le 12 avril, à deux heures, nous quittons Patassi, pour aller 
coucher à Dogongari, ce qui veut dire « village en long », 
d'après mon interprète, Mamadou-Si, surnommé le « grand 
François ». Ce brave nègre est un Toucouleur, fils de Peul et 
de Bambara; il est remarquabe comme linguiste et parle 
tous les dialectes du Soudan ; il a même appris l'anglais aveo 
les boys de l'officier de Fort-Goldie; mais ce qui le choque 
profondément, ce sont les bizarreries de notre langage. Il existe 
chez nous des sociétés pour la propagation de la langue fran- 

— 110 — 



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LE BIEF PATASSI-GARAFIRI. 




LB ROI DB B0U88A m'BNVOIB DBS MOUTONS. 

çaise aux colonies : elles ne se doutent pas de rembarras de 
nos indigènes lorsqu'ils essaient d*accoler le pronom, l'article 
ou Tadjectif au substantif. François dit fort couramment : 
«Voici une lie », mais lorsqu'il faut ajouter une épithète, salin- 
guitisque s'embrouille; ce sont alors soit des grandes « niles », 
soit des petites « niles », tout aussi bien qu'un homme fait au 
pluriel « des nhommes ». Le second Mamadou-Si, Anatole dans 
l'intimité, le boy de Peyronnet, est également toucouleur; mais 
fils de Peuls et de descendants de Peuls, il est beaucoup moins 
sympathique et moins franc. Les races qui se rapprochent beau- 
coup de la nôtre ont moins d'affinité pour l'Européen que le 
bon nègre pur sang qui se donne à nous en toute confiance. 

Nous campons donc le 12, vers six heures du soir, en pleine 
brousse, près de Dogongari, au pied d'un rapide que nous fran- 
chissons le lendemain de bonne heure et non sans peine ; c'est 
toujours sur ces faibles obstacles que nous avons eu le plus 
d'avaries, parce que les chalands passaient par leurs propres 
moyens sans se prêter main-forte. Il suffisait d'un point d'appui 

— 413 — 



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LE NIGER. 

manqué pour qu'une embarcation vînt se briser sur une roche. 
Plus loin, même travail au rapide de Kourouassa : il faut tra- 
verser le fleuve dans un courant très violent, puis éviter des 
écueils sur la rive opposée. 

Garafîri. — Le 14, de bon matin, nous franchissons un troi- 
sième rapide, à 2 kilomètres en aval du village de Garafîri. 
A dix heures, le convoi vient camper au pied des cases, sous 
un arbre magnifique et gigantesque, dont les racines et les 
branches s'élancent fort avant au-dessus du fleuve. Je ne 
pense pas qu'il existe au Soudan de plus joli paysage qu'en 
cet endroit : le Niger est assez large, calme et profond, la forêt 
qui nous environne est pittoresque, accidentée, giboyeuse; 
autour du village, d'énormes fromagers portent un ombrage 
exquis; c'est sous l'un d'eux que nous installons notre cam- 
pement, en attendant le passage de l'obstacle. 

Une route part de Garafîri pour aboutir en face de Malali 
qui se trouve, en eau calme, au sommet du rapide; la distance 
est de 12 kilomètres. Le fleuve baisse actuellement de 7 à 
10 centimètres par jour : c'est la crue occidentale venue de 
Koulikoro qui l'alimente encore en ce moment. Après recon- 
naissance du rapide, je me vois obligé de décharger partielle- 
ment les chalands. Il n'y a, en effet presque plus d'eau et, 
comme des chutes de 80 centimètres et de 1 mètre se dressent 
sur notre route, nous ne pouvons franchir de tels obstacles 
avec un chargement complet. Nous nous mettons à la recherche 
des porteurs qui doivent convoyer nos caisses sur la rive droite 
depuis Garafîri jusqu'à Malali. Le chef du village est un bon 
vieux Kambari qui ne demande qu'à nous rendre service. D'au- 
tre part, le roi de Boussa, prévenu de mon arrivée, m'envoie 
un « récadère » pour m'annoncer la visite d'un grand nombre 
de ses administrés. Ce messager est deux fois le bienvenu, car 
il nous apporte du lait (véritable régal pour nous qui man- 
quons de vivres), des poulets, des œufs, ainsi que deux bœufs, 
cadeau royal que les équipages apprécieront à sa juste valeur. 

Le vieux chef Kambari nous envoie deux guides, et noua 

— 114 — 



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L'OBSTACLE DE GARAFIRI. 




OARAFIRI, LES CHUTB8 BT LA DARRIURB DB ROCHERS A U.X KILOMKTRB DB DISTANCB. 

partons à la recherche des routes. A Malali, village situé dans 
rîle du même nom, le Niger est calme, profond de 16 à30 mètres 
et large de 150 à 200 mètres; ce n'est guère qu'à 1200 mètres 
en aval que les diflicultcs se manifestent. Sur la rive droite» 
le fleuve forme là une cuvette demi-circulaire, traversée par 
des gradins et des cascades sur lesquelles le flot produit un 
vacarme impressionnant; trois marigots s'échappent de cet 
entonnoir. Le premier, très court, présente une chute dange- 
reuse et rejoint le grand bras suivant la ligne de plus grande 
pente du terrain, à 200 mètres du premier coude; le second 
s'incline davantage, enveloppe de nombreuses sinuosités et se 
termine dans le grand bras par une fourche double, sans pré- 
senter d'autres obstacles que des escaliers sur lesquels les 
pirogues indigènes peuvent monter, descendre et manœuvrer 
(nous verrons plus loin que les convois ont toujours suivi cette 

— 117 — 



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LE M G LU. 

route pour fairo Tascension du rapide); le troisième marii^'ot 
est presque calme sur la majeure partie de sa route, il s'in- 
cline franchement vers le sud-ouest, mais en débouchant dans 
le grand bras il présente une chute qu'il faut éviter à tout prix. 

A 200 mètres en aval de l'entonnoir dont il vient d'èlro 
parlé, le fleuve semble complètement barré par deux rochers 
gigantesques, placés en quinconce, qui s'avancent au milieu 
du thalweg; dans ce cul-de-sac, nous nous demandons où nous 
allons, la route semble fermée; puis brusquement le courant 
acquiert une vitesse vertigineuse. Nous entrons dans un cou- 
loir large de 30 mètres à peine; tout à coup une volute effrayante 
soulève l'embarcation, qui se trouve projetée en un clin d'œil do 
l'autre côté de la passe au milieu de cônes et de tourbillons, dans . 
un véritable chaos; les roches sont noires, la foret et la brousse 
sont d'un vert très foncé, l'eau est noire, tout est sombre. 

Nous courons pendant environ 500 mètres, manœuvrant avec 
vigueur pour échapper aux tourbillons, puis nous nous trou- 
vons en face d'un banc de roches sur lequel dorment deux 
monstres de caïmans. C'est ici que le fleuve fait un coude 
brusque et reprend une autre direction (est-ouest). 

Nous passons devant les confluents des trois marigots, dont 
il vient d'être question, et nous arrivons au second coude où le 
Niger reprend alors sa direction sud-est. C'est précisément ce 
second coude qui nous intéresse davantage. En ce point, le 
fleuve forme une poche immense où les dangers sont accu- 
mulés. Sur la rive gauche, se trouve un massif d'îlots déchi- 
quetés par trois canaux presque rectilignes qui vont déboucher 
dans le grand bras : le premier en-dessous des grandes chutes, 
le second à 600 mètres en aval, le troisième au pied du rapide. 
Aux basses eaux, ces marigots sont coupés par des cascades 
et des chutes de 80 centimètres à 1 mètre de hauteur; mais ils 
sont franchissables pendant huit à neuf mois de l'année, sans 
jamais présenter le danger des grandes chutes formées par les 
deux lignes de rochers gigantesques qui barrent le grand bras 
dans toute sa largeur. C'est là que le rapide peut devenir difli- 

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COMMENT ON TRAVERSE LE GRAND BRAS. 




LE CONVOI, QUI VIK^T DB PASSER UNE NUIT SOUS LA TORNADB AU MILIBU DU RAPIDE 
DB OARAFIRI, SB DISPOSE A FRANCHIR LBS DBRMIBRBS CHUTBS. 



cile : cela dépend de l^intensité de la crue qui submerge ou 
découvre les rochers*. 

Le point délicat de l'ascension est la double traversée du 
grand bras. En partant de Garafiri il faut monter en longeant 
les îles de la rive droite, puis, lorsqu'on arrive à proximité des 
chutes, s'abriter derrière les rochers pour donner aux équi- 
pages le temps de reprendre haleine. La largeur du fleuve à 
hauteur de cette poche est d'environ 700 mètres; la vitesse du 
courant forme de grosses vagues, le rapide est houleux comme 
la mer; en aval, des bancs de roches émergeantes sont recou- 
verts d'ccumc. 11 s'agit pourtant de traverser. Aussitôt, les 
piroguiers se mettent à leurs postes respectifs, les avirons sont 
armés, on pousse l'embarcation au large, le bec vers l'amont; 

i. Noas aTODs fait ime carte du rapide indiquant les routes à suivre aux 
diverses époques de l'année. 

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LE NIGER. 

le courant la saisit et la retourne de bout en bout en un clin 
d'œil. Elle part comme une flèche en plein courant, elle dé- 
rive d'un kilomètre, on pourrait croire qu'elle va se briser; 
mais, habilement conduite, elle est happée par un contre-cou- 
rant qui lui fait remonter le rapide à une vitesse de 12 ou 
15 kilomètres et la pousse vers la rive gauche. 

Nous nous engageons ensuite dans un massif d'îlots. Le con- 
voi campe sur l'un d'eux ; puis le lendemain il faut retraverser 
le grand bras dans un courant fou, qui fait pencher les embar- 
cations d'une manière inquiétante. Nous rejoignons ainsi le 
marigot sinueux par lequel nous grimpons pour aboutir dans 
la cuvette granitique. 

Nous sommes sauvés : nous avons franchi le rapide, sans 
perdre un homme, sans crever un chaland. Tout cela parait 
fantastique la première fois qu'on le fait; mais la nature humaine 
s'habitue au danger, aux routes, aux rapides, aux chutes, aux 
cascades. Certes il n'y a rien de plus effrayant qu'une masse 
d'eau qui menace de vous engloutir; pourtant, on finit par 
s'aguerrir pour peu qu'on connaisse les passes et la manœuvre, 
et qu'on possède des cordelles solides avec des embarcations 
pontées. Aussi arrive-t-on bientôt à franchir un rapide avec le 
plus grand calme, quoique avec émotion; cela devient un 
exercice, dangereux c'est vrai, mais dont on peut, avec quelque 
habileté, se tirer sans accidents. 

Les chalands du premier convoi sont donc arrivés au sommet 
du rapide, mais il n'en est pas de môme des caisses qui restent 
en grand nombre à Garafiri ; nous devons, en conséquence, 
retourner à notre campement sous l'orme nigérien pour sur- 
veiller les porteurs. La chaleur est étouffante depuis deux 
jours ; une violente tornade se déchaîne. Il nous faut, en toute 
hâte, recouvrir et sauver les objets qui craignent l'humidité. 

C'est à Garafiri que j'ai reçu la visite de Kantama, ex-roi de 
Oua-Oua, détrôné par les Anglais. Ce prince fugitif est traqué 
de toutes parts ; il est sorti de la foret pour me voir et m'exposer 
sa situation. C'est un homme jeune, à la figure énergique et 

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LES nAPIDKS DE BOU9SA. 



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TRANSBORDEMENT DES CAISSES. 




YILLAQI DB MALALI AU BOBIMBT DU RAPIDE DB OARAPIIU. 

fière, un bariba guerrier qui combattit autrefois sous nos 
ordres et que Vermeersch avait intronisé. Malheureusement 
mes attributions ne m*autorisent pas à autre chose qu'à lui 
donner quelque argent et des étoffes. J'ai conservé un tou- 
chant souvenir de cette physionomie sympathique, su;^ la- 
quelle le malheur et les privations ont laissé des traces ineffa- 
çables. 

Avec beaucoup de bonne volonté, les braves gens de Garafiri 
s'acquittent de leur besogne. Toutefois, les hommes adultes ne 
se dérangent pas pour nous aider; chaque matin, nous les 
voyons partir pour la chasse, armés de flèches et suivis de 
lévriers d'assez forte taille. Ce sont les femmes qui trans- 
portent nos caisses; elles s'en vont en file indienne avec un 
enfant à cheval sur les reins et enveloppé dans leur pagne, tout 
en ayant sur la tète une grande calebasse dans laquelle se trouve 
le fardeau. 

— 425 — 



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LE NIGER, 

Le 18 avril à midi, nous rassemblons nos dernières caisses 
à Malali. Le dernier grand rapide est franchi. 

Le roi de Boussa. — Kissalé Dogo, roi de Boussa, qui vient 
de recevoir une caisse pleine de cadeaux en échange de ses 
bœufs et de ses moutons, ainsi que deux tonnelets que je lui 
envoie de la part de son ami Toutée, me fait avertir qu'il vient 
au-devant de moi par la route; mais Sa Majesté, prise d'un mal 
subit, est restée à l'ombre d'un grand arbre, incapable de faire 
un pas de plus. Nous allons à sa rencontre, et le trouvons 
étendu sur des nattes, sous un vaste parasol que Tun de nos 
devanciers lui donna pour s'abriter. Ses griots Téventent, la 
cour est consternée. Nous cherchons en vain le moyen de le 
secourir, ne sachant aucunement le mal dont il souffre. Fran- 
çois interroge les intimes, tous baissent la tête et restent 
muets, les lèvres figées, sans manifester néanmoins une très 
grande émotion ; bientôt cependant Kissalé Dogo recouvre ses 
sens, il déclare que ses forces l'ont trahi. Nous ne tardons pas 
à deviner quel est le remède nécessaire : Sa Majesté vient tout 
simplement de s'enivrer abominablement en absorbant quel- 
que gin plus ou moins frelaté. Le soleil aidant, le pauvre 
homme s'est trouvé indisposé, ce qui se conçoit aisément. Nous 
lui donnons d'abord un verre d'eau additionné de quelques 
gouttes d'ammoniaque, pour lui permettre de remonter à cheval 
et de venir palabrer avec nous sous de grands arbres au bord 
du Niger. 

Kissalé Dogo a soixante-dix ans ; c'est un grand vieillard très 
onctueux, sa physionomie ne respire ni franchise, ni bonté. 
Elle est plutôt empreinte d'une énergie farouche et le poids des 
ans s'est imprimé dans ses traits fatigués. Sa famille meurt 
avec lui, car malgré ses trois cents femmes et ses quatre-vingts 
enfants, il n'a pu se réserver un héritier capable de porter le 
sceptre, de sorte que la couronne de Boussa va passer sur la tète 
de son neveu. Les rois et la plupart des gens de Boussa sont de 
race aoussa. Ils descendent d'aventuriers et d'écumeurs de 
fleuve, qui vinrent un jour se fixer sur la rive droite du Niger. 

— 126 — 



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LE ROI DE BOUSSA. 

On m*a confié que les rites interdisaient au souverain de navi- 
guer sur le fleuve. Je n*en crois rien. Je suppose plutôt que 
c'est une excellente histoire inventée par les indigènes, pour 
légitimer le refus persistant que Kissalé Dogo oppose aux 
demandes ininterrompues des ofliciers anglais qui l'appellent à 
Yelloua, afîn d'y rendre compte de ses effectifs et de ses 
richesses en vue du recensement et de l'impôt. 

Après une heure d'entretien, très cordial d'ailleurs, le roi de 
Boussa précédé de ses trompettes, abrité de son parasol, enfour- 
chait un fort joli cheval caparaçonné de cuir écarlate, agré- 
menté de grelots en tôle de boîtes de conserves, et prenait 
congé de nous pour réintégrer ses pénates, nous invitant d'ail- 
leurs à goûter les douceurs de son hospitalité. D'autre part, le 
convoi se remettait en route avec la perspective pour les laptots 
d'un repos de deux jours à Boussa. 

Nous commencions tous à ressentir les effets de la fatigue; 
les elTluves du soleil ardent qui nous accablait sans trêve du 
matin au soir, et la perte do nos vivres dans le rapide de 
Patassi, nécessitaient un moment de calme, de repos et de bien- 
être. Mais la satisfaction du devoir accompli, la joie que nous 
éprouvions à l.-; pensée de notrj réussite et des heureuses con- 
séquences qui devaient en résalter pour nos camarades du 
3« territoire militaire, tout cela nous faisait oublier les pri- 
vations et nous laissait heureux. 

En dépassant l'île de Màlcili, nous trouvâmes sur notre route 
le rapide de Lala qui nous retint deux heures pour dégager un 
chaland pris par la pointe et l'arrière, entre deux roches, 
menaçant de se renverser sous l'influence du courant. Cepen- 
dant, à six heures du soir, la petite flottille s'amarrait sur la 
berge à Boussa, et les équipages, exténués de fatigue, s'allon- 
gèrent sur des couvertures pour dormir sans interruption jus- 
qu'au lendemain. 

Bien que nous fussions annoncés depuis longtemps, les indi- 
gènes de Bonssa se tinrent cachés le premier jour de notre arri- 
vée : les femmes restaient dans les cases, le marché fut 

— 129 — 



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LE NIGER. 



désert. Ces braves gens sont habitués au va-et-vient fréquent 
des tirailleurs anglais, qui font leurs achats à coups de trique. 
Rien ne leur indiauait en offot aue mes hommes n'eussent pas 

recours au même 
procédé; mais, le 
second jour, les cho- 
ses changèrent. 
Nous avions tous 
fait plusieurs em- 
plettes contre espè- 
ces sonnantes; les 
laptots qui se mon- 
traient disciplinés 
n'exercèrent pas la 
moindre violence, 
en sorte que com- 
merçants et ven- 
deuses finirent par 
s'accoutumer à nos 
façons. 

Le marabout, ac- 
compagné de sa sui- 
te, vint en grande 
pompe nous rendre visite; je lui fis don de papier, d'encre et de 
plumes, afin qu'il fût en mesure de vendre et de propager le for- 
mulaire habituel de sa religion. En guise de remerciement, le 
brave homme nous débita des prières destinées à attirer la bé- 
nédiction d'Allah sur nos porte-monnaie dont les mécanismes 
lui semblaient d'un fonctionnement des plus curieux et des plus 
favorables à ses désirs. 

Les gens de Boussa commencent à se convertir à l'islam, ils 
sont beaucoup moins « marabout-cognac » que les nupés de 
Badjibo; mais cependant ils sont encore loin d'avoir le fana- 
tisme et la soumission au rite tels qu'on les observe au Soudan 
et sur le moyen Niger. 




SILA (TYPB S.tRACOLK) KT BOS KFOtStf UUUSSA. 



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LES RIVERAINS DE KOUARRÂ. 




PIROOUIBRS DK DOUSSA, AU MILIEU 8B TROUVB CBLUI QUB NOUS AVONS SURNOMMB 
« LA PANTHÈRB ». 



Le type vrai de ces indigènes est le Aoussa, au front large 
et bas, au crâne pointu, aux pommettes saillantes, à la physio- 
nomie farouche, énergique et cruelle à la fois. C'est un gaillard 
solidement musclé avec des mains et des pieds massifs. 

Le Aoussa est commerçant, cultivateur et industrieux; il fait 
des étapes incroyables pour venir échanger ses produits sur le 
fleuve, pour s'en retourner avec des kolas et des perles qu'il 
revend dix fois ce qu'il les a payées; tous ceux que les Euro- 
péens ont enrôlés comme tirailleurs se sont montrés d'excellents 
soldats ; c'est doac une race intéressante, qui dissimule de réelles 
qualités sous une laideur que les femmes possèdent au plus 
haut degré. Leurs mœurs sont généralement pacifiques; ils se 
marient de la même façon que les races du Soudan, en payant 
la dot de leur femme après entente avec le chef de famille. La 
femme est là, plus que partout ailleurs, un être passif, soumis 

— i.?3 — 



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LE NIGER. 

à la volonté des siens, pour devenir ensuite la béte de somme 
de la maison. 

La langue aoussa constitue Tun des plus intéressants dia- 
lectes du Soudan; des règles invariables, des formules gram- 
maticales en régissent le sens. Les ofliciers qui Font soigneu- 
sement apprise déclarent qu'ils ont puisé dans cette étude un 
intérêt spécial et des satisfactions réelles ; la prononciation est 
en effet harmonieuse et douce, les voyelles prédominent comme 
dans la langue italienne; c'est une langue qui ne choque pas 
roreillc et dont les tournures de phrases sont parfois gracieuses 
et poétiques. 

L'Afrique est décidément un pays mystérieux. Plus nous y 
pénétrons, plus nous sentons le besoin de la mieux connaître : 
c'est par un contact intime avec les races africaines que nous 
arriverons à coloniser, et surtout à récolter le prix de nos efforts 
et de nos sacrifices. 



# 



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CHAPITRE V 

Séjour à Boussa; départ. — Les Goungaouas. — Rapides de Tsonlou et Sakassi. 
— En fleuve calme. — Séjour à (iuiris. — Nous rencontrons le capitaine 
Keyes. — Gava. — Cruelle désillusion. — En route pour Niamé. 

L'agglomération que Ton désigne sous le nom de Boussa, se 
compose en réalité de sept villages, dont un, le village 
royal, est presque uniquement occupé par Kissalé Dogo, sa 
famille, ses nobles et ses domestiques. En ce point, le fleuve 
est divisé en trois bras, par de longues rangées d'îlots rocheux 
entre lesquels règne un courant très rapide; en face, sur la 
rive gauche, les montagnes ravinées sont rapprochées de la 
berge sur laquelle il n'existe ni cultures, ni productions natu- 
relles. Les hauteurs de la rive droite, au contraire, s'éloignent du 
Niger et permettent certains travaux aux indigènes de Boussa. 

Le palais du roi se compose d'une trentaine de grandes 
cases entourées d'une enceinte en terre; la porte d'entrée 
donne accès dans une vaste cour ronde ; l'huis est sculpté ; des 
caïmans et des rosaces ornent les panneaux des portes. Ces 
bas-reliefs qui dénotent quelque velléité artistique sont l'œuvre 
des sculpteurs aoussas. 

Le roi nous reçoit dans une courette ombragée, située entre 
les cases de ses femmes. Il est accroupi sur des peaux de chèvre, 
accoudé sur des coussins en cuir; de vieilles femmes, très 
laides, aux mamelles plates et tombantes, au chef rasé, lui 
tiennent compagnie; des notables crasseux se tiennent de 
chaque côté de la cour. 

Le griot du roi pousse des cris; je distingue à peine ce qu'il 

— 135 — 



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LE NIGER. 




LES ORIOTS DU ROI DE DOUSSA, CELUI DB GAUCaB UTAIT UN iMlSSAIItU DU 8ULTA2C 

DB EAMBM. 

veut dire ; seuls los mots : « Serki N'Boussa i» et « Ba-Touré » (le 
roi de Boussa et le chef blanc) frappent mon oreille. François 
m'apprend qu'il annonce à l'entourage que nous sommes en 
bonnes relations. 

Les riverains, depuis Badjibo jusqu'à Ilo, me connaissent 
80U8 le nom de Ba-Touré. Les noirs sont très forts pour donner 
des sobriquets. Mais comme, dans la mission, nos physionomies 
et nos allures n'ont rien de bien particulier en el'es-mêmcs 
nous n'avons pas mérite de dénominations spéciales. Je suis 
simplement le chef blanc. Et quand je dis blanc, je me vante, 
car nous étions tous tellement grillés et rôtis par le soleil, qu'il 
m'est arrivé, certain jour, ayant endossé le costume indigène, 
de passer à côté de plusieurs noirs qui ne me dévisageaient 
môme pas, me prenant pour un des leurs. 

Kissalé Dogo nous demande de lui faire entendre les chants 

— 136 — 



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Of-; 



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SÉJOUR A BOUSSA. 




LES PETITS BRAS DU KOOARRA, BN DESCENDANT LE PLKUVE POUR ATTEINDRE 
LE MOUILLAGE DE BOUSSA. 



du « petit bonhomme que nous avions caché dans une caisse ». 
11 s'installe donc devant le phonographe, et tout le village vient 
se grouper autour de lui. La « Marche aux flambeaux » fait son 
admiration, et lorsque les cuivres donnent la contre-partie, 
l'excellent roi se tourne vers ses joueurs de trompette pour se 
rendre compte qu'ils sont à leur place et que nous ne les avons 
pas escamotés. 

Il existe à Boussa une légende, qui a peut-être un fondement 
historique, relative à la mort de Mungo Park; on prétend que 
cet explorateur fut assassiné par les Kambaris sur l'ordre du 
roi. Bien que nous n'ayons aucune confiance en la parole de 
Kissalé Dogo, je tentai de connaître la vérité et de savoir si 
réellement les papiers et les journaux de marche de Mungo 
Park sont, comme on le dit, enfermés dans une cassette enterrée 
sou i les murs du palais. Le roi n'est pas catégorique du tout. 

— 139 ^ 



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LE NIGER. 

Il répond à ma question en disant qu*il n'est pas au courant 
de cette affaire : il a bien entendu parler d'un blanc que le 
diable de Garafiri renversa jadis dans le rapide et que les caï- 
mans ont mangé; mais, dit-il, ses prédécesseurs ne Font jamais 
informé positivement de ce fait. 

Départ de Boussa. — Après deux jours de repos, nous quittons 
Boussa; notre chargement est au complet. Gomme le dit Toutée 
dans son ouvrage Da/iomé- Niger- Touareg, « il ne nous manque 
pas une aiguille »; les porteurs qui firent au rapide le trans- 
bordement des caisses ne nous ont rien volé. Le vieux chef de 
Garafiri nous a, d'ailleurs, appris qu'il existe, dans le village, 
une case spécialement réservée à « Djiali », le génie de la Jus- 
tice. Lorsqu'un Kambari commet un vol, un mensonge, une 
mauvaise action, son esprit tourmenté parle Djiali, l'accable de 
remords, en sorte qu'il vient aussitôt se dénoncer. S'il arrive 
cependant qu'un homme ait assez de tempérament pour sup- 
porter son crime sans le révéler, ses jours sont comptés : Djiali 
le fait mourir dans l'année.... 

