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LE NIGER
VOIE OUVERTE A NOTRE EMPIRE AFRICAIN
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LA MISSIOIV DU NIGER.
LB LIEUTENANT ANTHOINE, LE CAPITAINE LBNFANT, LE LIEUTENANT DE PEYRONNET,
LES SOUR-OFFIGIBR8 OROISNB, MESSKANT, BOURY.
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CAPITAINE LENFANT
LE NIGER
VOIE OUVERTE A NOTRE EMPIRE AFRICAIN
^ PREFACE PAR M. E. ETIENNE
INTRODUCTION DU COLONEL PEROZ
OUVKAGK CONTENANT
CENT TREIZE ILLUSTRATIONS ET UNE CARTE llMi'M HORS TEXTE
TROISIÈME ÉDITION
« L'ceupre coloniale que noua av<ms entreprise est une œuvre
d'iwenir. Noua ne travaillons pas seulement pour l'heure présente,
mais nous travaillons surtout pour demain, »
E. Étiknnk.
PARIS
LIBRAIRIE HACHETTE ET C*«
79, Boulevard Saint-Germain, 79
1905
DroIU d« IradaeUoo «1 d« rcproduolioa
Djgitized' by. VJ-Ô0^1.^
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DEDIE A MON FILS LOUIS
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PRÉFACE
LB Capitaine d'Artillerie Coloniale Lenfant vient d'ajouter
une page brillante et du plus haut intérêt à ces Annales
de nos Colonies d'Afrique dont le Général Faidherbe, dans
les dernières années de sa i^ie, sun^eillait avec amour la pu"
blication. Immobilisé par l'âge et par les fatigues de sa
glorieuse carrière y le Grand Africain ^ dans sa retraite de la
Légion d'Honneur y suivait avec une paternelle et patriotique
sollicitude les progrès de nos armes et de notre influence
dans cette partie du Soudan qui lui doit de s^ appeler aujour-
d'hui le Soudan français. Les Borgnis-Desbordes, les
Archinardy les Galliéniy les Combes et les Bonnier s'étaient
inspirés de ses conseils, de son expérience y de sa foi dans la
valeur de nos colonies africaines. Binger avait été son offi"
cier d'ordonnance. Monteil, Ménard, Marchand, Pérozj
étaient ses admirateurs et ses élèves.
Il ne fut pas donné à V illustre général de voir complète-
ment accomplie l'œuvre d'expansion qu'il avait le premier
conçue. Quand il mourut, Tombouctou, dont s'étaient appro-'
chés seulement, dans leurs hardies explorations du Niger^
les Lieutenants de vaisseau Caron et Jayme, avait encore le
prestige d'une cité mystérieuse et fermée. Ahmadou et
Samory, héritiers de la puissance de cet El Hadj Omar
qu'il avait vaincu, chaussés de leurs capitales^ avaient encore
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PREFACE
des forteresses et des territoires où ils espéraient échapper à
notre poursuite, La navigation du Niger^ au delà de
Koriuméy point extrême atteint par Jayme en 1881 y était
pleine d'inconnues.
La légende voulait que le cours inférieur du grand fleuve y
par ces rapides où Mungo Park avait périy opposât des obs-
tacles infranchissables aux téméraires qui se hasarderaient
à renouveler cette audacieuse et lointaine expérience. Moins
de dix ans ont suffi pour supprimer ces difficultés^ grâce à
l'effort combiné de nos officiers^ de nos explorateurs et des
obscurs et dévoués collaborateurs auxquels revient une
bonne part du succès : sous-officiers et soldats blancs , aussi
intrépides à braver la fièvre que les balles^ tirailleurs^
laptots indigènes^ fidèles à leurs chefs jusqu'à la morty
capables d*affronter tous les dangers et de supporter toutes
les fatiguesy quand une fois ils ont été conquis par Cintelli"
gence supérieure^ la fermeté et la bienveillance de ceux qui
les commandent.
Je ne les citerai pas tous^ les héros de nos conquêtes afri-
caines ^ car ils sont légion. Je ne citerai même pa^ ceux qui
sont morts au champ d'honneur. Je craindrais d'être incom-
plet. Je me bornerai à rappeler que c'est à l'exploration du
Lieutenant de vaisseau Ilourst, qui, le premier j a descendu
le Niger jusqu'à son embouchure, à la mission remplie à
Boussa par le Gouverneur Ballot et aux deux voyages
accomplis par le Commandant Toutée, qui remonta les
rapides que Hourst avait franchis à la descente, qu'est due
la conception de rentreprise, qua menée à bien le Capitaine
Lenfanty et qui eût été écartée naguère comme une invrai-
semblable folie. Il s'agissait d'utiliser le Niger comme voie
de ravitaillement de nos postes entre Say et le Tchad, de
V utiliser j non pas en descendant son cours, depuis le point
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PRÉFACE
ou il est nas^igable — ce que le Capitaine Lenfant avait fait
précédemment, — mais de s'en servir comme du chemin le plus
court en le remontant depuis son embouchure^ à travers les
territoires anglais^ à travers les rochers et les cataractes.
C'est le récit coloré y vivant^ instructif et amusant de cette
périlleuse expédition qu'on va trouver dans ce beau livre.
Débarqué le 21 février 1901 y à Forcados-Rivery à l'em-
bouchure du Niger, avec 10000 caisses de vivres,
2000 caisses d'outillage, 15 chalands en bois et 5 chalands
en acier, le Capitaine Lenfant remonta le fleuve, franchit
la série des rapides, arriva le 25 mai à Say et alla jusqu'à
Sorbo-Haoussa pour débarquer 54 tonnes de ravitaillement
destinées au troisième territoire militaire.
Pour comprendre ce que cette expérience a coûté de peines,
ce qu'elle comporte de difficultés vaincues et de périls
affrontés, il faut lire le pittoresque Journal du chef de la
mission.
Grâce à ses observations, et aux travaux hydrogra-
phiques qu'il a rapportés et qui complètent ceux de Hourst
et de Toutée, ceux qui suivront après lui la même route
auront moins à tâtonner. Cela ne veut pas dire qu'ils trou-
veront dans cette partie du Niger un véhicule docile et com-
plaisant. C'est une voie plus économique et, tout compte fait,
plus commode que le portage à dos d'hommes, par terre,
depuis la côte du Dahomey jusqu'à Say; mais, comme le
dit le Capitaine Lenfant^ le problème des ravitaillements et
des transports commerciaux ne sera résolu que par l'achè-
vement de la voie ferrée qui doit aboutir à Say et dont le
premier tronçon sera prochainement livré à l'exploitation.
Dans le volume que publie le Capitaine Lenfant, on ne
trouvera pas seulement un récit d'aventures, simplement
mais vivement contées. Cet officier d'artillerie, improvisé
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PREFACE
commandant de flottille^ est doublé d*un observateur des plus
sagaces^ d'un économiste qui sait la valeur des chiffres et
des renseignements précis.
Dans les longues heures passées en pirogue sur le Niger ^
il a étudié à fond le régime du fleuve^ son influence fécon-
dante sur les terres qu'il couvre et découvre alternative-
ment; il a noté avec soin les résultats que donnent les
cultures faites par les indigènes et a déduit^ avec une rigueur
scientifique^ le développement qu elles pourraient prendre si
les méthodes perfectionnées de nos industries d'Europe y
étaient adaptées. C'est ainsi que le Capitaine Lenfant s'est
fait l'apôtre convaincu et écouté de la culture du coton au
Soudan. Si les essais qui sont en cours réussissent^ une
bonne part du succès lui sera due.
Et ce nest pas une des moindres satisfactions de ceux qui
ont cru à la valeur du Soudan^ alors quelle était presque
universellement contestée^ de voir que c'est vers ces terres
nouvelles que se tournent les regards, non des rêveurs et des
théoriciens, mais des hommes pratiques qui comprennent
que ces conquêtes, qu'on nous a reprochées comme coûteuses
et inutiles, fourniront, dans un avenir peut-être prochain, des
ressources inespérées à notre commerce et à notre industrie.
EUGÈNB EtIBNNB.
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INTRODUCTION
Bien loin, dans le désert, perdus dnns les contrées
maigres et arides qui s'étendent entre le Niger et le lac
Tchad, nous avons appris un jour par un courrier rapide
rincroyable événement : La flottille Lenfant est arrivée à
Niamé ! Les dix-huit cents caisses de vivres dont elle s'était
chargée pour nous à Forcados s'entassent intactes sur la
berge !
Ces vivres tant désirés mais auxquels nous ne croyions
pas et que remplaçait depuis de longs mois le petit mil
pilé, cette blanche farine, ce bon vin de France, allaient
être pour nous, bientôt, un réconfortant régal dans nos
misères.
Et d'abord en nous, seule à celte nouvelle étonnante la
béte humaine qui avait tant souffert se réjouissait. Puis,
calmés, nous nous pressions à réfléchir à l'invraisemblable
tour de force qui nous valait cette future aubaine.
Ce n'était autour de moi que vieux Soudanais, vieux non
par rage mais par l'expérience, par les longs séjours et les
interminables raids à travers l'Afrique occidentale. Nous
avions vu Lenfant à l'œuvre, là-bas dans l'ouest, à deux
mille kilomètres d'ici, lorsque après avoir amené à Tom-
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INTRODUCTION
bouctou la première flottille il continuait à descendre le
fleuve et domptait les rapides de Labezenga. Mais Boussa!
Les cent vingt kilomètres de sauts, de cascades, de chutes,
de bouillonnements, de courants fous!
Par quel miracle de volonté, de perspicacité, d'énergie,
était-il arrivé à s'en rendre maître?
Les caisses étaient à Niamé, au complet, sans un couvercle
brisé; nous en avions l'inventaire dûment dressé par le ca-
pitaine Salaman et certifié conforme par le commissaire. Le
doute n'était pas possible. Et cependant?
Cependant, nous arrivions tout doucement à n'y plus
croire. Étendus dans le sable, autour d'un feu grêle d'ar-
bustes épineux, au milieu de l'immense plateau aux pers-
pectives sans fin argentées par les rayons glacés d'une lune
fantasque, nous rabâchions dans une discussion animée les
impossibilités de l'œuvre accomplie. Mungo Park, les frères
Lander, Hourst, Toutée appuyaient tour à tour nos dires.
Et pour qu'enfin on se tût et qu'on dormît, — car il était
tard et le lever du camp prochain — je dus relire les docu-
ments officiels que m'adressait le capitaine Gelly, notre
résident sur le Niger; j'énumérai à nouveau le nombre et
l'espèce des colis.
Plusieurs, néanmoins, en regagnant leur tente, hochaient
encore la tête
Cette sorte de miracle par lequel Lenfant a brisé le cercle
magique qui défendait ces passes de Boussa n'est pas toute
son œuvre. Les moindres chenaux ou s'engouffrent, au milieu
des roches abruptes, sur une longueur de plus de trente
lieues, les vastes eaux du Niger, ont été relevés, photo-
graphiés, scrutés, sondés ; le passage est exactement déter-
miné, repéré. Tout le monde certes n'y passe pas; mais,
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INTRODUCTION
muni des renseignements qu'il a laissés, appuyé par les
équipes merveilleuses qu'il a formées, qui veut passe.
Le Niger, sur tout son parcours, du Foutah-Djallon au
golfe de Guinée — un millier de lieues! — a été pros-
pecté, scientifiquement étudié par ce magnifique Soudanais
que double un savant.
Le chemin de fer du Dahomey arrivera-t-il jamais sur le
Niger? Nous l'espérons. Mais quand? Lenfant a montré au
commerce par où et comment on pouvait, en l'attendant,
commencer l'œuvre d'exploitation des richesses qu'il décrit
et qui bordent le grand fleuve Africain.
Ce beau livre pour lequel il a bien voulu me demander
une introduction dont il n'avait guère besoin après la puis-
sante préface de M. Etienne — notre maître à tous, Afri-
cains et coloniaux de tout ordre — ce livre est non seule-
ment le monument qui conservera le souvenir d'une des
entreprises les plus hardies et les plus belles de notre géné-
ration, il est encore le guide qui conduit à son heure notre
Soudan émergeant des champs héroïques vers les étapes
économiques fructueuses que nos camarades, le général de
Trentinion à leur tête, ont préparé à nos commerçants et à
nos colons.
Lieutenant-Colonel Péroz.
Ex- Commandant du Territoire Niger-Tchad,
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LE NIGER
VOIE OUVERTE A NOTRE EMPIRE AFRICAIN
CHAPITRE PREMIER
Préliminaires. — Historique. — Toutée. — Hourst. — L'Occupation française
au Niger. — L'Acte de navigation du Niger du Traité de Berlin. — Voyage
par mer. — Passage de la Barre de Forcados. — Nos Pilotes.
LA France possède depuis peu en Afrique d'immenses terri-
toires, un très vaste empire qu'elle a acquis au prix de
sacrifices considérables et qu'elle cherche à mettre en valeur
avec une louable persévérance. L'œuvre de conquête ou de
diplomatie est accomplie aujourd'hui; nos couleurs flottent
pacifiquement sur le sol qui fut arrosé du sang français; nos
droits ont été défendus par une belle pléiade d'héroïques explo-
rateurs.... Aujourd'hui, c'est une œuvre nouvelle et non moin»
importante qui s'offre à notre activité. Nos fonctionnaires et
nos ofliciers doivent consacrer leurs efforts à la pacification et
à l'organisation de ces pays; les missions scientifiques et com-
merciales vont y trouver un vaste champ d'études; il faudra
bien aussi que nous décidions nos commerçants et nos colons à
diriger de ce côté leur énergie et leurs capitaux. La France, du
reste, multiplie ses efforts pour développer les contrées afri-
caines soumises à son influence, et pour assurer leur progrès
incessant.
C'est ainsi qu'il y a deux ans, elle résolut de faire étudier par
la Mission dont la direction me fut confiée, la question
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LE MGER,
importante de la navigabilité du Bas-Niger. Jusqu'alors, en
effet, le ravitaillement des régions soudanaises se faisait
exclusivement par le Sénégal, d'où Ton gagnait le cours du
Haut-Niger que l'on descendait ensuite. Était-il possible de
procéder à ce ravitaillement en opérant d'un autre côté,
c'est-à-dire en .remontant le grand fleuve africain depuis son
embouchure jusqu'au cœur de notre empire? Était-il possible
de faire franchir à une flottille les fameux rapides de Boussa,
qui passaient pour être un obstacle absolu à la navigation ? Tel
est le problème que j'avais à résoudre et à la solution duquel
je m'attachai avec la plus vive ardeur.
C'est au xix« siècle que se sont révélés les premiers naviga-
teurs du Niger. Je citerai pour mémoire avec le regret de ne
pouvoir m'étendre davantage sur leurs missions : Mungo Parle
(1806), Dcnham Oudney, Clapperton (1820 à 1824), Lander (1830),
puis Mage et Quintin (1863), Caron (1887), Jaymc (1888). Tous
nos glorieux devanciers, à qui revient l'honneur d'avoir décrit,
étudié, suivi la route du Niger, n'ont pas sacrifié leurs exis-
tences en infructueux efforts. Leurs travaux furent étudiés,
leurs idées mises en pratique, leurs tentatives reprises avec
ardeur; il serait injuste de ne pas reconnaître la part qui leur
revient dans la connaissance du Niger.
Parmi les explorations du fleuve, il en est deux qui nous
intéressent plus directement : celle du capitaine d'artillerie
Toutée et celle du lieutenant de vaisseau Hourst.
Dès l'année 1895, diverses missions sillonnèrent l'Afrique
occidentale : Dccœur partait de la côte dahoméenne et
rejoignait le Niger à Say; pendant ce temps, M. Ballot, gou-
verneur du Dahomey, s'installait et prenait position à Boussa.
K la môme époque, le capitaine d'artillerie Toutco débarquait à
Porto-Novo, se dirigeait sur Tchaki, puis, arrivé vers le neu-
vième degré de latitude, se repliait sur l'Est pour atteindre le
Niger. Les Anglais prétendaient à l'occupation effective du
royaume de Boussa, et revendiquaient déjà pour leur compte
lo titre de possession de ces territoires. Toutée arrivait en
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HISTORIQUE.
mars 1895, à Badjibo, exténué de fatigue; sur la route longue
et pénible qu'il venait de suivre, il avait signé des traités avec
les chefs des régions traversées. De prime abord, il se rendit
compte de ce fait que les Anglais n'exerçaient aucune influence
sur cette partie du fleuve, à telle enseigne qu'il signait, peu de
temps après, un traité avec le roi de Boussa.
Les ordres ministériels lui prescrivaient d'explorer le fleuve
et de vérifier les assertions de la diplomatie britannique.
Badjibo est le premier village que Ton rencontre au pied des
rapides. Toutée s'installa sur la rive droite, en face du village.
Il y construisit le fort d'Arenberg, y laissa garnison, y répara
ses forces épuisées, puis organisa le convoi de pirogues avec
lequel il devait s'engager sur le fleuve, et accomplir ainsi la
première exploration réelle du Niger. A cette époque de
Cannée, les eaux étaient fort basses, les rapides dangereux :
Toutée ne s'arrêta pas devant ces obstacles; il franchit les
rapides sans hésiter, arriva à Say miné par la fièvre et affaibli
par la dysenterie; puis il continua sa route vers le Nord, passa
les rapides de Tillaberi, jusqu'à ce que, arrivé à Tibi-Farca, il
considérât sa tâche accomplie et fit demi-tour pour redescendre
à Boussa.
Le fleuve avait continuellement baissé, les chutes étaient au
maximum de violence; le Niger, couvert de roches, ne pré-
sentait partout que des écueils et des diiïicultés. La petite
flottille s'engagea dans le couloir de Garafîri et passa la pre-
mière chute. Surpris par ces obstacles, qu'il n'avait pu voir à la
montée parce que l'eau les recouvrait, Toutée se lança résolu-
ment à travers les deux grandes chutes, chavira et fut assez
heureux pour regagner la berge. Quelques jours après, il
rentrait à Fort-Arenberg, et revenait en France par le Niger et
la rivière Forcados. Malgré les péripéties du voyage, Toutée
aflirmait à son retour que la montée du Niger, avec un convoi
de pirogues chargées, est une partie de plaisir à côté des
tribulations Incessantes que cause une colonne de nègres por-
tant, en nie Indienne, des caisses sur la tôte.
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LE NIGER.
En 1896, le lieutenant de vaisseau iiourst descendait le Niger
et tentait rexpcrience en sens inverse. Cet ofTicier de marine
montait trois mauvais bateaux, tout à fait impropres à la navi-
gation des rapides. En avril, il arrivait à Say après avoir
franchi les rapides de Labczenga; il hivernait à Fort-Archinard
où il attendait la crue; puis il se lançait courageusement, en
octobre, à Tépoque des hautes eaux, dans les rapides de Boussa.
dont les roches étaient submergées.
La mission hydrographique de M. Iiourst fut heureuse. Elle
franchit tous les obstacles sans le moindre accident, et continua
la descente du Niger pour rentrer en France par l'embouchure
de la rivière Forcados.
Contrairement à ce que Ton était en droit d'attendre, étant
donnés les résultats satisfaisants de sa tentative, le lieutenant
de vaisseau Hourst, se mettant en contradiction manifeste avec
Toutée, prétendit que la voie du Niger était inaccessible à
toute entreprise de navigation, tout au moins d'une façon
pratique et continue.
Ce conflit d'opinions entre les deux derniers explorateurs du
Niger demandait à être éclairci. En tout cas, il y avait un réel
intérêt à reprendre les efforts de Toutée et à créer une voie
de ravitaillement par le fleuve; il y avait aussi une œuvre
d'humanité à accomplir en suspendant les convois de porteurs
qui transformaient les indigènes en bêtes de somme. Ces deux
considérations réunies firent décider l'envoi de notre mission.
Conventions internationales, — L'utilité du ravitaillement du
Soudan par le Bas-Niger est évidente. Le Gouvernement fran-
çais se devait à lui-môme de s'en occuper. L'envoi de notre
mission cependant souleva la mauvaise humeur de quelques
journaux britanniques et notamment de la Pall Mail GaztUe^
qui écrivit à propos du ravitaillement de nos possessions souda-
naises par la voie du Niger : « Ce ravitaillement comporte
l'envoi de munitions, chose qui ne peut être qu'une nouvelle
et courtoise concession de notre part. Puisse cette courtoisie ne
pas se retourner contre nous! » Mais cette mauvaise humeur
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L'OCCUPATION FRANÇAISE.
de quelques organes britanniques dura peu. 11 suQlra d'ailleurs
de citer quelques articles des conventions internationales en
vigueur pour établir combien était légitime notre droit de
porter nos couleurs sur le Niger et sur ses affluents. C'est,
on le sait, le Traité de Berlin, du 21 février 1885, qui a réglé
la question de la navigation du Niger. Certains de ces articles
sont donc intéressants à reproduire.
Article 26. — La navigation du Niger, sans exception d'au-
cun des embranchements ni issues de ce fleuve, est et demeu-
rera entièrement libre pour les navires marchands, en charge
ou sur lest, de toutes les nations, tant pour le transport des
marchandises que pour celui des voyageurs.
En conséquence, sur tout le parcours et aux embouchures
du Niger, il ne sera fait aucune distinction entre les sujets des
états riverains et ceux des non-riverains, et il ne sera concédé
aucun privilège exclusif de navigation, soit à des sociétés ou
corporations quelconques, soit à des particuliers....
Article 27. — La navigation du Niger ne pourra être assujettie
à aucune entrave ni redevance basées uniquement sur le fait
de la navigation.
Elle ne subira aucune obligation d'échelle d'étape, de dépôt,
de rompre-charge ou de relâche forcée.
Dans toute l'étendue du Niger, les navires et les marchandises
transitant sur le fleuve ne seront soumis à aucun droit de tran-
sit, quelles que soient leur provenance ou leur destination....
Pourront seuls être perçus des taxes ou dfoits qui auront
le caractère de rétribution pour services rendus à la navigation
même.
Article 28. — Les afHuents du Niger seront, à tous égards,
soumis au même régime que le fleuve dont ils sont tributaires.
Article 29. — Les routes, chemins de fer ou canaux latéraux
qui pourront être établis dans le but de suppléer à l'innavi-
gabilité ou aux imperfections de la route fluviale sur certaines
sections de la voie du Niger, de ses affluents, embranchementd
et issues, seront considérés en leur qualité de moyens de cora-
— 5 —
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LE NIGER.
munication, comme des dépendances de ce fleuve et seront
également ouverts au trafic de toutes les nations....
Article 30. — La Grande-Bretagne s'engage à appliquer les
principes de la liberté de navigation énoncés dans les articles
26, 27, 28, 29 en tant que les eaux du Niger, de ses affluents,
embranchements ou issues, sont et seront sous sa souveraineté
ou sous son protectorat. ,
La Grande-Bretagne s'engage à protéger les négociants étran-
gers de toutes les nations comme s'ils étaient ses propres sujets.
Article 33. — Les dispositions du présent Acte de navigation
demeureront en vigueur en temps de guerre. En conséquence,
la navigation de toutes les nations neutres ou belligérantes
sera libre en tout temps pour les usages du commerce sur le
Niger, ses embranchements et affluents, ses embouchures et
issues.
Malgré les stipulations de cet Acte, une compagnie commer-
ciale anglaise, qui avait reçu l'octroi d'une charte royale pour
rexploitation des territoires du bassin du Niger et qui était
devenue ainsi la Compagnie royale du Niger, ne tarda pas à
s'arroger un monopole de fait, et, préoccupée d'acquérir à
TAnglcterre la région haoussa autant que d'y faire du com-
merce, elle opposa une résistance constante aux efforts de la
France qui, s'appuyant sur les dispositions de l'Acte de Berlin,
tentait de naviguer sur le Niger ou son affluent principal la
Ccnoué et d'y établir des comptoirs.
On n'a pas oublié les difficultés qu'éprouva M. le lieutenant
de vaisseau Mizon dans l'accomplissement de ses deux missions
de 1890 et de 1892 : les agents de la compagnie anglaise pré-
tendirent l'empêcher de débarquer sur leurs territoires et
allèrent jusqu'à saisir un de ses vapeurs. Ces dilTicultés
reprirent en 1895, en môme temps que s'affirmait notre action
dans le Bas-Niger, lorsque la Compagnie constata les résultats
de la première mission Toutée, c'est-à-dire la fondation d'un
poste à Badjibo-Arenberg et la signature d'un traité avec le
roi de Boussa. La lutte ouverte ainsi engagée par la Compagnie
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L'ACTE DE NAVIGATION.
royale contre les efiorts de la France, appelait une discussion
diplomatique propre à régler les points en litige.
Les négociations furent donc reprises avec TAnglcterre à la
L'B.XCLAVB rRANÇAWB DK rORCAOOS.
fin d*octobrc 1897. Elles aboutirent à une convention franco*
anglaise signée à Paris le 14 juin 1898. Poussa était rétrocédé
aux Anglais, mais en vertu de Tart. 8, deux enclaves nous étaient
concédées dans le Bas-Niger, Tune devant être située « en un
endroit convenable sur la rive droite du Niger, entre Léaba et
le confluent de la rivière Moussa (Mochi) avec le fleuve, et Tautre
sur Tune des embouchures du Niger ». La concession de ces
deux enclaves impliquait naturellement pour nous un droit de
transit et de circulation et nous ouvrait la voie du Niger. De
plus, il était dit, dans les annexes de la Convention, que la
Grande-Bretagne examinait « de concert avec le Gouvernement
français, \o< règlements de navigation du Niger et de ses tribu-
taires existant actuellement, en vue de supprimer toute res-
triction préjudiciable au commerce français qui serait reconnue
par les deux pays comme étant en désaccord avec TActe de
Berlin ».
La lecture de ces textes prouve suiïisamment combien était
fondé notre droit de navigation sur le Niger....
En 1900, M. le commandant Toutée, envoyé de nouveau en
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LE N/GL'Ii.
mission, délimitait les enclaves et en traçait les plans : l'une
était située sur le rio Forcados près du village de Goula, l'autre
sur la rive droite du fleuve en face et à 1 kilomètre en aval du
village de Badjibo. C'est peu après que le Gouvernement fran-
çais, ayant résolu de ravitailler ses troupes des territoires mili-
taires de l'Afrique occidentale et du Haut-Dahomey, en
s'appuyant sur ces enclaves comme bases d'opérations, forma
la mission dont le voyage fait l'objet de ce récit.
Organisation de la floltille du Bas-Niger, — En octobre 1900,
je recevais les ordres et les attributions nécessaires pour l'orga-
nisation de cette expérience de ravitaillement par la voie flu-
viale du Bas-Niger.
En raison de la réputation dont jouissaient les rapides de
Boussa que l'on présentait, de plusieurs parts, comme infran-
chissables, il fallait s'organiser de manière à n'éprouver aucun
échec du fait môme de l'armement et de Toutillage de la flot-
tille. Rien ne fut négligé Sur nos indications, le département
des Colonies fît construire vingt bateaux: cinq en acier, longs
de 17 mètres, larges de 2m30 et profonds de 1™20; quinze en
pitchpin, solidement étayés par des membrures en chêne,
mesurant 15 mètres de longueur, 2 mètres de largeur et li^SO
de profondeur. Les chalands en bois pouvaient porter de six à
douze tonnes et les chalands en acier de huit à vingt tonnes,
selon l'encombrement du matériel pris en charge.
A la montée, pour lutter contre les courants, nos moyens de
propulsion devaient être de longs bambous armés de crochets,
des gaffes et des avirons. A la descente, nous devions marcher
à la rame pour gagner de vitesse sur les rapides et manœuvrer
avec plus de facilité. Nos chalands portaient deux systèmes do
direction : un gouvernail en tôle d'acier ou bien un a\iron
barre, long de 6 mètres, placé dans un tolct et d'une force
considérable.
Le gouvernail est un engin en quelque sorte passif, qui
transmet seulement une impulsion, bien différent en cela de
l'aviron-barre qui donne, chaque fois qu'on le manie, une nou-
— R —
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ORGANISATION DE LA FLOTTILLE.
LES B3JBARCAT10NS DB LA MISSION.
vclle poussée. Lorsqu'il s*agit de contourner des roches et des
troncs d'arbres, lorsqu'une embarcation doit exécuter une évo-
lution brusque et se présenter constamment en pointe dans des
courants tournants, il est facile de comprendre que l'aviron-
barro, cnergiquement ramené plusieurs fois de suite trcs rapi-
dement dans la direction voulue, replace l'étrave dans le
courant et fait virer l'embarcation du côté de la rive. Aussi
arrivâmes-nous à l'employer sans cesse, de préférence au gou-
vernail.
L'outillage de la flottille était des plus complets : il compor-
tait tous les instruments des ouvriers en fer, des charpentiers,
des menuisiers, des calfats, puis une provision sérieuse de
pitchpin, des bordages, de l'étoupe, du brai, des cordes, des
rechanges, des avirons et des câbles d'une force de deux tonnes
et demie à la traction.
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LE NIGER,
Mes compagnons de route étaient : le lieutenant do Peyronnet
de Tartillerie coloniale, aujourd'hui capitaine, qui sert sous mes
ordres depuis quatre années. Ce jeune et brillant oilicier
m'accompagnait autant en qualité d'ami que de collaborateur.
Le lieutenant Anthoine, oflicier de cavalerie, tout jeune et
plein d'avenir; puis trois sous-oflîciers d'artillerie coloniale,
Boury, Groisne et Messéant, sujets exceptionnels, véritables
types du soldat modeste et résolu, que j'avais eus sous mes
ordres au Soudan.
Nous formions un ensemble très uni, véritable famille dont
j'avais l'honneur d'être le chef. Notre bonne entente était une
chance de plus pour le succès de la mission. Hélas! nous avons
subi de rudes épreuves, supporté de terribles fatigues, et la
mort a fauché parmi nous!... Lorsqu'au départ de France, ma
pensée se portait vers l'avenir probable, c'est avec un serrement
de cœur que je me demandais combien parmi nous revien-
draient sains et saufs réparer leurs forces à l'air vivifiant de la
Patrie. Nous n'avons pas eu le bonheur de nous retrouver au
complet : à son retour en France, Anthoine tomba épuisé par
les fatigues de la route et nous eûmes la douleur de le perdre.
Affrètement (fun vapeur, — Par suite de l'encombrement
énorme de notre cargaison, le ministre des Colonies fit affréter
un vapeur suilisammcnt vaste pour embarquer nos chalands
et nos approvisionnements.
Des pourparlers, engagés avec diverses compagnies de navi-
gation, échouèrent successivement. Les unes prétendaient avec
raison que l'escale de Forcados retarderait leur service postal ;
les autres refusaient, alléguant que l'exiguité du pont de leurs
navires ne permettait pas d'y placer les quinze embarcations en
bois que nous emportions toutes montées.
Pendant ce temps, le Niger, qui baissait depuis le mois d'oc-
tobre, mettait de jour en jour ses roches à nu. Tout retard
rendait donc notre tâche plus difficile.
Notre départ devait avoir lieu le 15 décembre, et j'appréhen-
dais de le voir remis à une date indéterminée, lorsqu'un arran-
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rOYAGE PAU MER.
goment survint entre le département des Colonies et l'arma-
teur du vapeur Conseil^ cargo-boat de trois mille tonnes, qui
vint au Havre pour nous embarquer. Nous partions avec dix
mille caisses, dont environ neuf mille de ravitaillement qui
remplissaient tout un hangar.
Les quinze embarcations en bois qu'il ne fallait pas songer à
mettre dans la cale formaient une pontée très volumineuse. Le
département des Colonies exigeait que ces embarcations,
placées sur le pont, fussent étayées par des poutres et mises à
l'abri des coups de mer par de fortes saisines en cordes. Il
fallut huit jours pour les arrimer.
Voyage par mer, — Le 23 janvier 1901, nous étions prêts à
gagner le large, lorsque survint une violente tempête qui causa
de nombreux sinistres sur nos côtes; il nous fallut attendre
qu'elle cessât, et c'est le 29 seulement, par un calme très relatif,
que nous quittions le Havre pour la côte d'Afrique. Et déjà les
sujets de préoccupations semblaient ne pas nous faire défaut :
lo Le Conseil calait 6»85 et d'après les renseignements que
nous possédions, il n'y avait que 6^90 (23 pieds) d'eau sur la
bar/e de Forcados. 2» La tempête sévissait toujours dans l'Atlan-
tique et pouvait arracher nos
chalands sur le pont. 3» Nous
avions un retard considérable.
Allions-nous encore trouver de
l'eau dans les rapides? 4» Le dé-
barquement à Forcados, en
pleine rade, serait-il possible?
5<» Les Anglais feraient -ils un
accueil sympathique à cette pre-
mière tentative de convois en
transit libre sur le Niger? etc.
Mais à quoi bon s'inquiéter?
Quel remède pouvions-nous ap-
porter à la situation? Aucun. Pourquoi dès lors se tourmenter
d'avance en face d'événements si lointains?
M. LERICUB, CAPITAINB OU « CONSUL ».
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L!-: NfGER.
Le capitaine Lcrichc, commandant du Conseil^ nous avait
offert, avant le départ du Havre, une hospitalité si parfaite que
les soucis s'étaient envolés. M. Salles, armateur du navire,
s'était ingénié à nous rendre la traversée agréable ; aussi
l'avenir nous apparaissait-il plein d'heureuses promesses.
Cependant, au large, les vagues faisaient rage et s'abattaient
lourdement sur le pont; le vapeur était tellement chargé que
nous étions constamment au niveau de l'eau; lorsque le mau-
vais temps redoublait d'intensité, nous entendions distincte-
ment le craquement des saisines qui retenaient nos chalands.
Fort heureusement, nous doublâmes Ouessant entre deux tem-
pêtes. Nous longeâmes ensuite les côtes de Portugal par un
grand vent de nord-ouest ; la mer grossit de nouveau, et ne se
r-ilma que deux jours après.
Le 6 février, le Consedy faisant escale à Ténérifc, remplissait
ses water-ballast et prenait des vivres frais pour continuer sa
route. Nous étions enfin dans la région des eaux calmes. A
partir de ce moment notre voyage devint plein de charme et
d'agrément, sur un navire où nous étions tranquilles, où nous
jouissions de toutes les commodités désirables. En raisun du
beau temps, la table était dressée sur la dunette, à côté de la
chambre de veille du capitaine. Parfois un coup de roulis
renversait le potage sur nos effets; M. Leriche n'y comprenait
rien, jamais son navire n'avait manifesté de pareils instincts
d'indiscipline. Aussi l'invectivait-il sévèrement comme un
vieux serviteur que l'on a depuis dix-huit ans sous ses ordres.
Le maître d'hôtel était un brave matelot, gauche, honnête et
complaisant ; il avait conservé pour nous nommer, ayant oublié
les noms, les anciennes appellations de la nuiriiic; il appelait
de Peyronnct le grand capitaine, puur le distinguer d'Anthoine
qui devenait le petit capitaine, à cause de son apparence
moins robuste. Ce brave homme avait des expressions typiques.
Le soir, il s'empressait de « gréer » la lampe, et lorsque ses
jambes se trouvaient prises dans les cordages du pont, il était
« engage » avec le bitord. Il avait beaucoup d'admiration pour
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VOYAGH PAR MER.
ces marins qui, aussitôt débarqués, se promènent avec une
femme à chaque bras, « Tune à bâbord, l'autre à tribord.... »
Le 10 février, nous étions en vue de Dakar; à deux heures
de l'après-midi, le môme jour, le Co/i6tfi/ jetait l'ancre à l'entrée
de la rade, et nos occupations coloniales commençaient aus-
sitôt.
Le ministre des Colonies avait demandé à son collègue de la
Marine de vouloir bien recruter pour nous, à la station navale
du Sénégal, trente-deux laptots, huit charpentiers, deux forge-
rons, un infirmier. De mon côté, j'avais fait demander à un de
mes camarades de Koulikoro, siège de mon ancien comman-
dement, de rechercher les huit piroguiers bambaras du Nigor.
qui, précédemment, avaient fait avec moi, en 1899, un raid de
3 700 kilomètres sur le fleuve. Ces braves gens ne se firent pas
prier, ils prirent immédiatement la route du Sénégal; de sorte
que, le 10 février, tout le personnel indigène était au complet à
Dakar, interné dans le sanatorium, à cause de l'épidémie de
fièvre jaune que Ton disait terminée, mais que nous craignions
d'apporter et de propager avec nous dans les colonies anglaises
de l'Ouest africain.
Il serait difficile de dépeindre Tétat d'esprit de ces braves
gens que l'on tint enfermés durant dix jours. Seuls, les Bambaras
conservèrent leur calme, grâce au caractère pacifique de leur
race; mais les Sénégalais n'étaient plus tcnables, il était temps
de les embarquer. Une fois à bord, nous payâmes à chacun son
arriéré de solde, puis nous fîmes appel aux maisons de com-
merce et tout notre monde se pourvut, sur le champ, des objets
les plus variés : malles en fer, souliers jaunes, vestes rouges,
ceintures multicolores, chapeaux marrons, ombrelles vertes,
sucre, biscuits, etc. Le 12 février, à huit heures du soir, tout
étant prêt, le Conseil continuait sa route vers F'orcados.
La chaleur commençait à se faire sentir, car nous voguions
vent arrière, et la brise, qui suivait la môme route, n'existait
pas pour nous. Durant neuf jours, la côte d'Afrique se déroula
BOUS nos yeux, quoique d'une façon très interrompue. Dès le
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LE MGEn
matin, nous la suivions de trôs près, distinguant les factoreries
et les villages nègres ; puis, le soir, nous reprenions le large
pour éviter les récifs, car ces écueils ne sont signalés par
aucun feu; aussi, à défaut de phares, cette côte est-elle balisée
par les nombreux navires, dont les pilotes n'ont pas usé de la
même précaution que le nôtre. Il est donc très regrettable que
les nations européennes, qui possèdent des colonies tout le long
de ce littoral inhospitalier, n'aient pas encore pris les mesures
nécessaires pour y placer des feux capables d'indiquer la route
aux navires; il en résulte que ceux-ci se trouvent parfois dans
la nécessité de prolonger inutilement leurs escales pour arriver
de jour au point de relâche le plus voisin : d'où pertes de temps
et d'argent.
Les passagers sont les seules personnes qui bénéficient de
cette absence de phares, car il est fort intéressant de visiter sur
la côte, au petit bonheur des points d'attcrrissement, des villes
qui se créent, d'autres qui se développent, des colonies qui
s'organisent.
Un jour, le vapeur touche à Bérébi : à l'approche du navire,
d'innombrables pirogues longues et légères sortent des rochers,
lancées à toute vitesse par des kroumcn, ces hardis matelots
noirs que Ton rencontre sur tout ce littoral.
Ou bien encore le navire fait escale à Sekondi : c'est une
cité neuve, géométriquement tracée, d'où la voie ferrée s'élance
vers les placers et les filons, vers ce pays où la terrible fièvre
de l'or tue presque aussi sûrement (et sans recours possible à la
quinine) que la fièvre des bois ou des marais; les voitures et les
pousse-pousse aux vives allures s'y croisent au milieu d'un en-
combrement d'indigènes, terrassiers Yorubas, venus du Lagos.
Un autre jour, c'est le warf de Grand-Bassam qui est choisi.
Ici règne une activité surprenante, le pays s'ouvre à la coloni-
sation; c'est encore la fièvre de l'or qui crée ce mouvement de
baleinières débarquant ou ramenant des prospecteurs sous les
ondées violentes d'un ciel inclcment. Les uns s'embarquent
satisfaits ou tout au moins confiants en la réussite, les autres
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BARRE DE FORCADOS.
rentrent en France, le visage ravagé par la fièvre, les décep-
tions et les soucis.
Le 20 février, le Conseil voguait dans le golfe du Bénin, le
point nous portait en bonne direction, mais sur ces immenses
étendues de l'Océan, les erreurs sont possibles, et quoique
souvent très faibles, elles peuvent donner lieu à des hésitations.
Vers cinq heures du soir, balancés par une forte houle, nous
aperçûmes un point noir qui émergeait des vagues.
« C'est une embarcation », dit Tun de nous. Aussitôt, les
lunettes de se braquer vers l'objet signalé pour distinguer sa
nature. « C'est un rocher » dit un autre. Mais cette terre no
figurait sur aucun document; nos cartes, nos iudcx de naviga-
tion n'en faisaient pas mention. Nous étions tout simplement
en présence d'une balise, en forme d'un énorme tonneau ovoïde,
ce qui nous mettait à deux milles à peine de la bouée extérieure
de la barre de Forcados. Nous n'avions pas de pilote et notre
tirant d'eau étant, d'après les renseignements, égal ou supérieur
à celui de la barre, le plus prudent était de stopper et d'attendre.
C'est ce que nous fîmes.
Nous voici donc à la nuit tombante mouillés par trente pieds
d'eau, presque à destination. Aussitôt, les conjectures repren-
nent leur cours parmi mes compagnons de route.
a Lu mer est bien trouble, le Niger est tout près, nous
sommes au large de la barre et nous avons à peine 10 mètres
de fond, nous ne passerons pas, dit l'un.
— Ce serait fâcheux, répond un homme d'équipage, car le
Cijiiseil a des formes anciennes et s'il touche il va se renverser
de côté.
— Laissez donc, reprit M. Leriche, ce bon vieux navire a
talonné sur toutes les barres, sur bien des cailloux, mais il est
solide et ce n'est pas cette fois qu'il y restera. »
Pendant ce temps, je restais silencieux et méditatif ù l'écart,
cachant à tous mes préoccupations.
Le lendemain matin, M. Leriche envoyait son second à terre
avec une baleinière pour chercher un pilote en rivière.
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LE NIGFAl.
Cette embarcation était partie depuis deux heures à peino,
lorsqu'un vapeur de 4 000 tonnes, le Jcbba de la Compagnie
anglaise Elder Dempster, venait mouiller à côté de nous. Noire
pavillon de pilote était hissé. Aussitôt un surf-boat du JibUa
amenait à bord un officier de service qui prit arrangement pour
nous diriger sur la barre.
Ces surf-boat (bateaux de surface) sont des baleinières desti-
nées à passer sur la crête des lames et des volutes que forment
les barres si dangereuses du littoral africain; ce sont des
embarcations très solides, relevées aux deux extrémités et
manœuviccs par des kroumen, armés de pagaies dentées, qui
ressemblent à des mains démoniaques.
Voici comment les surf-boat passent les barres : les pagayeurs
se présentent devant la première volute et retiennent l'embar-
cation; ils attendent qu'une grosse lame très dangereuse forme
le premier rouleau, puis dès qu'elle est passée, jugeant que la
lame suivante doit être moins forte, ils se lancent sur la barre
en poussant des cris stridents. S'ils ont mal choisi leur vague,
ils se précipitent sur les passagers qu'ils tirent comme ih
peuvent par un bras ou par une jambe en dehors de l'embarca-
tion et se mettent à nager dans les volutes jusqu'à terre. Mal-
heur à celui qui ne saute pas à l'eau : la baleinière l'écrase en
se retournant sur lui. Les débarquements sur ces côtes, d'ail-
leurs infestées de requins, sont très difficiles. Les transborde-
ments s'effectuent le plus souvent en pleine mer, d'un navire à
l'autre, par surf-boat. Les mouvements de roulis et de tangage
de ces maudites embarcations sont des plus violents : une forte
dose d'ipéca rend moins malade que le plus court trajet dans ces
bateaux.
Donc, le 21 février, à quatre heures du soir, le pilote montait
à bord. A toute vitesse, les chaudières à plein tirage, le Conseil
se mettait en route. Les pompes aspiraient un mélange d'eau et
de vase, indiquant nettement que nous avions peu d'eau sous la
quille ; mais cependant, à la faveur de la marée, nous passions
sans incident sur la barre et nous pénétrions dans la rivière.
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LA BARRE DE PORCADOS.
r
I
EN RADE DE PORCADOS.
UN NAVIRE DÉBARQUANT SON CHARGEMENT SUR DEUX BRANGH-BOATS.
Je ne saurais dire quel soulagement ce fut pour nous. Com-
bien nous eussions éprouvé d'ennuis et de difïicultés s'il nous
avait fallu opérer au large, sur cet océan houleux et tourmenté,
le déchargement de nos 10000 colis et de nos 20 chalands! Nous
voici donc en rade, la nuit tombe, mais nous apercevons la côte.
Devant nous est le village de Goula avec le pavillon français
qui flotte au-dessus de l'enclave et qui s'abaisse pour nous
saluer.
Nous répondons à son salut, pensant à la joie que doivent
éprouver les douze laptots, qu'en juin 1900, le colonel Toutée a
débarqués sur ce coin de terre française et qui sont toujours là
pour le garder et le défricher.
A six heures, le Conseil jette l'ancre au fond de la rade, à
proximité du ponton de la douane. Une baleinière nous aborde
immédiatement et ses passagers montent à bord C'était le
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LE NIGER.
second maître Suleyman, puis Master Davis, un noir de Sierra-
Leone, directeur des douanes, qui nous amenait un de ses
officiers, noir également, pour vérifier nos connaissements.
Une fois les premiers saluts échangés, M. Davis nous exposa le
but de sa visite, ce qu'il fit d'ailleurs avec beaucoup de cour-
toisie. Nous n'avons eu qu'à nous louer de ses bons procédés
à notre égard....
Cette fois, le sort en est jeté ! Nous sommes définitivement
arrivés à destination. Nous nous trouvions sur notre champ
d'action, sur le théâtre même de notre mission.
Avant d'entreprendre le récit détaillé de notre navigation du
Niger, je voudrais exposer rapidement la besogne qui nous
incombait. Nous devions débarquer du Conseil et transborder
sur l'enclave de Forcados un grand nombre de caisses, 7 000
environ; régler les affaires de douane en nous conformant à la
convention de 1898 ; monter à Badjibo ; y construire sur l'enclave
d'Arenberg les bâtiments nécessaires, y déposer une garnison
et des ouvriers; puis remonter le fleuve et franchir ses rapides,
afin de porter aux troupes du troisième territoire militaire les
caisses d'approvisionnements dont elles avaient besoin.
A cette fin, la flottille entreprit trois convois qui s'organi-
sèrent à Badjibo : le premier convoi passait les rapides de
Boussa le 15 avril 1901, séjournait à Say et redescendait en août
à Badjibo, effectuant un trajet de 1 700 kilomètres avec 60 tonnes
de matériel; le second convoi montait les rapides en octobre à
la saison des hautes eaux, atteignait Say le 3 décembre,
Ansongo le !•' janvier 1902, puis redescendait à Badjibo le
4 février après une marche ininterrompue de 119 jours sur le
fleuve, effectuant un parcours de 2 500 kilomètres avec 97 tonnes
de chargement; le troisième convoi remontait les rapides en
mars 1902 à l'époque des eaux moyennes, avec 83 tonnes de ravi-
taillement.
Ces voyages successifs souvent périlleux, toujours fatigants,
nous les avons entrepris avec une ardeur qui confinait à l'en-
thousiasme. Nous avions tous la volonté de réussir, et c'est sans
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A'O.y PI LOT lis.
LES PILUlk.8 UAUUAKAS DR LA MlttttlUM.
aucun doute la raison qui nous a permis de mener à bien notre
entreprise.
iVofi piroguiers, — Ce résumé de nos travaux établi, il me reste
encore à faire connaître au lecteur les braves gens qui allaient
sans mesure et sans hésitation partager nos peines et nos dan-
gers, et qui devaient ainsi contribuer dans une large mesure à
notre succès.
Ce sont, je l'ai dit, les mêmes piroguiers, des Somonos-
Bambaras de Koulikoro, qui firent avec moi le raid de 1899 et la
mission du Bas-Niger. Serviteurs exceptionnels, navigateurs
incomparables, rien n'est plus simple que de se les attacher et
de s'en faire aimer; aes iors leur dévouement ne connaît plus
de limites et Ton peut tout attendre de leur zèle.
Voici d'abord Tonié Taraoré, le chef de tous les laptots, un
jeune homme de vingt-cinq à vingt-six ans, froid, résolu. C'est
lui qui conduisait mon embarcation et qui nous dirigeait dans
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LE iMGER.
^08 pinoouiBRs tomâ et LA^'Cl^K avbc leurs femmes.
les rapides à la recherche des passages. Dans les cônes de
Garafiri, un tourbillon a réagi sur sa barre et l'a jeté dans le
fleuve, la poignée de l'aviron Ta frappé en pleine poitrine et Ta
grièvement blessé. Nous avons passé des jours ot des heures
côte à côte à l'arrière du chaland, luttant contre le fleuve,
causant rarement, mais nous comprenant à souhait. Lanciné
Guiré, le plus fort, le plus gai, le plus habile de tous, d'une
bravoure admirable, d'un dévouement de toutes les minutes;
Baniessé Couloubaly, un brave cœur, une nature énergique;
Sibry Couloubaly et Oumarou Kané, deux amis inséparables;
Koloba Samaké, Amadi Diara, Ousman Sangaré, tous serviteurs
d'élite, qui supportaient les privai ions, les fatigues et les
intempéries, sans jamais se plaindre, sans en paraître affectés.
Quel éloge ne pourrais-je pas faire de ces braves gens, hon-
nêtes et laborieux, qui plaçaient en nous toute leur confiance!
Dans les passages dangereux, ils se jetaient à l'eau résolument
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NOS PILOTES,
pour sauver les embarcations, et si nous nous trouvions en
péril, tous venaient à notre aide. Ces hommes modèles ne
méritèrent jamais la moindre observation, le moindre reproche.
J'éprouvai un serrement de cœur en les quittant. Nous leur
devions notre existence. Ils étaient venus à nous, désintéressés :
en gens simples ne connaissant pas les satisfactions qui, chez
nous, exaltent l'amour-propre et servent de récompense morale
à nos actions.
Durant le cours de cette campagne toute pacifique, j'ai com-
paré leur bravoure avec celle de nos tirailleurs qui se distin-
guent au feu, et j'ai dû convenir qu'il y avait autant de courage
chez les uns que chez les autres. Il faut de la crànerie pour
affronter les balles ennemies; mais il faut aussi du calme et du
sang-froid pour diriger une pirogue au milieu des eaux tumul-
tueuses prêtes à vous engloutir.
Les indigènes qui prennent part à des missions comme la
nôtre n'ont pas leurs noms inscrits à côté de ceux qu'exaltent
les combats, aucun Livre d'Or n'existe pour eux. C'est pourquoi
je suis heureux de pouvoir les citer ici et d'exprimer l'affec-
tueuse sympathie que je leur ai gardée.
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CHAPITRE II
Uébarr|uemeDt en rade de Forcados. — Voyage à Litgos et au Dahomey. — A
la recherche d'un remorqueur. — Le porl de la Niger Company à Bouroutou.
— La rivière Forcados et ses méandres. — En route. — Nous arrivons sur
le NMger. — Les trois bassins du Niger : le Konarra, l'Issa, le Djoliba.
LE 22 février de bon matin, sur la rade de Forcados, le travail
de débarquement de tout notre matériel commençait à bord
du Conseil, et nous procédions à la mise à l'eau de nos cha-
lands en bois, qui étaient solidement arrimés sur le pont.
Dès l'aube, je partis en canot pour Bouroutou, le port que
la Niger Company possède et qui est construit au fond de la
rade. L*une de nos plus importantes préoccupations était de
chercher un vapeur dont le tirant d'eau ne dépassât pas 1"»50
et qui fût capable de nous remorquer jusqu'à Jebba. Nous
étions très vaguement fixés à ce sujet, je ne savais où m'adres-
scr. La Niger Company en possédait plusieurs, mais ses prix
et ses tarifs ne seraient-ils pas excessifs? D'autre part, le dépar-
tement des Colonies devait faire à Lagos les recherches néces-
saires; mais nous étions sans communications et sans courrier
depuis notre départ de France, nous ne pouvions posséder
aucun renseignement précis, à moins d'aller à Lagos.
M. Watts, agent général de la Niger Company, se trouvait
alors en tournée sur le fleuve, ce qui ne simplifiait pas notre
besogne, puisque, seul, il pouvait traiter avec nous. Je résolus
donc d'aller à Lagos par le premier navire en partance, à la
recherche de nouvelles. De Peyronnet m'accompagna. Pendant
ce temps, suivant les ordres immédiatement donnés, le débar-
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PONT SUR LA LAOUNB. A LAOUS.
DEBARQUEMENT EN RADE
quement continuait sous la direction du lieutenant Anthoine.
Voyage à Lagos. — Les navires qui font le service entre For-
cados et Lagos s'appellent des braiich-boats autrement dit : ba-
teaux de pe-
tite ligne. Ils
calent envi-
ron 3n»50,
portent 1 000
à 1200 ton-
nes et pren-
nent des pas-
sagers.
Les cour-
riers, les na-
vires de fort
tonnage ca-
lant plus de
douze pieds,
ne peuvent franchir la barre de Lagos, de sorte que toutes
les marchandises à destination de cette colonie sont déchar-
gées en rade de Forcados, sur des branch-boats, qui viennent
eu eau calme s'accoler aux flancs du paquebot. Forcados est
donc en réalité le port commercial de Lagos, capitale du Yoruba.
Nous voici embarqués, le 25 février, sur le Dodo^ l'un des sept
ou huit branch-boats qui font le service Forcados-Lagos, irrégu-
lièrement, mais fréquemment. Le Dodo nous porta au large de
la barre de Forcados et vint mouiller à 200 mètres de VOroriy un
courrier de la compagnie Elder Dempster, qui rentrait en Eu-
rope en faisant escale à Lagos. Nous débarquons en surf-boat
et grimpons sur YOvon. La baleinière qui nous portait avait
servi au transit de l'huile de palme ; les ponchons (énormes bar-
riques d'huile), s'étaient probablement ouverts, en sorte que le
roulis, jetant les passagers les uns sur les autres, à la façon
dont on triture une salade, nos vêtements et nos bagages n'at-
tendaient plus que le vinaigre pour être tout à fait assaisonnés.
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LE NIGER.
Le lendemain de très bonne heure, nous étions en vue de
Lagos : un branch-boat, VEko, sortit du port, franchit la barre
et vint mouiller à faible distance du grand navire, puis nous
dûmes subir un
nouveau trans-
bordement aussi
peu agréable que
le premier.
La barre de
Lagos est un ca-
nal peu profond,
très variable, qui
se déplace et se
modifie tous les
jours et qui for-
me un Z entre
de longs bancs de
sable; elle est
une des plus dan-
gereuses de la
côte. Autrefois,
on la franchissait
en surf-boat, mais les sinistres furent tellement nombreux, que
c'est un sport maintenant interdit. Le moindre coup de vent, la
grosse houle de l'hivernage et les tornades empochent le fran-
chissement de la barre, retardent les courriers et déterminent
ceux-ci à débarquer leur matériel en rade de Forcados.
Le 26 lévrier, vers midi, nous entrions en rivière de Lagos.
Le coup d'œil est joli. La ville, qui compte près de cent mille
habitants, s'étend en longueur sur la rive gauche de l'estuaire
de la rivière Ogoun, masquée très légèrement par la végéta-
tion dont se parent les quais de cette colonie. Flamboyants,
cocotiers, palmiers, bananiers, laissent apparaître à travers leur
feuillage des maisons assez coquettes, aux couleurs orientales,
du sein desquelles émergent les tours des églises protestantes
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LAGOS. LA MOSQUUK.
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VOYAGE A LAGOS.
et les clochers de la cathédrale. Les quais sont bien cons-
truits, entretenus d'une façon régulière. Une multitude d'in-
digènes y circulent, charerés de colis, des marchands dormenî
LUS QUA16 ET L Uof ITAU Olil LAUUS.
à proximité de leurs éventaires, tandis que les kroumen^ dé-
chargent les nombreux vapeurs accostés aux appontements des
maisons de commerce.
Nous cherchons un logis : le capitaine de YEko nous en-
seigne l'hôtel Williams comme étant le seul asile des passagers.
Deux porteurs saisissent nos cantines et nous conduisent à
travers des rues sablonneuses, vers la demeure de notre hôte.
Nous nous trouvons en présence d'un nègre plantureux, orné
des étoffes les plus bizarres et flanqué de trois ou quatre venus
yorubas qui nous dévisagent avec complaisance. Pendant que
notre hôte nous sert un « two o'clock tea » des moins appétis-
i. L'expression anglaise kroumen, qui a été plusieurs fois omployce, signifie
littéralement n hommes de Krou ». Elle désigne des noirs haliitanl la côte do
Krou, qui s'étend des deux côtés du cap des Palmes depuis le terriloue de Libéria
jusqu'à la ri>iëre de Lahou. Les Krous, probablement de race mandingue, sont
de haute taille et d'une grande vigueur. Ils fournissent dans ces régions, aux
équipages des navires de guerre et de commerce, des matelots d'une valeur
exceptionnelle et d'une fidélité rare.
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LE NIGER.
sants, des gémissements s élèvent d'une pièce voisine. Je vais
voir ce qui se passe, croyant que l'on étrangle une des jeunes
femmes qui nous étaient apparues, et quelle n'est pas ma stupé-
faction de voir, dans une chambre voisine de la nôtre, un cadavre
de nègre auprès duquel se lamentait une vieille femme éplorée!
Nous changeons de vêtements, et dix minutes plus tard nous
franchissons le perron de Government House. Un milicien fort
bien équipé, tout de blanc vêtu, nous introduit. Le gouver-
neur est en plein Conseil, mais le capitaine Elgee, son officier
d'ordonnance, vient nous tenir compagnie. C'est un homme
très jeune qui s'exprime d'une façon fort agréable et nous
expose en français, le sourire aux lèvres, l'excellente série de
souvenirs qu'il a conservés d'un séjour à Paris; notre impres-
sion est même qu'il ne s'y est pas ennuyé du tout. Il nous fait
visiter les jardins et en particulier son colombier où l'on dresse
des pigeons voyageurs, destinés au service télégraphique For-
cados-Lagos, en attendant que l'on ait installé, dans ces régions
de vase et de palétuviers, un fil aérien.
Quelques instants après. Sir William Mao Gregor, gouver-
neur de Lagos, vient à nous. Docteur en médecine, botaniste,
géologue, astronome des plus distingués, économiste et prati-
cien, dispensateur prudent, paraît-il, d'un budget mobile des
plus délicats à manier. Sir William est une des physionomies
les plus fines et les plus sympathiques que nous ayons obser-
vées, durant notre séjour en territoire anglais; c'est un homme
simple, qui place toute sa coquetterie dans l'ameublement de
son cerveau. Chaque jour de la semaine, il écrit son journal
dans une langue différente ; le russe, l'allemand, l'italien, le
français, l'espagnol, le latin et le grec étalent leurs fleurs de
rhétorique sur les pages de son album, à tour de rôle, sans
oubli, sans lacune. Entre ses occupations officielles. Sir Wil-
liam lit attentivement, en les annotant, toutes les revues étran-
gères, et c'est principalement à nos journaux, à nos bulletins,
à nos revues, à nos publications africaines, qu'il consacre ses
loisirs. Une fois les paroles de bienvenue échangées de part
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VOYAGE A LA G OS.
ASPKCT DBS RIVBS DB LA LAOtNB ALLANT DB LAQOtl AU UAUQ^BY.
et d'autre, le gouverneur nous fait préparer de superbes appar-
tements, puis nous causons de la France et de ses colonies.
Notre empire africain le fait rêver, il le trouve immense et
superbe. Sir William s'intéresse à notre tentative à travers les
rapides de Boussa; elle nous attire sa sympathie et, tout de
suite, il nous offre son appui pour trouver un remorqueur, si
nos recherches n'aboutissent pas. Nous voici donc pour quel-
ques jours à Lagos, nous goûtons à Government Housc la
plus cordiale hospitalité. Ce palais est confortable. C'est une
vaste construction rectangulaire, entourée à tous les étages
d'une véranda spacieuse et close de volets mobiles. Un hall
immense sert aux réceptions; les appartements sont spacieux,
bien aérés, ventilés, éclairés à l'électricité, meublés d'une façon
très simple, mais très riche en même temps.
Nous eussions passé là six journées délicieuses, si l'inanité
de nos recherches, au sujet du remorqueur, n'avait jeté l'inquié-
tude dans nos esprits.
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Lt: NIGER,
Le jour môme de notre débarquement à Lagos, je rencontrai
le gérant d'une factorerie de Porto-Novo qui, sur la demande
du département des Colonies, venait de louer un remorqueur
pour la mission. Ce vapeur, le Pu/fin, ne remplissait pas les
conditions, à cause de son fort tirant d'eau; il eut d'ailleurs
toutes les difTicultés possibles pour nous conduire à Porto-Novo,
bien qu'il y ait presque toujours six pieds d'eau dans la lagune.
Le bail de location étant signé pour un mois, je l'utilisai de
mon mieux et me rendis sur lui au Dahomey pour y régler
quelques affaires. Le Puffin avait pour propriétaire un parfait
ivrogne, anglais de modeste condition, dont nous dûmes subir
plusieurs fois la présence et dont les titubements étaient fort
gênants pour ses voisins. Il n'avait retenu, de la langue fran-
çaise, que ces deux expressions : « à votre bon santé » et « il
est temps d'aller déjeuner », probablement apprises dans une
société d'intempérance.
Voyaije au Dahomey. — Le voyage est des plus faciles et des
plus calmes; il suiïlt de suivre la lagune à l'intérieur des terres
et parallèlement à la mer. Ce canal irrégulier longe la côte,
depuis le Togo jusqu'à la rivière Forcados et môme jusqu'à la
rivière de Brass; malheureusement, il présente des solutions
de continuité. Entre Lagos et Forcados, les herbes et les bancs
de sable le rendent presque impraticable sur de longues
étendues.
Toute la richesse du Dahomey se trouve à proximité de la
lagune. La forêt impénétrable et touffue de la rivière Forcados
et des criques du Lagos fait place aux vastes futaies de pal-
miers, et des villages nombreux apparaissent çà et là cachés
dans la verdure. L'indigène, le Nagot comme on l'appelle,
habite des cases rectangulaires, cloisonnées et murées par des
lattes de bambous ; il élève des poulets, des porcs, des bœufs
lilliputiens; mais sa principale, ou pour mieux dire, son unique
richesse est le palmier.
Le commerce des amandes de palme est très fructueux ; ces
fruits produisent un corps gras avec lequel sont fabriqués les
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"- - """U
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VOYAGE AU DAHOMEY,
savons de Marseille et des bougies; ils donnent en outre des
tourteaux, que les éleveurs destinent à leur bétail. La colonie
du Dahomey est la plus riche et la plus prospère de la côte;
son gouverneur, M. Liotard, en a constamment accru les béné-
fices, de sorte que, non seulement les frais d'organisation et
d'occupation se trouvent couverts, mais encore la caisse du
Trésor amasse des économies respectables, qui augmentent de
jour en jour.
La capitale est Porto-Novo, ville de quarante mille âmes,
grand village indigène, pourvu de factoreries très vastes, qui
constituent, avec le clocher, le seul luxe architectural de la
ville. Trois ou quatre rues sont assez bien tracées, mais les
autres voies de communication sont des ruelles ravinées et
tortueuses.
Le gouverneur est logé dans une véritable roulotte h deux
étages, très confortable et bien distribuée, mais dont l'aspect
contraste d'une façon singulière avec le somptueux palais de
Lagos.
La ville est entourée de marécages qui s'étendent à perte de
vue de tous côtés. Toute cette partie de la côte est mal-
saine ; seul le village de Kotonou, construit sur le sable à proxi-
mité de la mer. présente quelques garanties de salubrité. C'est
là que se trouve le terminus du chemin de fer.
Ce railway dessert la côte vers Touest jusqu'à Ouidah, puis
remonte au nord, se dirigeant sur Abomey. Les études du tracé
de la voie s'étendent fort loin dans l'intérieur, il est môme
question de pousser le rail jusqu'au Niger vers Say ou vers
Gaya. Ce projet sera de longue haleine et nécessitera des capi-
taux considérables; mais il est raisonnable, car la vallée du
Niger est digne d'intérêt, remplie de richesses à exploiter et
capable de donner à la France, dans un avenir prochain, les
récoltes de coton qui lui deviendront nécessaires pour lutter
contre les produits étrangers. En attendant que le rail atteigne
le Niger, c'est notre flottille qui doit être chargée des transports
à travers les rapides de Boussa.
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LE M G Eli.
Nous voici donc au Dahomey, réglant quelques affaires
urgentes, grâce à l'accueil bienveillant et sympathique du gou-
verneur. Nous avons toujours trouvé chez lui un appui sûr,
une aide efïîcace. Cet homme actif, qui sut se prodiguer et se
dévouer en Afrique sur les territoires de l'Oubanghi et du
Congo, explorant des routes, franchissant des rapides, savait
d'avance combien il nous faudrait vaincre de difficultés pour
mener à bien la tâche qui nous était confiée; sa sollicitude ne
s'est jamais lassée. Chaque fois qu'il en a trouvé l'occasion,
M. Liotard encouragea nos travaux par d'affectueux conseils,
par son appui généreux : nous lui en sommes restés tous infi-
niment reconnaissants.
Nous étions de retour à Lagos le 1" mars. J'avais en vain
porté mes recherches dans toutes les maisons de cette capitale,
sans obtenir le moindre navire. Nous n'avions plus qu'à re-
joindre Forcados pour louer un remorqueur à la Niger Company.
Nous nous y rendîmes aussitôt.
Anthoinc avait fort bien exécuté mes ordres; le débarque-
ment était très avancé; tous les chalands, abrités dans une
crique du Delta nigérien, attendaient le jour du départ. Nos
laptots commençaient à se connaître, l'activité régnait parmi
notre personnel, qui luttait d'ardeur et d'entrain.
Mes braves Bambaras, qui n'avaient jamais vu de navires à
vapeur, étaient stupéfaits du roulement des treuils servant au
déchargement. Tonié, si alerte et si débrouillard d'ordinaire, n'y
comprenait plus rien et restait ébahi devant ces machines et ces
appareils dont le bruit l'étonnait. J'avais trouvé sur l'enclave,
parmi les douze laptots qu'y laissa Toutée, son brave Sulcynian,
second maître de la marine, un vieux serviteur, âgé de qua-
rante-deux ans, qui s'était distingué tout aussi bien dans les
combats du Dahomey que sur les petits croiseurs de notre
station navale du Sénégal. Suleyman était un enthousiaste : il
voyait tout en rose, et il avait le don de communiquer son
ardeur aux noirs qui l'entouraient. Nous le trouvâmes déjà
fatigué par son séjour à Forcados, par le climat pernicieux, par
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K LA RECHERCHE D'UN REMORQUEUR,
la mauvaise nourriture et les privations. Tous les matins, en
qualité de chef piroguier, il venait rendre l'appel, puis con-
duisait ses hommes au travail dans la cale du Conseil. Il signa-
lait les mauvaises tôtes et me disait : « Vois-tu, mon Supérior,
dans tous ces hommcs-Ià qui viennent du Sénégal, il y en a qui
beaucoup bon, mais il y en a aussi qui bon un peu ». Ce « bon
un peu » était une appréciation très sévère de la part de
Suleyman.
Le débarquement continue. — Aussitôt de retour à Forcados,
je me rendis à Bouroutou et trouvai M. Watts récemment
arrivé. L'agent général de la Niger Company était autrefois
second officier sur un des premiers voiliers qui vinrent au
Niger. Sa haute intelligence et ses aptitudes commerciales
l'ont élevé au rang qu'il occupe, et c'est, ma foi, une fort jolie
situation. Nous n'avons qu'à nous louer de sa droiture en
affaires et de sa complaisance à notre égard. Il fut convenu
que les transports du Gouvernement français seraient effectués
au môme tarif que ceux du Gouvernement britannique.
M. Watts s'engageait à nous louer un grand stern-wheeler
(bateau plat à roues-arrière indépendantes), le Liberty, sur lequel
nous devions être à l'aise et nous loger commodément. De plus,
la Niger Company prenait à sa charge l'assurance de notre
matériel, condition des plus rassurantes, car il faut tout prévoir
et les accidents sont toujours à redouter.
Le Liberty remorquait en lège sur ses flancs les huit premiers
chalands; les autres devaient suivre à quelques jours d'inter-
valle, remorqués par des vapeurs en partance de Bouroutou
pour Jebba. Le pont inférieur était réservé aux indigènes. Le
spardeck, divisé très commodément, formait des logements
aérés très confortables, abrités du soleil par une toiture double
et par des rideaux latéraux. Je dus payer les frais de transport.
Le versement de cette somme, 17500 francs, n'avait pas été
prévu dans les fonds qui me furent confiés au dépait de France :
cela faisait donc une grosse brèche dans notre capital.
No8 transactions avec la douane. — D'un autre côté, nos
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LE MG/:n,
affaires de douane restaient en litige. Master Davis, directeur
des douanes de Forcados, venait fréquemment sur le Conseil
pour nous rendre visite. Il nous apprit que Sir Ralph Moore,
gouverneur de la « Nigeria Sud », avait reçu de son Gouverne-
ment, non pas la copie même de la convention de 1898, mais un
projet de convention entre les deux nations, qui permettait de
discuter notre liberté de passage et notre exonération des
tarifs douaniers. Il exigeait de prime abord le paiement des
frais de douane qui s'élevaient à 45000 francs; en outre, il vou-
lait confisquer les armes et les munitions qui m'avaient été con-
fiées pour la défense des convois en cas d'attaque. Il y avait
certainement un malentendu regrettable.
M. Davis se montrait courtois et serviable; de mon côté,
j'évitais de brusquer les événements. Je lui fis lire, avant toute
chose, l'annexe du Livre Jaune, relative à l'Acte de navigation,
et lui représentai que nous étions décidés à conserver les armes
avec nous dans des caisses plombées jusqu'à notre arrivée en
territoire français. Les pourparlers durèrent plusieurs jours,
sir Moore tenait bon, et moi de même. Son yacht vint plusieurs
fois de Old Calabar' porter des ordres à M. Davis, profitant de
Toccasion pour tourner autour du Conseil et voir où nous en
étions. Heureusement, les relations ne cessèrent pas d'être
courtoises. Je proposai un arrangement qui conservait nos droits
intacts sans créer de précédents vis-à-vis des tarifs douaniers.
Je déclarai : 1« que le matériel du Gouvernement français*
étant en transit libre sur le Niger, ne pouvait être soumis au
tarif douanier de Forcados; 2© que je faisais part immédiatement
au ministre des Colonies des revendications de sir Ralph Moore,
ajoutant que notre ravitaillement produirait 45000 francs de
redevances si les taxes lui pouvaient être appliquées, mais
que mes attributions ne m'autorisaient à prendre aucun enga*
gement ni à faire aucun versement à ce sujet; 3o quant aux
armes et munitions, je consentais à les conduire à bord du pon*
1. Capitale du Soulbern-Mgeria.
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, - -■ --.^
i
... », »
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TRA.^SACTIONS AVEC LA DOUANE.
RÉPARATION DES CHALANDS SUR L'ENCLAVE Dh F0RCAD08.
ton (le la douane pour les y déposer jusqu'à la veille de notre
départ pour Jebba, mais, à cette date, ce matériel devait nous
être restitué.
Cet arrangement convint de part et d'autre; sir Ralph Moore
devint plus accommodant et M. Davis nous aida de toute son
-amabilité, en sorte que le 9 mars nous étions prêts à quitter
Forcados.
Il y avait exactement dix-sept jours que nous étions sur rade
au grand désespoir du commandant du Conseil, M. Leriche, qui
n'avait pas prévu un arrêt aussi long, et qui voyait ses vivres
diminuer et ses réservoirs d'eau douce se vider. Plusieurs
chefs de village, sortis des marécages environnants, vinrent
nous faire des démonstrations de sympathie et des offres de
service, se disant amis de la France et des Français. Le seul
moyen de nous en débarrasser fut de leur offrir une rasade
d'alcool, qui ne faisait, d'ailleurs, que s'ajouter à celles qu'ils
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LE NIGER.
avaient bues avant de monter à bord. Ces gens nous déplai-
saient beaucoup : ce sont de véritables brutes, incapables de
fournir un travail assidu et de tenir une promesse.
Organisation de Venclave de Forcados. — On a vu que Tune
des tâches assignées à notre mission était d'organiser les deux
enclaves que nous avait concédées sur le Niger la Convention
franco-anglaise de 1898. Nous n'avions pas négligé ce devoir et,
depuis plusieurs jours, nous procédions à l'organisation de
l'enclave de Forcados. Au moment de partir pour l'intérieur, je
confiai le soin de terminer cette installation au sous- officier
Boury, consciencieux, honnête et d'une énergie à toute épreuve.
Je lui laissai huit laptots, quatre charpentiers, des outils, des
vivres, tout le matériel nécessaire, ainsi que des caisses de
médicaments et enfin une somme de 4000 francs déposée à la
lîanque de la Niger Company pour subvenir à ses besoins.
Toutée-Ville, l'enclave de Forcados, est le seul terrain à peu
près habitable de toute cette région. Elle mesure en littoral sur
la rivière 400 mètres de longueur et 800 mètres de profondeur.
Un terrain d*un hectare est réservé au transit; une palissade de
troncs d'arbre de 3 mètres de hauteur l'entoure complètement.
Je fis les dessins des cases et des magasins ; je donnai égale-
ment à Boury le plan d'un appontement et le tracé des chemins
qu'on pouvait utiliser pour les transports de bois. L'enclave
est coupée par des criques vaseuses, elle est recouverte d'une
forêt enchevêtrée de palétuviers et d*arbustes grimpants. Ce
coin de terre doit devenir un jour le relai commercial de la
France à l'entrée des territoires britanniques. Si Ton y monte
une scierie, si l'on y fait les travaux de comblement nécessaires,
une petite ville s'élèvera bientôt sur pilotis, comme le port de
Bouroutou que les Anglais ont gagné sur la vase du Delta. Le
système d'habitation le plus pratique en ces régions est la case
démontable qui vient directement d'Europe. Le port de la Niger
Company comprend ainsi plusieurs grandes maisons spacieuses,
entourées de larges vérandas, couvertes en tôle, organisées,
montées, construites et distribuées d'une façon très ingénieuse.
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ENCLAVE DE FORÇA DOS,
LES MAliAbl.NS un. l'kNCLAVE UE F0RCAD08 CuNSTRUIlS Slili PILOUS
AVIÎC DES PALKTUVIliRS.
Notre rôle étant surtout de faire acte d'occupation, de créer un
transit à Forcados, nous n'avions pas à élever des bâtiments
coûteux, d'autant que nos ressources budgétaires ne nous l'au-
raient pas permis; aussi fîmes-nous là le strict nécessaire. Mais
si, comme il faut l'espérer, nos efforts tendent plus tard vers
le Niger, le commerce français utilisera cette route et les
enclaves deviendront ainsi de petites villes où nos compatriotes
pourront s'installer et se développer à l'aise.
Les ressources de la rivière Forcados ne sont pas abondantes
à Theurc actuelle; le pays est à peine organisé; de plus, l'éle-
vage des animaux de boucherie ou de basse-cour est à peu près
impossible dans le Delta : les serpents y pullulent et détruisent
poulets et canards; l'humidité tue les chèvres; c*est en semant
dans des caisses qu'on tire quelque chose des jardins. Mais il
passe tous les jours deux, trois et môme quatre navires venant
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LE NIGER.
d'Europe, qui cèdent des vivres à qui prend arrangement avec
eux; de plus, il est toujours possible de charger les branch-
boats de commissions pour Lagos. Et c'est ainsi qu'on arrive à
subvenir à la vie matérielle.
Le 9 mars, à quatre heures du soir, nous quittions le Conseil
et faisions nos adieux au commandant, M. Lerichc, sans nous
douter de tous les malheurs qui l'attendaient au cours de son
voyage de retour; il avait épuisé ses ressources pendant ce
pénible séjour à Forcados, il s'était sacrifié pour nous donner
tout ce qui devait nous manquer pendant de longs mois. Ce
brave marin, qui commande depuis trente-quatre ans, devait
s'échouer sur le Congo quelques jours plus tard. Son équipage,
soumis aux plus dures épreuves, fut décimé par la maladie;
enfin, en rade de Lisbonne, un croiseur portugais éperonna lo
Conseil, qui n'est plus aujourd'hui qu'une sinistre épave.
En route pour Le Niger. — Le capitaine du Liberty s'appelait
Master Price. C'était un vieux jamaïcais, souvent ivre la nuit,
toujours solide à la besogne le jour et qui connaissait admira-
blement le Niger et la manœuvre de son bateau.
Suleyman, en marabout fervent, se serait bien gardé de boire
une goutte d'alcool ; aussi professait-il un profond mépris pour
le personnel indigène des Anglais que la boisson rendait sou-
vent impropre à tout service. « Tous les hommes des Anguelés,
disait-il, mon Supérior, y dépenser son du l'argent pour boisson
et quand y trop vieux y gagner grand serpent qui mange le
ventre. » M. Priée souffrait déjà de son serpent, surtout la nuit;
mais le matin, de très bonne heure, il était à son poste et nous
donnait sur les villages, sur les factoreries, sur les races et le
fleuve des indications intéressantes et précises.
Le Delta nigérien, La rivière Forcados. — C'est en amont
d'Abo que le Niger se divise en plusieurs bras pour former son
delta. L'une des branches, celle de gauche, se déverse au sud
vers la rivière de Brass; l'autre, celle de droite, forme la rivière
Forcados dont la direction générale court de l'est à l'ouest, en
dessinant toutefois de nombreuses sinuosités.
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ENCLAVE DE FORCADOS.
Le Delta nigérien est un pays récent, c*est un amas de vase et
de boue liquide sillonné de rigoles. Tous les bras du Niger,
rivières de Brass, de Forcados, d'Escravos, etc., peuvent être
considérés comme les rayons d'un secteur, et les criques comme
LhS MAGASINS DE L ENCLAVE DE l'OltCADOS CONSTKUITS »UR PILOTIS
AVEC DES PALÉTUVIERS.
des cercles concentriques, faisant communiquer les rayons
entre eux. L'une de ces rigoles longe la côte d'une manière
continue, les navires à vapeur la suivent à partir d'Akassa jus-
qu'à la rivière Bénin.
La rade de Forcados est bordée d'une verdure épaisse, rideau
impénétrable d'arbres qui poussent dans la vase. Ce sont des
palétuviers d'une essence spéciale, qui portent le nom de
« mangroves ». De leurs hautes branches tombent des lianes
droites et verticales qui peu à peu descendent dans l'eau,
prennent racine et donnent alors naissance à un ^nouveau
mangrove; celui-ci s'élève et croît sur un échafaudage de
racines tordues, mais sa tige monte verticalement cylindrique et
régulière, des lianes tombent encore de son feuillage et repro-
duisent un autre spécimen, de sorte qu'en raison de cette
reproduction incessante les cimes de ces arbres se trouvent sur
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LE NIGER
un- plan incliné. Chaque année, le Niger vient déposer des
terres sur ce delta, parmi les racines des mangroves qui les
retiennent pour s'y développer. Il est probable que dans plu-
sieurs siècles, le fleuve aura comblé ces vastes territoires pour
les transformer en terrain résistant. La crue du Niger se fait
sentir dans le rio Forcados; mais à proximité de la rade, elle
surélève à peine le niveau de 50 centimètres.
La vase du Delta dégage une odeur particulière qu'on perçoit
à 4 ou 5 milles au large; les caïmans, les serpents d'eau, des
êtres immondes, des myriades de moustiques, des nuages de
« sand-flies », petites mouches qui pénètrent les moustiquaires
les plus serrées, grouillent et volent à proximité de nous.
Le 10 mars, le Liberty portant et remorquant la mission
appareille définitivement, tout en circulant d'abord dans un
dédale d'îlots et de criques. A mesure que nous avançons, la
rive se relève, la terre habitable se dessine. Voici les premiers
villages absolument semblables à ceux du bas Dahomey, cases
rectangulaires et magasins où l'indigène travaille les amandes
de palme pour en extraire l'huile.
M. Price nous apprend que sur la rive droite les indigènes
sont de race Sobo, tandis que sur la rive gauche ce sont des
Idjos, lisez idios, ce nom est sans doute une onomatopée. Ces
naturels portent sur le corps des incisions nombreuses, qui
simulent des dessins complets, colliers, ceintures, parfois même
des animaux ou des fleurs. Ces incisions sont faites à coups de
canif, assez profonds pour atteindre le derme et pour provoquer
de véritables larmes de chair. Les Anglais détestent les Sobos
qu'ils considèrent comme paresseux, ivrognes, voleurs, men-
teurs et vindicatifs. Toutes les qualités, toute la lyre des vertus!
Voici les premières factoreries, Bagamba, Gana-Gana, Opo-
cola, Egibiri, Patani, Abo. Toutes sont des comptoirs de la
Niger Company, à l'exception de Gana-Oana qui comporte
également une maison allemande en pleine prospérité. La
rivière Forcados est très pittoresque, une végétation superbe
l'enserre de tous côtés et lui donne un aspect uniforme et triste
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IT-' ■
l
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EN ROUTE,
parfois. La forôt vierge, impénétrable, laisse émerger la cime
d'arbres gigantesques hauts de 25 à 30 mètres, et de superbes
palmiers. Si l'on sait qu'un palmier peut rapporter 2 fr. 50 par
UN VILLAGE DE LA RIVIERE FORCADOH.
an, il est facile de se rendre compte de la richesse immense de
ces régions équatoriales dont les produits sont exploites sur le
tiers à peine de leur superficie.
Ce n'est qu'après deux jours de navigation que nous attei-
gnons le Niger proprement dit. De grandes pirogues à quille
arrondie longent la rive, chargées d'un personnel nombreux.
L'armateur de ces embarcations arbore à l'arrière son pavillon
commercial, qui se compose tout simplement d'un morceau de
toile à matelas fixé sur une tige de bambou. Tous les passagers
nègres de ces embarcations sont vêtus d'étoffes bigarrées aux
couleurs les plus variées. A mesure que nous avançons sur le
fleuve, les palmiers se font de plus en plus rares, les berges de
plus en plus hautes, les bancs de sable de plus en plus nom-
breux. Le baobab et le fromager font leur apparition. On voit
de suite qu'en ces régions la crue se manifeste avec intensité.
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LE NIGER.
Nous quittons la zone équatoriale du delta pour naviguer
sur le Niger tropical, et nous retrouvons le paysage du Sou-
dan.
L^ Niger et ses trois sections, — Ce fleuve immense, qui s'écoule
sur 4500 kilomètres de parcours, prend sa source aux confins
de la Guinée française, se dirige vers le nord-est sur 1 600 kilo-
mètres, coule ensuite de l'ouest à l'est depuis Kabara jusqu'à
Bamba, puis enfin redescend vers le sud avec diverses inclinai-
sons pour atteindre son delta. Nous étudierons ultérieurement
sa crue, son débit, sa vallée, sa navigabilité, ses rapides et ses
biefs calmes, mais pour plus de clarté, nous le partagerons en
trois sections distinctes, conformément à son régime, à sa na-
ture, à son aspect.
Le Niger se divise, en efl'et, en trois fleuves ayant chacun un
régime, un aspect, une vallée caractéristiques :
Le premier fleuve s'étend depuis Kouroussa jusqu'à Diafarabé,
c'est le Djoliba.
Le second fleuve s'écoule depuis Diafarabé jusqu'à Ilo en aval
de Say, les Sonraïs l'appelaient : Issa.
Le troisième fleuve traverse le territoire anglais depuis Ilo
jusqu'au Delta, les indigènes riverains le nomment : Kouarra.
L'ensemble de ces trois tronçons forme une vaste courbe, qui
franchit à deux reprises différentes les mêmes latitudes. Sui-
vant l'expression consacrée, le Niger est un grand serpent qui
se mord la queue.
Djoliba. — Les Mandés qui vivent sur le bord du fleuve à par-
tir de Kouroussa jusqu'à Ségou, désignent le Niger sous le nom
de Dioliba « la rivière des chansonniers ». A part quelques ra-
pides en aval de Bamako, les eaux sont calmes, l'artère fluviale
est large et spacieuse.
Des montagnes lointaines, couvertes d'arbustes, enserrent la
vallée, le soleil ardent les dore de ses rayons. Des villages nom-
breux et peuplés, des cultures, des bois et des futaies s'offrent à
la vue du voyageur. Des pirogues circulent en tous sens, char-
gées de marchandises que les commerçants portent sur les
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LES TROIS BASSIISS DU NIGER.
grands marchés ; elles descendent au fil de l'eau, ou remontent
à la perche de village en village.
Là, baigné de soleil et de lumière, le piroguier progresse en
cadence ; d'un mouvement leste et vigoureux il prend appui sur
le fond, et réagit de tout son être pour lancer le frêle esquif,
tandis que sa voix sonore s'élève et retentit. Combien de fois,
pendant les nuits étoilées de la saison sèche, n'ai-je pas dormi
bercé par le chant de mes laptots! Couché sur des nattes au
fond de ma pirogue, j'entendais leurs mélopées langoureuses.
C'était presque toujours un piroguier de l'avant, qui, d'une voix
claire et vibrante, exaltait de ses chants les vertus guerrières
et la valeur des Bambaras; puis l'équipage tout entier reprenait
en chœur, accordant le mouvement des perches avec le rythme
des chansons. Voilà le Niger pacifique, voilà le fleuve calme qui
s'écoule tranquille et silencieux sous la voûte embrasée. Là les
eaux se taisent, l'homme seul élève la voix sans s'inquiéter des
dangers de la route. Il sait où reposer, les rives lui sont hospita-
lières, les courants sont faibles, il n'épuise pas ses forces à lutter
contre des rapides. C'est le Djoliba, la rivière des chansonniers.
Issa-Ber. — La partie du fleuve qui s'étend depuis Diafarabé
iusqu'en aval de Say, traverse la région des lacs Débo, Télé,
Fati, Faguibine, puis, après un trajet de 200 kilomètres vers
Test, s'infléchit au sud en contournant des terrains désertiques
habituellement connus sous le nom de « territoires de la
Boucle ».
Il y a trois siècles environ, la vallée du Niger fut conquise par
les Sonraïs qui,venant de la haute Egypte, firent invasion vers
l'occident, et imposèrent leur domination sur le fleuve. Cette
race, dont on retrouve encore le type assez pur chez quelques
individus, jouissait d'une organisation complète et d'une civili-
sation réelle. Les premiers sultans de l'empire sonraï fondèrent
à Gogo ou Gao-Gao la capitale du royaume. Des marabouts
illustres, des historiens éclairés, vinrent apporter leurs lumières
dans ces régions de l'Afrique. L'islam fit des progrès rapides,
l'influence du dominateur se fortifia, pour s'étendre, et quelques
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LE NIGER.
années plus tard, depuis Djenné^ jusqu'à Bourra, le fleuve
devint une route exclusivement soumise aux intérêts de l'enva-
hisseur. Les Sonraïs n'ont pas su, comme les Mandes, donner
au Niger un nom approprié à sa nature ; dans leur langage l'eau
se dit : issa, de sorte que chez eux, le fleuve s'appelle Issa-Dcr
ou bien Barra-Issa, selon que ses bras sont plus ou moins
larges.
Les Sonraïs n'ont pas reconnu le bief inférieur; ces indi-
gènes n'étaient pas des navigateurs et, de nos jours, il est
encore très difficile de rencontrer des piroguiers sur l'Issa-Ber
parmi les descendants des Sonraïs.
Les peuplades qu'on trouve sur le Niger à Dounzou, à Sinder,
à Sorbo, à Say et même à Gaya, sont, pour la plupart, des croi-
sements de Sonraïs et de Mandés; c'est pourquoi l'on trouve,
grâce à elles, plus d'activité sur le fleuve que dans le bief
supérieur. Leur idiome est très voisin de la langue sonraï, si
bien que le Niger, depuis Diafarabé jusque vers Gaya, porte uni-
formément le même nom et s'appelle l'Issa-Ber.
Kouarra, — En aval d'Ilo et de la frontière anglaise, cette
dénomination cesse. Les races changent brusquement. Toutes
dérivent des Aoussas, des Noupés ou des Yorubas. Ces naturels
sont d'excellents piroguiers, mais ils se confinent presque exclu-
sivement sur les biefs calmes ou rapides du Niger. Ceux qui
pratiquent la navigation, depuis Ilo jusqu'à Boussa et Jebba
sont des exceptions. Ils sont presque tous groupés à Guiris, le
port d'Ilo sur le fleuve; mais depuis Guiris et jusqu'à Sakassi,
point où des rochers commencent à barrer la route, les piro-
guiers se contentent de circuler en eau calme, d'une rive à
l'autre, pour se rendre à leurs champs de culture, ou bien de
village en village, pour trafiquer.
A partir de Yelloua, le Niger change d'aspect : les cou-
rants sont rapides et variables, une épaisse végétation s'étend
le long des rives et plonge dans les ondes à plusieurs mètres de
i. Ck>nsulter les récits et les ouvrages de René Caillé, Monteil, BÎDgcr, Dubob,
€tc., etc.