Le 21 avril, à cinq heures du matin, armé et équipé de toutes 
pièces, le convoi se met en route vers Yelloua. Le démarrage 
est difficile; un courant, qui débouche à 20 mètres en amont, 
force les pilotes à s'y reprendre à plusieurs fois, à revenir vers 
la berge pour trouver un point d'appui dans les branches; à 
sept heures seulement, le dernier chaland quitte Boussa. Nous 
longeons une grande île, puis nous contournons des îlots rocheux 
très boisés. Le fleuve murmure dans tous ces petits rapides : 
ce n'est plus le chaos impressionnant des grands obstacles, 
c'est un bruissement de filets d'eau sur des cascades; s'il faisait 
moins chaud, on se croirait dans la haute vallée d'une de nos 
rivières, l'Yonne ou l'Aube. 

* De Boussa à Gané-Ka ba\. — Nous avançons lentement; sur 
mon ordre mon embarcation reste en arrière pour porter secours 
aux retardataires. Vers cinq heures du soir, nous rejoignons 
le convoi qui s'est échoué sur un banc de roches, le dernier 
de la région. Encore un effort! nous jetons des cordelles sur 

— 140 — 



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LE DEVOIR ACCOMPLI. 

la rive, tout le monde se prête main-forte. Voici la dernière 
secousse; nous ectrons en eau calme. 

Devant nous, le Niger vient de fort loin, large, silencieux, 
étincelant, reflétant 
les rayons solaires et 
la réverbération des 
nuages; une légère 
brise s'élève. Adroi- 
te et à gauche, s'é- 
tendent des plaines, 
de la brousse claire, 
la forêt soudanaise ; 
sur les rives, pousse 
le bourgou. Des pi- 
rogues traversent 
lentement le fleuve, 
on voit que le pa- 
gayeur navigue sans 
se préoccuper du 
danger. En arrière, 
les montagnes s'é- 
cartent et semblent 
fuir le Niger. Nous 

sommes enveloppés dans une atmosphère plus légère, dans 
une lumière plus vive. Le convoi reprend sa marche, avançant 
d'une façon régulière, et, pour ainsi dire, rythmée, le long 
de la rive. La besogne devient facile; nous nous sentons 
enfin le cœur léger. Depuis Badjibo, notre conversation se 
trouvait toujours interrompue par des questions de service 
inhérentes aux difficultés de la route. Quand nous fûmes dans 
les eaux calmes, de Peyronnet vint vers moi sur l'avant 
du chaland et me dit : « Je crois que nous avons définitive- 
ment réussi. » C'était vrai, et nous en éprouvâmes une satis- 
faction indicible. Alors, lui et moi, nous revîmes, par la pen- 
sée, les dangers que nous laissions derrière nous, et nous 

— 141 — 




SUMA-DIARA UN DK NOS LAPTOTS* 



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LE NIGER. 

nous sentîmes comme délivrés d'un poids énorme, ainsi qu'il 
arrive au réveil après un mauvais rêve. Nos hommes étaient 
dans les mêmes dispositions que nous-mêmes : des chants s'éle- 
vaient dans le convoi. Les patrons de Koulikoro, laissant do 
côté le gouvernail, dirigeaient les chalands avec des bambous, 
accompagnant leurs mouvements des refrains du Djoliba; sur 
mon chaland, les laptots riaient, causaient, sifflotaient en tra- 
vaillant. Et dans cette sérénité générale, il eût été difficile do 
reconnaître en nos laptots les gens qui, au milieu des rapides, 
paraissaient soucieux, affairés, surexcités par les périls. Au 
silence de mort qui régnait naguère dans le convoi, avait suc- 
cédé une sorte d'allégresse joyeuse et pleine de vie. 

Le soir, nous couchâmes à Gané-Kassaï. 

Nous campons au bord du fleuve. Nos vivres deviennent do 
plus en plus rares, notre souper se fait de jour en jour plus fru- 
gal. Nous dressons nos lits sous un arbre. Nous sommes si fati- 
gués que nous songeons surtout à dormir; et nous nous prépa- 
rons à le faire consciencieusement, lorsqu'un ennemi nous 
assaille : c'est le moustique qui a fait son apparition au coucher 
du soleil. Tout le pays est marécageux, les plaines qui bordent 
le Niger sont de vastes champs de boue liquide, incultes et 
recouverts de bourgou. Cette herbe est, par excellence, le 
repaire des insectes ; aussi, les moustiques s'en donnent à cœur 
joie et s'abattent sur nous avec une effroyable voracité. La 
région des rapides a cela de bon, que les moustiques y sont très 
rares parce que le sol est jonché de roches et, par conséquent, 
tout à fait impropre à l'éclosion des larves. Ici, c'est le con- 
traire. Et si, par hasard, dans la nuit, nos membres viennent 
à toucher la moustiquaire, vite, il faut les retirer, car un esca- 
dron de moustiques s'apprête à nous dévorer à travers les 
mailles de l'étoffe légère. 

Mes pauvres laptots ont leurs vêtements on loques. Les exer- 
cices violents auxquels ils ont dû se livrer dans les rapides ont 
déchiré leurs pantalons. Les noirs étant très pudiques, je com- 
prends que les trous de cette indispensable partie de leur cos- 

— 142 ~ 



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LES SALUTATIONS INDIGÈNES. 

^umé soient pour eux la source d'une profonde humiliation. Je 
fis donc cadeau à chaque homme de plusieurs coudées de grosse 
toile bleue, très résistante, ce qui leur permit d'effacer des 
rochers le réparable outrage. 

Les Goangaouas. — Le roi de Boussa exerce son influence, 
tout le long de la rive droite du fleuve, jusqu'à Ilo. Le type 
Nupé pur a disparu : nous sommes chez les Goungaouas, croi- 
sements de Kambaris, de Boussaouas et de Nupés, quelquefois 
même de Baribas. Ce sont de véritables brutes, excellents piro- 
giiers, il est vrai, mais d'une stupidité qui dépasse tout ce que 
l'on peut imaginer. 

Ils ont une manière originale de se saluer. Quand deux indi- 
vidus de la même famille ou du même cercle de relations se ren- 
contrent, ils se dépassent comme s'ils ne s'étaient jamais vus; 
puis, à 10 mètres l'un de l'autre, ils s'agenouillent le dos tourné, 
la face contre terre, dans le sens de leur route respective ; c'est 
alors seulement que la conversation commence : <c Bonjour, où 
vas-tu? comment va ton père? ta mère? ton frère? ta vache? 
ta brebis? etc. » Une fois renseignés, ils se relèvent, se disent 
au revoir en se frappant la poitrine du bout des doigts et 
reprennent leur marche, comme s'ils étaient étrangers l'un à 
l'autre. Lorsqu'un indigène vient saluer le roi ou le chef du 
village, il se prosterne la face contre terre en se saupoudrant 
les cheveux avec de la poussière, après quoi il serre la main 
inerte et molle que lui tend le personnage vénéré. 

G'efitt à Gané-Kassaï que nous observons, pour la seconde fois, 
la petite mouche que les Anglais appellent « Sand-fly » ; elle n'a 
pas un demi-millimètre de longueur, pénètre les moustiquaires 
les plus serrées et dépose sous l'épiderme un venin qui produit 
des cloques et des démangeaisons très douloureuses. 

Le 22 avril, nous quittons Gané-Kassaï. Un peu au-delà de ce 
point, le fleuve se divise en deux bras, qui contournent une île 
d'environ 80 kilomètres de longueur et dont la pointe nord est au 
village d'Ilékou. Le bras de droite est mauvais, le bras de gauche 
est facile ; c'est par cette dernière route que le convoi s'engage, 

— 143 — 



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j 



LE NIGER. 

Voici Ouarra qui se compose de sept ûji huit villages; mon 
chaland stoppe pour embarquer des vivres et des moutons. Nous 
couchons, le soir, à 4 kilomètres en amont de Zoupaméni. Ce 
village est des plus curieux. Les cases sont construites en pisé; 
un enchevêtrement de morceaux de bois, recouverts de terre, 
forme le plancher de la maison, et tout l'ensemble repose sur 
des pierres plates et verticales faisant saillie, de 40 à 50 centi- 
mètres au-dessus du sol, dans lequel elles sont enfoncées à 
coups de masse. Une porte demi-circulaire de 75 centimètres de 
rayon permet aux habitants de se glisser dans leurs demeures. 
Toute la journée, quelle que soit la saison, l'indigène entretient 
constamment du feu dans sa case; puis le soir, à la nuit tom- 
bante, il retire les cendres et se couche, en tirant derrière lui 
un panneau de paille tressée. Toutes ces précautions-là sont 
nécessaires pour dormir à Tabri des moustiques et des mouches. 

Rapides de Tsoulou, — Le 24 avril, nous retrouvons un fleuve 
difficile, des rochers et des courants vifs. Nous longeons le grand 
village d'Otonou, qui s'étend sur 2 kilomètres de la berge, dans 
une île étroite et marécageuse; c'est l'un des plus grands 
centres du pays; tous les mercredis, les Kambaris y tiennent 
un important marché de riz, de bétail, de kolas, d'oignons, etc., 
apportés de divers points du territoire. 

Une tornade d'une violence inouïe, qui a éclaté sur nous la 
veille, est heureusement suivie d'un fraîcheur bienfaisante, et 
une brise agréable nous remet des ardeurs du soleil. Ali Arouna, 
mon ordonnance, est enchanté, parce qu'il pense bien dorlnir et 
réparer le sommeil agité de la nuit précédente. « Si y en a beau- 
coup ouane (vent), me dit-il, les moustiques fiche-moi le camp. » 

Vers onze heures du matin, nous arrivons dans les rapides 
de Tsoulou. Il y a au moins vingt-cinq villages qui portent 
ce nom et qui, situés dans les îles innombrables que forme le 
Niger sur un parcours de 15 kilomètres, sont entourés des plus 
riches cultures. Il faut dire que nous sommes dans une région 
d'influence peule. Tous les chefs de village sont descendants de 
Peuls ou de Aoussas croisés de Foulanis. A deux heures, nous 

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RAPIDES DE YOUARIE. 

franchissons deux petits rapides. Les bras du Niger sont fort 
étroits, mais le pays est charmant, les îles sont vertes, les 
rôniers^ (les palmiers du Soudan) font leur apparition. Sur les 
deux rives, la vallée s'ar- 
rête au pied de monta- 
gnes rouges dépourvues 
de toute végétation et 
qui ne montrent que 
des rochers grillés par 
le soleil. Ici le convoi 
n'avance plus qu'avec 
peine, nous sommes au 
confluent de trois bras 
qui se séparent et se 
rejoignent de nouveau 
en formant un système 
hydrographique des plus 
compliqués. 

Les rapides de Yaou- 
rie ou plutôt de Tsoulou 
se composent unique- 
ment d'une série de cascades. La plus forte est une chute de 
80 centimètres environ, dont le franchissement nous demanda 
une journée complète d'efforts et de travail. Dans tous les autres 
bras du rapide, l'obstacle se compose d'une chute unique. 

Les lâptots commencent à se lasser des rapides, les Sénéga- 
lais surtout. Ces noirs, électeurs en hôibe, sont beaucoup 
moins énergiques, résistants et courageux que les Somonos^ 
du Niger. Leur patience fut, d'ailleurs, durement mise à 
l'épreuve, car le lendemain nous eûmes encore à franchir les 
rapides de Zamaré, sur lesquels Toutée s'était échoué lors de sa 
première descente du Niger. Les difTicultés de la navigation se 
répètent sans interruption jusqu'à Yelloua. Et il n'y aurait rien 

1. Palmier borassns flabelliforme. 

S. Piroguiers, doDt c'est le Dom gëDërlque. 




ORIOT OARtBA EN TOURNES GBBZ LES KAMDAR18. 



— 145 — 



it 



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LE NIGER. 

à dire sur cette partie du fleuve, si nous n'y avions pas cons- 
taté Talignement invariable des longues lames et des feuillets 
de granit sur lesquels nous passons et qui conservent la môme 
direction jusqu'à Sakassi, point où finissent les rapides. 

Lss grenouilles qui demandent un roi. — Le roi de Zamaré 
vient au campement du 25 : il m*apprend que les temps ont 
changé et que le calme ne règne plus dans son pays. Autrefois, 
les habitants des iles étaient indépendants; chaque district 
avait son chef; l'ensemble de ces agglomérations formait une 
république où Ton jouissait de l'indépendance et de la liberté 
les plus absolues. Un jour, las d'être heureux, les Kambaris 
des iles (comme les grenouilles de la fable) demandèrent un roi, 
ils s'adressèrent à la dynastie des serkis^ de Boussa qui con- 
sentit à les administrer. Mais chaque fois qu'une pirogue de 
Tsoulou descendait sur Jebba, le roi Kissalé Dogo réclamait le 
prix de son amitié ou le tribut de sa souveraineté; il forçait 
donc les piroguiers à débarquer et choisissait dans la cargaison 
Vimpôt de sa couronne. Ces bons Goungaouas réclamèrent, et 
las d'être exploités, ils se placèrent sous l'autorité directe du 
serki de Yelloua. Celui-ci, faute des moyens nécessaires et 
trop éloigné de ses frontières pour imposer ou protéger le 
commerce et les transactions fluviales, désireux en outre de 
s'éviter des préoccupations inutiles, confia la surveillance des 
douanes au roi de Boussa, qui devait, sous peine de rupture 
diplomatique, ne garder que la moitié de l'impôt requis et lui 
envoyer le reste. Des complications survinrent : Kissalé Dogo 
qui ne voulait pas lâcher la proie qu'il tenait, ni diminuer en 
rien ses revenus, se contenta de dépouiller et d'imposer les 
indigènes des îles deux fois plus que par le passé. 

Les piroguiers se refusèrent alors à tout trafic. Peu de temps 
après, le pays devint un foyer de soulèvements et de guerres 
intestines. Les Anglais survinrent et rétablirent l'ordre, en 
supprimant cet état de choses et en confiant les rênes du 

i. Dans toute cette région, ralvant les dialectes des tribus, les mots ttrhi^ 
amirouy signifient « roi ou chef » de tribu. 

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VnUITRE ET LES PLAIDEURS. 




KAMDARI8 O'OTONOU. PIROOUIBRS DBS RAPIDES HH YAOURIB. 

gouvernement local au serki de Yelloua, avec défense expresse 
d'exercer aucun droit de passage et de circulation sur le 
fleuve ; en fin de compte, les Anglais, toujours pratiques, per- 
çoivent Timpôt, mangent Thuitre et laissent les coquilles aux 
deux chefs indigènes.... 

Séjour à VelloiM, — Le 26, à onze heures du matin, nous arri- 
vons à Yelloua. Le fleuve est calme, nous suivons une échan- 
crure de la rive, les chalands marchent en ordre parfait à 15 
ou 20 mètres les uns des autres. C'est un spectacle fort inté- 
ressant que celui des deux cents bambous de nos pagayeurs 
qui, à intervalles réguliers tout le long du convoi, s'élèvent et 
plongent avec ensemble dans les eaux. 

La population se presse au bord du fleuve, des indigènes 
reconnaissent François et lui demandent par quelle route on a 
bien pu faire passer ces grands bateaux. Yelloua (ou Yaourie) 

— 147 — 



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LE NIGER, 

est sur la rive gauche. C'est un village formé de trois grands 
groupes de cases en amphithéâtre sur le flanc d'une colline en 
pente douce. En arrière s'élèvent des montagnes arides et 
désolées; à l'ouest coule le Niger qui, d'une rive à l'autre, 
mesure 5 kilomètres de largeur, mais dont le lit est coupé par 
deux îles très longues, très étroites, que des marigots décom- 
posent en vastes îlots très peuplés. Comme à Boussa, nous 
trouvons à Yclloua un village royal, aussi grand, mais plus 
laid et plus sale; c'est un pays assez riche, un centre de passage 
où convergent les routes du Aoussa, de Kantagora et du 
Dahomey, tandis que d'une part les produits du Sokoto et d'Ilo 
descendent le fleuve, d'autre part les denrées manufacturées 
en Europe remontent de Jebba. 

Le capitaine Sword, qui commande ici le poste anglais, nous 
prépare une case auprès de lui, puis nous prenons connaissance 
du courrier que l'on nous apporte. Depuis trois mois et dix-sept 
jours, nous sommes sans nouvelles de ceux qui nous sont 
chers. Je laisse à penser avec quelle avidité nous lisons nos 
lettres! 

Le poste de Yelloua domine le fleuve, dont il est éloigné 
d'environ 500 mètres; les cases sont assez confortables, mais 
trop grandes ; les tornades ont beaucoup de prise sur des toi- 
tures volumineuses. Et c'est ainsi que quelques mois après 
notre passage, toutes les constructions du poste furent empor- 
tées, démolies, renversées, brisées. Les Anglais ne font pas le 
moindre effort pour améliorer leur bien-être. Ils ne cherchent 
pas à tirer du sol ce qu'il peut donner. La nourriture de leurs 
boîtes de conserves leur suflit. Il n'existe dans aucun de leurs 
postes, ni jardin, ni cultures; à Yclloua, un des prédécesseurs 
du capitaine Sword s'est contenté de tracer une route aboutis- 
sant à de gros boababs, au pied desquels il avait creusé sa 
tombe. Hormis les blocs de granit qui tracent l'alignement du 
chemin, c'est le seul travail personnel des Européens qui 
vécurent à Yelloua. 

Le colon, le militaire ou le fonctionnaire français, dès qu'il 

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SÉJOUR A TELLOUA. 




Jl RBCRUTB A YELLOUA 80 PIROGUIERS POUR SOULAGER MES ÉQUIPAGES EXTÉNUES 
HE FATIGUE. CBS PIROGUIERS ONT LEUR PERCHE. 



arrive dans une localité nouvelle, installe d*abord sa case et 
son jardin, il déballe des cornets de graines et s'efforce de 
faire pousser les plantes qui amélioreront son ordinaire. Est-ce 
qu'en faisant ainsi nous ne montrons pas plus d'aptitudes colo- 
niales que les Anglais? Il est de mode cependant de médire 
de nos facultés colonisatrices et de prétendre que seuls les 
étrangers sont susceptibles de faire prospérer les territoires 
lointains qui leur échoient en partage. 

Lorsqu'on a été à même de comparer les colonies anglaises 
de l'Afrique, vieilles de soixante-quinze à cent ans, toujours 
dirigées d'après la môme et constante politique, avec nos pos- 

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LÉ NIGER. 

sessions nées d^hier; lorsqu*on a été à môme de juger de refTort 
colossal que la France a fait dans l'Afrique équatoriale; lors- 
qu'on voit Kayes et les postes soudanais que nous avons édifiés, 
il faut bien convenir qu'un labeur considérable a été accompli 
par les nôtres dans ces pays rudes et malsains. C'est au prix 
de mille morts que nous avons arraché au sol africain tout ce 
qu'il renferme de précieux et d'utile. 

Le capitaine Sword nous procure des piroguiers, des bam- 
bous et du riz. Le roi de Yelloua m'apporte des cadeaux et des 
vivres. Le len4.emain, nous lui rendons sa visite, et déposons 
auprès de lui des étoffes et des présents. C'est un beau et grand 
vieillard; de tout son être se dégage la finesse de l'esprit. Il 
nous reçoit dans une vaste salle rectangulaire et nous fait 
asseoir sur des coussins en cuir brodé de toute beauté; son 
costume, quoique sale, est extrêmement riche; des broderies 
aoussas vertes et violettes le recouvrent des pieds à la tête. 

Après la visite du roi, je m'occupe de nos laptots, qui ont 
bien droit à un peu de repos; ils ont beaucoup travaillé, je leur 
donne campo. Le village est hospitalier, la plupart ont touché 
leur solde; les habitants le savent et les habitantes aussi.... Il 
est entendu que nous partirons le 29 avril seulement pour 
Gaya. 

Le Finc'Man, — J'occupe mes heures de loisir à prendre con- 
tact avec mes hommes. Depuis Dakar j'en remarque un qui 
s'est particulièrement attaché à notre existence : c'est mon 
cuisinier « Abdoul Salam i», dit « Adrien » ou encore le « Fine- 
man ». Adrien était un Toucouleur croisé de Peul et de Ouo- 
loff; c'était un homme superbe, il est même rare de voir un 
type semblable; les Anglais, en sportsmen amateurs de belles 
musculatures, ne manquaient jamais de l'admirer : « Ile is a 
fine man » disaient-ils, et le surnom lui en resta. 

Abdoul fut jadis tirailleur, puis spahi. Dans un combat, 11 
reçut un coup de sabre qui lui fendit l'épaule droite; dans un 
autre, il reçut une balle qui lui coupa le médius et rauricu- 
laire de la main qui tenait ses rênes. Cela lui valut les galonii 

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MON CUISINIER ADDOUL SALAM. 

de brigadier; mais il advint que, par suite de mutations, il fut 
placé sous les ordres d'un maréchal des logis indigène, fils 
d*un ancien captif de son père. « Fine-man » était très brave 
mais tout à fait indiscipliné : 
obéir au fils d'un captif met- 
tait en ébullition son cerveau 
de Toucouleur. Des discus- 
sions survinrent; un beau 
jour le maréchal des logis 
reçut une volée de coups de 
poing, Âbdoul fut emprison- 
né, déplacé, privé de son 
grade, et finit par quitter le 
service à Texpiration de son 
engagement. 

Lorsqu'il vint à nous, dans 
la mission, je me défiai d'a- 
bord de lui, son caractère 
insoumis m'inquiétait; je le 
tins sévèrement à Técart. 
Nous avions acheté à Badjibo 
une pirogue qui devait servir 

à nos explorations dans les rapides; le G 15 la prenait en remor- 
que, et j'y avais relégué le malheureux Adrien, avec tout son 
bataclan. Coiffé d'un large chapeau de paille, il rôtissait en 
plein soleil, en téte-à-téte avec ses marmites, et comme j'exi- 
geais qu'en arrivant à l'étape du soir le dîner fût prêt, nous 
l'apercevions en cours de route, assis dans sa pirogue, à travers 
la fumée qui se dégageait de son fourneau improvisé. 

C'est dans les rapides que le brave garçon nous devint sym- 
pathique. Là, les vivres étaient rares, la cuisine délaissée, les 
marmites reléguées au fond de l'embarcation. Abdoul, sans 
qu'il y fût jamais invité, grimpait sur le C 15 et manœuvrait 
avec nos laptots, à qui il apportait l'appoint de sa force hercu- 
léenne. Il était très gai, son agréable physionomie s'éclairait 

— mi — 




MON MAITRI COQ ABDOUL SALAM 
DIT « ADRIEN » TOUCOULEUR OUOLOrP. 



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LE M G LU. 

d*un bon sourire et s'illuminait de deux rangées de dents 
superbes. Je le faisais causer souvent, et j'appris ainsi à le 
connaître. C'était un véritable érudit. Toute sa science, il est 
vrai, se rapportait à l'histoire musulmane et aux choses de la 
liturgie. Il portait, suspendus à son cou, des chapelets de 
grigris petits ou volumineux, légers ou pesants, qui ne man- 
quaient pas d'exciter notre curiosité. L*un de ses porte-bonheur 
était une complainte rédigée en arabe; l'autre une queue de 
mouton trempée dans l'eau du fleuve pour préserver de la 
lièvre; un troisième consistait en un os « d'homme du Niger », 
et préservait de la mort ou de la fusillade. C'était, parait-il, un 
fémur de lamentin, trempé dans le sang d'une chèvre. 

J'ai la conviction que le marabout lui avait tout simplement 
vendu fort cher un os de gigot ; mais Abdoul ne voulait pas en 
convenir. 

Derniers rapides. En fleuve calme, — A la date fixée, nous 
quittons Yelloua où les moustiques ne nous ont pas laissé de 
répit. Le courant du fleuve redevient assez vif, nous avançons 
avec peine, car les roches nous gênent énormément. Enfin, à 
midi nous franchissons les dernières cascades, les derniers 
obstacles. Le Niger redevient calme à partir de Sakassi (ou 
Chakatchi). Le pays continue à se montrer à nos yeux d'une 
extrême pauvreté : marécages sur les rives, brousse maigre et 
terrain rocailleux au delà. Le Niger est parsemé de grandes 
iles de boue liquide où croissent des champs immenses de bour- 
gou. C'est une herbe qui se régénère tous les ans et grandit 
avec la crue. Lorsqu'elle pousse sur les rives et que le fleuve 
se retire, comme cela se passe à partir de Say jusqu'à Kouli- 
koro, elle s'affaisse et se dessèche, le soleil en fait de l'engrais. 
Lorsque les eaux s'élèvent, les jeunes pousses prennent de 
l'essor et suivent le mouvement de la crue, de manière à le 
dépasser de 1 mètre environ. Le bourgou possède des feuilles 
vertes, longues d'environ 50 à 60 centimètres; sa tige est rouge, 
épaisse et résistante, elle renferme un suc, un liquide laiteux, 
avec lequel on fait de l'alcool par distillation. Il est vraisem- 

— 152 — 



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LE BIEF CALME SAKASSl-GAYA. 

blable qu'on pourrait en tirer profit pour alimenter à peu de 
frais des moteurs. 

Nous allons désormais trouver, tout le long de notre route» 
des races extrêmement variées. Le 29 au soir nous campons à 
Djébé, village fortifié, perché sur une falaise rocheuse qui sur- 
plombe la rive d*une vingtaine de mètres. Il est entouré d'un 
mur crénelé dont les ruines sont caractéristiques. Toutes ces 
peuplades de la rive droite étaient autrefois en lutte perma- 
nente avec les Aoussas venus de TEst qui tentèrent d'occuper 
leurs villages et qui furent souvent repoussés. Ce qui nous 
étonne beaucoup, c'est de ne trouver aucun campement à proxi- 
mité de la rive gauche; tous les centres habités sont situés sur 
la rive droite. L'amirou de Djébé nous fait bon accueil, il nous 
apporte des vivres et des moutons. 

Anibou ou (Inigou) est une place forte, située comme Djébé à 
pic sur le Niger, à 5 kilomètres de Kandji ou (Konji) qui se 
trouve à l'intérieur des terres. Berzébello, l'amirou de Kandji, 
vient nous faire visite. C'est un ancien lieutenant du roi de 
Boussa qui reçut le commandement d'une province, en récom- 
pense des services qu'il rendit à son souverain aux côtés duquel 
il combattit vaillamment. 