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LES TROIS BASSINS DU NIGER.
la berge, l'atmosphère est plus étouffante, les collines se rap-
prochent du fleuve et Tenserrent, projetant dans son lit les
roches de leur infrastructure, les rapides se dessinent. Â mesure
qu'on descend vers Boussa, les écueils deviennent plus mena-
çants, les cascades plus nombreuses, les tourbillons plus dange-
reux. L'homme qui franchit ces obstacles s'inquiète et se défend.
Ses regards, sans cesse tendus comme sa pensée vers les diffi-
cultés qui le menacent, cherchent à distinguer les passes. D'une
main vigoureuse il réagit de la pagaie ou de la perche pour
éviter les roches, sa marche n'est plus rythmée parce que les
fonds changent et que les courants varient ; il ne chante plus
comme sur le Dioliba, sa chanson meurt, sa gorge s'étreint : le
Niger seul élève la voix et remplit ces solitudes de ses mugis-
sements et de son vacarme.
Voilà le Niger difficile : la rude vallée du Kouarra des Aous-
sas forme ainsi un contraste saisissant avec la paisible vallée
du Djoliba. Là-bas du soleil, de la lumière, une onde limpide et
calme, des campagnes larges à perte de vue ; ici des horizons
bornés par une verdure épaisse qui rend la berge inaccessible,
des courants violents, des ondes agitées, des cascades qui
bruissent, des trombes qui rugissent, et partout des rochers et
des collines qui surplombent.
Sur le Djoliba, c'est le travail facile avec un fleuve sans
embûches ; sur le Kouarra jusqu'à Jcbba, c'est la lutte opiniâtre
contre les rapides.
Mais plus bas, à faible distance de ces passages si difficiles et
si rudes, le Niger s'étale et s'élargit. Ce beau fleuve redevient
calme pendant 1200 kilomètres jusqu'à la mer, la navigation
reprend avec intensité, des vapeurs grands et petits circulent à
toute vitesse. La civilisation européenne a pénétré ces rivages,
son activité se manifeste avec énergie : des factoreries, des
camps et des cités embryonnaires s'élèvent en maints endroits.
L'indigène stupéfait et rebelle à tout travail se voit entraîné
dans cette lutte pour la vie. Il a compris enfin le lien intime qui
relie les produits du sol à son bicn-étre personnel, et lui-même,
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LE NIGER.
il cullive et récolte pour déverser ses produits dans les maisons
de commerce.
Tel est le Niger, tels sont les trois fleuves qui le composent.
. Le lecteur nous a suivis jusqu'à notre sortie de la rivière
Forcados, il a pu se rendre compte de la route qu'il nous reste
à faire ; nou£^ allons maintenant étudier avec lui cette belle
artère fluviale, en lui faisant part de toutes nos difficultés, de
toutes nos péripéties, en lui montrant sous tous leurs aspects»
ces trois fragments de Timmense vallée qui s'appellent : Kouar-
ra, Issa, Djoliba.
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CHAPITRE III
yontée du Niger. — Les factoreries anglaises. — Onîtcha. — Lokodja. — Le
confluent du Niger et de la Bénoué. — Eggan. — Rabba. — Le plateau nigé-
rian. — Arrivée à Jebba. — Sir Frédérik Lugard. — Le camp des Anglais à
Jebba. — Débarquement. — Le Djou-Djou. — Le Niger en amont de Jebba. —
Nous arrivons à Tenclaye de Badjibo-Arenberg. — Le roi Madibo. — Organi-
sation de renclave. — Départ pour les rapides. — Maladie de Suleyman. —
Rapide de Léaba. — La mission arrive à Ouron.
LE Liberty ayant à bord la mission et traînant nos bateaux en
remorque, quittait la rivière Forcados le 11 mars, à deux
heures de l'après-midi. Nous commencions la montée du Niger.
A peine sortis du delta, nous pénétrons dans le Kouarra; les
rives sont bordées de grandes forêts touffues, enchevêtrées de
lianes, qui leur donnent Taspect d'une coiffure mal soignée.
Nous rencontrons au débouché des clairières cinq grandes fac-
toreries anglaises, allemandes et hollandaises; celle d'Akra sur-
tout est merveilleusement tracée, on a planté là près de deux
cent mille palmiers en quinconce qui ont un rendement consi-
dérable.
Le Niger est large. A chaque inflexion du fleuve, nous retrou-
vons des bancs de sable très fin qui se déplacent, s'allongent ou
s'élargissent chaque année sous l'influence de la crue et de ses
apports. Nous défilons devant des villages aux cases rectangu-
laires, entourées de murs en paille tressée recouverte de quel-
ques poignées de boue, habitations misérables qui contrastent
avec les cases si propres et si bien faites des Peuls du Moyen
Niger que j'ai vues dans mes précédents voyages.
Le 14 mars, le caoitaine du Liberty, Master Price, nous signal^
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LE NIGER.
Âboutchi, factorerie de la Niger Company; mais les bancs de
sable nous gênent à tel point que nous mcUons plus d'une heure
pour trouver le chenal et pour accoster. Les pavillons sont en
berne : l'un des employés de la Niger Company vient de mourir
d'une crise bilieuse hématurique; il est passé de vie à trépas
seul, et sans secours, sur la pirogue avec laquelle il descendait
de Lokodja. Nous descendons à terre pour porter notre courrier
à la poste et pour visiter rétablissement.
Toutes les maisons sont, ainsi que les magasins, d'un type
uniforme. Construction démontable en bois et fer recouverte
en tôle zinguée ; au rez-de-chaussée un hall très aéré qui sert
au transit; à l'étage un appartement confortable entouré de
larges vérandas complètement abritées du soleil : c'est évidem-
ment ce qu'on peut faire de mieux comme installations provi-
soires ; d'ailleurs les habitations du Gouvernement anglais sont
en tous points semblables à celles des factoreries.
 quelques kilomètres en amont, nous stoppons à la factore-
rie d'Onitcha. Les rives sont à pic, une chaîne de petites col-
lines que nous apercevons depuis l'aube se rapproche brusque-
ment du Kouarra; des roches énormes, hautes de 30 à 40 mètres,
surplombent le fleuve qui coule vite à leur pied. Nous embar-
quons un pilote qui doit nous conduire à Lokodja; les indigènes,
de son métier, connaissent la route à merveille et savent diriger
les bateaux dans un dédale d'îlots et de bancs de sable en lut-
tant contre un fort courant.
La mission arrive à Lokodja, — Sur environ 100 kilomètres de
son parcours en aval de Lokodja, le Niger circule entre des col-
lines rocheuses qui s'élèvent graduellement; des blocs de gra-
nitoïde rose commencent à saillir de tous côtés, leurs pointen
émergent, la navigation devient difficile. L'aspect de toute la
région est celui de la tristesse et de l'aridité. Les villages sont
rares, les cultures nulles.
Le 16 mars nous arrivons à Lokodja. Le Liberty vient accoster
en face des docks de la Niger Company, qui possède en ce point
une installation confortable et prospère. Lokodja est un grand
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MONTEE DU NIGER.
village de 15 à 18 000 habitants, qui se compose de deux villages
différents : l'un yoruba, l'autre nupé. Nous sommes dans un
pays où l'Européen exerce son influence depuis fort peu de
LB « LIBBRTY », REMORQUANT LA PLOTTILLB, SB DIRIOB VBRS JBBBA.
temps, où le Peul ne fait qu'arriver, où l'on rencontre quelques
Arabes venus du Kanem par la Bénoué, où les marabouts sont
presque inconnus. L'islam a donc fait peu d'adeptes dans ces
pays où l'alcoolisme tend à lui faire une concurrence acharnée.
Le Yoruba et le Nupé se distinguent l'un de l'autre par les ta-
touages et les cicatrices qu'ils portent sur la face et sur le corps ;
leurs langages sont analogues, mais diffèrent par des consonan-
ces qui nécessitent une étude particulière pour chacun d'eux.
Ces nègres sont paresseux, menteurs, voleurs et vindicatifs.
Bien musclés, mais de taille moyenne, quelques-uns sont assez
gracieux. Le front est bas, le nez écrasé, les maxillaires épais,
la bouche lippue. Les cheveux crépus, rarement coupés, recou-
vrent un crâne pointu, la physionomie est bestiale et se com-
plique d'un prognathisme très accentué. A tous leurs défauts,
ces nègres joignent la lâcheté. Lorsque je redescendis le Niger,
le 6 mars 1902, avec YEmpire, un grand vapeur anglais, nous
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LE Niger.
touchâmes sur une roche qui produisit sous la coque une déchi-
rure de deux mètres et demi. Le navire s'enfonça rapidement,
et comme nous étions au milieu du fleuve, ce fut parmi les
matelots yorubas du Gouvernement britannique un sauve-qui^
peut général. Ils sautèrent tous dans Tunique embarcation du
bord et se disposèrent à gagner la rive; ce fut un spectacle
écœurant. Pendant ce temps, YEm'pire virait de bord et venait
couler sur la berge, grâce à la vitesse acquise.
Les Anglais ont une préférence pour les Peuls qu'ils placent
à la tête de la plupart de leurs villages nupés et yorubas. Le
Peul, que nous connaissons en Afrique sous diverses dénomina-
tiens, Poul, Poulo, Foula, Foulani, Foutah, Foutanké, Foulbé,
n'est autre que le Fellah de la Haute-Egypte. Le véritable Peul,
c'est le nomade qui vit dans les marécages du Niger au milieu
de ses troupeaux; s'il se fixe, c'est pour dominer le noir ou
l'exploiter. Il est d'un type aryen très pur; sa figure est d'une
finesse extrême : nez aquîlin, front élevé, bouche fine, dents
superbes; il est fortement bronzé, bien qu'il dissimule son vi-
sage sous un épais turban qu'il rabat fréquemment sur ses yeux
noirs. Son regard oblique lui donne un air tortueux et rusé. Le
Peul est l'ennemi du blanc; mais s'il nous déteste, il sait exploi-
ter nos bons offices, user de notre force, abuser de notre pro-
tection. Un soir que je longeais la rive du fleuve, nous passâmes
en bateau devant un campement de Peuls qui paissaient des
troupeaux; je leur fis signe de s'approcher, et pendant que nous
achetions du laitage, Anatole, le domestique de Peyronnet, pro-
fita de l'occasion pour converser avec eux et pour leur annoncer
qu'il était lui-même Peul du Foutah. « Ce n'est pas vrai, répon-
dit le chef de tribu, car si tu étais un vrai Peul, tu ne serais pas
au service des blancs. »
Cette réponse est des plus caractéristiques. Quoi qu'il en
soit, les Anglais ne se sont pas arrêtés à ces considérations. Le
général Lugard, gouverneur de la Nigeria, dont nous reconnais-
sons tous l'habile politique, donne le commandement de tous
les centres récemment conquis à des Peuls, parce que le Peul
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FACTORERIES ANGLAISES.
LOKODJA BT Ll PLATEAU KIObRIBN.
est l'homme qu'on tient facilement sous la main, qu*il est cu«
pide, autoritaire avec les noirs et docile avec nous.
La ville de Lokodja est au confluent du Niger et de la Dé-
noué. Sur chaque rive s'élèvent de véritables montagnes, hautes
de 4 à 500 mètres ; la vallée du fleuve est très large, elle a 18 ki-
lomètres d'ouverture d'une crête à l'autre. Le spectacle est
grandiose et saisissant, rien n'est plus beau que la jonction de
ces deux rivières qui confondent leurs ondes si différentes d'as-
pect : la Bénoué venant mélanger son eau limpide et diaprée
comme celle de nos lacs du Bourget et d'Annecy avec les eaux
noires, sales et boueuses du Niger. La ville anglaise commence
à se dessiner et à se peupler.
Nous avons rencontré plusieurs centres de missionnaires ca-
tholiques et protestants, à Aboutchi, Onitcha, Lokodja, etc. Les
convertis sont peu nombreux; les dogmes du christianisme pré-
sentent trop d'idéalisme pour des races qui placent au-dessus de
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LE NIGER.
tout le matérialisme et la sensualité. Le missionnaire chrétien
offre au noir des consolations ultérieures et mystérieuses, il
s'adresse à l'âme, et le noir, ce grand enfant, ne le comprend
pas toujours; le missionnaire l'emporte difficilement sur le ma-
rabout qui vit parmi ces peuplades à demi sauvages, parce que
celui-ci sait accommoder au profit de l'islam les tendances
matérielles et les croyances ataviques des noirs en les accom-
pagnant d'amulettes ou de légendes terre à terre.
Les missionnaires du Bas Niger, quel que soit leur zèle apos-
tolique, ne sont donc pas plus heureux que ceux du Soudan au
point de vue de l'évangélisation. Malgré cela, c'est avec une
admirable patience et une non moins belle résignation qu'ils
passent de longues années sous ce ciel inclément. Beaucoup
d'entre eux meurent victimes du climat et de la maladie, après
de vains efforts pour grouper autour de leur église des brebis
qui ne tarderont pas à rejoindre le troupeau de l'islam.
Le 17 mars, de bon matin, nous quittons Lokodja. La ma-
nœuvre est difficile en raison de l'encombrement rocheux qui
barre le lit du fleuve. Nous croisons deux grands vapeurs,
sinistres épaves qui sont venues se jeter sur les cailloux; pui*
à deux kilomètres en amont, le Liberty décrit des courbes et
des sinuosités nombreuses pour franchir des bancs de sable et
des hauts-fonds.
Le plateau nigérien. — Les rives sont très cultivées, très boi-
sées. Au milieu des clairières, nous apercevons des bananiers
superbes, des palmiers de toute beauté, des rizières, des champs
de mil et d'arachides. En réalité, les montagnes qui bordent
le fleuve ne constituent pas, dans leur ensemble, une chaîne
de collines. Elles font partie d'un plateau ininterrompu qui longe
et surplombe la vallée du fleuve jusqu'à Timbouctou. La ligne
de faîte s'allonge sur un immense plan horizontal, coupé et cre-
vassé par les agents atmosphériques, vent et pluies torren-
tielles, mais qui possède une altitude constante et régulière. Ce
plateau, qui longe le Niger, se trouve à 4 ou 500 mètres au-
dessus du thalweg à Lokodja, tandis qu'il surplombe le fleuve
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ARRIVEE A JEBBA.
de 200 mètres à peine à Kendadji. Nous pouvons aisément
déduire de ce fait que le Niger a progressivement foré sa vallée
en donnant Tassaut à ce plateau, et la difîérence d*altitude entre
son point d'entrée et sa porte de sortie se trouve démontrée
visiblement par les rapides que nous franchirons depuis Labe-
zcnga jusqu'à Badjibo et Boussa.
Nous voici en route pour Jebba; le fleuve devient extrême-
ment triste, ses rives sont des marécages recouverts d'une
forêt impénétrable, ses îles nombreuses sont ombragées de
hauts arbres. Voici quelques rares villages, groupes de cases
sales et misérables où vivent des pêcheurs. On se demande
quelles sont les ressources de ces indigènes au milieu de cette
nature rebelle à toute production. Puis, plus loin, la vallée
s'élargit, les bords du plateau s'écrasent, les marécages herbeux
s'étendent à 15 et 30 kilomètres sur chaque rive, la forêt s'éloigne
et disparaît. Au milieu de ces plaines, nous apercevons des vil-
lages perchés sur des éminences de terre, des factoreries, Eggan,
Rabba, Sounga. C'est à Mouredji que le commerce de l'huile
de palme cesse complètement, la région produit du caoutchouc,
de la gomme, du cubèbe, du karité ; c'est également à Mouredji
que la Kadouna se jette dans le Niger, mais à l'époque actuelle
son lit est presque complètement desséché.
Le 21 mars, vers huit heures du matin, nous dépassons la
canonnière anglaise Héron, Une longue théorie de porteurs suit
la berge avec, sur la tête ou sur le dos, les bagages du général
Lugard, qui rentre à Jebba. Le Héron est un bateau plat, mû
par une hélice sous voûte; l'installation en est rudimentaire.
Il doit faire une chaleur atroce derrière les tôles qui masquent
ses canons-revolvers et ses maxims.
Le 22, vers midi, nous franchissons un seuil rocheux : Jebba
est devant nous, à 3 kilomètres à peine. Le Niger semble sortir
d'un gouffre, des hauteurs escarpées l'enserrant sur ses rives.
Un rocher de 80 mètres s'élève au milieu de la vallée, en amoiit
d'un groupe d'îles et de sinuosités. C'est le Djou-Djou.
Nous accostons sur la rive droite devant les docks de la Niger
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LE NIGER,
Company. Le village, qui compte environ dix mille habitants,
est fractionné en deux parties : l'une sur la rive droite, Tautre
dans une île, ce qui crée un mouvement ininterrompu de pi-
rogues d'un bord à l'autre. Les installations anglaises sont
également partagées en deux centres distincts. Le gouverneur
et ses fonctionnaires habitent sur un éperon qui surplombe le
fleuve de 60 mètres environ ; le camp est situé dans l'île, sur
une éminence dénudée, véritable champ de roches brûlantes
que le soleil chauffe de toute son énergie. Je ne crois pas qu'il
existe en Afrique un pays plus chaud que Jebba. La température
y est intolérable. Les gorges rocheuses développent un courant
d'air chaud, les montagnes arrêtent la brise. De plus, le Niger
qui récolte et roule des immondices depuis les confins de la
Guinée, dégage une odeur pestilentielle et très caractéristique,
en sorte que l'hôpital anglais qui s'élève sur un rocher est
fort mal placé pour les dysentériques et les blessés.
Aussitôt à quai, nous commençons le déchargement du
Liberty, que nous devions abandonner ici pour continuer désor-
mais la montée du Niger avec nos chalands et les embarcations
de notre flottille. J'indique à chacun sa besogne, et de mon
côté je vais rendre visite au général Lugard qui nous a envoyé,
pour nous souhaiter la bienvenue, son secrétaire particulier,
M. Mark Karr, un gentleman fort aimable.
Nos relations avec le général Lugard commencent à l'anglaise,
c'est-à-dire que nous élucidons de suite les questions do service;
nous mettons tout en ordre, et complètement d'accord au sujet
de notre matériel et de nos armes en transit, nous faisons con-
naissance l'un de l'autre. Mon interlocuteur est un homme de
taille moyenne, sec, et qui paraît absolument grillé par le soleil;
il compte actuellement dix-neuf années de séjour au Soudan.
Le général Lugard parle fort peu; c'est un homme instruit,
très perspicace et très aimable, doublé d'un administrateur
énergique et judicieux. J'ajouterai que pour nous, il s'est montré
d'une complaisance et d'une urbanité parfaites, encourageant
nos efforts et s'intéressant à la santé de notre personnel. Le
— CG —
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f
t * ▼'.Kl
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LES AhGLAIS A JEBBA.
soir, il y eut grand dîner à Gouvernement House. J*y fîs connais-
sance de M. Wallace, ancien agent de la Niger Company, gou-
verneur intérimaire, qui comptait vingt-trois années de services
au Niger, et que d'une frontière à l'autre ainsi que tout le long
du Kouarra, les indigènes connaissent universellement sous le
nom de « Wallaci ». Il fut de même en très bons termes avec
nous, car les questions de territoires étant réglées, les dissenti-
ments d'autrefois semblent s'être évanouis. A côté de moi se
trouvait le major Andersen, chef de bataillon « local », qui
p irle couramment le français, ainsi que presque tous ses col-
lègues.
Les forces du West-Afrik « West-African-Frontiere-Force ou
\V. A. F. F. », se composent de cinq bataillons, répartis comme
il suit, et concourant à la défense de tous ces territoires :
1» bataillon à Sierra Leone; — 2» à Lagos; — 3» à Old Calabar;
— 4o à Lokodja; — S® à Jebba. Ces unités ont des effectifs variant
de 500 à 1 500 hommes, de sorte que la force militaire du West-
Afrik est d'environ 5 000 à 6 000 hommes.
Les officiers proviennent de régiments métropolitains, dont la
portion principale réside en Angleterre, tout aussi bien que de
régiments des troupes coloniales de l'Inde, du Transvaal, de
la Jamaïque, etc. De plus, comme il n'y a sur le Niger que
des emplois d'officiers d'infanterie et d'artillerie, il n'est pas
rare de voir un officier de la cavalerie des Indes commander
une compagnie, un lieutenant d'artillerie de forteresse comman-
der une section de tirailleurs, un capitaine d'infanterie anglaise
diriger le service des constructions s'il en a les aptitudes.
Mais ce n'est pas tout, il y a mieux encore : un lieutenant d'in-
fanterie anglaise métropolitaine vient commander un centre;
eh bien ! le gouverneur peut le nommer d'office capitaine dès
son arrivée dans les Nigcrias; mais ce grade « local » n'a de
valeur que dans la colonie et, lorsque l'officier retourne en
Europe, il reprend son grade réel. De même un capitaine peut
être momentanément « major local » jusqu'à la fin de son séjour
dans les Nigerias. Nous avons connu à Jebba un officier dont
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LE MGLR.
la situation était encore plus singulière : capitaine dans un
régiment métropolitain, chef de bataillon breveté dans un état-
major, il remplissait en Angleterre les fonctions de lieutenant-
colonel ; arrivé à Jebba, il était colonel local faisant fonctions de
général de brigade.
Tous CCS bataillons sont encadrés de sergents européens.
L'effectif est indigène et porte improprement le nom de « tirail-
leurs aoussas », car il est composé en grande partie de Nupés,
de Yorubas et môme de Sénégalais déserteurs. Les Anglais
considèrent d'ailleurs ceux-ci comme des soldats d'un entrain
exceptionnel. Les officiers de l'armée britannique reçoivent
des indemnités et des soldes fort élevées : les lieutenants
15000 francs, les capitaines 18000 francs; c'est presque deux fois
et demi ce que touchent les officiers des mêmes grades de nos
troupes coloniales. Les installations du camp de Jebba sont
très confortables; le mess est surtout le grand luxe de la
garnison, c'est une case démontable qui renferme deux pièces,
dont l'une immense, large et bien aérée, sert de salle à manger,
l'autre de salle de lecture et de salon.
Le déchargement du matériel renfermé dans les cales du
Liberty était une besogne des plus pénibles. Tandis que nous
entassions près du fleuve les mille huit cents caisses du premier
convoi, je faisais empiler dans un hangar que la Niger Company
mit à notre disposition, les colis et l'outillage qui devaient
rester à Badjibo jusqu'à ce que la possibilité d'une seconde
expédition eût été fermement démontrée. Bref, j'organisais tout
en vue de la nouvelle phase de notre navigation, où nous no
devions plus compter que sur nos propres moyens.
Je fis armer les chalands, préparer les avirons et le matériel
de rechange dont nous pouvions avoir besoin par suite d'acci-
dents ou d'avaries dans les rapides ; les laptots, exténués par ce
travail en plein soleil, commençaient à souffrir et la maladie fit
l)lusieurs victimes; mais les plus courageux se rétablirent en
cours de route. Seul Suleyman s'affaiblissait de plus en plus et
ses forces diminuaient; la dysenterie se déclara, mais il se
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DEBAliQULMENl.
garda bien de me le dire. Nous vivions campés sous la tente,
nous prenions nos repas dans un magasin recouvert de tôle où
régnait une chaleur accablante. Il est probable que nous gar-
LCS CAISSES SONT BMPII KRS Br CI.ASSKIÎS SUK L'B.NCLAVB
AVANT LB CIlAMOKMKxr DU CONVOI
derons toujours le souvenir du travail incessant et des chaleurs
atroces de Jebba. J'allai prendre congé du général Lugard qui
rentrait en Europe pour demander les crédits nécessaires au
transfert de la capitale dans des régions plus favorables. La
nouvelle position choisie est Zouguérou ; on y accède en des-
cendant le Niger jusqu'à Mouredji, puis en remontant la Kadouna
pendant une journée; le nouveau poste est à 20 kilomètres
environ au nord de cette rivière. Au mois d'octobre suivant
(six mois après), les Anglais avaient déjà construit un railway
reliant le fleuve à la nouvelle capitale; le comptoir de la Niger
Company était installé, les constructions s'élevaient de toutes
parts. La nouvelle capitale est maintenant occupée, Jebba n'est
plus qu'un poste secondaire.
Nos débuts sur les chalands. — Le 26 mars, à cinq heures du
soir, nous levons l'ancre, et les chalands s'engagent dans les
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LE NIGER.
LB ROCUBH « DJOU-DJOU • VU D'AMONT.
gorges rocheuses de Jebba; le Djou-Djou se dresse devant nous :
c*est un rocher fétiche que les Nupés vénèrent et respectent,
une épaisse végétation s'enchevêtre dans les coupures de ses
blocs de granitoïde et de grès rose, qui se profilent en longs plis
verticaux comme les tuyaux d'un orgue gigantesque. Le fleuve
circule dans un d<^dale d'îles grandes et petites, entre lesquelles
règne un courant très vif qui gène beaucoup notre manœuvre. A
200 mMres en amont du Djou-Djou, s'étend en travers du fleuve
une barrière de rochers dont le plus élevé dépasse de 30 à
35 mètres le niveau des plus hautes eaux; le fleuve s'engage
dans cette claie sans bruit et sans écume; seuls de grands
tourbillons donnent idée de la profondeur du Niger entre ces
rochers.
Les marabouts du pays nous ont appris qu'autrefois, du
temps de leurs arrière-grands-pères, il y avait, dans le Djou-
Djou, un démon très méchant qui renversait et brisait toutes
les pirogues; de mémoire d'homme il n'est pas une embarcation
qui, descendant du haut fleuve, ait pu arriver à Jebba; le diable
s'acharnait à les perdre avec ceux qui les montaient.
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LE DJOU'DJOU.
LB ROCHBR « DJOU-DJOU « VU D AVAL.
Un jour, des hommes résolus à chasser le démon osèrent
affronter le Djou-Djou ; le diable effrayé s'enfuit avec son butin
et disparut pour se réfugier en amont, vers Boussa, dans les
rapides de Garafiri.
Voilà comment les noirs entendent la géologie ; l'explication
est des plus faciles. Il y a deux cents ans environ, le Niger
rencontrait en amont de Jcbba une barrière de rochers (celle
dont nous venons de parler) d'où il sautait à 30 ou 40 mètres de
profondeur. Progressivement cette barrière s'est brisée, les
rochers sont tombés dans une faille, la cataracte a disparu, il
s'est produit une dénivellation, un formidable appel d'eau, les
rapides de Boussa se sont formés ce jour-là.
A partir de Jebba le courant est vif, la navigation devient
particulièrement difficile pour diverses raisons : d'abord nos
chalands sont très chargés; mes laptots sont encore pour la
plupart inexpérimentés et maladroits ; nous sommes repousses
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LE NIGLR.
par de petites cascades qui débouclient entre les roches; nous
partons à la dérive ; de plus la végétation serrée qui croit sur
les bords du Niger et qui plonge à plusieurs mètres des rives,
nous empêche de prendre appui sur la terre ferme avec les
bambous qui servent de moyen de propulsion. Je fais armer les
avirons sur bâbord, puisque nous avançons en suivant la rive
gauche, de la sorte les chalands sont appuyés vers la berge;
je fais couper des fourches et des crochets de bois que l'on
attache à l'extrémité des bambous, les hommes agrippent ainsi
les branches et font effort pour tirer les embarcations. En cette
saison des basses eaux, le lit du Niger est facile à étudier, les
roches qui l'encombrent, émergent et décèlent leur présence ;
nous en faisons le relevé précis, car à peine arrivé, je songeais
déjà au cas probable où les vapeurs pourraient et voudraient
un jour se hasarder dans cette partie du Niger. Cette abondante
végétation, cette épaisse forêt, nous étouffe et nous oppresse;
on se sent clos et muré sur le fleuve entre des collines au
sommet brûlé, au pied desquelles la forêt devient impénétrable.
Le général Lugard a donné des ordres pour que tout ce qui
pouvait nous être utile nous fût procuré, pirogues, bambous
de rechange, porteurs, etc.; les officiers des postes espacés
du Niger : Fort Goldie, Yelloua, Ilo, devaient user de leur auto-
rité, pour éviter que j'eusse à requérir moi-même sur des terri-
toires où s'exerce l'influence britannique. Malgré cela, deux
précautions valant mieux qu'une, nous trouvâmes préférable
de nous faire des amis et de nous créer de bonnes relations tout
le long du fleuve ; aussi lorsque le convoi passait devant un
village, nous faisions au chef, ainsi qu'aux notables, de petits
cadeaux puisés dans nos caisses de pacotille, qui ne man-
quèrent pas d'entretenir autour de nous des amitiés intéressées.
Nous côtoyons des îlots rocheux couverts d'arbres superbes;
il n'y a pas de rapides, mais des filets d'eau qui bruissent de
tous côtés. Sur les bancs de sable, des vols d'oiseaux picorent
en s'ébattant; toutes les espèces de volatiles de l'Afrique occi-
dentale sont groupées là, depuis la cigogne, la grue rose, le
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LE LIT DU NIGER.
CHUTES DU DOKO.
pélican, jusqu'au « chass d'At »^ et Toiseau-mouche, tandis qu'à
proximité, à quelques mètres à peine, des caïmans semblent
dormir au soleil.
Arrivée sur V enclave de Badjibo, — Le 29 de bon matin, nous
apercevons le village de Badjibo, sur la rive gauche ; en face on
distingue les limites de l'enclave. Les laptots sont prévenus de
notre arrivée; je les vois aller et venir sur la berge ; ces braves
gens, à qui Toutée confia la garde du poste, ont été, comme
tous les noirs, imprévoyants et dépensiers : ils ont consommé
leurs vivres sans souci du lendemain, de sorte que nous
arrivons juste à. temps pour les empêcher de mourir de faim.
Nous voici devant l'enclave; les hommes du poste viennent à ma
rencontre, ils ont la physionomie de gens inquiets et affamés.
i. Surnom donné en Afri.^ue par nos trouf icrs à cet oiseau à cause des couleurs
de son plumage.
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LE NIGER.
OnOANISATION DB L'ENCLAVB DB BADJIBO-ARENBERO.
Le convoi se range contre la berge, les chalands sont solide-
ment amarrés, nous débarquons et nous procédons immédiate-
ment à la reconnaissance et à l'organisalion de l'enclave.
Ce territoire est un parallélogramme, dont la petite base a
400 mètres de longueur, sur la rive droite du fleuve, et la
grande base 1 200 mètres en profondeur. Un marigot, le Doko,
que remplit le Niger à la saison sèche et qui débite une véri-
table trombe d'eau pendant la saison des pluies, enveloppe do
ses circuits et de ses zigzags la diagonale principale de ce
quadrilatère; c'est un port très sûr et très calme, un excellent
abri pour les bateaux. Un tirailleur anglais m'apporte une
lettre très aimable du lieutenant Cokercll, qui nous invite à
déjeuner, à loger et à prendre nos repas à Fort Goldie. Je vais
immédiatement à sa rencontre et le ramène avec moi pour
déjeuner à l'enclave. C'est un grand enfant, très gai, très
loquace, qui nous égaie de ses reparties amusantes. C'est un
type de gentleman récemment arraché aux joyeuses parties de
Picadilly, de l'Alhambra et des boulevards; voilà trois mois
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L'ENCLAVR DE BADJIBO
CASCADES DU DOKO.
qu'il vit seul à Fort Goldie, à 1500 mètres au nord de Tenclave,
et Tarrivée subite d'Européens, de Français surtout, excite son
intérêt ou sa curiosité, le ravit. Le chef indigène de Badjibo
vient nous saluer, escorté par des hommes qui déposent à nos
pieds des ignames et quelques bananes. C'est « Madibo p, un
grand diable admirablement musclé, qui rit bêtement mais
n'agit pas de môme. Les Anglais l'ont mis à ce poste à côté
d'Azouma, vieux roi débonnaire, dont l'autorité vacillante de-
venait une gêne pour l'occupant. Chaque fois que Cokerell lui
dit « Mèdibcu, vous êtes bête », le grand diable sourit en
opinant du bonnet crasseux qui recouvre son chef; mais
Madibo n'est pas bête du tout, et chaque fois qu'il a pu nous
rendre service en favorisant ses intérêts et surtout son pen-
chant pour le Champagne et le whisky, il s'en est fort bien
acq litté.
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LE MGHR.
Nous parcourons l'enclave en tous sens : elle présente plu-
sieurs éminences où l'on pourrait installer des cases; la
première, celle qui se trouve près du port, est la plus com-
mode parce qu'elle est à proximité du fleuve. Elle est située
sur la rive gauche du Doko à 200 mètres du Niger; un bloc
d'énormes rochers la borne vers l'ouest; le terrain est résistant
et perméable, c'est là que nous installons le poste. Le pays est
habité. Des trous d'hyènes, des herbes foulées, des traces de
singes et de chacals montrent que nous ne sommes pas les
premiers occupants; mais c'est nous qui devenons dès main-
tenant les maîtres de la place. Nous procédons ensuite au nou-
veau tracé des cases, des ateliers, des magasins et des hangars;
le plan d'ensemble est remis au lieutenant Anlhoine qui, se-
condé par Groisne et Messéant, doit entreprendre et poursuivre
les travaux.
Nos cases d'habitation sont rondes; une véranda large de
deux mètres les entoure et les protège complètement contre
les ardeurs du soleil. Le mur circulaire est construit en briques
sèches, cimentées avec de la terre battue; la couverture est un
cône dont les génératrices sont de grands bambous sur lesquels
on dispose des lils de paillette constituant ainsi une toiture
excellente. Nous traçons également les rampes d'accès au port,
les ateliers et les abris des laptots et des ouvriers. Le Icnde-
main, 31 mars, j'accorde aux équipages un jour de repos pen-
dant lequel ils se livrent à des tam-tams bruyants, à des danses
effrénées.
Départ pour les rapides, — Le !•' avril, à 6 heures du matin,
le convoi s'ébranlait de nouveau, et, cette fois, s'engageait
dans la route des rapides. Les difficultés commencent à
2 kilomètres en amont de Badjibo; les cascades se font plus
pénibles et plus rapprochées; le courant s'accentue, le fleuvo
est vraiment rapide et difficile; nous n'avançons pas d'un
demi-kilomètre par heure en dépit de notre travail et de nos
eflorts. A Jckédé nous contournons une grande île, à la pointe
nord de laquelle nous trouvons un rapide assez mauvais qui
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"■•» H::.» *-''<t
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PREMIERS EFFORTS.
nous retient cinq heures dans ses rochers et ses remous; il
en est ainsi jusqu'à Léaba; fausses manœuvres, départs en
dérive, reculs, arbres gênants, petits rapides, rochers et
cascades, tourbillons, courants
violents, tout cela nous retarde
beaucoup.
Le 4 avril, nous arrivons enfin
à Léaba, dont le vieux roi Giri,
qui s'est montré toujours ac-
cueillant à notre égard, vient
au-devant de nous avec deux
poulets et des présents. La
volaille est très rare en ce
pays; nous n'avions pour toute
nourriture que de la viande
salée puisée dans une barri-
que; ce cadeau nous fit grand
plaisir et valut au donateur
une bonne récompense. C'est
seulement le soir, vers minuit,
que les derniers chalands, ar-
rêtés par les obstacles, vinrent se joindre à nous. Mon brave
Tonié, qui restait constamment en arrière avec son embarca-
tion, portait secours aux pilotes malheureux encore inexpéri-
mentés. Suleyman vint me confier qu'il souffrait beaucoup; c'est
alors que je constatai la terrible maladie qui devait le terrasser
quelques jours plus tard; elle n'était qu'à son début, mais elle
devint foudroyante; je l'embarquai aussitôt à son grand regret
sur une pirogue, pourvu de médicaments et de recommanda-
tions relatives à sa maladie; lui-même éprouvait une angoisse
indicible à quitter son poste ; mais dès qu'il fut arrivé à Badjibo,
la dysenterie devint gangreneuse et l'emporta. La tombe de ce
vieux serviteur est la première sépulture de l'enclave.
Je suis en pays connu; Toutée a séjourné à Léaba, il y a
laissé un bon souvenir; de sorte que son successeur est bien
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MBSSKANT, PROVIDENCB DBS P0ULB8.
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LE NIGER.
accueilli. Girl me donne également des guides ; il y a parmi ses
gens de tout jeunes hommes solidement musclés, dont le coup
de perche est d'un sérieux secours. Nous essuyons une tornade
assez violente; mais aussitôt que mon personnel est séché, je
donne l'ordre du départ. Le vieux roi m'assure qu'il n'y a pas
de rapide avant le village d'Ourou. Le Niger conserve sa direc-
tion nord-sud jusqu'en amont du village de Tiégou; ses eaux
circulent dans une faille rocheuse, bordée d'aiguilles de
granit, dont les blocs forment des canaux parallèles à la rive ;
des cascades bruissent entre les rochers, et les couloirs sont
parfois tellement exigus qu'il est impossible d'y faire passer
nos chalands. C'est alors que nous prenons le large et que des
Incidents fâcheux se produisent à tout instant. A Léaba, le
courant ne dépasse pas 8 à 10 kilomètres de vitesse ; la rive est
accessible, nous avançons lentement et sans à-coup sur envi-
ron 1 800 mètres de route, puis nous trouvons devant nous un
étranglement sur la rive droite; un véritable rapide nous
arrête.
A côté de nous, le fleuve se referme ; de gros rochers
émergent de toutes parts ; la surface de l'eau parait très sensi-
blement bombée à cause des remous et des tourbillons qui
donnent au Niger l'aspect d'une marmite en ébullition. Nous
ne pouvons pas longer la berge; je fais prendre le large,
espérant que mon équipage aura la vigueur nécessaire pour
lutter de vitesse sans autre moyen de propulsion que la perche
de bambou.
Tout à coup les laptots poussent des cris de détresse; nous
partons à la dérive; le chaland G 15^ s'engage au milieu du
rapide et s'accroche bout par bout entre deux rochers; le
courant le fait basculer, nous sommes renversés; les laptots
qui se tenaient debout sur le pontage sont précipités dans le
fleuve; l'eau pénètre par bâbord; nous allons couler. Mais
l'embarcation déchargée de son équipage se relève, le courant
1. Mon chaland portait le numéro 15, nous rappelions le C 15.
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L'ACCIDENT DE LEABA.
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LB VIKUX ROI OB L^ABA PORTB LB NOM ORACIBUX DB « TÉNIA •.
Tcntraîne; nous nous précipitons sur le grappin que je fais
jeter dans le fleuve à proximité de la rive; la corde de Tancre
se tend avec une telle violence que le chaland plonge, puis
se relève et replonge de nouveau; enfin, après plusieurs
oscillations il reste en équilibre. Je suis des yeux avec anxiété
le laptot Malal-Ba qui nage vigoureusement pour échapper à la
poursuite d'un crocodile sorti brusquement des ondes agitées
du Niger; c'est un moment d'angoisse et d'effroi. Nous
envoyons de suite une amarre sur les rochers, les gens de
Tiégou accourus pour nous aider la saisissent et nous accos-
tons la rive. Tout cela s'est passé en un clin d'œil, mais a suffi
pour que nous ayons déjà perdu une partie importante de nos
objets personnels. Cet accident me détermine à procéder autre-
ment et à reconnaître les rapides avant d'y engager le convoi ;
dorénavant, de Peyronnet et moi, nous explorerons personnelle-
ment les chenaux en tous sens, à la recherche des routes les plus
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LE NIGER.
sûres et les plus praticables. Il nous fallut quarante-huit heures
pour franchir les 7 kilomètres qui séparent Léaba d'Ourou.
Hapide d'Ourou. — Depuis le sommet du rapide d'Ourou
LES RAI'IDBS d'oUROU.
jusqu'à Tiégou et Léaba, le fleuve décrit un S à larges cour-
bures. La pente de ce grand obstacle est perceptible à l'œil
nu, et donne l'impression d'une route qui monte. Tout à fait
en haut du rapide, le Niger longe une montagne de 100 mètres
d'altitude qui se trouve sur la rive gauche et se divise en deux
bras.
Le spectacle de ce rapide est saisissant : l'eau, projetée par
les aiguilles, forme des volutes d'écume qui jaillissent à 1 ou
2 mètres de hauteur; il est impossible de se faire entendre,
tellement le vacarme est assourdissant. Le petit bras part
également du sommet du rapide, mais il est en ligne droite et
circule entre des masses granitiques complètement submergées
à l'époque des hautes eaux. Si l'on songe que la différence
d'altitude entre le sommet et le pied de ce rapide est de
12 mètres, si l'on sait que le grand bras a 1 800 mètres de déve-
loppement et le petit 1 100 mètres en ligne droite, il est facile
de se rcLdrc compte de la pente du fleuve et de la vitesse du
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RAPIDE D'OUROU.
LA PBNTB OBS RAPI0B8.
courant. Un fleuve calme a une pente de 5 à 6 centimètres
par kilomètre, soit 1/20000, et lorsqu'on arrive à 10 ou 15 centi-
mètres par kilomètre, soit 1/6000, la navigation devient difficile.
A Ourou, l'inclinaison moyenne est de 1/100 environ. Le petit
bras du rapide est le seul réellement praticable, il ne présente
pas de trombes qui se précipitent sur la rive pour se replier
ensuite sur elles-mêmes, comme cela se produit dans le grand
bras; mais la vitesse du courant y est au moins de 25 à 30 kilo-
mètres.
Nous voici donc, non sans peine, au pied du village d'Ourou-
inférieur; il existe un autre village du môme nom, dans l'île
comprise entre les deux bras du rapide ; puis un troisième sur
la rive gauche, au pied du grand obstacle. Les indigènes,
poussés par la curiosité, traversent le fleuve en pirogue et
viennent de toutes parts se ranger autour de nous; mes bateaux
attirent leur attention; ils vont par petits groupes s'asseoir au
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LE NIGER.
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MAUA, CHBF O'OUROU BT SORGIliR DU RAl'IOlJ.
bord du fleuve devant notre mouillage, et restent là des
heures entières à disserter sur nos embarcations.
Les notables se présentent avec des cadeaux : moutons,
ignames, quelques mesures de riz, du poisson, etc. Voici
d*abord Mama, le chef d'Ourou-inférieur, un grand et fort
garçon d'une trentaine d'années, d'un beau type et d'une
intelligence qui peut étonner chez ces noirs ; puis vient Gossi,
chef d'Ourou dans l'Ile; tous deux s'en retournent avec des
couvertures, des pipes, des étoffes, des jouets pour leurs
enfants. Le forgeron vient également à ma case, c'est un ami
personnel de Toutée ; il a d'ailleurs une bonne figure joviale,
encadrée d*un collier de barbe grisonnante, qui lui donne
l'aspect d'un bon paysan de France. Il vient également nous
apporter des vivres, et je me réjouis de la satisfaction qu'en
éprouvent nos laptots qui font des repas solides et copieux,
avant d'affronter un nouveau danger.
- 8G —
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AVANT L'EPREUVE.
Nous logeons dans une case très propre. La campagne envi-
ronnante est enveloppée du murmure des cascades et des
chutes; le fleuve coule à 12 mètres en-dessous de nous, de
l'est à l'ouest, dans une faille rocheuse qui s'est ouverte sur sa
route; sans quoi, il est permis de supposer qu'en raidon de sa
puissance vive, le Niger eût rejoint sa direction générale nord-
sud par une oblique. Rien n'est plus imposant que le spectacle
dont nous jouissons : la forêt, d'une part, s'étend sous nos yeux;
à l'est, l'ile, son village et ses grands arbres se projettent et se
détachent sur la montagne; au nord, les roches du petit bras
recouvertes d'écume, et sur la rive droite, des cultures en
pleine prospérité : tout cela forme un tableau splendide. Il fait
une chaleur torride qui soulève une buée d'azur dont la teinte
adoucit les tons rouges et verts de ces paysages africains
incendiés par le soleil ; nous fuyons nos cases brûlantes pour
goûter un repos bien mérité à l'ombre d'un grand arbre qu'ha-
bitent une multitude d'oiseaux dont les chants nous égaient.
Demain, qui sait ce qu'il adviendra de nous!... Mais pourquoi
s'en tourmenter d'avance? Nous déjeunons gaiement, puis noe^
rêveries s'envolent avec la fumée de nos cigarettes. •••
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CHAPITRE IV
Passage du ropido d'Ouroii. — Garba, roi de Oua-Oua. — Légende des rapides.
— Le Rite indigène. — Patassi. — Garafiri. — Incidents de route. —
Peuplades riveraines. — Le roi de Boussa. — Fatigues et privations. —
Séjour à Boussa.
LE^ avril au soir, je fais appeler Tonié qui, depuis le départ
de Suleyman, est devenu chef piroguier de la flottille. Nous
allons voir le rapide d'Ourou : je considère longtemps l'ob-
stacle qu'il dresse devant nous. Et certes, ce n'est pas un
spectacle rassurant. Tonié ne s'étonne de rien et surtout ne
parle pas à la légère : « Y en a beaucoup mauvais, dit-il, mais
moi y a connaisse » ; puis il redevient silencieux. Il est con-
venu avec lui que notre chaland passera seul d'abord et que,
de l'expérience, nous tirerons la meilleure manière de procéder
à la montée du convoi jusqu'au sommet du rapide.