Tous les gens de ces parages sont des Aoussas croisés de 
Nupés et de Pculs. Plus loin, à Sorko, nous rencontrons un Ilot 
de Courteilhes, race croisée de Sonraïs et de Mandés dont le 
centre est à Sorbo. C'est probablement un groupe de piroguiers 
qui s'est détaché de son berceau pour se trouver plus à l'aise et 
pour se propager dans ce bief du Niger. 

A Bcnthé, à Dikiré-Baudé, les indigènes sont des Aoussas 
presque purs; à Djendiné, ce sont des Peuls qui étendent leur 
domination de proche en proche. Le plus grand centre de tout 
le pays est le village de Lafagou, situé à 10 kilomètres en amont 
de Sorko; c'est le plus grand marché de la région. Les Anglais 
l'occupèrent, il y a quelques années, mais il ne reste plus que 
les ruines du poste. Les cultures de Lafagou sont situées sur 
les terrains en pente douce qui descendent vers le fleuve; la 

— 155 — 



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Lt: MGER. 

crue de 1000 ne les a pas dévastés, de sorte que dans cette 
région où règne une affreuse disette, les greniers de mil de 
Lafagou sont les seuls qui se soient remplis Tan passé. De toutes 
parts des pirogues descendent pour chercher des vivres et du 
grain, il vient même des embarcations de Sinder et de Sorbo 
pour ravitailler les malheureux qui meurent de faim. 

Le 4 mai, à six heures du soir, à la nuit tombante, nous arri- 
vons en vue de Guiris, port d'Ilo. Nous sommes obligés d*y 
séjourner pour régler, avec les officiers d'Ilo, les formalités 
douanières imposées par la convention de 1898. L'accostage est 
des plus difficiles, le fleuve baisse constamment. Guiris est 
séparé du Niger par un champ de boue liquide de 2 kilomètres 
de largeur; les rigoles et les canaux qui permettent d'accoster 
directement la terre ferme aux hautes eaux sont presque des- 
séchés, les herbes s'opposent au mouvement des chalands. Nous 
sommes obligés de faire à pied le trajet en pleine vase. Nous 
enfonçons jusqu'aux aisselles; des serpents d'eau et des êtres 
immondes grouillent dans ce marécage, nous les sentons glisser 
entre nos jambes. La nuit tombe, nous avançons à tâtons, et, si 
nous arrivons au bord, c'est grâce aux gens que Tarou, chef des 
piroguiers de Guiris, vient d'envoyer avec des torches. 

Tarou est un bon paysan normand peint en noir, rusé, madré, 
intelligent et courageux. Il accompagna Toutée jusqu'à Say lors 
de sa première mission. Tarou n'est pas le chef de Guiris, il 
est à la tête d'un îlot de piroguiers extrêmement habiles qui 
connaissent toutes les passes du fleuve et les rapides jusqu a 
Jebba. Les pirogues de Guiris sont immenses : elles sont faites 
d'une quille taillée dans plusieurs troncs d'arbres; des planches 
rabotées à 1 herminctte indigène, instrument très primitif d'ail- 
leurs, forment le bordage et sont maintenues entre elles au 
moyen de crampons en fer que fabriquent les forgerons du 
pays. Ces embarcations mesurent quelquefois 15 mètres de 
longueur, 1™50 de largeur et 70 centimètres de hauteur de 
bordage; elles peuvent affronter les vagues des rapides, grâce 
au courage des piroguiers de Tarou, mais il s'en perd souvent. 

— 15G — 



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LE CAPITOLB DES MOUSTIQUES. 

Nous vivons dans un nuage de moustiques, nous en respirons; 
ces bétes féroces s'acharnent sur nous» et lorsque nous devons 
nous déshabiller pour nous laver ou changer de vêtements, 
nous sommes dévorés jusqu'au sang. De tous les ports du 
Niger, c*est Ouiris qui mérite la palme comme nid à mous- 
tiques; c*est leur Gapitole, leur camp retranché. Le lendemain, 
de bonne heure, je me rends à Ilo, qui se trouve au sud, à 
5 kilomètres 1/2, dans une clairière et au milieu de vastes cul- 
tures. C'est un grand marché, un croisement de routes qui 
conduisent d'une part vers le sud au Dahomey, au Togo, et vers 
le nord au Sokoto, au Aoussa. Les cotonnades anglaises abondent 
sur le marché, elles se répandent de là sur nos territoires du 
Soudan et du Haut-Dahomey. Nos indigènes viennent y échan- 
ger leurs produits et leurs troupeaux contre ces étoffes. C'est 
une concurrence à notre commerce. Elle cessera le jour où la 
flottille du bas Niger aura pour rôle d'effectuer des transports 
commerciaux au profit de nos industriels et de nos colons, elle 
disparaîtra plus sûrement encore lorsque le rail qui part de 
Kotonou atteindra Carimama et viendra délivrer la flottille de 
ses pénibles efforts dans les rapides. Le poste d'Ilo lut construit 
par les missions françaises qui, les premières, occupèrent la 
région. Les cases actuelles n'ont pas changé; les Anglais se 
sont contentés d'entretenir cette place. 

C'est là que je rencontrai le capitaine Keyes, qui deux mois 
plus tard, fut assassiné au cours d'une mission délicate qu'il 
avait reçu l'ordre d'accomplir sur Argoungou. C'était un tout 
jeune homme que les gens du pays estimaient beaucoup; Us 
lui reprochaient même de toujours sortir sans armes et de se 
promener sans défiance. Ils lui répétaient parfois qu'il pourrait 
lui arriver malheur. Loin de nous créer des difficultés, de nous 
inviter à décharger les chalands pour vérifier si nous emportions 
bien en territoire trançais le ravitaillement indiqué par nos 
connaissements, il nous témoigna une confiance flatteuse. Son 
accueil fut parfait; toute sa personne, d'ailleurs, inspirait de la 
sympathie. Le capitaine Keyes est le seul officier que les auto- 

~ 169 — 



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LE NIGER 



rites médicales anglaises aient autorisé à prolonger son séjour, 
et cela pour des raisons touchantes et toutes à son honûeur. 
Officier de cavalerie de l'armée des Indes, n'ayant aucune for- 




BN ARRIVANT BN TERRITOIRE FRANÇAIS LB CONVOI ARBORB 
NOS COULEURS NATIONALES. 



tune personnelle, il avait pour ami intime un officier pauvre 
comme lui, mais qui s'était adonné au jeu et qui menait un 
train supérieur à sa position. Victime d'un accident mortel, cet 
officier, se voyant sur le point de mourir, fît part à Keyes de la 
situation de sa famille et du chagrin qu'elle éprouverait en 
apprenant des dettes qu'elle n'était pas en mesure de payer. 
Keyes comprit, endossa le passif et répondit de tout... Il n'y 
avait pas un mois qu'il venait d'obtenir sa prolongation de 
séjour, lorsque la mort vint le frapper à son tour. Cette fâcheuse 
nouvelle nous parvint à Say dans une réunion d'officiers qui 
l'estimaient. 

Est-ce la dernière étape^ — Nous quittons Guiris, dernière 
étape avant Gaya. Le plateau nigérien s'écarte des rives, et ce 
fleuve large, immense, reflète avec intensité la lumière du ciel, 
le rayonnement des nuages. 

C'est à Madékali que nous quittons le territoire de la Nigeria 

— 160 — 



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AliniVl'E EN Tl'lUlE FRANÇAISE 

pour entrer en terre française. Le pavillon tricolore flotte à 
Tavant de nos embarcations, la brise déploie nos couleurs, et 
comme le fleuve po pressente ici exceptionnellement prati- 




A QURLQURS MILLKS EN AMONT UL OA^A, L llbltM ATI A.X, VliNT DK ^OUU-CST, SOUPPLK 
AVEC INTENSITÉ, NOUS MARCHONS A LA VUILB. 



cable, toute la petite flottille, en ligne de file, ofl're un aspect 
réconfortant. Les habitants des villages se groupent sur la 
berge et, lorsque nous nous arrêtons, déposent devant nou& 
des aliments tout préparés. Ces mets sont bien reçus; nous 
n'avons, en effet, depuis longtemps, plus de vivres, il nous reste 
cinq ou six boîtes de conserves que nous gardons en cas d'évé- 
nements imprévus. 

Le 7 mai, vers trois heures du soir, le cœur joyeux, nous 
apercevons le drapeau tricolore qui flotte sur le poste de Gaya, 
au pied d'une grande falaise horizontale. 

Désillusion. — L'adjudant Martin, qui commandait le poste, 
fut stupéfait lorsque je lui annonçai que le convoi devait débar- 
quer mille huit cents caisses à Gaya. Il me mit au courant de 
la situation économique et géoi:^raphiquc de la région, et je vis 

— lOIJ — 



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LE NIGER. 

de suite que : !<> le poste n'avait pas de magasins pour rece- 
voir nos caisses; que celles-ci devaient être posées à terre et 
que les termites allaient les ronger en quelques jours ; 2» que 
la route reliant le Niger au Tchad a son terminus à Sorbo sur 
le fleuve, et que Gaya ne se trouve pas sur les lignes de puits 
conduisant au troisième territoire militaire; 3» qu'en débar- 
quant mon chargement à Gaya, les pirogues du pays, rares et 
petites, mettraient plus d'un an à transporter les caisses à 
Sorbo, en admettant que Ton pût les rassembler, supposition 
dos plus improbables.... 

C'était une grosse déception, car nous pensions en avoir fini 
avec ce lourd convoi qui nous avait occasionné tant de fatigues! 
Nous n'étions donc pas au bout de nos peines. Fort heureuse- 
ment, j'avais eu la précaution de ne pas faire connaître le 
point terminus à mes équipages. En quelques minutes, j'eus 
pris mon parti, je modifiai mes plans, accordant quatre jours 
de repos à nos hommes exténués, et je décidai que le convoi 
remonterait jusqu'à Sorbo, ou tout au moins jusqu'à Niamé, 
point où la route quitte le fleuve. 

Départ pow Say. — Le 12 mai, tout pavoisé des couleurs natio- 
nales, le convoi se remettait en route pour Say, où se trouvait 
le lieutenant Tilho, à qui j'avais annoncé notre arrivée pro- 
chaine par un message. La chaleur était accablante. Le soleil 
ardent nous brûlait de ses rayons. Nous étions dans un pays 
dont les habitants sont encore sauvages. Ces indigènes sont en 
partie croisés de Dcndis et de Sonraïs. Le langage de ces der- 
niers est couramment parlé jusqu'à Gaya. Les Dendis sont bien 
musclés et très agiles. Il y a, dans la région, un dicton ainsi 
conçu : « Un Dendi à pied vaut mieux que dix cavaliers bien 
montés. » Ces noirs sont extrêmement difficiles à poursuivre, 
ils ont un talent particulier pour nager longtemps entre deux 
eaux et pour se cacher dans les marécages, laissant émerger la 
bouche et le nez entre les herbes. 

Nous faisons escale à Tondi-Koaria ; à Carimama, où se trouve 
un ancien poste abandonné, puis, réoccupé l'an dernier et qui 

— 164 — 



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CON nSUATlON DE NOS FATîGUf.S. 




VUE PAiNOUA.MlnLli Ut l'USTK DE OAYA PHISB DE LA KALAlSh yfl SUhPLOAIlJE 
LE MGBR 



sera probablement le terminus sur le Niger du chemin de fer 
du Dahomey. A Kompa, nous franchissons sans difficulté un 
seuil rocheux, ainsi qu'à Boumba, point où le Niger abandonne 
sa direction sud-est pour décrire une série de lacets. La région 
est pauvre et désolée jusqu'à 10 kilomètres en aval de Say, les 
rives sont Ce vastes marécages qui se terminent précisément 
là où commence le désert. 

Nous étudierons plus tard le régime des eaux nigériennes; 
disons tout de suite qu'à partir de Boumba jusqu'à Forcados, 
le Kouarra reçoit deux crues. La première, que j'ai appelée 
« crue orientale », est formée par les pluies diluviennes de l'hi- 

— 1G5 — 



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LR NIGhll. 

vernage qui dure de juin à novembre; la seconde ou « crue 
occidentale » est due à la répercussion de la crue du haut Niger, 
qui atteint son maximum en septembre à Koulikoro et qui fait 
son apparition, à Gaya, vers la fin de novembre seulement. 

Il résulte de ces deux crues que les rives du Kouarra sont 
constamment inondées et que le soleil n'a pas le temps de les 
sécher; de sorte qu*à partir de Boumba, jusqu'en aval de Jebba, 
la vallée n'est, sur ses rives, qu un lac de boue liquide, absolu- 
ment impropre à toute culture. 



# 



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CHAPITRE VI 

Lo double V. — Les habitants du Niger. — Sortie da Koaarra et entrée dans 
l'Issa-Ber. — Le deuxième convoi passe les rapides de Bonssa. — Le Nil 
français. — Apparences de pauvreté, produits et richesses. — Les Gourtébét. 
— Rapides du Nord. — Les greniers de Sinder. — La butte de Kendadji. — 
Noël à Dounzou. 

LE double V, — Lorsqu'au delà de Boumba le navigateur 
poursuit la montée du fleuve pour arriver à Say, il trouve 
une section d'environ 180 kilomètres de parcours, que nous 
appellerons le double V (W), en raison de sa forme sinueuse 
et tourmentée. 

À quelques kilomètres de Boumba, en amont de Bikini, 
village pauvre et presque désert où végètent quelques misé- 
rables Djermas, les collines se rapprochent et longent le» 
rives, presque partout à pic. Nous déjeunons au seuil d'une 
porte formée de deux grosses masses rocheuses, qui plongent 
dans le fleuve. 

Toute cette partie du Niger offre une solitude sauvage et 
grandiose; de toutes parts, sur les rives, des lignes ininter- 
rompues de granitoïdes et de grès roses, superposés en 
couches horizontales, surplombent le fleuve à 30 et 40 mètres 
de hauteur. Les fissures verticales de ces murs sont tellement 
régulières qu'elles donnent de loin l'illusion d'un travail cyclo- 
péen. Des arbres, des baobabs énormes, des herbes très vertes 
poussent et croissent dans les interstices; tout ce paysage 
s'illumine de tons multicolores sous le ciel bleu, au-dessus de 
l'eau verdâtre qui coule tranquille et silencieuse; pas un 

— 1G7 — 



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li: NIGER. 




LK OfiLS HOSK DU \V, EFi KTS DK L KHOSION. 

bruit, pas un cri, pas un être vivant ne vient troubler le calme 
de ces solitudes. 

Le Nl^'er nous emmène en des zigzags à angles aigus; nous 
parcourons ainsi le triple de la ligne droite qui joindrait 
Boumba et Kirtachi. Ce W est une faille brisée profonde, 
encaissée; la navigation n'y présente aucune difficulté, à part 
un ou deux seuils rocheux. Nous sommes assaillis fréquem- 
ment par des mouches noires dont la piqûre est douloureuse; 
François nous explique que cette bestiole vit dans les rochers, 
c'est à cause d'elle que cette région est absolument déserte. 
Seul, le Ni,.rer est habité. 

Les hôtes du N'fjer. — Des hippopotames jouent à côté de 
nous; de t(Miips en temps leurs énormes têtes émergent de 
Tonde; ils nous regardent, surpris par ces masses qu'ils n'ont 
pas coutume de rencontrer dans leurs parages; puis ils 
plongent pour émerger plus loin et nous observer de nou- 

— ICI — 



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LES llABl'IAMS DU NIGLR. 




A &1I-UISTA.NCB B.Mnii BOUMBA KT KIRTACIIl, LK MOEK B.NIRK, CALMB ET PnOl'OND, 

DANS UN Introït couloir. 



veau. L'hippopotame est une des distractions du Niger; lors- 
qu'il n'a jamais été blessé, la présence de l'homme lui importe 
peu, il ne s'attaque pas aux pirogues, encore moins à des 
chalands. S'il est dangereux de le tirer, il est fâcheux de le 
détruire; la satisfaction de posséder ses dents ou ses lanières 
ne devrait pas inciter les voyageurs à l'exterminer; car ces 
pachydermes débarrassent le fleuve des crocodiles en les 
écrasant de leur masse, au cours de leurs ébats. Nous serons 
moins indulgents pour les caïmans, qui sont les hôtes les 
plus dangereux et les plus redoutables du Niger. Nous en 
avons tué qui mesuraient 7 mètres de longueur; nous en 
avons pris qui sortaient de l'œuf. Tous les ans, au mois de 
janvier, lorsque le fleuve laisse à découvert les bancs de 
sable, la femelle va creuser un nid dans lequel elle dépose ses 

— 160 — 



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LE NIGER. 

œufs (40 à 60, suivant les spécimens) ; ils sont de la taille des 
œufs d'une dinde, avec cette différence qu'ils sont également 
arrondis à leurs extrémités. Deux ou trois mois après la ponte, 
lorsque le soleil a suffisamment couvé pour elle, la mère va 
gratter le sable et met ses petits en mesure de briser eux- 
mêmes la coquille. Le jeune crocodile mesure ainsi de 18 à 
20 centimètres de longueur; il mord et siffle dès qu'il éclot à la 
lumière; pendant la première partie de sa vie, il se développe 
assez vite, atteint près d'un mètre de longueur, puis il entre 
dans la mue. Tout le travail de sa nutrition a pour but alors de 
perfectionner ses organes respiratoires et son appareil digestif. 
Les indigènes prétendent que chaque année, lorsqu'il atteint 
une grosseur déterminée, ce saurien engloutit un caillou rond, 
gros comme un œuf de pigeon; nous avons, en effet, trouvé 
dans l'estomac d'un caïman qui mesurait environ 2 mètres, 176 
de ces cailloux, qui servent, toujours d'après les noirs, au 
broyage des aliments. 

Les grands crocodiles sont recouverts de coquillages et de 
végétation; lorsqu'ils dorment sur le sable, les pélicans et les 
cigognes se promènent sur leur carapace en y plongeant leurs 
becs; lorsqu'ils bâillent au soleil, des oiseaux, infiniment 
petits, picorent, entre leurs dents acérées, des détritus dont ils 
se nourrissent. C'est dans les rapides que les caïmans sont le 
plus agressifs; ils se tiennent au pied des trombes, dans les 
remous, pour saisir les poissons étourdis, pour happer les piro- 
guiers naufragés. 

Au moindre bruit de nos avirons, ils sortaient de l'abîme et, 
lorsque nous sommes descendus dans les tourbillons de 
Patassi, les laptots furent étonnés de les voir à ce point auda- 
cieux. 

11 n'en est pas de même en fleuve calme. Là, le voyageur a 
plus de temps à soi et plus d'occasions pour les fusiller, et l'on 
ne saurait trop l'encourager à détruire ces malfaiteurs aqua- 
tiques. 

Kiriacki. Sortie du Kouarra et entrée dans VIssa-Bcr, — Lo 

— 170 — 



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LES RIVERAINS SONT PLUS SYMPATHIQUES. 

21 mai, à 10 heures du matin, le convoi touchait à Kirtachi, 
laissant derrière lui des bancs de roches qui barrent le fleuve 
sans présenter le moindre danger. Ici nous quittions le 
Kouarra, ce premier tronçon du Niger, pour pénétrer dans le 
second, c'est-à-dire dans l'Issa-Ber des Sonraïs. 

La population change totalement d'aspect : ce ne sont plus 
des noirs qui viennent au-devant de nous, mais des individus 
fortement bronzés, dont les traits sont voisins de ceux des 
races berbères. 

Les Zabermas et les Djermas diffèrent peu les uns des autres; 
ils appartiennent à des races qui portent en elles la trace d'une 
civilisation effective, et chez lesquelles l'islam s'est implanté 
depuis longtemps. 

Quelques explorateurs pensent que ces tribus proviennent 
du croisement des Mandés et des Sonraïs, et seraient dès lors 
des Toucouleurs d'une espèce nouvelle; d'autres prétendent 
qu'ils sont issus de l'Orient et que c'est une migration sans 
mélange. 

Depuis neuf jours, nous sommes à court de vivres; mais le 
lieutenant Tilho, qui reçut ma lettre assez à temps, nous envoie 
de Say, en même temps que notre correspondance, une caisse 
de pain délicieux; il faut en avoir été privé pendant de longs 
mois pour apprécier la saveur incomparable de cet humble 
aliment. 

Le soir du 21 mai, vers cinq heures, le thermomètre placé 
sous le roof de mon chaland, marque 51 degrés centigrades! 
la tente du C 15 est surchauffée; elle arrête la brise et nous 
étouffons; la chaleur est tellement accablante que nous préfé- 
rons nous exposer au soleil pour activer notre transpiration; 
les nuages s'amoncellent au-dessus de nous ; si la température 
s'accroît encore, nous ne pourrons plus résister. Fort heureu- 
sement, une violente tornade vient rafraîchir cette fournaise. 

Fort'Archinard et Say. — En amont de Yellogouré, le Niger 
s'engage dans une étroite passe jonchée de dalles granitiques ; 
il contourne ensuite un chapelet d'îlots verdoyants, recouverts 

— 171 — 



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/./: M G EU. 



d'arbres gigantesques, qu'enlacent des lianes grimpantes. 
Les rayons du soleil ne peuvent percer ce rideau de ver- 
dure. Toute cette partie du lleuve est d'un aspect charmant : 



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les rocnes à fleur d eau sur lesquelles bruissent de petites 
cascades, la végétation touffue, la coulée d'émeraude où les 
nuages roux se reflètent, les vols d'oiseaux multicolores qui 
chantent dans la limpidité splendide de l'azur, tout respire un 
cliarme exquis et reposant! La nature semble avoir caché cette 
oasis de beauté dans les dunes d'un sable aride, au milieu des 
falaises rocheuses sur lesquelles poussent à grand'peine des 
mimosas épineux et sans ombre, comme pour dire au voya- 
geur sa puissance à donner la vie et à imposer la mort. 

Le 23 mai, à huit heures du matin, nous visitions les ruines 
de Fort-Archinard, et, deux heures plus tard, le convoi jetait 
l'ancre en face du poste de Say. 

C'est une petite agglomération de cases qui tombent en 
ruines et que l'on va reconstruire; quant au village, il nous 
laissa stupéfaits. De Say, je ne connaissais guère que les trois 
grandes majuscules vues sur la carte et diverses descriptions 

— 172 — 



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L'AyC/EyNE CAPHALL DU DJICIIMA. 

de date ancienne. Je pensais liouvcr là un centre imporlunl, 
il n'en est rien. Nous ne sommes pas les seuls qui soient 
tombés dans cette erreur, car le lieutenant Tilho nous fit lire 
une lettre de sa fa- 
mille qui le félicitait 
de son déplacement 
et lui annonçait 
qu'elle jugeait inu- 
tile d'envoyer cer- 
tains objets deman- 
dés, la a ville » de- 
vant posséder des 
magasins tout ap- 
provisionnés. 

Il existe encore h 
Say les vestiges 
d'une enceinte qui 
mesure plusieurs ki- 
lomètres de déve- 
loppement. La ville 
(levait être grande 
autrefois, il est cer- 
tain qu'elle comptait au moins vingt-cinq mille habitants. 

Elle était sise au croisement de diverses routes sur lesquelles 
on traînait des convois de captifs vendus sur le marché par les 
traitants de nègres ; les guerres ont décimé la population ; 
notre présence a chassé les Peuls rebelles à notre influence. 
Aujourd'hui, la population s'élève à deux mille cinq cents 
âmes; toutefois le pays se repeuple assez rapidement. 

Les habitants de Say sont des Toucouleurs, croisés de Peuls 
et de Sonraïs, mais chez qui le sang foulani prédomine; ces 
indigènes parlent trois langues, car les nobles s'expriment 
couramment en aoussa, peul et sonraï. Ce sont des hommes 
intéressants, avec lesquels on peut s'entendre; la race est 
extrêmement fine et sympathique; à part leur teint bronzé, ils 

— i73 — 




TUUCOULIiUH DU FOLlA. 



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LE jSIGER, 

ont l'aspect des Aryens et des Berbères que l'on rencontre sur 

le Niger, depuis Say jusqu'aux confins de la plaine de Djenné. | 

D'ailleurs le pays devient lui-même plus attrayant, bien qu'il 
semble ne rien produire. Le voyageur, qui passe en brûlant les 
étapes, ne peut se rendre un compte exact de la valeur éco- 
nomique du pays. Le Nil français, sur lequel nous allons navi- 
guer, ne laisse paraître aucune richesse; mais, en cherchant 
bien, il est facile de voir que l'indigène, quelles que soient sa 
paresse et sa négligence, obtient de ces terrains d'alluvion tout 
ce qu'il désire, lorsqu'un souffle de progrès et de nouveauté 
pénètre dans son cerveau. 

L'Issa-Ber, comme le Djoliba, ne possède qu'une crue; mais 
ces deux fleuves présentent une différence considérable : le 
Djoliba circule dans un pays où les pluies torrentielles forment 
la crue occidentale, tandis que l'Issa-Bcr est un dalhol, un lit 
d'ancien fleuve desséché, qui circule et s'allonge au milieu des 
territoires désertiques de la Boucle. 

A 22 kilomètres en amont de Say, en face du village de Kollo, 
le Niger quitte la direction est-sud-est pour descendre vers le 
sud en formant un grand coude. Autrefois, il longeait les 
falaises de la rive droite; mais les terres qu'il a déposées au 
tournant, se sont trouvées progressivement entraînées le long 
de ces falaises et ont modifié son cours. L'ancien lit du fleuve 
est très nettement indiqué par un marécage où se déverse le 
trop-plein de la crue; le nouveau lit du Niger s'est porté vers 
la rive gauche, en sorte que Say est dans une grande île 
comprise entre l'Issa-Ber et les marécages. 

Le 29 mai, le convoi débarquait son chargement à Niamé, 
point initial de la route Sinder-Niger, c'est-à-dire de la route 
allant au Tchad. Nous avions ainsi accompli la première 
partie de notre œuvre; nous avions, en effet, tout en recon- 
naissant la route à travers les rapides, déposé à Niamé les 
70 tonnes de matériel que nous avions emportées et qui 
devaient aller ravitailler le colonel Peroz à Sinder. 11 s'agissait 
dès lors de revenir à Arenbcrg-Badjibo pour y prendre un 

— 174 — 



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SEJOUR ET REPOS A SAY. 




Ll£ t'USlL: DB SAY. 



nouveau stock de marchandises et de matériel destiné à ravi- 
tailler les postes situés en amont de Say. Il nous fallait donc 
maintenant descendre d'abord le fleuve, puis le remonter une 
seconde fois, mais dans d'autres conditions. 

Le départ de Niamé commença aussitôt après que nous eûmes 
débarqué le chargement, et, le 2 juin, nous étions de retour à 
Say. 

Là, bloqués par la baisse des eaux, qui donnait au fleuve l'as- 
pect d'un chapelet de lacs séparés par des seuils rocheux, nous 
dûmes patienter deux mois. 

Séjour à Say, — Le lieutenant Tilho nous offrit la plus aimable 
hospitalité, et, pendant que, pour nous remettre de nos fatigues, 
nous préparions nos rapports et nos travaux de comptabilité, 
les laptols se dispersaient dans le village pour s'y livrer aux 
délices réservées à tout bon navigateur après une longue tra- 
versée.... 

D'après les nouvelles que j'avais reçues, le lieutenant An- 
tlioine se trouvant fréquemment malade dans son poste, je lui 
envoyai Tordre de quitter Badjibo et de se rendre à Forcados 
pour y prendre tout le matériel que nous avions déposé sur 

— 175 — 



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LE NIGER. 

Tenclave; ce voyage le remettrait de ses fatigues, Tair de la mer 
lui ferait du bien. Il en fut effectivement ainsi. Pendant ce 
temps, Groisne et Messéant poursuivraient à Badjibo les travaux 
que j'avais décidés. Quant à Boury, je dus l'envoyer au Daho- 
mey pour y recevoir des fonds; je restai onze mois sans le voir 
et sans être en mesure de le féliciter de vive voix pour l'éner- 
gie et l'habileté avec lesquelles il s'était acquitté de sa dure 
besogne. 

Le 4 août, le Niger avait remonté à Say de 80 centimètres 
au-dessus de son minimum ; nous avions assez d'eau pour opé- 
rer notre descente. 

Descente du Niger, — Je donnai l'ordre du départ et, le 19, nous 
accostions devant les cases de Boussa. Kissalé Dogo me donna 
deux guides qui montaient une petite pirogue, mais, à l'entrée 
de Garafiri, ceux-ci prétendirent que leur embarcation ne pou- 
vait franchir le rapide. Je me passai d'eux, puis j'engageai sur 
l'obstacle le convoi que le courant entraînait fortement. 

Le C15 franchit la grande volute et passe en un clin d'oeil de 
l'autre côté du couloir. C'est là que Tonié est précipité dans le 
fleuve et blessé par son gouvernail; mon chaland, privé de sa 
direction et livré à lui-même, va donner sur une roche; mais 
fort heureusement, resté debout sur le pont, je pus réagir de 
toutes mes forces avec la jambe gauche présentée pour atté- 
nuer le choc; cinq minutes après nous sommes sur les chutes. 
La crue orientale atteignait, ce jour-là, 3^65 d'altitude (le maxi- 
mum fut de 6™95 en 1901), de sorte que nous passons sur les for- 
midables Dents noires du démon, fort au-dessous de l'étiage 
des hautes eaux. Le vacarme est impressionnant; cette masse 
d'eau qui se réduit en écume fait penser de loin aux crinières 
flottantes d'une charge de blanche cavalerie; le C15 talonne 
sans se briser en longeant la rive gauche. 

Lanciné, Baniessé et Ousman, nous voyant dans une passe 
difficile, font des signaux aux autres pilotes et se dirigent vers 
la rive droite où le rapide est plus violent, mais plus profond. 
Amadi Diara, gêné par la poussière d'eau, ne les voit pas, des- 

— 176 — 



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PREMIÈRE DESCENTE DES RAPIDES. 

cend en plein milieu du fleuve et vient planter son chaland sur 
une roche. En deux minutes nous sommes tous entraînés à 
1 500 mètres en aval, tandis que nous voyons lembarcation 
d'Amadi Diara H^éQ 
sur place ; puis tout 
à coup nous virons 
et des îles viennent 
à la masquer. Ce fut 
un moment d'indi- 
cible angoisse. 

Sans retard, nous 
armons le C 15 et 
pour porter secours 
à Amadi Diara nous 
remontons, par les 
marigots, jusqu'en 
amont des chutes. 
L'équipage d'Amadi 
Diara se démène à 
bord, mais en vain, 
pour se dégager. 

Nous voyons les laptots qui, poussant sur le rocher, brisent 
leurs bambous en d'inutiles efforts; les vagues sautent par- 
dessus le chaland arrachant tout ce qui se trouve sur leur pas- 
sage. Baniessé prend la barre du C15, Lanciné le tient à bras 
le corps, parce qu'en essayant de dégager l'embarcation échouée 
nous pouvons éprouver une réaction capable de renverser le 
pilote; Tonié, Oumarou Kané et Sibry se portent sur la pointe 
de mon chaland avec des cordages et nous gagnons le large. 

Le C 15 bien dirigé passe à côté de l'épave, les amarres sont 
lancées, saisies au vol, fixées aux taquets, l'embarcation pivote 
sur la roche et se dégage. Elle n'avait pas été percée : sous l'in- 
fluence du choc, le bordage de pitchpin s'était réduit en fila- 
ments spongieux et le trou s'était fermé de lui-même. 

Nous descendons Patassi (2 250 mètres) en 3 minutes 20 secondes 

— 177 — 




LANCINK CUIRE, 80US-CIIBP l'ILOTB DB LA FLOTTILI.B. 



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LE NIGER. 

(vitesse : 36 kilomètres) par le bras central; 40 minutes après 
nous sommes en eau calme, au pied du petit bras d'Ourou. 1^9 
tourbillons que l'on franchit en aval de ces deux rapides nous 
ont fait valser à leur aise; mais avec de pareilles embarcalloas 
il n'y a pas le moindre danger; notre accident de Garafiri le 
prouve d'ailleurs abondamment. En quelques heures (dont six 
dans les rapides), nous avons fait une route qui nous avait 
demandé 20 jours d'un travail surhumain en sens inverse. Le 
20 août, le convoi s'abritait dans le Doko et nous débarquions 
sur l'enclave d'Arenberg. 

J'avais écrit à M. Watts, pendant notre séjour à Say, pour 
qu'il utilisât notre carte du chenal entre Jebba et Badjibo afin 
de faire pousser jusqu'à l'enclave d'Arenberg les vapeurs qui 
devaient, dans le principe, apporter à Jebba le matériel déposé 
à Forcados. 

Cette tentative n'avait jamais été faite avec de grands navires. 
M. Watts ne me répondit pas immédiatement; mais il ne perdit 
pas son temps en phrases dilatoires. Quelques jours après, je 
reçus tout simplement une lettre me disant que cela coûterait 
un supplément de 12 fr. 50 par tonne (pour 70 kilomètres) ; puis 
le lendemain, le vapeur « Sudan » de 200 tonneaux accostait la 
berge et débarquait son matériel dans le port d'Arenberg. 

Anthoine revint de l'enclave Toutée complètement remis de 
ses malaises. 11 était même mieux portant que nous, n'ayant pas 
éprouvé tous nos tourments. Je fis remettre à neuf tous les 
bateaux de la flottille; et vers la fin de septembre, je me rendis 
à Jebba pour affaire grave. Trois Français, arrivant d'Argoun- 
gou, venaient d'être incarcérés sous le coup d'une accusation 
terrible : on leur imputait le meurtre du capitaine Keyes. 
M. Wallace, qui remplaçait le général Lugard, me pria de les 
voir, de les entendre et de présenter leur défense devant le tri- 
bunal qui devait se réunir à la fin d'octobre. 11 voulait que ces 
hommes fussent traités avec humanité, et il s'y employa de tout 
son pouvoir ; mais Je ne pus accepter sa proposition pour diverses 
raisons. D'abord le Gouvernement français ne m'avait pas donné 

— 1-78 — 



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LAVA LANGUE DES HAUTES EAUX 

d ordres. J'en provoquai immédiatement par câblogramme que 
M. Wallace envoyait au Gouverneur général à Saint-Louis, soit 
pour que je fusse chargé de la défense, soit pour qu'on envoyât 
un avocat du Dahomey. Le 8 octobre, aucune décision n'avait 
été prise, aucune réponse n'était parvenue. 

Le fleuve baissait, le départ du deuxième convoi était immi- 
nent; ma place était avec les équipages dans les rapides. Il fal- 
lut partir. J'en étais à ma troisième attaque de fièvre bilieuse 
qui m'avait surpris le 7. Incapable de supporter la route, je don- 
nai la direction de la flottille à Lanciné, puis le 8 au matin je 
me fis déposer dans le G 15 qui rejoignit le soir môme la tête du 
convoi. Anthoine et Groisne m'accompagnaient, nous avions 
avec nous un passager anglais, le lieutenant Gordon, que 
M. Wallace avait délégué en pure forme auprès de nous et qui 
ne cessa d'être plein de complaisance. Il débarqua à Guiris pour 
continuer ses services à Ghengakoï (au nord d'Ilo). En arrivant 
à Ourou, Anthoine fut gravement malade. Il pleuvait tous les 
jours, toutes les nuits; les rafales nous trempaient jusqu'aux 
os, les tornades bousculaient les chalands et projetaient des 
trombes d'eau dans le fleuve dont le courant s'accélérait. La 
chaleur était très lourde, la réverbération tellement intense 
c{u'un matin je fus frappé d'insolation dans les yeux. Rien n'est 
plus effroyable que de se croire aveugle ou tout au moins en 
passe de le devenir. L'hôpital de Jebba était à huit heures de 
fleuve en aval; le médecin de Sorbo était à cinquante-trois 
jours de nous, mais dans la direction qu'il était de mon devoir 
de suivre : je préférai donc continuer ma route et poussai vers 
Sorbo. Le convoi passa le rapide d'Ourou et se présenta devant 
l'escalier de Patassi ; nous fûmes tous effrayés par cette trombe 
qui roulait des vagues en tire-bouchon, mais enfin nous la lais- 
sâmes derrière nous. Puis nous arrivâmes à Garafîri; c'est en 
luttant contre cet obstacle que nous avons le plus souffert. Le 
convoi lutta trois jours et trois nuits dans ce rapide; les îles 
étaient submergées; nous demeurions les nuits à l'ancre au 
milieu des rochers. Les tornades s'abattirent sur nous, per- 

— 179 — 



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LE MGER. 

sonne ne dormit, mes hommes étaient tellement fatigués qu'ils 
préféraient ne pas manger pour sortir plus rapidement de cet 
enfer, car il n'y avait pas un pouce de terre où l'on pût Installer 
feux et cuisines. 

Je n'avais pas voulu exposer le lieutenant Gordon dans les 
rapides. Sous prétexte de rassembler des vivres, Anthoine reçut 
l'ordre de rejoindre Boussa par la route, avec cet officier anglais. 
C'est là que nous les retrouvâmes : Groisne m'avait accom- 
pagné, Groisne dont l'énergie égale le dévouement. 

Ce deuxième voyage fut plus pénible que le premier : la saison 
des pluies est déprimante; et puis, on ne navigue pas de longs 
mois sur le Niger sans payer tribut à la maladie; mais nous 
avons atteint Gaya sans débarquer une seule caisse aux rapides, 
sans rien perdre, sans rien briser. En nous retrouvant à Say, 
le 3 décembre, nous recevions des courrers volumineux et des 
nouvelles impatiemment attendues. 

Climatologie de VIssa-Ber. — Tout le pays qui s'étend en terri- 
toire français à partir de Kirtachi le long de l'Issa-Bcr est très 
sain, sans en excepter Say et ses marécages. Il y fait en été 
des chaleurs torrides, mais Tair est extrêmement sec ; la brise 
est chauffée par le sable et par les rochers du désert; les 
miasmes sont détruits par le soleil; il n'y a ni brouillards ni 
buée, comme on en trouve sur le Bas-Niger; il n'y a presque 
pas de moustiques, tandis que les rives du Kouarra en sont 
infestées. 

L'hiver est assez froid, l'hermattan souffle tous les matins à 
partir de huit heures jusqu'à deux heures de l'après-midi, les 
nuits sont parfois glaciales, les matinées fraîches, les journées 
chaudes, les soirées agréables. L'Européen qui s'est anémié sur 
les territoires malsains du Bas-Niger retrouve là tout ce qui 
convient au rétablissement de sa santé : air vif et pur, fraîcheur, 
laitage, vivres frais, jardins, etc. 

Le i\"d Français, Produits et richesses, — Nous étions sur l'Issa- 
Ber à l'époque où la crue occidentale monte lentement et sûre- 
ment ; elle recouvre de vastes prairies au bord desquelles paissent 

— i80 — 



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LES RICHESSES Db ML JltAyÇAIS. 

des troupeaux de chevaux, de moutons et de chèvres, inonde 
les berges, puis monte dans les champs de mil dont les grosses 
tiges, incomplètement desséchées et coupées, s'ornent à nou- 
veau de quelques fcuil- 




DJEltMA DK SOHUU lUACE U ultlGlNB MANoi). 



les vertes. L'indigène 
cultive à sa manière; 
il gratte ces alluvions 
avec une raclette, écarte 
la terre avec son orteil 
pour n'avoir pas à se 
baisser, puis laisse tom- 
ber dans le trou ainsi 
formé trois grains de 
mil qui vont devenir un ^ 
épi. Les rizières sont ra- 
res, mais belles; le noir 
en fait le moins possible 
parce que le mil est 
moins pénible à cultiver 
que le riz qui nécessite 
des repiquages et des 

soins. Il est certain que si les Djermas voulaient, ils auraient 
des céréales à profusion. Il ne faut pas d'ailleurs les accabler de 
trop vifs reproches; autrefois ce pays était très riche, mais lors- 
que les Touareg y firent invasion, ces pillards dévastèrent les 
villages et ne tardèrent pas ainsi à dégoûter les riverains de 
toute idée de travail et d'économie. Nous avons vu, sur les ber- 
ges, des jardins potagers admirablement entretenus; il y avait 
des planches de cultures variées : oignons d'Egypte, piments, 
épinards, niébés (haricots du Soudan), tomates, fabiramas, ta- 
bac, etc., tout cela présentait des alignements soignés et sé- 
parés par des rigoles d'irrigation. 

L'un des inconvénients du pays est le manque de bois do 
chauffage, remarquez bien que je ne dis pas ; manque de com- 
bustible, puisque le bourgou, succédané de l'alcool, foisonne 

— 181 — 



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LE NIGER. 

dans le Niger; mais l'indigène ne sait pas s'en servir. Dans tous 
ces territoires qui, chaque année, se recouvrent d'un limon 
nouveau, (\\\\ rocnivont nn apport nourricier au milieu môme 




BŒUP DUS TROUPEAUX TOUARBO, UNB DBS PLUS GRANDES RICHESSES DU SOUDAN 
ET DB L'ISSA-BBR. 



du Sahara, il est des cultures qui peuvent devenir pour la 
France une source de richesses : ce sont d'une part le coton et 
l'indigo; d'autre part : l'arachide, le sésame, le caoutchouc, le 
karité; sans compter l'ivoire, les peaux, les laines, les tissus, 
le tabac, puis des récupérateurs solaires, la patate, l'igname, 
le manioc, la betterave, l'ozonifi, et peut-être même le topinam- 
bour. Quant aux autruches on les élève dans les îles du Niger; 
l'aigrette pullule à partir de Say jusqu'à Diafarabé. Je tien© à 
le répéter : le Nil français ne produit presque rien à l'heure 
actuelle, son rendement est à peu près limité aux besoins do 
ses riverains, mais il peut produire de tout. 

Le Nil français est par excellence le père nourricier du coton. 
Pour qu'une terre soit favorable à cette culture, il faut d'abord 
une période humide qui fasse germer la graine et développe 
les premières feuilles; puis une période sèche pendant laquelle 
la tige se fortifie et la fleur s'épanouit. 

— 182 — 



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LE COTON SOLDAhAlS. 

Or, sur le Niger, nous avons d'abord une saison des pluies 
pendant laquelle le noir sème la graine; puis quand la tige est 
assez forte, en octobre, la pluie cesse; la fleur se développe et 




AUTllLCUU KLEVLB l'Ail LUS IMHOKNBS DANS LbS ILUb UK L ISSA-UER, 
U>B DES RICHESSES DU PAYS. 



s'épanouit à la rosée du matin; enfin, elle mûrit au début de la 
saison sèche (fin novembre). 

Le coton « indigène » est à soie courte, tenace et résis- 
tante; c'est un produit brillant, des plus agréables à l'œil et au 
toucher, dont il sera facile de corriger quelques défauts. Le 
Gouvernement du Soudan a créé des jardins d'essai à Kouli- 
koro, c'est un premier pas vers le progrès. Il est probable que, 
tous frais payés, le kilogramme de coton égrené, comprimé, 
puis emballé, ne reviendra pas déchet compris à plus de fr. 60, 
soit 600 francs la tonne; le chemin de fer de Kayes au Niger 
pourra le transporter pour 45 à 50 francs à bord des vapeurs 
qui remontent à Kayes pendant l'hivernage, et ceux-ci le dé- 
poseront pour 40 ou 50 francs de plus à Bordeaux ou à Mar- 
nillc. Donc, pour 700 ou 750 francs, l'industriel français possé- 
dera la tonne de coton, qu'il paie actuellement jusqu'à 800 francs 
sur nos marchés, où se déversent les produits américains. 

— 183 — 



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LE NIGER. 

Quant aux autres produits, arachides, ignames, patates, etc., 
ce sont des cultures extrêmement productives, auxquelles Tin- 
digène se livre sans le moindre effort. Sans porter atteinte à la 
douceur de ses siestes, il pourrait en produire dix fois et même 
vingt fois plus; il suffirait pour cela qu*il en reconnût l'utilité. 

La main-d'œuvre indigène. -^ Les populations sont tellement 
clairsemées, la guerre les a décimées à tel point, que la main- 
d'œuvre en a subi le contre-coup. Cependant, on ne peut pas 
dire qu'elle soit difficile à trouver, car les travailleurs ne 
manquent pas; et ils pourraient être bien plus nombreux 
encore, la moitié des indigènes au moins se refusant à tout 
travail. Ils dorment ou se promènent, tandis que leurs domes- 
tiques et leurs femmes se livrent à la culture des champs de 
mil ou bien aux soins de la maison. Nous avons néanmoins 
toujours pu recruter le nombre de travailleurs qui nous étaient 
nécessaires, et pendant nos campagnes de 1898 à 1900, nous 
avons eu près de deux mille ouvriers, laptots et manœuvres, 
au service des travaux et de la flottille de Koulikoro. Il est 
probable que ces populations prolifiques vont s'accroître et se 
décupler, grâce à la sécurité qui règne dans le pays. En vérité, 
à l'heure actuelle, on est presque toujours certain d'avoir le 
nombre de travailleurs que l'on désire en payant régulièrement 
la solde convenue. 

Le Soudan, d'ailleurs, est un pays où la machine doit un jour 
remplacer la main-d'œuvre ; avec elle, on vaincra l'inertie des 
indigènes ou, du moins, l'on n'aura plus à en souffrir. 

Quant à trouver des ouvriers capables de diriger des ma- 
chines, de les comprendre et de les réparer, il n'en manque 
point au Soudan. Les ateliers de Kayes et de Saint-Louis sont 
peuples par des Ouoloffs, des Kassonkès, des Saracolès, des Tou- 
coulcurs et surtout par des Bambaras. Ce qu'il faut là-bas, c'est ce 
que nous appelons communément « des tournebroches nègres », 
des machines simples que le sable ne détériore pas facilement, 
dont le nettoyage et les réparations soient des plus commodes. 

l^e pays offre encore des bois superbes que l'on trouve dans les 

— 184 — 



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HAUTES FUTAIES ET DOIS DE CONSTRUCTION. 




BATIMENTS ET A>'>'BXK8 QUI DOIVKNT SlîllVllt l'UL'R l'ÉTL'VAOE DE LA rAlUAiS 
FABRlQUbB A LA MINOTERIE DE KOUUKORO. 



hautes futaies du Dani, du Badinko, du Bclédougou; ce sentie 
vine, le caïlcédrat, le Hngué, le karitc, bois durs pour menui- 
serie fine, charpente, travaux d'art; le sô, le boun-bou, Talomc, 
le soum-sou pour les planches, les poteaux, les avirons, les 
pièces élastiques. 

Les gisements de calcaire sont rares ou plutôt mal connus; la 
terre argileuse des bords du Niger donne d'excellentes briques 
et de bonnes tuiles; les carrières de grès rose que l'on peut 
ouvrir en maints endroits se présentent par bancs réguliers; 
taillés avec soin, ces grès donnent à la construction un aspect 
des plus agréables. Les minerais ferrugineux (limonite ou fer 
hydroxydé, pyrite, minerais magnétiques, etc.) sont exploités 
par les indigènes, parmi lesquels on trouve une caste spéciale 
de gens (les noumoukès) qui, de père en fils, forgent aveo beau- 
coup d'adresse. 

— 185 — 



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LE NIGl^n. 



Nous avons mis sous les yeux du lecteur le tableau des pro- 
duits que l'on rencontre en parcourant la vallée du Niger et de 
SCS collatéraux. Ces denrées et ces matériaux ne sont pas tous 

groupés dans une même zone, 
Lien au contraire : les richesses 
du Soudan se divisent par espè- 
ces sous des latitudes qui leur 
sont propres. Ainsi, les rizières 
sont au-dessus du 13« parallèle ; 
le caoutchouc, le karité, etc., 
sont en dessous, tandis que l'a- 
rachide, l'igname, la patate su- 
crée, etc., empiètent de part et 
d'autre. 

De Say à Sorbo. — Les îles cul- 
tivées et habitées du Niger ne 
commencent qu'à partir de Do- 
ga. Il y en a de fort belles, 
d'autres sont couvertes de gra- 
viers, mais elles constituent 
l'exception. Niamé est un des 
points où la falaise est le plus à pic; le désert inaccessible à la 
crue se trouve au bord du fleuve, mais plus loin on trouve de 
grandes îles et des marchés : à Laniordé, Birni, Tondikoria. 

C'est à Boubo que l'on entre dans la région des « rapides du 
Nord » ; ce seuil rocheux, qui présente des passes faciles, pro- 
duit néanmoins une accélération du courant. Le 10 décembre, 
nous arrivons à Sorbo, chef-lieu de la population courteilhe (ou 
courtébé), qui nous a fourni cent soixante piroguiers. 

Les Courlébés. — Ces indigènes présentent l'aspect de deux 
races différentes. Je ne me tromperai probablement pas en 
distinguant le Courteilhe du Courtébé, ce dernier semblant 
être ou avoir été sous la domination du premier. L'un est un 
homme de belle taille, au teint bronzé, d'allure noble et fîère. 
Ses traits sont réguliers comme ceux des Djermas, des Zaber- 




Pir.OGt'IEIl COLUTllué. 



— 486 — 



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LES PinOGUIERS DE L'ISSA-BER. 




Li:S KmLI(2> a chaux i>E kOLi.lKUllU UU L U.N i^ClsAlT LES COQUILLES UiiLirilEb 

DU fli:lve. 

mas et des descendants des Sonraïs. L'autre est un noir dont 
îa pliysionoMiie est des plus sympalliiques, c'est un croisement 
«le I;i race mandé (Bambaras ou Somonos), avec la race cour- 
lébc. Nous sommes ici en pays civilise, chez des gens dont les 
mœurs sont des plus pacifiques. Le Gourtébé est l'homme du 
neuve, le piroguier des rapides. 11 navigue sur de belles pirogues 
d'une seule pièce, qu'il dirige avec une pagaie, dont la palette 
est d'une superficie cinq fois moins grande que celle des pagaies 
de Boussa (cela permet d'ailleurs de comparer les courants de 
res deux régions où le fleuve est difficile). Ici, les tatouages et 
les cicatrices disparaissent à peu près; le Courteilhe a la tête 
rasée, mais coiffée d'un turban; le Gourtébé se rase également 
les cheveux, ménageant toutefois des couronnes concentriques 
ou une croix, partant du sommet du crâne et qu'il conserve à 
titre d'ornement. 

— 187 — 



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LE M G LU. 

T^ous avons retrouvé chez les Gouitébés des préi oms, Has- 
san, Alleïdou, Ousman, Arighio, etc., que portent les Somonos; 
d'ailleurs, ces derniers sympathisent avec eux et les considèrent 
comme des collatéraux. Lanciné, qui parle tous les dialectes du 




PORT DANSONGO. 



Niger, me disait un jour : « Ces nhommes-là, y a toujours cor- 
der (accorder) avec nous, même chose Bambaras. » 

Sorbo est un centre assez riche, mais les terres sont peu 
cultivées. Le Niger y reçoit sur la rive droite un affluent, la 
Sirba, qui vient de l'intérieur de la « boucle » et traverse des 
forêts où les piroguiers vont abattre de gros arbres pour y 
creuser leurs embarcations. Cette rivière est grossie par les 
pluies de l'hivernage et par des marcs que Barth a rencontrées 
sur sa route. La flottille a son port de repos et son sanatorium 
à l'embouchure de la Sirba; c'est là que le personnel va se 
remettre de ses fatigues et de ses privations, à quelques cen- 
taines de mètres du poste militaire et des camarades, toujours 
prêts à nous bien accueillir. 

A Sorbo nous renouvelons nos équipages fatigués, et le 
16 décembre, la flottille se remet en marche vers le nord. 
Notre deuxième convoi devait ravitailler tous les postes du 
Niger jusqu'à Ansongo, sommet des derniers rapides, ainsi que 
ceux qui se trouvent à plus de 120 kilomètres à l'intérieur de 

— 188 — 



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IXONDATIONS. — ILES INNOMBRABLES 




EMOOUCIIURB DB LA 81RDA, APPLUBNT OB l'iSSA-BBR. 

la boucle. Nous visitons Sansané Aoussa, Maloum, grand centre 
populeux qui se compose d'une vingtaine de villages situés dans 
des îles, Tillabéri où le fleuve présente un petit rapide; puis 
nous arrivons à Sindcr-Niger. Dans toute cette région, les 
abords du fleuve sont très cultivés, les inondations s'étendent 
parfois à perte de vue dans les échancrures du plateau nigé- 
rien; nous naviguons sur des rizières et des champs de mil 
récemment moissonnés et dont les récoltes sont emmagasinées 
dans les greniers de Sinder. C'est une île qui paraît extrême- 
ment peuplée. L'aspect de ce village est des plus curieux. Les 
Indigènes construisent, en guise de resserres, d'immenses jarres 
renversées, véritables hémisphères de 2m50 de diamètre, en 
superposant avec régularité des assises d'argile très minces. 
Ils ménagent une ouverture circulaire à la partie supérieure 
qu'ils recouvrent d'un chapeau; puis, lorsque le soleil a séché 

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LE M G En. . 

la terre glaise, ils allument à rintérieur un grand feu de paille 
pour d ircir cet ingénieux magasin qui résiste assez longtemps 
aux ;)luics de rhivcrnncro. 