Le 7 avril, de bon matin, nous nous embarquons pour tenter
le passage : notre chaland est amené au pied du petit bras à
Tabri des remous et des contre-courants qui favorisent notre
marche. Les rochers sont découverts, le lit du fleuve est hérissé
d'aiguilles sur lesquelles l'eau bondit avec violence ; de chaque
côté du rapide, d'énormes lignes de granit longent les rives.
En raison de la baisse des eaux, les indigènes peuvent s'y
glisser et grimper sur ces appuis pour saisir les cordelles et
tirer l'embarcation. L'obstacle paraît plus impressionnant en-
core, lorsqu'en plein fleuve, on le contemple debout sur le
pont d'un bateau ; on a devant soi une grande route mouvante,
dont la pente est aussi prononcée que celle du boulevard S^'nt-
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NOUS FRANCHISSONS OUROU.
LB PETIT BRAS D OUROU A SEC,
Michel. De grands pieux inclinés que les riverains enfoncent
entre les rochers tous les ans au mois de juin, lorsque le petit
bras est à sec, servent à tendre des cordes et des filets d'une
rive à l'autre. Il nous faut quatre heures pour franchir le rapide,
les vagues sautent par-dessus le chaland que garantit son pon-
tage; quelquefois la cordelle dérape et nous partons en dérive
au risque de nous briser sur quelque tête de granit; mais les
Bambaras se jettent à l'eau avec un entrain admirable pour
nous remettre en route, et Tonié, qui tient la barre, nous dirige
avec une adresse surprenante. Soudain, nous passons dans une
dernière trombe entre deux roches, la vitesse de l'eau qui
déferle nous étourdit et nous fascine. Enfin, nous voilà tirés
d'affaire.
L'expérience que nous venons de faire avec notre chaland
nous apprend qu'il faut alléger les autres embarcations de la
moitié de leurs caisses, si nous voulons que tout puisse passera
i. Cclto première tentative avait lieu presque aux plus basses eaux.
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LE NIGER.
Nous rentrons au village. Tonié reçoit l'ordre de faire avancer
les chalands par groupes de trois. Les riverains nous aident à
débarquer et à transborder neuf cents colis par voie de terr<»
jusqu'à hauteur du sommet
de lobslaclL*.
C'cfït alors seulomoTitqua
RAPIDSS D'oUROU. LES CUALANOS SONT HISSÉS PAR LKS LAPTOTS, QUI SB JETTBXT
A LA NAQB AU MILIEU DBS R0CUBR8.
mes inquiétudes s'évanouirent, car, bien que je n*en aie rien
laissé apercevoir, je craignais l'échec que l'on m'avait prédit
avant mon départ. Je le redoutais d*autant plus que la nécessité
de notre passage des rapides s'imposait impérieusement, vu la
disette de vivres où se trouvait le colonel Péroz. Il comptait ab-
solument sur nous pour le ravitailler. 11 fallait passer à tout prix!
Les impressions que l'on éprouve dans les rapides sont
variées. Outre celle du « vertige de la vitesse », il y a l'appré-
hension constante de prendre un bain. Or le fleuve est infesté
de caïmans et, chaque fois qu'un homme tombe à l'eau, on voit
surgir un de ces horribles habitants du Niger, prêt à le saisir.
Mais en admettant que l'on ne se noie pas ou qu'on échappe à
la gueule d'un ca'iman, on doit être fort endommagé par les
— 90 —
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Ze bras de drotbt rtioUvi
Uc poùvbt Nord deitle d
Z kiloto^-R débuttnar un.
npiot
\tntrt deux
^Xi^roeAers
Meacêde»
Barrage
'auuuaaaraiU
dacendre
Marigot dé
Oua-Oua
Chutas é/evées
Ma9néti<fue
Echelle
soô
MibrM
LE RAPiDK DE PATASSi. (Voir page 102.1
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LE ROI GARBA.
CONFLUENT DES DUUX BRAS DU NIGER, A OUROU.
rochers lorsqu'on quitte le rapide pour entrer dans la partie
calme et par suite médiocrement en mesure de regagner la
rive en nageant.
Le 8 avril, de bon matin, pendant que nous réglons notre
comptabilité ainsi que nos opérations de transport, des trom-
pettes retentissent au loin; une troupe nombreuse qui marche
en file indienne, s'approche du village et vient camper devant
nous. Elle est précédée d'un superbe cavalier que des serviteurs
entourent en l'éventant avec des feuilles de palmier. Les tam-
tams redoublent de vacarme, étouffant le son des (lûtes. Le
nouveau venu s'avance à cheval devant la table sur laquelle nous
travaillons, à Tombre d'un grand arbre ; puis, lorsque cette mu-
sique sauvage interrompt sa cacophonie, Garba, roi de Oua-Oua,
vient se présenter à nous avec des cadeaux : chèvres, peaux de
panthères, poulets, etc. Nous échangeons quelques paroles de
— 93 —
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LE NIGER.
bienvenue ; puis deux minutes après, exténué de chaleur et de
fatigue, il se retire dans une case sous la garde de ses fiancées,
deux fillettes de six à huit ans qui 1 éventent sans répit.
Le soir, après déjeuner, nous allons rendre visite à Garba,
en lui portant des cadeaux et des souvenirs. Nous sommes
accompagnés d'un phonographe, instrument que sa majesté
noire ne connaît guère. Aussi, rien n'est-il plus divertissant
que le spectacle du roi, assis devant le cornet acoustique, s'es-
claffant aux notes graves et s'efforçant de me persuader qu'il y
a tout un orchestre entassé dans le coffre de Tappareil. Tout
en causant, il nous demanda de l'alcool pour se rafraîchir.
Nous savions que les Anglais désirent éviter la propagation de
ce poison, en sorte que nous offrîmes une petite bouteille de
Champagne à notre visiteur. L'explosion du gaz et le départ
du bouchon lui firent peur, mais il eut vite fait de se rassurer,
et, après chaque gorgée, il nous exprimait sa satisfaction en
nous gratifiant de certaine politesse prétendue espagnole, qui
nous procurait la plus douce hilarité.
Nous profitons de nos moments de liberté pour étudier les
gens qui nous entourent. La race a sensiblement changé, nous
retrouvons le type Nupé dans la plupart des individus de ces
parages; mais les habitants de l'île, qui sont des Kambaris,
attirent surtout notre attention. Leur physionomie diffère de
celle des précédents indigènes : c'est une figure large, aux
pommettes saillantes, encadrée d'une assez forte barbe en
collier; le front très étroit, bombé, présente des cavités à hau-
teur des tempes; la bouche est épaisse, large, aplatie; les
maxillaires n'ont pas de saillies remarquables; le nez est droit,
légèrement écrasé, les narines ouvertes; les yeux sont petits
et bridés ; le corps est sec, nerveux et musclé.
Il est fort probable que ces indigènes ne vivent sur les
bords du Niger que depuis deux ou trois siècles. Ils ont quitté
le Kanem pour venir se fixer dans ces régions. Pillards et vaga-
bonds, ils s'installèrent provisoirement en face des rapides; ils
dévalisaient les malheureux voyageurs qui tentaient de les fran-
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LA CRINIÈRE DU CHEVAL BLANC,
diable du
écumeurs
acte d'oc-
chir, recueillaient les épaves, et secondaient le a
rapide » pour accentuer les dangers du passage. Ces
du Kouarra, trouvant la position avantageuse, firent
cupation et bâti-
rent les villages
dont nous venons
de parler. Aujour-
d'hui, ce sont les
plus audacieux pi-
roguiers du fleuve,
dont ils connais-
sent à merveille
les sinuosités et
les passes. Ils na-
viguent, en se
jouant des remous
et des rapides, sur
de petites pirogues
très relevées de
l'avant, qu'ils ma-
nœuvrent avec un
calme surprenant.
Légende d' Ou-
rou. — Mama, en nous contant l'histoire du pays, nous fît le récit
de la légende du rapide d'Ourou, qui vaut d'être rapportée. Le
premier chef du village d'Ourou étant mort, son fils lui succéda.
Un soir, vers minuit, tandis que les feux étaient éteints et que
tout le village dormait, le jeune homme vit soudain se dresser
devant lui le spectre de son père, qui lui fit signe de le suivre.
Arrivé au bord du fleuve, le père expliqua le but de sa visite
et dit que « le Dieu des noirs » l'avait livré aux démons.
Ceux-ci, s'emparant de son corps, l'avaient conduit au tournant
du grand bras et attaché sur un cheval blanc qui se précipita
dans les chutes. Depuis ce jour fatal, il était ainsi condamné
à vivre éternellement au fond de Tabirae, captif dans les ro-
— 97 —
ALASSAN, TYPE NUPi«
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LE NIGER.
chers. « Vois ma détresse, dit-il à son fils, je suis seul, sans
ressources; le cheval blanc et moi, nous n'avons plus do
nourriture, vous paraissez me méconnaître et m'oublier, maia
cela ne peut durer ainsi, et si vous persistez, j'irai dans le petit
bras et vous serez tous entraînés dans le fleuve. Je vous dé-
fends, en outre, d'allumer des feux le soir sur la rive, de
danser et de donner des fêtes, car tout cela trouble mon éter-
nel sommeil. »
Depuis ce moment, les gens d'Ourou se gardent bien d'éclai-
rer le bord du fleuve et d'allumer des feux de nuit. De plus, tous
les mercredis, au lever du soleil, les Kambaris vont jeter du
mil et des ignames dans le fleuve afin d'apaiser le grand chef.
Jamais un indigène n'oserait s'aventurer en pirogue avant la
fin de cette cérémonie. Chaque habitant du village a, d'ailleurs,
dans le rapide, son rocher fétiche, auquel il subordonne tous
les actes de sa vie. Il se garderait bien d'entreprendre quoi
que ce soit avant d'avoir consulté son étoile de granit, de
plus il a bien soin de ne pas aller près des chutes sans se
coiffer et sans se vêtir d'un costume blanc...
La région des rapides est fort pauvre; les cultures y sont
espacées à cause des affleurements de granit; ce sol rocailleux
nourrit à grand'peine les rares villages que nous trouvons sur
notre route. Le langage est uniformément le môme jusqu'à
Boussa, c'est le nupé; seuls les notables et les individus mar-
quants parlent le aoussa; mais un interprète qui connaît ce
dialecte peut se tirer d'affaire tout le long du fleuve.
Le costume des riverains se compose d'un pantalon très large
serré à la taille et d'un « boubou », pièce d'étoffe rectangulaire
que l'on plie en quatre et dans laquelle on pratique un grand
trou pour le passage de la tête; ils portent de superbes cha-
peaux ornés de cuirs multicolores, que les traitants aoussas
viennent échanger et vendre en ce pays. Leur nourriture se
compose de mil, d'ignames, de maïs, de manioc et de poisson;
les moutons et les bœufs ne vivent pas dans le pays à cause
de la mouche « tsé-tsé » qui fait périr tout le bétail ; les poulets
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D'OUROU A PAT AS ST.
PA8SA0B DAMOBHBUX PRODUIT PAR UNB ARTKRB LATBRALB QUI VIBNT s'bNFOUIR
SOUS LB FLBUVB.
sont tellement rares qu'il faut faire des prodiges pour s'en pro-
curer. Les cases sont toutes semblables : mur cylindrique coiffé
d'un champignon conique recouvert de paillottes.
Le franchissement du rapide dura trois jours et demi. Les
équipages étaient à bout de forces, je leur donnai une journée
de répit; ces braves gens l'avaient bien méritée. De Peyron-
net supporta les fatigues du passage sans en éprouver le
moindre malaise. Nous étions soutenus par un appétit féroce qui
nous protégeait contre la fièvre et l'anémie; de plus, chaque
matin, nous prenions 25 centigrammes de quinine, précaution
Indispensable et qui nous a toujours fort bien réussi.
D'Ourou à Patassi. — Le 10 avril, à cinq heures du matin,
nous quittons le sommet du rapide d'Ourou, poursuivant notre
route vers le nord. Le courant est tellement vif que nous
sommes obligés de remonter le long de la rive droite pendant
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LE MGRR.
un kilomètre de route, pour traverser de manière à n'être pas
entraînés dans le grand bras. Tonic indique le chenal à tous les
pilotes. Nous prenons le large; puis, au milieu du fleuve, notre
chaland vient s'abriter dans le contre-courant que produit un
îlot rocheux, et cette perte de vitesse nous permet de rejoindre
la rive gauche sans accident. Le Niger est toujours bordé
d'une épaisse végétation plongeante, remplie de nids d'abeilles.
Les rochers menacent la navigation de tous côtés.
Cette partie du bief, comprise entre Ourou et Fala, est par-
tagée suivant sa ligne médiane, en deux rivières parallèles,
par une digue de granit percée de plusieurs brèches et longue
de 2 kilomètres; il arrive même parfois que les rochers trop
élevés et trop serrés empêchent les deux sections de commu-
niquer entre elles; en sorte qu'à la première échancrure que
rencontrent les eaux de la partie droite, plus haute que la
partie gauche, il se produit une chute et des courants violents,
comme si l'un des côtés du fleuve s'écoulait dans l'autre. Vers
huit heures du matin, nous croisons cinq grandes pirogues qui
nous font des signes et viennent à notre rencontre. Dans l'une
est un médecin anglais; dans la seconde un Belge, agent
d'une société coloniale du Lagos, qui descend d'Ilo et dont le
nom a été souvent prononcé à propos de l'affaire d'Argoungou
et de la mort du capitaine Keyes ; dans les trois autres, des
sous-officiers anglais qui rentrent en Europe. Nous causons
quelques instants en buvant un verre de Champagne, puis les
chalands retardataires se rapprochent, et nous avançons avec
la certitude qu'avant peu, Anthoine et ses compagnons de
l'enclave seront informés de notre (Irpart d'Ourou. Cela fera
diversion aux fausses nouvelles qui leur annonçaient notre
échec et la perdition du convoi dans les rapides.
Patassi. — En amont de Fala, le courant redevient dangereux.
Le Niger, qui se divise en plusieurs bras entrecoupés de roches
et de cascades, s'écoule sur dos escaliers très longs qui con-
duisent au rapide de Patassi. Nous suivons un petit marigot
fortucux dans lequel le courant est très vif; le G. 15 s'engage
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NOUS PERDONS NOS BAGAGES.
entre deux ilôts, et c'est en vain que nous essayons de franchir
la passe; chaque fois que nous atteignons le sommet de la cas-
cade, il faut redescendre plus vite que nous ne le voulons; je
donne donc Tordre de stopper. La méthode qui consiste à mar-
cher sans trêve de six heures du matin à six heures du soir et
à ne prendre de nourriture qu'à ces heures extrêmes, ne donne
pas les excellents résultats d'une forte étape avec repos de
trois heures, et repas bien préparé et pris à Tombre. Mes
hommes débarquent donc les marmites sur le sable ; mais aus-
sitôt restaurés, ils demandent à partir, afin d'arriver de bonne
heure au campement de Patassi. Avec le repas, les forces leur
sont revenues. En un clin d'oeil, nous franchissons Tobstacle
devant lequel nous avons échoué cinq ou six fois de suite. Ce
petit marigot que l'on trouve sur la rive gauche, en aval de
Patassi, n'étant pas très praticable pour de grosses embarca-
tions comme les nôtres, nous dûmes chercher la route en nous
aidant du câble. Malheureusement, celui-ci, coupé par les
rochers, se rompit, et notre chaland partit à la renverse. Nous
perdîmes là, non seulement une partie de nos effets, ce qui
n'est pas extrêmement regrettable, mais aussi une ample quan-
tité de vivres et de provisions qui nous firent défaut quelques
jours plus tard. De Peyronnet, remis de son émotion, regarda
de Fœil marri d'un chef de popote accompli la cage en vannerie
qui roulait dans les flots, avec les misérables poulets que nous
avions eu tant de mal à nous procurer.
A trois heures de l'après-midi, nous quittons ce petit marigot,
pour déboucher dans le grand bras. Devant nous se dessine une
ile longue de 3 kilomètres, séparée de Tile de Patassi par un
rapide extrêmement étroit et tourmenté ; de l'autre côté, tout
à fait sur la rive droite, le Niger franchit une série de bar-
rières et de chutes. Nous atterrissons au débarcadère sud. Les
chalands viennent accoster la rive, puis nous les déchargeons
à nouveau de moitié parce qu'il est impossible de leur faire
escalader tous ces obstacles à pleine charge. Pendant ce temps,
nous allons au village prendre contact avec les indigènes qui
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LE NIGER.
se montrent d'une complaisance relative. Le vieux roi de Pa-
tassi, qui possède le nom gracieux de « Ténia », n'a plus sur
eux la moindre influence, et, malgré son désir de nous être
agréable, nous trouvons difficilement des guides, des porteurs
et surtout des vivres; les indigènes prétendent qu'ils n'en ont
pas, et cependant nous entendons très distinctement le bêle-
ment des chèvres et des moutons que l'on vient d'enfermer dans
les cases. Il nous faut beaucoup d'astuce pour nous procurer
ce qui nous est nécessaire. Le noir est ami de la patience, mais
il ne connaît pas la ténacité; de sorte qu'en s'armant de l'une
et de l'autre, on obtient presque toujours de lui ce que l'on
désire. Malheureusement, nous arrivons au milieu d'une af-
freuse disette qui règne tout le long du fleuve ; la crue de l'an-
née précédente (1900) ayant surpassé de 2 mètres l'étiage maxi-
mum annuel, le fleuve a tout arraché sur son passage, les
récoltes ont été perdues, plusieurs villages ont été noyés et
emportés; aussi éprouvons-nous des difficultés énormes pour
le ravitaillement journalier de nos laptots ; nous payons tout
à des prix excessifs.
Le 10 avril, à six heures du matin, de Peyronnet et moi, nous
nous embarquons pour aller à la découverte et chercher la
route la moins difficile. Le rapide de Patassi difîère totalement
de celui d'Ourou. Ici le Niger se divise en trois bras dont le
plus grand a 200 mètres de largeur et n'est mauvais que sur
environ 400 mètres de son parcours. A la descente, suivre le
grand bras équivaudrait à un suicide ; mais, à la montée, c'est
encore celui qui nous parait le meilleur.
Nous partons donc avec le G 15, à l'assaut du grand bras. La
rive gauche est dénudée, ce qui pourrait permettre aux hom-
mes de grimper sur la berge, pour haler les chalands à l'épo-
que des hautes eaux. Nous longeons l'île qui nous sépare du
bras central en la conservant toujours à notre gauche. Le
fleuve ne paraît pas très mauvais; nous avançons donc rapide-
ment et tournons sans difficulté, mais bientôt de vrais escaliers
se dressent devant nous. C'est une série de grandes marches
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LES ESCALIERS DE PATASSI.
tranchantes hérissées de pointes au milieu desquelles le Niger
rugit dans un couloir granitique. Attirés par le bruit de nos avi-
rons, deux caïmans croisent au pied de la trombe. Un piroguier
de Patassi nous ap-
prend que, la veille,
ils ont happé deux
indigènes dont la pi-
rogue avait chaviré.
Le spectacle du
rapide est saisissant,
ce ne sont que des
chutes et des cas-
cades magnifiques.
Le milieu du fleuve
est bombé, ce serait
folie de s'y aventu-
rer; il nous faut
donc passer de mar-
che en marche, mon-
ter de cascade en
cascade ; mais l'opé-
ration ne va pas sans
incidents fâcheux.
Les hommes se jettent dans les rochers portant sur l'épaule
une cordelle qu'ils vont attacher aux arbustes, aux touffes
d'herbe, aux aiguilles de granit qui çà et là émergent du ra-
pide, puis tous redescendent vers nous et d'un commun effort,
nous halons sur le câble. Gela va bien si la cordelle est amarrée
dans le sens du courant ; mais lorsqu'il est impossible de trou-
ver un point d'attache dans le prolongement des cascades et des
trombes d'eau, l'embarcation, prise d'un mouvement pendulaire,
oscille Ou risque de se renverser. Cet accident prévu ne tarda
pas à se produire. D'ailleurs, nous ne pensions guère à l'éviter,
ne fût-ce que pour goûter tour à tour chacun des agréments de
la route; mais heureusement le rocher de salut était à notre
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MAHMADOU-SI, INTBRPR&TB TOUCOULBUR-BAMBARA.
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LE NIGER.
portée, et nous avons trouvé toute l'énergie nécessaire pour le
saisir et nous y accrocher. Le chaland restant suspendu par le
câble, il nous fallut une heure de travail pour le dégager et le
remeitre à flot.
Le grand escalier de Patassi se compose de deux étages de
4 à 5 mètres d'altitude chacun, que sépare un palier de 250 mètres
environ, d'où le coup d'œil est féerique. Le soleil, qui darde
ses rayons de feu, donne aux cascades des teintes rutilantes;
le torrent, qui s'écoule au milieu, reflète des tons nacrés qui
varient et se déplacent avec les tourbillons ; les parcelles de
mica donnent aux rochers des reflets vernissés. La verdure s'é-
tage, depuis le vert sombre jusqu'aux teintes les plus douces,
tandis que le ciel bleu recouvre cet ensemble de sa nappe d'azur.
Le franchissement de ce rapide nous demande sept heures
avec le G 15 seulement; il est vrai que nous avions perdu beau-
coup de temps à chercher la route, mais cette besogne faite,
Tonié dirigea le reste du convoi sans accident.
Je n'ai pas eu connaissance de légendes relatives au rapide
de Patassi; cependant tous les ans, au mois de juin, le roi, suivi
de ses sujets, descend au bord de la chute du bras central et
jette dans le fleuve maints objets destinés à l'apaiser; cela fait,
le cortège se rend dans les clairières de la rive où sont nom-
breuses les termitières; sur celles-ci on pique de petits cierges
en cire du pays, des queues de mouton, des débris de cale-
basses et des poteries remplies d'huile de palme. Pourquoi?
Mystère.
Le 12 avril, à deux heures, nous quittons Patassi, pour aller
coucher à Dogongari, ce qui veut dire « village en long »,
d'après mon interprète, Mamadou-Si, surnommé le « grand
François ». Ce brave nègre est un Toucouleur, fils de Peul et
de Bambara; il est remarquabe comme linguiste et parle
tous les dialectes du Soudan ; il a même appris l'anglais aveo
les boys de l'officier de Fort-Goldie; mais ce qui le choque
profondément, ce sont les bizarreries de notre langage. Il existe
chez nous des sociétés pour la propagation de la langue fran-
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é
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LE BIEF PATASSI-GARAFIRI.
LB ROI DB B0U88A m'BNVOIB DBS MOUTONS.
çaise aux colonies : elles ne se doutent pas de rembarras de
nos indigènes lorsqu'ils essaient d*accoler le pronom, l'article
ou Tadjectif au substantif. François dit fort couramment :
«Voici une lie », mais lorsqu'il faut ajouter une épithète, salin-
guitisque s'embrouille; ce sont alors soit des grandes « niles »,
soit des petites « niles », tout aussi bien qu'un homme fait au
pluriel « des nhommes ». Le second Mamadou-Si, Anatole dans
l'intimité, le boy de Peyronnet, est également toucouleur; mais
fils de Peuls et de descendants de Peuls, il est beaucoup moins
sympathique et moins franc. Les races qui se rapprochent beau-
coup de la nôtre ont moins d'affinité pour l'Européen que le
bon nègre pur sang qui se donne à nous en toute confiance.
Nous campons donc le 12, vers six heures du soir, en pleine
brousse, près de Dogongari, au pied d'un rapide que nous fran-
chissons le lendemain de bonne heure et non sans peine ; c'est
toujours sur ces faibles obstacles que nous avons eu le plus
d'avaries, parce que les chalands passaient par leurs propres
moyens sans se prêter main-forte. Il suffisait d'un point d'appui
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LE NIGER.
manqué pour qu'une embarcation vînt se briser sur une roche.
Plus loin, même travail au rapide de Kourouassa : il faut tra-
verser le fleuve dans un courant très violent, puis éviter des
écueils sur la rive opposée.
Garafîri. — Le 14, de bon matin, nous franchissons un troi-
sième rapide, à 2 kilomètres en aval du village de Garafîri.
A dix heures, le convoi vient camper au pied des cases, sous
un arbre magnifique et gigantesque, dont les racines et les
branches s'élancent fort avant au-dessus du fleuve. Je ne
pense pas qu'il existe au Soudan de plus joli paysage qu'en
cet endroit : le Niger est assez large, calme et profond, la forêt
qui nous environne est pittoresque, accidentée, giboyeuse;
autour du village, d'énormes fromagers portent un ombrage
exquis; c'est sous l'un d'eux que nous installons notre cam-
pement, en attendant le passage de l'obstacle.
Une route part de Garafîri pour aboutir en face de Malali
qui se trouve, en eau calme, au sommet du rapide; la distance
est de 12 kilomètres. Le fleuve baisse actuellement de 7 à
10 centimètres par jour : c'est la crue occidentale venue de
Koulikoro qui l'alimente encore en ce moment. Après recon-
naissance du rapide, je me vois obligé de décharger partielle-
ment les chalands. Il n'y a, en effet presque plus d'eau et,
comme des chutes de 80 centimètres et de 1 mètre se dressent
sur notre route, nous ne pouvons franchir de tels obstacles
avec un chargement complet. Nous nous mettons à la recherche
des porteurs qui doivent convoyer nos caisses sur la rive droite
depuis Garafîri jusqu'à Malali. Le chef du village est un bon
vieux Kambari qui ne demande qu'à nous rendre service. D'au-
tre part, le roi de Boussa, prévenu de mon arrivée, m'envoie
un « récadère » pour m'annoncer la visite d'un grand nombre
de ses administrés. Ce messager est deux fois le bienvenu, car
il nous apporte du lait (véritable régal pour nous qui man-
quons de vivres), des poulets, des œufs, ainsi que deux bœufs,
cadeau royal que les équipages apprécieront à sa juste valeur.
Le vieux chef Kambari nous envoie deux guides, et noua
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L'OBSTACLE DE GARAFIRI.
OARAFIRI, LES CHUTB8 BT LA DARRIURB DB ROCHERS A U.X KILOMKTRB DB DISTANCB.
partons à la recherche des routes. A Malali, village situé dans
rîle du même nom, le Niger est calme, profond de 16 à30 mètres
et large de 150 à 200 mètres; ce n'est guère qu'à 1200 mètres
en aval que les diflicultcs se manifestent. Sur la rive droite»
le fleuve forme là une cuvette demi-circulaire, traversée par
des gradins et des cascades sur lesquelles le flot produit un
vacarme impressionnant; trois marigots s'échappent de cet
entonnoir. Le premier, très court, présente une chute dange-
reuse et rejoint le grand bras suivant la ligne de plus grande
pente du terrain, à 200 mètres du premier coude; le second
s'incline davantage, enveloppe de nombreuses sinuosités et se
termine dans le grand bras par une fourche double, sans pré-
senter d'autres obstacles que des escaliers sur lesquels les
pirogues indigènes peuvent monter, descendre et manœuvrer
(nous verrons plus loin que les convois ont toujours suivi cette
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LE M G LU.
route pour fairo Tascension du rapide); le troisième marii^'ot
est presque calme sur la majeure partie de sa route, il s'in-
cline franchement vers le sud-ouest, mais en débouchant dans
le grand bras il présente une chute qu'il faut éviter à tout prix.
A 200 mètres en aval de l'entonnoir dont il vient d'èlro
parlé, le fleuve semble complètement barré par deux rochers
gigantesques, placés en quinconce, qui s'avancent au milieu
du thalweg; dans ce cul-de-sac, nous nous demandons où nous
allons, la route semble fermée; puis brusquement le courant
acquiert une vitesse vertigineuse. Nous entrons dans un cou-
loir large de 30 mètres à peine; tout à coup une volute effrayante
soulève l'embarcation, qui se trouve projetée en un clin d'œil do
l'autre côté de la passe au milieu de cônes et de tourbillons, dans .
un véritable chaos; les roches sont noires, la foret et la brousse
sont d'un vert très foncé, l'eau est noire, tout est sombre.
Nous courons pendant environ 500 mètres, manœuvrant avec
vigueur pour échapper aux tourbillons, puis nous nous trou-
vons en face d'un banc de roches sur lequel dorment deux
monstres de caïmans. C'est ici que le fleuve fait un coude
brusque et reprend une autre direction (est-ouest).
Nous passons devant les confluents des trois marigots, dont
il vient d'être question, et nous arrivons au second coude où le
Niger reprend alors sa direction sud-est. C'est précisément ce
second coude qui nous intéresse davantage. En ce point, le
fleuve forme une poche immense où les dangers sont accu-
mulés. Sur la rive gauche, se trouve un massif d'îlots déchi-
quetés par trois canaux presque rectilignes qui vont déboucher
dans le grand bras : le premier en-dessous des grandes chutes,
le second à 600 mètres en aval, le troisième au pied du rapide.
Aux basses eaux, ces marigots sont coupés par des cascades
et des chutes de 80 centimètres à 1 mètre de hauteur; mais ils
sont franchissables pendant huit à neuf mois de l'année, sans
jamais présenter le danger des grandes chutes formées par les
deux lignes de rochers gigantesques qui barrent le grand bras
dans toute sa largeur. C'est là que le rapide peut devenir difli-
— H8 —
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COMMENT ON TRAVERSE LE GRAND BRAS.
LE CONVOI, QUI VIK^T DB PASSER UNE NUIT SOUS LA TORNADB AU MILIBU DU RAPIDE
DB OARAFIRI, SB DISPOSE A FRANCHIR LBS DBRMIBRBS CHUTBS.
cile : cela dépend de l^intensité de la crue qui submerge ou
découvre les rochers*.
Le point délicat de l'ascension est la double traversée du
grand bras. En partant de Garafiri il faut monter en longeant
les îles de la rive droite, puis, lorsqu'on arrive à proximité des
chutes, s'abriter derrière les rochers pour donner aux équi-
pages le temps de reprendre haleine. La largeur du fleuve à
hauteur de cette poche est d'environ 700 mètres; la vitesse du
courant forme de grosses vagues, le rapide est houleux comme
la mer; en aval, des bancs de roches émergeantes sont recou-
verts d'ccumc. 11 s'agit pourtant de traverser. Aussitôt, les
piroguiers se mettent à leurs postes respectifs, les avirons sont
armés, on pousse l'embarcation au large, le bec vers l'amont;
i. Noas aTODs fait ime carte du rapide indiquant les routes à suivre aux
diverses époques de l'année.
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LE NIGER.
le courant la saisit et la retourne de bout en bout en un clin
d'œil. Elle part comme une flèche en plein courant, elle dé-
rive d'un kilomètre, on pourrait croire qu'elle va se briser;
mais, habilement conduite, elle est happée par un contre-cou-
rant qui lui fait remonter le rapide à une vitesse de 12 ou
15 kilomètres et la pousse vers la rive gauche.
Nous nous engageons ensuite dans un massif d'îlots. Le con-
voi campe sur l'un d'eux ; puis le lendemain il faut retraverser
le grand bras dans un courant fou, qui fait pencher les embar-
cations d'une manière inquiétante. Nous rejoignons ainsi le
marigot sinueux par lequel nous grimpons pour aboutir dans
la cuvette granitique.
Nous sommes sauvés : nous avons franchi le rapide, sans
perdre un homme, sans crever un chaland. Tout cela parait
fantastique la première fois qu'on le fait; mais la nature humaine
s'habitue au danger, aux routes, aux rapides, aux chutes, aux
cascades. Certes il n'y a rien de plus effrayant qu'une masse
d'eau qui menace de vous engloutir; pourtant, on finit par
s'aguerrir pour peu qu'on connaisse les passes et la manœuvre,
et qu'on possède des cordelles solides avec des embarcations
pontées. Aussi arrive-t-on bientôt à franchir un rapide avec le
plus grand calme, quoique avec émotion; cela devient un
exercice, dangereux c'est vrai, mais dont on peut, avec quelque
habileté, se tirer sans accidents.
Les chalands du premier convoi sont donc arrivés au sommet
du rapide, mais il n'en est pas de môme des caisses qui restent
en grand nombre à Garafiri ; nous devons, en conséquence,
retourner à notre campement sous l'orme nigérien pour sur-
veiller les porteurs. La chaleur est étouffante depuis deux
jours ; une violente tornade se déchaîne. Il nous faut, en toute
hâte, recouvrir et sauver les objets qui craignent l'humidité.
C'est à Garafiri que j'ai reçu la visite de Kantama, ex-roi de
Oua-Oua, détrôné par les Anglais. Ce prince fugitif est traqué
de toutes parts ; il est sorti de la foret pour me voir et m'exposer
sa situation. C'est un homme jeune, à la figure énergique et
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LES nAPIDKS DE BOU9SA.
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'-n
L
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TRANSBORDEMENT DES CAISSES.
YILLAQI DB MALALI AU BOBIMBT DU RAPIDE DB OARAPIIU.
fière, un bariba guerrier qui combattit autrefois sous nos
ordres et que Vermeersch avait intronisé. Malheureusement
mes attributions ne m*autorisent pas à autre chose qu'à lui
donner quelque argent et des étoffes. J'ai conservé un tou-
chant souvenir de cette physionomie sympathique, su;^ la-
quelle le malheur et les privations ont laissé des traces ineffa-
çables.
Avec beaucoup de bonne volonté, les braves gens de Garafiri
s'acquittent de leur besogne. Toutefois, les hommes adultes ne
se dérangent pas pour nous aider; chaque matin, nous les
voyons partir pour la chasse, armés de flèches et suivis de
lévriers d'assez forte taille. Ce sont les femmes qui trans-
portent nos caisses; elles s'en vont en file indienne avec un
enfant à cheval sur les reins et enveloppé dans leur pagne, tout
en ayant sur la tète une grande calebasse dans laquelle se trouve
le fardeau.
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LE NIGER,
Le 18 avril à midi, nous rassemblons nos dernières caisses
à Malali. Le dernier grand rapide est franchi.
Le roi de Boussa. — Kissalé Dogo, roi de Boussa, qui vient
de recevoir une caisse pleine de cadeaux en échange de ses
bœufs et de ses moutons, ainsi que deux tonnelets que je lui
envoie de la part de son ami Toutée, me fait avertir qu'il vient
au-devant de moi par la route; mais Sa Majesté, prise d'un mal
subit, est restée à l'ombre d'un grand arbre, incapable de faire
un pas de plus. Nous allons à sa rencontre, et le trouvons
étendu sur des nattes, sous un vaste parasol que Tun de nos
devanciers lui donna pour s'abriter. Ses griots Téventent, la
cour est consternée. Nous cherchons en vain le moyen de le
secourir, ne sachant aucunement le mal dont il souffre. Fran-
çois interroge les intimes, tous baissent la tête et restent
muets, les lèvres figées, sans manifester néanmoins une très
grande émotion ; bientôt cependant Kissalé Dogo recouvre ses
sens, il déclare que ses forces l'ont trahi. Nous ne tardons pas
à deviner quel est le remède nécessaire : Sa Majesté vient tout
simplement de s'enivrer abominablement en absorbant quel-
que gin plus ou moins frelaté. Le soleil aidant, le pauvre
homme s'est trouvé indisposé, ce qui se conçoit aisément. Nous
lui donnons d'abord un verre d'eau additionné de quelques
gouttes d'ammoniaque, pour lui permettre de remonter à cheval
et de venir palabrer avec nous sous de grands arbres au bord
du Niger.
Kissalé Dogo a soixante-dix ans ; c'est un grand vieillard très
onctueux, sa physionomie ne respire ni franchise, ni bonté.
Elle est plutôt empreinte d'une énergie farouche et le poids des
ans s'est imprimé dans ses traits fatigués. Sa famille meurt
avec lui, car malgré ses trois cents femmes et ses quatre-vingts
enfants, il n'a pu se réserver un héritier capable de porter le
sceptre, de sorte que la couronne de Boussa va passer sur la tète
de son neveu. Les rois et la plupart des gens de Boussa sont de
race aoussa. Ils descendent d'aventuriers et d'écumeurs de
fleuve, qui vinrent un jour se fixer sur la rive droite du Niger.
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LE ROI DE BOUSSA.
On m*a confié que les rites interdisaient au souverain de navi-
guer sur le fleuve. Je n*en crois rien. Je suppose plutôt que
c'est une excellente histoire inventée par les indigènes, pour
légitimer le refus persistant que Kissalé Dogo oppose aux
demandes ininterrompues des ofliciers anglais qui l'appellent à
Yelloua, afîn d'y rendre compte de ses effectifs et de ses
richesses en vue du recensement et de l'impôt.
Après une heure d'entretien, très cordial d'ailleurs, le roi de
Boussa précédé de ses trompettes, abrité de son parasol, enfour-
chait un fort joli cheval caparaçonné de cuir écarlate, agré-
menté de grelots en tôle de boîtes de conserves, et prenait
congé de nous pour réintégrer ses pénates, nous invitant d'ail-
leurs à goûter les douceurs de son hospitalité. D'autre part, le
convoi se remettait en route avec la perspective pour les laptots
d'un repos de deux jours à Boussa.
Nous commencions tous à ressentir les effets de la fatigue;
les elTluves du soleil ardent qui nous accablait sans trêve du
matin au soir, et la perte do nos vivres dans le rapide de
Patassi, nécessitaient un moment de calme, de repos et de bien-
être. Mais la satisfaction du devoir accompli, la joie que nous
éprouvions à l.-; pensée de notrj réussite et des heureuses con-
séquences qui devaient en résalter pour nos camarades du
3« territoire militaire, tout cela nous faisait oublier les pri-
vations et nous laissait heureux.
En dépassant l'île de Màlcili, nous trouvâmes sur notre route
le rapide de Lala qui nous retint deux heures pour dégager un
chaland pris par la pointe et l'arrière, entre deux roches,
menaçant de se renverser sous l'influence du courant. Cepen-
dant, à six heures du soir, la petite flottille s'amarrait sur la
berge à Boussa, et les équipages, exténués de fatigue, s'allon-
gèrent sur des couvertures pour dormir sans interruption jus-
qu'au lendemain.
Bien que nous fussions annoncés depuis longtemps, les indi-
gènes de Bonssa se tinrent cachés le premier jour de notre arri-
vée : les femmes restaient dans les cases, le marché fut
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LE NIGER.
désert. Ces braves gens sont habitués au va-et-vient fréquent
des tirailleurs anglais, qui font leurs achats à coups de trique.
Rien ne leur indiauait en offot aue mes hommes n'eussent pas
recours au même
procédé; mais, le
second jour, les cho-
ses changèrent.
Nous avions tous
fait plusieurs em-
plettes contre espè-
ces sonnantes; les
laptots qui se mon-
traient disciplinés
n'exercèrent pas la
moindre violence,
en sorte que com-
merçants et ven-
deuses finirent par
s'accoutumer à nos
façons.
Le marabout, ac-
compagné de sa sui-
te, vint en grande
pompe nous rendre visite; je lui fis don de papier, d'encre et de
plumes, afin qu'il fût en mesure de vendre et de propager le for-
mulaire habituel de sa religion. En guise de remerciement, le
brave homme nous débita des prières destinées à attirer la bé-
nédiction d'Allah sur nos porte-monnaie dont les mécanismes
lui semblaient d'un fonctionnement des plus curieux et des plus
favorables à ses désirs.
Les gens de Boussa commencent à se convertir à l'islam, ils
sont beaucoup moins « marabout-cognac » que les nupés de
Badjibo; mais cependant ils sont encore loin d'avoir le fana-
tisme et la soumission au rite tels qu'on les observe au Soudan
et sur le moyen Niger.
SILA (TYPB S.tRACOLK) KT BOS KFOtStf UUUSSA.
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LES RIVERAINS DE KOUARRÂ.
PIROOUIBRS DK DOUSSA, AU MILIEU 8B TROUVB CBLUI QUB NOUS AVONS SURNOMMB
« LA PANTHÈRB ».
Le type vrai de ces indigènes est le Aoussa, au front large
et bas, au crâne pointu, aux pommettes saillantes, à la physio-
nomie farouche, énergique et cruelle à la fois. C'est un gaillard
solidement musclé avec des mains et des pieds massifs.
Le Aoussa est commerçant, cultivateur et industrieux; il fait
des étapes incroyables pour venir échanger ses produits sur le
fleuve, pour s'en retourner avec des kolas et des perles qu'il
revend dix fois ce qu'il les a payées; tous ceux que les Euro-
péens ont enrôlés comme tirailleurs se sont montrés d'excellents
soldats ; c'est doac une race intéressante, qui dissimule de réelles
qualités sous une laideur que les femmes possèdent au plus
haut degré. Leurs mœurs sont généralement pacifiques; ils se
marient de la même façon que les races du Soudan, en payant
la dot de leur femme après entente avec le chef de famille. La
femme est là, plus que partout ailleurs, un être passif, soumis
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LE NIGER.
à la volonté des siens, pour devenir ensuite la béte de somme
de la maison.
La langue aoussa constitue Tun des plus intéressants dia-
lectes du Soudan; des règles invariables, des formules gram-
maticales en régissent le sens. Les ofliciers qui Font soigneu-
sement apprise déclarent qu'ils ont puisé dans cette étude un
intérêt spécial et des satisfactions réelles ; la prononciation est
en effet harmonieuse et douce, les voyelles prédominent comme
dans la langue italienne; c'est une langue qui ne choque pas
roreillc et dont les tournures de phrases sont parfois gracieuses
et poétiques.
L'Afrique est décidément un pays mystérieux. Plus nous y
pénétrons, plus nous sentons le besoin de la mieux connaître :
c'est par un contact intime avec les races africaines que nous
arriverons à coloniser, et surtout à récolter le prix de nos efforts
et de nos sacrifices.
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CHAPITRE V
Séjour à Boussa; départ. — Les Goungaouas. — Rapides de Tsonlou et Sakassi.
— En fleuve calme. — Séjour à (iuiris. — Nous rencontrons le capitaine
Keyes. — Gava. — Cruelle désillusion. — En route pour Niamé.
L'agglomération que Ton désigne sous le nom de Boussa, se
compose en réalité de sept villages, dont un, le village
royal, est presque uniquement occupé par Kissalé Dogo, sa
famille, ses nobles et ses domestiques. En ce point, le fleuve
est divisé en trois bras, par de longues rangées d'îlots rocheux
entre lesquels règne un courant très rapide; en face, sur la
rive gauche, les montagnes ravinées sont rapprochées de la
berge sur laquelle il n'existe ni cultures, ni productions natu-
relles. Les hauteurs de la rive droite, au contraire, s'éloignent du
Niger et permettent certains travaux aux indigènes de Boussa.
Le palais du roi se compose d'une trentaine de grandes
cases entourées d'une enceinte en terre; la porte d'entrée
donne accès dans une vaste cour ronde ; l'huis est sculpté ; des
caïmans et des rosaces ornent les panneaux des portes. Ces
bas-reliefs qui dénotent quelque velléité artistique sont l'œuvre
des sculpteurs aoussas.
Le roi nous reçoit dans une courette ombragée, située entre
les cases de ses femmes. Il est accroupi sur des peaux de chèvre,
accoudé sur des coussins en cuir; de vieilles femmes, très
laides, aux mamelles plates et tombantes, au chef rasé, lui
tiennent compagnie; des notables crasseux se tiennent de
chaque côté de la cour.
Le griot du roi pousse des cris; je distingue à peine ce qu'il
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LE NIGER.
LES ORIOTS DU ROI DE DOUSSA, CELUI DB GAUCaB UTAIT UN iMlSSAIItU DU 8ULTA2C
DB EAMBM.
veut dire ; seuls los mots : « Serki N'Boussa i» et « Ba-Touré » (le
roi de Boussa et le chef blanc) frappent mon oreille. François
m'apprend qu'il annonce à l'entourage que nous sommes en
bonnes relations.
Les riverains, depuis Badjibo jusqu'à Ilo, me connaissent
80U8 le nom de Ba-Touré. Les noirs sont très forts pour donner
des sobriquets. Mais comme, dans la mission, nos physionomies
et nos allures n'ont rien de bien particulier en el'es-mêmcs
nous n'avons pas mérite de dénominations spéciales. Je suis
simplement le chef blanc. Et quand je dis blanc, je me vante,
car nous étions tous tellement grillés et rôtis par le soleil, qu'il
m'est arrivé, certain jour, ayant endossé le costume indigène,
de passer à côté de plusieurs noirs qui ne me dévisageaient
môme pas, me prenant pour un des leurs.
Kissalé Dogo nous demande de lui faire entendre les chants
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Of-;
J
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SÉJOUR A BOUSSA.
LES PETITS BRAS DU KOOARRA, BN DESCENDANT LE PLKUVE POUR ATTEINDRE
LE MOUILLAGE DE BOUSSA.
du « petit bonhomme que nous avions caché dans une caisse ».
11 s'installe donc devant le phonographe, et tout le village vient
se grouper autour de lui. La « Marche aux flambeaux » fait son
admiration, et lorsque les cuivres donnent la contre-partie,
l'excellent roi se tourne vers ses joueurs de trompette pour se
rendre compte qu'ils sont à leur place et que nous ne les avons
pas escamotés.
Il existe à Boussa une légende, qui a peut-être un fondement
historique, relative à la mort de Mungo Park; on prétend que
cet explorateur fut assassiné par les Kambaris sur l'ordre du
roi. Bien que nous n'ayons aucune confiance en la parole de
Kissalé Dogo, je tentai de connaître la vérité et de savoir si
réellement les papiers et les journaux de marche de Mungo
Park sont, comme on le dit, enfermés dans une cassette enterrée
sou i les murs du palais. Le roi n'est pas catégorique du tout.
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LE NIGER.
Il répond à ma question en disant qu*il n'est pas au courant
de cette affaire : il a bien entendu parler d'un blanc que le
diable de Garafiri renversa jadis dans le rapide et que les caï-
mans ont mangé; mais, dit-il, ses prédécesseurs ne Font jamais
informé positivement de ce fait.
Départ de Boussa. — Après deux jours de repos, nous quittons
Boussa; notre chargement est au complet. Gomme le dit Toutée
dans son ouvrage Da/iomé- Niger- Touareg, « il ne nous manque
pas une aiguille »; les porteurs qui firent au rapide le trans-
bordement des caisses ne nous ont rien volé. Le vieux chef de
Garafiri nous a, d'ailleurs, appris qu'il existe, dans le village,
une case spécialement réservée à « Djiali », le génie de la Jus-
tice. Lorsqu'un Kambari commet un vol, un mensonge, une
mauvaise action, son esprit tourmenté parle Djiali, l'accable de
remords, en sorte qu'il vient aussitôt se dénoncer. S'il arrive
cependant qu'un homme ait assez de tempérament pour sup-
porter son crime sans le révéler, ses jours sont comptés : Djiali
le fait mourir dans l'année....
Le 21 avril, à cinq heures du matin, armé et équipé de toutes
pièces, le convoi se met en route vers Yelloua. Le démarrage
est difficile; un courant, qui débouche à 20 mètres en amont,
force les pilotes à s'y reprendre à plusieurs fois, à revenir vers
la berge pour trouver un point d'appui dans les branches; à
sept heures seulement, le dernier chaland quitte Boussa. Nous
longeons une grande île, puis nous contournons des îlots rocheux
très boisés. Le fleuve murmure dans tous ces petits rapides :
ce n'est plus le chaos impressionnant des grands obstacles,
c'est un bruissement de filets d'eau sur des cascades; s'il faisait
moins chaud, on se croirait dans la haute vallée d'une de nos
rivières, l'Yonne ou l'Aube.
* De Boussa à Gané-Ka ba\. — Nous avançons lentement; sur
mon ordre mon embarcation reste en arrière pour porter secours
aux retardataires. Vers cinq heures du soir, nous rejoignons
le convoi qui s'est échoué sur un banc de roches, le dernier
de la région. Encore un effort! nous jetons des cordelles sur
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LE DEVOIR ACCOMPLI.
la rive, tout le monde se prête main-forte. Voici la dernière
secousse; nous ectrons en eau calme.
Devant nous, le Niger vient de fort loin, large, silencieux,
étincelant, reflétant
les rayons solaires et
la réverbération des
nuages; une légère
brise s'élève. Adroi-
te et à gauche, s'é-
tendent des plaines,
de la brousse claire,
la forêt soudanaise ;
sur les rives, pousse
le bourgou. Des pi-
rogues traversent
lentement le fleuve,
on voit que le pa-
gayeur navigue sans
se préoccuper du
danger. En arrière,
les montagnes s'é-
cartent et semblent
fuir le Niger. Nous
sommes enveloppés dans une atmosphère plus légère, dans
une lumière plus vive. Le convoi reprend sa marche, avançant
d'une façon régulière, et, pour ainsi dire, rythmée, le long
de la rive. La besogne devient facile; nous nous sentons
enfin le cœur léger. Depuis Badjibo, notre conversation se
trouvait toujours interrompue par des questions de service
inhérentes aux difficultés de la route. Quand nous fûmes dans
les eaux calmes, de Peyronnet vint vers moi sur l'avant
du chaland et me dit : « Je crois que nous avons définitive-
ment réussi. » C'était vrai, et nous en éprouvâmes une satis-
faction indicible. Alors, lui et moi, nous revîmes, par la pen-
sée, les dangers que nous laissions derrière nous, et nous
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SUMA-DIARA UN DK NOS LAPTOTS*
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LE NIGER.
nous sentîmes comme délivrés d'un poids énorme, ainsi qu'il
arrive au réveil après un mauvais rêve. Nos hommes étaient
dans les mêmes dispositions que nous-mêmes : des chants s'éle-
vaient dans le convoi. Les patrons de Koulikoro, laissant do
côté le gouvernail, dirigeaient les chalands avec des bambous,
accompagnant leurs mouvements des refrains du Djoliba; sur
mon chaland, les laptots riaient, causaient, sifflotaient en tra-
vaillant. Et dans cette sérénité générale, il eût été difficile do
reconnaître en nos laptots les gens qui, au milieu des rapides,
paraissaient soucieux, affairés, surexcités par les périls. Au
silence de mort qui régnait naguère dans le convoi, avait suc-
cédé une sorte d'allégresse joyeuse et pleine de vie.
Le soir, nous couchâmes à Gané-Kassaï.
Nous campons au bord du fleuve. Nos vivres deviennent do
plus en plus rares, notre souper se fait de jour en jour plus fru-
gal. Nous dressons nos lits sous un arbre. Nous sommes si fati-
gués que nous songeons surtout à dormir; et nous nous prépa-
rons à le faire consciencieusement, lorsqu'un ennemi nous
assaille : c'est le moustique qui a fait son apparition au coucher
du soleil. Tout le pays est marécageux, les plaines qui bordent
le Niger sont de vastes champs de boue liquide, incultes et
recouverts de bourgou. Cette herbe est, par excellence, le
repaire des insectes ; aussi, les moustiques s'en donnent à cœur
joie et s'abattent sur nous avec une effroyable voracité. La
région des rapides a cela de bon, que les moustiques y sont très
rares parce que le sol est jonché de roches et, par conséquent,
tout à fait impropre à l'éclosion des larves. Ici, c'est le con-
traire. Et si, par hasard, dans la nuit, nos membres viennent
à toucher la moustiquaire, vite, il faut les retirer, car un esca-
dron de moustiques s'apprête à nous dévorer à travers les
mailles de l'étoffe légère.
Mes pauvres laptots ont leurs vêtements on loques. Les exer-
cices violents auxquels ils ont dû se livrer dans les rapides ont
déchiré leurs pantalons. Les noirs étant très pudiques, je com-
prends que les trous de cette indispensable partie de leur cos-
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LES SALUTATIONS INDIGÈNES.
^umé soient pour eux la source d'une profonde humiliation. Je
fis donc cadeau à chaque homme de plusieurs coudées de grosse
toile bleue, très résistante, ce qui leur permit d'effacer des
rochers le réparable outrage.
Les Goangaouas. — Le roi de Boussa exerce son influence,
tout le long de la rive droite du fleuve, jusqu'à Ilo. Le type
Nupé pur a disparu : nous sommes chez les Goungaouas, croi-
sements de Kambaris, de Boussaouas et de Nupés, quelquefois
même de Baribas. Ce sont de véritables brutes, excellents piro-
giiers, il est vrai, mais d'une stupidité qui dépasse tout ce que
l'on peut imaginer.
Ils ont une manière originale de se saluer. Quand deux indi-
vidus de la même famille ou du même cercle de relations se ren-
contrent, ils se dépassent comme s'ils ne s'étaient jamais vus;
puis, à 10 mètres l'un de l'autre, ils s'agenouillent le dos tourné,
la face contre terre, dans le sens de leur route respective ; c'est
alors seulement que la conversation commence : <c Bonjour, où
vas-tu? comment va ton père? ta mère? ton frère? ta vache?
ta brebis? etc. » Une fois renseignés, ils se relèvent, se disent
au revoir en se frappant la poitrine du bout des doigts et
reprennent leur marche, comme s'ils étaient étrangers l'un à
l'autre. Lorsqu'un indigène vient saluer le roi ou le chef du
village, il se prosterne la face contre terre en se saupoudrant
les cheveux avec de la poussière, après quoi il serre la main
inerte et molle que lui tend le personnage vénéré.
G'efitt à Gané-Kassaï que nous observons, pour la seconde fois,
la petite mouche que les Anglais appellent « Sand-fly » ; elle n'a
pas un demi-millimètre de longueur, pénètre les moustiquaires
les plus serrées et dépose sous l'épiderme un venin qui produit
des cloques et des démangeaisons très douloureuses.
Le 22 avril, nous quittons Gané-Kassaï. Un peu au-delà de ce
point, le fleuve se divise en deux bras, qui contournent une île
d'environ 80 kilomètres de longueur et dont la pointe nord est au
village d'Ilékou. Le bras de droite est mauvais, le bras de gauche
est facile ; c'est par cette dernière route que le convoi s'engage,
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j
LE NIGER.
Voici Ouarra qui se compose de sept ûji huit villages; mon
chaland stoppe pour embarquer des vivres et des moutons. Nous
couchons, le soir, à 4 kilomètres en amont de Zoupaméni. Ce
village est des plus curieux. Les cases sont construites en pisé;
un enchevêtrement de morceaux de bois, recouverts de terre,
forme le plancher de la maison, et tout l'ensemble repose sur
des pierres plates et verticales faisant saillie, de 40 à 50 centi-
mètres au-dessus du sol, dans lequel elles sont enfoncées à
coups de masse. Une porte demi-circulaire de 75 centimètres de
rayon permet aux habitants de se glisser dans leurs demeures.
Toute la journée, quelle que soit la saison, l'indigène entretient
constamment du feu dans sa case; puis le soir, à la nuit tom-
bante, il retire les cendres et se couche, en tirant derrière lui
un panneau de paille tressée. Toutes ces précautions-là sont
nécessaires pour dormir à Tabri des moustiques et des mouches.
Rapides de Tsoulou, — Le 24 avril, nous retrouvons un fleuve
difficile, des rochers et des courants vifs. Nous longeons le grand
village d'Otonou, qui s'étend sur 2 kilomètres de la berge, dans
une île étroite et marécageuse; c'est l'un des plus grands
centres du pays; tous les mercredis, les Kambaris y tiennent
un important marché de riz, de bétail, de kolas, d'oignons, etc.,
apportés de divers points du territoire.
Une tornade d'une violence inouïe, qui a éclaté sur nous la
veille, est heureusement suivie d'un fraîcheur bienfaisante, et
une brise agréable nous remet des ardeurs du soleil. Ali Arouna,
mon ordonnance, est enchanté, parce qu'il pense bien dorlnir et
réparer le sommeil agité de la nuit précédente. « Si y en a beau-
coup ouane (vent), me dit-il, les moustiques fiche-moi le camp. »
Vers onze heures du matin, nous arrivons dans les rapides
de Tsoulou. Il y a au moins vingt-cinq villages qui portent
ce nom et qui, situés dans les îles innombrables que forme le
Niger sur un parcours de 15 kilomètres, sont entourés des plus
riches cultures. Il faut dire que nous sommes dans une région
d'influence peule. Tous les chefs de village sont descendants de
Peuls ou de Aoussas croisés de Foulanis. A deux heures, nous
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RAPIDES DE YOUARIE.
franchissons deux petits rapides. Les bras du Niger sont fort
étroits, mais le pays est charmant, les îles sont vertes, les
rôniers^ (les palmiers du Soudan) font leur apparition. Sur les
deux rives, la vallée s'ar-
rête au pied de monta-
gnes rouges dépourvues
de toute végétation et
qui ne montrent que
des rochers grillés par
le soleil. Ici le convoi
n'avance plus qu'avec
peine, nous sommes au
confluent de trois bras
qui se séparent et se
rejoignent de nouveau
en formant un système
hydrographique des plus
compliqués.
Les rapides de Yaou-
rie ou plutôt de Tsoulou
se composent unique-
ment d'une série de cascades. La plus forte est une chute de
80 centimètres environ, dont le franchissement nous demanda
une journée complète d'efforts et de travail. Dans tous les autres
bras du rapide, l'obstacle se compose d'une chute unique.
Les lâptots commencent à se lasser des rapides, les Sénéga-
lais surtout. Ces noirs, électeurs en hôibe, sont beaucoup
moins énergiques, résistants et courageux que les Somonos^
du Niger. Leur patience fut, d'ailleurs, durement mise à
l'épreuve, car le lendemain nous eûmes encore à franchir les
rapides de Zamaré, sur lesquels Toutée s'était échoué lors de sa
première descente du Niger. Les difTicultés de la navigation se
répètent sans interruption jusqu'à Yelloua. Et il n'y aurait rien
1. Palmier borassns flabelliforme.
S. Piroguiers, doDt c'est le Dom gëDërlque.
ORIOT OARtBA EN TOURNES GBBZ LES KAMDAR18.
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it
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LE NIGER.
à dire sur cette partie du fleuve, si nous n'y avions pas cons-
taté Talignement invariable des longues lames et des feuillets
de granit sur lesquels nous passons et qui conservent la môme
direction jusqu'à Sakassi, point où finissent les rapides.
Lss grenouilles qui demandent un roi. — Le roi de Zamaré
vient au campement du 25 : il m*apprend que les temps ont
changé et que le calme ne règne plus dans son pays. Autrefois,
les habitants des iles étaient indépendants; chaque district
avait son chef; l'ensemble de ces agglomérations formait une
république où Ton jouissait de l'indépendance et de la liberté
les plus absolues. Un jour, las d'être heureux, les Kambaris
des iles (comme les grenouilles de la fable) demandèrent un roi,
ils s'adressèrent à la dynastie des serkis^ de Boussa qui con-
sentit à les administrer. Mais chaque fois qu'une pirogue de
Tsoulou descendait sur Jebba, le roi Kissalé Dogo réclamait le
prix de son amitié ou le tribut de sa souveraineté; il forçait
donc les piroguiers à débarquer et choisissait dans la cargaison
Vimpôt de sa couronne. Ces bons Goungaouas réclamèrent, et
las d'être exploités, ils se placèrent sous l'autorité directe du
serki de Yelloua. Celui-ci, faute des moyens nécessaires et
trop éloigné de ses frontières pour imposer ou protéger le
commerce et les transactions fluviales, désireux en outre de
s'éviter des préoccupations inutiles, confia la surveillance des
douanes au roi de Boussa, qui devait, sous peine de rupture
diplomatique, ne garder que la moitié de l'impôt requis et lui
envoyer le reste. Des complications survinrent : Kissalé Dogo
qui ne voulait pas lâcher la proie qu'il tenait, ni diminuer en
rien ses revenus, se contenta de dépouiller et d'imposer les
indigènes des îles deux fois plus que par le passé.
Les piroguiers se refusèrent alors à tout trafic. Peu de temps
après, le pays devint un foyer de soulèvements et de guerres
intestines. Les Anglais survinrent et rétablirent l'ordre, en
supprimant cet état de choses et en confiant les rênes du
i. Dans toute cette région, ralvant les dialectes des tribus, les mots ttrhi^
amirouy signifient « roi ou chef » de tribu.
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VnUITRE ET LES PLAIDEURS.
KAMDARI8 O'OTONOU. PIROOUIBRS DBS RAPIDES HH YAOURIB.
gouvernement local au serki de Yelloua, avec défense expresse
d'exercer aucun droit de passage et de circulation sur le
fleuve ; en fin de compte, les Anglais, toujours pratiques, per-
çoivent Timpôt, mangent Thuitre et laissent les coquilles aux
deux chefs indigènes....
Séjour à VelloiM, — Le 26, à onze heures du matin, nous arri-
vons à Yelloua. Le fleuve est calme, nous suivons une échan-
crure de la rive, les chalands marchent en ordre parfait à 15
ou 20 mètres les uns des autres. C'est un spectacle fort inté-
ressant que celui des deux cents bambous de nos pagayeurs
qui, à intervalles réguliers tout le long du convoi, s'élèvent et
plongent avec ensemble dans les eaux.
La population se presse au bord du fleuve, des indigènes
reconnaissent François et lui demandent par quelle route on a
bien pu faire passer ces grands bateaux. Yelloua (ou Yaourie)
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LE NIGER,
est sur la rive gauche. C'est un village formé de trois grands
groupes de cases en amphithéâtre sur le flanc d'une colline en
pente douce. En arrière s'élèvent des montagnes arides et
désolées; à l'ouest coule le Niger qui, d'une rive à l'autre,
mesure 5 kilomètres de largeur, mais dont le lit est coupé par
deux îles très longues, très étroites, que des marigots décom-
posent en vastes îlots très peuplés. Comme à Boussa, nous
trouvons à Yclloua un village royal, aussi grand, mais plus
laid et plus sale; c'est un pays assez riche, un centre de passage
où convergent les routes du Aoussa, de Kantagora et du
Dahomey, tandis que d'une part les produits du Sokoto et d'Ilo
descendent le fleuve, d'autre part les denrées manufacturées
en Europe remontent de Jebba.
Le capitaine Sword, qui commande ici le poste anglais, nous
prépare une case auprès de lui, puis nous prenons connaissance
du courrier que l'on nous apporte. Depuis trois mois et dix-sept
jours, nous sommes sans nouvelles de ceux qui nous sont
chers. Je laisse à penser avec quelle avidité nous lisons nos
lettres!
Le poste de Yelloua domine le fleuve, dont il est éloigné
d'environ 500 mètres; les cases sont assez confortables, mais
trop grandes ; les tornades ont beaucoup de prise sur des toi-
tures volumineuses. Et c'est ainsi que quelques mois après
notre passage, toutes les constructions du poste furent empor-
tées, démolies, renversées, brisées. Les Anglais ne font pas le
moindre effort pour améliorer leur bien-être. Ils ne cherchent
pas à tirer du sol ce qu'il peut donner. La nourriture de leurs
boîtes de conserves leur suflit. Il n'existe dans aucun de leurs
postes, ni jardin, ni cultures; à Yclloua, un des prédécesseurs
du capitaine Sword s'est contenté de tracer une route aboutis-
sant à de gros boababs, au pied desquels il avait creusé sa
tombe. Hormis les blocs de granit qui tracent l'alignement du
chemin, c'est le seul travail personnel des Européens qui
vécurent à Yelloua.
Le colon, le militaire ou le fonctionnaire français, dès qu'il
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SÉJOUR A TELLOUA.
Jl RBCRUTB A YELLOUA 80 PIROGUIERS POUR SOULAGER MES ÉQUIPAGES EXTÉNUES
HE FATIGUE. CBS PIROGUIERS ONT LEUR PERCHE.
arrive dans une localité nouvelle, installe d*abord sa case et
son jardin, il déballe des cornets de graines et s'efforce de
faire pousser les plantes qui amélioreront son ordinaire. Est-ce
qu'en faisant ainsi nous ne montrons pas plus d'aptitudes colo-
niales que les Anglais? Il est de mode cependant de médire
de nos facultés colonisatrices et de prétendre que seuls les
étrangers sont susceptibles de faire prospérer les territoires
lointains qui leur échoient en partage.
Lorsqu'on a été à même de comparer les colonies anglaises
de l'Afrique, vieilles de soixante-quinze à cent ans, toujours
dirigées d'après la môme et constante politique, avec nos pos-
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LÉ NIGER.
sessions nées d^hier; lorsqu*on a été à môme de juger de refTort
colossal que la France a fait dans l'Afrique équatoriale; lors-
qu'on voit Kayes et les postes soudanais que nous avons édifiés,
il faut bien convenir qu'un labeur considérable a été accompli
par les nôtres dans ces pays rudes et malsains. C'est au prix
de mille morts que nous avons arraché au sol africain tout ce
qu'il renferme de précieux et d'utile.
Le capitaine Sword nous procure des piroguiers, des bam-
bous et du riz. Le roi de Yelloua m'apporte des cadeaux et des
vivres. Le len4.emain, nous lui rendons sa visite, et déposons
auprès de lui des étoffes et des présents. C'est un beau et grand
vieillard; de tout son être se dégage la finesse de l'esprit. Il
nous reçoit dans une vaste salle rectangulaire et nous fait
asseoir sur des coussins en cuir brodé de toute beauté; son
costume, quoique sale, est extrêmement riche; des broderies
aoussas vertes et violettes le recouvrent des pieds à la tête.
Après la visite du roi, je m'occupe de nos laptots, qui ont
bien droit à un peu de repos; ils ont beaucoup travaillé, je leur
donne campo. Le village est hospitalier, la plupart ont touché
leur solde; les habitants le savent et les habitantes aussi.... Il
est entendu que nous partirons le 29 avril seulement pour
Gaya.
Le Finc'Man, — J'occupe mes heures de loisir à prendre con-
tact avec mes hommes. Depuis Dakar j'en remarque un qui
s'est particulièrement attaché à notre existence : c'est mon
cuisinier « Abdoul Salam i», dit « Adrien » ou encore le « Fine-
man ». Adrien était un Toucouleur croisé de Peul et de Ouo-
loff; c'était un homme superbe, il est même rare de voir un
type semblable; les Anglais, en sportsmen amateurs de belles
musculatures, ne manquaient jamais de l'admirer : « Ile is a
fine man » disaient-ils, et le surnom lui en resta.
Abdoul fut jadis tirailleur, puis spahi. Dans un combat, 11
reçut un coup de sabre qui lui fendit l'épaule droite; dans un
autre, il reçut une balle qui lui coupa le médius et rauricu-
laire de la main qui tenait ses rênes. Cela lui valut les galonii
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MON CUISINIER ADDOUL SALAM.
de brigadier; mais il advint que, par suite de mutations, il fut
placé sous les ordres d'un maréchal des logis indigène, fils
d*un ancien captif de son père. « Fine-man » était très brave
mais tout à fait indiscipliné :
obéir au fils d'un captif met-
tait en ébullition son cerveau
de Toucouleur. Des discus-
sions survinrent; un beau
jour le maréchal des logis
reçut une volée de coups de
poing, Âbdoul fut emprison-
né, déplacé, privé de son
grade, et finit par quitter le
service à Texpiration de son
engagement.
Lorsqu'il vint à nous, dans
la mission, je me défiai d'a-
bord de lui, son caractère
insoumis m'inquiétait; je le
tins sévèrement à Técart.
Nous avions acheté à Badjibo
une pirogue qui devait servir
à nos explorations dans les rapides; le G 15 la prenait en remor-
que, et j'y avais relégué le malheureux Adrien, avec tout son
bataclan. Coiffé d'un large chapeau de paille, il rôtissait en
plein soleil, en téte-à-téte avec ses marmites, et comme j'exi-
geais qu'en arrivant à l'étape du soir le dîner fût prêt, nous
l'apercevions en cours de route, assis dans sa pirogue, à travers
la fumée qui se dégageait de son fourneau improvisé.
C'est dans les rapides que le brave garçon nous devint sym-
pathique. Là, les vivres étaient rares, la cuisine délaissée, les
marmites reléguées au fond de l'embarcation. Abdoul, sans
qu'il y fût jamais invité, grimpait sur le C 15 et manœuvrait
avec nos laptots, à qui il apportait l'appoint de sa force hercu-
léenne. Il était très gai, son agréable physionomie s'éclairait
— mi —
MON MAITRI COQ ABDOUL SALAM
DIT « ADRIEN » TOUCOULEUR OUOLOrP.
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LE M G LU.
d*un bon sourire et s'illuminait de deux rangées de dents
superbes. Je le faisais causer souvent, et j'appris ainsi à le
connaître. C'était un véritable érudit. Toute sa science, il est
vrai, se rapportait à l'histoire musulmane et aux choses de la
liturgie. Il portait, suspendus à son cou, des chapelets de
grigris petits ou volumineux, légers ou pesants, qui ne man-
quaient pas d'exciter notre curiosité. L*un de ses porte-bonheur
était une complainte rédigée en arabe; l'autre une queue de
mouton trempée dans l'eau du fleuve pour préserver de la
lièvre; un troisième consistait en un os « d'homme du Niger »,
et préservait de la mort ou de la fusillade. C'était, parait-il, un
fémur de lamentin, trempé dans le sang d'une chèvre.
J'ai la conviction que le marabout lui avait tout simplement
vendu fort cher un os de gigot ; mais Abdoul ne voulait pas en
convenir.
Derniers rapides. En fleuve calme, — A la date fixée, nous
quittons Yelloua où les moustiques ne nous ont pas laissé de
répit. Le courant du fleuve redevient assez vif, nous avançons
avec peine, car les roches nous gênent énormément. Enfin, à
midi nous franchissons les dernières cascades, les derniers
obstacles. Le Niger redevient calme à partir de Sakassi (ou
Chakatchi). Le pays continue à se montrer à nos yeux d'une
extrême pauvreté : marécages sur les rives, brousse maigre et
terrain rocailleux au delà. Le Niger est parsemé de grandes
iles de boue liquide où croissent des champs immenses de bour-
gou. C'est une herbe qui se régénère tous les ans et grandit
avec la crue. Lorsqu'elle pousse sur les rives et que le fleuve
se retire, comme cela se passe à partir de Say jusqu'à Kouli-
koro, elle s'affaisse et se dessèche, le soleil en fait de l'engrais.
Lorsque les eaux s'élèvent, les jeunes pousses prennent de
l'essor et suivent le mouvement de la crue, de manière à le
dépasser de 1 mètre environ. Le bourgou possède des feuilles
vertes, longues d'environ 50 à 60 centimètres; sa tige est rouge,
épaisse et résistante, elle renferme un suc, un liquide laiteux,
avec lequel on fait de l'alcool par distillation. Il est vraisem-
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LE BIEF CALME SAKASSl-GAYA.
blable qu'on pourrait en tirer profit pour alimenter à peu de
frais des moteurs.
Nous allons désormais trouver, tout le long de notre route»
des races extrêmement variées. Le 29 au soir nous campons à
Djébé, village fortifié, perché sur une falaise rocheuse qui sur-
plombe la rive d*une vingtaine de mètres. Il est entouré d'un
mur crénelé dont les ruines sont caractéristiques. Toutes ces
peuplades de la rive droite étaient autrefois en lutte perma-
nente avec les Aoussas venus de TEst qui tentèrent d'occuper
leurs villages et qui furent souvent repoussés. Ce qui nous
étonne beaucoup, c'est de ne trouver aucun campement à proxi-
mité de la rive gauche; tous les centres habités sont situés sur
la rive droite. L'amirou de Djébé nous fait bon accueil, il nous
apporte des vivres et des moutons.
Anibou ou (Inigou) est une place forte, située comme Djébé à
pic sur le Niger, à 5 kilomètres de Kandji ou (Konji) qui se
trouve à l'intérieur des terres. Berzébello, l'amirou de Kandji,
vient nous faire visite. C'est un ancien lieutenant du roi de
Boussa qui reçut le commandement d'une province, en récom-
pense des services qu'il rendit à son souverain aux côtés duquel
il combattit vaillamment.
Tous les gens de ces parages sont des Aoussas croisés de
Nupés et de Pculs. Plus loin, à Sorko, nous rencontrons un Ilot
de Courteilhes, race croisée de Sonraïs et de Mandés dont le
centre est à Sorbo. C'est probablement un groupe de piroguiers
qui s'est détaché de son berceau pour se trouver plus à l'aise et
pour se propager dans ce bief du Niger.
A Bcnthé, à Dikiré-Baudé, les indigènes sont des Aoussas
presque purs; à Djendiné, ce sont des Peuls qui étendent leur
domination de proche en proche. Le plus grand centre de tout
le pays est le village de Lafagou, situé à 10 kilomètres en amont
de Sorko; c'est le plus grand marché de la région. Les Anglais
l'occupèrent, il y a quelques années, mais il ne reste plus que
les ruines du poste. Les cultures de Lafagou sont situées sur
les terrains en pente douce qui descendent vers le fleuve; la
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Lt: MGER.
crue de 1000 ne les a pas dévastés, de sorte que dans cette
région où règne une affreuse disette, les greniers de mil de
Lafagou sont les seuls qui se soient remplis Tan passé. De toutes
parts des pirogues descendent pour chercher des vivres et du
grain, il vient même des embarcations de Sinder et de Sorbo
pour ravitailler les malheureux qui meurent de faim.
Le 4 mai, à six heures du soir, à la nuit tombante, nous arri-
vons en vue de Guiris, port d'Ilo. Nous sommes obligés d*y
séjourner pour régler, avec les officiers d'Ilo, les formalités
douanières imposées par la convention de 1898. L'accostage est
des plus difficiles, le fleuve baisse constamment. Guiris est
séparé du Niger par un champ de boue liquide de 2 kilomètres
de largeur; les rigoles et les canaux qui permettent d'accoster
directement la terre ferme aux hautes eaux sont presque des-
séchés, les herbes s'opposent au mouvement des chalands. Nous
sommes obligés de faire à pied le trajet en pleine vase. Nous
enfonçons jusqu'aux aisselles; des serpents d'eau et des êtres
immondes grouillent dans ce marécage, nous les sentons glisser
entre nos jambes. La nuit tombe, nous avançons à tâtons, et, si
nous arrivons au bord, c'est grâce aux gens que Tarou, chef des
piroguiers de Guiris, vient d'envoyer avec des torches.
Tarou est un bon paysan normand peint en noir, rusé, madré,
intelligent et courageux. Il accompagna Toutée jusqu'à Say lors
de sa première mission. Tarou n'est pas le chef de Guiris, il
est à la tête d'un îlot de piroguiers extrêmement habiles qui
connaissent toutes les passes du fleuve et les rapides jusqu a
Jebba. Les pirogues de Guiris sont immenses : elles sont faites
d'une quille taillée dans plusieurs troncs d'arbres; des planches
rabotées à 1 herminctte indigène, instrument très primitif d'ail-
leurs, forment le bordage et sont maintenues entre elles au
moyen de crampons en fer que fabriquent les forgerons du
pays. Ces embarcations mesurent quelquefois 15 mètres de
longueur, 1™50 de largeur et 70 centimètres de hauteur de
bordage; elles peuvent affronter les vagues des rapides, grâce
au courage des piroguiers de Tarou, mais il s'en perd souvent.
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LE CAPITOLB DES MOUSTIQUES.
Nous vivons dans un nuage de moustiques, nous en respirons;
ces bétes féroces s'acharnent sur nous» et lorsque nous devons
nous déshabiller pour nous laver ou changer de vêtements,
nous sommes dévorés jusqu'au sang. De tous les ports du
Niger, c*est Ouiris qui mérite la palme comme nid à mous-
tiques; c*est leur Gapitole, leur camp retranché. Le lendemain,
de bonne heure, je me rends à Ilo, qui se trouve au sud, à
5 kilomètres 1/2, dans une clairière et au milieu de vastes cul-
tures. C'est un grand marché, un croisement de routes qui
conduisent d'une part vers le sud au Dahomey, au Togo, et vers
le nord au Sokoto, au Aoussa. Les cotonnades anglaises abondent
sur le marché, elles se répandent de là sur nos territoires du
Soudan et du Haut-Dahomey. Nos indigènes viennent y échan-
ger leurs produits et leurs troupeaux contre ces étoffes. C'est
une concurrence à notre commerce. Elle cessera le jour où la
flottille du bas Niger aura pour rôle d'effectuer des transports
commerciaux au profit de nos industriels et de nos colons, elle
disparaîtra plus sûrement encore lorsque le rail qui part de
Kotonou atteindra Carimama et viendra délivrer la flottille de
ses pénibles efforts dans les rapides. Le poste d'Ilo lut construit
par les missions françaises qui, les premières, occupèrent la
région. Les cases actuelles n'ont pas changé; les Anglais se
sont contentés d'entretenir cette place.
C'est là que je rencontrai le capitaine Keyes, qui deux mois
plus tard, fut assassiné au cours d'une mission délicate qu'il
avait reçu l'ordre d'accomplir sur Argoungou. C'était un tout
jeune homme que les gens du pays estimaient beaucoup; Us
lui reprochaient même de toujours sortir sans armes et de se
promener sans défiance. Ils lui répétaient parfois qu'il pourrait
lui arriver malheur. Loin de nous créer des difficultés, de nous
inviter à décharger les chalands pour vérifier si nous emportions
bien en territoire trançais le ravitaillement indiqué par nos
connaissements, il nous témoigna une confiance flatteuse. Son
accueil fut parfait; toute sa personne, d'ailleurs, inspirait de la
sympathie. Le capitaine Keyes est le seul officier que les auto-
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LE NIGER
rites médicales anglaises aient autorisé à prolonger son séjour,
et cela pour des raisons touchantes et toutes à son honûeur.
Officier de cavalerie de l'armée des Indes, n'ayant aucune for-
BN ARRIVANT BN TERRITOIRE FRANÇAIS LB CONVOI ARBORB
NOS COULEURS NATIONALES.
tune personnelle, il avait pour ami intime un officier pauvre
comme lui, mais qui s'était adonné au jeu et qui menait un
train supérieur à sa position. Victime d'un accident mortel, cet
officier, se voyant sur le point de mourir, fît part à Keyes de la
situation de sa famille et du chagrin qu'elle éprouverait en
apprenant des dettes qu'elle n'était pas en mesure de payer.
Keyes comprit, endossa le passif et répondit de tout... Il n'y
avait pas un mois qu'il venait d'obtenir sa prolongation de
séjour, lorsque la mort vint le frapper à son tour. Cette fâcheuse
nouvelle nous parvint à Say dans une réunion d'officiers qui
l'estimaient.
Est-ce la dernière étape^ — Nous quittons Guiris, dernière
étape avant Gaya. Le plateau nigérien s'écarte des rives, et ce
fleuve large, immense, reflète avec intensité la lumière du ciel,
le rayonnement des nuages.
C'est à Madékali que nous quittons le territoire de la Nigeria
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AliniVl'E EN Tl'lUlE FRANÇAISE
pour entrer en terre française. Le pavillon tricolore flotte à
Tavant de nos embarcations, la brise déploie nos couleurs, et
comme le fleuve po pressente ici exceptionnellement prati-
A QURLQURS MILLKS EN AMONT UL OA^A, L llbltM ATI A.X, VliNT DK ^OUU-CST, SOUPPLK
AVEC INTENSITÉ, NOUS MARCHONS A LA VUILB.
cable, toute la petite flottille, en ligne de file, ofl're un aspect
réconfortant. Les habitants des villages se groupent sur la
berge et, lorsque nous nous arrêtons, déposent devant nou&
des aliments tout préparés. Ces mets sont bien reçus; nous
n'avons, en effet, depuis longtemps, plus de vivres, il nous reste
cinq ou six boîtes de conserves que nous gardons en cas d'évé-
nements imprévus.
Le 7 mai, vers trois heures du soir, le cœur joyeux, nous
apercevons le drapeau tricolore qui flotte sur le poste de Gaya,
au pied d'une grande falaise horizontale.
Désillusion. — L'adjudant Martin, qui commandait le poste,
fut stupéfait lorsque je lui annonçai que le convoi devait débar-
quer mille huit cents caisses à Gaya. Il me mit au courant de
la situation économique et géoi:^raphiquc de la région, et je vis
— lOIJ —
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LE NIGER.
de suite que : !<> le poste n'avait pas de magasins pour rece-
voir nos caisses; que celles-ci devaient être posées à terre et
que les termites allaient les ronger en quelques jours ; 2» que
la route reliant le Niger au Tchad a son terminus à Sorbo sur
le fleuve, et que Gaya ne se trouve pas sur les lignes de puits
conduisant au troisième territoire militaire; 3» qu'en débar-
quant mon chargement à Gaya, les pirogues du pays, rares et
petites, mettraient plus d'un an à transporter les caisses à
Sorbo, en admettant que Ton pût les rassembler, supposition
dos plus improbables....
C'était une grosse déception, car nous pensions en avoir fini
avec ce lourd convoi qui nous avait occasionné tant de fatigues!
Nous n'étions donc pas au bout de nos peines. Fort heureuse-
ment, j'avais eu la précaution de ne pas faire connaître le
point terminus à mes équipages. En quelques minutes, j'eus
pris mon parti, je modifiai mes plans, accordant quatre jours
de repos à nos hommes exténués, et je décidai que le convoi
remonterait jusqu'à Sorbo, ou tout au moins jusqu'à Niamé,
point où la route quitte le fleuve.
Départ pow Say. — Le 12 mai, tout pavoisé des couleurs natio-
nales, le convoi se remettait en route pour Say, où se trouvait
le lieutenant Tilho, à qui j'avais annoncé notre arrivée pro-
chaine par un message. La chaleur était accablante. Le soleil
ardent nous brûlait de ses rayons. Nous étions dans un pays
dont les habitants sont encore sauvages. Ces indigènes sont en
partie croisés de Dcndis et de Sonraïs. Le langage de ces der-
niers est couramment parlé jusqu'à Gaya. Les Dendis sont bien
musclés et très agiles. Il y a, dans la région, un dicton ainsi
conçu : « Un Dendi à pied vaut mieux que dix cavaliers bien
montés. » Ces noirs sont extrêmement difficiles à poursuivre,
ils ont un talent particulier pour nager longtemps entre deux
eaux et pour se cacher dans les marécages, laissant émerger la
bouche et le nez entre les herbes.
Nous faisons escale à Tondi-Koaria ; à Carimama, où se trouve
un ancien poste abandonné, puis, réoccupé l'an dernier et qui
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CON nSUATlON DE NOS FATîGUf.S.
VUE PAiNOUA.MlnLli Ut l'USTK DE OAYA PHISB DE LA KALAlSh yfl SUhPLOAIlJE
LE MGBR
sera probablement le terminus sur le Niger du chemin de fer
du Dahomey. A Kompa, nous franchissons sans difficulté un
seuil rocheux, ainsi qu'à Boumba, point où le Niger abandonne
sa direction sud-est pour décrire une série de lacets. La région
est pauvre et désolée jusqu'à 10 kilomètres en aval de Say, les
rives sont Ce vastes marécages qui se terminent précisément
là où commence le désert.
Nous étudierons plus tard le régime des eaux nigériennes;
disons tout de suite qu'à partir de Boumba jusqu'à Forcados,
le Kouarra reçoit deux crues. La première, que j'ai appelée
« crue orientale », est formée par les pluies diluviennes de l'hi-
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LR NIGhll.
vernage qui dure de juin à novembre; la seconde ou « crue
occidentale » est due à la répercussion de la crue du haut Niger,
qui atteint son maximum en septembre à Koulikoro et qui fait
son apparition, à Gaya, vers la fin de novembre seulement.
Il résulte de ces deux crues que les rives du Kouarra sont
constamment inondées et que le soleil n'a pas le temps de les
sécher; de sorte qu*à partir de Boumba, jusqu'en aval de Jebba,
la vallée n'est, sur ses rives, qu un lac de boue liquide, absolu-
ment impropre à toute culture.
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CHAPITRE VI
Lo double V. — Les habitants du Niger. — Sortie da Koaarra et entrée dans
l'Issa-Ber. — Le deuxième convoi passe les rapides de Bonssa. — Le Nil
français. — Apparences de pauvreté, produits et richesses. — Les Gourtébét.
— Rapides du Nord. — Les greniers de Sinder. — La butte de Kendadji. —
Noël à Dounzou.
LE double V, — Lorsqu'au delà de Boumba le navigateur
poursuit la montée du fleuve pour arriver à Say, il trouve
une section d'environ 180 kilomètres de parcours, que nous
appellerons le double V (W), en raison de sa forme sinueuse
et tourmentée.
À quelques kilomètres de Boumba, en amont de Bikini,
village pauvre et presque désert où végètent quelques misé-
rables Djermas, les collines se rapprochent et longent le»
rives, presque partout à pic. Nous déjeunons au seuil d'une
porte formée de deux grosses masses rocheuses, qui plongent
dans le fleuve.
Toute cette partie du Niger offre une solitude sauvage et
grandiose; de toutes parts, sur les rives, des lignes ininter-
rompues de granitoïdes et de grès roses, superposés en
couches horizontales, surplombent le fleuve à 30 et 40 mètres
de hauteur. Les fissures verticales de ces murs sont tellement
régulières qu'elles donnent de loin l'illusion d'un travail cyclo-
péen. Des arbres, des baobabs énormes, des herbes très vertes
poussent et croissent dans les interstices; tout ce paysage
s'illumine de tons multicolores sous le ciel bleu, au-dessus de
l'eau verdâtre qui coule tranquille et silencieuse; pas un
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li: NIGER.
LK OfiLS HOSK DU \V, EFi KTS DK L KHOSION.
bruit, pas un cri, pas un être vivant ne vient troubler le calme
de ces solitudes.
Le Nl^'er nous emmène en des zigzags à angles aigus; nous
parcourons ainsi le triple de la ligne droite qui joindrait
Boumba et Kirtachi. Ce W est une faille brisée profonde,
encaissée; la navigation n'y présente aucune difficulté, à part
un ou deux seuils rocheux. Nous sommes assaillis fréquem-
ment par des mouches noires dont la piqûre est douloureuse;
François nous explique que cette bestiole vit dans les rochers,
c'est à cause d'elle que cette région est absolument déserte.
Seul, le Ni,.rer est habité.
Les hôtes du N'fjer. — Des hippopotames jouent à côté de
nous; de t(Miips en temps leurs énormes têtes émergent de
Tonde; ils nous regardent, surpris par ces masses qu'ils n'ont
pas coutume de rencontrer dans leurs parages; puis ils
plongent pour émerger plus loin et nous observer de nou-
— ICI —
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LES llABl'IAMS DU NIGLR.
A &1I-UISTA.NCB B.Mnii BOUMBA KT KIRTACIIl, LK MOEK B.NIRK, CALMB ET PnOl'OND,
DANS UN Introït couloir.
veau. L'hippopotame est une des distractions du Niger; lors-
qu'il n'a jamais été blessé, la présence de l'homme lui importe
peu, il ne s'attaque pas aux pirogues, encore moins à des
chalands. S'il est dangereux de le tirer, il est fâcheux de le
détruire; la satisfaction de posséder ses dents ou ses lanières
ne devrait pas inciter les voyageurs à l'exterminer; car ces
pachydermes débarrassent le fleuve des crocodiles en les
écrasant de leur masse, au cours de leurs ébats. Nous serons
moins indulgents pour les caïmans, qui sont les hôtes les
plus dangereux et les plus redoutables du Niger. Nous en
avons tué qui mesuraient 7 mètres de longueur; nous en
avons pris qui sortaient de l'œuf. Tous les ans, au mois de
janvier, lorsque le fleuve laisse à découvert les bancs de
sable, la femelle va creuser un nid dans lequel elle dépose ses
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LE NIGER.
œufs (40 à 60, suivant les spécimens) ; ils sont de la taille des
œufs d'une dinde, avec cette différence qu'ils sont également
arrondis à leurs extrémités. Deux ou trois mois après la ponte,
lorsque le soleil a suffisamment couvé pour elle, la mère va
gratter le sable et met ses petits en mesure de briser eux-
mêmes la coquille. Le jeune crocodile mesure ainsi de 18 à
20 centimètres de longueur; il mord et siffle dès qu'il éclot à la
lumière; pendant la première partie de sa vie, il se développe
assez vite, atteint près d'un mètre de longueur, puis il entre
dans la mue. Tout le travail de sa nutrition a pour but alors de
perfectionner ses organes respiratoires et son appareil digestif.
Les indigènes prétendent que chaque année, lorsqu'il atteint
une grosseur déterminée, ce saurien engloutit un caillou rond,
gros comme un œuf de pigeon; nous avons, en effet, trouvé
dans l'estomac d'un caïman qui mesurait environ 2 mètres, 176
de ces cailloux, qui servent, toujours d'après les noirs, au
broyage des aliments.
Les grands crocodiles sont recouverts de coquillages et de
végétation; lorsqu'ils dorment sur le sable, les pélicans et les
cigognes se promènent sur leur carapace en y plongeant leurs
becs; lorsqu'ils bâillent au soleil, des oiseaux, infiniment
petits, picorent, entre leurs dents acérées, des détritus dont ils
se nourrissent. C'est dans les rapides que les caïmans sont le
plus agressifs; ils se tiennent au pied des trombes, dans les
remous, pour saisir les poissons étourdis, pour happer les piro-
guiers naufragés.