VIL LAOS DK SIN UBR. 



Autrefois, les Touareg opprimaient la région et pillaient les 
récoltes; mais les habitants se préservaient de leurs incursions 
en centralisant les grains dans ces îles que l'ennemi ne pouvait 
atteindre, faute de pirogues. 

Les rapides du nord. — Le fleuve est d'abord facile en amont 
de Sorbo; nous campons à Tibi Farca, point terminus de la 
première mission Toutée; puis les rapides commencent. L'obs- 
tacle de Dessa est un étranglement rocheux; Kendadji paraît 
plus difficile, mais nous l'avons franchi en vingt-cinq minutes. 
En ce point, le fleuve est dominé sur chaque rive par deux amon- 
cellements granitiques, aux roches arrondies, qui semblent 
descendues d'un immense tombereau et qui projettent une bar- 
rière dans rissa-Bcr. C'est à Kendadji que le plateau nigérien 
révèle ses derniers vestiges, son allure générale et sa nature 
géologique. Il n'en reste plus que des buttes en forme de trapèze 
de 175 à 200 iiicti'cs d'altitude. Ici, la vallée est un dédale ini- 
maginable de petits bras et d'îlots, sur lesquels se trouvent de 
beaux villages; de superbes autruches y courent en liberté. 

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LE NIL FRANÇAIS, 




RAPIDES DB KKMlADJI PlIOTOQRAl'Ulh» AVLC LBS ILBS QL'U I UUMli L IbSA-BKR 
A 180 MÈTRES PB HAUTBUR SUR LA MONTAONB DB KBNl>AnJI. 



Le coton, l'indigo, le riz, le mil, les jardins pota^^^crs, croissent 
dans toute cette contrée. 

Arrivée à Dounzo^i. — Le 24 décembre, nous passons le rapide 
i'Ayorou et jetons l'ancre devant Dounzou, le plus beau poste 
de toute la région. Le lieutenant De Saint-Maur qui comman- 
dait à Sinder nous y rejoint pour partager avec nous lintéres- 
sante hospitalité du lieutenant Thibaut. 

Rien ne manque à Dounzou, même les primeurs; Adrien en 
est ravi. Immédiatement il s'installe à la cuisine et prépare dos 
mets succulents pour les fêtes de Noël. Mes pilotes sont à bout 
de forces; Ousman en est pâle; Koloba et Lanciné sont exté- 
nués : nous effectuons depuis soixante-dix-huit jours des ét»ipcs 
de 35, 40 et même 50 kilomètres. Un repos sérieux semble donc 
tout indiqué. Groisne est également souffrant; le froid des 
nuits est, pour notre sang épuisé, un stimulant excessif qui 
nous donne des accès de fièvre. 

Je ne saurais dire combien ces quatre journées de repos 

— 193 — 



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LE NIGER 




RAPIDES DE KE.NDADJI PHOTOaR\PHl£s AVEC LES ILES QUE FORME l'ISSA -BBP 
A 180 MÈTRLS DE HAUTEUR SUR LA MONTAGNE DE KBADADJI. 



furent agréables. Le paysage est charmant; le jeune officier 
qui commandait le poste nous était, ainsi que son collègue, des 
plus sympathiques. C'est là que nos santés ont acquis la force 
dont elles avaient grand besoin pour l'assaut des futurs rapides; 
nous avions beaucoup souffert dans les marécages du Bas- 
Niger, et mieux que personne, nous sommes à même d'appré- 
cier tous les effets salutaires dont nous sommes redevables à 
la vallée du Nil français. 



# 



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CHAPITRE VII 

Le Nil français, Issa-Ber (suite). — Rapide de Labezenga. — Timbouctoa. — 
Touareg. — Bellas et Dagas. — Le Bara-Issa et le Koli-Koli. — Naufrage sur 
le Débo. — Le delta Niger-Bani. — Le Djoliba. — Ses piroguiers. — La 
légende du roi Mouroubo. 

JE profitai des bons offices du lieutenant Thibaut et des excel- 
lentes relations qu'il entretenait avec ses administrés pour 
donner à mes équipages tout le confort nécessaire. La région 
est habitée par les Touareg, qui paissent là de superbes trou- 
peaux. Un véritable fléau, la peste bovine, réduisit, ces der- 
nières années, les richesses des Nomades. La région du Nil 
français est tellement semblable à l'Egypte, qu'elle a aussi ses 
plaies intermittentes. 

Vie des To*Àareg et Régime hydrographique de la Boucle, — 
La vie des Touareg est variable, car elle se règle sur la marche 
de leurs troupeaux; or ceux-ci se déplacent avec la crue du 
Niger et leurs mouvements sont intimement liés à son régime. 

Chaque année, vers la fin de juin, les Touareg s'enfoncent 
dans l'intérieur de la Boucle et vont hiverner dans la région 
des mares grossies par les pluies de la saison. Ils y trouvent 
de l'eau, de l'herbe qui croît et se développe avec l'humidité. 
De plus, après chaque tornade, lorsque le soleil a pompé les 
flaques d'eau, le sol se recouvre d'efflorescences salines, dont 
le bétail est très friand et qu'il lèche pour son plus grand bien. 

Le chapelet de mares qui s'étend à l'intérieur de la Boucle 
du Niger n'est pas indépendant du fleuve. Il existe des canaux 
pcrennes qui le font communiquer avec l'Issa-Ber, et chaque 

— 495 — 



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LE NIGER. 




LE TARGUI AN'AOUAR QUI UEPUlb SA SOUMlSttlOiN KLMbU A PUUXIAIITU DB SlNUKIi. 

année, vers le milieu d'août, on peut remonter en pirogue à 
de grandes distances du fleuve. Nul doute que ce chapelet de 
mares soit un ancien fond marin, mais il n'est plus aujour- 
d'hui qu'un régulateur de la crue, à l'égal de la région lacustre 
que l'on trouve à l'ouest de Timbouctou. 

C'est près de ces mares que les Touareg hivernent jusqu'au 
mois de mars. A cette époque la sécheresse les repousse vers le 
Niger, dont la crue (maxima en février) commence à découvrir 
les pâturages riverains. Escomptant déjà ce retour et craignant 
de me trouver dans l'impossibilité de nourrir mes équipages 
avec les ressources infimes du Kouarra, je résolus d'acheter 
un troupeau et de l'envoyer à Say, afin de l'y trouver lors 
de ma descente prochaine sur Arenberg. Thibaut fit appeler 

— 196 — 



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LK TAIlOri KKllMADJI SI K SON CIIAMK\U l»K COIRSK. 



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LA MENTALITE DES TOUAREG. 

le targui Kermadji qui campait sous la tente à 120 kilomètres 
de Dounzou. Celui-ci, monté sur un chameau de course, fran- 
chit en un jour la distance qui nous séparait. Je lui demandai 
six cent soixante-quinze chèvres et moutons, livrables à Say 
dans les dix-huit jours, moyennant un prix déterminé, d'après 
échantillons que nous lui montrâmes dans le troupeau du poste. 
Il réfléchit, discuta, montra les difficultés de l'entreprise, puis 
après mainte pourparlers, nous exposa consciencieusement ce 
qu'il pouvait faire. Un noir eut accepté tout de suite nos pro- 
positions par obéissance, mémo sans être certain de tenir sa 
parole. Il n'en est pas de même des Touareg : ce sont des gens 
naïfs et d'une éducation primitive, mais ils sont intelligents 
et soucieux de tenir leur promesse. Il fut convenu que deux 
hommes des tentes de Kermadji conduiraient le bétail à Say 
en vingt et un jours. Je payai d'avance sans hésitation; d'ail- 
leurs, à la date indiquée, je trouvai mon troupeau en parfait 
état; il s'était même accru d'une dizaine de petits chevreaux 
en cours de route. Nous avons dit au lecteur ce que nous 
pensons des diverses races riveraines du Niger; il ne nous 
semblait donc pas inutile de lui montrer que les Touareg, 
aujourd'hui soumis et pacifiés, ne sont pas des gens indignes 
de vivre à nos côtés ni incapables de se livrer à des transac- 
tions dont nous puissions un jour tirer profit. 

Derniers rapides, — Nous quittons Dounzou le 27 décembre; 
le convoi remonte et dépasse les seuils de Firkou et fait 40 kilo- 
mètres dans sa journée. Le lendemain, vers huit heures du 
matin, nous atteignons le rapide de Labezenga, le terrible 
gouffre dont les dangers firent couler des flots d'encre et dire 
tant de paroles inutiles. Les officiers et soldats européens de 
nos territoires du Niger le passent couramment en pirogue; 
le convoi l'a franchi en quarante-cinq minutes, bien qu'il ait 
4 kilomètres de longueur. 

A l'endroit où le rapide commence & se dessiner, le fleuve se 
partage en deux bras. Le brus de gauche est barré par deux 
lignes de roches formant des cascades entre lesquelles OD 

— 499 — 



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LE NIGER, 

trouve un assez mauvais passage que les Imiigènes n'utilisent 
jamais. Le bras de droite est traversé dans toute sa largeur 
par un alignement schisteux que le Niger ne tardera pas à 

renverser. J'ai tou- 
ché dj la main une 
roche sur laquelle 
mon chaland s'est 
accroche ; c'est une 
.grosse ardoise qui 
n'a pas 20 centimè- 
tres d'épaisseur; s'il 
y avait un peu plus 
de courant tout l'a- 
lignement disparaî- 
trait; il y a partout 
des brèches capa- 
bles de livrer pas- 
sage à des embar- 
cations de la taille 
de nos grands cha- 
lands en acier. Le 
courant n'a pas 8 ki- 
lomètres de vitesse. 
J'ai fait tirer le Cl 5 
à sec pour examiner les traces du passage : le bois n'était môme 
pas LTalté. 

Rapides ci' Fafa; un coup d'œil sur lu contrée, — Nous trou- 
vons ensuite sur notre route les petits rapides de Fafa. La con- 
tn'e devient tout à fait sauvaire, elle est presque déserte. C'est 
dans ce pays que les Nomades pratiquaient leurs plus terribles 
déprédations. 11 n'y a pas deux ans qu'ils ont été mis à la rai- 
son : avec le calme reviendront les hommes et les cultures. 

Les races m(^ paraissent ici plus complexes et plus variées. 
Les Foul])és pillards côtoient les Bellas et les Dagas. Les Bellas 
sont des croisements de 'louareL^ et de Foulanis; ce ne sont pas 

— îî?00 — 




L.s i;i..NAOJ. Ki.l LA fcT SO.N IlIC.' I:T().\ (BEIIGERS 
DU roSTK Dli DOU.NZOL). 



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NOUS ARRIVONS AU DUT. 

les captifs du Targui, mais plutôt des Nomades qui plantent 
leurs tentes à côté des siennes, remplissant l'office de régis- 
seurs des troupeaux ou de métayers. En raison de sa noblesse 
ou de sa descendance, 




- „ •'■■'^^ 



le Targui se contente 
de posséder, de sur- 
veiller et de débattre 
ses intérêts; il passe 
un contrat avec le Bcl- 
la, qui moyennant re- 
devance, s'engage à 
lui maintenir son bétail 
en bon état sur un ef- 
fectif donné. Ce der- 
nier dispose de l'excé- 
dent ou complète ce 
qui manque; mais trop 
fier à son tour, il confie 
l'avilissante corvée des 
pâturages aux bergers 
dagas qu'il traîne à sa 
suite. 

Le !•' janvier à midi, 
poursuivant notre rou- 
te vers le nord, nous accostons devant l'île de Bourra, dont le 
chef Idris nous comble de cadeaux. J'ai mis de côté quelques 
conserves fines qu'Adrien accommode avec soin. Il y a exacte- 
ment quatre-vingt-cinq jours que nous sommes en route : rai- 
son de plus pour organiser un déjeuner confortable et boire à 
nos santés. Attablés en plein soleil, nous fêtons la nouvelle 
année et nous trinquons au succès de la mission. Le soir, à six 
heures, nous étions devant l'île d'Ansongo. 

Au but! — Nous voici donc en eau calme, au terme de 
notre voyage, réconfortés par le succès du deuxième voyage, 
ayant prouvé par deux fois qu'il est possible de pénétrer au 

— 203 — 




DBROKR DAOA QUI ACCOMPAGNAIT LA FLOTTILLII 

BT CIIAQUB SOIR 

DBDARQUAIT LB TROUPEAU POUR LB FAIRB PAITRB. 



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LE SIGER. 

cœur môme du Soudan par le Bas-Niger. Je donnai Tordre de 
décharger les embarcations et décidai que nous commencerions, 
le 3 janvier, la descente sur Badjibo, où nous ne devions ren- 
trer que le 4 février, après une marche de cent dix-neuf 
jours^. 

En 1899, lors de ma première excursion sur le fleuve, j'avais 
atteint et dépassé Ansongo; je me trouvais donc en pays déjà 
visité par moi, et je vais dorénavant décrire le Niger d'après 
les souvenirs de mes expéditions antérieures. 

En fleuve calme. — A partir d' Ansongo jusqu'à Timbouctou, 
Ségou, Koulikoro et Toulimandio, c'est-à-dire sur environ 
1 400 kilomètres de son cours, le Niger est absolument calme. 
Les rives de l'Issa-Ber sont à peu près désertes, parce que les 
Touareg ont tout pillé. Cependant nous sommes au milieu 
d'une vallée qui, deux siècles auparavant, était habitée tout le 

1. J'arrivai à Boussa, le 2 février, le fleure avait repris son régime de la saison 
sèche. Les chutes de Garafiri, trop accentuées, nous obligèrent à descendre par 
le marigot central de gauche. Le 4 février, de bon matin, le convoi rentrait à 
Tenclave d'Arenberg sans le moindre accident, sans la moindre perte. iVlalheu- 
reusement, Anlhoine avait contracté en cours de route une dysenterie qui devait 
le mener dans la tombe. Je l'envoyai à l'hôpital de Jebba, puis profitai du voyage 
de Groisne pour le diriger sur Porto Novo ainsi que Messéant, qu'une fièvre 
bilieuse hémalurique avait mis à bout de forces. C'est avec une joie sans mélange 
que je retrouvai de Peyronnci sur l'enclave, toujours fidèle au poste, toujours 
dévoué, toujours prôt au sacrifice. Les privations, le dur climat, l'isolement, la 
fatigue et l'anémie n'avaient point ébranlé son énergie. Je le trouvai prêt à com- 
mander le troisième convoi qui parlit de Bùdjibo, le 4 mars, pour Sorbo. Ce fut 
derechef un succès aussi brillant que complet. Le troisième territoire militaire 
se trouva de ce fait ravitaillé pour un an. A la même époque, mes fond** étaient 
totalement épuisés. Seul, je pouvais négocier et faire les démarches pour en 
demander au Gouverneur général. J'étais éloigné de toute communication rapide, 
et je prévoyais les difficultés de toutes sortes qui pouvaient résulter du manque 
d'argent. Je vis immédiatement la gravité de la situation, et me dirigeai en toute 
hàle sur Porto Nuvo pour demander les sommes nécessaires au paiement des 
piroguiers et à la marche du troisième convoi. C'est encore à l'aimable intervention 
de M. LioUird que nous dûmes des subsides; de Peyronnet les reçut par voie de 
terre à Suy, précisément le jour où sa caisse était épuisée. Je quittai le Dahomey, 
le 4 mars, pour aller déposer mes comptes et mon rapport à Saint-Louis; c'est là 
que je fus présenté à M. Hoiime, gouverneur général de l'Afrique occidentale, qui 
fut très bienveillant pour nos efforts et qui nous témoigna beaucoup d'intérêt. 
Enfin, le l^'" avril, j embarquai sur le paquebot BvésUj des Messageries maritimes, 
qui me déposait à Bordeaux, le 7 mai, tout à fait remis de mes fatigues, avec la 
conscie ce heureuse du devoir accompli. 

- 204 — 



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■ ,, - ' » ; ' f > N' ♦ 



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LES CULTURES DE VISSA-DER. 

long des rives et dans les îles. C'était l'époque de l'invasion 
des Sonraïs et de leurs luttes avec les Berbères.... 

En août 1899, Tonié dirigeait la pirogue en aluminium qui sert 
à mes déplacements sur le fleuve, et nous marchions souvent 
fort tard; il nous était difficile parfois d'apercevoir les campe- 
ments au milieu de l'obscurité. Un soir, fatigué par la chaleur 
et par la marche, je désespérais de trouver un refuge pour y 
passer la nuit, lorsque Tonié changea brusquement de route. 
Il venait d'entendre le chant d'un petit oiseau qu'on appelle 
au Soudan le « Chass' d'Af », dont il semble porter l'uniforme; 
cinq minutes après, nous étions sur un banc de sable criblé de 
petits couloirs, au fond desquels l'oiseau dépose ses œufs. Le 
lendemain, au lever du jour, je m'aperçus que nous avions 
campé devant une île et j'en fis le tour. Elle était ceinte 
d'une digue de 50 à 60 centimètres de hauteur et couverte 
de rizières, dont les pousses venaient d'être repiquées. Des 
rigoles d'irrigation, dans lesquelles l'indigène envoie l'eau du 
fleuve au moyen de calebasses, les réunissaient entre elles. 
L'indigène sème le grain au mois d'août ou de septembre, puis 
lorsque la crue submerge la rive, il ferme complètement la 
digue. Le riz pousse ainsi sous l'eau plusieurs jours encore; il 
doit être tout près de sa maturité, avant le maximum de la 
crue. Les noirs viennent alors avec des pirogues et font la 
moisson. Il en est ainsi sur une bonne partie des rives et des 
îles, mais naturellement l'étendue de ces cultures est propor- 
tionnée à la densité de la population. 

Le village de Gao-Gao ou Gogo est à 95 kilomètres en amont 
d'Ansongo. C'est l'ancienne capitale de l'empire sonraï dont il 
ne reste plus qu'un seul vestige : les ruines de la mosquée. Le 
poste est un superbe caravansérail où s'abrite une compagnie 
de tirailleurs. 

Sur tout son parcours à partir d'Ansongo, l'Issa-Ber est 
extrêmement large : il s'étend souvent sur 8 et même 12 kilo- 
mètres d'une rive à l'autre; partout il inonde et dépose un 
limon fertilisateur. Mais s'il peut produire tout, il ne produit 

— 207 — 



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LE NIGER. 

presque rien; Tindigène chancelle encore sous le coup de 
massue qui Ta frappé. Depuis l'invasion targuie, il ne sait s'il 
doit renaître ou s'enfoncer sous terre, s'il doit s'enfuir ou s'op- 
procher du Niger. Il y a une grande différence entre le bief 
Débo-Ansongo et la région Dounzou-Say, au point de vue de la 
population et des produits; il n'y en a pas au point de vue de 
la fertilité. 

Beaucoup de roches plates qu'on trouve sur les rives, portent 
des inscriptions touareg : c'est la représentation du dialecte 
tamaschèque, au moyen de signes et de dessins des plus pri- 
mitifs. C'est à Karou, en aval de Fafa, que j'ai vu les plus 
nombreuses et les plus curieuses, elles sont rares à Tosaye et à 
Sallakoïra. 

Le défilé de Tosaye ou Taoussa se trouve à 105 kilomètres en 
amont de Gao, à proximité de l'île de Bourem. C'est une faille 
rocheuse, dans laquelle le Niger s'écoule posément; elle ne 
présente ni rapides, ni dangers, quelle que soit la crue ou la 
saison. D'après un dicton du pays, « une peau de bœuf 
n'atteint pas le fond » : cela ne veut pas dire qu'elle surnage, 
mais Didon, qui contruisit Carthage sur la dépouille d'un 
auroch réduite en lanières, eût bien vite compris le sens de 
cette parabole. Il fait une terrible température à Tosaye; le 
soleil brûle ces gorges rocheuses, qui surchauffent un air 
irrespirable. Des caïmans, longs comme des torpilleurs, tra- 
versent à tout instant le Niger, qui n'a pas plus de 250 mètres 
de largeur. Ici, nous naviguons en plein désert, c'est la région 
de l'aridité par excellence. Des dépressions fort longues et bien 
marquées, anciens lits de rivières taries ou de torrents des- 
séchés, descendent du nord pour atteindre le fleuve. La plus 
importante est celle qui vient aboutir à Bourem et se dirige 
vers l'Adrar. On y trouve des puits et des points d'eau, minus- 
cules oasis où se reposent les caravanes qui viennent du Sud- 
Algérien vers Gao ; c'est la seule route vraiment utilisable et pra- 
tique que pourrait suivre une colonne à destination du Touat. 

Le désert. — On a souvent discuté sur les causes de l'assèche- 

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LE DÉiF.RT S A II A II Ii: y, 

ment et de la stérilité grandissante du Saliara. Je ne suis pas 
éloigné de croire que jadis, à l'époque du retrait progressif de 
la mer africaine, il y ait eu de grandes forets et des palé- 
tuviers touffus, plantés 
dans la vase à l'cnibou- 
chure du Djoliba, du Bani 
et de toutes les rivières 
aujourd'hui desséchées. 
Lorsque la grande masse 
d'eau se fut éloignée, 
l'évaporation, l'humidité 
et les pluies diminuèrent 
d'intensité; le sous-sol 
marin, d'autre part, doura- 
gca les clTlorcscences sa- 
lines que nous constatons 
chaque jour. Les arbres 
ont donc péri; la forêt 
s'est éclaircie; puis le so- 
leil et la sécheresse ont 
achevé de la tuer. Los Ro- 
mains pénétraient au cœur de l'Afrique, vers la ré^-ion du Tchad, 
en suivant des lignes d'eau qui jalonnaient les lits de ces rivières 
taries, que les indigènes appellent des dalhols. Aujourd'hui, les 
puits ont disparu. Le Daga qui paît les troupeaux touareg abat, 
pour en nourrir ses chèvres, les hautes branches vertes des 
mimosas épineux, il détruit ce qui reste de végétation, les der- 
niers arbres sur lesquels on puisse compter pour attirer et fixer 
les tornades. Il en résulte que, chaque jour, la sécheresse et 
l'aridité gagnent du terrain vers le sud, et que des villages, qui 
se trouvaient il y a vingt ans à proximité de mares et de puits, 
vont chercher l'eau à doux ou trois heures de marche. L'indi- 
gène finit par les abandonner. 

Je m'arrêtai à Kabara le 11 août 1899, laissant ma pirogue 
dans le marigot de Day. 

— 209 — 




l<b.U.\lli l'i.1 .... UL IM.M-.KT l>riMll)Kl 
PAR L*OBJE(.TIK. 



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LE NIGER, 

Timboiiclou. — Le lecteur connaît déjà, par des ouvrages 
spéciaux, la ville sainte, la cité targuie qui fut jadis le siège des 
luttes entre Touareg et Sonraïs, la place forte où fut enseveli 
Tempire des sultans de Gao. C'est un grand village, dont l'an- 
tique mosquée surplombe les cases, de telle façon qu'on en 
distingue le faîte du poste de Kabara. 

Timbouctou est une cité cosmopolite. Touareg, Bellas, Dagas, 
Foulbés, Arabes, Maures, Marocains, Mossis, Macinas, Sonraïs 
et Bozos s'y coudoient sur le marché. Le Targui s'y promène 
d'une allure fière, la lance au poing; ses tributaires, les Dagas 
et les Bellas, vendent du laitage et des brindilles de bois pour 
la cuisine; Maures et Marocains détiennent le haut commerce 
et traitent les affaires importantes dans leurs maisons. Celles- 
ci ne manquent pas d'originalité avec leurs clochetons et leurs 
toitures; ce sont des constructions en pisé qui comportent sou- 
vent un et même parfois deux étages. 

Notre présence a écarté les populations qu'elle gênait; en 
sorte que ces dernières ont descendu le Niger, pour s'installer à 
120 kilomètres en aval, au village de Rhéro, point où les cara- 
vanes traversent le fleuve pour pénétrer dans la boucle et pour 
éviter nos octrois. 

Timbouctou est assez loin du Niger. A l'époque des hautes 
eaux, (de novembre à février), les pirogues viennent accoster 
h Kabara qui se trouve à 9 kilomètres de la ville sainte. Tous les 
sept ans à peu près la crue monte jusqu'aux murs de la ville 
sainte, par les vestiges d'anciens canaux artificiels, aujourd'hui 
comblés. Lorsque le fleuve baisse, la crue ne se manifeste plus 
qu'au marigot de Day à 4 kilomètres 1/2 de Kabara, puis à la 
saison sèche (d'avril à fin juillet) ; cette rigole est impraticable 
et les embarcations ne touchent plus qu'à Korioumé (le passage 
des fauves), à 7 kilomètres de Kabara, à 16 de Timbouctou. * 

Les marchandises qui s'échangent sur le marché sont : le sel 
qui provient des salines de Taoudénit, et la gomme du Sahel; 
les bestiaux; les grains : mil, riz, blé, maïs; les étoffes : guinées, 
cotonnades, couvertures, tapis; les kolas, les peaux, les cuirs et 

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LE COMMERCE DE TIMDOUCTOU. 

les laines, les perles, les parures, etc., qui proviennent de l'in- 
térieur de la Boucle, de Djenné, du Macina, du Haut-Niger. En 
un mot les produits du pays sont le sel et la gomme, qu'on 
échange contre toutes les 
autres denrées. Les Mau- 
res qui descendent avec 
des bœufs chargés de 
barres de sel, traversent 
le fleuve et se dirigent 
vers Hombori, puis de là 
sur Dori ou Ouagadou- 
gou ; les pirogues de Djen- 
né viennent se charger à 
Kabara ou Korioumé, pour 
transporter le sel à Sara- 
féré, port fluvial de la 
Boucle. Une barre, qui 
coûte de 16 à 20 francs à 
Timbouctou, vaut de 25 à 

28 francs à Djenné; 35 francs à Ségou, 40 francs à Koulikoro. 
J'avais organisé en 1899 un service commercial entre Kabara et 
Djenné, avec de bons chalands en bois et des bateaux en acier. 
Les indigènes, heureux de n'avoir plus à redouter la perte de 
leurs marchandises, qui placées dans des pirogues se mouil- 
laient, fondaient ou se détérioraient, avaient pris d'assaut ces 
embarcations, qui rapportaient à l'État 2 et 3000 francs par 
mois; mais ce service fut interrompu par ordre. Néanmoins, 
ceci peut donner une idée du trafic qui règne dans cette région. 