Au moindre bruit de nos avirons, ils sortaient de l'abîme et,
lorsque nous sommes descendus dans les tourbillons de
Patassi, les laptots furent étonnés de les voir à ce point auda-
cieux.
11 n'en est pas de même en fleuve calme. Là, le voyageur a
plus de temps à soi et plus d'occasions pour les fusiller, et l'on
ne saurait trop l'encourager à détruire ces malfaiteurs aqua-
tiques.
Kiriacki. Sortie du Kouarra et entrée dans VIssa-Bcr, — Lo
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LES RIVERAINS SONT PLUS SYMPATHIQUES.
21 mai, à 10 heures du matin, le convoi touchait à Kirtachi,
laissant derrière lui des bancs de roches qui barrent le fleuve
sans présenter le moindre danger. Ici nous quittions le
Kouarra, ce premier tronçon du Niger, pour pénétrer dans le
second, c'est-à-dire dans l'Issa-Ber des Sonraïs.
La population change totalement d'aspect : ce ne sont plus
des noirs qui viennent au-devant de nous, mais des individus
fortement bronzés, dont les traits sont voisins de ceux des
races berbères.
Les Zabermas et les Djermas diffèrent peu les uns des autres;
ils appartiennent à des races qui portent en elles la trace d'une
civilisation effective, et chez lesquelles l'islam s'est implanté
depuis longtemps.
Quelques explorateurs pensent que ces tribus proviennent
du croisement des Mandés et des Sonraïs, et seraient dès lors
des Toucouleurs d'une espèce nouvelle; d'autres prétendent
qu'ils sont issus de l'Orient et que c'est une migration sans
mélange.
Depuis neuf jours, nous sommes à court de vivres; mais le
lieutenant Tilho, qui reçut ma lettre assez à temps, nous envoie
de Say, en même temps que notre correspondance, une caisse
de pain délicieux; il faut en avoir été privé pendant de longs
mois pour apprécier la saveur incomparable de cet humble
aliment.
Le soir du 21 mai, vers cinq heures, le thermomètre placé
sous le roof de mon chaland, marque 51 degrés centigrades!
la tente du C 15 est surchauffée; elle arrête la brise et nous
étouffons; la chaleur est tellement accablante que nous préfé-
rons nous exposer au soleil pour activer notre transpiration;
les nuages s'amoncellent au-dessus de nous ; si la température
s'accroît encore, nous ne pourrons plus résister. Fort heureu-
sement, une violente tornade vient rafraîchir cette fournaise.
Fort'Archinard et Say. — En amont de Yellogouré, le Niger
s'engage dans une étroite passe jonchée de dalles granitiques ;
il contourne ensuite un chapelet d'îlots verdoyants, recouverts
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/./: M G EU.
d'arbres gigantesques, qu'enlacent des lianes grimpantes.
Les rayons du soleil ne peuvent percer ce rideau de ver-
dure. Toute cette partie du lleuve est d'un aspect charmant :
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IIH.NLS UK FORT-Ait<:iIlNAnD.
les rocnes à fleur d eau sur lesquelles bruissent de petites
cascades, la végétation touffue, la coulée d'émeraude où les
nuages roux se reflètent, les vols d'oiseaux multicolores qui
chantent dans la limpidité splendide de l'azur, tout respire un
cliarme exquis et reposant! La nature semble avoir caché cette
oasis de beauté dans les dunes d'un sable aride, au milieu des
falaises rocheuses sur lesquelles poussent à grand'peine des
mimosas épineux et sans ombre, comme pour dire au voya-
geur sa puissance à donner la vie et à imposer la mort.
Le 23 mai, à huit heures du matin, nous visitions les ruines
de Fort-Archinard, et, deux heures plus tard, le convoi jetait
l'ancre en face du poste de Say.
C'est une petite agglomération de cases qui tombent en
ruines et que l'on va reconstruire; quant au village, il nous
laissa stupéfaits. De Say, je ne connaissais guère que les trois
grandes majuscules vues sur la carte et diverses descriptions
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L'AyC/EyNE CAPHALL DU DJICIIMA.
de date ancienne. Je pensais liouvcr là un centre imporlunl,
il n'en est rien. Nous ne sommes pas les seuls qui soient
tombés dans cette erreur, car le lieutenant Tilho nous fit lire
une lettre de sa fa-
mille qui le félicitait
de son déplacement
et lui annonçait
qu'elle jugeait inu-
tile d'envoyer cer-
tains objets deman-
dés, la a ville » de-
vant posséder des
magasins tout ap-
provisionnés.
Il existe encore h
Say les vestiges
d'une enceinte qui
mesure plusieurs ki-
lomètres de déve-
loppement. La ville
(levait être grande
autrefois, il est cer-
tain qu'elle comptait au moins vingt-cinq mille habitants.
Elle était sise au croisement de diverses routes sur lesquelles
on traînait des convois de captifs vendus sur le marché par les
traitants de nègres ; les guerres ont décimé la population ;
notre présence a chassé les Peuls rebelles à notre influence.
Aujourd'hui, la population s'élève à deux mille cinq cents
âmes; toutefois le pays se repeuple assez rapidement.
Les habitants de Say sont des Toucouleurs, croisés de Peuls
et de Sonraïs, mais chez qui le sang foulani prédomine; ces
indigènes parlent trois langues, car les nobles s'expriment
couramment en aoussa, peul et sonraï. Ce sont des hommes
intéressants, avec lesquels on peut s'entendre; la race est
extrêmement fine et sympathique; à part leur teint bronzé, ils
— i73 —
TUUCOULIiUH DU FOLlA.
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LE jSIGER,
ont l'aspect des Aryens et des Berbères que l'on rencontre sur
le Niger, depuis Say jusqu'aux confins de la plaine de Djenné. |
D'ailleurs le pays devient lui-même plus attrayant, bien qu'il
semble ne rien produire. Le voyageur, qui passe en brûlant les
étapes, ne peut se rendre un compte exact de la valeur éco-
nomique du pays. Le Nil français, sur lequel nous allons navi-
guer, ne laisse paraître aucune richesse; mais, en cherchant
bien, il est facile de voir que l'indigène, quelles que soient sa
paresse et sa négligence, obtient de ces terrains d'alluvion tout
ce qu'il désire, lorsqu'un souffle de progrès et de nouveauté
pénètre dans son cerveau.
L'Issa-Ber, comme le Djoliba, ne possède qu'une crue; mais
ces deux fleuves présentent une différence considérable : le
Djoliba circule dans un pays où les pluies torrentielles forment
la crue occidentale, tandis que l'Issa-Bcr est un dalhol, un lit
d'ancien fleuve desséché, qui circule et s'allonge au milieu des
territoires désertiques de la Boucle.
A 22 kilomètres en amont de Say, en face du village de Kollo,
le Niger quitte la direction est-sud-est pour descendre vers le
sud en formant un grand coude. Autrefois, il longeait les
falaises de la rive droite; mais les terres qu'il a déposées au
tournant, se sont trouvées progressivement entraînées le long
de ces falaises et ont modifié son cours. L'ancien lit du fleuve
est très nettement indiqué par un marécage où se déverse le
trop-plein de la crue; le nouveau lit du Niger s'est porté vers
la rive gauche, en sorte que Say est dans une grande île
comprise entre l'Issa-Ber et les marécages.
Le 29 mai, le convoi débarquait son chargement à Niamé,
point initial de la route Sinder-Niger, c'est-à-dire de la route
allant au Tchad. Nous avions ainsi accompli la première
partie de notre œuvre; nous avions, en effet, tout en recon-
naissant la route à travers les rapides, déposé à Niamé les
70 tonnes de matériel que nous avions emportées et qui
devaient aller ravitailler le colonel Peroz à Sinder. 11 s'agissait
dès lors de revenir à Arenbcrg-Badjibo pour y prendre un
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SEJOUR ET REPOS A SAY.
Ll£ t'USlL: DB SAY.
nouveau stock de marchandises et de matériel destiné à ravi-
tailler les postes situés en amont de Say. Il nous fallait donc
maintenant descendre d'abord le fleuve, puis le remonter une
seconde fois, mais dans d'autres conditions.
Le départ de Niamé commença aussitôt après que nous eûmes
débarqué le chargement, et, le 2 juin, nous étions de retour à
Say.
Là, bloqués par la baisse des eaux, qui donnait au fleuve l'as-
pect d'un chapelet de lacs séparés par des seuils rocheux, nous
dûmes patienter deux mois.
Séjour à Say, — Le lieutenant Tilho nous offrit la plus aimable
hospitalité, et, pendant que, pour nous remettre de nos fatigues,
nous préparions nos rapports et nos travaux de comptabilité,
les laptols se dispersaient dans le village pour s'y livrer aux
délices réservées à tout bon navigateur après une longue tra-
versée....
D'après les nouvelles que j'avais reçues, le lieutenant An-
tlioine se trouvant fréquemment malade dans son poste, je lui
envoyai Tordre de quitter Badjibo et de se rendre à Forcados
pour y prendre tout le matériel que nous avions déposé sur
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LE NIGER.
Tenclave; ce voyage le remettrait de ses fatigues, Tair de la mer
lui ferait du bien. Il en fut effectivement ainsi. Pendant ce
temps, Groisne et Messéant poursuivraient à Badjibo les travaux
que j'avais décidés. Quant à Boury, je dus l'envoyer au Daho-
mey pour y recevoir des fonds; je restai onze mois sans le voir
et sans être en mesure de le féliciter de vive voix pour l'éner-
gie et l'habileté avec lesquelles il s'était acquitté de sa dure
besogne.
Le 4 août, le Niger avait remonté à Say de 80 centimètres
au-dessus de son minimum ; nous avions assez d'eau pour opé-
rer notre descente.
Descente du Niger, — Je donnai l'ordre du départ et, le 19, nous
accostions devant les cases de Boussa. Kissalé Dogo me donna
deux guides qui montaient une petite pirogue, mais, à l'entrée
de Garafiri, ceux-ci prétendirent que leur embarcation ne pou-
vait franchir le rapide. Je me passai d'eux, puis j'engageai sur
l'obstacle le convoi que le courant entraînait fortement.
Le C15 franchit la grande volute et passe en un clin d'oeil de
l'autre côté du couloir. C'est là que Tonié est précipité dans le
fleuve et blessé par son gouvernail; mon chaland, privé de sa
direction et livré à lui-même, va donner sur une roche; mais
fort heureusement, resté debout sur le pont, je pus réagir de
toutes mes forces avec la jambe gauche présentée pour atté-
nuer le choc; cinq minutes après nous sommes sur les chutes.
La crue orientale atteignait, ce jour-là, 3^65 d'altitude (le maxi-
mum fut de 6™95 en 1901), de sorte que nous passons sur les for-
midables Dents noires du démon, fort au-dessous de l'étiage
des hautes eaux. Le vacarme est impressionnant; cette masse
d'eau qui se réduit en écume fait penser de loin aux crinières
flottantes d'une charge de blanche cavalerie; le C15 talonne
sans se briser en longeant la rive gauche.
Lanciné, Baniessé et Ousman, nous voyant dans une passe
difficile, font des signaux aux autres pilotes et se dirigent vers
la rive droite où le rapide est plus violent, mais plus profond.
Amadi Diara, gêné par la poussière d'eau, ne les voit pas, des-
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PREMIÈRE DESCENTE DES RAPIDES.
cend en plein milieu du fleuve et vient planter son chaland sur
une roche. En deux minutes nous sommes tous entraînés à
1 500 mètres en aval, tandis que nous voyons lembarcation
d'Amadi Diara H^éQ
sur place ; puis tout
à coup nous virons
et des îles viennent
à la masquer. Ce fut
un moment d'indi-
cible angoisse.
Sans retard, nous
armons le C 15 et
pour porter secours
à Amadi Diara nous
remontons, par les
marigots, jusqu'en
amont des chutes.
L'équipage d'Amadi
Diara se démène à
bord, mais en vain,
pour se dégager.
Nous voyons les laptots qui, poussant sur le rocher, brisent
leurs bambous en d'inutiles efforts; les vagues sautent par-
dessus le chaland arrachant tout ce qui se trouve sur leur pas-
sage. Baniessé prend la barre du C15, Lanciné le tient à bras
le corps, parce qu'en essayant de dégager l'embarcation échouée
nous pouvons éprouver une réaction capable de renverser le
pilote; Tonié, Oumarou Kané et Sibry se portent sur la pointe
de mon chaland avec des cordages et nous gagnons le large.
Le C 15 bien dirigé passe à côté de l'épave, les amarres sont
lancées, saisies au vol, fixées aux taquets, l'embarcation pivote
sur la roche et se dégage. Elle n'avait pas été percée : sous l'in-
fluence du choc, le bordage de pitchpin s'était réduit en fila-
ments spongieux et le trou s'était fermé de lui-même.
Nous descendons Patassi (2 250 mètres) en 3 minutes 20 secondes
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LANCINK CUIRE, 80US-CIIBP l'ILOTB DB LA FLOTTILI.B.
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LE NIGER.
(vitesse : 36 kilomètres) par le bras central; 40 minutes après
nous sommes en eau calme, au pied du petit bras d'Ourou. 1^9
tourbillons que l'on franchit en aval de ces deux rapides nous
ont fait valser à leur aise; mais avec de pareilles embarcalloas
il n'y a pas le moindre danger; notre accident de Garafiri le
prouve d'ailleurs abondamment. En quelques heures (dont six
dans les rapides), nous avons fait une route qui nous avait
demandé 20 jours d'un travail surhumain en sens inverse. Le
20 août, le convoi s'abritait dans le Doko et nous débarquions
sur l'enclave d'Arenberg.
J'avais écrit à M. Watts, pendant notre séjour à Say, pour
qu'il utilisât notre carte du chenal entre Jebba et Badjibo afin
de faire pousser jusqu'à l'enclave d'Arenberg les vapeurs qui
devaient, dans le principe, apporter à Jebba le matériel déposé
à Forcados.
Cette tentative n'avait jamais été faite avec de grands navires.
M. Watts ne me répondit pas immédiatement; mais il ne perdit
pas son temps en phrases dilatoires. Quelques jours après, je
reçus tout simplement une lettre me disant que cela coûterait
un supplément de 12 fr. 50 par tonne (pour 70 kilomètres) ; puis
le lendemain, le vapeur « Sudan » de 200 tonneaux accostait la
berge et débarquait son matériel dans le port d'Arenberg.
Anthoine revint de l'enclave Toutée complètement remis de
ses malaises. 11 était même mieux portant que nous, n'ayant pas
éprouvé tous nos tourments. Je fis remettre à neuf tous les
bateaux de la flottille; et vers la fin de septembre, je me rendis
à Jebba pour affaire grave. Trois Français, arrivant d'Argoun-
gou, venaient d'être incarcérés sous le coup d'une accusation
terrible : on leur imputait le meurtre du capitaine Keyes.
M. Wallace, qui remplaçait le général Lugard, me pria de les
voir, de les entendre et de présenter leur défense devant le tri-
bunal qui devait se réunir à la fin d'octobre. 11 voulait que ces
hommes fussent traités avec humanité, et il s'y employa de tout
son pouvoir ; mais Je ne pus accepter sa proposition pour diverses
raisons. D'abord le Gouvernement français ne m'avait pas donné
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LAVA LANGUE DES HAUTES EAUX
d ordres. J'en provoquai immédiatement par câblogramme que
M. Wallace envoyait au Gouverneur général à Saint-Louis, soit
pour que je fusse chargé de la défense, soit pour qu'on envoyât
un avocat du Dahomey. Le 8 octobre, aucune décision n'avait
été prise, aucune réponse n'était parvenue.
Le fleuve baissait, le départ du deuxième convoi était immi-
nent; ma place était avec les équipages dans les rapides. Il fal-
lut partir. J'en étais à ma troisième attaque de fièvre bilieuse
qui m'avait surpris le 7. Incapable de supporter la route, je don-
nai la direction de la flottille à Lanciné, puis le 8 au matin je
me fis déposer dans le G 15 qui rejoignit le soir môme la tête du
convoi. Anthoine et Groisne m'accompagnaient, nous avions
avec nous un passager anglais, le lieutenant Gordon, que
M. Wallace avait délégué en pure forme auprès de nous et qui
ne cessa d'être plein de complaisance. Il débarqua à Guiris pour
continuer ses services à Ghengakoï (au nord d'Ilo). En arrivant
à Ourou, Anthoine fut gravement malade. Il pleuvait tous les
jours, toutes les nuits; les rafales nous trempaient jusqu'aux
os, les tornades bousculaient les chalands et projetaient des
trombes d'eau dans le fleuve dont le courant s'accélérait. La
chaleur était très lourde, la réverbération tellement intense
c{u'un matin je fus frappé d'insolation dans les yeux. Rien n'est
plus effroyable que de se croire aveugle ou tout au moins en
passe de le devenir. L'hôpital de Jebba était à huit heures de
fleuve en aval; le médecin de Sorbo était à cinquante-trois
jours de nous, mais dans la direction qu'il était de mon devoir
de suivre : je préférai donc continuer ma route et poussai vers
Sorbo. Le convoi passa le rapide d'Ourou et se présenta devant
l'escalier de Patassi ; nous fûmes tous effrayés par cette trombe
qui roulait des vagues en tire-bouchon, mais enfin nous la lais-
sâmes derrière nous. Puis nous arrivâmes à Garafîri; c'est en
luttant contre cet obstacle que nous avons le plus souffert. Le
convoi lutta trois jours et trois nuits dans ce rapide; les îles
étaient submergées; nous demeurions les nuits à l'ancre au
milieu des rochers. Les tornades s'abattirent sur nous, per-
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LE MGER.
sonne ne dormit, mes hommes étaient tellement fatigués qu'ils
préféraient ne pas manger pour sortir plus rapidement de cet
enfer, car il n'y avait pas un pouce de terre où l'on pût Installer
feux et cuisines.
Je n'avais pas voulu exposer le lieutenant Gordon dans les
rapides. Sous prétexte de rassembler des vivres, Anthoine reçut
l'ordre de rejoindre Boussa par la route, avec cet officier anglais.
C'est là que nous les retrouvâmes : Groisne m'avait accom-
pagné, Groisne dont l'énergie égale le dévouement.
Ce deuxième voyage fut plus pénible que le premier : la saison
des pluies est déprimante; et puis, on ne navigue pas de longs
mois sur le Niger sans payer tribut à la maladie; mais nous
avons atteint Gaya sans débarquer une seule caisse aux rapides,
sans rien perdre, sans rien briser. En nous retrouvant à Say,
le 3 décembre, nous recevions des courrers volumineux et des
nouvelles impatiemment attendues.
Climatologie de VIssa-Ber. — Tout le pays qui s'étend en terri-
toire français à partir de Kirtachi le long de l'Issa-Bcr est très
sain, sans en excepter Say et ses marécages. Il y fait en été
des chaleurs torrides, mais Tair est extrêmement sec ; la brise
est chauffée par le sable et par les rochers du désert; les
miasmes sont détruits par le soleil; il n'y a ni brouillards ni
buée, comme on en trouve sur le Bas-Niger; il n'y a presque
pas de moustiques, tandis que les rives du Kouarra en sont
infestées.
L'hiver est assez froid, l'hermattan souffle tous les matins à
partir de huit heures jusqu'à deux heures de l'après-midi, les
nuits sont parfois glaciales, les matinées fraîches, les journées
chaudes, les soirées agréables. L'Européen qui s'est anémié sur
les territoires malsains du Bas-Niger retrouve là tout ce qui
convient au rétablissement de sa santé : air vif et pur, fraîcheur,
laitage, vivres frais, jardins, etc.
Le i\"d Français, Produits et richesses, — Nous étions sur l'Issa-
Ber à l'époque où la crue occidentale monte lentement et sûre-
ment ; elle recouvre de vastes prairies au bord desquelles paissent
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LES RICHESSES Db ML JltAyÇAIS.
des troupeaux de chevaux, de moutons et de chèvres, inonde
les berges, puis monte dans les champs de mil dont les grosses
tiges, incomplètement desséchées et coupées, s'ornent à nou-
veau de quelques fcuil-
DJEltMA DK SOHUU lUACE U ultlGlNB MANoi).
les vertes. L'indigène
cultive à sa manière;
il gratte ces alluvions
avec une raclette, écarte
la terre avec son orteil
pour n'avoir pas à se
baisser, puis laisse tom-
ber dans le trou ainsi
formé trois grains de
mil qui vont devenir un ^
épi. Les rizières sont ra-
res, mais belles; le noir
en fait le moins possible
parce que le mil est
moins pénible à cultiver
que le riz qui nécessite
des repiquages et des
soins. Il est certain que si les Djermas voulaient, ils auraient
des céréales à profusion. Il ne faut pas d'ailleurs les accabler de
trop vifs reproches; autrefois ce pays était très riche, mais lors-
que les Touareg y firent invasion, ces pillards dévastèrent les
villages et ne tardèrent pas ainsi à dégoûter les riverains de
toute idée de travail et d'économie. Nous avons vu, sur les ber-
ges, des jardins potagers admirablement entretenus; il y avait
des planches de cultures variées : oignons d'Egypte, piments,
épinards, niébés (haricots du Soudan), tomates, fabiramas, ta-
bac, etc., tout cela présentait des alignements soignés et sé-
parés par des rigoles d'irrigation.
L'un des inconvénients du pays est le manque de bois do
chauffage, remarquez bien que je ne dis pas ; manque de com-
bustible, puisque le bourgou, succédané de l'alcool, foisonne
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LE NIGER.
dans le Niger; mais l'indigène ne sait pas s'en servir. Dans tous
ces territoires qui, chaque année, se recouvrent d'un limon
nouveau, (\\\\ rocnivont nn apport nourricier au milieu môme
BŒUP DUS TROUPEAUX TOUARBO, UNB DBS PLUS GRANDES RICHESSES DU SOUDAN
ET DB L'ISSA-BBR.
du Sahara, il est des cultures qui peuvent devenir pour la
France une source de richesses : ce sont d'une part le coton et
l'indigo; d'autre part : l'arachide, le sésame, le caoutchouc, le
karité; sans compter l'ivoire, les peaux, les laines, les tissus,
le tabac, puis des récupérateurs solaires, la patate, l'igname,
le manioc, la betterave, l'ozonifi, et peut-être même le topinam-
bour. Quant aux autruches on les élève dans les îles du Niger;
l'aigrette pullule à partir de Say jusqu'à Diafarabé. Je tien© à
le répéter : le Nil français ne produit presque rien à l'heure
actuelle, son rendement est à peu près limité aux besoins do
ses riverains, mais il peut produire de tout.
Le Nil français est par excellence le père nourricier du coton.
Pour qu'une terre soit favorable à cette culture, il faut d'abord
une période humide qui fasse germer la graine et développe
les premières feuilles; puis une période sèche pendant laquelle
la tige se fortifie et la fleur s'épanouit.
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LE COTON SOLDAhAlS.
Or, sur le Niger, nous avons d'abord une saison des pluies
pendant laquelle le noir sème la graine; puis quand la tige est
assez forte, en octobre, la pluie cesse; la fleur se développe et
AUTllLCUU KLEVLB l'Ail LUS IMHOKNBS DANS LbS ILUb UK L ISSA-UER,
U>B DES RICHESSES DU PAYS.
s'épanouit à la rosée du matin; enfin, elle mûrit au début de la
saison sèche (fin novembre).
Le coton « indigène » est à soie courte, tenace et résis-
tante; c'est un produit brillant, des plus agréables à l'œil et au
toucher, dont il sera facile de corriger quelques défauts. Le
Gouvernement du Soudan a créé des jardins d'essai à Kouli-
koro, c'est un premier pas vers le progrès. Il est probable que,
tous frais payés, le kilogramme de coton égrené, comprimé,
puis emballé, ne reviendra pas déchet compris à plus de fr. 60,
soit 600 francs la tonne; le chemin de fer de Kayes au Niger
pourra le transporter pour 45 à 50 francs à bord des vapeurs
qui remontent à Kayes pendant l'hivernage, et ceux-ci le dé-
poseront pour 40 ou 50 francs de plus à Bordeaux ou à Mar-
nillc. Donc, pour 700 ou 750 francs, l'industriel français possé-
dera la tonne de coton, qu'il paie actuellement jusqu'à 800 francs
sur nos marchés, où se déversent les produits américains.
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LE NIGER.
Quant aux autres produits, arachides, ignames, patates, etc.,
ce sont des cultures extrêmement productives, auxquelles Tin-
digène se livre sans le moindre effort. Sans porter atteinte à la
douceur de ses siestes, il pourrait en produire dix fois et même
vingt fois plus; il suffirait pour cela qu*il en reconnût l'utilité.
La main-d'œuvre indigène. -^ Les populations sont tellement
clairsemées, la guerre les a décimées à tel point, que la main-
d'œuvre en a subi le contre-coup. Cependant, on ne peut pas
dire qu'elle soit difficile à trouver, car les travailleurs ne
manquent pas; et ils pourraient être bien plus nombreux
encore, la moitié des indigènes au moins se refusant à tout
travail. Ils dorment ou se promènent, tandis que leurs domes-
tiques et leurs femmes se livrent à la culture des champs de
mil ou bien aux soins de la maison. Nous avons néanmoins
toujours pu recruter le nombre de travailleurs qui nous étaient
nécessaires, et pendant nos campagnes de 1898 à 1900, nous
avons eu près de deux mille ouvriers, laptots et manœuvres,
au service des travaux et de la flottille de Koulikoro. Il est
probable que ces populations prolifiques vont s'accroître et se
décupler, grâce à la sécurité qui règne dans le pays. En vérité,
à l'heure actuelle, on est presque toujours certain d'avoir le
nombre de travailleurs que l'on désire en payant régulièrement
la solde convenue.
Le Soudan, d'ailleurs, est un pays où la machine doit un jour
remplacer la main-d'œuvre ; avec elle, on vaincra l'inertie des
indigènes ou, du moins, l'on n'aura plus à en souffrir.
Quant à trouver des ouvriers capables de diriger des ma-
chines, de les comprendre et de les réparer, il n'en manque
point au Soudan. Les ateliers de Kayes et de Saint-Louis sont
peuples par des Ouoloffs, des Kassonkès, des Saracolès, des Tou-
coulcurs et surtout par des Bambaras. Ce qu'il faut là-bas, c'est ce
que nous appelons communément « des tournebroches nègres »,
des machines simples que le sable ne détériore pas facilement,
dont le nettoyage et les réparations soient des plus commodes.
l^e pays offre encore des bois superbes que l'on trouve dans les
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HAUTES FUTAIES ET DOIS DE CONSTRUCTION.
BATIMENTS ET A>'>'BXK8 QUI DOIVKNT SlîllVllt l'UL'R l'ÉTL'VAOE DE LA rAlUAiS
FABRlQUbB A LA MINOTERIE DE KOUUKORO.
hautes futaies du Dani, du Badinko, du Bclédougou; ce sentie
vine, le caïlcédrat, le Hngué, le karitc, bois durs pour menui-
serie fine, charpente, travaux d'art; le sô, le boun-bou, Talomc,
le soum-sou pour les planches, les poteaux, les avirons, les
pièces élastiques.
Les gisements de calcaire sont rares ou plutôt mal connus; la
terre argileuse des bords du Niger donne d'excellentes briques
et de bonnes tuiles; les carrières de grès rose que l'on peut
ouvrir en maints endroits se présentent par bancs réguliers;
taillés avec soin, ces grès donnent à la construction un aspect
des plus agréables. Les minerais ferrugineux (limonite ou fer
hydroxydé, pyrite, minerais magnétiques, etc.) sont exploités
par les indigènes, parmi lesquels on trouve une caste spéciale
de gens (les noumoukès) qui, de père en fils, forgent aveo beau-
coup d'adresse.
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LE NIGl^n.
Nous avons mis sous les yeux du lecteur le tableau des pro-
duits que l'on rencontre en parcourant la vallée du Niger et de
SCS collatéraux. Ces denrées et ces matériaux ne sont pas tous
groupés dans une même zone,
Lien au contraire : les richesses
du Soudan se divisent par espè-
ces sous des latitudes qui leur
sont propres. Ainsi, les rizières
sont au-dessus du 13« parallèle ;
le caoutchouc, le karité, etc.,
sont en dessous, tandis que l'a-
rachide, l'igname, la patate su-
crée, etc., empiètent de part et
d'autre.
De Say à Sorbo. — Les îles cul-
tivées et habitées du Niger ne
commencent qu'à partir de Do-
ga. Il y en a de fort belles,
d'autres sont couvertes de gra-
viers, mais elles constituent
l'exception. Niamé est un des
points où la falaise est le plus à pic; le désert inaccessible à la
crue se trouve au bord du fleuve, mais plus loin on trouve de
grandes îles et des marchés : à Laniordé, Birni, Tondikoria.
C'est à Boubo que l'on entre dans la région des « rapides du
Nord » ; ce seuil rocheux, qui présente des passes faciles, pro-
duit néanmoins une accélération du courant. Le 10 décembre,
nous arrivons à Sorbo, chef-lieu de la population courteilhe (ou
courtébé), qui nous a fourni cent soixante piroguiers.
Les Courlébés. — Ces indigènes présentent l'aspect de deux
races différentes. Je ne me tromperai probablement pas en
distinguant le Courteilhe du Courtébé, ce dernier semblant
être ou avoir été sous la domination du premier. L'un est un
homme de belle taille, au teint bronzé, d'allure noble et fîère.
Ses traits sont réguliers comme ceux des Djermas, des Zaber-
Pir.OGt'IEIl COLUTllué.
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LES PinOGUIERS DE L'ISSA-BER.
Li:S KmLI(2> a chaux i>E kOLi.lKUllU UU L U.N i^ClsAlT LES COQUILLES UiiLirilEb
DU fli:lve.
mas et des descendants des Sonraïs. L'autre est un noir dont
îa pliysionoMiie est des plus sympalliiques, c'est un croisement
«le I;i race mandé (Bambaras ou Somonos), avec la race cour-
lébc. Nous sommes ici en pays civilise, chez des gens dont les
mœurs sont des plus pacifiques. Le Gourtébé est l'homme du
neuve, le piroguier des rapides. 11 navigue sur de belles pirogues
d'une seule pièce, qu'il dirige avec une pagaie, dont la palette
est d'une superficie cinq fois moins grande que celle des pagaies
de Boussa (cela permet d'ailleurs de comparer les courants de
res deux régions où le fleuve est difficile). Ici, les tatouages et
les cicatrices disparaissent à peu près; le Courteilhe a la tête
rasée, mais coiffée d'un turban; le Gourtébé se rase également
les cheveux, ménageant toutefois des couronnes concentriques
ou une croix, partant du sommet du crâne et qu'il conserve à
titre d'ornement.
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LE M G LU.
T^ous avons retrouvé chez les Gouitébés des préi oms, Has-
san, Alleïdou, Ousman, Arighio, etc., que portent les Somonos;
d'ailleurs, ces derniers sympathisent avec eux et les considèrent
comme des collatéraux. Lanciné, qui parle tous les dialectes du
PORT DANSONGO.
Niger, me disait un jour : « Ces nhommes-là, y a toujours cor-
der (accorder) avec nous, même chose Bambaras. »
Sorbo est un centre assez riche, mais les terres sont peu
cultivées. Le Niger y reçoit sur la rive droite un affluent, la
Sirba, qui vient de l'intérieur de la « boucle » et traverse des
forêts où les piroguiers vont abattre de gros arbres pour y
creuser leurs embarcations. Cette rivière est grossie par les
pluies de l'hivernage et par des marcs que Barth a rencontrées
sur sa route. La flottille a son port de repos et son sanatorium
à l'embouchure de la Sirba; c'est là que le personnel va se
remettre de ses fatigues et de ses privations, à quelques cen-
taines de mètres du poste militaire et des camarades, toujours
prêts à nous bien accueillir.
A Sorbo nous renouvelons nos équipages fatigués, et le
16 décembre, la flottille se remet en marche vers le nord.
Notre deuxième convoi devait ravitailler tous les postes du
Niger jusqu'à Ansongo, sommet des derniers rapides, ainsi que
ceux qui se trouvent à plus de 120 kilomètres à l'intérieur de
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IXONDATIONS. — ILES INNOMBRABLES
EMOOUCIIURB DB LA 81RDA, APPLUBNT OB l'iSSA-BBR.
la boucle. Nous visitons Sansané Aoussa, Maloum, grand centre
populeux qui se compose d'une vingtaine de villages situés dans
des îles, Tillabéri où le fleuve présente un petit rapide; puis
nous arrivons à Sindcr-Niger. Dans toute cette région, les
abords du fleuve sont très cultivés, les inondations s'étendent
parfois à perte de vue dans les échancrures du plateau nigé-
rien; nous naviguons sur des rizières et des champs de mil
récemment moissonnés et dont les récoltes sont emmagasinées
dans les greniers de Sinder. C'est une île qui paraît extrême-
ment peuplée. L'aspect de ce village est des plus curieux. Les
Indigènes construisent, en guise de resserres, d'immenses jarres
renversées, véritables hémisphères de 2m50 de diamètre, en
superposant avec régularité des assises d'argile très minces.
Ils ménagent une ouverture circulaire à la partie supérieure
qu'ils recouvrent d'un chapeau; puis, lorsque le soleil a séché
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LE M G En. .
la terre glaise, ils allument à rintérieur un grand feu de paille
pour d ircir cet ingénieux magasin qui résiste assez longtemps
aux ;)luics de rhivcrnncro.
VIL LAOS DK SIN UBR.
Autrefois, les Touareg opprimaient la région et pillaient les
récoltes; mais les habitants se préservaient de leurs incursions
en centralisant les grains dans ces îles que l'ennemi ne pouvait
atteindre, faute de pirogues.
Les rapides du nord. — Le fleuve est d'abord facile en amont
de Sorbo; nous campons à Tibi Farca, point terminus de la
première mission Toutée; puis les rapides commencent. L'obs-
tacle de Dessa est un étranglement rocheux; Kendadji paraît
plus difficile, mais nous l'avons franchi en vingt-cinq minutes.
En ce point, le fleuve est dominé sur chaque rive par deux amon-
cellements granitiques, aux roches arrondies, qui semblent
descendues d'un immense tombereau et qui projettent une bar-
rière dans rissa-Bcr. C'est à Kendadji que le plateau nigérien
révèle ses derniers vestiges, son allure générale et sa nature
géologique. Il n'en reste plus que des buttes en forme de trapèze
de 175 à 200 iiicti'cs d'altitude. Ici, la vallée est un dédale ini-
maginable de petits bras et d'îlots, sur lesquels se trouvent de
beaux villages; de superbes autruches y courent en liberté.
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LE NIL FRANÇAIS,
RAPIDES DB KKMlADJI PlIOTOQRAl'Ulh» AVLC LBS ILBS QL'U I UUMli L IbSA-BKR
A 180 MÈTRES PB HAUTBUR SUR LA MONTAONB DB KBNl>AnJI.
Le coton, l'indigo, le riz, le mil, les jardins pota^^^crs, croissent
dans toute cette contrée.
Arrivée à Dounzo^i. — Le 24 décembre, nous passons le rapide
i'Ayorou et jetons l'ancre devant Dounzou, le plus beau poste
de toute la région. Le lieutenant De Saint-Maur qui comman-
dait à Sinder nous y rejoint pour partager avec nous lintéres-
sante hospitalité du lieutenant Thibaut.
Rien ne manque à Dounzou, même les primeurs; Adrien en
est ravi. Immédiatement il s'installe à la cuisine et prépare dos
mets succulents pour les fêtes de Noël. Mes pilotes sont à bout
de forces; Ousman en est pâle; Koloba et Lanciné sont exté-
nués : nous effectuons depuis soixante-dix-huit jours des ét»ipcs
de 35, 40 et même 50 kilomètres. Un repos sérieux semble donc
tout indiqué. Groisne est également souffrant; le froid des
nuits est, pour notre sang épuisé, un stimulant excessif qui
nous donne des accès de fièvre.
Je ne saurais dire combien ces quatre journées de repos
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LE NIGER
RAPIDES DE KE.NDADJI PHOTOaR\PHl£s AVEC LES ILES QUE FORME l'ISSA -BBP
A 180 MÈTRLS DE HAUTEUR SUR LA MONTAGNE DE KBADADJI.
furent agréables. Le paysage est charmant; le jeune officier
qui commandait le poste nous était, ainsi que son collègue, des
plus sympathiques. C'est là que nos santés ont acquis la force
dont elles avaient grand besoin pour l'assaut des futurs rapides;
nous avions beaucoup souffert dans les marécages du Bas-
Niger, et mieux que personne, nous sommes à même d'appré-
cier tous les effets salutaires dont nous sommes redevables à
la vallée du Nil français.
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CHAPITRE VII
Le Nil français, Issa-Ber (suite). — Rapide de Labezenga. — Timbouctoa. —
Touareg. — Bellas et Dagas. — Le Bara-Issa et le Koli-Koli. — Naufrage sur
le Débo. — Le delta Niger-Bani. — Le Djoliba. — Ses piroguiers. — La
légende du roi Mouroubo.
JE profitai des bons offices du lieutenant Thibaut et des excel-
lentes relations qu'il entretenait avec ses administrés pour
donner à mes équipages tout le confort nécessaire. La région
est habitée par les Touareg, qui paissent là de superbes trou-
peaux. Un véritable fléau, la peste bovine, réduisit, ces der-
nières années, les richesses des Nomades. La région du Nil
français est tellement semblable à l'Egypte, qu'elle a aussi ses
plaies intermittentes.
Vie des To*Àareg et Régime hydrographique de la Boucle, —
La vie des Touareg est variable, car elle se règle sur la marche
de leurs troupeaux; or ceux-ci se déplacent avec la crue du
Niger et leurs mouvements sont intimement liés à son régime.
Chaque année, vers la fin de juin, les Touareg s'enfoncent
dans l'intérieur de la Boucle et vont hiverner dans la région
des mares grossies par les pluies de la saison. Ils y trouvent
de l'eau, de l'herbe qui croît et se développe avec l'humidité.
De plus, après chaque tornade, lorsque le soleil a pompé les
flaques d'eau, le sol se recouvre d'efflorescences salines, dont
le bétail est très friand et qu'il lèche pour son plus grand bien.
Le chapelet de mares qui s'étend à l'intérieur de la Boucle
du Niger n'est pas indépendant du fleuve. Il existe des canaux
pcrennes qui le font communiquer avec l'Issa-Ber, et chaque
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LE NIGER.
LE TARGUI AN'AOUAR QUI UEPUlb SA SOUMlSttlOiN KLMbU A PUUXIAIITU DB SlNUKIi.
année, vers le milieu d'août, on peut remonter en pirogue à
de grandes distances du fleuve. Nul doute que ce chapelet de
mares soit un ancien fond marin, mais il n'est plus aujour-
d'hui qu'un régulateur de la crue, à l'égal de la région lacustre
que l'on trouve à l'ouest de Timbouctou.
C'est près de ces mares que les Touareg hivernent jusqu'au
mois de mars. A cette époque la sécheresse les repousse vers le
Niger, dont la crue (maxima en février) commence à découvrir
les pâturages riverains. Escomptant déjà ce retour et craignant
de me trouver dans l'impossibilité de nourrir mes équipages
avec les ressources infimes du Kouarra, je résolus d'acheter
un troupeau et de l'envoyer à Say, afin de l'y trouver lors
de ma descente prochaine sur Arenberg. Thibaut fit appeler
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LK TAIlOri KKllMADJI SI K SON CIIAMK\U l»K COIRSK.
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LA MENTALITE DES TOUAREG.
le targui Kermadji qui campait sous la tente à 120 kilomètres
de Dounzou. Celui-ci, monté sur un chameau de course, fran-
chit en un jour la distance qui nous séparait. Je lui demandai
six cent soixante-quinze chèvres et moutons, livrables à Say
dans les dix-huit jours, moyennant un prix déterminé, d'après
échantillons que nous lui montrâmes dans le troupeau du poste.
Il réfléchit, discuta, montra les difficultés de l'entreprise, puis
après mainte pourparlers, nous exposa consciencieusement ce
qu'il pouvait faire. Un noir eut accepté tout de suite nos pro-
positions par obéissance, mémo sans être certain de tenir sa
parole. Il n'en est pas de même des Touareg : ce sont des gens
naïfs et d'une éducation primitive, mais ils sont intelligents
et soucieux de tenir leur promesse. Il fut convenu que deux
hommes des tentes de Kermadji conduiraient le bétail à Say
en vingt et un jours. Je payai d'avance sans hésitation; d'ail-
leurs, à la date indiquée, je trouvai mon troupeau en parfait
état; il s'était même accru d'une dizaine de petits chevreaux
en cours de route. Nous avons dit au lecteur ce que nous
pensons des diverses races riveraines du Niger; il ne nous
semblait donc pas inutile de lui montrer que les Touareg,
aujourd'hui soumis et pacifiés, ne sont pas des gens indignes
de vivre à nos côtés ni incapables de se livrer à des transac-
tions dont nous puissions un jour tirer profit.
Derniers rapides, — Nous quittons Dounzou le 27 décembre;
le convoi remonte et dépasse les seuils de Firkou et fait 40 kilo-
mètres dans sa journée. Le lendemain, vers huit heures du
matin, nous atteignons le rapide de Labezenga, le terrible
gouffre dont les dangers firent couler des flots d'encre et dire
tant de paroles inutiles. Les officiers et soldats européens de
nos territoires du Niger le passent couramment en pirogue;
le convoi l'a franchi en quarante-cinq minutes, bien qu'il ait
4 kilomètres de longueur.
A l'endroit où le rapide commence & se dessiner, le fleuve se
partage en deux bras. Le brus de gauche est barré par deux
lignes de roches formant des cascades entre lesquelles OD
— 499 —
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LE NIGER,
trouve un assez mauvais passage que les Imiigènes n'utilisent
jamais. Le bras de droite est traversé dans toute sa largeur
par un alignement schisteux que le Niger ne tardera pas à
renverser. J'ai tou-
ché dj la main une
roche sur laquelle
mon chaland s'est
accroche ; c'est une
.grosse ardoise qui
n'a pas 20 centimè-
tres d'épaisseur; s'il
y avait un peu plus
de courant tout l'a-
lignement disparaî-
trait; il y a partout
des brèches capa-
bles de livrer pas-
sage à des embar-
cations de la taille
de nos grands cha-
lands en acier. Le
courant n'a pas 8 ki-
lomètres de vitesse.
J'ai fait tirer le Cl 5
à sec pour examiner les traces du passage : le bois n'était môme
pas LTalté.
Rapides ci' Fafa; un coup d'œil sur lu contrée, — Nous trou-
vons ensuite sur notre route les petits rapides de Fafa. La con-
tn'e devient tout à fait sauvaire, elle est presque déserte. C'est
dans ce pays que les Nomades pratiquaient leurs plus terribles
déprédations. 11 n'y a pas deux ans qu'ils ont été mis à la rai-
son : avec le calme reviendront les hommes et les cultures.
Les races m(^ paraissent ici plus complexes et plus variées.
Les Foul])és pillards côtoient les Bellas et les Dagas. Les Bellas
sont des croisements de 'louareL^ et de Foulanis; ce ne sont pas
— îî?00 —
L.s i;i..NAOJ. Ki.l LA fcT SO.N IlIC.' I:T().\ (BEIIGERS
DU roSTK Dli DOU.NZOL).
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NOUS ARRIVONS AU DUT.
les captifs du Targui, mais plutôt des Nomades qui plantent
leurs tentes à côté des siennes, remplissant l'office de régis-
seurs des troupeaux ou de métayers. En raison de sa noblesse
ou de sa descendance,
- „ •'■■'^^
le Targui se contente
de posséder, de sur-
veiller et de débattre
ses intérêts; il passe
un contrat avec le Bcl-
la, qui moyennant re-
devance, s'engage à
lui maintenir son bétail
en bon état sur un ef-
fectif donné. Ce der-
nier dispose de l'excé-
dent ou complète ce
qui manque; mais trop
fier à son tour, il confie
l'avilissante corvée des
pâturages aux bergers
dagas qu'il traîne à sa
suite.
Le !•' janvier à midi,
poursuivant notre rou-
te vers le nord, nous accostons devant l'île de Bourra, dont le
chef Idris nous comble de cadeaux. J'ai mis de côté quelques
conserves fines qu'Adrien accommode avec soin. Il y a exacte-
ment quatre-vingt-cinq jours que nous sommes en route : rai-
son de plus pour organiser un déjeuner confortable et boire à
nos santés. Attablés en plein soleil, nous fêtons la nouvelle
année et nous trinquons au succès de la mission. Le soir, à six
heures, nous étions devant l'île d'Ansongo.