Les marchandises qui de Timbouctou rejoignent le fleuve et 
celles qui de Kabara et Korioumé rejoignent Timbouctou, sont 
transportées à dos d'âne; il règne sur cette route un mouve- 
ment incroyable; il est certain qu'un petit tramway rempla- 
cerait avantageusement les bourriquets et ferait des recettes 
exceptionnelles. 

La région produit du blé, mais les indigènes n'en cultivent 

— 211 — 



FiiJJAlK SO.ML.U. 



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LE NIGER. 

que sur les bords et dans les alluvîons du lac Fati, à cause de 
Tcxiguité de leurs besoins. Cette production atteint environ 
1200 tonnes chaque année, mais elle peut être décuplée en uti- 
lisant les terres analogues de la région lacustre. En somme, il 
n'existe à Timbouctou que trois ou quatre produits locaux : sel, 
gomme, blé et bestiaux. La seule population capable de cultiver 
et susceptible de sympathiser avec nous est la race sonraï, fille 
des Sonnis, qui vinrent au xvi« siècle s'établir sur les bords du 
Niger. C'est une tribu probablement issue d'autochtones de la 
Haute-Egypte aux confins de l'Abyssinie. Ils ont le derme 
bronzé, les cheveux civpus, le crâne beaucoup moins pointu 
que les noirs. Leur physionomie n'est pas désagréable et on y 
trouve souvent de très jolis sujets. La femme adopte deux coif- 
fures. Elle peigne ses cheveux en les ramenant de la périphérie 
du crâne, vers le sommet; puis les attache de manière à former 
trois, quatre ou cinq touffes réparties de l'occiput au milieu du 
front; ou bien elle fait deux nattes assez courtes, dont elle 
dirige les pointes vers le visage et la nuque. 

Je quittai Kabara le 16 août, à destination de Koulikoro. Le 
fleuve avait beaucoup monté, c'était la saison des tornades, 
le ciel surchargé de nuages m'enveloppait d'une atmosphère 
étouffante. Ma pirogue, lancée par une forte équipe, était vio- 
lemment secouée; la fatigue de soixante jours et presque de 
soixante nuits de navigation se faisait sentir. 

Malgré cela, je ne changeai rien à mon itinéraire, et le 17 ma 
pirogue quittait l'Issa-Ber pour entrer dans le Bara-Issa et le 
Koli-Koli. Le Bara-Issa est un grand bras du fleuve qui part 
du Débo, en aval de Gourao, pour aboutir en amont d'Eloua- 
ledji. La grande île ainsi formée comprend de nombreux vil- 
lages peuls divisés en deux parties. L'une, au bord du fleuve 
pour les transactions et les artisans ; l'autre, sur la dune, pour 
les chefs et les notables. Toute cette région est des plus riches. 
En outre du trafic, l'indigène se livre à la confection de superbes 
couvertures en poil de mouton, à la culture des rizières, à la 
poche très fructueuse, au commerce du bétail, etc. Nous noua 

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LE POIiT DE SAHaLPHE. 

arrêtions deux ou trois heures la nuit au bord du fleuve, l'équi- 
page dînait ou dormait. Les hyènes, attirées par notre présence, 
entonnaient un concert effrayant, elles eurent même l'audace 




CnOIX BLEVÊK PRÈS DB KABAKA SUR LU LIEU UU VMT MAbSACRK LU.^SbllU.Mî ALUB. 

de fouiller dans mes caisses. Je les fusillai de mon mieux et 
dus môme en blesser plusieurs, car elles s'éloignèrent en pous- 
sant des ricanements sinistres. Le 18 août à minuit, je pris terre 
à Sarafcré, superbe village au confluent du Dara-Issa et du 
Koli-Koli. C'est un port extrêmement encombré. Il y avait plus 
de cent cinquante pirogues, grandes et petites, capables d'em- 
barquer 2, 5, 10 et môme 15 tonnes et qui, venues de Djcnné, 
Ségou, Koulikoro, Kabara, Diafarabé, etc., attendaient du riz et 
du mil pour s'en retourner. Le port de Sarafcré est bien aussi 
important que celui de Bercy, à Paris. Toutes les marchandises 
à destination, ou provenant de la Boucle, passent en ce point 
où le fama (roi) de Bandiagara Aguibou prélevait des droits 
d'entrée fort respectables. 
Le Koli-Koli est un marigot qui va rejoindre le Niger en 

— 213 — 



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LE NIGER. 

amont du lac Débo, c'est une rigole que les herbes et le boui- 
gou rendent presque impraticable. 

Il est tributaire d'une zone d'inondations ayant 200 kilomètres 
de long et 150 de large, laquelle se compose des terrains sub- 
mergés par le Niger et ses canaux, et des lacs Débo, Tclc, 
Fati, Faguibine, etc., qui se trouvent à l'ouest de l'Issa-Bcr. 
Lorsque la crue occidentale se fait sentir, la région tout entière 
absorbe les eaux et le trop-plein du fleuve qui se répand de 
tous côtés sur cette immense étendue. Mais le Débo n'est pas un 
lac, c'est un plateau, dont le niveau moyen se trouve à 2 ou 
3 mètres au-dessus du thalweg de TIssa-Ber. Des bancs de sable, 
véritables barres surélevées, se trouvent aux portes d'entrée et 
de sortie du Niger dans ce lac, en sorte que la crue ne peut 
pénétrer la zone d'inondations qu'après avoir submergé ces 
barres. 

Nous expliquerons plus loin le mécanisme de ce système 
hydrographique, et nous verrons comment la région lacustre 
joue le rôle de condenseur par rapport à la crue. 

Après avoir sillonné le Koli-Koli, non sans peine, je revins 
dans le Bara-Issa et débouchai sur le Débo, le 21 août, vers 
midi. La tornade menaçait ; mais, pressé d'arriver, je fis mar- 
cher mes laptots à la pagaie pour couper le lac par son milieu. 
Tout à coup, le vent se déchaîna avec une telle violence que 
cette petite mer se mit à rouler d'énormes vagues. Je donnai 
l'ordre de gagner la rive, dont nous étions éloignés de 2 kilo- 
mètres; mais à 200 mètres du bord, les embruns embarquant 
sans cesse firent couler ma pirogue par 3 mètres de fond. Ce 
fut une baignade générale; je nageais en poussant devant moi 
une cantine d'effets, qui seule n'avait pas sombré; les laptots 
m'escortaient, prêts à me porter secours et poussaient des cris 
pour éloigner les caïmans. Les gens du village de Gourao 
vinrent à notre aide, mais il fallut attendre que le vent fût 
calmé pour renflouer la pirogue, la tirer à sec et la vider. Je 
passai ainsi la journée, vêtu d'une serviette, caché, ainsi que 
mes laptots, dans les taillis, sous une avalanche d'eau qui nous 

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LA PLAINE DE DJENNE. 

fouettait Téchine. Enfin, vers six heures, le mauvais temps 
s'apaisa, mes hommes avaient recueilli tout ce que les vagues 
jetaient sur le rivage ; nous avions perdu nos vivres et quel- 
ques peaux de bouc renfermant des effets; malgré cela je me 
remis en route, lesté de laitage que les riverains nous avaient 
procuré. Nous quittions le Débo, à dix heures du soir, pour 
entrer dans les inondations, au milieu d'un océan de bourgou, 
sur lequel volait un nuage de moustiques. C'est à la sortie du 
Débo que se termine l'Issa-Bcr et que commence le troisième 
fleuve le Dioliba, qui s'étend depuis le lac jusqu'aux sources 
du Nil français. 

DJoliba. Le déUa Niger- Bani, — Le poste de Mopti, où 
j'arrivai le surlendemain, accablé de chaleur et de fatigue, est 
au confluent du Niger et du Bani, sur la rive droite de ce 
dernier, au bord des plaines inondées qui s'étendent jusqu'à la 
falaise de Bandiagara. D'ailleurs, la route qui conduit à ce 
grand centre est submergée, les voyageurs la font en pirogue, 
et ce n'est guère que de janvier à fin juin qu'elle est sèche et 
résistante. 

Le Bani est un ancien fleuve. Aujourd'hui, c'est une rivière 
collatérale du Djoliba ; jadis, il en devait être indépendant et se 
jeter dans une mer aujourd'hui disparue. 

Il est fort probable que cet océan, aux limites Imprécises, 
ayant reculé progressivement, donna naissance à la région 
lacustre, au delta Niger-Bani et découvrit l'immensité des 
sables sahariens. C'est alors que le Djoliba et le Bani vinrent 
irriguer la plaine naissante de Djenné et cherchèrent à se 
pénétrer réciproquement en creusant les innombrables rigoles 
qui sillonnent leur ancien delta. Tout ce pays est extrêmement 
fertile et capable de produire des récoltes superbes; malheu- 
reusement il manque de travailleurs. L'auteur du Tarikh es 
Soudan nous apprend qu'au xvii* siècle la province de Djenné 
comptait 7077 villages (il n'y en a pas 400 de nos jours), soit 
environ 4000000 d'habitants, et que le sultan communiquait 
avec celui de Timbouctou en faisant crier ses messages d'un 

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LE M G EU. 

village à l'autre. Il est probable que les richesses renaîtront 
avec le calme et que ces populations prolifiques rendront un jour 
aux rizières envahies par les herbes, l'essor des temps passés. 
Djenné^ fut jadis une grande cité, elle a moins souffert que 
ïimbouctou, en sorte que cette ville présente encore beaucoup 
d'intérêt. Ses maisons sont fort bien construites, des escaliers 
larges et divisés en fractions d'étages conduisent aux diverses 
pièces dans lesquelles se traitent les affaires commerciales 
importantes. Les planchers sont faits de palmiers enchevêtrés, 
qui, recouverts d'un excellent pisé, sont propres et d'un usage 
agréable. Tout décèle à Djenné les effets d'une civilisation très 
avancée. Les terrasses comportent de petites guérites destinées 
aux latrines et des tuj'aux de poterie débouchent au rez-de- 
chaussée dans de grands vases que l'on jette au fleuve chaque 
matin. Les eaux de pluie s'écoulent par des gouttières creusées 
dans le tronc des rôniers fendus dans la longueur; d'innom- 
brables pigeons, que les indigènes respectent et vénèrent, se 
posent sur les chéneaux et sur les clochetons pointus dont 
s'ornent les toitures. Je remarquai, au-dessus de la porte de 
chaque maison, des cornes de chèvres piquées dans la maçon- 
nerie : ces ornements servent à retenir les stores lorsqu'ils sont 
roulés. Les portes des maisons sont monumentales et dessinées 
à la façon des grandes cheminées de nos vieux châteaux; les 
piédroits s'élancent jusqu'à la toiture, recouverts de dessins et 
de rosaces. Les rues sont étroites, sinueuses, mais propres. Le 
coup d'œil qui se déroula sous mes yeux, lorsque je montai sur 
la terrassse du cercle, est fort intéressant : on ne voit que 
des clochetons, des terrasses, des guérites, quelques touffes 
d'arbres qui dopassent, et devant moi s'étendait, immense, la 
plaine riante et verte de Djenné, sillonnée de canaux et teintée 
de bleu par les méandres du Bani. 



1. Djenné, Djeuné, Pjinnè, Guinea, Guinée. Comme on le voit cette ville a 
donné son nom à notre colonie de la Guinée et probablement aussi à la Nouvelle 
Guinée d'Océanie dont les imligènos présentèrent aux navigateurs un type cna- 
logue à celui dos habitants de la cité soudanaise. 

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LA CAPITALE DE DJENNiL 




LB ML FRANÇAIS INONDANT LES RIVES DB SA CRUE PliRTlLlSANTF 

A tous égards, cette ancienne capitale est admirablement 
située. Des canaux et des marigots, qui l'enserrent de toutes 
parts, conduisent vers le Bani ou vers le Djoliba, vers les 
forêts de Koutiala, vers le Macina, le Mossi, les territoires do 
la Boucle, vers Saraféré, Kabara, vers Ségou, Sansanding, 
Nyamina, Bamako; d'autre part, de belles pirogues longues, 
solides et souvent chargées de 12 à 15 tonnes, sont mouillées 
devant les remparts, au pied des ruines de la vieille mosquée, 
détruite par le feu du ciel et sous les murs de laquelle Allah 
ensevelit les Toucouleurs pour les châtier de leur dépravation. 
Il règne au marché une activité considérable, mais elle devait 
être plus grande autrefois. Les produits les plus variés y sont 
échanges contre les denrées provenant des pays voisins. Do 

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LE MCrEIÎ, 

plus, la région, quoique manquant de bras, produit du mil et 
du riz en abondance; c'est le grenier du Soudan, c'est là que 
nos fils et nos successeurs verront renaître à la culture ces 
immenses rizières, que les herbes et les lotus recouvrent en 
partie à l'heure actuelle. Et ce jour-là, Djenné redeviendra la 
reine des cités commerciales de notre empire africain. 

Après avoir reconnu les marigots du delta Bani-Djoliba, je 
rentrai à Koulikoro, le l»' septembre, par Sansanding, Ségou 
et Nyamina. Ce sont de grands centres, de beaux villages, des 
régions cultivées où les terres sont riches et productives. C'est 
le vrai pays du Nil français. Le fleuve avait beaucoup monté, 
l'inondation recouvrait les berges et déposait son apport 
annuel de limon fcrtilisateur; je naviguais dans les champs 
de mil, sur les rizières, parfois même à travers la forêt. 

BambaraS'Somonos et Bozos, — Mes hommes étaient à bout 
de forces, nous avions fait un trajet de 3 700 kilomètres sur 
le fleuve, effectuant chaque jour des étapes qui variaient de 
90 à 130 kilomètres. Nous étions de retour dans le pays bam- 
bara, au pied du plateau du Bélédougou, chez des peuplades 
très accueillantes qui venaient me saluer et m*apporter dea 
vivres. 

Les Bambaras constituent Tune des plus importantes tribus 
de la race mandé. Voyageurs, navigateurs et commerçants, les 
Mandés se sont répandus sur le fleuve, à travers la Boucle et 
le Soudan. Croisés avec les Sonraïs, ils ont produit sur l'Issa- 
Bcr les Courtébés, les Ilabcs, les Ouagobés, dont nous avons 
déjà parlé; avec les habitants de l'empire de Djenné, Sonraïs 
également, ils ont donné la secte des Bozos, piroguiers de 
rissa-Ber et du Bani; avec les Somonos, race émigrée du 
Kouarra qui, je crois, provient des Kambaris et remonte le 
fleuve en partant des rapides de Boussa, ils ont produit une 
caste de piroguiers, de gens qui naissent avec la science de 
la navigation du Niger. Ce sont les Somonos-Bambaras. Le 
Somono diffère très peu du Kambari. Les Bozos, au contraire, 
ont bien plutôt l'aspect du Sonraï et du Courtébé; le type pur 

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LES MANDES ET LEURS COLLATERAUX. 




ZAJUUNA8 OB KlItTACtlI. 

est très original et sa coiffure, faite de nattes et de tire-bou- 
chons, lui donne un cachet très particulier. 

Somonos et Bambaras vivent côte à côte; chaque village du 
Djoliba se compose de deux parties, qui sont toujours en par- 
faite harmonie; d'ailleurs, le piroguier se rapproche tellement 
de la race mandé, qu'il serait difficile de l'en distinguer, s'il 
n'avait les cheveux rasés, tandis que le Bambara de la cam- 
pagne porte sur chaque tempe une grosse natte, dans laquelle 
il glisse des faux cheveux ou du coton bleu pour la rendre plus 
épaisse. 

La physionomie des Mandés n'est pas désagréable. Le crâne 
est pointu, aplati vers les tempes, le prognathisme n'est pas 
excessif. Les pommettes larges, le nez souvent droit et bien 
accentué, de jolis yeux, très doux et très grands, le menton 
rond, les maxillaires puissants, la bouche fine, éclairée par des 
dents merveilleuses, l'oreille bien faite et bien placée. L'homme 

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Lb NIGER, 

du fleuve surtout est admirublomciit construit, rexercicc da 
bambou et de la pagaie développe ses muscles, affine sa taille. 
Il est d'une force extraordinaire. J'ai vu des laptots qui por- 
taient sur le bras replié des sacs de blé de 100 à 120 kilos. 
Dans les rapides, mes pilotes réagissaient de la barre contre la 
poussée des tourbillons et supportaient des pressions énormes 
sans être renversés. 

Les Bambaras s'attribuent des descendances ancestrales qui 
constituent un cas de totémisme extrêmement curieux. Leurs 
noms de famille sont au nombre de douze, répartis suivant une 
échelle de noblesse. Les voici par ordre de priorité décroissante 
avec leurs significations respectives et les descendances de 
chaque famille : Couloubaly descend de l'irax; Taraoré, du 
lièvre; Diara, du lion; Kumara, du lion ('gaiement; Kané, 
Ko)ié, Kanlé, du léopard; Fofana, de la panthère; Doumbia, de 
l'antilope; Guiré, du sanglier; SamuLé, de l'éléphant; Kéita, de 
l'hippopotame; Mariko, du caïman; Touré, du musulman. 

Les Bambaras étant fétichistes et n'adoptant qu'avec des 
corrections nombreuses la doctrine de l'islam, la famille du 
musulman est reléguée au dernier plan. Ces noms génériques 
sont toujours accompagnés de prénoms qui distinguent les 
individus de chaque tribu. Ainsi, mes pilotes s'appelaient : 
Tonié Taraoré, Baniessé Couloubaly, Lanciné Guiré, Amadi 
Diara, Oumarou Kané, etc.; tous ces prénoms sont d'origine 
arabe, mais les noirs les ont défigurés en les prononçant à leur 
façon. 

Ce qu'il y a de plus original, c'est que le Bambara Mariko 
croit être le petit-fils du caïman, Samaké, le descendant de 
l'éléphant, Kéita, le parent de l'hippopolame, en sorte qu'ils ne 
sauraient attaquer ou chasser leurs grands-pères. Ainsi, l'on 
voit couramment un piroguier, nommé Mariko, se baigner dans 
le fleuve à côté d'un caïman, persuadé que celui-ci ne saurait 
lui vouloir du mal, et s'il devient la proie d'tin crocodile, les 
noirs sont persuadés que ses aïeux le rappelaient vers onx. 

Les villages bambaras du Bélédougou sont riches, bien cons- 

— 2=>0 — 



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LE ROI DES SOMOISOS. 

truits et très peuplés. Llndigène habite des cases en terre, 
recouvertes de terrasses ; il réserve la case recouverte de pail- 
lotte pour ses bestiaux, ses grains et ses provisions. Les cul- 
tures sont belles et variées; riz, mil, maïs, patates, manioc, 
arachides, piments, tabac, coton, indigo, etc. ; le pays produit 
du karité en quantités considérables; il y a de belles forêts avec 
les essences de bois que nous avons précédemment indiquées; 
les bestiaux sont bien soignés; le miel abonde. Plus au sud, 
dans les pays Sénofos, le caoutchouc, l'ivoire, se joignent à ces 
produits, tout cela dépend des latitudes sous lesquelles on 
opère. 

Le Bambara de la campagne extrait des minerais, qu'il grille 
dans ses hauts fourneaux, le fer pour ses instruments de cul- 
ture, pour sa lance et pour ses armes. C'est un guerrier très 
brave et vigoureux, c'est un cultivateur patient qui sait se 
défendre. Cette race nous a fourni tous les travailleurs, depuis 
ceux qui manient la pelle et la pioche sur nos chantiers, jus- 
qu'à celui qui dirige nos machines. C'est avec elle que nous 
avons formé ces beaux régiments de tirailleurs, dont la 
bravoure et l'entrain nous ont assuré la conquête de vastes 
territoires, et nous ont permis d'imposer au Soudan nos idées 
pacifiques et notre civilisation. 

La légende de Mourou^to. — Le Somono n'a jamais pris part 
aux guerres que soutenaient ses collatéraux avec les Toucou- 
leurs. Navigateur, transporteur fluvial et commerçant avant 
tout, le piroguier s'est toujours maintenu dans la plus stricte 
neutralité. Les luttes intestines n'ont jamais interrompu ses 
chants; c'est lui qui, dans le calme des nuits, fait retentir les 
airs des belles mélopées dont nous avons dit le charme péné- 
trant. 

La légende des Somonos est des plus anciennes; Mourouho, 
le héros de la caste, vécut à l'époque de l'invasion sonraï; ses 
exploits sont actuellement célébrés dans un langage bizarre, 
formé de mots bambaras et de paroles étranges dont les 
Somonos ne comprennent plus le sens. 

-. 221 — 



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LE NIGER, 

Mourouho, roi des piroguiers du Djoliba, naviguait dans 
une pirogue de diala (caïlccdrat), que des lamentins^ traî- 
naient et dirigeaient sur le fleuve. Il était partout, connaissait 
tous les hommes et leurs actes, tous les villages et leurs 
richesses. Aucun obstacle, aucun être vivant n'aurait su 
dompter la vaillante énergie du chef somono. Il terrassait le 
lion aux abords des forêts ; d'un geste il écartait les caïmans. 
Les rapides ne l'intimidaient pas, son œil exercé distinguait 
toutes les passes, il dressait les jeunes hommes à les franchir. 
Un jour, la pirogue de diala disparut, les lamentins s'enfuirent, 
une violente tempête souleva les eaux du Niger, et l'on vit le 
roi des Bozos s'envoler sur les flots. 

Lorsque les guerres survinrent entre Toucouleurs et Bam- 
haras, Alakaïdou, nouveau chef des Bozos, vit se dresser sur 
la rive l'ombre de Mourouho qui lui donnait du geste Tordre 
impératif de déposer les armes. Depuis ce jour, Somonos et 
Bozos sont restés neutres dans toutes ces luttes de races à 
tribu ; mais ils ont continué leur commerce, leurs transports et 
leurs transactions sur le fleuve, mettant à contribution chacun 
des partis opposés pour les faire passer d'une rive à l'autre. 
Les Somonos sont presque toujours influents, riches et d'un 
caractère pacifique. Ils chantent sans cesse l'éloge de leur 
chef, ils exaltent ses vertus guerrières, sa bravoure, ses qua- 
lités et le bon exemple qu'il leur donnait à tous. « Maudit soit 
celui qui méconnaît notre vieux roi Mourouho » I disent-ils. 

1. Les lamenlins sont des mammifères que les noirs appellent « hommej 
da fleuve » \ ils sont très grands et nagent avec une extrême rapidité. 



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CHAPITRE VIII 

Le Djoliba (suite). — Koulikoro. — Le Rocher fétiche. — Saison des pluies. — 
Grue générale du Niger. — Hypotlicse sur la formation de sa vallée. — Résumé. 
— Conclusions. 

LE fleuve est calme jusqu'à Koulikoro, mais, à partir de Touli- 
mandio (22 kilomètres en amont), les roches émergeantes 
forment des rapides assez difficiles, en face des villages de 
Manambougou et de Sotouba. La navigation redevient sans 
écueils, dans le bief Bamako-Kouroussa. 

Nous avons laissé, à Kendadji, le plateau Nigérien et sa 
falaise dominant le fleuve de 180 mètres. Celle-ci disparait 
presque des rives de l'Issa-Ber. Nous la retrouvons sur le Djo- 
liba, élevée de 130 à 135 mètres. Elle suit le contour du golfe 
ou plutôt de la mer disparue, dont nous avons parlé précé- 
demment. A Bamako, le plateau Nigérien domine encore le 
fleuve de 126 à 130 mètres. D'après les renseignements qui nous 
ont été fournis, son allure générale serait plutôt descendante, 
à mesure que l'on s'approche du Tchad ou du Bornou. 

Le port de Koulikoro. — Ce que l'on appelle au Soudan le 
rocher de Koulikoro se compose de trois blocs de grès rose, 
séparés par des crevasses, sillonnés par des cannelures, et 
mesurant 80 mètres de hauteur. C'est l'ossature de la falaise 
nigérienne . La masse en est mystérieuse et sauvage ; des 
cavernes profondes s'enfoncent entre ses assises de pierre. 
C'est le repaire des hyènes, des chacals, des panthères et des 
singes qui, la nuit, descendent boire au fleuve, au milieu d'un 
concert infernal. Ces animaux poussaient leurs investigations 

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LF. NIGER. 

nocturnes jusqu'à l'intérieur de ma case, dont je laissais la 
porte ouverte. Il me fallut en tuer plusieurs pour leur faire 
perdre cette mauvaise habitude; ceux qui restaient se conso- 
lèrent en égorgeant nos moutons. 

Comme le Djou-Djou de Jebba, le rocher de Koulikoro jouit 
d'une renommée diabolique; il est fétiche. L'esclave fugitif qui 
parvient à le toucher avant d'avoir été rejoint par son maître, 
devient, de ce fait, un homme libre; les Somonos portent leurs 
filets dans ses cavernes, pour attirer les faveurs de l'Esprit qui 
peut rendre les pèches fructueuses; le Bambara qui cherche la 
réalisation d'un vœu, s'y confond en prières, y prodigue les 
offrandes. 

C'est le sorcier du rocher qui prescrit les dons, détermine les 
prières et la durée des mortifications. Fort intrigué, j'eusse payé 
fort cher pour connaître le personnage qui tirait bénéfice de 
tous ces sortilèges. Un soir, à la nuit tombante, muni d'une 
baguette, je grimpai sur la corniche et me dissimulai derrière 
un euphorbe, à proximité de calebasses garnies de victuailles 
récemment apportées là. Mon attente ne fut pas de longue 
durée. Un être humain s'avançait, d'une allure dégagée, mar- 
mottant entre ses mâchoires des paroles dont le sens m'échap- 
pait. Il s'approcha de la caverne, tira les filets; mais, au moment 
où sa main s'allongeait voluptueusement vers les calebasses, 
je lui allongeai un coup de baguette sec et ner\'eux qui lui fit 
pousser un cri de frayeur. Sa stupéfaction ne fut pas moindre 
lorsqu'il me vit, debout, en face de lui. Se croyant en présence 
du diable, auquel il adressait ses fidèles, il se confondit en 
lamentations et tomba la face contre terre. Rien n'est plus dif- 
ficile à reconnaître que le visage d'un nègre dans les ténèbres, 
et je ne distinguais pas les traits du visiteur nocturne. Ce n'est 
qu'à la lueur d'une allumette que je reconnus le chef d'un vil- 
lage voisin, un vieux farceur qui n'en était pas à son coup d'es- 
sai. Il promit de ne plus recommencer, et je lui pardonnai. 