Au but! — Nous voici donc en eau calme, au terme de
notre voyage, réconfortés par le succès du deuxième voyage,
ayant prouvé par deux fois qu'il est possible de pénétrer au
— 203 —
DBROKR DAOA QUI ACCOMPAGNAIT LA FLOTTILLII
BT CIIAQUB SOIR
DBDARQUAIT LB TROUPEAU POUR LB FAIRB PAITRB.
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LE SIGER.
cœur môme du Soudan par le Bas-Niger. Je donnai Tordre de
décharger les embarcations et décidai que nous commencerions,
le 3 janvier, la descente sur Badjibo, où nous ne devions ren-
trer que le 4 février, après une marche de cent dix-neuf
jours^.
En 1899, lors de ma première excursion sur le fleuve, j'avais
atteint et dépassé Ansongo; je me trouvais donc en pays déjà
visité par moi, et je vais dorénavant décrire le Niger d'après
les souvenirs de mes expéditions antérieures.
En fleuve calme. — A partir d' Ansongo jusqu'à Timbouctou,
Ségou, Koulikoro et Toulimandio, c'est-à-dire sur environ
1 400 kilomètres de son cours, le Niger est absolument calme.
Les rives de l'Issa-Ber sont à peu près désertes, parce que les
Touareg ont tout pillé. Cependant nous sommes au milieu
d'une vallée qui, deux siècles auparavant, était habitée tout le
1. J'arrivai à Boussa, le 2 février, le fleure avait repris son régime de la saison
sèche. Les chutes de Garafiri, trop accentuées, nous obligèrent à descendre par
le marigot central de gauche. Le 4 février, de bon matin, le convoi rentrait à
Tenclave d'Arenberg sans le moindre accident, sans la moindre perte. iVlalheu-
reusement, Anlhoine avait contracté en cours de route une dysenterie qui devait
le mener dans la tombe. Je l'envoyai à l'hôpital de Jebba, puis profitai du voyage
de Groisne pour le diriger sur Porto Novo ainsi que Messéant, qu'une fièvre
bilieuse hémalurique avait mis à bout de forces. C'est avec une joie sans mélange
que je retrouvai de Peyronnci sur l'enclave, toujours fidèle au poste, toujours
dévoué, toujours prôt au sacrifice. Les privations, le dur climat, l'isolement, la
fatigue et l'anémie n'avaient point ébranlé son énergie. Je le trouvai prêt à com-
mander le troisième convoi qui parlit de Bùdjibo, le 4 mars, pour Sorbo. Ce fut
derechef un succès aussi brillant que complet. Le troisième territoire militaire
se trouva de ce fait ravitaillé pour un an. A la même époque, mes fond** étaient
totalement épuisés. Seul, je pouvais négocier et faire les démarches pour en
demander au Gouverneur général. J'étais éloigné de toute communication rapide,
et je prévoyais les difficultés de toutes sortes qui pouvaient résulter du manque
d'argent. Je vis immédiatement la gravité de la situation, et me dirigeai en toute
hàle sur Porto Nuvo pour demander les sommes nécessaires au paiement des
piroguiers et à la marche du troisième convoi. C'est encore à l'aimable intervention
de M. LioUird que nous dûmes des subsides; de Peyronnet les reçut par voie de
terre à Suy, précisément le jour où sa caisse était épuisée. Je quittai le Dahomey,
le 4 mars, pour aller déposer mes comptes et mon rapport à Saint-Louis; c'est là
que je fus présenté à M. Hoiime, gouverneur général de l'Afrique occidentale, qui
fut très bienveillant pour nos efforts et qui nous témoigna beaucoup d'intérêt.
Enfin, le l^'" avril, j embarquai sur le paquebot BvésUj des Messageries maritimes,
qui me déposait à Bordeaux, le 7 mai, tout à fait remis de mes fatigues, avec la
conscie ce heureuse du devoir accompli.
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■ ,, - ' » ; ' f > N' ♦
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LES CULTURES DE VISSA-DER.
long des rives et dans les îles. C'était l'époque de l'invasion
des Sonraïs et de leurs luttes avec les Berbères....
En août 1899, Tonié dirigeait la pirogue en aluminium qui sert
à mes déplacements sur le fleuve, et nous marchions souvent
fort tard; il nous était difficile parfois d'apercevoir les campe-
ments au milieu de l'obscurité. Un soir, fatigué par la chaleur
et par la marche, je désespérais de trouver un refuge pour y
passer la nuit, lorsque Tonié changea brusquement de route.
Il venait d'entendre le chant d'un petit oiseau qu'on appelle
au Soudan le « Chass' d'Af », dont il semble porter l'uniforme;
cinq minutes après, nous étions sur un banc de sable criblé de
petits couloirs, au fond desquels l'oiseau dépose ses œufs. Le
lendemain, au lever du jour, je m'aperçus que nous avions
campé devant une île et j'en fis le tour. Elle était ceinte
d'une digue de 50 à 60 centimètres de hauteur et couverte
de rizières, dont les pousses venaient d'être repiquées. Des
rigoles d'irrigation, dans lesquelles l'indigène envoie l'eau du
fleuve au moyen de calebasses, les réunissaient entre elles.
L'indigène sème le grain au mois d'août ou de septembre, puis
lorsque la crue submerge la rive, il ferme complètement la
digue. Le riz pousse ainsi sous l'eau plusieurs jours encore; il
doit être tout près de sa maturité, avant le maximum de la
crue. Les noirs viennent alors avec des pirogues et font la
moisson. Il en est ainsi sur une bonne partie des rives et des
îles, mais naturellement l'étendue de ces cultures est propor-
tionnée à la densité de la population.
Le village de Gao-Gao ou Gogo est à 95 kilomètres en amont
d'Ansongo. C'est l'ancienne capitale de l'empire sonraï dont il
ne reste plus qu'un seul vestige : les ruines de la mosquée. Le
poste est un superbe caravansérail où s'abrite une compagnie
de tirailleurs.
Sur tout son parcours à partir d'Ansongo, l'Issa-Ber est
extrêmement large : il s'étend souvent sur 8 et même 12 kilo-
mètres d'une rive à l'autre; partout il inonde et dépose un
limon fertilisateur. Mais s'il peut produire tout, il ne produit
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LE NIGER.
presque rien; Tindigène chancelle encore sous le coup de
massue qui Ta frappé. Depuis l'invasion targuie, il ne sait s'il
doit renaître ou s'enfoncer sous terre, s'il doit s'enfuir ou s'op-
procher du Niger. Il y a une grande différence entre le bief
Débo-Ansongo et la région Dounzou-Say, au point de vue de la
population et des produits; il n'y en a pas au point de vue de
la fertilité.
Beaucoup de roches plates qu'on trouve sur les rives, portent
des inscriptions touareg : c'est la représentation du dialecte
tamaschèque, au moyen de signes et de dessins des plus pri-
mitifs. C'est à Karou, en aval de Fafa, que j'ai vu les plus
nombreuses et les plus curieuses, elles sont rares à Tosaye et à
Sallakoïra.
Le défilé de Tosaye ou Taoussa se trouve à 105 kilomètres en
amont de Gao, à proximité de l'île de Bourem. C'est une faille
rocheuse, dans laquelle le Niger s'écoule posément; elle ne
présente ni rapides, ni dangers, quelle que soit la crue ou la
saison. D'après un dicton du pays, « une peau de bœuf
n'atteint pas le fond » : cela ne veut pas dire qu'elle surnage,
mais Didon, qui contruisit Carthage sur la dépouille d'un
auroch réduite en lanières, eût bien vite compris le sens de
cette parabole. Il fait une terrible température à Tosaye; le
soleil brûle ces gorges rocheuses, qui surchauffent un air
irrespirable. Des caïmans, longs comme des torpilleurs, tra-
versent à tout instant le Niger, qui n'a pas plus de 250 mètres
de largeur. Ici, nous naviguons en plein désert, c'est la région
de l'aridité par excellence. Des dépressions fort longues et bien
marquées, anciens lits de rivières taries ou de torrents des-
séchés, descendent du nord pour atteindre le fleuve. La plus
importante est celle qui vient aboutir à Bourem et se dirige
vers l'Adrar. On y trouve des puits et des points d'eau, minus-
cules oasis où se reposent les caravanes qui viennent du Sud-
Algérien vers Gao ; c'est la seule route vraiment utilisable et pra-
tique que pourrait suivre une colonne à destination du Touat.
Le désert. — On a souvent discuté sur les causes de l'assèche-
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LE DÉiF.RT S A II A II Ii: y,
ment et de la stérilité grandissante du Saliara. Je ne suis pas
éloigné de croire que jadis, à l'époque du retrait progressif de
la mer africaine, il y ait eu de grandes forets et des palé-
tuviers touffus, plantés
dans la vase à l'cnibou-
chure du Djoliba, du Bani
et de toutes les rivières
aujourd'hui desséchées.
Lorsque la grande masse
d'eau se fut éloignée,
l'évaporation, l'humidité
et les pluies diminuèrent
d'intensité; le sous-sol
marin, d'autre part, doura-
gca les clTlorcscences sa-
lines que nous constatons
chaque jour. Les arbres
ont donc péri; la forêt
s'est éclaircie; puis le so-
leil et la sécheresse ont
achevé de la tuer. Los Ro-
mains pénétraient au cœur de l'Afrique, vers la ré^-ion du Tchad,
en suivant des lignes d'eau qui jalonnaient les lits de ces rivières
taries, que les indigènes appellent des dalhols. Aujourd'hui, les
puits ont disparu. Le Daga qui paît les troupeaux touareg abat,
pour en nourrir ses chèvres, les hautes branches vertes des
mimosas épineux, il détruit ce qui reste de végétation, les der-
niers arbres sur lesquels on puisse compter pour attirer et fixer
les tornades. Il en résulte que, chaque jour, la sécheresse et
l'aridité gagnent du terrain vers le sud, et que des villages, qui
se trouvaient il y a vingt ans à proximité de mares et de puits,
vont chercher l'eau à doux ou trois heures de marche. L'indi-
gène finit par les abandonner.
Je m'arrêtai à Kabara le 11 août 1899, laissant ma pirogue
dans le marigot de Day.
— 209 —
l<b.U.\lli l'i.1 .... UL IM.M-.KT l>riMll)Kl
PAR L*OBJE(.TIK.
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LE NIGER,
Timboiiclou. — Le lecteur connaît déjà, par des ouvrages
spéciaux, la ville sainte, la cité targuie qui fut jadis le siège des
luttes entre Touareg et Sonraïs, la place forte où fut enseveli
Tempire des sultans de Gao. C'est un grand village, dont l'an-
tique mosquée surplombe les cases, de telle façon qu'on en
distingue le faîte du poste de Kabara.
Timbouctou est une cité cosmopolite. Touareg, Bellas, Dagas,
Foulbés, Arabes, Maures, Marocains, Mossis, Macinas, Sonraïs
et Bozos s'y coudoient sur le marché. Le Targui s'y promène
d'une allure fière, la lance au poing; ses tributaires, les Dagas
et les Bellas, vendent du laitage et des brindilles de bois pour
la cuisine; Maures et Marocains détiennent le haut commerce
et traitent les affaires importantes dans leurs maisons. Celles-
ci ne manquent pas d'originalité avec leurs clochetons et leurs
toitures; ce sont des constructions en pisé qui comportent sou-
vent un et même parfois deux étages.
Notre présence a écarté les populations qu'elle gênait; en
sorte que ces dernières ont descendu le Niger, pour s'installer à
120 kilomètres en aval, au village de Rhéro, point où les cara-
vanes traversent le fleuve pour pénétrer dans la boucle et pour
éviter nos octrois.
Timbouctou est assez loin du Niger. A l'époque des hautes
eaux, (de novembre à février), les pirogues viennent accoster
h Kabara qui se trouve à 9 kilomètres de la ville sainte. Tous les
sept ans à peu près la crue monte jusqu'aux murs de la ville
sainte, par les vestiges d'anciens canaux artificiels, aujourd'hui
comblés. Lorsque le fleuve baisse, la crue ne se manifeste plus
qu'au marigot de Day à 4 kilomètres 1/2 de Kabara, puis à la
saison sèche (d'avril à fin juillet) ; cette rigole est impraticable
et les embarcations ne touchent plus qu'à Korioumé (le passage
des fauves), à 7 kilomètres de Kabara, à 16 de Timbouctou. *
Les marchandises qui s'échangent sur le marché sont : le sel
qui provient des salines de Taoudénit, et la gomme du Sahel;
les bestiaux; les grains : mil, riz, blé, maïs; les étoffes : guinées,
cotonnades, couvertures, tapis; les kolas, les peaux, les cuirs et
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LE COMMERCE DE TIMDOUCTOU.
les laines, les perles, les parures, etc., qui proviennent de l'in-
térieur de la Boucle, de Djenné, du Macina, du Haut-Niger. En
un mot les produits du pays sont le sel et la gomme, qu'on
échange contre toutes les
autres denrées. Les Mau-
res qui descendent avec
des bœufs chargés de
barres de sel, traversent
le fleuve et se dirigent
vers Hombori, puis de là
sur Dori ou Ouagadou-
gou ; les pirogues de Djen-
né viennent se charger à
Kabara ou Korioumé, pour
transporter le sel à Sara-
féré, port fluvial de la
Boucle. Une barre, qui
coûte de 16 à 20 francs à
Timbouctou, vaut de 25 à
28 francs à Djenné; 35 francs à Ségou, 40 francs à Koulikoro.
J'avais organisé en 1899 un service commercial entre Kabara et
Djenné, avec de bons chalands en bois et des bateaux en acier.
Les indigènes, heureux de n'avoir plus à redouter la perte de
leurs marchandises, qui placées dans des pirogues se mouil-
laient, fondaient ou se détérioraient, avaient pris d'assaut ces
embarcations, qui rapportaient à l'État 2 et 3000 francs par
mois; mais ce service fut interrompu par ordre. Néanmoins,
ceci peut donner une idée du trafic qui règne dans cette région.
Les marchandises qui de Timbouctou rejoignent le fleuve et
celles qui de Kabara et Korioumé rejoignent Timbouctou, sont
transportées à dos d'âne; il règne sur cette route un mouve-
ment incroyable; il est certain qu'un petit tramway rempla-
cerait avantageusement les bourriquets et ferait des recettes
exceptionnelles.
La région produit du blé, mais les indigènes n'en cultivent
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FiiJJAlK SO.ML.U.
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LE NIGER.
que sur les bords et dans les alluvîons du lac Fati, à cause de
Tcxiguité de leurs besoins. Cette production atteint environ
1200 tonnes chaque année, mais elle peut être décuplée en uti-
lisant les terres analogues de la région lacustre. En somme, il
n'existe à Timbouctou que trois ou quatre produits locaux : sel,
gomme, blé et bestiaux. La seule population capable de cultiver
et susceptible de sympathiser avec nous est la race sonraï, fille
des Sonnis, qui vinrent au xvi« siècle s'établir sur les bords du
Niger. C'est une tribu probablement issue d'autochtones de la
Haute-Egypte aux confins de l'Abyssinie. Ils ont le derme
bronzé, les cheveux civpus, le crâne beaucoup moins pointu
que les noirs. Leur physionomie n'est pas désagréable et on y
trouve souvent de très jolis sujets. La femme adopte deux coif-
fures. Elle peigne ses cheveux en les ramenant de la périphérie
du crâne, vers le sommet; puis les attache de manière à former
trois, quatre ou cinq touffes réparties de l'occiput au milieu du
front; ou bien elle fait deux nattes assez courtes, dont elle
dirige les pointes vers le visage et la nuque.
Je quittai Kabara le 16 août, à destination de Koulikoro. Le
fleuve avait beaucoup monté, c'était la saison des tornades,
le ciel surchargé de nuages m'enveloppait d'une atmosphère
étouffante. Ma pirogue, lancée par une forte équipe, était vio-
lemment secouée; la fatigue de soixante jours et presque de
soixante nuits de navigation se faisait sentir.
Malgré cela, je ne changeai rien à mon itinéraire, et le 17 ma
pirogue quittait l'Issa-Ber pour entrer dans le Bara-Issa et le
Koli-Koli. Le Bara-Issa est un grand bras du fleuve qui part
du Débo, en aval de Gourao, pour aboutir en amont d'Eloua-
ledji. La grande île ainsi formée comprend de nombreux vil-
lages peuls divisés en deux parties. L'une, au bord du fleuve
pour les transactions et les artisans ; l'autre, sur la dune, pour
les chefs et les notables. Toute cette région est des plus riches.
En outre du trafic, l'indigène se livre à la confection de superbes
couvertures en poil de mouton, à la culture des rizières, à la
poche très fructueuse, au commerce du bétail, etc. Nous noua
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LE POIiT DE SAHaLPHE.
arrêtions deux ou trois heures la nuit au bord du fleuve, l'équi-
page dînait ou dormait. Les hyènes, attirées par notre présence,
entonnaient un concert effrayant, elles eurent même l'audace
CnOIX BLEVÊK PRÈS DB KABAKA SUR LU LIEU UU VMT MAbSACRK LU.^SbllU.Mî ALUB.
de fouiller dans mes caisses. Je les fusillai de mon mieux et
dus môme en blesser plusieurs, car elles s'éloignèrent en pous-
sant des ricanements sinistres. Le 18 août à minuit, je pris terre
à Sarafcré, superbe village au confluent du Dara-Issa et du
Koli-Koli. C'est un port extrêmement encombré. Il y avait plus
de cent cinquante pirogues, grandes et petites, capables d'em-
barquer 2, 5, 10 et môme 15 tonnes et qui, venues de Djcnné,
Ségou, Koulikoro, Kabara, Diafarabé, etc., attendaient du riz et
du mil pour s'en retourner. Le port de Sarafcré est bien aussi
important que celui de Bercy, à Paris. Toutes les marchandises
à destination, ou provenant de la Boucle, passent en ce point
où le fama (roi) de Bandiagara Aguibou prélevait des droits
d'entrée fort respectables.
Le Koli-Koli est un marigot qui va rejoindre le Niger en
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LE NIGER.
amont du lac Débo, c'est une rigole que les herbes et le boui-
gou rendent presque impraticable.
Il est tributaire d'une zone d'inondations ayant 200 kilomètres
de long et 150 de large, laquelle se compose des terrains sub-
mergés par le Niger et ses canaux, et des lacs Débo, Tclc,
Fati, Faguibine, etc., qui se trouvent à l'ouest de l'Issa-Bcr.
Lorsque la crue occidentale se fait sentir, la région tout entière
absorbe les eaux et le trop-plein du fleuve qui se répand de
tous côtés sur cette immense étendue. Mais le Débo n'est pas un
lac, c'est un plateau, dont le niveau moyen se trouve à 2 ou
3 mètres au-dessus du thalweg de TIssa-Ber. Des bancs de sable,
véritables barres surélevées, se trouvent aux portes d'entrée et
de sortie du Niger dans ce lac, en sorte que la crue ne peut
pénétrer la zone d'inondations qu'après avoir submergé ces
barres.
Nous expliquerons plus loin le mécanisme de ce système
hydrographique, et nous verrons comment la région lacustre
joue le rôle de condenseur par rapport à la crue.
Après avoir sillonné le Koli-Koli, non sans peine, je revins
dans le Bara-Issa et débouchai sur le Débo, le 21 août, vers
midi. La tornade menaçait ; mais, pressé d'arriver, je fis mar-
cher mes laptots à la pagaie pour couper le lac par son milieu.
Tout à coup, le vent se déchaîna avec une telle violence que
cette petite mer se mit à rouler d'énormes vagues. Je donnai
l'ordre de gagner la rive, dont nous étions éloignés de 2 kilo-
mètres; mais à 200 mètres du bord, les embruns embarquant
sans cesse firent couler ma pirogue par 3 mètres de fond. Ce
fut une baignade générale; je nageais en poussant devant moi
une cantine d'effets, qui seule n'avait pas sombré; les laptots
m'escortaient, prêts à me porter secours et poussaient des cris
pour éloigner les caïmans. Les gens du village de Gourao
vinrent à notre aide, mais il fallut attendre que le vent fût
calmé pour renflouer la pirogue, la tirer à sec et la vider. Je
passai ainsi la journée, vêtu d'une serviette, caché, ainsi que
mes laptots, dans les taillis, sous une avalanche d'eau qui nous
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LA PLAINE DE DJENNE.
fouettait Téchine. Enfin, vers six heures, le mauvais temps
s'apaisa, mes hommes avaient recueilli tout ce que les vagues
jetaient sur le rivage ; nous avions perdu nos vivres et quel-
ques peaux de bouc renfermant des effets; malgré cela je me
remis en route, lesté de laitage que les riverains nous avaient
procuré. Nous quittions le Débo, à dix heures du soir, pour
entrer dans les inondations, au milieu d'un océan de bourgou,
sur lequel volait un nuage de moustiques. C'est à la sortie du
Débo que se termine l'Issa-Bcr et que commence le troisième
fleuve le Dioliba, qui s'étend depuis le lac jusqu'aux sources
du Nil français.
DJoliba. Le déUa Niger- Bani, — Le poste de Mopti, où
j'arrivai le surlendemain, accablé de chaleur et de fatigue, est
au confluent du Niger et du Bani, sur la rive droite de ce
dernier, au bord des plaines inondées qui s'étendent jusqu'à la
falaise de Bandiagara. D'ailleurs, la route qui conduit à ce
grand centre est submergée, les voyageurs la font en pirogue,
et ce n'est guère que de janvier à fin juin qu'elle est sèche et
résistante.
Le Bani est un ancien fleuve. Aujourd'hui, c'est une rivière
collatérale du Djoliba ; jadis, il en devait être indépendant et se
jeter dans une mer aujourd'hui disparue.
Il est fort probable que cet océan, aux limites Imprécises,
ayant reculé progressivement, donna naissance à la région
lacustre, au delta Niger-Bani et découvrit l'immensité des
sables sahariens. C'est alors que le Djoliba et le Bani vinrent
irriguer la plaine naissante de Djenné et cherchèrent à se
pénétrer réciproquement en creusant les innombrables rigoles
qui sillonnent leur ancien delta. Tout ce pays est extrêmement
fertile et capable de produire des récoltes superbes; malheu-
reusement il manque de travailleurs. L'auteur du Tarikh es
Soudan nous apprend qu'au xvii* siècle la province de Djenné
comptait 7077 villages (il n'y en a pas 400 de nos jours), soit
environ 4000000 d'habitants, et que le sultan communiquait
avec celui de Timbouctou en faisant crier ses messages d'un
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LE M G EU.
village à l'autre. Il est probable que les richesses renaîtront
avec le calme et que ces populations prolifiques rendront un jour
aux rizières envahies par les herbes, l'essor des temps passés.
Djenné^ fut jadis une grande cité, elle a moins souffert que
ïimbouctou, en sorte que cette ville présente encore beaucoup
d'intérêt. Ses maisons sont fort bien construites, des escaliers
larges et divisés en fractions d'étages conduisent aux diverses
pièces dans lesquelles se traitent les affaires commerciales
importantes. Les planchers sont faits de palmiers enchevêtrés,
qui, recouverts d'un excellent pisé, sont propres et d'un usage
agréable. Tout décèle à Djenné les effets d'une civilisation très
avancée. Les terrasses comportent de petites guérites destinées
aux latrines et des tuj'aux de poterie débouchent au rez-de-
chaussée dans de grands vases que l'on jette au fleuve chaque
matin. Les eaux de pluie s'écoulent par des gouttières creusées
dans le tronc des rôniers fendus dans la longueur; d'innom-
brables pigeons, que les indigènes respectent et vénèrent, se
posent sur les chéneaux et sur les clochetons pointus dont
s'ornent les toitures. Je remarquai, au-dessus de la porte de
chaque maison, des cornes de chèvres piquées dans la maçon-
nerie : ces ornements servent à retenir les stores lorsqu'ils sont
roulés. Les portes des maisons sont monumentales et dessinées
à la façon des grandes cheminées de nos vieux châteaux; les
piédroits s'élancent jusqu'à la toiture, recouverts de dessins et
de rosaces. Les rues sont étroites, sinueuses, mais propres. Le
coup d'œil qui se déroula sous mes yeux, lorsque je montai sur
la terrassse du cercle, est fort intéressant : on ne voit que
des clochetons, des terrasses, des guérites, quelques touffes
d'arbres qui dopassent, et devant moi s'étendait, immense, la
plaine riante et verte de Djenné, sillonnée de canaux et teintée
de bleu par les méandres du Bani.
1. Djenné, Djeuné, Pjinnè, Guinea, Guinée. Comme on le voit cette ville a
donné son nom à notre colonie de la Guinée et probablement aussi à la Nouvelle
Guinée d'Océanie dont les imligènos présentèrent aux navigateurs un type cna-
logue à celui dos habitants de la cité soudanaise.
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LA CAPITALE DE DJENNiL
LB ML FRANÇAIS INONDANT LES RIVES DB SA CRUE PliRTlLlSANTF
A tous égards, cette ancienne capitale est admirablement
située. Des canaux et des marigots, qui l'enserrent de toutes
parts, conduisent vers le Bani ou vers le Djoliba, vers les
forêts de Koutiala, vers le Macina, le Mossi, les territoires do
la Boucle, vers Saraféré, Kabara, vers Ségou, Sansanding,
Nyamina, Bamako; d'autre part, de belles pirogues longues,
solides et souvent chargées de 12 à 15 tonnes, sont mouillées
devant les remparts, au pied des ruines de la vieille mosquée,
détruite par le feu du ciel et sous les murs de laquelle Allah
ensevelit les Toucouleurs pour les châtier de leur dépravation.
Il règne au marché une activité considérable, mais elle devait
être plus grande autrefois. Les produits les plus variés y sont
échanges contre les denrées provenant des pays voisins. Do
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LE MCrEIÎ,
plus, la région, quoique manquant de bras, produit du mil et
du riz en abondance; c'est le grenier du Soudan, c'est là que
nos fils et nos successeurs verront renaître à la culture ces
immenses rizières, que les herbes et les lotus recouvrent en
partie à l'heure actuelle. Et ce jour-là, Djenné redeviendra la
reine des cités commerciales de notre empire africain.
Après avoir reconnu les marigots du delta Bani-Djoliba, je
rentrai à Koulikoro, le l»' septembre, par Sansanding, Ségou
et Nyamina. Ce sont de grands centres, de beaux villages, des
régions cultivées où les terres sont riches et productives. C'est
le vrai pays du Nil français. Le fleuve avait beaucoup monté,
l'inondation recouvrait les berges et déposait son apport
annuel de limon fcrtilisateur; je naviguais dans les champs
de mil, sur les rizières, parfois même à travers la forêt.
BambaraS'Somonos et Bozos, — Mes hommes étaient à bout
de forces, nous avions fait un trajet de 3 700 kilomètres sur
le fleuve, effectuant chaque jour des étapes qui variaient de
90 à 130 kilomètres. Nous étions de retour dans le pays bam-
bara, au pied du plateau du Bélédougou, chez des peuplades
très accueillantes qui venaient me saluer et m*apporter dea
vivres.
Les Bambaras constituent Tune des plus importantes tribus
de la race mandé. Voyageurs, navigateurs et commerçants, les
Mandés se sont répandus sur le fleuve, à travers la Boucle et
le Soudan. Croisés avec les Sonraïs, ils ont produit sur l'Issa-
Bcr les Courtébés, les Ilabcs, les Ouagobés, dont nous avons
déjà parlé; avec les habitants de l'empire de Djenné, Sonraïs
également, ils ont donné la secte des Bozos, piroguiers de
rissa-Ber et du Bani; avec les Somonos, race émigrée du
Kouarra qui, je crois, provient des Kambaris et remonte le
fleuve en partant des rapides de Boussa, ils ont produit une
caste de piroguiers, de gens qui naissent avec la science de
la navigation du Niger. Ce sont les Somonos-Bambaras. Le
Somono diffère très peu du Kambari. Les Bozos, au contraire,
ont bien plutôt l'aspect du Sonraï et du Courtébé; le type pur
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LES MANDES ET LEURS COLLATERAUX.
ZAJUUNA8 OB KlItTACtlI.
est très original et sa coiffure, faite de nattes et de tire-bou-
chons, lui donne un cachet très particulier.
Somonos et Bambaras vivent côte à côte; chaque village du
Djoliba se compose de deux parties, qui sont toujours en par-
faite harmonie; d'ailleurs, le piroguier se rapproche tellement
de la race mandé, qu'il serait difficile de l'en distinguer, s'il
n'avait les cheveux rasés, tandis que le Bambara de la cam-
pagne porte sur chaque tempe une grosse natte, dans laquelle
il glisse des faux cheveux ou du coton bleu pour la rendre plus
épaisse.
La physionomie des Mandés n'est pas désagréable. Le crâne
est pointu, aplati vers les tempes, le prognathisme n'est pas
excessif. Les pommettes larges, le nez souvent droit et bien
accentué, de jolis yeux, très doux et très grands, le menton
rond, les maxillaires puissants, la bouche fine, éclairée par des
dents merveilleuses, l'oreille bien faite et bien placée. L'homme
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Lb NIGER,
du fleuve surtout est admirublomciit construit, rexercicc da
bambou et de la pagaie développe ses muscles, affine sa taille.
Il est d'une force extraordinaire. J'ai vu des laptots qui por-
taient sur le bras replié des sacs de blé de 100 à 120 kilos.
Dans les rapides, mes pilotes réagissaient de la barre contre la
poussée des tourbillons et supportaient des pressions énormes
sans être renversés.
Les Bambaras s'attribuent des descendances ancestrales qui
constituent un cas de totémisme extrêmement curieux. Leurs
noms de famille sont au nombre de douze, répartis suivant une
échelle de noblesse. Les voici par ordre de priorité décroissante
avec leurs significations respectives et les descendances de
chaque famille : Couloubaly descend de l'irax; Taraoré, du
lièvre; Diara, du lion; Kumara, du lion ('gaiement; Kané,
Ko)ié, Kanlé, du léopard; Fofana, de la panthère; Doumbia, de
l'antilope; Guiré, du sanglier; SamuLé, de l'éléphant; Kéita, de
l'hippopotame; Mariko, du caïman; Touré, du musulman.
Les Bambaras étant fétichistes et n'adoptant qu'avec des
corrections nombreuses la doctrine de l'islam, la famille du
musulman est reléguée au dernier plan. Ces noms génériques
sont toujours accompagnés de prénoms qui distinguent les
individus de chaque tribu. Ainsi, mes pilotes s'appelaient :
Tonié Taraoré, Baniessé Couloubaly, Lanciné Guiré, Amadi
Diara, Oumarou Kané, etc.; tous ces prénoms sont d'origine
arabe, mais les noirs les ont défigurés en les prononçant à leur
façon.
Ce qu'il y a de plus original, c'est que le Bambara Mariko
croit être le petit-fils du caïman, Samaké, le descendant de
l'éléphant, Kéita, le parent de l'hippopolame, en sorte qu'ils ne
sauraient attaquer ou chasser leurs grands-pères. Ainsi, l'on
voit couramment un piroguier, nommé Mariko, se baigner dans
le fleuve à côté d'un caïman, persuadé que celui-ci ne saurait
lui vouloir du mal, et s'il devient la proie d'tin crocodile, les
noirs sont persuadés que ses aïeux le rappelaient vers onx.
Les villages bambaras du Bélédougou sont riches, bien cons-
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LE ROI DES SOMOISOS.
truits et très peuplés. Llndigène habite des cases en terre,
recouvertes de terrasses ; il réserve la case recouverte de pail-
lotte pour ses bestiaux, ses grains et ses provisions. Les cul-
tures sont belles et variées; riz, mil, maïs, patates, manioc,
arachides, piments, tabac, coton, indigo, etc. ; le pays produit
du karité en quantités considérables; il y a de belles forêts avec
les essences de bois que nous avons précédemment indiquées;
les bestiaux sont bien soignés; le miel abonde. Plus au sud,
dans les pays Sénofos, le caoutchouc, l'ivoire, se joignent à ces
produits, tout cela dépend des latitudes sous lesquelles on
opère.
Le Bambara de la campagne extrait des minerais, qu'il grille
dans ses hauts fourneaux, le fer pour ses instruments de cul-
ture, pour sa lance et pour ses armes. C'est un guerrier très
brave et vigoureux, c'est un cultivateur patient qui sait se
défendre. Cette race nous a fourni tous les travailleurs, depuis
ceux qui manient la pelle et la pioche sur nos chantiers, jus-
qu'à celui qui dirige nos machines. C'est avec elle que nous
avons formé ces beaux régiments de tirailleurs, dont la
bravoure et l'entrain nous ont assuré la conquête de vastes
territoires, et nous ont permis d'imposer au Soudan nos idées
pacifiques et notre civilisation.
La légende de Mourou^to. — Le Somono n'a jamais pris part
aux guerres que soutenaient ses collatéraux avec les Toucou-
leurs. Navigateur, transporteur fluvial et commerçant avant
tout, le piroguier s'est toujours maintenu dans la plus stricte
neutralité. Les luttes intestines n'ont jamais interrompu ses
chants; c'est lui qui, dans le calme des nuits, fait retentir les
airs des belles mélopées dont nous avons dit le charme péné-
trant.
La légende des Somonos est des plus anciennes; Mourouho,
le héros de la caste, vécut à l'époque de l'invasion sonraï; ses
exploits sont actuellement célébrés dans un langage bizarre,
formé de mots bambaras et de paroles étranges dont les
Somonos ne comprennent plus le sens.
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LE NIGER,
Mourouho, roi des piroguiers du Djoliba, naviguait dans
une pirogue de diala (caïlccdrat), que des lamentins^ traî-
naient et dirigeaient sur le fleuve. Il était partout, connaissait
tous les hommes et leurs actes, tous les villages et leurs
richesses. Aucun obstacle, aucun être vivant n'aurait su
dompter la vaillante énergie du chef somono. Il terrassait le
lion aux abords des forêts ; d'un geste il écartait les caïmans.
Les rapides ne l'intimidaient pas, son œil exercé distinguait
toutes les passes, il dressait les jeunes hommes à les franchir.
Un jour, la pirogue de diala disparut, les lamentins s'enfuirent,
une violente tempête souleva les eaux du Niger, et l'on vit le
roi des Bozos s'envoler sur les flots.
Lorsque les guerres survinrent entre Toucouleurs et Bam-
haras, Alakaïdou, nouveau chef des Bozos, vit se dresser sur
la rive l'ombre de Mourouho qui lui donnait du geste Tordre
impératif de déposer les armes. Depuis ce jour, Somonos et
Bozos sont restés neutres dans toutes ces luttes de races à
tribu ; mais ils ont continué leur commerce, leurs transports et
leurs transactions sur le fleuve, mettant à contribution chacun
des partis opposés pour les faire passer d'une rive à l'autre.
Les Somonos sont presque toujours influents, riches et d'un
caractère pacifique. Ils chantent sans cesse l'éloge de leur
chef, ils exaltent ses vertus guerrières, sa bravoure, ses qua-
lités et le bon exemple qu'il leur donnait à tous. « Maudit soit
celui qui méconnaît notre vieux roi Mourouho » I disent-ils.
1. Les lamenlins sont des mammifères que les noirs appellent « hommej
da fleuve » \ ils sont très grands et nagent avec une extrême rapidité.
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CHAPITRE VIII
Le Djoliba (suite). — Koulikoro. — Le Rocher fétiche. — Saison des pluies. —
Grue générale du Niger. — Hypotlicse sur la formation de sa vallée. — Résumé.
— Conclusions.
LE fleuve est calme jusqu'à Koulikoro, mais, à partir de Touli-
mandio (22 kilomètres en amont), les roches émergeantes
forment des rapides assez difficiles, en face des villages de
Manambougou et de Sotouba. La navigation redevient sans
écueils, dans le bief Bamako-Kouroussa.
Nous avons laissé, à Kendadji, le plateau Nigérien et sa
falaise dominant le fleuve de 180 mètres. Celle-ci disparait
presque des rives de l'Issa-Ber. Nous la retrouvons sur le Djo-
liba, élevée de 130 à 135 mètres. Elle suit le contour du golfe
ou plutôt de la mer disparue, dont nous avons parlé précé-
demment. A Bamako, le plateau Nigérien domine encore le
fleuve de 126 à 130 mètres. D'après les renseignements qui nous
ont été fournis, son allure générale serait plutôt descendante,
à mesure que l'on s'approche du Tchad ou du Bornou.
Le port de Koulikoro. — Ce que l'on appelle au Soudan le
rocher de Koulikoro se compose de trois blocs de grès rose,
séparés par des crevasses, sillonnés par des cannelures, et
mesurant 80 mètres de hauteur. C'est l'ossature de la falaise
nigérienne . La masse en est mystérieuse et sauvage ; des
cavernes profondes s'enfoncent entre ses assises de pierre.
C'est le repaire des hyènes, des chacals, des panthères et des
singes qui, la nuit, descendent boire au fleuve, au milieu d'un
concert infernal. Ces animaux poussaient leurs investigations
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LF. NIGER.
nocturnes jusqu'à l'intérieur de ma case, dont je laissais la
porte ouverte. Il me fallut en tuer plusieurs pour leur faire
perdre cette mauvaise habitude; ceux qui restaient se conso-
lèrent en égorgeant nos moutons.
Comme le Djou-Djou de Jebba, le rocher de Koulikoro jouit
d'une renommée diabolique; il est fétiche. L'esclave fugitif qui
parvient à le toucher avant d'avoir été rejoint par son maître,
devient, de ce fait, un homme libre; les Somonos portent leurs
filets dans ses cavernes, pour attirer les faveurs de l'Esprit qui
peut rendre les pèches fructueuses; le Bambara qui cherche la
réalisation d'un vœu, s'y confond en prières, y prodigue les
offrandes.
C'est le sorcier du rocher qui prescrit les dons, détermine les
prières et la durée des mortifications. Fort intrigué, j'eusse payé
fort cher pour connaître le personnage qui tirait bénéfice de
tous ces sortilèges. Un soir, à la nuit tombante, muni d'une
baguette, je grimpai sur la corniche et me dissimulai derrière
un euphorbe, à proximité de calebasses garnies de victuailles
récemment apportées là. Mon attente ne fut pas de longue
durée. Un être humain s'avançait, d'une allure dégagée, mar-
mottant entre ses mâchoires des paroles dont le sens m'échap-
pait. Il s'approcha de la caverne, tira les filets; mais, au moment
où sa main s'allongeait voluptueusement vers les calebasses,
je lui allongeai un coup de baguette sec et ner\'eux qui lui fit
pousser un cri de frayeur. Sa stupéfaction ne fut pas moindre
lorsqu'il me vit, debout, en face de lui. Se croyant en présence
du diable, auquel il adressait ses fidèles, il se confondit en
lamentations et tomba la face contre terre. Rien n'est plus dif-
ficile à reconnaître que le visage d'un nègre dans les ténèbres,
et je ne distinguais pas les traits du visiteur nocturne. Ce n'est
qu'à la lueur d'une allumette que je reconnus le chef d'un vil-
lage voisin, un vieux farceur qui n'en était pas à son coup d'es-
sai. Il promit de ne plus recommencer, et je lui pardonnai.
Transactions fluviales. — Lorsque je commandais, durant les
années 1898 et 1899, le poste de Koulikoro, j'assistais aux tran-
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LA CRUE DU NIGER.
sactions fluviales de la région. Mes attributions s'étendaient
même, suivant les instructions que m'avait données le général
de Trentinian, lieutenant gouverneur du Soudan, jusqu'à favo-
riser les opérations des commerçants européens et indigènes.
J ai donc vu passer à Koulikoro toutes les denrées quittant le
fleuve pour gagner le Soudan occidental, ou quittant ce der-
nier pour descendre vers Ségou, Djenné, Saraféré et Timbouc-
tou : gomme, blé, mil, riz, maïs, coton, étofTes, indigo, karité,
miel, arachides, patates, beurre, laitage, sel, nattes, poteries,
poisson fumé, bois du pays, pacotille, bétail, que sais-je! se
croisaient dans le port fluvial, s'échangeaient sur le marché.
Le général de Trentinian, qui dirigeait tous ses efforts vers
la prospérité de la colonie et qui l'avait dotée d'un plan d'or-
ganisation capable de la mettre rapidement en valeur, voulait
faire de Koulikoro un port fluvial, pratique et bien aménagé.
La Crue générale du Niger, — Nous avons vu que le Djoliba
possède et forme une crue dite occidentale, que reçoit l'Issa-
Ber et qu'il transmet au Kouarra lequel, en outre de la crue
dite orientale, qui lui est propre, voit, quelques mois plus tard,
SCS eaux se grossir des apports du Djoliba.
Il importe de connaître le régime des pluies, pour en tirer
les conclusions afférentes à la crue. Or la saison sèche (à part
huit ou dix jours de pluie fine, en février) dure de novembre
à mars dans le Djoliba supérieur, de fin octobre à fin avril,
dans le bief Koulikoro-Mopti, de septembre à juin, sur tout
rissa-Ber. Le reste du temps constitue donc la saison des pluies,
ou, plus exactement, la saison des tornades. Les premières tor-
nades de la saison consistent en une trombe d'air animée d'une
vitesse considérable, renversant tout sur son passage et déchaî-
nant sur le fleuve une véritable tempête. Malheur au nautonier
qui n'a pas eu le temps de regagner la rive!
Quant à la tornade humide et bienfaisante, elle s'annonce par
une barre noire qui vient de l'est avec une vitesse effrayante.
Une trombe d'air la précède et soulève un nuage de poussière.
Enfln, la pluie s'abat par rafales, transformant les fissures du
-^ 22 j —
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LE NIGER.
sol et les ravins en véritables torrents. Le tonnerre gronde
violcmmçnt dans le ciel obscurci, parfois même la grêle tombe
en grains volumineux. Les Somonos du Niger prédisent Tin-
tensité de la crue par le simple aspect de la lune de mai. Lors-
qu'elle est entourée de nuages et se couche dans un ciel voilé,
la saison des pluies doit être précoce. Lorsqu'elle monte dans
un ciel clair, à reflets roux, la vallée doit mourir de sécheresso.
Ils savent fort bien que la lune dissipe lors de son lever toute
tornade en formation à l'horizon. Tous les sept ans environ, la
crue occidentale atteint des proportions extrêmes; elle arrache
les rives et entraîne des villages. Elle va même baigner les
murs de la ville mystérieuse, en s'infîltrant par les vestiges des
canaux, creusés jadis par les Sonraïs et les Touareg.
Crue occidentale. — Le Djoliba reste stationnaire aux plus
basses eaux pendant la saison sèche. A la fin de mai, la crue se
dessine lente et régulière; puis, soudain, au bout de quelques
jours, le fleuve cesse do monter. C'est que les rigoles parallèles
aux rives s'emplissent en absorbant la crue. Celle-ci reprend
sans interruption jusqu'à la fin de juin et se répand avec lenteur
sur la plaine de Djenné. Le Bani gonfle le Djoliba et double son
débit à hauteur de Mopti, s'il est en avance; ou bien, au con-
traire, le Djoliba refoule ses eaux dans la vallée du Bani, si ce
dernier est en retard.
En juillet, le Niger vient submerger les barres de sortie et
d'entrée du Débo ; l'eau s'étend sur la région lacustre et sur la
grande zone d'inondations qui l'absorbent pendant huit ou
douze jours. Bien que le débit du fleuve soit considérable à
cette époque, il n'en est pas moins vrai que son niveau cesse
de s'élever; quelquefois môme, il baisse, et le graphique d'étiagc
de Koulikoro vient accuser très nettement ce phénomène, par
l'allure stationnaire ou descendante de la courbe. Il reprend
sa marche ascendante lorsque les lacs sont complètement rem-
plis par la crue. Celle-ci force donc, tour à tour, les barres ou
plutôt les clapets d'entrée des petits canaux reliant le Niger au
lac Faguibinc, au Fali, au Télé, aux marécages de Sompi; puis,
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CRUE DU DJOLIDA,
lorsqu'elle a submergé cet ancien fond marin, le Djoliba monte
sans à-coups et très rapidement, sur toute son étendue, pour
atteindre son maximum (7 à 8 mètres) du 20 au 30 septembre.
En octobre, les pluies cessent ou diminuent, l'étiage redescend
alors d'une façon progressive et du même nombre de centi-
mètres tous les jours. Telle est la crue du Djoliba. Elle est
forte, souvent violente, submerge les forêts, fertilise les cam-
pagnes et fait de cette partie du Soudan, enrichie par ses
apports, la haute vallée du Nil français.
Que se passe-t-il sur l'Issa-Ber?