Transactions fluviales. — Lorsque je commandais, durant les 
années 1898 et 1899, le poste de Koulikoro, j'assistais aux tran- 

— 224 — 



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LA CRUE DU NIGER. 

sactions fluviales de la région. Mes attributions s'étendaient 
même, suivant les instructions que m'avait données le général 
de Trentinian, lieutenant gouverneur du Soudan, jusqu'à favo- 
riser les opérations des commerçants européens et indigènes. 
J ai donc vu passer à Koulikoro toutes les denrées quittant le 
fleuve pour gagner le Soudan occidental, ou quittant ce der- 
nier pour descendre vers Ségou, Djenné, Saraféré et Timbouc- 
tou : gomme, blé, mil, riz, maïs, coton, étofTes, indigo, karité, 
miel, arachides, patates, beurre, laitage, sel, nattes, poteries, 
poisson fumé, bois du pays, pacotille, bétail, que sais-je! se 
croisaient dans le port fluvial, s'échangeaient sur le marché. 

Le général de Trentinian, qui dirigeait tous ses efforts vers 
la prospérité de la colonie et qui l'avait dotée d'un plan d'or- 
ganisation capable de la mettre rapidement en valeur, voulait 
faire de Koulikoro un port fluvial, pratique et bien aménagé. 

La Crue générale du Niger, — Nous avons vu que le Djoliba 
possède et forme une crue dite occidentale, que reçoit l'Issa- 
Ber et qu'il transmet au Kouarra lequel, en outre de la crue 
dite orientale, qui lui est propre, voit, quelques mois plus tard, 
SCS eaux se grossir des apports du Djoliba. 

Il importe de connaître le régime des pluies, pour en tirer 
les conclusions afférentes à la crue. Or la saison sèche (à part 
huit ou dix jours de pluie fine, en février) dure de novembre 
à mars dans le Djoliba supérieur, de fin octobre à fin avril, 
dans le bief Koulikoro-Mopti, de septembre à juin, sur tout 
rissa-Ber. Le reste du temps constitue donc la saison des pluies, 
ou, plus exactement, la saison des tornades. Les premières tor- 
nades de la saison consistent en une trombe d'air animée d'une 
vitesse considérable, renversant tout sur son passage et déchaî- 
nant sur le fleuve une véritable tempête. Malheur au nautonier 
qui n'a pas eu le temps de regagner la rive! 

Quant à la tornade humide et bienfaisante, elle s'annonce par 
une barre noire qui vient de l'est avec une vitesse effrayante. 
Une trombe d'air la précède et soulève un nuage de poussière. 
Enfln, la pluie s'abat par rafales, transformant les fissures du 

-^ 22 j — 



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LE NIGER. 

sol et les ravins en véritables torrents. Le tonnerre gronde 
violcmmçnt dans le ciel obscurci, parfois même la grêle tombe 
en grains volumineux. Les Somonos du Niger prédisent Tin- 
tensité de la crue par le simple aspect de la lune de mai. Lors- 
qu'elle est entourée de nuages et se couche dans un ciel voilé, 
la saison des pluies doit être précoce. Lorsqu'elle monte dans 
un ciel clair, à reflets roux, la vallée doit mourir de sécheresso. 
Ils savent fort bien que la lune dissipe lors de son lever toute 
tornade en formation à l'horizon. Tous les sept ans environ, la 
crue occidentale atteint des proportions extrêmes; elle arrache 
les rives et entraîne des villages. Elle va même baigner les 
murs de la ville mystérieuse, en s'infîltrant par les vestiges des 
canaux, creusés jadis par les Sonraïs et les Touareg. 

Crue occidentale. — Le Djoliba reste stationnaire aux plus 
basses eaux pendant la saison sèche. A la fin de mai, la crue se 
dessine lente et régulière; puis, soudain, au bout de quelques 
jours, le fleuve cesse do monter. C'est que les rigoles parallèles 
aux rives s'emplissent en absorbant la crue. Celle-ci reprend 
sans interruption jusqu'à la fin de juin et se répand avec lenteur 
sur la plaine de Djenné. Le Bani gonfle le Djoliba et double son 
débit à hauteur de Mopti, s'il est en avance; ou bien, au con- 
traire, le Djoliba refoule ses eaux dans la vallée du Bani, si ce 
dernier est en retard. 

En juillet, le Niger vient submerger les barres de sortie et 
d'entrée du Débo ; l'eau s'étend sur la région lacustre et sur la 
grande zone d'inondations qui l'absorbent pendant huit ou 
douze jours. Bien que le débit du fleuve soit considérable à 
cette époque, il n'en est pas moins vrai que son niveau cesse 
de s'élever; quelquefois môme, il baisse, et le graphique d'étiagc 
de Koulikoro vient accuser très nettement ce phénomène, par 
l'allure stationnaire ou descendante de la courbe. Il reprend 
sa marche ascendante lorsque les lacs sont complètement rem- 
plis par la crue. Celle-ci force donc, tour à tour, les barres ou 
plutôt les clapets d'entrée des petits canaux reliant le Niger au 
lac Faguibinc, au Fali, au Télé, aux marécages de Sompi; puis, 



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CRUE DU DJOLIDA, 

lorsqu'elle a submergé cet ancien fond marin, le Djoliba monte 
sans à-coups et très rapidement, sur toute son étendue, pour 
atteindre son maximum (7 à 8 mètres) du 20 au 30 septembre. 

En octobre, les pluies cessent ou diminuent, l'étiage redescend 
alors d'une façon progressive et du même nombre de centi- 
mètres tous les jours. Telle est la crue du Djoliba. Elle est 
forte, souvent violente, submerge les forêts, fertilise les cam- 
pagnes et fait de cette partie du Soudan, enrichie par ses 
apports, la haute vallée du Nil français. 

Que se passe-t-il sur l'Issa-Ber? 

Nous avons laissé la crue occidentale au moment où elle 
envahit les lacs en submergeant les clapets de leurs canaux 
d'adduction. Le débit du Niger, en aval de la dernière veine 
liquide, aux environs d'Eloualedji, est assez modéré jusqu'au 
mois de septembre. Kabara est encore loin du fleuve, les débar- 
quements se font au marigot de Day. En novembre, la région 
lacustre a reçu la totalité des crues combinées du Niger et du 
Bani, elle atteint elle-même son maximum d'étiage et com- 
mence à s'épancher en aval avec intensité. Elle va rendre au 
fleuve ce qu'elle en a reçu, elle va se dégonfler, comme un 
réservoir qui se vide, comme un condenseur de la crue et de 
l'inondation. Nous allons la voir alimenter l'Issa-Ber pendant 
six mois. 

Gomment ce condenseur fait-il la distribution des eaux qu'il 
a reçues? Le Débo se vide le premier, l'Issa-Ber descend et 
découvre les clapets dans l'ordre suivant lequel on les ren- 
contre en allant vers l'amont. Voici, par exemple, le marigot 
de Goundam qui relie le fleuve au lac Fati. Le fleuve baisse; 
il arrive donc un moment où son niveau devient inférieur à 
celui du clapet, qui se trouve à l'entrée de ce canal. Il en résulte 
immédiatement que le Fati, gonflé par la crue, cède une partie 
de ses eaux au Niger, dont la masse va grossissant. Et, comme 
il faut un certain temps pour que chaque lac agisse de même, 
on conçoit aisément que la crue occidentale se maintienne long- 
temps dans l'Issa-Ber et qu'elle ne le traverse pas comme un 

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LE MGER. 

mascaret. Le maximum d'étiage se produit en janvier, à Kabara; 
à la fin de février, à Say; l'eau monte de 6 à 10 millimètres par 
jour depuis la fin d'août jusqu'aux premiers jours de mars, puis 



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Janv, Févr Mars Avril Mai Juin Juil. Août Sept Octo. Nov. Dec 

ETIAOB OB SAY 1901 (ISSA-BBRJ. 



elle redescend de môme. La crue occidentale présente ceci de 
tout à fait particulier, qu'elle se produit ici en pleine saison 
sèche; qu'elle dépose une alluvion extrêmement fertile, et que, 
lente et progressive, elle arrose toute cette région, sans rien 
arracher, sans rien détruire. 

Crue orientale. — La région que traverse le Kouarra possède 
une saison des pluies analogue à celle du Djoliba. Elle com- 
mence deux ou trois semaines plus tôt (à la fin d'avril), se ter- 
mine dix ou quinze jours plus tard, et se manifeste par des 
pluies diluviennes plus intenses. Dans la région des rapides de 
Doussa, les eaux s'engouffrent avec une violence effroyable ; le 
fleuve devient alors un torrent qui, sous l'influence d'une 
tornade, monte de 2 mètres en quelques heures et redescend 
de moitié le lendemain. 

Le graphique d'étiage accuse ainsi toute une série de sou- 

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CRUE DE L'ISSA'DER. 

bresauts qui caractérisent ce fleuve rapide et tourmenté. Ici 
le maximum de la crue se produit du l" au 10 septembre. Le 
Kouarra monte vers la fin de mai par à-coups très brusques, 




Janv. Févn Mars Avnl Mai Juin Juil. Août Sept. Octo. Nov. Dec. 



KTIAQB DB GAVA 1901 (KOUARRA). 

puis redescend. Au mois de juin, il élève son niveau d'une 
façon presque régulière et progressive pendant quelques jours; 
mais en juillet et août, la crue fait des bonds prodigieux. Cette 
irrégularité se prolonge ainsi jusqu'en octobre, puis le Niger 
descend lentement, comme le Djoliba, précisément à la même 
époque. 

Seulement, il existe une différence considérable entre les 
deux fleuves. Le Djoliba baisse, mais il est alimenté par des 
sources, le Kouarra descend, et si nous supprimons l'Issa-Ber, 
il va se trouver à sec et son lit deviendra le ravin rocheux que 
nous connaissons. Fort heureusement pour lui, la crue occi- 
dentale arrive à point, ses effets commencent à se faire sentir à 
Gaya vers la fin de novembre, à Badjibo dans les premiers jours 
de janvier. L'étiage de l'enclave remonte tout doucement de 3 
à 4 millimètres par jour, jusqu'à la fin de mars, puis il redes- 
cend de même jusqu'aux pluies qui précèdent la crue orientale. 

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LE NIGER, 

Gomme on lo voit, les rives du Kouarra, sur lesquelles passent 
deux crues, sont donc constamment inondées, ce sont des 
marécages, absolument impropres à la culture, d'où résulte 
l'intense pauvreté de ce pays. 




q 10 20jO'û ?o 31 30 5D 31 30 31 30 31 31 28 5 

Avril Mat Juin JuiL Août Sept. Octo. Nov. Dec. Janv Févr. Mars 

LTIAGE DE UADJIUO 1901 (kOUAIlRA). 



Depuis la fin froctobre jusqu'au 15 avril de l'année suivante, 
il faut choisir judicieusement les marigots propices à la des- 
cente des rapides de Boussa. Mais lorsqu'on connaît les routes, 
lorsqu'on possède les mouvements de la crue, lorsqu'on a sous 
les yeux le graphique d'étiage résultant des moyennes de plu- 
sieurs années, on peut et l'on doit passer sans accident. Les 
cartes de la mission indiquent les routes. 

A partir de Jebba jusqu'à Lokodja, le fleuve se ressent sur- 
tout des effets de la crue orientale. Il coule à pleins bords en 
août et septembre, puis atteint en décembre un étiage infé- 

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DIFFÈRf-NCE ENl RE LU DJOLIBA ET LE KOUirUA. 




GBALAMDS DE 30 TO.NNBS CONSTKUlTS A KCULIKURO ANLC LUS bUltt UU PAYS. 

rieur qu'il conservera presque invariable jusqu'à la fin de mars, 
quel que soit l'apport de la crue occidentale dont le rôle est 
uniquement d'entretenir un niveau favorable à la navigation. Il 
n'en est plus de même en aval de Lokodja. La Bénoué double 
presque le débit du Niger, qui reste accessible jusqu'à la fin de 
janvier aux navires de fort tonnage et jusqu'en avril aux stern- 
wheeler (bateaux plats à roues arrière) de 150 tonnes. Sur le 
Delta, la crue se disperse dans les rivières de Brass, de For- 
cados, d'Escravos, etc., dans tous les canaux, dans toutes les 
criques. A l'époque de son maximum, elle surélève le niveau 
des marées de 50 centimètres à peine à Bouroutou pendant une 
quinzaine de jours, puis elle passe insensible, inaperçue. 

Comment s'est formée la vallée du Niger actuel, — Nous avons 
partagé le fleuve en tronçons : Djoliba, Issa, Kouarra. Nous les 
avons étudiés comme trois fleuves indépendants. Considérons 
maintenant le Djoliba et le Kouarra comme les pignons d'un 

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LE NIGER. 

édifice, que nous aurions à relier par un mur de refend. 

Admettons l'hypothèse suivante : le Djoliba sort des branche- 
ments du Foutah-Djalon; se fraye un chemin dans le Bélé- 
dougou, puis vient se jeter dans la mer (aujourd'hui disparue) à 
Diafarabé. Le Bani a son embouchure distincte en amont de 
San. Le Sahara n'existe pas, l'océan le recouvre ainsi que le 
plateau Nigérien*, ce sont des hauts fonds. Les seules terres 
émergeantes sont au Dahomey, les monts de l'Atakora, au 
Soudan, les monts du Bélédougou, de Kong, du Foutah. Vers 
l'est, on ne distingue que les éminences du Sokoto et de l'Air. 
Vers le nord, c'est un réseau d'îlots et de massifs montagneux, 
qui de l'Adrar va rejoindre en un grand cercle les chaînes 
aliiérionnes et le Maroc. 

Cette mer intérieure, en réalité peu profonde, se retire pro- 
gressivement, elle découvre d'abord le plateau Nigérien. Le 
Djoliba et le Bani allongent leurs ramifications (canaux du 
Delta), pour prendre contact et se pénétrer. 

L'Océan se retire encore et découvre les sables du Sahara, 
mais cette mer intérieure communique toujours avec l'Atlan- 
tique par une brèche qui se trouve au sud-ouest de Sompi; le 
Djoliba continue à s'y déverser, tandis que d'autre part une 
saison des pluies s'établit sur la région aoussa, vers le pays 
noupé, vers Boussa. Les tornades creusent cette partie du pla- 
teau Nigérien et, comme il faut bien que toutes ces masses 
d'eau aient une issue, la vallée du Kouarra se dessine à l'époque 
où celle du Djoliba est complètement tracée. Un jour enfin, 



1. Le plateau Nigérien est un terrain d'aspect uniforme, invariable, que l'on 
retrouve partout en Afrique, à Bamako, à Ségou, au Damangara, au Cbari, au 
Bas-Niger, au Daliorney. C'est un terrain de compression formé de conglomérats 
de fer hydro.xydé et de petits cailloux de quartz, arrondis, roulés. Les parties 
que les éléments n'ont pas désagrégées, présentent l'aspect d'un immense nougat. 
Au contraire, lorsque les pluies et le soleil ont brisé, détruit et réduit en poussière 
rouge le ciment magnétique des conglomérats, les petits rognons de quartz mis en 
liberté s'étendent sur d'immenses régions, qui paraissent cailloutées comme les 
allées d'un jardin. Rien n'y pousse à l'exception d'arbres d'essence spéciale, qui 
restent toujours verts en raison de l'imperméabilité du sous-sol, qui, sous l'in- 
fluence de la chaleur solaire, rend l'bumidité qu'il a emmagasinée. 

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FORMATION DE LA VALLEE DU NJGEIÎ. 

rOcéan s'est retiré tout à fait, il reste encore quelques flaques 
d'eau salée. Ce sont les lacs et la cuvette d'inondation : Dia- 
farabé, San, Saraleré, Sompi. Le Djoliba s*y précipite, la 
recouvre, la submerge, tandis que le Kouarra se creuse et va 
chercher sa basse vallée en sautant à 40 mètres de hauteur, les 
cataractes du Djou-Diou près Jebba. Voilà donc deux fleuves : 
le premier a des sources connues et se perd à Diafarabé dans 
une immense cuve d'absorption. Le second n'a pas de sources, 
sa vallée commence en amont de Gaya, il se tarit après à 
la fin de chaque saison des pluies. Voilà les deux pignons de 
rcclifice. 

Cependant la région lacustre cherche à se déverser; les eaux 
suivent une ligne de plus grande pente; elles se dirigent vers 
l'est, franchissent la passe de Tosaye, se choquent à des émi- 
ncnccs et trouvent un chemin au sud-est. L'Issa-Ber se dessine, 
le voici qui dépose ses eaux au pied des falaises de Gao; le pla- 
teau Nigérien cède, il est pris d'assaut par cette masse, tandis 
que les pluies ravinent cette vaste table. Le conglomérat fer- 
rugineux se désagrège; seule, l'infrastructure granitique ou 
schisteuse résiste à l'invasion, l'Issa-Ber saute par- dessus à 
Labezenga et perfore la porte de Kendadji. Le voici à Say. La 
nature a placé devant lui une faille immense, tortueuse et pro- 
fonde. Il s'engage dans ce W, puis débouche en amont des 
falaises de Gaya, tandis que le Kouarra commence à les ronger 
en aval. Encore un effort, l'Issa-Ber et le Kouarra se rejoignent. 
Voilà le mur de refend. Désormais le Kouarra, de fleuve inter- 
mittent et torrentueux qu'il était, devient une artère immense, 
le Niger devient un fleuve, composé de trois autres, qui prend 
sa source près de Farana et qui forme son delta dans le golfe 
du Bénin. 

Les climats nigériens : l» Délia, — Le voyageur ressent une 
impression bizarre en arrivant à proximité du Delta nigérien. 
Outre les tribulations de toutes sortes, les débarquements en 
surf-boat et les difficultés du transbordement, l'on sent à 
quelques milles au large l'odeur fade de la vase, que la chaleur 

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LE NIGER, 

lourde et humide rend plus désagréable encore. Il y pleut tous 
les jours; le soleil y est rare; il se voile sournoisement der- 
rière de gros nuages ronds qui forment loupe et congestionnent 
en quelques secondes l'Européen non encore acclimaté. Je ne 
sais quel est le plus dangereux, d'un soleil torride dans un ciel 
bleu ou de cette marmite d'eau bouillante. 

La véritable saison des pluies commence à Forcados en 
mars, pour finir en septembre. Durant ce laps de temps, la 
houle est fréquente du sud-ouest; la mer est agitée, les barres 
du littoral sont dangereuses. En décembre et janvier, l'her- 
mattan, vent sec du nord-est, souffle une dizaine de fois, et 
l'on voit, phénomène étrange, les noirs dont les muqueuses et 
la peau se sont accoutumées à l'humidité permanente, devenir 
gris sale et leur derme se transformer en poussière pelliculaire. 

La température minima est 18», le maximum 34o, elle oscille 
de 2'i à 32o durant la période mars-octobre et de 18 à 28° de 
novembre à mars. Les tornades et les trombes d'air sont assez 
rares. Ce pays, immense tapis de verdure, reçoit des douches 
tellement fortes que les terrains émergeants sont inondés plu- 
sieurs fois chaque année. 

2» Bas-Niger. — Depuis Lokodja jusqu'à Yelloua et Sakassi, 
les pluies sont fréquentes. En avril, le thermomètre accuse des 
températures excessives. Il n'est pas rare de le voir monter à 
46 et même 47 degrés centigrades, et lorsqu'on n'a que 44° à 
l'ombre, on se trouve heureux. Les nuits sont meilleures à 36<». 
La moyenne pour avril est de 39o8 à 40o. Les pluies abaissent 
la chaleur, mais cette humidité qui en résulte vaut moins que 
létuve sèche. En septembre, la moyenne générale est de 29 à 
30° : pour ma part, j'aime mieux griller au mois d'avril que 
bouillir pendant l'hivernage, où l'on se gratte du matin au 
soir, harcelé par les bourbouilles, les moustiques, les tsé-tsé, 
les sand-flics. C'est en novembre que la vallée du Bas-Niger 
devient la terre par excellence de l'insalubrité. La dj'senterie, 
le paludisme et la fièvre bilieuse hématurique y tiennent leurs 
assises; l'ipéca, la quinine et tous les purgatifs inventés depuis 

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LE CLIMAT NIGERIEN. 

ITippocrate, sont prescrits sans cesse et souvent impuissants. 
Les rives et les marécages s'évaporent, le soleil est voilé par 
le brouillard, la brousse est dangereuse et malsaine. Ce n*est 
guère qu'en janvier que le ciel se dévoile et que la fraîcheur 
des jours et des nuits s'accentue ; la température varie alors 
de 14 à 26<» pour remonter en février de 22<» la nuit à 40» le jour. 
Le Bas-Niger a en somme un climat très dur et très malsain. 

30 Nil français, — Il n'en est plus de même lorsqu'on a quitté 
la région montueuse qui borde le Kouarra jusqu'à Sakassi. La 
haute vallée du Djoliba depuis Siguiri jusqu'aux sources, diffère 
très peu comme climat du bief Bamako-Mopti. La région 
Débo-Kabara-Say au contraire pâtit, comme nous l'avons dit, 
d'une sécheresse presque continuelle. Sur l'Issa-Ber, les mois 
d'avril à juillet sont très durs (34 à 38o la nuit et 42 à 49° le 
jour, à mesure que l'on approche des tornades). Puis la tempé- 
rature s'abaisse, devient humide, et, lorsque l'hivernage est 
terminé, surviennent les grands froids. En novembre, j'ai 
observé 14o le matin à 8 h., 41o à 2 h. et 32<» à 6 h. du soir; 
en décembre, 7<» le matin, 33» à 2 h. et 21o à 6 h. du soir; en 
janvier, 12® le matin, 38o à 2 h. et 24© à 6 h. du soir. De novembre à 
mars, les nuits sont fraîches, glaciales, souvent agréables. L'her- 
mattan souffle de 6 à 8 h. du matin jusqu'à 2 h. de l'après-midi. 

Le colon doit avoir la force de résister à ces écarts, à ces 
douches d'air chaud puis glacé. Le vent sec du désert apporte 
un air pur et vivifiant, à condition qu'on ne le reçoive pas après 
son passage sur des marécages ou des terres remuées. 

La température du Djoliba diffère très peu de celle de l'Issa- 
Ber; seule la saison des pluies modifie l'état hygrométrique de 
l'air, et prolonge l'humidité en raison de sa plus grande durée. 
Cependant certaines zones du Djoliba, plus imperméables, plus 
inondées ou plus boisées, tendent à se rapprocher du Bas-Niger 
comme température. Mais le lecteur jugera de l'insalubrité 
permanente du Kouarra d'après ce que nous en avons dit. 

Maladies. Hygiène. Conseils au voyageur. — On peut contracter 
toutes les maladies possibles dans la vallée du Niger : dysen- 

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LE MGER 

terie, dyspepsie, furoncles, fièvres bilieuses, lumbagos, torti- 
colis, bronchites, diarrhées. Mais là, comme partout, une hygiène 
suivie peut enrayer les maux, et la gravité des affections dépend 
de la santé qu'on apporte. 

La plupart de ces maladies sévissent en France comme au 
Soudan. En réalité, le grand ennemi de l'Européen au Niger est 
le paludisme; on pourrait môme dire qu'il est le seul. A ce 
sujet, les médecins coloniaux sont partagés en deux camps : 
l'un partisan de la quinine préventive, l'autre ennemi résolu de 
cette pratique. Je ne puis parler que d'après moi, et aussi 
d'après tous ceux que j'ai pu connaître ou commander et qui 
ont adopté la quinine préventive. Or cela s'applique à plus de 
deux cents Européens. Eh bien! chez aucun de nous le palu- 
disme n'a pris de forme permanente, chronique et dangereuse. 
Aucun de nous n'a subi les atteintes de la fièvre bilieuse héma- 
turique. Nous avons eu quelques accès de fièvre, voire môme 
de bilieuse, c'est-à-dire des embarras gastriques avec élévation 
de température, vomissements et diarrhée de bile dus aux 
fatigues excessives que nous avons endurées au cours de cette 
mission, mais aucun de ces fervents de la quinine préventive 
n'a contracté de fièvres tenaces et de maladies graves. 

Il faut encore lutter contre le moustique, ce terrible ennemi, 
Vanopheles claviger^ qui sort des marécages et par ses piqûres 
donne la fièvre paludéenne. A remarquer, à ce propos, que la 
mission Marchand, qui a vécu au régime de la quinine préven- 
tive, dans les marécages, qui a humé, respiré des moustiques, 
n'a perdu personne de ce fait, ou que du moins son personnel a 
été victime d'accidents rares. Sur le Bas-Niger, nous avons été 
dévorés par les moustiques, à Guiris nous en avons atrocement 
souffert, c'était une atmosphère d'insectes, et elle ne nous a 
cependant pas rendus malades. Il est donc fort probable que 
l'anophèle communique la fièvre seulement dans les centres où 
des Européens sains et indemnes entrent en contact avec des 
Européens souffrant du paludisme, du soleil torride, des éma- 
nations pernicieuses, dos effluves telluriques. 

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HYGIENE ET MALADIES. 

Si vous voulez vous bien porter au Soudan , remplissez 
d'abord les conditions qu'exigent l'ardeur du soleil, les dan- 
gers du climat. 

Ne partez qu'à l'âge de vingt-six ou vingt-huit ans, avec le 
cerveau, le cœur et l'estomac solides. Mangez à votre appétit 
des substances faciles à digérer, supprimez les alcools, buvez 
de l'eau filtrée, réconfortez-vous de temps en temps par un peu 
de vin généreux, si vous croyez à l'efficacité de ce remède. 
Fuyez les apéritifs comme la peste, sortez au soleil s'il le faut, 
quand il le faut, puis revenez à l'ombre, prenez de l'exercice 
au plein air sous un casque à larges bords, la colonne verté- 
brale garantie du soleil par des vêtements suffisants. Couchez- 
vous do bonne heure, à 8 heures ou 8 h. 1/2; fatigué par vos 
occupations journalières, vous dormirez bien, et le matin vous 
serez debout avant le soleil. C'est l'heure où l'on est le plus à 
l'aise : on ne souffre pas de la chaleur, le pays éclairé d'une 
demi-teinte vous paraît agréable. Ne jouez pas, le jeu énerve, il 
empêche de dormir. Si votre travail intellectuel est trop chargé, 
efforcez -vous de le couper, de vous distraire entre temps. 
Recherchez des camarades qui vivent comme vous, une table 
gaie d'où les questions de service soient reléguées aux chan- 
tiers, aux bureaux; vivez près de l'indigène, et n'oubliez pas que 
sa société est par moments distrayante, instructive. 

Vous aurez lu avant de partir qu'il faut habiter dans une case 
confortable à 2 mètres au-dessus de terre, que les maisons 
doivent être bâties, ventilées, éclairées d'une façon spéciale. 
C'est parfaitement vrai; mais au Soudan vous coucherez quatre- 
vingt-dix fois sur cent au ras du sol, n'importe où, n'importe 
comment. Vous n'en serez pas plus malade pour cela, si vous 
avez la constitution voulue, si vous faites le nécessaire. Ne pro- 
longez pas trop vos séjours, revenez tous les deux ans au pays 
pour respirer l'air pur. 

Uêsumè. Concbisions. — Les rapides de Boussa, considérés 
par certains explorateurs, comme des obstacles absolus à la 
navigation du Niger, ont été franchis cinq fois par la flottille, 

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LE NIGER. 

c'est-à-dire par des convois de dix-sept et dix-neuf embarca- 
tions, sans que nous ayons eu à déplorer le moindre accident. 
Il y avait une tâche à la fois délicate et dangereuse à remplir, 
c'était la reconnaissance des passages. Nous y avons risqué 
plus de cent fois nos existences. Des embarcations comme les 
nôtres ne circulaient pas entre les rochers comme des pirogues 
d'indigènes. Il nous fallait reconnaître et trouver des chenaux, 
des brèches dans les chutes, des paliers dans les cascades. 
Cette besogne est aujourd'hui terminée, nous avons remis à 
nos successeurs les cartes des rapides, les graphiques d'étiage 
et les renseignements suflîsants sur la crue. Nous leur avons 
laissé des pilotes connaissant les routes, et plus de deux cents 
laptots dressés, habitués, aguerris à la manœuvre. Ils obtien- 
dront les mêmes succès que nous. J'ajouterai même que leurs 
convois, bien approvisionnés au départ, pourront aisément 
remonter tout le Niger, depuis Badjibo jusqu'à Sorbo, sans qu'il 
soit nécessaire d'obliger le personnel européen à les suivre 
constamment. 

A mon avis, la traversée des rapides est, maintenant que 
nous en possédons la manœuvre, une opération praticable et 
possible. Le rendement des transports par cette voie peut être 
doublé, triplé, quadruplé. Tout dépendra du nombre d'embar- 
cations employées. Toutée avait reconnu la route et déclarait 
que malgré ses difficultés, elle ouvrait la porte du Bas-Niger 
à nos territoires du Soudan. Les opérations de la flottille n'ont 
pas infirmé cette assertion; bien au contraire, elles en ont fait 
une parole prophétique. 

Il est évident que si nous pensons trouver dans nos colonies 
des routes tracées d'avance, des surfaces aplanies pour y poser 
le rail, des fleuves de 4 500 kilomètres aussi paisibles qu'un lac, 
nous nous exposons à de grosses déceptions. Le Mékong, dont 
les cataractes sont extrêmement dangereuses, et se dressent 
à Khôn comme une véritable barrière, fut considéré pendant 
de longues années comme une artère impraticable. De vail- 
lants et courageux officiers de notre marine ont affronté l'obs- 

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LA VOIE DU NIGER EST OUVERTE, 

tacle, ils l'ont examiné dans tous ses détails; il en est résulté 
que la navigation du Mékong est une chose acquise, un fait 
accompli. Nous Tavons mise en pratique avec les précautions 
qu'elle exigeait. 

Que se passera-t-il pour le Niger? La même chose, à n'en pas 
douter. Pendant plusieurs mois de l'année, de fortes chaloupes 
animées d'une grande vitesse et mesurant un faible tirant d'eau, 
peuvent remonter depuis Jebba jusqu'au pied du village de 
Garafiri. La navigation est délicate : il faut savoir bien manœu- 
vrer; l'hélice doit être de parfait métal, la chaudière robuste et 
en bon état, le pilote a besoin de connaître les passes et le 
fleuve avec tous ses secrets. Mais ces difficultés peuvent être 
vaincues, d'abord grâce au travail que nous venons de faire, 
ensuite au moyen du balisage des chenaux. Rien n'est plus 
facile que d'aller cimenter des bouées fixes aux basses eaux; 
les pilotes adroits et les bons bateaux ne manquent pas. Le 
véritable embarras se présente au rapide de Garafiri. 

Nous l'avons passé cinq fois sans accident, mais nous ne le 
connaissons pas encore suffisamment. Il y a là plusieurs lignes 
de rochers qui barrent le fleuve, non pas en murs à crête hori- 
zontale, mais avec de larges brèches qui s'agrandissent de plus 
en plus. Malheureusement, ces brèches ne sont pas dans le 
prolongement l'une de l'autre, 11 faut, pour aller de l'une à 
l'autre, suivre une route sinueuse. Le courant gêne cette 
manœuvre, extrêmement dangereuse, surtout à la descente, 
parce qu'il porte les embarcations sur les rochers. De plus, les 
brèches sont invisibles et submergées. Le meilleur moyen de 
les indiquer est d'y placer des balises. 

Il est évident que le voyageur muré dans ces gouffres, au 
milieu desquels un courant terrible, des trombes et des tour- 
billons tendent à l'envelopper, se trouvera peu rassuré. Mais 
peu à peu, là comme ailleurs, on arrivera à s'accoutumer au 
danger. Nos belles routes de France sont tous les jours, à 
toutes les minutes, sillonnées par des automobiles qui filent à 
des vitesses inouïes et qui se briseraient au moindre écart, au 

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LE NIGER. 

moindre choc. Cependant le chauffeur s'habitue à ce genre 
de sport, jusqu'à devenir téméraire. Il en sera de même 
pour les navigateurs qui parcourront les rapides du Niger. 
N'oublions pas, d'ailleurs, que si l'on veut tenter le passage 
des rapides en pirogue indigène, on s'exposera inutilement, 
tandis qu'avec des embarcations solides, longues, larges, de 
manœuvre facile, on n'aura en somme qu'à surmonter sa propre 
émotion. 

Quant aux rapides du nord, Labezenga, Kendadji, etc., il suf- 
fira de quelques cartouches de dynamite, pour agrandir les 
nombreuses passes qu'on y rencontre, sans porter préjudice aux 
biefs supérieurs. 

Ceci dit relativement à la praticabilité de la route fluviale, il 
reste maintenant à en démontrer l'utilité. 

Le rail du Dahomey doit être prolongé jusqu'à Say ou Gaya. 
Il n'est pas de solution meilleure et plus rationnelle; mais il 
nous faut attendre encore quelques années, si ce n'est davan- 
tage, pour voir cette ligne en exploitation. Jusque là, c'est à la 
flottille du Bas-Niger que doivent être confiés les transports à 
destination de nos territoires du Soudan oriental, c'est elle qui 
doit effectuer les mouvements de matériel (ravitaillement et 
produits commerciaux). 

A l'époque actuelle, une caisse de 25 kilos rendue par voie de 
terre, depuis Porto Novo jusqu'à Say, coûte environ 25 ou 
26 francs de portage, non compris les pertes et la casse. Le 
noir déteste ces corvées qui l'abrutissent et qui font de nous 
son exploiteur, comme au temps de la traite des nègres. 

Il préfère s'enfuir n'importe où, plutôt que d'être affecté à 
cette dure besogne, qui l'oblige à peiner de longs jours, courbé 
sous le fardeau, sans jamais de répit. Au Dahomey, les comman- 
dants de poste ont les plus grandes difficultés à recruter cent 
porteurs, et lorsqu'il leur en faut davantage, l'indigène s'agite, 
menace de se révolter ou s'enfuit dans la brousse. Au cours des 
deux dernières campagnes de 1901 à 1902, la flottille du Bas- 
Niger a transporté 10000 colis avec 58 laptots sédentaires et 

— 242 — 



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BUT ET RESULTATS DE LA FLOTTILLE. 

150 piroguiers auxiliaires. Pour efTectuer le môme travail avec 
des porteurs, il eût fallu, en tenant compte des éclopés et des 
parasites de la colonne, une armée de 12 000 hommes au moins. 
En admettant qu*on ait pu réunir un tel contingent, il faut 
remarquer que, par le fleuve, les tarifs sont de 17 francs par 
caisse, sans perte ni casse, rendue de France à Sorbo, point 
moyen, alors que le même colis coûte de 27 à 28 francs, pour 
être transporté par la voie de Porto Novo. 

En définitive, la voie fluviale offre deux avantages aussi impor- 
tants Tun que l'autre : 

lo Suppression du portage, et ce résultat fait apprécier notre 
humanité et la nature de nos sentiments par toutes les popula- 
tions riveraines ; 

2» Economie d'argent, et ce bénéfice ouvre à nos commerçants 
la perspective d'un plus grand profit. 

Pour mieux faire ressortir l'utilité de la flottille, j'insiste à 
nouveau sur l'intérêt considérable qu'il y aurait à faciliter à 
nos compatriotes l'usage des embarcations que nous avons 
laissées sur le Niger. C'est le meilleur moyen d'apporter, sur 
les marchés du Soudan, tous les produits de notre industrie 
nationale capables de lutter contre l'invasion des produits 
étrangers. 

Je ne saurais terminer sans adresser ici de vifs remerciements 
à Monsieur le colonel Peroz dont les encouragements récom- 
pensèrent nos efforts, ainsi qu'aux dévoués collaborateurs qui 
partagèrent avec enthousiasme les dangers et les diflicultés de 
cette mission. Le capitaine de Peyronnet, le lieutenant Ânthoine, 
les sous-ofliciers Boury, Groisne et Messéant, n'ont jamais mar- 
chandé leurs peines pour que nos efforts fussent couronnés de 
succès. 

La plus sincère amitié nous unissait et nous unit encore. 
Véritable famille isolée sous le ciel inclément du Bas-Niger, 
nous mettions en commun nos heures de souffrance, nos jour- 
nées de périls, nos semaines de privations, nos éclairs de bonheur. 
J'osais espérer que la Providence nous donnerait à tous les 

— 243 — 



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LE NIGER 

douces et réconfortantes joies du retour; un de nous, hélas! ne 
les goûta que bien courtes. Le lieutenant Anthoine, qm m*ac- 
compagna pendant cent dix-neuf jours au deuxième convoi, ne 
put supporter nos excès de fatigue. Miné par la fièvre, terrassé 
par la dysenterie, il dut regagner la France, où la mort vint le 
frapper quelques jours après son débarquement. 

C'est donc au prix de ce sacrifice douloureux, de périls et de 
dangers sans nombre, que la voie du Niger est ouverte à notre 
empire africain. La vallée du Nil français est pleine de pro- 
messes : elle attend pour révéler ses richesses cachées et offrir 
ses produits nombreux et variés, que nous venions les recueillir 
sur le parcours des voies de communication qui nous restent à 
organiser; que nos vapeurs marchent en pleine activité sur le 
fleuve; que s'élèvent les gares et les dépôts. La France ne con- 
naît pas encore tout ce qu'elle peut demander à ces terres loin- 
taines. Si le Soudan n'est pas un pays fertile en tous ses points, 
la vallée du Niger, ce que nous appellerons le Nil français (Issa- 
Ber et Djoliba), la plaine de Djenné, le Bélédougou, le Ouassou- 
lou, le Mossi, le Macina, sont des régions riches et productives 
sur de vastes étendues. Nos colonies d'Afrique sont aujourd'hui 
des possessions que les guerres intestines laissent en repos 
depuis deux ans à peine. Les voilà pacifiées, se prêtant à la 
pénétration libre et laborieuse, à l'exploitation que vont favo- 
riser les routes et les voies d'accès. La date de l'occupation est 
encore trop récente pour que nous osions dès maintenant entre- 
voir le Soudan de l'avenir, en commurication rapide et directe 
avec la Métropole, ne formant plus qu'un bloc avec nos terri- 
toires de l'Algérie et le protectorat Tunisien ; c'est à nos fils 
que revient la tâche honorable et laborieuse d'imposer à notre 
empire africain un caractère homogène, d'imprimer l'unité à cet 
ensemble de territoires, qui s'étendent depuis le Bénin jusqu'à 
la Méditerranée. 

Notre domaine colonial en Afrique est immense, mais il est 
trop jeune, trop récemment conquis pour que nos contempo- 
rains aient pu se faire couramment à l'idée de lui prodiguer des 

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L'AVENIR DU NIL FRANÇAIS. 

bras, et surtout des capitaux. Le temps mettra les choses au 
point. Pour ma part, j*ai foi dans Tavenir de notre empire afri- 
cain, et, plaçant ma confiance dans le génie de notre race, je 
crois de toutes mes forces à la prospérité du Nil français. 

Lenfant. 



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EXPLICATION THÉORIQUE ET MÉGANIQUE 

DE LA CRUE GÉNÉRALE DU NIGER 



CHAQUE bief du Niger sera représenté par un vase long, la ré- 
gion des lacs et des inondations par un vase plat très large, 
les clapets qui figurent les rapides représentent des valves de 
régulation uun débit approprié à celui du bief correspondant. 

Si nous nous reportons au croquis schématique ci-joint, nous 
pouvons expliquer la crue générale de la manière suivante : 

1<» Le fleuve monte dans la haute vallée, puis force les valves 
de Sotuba après avoir atteint le niveau AB (juin), Teau monte 
à Koulikoro en C, D' de manière à remplir jusqu'en Â2, B^ les 
marigots compris entre Sotuba et Diafarabé, la crue est donc 
absorbée en partie une première fois et le fleuve redescend en 
A,B, à Koulikoro pendant deux ou trois jours (fin juin). 

Ensuite le niveau s'élève en C"D" à Bamako, la crue reprend 
à Koulikoro et monte en C,D. A ce moment précis le fleuve est 
arrivé à hauteur des barres, qui obstruent l'entrée de la région 
lacustre (Debo), tout prêt à les franchir. Il se déverse donc sur 
cette cuvette et inonde, partout où il trouve des débouchés, la 
surface de la région lacustre et celle des terrains submersibles 
qui s'étendent jusqu'au pied de la falaise de Bandiagara (en 
juillet) : niveau C2,D2. 

Pendant ce temps, la crue reste immobile à Koulikoro, niveau 
C,D, pendant huit à dix jours, le niveau devient C^Dj dans la 
région lacustre, puis le Niger prend à Koulikoro, pour la deuxième 
fois, un mouvement ascensionnel (fin juillet) jusqu'en EF. 

— 247 — 



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APPENDICE 

A la même époque, la crue orientale monte en a. 6 à Gaya sous 
l'influence de la saison des pluies, et le fleuve monte en Cxïfx 
à Say. La crue occidentale croît donc progressivement dans le 

moyen Niger, mais 
en même temps la ré- 
gion lacustre se rem- 
plit et prend les ni- 
veaux KL et E F 
août), à mesure que 
le fleuve, en aval du 
Débo, force les petites 
barres ou clapets qui 
se trouvent à l'entrée 
des marigots qui re- 
lient les lacs au Niger. 
Chaque fois qu'un cla- 
pet s'ouvre pour rem- 
plir un lac, rétiagc 
de la crue occiden- 
tale décroît de 2 ou 
3 centimètres; ceci 
explique pourquoi la 
courbe d'étiage de 
Koulikoro indique 
pendant la crue des 
sauts et des descen- 
tes successives, car 
chaque lac qui se 
remplit est une prise 
d'eau à la crue occi- 
dentale. 
Nous supposons Ici, 
bien entendu, que la crue de la région lacustre est produite par 
les crues combinées du Niger et du Bani. En août, la crue occi- 
dentale atteint à Koulikoro le niveau EF; pendant ce temps le 

— 248 — 




8CUÉMA POUR l'explication MÉCANIQUB 
DB LA CRUE DU NIGER. 



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APPENDICE 

niveau devient E^ , F^ dans les lacs ; Eo V% dans le bief Kabara-Say. 

La crue orientale dont Tétiage a,h, du bief Gaya-Say a pour 
corrélatif cd et ef dans les biefs suivants, atteint en août le 
niveau a'hf à Gaya a^ô'ete^/'dans les suivants, et le maximum 
de cette crue à la fin de septembre, représenté par le niveau 
c^b^ du bief Say-Gaya, donne des maximums éd! et €^%^h\ dans 
les biefs Gaya-Boussa et Boussa-Delta. A la fin de septembre ou 
premiers jours d'octobre, lacrue occidentale prend le niveauGH 
de son maximum à Koulikoro; elle atteint une hauteur crois- 
sante GJli vers Say; la crue orientale atteint à Gaya sa hauteur 
maximum à la même époque^ phénomène très remarquable. 

Ainsi donc dans les premiers jours d'octobre la crue occi- 
dentale atteint son maximum à Koulikoro, tandis que la crue 
orientale atteint le sien à Gaya presque sous la même latitude 
et presque le même jour. 

La région lacustre est aux plus hautes eaux en décembre 
(niveau MN), et c'est à partir de cette époque qu'elle devient 
le régulateur des ondes et du débit du Niger. 

Si cette immense cuvette n'existait pas, il est probable que la 
crue s'écoulerait beaucoup plus vite ; mais chaque lac, par l'inter- 
médiaire du marigot ou veine liquide qui le fait communiquer 
avec le Niger, renvoie l'eau qu'il a reçue avec une lenteur pro- 
portionnelle à l'étroitesse du marigot, et toutes ces petites rivières 
ainsi que les barres qui leur servent de clapets ne s'ouvrent 
pour ainsi dire, que les unes après les autres pour déverser dans 
le Niger, les eaux qu'elles ont prises à ce fleuve et cela seule- 
ment lorsque le Niger en baissant débouche leurs entrées, et 
prend un niveau inférieur à celui de chaque lac, phénomène 
progressif et continu. 

Il est en effet très facile de comprendre que si le Niger est 
aussi haut que le Fati, le marigot qui alimente ce lac ne peut se 
déverser dans le Niger, tandis que si le Niger baisse, il fait 
appel au Fati, le niveau du lac suit le môme mouvement, et ses 
eaux se déversent dans le fleuve. Ceci explique donc que le 
débit du Niger entre Kabara et Say, soit régulier et toujours 

— 250 — 



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APPENDICE 

proportionnel au profil de son lit, ce profil présentant, toutes 
choses égales d'ailleurs, une section non pas mathématique- 
ment mais sensiblement constante. 

Ceci explique également que le fleuve commençant à baisser 
à Kabara vers la fin de janvier, tous les clapets qui obstruent 
l'entrée des lacs se trouvent débouchés à peu près au mémo 
moment, et que le maximum de la crue ne se produise à Say 
que du 10 au 20 février, niveau M^Nf. 

 Gaya au contraire, la crue orientale baisse jusque vers mi- 
novembre en d 6', premier mininum qui est précisément la hau- 
teur de la crue occidentale parvenue en ce point. Puis la crue 
s'accentue de nouveau pour atteindre son maximum a\yb\, vers 
la fin de février, c'est le maximum de la crue occidentale à 
Gaya. 

Le bief Gaya-Boussa atteint pendant ce temps un second 
maximum dans les premiers jours de mars, maximum c,d, cor- 
rélatif du précédent. 

Nous avons dit précédemment comment se comporte la crue 
dans la région Boussa-Delta. 

Les pagaies du Niger. — Nous avons rapporté trois pagaies 
types, empruntées aux différents biefs du Niger, bief calme 
Koulikoro-Ânsongo, rapides du nord Gaya-Ânsongo, rapides de 
Boussa, de Sakassi à Jebba. 

Dans le bief nord, la pagaie est une cuiller en bois légèrement 
épointée, elle est très petite. La pagaie de Labezenga est déjà 
plus grande, plus longue, sa surface est à peu près une fois et 
demie égale à celle des pagaies de Koulikoro. 

Le courant est plus fort, l'homme a besoin de réagir contre 
les tourbillons et les contre-courants, il a besoin d'imprimer plus 
de résistance. 

La pagaie des rapides de Boussa présente un aspect tout 
différent. Elle a 3 mètres de longueur, la palette est d'une 
surface quadruple. Longue elle-même de 1"»50 et large de O^So, 
elle à la forme d'un aviron. 

Cette pagaie est le luxe et même l'unique meuble des piro- 

— 251 — 



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APPENDICE 

guiers des rapides, elle est sculptée et présente souvent sur sa 
face postérieure un caïman fort bien représente. 

L'homme est debout à l'avant de sa pirogue, il incline son 
corps presque au niveau de l'eau, et plonge sa pagaie presque 
tout entière dans le fleuve, en réagissant de tout son être contre 
la violence du courant. 

Il suffit de comparer ces trois pagaies, Koulikoro, Labezenga, 
Boussa, pour se rendre compte de l'état du fleuve dans chacune 
de ces régions, et pour apprécier quelles sont les difllcultés des 
grands rapides du Bas-Niger, 

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TABLEAU DE CORRÉLATION DES NIVEAUX 

PORTÉS SUR LE CROQUIS SCHÉMATIQUE 
BIEFS 

SIGUIRI-BAMAKO, niveau AB en juin, CD" en juillet (crue 
occidentale). 

KOULIKORO-MOPTlj niveau AgBj en juin (crue occidentale); 
niveau G^D'i et A^B^ fin juin,, C^D^ en juillet, puis EF 
fin juillet, EF en août, GH maximum de la crue fin 
septembre et premiers jours d'octobre, MN fin dé- 
cembre (crue occidentale), 

MARIGOTS SITUÉS ENTRE KOULIKORO ET MOPTIj niveau 
CjDa premiers jours de juillet, KL puis EF vers le 
milieu d'août (crue occidentale). 

RÈGlOy LACUSTRE, KABARA-SAYy niveau C'^iya en juillet, 
E2F2 cil août, GH fin septembre, MN maximum fin 
février (crue occidentale); G'jD'a en juillet (premiers 
effets de la crue orientale). 

SAY'GAYA, niveau ab en juillet, a^b* en août, a^b^ fin sep- 
tembre (maximum de la crue orientale), a'b' mi-no- 
vembre premier minimum, a^b^ premiers jours de 
mars (maximum de la crue occidentale qui a mis six 
mois pour se propager depuis Koulikoru), 

GAYA'BOUSSA, niveau cd en juillet, 02^2 en août, <fd! 
premiers jours de septembre (maximum de la crue 
orientale), c^d^ en mars (maximum de la crue occi- 
dentale)'^. 

BOUSSA-DELTA, niveau ef fin juillet, a^bt^ mi-septembre 
(maximum de la crue orientale), d^d^ vers le 15 mars 
(maximum de la crue occidentale). 

1. La crue occidentale snrélèTe le niveau du Bas Niger d*nn mètre 
à peine. Cette crue empêche plutdt cette partie du fleuve de devenir un 
ravin rociieux totalement à sec. Elle maintient la navigation du fleuve et 
prolonge en quelque sorte la crue orientale. 



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TABLE DES MATIÈRES 



LETTRE-PRÉFACE i 

INTRODUCTION v 

I. — Préliminaires. — Historique. — Toutée. — Hourst. — L'Occupa- 
tion française au Niger. — L'Acte de navigation du Niger du 
Traité de Rcrlin. — Voyage par mer. — Passage de la Barre 
de Forcados. — Nos Pilotes 1 

n. — Débarquement en rade de Forcados. — Voyage à Lagos et au 
Dahomey. — A la recherche d'un remorqueur. — Le port de la 
Niger Company à Bouroutou. — La rivière Forcados et ses méan- 
dres. — En route. — Nous arrivons sur le Niger. — Les trois 
bassins du Niger : le Kouarra, l'Issa, le Djoliba 23 

ni. — Montée du Niger. — Les factoreries anglaises. — Onitcha. — 
Lokodja. — Le confluent du Niger et de la Bénoué. — Eggan. — 
Rabba. — Le plateau nigérien. — Arrivée à Jebba. — Sir Fré- 
dérik Lugard. — Le camp des Anglaisa Jebba. — Débarquement. 
— Le Djou-Djon. — Le Niger en amont de Jebba. — Nous 
arrivons à l'enclave de Badjibo-Arenberg. — Le roi Madibo. — 
Organisation de l'enclave. — Départ pour les rapides. — Maladie 
de Suleyman. — Rapide de Léaba. — La mission arrive à Ourou« 57 

IV. — Passage du rapide d'Ourou. — Garba, roi de Oua-Oua. — Légende 
des rapides. — Le Rite indigène. — Patassi. — Garafiri. — Inci- 
dents de route. — Peuplades riveraines. — Le roi de Boussa. — 
Fatigues et privations. — Séjour à Boussa 88 

— 255 — 



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TABLE DES MATIERES 

V. — Séjour à Boussa ; départ. — ' Les Goangaouas. — Rapides dt 
Tsoulon et Sakassi. — En fleave calme. — Séjour à Guiris. — 
Nous reDcoDtrons le capitaine Keyes. — Gaya. — Cruelle désil- 
lusion. — En route pour Niamé 135 

VI. — Le double V. — Les habitants du Niger. — Sortie du Eonana et 
entrée dans TIssa-Ber. - Le deuxième convoi passe les rapides 
de Boussa. — Le Nil français. — Apparences de pauvreté, pro- 
duits et richesses. — Les Courtébés. — Rapides du Nord. — Les 
greniers de Sinder. — La butte de Kendadji. — No6l à Douniou. i07 

VIL — Le Nil français, Issa-Ber (suite). — Rapide de Labezenga. ^ Tim- 
boucton. — Touareg. — Beilas et Dagas. -* Le Bararissa et le 
Koli-Koli. — Naufrage sur le Débo. — Le delta Niger-BanL 
— Le Djoliba. — Ses piroguiers. — La légende du roi Mourouho. i9S 

VIII. — Le Djoliba (suite). ~ Koulikoro. — Le Rocher fétichfl. — Saison 
des pluies. — Grue générale du Niger. — Hypothèse sur la forma- 
tion de sa vallée. — Résumé. — Conclusions fS3 



Rojrlma ^, 



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APPENDICE. 



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Imprimerie Fernand Scumidt, Paris-Monlrouge (Seine). 



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