Nous avons laissé la crue occidentale au moment où elle
envahit les lacs en submergeant les clapets de leurs canaux
d'adduction. Le débit du Niger, en aval de la dernière veine
liquide, aux environs d'Eloualedji, est assez modéré jusqu'au
mois de septembre. Kabara est encore loin du fleuve, les débar-
quements se font au marigot de Day. En novembre, la région
lacustre a reçu la totalité des crues combinées du Niger et du
Bani, elle atteint elle-même son maximum d'étiage et com-
mence à s'épancher en aval avec intensité. Elle va rendre au
fleuve ce qu'elle en a reçu, elle va se dégonfler, comme un
réservoir qui se vide, comme un condenseur de la crue et de
l'inondation. Nous allons la voir alimenter l'Issa-Ber pendant
six mois.
Gomment ce condenseur fait-il la distribution des eaux qu'il
a reçues? Le Débo se vide le premier, l'Issa-Ber descend et
découvre les clapets dans l'ordre suivant lequel on les ren-
contre en allant vers l'amont. Voici, par exemple, le marigot
de Goundam qui relie le fleuve au lac Fati. Le fleuve baisse;
il arrive donc un moment où son niveau devient inférieur à
celui du clapet, qui se trouve à l'entrée de ce canal. Il en résulte
immédiatement que le Fati, gonflé par la crue, cède une partie
de ses eaux au Niger, dont la masse va grossissant. Et, comme
il faut un certain temps pour que chaque lac agisse de même,
on conçoit aisément que la crue occidentale se maintienne long-
temps dans l'Issa-Ber et qu'elle ne le traverse pas comme un
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LE MGER.
mascaret. Le maximum d'étiage se produit en janvier, à Kabara;
à la fin de février, à Say; l'eau monte de 6 à 10 millimètres par
jour depuis la fin d'août jusqu'aux premiers jours de mars, puis
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Janv, Févr Mars Avril Mai Juin Juil. Août Sept Octo. Nov. Dec
ETIAOB OB SAY 1901 (ISSA-BBRJ.
elle redescend de môme. La crue occidentale présente ceci de
tout à fait particulier, qu'elle se produit ici en pleine saison
sèche; qu'elle dépose une alluvion extrêmement fertile, et que,
lente et progressive, elle arrose toute cette région, sans rien
arracher, sans rien détruire.
Crue orientale. — La région que traverse le Kouarra possède
une saison des pluies analogue à celle du Djoliba. Elle com-
mence deux ou trois semaines plus tôt (à la fin d'avril), se ter-
mine dix ou quinze jours plus tard, et se manifeste par des
pluies diluviennes plus intenses. Dans la région des rapides de
Doussa, les eaux s'engouffrent avec une violence effroyable ; le
fleuve devient alors un torrent qui, sous l'influence d'une
tornade, monte de 2 mètres en quelques heures et redescend
de moitié le lendemain.
Le graphique d'étiage accuse ainsi toute une série de sou-
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CRUE DE L'ISSA'DER.
bresauts qui caractérisent ce fleuve rapide et tourmenté. Ici
le maximum de la crue se produit du l" au 10 septembre. Le
Kouarra monte vers la fin de mai par à-coups très brusques,
Janv. Févn Mars Avnl Mai Juin Juil. Août Sept. Octo. Nov. Dec.
KTIAQB DB GAVA 1901 (KOUARRA).
puis redescend. Au mois de juin, il élève son niveau d'une
façon presque régulière et progressive pendant quelques jours;
mais en juillet et août, la crue fait des bonds prodigieux. Cette
irrégularité se prolonge ainsi jusqu'en octobre, puis le Niger
descend lentement, comme le Djoliba, précisément à la même
époque.
Seulement, il existe une différence considérable entre les
deux fleuves. Le Djoliba baisse, mais il est alimenté par des
sources, le Kouarra descend, et si nous supprimons l'Issa-Ber,
il va se trouver à sec et son lit deviendra le ravin rocheux que
nous connaissons. Fort heureusement pour lui, la crue occi-
dentale arrive à point, ses effets commencent à se faire sentir à
Gaya vers la fin de novembre, à Badjibo dans les premiers jours
de janvier. L'étiage de l'enclave remonte tout doucement de 3
à 4 millimètres par jour, jusqu'à la fin de mars, puis il redes-
cend de même jusqu'aux pluies qui précèdent la crue orientale.
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LE NIGER,
Gomme on lo voit, les rives du Kouarra, sur lesquelles passent
deux crues, sont donc constamment inondées, ce sont des
marécages, absolument impropres à la culture, d'où résulte
l'intense pauvreté de ce pays.
q 10 20jO'û ?o 31 30 5D 31 30 31 30 31 31 28 5
Avril Mat Juin JuiL Août Sept. Octo. Nov. Dec. Janv Févr. Mars
LTIAGE DE UADJIUO 1901 (kOUAIlRA).
Depuis la fin froctobre jusqu'au 15 avril de l'année suivante,
il faut choisir judicieusement les marigots propices à la des-
cente des rapides de Boussa. Mais lorsqu'on connaît les routes,
lorsqu'on possède les mouvements de la crue, lorsqu'on a sous
les yeux le graphique d'étiage résultant des moyennes de plu-
sieurs années, on peut et l'on doit passer sans accident. Les
cartes de la mission indiquent les routes.
A partir de Jebba jusqu'à Lokodja, le fleuve se ressent sur-
tout des effets de la crue orientale. Il coule à pleins bords en
août et septembre, puis atteint en décembre un étiage infé-
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DIFFÈRf-NCE ENl RE LU DJOLIBA ET LE KOUirUA.
GBALAMDS DE 30 TO.NNBS CONSTKUlTS A KCULIKURO ANLC LUS bUltt UU PAYS.
rieur qu'il conservera presque invariable jusqu'à la fin de mars,
quel que soit l'apport de la crue occidentale dont le rôle est
uniquement d'entretenir un niveau favorable à la navigation. Il
n'en est plus de même en aval de Lokodja. La Bénoué double
presque le débit du Niger, qui reste accessible jusqu'à la fin de
janvier aux navires de fort tonnage et jusqu'en avril aux stern-
wheeler (bateaux plats à roues arrière) de 150 tonnes. Sur le
Delta, la crue se disperse dans les rivières de Brass, de For-
cados, d'Escravos, etc., dans tous les canaux, dans toutes les
criques. A l'époque de son maximum, elle surélève le niveau
des marées de 50 centimètres à peine à Bouroutou pendant une
quinzaine de jours, puis elle passe insensible, inaperçue.
Comment s'est formée la vallée du Niger actuel, — Nous avons
partagé le fleuve en tronçons : Djoliba, Issa, Kouarra. Nous les
avons étudiés comme trois fleuves indépendants. Considérons
maintenant le Djoliba et le Kouarra comme les pignons d'un
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LE NIGER.
édifice, que nous aurions à relier par un mur de refend.
Admettons l'hypothèse suivante : le Djoliba sort des branche-
ments du Foutah-Djalon; se fraye un chemin dans le Bélé-
dougou, puis vient se jeter dans la mer (aujourd'hui disparue) à
Diafarabé. Le Bani a son embouchure distincte en amont de
San. Le Sahara n'existe pas, l'océan le recouvre ainsi que le
plateau Nigérien*, ce sont des hauts fonds. Les seules terres
émergeantes sont au Dahomey, les monts de l'Atakora, au
Soudan, les monts du Bélédougou, de Kong, du Foutah. Vers
l'est, on ne distingue que les éminences du Sokoto et de l'Air.
Vers le nord, c'est un réseau d'îlots et de massifs montagneux,
qui de l'Adrar va rejoindre en un grand cercle les chaînes
aliiérionnes et le Maroc.
Cette mer intérieure, en réalité peu profonde, se retire pro-
gressivement, elle découvre d'abord le plateau Nigérien. Le
Djoliba et le Bani allongent leurs ramifications (canaux du
Delta), pour prendre contact et se pénétrer.
L'Océan se retire encore et découvre les sables du Sahara,
mais cette mer intérieure communique toujours avec l'Atlan-
tique par une brèche qui se trouve au sud-ouest de Sompi; le
Djoliba continue à s'y déverser, tandis que d'autre part une
saison des pluies s'établit sur la région aoussa, vers le pays
noupé, vers Boussa. Les tornades creusent cette partie du pla-
teau Nigérien et, comme il faut bien que toutes ces masses
d'eau aient une issue, la vallée du Kouarra se dessine à l'époque
où celle du Djoliba est complètement tracée. Un jour enfin,
1. Le plateau Nigérien est un terrain d'aspect uniforme, invariable, que l'on
retrouve partout en Afrique, à Bamako, à Ségou, au Damangara, au Cbari, au
Bas-Niger, au Daliorney. C'est un terrain de compression formé de conglomérats
de fer hydro.xydé et de petits cailloux de quartz, arrondis, roulés. Les parties
que les éléments n'ont pas désagrégées, présentent l'aspect d'un immense nougat.
Au contraire, lorsque les pluies et le soleil ont brisé, détruit et réduit en poussière
rouge le ciment magnétique des conglomérats, les petits rognons de quartz mis en
liberté s'étendent sur d'immenses régions, qui paraissent cailloutées comme les
allées d'un jardin. Rien n'y pousse à l'exception d'arbres d'essence spéciale, qui
restent toujours verts en raison de l'imperméabilité du sous-sol, qui, sous l'in-
fluence de la chaleur solaire, rend l'bumidité qu'il a emmagasinée.
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FORMATION DE LA VALLEE DU NJGEIÎ.
rOcéan s'est retiré tout à fait, il reste encore quelques flaques
d'eau salée. Ce sont les lacs et la cuvette d'inondation : Dia-
farabé, San, Saraleré, Sompi. Le Djoliba s*y précipite, la
recouvre, la submerge, tandis que le Kouarra se creuse et va
chercher sa basse vallée en sautant à 40 mètres de hauteur, les
cataractes du Djou-Diou près Jebba. Voilà donc deux fleuves :
le premier a des sources connues et se perd à Diafarabé dans
une immense cuve d'absorption. Le second n'a pas de sources,
sa vallée commence en amont de Gaya, il se tarit après à
la fin de chaque saison des pluies. Voilà les deux pignons de
rcclifice.
Cependant la région lacustre cherche à se déverser; les eaux
suivent une ligne de plus grande pente; elles se dirigent vers
l'est, franchissent la passe de Tosaye, se choquent à des émi-
ncnccs et trouvent un chemin au sud-est. L'Issa-Ber se dessine,
le voici qui dépose ses eaux au pied des falaises de Gao; le pla-
teau Nigérien cède, il est pris d'assaut par cette masse, tandis
que les pluies ravinent cette vaste table. Le conglomérat fer-
rugineux se désagrège; seule, l'infrastructure granitique ou
schisteuse résiste à l'invasion, l'Issa-Ber saute par- dessus à
Labezenga et perfore la porte de Kendadji. Le voici à Say. La
nature a placé devant lui une faille immense, tortueuse et pro-
fonde. Il s'engage dans ce W, puis débouche en amont des
falaises de Gaya, tandis que le Kouarra commence à les ronger
en aval. Encore un effort, l'Issa-Ber et le Kouarra se rejoignent.
Voilà le mur de refend. Désormais le Kouarra, de fleuve inter-
mittent et torrentueux qu'il était, devient une artère immense,
le Niger devient un fleuve, composé de trois autres, qui prend
sa source près de Farana et qui forme son delta dans le golfe
du Bénin.
Les climats nigériens : l» Délia, — Le voyageur ressent une
impression bizarre en arrivant à proximité du Delta nigérien.
Outre les tribulations de toutes sortes, les débarquements en
surf-boat et les difficultés du transbordement, l'on sent à
quelques milles au large l'odeur fade de la vase, que la chaleur
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LE NIGER,
lourde et humide rend plus désagréable encore. Il y pleut tous
les jours; le soleil y est rare; il se voile sournoisement der-
rière de gros nuages ronds qui forment loupe et congestionnent
en quelques secondes l'Européen non encore acclimaté. Je ne
sais quel est le plus dangereux, d'un soleil torride dans un ciel
bleu ou de cette marmite d'eau bouillante.
La véritable saison des pluies commence à Forcados en
mars, pour finir en septembre. Durant ce laps de temps, la
houle est fréquente du sud-ouest; la mer est agitée, les barres
du littoral sont dangereuses. En décembre et janvier, l'her-
mattan, vent sec du nord-est, souffle une dizaine de fois, et
l'on voit, phénomène étrange, les noirs dont les muqueuses et
la peau se sont accoutumées à l'humidité permanente, devenir
gris sale et leur derme se transformer en poussière pelliculaire.
La température minima est 18», le maximum 34o, elle oscille
de 2'i à 32o durant la période mars-octobre et de 18 à 28° de
novembre à mars. Les tornades et les trombes d'air sont assez
rares. Ce pays, immense tapis de verdure, reçoit des douches
tellement fortes que les terrains émergeants sont inondés plu-
sieurs fois chaque année.
2» Bas-Niger. — Depuis Lokodja jusqu'à Yelloua et Sakassi,
les pluies sont fréquentes. En avril, le thermomètre accuse des
températures excessives. Il n'est pas rare de le voir monter à
46 et même 47 degrés centigrades, et lorsqu'on n'a que 44° à
l'ombre, on se trouve heureux. Les nuits sont meilleures à 36<».
La moyenne pour avril est de 39o8 à 40o. Les pluies abaissent
la chaleur, mais cette humidité qui en résulte vaut moins que
létuve sèche. En septembre, la moyenne générale est de 29 à
30° : pour ma part, j'aime mieux griller au mois d'avril que
bouillir pendant l'hivernage, où l'on se gratte du matin au
soir, harcelé par les bourbouilles, les moustiques, les tsé-tsé,
les sand-flics. C'est en novembre que la vallée du Bas-Niger
devient la terre par excellence de l'insalubrité. La dj'senterie,
le paludisme et la fièvre bilieuse hématurique y tiennent leurs
assises; l'ipéca, la quinine et tous les purgatifs inventés depuis
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LE CLIMAT NIGERIEN.
ITippocrate, sont prescrits sans cesse et souvent impuissants.
Les rives et les marécages s'évaporent, le soleil est voilé par
le brouillard, la brousse est dangereuse et malsaine. Ce n*est
guère qu'en janvier que le ciel se dévoile et que la fraîcheur
des jours et des nuits s'accentue ; la température varie alors
de 14 à 26<» pour remonter en février de 22<» la nuit à 40» le jour.
Le Bas-Niger a en somme un climat très dur et très malsain.
30 Nil français, — Il n'en est plus de même lorsqu'on a quitté
la région montueuse qui borde le Kouarra jusqu'à Sakassi. La
haute vallée du Djoliba depuis Siguiri jusqu'aux sources, diffère
très peu comme climat du bief Bamako-Mopti. La région
Débo-Kabara-Say au contraire pâtit, comme nous l'avons dit,
d'une sécheresse presque continuelle. Sur l'Issa-Ber, les mois
d'avril à juillet sont très durs (34 à 38o la nuit et 42 à 49° le
jour, à mesure que l'on approche des tornades). Puis la tempé-
rature s'abaisse, devient humide, et, lorsque l'hivernage est
terminé, surviennent les grands froids. En novembre, j'ai
observé 14o le matin à 8 h., 41o à 2 h. et 32<» à 6 h. du soir;
en décembre, 7<» le matin, 33» à 2 h. et 21o à 6 h. du soir; en
janvier, 12® le matin, 38o à 2 h. et 24© à 6 h. du soir. De novembre à
mars, les nuits sont fraîches, glaciales, souvent agréables. L'her-
mattan souffle de 6 à 8 h. du matin jusqu'à 2 h. de l'après-midi.
Le colon doit avoir la force de résister à ces écarts, à ces
douches d'air chaud puis glacé. Le vent sec du désert apporte
un air pur et vivifiant, à condition qu'on ne le reçoive pas après
son passage sur des marécages ou des terres remuées.
La température du Djoliba diffère très peu de celle de l'Issa-
Ber; seule la saison des pluies modifie l'état hygrométrique de
l'air, et prolonge l'humidité en raison de sa plus grande durée.
Cependant certaines zones du Djoliba, plus imperméables, plus
inondées ou plus boisées, tendent à se rapprocher du Bas-Niger
comme température. Mais le lecteur jugera de l'insalubrité
permanente du Kouarra d'après ce que nous en avons dit.
Maladies. Hygiène. Conseils au voyageur. — On peut contracter
toutes les maladies possibles dans la vallée du Niger : dysen-
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LE MGER
terie, dyspepsie, furoncles, fièvres bilieuses, lumbagos, torti-
colis, bronchites, diarrhées. Mais là, comme partout, une hygiène
suivie peut enrayer les maux, et la gravité des affections dépend
de la santé qu'on apporte.
La plupart de ces maladies sévissent en France comme au
Soudan. En réalité, le grand ennemi de l'Européen au Niger est
le paludisme; on pourrait môme dire qu'il est le seul. A ce
sujet, les médecins coloniaux sont partagés en deux camps :
l'un partisan de la quinine préventive, l'autre ennemi résolu de
cette pratique. Je ne puis parler que d'après moi, et aussi
d'après tous ceux que j'ai pu connaître ou commander et qui
ont adopté la quinine préventive. Or cela s'applique à plus de
deux cents Européens. Eh bien! chez aucun de nous le palu-
disme n'a pris de forme permanente, chronique et dangereuse.
Aucun de nous n'a subi les atteintes de la fièvre bilieuse héma-
turique. Nous avons eu quelques accès de fièvre, voire môme
de bilieuse, c'est-à-dire des embarras gastriques avec élévation
de température, vomissements et diarrhée de bile dus aux
fatigues excessives que nous avons endurées au cours de cette
mission, mais aucun de ces fervents de la quinine préventive
n'a contracté de fièvres tenaces et de maladies graves.
Il faut encore lutter contre le moustique, ce terrible ennemi,
Vanopheles claviger^ qui sort des marécages et par ses piqûres
donne la fièvre paludéenne. A remarquer, à ce propos, que la
mission Marchand, qui a vécu au régime de la quinine préven-
tive, dans les marécages, qui a humé, respiré des moustiques,
n'a perdu personne de ce fait, ou que du moins son personnel a
été victime d'accidents rares. Sur le Bas-Niger, nous avons été
dévorés par les moustiques, à Guiris nous en avons atrocement
souffert, c'était une atmosphère d'insectes, et elle ne nous a
cependant pas rendus malades. Il est donc fort probable que
l'anophèle communique la fièvre seulement dans les centres où
des Européens sains et indemnes entrent en contact avec des
Européens souffrant du paludisme, du soleil torride, des éma-
nations pernicieuses, dos effluves telluriques.
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HYGIENE ET MALADIES.
Si vous voulez vous bien porter au Soudan , remplissez
d'abord les conditions qu'exigent l'ardeur du soleil, les dan-
gers du climat.
Ne partez qu'à l'âge de vingt-six ou vingt-huit ans, avec le
cerveau, le cœur et l'estomac solides. Mangez à votre appétit
des substances faciles à digérer, supprimez les alcools, buvez
de l'eau filtrée, réconfortez-vous de temps en temps par un peu
de vin généreux, si vous croyez à l'efficacité de ce remède.
Fuyez les apéritifs comme la peste, sortez au soleil s'il le faut,
quand il le faut, puis revenez à l'ombre, prenez de l'exercice
au plein air sous un casque à larges bords, la colonne verté-
brale garantie du soleil par des vêtements suffisants. Couchez-
vous do bonne heure, à 8 heures ou 8 h. 1/2; fatigué par vos
occupations journalières, vous dormirez bien, et le matin vous
serez debout avant le soleil. C'est l'heure où l'on est le plus à
l'aise : on ne souffre pas de la chaleur, le pays éclairé d'une
demi-teinte vous paraît agréable. Ne jouez pas, le jeu énerve, il
empêche de dormir. Si votre travail intellectuel est trop chargé,
efforcez -vous de le couper, de vous distraire entre temps.
Recherchez des camarades qui vivent comme vous, une table
gaie d'où les questions de service soient reléguées aux chan-
tiers, aux bureaux; vivez près de l'indigène, et n'oubliez pas que
sa société est par moments distrayante, instructive.
Vous aurez lu avant de partir qu'il faut habiter dans une case
confortable à 2 mètres au-dessus de terre, que les maisons
doivent être bâties, ventilées, éclairées d'une façon spéciale.
C'est parfaitement vrai; mais au Soudan vous coucherez quatre-
vingt-dix fois sur cent au ras du sol, n'importe où, n'importe
comment. Vous n'en serez pas plus malade pour cela, si vous
avez la constitution voulue, si vous faites le nécessaire. Ne pro-
longez pas trop vos séjours, revenez tous les deux ans au pays
pour respirer l'air pur.
Uêsumè. Concbisions. — Les rapides de Boussa, considérés
par certains explorateurs, comme des obstacles absolus à la
navigation du Niger, ont été franchis cinq fois par la flottille,
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LE NIGER.
c'est-à-dire par des convois de dix-sept et dix-neuf embarca-
tions, sans que nous ayons eu à déplorer le moindre accident.
Il y avait une tâche à la fois délicate et dangereuse à remplir,
c'était la reconnaissance des passages. Nous y avons risqué
plus de cent fois nos existences. Des embarcations comme les
nôtres ne circulaient pas entre les rochers comme des pirogues
d'indigènes. Il nous fallait reconnaître et trouver des chenaux,
des brèches dans les chutes, des paliers dans les cascades.
Cette besogne est aujourd'hui terminée, nous avons remis à
nos successeurs les cartes des rapides, les graphiques d'étiage
et les renseignements suflîsants sur la crue. Nous leur avons
laissé des pilotes connaissant les routes, et plus de deux cents
laptots dressés, habitués, aguerris à la manœuvre. Ils obtien-
dront les mêmes succès que nous. J'ajouterai même que leurs
convois, bien approvisionnés au départ, pourront aisément
remonter tout le Niger, depuis Badjibo jusqu'à Sorbo, sans qu'il
soit nécessaire d'obliger le personnel européen à les suivre
constamment.
A mon avis, la traversée des rapides est, maintenant que
nous en possédons la manœuvre, une opération praticable et
possible. Le rendement des transports par cette voie peut être
doublé, triplé, quadruplé. Tout dépendra du nombre d'embar-
cations employées. Toutée avait reconnu la route et déclarait
que malgré ses difficultés, elle ouvrait la porte du Bas-Niger
à nos territoires du Soudan. Les opérations de la flottille n'ont
pas infirmé cette assertion; bien au contraire, elles en ont fait
une parole prophétique.
Il est évident que si nous pensons trouver dans nos colonies
des routes tracées d'avance, des surfaces aplanies pour y poser
le rail, des fleuves de 4 500 kilomètres aussi paisibles qu'un lac,
nous nous exposons à de grosses déceptions. Le Mékong, dont
les cataractes sont extrêmement dangereuses, et se dressent
à Khôn comme une véritable barrière, fut considéré pendant
de longues années comme une artère impraticable. De vail-
lants et courageux officiers de notre marine ont affronté l'obs-
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LA VOIE DU NIGER EST OUVERTE,
tacle, ils l'ont examiné dans tous ses détails; il en est résulté
que la navigation du Mékong est une chose acquise, un fait
accompli. Nous Tavons mise en pratique avec les précautions
qu'elle exigeait.
Que se passera-t-il pour le Niger? La même chose, à n'en pas
douter. Pendant plusieurs mois de l'année, de fortes chaloupes
animées d'une grande vitesse et mesurant un faible tirant d'eau,
peuvent remonter depuis Jebba jusqu'au pied du village de
Garafiri. La navigation est délicate : il faut savoir bien manœu-
vrer; l'hélice doit être de parfait métal, la chaudière robuste et
en bon état, le pilote a besoin de connaître les passes et le
fleuve avec tous ses secrets. Mais ces difficultés peuvent être
vaincues, d'abord grâce au travail que nous venons de faire,
ensuite au moyen du balisage des chenaux. Rien n'est plus
facile que d'aller cimenter des bouées fixes aux basses eaux;
les pilotes adroits et les bons bateaux ne manquent pas. Le
véritable embarras se présente au rapide de Garafiri.
Nous l'avons passé cinq fois sans accident, mais nous ne le
connaissons pas encore suffisamment. Il y a là plusieurs lignes
de rochers qui barrent le fleuve, non pas en murs à crête hori-
zontale, mais avec de larges brèches qui s'agrandissent de plus
en plus. Malheureusement, ces brèches ne sont pas dans le
prolongement l'une de l'autre, 11 faut, pour aller de l'une à
l'autre, suivre une route sinueuse. Le courant gêne cette
manœuvre, extrêmement dangereuse, surtout à la descente,
parce qu'il porte les embarcations sur les rochers. De plus, les
brèches sont invisibles et submergées. Le meilleur moyen de
les indiquer est d'y placer des balises.
Il est évident que le voyageur muré dans ces gouffres, au
milieu desquels un courant terrible, des trombes et des tour-
billons tendent à l'envelopper, se trouvera peu rassuré. Mais
peu à peu, là comme ailleurs, on arrivera à s'accoutumer au
danger. Nos belles routes de France sont tous les jours, à
toutes les minutes, sillonnées par des automobiles qui filent à
des vitesses inouïes et qui se briseraient au moindre écart, au
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LE NIGER.
moindre choc. Cependant le chauffeur s'habitue à ce genre
de sport, jusqu'à devenir téméraire. Il en sera de même
pour les navigateurs qui parcourront les rapides du Niger.
N'oublions pas, d'ailleurs, que si l'on veut tenter le passage
des rapides en pirogue indigène, on s'exposera inutilement,
tandis qu'avec des embarcations solides, longues, larges, de
manœuvre facile, on n'aura en somme qu'à surmonter sa propre
émotion.
Quant aux rapides du nord, Labezenga, Kendadji, etc., il suf-
fira de quelques cartouches de dynamite, pour agrandir les
nombreuses passes qu'on y rencontre, sans porter préjudice aux
biefs supérieurs.
Ceci dit relativement à la praticabilité de la route fluviale, il
reste maintenant à en démontrer l'utilité.
Le rail du Dahomey doit être prolongé jusqu'à Say ou Gaya.
Il n'est pas de solution meilleure et plus rationnelle; mais il
nous faut attendre encore quelques années, si ce n'est davan-
tage, pour voir cette ligne en exploitation. Jusque là, c'est à la
flottille du Bas-Niger que doivent être confiés les transports à
destination de nos territoires du Soudan oriental, c'est elle qui
doit effectuer les mouvements de matériel (ravitaillement et
produits commerciaux).
A l'époque actuelle, une caisse de 25 kilos rendue par voie de
terre, depuis Porto Novo jusqu'à Say, coûte environ 25 ou
26 francs de portage, non compris les pertes et la casse. Le
noir déteste ces corvées qui l'abrutissent et qui font de nous
son exploiteur, comme au temps de la traite des nègres.
Il préfère s'enfuir n'importe où, plutôt que d'être affecté à
cette dure besogne, qui l'oblige à peiner de longs jours, courbé
sous le fardeau, sans jamais de répit. Au Dahomey, les comman-
dants de poste ont les plus grandes difficultés à recruter cent
porteurs, et lorsqu'il leur en faut davantage, l'indigène s'agite,
menace de se révolter ou s'enfuit dans la brousse. Au cours des
deux dernières campagnes de 1901 à 1902, la flottille du Bas-
Niger a transporté 10000 colis avec 58 laptots sédentaires et
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BUT ET RESULTATS DE LA FLOTTILLE.
150 piroguiers auxiliaires. Pour efTectuer le môme travail avec
des porteurs, il eût fallu, en tenant compte des éclopés et des
parasites de la colonne, une armée de 12 000 hommes au moins.
En admettant qu*on ait pu réunir un tel contingent, il faut
remarquer que, par le fleuve, les tarifs sont de 17 francs par
caisse, sans perte ni casse, rendue de France à Sorbo, point
moyen, alors que le même colis coûte de 27 à 28 francs, pour
être transporté par la voie de Porto Novo.
En définitive, la voie fluviale offre deux avantages aussi impor-
tants Tun que l'autre :
lo Suppression du portage, et ce résultat fait apprécier notre
humanité et la nature de nos sentiments par toutes les popula-
tions riveraines ;
2» Economie d'argent, et ce bénéfice ouvre à nos commerçants
la perspective d'un plus grand profit.
Pour mieux faire ressortir l'utilité de la flottille, j'insiste à
nouveau sur l'intérêt considérable qu'il y aurait à faciliter à
nos compatriotes l'usage des embarcations que nous avons
laissées sur le Niger. C'est le meilleur moyen d'apporter, sur
les marchés du Soudan, tous les produits de notre industrie
nationale capables de lutter contre l'invasion des produits
étrangers.
Je ne saurais terminer sans adresser ici de vifs remerciements
à Monsieur le colonel Peroz dont les encouragements récom-
pensèrent nos efforts, ainsi qu'aux dévoués collaborateurs qui
partagèrent avec enthousiasme les dangers et les diflicultés de
cette mission. Le capitaine de Peyronnet, le lieutenant Ânthoine,
les sous-ofliciers Boury, Groisne et Messéant, n'ont jamais mar-
chandé leurs peines pour que nos efforts fussent couronnés de
succès.
La plus sincère amitié nous unissait et nous unit encore.
Véritable famille isolée sous le ciel inclément du Bas-Niger,
nous mettions en commun nos heures de souffrance, nos jour-
nées de périls, nos semaines de privations, nos éclairs de bonheur.
J'osais espérer que la Providence nous donnerait à tous les
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LE NIGER
douces et réconfortantes joies du retour; un de nous, hélas! ne
les goûta que bien courtes. Le lieutenant Anthoine, qm m*ac-
compagna pendant cent dix-neuf jours au deuxième convoi, ne
put supporter nos excès de fatigue. Miné par la fièvre, terrassé
par la dysenterie, il dut regagner la France, où la mort vint le
frapper quelques jours après son débarquement.
C'est donc au prix de ce sacrifice douloureux, de périls et de
dangers sans nombre, que la voie du Niger est ouverte à notre
empire africain. La vallée du Nil français est pleine de pro-
messes : elle attend pour révéler ses richesses cachées et offrir
ses produits nombreux et variés, que nous venions les recueillir
sur le parcours des voies de communication qui nous restent à
organiser; que nos vapeurs marchent en pleine activité sur le
fleuve; que s'élèvent les gares et les dépôts. La France ne con-
naît pas encore tout ce qu'elle peut demander à ces terres loin-
taines. Si le Soudan n'est pas un pays fertile en tous ses points,
la vallée du Niger, ce que nous appellerons le Nil français (Issa-
Ber et Djoliba), la plaine de Djenné, le Bélédougou, le Ouassou-
lou, le Mossi, le Macina, sont des régions riches et productives
sur de vastes étendues. Nos colonies d'Afrique sont aujourd'hui
des possessions que les guerres intestines laissent en repos
depuis deux ans à peine. Les voilà pacifiées, se prêtant à la
pénétration libre et laborieuse, à l'exploitation que vont favo-
riser les routes et les voies d'accès. La date de l'occupation est
encore trop récente pour que nous osions dès maintenant entre-
voir le Soudan de l'avenir, en commurication rapide et directe
avec la Métropole, ne formant plus qu'un bloc avec nos terri-
toires de l'Algérie et le protectorat Tunisien ; c'est à nos fils
que revient la tâche honorable et laborieuse d'imposer à notre
empire africain un caractère homogène, d'imprimer l'unité à cet
ensemble de territoires, qui s'étendent depuis le Bénin jusqu'à
la Méditerranée.
Notre domaine colonial en Afrique est immense, mais il est
trop jeune, trop récemment conquis pour que nos contempo-
rains aient pu se faire couramment à l'idée de lui prodiguer des
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L'AVENIR DU NIL FRANÇAIS.
bras, et surtout des capitaux. Le temps mettra les choses au
point. Pour ma part, j*ai foi dans Tavenir de notre empire afri-
cain, et, plaçant ma confiance dans le génie de notre race, je
crois de toutes mes forces à la prospérité du Nil français.
Lenfant.
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EXPLICATION THÉORIQUE ET MÉGANIQUE
DE LA CRUE GÉNÉRALE DU NIGER
CHAQUE bief du Niger sera représenté par un vase long, la ré-
gion des lacs et des inondations par un vase plat très large,
les clapets qui figurent les rapides représentent des valves de
régulation uun débit approprié à celui du bief correspondant.
Si nous nous reportons au croquis schématique ci-joint, nous
pouvons expliquer la crue générale de la manière suivante :
1<» Le fleuve monte dans la haute vallée, puis force les valves
de Sotuba après avoir atteint le niveau AB (juin), Teau monte
à Koulikoro en C, D' de manière à remplir jusqu'en Â2, B^ les
marigots compris entre Sotuba et Diafarabé, la crue est donc
absorbée en partie une première fois et le fleuve redescend en
A,B, à Koulikoro pendant deux ou trois jours (fin juin).
Ensuite le niveau s'élève en C"D" à Bamako, la crue reprend
à Koulikoro et monte en C,D. A ce moment précis le fleuve est
arrivé à hauteur des barres, qui obstruent l'entrée de la région
lacustre (Debo), tout prêt à les franchir. Il se déverse donc sur
cette cuvette et inonde, partout où il trouve des débouchés, la
surface de la région lacustre et celle des terrains submersibles
qui s'étendent jusqu'au pied de la falaise de Bandiagara (en
juillet) : niveau C2,D2.
Pendant ce temps, la crue reste immobile à Koulikoro, niveau
C,D, pendant huit à dix jours, le niveau devient C^Dj dans la
région lacustre, puis le Niger prend à Koulikoro, pour la deuxième
fois, un mouvement ascensionnel (fin juillet) jusqu'en EF.
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APPENDICE
A la même époque, la crue orientale monte en a. 6 à Gaya sous
l'influence de la saison des pluies, et le fleuve monte en Cxïfx
à Say. La crue occidentale croît donc progressivement dans le
moyen Niger, mais
en même temps la ré-
gion lacustre se rem-
plit et prend les ni-
veaux KL et E F
août), à mesure que
le fleuve, en aval du
Débo, force les petites
barres ou clapets qui
se trouvent à l'entrée
des marigots qui re-
lient les lacs au Niger.
Chaque fois qu'un cla-
pet s'ouvre pour rem-
plir un lac, rétiagc
de la crue occiden-
tale décroît de 2 ou
3 centimètres; ceci
explique pourquoi la
courbe d'étiage de
Koulikoro indique
pendant la crue des
sauts et des descen-
tes successives, car
chaque lac qui se
remplit est une prise
d'eau à la crue occi-
dentale.
Nous supposons Ici,
bien entendu, que la crue de la région lacustre est produite par
les crues combinées du Niger et du Bani. En août, la crue occi-
dentale atteint à Koulikoro le niveau EF; pendant ce temps le
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8CUÉMA POUR l'explication MÉCANIQUB
DB LA CRUE DU NIGER.
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IV).
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APPENDICE
niveau devient E^ , F^ dans les lacs ; Eo V% dans le bief Kabara-Say.
La crue orientale dont Tétiage a,h, du bief Gaya-Say a pour
corrélatif cd et ef dans les biefs suivants, atteint en août le
niveau a'hf à Gaya a^ô'ete^/'dans les suivants, et le maximum
de cette crue à la fin de septembre, représenté par le niveau
c^b^ du bief Say-Gaya, donne des maximums éd! et €^%^h\ dans
les biefs Gaya-Boussa et Boussa-Delta. A la fin de septembre ou
premiers jours d'octobre, lacrue occidentale prend le niveauGH
de son maximum à Koulikoro; elle atteint une hauteur crois-
sante GJli vers Say; la crue orientale atteint à Gaya sa hauteur
maximum à la même époque^ phénomène très remarquable.
Ainsi donc dans les premiers jours d'octobre la crue occi-
dentale atteint son maximum à Koulikoro, tandis que la crue
orientale atteint le sien à Gaya presque sous la même latitude
et presque le même jour.
La région lacustre est aux plus hautes eaux en décembre
(niveau MN), et c'est à partir de cette époque qu'elle devient
le régulateur des ondes et du débit du Niger.
Si cette immense cuvette n'existait pas, il est probable que la
crue s'écoulerait beaucoup plus vite ; mais chaque lac, par l'inter-
médiaire du marigot ou veine liquide qui le fait communiquer
avec le Niger, renvoie l'eau qu'il a reçue avec une lenteur pro-
portionnelle à l'étroitesse du marigot, et toutes ces petites rivières
ainsi que les barres qui leur servent de clapets ne s'ouvrent
pour ainsi dire, que les unes après les autres pour déverser dans
le Niger, les eaux qu'elles ont prises à ce fleuve et cela seule-
ment lorsque le Niger en baissant débouche leurs entrées, et
prend un niveau inférieur à celui de chaque lac, phénomène
progressif et continu.
Il est en effet très facile de comprendre que si le Niger est
aussi haut que le Fati, le marigot qui alimente ce lac ne peut se
déverser dans le Niger, tandis que si le Niger baisse, il fait
appel au Fati, le niveau du lac suit le môme mouvement, et ses
eaux se déversent dans le fleuve. Ceci explique donc que le
débit du Niger entre Kabara et Say, soit régulier et toujours
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APPENDICE
proportionnel au profil de son lit, ce profil présentant, toutes
choses égales d'ailleurs, une section non pas mathématique-
ment mais sensiblement constante.
Ceci explique également que le fleuve commençant à baisser
à Kabara vers la fin de janvier, tous les clapets qui obstruent
l'entrée des lacs se trouvent débouchés à peu près au mémo
moment, et que le maximum de la crue ne se produise à Say
que du 10 au 20 février, niveau M^Nf.
 Gaya au contraire, la crue orientale baisse jusque vers mi-
novembre en d 6', premier mininum qui est précisément la hau-
teur de la crue occidentale parvenue en ce point. Puis la crue
s'accentue de nouveau pour atteindre son maximum a\yb\, vers
la fin de février, c'est le maximum de la crue occidentale à
Gaya.
Le bief Gaya-Boussa atteint pendant ce temps un second
maximum dans les premiers jours de mars, maximum c,d, cor-
rélatif du précédent.
Nous avons dit précédemment comment se comporte la crue
dans la région Boussa-Delta.
Les pagaies du Niger. — Nous avons rapporté trois pagaies
types, empruntées aux différents biefs du Niger, bief calme
Koulikoro-Ânsongo, rapides du nord Gaya-Ânsongo, rapides de
Boussa, de Sakassi à Jebba.
Dans le bief nord, la pagaie est une cuiller en bois légèrement
épointée, elle est très petite. La pagaie de Labezenga est déjà
plus grande, plus longue, sa surface est à peu près une fois et
demie égale à celle des pagaies de Koulikoro.
Le courant est plus fort, l'homme a besoin de réagir contre
les tourbillons et les contre-courants, il a besoin d'imprimer plus
de résistance.
La pagaie des rapides de Boussa présente un aspect tout
différent. Elle a 3 mètres de longueur, la palette est d'une
surface quadruple. Longue elle-même de 1"»50 et large de O^So,
elle à la forme d'un aviron.
Cette pagaie est le luxe et même l'unique meuble des piro-
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APPENDICE
guiers des rapides, elle est sculptée et présente souvent sur sa
face postérieure un caïman fort bien représente.
L'homme est debout à l'avant de sa pirogue, il incline son
corps presque au niveau de l'eau, et plonge sa pagaie presque
tout entière dans le fleuve, en réagissant de tout son être contre
la violence du courant.
Il suffit de comparer ces trois pagaies, Koulikoro, Labezenga,
Boussa, pour se rendre compte de l'état du fleuve dans chacune
de ces régions, et pour apprécier quelles sont les difllcultés des
grands rapides du Bas-Niger,
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mi-novembre à
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fin octobre
premiers jours de
novembre
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premiers jours
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TABLEAU DE CORRÉLATION DES NIVEAUX
PORTÉS SUR LE CROQUIS SCHÉMATIQUE
BIEFS
SIGUIRI-BAMAKO, niveau AB en juin, CD" en juillet (crue
occidentale).
KOULIKORO-MOPTlj niveau AgBj en juin (crue occidentale);
niveau G^D'i et A^B^ fin juin,, C^D^ en juillet, puis EF
fin juillet, EF en août, GH maximum de la crue fin
septembre et premiers jours d'octobre, MN fin dé-
cembre (crue occidentale),
MARIGOTS SITUÉS ENTRE KOULIKORO ET MOPTIj niveau
CjDa premiers jours de juillet, KL puis EF vers le
milieu d'août (crue occidentale).
RÈGlOy LACUSTRE, KABARA-SAYy niveau C'^iya en juillet,
E2F2 cil août, GH fin septembre, MN maximum fin
février (crue occidentale); G'jD'a en juillet (premiers
effets de la crue orientale).
SAY'GAYA, niveau ab en juillet, a^b* en août, a^b^ fin sep-
tembre (maximum de la crue orientale), a'b' mi-no-
vembre premier minimum, a^b^ premiers jours de
mars (maximum de la crue occidentale qui a mis six
mois pour se propager depuis Koulikoru),
GAYA'BOUSSA, niveau cd en juillet, 02^2 en août, <fd!
premiers jours de septembre (maximum de la crue
orientale), c^d^ en mars (maximum de la crue occi-
dentale)'^.
BOUSSA-DELTA, niveau ef fin juillet, a^bt^ mi-septembre
(maximum de la crue orientale), d^d^ vers le 15 mars
(maximum de la crue occidentale).
1. La crue occidentale snrélèTe le niveau du Bas Niger d*nn mètre
à peine. Cette crue empêche plutdt cette partie du fleuve de devenir un
ravin rociieux totalement à sec. Elle maintient la navigation du fleuve et
prolonge en quelque sorte la crue orientale.
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TABLE DES MATIÈRES
LETTRE-PRÉFACE i
INTRODUCTION v
I. — Préliminaires. — Historique. — Toutée. — Hourst. — L'Occupa-
tion française au Niger. — L'Acte de navigation du Niger du
Traité de Rcrlin. — Voyage par mer. — Passage de la Barre
de Forcados. — Nos Pilotes 1
n. — Débarquement en rade de Forcados. — Voyage à Lagos et au
Dahomey. — A la recherche d'un remorqueur. — Le port de la
Niger Company à Bouroutou. — La rivière Forcados et ses méan-
dres. — En route. — Nous arrivons sur le Niger. — Les trois
bassins du Niger : le Kouarra, l'Issa, le Djoliba 23
ni. — Montée du Niger. — Les factoreries anglaises. — Onitcha. —
Lokodja. — Le confluent du Niger et de la Bénoué. — Eggan. —
Rabba. — Le plateau nigérien. — Arrivée à Jebba. — Sir Fré-
dérik Lugard. — Le camp des Anglaisa Jebba. — Débarquement.
— Le Djou-Djon. — Le Niger en amont de Jebba. — Nous
arrivons à l'enclave de Badjibo-Arenberg. — Le roi Madibo. —
Organisation de l'enclave. — Départ pour les rapides. — Maladie
de Suleyman. — Rapide de Léaba. — La mission arrive à Ourou« 57
IV. — Passage du rapide d'Ourou. — Garba, roi de Oua-Oua. — Légende
des rapides. — Le Rite indigène. — Patassi. — Garafiri. — Inci-
dents de route. — Peuplades riveraines. — Le roi de Boussa. —
Fatigues et privations. — Séjour à Boussa 88
— 255 —
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TABLE DES MATIERES
V. — Séjour à Boussa ; départ. — ' Les Goangaouas. — Rapides dt
Tsoulon et Sakassi. — En fleave calme. — Séjour à Guiris. —
Nous reDcoDtrons le capitaine Keyes. — Gaya. — Cruelle désil-
lusion. — En route pour Niamé 135
VI. — Le double V. — Les habitants du Niger. — Sortie du Eonana et
entrée dans TIssa-Ber. - Le deuxième convoi passe les rapides
de Boussa. — Le Nil français. — Apparences de pauvreté, pro-
duits et richesses. — Les Courtébés. — Rapides du Nord. — Les
greniers de Sinder. — La butte de Kendadji. — No6l à Douniou. i07
VIL — Le Nil français, Issa-Ber (suite). — Rapide de Labezenga. ^ Tim-
boucton. — Touareg. — Beilas et Dagas. -* Le Bararissa et le
Koli-Koli. — Naufrage sur le Débo. — Le delta Niger-BanL
— Le Djoliba. — Ses piroguiers. — La légende du roi Mourouho. i9S
VIII. — Le Djoliba (suite). ~ Koulikoro. — Le Rocher fétichfl. — Saison
des pluies. — Grue générale du Niger. — Hypothèse sur la forma-
tion de sa vallée. — Résumé. — Conclusions fS3
Rojrlma ^,
é g * o ^ t
ûvecta d'in
APPENDICE.
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Imprimerie Fernand Scumidt, Paris-Monlrouge (Seine).
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